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1763, 03
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MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
MARS. 1763 .
Diverfité , c'est ma devife, La Fontaine.
Ceshin
Filius inv.
Papillon Sculpe
A PARIS ,
CCHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à-vis la Comédie Françoiſe .
Chez PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais .
Avec Approbation & Privilége du Roi.
BIBLIOTHECA
REGLA
MONACENSIS.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis:
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch à côté du
Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer ,
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie litté
raire , à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piece.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir , ou qui prendront les frais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
parvolum. c'est-à-dire 24 livres d'avance,
en s'abonnant pour feize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ÿ
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure , écriront à l'adreſſe cideffus.
On Supplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affran
chis , refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à an- .
noncer, d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pieces tirees
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année. Il y en a juf
qu'à préfent quatre - vingt -huit volumes
. Une Table générale , rangée par
ordre des Matières , fe trouve à la fin du
foixante- douxième .
MERCURE
DE ERANCE.
MAR S. 1763 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L'HY VER ,
POEM E.
Des froides régions du Pole ES
Déchaîné contre nos climats
Le plus fier des enfans d'Eole-
Livre déja d'affreux combats
Dans nos champs d'où Zéphir s'envole ,
Et dans nos jardins fans appas ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE,
Où fur un trône de frimats
Régne l'hyver qui les défoles
Bientôt en proie à la rigueur
De l'ennemi qui la menace ,
La Nature dans la douleur
Préſſent la prochaine diſgrace ,
Armé de neiges & de glaces ,
.Il fond fur elle avec fureur :
Il en triomphe avec audace :
Elle tombe fous fon vainqueur ;
Et par ce tyran deſtructeur
Voit de fa beauté qui s'éfface
S'éteindre l'éclat enchanteur.
De fon ancienne fplendeur
*** Je ne découvre aucune trace ;
Ce n'eft plus qu'une informe maffe
Prèfque fans vie & fans couleur.
De leur richeffe & de leur grace ,
Tous les Arbres . font dépouillés.
Plus de Parterres émaillés ;
Il n'en eft resté que la place.
Le fommet de ces buiffons verds
Ne fe couronne plus de roſes:
Le doux parfum des fleurs éclofes
Ne s'éxhale plus dans les airs.
Ces Vergers que chargeoit Pomone ,
De tous les trésors de l'Automne ,
Ont perdu leurs charmes divers.
Ces côteaux de vignes couverts ,
"
MARS. 1763.
Ces belles & riches contrées
Où flottoient les moiffons dorées>>
Se changent en d'affreux déferts.
Dès oifeaux au fond des bocages , '
Nous n'entendons plus les ramages :
Ils ont oublié leurs concerts ,
Depuis que ces lieux font fauvages.
Des ruiffeaux qui fur ces rivages
Sembloient & fi purs & fi clairs ,
On ne voit plus couler les ondes ;
Au fond de leurs grottes profondes
Les Nayades font dans les fers.
Toi- même , Aréthufe , en ta fuite , "
Je te vois tremblante , interdite :
Les glaces enchaînent ton cours;
Alphée , ardent à ta pourſuite,,
De cet avantage profite ;
Il femble abréger fes détours ;
A gros bouillons il précipite
Ses flots poufflés par les amours.
Mais près d'atteindre fon Amante ,
Et fur le point de la faifir ,
Le fort va tromper fon attente :
Son bonheur va s'évanouir.
Tout-à-coup fa marche eft plus lente :
Il fent fon onde s'épaiſſir :
Ses Flots durciffent : il s'arrête
Et perd l'efpoir de fa conquête
Au moment même d'en jouir.
A iv
80 MERCURE DE FRANCE .
Bergers ; qui tantôt fous ces hêtres
Faifiez de vos chanſons champêtres
Retentir au loin les échos ,
Vous ne venez plus dans ces plaines ,
Suivant des routes incertaines ,
Conduire à l'écart vos troupeaux ;
Et du pied de ces arbriſſeaux
Où vous fouliez l'herbe nouvelle
Qui n'aît fur le bord des ruiffeaux ,
Tandis que votre chien fidéle ,
Infatigable fentinelle ,
Jeignoit à vos foins ſes travaux
Le fon perçant de vos pipeaux
>
Ne s'étend plus dans les campagnes ;
Par des airs & des chants nouveaux
Et des vallons & des montagnes
Vous n'égayez plus le repos.
Nous ne voyons plus ces Bergères
Auffi douces que leurs
agneaux ,
Aux accens de vos chalumeaux ,
Sur la furface des bruyeres®
Imprimant leur traces légères ,
Danfer à l'ombre des ormeaux.
Du fein des champêtres afyles ,
Un Peuple d'habitans nouveaux
Repaffe au milieu de nos Villes ,
Laiffant fes Parcs & fes châteaux.
Failons comme eux , belle Délie
MARS. 1763.
Quittons les bois & les hameaux ,
Quittons la campagne flétrie ,
Et revenons dans la Cité
Chercher cette fociété
Que des champs l'hyvex a bannie. "
Entrons dans ces cercles brillans
Et dans ces falles décorées ,
Par cent flambeaux moins éclairées
Que par l'éclat des diamans
Dont les femmes fe font parées.
Olons à leurs caquets bruyans
Mêler nos voix plus modérées :
Tenons mille propos plaifans :
Rions tout bas des fimagrées
Des airs fadement importans ,
Er des manières bigarrées
De tous ces êtres différens
Des coquettes , des mijaurées ,
Des petits- maîtres fémillans ,
Des hommes à petits talens ,
De leurs protectrices titrées ,
De leurs protecteurs ignorans,
On apporté la table verte ,
Délie , armons-nous d'un fizain :
Jouons , & fans plaindre la perte ,
Et fans nous applaudir du gain.
;
Mais l'ennui commence à nous prendre ?
Fuyons ces lieux allons nous rendre
"
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Au Temple du Dieu des Accords:
Quels fons flatteurs s'y font entendre !
Dans le langage le plus tendre
L'Amour exprime les tranſports .
Quelle touchante mélodie !
Au goût vanté de l'Aufonie ,
L'Art François unit les efforts ,
Et la Nymphe de l'harmonie
Se pare de tous les trésors .
La jeune & fouple Terpsichore
S'avançant d'un pas gracieux , ..
A tant de pompe ajoute encore
L'appareil brillant de ſes jeux .
Mais que vois-je ? Du haut des nuės ,
Au milieu des airs fufpendues ,
Les Dieux deſcendent fur des chars
Et quittant les Royaumes fombres ,
Les Eumenides & les Ombres
Viennent éffrayer mes regards.
A cette illufion étrange ,
Tandis que je livre mes yeux ,
D'un coup de fifflet tout fe change y
It je me trouve en d'autres lieux.
Où font ces rians payſages ,
Ces jardins fi beaux , ces ombrages .
·
Formés par des berceaux épais ?
Je vois la mer & fes rivages ,
Des rochers couverts de naufrages ,
Remplacer ces bords pleins d'attraits.
Que dis-je ? A ces horribles plages
MAR S. 1763. 11:
Succède un portique , un palais 3
Et quand j'admire ces ouvrages ,
Tout-à-coup des refforts fecrets ,
Au lieu de ces pompeux objets ,
M'offrent de lugubres images ;
Un tombeau bordé de cyprès ,
Un Autel qui s'éleve auprès ,
A l'ombre de ces noirs feuillages ; .
Et dont la Mort garde l'accès.›
De ce Spectacle magnifique ,
Eh bien , fommes- nous fatisfaits !
Les vers , la danſe , la mufique ,
Et cet affemblage magique
De tant de merveilleux effets
"
Ont fans doute , en notre âme éprife
D'une aimable & vive furpriſe-
Produit le doux faifiſſement : :
Mais tandis que l'aſpect frappant
De cette pompe enchantereffe ,.
Dans mes efprits porte fans ceffe :
Le charme du raviffement ,
Et plonge mes fens dans l'yvreffe ,
Au milieu de tant de richeſſe ,,
Lé coeur eft dans le dénûments :
He ne voit rien qui l'intéreſſe ,,
Qui flatte fa délicateffe ,'
>
Qui lui fourniffe un fentiments " .
Oui,même quand le tien palpire 5 ,
Quand il pouffe un fréquent foupit 5 ,
Asvj
12 MERCURE DE FRANCE.
Charmante Arnoult , à m'attendrir
C'eſt en vain que ta voix m'invite.
Tu fais étonner & ravir :
De tes fons j'admire les charmes ;
Mais c'eft fans répandre des larmes ,
Que tu me vois leur applaudir .
Demain nous pleurerons , Délie ,
Nous pleurerons avec Clairon :
L'Art , la Nature , le Génie
Ont monté la voix fur leur ton ,
Et mis dans fon expreffion
L'âme , la force , l'énergie ,
Tout le feu de la paſſion .
Zelmire , par elle embellie ,
Fera paffer jufqu'en nos coeurs
Le fentiment de fes douleurs.
Ou toi , Dumesnil , d'Athalie
Tu feras parler les fureurs ,
L'ambition , la rage impie :
Tu rempliras mes fens d'horreurs.
En déteftant ta barbarie ,
Je gémirai fur les malheurs
De la victime pourſuivie
Pár tes facrilèges noirceurs.
De Jofabet , d'éffroi ſaiſie ,
Je partagerai les terreurs :
Comme elle allarmé fur la vie ,
Du feul eſpoir de ſa patrie ,
MARS. 1763. 13
Je joindrai mes pleurs à fes pleurs.
Du théâtre volons à table ;
Que la joie y
vole avec nous ;
Qu'elle répande un charme aimable
Sur ce qui doit flatter nos goûts.
Eh ! qu'eft- ce que la bonne chère
Que n'anime point la gaité?
Un plaifir qui n'eft point gouté ,
L'ennui dreffant fon fanctuaire
Sur celui de la volupté.
Viens donc , viens , charmante Déeſſe
Viens avec les Ris & les jeux
Dont la troupe te fuit fans ceffe.
Ecarte , bannis de ces lieux
Le filence, le férieux ,
Ces noirs fignaux de la triſteſſe :
Qu'ils faffent place à l'allégreffe .
Viens à ces apprêts faftueux ,
De l'art aidé de la richeſſe ,
Joindre encore tes tranſports heureux !
Sans ta puiffance favorable ,
Sans toi ce fouper fomptueux
Ne feroit que délicieux :
Fais plus ; fais qu'il foit agréable;
Viens le rendre voluptueux .
De toutes parts le nectar coule,
Et l'on s'en abbreuve à longs traits
Dans le vin pétillant & frais
1

144 MERCURE DE FRANCE..
Les plaiſirs furnagent en foule.
Parmi les flots de ta liqueur ,
Ils s'élancent de la bouteille :
Dieu des Buveurs , Dieu de la treille ,
Ils embelliffent ta couleur.
Je vois cette troupe légère ·
Au gré d'une folâtre ardeur
Se trémouffer dans la fougère ; :
Je les fens en vuidant mon vèrre ·
Deſcendre avec toi dans mon coeur
Mais déja la nuit avancée
A fait les deux tiers de fon tour:
Bientôt à fon ombre éclipſée
Succédera le point- du-jour.
Le Peuple après un fommeil court :
Entr'ouvrant déja la paupière ,
S'apprête à revoir la lumière -
Dès qu'elle fera de retour.
Dans cette alcove folitaire
Conduis avec moi , Dieu d'Amour ,
Celle qui reflemble à ta mère ,
Qui fait l'ornement de ta cour ,
Et qu'à mon coeur to rends fi chère.
Guidés par ce Dieu tutélaire ,.
Retirons-nous fous ces rideaux ;
Que fon flambeau feul nous éclaire :
Sur ce lit couvert de pavots
Je crois voir l'Autel de Cythère..
MARS. 1763. IS
Délie , à mes tranſports nouveaux-
Ofe te livrer toute entiere ; :
En confommant l'heureux mystère ,
Tombons dans les bras du repos.
Par un nouveau Venu au Parnaſſe.
LETTRE de Mlle *** à Madame...
fur l'ÉMILE de M. ROUSSEAU ..
VOUS
17628
me demandez ,, Madame
quels font mes amuſemens à la campagne
? vous pouvez vous les imaginer
fans peine , la promenade , la chaffe , la
pêche , le jeu , la table , & puis le jeu
encore , car cet éternel jeu ne finit jamais
; un peu de lecture , quelques réflexions
bonnes bonnes ou mauvaiſes ;
voilà ce qui nous occupe , non pas
fans regretter Paris : car j'aime le Spec--
tacle , il n'y en a point ici : je chéris
la liberté , on en connoît ici que le
nom : on vous l'ôte a force de fe van--
ter qu'on vous la donne. Je conviens .
qu'on a partout des devoirs de fociété
à obferver , mais ils font plus gênans
à la campagne . Si le coeur étoit.
de la partie ; fi le dévoir devenoit un
16 MERCURE DE FRANCE.
goût , il feroit plus facile à remplir.
Mais on fe voit de trop près pour ne
fe point connoître ; & il eft difficile
de s'aimer , quand on fe connoît fi
bien. Pour me fauver de la néceffité de
jouer , je fuppofe quelquefois que j'ai
des brochures à lire qu'il me faut renvoyer
à Paris , & je dis fouvent la
vérité. Je n'ai eu que quatre jours le
livre d'Emile , & vous m'avouerez que
ce n'eft pas affez .Jel'ai cependant lû tout
entier, excepté une bonne partie de la pro
feffion de foi duVicaireSavoyard.M.Rouf
feau écrit trop bien , pour qu'on puiffe
fe refufer à l'envie & au plaifir de le
lire. J'ai reconnu dans fon Emile , l'aureur
de la nouvelle Heloïfe ; mais je
ne reconnois plus l'Auteur des difcours
contre les Sciences , & fur l'égalité des
conditions , ni même de la lettre contre
les Spectacles. On pardonnoit à M.
Rouffeau , un peu de mifantropie en
faveur de la pureté de fa morale . Il
nous difoit quelquefois des vérités un
peu trop dures ; mais il les difoit avec
l'énergie qu'elles infpirent. Si la vérité
ne plaît pas toujours , elle a du moins
le droit de convaincre. M. Rouffeau
ſe plaint de nos moeurs , il a raiſon . Je
crains bien que leur maligne influence
MARS. 1763. 17
n'ait aniolli les fiennes. Ce Philofophe
févère a déridé fon front. Dans fon
Emile il difcute des matières qui ne
me paroiffent guères propre à l'éducation
d'un jeune homme . Et je crois
qu'en pareil cas les leçons intéreffent
plus le maître que l'écolier. Peut- être ,
Madame , allez -vous me taxer d'ingratitude
envers M. Rouffeau ; vous me
repréſenterez que je lui dois avec mon
fexe beaucoup de reconnoiffance , de
tout le bien qu'il en dit , de ce qu'il
daigne même en parler , foit en bien
foit en mal. Mais je ne crois pas qu'il
fe faffe pour cela beaucoup de violence.
Il aime trop les femmes pour n'y pas
penfer , & pour n'en pas parler plus
qu'il ne voudroit. On m'avoit déja
prévenue qu'il nous exaltoit beaucoup
dans fon dernier ouvrage : je n'en
puis difconvenir. Mais nous ne devons
pas , ce me femble , en tirer beaucoup
de vanité. Il a eu foin d'effacer par le
trait le plus humiliant , tout le plaifir
que cela pouvoit nous faire. Il veut
qu'une femme foit femme , & rien de
plus. Si la comparaiſon eft permiſe
Joferai représenter à M. Rouſſeau ,
qu'un homme élevé comme tout homme
l'eft felon ſon état , eft bien plus
18 MERCURE DE FRANCE.
au- deffus de fon Etre , qu'un femme.
Cependant fouvent vous le voyez qui
non content de l'éducations qu'on lui
donne , veut franchir les bornes qu'elle
lui prefcrit. Son genie tranſcendant veut
être créateur. Il ajoute aux Arts & aux
Sciences , qu'il pofféde , & veut en
produire de nouvelles . S'il s'abîme dans
dans la fpéculation , il veut lire jufques
dans l'avenir ; il interroge les aftres ,
il mefure leur étendue , leur distance ,
il prédit les révolutions qui doivent
leur arriver ; il fait plus , il veut comprendre
celui qui les a créés. Tandis
qu'il n'eft point de limites pour fon
efprit curieux , qu'il veut pénétrer ce
qui eft impénétrable , & percer le voile
que la Providence a mis fur fes décrets ;
enfin tandis qu'il s'éleve juſqu'à la Divinité
même , il ne fera pas permis à
une femme de s'élever feulement jufqu'à
l'homme , en defirant la moindre partie
de l'éducation qu'on lui donne !
Seroit- ce en l'imitant qu'on fe rendroit
indigne de lui ? je conviens qu'il faut
que chacun refte dans fa fphère ; mais
celle d'une femme eft bien étroite , &
il eft naturel de chercher à fortir de
fa prifon. Je conviens qu'il y a des devoirs
d'état à remplir ; que ceux d'une
MARS. 1763. 19
femme font éffentiels , & qu'elle doit les
préférer à toute autre occupation. Mais
enfin toutes les femmes n'ont pas
dirai-je,le bonheur ? ..le mot feroit peutêtre
hazardé : toutes les femmes , dis -je ,
Ine font pas mères; ainfi elles ne peuvent
pas toutes être entourées de hardes d'En--
fans. Que celles qui n'ont pas ce glorieux
avantage, ayent la liberté du moins
d'être entourées de brochures ; il leur ref
tera encore affez de temps pour cultiver
leurs charmes , & pour plaire même
à M. Rouleau. Mais me dira-t- il ,
elles
auront le titre de bel-efprit , & toutefille
bel- efprit , reflera fille , tant qu'ily aura
des hommes fenfes fur la terre ? Heureufement
, qu'ils ne le font pas tous , &
les Demoiſelles beaux-efprits, ne trou--
veront que trop à qui s'allier . Mais fi
elles ne trouvoient pas. ( Le Ciel nous.
offre quelquefois des Phénomènes , la
terre pourroit en offrir à fan tour , ) fi
les hommes alloient devenir raiſonna--
bles ? Eh bien , elles auroient toujours
le tire de bel efprit , & à peu de frais ,
s'il faut feulement pour l'acquérir être
entourées de brochures . Si elles font for
cées de garder le célibat : cet état peut
avoir fes douceurs ; & quoiqu'en dife
M. Diderot , dans fon Père de Famille,,
1
20 MERCURE DE FRANCE.
il ne prépare pas toujours des regrets. La
liberté qu'il laiffe , peut dédommager du
ridicule attaché au bel - efprit . Mais M.
Rouſſeau me paroît trop généreux , de
rejetter ce ridicule fur nous feules : nous
fommes trop juftes pour le recevoir
entierement ; & nous nous contentons
d'en accepter au plus la moité : car
fi l'on compte au Parnaffe neuf Mufes
pour un Apollon , à peine peut-on compter
ici-bas , une mufe pour un bien plus
grand nombre d'Apollons ; & malgré
leur rareté , M. Rouffeau femble douter
encore de leur propre éxiſtence !
Je lui pardonne de nous avoir menacées
de ne point trouver d'époux ce font
de ces malheurs qu'on peut fupporter;
d'ailleurs , l'effet ne fuit pas toujours la
menace. Je lui pardonne auffi de nous
accufer de n'avoir point de génie ; nous
nous contentons de l'efprit , puifqu'il
veut bien nous le laiffer. Mais je ne
lui pardonne point d'ofer affurer , que
toute femme qui écrit a quelqu'un
qui lui conduit la main. Il ne nous
laiffe pas même la gloire de faire du
mauvais. Je ne fçai ; mais il me femble
qu'un Auteur eft trop amoureux de
fes ouvrages , pour les donner ainfi gra
tuitement. Il auroit pourtant dû nom-
?
MARS. 1763. 21
mer les plumes élégantes qui ont bien
voulu facrifier leur gloire à celles des
Sévignés , des la Suze , & des autres
Dames illuftres du dernier fiécle.
A l'égard des modernes qui ont quelque
réputation , M. Rouffeau auroit
pû les prier de fe laiffer enfermer ſeulement
vingt-quatre heures , avec de l'encre
& du papier , & par ce qu'elles auroient
produit , il auroit jugé de leurs
talens. Vous me direz , fans doute ,
Madame , qu'on peur douter de bien
des chofes , lorfqu'on doute de la révélation
: mais tout ce que M. Rouſſeau
dira contre notre Religion , ne lui portera
aucune atteinte. Qu'il prenne le
ton férieux , où le ton ironique , fes
raiſonnemens ne pourront l'ébranler ;
la Religion fe foutient d'elle-même , &
trouve un défenfeur dans chaque confcience
. Mais nous, qui ofera nous défendre
, quand M. Rouffeau nous attaque ?
Il faut donc fe taire , car je n'ai déjà
peut- être que trop parlé. Permettez -moi
feulement, de vous affurer de la vive
fincérité des fentimens avec lesquels
J'ai l'honneur d'être , & c.
*
22 MERCURE DE FRANCE.
COUPLETS , à l'occafion d'un Ballet
des ELEMENS , à une Salamandre.
UN
AIR: Quoi , vous partez.
N feu léger éblouit & s'échappe ,
Un feu brulant détruit ce qu'il atteint;
Un feu plus doux en vous voyant nous frape,
L'Amour l'allume & jamais ne l'éteint.
Même on prétend que le fripon , ſous cape
Rit comme vous de celui qui s'en plaint,
A une autre Salamandre , fur tous
les Élémens.
A1R: Partout où régne le chagrin.
L'Amour , ce Roi de l'Univers ,
Ce Dieu dont vous êtes l'image ,
De tous les Elémeus divers
Reçoit le tribut & l'hommage.
De Vénus l'élément natal ,
Les eaux à l'Amour font bien chères ;
Auffi de leur brillant criftal
Il fit le miroir des Bergères.
Quand il vole comme un éclair
14
MARS.
23 :
Sur les pas fugitifs des Belles ,
La main des habitans de l'air
Soutient & parfume fes aîles .
La Tèrre fleurit fous fes pas ,
Et lui prépare au fein des fêtes
Des lits de fleurs pour les combats
De jennes coeurs pour les conquêtes.
Mais immortel comme les Dieux ,
Il doit cette gloire à ſa flamme.
L'Elément qui brille à vos yeux ,
Eft de l'Amour la vie & l'âme.
ON
EPIGRAMME.
N vantoit l'autre jour le grand fçavoir d'Argant
:
Seul il valoit toute une Académie ;
Seul il eût fait une Encyclopédie ;
Salomon près de lui n'eût été qu'une enfant.
Lors , me tournant vers la jeune Iſabelle :
Pour moi , de rien fçavoir ne puis venir à bout ;
Hors vous aimer. Ah ! s'il eft vrai , dit-elle ,
Mon cher ami , vous fçavez tout.
Par M. SAUTREAU.
24 MERCURE DE FRANCE .
VERS fur le mariage de Mlle DE
DROMESNIL , avec M. le
Marquis DE BELSUNCE.
Par M. TANEVOT.
vous couronner de
ALLEZ ,
Hymen ,
gloire ,
Allez jouir d'une double victoire ,
Et , dans un champ fertile en Myrthes ,
riers ,
Unir encor les Grâces aux Guerriers.
Ainfi les guirlandes d'Armide
en Laus
Enchaînoient de Renaud le courege intrépide;
Des feux plus purs , chaftes Epoux ,
Vous préfagent un fort plus doux.
Aimable Dromefnil , d'une Soeur fortunée ,
Goûtez la même deſtinée ;
L'on vous verra briller autant :
Telle , dans les Jardins de Flore >
Une Rofe qui vient d'éclore ,
D'une autre auffi vermeille eft fuivie à l'inftanti
S des trois Déeffes rivales ,
Quelqu'une avoit eu vos appas ,
Sur ce Mont * fameux , leurs débats ,
* Le Mont Ida.
De
MARS. 1763. 25
De tant de maux , ſources fatales ,
N'auroient pas occupé beaucoup
Ce beau Berger que l'on renomme:
La Diſcorde eût manqué fon coup,
On n'eût point diſputé la Pomme.
BELSUNCE , armé de tous les traits
Que l'on forge à Paphos , fubjugue vos attraits .
Tout applaudit dans cette fête ,
A fon bonheur , à la conquête.
Nouveau triomphe des Amours ,
Non des zéphirs , volages dans leurs cours.
*
O vous , donc , Nymphe enchantereſſe ,
Allez aux pieds d'une augufte Princeſſe ,
Cultiver des Vertus dont l'agréable odeur
Parfume votre jeune coeur :
C'est l'hommage qu'Elle defire ,
Et tout l'Encens qu'Elle refpire..
ENVOL.
Pardonnez à ces vers de trop peu de valeur ;
( Ma Mufe à chaque pas chancelle ; ).
S'ils font dépourvus de chaleur ,
C'est d'un feu qui s'éteint la derniere étincelle.
* En qualité de Dame de MADAME,
B
26 [ MERCURE DE FRANCE .
L'AMOUR ET L'HYMEN
RÉCONCILIÉS ,
L
CONTE EPITHALAMIQUE.
E Dieu de la tendreffe perdoit infenfiblementfon
empire fur les humains .
Il ne les conduifoit plus aux Autels de
l'Hymen. Depuis longtemps ils ne le
confultoient plus , pour former ces rapides
engagemens , que fouvent un même
jour voit naître & finir,
L'Amour s'en confoloit.. Il régnoit tou
jours fur les coeurs fans éxpérience. Quand
de la premiere jeuneffe on paffe à l'âge
des defirs , on aime à fe livrer aux douces
inquiétudes du Dieu des coeurs , On
ne voit , on n'entend que par lui . On
n'exprime que ce qu'il infpire ; & ce
qu'il infpire eft le fentiment de la Volupté
même.
Le goût des frivolités lui arracha ce
refte de puiffance : Azor , l'aimable
Azor , dont le coeur étoit fait pour toutes
les vertus , ofa former des defirs ;
& ils n'étoient pas ceux de l'Amour . IĮ
dit à toutes les jolies femmes qui s'ofMARS.
1763. 27
frirent à fes regards , qu'il les adoroit ;
& il le leur juroit,fans reffentir aucune
des émotions de l'Amour. D'où provient
donc cet égarement , s'écria -t-il ?
Vangeons-nous , ou ramenons Azor ,
ou puniffons les coupables. Leur nombre
l'effraya. Ces ufages qui l'outrageoient
étoient devenus ceux de tous
les hommes du bon ton . Azor eût cru
fe perdre de réputation parmi fes pareils,
s'il eût tenté d'afficher le fentiment.
Le fils de Vénus défefpéré de ne pou
voir ni corriger Azor , ni punir les coupables
, prit le parti de les abandonner
à leur délire , & de dérober fa honte
aux Dieux même s'il le pouvoit. Dans
cette vue il parcouroit des deferts immenfes,
& partout il proféroit les plaintes
les plus touchantes. Les volages oifeaux
interrompoient leurs chants mélodieux
, pour l'entendre. Les timides
hôtes des bois oublioient leurs frayeurs
pour foupirer avec lui. Les tigres & les
lions fufpendoient leur férocité , pour
s'adoucir à fes accens. Les fiers Aquilons
calmoient leur indomptable fu-.
reur , pour s'attendrir à fa voix. Tel
eft fon pouvoir. La Nature & tous les
Etres qu'elle produit , ſe plaiſent à céder.
aux impreffions de ce Dieu. Mortels in-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
grats , fe difoit-il , vous êtes donc les
feuls qui réfiftez à mes loix? Je vous déteſte
! C'étoit ainfi qu'il exhaloit fon
courroux .
Un jour qu'il s'étoit prèſqu'épuisé de
fatigue , il apperçut un bois dans un
vallon fort éloigné. Il s'y rendit. Il fut
furpris de voir que ce féjour étoit embelli
de tous les ornemens de l'Art.Quel
être intelligent, s'écria - til , a fçu fe préparer
cette riante folitude ? Il fe dérobe
aux Mortels ? Ah ! c'eſt un Sage . Cherchons-
le , je brûle de me l'attacher,& de
le combler de mes dons, s'il en eft digne.
Il pénétra dans ce bois . A l'afpect
d'une multitude de promenades artiſtement
variées , fon étonnement redoubloit.
Bientôt il arrive dans un bofquet
charmant. Des branches galament
entrelaffées en interdifoient l'entrée aux
rayons d'un foleil, brulant. Les fleurs les
plus rares & les plus vives y répandoient
un parfum enchanteur. L'Amant
de Flore y entretenoit une fraîcheur
délicieufe , par le fouffle de fon haleine .
Un gazon élevé par les Grâces faifoit
l'enfoncement de ce bofquet.
L'Amour entrevit fur ce gazon un
Etre pour lequel il s'intéreffa . Négligemment
étendu fur ce tapis émailMARS.
1763. 20
lé , il paroiffoit plongé dans les rê
veries d'un fommeil inquiet ; fes. paupiéres
entr'ouvertes laiffoient coulet
quelques larmes ; il parloit même.
» Mortels infenfés , fe difoit- il , vous
» avez méconnu mes bienfaits ; je de-
» vrois vous haïr. Ne puis- je du moins
» vous oublier ? C'eſt toi , charmante
» Félime , qui les retraces à mon fou-
» venir. Ciel ! c'eſt l'hymen , s'écria l'Amour
avec une extrême vivacité. Il fe
plaint donc auffi de l'aveuglement des
hommes ?
ود
Qui es- tu , toi , reprit l'Hymen en
» fe réveillant ? Que cherches - tu dans
» ces afyles inhabités ? Pourquoi trou-
» bles-tu mon repos ? Mais.... Que
» vois - je ? C'eſt l'Amour! .. Cruel ennemi
, qu'attens-tu de moi ? .... Fuyons.
Arrête , cher frère ! As-tu pu croire
que j'étois ton ennemi ? Quelle erreur
! Expliquons- nous ; je t'en conjure.
Je me flatte de te faire fentir l'injuſtice
de tes reproches. Mais depuis
quel temps habites- tu ces fòrets ? je te
croiois toujours occupé du fort des
humains.
» Tu le croíois , perfide ? ne font- ce
pas tes caprices qui m'ont ravi ce
» foin. N'as-tu pas ceffé d'enflammer
Biij
30 MERCURE DE FRANCE .
les coeurs que j'uniffois ? N'as - tu
» pas même employé toutes les féductions
pour traverfer la tranquille innocence
que je leur procurois , en
» les précipitant dans des liens contrai-
» re aux miens ? apprens donc les fuites
» funeftes de cette méfintelligence , fi
» tu les ignores.
» Dès que tu m'eus quitté , le fu-
» perbe Plutus s'appropria le droit de
» dicter mes loix. Je lui abandonnai
» les ames viles , & capables de fe laiffer
féduire par fon opulence . Je me
» contentois de difpofer de quelques
» coeurs fufceptibles de délicateffe .
» Félime, entr'autres, Félime , me parut
digne de toute mon attention. La
» connois-tu? Quels traits , Quel coeur ,
» Quelles beautés , Quelle âme ! Mille
» fois le jour, je me rappelle le moment
» qui l'offrit à mes regards. Elle étoit
» dans un cercle de douze jolies fem-
» mes. La moins belle de ces femmes
» eût effacé ta Mere : Félime les effaçoit
toutes. Parée des feules grâces
» que donne la Nature , elle obfcurcif-
» foit toutes celles que peut donner
» l'Art. Cher frère ! qu'elle étoit belle
» & touchante ! Les Dieux , tu le fçais,
» fe plaifent à faire le bonheur des
MARS. 1763. 31
» mortels qui font leurs images . De
» cet inftant , je me propofai de ne rien
» négliger , pour rendre celui de Fé-
» lime durable & parfait. J'avois pour
» cela befoin , non de ton art ; il
» fiéroit mal à des coeurs foumis à mes
» loix , mais de tes feux ; mais de tes
» tranſports toujours féduifans , lorſque
» le fentiment les fait naître. Je te cher-
» chai dans tous les lieux où on te foup-
» connoit. Inhumain ! tu me fuyois
» fans doute. Furieux de ne pouvoir
» te rencontrer , je te maudis mille
» fois. Je quittai le féjour des humains ;
» & depuis ce temps , je m'éfforce de
» vous oublier.
"
Tes plaintes , chere frère , font légitimes.
Les hommes font des ingrats. Ils
nous ont outragés. Je les fuis depuis
long-temps , parce que je les croiois
foumis de ton confentement , au Dieu
des richeffes. Puniffons les. Mais que ce
foit en les rendant témoins de la félicité
fuprême , dont peuvent jouir deux
coeurs unis par l'Hymen & l'Amour.
Cette vengeance digne de nous , doit
nous réunir. Je connois Félime. Qu'elle
foit le gage de notre réconciliation .
Seule elle peut me rendre fur le coeur
d'Azor, des droits qui m'ont été ufur-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
pés par les frivoles ufages de ce fiécle.
Vois le trait que je leur prépare à l'un
& à l'autre.
" Quel eft cet Azor ? Mérite - t - il un
>> coeur tel que celui de Félime ? Oui ,
cher frère , j'en jure par le Styx. Si le
plus puiffant des Dieux vouloit plaire
fi moi-même je fuccombois à ce defir
j'emprunterois la figure , le coeur & l'efprit
d'Azor. Sa figure eft noble & intéreffante.
Elle féduit lorfqu'on le voit
pour la premiere fois. Lorfqu'on le revoit
, elle féduit encore plus. Son coeur
eft digne de cette figure. Il eft tendre ,
vif & compâtiffant. Les plaifirs d'Azor
feroient des vertus parmi les Immortels.
Ils confiftent à foulager des peines
, à prévenir des beſoins , à faire des
heureux . S'il ne faifit pas toujours les
occafions de goûter ces plaifirs , c'eft
que cela ne fe peut pas ; c'eft que les
devoirs de fon état s'y oppofent ; c'eſt
que le Deftin lui- même tenteroit vainement
de fatisfaire tous les hommes.
Ce coeur dont je te parle eût été fans
défauts
, s'il eût pu devenir fenfible .
Azor a de l'efprit , de la fcience , du jugement
, de la raifon , & il n'en rougit
point ; & il n'en eft pas plus avantageux.
Que ne puis-je te le faire confiMARS.
1763. 33
dérer dans les diverfes occupations de
fa vie ? Tu le verrois s'élever avec la
rapidité de l'Aigle du Dieu du Tonnèrre
, lorfqu'il s'agit de manifefter les volentés
de fon augufte Souverain. Eſtil
question de prévenir une difette , tu
le prendrois pour le Dieu du Nil , fertilifant
les vaftes campagnes de l'Egypte.
Tente-t- il d'encourager les Sciences &
les Arts , tu dirois , c'eft Apollon préfidant
à l'affemblée des chaftes Soeurs ; &
dans toutes ces fonctions , tu diftinguerois
le fentiment qui le dirige . C'eſt`
l'amour de l'humanité.
Tel eſt le Mortel que je deftine à
Félime. Rallume ton flambeau cher
frère , pour unir leurs coeurs .
>
Avant que de rien promettre ,l'Hymen
tant de fois trompé par les promeffes
de l'Amour , voulut connoître Azor.
Il partit pour aller l'examiner . Félime
& lui foupoient chez Alcandre leur
ami. Les Dieux s'y tranfportérent. Hymen
fut enchanté. » Azor & Félime
» dit- il à l'Amour , font faits l'un pour
» l'autre ; lance le trait qui doit les en-
» flammer ; mon flambeau, fera le refte.
Alcandre adreffoit alors cet impromptu
à Félime.
Du tendre Amour écoute le langage,
B v
34 MERCURE DE FRANCE .
Belle Félime , il en veut à ton coeur.
Lequel de nous obtiendra l'avantage
De voir enfin couronner fon ardeur ?
Tu t'attendris , Félime ! quel préſage !
Le tendre Amour te prépare un vainqueur.
A ces mots , Azor foupira. Un regard
de Félime acheva de triompher de fon
indifférence . Sur le champ il en fit l'aveu
dans ces termes :
Certaine de notre conftance ,
Tu dois faire un de nous heureux.
Si tu donnes la préférence
A celui qui t'aime le mieux ;
Aimable Félime , j'eſpére ,
Et j'ai des droits .
Droits charmans ! ah ! je les préfére
Au rang des Rois.
Félime ne put entendre cet aveu fans
trouble ; & fes yeux , les plus beaux
yeux que la Nature ait formés , ne purent
dérober ce trouble au trop heureux
Azor. Que dirai- je de plus ? ils
furent unis par l'Hymen & l'Amour.
Azor eft l'Amant & l'Epoux de Félime.
Il l'adore ; elle l'aime ; & ils fe fuffifent. e ;
Puiffent leurs plaifirs renouveller chaMARS.
1763. 35
que jour leur tendreffe ! Puiffe leur tendreffe
éternifer leurs plaifirs !
Préfenté le 5 de Fevrier à Paris à
M. & Mde de ...... le lendemain de
leur mariage !
VERS fur le Tableau du ROI , repréfenté
par
PA
les VERTUS .
AR l'ingénieux artifice
Et de l'optique & du pinceau ,
Les Vertus , & furtout la Bonté , la Juftice ;
De Louis offrent le tableau.
Si dans un autre perſpective ,
On peignoit les coeurs des François ;
De ces coeurs réunis la peinture native
De l'Amour offriroit les traits.
Par M. l'Abbé AUBERT .
CRISTALLIDE LA CURIEUSE ,
CONTE tiré des MILLE ET UNE
QUI
NUITS.
UI veut garder une femme ,s'abufe ;
L'art de tromper fut de tout temps leur lot ;
B vj
36 MERCURE DE FRANCE .
La moins fubtile a toujours quelque rufe ;
Et le jaloux finit par être for.
De leur vertu repofez-vous fur elle.
Mais en ce cas feront- elles fidéles ?
Oui- dà ! peut-être ; mais du moins
Vous vous épargnerez des foins.
Schariar , Roi de l'Inde & Schagenan fon frere,
Tous deux beaux & bienfaits , furprirent un matin
Leurs très -chaftes moitiés s'embarquant pour Cythère
,
L'une avec un Faquir , & l'autre avec un Nain .
Sur ces couples galans tous deux firent mainbaſſe
;
C'étoit trop de rigueur : chez nous on eût fait
grace
A la fragilité du Séxe féminin ;
Mais fur les bords groffiers du Gange ,
De Joconde & du Roi Lombard
Le cas dut fembler fort étrange ,
Si tel cas doit pourtant étonner quelque part.
Tout vengé qu'il étoit , Schariar plein de rage ,
Ne pouvoit digérer qu'on eût fait cet outrage
Au front augufte d'un Sultan.
Mon cher frére , dit-il , un jour à Schagenan ,
Sortons de ce Palais où cette horrible image
Sans ceffe eft préſente à mes yeux .
Les voilà tous deux en voyage.
Près des bords de la mer un bois délicieux
Par fa fraicheur & fon ombrage
MARS. 1763. 37
Contre les traits du jour leur prêtoit du couverr ;
Lorfque du fein des flors ouvert ,
Ils virent à grand bruit s'élever jufqu'aux nues
Un Coloffe éffrayant , qui d'écume couvert
Traverſoit les ondes émues.
D'un haut cédre à l'inftant ils gagnent le fommer,
Non fans invoquer Mahomet.
Le Coloffe aborde & prend tèrre.
Des noirs enfans d'Eblis c'étoit le plus hideur s
Son dos étoit chargé d'une caiſſe de vèrre.
Il la poſe à quelques pas d'eur ,
Ouvre avec quatre clefs tout autant de ferrures.
Il en fort une Déité
Brillante de l'éclat des plus belles parures ,
Plus brillante cent fois encor de fa beauté.
>> Dame qui plaifez feule à mon âme enchantée ,
Dit notre Poly phême à cette Galatée :
» Séyez-vous près de moi , j'ai besoin de repost
La Belle , à ce galant propos ,
S'affit ; & le Monftre difforme
Des genoux de Vénus faifant fon oreiller ,
Il repofe fa tête énorme ,
S'endort & bientôt ronfle à faire tout trembler..
La Dame étoit très - éveillée :
Sur le faîte de l'arbre elle apperçoit nos gens ,
Qui fe cachoient fous la feuillée..
Par mille geftes obligeans,,
A defcendre elle les convie.
Bux de s'en excufer , en montrant le Génie
38 MERCURE DE FRANCE.
A ce Monftre auffitôt dérobant fes genoux ,
Elle fe léve , accourt , & leur dit en courroux :
Ou defcendez , ou je l'éveille.
Ils defcendirent donc . Alors , d'un ton plus doux :
Profitons du temps qu'il fommeille.
Voyez- vous ce gazon... puis fans dire le refte ,
En rougiffant elle y guida leurs pas ;
Mais que ce fût une rougeur modeſte ,
Ami Lecteur , vous ne le croirez pas.
La Dame étoit grande caufeuſe ;
Mais je fupprime l'entretien :
Suffit qu'elle prouva très bien
Qu'on ne la nommoit pas pour rien
Criftallide la Curieufe .
De chaque Prince enfuite exigeant un anneau
En voici cent , dit - elle , en y joignant les vôtres ,
Cent de bon compte qui font nôtres ,
Cent qu'à caufer aînſi j'ai gagné bien & beau ,
Et j'efpére en gagner bien d'autres,
Malgré les foins jaloux de ce vilain brutal ;
Malgré fa prifon de criftal.
Adieu , Prince , partez , Mahomet vous le rende ;
Son paradis fans doute a des plaifirs bien doux ; .
Mais croyez-moi , tromper un furveillant jaloux >
Il n'eft point ici-bas de volupté plus grande :
C'eſt vrai plaifir de femme & le premier de tous.
Elle court à ces mots rejoindre le Génie ,
Souléve fa tête endormie ,
Et la remet fur les genoux.
MARS. 1763. 39
VERS après une grande maladie de
l'Auteur.
Ovous , dont je peindrois , fi vous n'étiez ma
femme ,
Les Grâces , les Talens , & furtout les Vertus 1
Qui partagez mes maux , & m'aimez encor plus
Charlotte ! recevez ce tribut de ma flamme.
Vos difcours , votre exemple , ô moitié de mon
âme !
Me font enfin braver les caprices du fort ;
Vos tendres foins m'arrachent à la mort ,
Er de mes jours renouvellent la trame......
Mais j'entends s'écrier ... L'éloge eft un peu fort !
Ah ! j'en dirois bien plus , fi vous n'étiez ma
femme.
FEUTRY.
ODE AN ACREONTIQUE.
AMOUR , laiffe -là ma lyre ;
Tu fûs mon maître autrefois :
Mais j'ai quitté ton empire ;
On fouffre trop fous tes Loix
J'ai dit adieu le bel âge ,
J'ai di adieu les Amours ;
40 MERCURE DE FRANCE,
Il eft bien temps d'être fage
Dans l'Autonne de ſes jours.
Connois l'erreur qui t'égare ,
M'a dit cet enfant vainqueur
Ce beau nom dont on fe pare
Couvre le néant du coeur.
Trifte fou qui te crois fage ,
Ne crains point de t'enflammer:
On ne plaît point à ton âge ;
Mais n'eft-ce rien que d'aimer?
Regarde Aminte & l'adore ;
Tout Cythère eft dans les yeux..
Son âme plus belle encore
Eft un rare don des Cieux .
Son efprit jamais ne laffe ,
Son air eft toujours nouveau.
La voit- on c'eft une Grâce 3
Parle- t- elle ? c'elt Sapho.
FERS à une jeune Demoiselle qui demandoit
pourquoi le vrai mérite en
amour étoit celui qui plaifoit le moins.
E Da l'aimable Enchanteur de toute la Nature ,
Dont l'empire eft fondé fur des illufions
Vous voulez que fans fictions ,
J.
MARS. 1763. 43
Le compas à la main un Poëte meſure
Les invifibles noeuds de fes féductions?
Que je dife pourquoi , chez lui le vrai mérite
Céde aux vaines lueurs que préſente le faux ?
D'Hercule , je pourrois remplir tous les travaux
Avant que mon efprit de cet ordre s'acquitte .
L'Amour eſt un enfant fans principe & ſans loix :
Dans les tendres ardeurs que ce Dieu nous infpire
,
Le caprice toujours décide de fon choix ;
Et c'est tout ce que j'en puis dire.
Votre coeur , belle Iris , en eft feul excepté ;
Au-deffus des erreurs d'une amoureuſe flamme >
Les droits du vrai mérite y font en fureté ,
Puifque vous le portez dans le fond de votre
ame.
PRÉCIS HISTORIQUE fur la vie
DE RAIMOND LULLE,
LAABRÉGÉ
Chronologique
de l'hiftoire
Eccléfiaftique
, imprimé
chez
Hériffant
, rue S. Jacques
, fait
mention
, fous l'année
1312 , d'un établiſfement
de Maîtres
en Langues
Hébraïque
, Arabique
& Chaldéenne
dans
les principales
Villes
de l'Europe
, pour
faciliter
la converfion
des Infidéles
. On
42 MERCURE DE FRANCE.
étoit fort touché dans ce tems , du
defir de faire la conquête de la Terre
Sainte , par ce pieux motif. L'Au--
teur de l'excellent Ouvrage que je viens .
de citer , attribue cette établiſſement
au zéle de Raimond Lulle , du tiers
Ordre de S. François , qui le follicitoit
depuis long- temps. On ajoute fur
le compte de ce Sçavant , qu'on en
fcait fi peu l'hiftoire , que les uns en
ont fait un Magicien , les autres un
Hérétique , & les autres un Martyr.
Ces qualités ne font incompatibles
, en même temps , dans le même
fujet , que dans la vraie acception , qui
eft la feule raiſonnable. Un même objet
peut être confideré fous plufieurs
afpects , & l'on juge ordinairement par
la maniere dont on voit , fans s'embarraffer
fi l'on a vu comme il falloit.
Il n'eft point étonnant que Raimond
Lulle ait paffé pour Magicien. Difciple
d'Arnoud de Ville Neuve dans l'Alchymie
, il s'eft fort appliqué à chercher
des fecrets extraordinaires ; il a beaucoup
travaillé & écrit fur le grand
OEuvre ; & l'on affure qu'il a fait de
l'or. Agrippa a été un de fes Sectateurs
dans des temps plus voifins de
nous ; & les lumieres d'un Siécle plus
1
MARS. 1763. 43
éclairé ne l'ont point garanti de l'accufation
de magie. Rien n'empeche que
Raimond Lulle n'ait été regardé comme
Magicien par des gens qui affùrement
ne l'étoient pas. Il est tout fimple que
ceux qui ne portoient pas la mauvaiſe opinion
fur ce laborieuxChymiſte aupoint
de le croire en commerce avec le Diable
, fe foient retranchés charitablement
à le taxer d'Héréfie ;fentiment plus favorable
qui retardoit au moins jufqu'à fa
mort fon affociation avec les Damnés. Je
ne fçais dans quelles fources on a puifé ,
pour jetter des foupçons fi injurieux
fur la mémoire d'un grand homme
qui a fouffert le martyre pour la Religion
Chrétienne ; & pourquoi on a
cru que l'on manquoit de notice fur
fa vie. Il étoit Efpagnol , né de parens
nobles , dans l'Ifle Majorque en
1235. Jeune il s'appliqua beaucoup à l'étude
de la Logique , & acquit le furnom
de Docteur illuminé. Il s'attacha enfuite
à la Chymie , fit beaucoup d'écoliers ,
& publia un grand nombre des Traités
fort connus & eftimés des Adeptes.
On fçait qu'il a vêcu jufqu'à l'âge de
quatre-vingt ans , & qu'il a été martyrifé
en Afrique par les Infideles.
On fixe même le jour de fa mort au
44 MERCURE DE FRANCE.
vingt-neuviéme Juin 1315. Il eft certain
que dès l'âge de 30 ans , les Sciences
mondaines n'eurent plus pour lui
le moindre attrait. Il fe dévoua entiérement
à la converfion des Mahométans
, & il a emploié les quarante-
cinq dernieres années de fa vie à
les prêcher avec autant de zéle que de
fuccès. Ses travaux ont été glorieufement
courronnés par la même palme
que le premier Martyr. Il fut lapidé
par ordre d'un Roi : juffu Regis Bo
gia je ne fçais fi Bogia eft le nom
du Roi , ou de fon Royaume .
Rien ne juftifie qu'il ait été Reli
gieux , comme quelques uns l'ont avancé.
Le Tiers Ordre de S. François
eft une Congrégation , cu plutôt une
Confrairie de piété, dans laquelle on admet
les gens mariés. On dit queRaimond
Lulle étoit de ce nombre . George Mathias
Profeffeur de Médecine en l'Univerfité
de Gottingen , dans un livre
imprimé en 1761 , qui a pour titre ,
Confpectus hiftoriæ medicorum chrono
logicus , prétend que Lulle abandonna
fa femme pour embraffer la regle de
S. François ; & M. Eloy , Auteur du
Dictionnaire Hiftorique de la Médeci
ne , rapporte fous la caution d'Ecri
MARS. 1763. 45
vains Efpagnols , que Lulle fut épris
pour une jeune fille , appellée Elénore ,
qui refufoit opiniatrément de l'écouter.
Un jour qu'il la preffoit & qu'il lui
demandoit la raifon de fes refus , elle
ouvrit fur le champ fon corfet , & lui
montra un fein dévoré par un cancer.
On prétend que Lulle , en amant tendre
& généreux , fut porté par cette occafion
à voyager pour étudier en Chymie
, & trouver fous les grands maîtres
en cet art , des rémedes contre
l'infirmité de fa Maîtreffe . D'autres
difent que frappé du fpectacle qu'on
lui avoit mis fous les yeux , il s'adonna
à la vertu & aux exercices
de la pénitence , & que de là eft venu
fon entier devoûment à la converfion
des Infideles . Il étudia dans cette vue
l'Arabe à l'âge de trente ans ; & Jacques,
Roi d'Arragon , fonda à fa follicitation
, un Séminaire à Majorque pour
l'inftruction des Miffionnaires.
VERS à M. le Chevalier DE CHATELUS
fur ceux qu'il a préfentés à
Mgr le Prince DE CONDÉ
La charme de la Poëfie
46 MERCURE DE FRANCE,
Sur tout ce qui vit a des droits ;
La folide philofophie
Pour plaire en emprunte la voix s
Le Conquerant le plus illuftre
Qui voit l'Univers à ſes pieds ,
En tire encor un nouveau luftre :
Mais il faut que vous le chantiez.
Votre Mufe vive & riante
Allie avec préciſion ,
Toujours belle , toujours touchante,
Le badinage & la Raifon.
La mienne au doux repos livrée ,
Amante des eaux & des bois ,
Dans leur filence retirée ,
Jufques au fublime Empirée
N'a jamais élevé la voix .
Des Dieux adorant la puiſſance ,
Tentant peu d'efforts indiſcrets,
Sans chanter fa reconnoiffance ;
Elle jouit de leurs bienfaits.
Quelquesfois l'amour qui m'inſpire
Lui- même préfide à mes ſons :
Je chante ce jour ou Thémire
Sattendriffoit par mes chanſons.
Ce fouvenir & cette Image
Font encor ma félicité.
C'eſt ainfi que de mon jeune âge
J'amuſe la légèreté .
MARS. 1763 . 47
f Dans le repos & la moleffe
Coulent rapidement mes jours ;
Et mon indolente pareffe ,
Quoiqu'honorant fort la ſageſſe ,
S'éveille à la voix des amours.
A votre Mufe délicate
Je laiffe embellir la Raiſon ,
Et nous faire entendre Socrate ,
Par la bouche d'Anacréon.
ANGELIQUE , Anecdote qu'on au
roit rendue plus intéreſſante , fi elle
étoit moins vraie.
Qui eft là ? s'écrie la Marquiſe de ***
1
qui a l'audace de me reveiller fi matin ?
qui ofe entrer dans mon appartement
avant que j'aie fonné ? c'est vous , impertinente
qu'elle heure eft - il ? Madame
, répond Lifette , en tremblant ,
il est midi paffé ... eh bien , Mademoifelle
, doit-il être jour chez moi à
midi ? On ne tient pas à vos étourderies
réïtérées ; je vous en ai prévenue , vous
travaillez à vous faire chaffer... Je vous
demande pardon ! mais... Ne voilà-t- il
pas de vos Mais? Je vous ai dit que mais
étoit déplacé dans votre bouche.... fi
48 MERCURE DE FRANCE.
Madame vouloit permettre ... Si Madame
! Vous ne finirez point avec vos
mais & vos fi qui m'affomment.... Au
nom de Dieu , Madame ! laiffez - moi
vous dire le fujet... Je m'en doute le
Comte impatient , peu jaloux d'obſerver
l'ordre des procédés , vous aura
payée pour fe faire annoncer ? ... Non,
Madame... ce Provincial qui m'eft recommandé
eft venu pour m'entretenir
de fon procès. Je ne fçais pas un mot
de fon affaire : n'importe , j'arrangerai
un fouper avec fes Juges ; je foutiendrai
fon bon droit au deffert ; je lui réponds
d'une douzaine de voix : qu'il
foit tranquille... Ce n'eft pas cela , Madame...
C'est donc ce jeune Chanoine
dont mon Abbé m'a parlé , qui vient
me demander ce que je penfe d'un Sermon
fur l'humilité , qu'il doit prêcher
à la Cour?..Non , je ne l'ai pas vu ... C'eſt
donc cet Officier Gafcon avec qui j'ai
joué fur fa parole , qui m'enyoye les
cent piftoles qu'il a perdues ? mais cela
n'eft pas croiable Cela n'eſt pas
non plus .... Ceci commence à m'impatienter.
Vous verrez que la Préfidente
me fait prier de lui dicter ce qu'elle
doit dire de la Piéce qu'on donnera ce
foir aux François. Il fuffit de la faire
....
avertir
MARS. 1763. 2018 49
avertir que l'Auteur me l'a lue , que j'ai
retenu trois Loges , & que tous mes domeftiques
déguifés fe rendront au Parterre
pour contribuer au fuccès de cette
Piéce , en claquant des mains à tort &
à travers. Attendez ; ne feroit- ce pas
plutôt cet apprentif Financier , qui voudroit
de tout fon coeur paroitre boffu
& qui n'est que contrefait. ? J'y fuis fans
doute: il m'apporte ce joli perroquet qui
a fait tout mon amufement dans l'ennuyeufe
fête qu'il m'a donnée avanthier.
Ah , que j'aurai de peine à lui faire def
apprendre les fadeurs qu'il a entendu
débiter à fon maître ! ... Non , Madame,
il n'eft pas queftion de la Préfidente
, du Financier ni de fon Perroquet.
Une choſe bien plus férieuſe ....
Vous me faites trembler , Lifette ! ô
Ciel que voulez-vous dire ; mon Angola....
Il n'eft arrivé aucun accident à
ce cher animal, Hélas ! il vaudroit mieux
qu'il fût mort & avec lui tous les An
gola , du monde ... Treve à vos
fouhaits impertinens. Vous me pouffez
à bout , vous m'excédez ; le Chevalier
eft malade , je le vois trop , il ne fortira
pas d'aujourd'hui. Il a hier prodigieufement
foupé Quel fâcheux contre-
temps , à la veille du jour où je dois
C
2
"
50 MERCURE DE FRANCE.
couronner fa conftance ! .... J'ignore
fi M. le Chevalier a foupé & s'il eft
malade mais Mademoiſelle votre fille
´eft dans un état que je ne peux vous
celer. Elle s'eft couchée avec un mal
de tête très- violent , accompagné de
beaucoup de fiévre ; elle a eu des convulfions
pendant la nuit. Le Médecin l'a
trouvée en danger & nous a confeillé
de vous en avertir ..... Lifette , mon
Médecin eft un efprit pufillanime qui
voit du danger partout. L'indifpofition
d'Angélique n'aura pas de fuite. D'ail
leurs quel changement voulez- vous qu'opére
ma préfence ? Vous auriez pu vous
difpenfer de me réveillér. Cependant
je verraí Angélique ; allons qu'on m'habille;
& avant tout , informez -vous fi
fa maladie ..... je crains le mauvais air.
mais vous avez fans doute pris l'allarme
trop légérement.
En voilà probablement affez pour
faire connoître cette Marquife , qu'on
peut mettre au nombre de ces demimonftres
dont le nom change tous
les jours à Paris & qu'on défigne encore
en Province fous celui de petites
Maitreffes. De grands biens , une phifionomie
fans caractère , mais propre
à faifir toutes les nuances dans l'occaMARS.
1763. 51
fion , un efprit faux & un coeur gâté ;
tel doit être le partage de ces femmes à
prétentions qui aviliffent leur féxe &
le nôtre. Tel étoit auffi celui de la Marquife.
Reftée veuve à l'âge de vingt
ans , elle avoit tâché par toutes fortes
de voies, de fe dédommager de la contrainte
dans laquelle elle avoit gémi
avec un honnête homme qui avoit ofé
l'empêcher de fe déshonorer. Elle n'avoit
pu lui pardonner cet excès de févérité
; & c'étoit le motif de la haine
qu'elle gardoit à fa mémoire.
Angélique étoit le feul fruit de cet
Hymen mal afforti, fans être exactement
régulière , fa beauté frappe au premier
coup d'oeil . On ne cherche pas à détailler
fes traits ; on en admire l'enfemble
. Quoique fes yeux ayent perdur de
leur vivacité & que l'incarnat de fon
teint foit flétri par fes pleurs , on ne
la voit pas encore fans un tendre intérêt.
Je ne m'arrêterai pas à tracer l'éfquiffe
des agrémens extérieurs qu'An →
gélique tient de la Nature ; elle les dédaigna
dès qu'elle les eut connus . Ceci
conduit à l'éloge de fon âme : mais je ne
fuis que fon Hiftorien & je dois me
borner au fimple récit des faits pour ménager
au Lecteur le plaifir délicat de
prononcer lui - même. Cij
52 MERCURE DE FRANCE
2
La Marquife étoit fur le point de
prendre pour Epoux le Chevalier de
*** qu'elle préféroit à fes rivaux , à
caufe de l'éloignement qu'il avoit tou→
jours marqué pour la jaloufie. Le Che
valier n'avoit qu'un grand nom , des
efpérances de fortune & un fond d'a
mour propre inépuifable. Il avoit ai
mé Angelique avant que de s'être décla
ré pour fa mère. Il fut le premier qui
s'offrit à fes yeux , à peine ouverts à
l'amour. Une paffion d'une verité momentanée
, maniée par un habile hom →
me , n'eft que trop propre à féduire
l'innocence. Angelique eft née fenfible.
Elle fe livra à fon penchant avec fécurité.
L'abîme étoit couvert de fleurs ;
elle ne s'en apperçut qu'en s'y précipi
tant. Le Chevalier , pour furmonter fes
fcrupules , avoit eu la baffeffe de recourir
aux fermens. Il l'avoit même
obligée d'accepter une promeffe de ma
iiage. Il n'en falloit pas tant pour abufer
de fa crédulité. Elle ne concevoit
pas qu'un homme d'honneur dût jamais
en manquer. Il lui étoit refervé
d'en faire la trifte expérience & de paffer
tout-à- coup de l'eftime & de l'as
mour à l'indignation & au mépris. O
vous qui voulez mériter le doux nom
... c -iv .
MARS. 1763
de mère occupez -vous fans ceffe
montrer aux jeunes perfonnes qui fous
vos yeux commencent leur entrée ſur
la fcène du monde , tout ce qu'elles
doivent faire pour fe garantir du poifon
qu'on y verfe dans des coupes trompeufes
! arrachez le voile que l'illufion
tient fufpendu fur tous les objets qu'elles
y rencontrent. Apprenez-leur à n'eftimer
que ce qu'eftiment les gens fenfés
, qui furnagent fur cette mer ora
geufe , & qui gouvernés par une fage
défiance , évitent les écueils dont elle
eft environnée .

Angélique venoit de s'appercevoir
qu'elle étoit la victime de fa créduli
té. Une feule voie lui fembloit ouverte
pour eviter l'opprobre ; elle la trouva
fermée. Elle apprit que le Chevalier
alloit jurer à fa mère , à la face des
autels , la foi qu'il lui avoit donnée."
Cette nouvelle lui fit une fi grande révolution
, qu'auffitôt après fa maladie ,
on défefpéroit qu'elle pût recouvrer fa
fanté. La Marquife vint la voir , com--
me elle l'avoit promis. Angélique fixa
fes yeux mourans fur elle. Elle prit fa'
main & la tint long-temps fur fon
coeur. Elle voulut parler ; la voix luimanqua.
Le danger ne ceffa qu'au bout
i
1
1
.
"
Cij
54 MERCURE DE FRANCE .
de quelques jours. Les Médecins' la vi
rent à leur grand regret dans cet état
de langueur , qui réfifte aux efforts de
leur art , & qui donne la mort à tout
moment fans ôter la vie.
La Marquife contracta avec le Chevalier
, ne s'imaginant pas qu'elle por
toit le coup le plus funefte à la fenfibilité
d'Angélique. Le mariage fe fit
avec ce vain appareil de réjouiffances,
qui n'eft fouvent que le fimulacre de
la joie. Les motifs du Chevalier & de la
Marquife n'étoient pas affez purs pour
leur procurer cette fatisfaction intérieure,
qui eft peut- être l'unique récompenfe
de la vertu.
Angélique n'avoit pu fe réfoudre à
déclarer à fa mère fon fatal fecret. Cependant
il ne lui étoit plus poffible
de le cacher. La douleur dans laquelle
elle étoit plongée ne lui ayant pas permis
de quitter fon appartement , elle
n'avoit pas vu le Chevalier depuis fa
maladie. Elle prit enfin le parti de lui
confier fon état. Il fe rendit chez elle
dès qu'elle lui eut fait fçavoir qu'elle.
vouloit lui parler. Il la trouva les cou-.
des appuyés fur une table , une plume
à la main , & les yeux fixés fur un pa-.
pier arrofé de fes larmes. Ses joues
MARS. 1763.
étoient colorées d'un rouge âpre qui
rendoit plus remarquable la pâleur mortelle
qui régnoit fur le refte de fon vifage.
Ses lévres étoient entr'ouvertes ;
tout en elle annonçoit un être accablé
fous le poids du malheur & prêt à ne
prendre confeil que de fon défeſpoir.
Le Chevalier , avec un air d'attendrif
fement , voulut lui témoigner fa furpriſe
de la trouver fi changée. Il ofa même
entreprendre de juftifier fon procédé &
l'affura que fon amour n'avoit fouffert
ancune altération. Mon établiſſement
lui dit-il , eft une affaire d'intérêt , à laquelle
mon coeur n'a pas pris la moindre
part. Je fuis bien éloigné de vouloir
rompre les noeuds qui nous uniffent.
L'Amour les a formés : ils font facrés
pour moi. Belle Angélique , après vous
avoir aimée , avez-vous pu croire que
la Marquife m'ait rendu inconſtant ? Non ,
je jure à vos pieds que je n'ai jamais
eu pour elle que de l'indifférence. Tant
pis , répondit Angélique ! vous n'en
êtes que plus coupable & ma mère plus
malheureufe. Mais peu m'importe que
vous m'ayez aimée , ou non. C'eft affez
qu'il ait fubfifté entre nous une
liaifon que je détefte. Je ne vous ferai
point de reproches , car je ne vous hais
Civ
56
MERCURE
DE
FRANCE
.
pas je vous méprife & me borne
vous déclarer l'état où je fuis. Vous
en êtes la caufe. Vous pouvez feul me ;
fournir les moyens d'en dérober la ,
connoiffance au Public. Je n'en ferai ;
pas moins dégradée à mes propres yeux:
mais je me dois à moi-même & à ma
famille , la trifte confolation d'avoir fait
tous mes efforts pour cacher mon opprobre
& ma honte ; foible & derniére ,
reffource d'une infortunée , que..
I le remords
pourfuivra fans ceffe & qui nel
voit d'autre terme à fes maux que ce
lui de fa vie bh , guits debit
-Ce difcours prononcé , de fang froid,
glaça d'horreur le Chevalier. Il eut peine
à bégayer quelques motsS pour faire
entendre à Angélique qu'il avoit.compris
ce qu'elle exigeoit de lui , &
qu'elle pouvoir compter fur fes foins.
Illa quitta dans un défordre dont la
Marques'apperçut. Elle lui demanda
quel lavoit été le fujet de fas donverfation
avec fa fille . Le Chevalier habile à
diffimuler, l'afflura que fa langueur fe
diffiperoit bientôt fi elle vouloit lui :
permettre d'aller refpirer l'air de la campagne.
La Marquife ne demandoit pas
mieux , & dès le lendemain , Angéli-!
que avec fa femme de chambre & un
MARS. 1763. 57
vieux domeftique , partit pour le Chateau
de ***. Le Chevalier peu de temps'
après y envoya un Chirurgien. La femme
de chambre & lui furent les feuls
qu'on mit dans la confidence : l'un
& l'autre ont répondu à la confiance
qu'on leur avoit témoignée ; & tout fut
conduit avec tant de prudence , que
perfonne ne fe douta de la trifte avanture
d'Angélique.
Avec toutes les qualités néceffaires pour
plaire dans la fociété, il eft difficile qu'on
s'ennuye avec foi- même. Angélique
paffa une année entiere dans fa retraite
fans defirer d'en fortir. Enfin la Marquife
la rappella auprès d'elle . Elle trou- '
va la maifon de fa mère dans un défordre
dont la maîtreffe feule ne s'appercevoit
pas . Le Chevalier avoit diffipé
la meilleure partie des biens de fa
femme & l'avoit même déterminée à
s'obliger pour des fommes confidérables
. Il fe préfentoit alors un parti fort
avantageux pour Angélique ; mais fa ré
folution étoit prife : elle avoit vu qu'elle
ne pouvoit reclamer le bien que fon
père lui avoit laiflé , fans ruirer fa mère
: un coeur comme le fien ne balance
guères. Elle prit de fi fages mefures
, qu'elle fit réfoudre la Marquise à
c
v
58. MERCURE DE FRANCE.
fe faire féparer d'avec fon mari , & lui fit
enfuite une donation de tout ce qu'elle
avoit droit de reclamer. La Marquife
ne put réſiſter à un procédé fi généreux .
Elle connut qu'elle étoit mère. L'amitié
dont elle commença à fentir les douceurs
, la dédommagea des vains plaifirs
qu'elle avoit perdus. Elle s'applique
aujourd'hui à réparer par une conduite
irréprochable les égaremens de fa
vie. Elle fe plaît à croire qu'elle doit
fon bonheur à fa fille & ne ceffe de
lui en témoigner fa reconnoiffance.
Angélique s'applaudit du facrifice
qu'elle a fait ; & toutes deux jouiffent
d'une tranquillité d'autant plus flateuſe,
qu'elles ont appris à leur dépens à en
connoître tout le prix.
Par M: de C *** , à Lyon.
Pour le Portrait de Mlle ....
Tour céde au naturel , l'Art ne peut l'égaler :
Cette reffemblance eſt parfaite.
Mais l'aimable.... n'eſt ici que muette ,
Et j'aime à l'entendre parler.
ParM. PASCAL , C. de G, au R. de Piémont.
MAR S. 1763. 59
A Son Altele Royale Mgr LE DUC
DE SAVOIE , eenn_lluuii fouhaitant la
bonne année.
PRINCE , dont les Ayeux font retentir l'hiſtoire
Des plus hautes vertus , des plus illuftres faits
Fils d'un Roi fignalé par plus d'une victoire ,
Qui chérit & procure aux autres Rois la Paix :
D'un coeur. reconnoiſſant agréez les fouhaits.
Mécène généreux , efpoir de la Patrie ,
On voit revivre en vous l'ancien Germanicus.
Dieu , qui chéris fon coeur , fes moeurs & fes
vertus ,
Daigne le conferver ! chaque jour de fa vie
Au bonheur d'un grand Peuple ajoute un jour de
plus.
SUR
PERENOTTI , à Turin.
2, !,,
VERS
UR le nom de Méchant , je veux que l'on s'exiplique
:.. !!
Pour corriger un Sot par un bon mot piquant ,
Lon eft Milantrope , ou Cauftique,
Mais , à mon avis , le Méchant,
."
Eft l'homme lâche & bas qui déchire l'abfents
siq
C vj
65 MERCURE DE FRANCE.
C'eſt lui qu'il faut charger de la haine publique ,,
Ainfi qu'un Scélérat qui tue en fe cachant .
AUTRE S.
JE connois trop l'amour , pour m'en trop occupertama
tudi zwayMerlinob povin
A l'amitié (´je crains de me tromper 3d zuig æði
L'intérêt ou la politique
Rendent ce neend problématique ,
Et les plus fins s'y laiffent attrapper."
Le Ciel l'a donc voulu scaril eût pu màrqueti
Le véritable ami par un figne phyfique. O
" ion
lov
Par Madame B.
1913
LE
E mot de la premiere Enigme du
mois de Février eft l'Encenfoir. Celui
de la feconde eft Adam & Eve. Celuidu
premier Logogryphe eft Alphabet ,
où l'on trouve ah ! Baal , Beat , Apt
& Aleth , Alep , Bâle , Aba ; pâte à faire
le pain , halte , Abel , palet , pat , hale ,
table , plat & bal. Celui du fecond eft
Epine , ou en mettant la premiere ler- 1
tre après le p ; Pon trouve peine épi ,
pie & pin en retranchant la premiere &
la derniére lettre pammen! I (up 8
MARS. 1763.
6D
D
ENIGM E.
Eux chofes , quoique différentes
N'ont cependant qu'un même nom ; A
Leqeur dans des rimes faivantes mo??
Cherches- en l'explication

L'une dépend du feul hazard, ? - ?
Et dans la faifon la plus dure
Eft produite par la Nature ,
L'autre eft un pur effer de l'Art. J
Celle-là ne plaît qu'en été ,
Au-lieu que dans l'hyver elle eft infupportable ;
Mais celle-ci , plus agréable , ES
Plait en toute faifon par fon utilité.
Je vais développer ce ténébreux mystères
Le Sexe fuit l'une avec foin , b .
Et de l'autre a ſouvent beſoin
Four trouver les moyens de plaite.l
9724 1.700 $ 94 .
AUTR E.
FABORDE d'un air gracieux
Celui pour qui je m'intérelle ;
J'ai néanmoins fouvent l'adrelle
De lui faire bailler les yeux .
J'ai milie tours ingénieux


62 MERCURE DE FRANCE.
1
Pour le bonheur , pour la Triftelle.
Par un excès de Politeffe ,
Je puis devenir ennuyeux.
J'ai droit de m'adreffer aux Princes ;
Je fuis de toutes les Provinces ,
Ainfi que de chaque Saifon .
Vous qui cherchez à me connoître ,
Mille fois vous m'avez fait naître
Par Politique , ou par Raiſon.
LOGO GRYPH E.
Tour Rhéreur me connoît : Cicéron m'employas
Mais furtout avec feu contre Catilina.
On trouve en moi le nom de cette Impératrice
En laquelle Jofeph eut une Protectrice ;
Le nom d'une Déeffe , & celui d'un Auteur
Dont la Fontaine fut habile imitateur ;
Un célébre Ecrivain dont Albion s'honore ;
Un précieux objet pour Vertumne & pour Flore ;.
Un des Rois d'Ifraël ; une fleur ; ce qu'enfin
On admire en Rouleau , Fontenelle & Rollin.
Par M. de LANEVERE , ancien Moufquetaire
du Roi ; à Dax .
1. J. Rouffeau de Genève.
MARS. 1763.. 63
AUTRE.
Je fuis un des plaifirs fait pour le genre humain, E
Et je fuis le plus doux peut être :
Lecteur , fi tu veux me connoître ,
Le nombre de mes pieds fe trouve dans ta main,
Avec eux tu feras le nom que chacun donne
A l'objet qui charme ſon coeur ;
Un autre hélas , qui par malheur
Ne doit prèfque jamais fe donner à perfonne ;
Un autre nom révéré du Chrétien ;
Ce que tu dois fauver , & ce que l'on reſpire ;
Ce qu'un fils de Saturne avoit pour fon Empire ;
Ce que Boileau trouvoit fi bien ;
Ce qui dans les combats eft le plus néceffaire ;
D'animaux croaffans la retraite ordinaire ;
Ce que bien malgré lui le pauvre forçat tient ;
Un mot fynonyme à colère ;
D'autres encor mais je n'en dirai rien ;
"
Enfin ce que fans moi l'homme eft fouvent las
d'être .
Ne t'en étonne point , Lecteur ;
Si tu parviens à me connoître ,
Tu trouveras fans moi qu'il n'eft point de bonheur.
La Chanfon notée se trouvera à
l'Article des Spectacles.
64 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II.

.I
NOUVELLES LITTERAIRES.
MÉTHODE de M. KEYSER pour.
l'adminiftration de fes dragées dans
le traitement des Maladies vénériennes
, imprimée par ordre du RoI ;
1763. Brochure in - 8 ° .
E De toutes les maladies qui affligent
l'humanité , il n'en eft point de plus digne
de la vigilance du Gouvernement,
& des foins de la médecine , que celles
qui portent la corruption dans la maffe'
générale de nos humeurs infectent
notre origine , tranfmettent un funefte
héritage aux races futures , & affoiblif
fent infenfiblement l'efpèce humaine .
Telles font les maladies vénériennés
dont M.Keyfer fait une defcription bien
éffrayante dans l'excellent avant- propos
qui précéde fa méthode. Ce terrible fléau
éxerce furtout fa fureur far le bas peuple
& fur les foldats , moins pourvûs de
moyens pour fe prémunir contre fes
MARS, 1763. 65
premieres atteintes. Ici M. Keyfer nous
donne une hiftoire curieufe & intéref-
? fante , quoique très -fuccinte, des remédes
employés en différens temps contre
les maladies vénériennes. Les vé-,
gétaux célébres dont le nouveau mon-,
de fe fervoit fi avantageufement pour,
les combattre , n'eurent qu'un médiocre
fuccès dans nos climats. On apprit,
par expérience , que le mercure en étoit
le feul fpécifique ; mais on a prèfque
toujours varié fur la maniere de le préparer
, de l'introduire dans le corps &
de l'adminiftrer. Les premieres épreuves
on été en faveur de l'application exté
rieure; on a enfuite penfé que fon ufage
intérieur pourroir être plus éfficace.
On l'a donné , pour ainfi dire , tel que
la nature nous l'a fourni ; & l'on s'eft
contenté d'une légére purification extérieure
; mais l'on s'eft bientôt apperçu
que fon poids l'entraînoir par la voye
intefimale , & ne lui permettoit point
d'entrer dans les veines lactées. On a
conclu qu'il falloit lui donner différentes
préparations ; & les Maîtres de l'Art
fe font éxercés à le rendre propre
opérer de la maniere la plus efficace.
De-la tant de diverfes méthodes qui ont
eu quelque fuccès ; mais leur crédit
66 MERCURE DE FRANCE.
plus fouvent con redit par l'expérience ,
ne s'eft jamais foutenu long- temps. Le
plus grand nombre des Chirurgiens ont
tourné leur confiance du côté des frictions
en y préparant le corps par tout
ce qui pouvoit les rendre falutaires. On
eft venu à bout d'établir ainfi un traitement
plus prudent , plus ménagé &
plus méthodique que les précédens . On
a opéré des guérifons ; mais on en a
manqué un grand nombre. Quelque
fageffe qu'on ait employée dans l'adininiftration
, fouvent on n'a pu prévenir
des accidens redoutables. L'épuiſement
des malades , par l'excès de la falivation,'
a été tel , pour l'ordinaire , que les convalefcences
ont été une feconde maladie.
On a cru obvier à cet inconvénient
en évitant la falivation la plus
légére ; mais en adouciffant le reméde,
on n'a fait, pour ainfi dire,que pallier
le mal. Nous pafferons fous filence
les autres méthodes inventées jufqu'au
temps de Boerhaave, qui ofa faire l'effai
du fublimé corrofif , avec les ménagemens
qu'éxigeoit une entreprife fi
périlleufe. Son autorité prépondérante,
celle de fon illuftre difciple le Baron
de Vanfwieten , & quelques fuccès fur
les tempéramens robuftes , ont accrédi
MARS. 1763. 67
té jufqu'à un certain point ce reméde ,
mais n'ont pu effacer la jufte méfiance
que mérite un poiſon , quelque petite
qu'en foit la dofe , avec quelque prudence
qu'on l'adminiftre. Le feul point
fur lequel on ne varie pas , c'eft que
le vrai fpécifique du virus vénérien , ne
doit point être cherché ailleurs que dans
le mercure. On ne fe partage que fur
la maniere de le préparer & de l'adminiftrer.
M. Keyfer appellé dès fa jeuneſſe à
l'exercice de la Chirurgie , & particulierement
livré au traitement des maladies
vénériennes , apprit de bonne
heure à connoître l'imperfection des
différentes méthodes. Prévenu d'un
goût décidé pour la Chymie , il s'appliqua
principalement à travailler le
Mercure , dans tous les fens poffibles ,
pour découvrir le plus propre à développer
& à manifefter complettement fa
vertu anti-vénérienne . Il faut lire dans
l'ouvrage même les raifonnemens pleins
de folidité , de jufteffe , de clarté & de
précifion fur la nature de ce minéral ,
fur fa vertu , fes effets & la manière
de le préparer. Ce que M. Keyfer a
imaginé avec tant de fagacité , il l'a exécuté
avec le fuccès le plus heureux ;
}
68 MERCURE DE FRANCE.
1
mais il n'y eft parvenu qu'après des efforts
redoublés ; & fa conftance courageufe
le conduifit enfin au terme defiré.
Dès-lors fon reméde ne pouvoit
manquer d'éprouver bien des contradictions
; mas il en triompha par le
nombre & la folidité des cures qu'il
opéra ,, ppaarr fa conduite prudente & circonfpecte
, par le témoignage des perfonnes
vertueufes & éclairées qui ont
fuivi fes traitemens , & par la protection
particulière de M. le Maréchal de Biron.
Ce Seigneur , ami de la vérité & du bien
public , en établiffant & en foutenant
un Hôpital pour les Soldats des Gardes
Françoifes , a fervi puiffament M. Key
fer , le Corps illuftre qu'il commande,
& la totalité des citoyens. Convaincu
par fes propres yeux de l'éfficacité d'un
reméde dont il voyoit chaque jour les
effets les plus falutaires , il n'a point dédaigné
de defcendre dans des détails
pour en maintenir le crédit , pour dévoiler
l'impofture attachée à le décrier.
L'expérience continua à parler en faveur
des dragées de M. Keyfer. Le Public y
eut recours avec un redoublement de
confiance. Plufieurs perfonnes recom→
mandables par leur probité , par leur
zéle pour tous les objets d'utilité puMAR
S. 1763.. 69
blique , joignirent leurs voix à celle de
M. le Maréchal de Biron. Un Miniftre
également diftingué par la fupériorité
de fes lumiéres , par fes dignités & par
fa naiffance , fans interrompre fes grandes
occupations publiques , militaires &
maritimes , recueillit avec foin tous ces
fuffrages , parce qu'ils tendoient à fecourir
tous les fujets du Roi , & furtout
cette partie qui fait la force de
l'Etat. Il les fit valoir aifément auprès
de Sa Majefté , qui a bien voulu agréer
l'offre que M. Keyfer lui a faite du fecret
de fa compofition ; & dans la vue
de proportionner la récompenfe à l'utilité
du reméde , Elle l'a gratifié d'une
penfion annuelle de dix mille livres ,
ainfi que nous l'avons déja dit dans un
de nos Mercures précédens. Les Lettres
Patentes du Roi rappellent les raifons
qui ont déterminé S. M. à acquérir
ce fecret ; c'eft 1 ° . l'ufage qui s'eft fair
des dragées anti-vénériennes,tant fur un
grand nombre de Particuliers, que dans
les Hôpitaux militaires , & les fuccès
authentiques qui l'ont fuivi . 2 °. Le defir
de ménager à tout le monde la facilité
de fe procurer pour un prix modique
un reméde excellent , & fi fouvent
néceffaire , & de ne point l'expo70
MERCURE DE FRANCE .
re ,
fer à tomber dans le difcrédit l'i-
, par
gnorance , l'inexpérience , & peut- être
la mauvaiſe foi de quelques - uns de
ceux qui le prépareroient. On n'a point
à craindre que cet important dépôt périffe
il ne pouvoit être confié à desmains
plus fures & plus habiles qu'à
celles de M. Senac. La place qu'il occupe
, la confiance dont le Roi l'honol'étendue
de fes connoiffances en
Médecine , fes fçavans écrits & fes lumières
particulières en Chymie , doivent
donner le plus grand poids au rapport
fidéle qu'il en a fait à Sa Majeſté.
Un autre témoignage qui doit encore
foutenir la confiance générale pour un
reméde fi précieux à l'humanité , eſt
celui de M. Richard , premier Médecin
de l'Armée , qui eft auffi le dépofitaire
de ce fecret. Plus de mille expériences
faites fous fes yeux , & dont il a rendu
un compte fidéle au Miniftre , font des
preuves qui n'ont laiffé aucun doute fur
féfficacité du reméde , & que fa probité
reconnue & fon zéle pour le bien public
ne lui ont pas perinis de diffimuler.
Nous n'entrerons ici dans aucun détail
au fujet de la Méthode de M. Keyfer. Un
fimple extrait ne fuffiroit pas aux malades
qui font dans le cas de faire ufaMARS.
1763.
ge du reméde , & deviendroit inutile à
ceux qui fe portent bien. Les premiers
fe procureront aifément l'ouvrage même
qui s'envoye avec la dofe de dragées
néceffaire à leur guériſon , pour la
fomme de 14 liv.
DISCOURS prononcé dans l'Académie
Françoife , le Samedi 22 Janvier
M. DCC. LXIII , à la réception
de M. l'Abbé DE VOISENON ; à
Paris , chez la veuve Brunet , Imprimeur
de l'Académie Françoiſe , au
Palais & rue baffe des Urfins. 1763.
in-4°.
J
Le Public a vu avec plaifir un Eléve
aimable de Thalie fuccéder à un des
plus chers Favoris de Melpomene , & a
applaudi au choix de l'Académie Françoife
, qui a nommé M. l'Abbé de Voifenon
à la place de M. de Crébillon. Ce
fut le Samedi , 22 Janvier , que M. l'Abbé
de Voifenon y vint prendre féance
& y prononça un difcours qui a mérité
les applaudiffemens d'une nombreuſe
Affemblée. On fçait quelle eft la diffi-
1
72 MERCURE DE FRANCE .
" .
culté de ces fortes d'Ouvrages , où fur
an plan tout tracé on éxige cependant
des chofes neuves. Sans s'écarter de la
Toute indiquée , l'ingénieux Récipiendaire
a fçu employer des tours nou
veaux qui l'ont , pour ainfi dire , tiré de
la claffe commune. Il fuccédoit à un
très-grand Poëte : fon difcours , quoiqu'en
profe , devoit donc refpirer la
plus haute Poëfie; & c'eft dans ce langage
fublime qu'il a dignement loué fon illuftre
prédéceffeur. » Le grand Corneille,
», dit- il , & le tendre Racine venoient
» d'être plongés dans les ténébres du
tombeau : leurs maufolées étoient
» placés aux deux côtés du trône qu'ils
avoient accupé ; la Mufe de la Tragédie
étoit panchée fur l'urne de Pompée
, & fixoit des regards de défolation
fur Rodogune , Cinna , Phedre,
Andromaque & Britannicus. Elle étoit
» tombée dans une létargie profonde ;
» fon âme ufée par la douleur , n'avoir
» plus la force que donne le défefpoir.
Dans l'excès de fon abbattement ,
fon poignard étoit échappé de fes
mains un morte! fier & courageux
» enveloppé de deuil , s'avance avec in-
» trépidité ; ramaffe le poignard & s'écrie
: Mufe , ranime-toi , je vais te ren-
» dre
ور
MARS. 1763. 73
I.
es
11-
é
en
dre
» dre ta fplendeur. La Terreur entendit
» fa voix & parut fur la Scène : Tu me
» rappelles à la lumière , & ton Génie
» m'a donné un nouvel être , dit- elle
» avec tranfport. A ces mots elle faifit
» une coupe enfanglantée , marcha de-
» vant lui , & fit retentir le Mont facré
» du nom de Crébillon. La Mufe re-
» prit fes fens ; les cendres de Corneille
» & de Racine s'animérent ; & leur
» Succeffeur fut placé fur le Trône éle-
» vé entre les deux tombeaux.
Après cet éloge poëtique , M. l'Abbé
de Voifenon entra dans quelques détails
au fujet des Ouvrages dramatiques
de fon Prédéceffeur. Il dit , en parlant
d'une de fes Tragédies. » Atrée &Thyefte ,
- ce chef-d'oeuvre d'horreur , fit une
» impreffion fi forte , qu'on détourna
» les yeux ; on la lut , on l'admira ;
, mais on n'en foutint la repréfentation
» qu'avec peine ; & c'étoit la louer que
» de n'ofer la voir.
L'éloge de M. de Crébillon, dont nous
n'avons rapporté qu'une petite partie ,
eft firivi des autres éloges d'ufage dans
ces fortes de cérémonies ; & enfin le
difcours eft terminé par la defcription
poëtique de deux Temples que l'Auteur
appelle le Temple de la fauffe Gloire , &
D
74 MERCURE DE FRANCE .
de Temple de la Gloire véritable. Il place
dans le premier les Gengiskan , les
Tamerlan les Alexandres & tant
d'autres qui les ont pris pour modéles ;
de là une defcription des malheurs que
caufe l'ambition des Conquérans . Le
Temple de la Gloire véritable eſt bien
différent. C'eſt le féjour des bons Rois
tels que Marc Aurele , Trajan , Titus ,
S. Louis , Louis XII, Henri IV; ce qui
améne très- naturellement l'élogedu ROI
LOUIS XV,qui doit être l'ornement de
ce Temple. C'eft par là que finit le
difcours de M. l'Abbé de Voifenon ,
dans lequel on a trouvé des tours nouveaux
, des penfées ingénieufes , & une
variété d'images & de ftyle peu ordinaire
dans les Ouvrages de cette nature.
M. le Duc de S. Agnan én qualité
de Directeur de l'Académie , répondit
au difcours du nouveau Récipiendaire.
C'étoit M. le Duc de Nivernois qui devoit
être chargé de ce travail , fi des affaires
plus importantes ne l'euffent occupé
ailleurs. C'eſt à quoi M. le Duc de
S. Agnan fait allufion quand il dit: » Les
›› grands intérêts qui lui font confiés
»peuvent feuls nous empêcher aujourd'hui
de regretter fon abfence . De là
MARS. 1763. 75
il paffe à l'éloge de M. le Duc de Nivernois
qu'il finit ainfi » Daignez ,
→ Meffieurs , oublier ce que vous per-
» dez en ce jour , & ne vous occuper
» que de la fatisfaction que vous au-
» rez bientôt de le revoir le rameau d'o-
» livier entre les mains , plus en état
» que jamais de vous aider à faire con-
» noître à la Poftérité la plus reculée
» juſqu'à quel degré notre bien - aimé
Maître & Protecteur a porté tant de
» fois , & fi récemment encore les
» fentimens d'humanité , de bonté &
» d'amour de fes Peuples : fentimens
» nés avec lui pour notre bonheur , &
» garants à l'Europe entière de l'ufage
» qu'il fait des dernières leçons de fon
augufte Bifayeul , toujours préfentes
» à fes yeux , & pour jamais gravées
» au fond de fon coeur.
C'eft avec ces mêmes traits d'une noble
fimplicité que M. le Duc de S. Agnan
avoit loué M. l'Abbé de Voifenon
, & le grand Poëte Tragique qu'il
venoit remplacer à l'Académie. On a
applaudi à ces divers éloges ; & le difcours
imprimé n'a point démenti les
pplaudiffemens de l'Affemblée .
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
LES APRÉS- SOUPERS de la Campagne
, ou Recueil d'Hiftoires courtes,
amufantes & intéressantes ; à Amfterdam
, & fe trouve à Paris chez
Bauche , quai des Auguftins , & Duchefne
, rue S. Jacques. 2. vol. in- 12
2763 ,
IL paroît que le Public reçoit avec
plaifir les différens recueils où l'on réunit
pour fon amufement un certain
nombre de Contes , choifis avec goût ,
& recueillis des meilleurs Auteurs. Parmi
ces diverfes collections , nous n'en
avons guères lu de plus agréables que
celle que nous annonçons aujourd'hui .
On y trouve des hiftoires piquantes ,
écrites avec efprit , & préfentées fous
un point de vue moral , qui joint toujours
l'utilité à l'agrément. Nous ferions
fort aifes d'entrer dans quelques
détails ; mais ces fortes d'avantures ne
font point fufceptibles d'analyfe ; ce feroit
ôter à nos Lecteurs une partie du
plaifir qu'il y a à les lire , que de les
annoncer par extraits,
MARS. 1763. 77
1172
1
S
LETTRE fur un Poëme Latin , du
Seiziéme Siécle de Monfieur de
MASSAC , Receveur Général des
Fermes du Roi , Abonné au Mercure
, & de la Société Royale d'Agriculture
de la Généralité de Limoges
, à Monfieur DE MONT , de la
même Société , Confeiller au Parlement
de Toulouse & de l'Académie
des Jeux Floraux.
MONSIEUR ,
>
En parcourant la nouvelle Edition
du Dictionnaire de Moreri , vous avez
trouvé , dites-vous qu'il y eft fait
mention d'un Raimond de Maffac ;
Auteur d'un Poëme Latin fur les Eaux
minérales de Pougues ( a ). Vous ne
( a ) Pougues , Village du Nivernois , entre
Nevers & la Charité, étoit autrefois fort renommé,
( je ne fçais s'il l'eft encore ) à caule de deux fentaines
dont les eaux avoient la vertu de guérir de
l'hydropifie & de la pierre. Quoique ces deux
fontaines , dont l'une s'appelloit de S. Léger , &
l'autre de S. Marceau , ne fuffent diftantes l'une
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
doutez point que cet ouvrage ne
foit entre mes mains ; & quoique M.
l'Abbé Goujet en ait parlé affez avantageuſement
dans fa Bibliothéque Françoife
, vous feriez - bien aife que je
vous fiffe connoître plus particuliére--
ment l'Auteur & fon Ouvrage.
Il m'eft d'autant plus aifé de vous
fatisfaire fur le fecond objet de votredemande
, que je viens précisément
de lire avec attention le Poëme dont
il s'agit. Quant aux particularités concernant
l'Auteur , que vous exigez auf--
fi , je ne puis vous en rapporter que
très -peu , qui ont ont échappé aux recherches
de M. l'Abbé Goujet.
par
Meffire Raimond de Maffac , dont
les defcendans ont joui fans interrup
tion de la nobleffe , qui avoit été accordée
Charles VII en 1434 à
Jean de Mafac fon bifayeul & Chef
de ma Famille , étoit originaire de
Clairac en Agénois , comme il le dit
lui-même. Il quitta fa Patrie pour aller
fixer fon domicile à Orléans l'an 1586..
Ce fait eft prouvé par une Enquête en
de l'autre que d'un pied , on remarquoit cepen-.
dant quelque différence dans le goût de leurs
eaux. Voyez le Traité de ces Fontaines imprimé
à Paris en 1581 .
MARS. 1763. 79
ปี
bonne forme faite le 15 Mars 1678
à la Requête de noble Augé de Maf
fac , Officier au Régiment d'Artois ;
piéce qui eft entre les mains de mon
Père.
Par l'Epitre Dédicatoire de Raimond
de Maffac , au Prince Charles de Gon
zagues de Cleves ( b) premier du nom ,
Duc de Nevers & de Rhêtel , Pair de
France , Prince de Mantoue , & Gou
verneur de Champagne , & de Brie ,
on voit que cet Auteur étoit d'un caractère
gai & qu'il étoit fort recherché
par les perfonnes de la premiere
Qualité. Plufieurs autres de fes écrits en
fourniffent auffi la preuve: On peut
conjecturer par la date de fes derniers
ouvrages , qu'il mourut au commencement
du dix -feptiéme Siécle . Indépendamment
de fa traduction d'Ovide en
vers françois , à laquelle fon fils Char-^
les de Maffac , travailla beaucoup , &
de fon Poëme fur les Eaux de Pou-"
gues , traduit auffi en vers françois par
le même Charles, il en compofa plufieurs
( b ) La branche des Gonzagues de Cleves fut
éteinte par la mort de Ferdinand Charles Gouza- "
gues IV. du nom , Duc de Mantoue & de Montferrat
, & le Cardinal de Mazarin acquit les Duchés
de Nevers & de Rhetel des derniers Ducs de
Mantoue. D iv
7
80 MERCURE DE FRANCE.
1
autres latins.J'en ai vu de fa façon à la tête
d'une édition de Juftin , qu'on réimprima
de fon temps . Il célébra les talens ,
de plufieurs Auteurs fes contemporains.
Il fut lui - même célébré par plufieurs
Sçavans , & fon Poëme latin , dont je
vais vous parler , eft enrichi de notes
grecques & latines de Jacques le Vaf
Jeur , Docteur en Théologie , né à
Vîmes dans le Ponthieu , près d'Abbeville.
Vous fçavez mieux que moi ,
mon cher ami , que la Poëfie Didactique
, ayant pour but principal d'inf
truire les hommes , la bonté des Poëmes
en ce genre doit fe régler fur l'utilité
du Sujet que l'on traite & fur les
avantages qui réfultent des inftructions
qu'on y donne. La beauté de la verfification
, l'abondance dans les images,
la force de l'expreffion & c. ne font
pour ainfi dire , que les machines que
fait jouer le Poëte pour amufer le Lecteur
; machines qui font cependant
néceffaires pour conftituer un corps
d'ouvrage , qui plaife en intéreffant ,
lectorem delectando , pariterque monendo.
Je puis vous affurer que ,
fi vous
lifez vous- même la feconde édition (c).
( c ) Elle fe trouve dans plufieurs Bibliothéques
, & notamment à Paris dans celle du Collé
ge Mazarin .
MARS. 1763.
81
du Poëme , intitulé : Remundi Maffaci
Clarici Agenenfis & Collegii Aurelianenfis
Falcultatis Medica Decani Pugea
, feu de Limphis Pugeqcis libri
duo.
Vous verrez avec plaifir qu'à la folidité
des préceptes repandus dans tout
l'ouvrage , le Poëte a ajouté un air
d'enjouement qui régne depuis le
commencement jufqu'à la fin. On y
y trouve en effet des comparaifons juftes
& bien afforties , de la facilité dans
la verfification , des expreffions délicates
, des tours heureux. L'agrément des
deferiptions fait difparoître la féchereffe
des préceptes. Le Poëte peint partout,
Et il me femble que fon pinceau rend
mieux les couleurs de la nature . Médecin
habile, Philofophe profond, il expofe
avec clarté cette phyfique obfcure , qui
étoit en vogue dans fon temps, & il en
tire dequoi expliquer clairement tout
ce qui a trait à fon ouvrage ; il féme
quelquefois des traits d'une érudition
peu commune ; ce n'eft pas tout : comme
le Poëme Didactique fans épiſode
feroit ennuyeux , il y en mêle fagement
quelqu'une. Enfin je crois qu'on
peut dire fans être taxé de prévention,
que cet ouvrage fait quelque hon-
D V
82 MERCURE DE FRANCE.
neur à fon Siécle. En voici une Ana“ -
lyfe fuccinte qui vous en donnera fans ;
doute l'idée que j'en ai conçue .
'ANALYSE DU PREMIER LIVRE..
Le Poëte , après avoir expofé fon
Sujet en peu de mots , paffe rapidement
fur l'invocation , & nous préfente
de la manière fuivante , le tableau
d'un homme qui reffent les douleurs de
la pierre ..
?
Calculus in cyſtam poftquam de rene pependit -
Labitur , atque fero fenfim impellente vagatur :
Sin minor ipfe locus fuerit , majufque locatum .
Tenditur ureter, tenfufque dolore fatigat
Humanum corpus repetito vulnere pun&um ,
Horrendæ indè cruces , atque irrequieta laborum ›
Colligitur rabies , jacet heu patientia victa ,
Æger agens morbum fecum fua damna ferendo ,
Carfitat huc illuc , ringens , tremebundus , anhelans
,.
Pertælus vitam , pertæfus lumina coeli ,
Mortem orat , Superofque infanâ voce laceffit :
Haud aliter taurus tacito percuffus afilo
Eftuat in rabiem, campos , montefque peragrans
Aëraque immenfum crebris mugitibus urgens ,
Seque fugit , fequiturque , malique renaſcitur Au-.-
&tor.
MARS. 1763. 83
Cette peinture me paroît d'une touche
førte & naturelle. L'Auteur explique enfuite
la formation , les fymptomes, & les
fuites funeftes de cette maladie. Il nous
apprend que ce n'eft pas feulement dans
les canaux urétaires des reins , que fe
forme la pierre : il en a vu lui - même
aux deux côtés du coeur , dans le pou
mon , dans le cerveau & dans d'autres
parties du corps . De -là , fon imagination
le tranfporte fur le bord de la fontaine
de Pougues , où le Dieu de la mé
decine va lui apprendre depuis quel
temps ces eaux coulent dans cette contrée
, avec quelles précautions il faut :
les boire , & comment elles ont la ver
tu de diffoudre la pierre. Le Dieu de
la Loire , dit-il , éleva avec foin une fille
qu'il avoit eue de la Nymphe Pégée.
Cette jeune Nayade fut bien- tôt recherchée
en mariage par tous les Dieux
champêtres ; mais elle dédaigna leurs
tranfports amoureux . Apollon l'apperçut
un jour dans le temps qu'elle chaf
foit. La Beauté , les Charmes , les Grâ
ces , le port majeftueux de la nouvelle
Diane , firent naître à l'inftant dans le
coeur du Dieu , un amour des plus vio--
lens . Il la pourfuivit , mais en vain ; elle
arrive en fuyant fur le bord de la Loire e
D-vj ¦
84 MERCURE DE FRANCE.
où fon père , pour la fouftraire aux
pourfuites d'Apollon , la change en fontaine
. Le Dieu qui la chériffoit , même
après fa métamorphofe , donne aux eaux
de cette fontaine , la vertu de guérir de
plufieurs maladies & particuliérement
celle de la pierre ..
ANALYSE DU DEUXIÉMÉ
LIVRE.
Le Poëte , à qui le Dieu de la médecine
avoit infpiré , pendant un léger
fommeil , ce qu'on a vu dans lé premier
Livre , fe tranfporte maintenant à
l'endroit où coulent les eaux qui font la
matière de fes Vers . Après les avoir
analyfées lui-même , il explique en Phyficien
la formation des fontaines. Il y
a , dit- il , dans la terre & furtout dans
les creux des rochers des réfervoirs où
l'eau fe ramaffant en grande quantité &
fe filtrant dans les canaux fouterrains
prend des couleurs & des goûts différens
, felon les matieres qu'elle rencontre
für fon paffage. Il paroît par ce que
dit notre Poëte , que l'efprit de vitriol
& de fouffre abonde dans les eaux de
Pougues ; ce qui leur donne tant de
vertu pour diffoudre les parties fablonneufes
& tartareufes qui forment la
1
MARS. 1763. 85
1
e
pierre. Après cet éxamen il place adroitement
l'éloge de Henry le Grand qu'il
prie de veiller à la confervation & à
l'embéliffement de ces fources falutaires
, qui font auffi éfficaces pour la
pierre que pour les maux de poitrine.
En finiffant il trace encore avec un
pinceau non moins délicat qu'énergique
, le portrait de plufieurs perfonnes
diftinguées qui avoient été à Pougues
chercher du foulagement à leurs douleurs.
Il faut lire dons l'Ouvrage même
l'éloge pompeux & magnifique qu'il
fait des Gonzagues , des Guifes , des
Longuevilles , des la Châtre. Je me borne
à vous rapporter le plus court ; c'eft
celui de Claude - Catherine de Clermont,
Baronne de Rhetz , & Dame de Dampierre
, fi célébre par fon efprit. Elle
fut Ducheffe de Retz & mourut en
1603 , âgée de foixante ans .
Nec tu carminibus noftris indicta manebis ,
REZIA , grandè decus Mufarum & nobilis arte ;
Et quæ docta fonas æquantia plectra Maronem ;
Parnaffi cultrix & Galli Neftoris uxor ,
Femina virtute & majorum ſtemmate fulgens ,
Sicque tuo fulgebit opus fub nomine noftrum.
Vous connoiffez depuis longtemps
#
86 MERCURE DE FRANCE.
Monfieur , quels font les fentimens
d'eftime , de confidération & d'amitié
avec lefquels
J'ai l'honneur d'être & c.
'A Brive-la-Gaillarde , ce 15 Décembre 17623
I
A L'AUTEUR DU MERCURE ,
Sur un Plagiat.
y a quelques années , Monfieur ,
qu'une perfonne envoya de Beauvais , ›
ou d'Amiens , une piéce de vers qu'elle
foufcrivit pour en paroître modeftement
l'Auteur , dans l'idée fans doute que
M. PAVILLON de l'Academie Françoife
étoit inconnu dans la Capitale ;
cette fupercherie , pour ne rien dire de
plus , lui réuffit , & on vit paroître
au Mercure LES CONSEILS A IRIS ,
fous le titre , je crois , à moitié déguifé
, DE CONSEILS A UNE JEUNE DE
MOISELLE . J'en écrivis à l'Auteur du
Mercure qui la démaſqua dans le Mercure
fuivant . \-
Dans le premier volume de votre
Mercure de ce mois qu'on vient de
m'apporter , j'y trouve page 69 à -peu-.-
MARS. 1763.. ទ ៗ :
e
It
e
2-
Le ;;
de
tre
IS ,
gui
DEr
du :
Mervotre
2
nt
de
:
-peu
-.-
près la même chofe dans un autre genre,
c'eft l'ÉNIGME dont le mot eft Fiacre
ou Carroffe de place , qui a déja été
inférée au Mercure il y a quelques an--
nées.
Il faut efpérer que l'Anonyme de
qui vous la tenez vous enverra bientôt
l'Enigme des Coches publics qui , je
crois , eft dans le premier ou fecond vo--
lume du Mercure de M. Dufrefny..
Il eft pourtant bon de vous faire con--
noître ces pirateries , étant tous les
jours dans le cas d'être trompé de cette
manière par lé peu
de temps que
vous avez pour la rédaction de votre
Journal, qui ne vous permet pas de vous
reffouvenir à l'inftant des Ouvrages des
Auteurs dont veulent fe parer certains
plagiaires en abufant honteufement le
Public ; ce qui eft de la derniere éffron--
terie , furtout lorfqu'ils ofent y mettre
leurs noms ; cela devroit même avoir
fon eſpèce de punition proportionnée
à celles que les larrons trouvent dans
le's Loix.
Cette dénonciation de filouterie lit
téraire doit être rendue publique pour
l'éxemple . Vous en ferez au furplus l'u ---
fage que vous voudrez .
J'ai l'honneur d'être , & c.
C21 Janvier 176303. De la G ****
88 MERCURE DE FRANCE,
LETTRE à M. DE LA PLACE
un Jetton , frappé en 1606.
, Sur
IL eft aifé , Monfieur , de vous donner
l'explication du jetton dont vous faites
.mention dans votre fecond Mercure du
mois de Janvier 1763 , page 78. J'ai
trouvé ce jetton en original en cuivre
parmi ceux des Rois de France que
j'ai raffemblés qui ont été frappés au
commencement de la Monarchie jufqu'à
préfent . Voici le tipe de ce jet
ton. On voit d'un côté le Roi Henri
IV debout devant un autel fur lequel
il met fa main droite devant un Crucifix
lors de fon abjuration faite dans
l'Eglife de S. Denis , le Dimanche 25
Juillet 1593 , & l'autre main élevée
vers le Ciel , avec cette Légende : Tuta
mihi numinis ara. Exg. 1606.
Revers , la Religion fous la figure
d'une femme , conduifant par la main.
le Roi Louis XIII enfant , à une Eglife
au-deffus d'une montagne , & tenant
de la main droite un coeur enflammé
avec ces mots , Hæc tibi certa domus.
Exg. 1606. D. N. Abonné au Mercure
A Paris , le 24 Janvier 1763 .
MARS. 1763. 89
el
s
25
ée
ita
ure
ain
life
ant

nus
.
Ra
ANNONCES DE LIVRES.
COLLECTION de différens Morceaux
fur l'Hiftoire Naturelle & Civile
des Pays du Nord , fur l'Hiftoire Naturelle
en général , fur d'autres Sciences ,
fur différens Arts ; traduit de l'Allemand
, du Suédois , du Latin , avec des
notes du Traducteur. Par M. de Keralio
, Capitaine , Aide - Major à l'École
Militaire , & chargé d'y enfeigner la
Tactique. Tome premier , in-12.
Je vais jufqu'où je puis ;
Et femblable à l'Abeille , en nos jardins écloſe ,
De différentes fleurs j'affemble & je compofe
Le miel que je produis.
Rouffeau , Od. 1. du Liv. 3. Stroph. 30.
-
A Paris , chez R. Davidts , Libraire
quai des Auguftins , à S. Jacques . Cette
Collection très intéreffante , & dont
nous nous propofons de rendre compfera
bientôt fuivie de plufieurs au-
,
tres volumes,
LA MORALE ÉVANGÉLIQUE expliquée
par les SS . Pèrés ; ou Homélies
choifies des Pères de l'Eglife , fur tous
90 MERCURE DE FRANCE .
les Evangiles des Dimanches & Fêtes
de l'année. Ouvrage très-utile, aux Curés
, aux Eccléfiaftiques chargés d'inf
truire les Peuples ; & généralement à
tous les Fidéles qui veulent s'inftruire à
fond des vérités de la Religion . Par M.
l'Abbé Mary de la Canorgue , Prêtre ,
Licentié en Théologie. in- 12. Tom. I.
Paris , 1763 , chez Lottin le jeune ,
rue S. Jacques , vis- à -vis la rue de la
Parcheminerie.
Les jeunes Eccléfiaftiques qui fe
deftinent à inftruire les Peuples , qui
n'ont pas des facilités de puifer euxmêmes
dans les Pères, trouveront dans ce
recueil d'Homélies , les endroits les plus
beaux des SS. Pères. On y rencontre des
morceaux vifs & très - éloquens , des
comparaifons fort belles qui jettent un
grand jour dans la fuite du difcours :
partout beaucoup de lumiére & d'onc
tion , & cette véritable éloquence de
chofes & non de mots qui inftruit &
perfuade à la fois. Les fideles y trou--
veront une morale füre & une inftruction
folide.
Quelques perfonnes au premier coup
d'oeil ont cru que ces Homélies étoient
celles qui fe trouvent dans le Breviaire :
que l'on avoit raffemblées & fimple--
MARS. 1763. 95
le
X
Cup
'
nt
re :
Jement
traduites. Il y a cependant une
grande différence entre les unes & les
autres. D'abord il n'étoit guères poffible
de faire un recueil comme celuici
, fans fe rencontrer fréquemment
avec celles-là. D'ailleurs on ne trouve
ordinairement dans le Bréviaire qu'un
morceau qui a rapport à un endroit ou
à une partie de l'Evangile ; & ici prèfque
toutes les Homélies paraphrafent le
texte de l'Evangile en entier. Souvent
elles expliquent le fens moral , le figuré
& allégorique ; elles renferment même
quelquefois une triple explication de
tout l'Evangile.
-
On trouve chez le même Libraire
Les Stations de la Paffion de N. S.
Jefus Chrift , qui en contiennent
l'Hiftoire , avec des Réflexions & des
Prieres , &c. à l'ufage des Eglifes , Monaftères
& Communautés , où l'on fait
des proceffions pour adorer Jefus- Chrift;
Ouvrage propre aux Confrères de Jé
rufalem , aux Maifons Religieufes du
Calvaire , du Saint Sépulchre , des Filles-
Dieu & autres ; & généralement utile
à tous ceux qui veulent fe rappeller &
honorer le mystère de la Croix , dans
la fainte Quinzaine , tous les Vendredis,
J
92 MERCURE DE FRANCE.
ou durant tout le cours de l'année . Vol
in- 12. 1 liv. 6 f.
Le même Libraire Lottin , le jeune ,
vient d'acquérir du fond de M. le Prieur
les Exercices Religieux , utiles & profitables
aux Ames religieufes qui defirent
s'avancer en la perfection , avec
plufieurs avis , Inftructions & Pratiques
fpirituelles pour les y conduire & c.
Vol . in-12 . 2 liv. 10 f.
>
INSTRUCTIONS Chrétiennes fur les
huit Béatitudes tirées des faints Pères de
l'Eglife ; & en particulier de faint Auguftin
, fuivies d'une Priére & Afpirations
; ou Abrégé de toute la Morale
de l'Evangile , dans lequel le Chrétien
trouvera des règles fûres pour former
fes fentimens & fa conduite & des
motifs de confolation dans toutes les
épreuves de la vie. Par M. Cabrisseau ,
Théologal de Rheims. A Paris , chez
Lottin , le jeune , Libraire , rue S. Jacques
, vis-à-vis la rue de la Parcheminerie.
1763. Avec approbation & Privilège
du Roi.
,
LES DEUX LIVRES de S. Auguftin
, Evêque d'Hippone , à Pollentius ,
fur les mariages adultères , traduits en
MARS. 1763. 93
f
en
François , avec le Texte Latin à côté ,
des notes , & une differtation . Dédiés à
M. l'Evêque de Soiffons . Ouvrage utile
& même néceffaire à tous les Confeffeurs
, & finguliérement aux Millionnaires
employés chez les Infidéles . in - 12,
Paris , 1763. Chez G. Defprez , Imprimeur
du Roi & du Clergé de France,
rue S. Jacques . Prix , 2 1. 2. f. broché.
"
LETTRES Philofophiques , fur la
formation des Sels & des Cryftaux , &
fur la génération & le Méchaniſme organique
des Plantes & des Animaux, à
l'occafion de la pièrre bélemnite & de
la pièrre lenticulaire , avec un Mémoi
re fur la Théorie de la Tèrre . Par M,
Bourguet. Seconde édition , in- 12. avec
figures. Amfterdam , chez Marc- Michel
Rey , 1763 , & fe trouve chez Briaffon,
rue S. Jacques , à Paris.
VOYAGE du M. *** en Périgord ,
Vers & Profe . Brochure in - 12. Chez
Brocas & Humblot , rue S. Jacques.
DISCOURS fur la Satyre , Ouvrage
traduit de l'Italien .
Interest Reipublicæ cognofci malos.
Brochure in- 12 . Amfterdam , 1763 , &
94 MERCURE DE FRANCE.
fe trouve à Paris chez les Libraires qui
vendent les Nouveautés.
MARII CURILLI Groningenfis Satyræ.
Groninga , apud Jacobum Bolt ,
Bibliopolam. 1758.
GER. NICOLAI HERQUENII., Arcad.
Socii , & Acad. Reg. Pariſ. Litter.
& Antiq . Miniftri , Italicorum Liber
unus. Groninga. Typis Jacobi Bol
tii , Bibliopola. 1762 .
N. B. L'Auteur qui nous a fait l'honneur
de nous adreffer ces deux Ouvrages
dont nous n'avons qu'un très-bon
compte à rendre , ne nous dit pas
s'en trouve à Paris des exemplaires.
s'il
ÉSSAI fur les Bois de Charpente , ou
Differtation de la Compagnie des Architectes
& Experts des Bâtimens à Paris
, en réponse au Mémoire de M. Paris
Duvernai , Confeiller d'Etat , Intendant
de l'Ecole Royale Militaire , fur la
Théorie & la Pratique des gros Bois de
Charpente , dans leur exploitation &
dans leur emploi. Rédigée par MM.
Babuty , Defgodetz , & le Camus de
Mezieres. Brochure in- 12 . Paris , 1763 .
Chez Babuty fils , Libraire , quai des
Auguftins , à l'Etoile.
MARS. 1763. 95
e
&
L.
He
3 .
.es
CAQUET BON BEC , la Poule à ma
tante , Poëme badin.
Et frontem nugis folvere difce meis.
Ovid.
Brochure in-12 . 1763. Se trouve à Paris
chez Pankoucke , à côté de la Comédie
Françoiſe & chez Duchefne , rue S. Jaques.
JUDITH & DAVID , Tragédies . Par
M. L *** , Avocat . A Amfterdam, 1763;
& fe trouvent à Paris , chez Guillyn ,
Libraire , quai des Aug. au Lys d'or.
THEATRE de M. Nivelle de la Chauf
fée , de l'Académie Françoife . 5 vol.
in- 16. jolie édition. Paris , 1763. Chez
Prault , petit-fils , Libraire , quai des
Auguftins.
ABRÉGÉ de la Grammaire Françoife.
Par M. de Wailly, Nouvelle édition
in- 12, Paris , 1763. Chèz J. Barbou ,
Libraire- Imprimeur , rue S. Jacques
aux Cigognes. Prix , 1 liv. 4 f. Cette
Grammaire eft aujourd'hui adoptée par
l'Univerfité & par l'Ecole Militaire. On
trouve chez le même Libraire,la Grammaire
Françoiſe in - 12 . du même Auteur.
Le prix eft de 2 1. 10 f.
66 MERCURE DE FRANCE.
DUPUIS & DESRONAIS , Comédie
en trois Actes , & en vers libres , repréfentée
pour la premiere fois par les Comédiens
François ordinaires du Roi ,
le 17 Janvier 1763 , par M. Collé , Lecteur
de Mgr le Duc d'ORLEANS , premier
Prince du Sang. A Paris , chez.
Duchefne , Libraire , rue S. Jacqués , au
Temple du Goût. Le prix eft de 1 liv.
10 f. Le fuccès conftant de cette Piéce
charmante , que l'on voit toujours avec
le même plaifir , nous difpenfe d'en
rien dire ici de plus . On en verra l'extrait
à l'article des Spectacles.
N. B. On trouve chez le même Libraire
, les Piéces fuivantes.
L'AMOUR PATERNEL , ou la Suivante
reconnoiffante , Comédie Italienne
, en trois Actes & en profe. Par M.
Goldoni , compofée pour les Comédiens
Italiens ordinaires du Roi , & repréfentée
fur leur Théâtre au mois de Février
1763. Extrait , Scène , Part- ſcène , avec
les Lettres de M. Goldoni & de M.
Meflé , tant fur cette Piéce que fur plufieurs
autres objets des Spectacles. Prix
I liv. 4 f.
LE MILICIEN , Comédie en un Acte,
mêlée d'Ariettes ; par M. Anfeaume , la
Mufique
MARS. 1763. 97
*
1.
15
1-
er
ec
M.
Jurix
Ete,
la
que
(
.
pour
Mufique de M. Duny , repréfentée
la premiere fois à Verfailles devant leurs
Majeftés , le 29 Décembre 1762 ; & à
Paris , fur le Théatre de la Comédie
Italienne le premier Janvier 1763. Prix ,
1 liv . 4 f.
LE GUY DE CHÊNE , ou la Fête
des Druides , Comédie en un Acte &
en vers libres , mêlée d'Ariettes , avec
un divertiffement. Par M. de Junquieres
le fils. La Mufique de M. de la Ruette
repréfentée pour la premiere fois par les
Comédiens Italiens ordinaires du Roi ,
le Mercredi 26 Janvier 1763. Prix , 1 l .
4 f.
LA BAGARRE , Opéra bouffon , en
un Acte ; par M. Poinfinet ; la Mufique
de M. Vanmalder.
Non plau fus , fed rifus.
repréſenté pour la première fois par les
Comédiens Italiens ordinaires du Roi
le 10 Février 1763. Prix , I l. 10 f. avec
la Mufique.
POSTILLON PARISI EN , cu Conducteur
fidéle de la Ville , Fauxbourgs
& environs de Paris , dédié à Meffire
E
98 MERCURE DE FRANCE.
Jean- Baptifte-Elie Camus de Pontcarré,
Chevalier , Seigneur de Viarme & autres
lieux , Confeiller d'Etat & Prévôt
des Marchands de la Ville de Paris , par
MM. Louis Denis & Louis Mondhard
à Paris. Chez Denis , rue S. Jacques ,
vis-à-vis le Collége de Clermont , &
chez Mondhard, même rue & à l'hôtel
de Saumur. 1763.
LETTRE de M. le Brun , Secrétaire
des Commandemens de S. A. S. Mgr
le Prince de Conti , à l'Auteur du Mercure.
:
J'apprends , Monfieur,avec beaucoup
de furprife que quelques perfonnes ,
dont fans doute je n'ai pas l'honneur
d'être connu , croyent , ou feignent de
croire que je fuis un des Auteurs du
nouveau Journal de la Renommée Littéraire.
Je vous prie de vouloir bien
rendre publique cette Lettre , où je déclare
que je n'aurai jamais de part à aucun
Ouvrage de ce genre d'ailleurs trèseftimable
, mais dont je n'ai ni le temps
ni le goût , ni le talent .
J'ai l'honneur d'être , &c .
MARS. 1763. 99
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES
ACADÉMIE S.
EXTRAIT du Mémoire lu à l'Affemblée
publique de l'Académie Royale
des Sciences , le 13 Novembre 1762 23
par M. DE PARCIEUX , de la même
Académie; fur un moyen de donner
une abondante quantité de bonne eau
dans tous les Quartiers de PARIS
LESES Anciens & furtout les Romains
furent toujours occupés du foin de procurer
de l'eau aux Villes de leur domination
. Nous en avons une preuve
dans les monumens qu'ils conftruifoient
pour cet ufage & qui fubfiftent encore
dans plufieurs Villes de France. On en
voit à Lyon , à Nifmes , à Fréjus , à
Joigny proche Metz , & c. Au lieu d'imiter
leur exemple & d'employer les
moyens dont ils fe fervirent autrefois,
nous avons eu jufqu'ici recours à des
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
1
machines pour fournir à la Capitale le
peu d'eau qu'elle a , fi ce n'eſt les eaux
de Rungis que la Reine Marie de Médicis
y fit venir dans le fiécle dernier.
L'infuffifance de ces Machines a fait
naître à M. Dep . l'idée d'un projet qu'il
développe dans le Mémoire que nous
annonçons ; projet d'autant plus utile
qu'il remplit parfaitement fon objet
fans des dépenfes énormes ; pour en
rendre l'éxécution moins éffrayante
M. Dep. remet en peu de mots fous
les yeux les immenfes travaux que fi
rent les Romains dans les Gaules dans
le peu de temps qu'ils les ont poffédées ,
pour la conduite des eaux. Il fait enfuite
voir la néceffité d'adopter fon projet
en prouvant que la plupart des
Quartiers de Paris manquent d'eau ou
n'en ont qu'en très-petites quantité.
Après des Obfervations fort éxactes
& dont on pourra voir le détail dans
le Mémoire , M. D. a trouvé qu'il pouvoit
faire venir les eaux de la Rivière
d'Yvette prifes à Vaugien à la Place de
la Porte S. Michel , d'où fe feroit la
diftribution dans tout le refte de Paris ;
diftribution d'autant plus facile que les
eaux de l'Yvette viendroient à la même
hauteur que celles de Rungis , qu'on
MARS. 1763.
101
comme communement d'Arcueil.
L'Aqueduc propofé parcourra - un
chemin de dix-fept à dix -huit mille
toifes en côtoyant d'abord le lit naturel
de l'Yvette depuis Vaugien jufqu'à Palaifeau.
De la vallée de l'Yvette pour
fe rendre à celle de la Bievres , on lui
pratiquera un paffage fous une partie
de la montagne qui eft entre Palaifeau
& Maffy. Arrivée dans la vallée de la
Bievres , le Canal dans lequel coulera
l'eau de l'Yvette fuivra la côte droite
de la Bievres , viendra paffer la gorge
de Fiernes ou de Tourvoye fur un pont
aqueduc , continuera enfuite fa route
fous Fiernes & fous l'Hay , & arrivera
à Arcueil. Là elle paffera la vallée fur
un autre pont aqueduc joignant celui
de la Reine Marie de Médicis , fur lequel
paffent les eaux de Rungis & elle
fuivra enfuite l'aqueduc actuel jufqu'au
Fauxbourg S. Jacques.
Pour faire connoître d'une manière
plus fenfible les endroits par où doit
paffer ce canal ou cet aqueduc , M.
de Parcieux a joint à fon Mémoire une
carte du lieu où l'on voit le cours de
la rivière d'Yvette depuis fes premieres
fources jufqu'à Paris ; le cours de la
riviere de Biévres , & celui du nouveau
canal, E. iij
102 MERCURE DE FRANCE.
La nature du terrein dont les eaux
pluviales tombent dans l'Yvette avoit
bien fait préffentir à M. D. que l'eau
devoit en être bonne ; néanmoins pour
s'en affurer complettement , il en a fait
porter un certain nombre de bouteilles
pleines & cachetées à MM. Hellot &
Macquer , habiles Chymiftes de la même
Académie , qui l'ont fait paffer par toutes
les épreuves que la Chymie fournit
; & l'on voit par leur examen rapporté
tout au long à la fin du Mémoire ,
que cette eau eft de la plus excellente
qualité.
L'abondance des eaux étoit encore
un point éffentiel dont il falloit s'affurer
, de la quantité de pieds cubes d'eau
que dépenfoient par feconde les moulins
de Vaugien & le dernier du ruiffeau
de Gif dans les temps des plus baffes
eaux , M. D. a conclu qu'il paffoit
plus de 1000 pouces d'eau à Vaugien,
& plus de 200 à Gif
En effet , fi l'on circonfcrit le terrein
qui envoye fes eaux pluviales aux deux
prifes de Vaugien & de Gif , on trouve
, dit M. D. que plus de 36 millions
de toifes quarrées envoyent leurs eaux
à Vaugien ou à Gif & nous croyons
qu'il auroit dire plus de pu
millions ; 40
MARS. 1763 ) 103
mais il aime-mieux annoncer moins ,
afin qu'on ne foit pas trompé dans fon
attente.
Le tiers de l'eau qui tombe fur ce
terrein que M. Mariotte fuppofe s'imbiber
pour fournir les fources , pris
moyennement pour toute l'année , don
neroit plus de trois mille pouces d'eau
continuels . Si on fait les réfervoirs néceffaires
pour conferver le trop de certains
temps pour remplacer le moins
des autres , ou voit qu'il eft aifé de
procurer à la Ville de Paris deux mille
pouces d'eau continuels & davantage.
Après avoir parlé des moyens d'amener
l'eau de l'Yvette à Paris , & de
ce qu'il y aura à faire pour l'avoir toute
l'année pure , belle & limpide , M.
D. fait l'analyse de l'eau de la Seine
telle qu'on la puife prèfque dans tout
Paris . Après avoir montré ce qu'il entre
d'égoûts dans cette rivière par la rive
droite , qui eft beaucoup plus la Marne
que la Seine , il fait remarquer ce que
l'autre rive reçoit , & voici comme il
s'exprime :
La rive gauche de la rivière eft encore
bien pire ; on le concevra aifément
, fi on fe repréſente que tous les
égoûts de la partie méridionale de Pa-
E iij
104 MERCURE DE FRANCE.
ris tombent dans la Seine , dans Paris
même ou au-deffus , par la rivière des
Gobelins , dans laquelle fe rendent les
égoûts de toute efpéce , de Bicêtre &
de l'Hôpital , ceux des Fauxbourgs
Saint-Jacques , Saint-Marceau & Saint-
Victor , lefquels joints à tout ce que
cette rivière reçoit des Blanchiffeufes
dont fon cours eft couvert depuis &
compris le Clos- Payen jufqu'au Pontaux-
tripes , & à tout ce que les Teinturiers
, Mégiffiers , Tanneurs , Amidonniers
, Braffeurs & autres ouvriers y
jettent , la rendent indifpenfablement la
plus vilaine & la plus mal-faine qu'on
puiffe imaginer.
La rive gauche de la Seine reçoit
cette eau à fon entrée dans Paris , vient
laver les trains de bois qui font les trois
quarts de l'année le long du Port de la
Tournelle , rencontre les égoûts des
foffés Saint-Bernard & des Grands-degrés
; celui de la Place Maubert , qui
feul feroit capable de gâter une grande
rivière : ainfi préparée elle vient paffer
fous les ponts de l'Hôtel-Dieu , où elle
reçoit de cet Hôpital immenfe , toutes
les ....... on n'ofe le dire : arrivent
enfuite l'égoût de la rue de la Harpe
ceux du quai des Auguftins , & enfin
t
MARS. 1763. TOS
par les trois qui fortent fous le qua
Malaquais , les immondices d'une grande
partie de Paris ; & c'eſt de l'eau qui
coule le long de cette rive , prife audeffous
du Pont- neuf, dont eft abreuvé
tout le fauxbourg Saint- Germain ,
ou peu s'en faut , & affez généralement
celle qu'on boit dans tout Paris ..
On ne trouvera pas que ce tableau
foit flaté ; mais M. D. n'annonce rien.
qui ne foit connu de tout Paris.
Tout le monde fent aisément que
ce projet eft un des plus grands des
plus utiles , des plus importans,des plus
intéreffans & des plus urgens qu'on puiffe.
propofer pour cette grande Ville , &
M. D. n'oublie rien de tout ce qui peut
faire efpérer aux Citoyens que fon
projet fera éxécuté un jour. Il ne diffimule
pas que tout ce qu'il y a à faire
pour amener l'eau jufqu'à la rue Hyacinthe
& pour la diftribuer dans Pa ---
ris , doit coûter même affez confidérablement
: mais , dit- il , Paris n'en vaut
il pas bien la peine ? pourroit -on fe
perfuader & voudroit-on perfuader aux
autres , que nous.fommes arrivés dans:
un fiécle où l'on n'ofe plus entreprendre
les chofes les plus grandes & les
plus utiles ? Que l'on compare feule
,
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
ment , eu égard au nombre d'habitans,
& qu'on cherche à mettre quelque proportion
, fi on le peut , entre ce que
l'on propofe pour la Capitale de la
France , & ce que l'on vient de faire
pour une ville de province ; alors le
projet n'éffrayera plus.
On compte qu'il y a aux environs
de 800 mille âmes dans dans Paris , &
36 à 40 mille à Montpellier ; ce dernier
nombre n'eft au plus que la vingtiéme
partie du premier.
On vient d'amener à Montpellier les
eaux de plufieurs fources réunies , lefquelles
donnent aux environs de 70
à
So pouces , dans les plus grandes féchereffes
, par un aqueduc de 7409 toifes
de long , voûté dans toute fa lon--
gueur , de trois pieds de largeur fur 6
de hauteur fous clef, dans l'étendue duquel
il a fallu percer une montagne de
200 toifes de longueur , faire plufieurs
ponts - aqueducs pour traverfer les basfonds
, entr'autres un fur la Lironde qui
eft affez confidérable , & celui qui traverfe
le vallon de la Merci fous le Peirou
, lequel eft compofé de deux ponts
l'une fur l'autre ; le premier de 64 arches
de cinq toifes de diamètre , & le fecond
de 140 arches de deux toiſes chacune,&
MARS. 1763. 107
de plus l'épaiffeur des piles & des culées ;
ce dernier a près de 400 toifes de long
fur 60 pieds de hauteur du deffous de
la rigole à l'endroit le plus bas du vallon
C'est tout au plus , fi le projet pour a
mener l'Yvette à Paris , demande trois
ou quatre fois autant d'ouvrage , pour
vingt fois autant d'habitans & pour la
Capitale de la France.
La ville de Carcaffonne , laquelle ,
felon Dom Vaiffette , dans fa Géographie
hiftorique , ne contient que 8000 à
10000 habitans , a trouvé dans la bonne
adminiſtration de fes revenus , auffi-
bien que dans la ville de Montpellier
, le moyen de fe procurer 2 à
300 pouces d'eau , par un petit aqueduc
de 3 pieds de haut , fur 18 pouces
de largeur , & de 4000 toifes de long,
porté fur des arceaux en plufieurs endroits.
Cette eau eft une partie de la
rivière d'Aude , qu'on a dérivée il y a
12 ou 15 ans .
Au refte , il faut attendre , fans défefpérer
, continue M. D. que des Savans
capables de juger de toutes les parties.
d'un pareil projet & d'évaluer le prix
de chacune , que la Cour ou les Magiftrats
commettront , ayent prononcé.
J'ofe affurer , en attendant leur exa-
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
men , qu'il y a eu de nos jours des
monumens commencés & finis , & d'autres
commencés qui marchent à grands
pas à leur perfection , qui couteront
plus que celui-ci Je les crois tous néceffaires
, mais celui de donner de l'eau
à Paris l'eft autant qu'aucun , & l'on
peut trouver des moyens pour celui-ci,
comme on en a trouvé pour ceux-là..
Les grands hommes , & nous en
avons , ont de grandes reffources : pourquoi
ne s'en trouveroit - il pas qui imitaffent
Gérard de Poiffi ce refpe&table
& généreux citoyen , qui a immortalifé
fon nom pour avoir donné onze
mille marcs d'argent , deftinés à faire
paver les rues de Paris. Quelle gloire
ne s'eft-il pas acquife , en employant
une partie de fes richeffes pour l'utili
té de fes concitoyens ? Puifque la mémoire
de cet acte généreux s'eft confervée
jufqu'à nous , elle durera vraifemblablement
auffi long-temps qu'il y
aura des hommes dans Paris.
M. Dép. fait voir dans fon Mémoire
qu'il faudroit 1881000 livres de notre
monnoye pour faire à préfent ce qu'on
faifoit alors avec la valeur de onze mille
marcs d'argent.
Quels éxemples de générofité ne nous
MARS. 1763. 109
donnent pas nos voifins ! un célébre
Médecin Anglois , vient de donner aux
environs de cinq millions de livres de
notre monnoye , pour faire bâtir un
Amphithéâtre anatomique , non compris
les fondations qu'il fe propofe de
faire pour les Profeffeurs. Qu'auroit- il
donné pour faire venir de l'eau à Londres
, fi celle de la nouvelle rivière n'y
avoit déjà été menée ? Efpérons que nos
plus riches Citoyens ne le céderont en
rien à la générofité des Anglois.
On peut trouver de ces grandes actions
dans tous les fiécles ; le quartier
de l'Univerfité eft couvert de monumens
fondés par la générofité de plufieurs
dignes Patriotes , proportionnée
à leur fortune ; & fous le règne de
LOUIS XV il y a des ames auffi généreufes
que fous celui de Philipe- Augufte
; je les crois même en plus grand
nombre : le zéle avec lequel les principaux
Corps & plufieurs dignes & grands
Citoyens fe font empreffés de contribuer
au rétabliffement de la Marine françoiſe
, en eft une preuve.
La ville de Reims n'oublira jamais
le nom & le bienfait de M. Godinot ,
qui après avoir fait des embelliffemens
Coufidérables à la Cathédrale dont il
fio MERCURE DE FRANCE.
étoit Chanoine , a procuré de l'eau à
fes concitoyens par une machine qu'il
a fait conftruire à fes ' dépens ainfi
qu'une grande partie des conduites &
des fontaines qui la diftribuent dans
tous les quartiers ; on lui a encore l'obligation
de plufieurs autres travaux publics.
Il y a certainement dans Paris des
âmes auffi bienfaifantes qu'à Reims ;
mais avec le noble defir d'être utile à
fes concitoyens , il faut l'heureux concours
des facultés .
Quel eft le citoyen zélé pour le bien.
public , dit M. D. qui ne donnât volontiers
fi les autres moyens manquent,
une ou deux années du revenu de fa
maifon pour y faire venir en tout temps
une quantité d'eau fuffifante ? Que ne
donneroit-on pas dans nombre de Châteaux
où l'eau manque, pour avoir une
fource d'un pouce d'eau feulement ?
quelles dépenfes ne fait- on pas quelquefois
pour s'en procurer dans des
maifons qu'on n'habite qu'en paſſant ?
ne feroit-ce pas faire de fon argent un
meilleur ufage que de l'employer en
lambris , en dorures & en autres ornemens
fuperflus & paffagers ? la bonne
eau fera toujours de mode.
En effet , quel avantage d'avoir dans
MAR S. 1763.
III
la maifon qu'on habite le plus longtems ,
une fource de bonne eau , fourniffant
l'office , la falle à manger , coulant fans
ceffe dans la cuifine , entraînant les immondices
fans leur laiffer le temps de
fermenter & d'empuantir & infecter
l'air des endroits où l'on conferve les
viandes & de ceux où on les prépapare.
Quelle fatisfaction de voir laver
fa cuifine & tous fes recoins dix
fois par jour , fi l'on veut fon eft moins
pareffeux à nétoyer partout quand l'eau
ne coute pas à tirer.
Non feulement cette abondance d'eau
tiendra le dedans de la maison propre &
frais , mais auffi les rues qui deviendront
des ruiffeaux formés tant par l'eau
de refte qui fortira des grandes maifons
que par celles qu'on employera à laver.
Ces ruiffeaux entraîneront fans ceffe les
boues , entretiendront le pavé propre &'
mouillé auprès des ruiffeaux pour le foulagement
des chevaux. En Eté on arrofera
, ou pour mieux dire , on lavera
les rues avec cette eau auffi fouvent
qu'on le voudra , au lieu de deux fois
qu'on les humecte à préfent avec fort
peu d'eau & fouvent avec de l'eau vilaine
& puante , qui jettée en petite
112 MERCURE DE FRANCE .
quantité , ne fait que tenir la boue délayée
pendant un peu de temps & infecter
d'autant mieux l'air , l'abondance
de celle-ci le rendra fain & falubre ,
ce qui eft fi important pour la fanté des
citoyens & d'autant plus néceffaire que
le nombre des habitans eft plus confidérable
; tout le monde fent de refte
que le féjour des boues & immondices
contre les murs ou contre les bornes
doit de néceffité rendre l'air bas , infecté
& mal fain & c'est celui que
nous refpirons.
"
"
Quelle tranquillité d'avoir dans fa
maiſon un réſervoir toujours plein d'eau
& fans ceffe renouvellé pour fournir un
fecours prompt & à propos dans un cas
de malheur tant pour foi que pour le
voifinage !
Dans la feconde partie de cet intéreffant
Mémoire , M. Dep. rend compte
de ce qui l'a conduit à former ce
projet , & de ce qu'il a fait pour s'af--
furer d'abord de la poffibilité, & enfuite.
pour dire exactement à quelle hauteur
l'eau pouvoit arriver à Paris. Il a fallu
pour cela rapporter le tout à un point
fixe & immuable , & c'eft au fol de l'Églife
N. D. qu'il a rapporté toutes ſes.
opérations.
MARS. 1763. 113
Faifant abftraction de la pente qui
fait couler l'eau de moulin en moulin
depuis Vaugien jufqu'à Paris , les chutes
des moulins ont fait connoître à M.
D. de combien l'eau de Vaugien étoit
plus élevée que l'eau de la Seine fous le
Pont de l'Hôtel- Dieu , de laquelle déduifant
la quantité de pieds & pouces
dont le fol de N. D. étoit plus élevé
que la Seine le même jour qu'il mefuroit
les chutes des moulins , le refte
donne l'élévation de l'eau de Vaugien
fur le fol de N. D. qui eft de 83 pieds
9 pouces.
Le nivellement que M. D. a fait &
repété plufieurs fois pour parvenir à
connoître de combien l'arrivée des eaux
d'Arcueil eft plus élevée que le même
fol de N. D. fuppofe des opérations
fort intéreffantes pour les perfonnes
qui font au fait de ces matiéres ; mais
comme elles ne font pas à la portée
de tous nos Le&curs , nous nous contenterons
d'en rapporter les principaux
réfultats.
1°. Le haut de la Tour méridionale
de N. D. eft plus élevé que le fol de
l'Eglife pris au bas de l'efcalier des.
Tours de 204 pieds 9 pouces. 2 °. Le haut
du parapet de l'Obfervatoire et plus.
114 MERCURE DE FRANCE .
haut que le même fol de N. D. de
161 pieds d'où il fuit que la Tour
méridionale de N. D. eft plus élevée
que le haut de l'Obfervatoire de 43
pieds 9 pouces. 3° . Le bouillon d'arrivée
des eaux d'Arcueil eft plus élevée
que le le fol de N. D. de 67 pieds 10
pouces & demie , qui ôtés de 83 pieds
9 pouces dont l'eau de Vaugien eft plus
élevée que le même fol de N. D, refte
15 pieds 10 pouces & demi , dont
l'eau de l'Yvette à Vaugien eft plus
élevée que l'arrivée des eaux d'Arcueil
à côté de l'Obfervatoire , non compris
la pente qui la fait couler de moulin
en moulin depuis Vaugien jufqu'à
Paris.
4º Le haut de la Place de l'Eftrapade
eft plus élevé que le fol de N. D. de
81 pieds 3 pouces.
5°. Enfin l'endroit le plus élevé du parapet
du pont de l'Hôtel-Dieu eft plus
élevé que le fol de N. D. de 10 pieds 6
pouces , ce qui donne le moyen de connoitre
de combien la Seine eft plus baffe
que le fol de N. D.
M. D. avec cette modeftie qui
convient aux vrais Sçavans qui n'ont
d'autres vues que celles du bien public,
MARS.
115
veut bien n'être pas cru fur fa parole ,
´'il demande lui-même qu'on faffe examiner
fon projet ; mais il defire que ce
foit par les perfonnes les plus capables
& les plus propres à infpirer la confiance
que l'objet mérite . Comme il
connoît bien la vérité de ce qu'il propofe
, on voit en plufieurs endroits de
fon Mémoire qu'il eft pleinement perfuadé
que fon projet fera exécuté à l'avenir
s'il ne l'eft à préfent. Voici comment
il s'exprime en un endroit.
Ne connoiffant rien de plus urgent
à
faire pour une grande ville , après la
conftruction des ponts , quand il en
faut que de procurer dans tous les
quartiers une fuffifante quantité de
bonne eau ; & connoiffant affez bien
les environs de Paris , pour pouvoir affurer
qu'il n'y a que la riviére d'Yvette
qui, donnant cette fuffifante quantité
de bonne eau , puiffe y arriver à une
hauteur propre à l'envoyer dans tous
les quartiers , à moins de l'aller prendre
beaucoup plus loin ; je crois être fondé
à me perfuader que ce projet fera
éxécuté à l'avenir , s'il ne l'eft à préfent
, & d'autant plus , comme je l'ai
déja fait obferver , que c'eft la feule
dépense que la Ville puiffe faire dont
116 MERCURE DE FRANCE.
les fonds tui rentrent avec avantage ,
en faifant le bien des citoyens , cette
dépenſe n'étant , à proprement dire
qu'une avance ou de l'argent placé.
Mais quand même cette dépenfe ne
devroitjamais rentrer : pour une grande
ville , capitale d'un grand royaume , il
faut de grandes chofes
Il regarde donc l'éxécution de ce
projet comme indifpenfable , foit dans
peu , foit à l'avenir or dans quelque
temps qu'on l'entreprenne , on doit
faire le tout de manière à pouvoir recevoir
& laiffer couler plus de 2000 pou--
ces d'eau, vû qu'on peut les avoir dèsà-
préfent les trois quarts de l'année
& qu'on pourra fe les procurer pour
toute l'année quand on le voudra , & c..
Quand même M. Dep. n'auroit pas
la fatisfaction de voir éxécuter ſon projet
, il pourra fe flatter d'avoir rendu un
fervice éffentiel à fa patrie , en faisant .
une fi heureufe découverte . Elle intéreffa
tout le monde dès qu'il commença
à en faire
part , & jamais
Mémoire
n'a été écouté
avec plus d'attention
ni
plus applaudi
qu'il le fut lorsqu'il
en fit.
la lecture
à l'Affemblée
de la rentrée
publique
de l'Académie
Royale
des.
Sciences
, du mois de Novembre
derMARS.
1763. 117
>
nicr. Le Miniftre toujours attentif à ce
qui peut contribuer au bien public , a
voulu qu'il fut imprimé à l'Imprimerie
Royale.
Lorfque M. Dep. eut l'honneur de le
préfenter au Roi , il en fut accueilli favorablement
, & Sa Majesté voulut bien
entrer avec lui dans des détails qui marquoient
fort l'intérêt qu'Elle y prenoit.
Ce Mémoire ne fe vend pas ; on n'en
a tiré que le nombre d'exemplaires qu'on
a voulu donner ; mais on le trouvera
dans la fuite des Mémoires de l'Académie
des Sciences , pour l'année 1762.
GÉOMÉTRIE.
ON demande ( Mercure de France (
du mois de Fevrier page 113 ) le rapport
de la bâfe aux côtés d'un triangle
ifocéle circonfcrit à deux cercles contigus
, dont les diametres font dans la
raifon de trois à un , de manière que
la plus grande circonference touchant
les deux côtés & la bâfe , celle du petit
cercle touche feulement les côtés. Réponfe.
Ce rapport eft celui de l'égalité
; c'est-à- dire que ce triangle eft l'Equilatéral
, dans le quel on peut infcrire
118 MERCURE DE FRANCE.
de la manière propofée , non feulement
deux , mais une infinité de cercles dont
les diamètres aillent toujours en décroiffant
dans la même raifon de 3 à I.
Par un Abonné au Mercure.
A Paris , le 16 Fevrier 1763 .
2
EXTRAIT de la Séance publique de
l'Académie des Sciences , Arts &
Belles-Lettres de DIJON , tenue dans
Grande Salle de l'Hôtel- de - Ville le
17 Août 1762.
LEE Secrétaire perpétuel , après avoir
fait quelques réflexions générales fur les
exercices littéraires & fur les différens
programmes des prix de l'Académie
obferva qu'elle avoit propofé deux fois
une queſtion de la plus grande utilité
, concernant la caufe de la graiſſe
du vin , & les moyens de l'en préferver
ou de le rétablir. Elle s'étoit attachée
, ajouta-t-il , d'autant plus volontiers
à cet objet , que les éclairciffemens
qu'elle defiroit , devoient mettre
la Bourgogne en état de conferver
MARS. 1763. 119
cette liqueur éxquife qui fait le fond
de fes richeffes & de fon commerce.
Mais les Mémoires qui furent envoyés
à l'Académie loriqu'elle interrogea
pour la premiere fois les Obfervateurs
de la Nature fur cette efpéce de dépériffement
du vin , n'ayant pas fuffifamment
rempli fes vues , elle ouvrit un
nouveau concours fur le même fujet ,
dans la jufte confiance que les recherches
, les expériences & les découvertes
répondroient à fon attente. Cependant
une feule Differtation qui lui fut adreffée
au mois de Mars dernier , n'ayant
encore obtenu ni fon approbation ni
fes fuffrages , la médaille qu'elle deftinoit
au meilleur ouvrage . fur la graiffe
des vins , a été réfervée pour l'année
1763 , à l'Auteur qui aura traité avec
le plus de folidité le problême qu'elle
vient de publier , fçavoir : Quels font ,
relativement àla Bourgogne , les avantages
& les défavantages du canal projette
en cette Province , pour la commu
nication des deux mers par la jonction
de la Sône & de la Seine ? Parmi le
grand nombre d'écrits qui ont paru
Tur le projet de ce canal , on a déja
touché, mais trop fuperficiellement, l'u-
'tilité & les inconvéniens qui en réfulte-
1:
120 MERCURE DE FRANCE .
roient. Aujourd'hui , l'Académie , en
fuppofant la poffibilité de cet établiffement
de quelque manière qu'on en détermine
le local , fe borne à l'intérêt ef-
Tentiel de la patrie , & demande précifément
fi l'exécution de cette vafte entrepriſe
, feroit plus avantageufe, qu'onéreuse
à la Bourgogne ?
M. Poncet de la Rivière , ancien Evêque
de Troyes , a lû enfuite une Differtation
fur l'Esprit Académique. Ce
que cet efprit eft en lui-même , & ce
qu'il eft par comparaifon avec les autres
; tel eft le plan de fon ouvrage , tel
eft l'objet de fes réfléxions. Sans s'arrer
ter à la définition que les Philofophes
donnent de l'efprit , il en revient à celle
qui lui femble la plus analogue au difcours
oratoire. Qu'eft-ce donc que l'efprit
, dit- il ? Un feu que la Nature allume
dans nos âmes , plus ou moins vif
felon le degré de chaleur & d'activité
qu'il plaît à l'éternel Auteur de notre
éxiftence de lui donner ; plus ou moins
brillant felon notre attention ou notre
négligence à réfléchir fur lui les lumiè
res qu'ont répandu les Aftres qui , dans
tous les fiécles, éclairérent le Monde littéraire
; plus ou moins borné felon no-
"tre hardieffe ou notre indolence à éloigner
MARS. 1763. 121
quagnér
fes limites ; plus ou moins fécond
felon la culture que l'émulation lui
donne ou que l'oifiveté lui refufe für
de plaire quand il en eft jaloux & digne
d'obtenir l'admiration lorfqu'il fe rend
habile à la faifir & capable de la fixer.
Quoique l'efprit ne foit point afſervi
aux pays ; qu'il anime les neiges & les
frimats de l'Amérique , comme il s'enflamme
au foleil brulant de l'Afrique
& de l'Italie ; cependant àle juger d'après
la diverfité qui fe trouve dans la façon
de penfer des différens peuples , ne diroit-
on pas que dépendant en quelque
forte des climats , il en prend les
lités & les défauts ; & qu'il tire , comme
les fruits , fa couleur & fon goût
du terroir où il fe produit. M. l'Evêque
de Troyes entre ici dans le détail
des différens caractères d'efprit des Nations
, & finit ainfi par celui du Francois.....
En France , amufant par fon
caractère , riche de fon fonds , propre .
aux plus grands éffors , capable encore
de produire les chefs - d'oeuvres qu'il admire
; fi , plus content de pofféder fes
richeffes que jaloux de les étendre , il
ne préféroit le talent délicat qui embellit
, au génie puiffant qui invente : fait
pour plaire , mais trop livré à cet attrait;
F
122 MERCURE DE FRANCE.
ingénieux dans fes penfées , peut-être
trop étudié dans fon langage ; voulant
des apprêts jufques dans la naïveté qui
les bannit ; portant les recherches de l'art
jufques dans les agrémens de la Natu
re ; Philofophe par fantaifie ; & , fi j'ofe
le dire , moins fage , parce qu'il fait entrer
de la mode jufques dans fa fagef
fe. Après avoir fait voir que l'efprit ne
dépend ni du fang ni de la naiffance ;
que , quoique reçu de la Nature , il eſt
le mérite de la perfonne ; l'Auteur donne
une idée de l'esprit académique , en faifant
le portrait des Affemblées où il doitfe
produire. Qu'est- ce donc , dit ce Prélat
qu'une Affemblée Littéraire , &
fous quels traits dois-je vous la repréfenter
? c'eft un corps d'hommes polis
& cultivés , livrés de bonne heure par
attrait , & dans la fuite attachés par goût,
à l'étude des Lettres ; dont les moeurs
font ornées par les Mufes ; dont le caractère
eft fans foibleffe , férieux fans
auftérité , fçavant fans féchereffe , agréable
fans affectation , épuré dans tous les
défauts qui font l'écueil de la fociété
& enrichi de tous les avantages qui en :
font l'agrément. Ce tableau fut fuivi de
l'énumération des talens propres à fou .
tenir la gloire de ces Affemblées . Par
>

MARS. 1763. 123
mi les différentes efpèces de fciences qui
font à rejetter , le Prélat s'éléve furtout
contre cette fcience qui n'eft qu'un
amas fonore & faftueux de connoiffances
vaines & stériles fouvent auffi
pernicieufes pour le coeur qu'agréables
à l'efprit ; qui ajoûtant peu au mérite
que l'on veut avoir , ôtent beaucoup de
celui que l'on a ; ne font à l'homme
qu'un honneur médiocre , & font prèf
que toujours une playe dangereufe au
Chrétien . Pardonnez - moi cette réfléxion
, Meffieurs , ajoûte le Prélat , je
me la crois permife , même dans une
Affemblée académique ; & je connois
affez vos coeurs pour ne pas craindre
d'en être défavoué. En confidérant les
différentes fortes d'efprits qui concourent
à former le caractère de l'efprit
académique, M. l'Evêque de Troyes
s'arrête principalement à ces efprits
amis de la fageffe qui vont fur les
tombeaux des Anciens Maîtres du Monde
recueillir les reftes de cette Philofophie
véritable qui épuroit les moeurs
en dirigeant les talens ; & dont les principes
tracés par des génies puiffans ,
mais par des efprits dociles , formoient
des Sujets aux Royaumes & des Citoyens
aux Républiques : Philofophie &
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
vantée...... Mais , oferois - je le dire ?
Philofophie aujourd'hui fi peu connue ,
fi méconnoiffable dans ces fectes altières
& impérieufes , ifolées & répandues ,
graves & fantafques ; en qui une farouche
frivolité qui ne connoit point de
loix , s'arroge le droit fuperbe d'en
donner ; dont le difcours n'eft que
fentence & paradoxe ; les principes qu'indépendance
& irréligion ; les actions
qu'un libertinage de moeurs déguifé ou
rafiné ; où fous le nom de fageffe , une
audacieuſe folie confacre les vertiges les
plus honteux à la raiſon , & peut-être
les plus dangereux pour les Etats ; dont
l'efprit oppofé à celui de la fubordination
, ne fe foumet que par contrainte
& en reclamant pour fa liberté ; où la
Religion méconnue dans ce qu'elle
commande , combattue dans ce qu'elle
enfeigne , ne trouve pas même dans
fes enfans ce refpect dont fes ennemis
ne purent autrefois fe difpenfer de l'honorer.
J'ai dû cette vivacité de réfléxions
, dit le Prélat , & à ma façon de
penfer & au caractère dont j'ai l'honneur
d'être revêtu. Je ne pouvois , Meffieurs ,
rendre un hommage plus glorieux à l'efprit
qui vous anime , qu'en réveillant
publiquement votre dégoût contre un
MARS. 1763. 125
efprit fi étranger à vos jugemens & à
Vos moeurs.
Ce Difcours fut fuivi de la lecture
d'un Mémoire de M. Fournier , contenant
des Obfervations fur les différentes
manières dont périffent ceux qui
font frappés de la foudre , fur les accidens
qu'ils éprouvent , & fur le traitement
qu'on doit employer lorfqu'ils
peuvent être rappellés à la vie.
Les femmes font auffi propres que
les hommes à l'étude des Sciences & à
la culture des Arts : c'est le fujet d'une
differtation de M. l'Abbé Picardet , où
en éffayant de prouver que les talens
& les difpofitions font les mêmes dans
les deux féxes ; il montre la frivolité des
prétextes qu'on employe ordinairement
pour étouffer dans les femmes l'amour
des Sciences , des Arts & des Belles - Lettres.
La délicateffe du tempérament ,
le défaut de goût pour les grandes chofes
& d'aptitude aux Sciences , l'efprit
de détail & les foins oeconomiques ,
font de vains préjugés qu'il expofe
qu'il combat & qu'il détruit. Les Sciences
& les Arts n'ont donc aucunes difficultés
qui doivent ralentir l'émulation
des Dames pour mettre encore dans
un plus grand jour la vérité de cette
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
conclufion , M. l'Abbé Picardet jette
un coup d'oeil fur les Arts où elles réuffiffent
fupérieurement ; comme l'éloquence
, la mufique , la poëfie , la peinture
, l'astronomie , l'hiftoire naturelle ,
la médecine , la philofophie & la morale.
La Séance a été terminée par un Mémoire
de M. Marêt puifné , fur la méri
dienne. Après avoir obfervé la diverfité
des fentimens à ce fujet , l'Auteur annonce
qu'il va fixer les incertitudes qui
en pourroient naître en fifant voir
les avantages que procure ce fommeil,
& les précautions que l'on doit prendre
en s'y livrant. C'eſt l'intérêt de la digeftion
, dit- il , qui engage à blâmer
ou à louer la méridienne. Mais ce pro
blême fera réfolu dès qu'on aura prouvé
que loin de nuire à la digeſtion , cet
ufage lui eft favorable. D'après cet idée
il expofe fuccintement , fuivant les principes
de Boerhaave , le méchanifme de
la digeftion. » C'eft dans une diffolu-
» tion que la chaleur facilite , dans une
»décompofition qui eft le produit du
mêlange du fluide nerveux & d'un
commencement de fermentation pu-
"tride & acide , que confifte le mé-
» chaniſme de la digeſtion : pour déciMARS.
1763. 127
der fi la méridienne eft avantageufe
relativement à cet objet , il faut donc
s'attacher à examiner :
Si elle augmente la chaleur de l'eftomac ;
Si elle facilite l'abord du fluide nerveux dans ce
vifcère ;
Si enfin elle y favorife la fermentation.
Chacune de ces propriétés attribuées
à la méridienne eft examinée & prouvée
dans autant de paragraphes . Les objections
de différens Auteurs tant anciens
que modernes y font rapprochées &
réfolues. Mais malgré les avantages que
peut procurer la méridienne par elle
même , M. Marêt avertit que ce fommeil
éxige des attentions particulières
quand on s'y livre :
Le temps où elle doit commencer
Le terme auquel il faut la finir :
La fituation qu'on doit prendre en dormant :
La température du Lieu qu'on choifit
pour dormir , l'habillement-même
loin d'être indifférens , font de la plus
-grande impportance ; & tous ces détails ,
minucieux en apparence , ceffent de le paroître
dès qu'on les fuit avec l'Auteur.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
la
En effet , dans fa differtation , la phy
fiologie fe réunit à l'anatomie pour prouver
qu'il eft éffentiel » d'attendre que
» Nature nous engage elle-même à dor-
»mir ; de proportionner la durée du
fommeil , à la chaleur du tempérament
, à la qualité & à la quantité des
>> alimenś.
C'eft au peu d'attention que l'on fait
ordinairement à ces détails , que M. Maret
attribue tous les accidens qui ont
déterminé quelques Auteurs à décrier
la méridienne . Cependant il l'interdit
à ceux qui dorment plus des fept heures
que la raifon femble permettre de donner
au fommeil ; ainfi qu'à ceux qui ,
livrés au plaifir ou à l'étude , veillent
une grande partie de la nuit , dorment
le jour , & ne s'éveillent qu'après que
le foleil a parcouru la moitié de fa
carrière ; à moins que leur dîné ne foit
confidérablement retardé. Mais en général
, il croit que dans certaines circonftances
les hommes doivent fans
éxception fe livrer au fommeil après
le diné ; qu'il peuvent tous dormir
» quelquefois au fortir de ce repas , &
» qu'il y en a beaucoup qui ne pour-
» roient s'y refufer fans imprudence.
Chacune de ces propofitions eft juf
{
>
MAR S. 1763. 129
tifiée par des détails ; d'où il réfulte qu'on
doit regarder ceux qui font d'un tempérament
fanguin où bilieux , comme
les feuls auxquels la méridienne convienne
peu . L'Auteur termine fa differtation
en invoquant l'expérience ; non
comme une preuve de l'utilité de la
méridienne qu'il croit avoir fuffiſamment
établie ; mais comme une préfomption
favorable à cette habitude.
Que ceux qui blâment la méridienne ,
ajoûte-t-il , ceffent donc de prétendre
nous forcer à réſiſter à l'impulfion de
la nature ; elle nous invite à dormir
après le dîné la raifon d'ailleurs le
confeille , & l'expérience doit au moins
faire préfumer que c'est un moyen capable
de nous procurer la fanté la plus
defirable , & de nous faire parvenir à
un âge très-avancé.
ÉCOLE Royale Vétérinaire , établie à
Lyon fous la direction de M. BOURGELAT
, Ecuyer du ROI , & Correfpondant
de l'Académie Royale des
Sciences de France.
LE Lundi , trente- un Janvier on
Fv
130 MERCURE DE FRANCE .
a procédé dans l'Hôtel de l'Ecole Royale
Vétérinaire à la diftribution d'un
nouveau prix dont le Sujet concernoit
les parties extérieures du cheval & furtout
celles dont la connoiffance intéreffe
le plus , tels font les yeux , la
bouche , les nafeaux & c .
Cette diftribution a été faite felon
la forme obfervée lors de celle qui eut
lieu le 20 Decembre dernier. Dix- neuf
des Eléves ont encore concouru , après
que
les billets cachetés & contenant
cent quatre-vingt queſtions divifées
& reparties dans ces mêmes billets leur
ont été adjugés par le fort ; ils ſe font
mutuellement interrogés d'après les
queftions qu'ils avoient tirées, & le dixneuviéme
a répondu à celui des chefs
de brigade choifi & nommé pour concourir
encore avec lui.
L'Affemblée étoit nombreufe & compofée
de perfonnes diftinguées ; celles
qui dans la féance du 20 Décembre
avoient daigné juger des efforts des
Eléves ont prononcé pareillement dans
celle- ci .
Les fieurs d'Enguien de la Ville de
Lyon , & Bredin de la Ville d'Auxonne,
qui dans le précédent concours avoient
mérité le prix , ont foutenu leur répuMARS.
1763. 131
tation & ont acquis un nouveau droit
à l'eftime du public . Le premier a fait
une démonstration anatomique des parties
extérieures & intérieures du globe
fur les piéces même ; il a remporté le
prix.
Le fecond a eu à jufte titre le premier
Acceffit ; il a fait une démonſtration
très -claire & très -fimple de la connoiffance
de l'age du cheval par la dentition.
Les fieurs Detuncq , Eléve entretenu
par M. l'Intendant d'Amiens , & Bra
chet , Eléve entretenu par la Province
de Bugey , ont balancé longtemps les
voix pour le fecond Acceffit , qui a été
accordé au fieur Detuncq ; le fieur Brachet
a obtenu le troifiéme.
Quant au quatriéme on a été contraint
de faire tirer au fort les fieurs
Beauvais , Eléve entretenu par M. l'Intendant
d'Amiens , ( il avoit eu le premier
Acceffit , le 20 Décembre , ) &
Preflier , Eléve entretenu par M. l'Intendant
de Moulins , ( il avoit eu le
quatriéme ) le fort a favorifé le fieur
Bauvais qui l'a obtenu.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
Noms des Elèves qui ont concouru.
LES SIEURS ,
Didney. Vierville.
Rambert. Defchaux.
Saunier,
Detuncq.
Bloufard. Guilet.
Kamerlet. Rouffet.
Moret . Defaveniers
Preflier. Bauvais.
Gauthier. Pufenas.
Bredin. D'Enguien .
Brachet, interrogé par le fieur d'Enguien
MAR S. 1763. 133
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE.
LETTRE d'un Élève en Chirurgie de
L'HOPITAL DE LA CHARITÉ , à
l'Auteur du Mercure , fur l'opération
de la Taille.
MONSIEUR,
-
Les Belles Lettres & les Sciences
agréables ne font pas les feules qui fixent
votre attention ; vous paroiffez mê
me toujours prendre un nouveau plaifir
à inftruire le Public de chofes utiles.
Cette réfléxion me donne lieu d'efpérer
que vous voudrez bien informer ce même
Public, dans votre Mercure prochain,
du fuccès des tailles faites à l'Hôpital de
la Charité avec l'inftrument , & par le
neveu du célébre Frère Cofme.
La grace que je vous demande vous
134 MERCURE DE FRANCE.
,
paroîtra jufte & néceffaire fi vous
voulez bien confidérer qu'elle a pour
objet de répondre à la lettre d'un Éléve
en Chirurgie de Paris inférée à la
page 132 du fecond volume du Mercure
de ce mois , par laquelle on cherche à
jetter des doutes fur la réuffite des opé-.
rations de la taille faites à la Charité par
le Neveu & l'Éléve du Frère Cofme.
Je fuis Eléve en Chirurgie , Monfieur
, ainfi que celui qui a écrit la
lettre dont je vous parle ; mais je fuis
l'un des Éléves de l'Hôpital de la Charité
, & par conféquent témoin & obfervateur
des chofes dont je vais vous
rendre compte.
;
La lettre de mon Confrère à un Mat
tre de Province fe termine par cette
phrafe , en parlant du LITHOTOME
CACHÉ. On s'en eft fervi à la Charité
le neveu du Frère Cofme eft un des Chirurgiens
de eet Hôpital . C'eft pour moi ,
ajoute celui qui écrit , vous en dire affez;
les fuccès vous diront le refte.
,
Eh bien , Monfieur , puifqu'il eft nécéffaire
de les publier ces fuccès. je
veux dire ceux du neveu du Frère Cofme
& ceux de l'excellente méthode
de fon oncle apprenez , je vous en
fupplie , au Public & à mon Confrère
MARS. 1763 . 135
que depuis la déclaration du Roi qui
a rétabli les Réligieux de la Charité
dans leurs premiers droits , quant aux
Chirugiens de leurs Hopitaux , on a
fait dans celui de Paris l'opération de
la taille par la méthode du Frére Cofme
fur des fujets de tout âge & par
différentes mains avec un fuccès égal.
De 14 malades affligés de la pièrre qui
font venu cette année, trois ont été opérés
par M. Bafcilac neveu du Frère Cofme
& Chirurgiens gagnans maîtriſe dans
cet Hôpital , tous trois ont été parfaitement
guéris en moins de 20 jours . N'eftce
pas là de ma part vous en dire affes? pour
qu'il ne foit plus permis à mon Confrère
de laiffer le Public en doute fur
la capacité & les fuccès du neveu du
Frère Cofme à la Charité.
Quatre autres Sujets affligés de la
Pierre ont été opérés par le Religieux
Chirurgien en Chef de cette Maiſon
avec le même lithotome & en fuivant
les préceptes du Frère Cofme . Trois ont
été guéris avec le plus grand fuccès. Un
feul a péri plus de douze jours après fon
opération , des fuites d'une fiévre putride
furvenue après l'opération . On a
trouvé après fa mort plus d'une chopine
de férofité bilieufe & purulente épan136
MERCURE DE FRANCE.
chée dans la poitrine du défunt dont
les poulmons étoient remplis de tubercules
partie en fuppuration & partie
dans l'état d'endurciffement ; les parties
opérées ont été examinées trèsfcrupuleuſement
& ont été trouvées fans
aucune lézion ; la caufe de mort enfin
a été déclarée celle du vice de lapoitrine.
Un procès verbal figné des Médecins, &
du Maître en Chirurgie de la maiſon,fait
la preuve légale de ce que j'ai l'honneur
de vous dire fur la mort de celui des
quatre malades opérés de la pierre à la
Charité par le Religieux Chirurgien en
chef , avec l'inftrument du Frère Cofme
& en fuivant fa méthode .
Sept autres Sujets également affligés
de la pierre , ont été opérés avec l'inftrument
du Frère Cofme , par M. Sue ,
Chirurgien-Major du même Hôpital ;
cinq ont également guéri en peu de
temps , ainfi que cela eft ordinaire , par
l'excellente méthode de Frère Cofme
quand il n'arrive pas d'accidens étrangers
à l'opération ; un des fept , opéré
par M. Sue , eft mort plufieurs jours
après l'opération ; c'étoit un vieillard de
plus de foixante- dix ans ; il étoit affligé
de la pierre depuis fa naiffance . MM.
Sue , Bafcilac & le Religieux Chirur
MARS. 1763.
137
gien en chef firent l'impoffible pour perfuader
au malade d'achever fa carrière
avec fon ennemi. Mais le malade preffé
par les plus vives douleurs répondit
qu'il ne pouvoit plus y furvivre & qu'il
vouloit courir les rifques de l'opération .
La charité des Religieux les força à recevoir
le malade ; mais la prudence des
Chirurgiens les détermina à demander
l'affiftance des Médecins & des Chirurgiens
confultans de la Maiſon. M. Pibrac
, l'un des deux Chirurgiens confultans
, fe rendit à l'invitation avec MM .
Verdelhan & Maloette , Médecins ordinaires
de la Charité. Tous virent un
vieillard décrépit & défféché ; M. Pibrac
reconnut une Pierre d'un diamètre confidérable.
On opina pour la néceffité de
l'opération ; le malade fut préparé , &
M. Sue l'opéra. Il tira plufieurs fragmens
de pierre & il toucha enfuite au
fond de la veffie une maffe dure qui
fut imprenable par les tenettes ; la foibleffe
du malade ne permit pas de faire
de plus longues tentatives ; on le porta
au lit & il mourut fix jours après ; fa foibleffe
n'ayant pas permis de faire aucune
autre tentative pour tirer la maffe
l'on avoit été forcé de laiffer.
que
Je laiffe à MM , les Médecins & aux
138 MERCURE DE FRANCE.
Chirurgiens de l'Hôpital de la Charité
à apprendre au Public ainfi qu'aux
Maîtres de l'art de la Ville & des Provinces
, s'il étoit aucun moyen poffible
pour opérer non-feulement la guériſon
du malade , mais encore de faire l'extraction
de cette portion de pièrre fermée
& refferrée dans le fond de la
veffie par le rétréciffement d'une portion
de la veffie qui s'étoit racornie &
qui ne formoit plus qu'une enveloppe
ferrée , ou pour mieux figurer la chofe
le moule dur & racorni de la maffe de
pièrre que M. Sue n'avoit pu extraire
dans l'opération . C'eſt par
l'ouverture
du cadavre qu'on a manifefté cette vésité.
Le feptiéme malade affligé de la pièrre
& opéré par M. Sue n'eft pas à la vérité
fans danger au moment préfent ;
c'eft un homme d'un tempérament noir
& bilieux , qui depuis fon bas âge eſt
fujet à des coliques , & à des rétentions
d'urine ; il a été fondé ; la pièrre
a été reconnue ; il a été opéré . M.
Sue a retiré plufieurs fragmens de pièrre .
Le Malade a été pendant les douze
premiers jours de l'opération fans douleurs
, fans fiévre & avec appétit ; il
lui eft furvenu depuis des douleurs aux.
MARS. 1763. 139
reins , aux hypocondres , un vomiffemens
avec des friffons qui font fuivis
de fiévre avec chaleur ; les urines paffent
néanmoins avec abondance dans
les momens de relâche & plus volontiers
par la voye ordinaire que par la
plaie.
Tels font , Mr , les fuites exactes des
opérations de la pierre que j'ai vu faire
à la Charité depuis l'année derniere par .
la méthode du Frère Cofme.
Il ne faut cependant pas croire que
nos Maîtres à la Charité ne fçachent fe
fervir que du lithotome caché ; ( car par
exemple , ) deux malades qui avoient
chacun une pierre confidérable engagée
au col de la veffie , ont été opérés au
petit appareil par M. Sue : mais ils ont
été traités à la méthode du Frère Cofme ,
je veux dire , fans leur faire fouffrir aucun
panfement , & ils ont été tous deux
parfaitement guéris en peu de temps .
Le premier de ces deux malades avoit
été ci- devant opéré trois fois ; la premiere
par feu M. de la Peyronie , la feconde
par M. le Cat , & la troifiéme par
feu M. Thomas . Le malade a déclaré qu'à
chaque opération il avoit été panfé , &
qu'à chaque fois il étoit demeuré à guérir
plus de fept & huit femaines ; au lieu,
140 MERCURE DE FRANCE .
·
qu'à la quatriéme opération par laquelle
M. Sue a fait l'extraction d'une pierre
d'un volume plus gros que celui d'un
euf de poule , la guérifon parfaite du
malade s'eft opérée en trois femaines
de temps
.
Le fecond de ces deux malades opéré
au petit appareil , a eu le même fuccès
que le premier fans avoir été panfé.
Voila encore une fois , Monfieur
ce que j'ai obfervé à la Charité depuis
que l'on y pratique l'opération de la
taille avec l'inftrument du Frère Cofme
& en fuivant fes maximes. J'y trouve
des avantages ineftimables pour opérer
les vivans ; mais comme mon confrère
nous apprend dans fa Lettre à un Maître
de Province , qu'en prenant d'une
main le Lithotome caché, & de l'autre
les Mémoires de l'Académie de Chirur
gie , on fent en opérant SUR LES CADAVRES
, naître fous la main tous les
dangers de cet inftrument. J'ai fait emplette
de l'un & de l'autre pour m'éffayer
cet hyver fur des cadavres , & fuivant
littéralement les Mémoires de l'Académie
de Chirurgie ; mais je vous affure ,
Monfieur , que fi je m'apperçois qu'en
fuivant ce qui nous eft préfcrit dans
ces Mémoires il en naiffe fous- la
2.
MARS. 1763. 141
main les dangers , que mon confrère
nous annonce pour les cadavres , je
fupprimerai les Mémoires de l'Académie
de ma bibliothèque , & je garderai
l'excellent Lithotome caché du Frère Cofme
, pour m'en fervir à la façon de
nos Maîtres de la Charité qui s'en fervent
pour les vivans avec les plus
grands avantages fans aucun danger &
avec un fuccès plus certain que toutes
les autres méthodes.
>
J'ai l'honneur d'être , & c.
A Paris , ce 26 Octobre 1762 .
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
, LETTRE de M. DELALANDE de
l'Académie des Sciences à M. DE
LA PLACE , fur un Tableau allégorique
des vertus , formant le Portrait
du ROI , peint par M. Amédée VANLOO
, Peintre du Roi de PRUSSE,
Il n'ef
L n'eft point d'année , Monfieur , où
142 MERCURE DE FRANCE .
l'on ne voye fortir de la Famille des
Vanloo des Morceaux de Peinture dignes
de faire honneur à la France , &
d'immortalifer leurs Auteurs; mais nous
n'avions point encore vu allier les charmes
de la Peinture avec le génie de la
Phyfique , comme dans le Tableau que
M. Amédée Vanloo vient de faire.
Tout Paris a voulu voir ce chef- d'oeuvre
d'optique , de perfpective , de compofition
& d'allégorie ; mais le temps
n'a pas permis d'en faire obſerver à
tout le monde les particularités , & elles
font trop curieufes pour ne pas en
donner au Public quelques détails .
Ce Tableau préfente d'abord à la
vue fimple un affemblage de plufieurs
figures qui expriment les différentes
vertus qui peuvent former un grand
Prince ; la Magnanimité eft affife &
appuyée d'une main fur l'écu de la
France ; elle tient de l'autre un Sceptre
& un dard brifé pour marquer la clémence
; le diadême qu'elle porte annonce
le deffein de faire le bien , & fon
Sceptre la puiffance de l'exécuter ; elle
a à fes pieds un lion ; c'eft le fymbole
de cette vertu.
Plus bas eft la Juftice , qui d'une main
tient une balance , de l'autre une épée
MARS. 1763. 143
pour
nue. Elle eft appuyée fur un lion
nous montrer qu'il faut qu'elle foit fecondée
de la force . Le mafque fur la
tête du lion annonce que la Juſtice fait
démafquer le vice & le punir. Les faifceaux
placés fous les lions expriment
l'accroiffement de force qui réfulte de
l'accord de ces deux vertus ; on y voit
auffi une corne d'abondance , pour indiquer
que tout profpére dans un Etat
où régne la Juſtice.
,
Derrière la magnanimité fe voit la
valeur militaire repréfentée par un
Guerrier tenant un drapeau qui enveloppe
plufieurs picques , pour montrer que
les hommes réunis fous l'étendard de
la vertu font invincibles. Derrière elle
fe voit une pyramide qui repréſente la
gloire des Princes perpétuée par des manumens.
A côté de la valeur militaire
eft l'intrépidité repréfentée par un Soldat
qui s'appuye fur fes armes. La vertu
héroïque eft à la droite , c'eſt un Guerrier
fous les attributs d'Hercule ; il tient
d'une main une maffue fur l'épaule , &
de l'autre les pommes d'or des Hefpérides
emblême du plus célébre de fes
exploits.
>
Au devant de la vertu héroïque eft
la vertu pacifique, repréſentée par Miner
144 MERCURE DE FRANCE,
ve , Déeffe de la Sageffe & des Arts : elle
tient d'une main une branche d'olivier
fur les armes de France , & porte de l'autre
la lance qui fervoit dans les anciens
tournois & dans les jeux qu'on
célébre durant la paix ; cette lance eft
éntourrée de ferpens , fymbole de la
Prudence.
Près de Minerve , eft la Générosité ;
c'eſt une jeune fille qui porte fur la tête
une gaze d'or & des perles : fes bras nuds
annoncent que le propre de cette vertu
eft de fe dépouiller de tout intérêt , & de
faire le bien , même fans efpérance de
retour. Elle s'appuye fur le bouclier de
Minerve, pour montrer qu'elle favoriſe
particuliérement ceux qui cultivent les
Arts & les Sciences ; elle tient même le
cordon de l'Ordre du Roi , comme une
des recompenfes diftinguées que M. le
Marquis de Marigny a procurées à plufieurs
Artiftes célébres que nous avons
actuellement. Au deffous de Minerve ,
font les attributs des beaux Arts.
Toutes ces figures forment jufqu'ici
un tableau qui feul feroit honneur à
M. Vanloo , mais ce n'eft rien encore
au prix de ce qui en refulte enfuite de
fingulier on regarde ce Tableau au
travers d'une efpèce de lunette dont
l'objectif
MAR S. 1763 . 145
J'objectif est un verre à facettes formé
de plufieurs plans , inclinés à l'axe du
tableau ; ces différentes refractions réuniffent
en un très - petit efpace toutes les
figures difperfées fur la furface du tableau
, en les diminuant de manière à
n'en former qu'une feule figure , & cette
figure eft la tête du Roi , exprimée
avec une reffemblance très- remarquable.
La figure de la Juftice eft ce qui forme
l'oeil du Roi avec une des faces de
la frifure qui approche le plus de l'oeil :
le Peintre nous dit par là , que rien n'é
chappe aux regards de la justice du Monarque.
La magnanimité donne auffi
une partie de l'oeil ; la joue l'oreille &
le fourcil qui exprime la volonté fuprê
me ; la tête de Médufe compoſe une
partie de l'autre fourcil : elle femble
nous dire que les regards d'un Prince
jufte épouvantent le crime & produifent
dans les coupables cette confternation
& cet anéantiffement qui reffemble
à la métamorphofé que la vue
terrible des ferpens de Médufe produifoit
autrefois.
La valeur guerrière donne une partie
du nez & de la bouche , parce que
la bouche est l'organe du comman de-
GE
1
146 MERCURE DE FRANCE.
ment ; la vertu héroïque donne une
partie de l'autre joue avec le coin de la
bouche ; elle finit le nez & les narrines.
Minerve donne l'oeil du Roi du petit
côté l'oeil de ce grand Prince voit avec
bonté ceux qui cultivent les vertus
les fciences & les arts. La Générofité
concourt à finir l'oeil du petit côté , la
tempe & un côté des cheveux . La Sculpture
, exprimée par une tête d'Apollon ,
donne le front & les lauriers dont il eſt
couronné. Le lion de la Magnanimité
forme l'autre tempe , & achève le front.
Le mafque produit la blancheur du front
& finit le fourcil. La crinière des lions
forme le toupet , qui eft blanchi par la
figure qui repréfentoit l'Intrépidité .
Vous voyez , Monfieur , par ce détail
combien il y a eu d'intelligence
dans la combinaifon de deux chofes
auffi étrangères & auffi différentes entre
elles , que le font d'un coté ſept à
huit figures , chargées de fignifications
allégoriques auffi bien imaginées , de
l'autre la reffemblance d'une feule tête.
On a vu quelquefois des effets de perfpective
& de dioptrique qui confiftoient
à faire voir fur une forme régulière
ce qui paroiffoit d'abord n'en avoir
point ; cela femble n'être pas diffiMAR
S. 1763. 147
cile , que
il ne faut deffiner
en regardant
au travers du verre dans lequel
le deffein doit être vu. Il en résulte
enfuite un objet quelconque dont la
forme vue de tout autre point eft difficile
à prévoir ; mais fi l'on veut qu'il
en réfulte des objets qui ayent une
forme régulière , cela paroit fort difficile.
La difficulté augmente encore ,
quand la forme des objets eft déterminée
d'avance pour être apperçue d'uné
telle maniere foit du point de vue ,
foit de tout autre point. Si l'on propoſe
enfin de former un portrait avec d'autres
figures qui y afent un rapport donné
, le problême paroît comme impoffible
& le fuccès de M. Vanloo pouvoit
feul ce me femble juftifier l'entreprife.
Il feroit à fouhaiter. qu'il fit
part au Public & aux Sçavans des idées
qui ont pu lui faire entreprendre un ouvrage
auffi fingulier & des moyens qui
lui en ont procuré le fuccès.
J'ai l'honneur d'être , & c.
DELALANDE
Ce Tableau a été préfenté à Sa
Majefté , par M. le Marquis de Marigny
.
sij
148 MERCURE DE FRANCE.
MUSIQUE.
>
SIX ARIETTES Françoiſes , dans le
goût Italien avec accompagnement
d'un violon & d'une baffe , fuivis d'une
Cantate à grande fymphonie. Dédiées
à M. le Marquis de l'Hôpital , Lieutenant
Général des Armées du Roi.
Par M. Ciampalenfi , ordinaire de la
Mufique du Roi . Prix des Ariettes
féparées 3 1. de la Cantate 1. 10 f. aux
adreffes ordinaires de Muſique.
LA GUITTARRE de bonne humeur
, ou Recueil de Vaudevilles badins
, avec accompagnement de guittare.
Par M. Merchi. Septiéme livre
de guittare. OEuvre 10. Prix 6 livres.
A Paris , chez l'Auteur , rue du Rempart
S. Honoré près des Quinze-Vingts ,
chez un Tapiffier ; & aux adreffes or
dinaires de Mufique.
LES RÉCRÉATIONS chantantes
ou Journal Lyrique , contenant des airs
choifis dans les Opéra-Comiques , avec
accompagnement de violon , flute , ou
pardeffus de viole , notés fur la clef
MARS. 1763. 149
de Gréfol , & ajuftés de façon qu'on
peut les jouer en duo fur les inftrumens
; par M. Legat de Fourcy , Maître
de chant , & Organifte de S. Germainle-
vieux fixiéme Recueil. A Paris
chez M. la Chevardiere , rue du Roule ,
à la Croix d'or. Prix , 3 liv.
?
CONCERTO pour le clavecin , avec
accompagnement de deux violons alto
viola & baffa , dédiés à Madame Couftard
, compofés par M. Wondradfchek.
Prix , 6 liv, A Paris , chez l'Auteur
rue Mazarine , chez un Perruquier , &
aux adreffes ordinaires. La réputation
méritée de l'Auteur inſpire un préjugé
très-favorable pour ce nouvel ouvrage.
SUPPLÉMENT à l'Article des Piéces
fugitives.
SUITE de la Traduction de MAL-APROPOS
, ou L'EXIL DE LA Py-
DEUR , Poëme Grec.
QUATRIEME CHANT.
LAA nuit , fi chère à l'Amour & que
ce Dieu embellit fouvent de fes chat-
Gij
150 MERCURE (DE FRANCE.
.
mes , impatiente de fe rendre à Pa
phos , avoit preffé le Soleil de lui faire
place. Non qu'elle eût violé les loix
immuables de fon cours ; mais elle
avoit étendu les bords de fon voile
de telle forte , qu'à peine Phabus touchoit
à l'humide empire , que fes
derniers rayons avoient été abforbés.
Une quantité prodigieufe de flambeaux
avoient fait un jour nouveau ;
& ce jour est le vrai jour de Paphos.
A la lueur de ces Aftres factices , on
vit reparoître les Immortels Époux ; &
chacun deux fe rendit dans des cabinets
différens. Leur cour fe partagea
pour affifter à leur toilette. L'Hymen
vifita alternativement l'une & l'autre
lui-même avoit appellé la Galanterie ;
il l'introduifit , à celle de l'Amour , &
les Grâces fe déroboient tour-à-tour
pour y paffer quelques inftans . La
toilette , de l'Amour n'eft pas longue ;
il vola à celle de fa Pfyche , dans l'infant
que par les mains de la Pudeur
elle achevoit de prendre une feconde
robe nuptiale d'un tiffu d'argent le plus
éclatant , que les Arts avoient parfemé
des tréfors de l'Orient. Les Grâces
émpreffées autour d'elle , fe difpu
toient le prix du goût ; & chacune en
MARS. 1763. ISL
particulier s'applaudiffoit des ornemens
la Beauté rend fi faciles à placer
& auxquels elle prête tant d'agréque
ment .
Les toilettes étant finies , & les époux
encore plus parés de leurs charmes ,
que des ornemens qu'on y avoit ajoutés ,
au milieu des lumières cachées dans
les feuilles & dans les fleurs , de manière
que les unes & les autres paroiffoient
produire la clarté ; cette troupe
charmante traverfa les jardins pour
retourner au Palais principal. Au -devant
, étoit dreffé un trône de brillans ,
plus éclatans que le Soleil , fous un
Pavillon de la plus riche pourpre de
Tyr , rayonnée d'or & de diamans . Des
guirlandes de fleurs artificiellement
imitées par les pierres les plus précieuſes
, en renouoient les pentes , &
étoient foutenues par de jeunes zéphirs ,
dont les aîles tranfparentes & orientées
, s'accordoient harmonieuſement
avec les couleurs du Pavillon . C'eftlà
, que l'Amour & Pfyché fe placerent
pour voir la troupe agile des Plaiſirs &
des Amours fe jouer alternativement ,
fur un canal de l'onde , & du feu
que Vulcain avoit préparé pour le ter-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
rible Dieu de la Guèrre. Tantôt l'air
embrafé offroit un fpectacle dont la vue.
avoit peine à foutenir l'éclat & à fuivre
la variété des fcènes. Tantôt , par
des machines que les Arts avoient fournies
, l'Onde pouffée en jets à perte
de vue , étoit recueillie en l'air dans des
vâfes portés par les enfans aîlés qui ,
en la réverfant , lui donnoient mille
formes différentes ; la lumière étoit
telle dans ces fêtes , qu'elle prêtoit
aux eaux l'apparence du criftal en fufion.
A ces jeux en fuccédoient d'autres
qui préfentoient l'image paffagère &
paifible des ravages & des embraſemens
qui , trop fouvent parmi les
Mortels ne font qu'un jeu du Maître
charmant , qu'on amufoit alors ,
tour -à - tour le Tyran & le Dieu du
monde. Quelquefois on appercevoit
des traits de flâme , pénétrer , fans s'éteindre
, la profondeur des Ondes &
en faire fortir les froides Déïtés fur des
Conques galantes. Les Amours , qui
avoient lancé ces traits ,, menoient en
triomphe ces Dieux des eaux enchaînés .
Tout ce que les armes de l'Amour avoient
fait de conquêtes remarquables dans
l'Empire de Neptune étoit rappellé
par des répréſentations animées. Chaque
,
,
MAR S. 1763. 153
partie de ces jeux , fi l'on vouloit les
bien peindre , fuffiroit à un Poëme
entier.
Plus puiffant au Parnaffe que le Dieu
même qui y régne , l'Amour avoit appellé
les Mufes , & les Mufes s'étoient
empreffées à fignaler leur zéle ,, par les
plus agréables effets de leurs talens . C'eft
à leurs foins qu'on devoit les preftiges
qui avoient figuré dejà les amours de
quelques Déités des eaux. Mais leur
chef- d'oeuvre en ce genre étoit préparé
dans l'intérieur du Palais ; on s'y
rendit donc , pour jouir d'un nouveau
fpectacle qui ne cédoit a aucun de
ceux qu'on venoit de voir , mais dont
mon foible ftyle (a) ne pourra donner
qu'un trait aride & fans coloris.
CINQUI É ME CHANT.
Dans une des Salles les plus vaſtes
du Palais , étoit difpofé un Théâtre
d'un genre & d'une forme dont notre
Grèce ne fourniroit que d'imparfaits
modéles toute la Cour de Paphos fe
raffembla dans ce lieu .
La Scéne n'étoit pas vifible aux Spec-
(a) On fait que les Anciens nommoient ainf
le poinçon avec lequel ils écrivoient fur les Tablettes
enduites de cire.
G v
$4 MERCURE DE FRANCE.
ateurs , lorfqu'ils entrerent pour fe
placer ; on auroit eu peine à la foupconner;
on n'y voyoit qu'un fuperbeAm
phitéâtre. Mais à peine les deux Fpoux.
y furent entrés , que la partie qui féparoit
la fcène difparut. On apperçut alors
un nouvel univers renfermé dans l'enceinte
de ce lieu ; des cieux , des mers ,
des campagnes , le terrible féjour des
enfers , & des Palais céleftes. La Nature
& l'Art magique , par leurs efforts réunis
, auroient peine à produire les prodiges
qu'offroit cette merveilleufe Scène.
Les Mufes s'étoient métamorphofées
fous diverfes formes , pour repréfenter
elles-mêmes les perfonnages d'un Drame
, dicté par Apollon , & qui retraçoit
en action les amours , les tourmens
& la félicité fuprême de la tendre Pfyché.
Cette repréſentation , qui n'étoit
point l'effet des Mafques groffiers en
ufage fur nos Théâtres ( b ) , étoit fi
fidéle , que Pfyché fut étonnée
fuite un peu inquiette de la Mufe qui
la repréfentoit : elle furprit les yeux de
l'Amour fouvent prêts à s'y méprendre
tant étoit parfaite l'illufion de la métaen-
(b) Sur les théâtres des Anciens les Acteurs
fe fervoient de mafques pour repréſenter les per
fonnages de leur Rôle.
MARS. 1763. 155
morphofe. Plus puiffante encore étoit
celle des accens qui renouvelloient
dans l'âme de Pfyché les fentimens
qu'elle avoit éprouvés . Ces accens
étoient dans un mode , & les vers dans
une mefure qui nous font encore inconnus.
Les chants , mariés à l'harmonie
de l'Orchestre , étoient apparemment
le langage même des Dieux pour
lefquels ce Spectacle étoit préparé. L'Amour
fourit à la vue de la Mufe qui
avoit emprunté fa figure ; il fe tourna
vers Pfyché pour confulter fon impreffion
; mais celle-ci , en portant fes
beaux yeux fur les fiens , lui dit , je
croirois voir l'Amour fur cette fcène
phantaftique , fi l'Amour n'étoit à mes
côtés ; mais on ne peut jamais fe méprendre
à la fiction , que quand il ne
daigne pas fe montrer lui-même.
A l'endroit du Drame qui rappelloit
les tourmens de la jeune Pfyché ; au
terrible afpect des enfers , repréfentés
très-vivement , & fur- tout à l'impitoyable
menace de lui ravir la beauté ; cette
tendre amante , par un mouvement involontaire
, fe précipita dans les bras .
de fon époux. Il en fut allarmé ; il
favoit mauvais gré aux Mufes du choix
de ces images douloureuſes , pour une
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
fete confacrée aux plus doux plaifirs.
Eh ! non , non , s'écria Pfyché , que
ne puis -je , tous les inftans de ma vie
immortelle , avoir un fouvenir auſſi vif
des maux que j'ai foufferts pour vous.
On ne jouit bien des délices de l'amour
que par la mémoire des peines qu'elles
ont coutées. L'Amour cependant fit
dire aux Mufes par le Dieu du goût que
l'on fixoit trop long- temps l'attention
fur de fi funeftes tableaux . Auffi-tôt on
en vit fuccéder de plus riants : la clémence
de Vénus & la félicité des deux
amans en étoient l'objet. C'est alors que
Terpficore , par des danfes voluptueufes
& gayes , vint effacer l'impreffion pathétique
que fes foeurs avoient procurée .
SIXIÈME CHANT .
Un autre Sujet tout différent occupa le
théâtre . La fatyre s'en étoit emparé. La
Scène ne repréfentoit plus qu'une vaſte
mer. On vit fur fa furface s'élever plufieurs
Syrenes , dont les figures féduiſantes
étoient auffi variées que leurs enchantemens
. Sans quitter l'humide fein de l'onde,
où plonge toujours la partie de leurs
corps , qui ne tient plus à l'humaine ſtruc-
&ture, elles formoient par des entrelacemens&
des bondiffemens fur les flots, des
efpèces de danfes , au fon de leurs chants
MARS. 1763. 157
,
mélodieux. Le tout refpiroit une volupté
fi dangereufe , que la plupart
des fpectateurs mêmes malgré la
force de leur divine exiftence en
étoient prèfque entraînés ; mais la plaifanterie
du Spectacle , qui furvint , fit
bientôt diſtraction à ce léger penchant
On apperçut des Barques fur cet
océan elles étoient , la plûpart , galamment
ornées , & paroiffoient chargées
de perfonnages qui repréfentoient
les principaux états de l'humanité. Ces
Barques n'avançoient pas toutes enfemble
on les voyoit d'abord dans le
lointain ; on remarquoit les mouvemens
oppofés qui fe paffoient entre des Nautoniers
expérimentés & des Paffagers
imprudens , qui les contraignoient à fe
détourner de leur route. Quelques Syrènes
fe détachoient pour aller au-devant
des Barques & fe faire voir de plus
près. Dès que les Barques en approchoient
, les artificieufes Syrènes , fe
replongeant dans l'onde , en reffortoient
à des diſtances éloignées. C'eſt ainfi
qu'elles attiroient , par ces feintes refuites
, les Paffagers jufques dans certains
efpaces , où étoient cachés fous les
flots des filets plus déliés que les cheveux
de leurs blondes treffes , mais plus
158 MERCURE DE FRANCE.
infrangibles que l'acier de LEMNOS.On
diftinguoit dans ces diverfes Barques de
fuperbes Archontes , de graves Aréopagites
, des héros de Mars , des difciples
de la Philofophie , enfin tous les
Ördres de la République , jufqu'à
d'auftères Sacrificateurs : chacun d'eux
difputoit avec foi-même quelques momens
; mais chacun d'eux veilloit l'inf
tant où les patrons des barques détournoient
la vue , afin de fauter plus librement
dans ces flots empoifonnés , à
l'aide des mains perfides que leurs tendoient
les Syrènes . D'autres fembloient
s'y laiffer gliffer mollement , & comme
par diftraction , croyant apparemment
par-là fe dérober leur propre foibleffe
& s'épargner le reproche de leur chûte.A
peine ces divers perfonnages tomboient
en la puiffance des Monftres charmans
qui les avoient furpris , qu'ils étoient
enchaînés de fleurs. Les Syrènes en
avoient qui étoient enchantées pour chaquefens
en particulier ; de forte que ces
victimes fe trouvoient arrêtées dans toutes
les parties de leur être. Ainfi que
certains animaux carnaciers fe jouent
quelque temps de leur proie avant que
de la dévorer telles ces femmes infidieufes
, faifoient en cent façons des
MARS. 1763. 159
jouets de leurs Captifs ; & par les formes
les plus ridicules qu'elles leur faifoient
prendre , elles les expofoient au
rire des Spectateurs , avant que de les
précipiter dans les abîmes de cet océan,
Les jeunes étourdis de notre Grèce nefurent
pas les moins amufans des per
fonnages de cette comique Pantomime..
Les Syrènes les faifoient tourner avec
une rapidité incroyable autour d'elles :
elles avoient pour cela des fouets de
toutes les paffions , qui leur donnoient
à chaque inftant des impulfions contraires.
Elles changeoient enfuite ces
Etres en différentes efpèces d'animaux ;
elles s'amufoient de leur babillage en
perroquets ; elles leur faifoient répéter
à-peu-près ce qu'ils auroient dit fous
leur forme naturelle ; elles les faifoient.
voler , comme des Etourneaux &
retomber dans la mer , où ils difparoiffoient
pour quelques momens. Enfuite ,
fous la forme de petits chiens , elles les
dreffoient fur le champ à plufieurs exercices
plus comiques les uns que les autres
; puis elles finiffoient par les tranfformér
en dogues furieux , dont les
rauques aboyemens étoient fuivis de
combats dévorans , qui fe terminoient
au gré du caprice de leurs cruelles maîtreffes
.
,
160 MERCURE DE FRANCE.
De toutes ces Pantomimes , dont
Momus avoit concerté les fcènes , il n'y
en eut point de plus piquante que la
dernière. On vit approcher une Barque
plus confidérable que les précédentes ;
les flammes ou banderoles étoient de
pourpre de Tyr & de tiffus de l'or le
plus pur. A mefure que ce bâtiment ,
chargé d'un nombreux cortége , approchoit
des fpectateurs , on y découvroit
de nouveaux ornemens. Le Chef fe
diftinguoit fur tous les autres par l'éclat
des plus riches étoffes & des pierreries
dont il étoit couvert. On voyait,
au mouvement perpétuel de fes mains ,
qu'il répandoit avec profufion toutes
fortes de richeffes aux Syrènes du fecond
ordre qui bondiffoient autour de
fa Barque , mais dont les charmes n'étoient
pas affez puiffans pour arrêter un
Dieu , car c'étoit le Dieu Plutus que
repréſentoit ce phantaftique perfonnage.
Il étoit alors en querelle avec l'Amour ,
& n'avoit point été appellé à ces fêtes.
Les Mufes , fouvent piquées des avances
humiliantes qu'elles font à ce Dieu
& du dédain dont il les reçoit ,
avoient faifi cette occafion de vengeance.
On reconnoiffoit Plutus nonfeulement
à fa fplendeur , mais à une
MARS. 1763.
161
certaine pâleur livide , qu'il porte luimême
fur le vifage , & qu'il communique
à fes favoris , abforbés dans le
foin d'accumuler & de conferver les
tréfors qu'il leur confie. Trois des principales
Syrènes attendoient cette précieufe
proie avec une nonchalance affectée
, qui leur en afſuroit davantage
la conquête . Elles formerent alors des
concerts fi touchans ; elles prirent des
attitudes fi enchantereffes , que l'âme
d'aucun Mortel n'eût pu foutenir , fi
l'on ofoit le dire , le poids délicieux
de cette volupté. L'âme du Dieu des
Richeffes ne fut pas inacceffible. Les
Syrènes avoient ajouté à leurs enchantemens
ordinaires le charme d'un parfum
plus fort que celui qu'on offre aux
autres Dieux , & dont l'yvreffe eft inévitable.
Plutus reçut en apparence
l'hommage des trois Syrènes , qui ne
faifoient que prêter à fa vanité un léger
tribut dont il alloit les dédommager
par celui de toutes fes poffeffions . Les
Syrènes éleverent les bras vers lui ; il
s'inclina pour recevoir leurs embraffemens.
Bientôt elles l'eurent enlevé de
fon bord , & la Barque avec tout le
cortége difparut au milieu de la troupe
des autres Syrènes. Les principales Ac
162 MERCURE DE FRANCE ,
au moien
trices de ce jeu foutinrent quelque
temps Plutus fur leurs bras , puis , par
un badinage enjoué , elles le plongerent
dans les eaux enchantées. C'eft alors
qu'on ne peut compter toutes les tranfformations
burleſques par lefquelles on
le fit paffer. La dernière amufa particu→
liérement la Cour du Dieu de Paphos .
On vit reparoître la tête de Plutus
fur la fuperficie de l'eau . Les trois
Syrènes , alternativement
d'un petit foufflet dont elles lui avoient
pofé le tuyau dans la bouche , gonflé
rent cette tête au point que toute fa
forme difparut , pour faire place à un
globe que l'air feul rempliffoit. Les Syrènes
alors s'écartérent ; & fe rejettant
en l'air l'une à l'autre ce globe de vent ,
elles donnerent le Spectacle riant d'un
exercice très-agréable jufqu'à ce que
ces jeux ayant affez duré , les Syrènes
fe plongerent avec leur proie au fond
de l'Océan. La Scène fe referma fubitement
telle qu'elle avoit été avant le
Spectacle , & toute la cour des deux
époux les fuivit à la Salle du Banquet .
SEPTIE ME CHANT.
Je ne décrirai point le lieu délicieux
& brillant deftiné au Banquet des DiMARS.
1763.
163
·
vinités de Paphos. Je ne ferai point
l'énumération des mets exquis dont
Comus avoit dirigé la compofition &
l'ordre des fervices. Lorfque les Dieux
habitent la Tèrre , ils fe plaifent à ufer
de la nourriture des Mortels , ainfi que
des autres plaifirs que leur bonté fouveraine
a attachés à chacun de nos
fens. Ce qui eft plus important à mon
Sujet ce font les rangs des principaux
convives ; l'Hymen avoit de droit le
premier il étoit placé entre les deux
Epoux. Ce fut lui qui pofa fur leurs
têtes les couronnes en ufage dans les
feftins.
Chaque affemblée , chaque événe
ment tant foit peu folemnef, fait naître
dans les cours fublunaires une multitude
de conteftations. Les Cours Céleftes
n'en font pas plus exemptes. Cependant
celle de l'Amour dans fes fêtes
particulières eft très-facile fur l'étiquette
; mais l'Hymen préfidoit à celleci
& l'Hymen , ( Tyran jufques dans
les Plaifirs , ) eft le premier qui ait introduit
les graves minucies du cérémonial.
Plus cérémonienfe que toute autre
& plus délicate fur les frivoles honla
Pudeur reclama en cette occafion
la place que la Volupté vouloit
neurs ,
1
#
164 MERCURE DE FRANCE.
occuper auprès de Pfyché. Toujours
fière par humeur autant que par étar ,
fouvent querelleufe par orgueil pour
des prérogatives qu'elle céderoit par
goût , cette majeftueufe Pudeur implora
l'autorité de l'Hymen , & l'Hymen
prononça en fa faveur. Pour confoler
la Volupté , l'Amour la fit mertre à fes
côtés. L'Amour déféroit encore aux
droits des premiers jours de l'Hymen,
O Hymen de combien d'années d'outrages
& d'affronts tu payes fouvent
les vaines déférences que tu éxiges
dans tes jours de Fêtes folemnelles ! La
place de Bacchus étoit marquée à la
droite de l'Amour, Ainfi la Volupté ne
fe crut point déplacée d'être entre eux.
Comus de l'autre côté fe rencontroit
près de la Pudeur. La vénérable Matrone
vit cet arrangement avec quelque
complaifance ; car de tous les Dieux
qui compofoient cette Cour , le délectable
Comus étoit celui avec lequel elle
fe permet un peu plus de familiarité.
Les Mufes étoient à la même table , &
Momus avec elles. Les Grâces avoient
refufé galamment de prendre place
pour fe réferver le plaifir de fervir les
nouveaux Époux. Des Bacchantes choifies
environnoient le lit de Bacchus.
MARS. 1763. 165
Chaque convive avoit un des demi-
Dieux de cette Cour, attaché au foin de
prévenir fes moindres defirs. Quelques
jeunes filles & quelques jeunes garçons
de Paphos , confacrés au temple , étoient
admis au même office.
D'autres tables raffembloient le refte
de la Cour , & la Gayeté , voltigeoit
alternativement des unes aux autres ;
tandis que dans l'intervalle des fervices ,
les Mufes faifoient entendre leurs concerts.
Bacchus ne contribuoit pas peu à
l'agrément de ce Banquet. Après les
premières coupes du nectar céleste , il
propofa le nectar de la Tèrre ; on en
avoit apporté de toutes les régions du
Monde. Ce fut la première fois que
dans une Ile de la Gréce on goûta
d'un vin recueilli dans les climats barbares
des Gaules. Bacchus l'avoit fait
réferver pour cette fête ; il voulut que
la Gayeté fe chargeât feule de le verfer.
Cette liqueur petillante comme elle , en
étoit l'image. Il en fit préfenter par
l'Amour à la belle Pfyché , dans une
coupe du plus pur criftal ; la févère
Pudeur crut qu'il étoit des fonctions de
fa charge d'examiner ce breuvage inconnu
, & voulut arrêter la main de la
jeune Epoufe prête à porter la coupe
166 MERCURE DE FRANCE.

par
fur fes lévres : mais celle-ci , en regar
dant avec une douce ingénuité la févère
Matrône , but la coupe fans héfiter ;
puis s'adreffant à elle , lui dit : O ! refpectable
Pudeur ; ce qui m'eft préfenl'Amour
ne peut m'être fufpect
& ne doit pas vous allarmer , puifque
l'Hymen ne s'y oppofe pas. L'Amour
paya du regard le plus tendre ce que
venoit de dire Pfyché , & l'Hymen luimême
ne put refufer d'y foufcrire, Bacchus
fit alors un figne à Comus , &
tous deux de concert engagerent la
Pudeur à vuider plufieurs coupes de la
même liqueur , à l'ombre de fon voile
qu'elle avoit rabaiffé, La Gayeté derrière
elle ,, en éclatoit de rire , & Momus
avec les Mufes préparoit déja des chanfons
à ce fujet. Mais ce filtre n'eut qu'un
effet momentané. La Pudeur en devint
un peu moins trifte , fans oublier les
entrepriſes que projettoit fon indifcret
orgueil , au milieu de la galanterie de
ces Fêtes.
HUITIEME CHANT.
la
Malgré l'impatience de l'A
joie & le plaifir prolongerent le feſtin
jufques affez avant dans la nuit . Enfuite
les époux pafferent chacun dans leurs
appartemens particuliers , où ils furent
MARS. 1763. 167
conduits en pompe , au fon de divers
inftrumens , & au bruit des acclamations
univerfelles ; après quoi on les
laiffa en liberté. La chambre dans laquelle
devoient fe réunir les deux époux
avoit à - peu - près la forme d'un tem,
ple. Sous une rotonde , la Volupté
y avoit fait préparer le lit nuptial. Il
étoit fermé d'une double enceinte de
baluftres , fur laquelle bruloient des
parfums céleftes , dans des caffolettes
d'or. Un double pavillon couvroit les
deux Enceintes. La lampe fatale , qui
avoit tant caufé de larmes à Pfyché ,
& qui fut cependant la fource de fa
félicité , avoit été fufpendue par la Volupté
au ciel du pavillon intérieur , avec
un tel artifice , que fans en apperce→
voir la flamme , fa lumière réfléchie
éclairoit le lit d'un jour fi doux & fi
voluptueux , que cet aftre nouveau du
myftère faifoit craindre le retour de
l'aftre brillant qui anime & féconde
l'univers.
L'Amour paffa le premier dans cette
chambre : il étoit précédé d'une troupe
d'enfans ailés , portans devant lui leurs
flambeaux allumés. Le fien étoit entre
les mains de la Volupté. Elle entra feule
avec l'Amour dans l'enceinte intérieu168
MERCURE DE FRANCE
re. La troupe badine des enfans de Cythère
fe difperfa dans les avenues . Pfyche
, pour fe rendre en ce lieu myſtéétoit
foutenue par l'Hymen
d'une main , & de l'autre par la Pudeur.
rieux ,
Il paroiffoit que tout alloit fe paffer
dans l'ordre antique & confacré par
l'ufage , fuivant lequel la Pudeur conduifoit
l'Epoufe jufques à la chambre
nuptiale , retiroit les voiles qui la couvroient
, l'attendoit le lendemain pour
les lui rendre & ne la pas quitter pendant
le refte du jour. On avança donc
jufques à la première enceinte fous le
grand pavillon extérieur. Le Mystère ,
éxact & fidele , gardoit l'entrée du fecend
, dont il tenoit les rideaux fermés.
Les Graces attendoient que la Pudeur
enlevât les voiles qui enveloppoient la
belle Pfyché , pour la porter dans leurs
bras fur le lit nuptial. La Pudeur au
contraire s'avança impérieufement pour
pénétrer dans la dernière enceinte
malgré les efforts du Myftère , qui en
défendoit l'entrée. L'Amour reclama
avec impétuofité contre la violence
qu'on éxerçoit dans l'aſyle facré de ſon
fanctuaire. L'Hymen dont la main
pefante brife fouvent l'édifice dont il
>
veut
MARS. 1763. 169
eut pofer les fondemens , l'Hymen
prétendit que ce fanctuaire étoit le fien ,
& que lui feul devant y donner des
loix , il vouloit que la Pudeur y préfidât.
Il menaçoit de fufpendre la fin de l'hymenée
, & de remener fur le champ
-Pfyché dans l'Olympe , attendre la décifion
des Dieux affemblés. Ce n'étoit pas
la première fois que l'Hymen avoit commencé
par intimider l'Amour : ce n'étoit
pas la première fois que ce dernier avoit
fini par s'en venger cruellement. Il fe
réferva cette reffource , & feignit encore
de céder pour cette fois. La Pudeur
encouragée par ce premier triomphe
porta fes prétentions jufqu'à vouloir
paffer la nuit dans la dernière enceinte ,
où la Volupté feule avoit le droit de
veiller. La Volupté , affez douce naturellement
, devint furieufe & fe récria
contre cette entreprife. Il fut réglé que
la Pudeur veilleroit dans la première
'enceinte , affez près néanmoins pourque
la nouvelle Epoufe put toujours entendre
fa voix. La cruelle gouvernante
en abufa tellement , qu'elle ne ceffoit
de l'appeller & de lui répéter des leçons
déplacées , fur lefquelles ni les reproches
impatiens de l'Amour , ni les cris de la
Volupté , ne pouvoient impofer filence.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
Les Grâces craintives s'étoient difper
fées au premier bruit de la querelle ,
& les ordres de l'Amour même auroient
eu peine à les rappeller.
'Enfin cette nuit de trouble & d'allarmes
fit place au jour. L'opiniâtre Matrone
reconduifit Pfyché à fon appartement.
Trop nouvelle Déeffe pour connoître
toutes les prérogatives de fon
état , Pfyché flottoit entre la foumiffion
que la févère Pudeur exigeoit
d'elle , & la douleur amère d'affliger
L'Amour. De nouvelles fêtes embellirent
cette feconde journée : ce qui l'embellit
encore plus , fut la préfence de Vénus,
qui vint vifiter les époux. Son fils fe
plaignit à elle de la tyrannie que l'Hymen
& la Pudeur entreprenoient d'exercer
fur lui-même , jufques au centre de
fon empire & de celui de fa mère. La
Déeffe , fenfible aux plaintes de fon
fils , lui promit que dès que les fêtes
préparées par Terpficore , pour l'entrée
de la nuit fuivante , auroient pris fin ,
elle remonteroit à la cour célefte faire
parler leurs communs droits , contre les
ennemis fecrets qu'ils avoient appellés
eux-mêmes dans leurs états . Diffimulez
, dit- elle , mon fils , paroiffez toujours
obéir , c'eft le plus für moyen que

MAR S. 1763. 171
'Amour & la Volupté puiffent prendre
pour détruire le pouvoir de l'Hymen
& de la Pudeur.
La feconde foirée fut plus prolongée
encore que la première. Les amuſemens
de Therpficore ayant occupé long-temps
une cour charmante , qui fe livroit au
plaifir dans l'ignorance des fecrets chagrins
qui en agitoient les chefs. Vénus
en retournant à l'Olympe , feignit de
quitter PAPHOS pour quelque temps.
La pudique Matrone en conçut l'espoir
d'un nouveau triomphe ; car la préfence
de Vénus étoit contraire à fes projets.
Dès la nuit fuivante , après le cérémonial
de la veille , elle avoit repris fa
place ordinaire ; mais n'ayant pû fe
défendre d'un léger fommeil , qu'avoit
peut-être occafionné l'exercice , quoiqu'affez
froid , de quelques danfes qu'elle
s'étoit permife , elle fe réveilla tout-àcoup
; & dans le dépit de la négligence
qu'elle fe reprochoit , elle voulut la réparer
avec éclat. Elle ouvrit , ou plutôt
déchira les rideaux de l'enceinte facrée.
Le Mystère alla chercher fa retraite dans
ceux du lit des Epoux , & la Volupté
indignée quitta la place. L'Amour en
ce moment ufa de cette perfide douceur
qu'il fait fi bien employer quelque-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
fois , & ne fit à fon ennemie que de
tendres plaintes qui encouragerent
encore fa fermeté.
,
Cependant la Volupté éplorée avoit
répandu l'allarme dans l'intérieur du Palais
: elle gémiffoit avec les Grâces du
fort de leur maître , lorfqu'une lumière
céleste annonça le retour de Vénus.
Elles rentrerent avec elle dans la chambre
de l'Amour. A fon afpe&t , la Pudeur
troublée voulut fe retirer. Arrêtez.
, dit Vénus
, arrêtez
, imprudente
maîtreffe
, pour écouter
l'ordre
fuprême
des
Dieux
. Si je vous euffe trouvé
dans les
bornes
prefcrites
à votre
emploi
, mon
pouvoir
étoit
limité
, j'étois
contrainte
à foutenir
le vôtre
jufques
dans mon
propre
empire
mais vous
avez
paffé
ces bornes
immuables
, votre
injufte
ufurpation
vous
foumet
à mon fils & à
moi , c'eft à lui que les Dieux
ont déféré
le droit de prononcer
. La Pudeur
,
rougiffant
de colère
& de confufion
, fe
retira
pour
aller attendre
fon arrêt : il
ne fut pas différé
. Après
avoir confulté
un moment
avec
fa mère
, l'Amour
fit
déclarer
à la vénérable
Pudeur
, par la
bouche
même
de fon ennemie
( la Volupté
) , qu'elle
eût à quitter
fon empire
pour n'y jamais
reparoître
: c'étoit
l'exiMARS.
1763. 173
ler de la terre. Quelle région habitée
n'eft pas l'empire de l'Amour ?
Ainfi , pour avoir voulu MAL-APROPOS
ufurper des droits que l'Amour
ne devoit pas céder , la Pudeur en perdit
que l'Hymen même ne put lui rendre :
& l'Amour de fon côté perdit l'avantage
flatteur de la victoire , dans prèfque
toutes fes conquêtes. Perfonne n'y gagna
; la Volupté elle - même s'ennuya
bientôt de fes triomphes , & fe trouva
fatiguée de l'exercice d'un pouvoir fans
bornes & jamais contredit .
Depuis cette fatale époque , quelques
foins qu'ayent pris les Dieux pour réconcilier
la Pudeur avec l'Amour , il
veut toujours l'exiler des lieux où il
donne des loix , & la Pudeur ne fait
prèfque jamais lui céder ou fe défendre
que MAL- A- PROPOS.
» Toi feule , fage & tendre Delphire!
> toi feule as pû donner afyle à ces deux
» ennemis dans une paix inaltérable .
» C'eſt ce bienfait des Dieux qu'a voulu
» confacrer ma Mufe. Plus cette faveur
deviendra rare dans les fiécles futurs
plus on admirera ta gloire & le
bonheur de ton amant.
Par M. D L. G.
Hijj
174 MERCURE DE FRANCE .
J'AI
A Mad... L. D ... De......
'AI promis à mon Roi d'être fon Chevalier ,
Et dès long- temps je fuis le vôtre ;
Par ce double ferment je viens de me lier.
Je fuis fûr & jamais je ne veux l'oublier ,
En fervant l'un , de plaire à l'autre.
Par unjeune Chevalier de l'Ordre de S. Louis.
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
SPECTACLES DE LA COUR A VER
SAILLES,
LE Mardi 1 Février les Comédiens
François repréfenterent le Glorieux
Comédie en cinq Actes & en vers du
feu fieur NÉRICAULT DESTOUCHES .
Le fieur BELCOUR y jouoit le principal
rôle ( a ) . Pour feconde Piéce les
Orignaux , Comédie en un Acte , en
profe , du feu fieur FAGAN (b).
(a) Premiére Repréſentation en 17320
(b ) En 1737.
}


MARS. 1763. 175
€ Le Mercredi il n'y a point eu de
fpectacle à caufe de la Fête .
Le Jeudi les mêmes Comédiens re-
3
préfenterent Zulime , Tragédie du fieur
de VOLTAIRE (c). La Dile CLAIRON
jouoit le rôle de Zulime. La Dlle Du-
BOIS celui d'Atide ; la Dile PREVILLE
celui de Serame. Les rôles de Benafar
& de fon confident étoient remplis par
les fieurs BRISART & DUBOIS : ceux
de Ramir & du Confident, par les fieurs
le KAIN & d'AUBERVAL. La Tragédie
fut fuivie de l'Indifcret , Comédie
en un Acte en vers du même Auteur
(d) ..
"
Le Mardi 8 on repréfenta l'Esprit
follet , Comédie en 5 Actes & en vers
du feu fieur HAUTEROCHE ( e) , qui
fut fuivie du Cocherfuppofé (f) , Comédie
en un Acte & en profe du même
Auteur.
Le lendemain 9 les Comédiens Italiens
repréſenterent la Cantatrice , Comédie
Italienne , dans laquelle la Dlle
PICCINELLI exécutoit le rôle de Cantatrice.
Cette Comédie précédoit Ver-
(c) En 2740.
( d) En 1725.11
( e )En 1684.
f)Dans la même année.
Ħ iv
176 MERCURE DE FRANCE.
tumne & Pomone , ballet en un Acte ;
( extrait du ballet des Elémens ) repréfenté
par l'Académie Royale de Mufique
, conjointement avec la Mufique du
Roi. Le Poëme de ce Ballet eft du fieur
ROY , Chevalier de l'Ordre de S. Michel.
La Mufique , du feu fieur DESTOUCHES
. Les rôles de Vertumne & de
Pan furent exécutés par les fieurs GELIOTE
& GELIN ; celui de Pomone
par la Dile ARNOULD. Les Grâces &
l'expreffion des chants de ce ballet , l'ef
prit & l'agrément qui régnent dans le
Poëme , les talens fi connus & fi admirés
des Acteurs qui en rendoient les
principaux rôles , tant de charmes réunis
ne pouvoient manquer de plaire & de
rendre cette repréſentation très-agréable.
La Dlle LANI danfoit feule une
principale entrée dans les Bergeres . Le
fieur CAMPIONI & la Dlle DUMONCEAU
un pas de deux, Les fieurs LAVAL
& GARDEL danfoient dans les
Faunes , ainfi que les fieurs d'AUBERVAL
, GROSSET & CAMPIONI . Le
fieur LANI & la Dlle ALLARD exécutoient
les principales entrées dans les
Paftres.
"
Le Jeudi 10 , les Comédiens François
repréſenterent Mérope , Tragédie du
fieur de VOLTAIRE , dans laquelle la
MARS. 1763 . 177
Dlle DUMESNIL joua le rôle de Mérope.
(g).
Pour feconde Pièce le Galant Coureur
, Comédie en un Acte en profe du
feu fieur le GRAND ( h ) . Le fieur Mo-
LE y jouoit le principal rôle .
Le Mardi 15 , dernier jour du Carnaval
, par extraordinaire , les Sujets de la
Comédie Italienne -exécuterent à la
Cour deux Opéra- Comiques ; le Roi &
le Fermier , Paroles du fieur SEDAINE ,
Mufique du fieur MONCIGNI & On ne
s'avife jamais de tout.
On donnera dans le Mercure prochain
le Journal des autres repréfentations
jufques à la clôture.
.. N. B. Nous n'avons fait qu'annoncer
fommairement , dans le précédent
Vol. les premiers BALS DE LA COUR.
Nous ne doutons pas que nos Lecteurs
n'en defirent une relation détaillée jufques
à la fin du Carnaval : mais comme
ce genre de Spectacles doit à tous égards
être diftingué des repréfentations theatrales
dont nous venons de rendre compte
, on en a fait un Article particulier.
que l'on trouvera après notre Article des
Théâtres & autres Spectacles ordinaires .
(g) Première fois en 1743-
(h) En 1722.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
SPECTACLES DE PARIS.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Mufique
a remis au Théâtre le Mardi 22 Février
TITON & L'AURORE, Paftorale Héroïque
en en 3 Actes, précédée d'un Prologue,
dont le Sujet eft PROMETHEE animant
des Statues d'hommes & de femmes
avec le feu du Ciel qu'il a dérobé .
Cet Opéra a été repréſenté pour la
première fois , au mois de Janvier 1753 .
Il eut alors le fuccès le plus éclatant &
le plus longtemps foutenu , qu'on ait
vu fur ce Théâtre. Une époque mémorable
, mais affligeante pour les Amateurs
de ce Spectacle , ajoute encore à
fa célébrité , en ce que cet Opéra a été
le dernier dans lequel M. GELIOTE
a chanté fur le Théâtre de Paris.
Le Public a prouvé dès la première
repréſentation de cette Remife que l'ouvrage
devoit à fon propre mérite , &
non pas aux circonftances , l'avantage
de lui plaire. M. PILLOT qui joue le
rôle de Titon , eft applaudi avec juftice
dans plufieurs endroits éffentiels de ce.
MARS. 1763 . 179
,
rôle. La mémoire récente encore de
M. GELIOTTE , & renouvellée journellement
par les repréſentations de la Cour
eft une ennemie qui fait honneur , même
en triomphant , au talent & à l'application
de M. PILLOT , bien moins
fecondé par l'organe que fon célébre
Prédéceffeur. Mlle LE MIERRE ( époufe
de M. LARRIVÉE ) fans avoir eu
les mêmes obftacles de comparaifon à
vaincre fe fait beaucoup d'honneur
dans le rôle de l'Aurore qu'elle chante
& qu'elle joue avec un égal fuccès . Les
rôles de Palès & d'Eole , quoique moins
intéreffans dans le fujet que les deux précédens
, font beaucoup d'effet , & font
très bien rendus ; le premier , par Mlle
CHEVALIER ; l'autre , par M. GELIN.
Ce dernier eft particuliérement très -applaudi
dans le grand morceau du fecond
Acte Vents furieux , &c , dans
lequel fa belle voix eft déployée avec
tous fes avantages. Mais ce qui , avec
beaucoup de plaifir , fait l'étonnement
& l'attention du Public , c'eft la manière -
dont M.MUGUETchante la célébre Ariette
du Dieu des coeurs &c. On peut avec
autant de justice lui attribuer ce que
nous venons de dire à l'occafion de
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
M. PILLOT , puifque cette Ariette étoit
exécutée par M. GELIOTE , & faifoit ,
une partie très - brillante du rôle de
Titon. On doit ajouter au fujet de
M. MUGUET qu'en donnant de juftes
éloges aux foins qu'il a pris de
chanter avec art ce Morceau , il eft redevable
auffi à l'avantage de fa voix du
plaifir que le Public trouve à l'entendre.
Cette favorable circonftance doit
fans doute encourager ce Sujet à redoubler
d'efforts & d'application pour
profiter du même avantage dans d'autres
occafions , & pour faire valoir par le
talent la faveur que la Nature lui a donnée
du côté de l'organe.
Nous ne parlerons point des parties
acceffoires dans cet Opéra ; les vers
& la Mufique fuffifent au fuccès de
l'ouvrage .
Les vers du Prologue font de feu M.
de la MOTHE . Le Poëme de feu M. de
la MARRE , Auteur du Poëme de Zaïde
(a). La Mufique de M. de MONDONVILLE.
(a)Nous ignorons par quel motif dans l'édition
des paroles de cet Opéra , on n'a fait ,
contre l'uſage mention uniquement que de
Auteur de la Mufique . Comme nous n'avons
aucune raifon pour priver la mémoire de feu Made
?
MAR S. 1763. 181
L'Extrait du Poëme fe trouve au Mercure
de Février 1753 .
On continue les Fêtes Grecques & :
Romaines les Jeudis . Le Public y entend
avec beaucoup de plaifir entr'autres
talens de ce Théatre M. LARRIVÉE
dans le rôle d'Alcibiade , ainfi que
dans le rôle de Prométhée au Prologue
de Titon & l'Aurore.
la MARRE de la gloire d'un ouvrage auffi agréable,
nous avons cru , conformément à tous les Journaliſtes
& les Bibliographes de ce Théâtre, devoir
la lui reftituer ici .
COMÉDIE
FRANÇOISE.
LE
$
E 26 Février on joua pour la 17ª
repréſentation Dupuis & des Ronais
Comédie dont nous avons déja parlé
dans le Mercure précédent. Il eft , depuis
longtemps fi peu d'exemples d'un
pareil nombre de repréſentations fur ce
Théâtre , que cette feule circonstance
fait mieux que tout ce que nous
pourrions ajouter l'éloge le moins
fufpect de cet Ouvrage. L'analyfe
que nous en donnons ici , n'eft que
pour fatisfaire la première curiofité des
,
182 MERCURE DE FRANCE:
Lecteurs qui n'auroient pu fe procurer
l'édition de cette Piéce. Quand nous.
aurions étendu davantage notre Extrait
nous aurions toujours fait perdre trop
de
plaifir aux Lecteurs & fupprimé trop
de beautés dans le coloris de l'Ouvrage
, pour difpenfer de recourir à l'Ouvrage
même.
MARS. 1763. 183
EXTRAIT
DE DUPUIS ET DES RONAIS,
Comédie en trois Actes en vers libres ;
par M. COLLÉ , Lecteur de Monfeigneur
le Duc d'Orléans.
PERSONNAGES.
M. DUPUIS , homme de Finance ,
père de MARIANE ,
MARIANE , fa fille , amoureuſe
de DES RONAIS ,
DES RONAIS , auffi Financier
ACTEURS.
M. Brifard.
Mlle Gauffin.
amoureux de MARIANE , M. Mollé.
CLÉNARD , ci - devant Précepteur du
feu neveu de DUPUIS ,
GASPARD , Notaire ,
M. Dubois.
M. d'Auberyal.
LAVIOLETTE , Valet de Chambre.
La Scène eft à Paris , dans le Salon de M. Dupuis.
LEE vieux Dupuis a deſtiné fa fille à
Des Ronais . Les deux Amans , qui s'aï
ment avec une égale tendreffe , n'afpirent
qu'après le jour de leur union ,
& fe flattent que cet hymen n'eſt pas
éloigné. Mariane a vingt - cinq ans ;
184 MERCURE DE FRANCE.
Dupuis approuve leur amour & defire
ce mariage ; il a engagé Des Ronais
qu'il aime , à venir demeurer dans fa
maifon il fe dépouille en fa faveur
d'une Charge de Finance qu'il a occupée
l'espace de trente - deux ans: il a fait venir
un Notaire ; Des Ronais & Mariane
ont ordre de fe rendre dans fon appartement
; tout cela femble annoncer un
mariage prochain , & ce mariage néanmoins
paroît devoir être encore différé;
en voici la raifon .
DUPUIS.
A cet hymen fije donnois les mains ,
Abandonné dans ma vieilleſſe ,
Réduit à cet état dont j'ai cent fois frémi ,
Je vivrois feul & mourrois de triſteſſe ,
De perdre en même temps ma fille & mon ami.
C'eft cette jufte défiance
Que je renferme dans mon ſein ,
Dont j'épargne à leur coeur la trifte connoiſſance,
Qui ne feroit qu'augmenter leur chagrin :
Et pour donner en apparence
Quelque motif à mes délais ,
Sur les exploits galans j'attaque Des Ronais.
Ce n'eft qu'un voile adroit pour couvrir le myf
tère
Que de mon ſecret je leur fais.
C'est dans ces quatorze vers qu'et.
MARS. 1763. 185
renfermé tout le fujet de cette Comédie..
Dupuis , pour juſtifier ſes délais , dont
il vient d'expofer le motif, attribue à
Des Ronais des intrigues galantes qui
pourroient faire le malheur de fa fille
fi elle devenoit fon époufe. Cette galanterie
de Des Ronais n'eft pas une
pure fuppofition ; & les bruits qui s'en
répandent ne font point fans fondement.
On fait qu'une Comteffe lui a fait
des avances , auxquelles il a paru répondre
; & le hazard veut qu'une Lettre
de cette femme à Des Ronais tombe
entre les mains du vieux Dupuis , qui
triomphe d'avoir cette piéce à oppofer
aux inftances des deux Amans . La Scène
où il leur fait part de cette Lettre , a
paru un chef-d'oeuvre. Nous en rapporterons
quelques traits qui pourront en
donner une idée .
DUPUIS à Mariane.
། Ecoute
Le billet qu'on écrit à cet homme galant :
Tu verras que tantôt j'avois raiſon fans doure.
Pour l'époufer fi vîte il eft trop fémillant.
( il veut lire. )
Ce Lundi.....
la
DESRONAIS , l'interrompant , & le tirant par
manche , en fe cachant de Mariane ; & voulant
l'empêcher de lire.">
186 MERCURE DE FRANCE .
Eh ! par grace ! ...
DUPUIS ,fecouant la tête.
Oh ! non pas. Sans votre façon dure ,
Vos reproches amers fur ma mauvaiſe foi ,
Ce n'eût été qu'entre vous ſeul & moi ,
Que j'cuffe fait cette lecture.
Mais , pour me difculper de tous mes torts , je voi
Qu'à ma fille , à préfent , malgré moi je la doi .
› ( Se retournant vers fa fille:)
Lifons donc , pour cela , la lettre de la Dame.
( Il lit. )
Ce lundi.
Comment donc ! depuis plus d'un mois , vous
tournez la tête à votre Comteffe ; & il y a huit
grands jours qu'elle n'a entendu parler de vous.
Voilà une bonne folie ! ceci auroit tout l'air d'une
rupture , fi je voulois y entendre ; furtout depuis la
dernière lettre que j'ai reçue de vous , & qui étoit
fi gauche. Mais finiffons ceci ; les ruptures m'excédent
; tout cela m'ennuie ; & je vous pardonne.
Au fond , pourtant , c'eſt une bonne femme !
Quelle clémence ! la belle âme !
( Il continue de lire. )
C'eftjeudi lejour de ma loge à l'Opéra ; venezy.
Je reviens exprès de la Campagne , ce jour-là ,
pour fouper avec vous ; je vous menerai & vous ramenerai
. A jeudi , donc ; je le veux ; entendez-
·vous queje le veux ? Tâchez de quitter vos Dupuis
debonne heure.. S'interrompant , vOS DUPUIS ? ·
Je vous défends , furtout , de me parler de cette
MARS. 1763. 187
&
petite fille , ( Il ôte fon chapeau à Mariane ) ,
de m'en dite tant de merveilles . Il y a dequoi en
périr d'ennui ; ou , ce qui feroit cent fois pis encore
, il faudroit en devenirjaloufe. A jeudi , mon
cher Des Ronais . Rancune tenanté , au moins.
( Il les regarde,& ils reftent tous un moment fans
parler. )
Qu'est-ce ? Eh bien ! ... ...
pétrifiés !
Vous voilà tous deux
Ma fille , vous voyez , fans que je le prononce ,
Tous mes délais juftifiés.
( A Des Ronais , en lui remettant la lettre de la
Comtete. )
Comme un homme poli , vous vous devez
réponſe
"
Ace billet galant , vif & des plus inftans ;
Er pour la faire , moi , je vous donne du temps :
Mais , mais , beaucoup ;.... un temps confidé
rable.
MARIANE ,
du ton dufentiment .
Quoi ; vous me trompiez ? Vous ! Quoi ! vous ,
Des Ronais , vous ! .
DUPUIS , d'un ton de gaîté . '
Eh vraiment , il nous trompoit tous !
DES RONAIS , d'un air modefte & afflige.
Eh ! Monfieur ! eft- ce à vous de me trouver coupable
? ...
J'aurois bien des moyens pour me juſtifier :
Si je n'avois en vous un Juge qui m'accable ,
188 MERCURE DE FRANCE.
Et qui ne veut que me facrifier.
MARIAN E.
avec un peu de dédain,
Vous vous juftifiriez !
On peut l'en défier .
DUPUIS , d'un air triomphant.
DES RONAIS , vivement.
Non , vis-à-vis de vous , divine Mariane ,
Je fuis un criminel qui tombe à
Je mérite votre courroux ;
VOS genoux;
Et moi-même je me condamne
Je m'abhorre. Qui ? moi !... J'ai pu bleſſer l'amour! ..
L'amour que j'ai pour vous ! par un juſte retour
Puniffez-moi , foyez impitoyable ;
De votre colère équitable
Faites-moi fentir tous les coups ,
Je ne m'en plaindrai pas. Mais vous , Monfieur,
mais vous !
Si vous ne cherchiez pas des prétextes plaufibles ,
Pour pallier vos réfus éternels ,
Tous mes torts , à vos yeux , feroient moins
criminels ,
Ils feroient moins irrémiſſibles.
DUPUIS.
DESRONAIS.
Vous le
croyez ?
Oui , fans cela , Monfieur ,
Nous ne me feriez pas un crime d'une erreur,
Que l'on pardonne à l'âge , & qu'il m'a fait come
mettre.
MARS. 1763. 189
Vous me juſtifîriez vous - même , & par la lettre,
Dont ici , contre moi , vous venez d'abuſer.
Dupuis marquefa furprife .
Rien n'eſt plus vrai , vous avez trop d'uſage ,
D'habitude du monde , & vous êtes trop fage,
Pour que ce vain écrit , qui fert à m'accufer ,
Ne pût , fi vous vouliez , tourner à m'excuſer.
Èxaminons- le , & voyons ce qu'il prouve ,
Voici d'abord ce que j'y trouve : ;
( Il lit. )
Comment donc ! depuis plus d'un mois , vous
tournez la tête à votre Comteffe.
Depuis un mois. Ce fut au Bal de l'Opéra.
Que s'engagea cette fotte aventure ...
Voyez ... Mais , pefez donc fur le temps qu'elle
dure.
(Il lit. )
Et il y a huit grands jours qu'elle n'a entendu
parler de vous... ( Plus bas. ) Ceci auroit tout l'air
d'une rupture ... Oui ! L'air d'une rupture ;
C'en eſt une , bien une , une qui durera ,
Une bien complette , bien fure ,
Ou jamais femme n'y croira.
MARIANE ,
en foupirant & fans le regarder.
Comment vous croire , vous ?
DES RONAIS.
Que vous m'affligeriez
Si vous penfiez qu'en cette aventure fatale ,
190 MERCURE DE FRANCE.
Elle ait , un feul inftant , été votre rivale;
Ne l'imaginez pas . Vous vous dégraderiez.
DUPUIS.
Qu'il connoît bien le coeur des femmes !
Il eft vif, éloquent. Je ne fuis plus ſurpris ,
S'il fait tourrner la tête à de fort grandes Dames
MARIAN E.
Infidéle ! eh ! voilà le prix ...
DUPUIS.
Voilà comme l'amour échauffant fes efprits ;
Et lui prêtant fon éloquente ivreſſe ,
Il enflâma cette Comteſſe ,
Dont il étoit; & dont il eft encore épris.
DES RONAIS.
Moi ! de l'amour pour elle ! Eft-ce ainſi qu'on
profane
Le nom d'amour : Le plus profond mépris
Eft le feul fentiment ; oui , le feul , Mariane ,
Qu'elle ait excité dans mon coenr.
Je le prouve encor , par fa lettre :
Surtoutje vous défends de me parler de Mariane...
DUPUIS , l'interrompant.
Ah ! tout beau ! daignez me permettre ;
Lifez comme on a mis
mettre.
Cette petite Fille.
>
comme on a voulu
DES RONAIS.
Eh bien ! foit. Oui , Monfieur.
( ILIA. 5
MARS. 1763.
Surtout je vous défends de me parler de cette
petite Fille. ( Il mâchonne les derniers mots à
» Mariane . ) Et de m'en dire tant de merveilles .
>
Pendant le peu de temps qu'a duré mon erreur
Je n'étois plein que de vous- même ;
Je ne lui parlois que de vous ;
De votre coeur , de mon amour extrême ,
De nos fentimens les plus doux ;
Du defir vif , & du bonheur fuprême
De me voir un jour votre Epoux ....
Son orgueil ; non , fon coeur meparoiffoit jalous
De ces objets toujours préfens à ma pensée ,
Mais fans ceffe mon coeur les lui préfentoit tous !
Et quoiqu'au fond de l'âme , elle enfût offenſée , ]
Elle- même , elle étoit forcée
De ne me parler que de vous.
Pendant le couplet précédent , Mariane s'atten
drit par degrés , & prépare le foupir qui doit lui
échapper à la fin de ce même couplet.
Hélas !
MARIANÉ.
DUPUIS , du ton du dépit.
Tu t'attendris
Quelle foibleffe extrême !
MARIANE , pleurant prèfque.
Moi ! je m'attendris , moi !
DUPUIS.
Eh ! mais , fans doute. Eh ! parbleu ! je le voi.
93. MERCURE DE FRANCE.
Pauvre dupe ! .... crois-tu que fans partage il
aime?
MARIAN E.
Mon Père! Eh , Je ne crois rien , moi.
DESRONAIS , à Marianne.
Ah! croyez que vous feule & toujours adorée ,
Vous regnates toujours fur ce coeur emporté ,
Par une folle ardeur de fi peu de durée ....
( S'adreffant à Dupuis . )
Et pour vous pénétrer de cette vérité ,
Regardez Mariane ... Et voyez , d'un côté ,
La décence & l'honnêteté ,
Le fentiment ; une ame .... Eh ! quelle âme adorable
!
Sa tendreffe pour moi ; .... mais que j'ai mérité
De perdre , en me rendant coupable ...
Et voyez de l'autre côté .....
DUPUIS..
Phoebus , que tout cela !
MARIANE ,
Mais non. En vérité ,
Je fuis bien loin , ici , de prendre fa défenſe ;
Ni même , dans l'aveu de fon extravagance ,
De vous faire obſerver , au moins , ſa bonne foi.
Non , la légèreté m'offenſe ;
Je fuis fenfible ; je ia voi ;
vous mon Père , hélas ! pourquoi
En
MARS. 1763. 193
Èn montrez - vous encor plus de courroux que
(
moi ?
Malgré toute la complaiſance ,
Et le refpect que je vous doi ,
Voulez-vous enfin que je penfe! ...
DUPUIS.
Quoi donc ! Que penfes-tu ? ( à part. ) J'enrage.
MARIANE.
Mais je croi ,
Sans m'éloigner trop de la vraisemblance
Que les torts , ( trop réels ) de Monfieur Dès Røg
nais ,
Vous fervent bien dans les projets ,
Que vous vous étiez faits d'avance.
DUPUIS.
Quels projets ! Ma conduite eft toute fimple. Eh !
mais ,
C'eſt le fait feul qui parle , & que je te préfente ;
Des Ronais aime ailleurs.
MARIAN E.
Aimer ! c'eft bientôt dit.
Aimer ! Que votre âme eft contente
D'appuyer fur ce mot , ( à part. ) que mon coeur
contredit !
DUPUIS.
Eh ! Oui , flatte-toi donc que cette grande Dame
N'a plus aucuns droits fur fon âme ,
Et ne lui fera pas négliger les Dupuis.
Et la petite Fille ?
I
194 MERCURE DE FRANCE.
1
DES RONAIS.
Ah ! Monfieur , je ne puis
Tenir à ce reproche horrible.
MARIANE , à part.
Eh ! Son projet eft bien viſible !
DES RONAIS.
Mariane , de mille coups ,
Je percerois ce coeur, s'il eût été fenfible ,
Un feul inftant , pour un autre que vous.
DUPUIS.
Bon ! bon ! difcours d'amans . Ils fe reffemblent
tous.
MARIANE.
Non , ceux-là font fentis.
DES RONAIS.
Sans doute , & c'est mon âme ,
Qui parle , qui vous peint , qui veut, en traits de
flâme ,
Dans votre coeur graver mon repentir,
Dans le mien le remords s'eft déja fait ſentir ;
Ce n'eft pas d'aujourd'hui , que mon amour réclame
Contre l'erreur qui l'a furpris.
Si vous fçaviez tout le mépris
Que , dès cet inſtant- là , j'ai conçu pour moimême,
Pour ma fatuité , pour ma foibleffe extrême ;
Qui , Mariane , ici , je le jure à vos pieds
MARS. 1763.
195
Malgré votre courroux , malgré vos juftes
plaintes ,
Si vous aviez pu voir mes remords & mescraintes;
Vous-même vous me plaindriez.
Sena MARIANE.C
Ecoutez , Des Ronais : je veux votre parole
De ne revoir jamais la Comteffe ...
DES RONAIS.
Ah !l'honneur
L'amour font le ferment ! Et fi je le viole ,
Que je perde à la fois la vie & votre coeur.
MARIAN E.
^ Je le reçois , & vous pardonne.
DES RONAIS , voulant fe jetter aux pieds
to ban stunde Marianers.
Trop généreufe Amante!
MLA D´UPUIS.
Eh ! comment donc ! comment !:
C'eſt au moment où je vous donne
Une preuve invincible.
MARIANE.
Oui , c'eſt dans ce moment ,
Mon Pere , ou dans l'aveu naïf de ſa foiblefſe ,
Je vois moins fon aveuglement
Que fes remords & fa tendreſſe :
Où , de ce même égarement ,.
Je crois voir & trouver la caufe , ou in
Et l'excufe de vos délais.
I йj
196 MERCURE DE FRANCE .
DUPUIS.>
Parbleu ! ceci n'eft pas mauvais ,
Et c'eft fort bien prendre la choſe !
D'après cet éclairciffement ,
Qui contre moi tourne directement ,
Vous verrez que c'eſt moi qui fuis coupable. Enforte
...
MARIANE...
Men pere , pardonnez ! je fens que je m'emporte
;
Mais vous m'aimez ; vous voulez mon bon
heur ;
Moi -même à nous unir fouffrez que je vous
porte ;

L'hymen m'affurera de fa conftante ardeur.
Des Ronais eſt rempli d'honneur ;
Mon pardon généreux fur l'âme de Monfieur
Doit faire une impreffion forte ;
Et je vous réponds de fon coeur.
DUPUIS.
Quelle eſt'ta caution ? L'amour qui te tranſporte ?
C'eſt une déraison qui me met en fureur .
Non , non , ce n'eft qu'après les plus longues
épreuves
Que je ferai de Monfieur Des Ronais ,
Qu'il fera ton époux. Je veux qu'il le foit. Mais ,
De fa bonne conduite , il me faut d'autres
preuves.
MARS. 1763. 197
Bien perfuadés que les galanteries de
des Ronais ne font qu'un faux prétexte
pour différer leur mariage , les deux
Amans font auprès de Dupuis les plus
vives inftances pour l'obliger à s'expliquer
fur le véritable motif de fes délais,
DUPUIS , après avoir réfifté quelque temps .
Il vient d'un fentiment que vous croirez biſarre ,
( Quoique très-vrai pourtant ) & qui n'eſt point ſi
Mais
rare ;
que dans la jeuneffe , on n'a point , mon .
ami :
C'eft la défiance des hommes
Qu'en moi l'expérience a trop bien affermi ,
Surtout dans le fiécle où nous fommes.
C'eſt en partant d'après ce principe ennemi ,
Que j'entends, que je veux que votre mariage
Que vous preſſez tous deux fi fort ,
Ne fe falle qu'après ma mort.
Nous regrettons de ne pouvoir rapporter
toute la Scène qui fuit cette explication
; elle eft à la fois vive , noble,
ingénieufe & attendriffante. M. Dupuis
entreprend d'abord de juſtifier ſa façon
de penfer , & dit aux deux Amans :
Quand vous , Des Ronais , vous , ma fille
Vous ferez occupés d'abord de votre amour ,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Qu'après cela viendront les foins d'une famille ;
Qu'aux devoirs les plaifirs fuccédant tour-àtour
,
Vous recevrez chez vous & la Ville & la Cour
Que pour fuffire à ce brillant commerce
1
Tous vos momens feront comptés ;
Qu'enfuite enfin des deux côtés
Les paffions viendront à la traverfe ;
Je dois beaucoup compter fur vos bontés.
L'amitié des enfans paffe alors comme un fonge.
C'eſt dans le tourbillon où le monde les plonge ;
Hélas ! c'eft dans ces temps de travers & d'écart,
Qu'à peine la jeuneffe fonge
A l'existence d'un vieillard.
Ma fille , on ne voit dans le monde
Que des pères abandonnés
A leur folitude profonde ,
Pardes enfans... fouvent qui les ont ruinés.
Mais en voit -on d'affez bien nés ,
Pour ofer en public , faire leur compagnie
De ces Vieillards infortunés ??
Ils leur feront , & par cérémonie ,
Une vifite ou deux par mois ;
Seront diftraits , rêveurs , immobiles & roids ;
Dans un fauteuil viendront s'étendre ;
Parleront peu , ne diront rien de tendre ,
Et s'en iront après avoir bâillé vingt fois.
" ! 2 ། " C
1
MARS. 1763. 199
Encore font-ce les plus honnètès ;
Qui , commandés par l'abfolu pouvoir
Que fur ces Meffieurs- là peuvent encore avoir
Des bienséances méchaniques ,
Viennent ainfi fe rendre en mauvais politiques ,
A ce qu'ils nomment leur devoir ;
Nous donner , en fuivant des ufages antiques ,
Par décence , & bien moins pour nous que pour
autrui ,
De ces preuves périodiques
De leur ingratitude & de leur froid ennui.
Des Ronais ne croit pas devoir combattre
les idées de ce vieillard ; il connoît
la bonté de fon coeur , & c'eft
par le fentiment & la tendreffe qu'il effaye
de vaincre fa réſiſtance.
Non , vous n'êtes point infenfible..
Ne vous dérobez point aux tendres mouvemens ,
Très-refpectable ami , qu'il eſt prèſque impof
fible
Que vous n'éprouviez pas dans d'auffi doux momens.
Que l'amour paternel , notre commune flâme ,
Qu'une fille , un fils , deux amans ,
Que l'amitié , l'amour , la nature en votre â me ,
Par la réunion de tous ces fentimens ,
En l'embrafant du feu qui nous enflamme ,
Y fallent tout céder à leurs tranfports charmans
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
C'eſt votre coeur lui ſeul , lai feul que je reclame:
Vous vous vous attendriffez. Mon père , à vos
genoux ,
Je lis dans vos regards que j'obtiendrai de vous
Ce doux confentement où je force votre âme.
Dupuis ne fe rend point encore ; &
cette réfiftance qui met l'impétueux
Des Ronais hors de lui-même , ne lui
permet plus de fe contenir. La douceur
de Mariane , & tout ce qu'elle montre
de tendreffe , d'attachement & de foumiffion
pour fon père , triomphe enfin
de l'obſtination du vieillard qui lui dit :
Le
Je ne veux point laiſſer à ma raiſon fidèle
temps de refroidir ma fenfibilité.
Qu'aujourd'hui votre hymen fe falſe ;
Aujourd'hui donne lui la main ...
Je ne répondrois pas demain
De t'accorder la même grace.
Ainfi finit cette Piéce intéreffante .
MAR S. 1763. 201
OBSERVATIONS fur la Comédie de
DUPUIS & DES RONAIS.
COMBIEN il feroit agréable pour nous de n'avoir
jamais à rendre compte au Public , que d'Ouvrages
tels que celui dont nous venons de faire l'Extrait
! Certains de n'être pas contredits fur les
éloges , nous aurions la fatisfaction d'exercer une
critique , utile au progrès de l'art , fans bleffer
l'amour-propre des Auteurs.
Dans ce que nous avons déja dit au fujet de
cette Comédie ( a ) , nous avions réfumé à- peuprès
ce que le Public avoit le plus applaudi , & ce
qu'il a confirmé depuis par des fuffrages réfléchis.
Intérêt touchant fans trifteffe ; morale fans
pédanterie ; détails toujours agréables fans affectation
de tours brillans , d'où réſulte la jufteſſe
& la facilité dans le Dialogue ; par - tout un fentiment
puifé dans la nature & non dans le Roman
du coeur. Telle eft l'idée générale qui nous a paru
refter de cette Piéce à tous ceux qui la connoiffent.
Qu'il nous foit permis , pour notre
propre inftruction, d'y ajouter quelques réflexions.
particulières que l'ou vrage nous a fait naître.
Le fujer eft fort fimple. L'emploi qu'en a fair
l'Auteur pour fournir à trois Actes , fait d'autant
plus d'honneur à fon talent , qu'il ne laifie
appercevoir aucune extenfion forcée. Examinons
fes moyens.
Il ne pouvoit y avoir dans cette Piéce beaucoup
(a) Voyez le Mercure de Février , Article des
Spectacles de la Cour,
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
de ce qu'on appelle communément ACTION . Un
Sujet auffi peu compliqué ne pouvant & ne devant
admettre la multiplicité des incidens , ni un
mouvement bien apparent dans la marche ou
dans la conduite du Drame . Mais quand d'autres
Modernes , furtout parmi les François , ne
nous auroient pas appris par leurs fuccès qu'il
y a différens genres d'ACTION , cette Piéce fuf
firoit peut-être pour nous le faire appercevoir.
Je ne fais fi l'on ne trouvera pas trop d'affectation
dans les termes , lorfque nous diftinguons
l'ACTION DRAMATIQUE en action phyfique & en
action morale. Je crois au moins pouvoir m'af
furer qu'il y a de la vérité dans la diſtinction
& que la Comédie dont il s'agit eft du genre
d'ACTION morale.
"
Ne pourroit-on pas confidérer comme action
phyfique ou matériele , celle qui par la force de
l'intrigue , par l'enchaînement des incidens , met
les perfonnages dans des fituations opposées.
l'une à l'autre , celle qui change alternativement
la fortune de divers projets , par des événemens
préparés mais imprévus , & enfin par
d'autres événemens indépendans de la volonté
'ou des fentimens de quelques perfonnages , rapproche
le terme ou dénoûment que cette même
ACTION avoit tendu à éloigner ?
Il devoit le rencontrer très - peu d'ACTION
de ce genre dans la Comédie de Dupuis & Des
Ronais. Tout ce qui peut avoir rapport au premier
genre eft l'incident très - ingénieu fement
trouvé , & très - habilement mis en oeuvre ) de la
Lettre de la Comtelle à Des Ronais entre les
mains de Dupuis , Nous reviendrons au mérite
de ce moyen.
Au contraire , ne pourroit- on pas placer dans
MARS. 1763. 203
le fecond genre d'ACTION , qu'on nous permertra
de nommer morale ou métaphysique , les ob f
acles qui résultent feulement du contraſte des
caractères ou d'un intérêt actif & puiffant oppofé
aux vues & aux défirs des perfonnages intérel
fans ?Ne peut- on pas ranger dans la même claſſe
un jeu de refforts que produit la feule gradation
de fentiment entre les perfonnages , & qui donne
aux uns une certaine force , indépendante des
événemens , fur les volontés des autres ? Le mouvement
qui résulte de cette forte de moyens
n'a fon principe & fon action que dans le coeur
& ne peut être fans doute bien ſaiſi que par l'efprit.
C'eft de ce fecond genre , tel que nous éffayons
de le définir , que l'Auteur a tiré le plus grand
parti dans fa Piéce . C'eſt par là que l'incident de
la lettre , qui pouvoit donner à Dupuis les plus
fortes armes contre l'importunité des deux Amans ,
& qui femble devoir , finon détruire , au moins
altérer cruellement le concert de leurs fentimens ,
devient au contraire l'occafion du triomphe qu'ils
remportent fur la volonté la plus obſtinément
affermie. C'eft la jufteffe avec laquelle Marian.
voit l'égarement momentané de fon Amant ,
dans la conviction d'un fait que les feuls foupçons
auroient pu lui exagérer ; c'eft le pardon
généreux & tendre qui en réfulte ; c'eft enfuire
la violence de Des Ronais qui donne lieu au facrifice
héroïque, mais naturel , que fait cette fille de
l'amour le plus légitime & le plus ardent , à la
feule manie de fon Père , qui , en le touchant invinciblement,
améne par une voie fort naturelle au
dénoûment qui paroiffoit défefpéré ; fans qu'aucun
des Perfonnages foit forti du caractère primitif
que l'Auteur leur a donné.Voilà des moyens
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
qui tiennent tous au coeur , fans fecours d'evénement,
Voilà donc cette gradation , ce reffort
de fentiment qui agit avec une force pour
ainfi dire coactive , & qui opére toute la condutte
& le dénoûment de ce Drame dont le fond eſt
un des plus fimples qui foit au Théâtre.
En applaudiflant avec tout le Public au talent
de l'Auteur & à l'art qu'il a employé dans cette
Comédie , nous n'en exhorterons pas moins les
Auteurs à fe défendre de la féduction de l'exemple.
Nous nous garderons bien d'encourager à
courir les hazards d'un genre , où les chûtes
feroient fans reffources , & où il ne faut pas moins.
qu'un fuccès auffi décidé pour juſtifier la hardielle
de l'entrepriſe.
Le Public , après avoir quelque temps balance
fur le caractère fingulier de Dupuis , ſemble avoir
reconnu combien il étoit néceffaire au jeu des
autres caractères . Peut- être on ne le foupçonnoit
pas dans la Nature , que par faute de réfléxions
, & encore plus faute de cette bonne foi
dont on manque avec foi-même auffi fouvent
au moins qu'avec les autres. D'ailleurs , on eft
obligé de convenir que tout ce que l'art le plus
délicat & le mieux raifonné peut fournir , a été
employé pour adoucir ce que ce caractère offre
d'abord d'injurieux à l'humanité.
N. B. En publiant la Lettre fuivante fur un
événement qui doit caufer tant de regrets au Public,,
nous tâchons de continuer de marquer notre empreffement
fur le tribut d'éloges qu'on doit aux per
fonnes célèbres . Ongoûte une espéce de confolation ,
en lifant l'hommage qu'on leur rend ; & notre
recenoiffance envers elles nous fais fouhaiter que
la pofléritéfe les repréfente telles que nous les avons
mais cela eft impoffible à l'égard de l'Actrice
charmante dont la perte nous eft fi ſenſible.
vues ,
MARS. 1763. 205
LETTRE de M. DE SAINT FOIX &
V
M.****
ous me demandez mon fentiment,
Monfieur , fur l'idée d'un tableau auquel
vous travaillez . Il repréfentera
dites-vous , Thalie éplorée , qui fait tous
fes efforts pour retenir une Actrice qui
veut la quitter. Je ne doute point de
l'habileté de votre pinceau ; je vous
dirai feulement qu'il y a des objets qui
font moins du reffort de l'imagination
que du fentiment ; je fuis perfuadé que
Thalie aura l'attitude & toute l'expreffion
convenables ; mais l'Actrice
Monfieur cette A&trice divine
, fon front , fes yeux , fon nez
fa bouche, tous fes traits fi délicatement
affortis pour lui compofer la phifionomie
la plus aimable & la plus piquante ;
fa taille de nymphe ; fon maintien libre ,
aifé & toujours décent , Mademoiſelle
Dangeville enfin ( car fa retraite duThéâtre
eft le fijet de votre tableau ) Mademoifelle
Dangeville , Monfieur , peuton
eípérer de la bien peindre ! Avec de
l'intelligence , du fentiment , de l'étude
& de la réflexion , on peut fe perfection-
,
&
206 MERCURE DE FRANCE.
bien rare ,
ner le goût , & devenir une Actrice trèsbrillante
; mais l'Actrice de génie eſt
& il y a la même différence
qu'entre Moliere & un Auteur qui n'a
que de l'efprit. Nous avons vu Mlle
Dangeville jouer dans les caractères les
plus oppofés , & les faifir toujours de
façon que nous en fommes encore à
ne pouvoir nous dire dans lequel nous
l'aimions le plus. On aura de la peine à
s'imaginer que la même perfonne ait
pû jouer avec une égale fupériorité l'Indifcrète
dans l'Ambitieux ; Martine dans
les Femmes fçavantes ; la Comteſſe dans
les Moeurs du temps ; Colette dans les
trois Coufines ; Me Orgon dans le Complaifant
; la fauffe Agnès dans le Poëte
campagnard ; la Baronne d'Olban dans
Nanine ; l'Amour dans les Grâces , &
tant d'autres rôles fi différens . Combien
de fois,à la premiere repréfentation
d'une Comédie , a-t-elle procuré des applaudiffemens
à des endroits où l'Auteur
n'en attendoit pas ! Je me fouviens
que le célébre Néricaut Deftouches
dont on alloit jouer une Piéce nouvelle,
craignoit pour un monologue & quelques
traits dans le cinquiéme A&te ; il
vouloit les fupprimer : donnez- vous- en
bien de garde , lui dit- elle , je vous réMAR'S.
1763. 207
ponds que ces traits & ce monologue feront
très- applaudis. En effet , elle joua
le tout avec un naturel , des grâces , une
naïveté qui déciderent la réuffite , &
triompherent de tous les efforts qu'une
indigne cabale avoit faits , pendant les
quatre premiers Actes , pour faire tomber
cette Comédie. Ce qui acheve de
caractèrifer la perfonne de génie dans
Mlle Dangeville , c'eft qu'elle eft fimple
, vraie , modefte , timide même ,
n'ayant jamais le ton orgueilleux du talent
, mais toujours celui d'une fille
bien élevée ; ignorant d'ailleurs toute
cabale , & dans le centre de la tracafferie
, n'en ayant jamais fait aucune.
J'ai cru Monfieur , puifque vous me
confultiez , que je devois vous communiquer
mes idées fur fon caractère , parce
qu'il me femble qu'il faut commencer
par connoître celui de la perfonne que
l'on veut peindre. Je fouhaite que vous
réuffiffiez ; je fouhaite que vous puiffiez
faifir cette âme fine , naturelle , délicate
& fenfible , qui vit , qui parle , qui voltige
& badine fans ceffe dans fes yeux
fur fa bouche & dans tous fes traits. Je
fuis , Monfieur , votre très- humble &
très-obéiffant Serviteur
,
SAINT FOIX,
208 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE ITALIENNE..
ONa Na repris fur ce Théâtre Sancho-
Pança dans fon Ifle , Opéra bouffon
dont la Mufique admirable de M. Philidor
avoit fait le fuccès.
On a continué pendant le mois précédent
les repréfentations de la jolie
Comédie , mêlée d'Ariettes intitulée
Te Guy de Chêne , dont nous avons déja
parlé.
,
Le 4 Février on donna la première
repréſentation de l'Amour Paternel, ou
la Suivante reconnoiſſante, Comédie Italienne
en 3 Actes en profe de M. GOLDONI.
C'eft la première que ce célebre
Auteur ait compofée & fait repréſenter
depuis fon féjour en France . Elle a été
très-applaudie par les Spectateurs en état
de fentir les beautés de la langue Italienne,&
le genre caractériſtique de ce théâtre
, on pourroit dire même en général
celui de la vraie Comédie , que l'illuftre
M. GOLDONI a rétabli dans fa Patrie.
Cette Piéce a été interrompue après la
deuxiéme repréfentation par l'indifpofition
fucceffive de plufieurs Acteurs
qui ne pouvoient y être remplacés.
MARS. 1763. 209
Le 10 on donna la première & l'unique
repréfentation de la Bagarre ,
Comédie en un Acte , mêlée d'Ariettes.
Dans quelque indulgence que le goût
du Public l'eût entraîné jufqu'alors pour
certains Drames de quelques Opéra-
Comiques du nouveau genre , il n'a pas
jugé apparemment devoir faire grace à
celui-ci , qui a éprouvé toute la justice
de fes jugemens & la févérité de fes
cenfures. Il n'a pas réparu fur le théâtre.
Cette Piéce a été le premier Opéra-
Comique qui ait éprouvé ce fort ,
depuis la réunion au théâtre Italien.
Par une jufte prévoyance , l'Auteur
des paroles les avoit fait imprimer
avant la repréſentation . Il y a joint
une Préface , où en fe plaignant
de ce qu'il appelle les petits chagrins
qu'il a reçus du Public , il lui laiffe entrevoir
trop clairement l'opinion qu'il a
de fon goût & de fes jugemens. Il ménage
encore moins ( par la même prévoyance
) les Journaliſtes forcés par
état de rendre compte des petits chagrins
de certains Auteurs .
Il faut bien remarquer à l'égard de
cette Piéce , que la Mufique , dont il
refte une idée favorable , ne doit pas
être confondue dans la chûte.
210 MERCURE DE FRANCE .
Le 19 le Bon Seigneur , Comédie
nouvelle en un Acte en profe , mêlée
d'Ariettes , fut donnée pour la première
fois fur ce théâtre , & n'eut pas un fuccès
heureux mais il eft jufte d'obferver
que cette Piéce a éprouvé en cela,
le fort commun à tous les ouvrages faits
pour une fociété & pour une circonftance
particulière. Tout le mérite qu'ils
avoient eft perdu auprès du Public , qui
ne peut y être fenfible. C'eft une erreur
dans laquelle font tombés tant d'Auteurs
, dont la réputation même étoit
conftatée , qu'elle ne doit ni ne peut porter
atteinte à celle des Auteurs de cet
ouvrage , ni prévenir déſavantageuſement
fur leurs talens.
On a donné le 22 la troifiéme repréfentation
de l'Amour paternel , que l'on
continue depuis avec fuccès , ainfi que
celles d'Arlequin cru mort , Comédie
Italienne en un Acte de M. GOLDONI
repréſentée pour la première fois, le 24,
avec beaucoup d'applaudiffemens . L'abondance
des matières nous contraint à
remettre au Mercure prochain le plaifir
de parler avec plus d'étendue des ouvrages
& du génie de cet Auteur.
MARS. 1763 .
CONCERT SPIRITUEL
du 2 Février , Fête de la Purification .
On a éxécuté deux grands Motets , l'un le Magnificat
de feu M. BELISSEN , l'autre In exitu de
M. BLANCHARD , Maître de Mufique de la Chapelle
du Roi. M. BESCHE a chanté dans ces deux
Motets. M. JOLY a chanté avec fuccès Coronate
petit Motet de M. LE FEVRE , & felon l'ufage ,
Mlle FEL n petit Motet italien . M. GAVINIES
joua un nouveau Concerto de fa compofition qui
fut très- applaudi. On parut content de l'éxécution
& de la compofition de M. LE GRAND dans le Concerto
qu'il éxécuta fur l'Orgue. Le concours de
monde à ce Concert ainfi qu'aux précédens , continue
de marquer la fatisfaction du Public.
* ཝཱ
212 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VI.
BALS DE LA COUR ,
Auxquels ont affifté Leurs Majeftés &
& la Famille Royale.
Dans la Salle des Spectacles du Roi
à Versailles.
INDÉPENDAMENT des Danſes d'uſage
exécutées par plufieurs Princes du
Sang & par la Jeuneffe la plus brillante
& la plus diftinguée de la Cour ; les
mêmes Perfonnes ont danfé , à chacun
de ces Bals , des Ballets figurés dont
nous allons rendre compte.
PREMIER BAL , le Lundi 17 Janvier.
Le Sujet du Ballet , étoit les SAISONS
.
Ce Ballet étoit divifé en 4 Quadrilles,
defquels voici la diftribution.
MARS. 1763.
213
LE PRINTEMPS.
M. le Prince de GUIMENÉ .
M. le Marquis de LAVAIR.
Mde la Princeffe de CHIMAI .
Mde la Comteffe d'ESPARBES .
L'ÉTÉ.
M. le Prince de BOURNONVILLE .
M. le Marquis d'HARCOURT.
Mde la Princeffe de GUIMENÉ.
Mde la Comteffe de LAN MARIE.
L'AUTOMNE
M. le Marquis de VAUDREUIL.
M. le Marquis de SERAN.
Mde la Marquife de DURAS.
Mde la Comteffe de l'ILLEBONNE .
L'HYV ER.
M. le Marquis d'Entragues.
M. le Chevalier de CLERMOnt.
Mde la Comteffe de MAILLY .
Mde la Comteffe de SALUCES.
214 MERCURE DE FRANCE .
1
Ces Quadrilles , dont les Perfonnages
étoient vêtus dans les caractères propres
à chaque Saifon , entrerent fur une
marche
, à quelque diftance l'un de
l'autre , par le fond de la partie ceintrée
de la falle , en face des loges de Leurs-
MAJESTÉS.ChaqueQuadrille danfa fucceffivement
fon Entrée,& elles fe réunirent
enfuite toutes les quatre dans une
Entrée générale qui terminoit ce Ballet.
Il fut applaudi par des battemens de
mains réïtérés. La Cour le redemanda ,
& il fut danfé une feconde fois dans cé
même Bal.
Les Entrées de l'Hyver & de l'Été
étoient de la compofition du fieur de
Heffe , Comédien ordinaire du Roi au
Théâtre Italien. Les deux autres & le
Ballet général étoient du fieur Gardel,
de l'Académie Royale de Mufique .
SECOND BAL , le 24 Janvier.
(1
P
On redanfa le Ballet des Saifons
ainfi qu'il avoit été exécuté au Bal précédent
, & il fit le même plaifir. Enfuite
parut un Quadrille de Provençaux & de
Provençales,habillés fuivant le Coſtume
National. Ce qui faifoit le Sujet d'un-
Ballet nouveau.
MARS. 1763.
215
1
PROVENÇAUX.
M. le Comte de GENLIS.
M. le Marquis de DURAS.
M. le Marquis de VIBRAY .
M. le Comte de
RABODANGE .
PROVENÇALES.
1
Mde la Marquife de RONCÉ.
Mde la Comteffe de MAILLÉ.
Mde la Marquife de
ROCHAMBEAU .
Mde la Marquife de BEZONS .
2
L'effet de ce Ballet, de la
compofition
du fieur de Heffe étoit fort agréable &
parut faire plaifir ; il fut auffi danfé
deux fois .
te
Janvier.
TROISIÈME BAL , le 31
On redonna les
Provençaux. Le Sujet
du nouveau Ballet étoit pour cette nuit,
la Noce de Village. Celui- ci , d'un autre
genre & beaucoup plus confidérable
que les précédens , offroit à -peu-près
le même tableau que la Fête champêtre
dans Rolland. Nous
donnerons
d'abord la
diftribution des Danfeurs
fuivant les perſonnages qu'ils avoient
figurer.
216 MERCURE DE FRANCE .
LE SEIGNEUR DU
VILLAGE ,
LA DAME ,
LE MARIÉ ,
LA MARIÉE ,
M. le Duc d'ORLÉANS.
Mde la Duchele,
de MAZARIN.
M. le Prince de
CONDÉ.
Mde la Marquife
de DURAS .
Le Frere de la MA- M. le Duc de
2 RIÉE ,
CHARTRES.
d'ESPARBÉS .
La Soeur du MA- Mde la Comteſſe
RIÉ,
Le Père du MA- M. le Marquis de
RIÉ ,
VAUDREUIL.
La Mère de la MA- Mde la Comteffe de
-RIÉE ,
Le MAGISTER
L'ILLEBONNE.
M. le Marquis de
SERAN.
La Femme du MA- Mde la Marquife
GISTER ,
de BRANCAS .
GARÇONS DE
FILLES DE
LA NOCE. LA NOCE.
M. le Marquis de Mde la Marquiſe
VIBRAL. de RONCÉ.
M.
MARS. 1763. 217
M. le Marquis de Mde la Comteffe
DURAS .
M. le Marquis de
BELSUNCE .
M. le Comte de
RABODANge .
de MAILLÉ .
Mde la Marquife de
ROCHANBAU.
Mde la Marquife
de BEZONS.
SYMPHONISTES jouans de divers
inftrumens à la tête de la Marche.
,
Cette Troupe arrivoit dans l'ordre
fuivant. Le Magifter & fa femme conduifoient
des Symphoniſtes , après lefquels
venoient les Garçons & les Filles
de la Nôce , précédans le Seigneur
& la Dame. La Marche étoit fermée par
un groupe , compofé du Marié & de
la Mariée fe tenans par la main lė
Pere & la Mere à leurs côtés ; le frere
& la foeur à leur fuite . On jouoit la marche
de la fête des Mariés de Roland.
Le Seigneur & la Dame alloient s'affeoir
en face, fous les loges de leurs Majeftés.
Les Joueurs d'inftrumens fe plaçoient
fur des banquetes de gazon aux deux
côtés de la Salle .
Le Ballet ouvroit par une Danfe générale
des Garçons & des Filles du Vil-
K
218 MERCURE DE FRANCE.
lage , après laquelle le frère & la foeeuk
des Mariés , danfant un pas- de - deux
alloient préfenter des Bouquets au Seigneur
& à la Dame , que tous les Garçons
& toutes les Filles, réunis au frère
& à la four , alloient enfuite inviter à
prendre part à la fête .
Le Seigneur & la Dame danfoient
une courante , un menuet & une gigue
de caractère , après quoi ils retournoient
à leur place . On ne pouvoit trop¨admirer
la nobleffe & les graces avec
lefquelles étoient exécutées ces Danſes ,
que leur ancienneté ainfi que celle des
habillemens quoique fort riches , rendoient
comiques ; mais de ce genre de
comique que peut - être les perfonnes
du plus haut rang font feules en état
de bien rendre,& dont elles peuvent s'amufer
avec dignité.
Les Filles de la nôce formoient enfuite
une danſe entr'elles pour aller préfenter
des bouquets au Marié. Le Magifter
& fa femme danfoient enfemble.
Les garçons de la nôce faifoient
à la Mariée la même galanterie de
bouquets que les Filles avoient faite au
Marie. Le Père & la Mère dansoient
feuls enfemble . Après leur Entrée , le
frère , la foeur , les garçons & les filles
MARS. 1763. 219
Te joignoient tous pour aller inviter le
Marie & la Mariée à danfer : ce que
faifoient ceux- ci , après en avoir demandé
la permiffion au Père & à la
Mère . Ce pas de Deux étoit une des Entrées
diftinguées & des plus applaudies ,
dans ce joli Ballet , par les grâces nobles
& naturelles des perfonnes qui l'exécutoient.
Leurs habillemens étoient
charmans,& d'une galanterie peut- être
un peu au-deffus de la condition villageoife
, mais qui en rappelloit néanmoins
le caractère .
Le Magifter & fa femme , les Garçons
& les Filles de la Noce , le frère
la foeur , le Marié & la Mariée fe joignoient
tous pour aller prendre le Seigneur
& la Dame, Ceux-ci fe mêloient
avec toute la Nôce pour former les Entrées
générales qui terminoient le Ballet.
On doit penfer avec quelle vivacité
ce Ballet fut applaudi par toute la Cour ,
& avec quel empreffement il fut redemandé
; on le danfa une feconde fois,
Il étoit de la compofition du fieur de
Heffe.
On avoit changé la premiere décoration
de la falle pour ce nouveau Ballet.
La partie ceintréé repréfentoit un ancien
Château avec quelques arbres ; &
Kij
220 MERCURE DE FRANCE .
la partie de la falle où l'on danfoit étoit
ornée en guirlandes & en feftons de
fleurs
QUATRIÈME BAL , le 7 Février.
Le Sujet du Ballet préparé pour ce
quatriéme Bal étoit les Elémens , dif
tribué comme celui des Saifons e
quatre Quadrilles.
LE FE U
M. le Marquis d'ENTRAGUES,
M. le Marquis d'ESCARS .
Mde la Marquife de SALUCES,
Mde la Marquife de MAILLY,
L'AIR.
M. le Baron de FRISENDorff,
M. le Marquis d'HARCOUR . *
Mde la Marquife de STAINVILLE.
Mde la Marquife de BELSUNce.
* Au Bal ſuivant M. le Marquis de CHABRILLAN
prit la place de M. le Marquis d'HARCOUR.
MARS. 1763.
221
LA TERRE.
M. le Comte d'EGREVILLE,
M. le Marquis de POLIGNAC.
Mde la Marquife de GLION.
Mde la Marquife de NAGU.
L'EAU.
M. le Prince de BOURNONVILLE.
M. le Prince de GUIMENÉ.
Mde la Princeffe de CHIMAY.
Mde la Marquife de SERAN.
On s'étoit propofé , dans les habillemens
de ce Ballet , de repréfenter les
Elémens , moins par les Etres connus
dans les fictions ordinaires , que par la
fupofition de Corps fantaftiques qui
feroient formés de chaque Elément
même. L'éxécution a repondu à ce pro
jet , autant que l'art peut atteindre à
cette forte de repréfentation. Ainfi
pour les Perfonnages de la Terre , on
avoit arrangé des habits de forme fimplé
& peu drapée , dont les fonds , de
différens gris , étoient rayés de couches
, ou lames d'or & d'argent , tournées
en ornemens måles fur certaines
K. iij
222 MERCURE DE FRANCÈ.
parties. Le tout enrichi de pierreries.
Le Quadrille de l'Eau étoit très-brillant
, & paroiffoit vêtu de cet Elément
même , dont on avoit imité les diverfes
couleurs & quelques- uns de fes effets.
Celui du Feu fembloit couvert de feux
de différentes nuances , fans aucun rapport
aux repréſentations de Furies ou
de Démons. Ces trois Quadrilles étoient
fort riches. Dans celui de l'Airil régnoit
plus de galanterie : des fonds d'un bleu
célefte ornés de nuages légers & tranf
parens , de volans ddee gaze que l'air agitoit
, & d'étoiles brillantes entrevues
dans plufieurs endroits. Tels étoient les
habillemens de ce Quadrille.
Ainfi que dans le Ballet des Saifons,
les quatre Quadrilles entroient fur une
Marche , en groupes féparés les uns des
autres. Ils danfoient chacun des Entrées
adaptées au caractère de chaque
Elément. Ils fe mêloient enfemble, enfuite
ils fe repartageoient & formoient
des Danfes particulières à certaines diftances
les uns des autres. Enfin ils fe
réuniffoient pour former l'Entrée gé
nérale de la fin .
- Ce Ballet , dont la compofition étoit
ingénieufe & agréable , fut éxécuté
MARS. 1763. 223
avec une précifion que l'on auroit à
peine éxigé des gens de l'art ; & avec
des grâces plus faciles à rencontrer dans
des Danfeurs de l'ordre de ceux qui
figuroient à ces Bals , que dans ceux
mêmes qui font profeffion de ce talent
.
La compofition des Entrées de ce
Ballet étoit du fieur Lani , Maître des
Pallets de l'Académie Royale de Mufique.
Il fit une impreffion très-agréable
fur la Cour, qui le redemanda , & il fut
danfé deux fois .
Dans le même Bal on revit avec un
nouveau plaifir le Ballet de la Noce
de Village , qui avoit été redemandé
& qui fut danſé deux fois .
La Décoration de la Salle avoit été
totalement changée pour ce Bal . Elle
fut enrichie de Pierreries qui formoient
des ornemens dans toutes fes parties ,
relatifs à ceux de l'Architecture ou affortis
& mariés avec ces mêmes ornemens
ainfi que de fuperbes rofettes aux
endroits du plafond , d'où pendoient les
luftres. Ceux-ci étoient fufpendus - par
des guirlandes des mêmes Pierreries entremêlées
de fleurs .Toute cette brillante
décoration avoit été difpofée & exé-
,
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
cutée par le fieur Levêque , Garde -magazin
général des Menus & Plaiſirs du
ROI.
CINQUIÈME BAL , le 14 Février.
Le Mai Flamand fut le Sujet d'un
nouveau Ballet , pour cette dernière
Nuit. Plus Pantomime , plus en action
& plus compofé qu'aucun des précédens
, nous allons éffayer de détailler
la compofition & les parties du tableau
qu'il repréfentoit. L'objet en étoit l'hom
mage rendu les habitans d'un canton
de Flandres à un ancien & très - grand
Seigneur de ce Pays. On fuppofe quel'action
de cet hommage étoit de planter un
Mai devant fon château , avec tout
l'appareil & toute la gaîé des fêtes qui
peuvent embellir cette forte de cérémonial
champêtre.
par
Ainfi cela formoit deux corps de ballet
diftingués. L'un compofé du Seigneur
avec fa famille , les Seigneurs & Dames
de fa Cour ou de fa compagnie , &
tout le cortége qui accompagnoit les
Seigneurs de ce pays. Dans l'autre corps
de Ballet étoient les Habitans avec un
Bourgmestre à leur tête.
ر
MARS. 1763. 225
La Salle du Bal repréfentoit la Scène
convenable à cette action : un château
antique dans le fond , du genre des anciens
édifices de Flandres , & la partie
où l'on danfoit ornée de verdure & de
fleurs.
Diftribution des Perfonnages danfans
dans le Ballet.
LE
SEIGNEUR ,
Un SEIGNEUR de
fa Compagnie ,
Le Fils du SEIgneur
,
La Fille du SEIGNEUR
,
Une Dame de la
Cour du SEIGNEUR
,
M. le Marquis de
SERAN.
M. leMarquis d'AVARAI.
MM.. llee Comte de
LAVAIR.
Mde la Comteffe
d'ESPARBÉS
.”
Mde la Marquife
de BRANCAS.
La Gouvernante , Mdela Ducheffe de
MAZARIN.
Le Bourgmestre , M. le Marquis de
GARÇONS duVillage,
ouPayfans
Flamans.
VAUDREUIL.
FILLES du Villa
ge ou Flamandes.
M. le Duc de Mde la Marquife
FRONSAC .
de BEZONS .
K v z
226 MERCURE DE FRANCE.
M. le Marquis de
DURAS : mo ha
M. le Comte de
RABODANGE.
M. le Vicomte de
CHABOT.
M. le Comte
COIGNY.
de
M. le Chevalier de
COIGNYAY
Mde la Baronne de
WASSEBERGH
.
Mde la Ducheffe
de CoSSÉ.
Mde la Marquife
d'AVARAI.
Mde la Vicomteffe
de BEAUNE.
Mde de ROCHAMBEAU
.
Six Pages vêtus à l'antique & à la
Flamande.
Symphonistes.
Deux Pages , portant chacun un faucon
fur le poing , ouvroient la marche.
Enfuite paroiffoit le Seigneur , fuivi de
deux autres Pages , dont l'un portoir fa
Rondache & l'autre fon Epée. Le jeune
Seigneur , fa Soeur , avec la Gouvernante
, entroient à la fuite avec deux
autres Pages , dont l'un portoit un Arc
& l'autre une Lance. La Dame & le Seigneur
de cette Cour les fuivoient.
Le Bourgmestre ( vêtu de noir & dans
l'exact habillement des portraits de Wandeik
& Reimbranz ) étoit fuivi des Payfannes
Flamandes & dé Symphoniſtes ,
dont les inftrumens étoient ornés de rubans
& d'oripeaux,
MARS. 1763. 227
Le Seigneur , avec fa Famille & fa
Cour , alloir prendre place au fond de
la Salle. Quelques Garçons du Village
faifoient groupe au milieu de la Salle ;
d'autres pofoient par derriere des gradins
de gazon. On apportoit enfuite le Mai ,
& les Payfans Flamands qui le portoient
avoient des maillets & des coins pour le
planter.
Le Bourgmestre faifoit ranger les Filles
du Village en demi-rond. Il ordonnoit
enfuite aux Symphonistes de commencer
une Sérénade en l'honneur du
Seigneur , pendant laquelle les Garçons
élevoient le Mai , qui étoit orné de cercles
de fleurs par étages. Sur la fin de
la Sérénade , les Symphoniftes alloient
fe placer fur les gradins de gazons , au
pied du Mai qu'ils environnoient.
Ces Joueurs d'inftrumens , vêtus à
la Flamande & de couleur forte , ainfi
groupés au centre , faifoient valoir &
reffortir les autres parties éclatantes du
tableau .
Les filles du Village conduifoient
en danfant le Bourguemeftre à un fiége
préparé auprès du Mai en face de la
Cour. Dès qu'il y étoit affis , les Garçons
Flamands & les Filles formoient
enfemble plufieurs danfes autour de ce
Mai. K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
Le Bourguemeftre fe levoit ; il alloit
inviter le Seigneur à danfer avec fa
Compagnie , & retournoit gravement
reprendre fa place. Le Seigneur fa
Famille & fa Compagnie , danfoient
des Entrées conformes à la dignité de
leurs caractères..
,
Tout le Village applaudiffoit par des
battemens de mains à la complaifance
du Seigneur & de fa Cour. Tous formoient
une Entrée de trois en trois, ce
qui faifoit quatre groupes aux quatre
coins de la Salle .
Les Pages s'approchoient du Mai , en
détachoient de très-longues guirlandes
de fleurs , dont il étoit entouré. Sur la
fin des précédentes entrées , ils alloient
occuper les quatre angles , & les deux
milieux de côté de la Salle , en tenant &
foulevant les extrémités des guirlandes ,
ce qui formoit un Baldaquin très- galant.
Sur des Allemandes que jouoit la
Symphonie , le Seigneur fe levoit avec
vivacité & alloit inviter les Dames du
Bal à danfer , en leur préfentant les
hommes de fa cour. Les Filles du Village
alloient prendre des hommes dans
le Bal , & tous enfemble danfoient
fous le Baldaquin de fleurs. Ce moment
MARS. 1763. 229
de mêlange des Flamands avec les autres
Perfonnes du Bal produifoit un
tumulte de gaîté très-piquant & trèsagréable.
Le Bourgmeftre interrompoit
ces Danfes ; & lorfque le Seigneur
avec fa cour avoit repris fa place au bas
des loges de SA MAJESTÉ , il raffembloit
tous fes habitans en demi cercle
& chantoit les couplets fuivans
fur
l'Air de la Ronde des Amours Grivois
ainfi qu'il eft notté ci- contre. Tous les
couplets étoient adreffés au Seigneur
& les Affiftans en répétoient le
refrain au Choeur,
Vla donc not' Mai qu'eſt planté !
Je viens compléter l'hommage.
Pour nous donner plus d'gaîté ,
Et couronner notre ouvrage,
Faut la chanson du Seigneur ;
C'est dans l'ordre & c'eft l'ufage ;
Le coeur doit donner au coeur ( refrain . )
Le vrai droit du Seigneur.
Son Domaine eft ben peuplé ;
Quoiqu'ça falle ben du monde ,
Tout ç'monde- là raſſemblé ,
F'roit chorus à notre ronde ,
Diroit comm'nous : »> notre bonheur
» Sur vos jours , fur vous fe fonde ;
230 MERCURE DE FRANCE.
> Tous nos coeurs ne font qu'un coeur ;
» C'eft l'vrai droit du Seigneur.
On l'aim'roit quand i'n' feroit
Pas d'une auffi bonn'famille :
Pourquoi ? ç'eft qu'il brillercit
Partout où la bonté brille .
Et quand nous l'chantons , l'ardeur
Qui dans tous nos yeux petille ,
Rend ben moins au rang qu'au coeur
De notre bon Seigneur.
A par foi chacun penſoit
C'que jly dis , qu'eft ben , c'que j'penſe
A tous nos coeurs ça peloit ;
Pour eux l'mien rompt le filence :
Au furplus ça n'fait qu'un coeur
De plus dans la confidence.
Ouvrons donc nos coeurs en choeur
A notre bon Seigneur.
Sa Famill' qu'il couv' des yeux
En bonté comin'ça lui r'ſemble !
Tous ont leur part dans les voeux
Qu'un mêm' zéle ici raffemble :
Ils aimont tant not' bonheur
Que pour nous ils n'ont enſemble
Qu'un mêm' coeur qui tient du coeur
De notre bon Seigneur .
MARS. 231
Avant de v'nir , je m'difois :
Comment eft-c' que j'vais m'y prendre ?
J'voulois chanter ; puis j'nofois :
V'la pourtant qui'l vient d'mentendre !
Sa bonté guérit d'la peur ;
Si ça m'fait trop entreprendre ;
Le pardon eft dans fon coeur :
C'eſt d'vrai droit du Seigneur.
Cette Ronde fut chantée très- agréablement
, avec beaucoup de naturel &
d'enjouement. Chaque couplet en étoit
univerfellement applaudi.
Après la Ronde , les Garçons alloient
inviter le Bourgmestre à danfer : il s'en
défendoit beaucoup , il refufoit même
les Filles : mais il étoit entraîné par
toutes ces troupes réunies . Enfuite il
s'animoit ; enforte qu'il danfoit une entrée
feul ; puis il alloit prendre le Seigneur
& fa cour, qu'il engageoit à danfer
avec lui . Les Garçons & les Filles formoient
un Rond , qui environnoit le
Seigneur , fa Cour & le Bourgmeftre.
Un groupe général de tous les perfonnages
terminoit le Ballet d'une manière
très- brillante.
La compofition générale du Ballet &
de toutes les Entrées eft du fieur de
132 MERCURE DE FRANCE.
Heffe ; le fieur Lani avoit compofé les
premieres Entrées du Seigneur & de fa
Cour.
Nous ne donnerons point le détail
des Habillemens , il nous fuffira de dire
que l'effet général en parut brillant &
agréable. Ils étoient tous dans le genre
convenable , & l'Enfemble produifoit
deux Tableaux réunis fidélement

,
copiés mais avec choix choix , d'après
Vauwermans , pour les Flamands de
qualité , & d'après Tenieres pour les
Villageois.
Ce Ballet eût le fuccès qu'on
s'en étoit promis . Il fut exécuté avec la
plus grande précifion & les grâces propres
du genre , dans tous les caractères
différens dont il étoit compofé . Il fut
redemandé & danfé trois fois dans cette
même nuit , & toutes les fois applaudi
avec une nouvelle vivacité.
M. le DUC DE DURAS , Premier
Gentilhomme de la Chambre en exercice
, fecondé de MM. les autres Gentilshommes
de la Chambre , faifoit les
honneurs à tous ces Bals.
Il y avoit dans les Salles joignantes
celle du Bal , toutes les fortes de rafraîchiffemens
que l'on pouvoit defirer,
ainfi que les Bouillons , confommés & c.
MARS. 1763. 233

AUTRES BALS A LA COUR.
Il y a eu , pendant ce Carnaval ,
plufieurs Bals particuliers à la Cour.
Entre-autres, il y en avoit reguliérement
chaque femaine , chez Madame la Princeffe
de GUIMENÉ , où danfoit la
plus brillante Jeuneffe . Le Mardi
dernier jour du Carnaval , Madame
la Maréchale de DURAS en donna un
pour les Dames qui n'étoient plus dans
l'ufage de danfer. La plupart des Dames
& des Seigneurs qui formoient ce Bal
étoient Pères & Mères de ceux qui danfoient
cette même nuît à l'autre Bal.
Vers 5 heures du matin , toute la Jeuneffe
qui avoit danfé chez Mde la Princeffe
de GUIMENÉ fe rendit chez
Mde la Maréchale de DURAS , & les
deux Bals fe trouvant réunis , les Pères
danferent avec leurs filles , & les fils
avec leurs mères . Ce dernier Bal dura
jufqu'à 10 heures du matin.
On fit à cette occafion la Chanfon
fuivante :
AIR Monfeigneur , vous ne voyez rien dans
Annette & Lubin ) ou Dodo , l'Enfant dormira
tantôt.
A moi , charmant Anacreon;
234 MERCURE DE FRANCE .
J'invoque aujourd'hui ton génie.
Des Jeux prolonger la faifon ,
C'eft ajouter à notre vie.
Appellons ici la gaîté ,
L'innocence & la liberté.

Enfans de quinze ans ,
Laiffez danfer vos Mamans.
Conviens , Amour , qu'ici des ans
Tu méconnoîtrois l'intervalle :
La moins jeune de ces Mamans
Peut de fa fille être rivale.
Appellons , &c.
Belles , qui formez des projets ,
Trente ans eft pour vous le bel âge
Vous n'en avez pas moins d'attraits 3
Vous en connoiffez mieux l'ufage .
C'est le vrai noment d'être heureux :
On plait autant , on aime mieux.
Enfans , & c .
Croyez - vous que le Dieu malin ,
Dont je chéris & crains la flâme ,
Allume aux rayons du matin
Le flambeau qui brûle notre âme ?
Son feu , fi je l'ai bien fenti ,
Reflemble aux ardeurs du Midi.
Enfans , &c.
MARS. 1763. 235
ARTICLE VI I.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Mofcou , le 12 Janvier 1763 .
PLUSIEURS LUSIEURS Puiffances ont fait à cette Cour des
repréſentations en faveur du Prince Charles de
Saxe au fujet de la Courlande ; mais elles ont été
fans fuccès , & Sa Majefté Impériale a fait expédier
par fon Ministère le referit fuivant , qui a été
envoyé à plufieurs de fes Miniftres dans les Cours
Etrangères
La réponse que la Cour de Ruffie a donnée au
Comte de Mercy , & qu'elle donnera à toutes les
Puiffances qui voudront s'intéreffer pour le Prince
Charles de Saxe , contient la Déclaration fuivante :
L'Impératrice n'ayant pu découvrir aucune
raifon valable pour dépouiller le Duc Erneft-
Jean & fes héritiers des Duchés de Courlande &
de Semigalle , ne pouvoit fans bleffer les droits
de l'équité , s'empêcher de le reconnoître pour
Duc légitime , & de defirer qu'il fût rétabli dans
la poffeffion entière de ces Duchés , d'autant que
ce foit le voeu unanime de prèfque toute la No.
bleffe de Courlande , & que , conformément aux
Pacta fubjectionis , le Duc Erneft-Jean profelle
la Religion Luthérienne & non la Romaine .
D'ailleurs , Sa Majesté Impériale eſt bien éloignée
de vouloir déroger aux droits de les voisins ,
& par conféquent de vouloir agir en aucune manière
contre les droits & privilèges de la Courlande
, Provinces voisines & limitrophes de fon
Empire.
236 MERCURE DE FRANCE.
De WARSOVIE , le 15 Janvier 1763 .
DÉCLARATION de l'Impératrice de Ruffiefur les
Affaires de Courlande .
»L'Impératrice de toutes les Ruffies , en montant
fur le Trône , croyoit ne pouvoir donner
» des marques plus éclatantes du defir qu'Elle a
> d'entretenir l'amitié & le bon voifinage du Roi
» & de la République de Pologne , qu'en rendant
>> la liberté à ceux pour qui le Roi & le Sénat l'a
>> voient demandée tant de fois & avec tant d'inf-
>>tances fous le règne de l'Impératrice Elifabeth .
C'eft d'après ces confidérations que Sa Ma-
» jeſté Impériale a accordé la liberté au Duc Er
»neft - Jean de Courlande , & qu'Elle a interpofé
en mêmetemps fa médiation auprès de Sa Ma-
» jefté le Roi de Pologne , pour qu'il lui plût de
>> rétablir ce Duc dans ces Duchés , & de lui ren-
>>dre les domaines dont il avoit dégagé lui- même
» une partie , & dont l'autre lui a été cédée par
» l'Impératrice Anne , de glorieufe mémoire.
>> Plus cette démarche étoit fondée fur la rai-
» fon & l'équité , moins Sa Majesté Impériale
pouvoit croire qu'on la regarderoit , ainfi qu'on
» l'a fait dans la réponſe du Roi du 3 Septembre
» dernier , comme une ufurpation fur les droits
» Suzérains du Roi & de la République ; car
» peut-on dire avec quelque fondement que
celui qui , fur l'affaire en queſtion , en fait la
réquisition au Suzerain même , ufurpe ou con
≫ tefte fes droits ? Se peut- il qu'on interpréte fi
>>peu favorablement ce qui a été demandé de la
» part de la Ruffie avec tant de juftice & d'égards?
>>
La fuite des Nouvelles Politiques au Mercure
prochain.
MARS. 1763. 237
ARTICLE VII.
ECONOMIE ET COMMERCE.
PRIX des Grains pendant la fin dø
Février.
FROMENT ( le feptier ) a varié de 12 à 16 liv.
Seigle , de 8 liv.s fols à 8 liv. 15 föls.
Orge, de 9 liv. 10 à 10 liv. 10 f.
Avoine , de 16 liv. à 18 liv . 10 f
Avoine en Banne , de 16 liv. à 16 liv. 10L
Menus Grains.
Lentilles ( le fepsier. ) de 28 liv. à 54 liv.
Haricots , de 27 à 39 liv.
Poids verds , de 20 liv. à sa liv.
Poids gris , 20 liv.
Féveroles , de 13 liv. à 14 liv.
Féves de Marais , 24 liv.
Féves Suiffes , 28 liv . à 44 liv.
Vefce , de 16 liv . à 17 liv . 10 f.
Bours & Aufs.
Beurre d'Iffigni ( le cent . ) 85 liv.
Beurre de la Ferté , 63 liv.
OEufs de Gournai ( le millier. ) 48 liv. De Long
jumeau , 39 liv. D'Arras , 38 liv.
Fourrages.
Le foin ( le cent ) 34 liv.
La Paille , 16 liv.
138 MERCURE DE FRANCE .
APPROBAT 10 N.
J'ai lu , par ordre de Mónſeigneur le Chancelier, ' AI
le Mercure de Mars 1763 , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion. A
Paris , ce 28 Février 1763. GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
L'HYVER , Poëme. Pages
LETTRE de Mlle *** à Madame... fur
l'Emile de M. Rouffeau.
COUPLETS à l'occafion d'un Ballet des Elémens
, à une Salamandre
.
ÉPIGRAMME .
VERS fur le mariage de Mlle de Dromefnil
avec M. le Marquis de Belfunce.
ENVOI.
L'Amour & l'Hymen réconciliés , Conte Epithalamique.
VERS fur le Tableau du Ror , repréſenté
par les VERTUS .
CRISTALLIDE la Curieufe , Conte tiré des
Mille & une Nuits. I
22
23
24
25
26
35
ibid.
VERS après une grande maladie de l'Auteur. 39
ODE Anacréontique.
VERS à une jeune Demoiselle..
ibid.
40
PRÉCIS hiftorique fur la vie de Raimond Lulle . 41
VERS à M. le Chevalier de Chatelus, fur ceux
MARS. 1763.
239
qu'il a préfentés à Mgr le Prince de Condé. 45
ANGELIQUE , Anecdote.
POUR le Portrait de Mlle ....
A Son Alteffe Royale Mgr le Duc de Savoie,
en lui fouhaitant la bonne année.
VERS.
AUTRES.
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
47
58
19
ibid.
60
61 & 62
62 & 63
ART. II . NOUVELLES LITTÉRAIRES .
MÉTHODE de M. Keyfer pour l'adminiſtration
de fes dragées dans le traitement
des Maladies vénériennes .
DISCOURS prononcé dans l'Aca lémie Françoife
, à la réception de M. l'Abbé de
Voifenon.
LES après-foupers de la Campagne,
LETTRE fur un Poëme Latin, de M. de Maffac
, à M. de Mont.
64
71
76
77
80
88
89 & fuiv.
A l'Auteur du Mercure , fur un Plagiat.
LETTRE à M. De la Place , fur un Jetton
frappé en 1606.
ANNONCES de Livres.
ARTICLE III . SCIENCES ET BELLES -LETTRES.
ACADEMIE S.
EXTRAIT du Mémoire lu à l'Affemblée publique
de l'Académie Royale des Sciences ;
par M. de Parcieux.
GEOMETRI E.
EXTRAIT de la Séance publique de l'Académie
des Sciences , Arts & Belles - Lettres
de DIJON.
ÉCOLE Royale Vétérinaire , établie à Lyon
fous la direction de M. Bourgelat.
99
117
128
129
240 MERCURE
DE FRANCE .
ART. IV . BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURG I E.
LETTRE d'un Éléve en Chirurgie de l'Ho-
PITAL DE LA Charité , à l'Auteur du
Mercure , fur l'Opération de la Taille.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
LETTRE de M. Delalande , de l'Académie
des Sciences , à M. De la Place.
MUSIQUE.
133
141
148 SUPPLEMENT à l'Article des Piéces fugitives
SUITE de la Traduction de Mal- à-propos
ou l'Exil de la Pudeur , Poëme Grec.
A Mad... L. D. .. De......
ART. V. SPECTACLES.
SPECTACLES de la Cour à Versailles.
SPECTACLES DE PARIS.
149
174
174
OPERA.
COMÉDIE Françoiſe.
178
181
OBSERVATIONS fur Dupuis & Des Ronais .
LETTRE de M. de Saint Foix à M****.
201
205
COMÉDIE Italienne . 208
CONCERT Spirituel.
211
ART. VI. BALS de la Cour.
212
ART. VII. Nouvelles Politiques. 235
ART. VIII . Economie & Commerce. 236
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis-à-vis la Comédie Françoiſe.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le