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1764, 02-03
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
FEVRIER . 1764 .
Diverſité , c'est ma deviſe. La Fontaine.
Cachim
Silies inv
Papillo Soulp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY, vis- à-vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais.
AvecApprobation & Privilége du Roi.

72100131
24,009
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure est chez M.
Lutton , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer ,
francs de port , les paquets & lettres ,
pour remettre , quant à la partie littéraire
, à M. DE LA PLACE , Auteur
duMercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnantt , que 24 livres pour feize volumes
,à raiſon de 30 fols pièce.
Les perſonnes de province auſquelles
on enverra le Mercure par la poſte
payeront pour ſeize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront d'autres voies que
laPofte pour le faire venir , & qui prendront
les frais du portfur leur compte
, ne payeront comme à Paris , qu'à
raison de 30 fols par volume , c'est-àdire
, 24 liv . d'avance , en s'abonnant
pour ſeize volumes.
A ij
Les Libraires des provinces ou des
pays étrangers , qui voudront faire vemir
le Mercure , écriront à l'adreſſe cideffus.
On fupplie les personnes des provinces
d'envoyer par la poſte , en payani
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
, resteront au rebut.
On prieles personnes qui envoyent
des Livres , Estampes & Musique à annoncer
, d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , ſe trouve auſſi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année. Il y en a jufqu'à
préſent cent trois vol. Une Table
générale, rangée par ordre des Matières,
fe trouve à la fin du ſoixante-douziéme.
Pinces ou des
ront faire vel'adreſſe
cis
des provin-
, en payani
que lepayeau
Bureau
.
pas affran
qui envoyent
ufique
à anix.
Piéces
tirées
ernaux
, par
ouve
auffi
au
mat
, le nomditions
font
Il y en a juf-
Une
Table
des
Matières
, e- douziéme
.
MERCURE
DE FRANCE.
FEVRIER. 1764.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LETTRE à M. DE LAPLACE,
Auteur du Mercure.
N SE PLAINT tous les jours , Monfieur
, des progrès que fait l'eſprit de
frivolité chez la Nation Françoiſe. En
réfléchiffant ſur les cauſes de la décadence
du goût , j'ai cru la trouver
dans l'oubli prèſque total des grands modèles.
Les Ecrivains célébres de l'ancienne
Rome , relégués dans la pouffière des
Aiij
6 MERCURE DE FRANCE .
Ecoles , ſemblent faits poury reſter inconnus
: la lecture de leurs Ouvrages
éffraye ; on croiroit être ſuſpect de pédanterie
pour peu que l'on fût ſoupçonné
d'être en commerce avec ces illuftres
morts. Vous avez trop de lumières , Monfieur
, pour ne pas ſentir combien laRépublique
des Lettres y gagneroit , fi nous
abjurions une pareille façon de penſer.
Mon avis ne ſçauroit faire loi ; puiſſe au
moins mon éxemple être ſuivi par des Littérateurs
plus habiles. Les Plaidoyers de
Ciceron font regardés comme autantd'époques
dans les Annales de la République
Romaine. J'ai formé le deſſein d'en
donner l'Histoire au Public. En voici un
éſſai : fi vous en faites uſage , il ſera ſuivi
des Catilinaires , &c . &c. &c .
J'ai l'honneur d'être , &c .
HISTOIRE du Discours prononcépar
M. T. CICERON , enfaveur du Poëte
ARCHIAS.
UNE coutume aſſez ordinaire aux Orateurs
du Barreau , c'eſt de faire l'éloge de
ceux pour qui ils parlent ; c'eſt un moyen
de plus d'intéreſſer les Juges en leur faveur.
Quoique Ciceron ait uſé de cette
eſpèce de privilége , en plaidant laCauſe
FEVRIER. 1764. 7
ANCE .
y reſter inrs
Ouvrages
pect de pé-
Fut foupçonces
illuftres
ières , Monbien
la Ré-
Toit, fi nous
de penſer.
i; puiffe au
ipardes Litlaidoyers
de
eautantd'éla
Républideffein
d'en
En voici un
, il ſera ſui-
&c.
rononcé
par
ur duPoëtu
reaux
Orael'éloge
de
un
moyen
en
leur
fafé
de
cette
nt la Cauſe
du Poëte Archias , les louanges qu'il
prodigue à cet homme célébre ne doivent
point paroître ſuſpectes. Les Ouvrages
de ce génie diſtingué , malheureufement
perdus pour la poſtérité , firent
dans leur temps les délices de tout ce
qu'il y avoit de gens éclairés à Rome.
Le titre du Diſcours de Ciceron porte
qu'il fut prononcé pour défendre la cauſe
du Poëte Archias. Cette épithète ſemble
avoir fait tort à ſes autres qualités. Perfonne
ne lui conteſte ſon mérite en Poëfre
; mais on veut qu'il n'en ait eu que
dans ce genre. Outre qu'il étoit bon
Poëte , il fut cependant encore profond
Mathématicien , Hiſtorien fincère & impartial
, Ecrivain élégant & délicat. Aces
traits d'un mérite peu commun , il joignoit
les qualités du coeur les plus eſtimables.
Philoſophe ami de l'humanité , il ne
fitcasde ſes talens , qu'autant qu'ilput en
faire jouir ſes ſemblables. Il préſida à l'éducation
des Citoyens des meilleures
Maiſons de la République ; & , ce qui
eſt bien rare , prèſque tous ſes élèves
lui firent honneur. Ciceron fut de ce
nombre. C'eſt un problême que je laiſſe
à réfoudre , lequel fut le plus heureux ,
ou le Maître d'avoir eu un tel Diſciple ,
ou le Difciple d'avoir été formé par un
tel Maître ? Aiv
Voici ce qui donna occafion à ce dernier
de compoſer & de prononcer le
Difcours dont il eſt queſtion .
A. Licinius Archias étoit d'Antioche .
Il vint à Rome l'an 648 de ſa fondation .
Treize ans après , c'est-à-dire , l'an 661 ,
on lui donna le droit de Bourgeoifie
Romaine. La République étoit alors
dans ſes beaux jours , & le titre de Citoye.
nRomain honoroit juſqu'aux Souverains.
Une distinction fi flateuſe étoit
bien dûe au mérite de notre Philoſophe .
La Ville d'Héraclée , quelque temps auparavant,
s'étoit empreſſée de rendre
juſtice au mérite , en le faiſant inſcrire
fur le tableau de ſes Citoyens. Il jouit
en paix de tous ces avantages pendant
l'eſpace de vingt-huit ans ; reçu dans les
meilleures ſociétés dont il faiſoit l'ornement
par l'agrément de ſon commerce ,
recherché des Sçavans qu'il éclairoit ,
chéri du Public dont ſes Ouvrages faifoient
les délices , ſes jours ſe paſſoient
dans cette tranquillité philoſophique qui
fait le charme de la vie d'un Sage. Un
certain Grætius, jaloux ſans doute de voir
jouir Archias d'un bonheur ſans mêlange
,& plus encore peut-être de fon mérite
perſonnel,s'aviſa, ſur je ne ſçais quel fondement
, de lui diſputer le titre de Citoyen
Romain , & les prérogatives qui
FRANCE
.
cafion à ce der
e prononcer
le
tion.
oitd'Antioche
.
efa fondation
.
dire, l'an 661 ,
e Bourgeoifie
ue étoit alors
le titre de Ciuſqu'aux
Soui
flateuſe
étoit
re Philoſophe
.
que tempsau-
Tée de rendre
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yens. Il jouit
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l'ornequi
n commerce
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éclairoit
,
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fais
ſe paffoient
fophique
un Sage
. Un doute
devoir
r fans
mêlandefon
mérite
cais
quel
fontitre
de
Cirogatives
qui
1704. 9
y étoient attachées. Ciceron ſaiſit avec
empreſſement cette occafion de marquer
fa reconnoiſſance à fon ancien Maître .
Le diſcours qu'il prononça , & dont l'éloquence
victorieuſe triompha des lâches
artifices de ſon adverſaire , a été regardé
par tous les Gens de Lettres comme un
chef d'oeuvre d'éloquence & de délicarefſfe.
Les âmes ſenſibles , & c'eſt ce qui
en fait le plus bel éloge , les âmes fenfibles
yont vu quelque choſe de plus : um
monument élevé à la gloire de leur vertu
favorite. Par M. D.F.
ENVOI des Jeux d'Enfans * à Madame
da CYP...... dont l'Auteur n'avoisvie
que le portrait , & qu'il defiroit de
connoître.
ود
CES jeux , plus graves qu'enfantins ,
Ne ſont point ceux qui volent ſur vos traces
Pour peindre leurs nombreux eſſains
Que n'ai-je le crayon des Grâces ?
Sans implorer le vainqueur du Python
Un ſeul de vos regards , dit- on ,
Pourroit opérer ce miracle.
Ah ! laiſſez- moi confulter cet oracle !
*Brochure annoncée à la suite des Nouvelles
Littéraires de ce mois.
FEUTRY
Av
ENVOI de mes Poësies à une jolie perfonne
qu'on furnommoit ROSE.
V
ous avez de Venus les grâces , les attraits ,
Ou plutôt , car je crois à la métempſycoſe ,
Vous êtes Vénus même ,& je revois ſes traits .
Mais pour vous rendre hommage , ah ! que
n'ai - je autre choſe
Que ces lugubres chants , ( a ) ces plaintes , ( b )
ces regrets ! ( c )
Vous les offrir c'eſt cacher une role
Sous les feuillages du cyprès.
( a ) Les Tombeaux , le Temple de la Mort.
( b ) L'Ode aux Nations .
(c) Héloïfe .
Par le même.
VERS à Mde ** le jour de fa Fête.
QUAUANNDD vous vintes au monde , on prétend
qu'une Fée ,
Qui vous reçut dans ſon giren ,
Voulut en vous douant , s'ériger un Trophée
Qui mit au déſeſpoir Caraboffe &Grognon. *
* Deux Fées malfaiſantes .
FRANCE
.
à une jolieperitROSE.
ces , les attraits,
étempſycole
,
revois
ſes traits.
mage , ah ! que
ces plaintes
, ( b )
e role
cès.
dela Mort
.
Par
le même
.
de fa
Fête.
n ,
on
prétend
Trophée
Grognon
. *
FEVRIER. 1764.
Elle y parvint : de- là vient votre nom . **
Aufſi-tôt le couple en colére ,
Courut chercher parmi les Dieux
Un vengeur : mais ils ont des yeux ;
Et vous réuniſſez tout ce qu'il faut pour plaire.
Plutus *** ſeul fatisfit un courroux odieux :
On ſçait que ce Dieu n'y voit guère.
** Victoire .
*** Dieu de la Richeſſe.
Par M. l'Abbé AUBERT .
LETTRE mêlée de Vers & de Profe , à
M. VERNET , Peintre du Ro1.
Vous ne vous douteriez jamais ,mon
cher & illuftre ami , des étrènnes que
je vous deſtine. C'eſt mon rêve de la
nuit dernière , oui mon rêve ! &
quelque précieux que foient vos momens
, vous en employerez quelquesuns
à l'écouter. Il m'eſt arrivé enfin ce
que je defirois depuis longtemps. Grace
au fommeil , j'ai franchi cette nuit
l'eſpace qui me ſéparoit de vous , & je
me fuis vû dans votre attelier. A côté
de moi étoit un artiſte célébree , debout,
A vj
?
II
12 MERCURE DE FRANCE .
immobile , la vue fortement attachée
fur vos ouvrages , & dans la vraie attitude
d'un contemplatif. Ses yeux fuivoient
de temps en temps les mouvemens
de votre pinceau , & l'inſtant d'après
il retomboit dans la méditation la
plus profonde. Revenu enfin de cette extaſe
, » J'ai vû quantité de belles choſes ,
>>>a- t - il dit ; mais elles n'étoient point
>> un myſtère pour moi. Si je ne puis en
>> faire autant , je ſçais du moins com-
>>ment on y peut parvenir : mais à l'é-
>> gard de ces tableaux , j'ignore abſo-
>> lument par quelle magie on arrive à
>> ce degréde vérité. « * Vous n'êtes pas
un homme morbleu , a-t- il. continué
vivement en vous adreſſant la parole ;
vous êtes le Diable , ou vous avez fait
un pacte avec lui. Cette incartade vous a
fait rire ; pour moi je l'ai priſe fort ſerieuſement
, & je me fuis rangé de
fon parti de la meilleure foi du monde;
car enfin , vous diſois-je , autant que
je puis me le rappeller :
*
Sans quelque peu de diablerie,
Comment expliquer , je vous prie ,
C'est l'éloge qu'un Artiſte distingué afait des
Tableaux de M. Vernet au dernier Sallon, Ann..
Litt. t. 6. p. 15. 1763 .
3
RANCE
.
ement attachée
ns la vraie at-
Sesyeux fuis
les mouvel'inftant
d'améditation
la
in de cette exbelles
chofes,
étoient
point
je nepuisen
moins
comr
: mais àl'é-
'ignore abſoe
on arrive à
ous n'êtes pas
-il. continué
at la parole
; ous
avez
fait
artade
vous
a
priſe
fort
ſeis
rangé
de du
monde
;
autant
que
ie,
prie
,
gué
afait
des Sallon
. Anna
.
7
FEVRIER. 1764.
Certe trompeuſe profondeur
Sur la toile la plus unie ,
Cesfigures dont la rondeur
Au ciſeau pourroit faire envie
Ces traits vivans , ce coloris
Qui n'étoient que dans la nature ,
Avant qu'ils ſe viſſent tranfmis
Dansvotre magique peinture ?
Vous avez , lauf meilleur avis ,
Fort bien fait de prendre naiſſance
Dans un temps comme celui- ci ;
Car au fiécle de Goffredi *,
Notre Parlement de Provence
Vous eût fait un mauvais parti.
Vous auriez pu par aventure
Finir vos jours par la brûlure ,
Comme ce pauvre preſtolet ;
Et votre procès , je vous jure ,
Vous eût même été plutôt fait.
Car, être l'allié du Diable ,
Auroit dit quelque homme capable
Parmi la Gent porte-rabat ;
Est-ce par la métempſycoſe
Entrer au corps de quelque chat ?
Vieilleerreur ! c'eſt tout autre choſe.
Fai lû dans de vieux Almanachs
Qui dévoiloient tous les myſtères
* Louis Goffredy brûlé à Aix pour crime.
Magie en 1611.
14 MERCURE DE FRANCE.
Des gens qui hantent les fabbats ,
Que les plus habiles Sorcières
Prenoient quelquefois leurs ébats
A faire le beau-temps , l'orage ,
Couvrir l'air d'un ſombre nuage ,
Arracher la lune des Cieux ,
Bâtir des maiſons enchantées ,
Elever monts , creuſer vallées ,
A faire enfin mille autres jeux
Peu chrétiens , mais fort curieux.
Vernet depuis maintes années ,
En fait autant ; dans le beſoin
Je pourrois ſervir de témoin.
D'un coup de baguette puiſſante ,
J'ai vu , j'en donne mon ferment ,
J'ai vu la Lune obéiſſante
Deſcendre en ſon appartement.
J'ai vu les Airs , le Firmament ,
Les flots de la mer , le rivage ,
Toutes les horreurs d'un naufrage
Eclore à ſon commandement.
Sorgeant à cet affreux orage ,
Je friſſonne encor de terreur ,
Et je partage la douleur
De ces pauvres gens dont l'image
Reſtera longtemps dans mon coeur.
Hélas ! leur horrible malheur
N'étoit que l'effet de la rage
De ce déteſtable Enchanteur.
I15 FRANCE
.
es fabbats ,
ières
urs ébats
Drage ,
nuage,
४ ,
ées ,
lées ,
es jeux
urieux.
nées ,
foin
n.
iffante
,
ment
,
ment
.
bent
,
age
,
aufrage
ent
.
ge ,
۲,
mage
on
coeur
.
ur
ge
FEVRIER 1764 .
'omets mille & mille autres choſes
Plus ſurprenantes à nos yeux
Quetoutes les métamorphoſes
De nos Sorciers les plus fameux.
Partant l'avis que je propoſe
En juge équitable & chrétien ,
C'eſt , Meſſieurs, quoiqu'il nous oppoſe
Pour nous prouver qu'il n'en eſt rien ,
Qu'on le brûle: il eſt Magicien.
Vous fentez bien que fur cette éloquente
harangue , on auroit opiné au
feu du Bonnet. Et voilà à quoi auroient
abouti alors ces mêmes talens qui vous
attirent aujourd'hui l'admiration des
Peuples & des Rois. Toute choſe a fon
temps , dit le Sage. Aujourd'hui c'eſt le
régne des beaux Tableaux; autrefois
c'étoit celui des méchans Vers. Du
temps de feu Cotin j'aurois été de l'Académie
Françoiſe. Heureuſement pour
vous&malheureuſement pour moi,tout
eft rentré dans l'ordre. Je fuis ,&c.
zusdaga la demon est en
TE DE FRANCE .
EPITRE.
A M. L ***
SCAVANT ABBÉ , je vous écris
Confiné dans un hermitage ,
Loin du tourbillon de Paris ,
Vivant de fruit , & de laitage ;
Des belles , & des beaux - eſprits .
Oubliant la foule volage ;
Et des objets que j'ai chéris
Ne regrettant dans ce Village ,
Que vous , & l'ami qui partage
La gloire de tous vos écrits .
Des vains phoſphores de notre âge
On m'a vû follement épris :
De la nature Amant plus ſage
Je cherche les boſquets fleuris ,
L'ombre des bois , un payſage
Qu'un Sot regarde avec mépris.!
J'ai trouvé dans ce voiſinage
Une Déeſſe au teint vermeil ,
Aux yeux ſereins , au beau corſage ,
Avec ſon fils , le doux ſommeil ,
La ſanté , brillante Déeſſe
A qui j'adreſſe tous mes voeux :
Que les mortels cherchent ſans ceffe
Et qu'ils fixeroient auprès deux
E FRANCE
.
CRE
.
***
ous écris
mitage ,
- Paris ,
e laitage ;
eaux - eſprits.
lage ;
chéris
ce Village
,
ui partage
s écrits
.
de notre
âge
épris
:
plus
ſage
ts fleuris
,
payſage
ec
mépris
.
oiſinage
vermeil
, beau
corſage
, fommeil
,
effe
es
voeux
:
ment
fans
ceffe
près
deux
1
FEVRIER. 1764.
S'ils n'écartoient pas la ſageſſe.
Avec ces êtres bienfaiſans ,
D'une ſociété riante
17
:
Je goute les plaiſirs touchans :-
Dans une égalité charmante
Dieux.& mortels vivent aux champs;
Ceux-ci régnent dans un bocage
Où l'Amour raſſemble les ris:
Ce n'eſt que des fleurs du village
Qu'ils tirent ce beau coloris ,
Qui brille ſur un teint ſauvage..
Coeurs lâches , pâles citoyens ;
Que la cupidité conſume !
Vos tréſors valent-ils les miens ?-
Vos jours ſont mêlés d'amertume:
J'ai du repos , j'ai tous les biens.
Abbé , quelle volupté pure
D'enchaîner ici le ſommeil ,
Et de ſurprendre la nature
Au doux moment de ſon réveil !
Ah ! qu'elle est belle quand l'Aurore
Monte , dans un grand appareil ,..
Sur l'horiſon qui ſe colore
Des premiers rayons du Soleil.
Quel preſtige , quelle magie.
Séduit mes lens tumultueux ;
Quand la lumière réfléchie
M'offre la furface blanchie
18 MERCURE DE FRANCE,
D'un Océan majestueux ! L
Malheur au mortel inſenſible
Qui regarde ſans s'arrêter ,
Le chêne orgueilleux s'agiter
Au bruit de l'Aquilon terrible !
Le cours tranquille des ruiſſeaur ,
L'émail changeant de la prairie ,
L'ambre doré de nos côteaux ,
Et les airs qui ſoufflent la vie !
C'eſt dans les champs & les hameaux
Que la nature ouvrant ſon temple ,
Offre au mortel qui la contemple
Chaque jour des tréſors nouveaux.
Ici dans des plaines riantes ,
On entend' bondir les troupeaux;
Là des Bergeres vigilantes
En chantant tournent leurs fuſeaux ;
Et leurs galans, de violettes
Ornant leurs cheveux négligés ,
Sur l'herbe autour d'elles rangés ,
Accordent leurs douces Muſettes.
Amoureux enfans de Cypris ,
Que ces Hilas & ces Silvandres
Doivent chanter des airs bien tendres,
Puiſqu'un baifer en eſt le prix !
Venez admirer les prodiges
De la nature , & du Printems
Rois ! dans vos Palais éclatans
FEVRIER. 1764. 19 E FRANCE,
Cueux !
infenfible
arrêter ,
x s'agiter
on terrible!
des ruiſſeaur,
e la prairie ,
s côteaux ,
nt la vie !
=& les hameaux
nt fon temple,
la contemple
ors nouveaux
.
iantes
,
troupeaux
;
ntes
leurs
fuſeaux
;
lettes
égligés
,
es rangés
,
Muſertes
.
ris ,
Ivandres
= bien
tendres
,
e prix
!
ges
ms
,
tans
L
E'Art n'a pas les mêmes preſtiges .
J'aime l'ovale des baffins
Où l'on voit des gerbes humides ,
Pour l'ornement de vos Jardins
Retomber en plaines liquides ;
Mais j'aime mieux en vérité ,
Ce lit creuſé par la nature
Où l'Eure , avec tranquilité
Roule ſur un ſable argenté ,
Son onde tranſparente & pure.
Près de ſes bords eſt un ſéjour,
-Monument vaße & magnifique ,
Que des Arts le pouvoir magique:
Eleva jadis à l'Amour ; *
Où la Minerve de la France ,
Dumaine , ſi chère aux beaux Arts
Les attiroitde toutes parts
Par ſon goût & ſabienfaiſante.
On voit encore dans ce lieu ,
Autourde la tombe immortelle ,
Errer les ombres de Chaulicu ,
Etde la Fare &de Chapelle .
Appuyé fur une urne d'or ,
LaMothe foupire auprès d'elle ;
Et le doux berger Fontenelle
Y ſemble oublier l'heure encor.
Comme eur je ſens couler ma vie ,
*Anet, bâti par Henri II. pour Dianede Poi
tiers.
2 FRANCE .
Sans ambition , ſans defir ,
Et je préfére mon loiſir
Aux fruits trop tardifs du génie.
Dans la carrière des tale as
Vous avez pris un vol rapite ;
Mais bientôt ſur vos jeunes ans ,
Cher Abbé , le travail aride
Imprimera ſes doigts peſans .
Allez donc dans l'antre fublime
Où Platen réformoit les moeurs ,
Du coeur humain ſonder l'abîme ,
Et l'éclairer ſur ſes erreurs .
La ſageſſede votre Maître
N'a rien qui puiſſe m'éblouir :
Il nous apprend à nous connoître ,
Et moi je m'occupe à jouir .
Vous allez , diſciple fidéle ,
Aſſiſter au banquet ſacré.
Qui nourrit votre âme immortelle ,
Et pour les Dieux ſeuls préparé :
Pour moi je prends ſur la fougère-
Un repas moins délicieux ;
Mais je ſuis auprès de Glicère ,
C'eſt être à la table des Dieux .
Sans ſoin , parmi des fleurs écloſes
Je vois marcher l'heure & le temps ;
Et fi je ſaiſis des inſtans ,
C'eſt toujours pour cueillir des roſes.
2 E FRANCE.
sdefir,
ifr
fs du génie.
taleas
I rapides
jeunes ans ,
aride
pefans.
e fublime
les moeurs
,
der l'abime
reurs
.
aître
Eblouir
:
sconnoître
,
Fouir
.
.
éle ,
immortelle
,
préparé
:
a fougèrex
;
licère
,
Dieux
.
urs
écloſes
le temps
;
des
roſes
.
FEVRIER . 1764.
Oh ! que d'aimables pareſſeux
Ont comme moi dans leur jeuneſſe
Compté longtemps des jours heureux ,
Et dont l'amour dans leur vieillefſe
Parfumoit encor les cheveux.
Dieu de mon coeur ! chère pareſſe !
Epicure , à tes doux rayons
A vu tous ces plaiſirs éclore ;
Et c'eſt toi dont la main encore
Tient négligemment mes crayons ,
Quand je deſſine Life ou Flore.
Tes doigts légers & délicats ,
Lorſque je veux chanter Thémire ,
Pincent les cordes de ma lyre ,
Et l'amour applaudit tout bas
Aux ſons faciles que j'en tire.
Mais tandis que ſous ces berceaux ,
Fuyant l'orage qui s'apprête ,
Je tends des filets aux oiſeaux ,
L'heure s'avance , & ſur ma tête
Le temps appeſantit ſa faulx.
O temps ! divinité terrible ,
Tu courbes ſous les humbles toits
Ledos du Laboureur paiſible ;
Et tu rides le front des Rois
Dans leur Palais inacceſſible.
Du haut de la ſphère des airs
Les Dieux ſeuls , d'un oeil immobile
Contemplent les êtres divers
Emportés ſur ton aîle agile.
O Temps ! tu détruiras mes Vers !
Demain je deſcendrai ſans gloire
Dans la tombe de mes aïeux :
Mais , fi j'ai révéré les Dieux ,
Tu dois épargner ma mémoire.
Quand l'urne froide des Verſeaux
S'inclinera ſur les campagnes,
Et fera fuir dans les hameaux
Bacchus , Cérès & ſes Compagnes
Alors , loin des lieux enchantés-
Embellis par tout ce que j'aime ,
Et par le bonheur habités ,
Je rentrerai malgré moi-même
Dans le tumulte des Cités.
Je reyerrai cette Statue
Qu'érigea l'amour des François.
Mais ne croyez pas que jamais
Ma Muſe aux Grands ſe proſtitue .
Ah ! ſi mon âme déſormais ,
Par des menſonges avilie ,
Devoit , à force d'infamie ,
Des Grands rechercher les bienfaits ;
Fils de Vénus , Fils de Latone,
O mes Dieux ! éteignez en moi
L'amour des Arts qu'on abandonne,
Et du Plaifir qui fait ma lon
FEVRIER. 1764: 23
DE FRANCE
.
Cres divers
aîle agile.
miras
mes Vers !
ai ſans gloire
nes aïeux
:
es Dieux
,
a mémoire
.
des Verſeaux
mpagnes
,
hameaux
Compagnes
nchantésque
j'aime
,
tés,
oi-même
tés.
François
.
jamais
proſtitue
.
ais
,
е,
,s bienfaits
;
Cone
,
amoi
andonne
,
Laiſſez-moi vieillir ſous ces hêtres
Dans la vertu de mes ancêtres ,
Et mourir comme eux ſans éffroi.
Sous ce lierre qui me couronne
J'aime mieux parcourir aux champs
Le cercle étroit qui m'environne ,
Qued'aller parmi les méchans ,
Dans la ſuperbe Babylone ,
Suivre l'opulence & les rangs.
Irois-je imiter ce reptile ,
Qui pour ſe gliſſer près des Grands ,
En mille replis différens
Sçait recourber ſon corps docile ?
Valet ſouple , adulateur bas ,
Irois- je bercer ces Midas
Dont l'oreille inſenſible eſt ſourde
Même aux accords les plus parfaits ,
Et dont l'âme groſſiére & lourde
S'aſſoupit dans un corps épais?
Ne croyez pas que je m'abbaiſſe
Aflatter d'illuſtres fripons ,
Impoſteurs qui prônent ſans ceſſe
Leurs petits talens , leurs grands noms ,
Et leurs chevaux & leur maîtreſſe :
Objets qu'on voit dans la baſſeſſe
Donner & vendre tour-à -tour
Le prix du coeur que la ſageſſe
Ne doit accorder qu'à l'amour.
24 MERCURE DE FRANCE.
Retiré ſous les toits ruſtiques ,
Par goût j'habite le réduits
Où près de ſes Dieux domeſtiques
Philémon vivant loin du bruit ,
Va préférer les moeurs antiques
A ce faſte impoſant qui ſuit
Vos Sattrapes Aſiatiques : Halb
Près de leur maître adroits ſerpens ,
Mais tyrans , fiers & deſpotiques
Des lâches que l'on voit rampans
Sur le marbre de leurs portiques.
Ils éblouiſſent l'univers als ellin
De l'éclat qui les environne :
Mais ils s'endorment près du trône
Et ſe réveillent dans les fers .
Heureux qui ne voit point le faîte
Ni les lambris de leurs Palais !
Leglaive affreux de Démoclès
N'eſt pas ſuſpendu ſur ſa tête.
Lorſque je quitteral ces bois ,
Pour revoir les bords de la Seine , A
Cher Abbé , des Arts & des Loix
Je reprendrai la douce chaîne ;
Et nous parlerons quelquefois
Des vertus de votre Mécène : 213
CeSage dont l'humanitéпной
Nous montre à travers les ruines
Denotre antique probité ,
Cette
FEVRIER . 1764.
:
Cette noble
ſimplicité
Qui nous
charmoit dans les
Comines.
Au faîte des
grandeurs monté ,
Sans baſſeſſes & fans
intrigues ,
Il y
commande ſans fierté ,
Et ſçait s'y
maintenir ſans brigues.
Vous
offrirez à mes
regards
Sous les
couleurs de la
Nature ,
Son goût
délicat pour les arts ,
Et ſon âme ſans
impoſture.
25
Par des
Tableaux vrais &
touchans,
Vous
échaufferez mon génie ;
Et
l'amant de notre patrie
Deviendra le Dieu de mes
chants.
Par M.
LEGIER.
SUITE
DES
PÉRIS ET DES
NÉRIS ,
Ou
l'Amour
comme on le méne.
CONTE.
EN VÉRITÉ , diſoit Alcindor à Zelinde
, en traverſant les airs , je regarde
notre voyage comme une franche corvée
!C'eſtfaire trop d'honneur aux hom-
B
26 MERCURE DE FRANCE.
mes. Eſt-il à croire que nous trouvions
chez eux ce qui nous manque ? N'est-ce
pas à eux plutôt à ſe modéler fur nous ?
C'eſt ce qui ne leur arrive que trop fouvent
, reprit Zélinde , comme à nous de
prétendre égaler les plus fublimes Intelligences.
Que réſulte-t-il de cette double
ambition ? L'ennui pour nous & pour
eux. Il faut ſçavoir deſcendre à propos :
c'eſt la route que fuit prèſque toujours
le bonheur. Tout en philofophant ainsi ,
nos voyageurs ſe trouvèrent au centre
des vaſtes Etats du Mogol. Ils y firent
diverſes pauſes , & ne virent dans.certains
cantons , que ce qu'ils avoient déja
vu dans quelques autres : des Bonzes
qui ſéduiſoient de jeunes innocentes ,&
s'accordoient , on ne peut mieux , avec
celles qui n'avoient pas beſoin d'être ſéduites
: des femmes qui ſe brûloient fur
le corps d'un mari qu'elles avoient haï
& trompé ; des maris qui méritoient
toute l'averſion de leurs femmes , &
qu'on traitoit ſelon leur mérite. Plus
loin , de vaſtes Sérails remplis de belles
eſclaves ignorées, pour la plupart, de leur
Maître , & qui riſquoient de mourir fans
avoir fait ſa connoiſſance. Celles même..
quien jouiſſoient avoient prèſque auffi
ſouvent lieu de s'ennuyer que les preFEVRIER.
1764 . 27
mières. Un amour fi partagé mettoit
peu de différence entre l'état des unes &
des autres.
Alcindor & Zélinde jugèrent qu'il
étoit à propos de paſſer outre. Ils pénétrèrent
dans les Etats du Sophi de Perſe ,
&ſe rendirent à Iſpahan. Mais ils crurent
être encore une fois à la Chine ,
tantcertainsuſages leur parurent ſemblables
chez les deux Nations. A Iſpahan ,
comme à Pekin, l'union des deux ſéxes
eſt un véritablejeu de haſard. Un Perſan
époufe une femme comme unjoueur accepte
une carte , ſans ſçavoir ce qu'elle
vaut , ni de quelle couleur elle eſt . Il
arrive auſſi que l'une & l'autre eſt miſe à
l'écart dès qu'elle ſe trouve remplacée
par quelque choſe de mieux. Il eſt même
permis à un Perſan de chercher ce mieux
autant de fois qu'il eſpère le rencontrer :
privilége qu'il ſçait faire valoir dans toute
fon étendue.
Zélinde entra , ſans ſe laiſſer voir ,
dans une maiſon de noble apparence.
Elle en vit le Maître occupé à compter
une ſomme en or à une très -belle femme
, qui enſuite fut embraſſer , en verſant
quelques larmes , deux petits enfans
placés aux pieds d'une autre femme affife
elle-même dans un fauteuil magnifique.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Après quoi la première ſe proſternahumblement
devant la ſeconde , qui la congédia
d'un figne de tête.,Voilà , diſoit intérieurement
la Néris , voilà fans doute
une Eſclave qui prend congéde ſes Maîtres
& de leurs enfans. Mais bientôt elle
reconnoît que ces mêmes enfans font
ceux de cette Eſclave prétendue; que le
Maître de la maiſon a été ſon époux , &
n'a ceffé de l'être que parce que le bail
paffé entre eux eſt expiré. La Dame affife
étoit réellement la Dame en titre ,
celle que le mari ne peut répudier qu'après
certaines formalités : mais il peut la
négliger , & la néglige. En revanche ,
elle eft réputée la mère de tous les enfans
qu'il a de ſes rivales.
Tandis que Zélinde obſervoit toutes
ces chofes , Alcindor ne reſtoit pas oifif.
Il aborde une jeune Perſanne qui marchoit
à viſage découvert. Un eſclave la
devançoit en fonnant de la cimbale . Elle
étoit vêtue d'une robe de brocard d'argent
, affez courte pour laiſſer voir la
beauté de ſa jambe. Ses longs cheveux
étoient artiſtement relevés ſur ſa tête.
Une gaſe d'or ſervoit à les attacher , &
flottoit en partie au gré du vent. De riches
pierreries ornoient ſes oreilles :
des fleurs couvroient ſes bras. De plus ,
FEVRIER. 1764 . 29
elle étoit belle , & fembloit fort defirer
de le paroître. Alcindor entra dans ſes
vues , loua fes charmes , & ſe félicita de
ce qu'elle daignoit les rendre vifibles ,
en dépit de l'uſage. Point du tout , reprit-
elle , c'eſt l'usage qui me défend de
les cacher. J'ai acquis le droit de paroître
telle que je fuis , de parler comme je
penſe , d'agir comme je le ſouhaite. Bien
des femmes qui mépriſent moi & mes
ſemblables , feroient grand cas de nos
priviléges : mais il faut des talens pour
les acquérir & pour les conferver. Ces
talens , comme Alcindor l'apprit d'ellemême,
conſiſtoient fur- toutdans la Mufique&
la Danſe. Le Périsdemanda à la
Danfeufe , quels talens il falloit avoirauſſi
pour lui plaire. Mon nom vous le dira ,
répondit-elle : je m'appelle la Vingt tomans
* ; jamais on ne ſcut m'attendrir à
moins,&je m'attendris à proportion que
le nombre en augmente.
En parlant ainfi , la jeune Perfanne
continuoit de marcher , mais Alcindor
ceſſa de la ſuivre. Il rejoignit Zélinde
qui lui fit part de ce qu'elle avoit vû.
Elle ajouta que dans cette contrée les
hommes étoient trop abfolus. Et les
* Le toman eſt une Monnoie Perſanne qui équi--
vaut à nos Louis d'or de France.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE .
femmes trop dociles , reprit Alcindor.
Voyons files unes & les autres différent
dans le reſte de l'Afie.
Ils eurent hou d'admirer les charmes
des Géorgiennes , des Circaſſiennes , des
Mingréliennes . On diroit que la beauté
ne ſe plaît que dans ces païs barbares ,
tant ſes dons s'y trouvent généralement
répandus. Une laide femme y paroît un
phénomène. Une femme délicate en eſt
un bien plus rare encore. Toutes ſe
croyent faites pour être vendues & non
pour ſe donner . Ce font de vrais meuble
de férail. Ces meubles ne font cependant
pas toujours neufs lorſqu'ils y
arrivent. C'eſt de quoi Alcindor pouvoit
s'inſtruire à fond , & ce qu'il négligea
de faire. Les femmes qui ont leurs
maris font encore moins circonſpectes ';
mais ces maris, quoiqu'Aſiatiques, font
peu jaloux. Une belle Mingrélienne s'étoit
enfermée avec Alcindor: il n'avoit
fur elle aucun deſſein qui éxigeât cette
précaution. Le mari ſurvient & ne
la croit pas inutile. Tu ne peux t'en
défendre , dit-il au voyageur ,le cochon
m'eſt dû : c'eſt l'amende qu'on paye en
pareil cas . Je conſens même à le manger
avec toi. Il eſt inutile d'ajouter qu'Alcindor
difparut fans rien répondre , & que
FEVRIER. 1764. 31
Zelinde& lui continuerent leur voyage.
De pauſe en pauſe ils arrivent à Conftantinople.
Son étendue leur fait éſperer
d'heureuſes découvertes , des uſages qui
lui foient propres. Ils font bien-tôt détrompés.
Ils n'y apperçoivent que ce
qu'ils ont déja vû ailleurs ; une jaloufie
affreuſe dans les hommes , une ſervile
obeiſſance dens les femmes ; peu d'Amour
de part & d'autre . Un Turc entre
dans ſon Sérail. Aucun objet déterminé
ne l'occupe. U eſt ſans paffion , ſouvent
même ſans deſirs. Une troupe d'Eſclaves
s'empreſſe de les faire naître , & n'éprouve
elle-même que des beſoins. Zélinde
, qui ſans être vue voyoit toutes
ces chofes , en conclut que l'Amour
à la Turque feroit peu du goût des Néris.
Pour Alcindor , il fut moins prompt à
fe décider. Peut- être , diſoit-il en lui
même , le beſoin d'aimer , & la difficul
té d'avoir des Amans , réduiſent-ils une
femme Turque à chérir ſon mari. Il en
vit une qui prodiguoit au ſien toutes
les marques extérieures de la plus vive
tendreſſe. L'un & l'autre fortirent pour
pour ſe rendre à la Moſquée , & Alcindor
les ſuivit. La belle Turque étoit
voilée , ſelon l'uſage inventé par la
jaloufie : mais il exiſte un autre uſage
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
peu favorable aux jaloux ; c'eſt que le
voile & l'habit des femmes font ordinairement
les mêmes pour la forme &
la couleur. De forte qu'un mari qui perd
un inſtant de vue ſa femme , riſque de
ne la pouvoir plus diftinguer parmi les
autres. C'eſt de quoiAlcindor fut témoin.
Le couple qu'il avoit ſuivi ſe ſépara dans
la Moſquée , lieu où les deux ſexes n'ont
pas la liberté d'être confondus. Le mari
de la belle Ottomane ſe poſta vis-à- vis
d'elle . Alcindor , toujours inviſible , ſe
plaça tout à côté. Il la vit , au bout de
quelques inftans , ſe mêler parmi ſes
voiſines , s'éloigner de plus en plus , &
enfin diſparoître entièrement. On préfume
bien qu'il la ſuivit. La traite ne
fut pas longue ; elle entra dans une mai-
Yon tierce où un jeune Turc l'avoit devancée.
Leur abord indiquoit aſſez bien
le motif de leur entrevue , & Alcindorn'eut
pas beſoin de faire uſage de toute
ſon intelligence pour prévoir quelles
en ſeroient les ſuites. Il ſortit , perfuadé
que les précautions inventées par
la jalouſie des Aſiatiques , n'étoient éfficaces
que contre eux-mêmes.
Zélinde & lui mirent en queſtion s'ils
viſiteroient l'Europe où ils avoient déja
mis le pied , ou s'ils donneroient la préFEVRIER.
1764 . 33
férence à l'Afrique. La Néris opina pour
le ſecond parti , & Alcindor fit ce qu'elle
voulut. Ils en prirent occafion de vifiter
l'Arabie & l'Egypte , qu'ils n'avoient fait
que cotoyer. Ni l'un , ni l'autre pays ne
borna leurs recherches . C'étoit une répétition
de ce qu'ils avoient vu & blamé
ailleurs. La brûlante Ethiopie offrit
à leurs yeux un Peuple immenſe. L'extrême
chaleur du climat influoit également
ſur les deux ſéxes ; ils lui devoient
tout le penchant qui les attiroit l'ün vers:
l'autre ; & ce penchant n'étoit que matériel.
Ce fut encore pis à mesure que
nos voyageurs avancèrent. Parvenusau
centre de la Guinée , ce qu'ils avoient
vu ne leur parut que l'ombre de ce qu'ils
voyoient: Alcindor prit plaifir à écouter
l'entretien d'un jeune homme & d'une
jeune fille de Congo. Ils se connoiffoient
àpeine : ce qui n'empêcha pas le jeune
Africain de débuter ainſi: Silava in
quinté, je te ſalue , ma femme. Elle ré--
pondit fur le champ. Silava moïné , je ter
ſalue , Maître. Gay zoleze minou , pour
fuivit- il , m'aimes-tu bien ? Gayté moi
nézolezé béné , reprit- elle , oui , Maître ,
je t'aime bien: Le jeune homme porta
beaucoupplus loin ſes queſtions , & elle
y fit cette docile réponſe : Ninga moï-
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
né, oui , Maître. Alors elle ſe mit à genou
en battant des mains , & s'écriant
par trois fois , Silava moïné , je te ſalue ,
Maître. A quoi il répondit , en remuant
tous les doigts , calam bom botté , cela eft
bon . Enfuite , il lui donna ſa main noire
à baifer. Ce qu'elle fit avec autant de joie
que d'empreſſement. Enfuite lui-même
la prit ſous le bras , & la conduiſit en un
lieu plus commode pour achever l'entretien.
A quelques pas plus loin , le couple
voyageur fit rencontre d'une jeune Africaine
, qu'on n'eût pas priſe pour telle à
ſa couleur. Toute ſa perſonne étoit couverte
d'une pommade rouge , faite avec
de l'huile de palme , & du bois de toucoula.
Que fignifie cet ornement , lui
demanda Zélinde ? Que j'ai l'honneur
d'avoir caffé calbaſſe , répondit - elle ;
konneur le plus grand qui puiſſe arriver
à une fille parmi nous. Cette couleur
doit tomber d'elle-même , & juſqu'a ce
qu'elle m'ait entièrement quittée , je ne
dois prendre part à aucun travail ; je ne
dois m'occuper que du plaifir. Eh quelles
feront les ſuites de tout cela , demanda
encore la Néris ? D'être vendue , reprit
l'Africaine , par celui qui m'aura époufée
, & qui épouſera vingt femmes pour
avoir l'avantage de les vendre,
FEVRIER. 1764. 35
Zelinde n'en voulut pas ſçavoir davanrage
, & Alcindor en ſavoit déja trop.
Ils continuerent à faire le tour de l'Afrique
& arriverent chez les Caffres ,
nation qui n'en mérite guères mieux le
tître que ces troupes de Bêtes féroces fi
communes dans cette partie du Monde,
Le nom même de l'Amour est ignoré
chez ce Peuple barbare. Une même
cabane raſſemble durant la nuit toute
une Tribu. Le brutalité y trouve amplement
à ſe fatisfaire , ne s'y refuſe rien ,
n'y eſt jamais contredite. Là , nulle diftinction
, nul choix , nul reſpect pour
les noeuds du ſang , nul ſouvenir des
liens de la Veille.... Alcindor& Zélinde
détournerent leurs yeux de cet affreux
Tableau. Ce qu'ils virent , en avançant
toujours , ne leur parut guères moins
révoltant. Ils furent un peu plus fatisfaits
de la Barbarie , contrée qui , malgré
fon nom , est vraiment le païs policé
de l'Afrique. Mais ils n'y retrouverent
que les moeurs Arabes & Turques , &
dès - lors n'y trouverent pas ce qu'ils
cherchoient. Ils prirent donc le parti de
viſiter l'Europe ; ce qu'ils regardoient ,
à-peu-près , comme un parti déféſperé.
L'Eſpagne ſembloit s'offrir d'elle même
à leurs recherches. L'Italie n'étoit
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
guères moins à leur portée. Ils aimerent
mieux débuter par le Nord. Mais bientôt
ils s'apperçurent que , ſi. Vénus étoit
née dans l'eau , les Amours jouoient
rarement ſur la glace. On eſt , à coup
fûr , plus tendre dans un boſquet fleuri
qu'au pied d'une montagne de neige.
Alcindor & Zélinde s'avancerent au
centre de l'Allemagne. Les coeurs s'y
adoucifſoient en raiſon du climat. Toutefois
, les hommes parurent à la Néris
tenir encore des Germains leurs aïeux ,
nation plus guerrière que galante. Les
femmes elles-mêmes parurent aux yeux
du Péris , être en général plutôt foibles
que tendres. Dailleurs , dans ce païs
l'Amour ne ſçait point déroger. Un
noble ne peut s'y réfoudre à aimer une
Plébéienne. Il faut pour le ſéduire au
moins ſeize quartiers. Il enviſage moins
les attraits de ſa Maîtreffe que l'antiquité
de ſes parchemins. En un mot , l'Amour
au lieu de carquois & de flambeau
, porte un Magazin d'Ecuffons&
des Arbres Généalogiques.
Alcindor & Zélinde mirent en quef
tion la route qu'ils devoient tenir. Tout
endifputant , ils ſe trouverent aux fronrieres
d'Italie. Il faut, dit la Néris, hazarder
quelques recherches dans cette Con
FEVRIER. 1764. 37
trée. Hé bien ! dit Alcindor , d'un ton
qui marquoit peu d'eſpérance , voyons
ce qui en arrivera. Ils s'avancerent jufques
dans cette ville qui fut autrefois
la Capitale du Monde.
9.
Les veſtiges de fon ancienne grandeur
occupoient les regards d'une foule
d'Etrangers. Nos voyageurs n'y firent
aucune attention. Ils n'avoient qu'un
objet , ils ne le perdoient pas un inſtant
de vue. Mais le remplir c'étoit là le
point vraiment difficile , & Rome ne
leur parut pas devoir abréger ces difficultés.
Aux Temples près , ils ſe crurent
au ſein d'une Ville d'Afie. Les femmes
n'y fortent que voilées , fortent rarement
& plus rarement encore ſont
viſitées chez elles . En un mot, la jaloufie
des Romains modernes égale celle des
Afiatiques de tous les tems. Alcindor
apprit même qu'elle avoit recours àdes
éxpédiens dont les plus jaloux d'entre
les Orientaux rougiroientde faire uſage.
Ah quelle horreur ! s'écrioit Zélindes
Au moins , diſoit Alcindor , s'il n'eſt
guères poffible qu'on les aime , il ne
l'eſt pas plus qu'on les trompe. A peine
il achevoit ces mots qu'une Duègne
ſeptuagénaire lui fait figne d'une certaine
diſtance. Il s'approche , & elle l'exhorte
38 MERCURE DE FRANCE.
à metre à profit le bien que lui veut
une jeune Beauté qui vient de l'appercevoir
à travers de ſa jaloufie. Le Péris
demande qui peut être cette perſonne
obligeante ? C'eſt ma maîtreſſe , reprit
la vieille : l'inſtant eſt merveilleux à
ſaiſir. Notre jaloux eſt abſent & ſe repoſe
entierement ſur moi du ſoin de lui
garder un tréſor que vous méritez mieux
que lui . J'ai rempli d'abord ma charge
avec aſſez de rigueur ; mais je ſuis naturellement
bonne , & voici la vingtiéme
fois que je donne à ma maîtreſſe de
pareilles preuves de bonté. Alcindor admiroitla
bienfaiſance de l'une & de l'au
tre. Mais , pourſuivit-il ,n'éxiſte t- il pas
d'autres obſtacles ? Oh ! nous faurons
les lever , quels qu'ils foient , reprit la
Duégne : cen'est pas la première fois....
Un incidenttragique interrompit le difcours
de la vieille. Un Italien aborda
& poignarda furtivement certain François
qui avoit ſçu lever certains obſtacles.
Onne parut étonné ni du fait , ni de
lavengeance. L'affaffin eut le bonheur
de gagner un Temple voifin , & par
conféquent de ſe voir abſous.
Pour Alcindor il rejoignit Zelinde.
L'une& l'autre quitterent l'ancienne Patriedes
Cefars. Ils vifiterent d'autresVil
FEVRIER . 1764. 39
les d'Italie où ils n'apperçurent que ce
qu'ils avoient vû à Rome & ſouvent pis
encore . Ah ! s'écrioit Zélinde avec indignation
, franchiſſons vîte les Alpest
Mais Alcindor , on ignore pourquoi ,
la détermina à franchir les mers , & à fe
rendre en Eſpagne.
Là , ils virent d'autres Tableaux. L'amour
fidéle juſqu'à l'obſtination y régne
pour ainſi dire de toutes parts . L'amourjaloux
juſqu'à la frénéfie l'accompagne
pour l'ordinaire. Là ſe réaliſent
les paffions éternelles; paſſions qui n'oſent
plus figurer ailleurs , même dans les
Romans. Alcindor & Zélinde prirent
l'extérieur d'un François & d'une Françoiſe.
L'alliance venoit d'être , plus que
jamais , reſſerrée entre les deux nations ,
&nos voyageurs furent traités en amis.
Zélinde fit autant de conquêtes qu'elle
en voulut faire& plus qu'elle n'en vouloit
garder. Elle parut donner la préférence
à un jeune Eſpagnol qui à mille
égards la méritoit. Il n'en devint que
plus tendre & plus empreſſé , mais en
même temps plus jaloux. A peine eur
il lieu de préſumer qu'on l'aimoit , qu'il:
craignit qu'on ne ceſſât de l'aimer. Il
étoit reſpectueux dans ſes manières ; il
l'étoit dans ſes diſcours , & ce fut auffi
très- reſpectueuſement qu'il pria la Néris
40 MERCURE DE FRANCE..
d'interdire fa maiſon à tout autre qu'à
lui. Alcindor lui - même n'en fut pas
éxcepté. Voilà,diſoit intérieurement Zélinde
, voilà une inquiétude qui tient de
la tyrannie, une délicateſſe qu'on porte
juſqu'à l'outrage. N'importe , pourſuivit-
elle , voyons fi ces demandes , une
fois fatisfaites , feront ſuivies de quelques
autres. Dès ce moment elle devient
inacceffible à tous ceux que l'Eſpagnol
regarde comme ſes rivaux. Alcindor
lui -même , ſe prête à cette épreuve.
Tant de ſacrifices comblerent de
joie l'amoureux Caſtillan , & ne purent
le tranquiliſer. Il trouva que la prétendue
Françoiſe n'oubloit point affez les
uſages de ſa Nation. Zélinde adopta
fur le champ ceux d'une véritable Efpagnole
, ne parut plus que maſquée ,
ſe montra même très-rarement ſous cet
attirail ; en un mot , elle marqua fur
tous ces points une docilité capable
de décéler qu'elle n'étoit pas Françoiſe.
Le jour ſuivant elle vit l'Epagnol à ſes
genoux la remercier de toutes ces preuves
de complaiſance & en éxiger une
nouvelle . C'étoit de permettre qu'on
réformât ſes jaloufies de manière qu'en
voulant voir , elle- même ne riſquât
point d'être apperçue . Zélinde vit bien
FEVRIER . 1764. 41
qu'il s'agiſſoit de l'empêcher elle-même
de rien appercevoir. Elle ordonna
ce qu'on la prioit tacitement de permettre.
Le jour ſuivant l'Eſpagnol ſe
retrouve à ſes genoux & lui préſente
humblement une Duégne .
Ce dernier trait lui parut une ſuite
naturelle des précédens. Elle le ſoutint.
comme elle avoit fait les autres ; mais
la fin de l'épreuve approchoit. L'Eſpagnol
fortit & la Duégne reſta. Au milieu
de la nuit ſuivante , Zélinde entendit ſous
ſes fenêtres un concert de pluſieurs inftrumens.
Degrands cris & un cliquetisd'armes
ſuccédèrent à cette muſique :ce
qui déſignoit au moins une Tragédie-
Opéra. Le lendemain , Zélinde apprit
que fon Amant avoit voulu la gratifier
d'une ſérénade , ſelon l'uſage du pays ;
qu'un autre Eſpagnol , dont la maîtreſſe
logeoit vis-à-vis d'elle , étoit furvenu
dans le même deſſein : que les deux galans
s'étoient crus rivaux , s'étoient battus
en conféquence ,& mis l'un & l'autre
au bord de la tombe: preuve certaine,di--
foit-on, que l'un & l'autre aimoit bien ſa
maîtreffe. On ajoutoitqu'une telle preu
ve d'amour alloit rendre jalouſes toutes
lès beautés de Madrid. Mais Zélinde en
inféra de nouveau , que l'amour Eſpas
42 MERCURE DE FRANCE.
gnol ne ſéduiroit ni elle ni ſes compagnes.
Pour Alcindor , il plaiſoit beaucoup à
une jeune & belle Caftillanne , qui jufqu'alors
avoit été nommée l'inſenſible .
Malheureuſement ſa manière d'aimer
étoit toute ſemblable à celle des Néris.
Tout ſe réduiſoit aux petits ſoins , & a
l'affiduité la plus rigoureuſe. Elle vouloit
qu'on défirất ſans ceſſe , & ne laiſſoit
jamais rien eſpérer. Après tout , diſoit
Alcindor , l'objet de mon voyage feroit
bien mal rempli. Prudes pour bégueules ,
il valoit autant ne pas me déplacer. In
fit d'autres recherches & vit que c'étoit-
là le génie dominant du beau fexe
Ibérien . Zélinde , elle-même étoit ſuffiſamment
inſtruite. Elle propoſa au Péris
de riſquer une tournée en France ; mais
il n'attendoit abfolument rien de cette
démarche. Il détermina la Néris à paſſer
chez certain Peuple , rival éternel de la
Nation Françoiſe , & qui ſe pique de ne
l'imiter en rien .
C'eſt avoir fuffifamment déſigné l'Angleterre.
Le couple voyageury parut ſous
I'habit Eſpagnol. Dès les premiers jours ,
la Néris apperçut dans les hommes de
cette ifle peu d'eſtime pour les femmes ,
&encore moins de complaiſance . DèsFEVRIER.
1764. 43
lors , elle rallentit fes recherches , & s'épargna
, en effet , une peine inutile.
Alcindor augura mieux de celles qu'il
alloit prendre. Il remarqua dans le Beau-
Séxe Anglois un germe de tendreffe qui
faifoit comme partie de ſon exiſtence.
*Quel dommage , diſoit- il , qu'un naturel
fi heureux foit négligé par ceux qui ſont
le plus intéreſſés àle faire valoir ! Il voulut
, cependant , voir par lui - même ,
c'est-à- dire , voir juſqu'à un certain
point , le parti qu'on pouvoit tirer de ces
favorables diſpoſitions. Auparavant il lui
tomba ſous la main unpapier public , où
il lut ces propres paroles : >> Depuis l'or-
>> dinaire dernier ( c'est-à-dire depuis
>> trois jours ) on n'a retiré que fix jeu-
>> nes perſonnes du Lac de Roſémonde.
>> Il faut croire que les amours ont été
>> moins vifs , ou plus heureuxqu'à l'or-
>>> dinaire durantcetintervalle: ily a bien
>> eu auſſi quelques galans poignardés
>>par leurs Belles , qu'ils avoient quit-
>> tées : mais , pour cette fois , cela ne
>> fait pas nombre. C'eſt pourquoi nous
>>ne les déſignerons qu'avec ceux de la
>> feuille prochaine. »
Le Péris ajouta peu de foi à cet article.
Il jugea que , depuis le rétabliffement
de la paix ,le Gazetier en étoit
44 MERCURE DE FRANCE.
réduit à compoſer des fables périodiques,
& il réſolut de n'en croire que fa propre
expérience. L'occaſion s'en préſenta
d'abord comme d'elle-même. Une jeune
veuve qui avoit le regard tendre &
doux , lui parut très- propre à démentir
le Gazetier ſatyrique. Il s'attacha à lui
plaire , y réuffit & parvint même à la
fixer entiérement. Il vit enfin combien
le coeur des femmes de cette contrée
eſt actif : mais ce coeur éxige qu'on le
ſuive ; il défend , ſurtout , de rétrograder.
Alcindor , qui ne vouloit pas aller
trop loin , ralentit ſubitement ſa marche
,& bientôt même parut diſpoſé à
faire retraite. Ce fut alors qu'il eut lieu
de juger qu'une gazette n'eſt pas tou
jours fauſſe. La jeune veuve n'épargna
rien pour prévenir ſon inconſtance. Elle
pria , ſupplia , gémit ; & lorſqu'elle vit
que tout étoit fuperflu , elle fit fuccéder
les menaces aux gémiſſemens , la
fureur aux menaces : en un mot le poignard
fut levé. On préſume bien d'avance
que ce fut en vain : mais la veuve
n'en devint que plus furieuſe. Elle fortit,
réſolue de ſe punir elle-même de ſa cré--
dulité. Elle alloit fournir un article à la
Gazette prochaine : déja même elle s'é
toit élancée à l'endroit le plus profond
FEVRIER . 1764 . 45
du lac. Le Péris , qui avoit pris une autre
forme pour la ſuivre, la ſecourut à temps,
la conſola de ſon mieux,& fi bien qu'elle
eut de la joie d'avoir pour libérateur un
homme ſi propre à faire oublier les torts
de ſes pareils. Alcindor ſe garda bien de
la détromper. Il ſe rendit auprès de Zélinde
, pourdécider avec elle ſi leur miffion
n'étoit pas réellement terminée. Ils
avoient parcouru toute la terre , excepté
-la France ; & la France leur ſembloitafſez
inutile à parcourir. Tout confidéré
cependant , ils s'y déterminèrent ; moins
dans l'eſpérance de trouver là ce qu'ils
cherchoient , que pour éviter le reproche
de ne l'avoir pas éxactement cherché.
Arrivés dans la Capitale , ils s'y annoncerent
pour Anglois. Ils en avoient
pris l'extérieur , & en affectoient le langage.
Cet expédient leur eût mal réuſſi
un fiécle plutôt ; mais depuis peu tout
avoit bien changé de face. La mode
régnante à Paris étoit d'admirer les
Anglois en tout& partout. On les applaudiſſoit
ſur la Scène , on les fêtoit
dans les cercles , on les copioit dans les
Livres , on ſacrifioit nos héroïnes à
leur héros .... D'après ces diſpoſitions
le couple voyageur ne pouvoit manquer
d'être bien accueilli. Il le fut mieux
46 MERCURE DE FRANCE.
encore qu'il n'avoit ofé le prévoir. Zélinde
qui à la beauté des plus belles Angloiſes
affectoit de joindre leur air tant
ſoit peu gauche , trouva une foule d'Elégans
qui tous aſpiroient à la former.
Leur perfifflage ne lui parut pas dangereux
; mais il l'amuſoit. Elle mit fur
le chapitre de la conſtance un Petit-
Maître des plus à la mode. Il en parla en
homme qui la pratique peu , & qui
l'eſtime encore moins. La conſtance en
amour , diſoit- il , n'est bonne qu'a fournir
vingt volumes à unRomancier. C'eſt
une vertu qui de tous ſes héros fait autant
de vitimes : & d'ailleurs , un amant
fidéle eſt un être ſi infipide , ſi incommode
! Il n'en eſt pas moins vrai ,
Madame , pourſuivit le François , que
vous m'allez contraindre d'imiter ce que
je blâme dans autrui : mais daignez me
pardonner d'avance l'ennui queje vais
vous caufer. On n'a point avec vous la
liberté du choix .
....
C'étoit-là le ton qu'en général on prenoit
avec Zélinde. Elleen conclut qu'en
France l'amour n'étoit point misau rang
des affaires férieuſes. Alcindor lui-même
tiroit des conféquences toutes ſemblables
dece qu'ilvoyoit. L'extrême liberté dont
jouiffoient les femmes , l'usage qu'elles
FEVRIER. 1764. 47
en faifoient , le peu de penchant qu'ont
leurs maris , ou leurs amans à la jaloufie ,
le ridicule attaché à ce foible ; en un
mot, ce qu'on nomme en France le ton
delabonne compagnie : tout cela diftinguoit
, felon lui , cette Nation d'avec
toutes les autres .
Il parut s'attacher à une jeune Marquiſe
, devenue veuve , & par cette raiſon
encore plus libre qu'étant mariée :
ce qui fignifie beaucoup. Sa maiſon
étoit fréquentée par une foule de jeunes
gens du bon ton , qui tous s'affichoient
pour rivaux , & n'en étoient pas moins
bons amis. Les politeſſes qu'Alcindor en
reçut lui- même l'étonnèrent Il s'en expliqua
ingenuement avec l'un d'entr'eux.
Voici la réponſe que lui fit lejeune François.
Nos aïeux avoient la manie d'adorer
leurs Dames , de n'ofer le leur dire ,
&de s'égorger entr'eux pour les en informer.
Nous ſuivons un tout autre
uſage. Nous débutons par un je vous
aime ; nous aimons beaucoup moins
que nos aïeux , & chacun de nous croit
être aimé. Dès-lors plus de jaloufie. Nous
n'enviſageons un rival que comme le
témoinde notre triomphe actuel , ou futur.
C'eſt une victime que nous plaignons
fincèrement , loin de la hair ; &
48 MERCURE DE FRANCE.
d'ailleurs , ce pays eſt ſi fertile en refſources
! Les femmes ſont devenues ſi raiſonnables
! Elles ſe prêtent ſi volontiers
ànos arrangemens ! ... Oh parbleu ! il
faudroit être bien gauche pour ſe trouvet
au dépourvu ; & chez les Spartiates , où
les fonds étoient en commun , y eut-il
jamais de diſputes d'intérêts ?
Le Péris ne trouva pas ce diſcours des
plus ridicules. Peut- être , diſoit- il , aimet-
on moins ici qu'ailleurs ; mais l'amour
yprend une phyſionomie plus riante. La
confiance le guide , & ne l'abandonne
jamais. Un échec eſt prèſque toujours
fuivi d'un triomphe : un triomphe ne ſe
fait attendre qu'autant qu'il eſt néceſſaire.
L'Amour enfin eſt ici le Dieu de la concorde
, lui qui ſéme la diviſion chez tant
de Peuples , qui a caufé la ruine de tant
d'autres. Ah ! ſans doute , que Troye
éxiſteroit encorree , fi Ménélas eût été
François .
Il revit la jeune Marquiſe. Elle parut
flattée de ſes viſites ; mais elle en
recevoit une foule d'autres , & aucune
ne ſembloit lui déplaire. Le faux Anglois
en témoigna quelque inquiétude ,
ce qui divertit beaucoup lajeune Françoiſe.
Eh quoi , Monfieur , lui dit-elle ,
êtes-vous donc encore ſi peu au fait ?
Quelles
FEVRIER . 1764 . 49
Quelles que foient vos prétentions ,
ignorez-vous que la confiance eſt l'âme
de la Société ? Voyez le Monde , Monfieur
, & ces miféres- là vous paſſeront.
Elle-même voulut lui ſervir d'Introductrice.
Il admiroit l'aiſance avec laquelle
cette jeune veuve le préſentoit
dans différens cercles choifis . Ces cercles
étoient pour lui un autre genre de
Spectacle où les femmes jouoient toujours
les grands rôles , où les maris n'ofoient
paroître,ou ne paroiffoient qu'incognito.
La vivacité d'eſprit qui diftingue
les Françoiſes , la gaîté qui anime
leurs diſcours , les grâces qui accompagnent
toutes leurs actions , ſe diſputoient
le prix dans ces momens , &
furtout au milieu d'un élégant ſoupé.
Quel dommage diſoit Alcindor ,
que des objets ſi ſéduiſans ne ſe bornent
qu'à plaire ! choſe qui ne leur eſt
que trop facile. Grace à cette extrême
facilité elles dédaignent de garder
leurs conquêtes. Alexandre donnoit des
couronnes , persuadé qu'il lui étoit aifé
d'en conquérir d'autres. Telles font les
Françoiſes .
,
,
Il eut cependant lieu de juger que
l'amour conſtant n'étoit pas un phénomène
chez cette Nation. Mais cet amour
C
50 MERCURE DE FRANCE .
eſt ſi paiſible , fi peu éxigeant , ſi peu
jaloux , qu'ailleurs il paſſeroit pour indifférence.
Ah , s'il eſt ainſi , diſoit notre
voyageur , à coup für la jeuneMarquiſe
m'aime , & m'aime un peu plus
qu'à la Françoiſe . Il eſt bon d'obſerver
que fi le Péris avoit avoit le don de
prendre la même forme que les humains
, il n'avoit pas celui de lire dans
leur intérieur.
Il voulut donc que l'âme de la Marquiſe
ſe manifeſtât au dehors. C'étoit
pour lui un paſſetemps affez flatteur de
pouvoir d'un ſeul coup dérouter trente
Petits-Maîtres. Il plaignoit cependant
la belle Françoise , & redoutoit quelque
avanture ſemblable à celle de Londres.
Il est vrai ,diſoit- il, que ni le Mercure
de France , ni le nombre exceffif
de Journaux & de Gazettes qu'on y diftribue
, n'offrent nulle tracede pareilles
catastrophes.Mais, pourſuivoit Alcindor ,
il eſt toujours fâcheux de moleſter une
jolie femme.
Au milieu de ces réflexions , il reçoit
de la Marquiſe une lettre de reproches .
Elle s'y plaignoit ſpirituellement de fon
abfence , & même de ſa tiédeur. C'étoit
le confirmer dans l'opinion qu'il
avoit de ſa bonne fortune . Il retourne
FEVRIER . 1764. 5
auprès d'elle , expoſe des griefs , des
inquiétudes , veut éxiger des facrifices ,
en un mot , joue le rôle d'un Amant
Eſpagnol. Mais la ſcène devint affez comique
des deux parts. La jeune Marquiſe
le pria de s'épargner un ridicule.
un travers intolérable. Profitez mieux ,
lui dit-elle , des exemples que vous offre
ma Nation , la ſeule qui ſcache réduire
l'Amour à ce qu'il doit être,ou du moins
à ce qu'il doit paroître. Ce n'eſt pas
'qu'il ne briſe quelquefois les entraves
qu'on lui donne. Eh , où en ferionsnous
, pourſuivit-elle , fi malheureuſement
je vous aimois aſſez pour vous
croire!
Qu'entends-je ? s'écria le Péris étonné
, est- il bien vrai que vous ne me diftinguiez
pas del'éſſain frivole qui vous
entoureprèſque ſans ceſſe ? Pardonnezmoi
, Mylord , reprit la Marquiſe , je
vous diftingue ; j'ai voulu vous faire les
honneurs de ma Nation : mais tous ces
égards diſparoîtront s'il eſt jamais queftion
de vous aimer. L'étonnement d'Alcindor
augmentoit à chaque parole de
la jeune Françoiſe. Au moins , Madame
, pourſuivit-il , daignez faire votre
confident de celui qui aſpiroit à quelque
choſe de plus : daignez me faire
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
,
ce
connoître l'heureux Mortel que vous
me préférez. Dites qui vous a prévenu ,
reprit la Marquise ; quant au reſte
n'eſt point un myſtère. Un peu plus de
connoiffance de nos uſages vous eût d'abord
mis au fait. L'heureux Mortel dont
vous parlez eſt le même qui vous a introduit
chez moi , que vous avez vû y
& donner entrée à beaucoup d'autres , &
qui s'y montre plus rarement que vous
& eux. Telle eſt chez nous la conduite
ordinaire d'un Amant préféré : celle
d'un époux eft encore plus circonfpecte
. Il lui eſt permis d'aimer tacitement
ſa femme , & c'eſt tout: garre le ridicule
s'il ofe afficher la tendreſſe & l'affiduité
! En un mot , les chaînes de l'Amour
& de l'Hymen font devenues
pour nous fi légères , qu'une Françoife
peut ſe croire libre en les portant.
Après tout , diſoit Alcindor en luimême
, cette liberté a fon mérite ; les
deux ſéxes peuvent y trouver leur compte
: refte à ſçavoir fi la fatifaction eſt
générale. Toutes les nouvelles recherches
que fit Alcindor lui prouvérent
qu'elle l'étoit. Zélinde elle-même commençoit
à goûter cette manière de vivre
cette liberté qui tient le milieu
entre la licence & le bégueulisme. L'A-
و
FEVRIER. 1764. 53
mour est un enfant ,diſoit-elle au Péris
, il faut badiner avec lui ſi l'on veut
lui plaire , ou qu'il plaiſe.
Ce fut dans ces diſpoſitions qu'Alcindor
& Zélinde retournérent à leur féjour
habituel. Ils arrivent, ſe ſéparent ,
& aſſemblent , l'une ſes compagnes ,
l'autre ſes compagnons. Des deux
parts l'empreſſement est le même à les
entourer ; l'attention qu'on leur prête
eſt égale , & leur rapport tout ſemblable.
A l'inſtant on s'écrie chez les Péris
qu'il faut appeller des Françoiſes. Les
Néris parurent moins promptes à ſe décider
: elles vouloient qu'on délibérât
fur cette matière , au moins pour la
forme. Hélas ! mes chères compagnes ,
leur dit Zélinde , une délibération eſt
bien ſuperflue , quand la queſtion ſe
trouve jugée d'avance. Epargnons aux
Péris une démarche qui va nous en
coûter d'autres ; & d'ailleurs n'eſpérez
pas trouver les François plus refpectueux
que nos voiſins. Cette remontrance
produifit ſon effet : les deux partis
ſe rapprochérent : Alcindor & Zelinde
firent l'office de médiateurs , & leurs
foins furent fi éfficaces , on ſe trouva
fi bien de leurs avis , que la plus mo-
4.
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
defte des Néris grava en lettres d'or cette
maxime : Ceux qui ont beaucoup viê
font bons à confulter.
IPHIS ET ANAXARETTE ,
POMANCE tirée des Métam. d'Ovide.
Sur l'AIR : L'Amour m'a fait lapeinture.
A Mlle de H.....
Lafolâtre Anaxarette
A rire paſſoit le jour.
Malgré ſon humeur coquetté,
Iphis aimoit la follette
Qui rioit de ſon amour.
De ſon embarras extrême
D'abord elle rit tout bas.
Mais quand le pauvret tout blême,
Dit en tremblant je vous aime ,
Elle en rit juſqu'aux éclats.
Il ne peut vivre avec elle,
Il ne peut s'en ſéparer .
Ses ris la rendoient plus belle ,
Prêt à quitter la cruelle ,
Il reſtoit pour l'admirer.
FEVRIER. 1764. 55
Mais las de tant de ſouffrance ,
Sçavez-vous bien ce qu'il fit ?
Au Ciel il cria vengeance ,
Puisdans les bois en ſilence
Un matin il ſe pendit.
Jadis que d'Amans fidéles
Ontpéri par cet abus !
Ces moeurs étoient bien cruelles ,
Mais aujourd'hui pour nos Belles
Onditqu'onne ſe pendplus.
Plein d'une juſte colère
Amour ſoudain ſevengea.
Cette Beauté dure & fière
Soudain fut changée en pièrre;
Mais ſon coeur l'étoit déja .
O vous que rien n'intéreſſe ,
Craignez un pareil deſtin.
Riez moins de ma foibleſſe :
UneBelle ſans tendreſſe,
Fait toujours mauvaiſe fin.
D. L. R.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
A Mde la Marquise de CHO ISEUL ,
fur le retour de M. fon Fils , arrivé
de S. Domingue avec la Croix de
S. Louis.
LE Ciel à votre Fils avoit donné deux Mères ;
C'eſt la Patrie & vous : toutes deux lui ſont chères.
Pour fervir l'une avec ardeur
Il s'arracha longtemps à l'autre :
Mais il vous eſt rendu portant auprès du coeur
Le prix brillant de la valeur.
Son mérite eſt connu , ſa gloire fait la vôtre.
Parla Muss LIMONADIERE .
A Mlle C.. à Nantes .
TENDRE Amante , âme chérie ,
Objet ſi doux à mon coeur !
De ma ſombre rêverie
Daigne adoucir la langueur.
Victime de l'amertume
Qui découle de leurs traits ,
Ma foible âme ſe conſume
Du poifon lent des regrets .
FEVRIER. 1764. 57
Aumatin la jeune Aurore
Me voit noyé dans les pleurs ;
Le ſoir vient & voit encore
Mes affligeantes douleurs.
Loin de mon coeur qui s'enivre
Du poiſon de tes attraits ,
Cruelle , hélas ! peux- tu vivre
Dans le calme de la paix ?
Le plaifir bruyant t'entraîne
Au ſein des jeux & des ris....
Loin de toi , l'amour m'enchaîne
Sous le poids de mes ennuis.
Par M. DU BRANDAIS.
ÉTRENNES PASTORALES.
:
AIR , Annette à l'âge de , &c.
A LA PLUS CHARMANTE.
J'avois déposé ſous l'ormeau
Ma muſettte & mon chalumeau ,
Croyant vivre ici ſans amours
Mais vain préſage ,
Comme au Village ,
J'aime à la Cour !
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
Simple Berger , rival des Dieux ,
Comment chanter mes nouveaux feux
Telle étoit aux champs mon ardeur ,
Quand plein de zéle ,
A la plus belle
F'offrois mon coeur.
En inſpirant des feux ſi beaux
L'amour rend tous les coeurs égaux :
Diane écoute Endymion ;
La jeune Aurore
Sourit encore
Au vieux Titon.
Si j'oſe en ébaucher les traits
J'adore ſon nom & le tais :
Qu'on le devine à mes tranſports.
Muſe champêtre ,
Fais- le connoître ,
Par tes accords !
Son rang s'annonce ſans fierté;
Sans faſte éclate ſa beauté :
Son regard eſt toujours flatteur.
D'une Bergère
Tendre & fincère
C'eſt la candeur.
Des lys , des roſes de ſon tein
Flore s'embellit ſur ſon ſein
:
FEVRIER . 1764. 59
Le Luth s'unit-il à ſa voix ?
Charmant délire !
L'amour reſpire
Sous ſes beaux doigts.
Qui ſçait mieux joindre à la gaîté
La décence & la volupté ?
Vénus préſide à ſes atours ,
Et la Déeſſe
De la ſageſſe
A ſes diſcours.
De ſes attraits des Dieux chéris
Quel Mortel ne ſeroit épris ?
Tout céde à ſon aſpect charmant :
L'eſprit admire ,
Le coeur ſoupire ,
En la voyant.
ParM. le Chevalier de J***. TH***
ÉPIGRAMME.
Bon Dieu , diſoitAgnès, que les hommes fona
fous !
Qu'ils s'occupent de peu de choſe ! ...
J'en conviens , répondit Manrofe
S'il en eſt qui penſentà vous.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE .
LETTRES
D'UN JEUNE HOMME.
O ſentiment , ſentiment ! douce vie de l'âme !
ROUSSEAU de Genève.
QU'UN Agréable ou qu'une Elégante
ſe moquent du ton & de la morale
de ces lettres , je n'en ſerai pas ſurpris ;
j'oſerai même en augurerfavorablement.
Ames honnêtes & fenfibles ! permettez-
moi de vous les offrir ; vos fuffrages
font les ſeuls qui puiſſent me
flatter.
J
LETTRE PREMIÈRE.
E vous écris ,, mon Ami , du plus
agréable endroit de la Terre ; tout ici
refpire la paix , & promet le bonheur.
Vous y fentez partout la main du maître
; fon heureux génie anime & remplit
ces beaux lieux . L'ordre & la bonne
intelligence qui regnent dans ſa maifon
, le goût , l'aimable ſimplicité qui
la décorent , la douce liberté dont on
FEVRIER. 1764. 6
y jouit , tout annonce un être reſpecté
chéri & digne de l'être.
,
Je découvre de ma fenêtre un point
de vue dont le contraſte eſt gracieux
& frappant. D'un côté toutes les
richeffes du printemps ; des fleurs , des
prés, des ruiſeaux,de grands arbres fruitiers
tout couverts de ces beaux bouquets
de neige qui répandent l'éclat le
plus vif,& le plus doux parfum.De l'autre ,
une campagne agreſte , ſauvage , de
vieux arbres chenus & dépouillés ;
des torrents plus pittoreſques, plus impoſans
que vos caſcades ; une nature
aride & déferte ; mais dont vous connoiſſez
le prix , Voyez , ami , contraſter
avec tous ces objets nos jeunes
villageoiſes , auſſi belles qu'ingé
nues. Cet aſpect a quelque choſe d'enchanté.
Il ne manque ici que vous ,
mon bon ami.
Mais tandis que je m'amuſe à te
peindre ce payſage , ton âme eſt en
proie à la douleur. Tu pleures une foeur
charmante . Le ſouvenir de Folni attendrit
& déchire ton coeur. Aimable
Folni ! ... Cette ſanté ſi belle , fi brillante
, cet enjoûment , cette douceur...
Jeuneſſe, eſprit , grâces, vertus, la mort
atout dévoré ! Mais non , ami , ta foeur
62 MERCURE DE FRANCE.
éxiſte encore. Cette âme fimple & pure
n'eſt point anéantie . Elle repoſe au fein
de l'être des êtres . Belle âme , vois couler
nos pleurs ! Je crois te voir ſenfible
à nos regrets. Nos coeurs ſe réuniront
au tient , nous partagerons ton
bonheur.
O , mon Ami ! ne fermez pas votre
âme à la confolation. Que je mépriſe
ces hommes aveugles & durs qui voudroient
que la mort détruisît tout notre
être ! Ainfi donc , les vertus les plus
aimables & les plus fublimes ſeroient
fans récompenfe , & l'eſprit ſeroit confondu
avec la matière ! Malheureux fyf
tême , que le coeur & la raiſon défavouent
: l'impatience & l'immenfité de
nos defirs te trahiront toujours.
T
Ecrivez - moi , mon cher ami. Nos
lettres feront triftes ; mais cette triſteſſe
aura plus d'attraits pour moi , que toutes
les fauſſes joies d'un monde auſſi frivole
que diſſipé.
LETTRE II.
Vouspenſez ſurl'amitié comme faiſoit
Madame de Guion ſur l'amour de Dieu .
Vous ſcavez qu'elle imaginoit une
FEVRIER. 1764. 63
charité bien défintéreſſée , & qui dans.
ſon ſyſtême devoit anéantir l'amour de
nous-mêmes . Elle trouvoit cette idée
admirable . Elle avoit du moins , d'après
fon Directeur , adopté fortement cette
opinion ; elle la défendoit avec, chaleur.
Ce n'étoit qu'une rêverie ; & je vais
vous convaincre , mon bon ami , que
vous rêvez auſſi quelquefois. Paſſezmoi
ce propos , vous m'avez donné
de l'humeur.
Nous n'aimons que nous dans les
perfonnes qui nous font les plus cheres ;
ce font vos termes. tout se rapporte à
notre bien- être. Mais , mon ami , croyezvous
que l'on aime moins Dieu , parce
que l'on y trouve de l'attrait ? L'amour
de la vertu , cet amour fi pur
n'eſt pas lui-même éxemt d'intérêt dans
un certain ſens : mais , croyez -moi ,
il eſt beau , il eſt grand de s'aimer foimême
dans l'ordre. Le rare mérite de
ta foeur nous attiroit , il eſt vrai. Nous
en étoit-elle moins chère ?
Ah ! que je hais ces affligeans ſyſtêmes
qui ne ſemblent imaginés que
pour inſulter à l'humanité, pour avilir
&décourager notre âme. Vous qui
regardez l'intérêt comme le ſeul principe
de nos actions , froids & triftes
64 MERCURE DE FRANCE.
(
raiſonneurs , la divine image de l'honnête
& du beau n'a-t- elle jamais échauffé
vos coeurs ? N'avez - vous jamais ſacrifié
à la vertu ? Quelle est donc cette
malheureuſe & funeſte Philofophie, qui
ne croit pas aux fublimes éfforts, à l'intrépide
fermeté du Sage , ou qui ne ceffe de
la calomnier ?
Une choſe que vous n'hésiterez pas
à croire , mon ami , quoiqu'elle ait l'air
d'un paradoxe, c'eſt que les gens médiocres
ne font pas faits pour la ſolide
amitié. Le commerce des hommes fimples
eſt aſſez für ; mais ne sont- ils pas
fufceptibles de prévention ? S'ils favent
aimer , font- ils capables de cette amitié
fublime , de cet enthouſiaſme qui diftinguent
les ames ſupérieures ? Non ,
ils n'ont jamais fenti ce génie du coeur ,
ce feu du ſentiment qui pénétre l'âme ,
& qui l'éclaire. Ils peuvent être ſincères
&bons ; mais jamais leur froide amitié
ne fera rien de grand.
Cependant je préférerai toujours les
bonnes gens à ceux dont les démonftrations
vous poursuivent ſans ceſſe.
Ton ami , tu n'en ſçaurois douter
adore la fincérité. Quelle âme ſtupide
& lâche peut renoncer à cette vertu ,
qui nous rapproche de la divinité ? Mais
,
FEVRIER . 174 . 65
je dédaigne cette polliteſſe artificieuſe ,
qui met les manières à la place des
ſentimens , qui ne rougit pas de prendre
l'air & le ton de la bienveillance ,
qui tue en carefſſant , ou du moins qui
voile fon indifférence & ſa froideur des
attraits de la franchiſe & de l'amitié.
Mon coeur ſe révolte dès qu'il ne trouve
plus la candeur. Je dois ton eſtime à
cette qualité ; c'eſt elle qui m'attache
à toi. Mon ami , notre amitié durera
toujours.
LETTRE ΙΙΙ.
1
JEE ſuis encore ému de ce que l'on
me fit voir hier. Mon ami c'eſt un
Sage , c'eſt un Dieu qui habite ce ſéjour
ignoré !
د
Le jour commençoit à tomber : il
me prit en particulier , & me dit ;
vous êtes digne de m'accompagner ;
venez voir un ſpectacle attendriflant....
Mais que tout ceci demeure entre vous
& moi.
Je le fuis à l'extrémité du hameau ;
nous entrons dans une chaumière.......
Ciel ! Quels objets ! Une vielle femme
étendue ſur un grabat ; auprès d'elle
66 MERCURE DE FRANCE .
une jeune perſonne dont la douceur &
la beauté brilloient ſous le plus groffier
vêtement. Elle prodiguoit ſes ſoins àla
malade. Mon Enfant, lui dit mon digne
Ami , voilà donc votre mère ? Hélas
oui , Monfieur ! Depuis huit jours elle
n'a pu fortir du lit; je ne puis la quitter ;
&nous allons manquerde pain.....
O piété ! ô vertu ! diſois-je intérieurement
, voilà donc votre aſyle ! Mais , reprit
M. d'Aubigné , pourquoi manquer
de confiance , mon cher Enfant ? Que
ne veniez-vous me confier vos douleurs ?
Je ſçais combien vous êtes bon , Monfieur
; mais j'ai craint ...... Ah ! ne
craignez plus : les indigens honnêtes
font toujours accueillis chez moi; ils y
font reſpectés , ma Fille. Tenez ,& fouvenez-
vous queje ne vous abandonnerai
jamais.
La jeune perſonne ſanglottoit ; elle
baiſoit les mains de ſon bienfaiteur ,
qui lui dit en ſe retirant : ayez ſoin de
votre mère , ſoyez toujours vertueuſe ,
&comptez fur moi. Ce que je fais pour
vous , ce que je ferai par la ſuite eſt fort
fimple. Pourquoi s'étonner d'une bonne
action ? C'eſt la dureté des hommes qui
doit ſeule nous étonner.
C'eſt ainſi qu'il ſe fait adorer. Les
JANVIER. 1764. 67
travaux ruſtiques , animés par ſes regards
, ramènent par-tout l'abondance;
l'affreuſe pauvreté diſparoît devant lui ;
d'heureux mariages réuniſſent les familles;
lejeune berger peut ſuivre le penchantde
fon coeur , & remplir à la fois
les voeux de l'amour & de la fociété :
tout offre l'image du bonheur; la joie
naît du ſein du travail. Le tableau de ces
hommes ſains &robuſtes , de ces femmes
diligentes & fidèles , tous occupés
de laſubſiſtance commune , ne reſpire
que les plaiſirs ſimples & naturels , les
ſeuls vrais plaiſirs. De-là ces fêtes , ces
jeux innocens , où préſide cette allégreſſe
naïve , inféparable de la paix du coeur ,
&de la ſanté.
Telle étoit la vie des Patriarches , de
ces hommes heureux & fimples. Je ne
parcours point , ſans la plus douce émotion
, cette Hiſtoire des premiers temps.
Jacob & Rachel , l'heureux Booz, la
douce & fage Ruth ne vous charmentils
pas , mon Ami ? L'aimable Folni ,
portant du vin à ſa cuisinière , me rappelle
Rebecca . Je crois voir cette belle
vierge abreuvant les troupeaux du bon
Eliezer.
Mais je ne vous ai rien dit de Madame
d'Aubigné. Elle eſt digne de celui dont
68 MERCURE DE FRANCE.
1
elle porte le nom. Tendre épouſe , bonne
mère , maîtreffe compatiſſante , amie
ſenſible & généreuſe ; jeune encore &
charmante , elle fait le bonheur de tout
ce qui l'environne. Simple dans ſa parure
, fon plus cher ornement eſt ſa famille.
Ses enfans font tous d'une figure
aimable , & je n'en connois pas de mieux
élevés. Mon Ami , vous connoîtrez bientôt
cette maiſon : on vous y defire déja.
Lafuite au Mercure prochain .
QUATRAIN pour être mis au bas
de la belle Statue de M. de SULLY ,
au Château de VILLEBON , où il
est mort.
SULLY , guidé par la candeur ,
Pour fon Ror ſignala ſon zéle.
Il fut ami , jamais flatteur.
Miniſtres , Citoyens , voilà votre modéle.
Par M. de C***
FEVRIER. 1764. 69
VERS fur la mort de M. l'Abbé
PRÉVOST.
Doué de talens enchanteurs ,
Prévost ne tarda point à briller dans le monde.
La France a produit peu d'Auteurs
Dont la plume élégante ait été ſi féconde.
Clio lui prêta ſon pinceau ;
L'Amour lui confia ſon carquois & ſes graces ,
Et la critique ſon flambeau.
Il éclaire , il inſtruit , il plaît & ſur ſes traces ,
Nous voyageons dans l'univers.
Acette perte , Anglois , vous donnerez des larmes;
Il a , de vos écrits divers ,
A notre Nation exprimé tous les charmes.
Mais , s'il s'éclipſe dans les cieux ,
Il darde ſes rayons à travers les nuages ;
Et lorſqu'on l'a perdu des yeux ,
Son éclat immortel renaît dans ſes Ouvrages.
Par M. l'Abbé H... à Hefdin,
70 MERCURE DE FRANCE .
ÉPIGRAΜΜΕ.
LE CONSEIL RÉCIPROQUE.
BRULE
:
RULE ces vers ,diſoit un vieux Počte
Très-ſubalterne , à certain Jouvenceau
Sur le Permeſſe arrivé de nouveau.
Mauvais ils font: phébus , froide épithére ,
Rime bâtarde , & nul grain de bon ſens :
Và , n'en fais plus .... à l'arrêt je conſens ,
Dit l'Ecolier : la leçon eſt complerte.
Mais pour n'offrir , comme moi , fade encens ,
Frère , entre nous partageons la recette .
ÉPIGRAMME.
TOUT EST RENCHERI.
CERTAIN Abbé, dont plus d'un pouvoit dire
>>>Oyez , Meſſieurs , ne ſont ſermons d'autrui
>>Qu'il vous débite; &qu'en chaire on admire :
>>>B>ien il les paye&bien ils ſont à lui.
Tel Prêcheur donc trouvant d'un noir préſage
Qu'un ſien ſermon , par maint haut perſonna
ge ,
Foible fut dit : ah ! mon los eſt flétri ,
FEVRIER. 1764. 71
S'écrioit- il , & me vois en décri.
Eh non , reprend un tiers ; reprens courage :
Mais ſouviens que tout eſt renchéri.
MADRIGAL.
Vous demandez , jeune & belle Thémire ,
D'un ton naïf , ce que c'eſt que l'Amour ?
Maint tendre amant qui près de vous ſoupire ,
Dans vos beaux yeux s'en inſtruit chaque jour.
Mêmes leçons prendrez à votre tour :
Craignezcetemps.Qu'Amour ait certains charmes,
Dienj'en conviens : mais qu'ils coûtent de larmes!
Perfide Amour ! tu ne ris qu'au berceau :
Là , les plaiſirs empoiſonnent res armes.
Tyran alors , tu l'es juſqu'au tombeau !
LEE
mot de la premiere Enigme du ſecond
Volume de Janvier , eſt la dame
des échecs. Celuide la ſeconde eſt leſceau
du puits. Celui du premier Logogriphe
est Spectre,dans lequel on trouvesceptre.
Celui du ſecond eſt Echalote.
72 MERCURE DE FRANCE.
JeE fuis ,
ENIGME.
ou peu s'en faut , de tous temps, de tous
lieux :
Mais je ne ſuis pas ſeul , & j'ai beaucoup de frères ,
Petits , grands , bons , mauvais , enfin jeunes &
vieux;
Nous avons tous auſſi différens pères.
Je fais vivre le mort , & mourir le vivant ,
Selon que chacun s'en rend digne.
Nos ſujets font rangés ſous une droite ligne ,
Dont je forme un carré qu'on a battu ſouvent.
Quelquefois on me brûle ; & ce cas arrivant
J'en ſuis toujours plus rare & plus infigne.
UTRE.
Je ſuis un tableau ténébreux ,
Où ſans rufe & fans feinte ,
D'un objet à l'oeil curieux ,,
On préſente l'empreinte.
La vérité dans chaque trait
S'y peint d'après nature ;
Mais pour reconnoître l'objet ,
Il faut de la lecture .
Sonvent
FEVRIER . 1764 . 73
Souvent je ſuis barmonieux ,
Et je marche en cadence :
Mais j'en dis trop pour de bons yeux ,
Ainſi , Muſe .... Glence !
Par M. GEOFFROY , de Châtellerault.
E
LOGOGRYP Η Ε.
M
om;
ETS quatre lettres à mon n
Chez toi , Lecteur , eſt ma prifon.
Si tu retranches la première ,
Je ne ſuis plus qu'un franc oiſon.
Mais n'effaçant que la dernière ,
Qui me ſuit a toujours raiſon.
AUTRE.
NFANS de l'Induſtrie & de l'Ambition
Je n'habite la Terre
Que le temps néceſſaire
Pour me remettreen action .
A ce début , Lecteur , connois - tu mon éſſence ?
Non , je ne le crois pas ;
Et malgré ton intelligence
Il faut t'aider à ſortir d'embarras.
Je t'offre en débutant une marque de joie ;
Leplus durdes métaux; un gros Oiseau de proïes
D
74 MERCURE DE FRANCE .
Un inſtrument finiſtre aux hôtes des forêts ;
Et qui du laboureur fillonne les guérèts ;
Un Roi dont Jupiter trompa la vigilance ;
Une ile où Simonide , a reçu la naiſſance ;
Le plus cher des Mortels que l'on voie à la Cour ;
Etce qui vient fermer lesbarrières du jour ;
Ceque craint le Nocher ſur-toutdans les tempêtes;
Ce quiſert à l'Autel même aux plus grandes Fêtes;
Celle de qui le Phaſe eſſuya la fierté ;
Un péché capital ; une Divinité ;
Le nom de ce Guerrier qui tout couvert de gloire
Du vainqueur de Porus ſurpaſſa la mémoires
Une arme très- connue aux Peuples Indiens ;
Une Nymphe jadis chez les Egyptiens ;
Un des fils de Jacob; du monde une partie ;
L'inſtant ſouvent fatal dans une maladie ;
Le métal pour qui l'homme affronte le trépas
Une fleur dont Eglé peut orner ſes appas ;
Une conjonction ; une Ville en Eſpagne ;
Une riviere en France ; une autre en Allemagne ,
Ce qui fait réſonner le roi des Inſtrumens ;
Ce qui ſert à former les plus beaux vêtemens ;
Le Pére de Gustave ; une des Atlantides ;
Un meuble de dévote ; une des Néreides ;
Deux notes de Muſique ; un Amant malheureux ;
Un nid de ſouveraine ; un meuble dangereux.
Cequi ..... mais retenu par mon peu d'éloquence:
De crainte d'ennuyer je garde le filence.
CA
Par M. LA GACHE Fils , à Am ....
Gaimet mesure.
W
Viens,dans nos champs Rani -mer la Na tu re ,
Viens,doux printems, Fais, re- naitre la ver =
W
-dure. Viens,dans nos champs,rani - mer la na
W W Fin.
= bure, Que ton retour Presse celui de l'amour
W
Par sesfrimats,l'hiver nuit à nosFlames.
Mais le soleil, sur tes pas,Est pour nos
ames Ce qu'il estpour nos climats. Viens.
W
W
&Mineur.
Sans y son-ger, La ti - mide ber -gère,
W
A son berger, Sous tes loix est moins sé
=vere: L'amantfanéRevenant de Cithere,
W
est étonnéDe s'y trouver ramené:Moins sotque
W
W
vieux,Mais séduit par Climene , Le riche Or =
+
=gon amoureux,Donne sanspeine Et sanspei =
W
=ne devient heureux . Sans.
FEVRIER. 1764. 75
BARCAROLLES.
VIENS,dans nos champs ,
Ranimer la Nature ;
Viens , doux Printemps ,
Fais renaître la verdure.
Viens ,dans nos champs,
Ranimer la Nature ;
Que ton retour
Preſſe celui de l'Amour !
Par ſes frimats ,
L'hyver nuit à nos flâmes.
Mais le ſoleil , ſur tes pas ,
Eſt pour nos ames
Ce qu'il eſt pour nos climats.
Viens , dans nos champs ,
Ranimer la Nature , &c.
MINEUR.
Sans y fonger ,
La timide Bergère ,
Afon Berger ,
Sous tes loix eſt moins ſevère ;
L'amant fané ,
Revenant de Cythère ,
:
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Eſt étonné
De s'y trouver ramené !
Moins ſot que vieux ,
Mais ſéduit par Climène ,
Le riche Orgon , amoureux ,
Donne ſans peine ,
Et fans peine ſe croit heureux.
Sansy fonger , &c.
Viens , dans nos champs ,
Ranimer la Nature ;
Viens , doux Printemps ,
Fais renaître la verdure.
Viens , dans nos champs ,
Ranimer la Nature ;
Queton retour
Preſſe celui de l'amour !
Muſique de M. DARD , de l'Académie
Royale de Muſique. Paroles de
M. D. L. P.
200
96.180319
FEVRIER. 1764. 77
ARTICLE II .
NOUVELLES LITTERAIRES.
DISSERTATION historique &
critique fur la Vie de Don ISAAC
ABARBANEL , Juif Portugais ; par
M. DE BOISSY.
LEE RABBIN qui fait le ſujetde cette
Differtation , a fourni à M. Bayle celui
d'un article de ſon Dictionnaire . On
avouera qu'il méritoit d'y occuper une
place , fi l'on confidère la grande célébrité
qu'il s'eſt acquiſe tout à la fois par
les Ouvrages qu'il a compoſés , & par
les Emplois dont diverſes Puiſſances
l'ont ſucceſſivement honoré. Cependant
comme le travail de l'habile Critique
que je viens de nommer , ſe réduit à cet
égard à une compilation abrégée de ce
qui eſt rapporté touchant ce Docteur
Juif, dans les Bibliothèques de Nicolas
Antonio & de Bartolocci , & dans le
Journal des Sçavans publié à Leipfick; je
me flatte qu'on ne me ſçaura pas mauvais
gré de préſenter un récit plus détaillé
& plus fuivi , j'oſe dire même plus
Diij
28 MERCURE DE FRANCE.
exact , des circonstances de ſa vie. Je
les ai puiſées dans la narration des Auteurs
de cette Nation , qui ont été
prèſque ſes contemporains , & principalement
dans celle qu'il a lui-même
donnée de ce qui le regarde. Il eſt
rare que la différence de Religion qu'on
profeſſe , n'influe pas fur les diſpoſitions
de notre eſprit envers ceux qui ſuivent
une créance différente de la nôtre. On ne
fonge point que le premier des devoirs
d'un Hiſtorien eſt l'impartialité. Je me
fuis attaché à le remplir , autant que la
choſe a dépendu de moi. En conféquence
, j'expoſerai fidélement les bonnes
& les mauvaiſes qualités de notre
Rabbin , fans chercher à affoiblir les
unes pour mieux aggraver les autres. Je
diſcuterai auſſi quelques-unes de ſes actions
qui lui ont attiré de la part des
Chrétiens les imputations les plus injurieuſes
à ſa mémoire.
Ifaac Abarbanel, qu'on nomme également
Abravanel , Abarbinél , Abarbenel
ou Abrabaniel * , naquit à Lisbonne,
l'an du Monde 5197 , ſelon la fupputation
des Juifs , de J. C. 1437. Il ſe difoit
iffu de la Race de David. De-là les titres
* Les différentes manières de prononcer le nom
de ce Rabbin , viennent de ce qu'il ſe ponctue dierſement
en Hébreu .
FEVRIER. 1764 . 79
pompeux qu'il a pris plaiſir d'étaler fort
au long à la tête des Ouvrages que nous
avons de ſa façon. Il n'hésite point à y
paroître revêtu de ces qualifications faftueuſes
, à la faveur deſquelles il déduit
toute fa Généalogie . Ifaac , fils de Don
Juda ,fils de Samuel ,fils de Juda , fils de
Jofeph, filsde Juda , de la Famille d'Abarbanél
, qui ont tous été Princes des
Enfans d'Ifraël , de la Race de Jeffé de
Béthléem , de la Maiſon de David , Conducteur
& Pasteur des Peuples , & c .
C'eſt enconféquence de cette illuftre filiation,
qu'il a affecté , à l'éxemple de fon
père ,de mettre devant ſon nom le titre
honorable de Don , qu'on ſçait être en
uſage parmi les Nobles d'Eſpagne. Il
prétendoit prouver incontestablement
par-là lanobleſſe de ſon extraction , dont
il paroiſſoit fort entêté. Il autoriſe ſa prétentiondutémoignage
d'un certain Rabbi
Ifaac Aben Géath , à qui il fait dire
dans un de ſes Commentaires ſur l'Ecriture
( a ) , qu'au temps de la deſtruction
du premier Temple , il paſſa deux Familles
de la Race du Roi David en ECpagne
, dont l'une s'établit à Lucena &
l'autre à Séville où elle laiſſa une nom-
( a ) Videas ejus Commentar. in Zachar. XII. v.
7 ,fol. 292 , édit. Amst.
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
breuſe poſtérité , qui compoſa la Maiſon
des Abarbanels. Les Juifs déférèrent
aveuglément à cette tradition hiſtorique ,
ſans ſe mettre en peine d'examiner ſi elle
eſt conforme à la vérité. Outre qu'ils ne
ſe piquent pas d'une grande exactitude
dans la recherche des faits , ils font trop
jaloux des moindres choses qui peuvent
tourner à la gloire de leur Nation , pour
s'aviſer de former quelque doute à cet
égard. Ils aiment mieux , fur la foi de
leurs Ecrivains , ſe repaître agréablement
de ſemblables fables qui font propres à
entretenir leur orgueil , que d'en venir
àdes diſcuſſions qui les obligeroient d'en
rabattre plus qu'ils ne voudroient. Le
Rabbin Ménaſſeh Ben Ifraël appuie de
toutes ſes forces la même tradition qu'il
adopte , avec cette différence que , contre
le récit d'Abarbanel , il affigne une
époque moins ancienne à la tranfmigration
de ces deux Familles en Eſpagne ,
qu'il dit être arrivée après la ruine du ſecond
Temple ( b ). Il a trouvé plus de
vraiſemblance à lui ſuppoſer une date
plus récente. Il ne faut pas s'étonner
qu'il ſoutienne ce conte ridicule : il avoit
un intérêt particulier à le faire valoir ;
(a) Menaffeh Ben Ifraël. Conciliat. quæft. 65.
adGenef. pag. 92 .
FEVRIER . 1764 . 8г
puiſqu'il la femme qu'il avoit épousée
ésoit de la Famille des Abarbanels ( c ) ,
D'ailleurs , cet Auteur Juif, quoiqu'infiniment
plus docte & plus judicieux que
la plupart de ceux de ſa Nation , a donné
bien ſouvent des éxemples de ſa crédulité
pour avoir préſumé trop favorablement
de la bonne foi de ſes ancêtres , &
de l'habileté de ſes Docteurs. C'eſt avec
raiſon que des Modernes ſe ſont mocqués
de ces Familles de la Race de David
tranſplantées en Eſpagne , & ont
traité tout cela de fiction ( d) . En effet ,
rien n'eſt ſi mal fondé que ce qu'Abarbanél
& les Hiſtoriens Juifs nous débitent
à ce ſujet. Si on doit les en croire ,
Nabuchodonofor vint affiéger Jérufalem
avec pluſieurs Princes ſes alliés , qui l'aidèrent
de leurs troupes. Hifpan Roi
d'Eſpagne , & Pyrrhus fon gendre Roi
des Grecs , furent du nombre de ceux
qui eurent partà cette expédition. Notre
(c) Idem infpe Ifraël. pag. 92 , & de term. Vita ,
Lib. III. fect. 13 , pag. 236 .
(d ) Hoornbeckius de Convert. Judæ , Lib . II.
pag. 139. Huet. in Demonstr. Evangel. Propof.
IX. cap. 4. §. 14. pag. 427. édit. 1722. Bartoloceii.
Bibliothec. Rabbin. Part. III. pag. 885 &
886. Bafnage , Histoire des Juifs , Liv. VII. chap
9, pag. 252 &fuiv, édit. 1716 .
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
Rabbin raconte qu'Hercule quitta la
Grece ſa patrie , dans la réſolution d'étendre
au loin ſes conquêtes , & équippa
une grande flotte pour l'exécution de
cette entrepriſe. Il pénétra dans l'Océan
occidental , & aborda en Eſpagne , où
il s'avança à la tête d'une armée formidable.
Il ſoumit à ſes armes cette vaſte
contrée ; & , après y avoir paiſiblement
régné pendant quelques années , il lui
prit envie de retourner dans les lieux qui
l'avoient vu naître. Il traverſa l'Italie ,
d'où il fe rendit dans la Grece. Avant
fon départ , il revêtit de la Souveraineté
des Etats qu'il avoit conquis le fils de ſa
foeur appellé Hispan , de qui l'Eſpagne
a reçu fon nom. Cet Hifpan n'eut qu'une
fille qu'il donna en mariage à Pyrrhus
Prince Grec , qui ſe trouva en perſonne
au Siége de Jérusalem ,& contribua à la
priſe de cette Ville. Les Tribus de Juda ,
de Benjamin &de Simeon , conjointement
avec les Sacrificateurs & les Lévites ,
lui échurent dans le partage qui fut fait
des prifonniers. Il les tranſporta fur fes
vaiſſeaux en Eſpagne , & les diſtribua
dans l'Andaloufie & dans le Territoire
de Tolede. ( e )
( e) Abarbanel. Commentar. in Reg. 11. . 30
fol. 308 , édit. Lipfiens.
FEVRIER. 1764 . 83
Salomon Ben - Virga qui rapporte la
même Hiſtoire , ajoute de plus que Se -
ville fut aſſignée pour demeure aux defcendans
de David , qui habitoient dans
l'enceinte du troiſième mur de Jérufalem-
Il y en eut qui paſſerent enſfuite delà
dans le Royaume de Grenade. ( f) Le
ſéjour de l'Eſpagne leur fut fi agréable ,
qu'ils préférèrent ce nouveau domicile à
celui de la Judée , où la partie de la Nation
, qui avoit été transférée à Babylone
, dans la Perſe & dans la Médie , avoit
obtenue de Cyrus la permiffion de retourner
, pour rebâtir Jérusalem & le
Temple. Ils ne voulurent point , à fon
exemple , revenir dans leur Patrie , à
cauſe que ce retour de leur Frères , ſous
la conduite de Zorobabel n'étoit point
une parfaite délivrance , &qu'il n'y avoit
aucune obligation pour eux de demeurer
dans la Terre d'Ifraël , depuis qu'elle
ne poffédoit plus l' Arche de l'Alliance du
Seigneur, & que le cours des révélations
&des vifions prophétiques avoit entièrement
ceſſé. Abarbanél aſſure qu'il a tiré
ce récit des anciennes Chroniques des
(f) Salome Ben Virg Schebet Fehoudah , fot-
8. edit. Amst. Vide pag. 41. Verfionis Latinæ hujus
libri quam G. Gentius in lucem edidit fub titulo
Hifior. Judaic.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
,
Rois d'Eſpagne ( g ) . Roderic Sanche
& Alphonse de Cartagéne , Hiſtoriens
Eſpagnols , qui ont écrit vers le milieu
du quinzième fiécle , témoignent à la
vérité qu'Hispan petit - fils d'Hercule
& non pas fon neveu , comme l'affirme
Abarbanel, donna ſon nom à l'Eſpagne,
qui portoit auparavant celui d'Ibérie ,
qu'elle avoit pris du fleuve de l'Ebre.
Alphonsede Cartagéne raconte que ce
Monarque maria ſa fille à un célébre
Prince de la Grece , appellé Pyrrhus ,
qui , en qualité de ſon gendre , lui fuccéda
( h).
:
Vafée & Tarapha ne comptent point
ce Pyrrhus au nombre des Rois d'Efpagne.
Ils diſent ſimplement qu'Hispan
étoit petit- fils d'Hercule , & qu'Hifpal
ſon père fut le ſucceſſeur immédiat de
ce Héros dont il naquit , & qui étant
prêt à partir pour l'Italie , lui abandonna
le Gouvernement de ce Royaume ( i ) .
(g ) Abarbanel in loco fuprà citato .
(h ) Roderic. Sanct. Histor. Hifpan. P. I. Cap .
I. & VII. pag. 123 & 130. Alphons. à Carthag.
Anacephalæos Hifpan. Cap . III. & IV. pag. 250 .
interHifpan . Hiftor. Scriptor. Tom. I.
( i) Vafai Chronic Rer. Hifpan. Cap. 10. pag.
82. Edit. Colon. Taraphæ Liber de Origin. acReb.
Gest. Reg. Hifpan. fubnexus Chron . Vas. pag.
578.
FEVRIER . 1764. 85
Mais ni les uns , ni les autres ne font
aucune mention de cette alliance contractée
entre Nabuchodonofor & Pyrrhus
, ni de toutes les particularités qui
en dépendent. Après tout , quand ils en
auroient parlé , ils ne ſeroient pas pour
cela plus croyables , puiſqu'on ne ſcauroit
rien établir de certain fur une origine
de l'Empire d'Eſpagne auſſi fabuleuſe
, ni ſur la ſucceſſion de fes Rois ,
juſqu'au cinquième ſiécle , que les Goths
l'envahirent. On ne commence à mieux
connoître ſon Hiſtoire , que depuis Alfonfe
Premier du nom , furnommé le
Catholique , qui occupa le Trône vers
l'an 737 de l'Ere Chrétienne.
D'ailleurs , il y a lieu de douter que
Hercule ſoit jamais venu en Eſpagne.
On ſçait affez que ce nom a été commun
à pluſieurs Perſonnages de l'Antiquité
: c'eſt pourquoi les Grecs qui les
ontconfondus enſemble , ont attribué à
'Hercule Thébain toutes les actions mémorables
des autres ( k ). C'eſt ce qui
fur -tout est arrivé à l'égard de l'Hercule
Tyrien , qui , ſelon la plupart des Critiques
, étoit contemporain de Moïse , &
qui par conféquent étoit bien antérieur à
(k ) Cicero , de Natura Deor. Lib. III. Cap. 16.
pag. 171. Tom. IV, ejus Oper. édit. Gruter,
86 MERCURE DE FRANCE.
celui dont il s'agit. Des Colonies Phéniciennes
conduites en Eſpagne par ce
grand Navigateur , s'y fixèrent , & y bâtirent
beaucoup de Villes célébres. C'eſt
ſans donte de lui qu'il faut entendre ce
que Sallufte dit de l'Hercule qui mourut
en cette contrée ,& dont la mort fut fuivie
de la déſunion des Peuples qui l'avoient
accompagné, & qui compoſoient
ſon armée ( 1 ). On voyoit à Tarteſſe
qui , au rapport d'Arrien , devoit ſa fondation
aux Phéniciens , un Temple qu'ils
avoient élevé en l'honneur d'Hercule , à
qui l'on offroit des facrifices conformément
à leurs coutumes ( m ). Denys le
Géographe témoigne que ceux de la
même Nation qui occupoient Cadix ,
honoroient d'un culte divin ce fils de Jupiter
( n ). L'aventure de Géryon , que
les Mythologues font régner en Eſpagne
, & dont ils veulent que l'Hercule
Thébain ait enlevé les troupeaux , après
l'avoir tué , n'arriva point en ce pays ,
comme nous l'apprenons d'Hécatée de
(1 ) Salluft . de Bello Jugurth. cap. 21.pag. 79 .
Tom. I. édit . Haverkamp .
(m) Arrian. de Expedit. Alexand. M. Lib. II.
pag. 43. édit. Stephan.
(2) Dionys Periegas. Orb. v. 453. pag. 74.
idit. R. Suph. feupag. 84. edir. Oxon. 1717.
FEVRIER. 1764 . 87
Milet ancien Hiſtorien qui, vivoit du
temps de Darius fils d'Hystape , plus
decinq cens ans avant l'Ere vulgaire (o) .
Il rapporte que ce Géryon qu'Eurysthée
envoya combattre par le Héros Grec ,
régnoit dans le Continent ſitué près du
Golfe Ambracien , aujourd'hui de l'Arta
, & voifin de l'Épire ; & que c'eſt de
cet endroit- là qu'Hercule amena à Mycenes
, Capitale de l'Argolide , les boeufs
qui appartenoient à ce Prince (p ) . Arrien
remarque avec raiſon , qu'il n'y a
point d'apparence qu'Eurysthée ait pu
avoirquelque connoiſſance d'une région
placée à l'extrémité de l'Occident , &
qu'il ait ſçu fi elle abondoit en pâturages
&en troupeaux ( 9 ) .
Enfin la preuve la plus forte de la fauffeté
du récit d'Abarbanél , eft l'impoffibilité
qu'il y a de le concilier avec la
Chronologie. En effet , ce Pyrrhus qui
ſe ſignala par fon courage au Siége de
Troye , ne peut être que le fils d'Achille ;
& on n'ignore point qu'il ne furvêcut
(o ) Suid. Lefic. fub voce Εκαταίος, pag. 686.
Tom. 1. Edit. Kuster.
(p ) Hecateus apud Arrian. loco fuprà citato ,
& Eustath. in Commentar. in Dionys. Perieg. *.
561.pag. 62. feu 196
(9) Arrian , ibidem .
A
88 MERCURE DE FRANCE.
que de vingt ans à la ruine de cette Ville.
(r) Il eſt aiſe de juger par-làde l'anochroniſme
conſidérable que notre Rabbin a
commis , en faiſant ce Prince Grec contemporain
de Nabuchodonofor ; quoiqu'il
y ait entre l'une & l'autre un intervalle
de plus de fix cens ans . Car
Troye fut priſe & faccagée au moins
1186 ans avant l'Ere Chrétienne ; &
Jérusalem fut emportée d'aſſaut par le
Monarque Babylonien la 588° année
avant la même Ere , qui étoit la 19º
de ſa premiere expédition contre Joakim
ou Eliakim , & la 11º de la captivité de
Jéchonias qui avoit été mené à Babylone.
( s )
On ne sçauroit diſconvenir que dans
le nombre des Juifs que la déſolation
de leur patrie abandonnée au pillage
des Soldats de Tite, contraignit de chercher
ailleurs une retraite , pluſieurs ne
ſe ſoient réfugiés en Eſpagne. Il paroît
même conſtant qu'ils y avoient des établiſſemens
dans les premiers fiécles du
Chriſtianiſme ; puiſqu'on trouve quelques
décrets faits contr'eux dans lesAc-
(r)Eufeb. Chronic. Lib. poſter. fub num. 854.
pag. 94. Edit. Scalig. vide quoque Petav, ration .
temp. p. I. Lib. I. cap. II. pag. 48.
(5) Reg. Lib. IV. Cap. 25. v. 8.
:
1
FEVRIER. 1764. 89
tes du Concile qui fut tenu à Elvire
ville de la Boetique, une des Provinces de
l'Eſpagne , & qui précéda de vingt ans
celui de Nicée. ( t ) Mais ces familles
fugitives étoient de toutes les Tribus ,
&elles vinrent indiſtinctement s'établir
en cette Contrée. En effet les Tribus
avoient été tellement confondues depuis
la deſtruction de Jérusalem qu'il n'étoit
plus poffible de les diftinguer les unes
desautres. Les catalogues où l'on avoit
ſoin d'inférer les généalogies , eurent
le même ſort que le temple dans les
archives duquel ils étoient déposés . ( u )
Ils périrent dans l'incendie de ce fuperbe
édifice , & cet événement dut néceſſairement
jetter de la confufion dans les
familles de la nation. D'ailleurs les Romains
avoient quelque intérêt à ne point
laiſſer ſubſiſter ces catalogues à la faveur
deſquels elle eût conſervé l'efpérance
de replacer un jour les deſcendans de
David fur le trône de leur ancêtres.
Auſſi les reſtes de cette maiſon demeurerent
éteints par les pourſuites de Vef-
( t ) Concil. Eliberitan . Can . 49 , 50 , 78.pag.
976 & 978.Edit. Concilior. Labbe Tom . I. few
pag. 255 & 258. Edit. Hardui. Tom. I.
(u) Vid. Vales. Annotat in Hiftor. Ecclef. Eu-
Seb. Lib. I. Cap . 7. pag. 14.
90 MERCURE DE FRANCE.
pafien, (x ) qui craignoit ſansdoute que
ce peuple qui ſouffroit impatiemment
une domination étrangère n'en prit
occaſion de ſe revolter. Ces remarques
ſuffiſent pour prouver que la tradition
des Rabbins touchant les familles de la
Tribu de Juda tranſportées en Eſpagne
eſt bâtie ſur un fondement ruineux .
Enfin quand on ne conoîtroit pas leur
penchant à outrer tout ce qui les regarde
, les titres dont Abarbanel fe pare
portentun caractère ſi manifeſte d'éxagération
, que les Lecteurs les moins
prévenus ne peuvent s'empêcher d'en
ſoupçonner la vanité. Il est vrai qu'ils
n'éxiſtent que dans l'imagination des
Juifs féconde en idées chimériques .
Nous obſervons qu'il eſt aiſé de leur
ôter tous les moyens de ſe fortifier dans
leur illuſion à cet égard en combattant
l'autorité de R. Ifaac Aben Geath
par celle de R. Abraham Ben Dior , qui
rapporte que depuis R. Chiia qui mourut
dans le Royaume de Caſtille , l'an
de J. C. 1154 , il ne reſta plus perſonne
-de la race de David dans toute l'Ες-
(x) Eufeb . Histor Ecclef. Lib. III Cap. 12.
pag. 87. Edit. Vales. Nicephor. Callif. Histor.
Ecclef. Lib. III. Cap. 19. pag. 237. Tom. 1 .

FFVRIER. 1764. gr
pagne. (y) Voilà certainement un aveu
bien contraire à ce qu'Abarbanél témoigne
d'après R. Ifaac Aben-Geath
de fa defcendance de ce Prince. Il eſt
d'autant moins en droit de taxer R.
Abraham Ben-Dior, d'ignorance fur cet
article , que celui-ci vivoit préciſement
dans le temps qu'il écrivoit cette particularité.
Il devoit avoir connoiffance
des principales familles de ſa nation
puiſqu'il a compoſé un Livre qui eſt
deſtiné à en marquer l'origine , & à
en regler l'ordre & la fucceffion. Nous
n'infiftons ici ſur l'aſſertion de ce Rabbin
, que parce qu'elle a affez de force
pour ébranler la perfuafion où font les
Juifs relativement à cet objet. On gagne
beaucoup plus à leur oppoſer l'autorité
de leurs Docteurs fur des points con-
'teſtés pour les faire revenir de leur entêtement
, qu'à vouloir les convaincre
par les raiſonnemens les plus clairs &
par les faits les plus pofitifs,qui ne font
aucune impreffion ſur leur eſprit. Bartolocci
eſt tentéde croire qu'Abarbanel
a forgé lui-même ce qu'il cite fur le
témoignage de R. Ifaac Aben- Geath ,
afin de mieux impofer au corps de ſa
(y) R. Abraham Ben - Dior in fephreha Kabbalah
fol . 32. Edit. Ven.
92 MERCURE DE FRANCE.
nation. ( z ) Il veut que ce que notre
Docteur Juif en allégue ne ſe trouve
que dans ſes Ouvrages . Or , comme il
s'agit ici de ſa propre cauſe dans laquelle
il ne ſçauroit être témoin ; cela
fuffit pour rendre ſa narration ſuſpecte
de fauſſeté. Au reſte il ne déſavoue pas
que notre Rabbin ne ſoit forti d'une
des plus anciennes & des plus confidérables
familles Juives habituées dans
les Royaumes d'Eſpagne & de Portugal.
Elle étoit originaire de Séville où elle
eut ſon établiſſement pendant pluſieurs
générations. C'eſt dans cette Ville que
Dom SamuelAbarbanél, ayeul du nôtre
parut avec diſtinction vers le milieu du
quatorziéme fiécle. Sa générofité égaloit
ſon opulence , qui jointe aux prérogatives
de fa dignité lui donnoit beaucoup
de crédit dans ſa Nation. Il n'en
uſoit que pour favorifer les Savans de
la Synagogue qu'il affectionnoit particulierement
, & pour procurer aux affligés
& aux indigens les ſecours dont
ils avoient beſoin . (a) C'eſt ſans doute
de cet Abarbanelque parle un certain
Thomas que R. Salomon Ben - Virga
( z ) Bartolocc. Biblioth. Rabbini P. III. pag.
886.
(a) Abrah Zacouth Sepher Jouchasin. fol. 1337
FEVRIER. 1764. 93
fait entrer en conférence avec Alphonse
Roi d'Eſpagne , ſur ce qui concerne
diverſes imputations formées contre les
Juifs , & fur la véritable cauſe de leur
difperfion par toute la Terre. ( b ) Je
n'ignore pas que quelque-uns prétendent
qu'il eſt queſtion là de notre Rabbin
, & qu'ils prennent conféquemment
le Prince avec qui ce Thomas s'entretient
dans le Livre de Salomon Ben Virga
pour Alphonse V , Roi de Portugal.
(c ) Mais cela eſt démenti par la qualité
de Roi d'Eſpagne qu'on y donne
à cet Alphonse. Ce ne peut donc être
que le onziéme Prince de ce nom , Roi
de Caſtille , qui fut enlevé du monde
à la fleur de fon âge , l'an 1350. Ainfi
lesdâtes s'accordent avec l'éxacte chronologie
; puiſque Dom Samuël Abarbanél
étoit contemporain du Monarque
Eſpagnol. Don Nicolas Antonio qui eſt
dans le même ſentiment que nous par
rapport à l'Alphonse avec qui Thomas
a un long entretien , a eu raiſon de remarquer
que l'Abarbanél dont il eſt fait
( b) Salom. Ben Virg. Schebet Jekoudah fol. 7.
feu pag. 39. Version. Gent.
(c ) Alt. Lipficens. mens. Novembr. 1686. pag.
529.
94 MERCURE DE FRANCE.
mention eſt différent du nôtre. (d) Cependant
il a eu tort de mettre près de
deux fiécles d'intervalle entre ce Roi &
Isaac Abarbanel : en quoi il a eté
juſtement repris par M. Bayle. ( e )
Les parens de ce Rabbin allérent établir
leur domicile à Lisbonne , qui
fut le lieu de ſa naiſſance. Les grandes
richeſſes dont le commerce les avoit
mis en poſſeſſion les avoit fort accrédités
dans cette Capitale auffi célébre
par l'étendue du négoce qui s'y fait ,
que par le ſéjour des Rois de Portugal.
Ils prirent tous les ſoins poffibles
de fon éducation ; & comme ils
découvrirent bien-tôt les heureuſes difpoſitionsdeſon
eſprit , ils n'épargnerent
rien de ce qui pouvoit contribuer à les
perfectionner. Elles ſe développoient à
meſure qu'il croiſſoit en âge. Les progrès
rapides qu'il fit dans l'étude de ſa
religion & en général de toutes les ſciences
du reffort de la Théologie juſtifierent
les belles eſpérances qu'ils avoient
conçues de lui. Cependant ils ne bornerent
point leur fatisfaction à voir bril-
( d ) Nicol. Anton . Biblioth. Hifpan. Tom I.
pag. 629 .
( e ) Bayle Dictionn. Hiftor. & crit. Tom . I.
pag. 29. Edit. 1715 .
1
FEVRIER. 1764. 95
ler dans la Synagogue les talens du
jeune Homme . Ils voulurent les faire
ſervir à leur ambition qui les portoit
à former des projets d'aggrandiſſement
& d'illuftration de leur maiſon . Ils le
produifirent dans cette vue a la Cour
d'Alphonse V qui régnoit en Portugal.
Abarbanél qui avoit à coeur , comme
eux , fon avancement dans les emplois
qui dépendoient de cette Cour , ſongea
ſérieuſement aux moyens qui pouvoient
l'y conduire. Toute ſon attention ſe
tourna du côté de la politique , qui lui
parut la voie la plus ſure & en même
temps la plus prompte pour parvenir
à l'exécution de ſes deſſeins . Ses démarches
réuffirent peut-être au de-là
de ſes eſpérances. Les marques qu'il
donna de ſa capacité & de ſon intelligence
dans les affaires , l'éleverent par
degrés aux charges les plus importantes
de l'Etat. Alphonse , à qui il eut le bonheur
de plaire, l'admit dans ſes Conſeils ;
enfin il ſe pouſſa ſi avant dans les bonnes
graces de ſon Souverain dont il
gagna entiérement la confiance, qu'au
cuneaffaire ne ſe traitoit ſans ſa participation
. Les influences de ſa faveur au
près de ce Prince s'étendirent ſur ſa Nation
, qui les reffentit dans toutes les
96 MERCURE DE FRANCE.
occafions où elle leur devint néceſſaire.
Il ſçut la mêttre à profit & augmenta
conſidérablement la patrimonie de ſes
Pères. Il nous décrit lui-même pompeuſement
à la tête d'une des préfaces de
ſesCommentaires , les honneurs attachés
au poſte éminent , où elle l'avoit placé.
(f). Ils flattoient encore affez ſa vanité ,
pour qu'il s'en rappellât l'idée avec plaifirdans
un temps où il en étoit déchu ;
il y reléve faſtueuſement la ſplendeur
que l'abondance & l'opulence où il
vivoit alors répandoient fur toute ſa
maiſon ; il y laiſſe auffi un témoignage
éclatant de ſa reconnoiſſance dans le
portrait qu'il fait de fon bienfaicteur.
Il nous le repréſente comme un Monarque
également recommandable par ſa
puiſſance , par ſon courage , par ſa prudence
, par ſon amour pour lajustice ,
&par ſa piété , zélé pour le bonheur
de ſes ſujets à qui ſon humeur affable
&populaire le rendoit cher , & en la
perſonne duquel les Sçavans qui avoient
principalement part à ſes libéralité trouvoient
un protecteur éclairé ; en un
mot , il lui attribue toutes les vertus
(f) Vide Præfation. ejus Commentar. in Libr.
Sofue. fol. 1 .
:
(
0
C
a
da
So
R
to
nil

alla
qui
ve
me
FEVRIER. 1764. 97
qui ſoutiennent dignement la majesté
du Trône.
Sans éxaminer ici fi cet éloge n'eſt
point exagéré , il fert du moins à
prouver qu'Abarbanél a toujours refpecté
& honoré la mémoire de ce Prince
, à qui il avoit de ſi grandes obligations.
On me dira peut-être que c'étoit
bien le moinsqu'exigeoit tout ce que ce
Monarque avoitfait pour lui : je l'avoue.
Mais combien y en a-t-il qui n'attendent
pas pour perdre le ſouvenir des
bien faits qu'ils ont reçus , que ceux de
qui ils les tennent n'existent plus. La
mortd'Alphonse apporta un grand changementdans
ſa fortune. Jean II. Fils
&fucceffeur de ce Prince haïffoit encore
plus les Juifs , que ſon Père ne les
avoitaimés. On peut bien croire qu'avec
de ſemblables diſpoſitions a leur égard ,
il ne conſerva point à Abarbanél les
dignités dont celui-ci avoit été revêtu
ſous le régne précédent. Auſſi notre
Rabbin en fut il dépouillé , & prèſque
tous ceux qui avoient eu part a l'adminiſtration
des affaires fous Alphonse
éprouverent le même fort que lui. On
alla juſqu'à l'accuſer d'avoir concerté
avec eux un complot, dont le but étoit de
mettre la Couronne de Portugal ſous la
E
1
98 MERCURE DE FRANCE.
puiffance du Roi d'Eſpagne. Il nous
apprend que ce fut là le prétéxte des
pérfécutions qui leur furent ſuſcitées.
Il faut avouer que l'imputation étoit
des plus graves , & notre Rabbin en auroit
pu être puni trop ſévérement , fi
elle avoit eu un fondement réél. Il
s'inscrit en faux contre le crime dont
on le taxoit lui & les autres Miniſtres
du prédécéſſeur de Jean ; il ſe plaint
que des gens envieux , & par conféquentmal-
intentionés avoient tiffu cette
odieuſe calomnie , pour parvenir plus
furement à les perdre. Pour peu qu'on
veuille peſer les choſes de fang froid ,
&fans prévention , on conviendra que
ce qu'il dit ici de cette trâme formée
par quelques courtiſans qui travailloient
fourdement à leur nuire , n'eſt pas dépourvu
de vrai- ſemblance. Cela est encore
plus probable par rapport à Abarbanél
qui dans la place qu'il occupoit ,
devoit regarder comme autant d'ennemis
fecrets tous les concurrens qui
la lui avoient diſputée , & fur lesquels il
l'avoit emportée. On ſçait de combien
d'intrigues font capables pluſieurs de
ceux qui afpirent aux premieres charges
d'un Etat. Uniquement attentifs
au ſoin de s'avancer au préjudice mê
FEVRIER 1764. 99
me les uns des autres ; ils ne ſont pas
fort fcrupuleux ſur le choix des moyens
qu'ils employent pour ſe les procurer.
H leur importe peu que ces voyes s'accordent
avec les devoirs de la probité,
pourvu qu'elles les ménent aux fins
qu'ils ſepropoſent. C'eſt -là le caractère
des Courtiſans ; & l'on fent affez que
des gens de cette forte n'avoient pu
voir ſans une extrême jaloufie le crédit&
la conſidération dont notre Rabbin
avoit joui à la Cour d'Alphonse ,
où il avoit joué un des principaux rôles .
Ils avoient fouffert impatiemment qu'on
leur eût préféré dans l'éxercicedes hauts
emplois un homme dont il leur fembloit
que l'origine & la Réligion étoient
des titres qui ſuffifoient pour l'en
exclure. Ils ſouhaitoient ardemment
fa ruine. Mais comme la puiſſante protection
qu'Alphonse lui avoit accordée,
oppoſoit un obstacle au ſuccès de leurs
voeux , ils n'oferent rien entreprendre
ouvertement contre Abarbanél penpendant
que ce Prince vêcut. Ils furent
bien dédommagés de la contrainte où
elle les avoit tenus juſques-là , par la
créance que leurs diſcours calomnieux
trouverent facilement dans l'eſprit de
fon fuceſſeur. Ils le déſervirent de tout
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
leur pouvoir auprès de Jean qui de
fon côté étoit trop fortement prévenu
contre les Juifs &particulierement contre
notre Rabbin , pour ne pas prêter volontiers
l'oreille à ce qu'ils pouvoient
lui dire de déſavantageux ſur le compte
de ce dernier. Ainſi il ne leur fut pas difficile
de le lui rendre ſuſpect dans la
geſtion dont il étoit chargé. Ils ne ſe
bornerent point à mettre en oeuvre
tous les moyens qui leur parurent les
plus propres à le faire expulfer de la
Cour du Monarque Portugais , ils machinerent
encore ſa perte pour mieux
ſatisfaire leur paffion. L'averſion que
Don Jean avoit pour lui , fournitàceuxci
une occafion affez favorable de réuffir
dans l'éxécution de leur pernicieux
deſſein. Nous ne devons pas obmettre
une circonstance qui aide beaucoup à
ſa juſtification. C'eſt que les Hiſtoriens
du Régne de ce Prince & les Auteurs
contemporains ne l'ont point impliqué
dans la malheurenſe affaire de Ferdinand
Duc de Bragance , à qui elle
coûta la vie. C'eſt la ſeule qui ait du
rapport à la prétendue conſpiration dont
il s'agit. Elle n'éclata même que plus
d'unan après qu'Abarbanel eut quitté
le Portugal. D'ailleurs ils avouent qu'on
FEVRIER. 1764 . 101
depuis long-temps. Un Souverain qui
ne trouva point de complices de l'entrepriſe
criminelle qu'on attribua à cet infortuné
Duc. (g) Il y a plus ; c'eſt qu'ils
n'hésitent point à le croire innocent.
Quelques-unes de fes actions montrent
à la vérité qu'il manqua de prudence.
Il n'en falloit pas davantage pour affermirdans
ſes injuſtes soupçons un Monarque
défiant à qui ies moindres démarches
d'un Seigneur auſſi puiſſant
que ce Duc , faisoient ombrage.
Les relations qu'il avoit avec la Cour
d'Eſpagnele firent fauſſementaccuſer d'y
entretenir des intelligences ſecrettes , au
préjudice decelle de Portugal. Les Ecrivains
de cette Nation,qui ont examiné de
prèsles piéces qui ſervirent à l'inſtruction:
defon Procès , conviennent qu'on n'y remarquoit
aucune preuve qui pût raiſonnablement
le convaincre d'avoir commis
le crime qu'on lui imputoit. Mais
D. Jean jaloux de Ferdinand , à qui des
vertus héroïques foutenues de manières
libérales & engageantes gagnoient tous
les coeurs , ſuppoſa à ce Duc des projets
ſéditieux contre ſa Couronne pour afſouvir
la haine violente qu'il lui portoit
(g ) Lequien de la Neufville , Hiftoire de Portugal
, Liv. IV. Tom. I. pages 524 & 526.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
cherche à fe défaire d'un Sujet qu'il redoute
, a bientôt à ſa dévotion des gens
qui s'empreſſent de devenir les inſtrumens
de ſa vengeance.
La triſte deſtinée de ce Seigneur Portugais
qui laiſſa ſa tête ſur un échaffaut ,
offrit moins un éxemple de la justice de
D. Jean , que de ſon reſſentiment voilé
d'une artificieuſe politique dont l'au-
Je fut la victime. Bartolocci reproche à
Abarbanél de s'être attiré par l'iniquité
de ſa conduite ,les malheurs qui accompagnérent
fa diſgrâce. Il veut même que
là douceur naturelle du Roi Jean l'ait
empêché d'ufer envers lui d'un traitement
plus rigoureux ( h ). Cela ne nous
furprend pas de la part de ce Moine Italien
qui ſemble prendre plaifir à interprêter
mal tout ce qui ſe rapporte aux
Juifs. Il donne des marques ſenſibles
de ſa partialité &de fa mauvaiſe humeur
contre eux. Il témoigne par-tout l'extrême
envie qu'il a de les trouver plus
coupables qu'ils ne le font effectivement.
Iln'eſt donc pas étonnant que ſes jugemens
fe reffentent toujours des difpofitions
où il eſt à leur égard. Elles lui
font non-feulement recevoir fans éxamen
l'imputation des crimes dont on
(h ) Bartolocc. Bibl. Rabb. pag. 874.
FEVRIER. 1764. 103
charge cette Nation , mais même en appercevoir
là où il n'en éxiſte pas la plus
légère trace. Un autre que lui dont l'équité
auroit dirigé les fentimens , eût ſçu
qu'elle ne permet pas de tourner une
accufation en preuve contre la perſonne
qui en eſt l'objet ; à moins qu'on ne ſoit
autorisé pour en venir juſques-là , de
P'allégation de quelque fait avéré qui
puiſſe la justifier. Agir différemment ,
c'eſt heurter de front les principes de la
Religion & de l'humanité. Il eſt vrai que
des gens qui , comme Bartolocci , ſelivrent
fans réſerve aux mouvemens d'une
paffion aveugle , font incapables de faire
ces réflexions. Au reſte , nous ne prétendons
point affirmer qu'Abarbanél fe
foit comporté d'une manière irrépréhenfible
pendant tout le temps qu'il fut en
faveur à la Courde Portugal. Il est bien
rare qu'un homme qui poffede dans un
degré éminent celle de fon maître , n'abuſe
pas quelquefois du crédit qu'elle lui
donne. Cependant quand il eſtqueſtion
de prononcer là-deſſus , il faut plus que
des préfomptions qu'il y a autantd'injuftice
que de témérité à produire pour des
vérités iudubitables Un femblable procédé
eſt encore plus inexcufable dans
les cas où la probité eſt eſſentielle
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
ment intéreſſée . Enfin Bartolocci montre
beaucoup d'ignorance , ou péche vifiblement
contre la bonne foi , en varrtant
la douceur du Roi Jean : nous ofons
affurer que jamais perfonne mérita moins
que lui la qualication d'un Prince doux.
Elle convenoit ſans contredit à ſon prédéceſſeur
, que tous ceux qui ont écrit
l'Histoire de Portugal s'accordent à
nous dépeindre comme un Monarque
bon & affable ; au lieu qu'ils nous
donnent une idée fort différente de
D. Jean , dont l'humeur altière & rigide
ne ſympathiſoit guères avec ce penchant
à la douceur qu'on lui attribue
fauſſement. Nous pouvons dire même
que ſa ſévérité tenoit plutôt d'un naturel
dur , infléxible & opiniâtre , que d'un
caractère équitable , quoiqu'il en affectât
les dehors impoſans. Nous ne nions
pas qu'il n'eût d'ailleurs de grandes qualité
; il auroit été ſeulement à ſouhaiter
qu'elles n'euſſent pas été obſcurcies
par des défauts importans , & fur-tout
par les étranges petiteſſes dont une dévotion
outrée & ſuperſtitieuſe le rendoit
ſuſceptible. Elle fut la ſource d'où coula
la haine qu'il avoit conçue pour les
Juifs , Comme l'intention de Bartolocci
étoitde préſenter Abarbanel ſous l'aſpect
FEVRIER, 1764.2 105
le plus odieux ; il a cru ne pouvoir mjeux
la remplir qu'en prêtant gratuitement à
ce Prince un caractère de bonté que
celui- ci n'avoit pas , pour avoir occaſion
de le faire contraſter avec la mé
chanceté imaginaire de l'autre quien
devenoit par-là plus criminel. Je laiſſe à
juger fi la conduite de ce Compilateur,
eſt conforme aux devoirs que preferit la
probité.
La fuite au Mercure prochain
sh
LES plaisirs d'un jour , ou la Journée
d'une Provinciale à Paris . A Bruxelles
, 1764. On en trouve des Exem-
- plaires àParis chez L. G.de Hanfy,
Libraire , fur le Pont au Change
un vol. in- 12 ; prix , liv. 16 f.
broché.
7
11
DORINE qui eſt à proprement parler
l'héroïne de ce Roman, eſt une femme
qui après avoir éprouvé les dégoûts
d'un mariage conclu par raiſon d'intérêt
, ne trouve ſa liberté & fon bonheur
que dans la mort d'un époux dégoûtant
Ev
105 MERCURE DE FRANCE .
& cacochime. Les autres perſonnages
font un Abbé , une Prude , un Marquis,
une Julie, & un Président. L'Abbé qui
eſt le beau Parleur de cette Société, eft
un homme charmant qui paſſe une par
tie de ſa vie à recueillir les anecdotes
feandaleuſes , & l'autre partie à les va
conter. Auſi eſt-il la coqueluche des
cercles les mieux composés . 1
Le caractère odieux de la Prude à qui
Dorine est confiée , devient une leçon
pour les parens qui fe laiffant éblouir
par les dehors d'une fauſſe ſageſſe ,
mettentdans leurs maifons des perfonnes
qui y apportent le trouble , & leur
confient indifcrettement ce qu'ils ont
de plus cher.
On voit dans le Marquis un coeur
tendre , mais un homme impatients, entreprenant
, qui met tout en usage, pour
fe rendre maître de Dorine , & pour
l'enlever à fon rival ; mais le véritable
amour de celui-ci fait échouer fon entrepriſe
; & la fauſſe Prude , qui par un
vil intérêt s'eſt prêtée à ſes vues , eft
enfin démaſquée. Les avantures de Julie
qui forment un épiſode , font intéref
fantes, & l'on eſt touché des événemens
qui traverſent ſa vie.
Le Bréfident fe diftingue d'abord par
/
FEVRIER. 1764 . 107
ſa magnificence ; mais il figure pendant
peu de jours. Silvie ſa maîtreſſe ne paroît
pas plus longtemps que lui fur la
Scène. Après avoir parcouru dans ſa
jeuneſſe toutes les claſſes du libertinage,
en cédant aux caprices de la fortune ,
elle devient une femme décente lorſque
le Préſident l'a miſe en étatde ſe paffer
des fecours duPublic.
On trouve dans cet Ouvrage des moralités
enveloppées de l'intérêt des événemens.
Un Roman qui ne dure que 9
àdix heures , & dont la lecture n'en
demande pas trois , eſt digne d'un accueil
favorable .
ABRÉGÉ de l'Histoire Grecque , depuis
les temps héroïques jusqu'à la réduction
de la Grece en Province Romaine .
Ouvrage dans lequel on voit les Guerres
les plus célebres de cette Nation ,
fon, esprit , fes moeurs , les grands
Hommes qu'elle porta dansſonſein ,
Législateurs, Capitaines, Philofophes,
Orateurs , Poëtes , Historians & Arriftes
par M. d'Allezt , à Paris ,
-
Evj
103 MERCURE DE FRANCE .
1
chezNyon , quai des Augustins,à l'Oc
cafion ; 1764 ; avec Approbation &
Privilège du Roi , un vol. in- 12 , prix
2liv.
LEE PRINCIPALbut de cet Ouvrage a
été l'utilité de la Jeuneſſe ; & l'Auteur
nous apprend que ce qui l'a déterminé
à l'entreprendre , c'eſt qu'à préſent la
première Univerſité du Royaume eſt occupée
plus que jamais des moyens capables
de donner une nouvelle vigueur
aux Etudes ; qu'elle ſe propoſe d'étendre
les connoiſſances qui entrent dans PEducation
, & qu'elle veut mettre au rang
de ſes inſtructions les principales parties
de l'Hiſtoire , parmi lesquelles l'Hiſtoire
Grecque tiendra un des premiers rangs.
Pour ſuivre un ordre clair & précis
dans cette Hiſtoire , on l'a diviſée en quatre
âges. Le premier comprend l'origine
des Grecs , les anciens Etats de la
Grece , c'est- à-dire , comment ſe formèrent
les Royaumes de Sycione , d'Athênes
, de Sparte , &c. Les temps héroïques
font partie de cet âge. On appelle
ainſi l'Expédition des Argonautes ,
les Danaïdes , les Travaux d'Hercule ,
le Siége de Troye , & autres anciens
FEVRIER. 1764. 109
événemens que les Poëtes ont altérés ,
par leurs Fables , & fur lesquels eſt bâti
tout le ſyſtême de la Mythologie. Ce
même âge comprend auſſi l'Histoire du
Gouvernement de Lacédémone ſelon
les loix de Lycurgue , celui d'Athênes &
des Loix de Solon.
Le ſecond âge comprend les Guerres
des Grecs avec les Perſes . Ce font les
beaux jours de la Grèce. On y voit de
petites armées tenir tête à des armées innombrables
La Bataille de Marathon, le
Combat des Thermopyles , celui d'Artemiſe
, la Bataille de Salamine , celle de
Platée , celle de Mycale font les principaux
traits de ce tableau , & les perfonnages
ſont les hommes les plus célébres:
Miltiade , Themistocle , Aristide , Cimon
, Periclès , &c. L'Auteur a eu foin
de tracer en racourci les principaux traits
qui caractériſent ces grands hommes.
Le troiſième âge embraſſe la Guerre
du Pélopponèſe , qui rendit les Lacédémoniens
comme les arbitres de laGrèce.
Alcibiade , Lyfandre paroiſſent ſur la
fcène. On y voit l'état d'oppreffion où
furent réduits les Athéniens par la tyrannie
des trente Tyrans ; la délivrance
d'Athènes , par le courage de Trafybule.
L'Expédition du jeune Cyrus , la fa
ILO MERCURE DE FRANCE.
meuſe retraite des dix mille Grecs , b
condamnation de Socrate, les exploits
de Pelopidas & d'Epaminondas , temps
de la gloire de Thébes , les Batailles de
Leuctres & de Mantinée ; les exploits de
Philippe , Roi de Macédoine , les effets
de l'éloquence de Démosthène contre
l'ambition de ce Prince ; les exploits de
Phocion; le règne d'Alexandre , & fes
victoires ſur les Perfes; la ſuite de ſes
conquêtes , ſa mort , ſon caractère .
On lit dans le quatrième âge , le partage
de l'Empire d'Alexandre , & divers
événemens ſous le règne de ſes fuccefſeurs
; la vie & les actions du célébre
Pyrrhus , Roi d'Epire , cellesde Philopemen
qu'on a appellé le dernier des
Grecs. La Grèce eſt miſe en liberté par
les Romains. Cette même Grèce eſt af
ſujetrie par ces mêmes Peuples qui envas
hiffoient tous les Empires.
Chaque âge eſt terminé par des tableaux
en racourci des hommes célébres
dans les Sciences, Philoſophes , Ora
teurs , Poëtes , Historiens , Artiſtes.
L'Auteur y a joint des diſſertations historiques
fur le Gouvernement des Grecs ,
dont il a fait une ſage diſtribution, ea
plaçant fous chaque age , tantorun obr
jende ce Gouvernement, tantot unau
FEVRIER 17641111
tre. Ainfi à la fin du premier age , on
voit tout ce qui avoit pour objet la Religion
des Grecs , à la fin du ſecond, la
Guerre & l'Education de la Jeuneſſe ; à
la, fin du troifiéme , les Jeux & les Combats
; & à la fin du quatrième , l'Histoire
despays qu'on appelloit la grande Grèce,
qù l'on voit les artifices de Denys le Tyran
, pour ſe rendre maître de Syracuſe ;
ſa folle paſſion pour la Poëfie ; le règne
de Denys le Jeune , les exploits de Dion ,
la délivrance de Syracufe par Timoléon ,
& le Siége de cette même Ville par les
Romains, fous Marcellus ; le portrait
d' Archimede : le tout mêlé de réfléxions
utiles.
: Ainfi 'Histoire Grecque , qui tient
toute l'Antiquité , foit fabuleuſe , ſoit
hiſtorique , fi neceſſaire par conféquent
pour l'intelligence des Auteurs , fi c
riquſe par elle-même , peut être miſe entre
les mains des jeunes gens , & faire
même le ſujet d'une lecture agréable &
utile , pour toutes les perſonnes d'un age
mur , mais qui n'ont pas le temps de lire
une longue ſuite de volumes.
ΠΩ
12 MERCURE DE FRANCE .
C
c
HISTOIRE des Philofophes modernes ,
avec leur Portrait dans le goût du
crayon ; parM. SAVERIEN , publiée
par le Sr FRANÇOIS , Graveur des ,
Defſfeins du Cabinet du Roi ,
rue S. Jacques , à la vieille Pofte ,
vis-à-vis la rue du Platre. Tome IV,
contenant l'Histoire des Restaurateurs
des Sciences , feconde Partie. A.Paris
, chez différens Libraires , 2764 ;
avecApprobation & Privilège du Roi.
CEEVVoolluummee qui contient l'Hiſtoirede
Newton , Leibnitz , Halley , Jean Bernoully
& Wolf , paroit être fait avec
le même ſoin que les précédens. Il a
dû en coûter plus à l'Auteur ; car les
ſyſtêmes qu'il expoſe tels que ceux de
Newton , de Leibnitz & de Wolf, font
très-abſtraits , M. Saverien n'oubie rien
pour ſe rendre intelligible à tout le
monde , ſans affoiblir la profondeur de
la théorie qui forme la baſe de ces fyftêmes.
La même clarté & netteté régne
dans le Diſcours préliminaire , con-
Jenantla théorie du mouvement des Corps
FEVRIER. 1764 . 113
celeftes , déduites de leur origine , pour
fervirdefuplément au Systéme du monde
de Newton. C'eſt un ſyſtême par lequel
l'Auteur explique fans attraction ,
la caufe des forces centripete & centrifuge
, & en général toute la théorie du
mouvementdes corps célestes.Ontrouve
ici une nouvelle explication de la cauſe
de la peſanteur des corps. M. Savérien
en avoit déja publié une exquiffe dans
leMercure , en 1756 ; mais elle eſt ici
très-développée & confirmée par des expériences.
Al'égard des portraits , le Sr François
áfaitun choix éclairé desTableaux &des
Eſtampes , d'après leſquels il les a traités
avec le plus grand ſoin. Ainſi ce nouveau
Volume eſt digne du même accueil
dont le Public a honoré les précédens.
Le Graveur avertit qu'il donne gratis
dans ce Volume , le Portrait de Schaflesbury,
qui manquoit à la claſſe des moraliſtes.
Ily a toujours deux Editions de
cet Ouvrage , une in- 12 & une in-
4°. Le prix de l'in - 12 eſt de cinquante
ſols , & celui de l'in-4° , de
6 liv. broché.
114 MERCURE DE FRANCE.
DISCOURS prononcédans l'Académie
Françoise , le Jeudi 22 Décembre
1763 , à la réception de M. MARMONTEL
; à Paris chez Regnard ,
Imprimeur de l'Académie Françoise ,
au Palais , & rue baſſe des Ursins ;
1763 , Feuille in-4° .
A
LE Difcours de M. Marmontel , élu
pour occuper la place de M. de Bougainville
, n'a point démenti l'idée avantageuſe
qu'avoient donné de lui pluſieurs
de ſes Ouvrages en différens genres,
Nous ne citerons que quelques traits ;
le grand nombre de nouveautés que
nous avons encore à annoncer
nous permet pas de nous étendre fur
chacune.
ne
Après les marques extérieures de modeftie
, qui font d'uſage en pareille occafion
,M. Marmontel fit l'élogede fon
prédéceſſeur. »Dans ſes écrits, comme
>>>dans ſes moeurs , dit- il , tout fut loua-
>> ble ,& rien n'annonçoit le vain defir
FEVRIER. 1764. 115
>>d'être loué . M. Marmontel étend cette
propofition en parcourant les écrits
& les principaux traits de la vie de M.
de Bougainville. Nous citerions ce morceau
en entier , s'il ne falloit pas encore
revenir à M. de Bougainville à la fin
de cet extrait. Mais ce qui mérite furtoutd'être
mis ſous les yeux de nos Lec
teurs , c'eſt l'endroit où le nouveau Récipiendaire
apprendaux GensduMonde
le reſpect qu'ils doivent aux Gens de
Lettres , & le rang que ces derniers
doivent occuper dans l'eſtime des hom
mes.>>> La Nature leur a donné Pempire
>>de l'opinion ; leur voix eſt celle de la
>>Renommée &de toutle bruit qu'auront
>>fait dans leur temps les plus belles
» actions des mortels ; la poſtérité n'en
>>tendra que le témoignage desGens de
>>Lettres , placés d'âge en âge comme
* autant d'échos qui retentiſſent dans
>> l'avenir. Ce n'eſt point en paflantde
>> bouche en bouche , que les faits , que
*les noms dignes de mémoire peuvent
>>échapper aux outrages de la barbarie&
>>du temps. Il faut, pour les en garentir,
qu'unHiſtorien vrai les écrive , qu'un
>>>digne Orateur les célébre, qu'un Poëte
infpiré les chante,qu'un Philofophe les
> apprécie. Eux ſeuls ſe ſoutiennent par
116 MERCURE DE FRANCE.
1
» eux-mêmes au-deſſus du vaſte abime
>> de l'oubli ; & rien n'y ſurnage qu'avec
» eux & par eux......
" ... Oublions toutefois l'intérêt
» qu'ont eu les grands Hommes à pro-
>> téger les Lettres ,& n'en conſidérons
>>que le charme&l'attrait . Quelle jouif-
> ſance plus douce pour celui qui les
>> encourage , que de développer les ger-
» mes du génie ? La Nature a-t-elle des
>>>productions plus rares ? Est- il un ſpec-
>>tacle plus digne d'une âme élevée Se
>> ſenſible , que de voir la Poëfie ani-
» mer ſes tableaux , l'Eloquence dé-
>>>ployer ſes refforts , l'Histoire percer
>> la nuit des temps , la Philoſophie le-
>ver le voille de la Nature , de nou-
>> velles générations d'idées éclore du
>ſein d'un petit nombre d'hommes ,
» & ſe répandre dans tous les eſprits ?
» Les Lettres ſous ce point de vue peu-
>>> vent-elles ne pas attacher les regards
>>des Rois , des Héros & des Sages ?
>>Mais c'eſt à ceux mêmes qui cul-
>> tivent les Lettres, que le commerce en
» eſt précieux. Que ne puis-je en ex-
>> primer l'avantage commeje le ſens !
» Que ne puis-je avec tous les vrais
» Citoyens de la République Littéraire,
>> voir ce qu'ils ont tant ſouhaité , les
1
FEVRIER . 1764. 117
>> talens unis & d'intelligence ! Non ,
>> ce n'eſt point un voeu chimérique. L'a-
» mitié , ce lien des coeurs , eſt des dons
» du Ciel le plus rare : il l'eſt parmi les
>>Gens de Lettres , comme il l'eſt dans
>> teus les états. Mais le commerce , l'ac-
>> cord des eſprits , ce goûtmutuel qui
>>les attire , ce beſoin de ſe communi-
» quer , ce plaifir délicat qu'ils éprou-
>> vent às'éclairer , à s'animer l'un l'autre,
» certe union , dis -je , a fait dans tous
>>>les temps le bonheur & la gloire des
>> Lettres. Le fiécle paffé la vit régner
» parmi ſes Ecrivains les plus célébres.
» Elle eſt la même & plus paiſible
>> encore , entre les premiers talens de
» nos jours........
..... Je ne parle point du goût que
>>leur commerce épure , des fineſſes
>>de l'art qu'il décéle , des replis de la
» Nature qu'il développe , des traits dé-
>> licats qu'il y fait faifir ; je me borne
>>au courage , à l'émulation qu'il inſpire,
» à l'éſſor qu'il fait prendre aux idées,
»à l'enthouſiaſme qu'il donne aux ta-
» lens ; le dirai -je ? à cette eſpéce d'é-
>> lectricité que les eſprits ſe commu-
>> niquent , fitôt que l'intérêt de l'art
» vient les animer & les mettre en ac-
» tion.
:
118 MERCURE DE FRANCE.
,
" Voyez l'Homme de Lettres dans
>>>ſa folitude ; épuisé de fatigue & de
>> veilles, plein d'inquiétude & d'allar-
> mes , ayant fans ceffe devant les yeux
>> un Public difficile & ſévère , décou-
> ragé , tantôt par les difficultés de l'art,
>tantôt par les variations du goût : une
" ombre l'éffraye ; il ſe craint lui-même :
>>>s'il lui vient une lueur d'eſpoir , c'eſt
>un trait de préſomption; il fe défie
»de ſa confiance. Livré à lui-même
>> il ne ſent pas fes forces: il n'ofera
>>jamais tout ce qu'il peut. Qui levera
>>le foible obſtacle qui l'arrête au milieu
"de ſa courſe ? Qui le ramenera dans
» la voie , d'où peut-être il n'eſt éloi-
>> gné que d'un pas au moment qu'il
> fe croit égaré ? Sera-ce celui qui s'a-
>muſe des Lettres ? Non , mais celui
>> qui s'en occupe. Le monde eſt pour
>>unEcrivain une écoledebienfeance,
*de délicateſſe , de politeſſe& d'agré-
> ment ; mais pour les coups de lu-
>>mière&de force , les grandes vues ,
les hardis deſſeins , il doit confulter
> ſes pareils. Il les confulte ; il eſt rani-
» mé. L'eſpoir renaît , les craintes ſe
>>> diffipent , les difficultés s'applaniſſent.
Ce n'est point une critique froide ,
>> minucieuſe , ſtérile , qui préſide à leur
» éxamen ; c'eſt une critique ſévère ,
1
FEVRIER. 1764. 119
maislumineuse & féconde en reffour-
>> ces : c'eſt peu d'éclairer , elle inſpire ;
»& quel eſt l'Homme de Lettres , Mel-
• ſieurs , qui n'est pas redevable d'une
• partie de fa gloire à de telles infpi-
>>>rations ? Combien de traits de génie
» ont attendu qu'une idée étrangère les
>> fit éclore; ſemblables à ſes feux ra-
» pides & brillans qu'une étincelle fait
> éclater ? Qui ſçait ce que Racine ,
>> Despréaux , Moliére & la Fontaine ſe
>>devoient réciproquement ?
>>Mais ce commerce ſi intéreſſantdu
» côté de l'eſprit , peut l'être encore plus
>>du côté de l'âme;&j'oſe le dire à lagloi-
» re de mon fiécle , jamais des moeurs ſi
> pures n'onthonoré les Lettres ; jamais
» l'émulation des vertus n'a plus annobli
>> celle des talens ; jamais votre éxemple
» n'a été mieux ſuivi. Et quelle épreuve
» n'ai je pas faite de la ſenſibilité,de l'élé-
>> vation d'ame qu'un Homme de Lettres
>> eſt fur de trouver dans ceux de ſon
» état ? Qui ſçait mieux que moi avec
» quelle chaleur le fort y protége le foi-
>>ble ; combien leur eſtime eſt ſolide
>>leur bienveillance active , leur amitié
>> conſtante , & combien ce qui ſeroit
>> pénible & courageux pour des âmes
>> vulgaires , paroît fimple &facile àces
> coeurs généreux ?
و
120 MERCURE DE FRANCE.
Ceux qui ont le bonheur & l'honneur
de vivre avec des Gens de Lettres , reconnoiffent
tous la vérité de ce tableau.
Au Diſcours éloquent & ingénieux
de M. Marmontel, a répondu M.Bignon,
en qualité de Directeur ; & ſa réponſe
eſt l'éloge de M. Bougainville,par lequel
nous avons promis de finir cet Extrait.
>>Pour parvenir aux honneurs de la
>> Littérature , M. de Bougainville ne
>> fut recommandé que par ſes talens ;
>> il ne ſe préſenta à l'Académie des
" Belles - Lettres , qu'avec les prix qu'il
» avoit remportés : c'étoit y entrer en
» triomphe.
» La Traduction de l'Anti - Lucrèce
» décida ſa réputation. La Préface ,
>> remplie de penſées auſſi ſolides que
» brillantes , honore le Poëme , & af-
>>ſocie le Traducteur à la gloire de l'Au-
» teur : interprète fidèle , mais fans ef-
» clavage , il a ſcu rendre dans notre
>> Langue , par d'heureux équivalens
>>>toutes les beautés d'une Langue
>> étrangère. Pour ménager la modeſtie
>> de la nôtre , ſi délicate ſur l'expref-
>>fion , avec qu'elle ingénieuſe adreſſe ,
» fans altérer le deſſein de l'Auteur , a-
>> t-il ſubſtitué la végétation des arbres
»& des plantes à tout ce que la liberé
>de
FEVRIER. 1764. 121
» de la Langue Latine avoit permis de
>> mettre fur la génération des ani-
»maux !
>> Secrétaire de l'Académie des Bel-
>> les-Lettres à un âge où l'on oſe à
» peine afpirer au titre d'Aſſocié , il en
>>a rempli les devoirs avec autant de
>>capacité que d'exactitude. Les Eloges
>>qu'il a faits deſes Confrères ,forment
» en même temps le plus glorieux Pa-
>>négyrique de fon eſprit & de fon
coeur : c'eſt l'érudition , c'eſt la vertu
» qui ſe repréſentent elles- mêmes ſous
>>diverſes attitudes. Dans la partie hiſto-
>>rique des Mémoires,il préſente les idées
>> de ſes Confrères dans le point de vue
>>le plus favorable , il y répand ſa
> chaleur & leur prête de nouvelles
>graces.
>> Il a fait plus encore pour M. Frerer
>> auquel il avoit fuccédé ; il a pour ainſi
» dire , prolongé ſes jours ; il l'a fait
>> vivre après ſa mort , en mettant la
>> dernière main à de ſavans Ouvrages
> que cet illuſtre ami n'avoit pas eu
>> le temps d'achever : c'étoit lui donner
>> une portion de ſa propre vie , préſent
>>d'autant plus généreux qu'il ne pou-
>> voit ſe flatter qu'elle dût être d'une
>>longue durée. Un aſthme opiniâtre ,
F
122 MERCURE DE FRANCE .
>> contracté des ſa première jeuneſſe ,
>>interrompoit ſes études par de fré-
>>> quentes attaques , & l'obligea enfin
>> d'abandonner le poſte laborieux qu'il
>> occupoit dans l'Académie des Belles-
>>> Lettres. Notre Académie , qui en
>>> avoit fait l'acquifition quelques an-
>>> nées auparavant, gagna ce que l'autre
>> perdoit ; il n'en montra que plus de
>>>zèle à ſe conſacrer à nos travaux
>> & n'en devint que plus affidu à nos
affemblées .
» Une ſanté ſi chancelante n'avoit
» pas affoibli les refforts de ſon eſprit.
>> Toujours ardent , toujours occupé de
>>projets littéraires , il ſe préparoit à
>> compofer une Hiſtoire de Hongrie :
>> il avoit raſſemblé dans ce deſſeinun
>> grand nombre de matériaux , & tout
>> ſon plan étoit déjà formé. Quel re-
>> gret pour nous de perdre avec lui
>> une Hiſtoire auſſi importante qu'elle
>> eſt peu connue , dans laquelle il au-
» roit développé tous ſes talens , cette
>>clarté méthodique qui lui étoit pro-
>> pre , cette abondance auſſi riche en
>>penſées qu'en expreffions , cette heu-
>>reuſe facilité qui ſavoit flatter l'oreille ,
>>fans ceſſer de nourrir l'eſprit ! C'étoit
>>pour acquérir cette perfection de F
:
FEVRIER. 1764. 123
» ſtyle , que ſans ſe livrer à la Poëfie ,
>> il l'avoit toujours cultivée. Franc &
> ouvert dans tous ſes procédés , il ne fit
» jamais dé ſecret que de ſes vers : c'eſt
» peut-être en cela ſeul qu'on peut dire
» qu'il n'étoit pas Poëte. Il ne les com-
>>muniquoit qu'à ſes amis particuliers :
>>c'eſt par eux que l'on a ſçu qu'il avoit
> compoſé une Tragédie intitulée la
» mort de Philippe , dont un morceau
>>qui a été ſçu , & qui fait partie de fon
» éloge , a mérité des applaudiſſemens ;
>>mais il reſpectoit le Public , & il ne
>>vouloit lui préſenter cette Pièce ,
» qu'après y avoir donné toute la per-
>> fection dont il s'étoit formé l'idée fur
>>les préceptes & les modèles des plus
>>grands Maîtres.
» Mais ſa plus noble occupation , &
>>celle qui lioit plus intimement ſes ſen-
>>timens avec les nôtres , c'étoit l'illuſtre
» emploi de compoſer l'Hiſtoire Métal-
>>lique de notre Auguſte Protecteur :
>>c'eſt-là qu'en expliquant les médailles
>>>qui repréſentent les événemens glorieux
de notre Monarque , il pouvoit
» employer ſans ceſſe de nouveaux tours
» & les expreſſions les plus vives pour
» peindre cet amour , ce zéle , cette
>>reconnoiſſance dont chacun de nous
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
>> ici eft pénétré , &qui nous feroit am-
» bitionner le même emploi pour con-
> ſacrer nos ſentimens à la poſtérité la
>> plus reculée.
Nous avions promis dedonner encore
pluſieurs Extraits de Livres annoncés
dans les Mercures précédens ; tels
que l'ÉCOLE DE LITTERATURE , qui
ſe vend chez Brocas & Humblot , rue
S. Jacques , & Babuty , quai des Auguſtins.
C'eſt àregret que nous différons
de faire connoître plus amplement un
Ouvrage qui peut être regardé comme
l'unique en ce genre. Mais la multitude
des Livres nouveaux nous oblige à en
remettre l'examen au mois prochain.
Nous parlerons en même temps des
OEuvres diverſes de M. l'Abbé Clément,
C. D. S. L. D. L ; à Paris chez Claude
Hériſſant , rue neuve Notre- Dame , à
la Croix d'or , 1764 , avec approbation
& privilège du Roi ; brochure in-12 ,
prix , 30 fols.
DES Fables nouvelles diviſées en quatre
Livres ; Traduction libre de l'Allemand,
de M. Lichtwehr ; à Strasbourg , chez
Jean-Godefroy Bauer , & se trouve à
Paris, chez Langlois , Libraire , rue de
La Harpe , près la rue Percée , à la
4
FEVRIER. 1764. 125
Couronne d'or ; 1763. Vol. in-S°. petit
format.
DE l'Histoire de Jeanne Premiere ,
Reine de Naples , Comtesse de Piémont,
de Provence & de Forcalquier ; à la
Haye,&setrouve à Paris chez le Clers,
Libraire , quai des Augustins , à la Toifond'or
, 1764.
:
&c , &c , & c.
ANNONCES DE LIVRES.
FABLES nouvelles diviſées en fix
Livres , avec des Notes ,& un Difcours
ſur la manière de lire les Fables , ou
de les réciter. Nouvelle édition , augmentéede
pluſieurs Piéces qui ne fe trouvent
pas dans les précédentes. Par M.
l'Abbé Aubert. AParis , chez Duchesne,
Libraire , rue S. Jacques , au-deſſous de
la Fontaine S. Benoît , au Temple du
Goût , 1764 ; Avec Approbation & Privilège
du Roi. Vol. in- 12 , petit format.
Le ſieur Duchesne ayant acquis l'Edition
des Fables de M. l'Abbé Aubert ,
dont nous avons eu occafion de parler
plus d'une fois avec éloge , a cru , pour
la fatisfaction du Public devoir y
ajouter l'Epitre que cet Auteur a adreſ
1
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE .
ſée à l'Academie Françoiſe , en lui préſentant
ſon Recueil , ainſi que les deux
contes Moraux qu'il a compoſés d'après
les Tableaux de M.Greuze,expofés au falon
du Louvre en 1761 & 1763. Ces
additions ne peuvent que confirmer le
jugement favorable que le Public a déja
porté des talens de cet agréable fabuliſte.
NOUVEAU Recueil dePiéces enVers
& en profe ; à Paris , chez L. G.
de Hanfy , fils aîné , Libraire , Pontau-
Change , à S. Nicolas , 1764 ; avec
Approbation & Privilége du Roi, Brochure
in- 12 de210 pages; prix , I liv.
10 f. broché.
CE Recueil contient plus decentPiéces
, la plupart en Vers. Ily a des Epitres
, des Elégies , des Fables, des Chanfons
, des Enigmes , des Bouquets , des
Epigrammes, des Allégories , des Cantatilles
; en un mot des Piéces Fugitivesdans
tous les genres.
OBSERVATIONS fur le Livre de l'Efprit
des Loix , par M. Crevier : à Paris
chez Deffaint& Saillant , rue S. Jean
deBeauvais ; 1764 ; avec Approbation
&Privilége du Roi. Brochure ip-12.
3
FEVRIER. 1764. 127
,
M. Crevier nous apprend qu'après
avoir lû trois ou quatre fois le Livre de
M. de Montesquieu il a mis par écrit
ſes Obſervations fur cet Ouvrage ; qu'il
a éxaminé curieusement l'érudition dont
M. de Montesquieu accompagne & rcléve
le fond de ſa Doctrine , & qu'il y
a trouvé de grandes défectuofités. C'eſt
parlà qu'il commence la critique de l'EC
prit des Loix , diviſée en deux parties.
Dans l'une on montre les défauts d'exactitude
dans les Faits hiſtoriques ; dans
l'autre les faux principes en matière de
Métaphyfique , de Morale&deReligion.
DICTIONNAIRE portatifde Médeci
ne , d'Anatomie , de Chirurgie , de Pharmacie,
de Chymie , d'Hiſtoire naturelle ,
de Botanique & de Phyſique ; qui contient
les termes de chaque Art , leur
Etymologie,leur définition & leur explication
, tirésdes meilleurs Auteurs ; avec
un Vocabulaire grec & latin , à l'ufage
de ceux qui liſent les Auteurs an
ciens ; Ouvrage utile à ceux qui prati--
quent les Arts , & néceſſaire aux Etudians
; par Jean François Lavoifien , ancien
Chirurgien des Hôpitaux des Armées
du Roi , & Maître en Chirurgie
à Eu. A Paris , aux dépens de P. Fr.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE .
Didot le jeune , quai des Auguſtins ;
1764 ; avec approbation & privilége
du Roi. 2 Vol. in-8°. reliés en un ſeul ,
dont le prix eſt de 5. liv .
On n'entreprend pas de former des
Médecins , des Chirurgiens , des Pharmaciens
, &c , par la lecture de ce Dictionnaire
; on veut ſimplement les initier
au langage de ces Sciences. On veut
leur faire connoître l'étymologie des
termes , leurs définitions , &c ; ce que
perſonne n'avoit encore entrepris d'une
façon auſſi complette.
MÉLANGE d'Hiſtoire Naturelle , par
M. A. D. Avocat en Parlement , & aux
cours de Lyon ; à Lyon , chez Benoît
Duplain, rueMerciere, à l'Aigle , 1763 ;
avec approbation & privilége du Roi ;
2 vol. in-8. petit format. Avec cette
Epigraphe : Quam magnificafunt opera
tua,Domine ! Omnia inſapientiafecifti ;
impleta eft terra poſſeſſione tua. Pr. 103.
Les différentes piéces qui compoſent
ce Recueil , ont paru ſucceſſivement
dans les Ouvrages périodiques , ou ont
été lues dans différentes Académies de
l'Europe. On a raſſemblé en un ſeul
corps , ce qui étoit épars dans une infinité
de volumes. On y trouve pluſieurs
FEVRIER. 1764. 129
Mémoires de M. Linoeus , ce fameux
Naturaliſte du Nord ; les Géer , les Altman
, les Treffan , les Tozzetti & d'autres
Naturaliſtes avantageuſement connus
dans la République des Lettres ,
achevent de completter cette collection.
L'Editeur n'a fait que corriger le
ſtyle de pluſieurs Mémoires qui avoien
beſoin de ce ſecours pour paroître en
Public.
ALMANACH de la ville de Lyon ,
pour l'année Biſſextile 1764 ; à Lyon
chez Aimé de Laroche , Imprimeur de
Mgr l'Archevêque & du Clergé , &c .
aux Halles de la Grenette ; 1764 ; Vol .
in-8°.
Cet Ouvrage eſt pourla villede Lyon
&tout le Gouvernement Lyonnois , ce
qu'eſt pour Paris le grand Almanach
Royal qui s'imprime avec tant de ſuccès
& une utilité ſi générale , chez Lebreton
, Syndic des Libraires , rue de la
Harpe.
ORDRE chronologique des deuils de
Cour, avec un précis de la vie & des
ouvrages des Auteurs qui font morts
dans lecoursde l'année 1763 ; à Paris,
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
de l'Imprimerie de Moreau , rue Galande
, 1764; Brochure in- 16 .
Pluſieurs perſonnes qui ont ſouſcrit
pour les Avis du deuil , ont defiré qu'on
leur donnat , par forme de ſupplément ,
dans les derniers jours de Décembre ,
une récapitulation hiſtorique des Princes
morts pendant le cours de l'année.
Cette idée en a fait naître une autre :
c'eſt d'ajouter à cette récapitulation le
nécrologe des perſonnes célèbres dans
les ſciences ou dans les arts , mortes
dans le même eſpace de temps , avec
un précis de lear vie & de leurs ouvrages.
Des écrivains connus ſe ſont
chargés de veillerà la rédaction de ces
mémoires , qui ſe diſtribueront régulièrement
à la fin de chaque année.
On invite les Artiſtes à contribuer euxmêmes
à ces honneurs rendus à leurs
confrères , en faiſant parvenir au Bureau
les anecdotes dont ils auront connoiffance.
Les perſonnes qui ne voudront
que les avis de deuil accoutumés , continueront
à les recevoir pour le prix de
3 liv. par année & de 6 liv. francs de
port pour les Provinces. Celles qui defireront
la récapitulation hiſtorique des
deuils & le nécrologe des Artiſtes ,
payeront 6 liv. à Paris ,& dans les Pro
FEVRIER . 1764 . 131
vinces 9 liv.franc de port. On foufcrira
dorénavant pour les uns & pour les autres
, au Bureau général d'indication , à
Phôtel d'Aligre , rue S. Honoré . On a
donné cette année le précis de la vie de
MM. de Marivaux , Peffelier & Bougainville.
:
M. de Garfault , Auteur du Nouveau
Parfait Maréchal , & Membre de la So
ciété Royale d'Agriculture de Paris ,
ayant deffiné dans le courant de plufieurs
années un grand nombre de plantes
d'après nature , ainſi que quantité
d'Animaux , s'eſt déterminé ſuivant les
Conſeils de M. de Juffieu , a faire graver
ce qui dans ces deux regnes ſe trouve
d'uſage en Médecine ; & afin de rendre
la matiére médicale parfaitement inf
tructive , il a ſuivi en entier celle de M.
Geoffroy comme étant une des meil
leures. 1
CE Recueil qui eſt in-8°. comment
ce donc par les figures des Plantes exotiques
ou étrangères ; enſuite viennent
les Plantes indigénes ou de nos climats ,
&enfin les Animaux ; ce qui compoſe
730. Planches de cuivre gravées en taille
douce.
L'Auteur donne avis que l'on a comm
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
commencé à imprimer le tout , &qu'il
yen aura pluſieurs Exemplaires à vendre
dans le courant du mois de Mai 1764.
Le prix de l'Exemplaire eſt 48 livres ;
mais en attendant , les perſonnes qui défireront
en avoir des premiers peuvent
s'adreſſer dès à préſent chez l'Auteur ,
rue S. Dominique près la rue S. Jacques;
&en donnant un Louis , qui eft
la moitié du prix , il leur ſera livré une
reconnoiffance qu'ils rapporteront lors
de la vente , en payantle reſtant du prix.
LEMANUEL des Champs , ou recueil
choiſi , instructif & amusant de tout ce
qui eſt le plus néceſſaire , & le plus
utile pour vivre avec aifance & agrément
à la campagne ; par M. Chanvallon
, Prêtre de l'Ordre de Malthe , à Paris
, chez Lottin le jeune , Libraire , rue
Saint Jacques , vis-à-vis la rue de laParcheminerie
, 1764. avec Approbation &
Privilége du Roi.
- Cet ouvrage eſt diviſé en quatre Parties.
La premiere traite du potager , des
arbres fruitiers , de la taille , de la greffe ,
de la culture des fleurs , des arbriffeaux ,
enfin du Jardin d'ornement. La deuxiéme
, des terres labourables , des près , des
vignes , de la façon& qualités des Vins
FEVRIER. 1764. 133
de la Bierre , du Cidre , de l'Hydromel ,
&c. des Bois , de la Chaffe & de la Pêche.
La III . des Chevaux , des Bêtes à
cornes , des Bêtes à Laine , des Volailles ,
des Oiseaux ſauvages qui s'apprivoiſent
aiſément , des Mouches à Miel & des
Vers-à- Soie. La IV. & derniére partie ,
dela Cuiſine , de la Pâtiſſerie , des Confitures
,des Liqueurs & autres choſes néceffaires
ou utiles pour l'ufage de la vie.
Le tout en un fort Volume in- 12. de
près de 600 pages , 1764. L'Auteur a
puiſédans les meilleurs Traités & les plus
étendus ; & il a recueilli en un ſeulVolume
, l'eſſentiel& le plus intéreſſant à
ſcavoir , pour conduire avec ſuccès un
Biende Campagne , & pour y vivre avec
aiſance& agrément. On remarque ici
quelques articles qui ne ſe trouvent point
dans laMaiſon ruſtique &dans les autres
Ouvrages les plus connus &les plus rée
pandus fur cette matière. Ce Livre peut
convenir à une infinité de Perſonnes qui
au défaut d'étude , de faculté , ou de
temps , ne peuvent lire les Traités plus
étendus d'où il eſt tiré. L'Auteur nous.
paroît n'avoir rien ignoré , ni rien omis
de tout ce qui peut rendre ce Recueil
d'une utilité générale.
1.
134 MERCURE DE FRANCE.
Le même Libraire Lottin le jeune ,
propoſe au Public à un Rabais confidérable
les Livres ſuivans d'ici au 1.
Avril :
>
ABREGE' Chronologique , ou Nouvelles
Annales de Paris contenant l'Hiftoire
de la ville de Paris avec ſes divers
accroiſſemens , &c. par Don Touffaints
Dupleffis , Religieux Benedictin de la
Congrégation de S. Maur ,Vol. in-4° .
(qui ſe vend 9 liv.) actuellement en feuilles
à 3. liv. 10. f.
Chriftiani cordis gemitus , &c.; ou
gemiſſemens d'un coeur Chrétien , contenant
des Prieres tirées des Paroles &
remplies de l'eſprit des Saintes Ecritures
&des S. Peres par M. Hamon , 2 Vol .
in- 12. ( qui font de 5 liv. ) actuellement
les 2. Vol. en feuilles 25. f.
TRACTATUS de Sacramento Confirmationis
par Vuitaſſe , 2 vol . in- 12 .
(qui font de 5 liv. ) actuellement les
2 vol en feuilles 25 f.
Ejufdem Tractatus de Ordine 2. Vol.
in - 12 ( qui ſont de 5 liv. ) actuellement
les 2 Vol. à 25. f.
BREVIARIUM Ecclefiafticum , editi
jam Profpectus executionem exhibens, in
gratiam Ecclefiarum in quibus novafaFEVRIER.
1764. 135
cienda erit Breviariorum Editio , 2. forts
Volumes in-12. bien imprimés ( qui
font de 7. liv . ) actuellement les 2 Vol.
en feuilles 2. liv. Le même Libraire vend
pluſieurs Livres à l'uſage des Eccléfiaftiques
,& beaucoup d'Ouvrage de Piété.
ESSAI politique ſur la Pologne ; à
Varsovie , de l'Imprimerie de Pfombka ;
& ſe trouve à Paris , chez Briaſſon ,
Libraire , rue S. Jacques , à la Science ;
1764 ; brochure in- 12 .
Le Roi & fon Pouvoir , le Sénat &
les Miniſtres , l'Ordre Equeſtre & les
Officiers de la Couronne,les Affemblées
politiques pendant le Règne , les Affemblées
dans l'Interrègne ; les Loix des Af
ſemblées civiles , la Milice & les forces
de la Pologne; les droits& les intérêts de
la République ; la Religion ,les moeurs ,
le climat & les productions du Pays ,
forment les douze Chapitres de cette
Brochure , que les circonstances préſentes
rendent intéreſſante.
PROJET d'une École gratuite de
Sciences par toutes les Provinces du
Royaume , où tous les Citoyens , de
quelque ordre qu'ils foient , trouveront
les ſecours de l'éducation ; avec cette
136 MERCURE DE FRANCE .
Epigraphe : Quo femel eft imbuta recens
fervabit odorem testa diu. Hor. Nouvelle
Edition ; par M. Fleury , ancien Profeffeur
Royal de Mathématiques & de Génie
; en France , 1764 , brochure in- 12.
Ce Projet a trois parties. La première
développe les avantages qui réſulteront
de l'École projettée. La ſeconde indique
les moyens de remplir ce Projet. La troifiéme
répond aux objections qu'entraînenttoujours
les nouvelles entrepriſes.
MES RÉCRÉATIONS , ou Recueilde
diverſes Pièces choifies ; à Amsterdam ,
& ſe trouve à Paris , chez Langlois
fils , rue de la Harpe , à la Couronne
d'or; 1763, brochure in- 12 .
Pluſieurs petits Ouvrages de Poësie ,
tels que des Fables , des Odes , des
Rondeaux, des Chanſons , des Enigmes,
des Epitres , &c . quelques Ouvrages en
profe , & en particulier une Pièce de
Théâtre intitulée , la Réformatrice imprudente
: voilà ce qui compofe cette
Brochure d'environ 150 pages .
NOUVEAU Catalogue de Cartes Géographiques
& Topographiques ; Plans
de Villes , Siéges & Batailles , Cartes
FEVRIER. 1764. 137
Marines , Cartes Aſtronomiques & de
Géographie ancienne ; Cartes & Plans
de pluſieurs feuilles , avec leur grandeur;
divers Atlas , Mémoires ou Analyſes de
Cartes ; Sphères & Globes , &c. diviſe
en deux parties ; prix 1 liv. 16 f. broché.
AParis , chez R. J. Julien , à l'Hôtel de
Soubiſe , & par commiffion, à Nuremberg,
chez les Héritiers d'Homann , à la
Haye, chez Goffe & Pinet , & à Londres
, chez André Dury , 1763.
Ce Cataloguedu Sieur Julien , qui eſt
de 230 pages in- 12 , en caractères petittexte
, contient 16 à 1700 articles , qui
compoſent près de 7400Cartes ou Feuilles
différentes , &leur prix. Il eſt divifé
en quatre chapitres , & ces chapitres en
cinquante-deux fections.
Le chapitre premier contient lesCartes
générales & particulières des quatre
parties du Monde , & des Etats qu'elles
comprennent en 976 articles. Le chapitre
ſecond donne , en 286 articles ,
les plans des Villes , Siéges & Batailles.
Le chapitre troiſiéme préſente les Cartes
Marines , Cartes Aftronomiques
& de Géographie ancienne , & 147
Cartes& Plans de pluſieurs feuilles propres
à ornerdes Galleries & Maiſons de
138 MERCURE DE FRANCE.
campagne , en les faiſant coller fur toile,
&monter fur gorge & rouleaux. Le
chapitre quatrième renferme divers
Atlas particuliers , au nombre de quarante
- quatre ; des Mémoires ou Analyſes
de Cartes ; Méthodes & Traités de
Géographie ; Sphères & Globes , &c.
On trouve à la fin de la première
partie du Catalogue , 1º, une Table des
chapitres & fections ; 2°. les noms des
Auteurs & Editeurs des Cartes , par ordre
alphabétique , leurs pays & en quelles
langues elles sont dreſſées ; 3°. la
Liſte de 175 feuilles de la Carte Topographique
de la France , levée& publiée
par ordre du Roi , ſous la direction de
MM. Caffini de Tury , Camus & de
Montigny , de l'Académie Royale des
Sciences. On a diftingué dans cette Liſte
les 68 Feuilles qui ont paru juſqu'à préſent;
elle eſt ſuivie de pluſieurs moyens
de rendre cette Carte d'un uſage plus
ou moins commode ſelon le plus ou
le moins de dépenſe qu'on veut y faire ;
4°. Recueil des plus beaux coquillages
gravés & peints d'après le naturel par
ordre du Roi de Dannemarck ; par le
fieur Regenfus , Graveur du Cabinet de
SaMajeſté : très-grand in-fol. en papier
FEVRIER. 1764. 139
de grand Aigle d'Hollande. La ſeconde
partie du Catalogue, renferme les mêmes
Cartes de la premiere Partie , avec leurs
titres beaucoup plus détaillés : elles y
ſont partagées de manière qu'on trouve
de fuite les Cartes de chaque Auteur ;
au lieu que dans la premiere partie elles
ſont diſtribuées dans un ordre géographique
, qui peut ſervir de modele pour
former des Atlas plus ou moins volumineux.
INTRODUCTION à la lecture des Au
teurs Allemands , pour l'usage de l'Ecole
Royale Militaire ; ſervant de ſuite
aux nouveaux principes de la Langue
Allemande , publiés parM. Junker,Docteur
en Philofophie , Profeſſeur de la
Langue Allemande à l'Ecole Royale
Militaire , Membre ordinaire de l'Académie
Royale Allemande de Gottingue.
AParis , chez Mufier , Fils , Libraire ,
quai des Auguſtins , au coin de la rue
pavée , à S. Etienne. Avec approbation
& privilège du Roi; 1763. Vol. in- 12 .
Avec le ſecours de ce Livre , on apprendra
aisément & en peu de temps,
la Langue Allemande: On y léve toutes
les difficultés qui arrêtent les commencans
; & avec la ſeule connoiſſance de
140 MERCURE DE FRANCE.
ladéclinaiſon &de la conjugaison , cet
Ouvrage menera fort loin ceux qui le
prendrontpourguide. L'Auteur a choiſi
pour texte les Fables &Contes deGellert
, Auteur très-eſtimable par l'élégance
& la pureté de ſon ſtyle , ainfi
que par les grâces de ſon eſprit. Il a mis
au bas de chaque page des notes qui
facilitent le ſens littéral du Texte .
:
LES Révolutions de l'Univers repréſentées
en 30 Cartes géographiques
chacune de deux feuilles , avec des remarques
& des obſervations fur chacuned'elles
: Ouvrage deſtiné à facilter la
lecture & l'étude de l'Histoire Générale.
Paris , 1763. in- fol. forme d'Atlas.
Cet Ouvrage fe débite chez le fieur
Julien Géographe , Cour de l'Hôtel de
Soubife. Il ſe vend 60 liv. en blanc ,
c'eſt àdire enluminé & non relié.
L'Auteur a fait tirer un petit nombre
des Remarques dans la forme in -12 . On
en trouvera des éxemplaires chez Cavelier
, Libraire , rue Saint Jacques , au
Lys d'Or , chacun ſe vend 36 ſols broché.
Le fieur Monier , relieur , rue Saint
Jean de Beauvais , proche le paſſage
de Saint Jean de Latran , aſſemble &
FEVRIER. 1764. 141
relie ces Cartes d'une manière commode&
propre.
LES JEUX D'ENFANS , Poëme tiré
du Hollandois ; par M. Feutry , avec
cette Epigraphe : Non meræ nuga ; à
la Haye ,& ſe trouve à Paris , chez
Durand , neveu , Libraire , rue S. Jac-:
ques, à la Sageſſe ; 1764; très-petite brochure
in-16.
M. Feutry n'a pris que le titre& l'idée
générale d'une piéce qui ſe trouve
dans un Recueil de Poëſies Hollandoiſes
du célébre Carız. Quelques mots de ce
Poëme en feront connoître le ſujet.
»Attiré par le charme d'un beau jour ,
>une foule d'enfans aimables s'échap-
» pent de la triſte enceinte d'une Ville,
»& vient ſe répandre au loin ſur le ga-
>> zon fleuri. Là, ſemblables à de tendres
» agneaux , ces enfans bondiffent ; ils
>>ſe diſperſent par petites bandes que
>> forment naturellement leurs inclina-
>>>tions & leurs goûts ; & ils commen-
> cent bientôt leurs jeux différens. Ce
font ces jeux , tels que le Colin-maillard,
le Balon , le Cerf-volant , &c. &c.
que décrit M. Feutry. Chaque jeu eſt
accompagné d'une moralité qui rend
ceLivret auffi utile qu'agréable.
142 MERCURE DE FRANCE .
DICTIONNAIRE médicinal portatif,
contenant une méthode ſure pour connoître
& guérir les maladies critiques &
chroniques , par des remédes ſimples &
proportionnés à la connoiſſance de tout
le monde ; & pluſieurs remédes particuliers:
on y a joint un Dictionnaire
abrégé des plantes uſuelles. Par M. ***
Docteur en Médecine ; à Paris , chez
d'Houry , Imprimeur - Libraire de Mgr
le Duc d'Orléans , rue de la vieille Bouclerie
; 1763 ; avec approbation & privilége
du Roi. Vol. in- 12 de 600 pages .
Prix , 3 liv. relié .
Le titre de ce Livre en fait ſuffifament
connoître l'objet & l'utilité , &
nous difpenfe d'entrer dans d'autres dé .
tails.
HISTOIRE de Dannemarck , par M.
Mallet ; à Genève , & ſe trouve à Paris
chez Robustel& Charpentier , Libraires,
quai des Auguſtins , 6 vol . in- 12 .
Avant que nous entreprenions de
rendre un compte plus détaillé de cet
Ouvrage curieux , nous indiquerons ce
que contient chaque volume. Le premier
est une introduction à l'Hiſtoire
du Dannemarck , où l'on traite de la religion
, des loix , des moeurs &des ufaFEVRIER.
1764. 143
ges des anciens Danois. Cette partie
avoit déja été imprimée , & nous en
avions parlé dans quelques-uns de nos
Mercures. Il en eſt de même du ſecond
volume , qui contient les monumens de
laMythologie & de la Poëfie des anciens
Peuples du Nord. Le troiſième tome
commence à l'établiſſement de la Monarchie
Danoiſe , juſqu'à la mort de
Valdmar le Victorieux en 1241. Le
quatrième eſt depuis la mort de Valdmar
, juſqu'à l'avénement de la Maiſon
d'Oldenbourg au Trône , en 1448. Le
cinquième , depuis cet avènement , jufqu'à
la dépoſition de Chrétien II. Le
fixiéme s'étend depuis cette dépofition ,
juſqu'à la Paix de Stetin .
MÉMOIRES hiſtoriques , critiques ,&
Anecdotes des Reines & Régentes de
France , avec ces Epigraphes : Copia
judicium fæpe morata meum eft. Ovid.....
Nec in cunctis fervat fortuna tenorem.
Manil..... Utile quidfit , profpiciunt. Juven.
Sat. 6 ; à Amſterdam , chez Néaulme
, Libraire , & ſe trouvent, à Paris ,
chez les mêmes Libraires que l'Ouvrage
précédent ; 1764 ; 7. vol . in- 12 .
Nous nous contenterons aujourd'hui
de cette fimple annonce ; l'Ouvrage eſt
144 MERCURE DE FRANCE.
de nature à fournir plus d'un Extrait :
nous pourrons donc y revenir pluſieurs
fois.
APPEL des Étrangers dans nos Colonies
; à Paris , chez Deſſain junior ,
Libraire , quai des Auguſtins ; 1763 ,
brochure in- 12.
L'Auteur , qui ne ſe nomme point ,
nous apprend qu'il a déja donné au Publicun
TraitéfurlerappeldesProteftans
en France ; & un autre Ouvrage relativement
à la Police ſur les Mendians , les
Vagabonds , les Filles proſtituées ,& les
gens fans aveu. L'objet qu'il ſe propoſe
eſt de rendre notre population plus
nombreuſe & plus robuſte , en chaffant
l'oiſiveté & le libertinage. Son
but aujourd'hui eſt de prouver la néceffité
où nous ſommes d'appeller dans nos
Colonies , & même parmi nous , dans
nos Provinces , autant de Peuplades
étrangèresque nous pourrons eny atti
rer de l'un & de l'autre ſéxe ; & de les
y inviter même par des établiſſemens
avantageux.
MÉMOIRES ſur les Manufactures de
Draps & autres étoffes de Laine ; à Paris
, chez Saugrain le jeune , rue du
Hurepoix ,
FEVRIER. 1764 . 145
Hurepoix , a la Fleur de Lys d'or, 1764 ,
brochure in- 12.
CeLivre eftdiviſé en deux parties.Dans
la première , l'Auteur parle des Laines
d'Eſpagne , & de la manière de les mettre
en oeuvre: Dans la ſeconde , de celles
de France , & de la façon de les employer.
Il commence par les plus petites
opérations de la Fabrique des Draps. Il
prend les Laines immédiatement après
qu'elles font coupées ; il continuejuſqu'à
la parfaite réduction de ces laines en
étoffes. Il joint des remarques fur chaque
opération , ſoit pour les perfectionner
, ſoit pour en corriger les défauts, &
il faitdes deſcriptions ſuccinctes des machines
& inftrumens néceſſaires.
LES Intrigues hiſtoriques & galantes
du Serrail , ſous le Règne del'Empereur
Selim; à la Haye , & se trouvent à
Paris, chez Duchefne , rue S. Jacques',
au Temple du Goût , 1764 , brochure
in- 12 , en deux parties.
Cet agréable Roman eſt écrit avec
eſprit , & préſente des détails de moeurs
Turques & Françoiſes , qui ont beaucoup
de rapport avec ce qu'on trouve
dans le Conte de Soliman II.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
1
NOUVELLE Traduction de divers
morceaux choiſis des OEuvres de Plutar
que ; par M. l'Abbé Lambert ; à Paris ,
chez Panckoucke , rue & à côté de la
Comédie Françoiſe ; avec Approbation
& Privilége du Roi ; 1764 , I vol, in- 12,
Les divers morceaux de Plutarque ,
traduits par M. l'Abbé Lambert , font un
Traité ſur l'Ame des Bêtes , l'Examen du
Syſtème d'Epicure , les Faits mémorables
des Dames illuſtres de l'ancienne
Gréce, les moyens de réprimer la colère ,
le Traité de l'Avarice, & un autre Traité
fur le Contentement de l'Eſprit.
L'OPTIQUE , ou le Chinois à Memphis
, Eſſais traduits de l'Egyptien ; à
Londres , chez Michel Rey , Libraire ;
1763 , deux parties in 12 , dont nous
ne tarderons pas de donner un Extrait.
On en trouve des Exemplaires à Paris ,
chez Nyon , quai des Auguſtins , &
chez Knapen , au Palais.
TRAITÉ de Paix entre Descartes &
Newton; précédé des Vies littéraires de
ces deux Chefs de la Phyſique moderne ;
par le P. Aimé-Henri Pauliam , Profefſeurde
Phyſique au College d'Avignon ,
de la Compagnie de Jeſus ; à Avignon ,
FEVRIER. 1764. 147
chez Girard , Imprimeur- Libraire , à la
Place S. Didier ; 1763 ; avec permiffion
des Supérieurs : trois volumes in- 12.
Nous parlerons plus amplement de cet
Ouvrage.
L'ÉLEVE de la Nature ; avec cette
Epigraphe : Meare de cælo ad terram , de
terra adfidera mundi. Lucrece , liv. 1 , à
Amsterdam , & ſe trouve à Par is chez
Panckoucke , rue & à côté de la Comédie
Françoiſe ; 1764 ; 2 parties , formant
un vol. in - 12.
L'Auteur ſe propoſe dans la première
partie de cette eſpèce de Roman , de
former un honnête homme , heureux
par lui-même ; & dans la ſeconde , de
rendre cet honnête homme encore plus
heureux , en en faiſant un bon citoyen.
HISTOIRE de la Réunion de la Bretagne
à la France , où l'on trouve des
Anecdotes fur la Princeſſe Anne , fille de
François II, dernier Duc de Bretagne ,
femme des Rois Charles VIII & Louis
XII ; par l'Abbé Irail: avec cette Epigraphe
: Connubiojungam ftabili , propriamque
dicabo. Vig. Eneid. Lib. 1. à
Paris , chez P. E. Germ. Durandneveu,
ue S. Jacques , à la Sageſſe ; 1764; avec
(
1
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
approbation & permiffion , 2vol. in- 12.
prix des deux volumes reliés en un , 21,
10 f. Nous enpromettons un Extrait.
.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES
ACADÉMIES.
SÉANCE publique de l'Académie
Royale des Belles - Lettres de CAEN.
L'ACADEMIE Royale des Belles
Lettres de Caën fit l'ouverture de ſes
Séances publiques le Jeudi 1. Décembre
1763. M. Le Clerc , Avocat , chargé de
l'Eloge de Louis le Grand, Fondateurde
l'Académie , lut un diſcours ſur le bonheur
attaché à l'amourde la vertu : il la
définit l'amour actif& vrai de tout ce qui
eſt bien , & l'averfion ſincère de tout
ce qui eſt mal. Il prouve qu'elle fait le
bonheur des hommes ; 1 ° . parce qu'elle
procure la paix de la confcience. 2°. Parce
qu'elle mérite l'eſtime des hommes.
Il fait voir que cette eſtime n'appartient
qu'aux vertueux , dont il fait le por-
:
1
FEVRIER. 1764. 149
trait. " Ici je crois entendre les detrac-
>> teurs de la vertu , ſubſtituer à ce por-
>>>trait celui de Socrate dans les fers.
" Voilà , diſent-ils , le plus éclairé , le
>>>plus ſage , & le plus juſte de tous les
>>>hommes.... Que lui fervent ſes ver-
" tus ? ... Ames abjectes , qui ne voyez
> dans ſa condamnation que le moment
>> fi terrible pour vous , qui ſépare le
>>> tems de l'éternité , ſuivez Socrate dans
>> ſon cachot ,& lifez dans ſon coeur,
» Vous y verrez le triomphe de la ver-
» tu.... d'où lui viennent cette fermeté ,
>> cette conſtance que la vue de la mort
>>> ne peut altérer ? Il les doit à la vertu ...
>> Néron expirant , voit le Ténare en-
>> tr'ouvert ſous ſes pieds: il ſe croit
>>>poursuivi par les Furies . Socrate meurt
» en paix , fans frayeur & fans foi-
>>>bleſſes.
3°. Enfin , parce que l'homme vertueux
, eſtimé , même des méchans , eſt
moins perſécuté qu'eux. Il le prouve
par des exemples tels que celui de Sully,
emportantdans ſa retraite, ſes vertus , ſes
ſervices , & l'ingratitude des hommes.
Lorſque leMaréchal d'Ancre eſt ignominieuſement
traîné dans les rues après
ſa mort. " A quoi bon , dit M. le C....
>> prendre ces exemples dans les Cours ,
Gin
150 MERCURE DE FRANCE .
» & parmi les Grands? ... Cherchons-
>>les dans le Peuple... Les Laboureurs ,
>>les Artiſans ignorent l'Art perfide
» qu'on nomme Politique : ils traitent
>>de fripon celui d'entreux , qui ravit le
>> bien d'autrui... Ils reſpectent au con-
>> traire , celui dont la probité leur eſt
» connue. Ils diſent de lui , c'eſt un
>> honnête-homme : & ils attachent au
>> mot honnête les idées qui lui convien-
» nent... Quel homme ne ſe ſent pas ten-
>>drement ému,au récitd'une action gran-
>> de& vertueuſe? il aime, il prend un vif
» intérêt à celuiqui l'a faite. Il voudroit
>> lui témoigner ſon eſtime... Combien
ne l'indigne-t-on pas quandon lui racon-
>> te ces traits de noirceur &de ſcéléra-
>>teffe,qui ſemblent porter une flétriſſure
>> ſur l'eſpèce humaine ! .... Sentimens
>> précieux gravés dans nos coeurs par la
>> Divinité , puiffiez-vous agir encore
>> plus puiſſamment ſur les foibles hu-
>> mains ! Fortifiez en eux l'amour de
...
la vertu & l'horreur des vices. Ils ne
>>peuvent devenir meilleurs fans de-
» venir plus heureux. C'eſt à la ver-
>> tu qu'eſt attachée la paix de la conf-
>> cience. Eſtimée , même des méchans ,
>> moins perfécutée que le vice elle
>>>donne des forces pour foutenir l'ad-
و
FEVRIER. 1764. 151
» verſité .... Vous connûtes tous ces
> avantages de la vertu , grand Prince ,
>> dont je dois aujourd'hui célébrer la
» mémoire !
C'est ainſi que l'éloge de la vertu
conduit M. le C ... à celui de LOUIS
te Grand. M.de Fontette, Intendant de la
Généralité , & Vice- Protecteur , préſidoit
à la Séance. Il répondit au Difcours
de M. le Clerc. Il convient que quand
la vertu ſe borne au defir , à l'affection
& au Sentiment , le coeur qui la renferme
ne doit trouver de bonheur qu'en
lui même. » S'il ſe produit au dehors
>>par des effets , ſi l'homme vertueux
>> a le mérite d'exécuter , d'accomplir
» & de pratiquer , la vertu brille à tra-
>>vers les nuages de la corruption ....
>>Elle attire le reſpect des Courtiſans :
>> elle mérite la confiance du Trône.
» Si les talens étoient toujours l'apana-
>>>ge des vertus , toujours elles euffent
✔été les Miniſtres de nos Rois. Ils ſe
>>>font honneur de leur rendre hommage.
>> Le règne de notre Auguſte Fonda-
>> teur en offre mille éxemples . Il ne
>>feroit pas difficile d'en trouver as.ant
>> fous celui de LOUIS LE BIEN-AIME .
Du bonheur attaché à l'amour des
vertus , M. de F ... paſſe à l'éloge du
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
projet qui tendroit à déraciner l'arbitraire
fatal qui ruine l'agriculture , le
Commerce , & l'aiſance des Peuples.
Il fait voir que l'arbitraire dans la répartition
des impoſitions , eſt la ſource
de nos maux : & que tant qu'on n'y remédiera
point , il eſt inutile de propofer
les moyens de faire fleurir le commerce.
M. de F... prend de- là occafion
de parler des Diſcours qui ont concouru
pour le Prix de l'année , & qu'aucun
d'eux n'a mérité . ( a )
Le Sujet de 1763 , étoit : Quelles ont
été les révolutions,&c. La queſtion fur
>> les révolutions du Commerce , ajoute-
>> t- il, n'a été bien traitée que par le Dif-
>> cours Nº. 2. le ſtyle en eft vif: ( b ) &
> nous nous ſommes déterminés à en
>> donner la lecture , comme une récom-
>> penſe due à l'Auteur.
On lut ce Difcours . Il commence par
un précis très-faillant de l'Histoire des
Normands Guerriers occupés à fonder
des Royaumes , pendant que les Peuples
travailloient à conferver la Normandie ,
par la culture , la multiplication des beftiaux&
le Commerce. Caen devint une
* ( a ) C'eſt M. de Fontette qui donne ce Prix.
( b ) Ce diſcours eſt de M. Boullard , le jeune ,
Avocat , fils de M. Boullard , Profeſſeur enMédecine.
FEVRIER. 1764. 153
Ville floriſſante , par les privilèges que
pluſieurs Rois Anglois_lui accordérent.
Unie à la France par Jean I , repriſe
par l'Anglois , fous Charles VI, & à
lui enlevée par Charles VII , ſon Commerce
tomba par ces variations & ces
troubles. Il eût pu ſe rétablir ſous Louis
XI, qui lui accordoit deux foires. Elles
furent enlevées à la Ville de Caën , ſept
ans après leur création , par les Habitans
de Rouen. Malgré cet événement le
Commerce devenoit floriſſant. L'Eſpagne
, l'Italie , l'Angleterre & tous les
Peuples du Nord ſe diſputoient nos marchandiſes.
Nous étions navigateurs. Un
Normand découvrit les Iſles du Golfe
S. Laurent . Un autre toutes les côtes de
l'Affrique . Tout ſembloit devoir nous
promettre le plus grand Commerce.Tout
diſparut inſenſiblement. Notre Ville perdit
ſes manufactures de haute- liſſe; les impofitions
, qu'on mit ſur les cartes , nous
enlevérentcette branche du Commerce :
le luxe& les guerres civiles firent tomber
nos manufactures , & la révocation de
l'EditdeNantes nous enleva nos Artiſtes.
Malgré cela le Commerce peut ſe rétablir.
Des cauſes Phyſiques , la qualité
du climat , celle du terrein , la bonté de
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
nos eaux & la proximité de la mer nous
le font eſpérer.
,
le
» Il eſt fâcheux , reprit M. de Fontette
>> après cette lecture , que la partie de
» ce Diſcours qui concerne le rétabliſ-
» ſement du Commerce ne réponde
>> point à la première. Les moyens que
>> propoſe l'Auteur , ont , comme ceux
>> des Diſcours qui ont concouru
» défaut commun d'être généraux & de
" convenir à toutes les Provinces du
» Royaume. Aucun de ces Difcours n'of-
>> fre rien qui rempliſſe les vues d'utilité
>> que nous en attendions. Elles le font
» bien mieux dans de fimples éſſais faits
>> par l'Auteur couronné l'année der-
» nière. ( c ) Non pour diſputer un
>> Prix dont il eſt exclu par ſa qualité
>> de Secrétaire de l'Académie , mais
>> comme un Juge fcrupuleux & intel-
>>ligent qui étudie& jette de grandes
>>lumières ſur la queſtion propoſée.
M. Rouxelin lut ſes Eſſais . Ils débutent
par le defir qu'il auroit d'enrichir
( c) M. Rouxelin , Procureur du Roi de la Maitrifedes
Eaux & Forêts de Caen , eſt l'Auteur du
Diſcours ſur les défrîchemens , qui fut couronné
en1762 ,&qui lui mérita les titres d'Académicien
&de Sécretaire perpétuel de l'Académic.
FEVRIER. 1764 . 155
promptement ſa Patrie. C'eſt dans cette
vue qu'il propoſe à ſes Concitoyens de
civilifer quelqu'une des Nations féroces
des Côtes de l'Afrique , d'en faire un
Peuple d'Alliés , de leur communiquer
nos beſoins& nos modes & de partager
avec eux les métaux qu'ils tiennent des
mains de la Nature .
Il définit le Commerce , » l'échange
» que pluſieurs Peuples font entr'eux ,
» des fruits que la terre leur donne , &
>> des Ouvrages que conſtruit l'induſtrie..
>> L'homme n'a que deux moyens de ſe
> procurer ce que la Nature & l'Art lui
>> refuſent. C'eſt l'ufurpation , & l'é-
>> change. Le premier eſt un brigan-
>> dage. Le Commerce eſt donc un be-
» foin.
M. R..... diftingue l'eſprit & la ma .
tière du Commerce. Il ne parle de fon
efprit , que relativement à la néceffité
des Canauxdu tranſport. Il les fait confifter
en Ports de mer , en Rivières navigables
& en routes qu'on puiffe pratiquer.
Il convient du beſoin qu'a ſa
patrie des uns & des autres. Il établit la
néceſſité des chemins par un tableau
de quelques cantons de la Province,
dont on n'exporte rien , parce qu'on ne
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE .
peut en approcher. » Donnez , dit- il ,
>>>des routes & des manufactures aux in-
>> fortunés habitans de ces lieux ; pro-
» curez - leur furtout la certitude de
>> jouir du fruit de leur travaux , & vous
>> les verrez devenir laborieux.
Il paſſe aux objets qui font la matière
du Commerce. Ils conſiſtent en
denrées & beftiaux d'un pays ; & ils
font encore formés par les ouvrages des
Peuples qui l'habirent. De-là , M. R...
conclut que pour fonder un Commerce
on doit conſulter & la nature de ſon
terrain ,& le genre d'induſtrie de ſa Nation.
C'eſt ce qu'il fait : & il entre dans
des détails , qui , quoique très-précis ,
ne ſont pas fufceptibles d'extrait.
Il prouve qu'il eſt trop de terres en
herbe , ruineuſes lorſque les herbes font
abondantes & contraires à la population.
Il parle des chevaux normands , qu'on
éléve avec une economie déteſtable ,
des laines du pays, des boiffons ,des volailles
, beures , fromages & autres denrées
qui font prèſque ſans valeur par
notre faute. Il paroît perfuadé que la
Normandie fourniroit beaucoup de
grains à la Capitale , fi on y cultivoit
tout, & fi on vouloit y facrifier les préjugés
aux conſeils des ſociétés d'agriculFEVRIER
. 1764. 157
ture. » Nos véritables richeffes , dit-il ,
>> naiſſent de la cultivation. J'en ai la
>>preuve en main.Pourquoinos Citoyens
>> s'enrichiſſent-ils ſi rapidement dans
>>>nos Colonies ? c'eſt qu'ils y devien-
>>nent cultivateurs : c'eſt que le terrain.
» qu'ils défrichent leur produit deux ré-
>>>coltes par an , fans culture & fans
>>engrais : c'eſt qu'enfin , ils diſpoſent
>>de leurs denrées , & nous n'avons pas
>>la libertéde l'exportation des nôtres ,
>>>qui ſeroit ſi avantageuſe.
Paſſant au commerce des productions
de l'art , M R.... dit que fi celui-là fleurit
moins , c'eſt que le Peuple a moins d'induſtrie.
Tout Artiſte ſelon lui , doit
ſe conformer aux goûts du jour , &
perfectionner ſes ouvrages , s'il veut
en avoir le débit. Ilpenſe que les manufactures
font les Ecoles qui font
germer le goût du travail ; il les confeille
, il follicite les Paſteurs de les
multiplier , il demande le concours de
l'autorité , parcequ'elles ſont le moyen
de rétablir la population .
Ildit que le travail des manufactures
ne doit jamais nuire à celui de la cultivation.
Après cette lecture M. le Vice Protecteur
expliquant comment on eût dù
158 MERCURE DE FRANCE .
traiter ce ſujet , parla des diſcours qui
avoient concouru. 13 J'ai vu avec
>> plaifir , dit- il , dans celui nº. 1. que
>>nos draps & nos toiles tirent pour
» Cayenne. Le nom du Gouverneur
>>>doit être le ſignal de ralliement pour
>>>nos manufactures abandonnées . Les
>> facrifices qu'il fait pour rétablir,que dis-
>>je ?pour fonder une nouvelle Colonie,
>> font une preuve fi extraordinaire de
>> fon amour pour la Patrie , qu'on peut
>> compter qu'il n'oubliera pas les in-
>>térêts de cette Province , qui eſt plus
>> particulierement la fienne. (d) En
> l'affociant à cette Académie nous vou-
>> lons l'engager à nous afſocier à fa
>>glorieuſe entrepriſe , & à nous com-
>> muniquer les ſages réglemens que
>> fa prudence va dicter pour le bon-
>> heur de ſes nouveaux Colons. Du
>>>fond de fon Iſle , il nous donnera des
leçons d'expérience ſur les défrichemens
; & fur l'établiſſement des ma-
>> nufactures : deux objets tellement ré-
>>latifs , qu'il faut néceſſairement qu'ils
>>fe nuiſent , où qu'ils s'aident. Il vau-
>> droit encore mieux pour nous,ſuivre
( d) M. le Chevalier Turgot , Gouverneur de
Cayenne & deGuyanne , reçu Académicien Allocié
, étoit préſent le jour de cette féance.
FEVRIER. 1764 . 159
>> l'abus de vendre nos matières pre-
>> mières que de les mettre en oeuvres
>>aux dépens de l'agriculture , qui man-
> queroit de bras. Seroit- il impoffible
» de prévenir ce danger , par le choix
» des établiſſemens , par le choix des
>> ouvriers ? cette que ſtion eſt aſſez im-
>> portante pour en faire le ſujet du
>> prix de l'année 1764. L'Académie pro-
>> poſe donc; quels font les moyens de
>> multiplier les manufactures dans la
>> Généralité de Caën , fans nuire à la
>>>culture des terres. »
Les dicours feront remis francs de
port , à M. Rouxelin , Sécretaire perpétuel
avant le premier de Novembre
1764. les Auteurs ne ſe feront pas
connoître avant le 6 Décembre .
M. le Chevalier Turgot termina la
ſéance par un Dicours de remercîment
à l'Académie , ſur ſa réception.
Il eut enſuite la générofité de propoſer
trois prix , tendans à encourager la
culture , & la multiplication des beftiaux,&
à procurer à la Province le débit
de ſes denrées.
Le premier de 500 liv, à la perſonne
qui aura ſalé du boeuf aux moindres
frais poffibles , & qui fupportedans nos
Colonies , la concurrence pour la qualité
, avec les boeufs d'Irlande.
: 160 MERCURE DE FRANCE.
Le deuxième de 400liv. à la perſonne
qui avec des bled de la Province , préparera
des farines auſſi bonnes pour le
tranſport dans nos Colonies , que les
farines Angloiſes. Il eſt bon d'employer
la déſſication par le moyen des étuves ;
de ne pas blutter les farines , lorſqu'elles
fortent de deſſous la meule ; & de les
laiſſer réfroidir avant de les mettre au
blutteau. Le franc bled , que dans les
environs de Caën , on nomme blégris
, donne les farines les plus propres
àfoutenir le tranſport dans les climats
chauds.
Le troiſième de 300 liv. à qui préparera&
falera des beurres auſſi bons
que ceux d'Irlande. Le lavage exact ,
avant la ſalaiſon,eſt une opération eſſentielle.
Le premier Volume des mémoires
de la Société d'agriculture de Rouen ,
indique les attentions qu'il faut obſerver
pour ſe procurer des beurres de la
premiere qualité.
Ceuxqui voudront concourir , ſe muniront
de Certificats des Subdélégués ,
ou Magiſtrats des Villes dans lesquelles
ils habitent , ou de leurs Curés , s'ils
demeurent à la campagne. Ces Certificats
porteront que la denrée préſentée
ſoit boeufſalé , farines , ou beurres , a
FEVRIER. 1764. 161
été préparée avec des matières du Païs .
Chaque denrée ſuivant ſon eſpéce , ſera
renfermée dans des barils , quarts , ou
tines , qui feront marqués de la marque
du Particulier concourant , &du cachet
ou marque des Subdélégués , Magiſtrats,
&Curés.
Il ſera envoyé à M. l'Intendant de
Caën une liſte des perſonnes qui auront
concouru , contenant leurs noms , qualités
& demeure , leur marque particuliere
, celle des Subdélégués ,&Magif
trats ou Curés .
Il ſera envoyé à la Guyanne , à la
Guadelouppe , & à la Martinique ,
une égale quantité de chaque denrée
concourante aux prix , avec les renſeignemens
propres à faire connoître
le nom de la perſonne , dont la denrée
ſe trouvera de la meilleure qualité , ou
plus approchante. Sur le compte qui
fera rendu à M. l'Intendant , & à l'Académie
, elle adjugera , & diftribuera
les prix le Jeudi cinq Décembre 1765 .
jourde fa rentrée publique .
Vu par l'Académie , ROUXELIN,
162 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE IV.
BEAUX-ARTS.
ARTS AGRÉABLES .
MUSIQUE.
ANNONCE d'un nouveau Clavecin
organisé.
LA VILLE de Grenoble vient de
voir fortir des mains d'un de ſes Artiſtes
(M. Berger , Accompagnateur de fon
Concert ) un nouveau Clavecin organifé
, auquel il travailloit depuis onze ans ,
& qu'il a enfin conduit à ſa perfection.
La deſcription & l'énumération de ſes
différens jeux vont mettre le Public à
portée de le comparer aux inſtrumens de
cette eſpèce que la ſagacité de nos Artiftes
a imaginés depuis quelques années ,
& de lui affigner le rang qu'il mérite
parmi eux.
Ce Clavecin eſt de la grandeur & de
la forme ordinaires . C'eſt dans les traverſes
des pieds , leſquelles ont ſeuleFEVRIER.
1764 . 163
ment deux pouces & demi de hauteur ,
que ſont contenus le Méchaniſme de
l'Instrument , & les différens Jeux qu'il
réunit. Voici le détail des effets qu'on
peut produire par fon moyen.
1º. Au premier clavier répond un Jeu
d'Orgue à l'uniffon de la Contre-baffe ,
& au fon de huit pieds qui imite le Baffon
& le Hautbois.
2°. Le ſecond donne unJeu de Clavecin
compoſé de deux uniffons & d'une
octave.
3°. On peut faire entendre enſemble
ou ſéparément l'Orgue & le Clavecin ,
non-feulement dans tout le cours d'une
pièce , mais dans les endroits qu'on jugera
à propos ; c'est-à-dire , qu'après les
avoir touchés enſemble , onpeut les ſeparer
, ſans interrompre ſon jeu ,& vice
verfa; quel que ſoit le mouvement de la
piéce.
4°. On a fur cet Inſtrument la liberté
d'enfler les fons ou de les diminuer par
gradation ;& cela s'exécute fans appuyer
davantage fur le Clavier , & fans déranger
les mains . Les fons les plus doux ,
&à peine perceptibles , peuvent aufli
fuccéder tout-à-coup auxplus forts &
aux plus pleins, &au contraire.
5.Ace Clavecin ſont encore adaptés
164 MERCURE DE FRANCE.
deux Jeux , l'un de Guittarre , l'autre de
Harpe , qui répondent au ſecond Clavier
; mais de telle manière , que celui
qui les touche peut à ſon gré les fupprimer
, ou les faire entendre l'un ou l'autre
, ou tous les deux avec le Clavecin .
Il ſeroit ſuperflu de remarquer le nombrede
combinaiſons différentes qui peuvent
naître , au gré & fuivant le goût de
l'Artiſte qui touche l'instrument , de la
réunion , ou de la fuppreffion de quelques-
uns de ces Jeux. Nous laiſſons aux
gensde l'Art le ſoin d'apprécier cette invention.
Nous nous bornons à obſerver
que tous ceux qui ont entendu l'Inſtrument
de M. Berger , n'ont pu ſe refuſer
à une vive admiration , tant pour les ef
fets variés qu'il produit , que pour le
Mechaniſme , au moyen duquel il eſt
parvenu à réunir tant de Jeux différens.
M. GAVINIÉS propoſe aux Amateurs
de Mufique une Souſcription , pour
faire graver SIX CONCERTO de ſa compoſition
, avec toutes ſes parties. On
pourra ſouſcrire depuis le premier du
mois de Février juſqu'au premier du
mois de Mai. Le prix des CONCERTO
fera d'un Louis pour ceux qui auront
foufcrit , & de 36 liv. pour les autres.
FEVRIER. 1764. 165
On ſouſcrira chez l'Auteur , rue S. Thomas
du Louvre , à Paris .
Le même Auteur vient de mettre en
vente Six SONATES à violon ſeul &
baſſe. Troiſième OEuvre. Prix 9 liv. qui
ſe trouve auſſi chez lui , & aux adreſſes
ordinaires de Muſique. Prix liv.
SIX SONATES , d'un goût agréable
&chantant , en Duo , pour les flûtes ,
violons , hautbois , par-deſſus de viole ,
&c. Par M. PAGANELLI , miſes au
jour par le Sieur LE LOUP , Maître de
Flûte. Prix 5 liv. Chez le Sieur LE LOUP,
Editeur des Récréations de Polymnie ,
rue du Mouton , près la Gréve , au Caffé
du coin de la rue de la Tixéranderie .
LE Sr L. VOYEZ , Organiſte à Abbeville
, dont la réputation eſt connue ,
avertit le Public qu'il continue de montrer
le Clavecin & la Muſique : les Demoiſelles
qui voudront acquérir ce talent
, pourront revevoir ſes leçons dans
la belle Abbaye des Dames de Villancourt
à Abbeville , où les penſions font
très-modiques.
6
1
:
166 MERCURE DE FRANCE.
GRAVURE.
STATUE Equestre de LOUIS LE
BIEN - AIMÉ , érigée le 14 Février ,
& dont l'Inauguration s'eſt faite le 20
Juin 1763 , deſſinée par le Sr de Seve ,
& gravée par le Sr Charpentier ; ſe vend
àParis , chez le Sr Defnos , Ingénieur-
Géographe , rue S. Jacques , au Globe.
Carte Hélio - Séléno - Géographique ,
dans laquelle on voit la projection que
!'ombre de la Lune trouva ſur la ſurface
de cette partie de notre Globe , dans la
célébre Eclipſe centrale & annulaire du
Soleil , qui arrivera le premier Avril
1764. Se vend chez le même.
Cette Carte eft à petits points; & ,
pour y rendre l'expreſſion du local plus
ſenſible , on y ajoint une Table , qui a
pour objet d'y ſuppléer. La méthode
des Projections dont on s'eſt ſervi
pour la conſtruire , eſt celle dont nous
ſommes redevables à M. Delisle : réduiduite
en calcul trigonométrique ; elle
offre aux Aſtronomes des ſolutions élégantes
qui méritent la préférence fur les
autres opérations graphiques.
FEVRIER . 1764. 167
La première colonne de cette Table
exprime la longitude de l'Obfervatoire
Royal de Paris à l'égard de trente-deux
Villes qui ſe trouveront pour ainſi dire ,
enveloppées par l'ombre conique de
la Lune. La feconde indique leur latitude.
Dans les trois autres colonnes on
a déterminé le commencement , le milieu
& la fin de l'Eclipſe pour chacun
de ces différens Lieux , abſtraction faite
de la différence horaire de leurs Méridiens.
Le Public trouvera les principes fondamentaux
de cette Table dans l'Ouvrage
que M. Rizzi Zannoni fera paroître
inceſſamment ſous ce titre :
Mappa Hemisphærii Borealis Eclipfiographica
; five Typus obfcurandæ Telluris
in Eclipsi annullaris Solis dieprimd
menfis Aprilis 1764 , pro illuftrando
calculo Eclipfium Solarium ex fundamentis.
Mathematicis & Tabulis Aftronomicis
D. D. Tob . Mayer & de la
Caille , fupputatus & defcriptus , &c.
Le Sr OUVRIER vient de mettre au
jour une Eſtampe gravée d'après leTableau
original peint par M. Cochin , le
fils , Ecuyer , Chevalier de l'Ordre du
Roi , Garde des deſſeins du Cabinet
de Sa Majesté , Secrétaire & Hiftorio168
MERCURE DE FRANCE .

graphe de l'Académie RoyaledePeinture
&Sculpture. Cette Eſtampe , très-bien
gravée par le Sr Ouvrier , & qui a pour
Titre le Génie du deſſein , ſe vend chez
lui , à Paris , Place Maubert chez M.
Bellot , Marchand Bonnetier , au Soleil
d'or.
f
TABLEAU Généalogique& Chronologique
de la Maiſon Royale de France,
dédié à Mgr le Comte d'ARTOIS , par
M. Clabault , &c . :
N. B. Nous ajouterons à l'annonce
que nous avons faite de cet Ouvrage
dans notre dernier Mercure , 1 °. qu'on
nepeut rien ajouter à la précifion , ainfi
qu'à la clarté du Plan.
2°. Que l'Analyſe qui accompagne
ce Tableau renferme beaucoup d'obfervations
importantes ; & que le Recueil
de la poſtérité de Charlemagne & de
Hugues Capet peut intéreſſer une grande
partie de la Nobleſſe de France par
l'illuſtration qu'il lui procure , avec d'autant
plusde raiſon que ce travail n'a été
fait qu'après un choix rigoureux des autorités.
3°. Que les remarques de l'Auteur ,
concernant l'illuſtration de la Maiſon de
France
FEVRIER. 1764. 169
Frances par ſes Alliances , paroît neuve,
&que le Public fenfible à la gloire de
fes Rois & de ſes Princes ne pourra
voir qu'avec fatisfaction la preuve d'un
fait , qui peut également piquer la curioſité
des Princes Etrangers.
ARTICLE V.
SPECTACLES.
SUITE DES SPECTACLES DE LA COUR
A VERSAILLES.
:
ORDONNÉS par M. le Duc de
FLEURY , Pair de France , Premier
• Gentilhomme de la Chambre du Ror ,
Exercice ; & conduits par M.
PAPILLON DE LA FERTÉ , Intendant
des Menus-Plaisirs de Sa
Majesté.
en
M. REBEL , Chevalier de l'Ordre de
S. Michel , Surintendant de la Mu
fique du ROI , en semestre.
LE Mercredi , 4 Janvier , les Comé
diens Italiens repréſenterent les Amours
H
TO MERCURE DE FRANCE.
de Camille & d' Arlequin , Comédie Italienne
en 3 Actes de M. GOLDONI,
Cette Piéce dont nous avons parlé plufieurs
fois , eut tout le ſuccès que doit
avoir un Ouvrage du vrai genre de la
Comédie dans une Cour éclairée , où le
bon goût n'a point encore été altéré par
les bizarreries de caprice qui féduiſent le
vulgaire. La ſeconde Piéce fut Baftien
& Bastienne , Parodie du Devin de
Village.
;
Le Jeudi 5 , les Comédiens François
repréſenterent Amasis , Tragédie de feu
M. DE LA GRANGE CHANCEL. ( de
1730. ) Elle fut ſuivie du Sicilien , Comédie
de MOLIERE en un Acte en
Proſe de 1657. Dans la Tragédie , le
fieur LE KAIN joua le rôle de Séſoftris.
La Dille DUMESNIL, celui de Nitocris
&c. &c.
,
Le Mardi , 10 , par les Comédiens
François , le Chevalier à la mode , Comédie
en 5 Actes en Proſe du feu fieur
DANCOURT. ( 1687.)
Le ſieur BELCOUR jouoit le rôle du
Chevalier , le ſieur PREVILLE , celui de
Crifpin ; la Dlle PREVILLE , celui de
MdePatin ; la Dlle DROUIN , celuide
la Baronne ; le rôle de Soubrette , par
la Dile LE KAIN , &c.
FEVRIER. 1764. 171
Pour feconde Piéce,l'Eté des Coquettes,
du même Auteur, en un Acte& en Profe .
(de 1690. ) Dans laquelle le ſieur MOLÉ
jouoit le rôle de Clitandre , &c. &c.
Le lendemain , 11 , les Comédiens
Italiens repréſentérent les deux Chaffeurs
&la Laitière , Comédie en un Acte ,
mêlée d'Ariettes , par M. ANSEAUME ,
précédé d'Arlequin & Scapin rivaux ,
Piéce Italienne en deux Ates.
Le 12 , les Comédiens François repréſenterent
Iphigénie , Tragédie de RACINE.
( de 1674. ) Le ſieur BRIZARD
jouoit le rôle d'Agamemnon ; le ſieur
MOLÉ , celui d'Achille ; la Dile CLAIRON
, celui d'Eriphile ; la Dlle DUMESNIL
, Clitemnestre ; la Dlle Huss ,
Iphigénie , &c.
Pour ſeconde Piéce , le Tuteur , Comédie
en un Acte & en Proſe du feu
fieur DANCOURT. ( de 1695. )
Le Mardi 17 , les mêmes Comédiens
repréſenterent Démocrite , Comédie en
5Actes & en vers,de feu M. REGNARD.
(de 1700. )
Le ſieur BONNEVAL jouoit Démocrite
; le fieur MOLÉ , Agelas ; le ſieur
ARMAND , Strabon ; le ſieur PAULIN,
lePaysan ; la Dlle PREVILLE , Ifmène;
la Dile DOLIGNI , Criféïs ; la Dile BEL
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
COUR , la ſuivante d'Ifmène , &c.
Pour ſeconde Piéce l'Ufurier Gentilhomme
, comédie en un Acte & en Profe,
du feu fieur LE GRAND. ( de 1713. )
Prèſque les mêmes Acteurs & Actrices
de la première Piéce étoient employés
dans celle ci. Le ſieur AUGER jouoit
Frontin ; & la Dile DROUIN , Mde
Mananville.
Le Mercredi , 18 , on éxécuta deux
Actes d'Opéra , ſçavoir , pour la ſeconde
fois , l'Acte du Feu , troiſiéme Entrée
des Elémens , tel qu'il avoit été éxécuté
le mois précédent , ( * ) enſuite la Danse,
troifiéme Entrée du Ballet des Talens
lyriques , Poëme d'un Anonyme , Mufique
de M. RAMEAU,
Le Sr JÉLIOTE chantoit le rôle de
Mercure traveſtie en Berger. La Dlle
LANI chantoit & danſoit celui d'Eglé ,
le Sr LARRIVÉE le rôle d'Eurilas , Berger.
La Dile LARRIVÉE chantoit une
Bergère. La Dlle ALLARD danſoit les
entrées de Terpsicore , le Sr CAMPIONI
danſoit à la tête des Faunes.
Le Sr BUREAU , repréſentant Palemon
, jouoit du hautbois fur le Théâtre,
Cet Acte , très - bien exécuté , & dont
le Divertiſſement avoit été agréablement
( * ) Voyez le ſecond Vol. de Janvier.
FEVRIER. 1764. 173
diſpoſé , a fait le plus grand plaifir. La
Dile LANI , avec beaucoup de crainte ,
peu de voix , mais un ſon gracieux , plus
d'art&d'agrémens qu'on n'en exigeroit
d'une Danſeuſe dans le chant , a rendu le
rôle d'Eglé avec ſuccès dans cette partie :
dans celle de la Danſe , avec l'admiration
qu'elle ne ceſſe de mériter , & qui
ſe renouvelle chaque fois que l'on jouit
d'un talent unique , dont il eſt impoffible
de donner une idée exacte aux Lecteurs
qui ne l'ont pas vu .
Le Śr JÉLIOTTE chanta tout ce rôle ,
& la célébre Arriette qui le termine ,
L'objet qui règne dans mon âme , &c .
avec la même force , le même agrément
& les mêmes éclats dans la voix que le
Public a entendu lorſqu'on repréſentoit
à Paris le Ballet charmant dont cet
Acte fait partie.
La Dile ALLARD a très-bien foutenu
par ſa danſe le caractère de Terpſycore ,
qu'elle repréſentoit. Plaire dans une entrée
où le talent de la Dlle LANI eſt en
concurrence, eſt ſans doute le fuffrage le
plus flatteur qu'on puiſſe eſpérer en ce
genre.LesBallets étoient deMM.LAVAL
père & fils , Maître des Ballets du Roi.
La fuite des Spectacles de la Cour au
Mercureprochain.
1
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
i
SPECTACLES DE PARIS.
OPERA.
DESCRIPTION critique de la nouvelle
Salle , au Palais des Thuileries .
AVAVANNTT l'ouverture du Théâtre on
avoit déja imprimé dans des Feuilles Périodiques
une eſpèce de Deſcriptionde
la nouvelle Salle , qui n'eſt pas conforme
à la réalité en quelques Parties.
Il s'eſt depuis répandu dans le Pu
blic ( par des préventions précipitées ou
par d'autres motifs) des idées peu éxactes
à beaucoup d'égards ſur le même
objet : c'eſt ce qui nous détermine à
commencer par expoſer , avec la plus
grande fidélité , la vraie diſpoſition de
ce lieu qui devient ſi intéreſſant à l'amuſement
du Public.
En permettant d'établir proviſoirement
une Salle d'Opéra aux Thuileries ,
dans la partie du Théâtre de la Salle des
Machines , il avoit été preſcrit , ainſi que
nous l'avons annoncé dans le temps ,'que
la forme & la distribution feroient les
mêmes que dans l'ancienne Salle du
FEVRIER. 1764. 175
Palais Royal , afin que les Locataires
des Loges s'y retrouvaſſent pour ainſi
dire dans les mêmes pofitions , fans
qu'il fût beſoin de paffer de nouveaux
Baux. C'eſt ce qui a été pratiqué. Ainfi
ſa forme n'eſt point ovale comme on
l'a avancé dans ces feuilles périodiques,
(ni ne pouvoit l'être dans l'eſpace donné)
mais entiérement pareille à l'ancienne,
dontà cetégard elle eſt une éxacte copie.
Il en eſt réſulté un afſujettiſſement in
furmontable , qui doit anéantir tout ce
qu'on auroit à dire ou à defirer ſur le
meilleur effet des plans en ce genre.
Comme le local procuroit plus d'eſpace,
-en certain ſens , on en a profité en
donnant ſeulement plusde longueur ,
plus de largeur & plus d'élévation ,
principalement au Théâtre. On a diftribué
le ſurplus d'étendue ſur toutes
les Loges ; enforte que les Spectateurs
y font beaucoup moins preffés
que dans les anciennes , & qu'il s'en
trouve quelques-unes plus ſpacieuſes
dans la partie ceintrée du fond. Ce même
avantage a facilité le moyen de
procurer environ 40 places de plus à
l'Amphithéâtre & un plus grand nombre
au Parterre . Maîtres de l'élévation
on a donné à cette Salle ſept à huit
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
pieds de plus de hauteur , ce qui aſervi à
élever davantage toutes les Loges : mais
principalement les Premieres ; tant audeſſus
du Parterre que dans leur intérieur.
Il eſt incontestable , 1 °. que cela procure
bien plus de facilité pour la circulation de
l'air & que dans les plus fortes Repréſentations
, on n'y eſt point incommodé
de la chaleur. 2°. Que les deſſous
des Loges forment par là un ſupplément
affez vaſte au Parterre , pour
n'y être point étouffé , ni , pour ainfi
dire , écrafé ſous les planchers , comme
dans les anciennes Salles . Les
ſecondes Loges font auſſi plus élevées
dans leur intérieur,que n'étoient les anciennes
; ( *) mais comme par l'élévation
des Premieres, celles-ci ſe trouvent portées
à plus de hauteur, le premier coup
d'oeil en juge autrement. C'eſt particuliérement
cet effet apparent qui a fait
naître quelques réflexions critiques.
Avant d'improuver cette diſpoſition ,
éxaminons ſi les Loges , partagées par
des piliers , ne repréſentent pas à-peuprès
, relativement au Parterre, pluſieurs
étages de fenêtres qui environneroient
une cour. Dans ce cas , voyons s'il n'eſt
( * ) Cette vérité peut ſe vérifierpar les meſures.
FEVRIER . 1764. 177
pas dans l'ordre des proportions , pour
les Edifices nobles & élégans , de donner
beaucoup plus de hauteur aux premiers
Etages qu'aux autres ? Quelques
fois ces premiers étages ne ſont ſurmontés
que de ce qu'on appelle un Attique,
qui ne produit que des ouvertures baſſes
& dans une extrême inégalité avec celle
des Premiers , fans qu'alors les loix des
proportions foient violées, ni ſans que
nos regards en foient bleffés,parce qu'ils
y font accoutumés. C'eſt donc fur cette
ſeule habitude, qui domine les fens & la
raiſon , que pourroit être fondé le reproche
, beaucoup plus que fur aucun
défaut réel. On pourroit en conféquence
, afſurer que ſi, dans fix mois , il étoit
poſſible de rétablir l'ancienne Salle &
d'y introduire les mêmes Spectateurs
qui ont trouvé cet exhauſſement
étrange , ils concevroient à peine qu'ils
euffent pû ſupporter auffi longtemps
l'aspect & les incommodités d'un lieu
dont toutes les parties étoient auſſi
écraſées . On s'accoutumera encore avec
le temps à trouver ſur un Théâtre plus
vaſte & plus exhauffé les objets plus petits
, ſans que cet effet doive être reputé
ún inconvénient. La diminution apparente
des objets eſt ſi peu un déſagré
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
ment en certains cas que la perſpective
artificielle eſt obligée d'employer fouvent
ſes refſources pour imiter la perfpective
naturelle à cet égard,& donner
par-là l'idée illuſoire d'un lieu plus vaſte
ou plus éloigné ; ce qui ſatisfait mieux
l'imagination , toutes les fois que l'on
veut repréſenter de grands Spectacles.
Il eſt fort naturel que l'on ait été d'abord
étonné de certaines proportions fi
oppoſées à nos Salles anciennes , où
dans une eſpèce de caverne on diſtribuoit
, par petites cazes égales ,dequoi
loger le plus de Spectateurs qu'il étoit
poffible ; à-peu-près comme on niche
des pigeons dans un colombier. Dégagés
du joug de cette habitude , on fe
gardera bien fans doute de renoncer
à ce qu'offre de plus favorable cette
nouvelle Salle , ſauf plutôt à augmenter
dans celles que l'on conſtruira par
la fuite , & où les lieux & les circonf
tances rendront les diſpoſitions plus
libres.
Trois rangs de Loges , foutenues
& diviſées par des piliers rehauffés d'or
& ornés de conſoles , règnent au
pourtour de cette Salle. Les Devantures
bombées, ſont d'un verd très-clair , avec
des ornemens en or d'un fortbeau genre,
FEVRIER . 1764. 179
& affez artificieuſement exécutés pour
rendre tout l'effet du relief. Les intérieurs
font meublés d'étoffes dont la couleur
eſt aſſortie à la peinture , & tres-favorable
à la parure ainſi qu'à l'éclat naturel
des femmes qui les occupent. Les
ornemens des ſeconds & troifièmes Balcons
font diftingués par plus de richeffe
& par d'autres deffeins, de ceux des Loges
; mais le même fond règne dans
toute la Salle. Les ſoubaſſemens de l'Amphithéâtre
& des premiers Balcons font
en marbre verd campant de pluſieurs
nuances , avec des rehauffés d'or dans
les moulures des panneaux.
Une des parties , dont l'extérieur
eſt auſſi bien traitéque ſon intérieur , eſt
commode & agréable , eſt celle qu'on
appelle vulgairement dans nos Spectacles
LE PARADIS . Ce lieu forme une
eſpèce de ſecond Amphithéâtre en retraite
, au - deſſus des ſecondes Loges ,
lequel s'enfonce dans l'extrêmité ceintrée
de la Salle. Des arcades décorées
relativement au reſte , en terminent
l'enceinte. Les places y font difpofées
ſur des banquettes en gradins
au deſſus du doſſier deſquelles , il
refte encore des eſpaces pour voir &
pour entendre debout. Comme on a
-
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
renfermé cette enceinte, la licence & le
déſoeuvrement ont un peu murmuré de
cette précaution ; mais l'attention paiſible
des Citoyens honnêtes ſe trouve
fort bien d'être à l'abri du trouble , &
quelquefois de l'indécence , d'un certain
genre de Spectateurs qui fréquentoient
ce lieu dans l'autre Salle.
Nous avons parlé , dans un précédent
Mercure , du Platfond , de la convenance
& de la richeſſe de ſes ornemens . Il
eſt , ainſi que nous l'avons déja dit , partagé
en pluſieurs compartimens variés.
Celui qui ſe trouve au-deſſus de l'Amphithéâtre
, en Mosaïque d'un très- bon
goût , figure fi bien une Coupole, que
l'oeil y eſt agréablement trompé. La clef
de cette feinte Coupole s'enlève à volonté,
pour renouveller l'air quand il eneſt
beſoin. Tout le Platfond porte ſur une
corniche en vouſſure très - richement ornée
en or , & règne juſques ſur la partie
de l'Avant - ſcène.
Le Théâtre eſt ouvert dans toute la
largeur intérieure , & prèſque dans toute
la hauteur de la Salle , dont il n'eſt ſéparé
que par deux grands Termes , qui
paroiſſent foutenir les parties d'un Rideau
ouvert , ſous une pente d'étoffe
feſtonnée qui borde toute l'Avant-
Scène.
FEVRIER. 1764. 181
Un Théâtre , plus vaſte , plus profond
& plus élevé qu'aucun de ceux qu'on
ait encore vus dans la Capitale , donne
lieu à plus de grandeur & de magnificence
dans la repréſentation de nos
Opéras : ce qui ajoute un nouvel éclat à
la pompe & au merveilleux de ce genre
de Spectacle. Le Rideau de clôture ,
qu'on appelle communément la Toile ,
eſt un fond damaſſé relatif au coloris
général de la Salle , ſur lequel eſt un
Chiffre royal en or , enlacé dans des ormens
, & encadré par une riche campane.
Ce genre fimple & noble , bien
plus convenable pour cet uſage que les
fujets en figures & coloriés , contribue
à completter l'idée d'une Salle de Palais ,
plutôt qu'un lieu de Spectacle public , &
le tout répond parfaitement au lieu
dans lequel ſe trouve aujourd'hui celui
de l'O péra.
Une condition capitale eſt fans contredit
la résonance. On a cherché
d'abord a jetter des doutes à cet
égard. On les fondoit fur ce qu'à la première
Repréſentation , la Voute de defſous
l'Orcheſtre n'ayant pû être acheyée
, les baſſes inſtrumentales ne rendoient
pas tout le ſon qu'on auroit defiré.
Cet inconvénient accidentel a ceffé
182 MERCURE DE FRANCE.
dès que les meſures priſes pour l'effet
contraire ont pu être éxécutées . Obligés
de rendre témoignage à la vérité , nous
n'avons qu'une choſe de fait à publier
fur cela Les voix d'un médiocre volume
, font entendues diftinctement dans
toute la Salle , il en eſt même qui y
trouvent de l'avantage ; & l'Acteur qui
chante le rôle de Jupiter au fond des
Décorations , dans le troiſième Acte de
Castor & Pollux , eſt très-bien entendu
du fond de l'Amphithéâtre. Ce qui fait
environ 70 pieds de diſtance au moins ,
fans compter la déperdition des percés
dont il eſt environné.
On a fait bien des obſervations fur cette
Salle. Nous venons d'en diſcuter quelques-
unes des principales. L'équité veut
que nous répétions encore qu'à l'égard
de pluſieurs de ces obſervations on doit
fe rappeller que des ordres abſolus ont
afſujetti à ce qu'elle fut une copie trèsexacte
de l'ancienne dans ſa diſtribution .
Indépendamment de cet aſſujettiſſement
primitif, il en eſt d'autres ,dans ces fortes
de conſtructions,qui ſont des ſuites forcées
de conſidérations particulières dans
leſquelles le Public n'entre point. Il en
ignore plufieurs ,& il ne connoît pas la
force inſurmontable de quelques autres.
FEVRIER. 1764. 183
و
Dans le nombre des réproches auxquels
ne peuvent manquer d'être expofées
les Saltes de Spectacles, il en eſt qui
concernentle plusoule moins de moyens
pour voir mieux & plus commodément
de toutes les Places. Ceci dépendant
d'arrangemens intérieurs & mobiles
qui ne peuvent ſe régler bien juſte que
par l'expérience uſuelle , on a déja pourvu
à quelques parties , telles qu'à la pente
du Parterre , moyennant laquelle on
voit de tous les points , plus facilement
qu'auparavant. Nous ſommes en état
d'aſſurer qu'on arrangera ſucceſſivement
toutes les autres , aufli promptement que
le temps le permettra , & qu'enfin on ſe
portera à celles qui exigent plus de travail
par éxemple aux Balcons , pendant la
prochaine vacance du Théâtre.
On ne croit pas devoir faire mention
des petites critiques , que l'envie dicte
toujours en ces occafions à l'étourderie
& à l'ignorance , d'où ſe forment des
préventions par écho dont le temps ſeul
peut étouffer la voix .
Quelqu'elles foient & quelque crédit
que ces préventions , déjà détruites en
partie , euſſent pû obtenir , il reſteroit
toujours vrai au Jugement des grands
/
184 MERCURE DE FRANCE.
,
Artiſtes , à celui des particuliers éclairés
& impartiaux, que cette Salle , malgré les
afſujettiſſemens dont nous avons parlé ,
eſt une des plus belles,des plus agréables
&des plus nobles que l'on ait encore
vues dans la Capitale. La prévention la
plus outrée ne peut contefter que ce ne
foit en même temps une des plus commodes,
par ſes corridors ſpacieux , par le
nombre , la facilité & l'ordre des eſcaliers
de dégagemens , ainſi que par ſes
iffues. On y entre par trois endroits du
côté des Cours : ſçavoir par une Porte
Principale pour le Public une autre
qui ouvre fur le fond du Théâtre
pour les Acteurs , & une autre dans
la Cour des Suiffes , pour aller au
Théâtre en même tems qu'aux petites
Loges. Du côté du Jardin , le Public
entre par laGallerie qui ſera fermée de
chaffis dans toute longueur , pour que
le paſſage en ſoit à l'abri de toute incommodité
de l'air. Une autre Porte ,
directement fur la Terraſſe du Jardin ,
eſt ouverte pour monter au Théâtre
& aux petites Loges. La grande Porte
de la Salle des Machines , le ſera pour
la fortie.Ainfi, deux Portes font ouvertes
pour l'entrée publique , trois pour
FEVRIER. 1764. 185
les entrées particulières & les fix pour
la fortie générale. Le grand Veſtibule
eſt d'un agrément infini. Il eſt , ainfi
que celui de l'intérieur , garni de Boutiques
, y compris celle du Caffé. Cet
agrément fera encore bien plus ſenſible
dans la belle faifon , par la communication
de ce lieu avec le plus beau
Jardin de l'Europe. :
L'ACADÉMIE ROYALE DE
MUSIQUE a donné dans la nouvelle
Salle , le Mardi 24 Janvier , la première
Repréſentation de Castor & Pollux ,
Tragédie - Opéra ; Poëme de M. BERNARD
, Muſique de M. RAMEAU.
Cet Opéra avoit été donné pour la
première fois le 24 Octobre 1737 , &
repris en Janvier 1764. Nous ne nous arrêterons
pas à parler du fond de cet Ouvrage,
dont le Public vient de ſentir encore
le mérite & de le marquer nonſeulement
par des applaudiſſemens
mais par fon affluence. * Nous rendrons
compte de l'exécution & de la pompe
de ſon Spectacle. La diſtribution des
rôles eſt la même qu'elle étoit à la
* Les cing premières Repréſentations ont produit
20800 liv.
186 MERCURE DE FRANCE.
Cour ( * excepté le rôle de Caftor exécuté
à Paris par M. PILLOT avec le feu
& l'intelligence d'Acteur. Jamais l'intéreffante
Mlle ARNOULD ne l'a été davantage
pour le Public. Indépendam -
ment des grâces , du ſentiment réglé
par l'intelligence la plus juſte , il ſemble
que fur ce nouveau Théâtre , ſa voix
ait pris de nouvelles forces , plus de
volume & plus de rondeur qu'elle n'en
avoit. Il eſt conſtamment éprouvé qu'à
quelque diſtance qu'elle y chante , non
feulement on ne perd aucune partie de
ſes ſons , mais encore des paroles de
fon rôle. Ce dernier effet eſt ſans doute
le fruit de l'art d'articuler , mérite qui
double celui de toutes les voix : mais on
peut aſſurer que dans cette Salle le fon
eſt en général repercuté plus diftincte .
ment que dans toute autre. Nous
croyons que ce Théâtre a un avantage
particulier , bien favorable à la vérité
des actions , c'eſt d'être plus ſonore audelà
de l'avant-Scène que ſous le plafond
qui la couvre. Nous avons déja
dit que dans le rôle de JupiterM. LARRIVÉE
étoit très-bien entendu à-peuprès
à 70 pieds de diſtance. Nous ré-
*V. dans les précédens Mercures l'Article des
Spectacles de la Cour à Fontainebleau.
FEVRIER. 1764. 187
avec lefeu
,
Jamais
l'ince
D ne l'a été da
ic. Indépendamdu
fentiment
réglé
plus juſte , ilſemble
u Théâtre , ſa voix
elles forces plus de
- rondeur qu'elle n'en
tamment éprouvéqu'
qu'elle y chante , non
e perd aucune partiede
encore des paroles de
ernier effet eſtfansdoute
= d'articuler , mérite qui
etoutes les voix : mais on
De dans cette Salle le fon
repercuté plus distincte. dans
toute
autre
. Nous ce Théâtre
a un avantage en favorable
à la vérité 'eſt d'être
plus fonore
au -Scène
que ſous le pla uvre. Nous
avons
dép rôlede Jupiter
M. LAR- ès- bien
entendu
à-peu- s de diſtance
. Nous

cédens
Mercures
l'Article
des
ir àFontainebleau
.
pétons d'autant plus volontiers cette
vérité , qu'elle ne peut être imputée à
une illufion officieuſe , puiſque nous
en avons pour garants l'impreſſion &
le témoignage général de tous les Auditeurs
. Mlle LARRIVÉE a donné des
preuves très-agréables au Public de fon
zéle, en chantant les airs des divertiſſemens
de cet Opéra. On paroît auffi
très content de la manière dont M.
GELIN rend le rôle de Pollux. Mlle
CHEVALIER remplit très-bien leRôle
de Phébé, ainſi quelle avoit fait à la
Cour.
M. DUPAR , nouvelle Hautecontre ,
a débuté à la troifiéme repréſentation
par l'Ariette du ſecond Acte , Eclatez ,
fières trompettes , &c. & par le rôle de
Mercure. Le fon de ſa voix paroît agréable&
d'un volume ſuffifant. Il fournit
aux tons les plus hauts & fans héſiter.
Les agrémens du chant font bien exécutés
; on lui trouve de la netteté dans
la prononciation , beaucoup de juſteſſe
& d'oreille. Enfin on a lieu d'en eſpérer
favorablement , lorſque l'uſage du
Théâtre & des foins auront formé fon
maintien & fon jeu. On croit que l'ons
entendra encore d'autres Débutans dans
188 MERCURE DE FRANCE.
ce même genre de voix ſur lequel il
paroît que l'on prend toutes les meſures
poffibles pour fatisfaire le Public.
Les Ballets , par M. LANI , Maître
des Ballets de l'Opéra , font bien deffinés
, convenablement caractériſés &
produiſent ſur ce grand Théâtre uneffet
bien plus avantageux que ſur l'ancien.
Mlle LANI danſe dans les Ombres
heureuſes du quatriéme Acte & dans
l'Entrée de Génies qui préſident aux
Planettes . Nous croyons que tout éloge
feroit fuperflu ; la nommer , c'eſt indiquer
ſuffisamment l'admiration du Public.&
la fupériorité du Sujet qui l'occafionne
. Mlle ALLARD danſe au premierActe
en Spartiate & dans le Pas de
Trois en Furie, au quatrième Acte. Au
gré des Connoiffeurs , cette Danſeuſe
exécute dans cet Opéra les choſes les
plus fortes de fon art& d'une manière
dont à peine on conçoit les moyens.
Mlle VESTRIS , en Hébé , danſe l'enchantement
au troiſiéme Acte , & dans
les Planettes au cinquiéme. Mlle LYONNOIS
dans l'Entrée des Furies avec
Mlle ALLARD & M. BEAT . Le Pas des
Gladiateurs eft exécuté par MM. LANI
& GARDEL au premier Acte , & celui
NCE FEVRIER. 1764. 189
Tur lea
ares les mesufaire
le Public
LANT
Maître
, font bien deff
ent caractérisés
&
rand Theatre
un ef
tageux que ſur l'andes
Lutteurs par MM . LAVAL, LYONNOIS
, HIACINTE & ROGIER .
M. GARDEL danſe avec beaucoup
de ſuccès au cinquiéme Acte , ſous la
forme du Génie qui préſide au Soleil, ce
que M. VESTRIS danſoit à la Cour
dans le même Opéra . Mlle GUIMARD
exécute pluſieurs Pas de Deux avec M.
CAMPIONI au premier Acte & avec
Mlle LECLERC dans les trois autres, inst
DÉCORATIONS du nouveau Théâtre.
Quelqu'étendue que nous ayent déja
couté les détails de cet Article , plus intéreſſant
qu'à l'ordinaire par les circonſtances
, nous ne pourrions refufer
ſans injustice , de configner ici & d'apprendre
aux Lecteurs le ſuccès des foins
qu'on a pris pour la ſplendeur du Spectacle.
anſe
dans
les Ombres
quatriéme
Acte
& dans Génies
qui préſident
aux us croyons
que tout éloge 1 ; la nommer
, c'eſt indi- ment
l'admiration
du Pu périorité
du Sujet quil'oc- lle ALLARD
danſe au pre- Spartiate
& dans le Pas de ie, au quatriéme
Acte. Au noiffeurs
, cette Danfeufe
cet Opéra
les chofesles fon art&d'une manière
on conçoit
les moyens. 5, en Hèbé, danſe l'en- troifiéme
Acte , & dans
cinquiéme
. Mlle LYON- ntrée des Furies avec
& M. BEAT. Le Pas des
exécuté par MM. LANI
premier
Acte , & celui
Le premier Acte offre à l'ouverture
du rideau un vaſte Palais , d'une belle
architecture , percé par des colonades
en point de côté. Cette décoration occupe
une grande partie de la fuperficie
du Théâtre dont elle annonce d'abord
affez avantageuſement l'étendue. En
effet diverſes évolutions & tous les évé
no airjult sb andel ub mesmaI
190 MERCURE DE FRANCE .
nemens de deux combats y ſont exécutés
par près de 80 hommes armés,ſans
embarras ,& les Tableaux en font toujours
distinctement apperçus dans l'ordre
naturel des vraiſemblances , par
ceque les eſpaces qui les environnens
font toujours aſſez vaſtes.
Les curieux voyent avec plaifir au
deuxiéme Acte , un de ces grands Monumens
funéraires de l'Antiquité ; où
l'on dépoſoit les Corps ou les Cendres
des Rois , & des Héros. On en apperçoit
l'intérieur par une vaſte ouverture qui
laiſſe voir, parmi d'autres, le Mauſolée de
Caſtor,au-deſſusduquel ſont ſuſpendues
des lampes ſépulcrales. On n'eſt pas
tombé dans l'erreur d'en faire un Catafalque
moderne. Les ornemens font
caractériſtiques ; ce lieu eſt environné
d'obéliſques , de pyramides ,&de Tombeaux.
Le tout eſt dans le vrai genre de
l'Antique , & d'un fort bon Ton de
couleur. Des perſonnages , couverts de
grands voiles de deuil ,pleurans ſur ce
Tombeau & tout le reſte de la Pompe
funébre, ajoutent à la vérité de l'image,
analogue aux admirables morceaux
de muſique que tout le monde connoît.
L'intérieur du Palais de Jupiter enFEVRIER
. 1764. Ign 1
vironné de toute ſa gloire , au troifiéme
Acte , est d'autant plus impoſant
qu'il laiſſe voir prèſque toute la grandeur
de ce Théâtre. Le Péryſtile du
Temple de ce Dieu , qui précéde l'ouverture
de cette décoration , a pour les
connoiffeurs le mérite de la compofition&
de l'execution d'unTableau d'Architecture.
Ils donnent en même tems
de juſtes éloges à la maniére dont eſt
traitée la Cavernne , qui ſert d'entrée
aux Enfers, au quatriéme Acte. Ce qui
plaît , ou plutôt , ce qui enchante généralement
tous les yeux , eſt la décoration
qui ſuit immédiatement celle-ci ,
pour repréſenter les Champs Elyſées . Il
n'eſt pas poſſible au Génie pittoreſque
de mieux réaliſer le Génie Poëtique
que l'on a fait en cette occaſion. L'image
que l'on y donne,du ſéjour délicieux
des ombres , eſt le plus beau choix de
la nature , c'eſt en même temps plus que
la nature ; dans le charme des effets.
L'oeil ſe promene , perce dans les allées
& fur les bords du Léthé. La vue
s'y repoſe ; elle y fixe , pour ainſi dire
l'âme par une volupté penſible , dont
rien ne trouble la douceur. Une gradation
bien ménagée , une entente heureuſe
des lumières , une fraîcheur ſuave
,
192 MERCURE DE FRANCE.
dans le coloris , tout donne à cette décoration
, le vrai , le fini , & le précieux
du plus agréable Tableau de Païfage
peint ſur le chevalet. Si cette précédente
décoration raſſemble tout ce
qu'on peut imaginer d'agrémens dans
l'ordre de la nature , celle qui termine
l'Opéra ,fait voir , par un effort ſupérieur
de l'Art , tout ce que l'imagination pourroit
ſe peindre dans l'ordre ſurnaturel
des merveilles .
Elle repréſente , au milieu des Airs , un
Palais iſolé de Jupiter , d'une Architecture
légère , foutenu fur des nuages. Il
communique par des galleries aux (pavillons
des Génies qui préfident aux Planettes
, déſignés par les attributs de ces
Divinités; celui de Jupiter , couronné
d'une coupole élégante & riche eſt défigné
par les Aigles. On voit au-delà une
partie du Zodiaque où ſont les deux Jumeaux
nouvellement inſtallés. Le globe
du Soleil y parcourt ſa carrière . Indépendamment
des attributs, on a fort ingénieufement
exprimé le Phyſique des
Planettes , par la ſuppoſition de globes
lumineux , placés dans chaque Pavillon,
dont les émiſſions rayonnantes paſſent
à travers les entre-colonnes . Un feul ,
qui fait fond au Pavillon de Jupiter ,
eft
FEVRIER. 1764. 193
eſt vû de face & en plein . Une chaleur,
un feu vaporeux , régne tellement dans
cette décoration , que tout eſt lumière
, & qu'il ſemble que la couleur
en ſoit la cauſe première. L'ordonnance
des parties d'Architecture eſt élégante
, noble & céleste. La matière paroît
en être de lapis ſurhauffé d'or. Mais
plutôt , par un preſtige fingulier la matière
s'y diftingue à peine , tout y eſt
fondu & tout y eſt diſtinct , en forte que
dans ce brillant enſemble on ne voit ,
on ne fent que la Divinité dont on peint
le ſéjour. Par un effet étonnant , les
rayons des globes lumineux ſemblent
abfolument diaphanes ſur des fonds de
la matière la plus opaque . En un mot ,
toute cette décoration peut être regardée
comme une forte de magie qui ne
doit ſes preſtiges qu'aux propres forces
de l'art. Nous n'avons encore rien vû
d'auffi neuf en ce genre au Théâtre
ſans qu'on ait employé aucuns de ces
fecours étrangers à la Peinture, qui doivent
toujours être dédaignés par les
Artiſtes dans les imitations d'un
grand genre . On ſera moins furpris de
ce que nous rapportons ici de ces deux
décorations , quand on ſçaura que le
célébre M. BOUCHER prèſque toujours
I
194 MERCURE DE FRANCE .
inſpiré par le génie & guidé par
le goût , s'eſt prêté à en donner
l'idée , & qu'elles ont été exécutées
ſur ſes deſſeins par d'habiles Artiſtes
qui ont déja donné des preuves de
leurs talens. Ils ont tellement ſaiſi
la penſée & même la manière de ce
grand Maître , qu'on diroit que ſa main
&fon eſprit ont conduit leurs pinceaux.
C'eſt une fatisfaction pour les
Amateurs de voir renaître & perfectionner
en France un genre qui paroifſoit
devoir, après le fameux Servandoni,
retomber dans la barbarie d'où il l'avoit
tiré. Ces deux principales décorations
ne doivent pas faire négliger le
mérite d'une autre qui précéde la grande
décoration de la fin& qui repréſente
les dehors de la Ville de Sparte avec
un Arc de Triomphe. Le ſeul rideau du
fond eſt pour les Connoiffeurs une
preuve du talent le plus diftingué ; la
compofition & l'exécution font , ainſi
que toutes les autres décorations de l'Opéra
, des mêmes Artiſtes qui ont peint
* M. Baudon a peint les Champs Elysées & la
Caverne de l'Enfer , MM. Canot & Lallemand la
Décoration de l'Olympe du cinquiéme Acte. Le
Rideau des dehors de la Ville de Sparte eſt encore
de M. Baudon .
FEVRIER . 1764. 195
d'après M. Boucher , les Champs Elyfées
& la derniere décoration .
En conſidérant le nombre & la
richeſſe des habillemens ; en y joignant
le détail que nous venons de faire des
décorations, dans le nombre deſquelles
deux ſeulement * ne ſont pas entièrement
neuves,mais réparées & augmenrées
relativement aux nouvelles proportions
; on ne peut refuſer de juſtes
Eloges au zèle & a l'attention des Directeurs
de ce Spectacle , qui doit faire
la gloire de la Nation, mais où tous
les genres de dépenſes vont ſe trouver
confidérablement multipliés.
On doit remettre l'Opéra de Titon &
l'Aurore , le Jeudi 9 du préſent mois
de Février . Onle continuera les Jeudis
de chaque ſemaine.
La nuit du deux au trois de ce mois
on donna le premier Bal , dans la nouvelle
Salle qui a été univerſellement admirée.
En décrivant celle de l'Opéra ,
nous avons décrit plus haut celle-ci qui
eſt une répétition entiére &exacte des
trois rangs de Loges ſur le Théâtre , depuis
les Balcons qui forment la Partie
du milieu & dans lesquels ſont établis
*Celle du premier Alte & celle du troifiéme..
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
**
des Buffets vis-à-vis de grands trumeaux
de glaces . Les deux extrémités
de la Salle font ceintrées uniformément.
Sur le Plafond, qui eſt continué , ſont répétés
les mêmes compartimens & il eſt
terminé par une coupole,pareille à celle
du deffus de l'Amphiteâtre. La Salle , en
totalité, eſt plus longue & plus large qu'à
l'ancienOpéra.Celle - ci a d'une extrémité
à l'autre environ 80 pieds dans oeuvre
& 28 a 30 de largeur. Les proportions
en font d'un effet fatisfaiſantau premier
coup d'oeil. Sa régularité & l'uniformité
des Ornemens des Loges , lui donnent
en même tems une nobleſſe & un éclat
dont il paroît que tout le monde convient.
Nous ne rappellons pas ici les
commodités & les agrémens que procurent
les parties extérieures, dont nous
avons parlé dans l'Article de la Salle
d'Opéra , & dont la néceſſité dans
celle-ci , en fait encore mieux fentir
tous les avantages.
:
Elle est éclairée par une quantité
confidérable de fort beaux Luftres &
Girandoles de Criſtal.
,
Le Roi ayant bien voulu favoriſer la
commodité du Public juſqu'à permettre
la même liberté de paſſage ,
indiſtinctement dans toutes les Cours ,
FEVRIER. 1764 . 197
tant
du Palais des Thuileries , que dans les
rues de la Ville , on arrive à toutes les
heures , dans toute eſpéce de Voitures ,
Carroffes de Place , comme autres ,
à l'Opéra qu'au Bal. On peut dans
tel temps de la nuit que ce fait , faire
avancer en ſortant un Carroſſe de Place .
juſques a la Porte de la Salle , moyennant
une marque qu'on délivre à ceux
qui en demandent.
Ces Salles pour l'Opéra & pour le
Bal , ont été ainſi diſpoſées dans celle
des Thuileries , avec les aſſujettiſſemens
preſcrits, par les ſoins de M. GABRIEL,
premier Architecte du ROI , concertés
avec M. SoUFFLOT , Contrôleur des
Bâtimens pour ce Palais ,& fous fa conduite.
M. GIRAULD, Ingénieur Machiniſte
de l'Académie Royale de Muſique , &
des Menus Plaiſirs du Roi , a donné de
nouvelles preuves , en cette occafion ,
de ſes talens & de fa grande intelligence.
Aucuns des mouvemens , fi compliqués
, n'ayant manqué leur jeu dès la
première repréſentation , & le changement
fingulier de la Salle de Spectacle
en celle de Bal , s'opérant en moins de
trois heures.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE .
}
A
COMEDIE FRANÇOISE .
Mlle Fanier , dont nous avons annoncé
le début dans le précédent Mercure
pour les rôles de Soubrette , l'a continué
juſqu'à préſent dans différentes
Piéces.
Le 2 , on a repris les repréſentations de
Blanche & Guifcard , Tragédie nouvelle
de M. SAURIN , de l'Académie Françoiſe.
Elle avoit été interrompue à la
troifiéme par le ſervice de la Cour à
Fontainebleau. Comme nous ne doutons
pas que cette Piéce ne ſoit imprimée
& que nous ne pourrions rapporter
que de mémoire ,quelques détails
utiles à joindre à l'Analyſe de la Fable
& de la conduite, nous attendrons que
le Public ait la Piéce ſous les yeux , afin
que nos Lecteurs foient plus en état de
juger de la juſteſſe de nos obſervations.
Le 30 du même mois on a donné la
premiere Repréſentation de l'Epreuve
indifcrette , Comédie en deux Actes &
en vers par M. BRET. Cette Piéce a été
applaudie. Elle paroît bien écrite , il
y a des ſcènes fort agréables & trèsbien
jouées par M. MOLÉ , & par
M. PRÉVILLE. Quelques perſonnes
en avoient trouvé l'expoſition un peu
FEVRIER. 1764 . 199
trop forte pour l'étendue de l'action ;
on a fait des retranchemens avantageux.
Le Public a vû avec un plaifir très-vrai
& marqué par des applaudiſſemens ſon
Eléve , ( Mlle DOLIGNI.)& ſa protégée,
chargée en premier d'un rôle convenable
à ſon âge & à ſes talens .
On rendra compte de cette nouveauté
dans le prochain Mercure.
Le regret avec lequel nous avions annoncé
la retraite de M. GRANDVAL ,
eſt garant du plaifir que nous avons à
publier fon retour au Théâtre. Il doit
jouer Lundi , 6 du préſent mois de Février
, dans le Misantrope. Nous inſtruirons
par la ſuite le Public du choix &
du genre des rôles dont ſera compoſé
l'emploi de cet Acteur à cette rentrée.
Il doit compter autant ſur la volonté
officieuſe du Public à ſon égard , que le
Public a lieu d'attendre toujours de ſes
talens de nouveaux plaiſirs & une nouvelle
fatisfaction .
COMÉDIE ITALIENNE.
ON a continue les Repréſentations du
Sorcier. Elles ont été interrompues par
l'indiſpoſition de quelques Acteurs.
200 MERCURE DE FRANCE .
CO NCERT SPIRITUEL
Du 2 Février , Fête de la Purification .
L
,
,
ES deux Motets à grand Choeur qui
ont été exécutés étoient le Magnificat
de M. BELLISSEN , & le Te Deum
de M. DAUVERGNE , Motet d'une
grande distinction & duquel nous
avons parlé dans ſa nouveauté. Mile
FEL , toujours la même pour la voix,
& pour le talent , a chanté un Motet à.
voix feule de M. le PETIT , qui a paru
être goûté. Mlle S. MARCEL , jeune
Sujet dont nous avons parlé à l'occafion
du précédent Concert , a chanté avec
applaudiſſement. M. GAVINIÉS , ſupérieur
aux Eloges,a exécuté un Concerto
de ſa compofition : ainſi que M. BALBATRE
ſur l'Orgue.
SUPPLÉMENT aux Piéces Fugitives.
Nous avons annoncé dans le dernier Mercure ,la
mort de M. le Vicomte de BELSUNCE , nous cuffions
defiré étre alors en état de rendre àſa mémoire,
le tribut de louanges qui lui eft fi légitimement dû ;
&c'est avec grand plaisir que nous faiſons part au
Public de cet Eloge qui vient de nous être envoyé.
FEVRIER . 1764. 201

ELOGE Historique & Militaire de
M. le Vicomte de BELSUNCE.
DE toutes les paſſions qui élévent & échauffent
le coeur de l'homme , la plus noble , la plus
pure , celle qui règne encore ſur le ſage l'orfqu'il
a dompté toutes les autres , c'eſt la gloir e
où le déſir d'éxiſter honorablement dans l'opinion
d'autrui . Plus cette paſſion paroît s'éloigner
des premièrs appétits de nos ſens , plus ſon
empire eſt vague & indéterminé , plus il faut
ſeconder ſes élans ambitieux , & aggrandir l'em--
pire de ſes chimères . Nul obstacle ne l'arrête ;
nulle crainte ne l'épouvante: mais elle s'indigne
qu'on lui préſcrive des limites ; car ſon Domaine
eſt le temps & l'eſpace , & la récompenſe l'immor
talité. Que feroit-ce donc , pour le coeur qu'elle
anime, que ce moment ſi court où nous occupons
une petite place dans ce vaſte univers ? Quel
frivole eſpoir que celui d'une louange incertaine !
Que l'enthouſiaſme prodigue quelquefois ,mais
que l'envie ou l'intérêt particulier ſe hâtent de
corompre ! Quel prix pour la vertu , que ces
honneurs tant de fois profanés , & ces diſtintions
ſi ſouvent uſurpées ! La faveur eſt pour
ceux qui vivent , la réputation pour ceux qui ne
font plus. Le grand Homme n'eſt dignemeng
loué que par les regrets. Auſſi voyons-nous tou
tes les ſociétés , où la gloire eſt le ſentiment
dominant,s'attacher principalement à honorerla
mémoire de ceux de leurs Membres , dont la
mort les a privées. Cet uſage a peut-être con
Lv
202 MERCURE DE FRANCE.
tribué , plus que touteautre choſe , à foutenir la
ſplendeur des Académies ; on aime à les voir
commencer à louer lorſque la louange n'eſt plus
ſuſpecte ; il ſemble que ce ſoit là une éléction
nouvelle; &, d'autant plus flateuſe que lerang
qu'elle affigne s'étend à tous les Siécles ! Le métier
des Armes regardé parmi nous comme le plus
noble de tous , ſeroit-il donc le ſeul fruſtré
de cet avantage ? Les vrais Amans de la gloire
feront- ils privés de ſes derniéres faveurs ? Et verrat-
on mourir les plus braves Guerriers comme on
voit tomber tour-a- tour les Victimes deſtinées au
Sacrifice ? Mais ſi les malheurs de la Guerre endurciſſent
nos cooeurs , & les accoutument au
Deuil, comment pourrons-nous contempler d'un
oeil indifférent le ſort d'un Officier diſtingué ,
qui , après avoir deux fois verſe ſon ſang en
Allemagne , a traverſé les Mers pour chercher
un péril nouveau , ſous lequel il devoit enfin
fuccomber ? Sans douteune telle perte ne doit
pas trouver d'âme inſenſible. Mais c'eſt à l'amitié
a élever la voix pour rappeller aux Militaires le
ſouvenir d'unHomme qui fut leur compagnon ,
& leur ami , & les inviter à répandre encore
des larmes & des Aeurs ſur ſa tombe.
M. le Vicomte de Belſunce , Lieutenant Général
des Armées du Roi , & Gouverneur de S.
Domingue nâquit en 1720 , dans les Terres (a)
de ſon Père : Il y reçut cette éducation de la
(a) à Méharin en Béarn. Nousne dirons point
ici que M. de Belſunce , étoit forti d'une Maison
Illustre , qu'il étoit le vingtième Vicomte du méme
nom dePère en fils toutes ces chofes ferontgravéesfur
des monumens ,nous n'écrivons ici que ce qui doit
être gravé dans les coeurs .
FEVRIER . 1764. 203
première enfance, fi importante pour le reſte de
la vie , & pourtant ſi négligée parmi nous.
Placé en arrivant au monde dans ces contrée's
belliqueuſes qui ont vû naître Henry-le-Grand
il ne fut point accoutumé à ces ſoins trop empreſſes
& toujours indiſcrèts , qui rendent les enfans
également vains & foibles. Ses parens , pénétrés
des principes de l'ancienne Nobleſſe ,
croyoient qu'il falloit avant tout le rendre digne
de vivre , & que ſes jours ne ſeroient précieux
qu'autant qu'il pouroit les rendre utiles à ſa
Patrie. Ce fut donc dès lors qu'il acquit cette
force de tempérament , cette mâle vigueur qui
fait les bons Guerriers ; & cette aiſance , cette
grâce naturelle qui les rend aimables. S'il eſt
vrai que l'accord des formes extérieures avec les
qualités de l'âme , ou , ſi l'on veut , de la figure
avec le caractère , produiſe cet enſemble , cette
harmonie d'où réſulte la principale beauté , nous
nedevons pas être ſurpris que M. de Belfunce
aitpoſſédé fingulièrement ledonde plaire &de
prévenir en ſa faveur. Sa démarche étoit auſſi
noble & auſſi franche que ſes manières , & la douceur
de ſes moeurs ſe faiſoit ſentir dans toute fa
perfonne. Il aima paſſionnément les éxercices du
corps, fur- tout ceux qui demandent de l'adreſſe
&de l'audace : mais l'émulation qu'il y mit ne fut
jamais ni petite ni vaine. Il ne les regardoit
que comme des moyens qui conduiſent à des objets
plus importans ; & comme ſi ſon âme eût porté
en elle- même l'image de la véritable gloire , on
ne le vit jamais prendre des fantômes pour elle
ni la chercher où il ne pouvoit pas la trouver.
Elevé parmi les Baſques , leurs éxercices & leurs
jeux lui plurent infiniment. Il avoit même ſi
bien appris leur langue qu'il ne l'a jamais oubliéć ,
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
'& qu'il la parloit auſfi facilement que le François.
( b ) Mais on vit bien-tôt ſe manifeſter en
lui un goût décidé pour la guerre ; & lorſque
nos goûts font vifs& foutenus , ils ne tardent
pas à devenir des talens. Le cours des Etudes
ordinaires , époque pendant laquelle on paroît
plutôt attendre l'âge de jouer un rôle que s'y
préparer , ne lui offrit que de foibles attraits . Eh !
que voit-on en effet dans la plupart des Ecoles ?
La Science , concentrée dans des règles puériles
paroît tourner toujours ſur elle - même & ne
s'appuyer jamais ſur les rapports & les beſoins
des hommes. Si l'on eût dit à M. de Belſunce ,
que l'étude rendit César , le premier de ces
Romains , qui étoient les premièrs de la terres
fi on lui eût raconté comment Lucullus , en
cultivant les Lettres , ſe mit en état d'être un
grand Général le jour qu'il voulut le devenir ;
ſi on lui eût fait ſentir combien leur commerce
aggrandit l'âme , & comment toutes les grandes
choſes ſe tiennent , ſans doute il auroit fait de
rapides progrès dans une carrière où la facilité de
ſon eſprit ſembloit l'appeller & nous ajou
terions un article à ſon Eloge , quand même
nous ne l'enviſagerions que comme Homme
de Guerre. Il falloit à M. de Belſunce , des
études plus Analogues à ſes penchans. Il les
trouva dans le Régiment du Roi. On ſçait aſſez
que , dans ce Corps reſpectable , la jeuneſſe
reçoit des leçons en temps de Paix , comme elle
y trouve des éxemples en temps de Guerre. Il y
entra en 1739 , & continua d'y ſervir juſqu'en
3745. Rappeller les actions de ce Régiment c'eſt
:
(b) On ſçait que le Basque est une langue mère
bien antèrieure à la nôtre.
FFVRIER . 1764. 205
raconter celles de M. de Belſunce , qui n'occupant
alors qu'un rang ſubalterne , ſe trouvoίε
confondu dans la foule des braves gens , & faifoit
des choſes mémorables, fans pouvoir ſe diſtinguer.
Perſonne n'ignore comment cette troupe
valeureuſe ſouffrit à Prague les horreurs d'un
Siége, & celles de la famine ; & comment ces
Guerriers invincibles alloient dans les ouvrages
des ennemis , braver la mort , qu'ils retrouvoient
enfuite ſous un aspect encore plus horrible
lorſque , rentrant en triomphe dans leurs murs ,
ils voyoient autour d'eux la difette & la contagion.
Tels furent pour M. de Belſunce , les
prémices de la vie ; tel fut lejour terriblequi bril
la ſur ſon Printemps .
,
En 1745. il quitta l'Infanterie & obtint une
Compagnie de Dragons. Ici ſes ſoins ſe multiplient.
Il ne ſuffit pas à l'homme qu'il va commander
d'être brave &docile , il faut qu'il ſoit profond
dans l'art de maîtriſer , de conduire cet
animal courageux , non moins utile au combat
que leGuerrier lui-même. Le Dragon également
deſtiné aux fiége , aux batailles & aux eſcarmouches
, doit être à la fois , Fantaſſin , Cavalier &
Huſſard. Dans le combat , fixe dans ſon rang ,
attentif au moindre ſignal ; dans l'eſcarmouche ,
rapide & léger , ſe ſervant de Chef à lui-même :
par-tout ſon rôle eſt différent , par-tout il luk
faut de nouveaux talens : tantôt il doit preſſer la
courſe de ſon cheval , tantôt la modérer , & la
régler avec une éxactitude géométrique. Ce n'eſt
pas tout , ce n'eſt même rien encore: fi lorſque
le repos ſuccède aux travaux , de conducteur impérieux
il ne devient pas protecteur attentif &
complaiſant; dès que ſon cheval ne le ſert plus ,
c'eſt àlui à leſervir , à lui procurer une nourriture
1
106 MERCURE DE FRANCE.
convenable , à ſoigner ſes bleſſures & à réparer ſes
forces abbatues .
M. le Vicomte de Belſunce , entrant dans
les plus petits détails , fut bien-tôt en état de
donner en tout l'exemple & la leçon. Il ſentit
dès-lors combien ces détails étoient importans ,
& il jugea qu'ils ne devoient paroître minucieux
qu'à celui qui n'a pas allez d'étendue d'eſprit
pour appercevoir la chaîne qui les lie aux plus
grandes choſes. Il faut avouer qu'alors on
ignoroit aſſez généralement que s'attacher à
avoir de belles troupes , c'étoit travailler à en
avoir de bonnes ; que ſi l'on veut qu'un homme
foit ſoldat un jour d'action , il faut qu'il le ſoit
tous les jours de ſa vie ; enfin que tout ce qui
accoutume à l'ordre & à l'obéiſſance conduit
directement à la victoire . Scipion paſſe en revue
fon armée , il remarque le cheval de Marius
c'étoit le mieux ſoigné,le mieux équipé de toute
ſa Cavalerie. Scipion loue , protége , éléve Marius,&
ce regard d'un grand Général dévoile les
talens d'un homme dont le nom retentit encore
mille ans après ſa mort en des climats où il
n'étoit jamais parvenu de ſon vivant. Et cependant
la diſcipline & l'exactitude ſont traittés parmi
nous de ſoins frivoles & puériles. M. le Vicomte
de Belſunce penſa tout autrement , & nous ne
pouvons nousdiſſimuler que ce qui lui mérite
nos Eloges , lui attira ſouvent la jaloufie & la
critique. Il n'y répondit qu'en perſévérant ; il
ſçavoit que la diſpute aigrit les eſprits , & que
l'exemple les ramene. Sa modeſtie , ſa franchiſe,
la fimplicité de ſes moeurs lui firent enfin
pardonner ſes talens .
La Guerre continuant avec la même vivacité,
M. de Belfunce ſetrouva dans la plupart des ac
FEVRIER. 1764. 207
tions qui ſe paſſerent en Flandre: il profita de
ces oecaſions pour s'inſtruire profondément dans
l'Art de conduire &de faire combattre la Cavalerie
: art d'autant plus difficile qu'il demande un
jugement à la fois für & rapide , qu'il éxige le
flegme & l'impétuoſité , & ne laiſſe ſouvent
qu'un moment pour décider du fort d'une Bataille.
Ce fut lorſque M. de Belſunce ſe trouva
chargé de conduire des Détachemens conſidérables
,qu'il ſentit tout le prix de l'expérience qu'il
avoit acquiſe dans les Dragons.
Cependant une nouvelle carrière s'ouvre pour
lui. M. le Prince de Monaco ayant été fait Maréchal
de Camp : le Roi donna ſon Régiment
au Vicomte de Belſunce ; c'étoit un des plus
anciens & des plus braves Régimens de l'Infanterie
Françoiſe . La Paix dont on commençoit
à jouir , ne fut pas un obſtacle à l'émulation de
ce nouveau Colonel. Les premières années de
cette paix furent un temps d'activité pour l'Infanterie.
Nos neveux auront peine à croire
qu'une Nation , qui venoit de faire la guerre
pendant huit ans avec trois cens mille hommes
de troupes , n'avoit pourtant ni Tactique ,
ni Exercice , ni Diſcipline. Il fallut de nouveaux
Réglemens fur prèſque tous les objets du Service
Militaire. Les premieres Ordonnances qui
parurent n'eurent pas tout le fuccés qu'on en
attendoit; on les corrigea , on en fit de nouvelles.
Et celles - ci , quoique plus près du but qu'on ſe
propoſoit laiſfoient encore dequoi travailler à
ceux qui , comparant toujours la pratique &
la théorie , ne trouvent rien de bean que ce qui eſt
bon & utile. L'Hiſtorien Jofeph , en louant la
Diſcipline des Romains , diſoit que leurs Exercices
étoient des Combats où le ſang n'étoit pas
208 MERCURE DE FRANCE.
هللا
répandu , & leurs Combats des Exercices enfanglantés.
M. le Vicomte de Belſunce fondoit tout
ſon ſyſtème ſurce rapport immédiat que doivent
avoir les évolutions des Exercices avec celles des
Combats . Toute manoeuvre difficile & compliquée
fut rejettéecomme inutile & même comme
nuifible. L'objet des évolutions , diſoitil , ne
peut être que de changer de diſpoſition ou de
lieu ; dans ces deux cas le moyen le plus fimple
& le plus prompt eſt toujours préférable .
Son Régiment fut donc accoutumé à exécuter
des mouvemens aiſés , mais rapides : ſe rompre ,
ſe réformer , ſe développer en un clin d'oeil
n'étoit plus qu'unjeu pour lui .
Les Militaires étoient alors partagés ſur un
point qui n'a pas moins élevé de diſpute parmi
eux,que la queſtion ſur la prééminence des anciens
ou des modernes ( c ) n'en a fait naître parmi
les Gens de Lettres. Il s'agiſſoitde ſçavoir ſi les
affaires d'Infanterie devoient ſe décider par le feu
ou par l'arme blanche. Les François , diſoient
les uns , naturellement vifs & impétueux , doivent
attaquer avec la Baïonnette ; tandis que les
Allemands , plus lents &plus flegmatiques , mettront
toute leur confiance dans leur feu. Les
autres prétendoient qu'une troupe , accoutumée
à tirer vite & avec ordre , ſeroit aſſurée de la
Victoire ; parce qu'elle détruiroit ſon ennemi
avant qu'il pût la joindre. A entendre difputer
( c ) On pouvoit comparer les partiſans de l'Arme
blanche à ceux des anciens & les partiſans
du feu à ceux des modernes , & cela d'autant
mieux que le fort de la querelle rouloitfur la
prééminence des anciens Militaires fur les Mi
litaires modernes.
FEVRIER . 1764. 209
gravement ſur cette matière on eût dit qu'il en
étoitdes armées comme de deux hommes qui
veulent ſe battre en duel , & qui choififfent entre
l'épée & le piſtolet. Il s'en faut bien cependant
que les batailles ne ſe décident ainfi. On
peut les rapporter toutes à ces deux objets généraux
; l'attaque & la défenſe. De deux armées
qui combattent , l'une veut défendre un terrein ,
& l'autre l'emporter : celle qui le défend tâche
d'en tirer le meilleur parti poſſible, ſoit en appuyant
ſes flancs , ſoit en profitant des hauteurs ,
foit en couvrant ſon front de quelques retranchemens
naturels ou artificiels : dans ce cas , fon
ordre de Bataille eſt déterminé par des points
principaux ; la place où elle ſe trouve eſt la
plus avantageuſe pour elle , & c'eſt là qu'elle doit
recevoir le combat. Il faut donc qu'elle y attende
ſon ennemi,& qquuee lorſqu'il approchera, elle
le repouſſe par ſon feu. On ſent que fi elle alloit
au-devant de lui , elle perdroit tout l'avantage
de ſa poſition . Le principe de l'Armée qui attaque
eſt tout oppoſé. Il s'agit de forcer l'ennemi
dans un des points principaux de ſon ordre de
bataille. Comme c'eſt à elle à manoeuvrer , elle
doit luidonner de la jalouſie par-tout , afin de
lui dérober la connoiffance de l'endroit où elle
doit attaquer & où elle ne manquera pas de
porter la plus grande partie de ſes forces ; réparant
ainſi par le nombrele déſavantage de la
poſition. Dans ce cas , les troupes qui attaquent
doivent s'efforcer d'arriver ſur l'ennemi le plus
promptement qu'il eſt poſſible : car juſqu'à ce
qu'elles l'ayent joint , elles ſeront expoſées à un
feu qui ſera toujours ſupérieur , puiſque des troupes
qui font en repos tirent beaucoup mieux que
celles qui marchent. Ajoutez à cela l'effet pro
210 MERCURE DE FRANCE .
digieux d'une Artillerie placée avantageuſement,
& vousconviendrez que tout ſe réduit à ce principe
qu'il faut attaquer avec l'arme blanche , &
ſe défendre par le feu. Il ſuit de-là que les
Soldats doivent être accoutumés à marcher avec
vivacité , quoiqu'avec ordre , & à tirer promptement
, quoiqu'avec flegme & adreſſe.
M. le Vicomte de Belſunce ſentit mieux que perſonne
cette double néceſſité. Son Régiment fut
éxercé à marcher avec cette rapidité quieſt ſi naturelle
à la Nation Françoiſe , mais avec un ordre
qui lui étoit tout nouveau. Lorſquedans les éxercices
on formoit une attaque ſimulée , les ſoldats
redoubloient imperceptiblement la viteſſe de leurs
pas juſqu'à ce qu'étant ſuppoſés prêts à joindre
l'ennemi , ils priſſent leur courſepour tomber ſur
lui avec des cris de victoire que toutes les Nations
ont adoptés à l'éxemple du Barritus des Romains.
Mais l'ordre & la diſcipline les ſuivoient juſques
dans cedéſordre apparent; le moindre ſignal les
rallioit , & à la place d'une troupe débandée &
abandonnée , vous revoyez ſoudain une ligne
d'infanterie marchant gravement &pofément.
En s'occupant ainſi de l'art d'attaquer ,il ne falloit
pas négliger celui de ſe défendre. M. le Vi-
Comte de Belſunce ſçut encore le perfectionner.
Il remarqua que les feux qu'on faiſoit éxécuter
dans les éxercices n'avoient pas affez de rapport
avec ceux qui ſe pratiquent dans les combats. Dans
les premiers, l'ordre eſt difficile & minucieux; dans
leſecond, la confuſion eſt exceſſive. M. de Belfunce
ſcut trouver un juſte milieu. Il introduifit
une méthode par laquelle le ſoldat paroiſſant tirer
àſa volonté entretenoit un feu réglé,fuffiſamment
nourri , & qui nes'éteignoit jamais. Il avoit obſervéquedans
le combat, lepremier rang ne met
? FEVRIER. 1764. 211
toitpas un genou à terre , comme à l'exercice ;
il trouva le moyen de faire tirer les trois rangs
debout: par-là ,il gagna du temps &de la précifion,
& fur-tout le grand objet de la conformité
parfaitede l'exercice avec le combat.
Nous n'entrerons pas ici dans le détail de tous
les ſoins qu'il ſe donna pour établir la régle &
la diſcipline dans tous les points. C'étoit aux
ſuccès à faire l'éloge du travail qu'il avoit fait
pour inſtruire les autres & s'inſtruire lui - même .
Il falloit done que la guerre mît au jour ſes talens.
Elle s'alluma en Allemagne dans l'année
1757. Le Régiment de Belſunce ſervit dans l'armée
de M. le Maréchal d'Etrée. La bataille d'Haftembeck
qui nous valut l'Electorat d'Hanovre fuc
plus déciſive que ſanglante. L'attaque que M. de
Chevert exécuta ſur le flane gauche des ennemis ,
en aſſura le ſuccès avant que le reſte de l'armée
les eût pu joindre. Le Régiment de Belſunce ,
quoique deſtiné à une attaque , & ayant la tête
d'une colonne, n'eſſuya qu'une pertelégère. Mais
le courage impatient de M. de Belſunce l'avoit
conduit à de plus grands dangers. M. le Marquis
d'Armentieres , aux ordres de qui il étoit .
avoitjugé à propos de former une avant-gardede
neuf Compagnies de Grenadiers. Ce Général
croyant que M. de Belſunce préféreroit de reſter à
la tête de la Brigade qu'il commandoit, avoit confié
la conduite de ce détachement à M. de laBlachette
, Lieutenant Colonel de ſon Régiment.
M. de Belfunce , plus attaché à la gloire qu'a fon
grade , jugea que le poſte le plus honorable étcit
oùledanger feroit le plus grand ; il reclama fes
droits & l'on croira aiſément qu'il fut écouté ſans
humeur. M. de la Blachette fut donc obligé de
lui céder , quoiqu'à regret , & de tous les actes
212 MERCURE DE FRANCE.
de ſubordination , c'eſt le ſeul qui lui aitjamais
couré.
M. de de Belſunce précéda la diviſion de M.
d'Armentieres , & ſe porta rapidement ſur une
batterie a laquelle s'appuyoit la gauche des ennemis.
Il étoit prodigue de ſa vie; mais c'étoit furtout
, lorſqu'il pouvoit en s'expoſant épargner
cellede ſes ſoldats Avant de les conduire à l'attaque
, il veut voir de plus près & reconnoître luimême
, il s'avance ſeul , & tandis qu'il examine,
il reçoit un coup de fuſil qui lui traverſe le bras.
Cette bleſſure ne l'étonne pas ; elle ne l'afflige
même que parce qu'elle l'oblige à ſe retirer , &
l'empêche d'être plus long-temps utile à ſa Patrie.
Mais il craint que le malheur arrivé au Chef ,
ne décourage les foldats; il diſſimule la douleur
qu'il éprouve , cache ſa retraite & s'éloigne avec
peine regardant ſouvent derriere lui , comme le
paſſager confidèredans un morne ſilence le rivage
qu'il va perdre de vue.
Les malheurs inattendus qui ſuivirent cette
campagne glorieuſe , ramenèrent l'armée ſur les
bords du Rhin. M. de Belſunce n'y rencontra pas
les mêmes périls que ſur les bords du Wezer , il
ſe trouva à la bataille de Crevelt , mais non pas à
l'endroit où ſe paſſa le fortde l'action . Privé d'une
occafion de ſe diftinguer , il ſe plaignitde la fortune&
l'accuſa d'injuſtice ; mais il eut plus à ſe
plaindre encorede la manière dont elle la répara .
La diverſion que M. le Prince de Soubiſe avoit
opérée dans la Heſſe , & la Victoire que M. le
Maréchal de Broglie avoit remportée à Sundershaufen
avoient déterminé M. le Prince Ferdinandà
repaſſer le Rhin , & à envoyer une grande
partie de ſon armée au ſecours de l'Electorat
d'Hanovre. M. le Maréchal de Contades envoya >
FEVRIER . 1764 . 213
,
de ſon côté un ſecours à M. le Prince de Soubiſe ,
qui le mit en état d'attaquer & de battre les ennemisdans
la poſition avantageuſe qu'ils avoientpriſe
près de Luttersberg Le Régiment de Belſunce
faiſant partie de ce ſecours , ſe trouva aux ordres
de M. de Chevert , qui dans cette occafion , atraqua
& plia encore le flanc gauche des ennemis.
M. de Belſunce fidèle à ſon inclination , marcha
à la tête des Grenadiers comme il avoit fait à
Haſtembeck. Une pareille récompenſe l'attendoit.
A la première décharge il reçut un coup de feu
dans le bas - ventre , que les Chirurgiens jugèrent
fur le champ devoir être mortel ; il fut tranſporté
àCaffel , & de la à Marpurg ſans forces & fans
mouvement , n'ayant que ce qui luifalloit de connoillance
pour entendre à chaque inſtant des foldats
& des Officiers qui demandoient s'il étoit
mort. Queſtion cruelle ! à laquelle ceux qui le
portoient ne répondoient que par des ſoupirs , &
que lui ſeul écoutoit ſans en être ému .
Quelque dangereuſe qu'eût paru cette bleſſure ,
les ſuites n'en furent pas funeſtes . La vigueur de
fon tempérament , & fur-tout le calme de ſon
âme hâtèrent ſa guériſon. Elle fut même ſi prompte
que tout le monde en fut ſurpris. Au bout de
fix ſemaines il monta à cheval , & reprit ſes travaux
ordinaires ; car l'hyver n'y metroit point d'intervalle
: le Roi venoit de lui accorder le gradede
Brigadier il fut employé en cette qualité dans la
Ville de Duffeldorff, où ſa mémoire eſt encore
chérie , ainſi que dans tous les lieux amis ou ennemis
, où il a eu quelques commandemens .
On ne ſe ſouvient que trop de la campagne de
1759 , époque malheureuſe pour les armes Françoiſes
! Le 31 Juillet , la Heſſe étoit conquiſe ,
Munſter & Minden étoient en notre pouvoir , &
214 MERCURE DE FRANCE.
nous étions prêts de nous rendre maîtres de l'Electorat
d'Hanovre. Les ennemis déconcertés , ſans
plan de défenſe , ſans moyens , ſans reſſources ,
n'avoient plus que leur Chef pour toute eſpérance.
Le premier d'Août à neuf heures du matin la
ſcène étoit totalement changée ; l'armée Françoiſe,
abandonnant toute idée de conquête , ſe fût
trouvée trop heureuſe d'avoir une retraite aſſurée
& l'eſpoir d'arriver ſur les bords du Rhin: tant le
fort des batailles eſt incertain &terrible ! Leçon
redoutable! que toutes lesNations belliqueuſes ont
ſouvent donnée & reçue , mais qui ne corrigera
jamais les François de l'impatience de combattre !
Dans cette malheureuſe journée , dans ce court
eſpace de temps où ſe décidoit le ſort des Nations ,
M. de Belſunce eut occafion de ſe diſtinguer à
la tête de ſon Régiment. Les brigades de Picardie
&de Belſunce qui compoſoient la droite de la
première ligne , ayant été formées des premières ,
M. leChevalier de Nicolai qui les commandoit, les
mit en mouvement pour marcher aux ennemis
mais les autres diviſions , tant de première que
de ſeconde ligne , n'étant pas arrivées , ou n'étant
pas à portée de le ſoutenir , ce Général fut obligé
decommander de faire halte. Pendant ce tempslà
le combat s'étoit engagé à notre centre : les
ennemis encouragés par les avantages qu'ils y
avoient déja remportés , ſe déterminèrent à y
conduire la plus grande partie de leurs forces..
Une colonne de Cavalerie déboucha vis-à-vis le
flanc gauche de la diviſion de M. de Nicolai ; le
Régiment de Belſunce occupoit cette gauche qui
ſe trouvoit abſolument à découvert : il n'y avoit
que deux momens , l'un pour voir le danger ,
l'autre pour le prévenir. M. de Belſunce ne perd
ni l'un ni l'autre , il change en un clin d'oeil l'orFEVRIER.
1764. 215
drede ſa brigade & fait faire un mouvement au
premier bataillon , par lequel il ſe trouve faire
face ſur le flanc gauche. Dans cette diſpoſition
impoſante , il attend le choc aveccette fermeté qui
annonce preſque toujours le ſuccès ; le Général
ennemi s'en apperçoit & voit à quelques diſtances
de-là , une autre brigade qui lui offre une victoire
plusaiſée; il fait ſur le champun ſigne de la main,
ſe détourne , & laiſſant le Régiment de Belſunce
derrierelui , il va attaquer cette brigade qui fut
preſqu'entierementdétruite. Le centre de l'armée
ayant été mis en déſordre , & le fort de cette
journée étant déja décidé, M. le Chevalier de Nicolai
n'eut d'autre parti à prendre que de retirer
ſesdeux brigades. Ileſt aiſé de juger combien cette
retraite fut périlleuſe pour le Régiment de Belſunce
qui avoit les ennemis derriere lui & ſur ſon
flanc : elle s'exécuta cependant avec un ordre admirable
& une tranquillité parfaite 3 on eût dit
que les ennemis charmés de ce ſpectacle avoient
oublié qu'il falloit combattre , & croyoient aſſiſter
à un exercice.
Les ſuites de cette bataille ayant ramené l'armée
Françoiſe ſous Gieſſen , M. le Maréchal de
Broglie en vint prendre le commandement le 3
du mois de Novembre , & déclara que le Roi avoit
donné à M. de Belſunce la place de Major Génétal.
Celui-ci ne l'avoit ni demandée ni deſirée ;
mais cette grace fut le fruit de l'eſtime que fon
nouveau Général avoit conçue pour lui ; eſtime
plus flatteuſe en elle-même , que tout ce qui
pouvoit en être l'effet .
La Ville de Gieſſen placée entre les deux armées
& hors d'état de ſoutenir un long fiége , paroif
ſoit être deſtinée à ſubir la loi du plus opiniâtre.
Malgré la rareté de toute eſpèce de ſubſiſtance ,
l'armée Françoiſe tint la campagne juſqu'au 16
216 MERCURE DE FRANCE .
Janvier 1760 , & les Alliés furent obligés de renoncer
à l'eſpoir de la conquête de Gieſſen , qui
ſeul avoit pû leur faire ſupporter les fatigues exceſſives
d'une fi longue campagne. On avoit pris
de notre côté des meſures ſi ſages , que les troupes
ne manquèrent jamais de rien , & qu'elles
Tentrèrent dans leurs quartiers en auſſi bon état
que ſi la campagne avoit fini au mois d'Octobre ;
les foins que M. de Belſunce ſe donna dans cette
occafion , répondirent parfaitement aux intentions
de ſon Général. Il fallut les continuer pendant
tout l'hyver. Comme il étoit déja très - avancé
lorſque l'armée ſe fépara , il ne reſtoit qu'un trèscourt
eſpace de temps pour réparer & completter
les troupes. M. de Belſunce alla vifiter
tous les quartiers qui occupoient une étendue
de plus de 80 lieues , & préſida a tous les travaux.
Le plus important de tous reſtoit encore à faire .
& M. le Maréchal de Broglie en étoit profondément
occupé à Francfort; il s'agiſſoit de remédier
àdes inconvéniens innombrables , dont notre fervice
étoit rempli. L'expérience les avoit fait ſuffifamment
connoître , mais les peines qu'on s'étoit
données pour y remédier "n'avoient eu aucun
ſuccès. Bacon dit que l'erreur la plus commune
à ceux qui commandent, eſt de vouloir la
fin ſans permettre les moyens. Dans cette occaſion
il n'y en eut point de négligés. Etablir la difcipline
parmi les foldats , plutôt par les précautions
qui préviennent les fautes , que par les châcimensqui
les puniſſent; en multipliant leurs devoirs
, diminuer leurs fatigues & ajouter à leur
bien - être , aſſurer à la fois la célérité & le ſecret
dans les marches & les détachemens ; maintenir
la tranquillité & l'abondance dans les camps;.
ménager le pays ennemi , & s'y préparer des
refſources ;
FEVRIER. 1764. 217
42
reſſources ; ſe concilier les peuples par la juſtice &
la modération , & faire marcher l'humanité à la
ſuitedes armées : tel fut le plan que ſe propoſa
M. le Maréchal de Broglie , & qu'il remplit dans
toute ſon étendue , en donnant le Réglement
de 1760(d) .
M. le Vicomte de Belſunce eut beaucoup de
part à ce Réglement , dont la plus grande partie
des objets étoient du reffort du Major Général ,
mais le Régiment des Gardes Françoiſes ayant rejoint
l'armée, M. de Cornillon, Major de ce Corps,
reprit les fonctions de Major Général , qu'il avoit
éxercées pendant les trois campagnes précédentes.
M. le Vicomte de Belſunce fit donc la campagne
de 1760à la rêtede ſon Régiment & en qualité
de Brigadier. Le ſort ne voulut pas qu'elle lui
offrît des occafions de ſe diſtinguer autrement que
par ſon émulation qui le conduiſoit dans tous les
endroits où il pouvoit s'inſtruire. Iln'y eutpreſque
point d'action où il ne ſe trouvâtcomme volontai
re , &par-tout où il ſe trouva , il donna toujours
l'exemple. Mais l'hyver devoit lui faire retrouver
les occafions qu'il avoitinutilement cherchées pendant
l'été.
Depuis le commencement de la guerre , onn'a
voitencoretenté qu'une fois de prendre des quar-
*tiers ſur le bord du Wezer ; & quoique toutes les
places fuſſent alors en notre pouvoir , & que le
pays abondât encore en ſubſiſtance , on fut bientôt
obligé de ſe retirer avec une perte conſidérable.A
la fin de l'année 1760 , la conſervation du pays
qu'on avoit conquis , étoit bien plus difficile. Lipftadt
, Munſter , Hamelen & Hanovre étoient en-
:
(d) Ce Réglement a été adopté depuis parMeffiçurs
lesMaréchaux d'Etrées & de Soubiſe.
K
218 MERCURE DE FRANCE.
core occupés par les ennemis ; la Heſſe qui avoit
prèſque toujours été le théâtre de la guerre , ſe
trouvoit entièrement ravagée ; la communication
avec le Bas- Rhin , étoit trop étendue & trop
difficile. Le génie & l'activité ſurmontèrent tous
les obitacles. Le pays étoit ouvert , & la première
ligne des quartiers n'avoit point de place forte
pour la couvrir , en trois ſemaines de temps on
en créa , on en approviſionna une capable de
contenir cinq ou fix mille hommes de garniſon ,
& l'Allemagne étonnée compta une fortereſſe de
plus .
Qu'il nous ſoit permis d'interrompre le récit
*d'une longue & malheureuſe guerre par une ré-
Héxion confolante pour l'humanité. Goetingue ,
l'aſyle des Muſes , le ſiége d'une Univerſité célébre
, voit ſes portiques & ſes lycées changés en
remparts , & remplis de ſoldats.Tel fut le fort de
Rome & d'Athènes ; mais les barbares qui ſoumirent
ces Villes , détruiſirent également , & les
Sciences , & les Peuples qui les cultivoient. Les
François qui viennent dans Goetingue , braver à la
fois les périls de la guerre , la rigueur de la ſaifon&
la diſette qui les menace; les Françoisſont les
protecteurs & les amis des Lettres. L'Officier dans
l'intervalle de ſes travaux vviieennt écouter les leçons
d'un Profeſſeur qu'il reſpecte & qu'il honore,
& le Grenadier qui défendit hier l'accès d'une redoute
, conſerve aujourd'hui avec la même vigilance
le dépôt des Muſes , dont la garde lui a été
confiće. Tel eſt l'empire de la Philoſophie, qu'il
adoucit la guerre elle-même , & qu'il fait régner
les moeurs juſqu'au ſein des combats.
M. le Maréchal de Broglie , après avoir mis
l'élitede les troupes dans Goetingue, n'avoit garde
de négliger le choix des Commandans. Il tomba
FEVRIER. 1764 . 219
furM. le Comte de Vaux , Lieutenant-Général&
ſur M. le Vicomte de Belfunce. L'hiſtoire prèſque
incroyable de ce qui s'eſt paflé dans l'hyver de
l'année 1761, eſt le ſeul éloge qui ſoit digne d'eux.
M. le Comte de Vaux , qui auroit fait un prodige
en ſe procurant ſeulement les moyens de conferver
ſa place , ſe prépare ſur le champ ceux d'attaquer
les ennemis & de les inquiéter par-tout.
Dès le 27 Janvier , le Vicomte de Belſunce fort à
la tête d'un détachement conſidérable qui étoit
deſtiné à favoriſer par une diverſion les expéditions
du Comte de Stainville & du Comte de Narbonne;
il cherche les ennemis , les trouve en force,
les attaque , & leur tue ou leur prend trois
cent hommes , tandis que le Comte de Stainville
enléve un corps Pruffien , & le Comte de Narbonne
un bataillon Hanovrien .
On ſe rappelle les efforts prodigieux que firent
les Alliés , lorſqu'après s'être combinés avec les
Prufliens , ils nous attaquèrent de toute part ,&
voulurent nous contraindre à abandonner la
Heffe. La garniſon de Goetingue n'a bien-tôt
plus de communication avec l'Armée ; elle en
ignore la deſtinée , ou les ſeules nouvelles qu'elle
en reçoit lui apprenent qu'elle eſt près de Francfort.
C'eſt dans ce moment que ſon courage &
ſon activité redoublent ; il faudroit un journal
détaillé pour raconter ici tout ce que M. de
Belſunce fitderemarquable : il n'y eur préſque
pointde jourqui ne fût ſignalé par quelques avanzages.
Il apprend que les ennemis occupent Du-
Derſtadt , Ville éloignéede Goetingue de près
de fix lieues. Ily marche , les ſurprend , & fair
350 priſonniers. Après avoir diſſipé ſucceſſivement,
tous les corps qui obſervoient la garniſon de
Goetingue , il raffemble ſa Cavalerie ; fort de

220 MERCURE DE FRANCE...
la Ville , & va s'établir à plusde quatre lieues de
là dans celle de Northeim : il y ramaſſe des ſubſiſtances
; léve des contributions juſques dans
Eimbeck , & s'avance lui-même à Seeſen ſur
le chemin de Brunſvick on il enléve cent Cavaliers
& cing Officiers. A peine est -il revenu qu'il
ſe porte rapidement d'un côté tout oppoſe. II
paffe la Leine; met en fuite les ennemis , & leur
tue ou prend trois cens hommes. Le retour de
l'Armée ennemie qui avoit été chaffée de la
Heſſe l'ayant obligé de rentrer dans Goetingue ,
il apprend peu de jours après que le Colonel
Collignon occupe Northeim avec un Bataillon
Prufſfien ; il fort à la tête d'un gros détachement
ſecondé par M.le Marquis de Durfort : ils fondent
tous deux ſur l'ennemi ; nos Dragons
joignent l'Infanterie au moment où elle arrivoit
à un Pont au - delà duquel elle de voit
trouver ſon ſalut. Ils la cottoyent & en efſuyent
tout le feu , pour aller s'emparer du Pont. Trois
cens prifonniers , & deux pièces de Canon ſont
le prix de cette manoeuvre hardie. Les deux
Armées avoient pris leurs quartiers , & le calme
étoit rétabli partout : mais M. de Belſunce
croyoit qu'il n'étoit jamais temps de ſe repoſer
lorſqu'il reſtoit quelque choſe de glorieux à
faire. On lui rapporte qu'un Bataillon de la
légion Britannique occupe Daffel ; il va pour
l'attaquer , mais il trouve à ſa place trois Bataillons
d'Infanterie ennemie ; il les contraint à
ſe retirer , & les fait tenir en échec tandis qu'il
pourſuit le Bataillon de la légion Britannique ,
qui cherchoit à regagner le bois , quoiqu'il eûr
été renforcé par un corps de Grenadiers & de
Cavalerie. M. de Belſunce à la tête de nos Dragons
joint ces troupes réunies , les attaque ,les
FEVRIER. 1764. 221
défait & ramene deux cens priſonniers avec une
piécedeCanon.
Nous ne finirions pas fi nous voulions rapporter
tous les avantages de moindre conféquence
qu'il remporta pendant fon ſéjour à
Goetingue. Il nous ſuffira de dire qu'on n'a pas
enlevé aux ennemis un poſtede trente hommes ,
qu'il ne l'ait été reconnoître lui - même ,&qu'il
n'ait conduit les troupes à l'attaque.
Le Grade de Maréchal de Camp , &leCom
mandement d'une avant-garde , furent la récompenſe
qu'il reçut de ſes ſervices ſignalés.
L'Armée Françoiſe ſe raſſemble ; les opérations
de la Guerre vont recommencer , mais on
ne peut pas dire de M. de Belſunce qu'il rentre
en campagne : avec de nouvelles Troapes it
marche àde nouveaux ſuccès. Le Général Sporcken,
à la têted'un corps de quinze mille hommes ,
gardoit les défilés de la Dimel. M. Le Maréchal
de Broglie les fait tourner par deux corps
commandés par M. le Marquis de Poyanne ,
& M. le Baron de Clozen. Il ſe préſente luimême
devant le Général Sporcken : celui - ci
profite de la nuit pour ſe retirer. Le Vicomte
de Belſunce avec deux Régimens de Dragons ,
&un Régiment de Troupes Légéres le joint , &
L'oſe attaquer. En vain l'Infanterie ennemie croit
ſe mettre à couvert dans un bois ; notre Cavalerie
y pénétre , & la diſperſe , treize pièces de Canon
, deux cent priſonniers ,& tous les Equipages
des ennemis reſtent en nos mains. De toutes les
actions où s'étoit diſtingué M. de Belfunce celle-
ci fut la plus flatteuſe pour lui , parce qu'elle
ſe paſſa prèſque ſous les yeux de ſon Général ,
qui arriva au moment où elle finiſſoit. Mais telle
étoit lamodeſtie , & l'élévation de ſon âme , que
:
K iij
:
222 MERCURE DE FRANCE.
s'occupant moins de ce qu'il avoit fait que de
ce qu'il auroit voulu faire , il n'aborda le Maréchal
de Broglie quiavec crainte & parut furpris
des éloges qu'il en recevoit .
Juſqu'ici le fuccès a toujours accompagné
notre Héros; ilmanque donc quelque choſe a fa
gloire: car comment connoître les hommes qui
n'ont pas connu l'adverſité! ne craignons point
pour lui cette épreuve : elle mettra ſon mérite
dans tout ſon jour. M. le Maréchal de Broglie
étoitencore en Westphalie , mais il méditoit le pafa
fageduWezer, & il vouloit s'aſſurer la communi
cation de Goeringue. Il y envoya M. le Vicomte
de Belfunce avec le corps qu'il commandoit.
LeGénéral Lukner dont on connoit la capacité
& l'activité reçut un renfort conſidérable , fir
une marche forcée , & vint tomber ſur M. de
Belſunce qu'il trouva près de Daſſel ; l'inégalité
des forces rendoit la retraite néceffaire , mais la
nature du terrein la rendoit très-difficile. M. de
Belfunce voit le danger ; & ne s'en émeut pas
c'eſt a la valeur à compenfer rant de défavantages,&
il compte fur celle de ſes Troupes. L'ennemi
qui croit être sûr de la Victoire , le preſſe
&s'oppoſe à fa retraite. Dès qu'il s'approche , M.
deBelſunce le fait charger ; un Efcadron ne paffe
un défilé que tandis qu'un autre combat , &
repouſſe une colonne entière de Cavalerie. Après
vingt charges plus glorieuſes les unes que les
autres , notre Cavalerie parvient enfin à allurer fa
retraite; mais cinq cens hommesd'Infanterie accablésde
laffitude &du poids de la chaleur qui ce
jour-là fut exceſſive,ne purent monter un eſcarpement
au haut duquel ils auroient trouvé leur falut.
M. de Belfunce , obligé de les abandonner , fe
ſaiſir de leurs drapeaux , & les emporte avec lui,
ne laiſſant ainſi aux ennemis d'autre ſupériorité
FEVRIER. 1764. 223
que celleque leur donnoit la vîteſſede leurs chevaux
fur les forces du Fantaſſin épuiſé . Ce revers
ne diminua ni ſon courage , ni la confiance que
ſes troupes avoient en lui. Il écrivit au Maréchal
de Broglie : Nous avons été battus , mais nous
nous sommes bien battus . M. de Belſunce cherchoit
une revanche au lieu d'excuſe ; & ſon Général le
mit en état de la prendre. Il lui donna de nouvelles
troupes , & l'envoya vers la forêt du Hartz
avec ordre d'obſerver les ennemis & d'entreprendre
ſur eux , s'il en trouvoit l'occaſion .
M. de Belſunce marchoit plein d'ardeur &
d'eſpérance , lorſqu'il reçut l'ordre de ſe rendre à
la Cour pour y recevoir des inſtructions ſur ſa
deſtination ultérieure. 11 obéit & ſe diſpoſe à partir.
Cependant il voit avec douleur qu'il ne lui
reſte plus que cinq ou fix jours à commander
ces braves gens qui avoient toujours combattu
fous ſes ordres , & qui s'étoient tous promis de
le vanger. Dans ces circonstances il s'approche de
la forêt du Hartz. Ce Pays affreux & inacceſkble
eſt fameux par les mines qu'il renferme. Des
montagnes énormes entaſſées les unes ſur les
autres , & couvertes de cyprès ; des torrens dont
l'onde mêlée de ſoufre & de vitriol flétrit l'herbe,
qu'elle arroſe & couvre de rouille les pierres qu
lui ſervent de lit ; des rochers menaçans , des
ruines immenfes , des précipices horribles ; tels
font les objets hideux que la Nature a raſſemblés
dans les lieux où elle a placé ſes tréſors . Cer
épouvantable ſéjour est habité par un Peuple digne
de lui. Des hommes pâles & livides , accoutumés
à vivre dans les entrailles de la Terre , ne
pareiſſent ſur ſa ſurface que comme ces oiſeaux
lugubres que la lumière offenſe & qui reffentent
en voyant la clarté du jour une terreur égale à
1
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE .
celle qui nous ſuit dans les ténébres. Qui croiroit
que cette horrible contrée renfermât l'objet le
plus cher aux deſirs de l'homme , & que nos Palais
les plus rians lui duſſent leur principal éclat a
Mais ce Pays offre lui-même un contraſte aufli
frappant ; du ſein de ces arides montagnes on
voit s'élever une Ville bien bâtie ( e ) & bien ornée.
C'eſt là qu'on prépare les métaux , & qu'on
les convertit en eſpéces. L'argent qui y abonde y
procure tout ce qui ne dépend pas des faveursde
la Nature. Le Duc de Brunswick & l'Electeur
d'Hanovre en partagent la Souveraineté ; tous
deux étoient alors nos ennemis , & la conquête
de ce Pays ne pouvoit manquer d'être très- importante
pour nous. Mais la Nature l'avoit rendu
prèſqu'inacceſſible , & l'art avoit achevé ſon
ouvrage. Un ſeul chemin en permettoit l'entrée
àtravers une gorge étroite eſcarpée & défendue
par pluſieurs retranchemens ; la garde en fut
confiée à 1500 chaſſeurs tant à pied qu'à cheval ,
commandés par leGénéral Freytag , & connoif
ſant tous parfaitement le pays qu'ils devoient
défendre.
Quelqu'envie qu'eût M. de Belſunce de triompher
de tant d'obstacles , il ſentit que ce ſeroit
verſer du ſang inutilement que de tenter à force
ouverte le ſuccès de cette entrepriſe. Avant d'arriver
à la forêt on trouve près d'un petit ruifſeau
& au bas d'un eſcarpement une ( f) Ville
affez conſidérable ſituée à 300 ou 400 pas de la
( e ) Clausthal & Cellerfeld font regardées comme
deux Villes séparées , parce que l'une appartient
à l'Electeur d'Hanovre , & l'autre au Duc
de Brunswick ; mais elles se touchent & ne paroiffent
aux yeux que comme une feule Ville.
(f) Oflerode.
7
FEVRIER. 1764. 225
gorge; c'étoit- là où l'infanterie Hanovrienne fatiguéed'avoir
paſſetoute la nuit ſous les armes venoitſe
repoſer pendant la journée. La cavalerie
reſtoit en bataille dans une petite plaine derriere
la Ville. Des Poſtesplacés de tous les côtés devoien
avertir s'ils voyoient paroître lesFrançois.M.deBelfuncereconnoît
la poſition de l'ennemi & le trouve
ſur ſes gardes , mais il parvient bientôt à lui infpirer
de la confiance en lui faiſant pluſieurs attaques
ſimulées , qui d'abord , lui donnent l'allarme
mais qui n'ayant point de ſuite , le font repentir
de s'être fatigué inutilement. M. de Belfunce
profitede ces eſcarmouches pour éxaminer comment
il pourra faire paſſer ſa cavalerie au guć
& couper celle des ennemis avant qu'elle ait
gagné le bois. Enfin le z Septembre , il ſe met en
marche pendant la nuit ; arrive à un bois où il
fait cacher ſes troupes juſqu'à ce que l'heure ſoit
venue où les ennemis quittent les retranchemens
pour entrer dans la Ville ; puis il fait paroître
quelques troupes légéres devant leſquelles les
poſtes des ennemis ſe replient comme ils avoient
fait les jours précédens , ſans donner l'allarme au
reſte de leurs troupes ,bientôt il s'avance luimême
ſuivi de ſon Infanterie & de ſa Cavalerie ,
qui traverſenten courant une plaine de plus d'une
demie lieue de large. A la tête de la premiere il
deſcend l'eſcarpement par un chemin qu'il avoit
reconnu , traverſe le ruiſſeau , tombe ſur la Cava-
Jerie ennemie , la met en fuite & ſe porte rapidement
ſur le chemin par lequel l'Infanterie Hanovrienne
peut ſe retirer . Pendant ce temps-là
la ſienne arrive , attaque la Ville & en briſe les
portes , les ennemis fuyent de toutes parts , mais
on leur fait plus de soo prifonniers. Il n'y avoit
pasunmoment à perdre fi 100hommesſeulement
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
s'étoient ralliés à l'entrée des bois , l'entrepriſe
ftoit manquée. Mais nos Dragons les ſuivirentjufqu'à
leurs retranchemens.Arrêtés par ces obstacles,
ils mettent pied à terre & emportent la première
barrière. L'Infanterie les joint& ſans s'arrêter un
inſtant elle poursuit les fuyards ſur toutes les
montagnes du Hartz juſqu'à ce qu'elle arrive à la
VilledeClauſtal dont elle s'empare après avoir
fait cing lieues de chemin, dont trois en combattant.
Ce ſuccès nous valut un million de contributions;
& en nous ouvrant lepays d'Halberstadt,
&deBrunswick , il prépara l'expédition de Wolfembutel.
M. le Vicomte de Belſunce ſe réſout enfin de
quitter ſes braves Compagnons , mais il eſt obligé
d'éviter leurs adieux ; ils eufſſent été trop touchans
pour eux , & trop glorieux pour lui. Il ſe rend à
laCour où il apprend qu'il eſtdeſtiné à commander
un corps de troupes qu'on envoye à Saint-Domingue.
De toutes les idées effrayantes qui , dans
cetteoccafion , pouvoient ſe préſenter à ſon eſprit ,
la ſeule qui le touche, c'eſt la crainte de ne pouvoir
répondre comme il le deſire à la confiance qu'on
lui témoigne. Il n'objecte pas que ſon tempérament
ne peut foutenir la mer; que ſa ſanté, déja
épuiſée par de longs travaux,réſiſtera difficilement
àun climat dangereux : mais feulement que le
genre de guerre auquel on le deſtine ſera nouveau
pour lui , & qu'en répondant de fon zèle , il ne
peut répondre de ſes talens. Réſola d'obéir , il ne
demande plus qu'une grace : c'eſt d'emmener
aver lui ſon ami. Car ſon âme douce & ſenſible ,
accoutumée dès long-temps aux impreſſions les
plus tendres , n'avoit pas changé de nature par
l'habitude des combats , & s'étoit du moins réſervé
le ſentimentde l'amitié , comme celui qui conFEVRIER.
1764 . 22.7
vientleplus à un grand homme. Mais ici fon inclination
ſe trouvoit encore identifiée avec fon
amour pour la guerre. Il y avoit plus de vingt
ans qu'il étoit lié de l'amitié la plus vive avec М.
de Caftra , Lieutenant -Colonel des Cantabres : une
eſtime réciproque avoit toujours refferré ces liens .
Il voulut donc qu'il s'embarquât avec lui ( g ) ,
ainſi que deux Officiers de fon Régiment , dont il
avoit éprouvé la valeur & la capacité h ) . Mais
s'il ménageoit ainſi des ſecours utiles à la Colonie
qu'il alloit défendre , quels ſecours plus importans,
encorene ſe préparoit- il pas à lui-même ? Heureux
eelui que la fortune a élevé& qu'elle attache encor,e
àdegrands emplois, ſi lorſque l'intérêt particulier,
les cabales , les jalouſies viendront ſe placer entre
lui & le bien qu'il voudra faire , il trouve alors un
ami qui , par ſon eſtime & fon fuffrage , conſole
ſon âme flétrie par l'injuſtice , & lui ouvre un coeur
ſimple & pur , auquel il puiſſe confier le dépôt de
ſa vertu!
M. de Belſunce s'embarqua ſur l'Eſcadre commandée
par M. de Blenac ; il mit à la voile le 24
Janvier 1762 , & arriva à Saint-Domingue le 16
Mars . Il ſouffrit beaucoup de la mer pendant la
traverſée : mais les devoirs qu'il doit remplir à fon
arrivée lui donnent de nouvelles forces . Il a bientôt
acquis une connoiſſance exacte du pays. N
obſerve que la défenſe en eſt trop étendue , &
qu'il n'eſt pas poſſible de s'oppoſer par-tout à un
débarquement. Il ſçait que cette fauſſe idée de dé -
fendre la côte a déja perdu pluſieurs Colonies ;
il ſe réfout donc à prendre une poſition où il ſoir
(g) Ilpaſſa à S. Domingue avec le rang deBri
gadier.
(h ) MM. de Renaud& de Milly.
Kvj
228 MERCURE DE FRANCE.
impoſſible de le forcer , &d'où il puiſſe , en casde
deſcentes , harceler & inquiéter aſſez les ennemis
pour les forcer à abandonner leur entrepriſe. Tel
fut le plan de défenſe qu'il choiſit , & qui fera certainement
approuvé par quiconque ne préférera
pas l'intérêt de ſon habitation à celui de ſa Patrie.
Les fatigues, les ſoins que de ſi ſages meſures
avoient exigés de lui ne tardèrent pas à altérer ſa
conſtitution. Son tempérament paya alors au climat
un tribut qu'il ſembloit que ſon âme eût ſuſpendu
, tant que ſa ſanté avoit été néceſſaire à la
Colonie. La force de ſa complexion le fit triompher
de cette maladie , ainſi que d'une autre qu'il
eut encore peu de temps après celle-là.
M. le Vicomte de Belſunce , pendant le court
eſpace de temps qu'il a vécu , a eu du moins la
confolation de recevoir les honneurs ſans les avoir
mandiés. M. le Duc de Choiseul, qui, vingt ans auparavant
, avoit fait connoillance avec lui les armes
àla main , réuniſſant en ſa perſonne les Places de
Secrétaire d'Etat , de la Guerre & de la Marine ,
ne lui montra ſa ſupériorité qu'en appréciant ſes
ſervices , & en lui faiſant obtenir des récompenſes
qui auroient perdu de leur prix ſi elles avoient été
follicitées.
M. de Belſunce apprit qu'il avoit été fait Lieutenant-
Général & Gouverneur de S. Domingue ;
mais ces honneurs ſi bien mérités ne devoient
ſervir qu'à décorer ſa mémoire. Il fut attaqué au
mois de Juillet 1763. d'une maladie qui le
conduiſit bien- tôt au tombeau. Ce fut alors que
fon courage fut mis à une épreuve nouvelle; il
avoit enviſagé la mort ſans effroi ,' lorſqu'il avoit
été au-devant d'elle ; dans ce moment il la voit
tranquillement s'avancer vers lui. Mais il lui
manque la conſolation d'expirer entre les bras
de ſon ami. M. de Castra étoit abfent, &jamals
V
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ed
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ja
pa
l'a
fu
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0
C
L
Π

FEVRIER . 1764 . 229
ſapréſence n'auroit été plus néceſſaire à M. de
Belſunce. Car dans ces momens extrêmes , l'âme
conſervant encore une activité qu'elle ne peut
plus porter ſur elle-même ,s'élance avec ardeur
vers les objets de ſon amour ; & ce ſentiment eſt
d'autant plus pur en elle qu'alors ily régne tout
ſeul , & n'en partage plus l'empire avec l'intérêt
perſonnel , & l'amour de la conſervation. M.
de Belſunce averti de ſa fin , leva encore une
fois les yeux,regarda autour de lui , & n'y voyant
pas ce qu'il cherchoit il les referma foudain
comme s'il donnoit le ſignal à la mort qui
s'apprêtoit à le frapper. Déjà les regrèts avoient
fuccedé aux allarmes , déjà le deuil étoit répandu
parmiceux qui l'environnoient. M. de Castra arrive
: en vain on veut l'arrêter en lui diſant qu'il
n'eſt plus tems ;il s'élance vers le lit de ſon amis
l'appelle avec des cris douloureux. La mort ſemble
les entendre & lâcher ſa proïe. M. de Belfunce
fort de l'agonie , où il étoit plongé depuis
dix-huit heures: c'eſt vous que je revois , dit- il ,
que mon fort eſt changé ! c'en est fait , je meurs
content A ces mots, il voit couler les larmes de
ſon ami , il ſe ſent ſerrer dans ſes bras , il veut
le ferrer à ſon tour, il retrouve ſes forces ; l'amitié
, cette douce conſolation de ſon être en
combat la deſtruction. M. de Betfunce paroît
rappellé a la vie , l'eſpoir renaît , une joie timide
& inquiette ſe répand dans ſamaiſon.M. de Caftra
lui-même ſe flatte de le conſerver. Mais , M. de
Belfunce ſentoit mieux ſon état. N'eſpérez rien ,
dit-il , mes jours ſont consommés ; la mort habite
déjà dans mes entrailles . ( i ) je ſens l'endroit
où elle me frappe ; ne lui oppoſons point une
réſiſtance inutile: mais tant que nous vivrons
(i) Il est mort d'une inflammation d'entrailles .
<
230 MERCURE DE FRANCE .
...
foyons dignes de vivre. Alors il employe le reſte
de ſes momens à faire ſes dernières diſpoſitions.
L'équité la plus parfaite y préſide. A peine furentelles
conſommées que le moment fatal . Mais
pourquoi nous retracer ces objets douloureux ?
Nous avons perdu un Citoyen , un Guerrier , un
Défenſeur . Offrons-lui le tribut de nos larmes ,
fans doute il le merite; mais il a vécu avec gloire, &
ſa vie a été ſans tache : mêlons donc quelques
fleursaux lauriers qui ornent ſa tombe , & n'offenfons
pas ſa mémoire par d'inutiles plaintes ; car celui-
là ſeul eſt mort trop tôt quia fini ſes jours, ſans
les avoir rendus utiles à ſon pays.
SUITE des Nouvelles Politiques
du II. Vol. de Janvier.
De PARIS, le 30 Décembre 1763 .
LE Comte de Mailly , Chevalier des Ordres du
Roi , Lieutenant Général de ſes Armées , Gouverneur
des Ville & Château de Dieppe , premier
Ecuyer de Madame la Dauphine , ſe rendit,
le 28 du mois dernier au Couvent des Peres
Cordeliers , revêtu des marques des Ordres de
Sa Majesté & précédé des ſieurs Chendret , Hé,
rault , & Perſeville , Huiſſier deſdits Ordres , aves
leur habit de Cérémonie. Il y préſida , au nom
du Roi , au Chapitre de Saint Michel , & reçut
Chevaliers de cet Ordre , avec les Cérémonies
accoutumées , le ſieur Dunod de Charnage ,
Avocat au Parlement de Besançon , Ancien Vicomte
Mayeur & Lieutenant Général de la même
Ville ; le ſieur Guillot Aubry , de l'Académie
3
FEVRIER. 1764. 231
Royale d'Architecture de la premiere Claffe &
Contrôleur des Bâtimens dépendans des Domaines
de Sa Majeſté ; le ſieur Mercier , ancien
premier Echevin de Paris , & le ſieur Babille ,
Avocat au Parlement , ancien Echevin. Le fieur
Boyer , Chevalier , Secrétaire de l'Ordre , avoit
auparavant adreſſé à l'aſſemblée un Dicours dans
lequel il avoit fait l'éloge des nouveaux Chevaliers ,
&avoit fait mention des motifs qui ont déter
miné Sa Majesté à leur accorder cette grace. Le
Comte de Mailly , & les Chevaliers ſe rendirent
enſuite en proceffion à l'Eglife , & y aſſiſterent
au Service qu'on y célébre tous les ans , lepremier
Lundi de l'Avent , pour les Rois , les Princes&
les Chevaliers décédés.
Le 24 du même mois , l'Académie Françoiſe
s'aſſembla & nomma le ſieur Marmontel pour
remplir la place vacante par la mort du ſieur de
Bougainville.
On a publié ici deux Lettres Patentes du Roi .
Les premieres , datées du 26 Octobre dernier ,
confirment le Collége de Fontenay- le-Comte ,
& l'union qui y a été faite du Prieuré de Rohan-
Rohan ; les ſecondes , du 16 Novembre , portent
tranflation des Ecoles de la Faculté des Droits de
l'Univerſité de Paris ſur la place de la nouvelle
Egliſe de Sainte Genevieve du Mont.
Le 3 dece mois , l'Univerſité tint ſon aſſemblée
al College de LoUIS- LE-GRAND , & annonça
pour l'année prochaine le prix d'Eloquence Latine
fondé par le ſieur Coignard , Secrétaire du
Roi , & Conſervateur des Hypothèques : ce prix
doit avoir pour ſujet: Ubi viget virilis difciplina ,
ibi optima estjuventutis inſtitutio. Le ſieur Camić ,
Profeſſeur au Collége de Lizieux , a été élu , le
16 de ce mois , Recteur de l'Univerſité à la place
du ſieur Fourneau,
232 MERCURE DE FRANCE.
Le 22 , l'Académie Françoiſe tint une ſéance
publique pour la réception du ſieur Marmontel
Le ſieur Bignon répondit , en qualité de Directeur
, au Diſcours du nouvel Académicien.
La ſéance fut terminée par la lecture d'une Epître
en vers du ſieur Marmontel ,fur la force & la
foibleffe de l'Esprit humain .
Le trente - fixiéme tirage de la Loterie de
l'Hôtel de Ville s'eſt fait , le 24 de ce mois , en
la manière accoutumée. Le lot de cinquante mille
livres eſt échu au Numéro 64567 celui de vingt
mille livres au Numéro 78669 , & les deux de
dix mille livres aux Numéro 70033 & 74726.
Les , on a tiré la Loterie de l'Ecole Royale Mi
litaire . Les Numéros ſortis de la roue de fortune,
font , 2,39,36,6,900
: MARIAGES.
Le te du mois de Janvier , Joſeph Durey;
Marquis Duterrail , Maréchal des Camps& Armées
du Roi , ſon Lieutenant Général du Verdunois
, Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire de
S. Louis , Seigneur du Duché-Pairie de Damville ,
Baron de S. André , de la Rambandière , Neuville,
Meliné , Mongon & autres lieux ; époula Marie
Charlotte de Cruffol de Montauſier ; elle eſt fille
du Marquis de Crufſol d'Uzès de Montaufier &
d'Elifabeth d'Aubuffon la Feuillade , & foeur du
Comte de Cruffol de Montauſier , Colonel du
Régiment d'Orléans.
LeMarquis Duterrail eſt fils de Joſeph Durey,
Seigneur de Sauroy , Duterrail , du Duché-Pairie
de Damville , de Martigni-le-Comte , de la Motte
S. Jean , Digoin S. Valier , Montigni , Monquel
, Beauvillier & autres lieux , Commandeur
FEVRIER. 1764. 293
honoraire de l'Ordre Royal & Militaire de S.
Louis ; & de Marie Claire d'Estaing , Dame Duterrail
Bayard.
La Bénédiction Nuptiale leur fut donnée par
l'Abbé de Crufſol S. Sulpice, Grand-Vicaire d'Angers
, également parent des deux conjoints , dans
la Paroiſſe de S. Sulpice .
Le Marquis Duterrail avoit épousé en premières
nôces , Marie Roſalie de Goeſbriand ,dont la
mere étoit héritiére de la ſeconde branche de la
maiſon de Châtillon , & niéce du feu Duc de
Châtillon , Gouverneur de Monſeigneur le Dauphin.
Il a eu de ſa première femme quatre enfans
qui font morts en bas âge.
Il avoit pour ſoeur , feue la Ducheſſe de Brif-.
fac, premiere Dame de Mesdames Henriette &
Adelaide de France.
MORTS.
P

Le Marquis Dupleix , Commandeur de l'Ordre
Royal & Militaire de Saint Louis , Chevalier
de l'Ordre du Roi , ci devant Commandant
Général des Etabliſſemens François aux Indes
Orientales , & Gouverneur de Ville & Forts de
Pondichery , eſt mort ici le 10 Novembre.
René Benigue de Croizier - Sainte - Segraux ,
Maréchal de Camp , eſt mort à Chaumont en
Baſſigny le 17 , dans la foixante- dix-huitiéme
année de ſon age.
L'Abbé Prevoſt , qui s'eſt rendu célébre par
un grand nombre d'Ouvrages d'eſprit & d'imagination
, eſt mort , le 25 , d'une attaque d'apopléxie,
dont il a été frappé en allant à une Maiſon
de Campagne qu'il avoit à quelques lieues
de cette Capitale.
234 MERCURE DE FRANCE.
L'Abbé de Trudaine , Grand- Vicaire deSenlis ,
Abbé de Preuilly , Ordre de Citeaux , Diocèſe
de Sens , & Prieur de Donas , Ordre de Saint
Benoît , Diocèſe d'Arras , eſt mort ici les Décembre
, âgé de trente-quatre ans. Son Abbaye
de Preuilly a été donnée a l'Evêque de Dijon.
Louis Philippe de Rigaud , Comte de Vaudreuil
, Lieutenant-Général desArmées Navales ,
Grand - Croix de l'Ordre Royal & Militaire de
Saint Louis , eſt mort à Tours , âgé de ſoixantedouze
ans.
Charles- Hyacinthe-Auguſte le Merecrel de
Chaſteloger , Chef d'Eſcadre , eſt mort les Décembre
, âgé de ſoixante-cinq ans.
Ernest Louis Comte de Mortaigne , ancien
Général de la Cavalerie de Sa Majeſté Impériale
Charles VII & ſon Chambellan , Lieutenant-Général
des Armées du Roi , ancien Commandant
en Chef dans les trois Evêchés de Lorraine &
Inſpecteur de Cavalerie , eſt mort ici le 15 ,
dans la ſoixante - onzième année de ſon âge.
Louis Alexandre Comte de Damas mourut le.
6dans ſon Château de Crux en Nivernois , âgé
de cinquante-fept ans .
Jean-Jacques du Deffand , Marquis de la Lande
, ancien Colonel d'Infanterie & Lieutenant-
Général de l'Orléanois , eſt mort dans ſes Terres
, le 13 , âgé de ſoixante- ſept ans.
Antoine de Laſtic , Evêque de Comminges ,
nommé à l'Evêché de Châlons-fur Marne & à
l'Abbaye de Mouſtier- en- Der , même Diocèſe ,
eſt mort ici le 23 , âgé de cinquante-quatre ans.
Claude - Jacques - Céſar Marquis de Murat ,
ancien Colonel d'un Régiment d'Infanterie de
fon nom , eſt mort dans ſes Terres au Pays du
Maine ,de 25.
FEVRIER. 1764 . 235
NOUVELLES POLITIQUES
du mois de Février.
De STOCKOLM,le 20 Décembre 1763 .
La Baron de Breteuil , Ambaſſadeur de France
en cette Cour, a eu hier ſes premières audiences
de Leurs Majeſtés & de la Famille Royale.
De FRANCFORT , les Janvier 1764 .
Le Landgrave de Heſſe-Caffel ayant réſolu de
rentrer dans le Corps du Cercle du Haut-Rhin
comme Membre de ce Corps , dont ſa Maiſon
s'étoit détachée depuis pluſieurs années , a adreſſé
à ce ſujet une Lettre aux Etats du Cercle afdemblés
en cette Ville , par laquelle il leur fait part
de ſes intentions .
Il paroît ici un nouveau Mémoire dans lequel
les faits qui ont donné lieu à la détention du
Comte de Wartenſfleben ſont rapportés avec des
circonstances différentes de celles qui ſont contenues
dans l'Expoſé qu'a fait publier à ce ſujet la
Régence de Heſſe-Caffel. Suivant ce Mémoire,
la Baronne de Goerz légua tout ſon bien pour
établir dans ſa maiſon de Hombourg un Chapitre
deDames Nobles , & nomma le Comte de Wartenfleben
Exécuteur de ſon Testament avec des
pleins pouvoirs illimités , ratifiant d'avance tout
ce qu'il jugeroit à propos d'ordonner à ce ſujet.
L'Empereur confirma cette fondation & promit
d'accorder fa protection au Chapitre. La Baronne
de Goerz , que des ſujets de mécontentement
avoient déterminée à quitter la Heffe , exigea
1
236 MERCURE DE FRANCE.
du Comte de, Wartenſleben le ſerment de transférer
ce Chapitre dans un autre Pays Proteftant.
Le 26 Décembre , elle remit un blanc-ſeing au
Comte de Wartellenben pour revendiquer & emporter
trois coffres qu'elle avoit laiffés dans ſa
maiſon de Hombourg en Heſſe. Le Comte de
Wittgenstein , Colonel au ſervice de France ſe
chargea de les faire emporter : il arriva ſur les
lieux muni du blanc-ſeing que l'homme d'affaires
de la Baronne reconnut & en vertu duquel on lui
livra les coffres , pendant qu'on les chargeoit fur
une voiture , les Baillis de Hombourg ſurvinrent
&les firent enlever de force , ſous prétexte que
le plein-pouvoir étoit faux. La publication du
Teftament étant faite , la Ville de Francfort fit
délivrer à l'Exécuteur Teftamentaire tout ce qui
ſe trouvoit dans la maiſon de la Baronne : celuici
en fit faire un inventaire très-légal : il obſerva
les mêmes formalités vis-à-vis de la Régence de
Caffel& tranſporta publiquement une partie de
ces effets à Mayence. Après neuf mois de délai ,
le Bailli de Hombourg rendit les trois coffres que
le Comte de Wittgenstein avoit cachetés ; mais
le Comtede Wartenfleben éprouva plus de difficultés
à Caffel au ſujet de l'article du Teſtament
qui porte que la défunte deſtine ſa maiſonde
Hombourg à l'érection du Chapitre au cas que le
Landgrave veuille lui accorder les droits qui ſeront
demandés par le Directeur ; ſans néanmoins
que cette diſpoſtion empêche l'Exécuteur Teſta
mentaire de transférer ce Chapitre dans un autre
endroit , s'il le juge convenable , & ôte aux Dames
la liberté de pouvoir fortir du Pays quand elles
pourront s'établir ailleurs plus avantageuſement.
Surce ſujet, le Landgrave & la Régence enſuite ,
déclarerentqu'on n'admettroit de cet articleque
FEVRIER. 1764. 237
se qui regardoit l'établiſſement à Hombourg ,&
que tout le reſte étoit regardé comme nul. Enfin
on exigea que le Comte ſe ſoumît à cet égard
aux diſpoſitions de Son Alteſle Sérénitſime, &
qu'il lui rendît compte de ſon adminiſtration
De ROME , le 21 Décembre 1763 .
La Congrégation nommée pour examiner l'affairede
la double Election à l'Evêché de Liége ,
& compoſée des Cardinaux Cavalchini , Alexandre
Albani , Colonna de Sciarra , Torrigiani ,
Rezzonico , Santuzzi , Corſini & Negroni , &
des Prélats Antonelli & Mattei , s'aſſembla hier,
Le Comte d'Outremont ayant réuni en ſa faveur
la pluralité des ſuffrages , fon élection fut confirmée.
De GENES , le 26 Décembre 1763 .
On a appris de Corſe , ces jours derniers , que
Paſchal Paoli s'étoit rendu maître de Calenſana ,
& qu'il avoit fait arrêter & tranſporter dans un
Couvent de Moines l'Evêque de ce Bourg.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 28 Septembre 1763 .
La Roi a nommél'Abbé de Juigné , Agent Général
du Clergé, à l'Evêché de Châlons-fur-Marne
, & lui a donné en même temps l'Abbaye de
Montier-en-Der.
Laſuitedes Nouvelles Politiques au Mercure
prochain.
238 MERCURE DE FRANCE.
AVIS.
PAR Brevet & Privilége confirmé par 2 Arrêts
du Parlement , du 17 Mai & 4 Décembre 1747 ,
Mile DESMOULINS & feue ſa mere , ont depuis
plus de foixante ans continué de compofer & diftribuer
la Pâte de Guimauve & Suc de Réglife
fans fucre , pour toutes les maladies du Poumon ,
Tour, Rhume, Afthme , Fluxions de Poitrine, &c.
avec l'approbation de MM. les premiers Médecins
du Roi , & de la Faculté de Paris , leſquels s'en fervent
eux-mêmes , & en ordonnent l'uſage à leurs
Malades.Quoique les Contrefaiſeurs deſdites Pâte
&Sucre, diſent que Mile DESMOULINS leur a
vendu ſon ſecret , elle prouvera que l'envie & la
jalouſie ontpûſeules leur faire débiter ces menſonges,
& qu'elles n'ont communiqué leur ſecret à
perſonne. Leſdites Pâte & Sucre ne ſe gâtent point ,
peuvent ſe tranſporter par- tout ſans rien perdrede
leur qualité. Leur prix eſt de 8 liv. la livre. Mlle
DESMOULINS demeure toujours rue du Cimetiere
S. André des Arts, la premiere porte carrée à droite,
en fortant du Cloître , chez Mile Charmeton , au
deuxićme.
J'AI
APPROBATION.
lu , par ordre de Monſeigneur le Vice-Chan
celier , le Mercure du mois de Février 1764 , &
je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher
L'impreſſion. A Paris , ce 31 Janvier 1764.
GUIROY.
FEVRIER. 1764. 239
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE,
ARTICLE PREMIER.
LETTRE à M. De la Place , Auteur du
Mercure. Pag. 5
ENVOI des Jeux d'Enfans à Mde de Cyp ..... 9
ENVOI de mes Poefies , &c. 10
VERS à Mde ** . ibid.
LETTRE mêlée de Vers & de Proſe , à M.
Vernet , Peintre du Roi . II
ÉPITRE à M.L *** . 16
SUITE des Péris & des Néris , ou l'Amour
conime on le méne , Conte.
IPHIS & Anaxarette , Romance tirée desMétam
. d'Ovide , à Mlie de H....
AMde la Marquise de Choiseul , ſur le retour
de M ſon fils.
25
54
16
ibid.
$7
VERS à Mile C... à Nantes .
ÉTRENNES Pastorales .
EPIGRAMME .
LETTRES d'un jeune homme.
QUATRAIN pour être mis au bas de la belle
Statue de M. de Sully.
VERS ſur la mort de M. l'Abbé Prévost.
ÉPIGRAMMES.
MADRIGAL.
ÉNIGMES .
LOGOGRYPHES .
CHANSON.
(
رو
60
68
69
70
71
72
73
72
240 MERCURE DE FRANCE.
ART. II . NOUVELLES LITTÉRAIRES .
DISSERTATION hiſtorique & critique ſur la
Vie de Don Ifaac Abarbanel , JuifPortugais.
Par M. de Boiſſy.
Les plaiſirs d'un jour , ou la Journée d'une
Provinciale à Paris.
ABRÉGÉ de l'Hiſtoire Grecque , &c. par M.
d'Alletz.
HISTOIRE des Philoſophes modernes , par
M. Saverien .
77
105
107
112
DISCOURS prononcé dans l'Académie Fran-
125 & fuiv.
çoiſe , à la réception de M. Marmontel. 114
ANNONCES de Livres.
ARTICLE III.SCIENCESET BELLES- LETTRES.
ACADÉMIES ..
SÉANCE publique de l'Académie Royale des
ART. IV . BEAUX - ARTS.
Belles-Lettres deCAEN.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
GRAVURE.
148
162
166
ART. V. SPECTACLES.
SUITE des Spectacles de la Gour à Verſailles. 169
COMÉDIE Françoiſe.
COMÉDIE Italienne.
SUPPLÉMENT aux Piéces Fugitives.
ÉLOGE hiſtorique & militaire de M. le
Vicomte de Belſunce.
ART. VI . Nouvelles Politiques.
AVIS .
197
199
20
230
233
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis-à-vis la Comédie Françoiſe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
MARS. 1764 .
Diverfité , c'est ma deviſe . La Fontaine.
Ceckin
Filius inv
PapillonSeulp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY, vis à- vis la Comédie Françoiſe.
PRAULT , quai de Conti.
Chez DUCCHHEESSNNE, rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais.
AvecApprobation & Privilégedu Roi,

AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer ;
francs de port , les paquets & lettres ,
pour remettre , quant à la partie littéraire
, à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fots , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pourfeize votumes
, à raison de 30 fols pièce.
Les perſonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte
payeront pour fſeize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront d'autres voiesque
la Pofte pour le faire venir , & qui pren
dront les frais du port fur leur compte
, ne payeront comme à Paris , qu'à
raison de 30 fols par volume , c'est-àdire
, 24 liv . d'avance en s'abonnant
pour ſeize volumes.
,
A ij
Les Libraires des provinces ou des
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure , écriront à l'adreſſe cideffus.
On fupplie les personnes des provinces
d'envoyer par la poſte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
, resteront au rebut.
On prie les personnes qui envoyenz
des Livres , Estampes & Muſique à annoncer
, d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pièces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , ſe trouve auſſi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année. Il y en a jufqu'à
préſent cent quatre vol. Une Table
générale, rangée par ordre des Matières,
ſe trouve à la findu ſoixante-douziéme.
MERCURE
DE FRANCE .
MARS. 1764 .
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SUITE de l'Histoire raiſonnée des
Difcours de CICERON .
Premier , Second & troisième Discours
contre la LOI AGRAIRE , proposée
par SERVILIUS RULLUS , Tribun
du Peuple.
LES
Es entrepriſes des mauvais Citoyens
contre l'Etat ne font jamais plus dan-
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
gereuſes , que quand ils ont l'adreffe de
les couvrir du prétexte ſpécieux du bien
public. Le Peuple toujours eſclave de
quiconque ſçait le flatter , ſe prévient
en leur faveur; il adore en eux les pères
de la Patrie ; & les vrais patriotes qui
voient le mal, qui voudroient l'empêcher
, font toujours arrêtés quand ils
veulent y apporter reméde. L'Hiftoire
des trois Difcours de Cicéron contre
la Loi Agraire , prononcés , le premier
dans le Sénat , les deux autres
devant le Peuple , eſt une preuve des
difficultés que trouvent les plus grands
hommes à ramener les eſprits prévenus.
Ceux à qui l'Histoire Romaine eſt
un peu familière , ſçavent que la propofition
de cette Loi fameuſe fut fouvent
une cauſe & prèſque toujours un
prétexte de divifion entre le Sénat &le
Corps des Patriciens qui ne voulurentjamais
y entendre , & le Peuple animé
par ſes Tribuns qui n'avoit rien tant à
coeur que de la faire recevoir.
Le premier des Magiftrats qui en conçut
le projet , Servilius Rullus, étoit un
de ces hommes hardis & entreprenans,
qui avec un génie médiocre , des vues
fuperficielles & un fond inépuiſable de
témérité , ſe croient capables de faire
MARS. 1764 . 7
de grandes choſes. Né dans une famille
Plébéienne, il fut élevé dans les principes
de cette haine ordinaire à tous les Membres
de ce Corps contre l'autre.La puiffance
du Peuple n'éclatoit jamais davantage
que lorſqu'un ſeul mot ( a ) prononcé
par ſes Tribuns , arrêtoit ou fufpendoit
les arrêts & les délibérations du
Sénat. Jaloux de jouir de cette prérogative
unique dans l'Etat , Rullus n'oublia
rien pour parvenir à cette dignité.
Revêtu de l'emploi de Tribun du Peuple,
l'objet , de tous ſes voeux , il ne tarda
pas à éprouver juſqu'où pouvoit aller
fon pouvoir.
Chaque fiécle a produit ſes foux &
fes folies . Eh combien le nôtre n'en at-
il pas fourni de preuves ! ... Quoiqu'il
en foit , Rullus embraſſa avec
ardeur la propoſition de partager également
les fonds de terre entre tous
les Membres de la République ; idée
ridicule & dangereuſe , qui en ruinant
les fortunes des Citoyens , détruiſoit
le Commerce , affoibliſſoit les reſſources
de l'Etat , & l'anéantiſſoit lui-même.
Cicéron , & avec lui tous les gens
ſenſés , fentirent bientôt toutes les ſuites
(a) VETO.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE .
fâcheuſes qu'alloit avoir la loi propoſée
par Rullus ſi on l'acceptoit. Les Magiftrats
obfervoient alors la coutume d'aller
en grande pompe & ſuivis d'un
cortége nombreux facrifier au Capitole
le premier jour de Janvier de chaque
année. Cette cérémonie religieuſe achevée
, le Sénat s'aſſembloit , & ceux qui
avoient quelque nouveauté à propoſer
au Peuple , venoient en faire part aux
Pères Confcripts , comme on les-appelloit
alors. Rullus s'y trouva : ſon projet
excita l'indignation publique. Chacun
jetta les yeux fur Cicéron , l'interprête
ordinaire de tous les ſentimens
dans les grandes occaſions. Ce fut alors
qu'il prononça ſon premier difcours
contre la Loi Agraire , chef-d'oeuvre
d'élégance& de philoſophie,où il prouve
avec autant d'éloquence que de folidité,
que recevoir le projet du Tribun c'étoit
épuiſer le tréſor public , abolir les
tributs , bouleverſer les fortunes des
particuliers , enlever en un mot à l'Empire
Romain tous les moyens de faire
la guerre avec gloire , & de jouir avec
tranquillité des fruits de la paix .
Terraffé par les raiſons convaincantes
de notre Orateur , Rullus ne renonça
pourtant pas à l'eſpérance de faire reMARS.
1764. 9
cevoir ſa Loi ; il crut que l'impudence
& l'opiniâtreté ſuppléroient
aux raiſons. Le Peuple fut aſſemblé
pluſieurs fois ; & l'affaire miſe en délibération
: Cicéron ne crut pas devoir
ſe taire. C'eſt dans ces circonstances qu'il
prononça devant le peuple ſes deux
autres difcours. La gloire dont il ſe
couvrit en ramenant à ſon avis une
multitude prévenue & aveuglée , fait
mieux l'éloge de ces deux piéces &de
leur illustre Auteur que tout ce quej'en
pourrois dire ici ..
ODE A LA PEINTURE .
Omnia transformat ſeſe in miracula rerumi
Virg. Georg. Lib. 4
Tor que la main de l'induſtrie
2.
Grava ſur l'aîle du hazard ,
Peinture , heureux fruit du génie ,
Éclatante fille de l'art ,
Que ton temple s'ouvre à ma vue !
Mon eſprit parcourt l'étendue
Où brillent tes traits créateurs ;
Peins-moi ce que je dois décrire ,
Et ſurtout répands ſur ma lyre
L'éclat pompeux de tes couleurs.
V
10 MERCURE DE FRANCE .
Sous tes pinceaux que voit-je éclore
Quel feu , quelle rapidité !
L'ombre s'imprime , ſe colore ,
Et ſe change en réalité.
Quel prodige anime la toile ?
L'Univers entier ſe dévoile ,
Tout ſe renouvelle à mes yeux :
Ton crayon avec énergie
Crée, raſſemble , vivifie :
J'embraſſe les temps & les lieux.
L'éclat , la force , l'élégance ,
La douceur , les grâces , l'amour,
Par une heureuſe concurrence
Décorent ton front tour- à-tour.
Hs vont par ton ordre ſuprême
Au ſein de la Nature même ,
Ravir le germe des couleurs
Dont le précieux aſſemblage
Nous préſente une vive image-
De ſes traits les plus enchanteurs.
Ton crayon enchaîne l'efpace ,
Et par ſes fublimes effets ,
Sur une légére furface,
Trace & réunit les objets.
Mais que vois-je ? ta main hardie
Porte les couleurs & la vie
Dans le fombre abîme du Temps
MARS.. 1764 . II
Arbitre de la Renommée ,
Tu viens , à la Terre étonnée ,
Montrer ſes anciens Habitans .
Par le charme de tes images ,
Les lieux , les Peuples & les arts ,
Perpétués dans tes Ouvrages ,
Se ſuccédent à mes regards:
Tout renaît , & , par toi , les hommes ,
Retraçant au temps où nous ſommes ,
Leurs Loix , leurs uſages , leurs moeurs ,
Ont fur tes aîles fortunées ,
Franchi le torrent des années ,
Pour revivre dans tes couleurs..
Que la plus profonde ignorance
S'éclaire de ton feu divin ::
Le langage de l'évidence
Frappe , inſtruit , tout le genre humains
Qu'à tes progrès tout s'intéreſſe .
Ah ! qu'à juſte titre la Gréce
Voulut ennoblir tes pinceaux ,
Quand,vainqueur des bornes de l'âge ,
Ton art , honorant le courage ,
Immortaliſoit ſes Héros !
C'eſt lui dont le ſouffle rapide,
Raſſemblant les mânes épars ,
Ranime une Armée intrépide ,
Avi
12 MERCURE DE FRANCE.
A l'ombre de ſes étendarts :
Qui nous peint le Dieu des batailles ,
Le fer , le ſang , les funérailles ,
Que ſuit le char de la terreur ;
Là des ruines entaſſées ,
Plus loin des Cités embraſées ,
Le feu , le carnage & l'horreur.
Mais quoi , le ſpectacle du monde
N'eſt - il que celui de nos maux ?
O peinture ! ô ſource féconde ,
N'as-tu pas des plus doux pinceaux ?
Quand , par une amoureuſe adreſſe ,
La main même de la tendreſſe
Eut ébauché tes premiers traits ,
Ne vit-on pas celles des grâces ,
Colorant ſes aimables trâces ,
Hâter le cours de tes progrès ?
Rivale en tout de la Nature ,
Cequ'elle enfante de plus beau
Comme par une glace pure ,
Eſt répété par ton pinceau :
Ton art , comme elle inépuiſable ,.
Me trace une figure aimable ,
Et des objets moins incertains :
La reſſemblance eſt conſommées .
Mon oeil dans leur ombre animée
Voit & diftingue les humains.
MARS. 1764 . 13
Partout tes couleurs adoucies
Arrêtent mon coeur & mes yeux
Paroiffez , images chéries ,
Qui me retracez mes ayeux..
C'eſt à toi , divine Peinture ,
A m'en conſerver la figure ,
L'air , l'abord & les propres traits :
Ils revivent dans tes ouvrages
Quand le cours rapide des âges
Nous les a ravis pour jamais.
Un nouvel éclat t'environne ,
L'agrément prépare tes fleurs ;
L'amour , pour former ta couronne
S'éxerce à broyer tes couleurs ,
Nous peint les champs & la fougère
Etdans les yeux d'une Bergère ,
Gravant l'empreinte des plaiſirs ,
Trace avec un crayon de flâme ,
Le coeur , les mouvemens de l'âme
Et l'image de ſes deſirs .
Tu mepeins un ſéjour champêtre
La fraîcheur & l'émail des Prés :
Le jour qui me ſemble renaître ,
En développe les beautés:
J'entrevois les grâces de Flore ;
Le pinceau vermeil de l'Aurore
Trace la route du Soleil.....
14 MERCURE DE FRANCE.
Non , ce n'eſt plus une peinture ;
C'eſt l'air , la terre , la Nature
Dans leur plus brillant appareil .
Un objet frapant , mais funébre ,
Vient encore s'offrir à nous .
Quel pinceau , quelle main célébre
Peint les élémens en courroux ?
La mer , entr'ouvrant ſes abîmes ,
Engloutit ſes pâles victimes ......
Je tremble à l'aſpect de leur fort .
Je crois voir... je vois leur naufrage ,
Les vents , les vagues , le rivage ,
L'orage , la foudre & la mort !
C'eſt ainſi que ton art fublime ,
Sous un coloris enchanteur ,
Aton gré me frappe & m'imprime
L'amour , la crainte ou la terreur.
Partout le feu de tes ouvrages
Me réaliſe tes images ;
:
Je me tranſporte en tous les lieux :-
Ton flambeau m'éclaire & m'enflame ;
Mon eſprit , mon coeur & mon âme :
Ont pris la place de mes yeux.
ParM. B.
MARS. 1764. 15
A Mlle ARNOULT ,
vous qui d'une âme ſenſible
Joignez l'inimitable accent
Au charme d'une voix & touchante & flexible !
Vous dont tout eſt intéreſſant,
Des Syrènes , Arnoult , vous paſſez les merveilles
Et pour ſauver ſon coeur d'un charme impérieux ,
Vainement comme Ulyffe on bouche ſes oreilles ,
Si l'on ne ferme encor les yeux.
Par l'un des Dominicaux.
L
MADRIGAL ,
E triſte hymen voulut unir un jour
Sa deſtinée à celle de Lisette .
Mais il falloit l'obtenir de l'amour ,
Qui mit néant au bas de la requête.
Le pauvre Hymen en parut déſolé.
J'en fuis fâché , lui dit l'enfant aîlé ;
Mais à Lifette il ne faut plus prétendre ,
D'un autre amant elle a reçu la foi :
Elle eſt d'ailleurs & trop belle & trop tendre ,
Pour être à vous ; je la garde pour moi .
Par M. LEGIER.
16 MERCURE DE FRANCE.
VERS en réponse à d'autres , où une
Dame étoit comparée à l'AURORE ,
& fon Epoux à TITON.
C'est lui qui répond.
I L vous a plû de m'appeller du nom
Qu'eut autrefois le mari de l'Aurore.
Seigneur Abbé , ce beau titre m'honore :
Mais grand merci de la comparaiſon :
Point ne voudrois reſſembler à Titon .
..
Ainſi que moi connoiſſez l'avanture
Du jeune époux de la tendre Procris .
Vraîment pour moije trouve heureux l'augure !
Et ne veux être immortel à ce prix .
Par le même.
COUPLET à Mde la Marquise de L...
fur un reproche fait à l'Auteur.
JUSQU'ICI j'ai craint la Raifon ,
Et j'étois excufable ;
MaisEglé trouve la façon
De nous la rendre aimable.
MARS. 1764. 17
Sans le pouvoir de ſes attraits ,
Je ſerois raiſonnable.
Je deviens plus fou que jamais ,
Et je ſuis pardonnable.
ParM. le Comte de Vo .. Capitaine de Cavalerie .
VERS à un Officier fort estimé , dont
la taille est peu avantageuse.
PAR un caprice, la Nature
Sans proportion le forma ;
La plus grande âme elle plaça
Dans un corps fait en mignature.......
Elle y doit être à la torture..
Par le même..
MADRIGAL.
Pour s'amufer , les Dieux un jour
Dirent entr'eux : formons la plus belle âme
Qui ſe ſoit vue au terreſtre ſéjour ,
Et nous la donnerons à la plus belle femme.
Bon ! dit Jupin , ce chef-doeuvre eſt là-bas ,
Et pour le créer ſeul , je fus aſſez habile.
Eh ! vraîment , nous n'y penſions pas ,
C'est la charmante D.........
FEUTRY
1
18 MERCURE DE FRANCE.
LA SURPRISE DE L'AMOUR,
CONTE ,
Qui n'en est pas un.
DANS un de ces Châteaux charmans,
voiſins de la rapide Loire , Fatime
depuis quelques années voyoit naître
& finir le jour dans le ſein de la plus
douce tranquillité. Une mère qu'elle
adoroit , & à qui elle devoit ſeule la
plus parfaite éducation,& tous les plaifirs
qu'une heureuſe aiſance procure , partageoient
les premiers jours de fon
printemps..
La jeuneſſe & la beauté de Fatime
étoient ſes moindres charmes ; mille
grâces réunies dans toute ſa perſonne ;
desconnoiffances au-delà des bonnes ordinaires;
une douceur, une aménité, une
franchiſe inaltérable dans le caractère ,.
formoient un enſemble de perfections
qui lui concilioient tous les ſuffrages.
Fatime n'ignoroit pourtant pas le pouvoir
de ſes charmes ; on lui avoit dit
mille fois qu'elle étoit belle : mais ces
hommages ſouvent mal amenés , &
MARS. 1764 . 19
,
-prèſque toujours monotones n'avoient
pas plus touché fon coeur , que flatté
fon amour-propre. Ennemie de l'ombre
même de la coquetterie , Fatime ne
cachoit point le peu d'impreffion que
faifoit fur fon coeur cette foule de
Vers , de Madrigaux , de Chanfons
de Bouquets , & de tous ces autres
petits hommages , où l'eſprit & le défir
de plaire ont communément plus
de part , que le ſentiment. Aucun de
ſes admirateurs ne paroiſſoit être , &
n'étoit en effet préféré: tous ne pouvoient
qu'applaudir à la beauté de fon
âme; tous ne chantoient à l'envi , que
fes attraits & les grâces , qui accompagnoient
ſes moindres démarches.
Fatime ſe flattoit enfin de ne jamais
connoître l'amour : contente de l'admiration
qu'elle faisoit naître ; enchantée
de l'encens qu'elle recevoit de tous
les êtres fenfibles , ſon âme ne ſe formoit
l'image d'aucun autre bonheur ;
lorſque Alcidor jeune , aimable &
modeſte lui fut préſenté comme le fils
d'une amie chèrie de ſa mère. Ce titre
qui le mit à portée de voir ſouvent
Fatime , les éclaira bientot fur leur
mérite mutuel; & l'uniformité de leurs
connoiffances , de leurs goûts , de leurs
20 MERCURE DE FRANCE.
ſentimens , ne fit que refferrer de
plus en plus des noeuds qui ne leur
parurent être d'abord que l'ouvrage
d'une tendre & fimple amitié.
Un fentiment plus vif , que tous
ceux qui l'avoient agitée juſqu'alors ,
ne permit bien - tot plus à Fatime de
ſe diffimuler à elle même toute la préférence
qu'elle accordoit à Alcidor fur
ſes autres amans. Mais loin d'être effrayée
d'un ſentiment ſi nouveau pour elle ,
Fatime s'y livra avec d'autant plus de
confiance , qu'elle en jugeoit l'effet
moins dangereux. Ces jeunes amans ,
( car ils l'étoient en effet ſans le
ſçavoir ) vécurent affez longtemps dans
cette douce fécurité ; rien ne troubloit
leur union ; chaque inſtant au contraire
ſembloitla reſſerrer : les goûts, les plaiſirs
deFatime étoienttoujoursceuxd'Alcidor;
un ſerin étoit pour lui l'objet le plus intéreſſant:
c'étoit l'éléve de Fatime ; & il
ne quitta l'oiſeau qu'après lui avoir
appris l'air , qu'il ſçavoit plaire le mieux
à cette aimable fille. Petit -fils ne fut
plus un Serin ordinaire ; il devint , grace
aux ſoins d'Alcidor , le plus charmant
de tous les êtres de ſon eſpéce chaque
jour Fatime s'embelliſſoit de mille
fleurs nouvelles qu'Alcidor avoit ſoin
...
MARS. 1764. 21
delui faire remettre ; quelques vers accompagnoient
fouvent ces nouveaux
hommages.... Le couplet ſuivant fera
moins juger des talens Poëtiques d'Alcidor
, que du ſentiment qui les lui inſpiroit.
:
*AIR.
Fleurs , qui de l'heureux Printemps
Nous offrez la douce image ,
Aux attraits les plus charmans
Allez rendre votre hommage;
Embelliſſez le ſein
De celle que j'adore ,
A l'éclat de ſon tein
Joignez le vôtre encore !
.....
Mille galanteries de ce genre décélérent
bientot aux yeux de Fatime , Alcidor
& fon amant Un retour
cruel qu'elle fit ſur elle- même ; un éxamen
profond de la ſituation actuelle de
ſon coeur , tout lui fit connoître que
ce qu'elle ne croyoit d'abord qu'une
fimple préférence , étoit un ſentiment
beaucoup plus vif, infiniment plus tendre.
Allarmée d'une découverte que
* Ce Couplet peut se chanterfur l'Air : J'aime
une ingrate Beauté , &c.
22 MERCURE DE FRANCE.
fon peu d'expérience lui faifoit paroître
plus inquiétante encore , Fatime ſe détermina
à fuir tout ce qui pouvoit lui
rappeller le ſouvenir d'Alcidor. Petit -fils ,
ne repoſe plus ſur ſon ſein d'albâtre ;
ſes lévres raviſſantes ne preffent plus
le petit bec de l'animal charmant ;
les cheveux de Fatime ne ſont plus
ornés des fleurs d'Alcidor ; ſa voix
ceſſe d'exprimer les chanſons délicieuſes
que cet amant lui avoit appriſes : enfin
Fatime livrée à la mélancolie , craint
juſqu'au nom même de l'Amour !
Alcidor , étoit encore trop jeune pour
pénétrer bien clairement les raiſons d'un
pareil changement; cependant la mélancolie
de Fatime augmente chaque
jour; cette gaîté charmante , le véritable
fond de ſon caractère , eſt remplacé
par des inquiétudes que rien ne
peut calmer.
,
Ces deux amans enfin ſe fuyoient
machinalement ; chacun d'eux ſe flattoit
, ou du moins s'éfforçoit de vaincre
un penchant qu'ils ne pouvoient plus
fe cacher.
Un petit bois voiſin du Château
où le hazard les conduifit tous deux.,
leur facilita l'occaſion de s'expliquer
fur leur fituation mutuelle :on préſume
MARS. 1764 . 23
Fatime
,
tous
,
quel dut être leur embarras réciproque,
& furtout celui de Fatime. Tous deux
baifſent les yeux , rougiffent ,
deux reſtent muets. Alcidor cependant
qui ſe raffure par degrés , oſe en
balbutiant , demander à ſon amante ,
quelle peut être la cauſe du changement
dont ellele voitgémir ? ... Arrêtez ! s'écria
vous devez le ſçavoir ; vous
le fçavez ; j'en fuis certaine.... Mais
ou rompons dès à préſent; réſolvez-vous
à ne me voir jamais ; oujurez-moi que
plus digne de mon eſtime,vous imiterez
mes efforts pour vaincre des ſentimens
dont les fuites m'effrayent ... ne ſoyons
plus l'un à l'autre que ce que nous étions
lorſque nous nous ſommes connus ;
lorſqu'avec moins de familiarité , nous
jouiffions fans trouble & fans remords ,
du plaifir de nous voir , & de nous
entretenir..... C'eſt un ami que je cherchois
, que j'avois cru trouver en vous.
Bornez- vous à ce titre ; ou renoncezá
me revoir jamais .
,
Qui ! je vous le promets , cruelle ,
s'écrie le tremblant Alcidor en tombant
aux pieds de Fatime.... quelque
malheureux que je fois .... du moins je
vous verrai Oui , Fatime , raffurezvous
: votre amant ; que dis-je , votre
....
24 MERCURE DE FRANCE.
...
ami ne connoît rien qui puiſſe l'éffrayer ,
dès qu'il s'agira de vous plaire ... Oui !
je vous cacherai les traces mêmes de
mes pleurs... Vous redoutez l'Amour ? je
ne sçaurois abſolument vous condamner;
nous dépendons tous deux de nos
parens. Mais ſi vous connoiffiez.....
N'importe ! je ne veux point troubler
votre repos ... je ſcaurai tellement me
contraindre , que jamais mon Amour...
non , jamais ( du moins fans votre aveu )
ne paroîtra , n'éclatera. Ceffez donc
d'en parler, interrompit vivement Fatime;
est-ce à nous , eft- ce à notre âge
qu'il eſt permis de s'y livrer ? Nous , que
peut- être nos parens ont déja deſtinés
àdes alliances contraires ? ... Alcidor ,
vous ferez toujours mon ami ; je vous
jureune eſtime Une eſtime ! ( reprit
Alcidor) une eſtime ? ..... quoi Fatime
oublie-t-elle déjà , que l'amitié la
plus tendre ? ... Non , je noublie rien
( lui dit en fouriant Fatime , ) ſongez
à vos promeffes ;& foyez toujours für
desmiennes.
...
Ces deux amans très - contens l'un
de l'autre , tout en ſe félicitant de leur
nouvelle réſolution , reprirent bientot
leur première gaîté & par conséquent
leurs premiers plaifirs.
Pett
MAR S. 1764. 25
,
Petit-fils ne prononça plus que rarement
, Je vous aime ▸ qu'Alcidor
avoit eu tant de plaifir à lui apprendre.
En ceſſant de le lui répéter , le petit
animal ceffa de le dire , ou du moins ,
c'étoit fi foiblement ! ... fi foiblement ! ...
que bientot Fatime ne l'entendit plus.
Alcidor lui préſentoit ſouvent des
fleurs ; mais la main de l'Amant ne ſe
remarquoit plus dans le choix , dans le
goût , dans la variété de leur mêlange
; ſes vers même ne célébroient
plus que les prétendus charmes que
pouvoit offrir une ſimple amitié , fou
ventmême l'indifférence: temoins ceuxci
dont Fatime affecta de faire la Mufique.
*AIR.
Amour , je brave ta puiſſance ,
Que l'indifférence
Ad'attraits ! ...
Non , non , je n'aimerai jamais ,
Et je ne crains point ta vengeance.
Garde tes traits ,
Ils font ſans effets
Sur mon âme ! ...
* Ces paroles ſe peuvent chanter fur cet Air fi
connu d'un ancien Opéra : L'Amour est un Enfant
timide , la ſévérité lui fait peur,&c.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Non , non , je n'éprouverai jamais,
Nonjamais
Je n'éprouverai ta flamme.
Le ſouvenir de leurs fermens les
contint quelque temps dans les bornes
qu'ils s'étoient preſcrites. Mais chaque
jour altéroit ce ſouvenir : l'Amour fous
le maſque de l'amitié ne s'infinuoit
que d'autant plus dans leur coeur ; &
chaque effort qu'ils croyoient faire ,
pour l'en éloigner , nel'en rapprochoit
que davantage.
,
Fatime ne trouva bientot plus de
goût , plus de fineſſe dans des Chanſons
qui ne peignoient que les charmes imaginaires
d'une froide (indifférence. Les
bouquets que lui offroit Alcidor , cefferent
de la flatter. Déjà l'ennui s'empare
de ſon âme : déjà l'incarnat de fon
teint exprime par ſon altération , le
trouble & l'inquiétude de ſon coeur !
Alcidor inſenſiblement entraîné par le
charme irréſiſtible d'un pouvoir enchanteur
qu'il ne lui eſt plus permis de
combattre , redevint par degrés plus
tendre , plus attentif , plus aimable
encore qu'il ne l'avoit été ; Petit-fils ,
redit avec plus de charmes que jamais ,
je vous aime ; Fatime ſe trouva de jour
...
MARS. 1764 . 27
en jour moins triſte : tous deux enfin ,
ſans prèſque s'en appercevoir , en ceffant
de combattre un penchant qui les
forçoit de ſe livrer de bonne foi à leur
tendreſſe mutuelle , ceſſerent de rougir
dupeu de fuccès de leur première réſolution
, & s'affermirent intérieurement
dans celle de s'aimer toujours.
La tendre Fatime , ſans manquer à
ce que la ſageſſe la plus auſtére lui
pouvoit preſcrire , laiſſoit quelquefois
entrevoir à ſon amant une partie des
ſentimens dont ſon coeur étoit rempli.
Momens délicieux ! .. Alcidor , moins
contraint , plus vif , plus pénétré de
fon bonheur , ne laiſſoit échapper
aucune occafion de mieux prouver
toute la tendre vivacité de ſa flame. Ce
fut fans doute dans un de ces inftans
précieux , qu'Alcidor fitles couplets que
voici .
AIR.
Le jeune Objet que j'adore ,
Sans exiger de retour ,
Eſt plus charmante que Flore
Et plus belle que l'Amonr !
Si Pâris eût vû ſes charmes ,
...
Vénus n'eût point eu le prixs
4
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
:
Son coeur en rendant les armes
Eût couronné mon Iris .
De ſa gorge raviſſante
Rien n'égale la blancheur ;
De la roſe encor naiſſante
Sa bouche offre la fraîcheur.
Dans tous les coeurs elle inſpire
Mille deſirs , mille feux ;
Et mon Iris d'un ſous-rire ,
Peut captiver tous les Dieux.
Quand Iris dans nos boccages
Vient répéter mes chanſons ,
Les oiſeaux par leurs ramages
Tâchent d'imiter ſes ſons ;
L'Onde par un doux murmure ,
Semble exprimer ſa gaîté ! ...
Tout enfin dans la Nature ,
Rend hommage à ſa beauté.
Mais ces inftans délicieux , ce bonheur
pur & raviſſant , dont s'enyvroient
leurs âmes devoit bientot éprouver un
revers , dont la rigueur leur ſeroit
d'autant plus ſenſible , qu'ils croioient
moins devoir le redouter.
Unjour que Fatime ſembloit répéter
avec plus d'attendriſſement que de
MARS. 1764 29
coutume , un air charmant qu'Alcidor
venoit de lui apprendre.... Que ſignifie ,
lui dit ſa mere , cette vive expreffion
de ſentimens que je remarque depuis
peu dans votre façon de chanter ? cette
moleſſe dans les infléxions , & cette
eſpéce de délire où je ne reconnois
plus ma fille ? ... Parlez Fatime : ouvrez
votre âme à votre mère ; voyez
toujours en elle votre amie ; ou craignez
d'être moins digne d'être la fienne.
Fatime , à ces mots , tombe aux pieds
d'Araminte ; le trouble de fes yeux , la
pâleur qui fuccéde aux roſes de fon
tein , tout peintà cette mère la beauté ,
la franchiſe & la ſenſibilité de l'âme de
ſa fille . Fatime n'a point recours au
menſonge pour lui voiler ſes nouveaux
ſentimens: la plus légére excuſe ſeroit
criminelle à ſes yeux ; elle avoue en
pleurant ſa foibleffe , & n'en déguiſe
ni l'origne ni les progrès. Ce n'eſt que
pour en obtenir le pardon , qu'elle
reconnoît toute ſon imprudence ; que
pour mériter de nouveau l'indulgence
& la tendreſſe de ſa mère ; que pour
recevoir d'elle enfin les conſeils dont
elle fent toute l'importance & la néceffité.
Araminte , qui dès long-temps
s'étoit apperçue des progrès d'une paf-
Bij
30 MERCURE DE FRANCE.
ſion qu'elle defiroit de rendre heureuſe
, & qui n'avoit d'autre but, que
de s'aſſurer du fond qu'il étoit poffible
de faire ſur la conſtance & la folidité
des feux de ces jeunes amans ; Araminte
emportée par le ſentiment , tombe à ſon
tour dans les bras de ſa fille , la preſſe
contre ſon ſein , mêle ſes larmes aux
fiennes , & ne fait plus myſtere du
plaifir que lui fait l'Amour d'Alcidor.
,
Ma fille , ajouta-t- elle , Alcidor , eft
un parti convenable pour vous : mais
les hommes n'affectent que trop fouvent
des paſſions qu'ils ne reffentent
point ; la plupart cédent à l'attrait du
plaifir , ou à ce goût d'intrigue & de
ſéduction qui les domine prèſque tous.
Quels garants avez- vous de la candeur ,
de la durée des ſentimens de votre
amant ? .... Ah ! ma mère tout me
répond de la franchiſe & de la tendreſſe
d'Alcidor Ala bonne heure ( reprit
la mère ) : mais laiſſez-moi le plaifir de
m'en convaincre par moi-même ; cette
précaution eſt auſſi néceſſaire à mes
defſeins , qu'indiſpenſable pour affurer
votre bonheur. J'exige même que vous
me ſecondiez ; que rejettant fur mes ordres
abſolus , le froid , l'indifférence
même que vous affecterez déſormais
...
MARS. 1764. 31
pour lui , vous me mettiez à portée de
connoître & d'appercevoir tout le fond
du caractére d'Alcidor .... Fatime ſe
ſent-elle affez de fermeté pour ſe conduire
de façon à ne pas déconcerter les
vues de ſa mère ? ...Ah Madame ( s'écriat-
elle ) pourriez - vous me ſoupçonner
de manquer jamais d'obéiſſance à vos
ordres ? ... Araminte par les careſſes les
plus tendres, ſe hâta de raſſurer ſa fille ; &
ces épanchemens de la tendreſſe la plus
pure arrêterent un nouveau déluge de
larmes que la tendre Fatime alloit verfer.
Alcidor cherchoit avec trop de foin
l'occaſion de revoir ſon amante , pour
ne pas bientôt la rencontrer.
Elle fortoit d'avec ſa mère : les traces
de ſes larmes , ſa pâleur , une agitation
que la vue d'Alcidor ne pouvoit qu'augmenter
encore , firent ſur l'âme de cet
amant l'impreſſion la plus vive & la plus
douloureuſe. Que vois-je ? dit- il , en
tombant à ſes pieds , Fatime pleure &
m'en cache la cauſe ! ... elle me fuit&
craint mes regards mêmes ? .... ah ,
malheureux ! je ſuis perdu.....
Fatime en effet vouloit fuir ; & fon
coeur gémiſſoit de la douleur qu'elle cauſoit
a fon amant : mais la promeſſe
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
la
qu'elle venoit de faire à ſa mère , lui
donnant de nouvelles forces ; Ah ! laifſe-
moi , s'écria-t-elle : des ordres que
je reſpecterai toujours , ne me permettent
plus ! ... N'achevez pas , perfide ,
s'écriaAlcidor, le déſeſpoir peint dans les
yeux ; n'achevez pas de m'annoncer la
mort... Quel changement , grand Dieu !
Ciel , eſt-ce au moment où je venois
vous apprendre avec tranſport ,
mort d'un oncle dont la fortune ajoute
immenſément à la mienne ? Est-ce au
moment où je commençois à me croire
plus digne de Fatime & de l'aveu de ſa
mère , que je dois voir mes voeux &
mon plus cher eſpoir trahis ? .... Eh
bien , je périrai ; oui ! je périrai , cruelle :
mais craignez ; que dis-je? tremblez pour
les jours de l'heureux rival que fans doute
vous me préférez Est-ce Alcidor
que j'entends ? eſt-ce lui ,(dit en foupirant
Fatime , ) qui m'oſe reprocher une
noirceur dont je fus toujours incapable ?..
Dieu ! fi mon coeur pouvoit s'ouvrir à lui .
Ah ! pardonne , digne & belle Fatime ,
pardonne à la douleur qui tranſportoit
le plus ſincère amant ! ... Non , non ,
ton âme fut toujours trop vraie , trop
pleine de la divinité dont elle est l'image,
pour connoître un inſtant l'impoſture...
...
MARS. 1764. 33
Que ta mère , hélas ! ne connoit- elle
toute la pureté , toute la violence de
ma flame ..... peut- être que ſenſible
aux maux que ſes ordres barbares vont
me faire fouffrir , ſon coeur pourroit
s'ouvrir à la pitié .... Permets , chère
Fatime , permets- moi la ſeule épreuve ,
laſeule tentative qui flatte encore l'eſpoir
de ton amant ! ... Que dis - je ? ah !
ſi jamais je te fus cher ; fuis-moi ; vien ...
tombons l'un & l'autre à ſes pieds.....
viens m'y voir expirer , ou obtenir d'elle
notre bonheur commun.
Araminte , qui d'un cabinet voiſin les
voyoit & les entendoit , ne put laiſſer
durer plus longtemps un fupplice dont
fon coeur partageoit toute l'amertume.
O mes enfans ! s'écria -t-elle , en s'offrant
à leurs yeux , vivez à jamais l'un
pour l'autre ..... Ces mots que l'émotion
d'Araminte lui permit à peine d'arziculer,
produifirent fur les jeunes amans
tout l'effet qu'ils devoient produire. Un
filence d'étonnement & d'excès de plaifir
, des regards où l'amour , la joie
& la reconnoiffance s'exprimoient tourà-
tour , furent quelques inſtans les ſeuls
interprêtes de leurs coeurs ... Les épanchemens
réciproques fuccéderent à cette
By
34 MERCURE DE FRANCE.
première ivreſſe des ſens & l'hymen d'Alcidor
& de Fatime ne fut différé qu'autant
qu'il le fallut pour en diſpoſer les
apprêts.
Par M. DUCLOS , S. D. M. D. F.G.
ÉTRENNES A LISE.
Tor que l'Amour a deſtinée
Pour fixer les plus inconftans ,
Toi , qui de ſes attraits brillans ,
Et de mille grâces ornée ,
Marches toujours environnée
Des arts , du goût & des talens !
Reçois ſur la nouvelle année
Et mes voeux & mes complimens.
Ne crois pas que mon tendre hommage ,
Jeune Life , dans ce beau jour ,
Soit le fade enfant d'un uſage
Que l'homme frivole & le ſage
Blâment & ſuivent tour-à- tour.
Plus vrai , plus ſimple , il eſt l'ouvrage
Du Sentiment & de l'Amour :
Tu m'as apprisdans ce ſéjour
A ne parler que leur langage.
Lis donc ces vers ; la vérité
MARS. 1764. 35
Te'les trace d'une main fûre :
Loin que la modeſte parure
Dont elle orne ici la beauté ,
Serve de voile à l'impoſture ,
Mes voeux pour ta félicité
Partentd'une ſource trop pure
Pour avoir la moindre teinture
De l'art ou de la fauſſeté :
Voilà de quoi mon coeur t'aſſure ;
Ecoute ce qu'il m'a dicté.
Que tes jours précieux aux Grâces
Des mains de l'Amour ſoient filés !
Que loin de tes riantes traces
Les noirs ennuis & les diſgraces
Soient par les plaiſirs exilés.
Quetous les biens que l'homme implore
Naiſſent ſans ceſſe ſur tes pas ;
Que loin d'affoiblir tes appas ,
L'âge les embelliffe encore ;
Et que de l'empire de Flore
Les tréſors les plus délicats ,
Malgré la rigueur des frimats ,
Pour toi ſeule puiſſent éclore.
Que tout prévienne tes defirs
Entre les jeux & l'allegreſſe
Partage tes riants loiſirs ;
Vis longtemps , éprouve ſans ceſſe
Que c'eſt au Dieu de la tendreſſe
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Que nous devons les vrais plaiſirs !
Par M. FRANÇOIS , ancien Officier de Cavalerie.
ΕΡΙΤΑΡΗΕ
De M. de GEORVILLE , ancien Treforier
Général de la Marine , &c.
Cy gît qui fit toujours le bien
Par penchant & par caractère.
S'il eſt mort ce vrai Citoyen ,
C'eſt de regret de n'en pas aſſez faire,
Par M. MOURET DUCHEMIN
VERS fur un ruban donne à l'Auteur
parMlle L. M. de Sin .... & brodé
par elle.
TISSU brillant , ouvrage de Daphne ,
Enchaînes à jamais les amours ſur mes traces.
Don précieux à mon coeur fortuné !
Tu vauxpour moi la ceinture des Grâces.
CHAUVET,J
MARS. 1764.
37
A Madame de S. H... à qui l'Auteur
en danſant au Bal, avoit donné par
mégarde , un coup dans l'oeil.
JALOU ALOUSE de vous voir fi belle ,
Vénus hier pendant le Bal
S'en vangea ſur votre prunelle ,
Et mon bras matheureux fut l'inſtrument fatal
Dont ſe ſervit la Déeſſe cruelle ,
Pour vous cauſer autant de mal .
Mais , belle Ifé , quelle fut ſa ſurpriſe
D'entendre de l'Amour le cri le plus perçant
Elle reconnut ſa mépriſe
Aux larmes de ce tendre Enfant.
Il s'écrioit , » qu'avez-vous fait , ma mère?
» Quoi , vous éteignez mon flambeau!
>>>Fut- il jamais de douleur plus amère ?
Pouvoit- il être mieux que dans cet coeil ſi beaut
>> Ranimez donc encor votre colère ,
>>> Et détruiſez auſſi ſon frère
>> Dans lequel j'ai mis tous mestraits.
>>Mais après tant de barbarie ,
>> Cruelle , ôtez-moi donc la vie,
Sinon mes pleurs ne tarirontjamais.
Par les cris de ſon fils la Déeſſe attendrie,
Ifé, dit-elle, ſois guérie.
38 MERCURE DE FRANCE .
Mais vous , pour vous punir , Amour ,
Du dépôt de vos traits d'avoir fait un myſtère
A votre redoutable mère ,
Iffé les gardera toujours.
Des Rives du Lignon , le 23 Janvier 1764 .
Par un Abonné au Mercure .
VERS envoyés au mois de Septembre
dernier , à une très-jolie femme de
Dijon , qui venoit d'accoucher d'une
troisième fille , & qui defiroit d'avoir
un garçon .
CONSOLE-TOI , mère charmante ,
D'avoir malgré ta vive attente
Atrois filles donné le jour.
Ce ne ſont point là des diſgraces ,
Avant que d'enfanter l'Amour ,
Vénus enfanta les trois Grâces.
MARS. 1764. 39
SUITE de la Lettre d'une jeune Etrangère
, inférée dans le ſecond Vol. de
Janvier.
CES jolies Prêtreffes , dont je n'ai
pointtrop enrichi l'image , ne tiennent
leurs myſtéres ſecrets,que quand la nature
ou le tempsy laiſſent trop de choſes
àréparer. Ne t'imagines pas, chereMiss ,
que ce qu'on appelle le temps de la toilette
ſoit employé tout entier à l'ajustement.
Il y a bien des parties dans cet
acte ; c'eſt le principal de la journée des
femmes d'un certain ordre. Les momens
deſtinés à des ſoins particuliers de la
figure , ne font pas, comme je viens de
le dire , livrés aux profanes : mais tout ce
qui précéde le temps de fortir ou de
tenir appartement , eſt toilette ou réputé
tel. C'eſt à cet autel de la galanterie,
dont une Françoiſe eſt en même
temps la Divinité & le Miniſtre, qu'elle
vaque à toutes les affaires de ſon état ,
qui eſt d'être jolie , frivole , galante &
même un tant ſoit peu friponne. ( Je ne
40 MERCURE DE FRANCE.
ſçaurois te faire bien entendre ce mot ,
il faudroit pour cela connoître mieux
la choſe ,& pour la bien connoître , il
faut être Françoiſe.) C'eſt donc là que
s'écrivent , que ſe reçoiventles billets du
matin ; c'eſt là que ſe régle la deſtinée
du jour , ou tout au moins qu'elle ſe déclare
aux courtiſans familiers ; c'eſt là
ſouvent que ſe détermine auſſi la deſtinée
des amans ; car celle du mari eſt
toute arrangée ; & je t'aſſure que
communément il n'en prend pas plus
de ſouci qu'on n'en prend de lui. Ne
va pas te figurer la ſcène de ces toilettes
d'après ce qu'en peignent quelques Brochures
ou quelque trivial Roman dont
nous nous ſommes ſouvent amuſées
enſemble, lorſque nous étudions la Langue
Françoiſe. Il y a une eſpèce de
manie dans les Auteurs de cette Nation,
pour peindre ce qu'ils ne voyent pas.
La plupart des Ecrivains les plus occupés
à donnerdes tableaux de ces détails
du monde , ſont précisément ceux
qui n'en ont & n'en peuvent avoir
aucune notion vraie. Il y a quelquefois
à ces toilettes un peu de ce que ces peintures
informes nous indiquent; plus fouvent
encore il n'y en a pas un ſeul per
MARS. 1764. 4г
fonnage. Mais , s'il s'en rencontre,c'eſt
avec des nuances très-difficiles à tranfmettre
dans une deſcription. Je t'avertis,
ma chère Miſs , que prèſque tout ce
qui concerne les manières ,le caractère
même des François , dépend tellement
de ces nuances , en eſt ſi eſſentiellement
compofé , qu'il n'y a qu'eux , & encore
très-peu d'entr'eux , qui ſoient en
état de les peindre , prèſque jamais de
les définir avec préciſion.Tu verrois une
de ces Toilettes , être un moment le cercle
de la frivolité la plus puérile , des
airs les plus extravagans , des riens , en.
un mot de tout ce qui donne lieu aux
caricatures qu'on nous fait des François.
Le moment, qui ſuccéde , tu ſerois frappée
ſouvent d'admiration , de la fineſſe,
de la ſagacité des vues de ce même cercle
, par accident même , de la juſteſſe
des raiſonnemens ; fans pouvoir retrouver
la moindre trace des voies par lefquelles
on eſt ainſi paſſé d'une extrémité
à une autre fi oppoſée. Pour t'en
faire une idée , retiens bien qu'une Françoiſe
qui a de l'eſprit & du monde , devine
ſouvent mieux que ceux qui mettent
bien du ſoin à apprendre. Lorſque
celle qui préſide eſt de cette forte , il
42 MERCURE DE FRANCE.
arrive ce que je viens de te dire ; car
elles font pour la plupart conféquemment
inconféquentes ; je ne ſçais ſi je
me fais entendre , je veux dire qu'ellesconcilient
les choſes contradictoires ,
avec un instinct d'eſprit qui a des marches
plus afſurées que la méthode même,
&la raiſon la mieux compaffée. Légères
ou folides , folles ou ſenſées , je ſuis
obligée de convenir que les Françoiſes
ſont toujours également charmantes.
Quanddes motifs de curiofité ,de pro .
menade , d'autres peut - être encore plus
intéreſſants, engagent les femmes à fortir
auxheures qu'elles ſont convenues d'appeller
lematin,il y ades robes de bien des
formes différentes pour cet uſage ; je
n'en ſçais pas tous les noms ; pluſieurs
d'entr'elles les ignorent comme moi.
Quelques-unes de ces robes font auffi
complettement fermées de toutes parts,
que la robe d'un Magiſtrat. On ne voit
ni col , ni poitrine , ni bras . Tous les
charmes font alors dans un parfait incognitò.
Je crois cependant entre nous,
chère Miss , que c'eſt le temps où l'on
en fait le plus agréable emploi. En
public on expoſe pour l'éclat ſeulement ;
MARS. 1764. 43
mais ſous ces modeſtes vêtemens,on fait
quelquefois un commerce plus doux
& plus ſolide des faveurs de la beauté.
Il y a d'autres robes négligées moins
heparetiquement cloſes , mais elles couvrent
& envelopent toujours beaucoup
plus que les robes habillées ou même
demi - habillées. Il y a ſur cela des
diviſions & des ſous - diviſions qui
embarraſſeroient nos plus célèbres
calculateurs. Si ces robes du matin
ſont entierement cloſes , cela s'appelle
, je crois , à la Chanceliere , attendu
quelque rapport réel avec la forme du
vêtement de ce premier Magiſtrat du
Royaume. Tu ne sçaurois croire par
combien d'eſpèces de grande coëffes en
coqueluchons , de mantelets petits ou
grands , qui prennent tous les quinze
jours des noms & des formes différentes
, on fupplée aux robes ainſi fermées
lorſqu'on en porte d'autres en déshabillé.
On diroit qu'ici les femmes n'ont
qu'un certain temps de la journée pour
être ſuſceptibles des impreſſions de l'air.
Les précautions fur cela ne ſont jamais
qu'en raiſon de la parure ; & leur délicateſſe
ou leur force contre le froid, font
reglées par l'étiquette. A propos d'étiquette
, je vais éſſayer , ma chère Miss,
44 MERCURE DE FRANCE.
d'en traiter un des points les plus fubtils
&ſur lequel il faut avoir , j'oſe dire, des
connoiſſances très-fines , il s'agit de ſçavoir
ce que les bienſéances éxigent ou
permettent ſur les Paniers.
Mais ma Lettre commence à devenir
longue pourmoi , c'eſt un fâcheux prognoſtic
ſur l'impreſſion qu'elle te feroit.
Je vais rêver un peu aux Paniers ;
j'entrevois qu'ily a des découvertes fort
utiles à faire fur ce ſujet. Je t'en entretiendrai
l'Ordinaire prochain. Ne me reproche
plus ma pareſſe , je te punirois
peut-être de ce reproche aux dépens de
ta patience & de mon amour- propre .
Je fuis , &c .
LE SONGE.
Ja repoſois ſur la fougère ;
Morphée avoit fermé mes yeux ;
Je croyois être avec Glycère ,
Et le Plaifir m'ouvroit les Cieux.
Minerve m'offrit la ſageſſe ;
Vénus les grâces , la beauté ;
Hébé la fraîcheur , la jeuneſſes
Mars ſes lauriers & ſa fierté .
MAR S. 1764. 45
Bacchus dit : Bois ; Apollon , chante ,
Et prends ce luth , s'il t'a charmés
Viens , dit Plutus , ſi l'Or te tente ;
Amour me dit : Aime , & j'aimai.
EPITRE
A Madame D ** M***.
Cette Dame avoit écrit à l'Auteur
qu'un homme d'eſprit étoit dans un
Cercle ce qu'étoit la Roſe dans un Par
terre. L'Auteur lui répondit par l'Epitre
ſuivante :
L4 Roſe au milieu d'un Parterre ,
Brille au-deſſus des autres fleurs ;
Plus belle , mais plus paſſagère ,
Elle perd bientôt ſes couleurs.
Mais l'innocente violette ,
Qui ſous l'herbe brille humblement
Echappe aux attaques du vent ,
Et ſur le ſein d'une Lifette
Va parerun corſet galant,
Oui , j'aime mieux l'humble Fleurette,
Que la Roſe au teint délicats
Un ſouffle l'embellit , mais un fouffle l'abat
Etma timide violette
46 MERCURE DE FRANCE.
Garde plus longtemps ſon éclat.
Tel eſt le bon eſprit , toujours prudent & ſage ,
S'exprimant toujours ſans écart ,
Il a la douceur en partage ,
Il eſt modeſte en ſon langage ,
Et la Nature eſt tout ſon fard.
Souvent dans l'ombre d'un nuage
Il ſe dérobe à tous les yeux ;
Mais , tel qu'un aſtre radieux ,
C'eſt pour éclairer d'avantage.
Le ſtore qui rompt le paſſage
A l'éblouiſſante clarté ,
Eſt l'heureuſe timidité
Dont mon coeur chérit le partage ,
Puiſqu'il eſt le premier hommage
Qu'il oſe offrir à la beauté.
Qu'un Fat ambré , dans ſa manie
Sur un nouveau jargon monté ,
D'homme de bonne compagnie
Soutienne la célébrité ;
Que , par Cydaliſe ou Julie ,
Son nom dans les Boudoirs chanté
De la bouche de la Folie
Paſſeaux faftes pompeux de la frivolité ;
C'eſt ſon deſtin : qu'un autrey porte envie ;
Je n'en faurois être tenté.
Il eſt des prix pour le Génie ,
Il en eſt pour la vanitéa
MARS. 1764. 47
Que le pèrede la ſaillie ,
Que ſemble ſervir le hazard ,
D'un mot qui ne doit rien à l'Art ,
De la pâle mélancolie
Ranime le ſombre regard ;
Oui , que P.... vous faſſe rire :
Seul il a ce droit , j'y conſens ;
Mais vous le connoillez , Thémire ,
C'eſt le moindre de ſes talens.
Moi qui ne ſuis P... ni petit-maître ,
Je me renferme dans mon être ,
Tout mon eſprit eſt dans mon coeur ;
Vous m'apprenez à le connoître.
Vos beauxyeux ſçavent tout charmer ;
Votre eſprit ſçait inſtruire & plaire ;
Et nous , nous ne ſçavons qu'aimer.
Vous voyez bien qu'il faut nous taire.
Par M. COSTARD , Fils .
A Madame D *** , qui avoit eu la
féve le jour des Rois.
IMPROMPTU.
POURQUOI vous étonner , Glycère ?
L'événement n'eſt pas nouveau.
48 MERCURE DE FRANCE.
Quand l'Amour coupe le gâteau ,
La féve eſt toujours pour ſa mère.
Parle même
VERS à Mlle MAZARELLI , Auteur
d'un Eloge de SULLY.
Quovorr ,, tu joins l'art d'inſtruire à celuide nous
plaire !
Et d'Apollon tu vas groſſir la cour :
Ta main qui de Sully trace le caractère
Grave& folâtre tour-à-tour ,
Nous trace des leçons ,&careſſe l'Amour.
A tes rivaux tu fais rendre les armes :
D'une double victoire ils viennent t'honorer.
Charmés de tes talens , ſubjugués par tes char
mes,
Ils ne ſçavent que t'admirer.
Mais c'eſt prendre ſur nous untrop grand avane
tage ;
Ne te ſuffit- il pas de régner ſur nos coeurs?
Faut-il encor nous ravir les faveurs
Dontle deſtin a fait notre partage ?
Que nous puiſſions au moins , oubliant tes ri
gueurs,
Par quelques biens balancer nos diſgraces:
Laiffe-nous nos talens, ou donne-nous ses grâces !
SUITS
MARS. 1764 . 49
SUITE des Lettres d'unjeune Homme.
LETTREIV.
Vous voulez connoître les femmes
qui font ici. Vous me demandez des
portraits. Mon ami , c'eſt un ouvrage
délicat, Il eſt dangereux d'être vrai.
Mais, s'il arrive que j'éffleure quelques
ridicules & même quelques vices , je ne
démaſquerai point les Perſonnages , &
d'ailleurs nous avons de jeunes Dames
très - aimables , & dont on ne peut faire
que l'éloge.
Deux femmes qui viſent à la célébrité
, qui par conféquent ſe déteſtent
& ſe mépriſent , & qui , je crois , ſe
rendent juſtice : l'une aimant tout le
monde , & même ſon mari ; l'autre, plus
franche , plus décidée , & déclarant
nettement qu'elle regarde le fien à-peuprès
comme un animal domeftique
que des préjugés ont rendu néceſſaire à
la liberté d'une jolie femme. Toutes
deux aimant le plaifir , mais la première
avec moins d'éclat ; être pufillanime,
qui ne fuit qu'en tremblant ſon illuftre
modele..... Pafſons aux autres.
C
:
,
50 MERCURE DE FRANCE.
Imaginez , mon ami , ce que la jeuneſſe
a de plus brillant , de plus tendre
& de plus délicat. Des cheveux blonds,
de grands yeux bleus pleins de douceur
, un viſage riant & modeſte , l'éclat
des plus belles couleurs , cette fineffe
& cette blancheur de peau particulière
aux blondes , & qui laiſſent
voir la pourpre imperceptible de ces
petites veines qui ornent les tempes &
le front , un ſourire enchanteur , une
taille légère & charmante , une politeſſe
aiſée , un eſprit aimable & cultivé,
un mélange touchant& fingulier de fineffe
& d'ingénuité dans le caractère : il
étoit réſervé à Mlle de Luficour de rafſembler
tant de grâces & tant d'heureuſes
qualités .
Nous avons encore une jeune Brune,
dont les yeux pétillent de tendreffe &
de vivacité. Elle penſe bien & s'exprime
de même. Vous lui trouvez d'abord
quelque timidité. Ce n'eſt point del'embarras
, c'eſt une fage circonfpection
qui naît de la modeſtie. Son eſprit eſt
juſte, ſes manières nobles& naturelles ,
ſa converſation agréable & fimple.
La figure de Madame d'Orville intéreſſe
d'abord. L'élégance & la légéreté
de ſa taille , la fineffe & la vivacité
MARS. 1764. 51
de ſa phyſionomie , le feu de ſes grands
yeux noirs , une certaine dignité répandue
fur toute ſa perſonne , tout cela
frappe & furprend. Avec plus de naïveté
, elle auroit de la grâce ; elle n'a
que de la majeſté. Vous ne lui trouvez
pas ces grâces touchantes qui vont chercherl'âme
* ; mais , permettez-moi l'expreffion
, une Beauté impérieuſe & hardie
, qui ſemble plutôt commander l'amour
, que l'inſpirer. Elle a beaucoup
d'eſprit , encore plus de prétentions.
Concluez de ceci , qu'elle a plus d'art
que de naturel , & vous conviendrez
néanmoins que Madame d'Orville eſt aimable.
Les femmes réuſſiſſent dans tous les
détails où il faut paroître : Mde d'Orville
y excelle. Elle fait parfaitement les
honneurs de ſa table & de ſa maiſon ;
rien ne lui échappe , & tout le monde
eſt ſatisfait : elle a toute l'adreſſe & la
préſence d'eſprit de ſon ſéxe. Mais vous
me ſoupçonnez de vouloir calomnier ce
ſéxe enchanteur , & de ne lui laiffer que
de petits talens . Je m'explique.
Ne pourroit- on pas dire aux femmes :
Ne vous plaignez plus de votre éduca-
* Rouffeau , Emile ou de l'Education.
:
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
tion. Elle est conforme à vos inclinations.
Elle pourroit être plus parfaite ,&
j'avoue que , fi elle ne l'eſt pas , il y a
de notre faute. Mais vous n'êtes pas faites
pour vous appeſantir par l'étude.
Contentez-vous d'être aimables ; régnez
par la douceur & la perfuafion : ne
cherchez point à devenir des honimes ,
vous y perdriez, Vous naiffez toutes coquettes
: ne vous offenſez pas , je vous
ſupplie , de ce diſcours ; je ne vous en
reſpecte pas moins , & la coquetterie
bien dirigée eſt un bienfait de la Nature.
C'eſt par elle que vous gouvernez
les hommes. Vertueuſes , vous faites des
ſages ; & des vives émotions de l'amour
je vois naître & s'établir les moeurs.
Quelle gloire pour vous , & quel autre
empire pourroit vous flatter davantage !
Mais enfin voulez - vous réellement
être hommes ? J'y confens ,j& je partagerai
de bon coeur avec vous les fatigues
& les dangers de la guerre. Devenez
graves & Içavantes , & préférez à
la fineffe du fentiment , à l'aimable enjoûment
de votre eſprit, les ſoins de la
politique & du gouvernement. Jettez
l'aiguille & le fuſeau ,& que vos mains
délicates prennent la bêche du ruſtre ,&
le marteau du forgeron . Non , la Nature
a marqué notre destination & la diffé
MARS. 1764 . 53
rence de nos emplois par la différence
de notre conformation. Une plus
haute ſtature , une organiſation plus folide
& moins fléxible indiquent les devoirs
honorables de Phomme. A Dieu
ne plaiſe que je penſe que notre âme
foit par ſa nature ſupérieure à la vôtre !
Quand toutes ces relations de ſéxes ne
ſubſiſteront plus , quand les temps ſe-l
ront perdus dans le gouffre de l'Eternité
, quand ce corps mortel fera diffous
, nous ferons tous égaux ; les âmes
ont-elles un séxe * ? Quelle différence
reſtera-t- il entre elles ? Mon ami , je me
ſouviendrai fans doute alors , & j'aurai
du plaifir à me rappeller que , lorſque
j'étois un homme , ton aimable ſoeur
étoit une femme dont la ſociété me
charmoit.... Mais vois-tu quelle Métaphyſique
à propos de Mde d'Orville ?
Pardonne à un pauvre Solitaire. L'habitude
du chagrin égare ſon imagination
, mais jamais elle ne corrompra
fon coeur. Adieu , je vais parcourir cette
admirable campagne. Que ne puisje
partager ce plaifir avec toi ! Quelle
belle ſoirée ! La fraîcheur & le calme de
l'air ſemblent paſſer juſqu'à l'âme ! ...
Au revoir , mon ami !
*Rouffeau , Nouvelle Héloïſe.
Cij
54. MERCURE DE FRANCE.
LETTREV.
E reçois enfin votre lettre , mon ami.
Pourquoi l'ai -je fi longtemps attendue ?
Celong filence commençoit à m'inquiéter
, & mon coeur en a murmuré ; mais
l'amitié reſſemble aſſez à l'amour : la
moindre faveur d'une Belle appaiſe un
Amant irrité , & l'on pardonne aisément
à l'ami que l'on retrouve.
Il faut que je vous conte une petite
hiſtoire , qui , je crois , vous divertira .
J'étois curieux de voir un homme à la
mode. Je viens de contempler enfin
cette merveille. Rien n'eſt ſi plaifant, je
vous affure , & je ſuis fatisfait. Mais , fi
j'ai trouvé ce Phénix ridicule , j'ai dû
lui paroître bien fot : il a fans doute eu
pitié de mon étonnement provincial.
L'attention avec laquelle je le confidérois
étoit en effet remarquable ; elle
faiſoit un beau contraſte avec la légéreté
de cet Agréable. Tandis qu'il pirouettoit
fans ceſſe , qu'il tournoit à
tout vent , qu'il parloit à toutes les Dames
, qu'il vantoit les yeux de l'une ,
admiroit la main de l'autre , je me difois
: ce rôle eſt tout-à-fait digne d'un
MARS. 1764. 55.
homme , & cette manière d'honorer les
femmes doit bien les flatter !
Mon ami , ſi je voulois infulter une
jeune perſonne , ſi je le pouvois , je
prendrois le ton de cet impertinent.
Mais rien n'égaloit ſa fade galanterie ,
que l'air ſuffifant avec lequel il s'emparoit
de la conversation . Il débitoit leftement
les plus dangereuſes maximes; il
décidoit , tranchoit ..... Nous étions révoltés
; mais on nous vangea.
Toutes les Dames avoient eu part à
fes hommages.Il n'y eut pas juſqu'à la
vieille Préſident de Fierville à qui il
n'en eût conté. La petite niéce de cette
Dame eut fon tour : il lui adreſſa quelques
propos galans . Monfieur ,dit-elle,
retournez à ma tante , vous venez de
lui dire précisément la même choſe ;
elle eſt beaucoup plus raisonnable que
moi ; elle vous entendra mieux. La naï
veté de cette ſaillie nous frappa ; perſonne
ne put s'empêcher de ſourire. Si
tu n'as jamais vu un Petit- Maître déconcerté
,&déconcerté par une jeune fille
de douze ans ; j'ai vu , moi , j'ai vu ce
phénomène.
Cette gentilleſſe , cette affectation&
ces galans menfonges ne ſont guères
ſéduiſans , il est vrai ; ce n'eſt qu'un
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
vain perfifflage : mais ces lâches adulations
, cette commode & libertine Philofophie
ne laiſſent pas d'être pernicieuſes.
Vils corrupteurs ! ne vous plaignez
plus des vices des femmes : C'eſt
vous qui les faites germer dans leurs
coeurs. Galants eſclaves de la beauté !
c'eſt vous qui leur donnez enfin des armes
contre vous-mêmes. Elles n'ont
pas ufurpé l'empire ; vous le leur avez
tranfmis : heureux & libres en portant
leurs chaînes , fi vous aviez ſçu mieux
diriger ce doux afcendant que leur
donna fur nous la Nature !
Mais , mon ami , croiras - tu que je
fuis moi-même accufé de galanterie ,
moi qui déclame contre elle avec cette
véhémence ? On n'a rien imaginé de
mieux pour me corriger , que de me
propoſer une femme. On veut que j'épouſe
une fille très-riche.... & trèsvieille.
La perſonne n'eſt pas une Beauté
; mais la Raiſon ! ... La Raiſon eſt ſans
doute une très -belle choſe . On me regarde
comme un papillon qu'il faut fixer.
Je doute un peu que je m'attache
à cette fleur dont la fraîcheur & l'éclat
font fort équivoques. Ne fût-ce que par
curiofité , & pour en cauſer avec toi ,
il faut que je voltige autour. J'en ſerai
MARS. 1764. 57
के
57
quitte pour m'envoler bien vite , fi
l'objet me fait peur. Juge de la bonne
fortune ,& fi j'y perdrai mes aîles .
Adieu , mon ami , tâchez de vous
diſtraire. Continuez de vous occuper &
de vous amuſer. Chantez,lifez les loix,
& faites l'amour. L'homme d'efprit
ſçait tout concilier. Je defire ardemment
que la jeune perſonne dont vous me
parlez faffe bientôt votre bonheur. Plus
adroite que ces femmes impérieuſes ,
*qui ne ſçavent que révolter un mari ,
elle fent que l'empire de ſon ſéxe n'est
que celui de la douceur & de la perfuafion
. Elle a de la raifon & des graces
; le fort des malheureux la touche
& l'intéreſſe . N'hésite pas à t'unir à
cette aimable fille ; donne ton coeur au
vrai mérite. Adieu.
LETTRE VI.
H , que tu connois mal ton ami !
Ecoute l'hiſtoire de mon coeur , & juge
mieux de mes ſentimens .
J'aime une fille charmante. Je vais te
peindre les grâces qui parent la ſageſſe
Ce portrait pourra te féduire ; mais il
n'en fera que plus reſſemblant.
Gv
58 MERCURE DE FRANCE.
Mon bon ami , avez-vous vu quelquefois
de ces phyſionomies touchantes
, qui ſemblent demander le coeur
qu'elles raviffent ? La beauté de ma
maîtreſſe eſt d'un caractère fi tendre &
fi naïf ; elle a quelque choſe encore de
fi noble & de ſi gracieux ! ... Vous diriez
que,pour former ce modéle aimable,
la Nature a fondu la majeſté d'une Reine
avec l'ingénuité d'une Bergère. Une
figure brillante & modeſte , beaucoup
de délicateſſe & de ſenſibilité , une ſimplicité
charmante , un coeur généreux &
compatiſſant , une âme enfin voilà
l'objet enchanteur qui diſpoſe de ton
ami.
....
Peux- tu me foupçonner , après cela ,
de prétendre aux faveurs de la .... ? Tu
n'as pu férieuſement interpréter ma
lettre comme tu le fais. L'amour n'achete
point ſes plaiſirs ; il ne les vend
pas ; c'eſt au coeur ſeul de les donner
& de les obtenir. Une maîtreſſe vraîment
eftimable pourroit arracher au libertinage
l'homme le plus vicieux. Tu
ne voudrois pas que je le devinffe.
Mais que penfer de l'homme vil qui
trahit indignement l'innocence , & déſeſpére
la pudeur ? Quel est ce plaifir
barbare , d'abufer du malheur d'une
MARS. 1764. 59
jeune perſonne aimable , de profiter de
fon extrême affliction pour la forcer de
ſe faire violence à elle-même , & de s'avilir
à ſes propres yeux ! Eſt- ce parmi
les horreurs de la miſére la plus déplo
rable que peut régner l'Amour? Homme
brutal ! comment n'éprouves-tu pas
un fupplice plus cruel que celui qu'imagina
cet exécrable tyran qui faifoit
unir un homme vivant à un cadavre ?
Il eſt inſenſible , ce cadavre ; mais
vil Sardanapale , la victime de tes làches
artifices & de ton impudence boit
toute l'amertume de ſon fort ! Es- tu
heureux de ſes peines , de ſes douleurs ?
Tu oſes mêler l'opprobre & la défolation
à la volupté ! O monſtre ! .....
Fuyez , fille infortunée ! Votre vertudépend
encore de vous. Malgré le plus
fanglant outrage , elle n'en ſera que
plus refpectable .... Mais revenons.
Dites-moi , mon ami. Abandonneraije
ce que j'aime, parce que l'or n'a point
tiffu nos noeuds ? Il en faut , je le ſçais ,
de cet or fi recherché ; mais jamais je
ne defirerai d'inutiles & dangereuſes- richeffes.
Si je ne puis adoucir mon fort ni
celui de l'aimable fille qui m'a charmé,
j'irai dans quelque campagne oublier
le monde & la ſociété ; heureux , fi l'a
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
mitié peut chaſſer de mon aſyle l'amour
& les méchans. Je ne ſçais ; mais je
fuis tenté de fuir. O mon ami ! l'on ne
croit plus à la vertu. Une lente mélancolie
me confume. Hâte-toi , viens con .
foler un infortuné qui t'aimera tonjours.
Viens m'aider à ſupporter mes
maux.
ODE.
DE PACE ET LUDOVICI DECIMI
QUINTI LAUDIBUS.
QUIS tibi nodo triplici , Gradive ,
Membra contraxit , fuper arma letho
Fracta dejectus furis ore frendens ,
Lumine torvus.
Diva ferpentum redimita nexu ,
Quid fremens Orco ruis , & forores
Inter accindis Furias atroci
Bella flagello .
En redit tandem comitata Mufis
Pax , fimul ludi redeunt jocique ,
Pax diu noftris miferata Gallos
Regnet in oris .
MARS. 1764. 61
Ecquis hic heros , phaleratus illum
Fert equus , fceptrum , fimilis jubenti ,
Dextra prætendit , placidas finiftra
Flectit habenas .
Spirat augusto pietas in ore.
Mollis arridet gravitas tuenti.
Te probat pectus , LODOICE , patrem ,
Dextera regem.
Tolle formofum caput inter undas
Nympha præcurrens , tuus ecce lætis
*Rex adest ripis , recreat benigno
Littora vultu.
Faune , Sylvani , Dryades puellæ ,
• Nunc decet cantus renovare , ludis
Annuit Princeps , quatienda certo
Nunc pede tellus .
Gallici quem tu populi parentem ,
Fama , commendas , medio fuorum
* Afpice , hunc circum generosa promunt
Pectora nati.
'Aſſidetjuxta Themis , hunc corona
Cingit inventrix olea Minerva
Corde virtutes LODOICUS omnes
Colligit unus.
62 MERCURE DE FRANCE .
Te triumphantem celebravit orbis
Hofte percuffſo ; tibi nunc , amicæ
Pacis authori Monumenta longum
Tollat in ævum.
Tollat , afpectu furor arma frangat ,
Thraciam pleno repetet volatu ,
Dum fuosplaufu celebrat fecundo
Gallia amores .
Quod tuas audet memorare laudes ,
Parce Mufarum , LODOIX , alumno ;
Eft fui parvumlicet at fidele
Pignus amoris.
TRADUCTION.
>
QUELS tranſports de fureur & de rage !Le
regard menaçant , la bouche écumante : Mars
qui t'a précipité fur ce monceau d'Armes fanglantes
que la mort a brisées ? Qui t'a chargé
de ces fers ? Qui t'a donné ces entraves ?
Dééſſe impitoyable , monſtre couronné de
Serpents. Quel déſeſpoir te fait précipiter juſques
au fond des Abîmes ! L'Enfer retentit des horribles
fifflements de ton fouer. Chaffée de deffus
la terre ,tu vas donc dans le ſein des ténébres
MARS. 1764 . 63
allumer la Guerre entre les Furies tes dignes
Soeurs.
La Paix , l'aimable Paix , revient enfin habiter
parmi nous. Divinités ennemies, fuyez : elle vient
accompagnée des Muſes. Les Jeux & les Ris
volent ſur ſes pas. Déeſſe ſecourable , jettez
enfin des yeux de compaſſion ſur les François.
Régnez ; mais régnez àjamais ſur leurs Contrées.
Quel est donc ce Héros qui s'offre à ma vue ?
Il eſt monté ſur un ſuperbe Courſier. D'un main
il préſente ſon Sceptre : on diroit qu'il commande,
De l'autre il laiſſe flotter paiſiblement
les Rênes .
Une auguſte Majeſté brille ſur ſon front. On
litdans ſes regards la douceur & la tendreſſe . Ses
yeux animés d'une noble fierté , laiſſent échapper
un aimable ſourire ſur ceux qui le contemplent.
Aces traits je te reconnois , Louis ; ton coeur dit
que tu es Père , & ta main montre que tu es Roi.
Léve ta tête au-deſſus des eaur, heureuſe Nym
phe de la Seine. Rends hommage à ton Roi. C'eſt
lui qui vient habiter tes rivages ,& qui réjouit par
fa préſence , cette ſuperbe Ville que tu arrofes
dans ton Cours .
Accourez , Déeſſes des Bois. Jeunes Dryades ,
Faunes, Satyres, accourez ? renouvellez vos Chan
64 MERCURE DE FRANCE.
ſons , redoublez vos Concerts, formez des Choeurs
de danſes: il eſt temps. Louis a donné le ſignal,
Et toi,puiſſante Renommée ! toi qui apprends à
tout l'Univers que Lovis eſt le Pèrede la France:
viens voir ce Prince au milieu de ſes enfans . Ils lui
préſentent à l'envi , un coeur que le reſpect &
l'Amour lui ont aſſujetti .
Contemple ce Monarque aſſis ſur ſon Trône.
Thémis eſt à ſes côtés , Minerve le couronne. Il
ouvre ſon coeur à toutes les vertus , & ſe plaît à
les y réunir toutes enſemble.
Grand Roi , lorſque tu foudroyois tes ennemis ,
1'Univers célébroit tes triomphes & ta gloire.Aujourd'hui
que jaloux du bonheur de ton Peuple ,
tu donnes la Paix à la France , elle éléve en ton
honneur un Monument éternel .
Qu'à l'aſpect de ce glorieux Trophée , la fureur
briſe elle-même ſes traits. Que d'un vol précipité
elle retourne chez les Thraces , où elle tient fon
empire. Tandis que la France tranquille déſormais
, célébre par des applaudiſſements réitérés ,
l'unique objet de ſa tendreſſe.
Pardonne, Louis ! pardonne , à un jeune éleve
des Muſes, qui oſe élever ſa voix,trop foibleencore
MARS. 1764. 65
pour chanter ta gloire. Regarde cet effort de ſon
génie ,comme un témoignage foible , il eſt vrai ,
mais ſincère de ſon amour pour toi.
Par M. l'Abbé DESFIEUX , Boursier au
Collège du Plessis - Sorbonne.
COUPLET préſenté à Madame la Marquiſe
de S. F. dans un Bal dont elle
étoit la Reine.
Sur l'AIK : Les plaiſirs de notre Village , &c.
AIMABLE Reine , ſur vos traces
Vos Sujets voleront toujours ,
Près de vous ſe fixent les Grâces ,
Les Jeux ,les Plaiſirs , les Amours.
Vos loix font le charmant empire
Du bonheur ;
C'eſt à vivre ſous lui qu'aſpire
LE
Notre coeur.
E mot de la premiere Enigme du
Mercure de Février est le Livre. Celui
de la ſeconde eſt l'Enigme elle-même.
Celui du premier Logogryphe eſt le
Foie. Celui du ſecond eſt Corfaire , Na66
MERCURE DE FRANCE.
vire fort léger , dans lequel on trouve
ris , acier , facre , cor , foc , fer de charrue
, Acrife , Céos , Roi , foir , roc, cire,
Ea , ire , Sera , César-Auguste , arc , Io,
Afer , Afie , crife , or , rofe , car ,
Soria , Oife , Sare , air , foie , Eric de
Vaza , Ia , rofaire , eſpéce de chapelet ,
Sao , fi ré , acis , aire , & rafoir.
ENIGME.

Aux humains tous les joursje rens mille ſervices,
Le Sexe fait de moi ſes plus chères délices
Sans partageje ſuis en mille endroits divers :
Vers le bien , vers le mal , mon penchant eſt
extrême.
Je naquis au moment qu'on créa l'univers.
Perſonne ne dira qui je ſuis , que moi même.
AUTRE.
TOUJOURS OUJOURS en l'air , toujours en peine ,
La moitié de mon corps ſur l'autre ſe proméne.
Tantôtje monte , & tantôt je deſcends ;
Je parois d'humeur noire à quiconque m'aborde ,
Je fais bien pis , je lui montre les dents :
C'eſt pourtant ſans que je le morde.
MAR 5. 1764. 67
AUTRE.
PRIS pardevant , je ſuis une fête, un myſteres
Je deviens Pape& Saint, pris dans le ſens contraire.
Par Mile LAFLEUR DE CUSSOT.
LOGOGRYPΗ Ε.
JE ne vais point, Lecteur , où l'on nem'aime pas,
Mais on me multiplie autant qu'on le deſire.
Je figure dans un repas ;
Et ce m'eſt un honneur quand quelqu'un me
déchire.
Il eſt peu de feſtins ſans moi ;
On m'y donne toujours une première place;
Chacun, felon fon goût , ou me cherche , ou me
chaffe,
Ou me laiſſe , ou me tire à ſoi.
Pourme mieux deviner , Lecteur , allons , diſſéques ,
Je te montre trois pieds , dix doigts ;
Et fournirai dequoi célébrer tes obſéques .
De plus , j'ai les Etats des plus illuſtres Rois ;
Une Ville Normande ; une autre de l'Afrique
L'imprudent fils de l'habile Crétois ;
Un très-grand fleuve Aſiatique ;
68 MERCURE DE FRANCE.
Un arbre venimeux , l'ornement des Jardins ;
Une Ifle de la Gréce ; un Pays d'Amérique ;
Ce que l'on demande aux devins ;
Trois élémens ; deux notes de Muſique ;
Je t'offre une conjonction ;
Le fin Roſſignol d'Arcadie ;
Certaine compofition
Des pâles couleurs ennemie ;
Une boiſſon de Normandie
Avec celle du Bourguignon ;
Certain légume d'Arabie ;
Le contraire de raboteux ;
Ce qu'on voit dans les plus ſaints lieux ;
Un Bénéfice ; unAmphibie ;
Une arme ; un mal contagieux .
Mais ce n'eſt pas afſſez , cher Lecteur , cherche
encore
CePalais flottant de ſapin ,
Qui vadu couchant à l'aurore ,
Et revient chargé du butin
Qu'il trouve ſur la rive More ;
Deux nombres cardinaux ; le gîte d'un oiſeau ;
Ce que pouffe un enfant alors qu'il vient de naître;
Celui qui le premier pourra devenir Prètre ;
L'endroit de notre tête où loge le cerveau ;
Quelques mots terminés en Eau
Avec leſquels mêmeje rime.
MARS. 1764 . 69
Une pierre fort tendre ; un très- petit couteau
Et la matière d'une lime.
Je contiens en outre uu métal ;
Les ſynonymes de ſincère ;
Un inſtrument de mer ; un ſauvage animal
L'aſlaſſin d'un innocent frère ;
Cet endroit ſombre , creux & frais ,
Où près de tes tonneaux , pleins d'une liqueur
pure
Que tu favoures à longs traits ,
De l'air tu peux braver l'injure ;
La Déeſſe des bois ; la couleur du ſaffran ;
Un tragique François ; un Juge Muſulman
L'Infecte dont tu dois faire la nourriture ;
La peau d'un Boeuf ; une Meſure ;
Le vaſe où l'on mettoit les cendres desRomains >
De l'or qui dans ton coffre abonde ,
Avare , ce qui doit te reſter dans les mains
A ton paſſage en l'autre Monde ;
Ce que Phébus forme en ſon cours ; )
Ce que l'on porte au front , ſurtout dans les
vieux jours ;
En un mot , je peux tout , ayant l'Etre ſuprême.
Tu me verras très-peu chez un Néceſſiteux i
Je ne parois guère en Carême.
Lecteur , devine , ſi tu peux.
DESCHAMPS , d'Auxerre.
70 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
Il faut trouver dans un ſeul mot , L
Arme, Mitre , rime , Marot ,
Dame , mérite , Hermite , aprêt ,
Métier , Remi , Martyr , Arrêt ,
Atôme , Droit , Thême , Morphée ,
Terme , mari , Parme & marée.
Par REGNAULT , R. à Versailles.
:
i
BRUNETTE ,
Avec accompagnement de Guitarre,
QUAND je t'entends , chère Guitarre
Des Inſtrumens le plus flatteur ,
De mes ſens quel charme s'empare !
Quels tranſports naiſſent dans moncoeur!
Si les doigts d'Iris font éclore
Tes ſons touchans , harmonieux ;
Le charme eſt plus puillant encore :
Je goûte le plaiſir des Dieux .
Guitarre.
+
M
Quandje t'en-=
+
-tends, chère Guitarre, Des instrumens, le plusflat
teur De mes sens, quel
*
W
+
charme,s'empare , Quels transports naissentdansmon coeur.
ΦΙ
W
1/4
it
MARS. 1764. 71
Sa voix , l'écho de la tendreſſe ,
Augmente mon enchantement ;
Plongé dans une douce yvreſſe ,
Mes pleurs ſont ceux du ſentiment.
La Musique est de M. D'O BET fils , Organiſte
à Châteaudun ; les Paroles de M. R*** , de la
même Ville .
72 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
SUITE de la differtation hiſtorique &
critique fur la Vie de Don ISAAC
ABARBANÉL , Juif Portugais ; par
M. de BOISSY.
NOTOTRREE Rabbin reçut un ordredefe
rendre auprès de D. Jean dont les intrigues
de ſes ennemis avoient confidérablement
accru l'animofité à fon
égard ; il ne balança point à obéïr. Il
ſe hâta d'arriver à Lisbonne , d'où la
privation de ſes emplois l'avoit obligé
de s'éloigner. Il fut aſſez heureux pour
apprendre fur la route qu'on en vouloit
à ſes jours. On l'avertit que le Roi
ne l'attiroit à ſa Cour que pour lui
tendre un piége dont il étoit de ſa
prudence de ſe garantir. Ces avis étoient
trop pofitifs pour avoir lieu de douter
de ce qui ſe tramoit à ſon inſcu contre
lui. Il n'eut rien de plus preſſé que de
ſe ſouſtraire par une prompte fuite
au
MARS. 1764. 73
an danger qui menacoit ſa tête. Il ſe
réfugia dans le Royaume de Caſtille
ſans avoir le temps de ſe faire accompagner
de ſa femme & de ſes enfans
qui ne l'y vinrent trouver que quelque
temps après. Il uſa d'une fi grande diligence
, que dans l'intervalle d'une nuit
à l'autre il gagna les frontières de ce
Pays. D. Jean étant inſtruit de ſon évaſion
entra dans une furieuſe colére. Il
envoya fur ſes traces des foldats pour
le lui amener mort ou vif. Mais leurs
pourſuites furent inutiles. Abarbanél les
avoit devancés de vîteſſe . Ce Roi ne
put tirer d'autre vengeance que celle
que lui offrit la confifcation de tous les
biens & les effets de ce Rabbin qui
étoient demeurés en ſa puiſſance. Nous
devons le détail de toutes ces particularités
à Abarbanél lui-même qui déplore
ſa chute en des termes auſſi pathétiques
, que ceux dans leſquels il décrit
fon élévation ſont magnifiques. Les
uns& les autres font un tiſſu de diverſes
phraſes priſes de l'Ecriture , qu'il adapte
&lie à la contexture de fon discours
en les accommodant au récit des différentes
circonstances de ſa vie. Cela
eft affez ordinaire aux Auteurs Juifs &
principalement au nôtre. Il étoit dans
D
74 MERCURE DE FRANCE.
la quarante-cinquiéme année de fon
âge , quand il quitta le Royaume de
Portugal , pour aller s'établir dans celuil
de Caſtille. Le loiſir dont il jouit dans
ſa retraite , réveilla en lui le goût qu'il
avoit eu dans ſa première jeuneſſe pour
l'étude des Livres faints. Il reprit le cours
de ſes travaux fur l'Ecriture , qui avoient
fouffert une longue interruption. par les
occupations qui l'attachoient à la Cour.
Il paſſa quelques années à la méditer ;
& fes commentaires ſur les livres dei
Jofué , des Juges & de Samuelfurent le
fruitde ſon application. Cependant l'ambition
qui le dominoit toujours , fit
encore diverfion à ſes veilles laborieufes.
Il ſe laiſſa ſurprendre une ſeconde
fois à l'appât des honneurs & des richeffes
. La Cour de Ferdinand & d'Ifabelle
lui offrant un vaſte champ pour
déployer ſes talens, il s'y introduifit à la
faveur de la Banque qu'il faisoit en Efpagne.
Animé du defir d'y figurer , il
employa toutes les refſources que put
lui fournir l'activité de ſon génie intrigant
pour ſeménager un accès auprès
de Leurs Majestés Catholiques. Comme
il étoit habile dans l'art de captiver la
bienveillancedes Princes , ſes ſollicitare
tions réuffirent au gré de ſes ſouhaits.
MARS. 1764. 75
Ferdinand le prépofa au manîment de
ſes finances , & l'éleva au rang de ſes
Miniſtres. Il est vraisemblable que ce
Monarque agréa les ſervices d'Abarbanél
plus par politique que par amitié
pour lui. Il avoit formé le projet d'exterminer
les Maures ; & il ne ſe diffimuloit
pas que ſes revenus fuffifoient
à peine pour foutenir les frais de la
guerre où il vouloit s'engager. Il fentit
que notre Rabbin à qui l'importance
des emplois que celui-ci avoit adminif
trés , donnoit beaucoup de confidéra
tion &d'autorité parmi les Juifs , pourroit
le ſervir utilement dans le poſte où
il le plaça. Il préſumoit d'obtenir d'eux
par ſon moyen les ſecours pécuniaires
dont il avoit beſoin. Abarbanel fut pendant
huit ans en poffeffion de la charge
dans laquelle il avoit été inſtallé. Elle
le dédommagea amplement de la perre
qu'il avoit faite de ſes dignités ,& de
ſes biens en Portugal. Il y amaſſa dans
ce court eſpace de temps d'auffi
grands tréſors que ceuxqui lui avoient
été ravis précédemment. Tout ſembloit
concourir à l'affermiſſement de fon bonheur
, lorſqu'un événement inattendu
changea ſubitement la facede ſes affaires ,
Ferdinand ayant à ſon retour de la
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
conquête du Royame de Grenade fur
les Maures réſolu de chaffer tous les
Juifs habitués dans ſes Etats , fit publier
au mois de Mars de l'an 1492 , un Edit
par lequel il leur étoit enjoint d'en fortir
dans trois mois à compter du jour de
ſa publication , ou d'embraſſer le Chriftianiſme
. ( a ) Il n'y eut point d'exception
; l'Ordonnance étant générale , ſa
rigueur s'etendoit à tous ceux qui faifoient
profeffion ouverte du Judaïsme.
Ainfi Abarbanél , malgré le crédit qu'il
avoit eu a la Cour juſques-là , ne put ſe
garantir de l'éxil commun. Frappé du
coup terrible qui étoit porté à ſa Nation
, il mit tout en oeuvre pour le dé-
-tourner. Il alla ſe jetter aux genoux du
Roi qu'il tâcha de fléchir par ſes prières
& par ſes larmes ; il le conjura de ne-
( a ) Abarbanel. præfat. Commentar. in Libr.
Reg. fol . 188. Salom. Ben. Virg . Schebet Jehouda.
fol. 44 fcu.p.320 ex version . Gent.Gedaliah Schal-
Scheleth hakkabalah fol. 115. Mariana ( Hiftor.
Hifpan. Lib. XXVI. Cap . 1. ) & d'après lui
Sponde ( Continuat. Annal. Ecclef. Baron.fub ann .
1492. n. 3. Tom. II. pag . 202. ) ont étendu a l'efpace
de quatre mois le terme de l'expulfion des Juifs.
L'Historien Ferréras l'a prolongé même jusques au
fixième mois ( Voyezfon Histoire d'Espagne XI.
part. Tom. VIII. pag. 128. de la traduction de
M.&dH. ermilly. )
MARS. 1764.. 77
point traiter avec tant d'inhumanité dans
laperſonne des Juifs , des Sujets fidéles
& zélés pour la gloire de Sa Majefté. Il
propoſa de leur part de payer toutes les
ſommes d'argent qu'il lui plairoitd'en éxiger.
Il l'aſſura qu'ils n'heſiteroient point
àacheter à ce prix la libertéde demeurer
dans les lieux de leur naiſſance. Il intéreſſa
même dans la cauſe de ſa Nation
quelques - uns des plus intimes
favoris du Roi , qui gagnés par ſes préſens
intercédérent pour faire révoquer
l'Arrêt qui la baniſſoit à perpétuité de
l'Eſpagne ; mais toutes ces tentatives
furent infructueuſes . Ferdinand fut inébranlable
dans ſa réſolution . La Reine
fon Epouſe à qui ce Peuple étoit ſouverainement
odieux , travailloit de fon
côté à l'y affermir. Elle le preſſoit continuellement
d'exécuter avec vigueur
ce qu'il avoit heureuſement commencé.
Abarbanel ſe vit forcé de céder à la
violence de l'orage qui accabla ſa Nation.
Conſtant dans les principes de ſa
Religion , il aima mieux partager le fort
miſérable de ceux d'entre ſes Frères
qui , à ſon exemple , refuſerentd'abjurer
leur croyance , que de conſerver ſa
place à la Cour de Caſtille aux dépens de
La confcience. Bartolocci prend occa-
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
1
fion d'éclater encore en reproches contre
notre Rabbin qu'il taxe de s'y être
auſſi mal conduit , qu'à celle de Portugal.
Il veut qu'Abarbanel ait contribué
plus que perſonne à ce baniſſement des
Juifspar la tyrannie qu'il exerçoit envers
les pauvres , par ſes ufures exceſſives ,
par ſa vanité infupportable qui lui faifoit
ufurper les titres qui ne font dûs qu'aux
maiſons nobles d'Eſpagne , enfin par
fes diſcours injurieux à la Religion
Chrétienne dont il étoit l'ennemi déclaré.
S'il falloit juger de ce Rabbin
fur la dépoſition incontestablementtrop
fuſpecte d'un homme qui ſe plaît à
le noircir , on ne pourroit le regarder
que comme un franc ſcélérat qui facrifioit
tout àune ambition démeſurée , &
à une infâme cupidité.N'est-ce pas montrer
évidemment l'effet de la paffion la
plus mépriſable , que de s'abandonner
à des accufations de cette nature ſans
avoir des preuves poſitives de ce qu'on
avance. Je ne crains pas de dire que
c'eſt précisément là le cas de Bartolocci
qui dans l'énonciation de ces
prétendus griefs , qu'une imagination
auffi fortement préoccupée que la
fienne étoit ſeule capable de réaliſer , a
plus confulté ſa haine particulière que
MARS. 1764. 79
les intérêts de la vérité. C'eſt pourquoi
on ne doit pas avoir égard à ſes déclamations
monachales. Abarbanel s'embarqua
avec toute fa famille pour
l'Italie , & aborda à Naples , ( b ) où
- Ferdinandle bâtard régnoit alors. Il eut
le bonheur d'être bien accueilli de ce
Prince , à la Cour duquel il s'infinua
-par les mêmes voies qui l'avoient mis
en crédit à celles de Portugal & de
Caftille . Comme Ferdinand ſe piquoit
d'une politique raffinée , il ſcut en
adroit courtiſan ſe faire valoir auprès
de lui par les connoiffances qu'il avoit
été à portée d'y acquérir en ce genre.
Ce Monarque le prit en affection , &
l'employa avantageuſement dans les
affaires les plus ſecrètes & les plus difficiles
du Gouvernement. La mort
ayant enlevé Ferdinand peu de temps
après qu'Abarbanél ſe fut établi dans
ſa Capitale , Alphonse II. de ce nom
lui fuccèda l'an 1494. Notre Rabbin
eut également part aux hommes graces
de ce dernier à qui ſes ſervices ne
furent pas moins agréables , qu'ils l'avoient
été à ſon prédéceſſeur. Il recueilloit
tranquillement le fruit de fa
(b ) Abarban. loco fuprà citato & præfat . Commentar.
in Libr. Deuteronom.
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
faveur , lorſque la fortune qui n'étoit
-pas encore laſſe de le perfécuter lui
préparoit un nouveau ſujet d'affliction .
On auroit dit qu'elle ne ſe plaiſoit
jamais plus à lui nuire , qu'au moment
qu'elle paroiſſoit le favorifer davantage.
Charles VIII. Roi de France entreprit
la conquête du Royaume de
Naples , auquel il prétendoit en conféquence
des droits fur ce Pays que
Charles Comte du Maine héritier de
René d'Anjou avoit cédés à Louis XI.
Ily entra à la tête d'une Armée nombreuſe
& s'empara des principales places
fans trouver aucune réſiſtance.
Alphonse conſterné de la rapidité du
progrès de ſes Armes , & ne ſe ſentant
point affez fort pour s'y oppoſer , abandonna
Naples à la difcrétion duvainqueur.
Il s'enfuit en Sicile , où le ſuivit
Abarbanél qui demeura fidéle à fon
Prince , au milieu des revers qui le dépouilloient
de ſes états & de fes richef-
Tes. Ils firent l'un & l'autre leur réſidence
à Meffine. Nicolas Antonio s'est
mépris en marquant dans l'appendice
de fa Bibliothéque d'Eſpagne , que
notre Rabbin fit le trajet de la Sicile
avec Ferdinand qui avoit été déthrôné
T
MARS. 1764 . 81
par les François. ( c ) Cela regarde uniquement
Alphonse ; le premier de ces
Monarques ayant ceffé de vivre un an
avant l'arrivée de Charles en Italie .
Alphonse ne ſurvécut que de quelques
mois à la perte de ſa Couronne. Succombant
fous le poids de ſes malheurs ,
il mourut l'an 1495. Abarbanel qu'aucun
motif ne retenoit plus dans cette
Iſle ſe retira à Corfou , où il ne s'arrêta
pas longtemps ; car il repaſſa
l'année ſuivante en Italie. Il fixa ſon
domicile à Monopoli dans la Pouille
pour être à couvert des inſultes des
François ,dans la retraite qu'elle lui offrit.
Il compoſa divers écrits pendant
ſon ſéjour en cette Ville , où il reſta environ
ſept ans. ( d) Il eut enſuite occaſion
d'aller à Veniſe , ou ſon Fils Jofeph
l'accompagna , pour concilier quelques
différends furvenus entre les Magiftrats
de cette République , & le Roi de
Portugal au ſujet du commerce des
Epiceries . ( e ) Il ſe conduiſit avec beaucoup
de prudence & d'habilité dans cet-
( c ) Nicol. Anton. Biblioth. Hifpan. Append.
Tom. II. pag. 686.
(d) Vide præfation. I. Libri quem Abarbanel
infcripfitMaaianei Jefchouahfol. 3 .
(e) Ibidem fol. 4.
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
te négociation qu'il termina au gré des
Puiſſances quiy étoient intéreſſées : ce
qui le mit auprès d'elles en grande réputation
. ( e ) Auſſi eut- il la fatisfaction
d'en acquérir l'eſtime & la faveur. Il
acheva le reſte de ſes jours en cette
Ville qui fut le terme de ſes voyages ,
& mourut l'an 1508. dans la 71°. année
de ſon âge. Tel fut le cours d'une
vie marquée alternativement par des
honneurs éclatans&par une longue ſuite
de diſgraces ; & c'eſt prèſque toujours
là le fort qu'éprouvent ceux qui , comme
Abarbanél , ambitionnant trop la
poffeffion des dignités & des richefſes ,
s'attachent au ſervice des Grands dans
l'eſpérance de ſe la procurer. Les Principaux
des Juifs célébrerent avec beaucoup
de pompe ſes funérailles , auxquelles
affiftérent même pluſieurs Nobles
Vénitiens. On tranſporta fon corps
à Padoue , & on l'enterra dans un ancien
cimetièrequi étoit hors de la Ville ,
& qui appartenoit aux Juifs. R. Juda
Menz qui avoit été Recteur de leur Académie
, y fut placé auprès de ſon ami
Abarbanel , auquel il ne ſurvécut pas
huit jours. Ce cimetière ayant été en-
(f) Menaffeh Ben. Ifrael. Spes Ifrael. pag. 91 .
MARS. 1764. 83
tièrement ruiné pendant le Siége que
cette Ville fouffrit en 1509 , devint depuis
in chemin pavé ; de forte qu'on
ne peut plus reconnoître actuellement
le lieu de la Sépulture de ces deux Rabbins.
( g ) Abarbanél laiſſa trois Fils Juda
, Jofeph & Samuel. L'aîné vulgairement
connu ſous le nom de Leon l'Hebreu
, Auteur des Dialogués de l'Amour
, a été grand Philofophe & habile
Médecin. Il s'eſt encore diftingué
par fon talent pour la Poëfie , & il a
fait pluſieurs Vers à la gloire de celui
à qui il devoit le jour. Jofeph partagea
la bonne & la mauvaiſe fortune de ſon
Père juſques à ſa mort Samuel le plus
jeune des ſes Frères paſſe pour avoir
été plus ſçavant qu'eux & même qu'Abarbanel
fon Père , s'il en faut croire
Bartolocci qui me paroît avancer ce
fait bien gratuitement. (h ) Au moins
c'eſt ce que ne diſent point ceux d'entre
les Ecrivains Juifs qui font entrés dans
quelque détail fur ce qui concerne notre
Rabbin , & fa famille. Aboab vante à la
vérité le ſçavoir de Samuel. ( i ) Mais
:
( g ) Præfatio 1. Maaianei Jefchouah fol. 4
( h ) Bartolocci Bibl. Rabb . P. III. pag. 881 .
( i ) Jm . Aboab Nomologia P. II. cap. 27. pag.
327.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE .
il n'attribue au Fils aucune fupériorité
ſur le Père à cet égard. D'ailleurs nous
n'avons du premier aucun ouvrage qui
justifie l'opinion , que Bartolocci voudroit
qu'on en prît. Il ne l'a probablement
eue qu'en faveur du Chriſtianiſme
qu'on prétend que ce Juifembraſſa
à Férrare , où il reçut au Baptême
le nom d'Alphonse qui étoit celui du
Duc qui lui fit l'honneur d'être fon
Parrain. La requête qu'il préſenta à ce
ce ſujèt ſous le Pontificat de Jules III.
au Cardinal Sirlet Protecteur des Neophytes
, fe conferve manufcrite dans
laBibliothéque du Vatican. ( k ) Cependant
le filence profond qu'Aboab garde
fur la converfion de Samuel, fait dou-
- ter de ſa publicité dans tous les lieux où
les Juifs font diſperſés ; à moins qu'on
ne croye qu'il l'a diffimulée de deſſein
prémédité. Mais il eſt plus vraiſembla .
ble, qu'elle n'eſt point venue à ſa connoiffance
, à en juger par les grands
éloges qu'il prodigue à ce Fils d'Abarbanél.
Il leslui eûtdonnés avec plus de réſerve
, ſi en effet il eût ſçu que celui-ci avoit
abjuré la Religion de ſesPères. Il n'arrive
guères aux Juifs de parler favorable-
:
:
(k) Vide Catalog. Bibliothe. Vatican fub . n.
6415. pag. 191.
MARS. 1764. 85
ment de leurs Apoſtats , dont au contraire
ils s'efforcent de flétrir la mémoire
, quelque irréprochable qu'elle
pût être. Aboab nous apprend que la
femme que Samuel Abarbanél avoit
épousée , ne lui cédoit pas en mérite.
Elle s'appelloit Benvenida de fon nom
de famille , & elle réuniſſoit aux vertus
de ſon ſéxe les avantages de l'eſprit ,
qui étoient encore relevés par beaucoup
de prudence , de grandeur & de
fermeté d'âme. D. Pedre de Toléde
Vice-Roide Naples , auprès de qui Samuél
fut fort en crédit , conçur pour
elle une eſtime ſi particulière , qu'il ne
balança point à confier à ſes ſoins l'éducation
de ſa Fille Léonor. Aboab
ajoute que celle ci ayant été depuis
mariée à Come de Médicis Grand-Duc
de Toſcane , faiſoit gloire en toute
occafion de régler ſa conduite ſur les
inſtructions qu'elle avoit reçues dans
fon enfance de D. Benvenida qui demeuroit
alors à Ferrare. Auſſi ne dédaignoit-
elle pas de la nommer ſa Mere
, la reſpectant comme telle , & la
traitant avec toutes fortes de diftinctions
. ( 1 ) Ces circonstances dénotent
affez que Samuel Abarbanel &
( 1 ) Aboab loco fuprà citato .
86 MERCURE DE FRANCE.
ſa femme avoient dès-lors une diſpoſition
prochaine à ſe faire Chrétiens ;
n'étant guères croyable , que le Vice-
Roi ſe fût avisé de donner à fa Fille
une Gouvernante qui eût perſéveré
dans ſon attachement à une Religion
différente de la fienne. Notre Samuel
étoit puiſſamment riche , & quand il
abandonna le ſéjour de Naples l'an 1540,
il emporta avec ſoi au rapport de
David Gantz, la valeur de plus deux
cens mille écus. (m ) La famille des Abarbanels
ſubſiſtoit encore avec quelque
éclat du temps de Daniel Levi de
Barrios , qui compte un Jofeph Abarbanél
avec Ménaſſéh ſon Frère & Jonas
Fils du dernier , au nombre des
membres de l'Ecole Fſpagnole , que les
Juifs ont à Amſterdam ſous le nom
de Cether Thorah , ( n )
و
Après avoir vu notre Ifaac ſe produire
dans les Cours des Princes par
fes talens politiques , qui l'y firent
revêtir d'emplois importans , nous al
lons le confidérer en qualité d'Ecrivain
هللا
( m ) R. David Ganz. Zemach David ad ann.
$300. pag. 152. ex version . Latin, G. Vortii .
(n ) Dan. Lev. de Barrios Defcript . Cether
Thorah. pag . 9. Vide Christ. Wolf. Biblioth.
Hebra . Tom. III. pag. ispy λονδία ( 1 )
MARS. 1764. 87
qui s'eſt rendu célébre par les productions
de ſa plume. Elles lui ont mérité
un des premiers rangs parmi les Docteurs
de ſa Nation . Auſſi les Juifs
s'empreſſent- ils à lui déférer le titre
d'homme Illuſtre ,de ſcavant & d'incomparable
Théologien. ( o ). On l'égale
au fameux Maimonide. Quelques-uns
même n'hésitent point à le lui préférer.
On doit convenir qu'à un eſprit net
& pénétrant , il joignoit une imagination
vive & féconde qui étoit foutenue
d'une élocution abondante &
aifée. Né naturellement laborieux , il
fe livroit à l'étude avec une ardeur infatigable.
Il eſt étonnant même qu'un
homme dont la vie a été alternativement
engagée dans le tumulte du grand
monde , dans l'embarras des affaires
&dans les chagrins de l'éxil , ait encore
pû trouver le temps de s'y appliquer.
Il écrivoit avec une ſi grande facilité
que peu de jours lui fuffifoient pour
commenter quelques Livres de l'Ecri
( 0 ) Salom. Ben Virg. Schebet Jehoudahfol.44,
feu 319 exversion. Gent.Azarias Meor Enajimfol.
139. Dav. Ganz. Zemach David. P. I. fol. 61 .
EditHebr.feu pag. 150. ex Verf. Vorst. Menaffeh
Ben Ifraelde creation . Problem. I. page 2. &Problem.
XII. page 50. Aboab. Nomolog. pag. 326.
88 MERCURE DE FRANCE.
ture Sainte. De - là cette multitude
d'ouvrages qu'il a composés. ( p ) M.
Maius a pris ſoin de recueillir à la ſuite
de l'abrégé de la vie qu'il a donné de
ce Rabbin , les Jugemens que les
Sçavans de diverſes Communions en
ont portés . ( q ) Ils lui font généralement
affez favorables , ſurtout en ce
qui concerne l'explication du Texte
Sacré : c'eſt auſſi dans cette partie qu'il
s'eſt principalement diftingué. Ses Commentaires
ſont ſans contredit ce qu'il a
fait de plus conſidérable ; & il paffe
avec raiſon pour un des meilleurs interprétes
Juifs. M. Simon veut que ce
foit celui dont on peut le plus profiter
( p ) Bartolocci ( Biblioth. Rabbin. P. III.
pagg. ) & M. Wolff. ( Biblioth . Hebra . Tom.
I. pagg. 629 , 639. ) ont donné la notice des
Ouvrages de notre Rabin , à laquelle ils ont joint
le dénombrement des différentes Editions qui s'en
fontfaites. Aleuréxemplej'en ai dreſſé le Catalogue
qui auroit paru à la fuite de la vie d'Abar
banel , fi je n'étois perfuadé que les détails qui
réſultent de ce genre de travail nefont guères de la
compétence du Mercure. C'est pourquoije lefupprime
ici , & je lui réſerve une place plus convenable.
(9 ) Vide pag. 20 &feqq. Vita Abarbanelis
fubjuncta Præconi Salutis quem V. C. Latine verfit,
& Francof. ad mæn. 1712. edidit .
: MARS. 1764. 89
pour l'intelligence de l'Ecriture. ( r ) Sa
Méthode eſt à quelques égards ſemblable
a celle de Toftat , de qui il paroît
avoir lù les Commentaires ſur la Bible .
Il forme , comme cet Evêque Eſpagnol
, pluſieurs queſtions ſur le Texte
quil explique. Il déploye d'ordinaire
beaucoup de ſagacité dans la maniére
de les réfoudre. Cependant nous ne
diſconviendrons pas qu'il ne ſe ſoit
trop plu à les multiplier. Il y en a quelques-
unes qui bien loin d'être de la
moindre utilité , ne ſont propres qu'à
embaraſſer l'eſprit des Lecteurs par les
doutes qu'elles y font naître. Il apporte
toute fon application à éclaircir les endroits
difficiles & obfcurs des Livres
Saints , à découvrir la liaiſon & les
rapports des Hiſtoires & des Prophéties
qu'ils contiennent , & à marquer la
fignification , & la force des mots Hébreux.
Il s'écarte rarement du ſens
Grammatical. Il ne lui arrive guères
non plus d'abandonner le ſens littéral
auquel il eſt fort attaché. Il s'efforce
même de l'établir dans des occafions
où la plupart des Rabbins qui l'ont
précédé ſe ſont retranchés dans l'Al-
(r ) Simon Histo. Critiq. du. V. Teftam. Liv
III. Chap. 6. page 380.
90 MERCURE DE FRANCE.
,
légorie , pour n'avoir pu trouver une
interprétation conforme à la Lettre du
Texte de l'Auteur inſpiré. Il péche
quelquefois par trop de fubtilité , qui
le porte à raffiner ſur l'explication des
autres Commentateurs de ſa Nation .
Quelque reſpect qu'il ait pour l'autorité
de ſes Maîtres dont il rapporte fréquemment
les opinions elle ne lui
impoſe point juſques à les admettre
ſans un mûr examen. Il les appuie ou
les combat , felon qu'elles lui femblent
vraies ou fauſſes. Le plagiat dont quelques-
uns d'entre eux font coupables ,&
les autres fautes qu'ils peuvent avoir
commifes n'échappent point à ſa cenfure.
Il propoſe ſon ſentiment avec une
entière liberté,&il eſt fertile en conjectures
qu'il hafarde trop volontiers. Enfin
il étale dans tout ce qu'il dit une grande
érudition Juive. Celle même qui s'acquiert
par la lecture des Auteurs profanes
ou Chrétiens , n'eſt pas pour lui
un objet tour-à-fait étranger. Il cite
ſouvent Platon & Ariftote. Il difpute
furtout contre le dernier de ces Philoſophes
fécond en paradoxes qui favo-
Tiſent l'irréligion. Le P. Souciet croit
avoir remarqué des paſſages de Pline :
MARS. 1764 . 91
produits par notre Rabbin . ( s ) Mais
c'eſt une obſervation que nous ne prétendons
point garantir. Abarbanél allégue
en divers endroits de ſes Commentaires
S. Jérôme & S. Augustin ,
foit qu'il eût feuilleté quelques écrits
de ces Pères , ou ce qui est plus vraiſemblable
, qu'il tînt ce qu'il en rapporte
, de Nicolas Lyre & de Paul
de Burgos , dont il avoit lu les annotations
fur l'Ecriture. Il ne fait aucune
difficulté de ſuivre quelques-unes de
leurs explications , & il réfute celles
qui ne s'accordent point avec ſes préjugés.
Au reſte ces allégations ſuppoſent
qu'il avoit quelque teinture de la
Langue Latine. Fier des connoiffances
qu'il avoit puiſées dans la Philofophie
minutieuſe qui régnoit de ſon temps ,
& qu'il entendoit affez bien , il affecte
de charger de raiſonnemens Métaphyfiques
les diſcuſſions où il entre. De- là
leur prolixité qui rebute autant qu'elle
ennuie. Aufſi ſon ſtyle qui a d'ailleurs
le mérite de la pureté & de la clarté ,
eſt infiniment diffus , & abonde en
répétitions faftidieuſes. C'eſt probablement
pour cela que Jonas Salvador
(s) Souciet Recueil de Differtat. Critiq. fur
des endroits difficiles de l'Ecriture Sainte , pag 4.
92 MERCURE DE FRANCE.
Juif de Pignerol , avec qui M. Simon
étoit en relation , avoit coûtume de
Pappeller un pur compilateur & un
babillard. ( t ) Il ſe montre par-tout
zélé défenſeur des Dogmes , & des
pratiques de ſa Religion. Son entêrement
pour les prétendues prérogatives
de ſa Nation lui a fait adopter mille
idées chimériques & extravagantes
fur ce qui peut y avoir rapport. Mais
le défaut le plus eſſentiel qui choque
dans ſes Commentaires & dans ſes
Traités Théologiques , c'eſt ſon acharnement
à y invectiver contre le Chriftianiſme
, & contre ſon divin Inſtituteur.
Toutes les fois que l'occaſion ſe
préſente d'en attaquer les principes ,
il la ſaiſit avidement , ſans garder aucune
meſure. S'il ne diſſimule pas dans ſes
controverfes avec les Chrétiens les
raiſons ſur lesquelles ceux-ci fondent
la verité de leur créance , il les énerve
autant qu'il lui eſt poffible , & il tronque
leurs objections contre le Judaïfme
pour y répondre avec plus de facilité.
Les Juifs ſont perfuadés qu'il les a
• ruinées de fond en comble. Il leur eft
libre de ſe repaître de ce triomphe
(t) Simon , Lettres Choifies Tom, III. pag. II
Edit. de la Marti,
MARS. 1764. 93
imaginaire. Ce qu'il y a de certain , c'eſt
que les efforts d'Abarbanel ſervent à
prouver la foibleſſe de ſa cauſe. Ce
qui fait le plus de peine à Bartolocci,
ce font les termes outrageans & injurieux
(dans lesquels il parle du Pape
& du Clergé. Il eſt ſans doute indigne
d'un homme raisonnable de ſe livrer à
des emportemens qui dégradent ſon
caractère. Nous ne voulons point juſtifier
Abarbanel fur ce point. Cependant
à juger des choſes humainement , on
ne doit pas s'étonner qu'il en ait fi mal
ufé a l'égard du Clergé. Il ſçavoit que
c'étoit par ſes brigues & par fon crédit ,
qu'il avoit été dépouillé des dignités
& des richeſſes qu'il avoit poſſédées à
la Cour de Portugal. Il n'ignoroit pas
non plus que le banniſſement général
de ſa Nation de tous les Etats de D.
Ferdinand , & de D. Jean , étoit l'effet
de ſes preffantes ſollicitations auprès
de ces Princes. Il lui imputoit donc
tous les malheurs dans leſquels cet
éxil l'avoit précipité , ainſi que ſes
Frères. La haine implacable qu'il nourriffoit
au fond du coeur contre les Miniftres
de l'Eglife Romaine avoit conféquemment
ſa ſource dans un motif
perfonnel. Penſe-t- on qu'un Juif que
94 MERCURE DE FRANCE.
,
les préjugés de ſa religion avoient accoutumé
dès l'enfance à regarder de
mauvais oeil celle qui s'eſt établie ſur les
ruines de la fienne ait été capable
d'avoir des ménagemens envers des
gens qui avoient ſoulevé les Puiffances
contre ſaNation . Les chagrins qu'il avoit
éprouvés dans le cours & à la fuite
de ces révolutions fi funeſtes à ſon ambition
, n'avoient pas peu contribué à
aigrir fon humeur. Ayant réſolu de ſe
venger par quelque voie que ce fût
de ceux qui les lui avoient ſuſcités ; il
n'a cru pouvoir mieux fignaler fon
averſion , qu'en les diffamant dans ſes
écrits qui portent prèſque tous l'empreinte
des traits de ſa colère &de fon
indignation. Il n'auroit pas dû laiſſer
prendre un fi fort empire au reſſentiment,
que lui cauſoit le ſouvenir des perfécutions
que ſes Frères avoient fouffertes ,
& auxqu'elles il n'avoit pas eu une
médiocre part. Si les mouvemens impétueux
de ſa bile n'euffent point
offuſqué les facultés de ſon âme , il
auroit reconnu qu'il y a de l'injuftice
à médire d'une Religion , à cauſe des
abus qu'en peuvent faire ceux qui la
profeffent , & des excès auxquels les
emportent l'intolérance & l'eſprit de
MARS. 1764. 95
domination. Mais on n'est équitable
qu'autant qu'on agit fans paffion. Cette
conduite ſi rare parmi les perſonnes qui
ſe parent, du beau nom de Philofophes
, l'eſt encore plus parmi les
Théologiens. Il fuffit qu'ils soient de
différens partis pour les voir ſe décrier
les uns les autres avec fureur ; l'on ſçait
affez que la modération n'eſt guères
le partage de ces Meſſieurs , quoique
par état ils duffent en donner l'exemple
au reſte des hommes. Si Bartolocci ſe
plaint de ce que les Juifs ſont dans
l'habitude de remplir les Livres qu'ils
publient d'invectives contre les Chrétiens
, ces derniers & lui en particulier
ufent largement à leur tour du droit de
repréfailles , à l'égard des membres de la
Synagogue. Encore font-ils moins excufables
; puiſque l'Evangile qui recommande
les devoirs de la charité même
envers ſes ennemis , leur défend expreſſément
de rendre injures pour injures.
C'eſt un précépte qu'il feroit à
propos que bien des gens euſſent devant
les yeux. On ne verroit pas tant
de libelles diffamatoires ſe répandre
hardiment dans le Public.
S
"
96 MERCURE DE FRANCE.
:
LETTRE de M. LE BRUN , Secrétaire
des Commandemens de S. A. S. Mon-
:
:
Seigneur le PRInce de ContY , à
M. DE LA PLACE , fur la nouvelle
Edition des OEuvres de M. de Sivri, imprimées
chez Barbou , d'un très-joli
caractère , & qui ſe vendent chez Panckoucke
, Libraire , rue & à côté de la
Comédie Françoise.
L
ILL FAUT convenir , Monfieur , que
dans la foule de nos Brochures littéraires,
il en eſt bien peu qui ſoient faites pour
honorer longtemps notre Littérature . La
raiſon en eſt ſimple ; c'eſt qu'il en eſt peu
où régne ce goût précieux de la docte
Antiquité , qui ſeul peut rendre un Ouvrage
immortel. Il eſt plus facile de mépriſer
les Anciens que de les atteindre :
c'eſt le parti le plus commode que prennent
la plupart de nos jeunes Auteurs.
Selon eux , il ne s'agit plus d'étudier profondément
ſon art ; mais de ſe faire une
cabale qui vous ſuppoſe des talens , &
vous diſpenſe d'en avoir. Plus jaloux de
ravir des applaudiſſemens que d'obtenir
des
MARS. 1764. 97
des fuffrages , ils préférent les lueurs
d'une célébrité paſſlagère à l'éclat d'un
nom vraiment durable . De- là ce flux &
ce reflux de petites réputations précoces
qui ſe croifent , fe choquent & s'effacent
fans retour : de-là ces monftres
dramatiques prèſque honteux de leurs
ſuccès énormes , ces Tragédies pantomimes
où le tumulte des ſcènes , l'appareil
des décorations , le preſtige des Acteurs
remplacent , à ce qu'on croit , la
Poëfie , l'Intérêt & le Sentiment.
,
De-là ces Comédies ambiguës où le
rire & les pleurs ſe rendent mutuellement
ridicules ; ces Odes ſans feu , ſans
verve , ſans ſtyle , ſans génie , qui feroient
bâiller Horace & Malherbe ; ces
Romans fans idées , ſans caractères
ſans vraiſemblance & fans fin ; ce déluge
d'Héroïdes faftidieuſes qui font les
premiers bégayemens de nos jeunes
Poëtes : enfin ces rames de Feuilles prétendues
critiques , où la baſſe envie ſe
mêle à la plus lourde ignorance .
Eh! quel temps fut jamais plus fertile en ſots
: Livres ?
La lecture des OEuvres de M. de Sivri
vous convaincra , Monfieur, qu'au moins
E
98 MERCURE DE FRANCE.
cejeuneAuteur a marché dans les bonnes
routes . Amoureux des Anciens & de la
belle Nature , il a cru que les admirer &
les ſuivre , c'étoit pouvoir prétendre à
quelques ſuccès. Sûr de la bonté de ces
principes , il déclare généreuſement qu'il
n'implore point ſes Lecteurs. Sije mérite
, dit-il, leurs fuffrages , ils me les accorderont
,fût-ce malgré eux. Si j'en fuis
indigne , en vain obtiendrois-je pour un
instant leurs éloges ; les cenfures de la
Poftéritésçauroient un jour me remettre à
ma place.... Quiconque eft dans le cas
demendier lafaveur , dès-lors même n'en
mérite aucune. C'est ainſi que l'Auteur
parle dans ſon Avant-propos. Vous m'avouerez
, Monfieur , qu'un Livre qui
s'annonce avec cette noble vigueur mérite
quelqu'attention.
Briféis , première Tragédie de l'Auteur
, ſe préſente à la tête du Recueil.
Elle fut jouée en 1759 , & reçut de juſtes
applaudiſſemens. On y trouva de la chaleur
dans les ſentimens , de la nobleſſe
dans les caractères , de la rapidité dans
le dialogue , & quelque choſe de ce
tour Racinien qui diſtinguera toujours
M. de Sivri de ſes rivaux dans la carrière
tragique. Le quatrième Acte ſur - tout
offre de très-beaux momens.
MARS. 1764. 99
Quepouvoit-on defirer de plus dans un
fi jeune Auteur? Quelle audace que d'embraffer
prèſque toute l'Iliade dans une
ſeule Tragédie ! Le plan eſt hardi, vaſte,
&trop vaſte peut - être. Il étoit à craindre
d'éffleurer ce qu'Homère approfondit , &
de raccourcir trop les grands objets de
l'Iliade. Mais avec quelle adrefſſe le jeune
Auteur a ſçu les réunir par un trait d'invention
qui ſeul met en jeu tous ſes caractères
! Peut - être quelques perſonnes
s'étonnèrent- elles de voir Priam fi longtemps
en ſcène avec Achille , & difcuter
des intérêts politiques avec le meurtrier
de fes fils. Auſſi Homère ne le conduit
dans la tente d'Achille, que pour redemander
les reſtes du malheureux Hector:
Scène touchante & pathétique , que M.
de Sivri n'a pas manquée dans ſon cinquième
Acte . C'eſt-là qu'il met dans la
bouche de Priam ces beaux vers d'imprécation,
dont le modèle eſt dans Homère
, & que tous les Poëtes , Catulle ,
Virgile , le Taffe , &c , fe font fait gloid'imiter.
Comme ces objets de
comparaifon fervent aux progrès du
goût , il ne fera pas inutile de les rapprocher
ſous les yeux du Lecteur. Dans
Catulle , Ariane dit à ſon parjure Thésée :
Quænam te genuitſola fub rupe Leæna?
re
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Quod mare conceptum ſpumantibus expuit undis ?
Quæ Syrtis , quæ Scylla rapax , quæ vaſta Charybdis
,
Talia qui reddis pro dulcipremia vitâ ?
Vers fi énergiques & fi beaux que Virgile
même , qui les avoit ſous les yeux ,
n'a pu les égaler par ceux- ci que prononce
Didon , au quatriéme Livre de
l'Eneide.
Nec tibi diva parens genuit , nec Dardanus auctor
Perfide , fed duris genuit te cautibus horrens
Caucafus , Hircanæque admorunt ubera tigres.
Voici maintenant l'imprécation que M.
de Sivri met dans la bouche de Priam
contre le barbare Achille , qui vient
d'immoler Hector , & de le traîner à fon
char.
Toi , le ſang de Pélée , ou celui de Thétis !
Opprobre des Héros , non tu n'es point leur fils.
Le flambeau de la Rage éclaira ta naiſſance ,
La Haine te reçut des mains de la Vengeance;
Les flancs del'Hydre affreuſe, ou le Styx en fureur
Te vomirent au jour , pour en être l'horreur.
Omenſtre ! ...
Combien ces beaux vers , pleins de chaleur
, de force& de Poësie , font- ils fuMARS.
1764 . ΙΟΙ
périeurs à ceux d'une autre Tragédie :
Non, tu n'es pas le ſang des Héros ni des Dieux :
Au milieu des rochers , tu reçus la naiſſance ;
Une horrible lionne allaita ton enfance ,
Et tu n'as rien d'humain , &c.
Mais que fera-ce ſi l'on compare à cet
heureux morceau de l'Auteur de Briféïs,
cet endroit d'une Héroïde aſſez récente ,
où l'on a cru traduire le Taſſe de cette
manière ?
Non, tu n'es point le fils de la belle Sophie ;
Non , ne te vante point de lui devoir la vie.
Le Caucaſe , au milieu des neiges , des glaçons ,
Te conçut dans la nuit de ſes antres profonds.
Il y a la même différence entre ces vers
&ceux de M. Sivri , qu'entre la Phèdre
de Pradon & celle de Racine.
Je ne dirai qu'un mot de l'Appel au
petit nombre , ou Procès de la multitude
qui fert de Préface à l'Ajax. Cette Brochure
parut vive. On la taxa de nouveauté
audacieuſe ; faute de ſçavoir que tous
les grands Hommes avoient dit & penſé
la même chose. En effet , ce n'eſt
qu'un fidèle commentaire de cette penfée
d'Horace.
Neque te ut miretur turba labores,
Contentuspaucis lectoribus.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
de forte qu'on ne peut blamer l'Appel
au petit nombre , fans blâmer auſſi les
vers d'Horace. L'alternative eft embaraſſante
.
Vous ſçavez , Monfieur , le deſtin
d'Ajax; mais vous ſçavez auſſi qu'une
Pièce bien écrite ne tombe jamais , du
moins aux yeux de quiconque ſçait lire.
Ajax même en eſt la preuve. Il eſt certain
que le filence du cabinet vangera
M. de Sivri des tumultes du Parterre.
Les gens de goût reconnoiſſent dans
ce Drame, de vraies beautés.Efther n'eſt
point théâtrale à notre égard ; il ſe
pourroit bien qu'Ajax fût dans le même
cas qu'Efther.
La diſpute des armes d'Achille , ſujet
que la Grèce entière eût applaudi , n'eſt
peut- être pas affez intéreſſante pour des
François frivoles & légers ; peut - être
auſſi le rôle de Penthéfilée ne s'offre-t-il
pas dans un jour affez favorable. C'eſt
par une ſévérité de goût bien rare dans
un jeune Auteur, que M. de Sivri s'eft
défendu le rôle de Memnon , qui néceſſairement
auroit produit des ſituations
très-vives,& qui ſurtout eút mis enjeu le
caractère de Penthéfilée. Mais il craignit
de trop détourner du principal objet.
Racine s'eſt pourtant permis le rôle
MARS. 1764 . 103
d'Eriphile dans ſon Iphigénie en Aulide
; &, fans ce caractère épiſodique ,
ſa Tragédie , plus correcte en effet , eût
manqué à la première des régles , qui eſt
celle de plaire. Il faut être juſte : le rôle
d'Ulysse dansAjax eſt un des plus beaux
peut-être que nous ayons au Théâtre .
Aglaé, petite Pièce en un Acte , dans
le genre gracieux , eft ingénieuſe & touchante.
On lit à la tête cette heureuſe
Epigraphe , imitée de Térence.
S'il eſt quelqu'un qui cherche àſatisfaire
L'homme éclairé , non l'aveugle vulgaire,
Je le tiens ſage , & je veux aujourd'hui ,
Pour le vrai goût , me liguer avec lui.
Je ne dirai rien de la Traduction de
pluſieurs Poëtes Grecs , Anacreon , Sapho
, Bion , Moschus , Tyrthee , &c.
dont M. de Sivri nous donne une ſeconde
Edition dans ce Recueil. Ces différens
morceaux ſont déja connus avantageuſement
du Public. L'Auteur ſçait
mieux que perſonne combien il étoit difficile
, & même impoffible , de rendre
toutes les grâces , les délicateſſes , & les
faillies ingénues d'un Poëte tel qu'Anacreon.
Ce qu'on peut affurer , fans
crainte d'être contredit , c'eſt que la
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
Traduction de M. de Sivri eſt infiniment
ſupérieure à toutes celles qui l'ont précédée.
Tel eſt , Monfieur , cet eftimable
Recueil , qui mérite certainement de tenir
une place diſtinguée dans la Bibliothèque
des Gens de goût.
J'ai l'honneur d'être , &c .
ECOLE de Littérature , tirée des meilleurs
Ecrivains ; à Paris , chez Babutyfils,
Libraire, quai des Augustins, entre les
rues Git-le-coeur & Pavée, à l'Etoile,&
chez Brocas & Humblot , rue S. Jacq .
au- dessus de la rue des Mathurins , au
Chef S. Jean ; avec approbation &
privilége du Roi , deux vol. in- 12 trèsbien
exécutés quant à la partie typographique
: beau papier , beaux caractères
. Prix , 2 liv. 10 f. chaque volume
, & 3 liv. relié ; ou 5 liv. les deux
volumes brochés , & 6 liv. reliés.
NouOUsS n'avions encore aucun Cours
complet de Belles-Lettres ; aucun qui
renfermât des Régles pour compoſer des
MARS. 1764. 105
Ouvrages dans tous les genres de Littérature.
Nous n'en avions point dont
les Auteurs , joignant la pratique à la
théorie , euffent fournià la fois les modèles&
les préceptes. Enfin , ceux qui
nous ont donné juſqu'ici des Règles
& des Principes , n'ont pas toujours été
de ces hommes de génie , dont les lumières
ont éclairé leur fiécle & honoré
leur Nation. Un Livre qui raſſembleroit
tous ces avantages ; un Recueil qui contiendroit
autant de Traités particuliers ,
qu'il y a de différens Ouvrages dans toutes
les langues ; qui ſeroit compofé par
les Ecrivains les plus diſtingués , &dont
les préceptes auroient été confirmés par
des chefs -d'oeuvre de l'art , ſeroit ſans
contredit la collection la plus utile pour
les gens du monde , & la plus néceſſaire
aux gens de Lettres. Les uns y puiſeroient
des règles fûres pour juger avec
Intelligence de toutes fortes d'Ouvrages ;
les autres pour les compoſer avec goût :
& c'eſt ce que nous croyons que l'on
trouvera dans cette nouvelle ECOLE DE
LITTÉRATURE , comme nous allons le
faire voir.
3 Nous avons dit d'abord qu'elle contient
des préceptes pour tous les genres ;
une liste des articles renfermés dans ces
Ev
106 MERCURE DE FRANCE .
deux volumes , indiquera au premier
coup d'oeil, la multitude des objets qui
entrent dans cette collection. La première
partie , qui comprend l'art d'écrire
en général , traire de lafignification , du
choix & de l'arrangement des mots ; des
des ſynonimes , des tropes , desfigures ,
de l'éloquence , duſtyle & du goût. La
feconde partie traite des règles particu
lières de chaque genre de Littérature en
profe & en vers ; tels que les Lettres , le
Dialogue , la Critique , les Journaux ,
les Romans , l'Histoire , le Discours oratoire
, les Sermons , le Panegyrique ,
V'Oraiſon funebre , l'Eloquence du Barrean
, l'Art de traduire ; la Poësie en général
,la Versification , l'Epopée , la Tragédie,
la Comédie, le Comique larmoyant,
le Comique bourgeois , 'Opéra , 'Opéra-
Comique , la Parodie , la Farce , la Parade
, l'Eglogue , la Fable , l'ode , la
Chanfon , la Cantate , l'Elégie , la Satyre
, l'Epitre , le Poëme didactique ,
Epithalame , les Stances , l'Enigme , le
Logogryphe , l'Epigramme , la Devise ,
les autres petits Poëmes , juſqu'à l'Infcription
& l'Impromptu. Voilà donc
comme nous l'avons dit , des Traités fur
tous les genres. Ces Traités ont été fournis
par des Auteurs célébres , qui ont fou
2
MAR S. 1764 . 107
1
joindre à la ſcience des règles ,le mérite
, plus difficile & plus rare , d'en fournir
des éxemples. Tels font , par éxemple
, M. de Voltaire pour le Poëme épique
, Corneille pour la Tragédie , Fontenelle
pour l'Eglogue , la Mothe pour
l'Ode & pour la Fable , Boileau pour la
Satyre,M.Favart pour l'OpéraComique,
Fuzelier pour la Parodie , Rémond de
Cinqmars pour le Dialogue, l'Abbé Desfontainespour
la Critique , &c. &c.Enun
mot,nous ne trouvons,à chaque article,
que des noms diftinguéstels queFenelon,
Bouhours , Godeau , Fraguier, d'Olivet ,
BrumoyduMarſais, Nivernois, d'Allembert
, Diderot , Marmontel , &c . &c. &c.
Ce ne fontdonc point les idées d'un ſeul
homme,que l'on offre au Public dans ce
nouveau Cours de Belles - Lettres ; c'eft
une Ecole complette de Littérature ,
compoſée par tout ce que nous avons
eu de meilleurs Ecrivains ; c'eft , pour
ainſi dire , l'efprit de tous nos grands
hommes réunis , pour former d'autres
grands hommes dans tous les genres où
ils ont excellé. Nous pourrions citer
beaucoup de morceaux , pris de chacun
desArt. qui compoſent cette Collection
précieuſe & eftimable. Nous nous con--
tenterons , pour aujourd'hui , de rappør-
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
4
ter les Règles du Goût , par M. Poncet
dela Riviere , ancien Evêque de Troyes.
» Qu'est- ce que le goût ? Une qua-
>> lité qu'un génie médiocre regarde
>> comme la fienne , qu'un eſprit criti-
» que croit n'être celle de perſonne ,
>> dont tout le monde parle , que peu
» d'hommes connoiffent ,& qui à force
>> d'être définie , eſt devenue prèſque
>> indéfiniſſable. Ce terme ne préſente
>> à l'eſprit qu'une facilité à voir d'un
>> coup d'oeil , & à faifir dans l'inſtant
>> le point de beauté propre à chaque
» Sujet que l'on traite. Mais qu'est- ce
» que beauté dans les Ouvrages ? Force
» & vivacité du génie , liaiſon exacte
» de toutes les parties , rapport immé-
>> diat des unes avec les autres , juſteſſe
>> dans ces rapports , & même dans les
>> contraſtes , degré de nuance , ton de
>> couleurs , aſſortiment & aſſemblage
>> de tout ce qui enléve d'abord le fuf-
>> frage & fixe l'admiration. Par exem-
» ple, dans les pensées , rien de beau
>> ſans le noble & le vrai ; le faux & le
» rampant doivent en être bannis . Dans
>> les ſentimens , rien de beau ſans l'é-
» lévation& le touchant; le décent &
>> le pathétique font leur mérite. Dans
>>les expreffions , rien de beau fans le
MARS. 1764. 109
>> naturel & le gracieux ; l'obscur &
>> l'affecté ſont leurs défauts eſſentiels.
>> La hardieſſe, mais ſans écarts dans les
>> idées ; les ornemens , mais fans paru-
>> re dans le ſtyle ; la variété , mais fans
>>bigarrure dans les tours ; une richeſſe,
>> mais fobre & fans fafte ; une ſageſſé ,
>>mais égayée ſans indifcrétion ; une
» abondance , mais meſurée ſans profu-
>> fion ; une facilité qui ne ſoit point
» négligence ; une fineſſe qui ne ſoit
>> point affectation ; une méthode qui
>>>ſoit ſans contrainte ; l'art enfin , mais
» déguiſé ; qui ſemble n'avoir étudié
>> tout , que pour tout dire ſans étude ,
» & ne travailler que pour diffimuler
>>les efforts du travail. Telles font les
>> qualités avantageuſes qui nous faifif-
>> fent d'abord dans les Ouvrages d'ef-
» prit.
>> Le goût conſidéré dans le coeur ne
» ſe définit pas , parce qu'il eſt ſenti-
>> ment ; il ne s'acquiert pas , parce qu'il
>> eſt qualité : la Nature le donne. Re-
• >> gardé comme faculté d'eſprit& prom-
>> ptitude à bien juger , il ſe forme par
>> la lecture ; il s'épure par les comparai-
>>fons; les réfléxions l'affurent; les exem-
>> ples l'étendent , & l'imitation l'affermit.
Sentiment du vrai , droiture de
NO MERCURE DE FRANCE.
>> raiſon , ce ſont ſes principes : juſteffe
>>de penſées , netteté d'expreffions , ce
>> font ſes régles; foupleſſe d'un eſprit
»qui ſçait obéir à la loi des bienféan-
>> ces ; ſageſſe de détail qui ſçait adop-
>> ter le néceffaire & retrancher le fu-
>> perflu ; économie des régles qui pré-
>> fident à l'Ordonnance , ce ſont ſes
>>qualités : tableaux naturels , images
>> animées , peintures juſtes , ſaillies me-
>>>ſurées ; à leur ſuite , ſaiſiſſement d'ad-
>> miration , fuffrages auffitôt obtenus
>> que demandés , eſprits à peine atta-
>>qués que fubjugués; ce ſont ſes effets.
>>Pour prouver la néceffité du goût ,
>>j'oſe avancer que fans lui le génie le
>>plus fublime eſt ſouvent plus dange-
>> reux pour les Arts , qu'il ne leur eft
>>>utile. Naturellement hardi , il s'éléve
>> au-deſſus du vrai comme au- deffus du
» commun. Sa paffion eſt le nouveau.
>> Toujours avide de distinctions , il
>> prend fon vol ; ce qui eſt naturel aux
>> autres , eft étranger pour lui ; une ré-
>>gion fupérieure d'où il puiſſe domi-
>>ner , voilà fon centre. L'imagination ,
>>guide inſenſé lorſqu'elle n'eſt pas
>> guidée elle-même , lui prête ſes aîles ;
» nouvel Icare , il va dans la région du
feu ,& tandis qu'il ſe livre à un nouMARS.
1764 . IFF
»vel éffor dans des plages inconnues ,
>>>les nues qu'il a percées ſe rejoignent ;
>>leur ombre le dérobe aux regards des
>> Mortels ; & il ne leur eſt rendu que
>> par fa chûte. L'eſprit qui ne peut at-
>>teindre à la hauteur du génie, le laiſſe
» s'élever , ſe contente de marcher; mais
> ſa marche irrégulière ne le conduit
>> point à fon but; un goût frivole
» s'empare de lui ; il tourne ſans ceſſe
>> dans le tourbillon de la mode ; c'eſt
>> un papillon qui cherche une lueur
> favorable pour faire briller les cou-
>>> leurs dont ſes aîles font nuancées . Là
> ſe borne ſon ambition. Il plaît aux
>>>Lecteurs légers comme le papillon
>> aux enfans. Son éclat dure autant que
>>>la lueur autour de laquelle il voltige ;
» l'aîle ſe déſſéche , ſe brûle enfuite , &
➤ l'inſecte rampe.
>> Ce portrait n'eſt que trop véritable
>> même dans la Littérature ; & l'image
» n'eſt que d'après des modéles. En efe
» fet , parcourez les Ouvrages divers
>>dont le déluge inonde aujourd'hui
>> plus que jamais la République des
>> Lettres : un titre fingulier ,des avantures
imaginées , un ſtyle marqueté ,
>>>une Sentence hardie , un tour de
>> penſées biſarres , un aſſemblage d'ex
112 MERCURE DE FRANCE.
>>preffions colorées , un jargon obfcur
» & précieux ; diſons tout, une barbarie
>> de langage ornée & parée de faux
>> brillans & de clinquans où le vernis
>> eſt ſubſtitué à la peinture , la décou-
>> pure au tableau , & au ſérieux du bon
>>>ſens , le frivole de l'affectation. N'est-
>> ce pas là le fond , ou du moins le
>>> courant de la Littérature moderne:
>> Que fait le goût ? Il ſoutient le gé-
>>nie dans fon éffor , & le rappelle de
>> ſes écarts; lui marque fa route dans
>> les airs , & lui preſcrit ſes bornes ; ne
>>>l'affranchit du commerce des hom-
>>>mes , que pour l'aſſocier à celui des
>> Dieux ; lui permet de s'élever quand
>> il peut; l'oblige à marcher quand il
>>>le doit; & en lui laiſſant toute la li-
>> berté que l'imagination defire , le re-
>>tient dans les limites que la raiſon a
>> marquées. Il ouvre toutes les routes
>> du labyrinthe dans lequel l'eſprit fri-
>> vole s'égare ; lui laiſſe la fineſſe du
>> langage , mais en bannit l'obſcurité ;
>> retranche la parure qui eſt étrangère ,
>>pour ne laiſſer que l'ornement qui
» eſt propre ; admet les grâces , mais
> veut que les vertus les reconnoiffent ,
>> que les Muſes les conduiſent , & ne
>>ſouffre pas qu'un amour aveugle les
MARS . 1764 . 113
» égare ; à l'étincelle enfin qui ne ré-
>> pand qu'une lueur afſez ſemblable à
>>la nuit , le goût ſubſtitue le flambeau
>> qui produit la lumière , & enfante ou
>> remplace le jour.
>>C'eſt par lui , c'eſt par ce goût fa-
>> ge & hardi , que furent inſpirés ces
>> génies puiſſans qui dans un fiécle af-
>> fez peu éloigné du nôtre , rallume-
>> rent dans le Temple des Arts , ce feu
>>ſacré que la moleſſe avoit laiſſé étein-
>> dre , diſſipérent les ténébres dont l'i-
>> gnorance avoit couvert le Parnaffe ,
>> rappellérent l'Antiquité plus défigurée
>> encore par le pinceau de la nouveau-
>> té , que par ſes propres rides , ouvrí-
>> rent à des Lecteurs curieux d'appren-
>>dre , les tréfors littéraires que les ſfié-
>>>cles nous ont conſervés , comme l'hé-
>> ritage des eſprits , & nous montérent
>> enfin à ce degré d'intelligence qui a
>>fixé les Lettres parmi nous. Juſques-
>>>là les Muſes errantes avoient en vain
>> cherché un aſyle Elles avoient
>> franchi quelques montagnes , par-
>> couru quelques Provinces éclairé
>>quelques Nations : le hafard ou la
>> curiofité leur ménagérent de temps en
>> temps des protecteurs afſez zélés pour
» les défendre ; mais il étoit réſervé au

,
114 MERCURE DE FRANCE:
>>goût de leur fufciter des Connoif-
>> feurs intelligens , capables de les ac-
>> créditer en les cultivant , de profiter
>>>de leurs richeſſes , & de leur en don-
»nerr , de ſe pénétrer de leurs précep-
» tes , & de les tranſmettre aux autres.
>> C'eſt de ces Reſtaurateurs des Scien-
>> ces , que nous avons reçu le goût ſage
» & heureux qui les maintient encore
>>malgré la conſpiration des préjugés.
>> Puiffions-nous ſentir toujours le prix
>>d'un tel avantage , & nous conferver
>>la poffeffion glorieuſe où nous fom-
>>mes depuis fi longtemps , de ſervir
>> dans ce genre , comme dans prèf-
>> que tous les autres , de modéles aux..
>> autres Peuples.
Nous finirons l'Extrait de l'Ecole de
Littérature dans le prochain Mercure.
MARS. 1764. 115
LA VEUVE, Comédie , en un Acte , &
enProfe , par l'AUTEUR DE DUPUIS
ET DES RONAIS. Le Prix eft
de 24fols ;à Paris , chez Duchesne ,
Libraire , rue Saint Jacques , au- def-
Sous de lafontaine Saint Benoît , au
Temple du Goût , 1764. Avec Approbation
& Privilége du Roi.
NOUouSsnous contentons, fimplement
ici , d'annocer cette jolie Comédie , attendu
que , pour les raiſons que nous
endirons , nous en donnerons un extrait
, à la fin de l'Article des Spectacles
du prochain Mercure.
LE ROSSIGNOL , Comédie en un
Acte , en Vaudevilles , du méme Auteur,
eſt , actuellement , ſous preffe ; &
paroîtra inceſſament. On la trouvera
pareillement chez Duchesne.
Ce n'eſt point le Roffignol , qui a
été joué à l'Opéra Comique ; mais ,
cette Piéce charmante , qui a déja ſa
réputation faite , & qui a été repréſentée
avec tant de ſuccès , il y a plus de
116 MERCURE DE FRANCE .
:
douze ans , chez S. A. S. Monſeigneur
le Comte de Clermont, Prince du Sang.
M. Collé ſeroit en état, s'il le vouloit , de
donner au Public un Théâtre de Société
, affez conſidérable. Ily a longtemps
que les Amateurs , & que les perſonnes
qui jouent la Comédie , entr'elles à
Paris , ou dans leurs campagne , attendent
, avec la plus vive impatience , qu'il
fafle imprimer ce Recueil précieux de
Comédies , & de petites Piéces , qui ne
peuvent être repréſentées ſur des Théâtres
Publics , mais qui feroient comme
elles l'ont déja fait, l'amusement , & le
charme des Sociétés particulières.
SUPPLÉMENT aux Piéces Fugitives.
VERS à Mde de B ..... qui le foir de
fes noces , après que tout le mondefut
retiré , éxigea , toute affaire ceſſante ,
quefon marila menát au Bal de lopéra
qu'elle n'avoit jamais vu. Le père
du nouveau marié qui les avoit entendus
fe lever , s'habilla , ſe masqua ,
les fuivit au Bal ; & àforce de plaifanteries
, il obligea sa bru de reve
MARS. 1764. 117
nir avec fon Mari masqués encore
l'un & l'autre , & ne comprenant pas
comment ils avoient pu être reconnus.
Lepère m'écrivit l'aventure le matin ,
& elle reçut ces Vers l'après-diner àfa
toilette : ce qui l'étonna beaucoup .
CONDUITS ONDUITS par l'Hyménée &leDieu deCythère,
Dans le lit nuptial , cette nuit deux époux ,
Alloient goûter les plaiſirs les plus doux ,
Sous les yeux du tendre myſtère ;
Quand tout- à- coup , jaloux de leurs joyeux ébats,
Momus , cédant au dépit qui l'emporte ,
Entre dans leur réduit , ſans frapper à la porte ,
S'approchedes conjoints qui ne s'endormoientpas,
Etdes tendres amours écartant la cohorte ,
A l'épouſe parle tout bas ,
Et la tance de cette forte.
Quoi ! dit- il, à votre âge on n'eſt donc pas touché,
D'un plaiſir qu'à vos yeux on atoujours caché ?
Tandis quedans mon temple,ou régne l'allégreſſe,
Bourgeois & Financier , Robin , Prince , Ducheſſe,
Tous viennent me faire la cour ;
Vous ſeule , à mon culte rebelle ,
Epriſe d'un nouvel amour ,
A côté d'un mari , jeune , aimable , fidéle ,
Vous voulez attendre le jour ?
Ypenſez-vous:d'Hymen commençant la carrière
,
118 MERCURE DE FRANCE.
A peine un pauvre époux ouvre- t- il la barrière ;
Qu'il eſt déja prèſque ſur le côté :
De votre propre bien ſoyez plus ménagère ,
Par principe de volupté.
Votre époux eſt à vous : uſez-en de manière ,
Qu'il n'altére. point ſa ſanté.
Plaiſirs pouffés trop loin cauſent ſatiété.
D'Hymen toute la vie on peut chomer la fête;
On prévoit ſes douceurs juſques dans l'avenir ;
Ses jours coulent en paix , & les miens vont finir.
Profitez des jeux que j'apprête :
L'Ennemi * qui me ſuit va bientôt les bannir.
Après ces mots, l'indiſcrette folie
Force les deux époux à ſortir de leur lit.
L'épouſe en eſt charmée , & l'époux obéit.
Peut - on rien refuſer à femme qui ſupplie ?
On s'habille à la hâte , on s'échappe ſans bruit :
Au Bal de l'Opéra leplaiſir les conduit.
Ils arrivent maſqués ; qui peut les reconnoître ?
Qui ? l'Amour qui les ſuit. Déjà ce petit traître ,
Voyant que d'une utile nuit ,
Dont il doit diſpoſer en maître ,
Un autre Dieu perçoit le fruit ,
Dit le nom des époux , découvre le myſtère ,
A tout venant conte l'affaire ;
Lui- même déguiſé , prend l'épouſe à l'écart ,
Et lui flétrit le coeur par maint & maint brocard,
* Le Carême.
MARS . 1764. 119
L'aventure devient publique ;
L'un applaudit , l'autre critique :
La fingularité trouve des partiſans ;
Et cet époux a fait la nique
A tous les maris complaiſans :
Mais peu fuivront cette pratique.
Aimable Bi .... vous qui dans votre lit ,
Avez paſſé la nuit , & vu naître l'aurore ,
En comblant de plaiſir l'époux qui vous adore ,
Amuſez - vous de ce récit ,
Dont tout le monde parle encore ,
Dans les foyers de Terpficore.
120 MERCURE DE FRANCE.
CAMPAGNE du Marquis de CRÉQUI ,
en Lorraine & en Alface , en 1677 ;
rédigée par M. Carlet de la Roziere ,
Chevalier de S. Louis , Capitaine réformé
de Dragons , & ci- devant Aide-
MajorGénéraldes Logis de l'Armée du
Rhin ; à Paris , chezLeſclapart , Libraire,
quai de Gévres; vol. in Sº. petit
format ; 1764 ; avec une Carte trèsbien
faite de la Lorraine , & d'unepar
tie de l'Alface.
a L'AUTEUR jugé cette Carte d'aurant
plus néceſſaire , qu'outre qu'elle facilite
l'intelligence de cette Campagne ,
elle est un moyen ſimple & aiſé d'en repaffer
d'un coup d'oeil toutes les opérations
, & d'en conſerver une idée nette
&fructueuſe. Quant à l'Ouvrage même,
la Campagne de M. de Créqui eſt ſi curieuſe
&fi inſtructive , par les événemens
qu'elle préſente , par la conduite
admirable de ce Général , & par le détail
de toutes les marches de fon Armée ,
& des Camps qu'elle a occupés , que ce
Livre ne peut manquer d'être d'une trèsgrande
utilité aux Militaires : furtout les
faitsy étant expoſés avec une clarté , un
ordre & une précision qui font honneur
à l'Auteur de cette utile & précieuſe rédaction
. BIBLIOTHÉQUE
MAR S. 1764. 121
BIBLIOTHÈQUE choiſie de Médecine,
tirée des Ouvrages périodiques tant
François qu' Etrangers, avec pluſieurs
Piéces rares & des remarques utiles
& curieuses. Par M. PLANQUE ,
Docteur en Médecine , Tome VIII.
avec Figures . A Paris , chez la veuve
d'Houry, Imprimeur- Libraire de Mgr
le Duc d'ORLÉANS , rue Severin ,
près la rue S. Jacques . 1763 .
La matière qui compoſe ce huitieme
Volume , eſt compriſe dans les mots
néphrétique , nerf, nourriture , obésité ,
odontalgie , odorat , oeil , oesophage ,
ongle , opération Césarienne , ophthalmie
, & os .
Le premier Article renferme la ſtructure
des reins dans l'état naturel &
dans l'état contre nature ; l'on en développe
la méchanique ; on expoſe leurs
maladies & les moyens de les guérir.
On rapporte l'hiſtoire d'une néphrétique
périodique quiattaquoit une Dame
de 50 ans tous les mois & à la même
heure. Cette hiſtoire eſt ſuivie de beau-
F
122 MERCURE DE FRANCE .
coup de remarques curieuſes non-feulement
ſur la néphrétique , mais encore
ſur pluſieurs autres affections dont les
retours périodiques ſont ſurprenans ,
comme des fiévres qui revenoient tous
les ans , la parole perdue , qui revenoît
tous les jours depuis midi juſqu'à une
heure , &c .
Les nerfs dont la connoiſſance eſt ſi
néceſſaire , fait le ſujet du ſecond Article.
On y examine leur nature , leur
origine , leur progrès , leurs diviſions.
On prouve l'existence des eſprits animaux
dans les nerfs ; on expoſe leur
puiſſance dans l'economie animale , on
démontre que c'eſt par leur moyen
que l'âme s'apperçoit de ce qui ſe
paffe dans notre machine vivante ;
on recherche quelle eſt la partie du
cerveau où l'âme exerce ſes fonctions ,
& où elle reçoit les impreffions des objets
; on explique la cauſe de la douleur
& l'on rapporte quelques conjectures
fur les maladies des eſprits & fur le défordre
du cerveau dans certaines affections
ſurprenantes , comme dans la catalepfie
, dans les raviſſemens ou extafes
, &c .
L'Article fuivant regarde la nourriture.
On y traite de la nature des alimens,
MARS. 1764. 123
de leur différence dans différens Pays ;
on demande ſi l'on peut vivre longtemps
ſans leur fecours. On rapporte
pluſieurs exemples d'hommes & d'animaux
qui ont vêcu pluſieurs années
fans boire & fans manger ; on y lit
l'hiſtoire d'une femme qui depuis 18
ans juſqu'à un âge avancé rejettoit ce
qu'elle prenoit , a l'exception de l'eau
& du petit lait. On remarque qu'elle a
été ſeize ans n'allant qu'une fois à la
ſelle chaque année , c'étoit toujours au
mois de Mars .
Cet Article finit par la méthode de
faire cuire les Os , par l'hiſtoire du Chocolat
& par les moyens de conferver les
Grains &c .
Le quatrieme Article eſt employé à
traiter de l'Obésité , cet embonpoint exceffif,
qui fait tant d'obstacles aux fonctions
animales & vitales. Il renferme
beaucoup d'exemples de groſſeurs énormes
, des accidens qui les accompagnent
& des moyens de les détruire.
Le mot Odontalgie fournit des ſujets
auffi curieux qu'utiles. On parle dans ce
cinquiéme Article , de la nature des
Dents , de leurs maladies , de leurs remédes
, des accidens qui peuvent arriver
en les arrachant des fecours
qu'on doit y apporter. L'on finit cet
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Article par les prognoſtics qu'on peut
tirer de l'inſpection des Dents.
L'on paſſe enſuite à la connoiſſance
de la ſtructure du fiége de l'Odorat ,
on donne une deſcription exacte de
toutes les parties de cet organe ; on
rend raiſon de pluſieurs phénomènes
curieux ; par exemple , pourquoi l'on
pleure quand on a reſpiré des odeurs
fortes , pourquoi l'on éternue , quand
les yeux font frappés d'une vive lumière.
On parle enfuite de l'éternuëment ; on
en découvre la cauſe , ſes bons & fes
mauvais effets , auſſi bien que ceux du
Tabac ; enfin on recherche l'origine des
ſouhaits qu'on fait à ceux qui éternuent ;
dans l'Article de l'oeil on lit la defcription
de cet organe , on parle de l'action
de fes muſcles & de leur uſage , on rapportédes
obſervations ſur la méchanique
des muſcles obliques , ſur l'iris & fur
la porofité de la cornée tranſparente ; on
y trouve pluſieurs découvertes fur les
yeux de differens animaux , une differtation
ſçavante ſur la Méchanique des
mouvemens de la prunelle , où l'on éxamine
quelle est la ſtructure & la manière
d'agir des fibres droites de l'uvée; on
y traite des mouvemens de l'iris , & par
occafion de la partie principale de l'organe
de la vue ; on y lit un mémoire fur les
MARS. 1764. 125
yeux gelés , dans lequel on détermine la
grandeur des chambres que renferme
l'humeur aqueuſe;de la connoiffance exacte
des parties de l'oeil,&de leurs fonctions ;
l'on paſſe aux maladies dont les principales
font la cataracte , & la fiftule lacrymale.
On rapporte les diverſes manières
d'en faire les opérations , plufieurs
obſervations ſur une maladie du
ſyphon lacrymal dont les Auteurs n'avoient
pas encore parlé ; ſur un bandage
compreffif deſtiné à la cure de la
tumeur lacrymale ; une diſſertation ſur
la cauſe du ſtrabisme ou des yeux louches
, & fur d'autres maladies qui attaquent
cet organe , & les paupières.
Le mot oesophage conduit à des choſes
intéreſſantes qui regardent la déglutition
: après être entré dans la defcription
des parties de cet organe , on explique
comment ſe fait la déglutition ; on
rencontre des remarques ſur la luette ,
ſur ſes fonctions , ſur ſes maladies & fur
celles de plufieurs autres parties de la
bouche . On y lit auffi un Mémoire fur
une difficulté d'avaler , & l'on y donne
les moyens de ſecourir les malades.
Les ongles occupent le neuviéme article
: on y explique de quoi & comment
ils ſe forment , comment ils ſe nourrif-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
ſent , comment ils croiſſent & comment
ils végétent. On réfute l'opinion de ceux
qui s'imaginent qu'ils croiffent après la
mort de l'animal. On rapporte pluſieurs
hiſtoires d'ongles monstrueux ; on y lit
une lettre curieuſe touchant une fille à
qui il venoit des cornes fur plufieurs endroits
de fon corps .
Après cet article on vient à l'opération
céſarienne , l'on en rapporte l'origine , le
temps de fa néceſſité & la façon de la
faire. On finit cet article par l'hiſtoire
d'une opération céſarienne fingulière.
L'ophthalmie remplit le dixiéme article.
On y explique en quoi confiſte cette
maladie , quelle eſt la partie qu'elle affecte
, & combien il y en a de fortes . On
rapporte des éxemples de pluſieurs accidens
, fuites fâcheuſes de l'ophthalmie ,
qui ont conduit à l'aveuglement. L'émé
ralopie ou vue de jour fournit la matière
d'un Mémoire fort curieux & fingulier :
les perſonnes attaquées de cette maladie
n'apperçoivent les objets qu'aux grands
rayons du Soleil , encore même avec
quelque confufion ; on explique la caufe
de cette affection extraordinaire , & l'on
enſeigne les remédes capables de la guérir.
On prend de-là occafion de rapportor
pluſieurs hiſtoires de vues ſi perçantes,
qu'à peine peut- on y ajouter foi , com
MARS. 1764. 127
me d'appercevoir ce qui eft caché dans
la terre , le mouvement du ſang dans le
coeur , les dépôts d'humeurs formés intérieurement.
On parle auſſi de ceux qui
voyent les objets doubles ,& on rend
raiſon de ce phénomène ; comme auſſi
de ceux qui ne voyent qu'une partie des
objets. On rapporte auſſi des éxemples
de ceux qui ne voyent pas le jour , &
qui voyent affez bien la nuit.
De ces phénomènes extraordinaires ,
l'on paſſe à une maladie qui eſt aſſez
commune , mais dont on ſe défait difficilement.
Ce font des filamens , des petits
pelotons , d'eſpèces d'aîles de mouches
, & autres apparences qui ſemblent
voltiger dans l'oeil. On tâche d'en découvrir
la cauſe , & l'on en donne quelques
remédes.
Les os terminent la matière de ce volume
: l'on y éxamine leur nature , leurs
parties , leur uſage ; on explique comment
ils parviennent à cette dureté qui
les diftingue des autres parties , & comment
il arrive que certaines parties molles
s'offifient; on lit des obſervations fur
la ſtructure & fur les maladies des cartilages
qui ſe trouvent dans les articulations
; on en rapporte d'autres ſur les
jointures écailleuſes & fur les jointures
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
dentelées du crâne , fur les os du palais ,
fur les vertébres des côtes ; fur la proportion
des os du ſquélette de l'homme ; fur
le mouvement des mâchoires ; ſur la
ſtructure & le ſentiment de la moëlle ;
fur la teinture en rouge des os des animaux
vivans . On paffe enſuite aux obſervations
qui regardent leurs maladies ,
comme le craquement des os , la fracture
de la rotule , de l'humerus , de la cuiſſe .
On fait mention d'une partie de ſquélette
qui étoit ſans articulation , & d'un ſquélette
entier qui ne formoit qu'une feule
piéce d'os ; c'étoit un domeſtique qui
mourut à foixante-un ans. Il commença à
être moins agile à l'âge de dix- huit ans.
Vingt ans avant la mort de cet homme ,
il eut une fiévre très- violente , pour avoir
paffé une partie de la nuit à dormir fur
l'herbe , ayant chaud. Depuis qu'il fut
rétabli , il ne fut jamais fans reffentir de
grandes douleurs dans les os. En quatre
ans , il perdit l'uſage & le mouvement
des mâchoires ; de forte qu'on fut obligé
de lui arracher pluſieurs dents pour le
nourrir de foupe , de lait& de bierre ; il
ne pouvoit ni s'aſſeoir , ni ſe baiffer ; il
dormoit dans une guérite avec une petite
planche qu'il gliſſoit dans une couliffe,
contre laquelle il appuyoit ſon eſtomac.
Il ne pouvoit pas faire le moindre
MARS. 1764. 129
mouvement avec ſa tête. Il pouvoit ſe
mouvoir fur un terrein uni par une eſpè
ce de faut , & il reſtoit plufieurs heures
dans un jardin , en ſe tenant le dos appuyé
contre une muraille . Il y a dans ce
huitiéme volume une infinité de faits
auſſi utiles que curieux , fur leſquels il ne
nous eſt pas poſſible de nous arrêter , &
nous ne croyons pas nous compromettre
en afſurant le Public que ce volume ne
mérite pas moins fon approbation que
les précédens.
Le neuviéme volume eſt ſous preſſe ,
auffi-bien que le vingt - cinquiéme de
l'édition in - 12 , de laquelle il paroît
vingt- quatre Tomes..
ANNONCES DE LIVRES.
HARMONIE des Pſeaumes & de
'Evangile , ou Traduction des Preaumes
& des Cantiques de l'Eglife ; avec
des Notes relatives à la Vulgate , aux
Septante & au Texte Hébreu ; ouvrage
posthume de M. Pluche ; à Paris
chez les Freres Eflienne , rue S. Jacques
, à la Vertu ; 1764 , un Vol. in-12 ..
Avec Approbation & Privilége du Roi.
Cette nouvelle Traduction des Preau-
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
mes , qui ne le céde à aucune de celles
qui ont paru juſqu'à préſent , eſt précédé
d'une Préface très-étendue & trèsinſtructive
, qui donne la clefdes Pſeaumes
, fait connoître le caractère particulier
du langage des Hébreux , le
tour de leur Poësie , l'état actuel du
Texte de l'Ecriture , & les divers accidens
arrivés aux verſions Grecque &
Latine . Les Notes dont M. Pluche a
accompagnié ſa verſion , répandent
beaucoup de clarté ſur le Texte.
DISSERTATION fur différens points
de Géographie , adreſſée à l'Académie
des Sciences & Belles- Lettres de Gortingue
; par M. Rizzi Zannoni ; 1764 ,
brochure in -8°.
Le but de cet écrit eſt de réfuter M.
Bonne , Mathématicien , qui avoit attaqué
M. Rizzi Zannoni au ſujet de quelques
fentimens ſur la Géographie : on
réduit ici à deux points principaux , les
plaintes de M. Bonne. Le premier roule
fur ce que M.Rizzi Zannoni avoit dit que
c'étoit un projet chimérique & ridicule
que de prétendre nous donner des Cartes
arplaties vers les Pôles ; dans le
fecond M. Bonne reproche à fon Adverſaire
de l'avoir copié dans ſa Carte
,
MARS. 1764 . 131
des Côtes Maritimes de la France , &
d'y avoir ajouté des fautes. La réfutation
des accuſations de M. Bonne fait
tout le ſujet de cette differtation .
LETTRES à M. Rousseau , pour fervir
de réponſe à fon Emile , & à ſes autres
ouvrages ; in- 8°. chez Panckoucke
, rue & à côté de la Comédie
Françoiſe ; au Bureau du Mercure , au
Palais Royal & chez l'Auteur. Le
prix des deux premières Lettres eſt de
3 liv. 6 fols brochées.
,
L'Ouvrage deſtiné à combattre M.
Rousseau , fuivant le Plan qui en a été
trace dans la Préface , a été circonfcrit
dans quinze Lettres , dont chacune formera
un volume d'environ quinze feuilles.
La réfutation des Ecrits de ce Philoſophe
a été regardée par pluſieurs Prélats
comme d'autant plus néceſſaire ,
qu'à la faveur du ſtyle le plus féduisant ,
il a frappé du même coup fur la Religion
& fur le Gouvernement. On pourra
juger par les deux premieres Lettres , du
tour que doit prendre entre les mains de
l'Auteur, une controverſe , que l'intempérance
du génie a rendue malheureuſement
trop néceſſaire dans ce ſiècle.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
THEATRE de la dernière Guerre en
Allemagne , &c , en fix Volumes in- 12 .
chez Langlois , fils , Libraire à Paris
rue de la Harpe , près de la rue Poupée ,
à la Couronne d'Or.
,
Ce Libraire propoſe de le donner
au Public par forme de ſouſcription
avec une diminution de prix confidérable.
Juſqu'ici les fix premiers Volumes
ont toujours été vendus chacun 3 liv.
en Feuilles ; ce qui faisoit pour le tout
18 liv. Chaque Volume pareillement
en Feuilles , fera donné pour 2 livres &
relié coûtera 2. liv. 12 ſols. Cela fait
fur les fix Volumes une diminution
du tiers , ou une réduction de 18 liv.
à 12 liv. Les deux derniers Volumes
fept & huit qui paroîtront dans le
mois de Mai prochain 1764 , ne feront
auffi vendus chacun en feuilles que 2
livres à ceux qui auront pris les fix précédens
; c'est-à-dire , à ceux qui auront
ſouſcrit juſqu'au mois de Mai : ainfi
l'Ouvrage entier composé de huit Volumes
, ne coûtera plus que 16 livres au
lieu de 24 livres , & l'on aura dans cet
Ouvrage une collection complette &
très -bien gravée des Plans de Batailles ,
Siéges , Combats , Marches , & autres
actions de la dernière Guerre. Cette in
MARS. 1764 . 133
téreſſante collection, recommandable par
la beauté & la quantité des Gravures
qui monteront à plus de cent Planches ,
ainſi que par l'exactitude & par la fingularité
des détails , ſera très-utile pour
PHiſtoire. La diminution qu'on annon-
се , n'aura lieu que juſqu'au premier
Mai 1764. Ce terme paſſé , l'Ouvrage
entier ſera vendu comme auparavant
trois livres chaque Volume en feuilles .
TRAITÉ Hiſtorique des Plantes de la
Lorraine & des trois Evêchés ; par M.
Buchoz, Médecin Ordinaire du Roi de
Pologne , &c .
Nous avons déjà donné pluſieurs extraits
de ce Livre utile , qui ſe continue
avec ſuccès. Nous ajoutons ſeulement
, qu'il fera diviſé en vingt Volumes.
Le premier eſt le proſpectus de l'Ouvrage
; les dix- neuf autres renferment
chacun une famille différente de Plantes
, ſuivant le ſyſtême de leurs vertus.
Ondonne dans cet Ouvrage la deſcription
botanique de la Plante , ſa figure ,
l'endroit où elle croît , ſa culture , ſon
analyſe chymique & ſes propriétés , tant
pour la médecine que pour les arts & métiers.
On raporte les, ſentimens des an
134 MERCURE DE FRANCE.
ciens & des modernes , auxquels on
ajoute toutes les nouvelles obſervations
qui font faites fur ces matières. Le ſimple
expoſé de cet Ouvrage en démontre
l'utilité & la vaſte étendue.
L'Auteur a beſoin d'inſtruction pour
remplir cet objet ; les différens voyages
qu'il a faits dans la Lorraine & les
trois Evêchés ne font pas fuffifans ; il
réitére donc ſes inſtances auprès des
curieux , & il les prie très-inſtamment ,
de même que MM. les Cultivateurs ,
Curés , Médecins , Chirurgiens , Pharmaciens
, Phyficiens , Jardiniers , Artif
tes,& autres perſonnes, de lui faire tenir ,
par des commodités sûres & ſans frais
des notes de tout ce qui peut ſe trouver
de remarquable dans les différentes
contrées qu'ils habitent avec leurs
obſervations ſur la nature du climat ,
fur ſes différentes productions , fur les
avantages que les habitans du pays peuyent
en tirer.
,
La ſouſcription de l'hiſtoire des végétaux
ſera de foixante livres pendant le
courant de 1764 , & de foixante-douze
livres pour les années poſtérieures ; le
tout payable en quatre termes , en recevant
les premier , cinquiéme , dixiéme
& quinziéme Volumes. Ceux néan-
9
MARS . 1764 . 135
moins qui voudront bien contribuer
aux frais de quelques planches , auront
toujours en tout tems l'Ouvrage entier
pour quarante-huit livres . Il ſera orné
de 400 planches gravées en taille- douce
, & deffinées d'après nature , au bas
deſquelles font gravées les armes & les
qualités de ceux qui y ont coopéré.
Les premier & fecond volume font
déja imprimés. Ceux qui voudront faire
les frais de quelques planches , ſouſcrire
à cet Ouvrage & communiquer leurs
obſervations , ſont priés de s'adreſſer
directement à l'Auteur à Nancy , grande
rue , ville-vieille.
PROSPECTUS d'une Diplomatique
pratique , ou traité de l'arrangement des
archives & tréſors d'icelles ; Ouvrage
néceſſaire aux dépofitaires des titres des
anciennes Seigneuries , des Evêchés ,
des Chapitres , des Abbayes , des Communautés
Religieuſes , des Corps de
Villes , & à tous ceux qui veulent s'adonner
à l'étude des titres & des écritures
anciennes ; par M. le Moine , Sécrétaire
& Archiviſte de l'Egliſe Cathédrale
de Toul , & ci-devant de l'infigne
Egliſe de Saint Martin de Tours ; de
l'Académie Royale des Sciences , & des
136 MERCURE DE FRANCE.
Arts de Metz; propoſé par ſouſcription ;
à Metz , chez Joseph Antoine , Imprimeur
Ordinaire du Roi & de la Société
Royale , place des Charrons ; 1763 ,
feuille in-folio.
Ce Profpectus offre dans le plus grand
détail , les différentes parties qui compoferont
le traité que nous annonçons.
Il contiendra ſeize Chapitres partagés en
pluſieurs ſections ; & le tout enſemble
ne formera qu'un Volume in-4°. d'environ
400 pages : ceux qui defireront
là deſſus de plus amples éclairciſſemens ,
trouveront des exemplaires du profpectus
à Paris chez Despilly ; rue Saint
Jacques , à Lyon, chez Bruyfet Ponthus,
rue Saint Dominique ; à Rouen chez
Richard l'Allemand , & à Nancy , chez
Baurain .
POESIES de Malherbe , rangées par
ordres Chronologique , avec la vie de
l'Auteur & de courtes notes'; nouvelle
édit. revue & corrigée avec ſoin ; à Paris
chez Barbou , rue Saint Jacques , aux
Cigognes ; 1764. Volume in-8°. petit
format.
Voici une des plus belles éditions qui
foient forties des preſſes célébres de
Barbou : elle a été revue avec beaucoup
MARS. 1764. 137
de foinpar un homme deLettres qui aux
Mémoires pour la vie de Malherbe par
M. Racan , a ſubſtitué la vie de Malherbe
qui eſt à la tête de cette nouvelle édition ..
Cette vie eſt faite avec beaucoup de
préciſion ; & quoique moins étendue
que les Mémoires de M. Racan , elle
fait encore mieux connoître le caractère
de Malherbe . On y apprend plufieurs
anecdotes intéreſſantes ; & cette édition
plus commode & plus portative que
celle qui parut en 1758 , grand in-8°.
contient au bas des pages , des notes
courtes qui expliquent l'Hiſtorique de
certaines piéces , & les noms Géographiques
& Mythologiques , & quelques
termes ſurannés qui pourroient embaraſſer
le lecteur. On vend ſéparément
le portrait de Malherbe.
DE Imitatione Chriſti , libri quatuor,
adManufcriptorum ac primarum editionum
fidem caftigati , & mendis plus
quamfexcentis expurgati. Recenfuit S.
VALART Acad. Amb. Dissertationemque
de ejufdem operis Authore addidit.
Nova Editio ; Parifiis , Typis J. Barbou,
via San-Jacobea ; 1764. vol.in- 12 .
,
A la ſeule inſpection de cette Edition
nouvelle de l'Imitation de J. C. revue fur
les Manufcrits de M. Valart , il eſt aisé de
138 MERCURE DE FRANCE.
ſe convaincre que l'Imprimeur n'a rien
négligé pour la rendre vraiment digne
de l'approbation des Amateurs. Il a fait
graver cinq Estampes en taille-douce ,
qui méritent les éloges des Connoiffeurs.
M. Valart a retouché ſa Differtation fur
l'Auteur de ce Livre admirable , & l'a
confidérablement augmentée. Pour répondre
au zèle de ce Sçavant , l'Imprimeur
a cru devoir redoubler ſes ſoins
pour la partie typographique ; & nous
pouvons affurer que cette Edition eſt
bien ſupérieure à la première , qui paſſoit
déja pour un chef-d'oeuvre. On vend
les Figures ſéparément. On trouve auffi
chez Barbou la Traduction du même
Livre.
Le même Libraire a reçu d'Angleterre
les Livres ſuivans : Homeri Ilias
& Odyssea , græcè & latinè , cum annotat.
Clarke , 4 vol. in-4° .
Callimachi Hymni , & Epigrammata ,
in-8°.
Lucani Pharfalia , cum notis Gravit
& Bentleii , in-4°. 1760 .
Manilius Aftronomicon , ex recenfione
Bentleii , in- 4°.
MÉMOIRE ſur la Culture du Murier
blanc , dans lequel on trouvera les inf
MARS. 1764 . 139
tructions néceſſaires aux Jardiniers pour
la Culture de cet Arbre , depuis le femis
juſqu'à la cueillette de ſes feuilles . Lû
à la Société Royale d'Agriculture de
Lyon , par M. Thomé , de la même Société.
A Lyon , chez Aimé de la Roche ,
Imprimeur - Libraire du Gouvernement
& de la Ville , aux Halles de la Grenette ;
avec permiffion ,& par ordre de la Société
Royale d'Agriculture de Lyon ;
1763 , brochure in-8°.
Le Murier , dont les feuilles ſont propres
à la nourriture des Vers à Soye , eſt
connu ſous la dénomination générale
de Murier blanc , qui en comprend pluſieurs
eſpèces. La Culture de cet Arbre
devenant chaque jour plus intéreſſante
en France , on a penſé avec raiſon que
ce Mémoire ſeroit utile à ceux qui poffédent
des Terreins convenables pour
ces fortes de Plantations . Les méthodes
que l'on indique nous ont paru d'autant
plus afſurées , qu'on s'apperçoit
qu'elles font le fruit de l'expérience ; &
qu'on s'eſt attaché furtout à donner
ces inſtructions avec la plus grande clarté
, leur principal objet étant d'inſtruire
les gens de la Campagne fur toutes les
pratiques de cette Culture.
140 MERCURE DE FRANCE.
DISCOURS ſur l'Education ; avec
cette Epigraphe : Non fi male nunc , &
olimfic erit. Horat. Od. VII. Lib. II. A
Lyon , de l'Imprimerie d'Aimé de la
Roche , aux Halles de la Grenette ; avec
approbation & permiffion ; 1763. brochure
in - 12.
Malgré la multitude prodigieuſe d'Ouvrages
faits depuis quelque temps ſur
cette matière , fort agitée dans tous les
temps , on lit encore avec plaifir ces
nouveaux Discours, dont le premier & le
ſecond traitent des avantages de l'Hiftoire
, relativement à l'Education ; le
troifiéme ſur la multiplicité des Colléges.
Nous renvoyons nos Lecteurs à l'Ouvrage
même , où ils trouveront des vues
nouvelles.
EPITRE à Meffieurs les Docteurs de
la Maiſon & Société de Sorbonne , &
de la Faculté de Théologie ; feuille in-4°.
à Paris , chez Ballard, rue des Noyers ;..
chez Panckoucke , rue & à côté de la
Comédie Françoife .
Nous préſenterons aux Lecteurs dans
un de nos prochains Mercures , quelques
morceaux de cette Epitre critique ,
morale , hiſtorique & chrétienne , par
M. Tannevot , auſſi connu par ſes talens
MARS. 1764 . 141
pour la Poëfie , que par ſes ſentimens
*religieux & patriotiques.
RÉCAPITULATION & Méthode du
Sieur Defpommiers , pour la Culture du
Sainfoin , dans les Terres qui ſe ſontjufqu'ici
refuſées à cette Culture. Feuille
in-4°. à deux colonnes.
Ce n'eſt ici que le réſultat d'un Ecrit
eftimé , intitulé : L'Art de s'enrichir
promptement par l'Agriculture , prouvé
par des Expériences où l'on trouve la.
manière de cultiver le Sainfoin , la Luzerne
, le Trefle , &c . par le Sieur Despommiers
; chez Guillyn , quai des Augustins.
Prix i liv. 4 5.
HISTOIRE & pratique de la Clôture
des Religieuſes , ſelon l'eſprit de l'Egliſe
& la Jurisprudence de France , dédiée
à Noſſeigneurs les Archevêques & Evêques
du Royaume , par M. Cherrier , C.
R. à Paris , chez Desprez, Imprimeur
du Roi & du Clergé de France , rue S.
Jacques , au coin de la rue des Noyers ;
1764 ; avec approbation & privilége du
Roi ; un vol. in- 12 de 730 pages. Prix ,
3 liv. relié.
Le principal objet de ce gros volume
eſt d'inſtruire les Religieuſes , & de dé142
MERCURE DE FRANCE .
truire les préjugésd'un grandnombred'au
tres perſonnes ſur le point de la Clôture.
Les Supérieurs & les Confefſeurs des Monaſtères
y trouveront des obfervations
utiles ſur des points qu'ils ne pouroient
apprendre que par une longue expérience.
Cet Ouvrage pourra contribuer encore
à faire connoître aux perſonnes
laïques , qui ont enfreint les Loix de
l'Egliſe touchant la Clôture , combien
elles ſe ſont égarées. Il ſera même utile à
pluſieurs Curés qui ont des Monastères de
Filles ſur leurs Paroiſſes. On ne s'eſt pas
contenté de donner la partie hiſtorique
de la Clôture dans fon origine & dans ſes
progrès ; on a encore mis ſous les yeux
des Lecteurs quantité d'exemples édifians
, anciens & nouveaux , d'une éxacte
obfervation de la Clôture.
DESCRIPTION hiſtorique des Curiofités
de l'Egliſe de Paris , contenant le
détail de l'édifice tant extérieur qu'intérieur
, le Tréſor , les Chapelles , Tombeaux
, Epitaphes , & l'explication des
Tableaux avec les noms des Peintres
&c; par M. C. P. C. ornée de figures ;
à Paris , chez C. P. Gueffier , Père , Libraire
, parvis Notre Dame , à la Liberalité
; 1763. Vol. in- 12 .
MARS . 1764. 143
Cet Ouvrage eſt différent de celui qui
parut en 1752 ſous le titre de Curiofités
de Notre Dame de Paris , & qui n'étoit
qu'une explication fimple de ce que
cette Métropole renferme de plus curieux.
Ici on a ajouté tous les Faits hiſtoriques
qui ont quelques rapports avec
cette Eglife.
CONCORDE de la Géographie des
différens âges ; Ouvrage pofthume de
M. Pluche ; à Paris , chez les Frères
Eftienne , rue Saint Jacques , à la Vertu ;
1764 ; avec Approbation & Privilége
du Roi. Vol, in- 12, de près de 600.
pages,
L'état actuel de la Terre , & les états
différens qui y ſont ſurvenus d'âge en
âge , font la matière de ce Volume , précédé
dune vie de M. Pluche. Dans le
premier Livre , on traite de la Géographie
moderne , en la partageant en
différens Voyages maritimes ; dans le
ſecond , on place de ſuite les Voyages
des Hommes célébres qui ont traverſé
de grandes Régions ; qui ont établi
de nouvelles Colonies , & qui ont
juſqu'à nos jours découvert quelques
Terres auparavant inconnues. Nous
nous bornons aujourd'hui à cette fimf144
MERCURE DE FRANCE .
:
ple annonce ; l'Ouvrage demande un
plus long Extrait , & nous ne le ferons
pas attendre longtemps.
,
LETTRE de Zeila , jeune Sauvage ,
à Valcourt Officier François ,
par
l'Auteur de Barnevelt. A Paris , chez
Sébastien Jorry , rue & vis- à-vis la
Comédie Françoiſe ; 1764. Brochure
in -8° . avec de très - belles Gravures .
Nous rendrons compte dans le Mercure
prochain , de ces deux Ouvrages .
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES
ACADÉMIES.
SUJETS proposés par l'Académie
Royale des Sciences & Beaux-Arts ,
établie à Pau , pour deux Prix qui
feront diftribués le premier Jeudi du
mois de Février 1765 .
L'ACADÉMIE ayant jugé à propos de
réſerver le Prix de la Poefie , en 1764 ,
en donnera deux en 1765 , l'un à un
Ouvrage
MARS. 1764 . 145
Ouvrage de Proſe qui aura pour Sajet :
Le moyen le plus propre d'établir un
Commerce utile en Bearn.
L'autre à un Ouvrage de Poëfie dont
le Sujet ſera :
Les Avantages de la Navigation .
Les Ouvrages , ne pourront excéder
une demie heure de lecture , il en fera
fait deux exemplaires , qui feront adreffés
à M. de Faget de Pomps , Secrétaire
de l'Académie ; on n'en recevra aucun
après le mois de Novembre & s'ils ne
font affranchis des frais du port. Chaque
Auteur mettra à la fin de fon Ouvrage
la Sentence qu'il voudra ; il la
répétera au- deſſus d'un Billet cacheté
dans lequel il écrira ſon nom .
M. Cazalet de Pau , qui n'a pas vingt
ans , eſt l'Auteur de l'Ouvrage qui a
remporté le prix en 1764.
PRIX proposés par la Société Royale
d'Agriculture de la Généralité de
PARIS .
Un des principaux objets des techer-
G
146 MERCURE DE FRANCE.
ches de l'Agriculture , eſt la connoiffance
de la plus grande fécondité poffible
des terres , relativement à leurs qualités;
& des moyens de procurer cette
fécondité , ſoit par les labours , ſoit par
les engrais.
Le ſuccès des labours peut dépendre
de pluſieurs cauſes , telles que leur fréquence
, leur profondeur plus ou moins
grande , & l'influence du temps le plus
propre à la préparation des terres.
Le ſuccès des engrais procède de
leur qualité & quantité , qui doivent
toujours être relatives à la qualité des
terres ; de la meilleure méthode de préparer
les fumiers; du degré de leur fermentation
au temps où ils font employés
, & plus particulièrement encore
du temps de les répandre & de les enfouir
; enfin de l'état où se trouvent les
terres lorſqu'on y enterre les fumiers.
On ne peut parvenir à une connoiffance
exacte de ces moyens de fécondité
, que par des obſervations & des
expériences dont les réſultats ſoient
bien conftatés.
Dans la vue d'encourager les Cultivareurs
à ſe livrer à un travail auffi eſſentiel
au bien public , la Société Royale
d'Agriculture propoſe des Prix à ceux
MARS. 1764. 147
quiauront obtenu la récolte defroment la
plus abondante & de la meilleure qualité
, fur un terrain de cinq arpens .
Les Laboureurs font, par leur profeffion
, à portée de connoître la qualité
de chaque eſpèce de terres , & les propriétés
des différentes cultures ; la Société
les invite à ſe regarder comme plus
plus particulièrement engagés à des recherches
auffi intéreſſantes, & dont le
fuccès leur feroit fi honorable.
Conditions du Concours.
1.º Les cinq arpens qui feront cultivés
pour concourir aux Prix , feront
enune ſeule pièce , & de la meſure du
lieu ; la différence des meſures locales
étant relatives à celle qui ſe trouve dans
les produits.
2. On ne pourra choiſir que des
terres qui ſoient actuellement & habituellement
en culture , & non des
terres nouvellement défrichées , ſoit
d'herbages , foit de vignes ou de bois ,
ou précédemment employées au jardinage
, ni à toute autre production cultivée
à bras .
3.º Ces terres feront entièrement
labourées à la charrue.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
4.º Les ſemences pourront ſe faire
à la main , ſuivant l'ufage de chaque
lieu ; ou avec le ſemoir , ſi les Concurrens
jugent à propos de ſe ſervir de
cet inſtrument , ou par telle autre méthode
qu'ils voudront éſſayer.
:
5.º La quantité de ſemence ſera conftatée
par la meſure & le poids.
6.° La récolte ſera conſtatée par le
nombre & la meſure des gerbes , par
la meſure & le poids du grain qui en
fera provenu , après qu'elles auront
été battues , & que le grain en aura
été bien criblé.
7.º Ceux qui ſe propoſeront pour
le concours , en donneront avis , avant
le 1. Août au plus tard , à M. de Palerne
, Secrétaire perpétuel de la Société
Royale d'Agriculture ,& lui adrefſferont
leurs lettres , ſous l'enveloppe de M.
l'Intendant de la Généralité de Paris..
8.º Les faits qui font l'objet des fix
premiers articles de ces conditions , ſeront
conſtatés diſtinctement & dans la
forme la plus exacte , par des cettificats
des Curé , Syndic , & des deux principaux
Laboureurs du lieu ; & le Concurrent
joindra à ces certificats un Més
moire détaillé de la culture ordinaire
du lieu , & de la méthode particulière
MARS. 1764. 149
qu'il aura pratiquée , tant à l'égard des
labours qu'à l'égard des engrais , pour
faire connoître par cette comparaiſon ,
les principes & les avantages d'une
meilleure culture ; ce Mémoire fera certifié
de même que les autres piéces.
er
9. ° Ces certificats &Mémoires ſeront
adreſſés à M. de Palerne , ainſi qu'il
eſt dit à l'article 7. avant le 1. Décembre
1765 au plus tard , à défaut
de quoi ils ne ſferont plus reçus.
10. ° Il ſera diſtribué , dans les premiers
jours de Janvier 1766 , cinq Prix
à ceux des Concurrens qui auront le
mieux réuffi . Le premier , de la ſomme
de Cinq cens livres , ſera adjugé à celui
qui aura obtenu la récolte la plus abondante
, relativement à la qualité & au
produit ordinaire de la terre qu'il aura
cultivée. Les quatre autres ,l'un de Trois
cens livres , un de Deux cens livres ,
& deux de Cent livres chacun , feront
la récompenſe de ceux des Concurrens
qui auront le plus approché du fuccés
qui aura mérité le premier Prix.
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
MEDECINE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure de
France.
SUR LA GOUTE , &c.
JE VOUS PRIE , Monfieur , de m'ac
quitter envers le Public , à qui j'ai promis
, à la fin de mes nouvelles Obfervations
, & dans les Journaux Etrangers ,
de lui faire part , dans le Mercure deMars
prochain , des heureux effets qu'auroient
opéré , ſoit la Poudre Balfamique , ſoit
le Baume Végétal , relativement à fes
qualités qui méritent une attention particulière.
Si vous daignez remplir le même
objet tous les trois mois , ce Public inftruit
par des faits incontestables , devra
autant à votre attention , qu'à mes ſoins
empreſlés de ruiner un préjugé qui lui
eft funeſte , & qui intéreſſe tant de milliers
d'hommes reſpectables , ſi ſouvent
abufés , & prèſque toujours livrés fans.
fecours aux maux les plus crue's .
Poudre Balsamique.
Je ne rappelle point les faits de pratique
furprenans opérés dans les Provinces
, & cités dans mon Ouvrage ; la vé
ر
MARS. 1764: 151
rité les a tracés , & ce caractère eſt inféparable
de mes ſentimens. Voici de nouveaux
faits qui ſe ſont préſentés dans
Paris.
En Mai 1763 , le R. P. Gardien des
Capucins deMeudon ,étant attaqué d'un
accès de goute au pied & au genouil ,
dans le Couvent de la rue S. Honoré , en
fut bientôt délivré par l'uſage de la Poudre
Balfamique.
M. de Poilly , Inſpecteur de la Place
du Roi , rue S. Honoré , en Décembre
1763 , eut un accès de goute aux mufcles
de la poitrine , au coude & à l'épaule.
Il fut tranquilliſé la même nuit
par la Poudre Balsamique , & bientôt
rétabli par fon uſage.
M. Fontaine , Maître-d'Hôtel de M. le
Marquis de Marigny , en Décembre
1763 , eut un violent accès de goute aux
deux pieds. Il fut calmé la même nuit ,
& rétabli en peu de jours par la Poudre
Balfamique.
M. Jacquiau , Négociant , rue Montmartre
, vis-à-vis la Juffienne , chez le
Chapelier , a eu en Janvier un accès de
goute au pied , avec extravafion de fang.
Il en a été rétabli en peu de jours par la
Poudre Balfamique , &c.
MM. le Duc de Laval, le Comte de
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
Mailly , de Janssen , Duval de l'Epinoy
à Paris , & M. Lebégue , Concierge du
Grand-Commun à Versailles , font un
uſage répété de la Poudre Balſamique &
duBaume Végétal : ce qui parle en faveur
des Remèdes.
MM. les Profeſſeurs de Médecine de
Montpellier ont eu la Poudre Balfamique
à leur difpofition en faveur des Pauvres
. M. Carquet , Apoticaire de cette
Ville , m'a envoyé des certificats de ſes
heureux effets .
Baume Végétal.
J'ai annoncé que l'uſage du Baume
Végétal, trois jours de chaque mois ,
éloignoit les accès de goute , en y affociant
la Manne ; & la pratique m'a appris
ce que je n'ofois en attendre , & ce
que ne peut opérer aucune eſpèce d'Elixirs
, foit par leur activité , ſoit par leur
goût , qui ne peut corriger celui de la
Manne , &c. & qui en altéreroient les
vertus. Voici quelques faits .
LaCuiſinière de Madame de Létang ,
rue du Sépulcre , ayant une bile répandue&
une langueur ; après avoir été évacuée
une fois avec peu d'Ypécacuana , a
fait uſage du Baume Végétal avec de
la Manne & le Sel de Duobus pendant
MARS. 1764. 153
quelques jours , & elle reprit ſon tein ,
ſon appétit& ſes forces .
Dlle Houdinet , petite rue S. Roch ,
quartier Montmartre , ayant des infomnies
& des dégoûts continués depuis fix
mois , s'eſt procurée l'appétit & le fommeil
en peu de jours par l'uſage du Baume
Végétal dans un peu de vin.
Un très-grand nombre de perſonnes
de tous âges , ſéxes & tempéramens , ſe
fontpurgées avec deux onces de Manne ,
un gros &demi de Selde Duobus,& trois
cuillerées du Baume Végétal dans une
verrée d'eau , & y ont trouvé la douceur
des effets , l'abondance proportionnée
des évacuations , & l'agrément du
goût. Ce qui eſt inconnujuſques à ce
jour.
Le Baume Végétal détruit totalement
le mauvais goût & la fadeur de la Manne ,
des Syrops & des Sels purgatifs ; ne donnant
qu'un goût de miel vineux , fans
nauſée ni dégoût. Il en aiguiſe les vertus
, fans échauffer , & fans caufer la
moindre tranchée ; & les effets ne font
pas lents à ſe produire : un moment en
fait la preuve.
Il faut voir l'Ordonnance à la fin de
mon Ouvrage , où ſes uſages particuliers
&ſes moyens font détaillés.
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
Je ne parlerai que pratique dans le
Mercure de Juillet prochain , & j'expliquerai
les vrais moyens de dériver las
goute aux pieds .
Je loge petite rue S. Roch , quartier-
Montmartre ; & pour Pâques prochain ,
mon adreſſe ſera dans la rue du Gros-
Chenet, la ſeconde porte cochère à l'entrée
de la rue de Clery , quartier Montmartre.
Je laiſſe à la Poſte les Lettres que l'ons
n'a pas le foin d'affranchir.
:
:
:
C.DEMONTGERBET , Méd, ord. des Bâtimens
duRoi.
EAUX FILTRÉES..
AVIS AU PUBLIC.
LES Entrepreneurs des Eaux filtrées
du Port-à-l'Anglois ont commencé
leur diſtribution le 30 Janvier dernier
avec un applaudiſſement ; & tous les
honnêtes gens ont pris part aux différens,
accidens qu'ils ont éſſuyés par
la crue inattendue des eaux & le débordement
de la rivière , qui a ſubmergé
toute leur manutention , & mis leur
établiſſement à deux doigtsde ſa perte
MARS. 1764. 155
C'eſt dans cette criſe que leur zéle a fair
les plus grands efforts pour foutenir
leur ſervice , & remplir autant qu'il a
été en leur pouvoir les obligations d'un
Etabliſſement ſi intéreſſant au bien de
l'humanité. Ils n'ont rien épargné pour
fatisfaire le Public ; ſoins , peines &
dépenſes , tout a été prodigué ; ils ſe
ſont même montrés avec distinction
dans quelques occafions périlleuſes , où
il y a eu pluſieurs de leurs barques
toutes chargées de paniers , bouteilles.
&autres uftenciles , qui ont été écrafés
par des coups de vent , & coulés à
fonds avec perte de quelques-uns de
leurs mariniers. Ils ont donc vu avec le
plus grand chagrin en portant les yeux.
fur les vafes & bouteilles de grez qui
contiennent leur eau , qu'il y en avoit
-d'une qualité inférieure qui donne un
louche à ces mêmes eaux & ſe diffolvent
enpartie par le défaut qu'ont ces
vafes de n'avoir pas été affés cuits ni
féchés. Les Entrepreneurs les font re--
tirer à meſure qu'on les découvre ; &
quoiqu'en laiſſant un peu repoſer l'eau
dans ces bouteilles , elle reprenne bientôt
ſa première clarté, ſans jamais al--
térer ſa bonté primitive , néanmoins
comme l'eau de ces vaſes choque les
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE .
yeux , les Entrepreneurs prient le Public
de vouloir bien faire rapporter ces
mêmes bouteilles chacun au dépôt où il
ſe fournit avec une petite marque à
la craye qui les puiſſe faire reconnoître.
Leur ſervice ayant commencé dans
la ſaiſon la plus ingrate & la plus rigoureuſe
, ils n'ont pu être en garde
contre l'infidélité de quelques fournif
ſeurs qui ont trompé leur confiance par
la défectuoſité de ces vaſes . Il en eft
de même pour la fureté du cachet des
bouteilles ; les Entrepreneurs font informés
qu'il s'eſt déja gliffé de la fraude
, & qu'il ſe ſubſtitue dans quelques
maiſons une autre eau à la leur en levant
le bouchon qui n'étoit pas affez hermétiquement
cacheté. Dans cet état ,
quoique l'expédient de la ficelle & du
noeud des Marchands de vin ſoit plus
couteux à la régie , les Entrepreneurs
vont faire ficeler& cacheter leurs vafes ;
en forte qu'il ſera à la portée des Maîtres
, de jetter un coup d'oeil ſur les
bouteilles , & de s'aſſurer par eux-mêmes
de la fidélité des cachets : précaution
très-recommandée par les Entrepreneurs
, comme de renvoyer aux dépôts
, les bouteilles douteuſes , où il y
MARS. 1764 . 157
aura ordre d'en donner d'autres à la
place , toujours avec une marque qui
puiſſe les faire mettre au rebut.
Les nouveaux établiſſemens ont toujours
des précautions à prendre & des
fraudes à réprimer. Les Entrepreneurs
ne peuvent pas eſpérer que le leur fera
tout d'un coup affranchi de ces défagrémens
; & c'eſt ce qui les a portés à prier
le Public de donner ſes conſeils & fes
avis dans les ſujets qui lui paroîtront
dignes de ſes remarques.
,
A l'égard d'une infinité de propos
abfurdes que des mal-intentionnés
répandent journellement ſur la qualité
&la bonté de leurs eaux , les Entrepreneurs
en appellent au Public fenfé &
impartial. Tout le monde connoît quelles
font leurs opérations & leur manutention
au Port - à - l'Anglois ; tout le
monde peut voir en détail & fe convaincre
par ſes propres yeux , fi la
flitration ſe fait par des préparations
chymiques , & s'ils employent ou l'alun
ouaucune autre eſpéce de compoſitions.
Ces contes groffiers , & ces inventions ridicules
ne peuvent ſurprendre que les
eſprits foibles qui croyent ſans approfondir
, ou le vulgaire ignorant.
: La Faculté de Médecine a déja conf-
(
158 MERCURE DE FRANCE.
taté par ſes Commiſſaires la bonté& les
excellentes qualités de l'eau des Entrepreneurs
: fon décret qui n'a été rendu
qu'après l'examen le plus fcrupuleux ,
eſt l'écueil des rêveries qui ſe débitent ,
&la ſeule réponſe qu'on doity faire.
Les Entrepreneurs ne s'occupant que
des moyens d'étendre leur établiſement
, pour le mettre à la portée d'un
chacun , vont augmenter le nombre
de leurs petits dépôts , & employer
pluſieurs charettes pour approviſionner
tous les différens quartiers de la Capitale.
ARTICLE IV.
BEAUX-ARTS.
ARTS UTILES .
CHIRURGIE.
PRIX proposé par l'Académie Royale
de CHIRURGIE , pour l'Année
176.5.
L'ACADÉMIE Royale de Chirurgie
MARS. 1764. 159
propoſe pour le Prix de l'année 1765 ,
le Sujet ſuivant :
Déterminer le caractère eſſentiel des
Tumeurs connues ſous le nom de Loupes
, expoſer leurs différences , & quels
font les moyens que la Chirurgie doit
employer de préférence dans chaque efpéce
& relativement à la partie qu'elles
occupent.
Le Prix eſt une Médaille d'or de la
valeur de cinq cens livres , fondé par
M. de la Peyronnie.
Ceux qui envoyeront des Mémoires
font priés de les écrire en François ou
en Latin , & d'avoir attention qu'ils
foient fort liſibles .
Les Auteurs mettront ſimplement
une deviſe à leurs Ouvrages ; mais ,
pour ſe faire connoître , ils y joindront
àpart dans un papier cacheté & écrit
de leur propre main, leurs nom , qualité
& demeure ; & ce papier ne ſera
ouvert qu'en cas que la Piéce ait remporté
le Prix.
Ils adreſſeront leurs ouvrages , franc
de port , à M. Morand, Secrétaire perpétuel
de l'Académie Royale de Chirurgie
à Paris , ou les lui feront remettre
entre les mains..
160 MERCURE DE FRANCE .
Toutes perſonnes de quelque qualité
& pays qu'elles foient , pourront aſpirer
au Prix ; on n'en excepte que les
Membres de l'Académie.
La Médaille fera délivrée à l'Auteur
même qui ſe ſera fait connoître , ou
au Porteur d'une procuration de ſa part ;
l'un ou l'autre repréſentant la marque
diftinctive , & une copie nette du Mémoire.
Les Ouvrages feront reçus juſqu'au
dernier jour de Décembre 1764 inclufivement
; & l'Académie , à fon Affemblée
publique de 1765 , qui ſe tiendra
le Jeudi d'après la quinzaine de Pâques
, proclamera la Piéce qui aura
remporté le Prix.
L'Académie ayant établi qu'elle donneroit
tous les ans fur les fonds qui
lui ont été légués par M. de la Peyronie
, une Médaille d'or de deux cens
livres , à celui des Chirurgiens Etrangers
ou Régnicoles , non Membres de
l'Académie , qui l'aura méritée par un
Ouvrage fur quelque matière de Chirurgie
que ce ſoit , au choix de l'Auteur
; elle l'adjugera à celui qui aura
envoyé le meilleur Ouvrage dans le
courant de l'année 1764. Ce prix d'émulation
ſera proclamé le jour de la
Séance publique .
MARS. 1764. 161
1
Le même jour , elle diſtribuera cinq
Médailles d'or de cent francs chacune ,
à cinq Chirurgiens , ſoit Académiciens
de laClaſſe des Libres , ſoit ſimplement
Régnicoles , qui auront fourni dans le
cours de l'année 1764 un Mémoire , ou
trois obſervations intéreſſantes.
LETTRE de M. DEJEAN , Maître
en Chirurgie de Paris ; en réponse à
celle de M. FLURANT , Maître en
Chirurgie à Lyon , inférée dans le
Mercure du mois de Mai 1763 .
MONSIEUR ,
La deſcription la plus exacte des
parties & des proportions d'un inſtrument
ne préſente pas toujours une
idée juſte de ſa forme ; je vais cependant
éſſayer de vous fatisfaire à l'égard
de la curette propre à l'opération de la
taille , dans le cas où la pierre ſe brife &
dont j'ai parlé dans le Mercure de Février
dernier.
Cet inſtrument , comme je l'ai dit
reſſemble affez en petit à une cuillere à
162 MERCURE DE FRANCE.
Plombier: il a une coquille , une tige ,
&un manche ; la coquille a en tous ſens
onze lignes de diamètre , & trois lignes
de profondeur dans ſon milieu ; la tige
a cinq pouces & demi de long ; ſon extrémité
qui tient à la coquille eſt un
peu évaſée , & va en diminuantjuſque
vers le milieu , qui eſt à-peu-près de la
groſſeur d'un tiers de plume d'oye , &
ſe termine au manche en forme de poire
avec une embaſe ; cette tige n'eſt
point droite , elle a en dehors une
courbure qui s'accommode à l'arcade
de l'os pubis , lorſqu'on retire cet inftrument
de la veffie . Le manche eſt à
8 pans & 3 pouces de longueur. La
foie qui le traverſe eſt quarrée , elle eft
rivée au bout pardeſſus une roſette..
La manière de ſe ſervir de cette curette
eſt ſimple. Lorſqu'elle eſt introduite
dans la veſſie ; en regardant la
marque du Coutelier qui doit être placée
ſur la tige près du manche & du
côté du dos , on pourra diriger cette
curette ſuivant le beſoin , pour amener
les fragmens au dehors.
Voilà , je crois , Monfieur , l'explicationla
plus claire qu'on puiſſe donner
de cet inſtrument;fi elle ne fuffit pas pour
le faire exécuter , on peut y remédier
MARS. 1764. 163
en s'adreſſant à Paris au ſieur le Sueur ,
Maître Coutelier rue des Canettes , ,
Fauxbourg S. Germain,à l'A couronné.
ARTS AGRÉABLES.
.MUSIQUE.
RECUEIL D'AIRS., avec des Accompagnemens
de Guittarre , faciles & à la
portée des Commençans. Par M. Merchi.
8. Livre de Guittarre. OEuvre XI . Prix
3 liv. 12 f. A Paris , chez l'Auteur , rue
S. Thomas du Louvre , du côté du Château
d'Eau , chez un Menuifier , le ſe
cond eſcalier après la Cour ; & aux
adreſſes ordinaires de Mufique.
Pluſieurs Amateurs de Guittarre ayant
foufcrit , pour SIX DUO de Guittarre &
Violon , avec Sourdine , par M. Merchi ,
& qui font fon OEuvre XII ; l'Auteur
les avertit qu'il va paroître , & qu'on en
trouvera des Exemplaires chez lui , rue
S.Thomas du Louvre,à la même adreſſe.
1
164 MERCURE DE FRANCE.
GRAVURE.
CARTE du Paffage de l'ombre de la
Lune à travers de l'Europe , de la fameuſe
Eclipse centrale & annulaire de
Soleil du premier Avril prochain , calculée
par Madame Lepaute , de l'Académie
de Béziers , qui a eu l'honneur de la préſenter
à Sa Majeſté ; avec une explication
intéreſſante de ce Phénomène. A Paris ,
chez Lattré , Graveur rue S. Jacques ,
près la Fontaine S. Severin , à la Ville de
Bordeaux ; avec Privilége du Roi.
SUPPLÉMENT à l'Article des Sciences.
GÉOGRAPHIE.
CALCULS & projection de la grande
Eclipſe de Soleil,du premier Avril 1764.
Par M. le Carlier d'Epuifart , Confeiller
en la Cour des Monnoyes. Approuvés
par l'Académie Royale des Sciences , le
3 Septembre 1763. Brochure in-4°. à
Paris , chez Moreau , Libraire - Imprimeur
de la Reine , & de Mgr le Dauphin
; Seguin , rue Dauphine , & la veuve
Gautier, Cloître S. Honoré , débitans la
Carte de France.
1
MARS. 1764. 165
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
SUITE DES SPECTACLES DE LA COUR
A VERSAILLES.
LEE JEUDI 19 Janvier , les Comédiens
François repréſentèrent Blanche & Guifcard
, Tragédie nouvelle , par M. SAURIN
, de l'Académie Françoiſe .
Le rôle de Guiſcard étoit joué par le
Sr LE KAIN ; celui d'Osmont , Connétable
, par le Sr MOLE ; Rodolphe , par
le Sr DAUBERVAL ; Blanche , par la
Dile CLAIRON ; Laure ſa Confidente ,
par la Dile PRÉVILLE .
Cette Tragédie fut ſuivie du François
à Londres , Comédie en un Acte & en
Profe , de feu M. DE BOISSY , ( de
1723.)
Le Mardi 24 Janvier , les mêmes Comédiens
repréſenterent le Diſtrait , Comédie
en cinq Actes & en vers , de
REGNARD , ( de 1697. ) Le Sr BELCOURT
jouoit le rôle du Diſtrait; le Sr
166 MERCURE DE FRANCE.
MOLÉ , celui du Chevalier ; le Sr PRÉ-
VILLE , le rôle de Carlin , la Demoiſelle
DROUIN , celui de Mad. Grognac , &c.
Pour ſeconde Pièce , le Retour imprévu
, Comédie en un Acte & en profe du
même Auteur , ( de 1700. )
Le Mercredi 25 , par les Comédiens
Italiens , le Maréchal , Opera-Comique
en deux Actes , précédé des Frères Rivaux
, petite Pièce Italienne .
Le lendemain 26 , les Comédiens
François repréſentèrent Brutus , Tragédie
de M. DE VOLTAIRE , ( de 1730.)
Le rôle de Brutus fut joué par le Sr BRIZARD
; celui de fon fils Titus , par le Sr
MOLÉ ; Arons , par le Sr DUBOIS , & le
rôle de Tullie , par la Dile DUBOIS , &c.
&c.
Pour ſeconde Piéce , on donna l'Etourderie
, Comédie en un Acte & en
profe , de feu M. FAGAN , (de 1737.)
Le Mercredi premier Février , lesComédiens
Italiens repréſentèrent le Diable
Boiteux , Comédie Italienne en deux
Actes , qui fut ſuivie des Enforcelés , ou
Jeannot & Jeannette , Opéra- Comique
en un Acte , en Vaudevilles , par laDile
FAVART en Société , ( de 1757. )
Le 7 Février , les Comédiens François
repréſentèrent la Métromanie , CoMARS.
1764. 167
médie en cinq Actes & en vers , de M.
PIRON , ( de 1738. )
Le Sr BELCOUR joua le rôle de Damis
; le Sr MOLÉ , celui de Dorante ; le
Sr PRÉVILLE , celui de Mondor. Le rôle
de Lucile par la Dlle DESPINAY , & le
rôle de Lisette par la Dile FANIER ,
Débutante , &c. &c .
Pour ſeconde Piece , on donna le
Colin Maillard, Comédie en un Acte &
en profe , du feu Sr DANCOURT , ( de
1702 ) ; dans laquelle la Dile FANIER ,
Débutante , joua auſſi le rôle de Soubrette
: la Dlle DOLIGNY y jouoit celui
d'Angélique , &c.
Le Mercredi 8 Février , les Comédiens
Italiens repréſentèrent la Joûte d'Arlequin
& de Scapin , Comédie Italienne.
Le même jour , après la Pièce Italienne
, les Sujets de l'Académie Royale de
Muſique & de la Muſique du Roi, éxécutèrent
, pour la feconde fois , la Danfe ,
troiſième Entrée du Ballet des Talens
Lyriques. Les Acteurs & les Danſeurs
étoient les mêmes qu'à la première Repréſentation.
On en a donné le détail
dans le Mercure de Février.
Le Jeudi 9 , les Comédiens François
repréſentèrent Edipe , Tragédie de M.
DE VOLTAIRE , (de 1718.) Le Sr LE
68 MERCURE DE FRANCE .
KAIN joua le rôle d'Edipe , le Sr BELCOUR
celui de Philoctete ; la Dlle Du-
MESNIL joua le rôle de Jocafte , & c.
&c.
Cette Piéce fut ſuivie du ProcureurArbitre
, Comédie en un Acte & en vers ,
du feu Sr POISSON , ( de 1728. ) Le Sr
BELCOUR joua le rôle du Procureur ,
Je Sr GRANGER celui d'Agénor ; la
Dile DOLIGNI , Isabelle ; la Dlle P
VILLE , la Veuve ; & la Dlle DROUIN ,
la Baronne , &. & c.
Le Mardi 14 , les Comédiens François
repréſentèrent le Misantrope , Comédie
de MOLIERE , en cinq Actes & en vers ,
(de 1666. ) Le Sr GRANDVAL y joua
le rôle du Misantrope. Il y fit le même
plaifir qu'il avoit fait à Paris ; & l'on y
jugea de même des nouveaux degrés de
perfection qu'il avoit acquis dans le jeu
de ce rôle. *
La grande Piéce fut ſuivie du Mari retrouvé,
Comédie en un Acte & en profe
du feu Sr DANCOURT , ( de 1698. )
Le 15 , les Comédiens Italiens donnérent
Arlequin Barbierparalytique , Piéce
Italienne , qui fut ſuivie du Peintre
*
Voyez ci -après à l'Article des Spectacle
de Paris , celui de la Comédie Françoiſe.
amoureux
MARS. 1764. 169
amoureux defon Modéle , Opéra-Comique
mêlé d'Ariettes.
Le Jeudi 16 , les Comédiens François
repréſentèrent Polieucte , Tragédie du
Grand CORNEILLE . Le Sr MOLÉ joua
le rôle de Polieucte , le Sr BELLECOUR
celui de Sévère , le Sr PAULIN celui de
Félix . La Dile DUMESNIL y jouoit le
rôle de Pauline , &c. & c. ( Cette Piéce
eſt de 1640. )
Pour ſeconde Piéce , on donna le
Rendez- vous , Comédie en un Acte & en
vers de feu M. FAGAN , ( de 1733. )
Lafuite au Mercure prochain.
SPECTACLES DE PARIS.
OPERA.
L'EMPRESSEMENT qu'avoit témoigné
le Public pour le Spectacle de
P'Opéra , a été pleinement juſtifié par
le concours foutenu des Spectateurs
juſqu'à préſent. Les beautés du Pоёте
&de la Muſique de Castor & Pollux ,
jointes à la magnificence du Spectacle ,
font de plus en plus ſenties , & prouvées
par une affluence perpétuelle.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
Titon & l'Aurore n'eſt pas moins ſuivi
les Jeudis , quoique ce jour fût ordinairement
un des plus foibles.
Plus on fréquente la nouvelle Salle du
Bal , & plus on en reconnoît la beauté
&tous les agrémens : le plus grand nombre
de Maſques n'y produit que la vivacité
néceſſaire à l'amusement du Bal,
& cette forte de confufion qui en fait
tout le brillant , ſans que l'on y éprouve
les incommodités d'une foule trop refferrée
. Il ſeroit difficile de diſpoſer un lieu
plus commode & plus convenable pour
la fête la plus magnifique.
AVIS aux Amateurs d'Inftrumens.
NOUVELLE Invention d'une LYRE
pareille à celle des Anciens.
N.B. L'analogie de l'objet nous engage
à placer l'Avis fuivant dans cet Article.
Nous avions annoncé précédemment
un Inſtrument qui approchoit de
la Lyre : mais dont il paroît que le fuccès
n'a pas répondu à l'eſpoir de fon Inventeur.
Nous croyons que celui- ci ſera
MARS. 1764. 171
plus heureux. On regrettoit avec raifon
quela forme de la Lyre antique , ſiagréable
, fi noble , propre à nous réaliſer les
idées poëtiques , ne pût pas ſe concilier
avec la conſtruction propre aux effets
harmoniques. Dans l'Inftrument dont
nous parlons , on eſt parvenu à lever
cettedifficulté. Sa forme eſt entièrement
telle que l'on nous peint la LYRE d'Apollon.
Elle est auſſi ſevelte , auffi élégante
& très - ornée. La partie inférieure
eſt traverſée par un corps de Lut , fur
lequel font poſées obliquement les quarante
cordes diviſées fur deux lignes parallèles.
Il en réſulte une auffi belle qualité
de ſon que fur la Harpe. Les cordes
ſe pincent de même , mais avec beaucoup
plus de facilité , le corps de tout l'Inftrument
n'excédant pas la portée du bras
d'un enfant. Nous avons entendu jouer
de cette Lyre , & l'effet nous en a parů
très - agréable , en ce que les cordes des
deffus rendent un ſon plus moëleux que
celles de la Harpe. Si l'effet général n'eſt
pas d'une auffi forte réfonance que fur
ce dernier Inſtrument , cette Lyre nous
a paru égaler à cet égard ,pour le moins ,
un très - fort Archiluth. Les quarante
cordes contiennent trois octaves & demi
de tons de ſuite. Ilyadans la traverſe
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
fupérieure de la Lyre , une méchanique
cachée affez curieuse pour les Diezes &
les Bémols fur toutes les cordes ; on en
fait uſage à volonté ſuivant les divers
tons que l'on veut parcourir. Nous
ne doutons pas que l'on n'adopte ce
nouvel Inſtrument , par la facilité de
fon exécution , par celle de le tranfporter
, par l'agrément dont fon jeu
peut être , enfin par les grâces de fon
aſpect , par celles qu'il prêteroit à
ceux & fur- tout à celles qui len
joueroient. Les Peintres doivent être
intéreſlés au progrès de cette Lyre Ils
y trouveroient de nouvelles pofitions
pour les Portraits , infiniment plus avantageuſes
que toutes celles qui ſont déja
épuiſées& devenues ſi communes.
L'Inventeur de cette LYRE eft le Sieur
MICHELOT , Luthier , rue S. Honoré
près la rue de l'Echelle , à côté des Ecuries
de M. le Dauphin .
COMEDIE FRANÇOISE.
LEE 4 Février , on donna pour la dernière
fois Blanche & Guifcard , Tragédie
nouvelle , qui a eu neuf repréſen
MARS. 1764 . 73
tations , y compris les trois , avant le
Voyage de Fontainebleau.
L'Epreuve indifcrette , Comédie nouvelle
, dont nous avons annoncé la première
Repréſentation dans le précédent
Mercure , a été retirée après la quatrième
le 6 du même mois.
N. B. On trouvera les Extraits de ces deux
Piéces à la fin de cet Article.
Le mêmejour (6 Février) M. GRANDVAL
eſt rentré au Théâtre , par le rôle
du Misantrope. Dès qu'il parut , les
les applaudiſſemens les plus vifs fufpendirent
long-temps le commencement
de la ſcène. Ces témoignages , quoique
mérités , de la prévention favorable
du Public , redoublérent , dans
cet ancien Acteur , la crainte de n'y
pas répondre ſuffiſamment. Il fut facile
d'appercevoir ſon émotion. Cependant il
donna de nouvelles preuves d'un talent
confommé; & tous les Spectateurs intelligens
ſont convenus qu'il avoit joué un
grand nombre de traits dans ce rôle ,
non-feulement d'une manière fort ſupérieure
à celle dont il le jouoit avant fa
retraite , mais encore à tout ce qu'on
pouvoit ſe rappeller de mieux. Il jouale
8 , avec ſuccès , le rôle du Philofophe
Marié, dans la Piéce de ce nom. Lorf-
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
que M. BELCOUR yparut dans le rôle
de Damon , le Public , par des applaudiffemens
redoublés , donna à cet Acteur
dépoffédé de pluſieurs rôles qu'il jouoit
pendant l'absence de M. GRANDVAL ,
des marques de la justice qu'il rend à fon
zèle infatigable , à l'intelligence de fon
jeu , ainſi qu'à l'utilité & à l'agrément
dont lui feront toujours ſes ſervices.
M. GRANDVAL a joué depuis le rôle
de Cimon dans l'Andrienne. L'épreuve
de ce caractère , nouveau pour l'Acteur ,
étoit auffi intéreſſante pour les Amateurs
du Théâtre que pour lui-même. Quoiqu'avec
une figure , moins changée par
l'âge que peut-être notre opinion ou
notre habitude n'éxige pour cet emploi ,
il a rempli toutes les parties du rôle avec
ce talent de détail & de raifonnement ,
toujours fi agréable pour le connoiffeur,
joint à un pathétique vrai & ſenſible ,
dont l'impreffion a entraîné les fuffrages
&les applaudiffemens.
Nous devons , en parlant de l'Andrienne
, renouveller les juftes murmures d'un
Public éclairé fur l'habitude de jouer
toujours cette Piéce en habits François.
Cette habitude , digne des temps obſcurs
& barbares de notre Théâtre , ne peut
avoir fon excuſe dans le défaut d'habil
MAR S. 1764. 175
lement , 1 °. parce qu'on en a fait la dépenſe
pour des Piéces fort inférieures à
celle-ci , qui deviendroit par-là toute
nouvelle ; 2º. parce qu'on voitjournellement
fur la Scène tragique des habits
ſimples , dont la forme conviendroit
fort bien à ce genre de comique. Croiton
que , les habits militaires exceptés ,
les Anciens changeaſſent de vêtemens
pour les fituations tragiques qui pouvoient
traverſer le cours de leur vie ?
L'erreur de croire n'avoir pas d'habillemens
propres à jouer des Comédies
Grecques , ne peut venir que d'une autre
erreur , qui eſt de rapporter la forme
d'habillementde l'ancienne Gréce à celle
des vêtemens mordenes du Levant. Que
l'on confulte les monumens antiques ,
& l'on trouvera bien plus de rapport
dans ces vêtemens entre les habitans
d'Athènes & ceux de Rome , qu'entre
les Grecs modernes & les anciens. En un
mot , le plus déſagréable de tous les inconvéniens
, & la plus abfurde de toutes
les difparates , eſt de voir au milieu d'Athènes
Cimon en vieux Seigneur de notre
Cour , fon fils Pamphile en petitmaître
, les efclaves en laquais ,&c. &c.
M. GRANDVAL joua le 12 dans le
Misantrope , & le même jour le Faux
Η iv
176 MERCURE DE FRANCE .
Damis dans le Mariage fait & rompu.
Mlle LE KAIN jouoit dans cette feconde
Piéce le rôle de Soubrette avec beaucoup
de naturel. Qu'il nous ſoit permis
de remarquer que de bons Juges du talens
en accordent à cette Actrice , pour
certains genres de Soubrettes , dans lef
quels elle ſe perfectionne de plus en
plus.
Le Lundi 13 on donna la première repréſentation
d'Idomenée , Tragédie nouvelle
de M. le Mierre. Cette Piéce fut
reçue avec applaudiſſement à tous les
Actes . Une acclamation foutenue appella
l'Auteur à la fin de la Piéce : il ſe difpenſa
de paroître. Nous ne faiſons pas
mention de cette circonſtance , pour
preuve de fuccès . L'abus que l'on fait
aujourd'hui dans le Parterre de cette efpéce
de cri de triomphe en a trop avili le
prix. Mais , ce qui eſt plus décifif en faveur
de l'Ouvrage , eſt la continuation
des repréſentations.
1
Mile FANNIER , dont nous avons
parlé dans les précédens Mercures a terminé
ſes débuts. L'eſpoir du Public fur
les talens de cette jeune Actrice , doit
être fondé ſur ceux que l'on reconnoît
& que l'on applaudit journellement
dans M. MOLÉ , de qui elle eſt Eléve.
MAR S. 1764 . 177
L'intelligence fine du Maître , ne permet
pas dedouter qu'il n'ait reconnu
dans ce Sujet , des diſpoſitions dignes
de ſes ſoins , & propres à lui faire
honneur.
EXTRAIT DE BLANCHE & GUISCARD
, Tragédie de M. SAURIN ,
de l'Académie Françoise. Repréſentée (
pour la première fois le 25 Septembre
1763 , & repriſe le 23 Janvier
1764.
PERSONNAGES. ACTEURS .
Le Comte de GUISCARD , M. Le Kain .
Le Comte OSMONT ,
Connétable de Sicile , M. Molé .
SIFFREDI , Grand Chancelier, M. Brizard.
BLANCHE , Fille de Siffrédi , Mlle Clairon .
LAURE , Amie & Confidente de
Blanche , Mlle Preville .
RODOLPHE , Frère de Laure &
Confident de Guiſcard, M. Dauberval.
GARDES.
La Scène eft en Sicile . Les deux premiers Actes
ſepaſſent à PALERME , Capitale du Royaume .
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
Les autres à BELMONT , maison de plaisance de
Siffredi & qui touche à PALERME.
CETTE Piece eſt imitée de Tancréde & Sigifmonde
, Tragédie Angloiſe de feu Tomson , Auteur
célébre du Poëme des Saiſons. Un épiſode
du Roman de Gilblas , qui a pour titre le Mariage
de vangeance en a fourni le Sujet. Voici
l'Avant- Scène.
Mainfroi Roi de Sicile a été dépouilé du
Royaume & de la vie par Guillaume ſon frère
puîné : celui- ci , qui fut ſurnommé le mauvais ,
eſt mort au bout de deux ans d'un régne tyrannique,
laiffant deux enfans , Guillaume leBon ,
qui lui a ſuccédé , & une fille nommée Constance.
Il étoit refté un filsunique de Mainfroi . Guillaume
le Bon ne voulut point le faire périr & confia -
cet enfant en bas âge aux ſoins du Chancelier à
qui il ordonna de l'élever comme un ſimple
Gentilhomme & fans lui faire connoître ſa naiffance
, ni ſes droits. Le fils de Mainfroi élevé
ainſi dans la maiſon de Siffrédi , ſous le nom de
Guifcard , a pris une forte paſſion pour Blanche,
fille du Chancelier , & Blanche n'en fent pas
pour lui une moins forte. Les chofes en cet étar ,
Guillaume le Bon eſt ſubitement frappé d'un
mal violent ; il touche à ſa fin , & c'eſt alors
que la Piéce commence.
ACTE PREMIER.
SCENE PREMIERE.
BLANCHE & LAURE..
Blanchedéplore la perte que la Sicile va faire
MARS. 1764. 179
da meilleur des Rois. Il n'y a plus d'eſpérance ,
dit celle-ci , le trouble & la terreur ſe peignent
fur tous les fronts.
BLANCHE.
>> Triſte effet du retour que chacun fait ſur ſoi !
>> Nous n'éprouvons jamais un ſi lugubre effroi
Qu'alors que nous voions de cette haute ſphère,
>>>Où la ſplendeur du trône éblouit le vulgaire ,
>> Tomber ces Dieux- mortels & ſemblables à
»nous , :
Rentrer au fein commun d'où nous fortimes
tous.
Blanche craint les changemens que la mort
du Roi va apporter dans l'Etat longtemps en
proie aux plus cruelles diviſions. Il y a dans l'Etat
deux partis ennemis & puiſſans. La prudente
fermeté du Roi eſt un frein qui les a conte-..
nus; mais fi le Roi meurt , le Trône paſſe à
Constance , le Connétable Ofmont eſt ſon favori -
>> Miniſtre de l'Etat & Magiſtrat ſuprême, . ::
>>M>on père contreOfmont a ſouvent éclaté
>>>Dans les troubles cruels qui nous ont agité ,
>> Son zéle toujours pur , ſon coeur patriotique ,.
Ses rigides vertus , dignes de Rome antique ,
>> Ont longtemps diviſé leConnétable& lui ,
22Olmont doit le hair.
Laure dit que depuis quelque temps ils ſe ſons
réunis. Dans le reſte de la Scène il eſt queſtion
de Guifcard , de l'obfcurité qui eſt répandue fur
fon deſtin , de l'amour qu'il a pour Blanche..
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE .
>>>Non , cet amour qui regne en un coeur amolli ,
>> Par qui plus d'un Héros s'eſt ſouvent avili ;
>> Mais ce céleſte feu , cette divine flâme ,
>> Qu'un digne objet allume & qui porte en notre
>> âme
>>De toutes les vertus le germe précieux,
>> Le plus beau des préſent que nous ont faitles
>> cieux ;
>> Des grandes actions ſource heureuſe & féconde,
>>>L'âme , à la fois , la gloire & le bonheur du
>> monde.
Cet amour est l'âme de tous les entretiensque
Guifcard & le frère de Laure , Rodolphe , ont enſemble
, mais que penſe de lai ton frère , lui dit
Blanche? Il penſe que tout en lui annonce & prometun
héros ; que ſon âme eſt élevée , courageuſe,
humaine , & que ſi la fougue de ſon naturel
ardent l'emporte quelquefois , la Raiſon
bientôt le raméne.
>> Il ne le flatte pas : ah ! pour un tendre coeur
>> S'il eſt , ma chère Laure , un plaiſir enchanteur ,
>>>C'eſt de voir applaudir le digne objet qu'on
» aime ,
>>>De s'entendre louer dans un autre ſoi-même.
Notre âme éprouve, alors, un ſi doux Sentiment!
C'eſt louer plus que nous , que louer notre
amant.
MARS. 1764.
181
SCENE II.
BLANCHE , SIFFREDI,
Il apprend à Blanche , que le Roi n'eſt plus.
>> Des mortels il a ſubi la loi ,
Ma fille , il eſt paſſédans ce monde terrible ,
>>> Où des foibles humains le juge incorruptible
>> Voit frémir à ſes pieds nos maîtres abbattus ,
Sans garde & protégés de leurs ſeules vertus.
Il ajoute que le Roi a vu d'un oeil ferme la mort
s'approcher.
>> Nedemandant au ciel qu'un momentde retard ,
>Qui lui permit de voir & d'embraſſer Guiſcard.
BLANNCCHHEE ,, avec émotion.
Guiſcard! ... le Roi ! ... mon père ......
SIFFRFDI.
>> Eh bien , aunom du Comte ,
>> Ma fille , d'où vous vient une rougeur ſi prom-
>pte!
>>>Cet intérêt , ce trouble & cette émotion ?
>>Mon père •
BLANCHE.
il eſt le fils de votre adoption :
>>>Je prends part à ſon ſort comme à celui d'un
>>>frère.
SIFFREDI.
>> Il ſuffit. Laiſſez-moi : vous ſçaurez ce myſtère.
Siffredi dans un monologue fait voir toute la
douleur qu'il a de ne pouvoir douter que ſa fille
& Guifcard ne s'aiment: il ſe reproche de ne
182 MERCURE DE FRANCE.
l'avoir pas prévu & il frémit des ſuites : le Roi
en mourant vient de reconnoître Guifcard pour
l'héritier du trône , mais c'eſt à condition qu'il
épouſera Constance , cet Hymen peut ſeul
allurer le repos de l'Etat. C'eſt le ſeul moyen
d'empêcher que la Sicile ne ſoit encore en proi e
à toutes les horreurs d'une guerre inteſtine .
D'ailleurs , Siffredi eſt engagé de parole avec
Ofmont , il lui a promis ſa fille en mariage , l'u--
nion du Chancelier avec le Connétable , imporre
au bien Public & Siffredi ne connoît rien qui ,
puiſſe entrer en balance avec ſa parole & fon
devoir.
>>> Périſſe le mortel , pèriſſe le coeur bas
>>>Qui , portant dans ſes mains le deſtin des Etats ,
>> Plein des vils ſentimens que l'intérêt inſpire ,
>>>Immole à ſa grandeur le ſalut d'un Empire.
Guifcard paroît: Siffredi avant que de ſe dé
clarer veut ſonder fon coeur : il lui confirme la
mort du Roi & fait un Eloge de ce Prince qui
puiffe en même temps ſervir de leçon àGuiſeard.
>> Il tenoit pour maxime
>> Qu'un Roi doitpréférer , ( obſédé comme il eſt,
>>>Un ami qui l'afflige au flatteur qui lui plaît .
: On ne vit point , au ſein de l'horrible mifère ,
Le laboureur gémir du bonheur d'être père ,
>> Il ſçut récompenfer & punir à propos ;
Père enfin de ſon Peuple , il fut plus que Héros.
Siffredi apprend enſuite à Guiſcard que la Couronne
n'appartient point à Constance , mais à un
fils de Mainfroi , élevé dans l'obſcurité , & incon
MARS. 1764.. 183
nu à lui- même . Il lui apprend que le Roi a reconnu
ce fils de Mainfroi pour ſon Succeſſeur ; mais
àcondition qu'il épouſeroit Conftance.
Guifcard, plein de feu & de nobleſſe , ſe met
d'abord à la place dece jeune Prince , s'échauffe
en ſa faveur , mais doute qu'on puiſſe vaincre
P'horreur qu'il doit fentir , quand il ſe connoîtra ,
pour Constance, pour la fille de l'affaſſin deMainfroi..
Siffrédi combat ce ſentiment , & fait voir la néceflité
du mariage ordonné par le Roi. Guiſcard
continue à s'élever contre..
ד:
>>>Eh ! que craindre après tout ? Ila pour lui, Sei
" gneur ,...

20
Sa naiſſance , ſes droits , ſans doute ſa valeur.
Tout le ſangde Guiſcard eſt prêt à couler pour -
ce Prince.
Courons verslui , Seigneur.Ah ! digne de ſarace ,
>>>Digne du Trône auguſte où furent ſes aïeux ,
>>>P>eut être qu'il ſe plaintque le ſort envieux ,
A
>>>Sur le théâtre obſcur d'une ſcène privée ,
>> Confine les verrus de ſon âme élevée ,
>> Et qu'il demande au Ciel l'heureuſe occafion
>> De montrer un grand coeur , & d'acquérir un
.nom ככ
SIFFREDI...
>> Et peut- être qu'auſſi ſa frivole jeuneffe
S'endort avec l'amour au ſein de la moleſſe !
Guifcard répond avec l'enthouſiaſme d'une âme
jeune& grande ,
184 MERCURE DE FRANCE.
1
>>Mon coeur répond du ſien : oui , Seigneur , ſans
>> effort ,
>> De mon état obſcur je m'élève à ſon ſort;
> Et je ſens qu'à l'aspect de ſa noble carrière ,
>> Mon âme avec tranſport s'élançant toute en
>> tière ,
>> Brûleroit d'égaler , en vertus comme en rang,
>> Ces Héros glorieux dont je ſerois le ſang.
SIFFREDI .
>>> Eh bien! hâtez-vous donc de marcher ſur leur
trace:
>> Et vous, dont il promet d'être la digne race ,
>> Mânes de ſes Aïeux , je vous prends à témoins.
Guiſcardeſt étonné , prie le ciel de lui donner les
vertus de ſon nouvel état , marque ſa reconnoif
fance à Siffredi , ne veut régner que par ſes conſells
, &c. mais montre toujours le plus grand
éloignement pour le mariage de Constance : c'eſt
le ſeul point ſur lequel il n'en veut croire que lui
même. Mais , lui dit Siffredi ,
>>> Un autre à vos refus doit avoir la Couronne.
>> C'eſt le Roi des Romains ....
GUISCARD .
>>Mais le ſang me la donne.
>> Je maintiendrai mes droits . Aſſemblez le Sénat .
>>>Allez , & que les Grands , les Barons de l'Etat
>> Viennentrendre à leur Maître un légitime hom-
>> mage.
:
MARS. 1764 . 184
L'Acte finit par un Monologue de Guiſcard , où
tout ſon amour pour Blanche éclate. Il eſt tranfporté
de l'idée de mettre un Diadême aux pieds de
ce qu'il aime.
>>>Je vois fans m'éblouir l'éclat du rang ſuprême.
>>> Mais , ô ma chère Blanche ! un Trône t'étoit dû :
Je vais , en t'y plaçant , couronner la vertu.
ACTE ΙΙ.
Dans l'intervalle du premier & du ſecondAle,
Guifcard voulant raſſurer Blanche , qu'il a trouvée
en larmes , & craignant de le perdre , lui a laillé
ſa fignature , comme un engagement de la part ,,
qu'illui a ordonné de remettre au Chancelier , en
lui déclarant ſes intentions pour elle . Blanche a
remis cette fignature à ſon père , qui , rendu au
Sénat , en a fait un uſage contraire aux deſſeins du
Prince. Après avoir fait lecture du Teftament du
feu Roi , qui , en rappellant Guiſcard au Trône ,
ordonne qu'il épouſera Constance , il ajoute que le
Prince conſentoit à tout. Voilà , a- t- il dit , un acte
figné de ſa main royale , par lequel il aſſure ſa
Couronne & ſa foi à Constance. Au moment
même la voûte a retenti d'un applaudiſſement
général ; la joie s'eſt peinte ſur tous les fronts.
Guifcard interdit & confus , ne poffédant encore
que le nom de Roi , fans pouvoir , fans expérience
, n'a pas cru devoir en ce moment s'oppoſer au
voeu de tout l'Etat : il s'eſt levé , & a remis l'ac
ſemblée au lendemain. :
186 MERCURE DE FRANCE.
SCENE PREMIERE .
GUISCARD &
RODOLPHE.
Guifcard furieux apprend à Rodolphe tout ce
qui s'eſt paffé ; Blanche placée par ſon père au
rang des ſpectateurs , a été témoin de cette ſcène
cruelle. Guifcard venoit pour la déſabuſer ; mais
Siffredi a fait partir ſa fille pour Belmont. Et
quoique Belmont touche à Palerme, d'indiſpenfables
ſoins enchaînent Guiſcardà la ville. Mais ,
en attendant qu'il puiſſe voir Blanche , & qu'au
Conſeildu lendemain tout ſe répare, il veut écrire
àBlanche. En ce moment Siffredi paroît.
SCENE II.
GUISCARD & SIFFREDI.
Guifcardlui fait les reproches les plus vifs. Sif
fredi s'oppoſe à l'indignation & aux emportemens
de Guifcard, avec le calme d'une âme remplie de
l'amour de ſon devoir & de ſa Patrie. On lui a
remis le ſeing du Roi. Il a cru , pour s'en ſervir ,
ne devoir confulter que la gloire du Roi & le falut
de l'Etat ; & pourvu qu'il fauvât l'une & l'autre , il
n'a compté pour rien de ſe perdre lui-même. Il
lui repréſente fortement qu'il n'y a que l'hymen
de Constance qui puiſle affermir la Couronne fur
ſa tête , qu'en ne l'épouſant pas, il doit craindre
la plus funeſte révolution pour le Royaume & pour
lui- même ; qu'il hafarde l'Etat , & fon Trône , &
ſa vie. Guiſcard eſt réſolu de tout braver : malheur
à qui ofera lui réſiſter , malheur à Siffredi
Jui-même. Siffredi lui préſente ſon ſein , & le con--
MARS. 1764. 187
Jure enſuite d'écouter celui qui lui ſervit de père ,
&qui, pour le ſeul avantage de l'Etat & du Roi ,
refuſoit ce qu'un autre peut- être acheteroit d'un
crime. Il ſe jette à ſes pieds.
!
>> Vois ton ami , ton père , embraſſanttes genoux ;
>> Te conjurer en pleurs de te vaincre toi- même ;
>>A tes pieds avec moi , vois un Peuple qui t'aime,
Et que le Ciel confie àtes ſoins paternels.
>> Citoyens , Magiſtrats , Miniſtres des Autels ,
>>>Tous ceux de qui la main aux travaux occupée
>>Fait croître la moiſſon de leur ſueur trempée ,
>>Q>ui nourriſſent l'Etat ,&ſupportent la faim;
>> Vois le vieillard courbé , l'enfant preſſant le
1 >>fe>in,
Et l'époux , & l'épouſe , & la mère , & la fille ,
Tout un grand Peuple enfin compoſant ta fa-
>>mille ,
>>(>>Car les Sujets desRois ſontleurs premiers en--
>> fans ) ;
>>>Vois- les , dis- je, à tes pieds , incertains & trem--
>> blans :
» Sauvez- nous , diſent-ils , d'une guerre inteſtine :.
Faut-il à l'incendie , au meurtre , à la ruine,
Abandonner encor nos champs & nos cités !
Ah! pourd'autres emplois que nos calamités ,
» Réſerve unfang pour toi tout prêt àſe répandre.
>> Réſiſterez -vous donc à cette voix ſi tendre ?
>> Eh quel triſte bonheur , rapportant tout à ſoi ,
>>>Peut balancer ſon Peuple en l'âme d'un bon
Roi !
188 MERCURE DE FRANCE.
Le vôtre.... Mais , Seigneur , je vois qu'elle eft
➡émue.
>> Ah ! ne dérobez point ces larmes à ma vue.
>> L'orgueil du Trône , hélas ! n'eſt que trop in-
>humain.
Guiſcardtend la main à Siffredi , & lui reproched'un
ton attendri qu'il l'a mis entre deux précipices
; que détruire l'eſpoir de Constance , c'eſt
haſarder l'Etat ; que le remplir , c'eſt trahir Blan
che & le ſang de Mainfroi.
>> De tous côtés déchiré , combattu ,
>> La vertu dans mon coeur s'oppoſe à la vertu.
Siffredi a fait le mal ; c'eſt à lurà venir à fon
aide. Il faut que le lendemain il faſſe au Sénat l'as
veu de ſa témérité , & qu'il appuie les droits de
Guiſcard de fon fuffrage :
>>A ceprix
>>Ton Maître te pardonne , & redevient ton fils.
Siffredi ſent les bontés de ſon Roi ; mais il s'en .
croiroit indigne s'il obéiflair. Guiſcard fort furieux,
en déclarant à Siffredi que Constance ne ſera jamais
quefa Sujette.
しき
>>T>oi , rends grâce à l'amour dont mon coeur eft
>> épris ,
>>>Qui te protége encor lorſque tu le trahis.
MARS . 1764. 189
SCENE III .
Monologue de Siffredi qui réſout de hâter le
mariage de ſa fille avec le Connétable. C'eſt le
ſeul moyende ſauver l'Etat & le Roi. Ce moyen
le perdra : mais s'agit- il de lui ?
SCENE IV.
SIFFREDI & OSMONT.
Civilités réciproques ; Ofmont reclame la promeſſe
du Chancelier , & en preſſe l'exécution . Cer
hymen, dit le Chancelier , importe à l'Etat. Venez
: allons à Belmont ; vous y recevrez la main
de Blanche , ſans pompe & fans éclat,
ACTE ΙΙΙ.
La Scène est à Belmont.
Monologue de Blanche , qui ſe croyant trahie
par Guifcard, lui adreſſe des reproches & des plaintes
ſur toutes les affurances de fidélité qu'il lui
avoit données ce jour même.
>>Ta tendreſſe jamais ne fut plus éloquente.
>>>Hélas ! ſans raſſurer ta malheureuſe Amante ,
>>Que ne lui diſois- tu que de ſuperbes loix ,
>> Dans la grandeur du Trône , empriſonnent les
२०
>> Rois :
Blanche en auroit gémi; mais moins infortunée ,
•N'accuſant que ton rang & que fadeſtinée ,
>> Elle eût vécu peut-être , &c .
1
190 MERCURE DE FRANCE.
Siffredi arrive , & Blanche fait un vain effort
pour lui cacher ſes larmes & ſon trouble. Siffredi
plaint ſa fille; il ne veut point l'accabler ſous le
poids du reproche. Il devoit prévoir ce qui eſt arrivé
, & il s'accuſe lui-même plus qu'il ne la blâme:
mais il faut s'armer de courage , & faire un
généreux effort. Il ſeroit trop honteux qu'on pût
croire qu'elle nourrît encore quelque eſpoir d'être
aimée du Roi .
BLANCHE.
>>>Ah ! cet eſpoir , Seigneur , il l'atrop biendétruit.
SIFFREDI.
Il l'a dû. De vos feux quel eût été le fruit ?
>>Ta folle paſſion a-t-elle donc pu croire
>> Qu'oubliant ce qu'il doit à ſon peuple, à fa
>> gloire ,
>>T'immolant notre ſang , nosbiens , notre repos,
D'un romaneſque amour mépriſable héros ,
>>>Il dût , pour être à toi , hazarder ſa Couronne ?
Crois-tu que j'eufle ſouffert qu'allumant ſes feux
aux flambeaux de votre hymen ,
>>> La Diſcorde cruelle embrasât ma Patrie ,
Que mon fang , que ma fille en devînt la furie
Siffredi lui déclare qu'il n'y auroit jamais conſen
ti. Il eſpère qu'elle n'aura bientôt plus que zèle &
reſpect pour fon Roi. Mais ce n'eſt pas aſſez :
>>> On ne vit pas pour ſoi.
>>>Plus le ſort nous élève au-deſſus du vulgaire ,
>>>Plus il nous met en butte à ce juge ſévère ,
1
MARS. 1764. Igr
Qui cherche nos défauts , & , ſans reſpect des
>> rangs,
>>>Conſole ſa baſſeſſe en médiſant desGrands.
Il faut le convaincre que ma fille , à l'exemple
dn Roi , a ſçu ſe vaincre elle-même ,
>>>Et coupant à l'eſpoir ſa derniere racine ,
>>>Prendre un illuſtre époux que ma main te def
>> tine.
Acette propoſition Blanche paroît éperdues
ſon pere lui nomme le Connétable :
>> Il eſt puiſſant , vous aime.
>> Je vois en vain vos yeux de larmes ſe remplir :
>>Ma parole eſt donnée , elle doit s'accomplir,
>>>Et dès aujourd'hui même.
Blanche fait à ſon père les ſupplications les
plus touchantes ; elle ſe jette à ſes pieds , les
baigne de larmes , ajoute aux raiſons les plus
fortes ce qu'elle croit le plus capable d'émouvoir.
Siffredi eſt attendri , mais inébranlable dans
ſes principes ; il ne céde point à la pitié. Il déclare
à Blanche qu'il va lui amener Ofmont. Venez ,
dit- il à Laure qui paroît ; affermiſſez Blanche par
vos conſeils ; que je la retrouve préparée à m'obéïr.
BLANCHE.
>> Non , ce n'eſt qu'à la mort que mon coeur ſe
>> diſpoſe.
>> Quel amour est trahi ! quel devoir on m'im
poſe.
>>>Ah , Laure !
192 MERCURE DE FRANCE .
Laure lui dit qu'elle ne peut approuver
douleur ; queGuifcard ne mérite pas ſes larmes.
Ce n'eſt que du mépris qu'on doit à ce parjure.
BLANCHE.
fa
>> Sans doute... Mais , hélas ! crois -tu quainſi ſou-
>>dain
Un coeur puifſe paſſer de l'amour au dédain ?
Qu'un ſentiment ſi cher né dans la ſolitude ;
- Par l'eſtime formé , nourri par l'habitude ,
>> Soit détruit auſſitôt qu'on ceſſe d'eſtimer ?
> Longtemps on aime encore en rougifſſant d'ai
>> mer !
Elle apprend à Laure queſon père veut qu'elle
épouse Osmont ; qu'elle l'épouſe cejour même.
LAURE.
- Eh bien , vous êtes outragée.
>> Ce jour a vu l'affront , il vous verra vangée.
BLANCHE.
>> Vangée ! hélas ! ſur qui ? Sur Guiſcard ou fur
>> moi.
Laure lui repréſente avec force tout ce qui
s'eſt paflé au Sénat , on dit , ajoute-t-elle, que
demain il épouſe Conſtance.
BLANCHE."
>>Ah , parjure ,
LAURE.
›Pouvez-vous balancer ?
BLANCHE.
MARS . 1764. 193
BLANCHE.
M Dès demain ?
LAURE.
BLANCHE.
On l'affure.
Eh , qu'il étouffe donc , s'il ſe peut , dans ſon
>> cooeur
Le cri du ſang d'un père & le remord van-
>> geur... :
>>>Laure , je veux t'en croire , un fier dépit me
>>guide.
>> Tu me regretteras , homme lâche & perfide!..
>>O>ui , mon hymen fera ſon tourment &le mien.
>> Il a trahi mon coeur ,j'ai mal connu le ſien ,
D'un repentir tardif il ſera la victime ,
>> Je ſervirai d'exemple à celles qu'une eſtime
>>>Dans leur crédule eſpoir trop prompte à ſe
former ,
>>Sous l'appas des vertus engageroit d'aimer.
Laure applaudit à cette réſolution.Que votre
hymen précéde celui de Guiſcard.
>>>Que dans les bras d'Oſmont le perfide vous
>>voie.
BLANCHE.
Oui dans mon déſeſpoir je goûterai la joie...
Quelle joie !
SCENE IV.
Siffredi s'avanceavec Ofmont , il llee pprrééſſeennttee àà
1
A
194 MERCURE DE FRANCE .
ſa fille. Ofmont lui dit que l'aveu d'un père au
toriſe ſes feux , mais que ce n'eſt pas affez pour
fon bonheur.
» Croirai -je que du moins la vertueuſe Blanche
>>>Conſentira ſans peine à former ce beau noeud ?
BLANCHE.
>> Seigneur.... l'obéiſſance... un père... ſonaveu...
Je me meurs ........
OSMON T.
>>Ciel!
SIFFREDI.
Ma fille! à peine elle reſpired
BLANCHE.
à Laure .
» O mon père! .. aide-moi... Je ne puis me con
>>duire.
SIFFREDI , à Ofmont.
>> Je la ſuis , pardonnez àmon ſoin paternel.
OSMONT.
>>>>Je ne vous quitte point dans cetrouble mortel.
ACTE IV.
Monologue de Blanche qui vient d'épouſer
Ofmont.
>
>>C'en eft donc fait , hélas! un noeud fatal me
>> lie,
>>Mon malheur n'aura plus de terme que ma vie.
» Puiſſe mon père un jour ne ſe point reprocher
>> Le ſacrifice affreux qu'il me vient d'arracher !
MARS. 1764 . 195
Veux-tu précipiter mes vieux ans dans la tombe?
M'a-t-il dit. A ce mot mon courage ſuccombe :
>> J'ai traîné vers l'Autel mes pas avec terreur .
O ! comment exprimer ce qu'a ſenti mon coeur !
Quand à la main d'Olmont j'ai joint ma main
>>> tremblante.
Laure accourt troublée & tenant un biller.
Guifcardl'avoitcommisaux ſoins de Rodolphe qui
n'a pu le remettre plutôt à Laure.
BLANCHE.
• Quoi Guiſcard.... Il m'écrit! ... Croit- il par une
Lettre...
>> Voyons , Laure... Mais , non ... mon coeur m'en
>>preſſe en vain ,
» Non , je ne lirai point un billet que ſa main..
Eh ! que peut-il me dire? ...
Laureditque ſon frère proteſte que ſon Maitre
eſt innocent , & n'a fait que ſe prêter à la
néceſſité. Qu'il alloit lui expliquer ce myſtère ;
mais qu'Ofmont& Siffredi mandés à Palerme l'ont
appellé près d'eux. Blanche frappéede ce Difcours
, prend la Lettre...
Donne ,
» Ah ! donne.... ma main tremble , & tout mon
* >> corps friffonne ...
>>Que tantôt àl'aſpect d'un billet de ſa main
Un trouble différent eût agité mon ſein !
Blanche lit la Lettre où Guiſcard la raſſure ,
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
lui dit qu'il la verra ſitôt qu'il en ſera maître
finit , par lui jurer qu'en dépit de tout il n'y a rien
que la mort qui puiſſe l'empêcher d'unir ſon fort
au ſien. Cette lettre jette Blanche dans le plus
grand trouble & le plus grand déſeſpoir : elle
ne peut plus penſer que Guiſcard l'air trahie ,
& elle s'en voit pour jamais léparée.
O dépit inſenſé ! trop aveugle courroux !
>> Un inſtant a donc mis un abîme entre nous?
Auroit- elle du ſitôt en croire les apparences ;
devoit elle ſe hâter de perdre ſon amant & elle ?
>>>C'eſt toi qui l'as voulu père trop rigoureux !
>>De ton âge endurci la cruelle prudence ,
>> Un moment de dépir , une folle vangeance ;
Toi-même , Laure hélas , ta fatale amitié ,
Vous m'avez tous trahie & mon coeur s'eſt lié .
• Laure s'excuſe ſur ſon zéle , elle accuſe le Prince
tout au moins de foibleſſe .
>> L'amour est moins timide en un coeur magna-
>>nime.
BLANCHE , vivement .
> Arrête, Laure ,& crains que ta témérité ;
> Ne porte un jugement encor précipité.
► Dans l'abîme déja , c'eſt toi qui m'as pouffée.
Blanche , après bien des agitations ſe détermine
enfin à n'avoir aucune explication avecle
MARS. 1764 . 197
Roi , à ne le jamais voir , à dévorer ſes pleurs en
fecret& furtout à bien cacher ſes douleurs à ſon
έρουχ.
>>>Je l'ai vu m'obſerver d'un oeil ſombre , inquiet.
>> Il ſembloit de mon coeur épier le ſecret ;
>> S'il en eſt encor temps qu'à jamais il l'ignore.
>>Mais périr lentement d'un feu qui vous dévore
>>>Et dans ſon coeur fans ceſſe en étouffer l'éclat ,
>> Eprouver au- dedans un douloureux combat ,'
>> Et montrer au dehors un front calme & tran-
>>> quille ;
>>Que la vie eſt alors un fardeau difficile !
SCENE III.
Le Roi s'avance.Un tremblement ſaiſit Blanche ,
elle veut fuir , & n'en a pas la force : Guifcardle
jette à ſes pieds avec tranſport. Etonné de ſa
froideur , m'aurois-tu fait l'affront , lui dit-il de
douter de mon coeur ?
>> Ton âme net'a pas répondude la mierine !
Sçache, lui dit- il , que ton père abuſant de
monſein, a tourné contre nous...
>>Mais quel tourment te preſſe ?...
>>Tu trembles ... tu pâlis ... ma chère Blanche !
BLANCHE , du ton de la douleur la plus pro
-Laille! fonde.
>> Eh ! laiſſe-moi ,Guiſcard.
1
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
GUISCARD.
>>>Moi , te laiſſer ! jamais,
Non , jamais ... A mon coeur il faut rendre la
»paix;
>> Il faut qu'à ton amant cette bouche adorée
>>Renouvelle la foi ...
BLANCHE.
>>Ocrime irréparable !
>> Mon âme eſt déchirée ?
GUISCARD , vivement.
>>>Il ne l'eſt pas : eh bien
>>Ton coeur s'eſt trop hâté de condamner le
>> mien :
>> Tu devois mieux connoître un Amantqui t'a-
->>dore.
>> Mais tout eſt réparé , ſi tu m'aimes encore....
>>D>is que je fuis aimé.
La réſiſtance de Blanche, ſon trouble , ſon em
barras , tout annonce à Guiſcard un ſecret qu'on
lui cache. Il preſſe Blanche de s'expliquer . Après
pluſieurs repliques de part &d'autre , elle lui apprend
qu'Ofmont eſt ſon époux.
GUISCARD.
2
Ton époux ! .. Que dis- tu
Ofmont !
BLANCHE.
» Il eſt trop vrai .
GUISCARD.
>> Je reſte confondu....
MARS. 1764. 199
>>Q>u'as-tu fait , juſte ciel ?
BLANCHE.
>>Une fatale erreur ....
>> L'autorité d'un père,
GUISCARD.
>> Perfide ! elle t'eſt chère "
>> Cette erreur que l'amour auroit ſçu démentir.
>> Penſes-tu m'abuſer par un vain tepentir ?
>>Oſmont , o ciel ! Oſmont poſſeder tant de char-
»Tu l'aimois... oui.
BLANCHE..
Cruel !
GUISCARD.
>>>Je vois couler tes larmes.
► Que fervent à préſent ces regrets ſuperflus ?
>> Toi ſeul as pu nous perdre , & tu nous as perdus.
>>Ciel ! tandis qu'accuſant l'éternité des heures ,
>> Mon coeur impatient voloit vers ces demeures ,
>>Blanche me trahiſſoit !
BLANCHE.
>> Eh bien ! tu dois haïr
>>Celle qui t'adoroit , & qui t'a pu trahir.
>> Je ne te dirai point que mon père ... que Laure ...
>>>Plus àplaindre que toi ,je m'accuſe & m'abhorre .
>>Va , d'un fatal amour perds juſqu'au ſouvenir ;
>> Laiſſe à montriſte coeur le ſoin de me punir ,
>>Etfuis-moi pour jamais.
Liv
200 MERCURE DE FRANCE.
GUISCARD.
Ma vie eſt de t'aimer.
Demande donc ma
Mais non , ajoute-t-il, tu n'as pu trahir tes
voeux &les miens; tu n'as pu former ces noeuds
auxquels on t'a contrainte; ta foi m'étoit engagée.
> Oui , tes fermens d'avance avec moi t'ont liée
>> Cette main eſt à moi . ( il lui prend la main. )
OSMONT , qui arrive en ce moment.
>>> Madame , oubliez - vous
→Qu'elle vient d'être unie à celle d'un époux ?
BLANCHE.
>> Non. Ces noeuds ſont ſacrés , & mon coeur les
>> révère.
Siffredi paroît ; ellecourt à lui, & fort en le conjurant
de détourner les maux qu'elle prévoit.
LeConnétable parle fièrement au Roi ; Siffredi
lui oppoſe les droits de père & d'époux ; Guifcard
reproche à Siffredi l'abus qu'il a fait de ſa ſignature
Il ſoutient que Blanche entraînée aux Autels
n'a pu engager à Ofmont la foi ; que ſes noeuds
l'effet de la ſurpriſe & de la violence , ſont nuls
que fondé fur la promeſſe de Blanche , & armé de
ſa toute-puiffance , il les fera briſer par la loi , &
il fort en diſant au Connétable :
>> Si le jour t'eſt cher, déſormais n'enviſage ,
>> Qu'avec l'oeil d'un Sujet ſoumis & repentant ,
>>>Celle qu'aime ton Maître, & que mon Trône
>>> attend. Ilfort.
MARS. 1764 . 201
Ofmont furieux s'emporte contre la tyrannie de
Guifcard; il ne veut plus le reconnoître pour Roi.
Il court à Palerme déſabuſer Constance & les amis.
Siffredi , en blåmant le Roi , tâche à détourner le
Connétable des partis violens : celui- ci rejette tous
les partis modérés. En ce moment, Rodolphe paroît
à la tête des Gardes ; Ofmont , forcé d'obéir ,
lui rend ſon épée, & le ſuit au Fort , où Rodolphe
a ordre de le conduire . Siffredi le quitte en lui difant
qu'il va trouver le Roi :
>> Mes yeux par le ſommeilne feront pas fe més ,
Quevous ne ſoyez libre , & les eſprits calmés.
:
ACTE
Ilfait nuit.
V.
SCENE PREMIERE.
Monologue de Siffredi. Il a vu le Roi : le Connétable
ſera libre aux premières traces du jour ,
mais le Roi perſiſte à ne pas vouloir le reconnoître
pour époux deBlanche. Réflexions ſur les paf
fions des Rois. Retour de Siffredi ſur lui-même.
SCENE II.
OSMONT & SIFFREDI
Oſmont a obtenu du Commandant du Forr,
qui eſt ſa créature , d'en ſortir , à condition d'y
rentrer avant lejour. Il ne reſpire que vengeance
& fureur. Siffredi tâche de le ramener à des partis
modérés ; Ofmont lui oppoſe l'honneur......
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
4 SIFFREDI .
>> N'appellez point honneur cet enfant de l'orgueil
,
>>Eternel artifan dediſcordre&de deuil,
>> Qui , toujours altéré de ſang&de vengeance ,
>>N'eſt jamais affez grand pour pardonner l'of-
>>fenſe ;
>>>Qui , ſuperbe & farouche , immole tout à ſoi ,
>>>Et prend le préjugé , non la vertu , pour loi.
Siffredi le quitte, en lui diſant qu'il fera de nouveaux
efforts auprès du Roi.
>> S'il perfiſte à n'avoir que ſon defir pour loi ,
> Je ne partagerai vos complots ni fon crime ;
>> Mais je ferai , Seigneur , ſa première victime.
Ofmont, à qui la modération de Siffredi eſt ſufpecte
, &qu'elle ne rend que plus furieux , réſout
de s'aſſurer de Blanche avant que de rentrer au
Fort.
>> J'ai des amis tout prêts, la nuit me favoriſe ;
>>A>llons lesdiſpoſer autour de ce Palais.
>> Il fautde mon projet aſſurer le ſuccès ,
>>>Il fautpouvoir forcer mon épouſe àme fuivre...
>>Ah! dans les noirs tranſports auxquels mon coeur
1
∞ſe livre,
>>>E>lle, Guiſcard&moi,je puistoutimmoler.
>> J'entends du bruit. Sortons. ( ilfort. )
Blanche entre fuivie de Laure
MARS . 1764. 203
LAURE.
>>> Où voulez-vous aller ?
>> Errante en ce Palais , votre douleur muette
>> Y promène au haſard ſa démarche inquiette ;
>> Et pourſuivant en vain un repos qui vous fuit...
BLANCHE.
→Abandonnemon âme au trouble qui la fuit:
Vas , laiſſe-moi , ton ſoin m'importune & me
› gêne .
LAURE.
>>Moi , vous laiſſer , ô Ciel ! & lorſqu'àvotre peine
>> Une effroyable nuit ajoute ſon horreur !
BLANCHE.
>>>Unehorreur plus affreuſe eſt au fond de mon
coeur.
Blanche oblige Laure à fortir.
>>>Laiſſe-moi ... je le veux ... mon amitié l'exige.
>>Tes conſeils m'ont perdue.
Blanche reſte ſeule en proie aux agitations &
aux tourmens de fon coeur.Après s'y être livrée
quelque temps , elle ſe jette dans un fauteuil.
>>Ne puis-je me calmer ? .. La terreur me pour
>>>fuit.
>>>Quepour les malheureux l'heure lentement fuit!
>>Q>u'une nuitparoît longueà ladouleurqui veilles
Elle entend du bruit , elle ſe léve effrayée. C'eſt
leRoi.
Ivj
204 MERCURE DE FRANCE.
GUISCARD.
>>>Raſſure- toi-
>> J'ai ſçu me ménager une ſecrette entrée.
BLANCHE .
Comment en vous voyant puis-je être raſſurée ! ..
GUISCARD , l'interrompant .
>> O Blanche ! écoute- moi : le temps eſt précieux.
> Rodolphe avec ma garde attend près de ces lieux,
>>Et le trajet eſt court de Belmont à la Ville.
>>> Il faut me ſuivre ; viens , un reſpectable aſyle ..
BLANCHE.
> Qu'oſez-vous dire , ô Ciel ! & que propoſez-
>> vous ?
>> Un aſyle ! En eſt-il qu'auprès de mon époux ?
>> Guiſcard à ma vertu réſervoit cet outrage !
>>Avez- vous oublié qu'un noeud facré m'engage ?
>> Et que l'honneur me fait un auſtère devoir
>>De ne jamais oſer vous entendre & vous voir ?
>>Que je ne dois ſonger qu'à bannir de mon âme
>> Le ſouvenir trop cher d'une première flâme ?
>>Que vous devez me fuir ? & qu'épouſed'Oſmont,
» Votre amour déſormais n'eſt pour moi qu'un
>> affront ?
Non , dit Guiſcard , tu ne l'es pas : Ofimont eſt
ton raviſſeur. On a ſurpris ta foi. Si la Loi te dé
gage & te permet ....
MARS. 1764. 250
BLANCHE.
>> Seigneur ,
> La Loi permet ſouvent ce que défend l'honneur.
Guiſcard inſiſte , Blanche demeure ferme ; on
voit tout ce qu'il en coûte à ſon coeur ;un ſentiment
trop tendre lui échappe , elle s'en apperçoit,
revient ſur elle-même , & , avec un effort marqué ,
elle dit à Guiſcard ,
» Plaignez , mais reſpectez la chaîne qui me lie,
> Et recevez de Blanche un éternel adieu.
Guiſcard dit qu'il ne le reçoit point ; un affreux
déſeſpoir s'empare de lui .
» Je ne me connois plus ; Blanche veut que je
>> meure;
» Oui , tu le veux....... Eh bien , j'obéis , & fur
>>>l'heure
» Ce fer ....
BLANCHE.
>>>Guiſcard , arrête ,ou le plonge en mon ſein..
>>>Termine par pitié mon malheureux deſtin.
>> C'en est trop... Je ſuccombe àma peine cruelle,
>> Au nom de cet amour! ..
GUISCARD.
>>Trahi par toi , cruelle t
BLANCHE.
Oui , j'ai trahi l'amour , mais il reſte à mon
:
» coeur
206 MERCURE DE FRANCE.
>>La vertu qui conſole au comble du malheur,
» Veux-tu me la ravir ? veux-tu fouiller ma
>>gloire ?
....
>> Si je pouvois , cruel , & te ſuivre , & te croire ;
>> Serois- je digne encor , &du jour , & de toi ?
► Non....
GUISCARD ..
>> Je meurs à tes pieds.
Dans ce moment Ofmont arrive.
> Guiſcard aux pieds de Blanche ! A moi , Tyran ,
>> vangeance ;
> Défends- toi .
:
GUISCARD.
>>>Songe , traître , à ta propre défenſe..
Ils ſe battent. Ofmont tombe mortellement
bleſlé ; Blanche court à lui ; il ſe ranime , & luj
plonge ſon épée dans le ſein.
>>>Femme perfide , meurs.
Siffredi entre alors , voit ſon gendre mort , &fa
fille expirante.
► Contemple ton ouvrage , lui dit Guifcard.
BLANCHE , à Guifcard.
» O ! ſi je te fus chère , accorde-m'en le gage :
>Ne lui reproche rien.
SIFFREDI.
Infortuné vieillard !
MARS. 1764. 207
à Guifcard.
BLANCHE.
àfonpère.
>> Conſoles ſes vieux ans .... Vous , conſolez Guif-
>>card;
>>>L'un à l'autre , en mourant , ma tendreſſe vous
>>donne....
>> La lumière me fuit ... la force m'abandonne.
>> Ciel! prends pitié de moi..... Guiſcard ..... ta
>> main ? ... Je meurs .
GUISCARD.
Elle expire ! La mort réunira nos coeurs.
Il veutse tuer , on le défarme.
Ce que les bornes d'un Extrait nous
ont fait fupprimer de vers , eſt en perte
pour la gloire de l'Auteur & pour le plaifir
des Lecteurs . Nous exhortons ces
derniers à fe procurer la lecture de l'Ouvrage
en entier. Cette Tragédie ſe trouve
imprimée , à Paris , chez SEBASTIEN
JORRY , Imprimeur- Libraire , rue &
vis-à-vis de la Comédie Françoife.
208 MERCURE DE FRANCE.
1
REMARQUES
SUR BLANCHE ET GUISCARD.
ON convient généralement que le
Sujet de cette Tragédie eſt un des plus
tragiques qu'il ſoit poffible de choifir ,
&des plus propres à produire un grand
intérêt . L'Auteur avertit , dans l'édition
de cette Piéce , qu'elle eſt imitée de feu
TOMSON. Les critiques qui ont porté
fur l'intrigue , fur les moyens & fur une
partie de la conduite , ne peuvent donc
regarder l'Auteur François. Il a cru devoir
ne changer que les noms des deux
principaux Perſonnages ,dans une Piéce
qui avoit eu le plus grand ſuccès en
Angleterre. Le Public de Paris ne penſe
, ne juge & ne s'affecte pas toujours
de même que celui de Londres. Les
Anglois , dans leurs plus grandes Tragédies
, n'employent ſouvent que de
fort petites machines pour en nouer
toute l'intrigue. La fameuſe Piéce , intitulée
Otello , dans laquelle un mouchoir
de col fait la cauſe & le mobile
de toute l'action tragique en eſt , entre
autres , une preuve affez remarquable.
1
MARS. 1764. 209
Dans Tancréde & Sigismonde , dont
Blanche & Guifcard eſt l'imitation, un
Lecteur François ſe prête difficilement
à la ſupercherie d'un grand Chancelier ,
par l'abus qu'il fait du blanc ſeing de
ſon Roi. M. SAURIN a voulu nous
faire jouir d'un Sujet qui enrichit le
Théâtre Anglois. Pouvoit-il nous le
faire connoître ſans en laiſſer ſubſiſter
la principale machine ? C'eût été en
changer la conſtitution , ce n'auroit plus
été le même Sujet ni la même Piéce .
Mais fans recufer abfolument les cenfures
de ce moyen ; examinons ſi les
égaremens dans lesquels entraîne un
Fanatiſme patriotique , qui abuſe par
ſes motifs & par fon objet , font tellement
hors de l'ordre moral des actions
humaines qu'ils ne puiſſent être introduits
fur la Scène. On ne peut conteſter
qu'il réſulte de l'imprudence hardie
du grand Chancelier , les ſituations
les plus touchantes & des incidens fort
tragiques. Sans cette imprudence , fans
l'abus du blanc ſeing, Guifcard & Blanche
ne ſe trouveroient pas dans une forte
de néceſſité , l'un de paroître perfide
aux yeux d'une Amante adorée , l'autre
de ſe livrer au dépit qui doit naître
d'une erreur fi fatale. Le pathétique de
210 MERCURE DE FRANCE.
cette ſituation a ému juſqu'aux lar
mes. Nous convenons que le coloris
des détails,la manière dont M. SAURIN
traite ce Sentiment a beaucoup de part
à cette impreffion , mais le fond de
l'intérêt n'en eft pas moins dans la fituation
des Perſonnages. Pourquoi ,
demandera - t- on , cette émotion momentanée
n'a - t - elle pas influé fur
l'effet général de l'Ouvrage , dans l'opinion
& même dans le ſentiment de
quelques Spectateurs ? Cela vient peutêtre
, ( il eſt important de le remarquer)
de ce que les Perſonnages du principal
intérêt ne font pas d'abord affez connus
. On ne ſçait pas ſeulement le nom
du bon Prince dont on déplore la perte
au commencement de la Piéce ; de ce
Roi dont le fort& les vertus donnent
lieu à de très-beaux détails mais
ce qu'il y a de plus effentiel , dont
les dernières volontés occafionnent le
premier mouvement de l'action. L'origi .
ne de Guifcard reſte obſcure,pour bien
des gens peu inſtruits , quelque temps
après l'expofition. Si cette cenfure eſt
juſte , elle n'eſt encore applicable qu'à
l'AuteurAnglois. Dans quelles langueurs
M. SAURIN aura-t-il ſenti que le feroit
P
,
MARS. 1764. 21F
tomber le détail de l'établiſſement des
Héros Normands en Sicile ! D'ailleurs
cette circonstance hiſtorique n'eſt pas
généralement préſente à la mémoire.
Quand elle le feroit; la Sicile offre-t-elle
un théâtre affez impoſant pour affecter
fortement en faveur des Perſonnages ?
Toutes ces conſidérations contribuent ,
plus qu'on ne penſe , au degré d'intérêt
dramatique. Cette forte d'intérêt n'a
qu'une ſource idéale ; au lieu que ,
dans la nature , l'action , l'objet frappe
par
par ſoi-même. Dans le Drame , c'eſt à
l'imagination que l'on parle ; c'eſt par
elleque naît la première cauſe du fentiment.
Il faut donc commencer par la
féduire , par lui imprimer une fortede
vénération , prèſque machinale , pour
les objets intéreſſans ; fans quoi les
moyens les mieux concertés n'ont fouvent
que peu d'effet. Tous ces inconvé
niens font d'une difficulté prèſqu'infurmontable
, dans les ſujets de fiction moderne
, ou puiſés dans des Hiftoires particulières.
Il n'en eſt pas de même lorfque
les noms ſeuls , quelquefois même
les Sites de la Scène expofent , & préparent
en même temps à l'émotion du
coeur.
Quelles que foient les diverſes opi
212 MERCURE DE FRANCE.
nions fur le fond conſtitutif de cette
Tragédie , nous n'aurons que des éloges,
ou plutôt une juſtice généralement rendue
, à publier ſur la pureté , l'élégance
& l'agrément du ſtyle. Les Ouvrages
précédens de M. SAURIN , ont ſuffifament
prouvé beaucoup de talent pour la
conftitution du Drame , ainſi que pour
cette forte de Poëfie philoſophique ,
qu'aujourd'hui nous pouvons diſputer
aux Anglois . On a vu de ce même Auteur
des caractères d'une touche ferme
& male , juſques dans les tendreſſes de
l'amour. On retrouve dans ce nouvel
Ouvrage ce qui a caractériſé tous ceux
de l'Auteur. Une verfification qui ne facrifie
point au brillant des mots & des
tours la folidité des choſes,de plus une ef
péce de profondeur morale dans les penfées
, dont les teintes pourroient donner
quelquefois un peu de fombre au coloris
général , mais qui eſt affectueuſement
adoucie dans Blanche par l'expreffion
d'un ſentiment vif & touchant. Tout
Lecteur jufte & éclairé nous aura prévenus
ſur cet éloge , par la ſeule lecture des
vers rapportés dans notre Extrait. En lifant
la Piéce en entier , il ſera plus confirmé
dans ce jugement.
Nous ne pouvons ni ne devons nous
*Spartacus , &c.
MARS. 1764. 213
diſpenſer d'obſerver que l'impreſſion de
cette Tragédie auroit été encore plus
forte au Théâtre , fans le déplacement
des Acteurs dans les rôles de Guifcard
& d'Ofmont. Que l'on nous per
mette , avant de finir , quelques réfléxions
générales à cette occafion , puiſées
dans le voeu général des connoiffeurs.
Indépendamment des rappports d'âge ,
de figure, ou de forme réelle,de celui qui
repréſente,avec la forme idéale du Perſonnage
repréſenté , ( conditions trèseffentielles
pour l'illuſion ) il eſt encore
dans l'art de la repréſentation théâtrale ,
ainſi que dans tous les autres , une certaine
manière propre à chaque Acteur ,
quoique dans le même genre de talens ,
laquelle a plus ou moins d'analogie avec
le caractère donné à chacun des Perſonnages
d'un Drame. C'eſt de la juſteſſe de
ces divers rapports que dépend certainement
la meilleure diſtribution dans
les rôles. Lorſque cette juſteſſe eſt
tant ſoit peu altérée , c'eſt toujours aux
dépens de quelques rôles. Lorſqu'elle
eſt ſenſiblement violée , l'effet en eſt
d'autant plus dangereux pour l'Ouvrage ,
que bien des Spectateurs ne penſent pas
àla véritable cauſe ; & que dans ceux
qui l'ont apperçue , le coup eſt porté
214 MERCURE DE FRANCE.
par le ſentiment.D'où il arrive que le défaut
de convenance dans les rôles , eſt
ſouvent pris pour le défaut de la Piéce
même : ce qui néanmoins ne détruit pas
toujours le mérite du jeu de certains Acteurs
, ni celui des efforts qu'ils font
pour réparer le vice de diſtribution. C'eſt
alors un malheur de plus pour l'Auteur ,
auquel tout eſt ſeul imputé par la Critique.
Il feroit donc d'une néceffité bien
importante , pour la fatisfaction du Public
, pour l'intérêt des Auteurs,& pour
l'honneur des Acteurs , que ces derniers
renonçaſſent à de vaines & puériles
prérogatives d'ancienneté ou d'emploi
pour la prééminence des rôles. Prééminence
ſouvent fi mal entendue ! Le
premier rôle , pour l'Acteur diftingué
par ſa ſupériorité , ſera toujours
celui auquel le caractère de fon
talent & de ſa figure conviendra le
mieux ; ce rôle fût-il le moins étendu
de la Piéce & le dernier dans l'ordre
des conditions ou dans l'ordre de
l'action des Perſonnages. On citeroit
une foule d'exemples , s'il en falloit pour
prouver l'évidence. Que l'on ſe rappelle
ſeulement quel rôle Mlle CLAIRON
avoit fait de celui d'une Eſclave dans
MARS. 1764. 215
le Catilina de CRÉBILLON. Que l'on
voyé aujourd'hui ce qu'eſt devenu le
rôle d'Iphigénie , autrefois le premier
dans la Tragédie de Racine,depuis que
la même Actrice a pris celui d'Eriphile ,
&c , &c. Combien de pareils exemples
fur tous les Théâtres ! Heureux celui
dont les Acteurs auront la courageuſe
raiſon de s'oppoſer eux-mêmes à la déférence
des Auteurs pour les droits de
cette faufſe étiquetté .
M. SAURIN a conſacré ſa reconnoiffance
pour Mlle CLAIRON , non-feulement
dans l'Avertiſſement qui précéde
ſå Piéce , mais encore par les vers qu'il
lui a adreſſés , en lui en envoyant un
Exemplaire.
VERS de M. SAURIN à Mile CLAIRON.
CE DRAME eſt ton triomphe , & fublime Clairon
Blanchedoit à ton art les larmes qu'on luidonne
Et j'obtiens à peine un fleuron ,
Quand tu remportes la couronne.
216 MERCURE DE FRANCE .
PRÉCIS de L'EPREUVE INDISCRETTE
, Comédie en deux Actes &
en vers , par M. BRET .
PERSONNAGES.
ORONTE , riche Négociant ,
ACTEURS.
Père de Damis & de Julie. M. Bonneval.
M.Granger.
M. Dubois.
M. Molé
DAMIS , Fils d'Oronte ,
ARISTE , Ami d'Oronte ,
ERGASTE , Amant de Julie ,
LA FLEUR , Valet de Damis ,
LÉPINE , Valet d'Ergaſte ,
JULIE , Fille d'Oronte & Soeur
deDamis ,
MARINE , Suivante de Julie ,
M.Auger.
M. Préville.
MlleDoligni.
Mile Bellecour .
VOICI l'Avant- Scène . Oronte , père de Damis ,
qui avoit fait une fortune conſidérable en Afrique ,
y eſt retourné , pour éprouver , pendant fon abfence,
laconduite& le caractère de les enfans. En partant,
il avoit laiffé à Damis ſon fils , la difpofition
libre & entière de tous ſes biens : maisil avoit réſervé
une fomnre de cent mille écus , déposée & cachée
dans la Maiſon paternelle. Le ſecret de ce
Tréſor n'avoit eté confié qu'à ſon amiArifte . Damis
a diffipé tout le bien , au préjudice de la ſoeur,
aimée d'Ergaste. Il ne reſte plus que cette Maiſon
paternelle ,
MARS. 1764 . 217
paternelle, qu'il ſe diſpoſe àvendre. C'eſt le moment
où commence l'action de la Comédie.
Marine , fuivante de Julie , reproche aigrement
à Lafleur , valet de Damis, les déſordres de fon
Maître. Elle reproche aufli avec bruſquerie à la
jeune Maîtreſſe , ſa douceur& la docile réſignation .
Ariste, dans le ſecret du Tréſor , achete la Maiſon
qui le renferme ; en obfervant un filence prudent
fur ſes deſſeins ,comme ſur ſes motifs. La fidélité
de ſon amitié eſt ſoupçonnée par tous les Perfonnages
intéreſflés. Il ne peut réſiſter cependant à la
vivacité & à l'amertume des reproches d'Ergastesil
lui confie tout le ſecret,& les diſpoſitions qu'il entend
faire du Tréſor en trois parts. La joie & la
reconnoiſlance d'Ergaſte ſurpaflent encore l'impétouſité
de ſes reproches. Il propoſe à Arifte de ſe
fervir , pour ſeconder ſes vues , d'un valet qu'on
l'a engagé de prendre le matin. Ce valet eſt Lépine.
Les Maîtrelles de Damis l'ont quitté. Leurs
perfidies lui font naître des regrets , & lui ſuggèrent
des remords ſur ſa conduite.
La tendre & naïve Julie interroge en vain ſon
Amant, fur le bonheur qu'il lui annonce. A tous
momens il eſt prêt à violer le ſecret qu'il a juré
àArifte. Sa vivacité l'entraîne , la réflexion l'arrête.
L'amour le follicite , l'honneur de ſa parole & la
raiſon l'enchaînent. Cette Scène , ainſi que les autres
d'Ergaste , jouées par M. MOLÉ , étoient d'un
feu & d'un agrément fingulier. Celle de Lépine
avec Oronte, dont on ignore abſolument le retour ,
n'eſt pas moins ingénieuſe , & le jeu de M. PRÉ-
VILLE la rendoit d'un comique des plus agréables.
Ce Lépine, qui ne connoît point Oronte , qui ne l'a
jamais vu , eſt rencontré par lui , fortant de ſa Maiſon,
& chargé d'une caſlette qui donne de l'inquiétude
à ce vieillard. Rien de plus plaiſant que le
K
218 MERCURE DE FRANCE .
débat de ce valet avec lui . Il en apprend cependant,
par les menaces du Commiſlaire & du Guet,
tout ce qui l'intéreſſe. Arifte & Damis ſurviennent.
Oronte ſe met à l'écart avec Lépine , pour entendre
leur converſation. Les reproches que ſe fait
fon fils , touchent le bon-homme , & déſarment
ſa colère. Il ſe montre , & pardonnne à ce fils
diffipateur. Lépine court apprendre à Ergafte cet
événement. Il vient ainſi que Julie , & le bon
Oronte les unit l'un à l'autre.
REMARQUES SUR L'EPREUVE
INDISCRETTE,
Cette Piéce ayant été peu de temps
au Théâtre & ne nous ayant pas été
communiquée ; nous n'avons pu donner
que le Précis qu'on vient de lire,
L'Auteur y perdra l'honneur des détails
de quelques ſcènes , qui auroient
fait plaifir à la lecture. Il y a de l'efprit
, toujours des moeurs & des prin- .
cipes. Ondoit remarquer principalement
le defir qu'a l'Auteur d'imiter les Anciens
& de nous ramener à leur genre
de Comédie. Ce zéle eſt fans doute
très-louable ; mais ne pourroit- on pas
en certaines occaſions & dans des criſes,
ſi l'on peut dire , ſur le goût, telles que
celles où nous ſommes aujourd'hui
fans manquer de reſpect au Public , le
regarder comme un malade dont la foi-
,
MARS. 1764. 219
bleffe provient de l'uſage immodéré
d'alimens trop légers ou trop piquans ?
Pour le ramener avec ſuccès à une nourriture
plus folide , ne faut-il pas en ménager
d'abord & la force & le poids ?
N'eſt -il pas à propos même de la mafquer
pendant quelque temps de quelque
choſe qui tienne encore du goût forcé
auquel étoit accoutumé le malade , afin
qu'il ne puiſſe raisonnablement reprocher
le trop d'infipidité ? Voilà ce que
n'obſervent pas ceux qui prétendent au
titre de Restaurateurs. Voilà peut-être
ce qu'a trop négligé l'Auteur de
l'Epreuve. Le ſeul précis a dû faire
voir de quelle quantité de faits le ſujet
eſt chargé dans l'étendue des deux
Actes. En forte que l'action ne peut
jamais marcher que toujours embarraſſée
dans de nouvelles expofitions. Le bizarre
projet de l'Epreuve ſeroit peut-être pardonné
à un Perſonnage de l'Antiquité ,
mais il ne peut l'être à Oronte. L'exécution
d'ailleurs ne ſe concilie pas bien
avec nos pratiques & nos formalités
légales. Comment les loix laiſſeroientelles
, de l'aveu même du père , le patrimoine
d'une foeur à la merci d'un
jeune frère mineur ? Le retour imprévu
du père a des éxemples dans les anciens,
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
mais devient toujours forcé dans nos
moeurs. Il pouvoit être probable pour
eux ,parce qu'ils n'avoient pas les voies
de communication que nous avons. En
un mot , nous en revenons à ce principe
, les Anciens font nos maîtres
dans le grand art Dramatique : cet art
eſt une peinture , on ne peut trop les
fuivre dans la manière de conduire le
pinceau. Cependant ce pinceau a nonfeulement
quelques objets différens à
peindre aujourd'hui, mais encore d'autres
huances à mettre dans ceux qui font
reſtés les mêmes. On rifque donc de
ne pas atteindre à la vérité actuelle en
copiant toujours indiſtinctement les
chefs -d'oeuvres de l'Antiquité.
N. B. Les bornesde ce Volume étant déja excédées
, nous ſommes obligés , avec regret, de remettre
au Volume prochain l'Extrait de la Veuve,
Comédie de M. COLLE , annoncée dans l'Article
de la Littérature, ainſi que celui du Roffignol, Drame
du même Auteur , mais d'un genre different.
Quoique cesOuvrages n'ayent pas été repréſentés
ſur un Théâtre public , nous croyons que ce ſera
toujours enrichir notre Article des Spectacles que
d'y inférer les productions de l'Auteur de Dupuis
&Defronais .
MARS. 1764 . 225
Le Songe.
ÉPITRE à Madame D ** M*** .
VERS à Madame D***.
44
45
47
48
49
60
62
VERS à Mile Mazarelli , Auteur d'un Eloge
de Sully.
SUITE des Lettrés d'unjeune homme.
ODE . De Pace & Ludovici Quinti laudibus.
TRADUCTION de la même Ode ,
COUPLET préſenté à Madame la Marquise
de S. F. & c.
ÉNIGMES.
LOGOGRYPHES .
CHANSON.
65
66 & 67
68 & 69
71
ART. II . NOUVELLES LITTÉRAIRES .
SUITE de la Diſſertation hiſtorique & critiqueſur
la Vie de Don Ifaac Abarbanél ,
JuifPortugais ; par M. de Boify.
LETTRE de M. le Brun, Secrétaire des Commandemens
de S. A. S. Mgr le Prince de
Conty , à M. De la Place.
ÉCOLE de Littérature , tirée des meilleurs
Écrivains.
72
96
LA VEUVE , Comédie en un Acte & en Proſe
, par l'Auteur de Dupuis & des Ronais.
SUPPLÉMENT aux Piéces Fugitives .
VERS à Mde de B...
CAMPAGNE du Marquis de Créqui en Lorraine
& en Alface , en 1677 ; rédigée par
M. Carlet de la Roziere .
BIBLIOTHEQUE choiſie de Médecine , par
M. Planque , Docteur en Médecine.
104
IlF
116
120
121
ANNONCES de Livres. 129 & fuiv .
226 MERCURE DE FRANCE.
ART. III . SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADÉMIES.
SUJETS propoſés par l'Académie Royale des
Sciences & Beaux-Arts établie à PAU. 144
PRIX propoſés par la Société Royale d'Agriculture
de la Généralité de PARIS. 148
MÉDECINE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure de France ,
fur la Goute , & c . 150
Eaux filtrées . 154
ART . IV . BEAUX - ARTS .
ARTS UTLIES.
PRIX propoſé par l'Académie Royale de
CHIRURGIE
CHIRURGIE Pour l'Année 1765. 158
LETTRE de M. Dejean , Maître en Chirurgie
de Paris , en réponſe à celle de M. Flurant. 161
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE. 163
GRAVURE 164
SUPPLÉMENT à l'Article des Sciences.
GEOGRAPHIE. 164
ART. V. SPECTACLES.
SUITE des Spectacles de la Cour à Versailles. 165
SPECTACLES de Paris .Opéra . 169
COMÉDIE Françoiſe. 172
COMÉDIE Italienne. 221
SUPPLÉMENT aux Beaux-Arts .
PEINTURE . ibid.
MARIAGE. 222
SUPPLÉMENT à l'Article de l'Opéra . ibid.
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue& vis-à- vis la Comédie Françoiſe.
(1)
DICTION N AIRE RAISONNÉ UNIVERSEL
D'HISTOIRE NATURELLE ; contenant l'Histoire des
Animaux , des Végétaux & des Minéraux , & celle
des Corps célestes , des Météores , & des autres principaux
Phénomenes de la Nature ; avec l'Histoire &
la description des Drogues fimples tirées des trois
Regnes , & le détail de leurs usage dans la Médecine ,
dans l'Économie domestique & champêtre , & dans les
Arts & Métiers. Par M. VALMONT DE BOMARE ,
Démonstrateur d'Histoire Naturelle ; Honoraire de la
Société Economique de Berne ; Aſſocié de l'Académie
Royale des Sciences , Belles Lettres & Arts de Rouen;
Correspondantde la Société Royale des Sciences de
Montpellier ,Affſocié de l'Académie Royale des Belles
Lettres de Caen ; Membre de la Société Littéraire de
Clermont- Ferrand. s Volumes in 8° . A Paris , chez
DIDOT , le Jeune , Quai des Augustins ; MUSIER
Fils , Quai des Augustins ; DE HANSY , Pont au-
Change ; PANCKOUCKE , rue & près de la Comédie
Françoife. M. DCC. LXIV. AvecApprobation ,
Privilege du Roi.
AVIS DES LIBRAIRES .
,
Le goût & l'étude de l'Hiſtoire Naturelle ont fait des
progrès très conſidérables depuis le commencement de
ce Siecle C'eſt depuis cette époque , que les efforts réunis
des Académies & des Sociétés Savantes , que les travaux
des Juſſieu , des Réaumur , des Duhamel , des Buffon ,
des Linnæus , & de tant d'autres illuſtres Naturaliſtes
ont produit les plus belles découvertes , & les Obfervations
les plus importantes ſur les trois Regnes des Animaux
, des Végétaux & des Minéraux.
Depuis ce même tems , la Chymie & la Phyſique ſe
font beaucoup perfectionnées entre les mains de plufieurs
Savans célebres , dont les découvertes ont dû né-
Eeſſairement jetter un grand jour ſur l'Hiſtoire Naturelle ,
(2)
puiſque la premiere de ces deux Sciences s'occupe unia
quement de l'analyſe des corps ; & que l'autre n'a d'autre
but que l'étude des Phénomenes de la Nature .
On a auffi beaucoup écrit , depuis quelques années ,
fur l'Agriculture , ſur l'Economie rurale , ſur les Manufactures
; & les Ouvrages des Savans qui ſe ſont appliqués
à ces matieres , nous ont enſeigné l'emploi que
l'Art doit faire des préſens qu'il reçoit de la Nature. En
forte qu'aujourd'hui il n'y a aucune branche de l'Hiftoire
Naturelle , ni aucun des objets qui y ſont relatifs , fur
leſquels nous n'ayions un ou pluſieurs Traités , ou au
moins quelques Diſſertations ou Mémoires Académiques.
Tant de richeſſes , éparſes & répandues dans une infinité
de Volumes , ſembloient attendre qu'une main
exercée à ce genre de travail les réunît & les rapprochât ,
pour en former un Enſemble & un Corps complet d'Hif
toire Naturelle .
M. Valmont de Bomare , connu par les Cours publics
qu'il fait à Paris ſur cette Science depuis plufieurs
années , a entrepris ce travail , & il en a formé
le Dictionnaireraisonné univerſel d'Histoire Naturelle ,
que l'on préſente aujourd'hui au Public.
L'Auteur s'est déterminé pour l'ordre alphabétique ,
parcequ'il eſt le plus commode pour chercher & trouver
facilement les matieres fur leſquelles on veut travailler
. D'ailleurs , ce plan ſe rapproche de celui de la
Nature , dont toutes les productions ſont mêlées ſans
confufion , &dont la richeffe & la fécondité éclattent
davantage , par le contraſte même qu'elle a mis entre
ſes divers Ouvrages.
Cependant , pour donner à ſon travail autant de corps
& de liaiſon qu'il étoit poſſible , l'Auteur a eu recours
à deux moyens. L'un a été de traiter , dans chaque article,
tous les objets qui peuvent avoir rapport à l'objet
principal . L'autre de faire beaucoup d'articles généraux ,
qui font autant de points de réunion , d'où le Lecteur
peut obſerver l'analogie des genres & des eſpeces , &
faifir la chaîne des rapports qui lient les différentes
branches de chaque Regne de l'Hiſtoire Naturelle.
L'Auteur , perfuadé qu'il ne ſuffit pas de faire connoi
(3)
tre les objets par leur extérieur , s'eſt attaché àdécrire ,
dans le détail convenable , leurs uſages & leurs propriétés
Economiques , Phyſiques , Techniques & Medicinales.
On trouvera par-tout dans cet Ouvrage des preuves
de cette méthode . L'Amateur veut - il , par exemple ,
avoir une idée générale du tout enſemble ? il n'a qu'à
confulter l'article Hiſtoire Naturelle ; il y verra la difpoſition
du Cabinet le plus riche , & les grandes diviſions
des trois Regnes de la Nature. Defire-t- il enſuite
plus de détail ? il lui eſt facile de recourir aux articles
particuliers indiqués. Chaque Regne eſt ainſi annoncé
par un diſcours qui en fait connoître les caracteres prin,
cipaux& les dépendances relatives .
,
,
Conformément à ce plan , l'article Animal préſente
les traits généraux des Etres compris dans le Regne animal.
L'article de l'Homme fait connoître les variétés de
fon eſpece . Quadrupedes , Oiseaux , Poiſſons , Coquillages,
Infectes , Polypes , &c . offrent de même les formes
diſtinctives que la Nature leur a données. On trouve
les mêmes détails , pour ce qui concerne les Végétaux
dans les articles généraux Plantes , Arbres , Bois
Fleurs , &c .; & pour ce qui regarde les Minéraux
dans les articles Terre , Mines , Eaux , Mer , Pierres
, &c. A l'égard des articles qui traitent d'un objet
en particulier , on a eu l'attention d'y raſſembler , ſous
un ſeul point de vue , tout ce qui en forme & termine
le Tableau : c'eſt ainſi qu'à l'article Abeilles , on place
tout-de- ſuite , après l'hiſtoire de ces Mouches induftrieuſes
, les mots Eſſaim , Alvéole , Propolis , Miel ,
Cire , &c . On a ſuivi cette méthode dans toutes les matieres
qui en ſont ſuſceptibles .
Le Tableau univerſel de l'Hiſtoire Naturelle eft complété
dans cet Ouvrage , par le rang qu'y occupent les
Corps célestes , les Météores , les Révolutions de notre
Globe , celles de la Mer , les Tremblemens de terre ,
les Vents , les Volcans , les propriétés des Elémens , &c .
On peut voir , plus au long , dans l'Avertiſſement qui
eſt à la tête de ce Dictionnaire , le plan que l'Auteur s'eſt
propoſé de remplir ; mais l'efquiffe qu'on en donne ici ,
pourra ſuffire pour faire connoître que cet Ouvrage eſt
(4)
bien différent , par ſon importance & par ſon étendue
de ceux du même genre qui ont paru juſqu'à préſent.
Cette Collection pourra ſervir de guide à l'Amateur
qui veut étudier l'Hiſtoire Naturelle , ou ſe former un
Cabinet: elle ſera utile à ceux qui exercent des profeſſions
relatives à la Médecine , ainſi qu'aux Phyſiciens , aux
Artiſtes , aux Cultivateurs , aux Commerçans , à l'Homme
du monde , & aux perſonnes de l'un & l'autre ſexe
qui reçoivent une éducation ſoignée.
Il n'étoit pas poſſible d'exécuter un pareil travail
fans multiplier les Volumes ; & par cette raiſon , on
avoit d'abord penſé à le propoſer par ſouſcription , & à
Pimprimer in - 4 ° . Mais pour mettre le Public a portée
d'en jouir plus promptement , & aufſi dans la vue d'en
diminuer le prix , & d'en rendre l'acquiſition plus facile ,
fur-tout aux jeunes gens , on s'eſt déterminé de l'imprimer
du même format & du même caractere que le préfent
Avis. Par ce moyen , on eſt parvenu à réduire tour
l'Ouvrage à cinq Volumes d'environ 650 pages chacun.
De l'Imprimerie DE DIDOT.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le