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              MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI
MARS. 1763 .
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
ALO
WIBE
LYON
*
1893 *
Cochin
Siliusinte
PapilloySculp
A
PARIS ,
CCHAUBERT , rue du Hurepoir.
JORRY, vis- à-vis la Comédie Françoiſe.
Chez PRAULT , quai de Conti .
DUCHESNE, rue Saint Jacques.
CAILLEAU, rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi .
AVERTISSEMENT.
1
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch à côté du
Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer ,
francs de
port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie litté
raire , à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols pièce.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir , ou qui prendront les frais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raison de 30 fols
parvolum. c'est-à- dire 24 livres d'avance,
en s'abonnant pour feize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure , écriront à l'adreſſe cideffus.
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payanı
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
, refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
, d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année . Il y en a jufqu'à
préfent quatre - vingt -huit volumes.
Une Table générale , rangée par,
ordre des Matières , fe trouve à la fin du
foixante-douxiéme .
A
ご
THEQUE
2019
MERCURE
DE FRANCH
MAR S. 1763.
LYON
*
1893 1893
DE
LA
*2711
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L'HYVER ,
POEM E.
Das froides régions du Pole
Déchaîné contre nos climats ,
Le plus fier des enfans d'Eole
Livre déja d'affreux combats
Dans nos champs d'où Zéphir s'envole,
Et dans nos jardins fans appas ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
Où fur un trône de frimats
Régne l'hyver qui les défole
Bientôt en proie à la rigueur
De l'ennemi qui la menace,
La Nature dans la douleur
Préffent la prochaine diſgrace ,
Armé de neiges & de glaces ,
Il fond fur elle avec fureur :
Il en triomphe avec audace :
Elle tombe fous fon vainqueur ;
Et par ce tyran deſtructeur
Voit de fa beauté qui s'éfface
S'éteindre l'éclat enchanteur.
De fon ancienne ſplendeur
Je ne découvre aucune trace ;
Ce n'eft plus qu'une informe maffe
Prèfque fans vie & fans couleur.
De leur richeffe & de leur grace ,
Tous les Arbres font dépouillés.
Plus de Parterres émaillés ;
Il n'en eft resté que la place.
Le fommet de ces buiffons verds
Ne fe couronne plus de roſes :
Le doux parfum des fleurs éclofe s
Ne s'éxhale plus dans les airs.
Ces Vergers que chargeoit Pomone ,
De tous les trésors de l'Automne ,
Ont perdu leurs charmes divers.
Ces côteaux de vignes couverts,
MARS. 1763. 7
"
Ces belles & riches contrées
Où flottoient les moiffons dorées :
Se changent en d'affreux déferts.
Des oifeaux au fond des bocages ,
Nous n'entendons plus les ramages :
Ils ont oublié leurs concerts ,
Depuis que ces lieux font fauvages.
Des ruiffeaux qui fur ces rivages
Sembloient & fi purs & fi clairs ,
On ne voit plus couler les ondes ;
Au fond de leurs grottes profondes
Les Nayades font dans les fers.
Toi- même , Aréthufe , en ta fuite ,
Je te vois tremblante , interdite :
Les glaces enchaînent ton cours;
Alphée , ardent à ta pourſuite ,
De cet avantage profite ;
II femble abréger les détours ;
A gros bouillons il précipite
Ses flots pouffés par les amours.
Mais près d'atteindre ſon Amante ,
Et fur le point de la faifir ,
Le fort va tromper fon attente :
Son bonheur va s'évanouir.
Tout-à-coup la marche eft plus lente :
Il fent fon onde s'épaiffir :
Ses Flots durciffent : il s'arrête
Et perd l'efpoir de ſa conquête
Au moment même d'en jouir.
A iv
8 MERGURE DE FRANCE .
Bergers ; qui tantôt fous ces hêtres
Failiez de vos chanfons champêtres
Retentir au loin les échos ,
Vous ne venez plus dans ces plaines ,
Suivant des routes incertaines ,
Conduire à l'écart vos troupeaux ;
Et du pied de ces arbriſſeaux
Où vous fouliez l'herbe nouvelle
Qui n'aît fur le bord des ruiffeaux ,
Tandis que votre chien fidéle. ,
Infatigable fentinelle ,
Joignoit à vos foins ſes travaux ,
Le fon perçant de vos pipeaux
Ne s'étend plus dans les campagnes ;
Par des airs & des chants nouveaux
Et des vallons & des montagnes
Vous n'égayez plus le repos.
Nous ne voyons plus ces Bergères.
Auffi douces que leurs agneaux ,
Aux accens de vos chalumeaux ,.
Sur la furface des bruyeres
Imprimant leur traces légères ,
Danfer à l'ombre des ormeaux.
Du fein des champêtres aſyles ,
Un Peuple d'habitans nouveaux.
Repaffe au milieu de nos Villes ,
Laiffant fes Parcs & fes châteaux.
Failons comme eux , belle Délie :
MARS. 1763. 9
Quittons les bois & les hameaux ,
Quittons la campagne flétrie ,
Et revenons dans la Cité
Chercher cette fociété
Que des champs l'hyvex a bannie.
Entrons dans ces cercles brillans
Et dans ces falles décorées ,
Par cent flambeaux moins éclairées ,
Que par l'éclat des diamans
Dont les femmes fe font parées.
Ofons à leurs caquets bruyans
Mêler nos voix plus modérées :
Tenons mille propos plaifans :
Rions tout bas des fimagrées
Des airs fadement importans ,
Et des manières bigarrées
De tous ces êtres différens ;
Des coquettes , des mijaurées ,
Des petits-maîtres fémillans ,
Des hommes à petits talens ,
De leurs protectrices titrées ,
De leurs protecteurs ignorans.
On apporte la table verte ,
Délie , armons -nous d'un fizain:
Jouons , & fans plaindre la perte ,
Et fans nous applaudir du gain.
Mais l'ennui commence à nous prendre
Fuyons ces lieux ;allons nous rendre
A v
10 MERCURE DE FRANCE .
Au Temple du Dieu des Accords:
Quels fons flatteurs s'y font entendre !
Dans le langage le plus tendre
L'Amour exprime fes tranſports.
Quelle touchante mélodie !
Au goût vanté de l'Aufonie ,
L'Art François unit les efforts ,
Et la Nymphe de l'harmonie
Se pare de tous les trésors.
La jeune & fouple Terpsichore
S'avançant d'un pas gracieux ,
A tant de pompe ajoute encore
L'appareil brillant de ſes jeux.
Mais que vois-je ? Du haut des nuës ,
Au milieu des airs fufpendues ,
Les Dieux deſcendent fur des chars ;
Et quittant les Royaumes fombres ,
Les Eumenides & les Ombres
Viennent éffrayer mes regards.
A cette illufion étrange ,
Tandis que je livre mes yeux ,
D'un coup de fifflet tout fe change , .
Et je me trouve en d'autres lieux.
Où font ces rians payſages ,
Ces jardins fi beaux , ces ombrages ,
Formés par des berceaux épais ?
Je vois la mer & ſes rivages ,
Des rochers couverts de naufrages ,
Remplacer ces bords pleins d'attraits ..
Que dis-je ? A ces horribles plages
MAR S. 1763.
TI
1
Succède un portique , un palais ;
Et quand j'admire ces ouvrages ,
Tout-à-coup des refforts fecrets
Au lieu de ces pompeux objets ,
M'offrent de lugubres images ;
Un tombeau bordé de cyprès ,
Un Autel qui s'éleve auprès ,
A l'ombre de ces noirs feuillages ;
Et dont la Mort garde l'accès.
De ce Spectacle magnifique ,
Eh bien , fommes- nous fatisfaits ?
Les vers , la danfe , la mufique ,.
Et cet affemblage magique
De tant de merveilleux effets
Ont fans doute , en notre âme éprife
D'une aimable & vive furpriſe-
Produit le doux faififfement :
Mais tandis que l'aſpect frappant T
De cette pompe enchantereſſe ,
Dans mes efprits porte fans ceffe
Le charme du raviffement ,,
Et plonge mes fens dans l'yvreffe
Au milieu de tant de richeſſe , -
Le coeur eft dans le dénûmensg :
Il ne voit rien qui l'intéreſſe ,
Qui flatte fa délicateſſe ,
Qui lui fourniffe un fentiment; ↑ ·
Oui , même quand le tien palpite's
Quand il pouffe un fréquent foupir ,
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Charmante Arnoult , à m'attendrir
C'eſt en vain que ta voix m'invite.
Tu fais étonner & ravir :
De tés fons j'admire les charmes ;
Mais c'eft fans répandre des larmes ,
Que tu me vois leur applaudir.
Demain nous pleurerons , Délie ,
Nous pleurerons avec Clairon :
L'Art , la Nature , le Génie
Ont monté la voix fur leur ton ,
Et mis dans fon expreffion
L'âme , la force , l'énergie ,
Tout le feu de la paffion.
Zelmire , par elle embellie ,
Fera paffer jufqu'en nos coeurs
Le fentiment de fes douleurs .
Ou toi , Dumefnil , d'Athalie
Tu feras parler les fureurs ,
L'ambition , la rage impie :
Tu rempliras mes fens d'horreurs,
En déteſtant ta barbarie ,
Je gémirai fur les malheurs
De la victime pourſuivie
Par tes facrilèges noirceurs.
De Jofabet , d'éffroi ſaiſie ,
Je partagerai les terreurs :.
Comme elle allarmé far la vie
Du feul eſpoir de ſa patrie ,
MARS . 1763.
13
Je joindrai mes pleurs à fes pleurs.
Du théâtre volons à table ;
Que la joie y vole avec nous ;
Qu'elle répande un charme aimable
Sur ce qui doit flatter nos goûts.
Eh ! qu'est-ce que la bonne chère
Que n'anime point la gaité ?
Un plaifir qui n'eſt point gouté ,
L'ennui dreffant fon fanctuaire
Sur celui de la volupté .
Viens donc , viens , charmante Déeffe
Viens avec les Ris & les jeux
Dont la troupe te fuit fans ceffe.
Ecarte , bannis de ces lieux
Le filence, le férieur ,
Ces noirs fignaux de la trifteffe
Qu'ils faffent place à l'allégreffe .
Viens à ces apprêts faſtueux ,
De l'art aidé de la richelle ,
Joindre encore tes tranfports heureux !
Sans ta puiffance favorable ,
Sans toi ce fouper fomptueux
Ne feroit que délicieux ::
Fais plus fais qu'il foit agréable ;
Viens le rendre voluptueux.
De toutes parts le nectar coule ,
Et l'on s'en abbreuve à longs traits :
Dans le vin pétillant & frais
14 MERCURE DE FRANCE.
Les plaifirs furnagent en foule.
Parmi les flots de ta liqueur ,
Ils s'élancent de la bouteille :
Dieu des Buveurs , Dieu de la treille ,
Ils embelliffent ta couleur..
Je vois cette troupe légère
Au gré d'une folâtre ardeur
Se trémouffer dans la fougère ;
Je les fens en vuidant mon vèrre
Deſcendre avec toi dans mon coeur .
Mais déja la nuit avancée
A fait les deux tiers de fon tour:
Bientôt à fon ombre éclipfée
Succédera le point- du-jour.
Le Peuple après un fommeil court
Entr'ouvrant déja la paupière ,
S'apprête à revoir la lumière
Dès qu'elle fera de retour.
Dans cette alcove folitaire
Conduis avec moi , Dieu d'Amour ,
Celle qui reflemble à ta mère ,
Qui fait l'ornement de ta cour ,
Et qu'à mon coeur tu rends fi chère.
Guidés par ce Dieu tutélaire ,.
Retirons-nous fous ces rideaux ;
Que fon flambeau feul nous éclaire :
Sur ce lit couvert de pavots
Je crois voir l'Autel de Cythère.
MARS. 1763. 15:
Délie , à mes tranſports nouveaux
Ofe te livrer toute entiere ;
En confommant l'heureux mystère ,
Tombons dans les bras du repos.
Par un nouveau Venu au Parnaſſe.
LETTRE de Mlle *** à Madame....
fur l'ÉMILE de M. ROUSSEAU..
VOUS
176.2.
me demandez , Madame ,
quels font mes amuſemens à la campagne
? vous pouvez vous les imaginer
fans peine , la promenade , la chaffe ,
la
pêche , le jeu , la table , & puis le jeu
encore , car cet éternel jeu ne finit ja
mais ; un peu de lecture , quelques réflexions
bonnes bonnes ou mauvaiſes ;
voilà ce qui nous occupe , non pas
fans regretter Paris : car j'aime le Spectacle
, il n'y en a point ici : je chéris
la liberté , on n'en connoît ici que le
nom : on vous l'ôte a force de fe van--
ter qu'on vous la donne. Je conviens
qu'on a partout des devoirs de fociété
à obferver , mais ils font plus gênans
à la campagne. Si le coeur étoit
de la partie ; fi le devoir devenoit . un
16 MERCURE DE FRANCE.
goût , il feroit plus facile à remplir.
Mais on fe voit de trop près pour ne
fe point connoître ; & il eft difficile
de s'aimer , quand on fe connoît fi
bien. Pour me fauver de la néceffité de
jouer , je fuppofe quelquefois que j'ai
des brochures à lire qu'il me faut renvoyer
à Paris , & je dis fouvent la
vérité. Je n'ai eu que quatre jours le
livre d'Emile , & vous m'avouerez que
ce n'eft pas affez.Jel'ai cependant lû tout
entier, excepté une bonne partie de la profeffion
de foi duVicaireSavoyard.M.Rouf
feau écrit trop bien , pour qu'on puiffe
fe refufer à l'envie & au plaifir de le
lire . J'ai reconnu dans fon Emile , l'auteur
de la nouvelle Heloïfe ; mais je
ne reconnois plus l'Auteur des difcours
contre les Sciences , & fur l'égalité des
conditions , ni même de la lettre contre
les Spectacles. On pardonnoit à M.
Rouffeau , un peu de mifantropie en
faveur de la pureté de fa morale. Il
nous difoit quelquefois des vérités un
peu trop dures ; mais il les difoit avec
F'énergie qu'elles infpirent. Si la vérité
ne plait pas toujours , elle a du moins
le droit de convaincre. M. Ronfleau
fe plaint de nos moeurs , il a raiſon . Je
crains bien que leur maligne influence
MAR S. 1763. 17
n'ait amolli les fiennes. Ce Philofophe
févère a déridé fon front. Dans fon
Emile il difcute des matières qui ne
me paroiffent guères propre à l'éducation
d'un jeune homme. Et je crois
qu'en pareil cas les leçons intéreffent
plus le maître que l'écolier. Peut-être ,
Madame , allez-vous me taxer d'ingratitude
envers M. Rouffeau ; vous me
repréſenterez que je lui dois avec mon
fexe beaucoup de reconnoiffance , de
tout le bien qu'il en dit , de ce qu'il
daigne même en parler , foit en bien
foit en mal. Mais je ne crois pas qu'il
fe faffe pour cela beaucoup de violence.
Il aime trop les femmes pour n'y pas
penfer , & pour n'en pas parler plus
qu'il ne voudroit. On m'avoit déja
prévenue qu'il nous exaltoit beaucoup
dans fon dernier ouvrage : je n'en
puis difconvenir. Mais nous ne devons
pas , ce me femble , en tirer beaucoup.
de vanité. Il a eu foin d'effacer par le
trait le plus humiliant , tout le plaifir
que cela pouvoit nous faire. Il veut.
qu'une femme foit femme , & rien de
plus. Si la comparaifon eft permiſe ,
j'oferai représenter à M. Rouſſeau
qu'un homme élevé comme tout homme
l'eft felon fon état , eft bien plus
18 MERCURE DE FRANCE .
au- deffus de fon Etre , qu'un femme
Cependant fouvent vous le voyez qui
non content de l'éducations qu'on lui
donne , veut franchir les bornes qu'elle
lui prefcrit. Son genie tranfcendant veut
être créateur. Il ajoute aux Arts & aux
Sciences , qu'il pofféde , & veut en
produire de nouvelles . S'il s'abîme dans
dans la fpéculation , il veut lire jufques
dans l'avenir ; il interroge les aftres
il meſure leur étendue , leur diſtance
il prédit les révolutions qui doivent
leur arriver ; il fait plus , il veut comprendre
celui qui les a créés . Tandis
qu'il n'eft point de limites pour fon
efprit curieux , qu'il veut pénétrer ce
qui eft impénétrable , & percer le voile
que la Providence a mis fur fes décrets ;
enfin tandis qu'il s'éleve jufqu'à la Divinité
même , il ne fera pas permis à
une femme de s'élever feulement jufqu'à
l'homme , en defirant la moindre partie
de l'éducation qu'on lui donne !
Seroit- ce en l'imitant qu'on fe rendroit
indigne de lui ? je conviens qu'il faut
que chacun refte dans fa fphère ; mais
celle d'une femme eft bien étroite , &
il eft naturel de chercher à fortir de
fa prifon. Je conviens qu'il y a des devoirs
d'état à remplir ; que ceux d'une
MARS. 1763. 19
.....
femme font éffentiels , & qu'elle doit les
préférer à toute autre occupation . Mais
enfin toutes les femmes n'ont pas
dirai-je,le bonheur ? ..le mot feroit peutêtre
hazardé : toutes les femmes , dis - je ,
Ine font pas mères; ainfi elles ne peuvent
pas toutes être entourées de hardes d'En--
fans. Que celles qui n'ont pas ce glorieux
avantage, ayent la liberté du moins
d'être entourées de brochures ; il leur reftera
encore affez de temps pour cultiver
leurs charmes , & pour plaire même
à M. Rouffeau. Mais me dira- t- il , elles
auront le titre de bel- efprit , & toutefille
bel-efprit , reftera fille , tant qu'il y aura®
des hommes fenfes fur la terre ? Heureufement
, qu'ils ne le font pas tous , &
les Demoiſelles beaux- efprits, ne trou--
veront que trop à qui s'allier. Mais fi
elles ne trouvoient pas. ( Le Ciel nous
offre quelquefois des Phénomènes , la
terre pourroit en offrir à fon tour , ) fi.
les hommes alloient devenir raifonnables
? Eh bien , elles auroient toujours
le tire de bel efprit , & à peu de frais
s'il faut feulement pour l'acquérir êtreentourées
de brochures. Si elles font forcées
de garder le célibat : cet état peut
avoirfes douceurs ; & quoiqu'en dife
M. Diderot , dans fon Père de Famille,,
20 MERCURE DE FRANCE.
il ne prépare pas toujours des regrets. La
liberté qu'il laiffe , peut dédommager du
ridicule attaché au bel - efprit. Mais M.
Rouffeau me paroît trop généreux , de
rejetter ce ridicule fur nous feules : nous
fommes trop juftes pour le recevoir
entierement ; & nous nous contentons
d'en accepter au plus la moité : car
fi l'on compte au Parnaffe neuf Mufes
pour un Apollon , à peine peut- on compter
ici- bas , une mufe pour un bien plus
grand nombre d'Apollons ; & malgré
leur rareté , M. Rouffeau femble douter
encore de leur propre éxiſtence !
Je lui pardonne de nous avoir menacées
de ne point trouver d'époux : ce font
de ces malheurs qu'on peut fupporter;
d'ailleurs , l'effet ne fuit pas toujours la
menace. Je lui pardonne auffi de nous
accufer de n'avoir point de génie ; nous
nous contentons de l'efprit , puifqu'il
veut bien nous le laiffer. Mais je ne
lui pardonne point d'ofer affurer , que
toute femme qui écrit a quelqu'un
qui lui conduit la main . Il ne nous
laiffe pas même la gloire de faire du
mauvais. Je ne fçai ; mais il me femble
qu'un Auteur eft trop amoureux de
ouvrages, pour les donner ainfi gratuitement.
Il auroit pourtant dû nomfes
MARS . 1763.
21
,
9
mer les plumes élégantes qui ont bien
voulu facrifier leur gloire à celles des
Sévignés , des la Suze , & des autres
Dames illuftres du dernier fiécle.
A l'égard des modernes qui ont quelque
réputation M. Rouffeau auroit
pû les prier de fe laiffer enfermer ſeulement
vingt-quatre heures , avec de l'encre
& du papier , & par ce qu'elles auroient
produit , il auroit jugé de leurs
talens. Vous me direz fans doute
Madame , qu'on peut douter de bien
des chofes , lorfqu'on doute de la révélation
: mais tout ce que M. Rouffeau
dira contre notre Religion , ne lui portera
aucune atteinte. Qu'il prenne le
ton férieux ou le ton ironique , fes
raifonnemens ne pourront l'ébranler ;
la Religion fe foutient d'elle-même , &
trouve un défenfeur dans chaque conſcience
. Mais nous,qui ofera nous défendre
, quand M. Rouffeau nous attaque ?
Il faut donc fe taire , car je n'ai déjà
peut-être que trop parlé. Permettez - moi
feulement de vous affurer de la vive
fincérité des fentimens avec lefquels
J'ai l'honneur d'être , &c.
>
22 MERCURE DE FRANCE.
COUPLETS , à l'occafion d'un Ballet
des ELEMENS , à une Salamandre.
U
AIR: Quoi , vous partez.
N feu léger éblouit & s'échappe ,
Un feu brulant détruit ce qu'il atteint ;
Un feu plus doux en vous voyant nous frape ,
L'Amour l'allume & jamais ne l'éteint.
Même on prétend que le fripon , fous cape ,
Rit comme vous de celui qui s'en plaint.
A une autre Salamandre , fur tous
les Élémens.
AIR: Partout où régne le chagrin.
L'Amour , ce Roi de l'Univers ,
Ce Dieu dont vous êtes l'image ,
De tous les Elémeus divers
Reçoit le tribut & l'hommage.
De Vénus l'élément natal ,
Les eaux à l'Amour font bien chères ;
Auffi de leur brillant criſtal
11 fit le miroir des Bergères.
Quand il vole comme un éclair
MARS.
23:
Sur les pas fugitifs des Belles. ,
La main des habitans de l'air
Soutient & parfume ſes aîles .
La Terre fleurit fous les pas ,
Et lui prépare au ſein des fêtes
Des lits de fleurs pour les combats
De jennes coeurs pour les conquêtes.
Mais immortel comme les Dieux ,
Il doit cette gloire à fa flamme.
L'Elément qui brille à vos yeux ,
Eft de l'Amour la vie & l'âme.
EPIGRAMME.
ON vantoit l'autre jour le grand ſçavoir d'Argant
:
Seul il valoit toute une Académie ;
Seul il eût fait une Encyclopédie ;
Salomon près de lui n'eût éré qu'une enfant.
Lors , me tournant vers la jeune Iſabelle :
Pour moi , de rien fçavoir ne puis venir à bout ;
Hors vous aimer. Ah ! s'il eſt vrai , dit- elle ,
Mon cher ami , vous fçavez tout.
Par M. SAUTREAU.
24 MERCURE DE FRANCE .
"
VERS fur le mariage de Mlle DE
DROMESNIL , avec M. le
Marquis DE BELSUNCE.
Par M. TANEVOT.-
ALLEZ , Hymen , vous couronner de
gloire ,
Allez jouir d'une double victoire ,
Et , dans un champ fertile en Myrthes , en Lau
riers ,
Unir encor les Grâces aux Guerriers.
Ainfi les guirlandes d'Armide
Enchaînoient de Renaud le courege intrépide.
Des feux plus purs , chaftes Epoux ,
Vous préfagent un fort plus doux.
Aimable Dromefnil , d'une Soeur fortunée ;
Goûtez la même deſtinée ;
L'on vous verra briller autant :
Telle , dans les Jardins de Flore •
Une Rofe qui vient d'éclore ,
D'une autre auffi vermeille eft fuivie à l'inſtant
S des trois Déeffes rivales ,
Quelqu'une avoit eu vos appas ,
Sur ce Montfameux , leurs débats ,
* Le Mont Ida.
!
De
MARS. 1763 : 25
De tant de maux , ſources fatales ,
N'auroient pas occupé beaucoup
Ce beau Berger que l'on renomme:
La Diſcorde eût manqué fon coup,
On n'eût point difputé la Pomme.
BELSUNCE , armé de tous les traits
Que l'on forge à Paphos , ſubjugue vos attraits
Tout applaudit dans cette fête ,
A fon bonheur , à la conquête.
Nouveau triomphe des Amours ,
Non des zéphirs , volages dans leurs cours.
*
O vous , donc , Nymphe enchantereſſe ,
Allez aux pieds d'une augufte Princeffe ,
Cultiver des Vertus dont l'agréable odeur
Parfume votre jeune coeur :
C'est l'hommage qu'Elle defire ,
Et tout l'Encens qu'Elle refpire .
ENVOοι1.
Pardonnez à ces vers de trop peu de valeur :
( Ma Mufe à chaque pas chancelle ; )
S'ils font dépourvus de chaleur ,
C'eſt d'un feu qui s'éteint la derniere étincelle.
* En qualité de Dame de MADAME.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
L'AMOUR ET L'HYMEN
RÉCONCILIÉS ,
CONTE EPITHALAMIQUE.
LE Dieu de la tendreffe perdoit infenfiblement
fon empire fur les humains .
Il ne les conduifoit plus aux Autels de
l'Hymen. Depuis longtemps ils ne le
confultoient plus , pour former ces rapides
engagemens , que fouvent un même
jour voit naître & finir.
L'Amour s'en confoloit.. Il régnoit toujours
fur les coeurs fans éxpérience. Quand
de la premiere jeuneffe on paffe à l'âge
des defirs , on aime à fe livrer aux douces
inquiétudes du Dieu des cours. On
ne voit , on n'entend que par lui . On
n'exprime que ce qu'il infpire : & ce
qu'il infpire eft le fentiment de la Volupté
même .
Le goût des frivolités lui arracha ce
refte de puiffance : Azor , l'aimable
Azor , dont le coeur étoit fait pour toutes
les vertus , ofa former des defirs :
& ils n'étoient pas ceux de l'Amour. Il
dit à toutes les jolies femmes qui s'ofMARS.
1763. 27
,
frirent à fes regards , qu'il les adoroit ;
& il le leur juroit,fans reffentir aucune
des émotions de l'Amour. D'où provient
donc cet égarement , s'écria - t- il ?
Vangeons-nous , ou ramenons Azor ,
ou puniffons les coupables. Leur nombre
l'effraya. Ces ufages qui l'outraguuiunt
étoient devenus ceux de wus
Les hommes du bon ton . Azor eût cru
fe perdre de réputation parmi fes pareils,
s'il eût tenté d'afficher le fentiment.
Le fils de Vénus défefpéré de ne pouvoir
ni corriger Azor , ni punir les coupables
, prit le parti de les abandonner
à leur délire , & de dérober fa honte
aux Dieux même s'il le pouvoit. Dans
cette vue il parcouroit des deferts immenfes,
& partout il proféroit les plaintes
les plus touchantes. Les volages oifeaux
interrompoient leurs chants mélodieux
, pour , pour l'entendre . Les timides
hôtes des bois oublioient leurs frayeurs
pour foupirer avec lui. Les tigres & les
lions fufpendoient leur férocité , pour
s'adoucir à fes accens . Les fiers Aquilons
calmoient leur indomptable fureur
, pour s'attendrir à fa voix . Tel
eft fon pouvoir. La Nature & tous les
Etres qu'elle produit , fe plaiſent à céder
aux impreffions de ce Dieu. Mortels in-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
grats , fe difoit- il , vous êtes donc les
feuls qui réfiftez à mes loix ? Je vous détefte
! C'étoit ainfi qu'il exhaloit fon
courroux ,
Un jour qu'il s'étoit prèſqu'épuisé de
fatigue , il apperçut un bois dans un
vallon fort éloigné. Il s'y rendit. Il fut
upris de voir que ce féjour étoit tulbelli
de tous les ornemens de l'Art.Quel
être intelligent, s'écria -til , a fçu ſe préparer
cette riante folitude ? Il fe dérobe
aux Mortels ? Ah ! c'eſt un Sage . Cherchons-
le , je brûle de me l'attacher,& de
le combler de mes dons, s'il en eft digne.
Il pénétra dans ce bois. A l'afpect
d'une multitude de promenades artiſtement
variées , fon étonnement redoubloit.
Bientôt il arrive dans un bofquet
charmant . Des branches galament
entrelaffées en interdifoient l'entrée aux
rayons d'un foleil brulant. Les fleurs les
plus rares & les plus vives y répandoient
un parfum enchanteur. L'Amant
de Flore y entretenoit une fraîcheur
délicieufe , par le fouffle de fon haleine.
Un gazon élevé par les Grâces faifoit
l'enfoncement de ce bofquet.
L'Amour entrevit fur ce gazon un
Etre pour lequel il s'intéreffa. Négligemment
étendu fur ce tapis émail,
MARS. 1763 . 29
,
lé , il paroiffoit plongé dans les rêveries
d'un fommeil inquiet ; fes paupiéres
entr'ouvertes laiffoient couler
quelques larmes ; il parloit même.
» Mortels infenfés , fe difoit- il vous
» avez méconnu mes bienfaits ; je de-
» vrois vous haïr. Ne puis - je du moins
» vous oublier ? C'eft toi , charmante
» Félime , qui les retraces à mon fou-
» venir. Ciel ! c'eſt l'hymen , s'écria l'Amour
avec une extrême vivacité. Il fe
plaint donc auffi de l'aveuglement des
hommes ?
"
"
Qui es-tu , toi , reprit l'Hymen en
» fe réveillant ? Que cherches- tu dans
» ces aſyles inhabités ? Pourquoi trou-
» bles-tu mon repos ? Mais.... Que
» vois - je ? C'eſt l'Amour ! .. Cruel ennemi
, qu'attens-tu de moi ?.... Fuyons.
Arrête , cher frère ! As-tu pu croire
que j'étois ton ennemi ? Quelle erreur
! Expliquons- nous ; je t'en conjure.
Je me flatte de te faire fentir l'injuftice
de tes reproches. Mais depuis
quel temps habites- tu ces fôrets ? je te
croiois toujours occupé du fort des
humains.
» Tu le croiois , perfide ? ne font- ce
» pas tes caprices qui m'ont ravi ce
» foin. N'as-tu pas ceffé d'enflammer
B iij
30 MERCURE DE FRANCE .
les coeurs que j'uniffois ? N'as- tu
» pas même employé toutes les féduc-
" tions pour traverfer la tranquille in-
» nocence que je leur procurois , en
» les précipitant dans des liens contrai-
>> re aux miens ? apprens donc les fuites
» funeftes de cette méfintelligence , fi
» tu les ignores.
» Dès que tu m'eus quitté , le fu-
" perbe Plutus s'appropria le droit de
» dicter mes loix. Je lui abandonnai
» les ames viles , & capables de fe laif-
Q
fer féduire par fon opulence . Je me
» contentois de difpofer de quelques
» coeurs fufceptibles de délicateffe.
» Félime, entr'autres , Félime , me parut
» digne de toute mon attention . La
» connois-tu ? Quels traits , Quel coeur,
» Quelles beautés , Quelle âme ! Mille
» fois le jour, je me rappelle le moment
» qui l'offrit à mes regards . Elle étoit
» dans un cercle de douze jolies fem-
" mes. La moins belle de ces femmes
" eût effacé ta Mere : Félime les effa-
" çoit toutes. Parée des feules grâces
» que donne la Nature , elle obfcurcif-
» foit toutes celles que peut donner.
» l'Art. Cher frère ! qu'elle étoit belle
» & touchante ! Les Dieux , tu le fçais,
» fe plaifent à faire le bonheur des
MARS . 1763. 31
mortels qui font leurs images. De
» cet inftant , je me propofai de ne rien
» négliger , pour rendre celui de Fé-
» lime durable & parfait. J'avois pour
» cela befoin , non de ton art ; il
» fiéroit mal à des coeurs foumis à mes
» loix , mais de tes feux ; mais de tes
» tranſports toujours féduifans , lorfque
» le fentiment les fait naître. Je te cher-
" chai dans tous les lieux où on te foup-
» çonnoit. Inhumain ! tu me fuyois
» fans doute . Furieux de ne pouvoir
» te rencontrer je te maudis mille
» fois. Je quittai le féjour des humains ;
» & depuis ce temps , je m'éfforce de
» vous oublier.
Tes plaintes , chere frère , font légitimes.
Les hommes font des ingrats . Ils
nous ont outragés . Je les fuis depuis.
long-temps , parce que je les croiois
foumis de ton confentement , au Dieu
des richeffes. Puniffons les . Mais que ce
foit en les rendant témoins de la félicité
fuprême , dont peuvent jouir deux
coeurs unis par l'Hymen & l'Amour.
Cette vengeance digne de nous , doit
nous réunir. Je connois Félime. Qu'elle
foit le gage de notre réconciliation .
Seule elle peut me rendre fur le coeur
d'Azor, des droits qui m'ont été uſur-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
pés par les frivoles ufages de ce fiécle.
Vois le trait que je leur prépare à l'un
& à l'autre .
?
» Quel eft cet Azor ? Mérite - t - il un
» coeur tel que celui de Félime ? Oui ,
cher frère , j'en jure par le Styx. Si le
plus puiffant des Dieux vouloit plaire ,
fi moi-même je fuccombois à ce defir
j'emprunterois la figure , le coeur & l'efprit
d'Azor. Sa figure eft noble & intéreffante.
Elle féduit lorfqu'on le voit
pour la premiere fois. Lorfqu'on le revoit
, elle féduit encore plus. Son coeur
eft digne de cette figure . Il eft tendre ,
vif & compâtiffant . Les plaifirs d'Azor
feroient des vertus parmi les Immortels
. Ils confiftent à foulager des peines
, à prévenir des befoins , à faire des
heureux. S'il ne faifit pas toujours les
occafions de goûter ces plaifirs , c'eft
que cela ne fe peut pas ; c'eft que les
devoirs de fon état s'y oppofent ; c'eſt
que le Deftin lui-même tenteroit vainement
de fatisfaire tous les hommes.
Ce coeur dont je te parle eût été fans
défauts s'il eût pu devenir fenfible .
Azor a de l'efprit , de la fcience, du jugement
, de la raifon , & il n'en rougit
point ; & il n'en eft pas plus avantageux.
Que ne puis -je te le faire confiMARS.
1763. 33
dérer dans les diverfes occupations de
fa vie ? Tu le verrois s'élever avec la
rapidité de l'Aigle du Dieu du Tonnerre
, lorfqu'il s'agit de manifefter les volontés
de fon augufte Souverain . Eftil
queftion de prévenir une difette , tu
le prendrois pour le Dieu du Nil , fertilifant
les vaftes campagnes de l'Egypte.
Tente-t- il d'encourager les Sciences &
les Arts , tu dirois , c'eft Apollon préfidant
à l'affemblée des chaftes Soeurs ; &
dans toutes ces fonctions , tu diftinguerois
le fentiment qui le dirige. C'eft
l'amour de l'humanité.
Tel eft le Mortel que je deftine à
Félime. Rallume ton flambeau , cher
frère , pour unir leurs coeurs .
Avalit que de rien promettre ,l'Hymen
tant de fois trompé par les promeffes
de l'Amour , voulut connoître Azor.
Il partit pour aller l'examiner. Félime
& lui foupoient chez Alcandre leur
ami. Les Dieux s'y tranfportérent. Hymen
fut enchanté. » Azor & Félime ,
» dit-il à l'Amour , font faits l'un pour
» l'autre ; lance le trait qui doit les en-
» flammer ; mon flambeau fera le reſte .
Alcandre adreffoit alors cet impromptu
a Félime.
"
Du tendre Amour écoute le langage ,
B v
34 MERCURE DE FRANCE .
Belle Félime , il en veut à ton coeur.
Lequel de nous obtiendra l'avantage
De voir enfin couronner fon ardeur ?
Tu t'attendris , Félime ! quel préfage !
Le tendre Amour te prépare un vainqueur.
A ces mots , Azor foupira . Un regard
de Félime acheva de triompher de fon
indifférence . Sur le champ il en fit l'aveu
dans ces termes :
Certaine de notre conftance ,
Tu dois faire un de nous heureux.
Si tu donnes la préférence
A celui qui t'aime le mieux ;
Aimable Félime , j'eſpére ,
Et j'ai des droits .
Droits charmans ! ah ! je les préfére
rang des Rois. Au
Felime ne put entendre cet aveu fans
trouble ; & fes yeux , les plus beaux.
yeux que la Nature ait formés , ne purent
dérober ce trouble au trop heureux
Azor. Que dirai-je de plus ? ils
furent unis par l'Hymen & l'Amour.
Azor eft l'Amant & l'Epoux de Félime .
Il l'adore ; elle l'aime ; & ils fe fuffifent.
Puiffent leurs plaifirs renouveller chaMARS.
1763.
35
que jour leur tendreffe ! Puiffe leur tendreffe
éternifer leurs plaifirs !
Préfenté le 5 de Fevrier à Paris à
M. & Mde de ...... le lendemain de
leur mariage !
VERS fur le Tableau du ROI , repréfenté
par les VERTUS .
PAR l'ingénieux artifice
Et de l'optique & du pinceau ,
Les Vertus , & furtout la Bonté , la Juftice ;
De Louis offrent le tableau.
Si dans un autre perſpective ,
On peignoit les coeurs des François ;
De ces coeurs réunis la peinture naïve
De l'Amour offriroit les traits.
Par M. l'Abbé AUBERT .
CRISTALLIDE LA CURIEUSE ,
CONTE tiré des MILLE ET UNE
QUI
NUITS.
01 veut garder une femme , s'abufe ;
tromper fur de tout temps leur lot
L'art de
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
La moins fubtile a toujours quelque rufe ;
Et le jaloux finit par être fot.
De leur vertu repofez -vous fur elle.
Mais en ce cas feront- elles fidéles ?
Oui- dà ! peut- être ; mais du moins
Vous vous épargnerez des foins.
Schariar , Roi de l'Inde & Schazenan fon frere,
Tous deux beaux & bienfaits , furprirent un matin
Leurs très-chaftes moitiés s'embarquant pour Cythère
,
L'une avec un Faquir , & l'autre avec un Nain.
Sur ces couples galans tous deux firent mainbaffe
;.
C'étoit trop de rigueur : chez nous on eût fait
grace
A la fragilité du Séxe féminin ;
Mais fur les bords grothiers du Gange ,
De Joconde & du Roi Lombard
Le cas dut fembler fort étrange ,
Si tel cas doit pourtant étonner quelque part.
Tout vengé qu'il étoit , Schariar plein de rage,
Ne pouvoit digérer qu'on eût fait cet outrage
Au front augufte d'un Sultan.
Mon cher frére , dit-il , un jour à Schagenan,
Sortons de ce Palais où cette horrible image
Sans ceffe eft préſente à mes yeux .
Les voilà tous deux en voyage.
Près des bords de la mer un bois délicieux
Par fa fraicheur & fon ombrage
MARS. 1763. 37
Contre les traits du jour leur prêtoit du couvert ;
Lorfque du fein des flots ouvert ,
Ils virent à grand bruit s'élever jufqu'aux nues
Un Coloſſe éffrayant , qui d'écume couvert
Traverfoit les ondes émues.
D'un haut cédre à l'inftant ils gagnent le fommer,
Non fans invoquer Mahomet.
Le Coloffe aborde & prend tèrre.
Des noirs enfans d'Eblis c'étoit le plus hideux ;
Son dos étoit chargé d'une caiffe de vèrre.
Il la pofe à quelques pas d'eux ,
Ouvre avec quatre clefs tout autant de ferrures.
Il en fort une Déïté
Brillante de l'éclat des plus belles parures ,
Plus brillante cent fois encor de la beauté.
» Dame qui plaiſez ſeule à mon âme enchantée ,
Dit notre Polyphême à cette Galatée :
» Séyez-vous près de moi , j'ai besoin de repos.
La Belle , à ce galant propos ,
S'affit ; & le Monftre difforme
Des genoux de Vénus faifant fon oreiller ,
Il repofe fa tête énorme ,
S'endort & bientôt ronfle à faire tout trembler.
La Dame étoit très éveillée :
Sur le faîte de l'arbre elle apperçoit nos gens ,
Qui fe cachoient fous la feuillée.
Par mille geftes obligeans,
A defcendre elle les convie.
Eux de s'en excuſer , en montrant le Génie .
38 MERCURE DE FRANCE.
A ce Monftre auffitôt dérobant les genoux ,
Elle fe léve , accourt , & leur dit en courroux :
Ou defcendez , ou je l'éveille.
Ils defcendirent donc. Alors , d'un ton plus doux
Profitons du temps qu'il fommeille.
Voyez-vous ce gazon... puis fans dire le reſte ,
En rougiffant elle y guida leurs pas ;
Mais que ce fût une rougeur modefte ,
Ami Lecteur , vous ne le croirez pas.
La Dame étoit grande cauſeuſe ;
Mais je fupprime l'entretien :
Suffit qu'elle prouva très bien
Qu'on ne la nommoit pas pour rien
Cristallide la Curieufe .
De chaque Prince enfuite exigeant un anneau ;
En voici cent , dit - elle , en y joignant les vô es
Cent de bon compte qui font nôtres ,
Cent qu'à caufer ainfi j'ai gagné bien & beau ,
Et j'efpére en gagner bien d'autres,
Malgré les foins jaloux de ce vilain brutal ,
Malgré fa priſon de criſtal .
;
Adieu , Prince , partez , Mahomet vous le rende
Son paradis fans doute a des plaifirs bien doux ;
Mais croyez moi , tromper un furveillant jaloux »
Il n'eft point ici- bas de volupté plus grande:
C'est vrai plaifir de femme & le premier de tous.
Elle court à ces mots rejoindre le Génie ,
Souléve fa tête endormie ,
Et la remet fur les genoux
MAR S. 1763.
39
VERS après une grande maladie de
l'Auteur.
O vous , dont je peindrois , fi vous n'étiez ma
femme ,
Les Grâces , les Talens , & furtout les Vertus 1
Qui partagez mes maux , & m'aimez encor plus ,
Charlotte ! recevez ce tribut de ma flamme.
Vos diſcours , votre exemple , ô moitié de mon
âme !
Me font enfin braver les caprices du fort ;
Vos tendres foins m'arrachent à la mort,
Er de mes jours renouvellent la trame......
Mais j'entends s'écrier... L'éloge eſt un peu fort !
Ah ! j'en dirois bien plus , fi vous n'étiez ma
femme.
FEUTRY.
ODE AN ACREONTIQUE
AMOUR , laiffe-là ma lyre s
Tu fûs mon maître autrefois :
Mais j'ai quitté ton empire ;
On fouffre trop fous tes Loix.
J'ai dit : adieu le bel âge ,
J'ai di adieu les Amours &
40
MERCURE DE FRANCE.
Ileft bien temps d'être fage
Dans l'Autonne de ſes jours.
Connois l'erreur qui t'égare ,
M'a dit cet enfant vainqueur
Ce beau nom dont on fe pare
Couvre le néant du coeur .
Trifte fou qui te crois fage
Ne crains point de t'enflammer :
On ne plaît point à ton âge ;
Mais n'eft-ce rien. que d'aimer ?
Regarde Aminte & l'adore ;
Tout Cythère eft dans les yeux.
Son âme plus belle encore
Eft un rare don des Cieux.
Son efprit jamais ne laffe ,
Son air eſt toujours nouveau.
La voit-on c'eft une Grâce ;
Parle-t-elle ? c'elt Sapho.
VERS à une jeune Demoiselle qui demandoit
pourquoi le vrai mérite en
amour étoit celui qui plaifoit le moins.
Da l'aimable Enchanteur de toute la Nature ,
Dont l'empire eft fondé fur des illufions ,
Vous voulez que fans fictions ,
MARS . 1763. 4L
Le compas à la main un Poëte meſure
Les invifibles noeuds de les féductions ?
Que je dife pourquoi , chez lui le vrai mérite
Céde aux vaines lueurs que préſente le faux ?
D'Hercule , je pourrois remplir tous les travaux
Avant que mon efprit de cet ordre s'acquitte .
L'Amour eſt un enfant fans principe & ſans loix :
Dans les tendres ardeurs que ce Dieu nous infpire
,
Le caprice toujours décide de fon choix ;
Et c'est tout ce que j'en puis dire.
Votre coeur , belle Iris , en eft feul excepté ;
Au-deffus des erreurs d'une amoureuſe flamme ›
Les droits du vrai mérite y font en fureté ,
Puifque vous le portez dans le fond de votre
ame.
PRÉCIS HISTORIQUE fur la vie
DE RAIMOND LULLE.
L'ABRÉGÉ
Chronologique de l'hiftoire
Eccléfiaftique
, imprimé chez
Hériffant , rue S. Jacques , fait mention
, fous l'année 1312 , d'un établiſfement
de Maîtres en Langues Hébraïque
, Arabique & Chaldéenne
dans
les principales Villes de l'Europe , pour
faciliter la converfion des Infidéles . On
42 MERCURE DE FRANCE.
étoit fort touché dans ce tems , du
defir de faire la conquête de la Terre
Sainte , par ce pieux motif. L'Auteur
de l'excellent Ouvrage que je viens
de citer , attribue cette établiffement
au zéle de Raimond Lulle , du tiers
Ordre de S. François , qui le follicitoit
depuis long - temps. On ajoute fur
le compte de ce Sçavant , qu'on en
fcait fi peu l'hiftoire , que les uns en
ont fait un Magicien , les autres un
Hérétique , & les autres un Martyr.
Ces qualités ne font incompatibles
, en même temps , dans le même
fujet , que dans la vraie acception , qui
eft la feule raifonnable. Un même objet
peut être confideré fous plufieurs
afpects , & l'on juge ordinairement par
la maniere dont on voit , fans s'embarraffer
fi l'on a vu comme il falloit.
Il n'eft point étonnant que Raimond
Lulle ait paffé pour Magicien . Difciple
d'Arnoud de Ville Neuve dans l'Alchymie
, il s'eft fort appliqué à chercher
des fecrets extraordinaires ; il a beaucoup
travaillé & écrit fur le grand
Euvre ; & l'on affure qu'il a fait de
l'or. Agrippa a été un de fes Sectateurs,
dans des temps plus voifins de
nous ; & les lumieres d'un Siécle plus
MARS . 1763. 43
éclairé ne l'ont point garanti de l'accufation
de magie. Rien n'empeche que
Raimond Lulle n'ait été regardé comme
Magicien par des gens qui affûrement
ne l'étoient pas. Il est tout fimple que
ceux qui ne portoient pas la mauvaise opinion
fur ce laborieuxChymifte au point
de le croire en commerce avec le Diable
, fe foient retranchés charitablement
Ale taxer d'Héréfie ;fentiment plus favorable
qui retardoit au moins jufqu'à fa
mort fon affociation avec les Damnés. Je
ne fçais dans quelles fources on a puifé ,
pour jetter des foupçons fi injurieux
fur la mémoire d'un grand homme
qui a fouffert le martyre pour la Religion
Chrétienne ; & pourquoi on a
cru que l'on manquoit de notice fur
fa vie. Il étoit Efpagnol , né de parens
nobles , dans l'Ifle Majorque en
1235. Jeune il s'appliqua beaucoup à l'étude
de la Logique , & acquit le furnom
de Docteur illuminé. Il s'attacha enfuite
à la Chymie , fit beaucoup d'écoliers ,
& publia un grand nombre des Traités
fort connus & eftimés des Adeptes .
On fçait qu'il a vêcu jufqu'à l'âge de
quatre-vingt ans , & qu'il a été martyrifé
en Afrique par les Infideles.
On fixe même le jour de fa mort au
44 MERCURE DE FRANCE .
vingt-neuviéme Juin 1315 l eft certain
que dès l'âge de 30 ans , les Sciences
mondaines n'eurent plus pour lui
le moindre attrait. Il fe dévoua entiérement
à la converfion des Mahométans
, & il a emploié les quaran- ..
te-cinq dernieres années de fa vie à
les prêcher avec autant de zéle que de
fuccès. Ses travaux ont été glorieufement
courronnés par la même palme
que le premier Martyr. Il fut lapidé
par ordre d'un Roi : juffu Regis Bogia
: je ne fçais fi Bogia eft le nom
du Roi , ou de fon Royaume.
Rien ne juftifie qu'il ait été Religieux
, comme quelques uns l'ont avancé.
Le Tiers Ordre de S. François
eft une Congrégation , ou plutôt une
Confrairie de piété, dans laquelle on admet
les gens mariés. On dit queRaimond
Lulle étoit de ce nombre. George Mathias
Profeffeur de Médecine en l'Univerfité
de Gottingen , dans un livre
imprimé en 1761 , qui a pour titre
Confpectus hiftoriæ medicorum chronologicus
, prétend que Lulle abandonna
fa femme pour embraffer la regle de
S. François ; & M. Eloy , Auteur du
Dictionnaire Hiftorique de la Médecine
, rapporte fous la caution d'EcriMARS.
1763. 45
vains Efpagnols , que Lulle fut épris
pour une jeune fille , appellée Elénore ,
qui refufoit opiniatrément de l'écouter .
Un jour qu'il la preffoit & qu'il lui
demandoit la raifon de fes refus , elle
ouvrit fur le champ fon corfet , & lui
montra un fein dévoré par un cancer.
On prétend que Lulle , en amant tendre
& généreux , fut porté par cette occafion
à voyager pour étudier en Chymie
, & trouver fous les grands maîtres
en cet art des rémedes contre
l'infirmité de fa Maîtreffe. D'autres
difent que frappé du fpectacle qu'on
lui avoit mis fous les yeux , il s'adonna
à la vertu & aux exercices
de la pénitence , & que de là eft venu
fon entier devoûment à la converfion
des Infideles. Il étudia dans cette vue
l'Arabe àl'âge de trente ans ; & Jacques,
Roi d'Arragon , fonda à fa follicitation
, un Séminaire à Majorque pour
l'inftruction des Miffionnaires.
>
VERS à M. le Chevalier DE CHATELUS
fur ceux qu'il a préfentés à
Mgr le Prince DE CONDÉ.
Le charme de la Poëfie
46 MERCURE DE FRANCE.
Sur tout ce qui vit a des droits ;
La folide philofophie
Pour plaire en emprunte la voix ;
Le Conquerant le plus illuftre
Qui voit l'Univers à ſes pieds ,
En tire encor un nouveau luftre :
Mais il faut que vous le chantiez .
Votre Mufe vive & riante
Allie avec précision ,
Toujours belle , toujours touchante ,
Le badinage & la Raiſon .
La mienne au doux repos livrée,
Amante des eaux & des bois ,
Dans leur filence retirée ,
Jufques au fublime Empirée
N'a jamais élevé la voix.
Des Dieux adorant la puillance ,
Tentant peu d'efforts indifcrets,
Sans chanter fa reconnoiffance ,
Elle jouit de leurs bienfaits.
Quelquesfois l'amour qui m'inſpire
Lui- même préside à mes ſons :
Je chante ce jour ou Thémire
Sattendriffoit par mes chanſons.
Ce fouvenir & cette Image
Font encor ma félicité .
C'eſt ainsi que de mon jeune âge
J'amufe la légéreté .
MARS. 1763. 47
Dans le repos & la molelle
Coulent rapidement mes jours;
Et mon indolente parelle ,
Quoiqu'honorant fort la fageffe ,
S'éveille à la voix des amours.
A votre Mule délicate
Je laiffe embellir la Raifon ,
Et nous faire entendre Socrate ,
Par la bouche d'Anacreon .
ANGELIQUE , Anecdote qu'on au
roit rendue plus intéressante , fi elle
étoit moins vraie.
Q
..
UI eft là ? s'écrie la Marquife de ***
qui a l'audace de me reveiller fi matin ?
qui ofe entrer dans mon appartement
avant que j'aie fonné ? c'eft vous , impertinente
qu'elle heure eft - il ? Madame
, répond Lifette , en tremblant ,
il eft midi paffé .. eh bien , Mademoifelle
, doit-il être jour chez moi à
midi ? On ne tient pas à vos étourderies
réïtérées ; je vous en ai prévenue , vous
travaillez à vous faire chaffer... Je vous
demande pardon ! mais... Ne voilà - t- il
pas de vos Mais? Je vous ai dit que mais
étoit déplacé dans votre bouche .... fi
48 MERCURE DE FRANCE.
:
Madame vouloit permettre ... Si Madame
! Vous ne finirez point avec vos
mais & vos fi qui m'affomment.... Au
nom de Dieu , Madame laiffez - moi
vous dire le fujet ... Je m'en doute le
Comte impatient , peu jaloux d'obſerver
l'ordre des procédés , vous aura
payée pour fe faire annoncer ? ... Non,
Madame... ce Provincial qui m'eſt recommandé
eft venu pour m'entretenir
de fon procès. Je ne fçais pas un mot
de fon affaire n'importe , j'arrangerai
un fouper avec fes Juges ; je foutiendrai
fon bon droit au deffert ; je lui réponds
d'une douzaine de voix : qu'il
foit tranquille... Ce n'eft pas cela , Madame...
C'est donc ce jeune Chanoine
dont mon Abbé m'a parlé , qui vient
me demander ce que je penfe d'un Sermon
fur l'humilité , qu'il doit prêcher
à la Cour?..Non , je ne l'ai pas vu... C'eft
donc cet Officier Gafcon avec qui j'ai
joué fur fa parole , qui m'enyoye les
cent piftoles qu'il a perdues ? mais cela
n'eft pas croiable .... Cela n'eſt pas
non plus .... Ceci commence à m'impatienter.
Vous verrez que la Préſidente
me fait prier de lui dicter ce qu'elle
doit dire de la Piéce qu'on donnera ce
foir aux François. Il fuffit de la faire
avertir
MARS. 1763. 49
avertir que l'Auteur me l'a lue , que j'ai
retenu trois Loges , & que tous mes domeftiques
déguifés fe rendront au Parterre
pour contribuer au fuccès de cette
Piéce , en claquant des mains à tort &
à travers. Attendez ; ne feroit-ce pas
plutôt cet apprentifFinancier , qui voudroit
de tout fon coeur paroitre boffu
& qui n'eft que contrefait. ? J'y fuis fans
doute: il m'apporte ce joli perroquet qui
a fait tout mon amufement dans l'ennuyeufe
fête qu'il m'a donnée avanthier.
Ah , que j'aurai de peine à lui faire defapprendre
les fadeurs qu'il a entendu
débiter à fon maître ! ... Non , Ma- .
dame , il n'eft pas queftion de la Préfidente
, du Financier ni de fon Perroquet.
Une chofe bien plus férieufe ..
Vous me faites trembler , Lifette ! o
Ciel que voulez- vous dire ; mon Angola....
Il n'eft arrivé aucun accident à
ice cher animal. Hélas ! il vaudroit mieux
qu'il fût mort & avec lui tous les Angola
, du monde Treve à vos
fouhaits impertinens. Vous me pouffez
à bout , vous m'excédez ; le Chevalier
eft malade , je le vois trop , il ne fortira
pas d'aujourd'hui. Il a hier prodigieufement
foupé. Quel fâcheux contre
temps , à la veille du jour où je dois
r
с
C
50 MERCURE DE FRANCE .
couronner fa conftance ! .... J'ignore
fi M. le Chevalier a foupé & s'il est
malade mais Mademoiſelle votre fille
eft dans un état que je ne peux vous
celer. Elle s'eft couchée avec un mal
de tête très-violent , accompagné de
beaucoup de fiévre ; elle a eu des convulfions
pendant la nuit. Le Médecin l'a
trouvée en danger & nous a confeillé
de vous en avertir . ... Lifette , mon
Médecin eft un efprit pufillanime qui
voit du danger partout. L'indifpofition
d'Angélique n'aura pas de fuite. D'ail
leurs quel changement voulez-vous qu'opére
ma préfence ? Vous auriez pu vous
difpenfer de me réveiller. Cependant
je verrai Angélique ; allons qu'on m'habille;
& avant tout , informez- vous fi
fa maladie .....je crains le mauvais air.
mais vous avez fans doute pris l'allarme
trop légérement.
En voilà probablement affez pour
faire connoître cette Marquife , qu'on
peut mettre au nombre de ces demimonftres
dont le nom change tous
les jours à Paris & qu'on défigne encore
en Province fous celui de petites
Maîtreffes. De grands biens , une phifionomie
fans caractère , mais propre
à faifir toutes les nuances dans l'occaMARS.
1763. St
་
fion , un efprit faux & un coeur gâté ;
tel doit être le partage de ces femmes à
prétentions qui aviliffent leur féxe &
le nôtre. Tel étoit aufli celui de la Marquife.
Reftée veuve à l'âge de vingt
ans , elle avoit tâché par toutes fortes
de voies, de fe dédommager de la contrainte
dans laquelle elle avoit gémi
avec un honnête homme qui avoit ofé
l'empêcher de fe déshonorer. Elle n'avoit
pu lui pardonner cet excès de févérité
; & c'étoit le motif de la haine
qu'elle gardoit à fa mémoire.,
Angélique étoit le feul fruit de cet
Hymen mal afforti, fans être exactement
régulière , fa beauté frappe au premier
coup d'oeil. On ne cherche pas à détailler
fes traits ; on en admire l'enfemble.
Quoique fes yeux ayent perdu de
leur vivacité & que l'incarnat de fon
teint foit flétri par fes pleurs , on ne
la voit pas encore fans un tendre intérêt.
Je ne m'arrêterai pas à tracer l'ét
quiffe des agrémens extérieurs qu'Angélique
tient de la Nature ; elle les dédaigna
dès qu'elle les eut connus. Ceci
conduit à l'éloge de fon âme : mais je ne
fuis que fon Hiftorien & je dois me
borner au fimple récit des faits pour ménager
au Lecteur le plaifir delicat de
prononcer lui - même.
Cij
$2 MERCURE DE FRANCE
* .**
La Marquife étoit fur le point de
prendre pour Epoux le Chevalier de
qu'elle préféroit à fes rivaux , à
caufe de l'éloignement qu'il avoit toujours
marqué pour la jaloufie. Le Chevalier
n'avoit qu'un grand nom , des
efpérances de fortune & un fond d'a-
' mour propre inépuifable. Il avoit ai
mé Angelique avant que de s'être décla
ré pour fa mère. Il fut le premier qui
s'offrit à fes yeux , à peine ouverts à
l'amour. Une paffion d'une verité mơmentanée
, maniée par un habile hom
me , n'eft que trop propre à féduire
Tinnocence . Angelique eft née fenfible .
Elle fe livra à fon penchant avec fécurité.
L'abîme étoit couvert de fleurs ' ;
elle ne s'en apperçut qu'en s'y précipitant.
Le Chevalier , pour furmonter fes
Tcrupules , avoit eu la baffeffe de re-
Courir aux fermens . Il l'avoit même
obligée d'accepter une promeffe de mariage
. Il n'en falloit pas tant pour abufer
de fa crédulité . Elle ne concevoit
pas qu'un homme d'honneur dût jamais
en manquer. Il lui étoit refervé
d'en faire la trifte expérience & de parfer
tout-à - coup de l'eftime & de l'amour
à l'indignation & au mépris. O
vous qui voulez mériter le doux nom
ONLAR-ILA. 1907 CHOK ]
**
C
MARS. 1763.4 $3
de mère ! occupez-vous fans ceffe à
montrer aux jeunes perfonnes qui fous
vos yeux commencent leur entrée fur
la fcène du monde , tout ce qu'elles
doivent faire pour fe garantir du poifon
qu'on y verfe dans des coupes trompeufes
! arrachez le voile que l'illufion
tient fufpendu fur tous les objets qu'elles
y rencontrent. Apprenez-leur à n'eftimer
que ce qu'eftiment les gens fenfés
, qui furnagent fur cette mer ora
geufe , & qui gouvernés par une fage
défiance , évitent les écueils dont elle
eft environnée .
Angélique venoit de s'appercevoir
qu'elle étoit la victime de fa créduli
té. Une feule voie lui fembloit ouverte
pour eviter l'opprobre ; elle la trouva
fermée . Elle apprit que le Chevalier
alloit jurer à fa mère , à la face des
autels , la foi qu'il lui avoit donnée ,
Cette nouvelle lui fit une fi grande révolution
, qu'auffitôt après fa maladie
on défefpéroit qu'elle pût recouvrer fa
fanté. La Marquife vint la voir , comme
elle l'avoit promis. Angélique fixa
Les yeux mourans fur elle. Elle prit fa
main & la stint long-temps fur fon
coeur. Elle voulut parler ; la voix lui
manqua. Le danger ne ceffa qu'au bour
$
Cij
$4 MERCURE DE FRANCE.
de quelques jours . Les Médecins la virent
à leur grand regret dans cet état
de langueur , qui réfiſte aux efforts de
leur art , & qui donne la mort à tout
moment fans ôter la vie .
La Marquise contracta avec le Chevalier
, ne s'imaginant pas qu'elle portoit
le coup le plus funefte à la fenfibilité
d'Angélique. Le mariage fe fit
avec ce vain appareil de réjouiffances,
qui n'eft fouvent que le fimulacre de
la joie. Les motifs du Chevalier & de la
Marquife n'étoient pas affez purs pour
leur procurer cette fatisfaction intérieure,
qui eft peut-être l'unique récompenfe
de la vertu .
Angélique n'avoit pu fe réfoudre à
déclarer à fa mère fon fatal fecret. Cependant
il ne lui étoit plus poffible
de le cacher. La douleur dans laquelle
elle étoit plongée ne lui ayant pas permis
de quitter fon appartement , elle
n'avoit pas vu le Chevalier depuis fa
maladie. Elle prit enfin le parti de lui
confier fon état. Il fe rendit chez elle
dès qu'elle lui eut fait fçavoir qu'elle
vouloit lui parler. Il la trouva les coudes
appuyés fur une table , une plume
à la main , & les yeux fixés fur un papier
arrofé de fes larmes . Ses joues
MARS. 1763. 55
étoient colorées d'un rouge âpre qui
rendoit plus remarquable la pâleur mortelle
qui régnoit fur le refte de fon vifage.
Ses lévres étoient entr'ouvertes ;
tout en elle annonçoit un être accablé
fous le poids du malheur & prêt à ne
prendre confeil que de fon défeſpoir.
Le Chevalier , avec un air d'attendriffement
, voulut lui témoigner fa furpriſe
de la trouver fi changée. Il ofa même
entreprendre de juftifier fon procédé &.
l'affura que fon amour n'avoit fouffert
aucune altération. Mon établiſſement
lui dit - il , eft une affaire d'intérêt , à laquelle
mon coeur n'a pas pris la moindre
part. Je fuis bien éloigné de vou
loir rompre les noeuds qui nous uniffent.
L'Amour les a formés : ils font facrés
pour moi. Belle Angélique , après vous
avoir aimée , avez-vous pu croire que
la Marquife m'ait rendu inconftant ? Non,
je jure à vos pieds que je n'ai jamais
eu pour elle que de l'indifférence . Tant
pis , répondit Angélique ! vous n'en
êtes que plus coupable & ma mère plus
malheureuſe. Mais peu m'importe que
vous m'ayez aimée , ou non . C'eſt affez
qu'il ait fubfifté entre nous une
liaifon que je détefte . Je ne vous ferai
point de reproches , car je ne vous hais
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
pas je vous méprife & me borne à
vous déclarer l'état où je fuis . Vous
en êtes la caufe . Vous pouvez feul me
fournir les moyens d'en dérober la
connoiffance au Public. Je n'en ferai
pas moins dégradée à mes propres yeux:
mais je me dois à moi- même & à ma
famille , la trifte confolation d'avoir fait
tous més efforts pour cacher mon opprobre
& ma honte ; foible & derniére
reffource d'une infortunée , que le remords
pourfuivra fans ceffe & qui ne
voit d'autre terme à fes maux que celui
de fa vie !
Ce difcours prononcé, de fang froid,
glaça d'horreur le Chevalier. Il cut peine
à bégayer quelques mots pour faire
entendre à Angélique qu'il avoit compris
ce qu'elle exigeoit de lui , &
qu'elle pouvoit compter fur fes foins.
Il la quitta dans un défordre dont la
Marquife s'apperçut. Elle lui demanda
quel avoit été le fujet de fa converfation
avec fa fille . Le Chevalier habile à
diffimuler , Paffura que fa langueur fe
diffiperoit bientôt fi elle vouloit lui
permettre d'aller refpirer l'air de la campagne.
La Marquife ne demandoit pas
mieux , & dès le lendemain , Angélique
avec fa femme de chambre & un
"
MARS. 1763. 57
vieux domestique , partit pour le Châ→
teau de ***. Le Chevalier peu de temps
après y envoya un Chirurgien . La femme
de chambre & lui furent les feuls
qu'on mit dans la confidence : l'un
& l'autre ont répondu à la confiance
qu'on leur avoit témoignée ; & tout fut
conduit avec tant de prudence , que
perfonne ne fe douta de la trifte avan→
ture d'Angélique.
Avec toutes les qualités néceffaires pour
plaire dans la fociété, il eft difficile qu'on
s'ennuye avec foi- même . Angélique
paffa une année entière dans fa retraite.
fans defirer d'en fortir. Enfin la Mar
quife la rappella auprès d'elle. Elle trou
va la maifon de fa mère dans un déf
ordre dont la maîtreffe feule ne s'appercevoit
pas. Le Chevalier avoit diffipé
la meilleure partie des biens de fa
femme & l'avoit même déterminée à
s'obliger pour des fommes confidérables.
Il fe préfentoit alors un parti fort
avantageux pour Angélique ; mais fa ré
folution étoit prife : elle avoit vu qu'elle
ne pouvoit reclamer le bien que fon
père lui avoit laiffé , fans ruirer fa mè
re un coeur comme le fien ne balance
guères. Elle prit de fi fages mefures
, qu'elle fit réfoudre la Marquife à
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
fe faire féparer d'avec fon mari, & lui fit
enfuite une donation de tout ce qu'elle
avoit droit de reclamer. La Marquife
ne put réfiſter à un procédé fi généreux.
Elle connut qu'elle étoit mère. L'amitié
dont elle commença à fentir les douceurs
, la dédommagea des vains plaifirs
qu'elle avoit perdus. Elle s'applique
aujourd'hui à réparer par une conduite
irréprochable les égaremens de fa
vie. Elle fe plaît à croire qu'elle doit
fon bonheur à fa fille & ne ceffe de
lui en témoigner fa reconnoiffance.
Angélique s'applaudit du facrifice
qu'elle a fait , & toutes deux jouiffent
d'une tranquillité d'autant plus flateuſe,
qu'elles ont appris à leur dépens à en
connoître tout le prix.
#
Par M. de C *** , à Lyon.
Pour le Portrait de Mlle .
Tour céde as naturel , l'Art ne peut l'égaler ; OUT
Cette reffemblance eft parfaite.
Mais l'aimable.... n'eft ici que muette
Et j'aime à l'entendre parler.
ParM, PASCAL , C. de G. au R. de Piémont.
MARS. 1763 .. 59
A Son Alteffe Royale Mgr LE DUC
DE SAVOIE , en lui fouhaitant la
bonne année.
PRINCE , dont les Ayeux font retentir l'hiſtoire
Des plus hautes vertus , des plus illuftres faits
Fils d'un Roi fignalé par plus d'une victoire ,
Qui chérit & procure aux autres Rois la Paix :
D'un coeur reconnoiffant agréez les fouhaits.
Mécène généreux , eſpoir de la Patrie ,
On voit revivre en vous l'ancien Germanicus.
Dieu , qui chéris fon coeur , fes moeurs & fes
vertus ,
Daigne le conferver ! chaque jour de fa vie
Au bonheur d'un grand Peuple ajoute un jour de
plus.
PÉRÉNOTTI , à Turin.
VERS.
SUR le nom de Méchant , je veux que l'on s'explique
:
Pour corriger un Sot par un bon mot piquant
L'on eft Milantrope , ou Cauftique.
Mais , à mon avis , le Méchant
Eft l'homme lâche & bas qui déchire l'abfent;
C vi
65 MERCURE DE FRANCE.
C'eft lui qu'il faut charger de la haine publique ,
Ainfi qu'un Scélérat qui tue en ſe cachant .
AUTRE S.
JE connois trop l'amour , pour m'en trop occu
per :
A l'amitié je crains de me tromper ;
L'intérêt ou la politique
Rendent ce noeud problématique ,
Et les plus fins s'y laiffent attrapper.
Le Ciel l'a donc voulu ; car il eût pu marquer
Le véritable ami par un figne phyfique.
2
Par Madame B.
LE
E mot de la premiere Enigme du
mois de Février eft l'Encenfoir. Celui
de la feconde eft Adam & Eve. Celui
du premier Logogryphe eft Alphabet ,
où l'on trouve ah! Baal , Beat , Apt
& Aleth , Alep , Bále , Aba , pâte à faire
le pain , halte , Abel , palet , pal , hale
table , plat & bal. Celui du fecond eft
Epine , où en mettant la premiere lettre
après le p , l'on trouve peine ; épi
pie & pin en retranchant la premiere &
la derniere lettre. -
MARS. 1763.
61
ENIGM E.
DEUX chofes, quoique différentes ,
N'ont cependant qu'un même nom ;.
Lecteur , dans les rimes fuivantes
Cherches-en l'explication .
L'une dépend du feul hazard ,
Et dans la faifon la plus dure
Eft produire par la Nature ,
L'autre eft un pur effet de l'Art.
Celle- là ne plaît qu'en été ,
Au lieu que dans l'hyver elle eft infupportable
Mais celle-ci , plus agréable ,
Plaît en toute ſaiſon parfon utilité.
Je vais développer ce ténébreux myſtère.
Le Séxe fuit l'une avec foin ,
Et de l'autre a ſouvent befoin
Pour trouver les moyens de plaire.
AUTR E..
J'ABORDE d'un air gracieux
Celui pour qui je m'intéreffe ;
J'ai néanmoins fouvent l'adreffe
De lui faire bailler les yeux.
J'ai milje tours ingénieux.
62 MERCURE DE FRANCE.
Pour le bonheur , pour la Trifteffe.
Par un excès de Politeffe ,
Je puis devenir ennuyeux.
J'ai droit de m'adreffer aux Princes ;
Je fuis de toutes les Provinces ,
Ainfique de chaque Saiſon.
Vous qui cherchez à me connoître ,
Mille fois vous m'avez fait naître
Par Politique , ou par Raiſon.
LOGO GRYPH E.
Tour Rhéteur me connoît : Cicéron m'employas
Mais furtout avec feu contre Catilina.
On trouve en moi le nom de cette Impératrice
En laquelle Jofeph eut une Protectrice ;
Le nom d'une Déeffe , & celui d'un Auteur
Dont la Fontaine fut habile imitateur ;
Un célébre Ecrivain dont Albion s'honore ;
Un précieux objet pour Vertumne & pour Flore ;
Un des Rois d'Ifraël ; une fleur ; ce qu'enfin
On admire en Rouffeau , * Fontenelle & Rollin.
Par M. de LANEVERE , ancien Moufquetaire
du Roi ; à Dax .
1. J. Rouffeau de Genève.
MARS. 1763.
63
JE
AUTRE
Jsfuis un des plaifirs fait pour le genre humain,
Et je fuis le plus doux peut être :
Lecteur , fi tu veux me connoître ,
Le nombre de mes pieds ſe trouve dans ta main.
Avec eux tu feras le nom que chacun donne
<
A l'objet qui charme fon coeur ;
Un autre hélas , qui par malheur
Ne doit prèlque jamais fe donner à perfonne ;
Un autre nom révéré du Chrétien ;
Ce que tu dois fauver, & ce que l'on refpire's
Ce qu'un fils de Saturne avoit pour fon Empire ;
Ce que Boileau trouvoit ſi bien ;
Ce qui dans les combats eft le plus néceffaire ;
D'animaux croaffans la retraite ordinaire ;
Ce que bien malgré lui le pauvre forçat tient ;
Un mot fynonyme à colère ;
D'autres encor , mais je n'en dirai rien ;
Enfin ce que fans moi l'homme eft fouvent las
d'être .
Ne t'en étonne point , Lecteur ;
Si tu parviens à me connoître ,
Tu trouveras fans moi qu'il n'eft point de bonheur,
La Chanfon notée fe trouvera à
l'Article des Spectacles.
64 MERCURE DE FRANCE .
ARTICLE IL
NOUVELLES LITTERAIRES.
MÉTHODE de M. KEYSER pour
l'adminiftration de fes dragées dans
le traitement des Maladies vénériennes
, imprimée par ordre du Ror
1763. Brochure in-8 °.
DEE toutes les maladies qui affligent
l'humanité , il n'en eft point de plus digne
de la vigilance du Gouvernement,
& des foins de la médecine , que celles
qui portent la corruption dans la maffe
générale de nos humeurs , infectent
notre origine , tranfmettent un funefte
héritage aux races futures , & affoil- lift
fent infenfiblement l'efpèce humaine.
Telles font les maladies vénériennes
dont M.Keyfer fait une defcription bien
éffrayante dans l'excellent avant-propos
qui précéde fa méthode. Ce terrible fléau
éxerce furtout fa fureur fur le bas Feuple
& fur les foldats , moins pourvus de
moyens pour fe prémunir contre fes
MARS. 1763. 65
premieres atteintes. Ici M. Keyfer nous
donne une hiftoire curieufe & intéreffante
, quoique très -fuccinte
des re-
,
médes employés en différens temps contre
les maladies vénériennes . Les végétaux
célébres dont le nouveau monde
fe fervoit fi avantageufement pour
les combattre , n'eurent qu'un médiocre
fuccès dans nos climats . On apprit
par expérience , que le mercure en étoit
le feul fpécifique ; mais on a prèfque
toujours varié fur la maniere de le préparer
, de l'introduire dans le corps &
de l'adminiftrer. Les premieres épreuves
on été en faveur de l'application extérieure
; on a enfuite penfé que fon ufage
intérieur pourroit être plus éfficace,
On l'a donné , pour ainfi dire , tel que
la nature nous l'a fourni ; & l'on s'eft
contenté d'une légére purification extérieure
; mais l'on s'eft bientôt apperçu
que fon poids l'entraînoit par la voye
inteſtinale , & ne lui permettoit point
d'entrer dans les veines lactées. On a
conclu qu'il falloit lui donner différentes
préparations ; & les Maîtres de l'Art
fe font éxercés à le rendre propre
opérer de la maniere la plus efficace.
De-la tant de diverfes méthodes qui ont
eu quelque fuccès ; mais leur crédit
,
66 MERCURE DE FRANCE .
plus fouvent con redit par l'expérience ,
ne s'eft jamais foutenu long - temps . Le
plus grand nombre des Chirurgiens ont
tourné leur confiance du côté des frictions
en y préparant le corps , par tout
ce qui pouvoit les rendre falutaires . On
eft venu à bout d'établir ainfi un traitement
plus prudent , plus ménagé &
plus méthodique que les précédens . On
a opéré des guérifons ; mais on en a
manqué un grand nombre. Quelque
fageffe qu'on ait employée dans l'adminiftration
, fouvent on n'a pu prévenir
des accidens redoutables. L'épuisement
des malades , par l'excès de la falivation ,
a été tel , pour l'ordinaire , que les convalefcences
ont été une feconde maladie.
On a cru obvier à cet inconvéónient
en évitant la falivation la plus
légére ; mais en adouciffant le reméde
, on n'a fait, pour ainfi dire, que pallier
le mal. Nous pafferons fous filence
les autres méthodes inventées jufqu'au
temps de Boerhaave, qui ofa faire l'effai
du fublimé corrofif , avec les ménagemens
qu'éxigeoit une entrepriſe fi
périlleufe. Son autorité prépondérante,
celle de fon illuftre difciple le Baron
de Vanfwieten , & quelques fuccès fur
les tempéramens robuftes , ont accrédi
,
MARS. 1763. 67
té jufqu'à un certain point ce reméde
mais n'ont pu effacer la jufte méfiance
que mérite un poifon , quelque petite
qu'en foit la dofe , avec quelque prudence
qu'on l'adminiftre. Le feul point
fur lequel on ne varie pas , c'eft que
le vrai fpécifique du virus vénérien , ne
doit point être cherché ailleurs que dans
le mercure. On ne fe partage que fur
la maniere de le préparer & de l'adminiftrer.
M. Keyfer appellé dès fa jeuneffe à
P'exercice de la Chirurgie , & particulierement
livré au traitement des maladies
vénériennes , apprit de bonne
heure à connoître l'imperfection des
différentes méthodes . Prévenu d'un
goût décidé pour la Chymie , il s'appliqua
principalement à travailler le
Mercure , dans tous les fens poffibles
pour découvrir le plus propre à développer
& à manifefter complettement fa
vertu anti-vénérienne . Il faut lire dans
l'ouvrage même les raifonnemens pleins
de folidité , de jufteffe , de clarté & de
précifion fur la nature de ce minéral ,
fur fa vertu , fes effets & la manière
de le préparer. Ce que M. Keyfer a
imaginé avec tant de fagacité , il l'a exécuté
avec le fuccès le plus heureux ;
68 MERCURE DE FRANCE.
mais il n'y eft parvenu qu'après des ef
forts redoublés ; & fa conftance courageufe
le conduifit enfin au terme defiré.
Dès-lors fon reméde ne pouvoit
manquer d'éprouver bien des contradictions
; mas il en triompha par le
nombre & la folidité des cures qu'il
opéra ,, par fa conduite prudente & circonfpecte
, par le témoignage des per
fonnes vertueufes & éclairées qui ont
fuivi fes traitemens , & par la protection
particulière de M. le Maréchal de Biron.
Ce Seigneur , ami de la vérité & du bien
public , en établiffant & en foutenant
un Hôpital pour les Soldats des Gardes
Françoifes , a fervi puiffament M. Key
fer , le Corps illuftre qu'il commande ,
& la totalité des citoyens . Convaincu
par fes propres yeux de l'éfficacité d'un
reméde dont il voyoit chaque jour les
effets les plus falutaires , il n'a point dédaigné
de defcendre dans des détails
pour en maintenir le crédit , pour dé
voiler l'impofture attachée à le décrier.
L'expérience continua à parler en faveur
des dragées de M. Keyfer. Le Public y
éut recours avec un redoublement de
confiance. Plufieurs perfonnes recom¬
mandables par leur probité , par leur
zéle pour tous les objets d'utilité pus
·MAR· S. 1763.
60
i
blique , joignirent leurs voix à celle de
M. le Maréchal de Biron. Un Miniftre
également diftingué par la fupériorité
de fes lumiéres , par fes dignités & par
fa naiffance , fans interrompre fes grandés
occupations publiques , militaires &
maritimes , recueillit avec foin tous ces
fuffrages , parce qu'ils tendoient à fecourir
tous les fujets du Roi , &, furtout
cette partie qui fait la force de
l'Etat. Il les fit valoir aifément auprès
de Sa Majefté , qui a bien voulu agréer
P'offre que M. Keyfer lui a faite du fecret
de la compofition ; & dans la vue
de proportionner
la récompenfe
à l'utilité
du reméde , Elle l'a gratifié d'une
penfion annuelle de dix mille livres ,
ainfi que nous l'avons déja dit dans un
de nos Mercures précédens. Les Lettres
Patentes du Roi rappellent les raifons
qui ont déterminé S. M. à acquérir
ace fecret ; c'est l'ufage qui s'est fait
des dragées anti- vénériennes,tant fur un
grand nombre de Particuliers, que dans
les Hôpitaux militaires , & les fuccès
authentiques qui ont fuivi. 2°. Le defir
de ménager à tout le monde la farcilité
de fe procurer pour un prix mo-
-dique un reméde excellent , & fi fou-
-vent néceffaire , & de ne point l'expo70
MERCURE DE FRANCE.
fer à tomber dans le difcrédit , par l'ignorance
, l'inexpérience , & peut-être
la mauvaiſe foi de quelques - uns de
ceux qui le prépareroient. On n'a point
à craindre que cet important dépôt périffe
: il ne pouvoit être confié à des
mains plus fures & plus habiles qu'à
celles de M. Senac. La place qu'il occupe
, la confiance dont le Roi l'honore
, l'étendue de fès connoiffances en
Médecine , fes fçavans écrits & fes lumières
particulières en Chymie , doivent
donner le plus grand poids au rapport
fidéle qu'il en a fait à Sa Majeſté.
Un autre témoignage qui doit encore
foutenir la confiance générale pour un
reméde fi précieux à l'humanité , eſt
celui de M. Richard , premier Médecin
de l'Armée , qui eft auffi le dépofitaire
de ce fecret. Plus de mille expériences
faites fous fes yeux , & dont il a endu
un compte fidéle au Miniftre , font des
preuves qui n'ont laiffé aucun doute fur
Tefficacité du reméde , & que fa probité
reconnue & fon zéle pour le bien pu-
"blic ne lui ont pas permis de diffimuler.
Nous n'entrerons ici dans aucun détail
"au fujet de la Méthode de M. Keyfer. Un
fimple extrait ne fuffiroit pas aux malades
qui font dans le cas de faire ufaMARS.
1763. 71
ge du reméde , & deviendroit inutile à
ceux qui fe portent bien . Les premiers
fe procureront aisément l'ouvrage même
qui s'envoye avec la dofe de dragées
néceffaire à leur guériſon , pour la
fomme de 14 liv.
DISCOURS prononcé dans l'Académie
Françoife , le Samedi 22 Janvier
M. DCC. LXIII , à la réception
de M. l'Abbé DE VOISENON
- Paris , chez la veuve Brunet , Imprimeur
de l'Académie Françoife , au
Palais & rue baffe des Urfins. 1763.
in-4°.
LE Public a vu avec plaifir un Eléve
***
aimable de Thalie fuccéder à un des
plus chers Favoris de Melpomène , & a
applaudi au choix de l'Académie Françoife
, qui a nommé M. l'Abbé de Voifenon
à la place de M. de Crébillon . Ce
fut le Samedi , 22 Janvier , que M. l'Abbé
de Voifenon y vint prendre féance
& y prononça un difcours qui a mérité
Jes applaudiffemens d'une nombreuſe
Affemblée. On fçait quelle eft la diffi2
MERCURE DE FRANCE.
culté de ces fortes d'Ouvrages , où fur
un plan tout tracé on éxige cependant
des chofes neuves. Sans s'écarter de la
Toute indiquée , l'ingénieux Récipiendaire
a fçu employer des tours nou
veaux qui l'ont , pour ainfi dire , tiré de
la claffe commune. Il fuccédoit à un
très-grand Poëte : fon difcours , quoiqu'en
profe , devoit donc refpirer la
plus haute Poëfie;& c'eft dans ce langage
fublime qu'il a dignement loué fon illuftre
prédéceffeur. » Le grand Corneille,
» dit-il , & le tendre Racine venoient
» d'être plongés dans les ténébres du
tombeau : leurs maufolées étoient
placés aux deux côtés du trône qu'ils
» avoient accupé ; la Mufe de la Tragédie
étoit panchée fur l'urne de Pom-
"pée , & fixoit des regards de défola-
» tion fur Rodogune , Cinna , Phedre,
Andromaque & Britannicus. Elle étoit
tombée dans une létargie profonde ;
fon âme ufée par la douleur , n'avoit
» plus la force que donne le défeſpoir.
Dans l'excès de fon abbattement
fon poignard étoit échappé de fes
mains : un mortel fier & courageux ,
enveloppé de deuil , s'avance avec in-
» trépidité ; ramaffe le poignard & s'écrie
: Mufe , ranime- toi , je vais te ren-
» dre
25
MARS. 1763. 73
» dre ta fplendeur. La Terreur entendit
» fa voix & parut fur la Scène : Tu me
» rappelles à la lumière , & ton Génie
» m'a donné un nouvel être , dit - elle
» avec tranfport. A ces mots elle faifit
» une coupe enfanglantée , marcha de-
» vant lui , & fit retentir le Mont facré
» du nom de Crébillon . La Mufe re-
» prit fes fens ; lés cendres de Corneille
» & de Racine s'animérent ; & leur
» Succeffeur fut placé fur le Trône éle-
» vé entre les deux tombeaux. -
Après cet éloge poëtique , M. l'Abbé
de Voifenon entra dans quelques détails
au fujet des Ouvrages dramatiques
de fon Prédéceffeur. Il dit , en parlant
d'une de fesTragédies . » Atrée & Thyefte,
» ce chef- d'oeuvre d'horreur , fit une
» impreffion fi forte , qu'on détourna
» les yeux ; on la lut , on l'admira' ;
» mais on n'en foutint la repréſentation
» qu'avec peine ; & c'étoit la louer que
» de n'ofer la voir.
L'éloge de M. de Crébillon , dont nous
n'avons rapporté qu'une petite partie
eft fuivi des autres éloges d'ufage dans
ces fortes de cérémonies ; & enfin le
- difcours eft terminé par la defcription
poëtique de deux Temples que l'Auteur
appelle le Temple de la faufe Gloire , &
D
74 MERCURE DE FRANCE,
le Temple de la Gloire véritable. Il place
dans le premier les Gengiskan , les
Tamerlan , les Alexandres , & tant
d'autres qui les ont pris pour modéles ;
de là une defcription des malheurs que
cauſe l'ambition des Conquérans. Le
Temple de la Gloire véritable eft bien
différent. C'eſt le féjour des bons Rois
tels que Marc Aurele , Trajan , Titus ,.
S. Louis , Louis XII, Henri IV; ce qui
améne très-naturellement l'élogedu Roi,
Lours XV,qui doit être l'ornement de
ce Temple. C'eft par là que finit le
difcours de M. l'Abbé de Voifenon ,
dans lequel on a trouvé des tours nouveaux
, des penfées ingénieufes , & une
variété d'images & de ftyle peu ordinaire
dans les Ouvrages de cette nature
.
M. le Duc de S. Agnan en qualité
de Directeur de l'Académie , répondit
au diſcours du nouveau Récipiendaire,
C'étoit M. le Duc de Nivernois qui devoit
être chargé de ce travail , fi des affaires
plus importantes ne l'euffent occupé
ailleurs. C'eft à quoi M, le Duc de
S. Agnan fait allufion quand il dit: » Les
» grands intérêts qui lui font confiés
» peuvent feuls nous empêcher aujour
» d'hui de regretter fon abfence. De là
•
MARS. 1763. 75
,
paffe à l'éloge de M. le Duc de Nivernois
qu'il finit ainfi : » Daignez
» Meffieurs , oublier ce que vous per-
» dez en ce jour , & ne vous occuper
» que de la fatisfaction que vous au-
» rez bientôt de le revoir le rameau d'o-
» livier entre les mains , plus en état
que jamais de vous aider à faire con-
» noître à la Poftérité la plus reculée
» juſqu'à quel degré notre bien - aimé
Maître & Protecteur a porté tant de
» fois , & fi récemment encore , les
» fentimens d'humanité , de bonté &
» d'amour de fes Peuples : fentimens
» nés avec lui pour notre bonheur , &
» garants à l'Europe entière de l'ufage
» qu'il fait des dernières leçons de fon
» augufte Bifayeul , toujours préfentes
» à fes yeux , & pour jamais gravées
» au fond de fon coeur.
C'est avec ces mêmes traits d'une noble
fimplicité que M. le Duc de S. Agnan
avoit loué M. l'Abbé de Voifenon
, & le grand Poëte Tragique qu'il
venoit remplacer à l'Académie. On a
applaudi à ces divers éloges ; & le difcours
imprimé n'a point démenti les
applaudiffemens de l'Àffemblée .
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
LES APRÉS- SOUPERS de la Campagne
, ou Recueil d'Hiftoires courtes,
amufantes & intéreſſantes ; à Amfterdam
, & fe trouve à Paris chez
Bauche , quai des Auguftins , & Duchefne
, rue S. Jacques . 2. vol. in- 12
2763,
It paroît que le Public reçoit avec
plaifir les différens recueils où l'on réunit
pour fon amufement un certain
nombre de Contes , choifis avec goût ,
& recueillis des meilleurs Auteurs. Parmi
ces diverfes collections nous n'en
avons guères lu de plus agréables que
celle que nous annonçons aujourd'hui .
On y trouve des hiftoires piquantes ,
écrites avec efprit , & préfentées fous
un point de vue moral , qui joint toujours
l'utilité à l'agrément. Nous ferions
fort aifes d'entrer dans quelques
détails ; mais ces fortes d'avantures ne
font point fufceptibles d'analyfe ; ce feroit
ôter à nos Lecteurs une partie du
plaifir qu'il y a à les lire , que de les
annoncer par extraits.
MARS. 1763. myby
,
dit
LETTRE fur un Poëme Latin
feizième Siècle , de Monfieur de
MASSAC , Receveur Général des
Fermes du Roi , Abonné au Mercure
& de la Société Royale d'Agriculture
de la Généralité de Limoges
, à Monfieur DE MONT , de la
méme Société , Confeiller au Parlement
de Touloufe & de l'Académie
des Jeux Floraux.
MONSIEUR,
En parcourant la nouvelle Edition
du Dictionnaire de Moreri , vous avez
trouvé dites-vous , qu'il y eft fait
mention d'un Raimond de Maflac ,
Auteur d'un Poëme Latin fur les Eaux
minérales de Pougues ( a ) . Vous ne
( a ) Pougues , Village du Nivernois , entre
Nevers & la Charité, étoit autrefois fort renommé ,
( je ne fçais s'il l'eft encore ) à cauſe de deux fontaines
dont les eaux avoient la vertu de guérir de
l'hydropifie & de la pierre. Quoique ces deux
fontaines , dont l'une s'appelloit de S. Léger , &
F'autre de S. Marceau , ne fuffent diftantes l'une
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
doutez point que cet ouvrage ne
foit entre mes mains ; & quoique M.
l'Abbé Goujet en ait parlé affez avantageufement
dans fa Bibliothéque Françoife
, vous feriez-bien aife que je
vous fiffe connoître plus particuliérement
l'Auteur & fon Ouvrage.
Il m'est d'antant plus aife de vous
fatisfaire fur le fecond objet.de votre
demande , que je viens précisément
de lire avec attention le Poëme dont
il s'agit. Quant aux particularités concernant
l'Auteur , que vous exigez auffi
, je ne puis vous en rapporter que
très-peu , qui ont ont échappé aux recherches
de M. l'Abbé Goujet..
Meffire Raimond de Maffac , dont
les defcendans ont joui fans interrup-.
tion de la nobleffe , qui avoit été accordée
par Charles VII en 1434 à
Jean de Mafac fon bifayeul & Chef
de ma Famille , étoit originaire de
Clairac en Agénois , comme il le dit
lui - même. Il quitta fa Patrie pour aller
fixer fon domicile à Orléans l'an 1586.
Ce fait eft prouvé par une Enquête en
de l'autre que d'un pied , on remarquoit cependant
quelque différence dans le goût de leurs
eaux. Voyez le Traité de ces Fontaines imprimé
à Paris en 1581 .
MARS. 1763 . 79
bonne forme faite le 15 Mars 1678
à la Requête de noble Augé de Maf
fac , Officier au Régiment d'Artois ;
piéce qui eft entre les mains de mon
Père .
Par l'Epitre Dédicatoire de Raimond
de Maffac , au Prince Charles de Gon
zagues de Cleves ( b ) premier du nom ,
Duc de Nevers & de Rhêtel , Pair de
France , Prince de Mantoue , & Gouverneur
de Champagne , & de Brie ,
on voit que cet Auteur étoit d'un caractère
gai & qu'il étoit fort 'recherché
par les perfonnes de la premiere
Qualité. Plufieurs autres de fes écrits en
fourniffent auffi la preuve. On peut
conjecturer par la date de fes derniers
ouvrages , qu'il mourut au commencement
du dix -feptiéme Siécle . Indépendamment
de fa traduction d'Ovide en
vers françois , à laquelle fon fils Charles
de Maffac , travailla beaucoup , &
de fon Poëme fur les Eaux de Pougues
, traduit auffi en vers françois par
le même Charles, il en compofa plufieurs
IV .
( b ) La branche des Gonzagues de Cleves fur
éteinte par la mort de Ferdinand Charles Gouzagues
du nom , Duc de Mantoue & de Montferrat
, & le Cardinal de Mazarin acquit les Duchés
de Nevers & de Rhetel des derniers Ducs de
Mantoue. Diy
80 MERCURE DE FRANCE.
autres latins.J'en ai vu de fa façon à la tête
d'une édition de Juftin , qu'on réimprima
de fon temps . Il célébra les talens
de plufieurs Auteurs fes contemporains.
Il fut lui - même célébré par plufieurs
Sçavans , & fon Poëme latin , dont je
vais vous parler , eft enrichi de notes
grecques & latines de Jacques le Vaf-
Jeur , Docteur en Théologie , né à
Vimes dans le Ponthieu , près d'Abbeville
. Vous fçavez mieux que moi ,
mon cher ami , que la Poëfie Didactique
, ayant pour but principal d'inſtruire
les hommes , la bonté des Poëmes
en ce genre doit fe régler fur l'utilité
du Sujet que l'on traite & fur les
avantages qui réfultent des inftructions
qu'on y donne. La beauté de la verfification
, l'abondance dans les images,
la force de l'expreffion &c. ne font
pour ainfi dire , que les machines que
fait jouer le Poëte pour amufer le Lecteur
; machines qui font cependant
néceffaires pour conftituer un corps
d'ouvrage , qui plaiſe en intéreffant
lectorem delectando , pariterque monendo.
Je puis vous affurer que ,
fi vous
lifez vous-même la feconde édition ( c)
( c ) Elle se trouve dans plufieurs Bibliothé
ques , & notamment à Paris dans celle du Collé
ge Mazarin ,
1
MÁRS. 1763.
81
du Poëme , intitulé : Remundi Maffaci
Clarici Agenenfis & Collegii Aurelianenfis
Falcultatis Medica Decani Pugea
, feu de Limphis Pugeacis libri
duro .
Vous verrez avec plaifir qu'à la fo-
Fidité des préceptes repandus dans tout
l'ouvrage , le Poëte a ajouté un air
d'enjouement qui régne depuis le
commencement jufqu'à la fin . On y
y trouve en effet des comparaifons juftes
& bien afforties , de la facilité dans
la verfification , des expreffions délicates
, des tours heureux . L'agrément des
defcriptions fait difparoître la féchereſfe
des préceptes. Le Poëte peint partout,
Et il me femble que fon pinceau rend
mieux les couleurs de la nature . Médecin
habile, Philofophe profond, if expofe
avec clarté cette phyfique obfcure , qui
éroit en vogue dans fon temps, & il en
tire dequoi expliquer clairement tout
ce qui a trait à fon ouvrage ; il féme
quelquefois des traits d'une érudition
peu commune ; ce n'eft pas tout : comme
le Poëme Didactique fans épiſode
feroit ennuyeux , il y en mêle fagement
quelqu'une. Enfin je crois qu'on
peut dire fans être taxé de prévention,
que cet ouvrage fait quelque hon-
D v
82 MERCURE DE FRANCE .
1
neur à fon Siécle . En voici une Analyfe
fuccinte qui vous en donnera fans
doute l'idée que j'en ai conçue .
ANALYSE DU PREMIER LIVRÉ-
Le Poëte , après avoir expofé fon
Sujet en peu de mots , paffe rapidement
fur l'invocation , & nous préfente
de la manière fuivante , le tableau
d'un homme qui reffent les douleurs de
la pierre.
Calculus in cyftam poftquam de rene pependit
Labitur , atque fero fenfim impellente vagatur :
Sin minor ipfe locus fuerit , majufque locatuna
Tenditur ureter , tenſuſque dolore fatigar
Humanum corpus repetito vulnere punctum ,
Horrendæ indè cruces , atque irrequieta laborum
Colligitur rabies , jacet heu patientia victa ,
Ægeragens morbum fecum fua damna ferendo ,
Carfitat huc illuc , ringens , tremebundus , anhelans
,
Pertæfus vitam , pertæfus lumina coeli ,
Mortem orat , Superofque infanâ voce laceffit :
Haud aliter taurus tacito percuffus afilo
Aftuat in rabiem , campos , montefque peragrans
Aeraque immenfum crebris mugitibus urgens ,
Seque fugit , fequiturque , malique renafcitur Au-
Acr.
MARS. 1763. 83
Cette peinture me paroît d'une touche
forte & naturelle. L'Auteur explique enfuite
la formation , les fymptomes, & les
fuites funeftes de cette maladie . Il nous
apprend que ce n'eft pas feulement dans
Fes canaux urétaires des reins , que fe
forme la pierre il en a vu lui -même
aux deux côtés du coeur dans le pou
mon , dans le cerveau & dans d'autres
parties du corps . De-là , fon imagination
le transporte fur le bord de la fontaine
de Pougues , où le Dieu de la mé
decine va lui apprendre depuis quel
temps ces eaux coulent dans cette contrée
, avec quelles précautions il faut
les boire , & comment elles ont la ver
tu de diffoudre la pierre. Le Dieu de
la Loire , dit-il , éleva avec foin une fille
qu'il avoit eue de la Nymphe Pégée.
Cette jeune Nayade fut bien-tôt recherchée
en mariage par tous les Dieux
champêtres ; mais elle dédaigna leurs
tranſports amoureux. Apollon l'apperçut
un jour dans le temps qu'elle chaf
foit. La Beauté , les Charmes , les Grâ
ces , le port majestueux de la nouvelle
Diane , firent naître à l'inftant dans le
coeur du Dieu , un amour des plus vio-
Fens. Il la pourfuivit , mais en vain ; elle
arrive en fuyant fur le bord de la Loire
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
où fon père , pour la fouftraire aux
pourfuites d'Apollon , la change en fontaine.
Le Dieu qui la chériffoit , même
après fa métamorphofe , donne aux eaux
de cette fontaine , la vertu de guérir de
plufieurs maladies & particuliérement
celle de la pierre .
ANALYSE DU DEUXIÈME
LIVRE.
2.
Le Poëte , à qui le Dieu de la médecine
avoit infpiré , pendant un léger
fommeil , ce qu'on a vu dans le premier
Livre , fe tranſporte maintenant à.
l'endroit où coulent les eaux qui font la
matière de fes Vers. Après les avoir
analyſées lui-même , il explique en Phyficien
la formation des fontaines . Il y
a , dit- il , dans la terre & furtout dans.
les creux des rochers des réfervoirs où
l'eau fe ramaffant en grande quantité &.
fe filtrant dans les canaux fouterrains
prend des couleurs & des goûts différens
, felon les matieres qu'elle rencontre
fur fon paffage . Il paroît par ce que
dit notre Poëte , que l'efprit de vitriol.
& de fouffre abonde dans les eaux de
Pougues ; ce qui leur donne tant de
vertu pour diffoudre les parties fablonneufes
& tartareufes qui forment la
MARS. 1763. 85
pierre . Après cet éxamen il place adroitement
l'éloge de Henry le Grand qu'il
prie de veiller à la confervation & à
l'embéliffement de ces fources falutaires
, qui font auffi éfficaces pour la
pierre que pour les maux de poitrine .
En finiffant il trace encore avec un
pinceau non moins délicat qu'énergique
, le portrait de plufieurs perfonnes
diftinguées qui avoient été à Pougues
chercher du foulagement à leurs douleurs.
Il faut lire dons l'Ouvrage même
l'éloge pompeux & magnifique qu'il
fait des Gonzagues , des Guifes , des
Longuevilles , des la Châtre. Je me bor--
ne à vous rapporter le plus court ; c'eft.
celui de Claude - Catherine de Clermont,
Baronne de Rhetz , & Dame de Dam-.
pierre , fi célébre par fon efprit . Elle ,
fut Ducheffe de Retz & mourut en
1603 , âgée de foixante ans.
Nec tu carminibus noftris indicta manebis ,
REZIA , grandè decus Mufarum & nobilis arte ,
Et quæ docta fonas æquantia plectra Maronem ;
Parnaffi cultrix & Galli Neftoris uxor ,
Femina virtute & majorum ftemmate fulgens ,
Sicque tuo fulgebit opus fub nomine noftrum .
Vous connoiffez depuis longtemps >>
86 MERCURE DE FRANCE .
Monfieur , quels font les fentimens
d'eftime , de confidération & d'amitié
avec lefquels
J'ai l'honneur d'être & c.
A Brive-la- Gaillarde , ce 15 Décembre 1762.
A L'AUTEUR DU MERCURE ,
Sur un Plagiat .
ILL y
a quelques
années
, Monfieur
qu'une
perfonne
envoya
de
Beauvais
ou
d'Amiens
, une
piéce
de
vers
qu'elle
foufcrivit
pour
en
paroître
modeftement
F'Auteur
, dans
l'idée
fans
doute
que
M.
PAVILLON
de
l'Academie
Frangoife
étoit
inconnu
dans
la
Capitale
;
cette
fupercherie
, pour
ne
rien
dire
de
plus
, lui
réuffit
, &
on
vit
paroître
au
Mercure
LES
CONSEILS
A
IRIS
,
fous
le titre
, je
crois
, à moitié
déguifé
, DE
CONSEILS
A UNE
JEUNE
ĎEMOISELLE
. J'en
écrivis
à l'Auteur
du
Mercure
qui
la démafqua
dans
le
Mercure
fuivant
.
Dans le premier volume de votre
Mercure de ce mois qu'on vient de
m'apporter , j'y trouve page 69 à - peuMARS.
1763. 87
près la même chofe dans un autre genre ,
c'eft l'ÉNIGME dont le mot eft Fiacre
ou Carroffe de place , qui a déja été
inférée au Mercure il y a quelques années.
Il faut efpérer que l'Anonyme de
qui vous la tenez vous enverra bientôt
Enigme des Coches publics qui , je
crois , eft dans le premier ou fecond volume
du Mercure de M. Dufrefny.
Il est pourtant bon de vous faire connoître
ces pirateries ,
étant tous lesjours
dans le cas d'être trompé de cette
manière par le peu de temps que
vous avez pour la rédaction de votre
Journal, qui ne vous permet pas de vous
reffouvenir à l'inftant des Ouvrages des
Auteurs dont veulent fe parer certains
plagiaires en abufant honteufement le
Public ; ce qui eft de la derniere éffronterie
, furtout lorfqu'ils ofent y mettre
leurs noms ; cela devroit même avoir
fon effèce de punition proportionnée
à celles que les larrons trouvent dans
les Loix .
Cette dénonciation de filouterie littéraire
doit être rendue publique pour .
F'éxemple . Vous en ferez au furplus l'ufage
que vous voudrez .
J'ai l'honneur d'être , & c.
Ce 21 Janvier 1763.
De la G ***
88 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. DE LA PLACE , fur
un Jetton , frappé en 1606.
ILeLeft aifé , Monfieur , de vous donner
l'explication du ' jetton dont vous faites.
mention dans votre fecond Mercure du
mois de Janvier 1763 , page 78. J'ai
trouvé ce jetton en original en cuivre
parmi ceux des Rois de France que
j'ai raffemblés qui ont été frappés au
commencement de la Monarchie juf
qu'à préfent. Voici le tipe de ce jet
ton. On voit d'un côté le Roi Henri
IV debout devant un autel fur lequel
il met fa main droite devant un Crucifix
lors de fon abjuration faite dans:
l'Eglife de S. Denis , le Dimanche 25
Juillet 1593 , & l'autre main élevée
vers le Ciel , avec cette Légende : Tuta
mihi numinis ara. Exg. 1606.
Revers , la Religion fous la figure
d'une femme , conduifant par la main
le Roi Louis XIII enfant , à une Eglife
au- deffus d'une montagne , & tenant
de la main droite un coeur enflammé
avec ces mots , Hæc tibi certa domus.
Exg. 1606. D. N. Abonné au Mercure
A Paris , le 24 Janvier 1763+
MARS. 1763. 89
ANNONCES DE LIVRES,
COLLECTION de différens Morceaux
fur l'Hiftoire Naturelle & Civile
des Pays du Nord , fur l'Hiftoire Naturelle
en général , fur d'autres Sciences ,
fur différens Arts ; traduit de l'Allemand
, du Suédois , du Latin , avec des
notes du Traducteur. Par M. de Keralio
, Capitaine , Aide - Major à l'École
Militaire , & chargé d'y enfeigner la
Tactique. Tome premier , in- 12.
Je vais jusqu'où je puis 5
Et femblable à l'Abeille , en nos jardins écloſe ,
De différentes fleurs j'affemble & je compofe
Le miel que je produis.
Rouffeau, Od, I. du Liv. 3. Stroph . 30.
A Paris , chez R. Davidts , Libraire
quai des Auguftins , à S. Jacques. Cette
Collection très - intéreffante , & dont
nous nous propofons de rendre compte
, fera bientôt fuivie de plufieurs autres
volumes .
LA MORALE ÉVANGÉLIQUE expliquée
par les SS . Pères ; ou Homélies .
choifies des Pères de l'Eglife , fur tous,
go MERCURE DE FRANCE .
les Evangiles des Dimanches & Fêtes
de l'année . Ouvrage très-utile aux Curés
, aux Eccléfiaftiques chargés d'inf
truire les Peuples ; & généralement à
tous les Fidéles qui veulent s'inſtruire à
fond des vérités de la Religion. Par M.
l'Abbé Mary de la Canorgue , Prêtre
Licentié en Théologie. in- 12 . Tom. I.
Paris , 1763 , chez Lottin le jeune ,
rue S. Jacques , vis- à-vis la rue de la
Parcheminerie.
Les jeunes Eccléfiaftiques qui fe
deftinent à inftruire les Peuples , qui
n'ont pas des facilités de puifer euxmêmes
dans les Pères, trouveront dans ce
recueil d'Homélies , les endroits les plus
beaux des SS. Pères. On y rencontre des
morceaux vifs & très -éloquens , des
comparaifons fort belles qui jettent un
grand jour dans la fuite du difcours :
partout beaucoup de lumiére & d'onction
, & cette véritable éloquence de
chofes & non de mots qui inftruit &
perfuade à la fois. Les fideles y trouveront
une morale füre & une inftruction
folide.
Quelques perfonnes au premier coup
d'oeil ont cru que ces Homélies étoient
celles qui fe trouvent dans le Breviaire
que l'on avoit raffemblées & fimpleMARS.
1763. 91
ment traduites . Il y a cependant une
grande différence entre les unes & les
autres. D'abord il n'étoit guères poffible
de faire un recueil commé celuici
, fans fe rencontrer fréquemment
avec celles -là. D'ailleurs on ne trouve
ordinairement dans le Bréviaire qu'un
morceau qui a rapport à un endroit ou
à une partie de l'Evangile ; & ici prèfque
toutes les Homélies paraphrafent le
texte de l'Evangile en entier. Souvent
elles expliquent le fens moral , le figuré
& allégorique ; elles renferment même
quelquefois une triple explication de
tout l'Evangile,
-
On trouve chez le même Libraire
Les Stations de la Paffion de N. S.
Jefus Chrift , qquuii eenn contiennent
l'Hiftoire , avec des Réflexions & des
Prieres , &c. à l'ufage des Eglifes , Monaftères
& Communautés , où l'on fait
des proceffions pour adorer Jefus- Chrift;
Ouvrage propre aux Confrères de Jé
rufalem , aux Maifons Religieufes du
Calvaire , du Saint Sépulchre , des Filles-
Dieu & autres ; & généralement utile
à tous ceux qui veulent fe rappeller &
honorer le mystère de la Croix , dans
la fainte Quinzaine , tous les Vendredis,
92 MERCURE DE FRANCE .
ou durant tout le cours de l'année . Vol.
in- 12, 1 liv. 6 f.
Le même Libraire Lottin , le jeune ,
vient d'acquérir du fond de M. le Prieur ,
les Exercices Religieux , utiles & profitables
aux Ames religieufes qui defirent
s'avancer en la perfection , avec
plufieurs avis , Inftructions & Pratiques
fpirituelles pour les y conduire , & c.
Vol. in-12 , 2 liv. 10 f
INSTRUCTIONS Chrétiennes fur les
huit Béatitudes tirées des faints Pères de
l'Eglife , & en particulier de faint Auguftin
, fuivies d'une Priére & Afpirations
; ou Abrégé de toute la Morale
de l'Evangile , dans lequel le Chrétien
trouvera des règles füres pour former
fes fentimens & fa conduite & des
motifs de confolation dans toutes les
épreuves de la vie. Par M. Cabrisseau ,
Théologal de Rheims . A Paris chez
Lottin , le jeune , Libraire , rue S. Jacques
, vis-à-vis la rue de la Parcheminerie.
1763. Avec approbation & Privilège
du Roi.
,
,
LES DEUX LIVRES de S. Auguftin
, Evêque d'Hippone , à Pollentius ,
fur les mariages adultères , traduits en
MARS. 1763.
93
François , avec le Texte Latin à côté,
des notes , & une differtation . Dédiés à
M. l'Evêque de Soiffons . Ouvrage utile
& même néceffaire à tous les Confeffeurs
, & finguliérement aux Miffionnaires
employés chez les Infidéles . in - 12 .
Paris , 1763. Chez G. Defprez , Imprimeur
du Roi & du Clergé de France,
rue S. Jacques. Frix , 2 1. 2. f. broché.
LETTRES Philofophiques , fur la
formation des Sels & des Cryftaux , &
fur la génération & le Méchanifme or
ganique des Plantes & des Animaux , à
l'occafion de la pièrre bélemnite & de
la pièrre lenticulaire , avec un Mémoi 】
re fur la Théorie de la Tèrre . Par M.
Bourguet. Seconde édition , in - 12 . avec
figures. Amfterdam , chez Marc- Michel
Rey , 1763 , & fe trouve chez Briaffon,
rue S. Jacques , à Paris,
VOYAGE du M. ***
en Périgord ,
Vers & Profe . Brochure in- 12. Chez
Brocas & Humblot , rue S. Jacques.
DISCOURS fur la Satyre , Ouvrage
traduit de l'Italien .
Intereft Reipublicæ cognofci malos.
Brochure in- 12. Amfterdam , 1763 , &
94 MERCURE DE FRANCÉ.
fe trouve à Paris chez les Libraires qui
vendent les Nouveautés.
MARII CURILLI Groningenfis Satyre
. Groninga , apud Jacobum Bolt ,
Bibliopolam. 1758.
GER. NICOLAI HERQUENII , Arcad.
Socii , & Acad . Reg. Pariſ. Litter.
& Antiq . Miniftri , Italicorum Liber
unus. Groninga. Typis Jacobi Boltii
, Bibliopola. 1762.
N. B. L'Auteur qui nous a fait l'honneur
de nous adreffer ces deux Ouvrages
dont nous n'avons qu'un très-bon
compte à rendre , ne nous dit pas s'il
s'en trouve à Paris des exemplaires.
ÉSSAI fur les Bois de Charpente , ou
Differtation de la Compagnie des Architectes
& Experts des Bâtimens à Paris
, en réponse au Mémoire de M. Paris
Duvernai , Confeiller d'Etat , Intendant
de l'Ecole Royale Militaire , fur la
Théorie & la Pratique des gros Bois de
Charpente , dans leur exploitation &
dans leur emploi. Rédigée par MM .
Babuty , Defgodetz , & le Camus de
Mezieres, Brochure in- 12 . Paris , 1763 .
Chez Babuty fils , Libraire , quai des
Auguftins , à l'Etoile.
MARS. 1763. 95
CAQUET BON BEC , la Poule à ma
tante , Poëme badin.
Et frontem nugis folvere difee meis.
Ovid. -
Brochure in-12 . 1763. Se trouve à Paris
chez Pankoucke , à côté de la Comédie
Françoiſe & chez Duchefne , rue S. Jaques.
JUDITH & DAVID , Tragédies. Par
M. L *** , Avocat. A Amfterdam, 1763;
& fe trouvent à Paris , chez Guillyn ,
Libraire , quai des Aug. au Lys d'or.
THEATRE de M. Nivellede la Chauffée
, de l'Académie Françoife. vol.
in- 16. jolie édition. Paris , 1763, Chez
Prault , petit-fils , Libraire , quai des
Auguftins,
ABRÉGÉ de la Grammaire Françoi
fe. Par M. de Wailly, Nouvelle édition
in- 12. Paris , 1763. Chez J. Barbou
Libraire -Imprimeur , rue S. Jacques ,
aux Cigognes . Prix , 1 liv. 4 f. Cette
Grammaire eft aujourd'hui adoptée par
l'Univerfité & par l'Ecole Militaire. On
trouve chez le même Libraire , la Grammaire
Françoiſe in - 12 , du même Au̟-
teur. Le prix eft de 2 1, 10 f
96 MERCURE DE FRANCE.
DUPUIS & DESRONAIS , Comédie
en trois Actes , & en vers librés , repré
fentée pour la premiere fois par les Comédiens
François ordinaires du Roi
le 17 Janvier 1763 , par M. Collé , Lecteur
de Mgr le Duc d'ORLEANS , premier
Prince du Sang. A Paris , chez
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques , au
Temple du Goût. Le prix eft de 1 liv.
10 f. Le fuccès conftant de cette Piéce
charmante , que l'on voit toujours avec
le même plaifir , nous difpenſe d'en
rien dire ici de plus. On en verra l'extrait
à l'article des Spectacles.
I
N. B. On trouve chez le même Libraire
, les Piéces fuivantes.
L'AMOUR PATERNEL , ou la Suivante
reconnoiffante , Comédie Italienne
, en trois Actes & en profe. Par M.
Goldoni , compofée pour les Comédiens
Italiens ordinaires du Roi , & repréfentée
fur leur Théâtre au mois de Février
1763. Extrait , Scène , Part - fcène , avec
les Lettres de M. Goldoni & de M.
Meflé , tant fur cette Piéce que fur plufieurs
autres objets des Spectacles . Prix
I liv. 4 f.
LE MILICIEN , Comédie en un A&te,
mêlée d'Ariettes ; par M. Anfeaume , la
Mufique
MARS. 1763. 97
Mufique de M. Duny , repréfentée pour
la premiere fois à Verfailles devant leurs
Majeftés , le 29 Décembre 1762 ; & à
Paris fur le Théatre de la Comédie
Italienne le premier Janvier 1763. Prix,
I liv . 4 f.
,
LE GUY DE CHÊNE , ou la Fête
des Druides , Comédie en un Acte &
en vers libres , mêlée d'Ariettes , avec
un divertiffement. Par M. de Junquieres
le fils. La Mufique de M. de la Ruette ,
repréſentée pour la premiere fois par les
Comédiens Italiens ordinaires du Roi ,
le Mercredi 26 Janvier 1763. Prix , 1 1 .
4 f.
LA BAGARRE , Opéra bouffon , en
un A&te ; par M. Poinfinet ; la Mufique
de M. Vanmalder.
Non plau fus , fed rifus.
repréſenté pour la première fois par les
Comédiens Italiens ordinaires du Roi ,
le 10 Février 1763. Prix , 1 l . 10 f. avec
la Mufique.
POSTILLON PARISI EN , cu Conducteur
fidéle de la Ville , Fauxbourgs
& environs de Paris dédié à Meffire
E
98 MERCURE DE FRANCE .
Jean -Baptifte-Elie Camus de Pontcarré,
Chevalier , Seigneur de Viarme & autres
lieux , Confeiller d'Etat & Prévôt
des Marchands de la Ville de Paris , par
MM. Louis Denis & Louis Mondhard
à Paris, Chèz Denis , rue S. Jacques ,
vis-à-vis le Collége de Clermont , &
chez Mondhard, même rue & à l'hôtel
de Saumur. 1763.
LETTRE de M. le Brun , Secrétaire
des Commandemens de S. A. S. Mgr
le Prince de Conti , à l'Auteur du Mercure
.
J'apprends , Monfieur,avec beaucoup
de furprife que quelques perfonnes ,
dont fans doute je n'ai pas l'honneur
d'être connu , croyent , ou feignent de
croire que je fuis un des Auteurs du
nouveau Journal de la Renommée Littéraire.
Je vous prie de vouloir bien
rendre publique cette Lettre , où je déclare
que je n'aurai jamais de part à aucun
Ouvrage de ce genre d'ailleurs trèseftimable
, mais dont je n'ai ni le temps
ni le goût , ni le talent.
J'ai l'honneur d'être , & c.
MARS. 1763. DE CHEQUE
ARTICLE III.
LYON
1813
SCIENCES ET BELLES- LETTRES
ACADÉMIE. S.
EXTRAIT du Mémoire lu à l'Affemblée
publique de l'Académie Royale
des Sciences , le 13 Novembre 1762
par M. DE PARCIEUX , de la même
Académie ; fur un moyen de donner
une abondante quantité de bonne eau
dans tous les Quartiers de PARIS
VILL
LEESS Anciens & furtout les Romains
furent toujours occupés du foin de procurer
de l'eau aux Villes de leur domination.
Nous en avons une preuve
dans les monumens qu'ils conftruifoient
pour cet ufage & qui fubfiftent encore.
dans plufieurs Villes de France. On en
voit à Lyon , à Nifmes , à Fréjus , à
Joigny proche Metz , &c. Au lieu d'imiter
leur exemple: & : d'employer les
moyens dont ils fe fervirent autrefois,
nous avons eu jufqu'ici recours à des
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
machines pour fournir à la Capitale le
peu d'eau qu'elle a , fi ce n'eft les eaux
de Rungis que la Reine Marie de Médicis
y fit venir dans le fiécle dernier.
L'infuffifance de ces Machines a fait
naître à M. Dep. l'idée d'un projet qu'il
développe dans le Mémoire que nous
annonçons ; projet d'autant plus utile
qu'il remplit parfaitement fon objet
fans des dépenfes énormes ; pour en
rendre l'éxécution moins éffrayante
M. Dep. remet en peu de mots fous
les yeux les immenfes travaux que fi
rent les Romains dans les Gaules dans
le peu de temps qu'ils les ont poffédées ,
pour la conduite des eaux . Il fait enfuite
voir la néceffité d'adopter fon projet
en prouvant que la plupart des
Quartiers de Paris manquent d'eau ou
n'en ont qu'en très-petites quantité.
Après des Obfervations fort éxactes
& dont on pourra voir le détail dans
le Mémoire , M. D. a trouvé qu'il pouvoit
faire venir les eaux de la Rivière
d'Yvette prifes à Vaugien à la Place de
la Porte S. Michel , d'où fe feroit la
diftribution dans tout le refte de Paris ;
diftribution d'autant plus facile que les
eaux de l'Yvette viendroient à la même :
hauteur que celles de Rungis , qu'on
MARS. 1763.
101
nomme communement d'Arcueil.
L'Aqueduc propofé parcourra un
chemin de dix - fept à dix-huit mille
toifes en côtoyant d'abord le lit naturel
de l'Yvette depuis Vaugien jufqu'à Palaifeau.
De la vallée de l'Yvette pour
fe rendre à celle de la Bievres , on lui
pratiquera un paffage fous une partie
de la montagne qui eft entre Palaifeau
& Maffy. Arrivée dans la vallée de la
Bievres , le Canal dans lequel coulera
l'eau de l'Yvette fuivra la côte droite
de la Bievres , viendra paffer la gorge
de Fiernes ou de Tourvoye fur un pont
aqueduc , continuera enfuite fa route
fous Fiernes & fous l'Hay , & arrivera
à Arcueil. Là elle paffera la vallée ſur
un autre pont aqueduc joignant celui
de la Reine Marie de Médicis , fur lequel
paffent les eaux de Rungis & elle
fuivra enfuite l'aqueduc actuel jufqu'au
Fauxbourg S. Jacques.
Pour faire connoître d'une manière
plus fenfible les endroits par où doit
paffer ce canal ou cet aqueduc , M.
de Parcieux a joint à fon Mémoire une
carte du lieu où l'on voit le cours de
la rivière d'Yvette depuis fes premieres
fources jufqu'à Paris ; le cours de la
riviere de Biévres , & celui du nouveau
canal.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
La nature du terrein dont les eaux
pluviales tombent dans l'Yvette avoit
bien fait préffentir à M. D. que l'eau
devoit en être bonne ; néanmoins pour
s'en affurer complettement , il en a fait
porter un certain nombre de bouteilles
pleines & cachetées à MM. Hellot &
Macquer , habiles Chymiftes de la même
Académie , qui l'ont fait paffer par toutes
les épreuves que la Chymie fournit
; & l'on voit par leur examen rapporté
tout au long à la fin du Mémoire ,
que cette eau eft de la plus excellente
qualité.
L'abondance des eaux étoit encore
un point éffentiel dont il falloit s'affurer
, de la quantité de pieds cubes d'eau
que dépenfoient par feconde les moulins
de Vaugien & le dernier du ruif
feau de Gif dans les temps des plus baf
fes eaux , M. D. a conclu qu'il paffoit
plus de 1000 pouces d'eau à Vaugien ,
& plus de 200 à 'Gif.
En effet , fi Pon circonferit le terrein
qui envoye fes eaux pluviales aux deux
prifes de Vaugien & de Gif , on trouve
, dit M. D. que plus de 36 millions
de toifes quarrées envoyent leurs eaux
à Vaugien ou à Gif & nous croyons
qu'il auroit pu dire plus de 40 millions ;
MARS. 1763. 103
mais il aime-mieux annoncer moins
afin qu'on ne foit pas trompé dans fon
attente .
Le tiers de l'eau qui tombe fur ce
terrein que M. Mariotte fuppofe s'imbiber
pour fournir les fources , pris
moyennement pour toute l'année , don
neroit plus de trois mille pouces d'eau
continuels . Si on fait les réfervoirs nécèffaires
pour conferver le trop de certains
temps pour remplacer le moins
des autres , ou voit qu'il eft aifé de
procurer à la Ville de París deux mille
pouces d'eau continuels & davantage.
Après avoir parlé des moyens d'amener
l'eau de l'Yvette à Paris , & de
ce qu'il y aura à faire pour l'avoir toute
l'année pure , belle & limpide , M.
D. fait l'analyfe de l'eau de la Seine
telle qu'on la puife prefque dans tout
Paris. Après avoir montré ce qu'il entre
d'égoûts dans cette rivière par la rive
droite , qui eft beaucoup plus la Marne
que la Seine , il fait remarquer ce que
l'autre rive reçoit , & voici comme il
s'exprimé :
La rive gauche de la rivière eft encore
bien pire ; on le concevra aiſément
, fi on fe repréfente que tous les
égoûts de la partie méridionale de Pa-
E iij
104 MERCURE DE FRANCE.
L
ris tombent dans la Seine , dans Paris
même ou au-deffus , par la rivière des -
Gobelins , dans laquelle fe rendent les
égoûts de toute efpéce , de Bicêtre &
de l'Hôpital , ceux des Fauxbourgs
Saint-Jacques , Saint-Marceau & Saint-
Victor , lefquels joints à tout ce que
cette rivière reçoit des Blanchiffeufes
dont fon cours eft couvert depuis &
compris le Clos-Payen jufqu'au Pontaux-
tripes , & à tout ce que les Teinturiers
, Mégiffiers , Tanneurs , Amidonniers
, Braffeurs & autres ouvriers y
jettent , la rendent indifpenfablement la
plus vilaine & la plus mal-faine qu'on
puiffe imaginer
La rive gauche de la Seine reçoit
cette eau à fon entrée dans Paris , vient
laver les trains de bois qui font les trois
quarts de l'année le long du Port de la
Tournelle , rencontre les égoûts des
foffés Saint- Bernard & des Grands- degrés
; celui de la Place Maubert , qui
feul feroit capable de gâter une grande
rivière : ainfi préparée elle vient paffer
fous les ponts de l'Hôtel-Dieu , où elle
reçoit de cet Hôpital immenfe , toutes
les ....... on n'ofe le dire : arrivent
enfuite l'égoût de la rue de la Harpe ,
ceux du quai des Auguftins , & enfin
MARS. 1763. 105
par les trois qui fortent fous le quai
Malaquais , les immondices d'une grande
partie de Paris ; & c'eft de l'eau qui
coule le long de cette rive , prife audeffous
du Pont-neuf , dont eft abreuvé
tout le fauxbourg Saint - Germain
ou peu s'en faut , & affez généralement
celle qu'on boit dans tout Paris,
On ne trouvera pas que ce tableau
foit flaté ; mais M. D. n'annonce rien
qui ne foit connu de tout Paris .
Tout le monde fent aifément que
ce projet eft un des plus grands des
plus utiles , des plus importans,des plus
intéreffans & des plus urgens qu'on puifle
propofer pour cette grande Ville , &
M. D. n'oublie rien de tout ce qui peut
faire efpérer aux Citoyens que fon
projet fera éxécuté un jour. Il ne diffimule
pas que tout ce qu'il y a à faire
pour amener l'eau jufqu'à la rue Hyacinthe
, & pour la diftribuer dans Paris
, doit coûter même affez confidérablement
; mais , dit - il , Paris n'en vautil
pas bien la peine ? pourroit-on fe
perfuader & voudroit-on perfuader aux
autres , que nous fommes arrivés dans
un fiécle où l'on n'ofe plus entrepren
dre les chofes les plus grandes & les
plus utiles ? Que l'on compare feute-
E v
106 MERCURE DE FRANCE .
ment , eu égard au nombre d'habitans ,
& qu'on cherche à mettre quelque proportion
, fi on le peut , entre ce que
l'on propofe pour la Capitale de la
France , & ce que l'on vient de faire
pour une ville de province ; alors le
projet n'effrayera plus.
On compte qu'il y a aux environs
de 800 mille âmes dans dans Paris , &
36 à 40 mille à Montpellier ; ce dernier
nombre n'eft au plus que la vingtiéme
partie du premier.
On vient d'amener à Montpellier les
eaux de plufieurs fources réunies , lefquelles
donnent aux environs de 70 à
80 pouces , dans les plus grandes féchereffes
, par un aqueduc de 7409 toifes
de long , voûté dans toute fa longueur
, de trois pieds de largeur für 6
de hauteur fous clef, dans l'étendue duquel
il a fallu percer une montagne de
200 toifes de longueur , faire plufieurs
ponts - aqueducs pour traverfer les basfonds
, entr'autres un fur la Lironde qui
eft affez confidérable , & celui qui traverfe
le vallon de la Merci fous le Peirou
, lequel eft compofé de deux ponts
l'une fur l'autre ; le premier de 64 arches
de cinq toifes de diamètre , & le fecond
de 140 arches de deux toifes chacune, &
MARS. 1763 . 107
de plus l'épaiffeur des piles & des culées;
ce dernier a près de 400 toifes de long
fur 60 pieds de hauteur du deffous de
la rigole à l'endroit le plus bas du vallon
C'est tout au plus , fi le projet pour àmener
l'Yvette à Paris , demande trois
ou quatre fois autant d'ouvrage , pour
vingt fois autant d'habitans & pour la
Capitale de la France.
La ville de Carcaffonne , laquelle
felon Dom Vaiffette , dans fa Géographie
hiſtorique ne contient que 8000 à
10000 habitans , à trouvé dans la bonne
adminiftration de fes revenus , auffi-
bien que dans la ville de Montpellier
, le moyen de fe procurer 2 à
300 pouces d'eau , par un petit aqueduc
de 3 pieds de haut , fur 18 pouces
de largeur , & de 4000 toifes de long,
porté fur des arceaux en plufieurs endroits.
Cette eau eft une partie de la
rivière d'Aude , qu'on à dérivée il y a
12 ou 15 ans .
Au refte , il faut attendre , fans déferpérer
, continue M. D. què dès Savans
capables de juger de toutes les parties
d'un pareil projet & d'évaluer le prix
de chacune , que la Cour ou les Magiftrats
commettront , ayent prononcé .
J'ofe affurer , en attendant leur exa-
E
vj
108 MERCURE DE FRANCE.
men , qu'il y a eu de nos jours des
monumens commencés & finis , & d'autres
commencés qui marchent à grands
pas à leur perfection , qui couteront
plus que celui- ci Je les crois tous néceffaires
, mais celui de donner de l'eau
à Paris l'eft autant qu'aucun , & l'on
peut trouver des moyens pour celui-ci,
comme on en a trouvé pour ceux-là.
Les grands hommes , & nous en
avons , ont de grandes reffources : pourquoi
ne s'en trouveroit- il pas qui imitaffent
Gérard de Poiffi , ce refpectable
& généreux citoyen , qui a immortalifé
fon nom pour avoir donné onze
mille marcs d'argent , deftinés à faire
paver les rues de Paris. Quelle gloire
ne s'eft-il pas acquife , en employant
une partie de fes richeffes pour l'utili
té de fes concitoyens ? Puifque la mémoire
de cet acte généreux s'eft confervée
jufqu'à nous , elle durera vraifemblablement
auffi long-temps qu'il y
aura des hommes dans Paris.
M. Dép. fait voir dans fon Mémoire
qu'il faudroit 1881000 livres de notre
monnoye pour faire à préfent ce qu'on
faifoit alors avec la valeur de onze mille
marcs d'argent.
Quels exemples de générofité ne nous
MARS. 1763 . 10g
, non comdonnent
pas nos voifins ! un célébre
Médecin Anglois , vient de donner aux
environs de cinq millions de livres de
notre monnoye , pour faire bâtir un
Amphithéâtre anatomique
pris les fondations qu'il fe propofe de
faire pour les Profeffeurs . Qu'auroit - il
donné pour faire venir de l'eau à Londres
, fi celle de la nouvelle rivière n'y
avoit déjà été menée ? Efpérons que nos
plus riches Citoyens ne le céderont en
rien à la générofité des Anglois.
On peut trouver de ces grandes actions
dans tous les fiécles ; le quartier
de l'Univerfité eft couvert de monumens
fondés par la générofité de plufieurs
dignes Patriotes , proportionnée
à leur fortune ; & fous le règne de
Louis XV il y a des ames auffi généreufes
que fous celui de Philipe-Augufte
; je les crois même en plus grand
nombre : le zéle avec lequel les principaux
Corps & plufieurs dignes & grands
Citoyens fe font empreffés de contribuer
au rétabliſſement de la Marine françoife
, en eft une preuve.
La ville de Reims n'oublira jamais
le nom & le bienfait de M..Godinot ,
qui après avoir fait des embelliffemens
coufidérables à la Cathédrale dont il
110 MERCURE DE FRANCE .
étoit Chanoine , a procuré de l'eau à
fes concitoyens par une machine qu'il
a fait conftruire à fes dépens , ainfi
qu'une grande partie des conduites &
des fontaines qui la diftribuent dans
tous les quartiers ; on lui a encore l'obligation
de plufieurs autres travaux publics.
Il y a certainement dans Paris des
âmes auffi bienfaifantes qu'à Reims ;
mais avec le noble defir d'être utile à
fes concitoyens , il faut l'heureux concours
des facultés.
Quel eft le citoyen zélé pour le bien
public , dit M. D. qui ne donnât volontiers
fi les autres moyens manquent,
une ou deux années du revenu de fa
maifon pour y faire venir en tout temps
une quantité d'eau fuffifante ? Que ne
donneroit-on pas dans nombre de Châteaux
où l'eau manque,pour avoir une
fource d'un pouce d'eau feulement ?
quelles dépenfes ne fait- on pas quelquefois
pour s'en procurer dans des
maifons qu'on n'habite qu'en paffant ?
ne feroit-ce pas faire de fon argent un
meilleur ufage que de l'employer en
lambris en dorures & en autres ornemens
fuperflus & paffagers ? la bonne
eau fera toujours de mode.
En effet , quel avantage d'avoir dans
MAR S. 1763.
III
la maiſon qu'on habite le plus longtems ,
une fource de bonne eau , fourniffant
l'office , la falle à manger , coulant fans
ceffe dans la cuifine , entraînant les immondices
fans leur laiffer le temps de
fermenter & d'empuantir & infecter
l'air des endroits où l'on conferve les
viandes & de ceux où on les prépapare,
Quelle fatisfaction de voir laver
fa cuifine & tous fes recoins dix
fois par jour , fi l'on veut ! on eft moins
pareffeux à nétoyer partout quand l'eau
ne coute pas à tirer.
Non feulement cette abondance d'eau
tiendra le dedans de la maifon
propre &
frais , mais auffi les rues qui deviendront
des ruiffeaux formés tant par l'eau
de refte qui fortira des grandes maiſons
que par celles qu'on employera à laver.
Ces ruiffeaux entraîneront fans ceffe les
boues , entretiendront
le pavé propre &
mouillé auprès des ruiffeaux pour le foulagement
des chevaux. En Eté on arrofera
, ou pour mieux dire , on lavera
les rues avec cette eau auffi fouvent
qu'on le voudra , au lieu de deux fois
qu'on les humecte à préfent avec fort
peu d'eau & fouvent avec de l'eau vilaine
& puante , qui jettée en petite
112 MERCURE DE FRANCE.
quantité , ne fait que tenir la boue délayée
pendant un peu de temps & infecter
d'autant mieux l'air , l'abondance
de celle-ci le rendra fain & falubre *
ce qui eft fi important pour la fanté des
citoyens & d'autant plus néceffaire que
le nombre des habitans eft plus confidérable
; tout le monde fent de refte
que le féjour des boues & immondices
contre les murs ou contre les bornes ,
doit de néceffité rendre l'air bas , infecté
& mal fain & c'eft celui que
nous refpirons.
2 .
Quelle tranquillité d'avoir dans fa
maifon un réfervoir toujours plein d'eau
& fans ceffe renouvellé pour fournir un
fecours prompt
& à propos dans un cas
de malheur tant pour foi que pour le
voifinage !
Dans la féconde partie de cet intéreffant
Mémoire , M. Dep. rend compte
de ce qui l'a conduit à former ce
projet , & de ce qu'il a fait pour s'affurer
d'abord de la poffibilité, & enfuite
pour dire exactement à quelle hauteur
l'eau pouvoit arriver à Paris. Il a fallu
pour cela rapporter le tout à un point
fixe & immuable , & c'eft au fol de l'Églife
N. D. qu'il a rapporté toutes fes
opérations.
MARS. 1763.. 113
Faifant abftraction de la pente qui
fait couler l'eau de moulin en moulin
depuis Vaugien jufqu'à Paris , les chutes
des moulins ont fait connoître à M.
D. de combien l'eau de Vaugien étoit
plus élevée que l'eau de la Seine fous le
Pont de l'Hôtel- Dieu , de laquelle déduifant
la quantité de pieds & pouces
dont le fol de N. D. étoit plus élevé
que la Seine le même jour qu'il mefuroit
les chutes des moulins , le refte
donne l'élévation de l'eau de Vaugien
fur le fol de N. D. qui eft de 83 pieds
9 pouces.
Le nivellement que M. D. a fait &
répété plufieurs fois pour parvenir à
connoître de combien l'arrivée des eaux
d'Arcueil eft plus élevée que le même
fol de N. D. fuppofe des opérations
fort intéreffantes pour les perfonnes
qui font au fait de ces matiéres ; mais
comme elles ne font pas à la portée
de tous nos Lecteurs , nous nous contenterons
d'en rapporter les principaux
réſultats .
1°. Le haut de la Tour méridionale
de N. D. eft plus élevé que le fol de
l'Eglife pris au bas de l'efcalier des
Tours de 204 pieds 9 pouces. 2 ° .Le haut
du parapet de l'Obfervatoire eft plus
114 MERCURE DE FRANCE . -
haut que le même fol de N. D. de
151 pieds d'où il fuit que la Tour
méridionale de N. D. eft plus élevée
que le haut de l'Obfervatoire de 43.
pieds 9 pouces . 3 ° . Le bouillon d'arrivée
des eaux d'Arcueil eft plus élevée
que le le fol de N. D. de 67 pieds 10
pouces & demie , qui ôtés de 83 pieds
9 pouces dont l'eau de Vaugien eft plus
élevée que le même fol de N. D. refte
15 pieds 10 pouces & demi dont
l'eau de l'Yvette à Vaugien eft plus
élevée que l'arrivée des eaux d'Arcueil
à côté de l'Obfervatoire , non compris
la pente qui la fait couler de moulin
en moulin depuis Vaugien jufqu'à
Paris.
4°. Le haut de la Place de l'Eftrapade
eft plus élevé que le fol de N. D. de
81 pieds 3 pouces.
5. Enfin l'endroit le plus élevé du parapet
du
pont de l'Hôtel-Dieu eft plus
élevé que le fol de N. D. de 10 pieds 6
pouces , ce qui donne le moyen de connoitre
de combien la Seine eft plus baffe
que le fol de N. D.
M. D. avec cette modeftie qui
convient aux vrais Sçavans qui n'ont
d'autres vues que celles du bien public,
MARS. 115
veut bien n'être pas cru fur fa parole ,
il demande lui-même qu'on faffe examiner
fon projet ; mais il defire que ce
foit par les perfonnes les plus capables
& les plus propres à infpirer la confiance
que l'objet mérite. Comme il
connoît bien la vérité de ce qu'il propofe
, on voit en plufieurs endroits de
fon Mémoire qu'il eft pleinement perfuadé
que fon projet fera exécuté à l'avenir
s'il ne l'eft à préfent. Voici comment
il s'exprime en un endroit.
Ne connoiffant rien de plus urgent à
faire pour une grande ville , après la
conftruction des ponts , quand il en
faut , que de procurer dans tous les
quartiers une fuffifante quantité de
bonne eau ; & connoiffant affez bien
les environs de Paris , pour pouvoir affurer
qu'il n'y a que la riviére d'Yvette
qui , donnant cette fuffifante quantité
de bonne eau , puiffe y arriver à une
hauteur propre à l'envoyer dans tous
les quartiers , à moins de l'aller prendre
beaucoup plus loin ; je crois être fondé
à me perfuader que ce projet fera
éxécuté à l'avenir , s'il ne l'eft à préfent
, & d'autant plus , comme je l'ai
déja fait obferver que c'eft la feule
dépense que la Ville puiffe faire dont
116 MERCURE DE FRANCE.
les fonds lui rentrent avec avantage
en faifant le bien des citoyens , cetré
dépense n'étant , à proprement dire
qu'une avance ou de l'argent placé.
Mais quand même cette dépenfe ne
devroit jamais rentrer : pour une grande
ville , capitale d'un grand royaume , il
faut de grandes chofes.
Il regarde donc l'éxécution de ce
projet comme indifpenfable , foit dans
peu , foit à l'avenir : or dans quelque
temps qu'on l'entreprenne , on doit
faire le tout de manière à pouvoir recevoir
& laiffer couler plus de 2000 pouces
d'eau, vû qu'on peut les avoir dèsà-
préfent les trois quarts de l'année
& qu'on pourra fe les procurer pour
toute l'année quand on le voudra , & c .
Quand même M. Dep. n'auroit pas
la fatisfaction de voir éxécuter fon projet
, il pourra fe flatter d'avoir rendu un
fervice éffentiel à fa patrie , en faisant
une fi heureufe découverte . Elle intéreffa
tout le monde dès qu'il commença
à en faire part , & jamais Mémoire
n'a été écouté avec plus d'attention ni
plus applaudi qu'il le fut lorfqu'il en fit
la lecture à l'Affemblée de la rentrée
publique de l'Académie Royale des
Sciences , du mois de Novembre derMARS.
1763 . 117
nier. Le Miniftre toujours attentif à ce
qui peut contribuer au bien public , a
voulu qu'il fut imprimé à l'Imprimerie
Royale.
Lorfque M. Dep. eut l'honneur de le
préfenter au Roi , il en fut accueilli favorablement
, & Sa Majesté voulut bien
entrer avec lui dans des détails qui marquoient
fort l'intérêt qu'Elle y prenoit.
Ĉe Mémoire ne fe vend pas ; on n'en
a tiré quele nombre d'exemplaires qu'on
a voulu donner ; mais on le trouvera
dans la fuite des Mémoires de l'Académie
des Sciences , pour l'année 1762 .
GÉOMÉTRI E.
ON demande ( Mercure de France
du mois de Fevrier page 113 ) le rapport
de la bâfe aux côtés d'un triangle
ifocéle circonfcrit à deux cercles contigus
, dont les diametres font dans la
raifon de trois à un , de manière que
la plus grande circonference touchant
les deux côtés & la bâfe , celle du petit
cercle touche feulement les côtés. Réponſe.
Ce rapport eft celui de l'égalité
; c'est- à-dire que ce triangle eft l'Equilatéral
, dans le quel on peut infcrire
118 MERCURE DE FRANCE .
de la manière propofée , non feulement
deux , mais une infinité de cercles dont
les diamètres aillent toujours en décroiffant
dans la même raifon de 3. à 1.
Par un Abonné au Mercure.
A Paris , le 16 Fevrier 1763 .
EXTRAIT de la Séance publique de
l'Académie des Sciences , Arts &
Belles-Lettres de DIJON , tenue dans
Grande Salle de l'Hôtel-de- Ville le
17 Août 1762.
•
LEE
Secrétaire perpétuel , après avoir
fait quelques réflexions générales fur les
exercices littéraires & fur les différens
programmes des prix de l'Académie
obferya qu'elle avoit propofé deux fois
une question de la plus grande utilité,
concernant la caufe de la graiſſe
du vin , & les moyens de l'en préferver-
ou de le rétablir. Elle s'étoit attachée
, ajouta-t- il , d'autant plus volontiers
à cet objet , que les éclairciffemens
qu'elle defiroit , devoient mettre
la Bourgogne en état de conferver
MARS. 1763. 119
cette liqueur éxquife qui fait le fond
de fes richeffes & de fon commerce .
Mais les Mémoires qui furent envoyés
à l'Académie , lorfqu'elle interrogea
pour la premiere fois les Obfervateurs
de la Nature fur cette efpéce de dépériffement
du vin , n'ayant pas fuffifamment
rempli fes vues , elle ouvrit un
nouveau concours fur le même fujet ,
dans la jufte confiance que les recherches
, les expériences & les découvertes
répondroient à fon attente. Cependant
une feule Differtation qui lui fut adreffée
au mois de Mars dernier , n'ayant
encore obtenu ni fon approbation ni
fes fuffrages , la médaille qu'elle deſtinoit
au meilleur ouvrage fur la graiffe
des vins , a été réſervée pour l'année
1763 , à l'Auteur qui aura traité avec
le plus de folidité le problême qu'elle
vient de publier , fçavoir : Quels font ,
relativement à la Bourgogne , les avantages
& les défavantages du canal projetté
en cette Province , pour la communication
des deux mers par lajonction
de la Sône & de la Seine ? Parmi le
grand nombre d'écrits qui ont paru
fur le projet de ce canal , on a déja
touché, mais trop fuperficiellement, l'utilité
& les inconvéniens qui en réfulte120
MERCURE DE FRANCE .
roient. Aujourd'hui , l'Académie , en
fuppofant la poffibilité de cet établiſſement
de quelque manière qu'on en détermine
le local , fe borne à l'intérêt effentiel
de la patrie , & demande précifément
fi l'exécution de cette vaſte entrepriſe
, feroit plus avantageufe qu'onéreuse
à la Bourgogne ?
M. Poncet de la Rivière , ancien Evêque
de Troyes , a lù enfuite une Differtation
fur l'Esprit Académique. Ce
que cet efprit eft en lui-même , & ce
qu'il eft par comparaifon avec les autres
; tel eft le plan de fon ouvrage , tel
eft l'objet de fes réfléxions . Sans s'arrer
ter à la définition que les Philofophes
donnent de l'efprit , il en revient à celle
qui lui femble la plus analogue au dif-
Cours oratoire. Qu'eft- ce donc que l'efprit
, dit-il ? Un feu que la Nature allume
dans nos âmes , plus ou moins vif
felon le degré de chaleur & d'activité
qu'il plaît à l'éternel Auteur de notre
éxiſtence de lui donner ; plus ou moins
brillant felon notre attention ou notre
négligence à réfléchir fur lui les lumièrés
qu'ont répandu les Aftres qui , dans
tous les fiécles, éclairérent le Monde littéraire
; plus ou moins borné felon notre
hardieffe ou notre indolence à éloigner
MARS. 1763 . 121
gner fes limites ; plus ou moins fécond
felon la culture que l'émulation lui
donne ou que l'oifiveté lui refuſe : für
de plaire quand il en eft jaloux & digne
d'obtenir l'admiration lorfqu'il fe rend
habile à la faifir & capable de la fixer.
Quoique l'efprit ne foit point affervi
aux pays ; qu'il anime les neiges & les
frimats de l'Amérique , comme il s'enflamme
au foleil brulant de l'Afrique
& de l'Italie ; cependant à le juger d'après
la diverfité qui fe trouve dans la façon
de penfer des différens peuples , ne diroit-
on pas que dépendant en quelque
forte des climats , il en prend les qualités
& les défauts ; & qu'il tire , comme
les fruits , fa couleur & fon goût
du terroir où il fe produit. M. l'Evêque
de Troyes entre ici dans le détail
des différens caractères d'efprit des Nations
, & finit ainfi par celui du Francois.....
En France , amufant par fon
caractère , riche de fon fonds , propreaux
plus grands éffors , capable encore
de produire les chefs- d'oeuvres qu'il admire
; fi , plus content de poffeder fes
richeffes que jaloux de les étendre , il
ne préféroit le talent délicat qui embellit
, au génie puiffant qui invente : fait
pour plaire , mais trop livré à cet attrait;
F
122 MERCURE DE FRANCE,
"
ingénieux dans fes penfées , peut- être
trop étudié dans fon langage ; voulant
des apprêts jufques dans la naïveté qui
les bannit ; portant les recherches de l'art
jufques dans les agrémens de la Nature
; Philofophe par fantaifie ; & , fi j'ofe
le dire , moins fage , parce qu'il fait entrer
de la mode jufques dans fa fageffe.
Après avoir fait voir que l'efprit ne
dépend ni du fang ni de la naiffance ;
que , quoique reçu de la Nature , il eſt
le mérite de la perfonne ; l'Auteur donne
une idée de l'efprit académique , en faifant
le portrait des Affemblées où il doit
fe produire. Qu'eft- ce donc , dit ce Prélat
qu'une Affemblée Littéraire , &
fous quels traits dois-je vous la repréfenter
? c'eft un corps d'hommes polis
& cultivés , livrés de bonne heure par
attrait , & dans la fuite attachés par goût,
à l'étude des Lettres ; dont les moeurs
font ornées par les Mufes ; dont le caractère
eft fans foibleffe , férieux fans
auftérité , fçavant fans féchereffe , agréable
fans affectation , épuré dans tous les
défauts qui font l'écueil de la fociété
& enrichi de tous les avantages qui en
font l'agrément. Ce tableau fut fuivi de
l'énumération des talens propres à foutenir
la gloire de ces Affemblées . Par
>
MARS . 1763 . 123
"
mi les différentes efpèces de fciences qui
font à rejetter , le Prélat s'éléve furtout
contre cette fcience qui n'eft qu'un
amas fonore & faftueux de connoiffances
vaines & ftériles fouvent auffi
pernicieufes pour le coeur qu'agréables
à l'efprit ; qui ajoûtant peu au mérite
que l'on veut avoir , ôtent beaucoup de
celui que l'on a ; ne font à l'homme
qu'un honneur médiocre , & font prèsque
toujours une playe dangereufe au
Chrétien. Pardonnez- moi cette réfléxion
, Meffieurs , ajoûte le Prélat , je
me la crois permife , même dans une
Affemblée académique ; & je connois
affez vos coeurs pour ne pas craindre
d'en être défavoué. En confidérant les
différentes fortes d'efprits qui concourent
à former le caractère de l'efprit
académique, M. l'Evêque de Troyes
s'arrête principalement à ces efprits
amis de la fageffe , qui vont fur les
tombeaux des Anciens Maîtres du Monde
recueillir les reftes de cette Philofophie
véritable qui épuroit les moeurs
en dirigeant les talens ; & dont les prin
cipes tracés par des génies puiffans
mais par des efprits dociles , formoient
des Sujets aux Royaumes & des Citoyens
aux Républiques : Philofophie fi
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
vantée ……………….. Mais , oferois -je le dire ?
Philofophie aujourd'hui fi peu connue ,
fi méconnoiffable dans ces fectes altières
& impérieufes , ifolées & répandues ,
graves & fantafques ; en qui une farouche
frivolité qui ne connoit point de
loix , s'arroge le droit fuperbe d'en
donner ; dont le difcours n'eft que
fentence & paradoxe ; les principes qu'indépendance
& irréligion ; les actions
qu'un libertinage de moeurs déguiſé ou
rafiné ; où fous le nom de fageffe , une
audacieuſe folie confacre les vertiges les
plus honteux à la raifon , & peut-être
les plus dangereux pour les Etats ; dont
l'efprit oppofé à celui de la fubordination
, ne fe foumet que par contrainte
& en reclamant pour fa liberté ; où la
Religion méconnue dans ce qu'elle
commande , combattue dans ce qu'elle
enſeigne , ne trouve pas même dans
fes enfans ce refpect dont fes ennemis
ne purent autrefois fe difpenfer de l'honorer.
J'ai dû cette vivacité de réfléxions
, dit le Prélat , & à ma façon de
pénfer & au caractère dont j'ai l'honneur
d'être revêtu. Je ne pouvois , Meffieurs
rendre un hommage plus glorieux à l'efprit
qui vous anime , qu'en réveillant
publiquement votre dégoût contre un
MARS. 1763. 125
efprit fi étranger à vos jugemens & à
vos moeurs.
Ce Difcours fut fuivi de la lecture
d'un Mémoire de M. Fournier , contenant
des Obfervations fur les différentes
manières dont périffent ceux qui
font frappés de la foudre , fur les accidens
qu'ils éprouvent , & fur le traitement
qu'on doit employer lorfqu'ils
peuvent être rappellés à la vie.
Les femmes font auffi propres que
les hommes à l'étude des Sciences & à
la culture des Arts : c'eft le fujet d'une
differtation de M. l'Abbé Picardet , où
en éffayant de prouver que les talens
& les difpofitions font les mêmes dans
les deux féxes ; il montre la frivolité des
prétextes qu'on employe ordinairement
pour étouffer dans les femmes l'amour
des Sciences , des Arts & des Belles - Lettres.
La délicateffe du tempérament ,
le défaut de goût pour les grandes chofes
& d'aptitude aux Sciences , l'efprit
de détail & les foins oeconomiques ,
font de vains préjugés qu'il expofe
qu'il combat & qu'il détruit. Les Sciences
& les Arts n'ont donc aucunes difficultés
qui doivent ralentir l'émulation
des Dames pour mettre encore dans
un plus grand jour la vérité de cette
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
conclufion , M. l'Abbé Picardet jette
un coup d'oeil fur les Arts où elles réuffiffent
fupérieurement ; comme l'éloquence
, la mufique , la poëfie , la peinture
, l'aftronomie , l'hiftoire naturelle ,
la médecine , la philofophie & la morale
.
La Séance a été terminée par un Mémoire
de M. Marêt puifné , fur la méri
dienne. Après avoir obfervé la diverfité
des fentimens à ce fujer , l'Auteur annonce
qu'il va fixer les incertitudes qui
en pourroient naître , en faisant voir
les avantages que procure ce fommeil,
& les précautions que l'on doitprendre
en s'y livrant. C'eſt l'intérêt de la digeftion
, dit- il , qui engage à blâmer
ou à louer la méridienne. Mais ce problême
fera réfolu dès qu'on aura prouvé
que loin de nuire à la digeftion , cet
ufage lui eft favorable. D'après cet idée.
il expofe fuccintement , fuivant les principes
de Boerhaave , le méchanifme de
la digeſtion . » C'eſt dans une diffolu-
» tion que la chaleur facilite , dans une
» décompofition qui eft le produit du
» mêlange du fluide nerveux & d'un
» commencement de fermentation pu-
"tride & acide , que confifte le mé-
» chanifme de la digeftion : pour déci
MARS. 1763. 127
der fi la méridienne eft avantageufe
relativement à cet objet , il faut donc
s'attacher à examiner :
Si elle augmente la chaleur de l'eftomac ;
Si elle facilite l'abord du fluide nerveux dans ce
vifcère ;
Si enfin elle y favorife la fermentation.
Chacune de ces propriétés attribuées
à la méridienne eft examinée & prouvée
dans autant de paragraphes. Les objections
de différens Auteurs tant anciens
que modernes y font rapprochées &
réfolues. Mais malgré les avantages que
peut procurer la méridienne par ellemême
, M. Marét avertit que ce fommeil
éxige des attentions particulières
quand on s'y livre :
Le temps où elle doit commencer ;
Le terme auquel il faut la finir :
La fituation qu'on doit prendre en dormant :
La température du Lieu qu'on choifit
pour dormir , l'habillement- même
loin d'être indifférens , font de la plus
grande impportance ; & tous ces détails ,
minucieux en apparence , ceffent de le paroître
dès qu'on les fuit avec l'Auteur.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
En effet , dans fa differtation , la phyfiologie
fe réunit à l'anatomie pour prouver
qu'il eft éffentiel » d'attendre que la
» Nature nous engage elle- même à dor-
» mir ; de proportionner la durée du
» fommeil , à la chaleur du tempéra-
» ment , à la qualité & à la quantité des
>> alimens .
C'est au peu d'attention que l'on fait
ordinairement à ces détails , que M. Marêt
attribue tous les accidens qui ont
déterminé quelques Auteurs à décrier
la méridienne. Cependant il l'interdit
à ceux qui dorment plus des fept heures
que la raifon femble permettre de donner
au fommeil ; ainfi qu'à ceux qui ,
livrés au plaifir ou à l'étude , veillent
une grande partie de la nuit , dorment
le jour , & ne s'éveillent qu'après que
le foleil a parcouru la moitié de fa
carrière ; à moins que leur dîné ne foit
confidérablement retardé. Mais en général
, il croit que dans certaines cir-
» conftances les hommes doivent fans
» éxception fe livrer au fommeil après
le dîné ; qu'il peuvent tous dormir
quelquefois au fortir de ce repas , &
» qu'il y en a beaucoup qui ne pour-
» roient s'y refufer fans imprudence.
Chacune de ces propofitions eft jufMARS.
1763. 129
r
tifiée par des détails ; d'où il réfulte qu'on
doit regarder ceux qui font d'un tempérament
fanguin ou bilieux , comme
les feuls auxquels la méridienne convienne
peu. L'Auteur termine fa differtation
en invoquant l'expérience ; non
comme une preuve de l'utilité de la
méridienne qu'il croit avoir fuffifamment
établie ; mais comme une préfomption
favorable à cette habitude.
Que ceux qui blâment la méridienne ,
ajoûte-t-il , ceffent donc de prétendre
nous forcer à réfifter à l'impulfion de
la nature ; elle nous invite à dormir
après le dîné la raifon d'ailleurs le
confeille , & l'expérience doit au moins
faire préfumer que c'eft un moyen capable
de nous procurer la fanté la plus
defirable , & de nous faire parvenir à
un âge très-avancé .
ÉCOLE Royale Vétérinaire , établie à
Lyon fous la direction de M. BOURGELAT
, Ecuyer du Ror , & Correfpondant
de l'Académie Royale des
Sciences de France.
L E Lundi , trente un Janvier
Fy
Q 您
2
130 MERCURE DE FRANCE.
a procédé dans l'Hôtel de l'Ecole Royale
Vétérinaire à la diftribution d'un
nouveau prix dont le Sujet concernoit
les parties extérieures du cheval & furtout
celles dont la connoiffance intéreffe
le plus , tels font les yeux , la
bouche , les nafeaux & c.
OCette diftribution a été faite felon
la forme obfervée lors de celle qui cut
lieu le 20 Decembre dernier. Dix-neuf
des Eléves ont encore concouru , après
que les billets cachetés & contenant
cent quatre- vingt queftions divifées
& reparties dans ces mêmes billets leur
ont été adjugés par le fort ; ils fe font
mutuellement interrogés d'après les
queftions qu'ils avoient tirées,& le dixneuviéme
a répondu à celui des chefs
de brigade choifi & nommé pour concourir
encore avec lui.
L'Affemblée étoit nombreufe & compofée
de perfonnes diftinguées ; celles
qui dans la féance du 20 Décembre
avoient daigné juger des efforts des
Eléves ont prononcé pareillement dans.
celle- ci .
Les fieurs d'Enguien de la Ville de-
Lyon , & Bredin de la Ville d'Auxonne,
qui dans le précédent concours avoient
mérité le prix , ont foutenu leur répu
MARS. 1763. 131
tation & ont acquis un nouveau droit
à l'eftime du public . Le premier a fait
une démonſtration anatomique des parties
extérieures & intérieures du globe
fur les piéces même ; il a remporté le
prix.
Le fecond a eu à jufte titre le premier
Acceffit ; il a fait une démonſtration
très-claire & très -fimple de la connoiffance
de l'âge du cheval par la dentition
.
Les fieurs Detuncq , Eléve entretenu
par M. l'Intendant d'Amiens , & Brachet
, Eléve entretenu par la Province
de Bugey , ont balancé longtemps les
voix pour le fecond Acceffit , qui a été
accordé au fieur Detuncq ; le fieur Brachet
a obtenu le troifiéme .
Quant au quatriéme on a été contraint
de faire tirer au fort les fieurs
Beauvais , Eléve entretenu par M. l'Intendant
d'Amiens , ( il avoit eu le premier
Acceffit , le 20 Décembre , ) &
Preflier , Eléve entretenu par M. l'Intendant
de Moulins , ( il avoit eu le
quatriéme ) le fort a favorifé le fieur
Bauvais qui l'a obtenu.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
Noms des Eléves qui ont concourit.
LES SIEURS ,
Vierville. Didney.
Rambert. Defchaux.
Saunier. Detuncq.
Bloufard. Guilet.
Kamerlet. Rouffet.
Moret.
Preflier.
Gauthier.
Defaveniers.
Bauvais.
Pufenas .
Bredin . D'Enguien.
Brachet,interrogé par le fieur d'Enguien.
MARS. 1763.
133
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE.
LETTRE d'un Élève en Chirurgie de
L'HOPITAL DE LA CHARITÉ , à
l'Auteur du Mercure , fur l'opération
de la Taille.
MONSIEUR,
-
Les Belles Lettres & les Sciences
agréables ne font pas les feules qui fixent
votre attention ; vous paroiffez même
toujours prendre un nouveau plaifir
à inftruire le Public de chofes utiles.
Cette réfléxion me donne lieu d'efpérer
que vous voudrez bien informer ce même
Public,dans votre Mercure prochain,
du fuccès des tailles faites à l'Hôpital de
la Charité avec l'inftrument , & par le
neveu du célébre Frère Cofme.
La grace que je vous demande vous
134 MERCURE DE FRANCE.
,
Faroîtra jufte & néceffaire fi vous
voulez bien confidérer qu'elle a pour
objet de répondre à la lettre d'un Eléve
en Chirurgie de Paris inférée à la
page 132 du fecond volume du Mercure
de ce mois , par laquelle on cherche à
jetter des doutes fur la réuffite des opérations
de la taille faites à la Charité
le Neveu & l'Éléve du Frère Cofme.
par
Je fuis Éléve en Chirurgie , Monfieur
, ainfi que celui qui a écrit lat
lettre dont je vous parle ; mais je fuis
l'un des Éléves de l'Hôpital de la Charité
, & par conféquent témoin & obfervateur
des chofes dont je vais vous
rendre compte.
La lettre de mon Confrère à un Maître
de Province fe termine par cette
phrafe , en parlant du LITHOTOME
CACHÉ. On s'en eft fervi à la Charité ;
le neveu du Frère Cofme eft un des Chirurgiens
de eet Hôpital . C'eft pour moi ,
ajoute celui qui écrit , vous en dire affez;
les fuccès vous diront le refte.
Eh bien , Monfieur , puifqu'il eft néceffaire
de les publier ces fuccès. , je
veux dire ceux du neveu du Frère Cofme
, & ceux de Fexcellente méthode
de fon oncle : apprenez , je vous en
fupplie , au Public & à mon Confrère
MARS. 1763. 135
que depuis la déclaration du Roi qui
a rétabli les Réligieux de la Charité
dans leurs premiers droits , quant aux
Chirugiens de leurs Hopitaux , on a
fait dans celui de Paris l'opération de
la taille par la méthode du Frére Cof
me fur des fujets de tout âge & par
différentes mains avec un fuccès égal..
De 14 malades affligés de la pièrre qui
font venu cette année, trois ont été opérés
par M. Bafcilac neveu du Frère Cof
me & Chirurgiens gagnans maîtrife dans
cet Hôpital , tous trois ont été parfaitement
guéris en moins de 20 jours . N'eft ce
pas là de ma part vous en dire affes? pour
qu'il ne foit plus permis à mon Confrère
de laiffer le Public en doute fur
la capacité & les fuccès du neveu du
Frère Cofme à la Charité.
Quatre autres Sujets affligés de la
Pierre ont été opérés par le Religieux
Chirurgien en Chef de cette Maifon
avec le même lithotome & en fuivant
les préceptes du Frère Cofme. Trois ont
été guéris avec le plus grand fuccès . Un
feul a péri plus de douze jours après fon
opération , des fuites d'une fiévre puride
furvenue après l'opération . On a
trouvé après fa mort plus d'une chopine
de férofité bilieufe & purulente épan136
MERCURE DE FRANCE.
chée dans la poitrine du défunt dont
les poulmons étoient remplis de tubercules
partie en fuppuration & partie
dans l'état d'endurciffement ; les parties
opérées ont été examinées trèsfcrupuleufement
& ont été trouvées fans
aucune lézion ; la caufe de mort enfin
a été déclarée celle du vice de lapoitrine.
Un procès verbal figné des Médecins, &
du Maître en Chirurgie de la maison,fait
la preuve légale de ce que j'ai l'honneur
de vous dire fur la mort de celui dés
quatre malades opérés de la pierre à la
Charité par le Religieux Chirurgien en
chef , avec l'inftrument du Frère Cofme
& en fuivant fa méthode.
Sept autres Sujets également affligés
de la pierre , ont été opérés avec l'inftrument
du Frère Cofme , par M. Sue ,
Chirurgien-Major du même Hôpital ;
cinq ont également guéri en peu de
temps , ainfi que cela eft ordinaire , par
l'excellente méthode de Frère Cofme ,
quand il n'arrive pas d'accidens étrangers
à l'opération ; un des fept , opéré
par M. Sue , eft mort plufieurs jours
après l'opération ; c'étoit un vieillard de
plus de foixante -dix ans ; il étoit affligé
de la pierre depuis fa naiffance. MM.
Sue, Bafcilac & le Religieux ChirurMARS.
1763 . 137
gien en chef firent l'impoffible pour perfuader
au malade d'achever fa carrière
avec fon ennemi. Mais le malade preffé
par les plus vives douleurs répondit
qu'il ne pouvoit plus y furvivre & qu'il
vouloit courir les rifques de l'opération .
La charité des Religieux les força à recevoir
le malade ; mais la prudence des
Chirurgiens les détermina à demander
l'affiftance des Médecins & des Chirurgiens
confultans de la Maifon. M. Pibrac
, l'un des deux Chirurgiens confultans
, fe rendit à l'invitation avec MM.
Verdelhan & Maloette , Médecins ordinaires
de la Charité. Tous virent un
vieillard décrépit & défléché ; M. Pibrac
reconnut une Pierre d'un diamètre confidérable.
On opina pour la néceffité de
l'opération ; le malade fut préparé , &
M. Sue l'opéra. Il tira plufieurs fragmens
de pierre & il toucha enfuite au
fond de la veffie une maffe dure qui
fut imprenable par les tenettes ; la foibleffe
du malade ne permit pas de faire
de plus longues tentatives ; on le porta
an lit & il mourut fix jours après ; ſa foibleffe
n'ayant pas permis de faire aucune
autre tentative pour tirer la maffe
que
l'on avoit été forcé de laiffer.
Je laiffe à MM. les Médecins & aux
138 MERCURE DE FRANCE.
Chirurgiens de l'Hôpital de la Charité
à apprendre au Public ainfi qu'aux
Maîtres de l'art de la Ville & des Pro
vinces , s'il étoit aucun moyen poffible
pour opérer non- feulement la guériſon
du malade , mais encore de faire l'extraction
de cette portion de pièrre fermée
& refferrée dans le fond de la
veffie par le rétréciffement d'une portion
de la veffie qui s'étoit racornie &
qui ne formoit plus qu'une enveloppe
ferrée , ou pour mieux figurer la chofe
le moule dur & racorni de la maffe de
pierre que M. Sue n'avoit pu extraire
dans l'opération. C'eſt par l'ouverture
du cadavre qu'on a manifefté cette vérité.
Le feptiéme malade affligé de la pièrre
& opéré par M. Sue n'eft pas à la vé
rité fans danger au moment préfent ;
c'eft un homme d'un tempérament noir
& bilieux , qui depuis fon bas âge eft
fujet à des coliques , & à des rétentions
d'urine ; il a été fondé ; la pièrre
a été reconnue ; il a été opéré. M.
Sue a retiré plufieurs fragmens de pierre.
Le Malade a été pendant les douze
premiers jours de l'opération fans douleurs
, fans fiévre & avec appétit ; il
Jui eft furvenu depuis des douleurs aux
MAR S. 1763. 139
reins , aux hypocondres , un vomiffemens
avec des friffons qui font fuivis
de fiévre avec chaleur ; les urines paffent
néanmoins avec abondance dans
les momens de relâche & plus volontiers
par la voye ordinaire que par la
plaie.
Tels font , Mr , les fuites exactes des
opérations de la pierre que j'ai vu faire
à la Charité depuis l'année derniere par
la méthode du Frère Cofme.
Il ne faut cependant pas croire que
nos Maîtres à la Charité ne fçachent fe
fervir que du lithotome caché ; ( car par
exemple , ) deux malades qui avoient
chacun une pierre confidérable engagée
au col de la veffie , ont été opérés au
petit appareil par M. Sue : mais ils ont
été traités à la méthode du Frère Cofme ,
je veux dire , fans leur faire fouffrir aucun
panfement , & ils ont été tous deux
parfaitement guéris en peu de temps.
Le premier de ces deux malades avoit
été ci-devant opéré trois fois la premiere
par feu M. de la Peyronie , la feconde
par M. le Cat , & la troifiéme par
feu M. Thomas . Le malade a déclaré qu'à
chaque opération il avoit été panfé , &
qu'à chaque fois il étoit demeuré à guérir
plus de fept & huit femaines ; au lieu
;
140 MERGURE DE FRANCE . ,
qu'à la quatriéme opération par laquelle
M. Sue a fait l'extraction d'une pierre
d'un volume plus gros que celui d'un
oeuf de poule , la guérifon parfaite du
malade s'eft opérée en trois femaines
de temps
.
Le fecond de ces deux malades opéré
au petit appareil , a eu le même fuccès
que le premier fans avoir été panfé.
Voila encore une fois , Monfieur
ce que j'ai obfervé à la Charité depuis
que l'on y pratique l'opération de la
taille avec l'inftrument du Frère Cofme
& en fuivant fes maximes. J'y trouve
des avantages ineftimables pour opérer
les vivans ; mais comme mon.confrère
nous apprend dans fa Lettre à un Maî--
tre de Province , qu'en prenant d'une
main le Lithotome caché , & de l'autre
les Mémoires de l'Académie de Chirur
gie , on fent en opérant SUR LES CADAVRES
, naître fous la main tous les
dangers de cet inftrument. J'ai fait em--
plette de l'un & de l'autre pour m'éffayer
cet hyver fur des cadavres , & fuivant
littéralement les Mémoires de l'Académie
de Chirurgie ; mais je vous affure ,
Monfieur , que fi je m'apperçois qu'en
fuivant ce qui nous eft préfcrit dans
ces Mémoires il en naiffe fous la
2.
MARS. 1763. T41
nous
main les
dangers , que mon confrère
annonce
pour les cadavres
, je
fupprimerai
les Mémoires
de l'Académie
de ma bibliothèque , & je garderai
l'excellent
Lithotome caché du Frère Cofme
pour m'en fervir à la façon de
nos Maîtres de la Charité qui s'en fervent
pour les vivans
avec les plus
grands avantages
fans aucun danger &
avec un fuccès plus certain que toutes
les autres méthodes
.
,
,
J'ai l'honneur d'être , & c.
A Paris , ce 26 Octobre 1762 .
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
LETTRE de M. DELALANDE , de
l'Académie des Sciences , à M. DE
LA PLACE , fur un Tableau allégorique
des vertus , formant le Portrait
du ROI , peint par M. Amédée VANLOO
, Peintre du Roi de PRUSSE .
Il n'eſt point d'année , Monfieur , où L
142 MERCURE DE FRANCE.
i'on ne voye fortir de la Famille des
Vanloo des Morceaux de Peinture dignes
de faire honneur à la France , &
d'immortalifer leurs Auteurs ; mais nous
n'avions point encore vu allier les charmes
de la Peinture avec le génie de la
Phyfique , comme dans le Tableau que
M. Amédée Vanloo vient de faire.
Tout Paris a voulu voir ce chef- d'oeuvre
d'optique , de perfpective , de compofition
& d'allégorie ; mais le temps
n'a pas permis d'en faire obferver à
tout le monde les particularités , & elles
font trop curieufes pour ne pas en
donner au Public quelques détails .
;
Ce Tableau préfente d'abord à la
vue fimple un affemblage de plufieurs
figures qui expriment les différentes
vertus qui peuvent former un grand
Prince la Magnanimité eft affife &
appuyée d'une main fur l'écu de la
France ; elle tient de l'autre un Sceptre
& un dard brifé pour marquer la clémence
; le diadême qu'elle porte annonce
le deffein de faire le bien & fon
Sceptre la puiffance de l'exécuter ; elle
a à fes pieds un lion ; c'eft le fymbole
de cette vertu .
,
Plus bas eft la Juftice, qui d'une main
tient une balance , de l'autre une épée
MARS. 1763. 143
nue. Elle eft appuyée fur un lion pour
nous montrer qu'il faut qu'elle foit fecondée
de la force. Le mafque fur la
tête du lion annonce que la Juſtice fait
démafquer le vice & le punir. Les faifceaux
placés fous les lions expriment
l'accroiffement de force qui réſulte de
l'accord de ces deux vertus ; on y voit
auffi une corne d'abondance , pour indiquer
que tout profpére dans un Etat
où régne la Juftice.
Derrière la magnanimité fe voit la
valeur militaire , repréfentée par un
Guerrier tenant un drapeau qui enveloppe
plufieurs picques , pour montrer que
les hommes réunis fous l'étendard de
la vertu font invincibles. Derrière elle ,
fe voit une pyramide qui repréfente la
gloire des Princes perpétuée par des monumens.
A côté de la valeur militaire
eft l'intrépidité repréfentée par un Soldat
qui s'appuye für fes armes. La vertu
héroïque eft à la droite , c'eft un Guerrier
fous les attributs d'Hercule ; il tient
› d'une main une maffue fur l'épaule , &
de l'autre les pommes d'or des Heſpérides
, emblême du plus célébre de fes
exploits.
Au devant de la vertu héroïque eft
la vertu pacifique, repréſentée par Miner
144 MERCURE DE, FRANCE.
•
ve , Déeffe de la Sageffe & des Arts : elle
tient d'une main une branche d'olivier
fur les armes de France , & porte de l'autre
la lance qui fervoit dans les anciens
tournois & dans les jeux qu'on
célébre durant la paix ; cette lance eft
entourrée de ferpens , fymbole de la
Prudence.
Près de Minerve , eft la Générosité ;
c'eft une jeune fille qui porte fur la tête
une gaze d'or & des perles : fes bras nuds
annoncent que le propre de cette vertu
eft de fe dépouiller de tout intérêt , & de
faire le bien , même fans efpérance de
retour. Elle s'appuye fur le bouclier de
Minerve , pour montrer qu'elle favorife
particuliérement ceux qui cultivent les
Arts & les Sciences ; elle tient même le
cordon de l'Ordre du Roi , comme une
des recompenfes diftinguées que M. le
Marquis de Marigny a procurées à plufieurs
Artiftes célébres que nous avons
actuellement . Au deffous de Minerve
font les attributs des beaux Arts.
Toutes ces figures forment juſqu'ici
un tableau qui feul feroit honneur à
M. Vanloo ; mais ce n'eft rien encore
au prix de ce qui en refulte enfuite de
fingulier on regarde ce Tableau au
travers d'une efpèce de lunette dont
l'objectif
MAR S. 1763 . 145
tor
T'objectif eft un verre à facettes formé
de plufieurs plans , inclinés à l'axe du
tableau ; ces différentes refractions réuniffent
en un très - petit efpace toutes les
figures difperfées fur la furface du tableau
, en les diminuant de manière à
n'en former qu'une feule figure , & cette
figure eft la tête du Roi , exprimée
avec une reffemblance très- remarquable.
La figure de la Juftice eft ce qui forme
l'oeil du ROI avec une des faces de
la frifure qui approche le plus de l'oeil :
le Peintre nous dit par là , que rien n'é
chappe aux regards de la juftice du Monarque.
La magnanimité donne auffi
une partie de l'oeil ; la joue l'oreille &
le fourcil qui exprime la volonté fuprême
; la tête de Médufe compofe une
partie de l'autre fourcil : elle femble
nous dire que les regards d'un Prince
jufte épouvantent le crime & produifent
dans les coupables cette confternation
& cet anéantiffement qui reffemble
à la métamorphofé que la vue
terrible des ferpens de Médufe produifoit
autrefois .
La valeur guerrière donne une partie
du nez & de la bouche , parce que
la bouche eft l'organe du commande-
G
146 MERCURE DE FRANCE .
ment ; la vertu héroïque donne une
partie de l'autre joue avec le coin de la
bouche ; elle finit le nez & les narrines.
Minerve donne l'oeil du Roi du petit
côté : l'oeil de ce grand Prince voit avec
bonté ceux qui cultivent les vertus
les fciences & les arts. La Générofité
concourt à finir l'oeil du petit côté , la
tempe & un côté des cheveux. La Sculpture
, exprimée par une tête d'Apollon ,
donne le front & les lauriers dont il eſt
couronné. Le lion de la Magnanimité
forme l'autre tempe , & achève le front.
Le mafque produit la blancheur du front
& finit le fourcil. La crinière des lions
forme le toupet , qui eft blanchi par la
figure qui repréfentoit l'Intrépidité.
"
Vous voyez , Monfieur , par ce détail
combien il y a eu d'intelligence
dans la combinaiſon de deux chofes
auffi étrangères & auffi différentes entre
elles , que le font d'un coté ſept à
huit figures , chargées de fignifications
allégoriques auffi bien imaginées , de
l'autre la reffemblance d'une feule tête .
On a vu quelquefois des effets de perfpective
& de dioptrique qui confiftoient
à faire voir fur une forme régulière
ce qui paroiffoit d'abord n'en avoir
point ; cela femble n'être pas diffi"
MAR S. 1763. 147
cile , il ne faut que deffiner en regardant
au travers du verre dans lequel
le deffein doit être vu . Il en résulte
enfuite un objet quelconque dont la
forme vue de tout autre point eft difficile
à prévoir ; mais fi l'on veut qu'il
en réfulte des objets qui ayent une
forme régulière , cela paroit fort diffi -
cile. La difficulté augmente encore
quand la forme des objets eft déterminée
d'avance pour être appercue d'une
telle maniere foit du point de vue ,
foit de tout autre point . Si l'on propofe
enfin de former un portrait avec d'autres
figures qui y aient un rapport donné
, le problême paroît comme impoffible
& le fuccès de M. Vanloo pouvoit
feul ce me femble juftifier l'entrepriſe
. Il feroit à fouhaiter qu'il fit
part au Public & aux Sçavans des idées
qui ont pu lui faire entreprendre un onvrage
auffi fingulier & des moyens qui
lui en ont procuré le fuccès.
J'ai l'honneur d'être , &c.
DELALANDE
Ce Tableau a été préfenté à Sa
Majefté , par M. le Marquis de Marigny
.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
MUSIQ U E.
SIX ARIETTES Françoiſes , dans le
goût Italien
> avec accompagnement
d'un violon & d'une baffe , fuivis d'une
Cantate à grande fymphonie. Dédiées
à M. le Marquis de l'Hôpital , Lieutenant
Général des Armées du Roi.
Par M. Ciampalenfi , ordinaire de la
Mufique du Roi . Prix des Ariettes
féparées 3 1. de la Cantate 1. 10 f. aux
adreffes ordinaires de Mufique .
LA GUITTARRE de bonne humeur
, ou Recueil de Vaudevilles badins
, avec accompagnement de guittare.
Par M. Merchi. Septiéme livre
de guittare. Euvre 10. Prix 6 livres .
A Paris , chez l'Auteur , rue du Rempart
S. Honoré près des Quinze-Vingts ,
chez un Tapiffier ; & aux adreffes ordinaires
de Mufique.
LES RÉCRÉATIONS chantantes
ou Journal Lyrique , contenant des airs
choifis dans les Opéra- Comiques , avec
accompagnement de violon , flute , ou
pardeffus de viole , notés fur la clef
MARS. 1763. 149
de G ré fol , & ajuftés de façon qu'on
peut les jouer en duo fur les inftrumens
; par M. Legat de Fourcy , Maître
de chant , & Organiſte de S. Germainle-
vieux fixiéme Recueil. A Paris ,
chez M. la Chevardiere , rue du Roule ,
à la Croix d'or. Prix , 3 liv.
,
CONCERTO pour le clavecin , avec
accompagnement de deux violons alto
viola & baffa , dédiés à Madame Coufzard
, compofés par M. Wondradfchek.
Prix , 6 liv , A Paris , chez l'Auteur
rue Mazarine , chez un Perruquier , &
aux adreffes ordinaires. La réputation
méritée de l'Auteur infpire un préjugé
très-favorable pour ce nouvel ouvrage .
2
SUPPLÉMENT à l'Article des Piéces
fugitives.
SUITE de la Traduction de MAL-APROPOS
, ou L'EXIL DE LA PUDEUR
, Poëme Grec.
QUATRIÈME CHANT.
L A nuit , fi chère à l'Amour & que
ce Dieu embellit fouvent de fes char-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
mes , impatiente de fe rendre à Paphos
, avoit preffé le Soleil de lui faire
place. Non qu'elle eût violé les loix
immuables de fon cours ; mais elle
avoit étendu les bords de fon voile
de telle forte , qu'à peine Phoebus touchoit
à l'humide empire , que fes
derniers rayons avoient été abforbés.
Une quantité prodigieufe de flam
beaux avoient fait un jour nouveau ;
& ce jour eft le vrai jour de Paphos.
A la lueur de ces Aftres factices , on
vit reparoître les Immortels Époux ; &
chacun deux fe rendit dans des cabinets
différens . Leur cour fe partagea
pour affifter à leur toilette. L'Hymen
vifita alternativement l'une & l'autre
lui-même avoit appellé la Galanterie ;
il l'introduifit à celle de l'Amour , &
les Grâces fe déroboient tour-à-tour
pour y paffer quelques inftans. La
toilette de l'Amour n'eft pas longue ;
il vola à celle de fa Pfyché , dans l'inftant
que par les mains de la Pudeur
elle achevoit de prendre une feconde
robe nuptiale d'un tiffu d'argent le plus
éclatant , que les Arts avoient parfemé
des tréfors de l'Orient. Les Grâces ,
empreffées autour d'elle , fe diſpu
toient le prix du goût ; & chacune en
-
MAR S. 1763. ISI
particulier s'applaudiffoit des ornemens
que la Beauté rend fi faciles à placer
& auxquels elle prête tant d'agré
ment.
Les toilettes étant finies , & les époux
encore plus parés de leurs charmes
que des ornemens qu'on y avoit ajoutés,
au milieu des lumières cachées dans
les feuilles & dans les fleurs , de ma
nière que les unes & les autres paroiffoient
produire la clarté ; cette troupe
charmante traverfa les jardins pour
retourner au Palais principal . Au - devant
, étoit dreffé un trône de brillans ;
plus éclatans que le Soleil , fous un
Pavillon de la plus riche pourpre de
Tyr , rayonnéé d'or & de diamans . Des
guirlandes de fleurs , artificiellement
imitées par les pierres les plus précieuſes
, en renouoient les pentes ; &
étoient foutenues par de jeunes zéphirs
dont les afles tranfparentes & orien
tées , s'accordoient harmonieufement
avec les couleurs du Pavillon . C'eſtlà
, que l'Amour & Pfyché fe placerent
pour voir la troupe agile des Plaifirs &
des Amours fe jouer alternativement ,
fur un canal de l'onde & du feu
que Vulcain avoit préparé pour le ter-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
de
vue ,
" rible Dieu de la Guèrre. Tantôt l'air .
embrafé offroit un fpectacle dont la vue
avoit peine à foutenir l'éclat & à fuivre
la variété des fcènes. Tantôt , par
des machines que les Arts avoient fournies
, l'Onde pouffée en jets à perte
étoit recueillie en l'air dans des
vâfes portés par les enfans aîlés qui ,
en la réverfant , lui donnoient mille
formes différentes ; la lumière étoit
telle dans ces fêtes qu'elle prêtoit
aux eaux l'apparence du criftal en fufion.
A ces jeux en fuccédoient d'autres
qui préfentoient l'image paffagère &
paifible des ravages & des embrafemens
qui , trop fouvent parmi les
Mortels , ne font qu'un jeu du Maître
charmant , qu'on amufoit alors
tour -à -tour le Tyran & le Dieu du
monde. Quelquefois on appercevoit
des traits de flâme , pénétrer , fans s'éteindre
, la profondeur des Ondes &
en faire fortir les froides Déités fur des
Conques galantes. Les Amours , qui
avoient lancé ces traits , menoient en
triomphe ces Dieux des eaux enchaînés .
Tout ce que les armes de l'Amour avoient
fait de conquêtes remarquables dans
l'Empire de Neptune , étoit rappellé
par des répréfentations animées. Chaque
MAR S. 1763. 153
1
partie de ces jeux , fi l'on vouloit les
bien peindre , fuffiroit à un Poëme
entier.
les
Plus puiſſant au Parnaffe que le Dieu
même qui y régne , l'Amour avoit appellé
les Mufes , & les Mufes s'étoient
empreffées à fignaler leur zéle ,, par
plus agréables effets de leurs talens. C'eft
à leurs foins qu'on devoit les preftiges
qui avoient figuré dejà les amours de
quelques Déïtés des eaux . Mais leur,
chef- d'oeuvre en ce genre étoit préparé
dans l'intérieur du Palais ; on s'y
rendit donc , pour jouir d'un nouveau
fpectacle qui ne cédoit a aucun de
ceux qu'on venoit de voir , mais dont ,
mon foible ftyle (a) ne pourra donner
qu'un trait aride & fans coloris.
CINQUIÈME CHANT..
Dans une des Salles les plus vaftes
du Palais , étoit difpofé un Théâtre
d'un genre & d'une forme dont notre
Grèce ne fourniroit que d'imparfaits
modéles toute la Cour de Paphos fe
raffembla dans ce lieu.
La Scéne n'étoit pas vifible aux Spec-
(a ) On fait que les Anciens nommoient ainf
fe poinçon avec lequel ils écrivoient fur les Tabletres
enduites de cire.
Gy
$4 MERCURE DE FRANCE.
1
ateurs , lorfqu'ils entrerent pour fe
placer ; on auroit eu peine à la foupconner
;on n'y voyoit qu'un fuperbe Amphitéâtre.
Mais à peine les deux Fpoux
y furent entrés , que la partie qui féparoit
la fcène difparut. On apperçut alors
un nouvel univers renfermé dans l'enceinte
de ce lieu ; des cieux , des mers ,
des campagnes , le terrible féjour des
enfers , & des Palais céleftes. La Nature
& l'Art magique , par leurs efforts réunis
, auroient peine à produire les prodiges
qu'offroit cette merveilleufe Scène.
Les Mufes s'étoient métamorphofées
fous diverfes formes , pour repréſenter
elles - mêmes les perfonnages d'un Drame
, dicté par Apollon , & qui retraçoit
en action les amours , les tourmens
& la félicité fuprême de la tendre Pfyché.
Cette repréſentation , qui n'étoit
point l'effet des Mafques groffiers en
ufage fur nos Théâtres ( b ) , étoit fi
fidéle , que Pfyché fut étonnée
fuite un peu inquiette de la Mufe qui
la repréfentoit : elle furprit les yeux de
l'Amour fouvent prêts à s'y méprendre ,
tant étoit parfaite l'illufion de la métaen-
(b) Sur les théâtres des Anciens les Acteurs
fe fervoient de mafques pour représenter les per
fonnages de leur Rôle.
MARS. 1763. 155
morphofe. Plus puiffante encore étoit
celle des accens qui renouvelloient
dans l'âme de Pfyché les fentimens
qu'elle avoit éprouvés. Ces accens
étoient dans un mode , & les vers dans
une mefure qui nous font encore inconnus.
Les chants , mariés à l'harmenie
de l'Orchestre , étoient apparemment
le langage même des Dieux pour
lefquels ce Spectacle étoit préparé. L'Amour
fourit à la vue de la Mufe qui
avoit emprunté fa figure ; il fe tourna
vers Pfyché pour confulter fon impreffion
; mais celle-ci , en portant fes
beaux yeux fur les fiens , lui dit , je
croirois voir l'Amour fur cette fcène
phantaftique , fil'Amour n'étoit à mes
côtés ; mais on ne peut jamais fe méprendre
à la fiction , que quand il ne
daigne pas fe montrer lui-même.
A l'endroit du Drame qui rappelloit
les tourmens de la jeune Pfyché ; au
terrible afpect des enfers , repréſentés
très-vivement , & fur-tout à l'impitoyable
menace de lui ravir la beauté ; cette
tendre amante , par un mouvement involontaire
, fe précipita dans les bras
de fon époux. Il en fut allarmé ; il
favoit mauvais gré aux Mufes du choix
de ces images douloureufes , pour une
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
fete confacrée aux plus doux plaifirs
Eh ! non , non , s'écria Pfyché , que
ne puis- je , tous les inftans de ma vie
immortelle , avoir un fouvenir auffi vif
des maux que j'ai foufferts pour vous.
On ne jouit bien des délices de l'amour
que par la mémoire des peines qu'elles
ont coutées. L'Amour cependant fit
dire aux Mufes par le Dieu du goût que
l'on fixoit trop long-temps l'attention
fur de fi funeftes tableaux . Auffi-tôt on
en vit fuccéder de plus riants : la clémence
de Vénus & la félicité des deux
amans en étoient l'objet. C'eſt alors que
Terpficore , par des danfes voluptueufes
& gayes , vint effacer l'impreffion pathétique
que fes foeurs avoient procurée .
SIXIÈME CHANT.
Un autre Sujet tout différent occupa le
théâtre. La fatyre s'en étoit emparé. La
Scène ne répréfentoit plus qu'une vaſte
mer. On vit fur fa furface s'élever plufieurs
Syrenes , dont les figures féduifantes
étoient auffi variées que leurs enchantemens.
Sans quitter l'humide fein de l'onde,
où plonge toujours la partie de leurs
corps, qui ne tient plus à l'humaine ſtruccture,
elles formoient par des entrelacemens&
des bondiffemens fur les flots , des
eſpèces de danfes , au fon de leurs chants
MARS. 1763, 157
,
mélodieux. Le tout refpiroit une volupté
fi dangereufe , que la plupart
des fpectateurs mêmes malgré la
force de leur divine exiſtence , en
étoient prèfque entraînés ; mais la plaifanterie
du Spectacle , qui furvint , fit
bientôt diſtraction à ce léger penchant,
en-
On apperçut des Barques fur cet
océan elles étoient , la plûpart , galamment
ornées , & paroiffoient chargées
de perfonnages qui repréfentoient
les principaux états de l'humanité. Ces
Barques n'avançoient pas toutes
femble on les voyoit d'abord dans le
lointain ; on remarquoit les mouvemens
oppofés qui fe paffoient entre des Nautoniers
expérimentés & des Paffagers
imprudens , qui les contraignoient à fe
détourner de leur route. Quelques Syrènes
fe détachoient pour aller au-devant
des Barques & fe faire voir de plus
près. Dès que les Barques en approchoient
les artificieufes Syrènes , ſe
replongeant dans l'onde , en reffortoient
à des diſtances éloignées. C'eft ainfi
qu'elles attiroient , par ces feintes refuites
, les Paffagers jufques dans certains
efpaces , où étoient cachés fous les
flots des filets plus déliés que les cheveux
de leurs blondes treffes , mais plus
158 MERCURE DE FRANCE.
infrangibles que l'acier de LEMNOS.On
diftinguoit dans ces diverfes Barques de
fuperbes Archontes , de graves Aréopagites
, des héros de Mars , des diſciples
de la Philofophie , enfin tous les
Ordres de la République , jufqu'à
d'auftères Sacrificateurs : chacun d'eux
difputoit avec foi-même quelques momens
; mais chacun d'eux veilloit l'inftant
où les patrons des barques détournoient
la vue , afin de fauter plus librement
dans ces flots empoifonnés , à
l'aide des mains perfides que leurs tendoient
les Syrènes . D'autres fembloient
s'y laiffer gliffer mollement , & comme
par diftraction , croyant apparemment
par-là fe dérober leur propre foibleffe
& s'épargner le reproche de leur chûte.A
peine ces divers perfonnages tomboient
en la puiffance des Monftres charmans
qui les avoient furpris , qu'ils étoient
enchaînés de fleurs. Les Syrènes en
avoient qui étoient enchantées pour chaquefens
en particulier ; de forte que ces
victimes fe trouvoient arrêtées dans toutes
les parties de leur être . Ainfi que
certains animaux carnaciers fe jouent
quelque temps de leur proie avant que
de la dévorer , telles ces femmes infidieufes
, faifoient en cent façons des
MARS. 1763. 159
jouets de leurs Captifs ; & par les formes
les plus ridicules qu'elles leur faifoient
prendre , elles les expofoient au
rire des Spectateurs , avant que de les
précipiter dans les abîmes de cet océan ,
Les jeunes étourdis de notre Grèce ne
furent pas les moins amufans des perfonnages
de cette comique Pantomime.
Les Syrènes les faifoient tourner avec
une rapidité incroyable autour d'elles :
elles avoient pour cela des fouets de
toutes les paffions , qui leur donnoient
à chaque inftant des impulfions contraires.
Elles changeoient enfuite ces
Etres en différentes efpèces d'animaux ;
elles s'amufoient de leur babillage en
perroquets ; elles leur faifoient répéter
à -peu-près ce qu'ils auroient dit fous
leur forme naturelle ; elles les faifoient
voler comme des Etourneaux , &
retomber dans la mer , où ils difparoiffoient
pour quelques momens. Enfuite ,
fous la forme de petits chiens , elles les
dreffoient fur le champ à plufieurs exercices
plus comiques les uns que les autres
; puis elles finiffoient par les tranfformer
en dogues furieux , dont les
rauques aboyemens étoient fuivis de
combats dévorans , qui fe terminoient
au gré du caprice de leurs cruelles maîtreffes.
160 MERCURE DE FRANCE.
>
De toutes ces Pantomimes , dont
Momus avoit concerté les fcènes , il n'y
en eut point de plus piquante que la
dernière. On vit approcher une Barque
plus confidérable que les précédentes ;
les flammes ou banderoles étoient de
pourpre de Tyr & de tiffus de l'or le
plus pur. A mefure que ce bâtiment
chargé d'un nombreux cortége , approchoit
des fpectateurs , on y découvroit
de nouveaux ornemens. Le Chef fe
diftinguoit fur tous les autres par l'éclat
des plus riches étoffes & des pierreries
dont il étoit couvert, On voyoit,
au mouvement perpétuel de fes mains ,
qu'il répandoit avec profufion toutes
fortes de richeffes aux Syrènes du fecond
ordre qui bondiffoient autour de
fa Barque , mais dont les charmes n'étoient
pas affez puiffans pour arrêter un
Dieu , car c'étoit le Dieu Plutus que
repréfentoit ce phantaftique perfonnage.
Il étoit alors en querelle avec l'Amour
& n'avoit point été appellé à ces fêtes.
Les Mufes , fouvent piquées des avançes
humiliantes qu'elles font à ce Dieu
& du dédain dont il les reçoit ,
avoient faifi cette occafion de vengeance.
On reconnoiffoit Plutus non-
>
feulement à fa fplendeur , mais à une
MARS. 1763.
161
certaine pâleur livide , qu'il porte luimême
fur le vifage , & qu'il communique
à fes favoris , abforbés dans le
foin d'accumuler & de conferver les
tréfors qu'il leur confie . Trois des principales
Syrènes attendoient cette précieufe
proie avec une nonchalance affectée
, qui leur en affuroit davantage
la conquête . Elles formerent alors des
concerts fi touchans ; elles prirent des
attitudes fi enchantereffes , que l'âme
d'aucun Mortel n'eût pu foutenir , fi
l'on ofoit le dire , le poids délicieux
de cette volupté. L'âme du Dieu des
Richeffes ne fut pas inacceffible. Les
Syrènes avoient ajouté à leurs enchantemens
ordinaires le charme d'un parfum
plus fort que celui qu'on offre aux
autres Dieux , & dont l'yvreffe eft inévitable.
Plutus reçut en apparence
l'hommage des trois Syrènes , qui ne
faifoient que prêter à fa vanité un léger
tribut dont il alloit les dédommager
par celui de toutes fes poffeffions . Les
Syrènes éleverent les bras vers lui ; il
s'inclina pour recevoir leurs embraffemens.
Bientôt elles l'eurent enlevé de
fon bord , & la Barque avec tout le
cortége difparut au milieu de la troupe
des autres Syrènes. Les principales Ac
162 MERCURE DE FRANCE ,
>
au moien
trices de ce jeu foutinrent quelque
temps Plutus fur leurs bras , puis , par
un badinage enjoué , elles le plongerent
dans les eaux enchantées. C'eft alors
qu'on ne peut compter toutes les tranfformations
burlefques par lefquelles on
le fit paffer. La dernière amufa particuliérement
la Cour du Dieu de Paphos.
On vit reparoître la tête de Plutus
fur la fuperficie de l'eau . Les trois
Syrènes , alternativement
d'un petit foufflet dont elles lui avoient
pofé le tuyau dans la bouche , gonflé
rent cette tête au point que toute fa
forme difparut , pour faire place à un
globe que l'air feul rempliffoit. Les Syrènes
alors s'écartérent ; & fe rejettant
en l'air l'une à l'autre ce globe de vent,
elles donnerent le Spectacle riant d'un
exercice très-agréable , jufqu'à ce que
ces jeux ayant affez duré , les Syrènes
fe plongerent avec leur proie au fond
de l'Océan. La Scène fe referma fubi
tement telle qu'elle avoit été avant le
Spectacle , & toute la cour des deux
époux les fuivit à la Salle du Banquet.
-
SEPTIÉ ME CHANT. f
Je ne décrirai point le lieu délicieux
& brillant deftiné au Banquet des Di
MARS. 1763. 163
vinités de Paphos. Je ne ferai point
l'énumération des mets exquis dont
Comus avoit dirigé la compofition &
l'ordre des fervices. Lorfque les Dieux
habitent la Terre , ils fe plaifent à ufer
de la nourriture des Mortels , ainfi que
des autres plaifirs que leur bonté fouveraine
a attachés à chacun de nos
fens. Ce qui eft plus important à mon
Sujet ce font les rangs des principaux
convives ; l'Hymen avoit de droit le
premier il étoit placé entre les deux
Epoux. Ce fut lui qui pofa fur leurs
têtes les couronnes en ufage dans les
feftins.
Chaque affemblée , chaque événement
tant foit peu folemnel , fait naître
dans les cours fublunaires une multitude
de conteftations . Les Cours Céleftes
n'en font pas plus exemptes. Cependant
celle de l'Amour dans fes fêtes
particulières eft très-facile fur l'étiquette
; mais l'Hymen préfidoit à celleci
& l'Hymen , ( Tyran jufques dans
les Plaiſirs , ) eft le premier qui ait introduit
les graves minucies du cérémonial.
Plus cérémonieufe que toute autre
& plus délicate fur les frivoles honneurs
la Pudeur reclama en cette occafion
la place que la Volupté vouloit
164 MERCURE DE FRANCE .
occuper auprès de Pfyché. Toujours
fière par humeur autant que par état ,
fouvent querelleufe par orgueil pour
des prérogatives qu'elle céderoit par
goût , cette majeftueufe Pudeur implora
l'autorité de l'Hymen , & l'Hymen
prononça en fa faveur. Pour confoler
la Volupté , l'Amour la fit mertre à fes
côtés . L'Amour déféroit encore aux
droits des premiers jours de l'Hymen.
O Hymen de combien d'années d'outrages
& d'affronts tu payes fouvent
les vaines déférences que tu éxiges
dans tes jours de Fêtes folemnelles ! La
place de Bacchus étoit marquée à la
droite de l'Amour. Ainfi la Volupté ne
fe crut point déplacée d'être entre eux.
Comus de l'autre côté fe rencontroit
près de la Pudeur. La vénérable Matrone
vit cet arrangement avec quelque
complaifance ; car de tous les Dieux
qui compofoient cette Cour , le délectable
Comus étoit celui avec lequel elle
7.
fe
permet un peu plus de familiarité .
Les Mufes étoient à la même table , &
Momus avec elles. Les Grâces avoient
refufé galamment de prendre place ,
pour fe réſerver le plaifir de fervir les
nouveaux Époux . Des Bacchantes chorfies
environnoient le lit de Bacchus.
MARS. 1763. 165
Chaque convive avoit un des demi-
Dieux de cette Cour, attaché au foin de
prévenir fes moindres defirs. Quelques
jeunes filles & quelques jeunes garçons
de Paphos , confacrés au temple , étoient
admis au même office..
D'autres tables raffembloient le refte
de la Cour , & la Gayeté , voltigeoit
alternativement des unes aux autres ;
tandis que dans l'intervalle des fervices ,
les Mufes faifoient entendre leurs concerts.
Bacchus ne contribuoit pas peu à
l'agrément de ce Banquet. Après les
premières coupes du nectar célefte , il
propofa le nectar de la Terre ; on en
avoit apporté de toutes les régions du
Monde. Ce fut la première fois que
dans une Ifle de la Gréce on goûta
d'un vin recueilli dans les climats barbares
des Gaules . Bacchus l'avoit fait
réſerver pour cette fête ; il voulut que
la Gayeté fe chargcât feule de le verfer.
Cette liqueur petillante comme elle , en
étoit l'image. Il en fit préfenter par
l'Amour à la belle Pfyché , dans une
coupe du plus pur criftal ; la févère
Pudeur crut qu'il étoit des fonctions de
fa charge d'examiner ce breuvage inconnu
, & voulut arrêter la main de la
jeune Epcufe prête à porter la coupe
66 MERCURE DE FRANCE .
fur fes lévres : mais celle -ci , en regar
dant avec une douce ingénuité la févère
Matrône , but la coupe fans héfiter ;
puis s'adreffant à elle , lui dit : O ! refpectable
Pudeur ; ce qui m'eft préfenté
par l'Amour ne peut m'être fufpect
& ne doit pas vous allarmer , puifque
l'Hymen ne s'y oppofe pas. L'Amour
paya du regard le plus tendre ce que
venoit de dire Pfyché , & l'Hymen luimême
ne put refufer d'y foufcrire. Bacchus
fit alors un figne à Comus , &
tous deux de concert engagerent la
Pudeur à vuider plufieurs coupes de la
même liqueur , à l'ombre de fon voile ,
qu'elle avoit rabaiffé. La Gayeté derrière
elle , en éclatoit de rire , & Momus ,
avec les Mufes préparoit déja des chanfons
à ce fujet. Mais ce filtre n'eut qu'un
effet momentané. La Pudeur en devint
un peu moins trifte , fans oublier les
entreprifes que projettoit fon indifcret
orgueil , au milieu de la galanterie de
ces Fêtes.
HUITIEME CHANT .
Malgré l'impatience de l'Amour , la
joie & le plaifir prolongerent le feſtin
jufques affez avant dans la nuit . Enfuite
les époux pafferent chacun dans leurs
appartemens particuliers , où ils furent
MARS. 1763. 167
conduits en pompe , au fon de divers
inftrumens , & au bruit des acclamations
univerfelles ; après quoi on les
laiffa en liberté. La chambre dans laquelle
devoient fe réunir les deux époux
avoit à - peu - près la forme d'un temple.
Sous une rotonde la Volupté
y avoit fait préparer le lit nuptial. ” Il
étoit fermé d'une double enceinte de
baluftres fur laquelle bruloient des
parfums céleftes , dans des caffolettes
d'or. Un double pavillon couvroit les
deux Enceintes. La lampe fatale , qui
avoit tant caufé de larmes à Pfyché ,
& qui fut cependant la fource de fa
félicité , avoit été fufpendue par la Volupté
au ciel du pavillon intérieur , avec
un tel artifice , que fans en appercevoir
la flamme , fa lumière réfléchie
éclairoit le lit d'un jour fi doux & fi
voluptueux , que cet aftre nouveau du
myftère faifoit craindre le retour de
l'aftre brillant qui anime & féconde
l'univers ,
L'Amour paffa le premier dans cette
chambre il étoit précédé d'une troupe
d'enfans ailés , portans devant lui leurs
flambeaux allumés, Le fien étoit entre
les mains de la Volupté. Elle entra feule
avec l'Amour dans l'enceinte intérieu168
MERCURE DE FRANCE
re. La troupe badine des enfans de Cythère
fe difperfa dans les avenues . Pfyché
, pour fe rendre en ce lieu myftérieux
étoit foutenue par l'Hymen
d'une main , & de l'autre par la Pudeur.
>
Il paroiffoit que tout alloit fe paffer
dans l'ordre antique & confacré par
l'ufage , fuivant lequel la Pudeur conduifoit
l'Epoufe jufques à la chambre
nuptiale , retiroit les voiles qui la couvroient
, l'attendoit le lendemain pour
les lui rendre & ne la pas quitter pendant
le reste du jour. On avança donc
jufques à la première enceinte fous le
grand pavillon extérieur. Le Mystère ,
exact & fidele , gardoit l'entrée du fecond
, dont il tenoit les rideaux fermés.
Les Graces attendoient que la Pudeur
enlevât les voiles qui enveloppoient la
belle Pfyché , pour la porter dans leurs
bras fur le lit nuptial. La Pudeur au
contraire s'avança impérieufement pour
pénétrer dans la dernière enceinte
malgré les efforts du Myftère , qui en
défendoit l'entrée. L'Amour reclama
avec impétuofité contre la violence
qu'on éxerçoit dans l'afyle facré de fon
fanctuaire. L'Hymen , dont la main
pefante brife fouvent l'édifice dont il
>
veut
MARS. 1763. 167
veut pofer les fondemens , l'Hymen
prétendit que ce fanctuaire étoit le fien ,
& que lui feul devant y donner des
loix , il vouloit que la Pudeur y préfidât.
Il menaçoit de fufpendre la fin de l'hymenée
, & de remener fur le champ
Pfyché dans l'Olympe , attendre la décifion
des Dieux affemblés. Ce n'étoit pas
la première fois que l'Hymen avoit commencé
par intimider l'Amour : ce n'étoit
pas la première fois que ce dernier avoit
fini par s'en venger cruellement. Il ſefe
réferva cette reffource , & feignit encore
de céder pour cette fois. La Pudeur
encouragée par ce premier triomphe ,
porta fes prétentions jufqu'à vouloir
paffer la nuit dans la dernière enceinte ,
où la Volupté feule avoit le droit de
veiller. La Volupté , affez douce naturellement
, devint furieufe & fe récria
contre cette entreprife. Il fut réglé que
la Pudeur veilleroit dans la première
enceinte , affez près néanmoins pour
que la nouvelle Epoufe pût toujours entendre
fa voix. La cruelle gouvernante
en abuſa tellement , qu'elle ne ceffoit
de l'appeller & de lui répéter des leçons
déplacées , fur lefquelles ni les reproches
impatiens de l'Amour , ni les cris de la
Volupté , ne pouvoient impofer filence .
H
170 MERCURE DE FRANCE .
Les Grâces craintives s'étoient difperfées
au premier bruit de la querelle
& les ordres de l'Amour même auroient
eu peine à les rappeller.
Enfin cette nuit de trouble & d'al- ·
larmes fit place au jour. L'opiniâtre Matrone
reconduifit Pfyché à fon appartement.
Trop nouvelle Déeffe pour connoître
toutes les prérogatives de fon
état , Pfyché flottoit entre la foumiffion
que la févère Pudeur exigeoit
d'elle , & la douleur amère d'affliger
l'Amour. De nouvelles fêtes embellirent
cette fecondejournée : ce qui l'embellit
encore plus , fut la préſence de Vénus,
qui vint vifiter les époux . Son fils fe
plaignit à elle de la tyrannie que l'Hymen
& la Pudeur entreprenoient d'exercer
fur lui-même , jufques au centre de
fon empire & de celui de fa mère. La
Déeffe , fenfible aux plaintes de fon
fils , lui promit que dès que les fêtes
préparées par Terpficore , pour l'entrée
de la nuit fuivante , auroient pris fil ,
elle remonteroit à la cour célefte faire
parler leurs communs droits , contre les
ennemis fecrets qu'ils avoient appellés
eux-mêmes dans leurs états . Diffimulez
, dit- elle , mon fils , paroiffez toujours
obéir , c'eft le plus für moyen que
MARS. 1763: 171
Amour & la Volupté puiffent prendre
pour détruire le pouvoir de l'Hymen
& de la Pudeur.
La feconde foirée fut plus prolongée
encore que la première. Les amuſemens
de Therpficore ayant occupé long-temps
une cour charmante , qui fe livroit au
plaifir dans l'ignorance des fecrets chagrins
qui en agitoient les chefs. Vénus ,
en retournant à l'Olympe , feignit de
quitter PAPHOS pour quelque temps.
La pudique Matrone en conçut l'efpoir
d'un nouveau triomphe ; car la préfence
de Vénus étoit contraire à fes projets.
Dès la nuit fuivante , après le cérémonial
de la veille , elle avoit repris fa
place ordinaire ; mais n'ayant pû fe
défendre d'un léger fommeil , qu'avoit
peut-être occafionné l'exercice , quoiqu'affez
froid, de quelques danfes qu'elle
s'étoit permife , elle fe réveilla tout-àcoup
; & dans le dépit de la négligence
qu'elle fe reprochoit , elle voulut la réparer
avec éclat. Elle ouvrit , ou plutôt
déchira les rideaux de l'enceinte facrée.
Le Myfière alla chercher fa retraite dans
ceux du lit des Epoux , & la Volupté
indignée quitta la place . L'Amour en
ce moment ufa de cette perfide douceur
qu'il fait fi bien employer quelque-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
fois , & ne fit à fon ennemie que de
tendres plaintes , qui encouragerent
encore fa fermeté .
(.
Cependant la Volupté éplorée avoit
répandu l'allarme dans l'intérieur du Palais
: elle gémiffoit avec les Grâces du
fort de leur maître , lorfqu'une lumière
céleste annonça le retour de Vénus.
Elles rentrerent avec elle dans la chambre
de l'Amour. A fon afpect , la Pudeur
troublée voulut fe retirer. Arrêtez.
, dit Vénus, arrêtez , imprudente maîtreffe
, pour écouter l'ordre fuprême des
Dieux. Si je vous euffe trouvé dans les
bornes prefcrites à votre emploi , mon.
pouvoir étoit limité , j'étois contrainte
à foutenir le vôtre jufques dans mon
propre empire mais vous avez paffé
ces bornes immuables votre injufte
ufurpation vous foumet à mon fils & à
moi , c'eft à lui que les Dieux ont déféré
le droit de prononcer. La Pudeur,
rougiffant de colère & de confufion , ſe
retira pour aller attendre fon arrêt : il
ne fut pas différé. Après avoir confulté
un moment avec fa mère , l'Amour fit
déclarer à la vénérable Pudeur , par la
bouche même de fon ennemie ( la Volupté
) , qu'elle eût à quitter fon empire
pour n'y jamais reparoître : c'étoit l'exi-
•
fe
MARS. 1763. 173
ler de la terre. Quelle région habitée
n'eft pas l'empire de l'Amour ?
>
Ainfi , pour avoir voulu MAL - APROPOS
ufurper des droits que l'Amour
ne devoit pas céder , la Pudeur en perdit
que l'Hymen même ne put lui rendre:
& l'Amour de fon côté perdit l'avantage
flatteur de la victoire , dans prèfque
toutes fes conquêtes. Perfonne n'y gagna
; la Volupté elle - même s'ennuya
bientôt de fes triomphes , & fe trouva
fatiguée de l'exercice d'un pouvoir fans
bornes & jamais contredit .
Depuis cette fatale époque , quelques
foins qu'ayent pris les Dieux pour réconcilier
la Pudeur avec l'Amour , il
veut toujours l'exiler des lieux où il
donne des loix & la Pudeur ne fait
prèfque jamais lui céder ou fe défendre
›
que MAL- A- PROPOS.
» Toi feule , fage & tendre Delphire!
> toi feule as pû donner afyle à ces deux
» ennemis dans une paix inaltérable .
» C'eſt ce bienfait des Dieux qu'a voulu
>> confacrer ma Mufe . Plus cette faveur
» deviendra rare dans les fiécles futurs
»
plus on admirera ta gloire & le
» bonheur de ton amant .
Par M. D L. G.
Hij
174 MERCURE DE FRANCE .
J'AI
A Mad... L. D... De......
'AI promis à mon Roi d'être fon Chevalier ,
Et dès long- temps je fuis le vôtre ;
Par ce double ferment je viens de me lier.
Je fuis fûr & jamais je ne veux l'oublier ,
En fervant l'un , de plaire à l'autre .
Parunjeune Chevalier de l'Ordre de S. Louis.
ARTICLE V.
SPECTACLES.
SPECTACLES DE LA COUR A VER
LE
SAILLES .
E. Mardi 1 Février les Comédiens
François repréfenterent le Glorieux ,
Comédie en cinq Actes & en vers du
feu fieur NÉRICAULT DESTOUCHES .
Le fieur BELCOUR y jouoit le principal
rôle ( a ) . Pour feconde Piéce les
Orignaux , Comédie en un Acte , en
profe , du feu fieur FAGAN (b).:
( a ) Premiére Repréſentation en 17321
(b ) En 1737.
MARS. 1763 . 175
Le Mercredi il n'y a point eu de
fpectacle à caufe de la Fête.
Le Jeudi les mêmes Comédiens re-
3
préfenterent Zulime , Tragédie du fieur
de VOLTAIRE (c) . La Dile CLAIRON
jouoit le rôle de Zulime. La Dlle Du-
BOIS celui d'Atide ; la Dlle PRÉVILLE
celui de Serame. Les rôles de Benafar
& de fon confident étoient remplis par
les fieurs BRISART & DUBOIS : ceux
de Ramir & du Confident, par les fieurs
le KAIN & d'AUBERVAL. La Tragédie
fut fuivie de l'Indifcret , Comédie
en un Acte en vers du même Auteur
(d) .
Le Mardi 18 on repréfenta l'Efprit
follet , Comédie en 5 Actes & en vers
du feu fieur HAUTEROCHE (e) , qui
fut fuivie du Cocher fuppofé (f) , Comédie
en un Acte & en profe du même
Auteur .
Le lendemain 9 les Comédiens Italiens
repréſenterent la Cantatrice , Comédie
Italienne , dans laquelle la Dile
PICCINELLI exécutoit le rôle de Cantatrice.
Cette Comédie précédoit Ver-
(c) En 27 40.
( d ) En 1725 .
( e )En 1684.
(f)Dans la même année.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
tumne & Pomone , ballet en un A&te ,
extrait du ballet des Elémens ) repréfenté
par l'Académie Royale de Mufique,
conjointement avec la Mufique du
Roi. Le Poëme de ce Ballet eft du fieur
Roy , Chevalier de l'Ordre de S. Michel.
La Mufique , du feu fieur DESTOUCHES
. Les rôles de Vertumne & de
Pan furent exécutés par les fieurs GELIOTE
& GELIN ; celui de Pomone
par la Dile ARNOULD . Les Grâces &
l'expreffion des chants de ce ballet , l'efprit
& l'agrément qui régnent dans le
Poëme , les talens fi connus & fi admirés
des Acteurs qui en rendoient les
principaux rôles , tant de charmes réunis
ne pouvoient manquer de plaire & de
rendre cette repréfentation très-agréable.
La Dlle LANI danfoit feule une
principale entrée dans les Bergeres . Le
fieur CAMPIONI & la Dlle DUMONCEAU
un pas de deux. Les fieurs LAVAL
& GARDEL danfoient dans les
Faunes , ainfi que les fieurs d'AUBERVAL
, GROSSET & CAMPIONI. Le
fieur LANI & la Dlle ALLARD exécutoient
les principales entrées dans les
Paftres.
Le Jeudi io , les Comédiens François
repréſenterent Mérope , Tragédie du
fieur de VOLTAIRE , dans laquelle la
MARS. 1763. 177
Dlle DUMESNIL joua le rôle de Mérope.
(g).
Pour feconde Pièce le Galant Coureur
, Comédie en un Acte en profe du
feu fieur le GRAND ( h ) . Le fieur Mo-
LÉ y jouoit le principal rôle.
Le Mardi 15 , dernier jour du Carnaval
, par extraordinaire , les Sujets de la
Comédie Italienne exécuterent à la
Cour deux Opéra- Comiques ; le Roi &
le Fermier , Paroles du fieur SEDAINE ,
Mufique du fieur MONCIGNI & On ne
s'avife jamais de tout.
On donnera dans le Mercure prochain
le Journal des autres repréfentations
jufques à la clôture .
N. B. Nous n'avons fait qu'annoncer
fommairement , dans le précédent
Vol. les premiers BALS DE LA COUR.
Nous ne doutons pas que nos Lecteurs
n'en defirent une relation détaillée jufques
à la fin du Carnaval : mais comme
ce genre de Spectacles doit à tous égards
être diftingué des repréfentations theatrales
dont nous venons de rendre compte
, on en a fait un Article particulier
que l'on trouvera après notre Article des
Théâtres & autres Spectacles ordinaires.
(g) Première fois en 1743 .
(h) En 1722 .
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES DE PARIS.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Mufique
a remis au Théâtre le Mardi 22 Février
TITON & L'AURORE, Paftorale Héroïque
en en 3 A&tes, précédée d'un Prologue,
dont le Sujet eft PROMETHEE animant
des Statues d'hommes & de femmes.
avec le feu du Ciel qu'il a dérobé.
Cet Opéra a été repréfenté pour la
première fois , au mois de Janvier 1753-
Il eut alors le fuccès le plus éclatant &
le plus longtemps foutenu , qu'on ait
vu fur ce Théâtre. Une époque mémorable
, mais affligeante pour les Amateurs
de ce Spectacle , ajoute encore à
fa célébrité , en ce que cet Opéra a été
le dernier dans lequel M. GELIOTE
a chanté fur le Théâtre de Paris.
Le Public a prouvé dès la première
repréfentation de cette Remife que l'ouvrage
devoit à fon propre mérite , &
non pas aux circonftances , l'avantage
de lui plaire. M. PILLOT qui joue le
rôle de Titon , eft applaudi avec juftice
dans plufieurs endroits éffentiels de ce
}
MAR S. 1763. 179
rôle. La mémoire récente encore de
M. GELIOTTE , & renouvellée journellement
par les repréſentations de la Cour
eft une ennemie qui fait honneur , même
en triomphant , au talent & à l'application
de M. PILLOT , bien moins
fecondé par l'organe que fon célébre
Prédéceffeur. Mlle LE MIERRE ( époufe
de M. LARRIVÉE ) fans avoir eu
les mêmes obftacles de comparaifon à
vaincre fe fait beaucoup d'honneur
dans le rôle de l'Aurore qu'elle chante
& qu'elle joue avec un égal fuccès . Les
rôles de Palès & d'Eole , quoique moins
intéreffans dans le fujet que les deux précédens
, font beaucoup d'effet , & font
très -bien rendus ; le premier , par Mlle
CHEVALIER ; l'autre , par M. GELIN .
Ce dernier eft particuliérement très -applaudi
dans le grand morceau du fecond
Acte Vents furieux , &c , dans
lequel fa belle voix eft déployée avec
tous fes avantages. Mais ce qui , avec
beaucoup de plaifir , fait l'étonnement
& l'attention du Public , c'eſt la manière
dont M.MUGUETchante la célébre Ariette
du Dieu des coeurs & c . On peut avec
autant de juftice lui attribuer ce que
nous venons de dire à l'occafion de
H⋅ vj
180 MERCURE DE FRANCE .
M. PILLOT , puifque cette Ariette étoit
exécutée par M. GELIOTE , & faifoit ,
une partie très - brillante du rôle de
Titon . On doit ajouter au fujet de
M. MUGUET qu'en donnant de juftes
éloges aux foins qu'il a pris de
chanter avec art ce Morceau , il eft redevable
auffi à l'avantage de fa voix du
plaifir que le Public trouve à l'entendre.
Cette favorable circonftance doit
fans doute encourager ce Sujet à redoubler
d'efforts & d'application pour
profiter du même avantage dans d'autres
occafions , & pour faire valoir par le
talent la faveur que la Nature lui a donnée
du côté de l'organe.
Nous ne parlerons point des parties
acceffoires dans cet Opéra ; les vers
& la Mufique fuffifent au fuccès de
l'ouvrage .
Les vers du Prologue font de feu M.
de la MOTHE . Le Poëme de feu M. de
la MARRE , Auteur du Poëme de Zaïde
(a ) . La Mufique de M. de MONDONVILLE
.
(a ) Nous ignorons par quel motif dans l'édition
des paroles de cet Opéra , on n'a fait ,
contre l'ufage , mention uniquement que de
l'Auteur de la Mufique. Comme nous n'avons
aucune raison pour priver la mémoire de feu M.de
MAR S. 1763. 181
L'Extrait du Poëme fe trouve au Mercure
de Février 1753 .
On continue les Fêtes Grecques &
Romaines les Jeudis. Le Public y entend
avec beaucoup de plaifir entr'autres
talens de ce Théâtre M. LARRIVÉE
dans le rôle d'Alcibiade , ainfi que
dans le rôle de Prométhée au Prologue
de Titon & l'Aurore.
laMARRE de la gloire d'un ouvrage auffi agréable,
nous avons cru , conformément à tous les Journaliſtes
& les Bibliographes de ce Théâtre, devoir
la lui reftituer ici.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE 26 Février on joua pour la 17°
repréſentation Dupuis & des Ronais
Comédie dont nous avons déja parlé
dans le Mercure précédent. Il eft , depuis
longtemps fi peu d'exemples d'un
pareil nombre de repréſentations
fur ce
Théâtre , que cette feule circonftance
fair mieux que tout ce que nous
pourrions ajouter , l'éloge le moins
fufpect de cet Ouvrage. L'analyfe
que nous en donnons ici , n'eft que
pour fatisfaire la première curiofité des
182 MERCURE DE FRANCE :
Lecteurs qui n'auroient pu fe procurer
l'édition de cette Piéce. Quand nous
aurions étendu davantage notre Extrait ,
nous aurions toujours fait perdre trop de
plaifir aux Lecteurs & fupprimé trop
de beautés dans le coloris de l'Ouvrage
, pour difpenfer de recourir à l'Ouvrage
même .
MARS. 1763.
183
EXTRAIT
DE DUPUIS ET DES RONAIS,
Comédie en trois Actes en vers libres ;
par M. COLLÉ , Lecteur de Monfeigneur
le Duc d'ORLÉANS.
PERSONNAGES.
M. DUPUIS , homme de Finance ,
père de MARIANE ,
MARIANE , fa fille , amoureuſe
de DES RONAIS ,
ACTEURS.
M. Brifard.
Mlle Gauffin.
M. Mollé
DES RONAIS , auffi Financier ,
amoureux de MARIANE ,
CLÉNARD , ci- devant Précepteur du
feu neveu de DUPUIS , M. Dubois
GASPARD , Notaire , M. d'Auberyal
LAVIOLETTE , Valet de Chambre .
La Scène eft à Paris , dans le Salon de M. Dupuis.
LE
E vieux . Dupuis a deſtiné fa fille à
Des Ronais . Les deux Amans , qui s'aiment
avec une égale tendreffe , n'afpirent
qu'après le jour de leur union ,
& fe flattent que cet hymen n'eft pas
éloigné. Mariane a vingt - cinq ans :
184 MERCURE DE FRANCE.
2
Dupuis approuve leur amour & defire
ce mariage ; il a engagé Des Ronais
qu'il aime , à venir demeurer dans fa
maifon il fe dépouille en fa faveur
d'une Charge de Finance qu'il a occupée
l'espace de trente- deux ans; il a fait venir
un Notaire ; Des Ronais & Mariane
ont ordre de fe rendre dans fon appartement
; tout cela femble annoncer un
mariage prochain , & ce mariage néanmoins
paroît devoir être encore différé
; en voici la raifon.
DUPUIS.
A cet hymen fije donnois les mains ,
Abandonné dans ma vieilleſſe ,
Réduit à cet état dont j'ai cent fois frémi ,
Jevivrois feul & mourrois de trifteffe ,
De perdre en même temps ma fille & mon ami.
C'eſt cette juſte défiance
Que je renferme dans mon fein ,
Dont j'épargne à leur coeur la trifte connoiffance ,
Qui ne feroit qu'augmenter leur chagrin ;
Et pour donner en apparence
Quelque motif à mes délais ,
Sur les exploits galans j'attaque Des Ronais.
Ce n'eft qu'un voile adroit pour couvrir le myf
tère
Que de mon fecret je leur fais.
C'est dans ces quatorze vers qu'eft
MARS. 1763. 185
>
renfermé tout le fujet de cette Comédie.
Dupuis , pour juſtifier ſes délais , dont
il vient d'expofer le motif, attribue à
Des Ronais des intrigues galantes qui
pourroient faire le malheur de fa fille
fi elle devenoit fon époufe. Cette galanterie
de Des Ronais n'eft pas une
pure fuppofition ; & les bruits qui s'en
répandent ne font point fans fondement.
On fait qu'une Comteffe lui a fait
des avances , auxquelles il a paru répondre
; & le hazard veut qu'une Lettre
de cette femme à Des Ronais tombe
entre les mains du vieux Dupuis , qui
triomphe d'avoir cette piéce à oppofer
aux inftances des deux Amans. La Scène
où il leur fait part de cette Lettre , a
paru un chef-d'oeuvre. Nous en rapporterons
quelques traits qui pourront en
donner une idée.
DUPUIS à Mariane,
Ecoute
Le billet qu'on écrit à cet homme galant : -
Tu verras que tantôt j'avois raiſon fans doute.
Pour l'époufer fi vîte il eft trop fémillant .
( il veut lire. )
Ce Lundi.....
DESRONAIS ,l'interrompant , & le tirant par la
manche , en fe cachant de Mariane ; & voulant
l'empêcher de lire,
186 MERCURE DE FRANCE .
Eh !par grace ! ...
DUPUIS , fecouant la tête.
Oh ! non pas. Sans votre façon dure ,
Vos reproches amers fur ma mauvaiſe foi ,
Ce n'eût été qu'entre vous feul & moi,
Que j'euffe fait cette lecture.
Mais , pour me difculper de tous mes torts , je voi
Qu'à ma fille , à préfent , malgré moi je la doi .
( Se retournant vers fa fille . )
Lifons donc , pour cela , la lettre de la Dame.
( Illie. )
Ce lundi.
Comment donc depuis plus d'un mois , vous
tournez la tête à votre Comteffe ; & il y a huit
grands jours qu'elle n'a entendu parler de vous.
Voilà une bonne folie ! ceci auroit tout l'air d'une
rupture , fi je voulois y entendre ; furtout depuis la
dernière lettre que j'ai reçue de vous , & qui etoit
fi gauche. Mais finiffons ceci ; les ruptures m'excédent
; tout cela m'ennuie ; &je vous pardonne .
Au fond , pourtant , c'eft une bonne femme !
Quelle clémence ! la belle âme!
( Il continue de lire. )
C'eftjeudi lejour de ma loge à l'Opéra ; " venezy.
Je reviens exprès de la Campagne , cejour-là ,
pour fouper avec vous ; je vous menerai & vous ramenerai
. A jeudi , donc ; je le veux ; entendezvous
queje le veux ? Tâchez de quitter vos Dupuis
de bonne heure.. S'interrompant , vos DUPUIS ?
VOS
Je vous défends , furtout , de me parler de cette
MARS. 1763. 187
petite fille , ( II ôte fon chapeau à Mariane ) , &
de m'en dite tant de merveilles . Il y a dequoi en
périr d'ennui ; ou , ce qui feroit cent fois pis encore
, il faudroit en devenirjaloufe. A jeudi , mon
cher Des Ronais . Rancune tenanté , au moins .
( Il les regarde, & ils reflent tous un moment fans
parler. )
Qu'est- ce ? .... Eh bien !
pétrifiés !
... Vous voilà tous deux
Ma fille , vous voyez , fans que je le prononce ,
Tous mes délais juſtifiés .
( A Des Ronais , en lui remettant la lettre de la
Comteffe .)
Comme un homme poli , vous vous devez
réponſe
>
A ce billet galant , vif & des plus inftans :
Et pour la faire , moi , je vous donne du temps :
Mais , mais , beaucoup ; .... un temps confidérable.
MARIANE ,
du ton du fentiment.
Quoi ; vous me trompiez ? Vous ! Quoi ! vous ,
Des Ronais , vous !
DUPUIS , d'un ton de gaîté .
Eh ! vraiment , il nous trompoit tous !
DES RONAIS , d'un air modefte & affligé.
Eh ! Monfieur ! eft- ce à vous de me trouver cau➡
pable ?
J'aurois bien des moyens pour me juftifier :
Si je n'avois en vous un Juge qui m'accable ,
188 MERCURE DE FRANCE.
Et qui ne veut que me facrifier.
MARIANE.
avec un peu de dédain.
Vous vous juftifiriez !
On peut l'en défier.
DUPUIS , d'un air triomphant .
DES RONAIS , vivement.
Non , vis-à- vis de vous , divine Mariane ,
Je ſuis un criminel qui tombe à vos genoux;
Je mérite votre courroux ;
Et moi- même je me condamne ,
Je m'abhorre. Qui? moi ! ...J'ai pu bleffer l'amour! ..
L'amour que j'ai pour vous ! par un juſte retour ,
Punillez - moi , foyez impitoyable ;
De votre colère équitable
Faites-moi fentir tous les coups ,
Je ne m'en plaindrai pas. Mais vous , Monfieur ,
mais vous !
Si vous ne cherchiez pas des prétextes plaufibles ,
Four pallier vos réfus éternels ,
Tous mes torts , à vos yeux , feroient moins
criminels ,
Ils feroient moins irrémiſſibles.
DUPUIS.
DESRONAIS.
Vous le
croyez ?
Oui ,fans cela , Monfieur ,
Nous ne me feriez pas un crime d'une erreur ,
Quel'on pardonne à l'âge , & qu'il m'a fait come
mettre.
MARS. 1763. 189
Vous me juftifiriez vous -même , & par la lettre ,
Dont ici , contre moi , vous venez d'abuſer.
Dupuis marque fa ſurpriſe .
Rien n'eft plus vrai , vous avez trop d'ufage ,
D'habitude du monde , & vous êtes trop fage ,
Pour que ce vain écrit , qui fert à m'accufer,
Ne pût , fi vous vouliez , tourner à m'excuſer.
Examinons- le , & voyons ce qu'il prouve,
Voici d'abord ce que j'y trouve :}
( Il lit. )
Comment donc ! depuis plus d'un mois , vous
tournez la tête à votre Comteffe.
Depuis un mois. Ce fut au Bal de l'Opéra.
Que s'engagea cette fotte aventure …..
Voyez ... Mais , pefez donc fur le temps qu'elle
dure.
( Il lit. )
Et il y a huit grands jours qu'elle n'a entendu
parler de vous... ( Plus bas. ) Ceci auroit tout l'air
d'une rupture . .. Oui ! L'air d'une
rupture ;
C'en eft une , bien une , une qui durera ,
Une bien complette , bienfure ,
Ou jamais femme n'y croira.
MARIANE ,
en foupirant & fans le regarder,
Comment vous croire , yous ?
DES RONAIS.
Que vous m'affligeriez ,
·Si vous pensez qu'en cette aventure fatale ,
190 MERCURE DE FRANCE .
Elle ait , un feul inftant , été votre rivale;
Ne l'imaginez pas. Vous vous dégraderiez.
DUPUIS.
Qu'il connoît bien le coeur des femmes !
Il eft vif, éloquent. Je ne fuis plus furpris ,
S'il fait tourrner la tête à de fort grandes Dames
MARIAN E.
Infidéle eh ! voilà le prix ...
DUPUIS.
Voilà comme l'amour échauffant fes efprits
Et lui prêtant fon éloquente ivreſſe ,
Il enflâma certe Comteſſe ,
Dont il étoit ; & dont il eft encore épris.
DES RONAIS.
Moi ! de l'amour pour elle ! Eft-ce ainſi qu'on
profane
Le nom d'amour ? Le plus profond mépris
Eft le feul fentiment ; oui , le feul , Mariane ,
Qu'elle ait excité dans mon coenr .
Je le prouve encor , par ſa lettre :
Surtoutje vous défends de me parler de'Mariane..¿
DUPUIS , l'interrompant.
Ah ! tout beau ! daignez me permettre ;
Lifez comme on a mis , comme on a voulu
mettre.
Cette petite Fille.
DES RONAIS.
Eh bien ! foit. Oui , Monfieur.
( Il lit. )
MARS. 1763.
Surtout je vous défends de me parler de cette
» petite Fille. ( Il mâchonne les derniers mots à
Mariane. ) Et de m'en dire tant de merveilles.
Pendant le peu de temps qu'a duré mon erreur
Je n'étois plein que de vous -même;
Je ne lui parlois que de vous ;
De votre coeur , de mon amour extrême
De nos fentimens les plus doux ;
Du defir vif , & du bonheur fuprême
De me voir un jour votre Epoux ....
Son orgueil ; non , fon coeur me paroiffoit jalous
De ces objets toujours préſens à ma penſée ,
Mais fans ceffe mon coeur les lui préſentoit tous :
Et quoiqu'au fond de l'âme , elle en fût offenſée , ]
Elle- même , elle étoit forcée
De ne me parler que de vous.
Pendant le couplet précédent , Mariane s'atten
drit par degrés , & prépare lefoupir qui doit lui
échapper à la fin de ce même couplet.
Hélas !
MARIANE.
DUPUIS , du ton du dépit.
Tu t'attendris
Quelle foibleffe extrême !
MARIANE , pleurant prèſque.
Moi ! je m'attendris , moi !
DUPUIS.
Eh ! mais , fans doute. Eh ! parbleu ! je le voi
P
192 MERCURE DE FRANCE.
(
Pauvre dupe ! .... crois- tu que fans partage il
aime?
MARIAN E.
Mon Père ! Eh , Je ne crois rien , moi .
DESRONAIS , à Marianne.
Ah ! croyez que vous ſeule & toujours adorée ,
Vous regnates toujours fur ce coeur emporté ,
Par une folle ardeur de fi peu de durée ....
( S'adreffant à Dupuis . )
Et pour vous pénétrer de cette vérité ,
Regardez Mariane ... Et
voyez , d'un côté ,
La décence & l'honnêteté ,
Le fentiment ; une ame ..... Eh ! quelle âme adorable
!
Sa tendreffe pour moi ; .... mais que j'ai mérite
De perdre , en me rendant coupable ...
Et voyez de l'autre côté .....
DUPUIS.
Phoebus , que tout cela !
MARIANE ,
Mais non. En vérité ,
Je fuis bien loin , ici , de prendre la défenſe ;
Ni même , dans l'aveu de fon extravagance ,
De vous faire obſerver , au moins , ſa bonne foi.
Non , la légèreté m'offenſe ;
Je fuis fenfible ; je la voi ;
Mais vous mon père , hélas ! pourquoi
En
MARS. 1763 . 193
En montrez - vous encor plus de courroux que
moi !
Malgré toute la complaifance ,
Et le refpect que je vous doi ,
Voulez-vous enfin que je penfe! ...
DUPUIS.
Quoi donc ! Que penſes-tu ? ( àpart. ) J'enrage.
MARIANE.
Mais je croi ,
Sans m'éloigner trop de la vraiſemblance ,
Que les torts, ( trop réels ) de Monfieur Des Ro
nais ,
Vous fervent bien dans les projets ,
Que vous vous étiez faits d'avance.
D'UPUIS.
Quels projets ! Ma conduite eft toute imple. Eh !
mais,
C'est le fait feul qui parle , & que je te préſente ;
Des Ronais aime ailleurs.
MARIANE.
Aimer ! c'eft bientôt dit.
Aimer ! Que votre âme eft contente
D'appuyer fur ce mot , ( à part. ) que mon coeur
contredit !
DUPUIS.
Eh ! Oui , flatte-toi donc que cette grande Dame
N'a plus aucuns droits fur fon âme ,
Et ne lui fera pas négliger les Dupuis.
Et la petite Fille ?
I
194 MERCURE DE FRANCE.
DES RONAIS.
Ah ! Monfieur , je ne puis
Tenir à ce reproche horrible .
MARIANE , à part.
Eh ! Son projet eft bien vifible !
DES RONAIS.
Mariane , de mille coups ,
Je percerois ce coeur , s'il eût été fenfible ;
Un feul inftant , pour un autre que vous.
DUPUIS.
Bon ! bon ! difcours d'amans. Ils fe reffemblent
tous.
MARIAN E.
Non , ceux- là font fentis,
DES RONAIS.
Sans doute , & c'eſt mon âme ,
Qui parle , qui vous peint , qui veut , en traits de
Aâme ,
Dans votre coeur graver mon repentir .
Dans le mien le remords s'eft déja fait ſentir
Ce n'eft pas d'aujourd'hui , que mon amour ré
clame .
Contre l'erreur qui l'a furpris.
Si vous fçaviez tout le mépris
Que , dès cet inftant- là , j'ai conçu pour moimême,
Pour ma fatuité , pour ma foibleffe extrême ;
Oui , Mariane , ici , je le jure à vos pieds ;
MARS. 1763. 195
Malgré votre courroux , malgré vos juftes
plaintes ,
Si vous aviez pu voir mes remords & mes craintes ,
Vous- même vous me plaindriez .
MARIAN E.
Ecoutez , Des Ronais : je veux votre parole
De ne rèvoir jamais la Comteffe ...
DES RONAIS.
Ah ! l'honneur ,
L'amour font le ferment ! Et fi je le viole,
Que je perde à la fois la vie & votre coeur.
MARIAN E.
Je le reçois , & vous pardonne .
DES RONAIS , voulant fe jetter aux pieds
de Mariane.
Trop généreufe Amante !
DUPUIS.
Eh ! comment donc ! comment !
C'eft au moment où je vous donne
Une preuve invincible ...
MARIANE.
Oui , c'eſt dans ce moment ,
Mon Pere , où dans l'aveu naïf de ſa foibleſſe ,
Je vois moins fon aveuglement
Que fes remords & fa tendreffe:
Où , de ce même égarement ,
Je crois voir & trouver la cauſe ,
Et l'excufe de vos délais.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
DUPUIS.
Parbleu ! ceci n'eft pas mauvais ,
Et c'eft fort bien prendre la choſe !
D'après cet éclairciffement ,
Qui contre moi tourne directement ,
Vous verrez que c'eft moi qui fuis coupable. Enforte
...
MARIANE.
Mon pere , pardonnez ! je ſens que je m'emporte
;
Mais vous m'aimez ; vous voulez mon bonheur
;
Moi-même à nous unir , fouffrez que je vous
porte ;
L'hymen m'affurera de fa conftante ardeur.
Des Ronais eft rempli d'honneur ;
Mon pardon généreux fur l'âme de Monfieur
Doit faire une impreffion forte ;
Et je vous réponds de fon coeur.
DUPUIS.
Quelle eft'ta caution ? L'amour qui te tranſporte ?
C'eſt une déraison qui me met en fureur.
Non , non , ce n'eft qu'après les plus longues
épreuves
Que je ferai de Monfieur Des Ronais,
Qu'il fera ton époux. Je veux qu'il le foit. Mais ,
De fa bonne conduite , il me faut d'autres
preuves.
MARS. 1763. 197
Bien perfuadés que les galanteries de
des Ronais ne font qu'un faux prétexte
pour différer leur mariage , les deux
Amans font auprès de Dupuis les plus
vives inftances pour l'obliger à s'expliquer
fur le véritable motif de fes délais.
DUPUIS , après avoir réfifté quelque temps .
Il vient d'un fentiment que vous croirez biſarre ,
( Quoique très- vrai pourtant ) & qui n'eſt point fi
rare ;
Mais que dans la jeuneſſe , on n'a point , mon
ami :
C'eſt la défiance des hommes
Qu'en moi l'expérience a trop bien affermi ,
Surtout dans le fiécle où nous fommes.
C'eſt en partant d'après ce principe ennemi ,
Que j'entends , que je veux que votre mariage
Que vous preffez tous deux fi fort ,
Ne fe falle qu'après ma mort.
Nous regrettons de ne pouvoir rapporter
toute la Scène qui fuit cette explication
; elle eft à la fois vive , noble,
ingénieufe & attendriffante. M. Dupuis
entreprend d'abord de juftifier fa façon
de penfer , & dit aux deux Amans :
ma fille
Quand vous , Des Ronais , vous ,
Vous ferez occupés d'abord de votre amour
>
I iij
198 MERCURE DE FRANCE .
Qu'après cela viendront les foins d'une famille ;
Qu'aux devoirs les plaifirs fuccédant tour- àtour
,
Vous recevrez chez vous & la Ville & la Cour ;
Que pour ſuffire à ce brillant commerce ,
Tous vos momens feront comptés ;
Qu'enfuite enfin des deux côtés
Les paffions viendront à la traverſe ;
Je dois beaucoup compter fur vos bontés.
L'amitié des enfans paffe alors comme un fonge.
C'est dans le tourbillon où le monde les plonge ;
Hélas ! c'eft dans ces temps de travers & d'écart,
Qu'à peine la jeuneffe fonge
A l'existence d'un vieillard .
Ma fille ; on ne voit dans le monde
Que des pères abandonnés
A leur folitude profonde ,
Par des enfans ... fouvent qui les ont ruinés.
Mais en voit-on d'affez bien nés ,
Pour ofer en public , faire leur compagnie
De ces Vieillards infortunés ?
Ils leur feront , & par cérémonie
Une vifite ou deux par mois ;
Seront diftraits , rêveurs , immobiles & roids
Dans un fauteuil viendront s'étendre ;
Parleront peu , ne diront rien de tendre ,
Et s'en iront après avoir bâillé vingt fois.
MARS. 1763. 199
Encore font- ce les plus honnètes ;
Qui , commandés par l'abſolu pouvoir
Que fur ces Meffieurs- là peuvent encore avoir
Des bienféances méchaniques ,
Viennent ainfi ſe rendre en mauvais politiques ,
A ce qu'ils nomment leur devoir ;
Nous donner , en fuivant des ufages antiques ,
Par décence , & bien moins pour nous que pour
autrui ,
De ces preuves périodiques
De leur ingratitude & de leur froid ennui.
Des Ronais ne croit pas devoir combattre
les idées de ce vieillard ; il connoît
la bonté de fon coeur , & c'eft
par le fentiment & la tendreffe qu'il eſfaye
de vaincre fa réfiftance .
Non , vous n'êtes point infenfible.
Ne vous dérobez point aux tendres mouvemens ,
Très- reſpectable ami , qu'il eſt prèſque impoſfible
Que vous n'éprouviez pas dans d'auffi doux momens.
Que l'amour paternel , notre commune flâme ,
Qu'une fille , un fils , deux amans ,
Que l'amitié , l'amour , la nature en votre âme ,
Par la réunion de tous ces fentimens ,
En l'embrafant du feu qui nous enflamme ,
Y faffent tout céder à leurs tranfports charmans
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
C'eſt votre coeur lui feul , lui feul que je reclame.
Vous vous vous attendriffez. Mon père ,
à vos
genoux ,
Je lis dans vos regards que j'obtiendrai de vous
Ce doux confentement oùje force votre âme.
Dupuis ne fe rend point encore ; &
cette réfiftance qui met l'impétueux
Des Ronais hors de lui-même , ne lui
permet plus de fe contenir. La douceur
de Mariane , & tout ce qu'elle montre
de tendreffe , d'attachement & de fou--
miffion pour fon père , triomphe enfin
de l'obftination du vieillard qui lui dit ;
Je ne veux point laiſſer à ma raiſon fidèle
Le temps 'de refroidir ma fenfibilité.
Qu'aujourd'hui votre hymen fe faffe ;
Aujourd'hui donne- lui la main ...
Je ne répondrois pas demain
De t'accorder la même grace.
Ainfi finit cette Piéce intéreffante .
MAR S. 1763.
201
OBSERVATIONS fur la Comédie de
DUPUIS & DES RONAIS.
COMBIEN il feroit agréable pour nous de n'avoir
jamais à rendre compte au Public , que d'Ouvrages
tels que celui dont nous venons de faire l'Extrait
! Certains de n'être pas contredits fur les
éloges , nous aurions la fatisfaction d'exercer une
critique , utile au progrès de l'art , fans bleſſer
l'amour-propre des Auteurs.
Dans ce que nous avons déja dit au fujet de
cette Comédie (a) nous avions réſumé à- peuprès
ce que le Public avoit le plus applaudi , & ce
qu'il a confirmé depuis par des fuffrages réfléchis.
Intérêt touchant fans trifteffe ; morale fans
pédanterie ; détails toujours agréables fans affectation
de tours brillans , d'où réfulte la juſteſſe
& la facilité dans le Dialogue ; par- tout un fentiment
puisé dans la nature & non dans le Roman
du coeur. Telle eft l'idée générale qui nous a paru
rester de cette Piéce à tous ceux qui la connoiffent.
Qu'il nous foit permis , pour notre
propre inftruction , d'y ajouter quelques réflexions
particulières que l'ouvrage nous a fait naître.
Le fujet eft fort fimple. L'emploi qu'en a fait
l'Auteur pour fournir à trois Actes , fait d'autant
plus d'honneur à fon talent , qu'il ne laiffe
appercevoir aucune extenfion forcée. Examinons
fes moyens.
Il ne pouvoit y avoir dans cette Piéce beaucoup
(a) Voyez le Mercure de Février , Article des
Spectacles de la Cour.
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
de ce qu'on appelle communément ACTION . Un
Sujet auffi peu compliqué ne pouvant & ne devant
admettre la multiplicité des incidens , ni un
mouvement bien apparent dans la marche ou
dans la conduite du Drame. Mais quand d'autres
Modernes , furtout parmi les François , ne
nous auroient pas appris par leurs fuccès qu'il
ya différens genres d'ACTION , cette Piéce luf
firoit peut-être pour nous le faire appercevoir.
Je ne fais fi l'on ne trouvera pas trop d'affectation
dans les termes , lorfque nous diftinguons
l'ACTION DRAMATIQUE en action phyfique & en
action morale. Je crois au moins pouvoir m'affurer
qu'il y a de la vérité dans la diftinction
& que la Comédie dont il s'agit eſt du genre
d'ACTION morale.
>
Ne pourroit-on pas confidérer comme action
phyfique ou matériele , celle qui par la force de
l'intrigue , par l'enchaînement des incidens , met
les perfonnages dans des fituations opposées
l'une à l'autre , celle qui change alternativement
la fortune de divers projets , par des événemens
préparés mais imprévus , & enfin par
d'autres événemens indépendans de la volonté
ou des fentimens de quelques perfonnages , rapproche
le terme ou dénoûment que cette même
ACTION avoit rendu à éloigner ?
Il devoit fe rencontrer très - peu d'ACTION
de ce genre
dans
la Comédie
de Dupuis
& Des
Ronais
. Tout
ce qui peut
avoir
rapport
au premier
genre
eft l'incident
( très- ingénieu
fement
trouvé
, & très - habilement
mis en oeuvre
) de la.
Lettre
de la Comtelle
à Des Ronais
entre
les
mains
de Dupuis
. Nous
reviendrons
au mérite
de ce moyen.
Au contraire , ne pourroit- on pas placer dans
MARS. 1763. 203
le fecond genre d'ACTION , qu'on nous permettra
de nommer morale ou métaphysique , les ob facles
qui résultent feulement du contraſte des
caractères ou d'un intérêt actif & puiffant oppofé
aux vues & aux défirs des perfonnages intéreffans
?Ne peut-on pas ranger dans la même claffe
un jeu de refforts que produit la feule gradation
de fentiment entre les perfonnages , & qui donne
aux uns une certaine force , indépendante des
événemens , fur les volontés des autres ? Le mouvement
qui résulte de cette forte de moyens
n'a fon principe & fon action que dans le coeur
& ne peut être fans doute bien faifi que par l'efprit.
C'eſt de ce fecond genre , tel que nous éffayons
de le définir , que l'Auteur a tiré le plus grand
parti dans fa Piéce . C'eſt par la que l'incident de
la lettre , qui pouvoit donner à Dupuis les plus
fortes armes contre l'importunité des deux Amans ,
& qui femble devoir , finon détruire , au moins
altérer cruellement le concert de leurs fentimens,
devient au contraire l'occafion du triomphe qu'ils
remportent fur la volonté la plus obftinément
affermie. C'eſt la juſteſſe avec laquelle Marian
voit l'égarement momentané de fon Amant,
dans la conviction d'un fait que les feuls foupçons
auroient pu lui exagérer ; c'est le pardon
généreux & tendre qui en réfulte ; c'eſt enfuite
la violence de Des Ronais qui donne lieu au fa
crifice héroïque,mais naturel,que fait cette fille de
l'amour le plus légitime & le plus ardent , à la
feule manie de fon Père, qui , en le touchant invinciblement,
amêne par une voie fort naturelle au
dénoûment qui paroiffoit défefpéré ; fans qu'aucun
des Perfonnages foit forti du caractère primitifque
l'Auteur leur a donné.Voilà des moyens
I vi
204 MERCURE DE FRANCE .
qui tiennent tous au coeur ,
fans fecours d'evénement.
Voilà donc cette gradation , ce reffort
de fentiment qui agit avec une force pour
ainfi dire coacrve , & qui opére toute la conduite
& le dénoûment de ce Drame dont le fond eft
un des plus fimples qui foit au Théâtre.
En applaudiflant avec tout le Public au talent
de l'Auteur & à l'art qu'il a employé dans cette
Comédie , nous n'en exhorterons pas moins les
Auteurs à fe défendre de la féduction de l'exemple.
Nous nous garderons bien d'encourager à
courir les hazards d'un genre , où les chûtes
feroient fans reffources , & où il ne faut pas moins
qu'un fuccès auffi décidé pour juſtifier la hardieffe
de l'entrepriſe.
Le Public , après avoir quelque temps balancé
fur le caractère fingulier de Dupuis, femble avoir
reconnu combien il étoit néceffaire au jeu des
autres caractères. Peut être on ne le foupçonnoit
pas dans la Nature , que par faute de ré-
Aléxions , & encore plus faute de cette bonne foi
dont on manque avec foi-même auffi ſouvent
au moins qu'avec les autres. D'ailleurs , on eft
obligé de convenir que tout ce que l'art le plus
délicat & le mieux raifonné peut fournir , a été
employé pour adoucir ce que ce caractère offre
d'abord d'injurieux à l'humanité.
N. B. En publiant la Lettre fuivante fur un
événement qui doit caufer tant de regrets au Public,
nous tâchons de continuer de marquer notre empreffement
fur le tribut d'éloges qu'on doit aux per-
Jonnes célebres . On goûte une efpéce de confolation ,
en lifant l'hommage qu'on leur rend ; & notre
reconoiffance envers elles nous fait fouhaiter que
la pofiérité fe les repréfente telles que nous les avons
vues , mais cela eft impoffible à l'égard de l'Actrice
charmante dont la perte nous eft fi fenfible.
4
MARS. 1763. 205
LETTRE de M. DE SAINT FOIX à
Vou
M.****
OUS me demandez mon fentiment,
Monfieur , fur l'idée d'un tableau auquel
vous travaillez . Il repréfentera ,
dites-vous , Thalie éplorée , qui fait tous
fes efforts pour retenir une Actrice qui
veut la quitter. Je ne doute point de
l'habileté de votre pinceau ; je vous
dirai feulement qu'il y a des objets qui
font moins du reffort de l'imagination
que du fentiment ; je fuis perfuadé que
Thalie aura l'attitude & toute l'expreffion
convenables ; mais l'Actrice
Monfieur , cette A&trice divine
, fon front , fes yeux ,
fon nez
fa bouche, tous fes traits fi délicatement
affortis pour lui compofer la phifionomie
la plus aimable & la plus piquante ;
fa taille de nymphe ; fon maintien libre ,
aifé & toujours décent , Mademoiſelle
Dangeville enfin ( car fa retraite duThéâtre
eft le fujet de votre tableau ) Mademoifelle
Dangeville , Monfieur , peuton
efpérer de la bien peindre ! Avec de
l'intelligence , du fentiment , de l'étude
& de la réflexion , on peut fe perfection206
MERCURE DE FRANCE.
nerle goût , & devenir une Actrice trèsbrillante
; mais l'Actrice de génie eft
bien rare , & il y a la même différence
qu'entre Moliere & un Auteur qui n'a
que de l'efprit. Nous avons vu Mlle
Dangeville jouer dans les caractères les
plus oppofés , & les faifir toujours de
façon que nous en fommes encore à
ne pouvoir nous dire dans lequel nous
l'aimions le plus. On aura de la peine à
s'imaginer que la même perfonne ait
pû jouer avec une égale fupériorité l'Indifcrète
dans l'Ambitieux ; Martine dans
les Femmes fçavantes ; la Comteſſe dans
les Moeurs du temps ; Colette dans les
trois Coufines ; Me Orgon dans le Complaifant
; la fauffe Agnès dans le Poëte
campagnard ; la Baronne d'Olban dans
Nanine ; l'Amour dans les Grâces , &
tant d'autres rôles fi différens . Combien
de fois,à la premiere repréſentation
d'une Comédie , a-t- elle procuré des applaudiffemens
à des endroits où l'Auteur
n'en attendoit pas ! Je me fouviens
que le célébre Néricaut Deftouches
dont on alloit jouer une Piéce nouvelle,
craignoit pour un monologue & quelques
traits dans le cinquiéme Acte ; il
vouloit les fupprimer donnez-vous- en
bien de garde lui dit- elle , je vous réMARS.
1763. 207
ponds que ces traits & ce monologue feront
très-applaudis. En effet , elle joua
le tout avec un naturel , des grâces , une
naïveté qui déciderent la réuffite , &
triompherent de tous les efforts qu'une
indigne cabale avoit faits , pendant les
quatre premiers A&tes , pour faire tomber
cette Comédie. Ce qui acheve de
caractèrifer la perfonne de génie dans
Mlle Dangeville , c'eft qu'elle eft fimple
, vraie , modefte , timide même
n'ayant jamais le ton orgueilleux du talent
, mais toujours celui d'une fille
bien élevée ; ignorant d'ailleurs toute
cabale , & dans le centre de la tracaf
ferie , n'en ayant jamais fait aucune.
J'ai cru , Monfieur , puifque vous me
confultiez , que je devois vous communiquer
mes idées fur fon caractère , parce
qu'il me femble qu'il faut commencer
par connoître celui de la perfonne que
l'on veut peindre. Je fouhaite que vous
réuffifficz ; je fouhaite que vous puiffiez
faifir cette âme fine , naturelle , délicate
& fenfible , qui vit , qui parle , qui voltige
& badine fans ceffe dans fes yeux ,
fur fa bouche & dans tous fes traits. Je
fuis , Monfieur , votre très- humble &
très-obéiffant Serviteur ,
SAINT FOIX.
208 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE ITALIENNE.
ONNa repris fur ce Théâtre Sancho-
Pança dans fon Ifle , Opéra bouffon
dont la Mufique admirable de M. Philidor
avoit fait le fuccès.
On a continué pendant le mois précédent
les repréfentations de la jolie
Comédie , mêlée d'Ariettes intitulée
le Gay de Chêne , dont nous avons déja
parlé.
,
Le 4 Février on donna la première
repréſentation de l'Amour Paternel , ou
la Suivante reconnoiffante , Comédie Italienne
en 3 Actes en profe de M. GOLDONI.
C'eft la première que ce célebre
Auteur ait compofée & fait repréfenter
depuis fon féjour en France. Elle a été
très-applaudie par les Spectateurs en état
de fentir les beautés de la langue Italienne,
& le genre caractériſtique de ce théâtre
, on pourroit dire même en général
celui de la vraie Comédie , que l'illuftre
M. GOLDONI a rétabli dans fa Patrie .
Cette Piéce a été interrompue après la
deuxiéme repréſentation par l'indifpofition
fucceffive de plufieurs Acteurs
qui ne pouvoient y être remplacés .
MARS. 1763: 209
Le 10 on donna la première & l'unique
repréſentation de la Bagarre ,
Comédie en un A&te , mêlée d'Ariettes.
Dans quelque indulgence que le goût
du Public l'eût entraîné jufqu'alors pour
certains Drames de quelques Opéra-
Comiques du nouveau genre , il n'a pas
jugé apparemment devoir faire grace à
celui- ci , qui a éprouvé toute la juftice
de fes jugemens & la févérité de fes
cenfures. Il n'a pas réparu fur le théâtre.
Cette Piéce a été le premier Opéra-
Comique qui ait éprouvé ce fort
depuis la réunion au théâtre Italien.
Par une jufte prévoyance , l'Auteur
des paroles les avoit fait imprimer
avant la repréſentation . Il y a joint
une Préface , où , en fe plaignant
de ce qu'il appelle les petits chagrins
qu'il a reçus du Public , il lui laiffe entrevoir
trop clairement l'opinion qu'il a
de fon goût & de fes jugemens. Il ménage
encore moins ( par la même prévoyance
) les Journaliſtes forcés par
état de rendre compte des petits chagrins
de certains Auteurs.
Il faut bien remarquer à l'égard de
cette Piéce , que la Mufique , dont il
refte une idée favorable , ne doit pas
être confondue dans la chûte .
210 MERCURE DE FRANCE.
·
Le 19 le Bon Seigneur , Comédie
nouvelle en un Acte en profe , mêlée
d'Ariettes , fut donnée pour la première
fois ſur ce théâtre , & n'eut pas un fuccès
heureux mais il eft jufte d'obferver
que cette Piéce a éprouvé en cela ,
le fort commun à tous les ouvrages faits
pour une fociété & pour une circonftance
particulière. Tout le mérite qu'ils
avoient eft perdu auprès du Public , qui
ne peut y être fenfible. C'eſt une erreur
dans laquelle font tombés tant d'Auteurs
, dont la réputation même étoit
conftatée , qu'elle ne doit ni ne peut por
ter atteinte à celle des Auteurs de cet
ouvrage , ni prévenir déſavantageuſement
fur leurs talens.
On a donné le 22 la troifiéme repréfentation
de l'Amour paternel , que l'on
continue depuis avec fuccès , ainſi que
celles d'Arlequin cru mort , Comédie
Italienne en un Acte de M. GOLDONI ,
repréſentée pour la première fois, le 24 ,
avec beaucoup d'applaudiffemens. L'abondance
des matières nous contraint à
remettre au Mercure prochain le plaifir
de parler avec plus d'étendue des ouvrages
& du génie de cet Auteur .
MARS. 1763. 21x
CONCERT SPIRITUEL
du 2 Février , Fête de la Purification.
Na éxécuté deux grands Motets , l'un le Magnificat
de feu M. BELISSEN , l'autre In exitu de
M. BLANCHARD , Maître de Mufique de la Chapelle
du Roi. M. BESCHE a chanté dans ces deux
Motets. M. JOLY a chanté avec fuccès Coronate ,
petit Motet de M. LE FEVRE , & felon l'ufage ,
Mlle FEL un petit Motet italien. M. GAVINIES
joua un nouveau Concerto de fa compofition qui
fut très- applaudi. On parut content de l'éxécution
& de la compofition de M. LE GRAND dans le Concerto
qu'il éxécuta fur l'Orgue. Le concours de
monde à ce Concert ainfi qu'aux précédens , continue
de marquer la fatisfaction du Public .
212 MERCURE DE FRANCE.
**
ARTICLE VI.
BALS DE LA COUR ,
Auxquels ont affifté Leurs Majeftés &
& la Famille Royale.
Dans la Salle des Spectacles du Roi
à Versailles.
INDÉPENDAMENT
DÉPENDAMENT des Danfes d'ufage
exécutées par plufieurs Princes du
Sang & par la Jeuneffe la plus brillante-
& la plus diftinguée de la Cour ; les
mêmes Perfonnes ont danfé , à chacun
de ces Bals , des Ballets figurés dont.
nous allons rendre compte.
PREMIER BAL , le Lundi 27 Janvier.
Le Sujet du Ballet , étoit les SAISONS.
Ce Ballet étoit divifé en 4 Quadrilles,
defquels voici la diftribution.
MARS. 1763.
213
LE
PRINTEMPS.
M. le Prince de GUIMENÉ .
M. le Marquis de LAVAIR .
Mde la Princeffe de CHIMAI.
Mde la Comteffe d'ESPARBÈS .
L'ÉTÉ.
M. le Prince de BOURNONVILLE.
M. le Marquis d'HARCOURT.
Mde la Princeffe de GUIMEné .
Mde la Comteffe de
LANMARIE ,
L'AUTOMNE.
M. le Marquis de VAUDREUIL.
M. le Marquis de SERAN .
Mde la Marquife de DURAS.
Mde la Comteffe de l'ILLEBONNE.
tHYVE R.
M. le Marquis d'ENTRAGUES.
M. le Chevalier de CLERMONT.
Mde la Comteffe de MAILLY.
Mde la Comteffe de SALUCES.
1
214 MERCURE DE FRANCE.
Ces Quadrilles , dont les Perfonnages
étoient vêtus dans les caractères propres
à chaque Saiſon , entrèrent fur une
marche à quelque diftance l'un de
l'autre , par le fond de la partie ceintrée
de la falle , en face des loges de Leurs
MAJESTÉS.Chaque Quadrille danfa fucceffivement
fon Entrée, & elles fe réunirent
enfuite toutes les quatre dans une
Entrée générale qui terminoit ce Ballet.
Il fut applaudi par des battemens de
mains réïtérés. La Cour le redemanda ,
& il fut danſé une feconde fois dans ce
même Bal.
1
Les Entrées de l'Hyver & de l'Été
étoient de la compofition du fieur de
Hefe , Comédien ordinaire du Roi au
Théâtre Italien. Les deux autres & le
Ballet général étoient du fieur Gardel ,
de l'Académie Royale de Mufique.
SECOND BAL , le
24 Janvier.
On redanfa le Ballet des Saifons ;
ainfi qu'il avoit été exécuté au Bal précédent
, & il fit le même plaifir . Enfuite
parut un Quadrille de Provençaux & de
Provençales ,habillés fuivant le Coſtume
National . Ce qui faifoit le Sujet d'un
Ballet nouveau.
MARS. 1763. 215
PROVENÇAUX.
M. le Comte de GENLIS.
M. le Marquis de DURAS.
M. le Marquis de VIBRAY.
M. le Comte de RABODANGE .
PROVENÇALES,
Mde la Marquife de RONCÉ.
Mde la Comteffe de MAILLÉ.
Mde la Marquife de ROCHAMBEau,
Mde la Marquife de BEZONS.
L'effet de ce Ballet, de la compofition
du fieur de Heffe étoit fort agréable &
parut faire plaifir ; il fut auffi danſé
deux fois.
TROISIÈME BAL , le 31 Janvier.
On redonna les Provençaux. Le Sujet
du nouveau Ballet étoit pour cette nuit,"
la Noce de Village. Celui- ci , d'un autre
genre & beaucoup plus confidérable
que les précédens , offroit à - peu-près
le même tableau que la Fête champêtre
dans Rolland. Nous donnerons
d'abord la diftribution des Danfeurs
fuivant les perfonnages qu'ils avoient à
figurer.
216 MERCURE DE FRANCE.
LE SEIGNEUR DU
VILLAGE ,
LA DAME ,
LE MARIÉ ,
LA MARIÉE ,
M. le Duc d'OR
LÉANS.
Mde la Duchefe
de MAZARIN.
M. le Prince de
CONDÉ.
Mde la Marquife
de DURAS.
Le Frere de la MA- M. le Duc de
RIÉE ,
CHARTRES.
d'ESPARBÉS.
La Soeur du MA- Mde la Comteffe
RIÉ,
Le Père du MA- M. le Marquis de
RIÉ ,
VAUDREUIL.
La Mère de la MA- Mde la Comteffe de
RIÉE ,
Le MAGISTER
L'ILLEBONNE.
M. le Marquis de
SERAN.
La Femme du MA- Mde la Marquife
GISTER ,
GARÇONS DE
- LA NOCE.
de BRANCAS.
FILLES DE
LA NOCE.
M. le Marquis de Mde la Marquife
VIBRAI de RONCÉ.
Με
MARS. 1763 . 217
M. le Marquis de Mde la Comteffe
DURAS .
M. le Marquis de
BELSUNCE .
M. le Comte de
RABODANGE .
de MAILLÉ .
Mde la Marquife de
ROCHANBAU.
Mde la Marquife
de BEZONS.
SYMPHONISTES jouans de divers
inftrumens à la tête de la Marche.
Cette Troupe arrivoit dans l'ordre
fuivant. Le Magifter & fa femme conduifoient
des Symphoniſtes , après lefquels
venoient les Garçons & les Filles
de la Nôce , précédans le Seigneur
& la Dame. La Marche étoit fermée par
un groupe , compofé du Marié & de
la Mariée fe tenans par la main , le
Pere & la Mere à leurs côtés ; le frere
& la four à leur fuite . On jouoit la marche
de la fête des Mariés de Roland.
Le Seigneur & la Dame alloient s'affeoir
en face, fous les loges de leurs Majeftés .
Les Joueurs d'inftrumens fe plaçoient
fur des banquetes de gazon aux deux
côtés de la Salle.
Le Ballet ouvroit par une Danfe générale
des Garçons & des Filles du Vil-
K
218 MERCURE DE FRANCE.
lage , après laquelle le frère & la four
des Maries , danfant un pas-de- deux ,
alloient préfenter des Bouquets au Seigneur
& à la Dame , que tous les Garçons
& toutes les Filles, réunis au frère
& à la foeur , alloient enfuite inviter à
prendre part à la fête .
Le Seigneur & la Dame danſoient
une courante , un menuet & une gigue
de caractère , après quoi ils retournoient
à leur place. On ne pouvoit trop admirer
la nobleffe & les graces avec
lefquelles étoient exécutées ces Danſes ,
que leur ancienneté ainfi que celle des
habillemens quoique fort riches , rendoient
comiques ; mais de ce genre de
comique que peut - être les perfonnes
du plus haut rang font feules en état
de bien rendre,& dont elles peuvent s'amufer
avec dignité.
Les Filles de la nôce formoient enfuite
une danſe entr'elles pour aller préfenter
des bouquets au Marié. Le Magifter
& fa femme danfoient enfemble.
Les garçons de la nôce faifoient
à la Mariée la même galanterie de
bouquets que les Filles avoient faite au
Marie. Le Père & la Mère danfoient
feuls enſemble. Après leur Entrée , le
frère , la foeur , les garçons & les filles
MARS. 1763 . 219
fe joignoient tous pour aller inviter le
Marie & la Mariée à danfer : ce qu
faifoient ceux - ci , après en avoir demandé
la permiffion au Père & à la
Mère. Ce pas de Deux étoit une des Entrées
diftinguées & des plus applaudies ,
dans ce joli Ballet, par les grâces nobles
& naturelles des perfonnes qui l'exécutoient.
Leurs habillemens étoient
charmans & d'une galanterie peut- être
un peu au-deffus de la condition villageoife
, mais qui en rappelloit néanmoins
le caractère .
Le Magifter & fa femme , les Garçons
& les Filles de la Nôce , le frère
la foeur , le Marié & la Mariée fe joignoient
tous pour aller prendre le Scigneur
& la Dame . Ceux- ci fe mêloient
avec toute la Nôce pour former les Entrées
générales qui terminoient le Ballet.
On doit penfer avec quelle vivacité
ce Ballet fut applaudi par toute la Cour
& avec quel empreffement il fut redemandé
; on le danfa une feconde fois.
Il étoit de la compofition du fieur de
Heffe.
On avoit changé la premiere décoration
de la falle pour ce nouveau Ballet.
La partie ceintrée repréfentoit un ançien
Château avec quelques arbres ; &
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
la partie de la falle où l'on danfoit étoit
ornée en guirlandes & en feftons de
fleurs
QUATRIÈME BAL , le 7 Février.
Le Sujet du Ballet préparé pour ce
quatriéme Bal étoit les Elémens , diftribué
comme celui des Saifons en
quatre Quadrilles.
LE FE U.
M. le Marquis d'ENTRAGUES .
M. le Marquis d'ESCARS.
Mde la Marquife de SALUCES .
Mde la Marquife de MAILLY.
L'AIR.
M. le Baron de FRISENDorff .
M. le Marquis d'HARCOUR. *
Mde la Marquife de STAINVILLE.
Mde la Marquife de BELSUNCE.
* Au Bal fuivant M. le Marquis de CHABRILLAN
prit la place de M. le Marquis d'Harcour.
M
20
BIBLIO
LYON
*
1883*
MARS. 1763.
221
LATER RE.
M. le Comte d'EGREVILLE .
M. le Marquis de POLIGNAC.
Mde la Marquife de GLION.
Mde la Marquife de NAGU.
L'EAU.
M. le Prince de BOURNONVILLE .
M. le Prince de GUIMENÉ .
Mde la Princeffe de CHIMAY .
Mde la Marquife de SERAN .
On s'étoit propofé , dans les habillemens
de ce Ballet , de repréfenter les
Élémens , moins par les Etres connus
dans les fictions ordinaires , que par la
fupofition de Corps fantaftiques qui
feroient formés de chaque Elément
même. L'éxécution a repondu à ce projet
, autant que l'art peut atteindre à
cette forte de repréfentation . Ainfi
pour les Perfonnages de la Terre , on
avoit arrangé des habits de forme fimple
& peu drapée , dont les fonds , de
différens gris , étoient rayés de couches
, ou lames d'or & d'argent , tournées
en ornemens måles fur certaines
K iij
222 MERCURE DE FRANCE .
parties. Le tout enrichi de pierreries.
Le Quadrille de l'Eau étoit très- brillant
, & paroiffoit vêtu de cet Elément
même , dont on avoit imité les diverfes
couleurs & quelques-uns de fes effets.
Celui du Feu fembloit couvert de feux
de différentes nuances , fans aucun rapport
aux repréſentations de Furies ou
de Démons . Ces trois Quadrilles étoient
fort riches . Dans celui de l'Air il régnoit
plus de galanterie : des fonds d'un bleu
célefte ornés de nuages légers & tranfparens
, de volans de gaze que l'air agitoit
, & d'étoiles brillantes entrevues
dans plufieurs endroits . Tels étoient les
habillemens de ce Quadrille .
Ainfi que dans le Ballet des Saifons,
les quatre Quadrilles entroient fur une
Marche , en groupes féparés les uns des
autres . Ils danfoient chacun des Entrées
adaptées au caractère de chaque
Elément . Ils fe mêloient enfemble, enfuite
ils fe repartageoient & formoient
des Danfes particulières à certaines diftances
les uns des autres . Enfin ils fe
réuniffoient
pour former l'Entrée générale
de la fin .
Ce Ballet , dont la compofition étoit
ingénieufe & agréable , fut éxécuté
MARS. 1763. 223
avec une précifion que l'on auroit à
peine éxigé des gens de l'art ; & avec
des grâces plus faciles à rencontrer dans
des Danfeurs de l'ordre de ceux qui
figuroient à ces Bals , que dans ceux
mêmes qui font profeffion de ce talent.
La compofition des Entrées de ce
Ballet étoit du fieur Lani , Maître des
Ballets de l'Académie Royale de Mufique
.
Il fit une impreffion très - agréable
fur la Cour, qui le redemanda , & il fut
danfé deux fois.
Dans le même Bal on revit avec un
nouveau plaifir le Ballet de la Noce
de Village , qui avoit été redemandé
& qui fut danſé deux fois .
La Décoration de la Salle avoit été
totalement changée pour ce Bal . Elle
fut enrichie de Pierreries qui formoient
des ornemens dans toutes fes parties ,
relatifs à ceux de l'Architecture ou affortis
& mariés avec ces mêmes ornemens
, ainfi que de fuperbes rofettes aux
endroits du plafond , d'où pendoient les
luftres. Ceux -ci étoient fufpendus par
des guirlandes des mêmes Pierreries entremêlées
de fleurs.Toute cette brillante
décoration avoit été difpofée & exé-
K iv
224 MERCURE DE FRANCE .
cutée par le fieur Levêque , Garde - magazin
général des Menus & Plaifirs du
ROI.
CINQUIÈME BAL , le 24 Février.
Le Mai Flamand fut le Sujet d'un
nouveau Ballet , pour cette dernière
Nuit. Plus Pantomime , plus en action
& plus compofé qu'aucun des précédens
, nous allons éffayer de détailler
la compofition & les parties du tableau
qu'il repréfentoit . L'objet en étoit l'hommage
rendu par les habitans d'un canton
de Flandres à un ancien & très- grand
Seigneur de ce Pays.On fuppofe quel'action
de cet hommage étoit de planter un
Mai devant fon château , avec tout
l'appareil & toute la gaîé des fêtes qui
peuvent embellir cette forte de cérémonial
champêtre.
Ainfi cela formoit deux corps de ballet
diftingués . L'un compofé du Seigneur
avec fa famille , les Seigneurs & Dames
de fa Cour ou de fa compagnie , &
tout le cortége qui accompagnoit les
Seigneurs de ce pays. Dans l'autre corps
de Ballet étoient les Habitans avec un
Bourgmeftre à leur tête.
MAR S. 1763. 225
La Salle du Bal repréfentoit la Scène
convenable à cette action : un château
antique dans le fond , du genre des anciens
édifices de Flandres , & la partie
où l'on danfoit ornée de verdure & de
fleurs .
Diftribution des Perfonnages danfans
dans le Ballet.
LE SEIGNEUR ,
Un SEIGNEUR de
fa Compagnie ,
Le Fils du SEIgneur
,
La Fille du SEIGNEUR
,
Une Dame de la
Cour du SEIGNEUR
,
M. le Marquis de
SERAN.
M. leMarquis d'A
VARAI.
M. le Comte de
LAVAIR.
Mde la Comteffe
d'ESPARBÉS. ›
Mde la Marquife
de BRANCAS .
La Gouvernante , Mde la Ducheffe de
MAZARIN.
Le Bourgmeftre , M. le Marquis de
VAUDREUIL.
GARÇONS duVil FILLES du Villalage,
ou Payfans
ge ou Flamandes
.
Flamans.
M. le Duc de Mde la Marquife
FRONSAC , de BEZONS..
K v
226 MERCURE DE FRANCE.
M. le Marquis de
DURAS.
M. le Comte de
RABODANGE .
M. le Vicomte de
CHABOT .
M. le Comte de
COIGNY .
Mde la Baronne de
WASSEBERGH
.
Mde la Ducheffe
de CossÉ.
Mde la Marquiſe
d'AVARAI.
Mde la Vicomteſſe
de BEAUNE.
M. le Chevalier de Mde de ROCH AMCOIGNY
.
BEAU.
Six Pages vêtus à l'antique & à la
Flamande.
Symphoniftes..
Deux Pages , portant chacun un faucon
fur le poing , ouvroient la marche.
Enfuite paroiffoit le Seigneur , fuivi de
deux autres Pages , dont l'un portoit fa
Rondache & l'autre fon Epée. Le jeune
Seigneur , fa Soeur , avec la Gouvernante
, entroient à la fuite avec deux
autres Pages , dont l'un portoit un Arc:
& l'autre une Lance.. La Dame & le Seigneur
de cette Cour les fuivoient.
Le Bourgmeftre ( vêtu de noir & dans
l'exact habillement des portraits de Wandeik
& Reimbranz ) étoit fuivi des Payfannes
Flamandes & de Symphoniſtes ,
dont les inftrumens étoient ornés de rubans
& d'oripeaux
..
MARS. 1763. 227
Le Seigneur , avec fa Famille & fa
Cour , alloir prendre place au fond de
la Salle. Quelques Garçons du Village
faifoient groupe au milieu de la Salle ;
d'autres pofoient par derriere des gradins
de gazon. On apportoit enfuite le Mai ,
& les Payfans Flamands qui le portoient
avoient des maillets & des coins pour le
planter.
Le Bourgmeftre faifoit ranger les Filles
du Village en demi-rond . Il ordonnoit
enfuite aux Symphoniſtes de commencer
une Sérénade en l'honneur du
Seigneur , pendant laquelle les Garçons
élevoient le Mai , qui étoit orné de cercles
de fleurs par étages. Sur la fin de
la Sérénade , les Symphoniftes alloient
fe placer fur les gradins de gazons , au
pied du Mai qu'ils environnoient .
Ces Joueurs d'inftrumens , vêtus à
la Flamande & de couleur forte , ainfi
groupés au centre , faifoient valoir &
reffortir les autres parties éclatantes du
tableau .
Les filles du Village conduifoient
en danfant le Bourguemeftre à un fiége
préparé auprès du Mai en face de la
Cour. Dès qu'il y étoit affis , les Garçons
Flamands & les Filles formoient
enfemble plufieurs danfes autour de ce
Mai K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
Le Bourguemeftre fe levoit ; il alloit
inviter le Seigneur à danfer avec fa
Compagnie , & retournoit gravement
reprendre fa place . Le Seigneur , fa
Famille & fa Compagnie , danfoient
des Entrées conformes à la dignité de
leurs caractères..
Tout le Village applaudiffoit par des
battemens de mains à la complaifance
du Seigneur & de fa Cour. Tous formoient
une Entrée de trois en trois, ce
qui faifoit quatre groupes aux quatre
coins de la Salle .
Les Pages s'approchoient du Mai , en
détachoient de très-longues guirlandes
de fleurs , dont il étoit entouré. Sur la
fin des précédentes entrées , ils alloient
occuper les quatre angles , & les deux
milieux de côté de la Salle , en tenant &
foulevant les extrémités des guirlandes ,
ce qui formoit un Baldaquin très-galant.
Sur des Allemandes que jouoit la
Symphonie , le Seigneur fe levoit avec
vivacité & alloit inviter les Dames du
Bal à danfer en leur préfentant les
hommes de fa cour. Les Filles du Village
alloient prendre des hommes dans
le Bal , & tous enfemble danfoient
fous le Baldaquin de fleurs. Ce moment
MAR S. 1763. 229
de mêlange des Flamands avec les au
tres Perfonnes du Bal produifoit un
tumulte de gaîté très-piquant & trèsagréable.
Le Bourgmestre interrompoit
ces Danfes ; & lorfque le Seigneur
avec fa cour avoit repris fa place au bas
des loges de SA MAJESTÉ , il raffembloit
tous fes habitans en demi cercle
& chantoit les couplets fuivans , fur
l'Air de la Ronde des Amours Grivois
ainfi qu'il eft notté ci- contre. Tous les
couplets étoient adreffés au Seigneur
& les Affiftans en répétoient le
refrain au Choeur.
Vla donc not' Mai qu'eſt planté ♪
Je viens compléter l'hommage.
Pour nous donner plus d'gaîté ,
Et couronner notre ouvrage,
Faut la chanſon du Seigneur.;
C'eſt dans l'ordre & c'eft l'ufage ;
Le coeur doit donner au coeur ( refrain. )
Le vrai droit du Seigneur.
Son Domaine eft ben peuplé ;
Quoiqu'ça faffe ben du monde ,
Tout ç'monde- là raffemblé ,
F'roit chorus à notre ronde ,
Diroit comm'nous : » notre bonheur
» Sur vos jours , fur vous ſe fonde ;
230 MERCURE DE FRANCE.
>> Tous nos coeurs ne font qu'un coeur;
» C'eſt l'vrai droit du Seigneur.
On l'aim'roit quand i'n' feroit
Pas d'une auffi bonn'famille :
Pourquoi ? ç'eft qu'il brilleroit
Partout où la bonté brille.
Et quand nous l'chantons , l'ardeur
Qui dans tous nos yeux petille ,
Rend ben moins au rang qu'au coeur
De notre bon Seigneur.
A par foi chacun penfoit
C'que jly dis , qu'eſt ben , c'que j'penfe
A tous nos coeurs ça peſoit ;
Pour eux l'mien rompt le filence :
Au furplus ça n'fait qu'un coeur
De plus dans la confidence.
Ouvrons donc nos coeurs en choeur
A notre bon Seigneur.
Sa Famill' qu'il couv' des yeux”
En bonté comm'ça lui r'femble !
Tous ont leur part dans les voeux
Qu'un mêm' zéle ici raffemble::
Ils aimont tant not bonheur
Que pour nous ils n'ont enfemble
Qu'un mêm' coeur qui tient du coeu
De notre bon Seigneur
MARS.
231
Avant de v'nir , je m'difois :
Comment eft-c' que j'vais m'y prendre ?
J'voulois chanter ; puis j'nofois :
V'la pourtant qui'l vient d'mentendrer
Sa bonté guérit d'la peur
Si ça m'fait trop entreprendre ;
Le pardon eft dans fon coeur :
C'eſt l'vrai droit du Seigneur.
Cette Ronde fut chantée très-agréablement
, avec beaucoup de naturel &
d'enjouement. Chaque couplet en étoit
univerfellement applaudi.
Après la Ronde , les Garçons alloient
inviter le Bourgmeftre à danfer : il s'en
défendoit beaucoup , il refufoit mê
me les Filles : mais il étoit entraîné par
toutes ces troupes réunies. Enfuite il
s'animoit ; enforte qu'il danfoit une entrée
feul ; puis il alloit prendre le Seigneur
& fa cour, qu'il engageoit à danfer
avec lui . Les Garçons & les Filles formoient
un Rond , qui environnoit le
Seigneur , fa Cour & le Bourgmeftre..
Un groupe général de tous les perfonnages
terminoit le Ballet d'une manière
très-brillante .
La compofition générale du Ballet &
de toutes les Entrées eft du fieur de
232 MERCURE DE FRANCE.
Heffe ; le fieur Lani avoit compofé les
premieres Entrées du Seigneur & de fa
cour .
Nous ne donnerons point le détail
des Habillemens , il nous fuffira de dire
que l'effet général en parut brillant &
agréable. Ils étoient tous dans le genre
convenable , & l'Enſemble produifoit
deux Tableaux réunis , fidélement
copiés , mais avec
mais avec cchhooiixx , d'après
Vauwermans , pour les Flamands de
qualité , & d'après Tenieres pour les
Villageois.
Ce Ballet eût le fuccès qu'on
s'en étoit promis. Il fut exécuté avec la
plus grande préciſion & les grâces propres
du genre , dans tous les caractères
différens dont il étoit compofé. Il fut
redemandé & danſé trois fois dans cette
même nuit , & toutes les fois ap-.
plaudi avec une nouvelle vivacité.
M. le DUC DE DURAS , Premier
Gentilhomme de la Chambre en exercice
, fecondé de MM. les autres Gentilshommes
de la Chambre , faifoit les
honneurs à tous ces Bals.
Il y avoit dans les Salles joignantes
celle du Bal , toutes les fortes de rafraîchiffemens
que l'on pouvoit defirer,
ainfi
que les Bouillons , confommés &c.
MARS. 1763. 233
AUTRES BALS A LA COUR.
›
,
Il y a eu , pendant ce Carnaval
plufieurs Bals particuliers à la Cour.
Entre-autres, il y en avoit reguliérement
chaque femaine , chez Madame la Princeffe
de GUIMENÉ où danfoit la
plus brillante Jeuneffe. Le Mardi
dernier jour du Carnaval Madame
la Maréchale de DURAS en donna un
pour les Dames qui n'étoient plus dans
l'ufage de danfer. La plupart des Dames
& des Seigneurs qui formoient ce Bal
étoient Pères & Mères de ceux qui danfoient
cette même nuît à l'autre Bal .
Vers 5 heures du matin , toute la Jeuneffe
qui avoit danfé chez Mde la Princeffe
de GUIMENÉ fe rendit chez
Mde la Maréchale de DURAS , & les
deux Bals fe trouvant réunis , les Pères
danferent avec leurs filles , & les fils
avec leurs mères . Ce dernier Bal dura
jufqu'à 10 heures du matin.
و
On fit à cette occafion la Chanfon
fuivante :
AIR : Monfeigneur , vous ne voyez_rien ( dans
Annette & Lubin ) ou Dodo , P'Enfant dormira
tantôt.
A moi , charmant Anacréóns
234 MERCURE DE FRANCE.
J'invoque aujourd'hui ton génie.
Des Jeux prolonger la faifon,
C'eſt ajouter à notre vie .
Appellons ici la gaîté ,
L'innocence & la liberté.
Enfans de quinze ans ,
Laiffez danfer vos Mamans.
Conviens , Amour , qu'ici des ans
Tu méconnoîtrois l'intervalle :
La moins jeune de ces Mamans
Peut de fa fille être rivale .
Appellons , &c .
Belles , qui formez des projets ,
Trente ans eft pour vous le bel âge :
Vous n'en avez pas moins d'attraits ;
Vous en connoiffez mieux l'ufage.
C'eſt le vrai moment d'être heureux :
On plait autant ; on aime mieux.
Enfans , &c.
Croyez-vous que le Dieu malin ,
Dont je chéris & crains la flâme ,
Allume aux rayons du matin
Le flambeau qui brûle notre âme
Son feu , fi je l'ai bien ſenti ,
Reffemble aux ardeurs du Midi
Enfans , &c.
MARS. 1763. 235
ARTICLE VII.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Mofcou , le 12 Janvier 1763.
PLUSIEURS Puiffances ont fait à cette Cour des
repréſentations en faveur du Prince Charles de
Saxe au fujer de la Courlande ; mais elles ont été
fans fuccès , & Sa Majefté Impériale a fait expédier
par fon Ministère le refcrit fuivant , qui a été
envoyé à plufieurs de fes Miniftres dans les Cours
Etrangères.
"
La réponse que la Cour de Ruffie a donnée au
Comte de Mercy & qu'elle donnera à toutes les
Puiffances qui voudront s'intéreſſer pour le Prince
Charles de Saxe , contient la Déclaration fuivante :
L'Impératrice n'ayant pu découvrir aucune
raifon valable pour dépouiller le Duc Erneft-
Jean & fes héritiers des Duchés de Courlande &
de Semigalle , ne pouvoit fans bleffer les droits
de l'équité , s'empêcher de le reconnoître pour
Duc légitime , & de defirer qu'il fût rétabli dans
la poffeffion entière de ces Duchés , d'autant que
ce foit le voeu unanime de prèſque toute la Nobleffe
de Courlande , & que , conformément aux
Pacta fubjectionis , le Duc Erneft-Jean profeſſe
la Religion Luthérienne & non la Romaine.
D'ailleurs , Sa Majefté Impériale eft bien éloignée
de vouloir déroger aux droits de fes voifins ,
& par conféquent de vouloir agir en aucune manière
contre les droits & privilèges de la Courlande
, Provinces voisines & limitrophes de fon
Empire
236 MERCURE DE FRANCE.
De WARSOVIE , le 15 Janvier 1763.
DÉCLARATION de l'Impératrice de Ruffiefur les
Affaires de Courlande .
» L'Impératrice de toutes les Ruffies , en mon-
» tant fur le Trône , croyoit ne pouvoir donner
» des marques plus éclatantes du defir qu'Elle a
» d'entretenir l'amitié & le bon voisinage du Roi
» & de la République de Pologne , qu'en rendant
>> la liberté à ceux pour qui le Roi & le Sénat l'a-
>> voient demandée tant de fois & avec tant d'inftances
fous le règne de l'Impératrice Elifabeth.
5›
C'eft d'après ces confidérations que Sa Majefté
Impériale a accordé la liberté au Duc Er-
» neft-Jean de Courlande , & qu'Elle a interpofé
» en même temps fa médiation auprès de Sa Ma-
»jefté le Roi de Pologne , pour qu'il lui plût de
>> rétablir ce Duc dans ces Duchés , & de lui ren-
>> dre les domaines dont il avoit dégagé lui-même
» une partie , & dont l'autre lui a été cédée par
» l'Impératrice Anne , de glorieufe mémoire.
>> Plus cette démarche étoit fondée fur la rai-
» fon & l'équité , moins Sa Majesté Impériale
≫ pouvoit croire qu'on la regarderoit , ainfi qu'on
» l'a fait dans la réponſe du Roi du 3 Septembre-
» dernier , comme une ufurpation fur les droits
» Suzérains du Roi & de la République ; car
" peut-on dire avec quelque fondement que
celui qui , fur l'affaire en queſtion , en fait la
» réquifition au Suzerain même , ufurpe ou con-
» tefte fes droits ? Se peut-il qu'on interpréte fi
>> peu favorablement ce qui a été demandé de la
>> part de la Ruffie avec tant dejuftice & d'égards ?
La fuite des Nouvelles Politiques au Mercure
prochain
MARS. 1763. 237
ARTICLE VIII.
ECONOMIE ET COMMERCE.
PRIX des Grains pendant la fin de
FROMENT
Février.
ROMENT ( le feptier ) a varié de 12 à 16 liv.
Seigle , de 8 liv.s fols à 8 liv. 15 fols. L.S
Orge , de 9 liv. 10 à 10 liv. 10 L
Avoine , de 16 liv . à 18 liv. 10 f.
Avoine en Banne , de 16 liv. à 16 liv. 10 f.
Menus Grains.
Lentilles ( le feptier. ) de 28 liv. à 54.liv.
Haricots , de 27 à 39 liv.
Poids verds , de 20 liv. à sa liv.
Poids gris , 20 liv.
Féveroles , de 13 liv. à 14 liv.
Féves de Marais , 24 liv.
Féves Suiffes , 28 liv. à 44 liv.
Vefce , de 16 liv. à 17 liv. 10 f.
Bours & OEufs.
J
Beurre d'Iffigni ( le cent . ) 85 liv.
Beurre de la Ferté , 63 liv.
OEufs de Gournai ( le millier. ) 48 liv. De Long
jumeau , 39 liv. D'Arras , 38 liv.
Fourrages.
Le foin ( le cent ) 34 liv.
La Paille , 16 liv.
238 MERCURE DE FRANCE.
APPROBATIO N.
J'ai lu , par ordre de Mónſeigneur le Chancelier, 'AI
le Mercure de Mars 1763 , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion. A
Paris , ce 28 Février 1763. GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.,
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
L'HYVER , Poëme.
LETTRE de Mŀle *** à Madame. . . fur
l'Emile de M. Rouffeau.
COUPLETS à l'occafion d'un Ballet des Elémens
, à une Salamandre .
ÉPIGRAMME.
VERS fur le mariage de Mlle de Dromefnil
avec M. le Marquis de Belfunce.
ENVOI.
Page 5
IS
22
23
24
25
26
35
ibid.
L'Amour & l'Hymen réconciliés , Conte Epithalamique.
VERS fur le Tableau du Ror , repréſenté
par les VERTUS .
CRISTALLIDE la Curieufe , Conte tiré des
Mille & une Nuits.
VERS après une grande maladie de l'Auteur. 39
ODE Anacréontique.
VERS à une jeune Demoiselle.
ibid.
40
41 PRÉCIS hiftorique fur la vie de Raimond Lulle .
VERS à M. le Chevalier de Chatelus, fur ceux
MAR S. 1763 . 239
qu'il a préfentés à Mgr le Prince de Condé . 45
ANGÉLIQUE , Anecdote.
POUR le Portrait de Mlle....
A Son Alteffe Royale Mgr le Duc de Savoie,
en lui fouhaitant la bonne année.
VERS.
AUTRES.
ENIGMES.
47
18
59
ibid.
60
61 & 62
62 & 63,
LOGOGRYPHES.
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
MÉTHODE de M. Keyfer pour l'adminiſtration
de fes dragées dans le traitement
des Maladies vénériennes .
DISCOURS prononcé dans l'Aca lémie Françoife
, à la réception de M. l'Abbé de
Voifenon.
LES après-foupers de la Campagne,
64
71
76
77
80
88
89 &fuiv.
LETTRE furun Poëme Latin, de M. de Maffac
, à M. de Mont. #
A l'Auteur du Mercure , fur un Plagiat.
LETTRE à M. De la Place , fur un Jetton
frappé en 1606 .
ANNONCES de Livres,
ARTICLE III . SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADEMIES.
EXTRAIT du Mémoire lu à l'Aſſemblée publique
de l'Académie Royale des Sciences ;
par M. de Parcieux .
GEOMETRI E.
EXTRAIT de la Séance publique de l'Académie
des Sciences , Arts & Belles -Lettres
de DIJON.
ÉCOLE Royale Vétérinaire , établie à Lyon
fous,la direction de M. Bourgelat.
99
117
128
129.
240 MERCURE DE FRANCE .
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE.
LETTRE d'un Éléve en Chirurgie de l'Ho-
PITAL DE LA CHARITÉ , à l'Auteur du
Mercure, fur l'Opération de la Taille.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
LETTRE de M. Delalande , de l'Académie
des Sciences , à M. De la Place.
MUSIQUE.
133
141
148
SUPPLEMENT à l'Article des Piéces fugitives
SUITE de la Traduction de Mal- à-propos
ou l'Exil de la Pudeur , Poëme Grec.
A Mad... L. D. De......
·
...
ART. V. SPECTACLE S.
SPECTACLES de la Cour à Verſailles .
OPÉRA.
SPECTACLES DE PARIS.
COMÉDIE Françoiſe.
149
174
174
178
181
200
205
COMÉDIE Italienne. 208
CONCERT Spirituel .
211
ART. VI. BALS de la Cour. 212
ART. VII. Nouvelles Politiques. 235
ART. VIII . Economie & Commerce. 236
OBSERVATIONS fur Dupuis & Des Ronais .
LETTRE de M. de SaintFoix à M****.
(
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY
rue & vis-à-vis la Comédie Françoile.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
AVRIL. 1763 .
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
PREMIER VOLUME.
Chez
Bachin
Sysime
Rapik1o7u85S.culp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY, vis- à-vis la Comédie Françoiſe.
PRAULT , quai de Conti.
DU CHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
.31
2 L.
C
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch à côté du
Sellier du Roi.
,
C'est à lui
que l'on prie d'adrefer
,
francs
de port , les paquets
& lettres
,
pour remettre
, quant à la partie litté- raire , à M. DE LA PLACE
, Auteur du Mercure
.
"
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port. !
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir , ou qui prendront les frais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
parvolum , c'est- à- dire 24 livres d'avance,
en s'abonnant pour feize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure , écriront à l'adreſſe cideffus.
On Supplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le payement
enfoit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
, refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
, d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année. Il y en a jufqu'à
préfent quatre - vingt -neuf volumes.
Une Table générale , rangée par
ordre des Matières , fe trouve à la fin du
foixante-douziéme.
DE
T
LYON
MERCURE
DE FRANCE
AVRIL. 1763 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE .
ODE
SUR LA STATUE ÉQUESTRE
CIBLI
DU ROI.
L ! quel Coloffe admirable
S'offre aux yeux des Citoyens ?
Une Déité femblable
Au Soleil des Rhodiens.
D'amour , de reconnoiffance
?
I. Vol. A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Je fens mon coeur enflammé ;
Je vois l'Aftre de la France :
C'eft LOUIS LE BIEN - AI MÉ.
Erato , daigne paroître !
Viens !J'implore ton fecours !
Je veux célébrer mon Maître
Sur la Lyre dès Amours.
Paris ! jufques dans les nues ,
Éléve ce Grand BOURBON ;
Tu lui dois plus de Statues
Que Cecropie à Solon.
( a ) Fils célébre de Philippe !
Ton fuffrage fi vanté ,
A Praxitelle , à Lifippe
Donna l'Immortalité.
Sur les traces de leur gloire
S'avancent d'un pas égal ,
Vers le Temple de Mémoire ,
( b ) Goor , Bouchardon & Pigal.
15
(a ) Alexandre le Grand ordonna que fes Portraits
feroient peints par le feul Apelle ; les Statues
fculptées par Praxitelle , & jettées en fonte
par Lifippe , à caufe de l'excellence de ces deux
Artiſtes.
( b ) La Statue du Roi eft du travail du fieur
Goor, fur les deffeins du fieur Bouchardon , qui
dans fon Teſtament , fait fix mois avant la mort,
defira que le fieur Pigal fût fon Succeffeur dans
cet Ouvrage
.
1
AVRIL. 1763. 7
(c ) Une charmante, Bergère ,
Que le Dieu des coeurs guidoit ,
Defina d'une main chère ,
Un Amant qu'elle adoroit;
Ainfije te vois , France !
Retracer dans ce grand jour ,
La parfaite reflemblance
De l'objet de ton amour.
Des Arts , l'Amour eft le maître ,
Par eux il peut nous charmer ;
Si l'efprit leur donna l'être
L'Amour fçut les animer .
Nous lui devons la Sculpture ,
L'Eloquence , les Concerts ,
Le Pinceau , l'Architecture ,
l'Art d'Uranie & les Vers.
Louis ! leur troupe timide
Vole autour de ta Grandeur ;
Sois leur afyle , leur guide ,
Leur ami , leur défenfeur.
Les Rois qui les protégerent
Sont encor chers aux mortels ;
C'eſt par là qu'ils mériterent
Des Monumens éternels.
( c ) Une Bergère , dit Pline , inventa le Def
feing en traçant fur un mur , avec du charbon ,
les contours de l'ombre de fon amant
A iv
& MERCURE DE FRANCE.
Clio , ta plume Içavántės do on ( 0)
A confacré leurs exploits !
La jeune Erato nous vante
L'aménité de leurs Loit. pusma f
Sur les Bronzes d'Italie, dov sebua
Les Céfars nous font préfens. DISK
C'est ainsi que le Génies lion sticking ol
Brave l'injure des temps. blad
( d ) HENRY ! fur ta Face augufte
Je contemple ta Bonté.
I
A tes traits , LouÍS LE JUSTE
Je reconnois l'Équité.
LOUIS LE GRAND , ta nobleffe
21192
Nous annonce tes hauts faits .
ROI BIEN- AIME ! la Sageffe
Sur ton Front grava fés traits .
Vous , dont la Mufe fertile
Fait revivre les Heros !
Chantres du terrible Achille ,
Sans vos pénibles travaux ,
Aux bords de la Mer Égée ,
Son nom voilé par l'oubli ,
Dans les tombeaux de Sigée
Refteroit enſeveli.
1
(d ) Cette Strophe eft adreffé e aux quatre Sta
Lues Equeftres des Rois BOURBON <STRONG
AVRIL. 1763.¨¨
Troupe aveugle de Barbares !
Dont les flambeaux deftructeurs
Confumoient les OEuvres rares
De tant d'efprits créateurs :
Les Préjugés , l'Ignorance ,
L'Esclavage , le Mépris ,
Sont la jufte récompenſe
De vos forfaits inouis.
Nations ! Villes célèbres !
Les Ouvrages de vos mains
Ont diffipé les ténébres ,
Si fatales aux humains.
Memphis , Athènes , Palmire ,
Rome , Florence , Paris !
Vos noms illuftrent l'Empire
Que Pallas vous a remis.
( e) Grand Préfet ! (f) Sages Édiles ,
D'un Roi , Père des Français ,
Dans la Reine de nos Villes ,
Eternifez les bienfaits.
g) Marigni ! que de merveilles
Vont éclore fous tes yeux !
Tu protéges , tu réveilles
Les mortels ingénieux .
( c ) M. le Prévôt des Marchands.
(f MM. les Echevins.
(g M. le Marquis de Marigni , Surintendant
des Bâtimens , &c. A. v
10 MERCURE DE FRANCE .
Dieu des rives du Méandre ,
Sur mon coeur régle ma. voir !
Jeune encor , daigne m'apprendre
A chanter nos dignes Rois !
L'amour feul de la Patrie
Soutient mon foible talent :
Prête-moi ton harmonie ,
Pour l'unir au Sentiment .
Par le Chevalier DE VIGUIER , Mousquetair
du Roi dans la premiere Compagnie .
LOUIS. X V.
Son règne à jamais mémorable
Des fiècles à venir fera l'étonnement.
L'Amour de fes Sujets pofa ce Monument ,
Attendant que l'hiftoire en fonde un plus durable.
PIRON.
LE POETE PHILOSOPHE.
LONGTEMPS
ONGTEMPS obfcurci d'orages
Le Ciel , enfin , fans nuages
Reprend la férénité ? .
Et la terre que décore
A l'envi Cérès & Flore ,
Préfente à l'oeil enchanté
Richeffe enfemble & Beauté .
AVRIL. 1763. II
Zéphir agitant fes aîles
Autour des roſes nouvelles
Où brille un doux incarnat
Fait fentir à l'âme émue
Le plaifir de l'odorat
Joint à celui de la vue.
Sous ces arbres en berceau ,
Quel doux murmure m'attire !
C'eft le bruit d'un clair ruiffeau
Baignant la fleur qui fe mire
Dans le criftal de fon eau.
Je vois d'un rameau fur l'autre
Voltiger l'ardent moineau
Dont l'amour vaut bien le nôtre ,
Et le tendre tourtereau
De la conftance l'Apôtre.
Aujourd'hui pourtant l'on dit
Que ce fut bien à crédit
Qu'on lui donna cette gloire ;
Car dans ce fiécle maudir
Sans preuve on ne veut rien croire.
Moi qui ne doute de rien
Your mon falut & fais bien ,
Je croirois la tourterelle
Des gens conftans le modéle ,
Si je n'affignois le prix
A nos Femmes de Paris,
Fidéles à ce qu'ils fentent
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Les oiſeaux amoureux chantent is
Et n'engagent point, leur foi : 1. SOÁ
De nature c'eft la loi.
Ils n'ont garde d'aller faire
Pardevant .... .... ou Notaire
Le ferment d'aimer toujours
Ce qui peut ceffer de plaire.
Hélas ! leurs tendres amours ,
Ce ruiffeau , ce doux ombrage , i
Tout à mes yeux dans ce bois
Retrace l'heureux boccage
Où, pour la premiere fois ,
Thémire écouta ma peine ;
Thémire ayant en ſa fleur
D'une roſe la couleur ,
Du Zéphir la douce haleine ,
Des cheveux qui fans deffein
Tomboient en boucle d'ébene
Sur l'albâtre de fon fein.
Temps heureux des doux menfonges !
Age fi court du bonheur ,
Que font devenus tes fonges !
Le temps cruel précepteur
Nous donne l'expérience ;
Fatal arbre de fcience ,.
Qui des douces voluptés.
Rompt l'illufion & chaffe
Les plaifirs qu'elle remplace
Par de dures yérités !
AVRIL. 1763. 13
VERS fur un Portrait donné à Mlle
DANGEVILLE.
TITON àfa Filleule aimable
A légué de Duclos le Portrait admirable :
Titon par un fi digne choix ,
Fait quatre éloges à la fois.
P. D. S. A. Peintre
Nota Le Portrait de Mlle Duclos , une des
plus grandes Actrices qu'il y ait eu dans le Tragique
, peint par le célébre Largilliere , vient
d'être légué par l'illuftre M. Titon du Tiller ,
Auteur du Parnaffe François , à l'inimitable
Mlle Dangeville fa Filleule , dont les rares talens
dans le Comique font portés au dernier
degré.
CONSEILS d'une Mère à fa Filie.
OCTAVE te recherche , & le vieil Alcidon
De fes biens & de lui , voudroit te faire don ;
L'un eft jeune , agréable , & l'autre fort utile,
Et pour un jeune coeur le choix eft difficile .
Alcidon eft modefte , & riche , & généreux :
Ton Octave n'a rien , mais il eft amoureux.
J'aimerois Alcidon ; tu dois aimer Octave.
14 MERCURE DE FRANCE.
Ma Fille c'eſt pour toi : fans contrainte choifis
Le printemps & fes fleurs , ou l'automne & fes
fruits .
Prends jeune Maître , ou vieil Efclave.
T
ABBAS ET SOHRY ,
NOUVELLE PERS ANNE.
ABBAS , Roi de Perfe , fut , comme
tant d'autres Potentats , furnommé le
Grand, pour avoir fait de grands maux
à fes Voifins. Il aimoit paffionnément
les femmes & la guerre . Il la faiſoit
autant pour peupler fon Sérail que pour
accroître fes Etats . Tout Roi dont la
femme étoit belle & le Royaume voifin
de celui de Perfe , devoit alors fonger
à défendre l'une & l'autre. Du refte ,
Abbas étoit auffi prompt à fe refroidir
qu'à s'enflammer , & en amour comme
en guerre , une conquête achevée lui
en faifoit bientôt defirer une nouvelle .
Il y avoit alors dans le Pays d'Imirete
, ( c'eft l'ancienne Albanie ) une
Nota. Le fonds de ce Conte eft vrai , & tiré
des Voyages de Chardin . Sohry eſt auffi connue ,
auffi célébre en Perfe, que la belle Agnès l'eft en
France.
AVRIL. 1763. IS
jeune Princeffe , nommée Sohry , &
foeur du Souverain de cette Contrée. ,
Sohry étoit plus belle qu'on ne le peut
décrire , même en ftyle oriental . C'eſt
elle que les Poëtes Perfans ont depuis
chantée à l'envi. Mais l'hyperbole , qui.
leur eft fi familière , fe trouva dans ,
cette rencontre au - deffous de la réalité.
Il fut , pour cette feule fois , hors de,
leur pouvoir d'outrer un Sujet.
L'admirable Sohry vivoit fous la tutelle
d'une mere qui l'égaloit prèfque .
en beauté , & ne la furpaffoit que de
trois luftres en âge : c'eft-à -dire qu'elle
n'avoit guéres que trente ans. Cette
Princeffe après avoir été Reine s'étoit
faite Religieufe ; état qui dans cette
contrée n'oblige point à s'enfermer dans .
un Cloître. On refte dans fa maiſon ,
& l'on eft libre d'en fortir fans que pour
cela aucun des voeux reçoive , ou foit.
censé avoir reçu nulle atteinte.
Sohry , que nul voeu pareil n'enchaînoit
, gardoit cependant une folitude
plus rigoureufe. Elle habitoit & ne quittoit
point certain Château inacceffible à
tout étranger. J'en excepte le Prince de
Georgie à qui , felon l'ufage de ces
lieux , la Princeffe étoit fiancée depuis
l'âge de cinq ans. Déja même il auroit
16 MERCURE DE FRANCE.
dû être fon époux , fi une guerre fanglante
qui l'occupoit , & la connoiffance
qu'il avoit du caractère d'Abbas , n'euffent
retardé le moment de cette union.
A cela près , les charmes de Sohry n'étoient
guères connus que de fa mère
du Roi fon frère & des femmes qui la
fervoient. Ces femmes , à l'exception
d'une feule , ignoroient même fa qualité.
Tant de précautions avoient pourbut
de dérober cette jeune merveille
aux pourfuites du Roi de Perfe , qui
avoit l'ambition de ne peupler fon Sérail
que de Princeffes. On eut même
recours à un autre moyen , beaucoup
plus infupportable pour cette captive
que la folitude la plus trifte. Ce fut de
publier que fon extrême laideur obligeoit
de la fouftraire à tous les regards.
Ce bruit trouva peu d'incrédules.
On fe fouvint qu'il avoit déja fallu en
ufer ainfi à l'égard d'une foeur aînée de
la Princeffe ; objet réellement auffi difforme
que Sohry étoit féduifante . On
avoit même depuis publié la mort de
cette première captive , qui néanmoins
éxiftoit toujours. La raifon de ce procédé
, c'eft que chez cette nation , la
laideur eſt un opprobre , & qu'elle n'eft
pas moins rare dans ces heureuſes conAVRIL.
1763. 17
#
trées , que l'extrême beauté dans quel
ques autres.
Quant à Sohry , elle ne fe conſoloit
point de l'injure qu'on faifoit à fes charmes.
Elle ignoroit que quelqu'un fongeât
aux moyens de détromper , à cet
égard , & le Public ; & furtout le Roi
de Perfe . C'étoit Zomrou , ancien Miniftre
du feu Roi d'Imirette , & qui d'abord
avoit efpéré de devenir beau - père
du Roi regnant. Las d'efpérer en vain
il pria ce Prince d'époufer fa fille , ou
de ne point vivre avec elle comme s'il
l'eût époufée. Difvald , c'eft le nom du
Roi , répondit en Souverain abfolu
& Zomrou fe retira en Sujet mécon-,
tent.
>
Il crut , toutefois , de voir encore diffimuler
; mais au fond il ne refpiroit
que vengeance , & choifit Abbas pour
fon vengeur. Il fongea à tirer parti du
caractère de ce Prince. La faveur où il
s'étoit maintenu jufqu'alors à la Cour
d'Imirette , l'avoit mis à portée de s'inftruire
de ce qui étoit un mystère pour
tout autre Particulier ; il fçavoit que la
laideur de Sohry n'étoit que fuppofée ,
& il fçavoit de plus le motif de cette
fuppofition . Il fait part at Sophi de toutes
fes découvertes , s'efforce d'exagérer
f
18. MERCURE DE FRANCE .
C
les charmes de Sohry , & trace un por-,
trait bien inférieur encore à fon mo-"
déle. En un mot , il n'épargne rien pour
irriter Abbas contre le frère , & l'enflam-.
mer vivement pour la foeur.:
Ce moyen bifarre a tout le fuccès
qu'il pouvoit avoir Abbas comptoit
parmi fes Eunuques , un Italien qui pour
entrer au Sérail n'avoit pas eu befoin
de changer d'état. C'étoit un de ces
Etres anéantis dès leur naiffance , & à
qui , pour tout dédommagement , l'art
procure un fauffet plus ou moins aigre .
Ce Chantre involontaire avoit dès- lors ;
fçu joindre la Peinture à la Mufique.
Il alloit tour-à-tour du lutrin au chevalet
; il paffoit d'une dévote Ariette au
Portrait d'une Beauté galante . Mais il
trouva que ces travaux réunis ne rapprochoient
point de lui la fortune. II
réfolut de la chercher dans d'autres climats
. Ses voyages , le hafard , ou fa deftinée
, le conduifirent jufqu'à Ifpahan .,
Là , fa qualité d'Eunuque lui procure.
l'avantage de s'attacher au Roi de Perfe ,.
& le caractère de ce Prince lui fournit .
bientôt l'occafion de déployer tous festalens.
Déjà plus d'une fois ce nouveau confident
lui avoit fait connoître les plus .
}
AVRIL. 1763. 19.
belles Princeffes des pays voifins , fans,
que pour cela Abbas eût été obligé de
quitter fa Cour. Il fut queftion d'ufer
d'un ftratagême à -peu-près femblable.
auprès de la Princeffe d'Imirette . Voilà
l'Eunuque encore une fois déguifé en
femme , & conduit en diligence jufqu'à
la Capitale de cette contrée. Il y voit
Zomrou , & en tire certains éclairciffemens
indifpenfables . Quant au furplus
, Abbas l'avoit mis à portée de
furmonter bien des obftacles , ou ce
qui revient au même , l'avoit mis en
état de prodiguer l'or. Il le prodigua &
féduifit tous ceux dont il crut avoir be--
foin. Mais nul d'entr'eux ne pénétra fes
vues . Il fe garda bien , furtout , de nommer
la Princeffe à ceux qui avoifinoient
fa demeure , inftruit d'avance , que ni
eux , ni même la plupart des femmes.
qui la fervoient , ne la connoiffoient
fous ce titre. Au furplus , il apprit que
la jeune Solitaire paroiffoit affez fouvent
à certaine fenêtre , donnant fur une plaine,
vafte & riante. Il fut charmé de la découverte
, fe rendit au lieu indiqué ,
& trouva , de plus , un petit bofquet
propre à favorifer fon deffein. Il étoit,
peu diftant de la fenêtre dont il vient
d'être parlé. L'Eunuque toujours dé20
MERCURE DE FRANCE.
guifé y entra , s'y plaça de maniere à
n'être vu qu'autant qu'il le voudroit
& attendit que la Princeffe daignât ellemême
fe laiffer voir.
1
Elle n'avoit fur ce point aucune répugnance
; chofe affez croyable dans
une jeune Beauté. Souvent même en
contemplant fes charmes dans une glace
, elle gémiffoit de les contempler feule
. Les jardins où elle ne trouvoit pour
toute compagnie que des fleurs , des
ftatues & des femmes , lui devenoient
infipides. Elle n'y jetroit les yeux , ou
ne les parcouroit que par défoeuvrement.
L'Eunuque fans quitter fon embufcade
, fongeoit aux moyens de l'attirer
du côté de la plaine. Il y réuffit avec
le fecours de quelques ariettes Italiennes
, qu'il fe mit à chanter de fon mieux ,
& fort bien. A peine fes accens eurent
frappé l'oreille de la Princeffe , qu'elle
accourut vers fa fenêtre favorite . Ellemême
étoit fort empreffée de voir la
Cantatrice étrangère , car elle jugea, quoiqu'à
regret , que cette voix ne pouvoit
être que celle d'une femme . De fon côté,
l'Eunuque fe tenoit à l'entrée du bofquet,
& là fans être vu trop à découvert ,
& fans difcontinuer de chanter, il tira fes
crayons & déſſina la Princeffe , qui enAVRIL.
1763.
21
chantée de fa voix , ne fongeoit ni à
l'interrompre , ni à difparoître. Déjà
même l'efquiffe du Portrait étoit achevée
, & l'Eunuque chantoit encore
étoit encore écouté . Il crut en avoir
affez fait pour le moment , renferma fes
crayons , & mit fin aux ariettes . Alors
la Princeffe donna ordre que la prétendue
Chanteufe lui fût amenée. C'étoit
ce que demandoit l'Agent travefti.
Il eft introduit auprès d'elle , gracieufement
accueilli , loué fur fa voix ; &
obligé de répondre à une foule de queftions.
?
Il les avoit prévues en partie , & ne
fut embaraffé par aucunes. Sohry lui
demanda entre autres chofes , fi les
Princeffes de fon Pays étoient belles
& les Princes fort galans ? Madame , répondit
la fauffe Italienne , aucune de ces
Princeffes ne vous égale en beauté ,
& tous les Princes de la terre deviendroient
galans , deviendroient paffionnés
, s'ils avoient le bonheur de vous
voir un feul inftant, Sohry ne répondit
rien à ce difcours , mais elle foupira ,
L'Eunuque étoit trop habile pour ne pas
entrevoir la caufe de ce foupir. Etre la
plus belle perfonne de l'Orient & paffer
pour la plus laide , n'avoir que dix22
MERCURE DE FRANCE.
huit ans & pas l'ombre de liberté ; ne
compter qu'un adorateur , qu'on ne voit
que rarement , qu'on n'aime que fort
peu , & ne pouvoir efpérer qu'un autre
le remplace : à coup fùr on foupireroit
, on gémiroit à moins ; & Sohry ,
en effet , ne ſe bornoit pas toujours à
foupirer.
Elle propofe à la fauffe Cantatrice de
s'arrêter quelque temps auprès d'elle .
C'étoit ce que l'Eunuque defiroit le plus ;
cependant il diffimula , oppofa quelques
obftacles faciles à lever , & fe conduifit
avec tant d'art qu'il augmenta l'empreffement
de Sohry , & diffipa tous
les foupçons de fes furveillantes. Il céda ,
enfin , & parut n'avoir fait que céder.
Son emploi confifta d'abord à chanter
auprès de la Princeffe , & à lui donner
quelques leçons de Mufique. Elle joignoit
à fes autres perfections , une voix
auffi propre à charmer l'oreille , que
fes
traits l'étoient à charmer les yeux. L'Eunuque
avoit foin de lui chanter les airs
les plus tendres , & c'étoit toujours
ceux qu'elle apprenoit le plus aifément.
Elle vouloit auffi qu'il lui expli
quât les paroles fur lefquelles ces avis
avoient été compofés . Mais le Traducteur
avoit prèfque toujours foin de leur
AVRIL. 1763: 23
donner un fens relatif à la fituation où
fe trouvoit fa charmante éléve , & aux
fentimens qu'il vouloit faire naître en
fon âme. Delà nouveaux foupirs , nouvelles
rêveries , nouvelles queftions. Il
crut l'inftant favorable pour hafarder
'une épreuve d'une autre genre. Ce fut
de placer le Portrait d'Abbas fous les
yeux de la Princeffe d'Imirette .
,
Sohry lui parloit fouvent & de l'ennui
attaché à une folitude perpétuelle ,
& de la difficulté de vaincre cet ennui.
Je ne vois qu'un moyen de l'éviter , &
c'eft à vous que j'en fuis redevable .
Mais on ne peut ni toujours entendre
chanter , ni toujours chanter foi -même.
Il eft , reprit vivement l'Italien d'autres
talens auffi récréatifs que celui - là ,
auffi faciles à acquérir . Si la Mufique
vous fait imiter & furpaffer le chant des
oifeaux de vos bofquets , la Peinture
par exemple , vous apprendroit à imiter
les oifeaux mêmes , & bien d'autres
objets plus intéreffans que des oifeaux.
Eh quoi ? reprit encore plus vivement
Sohry , auriez-vous auffi le talent dont
vous parlez ? Feu mon époux , repliqua
l'intrépide Italien , le poffédoit au plus
haut degré ; je conferve même le Portrait
d'un Prince de Perfe qu'il peignit
24 MERCURE DE FRANCE .
durant le féjour qu'il fit à Ifpahan .
A peine eut-il prononcé ces mots ,
que la Princeffe voulut voir le Portrait,
& à peine l'a -t-il mis en évidence
qu'elle s'en faifit , le fixe avec attention
, paroît s'émouvoir , loue avec exclamation
l'art du Peintre , & admire
encore plus , mais fans en rien dire , les
traits qu'il a imités . Elle s'informe cependant
qui on a voulu repréfenter dans
cette peinture , & file Peintre n'a point
flatté fon modéle ? Je fçais que fon
grand talent fut d'imiter la reffemblance
, reprit l'Eunuque ; mais j'ignore à
qui ce Portrait reffemble. Une mort
fubite empêcha mon époux de m'en
inftruire à fon retour au Caire où il
m'avoit laiffée. Quelqu'un , à qui la
Cour de Perfe eft connue , m'a dit reconnoître
ici les traits du grand Abbas
C'eft ce que je n'ai pu vérifier , & ce
que fans doute je ne vérifierai jamais .
L'Agent d'Abbas n'avoit pas cru devoir
paroître mieux inftruit de peur de
fe rendre fufpect . Il fçavoit d'ailleurs
que cette incertitude ne ferviroit qu'à
irriter l'impatience de la Princeffe , &
que cette impatience une fois fatisfaite
, la conduiroit à un fentiment plus
vif en core. Il ne fe trompoit pas. Sohry
tomba
AVRIL. 1763. 25
tomba dans une rêverie mélancolique
& profonde. Le Portrait qu'elle avoit
en fon pouvoir l'intéreffoit vivement.
Quelle impreffion ne feroit donc pas
fur elle l'objet qui y eft repréſenté ?
Quel dommage fi ce Prince n'exiftoit
plus ! & s'il exiftoit encore , quel plus
grand dommage d'ignorer qui il eſt ,
d'en être ignorée foi-même ? Toutes ces
penfées agitoient fucceffivement la Princeffe
captive. L'Eunuque l'examinỏit &
la devinoit . Elle lui fit une nouvelle
queftion. Cet Art , lui dit-elle , que
votre époux poffédoit fi bien , vous eftil
donc abfolument inconnu ? C'étoit
encore où l'adroit Emiffaire l'attendoit.
Il répondit que , fans y exceller , il s'y
étoit fouvent éffayé avec fuccès. Vous
pourriez donc , reprit la Princeffe , imiter
la figure de ce petit chien ? Vous en
jugerez , repliqua l'Eunuque , en préparant
fes crayons. A l'inftant même il
deflina cet animal , & le jour fuivant ,
il fit voir à Sohry le tableau déja fort
avancé. C'est dommage , lui dit- elle ,
de n'employer vos talens qu'à peindre
des animaux. J'ai une Efclave qui m'amufe
par fes folies , autant qu'une femme
peut en amufer une autre : fa figure
a quelque chofe d'original , & je vou-
I. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
drois par votre fecours en conferver la
copie. Volontiers , dit encore l'Eunuque
, à qui cette gradation parut devoir .
être bientôt fuivie d'une plus éffentielle .
Déja il demandoit
à Sohry la permiffion
de faire venir cette Efclave ... Attendez,
ajouta de nouveau la Princeffe ; tout ceci
eft , & doit être un mystère entre nous,
& l'Efclave la plus zélée peut devenir
indifcrette
. Ne pourriez-vous pas , pourfuivit-
elle en rougiffant
un peu, exercer
vos talens fur un autre objet ? Par
exemple , me peindre moi-même au lieu
d'elle Madame , repliqua l'Eunuque
tranfporté de joie , mais toujours habile
à diffimuler , je doute que tout l'effort
de l'Art puiffe aller jufques-là : mais
j'exquifferai de mon mieux ces traits.
que la Nature elle-même auroit peine
à reproduire une feconde fois .
•
Sohry lui demanda enfuite quelle
attitude lui fembloit la plus avantageufe
. Celle , répondit-il , qui vous eſt la
plus ordinaire . Il n'eft pas plus en votre
pouvoir d'être fans grâce que fane
beauté.
L'Eunuque alors commença librement
ce Portrait qui étoit l'objet principal
de fa miffion , & qu'il avoit cru
auparavant ne pouvoir éxécuter qu'à
AVRIL. 1763. 27
>
la dérobée . Le zéle qu'il avoit pour fon
Maître & les facilités que lui donnoit
la Princeffe , firent qu'il fe furpaffa
lui- même dans cette nouvelle occafion
. Il parut avoir peint la plus belle
Perfonne du monde , & n'égala pas
encore fon modéle . Cependant , chofe
affez rare , il fatisfit la Beauté qu'il avoit
peinte. Il fe propofoit de tirer une copie
éxacte de ce Portrait : la Princeffe
lui en épargna la peine . Elle lui permit
d'emporter l'Original dans fa Patrie.
Qu'il ferve , ajouta -t -elle , à m'y faire
mieux connoître que dans la mienne où
je dois toujours vivre ignorée. Elle prononça
ces mots d'une voix tremblante
fes yeux devinrent humides C'en fut
affez pour déterminer l'Eunuque à s'expliquer
un peu plus qu'il n'avoit fait jufqu'alors
; mais , cependant , toujours
par emblême ; forte de langage que fon
art le mettoit à même d'employer à fon
choix. Il n'eut pas le loifir d'en faire un
long ufage. La prochaine arrivée du
Prince de Georgie l'obligea de précipiter
fon départ. Sehry elle-même ne crut
pas devoir s'y oppofer. Mais , en partant
, il la fupplia d'accepter une autre
production de fon art , un tableau dont
elle pourroit voir un jour la répétition
B ij
28 MERCURE DE FRANCE.
au naturel. A ces mots , la fauffe Italienne
préfente à la Princeffe un paquet
bien enveloppé , bien cacheté , & s'éloige
en diligence.
Sohry foupçonne que c'eft quelque
autre Portrait , non moins anonyme
que le premier , dont l'Etrangère vient
de lui faire préfent. Elle rompt l'enveloppe
& voit un tableau compofé de
deux figures. Mais quelle eft fa furpriſe
de reconnoître dans l'une fa propre image
, & dans l'autre celle du Portrait
dont on vient de parler ! Cette derniere
figure étoit repréfentée aux pieds de
celle de Sohry & lui offroit un Sceptre.
Le Prince , d'ailleurs , étoit orné de tous
les attributs du Monarque , & même
du Conquérant. Mais c'étoit là tout ;
rien de plus ne fervoit à indiquer fon
nom. L'Agent d'Abbas s'étoit tenu fur
cette réſerve , ne fe croyant pas autorifé
à en dire plus , & craignant furtout
, d'en dire trop.
C'eſt Abbas ! difoit Sohry en ellemême
; plus d'une raifon me porte à
le préfumer. Mais hélas ! Si c'eft lui ,
que de raifons s'oppofent à fes vues ?
Ne s'expliquera-t-il point trop tard ? Me
fera-t-il jamais poffible de l'entendre ,
ou permis de l'écouter ?
AVRIL. 1763 . 29
Ces réfléxions fe renouvelloient fouvent
dans fon âme , & l'attriftoient
toujours. Cependant l'Eunuque arrive
à Ifpahan ; inftruit le Monarque de ce
qu'il a fait , & l'exhorte à venir luimême
achever un ouvrage fi heureuſement
commencé. Le Portrait de Sohry
étoit pour Abbas une exhortation encore
plus éfficace. Il lui parut fi beau
qu'il le foupçonna d'être un peu flatté.
Le Peintre cependant , lui proteſtoit
qu'en cette occafion , l'art étoit reſté
fort au-deffous de la nature , & cet aveu
ne partoit point d'une fauffe modeftie :
Sohry étoit auffi fupérieure à fon Portrait
, qu'il l'étoit lui-même à toutes
les Beautés dont le Sérail d'Abbas étoit
peuplé.
.
On ne tarda pas à voir paroître à
la Cour d'Imirette un envoyé du Sophy.
Cette ambaffade avoit un double objet
; de demander Sohry au nom d'Abbas
, ou de déclarer la guerre en cas
de refus. Lui-même regardoit ce refus
comme certain. Une haine ancienne ,
& par conféquent ridicule , & par conféquent
implacable , animoit les deux
nations , l'une contre l'autre . De fort
mauvais Politiques les entretenoient dans
ce préjugé ; & leurs Princes , qui fou-
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
vent ne l'approuvoient pas , n'ofoient
éffayer de le détruire .
C'eft , furtout , ce que ne vouloit
point tenter Difvald , frère de Sohry ,
& de plus ennemi perfonnel d'Abbas.
Réfolu de réjetter fa demande , il prend
avec le Prince de Georgie , fon futur
beau-fière , des mefures pour lui réfifter.
On éffaye en même tems de
faire prendre le change à l'Envoyé du
Sophy. On ne lui parle que de la
pré endue laideur de Sohry , & pour
mieux l'en convaincre , on fait paroître
à fes yeux cette four aînée , difforme
à tous égards , & qui n'a rien de commun
avec fa cadette , excepté le nom .
L'Agent d'Abbas étoit fort furpris qu'un
Roi pût fe réfoudre à 'raffembler une
armée pour tenter une pareille conquête.
La vraie Sohry , celle qui occafionnoit
tout ce trouble , en étoit la moins
inftruite . Elle continuoit à vivre &
à s'ennuyer dans la folitude. Le tableau
que lui avoit laiffé l'Eunuque ,
en la quittant , occupoit fouvent fes
regards . Seroit-il bien vrai , qu'Abbas
ne me crût pas auffi affreufe qu'on
le publie Elle fe le perfuadoit de fon
mieux , & à tout évenement cette idéo
AVRIL. 1763. 31
la confoloit . Survint tout-à- coup le
Prince de Georgie occupé lui même
d'un idée fort affligeante pour elle , &
qu'il croit propre à le raffurer. Il
venoit , dis- je , exiger de fa Fiancée
un facrifice qui paroîtra toujours exceffivement
dur à une belle perfonne
, & même à une laide : c'étoit d'écrire
de fa propre main au Roi de
Perfe , qu'elle n'a ni agrémens , ni
beauté. Une telle propofition fit frémir
la Princeffe . Elle trouva que c'étoit
abufer de fa docilité & porter
Pafcendant jufqu'à la tyrannie . Elle gardoit
un morne & froid filence. Taymuras
réitére fa demande , & eft furpris
d'avoir été contraint de le faire .
He quoi ! lui dit-elle enfin , avec beaucoup
d'emotion & de vivacité , ma
réputation de laideur n'eft - elle pas fuffifament
établie ? ne paffai- je pas pour
un modéle de difformité ? Le Roi de
Perfe , reprit-il avec chagrin , n'en paroît
pas bien convaincu. Il vous fait
demander par un Ambaſſadeur , &
il vient lui-même appuyer cette demande
à la tête de cent mille hommes.
Cette réponſe rendit la Princeffe une
feconde fois rêveufe. Le dépit fur fon-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
vifage parut avoir fait place à d'autres
mouvemens & Taymuras crut même y
remarquer l'empreinte de la joie. Ce
fut une raifon de plus pour infifter
fur la démarche qu'il exigeoit. Eh que
produira ma lettre ? ajouta la Princeffe ;
détrompera- t-elle plutôt Abbas
que les
difcours de toute une Nation ? Une
ligne de votre main , repliqua Taymuras
, en fera plutôt crue que toutes les
bouches de l'Afie. Une femme qui déclare
qu'elle manque de beauté , ne doit
point trouver d'incrédules.
Sohry lui objecta encore que fa main
ne devoit pas être plus connue d'Abbas
que fa figure , qu'il ne pouvoit connoître.
Mais Taymuras lui apprit qu'une
lettre , qu'elle lui adreffoit dans certaine
occafion , étant tombée au pou
voir du Sophy , il connoiffoit & fon
écriture , & leurs engagemens réciproques.
A l'égard de vos charmes , pourfuivit
il , peut-être Abbas a -t- il fait fur
ce point certaines découvertes ; peutêtre
n'eft- ce qu'un foupçon , & c'eft ce
foupçon qu'il faut détruire .
C'étoit là au contraire , ce que Sohry
eût voulu confirmer. Il fallut , pour la
réduire , les ordres abfolus de la Reine
fa mère. Alors elle vit qu'il falloit céAVRIL.
17630
33
der . Hé bien , dit-elle à Taymuras , avec
un mouvement de dépit qu'elle ne put
contenir , voyons comment vous exigez
qu'on tourne cette lettre fingulière ?
Choififfez-en vous-même les expreffions;
je ne ferai qu'écrire fous votre dictée .
Volontiers , reprit Taymuras , & il
commença ainfi :
La Princeffe d'IMIRETTE , au Roi
DE PERSE.
à
ma J'apprends , Seigneur , que vous prétendez
m'arracher à mon pays ,
famille , au Prince qui doit être mon
époux. C'est à quoi vous ne parviendrez
jamais de mon aveu.
...
La Princeffe avoit écrit , fans interruption
, tout le commencement de
cette phrafe ; mais elle fe fit répéter la
fin jufqu'à trois fois . Taymuras pourfuivit
en ces termes :
Je dois même vous répéter ce que la
Renommée a dû vous apprendre ;
fuis peu digne de cet excès d'empreffement..
Ces derniers mots parurent encore
embarraffer Sohry. Eft -ce bien là ce
que vous avez voulu dire ? demandatelle
au Prince en rougiffant, Précifé-
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
ment , reprit-il ; & il répéta les mêmes
expreffions aufquelles il ajouta celles
qui fuivent :
J'ai moins d'attraits que la moins
belle des femmes de cette contrée.....
Vous me trouvez donc bien affreuſe ?
interrompit- elle de nouveau .... Ah !
vous n'êtes que trop adorable , reprit
Taymuras. Mais voulez - vous paffer
pour telle dans l'efprit du Roi de Perfe ?
Ah ! s'il eft ainfi , quittez la plume &
montrez-vous ? Sohry , quoique d'une
main tremblante , écrivit donc encore
ce que le Prince venoit de lui dicter.
Elle s'en croyoit quitte ; mais il
ajouta :
C'eft cette entiere privation de char
mes qui m'oblige à fuir tous les regards
; je voudrois pouvoir me fuir
moi-même ·
Chacun de ces mots faifoit friffonner
la Princeffe. L'altération de fon
vifage marquoit celle de fon âme . La
plume lui échappa de la main . En vérité
, Seigneur , dit- elle , en fe levant
avec dépit , j'ignore quand vous tarirez
fur mes imperfections ! Eh , madame
reprit Taymuras , à peine ce porAVRIL.
1763. 35.
trait idéal fuffit pour me raffurer ! Hébien
, ajouta Sohry , toujours fur le
même ton , je vais vous aider à finir
le tableau . A ces mots , faififfant un
miroir elle éxamine fes traits en détails
; & regardant Taymuras d'un
air ironique & fier : commençons , pourfuivit-
elle › par ces yeux : fans doute
qu'il faut les peindre petits , ronds ,
caves , fans efprit , fans activité ? A
merveille ! reprit Taymuras.
4
SOHRY .
Cette bouche , des plus grandes ; ces
lévres , pâles & livides ?
TAYMURAS,
On ne peut mieux !
SOHRY .
Ces dents , noires & mal rangées →
Bon !
TAYMURAS.
SOHRY.
Ce teint , fans blancheur , fans coloris
, fans vivacité ?
TAY MURA S..
: Parfaitement bien !
SOHRY.
Enfin , toute cette phyfionomie,maf
fade & rebutante ?
B- vj
36 MERCURE DE FRANCE.
TAY MEURAS.
Oui ! voilà le Portrait qu'il convient
d'envoyer au Roi de Perfe.
<
Sohry écrivit , en effet , toutes ces
chofes ; mais non fans murmurer contre
celui qui l'obligeoit à les écrire. La
lettre part , eft remife au Sophy & le
jette dans la plus extrême furpriſe. Il
compare cette lettre avec celle qui auparavant
eft tombée entre fes mains.
L'écriture lui en paroît toute femblable.
C'eft , difoit - il , Sohry ellemême
qui s'accufe de laideur : puis - je
refufer de l'en croire ? Mais fi je l'en
crois , l'Eunuque à coup fur , n'eft qu'un
impofteur. Il ordonne qu'on le faffe venir
, & lui prefcrit impérieuſement d'accorder
, s'il le peut , les deux Portraits :
celui qu'il a fait de Sohry en peinture
& celui qu'elle fait d'elle -même par
écrit.
Chaque ligne que lifoit l'Eunuque
ajoutoit à fon étonnement. Il reconnoît
la main de la Princeffe , & ne recon- .
noît aucun de fes traits dans les détails
burleſques dont cette lettre eft remplie .
Ce n'eft pas tout ; arrivent à l'inſtant
même des dépêches de l'Envoyé du
Sophy , dépêches qui femblent confirmer
en tout point les détails de la let
AVRIL. 1763. 37
tre. L'Eunuque , hors de lui-même
tombe aux genoux d'Abbas. Je jure par
le Commentaire d'Aly , s'écrie le Renégat
Italien , que le portrait que j'ai remis
à votre Majefté eft encore bien inférieur
aux charmes de la Princeffe d'Imirette
, & que la peinture qu'elle fait
ici d'elle-même , n'eft que pour vous
faire prendre le change , comme on l'a
fait prendre à votre Miniftre.
Quoi ! s'écria le Sophy indign é , cette
femme me mépriferoit au point de vouloir
que je la cruffe laide ? Il y a peu
d'exemples d'un mépris porté jufques-là .
N'importe, c'est ce qu'il faut vérifier . En
effet , dès le jour même , il donna des
ordres pour faire marcher une armée
nombreuſe vers les frontièresd'Imirette ,
& peu de temps après , il marcha luimême
pour la commander. Il eut foin
de conduire l'Eunuque avec lui pour
deux raifons ; pour le mettre à même de
fe juftifier , ou pour le faire pendre s'il
ne fe juflifioit pas .
On fçut bientôt à la Cour d'Imirette
qu'il falloit ou fe battre , ou trouver au
Roi de Perfe , une Princeffe auffi belle
qu'il fe la figuroit . On s'en tint au premier
parti. Quant à celle dont la beauté
occafionnoit tant de mouvemens , elle
38 MERCURE DE FRANCE.
Qût volontiers approuvé le parti le plus
doux. Il eft rare qu'une femme fache
mauvais gré à tel amant que ce puiffe
être des efforts qu'il fait pour l'obtenir
, & Sohry étoit fort contente que
fa lettre n'eût point ralenti ceux d'Abbas.
qui
Les Rois d'Imirette & de Georgie
avoient réuni leurs forces . Ils s'étoient
retranchés , & attendoient Abbas , quit
ne fe fit pas long- temps attendre. Il les
attaqua fans héfiter. Le combat fut rude
& fanglant. Les deux Rois alliés s'y comporterent
, l'un en Souverain qui défend
fes Etats , l'autre en amant qui défend
fa maîtreffe . Mais les efforts d' Abbas ne
furent pas moins grands , & furent plus
heureux . Il remporta une victoire complette
, détruifit , ou diffipa l'armée ennemie
, & pourfuivit les deux' Chefsjufqu'à
la Ville où le frère de Sohry tenoit
fa Cour.
Inftruit par l'Eunuque Italien que
la Princeffe tenoit la fienne ailleurs
il y marcha fur le champ , tandis que
la meilleure partie de fes troupes bloquoit
la Capitale. Il arrive & apprend
qu'en effet Sohry habite ce fejour. On
conçoit fans peine l'excès de fon impatience
& de fa joie . Il ordonne qu'on
le conduife vers la Princeffe. Il eft obéis
AVRIL 1763 . 39
Mais que voit-il ? Un'objet auffi hideux
qu'il efpéroit le trouver féduifant ,
le vrai modéle du portrait exprimé dans
la lettre qu'il a reçue avant fon départ
; en un mot , la difforme Princeffe
qu'on a déja fait voir à fon Envoyé !
Certains rapports faits aux deux Rois
fur le féjour & le départ de la fauffe
étrangère , les avoit déterminés à ſubſtituerdans
cette même folitude l'aînée
à la cadette. Abbas fit quelques queftions
à fa prifonnière. Les réponfes qu'il
en reçut , augmenterent fon déplaifir.
Elles étoient parfaitement conformes à
la lettre qu'il fuppofoit avoir été écrite
par elle ; & il refte perfuadé que cette
Sohry fi fameufe par fa beauté, ne doit
l'être que par fa laideur. Je n'ai nuk
reproche à lui faire , difoit Abbas , elle
eft encore plus difforme qu'elle ne me
l'écrit. Pour toi , miférable , ajouta - t-il
en parlant à l'Eunuque , ce qui la juf
tifie te condamne : cette exceffive dif
formité eft l'arrêt de ta mort.
Grand Roi ! s'écria l'Eunuque , en
tombant de nouveau aux pieds . dur
Sophy , que votre Majefté me laiffe
éclaircir ce mystère. Il y en a un dans
tout ceci que je ne connois pas . J'ai
eu à peindre & j'ai peint la plus
40 MERCURE DE FRANCE.
belle perfonne du monde : ce n'eft
donc pas celle
que vous voyez. Mais
celle que j'ai peinte exifte , j'en réponds
fur ma tête , que vous ferez le maître.
de me faire enlever demain comme
aujourd'hui . De grâce retournez vers la
Capitale , hatez - en le fiége , la prife.
pourra mettre entre vos mains une capture
encore plus précieuse.
Zomrou eût pû en partie développer
cette énigme.Mais lui-même avoit laiffé.
pénétrer fes deffeins : il étoit gardé à
vue par ordre des deux Rois , depuis le
jour de l'arrivée du Miniftre d'Abbas .
Par cette raiſon , il n'avoit pas été plus
utile à cet Envoyé qu'il ne pouvoit l'être
alors au Sophy même. Abbas prit donc
une double réfolution . Ce fut de preffer
la Ville affiégée , & de faire battre
la campagne par des Emiffaires munis
du Portrait que l'Eunuque avoit tracé .
Le Prince leur ordonna de lui amener
toutes les femmes qui auroient quelque
reffemblance avec ce Portrait . L'Eunuque
ambitionnoit cette commiffion ;
mais Abbas ne lui permit pas de s'éloigner
de lui. Il vouloit s'en fervir à diftin-.
guer la Princeffe , au cas qu'elle fe trouvât
dans la Ville , ou pouvoir venger
fur lui fon chagrin , au cas qu'elle ne
fe trouvât nulle- part.
"
AVRIL. 1763. 41
Le Siége fut pouffé avec tant de vigueur
qu'en peu de jours la Ville n'avoit
plus guéres que la moitié de fes défenfes
& de fa garnifon . Mais le courage
des deux Rois étoit toujours le
même. Ils ne vouloient ni fe rendre
ni livrer la Princeffe qu'Abbas eût préferé
à toutes les Villes de leurs Etats.
Elle n'étoit point d'ailleurs dans la Capitale.
Sohry inconnue & déguisée
habitoit un afyle fi peu fait pour
elle
qu'il n'y avoit nulle apparence qu'on
dût l'y chercher. Là , elle gémiffoit fur
fes charmes qui caufoient l'oppreffion
de fa Patrie. Mais prèfque certaine
qu'Abbas eft celui dont elle adore en
fecret l'image , elle n'ofe le qualifier
d'oppreffeur. Elle fent même qu'il ne
tient qu'à ce léger éclairciffement pour
qu'il foit , à-peu- près , juftifié dans for
âme.
,
Cependant , le péril augmentoit fans
relâche pour la Capitale. D'un inſtant
à l'autre la Place pouvoit être forcée
pillée , faccagée . Le Roi Difvald , réfolu
à tout , excepté à voir fa Maîtreffe
& fa Mère expofées aux fuites qu'entraîne
le fac d'une Ville , prit le parti
de les faire échapper , l'une après l'autre
, par une voie qu'il croyoit füre,
42 MERCURE DE FRANCE .
Mais Abbas avoit pris des précautions
plus fùres encore . Peu d'inftans après
feur fortie on lui amena les deux fugiti
ves.
J'ai déja dit que la mère de Sohry ne
cédoit en beauté qu'à Sohry même.
Il y avoit , de plus , entre elles , cette
forte de reffemblance qui ne fuppofe
pas toujours une entiére égalité de charmes.
Par cette raifon le Portrait qu'avoit
tracél'Eunuque , Portrait bien inférieur
à l'original , reffembloit beaucoup
plus à la premiere qu'à la feconde.
Abbas au premier coup d'oeil s'y
méprit & crur tout l'emblême expliqué.
Les charmes de fa Captive firent même
tant d'impreffion fur lui , qu'il ne fongea
plus à faire d'autres recherches , & que
' Eunuque Peintre lui parut abfolument
juftifié . Mais celui - ci prétendit lui-même
ne l'être pas encore. Il affura fon Maître
que jamais cette Princeffe n'avoit fervi
de modéle au Portrait , en queſtion ,
& qu'à coup für ce modéle exiftoit..
S'il eft ainfi , Madame , reprit Abbas
, en s'adreffant à la mère de Sohry
vous voyez dès à préfent ce qui peut &
doit former votre rançon. Un objet qui
vous reffemble peut feul vous remplacer
auprès de moi. Vous régnerez , dang
AVRIL. 1763. 43
mon Sérail , ou bien la Princeffe votre
fille y occupera le rang qui vous eft
offert. Je ne puis renoncer à l'une que
pour obtenir l'autre.
>
Ce difcours fit frémir la belle prifonnière
. Elle conjura en vain le Sophy de
fe rappeller le voeu par lequel elle s'étoit
liée vou qui ne lui permettoit plus:
de difpofer d'elle- même . Un pareil motif
a bien peu de pouvoir fur l'âme d'un
Sectateur d'Aly. A peine Abbas parutil
y faire quelque attention : Il ne dépend
que de vous , Madame , reprit - il , &
de garder vos voeux , & de combler les
miens. Que l'aimable Sohry vienne jouir
d'un avantage que vous dédaignez , fau
te de le bien connoître . N'efpérez pas
du moins, que je cherche à étouffer l'a
mour le plus fincère & le plus ardent ,
lorfque vous paroîtrez n'écouter qu'une
haine injufte & de vains préjugés .
Abbas , qui n'avoit prèfque pas remarqué
Fatime ( c'eft le nom de la fille
de Zomrou ) l'envifagea lorfquelle commençoit
à murmurer , tout bas , de
cette inattention . Abbas. trouva l'amour
de Difvald parfaitement bien fondé.
Fatime avoit affez de charmes pour l'en--
flammer lui-même , fi elle n'eût pas eu
Sohry pour rivale. Il fongea cepen
44 MERCURE DE FRANCE
dant à faire craindre au Roi d'Imirette
que Sohry n'éffayât trop tard de l'emporter
fur Fatime.
Ce ftratagême lui réuffit. A peine
Difvald eut appris la captivité de fa
mère & de fa maîtreffe , qu'il fongea:
férieufement à les échanger pour fa
foeur. Ce fut dans ce moment là-même ,
que les Emiffaires d'Abbas lui amenerent
une jeune perfonne vêtue en Efclave
, & infiniment plus belle encore
que le portrait qu'il leur avoit confié.
On s'empreffe , on regarde , on admire.
C'eft Sohry ! s'écrie auffitôt l'Eunuque ;
c'eft ma fille ! s'écrie la Princeffe Douairiere
: c'eſt Abbas ! s'écrie en même
temps la prétendue Efclave , & elle s'évanouit.
Abbas , hors de lui - même , ébloui de
tant d'attraits , & ne fachant comment
interpréter cette défaillance & cette exclamation
fubites , ordonne qué les
fecours foient prodigués à la Princeffe.
Lui-même eft le plus ardent à la fecourir.
Au milieu de quelques agitations
inévitables, une boete cachée dans
ſes habits d'eſclave s'échappe & tombe.
Abbas croit la reconnoître , s'en faifit ,
l'ouvre & y trouve fon portrait. A
cette vue , toute fa fierté afiatique difAVRIL.
1763. 45
paroît ; il tombe aux genoux de la fauffe
efclave. Adorable Sohry , s'écria- t- il !
quoi même en fuyant ma perfonne ,
vous fuyiez avec mon image ! Il eſt
donc vrai que vous ne m'évitiez que
par contrainte ? Ah, ceffez de gêner vos
fentimens & daignez - en recueillir les
fruits à peine les croirai - je affez
payés de toute ma tendreffe & de
toute ma puiffance.
Sohry , en ce moment , ouvre les
yeux. Quelle eft fa furprife ! elle voit
fe réalifer la tableau que l'Eunuque
lui a laiffé en la quittant ; elle voit
en perfonne le fuperbe Abbas dans
l'attitude où elle l'a vû tant de fois en
peinture ; elle le voit à fes pieds ! Un
mouvement de joie qu'elle cherche à
cacher une forte de confufion modefte
ajoutent encore à fa beauté.
Survient à l'inftant la Reine fa mère ,
& fa confufion augmente. Mais un
Envoyé du Roi d'Imirette vint mettre
fin à leur embarras réciproque . Il venoit
propofer pour l'échange des deux
premieres captives , celle que le hazard
avoit déja mis au pouvoir du Sophy.
Ce qui n'empêcha pas que l'échange
ne fut accepté , la paix faite , & ce qui
46 MERCURE DE FRANCE .
dit encore infiniment plus , toute femence
de guerre éteinte .
Abbas reffentoit fon bonheur , au
point de vouloir que tous les autres
fuffent heureux . Il acerut les Etats du
Roi d'Imirette , qui époufa Fatime ; il
fit époufer fa propre foeur au Princ eà
qui il enlevoit Sohry : il partagea avec
cette dernière toute fa puiffance &
la laiffa régner fans partage fur fon
âme. L'Eunuque mit fin à fes voyages ;
& Sohry en fixant le coeur de fon Epoux,
afura aux Princes voifins leur repos ,
leurs femmes & leurs Etats .
Par M. DE LA DIXMERIE .
LES ECOLIERS ET LE BALON ,
PAR
FABLE.
AR un beau jour de la ſemaine ,
C'eft -à -dire un jour de congé ,
De jeunes Ecoliers en plaine
Un troupeau partagé ,
S'envoyoit , l'un à l'autre , un Balon élastique ;
C'étoit un charme de les voir !
A toi ! ... Fort bien ! .... A moi ! .... Chacun
court & s'applique ,
Ne voulant point faillir au jeu comme au devoir.
AVRIL. 1763 . 47
L'un deux , laffé de l'exercice ,
Par ignorance ou par malice ,
Pique le Balon , l'air s'enfuit ,
Et le faux embonpoint foudain s'évanouit.
Ainfi dans l'orgueil qui l'anime <
Se montre le demi -fçavant :
Tout rempli de fa propre eftime ,
Il s'enfile ! Mais fondez-le il n'en fort que du
venţ
Par M. GUICHARD .
STANCES fur l'incendie du Palais
Epifcopal d'AMIENS , arrivé le
Dimanche 19 Décembre.
Qu
UELS cris foudains fe font entendre ?
Quel nuage obfcurcit les airs ?
Je m'empreffe & je crains d'apprendre
D'où partent ces triftes concerts !
L'airain fonne quelles allarmes !
Chacun tremble , pâlit d'effroi ;
Et parmi tout un Peuple en larmes
Perfonne ne tremble pour foi.
Quel est donc ce nouveau prolige ?
La paix fuit- elle loin de nous ?
La main du Dieu qui nous afflige
Annonce-t-elle fon courroux &
48 MERCURE DE FRANCE.
Mais que vois - je ! un torrent de flâme
Qu'accroît un vent impétueux
Porte la terreur dans les âmes ,
Et frappe la voute des Cieux.
D'un Prélat le Palais augufte
Va- t-il donc être confumé ,
Tandis qu'aux Autels d'un Dieu juſte
D'un faint zéle il eſt animé ?
( a ) C'eſt en vain qu'on veut l'en diſtraire ;
Tous les biens ne font rien pour lui ;
Content du fimple néceffaire
Ses feuls befoins font ceux d'autrui.
Si quelque crainte le tourmente
Et peut redoubler " fon ardeur ,
C'eft que la flamme qui s'augmente
Ne porte plus loin fa fureur.
( a ) L'incendie qu'on avoit d'abord cru peu
dangereux , le manifefta au dehors au moment
qu'on commençoit les Vêpres. Le Prélat qu'on
vint avertir , non feulement ne quitta point
le Service Divin , il refta profterné au pied
de l'Autel jufqu'à la fin du jour , donnant à
tout le Peuple l'exemple édifiant d'une piété
& d'un détachement dignes des Paſteurs des
premiers Siécles . On l'engagea inutilement à
fe repofer. Il ne quitta qu'au moment où la
clôture des portes de la Ville l'obligeait d'en
fortir pour fe retirer à fon Séminaire.
Pour
AVRIL 1763.
Pour fon troupeau feuf il reclame
Le fecours d'un Dieu tout-Puiffant.
C'en eft fait , & déja la flamme
N'a plus qu'an effet languiffant.
7 02011
Oui , Grand Dieu ! c'eft à fes prières ,
Que nous devons ce changement :
Jamais des Saints les coeurs fincères
Ne t'ont imploré vainement.
Seigneur , acheve ton ouvrages i
Que nos voeux, ne ſoient point déçus ;
Que d'un Prélat , ta vive image ,`
Les ans égalent les vertus !
Par M. LELIU.
E PITREN
EN
A M. G.
A M.
N lifant les Vers
12
Si remplis de charmes
Que tu m'as offerts ,
J'ai verfé des larmes.
Quoi ! faut-il , hélas !
Qu'un deftin barbare
Jufques au trépas
Tous deux nous fépare !
J'ai vu de nos jours
. Vol.
T
50 MERCURE DE FRANCE
i
S'éclipfer l'aurore
Les Ris , les Amours
Nous fuivent encore.
Enchaînons de fleurs
Leur troupe volage :
Les foucis , les pleurs
Sont-ils de notre âge ?
On tend au bonheur
Par des foins extrêmes :
Quelle aveugle erreur !
Il eſt en nous-mêmes.
Un Lys , un Jaſmin
Vaut une Couronne
Lorfque par ta main
Amour me le donne.
Au cours de nos ans
Quand l'amour préſide ,
Il fixe du temps 1
L'aîle trop rapide.
Le coeur eft preffant ;
Entends fon langage :
Jouir du préfent ,
Eft le lot du Sage.
Par M. B..
AVRIL. 1763 . 51
HOROSCOPE du premier Enfant de
M. le Marquis D. F. Brigadier des
Armées du Roi & C. des G. de la
REINE.
DIGNE IGNI Sang de nos demi- Dieux ,
De leur amour le premier gage ,
Votre avénement précieux
Fait retentir tout ce Rivage
Des tranfports d'un Peuple joyeux ;
Empreffé de vous rendre hommage.
Sur cet événement heureux
Tandis que tout fur cette plage ,
Signale fon zéle en fes jeux
Qui n'en font qu'une foible image ;
Souffrez qu'interrogeant les Cieur
Un Aftrologue de Village
Faffe en peu de mots de fon mieux
Votre horoſcope en fon langage.
Daignez d'un fouris gracieux
Favorifer ce badinage
Qui bravera les envieux
S'il peut avoir votre fuffrage.
Oui , pour vous , l'efpoir de ces lieux $
L'avenir par moi s'enviſage ,
Grace à mon art mystérieux.
Cij
52 MERCURE DE FRANCE .
De biens , d'honneurs quel aſſemblage
S'offre à mes regards curieux !
Des tems ils percent le nuage.
Je lis configné , d'âge en âge ,
Le deftin le plus glorieux
Qui doit être votre partage.
Tendre fruit des plus charmans noeuds
Aimable enfant , quel avantage
Pour nous comme pour nos Neveux !
Par la douceur & le courage
Que vous avez reçu des Dieux
Vous deviendrez par héritage
Grand & Bon comme vos ayeux,
Quel plus defirable appanage !
Vous ferez adoré comme eux ,
Et nous aimerez: doux préfage ,
Qui comble à jamais tous nos voeux,
Par M. D. L *** Abenné au Mercure
AVRIL. 1763. 53
A M. le Prince DE SOLRE , fils unique
de M. le Prince DE CROY , Lieutenant-
Général des Armées du Ror ,
fur fa guérison de la petite vérole ,
qu'il a eue à Londres.
LALa Vertu dans ce fiécle , hélas ! fi négligée ,
E la Religion chaque jour outragée ,
A peine réfiftant au torrent de nos moeurs ,
En fecret gémiffoient fur leurs communs malheurs.
L'Amitié dont les feux meurent bientôt fans
elles ,
Par ces mots vint tarir la fource de leurs pleurs :
» Raffurez-vous , Soeurs immortelles ,
>> Vous n'avez point perdu tous vos adorateurs ,
» Le plus zélé vous reſte ; honneur de votre Em-
» pire ,
» Dans l'âge dangereux des frivoles erreurs ,
» Unique efpoir d'un fang , où pour vous tour
reſpire ,
כ כ
Ses exemples partout vont vous gagner des
> coeurs.
Que la joie en ce jour fuccédé à vos douleurs ;
» Raffurez-vous : CROY refpire.
Par M, DES..... C. A. R. de C. C.
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
VERS de feu M. COFFIN , mis au
bas d'une Eftampe de feu M. SAMUEL
BERNARD.
Hic , vir hic eft , cujus vazio in diſcrimine
præfens
Experta auxilium Gallia foepe fuit.
Ille per occultos terrâque , marique , meatus ;
In patriam externas deproperavit opes.
Ille etiam , & fifci reparavit damna gementis ,
Ille etiam , & Populi depulit ore famem .
Il lum ergo titulis ultro Rex auxit honorum ,
Cui fat erat Civis gloria parta boni.
LES mêmes Vers traduits en François.
T.u vois dans ce Portrait un homme dont la
France ,
Dans des temps rudes & fâcheux ,
Eprouva fifouvent une fûre affiftance ,
Et plus d'un fecours généreux.
Et la Terre , & les Mers fecondant fon génie ,
Il fçut , méprisant le danger ,
Enrichir chaque jour fon heureuſe Patrie
Des dépouilles de l'Etranger.
AVRIL. 1763. 55
Ses fonds plus d'une fois acquitterent la dette
Dufifc affoibli , languiffant
Ils fauverent encor d'une affreuse difette
Le Peuple affamé , gémiſſant.
Par les bienfaits d'un Roi d'éternelle mémoire ,
Que d'honneurs unis à fes biens !
Quoiqu'il ne recherchât que la folide gloire
D'être au rang des bons Citoyens .
Par M. GUILLO DE LA CHASSAGNE ,
Gentilhomme Francomtois ..
DIALOGUE entre DÉMOCRITE &
N
MOLIERE.
MOLIER É.
' EST - CE pas vous que les fottifes
des hommes faifoient rire ?
DEMOCRITE.
N'eft- ce pas vous qui faifiez rire les
hommes de leurs fottifes ?
MOLIER E.
Qui ; notre emploi fut très- différent ,
comme vous voyez.
DEMOCRIT E.
Je choifis le moins pénible , celui
en même temps , qui me parut le plus
Civ
$6 MERCURE DE FRANCE.
propre à corriger l'efpéce humaine de
fes travers.
MOLIERE.
L'expérience dut bientôt vous détromper.
Loin que ces ris perpétuels
guériffent les Athéniens de leurs folies ,
ils chargerent , dit-on , Hippocrate du
foin de vous guérir de la vôtre.
DEMOCRITE.
J'avoue que j'ai laiffé mes Compatriotes
auffi extravagans qu'ils l'étoient
d'abord. Mais vous-même , qu'euffiezvous
fait à ma place ?
MOLIERE.
Ce que j'ai fait depuis vous . Au lieu
de me livrer à un rire immodéré , &
dès-lors , un peu ridicule , j'aurois tracé
le tableau des travers qui le provoquoient.
DEMOCRITE.
C'eût été vous- même rifquer le fort
de Zeuxis , qui mourut , à force de
rire , en contemplant certain grotesque
portrait qu'il venoit de tracer.
MOLIER E.
Oh , pour moi , je n'ai jamais ri .
AVRIL. 1763. 57
DÉMOCRITE.
Vous euffiez donc pleuré.
MOLIERE.
Ne diroit- on pas , à vous entendre
que vos Athéniens eurent un brévet
exclufif de ridicule ? Nos François ne
pourront - ils , au moins , prétendre au
parallèle ?
DEMOCRITE.
J'en doute. Figurez-vous une Nation
Tégère , capricieufe , inconféquente ; approuvant
aujourd'hui ce qu'elle blâmera
demain ; fans but , fans réflexion , fans
caractére : changeant avec la même facilité
, de fyftême , de ridicules , de mo--
des & d'amis : une Nation , en un mot ,
qui n'a d'uniformité que dans fon inconftance....
Tels furent mes Compatriotes.
Auriez -vous eu de pareils objets
à peindre ?
MOLIERE,
A-peu-près ..
DÉMOCRITE ,
Par exemple , y eut- il jamais parmi
vous d'étourdi auffi effronté que notre
Alcibiade ?
Cv
58 MERCURE DE FRANCE .
MOLIER E.
Alcibiade eût été parmi nous un
homme à citer , une efpéce de Sage.
DÉMOCRIT E. •
Que dirons nous de ce Peuple qui
s'amufoit à plaindre le chien de cet
infenfé , & qui ne plaignoit pas tant
de maris dont il féduifoit , ou enlevoit
la femme ?
MOLIER E.
J'ai connu certaine contrée où les
maris fupportoient plus facilement ces
fortes d'affronts , qu'un coup donné
mégarde à leur chien .
DEMOCRITE.
par
Qui n'eût pas ri , à ma place , de
voir cette multitude orgueilleufe ériger
une foule de ftatutes aux Orateurs qui
fçavoient le mieux louer fes travers &
Les caprices?
MOLIER E.
Chez nous la multitude ne peut
rien ; auffi n'eft - ce pas elle qu'on loue.
Il eft, en même temps , affez rare qu'un
Grand outre la reconnoiffance envers
ceux qui l'ont le plus flatté. Il fe borne
à trouver l'éloge un peu mince , &
AVRIL. 1763. 59
à oublier jufqu'au nom de l'Auteur .
DEMOCRITE.
N'ai-je pas vû ces mêmes Athéniens
traiter plus mal leurs meilleurs Généraux
que leurs plus mauvais Rhéteurs ,
& bannir des Murs de leur Ville
ceux qui les avoient le mieux défendus
?
MOLIERE.
›
Nos François fuivent une autre méthode.
Ils payent fouvent d'un malin
vaudeville les plus grandes actions
comme les plus grandes fautes , &
nulle difgrace ne les afflige , dès qu'il
en peut naître une épigramme.
DEMOCRITE .
A propos d'épigramme , parlons des
Auteurs mes contemporains. Que de
jaloufies , que de petiteffes dans les
plus Grands! Que de prétentions , que
d'orgueil dans les plus Petits ! Je crois les
voir encore s'agiter , cabaler , s'entremordre,
s'entre-détruire, avec autant de
fureur que les Grecs , & les Troyens ,
autre espéce de foux , combattirent
pour une Beauté déja furrannée ..
Oh certainement , vos Auteurs ont
été plus raisonnables !
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
MOLIER E.
Il femble , au contraire , que vous
ayez voulu les peindre . Mais je pour--
rois ajouter plus d'un trait au tableau .,
Si les Ecrivains modernes font infé--
rieurs aux anciens , ce n'eft pas du côté
de la tracafferie .
DÉMOCRITE.
Paffe encore pour certains Auteurs
& furtout pour les Poëtes. Mais que
dire des Philofophes ? Quelle contrariété
dans leurs difcours , dans leur
conduite , dans leurs fyftêmes ! Chacun
d'eux crée un monde à fa manière
& fe perfuade avoir faifi la vraie. J'ai
auffi , moi-même qui vous parle , bâti
mon Univers. Après quoi , j'ai ri de ce
frêle édifice , comme j'avois fait des
tant d'autres.
MOLIERE..
"
Nous ne manquons pas , non plus ,
de ces fortes d'Architectes . Il n'en eft
aucun qui ne croye avoir bâti fur de
meilleurs fondemens que tous fes rivaux
. Mais , au bout d'un quart de fiécle
, on pourroit dire de ces Monumens
, comme de la Ville de Priam ::
c'est ici ou fut Troye
AVRIL. 1763 .
or
DEMOCRITE.
Une telle manie a dû vous fournir
plus d'une fcène vraiment comique.
MOLIER E..
J'ai refpecté le peu que nous fçavions
d'Aftronomie , c'est - à - dire , tout ce
qui m'a paru démontré fur cette matière.
Mais & peut-être j'eus tort ) je.
ridiculifai dans les femmes ces fortes de
recherches.
DÉMOCRITE . {
Quoi ! parmi vous les femmes s'amufent
à mefurer les Cieux ? J'en félicite
leurs époux . Nos Athéniennes
pour la plûpart , facrifioient à d'autres:
genres de curiofité.
MOLIER E.
Oh ! nous avons auffi des curieufes
de plus d'une espéce..
DÉMOCRITE.
Leurs maris font - ils jaloux ? J'ai beau
coup ri des vaines précautions de certains
époux d'Athenes , éviter cer
tain accident qu'on n'évite guères que
par hafard.
pour
MOLIER E.
De mon temps , plus d'un mari eut le
même. foible ; & moi-même je n'en:
62 MERCURE DE FRANCE.
fus pas exempt. Mais j'eus le courage
de fronder & mon ridicule , & celui
des autres : leçon qui fructifia au point
que
mes fucceffeurs font réduits à fronder
un ridicule tout oppofé.
DÉMOCRITE.
Eft- ce la feule de vos leçons qu'on
ait prife trop à la lettre ?
MOLIERE.
J'en puis citer d'autres . Par exemple
, j'ai ridiculifé , & prèfque à tous
propos , le jargon barbare , le craffeux
pédantifme des Médecins de mon fiécle.
Aujourd'hui c'eft l'élégance de
leurs difcours , de leur parure & de leur
équipage , qui fert de matière aux Sarcafmes
de Thalie. Il en eſt ainfi de
quelques autres travers , qui n'ont fait
que fe métamorphofer en travers non
moins bifarres.
DÉMOCRITE.
Avouez donc , entre nous , que votre
méthode pour corriger les hommes
n'eft pas plus éfficace que la mienne.
MOLIER E.
C'eft ce que je n'avouerai pas. Un
ridicule anéanti , fût-il même remplacé
AVRIL. 1763. 63
par un autre , eft toujours un ridicule
de moins.
DEMOCRITE.
Comment cela ?
MOLIER E.
C'eft que tous deux euffent pu exifter
en même tems. Aux Précieufes ridicu
les , ont fuccédé les Petites -Maîtreſſes.
Mais fi je n'euffe réuffi à diffamer les premieres
, on les verroit marcher de frontavec
les fecondes.
DEMOCRITE.
Que conclure , enfin , de tout ceci ?
MOLIERE
.
Que la fource du ridicule eft intariffable
chez les humains ; qu'on peut
en prévenir les débordemens , mais non
en arrêter le cours : en un mot , qu'un
Moliere y trouveroit toujoursà réprendre
, & un Démocrite toujours à rire.
Par M. DE LA DIXMERIE.
54 MERCURE DE FRANCE .
PORTRAIT de Madame C * *
par M. ***
CET art féduifant de charmer,
Ces éffain de plaifirs qui vole fur vos traces,.
Ces appas enchanteurs qui vous font tant aimer,
Iris , vous les tenez des Grâces .
Toutes trois à l'envi par leurs tendres ace
cords ,
Signalerent votre naiffance ;
Et fur vous avec complaifance ,
Chacune prodigua fes plus riches tréſors.
L'une pour appanage
Vous donna la beauté , les ris & l'enjoûment,
La féconde du Sentiment
Dubon coeur , de l'eſprit a fait votre partage.
Enfin fans le fecours de l'Art ,
De mille heureux taléns vous orna la troifiéme..
Ainfi de vous , belle - C *** ‹
Trois ont fait une quatrième.
LE mot de la premiere Enigme du
mois de Mars eft la Glace. Celui de la
feconde eft le Compliment. Celui du
premier Logogryphe eft Profopopée ,
dans lequel on trouve Poppée , Ops ,
AVRIL. 1763.
Efope , Pope , Rofée , Ofée , Rofe &
Profe . Celui du fecond eft aimer , dans
lequel on trouve amie , ami , Marie ,
ame , air , mer , rime arme , mare
rame ire , mari , & c.
>
ENIGM E.
Je vais t'apprendre non deſtin :
Fuge s'il est heureux ou déplorable :
Dès que je fuis formé , mon père impitoyable
Me plonge le fer dans le fein.
Je fuis fait pour fervir une fière maîtreſſe
Que pourtant je tiens ,fous mes loix ,
Et qui fouvent pour marquer fa nobleſſe ,
Va du même pas que les Rois.
Si celle que je fers eft richement parée,
Je me reffens de fon fuperbe atour ;
En campagne , en ville , à la Cour ,
Elle a toujours une garde affurée.
Quand je la gouverne , elle eft bien :
M'échappe- t-elle , on la craint d'ordinaire ;
Auffi jamais on ne m'impute rien
De tout le mal qu'elle peut faire.
11 eft vrai que dans fon emploi ,
Pour elle mon fecours eft de peu d'importance ;
Mais du moins elle trouve en moi
Son repos & fon innocence.
66 MERCURE DE FRANCE,
AUTR E.
SANS corps , couleur , goût , ni figure ;
Jai donné l'être à la Nature ;
Habile , qui pourra jamais dire comment !
On parle de moi fort fouvent ,
Toujours fans pouvoir me comprendre ;
Qui me cherche ne peut me prendre ;
Qui me trouve eft ſouvent furpris ,
J'infpire toujours le mépris.
G .... DE NEVERS.
LOGO GRYPH E.
SEPT
EPT lettres peignent ma figure :
Voici toute ma découpure.
Ecueil en mers très -dangereux ;
Métal dont on eſt amoureux ;
Source où l'on puiſe les Sciences ;
Séjour des pures confciences ;
Un nom refpecté des François ,
Mais moins connu chez les Génois ;
Un Saint révéré dans l'Eglite ;
Fleuve qu'en France on préconiſe ;
Mets de mode à la Saint Martin ,
AVRIL. 1763 : 67
Qui du Peuple fait le feftin ;
Un Prophéte ; un ton de la game ;
Un brillant ornement de femme ;
Organe utile & des plus apparens ;
Deux Inftrumens de fons bien différens ;
Mais , Ciel ! qu'entends- je ? une cloche maudite
M'appelle , il faut que je te quitte.
Par M. DESNOYERS , d'Etampes , Abonné
au Mercure.
AUTR E.
CINQpieds compofent mon effence ;
Lecteur , pour me trouver donne - toi patience.
D'abord j'offre à tes yeux un métal ſéduiſant ;
Certain pronom Latin ; un Monstre dévorant ;
Un Adverbe François ; un Oiſeau de paſſage ;
Un endroit où tu fais fouvent plus d'un voyage ;
Enfin , ami Lecteur , fi tu veux raſſembler
Tous mes membres épars , tu peux te rappeller
Que tu me vois fouvent dans un faint domicile ,
Et que je fçais te plaire & t'attacher ,
Surtout lorfqu'une main habile
Sçait me toucher.
687 MERCURE DE FRANCE.
8
QUATRE
AUTRE.
UATRE pieds , cher Lecteur , font toute ma
ftructure :
Je tire mon éclat d'un Divin Rédempteur.
Mais , en me renverfant , je change de nature >
Et fuis , fous un feul nom , Saint , Roi , Pape
Empereur.
Par M. DE LANEVERE , Ancien Mousquetaire
du Roi , à Dax , le 12 Février 1763.
CHANSON.
COLIN m'a fçu charmer ,
Colin a fçu me plaire.
Hélas ! comment donc faire ,
Pour ne pas trop l'aimer ?
De plaifir , de douleur
Jefens mon âme atteinte ;
Et je ne puis , fans crainte ,
Lui découvrir mon coeur.
Colin m'a fçu charmer , &c.
Lent.
Co_lin m'a sçu charmer, Co.
V
lin
a
scu me plaire, Hélas ! coment doncfaire Pour
Fin.
ne pas trop l'aimer ? Pour ne pas ttrroopp l'aimer?
Mineur+
De plaisir de douleur
ame
Je sens mon
atteinte , Et je ne puis sans
W
crainte Lui découvrir
жо
+
*Ө
топ coeur,
W
Lui découvrir mon coeur. Co-
W
"AVRIL 1763. 69
1
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE à l'Auteur du Mercure Sur
les ÉNIGMES & les LOGOGRYPHES,
Vous ne fçaviez probablement pas
Monfieur , que la premiere Enigme du
Mercure de Janvier , dont le mot eft
Fiacre , a été imprimée il ya huit ou
dix ans dans ce même Journal ; mais foit
que vous ayez ignoré cette circonftance
ou que vous ayez voulu l'ignorer
le Public vous en fçaura gré. L'énigme
aura été nouvelle pour bien des
Lecteurs , & je n'en connois point de
plus jolie. La feule qui lui pourroit être
comparée , eft l'énigme célébre du Ramoneur
par feu M. de la Motte , de l'Açademie
Françoiſe ; mais celle du Fiacre
dont M. l'Abbé Blanchet eft auteur ,
l'emporte fur l'autre par la jufteffe &
la continuité de l'allégorie , & par l'aifance
de la verfification. A cette occafion
, permettez-moi , Monfieur , de
70 MERCURE DE FRANCE.
1
vous dire que les Amateurs fe plaignent
que la partie des Enigmes & des Logogriphes
eft depuis affez long-temps
négligée dans les Mercures. Les anciennes
énigmes de ce Journal étoient
communément bien faites. En peut-on
dire autant de celles d'aujourd'hui ? &
les Logogryphes font - ils de meilleure
main ? Je conviens que ces genres ne
font pas fublimes ; mais s'ils ne font pas
faits pour l'être du moins n'ont - ils
rien de méprifable : comme celui des
Rébus qui a été fi long-temps à la
mode , & dont nous voyons encore
fur quelques écrans des veftiges qui font
honte au goût de notre fiècle. Une
énigme bien faite peut auffi bien que
mille autres chofes , remplir un moment
du loifir d'un homme d'efprit.
J'en ai vu plus d'un s'amufer à chercher
le mot d'une énigme : j'en ai vu d'autres
en faire . M. de la Motte dont l'efprit
facile fe plioit à tout , & qui a
eu des fuccès mérités dans prèfque tous
les genres de Littérature , n'a pas dédaigné
celui-ci . Il acceptoit volontiers
les défis qu'on lui faifoit : témoin celui
de faire un Sonnet en quatorze mots ,
ou des bouts rimés qui euffent un fens
complet : ce qu'il fit du jour au lendeF
71
AVRIL. 1763.
main. On le trouve dans le Mercure
de Mars 1729. C'eft je crois , l'unique
exemple qu'il y ait eu jufqu'ici de cette
efpéce de tour de force ; Mais ce n'eſt
pas tout. Ces bouts rimés qui fans addition
faifoient un fens complet , il les
remplit lui-même à la manière ordinaire
& de plufieurs façons : entr'autres
par un Logogryphe très - ingénieux
dont le mot étoit Sacrifice , ( voyez le
Mercure d'Avril 1729. ) Un autre défi
fait à M. de la Motte avoit produit l'année
précédente une douzaine d'énigmes
, qu'il donna toutes à la fois dans
le Mercure de Janvier 1728. Celle du
Ramoneur étoit du nombre. La Motte
ne méprifoit aucun genre : il connoiffoit
la difficulté de tous , & d'autant
'mieux qu'il l'avoit vaincue. Quoiqu'il
en foit du mérite des énigmes , vous
fçavez , Monfieur , qu'elles font une
partie intégrante du Mercure depuis fon
inftitution. Les uns y cherchent l'Hiftoriette,
les autres la Chanfon , d'autres
l'énigme ou le Logogryphe. N'ayons
point de goût exclufif , laiffons à chacun
la liberté de fuivre le fien .
Les Anciens, que nous reconnoiffons
pour nos modéles en tout genre , avoient
une forte de vénération pour les Éni72
MERCURE DE FRANCE.
gmes , & un grand refpe &t pour ceux
qui les expliquoient. Les Philofophes
les Sages de la Gréce s'énonçoient myftérieufement
& par Enigmes . Les Rois
s'envoyoient par défi ces fortes de problêmes
à réfoudre , & y attachoient des
prix confidérables. dipe devint Roi
pour avoir deviné l'Enigme du Sphinx.
Ce trait , fut-il fabuleux de tout point ,
prouve au moins qu'on fe faifoit une
haute idée de ce talent , qui cependant
dépend beaucoup de l'exercice.
Aujourd'hui tel qui a befoin de jouer,
pour fentir fon exiſtence , trouve ridicule
qu'on s'arrête un moment à chercher
le mot d'une Enigme , & fait vanité
de n'en avoir de fa vie lû une feule ,
quoiqu'affurément il y ait plus d'efprit
& plus d'art dans une Enigme moderne
bien faite , que dans toutes celles que
nous connoiffons des anciens . Le dédain
, furtout de ceux qui ne fe fentent
pas de facilité pour les deviner , eſt
inéxorable . Ces deux extrémités font
également vicieufes : les Enigmes ni
leurs dipes
certes n'ont mérité
Nicet excès d'honneur, ni cette indignité.
L'eftime extraordinaire des anciens
pour
AVRIL. 1763. 73
pour les auteurs & les déchiffreurs d'énigmes
, tenoit à la fimplicité des premiers
temps ; le mépris qu'on affecte
aujourd'hui pour un amufement ingénieux
, s'il n'eft pas l'effet de l'amourpropre
humilié , eft du moins la fuite
du goût dédaigneux & blazé de notre
fiècle .
Mais la caufe la plusvrai-femblable de
l'efpèce d'aviliffement où font tombées
les énigmes parmi nous , du moins
dans la Capitale , n'eft , peut-être , auffi
que l'exceffive facilité d'en faire de'
mauvaifes , & l'abus que font journellement
de cette facilité un grand nombre
de jeunes gens de province , qui
fortant du collége , & fçachant à peine
coudre deux rimes & compter par leurs
doigts le nombre des fyllabes qui forment
un vers, fe croyent auteurs, quand
ils voyent une énigme de leur façon
imprimée dans le Mercure. Après tout ,
leur amour-propre n'eft- il pas excufable?
Le concours eft ouvert : ils voyent leur
énigme admife , ils s'applaudiffent d'une
préférence qui leur eft adjugée fur
leurs concurrens épars dans tout le
royaume. Comment ne fe croiroientils
pas devenus des perfonnages ? Permettez
-moi , Monfieur , de rabattre leur
I. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE .
vanité , en leur révélant le fecret de
l'École.
L'Auteur du Mercure a autre chofe
à faire que des Enigmes & des Logogryphes
; & tout ce qu'on peut éxiger
de lui , c'eſt de choifir ce qu'il trouve
de mieux ou de moins mauvais dans
ce qu'on lui envoye. S'il n'y trouve
rien de bon , le choix devient prèfque
indifférent , il donne les énigmes telles
qu'il les a reçues. Mais pourquoi les
imprimer ? dira quelque Lecteur injufte
par mauvaiſe humeur , ou peu inftruit.
Pourquoi ? Je vais lui répondre
pour vous.
•
Dès l'origine du Mercure un article
fut deftiné à l'énigme ; telle a été l'intention
du fondateur. Il n'y avoit alors
qu'un Mercure & une énigme par mois .
Aujourd'hui vous avez par an feize
Mercures à fournir , dont chacun doit
contenir deux ou trois énigmes & autant
de Logogryphes. C'eft une corvée
que vos derniers prédéceffeurs fe font
impofée volontairement . Chaque volume
doit paroître à jour nommé : c'eſt
un arrangement pris avec le Public .
D'ailleurs la république des Lettres eft
intéreffée à la fortune de ce Journal.
Nombre de littérateurs eftimables ont
AVRIL 1763. 75
des penfions affignées fur le produit du
Mercure. Sa chûte ou fa décadence les
fruftreroit en tout ou en partie de la
récompenfe de leurs travaux, & les priveroit
d'un revenu dont quelques - uns
auroient peine à fe paffer. C'eft donc
une néceffité pour l'auteur du Mercure,
d'être exact à remplir fa tâche dans le
temps préfcrit ; & de donner ce qu'il a
reçu , faute de mieux. D'ailleurs telle
énigme , fruit de la veine de l'apprentif
bel- efprit d'une petite ville , fi elle
eft rebutée , diminuera le nombre des
abonnés au Mercure , en faisant perdre
une ou plufieurs Soufcriptions des parens
, amis & partifans du jeune auteur :
événement qui fouvent répété pourroit
-tirer à conféquence . Il ne vous est donc
pas poffible , Monfieur , je le répéte
de vous rendre difficile fur le choix des
piéces qu'on vous envoye. Mais dirat-
on peut-être , & cette objection m'embarraffe
plus que la précédente ; je vous
avouerai même que c'est moi qui la
fais. Pourquoi ne pas s'en tenir à l'ancien
contingent ? Ne fuffit- il pas d'une
énigme par mois, en y joignant , fi l'on
veut , un Logogryphe , puifque ceux-ci
fe font introduits dans le Mercure à
-titre d'auxiliaires des énigmes ? Pour-
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
quoi s'impofer volontairement
un tribut
double , triple , quadruple de celui
que l'on doit au Public , & un tribut
d'autant plus difficile à payer , que le
nombre annuel des Mercures s'eft accru
de douze à feize volumes ? Si toutes les
manufactures
d'énigmes & de logogryphes
du royaume ne fuffifent pas
pour en fournir par an foixante & quatre
d'une bonne qualité , pourquoi ne
réduire ce nombre à moitié ? La
difficulté décroîtroit dans le même
rapport : les places au Mercure deviendroient
de moitié plus rares ; & les
jeunes entrepreneurs
feroient un double
effort pour être préférés,
pas
1
Mais comment pourront- ils réuffir ,
s'ils travaillent fans principes & fans modéles
? Ils ont ; direz-vous , les régles des
Enigmes dans le Traité du Père Méneftrier.
Ils peuvent les apprendre dans
cet auteur : mais le Traité des
Enigmes eft devenu rare ; il eft difficile
à trouver , même à Paris ; à plus
forte raifon en Province & je le
cites fans l'avoir jamais vu. Effayons
donc de fuppléer aux préceptes de cet
Ecrivain, en confultant le feul bon fens.
Les énigmes des Anciens étoient fort
briéves . Elles ne conténoient
qu'une
AVRIL 1763. 77
·
queftion , ou une propofition enveloppée
fous des termes obfcurs , métaphoriques
& équivoques , qui la rendoient
difficile à deviner. Telle étoit
la fameuse énigme du Sphinx : elle peignoit
l'homme & fes trois âges , d'enfance
, de virilité & de vieilleffe , fous
la figure d'un animal qui marchoit le
matin à quatre pieds , fur le midi à
deux pieds , & le foir à trois.
-Les Modernes ont donné un peu plus
d'extenfion au champ de leurs énigmes ;
ils feignent de décrire la chofe par
fes caufes , fes effets , fes propriétés
diverfes , furtout en rapprochant celles
qui préfentent une apparence de con--
tradiction. Ils ont imaginé de mettre
les énigmes en vers foit pour leur donner
plus de grace , ou pour les rendre
plus aifées à retenir, comme auffi d'en
perfonifier le fujet , & de le faire parler
au lecteur ; pour rendre l'énigme moins
froide & plus intéreſſante .
Du refte, la méthaphore , l'antithefe ,
l'équivoque , font les figures favorites de
l'énigme foit ancienne , foit moderne.
Blâmer l'équivoque dans une énigme
, ce n'eft pas entrer dans l'efprit
de la chofe. Le but de l'auteur eft de
donner le change au lecteur , qui d'ail-
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
leurs s'y attend. Il eſt donc permis à
l'auteur d'employer des expreffions à
plufieurs fens , dont le véritable ne fe
découvre que lorfque le mot eft connu.
Alors il faut que le voile tombe ,
que le fens devienne clair & que toutes
les explications paroiffent fi juftes , que
celui qui n'a pas deviné l'énigme convienne
, s'il eft de bonne foi , que c'eft
fa faute. C'est une mauvaiſe énigme
que celle dont on a le mot fans en
être für.
Chaque trait de l'énigme pris féparément
peut bien s'appliquer à différens
objets ; mais tous les traits réunis
ne doivent convenir qu'à une feule
chofe, dont le nom eft le mot cherché,
Cette régle eft la première & la principale
de l'énigme.
C'est une mal - adreffe de laiffer appercevoir
fans néceffité fi le mot de
l'énigme eft mafculin ou féminin. C'eſt
en diminuer de moitié la difficulté
puifque c'eſt retrancher en pure perte
la moitié des mots parmi lefquels on
auroit pû chercher le véritable.
Une bonne énigme doit éxciter la
curiofité du lecteur & donner envie
de la deviner : foit par quelque trait qui
femble défigner clairement le mot , foit
AVRIL. 1763. 79
par la fingularité des contraftesqu'elle étafe.
Elle doit être courte , précife , ne rien
contenir qui n'annonce quelque particularité
nouvelle , & s'il fe peut, qui n'augmente
la difficulté fous l'apparence d'un
éclairciffement. Il faut furtout en bannir
les longueurs , les vers inutiles &
ces apoftrophes au Lecteur qui ne font
qu'un pur verbiage.
Quelquefois il fuffit d'un feul trait
pour caractériser le fujet de l'énigme
fi particulièrement, qu'on ne puiffe faire
l'application de ce trait à aucun autre
objet. Quand avec cela le mot n'eſt pas
trop clairement indiqué , c'eft un moyen
für d'intéreffer & de provoquer la curiofité
du lecteur. Par exemple :
Nous fommes quatorze frères ,
Dont le meilleur fort fouvent ne vaut guères.
Le dernier & c.
Cela ne peut convenir qu'aux quatorze
vers d'un Sonnet ; & cependant
l'expérience prouve que cela ne fuffit
pas pour déceler le Sonnet , puifque
cette énigme propofée au célébre Caffé
de la Motte ne fut devinée que par lui.
En pareil cas il n'eſt pas néceffaire d'allonger
l'énigme par d'autres détails , ni
D iv
80 MERCURE DE FRANCE.
d'entaffer les métaphores & les contraftes.
C'est même une forte de mérite
que d'avoir indiqué le mot par un feul
trait qui convienne exclufivement au
Sujet,& fuffife pour le faire reconnoître;
fans pourtant le défigner d'une manière
trop évidente.
>
Mais la meilleure énigme , fans contredit
, eft celle dont le Sujet eſt voilé
fous une métaphore bien juſte : furtout
fi cette métaphore continuée devient une
allégorie foutenue & fuivie fans écart.
Telle eft l'énigme du mot Fiacre, où , la
voiture ainfi nommée , eft peinte fous
l'image d'une maison à louer la-
-quelle à deux portes , trois fenêtres , du
logement pour quatre Maîtres ; même
pour cinq en un befoin , deux caves , un
grenier à foin ; maifon que le Propriétaire
avec fa baguette d'Enchanteur peut
tranfporter au gré du Locataire dans tel
quartierqu'il lui plaira ,maifon quiporte
un écriteau tiré de Barême & de l'Algébre,
& dont le nom auffi bien que celui de
l'Enchanteur fe lit dans le Calendrier. Il
eft rare de trouver un mot auffi heureux
& auffi fécond , & plus rare encore
de le mettre fi ingénieufement en
oeuvre. Un Poëte du premier ordre , un
Voltaire pourroit fe fçavoir gré d'avoir
AVRIL. 1763.
81
fait ce petit ouvrage qui peut fervir de
modéle en fon genre .
Je viens aux Logogryphes, contre lefquels
je vois dans la plupart des lecteurs
, & furtout chez les femmes , encore
plus de prévention que contre les
énigmes. Paffe pour une énigme , difent-
elles , mais un Logogryphel c'eft
un vrai grimoire on n'y comprend
rien. La magie du Logogryphe eſt cependant
très- innocente & fon artifice
affez fimple ; fon nom feul peut éffaroucher
les Dames . Logogryphe fignifie littéralement
en Gréc , Enigme fur le mot ,
& dans un fens plus étendu , Enigme
fur les parties du mot . L'énigme proprement
dite ne décrit qu'une feule cho- ,
fe , dans un langage obfcur & figuré.
Auffi l'énigme s'explique-t-elle par un
feul mot. Dans le Logogryphe , ce n'eft
pas une feule énigme qu'on propoſe à
deviner , mais un affeinblage de plufieurs
énigmes , dont une fur le mot
total, & plufieurs autres fur les fyllabes
ou parties du mot différemment arrangées.
Les Logogryphes font plus modernes
que les énigmes ; cependant leur origine
eft affez ancienne . Je ne fçais quel
auteur Arabe a fait un Traité des
D y
$2 MERCURE DE FRANCE .
Enigmes & des Logogryphes ; mais ce
n'eft pas ce dont il s'agit ici .
En ftyle de Logogryphe , le mot total
eft appellé le corps , & les lettres ou
fyllabes qu'on fépare & dont on forme
d'autres mots , font réputées les mem→
bres de ce corps : comme dans cet ancien
Logogryphe Latin , dont le mot
eft mufcatum ; & où par la diffection
du mot , on trouve mus
muftum.
mufca &
Sume caput mus ) , curram : ventrem ( ca ) conjunge
, volabo. ( mufca )
Addepedes ( tum ) , comedes , ( muſcatum ) ;
& fine ventre ( ca ) , bibes. ( muftum ).
Le premier Logogryphe François qui
ait paru dans les Mercures , fe trouve à
la fin du 2 volume de Décembre 1727 .
Il est bien fait , & le Mercure du mois
de Février 1728 , pag. 310 , lui donne
pour auteur le Marquis de la Guefnerie
en Anjou. Cependant au mois de Juillet
fuivant, M. le Clouftier d'Andely p. 1612.
prétendit que les deux premiers qui
avoient paru dans le Mercure , & qu'il
ne cite ni n'indique , font de lui.
Mais il s'en faut bien que ces premiers
Logogryphes , introduits dans les MerAVRIL.
1763. 83'
cures de France il y a environ 35 ans ,
foient les plus anciens dans notre Langue.
J'en connois un du célébre Dufrefni
qui doit avoir au moins 50 ou 60
ans. Je ne fçais s'il fut imprimé en fon
temps dans le Mercure galant : encore
moins s'il eft le doyen des Logogryphes
François ; mais au befoin , il pourroit
leur fervir de modéle. Le voici . Le
mot eft Orange.
Sans ufer de pouvoir magique ,
Mon corps entier en France ( Orange ) a deux
tiers en Afrique. ( Oran ) .
Ma tête ( Or ) n'a jamais rien entrepris en vain ;
Sans elle , en moi tout eft divin . ( Ange )
Je fuis affez propre au ruftique , ( Orge )
Quand on me veut ôter le coeur ( An )
Qu'a vu plus d'une fois renaître le Lecteur,
Mon nom bouleverfé , dangereux voisinage ,
Au Gafcon imprudent peut caufer le naufrage.
( Garone. )
D'après ce Logogryphe & quelques
autres qui ont été goûtés , on en peut
établir les régles. La plupart de celles
de l'énigme lui font communes avec le
Logogryphe , mais le Logogryphe en
a de particulières que voici.
Préfenter d'abord une énigme fort
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
courte fur le mot entier du Logogryphe.
Je dis fort courte , parce qu'elle ne doit
fervir que d'introduction aux énigmes
qui doivent fuivre , fur les divifions ou
combinaiſons du même mot.
On pourroit objecter que l'a uteur
du Logogryphe précédent ne s'eft pas
affujetti à cette régle ; & que fon début
, Mon corps entier en France , n'eſt
pas une énigme ; puifqu'on peut dire
également de toutes les villes & de tous
les lieux du Royaume Mon corps entier
en France , comme il le dit de la
ville d'Orange : mais l'auteur y a fuppléé
avantageufement en ajoutant que
ce corps entier en France a deux tiers
en Afrique : ce qui ne peut plus convenir
qu'au mot Orange , & fait deux
énigmes en un ſeul vers .
Če ne feroit pas abfolument un défaut
, que la petite énigme préparatoire
du Logogryphe fur le mot entier convînt
à deux mots différens ; puifque les
énigmes fuivantes ferviroient à reconnoître
lequel eft le véritable. Il eſt cependant
mieux que l'énigme du début
ne puiffe pas recevoir deux différentes
explications.
Après l'énigme fur le mot entier
viennent les énigmes particulières fur
AVRIL 1763. 85
il
les démembremens & les tranfpofitions
de ce mot. Voici en quoi confifte leur
mérite ; 1º. dans la clarté de l'indication
des fyllabes ou lettres qui par leurs divifions
& combinaifonsforment de nouveaux
mots & donnent lieu aux nouvelles
énigmes. Rien n'eft plus clair
que cette indication dans le Logogryphe
que nous venons de citer. Ma
tete n'a jamais rien entrepris en vain
défigne bien la pre miere fyllabe . Sans
elle en moi tout eft divin : otez Or ,
refte Ange. Les autres mots font pareillement
indiqués fans équivoque :
comme Orge en retranchant la fyllabe
du milieu An , qui fait le coeur du
mot. & c. 2°. Dans la jufteffe de ces
énigmes fubalternes , qui ne doivent
être ni trop claires ni trop bbfcures :
j'ajoute , ni trop longues pour ne pas.
fatiguer l'attention du lecteur. Si une
énigme en forme doit être courte , à
plus forte raifon la briéveté convientelle
aux énigmes dont l'affemblage compofe
le Logogryphe . Elles ont ici toutes
les conditions requife's . 3 ° . Dans le nombre
des énigmes que le mot entier renferme
dans fes divifions. Il eft clair que c'eft
un mérite de plus pour un Logogryphe
, le reſte étant égal , de contenir
86 MERCURE DE FRANCE .
un plus grand nombre d'énigmes.
Il y en a fix dans celui d'Orange ,
quoique le mot n'ait que fix lettres .
L'Auteur auroit pu en tirer un plus grand
nombre d'énigmes , puifqu'il a négligé
les mots Orage , Rage , Age , Gare ,
Argo , &c. Il a fans doute craint
de devenir trop long ou trop confus.
4°. Enfin dans l'art de referrer le
tout dans le moins d'espace poffible , en
évitant les inutilités & les longueurs .
Ici l'auteur a renfermé fes fix énigmes
en neuf vers.
Les mots les plus favorables aux Logogryphes
font ceux dans lefquels on
trouve un plus grand nombre de mots
par de fimples divifions , lefquelles font
beaucoup plus faciles à indiquer que les
tranfpofitions de lettres . Tel eft le mot
Courage , dont les fimples divifons ou
retranchemens feront trouver Cou, rage;
Cour , age; Courge , Cage , Orage. &c.
Ainfi les mots les plus longs, quoiqu'ils
fourniffent d'ordinaire un plus grand
nombre de combinaiſons , font les moins
avantageux pour un Logogryphe. Imagineroit-
on que pour en faire un , on
eût choifi un mot tel que Métamorphofe ,
d'où l'on n'en peut guères tirer d'autre
qu'en fe donnant la torture , & où pour
AVRIL. 1763.
87
e
indiquer le mot , phare , par exemple ,
il faut avertir le Lecteur de raffembler
la 8 , la 9 , la 4 , la 7 & la 2º lettre
& qu'alors il trouvera ce qni fait
lefalu des navigateurs , c'eft ce qu'on
exprimera dans le vers fuivant ou dans
quelque autre auffi harmonieux :
Huit , neuf, quatre , fept , deux : je guide le
Nocher.
C'est au choix heureux de mots de
cette espéce qu'on a l'obligation d'avoir
vû longtemps les Mercures remplis de
Logogryphes dans ce ftyle.
On s'eft enfin laffé de ce langage
barbare , & plutôt que d'indiquer les
tranfpofitions de lettres par leur numé
ro , on a pris le parti de ne les point
indiquer du tout , & de faire dire au
mot entier du Logogryphe ; vous trouverez
en moi un adverbe , une Saiſon ,
un Elément , un Saint , un Pape , un
Empereur , un fleuve , une note de mufique
, &c. fans défigner l'ordre des lettres
qui forment ces mots , ce qui eft
auffi vague & auffi confus , que l'autre
expédient étoit uniforme & faftidieux.
Si les mots trop longs font rarement
propres pour un Logogryphe , les mots
les plus courts offrent quelquefois dans
88 MERCURE DE FRANCE.
un très -petit nombre de lettres un affez
grand nombre de combinaiſons , ce
qui leur donne une forte de grace , parce
qu'on ne s'attend pas à cette fécondité.
Par exemple on vous annonce un
mot de trois lettres , dans lequel on trouve
neuf ou dix mots différens , fur lef
quels on fera neuf ou dix petites énigmes
par diverfes combinaiſons bien indiquées
en devinant le mot ail,vous ferez
furpris d'y trouver lia , ali , lai , ai,
ia , al , la , note de mufique , la , article,
là , adverbe , il article ; & li meſure itinéraire
de la Chine.
Il y a des mots tellement compofés,
qu'en retranchant fucceffivement une
deux , trois , quatre lettres , il refte toujours
un mot entier & enfin une lettre ,
lefquels peuvent fournir matière à autant
d'énigmes,& faire de tout un joli Logogryphe.
Par exemple, canon , par le retranchement
fucceffif d'une lettre , devient
anon , non , on , & la lettre n. Silex
, mot latin , eft dans le même cas ;
on y trouve ilex , lex ex & x , fans
compter file & lis. Dans Avoie , nom
d'une Sainte que porte une rue de Paris
, en fuivant la même méthode , vous
trouverez voye , vie , ie , & l'e muet. Ce
mor a cela de particulier encore , que
> >
AVRIL. 1763. 89
les cinq lettres qui le compofent, font
a , i , o , u. Ces deux derniers Logogryphes
ont été faits & donnés au Mercure
il y a quelques années.
Le mot latin adamas fournit un
exemple encore plus fingulier & peutêtre
unique. En le rognant lettre à lettre
( qu'on me permette cette expreffion )
par le commencement , il deviendra
damas , amas , mas , as & s ; & en lė
mutilant à rebours , adama , adam , ada,
( Princeffe connue dans l'hiftoire ) ad
& a ; mais cela feroit un mêlange bizarre
de mots François , Latins & Efpagnols
qu'il faudroit diftinguer , ce qui
feroit difficile & de plus cauferoit des
longueurs & de l'embrouillement.
Un mot qui a plufieurs anagrames,
peut fournir un Logogryphe par de fim
ples tranfpofitions fans retranchement.
Je connois un Logogryphe dans ce cas
dont le mot eft nacre. On y trouve par
fimple tranfpofition de lettres , crane ,
carne , écran , Nerac , Rance , ( carrière
de marbre ) & ancre. 1
Depuis quelque temps , le défaut ordinaire
des Logogryphes du Mercure
eft de n'être Logogryphes que de nom ;
puiſqu'on y dit au Lecteur préciſement
tout ce qu'il faut pour lui faire trouver
90 MERCURE DE FRANCE.
le mot fans avoir rien à deviner , ce
qui provient de ce qu'on péche contre
la feconde des quatres régles que j'ai
données plus haut & qu'au lieu de faire
des énigmes fur les parties féparées du
mot total , on exprime ces parties par
des fynonymes équivalens à leur nom .
Je n'en chercherai point la preuve plus
loin que dans le Mercure de Janvier
où fe trouve l'énigme du Fiacre. Le
mot du fecond Logogryphe eft Soif:
l'énigme fur ce mot par laquelle on
commence le Logogryphe, eft affez bien
faite , mais trop longue , puifque la
préface d'un ouvrage n'en doit pas
faire prés de la moitié. Si la lecture
de cette énigme préliminaire n'a pas
fuffi pour me faire deviner le mot
Soif, le refte va me l'indiquer fi
clairement, qu'il ne me fera pas poffible
de m'y méprendre. Je pourfuis ma lecture
& je vois que l'on m'annonce que
je trouverai dans le mot que je cherche
, 1 ° . l'objet des foins d'Argus. Eftce
là une énigme ? C'eft comine fi l'on
me difoit,vous trouverez Io ; j'écris donc
Io : voilà déja deux lettres . 2° . Certaine
note de Mufique ; rien ne m'indique encore
laquelle c'eft des fept notes ; je
laiffe donc fon nom en blanc , & je conAVRIL
1763. or
,
inue . 3 ° . Un arbriffeau des plus touf
fus , ce pourroit être if ou bien hour.
Je fufpends mon jugement. Je lis juf
qu'au bout , & le dernier vers m'apprend
que le mot entier n'a que quatre
lettres. Or j'en fçais déja deux , i & o :
je reprens où j'en étois , & je vois 4 ° .
qu'il faut trouver dans le mot entier une
vertu théologale. Laquelle des trois ?
Ce ne peut être que foi , puifque le
mot entier n'a que quatre lettres , &
que i & o que j'ai déja font du nombre .
J'écris donc foi. Je conclus auffitôt que
l'arbriffeau dont j'étois en doute ne
peut être qu'if, puifqu'il fe trouve dans
le mot foi. Il ne manque denc plus
qu'une lettre. 5. Ce dont un chien quand
il peut fe régale. Autant vaudroit dire
un os. Or dans le mot os je trouve la
lettre o que j'ai déja , & de plus la lettres
; celle -ci eft donc la quatriéme qui
me manquoit.J'écris donc os.5º.Un terme
enfin de dédain , de mépris. On ne peut
exprimer plus clairement le mot fi, que
je trouve en effet dans les mots que j'ai
déja. Les quatre lettres du mot font
donc i , o , f & f. J'y cherche la note
de mufique que j'ai laiffée en fouffrance
; & je vois que ce ne peut être que
la note fi. Il ne reste plus qu'à faire un
92 MERCURE
DE FRANCE.
mot avec les quatre lettres trouvées ¿
o,f, s. Quatre lettres ne peuvent s'ar- .
ranger que de vingt- quatre façons différentes
, dont la moitié dans le cas préfent
ne pourroit fe prononcer. Dès les
premiers effais de combinaifons , je
m'apperçois que ces quatre lettres i ,
o, f, s , ne peuvent faire que les mots
fois & foif. Ce dernier mot explique
très-bien l'énigme du début : le mot
du Logogryphe eft donc foif.Toutes ces
opérations fe font beaucoup plus promptement
qu'elles ne peuvent fe décrire ;
enforte qu'à la feconde lecture
avoir rien deviné , je reconnois évidemment
que le mot cherché eft foif, &
que tout ce qu'on m'a dit avec apparence
de mystère , fe réduit à cette propofition
, Lecteur , faites un mot françois
de ces quatre lettres , i , o , f , s ;
or je demande fi c'eft- là un Logogryphe.
J'en dirois prèfque autant de l'autre qui
fuit , dont le mot eft mode , ainfi que'
de la plupart de ceux que je vois dans
les Mercures depuis quelques années.
fans
Il est vrai que fouvent le mot a
plus de quatre lettres, & que quoiqu'elles
me foient toutes indiquées auffi clairement
que fi l'on me les eût nommées ,
il feroit long & pénible d'en compofer
AVRIL. 1763. 93
#
an feul mot.Je me contente alors d'avoir
toutes les lettres du mot, & j'abandonne
fans regret une recherche purement ennuyeuſe
, qui n'éxige que la patience de
former 120 arrangemens différens , file
mot a cinq lettres ; 720, s'il en a fix ; ſept
fois 720 ou 5047 , s'il y a fept lettres
& c,ce qui n'eft plus que l'ouvrage d'un
manoeuvre. Il n'y a que l'utilité ou l'im-
-portance de l'objet , cu une raiſon d'interêt
, qui pût faire furmonter un tra
vail auffi rebutant.
J'ai l'honneur d'être , & c.
LETTRE au même fur l'Etabliſſement
d'un Bureau de Confultations pour
les PAUVRES.
ON
>
N. trouve , Monfieur , dans le Mercure
de Fevrier 1763. l'extrait d'une
Lettre de M. Marin Cenfeur Royal
qui contient un projet auquel on ne
peut donner trop d'éloges. Il s'agit de
I'Etabliffement d'un Bureau de Con-
-fultations pour les Pauvres . En attendant
que le plan propofé par l'Auteur
puiffe recevoir fon entiere exécution
, le bien public & la juftice due
à l'ordre des Avocats du Parlement de
་
94 MERCURE DE FRANCE.
Paris , femblent éxiger que l'on faff
mention des Confultations de charité,
qui fe donnent tout les Mercredis , dans
leur Bibliothéque , fituée première Cour
de l'Archevêché. L'affemblée eft compofée
de fix ou huit' Avocats , qui font
invités de s'y trouver par une Lettre
de M. le Premier Avocat Général .
Ces Meffieurs écoutent tout ce que les
Pauvres viennent leur expofer ; ils éxaminent
les piéces qui leur font préfentées
; & lorfque les queftions ne font
pas d'une trop longue difcuffion , ils
délivrent fur le champ une confultation
fignée de tous les Affiftans. Si l'affaire
éxige un ample éxamen , on diftribue
les piéces à quelqu'un de la compagnie,
qui fe charge d'en faire le rapport dans
une autre Affemblée.
Vous voyez par-là , Monfieur , qu'il
ne s'agiroit que d'étendre les reffources
de l'Etabliffement déja formé , pour
remplir les vues de M. Marin. Les Confultans
, les livres , le lieu d'aſſemblée
fubfiftent ainfi tous les nouveaux fecours
que des Citoyens généreux voudroient
fournir , pourroient être employés
à la pourfuite des droits reconnus
légitimes,des malheureux qui ne feroient
pas en état d'en avancer les frais.
:
Qu'il me foit permis d'ajouter ici une
AVRIL 1763 . 95
bfervation qui intéreffe également le
-repos des familles , & dont l'objet pourroit
être du reffort de cette Affemblée
refpectable. Ne feroit-il pas poffible de
mettre un frein à la paffion de ces Plaideurs
entêtés qui, malgré l'évidence d'une
mauvaife caufe , ont la funefte manie
de fufciter des procès injuftes avec
d'autant plus de hardieffe , qu'ils n'ont
rien à perdre ? De là il arrive fouvent
qu'un Père de famille , très-malaifé luimême
, fe trouve forcé d'avancer pour
fa défenfe , des fommes qui feront à
jamais perdues pour lui , attendu l'infolvabilité
de fon Adverfaire . Les Etrangers
& les Dévolutaires font obligés en
pareil cas de donner une caution pour
la fureté du recouvrement des frais
que l'on appelle Cautio judicatum folvi.
On pourroit en étendre l'obligation
aux Plaideurs dont je parle , & rendre
le Bureau des Confultations Juge des
cas où cette précaution feroit néceffaire.
S'il eft trifte de ne pouvoir pas obtenir
la reftitution d'un bien far lequel on a
des droits , faute d'être en état d'avancer
quelques argent pour les faire valoir
, il n'eft pas moins fâcheux de perdre
une partie de fa fortune par la né
ceffité de repouffer les atteintes d'un
.
96 MERCURE DE FRANCE.
aggreffeur injufte , fur lequel il n'y
rien à recouvrer.
J'ai l'honneur d'être & c.
Ce 26 Février 1763.
M. D. L. M. A. a. P.
LETTRE à l'Auteur du MERCURE ,
fur une INSCRIPTION.
PERMETTEZ-MOI de m'adreſſer à
vous , Monfieur , pour demander des
éclairciffemens fur l'Infcription fuivante
, aux perfonnes qui font verfées dans
la connoiffance des Antiquités & des
Monumens de Paris.
On a reconſtruit depuis un an ou deux
la façade d'une maifon fituée rue S. Martin
, vis-à- vis l'Eglife de S. Julien des
Ménétriers, Avant la démolition , la porte
d'entrée de cette maifon , quoique
de moyenne grandeur , étoit ornée de
fculptures ; & au milieu des figures &
des ornemens , il y avoit au-deffus de
la porte un marbre noir fur lequel
étoient infcrits en lettres d'or ces deux
vers de Juvénal :
Summum crede nefas animam præferre pudori,
Et propter vitam vivendi perdere caufas.
3
II
AVRIL. 1763. *
97
Il s'agiroit de fçavoir quel peut avoir
été le fujet & le motif de cette Infcription
intéreffante , dont il me femble
utile de conferver le fouvenir,
J'ai l'honneur d'être , & c.
Mars 1763.
* . L. B.
HISTOIRE POÉTIQUE
tirée des
Poëtes François ; par M. l'ABBE
B... à Paris chez Nyon , Libraire ,
quai des Auguftins , près le Pont
Saint Michel, à l'Occafion ; 1763 ;
un volume petit in- 12. Avec Approbation
& Privilége du Roi.
L'AUTEUR de ce petit ouvrage , auffi
agréable que néceffaire pour l'intelligence
de la Fable , ne s'eft pas borné
à une fimple expofition de la Mythologie.
Il la met , pour ainfi dire ,
en action ; tout femble fe produire &
agir fous les yeux du Lecteur ; & ,
pour entrer dans quelque détail , on
croit être le temoin des Scènes tragiques
qui affligerent la Ville de Thèbes ;
I. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
>
on croit fe trouver en perfonne au
fiége de Troye ; ce morceau furtout
réunit à la fois , l'intérêt , la force &
la précifion . MM . Corneille , Racine ,
Rouffeau , de la Motte Crébillon
Fontenelle , de Voltaire , Greffet , &c ,
ont fourni les traits de ce tableau. Ce
font ces mêmes Poëtes avec Malherbe
Quinaut , la Foffe , Voiture , Moliere,
Boileau , Campiftron , Danchet , la
Grange , & tout ce que nous avons
eu de plus diftingué fur notre Parnaffe ,
qui ont été la fource où l'Auteur a
puifé la partie agréable de cette hiftoire
doublement poëtique , puifqu'elle
offre tous les traits de la Fable fous
les charmes de la Poëfie . Cette idée
nous a paru très - heureuſe & nous
ofons dire que l'Auteur l'a parfaitement
exécutée. C'eft au Public d'af
furer le fuccès d'un Ouvrage dont l'utilité
ne doit point tarder à fe faire fentir.
Outre les morceaux en Vers dont
nous venons de parler , chaque trait de
la Mythologie eft expliqué en Profe par
l'Auteur , de manière à faire mieux fentir
les morceaux en Vers qui lui fuccédent
, & forment avec cette profe
un tout agréable & piquant . Le ftyle en
eft clair , précis , naturel & foutenu
›
BIBLIO
LYO
THEQUE
99
en-
AVRIL. 1763 .
d'un ton d'intérêt , propre à fixer
tion des jeunes Lecteurs auxquels ce Livre
eft deſtiné. Tout y eft épuré avec
un foin porté jufqu'au fcrupule , & qui
auroit pu nuire à l'Ouvrage ,
attention n'eût pas dû emporter néceffairement
la préférence .
fi cette
DE LA SANTÉ , Ouvrage utile à tout
le monde ; par M. l'Abbé JAQUİN ;
chez Durand, Libraire , rue du Foin ;
feconde édition ; 1763. 1 vol . in- 12.
NOUS ous ne fimes qu'annoncer la premiere
édition de cet Ouvrage utile
dont nous promîmes un extrait plus
étendu. Aujourd'hui qu'on vient d'en
publier une édition nouvelle , nous faififfons
cette occafion de le rappeller à
nos Lecteurs , tous intéreffés à le connoître.
Il n'eft pas queftion ici de recouvrer
fa fanté lorfqu'on a eu le malheur
de la perdre , mais de la conferver
, lorfqu'on a l'avantage d'en jouir.
Ce n'est guères que dans les horreurs
de la maladie , que l'on connoît le bonheur
de fe bien porter. Que de regrets
alors fur les excès qui ont empoifon-
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
né les douceurs de nos jours ! C'eft dans
cet Ouvrage que l'on apprendra à les
prévenir. L'Auteur ne préfcrit pas également
à tout le monde les mêmes préceptes
; & avant que de donner fes règles
de fanté , il éxamine les nuances différentes
qui diftinguent chaque individu.
La différence des tempéramens eft
donc d'abord un des points effentiels
fur lefquels il porte fes regards ; il préfcrit
, pour chaque tempérament , les règles
les plus convenables au but qu'il
fe propofe.
,
De l'éxamen des tempéramens, il s'attache
à celui de l'air , des vents des
climats , des faifons & au choix d'une
habitation , toutes chofes néceffaires à
la fanté , & dont il eft , par conféquent ,
très- utile de bien connoître la nature
& les propriétés. De- là l'Auteur paffe aux
alimens dont il fait connoître les diverfes
qualités , & leur influence fur les différens
tempéramens. Ce Chapitre offre
des détails très - inftructifs , & dont on
la fanté les plus grands peut tirer pour
avantages. Le fommeil , l'éxercice du
corps , les éxcrétions & fécrétions font
la matière des trois Chapitres fuivans.
Nous n'en citerons que quelques traits
concernant le tabac. Cette plante n'eft
AVRIL. 1763.
ION
>>
regardée par la plupart de ceux qui en
» font ufage , que comme un pafletemps
agréable & indifférent pour la
» fanté ; mais ils fe trompent. Une pou-
» dre qui irrite & ébranle le 'cerveau ,
» peut- elle paffer pour indifférente ?
" Que le tabac , avec tous fes défagré-
» mens , fa malproprété & fes dangers ,
» fe foit introduit chez le François , cet
» efclave avide de la mode , c'eft ce que
» j'imagine affez facilement. Mais qu'il
ait pu fe perpétuer depuis plus d'un
» fiécle , & parvenir au point de faveur
» où nous le voyons chez ce Peuple
» fi inconftant , c'est ce que je ne con-
» çois pas. Préfenté par l'avidité du
» commerçant , adopté par la mode , for-
» tifié par quelques effets que la bétoine
» auroit opérés , foutenu par la politi-
» que , vanté par le Financier , devenu
» enfin un amufement pour la pareffe
» & une reffource pour la converfation ,
» il eft actuellement au rang de ces be-
» foins de fantaifie , dont on fe prive-
» roit plus difficilement que de réels .
» Mais comment quitter le tabac , dit- on ,
quand on en a une fois pris l'habitude
? n'eft- ce pas s'expoſer à beaucoup
» d'inconvéniens ? il eft un moyen bien
» für pour en ceffer l'ufage fans en être
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
» incommodé ; c'eft de le ceffer peu-à-
» peu.... Quand on veut le quitter , il
» eft bon de commencer dans l'été
» temps où les humeurs fe diffipent facilement
par la tranfpiration infenfible .
" Que les parens capables d'apprécier
» ces réfléxions , apportent toute leur
» attention , pour empêcher leurs enfans
» de contracter une habitude au moins
» inutile , ſouvent dangereufe,& toujours
» onéreufe par le prix du tabac , pour le
» Peuple qui en fume & qui en prend
en poudre .
On voit par cette citation le ton agréable
qui régne dans cet Ouvrage , & la
manière d'écrire de M. l'Abbé Jaquin ,
qui ne peut manquer de lui concilier le
fuffrage de fes Lecteurs , lors même qu'il
combat leurs habitudes & leurs goûts.
Les quatre derniers Chapitres de ce
Volume traitent de la propreté des différens
féxes , âges & états , des caufes
morales qui influent fur la fanté , telles
que les paffions & les affections de l'ame ;
& enfin des dangers auxquels on s'expofe
quand on fait des remédes fans
néceffité. On voit que l'Auteur s'eft
éxactement renfermé dans fon objet ; &
les régles qu'il donne font établies fur
les principes les plus fimples de la PhyAVRIL.
1763. 103
fique , fur les obfervations les plus conftatées
, & fur les expériences les plus
invariables. Il a faifi fcrupuleufement
les plus petits détails ; dans une matière
auffi intéreffante , ils ne peuvent
être regardés comme minucieux. Enfin
on s'apperçoit que le bien public à
été fon unique objet ; & c'eft l'avoir
rempli , que d'offrir des préceptes do
fanté convenables à tous les Lecteurs.
TRAITÉ ABRÉGÉ de Phyſique à l'ufage
des Colleges ; par M. de SAINTIGNON
, Procureur général des
Chanoines réguliers de la Congrégation
de notre Sauveur , de la Société
Royale des Sciences & des Arts de
Metz , &c. A Paris , chez Durand,
Libraire , rue du Foin , au Griffon ;
1763 , avec Approbation & Privilége
du Roi. Six volumes in- 12.
QUOIQUE nous avons déja d'excelnous
lens Ouvrages fur la Phyfique
croyons que celui - ci ne paroîtra point
inutile. L'Auteur a enfeigné cette fcien-
EW
104 MERCURE DE FRANCE.
ce pendant plufieurs années ; & comme
il a principalement travaillé pour les
jeunes gens , il a donné à fes écrits l'ordre
le plus propre à leur en rendre l'étude
moins pénible , & plus utile dans
l'efpace de temps que l'ón y deftine
ordinairement. Il ne fe donnet pour l'Inventeur
d'aucun fyftême , d'aucune découverte
dans la fcience qu'il a traitée ;
mais on ne lui difputera ni le mérite
d'avoir lu & choifi ni celui d'avoir
raffemblé & mis en ordre ce qui pouvoit
entrer dans fon plan , d'après les
-Auteurs les plus célébres . M. l'Abbé
Nollet , entre autres , lui a été d'un trèsgrand
fecours ; & M. de Saintignon ne
difconvient pas qu'il n'ait fouvent emprunté
jufqu'aux expreffions même de
cet habile Académicien . Parmi les Auteurs
qui ont traité de la Phyfique , les
uns font trop abftraits pour de jeunes
gens , d'autres font trop diffus ; quelques-
uns n'ont pour objet qu'une partie
de cette ſcience ; d'autres fuppofent
dans leurs Lecteurs des connoiffances
préliminaires que l'on n'a pas communément.
Les uns n'ont écrit
que pour
les Sçavans , les autres pour les perfonnes
qui fe contentent d'une connoiffance
fuperficielle. M. de Saintignon a
AVRIL 1763. IOS
eu raifon de croire qu'un cours de
Phyfique deftiné à l'ufage de la Jeuneffe
, devoit tenir une efpéce de milieu
entre les deux dernières claffes , &
être mis à la portée de tout le monde
fans qu'il fût cependant indigne de l'attention
des perfonnes les plus éclairées.
C'eft à quoi nous penfons qu'il eft
heureufement parvenu ; & pour donner
une légère idée des matières qui font
traitées dans cet Ouvrage , il fuffira de
les indiquer.
La matière en général , fes propriétés,
les fenfations qu'elles excitent en nous
par le moyen du mouvement , & le
mouvement lui- même , font le fujet du
premier volume. Le fecond traite de la
pefanteur& de la lumière , le troifiéme,
le quatriéme & le cinquiéme du monde
en général & de fes principales parties
des élémens , des météores , des plantes .
des fontaines , & c ; & le dernier Tome
a pour objet le corps humain & les
différentes fenfations de l'homme . Toutes
ces matières font traitées dans l'ordre
le plus clair & le plus méthodique:
ce qui répond parfaitement au but que
l'Auteur s'eft propofé en travaillant fpécialement
pour les Colléges , aufquels
cet Ouvrage fera d'une très-grande uti-
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
QUINZE nouvelles Cartes de l'Atlas
de M. BUY DE MORNAS.
C'EST ' EST toujours avec un nouveau
plaifir , que nous revenons à cet Ouvrage
important , & en même temps le
mieux éxécuté & le plus parfait que nous
ayons en ce genre . Nous ne fçaurions
trop infifter fur l'exactitude de M. de
Mornas , & de fon Confrère , le fieur
Defnos , à tenir leurs engagemens .
Chaque partie de cette belle & fçavante
entrepriſe paroit régulièrement
au temps fixé dans leur Profpectus ; &
ce n'eft que par l'abbondance des matières
dont nous avons à rendre compte,
que nous avons différé de parler des
quinze Cartes nouvelles qui paroiffent
depuis quelque temps. Le plan de l'Auteur
étant connu par plufieurs de nos
extraits précédens , nous ne ferons
qu'indiquer aujourd'hui les Pays & les
faits mentionnés dans les nouvelles
Cartes. La première , qui eft la trenteuniéme
de la feconde partie , nous offre
les Ifles Britanniques , où l'on trouve
les noms des anciens Peuples , & les
retranchemens faits par les Romains
AVRIL. 1763. 107
du temps de Severe & d'Antonin. La
Germanie ancienne , divifée & fubdivifée
par les Peuples qui l'habitoient
autrefois , eft préfentée dans la trentedeuxiéme
Carte . On voit dans les
cinq fuivantes , la Rhétie , la Norique ,
& l'Illyrie en général ; la Pannonie
la Liburie , la Dalmatie & la Gréce ;
la Salmatie Européenne , la Dace &
la Moefie ; la Macedoine & la Trace ;
l'Epire & la Theffalie avec l'hiſtoire
des différens Peuples qui habiterent
ces Contrés , & des grands événemens
qui les ont rendues célébres dans l'antiquité.
L'Acarnanie , la Locride , &
la Phocide ; la Béothie , la Mégaride ,
l'Attique & le Péloponefe , avec des
obfervations fur leurs principales Villes ,
font la matière de trois Cartes qui
terminent le cours de Géographie ancienne
, que M. de Mornas a rendu
complet en vingt Cartes feulement ; &
il paroît qu'il n'a rien oublié pour rendre
cette defcription digne d'accompagner
fon cours d'hiftoire , foit par
la netteté du burin , foit par l'exactitude
des recherches.
C'eft à la Carte quarante-uniéme ,
que cet Auteur commence à nous ou
vrir le beau fpectacle de l'Univers
E vj
108 MERCURE DE FRANCE .
en nous donnant les differentes épo
ques de Phiftoire ancienne . Il nous
fait connoître combien l'étude de l'hif
toire eft difficille à ceux qui veulent
l'approfondir ou l'écrire. Les principales
caufes de ces difficultés , font la
fombre politique des Rois de l'antiquité
, les mutations , & les différentes
valeurs des mois & des années chez
les Anciens Peuples , le grand nombre
de noms & de titres que portoient les
anciens Rois , la ridicule vanité des
Peuples de vouloir paroître anciens ;
celle des Hiftoriens Grecs , qui cherchoient
plutôt à faire briller leur éloquence
dans leur narration , qu'à dé-
Couvrir la vérité dans leurs récits ;
enfin la perte que l'on a faite des
écrits les plus éxacts fur l'ancienne hiftoire.
Dans les quatre dernières Cartes,
P'Auteur recherche les objets & les
caufes de Pidolatrie ; il traite de
Empire de Babylone , & d'Affyrie ,
de la différence de ces deux Etats dans
leur origine , de la Religion , du Gouvernement
, des Coutumes, Ufages,& c.
de ces deux Nations . Il préfente une
introduction à l'hiftoire d'Egypte , où
décrit l'antiquité de fon Gouverne
mem , fes Loix , fa Religion &c. On
AVRIL. 1763. 109
y voit les lieux où étoient les fameufes
Pyramides, le Labyrinthe , le lac Moris ;
& pour l'utilité de fes Lecteurs , M.
de Mornas a eu foin de faire graver
dans un coin de la Carte , la repréfentation
d'une momie , d'une pyramide
& d'un obélifque .
Tels font les objets de quinze Cartes
que nous annonçons, & qui feront bientôt
fuivies de quinze autres pour fatisfaire
l'empreffement du Public qui
paroît tous les jours goûter de plus en
plus cet Ouvrage. L'Auteur invite les
perfonnes qui ont foufcrit , à retirer
leurs Exemplaires ; & de notre côté
nous croyons qu'on ne peut trop tôt
fe procurer un ouvrage qui préfente
à la fois la Géographie la plus exacte
& un cours complet d'histoire Univerfelle.
On foufcrit chez M. de Mornas ,
rue S. Jacq. auprès de S.Yves , & chez
le fieur Defnos , dans la même rue.
ANNONCES DE LIVRES.
DICTIONNAIRE domeftique portatif
, contenant toutes les connoiffances
relatives à l'oeconomie domestique &
rurale ; où l'on détaille les différentes
110 MERCURE DE FRANCE.
branches de l'agriculture , la manière
de foigner les chevaux , celle de nourrir
& de conferver toute forte de beftiaux
, celle d'élever les abeilles , les
vers à foie ; & dans lequel on trouve
les inftructions néceffaires fur la Chaffe,
la Pêche , les Arts , le Commerce , la
Procédure , l'Office la Cuifine & c .
Ouvrage également utile à ceux qui vivent
de leurs rentes ou qui ont des terres
, comme aux Fermiers , aux Jardi
niers , aux Commerçans & aux Artiſtes.
Par une Société de gens de Lettres . In-
8° . Paris , 1763. Chez Vincent , Imprimeur-
Libraire , rue S. Severin .
,
Nous avons annoncé , l'année dernière
, la première partie du premier volume
de cet Ouvrage utile , contenant
les lettres A & B. Celle que nous annonçons
aujourd'hui , renferme la lettre
C.
LE GENTILHOMME CULTIVATEUR
, ou Corps complet d'Agriculture
, traduit de l'Anglois de M. Hall ,
& tiré des Auteurs qui ont le mieux
écrit fur cet Art. Par M. Dupuy d'Emportes
,
de l'Académie de Florence.
Tome 5. in-4°. Paris , 1763.. Chez
P. G. Simon , Imprimeur du Parlement,
AVRIL. 1763.
rue de la Harpe ; Durand , Libraire,
rue du Foin ; Bauche , Libraire , quai
des Auguftins ; & à Bordeaux , chez
Chapuis l'aîné.
din ,
HISTOIRE DE SALADIN , Sultan
d'Egypte & de Syrie ; avec une Introduction
, ou Hiftoire abrégée de la dynaftie
des Ayoubites fondée par Salades
notes critiques , hiftoriques ,
géographiques , & quelques piéces juftificatives.
Par M. Marin , de la Société
Royale des Sciences & Belles -Lettres
de Lorraine , de l'Académie de
Marſeille , & Cenfeur Royal.
Quis nefcit primam effe hiftoriæ legem , he
quid falfi dicere audeat , deinde ne quid
veri non audeat ?
Cic. de Orat. Lib . II,
Pont
2 volumes in- 12 . Paris , 1763. Chez
Grangé , Imprimeur- Libraire
Notre- Dame , près la Pompé , au Cabinet
de la Nouveauté ; Bauche , quai
des Auguftins ; & Dufour , quai de
Gêvres , à l'Ange Gardien ."
Le fuccès de la première Edition de
cet Ouvrage garantit celui de la feconde.
ESPRIT , Saillies & Singularités du
112 MERCURE DE FRANCE.
P. Caftel. In- 12 . Amfterdam , 1763. Et
fe trouve à Paris , chez Vincent , rue
S. Severin .
Nous rendrons compte avec plaifir
de cet Ouvrage rempli d'idées auffi fingulières
qu'amufantes.
MANDEMENT & Inftruction paſtorale
de Mgr l'Archevêque de Lyon ,
portant condamnation des trois parties
de l'hiftoire du Peuple de Dieu , compofée
par le F. Berruyer, de la Compagnie
de Jefus , des écrits imprimés
pour la défenſe de ladite hiftoire , & du
Commentaire latin du F. Hardouin , de
da même Compagnie , fur le Nouveau
Teftament. In- 12. Lyon , 1763. de
l'Imprimerie & chez Aimé de la Roche ,
Imprimeur de Mgr l'Archevêque & du
Clergé aux Halles de la Grenette ;
chez Claude Cizeron , Libraire , à la
defcente du pont de pierre , du côté de
S. Nizier. Et fe trouve à Paris , chez
Pankoucke , Libraire , rue & à côté de
la Comédie Françoife.
RECUEIL DE PIECES en Profe &
en Vers , lues dans les Affemblées publiques
de l'Académie Royale de la
Rochelle dédié à S. A. S. Mgr. leAVRIL.
1763. 113
Et
e
Prince de Conti , Protecteur de ladite
Académie . Tome 3. in- 8° . A La Rochel
le , 1763. Chez Jérôme Legier , Imprimeur
de l'Académie , au Canton des
Flamands ; & fe trouve à Paris , chez
Merigot Père , quai des Auguftins . Prix,
31. 10 f. broché , 4 1. 10 f. relié.
On trouve chez le même Libraire
l'Ordonnance de la Marine commentée
par M. Valier. In-4°. 2 vol . Prix ,
24 liv. relié.
LE LANGAGE DE LA RAISON ;
par l'Auteur de la jouillance de foimême.
Venitefilii , audite me ; timorem Domini
docebo vos.
Pf. 33. V. II .
Paris , 1763. Chez Nyon , Libraire ,
quai des Auguftins , à l'Occafion .
HISTOIRE Univerfelle , Sacrée &
Profane , compofée par ordre de Mefdames
de France. Tomes 15 & 16. in-
12. Paris , 1763. Chez Louis Cellot
Imprimeur - Libraire Grand'Salle du
Palais , à l'Ecu de France & rue Dauphine.
Ces deux nouveaux volumes ne font
•
114 MERCURE DE FRANCE.
que confirmer la réputation juftement
acquife de leur Auteur ( M. Hardion
de l'Académie Françoife ) dont l'Ouvrage
traduit en Italien fe trouve chez
le même Libraire .
VOYAGE Pittorefque des environs
de Paris , ou defcription des Maifons.
Royales , Châteaux , & autres lieux de
plaifance , fituées à quinze lieues aux
environs de cette Ville . Par M. D ***.
Nouvelle Edition , corrigée & augmentée.
In- 12. Paris , 1763. Chez Debure
Père , quai des Auguftins , à l'Image
S. Paul ; & Debure , fils aîné , même
quai , à la Bible d'or .
MELANGE de Maximes , de Réfléxions
& de Caractères. Par M. Durey
d'Harnoncourt , Licentié en Droit. On
y a joint une Traduction des Conclufioni
d'Amore de Scipion Maffei , avec
le Texte à côté. Nouv. Edition , revue
& corrigée par l'Auteur;in -8 °; Bruxelles,
1763 ; & fe vend à Paris , chez Valleyrefils
, Imprimeur-Libraire , rue de la
vieille Bouclerie , à l'Arbre de Jeffé.
L'Auteur dit , dans fa Préface , qu'il
s'eft propofé les deux grands modéles
qui font nos maîtres dans l'art de peinAVRIL.
1763. 115
dre les hommes , la Rochefoucault &
la Bruyere ; mais fans fe flatter de les
atteindre , & fans s'affujettir à leur manière
, c'est-à-dire à la précifion du premier
, & à la méthode de l'autre. On
trouvera ( dit - il ) ici , comme l'annonce
le titre , des maximes , des réfléxions
& des portraits ; mais ce ne font que
des découpures jettées fans ordre fur
le papier. On a cru que la diverfité qui
fait le prix de ces fortes d'Ouvrages
demandoit cette efpéce de négligence .
On peut comparer , ce me femble , les
écrits de ce caractère à ces bofquets
dont les arbres , plantés irréguliérement
par les feules mains de la Nature , donnent
à la vue un plaifir plus touchant ,
que ces jardins fomptueux , dont tous
les plans font alignés & tirés au cordeau
, & c.
Nous ne tarderons pas à rendre compte
de cet Ouvrage , qui fait honneur
à fon Auteur.
NOUVELLES Obfervations théoriques
& pratiques fur la Goutte , avec
le détail des plantes , &c , qui forment
le reméde fpécifique calmant la goutte ;
dédiées à M. le Marquis de Marigny
Commandeur des Ordres du Roi , Di116
MERCURE DE FRANCE.
recteur général de fes Bâtimens , &c.
Par M. Chavy de Mongerbet , Médecin
des Bâtimens du Roi. On a joint , à la
fin de ce Traité celui des hernies
avec le traitement de ces maladies &
de celles des relâchemens de matrice &
de fondement.
,
Hic non agitur de verbis , fed de rebus.
In-12. Paris , 1763. Chez Michel Lambert
, rue & à côté de la Comédie Françoife.
LA LOUISIADE , ou le Voyage de
la Terre-Sainte , Poëme héroïque . Par
M. Moline , Avocaten Parlement.
Dùmnumerat palmas , credidit eſſe ſenem. Mart.
in-8° . Paris , 1763. Chez Defaint , junior
, à la Bonne-foi.
CONTES MORAUX dans le goût de
ceux de M. Marmontel , tirés de divers
Auteurs , & publiés par Mlle Uncy ; tomes
III & IV , chez Vincent , rue S. Severin.
Nous rendrons compte à la fois de
ces deux nouveaux volumes, & des deux
qui les ont précédés.
ODE SUR LA PAIX , par M. Pioger,
Capitaine de Cavalerie. In -8 °, Paris
1763. Chez Cuiſſart , Libraire , Pont au
AVRIL. 1763. 117
1
1
1
Change , à la Harpe. Nous en rendrons
compte dans le Mercure prochain .
LE BUCHERON , ou les trois Souhaits
, Comédie en un Acte , mêlée d'ariettes
. Repréfentée pour la première
fois par les Comédiens Italiens ordinaires
du Roi , le Lundi 28 Février 1763 ,
in-8° . à Paris , chez Claude Hériffant,
Imprimeur-Libraire , rue Neuve Notre
- Dame , à la Croix d'or . Prix , 1 liv.
4 f. Mufique de M. Philidor. Voyez
L'Article des Spectacles,
NOUVEAUX Elémens de Dynamique
& de Méchanique , par M. Mathon
de la Cour , de l'Académie Royale
des Sciences & Belles - Lettres de
Lyon ; à Paris chez les Frères Periffe ;
& fe trouve à Paris , chez Rollin
rue S. Jacques , vol. in -8 ° de 130
pages avec figures. 2 liv. 10 f. broché,
Les Principes de la Méchanique & de
la Dynamique font abftraits difficiles
, même pour les Géométres ; les
plus habiles n'ont pas dédaigné de s'en
occuper de la manière , ce femble , la
plus élémentaire , & ils ne font pas
toujours d'accord fur les premières vérités
d'où il s'agit de partir.
118 MERCURE DE FRANCE.
L'ouvrage de M. Mathon eft traite
d'une manière nouvelle , & fa méthode
n'avoit point encore paru ; elle fe
réduit à l'équilibre ou à l'oppofition
qu'il y a dans les forces motrices ; jointe
à la réfiftance que l'Auteur fuppofe
dans la matière pour toute efpéce de
mouvement.
Les propriétés de l'équilibre font 1º.
l'égalité qu'il y a néceffairement entre
les fommes des forces oppofées, en quelque
fens que ce foit qu'on les décompofe.
2. L'égalité entre les fommes
des momens oppofés par rapport
à un point quelconque du plan dans
lequel font les directions des forces ,
ou par rapport à un axe quelconque
qu'on peut imaginer à volonté dans le
cas où les directions des forces ne feroient
pas toutes dans un même plan .
M. Mathon tire de ces deux propriétés
plufieurs équations algébriques qu'il
applique aux principaux problêmes de
la Dynamique ; ceux qui ont le plus de
rapport avec les grandes queftions qui
ont ététraitées par les Géométres; il s'agit
par exemple de trouver le mouvement
que recevra un fyftême de corps agité
par des forces quelconques ; de trouver
le mouvement que doivent prendre
L
AVRIL. 1763. 119
?
plufieurs corps frappés à la fois par
un autre ; la plupart des problêmes de
Dynamique viennent fe placer comme
de fimples corollaires des principes lumineux
que l'Auteur y établit tels
font les théories des centres d'ofcillations
des centres de rotations
des plans inclinés , des poulies , des
frottemens ; la charge que fupportent
ces points d'appui , ces léviers
& plufieurs autres queftions importantes
& délicates. Ce Traité quoique fort
court , ne laiffe pas de développer les
élémens de cette Science avec plus de
netteté qu'on ne l'a fait en même
temps qu'il s'éléve à des recherches
très-fçavantes ; on y voit l'efprit mathé
matique , c'eft-à-dire d'ordre, de fimplification
, de déduction , les nouveaux
théorêmes donnés par M. le Chevalier
d'Arcy , y font démontrés d'une ma
nière très-fimple. Et cet Ouvrage paroît
fort néceffaire à ceux qui voudroient
entreprendre de lire feuls ce
qu'ont écrit fur la Dynamique les Auteurs
illuftres qui s'en font occupés , tels
que MM. Bernoulli , Herman , Euler,
Clairaut , d'Alembert , &c .
,
CHARPENTIER , Libraire , quai des
120 MERCURE DE FRANCE
Auguftins , près le Pont S. Michel , à
S. Chryfoftome , a acheté de M. Prault,
petit-fils , les OEuvres de Nivelle de la
Chauffée , de l'Académie Françoiſe ,
nouvelle Edition , corrigée & augmentée
de plufieurs Piéces qui n'avoient
point encore paru . 1763.5 vol. in-12.
petit format. Cette Edition mérite à
toutes fortes d'égards d'être recherchée .
On la doit à un ami de l'Auteur,M . Sablier
, Affocié de l'Académie des Belles-
Lettres de Marfeille. Les OEuvres de
Deftouches , 10 vol . in- 12. petit format.
Les OEuvres de Théâtre de M. de Saint-
Foix , nouvelle Edition revue , corrigée
& augmentée de plufieurs Comédies
4 vol. in-12. 1762 . ,
AVIS AU PUBLIC,
SUR le Mémoire de M. DEPARCIEUX.
Nous avons dit dans notre dernier
Mercure, qu'on n'avoit tiré du Mémoire
de M. Deparcieux , fur le moyen
' d'amener la riviere d'Yvette à Paris ,
à la porte S. Michel , que le nombre
d'exemplaires qu'on vouloit donner ,
& cela étoit vrai ; mais on avoit eu
la précaution de ne pas rompre les
formes ; & voyant que bien des perfonnes
AVRIL. 1763.
121
fonnes le demandoient , on en a tiré
depuis quelques exemplaires qui fe
vendent chez M. Durand , Libraire ,
rue du Foin .
Quelques perfonnes,mais en petit nombre
, ont marqué de l'inquiétude fur le
goût de vafe ou de Marais , dont M.
Dep. parle dans fon Mémoire. Il a'oublié
de faire obferver que l'eau fur
laquelle ont été faites toutes les épreuves
, a été puifée dans le temps que les
feuilles des arbres achevoient de tomber
, encore toutes vertes & pleines de
fuc , qu'elles ne pouvoient manquer de
communiquer à l'eau , joint à ce qu'elle
doit néceffairement enlever des dépôts
qui font dans prèfque tout le cours de
cette rivière , qu'on ne cure jamais
ou que par parties , & de loin en loin
y ayant tels endroits que perfonne du
lieu n'a jamais vu curer ; goût qu'elle
ne prendra plus quand on fera obferver
le réglement pour le curage de la
rivière. Car il ne faut pas être grand
Phyficien pour fentir que l'eau ne peut
avoir ce goût en fortant de la terre &
après avoir été filtrée par un terrein qui
eft prèfque partout de fable vitrifiable
qu'elle lave depuis des Siétles ' ;
terrein de même nature que ceux des
I. Vol. F
>
122 MERCURE DE FRANCE.
hauts de S. Cloud , ville Davré , Ro
quencourt , Meudon , Vanvres Clamart
, Buc , & c. dont les eaux font
pourtant excellentes.
,
Pour ne laiffer aucun doute fur un
projet auffi important pour la Ville de
Paris , M. Dep. fe propofe de lever plus
expreffement toutes ces difficultés , quí
dans le fond ne peuvent guères faire
d'impreffion fur l'efprit des Magiſtrats
éclairés que cela regarde , qui s'en rapporteront
au jugement des perfonnes
capables d'examiner , qui affurent que
l'eau expofée à l'air libre , fans chaleur
& fans mouvement , a entièrement
perdu ce goût au bout de quelques
jours. On pourroit dire d'après cela ,
qu'importeroit-il qu'elle eût ce goût
en fortant de terre , puifqu'elle le perd ?
( fuppofition gratuite. ) Au furplus, c'eft
un goût qu'elle a de commun avec
l'eau de toutes les rivières plus ou
moins fort ; la Seine elle -même n'en
eft pas exempte quand elle eft baffe
en Automne ; on n'y fait pas attention
parce que perfonne n'en parle , &
cela parce que perfonne ne boit l'eau
de la Seine qu'après qu'elle a repofé
dans un réfervoir ou qu'elle a paffé par
une fontaine fablée ; il faudroit dans
AVRIL. 1763: 123
le's comparaifons mettre toujours toutes
chofes égales.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES
ACADÉMIE S.
ACADÉMIE des Sciences & Belles-
Lettres de DIJON.
L'ACADÉMIE
convaincue que la
matière importante
qu'elle vient de
choifir pour le concours au prix qu'elle
adjugera dans le mois d'Août 1764 ,
ne peut être approfondie
qu'avec un
temps & un travail confidérables
, annonce
dès-à-préfent ce fujet qui confifte
à déterminer la nature des Anti-
Spafmodiques
proprement
dits , à expliquer
leur manière d'agir , à diftinguer
leurs différentes
espéces & à marquer
leur ufage dans les maladies ?
On ne répétera point ici les condiditions
& les formalités que les Auteurs
doivent obferver en envoyant
leurs mémoires à l'Académie ; toutes les
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
Sociétés Littéraires du Royaume les
ont fi fouvent rappellées dans leurs
programmes , que ceux qui fe préfentent
aujourd'hui aux concours Académiques
, n'ont plus befoin probablement
d'en être avertis .
La queftion que propofe l'Académie,
lui paroît fi intéreffante , qu'elle ne
veut point fixer l'étendue des mémoires:
quelque long que foit un ouvrage ,
s'il mérite fon approbation , il aura
droit à fes fuffrages & à la courronne
Académique.
Les paquets affranchis de ports , feront
adreffés à M. Michault , Secré
taire perpétuel de l'Académie , rue de
Guife , à Dijon .
Ils ne feront reçus que jufqu'au
premier Avril 1764 exclufivement .
SÉANCE publique de l'Académie de
BESANÇON pour la diftribution
des Prix.
LE 24 Août 1762 , l'Académie de
Befançon fit célébrer dans l'Eglife des
P P. Carmes une Meffe avec un Motet ;
le Panégyrique de S. Louis fut enfuite
AVRIL. 1763. 125
prononcé par M. Pavoy , Docteur en
Théologie , Curé de Pugé en Franche-
Comté. L'après - midi du même jour
l'Académie tint une Séance publique
pour la diftribution des Prix . M. de
Frafne , Avocat Général Honoraire du
Parlement de Franche-Comté , Préfident
de l'Académie , fit un difcours
relatif à l'objet de cette Séance. Il obferva
fur la réferve du Prix d'éloquence
pour l'année prochaine : " Que c'eſt un
» moment de repos qui devient l'affu-
» rance d'une récolte plus abondante
» pour l'avenir ; que d'efprit n'eft pas
» toujours également fertile dans fes
» productions ; qu'expofé à des varia-
» tions qui le rendent fouvent mécon-
» noiffable à lui-même , il reffent ainſi
» que la Nature , les influences du temps
» & des circonftances ; que dans un
" Sujet propofé pour un Difcours ,
" tout dépend de la manière de l'apper-
» cevoir , de l'impreffion plus ou moins
» vive qu'il fait dans l'âme & des idées
» qui en résultent ; que de là naît cet-
» te heureufe facilité à préfenter le
L
chofes fous l'afpect qui leur con-
» vient , à les traiter avec ordre , à leur
» appliquer des principes qui devien-
» nent une fource féconde de confé-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
» quences , & à répandre à propos fur
» tout l'ouvrage les agrémens du colo-
» ris ; qu'au contraire fi l'efprit foible-
» ment affecté ne faifit pas le véritable
» point de la queſtion à difcuter , il fe
» rétrécit en quelque forte , il tombe
» dans la langueur & de là dans les
» écarts.
M. de Frafne déclara enfuite que le
prix d'érudition avoit été décerné à
Dom Berthod , Bénédictin , Bibliothé
caire de l'Abbaye de S. Vincent de Befançon
, Auteur déja couronné plus d'une
fois par l'Académie ; que l'Acceffit
avoit été déféré en premier ordre à Dom
Coudret, Religieux de la même Abbaye,
& à l'Auteur de la Differtation qui a pour
devife Vivit poft funera Virtus. Le
mérite de ces deux derniers Ouvrages
fit remarquer à M. de Frafne » que
» quand on fuit d'auffi près le vainqueur
, on participe à fa gloire , &
» qu'il femble même que l'on peut
détacher
quelques fleurs de fa couronne
fans en diminuer l'éclat.
M. de Frafne annonça enfin que le
prix des Arts avoit été également adjugé
à M. Perreciot , Etudiant en Médecine
à Befançon & à André Vautheret,
Thuillier , demeurantau Village
AVRIL 1763. 127
"
de Four en Franche-Comté. Cette décifion
occafionna un acte de générosité
dont l'Académie eut la fatisfaction d'être
témoin avec le Public ; M. Perreciot
refufa de profiter du partage dont le
prix étoit fufceptible ; il s'empreffa de
céder à fon concurrent la médaille d'or
qui eft de la valeur de 200 liv . il ne fe
réferva que la gloire de la mériter deux
fois. Un procédé fi digne des Arts &
des Lettres aufquels il confacre fa jeuneffe
, excita l'admiration de toute l'Af
femblée. Dans la même Séance on inftalla
parmi les Affociés étrangers de l'Académie
le R. P. Pacioudi , Théatin
ancien Procureur général de fon Ordre,
Hiftoriographe de l'Ordre de Malthe ,
Bibliothécaire & Antiquaire de S. A. R.
le Duc de Parme , Membre de l'Académie
des Infcriptions & Belles-Lettres
de Paris , de celles de Florence , de Cortone
, de Pefaro , &c . On dérogea en
faveur de ce fçavant Etranger à l'ufage
des Académies de France ; on lui permit
de faire en Latin fon Difcours de réception,
auquel M. de Frafne , en qualité
de Préfident, répondit en François . La
Séance fut terminée par la lecture du
Programme des Sujets propofés pour
les Prix de 1763.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
RENTRÉE publique de l'Académie de
BESANÇON , du 17 Novemb. 1762,
M. ATHALIN , Doyen des Profeffeurs
de Médecine en l'Univerfité de
Befançon , & Vice-Préfident de l'Académie
, ouvrit la Séance par des regrets
modeftes d'avoir à fuppléer en
l'abſence de M. de Frafne & à remplacer
fes talens dans une occafion , où
il fe flatoit de n'avoir qu'à les admirer
en filence. Il indiqua enfuite le retour de
la paix comme un double fujet d'allegreffe
& pour les bons Citoyens &
pour les Gens dé Lettres , à qui elle
doit fervir d'époque d'une nouvelle
émulation . Delà il paffa à l'annonce des
ouvrages préparés pour cette Séance ,'
dont la lecture fe fit dans l'ordre fuivant.
M. Binétruy de Grand-Fontaine ,
Secrétaire perpétuel , fit l'éloge hiftorique
de M. de Clevans, Marquis de Bou-"
clans , Confeiller Honoraire du Parlement
de Franche- Comté , & de M.
le Baron de Courbouffon , Préfident à
Mortier du même Parlement. M. Rougnon
, Profeffeur de Médecine en l'Unii
AVRIL. 1763. 129
verfité de Befançon difcuta dans fon
difcours de réception , les influences
du climat & de l'air , furtout par rapport
à la Franche-Comté. M. l'Abbé
Camus , Chanoine de l'illuftre Eglife
Métropolitaine de Befançon , développa
dans fon difcours de reception les
caractéres de la vraie grandeur qui difsingue
celui qui n'ufe de fa fortune &
de fon élevation que pour devenir meilleur.
M. Athalin termina la Séance par
la réponse qu'il fit en qualité de Vice-
Préfident aux Complimens des deux
Récipiendaires.
PRIX propofés par l'Académie des
Sciences , Belles - Lettres , & Arts de
BESANÇON , pour l'année 1763. ,
L'ACADÉMIE 'ACADÉMIE des Sciences , Belles-
Lettres , & Arts de Befançon , diftribuera
le 24 Août 1763 trois Prix différens.
Le premier Prix , fondé par feu M. le
Duc de Tallard , eft deſtiné pour l'Eloquence
; il confifte en une Médaille
d'or de la valeur de trois cens cinquante
ivres. Le Sujet du Difcours fera :
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
•
Combien les moeurs donnent de luftre
aux talens ?
Le Difcours doit être à-peu-près d'u
ne demi- heure de lecture. L'Académie
ayant réfervé le Prix de 1762 , en aura
deux de la même efpéce à diftribuer en
1763.
Le fecond Prix , également fondé par
feu M. le Duc de Tallard , eſt deſtiné
pour l'Erudition ; il confifte en une Médaille
d'or de la valeur de deux cens
cinquante livres . Le Sujet de la Differtation
fera :
Comment fe font établis les Comtes
héréditaires de Bourgogne ; quelle fut
d'abord leur autorité , & de quelle nature
étoit leur Domaine ?
La Differtation doit être à- peu près
de trois quarts d'heure de lecture , fans
y comprendre le chapitre de preuves ,
qui devra être placé à la fin de l'Ouvrage.
Les Auteurs qui auront à produire
des Chartres non encore imprimées ,
font priés de les tranfcrire en entier ,
pour mettre l'Académie à portée de
mieux apprécier les preuves qui en réfulteront.
Le troifiéme Prix , fondé par la V
AVRIL 1763
131
12
de Besançon , eft deftiné pour les Arts ;
il confifte en une Médaille d'or de la
valeur de deux cens livres, Le Sujet du
Mémoire fera :
Quelle eft la nature des maladies épidémiques
qui attaquent le plus fouvent
les bêtes à cornes ; quelles en font les
caufes & les fymptômes , & quels font
les moyens de les prévenir ou de les
guérir?
Les Auteurs ne mettront point leurs
noms à leurs ouvrages , mais feulement
une devife ou fentence à leur choix
ils la répéteront dans un billet cacheté
dans lequel ils écriront leurs noms &
leurs adreffes . Ils enverront leurs ouvrages
francs de port , au fieur Daclin,
Imprimeur de l'Académie , avant le premier
du mois de Mai prochain.
Les ouvrages de ceux qui fe feront
connoître par eux-mêmes , ou par leurs
amis , feront exclus du concours..
ི་རི་་
F vj
132 MERCURE DE FRANCE .
SÉANCE publique de l'Académie Royale
des Sciences & Beaux - Arts de
PAU.
M. LE Baron de Navailles Pocyferre,
Chevalier d'honneur au Parlement , ouvrit
la féance par un Difcours fur les
avantages que l'on retire à célébrer les
grands hommes. Avantages également
précieux au coeur & à l'efprit. Il étoit
écrit avec goût & avec éloquence.
On fit lecture enfuite d'un Poëme
qui a remporté le Prix. Le Sujet propofé
étoit le Pacte de famille . M. Le
Mefle , de l'Académie des Sciences
Belles-Lettres & Arts de Rouen en eft
l'Auteur.
M. de Bordenave Caffou , Confeiller
au Parlement , & M. Bourdier de Bauregard,
Directeur des Domaines du Roi
en Bearn, qui avoient été élus pour remplir
deux places vacantes, y prononcerent
leur difcours de remercîment. M. le Directeur
( Navailles Pocyferre ) y répondit
au nom de l'Académie. L'Affemblée
étoit brillante & nombreufe , & applaudit
généralement & au Difcours
AVRIL. 1763. 133.
des Récipiendaires & à ceux du Directeur
qui méritoient les plus juftes éloges.
MÉDECINE.
OBSERVATIONS fur l'Hiftoire de la
MÉDECINE.
PLUSIEURS Sçavans fe font fait une
réputation diftinguée , en écrivant hiftoriquement
fur la Médecine : Daniel le
Clerc & le Docteur Freind ont travaillé
d'une manière digne de la poſtérité.
Les éffais de Bernier , tout fatyriques
qu'ils font , ou peut-être auffi
parce qu'ils font fatyriques , fe font lire
avec pláifir , & joignent l'agrément
à l'inftruction. Nous ne citons pas le
livre de la Métrie , qui n'eft qu'une
invective raiſonnée. Ces Ouvrages fourniroient
à peine quelques matériaux
pour l'hiſtoire de la Médecine en
France. Pour la faire utilement , il
faudroit bien connoître les Auteurs &
leurs travaux ; rappeller quels ont ét
les fyftêmes fuivant lefquels les Prati
ciens ont éxércé dans les différens temps
expofer les progrès fucceffifs de l'art
134 MERCURE DE FRANCE .
les viciffitudes qu'il a éffuyées , le ca
price des différentes opinions d'où la
vie des hommes a dépendu ; marquer ,
fi l'on pouvoit , le fatal enchaînement
des circonftances qui ont donné de la
vogue aux Charlatans , & fait préférer
des affronteurs , à ceux qui méritoient
l'eftime du Public & qui pouvoient fe
rendre dignes de fa reconnoiffance ;
dire enfin quelles fuites malheureuſes a
eues cette confiance mal placée, & faire
voir que la protection qu'on accorde
aux uns aux dépens des autres , eft une
vraie confpiration contre l'humanité
dont les fiécles même qu'on accufe de
barbarie , n'ont pas eu à rougir.
Mais quelles connoiffances , quelles
recherches , quelle fagacité & quel
temps ne demanderoit pas un pareil
travail ! Nous n'en fommes pas dédommagés
par une brochure nouvelle qui
à pour titre Effai hiftorique fur la Médecine
en France. Ce que ce livre contient
de relatif à fon titre , ſe borne
à une lifte des noms & furnoms , des
premiers Médecins de nos Rois ; à celle
des noms & furnoms des Doyens de
la Faculté de Médecine de Paris , depuis
1395 , jufques & compris 1761 ,
élus chaque année le premier Samedi
AVRIL. 1763. 135
après la Touffaint ; ce qui n'eft pas
plus intéreffant , que les loix , les ftatuts
& les ufages de cette Faculté, qu'on
donne en entier , fans obmettre l'article
des fonctions des Bedeaux . On parle
plus au long d'Hippocrate , d'Afclepiade
, & de Galien , que de Fernel , de
Baillou & de Riolan. Eh ! qu'importe
à la Médecine Françoife ce qu'on dit
de S. Charles Borromée , qui dans la
deuxième partie des Actes du premier
Concile de Milan , a défendu aux Moines,
aux Chanoines réguliers & aux Clercs
de faire la Médecine ? L'Auteur de cet
éffai eft fans doute un jeune homme, nou
vellement forti des Ecoles , & qui aime à
tranfcrire du Latin. Il a pourtant bien
fenti que fes Lecteurs pourroient en être
fatigués: on n'approuvera peur-être pas ,
dit-il dans fa préface , plufieurs paffages
Latins dans un ouvrage François : j'écris
furtout pour mes Confrères & pour les
jeunes Médecins qui ne font pas fâchés
de rencontrer du Latin. C'eft ce qui fait
qu'on ne s'eft pas gêné là - deffus , & il
n'y a peut-être pas un grand inconvénient.
Mais ce que l'on auroit dû éviter , c'eſt
une fatyre perfonnelle contre le célébre
Tronchin,Médecin de Genêve , & avoir
un peu plus de modération fur les
136 MERCURE DE FRANCE .
à
Chirurgiens en général , parmi lesquels
il y en a qui font honneur à leur art ,
leur nation & à leur fiécle . C'eſt un
zéle de novice , que la maturité de l'ârendra
quelque jour plus difcret. ge
J'éffayerai de faire connoître l'eſprit
de recherches néceffaires pour écrire
l'hiftoire d'un art , par la difcuffion de
deux points dont il eft queftion dans
la brochure que je viens de citer. L'un
regarde la perfonne de Lanfranc , &
l'autre l'origine de la maladie honteufe
qui eft le fruit de la débauche .
Suivant l'Auteur de l'Effai hiftorique ,
on apprend par les écrits de Lanfranc de
Milan , qui arriva à Paris en 1295 ,
que cette Ville,dont pour lors l'enceinte
étoit peu étendue , avoit néanmoins
un affez grand nombre de Médecins qui
formoit un Collége ou Société qui étoit en
grande réputation. Il ajoute qu'il ignore
fur quel fondement les Auteurs anonymes
d'une efpéce de Factum , fans fignature,
qu'on diftribuoit il y a quelques années
furtivement avec un grand nombre de
cartons , & qu'on avoit décoré du titre
impofant de Recherches fur l'origine &
les progrès de la Chirurgie en Franont
fait Lanfranc de Milan
Membre du foi-difant Collége de Saint
ce >
AVRIL 1763. 137
els
>
Louis ; tandis que cette efpéce de Livre
avance dans un autre endroit que
Jean Pitard qui vivoit vers 1320 , en
étoit le Fondateur. On fe feroit bien
donné de garde , ajoute- t-on , de faire
de Lanfranc un Chirurgien , & furtout
un Chirurgien François , fi l'on avoit
pris la peine de lire fa Chirurgie , trèsbeau
Manufcrit de la Bibliothéque
Royale . En effet , continue l'Auteur
après avoir donné les plus grands éloges
aux Médecins de Paris , Lanfranc
gémit dans plus d'un endroit de l'état
miférable où étoit réduite de fon temps
Ja Chirurgie en France. Il. dit que les
Chirurgiens y étoient prèfque tous
idiots (fçachant à peine leur langue
tous laïques , vrais manoeuvres & fi
ignorans qu'à peine trouvoit- on un Chirurgien
rationel ; qu'ils ne fçavoient
point mettre de différence entre le cautère
actuel & le cautère potentiel , ce
qui étoit caufe qu'en France on ne fe
fervoit plus de cautère .
Dans toute cette injurieufe tirade , il
y a plus de fautes que de mots ; c'eſt ce
qu'il eft facile de prouver. L'Auteur qui
paroît ne connoître que le manufcrit de
la Chirurgie de Lanfranc à la Bibliothéque
Royale , ne fçait pas que cet
138 MERCURE DE FRANCE .
Ouvrage eft public par diverfes éditions
imprimées à Venife & ailleurs en
1490 , 1519 , 1544 & 1553 ; qu'il y en
a même une Traduction Françoife,trèsbien
imprimée en caractères femblables
à ceux d'un Livret qui a pour titre la
Civilité puérile & honnête . Or nous trouvons
dans la lecture même de Lanfranc
où l'on nous renvoye , le contraire de
tout ce qu'on allégue fur cet ancien Auteur
dans l'Effai hiftorique.
Il étoit Chirurgien. Il vint en France
forcément , comme plufieurs autres Italiens
que le malheur des temps chaffa de
leur pays pendant les factions des Guelphes
& des Gibelins. Il s'arrêta à Lyon
où il a exercé la Chirurgie ; il eft venu
à Paris où il a pratiqué & enfeigné cet
art avec la plus grande diftinction : donc
il étoit Chirurgien. La fource de l'erreur
qui a fait croire qu'il étoit ce que
nous appellons préfentement un Médecin
, vient de ce que ce terme étoit employé
alors dans fa vraie fignification .
Medicus , qui medetur. Tout homme
appliqué à la guérifon des maladies.
étoit Médecin ; c'eft pourquoi le Chirurgien
Lanfranc en prend le nom . On
diftinguoit par l'épithète de Phyficien
celui qui donnoit fon application à la
AVRIL. 1763 . 139
Médecine ſpéculativement,qui ne voyoit
ད །། point de malades , ou qui en les voyant
bornoit fes foins à des confeils & à
des avis ; tels font encore aujourd'hui
nos Médecins . Leurs Prédéceffeurs étoient
Eccléfiaftiques , & la plupart Chanoines
de Notre- Dame. Le mot de Chirurgien
étoit auffi une épithéte qui fervoir à défigner
fpécialement le Médecin qui opéroit
de la main , & Lanfranc même ne
fe fervoit pas fubftantivement du terme
Chirurgus , mais de l'Adjectif Cyrurgicus.
De même le mot Phyficus fuppofoit
toujours le fubftantif générique
medicus ; fans quoi le terme auroit
manqué la fignification dans laquelle
on l'employoit ; car la Phyfique a bien
d'autres parties que la Médecine ; &
ceux qui s'y appliquoient étoient certainement
des Phyficiens.
Les Médecins qui formoient à Paris
du temps de Lanfranc un Collége ou
Société en grande réputation étoient les
Pères du Collége de Chirurgie , pour
lequel Jean Pitard , premier Chirurgien
de S. Louis & de Philippe- le- Bel a obtenu
des Statuts & des Loix . Dans le
Chapitre fecond de fa grande Chirurgie
, Lanfranc traite des qualités néceffaires
à un Chirurgien , de qualitate,
140 MERCURE DE FRANCE.
formá , moribus & fcientiâ Cyrurgici . II
éxige de lui beaucoup plus qu'on ne
requiert aujourd'hui du Médecin. Il
établit des régles morales qui montrent
combien on étoit attentif à vouloir que
les Chirurgiens fuffent des Perfonnages
auffi refpectables par leur probité que
par le fçavoir. Au Chapitre XV , du
fpafme qui furvient à une playe , il
parle d'une bleffure à la tête qui avoit
été traitée à Milan par un de fes écoliers
Chirurgien , nommé Oliverius de monte
orphano : il le reprend d'avoir confoli- >
dé cette playe à l'extérieur , avant que
d'en avoir détergé le fond ; & pour ne
pas repéter fon nom , après l'avoir défigné
par le mot fcholaris Cyrurgicus ;
il l'appelle un peu plus bas , ille Medicus.
Que pourroit oppofer à des preuves
auffi convaincantes l'Auteur de l'Ef
fai hiftorique ?
Lanfranc , donne à fon ami Bernard,
les motifs qui l'ont engagé à écrire fur
la Chirurgie : pour l'amour de lui ; propter
amorem tuum , Bernarde cariffime.
Il s'y est déterminé par les prières &
par les ordres des Médecins ; propter
preces præceptaque venerabilium Phyfi
ca Magiftrorum. Il ne faut pas perdre
de vue les termes refpectueux dont il
*
AVRIL. 1763. 141
fe fert dans l'expreffion de ce motif ,
præcepta venerabilium ; & il faut les
comparer à ceux du motif fuivant , qui
eft l'amitié fraternelle qu'il portoit aux
-Eléves en Chirurgie qui le fuivoient
dans l'exercice de cet art pour en apprendre
la pratique fous un auffi grand
Maître : propter fraternum amorem valentium
Medicinae fcolarium , mihi tam
honorabilem facientium comitivam, On
ne voit nulle-part qu'il ait parlé injurieufement
des Chirurgiens , comme on
l'avance ; il dit au contraire formellement
qu'il n'a jamais offenfé perfonne
& qu'il a prié Dieu pour fes perfécuteurs.
Les recherches fur l'origine de la
Chirurgie qu'on appelle une espéce de
Livre , ne font pas de Lanfranc un Chirurgien
François . Elles difent qu'il étoit
de Milan , & qu'il a enfeigné & pratiqué
la Chirurgie à Paris. M. Winflow étoit
Danois & Médecin de Paris. Lanfranc
étoit contemporain de Jean Pitard, que
l'Auteur de l'Effai hiſtorique donne
pour vivant vers 1320. Il eſt mort fort
âgé en 1315. C'est dans la force de l'âge
& au retour de fon voyage de la Terre-
Sainte où il avoit accompagné S. Louis,
qu'il réunit les Chirurgiens en Corps.
1
142 MERCURE DE FRANCE.
Ils formoient une Société dès l'an 1260.
& Lanfranc n'eft venu à Paris qu'en
1295 ; où eft donc la contradiction de
le mettre au nombre des Chirurgiens de
Paris , c'est -à - dire de ceux qui éxerçoient
la Chirurgie dans cette Capitale ?
La fuite au Mercure prochain.
LETTRE à M. DE LA PLACE , fur
les Aqueducs , fur les grands Chemins
, &c.
MONSIEUR ONSIEUR ,
,
L'Hiftoire des grands chemins de l'Einpire
Romain de M. Bergier , & le
magnifique projet de donner de l'eau
à Paris par M. Deparcieux , de l'Académie
Royale des Sciences , m'ont fait
naître une idée que je vous prie de
communiquer au Public .
M. Bergier dit dans fon Avertiffement
que plufieurs Savans de différentes Provinces
l'ont aidé à compofer fon Ouvrage
& l'on fent affez que des recherches
auffi immenfes ne peuvent
pas être faites par un feul homme.
AVRIL. 1763. 143
Ces recherches font profondes &
inftructives , & peut-être leur devonsnous
l'attention particulière , & bien
digne de la protection Royale qu'on
apporte aux grands chemins , beaucoup
plus fous ce régne & fous le précédent ,
qu'on n'a fait fous les autres.
Une histoire des aqueducs faits dans
les Gaules par la même nation pour procurer
de l'eau aux Villes , ne pourroitelle
pas avoir auffi fon objet d'utilité ?
au moins pourroit-elle fatisfaire la curiofité
de nombre de Lecteurs d'une manière
très -piquante , & par-là devenir
utile .
Il y a peu de Villes dans le Royaume
fi petites qu'elles foient, où l'on ne trouve
des hommes lettres & fouvent très-érudits.
Il feroit à fouhaiter que dans chaque
canton , où l'on trouve des reftes
d'aqueducs faits par les Romains ou par
d'autres , jufques & compris ceux faits
de nos jours pour procurer de l'eau aux
Habitans des Villes , il fe trouvât quelques
Savans qui vouluffent bien prendre
la peine de faire des recherches
fur ces refpec &tables monumens faits
pour l'utilité publique , ainfi que les
chemins.
On pourroit fuivre le plan de la dif144
MERCURE DE FRANCE .
fertation que M. de Lorme de l'Acadé
mie de Lyon a faite fur les aqueducs
conftruits par les Romains pour procurer
de l'eau à cette Ville , ou s'en faire
une autre fi le fujet l'éxige ; la differtation
de M. de Lorme , a été imprimée
à Lyon , chez Aimé de la Roche , aux
Halles de la Grenette. Il faudroit y joindre
quelques deffeins en figures quand
il en feroit befoin. Ces differtations envoyées
aux Auteurs du Mercure , ou à
l'Académie des Infcriptions & Belles-
Lettres feroient honneur à leurs Auteurs
& plaifir aux Lecteurs , & l'on en feroit
un jour un recueil en confervant à chacun
l'honneur de fon travail.
?
La prife d'eau ou le commencement
des aqueducs , leur route & leur étendue
, la defcription dés reftes tels qu'ils
font , la grandeur & la forme du paffage
de l'eau , la conftruction & la matière
qu'on y employoit , quelle eau
ils portoient de fource ou de rivière
la quantité qu'on en pouvoit prendre
à ces fources ou à ces rivières , fi l'eau
étoit menée à couvert ou à découvert ,
la quantité de pente , le nombre & l'étendue
des vallons à traverfer , avec la
hauteur que devoient avoir les pontsaqueducs
aux endroits les plus bas des
vallons
AVRIL. 1763 . 145
vallons , les montagnes ou rochers coupés
ou percés , & dans quelle longueur ,
&c , font autant de chofes qu'il eft à
fouhaiter qu'on faffe connoître quand
on le verra clairement , ou dire ce qu'on
préfume par tel ou tel indice tâcher
de dire par qui ils ont été faits , quand
on poura le fçavoir ou le préfumer ou
l'établir par quelque recherche hiſtorique.
>
Ces mêmes recherches pourront peutêtre
apprendre , pour quelques aqueducs
comme celles de M. Bergier ont fait
pour quelques chemins , s'ils ont été
faits des fonds publics de l'Etat ou de
la Ville pour laquelle ils étoient faits
ou par la générofité de quelque riche
Citoyen , auxquels il appartient de faire
les grandes chofes , quand ils penſent
affez bien pour fentir qu'un nom refpectable
laiffé à leur poftérité eft bien
plus flatteur & communément plus utile
que trop de grands biens trouvés en
naiffant , dont il ne refte fouvent rien
à la fin de la feconde ou de la troifiéme
génération. Paris en fournit nombre
d'éxemples , on ne les cherche pas
longtemps ; mais il fera toujours difficile
de perfuader aux perfonnes accoutumées
à entaffer millions für millions
I.Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE .
qu'un Particulier n'eft pas plus heureux ,
on pourroit même dire pas plus riche
avec vingt ou trente millions qu'avec
dix , & qu'une médiocre fortune avec
un nom mémorable par quelque belle
action de valeur ou de patriotisme ,
donneroient bien plus d'âme , de fentimens,
de confidération & de fatisfaction
que cet excès de richeffes feul.
Il eft probable que les aqueducs
auront trouvé des bienfaiteurs comme
les grands chemins en ont trouvé,les uns
& les autres étant de la plus grande néceffité.
Ceux qui connoiffent bien l'hiftoire
pourront fur cet objet faire des
découvertes qui intérefferont les Lecteurs
patriotes, ainfi qu'a fait M. Bergier,
pour ce qui concerne les grands chemins.
Ce Sçavant nous apprend , Liv. I.
Chap. XXIV. que plufieurs Citoyens
Romains donnoient des fommes confidérables
pour faire travailler aux chemins;
que les uns donnoient de leur
vivant, d'autres par teftament, les uns des
fommes déterminées , d'autres celles
qui étoient néceffaires pour faire conftruire
à neuf, ou faire paver ou entretenir
une longeur défignée de chemins
; d'autres s'affocioient pour faire
AVRIL. 1763.
un chemin entier qu'ils dédioient à
un Prince chéri ou bien -aimé , auquel
ils donnoient fon nom . Peut- on mieux
flatter un Maître digne de l'affection
de fes Sujets , & lui faire fa cour plus
grandement , qu'en travaillant à tranfmettre
fon nom à la postérité par des
Monumens publics , durables & utiles
qui font connoître à la fois le reſpect ,
l'attachement & l'amour qu'on avoit
pour lui ?
Lacer , affectionné à l'Empereur Trajan
, fit bâtir à fes propres frais un
pont confidérable dans la Ville d'Alicante
, à l'honneur de ce Prince . Les habitans
de la Ville de Chaves en Portugal,
lui en dédiérent un autre.
Un Médecin nommé Décimius , né
de baffe condition , mais avec des fentimens
élevés , nobles & généreux , donna
350 mille fefterces ; & un Chirurgien
oculiſte , nommé Clinicus , 309 mille
fefterces pour être employés au pavé
des chemins fommes avec lesquelles
on devoit faire alors des travaux confidérables.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
SUPPLÉMENT aux Piéces Fugitives,
COUPLETS
Sur l'AIR : Laiffex danfer vos Mamans.
SUR l'Elévation de la Statue du Roi ;
& fur la PAIX.
Q
UELS tranfports ! quelle émotion !
En voyant de Louis l'Image ?
Des Enfans de Pygmalion
C'eſt pour nous le plus bel ouvrage ;
Notre Roi s'élève à nos yeux ,
Au moment qu'il nous rend heureux !
Français , bons Français ,
Chantons Louis & la Paix ,
Le laurier croît dans les cyprès ,
Et fa recherche eſt une yvreffe :
L'olivier produit des Sujets ,
Et c'eft d'un bon Roi la richeffe :
LOUIS a les fiens dans fon coeur
Et fa gloire eft dans leur bonheur.
Français , bons Français !
Chantons Louis & la Paix.
Par M. B,,... Auteur de deux petites Piéces de
Vers inférées par erreur dans le Mercure de Mars
fous le nom de Madame B……….. pag. $ 9 & 60 . .....
AVRIL. 1763. 149
"
VERS à S. A. S. Mgr le Prince
LOUIS DE ROHAN , Coadjuteur
de Strasbourg, fur fa convalefcence .
Du trépas Miniftre perfide ,
Un fouffe empoisonné , par fon progrès rapide ,
Alloit vous enlever au printemps de vos jours ;
Mais , du mortel venin pour arrêter le cours,
Votre Compagne & votre Guide ,
Minerve oppoſe ſon Egide,
Et des Cieux la Santé vient à votre ſecours,
Ah! puiffe auprès de vous fe fixer l'immortelle !
PRINCE , fi l'amitié , le reſpect & le zélé
Pouvoient la fuppléer , vous vivriez toujours.
Par M. l'Abbé DANGERVILLE.
REGRETS d'un Habitant du Parterre ,
fur la retraite de Mlle DANGEVILLE
.
DANGEVILLE ! & trop digne Mortelle !
Avec qui rien ne peut entrer en parallèle ;
Que de talens ! quel naturel , quel feu
Tuviens de nous montrer dans la Piéce nouvelle:(a)
( a ) L'Anglois à Bordeaux.
Għiij
150 MERCURE DE FRANCE.
Combien d'efprit ! que d'agrémens ! quel jeu
Actrice inimitable & cependant cruelle,
C'est donc là ton dernier adieu
Mon coeur en fait un libre aveu ,
Oui , ce coeur que ta perte touche ,
A fon chagrin ne met point de milieu.
Quand je vois cet Anglois farouche
S'attendrir par degrès , fe foumettre à ta loi , ¡
Je dévore les mots qui fortent de ta bouche :
Mais ce qui plus me charme en toì ,
C'eft cette ardeur , ce zéle pour ton Roi .
De la Marquife * on ne voit plas le Rôle ,
C'eft Dangeville & c'eft fon coeur qui vole
En chantant de la Paix l'ouvrage confommé
Et les bontés de ce Ror BIEN - AIMÉ.
Va , fois conrente , fois heureufe ,
C'eſt l'objet de tous mes fouhaits :
Ta retraite est bien glorieufe ;
Mais fouvien s- toi que pour jamais
Tu mets le comble à d'éternels regrets.
(b ) Mlle Dangeville yjoue le rôle de Marquife,
VERS adreffés à . M. FAVART , le
jour de la première repréfentationide
fa Piéce au fujer de la PAIX.
OUU 1 , je te reconnois à ton nouvel ouvrages.
Favart , il eft digne de toi :
AVRIL. 1763. 151
En Philofophe, en homme ſage ,
De tes talens tu fais emploi ;
Nous devons tous te rendre hommage.
Chacun avec tranſport lira tes vers charmans ;
Le feu de ton génie y grave en traits de flamme
ces beaux fentimens
Ces vertus ,
Qui font l'image de ton âme.
Tu peins l'humanité prodiguant les bienfaits ;
L'amour modefte & vrai , l'amitié tendre & fûre
Les Rois Pères de leurs Sujets ,
Les héros amis de la Paix :
Tout refpire en tes vers l'honneur & la droiture .
Jouis , mon cher Eavart , de tes fuccès heureux;
Ils honorent ton fiécle , en te comblant de gloire;
Ce jour va faire époque dans l'Hiſtoire ;
Et tous les coeurs honnêtes , vertueux,
Seront toujours , pour toi , le Temple de Mémoire.
Par M...
AUTRES.
TOUJOURS Favart dans ſes ouvrages ,
A réuni tous les fuffrages :
C'eft un triomphe bien flatteur.
Mais je ne m'en étonne guère;
Avec efprit parler au coeur ,
Au coeur , comme à l'efprit , c'eft être für de
plaire.
NAU.
G iv
152 MERCURE DE FRANCE.
AIR Du Vaudeville de l'Anglois à Bordeaux.
TON ON pinceau fçait charmer & plaire ;
Tu traces avec art
De tout François le cara Aère .
L'Anglois te dit : Favart ,
Touche là ; voici ton falaire.
Tu détruis ma haine à jamais.
Faifons la paix ;
Vive la Paix.
Par M. MARIN,
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS UTILE S.
}
GÉOGRAPHIE.
PLAN de la Ville & Fauxbourgs de
Paris , divifè en vingt Quartiers , dont
la plus grande partie a été rectifiée d'après
les différens deffeins , levés géométriquement
, tirés du Cabinet de M.
le Chevalier de Beaurain , Géographe
AVRIL. 1763. 153
Ordinaire du Roi , & de beaucoup
d'obfervations faites fur les lieux par
l'Auteur , qui ont fervi a réformer plufieur
obmiffions qu'on a laiffé ſubfifter
dans ceux qui ont précédé celui- ci.
L'on y a joint celles qui indiquent les
Meffageries , les Coches , Caroffes &
Rouliers des différens endroits de la
France & le jour de leur départ , les
Boëtes aux lettres de la Grande- Pofte &
les principaux paffages d'une rue à l'autre
: Ouvrage utile à toutes perfonnes ,
principalement à celles de Cabinet . Dédié
& préfenté à Meffire LE CAMUS DE
PONTCARRÉ, Seigneur de Viarme ,&e.
Confeiller d'Etat , Prévôt des Marchands
, par le Sieur DE HARME ,
Topographe du Roi.
On y a joint un Plan général de la
Ville , Cité , Univerfité & Fauxbourgs
de Paris , divifé en vingt Quartiers ,
fait pour fervir à orienter les trentecinq
feuilles du grand Plan de Paris.
Se vend chez l'Auteur , rue S. Honoré
, paffage des Grandes Ecuries du
Roi , vis-à -vis S. Roch , & chez le
fieur Lattré , Graveur , rue S. Jacques ,
près la Fontaine S. Severin , à la Ville
de Bordeaux .
Nous ne pouvons mieux faire l'élo-
Gv
154 MERCURE DE FRANCE .
圈
ge de cet Ouvrage , qu'en rapportant
le Brevet accordé par Sa Majefté à.
l'Auteur.
!
Aujourd'hui cinq Mars mil fept cent
foixante-trois , le Roi étant à Verſailles ,
voulant donner au Sieur Louis - François
DE HARME , une marque de fa
bienveillance , & mettant d'ailleurs en
confidération les progrès qu'il a faits
dans la Topographie , reconnus par
les ouvrages qu'il a donnés & particulièrement
par le Plan de la Ville de
Paris , qu'il a levé & diftribué en cinquante
feuilles , indépendamment de
plufieurs autres plans agréables & utiles:
Sa Majefté toujours attentive à récompenſer
le mérite & les talens , a accordé
audit fieur de Harme , le titre de
Topographe de Sa Majefté , lui permet
d'en prendre la qualité en tous.
lieux & à fes Héritiers ; & pour af
furance de fà volonté , Sa Majesté m'a
commandé de lui expédier le préfent
Brevet , qu'elle a figné de fa main-
& fait contrefigner par moi Confeiller
Secrétaire d'Etat & de fes Commandemens
& Finances.
-
Le fieur Latré , Graveur , ci- devant
au coin de la rue de la Parcheminerie ,
AVRIL. 1763. 155
& actuellement demeurant rue S. Jacques
, près la Fontaine S. Severin , du
côté de la rue Galande , à l'Enfeigne
de la Ville de Bordeaux ; vient de mettre
au jour une Carte marine des Côtes
d'Angleterre , d'Ecoffe & d'Irlande , dédiée
à S. A. S.Mgr le Duc de Penthiévre,
avec une Analyfe des principaux fondemens
fur lesquels cette Carte eft appuyée.
M. Bonne , Auteur de cer Ouvrage
, a eu égard dans la projection à
l'applatiffement de la terre vers les Poles
Pour rendre cette Carte plus intéreffante
& plus utile , il y a marqué les fondes,
la variation de l'aiguille aimantée, l'heure
& la hauteur des marées.
Le fieur Lattré a publié l'Atlas mo
derne , format in -fol. de Librairie , pour
fervir à la Géographie de M. l'Abbé
Nicole de la Croix & à toute : a
autre Géographie , pour lire les voyageurs
& fuivre les opérations militaires;
il eft auffi utile pour l'hiftoire moderne .
Il fe vend relié en carton 19 liv . 10 f...
en veau 24 liv . en papier fin lavé . & .
relié en veau , 30 liv.
L'Atlas militaire de toutes les Côtes
de France , avec le plan des Villes &
principaux Ports de ce Royaume , relié
en veau , 9 liv . en papier d'hollande
G-vj
156 MERCURE DE FRANCE.
(
lavé & relié en maroquin , 15 liv.
L'Atlas topographique des Environs
de Paris , en 24 feuilles , avec une Table
alphabétique , relié en veau 6 liv.
lavé & relié en maroquin , 10 liv. 4 f.
collé fur taffetas , lavé avec étui 10 liv.
fur toile avec étui fans lavure 6 1. avec
lavure 8 l. 10 f.
L'Atlas , ou Etrènnes Géographiques,
contenant la Mappemonde , les 4 Parties
& les Etats d'Europe augmenté cetre
année de 4 Cartes & un Traité de
Sphère , relié en veau 9 liv . 10 f. en
maroquin II liv .
L'Atlas militaire , où font marqués
les marches & campemens des Armées ,
avec un journal depuis le commencement
de la derniere guerre jufqu'aux
préliminaires de la Paix fignée le trois
Novembre dernier.
Un petit plan de Paris , au même
point d'échelle que ceux de l'Atlas maritime
, que l'on peut joindre aux différens
Atlas ci - deffus. Il fe vend féparément
, lavé , 2 liv . 10 f. monté fous
verre 4 liv. ou 4 liv . 10 f.fuivant la bor
dure.
On trouve auffi dans fon fond différentes
Mappe-mondes , les quatre parties
& les différens Etats d'Europe avec
AVRIL. 1763. 157
plufieurs plans de Ville , le tout en grandes
feuilles d'Atlas ordinaire , il a auffi
des Cartes de différens Auteurs.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
LETTRE à MM. de la Société des
Amateurs , fur le Tableau allégorique
des Vertus formant le Portrait
du Roi , peint par M. AMÉDÉE
VAN LOO .
MESSIEURS ,
ESSIEURS , j'ai vu avec le plus
grand plaifir le Tableau des vertus
royales que M. Amédée Vanloo a expofé
aux regards des Curieux dans fon
attelier au Vieux Louvre. Cet Artiſte
a recu fur cette production les
plus grands éloges : fon art lui a fervi à
rendre fur la toile les qualités dont tout
François fçait qu'eft formé le caractère
d'un Maître chéri. Inftruit par vos
judicieuſes obfervations , auxquelles je
dois le goût que j'ai pris pour les Arts ,
je n'ai pas confidéré ce Tableau avec
la ftupide admiration qui diminue fi fort
58 MERCURE DE FRANCE.
le prix des louanges qu'elle donne , &
dont un Artifte eft bien moins flatté
que des fuffrages accordés avec connoiffance
de caufe.En vous prenant pour
guides , je n'ai garde de prononcer fur
le talent manuel du Peintre : il eft für
qu'il ne faut pas juger rigoureufement
le tableau en lui-même , en faisant abftraction
de l'effet fingulier qu'il produit
lorfqu'on le regarde à travers un
verre la difpofition des figures devoit
être relative à cet effet. Il ne s'agit pas
de difcuter en métaphyficien fi la valeur,
l'intrépidité , & la vertu héroïque confidérée
comme vertu militaire , font des
êtres moraux bien diftingués ; & fi la
magnanimité dans un Roi guerrier eſt
autre chofe que la vertu héroïque . Je
ne dirai rien non plus des attributs qui
caractériſent ces différentes vertus , pour
ne vous parler que du preftige ou de
la magie naturelle de ce tableau . On
le regarde avec une lunette fixée dans
un point ; & au lieu d'appercevoir toutes
les figures du tableau , dont on a décrit
les fymboles dans le Mercure du
mois de Mars , on voit uniquement le
Portrait du Roi. L'idée est belle , &
l'éxécution très-fatisfaifante mais cet
effet ne s'eſt pas préfenté à mon efprit
AVRIL. 1763. 149
comme une chofe fi miraculeuse , & je
ferois furpris qu'un Phyficien l'eût qualifié
de probleme qui paroît comme . impoffible
, & eût dit que le fuccès feul!
paroit juftifier l'entreprife. Il n'eft quef .
tion ici , fi je ne me trompe , que d'un
phénomène d'optique affez facile à réfoudre.
Je ne fuis pas étonné qu'on foit
embaraffé dans la recherche de fa folution
lorfqu'on voudra la trouver dans
les principes de la perfpective , à laquelle
il n'appartient point ; & en confondant.
dans les explications qu'on voudroit en
donner , la catoptrique qui eft la connoiffance
des rayons réfléchis , & conféquemment
celle des miroirs qui les
renvoyent , avec la dioptrique qui eft la
fcience des réfractions , & des verres
qui rompent les rayons aufquels ils don-
' nent paffage. M. Muffchenbroek , tom .
II . de fon Effai phyfique , à l'Article de
la catoptrique , parle des images régulières
tracées dans plufieurs efpéces de
miroirs auxquels on préfente des figures
qui font entiérement irrégulières . Il
dit , § 1313 , que celles - ci peuvent être
tracées fuivant les régles infaillibles des
mathématiques ; & plus bas , § 1317 ,
qu'on peut trouver les régles pour former
les différens plans de ces fortes
160 MERCURE DE FRANCE.
de miroirs dans un Auteur François
qui a traité de la perfpective avec beaucoup
d'éxactitude , mais qui a caché
fon nom. Il doit certainement y avoir
auffi des régles certaines pour former
l'effet qu'on obferve à l'infpection du
tableau allégorique ; & c'eft aux principes
de la dioptrique à les fournir. On
fçait en général que les rayons de lumière
paffant au travers d'un verre qui
contient plufieurs furfaces planes différemment
inclinées , font rompus dans
chaque furface , & vont avec leur inclinaifon
propre fe réunir dans un foyer
commun . L'oeil placé dans ce foyer reçoit
de toutes les furfaces , des impreffions
diftinguées , mais propres du même
objet ; & comme l'efprit porte naturellement
les objets à l'extrémité des
rayons droits , un même objet ſe voit
multiplié par toutes les furfaces du verre .
De-là , l'effet prétendu merveilleux ,
mais fort fimple , des verres à facettes.
Dans l'inverfe , un verre taillé d'une
manière déterminée ne laiffera voir d'un
tableau que certains points , lefquels
paroîffant réunis formeront un objet
tout différent de celui que préfente ce
même tableau à l'oeil nud ; cela eft aifé
à concevoir. Il faut dabord fe défaire de
AVRIL. 1763. 161
Tidée que toutes les parties qui compofent
le tableau allégorique , fervent
a former le Portrait du Roi : c'eft une
chofe impoffible ; des objets colorés dans
une difpofition déterminée & fort étendue
> ne peuvent fe concentrer & s'identifier
pour repréfenter un autre objet
avec lequel ils n'ont aucun rapport
phyfique dans leur enfemble. Mais le
phénomène s'explique aifément, en prenant
dans les différens points du tableau
des parties toutes faites , dont la réunion
formera le Portrait du Roi. Ceux
qui y ont donné quelque attention
doivent fe fouvenir qu'il n'y a aucune
des figures qui n'ait quelque chofe des
traits majestueux du Roi ; l'une les yeux ,
l'autre la bouche , l'autre le front , & c .
Le talent du Peintre doit être diftingué
de l'effet optique de fon tableau. A
cet égard , il eft fait fuivant des régles
certaines , & fa difpofition a été mefurée
à la régle & au compas. M. Vanloo
eft le maître de fon fecret ; mais je fuis
perfuadé qu'il pourroit avec le même
verre faire voir le Portrait du Roi fur
un tableau tout différent du premier ,
pourvu qu'il fût dans les mêmes proportions
& que les parties dont la
réunion fait l'image du Monarque , fuf
>
162 MERCURE DE FRANCE.
fent dans la même difpofition . La mế-
chanique de ce travail eft füre ; le mérite
du Peintre dans l'éxécution , eft un
objet à part , & le génie de la compofition
eft encore un fait différent ; c'eft
furtout l'idée ingénieufe qu'il faut louer
ici. M. Vanloo étoit bien für de plaire ,
en parlant aux François le langage de
leur coeur. Perfonne ne voit le Portrait
du Roi fans fe rappeller toutes les ver+
tus qui font le fujet du tableau allégo ÷
rique. Chaque fois que j'ai été contem→
pler la belle Statue que la Ville vient
de faire ériger dans la Place de LOUIS
XV , pour conferver à la postérité la
plus reculée les traits du Monarque
Bien-aimé, dans ceMonument de l'amour
de fon Peuple , je me rappelle le vers
de Martialfur la Statue d'un Empereur
Romain.
Hæcmundifacies , hæcfunt Jovis orafereni.
J'ai l'honneur d'être , & c..
GRAVURE.
A Toilette di Savoyard , d'après le
Tableau original de Morillos , gravée:
"
par Louis Halbou haute de quinze མར་
AVRIL. 1763. 163
pouces fur onze pouces de largeur .
Se vend à Paris chez la veuve Che
reau , aux deux piliers d'or , & chez
M. Halbou , au Soleil d'or , rue de la
Comédie Françoife. Prix , 20 fols .
MUSIQUE...
METHODE THODE ou Principes pour enfeigner
& apprendre facilement l'accompagnement
du Clavecin ou l'harmonie
, le raifonnement , ou la théorie
de baffe fondamentale avec les
paffages de baffe- continue quelcon--
ques , & la façon de les accompagner
à coup-für , même fans chiffres & une.
Planche gravée à la fin du Livre pour
les exemples ; par M. Bertheau , Organifte
de la Métropole de Tours. Cette
méthode coûte 12 fols , & fe trouve à
Paris aux adreffes ordinaires de Mufique
; à Orléans , chez Chevillon , Li-.
braire , rue Royale ; à Angers chez
Boutemy ; à Tours , chez Lambert.
•
L'ART de la Flute Traverfière , par
M. de Luffe. Prix , 7 liv . 4 f. Se vend
aux adreffes ordinaires de Mufique , &
chez l'Auteur , rue S. Jacques , près S..
164 MERCURE DE FRANCE.
Yves , maifon de l'Univerfité à Paris.
L'Auteur a eu pour but dans cet ouvrage
de tirer des ténébres le principe
théorique & pratique de la flute , & de
l'expofer au grand jour avec toute la
précifion & la clarté dont il étoit fufceptible.
Par là ce principe devient à la
portée même de ceux qui n'ont aucune
connoiffance de la Mufique.
M. D. L, dans fon Difcours préliminaire
enfeigne à bien placer les mains
fur la flute donne la vraie façon de
l'emboucher , & démontre enfuite les
divers tacs ou coups de langue , leurs
différentes propriétés , la manière de les
articuler , les pofitions des doigts pour
former tous les tons des gammes naturelle,
diézée & bémolifée , & leurs tremblemens
appellés cadences.
Nous pouvons affurer que ces démonftrations
font faites plus nettement
qu'elles ne l'ont encore été.
L'Auteur entre fçavamment dans le
détail inftructif des agrémens , dans celui
de leur genre & du caractère d'expreffion
auquel ils font propres . Il parle
très-bien de la fixation des phraſes muficales
, du lieu & des momens confacrés
à la refpiration . Cet Article nous
paroît important pour la confervation
AVRIL 1763. 165
•
des poulmons. Si on eût pris ces mefures-
là plutôt , les Médecins n'auroient
pas affuré que la flute eft contraire aux
petites fantés ; la méthode victorieuſe
de M. D. L. doit faire évanouir ce préjugé.
Qu'on fçache ménager fa refpiration
, alors l'un des plus agréable inftrumens
de la Mufique reprendra vigueur
parmi nous. Un foufle doux & léger ne
ruinera jamais la poitrine. Nous confeillons
aux Amateurs de la flute de fe procurer
le Livre eſtimable de M. D. L. il
leur développera ce que nous ne faifons
qu'indiquer ici.
Après une tablature des fons harmoniques
, fuivent plufieurs leçons en forme
de petites Sonates avec la baffe , mais
proportionnées aux forces des Commencans.
L'ouvrage fe termine par douze
Caprices ou cadences finales remplis de
traits & de difficultés propres à faciliter
l'exercice de l'embouchure & des
doigts . On peut les inférer dans les Concertos
pour la flute .
Nous ne pouvons qu'applaudir à cette
nouvelle méthode ; elle jette de la
lumiére fur un art agréable , & foulage
les Maîtres en les difpenfant de la rebu-
´tante occupation d'écrire eux-mêmes des
principes ; mais fon plus grand mérite
166 MERCURE DE FRANCE .
eft de conduire leurs éléves à des fuc
cès auffi certains que rapides.
SEI SINFONIE , con violini , alto
viola , baffo , & corni da caccia a
piacimento , da Gio Battifta Cirri da
Forlir Opera feconda. Prix 9 liv . Chez
PAuteur , rue Croix des Petits - Champs ,
chez le fieur Mique , Perruquier , &
aux Adreffes ordinaires. Ces Symphonies
font d'un nouveau genre & fort
goûtées .
SONATES DE CLAVECIN , Premier
Livre. Par J. P. le Grand , Maître
de Clavecin & Organifte de l'Abbaye
S. Germain des Près. Chez l'Auteur
, rue S. Honoré , vis-à -vis la rue
neuve du Luxembourg ; & chez le fieur
le Menu , Marchand de Mufique , rue
du Roule , à la Clef d'Or, Prix 19 liv.
Cet Ouvrage fait honneur à fon
Auteur.
RÉFLEXIONS fur la Mufique ,
& la vraie manière de l'exécuter fur
le violon ; Par M. Brijon. Prix en blanc ,
avec les exemples & les airs gravés ,
3 liv . 12 f. à Paris chez l'Auteur , logé
chez M. Prudent , Profeffeur de Mu
fique & d'Inftrumens , rue du Petit
AVRIL. 1763 . 167
Pont , au bas de la rue S. Jacques , la
porte cochere à côté d'un Marchand
Papetier. On en trouve auffi des Exemplaires
chez M. Vaudemont , rue Beaurepaire
, près la rue Montorgueil , &
aux Adreffes ordinaires de Mufique.
Cet Ouvrage renferme des idées neuves
, auffi heureufement que clairement
exprimées. Nous en donnerons
ipceffamment l'Extrait.
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
SUITE DES SPECTACLES DE LA
COUR A VERSAILLES .
L E Jeudi 17 Février , les Comédiens
François repréfenterent Inès de Caftro ,
Tragédie du feu fieur LA MOTTE ( a ) ,
& pour feconde Piéce l'Ecole amoureu--
fe , Comédie en un A&te & en vers du
fieur BRET ( b ).
Dans la Tragédie , le rôle d'Inès fut
( a) Première repréſentation d'Inès en 1720 ;
32 repréſent. de fuite.
(b) L'Ecole amoureuse en 1747. & repréſent.
168 MERCURE DE FRANCE .
joué par la Dlle GAUSSIN , celui de la
Reine par la Dile DUBOIS , & celui de
Conftance par la Dlle Huss. Le fieur
BELCOUR joua le rôle de Rodrigue , le
fieur MOLÉ , celui de D. Pedre , le fieur
BRIZART ,Alphonfe , le fieur DUBOIS,
l'Ambassadeur de Caftille , & le fieur
DAUBERVAL , le rôle de Henrique.
Le fieur MOLÉ , les Dlles Huss
PRÉVILLE , BELCOUR & LE Kain,
jouerent dans la Comédie.
Le Mardi 22 Fevrier , les mêmes Comédiens
repréſenterent les Femmes fçavantes
, ( c ) Comédie en vers , en cinq
Actes , de MOLIERE , Cette excellente
Piéce fut très-bien rendue ; elle fit fur
les Amateurs du vrai genre comique ,
l'effet qu'on doit toujours attendre des
Ouvrages de l'inimitable génie qui a
créé & en même temps . perfectionné
le Théâtre François , lorfqu'on apportera
, en remettant ces chefs-d'oeuvres ,
toutes les attentions qu'ils méritent .
La Dlle DUMESNIL jouoit le rôle
de Philaminte. Les Dlles PRÉVILLE &
Huss , ceux des deux filles. Belife
étoit jouée par la Dlle DROUIN , & la
Dlle BELCOUR jouoit le rôle de la
Servante Martine . Chrifalde & Arifte ,
( c ) Première repréſentation en 1651 .
par
AVRIL . 1763 . 169
2
par les fieurs BONNEVAL & DAUBERVAL.
Le rôle de Clitandre étoit joué
par le fieur BELCOUR ; ceux de Trillotin
& Vadius , par les fieurs DANGEVILLE
& ARMAND ; & celui de Julien,
par le fieur BOURET.
Cette Piéce fut fuivie de la Famille
extravagante ( d ) Comédie en un Acte
& en Vers du feu fieur LEGRAND.
Plufieurs des mêmes A&teurs & Actrices
de la grande Piéce repréfentoient
dans celle-ci , excepté le rôle de Cléon
Amant d'Elife , joué par le Sr MOLÉ ,
celui d'Elife par la Dlle DESPINAY , &
le rôle de Soubrette par la Dlle LE
KAIN. Le lendemain on repréſenta
pour la feconde fois Vertumne & Pomone
, Ballet extrait des Elémens, dont
nous avons parlé dans le Mercure de
Mars. Cette repréſentation d'Opéra fut
précédée d'une Comédie Italienne intitulée
le Diable boiteux , jouée par les
Acteurs de ce Théâtre.
Le 2 Mars on donna un Ballet en
un Acte intitulé la Vue , extrait du
Ballet des Sens; Poëme du fieur ROI
Mufique du feu fieur MOURet.
La Dlle LE MIERRE , ( époufe du
fieur LARRIVÉE , ) chanta le rôle de
( d ) Première repréſentation en 1709.
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE .
T
l'Amour , la Dlle VILLETTE , du
Théâtre des Italiens , ( époufe du feur
LA RUETTE ) chanta le rôle de Zé
phire. La Dile DUBOIS , l'ainée , celui
d'Iris , & le fieur LARRIVÉE celui
d'Aquilon. Une indifpofition accidentelle
dans la voix de la Dlle LE MIERRE
mit l'éxécution de ce Baliet en rifque de
n'être pas achevée , & nuifit à fon fuccès.
La Dlle LANI & le fieur GARDEL
danferent des Pas feuls ; le fieur LAVAL,
la Dile VESTRIS , les fieurs LANI
DAUBERVAL , les Dlles ALLARD &
PESLIN danfoient différens Pas
toutes les principales Entrées.
la
La repréſentation de cet Opéra fut
précédée d'une Comédie Italienne
nouvelle , en un A&te , intitulée Arlequin
cru mort , par le fieur GOLDONI .
Cette Comédie fit plaifir ; & l'on rendit ,
par des fuffrages très -honorables
même juftice aux talens de ce célébre
Etranger , que l'on avoit déjà rendue à
la repréfentation de l'Amour Paternel.
Le lendemain Jeudi 3 Mars
".
Comédiens François repréfenterent les
Déhors trompeurs ou l'Homme dujour,(e)
( e ) Premiere repréſentation en 1740. 17
repréſentations,
,
les
AVRIL 1763. 171
Comédie en cinq Actes & en Vers
du feu fieur DE BOISSY . Le Baron
étoit joué par le fieur BELCOUR ; le
Marquis , par le fieur MOLÉ ; M. de
Forlis , par le fieur BONNEVAL ; &
Champagne , par le fieur PREVILLE ;
le rôle de la Comteffe , par la Dlle DANGEVILLE
; ceux de Lucile & de Céliante,
par les Diles HUSS & PREVILLE;
celui de Lifette , par la Dlle BELCOUR .
La feconde Piéce étoit l'Ile déferte ,
Comédie en un A&te & en Vers , du
fieur COLLET. Le fieur MOLE y jonoit
le rôle de Ferdinand, le fieur BELCOUR,
celui de Timante ; & le fieur PRÉVILLE,
le Matelot ; les rôles de Conftance & de
Silvie , furent joués par les Diles PRÉ-
VILLE & HUSS.
Le Mardi , 8Mars , par les mêmes Comédiens,
le Dépit amoureux , Comédie
de MOLIERE en 5 Actes en Vers. (f)
Erafte étoit joué par le fieur BELCOUR
, & Gros- René , fon valet , par
le fieur ARMAND ; Valére , par le fieur
MOLÉ & Mafcarille ,, par le fieur
BOURET ; les deux Vieillards , par les
fieurs BONNEVAL & BLAINVILLE ;
le Pédant , par le fieur DANGEVILLE ;
Lucile, par la Dlle GAUSSIN , fa Sui-
(f) En 1658.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
vante , Marinette , par la Dlle DANGEVILLE
, Afcagne , par la Dlle DUBOIS ,
& fa Suivante Frofine , par la Dlle LE
ΚΑΙΝ,
Pour feconde Piéce,on donna Annette
& Lubin , Comédie en un Acté , mêlée
d'Ariettes , de la Dlle FAVART & du
fieur L ***, Cette Piéce fut repréſen
tée par les Comédiens du Théâtre Italien
, ainfi qu'elle l'eft à Paris & par
les mêmes Acteurs.
Le lendemain , Mercredi , 9 Mars ,
après la repréſentation du Barbier paralitique
, Comédie Italienne , on éxécuta
le Devin du Village , ( g ) intermède ,
Paroles & Mufique du fieur ROUSSEau.
Le rôle de Colin , étoit parfaitement
rempli par le fieur GÉLIOTE, qui ne doit
rien du plaifir extrême que font fa voix &
fes talens à la difficulté d'en jouir depuis
fa retraite ; la Dlle VILLETTE
( époufe du fieur LARUETTE , ) a joué
& chanté très- agréablement le rôle de
Colette , dans lequel elle avoit déjà eu
du fuccès fur le Théâtre de l'Opéra ,
avant de paffer à celui de la Comédie
Italienne. Le fieur CAILLOT , Acteur
de ce dernier Théâtre , & des talens duquel
nous avons fi fouvent occafion de
( g ) Première repréſent . à l'Opéra en 1753•
AVRIL 1763. 173
parler avec de nouveaux éloges , a fort
bien chanté auffi le rôle du Devin dans
cet Interméde. On a pû reconnoître
quoique dans une petite étendue d'action
, ce que prête d'avantage au jeu
d'un chanteur l'habitude & l'art de la
Comédie . On parlera ci-après du Divertiffement
de la fin de cet Intermé-.
de , à l'Article de la feconde repriſe.
Le jour fuivant , 10 Mars , les Comédiens
François repréfenterent Brutus,
(h) Tragédie du Sr VOLTAIRE. Brutus
& Valérius , par les fieurs BRISART &
BLAINVILLE ; Arons , par le fieur
DUBOIS ; Titus , Fils de Brutus , par
le fieur LE KAIN ; Meffala , par le fieur
PAULIN ; Proculus , par le fieur DAUBERVAL
; Tullie , par la Dlle Huss , &
Algine , par la Dile DESPINAY.
Pour petite Piéce , l'Esprit de contradition,
Comédie en un Acte & en Profe,
du feu fieur DUFRESNI ( i ) . Le fieur
MOLE y jouoit le rôle de Valére ; le
fieur PAULIN , celui de Lucas ; le fieur
BONNEVAL , Oronte ; le fieur DANGEVILLE
, Tibaudois ; la Dlle DROUIN ,
Mde Oronte; & la Dlle Huss, Angélique.
(h ) Première Repréſentation en 1730.
35 repréfentations.
(i ) Première repréfent. en 1700. 16 repréf.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
f
Le Mardi 15 , les Comédiens François
donnerent Mélanide , ( k ) Comédie en
Vers en cinq Actes , du feu fieur DE
LA CHAUSSÉE . Lefieur BRISART repréfentoit
le Marquis d'Orvigny ; le
fieur DUBOIS , Théodon ; le fieur BELCOUR
, Darviane , la Dlle GAUSSIN
Melanide ; la Dlle DROUIN , Dorifées
& la Dlle Huss , Rofalie.
A la fuite de cette Piéce les Acteurs
de la Comédie Italienne éxécuterent le
Bucheron , Comédie mêlée d'Ariettes.
Mufique du fieur PHILIDOR , Paroles
du fieur GUICHARD & du fieur C***
Cette efpèce d'Interméde comique ,
très-ſuivi à Paris & duquel nous parlerons
plus en détail ci- après , parut agréable
à la Cour ; ceux. mêmes qui n'approuvent
pas l'application des tours &
de l'accent de la Mufique Italienne aux
Paroles Françoiſes rendirent juftice aux
grands talens du fieur PHILIDOR : & le
fieur CAILLOT , qui a l'art de rendre
aimable tout ce qu'il éxécute , en adouciffant
cet accent mufical étranger à l'expreffion
de notre langue , réunit les
fuffrages des Amateurs de l'un & de
l'autre genre. On donnera connoiffance
de cet Ouvrage dans l'Article des
Spectacles de Paris.
( k) Première repréſent . en 1741. 16 repræl
AVRIL. 1763. 175
>
Le lendemain , 16 Mars , a été , pour
afnfi dire , un jour de fête diftinguée fur
le Théâtre de la Cour , par la réunion
des deux plus agréables Ouvrages en
Mufique & en Paroles dans différens
genres ,
éxécutés par les plus rares ta
lens propres à ce Spectacle. La troifiéme
repriſe de Vertumne & Pomone ,
Ballet , & la deuxième du Devin
du Village occupérent entiérement fa
Scène. Les Acteurs , dont on a parlé cideffus
parurent dans l'un & l'autre
Ballet s'être furpaffés. Le Divertiffement
de Vertumne & Pomone , compofé comme
tous ceux des autresSpectacles qu'on
avoit donnés , de plufieurs morceaux
choifis dans divers Opéra ou autres
Ouvrages , étoit particuliérement ajusté
pour donner beaucoup d'airs de différens
genres au fieur GÉLIOTE , qui
les chanta tous avec la même voix
qu'on a tant admirée & avec un
naturel dans les tours de fon chant &
des graces que peut- être , fans illufion ,
on pourroit regarder comme nouvellement
acquifes & ajoûtées encore à tout
ce qu'on lui connoiffoit de fupériorité
dans ce talent.
Le Divertiffement dans le Devin du
Village , fubftitué à celui de cet Inter-
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
méde , étoit charmant par la variété &
par la gaîté des morceaux dont il étoit
compofé. Le fieur CAILLOT y chantoit
une Ariette compofée pour cet objet
par le fieur PHILIDOR : mais ce qu'il
y avoit de plus faillant & d'unique en
fon genre , étoit un Pas de quatre Villageois
& Villageoifes
, éxécuté par le
fieur LANI , la Dlle ALLARD , le fieur
DAUBERVAL
& la Dlle PESLIN . Ces
quatre Sujets dont l'affortiment
du genre
, des tailles & des talens , feroit impoffible
à raffembler
dans toute l'Europe
, éxécutoient
ce Pas avec une double
préciſion de jufteffe & de graces co miques, qui méritoient
toute l'admiration
dont ils furent honorés & qui comblerent
le plaifir que faifoit l'enſemble
de ce Spectacle.
Ces divertiffemens étoient arrangés
ainfi que tous les précédens , par le fieur
REBEL , Surintendant de la Mufique
du Roi , de fémeftre depuis le premier
Janvier. Le goût du choix & la plus délicate
analogie dans les rapports de genre
avec les Ouvrages auxquels ces Divertiffemens
étoient adaptés , ont reçu
& mérité de très-juftes éloges .
Le Jeudi , 17 Mars , on donna Zaïre , (1)
(4) Prem. Repréfent, en 1732. 30 Repréfent.
AVRIL 1763. 177
1.
Tragédie du fieur de VOLTAIRE
Orofmane , repréfenté par le fieur LE
KAIN ;Lufignan, par le fieur BRISART;
Néreftan & Chatillon , par les fieurs
MOLE & DUBOIS ; Zaïre , par la Dlle
GAUSSIN ; Fatime , par la Dlle PRÉ-
VILLE .
Ce même jour , qui étoit , felon l'ufage
, celui de la clôture des Spectacles
à la Cour , fut auffi marqué par une repréfentation
très- intéreffante fçavoir
celle de l'Anglois à Bordeaux , Comédie
en un Acte , en Vers libres , du fieur
FAVART , à l'occafion de la Paix , repréfentée,
à Paris pour la premiere fois ,
le Lundi précédent , on diroit avec le
plus grand fuccès , fi celui qu'elle a eu à
la Cour n'avoit été en quelque forte encore
plus éclatant. Nous parlerons
dans l'Article de Paris , de cette Piéce
nouvelle dont l'Auteur a eu l'honneur
d'être préſenté au Roi .
P
N. B. On a éxactement nommé , dans
cettefin du Journal des Spectacles de la
Cour , tous les Acteurs qui ont repréſen
té dans chaque Piéce du Théâtre François
, afin de conftater en même temps
les Sujets éxiftans à ce Théatre pendant
cette derniere année & le fervice qu'ils
Ну
178 MERCURE DE FRANCE .
ont eu l'honneur de remplir en préfence
de leurs Majeftés.
SPECTACLES DE PARIS.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Mufique a
continué Titon & l'Aurore , ( ainfi que
les Fêtes Grecques & Romaines les
Jeudi , jufques à la clôture de fon
Théâtre , laquelle s'eft faite cette année
, le Samedi 19 Mars , pour le com- le.compte
de l'Académie , & non pour les Acteurs
, comme il étoit d'ufage. Ceux- ci
ont penfé qu'il feroit plus utile au produit
du Bene-fit vulgairement nommé
Capitation , de donner quelques BALS
à la rentrée ; ils ont indiqué le premier
pour le 12 du préfent mois d'Avril.
M. MUGUET , dont nous avons précédemment
parlé à l'occafion de l'Ariette
du Dieu des Coeurs , a chanté le
rôle entier de Titon , dans lequel il a
été applaudi avec juſtice.
M. DUPAR , jeune Hautecontre
d'une figure & d'une taille avantageufe
pour le Théâtre , a débuté par un MorAVRIL.
1763. 179
ceau détaché. Les Connoiffeurs font
très-contens de la qualité de cette voix
qu'ils comparent même à celles dont la
mémoire eft célébre . Ils trouvent dans
ce Sujet le véritable caractère du fon
de Hautecontre joint à l'aptitude des
agrémens éffentiels dans le chant. Lorfqu'un
peu plus d'expérience & d'ufage
aura mis M. DUPAR en état d'être
mieux connu du Public , nous le ferons
nous-mêmes d'en rendre un compte
plus exact.
Mlle DUPLAN , jeune Sujet de l'Académie
, a eu occafion de paroître
quelquefois , & de faire entendre un
très-beau corps de voix , avec une difpofition
très-favorable à l'expreffion
d'un fentiment vif & des paffions les
plus fortes.
La figure de cette jeune Perfonne eft
heureufement coupée , & fpécialement
pour le genre d'expreffion auquel elle
paroît portée.
Les reprefentations des Jeudis , comme
nous l'avons déja fait remarquer ,
ont été une école très - avantageufe ,
tant pour former les jeunes Sujets de
ce Théâtre , que pour faire développer,
par l'ufage , les talens de quelques autres
qui n'ont pas de fréquentes occa
· ༄
Hvi
180 MERCURE DE FRANCE.
fions de fervir , & par conféquent d'être
connus du Public .
N. B. M. GELIOTE , dont nous.
avions indiqué la retraite du Théâtre
après les représentations de TITON &
L'AURORE , ne s'eft retiré qu'en 1754,
à la clôture du Théâtre , après les re- .
préfentations d'une remife de CASTOR
& POLLUX. Ce qui avoit induit en
erreur à cet égard , c'est qu'en effet il devoit
quitter après l'Opéra de TITON
& qu'il fut engagé à refterencore une
année.
COMÉDIE
FRANÇOISE.
L E Mercredi , 2 Mars , on donna la
premiere repréſentation de Théagêne &
Cariclée , Tragédie nouvelle. Le pre- .
mier Acte de cette Tragédie fut applaudi
, de même que plufieurs endroits
dans les autres Actes ; mais le Public.
'ayant pas paru approuver la conduite
de ce Poëme , il a été retiré après cette
repréfentation. Cet événement ne doit
ni préjudicier à l'opinion avantageufe
qu'on avoit des talens de l'Autenr , nî
AVRIL. 1763.
181
à l'encouragement qu'ils méritent.
Quand on applaudit à la touche & au
coloris d'un Peintre , il peut fe tromper
fur l'effet de la difpofition dans un tableau
, fans perdre du côté de la gloire
de fon art , & fans que les Amateurs
attendent moins de fes autres productions
dans la fuite ...
Il y avoit , pour la repréſentation de
cette Tragédie , une décoration d'un
effet très-pittorefque. Les ruines qu'elle
repréfentoit , interrompoient cette ouverture
uniforme que l'on laiffe toujours
au milieu de nos Théâtres. Ce genre de
décorer , lorfque les fites de la Scène
y prêtent , devroit être regardé par nos
Décorateurs comme un effai propre à
les éclairer fur les moyens de varier plus
fçavament leurs ouvrages.
Les Comédiens François ont remis
au Théâtre le 28 Février le Somnam
bule , (a) Comédie en profe en un A&te.
Cette Piéce ( Auteur Anonyme ) que
l'on croît être l'ouvrage d'une Société
de gens du monde & de beaucoup d'efprit
, a eu plus de fucès à cette repriſe
que dans fa nouveauté. Elle a été jouée
très agréablement. M. BELCOUR repréfentoit
le Somnambule de la manière la
plus vraie & la plus amufante. Mlle
fa) Premiere Bépréfent. le 19 Janvier 1739.
182 MERCURE DE FRANCE.
DROUIN , qui jouoit un rôle de carac
tère , a mis auffi un comique d'intelligence
que la Piéce éxige & qui contribuoit
à fon agrément. La vivacité de M.
MOLÉ & les graces comiques de M.
PRÉVILLE , complétoient l'effet heureux
des repréſentations de cette Comédie
qui a été fuivie avec fuccès.
Une autre remife de Piéce fur laquelle
nous nous permettons fans fcrupule de
répéter les éloges que méritent les Comédiens
François , eft celle des Femmes
Sçavantes , de MOLIERE , repriſe
le même jour ( 28 Février. ) Nous en
avons parlé ci- devant dans l'Article des
Spectacles de la Cour. Nous annonçons
avec plaifir qu'il reft encore parmi nous,
une portion de Spectateurs ( ce n'eft pas
à la vérité la plus nombreufe , ) qu'un
goût de préférence attache à ces beanrés
, malgré leur ancienneté & malgré la
mode de certaines gentilleffes dramatiques
fardées des graces volatiles de la
Mufique nouvelle .
Les repréſentations des Femmes Sçavantes
ont été fort applaudies ; & ces
applaudiffemens n'avoient certainement
pas leur fource dans la frivolité du goût
dominant.
La Débutante pour l'emploi des caAVRIL.
1763. 183
+
ractéres qui a paru dans quelques rôles
de ce genre eft Mlle DORVILLE , foeur
de. Mlle RIVIERE ( ci-devant Mlle
CATINON , ) de Mlle CARELIN & de
Mlle BOGNIOLI . Le Public a reconnu
dans cette Débutante , qu'elle avoit part
à l'efpèce de patrimoine de cette famlle
pour les talens du Théâtre. Les fuccès
dans ce genre , où l'on ne paroît jamais
dans l'age qui féduit & intéreffe ne
peuvent être auffi brillans que dans d'autres
; mais Mlle DORVILLE a eu la
fatisfaction de montrer à des Spectateurs
éclairés une connoiffance raifonnée de
fon talent & une pratique du Théâtre
qui peut la rendre très - utile à tous ceux
pour lefquels elle fera employée.
›
Le Lundi 14 Mars on a donné la
première repréfentation de l'Anglois
à Bordeaux Comédie nouvelle en
vers libres & en un Acte , fuivie d'un
Divertiffement au fujet de la Paix, Le
plus grand fuccès , le plus unanime &
le moins fufpe & a couronné cet ouvra
ge . Le Public impatient de n'en pas voir
paroître l'Auteur, que fa modeftie avoit
fait fortir du Spectacle longtemps avant
la fin , après l'avoir inutilement deman
dé près d'un quart d'heure , ne permit
pas que l'on commençât le Divertiffe
V
184 MERCURE DE FRANCE .
W
ment , qu'au moins on n'eût publiquement
déclaré fon nom ; & lorfqu'un des
Acteurs eut nommé M. FAVART ( a ) ,
on applaudit pendant longtemps avec
une vivacité univerfelle. Cet Auteur a
été obligé à la feconde repréfentation
de céder à un empreffement auffi flat-
(a) Nous faififfons avec empreffement l'occa→
fion de rendre à cet égard un témoignage pur
blic à la vérité , & un témoignage que des circonftances
particulières nous ont mis en état
d'affirmer par ferment , s'il en étoit befoin . Nous
atteftons ici que M. FAVART eft feul l'Auteur de
cette Piéce. L'envie fecrette du Lecteur ou du
Spectateur qui cherche à fe venger pour ain
dire de ce qu'elle eft forcée d'admirer , le penchant
à croire autre chofe que ce que l'on nous
préfente ; la fauffe vanité de paroître inftruit de
certains fecrets de la Société toutes ces petites
caufes réunies , avoient concouru à accréditer une
efpéce de propos courant à la mode pour enlever
très-injuftement à M. FAVART l'honneur de
les talens , déja connus & eftimés , & fur le
loris defquels les Gens de Lettres , ( Juges natarels
en cette partié ) ne pourront jamais ſe méprendre
que volontairement. Au refte cet Auteur
, quoique dans un genre moins élevé , peut
Te flatter du même honneur qu'on a fait longtemps
à un grand homme , ( par la ridicule Fable
du Chartreux ) petit ftratagême de l'Envie
publique qui fe renouvellera fouvent contre bien
des Auteurs , tant qu'il y aura des Méchaas intéreffés
à femer un faux bruit , des Etourdis pour
Le débiter & des Sots pour le croire.
CoAVRIL
1763. 185
teur de la part du Public , & a reçu en
perfonne les témoignages éclatans de
fon fuffrage.
La morale la plus philofophique, embellie
des grâces & de toutes les fleurs
d'un ftyle où l'efprit & l'élégance brillent
toujours ; une délicateffe adroite à
peindre avec vérité deux Nations plus
rivales qu'ennemies ; des éloges fans flaterie
pour l'une & pour l'autre ; des critiques
fines & vives fans amertume fur
les caractères , les ufages & les moeurs
des François & des Anglois ; pardeffus,
tout , un fentiment vrai & touchant des
vertus de l'humanité ; voilà le précis de
l'ouvrage dont nous différons avec le
plus grand regret de donner un Extrait
détaillé : mais le peu d'efpace que l'abondance
des autres matières laiffe à
notre Article des Spectacles,nous oblige
à le remettre au Vol. du 15 de ce mois.
Cette Piéce a été jouée parfaitement;
& M. PREVILLE dans le rôle de Sudmner
a fait un plaifir tout nouveau .
Nous n'ofons prèfqu'ici rendre à Mlle,
DANGEVILLE le tribut d'éloges trop
mérités en cette occafion. Si ce tribut,
eft le dernier que nous devions payer
à cette inimitable Actrice , c'est renouveller
des regrets trop bien fondés.
186 MERCURE DE FRANCE.
AVIS SUR L'ÉDITION DE
L'ANGLOIS A BORDEAUX.
N. B. On apprend que plufieurs per
fonnes fefont affociées pour copier cette
Piéce aux repréfentations , afin d'envoyer
ces Copies à des Chefs de Troupes
de Province. On ne doute pas qu'il n'y
ait quelqu'Edition faite fur ces copies
& fans doute très-informe: On avertit
le Public que la véritable Edition fefait
chez DUCHESNE , rue S. Jacques ;
qu'elle fera facile à reconnoître par le
Divertiffement dont la Mufiquefera imprimée
à la fin , & par le Paraphe de
Auteur qui fera fur le titre.
9 Le Samedi , 19 Mars on donna
pour la clôture de ce Théâtre la quatriéme
repréſentation de cette même
Piéce ( l'Anglois à Bordeaux. ) Le concours
des Spectateurs y étoit auffi confidérable
qu'il puiffe être , les applau
diffemens perpétuels. Cette foirée ainfi
que toutes celles où cette Piéce avoit
été repréſentée , l'extérieur de l'Hôtel
des Comédiens a été illuminé.
L'Anglois à Bordeaux fut précédé
d'une repréſentation de Tancréde , dans
!
AVRIL. 1763. 187
laquelle Mlle DUBOIS , repréfentant à
la place de Mlle CLAIRON , eut un
fuccès très-agréable , & d'autant plus
flateur qu'il lui fut confirmé en fortant
du Théâtre , par le fuffrage de l'admirable
A&trice qu'elle avoit doublée &
qui avoit affifté à la repréſentation . ( b )
Mlle DUBOIS avoit déjà joué avec fuc
cès dans la repréfentation de Théagéne
& Cariclée , & dans celle de l'Orphelin
de la Chine . Paroître dans des rôles
que le Public eft accoutumé à voir ren
dre par Mlle CLAIRON & n'y être
que foufferte fans dèfagrément , feroit
pour une Actrice un titre de talent ; y
faire plaifir en beaucoup de parties , y
être applaudie de bonne foi , & ne paroître
dèfagréablement en aucun en
droit , c'eft , à ce qu'il femble , décider
Mlle DUBOIS , l'efpérance de ce Théâtre
pour le tragique . La conduite de
ce jeune Sujet dans l'étude de fon art ,
confirmera ou détruira cette efpérance.
Le même jour M. DAUBERVAL ,
Acteur du Théatre François , prononça
le Difcours fuivant.
(b ) La fanté de Mlle CLAIRON , quoiqu'extrémement
altérée , laiſſe eſpérer avec les fecours du
repos & du temps , un rétabliffement qui la ren
dra aux yeux du Public.
188 MERCURE DE FRANCE.
MESSIEURS ,
» Chargé de vous préfenter l'homma❤
» ge de notre reconnoiffance , il m'eft
» doux de penfer que cet emploi pré-,
> cieux à mon coeur appartient à celui
» fur lequel votre indulgence a le plus
» éclaté.
» Il eſt de ces momens où la Nature
» pour ainfi dire épuifée paroît rallen-
» tie dans fes productions,où les grands
» Modéles qui ont précédé , femblent
» avoir été formés aux dépens de leurs
Succeffeurs. Alors les difpofitions les.
» plus communes paroiffent avoir acquis
» quelques droits à votre bienveil-
» lance.
.
» Oui , Meffieurs , vous voulez bien
» avoir égard aux circonftances , & ne
pas nous juger toujours à la rigueur.
» Vous avez daigné jetter un regard
» favorable fur nos efforts , dans un
» temps où la retraite de M. GRAND-
" VAL vous laiffoit à regretter un Ac-
» teur inimitable , qui au talent le plus
» vrai joignoit l'art de rendre le Ridicule
fans rien faire perdre à fes rô-
" les dans leur nobleffe ; vous applau-
» diffiez en lui ce mérite fi rare d'être
AVRIL. 1763. 189
" le Peintre de fon Siécle , & de paroî-
» tre fur la Scène moins Acteur qu'-
» homme du monde ; l'homme même ;
» du jour qu'il repréfentoit.
כ
» Vous avez été frappés depuis , Mef-
» fieurs , d'une perte plus grande encore
: ce Spectacle vous la retracera
dans tous les temps. L'Auteur d'A-
» trée , de Rhadamifte , d'Electre, dont
le génie avoit porté tant de fois la
» terreur dans votre âme , l'Efchyle
François n'eft plus ; mais fes fublimes
» productions vous reftent , & fa gloi-
» re perfonnelle devient aujourd'hui
> celle de toute la Nation.
"
» Qu'il me foit permis , Meffieurs
» de guider vos regards vers ce Mau-
» folée que fait élever à ce grand Hom-
» me un Roi dont la tendreffe pater-
» nelle
pour fes Sujets perçe les ombres
?> de la mort.
» Nous ne vous envierons plus , Na-
» tions voiſines ! ces témoignages publics
de vénération pour les talens fu-
» blimes. Le marbre va vous exprimer
» cette grande vérité que le Père des
» Peuples eft auffi celui des Arts.
» Mais cet honneur rendu aux mâ-
» nes de CRÉBILLON eft encore atten-
» du de ceux du Grand CORNEILLE ,
190 MERCURE DE FRANCE .
» de RACINE , de MOLIERE ; oferaije
le dire , Meffieurs , ces mânes il-
» luftres l'attendent de vous.
»
» Héritiers de cette grandeur qui furt
" l'âme du fiécle dernier , tout ce qui
» lui eft échappé d'actions glorieuſes
» vous appartient . Ce lieu même vous
» rappelle encore à ces fentimens géné-
» reux qui ont arraché à l'infortune la
» petite fille du Grand CORNEILLE.
» Ce que vous avez fait pour le fang de
» ce grand homme marque ce qui vous
» refte à faire pour fa mémoire .
·
» Qu'il fera beau de voir un Monar-
» que & un Peuple rivaux fe difputer
» la gloire utile d'honorer les talens !
» quoi de plus propre à les encourager
» que ces témoignages éternels de votre
» admiration ? que ne devez - vous point
» attendre , Meffieurs , des Auteurs dra-
» matiques , lorfqu'ils pourront ſe flat-
» ter que les fuffrages dont vous les
» avez honorés feront perpétués fur le
» marbre ? oui , Meffieurs , les talens
» vous doivent tout leur éclat. Ils s'éteignent
loin du charme des applau
» diffemens & du flambeau de la criti-
» que . Que n'ont-ils de même leur four-
» ce dans le fentiment vrai du befoin de
> votre indulgence ! J'aurois en vous
AVRIL. 1763. 191
ม» la demandant , Meffieurs , l'efpoir fatisfaisant
de mériter un jour vos bon
» tés.
Ce Difcours fut généralement applaudi.
Le principal objet ( feu M. CRÉ-
BILLON , auquel pour la dernière fois
nous ajoutons - le Monfieur ) étoit récemment
renouvellé dans la mémoire
des Spectateurs , par un très -beau Portrait
de ce grand Poëte , que les Comédiens
venoient de faire placer depuis
quelques jours , au rang des illuftres
foutiens du Théâtre François. Ce Portrait
, admirable par la vérité de la reffemblance
& par toutes les grandes parties
de la Peinture , eft-l'ouvrage de M.
DOYEN , Peintre du ROI .
ne ,
Quoique la retraite de Mlle Dan-
GEVILLE ne paroiffe que trop certainous
remettons à donner les anecdotes
que nous fommes dans l'ufage
d'inférer dans nos Journaux fur les Sujets
de ce Théâtre en ces fortes d'occafions
: mais nous communiquerons un
des hommages que la Poëfie , qu'elle
a fi bien fervie , rend à cette excellente
Actrice.
#92 MERCURE DE FRANCE.
VERS à l'occafion de la retraite de
Mlle DAN GEVILLE.
Tout Paris l'adoroit , tout Paris la regrette ;
Du Théâtre François elle étoit l'ornement.
On ne perdra jamais d'Actrice plus parfaite :
Jamais on ne verra plus modeſte talent.
Chacun peut en juger par ce trait furprenant :
Elle force l'envie à pleurer ſa retraite.
COMÉDIE ITALIENNE.
ONN trouve chez Duchefne à Paris un
Extrait imprimé de l'Amour paternel ,
Comédie Italienne dont nous avons parlé
dans nos précédens Mercures. Cer
Extrait , ainfi que les Lettres du Traducteur
, fuffit pour faire connoître à
ceux qui n'auroient pas lu les OEuvres
de M. GOLDONI , combien cet Auteur
mérite la célébrité qu'il s'eft acquife.
L'habitude où nous fommes de ne nous
plaire , de ne rire & de ne prêter quelqu'attention
qu'aux fcènes où paroiffent
ce qu'on appelle les Mafques ; d'ailleurs,
les grands talens des Acteurs qui les portent
actuellement , entr'autres l'Arlequin
& le Pantalon , tout cela n'a pas
permis à M. GOLDONI de les bannir
ici
AVRIL 1763. 193
,
ici comme il a fait de fon Théâtre patriotique
. Malgré cette efpéce de fervitude
, qui affujettit au comique un peu
chargé , il n'en a pas mis moins d'intrigue
, moins de conduite & d'enchaî →
nement dans la plupart des Scènes
moins d'ordre , & d'éloquence naturelle
dans le ftyle . Comme de nouvelles difficultés
font ordinairement créer de nouveaux
moyens aux véritables génies ,
celui - ci a tourné en plufieurs endroi's
de fes nouvelles Piéces , le Lazi au
profit du Sentiment ; c'eft particuliérement
ce qu'on ne peut conteſter dans
une Scène de l'Amour paternel , où
l'art confommé de M. CARRELIN eft
admirablement fecondé par l'heureux
naturel de Mlle CAMILLE . On peut
dire la même chofe de plufieurs parties
des rôles de Pantalon dans cette Comédie
& dans celles qui l'ont fuivie ,
-éxécutées avec un pathétique admirable
dans le genre par M. COLALTO , Acteur
Italien de ce Théâtre .
Dans, la Comédie Italienne en un
A&te , intitulée Arlequin cru mort ,
M. GOLDONI s'eft prêté encore
plus aux Spectateurs François en mettant
les fcènes plus étendues entre l'Ar-
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
lequin & le Scapin , qui font dans l'ufage
de parler François dans les Comédies
Italiennes . On fent , malgré cette
conformité avec les farces fur Canevas,
combien l'efprit de l'Auteur & fon génie
pour le vrai comique ajoutent d'agrément
à cette nouvelle fcène, par l'ordre
des idées & par l'efprit qui orne
les plaifanteries , conditions fans lefquelles
il n'y a nulle- part de plaifanterie
que pour ceux qu'il eft quelquefois
humiliant d'amufer. Cette Piéce donnée
pour la premiere fois le 25 Février , a
donc eu un fuccès plus étendu dans
tous les ordres des Spectateurs , même
parmi ceux qui ne peuvent plus s'amufer
que de l'Opéra- Comique : Avantage
fans doute fort au -deffous des talens
de l'Auteur & du mérite de fes Ouvrages
, mais qui doit être auffi précieux
pour lui que l'étoit autrefois pour Mo-
LIERE , l'honneur d'introduire la Comédie
, en la mafquant quelquefois des
livrées de la farce . Ceci doit s'appliquer
auffi à une Comédie en cinq Actes du
même Auteur , intitulée Arlequin Valet
de deux Maîtres , repréfentée pour la
rrefois le 4 Mars.Cette Piéce contient un
Imbroglio foutenu avec un Génié fin-
.:
AVRIL. 1763. 195
gulier & qui produit des Scènes fort comiques
. Elle a été fuivie & a paru réuffir
généralement.
n'a
Le 28 Février , on a donné pour la
première fois le Bucheron ou les trois
Souhaits , Comédie en Vers & en un
Acte , mêlée d'Ariettes ; elle fut unaniment
applaudie. Ce fuccès tres - mérité
tant par la Mufique que par la conftitution
agréable & riante du Poëme ,
fait qu'augmenter. Le Public l'a toujours
revue , jufqu'à la clôture de ce Théâtre ,
avec un nouveau plaifir ; nous en aurions
nous-mêmes à nous étendre davantage
fur cette Nouveauté , fi nous n'en
avions déja parlé dans les Spectacles de
la Cour. ( a ) Elle est tirée d'un Conte
de PERRAULT , imprimé à la tête de
la Piéce. Nous croyons que nos Lecteurs
en verront l'Analyfe avec plaifir.
EXTRAIT DU BUCHERON.
, fort d'une BLAISE le Bucheron
foret , un fagot & une cognée fur
l'épaule , une bouteille d'ofier à la
main. Il fe repofe ; tandis qu'il déplore
les peines de fon état , il en
( a ) Voyez ci-deffus l'Article des Spectacles de
la Cour.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE .
ra ,
tend gronder le tonnerre , il tremble ;
MERCURE paroît fur un nuage : ah !
Seigneur , lui dit BLAISE , que je
fouffre toujours pourvu que je vive !
MERCURE , après l'avoir raffuré , lui
annonce qu'il aura trois Souhaits à former
qui feront accomplis , & lui recominande
en partant , de profiter de la
bonté de JUPITER . BLAISE exprime
d'abord fon étonnement , il fe livre
à la joie , il rêve à ce qu'il fouhaiteil
est bien embaraffé , tout ce qu'il
fe propoſe , il le rejette. Il avale le
refte de fa bouteille , comptant que cela
lui ouvrira l'efprit. MARGOT , fa femme,
le furprend , elle le gronde fur fon
oifiveté , lui reproche fon peu d'amour
pour elle pour fes enfans lui dit
qu'il ne fonge point à établir SUZETTE
, leur fille , que SIMON , riche Fermier
la demande en mariage ; à ce
nom BLAISE , hauffe les épaules ,
MARGOT , queftionne , & on la met
affez difficilement au fait de l'heureufe
avanture qui fait méprifer SIMON. Elle
fe radoucit,flatte fonMari autant qu'elle
l'a querellé ; il fort pour confulter le
BAILLI & appaifer fes Créanciers .
MARGOT , feule , fe fait un portrait
extravagant de fa grandeur future , &
,
AVRIL. 1763. 197
faute de joie ; SIMON vient s'informer
quand il époufera SUZETTE ?pour toute
réponse on lui rit au nez . Arrivent un
CABARETIER & une MEUNIERE ,
qui font les Créanciers ; on les reçoit
de même ; au mot de tréfor que lâche
MARGOT , ils ceffent leurs menaces ,
lui font les offres les plus obligeantes
& fe retirent perfuadés qu'elle a trouvé
un tréfor. SIMON eft auffi dans cette
erreur , SUZETTE la confirme en venant
parler gaîment de la richeffe prochaine
de fon père , MARGOT lui impofe
filence , & lui enjoint de ne plus
penfer à SIMON : elle avoue ingénument
qu'elle n'y a jamais penfé ; & fur
ce que la mère dit qu'elle lui réferve
quelqu'un qui fera mieux fon fait , la
jeune fille , qui a paru dans la première
Scène avec COLIN, fon amant , croyant
qué c'eft de lui qu'il eft queftion , le
nomme ; MARGOT s'emporte. SIMON
qui triomphe de la voir traverfée , rit ,
& SUZETTE s'obſtine à vouloir Co-
LIN. L'abfence de BLAISE inquiette
l'ambitieufe MARGOT , elle fort pour
l'aller rejoindre , en ordonnant à fa fille
de refter avec SIMOM , homme d'àge,
qu'elle ne craint pas comme le jeune
COLIN . Empreffemens & fleurettes de
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
la part de SIMON , éloges contraftés de
COLIN , cet amant furvient ; le bon
Fermier touché de leurs amours naïfs,
fait un retour fur lui-même & promet
de les feconder auprès de BLAISE.
>
BLAISE améne le BAILI , homme
qui vante beaucoup fes confeils &
qui ne fait que boire & manger en
préfcrivant toujours la modération. Le
BUCHERON rempli de fes idées de
fortune , entend avec peine une propofition
de mariage qui retarde l'accompliffement
de fes trois Souhaits , il fe
débarraffe de SUZETTE & de COLIN
par des promeffes vagues , & retient
SIMON qui le complimente. MARGOT
revient on fe met à table , chacun
donne un avis conforme à fon goût ,
on mange quelques petits poiffons ,
BLAISE excite fes convives & furtout
le BAILLI ; " encore , s'écrie- t-il , que
» n'avons je à la place , car je fçai que
» vous les aimez …….. là .... une belle
» anguille ! il en paroît une dans le plat
toute accommodée . BLAISE fe dépite
, MARGOT l'invective , le BAILLI
& SIMON mangent & boivent. La colère
& le déluge de propos de la femmé
réduifent le mari qui ne peut l'adoucir
parles deux fouhaits qu'il dit avoir encore
AV- RIL. 1763.. 199
à former , à fouhaiter fans y fonger .
qu'elle devienne muette ; elle veut continuer
fes injures , mais en vain ; de
rage elle renverfe les bancs & fort défefpérée
. Le BAILLI Confeille , BLAISE
fe défole & SIMON plaifante. SUZETTE
arrive tout en pleurant , elle fe plaint
que fa mère l'a battue , elle fe confole
dans l'efperance qu'on la mariera avec
COLIN , & s'afflige après l'explication
des deux malheurs , fçavoir l'anguille
& la perte de la parole. COLIN vient
demander fi MARGOT confent enfin à
l'accepter pour gendre , on le renvoye
à BLAISE , qui gémit de n'avoir plus
qu'un fouhait . MARGOT reparoît amenée
par une Commère qui lui fert d'interpréte
; Blaife propofe à fa femme de
la faire Reine , par fon dernier fouhait,
Reine & ne point parler , dit le
BAILLI , non , non. Cela met dans une
grande perplexité le mari , il s'attendrit ;
il maudit fon indifcrétion . Tout le monde
fe joint pour l'engager à rendre la
parole à la pauvre MARGOT ; il héfite
longtemps ; il céde , elle ne tient plus
en place , ce font des remercîmens , &
un caquet infinis . SIMON rit à gorge
déployée ; le BAILLI , dont la manie
eft de fe montrer le maître dit à
I iv
2.00 MERCURE DE FRANCE.
BLAISE que le fouvenir de fes dettes
tourmente , qu'il arrangera cette affaire
& obtiendra du temps des Créanciers.
Tout fe pacifie , le Bucheron reprend fa
cognée en chantant l'amour du travail
& des biens naturels , on fe difpofe à
unir COLIN & SUZETTE. La Piéce eft
terminée par un Vaudeville qui en dérive
, & dont le refrain eft : Trop de pe
tulance gâte tout.
REMARQUES.
On trouve dans ce petit Drame , une conduîte
fage , un ftyle proportionné au Sujet , des plaifanteries
unes , une gaité franche , des traits
même de Morale , mais jettés fans prétention }
les Ariettes y font adroitement enchâllées , & la
Mufique , qui eft de M. Philidor , eft de la plus
grande beauté. Les plaintes du Bucheron fur fa
mifére , le plaifir enfuite d'avoir trois fouhaits à
former , bonheur qui lui paroît un fonge , le
Quatuor des Créanciers , &c. le Trio des Confultations
, le Septuor de la fin , Morceau détaillé
fans la moindre confuſion & les airs de Sur
zette & de Colin tout cet enfemble faifit &
frappe par la vérité des caractères de chaque Interlocuteur
établis dans cette Mufique pittoresque.
>
›
Il n'y a que les Exemplaires pour la Cour
qui portent le nom de M. Guichard ; mais il
nous a écrit qu'il étoit fâché de le voir nommer
feul dans une Piéce faite cnnjointement avec M.
C***, qui lui en a infpiré l'idée d'après le Conte' ;
que même leur intention à tous deux étoit de
AVRIL 1763 .
201
garder l'Anonyme , fentant bien que le fuccès
des Comédies à Ariettes appartient plus de droit
aux Muficiens qu'aux Poëtes. Nous ne pouvons
qu'applaudir à la modeftie de l'un & de l'autre
& à l'équité de M. Guichard.
La Mufique de cette Piéce fait d'autant plus
d'honneur à M. PHILIDOR , déja fi connu par
fes précédens ouvrages ; qu'à la fcience de l'harmonie
, fur laquelle il a reçu des éloges fans
contradiction , il a joint en cette occafion l'ufage
du goût qui affortit le genre muſical_aux détails
des paroles. Sans ceffer d'être auſſi Harmonifte
, iikl a tourné fon génie à cette mélodie
agréable & phragée que notre Langue exige , &
à laquelle on reviendra toujours , malgré même
quelques fuccès dans un genre qui dénature en
même temps l'efprit de la Langue & celui dela
Mufique qu'on y veut adapter.
Tous les Acteurs ont joué dans cette Piéce
avec beaucoup de feu & d'intelligence . M.CAILLOT
, M. DE LA RUETTE , M. CHAMPVILLE &
M. CLAIRVAL , Miles LA RUETTE , BERAUD &
DESGLANDS en exécutoient les rôles,
>
Un Acteur nouveau , dans les rôles
de chant , a débuté für ce Théâtre
le 1 Mars par celui du Prince dans
Nintete à la Cour & par celui du Mπ-
ficien dans le Magafin des Modernes ,
avec beaucoup de fuccès ; le Public
a confirmé ce 1er fuffrage dans tous
les rôles par lefquels il a continué fon
début jufqu'à la clôture , qui ne s'aſt
pas faite comme celle de l'Opéra
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
& du Théâre François , le dernier
jour avant la Semaine de la Paffion ,
mais le Samedi veille du Dimanche
des Rameaux. Pendant cette dernière
Semaine depuis le Dimanche , vingt ,
jufqu'au vingt- fix Mars , inclufivement ,
excepté le jour de la Fête de l'Annonciation
, on a éxécuté le Bucheron ,
dont on vient de parler & plufieurs
autres Spectacles mêlés de Mufique ,
du Répertoire de ce Théâtre & de celui
de l'Opéra - Comique , lefquels ont
été alors tous intitulés fur les Affiches ,
Piéces mêlées d'Arriettes.
On a donné le jour de la clôture
la quartorziéme repréfentation du Bucheron
, précédé du Roi & le Fermier.
On ne peut avoir un plus grand
concours de Spectateurs qu'en a eu
ce Spectacle , auquel la foule a toujours
été incroyable pendant cet hyver.
CONCERTS SPIRITUELS.
DANS la femaine de la Paffion il y a eu Concert
le Dimanche , le Mardi fuivant & le Vendredi
, Fête de l'Annonciation .
Dans le premier de ces Concerts on a exécuté
Lauda Jerufalem , Moter à grand Choeur de M.
AVRIL 1763.
203
DELALANDE , & le Confitebor de Pergolize . M.
BESCHE y a chanté & M. BALBATRE a éxécuté for
l'orgue plufieurs morceaux qui ont fait beaucoup
de plaifir.
Dans le Concert du Mardi on a éxécuté Inclina
Domine , Motet à grand Choeur de M. BLANCHARD,
Maître de Mufique de la Chapelle du Roi ,
dans lequel M. DUBUT , Ordinaire de la Chapelle
du Roi , a chanté un récit de deſſus . Ce jeune
talent qne l'on peut encore regarder comme
dans l'enfance , relativement à fon âge , ne doit
pas être regardé de même par rapport à l'ufage ,
à la préciſion & aux autres parties de la Mufique
ainsi que de l'art du chant. La voix du jeune M.
DUBUT est très agréable , & fon articulation
très-nette & très- correcte. Il a été fort applaudi
non ſeulement en faveur de fon âge , mais par le
plaifir qu'on a pris à l'entendre ; en le rappellant
celui dont avoit fait jouir longtemps M. RICHER
dans le même âge & dans le même genre de voix.
On reprit le Confitebor de Pergoléze .
-
Le Vendredi , on éxécuta Nifi Dominus , Motet
à grand Choeur de M. BELISSEN , & le Confitemini
de feu M. DE LA LANDE . Qu'il nous
foit permis de remarquer quelle impreffion fait
& fera toujours la fublime compofition de ce
célébre Muficien . Quelle majefté dans le caractère
général de fes chants ! Quelle analogie
avec la divine infpiratation qui régne dans les
Pleaumes ! Quel fentiment dans l'expreffion !
Quelle grandeur & quelle fagetle dans les images
que le génie de cet Auteur ne paroît point
chercher , mais qu'elles femblent venir faifir avec
une variété infinie & du meilleur goût , dans les
différentes parties de fes moters Quelle vérité
dans le coloris général ! Mérite rare dans prèf-
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
que tous les ouvrages qui méritent notre adm
ration à d'autres égards..
Mlle HARDI , jeune Sujet , conduite par fon
père en Italie à l'âge de neuf ans , pour y
être
inftruite dans la Mufique ; & formée dans la
connoiffance de la Langue & du goût du chant
de cette Nation a chanté dans ces trois Concerts
différens airs Italiens avec beaucoup de fuccès.
Sa voix eft agréable , timbrée & flexible . Elle
chante cette Mufique purement dans le genre &
avec les feuls agrémens qui lui font propres , &
analogues à l'idiome du Pays. Nouvelle , & peutêtre
enfin utile leçon pour les Cantatrices , qui
n'ont appris en France que la caricature de ce
goûr.
Mlle FEL a chanté avec le fuccès & les applaudiflemens
ordinaires plufieurs Récits dans les
grands Motets , & n'a point chanté de petit Motet
Italien.
MM. GAVINIES , LE MIERE & LE DUC Ont
joué à ces trois Concerts des airs en trio de la
compofition de M. GAVINIÉS .
Dans les Concerts du Mardi & du Vendredi ,
M. DUPORT a joué feul des . Sonates & Concerto
de fa compofition..
·
Par tout ce que nous avons eu occafion de dire
précédemment à l'avantage du talent fi agréa
ble & fi fingulier de M. DUPORT , on doit juger
du plaifir que le Public a eu de l'entendre après.
quelques Concerts d'où il s'étoit abfenté , & des
applaudiffemens qu'il a reçus.
CONCERT du Dimanche des
RAMEAUX .
On a exécuté Confitemini , Motet à grand
choeur de M. l'Abbé GoULET , ancien Maître de
AVRIL. 1763. 20
Mufque de la Cathédrale de Paris. Ce Moter a
été applaudi en plufieurs endroits. Le jeune M.
DUBUT , dont nous venons de parler , a chan
té. Le Concert a fini par Dominus regnavit ,
Motet à grand choeur de feu M. DE LA LANDE ,
dans lequel Mile ARNOULD a chanté avec applaudiffement
le récit Adorate. Dans le même
Motet, Mile ROZET & M. GELIN , ont éxécutè un
Duo qui a été univerfellement applaudi & avec
la plus grande juftice..
MM. DUPORT & KOHUALT ont joué des airs
en Duo fur le Violoncelle & le Luth . C'est ici
précisément une de ces occafions où il n'y a point
d'expreffions pour les éloges mérités & pour rendre
le fentiment de plaifir des Auditeurs. Les airs
qu'ils éxécutoient étoient travaillés avec un goût
& un art infinis , fur des Sujets connus, agréables
& faciles , ce qui a beaucoup ajouté à l'extrême
Latisfaction du Public ; en forte qu'ils ont été pour
ainfi dire contraints par la vivacité des applaudillemens
, de céder à fes defirs & de continuer de
jouer , après le nombre d'airs déterminé pour
ce Concert. Nous ne pouvons nous diſpenſer à
ce fujer de renouveller aux grands talens , l'avis
qu'ils reçoivent en tant d'occafions de la part des
Auditeurs fur le genre de mufique qu'ils exécutent.
Quand voudront- ils enfin fe donner à
eux-mêmes la flatteufe fatisfaction , d'être toujours
agréables en étonnant & fe défendre du
penchant obftiné pour les feules difficultés ?
Mlle HARDI chanta très- bien un bel Air Italien
& avec une voix plus également foutenue que
dans les Concerts précédens.
M. GAVINIES a joué un Concerto de fa compofition
, dans lequel il a été fort applaudi .
Mlle FEL a chanté un petit Motet , dont la
206 MERCURE DE FRANCE.
Mufique n'eft pas entiérement dans le genre Italien
; elle y a reçu tous les applaudiffemens que
méritent la voix & fes talens.
On rendra compte dans le fecond volume de
ce mois des Concerts de la Semaine Sainte & de
celle de Pâques.
ARTICLE VI.
SUITE des Nouvelles Politiques du
mois de Mars.
ور
'SUITE de l'Article de WARSOVIE.
PERSON ERSONNE n'ignore la conftirution de la Diète
» de pacification de l'année 1736 , faite du confentement
de tous les Ordres de la Républi-
» que , touchant les Duchés de Courlande & de
» Semigalle. On y a ftatué qu'après l'extinction
de la famille de Kettler celui à qui ces Fiefs
>> feroient conférés en jouiroit , lui & fes defcen-
» dans mâles , moyennant un diplôme en uſage
» dans de pareils cas , & qu'on conviendroit avec
>> lui des conditions féodales . La Commiſſion de
» 1727 , déléguée par la Diète de 1726 pour les
affaires de Courlande , avoit été prorogée juf-
» qu'à cette époque . Tout cela a été observé &
» exécuté felon ladite conftitution . Le Duc Er-
>> neft Jean reçut le diplôme Royal ; les Commiffaires
nommés de la République convinrent
>> avec lui des conditions féodales ; il reçut l'invel-
>> titure , felon la courume , & le diplôme de l'in-
» veftiture lui fut expédié folemnellement fous
les deux fceaux de la Couronne & du Grand
» Duché de Lithuanie , avec promelle au nouAVRIL.
1763. 207
» veau Feudataire , de la part de la République ,
de le protéger & de le défendre dans fes Du-
>> chés , lui & fes defcendans , contre qui que ce
» ſoit ; ainfi ce Dac acquit par-là un plein & in-
→ dubitable droit à ces Duchés pour lui & pour
>> fes defcendans mâles .
» Or fi un Prince Feudataire ne peut , fans être
coupable d'un crime de félonie , être privé des
Fiefs qu'il a acquis légalement , de quel droit
» foutiendra t - on que le Duc Erneſt Jean doit
» être privé de fes Duchés , fans avoir été ni en-
→ tendu ni jugé , & fans avoir commis de crime
contre le Roi ni la République ?
» Si dans le temps où l'on a voulu le dépouiller
de fes Duchés , il y avoit des raifons d'Etat
» pour l'en tenir éloigné , les raifons d'Etat qui
»l'y rappellent aujourd'hui font d'autant plus
fortes , qu'il eft juſte de rendre à chacun ce qui
>> lui appartient.
>>Par les droits de la nature & du bon voiſinage
» on eft obligé de protéger , contre la violence &
l'injuſtice , un Prince voisin & opprimé : ainf
» Sa Majefté Impériale de toutes les Ruffies ne
» peut refuſer de maintenir le Duc & les Etats de
» Courlande & de Semigalle dans leurs droits ,
→ priviléges & prérogatives.
»Sa Majefté Impériale n'ignore pa's que ces
>> Duchés font un Fief dépendant du Corps en-
→ tier de la République , & non du Trône feul
» des Rois de Pologne , felon la teneur du di-
>> plôme de l'incorporation de l'année 1569 , &
felon la conftitution de 17 36 ftatuée du conſenɔɔrement
de tous les Ordres de la République.
La fuite des Nouvelles Politiques au Mercure
prochain.
208 MERCURE DE FRÁNCE.
GENEALOGIE de la Maifon de SPARRE , felon
Les Piéces quifont chez M. de CLEREMBEAUT
& qui ont étéproduites à l'Ordre de Malte.
SPARRE OU TOFFTA , illuftre & ancienne Maifon
de Suéde , alliée de très- proché aux familles
qui ont régné en Suéde foit avant ou après la révolution
arrivée dans ce Royaume lors de l'invafion
des Danois fous Chriftiern II. leur Roi. On
trouve dans les biftoires & les généalogies Suédoifes
l'an 1150 Sixten de Toffta , grand Ecuyer
du Royaume de Suéde fous le Roi Canut. Sixten
eut pour fils Nicolas Toffia , qui lui fuccéda dans
la Charge de grand Ecuyer , & épouſa Mereta,
Princelle dont l'hiftoire vante beaucoup la beau
té & la vertu ; elle étoit fille d'Eric X , Roi de
Suéde , & de Rhechiffa , fille de Waldemar , Roi
de Dannemarck . Nicolas Toffta mourut l'an 1250
& laifla de Mereta , Ambernus , qui fut Grand
Maître-d'Hôtel du Royaume & le Chef de la
Branche aînée des Toffta , qui dura peus Sixten
II. qui fut Prince du Sénat & Chef de la branche
cadette , dont la poftérité ſe perpétue encore
aujourd'hui en France dans la ligne directe ; en
Suede & autres Pays du Nord , en lignes collatérales.
On ignore avec qui Ambernus prit alliance
; fes enfans furent Nicolas II , grand maître
d'hôtel , mort en 1313 fans poftérité ; Nanne ,
Chevalier de l'éperon d'or , qui fit des voeux dans
le Monastère de Efchiltunen ; Ulphon , Chevalier
de l'éperon d'or , grand maître d'Hôtel & Sénéchal
de Néricie , qui époula Chriftine , fille de Simon
Jonas , & fut le feul qui laiffa des enfans ;
Canut , Chevalier de l'éperon d'or , mort en 1350-
fans poftérité ; Ingeburge , qui fut mariée à Hermannde
Kafflebeck. Ulphon mourut en 1345 , laif
AVRIL. 1763 . 200
fant Ingeburge mariée à Benoit , Duc d'Algoth ,
tué en Hollande , Marguerite , mariée à Stenon
Chevalier & Senateur , & Charles de Toffta , le der
nier mâle de fa branche ; il fut grand Maréchal
de Suéde & Sénéchal d'Uplande , mort en 1399%
ne laiffant de fon mariage avec Helene , fille d'Ifraël
Birgerque Marguerite , mariée en premieres
nôces à Canut Bondé. De ce mariage fortit Charles
VIII, Roi de Suede. Canut , vécut peu après lui.
Marguerite , époufa Stenon Furon , dont elle n'eût
que Brigitte ou Britte , raariée à Gustave Sture ,
Chevalier de l'éperon d'or . De ce mariage eft for
ti une autre Brigitte , qui époufa Jean Chrifliern,
Senateur du Royaume , qu'elle fit Pere de Frédé
ric de Ridboh , ou Gripsholm , qui le fut de Guftar
ve Vafa , qui chaffa les Danois de la Suede &
s'en fit déclarer Roi. Ainfi le fang de Margueritte,
"& par elle celui des Tofftas , a été uni avec celui
des Rois de Suéde jufqu'à la Reine Chriftine , la
derniere de la poftérité de Vafa, laquelle abdiqua
la couronne & fé retira à Rome où elle eft morte
fans avoir été mariée .
mort
Seconde Branche qui fubfifte encore. Sixten ,
fils de Nicolas Toffta , Prince du Sénat ,
en 1295. Son fils fut Ambern I, grand Maréchal
de Suede fous Eric & Valdemar , qui regnerent
conjointement. Ambern lailla Ears ou Laurent I ,
grand Ecuyer , mort en 1299 , quatre ans après
fon père. Son fils fut Ambern II , Chevalier de
l'éperon d'or , qui vêcur longtemps ; on ne fçait
point avec qui ces trois Seigneurs prirent allian
ce. Laurent II , eut auffi Ingeburge , mariée dans
la branche aînée des Barons de Horn à Chriftierne.
Aumine. Amborn eut pour fils Laurent II , mort ea
1373. Il laiffa d'Hélene , fille d'Haquin Lamnes ,
Prince du Sang Royal de Norvege , qu'il avoir
1
210 MERCURE DE FRANCE .
épousé , Siggéfurnommé de Agard , Grand Ecuyer,
qui laiffa Laurent III , dit de Agard ,Grand Ecuyer.
Celui- ci époufa Ingeburge , fille de Benoit Laurent,
fon parent fans doute , dont il n'eut què Sigge de
Siagard , qui fit alliance avec Chriftine , fille de
Magnus de Natoda de Giaxholm > 2 morte en
1522. Sigge mourut en 1500 , & lailla Laurent
IV fon fils , appellé de Sundbi , qui fut Chevalier
de l'éperon d'or & Maréchal de Suede fa femme
fut Brigitte ou Brilte , fille de Turon Trolle , qui
lui donna Eric de Sparre , Baron de Sundbi , Vice-
Chancelier de Suéde , & Jean Sparre de Berquara,
Président de Calmar , qui fut la tige d'une autre
branche continuée par Sigifmond Sparre Eric eft le
premier qui a porté le nom de Sparre , & qui l'a
donné à tous les defcendants de Toffta. Ce nom
veut dire poutre d'or, dont Jacques VI , Roi d'Ecoffe
& d'Angleterre , décora les armes , en recompenfe
des fervices que ce Seigneur lui avoit
rendus . Eric , eut la tête tranchée à Lingkpin , en
1600 , pour avoir embrallé le parti de Sigifmond ,
Roi de Suede & de Pologne , fon véritable Maître,
contre Charles IX , Duc de Sudermanie , qui ufurpa
la couronne fur Sigifmond , fon neveu . Eric ,
lailla de Elba , Comtelle de Brahé , fon époufe ,
morte en 1609 , Guftave , Jean , Sigifmond , ( Ces
trois-ci n'ont point laiffé de postérité ; ) Laurent
V , Pierre , Charles , qui ont laillé des enfans ; Brigitte
, Béate. Celle-ci fut mariée au Baron Eric
& n'eur qu'une fille appellé Catherine . Laurent V,
époufa Merta , fille du Comte Banaër , dont il
n'eut que Pierre , fi célébre par les grandes charges
qu'il a occupées & par les négociations où il fur
employé , dont le frere époufa la Princeffe Palarine
nié ce de la Reine Chriftine & foeur du
Roi Charles -Guftave. Son épouſe fut Ebba , fille
,
AVRIL 1763.
211
咩
de Pontus de la Gardie , originaire de France ,
grand chancelier & premier Miniftre de la Reine
Chriftine , en 1607 , & le plus opulent Seigneur de
Suede Pierre , fut Sénateur & grand Maître d'Artillerie
, Ambaffadeur extraordinaire auprès de
Charles II , Roi de la Grande Bretagne , Médiateur
au Congrès de Cologne , enfuite Ambaſſadeur
auprès de Louis XIV , à qui il rendit de
grands fervices en formant entre la Suede & la
France une union qui fubfifte encore. Louis XIV,
pour reconnoître fes fervices , lui donna des lettres
de Comte pour lui & ſes enfans à jamais , avec la
liberté d'acquérir & de poffeder en France telles
terres on charges qu'il voudroit avec les mêmes
prérogatives que fes fujets , au nombre deſquels
ce Monarque l'admettoit. Pierre de Sparre , pendant
le féjour que fon Ambaffade lui occafionna
en France , conçut le deffein de vendre tous fes
biens en Suede & de s'établir dans ce Royaume
où il méditoit d'embraffer la Religion Catholique.
Le temps de fon caractère étant expiré il retourna
en Suede. Pendant qu'il travailloit à éxécuter
fes projets la mort le furprit en 1698. It
n'eut d'Ebba la femme , morte en 1693 , que Lau
rent VI, magnus , qui après la mort de fon pere
palla en France où il entra aú ſervice avec titre de
Lieutenant Colonel dans le Regiment de Sparre ,
aujourd'hui Royal Suédois , dont Eric de Sparre ,
Amballadeur & petit fils d'Eric , étoit alors Colonel
en 1700 environ. Laurent VI , étant en 1703
en garnifon à Tournai , y époula Félicité , fille de
Sire le Vaillant, Baron de Vaudripont & de N. fille
du Baron d'Hériffen , Comte du S. Empire. Après
avoir abjuré le Luthéranifme dans la Chapelle de
l'Evêque de Tourhais ce changement de Religion
le for profcrire en Suede , oùles biens furent con212
MERCURE DE FRANCE.
fiíqués , il ſupporta conftamment ces revers ja
qu'à la mort arrivée à Paris en 1725 & fut enterré
à S. Sulpice après avoir vécu 62 ans. Il a laiffé
de Félicité le Vaillant , deux enfans mâles , Jofeph-
Ignace , Comte de Sparre , & Pierre , Comte de
Sparre , tous deux au fervice de France . Jofeph
Ignace , âgé de 52 , ans , Maréchal de Camp en
1748 & Colonel du Régiment Royal Suédois en
1742 , a époufé en 1730 Marie du Chambge , fille
de Sire du Chambge de Lieffart , premier préfident
de la Chambre des Comptes de Flandres , d'une
famille ancienne & illuftrée dans la robe , originaire
du Franc de Bruge. Leurs enfans ſont Aléxandre
Sparre , Colonel du Régiment Royal Suć
dois , Ernefte Sparre Colonel dans le même Régi
ment ; Augufte Sparre , qui eft dans l'état ecclé.
fiaftique , & Gustave Sparre , âgé de cinq ans
Chevalier de Malthe.
Tiré de Meenius Suenon , Généalogiſte Sué→
dois.
De Schinnerus , Poëte Suédois .
De Gothus & Ericus , Hiftoriens Suédois.
Des Mémoires de la Paix de Rifvick , par Dü
mont..
N. B. Cette maiſon a fourni au Roi , dans la
courant de ce fiécle , Officiers . Il y en a encore
actueliement neuf au Service de Sa Majesté.
M. BAILLY le fils , Garde des Tableaux du
Roi en furvivance , a été reçu à l'Académie des.
Sciences le 29 Janvier , pour remplir une place
d'Aftronome.
Le 1s Mars 1763 , a été célébré le Mariage
de Mallire Louis Honoré de Montillet de, Gre
AVRIL. 1763. 213
naud , Marquis de Rougemont & autres lieux ,
premier. Enteigne de la premiére Compagnie
des Moufquetaires de la Garde du Roi , Chevalier
de l'Ordre Royale Militaire de S. Louis
Fils de Meffire Pierre Anthelme de Montiller,
Chevalier Grand- Bailly d'épée des Provinces de
Bugey , & Valmorey , & d'Henriette Victoire
de Bellecombe , avec Dame Jeanne Charlotte
Elifabeth de Chabannes Curton , Veuve de
Meffire Jean Bochart Marquis de Champigni ,
Fille de Meffire Jean Baptifte de Chabannes Curton
Chevalier Comte de Rochefort & autres lieux
& de Défunte Dame Claire Elifabeth de Roquefeuil
, & Soeur de Jacques Charle Comte
de Chabannes Marquis de Curton en Guyenne ,
& du Palais dans le Foreft , Comte de Rochefort
en Auvergne & autres lieux ; Colonel au
Corps des Grenadiers de France . La Bénédiction
Nuptiale a été donné dans l'Eglife Paroifliale
de S. Sulpice par l'Archevêque d'Aufch
Oncle du Marquis de Montillet.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monſeigneur le Chancelier,
le Mercure d'Avril 1763 , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , ce 31 Mars 1763. GUIROY.
214 MERCURE DE FRANCE.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
ODE DE fur la Statue Équeftre du Ror . Pages
LOUIS XV .
LE POETE Philofophe.
VERS fur un Portrait donné à Mlle Dangeville.
CONSEILS d'une Mère à fa Fille.
ABBAS & Sohry , Nouvelle Perfanne.
LES Ecoliers & le Balon , Fable.
10
ibid.
13
ibid.
14
46
STANCES fur l'incendie du Palais Epifcopal
d'Amiens , arrivé le Dimanche 19 Décembre.
EPITRE à M. G.
HOROSCOPE du premier Enfant de M. le
Marquis D. F.
A M. le Prince de Sulre , fils unique de M. le
Prince de Croy
VERS de feu M. Coffin , mis au bas d'une
Eftampe de feu M, Samuel Bernard.
Les mêmes Vers traduits en François.
DIALOGUE entre Démocrite & Moliére.
PORTRAIT de Madame C ** par M. ***,
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
·
47
49
SI
13
54
ibid.
ss
64
65 & 66
67 & 68
ibid.
AVRIL. 1763. 215
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES .
LETTRE à l'Auteur du Mercure , fur les
Enigmes & les Logogryphes.
69
LETTRE au même fur l'Etabliſſement d'un
Bureau de Conſultations pour les Pauvres. 73
LETTRE à l'Auteur du Mercure , fur une
Infcription.
HISTOIRE Poetique , tirée des Poëtes François
; par M. l'Abbé B ….
DE LA SANTÉ , Ouvrage utile à tout le
monde ; par M. l'Abbé Jaquin.
96
97
99
TRAITÉ abrégé de Phyfique à l'ufage des Colléges;
par M. de Saintignon."
QUINZE nouvelles Cartes de l'Atlas de M.
Buy de Mornas.
ANNONCES de Livres.
103
106
109 &fuiv.
ARTICLE III . SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADEMIES.
ACADÉMIE des Sciences & Belles - Lettres de
Dijon.
SEANCE publique, de l'Académie de Befancon
pour la diftribution des Prix .
RENTREE publique de l'Académie de Befançon
, du 17 Novembre 1762 .
PRIX propofés par l'Académie des Sciences,
Belles - Lettres , & Arts de Befançon , pour
l'année 1763. "
SEANCE publique de l'Académie Royale
des Sciences & Beaux Arts de Pau,
MEDECIN E.
OBSERVATIONS fur l'Hiftoire de la Méde-
123
124
128
129
132
-cine... 133
18
216 MERCURE DE FRANCE .
LETTRE à M. De la Place , fur les Aqueducs ,
fur les grands chemins , & c.
SUPPLEMENT aux Piéces Fugitives.
COUPLETS fur l'Élévation de lá Statue du
Ror & fur la PAIX.
VERS à S. A. S. Mgr le Prince Louis de Rohan
, Coadjuteur de Strasbourg , fur fa
convalescence .
REGRETS d'un Habitant du Partèrre , ſur la
retraite de Mlle Dangeville.
VERS adreflés à M. Favart , le jour de la
première reprefentation de fa Piéce au
fujet de la Paix.
AUTRES.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
142
148
149.
ibid.
ISO
IfI
ARTS UTILES.
G20 GRAPHIE. 154
ARTS AGRÉABLES
.
PEINTURE.
LETTRE à MM. de la Société des Amateurs
, fur le Tableau allégorique des
Vertus formant le Portrait du Roi ,
peint par M. Amédée Vanloo .
GRAVURE.
MUSIQUE.
44 ART. V. SPECTACLES..
SUITE des Spectacles de la Cour à Verſail-
SPECTACLES DE PARIS.
les.
OPÉRA .
COMÉDIE Françoiſe.
COMÉDIE Italienne.
CONCERTS Spirituels.
157
162
165
167
178
180
·192
202
ART. VI. Suite des Nouvelles Polit. de Mars. 206
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
AVRIL. 1763 .
Diverfité , c'eft ma devife. La Fontaine.
SECOND VOLUME.
DELA
VILLE
ABL
JUEQUE
LYON
1893
Cochin
Saline inte
PapillosSculpe
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à-vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
Chez
DUCHESNE, rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais,
Avec Approbation & Privilége du Roi ,
AVERTISSEMENT.
LEE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer ,
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie litté
raire , à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir, ou qui prendront lesfrais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
parvolum. c'eft-à-dire 24 livres d'avance,
en s'abonnant pour feize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers
, qui voudront
faire ve
nir le Mercure
, écriront
à l'adreſſe
cideffus
.
On Supplie les perfonnes
des provinces
d'envoyer
par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affran
chis , refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
, d'en marquer le prix.
Le Nouveau
Choix de Piéces tirées
des Mercures
& autres Journaux
, par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions
font
les mêmes pour une année. Il y en a jufqu'à
préfent quatre - vingt - dix volumes.
Une Table générale , rangée par ordre des Matières , fe trouve à la fin du
foixante-douziéme.
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL. 1763.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SUR LA PARESSE.
f
HEUREUX Loifir , douce Indolence ,
Dans la paix & dans le filence
Que j'aime à goûter tes appas !
Que j'aime à dormir dans tes bras
Sans m'appercevoir que je penfe ,
Ne fongeant qu'à mon éxiſtence ,
N'y fongeant même prèſque pas !
ravaux & foins de difparoître
I. Vol. A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Dès que tu t'approches de nous
Ne rien fçavoir , c'eſt te connoître.
Arts pénibles , éloignez-vous :
Ce n'eft qu'en vous ignorant tous ,
Que j'apprendrai bien celui d'être,
Inftruis- moi dans cet art fi doux ,
Dieu du repos , fois mon ſeul maître g
Qui n'en a point d'autre que toi
Se fait une aimable habitude
De jouir doucement de ſoi.
A l'abri de l'inquiétude ,
La fuir eft toute ſon étude ,'
Et te goûter tout ſon emploi.
Viens être mon guide & mon Roi
Je veux me jetter dans ta chaîne,
Loin qu'on en redoute la gêne ,
On aime à tomber fous ſon poids
La liberté qui fuit les loix
Se plaît à plier ſous la tienne.
Mais , ô ma chere Qiliveté !
Tandis qu'en ton fein je fommeille
Quelle voix frappe mon oreille ,
Et trouble ma tranquillité ?
Baillant , à demi je m'éveille :
J'entr'ouvre un oeil déconcerté.
Quel objet tout-à-coup l'étonne ?
Que vois-je ? où fuis-je tranſporté ?
J'apperçois fur un même trône
Et portant femblable couronne
AVRIL 1763.
Une double Divinité
Qu'un peuple de Fous environne ,
Et qu'encenſe la Vanité.
D'un air inquiet , agité ;
S'avance une foule importune :
L'ambition & la fortune
Sont l'une & l'autre Déité.
Leurs mains font pleines de largeffes ;
Et fi j'en crois à leurs promeſſes ,
Crédit , puiſſance , dignité ,
Titres , honneurs , emplois , richeffes ,
Au gré de mon avidité
Viendront me prouver leurs tendreffes ,
Pourvû que laiffant tes careffes ,
Je me range de leur sôté.....
Vaines & trompeuſes idoles !
Par vos féduifantes paroles
Croyez-vous que je fois tenté ?
Gardez pour vous vos dons frivoles ,
Mon coeur n'en peut être flatté.
La gloire la plus éclatante
Ne vaut point la douceur charmante
De cette oifive obfcurité
Où végére ma nonchalance :
Riches , fiers de votre opulence ,
Je le fuis de ma pauvreté.
De cette fuperbe affluence
L'avantage eft trop acheté ;
Nul de vous dans fon abondance
7
A iy
MERCURE DE FRANCE .
Ne peut dire avec vérité ,
Comme moi dans mon indigence ?
Mon bonheur ne m'a rien coûté.
Que me veut cette Mufé affable bukk
Qui m'attireau facré vallon
Sa main de la spart Apollon
Me préfente un laurier durable
Mais un travail infatigable
De ce laurier fera le prix :
Il ne doit être le
partage
Que de celui dont les écrits
Dignes de paffer d'âge en âge
Avec un affidu courage
Seront polis , & repolis ?...
Retourne , 'Mufe enchantereſſe ;
Et n'interromps plus mon repos :
Remporte tes brillans rameaux
J'aime cent fois mieux ma pareffe.
Si quelquefois avec tes foeurs!
Errant fur les bords du Permeffe ,
Je veux moiſſonner quelques fleurs ,
Ce n'eſt point au prix des douceurs
Qu'on goûte au fein de la moleffe :
Pour elles volontiers je laiffe
Mules , Phabus & leurs faveurs."
Bien fou quiconque fe confume
En écrivant pour éffacer ;
Je veux que les vers fous ma plume
Viennent d'eux-mêmes fe placer :
?
I
AVRIL. 1763.
Ainfi que l'eau de l'hypochrene
De la fource dont elle fort"
Jaillit fans obftacle & fans peine ,
D'une heureuſe & facile veine
Je veux qu'ils coulent fans effort.
Je ne veux point , ô Renommée !
• Te facrifier mon loiſir
Et changer contre ta fumée
Et mon bonheur & mon plaifir.
Que dis -je ? le Plaifir lui-même
Des ris , des jeux environné ,
Ceint d'un tranſparent diadême jin A
Et de guirlandes couronné ,
S'offre à mes yyeux fart un nuage
Dans les vague des airs traîné . ) and
Ce jeune Dieu paroît orné des ho'l
De tous les attraits du bel âge :
Il eſt léger , il eft volage ;
Son oeil eft vif , fon front , ferein ;) .
Le caprice & le badinage
T
Le tiennent tous deux par la main, g
Les fleurs qui tombent de fon "fein
Jonchent les lieux de fon paffage :
Des amours le brillant effain
Devant lui vole à tire d'aîle ,
Et lui prépare le chemin.
Il vient à moi ; fa voix m'appelle :
A fa voix , je marche , je cours.
Adieu , charmante létargie ,
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Où tantôt mon âme affoupie
Eûr voulu fommeiller toujours,
Pour me féparer de tes charmes ,
La fortune & l'ambition
N'ont point eu d'affez fortes armes :
L'éclat d'un immortel renom
N'a pu me vaincre & me féduire :
J'ai préféré ton doux empire
Aux vains honneurs de l'Hélicon.
Le plaifir feul a l'avantage
De m'arracher à tes appas ;
Mais s'il m'entraîne ſur ſes
pas ,
Ce n'eft que pour un court voyage
Dont tu me verras revenir
Plus épris de mon éſclavage
Sur tes genoux me rendormir.
Se livrer trop à l'allégreſſe ,
Ce n'eft point en ſçavoir jouir.
Qui veut agir avec fageffe ,
Donne fa vie à la pareſſe ,
Et quelques momens au plaifir.
Par le nouveau venu au Parnaffe.
AVRIL 1763.
II
Un Officier Général , étoit fur le point
d'époufer Mlle .... lorſqu'il fut bleffé
à mort à la fin de la Campagne
de 1759. Il eft cenfé écrire à fa
Maîtreffe dans l'inftant où expirant
fur le champ de bataille , il fe fert du
fer d'une picque qu'il trempe dans
fon fang pour tracer ces Vers.
MA chère Julie ! adore les deftins ;
Ils font naître & mourir nos projets incertains .
Une lance acérée , inſtrument du carnage ,
Eft aux bords du cercueil , pour moi d'un autre
uſage.
Arme de la fureur , tu deviens , en ce jour ,
Dans mes débiles mains , le pinceau de l'Amour
!!....i
Mon fang forme à longs traits , fur l'arène fusi
cu mante ,
Des fignes interdits à ma voix expirante.
Hélas ! s'il fut verfé , fans regret pour mon Rois
Il m'eft doux de fentir qu'il coule encor pour
toi ! .....
Je t'aimai : je t'adore ; ( excufe ma foibleffe : ) ;
Mais foit tranſports jaloux , foit orgueil , fojt
vreffe ;
Aviat
Avj
12 MERCURE DE FRANCE.
Ciel pourquoi redouté-je en ce fatal moment ,
Qu'un autre après ' ma mort puiffe être tom
Amant ?
Ah ! pardonne à ma crainte injufte , téméraire 7
Non ,tu n'as point brulé d'une flamme ordinaire ;
Non ; je fçais qu'aifément ton coeur ferme &
conftant
Peut donner à ton Sexe un exemple éclatant.
Lechemin tortueux que tient la perfidie,
( Tu me l'as dit cent fois ) , méne à l'ignominie...
Hélas ! il m'en fouvient : quand aux bords Champenois,
on
Ton amant t'embraffa pour la derniere fois :
» Cher époux , m'as-tu dit , tu vois de l'hyménée
» Eteindré les flambeaux ; mais ma foi t'eft done.
» née ;
» Et quel que foit ton fort , fois für que ce lien .
» Enchaîne pour jamais & mon être & le tien ....
Au moins ce foible eſpoir en mourant , me ſoulage......
Mais je touche à l'inftant , que craint même le
Sage 179 707 mm & erbror i åingi a T
Le jour fuit & fe change en d'épaiffes vapeurs....
L'abîme s'ouvre : adieu , fois fidéle....je meurs.
L'ÀMANT RÉVOLTÉ CONVERTI.
LA Tout-Puiffant Dieu de l'Amour ,
Avoit un jour bleſſé mon âme,
AVRIL. 1763 : 13
Moi, je voulois le bleffer à mon tour ,
Et j'aiguifois les traits d'une Epigramme ;
Quand ce Dieu , pour guérir mon mal ,
Vint me trouver avec Thémire .
Adieu ma haine & ma fatyre ,
Je ne fis plus qu'un Madrigal……… . }
Par M. B. P. D. GRA..... de Lyan.
É PIGRAMME
A l'Auteur d'une mauvaise Epître, qu'il
finiffoit par
des adieux à la Raifon .
PAR tes adieux à la Raiſon ,
Pourquoi terminer ton Epître ? .
Il eût été plus de ſaiſon ,
De les mettre à côté du titre :
Car long-temps après fon départ
Lui dire adieu , c'eſt un peu tard.
Par le même.
AIR : Je te revois , charmante Life.
JUSTIFICATION.
A'une Amie.
J'A fenti rechauffer ma cendre ,
J'ai cru reconnoître l'ardeur
A qui ma jeuneffe trop tendre
14 MERCURE . DE FRANCE.
Dut la moitié de fon bonheur.
Eglé , votre voix me rappelle ;
Pour un coeur trifte & malheureux ,
L'Amour n'a plus qu'une étincelle
Et l'Amitié feule a des feux.
Gardez mon coeur , je vous le laiſſe,
Soutenez fa fragilité,
Et des piéges de ma foibleffe
Sauvez encor ma liberté.
Il eft für que toute la vie
Je vous aimerai tendrement ;
Et fi vous êtes mon Amie ,
De qui pourrai -je être l'Amant ?
1 LES MARIAGES HEUREUX ET
MALHEUREUX ,
CONTE MORAL.
RIEN n'eft fi rare que les mariages
heureux , depuis qu'on n'exige plus que
des convenances bizarres établies par
l'opinion & le préjugé. La conformité
des goûts , l'union des cours paroiffent
aux parens des conditions inutiles . La
naiffance ou le bien font les feules qui
méritent leur attention ; ils ne font déterminés
que par l'un ou par l'autre. Ces
AVRIL. 1763. 15
injuftes Loix du monde , ces funeftes
préjugés portent la corruption dans
fe fein des familles en détruifant l'union
qui doit y régner ; ou fi l'union
y paroît encore , c'eſt une eſpèce de
tréve convenue que la dépravation mutuelle
a rendue néceffaire.
Azelim , fu d'une famille illuftre par
l'ancienneté de fa nobleffe & les charges
honorables qu'elle avoit toujours
occupées , s'étoit retiré de la Cour pour
finir fa carrière dans une maifon de
campagne aux environs de Paris . Il y
raffembloit la Société la plus brillante.
Le chemin étoit couvert de voitures
qui alloient ou qui revenoient de la
folitude d'Azelim . C'étoit là que les Pétits
-Maîtres & les Coquettes inventoient
les modes , traitoient d'originaux les
hommes vertueux , & de prudes les femmes
raisonnables , décidoient du mérite
d'un jeune Auteur , critiquoient la piéce
nouvelle , l'élevoient jufqu'aux nues,
ou la condamnoient à l'oubli. Une jeune
perfonne dont Azelim avoit acheté
les complaifances , & dont il avoit cru
pouvoir acheter le coeur , augmentoit
encore par fes talens les charmes de
cette retraite. On ne parloit à Paris que
du féjour délicieux d'Azelim ; la variété
16 MERCURE DE FRANCE.
des plaifirs qu'il procuroit à fes convives
faifoit l'entretien de toutes les Sociétés
. On le regardoit comme l'homme
du monde le plus heureux mais
ceux qui ne jugent point fur de trompeux
dehors appercevoient l'indigence
& le chagrin qui la fuit , à travers le
fafte & l'opulence de cette maifon ; au
milieu de la joie , le Maître paroiffoit
quelquefois accablé de trifteffe .
Azelim avoit deux enfans qui paffoient
dans le monde pour les Cavaliers
les mieux faits & les plus aimables .Tous
deux avoient une heureufe phyfionomie
, une démarche noble & affurée
un maintien décent & modefte ; mais
leur caractére étoit bien différent. L'un
étoit férieux , tranquille & mélancolique
; infenfible aux frivoles amuſemens
du monde , il n'avoit d'amour que pour
les Sciences. L'autre , vif & léger , couroit
avidement après les plaifirs. L'aîné ,
qui s'appelloit Linias , gémiffoit en fer
cret fur les dépenfes exceffives de fon
père ; il ne participoit point à cette
joie tumultueufe qui menaçoit fa famille
d'une ruine prochaine. Il voyoit
avec indignation Azelim entouré d'une
multitude de flateurs qui le méprifoient
intérieurement , & qui n'atten-
1
AVRIL. 1763 . 17
doient que fa perte pour infulter à fa
mifére. Dorville au contraire fe livroit
avec tranfport aux charmes féduifans
du plaifir ; fon coeur amolli par la volupté
ne pouvoit plus s'enyvrer que de
fa dangereufe vapeur ; fon âme n'étoit
fatisfaite qu'au milieu du défordre d'une
vie diffipée.
Il y avoit à quelque diftance de la
maifon d'Azelim un Gentilhomme appellé
Daubincourt, qui, fans ambition &
fans defirs , jouiffoit en paix du bien
qu'il avoit reçu de fes ayeux. Ennemi
du fafte & de la fomptuofité , fa maifon
n'étoit point remplie d'une troupe
d'efclaves inutiles qui ne fervent qu'à
la vanité du Maître . Les meubles étoient
antiques , mais propres ; fa table n'étoit
couverte que de viandes communes &
de légumes de fon jardin : à peine étoitil
connu des grands dont il étoit environné.
Mais cette heureufe fimplicité
lui procuroit des jours plus fereins
un fommeil plus tranquille que n'au
roient pu faire l'opulence & les plaifirs.
Rapproché par fes moeurs & fa façon
de vivre des habitans du Village
où il demeuroit , il en étoit adoré ; ces
bonnes gens faifoient tous les jours des
voeux pour fon bonheur. Si la médiocri18
MERCURE DE FRANCE.
té de fa fortune ne lui permettoit pas de
leur faire de grandes largeffes , il les
aidoit de fes confeils , il exhortoit les
malheureux à la patience , il leur apprenoit
à fouffrir. Son époufe auffi compatiffante
que lui , fe rendoit chez les
malades , elle leur donnoit fes foins &
fon temps ; le defir d'être utile à fes
femblables la mettoit au-deffus de ces
foibleffes , que la grandeur qui veut tirer
avantage des fervices mêmes , appelle
fenfibilité. Ces heureux époux avoient
une fille appellée Julie , qui joignoit
à la beauté la plus touchante , un efprit
droit & pénétrant qui faififoit toujours
le vrai , un coeur fenfible & bon
qui le lui faifoit aimer ; élevée fous les
yeux de ces parens adorables , elle avoit
pris dans leurs leçons les notions les
plus éxactes de la vertu .
Linias fe promenant un jour , en
rêvant fur les malheurs que le luxe préparoit
à fa famille , avançoit toujours
fans penfer à l'éloignement où il étoit
de la maifon de fon père : la vue d'un
homme qui lifoit à l'ombre d'une touffe
de faules fur le bord d'un ruiffeau , le
tira tout-à-coup de fes rêveries. Etonné
de fe trouver dans un lieu qu'il ne connoît
pas , il aborde l'Etranger , lui deAVRIL.
1763 . 19
mande où il eft ? Daubincourt, furpris
à fon tour , de voir à deux pas de fa
maiſon le fils aîné d'Azelim , fatisfait à
fes demandes , & le prie enfuite de venir
fe repofer , & prendre chez lui quelques
rafraîchiffemens.
Linias qui n'avoit jamais vu Daubincourt
, mais qui fouvent avoit entendu
faire l'éloge de fes vertus , fut
charmé de connoître un homme dont
les moeurs étoient en vénération dans
tout le voisinage ; il fentit même dans
ce moment l'empire de la vertu fur fon
âme : fon coeur qui n'avoit encore trouvé
perfonne dans le fein de qui il pût
s'épancher , cherchoit à s'échapper vers
celui du fage Daubincourt ; un penchant
invincible & fecret l'entraînoit
vers cet homme extraordinaire . Il entre
dans une maifon dont la fimplicité répondoit
à celle du Maître ; tout reſpiroit
cette heureufe médiocrité qui
fait les délices des âmes vertueufes.
Cette maifon dont la propreté faifoit
tout l'ornement , avoit quelque chofe
de plus riant que ces Palais magnifiques,
où les richeffes de l'art ne préfentent aux
yeux du fpectateur que l'idée affligeante
d'une injufte inégalité. Daubincourt
fit fervir à Linias les rafraîchifle20
MERCURE DE FRANCE .
mens dont il avoit befoin . N'imaginez
pas un buffet couvert de porcelaines
qu'un efclave attentif étale aux yeux
des étrangers pour fatisfaire l'orgueil
du Maître : on ne lui préfenta que les
fruits de la faifon & du vin tel que le
pays le produifoit ; mais la fimplicité de
ce repas avoit plus de charmes que les
profufions d'un grand , à travers lefquelles
on apperçoit l'avarice. Linias , lui´
dit Daubincourt , vous ne verrez pas mon
époufe & ma fille ; elles font allées au
hameau voifin porter du fecours à un
malheureux que l'indigence & la maladie
réduisent à la plus affreufe extrémité:
il ne faudra pas moins qu'une action
auffi louable pour les confoler de leur
abfence; car votre mérite leur eft connu .
Linias , ramené par Daubincourt au
Village le plus voifin de la maifon d'Azelim
, lui demanda la permiffion de
venir quelquefois le voir dans fa folitude
& jouir de fa converfation. Mais à
cette demande fes yeux fe mouillerent
de larmes , fon coeur oppreffé par le
fardeau de fes peines , cherchoit à s'en
décharger dans celui de cet homme de
bien. Daubincourt , lui dit-il , il y a
vingt ans paffés que j'ai vu le jour ; depuis
ce temps je n'ai trouvé perfonne
AVRIL. 1763. 21
dont j'aie pu faire un véritable ami. Le
monde n'a été pour moi qu'une vafte
folitude où j'ai toujours érré fans rencontrer
un homme dont l'âme attirât la
mienne ; je n'ai vu dans la Société qu'orgueil
, corruption , & méchanceté. Si
vous aimez la vertu vous devez être.
fenfible & compatiffant ; vous ferez
touché de mes maux ; je vous regarde
comme un ami tendre & fincère que
la fortune m'envoie pour nie confoler.
Vertueux jeune homme , lui dit Dau-
-bincourt , je connois l'état où vous êtes :
´un coeur contraint de foupirer en fecret
eft un pénible fardeau . Je l'ai fenti
quelquefois ; mais ce que vous n'avez
point encore heureufement éprouvé
c'eft la perfidie d'un traître qui fe joue
de la confiance d'un ami. Dans ces
cruelles circonstances , l'éfpèce humaine
fe peint à l'efprit fous les couleurs les
plus odieufes ; le monde n'eft qu'un
cahos où le vice honoré triomphe de
la vertu qui languit dans l'oppreffion &
le mépris.Le coeur abbatu par la trifteffe,
fe concentre en lui-même & fait des
efforts pour ſe détacher de tout ; une
funefte mifantropie s'en empare ; & de
l'homme le plus doux & le plus fenfible
, elle en fait l'ennemi le plus cruel
22 MERCURE DE FRANCE.
du genre humain. Linias , j'ai paffé par
ces terribles états ; l'enthouſiaſme de la
vertu me fit abandonner les hommes
que je jugeois indignes de ma tendreſſe ;
je vins dans cette retraite avec la réfolution
de ne plus retourner dans la fociété
qui me paroiffoit le féjour du crime :
la haine de mes femblables que je nourriffois
dans mon coeur , mefoutint quelques
années contre le defir de revenir
parmi eux. Chaque fois qu'il s'élevoit
dans mon âme , je me repréfentois pour
le détruire le repos de ma folitude , l'indépendance
où j'étois du caprice & de
la méchanceté des hommes . Mais je me
faifois illufion à moi-même : mon coeur
vuide , étoit en proie à des agitations intérieures
qui renverfoient cette tranquillité
dont je croyois jouir ; la mauvaiſe
humeur & le chagrin me faifoient fentir
à chaque inftant que je n'étois pas à ma
place. Des affaires vinrent heureuſement
à mon fecours . Rentré dans le monde ,
j'y trouvai des gens de bien ; le hazard
amena vers moi de vrais amis dont le
commerce enchanteur effaça peu- à-peu
les idées triftes qui me rendoient fombre
& chagrin. J'enviſageai le monde
fous un afpect plus favorable ; le défordre
que j'avois apperçu fe diffipa ; la
AVRIL. 1763. 23
>
,
la
vertu me parut avoir des adorateurs Je
vis alors que le vice à qui j'avois attribué
le droit injufte de faire des heureux
faifoit au contraire le fupplice
de fes partifans. Remis à la place que
Nature m'avoit deſtinée mon coeur
fentit une joie qu'il n'avoit point encore
éprouvée ; je crus jouir d'une nouvelle
éxiftence . Des noeuds formés par
la vertu , mirent le comble à mon bonheur.
Je m'unis aux pieds des autels avec
une jeune perfonne,dont la fortune étoit
médiocre à la vérité ; mais qui poffédoit
des richeffes plus réelles & d'un plus
grand prix les qualités de fon âme la
rendoient plus eftimable à mes yeux que
des biens qui ne fervent fouvent qu'à
nous avilir. Elevée dans la retraite , elle
préféra le féjour de la campagne à la
vie diffipée des Villes. Je me rendis avec
elle dans cette folitude ; mais j'y apportai
un coeur fatisfait & tranquille;& je connus
alors qu'il faut être bien avec foi-même,
pour goûter les plaifirs de la retraite.
C'eft à cette femme adorable que je dois
les plus beaux jours de ma vie ; C'eſt
à notre union que je dois cette volupté
pure dont mon âme eft remplie. Linias,
votre coeur brifé par la douleur vous empêche
de voir les chofes telles qu'elles
24 MERCURE DE FRANCE .
font ; le chagrin qui vous dévore leur
donne néceffairement une teinte qui les
défigure : les objets fe peignent confufément
dans une rivière agitée par la
tempête ; ce n'eft que dans le cryſtal
d'une eau pure & tranquille qu'on voit
l'azur d'un ciel fans nuages. Lorfque
le calme vous aura rendu la tranquillité,
vous ferez moins injufte envers les hommes
; ils vous paroîtront alors plus dignes
de compaffion que de haine . Linias
, venez quelquefois dans ma folitude
; fi l'amitié peut adoucir vos maux,
vous devez tout attendre de la mienne :
je connois depuis longtemps votre
amour pour la vertu ; c'eft à lui que
vous devez mon eftime & ma confiance.
Linias , qui pendant ce difcours étoit
refté immobile & penfif , pouffa un
profond foupir ; prenant enfuite une
des mains du généreux Daubincourt
il l'arrofoit de fes pleurs. Ah ! Daubincourt
lui dit -il vous me rendez la
vie. Je ceffe d'être malheureux , puifque
je trouve un ami fenfible & compatiffant.
Il acheva le chemin qui leur reftoit
à faire enfemble, en lui parlant de fa
famille ; il verfoit dans le fein de cet ami
fincère & vertueux les fentimens dont
fon âme cherchoit depuis longtemps à fe
> λ
délivrer .
1
AVRIL. 1763. 25
délivrer. Quoique Daubincourt ne pût
apporter aucun reméde aux malheurs
dont il étoit menacé , les paroles confolantes
de cet homme vrai calmoient fes
craintes & faifoient renaître l'efpérance
au fond de fon coeur. Arrivés au village
dont ils étoient convenus , Daubincourt
fe fépara de Linias , en arrêtant avec
lui un rendés-vous au même endroit .
, Linias de retour chez fon pére ,
trouva la cour remplie de voitures qui
venoient d'amener une compagnie nouvelle
. Azelim , entouré d'un cercle nombreux
, avaloit à longs traits le funefte
poifon de la flatterie. Il recevoit avec une
orgueilleufe fatisfaction les hommages
de ces vils efclaves dont le coeur démentoit
en fecret les louanges qu'ils
lui donnoient à haute voix ; une foule
de domeftiques augmentoit encore le
tumulte & le defordre de cette maiſon ;
on l'auroit crue livrée au pillage d'une
troupe ennemie . Linias , retiré dans fa
chambre, comparoit tout ce fracas avec
la paix & la tranquillité qui régnoient
chez Daubincourt. Malheureux Azelim !'
difoit- il , il n'y a donc que l'infortune qui
puiffe arracher le bandeau qui t'aveugle
Enyvré de ta chimérique grandeur & de
ta fauffe opulence , tu ne refpires que
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
le plaifir & la joie. Tu t'en rapportes
plutôt aux âmes baffes qui t'environnent
& te vantent ta félicité , qu'à ton propre
coeur que le trouble agite ! Porte tes
regards fur le funefte avenir que tu
prepares à ta malheureufe famille : tu
verras cette multitude de Créanciers
qui t'obféde inutilement chaque jour,
s'emparer de ce Palais magnifique , de
ces meubles précieux , de ces tableaux
rares qui te méritent le titre de connoiffeur
, partager entre eux tes dépouilles
& te plonger dans la mifère la plus
affreufe.Tu verras ces infâmes adulateurs,
qui font aujourd'hi l'éloge de ta magnificence
, blâmer hautement ta folie
& déchirer ton coeur par les outrages
les plus humilians . Ah , Daubincourt !
c'eft chez toi que le bonheur habite :
la frugalité te procure l'abondance ;
l'obfcurité t'affure le repos .
Cependant Linias fe livroit moins
à la trifteffe ; fon coeur étoit devenu
plus tranquille. Préparé par les difcours
de fon ami aux coups de la néceffité ,
il attendoit avec impatience la triſte
révolution de fa fortune. Mais lorsqu'il
penfoit que les biens d'Azelim feroient
beaucoup au - deffous des dettes immenfes
qu'il avoit contractées , fon couAVRIL.
1763. 27
rage s'évanouiffoit ; il croyoit voir les
victimes infortunées du luxe d'Azelim
apporter à fes pieds leurs juftes plaintes ;
il entendoit leurs gémiffemens & leurs
reproches.
Le jour marqué par Daubincourt
étant arrivé , Linias fe rendit dès le
matin au rendés-vous . La préfence de
cet ami pouvoit feule diminuer le poids
accablant de fes peines & rendre à fon
coeur allarmé la confiance & la paix . Linias
, lui dit Daubincourt , vous devez
juger à mon exactitude , de l'intérêt que
je prends à votre malheureux fort. Il
n'eft rien que je ne faffe pour l'adoucir:
fi je ne puis vous remettre dans
l'opulence où vous avez toujours vêcu,je
puis du moins vous apprendre à fupporter
l'indigence & peut-être les moyens d'en
fortir. Mais venez , Linias , ma famille
vous attend ; vous trouverez dans ces
coeurs fenfibles un plus fûr appui , que
dans les vaines promeffes d'un Grand
qui ne s'occupe que de lui- même . L'amitié-
vous dédommagera des biens de
la fortune , qui ne peuvent remplir une
âme épriſe de la vertu ; les larmes que
vous verrez couler de nos yeux , vous
feront goûter un plaifir que n'éprouvent
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
་ས་ ་
jamais les hommes puiffans qui ne font
entourés que d'envieux & d'ennemis ,
Linias , en entrant chez Daubincourt ,
trouva fon époufe & fa fille à l'ouvrage.
L'une tenoit une toile groffière deſtinée
aux malheureux du Village ; l'autre travailloit
au linge de la maifon . Quel
Spectacle pour Linias , qui n'avoit jamais
vu que des femmes occupées de
leur parure ou du jeu ! elles fe leverent
& le reçurent avec une politeffe obligeante
. Linias étoit amené par Daubincourt
; il étoit malheureux à ces deux
titres , il fut auffitôt de la famille. Mais
lorfqu'il eut jetté les yeux fur la fille de
fon ami , fon coeur qui jufqu'alors avoit
été confumé par le chagrin , devint en
un moment la victime d'une paffion
nouvelle qui lui fit oublier tous fes
maux . Les regards attachés fur Julie ,
il contemploit avec une efpèce de raviffement
ce vifage qui portoit l'empreinte
de l'innocence & de la candeur. Les graces
touchantes de cette jeune fille le tenoient
dans une douce yvreffe qui le
tranfportoit chacune de fes paroles étoit
un trait de feu dont fon âme étoit embrafée.
Il regardoit par intervalle Daubincourt
& fon époufe qui lui parloient ;
AVRIL. 1763. 29
mais fes yeux revenoient malgré lui fur
l'adorable Julie ; rien ne pouvoit l'en
détacher. Si les affaires de la maiſon appelloient
cette aimable fille dans une autre
chambre , il prêtoit l'oreille pour
entendre le fon flatteur de cette voix
qui portoit dans fon coeur un trouble
délicieux. Cependant, revenu de cet enchantement,
il auroit voulu cacher à fon
ami le défordre de fon âme ; mais il
n'étoit plus temps : Daubincourt & fon
époufe l'avoient pénétré. Tous deux attentifs
au mouvement du vifage de Linias
, ils ne doutoient plus de l'impref
fion qu'avoit fait fur fon coeur la préfence
de Julie. Linias , obligé de fe
rendre ' chez fon père , fe fépara les farmes
aux yeux dé cette aimable famille ;
il ne pouvoit s'arracher de cette maifon
où fon coeur étoit enchaîné par l'amour
le plus violent. Daubincourt ne lui propofa
point comme la première fois de
l'accompagner une partie de chemin ;
il fçavoit qu'il ne pouvoit encore être
le confident des tranfports de fon ami ,
& qu'un entretien étranger à cet objet
feroit déplacé. Suis -je affez malheureux ?
difoit Linias , occupé de fa nouvelle
paffion. N'avois - je pas affez de mes
maux fans y ajoûter un amour qu'il
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
faudra facrifier aux Loix injuftes de la
focieté ? Mon père exigera que je m'u
niffe à quelque femme ambitieufe &
riche qui voudra couvrir d'un beau nom
la baffeffe de fon origine ; fes biens feront
peut-être tout fon mérite ; ou s'il
approuve mes defirs , puis je eſpérer
que Daubincourt , qui ne jouit que
d'une
fortune médiocre , veuille m'accorder
fa fille à qui je ne pourrai donner
que mon coeur & ma main ? Oferai-je
la lui demander ? ... De quelque côté
que je me tourne , je ne vois que des
obftacles ; il femble que tout s'oppose à
mon bonheur. Ah ! Julie ! fi je ne puis
vous obtenir , s'il faut renoncer à la
feule femme que mon coeur ait jamais
aimée , pour en époufer une autre que
mon coeur n'aimerà jamais ; je foupirerai
chaque jour après le terme de ma
- carrière : je n'aurai d'autre confolation
que de m'en approcher par mes defirs .
Azelim , ayant appris le retour de
Linias , le fit appeller. Mon fils , lui ditil
, des lettres que j'ai reçues de Paris
m'annoncent pour vous l'établiſſement
le plus avantageux. Une Famille , à la
vérité peu connue , mais dont la fortu
ne eft confidérable , vous demande pour
gendre. J'aurois voulu pouvoir vous
AVRIL. 1763. 31
donner une époufe de votre naiffance
& de votre rang ; mais ce rang même
qui m'obligeoit à de grandes dépenfes ,
a dérangé ma fortune & m'impofe la
trifte néceffité d'accepter une fille opulente
dont les richeffes foutiennent l'éclat
de notre maifon , & vous fourniffent
les moyens d'acheter à la Cour un
emploi convenable au nom que vous
portez. Il eft des temps malheureux où
s'oubliant foi-même on ne doit confulter
que les conjonctures ; il faut defcendre
en quelque forte de fon état
pour s'élever enfuite beaucoup plus
haut. Mais je ne veux point uſer de mon
autorité ; je ne ferai jamais le tyran de
mes enfans. Si vous aviez pour ce mariage
une répugnance invincible , Dorville
prendra votre place avec joie : cette
fortune lui fera peut-être même plus
utile qu'à vous. Il a des connoiffances
chez le Prince , des amis puiffans , des
talens agréables ; votre amour pour la
folitude vous a de tout temps éloigné
du monde ; vous préférez une vie tranquille
aux intrigues de la Cour. Cependant
, Linias , c'eſt l'aîné qu'on demande
je ne ferai ma réponſe , je ne verrai
Dorville que lorfque vous ferez décidé.
Ah ! mon père , dit Linias , que
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
Dorville jouiffe de la fortune qui m'eſt
offerte ; je n'afpire point au bonheur
d'être riche , encore moins à celui d'époufer
une fille inconnue qui tireroit
peut-être de fon opulence le droit de me
rendre malheureux. Vous connoiffez
mes goûts ; ils exigent une vie privée :
la folitude a pour moi plus de charmes
que les plaifirs bruyans du monde.
Azelim , qui panchoit en fecret pour
Dorville , dont l'efprit étoit agréable &
petillant , conclut à la hâte un hymen
qui devoit rendre à fa famille un éclat
que la mifére étoit fur le point d'obfcurcir.
Dorville , enchanté , fit de nouveaux
emprunts pour fatisfaire le luxe
& la vanité de fon époufe , qui recevoit
fes préfens d'un air vain & dédaigneux,
Née dans l'abondance , elle ne mit
point de bornes à fes defirs ; les chofes
n'avoient de mérite à fes yeux qu'autant
qu'elles étoient rares : devenues
communes , il falloit s'en défaite à vil
prix. Son mari , dont le goût pour la
dépenfe ne s'accordoit malheureuſement
que trop avec le fien , applaudiffoit à fes
profufions. Mais fa complaifance ne fit,
que la rendre plus fière & plus hautaine
rien ne fe faifoit chez elle que par
fes ordres ; ceux du Maître n'étoient
*
AVRIL. 1763 . 33
jamais exécutés . Non contente du mépris
& des reproches humilians dont elle
l'accabloit chaque jour , elle imagina
qu'une femme de fon rang devoit avoir
un ami qui la dédommageât en fecret
de l'ennui qu'elle éprouvoit avec fon
mari. Cet heureux confident l'accompagnoit
aux Spectacles & aux promenades
, fans que l'infortuné Dorville
pût s'y oppofer. S'il s'en plaignoit , on
lui repréfentoit avec aigreur que la
jaloufie le couvriroit de ridicule ; que
les femmes les plus vertueufes tenoient
la même conduite ; & il n'y avoit qu'un
efprit bizarre & jaloux qui pût taxer
de licence une pareille liberté .
...
Dorville indigné de voir fon fort uni
pour toujours à celui d'une femme
qui le méprifoit , chercha bientôt à s'en
confoler , en fe livrant à la débauche.
Mais revenons à Linias.
>
Heureufement échappé au danger de
former des noeuds mal affortis , il étoit
encore agité par de nouvelles craintes .
Daubincourt & fon Epoufe voudroientils
lui accorder leur fille ? Cet hymen
qui feroit fon bonheur , feroit - il celui
de l'aimable Julie ? Lui a-t-il infpiré
cé penchant qui l'entraîne vers elle ?
Son choix n'eft-il peut -être pas déja
By
34 MERCURE DE FRANCE .
fait au fond de fon coeur ? .... Ces:
idées l'affligent & le tourmentent. Son
efprit incertain érre de tout côté fans
pouvoir fe fixer. Il retourne chez Daubincourt
; cette retraite étoit pour lui
le féjour le plus délicieux. Eloigné de
Julie , fon âme inquiette n'étoit fenfi-.
ble à rien . Il ne put cacher à fon
ami le trouble de fon coeur ; fa trifteffe
le trahiffoit. Linias , lui dit Daubincourt
, ce n'eft plus fur le luxe
d'Azelim que vous pleurez aujourd'hui :
vous portez dans votre âme un chagrin
fecret que vous cachez à votre
ami ! En eft-il que je puiffe ignorer
& que je ne partage ? Si vous avez
de nouveaux chagrins, répandez- les dans
le fein d'un homme dont la fenfibilité
vous eft connue : vos réferves font injurieufes
à ma tendreffe. Ah ! Daubincourt
vous m'arrachez mon fecret.
Père de l'aimable Julie , fachez qu'il
n'y a plus de bonheur pour moi , fi
je n'obtiens pour époufe cette fille adorable
dont l'image toujours préfente à
mon efprit , n'en fera jamais effacée ! .... :
Vivez heureux , Linias : vos vertus ont
fait fur l'âme de Julie la même impreffion
que fur la mienne ; vos coeurs que
la Nature forma l'un pour l'autre , ne
feront point féparés & malheureux ;
,
AVRIL. 1763 . 35
c'est une injuftice dont nous n'aurons
point à rougir. Linias paffant de la
douleur aux tranfports de la joie la plus
vive , fe jetta au col de fon ami , &
ne lui répondit que par ces larmes
précieufes que la reconnoiffance fait répandre
; & cet hymen auquel Azelim
donna fon confentement , fit le bonheur
de ces époux qui toujours charmés
l'un de l'autre , goûterent cette
félicité pure dont ils étoient dignes ,
& qui ne peut naître que de l'union
des coeurs. Des bords de la Conie.
VERS à Mde RICCO BONI ,Auteur
d'AMÉLIE , Roman de FIELDING
Auteur de TOM JONES & de Ja-
SEHP ANDREWS.
AINSI de tes écrits les charmes raviflans ,
La vivacité , la nobleffe
Unie à la délicateffe ,
Se rendent maître de nos fens !
Chaque trait qui naît fous ta plume
Eft l'empreinte du Sentiment ;
Et le beau feu que ton génie allume ,
Décide de nos coeurs le moindre mouvement
Par un penchant doux & facile ,
B vi
35 MERCURE DE FRANCE.
La tendre fierté de ton ſtyle
>
>
Les force à partager tes regrets , tes plaifirs
Et meut tous les efprits au gré de tes defirs
Et quel coeur barbare , infléxible ,
Peut ne pas devenir ſenſible , ( a )
Aux peines que reffent l'aimable Catesby ?
Qui n'eft pas pénétré de fa vive allégreffe ,
Lorſqu'elle voit enfin couronner fa tendreſſe
Par fa douce union à l'heureux d'Offery,
A cet objet , celui d'une longue triſteſſe ?
Cet objet qu'elle crut parjure , vicieux ;
Quel plaifir de le voir fincère , vertueux !
Lorfque l'on voit Fanni ( b ) ( amanre infortunée
! )
Pleurer fa trifte deſtinée ,
Qui pourroit ne pas s'attendrir ?
Quand du plus tendre amour on la voit embrasée ,
Par un indigne amant lâchement abuſée ;
Eh ! quel coeur pourroit , fans frémir ,
L'écouter , fe plaindre , gémir ?
Pour moi quand je l'entends à tous tant que nous
fommes
Nous reprocher ſes chagrins , ſes malheurs ;
Mon viſage bientôt eft baigné de ſes pleurs :
Je rougis d'être au nombre de ces hommes.
(a )Lettres de Milady Juliette Catesby à Milady
Henriette Campley fon amie.
( b ) Lettres de Miftris Fanni Butler à Milord
Charles Alfred , &c. ouvrage charmant de
Madame Riccoboni.
AVRIL 1763 . 37
>
De ta félicité que tu fais d'envieux ,
Heureux Fielding ! Ecrivain glorieux
Dé qui devoient les fortunes ouvrages
Par la main du Génie être un jour embellis ,
Et les fentimens annoblis
Ravir d'univerfels fuffrages !
Mais Dieux que dis-je ? .... & quel trouble eft le
mien ?
Cet ouvrage n'eft plus le tien
Oui , fous les mêmes noms qu'a peine on en con .
ſerve ,
C'est l'ouvrage du Goût , c'eft celui de Miner
Afes traits on le reconnoît :
L'Anglois fe voit détruit , & Fielding difparoît.
Heureux Fenton , plus heureufe Amélie , (c)
Vous que le fort enfin le plus fortuné lie :
Ah ! vous l'étiez juſques dans vos malheurs !
Dieux ! que la main qui les publie
En nous attendriffant adoucit vos douleurs !
Mais qu'à nos yeux votre bonheur augmente
Lorfque Riccoboni nous en peint les douceurs .
Généreufe , compatiſſante ,
Mère des Grâces , des Talens ,
M
Tendre Riccoboni ; tout par toi nous enchante
Notre félicité devient bien plus touchante ;
Nos malheurs bien moins accablans ,
Dès que c'eſt ta voix qui les chante.
(c ) Amélie , Roman de M. Fielding , deraïer
Ouvrage de Mde. Riccoboni.
Par le C. D. §. ´A ****
38 MERCURE DE FRANCE.
PORTRAIT ALLEGORIQUE
*
A Mademoiſelle A * * *
SÇAVANTE Minerve,
Pour peindre Clio ,
Inſpire à ma verve
Les vers de Sapho !
Puiffant Amour ! guide
Mon foible pinceau :
Que ne fuis - je Ovide
Pour faire un tableau !
La fimple Nature ,
Les ris & les jeux
Ornent la figure;
D'un air gracieur ,
La Volupté pure
Brille dans fes yeux.
Vénus & les Graces ,
Marchent fur ſes traces ;
Son port eft divin :
Rivale de Flore ,
La rofe colore
L'éclat de fon tein.
Sa bouche vermeille
Nous peint le corail ;
Sa gorge naifante
AVRIL. 1763. 39
D'albâtre éclatante
Efface l'émail.
Son tendre fourire
Pénetre le coeur ;
Lorſqu'elle foupire
On fent la fraîcheur
Qu'exhale Zéphire.
Ses doigts raviffans
Forment fur la lyre
Mille accords touchants
Qui jettent les fens
Dans un doux delire.
Le Docte Apollon
Defcend du vallon ,
Pour prêter l'oreille
A l'amoureux fon
De fa voix pareille
Aux chants d'Amphion.
Par M. P. L. M *** de Montpellier.
ÉPITRE
Adreffée à une jeune perfonne qui , au
fortir de l'Abbaye de S. CYR , avoit
demandé à l'Auteur ce que c'étoit
l'Amour?
vous , jeune Eglé , dont le coeur
que
40 MERCURE DE FRANCE.
Content de fon indifférence ,
Ne connoît point ce Dieu vainqueur ,
Ce Dieu que tout le monde encenſe :
Ah ! puiffiez -vous ainfi toujours
Ignorer que ce Traître aimable
Peut obfcurcir vos plus beaux jours !
C'eſt un Dieu qui n'eſt redoutable
Que parce que les Ris , les Jeux ,
Sont fes plus ordinaires armes ,
Et qu'il ne paroît à nos yeux
Que revêtu de tous fes charmes.
Quoique ce Dieu jamais n'émouffe
Les traits dont il perce nos coeurs ;
S'il frappe , la bleflure eft douce :
On chérit jufqu'à fes fureurs.
Belle Eglé , puiſque dans votre âme
L'Amour encore eſt inconnu ,
Craignez d'y voir naître une flâme
Dont gémiroit votre vertu.
Veillez fans ceffe fur vous- même ;
Défiez-vous de vos appas ;
Surtout avec un foin extrême
Voyez qui s'offre fur vos pas.
Peut-être du Dieu de Cythère
Eprouverez-vous la noirceur ;
11 fçait toujours le contrefaire
Quand il veut entrer dans un coeır.
Souvent pour tromper l'Innocence
AVRIL. 1763. 41
Et Aétrir toute fa beauté ,
L'Amour de la naïve enfance
Emprunte l'Ingénuité.
Son air intéreffant & rendre
N'épouvante plus la Padeur ;
Alors à peine on peut le prendre
Pour cet Amour fi féducteur.
Son abord n'elt plus redoutable ;
Son flambeau , fon arc , & fes traits ,
Ne font plus dans fa main coupable :
On ne voit plus que fes attraits.
Eglés que vous devez le craindre
S'il vient fous ce déguiſement s
Car l'Impofteur fçaura tout feindre
Pour vous tromper plas aifèment.
Séduite par fa douceur feinte ,
Et plus encor par vos defirs ,
Vous vous livrerez fans contrainte
A l'eſpoir flatteur des Plaiſirs,
Mais de la trifte Expérience
Tôt ou tard le flambeau laira ;
A votre aveugle confiance
Le Repentir fuccédera .
Sonmile enfin à fon empire ,
Vous croirez trouver le repos ;
Mais ce ne fera qu'un délire ,
Trop fenfible image des Bots.
Tout pour vous changera de face ;
42 MERCURE DE FRANCE.
Les chagrins , les foins , les foucis
De la Gaîté prendront la place :
Vos yeux par les pleurs obfcurcis
Perdront lear tendreffe , leurs charmes;
Et victime de vos defirs ,
Vous languirez dans les allarmes
Qu'entraîne l'abus des plaifirs..
Hélas ! tendre Eglé , dans votre âme
En vain vous chercherez la paix !
Vous n'y trouverez que la flâme
Qui l'en a chaffée à jamais .
En vain , en vain triſte & plaintive ,
Vous chercherez la liberté ;
L'amour vous retiendra captive
Par l'attrait de la Volupté.
Telle la tendre tourterelle
A l'ombre d'un feuillage épais ,
Pleure fa compagne fidelle
Qu'elle ne reverra jamais.
!
Jeune Eglé , dont la tendre Aurore
A le vif éclat de ces fleurs
Qu'au matin le Soleil décore
Des plus agréables couleurs ;
Ah ! quelle perte ! quel dommage
Si tant d'appas en vous unis
Etoient au printemps de votre âge.
Par les triftes chagr ins flétris....
Mais trop crédule un jour peut-être
AVRIL. 1763 . 43
Sous les traits chéris d'un Amant
Ne voudrez- vous plus reconnoître
Le Dieu que j'ai peint foiblement !
Séduite par votre tendreffe ,
Vous fuivrez un penchant trop doux ,
Sans voir dans cette aveugle ivreffe
Que c'eft l'amour qui s'offre à
Sous un aſpect fi favorable,
Eglé , que ne fera -t-il pas ?
vous.
Vous croirez dans un trouble aimable
Voir naître des fleurs fous les pas.
Mais hélas ! ce feront des roſes
Dont la beauté s'éclipfera
Sitôt qu'elles feront éclofes :
L'épine feule reftera.
Par M. le Dr ... de B .. : 3
VERS adrefes à M. le Marquis DE
BRÉH AND par les Troupes Irlandoifes
& Ecoffoifes que cet Infpecteur
a été chargé de réformer..
PATRICE , que nous révérons
Comme notre premier Apôtre ,
Bréhand , ainfi que vous nâquit chez les Bretons 3
Le Ciel yous a choifis pour être nos patrons,
44 MERCURE DE FRANCE.
Vous dans ce monde , & lui dans l'autre.
17 *Cette réforme s'est faite à Valenciennes le
Mars ,jour de S. Patrice, très-révéré par lés Irlandois
& les Ecofois.
A Son Excellence MARIE PAWLOVNA
NARISKIN
VERS à l'occafion des Fêtes pour le
Couronnement de CATHERINE II ,
Impératrice de toutes les Ruffies.
EST- CE ST - Cв Vénus , ou Terpficore ,
Qui frappe nos regards dans ce cercle enchanté ?
Sous les pas elle fait éclore
Les Amours & la Volupté.
C'eft la taille d'Hébé , la fraîcheur de l'Aurore ,
La vivacité de Flore ,
D'Eglé la légéreté.
C'eft Nariskin , c'eft plus encore :
Elle unit tout , les grâces , la beauté.
Sous quelque forme différente ,
Qu'elle cherche à le déguifer ,
Toujours noble , toujours charmante ,
Rien ne fauroit la métamorphofer.
Chacun s'écrie , en la voyant paroître ,
Le mafque en vain veut nous cacher les traits
AVRIL. 1763. 45
" C'eſt Nariskin ! qui peut la méconnoître ?
Nulle autre n'a fon air & fes attraits .
Par M. RAOULT.
ESSAI Philofophique fur les Caractè
res diftinctifs du vrai Philofophe.
Evo rariffima noftro fimplicitas.
Ovid. arte amandi , l. 1. v . 241.
Réfléxions préliminaires .
LA Philofophie n'a jamais été plus
vantée que dans ce Siécle , où fes loix
cependant
& fes maximes font moins
fuivies & plus négligées. Enfut- il en
effet un plus fécond en prétendus Philofophes
dont les moeurs font fi éloignées
de cette fimplicité , de cette droiture
de coeur qui caractériſent
ſi parfaitement
le vrai Sage ?
» Des prétentions , dit M. le Franc
» de Pompignan , ne font pas des titres.
» On n'eft pas toujours Philofophe pour
» avoir fait des Traités de Morale , fon-
» dé les profondeurs de la Métaphyfi-
"
que , atteint les hauteurs de la plus
» fublime Géométrie , révélé les fecrets
» de l'Hiftoire Naturelle , deviné le fyf-
» tême de l'Univers.
46 MERCURE DE FRANCE.
כ
"
» Le Sçavant inftruit & rendu meilleur
par fes Livres voilà l'homme
» de Lettres ; le Sage vertueux & chré-
» tien , voilà le Philofophe . Ce n'eft
> donc pas la profeffion feule des Let-
» tres & des Sciences qui en fait la gloi-
» re & l'utilité.
Ouvrons les yeux fur les érreurs de
notre Siécle , cherchons à connoître
cette vraie Philofophie ; qu'elle foit l'objet
de notre étude & de nos defirs ; &
que fes difciples zélés , fes fectateurs fidéles
foient nos modéles & nos maîtres.
Regarderai -je comme Philofophe ce
Stoïcien aveugle & indifférent à tous
les événemens heureux ou malheureux
qui fe paffent fur la Scène du monde ?
qui contemple d'un oeil fec & tranquille
cette mer orageufe fi féconde en écueils
& en naufrages ? L'humanité gémit dans
l'accablement & l'oppreffion ; la Nature
fouffre .... Il eft fourd aux cris de la douleur
; fon âme barbare eft inacceffible à
tout fentiment de pitié. L'innocence
perfécutée implore en vain fon fecours;
il détourne les yeux pour fuir un fpectacle
qui pourroit l'attendrir : il fe fait
gloire de fe rendre maître des mouvemens
de fon coeur & de triompher des
affections de fon âme . Malheureux ! tu
AVRIL 1763. 47
te prives du feul plaifir des gens de
bien ; celui de partager les pleurs & les
peines de tes femblables.
Je ne m'occupe point des Rois, de leurs querelles
Que me fait le fuccès d'an fiége ou d'un combat?
Je laiffe à nos oififs ces affaires d'Etat :
Je m'embarraffe peu da Pays que j'habite ;
Le véritable Sage eft un Cofmopolite.
On tient à la Patrie & c'eft le feul lien ?
Fi donc ! c'eft fe borner que d'être Citoyen.
Loin de ces grands rever s qui défolent le monde ,
Le Sage vit chez lui dans une paix profondes
Il détourne les yeux de ces objets d'horreur ;
Il eſt fon feul Monarque & fon Légiflateur :
Rien ne peut altérer le bonheur de fon Etre ;
C'eſt aux Grands à calmer les troubles qu'ils font
naître.
L'efprit Philofophique,
Ne doit point déroger jufqu'à la politique.
Ces Guerres , ces Traités , tous ces riens importans,
S'enfoncent par degrésdans l'abîme des temps.
Quels monftres dans la Nature &
pour la Société , que des hommes revêtus
d'un pareil caractère !
48 MERCURE DE FRANCE.
Accorderai-je le titre de Philofophe
cet Auteur licentieux & téméraire , qui
ne laiffe rien échapper à la malignité
de fa plume , aux faillies déréglées de
fon efprit ; qui voulant tout foumettre
à l'empire abfolu de fa Raifon orgueilleufe
, profcrit , renverſe , détruit tout
ce qui eft au-deffus de fon impérieuſe
intelligence ?
Sera-ce à cet homme envieux & jaloux
du mérite d'autrui , qui flétrit
l'honneur même dans fa noble carrière ;
qui s'efforce d'obfcurcir les vertus & le
mérite de l'homme de bien , & d'établir
fur les ruines & les débris de fa fortune ,
fa propre grandeur , fa réputation & fa
gloire ?
maux
Sera- ce enfin à celui qui par un paradoxe
auffi
abfurde.qu'extravagant , réduit
l'homme à la condition des anile
dégrade & fe dégrade luimême
? Qui voudroit anéantir cette
feule Raifon même qui le diftingue des
animaux ftupides & groffiers ? ....
L'indignation qu'il fait éclater contre elle ,
eft lapreuve la plus authentique de fa
foibleffe & de fon impuiffance.
9 Corriger l'homme de fes défauts
profcrire les érreurs , s'élever contre fes
égaremens, lui faire connoître l'étendue
de
AVRIL. 1763. 49
de fes devoirs , lui repréfenter la grandeur
de fa deftination , blâmer l'abus
de fes paffions , lui dévoiler la dépravation
de fon coeur , rappeller enfin
l'homme à l'homme même ; voilà ce qui
caractériſe le vrai Philofophe , ce Philofophe
éclairé , cet ami de l'humanité
ce Maître du Monde , ce vrai Sage fi
digne de nos hommages & de nos fentimens
. Peignons-le ce vrai Philofophe ;
& pour imiter un modéle fi précieux ,
appliquons-nous à le connoître.
•
Le vrai Philofophe , par la droiture
de fon coeur , par les reffources d'une
raifon mûre & réfléchie , cherche à acquerir
les lumières fi néceffaires à
l'homme pour connoître la verité.
Sourd aux prejugés du fiécle , il triomphe
aifément des fiens : c'eft , dit
Platon , un ouvrage de patience dont
le temps amène le fuccès. La patience
qui fert à l'acquifition de la véritable
gloire , eft la feule vertu qui puiffe en
faire jouir , & qui tranquilife l'âme au
milieu des orages de la vie.
Quoi de plus digne en effet de la
fpeculation d'un vrai Philofophe , que
cet amour du vrai , que cet attrait puiffant
pour la vertu , ce commerce tendre
& précieux de l'amitié
II. Vol.
cette aimable
C
So MERCURE DE FRANCE .
candeur de moeurs , ce défintéreffement
noble & généreux ?
Philofophes vertueux ! mes modéles
& mes Maîtres ne font- ce pas là vos
obligations & les loix que vous vous
êtes préfcrites à-vous mêmes ? La verité
qui vous guide, perce & diffipe les nuages
de l'erreur & de l'ignorance. L'Incertitude
du coeur & de l'efprit trouve
au milieu de vous fes doutes éclaircis ;
le libertinage voit fes déréglemens profcrits
la décence & la pureté de vos
moeurs eft une critique en action de la
corruption du fiécle. Cette ftupide indifférence
, de l'âme ou plutôt cet orgueil
ftoïque & monstrueux eft forcé
par votre exemple d'abjurer fon infenfibilité
dure & opiniâtre. Amitié ! vertu !
générofité ! Il eft encore pour vous des
afyles privilégiés fur la terre ; on trouve
encore des coeurs dignes de vous en fervir
, & capables d'apprécier vos bienfaits.
Le Philofophe à l'abri de l'erreur,
parce qu'il marche avec précaution , le
Philofophe ne fe laiffe point éblouir par
les preftiges de l'illufion : le préjugé qui
régle & motive les jugemens de la plupart
des hommes , lui oppofe en vain fes voiles
ténébreux , pour derober à fa fagacité
& à fa pénétration des connoiffances
AVRIL. 1763. SI
utiles & lumineufes fon génie les déchire
, diffipe , perce leur obſcurité ;
c'eft le foleil qui chaffe les nuages.
-Les plaifirs bruyans ne font pas du
goût du vrai Philofophe ; leur frivolité
fixe à peine fon attention : ils ne font à
fes yeux que des bijoux fragiles. Il fcait
réprimer fes paffions, contenir fes defirs ,
recevoir le plaifir avec réfléxion , le
ménager avec économie , en ufer avec
difcrétion , & en jouir plus long - temps .
L'ambition , la feule permife à l'homme
, eft de chercher à s'inftruire & à fe
rendre utile à la focieté, à préférer le bien
public à fon bien particulier. L'héroïfme
de la vertu peut lui préfcrire des facrifices
qui coûtent à l'amour- propre &
quelquefois aux fentimens de la Nature ,
aux liens du fang & de l'amitié la plus
tendre en s'y foumettant , la gloire &
l'honneur deviennent fa récompenfe.
Caton le dévoue au falut de la patrie;
Brutus immole fa tendreffe paternelle à
la jufte févérité des loix : ces grands
hommes étoient citoyens avant que
d'être pères & maîtres de leurs actions
& de leurs fentimens. Ces traits frappans
& fublimes ne font point au- deffus
de notre fphère, Tous les grands hommes
qui nous ont précédés , eurent des
C ij
52 MERCURE DE FRANCE.
2
C
foibleffes & des vertus. l'Expérience
que nous fournit l'hiftoire d'une longue
fuite de fiécles , nous a appris à éviter
leurs foibleffes ; la Religion hous apprend
à rectifier les motifs de nos actions
, & nous procure l'avantage précieux
de furpaffer même leurs vertus.
"
Eh , pourquoi nous croire dégénérés
des vertus de nos ancêtres ? Ne furent-
-ils pas des hommes comme nous , fujets
aux mêmes paffions & aux mêmes foibleffes
?... Devenons moins légers , tâchons
de réfléchir , cherchons & chériffons
le bien , refpectons la vértu ,
favourons les douceurs de l'amitié , prévenons
les befoins des hommes , fou-
-venons- nous enfin que nous fommes
citoyens de l'Univers , que notre patrie
eft partout , & que nos obligations fe
multiplient à proportion que le nombre.
de nos femblables s'étend , & que leurs
befoins s'augmentent
LE PHILOSOPHÉ AMI DE LA VÉRITÉ,
Premier Caractère.
Le vrai Philofophe n'eft autre chofe
que l'homme honnête , l'ami du vrai &
de toutes les vertus , re
AVRIL 1763.1 53
Inviolablement attaché a fes devoirs ,
la vérité régle toutes fes démarches . La
droiture de fon coeur eft la premiere
verru qui éclate dans fes actions. Ennei
du menfonge & de tout artifice , il
en ignore les obliques détours. Il ne
cherche point les tenébres de la nuit
pour cacher à la lumiere la honte d'une
conduite irrégulière ou criminelle ; il
cherche le grand jour parce qu'il eft
ennemi du crime ; nul reproche fecret
ne le trouble ; il marche & fe préfente à
découvert ; fon extérieur annonce la
candeur & la paix de fon âme . Tout ce
qui offenfe la droiture de fon coeur , a
feul droit de le révolter. C'eſt dans ce cas
feulement , qu'il permet à fon âme de
franchir les bornes de la modération.
Véhément, plein de feu dans fes difcours,
c'eft Demofthene qui foudroye l'incré
dulité des Athéniens.
1
- Les fentimens de l'homme vrai font
des Oracles du monde. Roi de lui -même,
habile furveillant , il commande en
Souverain à fes paffions. La vérité feule
l'intéreffe : l'impreffion que la vérité
fait fur fon efprit & fur fon coeur , eſt un
fentiment de plaifir. Sagement avare
des mouvemens de fon âme , il ne les
prodigue point avec légéreté ; une mé-
C iij
$4 MERCURE DE FRANCE .
thode fare dirige toutes fes opérations :
Il combine , il choifit , il réfléchit : fes
fentimens enfin prennent l'éffor avec
cette mâle fécurité que donne la conviction
.
Vérité généreuſe ! es- tu donc ignorée
Et du féjour des Rois à jamais retirée ?
31
Nourri loin du menfonge & de l'efprit des Cours;
J'ignore de tout art les obliques détours :
Mais libré également d'eſpérance & de crainte
J'agirai fans foibleffe & parlerai fans feinte :
On expofe toujours avec autorité
La caufe de l'honneur & de la vérité.
GRESSET .
2
L'eftime de l'homme vrai fait néceffairement
notre apologie ; elle fait
préfumer notre mérite , nous fuppofe
des vertus , & nous fait juger dignes
de l'eftime des autres.
L'élévation de l'âme eft auffi l'appanage
du vrai Philofphe. Tout eft grand ;
tout eft noble & fublime dans les âmes
généreufes. L'homme vrai eft l'ami de
Toutes les vertus , parce que les vertus
feules peuvent produire la véritable
gloire il ne s'enorgueillit point de fon
excellence & de fa fupériorité. Sa modeftie
fert de contrepoids à fon amourAVRIL.
1763. 55
propre. Sa cenfure n'eft pas amère : il
plaint les érreurs ; il fe rappelle qu'il eſt
homme , & que par la corruption de
fa nature, il n'eft point inacceffible aux
foibleffes de l'humanité. La douceur de
fon caractère, la candeur de fes moeurs,
cette fage défiance de lui-même , cette
réferve fcrupuleufe font pour fes fières
un motif de confolation , de joie , &
d'inftruction .
La jufteffe & la folidité de l'efprit
font également le partage du vrai Philofophe.
Les objets qui nous environ
nent , intéreffent plus ou moins l'home
me fpéculatif : l'homme vrai & judicieux
ne fe laiffe frapper qu'avec raifon
; il ne voit jamais par les yeux de
la prévention ; examinateur fcrupuleux
il épure les chofes dans le creufet du bon
fens , & lorfqu'il eft convaincu qu'elles
font exemptes d'alliage & d'infidélité , il
prononce avec cette fermeté de courage
qu'infpire la certitude. Il n'a lieu ni de
craindre , ni de fe repentir ; les fages précautions
qu'il a prifes , les recherches
exactes qu'il a faites , les lumières qu'il a
confultées , le mettent à l'abri de toute
erreur.
A cet efprit jufte & folide je n'oppoferai
point une forte d'efprit de frivolité ;
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
un efprit leger & volage qui comme lë
papillon voltige d'objets en objets fans
jamais fixer fon inconftance ; un efprit
d'Ergotifme qui ne fe plaît que dans la
difpute & foutient avec le même enthoufiafme
le vrai & le faux ; un efprit
de paradoxe qui fe fingularife par une
façon de penfer extraordinaire & qui ne
peut être propre qu'à lui ; un efprit de
perfifflage qui toujours monté fur des
échaffes , toujours guindé , fe laiffe
éblouir de tout ce qu'il voit : les moindres
objets fe métamorphofent dans fon
imagination extravagante , en images
gigantefques : c'eft un affemblage confus
d'idées neuves , bizarres & burlefques
, des traits de lumière avec d'épaiffes
tenébres , des écarts de génie &
de raifon. Il n'eft point furpris , mais
il eft pétrifié ; il n'eft point fâché , mais
défefperé ; il n'eft point fatigué , mais
excédé ; il n'aime point avec paffion ,
mais avec fureur ; on n'eft point aimable
, mais adorable : en un mot le langage
du bel- efprit à la mode , fon maintien
, fes attitudes , fes démarches , fes
actions font des mouvemens convulfifs
qui demandent un reméde prompt
& néceffaire , l'inoculation du bon fens.
Le Philofophe ami du vrai , fçait facrifier
l'efprit à ſon devoir. Son eſprit
AVRIL. 1763. 57
lui préfente une faillie qui peut bleffer l'amitié
ou flétrir la réputation; il l'étouffe ,
il la rejette généreufement , perfuadé que
cette fureur de l'efprit n'eft que frivolité
; frivolité fouvent très- dangereufe !
L'efprit folide n'eft donc autre chofe
que le bon efprit . Son étude eft la recherche
de la vérité ; fes productions
ne refpirent que l'amour du bien public
, le bonheur de fes femblables .
l'agrément & la joie de la Société.
Le Philofophe eft également vrai
dans fes paroles . Le Grand Corneille
en nous tranfmettant dans fa Comédie
du Menteur cette belle maxime de
Phédre : Mendaci ne verum quidem di
centi creditur ; nous fait fentir combien
la Vérité perd , lorfqu'elle paffe par une
bouche impure .
Quand un Menteur la dit ,
En paffant par fa bouche elle perd fon crédit .
Le vrai Sage n'ouvre la bouche que
pour rendre témoignage à la Vérité. Fidéle
dans fes promeffes , vrai dans fes
paroles , la lâche crainte , la baffe flaterie,
le refpect humain ne peuvent étouf
fer la Vérité dans fa bouche , qui en
eft l'organe pur & refpectable.
Cy
$538 MERCURE DE FRANCE.
En toute occafion la Vérité m'enchante ;
Et je l'aime encor mieux fière & déföbligeante
Qu'un menfonge flateur dont le miel empefté
Par un coeur délicat eſt toujours déteſté.
DESTOUCHES.
耙
La Vérité , dit M. de la Rochefou
cault , eft l'aliment des efprits ; elle fait
plus que les nourrir , elle les échauffe ,
elle eft le premier moteur de leur activité
; elle eft le rayon du Soleil , qui
n'étant que lumière & que feu par fa
nature , développe & met en mouvement
les germes renfermés dans notre
âme fur laquelle il agit.
Le menfonge eft une apoftafie du
coeur & de l'efprit. Celui qui fe déshonore
par le menfonge , renonce authentiquement
au titre d'honnête homme ; il
viole les loix les plus facrées , il infulte
au genre humain , fe couvre d'opprobre
, & devient l'objet de la déteftation
publique. La naiffance ne donne point
le privilége de cotoyer à fon gré la Vérité
; le bel- efprit celui d'avancer certaines
anecdotes médifantes ou fuppofées
, fous prétexte d'amufer la Société.
La valeur n'apprendpoint la fourbe à ſon Ecole.
Tout homme de courage eft homme de parole ;
AVRIL. 1763: 59
A des vices fi bas il ne peut confentir ;
Et fuit plus que la mort la honte de mentir.
Mais laiffe-moi parler , toi de qui l'impoſture
Souille honteuſement le don de la Nature :
Qui fe dit Gentilhomme & ment comme tu fais
Il ment , quand il le dit , & ne le fut jamais.
Eft- il vice plus bas ? Eft-il tache plus noire ?
Plus indigne d'un homme élevé pour la gloire ?
Eft-il quelque foibleſſe , eſt-il quelqu'action
Dont un coeur vraiment noble ait plus d'averfion?
P. CORNEILLE.
Le fordide intérêt , ce motif fi bas ,
pouroit-il fermer la bouche à l'honnête
homme? lui feroit-il trahir la caufe de
la Vérité ? Son honneur lui eft plus cher
que toutes les fortunes du monde . Un
appas fi humiliant eft indigne de lui.
Trop grand , trop vrai , trop généreux ,
il eft à l'abri de la féduction , Des moyens
fi déshonorans , des motifs fi vils & fi
bas font le partage des âmes mercenaires
qui font trafic de leur fentimens ; le
menfonge & la fourberie font pour
elles une reffource de fubfiftance & une
forte de bien -être.
Le respect humain eft un vain prétexte
pour cacher aux autres la vérité . La
crainte de déplaire eft un motif injufte
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
qui n'excitera jamais l'homme de bien
à la trahir ; & le filence de la flaterie
n'eft pas moins condamnable que fon
langage. La complaifance en pareil cas
n'eft infpirée que par l'amour de foimême
: c'est beaucoup moins chercher
ce qui eft vertueux & honnête , que ce
qui eft agréable & utile.
Loin d'ici ces précautions d'une fauffe
prudence , ces ménagemens cruels fi
préjudiciables au bien de la Société. Les
Rois , les Grands de la Tèrre ont encore
plus befoin que le commun des hommes
d'entendre la vérité. Plus ils font élevés
, plus ils ont d'orages à craindre ,
de tempêtes à redouter. L'homme vrai
le Philofophe vertueux eft le feul
Pilote auquel on doit avoir recours. Lui
feul peutfürement diriger notre courſe ,
& nous conduire heureuſement au port.
DAGUES DE CLAIRFONTAINE.
La fuite au Mercure prochain.
AVRIL. 17631 fr
'A M. l'Abbé DE VOISENON ,
de l'Académie Françoife.
DOCTEUR charmant dans l'art de plaire ,
Aimable éléve de l'Amour
Et le favori de ſa mère ,
Le Dieu des Arts vient en ce jour .
De vous ouvrir fon fanctuaire :
Sur vos pas au facré vallon
Ónt marché les Grâces légères;
Vous fuccédez à Crébillon
Quoique différens dans leur ton
Chez nous tous les talens font frères.
On l'a vu fous des traits nouveaux
Rendre fon luftre à Melpomène ,
Suivre les maîtres fur la fcène
Et comme eux refter fans égaux.
Le rideau s'ouvre , on voit la Haine
Secouer les fombres flambeaux ;
Les mânes quittent leur tombeaux ,
Et les Dieux leur féjour fuprême.
Le Spectateur pleure & frémir ;
Tout tremble , la critique même
Ferme les yeux , & l'applaudit.
Sous une plus riante image.
Vous nous préfentez le Plaifir :
L'Amour rit au fond d'un boccage ;
62 MERCURE DE FRANCE.
Les Ris , les Jeux & le zéphir
Folâtrent fous le verd feuillage ;.
Climène écoute vos chanfons ;
L'Amour dans vos vers l'intéreffe ;
Souvent elle interrompt vos fons
Pour fe livrer à fon ivreffe.
Crébillon plaît en éffrayant 3
Vous nous charmez par l'agréable :
Je ne fçais pas s'il eft plus grand ,
Mais je fçais qu'il eft moins aimable .
Par M. L. M. de V....
VERS faits pour une Eftampe du
Médaillon de Mgr le Prince DE
CONDÉ , envoyée chez plufieurs
Dames.
Soir qu'il combatte on qu'il ſoupire ,
Il eſt également heureux :
Le Sort s'empreffe à lui fourire ,
Le Plaifir à combler fes voeux.
1
Sa voix foumet les plus cruelles ,
La Gloire fuit fes étendarts :
Il est l'Amour auprès des Belles ,
Dans fon camp il eft le Dieu Mars.
Par l'Auteur des Versprécédens.
AVRIL. 1763. 63
RÉPONSE de Madame BL. à une
déclaration d'amour.
En vain tu me peins ta tendreffe :
Non , cette image enchantereffe
Sur moi ne prend aucun pouvoir.
Mon coeur content , mon coeur paiſible ,
Eft heureux au fein du devoir.
Imite-moi , s'il eft poffible.
B. a P ....
VERS fur le Maufolée que S. M. a ordonné
d'ériger à feu M. DE CRÉ-
BILLON dans l'Eglife de S. Gervais.
EMULE & digne Succeffeur
Des Racines & des Corneilles ,
Qui , d'un genre nouveau devenu Créateur ,
Sçus r'élever à la hauteur
De leurs plus fublimes merveilles ,
Sans être leur Imitateur :
Du fombre défefpoir , de la pâle terreur
Sûr Oracle , fièr interpréte >
Dont la mâle éloquence & la noble chaleur ,
En charmant nos efprits les pénétrent d'horreur :
64 MERCURE DE FRANCE .
Auffi bon Citoyen que célébre Poëte ,
Dont la Société regrette
Le caractère égal & l'aimable douceur ;
Sage Ecrivain , Docte Cenfeur ,
CRÉBILLON , que ton fort devient digne d'en
vie !
Tandis que couverte de deuil ,
Melpomène, des Dieux du Théâtre fuivie ,
C De larmes baigne ton cercueil ; 1
Louis d'un feul regard te rappelle à la vie.
Ce bienfaifant Monarque, en éffuyant les pleurs
De Melpomène déſolée ,
Par la plus rare des faveurs
Te fait dreffer lui- même un riche Mauſolée .
La Sageffe fourit à ce noble projet ;
La Patrie applaudit ; tout le Parnaſſe ad nire ;
Le faux zéle pâlit & murmure en fecret ;
L'envie en frémiſſant ſoupire ,
Et n'admire qu'à regret
L'éclat du Bienfaiteur , & celui du Bienfait.
Par M, l'Abbé DANGERVILLE ;
A CLIMENE
**** . qui avoit demandé
des Vers à l'Auteur.
Our , je ferai pour vous des Vers ;
Oui , je prétens faire connaître
AVRIL. 1763: 65
Aux quatre coins de l'Univers ;
Que les feux que vous faites naître ,
De leurs langeurs , de leurs tourmens
Font chaque jour expirer mille Amans.
Je parlerai de vos mains adorables ,
De votre bouche , de vos yeux ,
Que l'on peut dire inimitables ,
Et dignes de charmer les Mortels & les Dieur.
Certain point cependant me retient & me gêne ,
Me force à réfléchir fur ce que je promets
C'eft (vous le dirai - je , Climene ? )
C'eft que j'ai fait ferment ... de ne mentir jamais.
Par M. D. L ....
LE
,
mot de la premiere Enigme du
premier vol. du Mercure d'Avril eft
Fourreau d'Epée. Celui de la feconde eft
Rien. Celui du premier Logogryphe
eft Ecolier , où l'on trouve Roc , or ,
Ecole , Ciel , Roi , Eloi , Loire oie
Elie , re , colier , oeil , lire > cor. Celui
du fecond eft Orgue , dans lequel on
trouve or , ego , or , (adverbe) grue, nue.
Celui du troifiéme eſt Noël , dont l'inverfion
eft Léon. Il y a eu des Saints ,
des Rois , des Papes & des Empereurs
du nom de Léon.
66 MERCURE DE FRANCE.
MON
ENIGM E.
ON Etre eft très-particulier ,
J'ai les deux fexes en partage ;
Mais ce qui rend mon fort encor plus fingulier ;
C'eft d'en changer , en changeant d'âge.
Je fais du genre mafculin ,
Pendant que dure ma jeuneffe ;
Mais je deviens du féminin
Aux approches de la vieilleffe..
Mon fexe dépend des Humains ;
Tantôt mâle , tantôr fémelle ,
Je reçois mon fort de leurs mains
Sans leur être jamais rebelle.
Lorfque , coupés en deux , mes membres font
épars ,
Chacun d'eux montre un mâle au goût de tout
le monde ;
Mais s'ils reftent unis , ils n'offrent aux regards
Q'u'une femelle route ronde.
Par M. D. V........
AVRIL. 1763 . 67
J
AUTRE.
E fuis nuit & jour fur pieds , toujours
prêt à être utile . Je travaille pour
les pauvres & pour les riches ; & je fuis
eftimé des grands & des petits ; je fais
bien des tours , fans avancer d'un pas ;
& quand j'irois toute l'année fans marrêter
, je me trouverois toujours à ma
place. Je fuis d'une grandeur affez confidérable
, & mes appartemens font
proportionnés à ma grandeur. Je reçois
beaucoup de vifites & je n'en rends aucune.
Bien différent des hommes dont
la tête commande le corps , c'eft ma
queue qui commande ma tête & la met
en état de bien remplir fon devoir.
LOGOG RY PH E.
Au Luxe je dois l'éxiſtence ;
Auſſi jamais ne me vit- on
De ceux qui font dans l'indigence
Habiter la trifte maiſon.
Pour me faire paroître avec bien plus de grace ,
Dans un haut rang avec foin l'on me place ;
Mon frère plus petit que moi̟ ,
68 MERCURE DE FRANCE.
N'a pas un fi brillant emploi >
Car on le foule aux pieds , & dans cette poſture
Heft ſouvent couvert de pouffiere & d'ordure.
Cependant nous vivons de fi bonne amitié ,
Qu'en nous défuniffant je péris de moitié ;
Et mon plus grand chagrin d'être ainfi divifée ,
Eft que dans cet état on me tourne en rifée .
Remets-nous enſemble , Lecteur ,
Et change moitié de mon être
Tu me verras fouvent paroître ;
Sur la boutique du Traiteur.-
Par Mlle DU VERGER , d'Angers«
J.
AUTR E.
E peins une fleur du jeune âge ,
Que l'on n'a plus après quinze ans ,
A moins que l'on ne foit bien fage.
On dit que chez nos vieux parens ,
On la portoit dans le ménage ;
Mais par malheur dep is longtemps
Nous avons banni cet ufage.
En voyant ce tableau , ce tableau , Lecteur ,
Vous croyez déja , je le gage ,
Trouver le nom de cette fleur
Et dans le fond de votre coeur ,
Vous croyez qu'elle rime en áge?
AVRIL. 1763. 6g
་
Ainfi dans ce fiécle volage and
L'efprit de la légéreté 4 Nuo sit
Sait tourner tout en badinage ,
Et l'on préfére ce langage
A celui de la Vérité.
Mon cher Lecteur , foyez plus fage ;
Et loin de la frivolité ,
Cherchez l'objet de mon ouvrage .
Neuf lettres compofent fon nom.
On trouve en en faiſant uſage ,
Une nymphe qui de Junon
Autre fois brouilla le ménage ,
Et lui fit faire un grand tapage
Ce que fait toujours un fripon .,
Si ce n'eft à la queſtion ,
A moins qu'il n'ait bien du courage ;
Le nom qu'on donne à ce beau jour ,
Qui devroit couronner l'Amour ,
Et fixer les Amans volages ;
Un mot qu'on voudroit avoir dit ,
Dans bien des honnêtes ménages
Où de bon coeur on fe maudit ;
Une fille du dernier âge ,
De qui les attraits , les talens ,
L'efprit & le libertinage
Charmoit tour - à-tour les Savans
Les Voluptueux & les Sages ;
Un Seigneur qui fait les meffages
70 MERCURE DE FRANCE,
D'un Prince qui bénit les gens ;
Une fille en faint équipage ,
Qui ſouvent malgré ſes vertus
Voudroit bien craindre le veuvage ;
Un vieux mot que l'on ne dit plus ;
Une ville fur le rivage
De la ...... mais il me faut ceffer :
Je cráins , Lecteur , de vous laſſer
Par la longueur de cet ouvrage ,
Où je peins en foible langage ,
Un Sujet facile à trouver.
Chaque homme l'a dans ſon jeune âge ;
Heureux qui peut le conſerver !
Par M. BRONDEX.
COUPLETS
DANS
A mettre en chant.
ANS ces bois où le fort m'amène ,
Sous ces ombrages frais ,
Tout me parle de l'inhumaine
Dont la beauté m'enchaîne ,
Tout m'en offre les traits.
Ce matin , en voyant éclore
Les rayons du Soleil ,
Je difois : ô riante Aurore ,
AVRIL. 1763. 71
De celle que j'adore
Tu me peins le réveil !
Tu charmes en vain ce boccage,
Roffignol enchanteur ;
Tu ne fçaurois dans ton ramage,
Dé fon brillant langage
Egaler lá douceur.
Il fort de fa bouche vermeille
Un miel plus précieux
Que ne l'eft celui de l'abeille ;
Elle charme l'oreille
Auffi bien que les
yeux.
Son efprit , fa raiſon égale
Ses appas féducteurs.
Outre la beauté qu'elle étale ,
Ainfi la rofe exhale
Les plus douces odeurs.
Hélas ! que cette fleur cruelle
Dont on craint d'approcher ,
Nous peint fidélement ma belle !
On foupire pour elle,
Et l'on n'ofe y toucher.
Viens fléchir fon coeur intraitable ,
Amour puis- je eſpérer :
72 MERCURE DE FRANCE.
Que tu la rende un jour capable
Du fentiment aimable
Qu'elle fçait inſpirer ?
Près de fa compagne charmante
Un jeune Tourtereau ,
(
Brulé du feu qui me tourmente ,
De fa voix gémiffante
Attriftoit ce coteau.
J'ai vu la farouche maîtreſſe
Méprifer les foupirs.
Touchée enfin de fa tendreffe
Voilà qu'elle s'empreſſe
De combler fes defirs.
Par cette agréable avanture
Mon fort femble éclairci.
Faut- il en accepter l'augure ?
Et les maux que j'endure
Finiront-ils ainfi ?
Oui , je fléchirai ma Bergère ;
Mes maux n'auront qu'un temps.
Quand l'hyver nous a fait la guerre,
Il laiffe en paix la Tèrre ,
Et fait place au Printemps.
Par M. GERMAIN DE CRAIN.
ARTICLE
AVRIL. 1763 . 73
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE de M. lePréſident HÉN AULT,
au fujet de la Differtation de M. de
SAINT-FOIX , fur la Statue Equeftre
qui eft à Notre- Dame de Paris.
J
Paris , 16 Février 1763 .
AI reçu hier , Monfieur , par la Petite
Pofte , un Paquet timbré B. avec la date
du mois ; je l'ouvris en préfence des
perfonnes qui me faifoient l'honneur de
dîner chez moi. J'y trouvai avec furpriſe
& reconnoiffance ,une réponse à l'article
de votre Mercure , où M. de Saint-foix
combat ce que j'ai avancé au fujet de
la Statue équestre de Philippe-le -Bel. Ce
n'avoit pas été fans précautions , que
j'avois pris un parti fur une queftion
que je fçais qui a été agitée plufieurs
fois ; & je me ferois fait un plaifir de répondre
à M. de Saint-foix qui a mérité
l'eftime publique , s'il m'avoit fait l'honneur
de s'adreffer à moi-même ; mais
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE .
comme il a pris un autre parti , j'ai cru
devoir éviter une querelle littéraire , &
je m'en fuis rapporté au jugement des
Lecteurs de cette Lettre . Ce n'eft donc
point moi qui parle aujourd'hui , c'eſt
un Anonyme qui joint à la générofité
de me défendre un incognito dont je
me plains à lui-même , puifqu'il me
met dans l'impoffibilité de lui témoigner
ma reconnoiffance : fa differtation
m'a paru fi bien faite , que je n'ai pas
héfité , Monfieur , à avoir l'honneur
de vous l'envoyer. C'eft peut- être le
moyen d'arracher le fecret de mon protecteur
; & je le prie avec d'autant plus
d'inftances de fe déclarer , qu'il me
garentira du foupçon , qui eft quelquefois
affez fondé d'avoir emprunté cette
forme pour me cacher moi- même.
J'ai l'honneur d'être , & c.
HENAULT.
LETTRE de l'Anonyme à M. le Préftdent
HENAULT.
MONSIEUR ,
Vous aurez , fans doute , lû dans le
Mercure de Janvier , premier Vol .pag.
73 , une petite differtation où M. de
Saint-Foix prétend que vous avez eu
tort de croire que la Statue Equeftre qui
eft dans l'Eglife de N. D. eft celle de
AVRIL. 1763. 75
par
Philippe le Bel : mais je prens la liberté
de vous confiller de ne pas vous preffer
de chanter la palinodie. Vous trouverez
de quoi appuyer le fentiment que
vous avez embraffé dans une difcuffion
bien faite que vous lirez dans un voyage
à Munfter , écrit le célébre Claude
Joly mort en 1700 , grand Chantre &
Official de l'Eglife de Paris. Ce voyage
a été imprimé à Paris en 1670 in- 12 .
L'Auteur recommandable par fon érudition
& par fa piété , qui nous a donné
un grand nombre de bons ouvrages ,
avoit été en 1646 à la fuite de Madame
de Longueville à Munſter où fon mari
travailloit alors au Traité de Weftphalie .
A fon retour , M. Joly fit une relation
des lieux par où il avoit paffé &
de ce qu'il y avoit remarqué de curieux .
C'eſt à l'occafion de Bouvines où Philippe
Augufte a remporté une victoire
par l'interceffion de la Vierge , qu'il
parle des batailles de Mons en Puelle
& de Caffel où Philippe le Bel &
Philippe de Valois remporterent auffi ,
par la même interceffion , la victoire
fur les Flamands. M. Joly y difcute
très-au long la queftion de la Statue
Equeftre de l'Eglife de Notre-Dame de
Paris ; il le fait d'une maniere fenfée &
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
folide , comme un homme qui n'eft
point paffionné pour un fentiment ,
plutôt que pour un autre ; mais enfin
il conclud à regarder la Statue Equeſtre
comme étant de Philippe le Bel. Si vous
joignez à la lecture de la differtation
de M. Joly , trois lettres de M. Jouet
Chanoine de Chartres & ami de M.
Joly , qui à fa priere avoit fait des
recherches dans les Archives de fon
Chapitre , pour éclaircir ce trait d'hiftoire
,
, je fuis perfuadé que vous ne
fongerez pas à vous retracter , parce
que vous verrez que la differtation de
M. de Saint - Foix n'eft rien moins
qu'une démonftration de ce qu'il avance
d'après plufieurs de nos Auteurs . Ces
lettres de M. Jouet font imprimées à
la fin du voyage de Munfter. Je n'entrerai
point dans le détail de ce que
contiennent ces écrits , où l'on trouve
par avance la réponſe aux objections
qu'on vous fait , même à celles des
leçons de l'ancien Breviaire de Paris .
Il faudroit tranfcrire prefque toute la
differtation de M. Joly , ainfi que les
lettres de M. Jouet ; il vaut mieux que
vous ayez le plaifir de les lire vousmême.
Ce qui vous divertira , peutêtre
, eft la façon différente dont M. Joly
AVRIL. 1763 . 77
a lu les autorités qu'on vous objecte
je veux dire les grandes Chroniques
de France & le Continuateur de Nangis.
Car M. de Saint- Foix lit dans les
Chroniques qu'il cite , que , ce fut dans
l'Eglife de NOTRE-DAME DE PARIS
que Philippe de Valois entra monté fur
fon deftrier. Et M. Joly dit que dans
le manufcrit authentique qu'il avoit de
ces Chroniques , on lifoit expreffément
que Philippe de Valois après avoir remis
l'Oriflambe fur l'Autel de Saint
Denis , s'en alla à NOTRE-DAME
DE CHARTRES , & quand il fut là ,
il fe arma des armes qu'il avoit portées
en la bataille des Flamands , puis
monta fur un deftrier & ainfi entra en
Eglife très - devotement. Il en eſt de
même du Continuateur de Nangis.
M. de Saint- Foix lit Rex verò ( Philippus
Valefius ) .... Pofteà IVIT
PARISIOS & Ecclefiam Beatæ Mariæ
ingreffus , &c. Mais M. Joly d'après
un manufcrit de S. Germain des Prés
lit Pofteà INIIT CARNOTUM &
Ecclefiam Beata Maria ingreffus. Et
c'eſt en effet ainfi qu'on lit dans les
deux Editions in -4" . & in-fol. du
Spécilége où eft le Continuateur de
Nangis ; on n'y trouve point Ivit Pa-
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
rifios , mais Ivit Camotum . Delà , Monfieur
, il faut conclure que M. de Saint-
Foix a lu dans les mêmes ouvrages
autrement que M. Joly , ce qui prouveroit
qu'il y a des variantes dans les
manufcrits . Mais l'on n'en peut rien
conclure contre votre fentiment , juf
qu'à ce qu'on ait fait voir quelle eft la
véritable leçon à laquelle on doit s'en
tenir. Je fuis perfuadé que fi M. de
Saint- Foix avoit lu la differtation de
M. Joly , il eft trop galant homme pour
avoir voulu faire defcendre fi malhonnêtement
notre grand Roi Philippe le
Bel de deffus fon cheval , & exiger que
Meffieurs du Chapitre de Notre- Dame
de Paris changent l'infcription qu'ils
ont fait mettre à la Statue Equeftre ;
ce qu'ils ne feront affurément pas , parce
qu'ils ont vu l'ouvrage de leur ancien
Confrere.
J'ai cru , Monfieur , que , quoique
vous ayez beaucoup lu , vous pouviez
ignorer la differtation de M. Joly qu'on
ne s'aviferoit pas d'aller chercher dans
un voyage à Munſter. Vous me permettrez
de ne point mettre mon nom
à ces réflexions qui n'en valent pas la
peine , outre que le nom ne fait rien
à la chofe ; mais elles font d'un de vos.
AVRIL. 1763. 19
ferviteurs qui a l'honneur de vous être ,
depuis long - tems , très-refpectueufement
dévoué .
RÉPONSE de M. de SAINT - FOIX.
F'ignorois qu'on avoit mis une nou
velle infcription au - deffous de la Statue
Equeftre qui eft à Notre - Dame ; il n'y
a qu'un an que je l'appris par une Brochure
où l'on me reprenoit aigrement
fur ce que j'avois dit , dans mes Effais
Hiftoriques , que cette Statue repréfentoit
Philippe de Valois . L'Auteur de
cette Brochure , pénétré d'admiration
pour M. le Préfident Henault , ne joignoit
pas à ce mérite celui d'être poli ;
ainfi je n'ai jamais pensé à lui répondre ;
mais en faifant des corrections & des
additions à mes Effais Hiftoriques , j'ai
voulu voirfi je m'étois trompé au fujet de
cette Statue ; ma differtation a paru dans
le premier Volume du Mercure de Janvier
dernier ; voici un nouvel Anonyme
qui m'attaque ; il mêle à l'érudition
le fel de la fine plaifanterie , & je ne
doute point que les perfonnes qui dînoient
chez M. le Préfident Henault
n'ayent bien ri lorfqu'il dit qu'il me croit
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
trop galant homme pour vouloir faire
defcendre fi malhonnêtement notre grand
Roi Philippe le Bel de deffus fon cheval.
Je ne connoiffois point le Voyage de
Munfter, je l'ai cherché , je l'ai trouvé ,
je l'ai lu , & je protefte que j'aurois
fouhaité de pouvoir dire que je m'étois
trompé ; ma pareffe en eût été flattée
; mais les raifonnemens de Claude
Joly n'ont fervi qu'à me confirmer dans
le fentiment que j'avois embraffé. Il
faut néceffairement rappeller l'état de la
queſtion , & l'on peut compter que je
vais l'expofer avec une entiere impartialité.
9 :
Philippe le Bel, en reconnoiffance
de la victoire qu'il avoit remportée fur
les Flamands à Mons en Puelle le 18
Août 1304 , fit des fondations à Notre-
Dame de Paris , à Notre - Dame de
Chartres & dans d'autres Eglifes ; mais ,
ni dans ces actes de fondation , ni dans
aucun ancien Breyiaire , ni dans aucun
Hiftorien comtemporain , il n'eft dit
qu'il foit entré à cheval dans l'Eglife de
Notre-Dame de Paris , & qu'il y ait
fait à la Vierge l'offrande de fes armes
& de fon cheval. D'ailleurs , il n'y en a
& il n'y en a jamais eu aucunes preuves
dans les Papiers , Cartulaires , Nécrologe
& Archives de Notre-Dame.
AVRIL. 1763.
81
P
*
Après avoir parlé de la victoire que
Philippe de Valois remporta à Caffel
fur les Flamands le 23 Août 1328 ,
différens manufcrits des grandes Chroniques
de S. Denis , & toutes les anciennes
Editions de ces Chroniques ,
difent , que Philippe de Valois vint à
Saint Denis , & lui rendit fur fon Autel
l'oriflame qu'il avoit pris quand ilpartit
pour aller contre les Flamands , & puis
s'en alla à Notre- Dame de Paris , &
quand il fut là , fe fit armer des armes
qu'il avoit portées dans la bataille contre
les Flamands , & puis monta fur
fon deftrier , & ainfi entra dans l'Eglife
de Notre - Dame , & très- devotement la
remercia , & luipréfenta le cheval fur lequel
il étoit monté & toutes fes armures.
Quelle peut donc être la difcuffion
demandera- t'on ? La voici : on dit que
dans différens manufcrits des grandes
Chroniques de Saint Denis , s'il y a que
Philippe de Valois alla à Notre- Dame
de Paris & y entra monté fur fon def
trier, &c. il y a dans d'autres manufcrits
de ces mêmes Chroniques , qu'il alla à
Notre-Dame de Chartres , & y entra
monté furfon deftrier , &c . & on ajoute
que dans le Continuateur de Nangis
* Edition de 1493 , de 1517 , & autres.
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
on peut lire également iniit Parifios
ou iniit Carnotum , parce que Parifios
ou Carnotum font variantes ; & on con
clut de là que Philippe de Valois n'étant
point entré à cheval dans l'Eglife
de Paris , mais dans celle de Chartres
ce n'eft point fa Statue qu'on voit dans
l'Eglife de Paris , mais celle de Philippe
le Bel
Les grandes Chroniques de Saint
Denis , après avoir parlé fort au long
de la bataille de Mons en Puelle , difent
fimplement que Philippe le Bel revint
à Paris environ la Saint Denis à grande
joye ineftimable. Le Continuateur de
Guillaume de Nangis , après avoir parlé
des fondations que ce Prince fit dans
quelques Eglifes & dans celle de Paris
en reconnoiffance de fa victoire , ne dit
pas un mot de fa cavalcade dans cette
Eglife . Eft- il naturel que ces Hiftoriens
n'en euffent pas parlé à l'article de ce
Prince & de fes fondations ? Eft-il naturel
que dans la fuite , lorfqu'ils difent que
Philippe de Valois entra à cheval dans
l'Eglife de Paris , où , fi l'on veut , de
Chartres , ils n'euffent pas ajouté , comme
Philippe le Bel avoit fait après fa
victoire de Mons en Puelle ? Cette ob-.
jection n'eſt - elle pas convaincante 2
AVRIL 1763. 83
Ne faudroit- il pas , pour la combattre ,
préfenter quelque titre authentique où
fut porté que Philippe le Bel entra
dans l'Eglife de Paris à cheval ; or , ni
Claude Joly , ni autres n'en produifent
& n'en ont jamais produit aucun ; au
lieu que dans un manufcrit qui, paroît
être de 1360 , cotté H , numéro 22 ,
& faifant partie des manufcrits que le
Chapitre de Notre Dame a donnés au
Roi , il eft dit que Philippe de Valois ,
après la bataille de Caffel , l'an 1328
entra tout armé fur fon deftrier dans
L'Eglife de Notre- Dame de Paris ...
& que fa repréfentation eft affife fur
deux pilliers devant l'image de ladite
Dame , en la Nefde ladite Eglife.
-
Examinons à préfent la Lettre de Clau
de Joly. Paul Emile , dit-il , attribue la
Statue en queftion à Philippe le Bel ; &
Paul Emile étant Chanoine de Notre-
Dame de Paris il est vraisemblable
qu'il n'auroit pas attribué à ce . Prince
une action fi publique & fi folemnelle ,
s'il n'en eût été bien affuré, ou par
quelqu'écrit authentique. Qu par une :
tradition qui étoit alors tenue pour conftante
& certaine parmi fes Confreres.
Réponse. Sous le regne de Henri II
à côté de cette Statue , on mit des vers
9
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
& une infcription qui y a fubfifté plus
de cent ans , & par laquelle on difoit
que c'étoit la Statue de Philippe de Valois
; la plupart des Chanoines dont
Paul Emile avoit été Confrère , étoient
encore vivans ; eft- il naturel qu'ils ne
fe fuffent pas oppofés à cette infcription ,
& qu'ils l'euffent approuvée , fi elle
avoit été contraire à ce qui étoit porté
dans leurs Archives ?
C'eft fur le témoignage de Nicole
Gilles , dit Claude Joly , que quand on
a commencé de mettre dans les Breviaires
de Paris les Leçons qui font mention de
cette victoire , on a attribué à Philippe
de Valois , non-feulement l'entrée à cheval
dans l'Eglife de Paris , mais auffi
la victoire & la fondation de la fête de
l'année 1304 , quoiqu'il ne fut Roi que
vingt-quatre ans après.
,
Réponse. Dans plufieurs manufcrits
des grandes Chroniques de Saint Denis
bien antérieurs à Nicole Gilles &
dans toutes les anciennes Editions de
ces Chroniques , il eft dit que Philippe
de Valois entra à cheval dans la Cathédrale
de Paris ; c'eft fur ces autorités
que dans les Breviaires on a attribué
cette action folemnelle à ce Prince ;
Claude Joly ne l'ignoroit pas , & il a
AVRIL. 1763. 84
donc tort de dire qu'on ne s'eft fondé
que fur le témoignage de Nicole Gilles.
D'ailleurs , les Breviaires ne confondent
ni les deux Rois , ni les deux victoires ;
il y eft dit , in Ecclefia Parifienfi , propter
commemorationem victoria Philippi
Pulchri , fit duplum ; & après des
Leçons & verfets fur la Vierge , il eft
dit auffi , Philippus Valefius , cum infignem
victoriam de rebellibus Flandris
obtinuiffet , quæ contigit anno 1328 , &c.
Voilà les deux victoires & les deux Rois
bien diftingués ; Philippe le Bel avoit
fait une fondation ; Philippe de Valois
avoit fait une offrande qu'il racheta
par une fomme confidérable , comme
je le prouverai dans la fuite ; d'ailleurs
il avoit fait élever un monument de fa
victoire & de fa reconnoiffance envers
la Vierge ; l'Eglife de Paris faifoit commémoration
de ces deux batailles mémorables
, gagnées l'une & l'autre pendant
l'octave de l'Affomption .
Claude Joli dit qu'il eft encore bon d'obferver
qu'on n'a point mis dans les breviaires
de Paris aucune leçontouchant cela,
avant l'édition de 1584 ; car , ajoutet-
il , il n'y en a aucun qui en parle dans
ceux d'auparavant , de 1479 & 1492.
Réponse. L'Hiftoire de Paul Emile fut
86 MERCURE DE FRANCE.
il
imprimée en 1544 quarante après , eny
1584 , lorfque le Chapitre de Notre
Dame jugea apropos de mettre dans les
breviaires les leçons en queftion , n'eſtpas
vrai femblable qu'il auroit adopté
L'opinion de Paul Emile fon confrère
s'il n'avoit vû dans fes archives qu'elle
n'étoit foutenable. J'ajouterai que
dans ce temps là , il paroiffoit chaque
jour quelque écrit qui traitoit des anciens
droits de nos Rois fur la Flandres
pas
& que même les Provinces unies , cette
même année 1584, avoient offert à Henri
III de fe mettre fous fa domination ;
peut- être que le Chapitre de notre Dame
, attendu ces circonftances , jugea a
propos de joindre a la commémoration
de la victoire de Philippe le Bel , celle
de la victoire de Philippe de Valois ;
on inféroit dans ce temps là , dans les
breviaires & rituels , des prieres & des .
leçons bien moins convenables..
Claude Joli dit que M. de Sponde
Evêque de pamiers , pretend que ceux
qui ont atribué la ftatue en queftion a
Philippe Lebel, ont été refutezpar plufieursperfonnes
, & même par les anciens
Cartulaires de l'Eglife de Paris dont ils
n'avoient pas vu les Archives
ajoute Claude Joli , de quelles Archives
mais
AVRIL 1763.
87
M. de Sponde veut-il parler , puifqu'il
n'y en a point d'autres que la fondation
de Philippe le Bel & les vieux breviaires .
de cette Eglife , qui portent tous le nom
de Philippe le Belfans parler en aucune
façon de Philippe de Valois , lefquelles
Archives Paul Emile avoit pû voir , mais
que certainement Nicole Gilles ni ceuxdefon
opinion n'avoient pas vues , puifque
ce qu'il en écrit leur eft tout contraire.
Reponse , Loin de nous produire quelque
Piéce authentique , dans laquelle il
foit dit que Philippe le Bel entra à cheval
dans l'Eglife de notre Dame , & que
c'eft fa ftatue qu'on y voit , Claude Joli
convient que Paul Emile n'en a point eu
d'autres preuves , & qu'il n'y en a point
d'autres , que la fondation d'une rente
de cent livres,faite par ce Prince , & que.
ce qui eft porté dans les vieux breviaires
; Or, de l'aveu même de Claude Joli,
il n'en eft pas dit un mot dans l'acte de
fondation de cette rente ; & les vieux.
Breviaires difent uniquement , in Ecclefia
Parifienfi , propter commemorationem»
victoria Philippi pulchri , fit duplum.
Le pere Texera & M. de Sponde , qui
avoient eu communication des Archives
de Notre Dame , comme en convient
Claude Joli, ont-ils eu tort de rejetter
88 MERCURE DE FRANCE .
de pareilles preuves ? n'eft-il pas fingu
lier de dire que fi Nicole Gilles les avoit
vues , elles lui auroient fait changer d'opinion
? d'ailleurs M. de Sponde dit que
ceux qui attribuent la ftatue en queftion
à Philippe le Bel, font refutezpar d'anciens
. Cartulaires de l'Eglife de Paris ;
dira-ton que ces anciens Cartulaires
n'ont jamais exifté , & que M. de Sponde
n'en a point vûs ?
Des Prêtres de l'Oratoire ont continué
l'hiftoire particuliere de l'Eglife de Paris
; ils avoient eu en communication
les Archives , le nécrologe , & tous les
titres de cette Cathédrale ; ils avoient
lû la differtation de Claude Joli & les
lettres de M. Jouet , fon ami ; ces hiftoriens
, dans leur ouvrage in-folio , dedié
à M. le Cardinal de Noailles & imprimé
en 1710 , difent , l . 18 , c. 3 , p.
615
qu'il n'eft pas douteux que la ftatue en
queftion eft de Philippe de Valois , &
qu'aucun Roi , avant lui , n'étoit entré
à cheval dans l'Eglife de Notre-Dame ;
& ils ont lû , comme moi , dans le continuateur
de Guillaume de Nangis, qu'ils
citent , iniit Parifios ; ainfi l'anonyme
qui écrit à M. le Prefident Henault , &
qui dit fi poliment ce qui vous divertira ,
doit trouver ces Prêtres de l'Oratoire
très divertiffans. -
AVRIL. 1763. 89
Claude Joly qui tâche d'acrocher des
autorités , cite les Annales de Malingre ,
quoiqu'il n'ignorât pas que Malingre
dans fes Antiqués de Paris , page 10 ,
s'étoit retracté , & qu'il dit que la Statue
en queftion repréfente Philippe de Valois.
Thevet eft du même avis ; cela
n'empêche pas Claude Joly de le citer
en fa faveur .
Je pourrois m'autorifer de la Médaille
qu'on voit dans la France Métallique
, & faire fentir la fauffeté du
raifonnement de Claude Joly ; mais
comme je ne cherche & que je n'employe
que la vérité , j'avoue que cette
Médaille eft fuppofée ; mais on juge
bien que l'Auteur de la France Métallique
, pour fuppofer cette Médaille
alla à Notre-Dame de Paris & copia
bien exactement la Statue en queftion.
Venons à préfent aux Lettres de
M. Jouet. Il dit que Philippe le Bel , en
reconnoiffance de fa victoire de Mons
en Puelle , fit à l'Eglife de Chartres ,
comme à celle Paris , une fondation de
cent livres de rente ; qu'en conféquence
on célébre tous les ans à Chartres , le
17 Août , l'Office de Notre-Dame de
la Victoire , & que ce jour-là on tire
du tréfor & l'on expofe aux yeux du
go MERCURE DE FRANCE ..
public une Armure très- riche , mais
qui ne pouvoit être que d'un jeune
homme de treize à quatorze ans ; il
differte beaucoup fur cette armure , &
prétend que Philippe le Bel envoya
fon fils Charles en faire l'offrande à
Notre-Dame de Chartres ; mais il ne
réfléchit pas que ce fils Charles n'avoit
que neufans lors de la bataille de Mons
en Puelle ; qu'il n'étoit point à cette
bataille ; que ce n'étoient pas fes armes ,
mais celles de fon pere qu'il auroit été
chargé d'offrir ; qu'il n'eft pas douteux
que l'épée & la ceinture font femées
de Dauphins & que ces armes font
donc bien poftérieures au règne de
Philippe le Bel, le Dauphiné n'ayant
été uni à la Couronne qu'en 1349 ;
qu'enfin c'eft l'armure que Charles VI,
qu'on appella long-tems le petit Roi ,
envoya en offrande à Notre -Dame de
Chartres , après avoir battu les Fla
mands à Rofebeque en 1482 ce
Prince n'avoit alors que quatorze ans.
On demandera pourquoi on étale cette
armure le jour qu'on célébre la victoire
de Mons en Puelle ? Parce qu'apparemment
, dans la fuite des tems , on avoit
oublié de qui elle venoit , & qu'on
imagina que c'étoit une offrande de
AVRIL. 1763 91
Philippe le Bel; il eft naturel de penfer
plutôt à ceux qui font des fondations.
qu'aux autres. Ce qu'il y a de trèscertain
, c'est que dans l'acte de fondation
de cent livres de rente & dans
les Archives de l'Eglife de Chartres ,
il n'eft point parlé du tout de cette
armure ni d'aucune offrande de Philippe
le Bel ; il fit , je le répéte , des
fondations à Paris , à Chartres , & dans
d'autres Eglifes , en reconnoiffance de fa
victoire ; mais il n'y offrit jamais ni fes
armes ni fon cheval
M. Jouet produit enfuite une pièce
authentique , tirée des Archives de l'Eglife
de Chartres , dans laquelle il eft
dit , que le Chapitre s'étant aſſemblé , a
délibéré que la fomme de mille livres
que le Roi ( Philippe de Valois ) a donnée
pour le rachapt de fon cheval & de
fes armes , qu'il avoit préfentez lui même
à la Vierge , fera employée à acquerir
des fonds ou des révenus pour ladite.
Eglife de Chartres. Cela confirme ce
que j'ai toujours penfé & dit , & ce qu'a
écrit , il y a plus de cent-ans , M. Souchet
, Secrétaire & Chanoine du chapi-.
tre de Chartres , dans fon hiftoire Manuferite
de ce chapitre & de cette ville
Philippe de Valois alla d'abord à Notre
02 MERCURE DE FRANCE.
1
Dame de Paris ou il offrit à la Vierge fes
armes & fon cheval , & les racheta par
une fomme de mille livres ; il alla enfuite
à Chartres ou il fit précisément la
même cérémonie. C'étoient les anciens
ufages ; dans une tranfaction de l'an
1329 , entre les Curés de Paris & l'Eglife
du S. Sepulchre , il eft dit qu'un
mourant fera libre de choisir fa fepulture
dans cette Fglife , mais que fon corps
fera d'abord porté à la Paroiffe fur laquelle
il fera mort & que le Curé de
cette Paroiffe aura la moitié du luminaire
& de ce qui reviendra des hardes & chevaux
( ex pannis & equis ) qui feront
préfentés , lors de l'inhumation dans
Eglife du S. Sepulcre. Au fervice fait
à S. Denis en 1489 , pour Bertrand Duguefclin
, par l'ordre de Charles VI ,
L'Evêque qui célebroit la Meffe , reçut le
préfent des chevaux qui furent préſentés
à l'offrande , en leur mettant la main fur
la tête ; enfuite on les remena ; mais il
fallut compofer pour le droit de l'Abbaye
à laquelle ils étoient dévolus.
En
1329 Pierre
de
Cugneres
,
Avocat
du Roi au Parlement
, plaida
contre
les ufurpations
des Ecléfiaftiques
fur la juftice
temporelle
; le Jugement
de Philippe
de Valois
parut
favorable
AVRIL. 1763:
93
au Clergé qui tacha de lui marquer fa
réconnoiffance par des honneurs & des
tîtres ; il lui donna celui de Roi Catholique
; & comme la victoire de Caffel
& l'action folemnelle que ce Prince
avoit faite à Paris & à Chartres
étoient affez récentes, je croirois volontiers
que ce fut dans ce temps-là , que
chacune de ces deux Eglifes lui éleva
une ftatue équeftre ; ce qu'il y a de très
certain , c'eſt que l'Eglife de Sens ( 1 )
lui en éleva une dans ce même temps-
-là , femblable , dit D. du Breul , page
21 , à celle de ce Roi dans notre Eglife
de Paris , & au- deffous de laquelle
ftatue de Sens , on lit deux vers où il
eft qualifié défenfeur des droits de l'Eglife.
L'Auteur du Traité des anciennes armes
offenfives & défenfives des François
, imprimé chez Blaife , en 1635 .
dit , p . 113 , que Philippe le Bel ayant
rendu le Parlement fédentaire , les Chcvaliers
qui y préfidoient , pourfe diftinguer
des gens de Loi , firent faire des
bonnets de la forme de leurs cafques , &
( 1 ) Pierre du Roger , Archevêque de Sens ,
parla pour le Clergé , & imagina cette marque
de reconnoiffance envers Philippe de Valois , au
lieu des Décimes que ce Prince eípéroit du Clergé.
94 MERCURE DE FRANCE .
que voilà l'origine des Mortiers des Préfidens
; car ce ne fut , ajoute-t-il , que
fous le regne de Philippe le Long qu'on
imagina les cafques en forme de cone ,
s'élargiffant en defcendant fur les épau
les & comme un fabot renverfé
tel que celui qu'on voit à Philippe de
Valois dans Notre - Dame de Paris ; on
croyoit parer à l'inconvénient des cafques
trop plats , fur lefquels un coup de
maffue bien affené devoit enfoncer la tête
de celui qui le portoit ; mais dans là
fuite on trouva ces cafques fi pefans ,
qu'on changea encore.
HISTOIRE de JONATHAN WILD
le Grand , traduit de l'Anglois de
M. FIELDING, Auteur de JOSEPH
ANDREWS & de TOM JONES , &c
A Londres , & fe trouve à Paris chez
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques,
au Temple du Goût , 1763 ; deux volumes
in- 12.
L'OUVRAGE que nous annonçons
eft d'un genre fingulier ; & le nom de
fon Auteur , fi connu en France par les
AVRIL. 1763. 95
Traductions qui ont été faites de plufieurs
de fesromans , prévient d'avance
en faveur de celui- ci. Sous le voile d'une
ironie foutenue depuis le commencement
jufqu'à la fin de l'Ouvrage, l'Au
teur cherche à défabufer les hommes
des idées fauffes & prèfque toujours
dangereufes , qu'ils fe forment communément
de la grandeur. Un infigne Scélérat
que des crimes de toute efpéce
conduifent enfin au dernier fupplice , eft
le héros qu'il a choifi pour relever &
cenfurer les préjugés , le mauvais goût,
l'efprit de parti & différens autres défauts
de fes compatriotes ; & quoique,
l'ouvrage foit fait principalement pour
la Nation Angloife , il n'y a point de
Peuple qui ne puiffe s'y reconnoître, ni
de Lecteur qui ne puiffe en profiter. On
ne s'attend pas que nous faffions le récit
des attentats horribles que l'on fait
commettre au fameux Scélérat qui joue
le premier rôle dans ce roman. Il n'eft
question que de vols , d'affaffinats & de
perfidies les plus atroces ; contentonsnous
d'en citer quelques exemples pour
faire connoître le genre de critique de
notre Auteur , toujours préfenté fous le
-voile de l'ironie.
Jonathan Wild , dit Legrand , chef
96 MERCURE DE FRANCE .
»
d'une troupe de voleurs , étoit iffu de
parens diftingués dans cette profeffion .
On l'envoya à l'école avec les autres
enfans de fon âge ; mais il montra
» pour l'étude la répugnance la plus
» marquée . Son Maître , homme de
» beaucoup de fens & de mérite , le
» difpenfa bientôt de toute peine à cet
» égard ; & tandis qu'il affuroit à fes
parens qu'il faifoit les plus grands
» progrès , il lui permettoit de fe livrer
» entiérement à fes inclinations , parce
» qu'il fentoit bien qu'elles le porte-
» roient à des objets plus nobles que les
» fciences , qui , comme on en convient
généralement , ne rendent aucun pró-
» fit , & ne font propres , qu'à empêcher
» un galant homme de s'avancer dans
» le monde. "
Wild y débuta par quelques traits de
friponnerie qui donnerent dès - lors de
grandes efpérances de fon talent. Il fit
connoiffance avec le Comte de la Rufe,
Chevalier d'induftrie ; & ils eurent enfemble
de fréquentes conférences fur
les principes fondamentaux de leur art.
On croit communément que les voleurs
confervent entr'eux une forte de probité
qui les empêche de fe nuire mutuellement.
Le grand. Wild étoit bien audeffus
AVRIL 1763: 97
deffus de ces petites foibleffes : nonfeulement
il croyoit qu'il eft indigne
d'un grand coeur de refpecter la bourfe
de fes camarades ; » mais il n'étoit pas
» même de ces hommes mal -nés , qui
» rougiroient de voir un ami , après
» l'avoir volé ou trahi. Ce caractère
» pufillanime a fouvent produit dans le
» monde les crimes les plus monstrueux .
" Un excès de modeftie dans ce genre
» a porté bien des gens à affaffiner , ou
» du moins à ruiner fans reffource ceux
>> contre qui leur confcience leur repro-
" choit d'avoir commis quelque pecca-
» dille , foit en débauchant leurs fem-
» mes on leurs filles , foit en trahiffant
» leur confiance , foit en rendant contre
>> eux un faux témoignage. Mais dans
» notre héros , tout étoit véritablement
» grand. Toujours maître de lui , il ne
"
craignoit point d'aller boire avec un
» homme qu'il avoit dévalifé le mo-
» ment d'auparavant. »
Sa conduite à l'égard de fon ami
Francoeur fut un chef- d'oeuvre d'héroïfme
en ce genre. Ce dernier étoit
un Marchand Jouiallier , qui affervi aux
idées populaires avoit la foibleffe d'être
compatiffant , fenfible & généreux . Il
portoit la fimplicité au point de ne jamais
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
tirer avantage de l'ignorance de ceux
~ qui venoient acheter chez lui , & de fe
contenter du profit le plus modique.
Sa femme étoit une ame commune
efpèce d'animal domeftique , qui avoit
la petiteffe de fe borner aux foins de
fa famille & de fe faire un devoir de
plaire à fon mari & de bien élever fes
enfans. Ce fut à cette femme , fi peu
manièrée , que Francoeur. préfenta le
grand Wild comme le meilleur de fes
amis. Les premières preuves que notre
héros lui donna de fon amitié , furent
de lui faire efcamoter fes bijoux , tirer
de lui des lettres de change , de le faire
mettre en prifon , de lui enlever fa femme
, &c. &c . & à chaque trait de perfidie
, il avoit la force & le courage de
fe préfenter à lui , tandis que des âmes
vulgaires fe feroient fait un devoir d'éviter
fa rencontre. » Il n'avoit ni l'ex-
» térieur foumis d'un Curé qui aborde
» fon Seigneur après s'être oppofé à
» fon élection , ni l'air, qu'affecte un
» un Médecin , qui apprend à la porte
» de fon malade , que , graces à fes foins ,
» le pauvre patient eft parti pour l'autre
» monde, nila contenance abbattue d'un
» homme, qui , après avoir long-temps
» lutté entre la vertu & le vice , &
»
AVRIL 1763.
TOPHEQUE
Gron
DE
LA
ה ד ו
s'être enfin
déterminé
pour le dern
» eft malheureufement
pris fur le fa
» dans fa première friponnerie
: Mais
» fon maintien noble , hardi , magna-
» nime & plein de confiance , étoit
» celui d'un homme en place , lorſqu'il
" affure un des fes protégés
, que le
» pofte qu'il lui avoit promis n'eft plus
» vacant , & qu'il eft actuellement
rem-
» pli par un autre qui le lui avoit de-
» mandé avant lui . Car de même que
» l'homme en place ne manque pas de
» vous reprocher aigrement
, que vous
» n'avez perdu l'emploi que vous fou: -
haitiez , que par votre négligence
» de même auffi notre héros commen-
» çoit par blâmer fon ami fans lui don-
» ner le tems de répondre ; & c . »
Wild ne croit pas avoir affez fait
contre Francoeur , s'il ne vient à bout
de le conduire à la potence . Déjà il á
trouvé le moyen de le repréfenter comme
un banqueroutier frauduleux , &
de faire arrêter fa femme comme complice.
Wild en impofe tellement aux
Juges de fon ami , qu'un Arrêt définitif
condamne enfin au dernier fupplice
l'infortuné Francoeur , qui , tout innocent
& tout honnête homme qu'il eft ,
eft fur le point de voir fa fentencé
E ij
100 MERCURE DE FRANCE
à
éxécutée. Il eft vrai que lorfqueJonathan
apprit le fort de fon ami , il eut un
un inftant de foibleffe. Il pâlit pour la
première fois ; il faillit de fuccomber
fous le poids des horreurs que lui caufoit
la destinée d'un innocent que luimême
avoit fait condamner injuftement.
Mais fa grandeur d'âme vint toutà-
coup à fon fecours , & lui fir blâmer
ces penfées ignobles , qui s'étoient élevées
malgré lui dans fon efprit. » Quoi !
» difoit-il , femblable à un enfant
» une femme , je perdrois en un inf
tant cet honneur que j'ai acquis avec
» tant de gloire ? .... Qu'est - ce après
tout que la vie d'un homme ? Des
armées , des nations entiéres n'ont-
» elles pas été fouvent immolées à la
» fantaifie d'un grand homme ? Et fans
» parler ici de cette première claffe de
» la grandeur , qui comprend les con
» quérans du genre- humain , combien
» de gens n'ont-ils pas été facrifiés fous
» de vains prétextes pour fatisfaire le
" reffentiment particulier , ou même
» pour exercer le génie d'un héros du
» fecond ordre ? Mais qu'ai-je fait après
tout ? J'ai ruiné une famille ; j'ai con-
» duit un innocent à la potence. Loin
de m'en repentir , je devrois pleurer
AVRIL 1763.
ΤΟΙ
?
comme Alexandre de n'en avoir
» pas ruiné davantage , ou fait pendre
un plus grand nombre.
Francoeur n'eut cependant pas le fort
qui fembloit l'attendre. Son innocence
fut reconnue de fes Juges ; & le grand
Wild reçut enfin la récompenfe dûe à
fon héroïfme. Il fut convaincu & condamné
à une mort qu'on ne pourra
s'empêcher d'appeller honorable , fi on
confidére les grands hommes qui ont
eu l'honneur de la mériter.
6
??
par
Jamais ce héros ne fut arrêté.
aucune de ces foibleffes qui déconcertent
les petites âmes , & qui font
» généralement comprifes fous la dé-
» nomination d'honnêteté. Il avoit entiérement
renoncé à toute pudeur ,
à tout fentiment de compaffion &
» d'humanité ; défauts , qui , comme il
» ne craignoit pas de le dire , étoient
» directement contraires à la grandeur ,
" & fuffifoient pour rendre un homme
» abfolument incapable de faire dans le
» monde une figure un peu honnête ...
» Il avoit compofé des maximes qu'il
» regardoit comme autant de moyens
» fùrs pour parvenir à la grandeur , &
» qu'il obferva conftamment dans toutes
fes démarches. En voici quelques-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
» unes. Ne faire jamais à perfonne plus
» de mal qu'il n'eft néceffaire pour
» l'éxécution de fon projet ; parce que
le mal eft quelque chofe de trop
précieux pour le prodiguer inutile-
"
» ment.
» N'admettre parmi les hommes au-
» cune diftinction fondée fur l'amitié
» ou fur quelqu'autre raifon que ce foit ,
mais les facrifier tous également à ſon
» intérêt.
2
» Éviter la pauvreté & la mifére , &
» ne s'attacher , autant qu'il eft poffible ,
» qu'au pouvoir & aux richeffes.
» Ne jamais récompenfer perſonne
" felon fon mérité , & lui infinuer ce-
» pendant toujours que la récompenfe
» eft fort au- deffus de ce qu'on lui doit.
» Une bonne réputation eft comme
» l'argent ; on peut s'en défaire , ou
,, du moins la rifquer pour fe procurer
» quelqu'avantage.
" Les vertus , femblables à des pièrres
» précieuſes , fon aifément contrefaites.
» Parmi les unes & les autres , les fauf-
» fes parent également ceux qui les
" poffedent , & il y a bien ly. peu de con-
» noiffeurs affez habiles pour diftinguer
le vrai diamant du diamant factice.
Eien des fripons fe font perdus pour
AVRIL. 1763 . 103
»ne s'être pas livrés fans réferve à la
» friponnerie. Un homme qui ne joue
» pas tout fon jeu doit naturellement
» perdre ».
En voilà affez pour faire connoître
le genre de critique contenu dans ce
Roman , & le tour d'efprit qu'employe
l'Auteur pour reprendre les défauts qui
font l'objet de fa cenfure. On doit
fçavoir gré au Traducteur de nous avoir
procuré la connoiffance de cet Ouvrage
agréable & plaifant. Sa verfion nous a
paru fidéle fans fervitude , fon ftyle
aifé , mais fans négligence :
*
,
PHILOSOPHIA , Adufum fcholarum
accommodata , authore Antonio SEGUY
facræ Facultatis Parifienfis
Licentiato Theologo , atque in ftudii
Parifienfis Univerfitate Philofophiae
Profeffore , docente in Collegio Mar
chiano . Logica. Parifiis , apud Deffaint
& Saillant , vid Sancti Joannis Bellovaci,
Savoye, Barbou, Duchefne, Brocas
, via Jacobea ; 1763 ; vol. in- 12:
Depuis quelque tems le Public eft
inondé d'une multitude de projets fur
l'enfeignement public & particulier ,
E iv
704 MERCURE DE FRANCE.
dans lefquels on propoſe de faire appren
dre aux enfans différentes parties de
la Philofophie. Les favans en rient ,
parce que les Auteurs de ces projets
fuppofent dans les enfans autant de
difpofitions & de force de raiſonnement
, qu'ils en ont eux-mêmes.
Quand on a enfeigné longtemps , on
fait par expérience , que ceux qui commencent
leur cours de Philofophie ,
n'y font prefque rien s'ils font trop jeunes
; & que les meilleurs efprits ont de
la peine , dans les commencements , à
faifir les raifonnemens les plus fimples ;
qu'il faut les former peu-à-peu à lier
deux idées enfemble , à concevoir leurs
rapports ; & c.
M. l'Abbé Seguy connu par fa
Métaphyfique en 2 vol . in 12 , dont
nos prédeceffeurs & les autres journaliftes
firent dans le tems beaucoup d'éloges
, & que les favans continuent à
eftimer & à rechercher , a donné une
Logique dans laquelle il fuit la méthode
la plus propre à l'inftruction des jeunes
gens . Il les prépare au raifonnement
par des définitions claires , 1 ° . fur les
idées , 2º . fur le langage , & les différentes
fortes de mots , 3 ° . fur le juge_
ment , 4° . fur les différentes fortes de
propofitions, où il explique ce qui eft n
FORAVRIL. 1763 105
ceffaire pour leur vérité , leur fauffeté ,
leur contradictoire. Cette partie fi né
ceffaire à la clarté & à la jufteffe de l'ef
prit, l'Auteur la traite avec plus d'exactitude
que
la Logique de Port- Royal ,
qu'on eftime fi fort par cet endroit.
Après ces notions néceffaires , il démontre
les régles des fyllogifmes fimples
& compofés , fait voir en peu de mots
quoi fe réduifent les régles d'Ariftote ,
celle de l'Art de penfer , & du P. Buffier.
Il finit cette première partie par
des régles de la méthode.
La fecondes Partie contient i quatre
Differtations : la premiére fur les fenfations
dans laquelle fes Sçavans trou
veront beaucoup de chofes qui leur
feront plaifir , entre- autres la réfutation
du Livre de l'Efpris & du Traité des
fenfations , avec beaucoup de queſtions
importantes & curieufes. La feconde
differtation eft fur les idées innées ,
vraies fauffes , claires , diftin &tes & c,
& fur l'évidence, La troifième fur tousles
-motifs de certitude , & fur la probabilité.
La quatriéme fur le doute et
Voilà une Logique complette , d'où
Auteur a banni les questions inutiles
qui dégoutoient les meilleurs efprits,
Tout y elt traité avec beaucoup de
E v
106 MERCURE DE FRANCE,
clarté , de précifion , & d'érudition. Cer
Ouvrage foutient la réputation que l'Auteur
a méritée par fa niétaphyfique .
Les trois volumes in -12 fe vendent
thez l'Auteur & chez les Libraires ci-
: it empls nomo
deffus nommés.
noiton 2901917A
L'ÉCONOME POLITIQUE ; Projet
21your
pour enrichir & pour perfectionner
l'efpèce humaine , in- 12 . à Paris ,
chez Moreau, rue Galande , Pilot ,
• Quai de Conti , &c . 1763 , brochure
-1 en tout 224 pages , prix 26 fols
broché.
olallo ob quolla paltor
CET ouvrage traite de plufieurs matiè
res toutes fort intéreffantes pour la Société.
L'Auteur anonyme propofe d'abord
un moyen tres-fimple d'affarer une honnête
fubfiftance aux domeftiques ,aux ar
tifans , & aux laboureurs dans leur vieik
leffe , moyen également propre à mettre
à l'aife tous ceux qui voudroient l'eme
ployer; viennent enfuite quelques pros
jets relatifs au perfectionnement de l'ef
pèce humaine , matière trop grave pour
ne pas mériter l'attention du Gouver
ment. On trouve après cela des ré
(
AVRIL. 1763. 107
fléxions fur les abus des Maîtrifes &
des Réceptions dans les Mêtiers & dans
le Négoce.
En lifant ce que l'Auteur expofe fur
fur ce dernier objet , on voit que tous
ce qu'il a traité précédemment forme
un tout intimément lié . En effet , notre
Econome Politique ne s'occupe partie
culiérement jufqu'ici que des intérêts
du petit peuple , toujours auffi dépourvu
de fortune que de lumières. Cet Ouvrage
eft terminé par quelques nouvelles vues
relatives à l'éducation . Nous ne ferons
qu'indiquer ce qué penfe l'Auteur , &
nous renverrons à fon Livre pour les
détails.
Afin de mettre à l'aife les gens de la
plus baffe condition , notre Auteur qui
reléve avec beaucoup de jugement le
mérite d'une vie économe & laborieufe
fuppofe que chacun des Domeftiques ,
Artifáns & Laboureurs , peut épargner
par an guarante-huit livres en renonçant
pour cela , s'il le faut , au tabac ,
au vin , au jeu .
» Cette fomme remife , dit - il , * ă
» quelque Compagnie folide & com-
» merçante , portera fept & demi pour
» cent d'intérêt viager , mais intérêt.
* Page 7 & 8..
Τ
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
» qui demeurera entre les mains des
» Preneurs pendant le cours de vingt
» ans , & qui fervira pour groffir le capital
, fi ce n'eft que le bailleur vienne
à fe marier avant ce terme , auquel
» cas on lui fera , s'il le veut , la rente
» des fonds qu'il aura livrés à la condition
de fept & demi pour cent
» pendant les premiers vingt ans.
On ne voit qu'avec furprife les produits
qui résultent de l'emploi fage &
bien fuivi qu'un travailleur peut faire
de fes épargnes , & l'on eft forcé de
convenir avec notre Économe que la
pierre philofophale eft trouvée , le
moyen de faire une fortune honnête
puifqu'il ne s'agit pour cela
que d'être
fobre & laborieux .
Les preuves de ces produits font bien
expofées par l'Auteur : il fait voir que
fi celui qui pendant vingt ans a fourni
quarante- huit livres par années ( ce qui
fera 960 liv. ) n'en reçoit pas l'intêret
durant ces vingt années , fon capital lui
produira 218 liv. 14 f. de rente viagere ,
fur le pied de dix pour cent après ces
vingt ans . Une mife plus ou moins forte
produiroit un viager plus ou moins con
fidérable après le même nombre d'années
, & toujours à proportion en conAVRIL
1763. 109 .
tinuant plus long-tems. Les calculs qui
fondent ce projet font aifés à vérifier
pour peu qu'on foit attentif en les li
fant.
L'Auteur qui déplore les ravages du
luxe , de la prodigalité & du défoeuvrement
dans toutes les conditions , réunit
ici les fages motifs qui doivent engager
nos concitoyens à fe réformer. Selon
lui les Prédicateurs fans craindre d'avilir
la dignité de la Chaire , devroient furtout
remontrer les maux qui résultent
de la pareffe & des vaines dépenses en
faifant voir les avantages inestimables
que produit l'économie jointe à des
Occupations utiles & conftantes . Il penfe
que comme rien n'eft vil ou petit que
ce qui eft mauvais ou inutile , nos Orateurs
facrés ne devroient pas craindre
de defcendre fur cette matière à certains
détails feuls capables d'inftruire le
petit peuple de ſes vrais intérêts ,
Le goût du peuple pour les chanfons
fournit un autre moyen de le corriger.
» Je youdrois , dit * l'Auteur , que l'A-
» cadémie Françoife , de concert avec
» celles qui lui font les plus unies , def-
» tinât au moins fix cens livres tous les
» ans pour une chanfon faite avec
* Page go.
*
110 MERCURE DE FRANCE .
» efprit fur un air agréable & connu ,
» chanfon qui enfeigneroit une morale
utile , raifonnable , tendant à l'enri-
» chiffement du public & des particu
liers , & qui préfentant le travail & la
parcimonie comme les vrais fonde-
» mens de l'honneur & du plaifir , ex-
» poferoit par un contrafte habilement
» tracé , les fuites honteufes & funeftes
de la pareffe & de la diffipation . »
Quelques pages auparavant , on voit
les Dames chargées de l'honorable
emploi de la réformation des moeurs.
» Si de jeunes beautés , chacune dans
» fa fphère , témoignoient à leurs fou
» pirans certains mépris pour les frivolités
, les jeux , les momeries , pour
toute dépenfe infructueufe & mat
placée , qu'elles marquaffent une ef-
» time de préférence pour ceux qui
» montreroient des fruits fenfibles de
» l'économie , d'un travail continu
"
*
d'une application perfévérante , c'eſt
alors que nous verrions les change-
» mens les plus heureux & les plus
inefpérés. »
30.
Terminons l'extrait de cette partie
de l'ouvrage , en renvoyant le Lecteur
aux occupations fubfidiaires que PAu-
Page 88,
^ " AVRIL. 1763. 13
F
teur donne aux gens aifés page 64.
Leur amour-propre n'eft qu'une vaine
délicateffe aux yeux de notre Econome
Politique , auffi le traite - t'il très -philofophiquement
en voulant qu'ils ayent
tous quelque petite occupation manuelle
pour remplacer le jeu , les fpectacles ;
Les vifutes & les lectures inutiles..
Dans la feconde partie , l'Auteur affigne
d'abord les différentes caufes phyfiques
de la foibleffe de l'efpèce hu
maine. Elles ne nous ont para que trop
vraies , contentons -nous d'en rapporter
une feule , le Lecteur la trouvera fuivie
de l'une de ces grandes vérités qu'on
ne peut trop inculquer à la jeuneffe.
» Une autre caufe * d'affoibliffement
" parmi nous , c'eft que les travailleurs.
» en petit nombre , écrafés des fatigues.
néceffaires pour foutenir tant de gens.
» oifeux , accablés d'ailleurs par les mis
39 lices & les corvées , felvoyent encore
arracher de mille manières une fub-
» fiftance dont ils auroient befoin pour
» éléver leurs enfans ..... C'eſt ainfi
» qu'on perd ou qu'on affoiblit fans ' y
penfer les meilleurs fujets du Royau-
» me car enfin hous l'avouerons fi
" nous fommes de bonne foi ; un la
Page 126,917, xton ollut sup
112 MERCURE DE FRANCE.
" boureur , un ouvrier de campagne ,
» un manoeuvre font conftamment plus
» précieux & plus à ménager que tant
» de citadins , artiſtes de moleffe & de
» luxe , à qui nous prodiguons notre
» eftime. Ces hommes de fatigue & de
» peine , injuftement avilis , nous procu-
» rent l'abondant néceffaire & nous
» comblent en un mot de biens folides
» & durables , tandis qu'un frifoneur
» s'exerce vingt ans fur nos têtes fans
qu'il nous laiffe au bout du terme le
» moindre fruit d'un fi long travail,
" Qu'on n'oublie donc jamais que les
» fimples villageois , les travailleurs les
plus groffiers , font proprement les
peres nourriciers de notre efpège , &
qu'ainfi nous fommes tous intéreffés
» à ce qu'on ne les fatigue pas au point
" de ne pouvoir remplir leur haute def
» tination. "
"
Quant au moyen de perfectionner
notre espéce , l'Auteur en indique plufieurs
qu'il faut voir à la page 130 &
fuivantes de fon Ouvrage. Ils nous ont
parut très -fimples ; mais ici comme dans
ce qui regarde le public , le fuccès dépend
des foins du Gouvernement,
Difons un mot des deux autres ebjets
que traite notre Auteur. Il parle
AVRIL. 1763. * 113
avec force contre les abus des maîtrifes
& fait voir que les droits auxquels
font affujettis la plupart des Récipiendaires,
écartent un grand nombre
de Sujets capables d'être utiles en public.
Faute d'argent pour être admis
dans les Corps des Métiers ou dans le
Négoce , plufieurs de ceux que leurs
talens appellent à la perfection , paffent
leur vie dans la détreffe , attachée à
l'état d'apprentifs ou de compagnons, &
par conféquent reftent malgré eux dans
le célibat ; ou ce qui eft encore pis
portent leur courage & leur habileté
chez les Etrangers nos ennemis ou nos
rivaux. Ceux qui ofent fe marier chez
nous fans obtenir la Maîtrife , rampent
toute leur vie dans la mifere avec leur
famille
, double caufe de la dépo
pulation & de l'affoibliffement de notre
efpéce.
L'Auteur approfondit cette matière
importante ; & après avoir montré tous
les inconviens de l'état actuel des Maitrifes
, il expofe les moyens de remédier
à un mal dont les effets font beaucoup
plus nuifibles à la nation , qu'on
ne le croit communément.
Le même goût pour l'utilité qui di114
MERCURE DE FRANCE .
rige toujours les vues de notre Econome
politique , lui fait defirer que l'écriture
& le calcul foient enfeignés à
la jeuneffe avec le plus grand foin dans
le cours des études ; il propofe encore
quelques autres projets relatifs à l'éducation.
Du refte cette brochure écrite
d'un ftyle clair & coulant , eft pleine
d'idées neuves & intéreffantes , & tout
y refpire l'amour de la Patrie & le
goût de l'aifance nationale . C'est ce
que l'Auteur a bien caractérise par ce
beau Quatrain où il s'eft peint lui-même
page 153 .
Indulgent pour autrui , pour lui-même ſévère ,
Damis au bien commun dirigea ſes travaux ,
Et fenfible pour tous à l'humaine mifère ,
Chercha l'art d'éviter ou d'alléger nos maux.
AVRIL. 1763: 115
AVIS AU PUBLIC.
FEEUU MMoriau , Procureur du Ror
de la Ville , Magiftrat refpectable ,
dont la probité & le goût pour les Lettres
faifoient le caractère , ayant laiffé
par fon teftament à la Ville de Paris ,
fa Bibliothéque à condition de la rendre
publique ; M. de Viarmes , Prévôt
des Marchands & Meffieurs les Echevins
toujours difpofés à procurer les moyens
de cultiver les Lettres , ont accepté le
legs de M. Moriau , & en conféquence
ils ont nommé pour Bibliothécaire M.
Bonamy , de l'Académie Royale des
Belles-Lettres , & pour Sous-Bibliothécaire
M. l'Abbé Ameilhon. Ainfi cette
Bibliothéque qui eft à l'Hôtel de Lamoignon
, rue Pavée au Marais , fera
ouverte pour la première fois le Mer-.
credi 13Avril de cette année après- midi,.
& continuera de l'être tous les Mercredis
& Samedis de chaque femaine , juf-.
qu'aux vacances . C'eſt un avantage pour
les perfonnes ftudieufes de ce quartier
de Paris , éloigné des autres Bibliothé
ques publiques
116 MERCURE DE FRANCE .
ANNONCES. DE LIVRES.
RÉFLEXIONS fur la Mufique , & la
vraie manière de l'exécuter fur le vioion.
Par M. Brijon . in-4° . Paris, 1763 .
Chez l'Auteur , chez M. Prudent , Profeffeur
de Mufique & d'Inftrumens , rue
du Petit-Pont , au bas de la rue S. Jacques
, la porte cochère à côté d'un Marchand
de Papier , dans la cour, l'efcalier
à gauche ; & chez M. Vandemont , rue
Beaurepaire , près la rue Montorgueil ,
& aux adreffes ordinaires. Prix,en blanc,
avec les exemples & les airs gravés , 3 1,
12 f
POÉTIQUE FRANÇOISE , par M.
Marmontel. in-8° . 2 vol. diſtribués en 3 .
Paris ; 1763. Chez l'Efclapart , Librai
re , quai de Gêvres. Avec Approbation
& Privilége du Roi.
" Je divife ma Poëtique ( dit l'Au-
" teur ) en deux parties : l'une contient
» les idées élémentaires & les principes
» généraux ; l'autre en fait l'application
» aux divers genres de Poëfie.
» Il y a dans les Arts productifs qua-
» tre objets à confidérer l'Artifte
l'inftrument , les matériaux & l'ouvra
AVRIL. 1763.
117
"
ge . Trois font les moyens de l'Art
» le quatriéme en eft la fin ; & le meil-
» leur ufage poffible des uns relative-
» ment à l'autre , eft le réſultat de tou-
» tes les régles. Tel eft le plan fur lequet
» j'ai dirigé ma méthode.
montrer Nous ne tarderons pas à
avec quelle fagacité & quelle étendue
de lumières , l'Auteur a fçu remplir ce
Plan auffi fimple qu'utile pour ceux qui
aiment où cultivent les talens qui font
du reffort de la Poëfie.
PLAIDOYERS & Mémoires , conte
nant des questions intéreffantes , tant
en matières civiles , canoniques & criminelles
, que de Police , de Commerce
, avec les jugemens & leurs motifs
fommaires , & plufieurs difcours fur
différentes matières , foit de Droit Pu
blic , foit d'Hiftoire . Par M. Mannory.
ancien Avocat en Parlement. Tome 8°.
In- 12. Paris , 1763. Chez Claude Hériffant
, Libraire- Imprimeur , rue neuve
Notre-Dame , à la Croix d'or. Ce nouveau
volume n'eft ni moins varié , ni
moins utile , ni moins intéreffant que
ceux qui l'ont précédé.
MELANGES intéreffans & curieux
118 MERCURE DE FRANCE.
ou Abrégé d'Hiftoire Naturelle , Morale
, Civile & Politique , de l'Afie , l'Afrique
, l'Amérique , & des Tèrres Polaires
. Par M. R. D. S *** . in - 12. 2
vol . Paris , 1763. Chez Durand , Libraire
, rue du Foin . Nous parlerons
plus amplement de ces deux volumes
dont l'on paroît fouhaiter la fuite .
CONTES MORAUX , dans le goût de
M. Marmontel , recueillis de divers Auteurs
; publiés par Mlle Uncy. In-8°.
Tomes 3 & 4. A Amfterdam ; & ſe
trouvent à Paris , chez Vincent , rue
S. Severin.
- ANALYSE de la Coutume générale
d'Artois , avec les dérogations des Coutumes
locales. In - 12 . Paris , 1763. Chez
·Charpentier , quai des Auguftins , à S.
Chryfoftôme.
DISCOURS fur l'Émulation , adreffé
à la Société Royale des Sciences &
Belles-Lettres de Nanci. Par M. Bollioud
Mermet , Secrétaire perpétuel de
l'Académie des Sciences , Belles - Lettres
& Arts de Lyon. Brochure in-8°. A
Lvon , 1763 , chez les frères Periffe ,
Libraires , grande rue Mercière ; & ſe ;
AVRIL. 1763. 119
=
trouve à Paris chez Bauche , quai des
Auguftins, Prix , 12 f.
NOUVELLE MÉTHODE de cultiver
la vigne dans tout le Royaume ; plus
oeconomique & plus favorable à la perfection
du vin , que la méthode ordinaire
, prouvée par des expériences . Par
M. Maupin , ancien Valet- de-Chambre
de la Reine. In- 12 . Paris , 1763. Chez
Mufier fils , Libraire , quai des Auguft.
TRAITÉ DE LA DANSE , qui contient
les premiers principes de l'Art , la
nanière de marcher , de fe préſenter
faluer avec grâce , la façon de daner
le menuet comme il fe danſe auourd'hui
, lleess ddiifffféérreennss pas & figures
les contredanfes en ufage. Ouvrage
tile aux jeunes perfonnes qui defirent
e perfectionner dans cet exercice. Par
e fieut Joffou l'aîné , Maître à danfer
de l'Académie Royale établie à Angers
pour les exercices du corps . In-16. Angers
, 1763. Chez A. J. Jahier , Libraire-
Imprimeur du Roi , rue S. Michel ;
& fe trouve à Paris , chez Guyllin ,
quai des Auguftins. Prix , 15 f. broché.
OPHILIE , Roman traduit de l'An120
MERCURE DE FRANCE .
glois , par M. B *** ; 2 vol . in- 12 . Amf
terdam , 1763. Et fe trouve chez les Libraires
qui vendent les Nouveautés.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES
RÉSOLUTION des deux Questions
propofées dans le Mercure de Janvier
1763 , énoncées en ces termes .
x
O N compte dans une Ville affiégée
35000 habitans ,dont le nombre d'hommes
eft en proportion à celui des femmes
; comme les des 8 du nombre
75 ; font au des 27 , du
nombre 238. L'on demande combien
d'hommes & de femmes ?
-
J'ai réfolu la queſtion de deux maniè
res différentes pour les raifons que je
déduirai ci-après ; & afin de faire éviter
toute méprife , je nommerai la première
, A , & la feconde B.
REPONSE. Selon la réfolution A.
3445
4045 hommes , & me. & 30951
femmes , & 87234
me.
90679
90679
REPONSE. Selon la réfolution B.
5622 hommes , 7803 me. & 29377 fem-
394317 me.
mes ,
376239
71902
REMARQUÈ
AVRIL. 1763.
121
REMARQUE fur cette Propofition.
PRINCIPE ÉTABLI.
L'énoncé d'un Problême quelconque
doit être intelligible , & ne point être
fufceptible d'équivoque .
5
Je démontre que l'énoncé de cette
propofition eft défectueux , en A que
les deux premiers termes de cette proportion
font fufceptibles de deux fens.
L'on ne peut deviner ce que l'on entend
dans le premier de ces termes par - 8 ;
& 27 dans le fecond : or il n'y a
point de milieu , car , ou l'on entend A
-8 unités , & +27 unités : ou B - 3
fractions , & + 27 fractions. Ce qui
pour lors devient bien différent pour la
folution de la Queftion propofée ; elle
peut donc fe réfoudre dans l'un ou l'autre
de ces cas : donc l'énoncé péche còntre
le Principe ci-deffus.
Toute la difficulté de ce Problême
confifte donc dans l'énoncé , comme je
viens de le faire voir. Or venons main-
-tenant à l'opération ,je dis que telle tournure,
ou combinaiſon qu'on voudra lui
donner , il faut 1 °. établir en même raifon
les deux termes donnés , ( qui font
la raifon des hommes aux femmes. )
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
L'on a un troifiéme terme connu qui
eft la fomme totale des habitans de la
ville en queftion , donc le 4° ne fçauroit
varier , puifque trois termes font
déterminés ; en formant donc , componendo
, cette analogie , la fomme des
termes du rapport des hommes aux
femmes , joints enſemble , font au premier
conféquent de ce rapport : comme
la fomme totale des habitans font
à un 4 terme proportionnel qui donnera
néceffairement la totalité des femmes
qui feront dans cette ville telle que je la
donne ci-contre , par la réfolution de
l'un ou l'autre de ces deux cas .
Mais en raiſon inverfe en formant cette
autre analogie la fomme des termes
du rapport des femmes aux hommes
joint auffi enſemble , font au premier
conféquent , comme la même fomme
totale des habitans font à un 4º proportionel
qui donnera auffi la totalité des
hommes qui feront dans cette ville, & c.
On pourra fe convaincre de la fureté
de ces opérations par une troifiéme analogie
, en mettant en raifon directe , inverſe
, ou alterne , &c , ( cela eſt arbitraire
) le rapport du premier nombre
donné , eft au fecond comme la raifon
des hommes eft à celle des fimes . Or
AVRIL. 1763 . 123
cela eft vrai , puifque le produit des extrêmes
égalera celui des moyennes . Ce
qu'il f. D.
Il fera alors très-aifé de trouver fi
l'on veut , combien de temps cette ville
pourroit fe foutenir en cas de fiége , fi
on faifoit fortir les femmes , en fuppofant
qu'il n'y eût des vivres dans cette
Place pour la totalité des habitans que
pour fix mois , il n'y a plus de difficul
té , puifque le nombre des hommes &
des femmes eft déterminé.
J'obſerve en paffant que dans la théorie
ce problême eft toujours foluble
mais en nature , c'eft un être de raifon,
car l'on ne partage pas ainfi pour l'ordinaire
les hommes & les femmes par
morceaux.
AUTRE Queftion dans le même Mercure
énoncée en ces termes.
Les cartes peintes d'un jeu de Piquet
étant fupprimées , faire avec les vingt
qui reftent , deux tas inégaux , & tels
que chaque tas contienne autant de
cartes qu'il y aura de fois fept points
dans l'autre tas.
RÉPONSE. Le nombre de cartes de
chaque tas , ne peut être fixé autrement
que par 11 & 9 .
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Les vingt cartes blanches d'un jeu de
Piquet compofent 140 points ; or il n'y
a qu'à faire enforte qu'il y ait 77 points
dans le tas de 9 ; & il y aura néceffairement
63 points dans le tas de 11 ,
ce qui fatisfera à la queſtion.
Il y a fept façons différentes par les
combinaifons de mettre 77 points d'un
côté , & 63 de l'autre , que je détaillerois
; mais comme je crois la queſtion
trop peu intéreffante par elle-même , je
ne m'amuferai point à en faire l'analyfe ,
j'en laifferai le foin à quelqu'autre qui
fera moins de cas du temps que moi.
AUBORT DE TOMASSET , Ingénieur- Géographe
, chez M. Bienvenu , Architecte , rue neuve
Saint Etienne , proche Notre - Dame de Bonne-
Nouvelle.
PROBLEME DE GEOMÉTRIE.
Un triangle ifocéle étant circonfcrit
à deux cercles contigus , dont les diamètres
font m & n ; de manière que fa
bafe touche la grande circonférence ,
& chacun de fes côtés , celle-ci & la
petite on demande quel eft dans ce
triangle le rapport de la bafe aux côtés.
Proposé par ALBERT , Etudiant en
Mathématique, fous M. BAUBÉ à Lyon.
A Lyon , ce 28 Mars 1763.
AVRIL. 1763. 125
MÉDECIN E.
SUITE des Obfervations fur l'Hiftoire
de la Médecine.
JAI promis des réfléxions fur l'origine
de la maladie qui eft le fruit de la débauche
, & qu'on prétend avoir été in- .
connue des Européens avant la découverte
du Nouveau-Monde. Cette matière
devoit-elle être l'objet de l'attention de
l'Auteur de l'Effai Hiſtorique fur la Médecine
en France ? Pour faire venir la
question , il nous donne , d'après la
traduction latine d'un Auteur Grec , la
defcription de la Lépre. Aretée , de Capadoce
, qui vivoit , à ce qu'on préfume ,
fous l'Empire de Néron , devoit bien
fe promettre que fes écrits feroient recommandables
à la poftérité la plus
reculée & leur
, ppaarr leur vérité
élégante, précifion ; mais que fon
Traité de la Lépre foit employé
comme pièce conftitutive dans l'hiſtoire
de la Médecine Françoife , c'eft à quoi
nous ne pouvions nous attendre . L'Auteur
s'eft permis cette expofition pour
établir les différences qu'il trouve entre
la lépre , maladie fi publique du temps
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE .
de Saint Louis , & la maladie fecrette
de nos jours. De-là une longue énumération
des foins que ce Saint Roi
prenoit des malades ; il les vifitoit dans
les Hôpitaux & panfoit leurs plaies. II
fe fanctifioit par la Chirurgie qu'il honoroit
, en employant fes mains facrées
à foulager fes Sujets par l'exercice de
cet art.
La lépre venoit d'Egypte , dit l'Auteur
, & le mal vénérien nous vient de
l'Amérique : on en eft redevable , ajoutet-
il, à la découverte de Chriftophe Colomb.
Voilà une vieille erreur qui ne fait
honte à perfonne , parce que c'eft àpeu-
près celle de tout le monde . Un
Hiftorien ne doit pas adopter légérement
les idées communes , fur- tout
lorfqu'il éxifte des faits certains qui
ôtent à ces idées bannales tout le crédit
qu'on leur donne mal-à-propos . Dom
Sanchez , fçavant Médecin Portugais
qui vit actuellement à Paris , après avoir
été premier Médecin de l'avant derniere
Impératrice des Ruffies , a publié un
Ouvrage il y a quelques années dans lequel
il prouve d'après des écrits authentiques
, que la maladie dont il s'agit étoit
connue en Europe avant le voyage de
Criftophe Colomb en Amérique . A la
AVRIL.
127 .
1763.
bonne heure qu'on y ait été plus attentif
depuis le fiége de Naples , parce
qu'elle a fait alors des ravages affreux
parmi les François , par le commerce
qu'ils ont eu avec des femmes gâtées
par les Efpagnols : mais cette maladie
date de plus loin ; & la Chirurgie de
Lanfranc de Milan , écrite à Paris en
1296 en fait foi. L'Auteur de l'Effai
Hiftorique connoît cet ouvrage ; il y
verra au Chapitre onzième de la troifiéme
doctrine du troifiéme Traité , que
le fic , le chancre & l'ulcére qui arrivent
en certain endroit du ccorps , viennent
d'un commerce impur ; ex commixtione
cum fedá muliere , quæ cum
agro talem habente morbum de novo
coierat. Peut- on exprimer plus correctement
la caufe du principe contagieux
qui fe communique d'un homme à un
autre par l'entremise d'une tierce perfonne
? Lanfranc va plus loin , & il indique
un préfervatif à celui qui recedit
à muliere quam habet fufpectam de immundicia.
Rien n'eft prouvé , fi ces
paffages ne font pas des argumens démonftratifs
de l'éxiftence du mal vénérien
avant la découverte de l'Amérique
.
Quand on veut écrire l'hiſtoire d'un
Eiv
128 MERCURE DE FRANCE.
Art , on ne peut puifer dans trop de four
ces , pourvu qu'on y apporte l'efprit de
difcernement convenable , pour faire un
bon ufage des chofes. Je ne crois pas ,
par exemple , que les circonftances particuliéres
de la vie privée d'un Médecin
puiffent être employées dans l'hiftoire
de la Médecine. Cependant quand
elles font finguliéres & fort honorables
on ne feroit pas blâmé d'en conferver
la mémoire. L'on n'eft pas fâché de
fçavoir que le fçavant Duret , Médecin
ordinaire de Charles IX & de Henri III,
étoit fi confidéré de fes maîtres , que
Henri III voulut conduire fa fille à
l'Eglife le jour de fon mariage. Sa Majefté
étoit à droite & le pere à gauche .
Le Roi ne fe contenta pas d'honorer
la noce de fa préfence , il fit don à la
mariée de toute la vaiffelle d'or & d'argent
qui avoit fervi au repas & qui
pouvoit monter , dit - on , à la fomme
de 40000 liv. Mais l'anecdote eſt-elle
fure ? L'Auteur ne nomme pas fon
garant. Elle eft rapportée à la tête des
OEuvres de Duret , dans la Préface
d'Adrien Peleryn Chrouet , Docteur en
Médecine . D'où celui - ci l'a - t-il tirée ?
L'Auteur de l'Effai Hiftorique pouvoit
la copier , mais il ne falloit pas obmettre
AVRIL. 1763. 129
la notice des ouvrages qui ont fait paffer
le nom de Duret à la poftérité . Cela
étoit effentiel à l'hiftoire de la Médecine
en France & l'on n'en dit mot ,
pour nous parler de la vaiffelle que le
Roi a donnée à la fille de ce Médecin
le jour de fes noces. Pourquoi encore
altérer le prix de ce préfent : il fe montoit
à 40000 florins & non point à
40000 livres , comme on l'avance .
Les Commentaires de Louis Duret
fur les prénotions coaques d'Hyppocrate
, n'ont été imprimés qu'après fa
mort par les foins de Jean Duret fon
fils , & font dédiés par celui – ci à
Henri III. Jean Duret eut fort jeune
la furvivance de fon pere à la Cour.
Il avoit deux freres , l'un Subſtitut du
Procureur Général au Parlement de
Paris dont il exerça les fonctions pendant
les
guerres civiles lorfque le Parlement
étoit à Tours ; & l'autre Préfident
de la Chambre des Comptes de Paris.
Tout cela eft dit pour faire honneur à
la Médecine en la perfonne de Duret
pere .
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. DE LA PLACE , ou
Réponse aux Obfervations fur l'Hiftoire
de la Médecine.
V OUS ignoriez fans doute , Monfieur ,
que l'Effai Hiftorique fur la Médecine
en France , tant critiqué par un Anonyme
dans votre premier Volume du
Mercure d'Avril à l'article Médecine
eft l'ouvrage de M. Chomel , ancien
Doyen de la Faculté de Médecine de
Paris , Médecin Vétéran du Roi , & qui
depuis plus de trente ans jouit de la
réputation la plus diftinguée .
*
Mais fi l'indifférence de M. Chomel
pour cette critique peu mefurée l'em-
Fêche d'y répondre , ma qualité de novice
& de fon élève me donne le
zèle néceffaire pour le faire pour lui..
* La preuve que je l'ignorois en effet , fe trouve
dans l'Annonce même que j'ai faite de cet Ouvrage
, dans le Mercure du mois de Décembre
1762. Les Auteurs qui croyent pour un temps:
devoir garder l'anonyme , devroient du moins..
fe faire connoître aux Journaliſtes auxquels ils
envoyent leurs ouvrages ; ce feroit le moyen de
prévenir fouvent les critiques qui peuvent leur
déplaire,
AVRIL 1763. 131 '
94
Je ne reléverai pas ce qu'il y a d'offenfant,
ce ne font pas des raifons. M. Chomel
n'a attaqué perfonne & il ne s'eft élevé
que contre des abus pernicieux au bien
public , contre les Empiriques , les Moi- ..
nes , les Eccléfiaftiques qui font la Mé
decine les Moines défroqués . S'il av
défigné M. Tronchin , c'eft parce qu'il
lui croit des torts réels dans une Préface
qu'il a miſe à la tête d'une Édition qu'il
a donnée des avres de Baillon. Il n'y
a rien d'ailleurs contre fa perfonne .
Quant à ce qui regarde Saint Come , je
renvoye aux recherches de Pafquier ,
qui prouvent que c'étoit une Confrairie
& nullement un Collége. Au fujet de
Lanfranc , il fuffit de citer fes propres
termes & ceux de Guy de Chauliac par
lefquels on voit inconteftablement , ainfi
que parles Lettres de Philippe le Bel,
quel étoit alors l'état de la Chirurgie
en France . A l'égard de Jean Pitard ,
il n'y a que les Lettres de 1311 qui en
parlent & il étoit Chirurgien -Juré du
Châtelet , ce qui lui donnoit droit &
autorité de former une Communauté
dont il étoit le chef; ce qui non -feulement
ne fait rien au foi- difant Collége ,
mais prouve contre lui & démontre
que la police qu'on vouloit établir dans
F vj
132 MERCURE
DE FRANCE
.
les arts & métiers, étoit une police nouvelle
& légale fous la feule autorité du
Prévôt de Paris . Je ne vous parlèrai
point des mots Cyrurgicus & Phyficus
prendre
qu'on veut abfolument
fair
pour des adjectifs : ces prétentions font
un peu trop romanefques
. On trouve
dans tous les anciens titres Phyficus
Domini Regis pour défigner le Médecin
du Roi . Un reproche plus étonnant
encore , eft celui qu'on fait à
M. Chomel de n'avoir pas parlé de Fernel
, de Baillon , & de Riolan. Comment
pouvoit-il en parler ? Il en eft reſté
au règne de Saint Louis. Devoit - il
bouleverfer toute la Chronologie
pour
parler de ces Médecins ? Je ne fuis pas
moins furpris de voir appeller le Livre
de la Metrie une invective raifonnée.
Ignore-t- on , ou a-t-on oublié que
cette fatyre indécente a été brûlée par
la main du Bourreau ? J'en refterai là ,
Monfieur , & c'en eft affez pour répondre
à la premiére partie de la critique
qui fe trouve dans le premier Mercure
de ce mois. Si la difpute s'étoit annoncée
purement littéraire , peut- être M. Chomel,
auroit-il répondu par la même voie ,
qui , fans doute , ne lui auroit pas été
refufée. Une nouvelle édition détaillera
AVRIL. 1763. 133
tous ces faits , qui ne font qu'énoncés
dans l'Effai Hiftorique.
J'ai l'honneur d'être , & c.
PHILIPPE , Médecin de la Faculté de Paris.
LETTRE A L'AUTEUR DU
MERCURE.
REMEDE CONTRE L'HYDROPISIE .
E Je crois devoir , Monfieur , vous faire
part , par principe de Religion , & par
fenfibilité aux différentes maladies qui
attaquent le corps humain , d'un reméde
que j'ai contre l'hydropifie , efpéce
de maladie à laquelle nos Payfans
de cette Province font extrêmement
fujets. L'expérience heureufe que je
fais de ce reméde m'engage à vous
prier de l'inférer dans votre Mercure ;
rien n'eft plus fimple que ce reméde :
le voici.
On fait faire trois fagots de trois différens
bois , fçavoir de houx , de fureau
& de frefne , tous les trois de poids
égal ; on les brule enſemble , après quoi
on en paffe la cendre par un tamis
bien fin ; on , la met enfuite dans un
134 MERCURE DE FRANCE.
pot ou autre vafe bien couvert. Il faut
obferver qu'il faut couper ces différens
bois dans les deux temps de la féve ,
comme au mois de Mai ou au mois
d'Août , & les bruler auffitôt qu'ils font
coupés. Comme on a beaucoup de peine
à allumer ces bois verts je me fers
d'un réchaud rempli de braife que je
mets fous ces bois pour les allumer. Dès
que le feu eft bien pris , on retire le
réchaud avec la braize qui y étoit , afin
qu'il n'entre rien d'étranger dans la cen
dre . Il faut obferver que pour bien faire
confommer cette cendre , on a foin ,
après que tous les bois font brulés , de
la raffembler dans un tas ; on la couvre
enfuite , & on la laiffè dans la cheminée
l'efpace de trente- fix heures au
moins , enfuite on la paffe par le tamis
le plus fin. On donne au malade le poids
d'un liard de cette cendre dans une demie
chopine de vin blanc , que l'on répand
dans un vafe de terre ou autre ,
pourvu qu'il ne foit point de bois, parce
que cette cendre s'y attacheroit ; on la
mêle de même avec un inftrument qui
ne foit point de bois , après quoi on
donne le tout à boire au malade que
l'on a foin de bien couvrir , afin de le
faire fuer ; & trois ou quatre heures
AVRIL. 1763. 135
après on lui donne un potage. Il fautrecommander
au malade de n'ufer ni
de lait , ni de galette , ou autre nourriture
groffière, pendant cinq ou fix mois.
Ce reméde peut fe répéter jufqu'à trois
fois , pourvu que l'on laiffe huit jours
d'intervalle entre chaque prife. Voilà ,
Monfieur , le reméde dont j'ai cru devoir
vous inftruire ; il feroit inutile pour
une hydropifie de poitrine formée, mais
pour toute autre efpéce d'hydropific il
eft excellent , & je l'éprouve tous les
jours avec le plus grand fuccès.
J'ai l'honneur d'être , & c.
DULAS , Gentilhomme de Rennes en Bretagne..
SUPPLÉMENT aux Piéces Fugitives..
LETTRE d'un Habitant du Palais.
Royal, à M. DE LA PLACE.
MONSIEUR ,9 .
Comme ce qui concerne le bien Public
eft une des parties éffentielles de
votre Journal , on voit avec plaifir votreattention
à ne rien négliger de tout
ce qui peut y contribuer ; l'incendie
136 MERCURE DE FRANCE.
terrible qui vient de reduire en cendres
un des plus beaux Spectacles de
l'Europe , occupe aujourd'hui bien douloureuſement
les efprits de tous les
Citoyens.
J'ai été témoin de ce funefte événement
& j'ai vu dans une heure de
temps la Salle de l'Opéra confumée
par les flammes & tout le Palais Royal
dans le danger le plus éminent ( a ) .
> C'est le Mercredi 6 de ce mois
qu'entre onze heures & onze heures
& un quart un tourbillon de fumée
épouvantable annonça le feu qui embrâfoit
la Salle , & qui menaçoit d'un
côté le Palais du Prince & de l'autre
la rue S. Honoré par les maiſons du
cul - de - fac de l'Opéra. La quantité
de bois & d'autres matières combuftibles
, qui abondent dans un Spectacle
qui confifte principalement en décorations
& en machines , donnoient
au feu une telle activité , qu'à midi &
(a ) Quelle perte c'eût été & pour la Capitale
& pour tout le Royaume , que cette fuperbe Collection
de Tableaux , que l'on peut regarder comme
une des richeffes de l'Etat , & qui ne contribue
pas peu à attirer tant d'Etrangers à Paris !
On peut rebâtir des Palais , mais de pareilles pertes
font irréparables.
AVRIL. 1763: 137
demi cette Salle n'étoit déja plus que
la plus vafte & la plus horrible de toutes
les fournaifes .
Dans un embrâfement auffi violent ,
il étoit difficile que les fecours arrivalfent
auffi promptement qu'il étoit naturel
de le defirer. Il eft vrai que la
peine que l'on eut d'abord à avoir
de l'eau en quantité fuffifante , a bien
démontré toute l'utilité du Projet de
M. Deparcieux , dont vous avez donné
, Monfieur , l'extrait dans votre Mercure.
On peut foupçonner auffi que
la Police de Paris , fi admirable à tant
d'égards , pourroit être fufceptible encore
d'une plus grande perfection fur
le fervices des Pompes il doit être
d'autant plus permis de le dire, qu'aujourd'hui
la fageffe du Miniftère ne
demande qu'à connoître les abus pour
les réformer , & que l'on doit tout
attendre de ce Magiftrat auffi éclairé
que vigilant , que le Roi a élevé à une
place où le Peuple l'auroit nommé , &
qui a fi bien prouvé combien il en étoit
digne , en maintenant la fureté de Paris
dans des temps fi difficiles . (b)
(b ) Le Lecteur apprendra fans doute avec plai
fir une fage précaution déja priſe il y a longtems
par M. le Lieutenant Général de Police. Les Maî
138 MERCURE DE FRANCE..
Par toutes ces raiſons je me crois at
torifé à vous expofer ici , Monfieur , ce
qui fe pratique à Strasbourg , au fujet
des incendies. Nuit & jour un homme
gagé par la Ville fait la fentinelle au
clocher de la Cathédrale dont l'élévation
prodigieufe domine la Ville de
route part. Si le feu prend en quelque
endroit le furveillant fonne le tocfin
& par la direction , le jour , d'un drapeau
blanc , & la nuit d'une lanterne
indique le Quartier de la Ville où eft le
feu . Toutes les Pompes y accourent
fans qu'il foit befoin de les aller cher--
cher. La premiere arrivée eſt récompenſée
par une fomme qu'eft obligée de
payer par forme d'amande celle qui n'arrive
que la dernière : ainfi la même
ardeur anime tous les Pompiers , les.
uns pour gagner le prix , les autres pour
ne pas le payer. Il n'eft pas poffible de
fe refufer au fentiment d'admiration
qu'infpire une police fi merveillėuſe.
Il fe peut que l'étendue immenfe de la
Ville de Paris y rendit un pareil établiffement
impraticable. Si ce n'eft pas
tres des Voitures qui fourniffent de l'eau aux quartiers
éloignés de la Ville & des Fauxbourgs , ont
ordre de ne rentrer chez eux , que leurs tonneaux
pleins , pour fervir en cas de beſoin..
AVRIL. 1763: 139
·
un éxemple à fuivre , on peut du moins.
en profiter pour faire mieux ce qui fe
fait communément. Cette réfléxion n'eft
pas d'un cenfeur , caractère communément
odieux & dont je fuis très-éloigné ;
je ne parle qu'en fimple Citoyen , dont
l'unique but eft d'avertir ceux qui font
plus au fait que je ne le fuis de tout ce
qui regarde un objet fi important , de
propofer les réformes dont notre Police
pourroit avoir befoin à cet égard .
C'est toujours beaucoup pour quiconque
tient au bien de l'humanité , que de
Poccafionner de quelque manière que
ce foit. Toute fimple qu'eft cette Lettre
, j'en ferois gloire fi elle donnoit
lieu au génie patriotique , qui fait de fi
heureux progrès parmi nous d'enfanter
quelque projet qui pût garantir nos
Neveux de ces terribles défaftres dont
nous n'avons été que trop fouvent témoins.
Un Philofophe & peut- être le
plus grand de tous , Socrate lui - même ,
ne fe glorifioit de rien tant que de favoir
faire accoucher les efprits .
Avant que de finir , je ne puis me
refufer la fatisfaction de vous faire part
d'un autre Spectacle dont j'ai eté témoin
, fpectacle toujours trifte à la
vérité , mais intéreffant & qui fait trop
140 MERCURE DE FRANCE .
d'honneur â nos Concitoyens pour le
paffer fous filence.
Au Jardin du Palais Royal , qui étoit
encore ouvert à l'ordinaire , on voioir
deux chaînes différentes compofées de
perfonnes de tout état , fans diftinction
de rang , de dignité , de fexe même ,
l'une formée pour fauver les Archives
du Palais , l'autre pour fournir plus
promptement l'eau aux Pompes qui
pouvoient feules en arrêter l'incendie.
Le zéle dont chacun est animé dans
ces terribles événemens redoubloit
fenfiblement encore , ainfi l'a remarqué
un fage Magiftrat , par le
refpect & l'amour dont tous les Citoyens
font pénétrés pour M. le Duc
d'Orléans & pour le Prince fon fils ,
dont la préſence les affectoit fi vivement.
Que ce Public dont tant de faux Philofopes
affectent de mal parler , devient
alors refpectable & intéreſſant !
Que ce spectacle fait honneur à l'humanité
! Mais puiffe le Jardin du Palais
Royal n'en offrir jamais de pareil.
J'ai l'honneur d'être , & c.
que
*
L * A* L * B *.
* M. le Procureur du Roi.
AVRIL. 1763: 141
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS,
MUSIQUE.
CLAVECIN VERTICAL.
LESES Clavecins ordinaires fe pofent
difficilement à cauſe du jour qu'il faut
trouver pour le clavier , occupent beaucoup
de place & ne forment point un
embelliffement pour une falle ou un
fallon. M. Obert , Organiſte de la Cathédrale
de Boulogne fur mer , conftruit
depuis plus de dix ans des Clavecins verticaux
à grand ravalement jufqu'au fa
en haut & en bas avec un troifiéme
regiftre de petite octave coupé au de
la re au-deffus de la clef d'ut pour renforcer
le deffus ou la baffe au befoin
& dans l'angle perdu il fçait y ménager
un tympanum . Ils ont fix pieds trois
pouces de hauteur compris la corniche
& non le pied , & ils ne prennent dans
l'angle d'une pièce que quinze pouces
de profondeur fur trois pieds de largeur.
1
142 MERCURE DE FRANCE.
Ces inftrumens s'élévent quarrément ,
& quand les portes font fermées ils ne
préfentent plus que la figure d'un buffet
fufceptible de toutes éfpèce d'ornement.
Quoique les fouterreaux ayent
un mouvement horizontal , l'Artifte a
trouvé le fecret d'en faciliter le renvoi
avec précifion & vivacité ; le toucher
n'eft point dur ; on y trouve même fous
les doigts un moelleux qui excite en
quelque forte à donner plus de brillant
dans le jeu & dans les agrémens de
l'éxécution. La table fe porte quarrément
par-tout , & ils rendent une harmonie
mieux nourrie & plus délicate
que celle des clavecins ordinaires. Enfin
il a eu la fatisfaction de recevoir
les plus grands éloges d'un très- grand
nombre de Muficiens célébres qui ont
paffé par cette Ville , notamment de
deux de ceux de S. A. S. Monfeigneur
le Prince de Conti ; mais le feul témoignage
de M. le Comte de Turpin , Lieutenant
Général des Armées du Roi, qui
commandoit en ce pays l'année dernière
, & qui en a tenus à fon Hôtel
pendant le féjour qu'il y a fait , peut
fuffire pour convaincre de la force du
fon , de la beauté de l'harmonie , &
de la fupériorité de cet habile Artiſte
AVRIL. 1763. 143
qui en a fait derniérement deux pour
P'Angleterre , où ils ont été tellement
admirés qu'il vient de recevoir ordre d'y
en faire paffer cinq autres qu'il éxécute
actuellement. Comme ce travail lui eft
devenu familier par la pratique , il ne
les vend plus que vingt & un louis compris
la caiffe , &c. Ils font très - ornés
dedans & dehors , & fi l'on y veut un
couronnement en fculpture dorée , ainfi
que les baguettes , l'on payera quatre
louis de plus ; mais il faut envoyer la
hauteur des pièces où ils doivent être
placés. Ils peuvent être tranfportés partout
fans rifque. Il faut affranchir les
lettres.
GRAVURE.
L'ART de graver Architecture dans le
goût du Lavis.
DANS ANS le nombre des découvertes
intéreffantes que ce fiècle a déja procurées
aux beaux arts , les amateurs feront
fans doute contens de celle que
le fieur Pierre - André Barabé vient de
mettre au jour. Cet Artifte qui entend
très - bien l'Architecture à laquelle il s'eft
appliqué férieuſement pendant plufieurs
144 MERCURE DE FRANCE:
années à l'École de M. Blondel, Architecte
du Roi , imagina dès le mois de
Janvier 1762 , d'imiter le pinceau dans
la gravure , à la place des tailles ufitées
jufqu'à préfent. Le fieur Barabé connoiffoit
bien la manière appellée la manière
noire que Chemitz & plufieurs
habiles Artiftes en ce genre ont employée
dans des fujets d'hiftoire ; mais
Cette manière noire ne fe pouvant appliquer
à l'Architecture , celle-ci demandant
plus de précifion dans le trait ,
& d'éxactitude dans les ornemens que
n'en éxigent la figure , le payfage , ou
toute autre fabrique des tableaux de
chevalet ; notre Auteur a conçu & fait
forger un outil qui , conduit par des
combinaifons qu'il a appliquées à ce
genre de travail , lui fait faire une mulfitude
infinie de points triangulaires qui
bien fondus enſemble expriment dans
le plus grand degré de perfection les
teintes les plus légères , & les ombres
les plus marquées dans le goût du lavis ,
& même une accélération , à laquelle
il n'avoit d'abord ofé prétendre. Le fieur
Barabé content de fes premiers fuccès ,
communiqua cette nouvelle invention
à M. le Comte de Caylus , qui enchanté
de cette découverte , encouragea l'Auteur
AVRIL. 1763. 145
que
teur & le chargea de lui graver quelques
planches d'après les deffeins de
Meffieurs Mignard que M. de Franque
Architecte du Roi lui avoit fait procurer
& qui ont très-bien réuffi . Ce fçavant
& digne citoyen confeilla même
au fieur Barabé de faire voir ſes épreu
ves à l'Académie Royale d'Architecture.
Il a fuivi ce confeil patriotrique & a été
très - bien accueilli de ce Corps illuftre
auquel il a été préſenté ainfi fes
ouvrages ,le 21 Mars de cette année , par
M. Soufflot , Architecte & Contrôleur
des Bâtimens du Roi , Ecuyer , Chevalier
de l'Ordre de Saint Michel, & .
Membre de cette Académie. Ce jeune
Auteur dans cette féance a goûté la
fatisfaction de voir applaudir fes recherches
, fes talens & fon travail , & d'obtenir
enfuite l'Extrait des Registres de
cette Compagnie ; Extrait que je vais
vous rapporter ici , comme un garant
de la perfection que je viens de vous
annoncer.
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie
Royale d'ARCHITECTURE , du 22
Mars 1763.
M. Barabé a préfenté à PAcadémie
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
quatre morceaux de gravure d'Architecture
éxécutés dans une manière nouvelle
d'après des deffeins du Temple de
Diane à Nîmes , faits à la fin du dernier
fiécle par M. Mignard : ces quatre
Morceaux doivent faire partie d'un Livre
des Antiquités de Languedoc & de
Provence que M. le Comte de Caylus
va donner au Public , & qui fera entiérement
gravé dans cette nouvelle manière
qui a paru à l'Académie très-bien
imiter le lavis à l'encre de la Chine . La
Compagnie qui a vu avec plaifir ces
quatre Morceaux de gravures , & qui
regarde la nouvelle manière dont ils
font exécutés , comme très- agréable &
très- utile , eft d'avis qu'on ne peut trop
encourager M. Barabé qui les a faits à
perfe&ionner de plus en plus ce nouveau
genre de gravures qui rend parfaitement
bien les deffeins d'Architecture.
On vient de mettre au jour une eftampe
en taille douce auffi bien gravée
que compofée . * M. Dupuis , Ğraveur
du Roi y foutient admirablement
la réputation dont il jouit & le tableau de
Elle eft intitulé , Déguisemens enfantins.
AVRIL 1763. 147
,
même grandeur , eft de M. Eiſen ,
Père Deffinateur. Elle est dédiée
à Meffire Jean - Louis - Etienne d'Huteau
, Chevalier & c , Lieutenant de
Roi en la Province du Languedoc &
dé MM . les Maréchaux de France en
Albigeois.
Et fe trouve à Paris chez Buldet
rue de Gefvres . Le prix eft de 40 f.
>
On trouve chez M. Defnos , Ingénieur
pour les Globes & Sphères , rue
S. Jacques , au Globe , une Carte particulière
de la Cayenne , Colonie Françoife
avec le Plan particulier de la
Ville , très-foigneufement gravée.
Comme la Cayenne attire aujourd'hui
l'attention du Public , on a cru
qu'il en verroit volontiers une Carte
particulière ; & celle qu'on lui préſente
ne laiffe rien à defirer pour la connoiffance
éxacte de ce pays . On y a
joint des obfervations fur la découverte
de cette Ifle , fes productions naturelles
, fon étendue , & furtout ce qui
peut être un objet de curiofité dans
les circonftances actuelles.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V.
SPECTACLES,
EXTRAIT DE L'ANGLOIS
A BORDEAUX.
Repréfenté pour la premiere fois par les
Comédiens François , le 4 Mars 1763.
PERSONNAGES . ACTEURS
DARMANT ,
M. Malé.
La Marquife de FLORICOURT , 1
Soeur de DARMANT , Mlle Dangeville.
Mylord BRUMTON , M. Belcour.
CLARICE , Fille du Mylord, Mlle Huff.
ROBINSON , Valet du Mylord ,
M. Armand.
SUDMER , riche Négociant Anglois, M.Préville.
La Scène eft à Bordeaux , dans la Maiſon
de Darmant.
MYLORD BRUMTON s'embarque à
Dublin pour aller à Londres avec
CLARICE fa fille , il tranſporte avec lui
la plus grande partie de fa fortune :
fon Vaiffeau eft attaqué par une Fré- +
AVRIL 1763. 149
E
gate Françoife commandée par DARMANT.
Après un combat très -vif , le
Vaiffeau Anglois coule à fonds ; on n'a
que le temps de fauver les gens de
1'Equipage qui font conduits à Bordeaux.
Le Mylord & fa fille font logés
chez DARMANT , qui employe tous les
moyens poffibles pour adoucir le fort
de fes prifonniers ; mais BRUMTON ne
veut accepter aucuns fecours .
Tous ces détails font exposés dans
la prémiere Scène entre DARMANT &
la Marquife de FLORICOURT,
L'Officier François fe plaint à fa
foeur , de la fierté fuperbe & dédaigneufe
du Mylord qui aime mieux expofer
fa fille aux befoins que d'accepter
un bienfait des mains d'un ennemi.
Mais mon frere , dit la Marquife , en
cherchant à rendre fervice au Mylord ,
ne fongeriez - vous point à fa fille ?
Cette Angloife eft charmante. DARMANT
avoue qu'il adore CLARICE ;
mais il veut qu'elle l'ignore.
,, L'amour dégraderoit la générofité.
LA MARQUISE
5
Qui vous fait donc agir ?
DARMA N. T.
L'humanité.
Giij
150 MERCURE DE FRANCE .
La Marquife fe moque de fa difcré
tion , elle lui confeille de fe déclarer à
Clarice & de faire enforte de gagner
la bienveillance du Mylord.
» Devenez fon ami.
DARMANT.
" Mes foins font fuperflus ;
>>Ses principes outrés d'honneur patriotique ,
» Sa façon de penfer qu'il croit philofophique ,
» Sa haine contre les François ;
>> Tout met une barrière entre nous pour jamais.
POLA MARQUISE.
>> Je prétens la brifer , j'entreprens le Mylord ,
» Nous verrons donc ce Philofophe ,
» Et s'il veut raiſonner ; c'eſt moi qui l'apostrophe.
» Cependant obligez le Mylord en filence
» Et cherchez des moyens fecrets.....
ל כ
DARMANT.
>>J'ai déja commencé ; mais n'en parlez jamais ,
D'un bienfait divulgué, l'amour-propre s'offenfe,
>> Le Valet Robinſon eſt dans mes intérêts ;
» Par fon moyen , fon Maître a touché quelques
>> fommes.
AVRIL. 1763 151
Sous le nom fuppofé d'un Patriote Anglois.
LA MARQUISE.
»Voilà comme il faudroit toujours tromper les
» hommes.
Robinson paroît :
LA MARQUISE.
Que fait ton Maître ?
ROBINSON.
Il penſe ,
DARMAN T.
Et Clarice ,
ROBINSON.
Soupire.
DARMANT demande à ROBINSON
ce que le Mylord penſe de la lettre de
change qu'il lui a fait parvenir ; le valet
lui répond que fon Maître n'a aucun
foupçon à cet égard , & qu'il croit que
le bienfait vient de SUDMER à qui il a
promis fa fille . ROBINSON ajoute : mon :
Maître
>> Convaincu qu'il lui doit ce fervice
Hâtera le moment de lui donner Clarice.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
DARMANT.
» Clarice à Sudmer ?
ROBINSON.
» Oui.
DARMANT.
» Va-t-en.
ROBINSON fe retire ; c'eft par ces
mots que l'intérêt de la Pièce s'établit
& que fe forme le noeud.
La Marquife encourage fon frère.
CLARICE paroît ; elle vient prier Madame
de FLORICOURT de tirer fon père
de la profonde mélancolie où il eft
plongé ......
Il vous a entendu
(continue Clarice).
>> Jouer au Clavecin un concerto d'Indel ;
» Notre Mufique Angloiſe éxcite ſes tranſports
» Pour la premiere fois je vois ici , Madame ,
Le plaifir dans fes yeux & le jour dans ſon âme
DARMAN T.
» Ma foeur , ma foeur , courez au Clavecin .
La Marquife fait connoître qu'elle a
AVRIL. ་
153 1763 .
un autre projet ; elle quitte la Scène.
CLARICE veut rentrer ; DARMANT
l'arrête. Ils ont enſemble un entretien
qui développe l'intérêt. L'un & l'autre
épris de l'amour le plus tendre , diffimulent
leurs fentimens & font tous leurs
éfforts pour fe cacher les mouvemens de
leurs coeurs . Cette fcène filée n'eft point
fufceptible d'un extrait , parce qu'elle
dépend des gradations & des nuances; on
citera feulement ces vers qui la terminent
, & dits fupérieurement par M.
'MOLÉ.
> Le coeur reconnoît- il un Pays différent ?
C'eſt la diverfité des moeurs, des caractères,
Qui fit imaginer chaque Gouvernement.
>> Les Loix font des freins falutaires
» Qu'il faut varier prudemment ,
Suivant chaque climat , chaque tempérament ;
» Ce font des régles néceffaires ,
&
>
Pour que l'on puiffe adopter librement
→ Dės vertus même involontaires.
» Mais ce qui tient au Sentiment ,
N'a dans tous les Pays qu'une Loi , qu'un lan
" gage :
» Tous les hommes également .
» S'accordent pour en faire usage.
François , Anglois , Efpagnol , Allemand
Vont au- devant du noeud que le coeur leur
Gy
t
» dénote ,
154 MERCURE DE FRANCE.
>> Ils font tous confondus par ce lien charmant
» Et quand on eſt ſenſible , on eſt compatriote
>> Malheur à ceux qui penſent autrement ;
>> Une âme féche , une âme dure
» Devroit rentrer dans le néant:
» C'eſt aller contre l'ordre. Un Etre indifférent
>> Eft une erreur de la Nature.
DARMANT fe retire à la vue de
ERUMTON ; ce Mylord eft furieux de
ne voir que des jeux , jeux , de n'entendre que
des ris , des férénades , & d'être étourdi
de chanteurs qui avec leurs maudits tam-.
bourins paffent inceffamment exprès
fous fes fenêtres , pour le troubler dans
fes ennuis.
» Tandis
que la Difcorde en cent climats divers
» De tant d'infortunés écrafe les afyles ,
» Le François chante , on ne voit dans fes Villes
Que feftins , jeux , bals & concerts.
» Quel Dieu le fait jouir de ces deftins tranquilles
Dans lefein de la guerre il goûre le repos.
→ Sans peines , fans befoins & libre fous un Maître
» Le François eft heureux & l'Anglois cherche à
» l'être.
CLARICE.
20. Vous pouvez l'être auffi.
AVRIL 1763. 155
BRUMTON fait rentrer fa fille ; il:
gémit de fe voir retenu chez un peuple
frivole ; il fe précipite dans un fauteuil
& porte les yeux de tous côtés.
>>Tout ne préfente ici qu'un luxe ridicule.
( Il arrête fes regards fur une Horloge : .)
>>Quoi l'art a décoré jufqu'à cette pendule ?:
>> On couronne de fleurs l'interprête du temps ,
» Qui diviſe nos jours & marque nos inftans !
>>Tandis que triftement ce globe qui balance
>> Me fait compter les pas de la mort qui s'avance.
>>Le François entraîné par de légers defirs-
» Ne voit fur ce cadran qu'un cercle de plaifirs.
On tire le Mylord de fes réfléxions ,
en lui apportant de l'argent : BRUMTON
relit la lettre attribuée à SUDMER .
Mylord , je vous envoye une lettre de
change, &c.
Après en avoir fait la lecture , le Mylord
forme le deffein de ne plus demeurer
chez DARMANT. Il charge
fon valet d'aller lui chercher un autre
logement.
5. Pour vivre feuls dans l'ombre & le filénce.
La Marquife paroit , Brumton veutfe retirer
elle l'arrête :
G.vj
156 MERCURE DE FRANCE.
» En qualité d'homme qui penſe ,
» Je ne crois pas que Monfieur fe difpenfe
›› D'éclairer ma raiſon , mon coeur & mon efprit.
» Vous êtes Philofophe , à ce que l'on m'a dit.
D
·
» Communiquez un peu votre ſcience.
LE MYLORD.
Je pense pour moi feul.
LA MARQUISE. ·
» Ah ! quelle inconſéquence i
En vain le Sage réfléchit ,
Si la fociété n'en tire aucun profit ;
>>On doit la cultiver pour elle, pour foi- même.
Eh ! laiffez -là vos fonges creux ;
>> La meilleure morale eft de fe rendre heureux,
>>On ne peut l'être feul avec votre.ſyſtême ,
» Mon inftin &t me le dit & mon coeur encor
>> mieux !
>>La chaîne des befoins rapproche tous les hom
> mes ;
» Le lien du plaifir les unit encor plus.
>> Ces noeuds fi doux pour vous font-ils rompus?
>> Pour être heureux, fayez ce que nous fommes,
LE MYLOR D.
Connoiffez mieux l'Anglois ,Madame, ſon génie
Le porte à de plus grands objets.
AVRIL. 1763. 157
Politique profond , occupé de projets,
Il prétend à l'honneur d'éclairer fa patrie.
» Le moindre Citoyen , attentif à fes droits ,
Voit les papiers publics , & régit l'Angleterre ;
Du Parlement compte les voix ,
>>Juge de l'équité des Loix ,
Prononce librement fur la paix ou la guerre ,
» Peſe les intérêts des Rois ,
Et du fond d'un Caffé leur meſure la terre.
LA MARQUISE.
Jouiffez comme nous.
LE MYLORD.
Mais d'un fi doux lonfir
Quel eft le fruit ?
LA MARQUISE
Le plaifir.
LE MYLORD.
Le plaifir
LA MARQUISE
Je parois ridicule à vos yeux , je le voi.
Mais tout confidéré , quel eft le ridicule ?
Sous des traits différens dans le monde il ci-
>> cule.
Mais au fond, quel eft-il une convention ,
158 MERCURE DE FRANCE.
» Un phantôme idéal , une prévention.
Il n'éxifta jamais aux yeux d'un homme fages
Se variant au gré de chaque Nation ,
» Le ridicule appartient à l'ufage :
L'uſage eft pour les moeurs , les habits , le lan
22
gage .
» Mais je ne vois point les rapports--
»Qu'il peut avoir avec notre âme ;
» L'homme eft homme par -tout : fi la vertu l'en
» flamme ,
» C'eſt mon héros , je laiffe les dehors.
>> Quoi ! toujours notre efprit fantafque
»Ne jugera jamais l'homme que fur le maſque
Nous avons des défauts, chaque Peuple a les fiens.
»Pourquoi s'attacher à des riens?
» Eh ! oui , des riens , des miſéres , vous dis- je ,
Sa Qui ne méritent pas d'exciter votre humeur ;
»C'eſt d'un vice réel qu'il faut qu'on fe corrige :
>>Les écarts de l'efſprit ne font pas ceux du coeur.
BRUMTON eft frappé des lumières
philofophiques qui percent à travers le
tourbillon de la gaîté.
La Marquife dit du bien des Anglois
.
> Comment donc vous penſez &
~fs'écrie Brumton , enfaififfant la main de la Mare
quife. )
Ah ! vous mefédujrjez & vous étiez Angloiſes
AVRIL, 1763. 159
Madame de FLORICOURT qui con
noît dans ce moment tous les avantages
qu'elle a fur le Mylord , va plus loin ;
elle veut l'engager à figurer dans un
ballet. BRUMTON eft indigné de la
propofition ; la Marquife lui replique
vivement.
>> Et pourquoi chercher des raifons
» Pour nourrir chaque jour votre milanthropie
» Vous pensez , & nous jouiſſons :
Laiffez-là , croyez - moi , votre Philofophie ,
Elle donne le fpléne , elle endurcit les coeurs
» Notre gaîté que vous nommez folie ,
» Nuance notre efprit de riantes couleurs
» Par un charme qui fe varie ,
Elle orne la Raifon , elle adoucit les moeurs
»C'eſt un printemps qui fait naître les fleurs
» Sur les épines de la vie.
Madame de FLORICOURT quitte
BRUMTON en ne lui donnant qu'un
moment pour fe déterminer. Mylord
refté feul , fe reproche d'avoir marqué
trop d'aigreur à la Marquife ; car malgréfon
inconféquence , dit- il ,
» Je m'apperçois qu'elle a bon coeur ,
» Et fans qu'elle y fonge elle penfe.
44
» Allons , allons , Mylord , il faut quetu t'apaiſes,
160 MERCURE DE FRANCE.
Fais effort fur toi- même & pardonne aux Fran
çoiſes ;
t
On peut s'y faire....
DARMANT s'avance , il annonce au
Mylord que l'on va renvoyer des prifonniers
Anglois pour pareil nombre
de François , & qu'il l'a fait comprendre
dans l'échange. Qui vous en a prié ?
dit BRUMTON ; je ne veux rien devoir
qu'à ma Nation. J'ai fait des dépêches
pour Londres ; je trouverai fans vous la
fin de mes malheurs . DARMANT remarque
un nouvel accès d'humeur dans
BRUMTON.
DARMANT.
Ah ! je vois ce que c'eft : vous avez vû ma ſoeur
Ses airs évaporés & la tête légére....
MYLORD , à part.
» Veut-il interroger mon coeur ?
DAR MANT.
Oui je conçois qu'elle a pu vous déplaire.
LE MYLORD.
A quoi bon votre foeur ? je l'excufſe aiſément.
a Elle eft femme.
1
AVRIL. 1763. 160
DARMANT.
Son caractere...
LE MYLORD.
M'en fuis-je plaint ?
DARMAN T.
Non , poliment.
LE MY LORD.
Je ne fais point poli.
DARMANT.
Scachez que fon fyftême
»Eftde vous confoler,de vous rendre àvous-même,
»Si je ne l'arrêtois , Monfieur , journellement
Vous feriez obfédé.
LE MYLORD.
Monfieur , laiffez-la faire.
•
DARMANT demande à BRUMTON
fon amitié ou du moins fon eftime. Le
Mylord repart.
» Eh ! malgré moi , Monfieur , vous avez mos
» eſtime ; &c.
162 MERCURE DE FRANCE .
On annonce un Anglois ; c'eft SUDMER
; il fe précipite dans les bras du
Mylord , il fe retourne vers DARMANT ,
il le reconnoît pour fon bienfaiteur.
DARMANT n'a aucune idée d'avoir vu
SUDMER . Celui-ci lui dit :
>>>Je ſuis affez heureux moi ,pour vous reconnoître .
» Rappellez-vous que je vous dois la vie.
>>Vous changeâtes pour moi la fortune ennemies
( Portant la main fur fon coeur:)
» Voilà le livre où font écrits tous les bienfaits.
>>Vous êtes mon ami , du moins je fuis le vôtre
» C'eſt par vos procédés que vous m'avez lié :
›› Je m'en fouviens , vous l'avez oublié ,
as Nous faiſons notre charge en cela l'un & l'autre,
Il raconte les obligations qu'il a a
DARMANT. BRUMTON reproche à
SUDMER l'accueil qu'il fait au François.
Vous n'êtes pas Anglois,
SUDMER.
Je fuis plus ; je fuis homme.
Qu'avez-vous contre lui ? cette froideur m'af
>>fomme ;
Efclave né d'un goût national ,
AVRIL. 1763. 163
"
» Vous êtes toujours partial !
N'admettez plus des maximes contraires ,
Et comme moi voyez d'un oeil égal , ""
" Tous les hommes qui font vos frères.
J'ai détesté toujours un préjugé fatal.
,, Quoi ! parce qu'on habite un autre coin de terre
‚ Il faut ſe déchirer & ſe faire la guerre.
" Tendons tous au bien général ;
5, Crois- moi , Mylord , j'ai parcouru le monde ,
Je ne connois fur la machine ronde
» Rien que deux Peuples différens §.
Sçavoir les hommes bons & les hommes mé→
,, chans.
,,Je trouve par- tout ma patrie
Oùje trouve d'honnêtes gens
,, En Cochinchine , en Barbarie ,
,, Chez les Sauvages mêmes ; &c.
SUDMER invite DARMANT à être
de fa nôce ; BRUMTON fe retire pour
aller avertir fa fille de l'arrivée de
SUDMER. DARMANT ne peut cacher
fon trouble ; SUDMER le foupçonne
d'être fon rival: il veut s'en éclaircir.
DARMANT le quitte .
CLARICE paroît avec fon père ;
SUDMER la trouve charmante ; il lui
demande s'il aura le bonheur d'en être
aimé ; la réponſe de CLARICE donne
encore lieu à des foupçons. BRUMTON
164 MERCURE DE FRANCE.
répond pour fa fille. Je fçais , dit-il ,
comme ma fille penfe , & la reconnoiffance
qu'elle fent comme moi de vos
rares bienfaits , doit l'attacher à vous tendrement.
Quels font ces bienfaits ? re-:
plique SUDMER. Le Mylord lui montre
la lettre qu'il a reçue de fa part ; le Négociant
n'y comprend rien.
Je fais dans un courroux extrême , dit-il, )
Comment , quelqu'an a pris mon nom ,
Pour faire une bonne aЯtion
Que j'aurois pû faire moi-même ?
Il fort pour aller demander des éclairciffemens
au Banquier qui a payé la
lettre de change.
Dans la Scène fuivante le Mylord interroge
fa fille fur les difpofitions de
fon coeur ; elle lui répond avec une franchife
Angloife , qu'elle eft prête à obéir
à fon père ; mais qu'elle n'a pu fe défendre
d'aimer DARMANT. Le Mylord
eft frappé d'étonnement : fa fille le
raffure en lui difant que rien n'a fait
connoître fes fentimens à l'Officier François
, & qu'elle ignore de même les
fiens.
SUDMER arrive ; il n'a pû rien fçavoir
du Banquier. On appelle ROBINAVRIL.
1763. 169
SON ; ce valet forcé par des menaces
de découvrir la vérité , déclare que DARMANT
eft l'auteur des bienfaits que le
Mylord a reçus
"2
LE MYLORD.
O Ciel ! aimeroit-il ma fille ?
ROBINSON.
, Oh ! non , Mylord , iln'oferoit
C'est générosité toute pure.....
Le Mylord demande à CLARICE £
elle eft inftruite ; elle protefte que non.
La Marquife arrive ; fon frère la fuit.
Elle annonce que la paix eft ratifiée &
fait une peinture très-vive de la joie
publique. BRUMTON dit à DARMANT.
Nos Nations font réconciliées .
Par vos traits généreux vous m'avez corrigé,
Et l'amitié furmonte enfin le préjugé :
Que par cette amitié nos maiſons foient liées.
,,Pour vous marquer combien vous m'êtes cher,
Vous fignerez le Contrat de ma fille ""
,, Que dès ce ſoir je marie à Sudmer.
DARMANT eft confterné. La Marquife
rit ; le Mylord en demande la
raiſon; ta Marquise découvre l'amour de
166 MERCURE DE FRANCE .
fon frère pour CLARICE. SUDMER dit
à BRUMTON qu'il pourroit faire une
fottife d'époufer fa fille ; il ajoute :
"
""
Mon rival doit au fond avoir la préférence ,
Sous mon nom il a fçu faifir l'occafion
› D'avoir pour vous ,Mylord , un procédé fort bont
Si je deviens le mari de Clarice ; ""
,, Il eft homme peut-être à rendre encor fervices
„, Je ſuis accoutumé d'être ſon prête-nom .
Le Mylord donne fa fille à DARMANT
& lui- même épouſe la Marquiſe.
SUDMER applaudit à cette double al
liance & dit au François.
,,Daignez , mon cher Darmant , en cette circon .
,, ftance ,
,, Me foulager du poids de la reconnoiffance :
,,Jefens queje fuis vieux,je me vois de grands biens,
Je n'ai point d'héritiers ; foyez tous deux les
"
""
miens....
Point de remerciment , ce feroit une offenfe.
,, Si je vous fçais heureux , mes amis , c'eſt affez ,
C'est vous , c'est vous qui me récompenfez.
La Marquife termine la Pièce
"
quatre vers fuivans.
39
par
les
Lecourage & l'honneur rapprochent les pays,
,,Et deux Peuples égaux en vertus , en lumières,,
De leurs divifions renverfent les barrières
"> Pour demeure toujours amis.
AVRIL. 1763. 167
OBSERVATIONS SUR L'ANGLOIS
A BORDEAUX.
Il ne nous refte que peu de chofes à ajouter
à ce que nous avons dit fur cette Piéce dans le
précédent Mercure , auquel nous prions les Lecteurs
de vouloir bien permettre que nous les
renvoyons.
Tout le monde conçoit aifément ce que doit
être un Drame fait & conftruit pour une circonftance
à laquelle , action , intrigue , carac
tères , fituations , jeu de Théâtre , & furtout le
dénoûment doivent ſe rapporter. On peut donc
fentir par la difficulté de l'ouvrage , le prix de
l'intelligence & de l'art qui regnent dans celleci
; puifqu'en y faifant la plus légére attention ,
on apperçoit que cette Comédie fans éprouver
beaucoup de changemens , & fans aucun renverfement
de conftruction ni dans le fond ni dans
les détails , deviendra une Comédie de tous les
temps , & une Comédie toujours agréable.
On fe difpenfera de répondre à ceux qui ju
geroient le caractère du Mylord trop obstinément
mifanthrope. Il y a dans la conſtitution du
Drame & dans la néceflité des contraſtes , dequoi
juftifier à cet égard la touche un peu forte de ce
caractère. On doit fe prêter aux difficultés de
l'art pour nuancer le fond d'un caractère national
, de manière à produire par les conféquences
des mêmes principes , des fentimens , une humeur
& une conduite auffi oppofés qu'on les voit
à tous momens entre Sudmer & ce Mylord . L'ef168
MERCURE DE FRANCE .
fet qui en réſulte eft fans contredit affez agréable
pour ne pas s'attacher à en critiquer fcrupuleufement
les moyens , d'autant qu'ils ne préfentent
rien de forcé au premier afpect .
Les détails du rôle de la Marquife le rour
agréable de fa Philofophie , ce qu'il prêtoit au
plaifir de voir & d'entendre plus longtemps Mlle
Dangeville , l'objet de regrets fi juftes & fi vivement
fentis par le Spectateur, tout devoit nous
empêcher d'examiner s'il n'y auroit pas eu quelques
moyens de rendre les progrès de la conquê
te fur le Mylord un peu plus fenfibles dans leur
gradation.
Nous avons déja parlé précédemment du coloris
de cette Piéce. Aujourd'hui que nous venons
d'en mettre une partie fous les yeux du Public ,
ce feroit faire tort à l'Auteur , que de prévenir
les éloges qu'il recevra de chaque Lecteur ,
éloges plus fateurs pour lui que ceux que nous
répéterions ici.
Les Comédiens François ont fait l'ouverture
de leur Théâtre,Lundi 11 Avril,
par Sémiramis , Tragédie de M. DE
VOLTAIRE & le Somnambule.
Nous ne pouvons plus nous diffimuler
, ni au Public , la perte que nous
avions différé de conftater. Toutes les
follicitations , les offres les plus avantageufes
& les plus honorables , l'attrait
de fa propre gloire , attrait renouvellé
autant de fois que paroiffoit Mademoifelle
DANGEVILLE rien n'a pû la
détourner du projet annoncé de fa retraite,
,
AVRIL. 1763. 169
traite , malheureuſement trop indiſpen :
fa fanté.
fable
pour
Le Public , amateur du Théâtre , a eu
d'autres regrets à joindre à celui - ci , par
la perte de Mademoiſelle GAUSSIN.
M. DANGEVILE , frère de l'admirable
Actrice dont on ne peut fe confoler ,
vient auffi de fe retirer.
Le Compliment que M. DAUBERVAL
a prononcé à l'ouverture du Théàtre
, contenant le jufte tribut d'éloges
que nous nous propofions de payer
aux deux A&trices dont on vient de
parler nous allons le rapporter en
entier.
و
t
COMPLIMENT prononcé par
M. DAUBERVAL , à l'ouverture du
Théatre François , le 11 Avril 1763 .
MESESSIEURS , JRS ,
" LA fonction auffi flateufe qu'hono-
» rable
que j'ai à remplir , met celui qui
» en eft chargé à portée d'ofer vous ren-
» dre compte de fon zèle , de fes efforts
» pour mériter vos bontés , & de folliciter
» votre indulgence dont perfonne n'a plus
II. Vol.
"
H
170 MERCURE DE FRANCE.
» befoin que moi. C'eft en connoiffant &
» en fentant tout le prix de ce précieux
» avantage , que je ne puis cependant
» me diffimuler qu'aujourd'hui il de-
» voit regarder un des Acteurs le plus
» en poffeffion de vous plaire ; vous
» feriez moins affectés des pertes qu'il
» vous apprendroit , fi vous aviez fous
» les yeux une des reffources qui vous
reftent. Vous préffentez aifément ,
» Meffieurs , que je vais parler de Ma-
» demoiſelle GAUSSIN & de Made-
» moiſelle DANGEVILLE.
"
» On a l'obligation à la premiere d'un
» genre nouveau de Comédie ; fa figure
» charmante , les graces ingénues de fon
» jeu , le fon intéreffant de fa voix ont
» fait imaginer de mettre en action des
» tableaux anacréontiques : fes yeux
parloient à l'âme ; & l'amour fembloit
l'avoir fait naître pour prouver
» que la volupté n'a pas de parure plus
piquante que la naïveté . Cette perte
» étoit affez grande ; celle de Mademoi-
» felle DANGEVILLE achève de nous
accabler.
"3
»
» Cette Actrice fi pleine de fineffe
» & de vérité , qui renfermoit en elle
» feule de quoi faire la réputation de
» cinq ou fix A&trices , cette favorite
AVRIL. 1763 . 171
des grâces à laquelle perfonne ne
» peut reffembler , puifque dans tous
» les rôles elle ne fe reffembloit pas elle-
» même : Mademoiſelle DANGEVILLE
» fe dérobe à fa propre gloire , & fair
» fuccéder vos regrets à vos acclama-
» tions .
» Vous n'avez rien épargné , Mef-
» fieurs , pour la retenir ; vos applau-
» diffemens réitérés exprimoient ce que
»vous paroiffiez en droit d'en éxiger ,
» & fembloient lui dire , vous faites nos
" plaifirs ; Thalie vous a ouvert tous
» fes tréfors ; elle vous a difpenfé les
» richeffes de tous les âges ; vos per-
» fections toujours nouvelles triomphe-
» ront dutemps . Pourquoi nous quittez-
» vous ?
»
» Les Auteurs lui répétoient fans
» ceffe : nous trouvons fi rarement un
» Acteur pour chaque caractère , vous
» les faififfez tous ; nous avons tant de
» peine à vaincre les cabales , votre
préfence les enchaîne . Notre art eft fi
» difficile , vous applaniffiez nos obſta-
» cles , vous n'en rencontrez point pour
» atteindre l'excellence du vôtre ; &c
vous fçavez fi bien le ménager , qu'il
» femble que ce foit la nature même
» qui vous en épargne les frais. Pour
"
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
"" chère
» quoi nous abandonnez - vous ? Enfin
» Meffieurs , vous regrettez un Actrice
» qui vous enchantoit , & nous ne nous
» confolons pas de nous voir privés
» d'une Camarade qui nous étoit auffi
que précieufe. Au lieu d'avoir
» le fafte trop ordinaire au grand ta-
» lent , elle ignoroit fa fupériorité &
» doutoit d'elle - même quand nous la
prenions pour modèle . Elle fçavoit
» par le liant de fon caractère fe con-
» cilier tous les efprits ; & fans fe don-
» ner aucun foin pour ſe faire un parti ,
» elle n'en avoit que plus de partiſans :
» nous l'admirions & nous l'aimions .
" Sa famille eft depuis long-temps ,
Meffieurs , en poffeflion de vous plaire;
», & fon frère , qui fe retire auffi , vous
a tracé fouvent le fouvenir d'un oncle
fon modèlé. L'un & l'autre ont
39
"
prouvé par leurs fuccès, dans ces rôles
» peu brillans par eux- mêmes, qu'aucun
» genre comique n'eft ftérile , que lorf-
», que l'on manque de talens .
Ces pertes multipliées , au lieu de
nous décourager , Meffieurs , vont-ré-
» doubler notre application pour avoit
droit à vos fuffrages : ce n'eft qu'en
» vous offrant des progrès dans nos ta
lens , ce n'eft qu'en en découvrait
AVRIL. 1763. 173
de naiffans , que l'on peut vous con- .
» foler , Meffieurs , de ceux que vous
» aurez peut-être trop long-temps fujet
» de regretter. »
ود
COMÉDIE ITALIENNE.
LEE
S Comédiens Italiens ont fait l'ouverture
de leur Théâtre le même jour,
11 Avril, par les Soeurs Rivales , le Bucheron
, & Arlequin crú mort.
OPERA.
LA Salle de l'Opéra , compriſe dans
l'incendie qui a confumé ( le Mercredi
6 de ce mois ) quelques parties des Bâtimens
du Palais Royal , ayant été
totalement détruite par la violence
des flammes , en moins d'un quart
d'heure , l'Académie Royale de Mufique
n'a pu reprendre le cours de fes repréfentations
dans le temps accoutumé.
Cependant, l'attention du Gouvernement
pour tout ce qui peut intéreffer le
Public , n'a pas laiffé un moment d'incertitude
fur le fort d'un Spectacle auffi
néceffaire à l'amufement des Citoyens,
H iij
174 MERCURE DE FRANCE,
que convenable à la fplendeur de la Ca
pitale . Dès le lendemain de l'embrâſement
, M. le Comte de S. Florentin , Miniftre
& Secrétaire d'Etat , adreffa aux
fieurs Rebel & Francoeur , Directeurs de
cette Académie , des ordres par écrit à
l'effet d'affurer les Sujets qui la compofent
, de la continuité de leur état , en
enjoignant à chacun d'eux de ne fe pas
écarter , & d'être prêts à reprendre l'exercice
de leurs talens inceffamment ,
dans le lieu qui aura été déterminé ,
en attendant qu'on ait pris les mefures
& les moyens convenables pour la
conftruction d'une nouvelle Salle.
SUITE des Concerts Spirituels.
Il y a eu Concert tous les jours de la Semaine
Sainte.
"
;
Dans les premiers , on a repris quelques- uns
des Moters à grand choeur qui avoient été éxécutés
précédemment Inclina Domine , de M.
BLANCHARD , Maître de Mufique de la Chapelle
du Roi. Confitemini , autre Moter à grand choeur
de M. l'Abbé GOULET , ancien Maître de Mufide
l'Eglife de Paris ; le Deus venerunt Moter
a grand choeur de feu M. FANTON , d'une belle
& fçavante diftribution & d'un grand effet. Le
Lundi Saint on avoit éxécuté pour la première
fois Dixit Dominus Domino meo , Motet àgrand
choeur del Signor Leonardo Leo , Ouvrage d'un
que
AVRIL. 1763. 175
affez beau travail pour l'harmonie & d'un genr
qui porte le caractère du temps où la Mufique
Italienne n'avoit pas encore été corrompue par
l'extravagance des faillies & par la furabondante.
affluence des tours d'éxécution .
On éxécuta le Mercredi Saint , l'admirable
Stabat de PERGOLEZE . Mademoiſelle HARDI ,
dont nous avons déja parlé , & M. AIUTO de la
Mufique du Roi y récitoient . On connoît le mérite
de ce célébre Motet ; on l'a donné les deux
autres jours fuivans , & il a été tous les jours trèsbien
éxécuté . Mademoiſelle HARDI y a eu beaucoup
d'applaudiffemens. Les autres grands Motets
qu'on a donnés avec le Stabat , n'ont ni moins
de mérite ni moins de célébrité dans leur genre.
Le même jour , on éxécuta le Miferere de feu
M. de LALANDE. Mademoiſelle ARNOULD y
chanta le récit Sacrificium Deo , avec cette expreffion
touchante qui eft naturelle à la qualité
de fa voix & au caractère de fon talent ; les applaudiffemens
qu'elle y reçut , font garans de cet
éloge. Le Jeudi , on donna le Motet connu fous
le nom de Meffe de GILLES ; ouvrage dont la
célébrité difpenfe d'ajouter aux éloge sde tous
les connoiffeurs.
Ce même jour ( Jeudi Saint ) M. AIUTO ,
par quelqu'accident imprévu , n'ayant pu arriver
de Verfailles pour le temps du Concert , M. BBSCHE
fe prêta à y fuppléer dans le Stabat. L'art
avec lequel il s'acquitta de l'éxécution de cette
partie , mérite autant d'éloges que fa bonne volonté.
Sans beaucoup de connoiffance en mufique
on conçoit facilement de quelle difficulté il eft
de convertir fur le champ une partie de deffus
en haute-contre , en n'altérant point la modu
lation d'un chant auffi précieux que l'eft
H. iv
176 MERCURE DE FRANCE.
celui du Stabat . C'eft ce que fit M. BESCHE avec
une préciſion , une fageffe & un goût qui attirerent
les applaudiffemens de tous les auditeurs.
Le Vendredi Saint , on donna le De profundis
de M. REBEL , Sur- Intendant de la Mufique du
Roi. Nous avons déja eu occafion de parler de
ce Motet , dont la célébrité eft actuellement établie
avec juftice. Il fut fort bien éxécuté & fit un
très- grand effet . On finit par le Stabat.
Les Moters du Samedi Saint furent Regina
cali , de M. l'Abbé TOUSSAINT , Maître de Mufique
de la Cathédrale de Dijon , qui parut être
goûté ; & un Salve Regina à grand choeur ,
de
M. KOHAULT , duquel nous avons parlé à l'occafion
des Duos de Luth & de Violoncelle avec
M. DUPORT. Ce Motet avoit été éxécuté le Jeudi
précédent entre les deux grands Moters & jugé
très digne d'être au même rang & de ter
miner un Concert. Le génie , le goût & l'agrément
regnent dans toute la compofition de ce
morceau : il eft travaillé d'une manière brillante ,
mais fans bifarrerie . Mlle FEL y chantoit des récits
avec un accompagnement de Violoncelle
obligé , éxécuté par M. DUPORT. C'étoit avoir
réuni tout ce qui eft le plus agréable au Public
dans un Motet qui par lui -même méritoit les
fuffrages.
Le jour de Pâques, on éxécuta Dominus regnavit,
de feu M. DE LALANDE . Mlle ARNOULD Y chanta
un récit. On finit par Deus venerunt , de feu M.
FANTON . Nous avons parlé plus haut de ce motet.
Il nous refte à ajouter que le Public & les connoiffeurs
paroiffent aimer beaucoup la musique de
cet Auteur & regretter que l'on n'en donne pas
plus fouvent.
M. BESCHE fit beaucoup de plaifir dans le pe
tit Motet de M. Mouret Benedictus .
AVRIL 1763. 177
Le Lundi , le Concert commença par Notus in
Judæa, de la compofition de M. MATHIEU , le fils ,
Ordinaire de la Mufique du Roi , & finit par Lauda
Jerufalem , de M. l'Abbé GIROULT , Maître de
Mufique de la Cathédrale d'Orléans.
Le Mardi de Pâques , Cantemus , motet de M.
GIRAULT , Ordinaire de la Mufique du Roi & de
l'Académie Royale , dans lequel il y a beaucoup
de chofes agréables & bien travaillées , qui furent
applaudies . Le Dixit , da Signor LEO .
Le Vendredi , après les Fêtes , il y eur Concert.
On y reprit le Miferere , de M. DE LA LANDE, dans
lequel Mile ARNOULD , avec plus de fuccès encore
que la premiere fois ,y chanta l'admirable recit Sacrificium.
L'impreffion qu'elle fit fur le Public
dans ce morceau fut univerfelle & de la plus
grande vivacité ; les applaudiffemens qu'on lui
donna exprimerent d'une manière inconteftable
la juftice que nous rendons ici aux grands talens
de Mile ARNOULD pour tout qui ce porte le caaractère
du Sentiment. i
2
On termina cé Concert par Mifericordias Domini
, Motet de M. BLANCHARD , digne du
métite reconnu de cet Auteur.
Le Dimanche de Quafimodo , jour de la clôcure
des Concerts , on commença par Lauda
Jerufalem de M. DE LALANDE Mlle ARNOULD
y chanta un récit. On reprit le Motet Mifericordias
Domini..
3
1.K
&
Ce Concet fut remarquable par une nowveauté
très - intéreſſante pour le Public ,
qui par le fuccès lui devint on ne peut pas plus
agréable . Mlle DUBOIS , de la Comédie Fran
çoife , dont nous avons eu occafion d'annoncer
les progrès dans le grand art de la Déclama
tion tragique, fit l'eflai le plus flatteur pour elle
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
de fes autres talens , en chantant à ce Concert
un Motet à voix feule de feu M. MOURET , avec
une très -belle voir, la plus belle articulation ' ,
la juftelle des fons & la précifion des mouvemens
, qu'on loueroit dans une Cantatrice confommée
& journellement exercée. On conjecture
facilement combien elle fut applaudie..
Les divers talens , foit fymphoniſtes , foit chanzeurs
qui font habituellement les plaifirs du Public
à ce Concert , ne nous fçauront pas mauvais
gré ne de pas répéter ni détailler ici tout ce
qu'ils ont reçus & mérités de nouveaux éloges.
M. GAVINIES , M. BALBASTRE , M. DUPORT "
prodige fur lequel nous n'avons plus d'expref
fions ) ont joué chacun des Concerto ou dés
Sonates dans plufieurs de ces Concets. Les Duos
entre M. KOHAUT fur le Luth & M. DUPORT
fur le Violoncelle , ont été fréquemment répétés
& jamais trop applaudis au gré du Public.
M. LE MIERRE , M, CAPRON , déja connus &
arès-goûtés du public, ont éxécuté fur le violon des
morceaux de diſtinction à pluſieurs de ces Concerts.
M. MAYER , dont on a parlé ci - devant, a
joué de la Harpe au dernier Concert , avec le
même fuccès qu'il avoit eu cet Hyver.
M. LEGRAND a éxécuté un Concerto fur l'Or
gue, qui a été généralement approuvé.
M. BOUTEUX joua le Vendredi 8 , un Concerto
de Violon dans lequel il eut beaucoup
d'approbateurs .
M. FELIX REINER , ordinaire de la Mufique
du Duc de BAVIERE , a éxécuté plufieurs fois .
divers morceaux fur le Baffon , avec beaucoup
de talent & une grande pratique de cet inftru
ment .
Nous croyons nous être rappellés les nou
AVRIL. 1763. 170
veautés en talens qui ont contribué à l'agrément
& à la beauté des Concerts pendant les trois
femaines de Pâques.
Nous ne devons pas obmettre que le jeune
M. DUBUT , cité dans le précédent Volume , a
paru dans prefque tous les Concerts fuivans , où.
il a toujours fait plaifir .
>
Mlle HARDI , qui a chanté à tous les Concerts,
& dont nous avons parlé au commencement du
mois , paroît avoir été la nouveauté intéreffante
cette année qui a fixé l'attention & les fuffrages
des Auditeurs. Il eft honorable pour ce
jeune Sujet d'avoir par une épreuve auffi peu
fufpecte que l'approbation univerfelle , prouvé
qu'elle mérite les bienfaits de fes auguftes Protecteurs.
Mlle ROZET a chanté plufieurs Moters à voix
feule avec une très- belle voix & les marques
d'un progrès fenfible dans l'art.
Mlle BERNARD , de laquelle on a parlé dans
plufieurs Mercures , a chanté auffi quelquefois.
Ce font Mlle FEL , Mrs GELIN , BESCHE &
MUGUET qui ont foutenu feuls , cette année, le
fonds de la Mufique pour les grands récits pendant
tout le cours des Concerts.
Le Public paroît confirmé dans l'opinion avan -
tageufe qu'il avoit conçue d'abord des nouveaux
Directeurs du Concert , par le bon choix des
ouvrages & des talens qui ont paru pendant
ces trois ſemaines de Pâques.
HvF
180 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V I.
SUITE des Nouvelles Politiques du
mois de Mars.
ور
ور
"
SUITE de l'Article de WARSOVIE.
„ Loin donc que Sa Majefté Impériale veuille
> ufurper les droits de la République , Elle avoue
» hautement la Suzeraineté de la République de
Pologne fur lefdits Duchés , & elle ne le pro-
» pole pas moins de les maintenir conftamment
» dans leurs dépendances féodales avec la République.
Elle ne reconnoît & ne reconnoîtra
» jamais pour Duc légitime des Duchés de Cour-
>>lande & de Semigalle que le Duc Erneſt -Jean ,
>> invefti légalement du confentement de toute la
République.
כ כ
02
Par- là Sa Majefté Impériale remplit ce qu'exigent
la juftice & le droit du voisinage , & ne
> fait que fuivre les conftitutions & les loix de la
République , à l'exemple de toutes les Puiffances
» de l'Europe qui , en vertu de fes conftitutions ,
» ont reconnu Erneft - Jean , Duc légitime de
Courlande.
Le Duc de Biren, par desUniverfaux datés de Mittau,
oùila fait un voyage leiode ce mois ,a fixé leroe
du mois prochain pour l'affemblée qu'il annonce ,
& en preffant la Régence & la Nobleffe dontelle
fera compofée , de lui rendre hommage
il s'étend fur les fervices que lui rend l'Impératrice
Catherine , en le rétabliffant dans fon
honneur & dans fes biens , fans dire un mot
AVRIL. 1763.
181
ni du Roi ni de la République de Pologne
enfin il déclare que Samedi prochain 22 de ce
mois , il s'établira à Mittau avec toute fa famille.
Le fieur Simolin', Réfident de Ruffie , a
accompagné les Univerfaux du Duc de Biren
' d'une lettre circulaire , dans laquelle il recommande
de la part de fa Cour à la Nobleffe
Courlandoife de fe foumettre à l'ancien Souverain
rappellé. Il promet à ceux qui le reconnoîtront
aujourd'hui , la protection de l'Impératrice
fa maîtreffe , & menace au contraire de l'indignation
de cette Princeffe ceux qui voudroient lui
réfifter. Le Duc Charles , qui eft toujours à Mitrau
, a cru devoir envoyer ces deux Piéces au Roi
fon père , en lui écrivant , comme à fon Seigneur
Suzerain lui dénoncer ces procédés vio- > pour
lens , dont l'effet achévera de détruire fon établiffement
en Courlande : il réclame toujours la
protection du Roi , celle de la République , & les
ordres de Sa Majefté fur la conduite qu'il doit
tenir.
Sa Majesté Polonoiſe a répondu à ce Prince
que , ne pouvant lui rien préfcrire fans l'avis du
Sénat , elle a fait expédier fes Lettres néceffaires
pour le convoquer , & que le réfultat des délibérations
de cette Affemblée fixera le parti qu'il
aura à prendre. On compte que ce Confeil aura
lieu vers la fin du mois . prochain .
De MITTAU, le 17 Janvier 1763.
Le Duc Charles eft encore dans fon Palais :
cependant on a loué dans la même rue cinq
maifons , qui doivent être occupées par le Duc de
Biren & fa famille ; ce qui fait penfer que les
Ruffes n'ont encore aucun ordre d'ufer de violence
envers le fils de Sa Majesté Polonoiſe ."
Le Réſident de Ruffie a envoyé des foldats chez
l'Imprimeur de cette Ville , & l'a forcé de
182 MERCURE DE FRANCE.
changer les feuilles déja imprimées d'un Alna.
nach pour la prefente année , dans lequel le
Prince Charles étoit nommé comme Duc de
Courlande : on a fait fubftituer à fon nom & à
Les titres le Duc de Biren.
Le Chancelier de Courlande ayant reçu ordre
de l'Impératrice de Rulie , par un refcrit que lui
communiqua le Réfident de cette Princelle , de
faire entendre au Prince Charles , que Sa Majefté
Impériale ayant pris la ferme réſolution de protéger
efficacement le Duc de Biren & de le réta
blir dans les Duchés de Courlandé & de Sémi
galle , le Prince n'avoit point de meilleur parti à
prendre ,que de le retirer de ces Duchés . Le Chancelier
s'étant acquitté de cette fâcheuse commiffion
, le Duc Charles l'a chargé de demander une
copie du refcrit au fieur Simolin , qui l'a refusée.
Le Prince a fait réponſe que , malgré la confidération
& le refpect qu'il devoit à l'Impératrice de
Ruffie , il n'avoit d'ordre à recevoir que du Roi
fon père , & qu'il les attendroit pour prendre fon
parci.
DE COPPENHAGUE , le 8 Janvier 1763.
.
Le Roi a nommé Lieutenant- Général de fes
Armées le fieur de Chaz ot , Gentilhomme François
, Commandant de Lubeck.
DE HAMBOURG , le 25 Janvier 1763 .
Les Prifonniers Pruffiens qui font détenus à
Ulm , avoient fait un complot pour le procurer
leur liberté , pour cet effet , ils fe font affemblés
pendant la nuit & ont attaqué très - vivement
une grande garde , après avoir defarmé la fentinelle
; mais l'allarme s'eft répandue promptement
dans la Ville ; on eft venu au fecours de
la garde , & fes prifonniers ont été arrêtés &.
AVRIL. 1763. 183
-refferrés plas étroitement. On mande qu'il a péri
dans ce tumulte un Lieutenant avec quelques
foldats des troupes de la Ville & quinze Prufs
Liens.
DE RATISBONNE , le 24 Janvier 1763..
Les Miniftres de Bamberg , Wurtzbourg &
Eudle , viennent d'accéder aux fuffrages de ceux
qui dans le Collége des Princes , ont voté pour
le parti de la neutralité. Celui de Brandebourg-
Culmbach a auſſi déclaré que le Margrave , fon
Maître , étoit prêt de concourir aux mefures propres
à rétablir la tranquillité de l'Empire.
DE NUREMBERG , le 3 Février 1763 .
On vient d'apprendre que l'Electeur Palatin
envoyé ordre au Général d'Effern , qui commande
fon contingent , de quitter l'Armée de l'Empire
& de fe rendre dans les Etats de fon Alteffe
Electorale ; & qu'en conféquence les troupes Pa
latines fe font mifes en marche , & ont paffé la
riviére du Tauber le premier de ce mois , pour
fe porter dans le Duché de Neubourg.
De Madrid , le 25 Janvier 1763.
Le Roi vient de confirmer en faveur du Comte
Don Cafimir Pignatelli , Lieutenant- Général des
Armées de Sa Majesté Très- Chrétienne , le titre
de Grand d'Espagne , attaché à la maifon d'Egmont.
Sa Majesté a relevé pour toujours ce titre
du droit de Lanfas , & de demi- annate.
DE ROME , le 26 Janvier 1763.
Le Cardinal Jérôme Colonna , Diacre du titre
de Sainte Agathe,Camerlingue de la fainte Eglife,
1184 MERCURE DE FRANCE.
2
Grand-Prieur de Rome ; & Archiprêtre de la Bafilique
de Sainte Marie- Majeure , mourut la nuit
du 17 au 18 de ce mois , dans la cinquante- cinquiéme
année de fon âge. Il vaque par. cette
mort un fixiéme Chapeau dans le facré Collège,
en comptant celui dont la nomination eft réfervée
au Roi de Portugal,.
ན
DE NAPLES , le 8 Janvier 1763.
9
L'aventure fuivante a été inférée dans la Gazette
de certé Ville . Une femme de Créntone fut
' accufée par la voix publique d'avoir ôté la vie à
fon mari , quoiqu'on n'eût d'autre preuve - contre
elle que l'abfence du mari , dont on n'avoit aucune
nouvelle depuis deux ou trois ans & le
commerce affez intime que cette femme paroif-
Loit entretenir avec un autre homme. Sur de femblables
foupçons on lui fit fon procès. La crainte
des tortures lui fit avouer un crime qu'elle n'avoit
pas commis ; elle fut condamnée à être pendue
& fon corps fut jetté dans le Pô. Cinq à fix jours
après l'exécution arriva le mari , qui revenoit
du Pays de Parme , où il s'étoit engagé pour
trois ans. Il apprend tout ce qui s'étoit paffé ; il
fe montre aux accufateurs & aux Juges pourjuftifier
la femme on le traite d'impofteur , & on
lui foutient que le véritable mari eft mort , puifque
fa femme a été pendue pour l'avoir fait
mourir. i
FRANCE .
Nouvelles de la Cour , de Paris ,&c.
DeVERSAILLES , le 16 Fevrier 1763 .
Le Maréchal Duc de Biron & le Duc de
Choifeul ont fait entendre au Roi tes Mufiques
AVRIL. 1763 . 185
attachées au Régiment des Gardes Françoiles &
Suiffes ; & Sa Majesté en a paru très - fatisfaite .
Leurs Majeftés ainfi que la Famille Royale ,
ont figné , le 23 du mois dernier , le Contrat
de mariage du Comte de Sparre avec la Demoiſelle
de Camufet. Le Comte de Sparre eft
d'une Famille de Suede , très - ancienne dans ce
Royaume ,& illuftrée par plufieurs alliances avec
des Maifons Souveraines. Son Père , le Comte
de Sparre , Maréchal des Camps & Armées du
Roi , eft petit-fils du Comte Pierre Sparre , Ambaffadeur
de Suede en France en 1675 .
Le 24 du même mois il y a eu Bal à la Cour.
Leurs Majeftés , ainfi que Monſeigneur le Dauphin
, Madame la Dauphine , Madame Adélaïde ,
Mesdames Victoire & Sophie l'honorerent de leur
préfence. Le Duc d'Orléans , le Duc de Chartres
, le Prince de Condé , le Comte de Luface
, & la Comreffe de Henneberg , affifterent
à cette affemblée , qui fut très -brillante par le
concours & la magnificence des Seigneurs &
des Dames de la Cour.
Le 25 la Comteffe de Choifeul- la - Beaume a
été préfentée à Leurs Majeftés , ainfi qu'à la Famille
Royale , par la Ducheffe de Choifeut.
Le fieur Hardion , de l'Académie Françoife ;
a eu l'honneur de préfenter à Leurs Majeftés
& à la Famille Royale les 15 & 16 ° volumes
de fon Hiftoire Univerfelle. Le fieur Targe , ci
devant Proffeffeur de Langue Françoife , & ac
tuellement Profeffeur de Mathématique à l'Ecole
Royale Militaire , a préfenté auffi à Monfeigneur
le Duc de Berry & à Monſeigneur le Comte
de Provence , les Tomes 5 , 6 , 7 , & 8 de
fa Traduction de l'Hiftoire d Angleterre ; par le
feur Smolett. £
Sa Majesté a difpofé de la Lieutenance Géné186
MERCURE DE FRANCE.
rale du Comté de Charolois & du commande,
ment en Chef de la Province de Bourgogne
vacant par la mort du Marquis d'Anlezy , en
faveur du Comte de la Guiche , Lieutenant Gćnéral
des Armées du Roi.
Le 30 , le fieur d'Argouges , nommé à la.
place de Lieutenant Civil au Châtelet de Paris ,
après la retraite de fon père , fut préſenté en
cette qualité à Leurs Majeftés & à la Famille
Royale.
54
Le même jour , l'Abbé de Voifenon , préfenta
à Leurs Majeftés & à la Famille Royale ,
le Difcours qu'il a prononcé à l'Académie Françoife
pour la réception.
Le 31 , il y eut Bal à la Cour. Le Roi , ainf
que Monfeigneur le Dauphin , Madame la Dauphine
, Madame Adélaïde , Meſdames Victoire ,
Sophie & Louiſe l'honorerent de leur préfence,
Le Duc d'Orléans , le Duc de Chartres , le Prince
de Condé , le Prince de Conti , le Comte dẹ.
la Marche , le Comte de Luface & la Comteffe
de Henneberg , affifterent à cette Affemblée
, qui fut auffi brillante que les précédentes.
Le 1. de ce mois , les Chevaliers , Commandeurs
& Officiers de l'Ordre , affifterent au fervice
anniverfaire qu'on célébre pour les Cheva
diers de l'Ordre. L'Evêque de Langres y officia
Le même jour , le feur Gigot , Ex- Recteur
de l'Univerfité , accompagné des Doyens des quatre
Facultés , ent l'honneur de préfenter , felon
Tufage , un Cierge au Roi , à la Reine , à Monfeigneur
le Dauphin , à Madame la Dauphine ,
à Monfeigneur le Duc de Berry , & à Monfeigneur
le Comte de Provence.
Le même jour , le Père Pays , Commandeur
de la Merci , accompagné de trois de fes ReliAVRIL.
1763. 187
gieux , a eu l'honneur de préfenter un Cierge
à la Reine , en conféquence d'une condition im
pofée à cet Ordre , lorfque Marie de Médicis
en permit l'établiſſement à Paris en 1613 .
> du
Le 2 , Fête de la Purification de la Sainte
Vierge , les Chevaliers , Commandeurs & Offi
ciers de l'Ordre du Saint Eſprit , s'étant affemblés
vers les onze heures du matin dans le Cabinet
du Roi , le Prince de Lamballe fut introduit
dans ce Cabinet , où il fut reçu Chevalier
de l'Ordre de Saint Michel . Le Roi fortit enfuite
de fon appartement pour aller à la Chapelle :Sa
Majefté étoit précédée du Duc d'Orléans , dú
Duc de Chartres du Prince de Condé ,
Prince de Conti du Comte de la Marche , du
Comte d'Eu , du Duc de Penthievre & des Che
valiers , Commandeurs de l'Ordre . Le Prince de
Lamballe , en habit de Novice , marchoit entre
les Chevaliers & les Officiers . Le Roi , devant
qui les deux Huiffiers de la Chambre portoient
leurs maffes , étoit en manteau , le Collier de l'Or
dre pardeffus , ainfi que celui de la Toifon d'Or.
Lorfqu'on eut chanté l'Hymne Veni Creator
le Roi monta fur fon Trône , & reçur Cheva
lier le Prince de Lamballe . L'Evêque Duc de
Langres, Prélat,Commandeur, célébra la Grand-
Meffe , à laquelle la Reine , accompagnée de
Madame la Dauphine , de Madame Adélaïde
& de Meſdames Victoire , Sophie & Louiſe , affifta
dans la Tribune ; après quoi , le Roi fut reconduit
à fon appartement en la maniere accoutumée.
2.
Le même jour , la Marquife de Belfunce fut
préſentée à Leurs Majeſtés , ainfi qu'à la Famille
Royale , par la Comteffe de Belfunce ; & le Comte
d'Apchon , Maréchal des Camps & Armées du
188 MERCURE DE FRANCE.
Roi , à été présenté à Sa Majeſté en qualité de
Gouverneur du Duc de Bourbon .
Le 7 , il y eut Bal à la Cour. Leurs Majeftés ,
ainní que Monfeigneur le Dauphin , Madame la
Dauphine , & Meldames , l'honorerent de leur
préfence. Le Duc d'Orléans , le Duc de Chartres ,
le Prince de Condé , le Prince de Lamballe , &
le Conte de Luface affiftérent à cette affemblée .
Le même jour , le Prince de Beauvau , qui
commandoit les Troupes Françoiles en Portugal
, eft arrivé , & a été préſenté au Roi ,
Le 6 , Leurs Majeftés , ainsi que la Famille
Royale , fignérent le Contrat de mariage du Comte
de la Luzerne , avec la Demoifelle Angrand
d'Alleret. Le même jour , la Ducheffe d'Havré .
fut préfentée à Leurs Majeftés & à la Famille
Royale , par la Marquife de Léde , & prit le Tabouret
chez la Reine.
Le 8 , le Prince Héréditaire de Naffau-Saarbruck
eut l'honneur d'être préfenté au Roi , à
la Reine & à la Famille Royale.
Le 10 , on célébra dans l'Eglife Paroiffiale de
Notre-Dame , un Service pour feue Madame
Henriette de France. La Reine y affifta , ainfi
que Monfeigneur le Dauphin , Madame la Dauphine
, Madame Adélaïde , Meldames Victoire ,.
Sophie & Louife.
Le 13 Leurs Majeftés , ainfi que la Famille
Royale , fignerent le Contrat de mariage du
Comte de Montboiffier avec la Demoiſelle de
- Rochechouart.
Le 14 , il y eut Bal à la Cour. Leurs Majeftés
, ainfi que Monfeigneur, le Dauphin , Madame
la Dauphine , le Duc d'Orléans , le Duc
de Chartres , le Prince de Condé , le Prince de
Lamballe , le Comte de Laface , & la ComAVRIL.
1763: 189
teffe de Henneberg affifterent à cette Affemblée
.
La Ducheffe de la Rochefoucault & la Ba
ronne de Warsberg furent préfentées à Leurs
Majeftés & à la Famille Royale ; la premiere ,
par la Ducheffe d'Enville ; & la feconde , par
la Comteffe d'Helmftat. La Ducheffe de la Rochefoucault
prit le Tabouret le même jour.
Le Comte de Bonneguife , Capitaine dans le
Régiment de Bourgogne , Cavalerie , a obtenu
l'agrément du Roi , pour la charge de Colo
nel- Lieutenant du Régiment d'Infanterie d'Eu ,
vacante par la promotion du Comte de Caſtellane
au grade de Maréchal de Camp.
Aujourd'hui la Cour a pris le deuil pour quinze
jours , à l'occafion de la mort du Cardinal de
Baviere , Evêque & Prince de Liége.
Le 2 de ce mois , Archevêque de Narbonne ,
Grand -Aumônier de France , prêta ferment entre
les mains du Roi , pour l'Archevêché de
Rheims.
Sa Majefté a difpofé de l'Archevêché de Touloufe
en faveur de l'Evêque de Condom ; & de
l'Evêché de Condom en faveur de l'Abbé d'Anteroche
, Vicaire Général du Diocèle de Cambray.
Le Roi a donné l'Abbaye de Reclus , Ordre
de Citeaux , Diocèle de Troyes , à l'Abbé de
Ventoux , Vicaire - Général du même Diocèle ;
Celle de Sainte Claire d'Annonay en Vivarais ,
Diocèle de Vienne , à la Dame de Belmés , Religieufe
Urfuline du Monaftere de Pernés , Diocèle
de Carpentras ; & le Prieuré de Poiffy' ,
Ordre de Saint Dominique , Diocèle de Chartres
, à la Dame de la Beaume-Suze , Religieufe
Bénédiaine de l'Abbaye de, Saint Honoré de
Tarafcon.
190 MERCURE DE FRANCE.
L'Impératrice Catherine de Ruffie , depuis
fon avenement au Trône , ayant fait difficulté
de renouveller la reverfale qui avoit été fucceffivement
donnée par l'Impératrice Elifabeth &
par l'Empereur Pierre III . au fujet du titre
Impérial , le Baron de Breteuil , Miniftre Plénipotentiaire
de Sa Majefté en Ruffie , a été
quelque temps fans avoir fon audience & fans
remettre les lettres de créance ; mais pour lever
cette difficulté , l'Impératrice Catherine à fait
remettre la déclaration fuivante à tous les
Miniftres Etrangers réſidans à ſa Cour.
DECLARATION faite par l'ordre exprès de Sa
Majefté Impériale de toutes les Ruffies.
»Le titre d'Impérial que Pierre le Grand , de
glorieuſe mémoire , a pris , ou plutôt renou
» vellé pour lui & pour fes fuccefleurs , appar¬
פ כ
tient depuis longtemps tant aux Souverains
» qu'à la Couronne & à la Monarchie de toutes
» les Ruffies. Sa Majefté Impériale regarde com-
« me contraire à la folidité de ce principe tout re-
» nouvellement des reverfales qu'on avoit don
» nées fucceffivement à chaque Puiffance lorf
» qu'elle reconnut ce titre. En conséquence ,
Sa
» Majefté vient d'ordonner à ſon Miniſtre de faire
» une déclaration générale que le titre d'Impérial,
» étant par fa nature même une fois attaché à la
» Couronne & à la Monarchie de Ruffie , & per
pétué depuis longues années & fucceffions , ni
Elle ni fes fuccefleurs à perpétuité ne pour
«<< ront plus renouveller lefdites reverfales , & en
>> core moins entretenir quelque correſpondan-
>> ce avec les Puiffances qui refuferont de reconnoî
>>tre le titre Impérial dans les perſonnes des
AVRIL. 1763. 191
"
Souverains de toutes les Ruffies , ainfi que dans
>> leur Couronne & leur Monarchie : & pour que
>>cette déclaration termine à jamais toutes les dif-
» ficultés dans une matiére qui ne doit en com-
» porter aucune , S. M. en fe conformant à la dé
> claration de l'Empéreur Pierre le Grand , dé-
» clare que le titre d'Impérial n'apportera au-
» cun changement au cérémonial ufité entre les
Cours , lequel reftera toujours fur le même
» pied.
Fait à Mofcou , ce 21 Novembre 1762.
Signé , WORONZow.
B. A. GALLITZIN.
Le Baron de Breteuil ayant envoyé ici cette dé
claration , Sa Majefté a ordonné qu'on y fît une
réponſe propre à conftater irrévocablement le cérémonial
entre les deux Cours , & à prévenir en
même temps les difficultés qui pourroit s'élever
dans la fuite , au préjudice de la bonne intelligen
-ce qu'Elle défire de perpétuer entre elles .
DECLARATION faite par l'ordre exprès du Roi ,
pourfervir de réponſe à celle qui a été remiſe au
Baron de Breteuil par les Miniftres de Sa Majefté
Impéria e de toutes les Ruffies.
20
» Les titres ne font rien par eux- mêmes ; ils
n'ont de réalité qu'autant qu'ils font reconnus ;
& leur valeur dépend de l'idée qu'on y attache
& de l'étendue leur donnent ceux qui ont le
que
droit de les admettre , de les rejetter ou de les
limitter. Les Souverains eux - mêmes ne peuvent
pas s'attribuer des titres à leur choix ; l'aven
de leurs Sujets ne fuffit pas ; celui des autres
» Puiſſances eſt néceffaire , & chaque Couronne,
כ
192 MERCURE DE FRANCE .
libre de reconnoître ou de récufer un titre nou-
» veau , peut auſſi l'adopter avec les modifications
» & les conditions qui lui conviennent.
» En fuivant ce principe , Pierre I & ſes fucceffeurs
, jufqu'à l'impératrice Elifabeth , n'ont ja-
» mais été connus en France que fous la dénomi-
» nation de Czar. Cette Princeffe eft la premiere
de tous les Souverains de Ruffie à qui le Roi
ait accordé le titre Impérial , mais ce fut fous
» la condition expreffe que ce titre ne porteroit
aucun préjudice au cérémonial ufité entre
» les deux Cours.
39
L'Impératrice Elifabeth foufcrivit fans peine
» à cette condition , & s'en eft expliquée de la
se manière la plus précife dans la réverfale , dreffée
par fon ordre & fignée au mois de Mars 1745
par les Comtes de Beftucheff & de Woronzow.
La fille de Pierre I y témoigne toute fa fatisfaction
. Elle y reconnoît que c'eft par amitié & par
» une attention toute particuliere du Roi pour Elle,
que Sa Majeflé a condefcendu à la reconnoif
fance du titre Impérial que d'autres Puissances
lui ont déja concédé , & Elle avoue que cette com-
» plaifance du Roi lui eft tres - agréable.
و د
» Le Roi , animé des mêmes fentimens pour
» l'Impératrice Cathérine , ne fait point difficulté
s de lui accorder aujourd'hui le titre Impérial , & 33
de le reconnoître en Elle comme attaché au
30 Trône de Ruffie : mais Sa Majesté entend que
ɔ cette reconnoiſſance ſoit faite aux mêmes conditions
que fous les deux regnes précédens , &
» Elle déclare que, fi par la fuite quelqu'un des
fucceffeurs de l'Impératrice Catherine , oubliant
» cet engagement folemnel & réciproque , venoit
à former quelque prétention contraire à l'ufage
conftamment fuivi entre les deux Cours fur le
» rang
AVRIL. 1763. 193
८
» rang & la préféance , de ce moment la Couronne
de France , par une jufte réciprocité , reprendroit
fon ancien flyle , & cefferoit de don-
»ner le titre Impérial à celle de Ruffie.
כ כ
Cette déclaration tendante à prévenir tout
fujet de difficulté pour l'avenir , eft une preuve
de l'amitié du Roi pour l'Impératrice , & du defir
fincere qu'il a d'établir entre les deux Cours
une union folide & inaltérable .
Fait à Versailles le 18 Janvier 1763 .
Signé LE DUC DE PRASLIN.
De STRASBOURG , le 20 Janvier 1763.'
Le 17 de ce mois , le Maréchal de Contades ,
le fieur de Lucé , Intendant de la Province , &
l'Evêque d'Arath , fe font tranfportés , en conféquence
des Lettres de Cachet qui leur ont été
adreffées , à l'Abbaye Réguliere de Marmoutier
, Ordre de Saint Benoît de l'ancienne Obfervance
, près de Saverne au Diocèle de Strafbourg
, pour y affifter en qualité de Commiffaires
du Roi , à l'élection d'un nouvel Abbé , dont
la Place étoit vacante par la mort du Père Placide.
Schweigheuffer , Religieux du même ordre ,
décédé le is Décembre dernier . On a procédé
le lendemain 18 à cette élection par la ' voye du
fcrutin , & tous les fuffrages fe font réunis en
faveur du Pere Anfelme Genin , Religieux de la
même Abbaye , natif de Waffelonne en Alface ,
âgé de quarante-deux ans...
De PARIS , le 18 Février 1763.¨
L'Académie Royale des Sciences ayant préfenté
au Roi les Sieurs Bailli & J eaurat pour la
place d'Adjoint Aftronome , vacante par la mort
de l'Abbé de la Caille , S. M. les a nommés un
II. Vol, obim Indus »
194 MERCURE DE FRANCE.
:1
& l'autre , à la charge que la premiere place qui
vaquera dans cette Claffe ne fera point remplie.
Le Traité définitif de Paix a été figné le 10
de ce mois chez le fieur Duc de Bedfort , Ambaffadear
Extraordinaire & Plénipotentiaire du
Roi de la Grande- Bretagne , entre les Ambaffadeurs
& Plénipotentiaires qui ont figné les Préliminaires
à Fontainebleau te 3 Novembre de l'année
derniere. Le fieur de Mello , Miniftre Plénipotentiaire
du Roi de Portugal près du Roi , &
fon Ambaffadeur pour les conférences de la Paix ,
a figné en même temps l'acte d'acceffion de Sa
Majefté très fidele au Traité définitif.
Le 29 du mois dernier , le fieur Gor , Commiffaire
Général des fontes de l'Artillerie , a coulé
en bronze à l'Arfenal la Statue pédestre du Roi ,
qui doit être érigée dans la Place Royale de
Rheims. Cette fonte a eu le même fuccès que
celle qui a été faite le 20 Novembre dernier des
deux Figures de dix pieds de proportion qui doivent
accompagner le Piédeftal . La figure du Roi
a onze pieds & demi de proportion , ce Monu
ment , que la Ville de Rheims confacre à la
gloire de S.M. eft de la compofition du Sr Pigalle.
Le Vingt- cinquiéme tirage de la Loterie de
l'Hôtel-de-Ville s'eft fait le 25 du mois dernier ,
en la manière accoptumée. Le lot de cinquante
mille liv. eft échu au numero 53043 ; celui de
vingt mille liv. eft échu au numero 5 26 38 ; & les
deux de dix mille 1. aux numero 53005 & 58779 .
Les de ce mois , on a tiré la Loterie de l'Ecole
Royale Militaire . Les Numéros fortis de la roue
de fortune , font , 19 , 30 , 3 , 42 , 18. Le prochain
tirage le fera le Mars.
Le Roi ayant pris la réfolution de donner à
tout fon Brat Militaire une conftitution nouvelle ,
uniforme & conftante , vient de rendre une OrAVRIL
1763.
donnance , pour la Cavalerie , conçue fur le même
195
plan que celles qui a déja été publiée concernant
'Infanterie. Par cette nouvelle Ordonnance , darée
du 21 Décembre 1762 , Sa Majesté conferve
fur pied ,
indépendamment du Régiment des Carabiniers
de
Monfeigneur le Comte de Provence ,
les trente Régimens de Cavalerie fuivans ; le Colonel
- Général , le Meftre de- Camp- Général , le
Commiffaire-Général , Royal , du Roi , Royal-
Etranger , les Cuiratliers du Roi , Royal -Cravates ,
Royal- Rouillon , Royal-Piémont , Royal- Almand
, Royal- Pologne , Royal- Lorraine , Royal-
Picardie , Royal-
Champagne , Royal-Navarre ,
Royal
Normandie, la Reine, Dauphin,
Bourgogne ,
Berry , Artois , Orléans , Chartres , Condé, Bourbon
, Clermont , Conti , Penthiévre & Noailles,
Chacun de ces trente
Régimens fera composé en
tout temps de huit
Compagnies qui formeront quatre
efcadrons . On créera une place de Sous- Lieutenant
dans chaque
Compagnie , & le titre de
Cornette fera fupprimé , à la réserve de celui qui
eft attaché à la
compagnie du Colonel - Général
de la Cavalerie. La place de Maréchal - des - Logis
relle qu'elle eft
aujourd'hui , fera
fupprimée , &
il fera crée dans chaque
compagnie quatre places
de
Maréchal- des- Logis pour y remplir les
mêmes
fonctions que les Sergens dans l'Infanterie.
Chaque
compagnie de Cavalerie fera commandée
en tout temps par un
Capitaine y
Lieutenant & un- Sous-
Lieutenant , &
compofée
de quatre
Maréchaux -des- Logis , un Fourrier ,
huit
Brigadiers , huit
Carabiniers , trente- deux
Cavaliers & un
Trompette , tous montés . Ille-
Ta créé dans chacun des trente
Régimens de Cavalerie
deux charges de Sous -Aide Major & une
place de Tréforier ; il fera
pareillement établi
un
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
un Quartier- Maître dans chaque Régiment & un
Porte- Etendard par chaque Elcadron . Les difpofitions
qui regardent le choix , les rangs & les fon
Aions des Officiers , la police & la difcipline , l'adminiftration
de la caifle , le terme des engagemens
& des congés , &c , font les mêmes que
celles qui ont été établies pour l'Infanterie . Sa
Majeſté a auffi réglé une paye de paix & une
paye de guerre pour les troupes de fa Cavalerie
de la manière fuivante.
Compagnies. A chaque Capitaine , 2000 livres
par an en paix , & 3600 livres en guerre. Au
Capitaine Lieutenant des Compagnies Meſtrede
- Camp des Régimens du Meftre- de- Camp
Général & du Commiflaire- Général. A chaque
Lieutenant & au Sous- Lieutenant de la Compagnie
du Colonel- Général , 900 livres en paix &
1200 livres en guerre. A chacun des Cornettes
& Sous- Lieutenant des Compagnies du Colonel-
Général de Meftre- de- Camp- Général & du Commiffaire-
Général , 675 livres en paix & 900 livres
en guerre. A chaque Sous- Lieutenant , 600 livres
en paix & 800 livres en guerre. A chaque
Maréchal des Logis , 234 livres en paix & 270
livres en guerre. Au Fourrier , 216 livres en paix
>
252 livres en guerre. A chaque Brigadier
144 livres en paix & 180 livres en guerre. A
chaque Carabinier , 135 livres en paix & 171 livres
en guerre. A chaque Cavalier , Timbalier
ou Trompette , 126 livres en paix & 162 livres
en guerre.
Etat-Major. Au Meftre- de-Camp , indépendamment
de fes appointemens de Capitaine ,
2500 livres en paix & 3000 livres , en guerre.
A Chacun des Meftres-de- Camp- Commandans
des Régimens de Meftre- de-Camp- Général ,
AVRIL. 1763. 197
1
Commiffaire- Général & du Régiment Royal-
Allemand , 2500 livres en paix & 3000 livres
en guerre . Au Lieutenant- Colonel , indépendamment
de les appointemens de Capitaine , 1600 li
vres en paix & 1800 livres en guerre. Au Major
, 3000 livres en paix & 4500 livres en guerre.
A chaque Aide-Major , avec commiffion de Capitaine
, 1800 livres en paix & 3000 livres en
guerre. A chaque Aide- Major , fans commiffion
de Capitaine , 1500 livres en paix & 2000
livres en guerre. A chaque Sous - Aide - Major
1000 livres en paix & 1200 livres en guerre.
Au Quartier- Maître , 600 livres en paix & 800
livres en guerre. A chaque Porte- Etendard ,
480 livres en paix & 540 livres en guerre . Au-
Tréforier , 2000 livres en paix ,
& 3000 livres
en guerre . A l'Aumônier , 720 livres en temps
de guerre ſeulement. Au Chirurgien , 720 livres
en temps de guerre feulement .
Sa Majefte veut que la paye de guerre ne
foit donnée qu'à ceux defdits Régimens qui ferviront
en campagne , à commencer du jour de
leur arrivée à l'armée , juſqu'à celui de leur départ
de l'armée pour rentrer dans le Royaume ;
& que ceux qui demeureront en garniſon dans
le Royaume pendant la guerre ne touchent que
la paye réglée pour le temps de paix. Sa Majefté
établit les moyens de parvenir à la nouvelle
compofition & à la réforme preſcrites.
Cette Ordonnance eft terminée par un état de
l'uniforme réglé par le Roi pour l'habillement
& équipement des Régimens de fa Cavalerie.
Il paroît auffi trois autres Ordonnances du Roi.
Par la premiere , en date du 12 Décembre
1762 , & portant réduction dans les trente Compagnies
du Régiment des Gardes Françoiſes , Sa
ཙྩ
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Majefté ordonne que ces trente Compagnies 3
qui font actuellement compofées de cent quarante
hommes , feront réduites au nombre de
cent vingt- fix , y compris fix Sergens , trois
Caporaux , neufAnfpeffades , quatre Tambours ,
& cent quatre Fusiliers .
Par la feconde & la troifiéme , du 21 du
même mois , Sa Majesté réforme la Compagnie
des Volontaires de Cambefort & le Régiment
de Cavalerie Allemande deNaffau-Wfingen.
Il paroît une Ordonnance du Roi , datée du 21 .
Décembre 1762 concernant les Régimens d'Infanterie
Irlandoife . Suivant cette Ordonnance , Sa
Majeſté conferve fur pied les Régimens de Bulkeley
, Clare , Dillon , Rothe & de Berwick ; le Régiment
Royal- Ecoffois & ceux d'Ogilvy & de Lally
feront fupprimés & incorporés dans les cinq qui
feront confervés , & dont chacun formera un bataillon
divifé en une Compagnie de Grenadiers
& huit de Fufiliers ; chacune des compagnies de
Grenadiers fera commandée en tout temps , ainfi
que chaque compagnie de Fufiliers , par un Capitaine
, un Lieutenant & un Sous - Lieutenant.
Celles des Grenadiers feront compofées chacune
de deux Sergens , d'un Fourrier, quatre Caporaux,
quatre Appointés , quarante Grenadiers , & d'un
Tambour ; celles des Fufiliers , en temps de paix ,
de quatre Sergens , d'un Fourrier , de huit Caporaux
, huit Appointés , quarante Fufiliers & de
deux Tambours : il fera créé dans chaque Régiment
un Sous-Aide- Major , un Tréſorier ,
Quartier-Maître, deur Porte -Drapeaux , un Tambour-
Major. Il continuera d'être entretenu un
Colonel en fecond dans le Régiment de Dillon .
Les difpofitions qui ont été établies pour l'Infanterie
& la Cavalerie Françoiſes feront exactement
fuivies relativement au choix , aux rangs & aux
un
AVRIL. 1763 . 199
fonctions des Officiers , à la police & à la difcipline
, ainfi qu'à l'adminiftration de la caiffe ,
&c. La paye de paix & la paye de guerre feront
réglées de la manière fuivante , & avec les mêmes
claufes que celles portées dans les précédentes
Ordonnances de Sa Majesté.
Compagnies de Grenadiers . A chaque Capitaine
, 2000 en paix , & 3000 livres ¿en guerre ;
au Lieutenant 900 livres en paix , & 1200 livres
en guerres au Sous-Lieutenant 500 livres
en paix , & 900 livres en guerre ; à chaque Sergent
, 222 livres en paix , & 228 livres en guerre ;
au Fourrier , 180 livres en paix , & 186 livres
en guerre à chaque Caporal , 156 livres en
paix , & 162 livres en guerre ; à chaque appointé ,
138 livres en paix , & 144 livres en guerre ; à
chaque Grenadier & au Tambour , 120 livres en
paix & 126 livres en guerre.
>
Compagnies de Fufilters . Au Capitaine , 1800
livres en paix , & 2400 livres en guerre au
Lieutenant 600 livres en paix , & 1000 en
guerres au Sous - Lieutenant 540 livres en
paix , & 800 livres en guerre à chaque Sergent
204 livres en paix , & 210 livres en guerre ,
au Fourrier , 162 livres en paix , & 168 en
guerre à chaque Caporal , 138 livres en paix .
& 144 livres en guerres à chaque Appointé
120 livres en paix 126 livres en guerres à cha-,
que Fufilier ou Tambour , 102 livres en paix
& 108 livres en guerre.
Etat-Major. Au Colonel , y compris les appointemens
de Capitaine , 12000 livres en tout
temps ; au Lieutenant colonel , indépendamment
de fes appointemens de Capitaine 1700.
livres en paix , & 3000 livres en guerre ; au
Major , 2880 livres en paix , & 4000 livres en
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
>
guerres à chaque Aide- Major , avec la commiffion
de Capitaine , 1800 livres en paix , &.
2400 livres en guerre ; à chaque Aide- Major ,
fans commiffion de Capitaine , 1200 livres en
paix , & 1860 livres én guerre ; à chaque Sous-
Aide- Major , 600 livres en paix , & 1200 livres
en guerres à chaque Porte- Drapeau , 450 livres
en paix , & 600 livres en guerre ; au Quartier-
Maître , 540 livres en paix & 800 livres en
guerres au Tréforier , 1200 livres en paix , &
2000 livres en guerre ; au Tambour- Major
252 livres en tout temps ; à l'Aumônier , soo
livres en paix , & 720 livres en guerre ; Au Chirurgien
, co livres en paix , & 720 livres en
guerre ; au Colonel en fecond du Régiment de
Dillon , 2400 liv . en paix , & 2880 liv . en guerre.
A
>
Les Officiers excédans le nombre préfcrit feront
reformés. Les Colonels qui feront dans ce cas
conferveront leurs appointemens en y comprenant
la gratification qui étoit attachée à leurs
charges. Les autres Officiers réformés & qui
feront étrangers , ou originaires Anglois , Ecoffois
& Irlandois , jouiront ; fçavoir , les Lieutenants-
Colonels , de 1800 livres de penſions
les Capitaines de Grenadiers de 1200 livres ; les
Capitaines de Fufiliers qui auront vingt ans de fervice
, & le Major , de 1050 livres ; les autres
Capitaines de Fufiliers , de 800 livres ; les Lieutenans
de 400 liv . & les Lieutenans en fecond
ou Enfeignes de 300 livres. Les Capitaines
ou Capitaines en fecond , qui feront François ,
jouiront en penfions fur le Tréfor Royal , s'ils
ont vingt ans de fervice , de 300 livres feulement.
Quant aux Lieutenans , Lieutenans en.
fecond ou Enfeignes qui feront François , its
fe retireront chez eux pour y attendre les em-
›
AVRIL. 1763.
201
plois auxquels Sa Majefté les deftine. Cette Ordonnance
eft terminée par un état de l'unifórme
réglé par Sa Majefté pour l'habillement
& équipement de ces cinq Régimens.
MORTS.
ce
Un Exprès dépêché de Liége , a apporté la
nouvelle de la mort du Cardinal de Baviere. Il
s'étoit trouvé légérement incommodé le 20 Janvier
, & l'on avoit pris fon indifpofition pour une
fluxion dans la tête. Les fymptômes ont changé
depuis , la maladie eft devenue plus grave , &
malgré tous les fecours de la Médecine ,
Prince eſt mort le 27 à dix heures du matin. Il
fé nommoit Jean -Théodore , il étoit né Duc de
Baviere , Cardinal Prêtre de la Sainte Egliſe Romaine
, Evêque Prince de Liége , de Ratisbonne &
de Freyfingue , & par l'Evêché de Liége , Duc
en partie de Bouillon , Marquis de Franchimont ,
Comte de Lors & de Hornes , Baron d'Herstal
, & c. Né à Munich le 3 Septembre 1703. Il
avoit été élu Evêque de Ratisbonne ſur la démilfión
de Jofeph-Clément de Baviere , fon oncle ,
le 29 Juillet 1719 , & Coadjuteur du même Prince
à l'Evêché de Freyfingue le 4 Novembre
1723 , dont il devint Titulaire le 23 Février
1727 ; il fut ordonné Prêtre le 8 Avril 1736 ,
facré le premier Octobre fuivant ; créé Cardinal
Le 9 Septembre 1743 ( déclaré feulement le 17
Janvier 1746. ) Et élu Evêque Prince de Liége
le 23 Janvier 1744 .
Ce Prince étoit fils de Maximilien Emmanuel ,
Electeur de Baviere , mort le 26 Février 17 26
& de Thérefe Cunegonde , fille de Jean MI Sobiesky
, Roi de Pologne , morte le ro Mars
1730. Il avoit pour frères ainés , 1 °. Charles - Al
202 MERCURE DE FRANCE.
bert , Electeur de Baviere , élu Empereur le 24
Janvier 1744 ↑ & mort le 20 Janvier 1745 , père
de l'Electeur de Baviere régnant , 20. Ferdinand-
Marie Duc de Baviere à Munick , mort le 9 Décembre
1738 , laiffant Clément - François de
Paule , Duc de Baviere à Munick ; 3 ° . Clément-
Augufte , Archevêque de Cologne , Electeur de
1 Empire , & c , mort le 6 Février 1761. Il étoit
oncle , à la mode de Bretagne , du Roi , étant
neveu de Marie-Anne Chriſtine Victoire de Baviere
, épouſe de Louis de France ; Dauphin de
Viennois & Ayeul de Sa Majesté.
Le Comte d'Aunay , Lieutenant Général des
Armées du Roi , eft mort dans une de fes Terres
en Nivernois.
N. Boivin de Vaurony , Abbé Commendataire
des Abbayes Royales de Preuilly , Ordre
de Citeaux , Diocéle de Sens ; & de Saramont ,
Ordre de S. Benoît , Diocéfe d'Auſch , mourut
en cette Ville le 22 Janvier , âgé de quatrevingt-
dix ans.
Jean-Baptifte de Bernart d'Averne , Grand-
Vicaire de Lifieux , Abbé Commendataire de
l'Abbaye de Lorroux ,Ordre de Citeaux , Diocéfe
d'Angers , eft mort en cette Ville le 26
du même mois dans la foixante-dixiéme année
de fon age.
Louis Racine , Ecuyer , Avocat en Parlement
& Penfionnaire Vétéran de l'Académie des
Infcriptions & Belles-Lettres , eft mort en cette
Ville , le 29 du même mois dans la foixanteonziéme
année de fon âge . Fils du grand Racine
, il a foutenu l'honneur de ce beau nom
par des Ouvrages eftimables , furtout par le
Poëme de la Religion . Il laiffe deux filles ; il avoi
eu un fils qui donnoit de grandes -efpérances
AVRIL. 1763. 203
& qui fut malheureufement fub mergé par les
flots de la mer fur une jettée du Port de Cadix
le jour même du tremblement de terre de Lisbonne,
Magdelaine-Leonor Gigault de Bellefont , Abbeffe
de l'Abbaye Royale de Montivilliers , Ordre
de S. Benoît , Diocéfe de Rouen , eft morte
en cette Abbaye , âgée de cinquante- fept ans,
Marie-Thérefe de Damas - Crux , épouse de Louis-
Theodofe Andrault , Comte de Langeron , Mar
quis de la Côte , Baron de la Ferté - Langeron ,
de Sacy , &c. Lieutenant Général des Armé es
du Roi , Lieutenant pour Sa Majefté des quatre
Evêchés de la Bafle - Bretagne , Commandant
en chef dans la Province de Guyenne , & Gouverneur
de Breſt & des Ifles d'Ouëlfant , eft
morre à Paris , les Février , âgée de vingt - trois
ans .
Catherine- Elifabeth de Roncourt , veuve de
Nicolas- François de Hennequin , Conte de
Curel , de Geneloncourt , & Desfrenelles , Ba
ron du S, Empire , Chambellan du feu Duc de
Lorraine Leopold , & Grand- Louvetier de Lorraine
, eft morte à Luneville dans le mois de
Janvier, âgée d'environ cinquante ans .
Marie- Francais- Augufte de Matignon , Comte
de Gacé , ci-devant Meftre de Camp du Régiment
du Roi , Cavalerie , Brigadier , des , Ar
mées du Roi , eft mort le 8 Février , dans la trene
te-deuxième année de fon âge.
Catherine-Charlotte-Amélie de Choifeul ,Veuve
de Louis- Henri de Maillart , Baron d'Hanneffe
Dame de l'Ordre de l'Impératrice - Reine , eft
morte en fon Château d'Y,che en Lorraine , le 20
Janvier ; elle ne laiffe de ce mariage qu'une fille
unique mariée au Marquis d'Harcourt.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE..
Marie- Marguerite Martin , veuve de Florent
Jean de Valliere , Lieutenant- Général des Armées
du Roi , Grand'Croix de l'Ordre Royal &
Militaire de S. Louis , ancien Directeur- Général
de l'Artillerie de France , Gouverneur de Bergues
,& Membre de l'Académie Royale des Sciences
, eft morte en cette Ville le ro Février , âgée
de foixante- douze ans.
Claude Fontaine , Régent à Dardagny proche
Genève , eft mort le 2 Janvier , dans la cent troi-
Liême année de fon âge.
Jean Conftant , né à Limoux en Languedoc le
4 Juin 1749 , ancien Lieutenant du Régiment
de la Vieille Marine , eft mort en cette Ville le
16 Janvier. Il avoit reçu fept bleffures pendant
vingt-cinq ans de fervice , & s'étoit retiré en
1688. Il étoit , diſoit- il , à côté du feur de Saint
Hilaire , lorfque cet Officier eut le bras emporté
au moment que le grand Turenne fut tué d'un
bouler de canon. Il étoit logé au Temple , où la
Cérémonie de fes funérailles s'eft faite avec l'appareil
militaire , par les ordres & aux frais du
Prince de Conti.
Le Service annuel , fondé par le Roi en l'Abbaye
Royale de Saint Denis en France , pour feue
Madame Henriette , fut célébré le 11 Février
avec les Cérémonies ordinaires . L'Evêque de
Meaux , premier Aumônier de cette Princefle ,
y affifta , ainfi que la Ducheffe de Beauvilliers ,
Dame d'Honneur , le Baron de Montmorenci ,
Chevalier d'Honneur , & les autres Dames &
Officiers de la maifon de feue Madame.
AVRIL. 1763. 205
NOUVELLES POLITIQUES
Du mois d'Avril 1763.
De WARSOVIE , le 9 Février 1763.
ONNa appris par les dernières Lettres de Courlande
que le fieur Simolin a remis au Sénateur
Lipski , Caftellan de Lincici , une Déclaration
dont voici la teneur .
DÉCLARATION de l'Impératrice de toutes les
Ruffies , remife parfon Miniftre à M. le Caftellan
de Lipski.
Sa Majefté Impériale ne permettra jamais
que S. E. M. lé Caftellan & M.le Palatin de
Glateo éxécutent la commiffion dont Sa Ma
» jefté Polonoiſe les a chargés , ni qu'ils éxer
cent aucun acte de Jurifdiction dans les Duchés
de Courlande & de Semigallé.
*
??
""
""
1
Les affaires actuelles de la Courlande font des
affaires d'Etat qui demandent la concurrence
de toute la République ; le Roi & le Sénat ne
peuvent feuls s'en attribuer la décifion .
L'Impératrice ne reconnoît & ne reconnoîtra
jamais d'autre Duc que S. A. S. l'ancien Due
Erneft -Jean , légitimement inveſti du conſentement
de toute la République , & pour
l'é
largiffement duquel le Roi , conjointement avec
la République , s'eft fi fouvent intéreffé.
» Sa Majefté Impériale n'ignore point que ces
Duchés font un Fief dépendant du Corps entier
de la République , & non du Trône des
Rois de Pologne ; conféquemment l'Impéra
ratrice ne fouffrira jamais qu'on faffe la moin
206 MERCURE DE FRANCE:
» dre infraction aux droits & aux immunités de
ladite République , & qu'on s'arroge des affaires
qui font de fa compétence feule .
33
( Signé ) C. DE SIMOLIN . »
Ce Sénateur Lipski a fait à cette Déclaration
la Réponse fuivante .
RÉPONSE à la Déclaration , remife de la part
de Sa Majefté Impériale de Ruffie par fon
Confeiller d'Etat M. de Simolin.
» La Courlande eft un Fief relevant du Roi
so qui en eft le Seigneur Suzerain , conformément
» aux conſtitutions du Royaume ; il n'appartient
» done par conféquent qu'à Sa Majefté le Roi de
Pologne de prendre connoiffance des affaires
qui regardent ce Fief,
ƉƆ
22
รว
Depuis Sigifmond - Augufte jufqu'à Auguf-
» te III. qui règne glorieufement fur une Nation
jaloufe de fes droits & immunités , la République
n'a jamais trouvé rien à blâmer dans
l'ufage que fes Rois ont fait de leur autorité
» & du pouvoir qu'elle leur a accordé fur les Duchés
de Courlande & Semigalle .
"
Le Roi & le Sénat n'ont pas le pouvoir légiſlatif,
mais bien celui de mettre en éxécution
» ce qui a été réglé par les trois Ordres du
Royaume ; par conféquent la conftitution de
→ 1736 a donné au Roi le pouvoir de conférer l'inveftiture
de ce Fief à celui que Sa Majesté en
jugeroit digne . Depuis cette époque , toutes
les Diettes ont été malheureuſement rompues,
& le Roi & le Sénat ont fuivi l'efprit & le fens
de celle de 1736 , tant à l'occafion d'Erneft-
Jean de Biren , qu'à l'égard de Son Alteffe
Royale le Duc régnant Charles. Le Roi & le
AVRIL. 1763. 207
బ
Sénat , ainfi que la Nobleffe de Courlande ont
follicitéinutilement , pendant 18 ans confécutifs,
l'élargiffemens du premier, Le Sénat & la No
» bleffe du Duché ont demandé au Roi le Prince
» Royal Charles pour Duc ; la Déclaration de
l'Impératrice Elifabeth , de glorieuse mémoire ,
» a déterminé le Roi , & a été bientôt fuivie de
la tranfaction folemnelle conclue entre ladite
» Souveraine & Son Alteſſe Royale en 1759. Dèslors
, il étoit tout fimple que le Roi envoyât ,
avec l'avis de fon Sénat , des Sénateurs en
» Courlande , pour prendre connoiffance des troubles
qui fe font élevés dans ce Duché , & des
» violences qui s'y font commifes par les trou-
>> pes Impériales.
55
On ne peut donc , fans bleffer ouvertement
le droit des gens , & fans enfreindre tous
les Traités qui fubfiftent entre la Pologne
& la Ruffie , empêcher les deux Sénateurs délégués
de remplir l'objet de leur miffion , autorifée
par les loix du Royaume & par un ufage
> conftant.
53
53
פ כ
55
$0
» Si Sa Majesté Impériale ne reconnoît pas le
Prince Royal Charles pour Duc de Courlande ,
» c'eſt un malheur pour ce Prince , mais le Fief
n'en eft moins fous la Souveraineté du
pas
» Roi. Les titres de Sa Majesté à cet égard font
inconteftables ; & depuis plus de deux fiécles
» la République n'a jamais difputé à nos Rois
» les droits qu'elle leur a accordés fur ce Fief.
» Ce n'eft qu'au cas où il viendroit à changer de
nature que cette République s'eft réſervé d'en
prendre connoiffance , comme il eft aifé de le
voir dans nos convenitons de 1569 & 1727 .
» Donné à Mittau , le 29 Janvier 1763. »
Le Duc de Biren eſt arrivé avec . La famille
""
20
208 MERCURE DE FRANCE.
•
•
à Mittau , & y a fait fon entrée folemnelle k
22 du mois dernier . Le Magiſtrat & les Gardes
de la Bourgeoifie , qui ont d'abord refuſé de
prêter fement de fidélité au nouveau Duc , y
'ont été contraints par des éxécutions militaires.
Le fieur Simolin a même fait menacer les Magiftrats
de les faire enlever. La nuit avant cette
entrée folemnelle , on avoit enlevé de l'arc de
triomphe érigé en 1759 pour l'hommage rendu
au Prince Charles comme Duc de Courlande ,
la Couronne Royale & Ducale de ce Prince , fes
armes & celles de la Couronne de Pologne ,
ainfi que les infcriptions qui avoient été gra
vées fur ce monument. Les Membres de la Régence
Ducale ont été fommés par un Officier
Ruffe envoyé par le fieur Simolin de reconnoître
& de fervir le Duc de Biren comme légitime Duc
de Courlande ; mais ils ont répondu qu'ils ne
pouvoient le faire ; fans manquet à la fidélité
qu'ils doivent au Roi & à la République comme
Seigneurs Suzerains de ces Duchés , & au double
ferment de Vaffaux & de Serviteurs qu'ils ont
prêté au Prince Charles leur légitime Duc. Le
Dimanche fuivant , les troupes Ruffes ont forcé
la porte de la Tribune Ducale dans la principale
Eglife Luthérienne de Mittau. Le Duc de Biren
s'y est rendu ; & le Sur-Intendant Luthérien a
été forcé de le haranguer en qualité de Souverain
du pays , & d'entonner le Te Deum , qui
a été chanté au bruit d'une décharge de l'artillerie
Ruffe. La Bourgeoisie a été forcée de nouveau
à illuminer fes maifons le foir. Mais tour cet appareil
& ces actes de violence n'ont pu ébranler
la fermeté du Prince Charles , qui perfifte à refter
dans fon Palais jufqu'à la dernière extrémité.
AVRIL. 1763. 209
Du 17 Février..
Des nouvelles de Lithuanie nous apprennent
que le fieur Zabielo , Grand Veneur de ce Duché
, préfidant à la Diétine qui s'eft affemblée le
de ce mois à Kowno pour l'élection des Députés
au Tribunal annuel de Lithuanie , a haran-.
gué la Nobleffe de ce diftrict , & lui a expoſé d'une
manière G pathétique fes droits & la fituation du.
Duc Charles , qu'il a déterminé tous les Gentilshommes
de ce canton , au nombre de près de
cinq cens , à marcher avec leur fuité à Mittau ,
qui n'eft qu'à deux petites journées de Kowno ,
pour y foutenir la caufe du fils de leur Roi , y
défendre fa perfonne , & fe joindre à la partie
de la Nobleffe Courlandoiſe qui lui eſt reſtée fidelle.
Toute cette troupe s'eft mife en marche le 8 ,
accompagnée de quelques Dragons de l'armée de
Lithuanie , & elle a du être rendue le lendemain
à Mittau. On ignore encore quel effet cet événement
aura produit parmi les Partifans du Duc
de Biren , & ce qui s'eft paffé dans l'affemblée
de la Nobleife qu'il avoit indiquée pour le ro..
COPIE d'un Mémoire juftificatif en faveur dù
Duc de Biren , & envoyé de Mittau le 16 Janvier
1763.
➡ La Diete de Grodno de 1726 , en déclaran *
» nulle l'Election prématurée du Comte de Saxe ,
» ordonna qu'après l'extinction de la famille de
Kettler les Duchés de Courlande & de Semigalle
feroient incorporés à la Pologne & par-
» tagés èn Palatinats.
"
ל כ
DA
Cette difpofition n'ayant convenu ni aux
voifins ni à la Nobleffe de Courlande , on
trouva moyen de l'annuller par la Diete de
210 MERCURE DE FRANCE.
33
pacification de l'an 1736 ; celle- ci ftatua qu'a
près le décès du dernier mâle de la famille
→ Ducale de Kettler , le Roi donneroit l'inveſti-
» ture des deux Duchés à un autre & à fes def-
» cendans mâles.
os en 1737 ,
Ferdinand , le dernier de Kettler , étant mort
la Nobleffe de Courlande choisit
» pour Duc , à la recommandation de l'Impé-
» ratrice Anne , le Comte Jean- Erneft de Biren ;
» le Roi , en vertu de la fufdite conftitution de
» 1736 , donna effectivement en 1739 l'inveſti-
» ture au nouveau Duc , tant pour lui que pour
» fes defcendans mâles , avec toutes les folem
nités requifes.
» L'année ſuivante , 1740 , ce Prince qui avoit
eté Régent en Ruffie , fur , en cette qualité ,
» arrêté & éxilé avec fa famille ; & l'on mit un fequeftre
fur les revenus de la Courlande , afin
» de recouvrer les fommes qu'il y avoit fait
"paffer de Ruffie.
» Les chofes reſterent en cet état , même après
le changement qui fe fir dans le Gouvernement
» de Ruffie en 1741 , par lavénement de l'Im
pératrice Elifabeth au Trône..
Le Roi & le Sénat de Pologne ayant fait
de fréquentes inftances pour faire rendre au
» Duc Jean-Erneft la liberté & la jouillance de
soles Duchés , l'Impératrice fit constamment en-
» tendre que des raisons d'Etat , dont Elle n'a
jamais jugé à propos d'énoncer le détail , ne
lelgi permettoient pas.
» Enfin , le Prince Charles de Pologne & de
» Saxe , étant venu en 1758 à Petersbourg pour
faire fa cour à l'Impératrice avant que de fe
» rendre à l'armée Ruffe , où il alloit fervir en
qualité de Volontaire , fçut intéreffer au fort de
အ
AVRIL. 1763 . 217
"
""
""
fa famille cette Princeffe , qui l'affura qu'Elle
feroit fort aife de le voir établi Duc de Courlande
. Afin de réaliſer cette promeffe , & d'en
accéléret l'effet , Sa Majefté Impériale chargea
fes Miniftres à Mittau & à Warfovie d'y déclarer
que des raifons d'Etat ne lui permettroient
jamais de remettre en liberté le Duc
,, Jean- Erneft & fes fils , mais qu'Elle verroit
avec plaifir le Prince Charles établi à ſa place ,
,, en cas que les loix le permiffent.
""
>
""
"
"3 En conféquence , le Roi de Pologne , flatté
,, de pouvoir procurer cet établiſſement à fon
fils , prit le parti d'affembler un Senatûs Con-
,,filium : d'y faire décider la vacance du Duché
de Courlande , de nommer le Prince Charles
» pour en remplir le Trône , & de lui confier
même l'inveftiture au commencement de l'an
>> 1759.
"2
""
"3
ود
Mais il eft à remarquer que la réſolution ·
du Senatûs Confilium ne fut point approuvée
» unanimement , & que dès-lors plufieurs des
>> Miniftres & Sénateurs les plus éclairés , tels
» que font les Princes Czartoriski , prouverent
que le Roi avec le Sénat n'avoit pas l'autorité
requife pour décider cette affaire , puifqu'elle
étoit uniquement du reffort de la Diéte ; que
» celle de 1736 n'avoit donné au Roi le pou-
» voir de nommer un Duc de Courlande que
» pour une feule fois , puifqu'elle avoit nommé-
» ment ftatué qu'après la mort du dernier
» Kettler , le Roi conféreroit le Duché à un autre
& à fes defcendans mâles exclufivement ,
ce qui avoit été légitimement éxécuté par l'inveftiture
folemnelle donnée au Duc Jean- Er
,, neft en 1739 ; & qu'ainfi ils protestoient con-
,, tre le réſultat du Sénat.
212 MERCURE DE FRANCE.
29
29
"" Cette difpofition du Roi & dù Sénat ren-
,, contra auffi dès les commencemens quelques
» oppofitions parmi les Nobles de Courlande ;
& le Prince Charles , en violant depuis , les
Pactes conclus avec les Etats par fon Plénipotentiaire
, ainfi que les loix & les priviléges
du Pays , n'a fait qu'accroître chaque
,, jour le nombre des oppofitions , de forte
,, que pluffeurs Diocèles entiers n'ont jamais
voulu le reconnoître & lui rendre hommage.
""
La fuite des Nouvelles Politiques au Mercure
prochain.
ARTICLE VII
ECONOMIE ET COMMERCE.
PRIX des Grains à Paris , pendant le
cours du préfent mois d'Avril.
FROMENT
ROMENT ( lefeptier ) 14 a 15 liv.Il en a été vendu
à 12 & à 13 liv.
Seigle , 8 liv. 15 f. à 9 liv.
Avoine , 16 1. 10 f. à 18 liv . 10 f.
Vefce , 12 liv . à 16 liv.
9 liv . 9 liv . 10 f.
Volaille & Gibier à la mi- Avril..
Chapon gras ( la piéces liv. às 1. rof.
Poularde , liv. à 4 4
liv . 10 f.
Boulet gras , 2 liv.'s f. 2 liv . 10 f. & 2 liv. 1.5 f.
វ
AVRIL 1763. 2.13
*
Poulet commun , 1 liv. 10 f. i liv. 15
Perdrix , 1 liv & 1 liv. 10 f.
Dindon gras 6 & 7 liv.
Dindon commun , 3 liv. 10 f. & 4 liv.
Liévre , 2 liv. 10 f. à 3 liv.
Lévreau , 31. ro f. à 4 liv .
Pigeon , 15 à 20 f.
Canneton de Rouen , 3 liv. 10 f. à 4 liv. 10 f.
Le Canneton commun I liv. 10 f. à 1 liv . Is f •
L'Agneau , 6 , 8 à 10 liv.
Cochon de lait , 4 liv. 5 liv . & 6 liv.
Beurre & OEufs du même
Beurre d'Iffigni , 14 f. ( la livre. )
Beurre de Gournai , 18 f.
Beurre de Chartres , 13 f.
Celui de Gâtinois , 11 & 12 f.
I
temps.
Les oeufs de Gournai , 33 liv. ( le millier. ) De
Longjumeau , 32 , d'Arras & de Picardie , 29 à 30 liv.
Fourrages.
Paille , 13 à 16 liv: ( le cent. )
Le Foin , de 30 à 34 liv..
214 MERCURE DE FRANCE.
J'AI
APPROBATION.
J'ai lu ,par ordre de Monſeigneur le Chancelier ;
le fecond volume du Mercure d'Avril 1763 ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion. A Paris, ce 14 Avril 1763. GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE,
ARTICLE PREMIER .
SUR la Pareffe. Pages
JI
VERS d'un Officier Général qui étoit fur le
point d'époufer Mlle.... &c.
L'AMANT révolté converti .
ÉPIGRAMME à l'Auteur d'une mauvaiſe Epître
, &c.
JUSTIFICATION , à une Amie.
LES Mariages heureux & malheureux ,
CONTE MORAL.
VERS à Mde Riccoboni , Auteur d'Amélie ,
Roman de Fielding.
PORTRAIT allégorique à Mlle A *** .
ÉPITRE à une jeune perfonne , au fortir de
l'Abbaye de S. Cyr.
VERS adreffés à M. le Marquis de Bréhand
par les Troupes Irlandoifes & Ecoffoiles .
VERS à l'occafion des Fêtes pour le Couronnement
de Catherine II , Impératrice
de toutes les Ruffies.
12
13
ibid.
14
35
3&
39
3 3
43
44
AVRIL. 1763. 215 .
ESSAI Philofophique fur les Caractères diftinctifs
du vrai Philofophe .
VERS l'Abbé à M. de Voifenon , de l'Académie
Françoiſe.
45
61
VERS faits pour une Eftampe du Médaillon
de Mgr le Prince de Condé , envoyée chez
plufieurs Dames.
REPONSE de Madame Bl . à une déclaration
d'amour.
VERS fur le Maufolée que S. M. a ordonné
d'ériger à feu M. de Crébillon dans l'Eglife
de S. Gervais .
A Climéne ****
qui avoit demandé des vers
62
63
ibide
à l'Auteur.
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
64
66 & 67,
68 & 69
70 COUPLETS à mettre en chant.
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES .
LETTRE de M. le Préfident Hénault ; au fujet
de la Differtation de M. de Saintfoix,
fur la Statue Equeftre qui eft à N. D. de
Paris.
RÉPONSE de M. de Saintfoix.
ac-
HISTOIRE de Jonathan Wild le Grand , traduit
de l'Anglois de M. Fielding, Auteur
de Jofeph Andrews & de Tom Jones.
PHILOSOPHIA , ad ufum Scholarum
commodata , authore Antonio Seguy.
L'ECONOME Politique ; Projet pour enrichir
& pour perfectionner l'efpéce humaine.
Avis au Public .
ANNONCES de Livres.
73
ཀླམ79
94
103
206
115
116 & fuiv.
ARTICLE HI.SCIENCES AT BELLES-LETTRES .
RESOLUTION des deux queſtions propoſées
dans le Mercure de Janvier 1763 . 129
216 MERCURE DE FRANCE .
MÉDECINE.
SUITE des Obfervations fur l'Hiftoire de la
Médecine.
LETTRE à M. De la Place , ou Obfervations
fur l'Hiftoire de la Médecine.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
SUPPLÉMENT aux Piéces Fugitives.
LETTRE d'un Habitant du Palais Royal , à
M. De la Place,
ART. IV. BEAUX - ARTS.
130
133
138
MUSIQUE.
CLAVECIN vertical.
GRAVURE.
ART. V. SPECTACLES.
EXTRAIT de l'Anglois à Bordeaux.
COMPLIMENT prononcé par M. Dauberval ,
à l'ouverture du Théâtre François.
COMÉDIE Italienne.
OPERA .
SUITE des Concerts Spirituels .
141
143
148
169
173
ibid.
174
ART. VI. Suite des Nouvelles Polit. de Mars. 180
NOUVELLES Politiques d'Avril. 205
ART. VII . Economie & Commerce. 212
PRIX des Grains , Volaille & Gibier.
BEURRE & Cufs.
ibid.
213
THEQUE
Do
LYON
*
1893
FILLE
ab
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY,
rue & vis-à-vis la Comédie Françoiſe
          DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI
MARS. 1763 .
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
ALO
WIBE
LYON
*
1893 *
Cochin
Siliusinte
PapilloySculp
A
PARIS ,
CCHAUBERT , rue du Hurepoir.
JORRY, vis- à-vis la Comédie Françoiſe.
Chez PRAULT , quai de Conti .
DUCHESNE, rue Saint Jacques.
CAILLEAU, rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi .
AVERTISSEMENT.
1
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch à côté du
Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer ,
francs de
port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie litté
raire , à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols pièce.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir , ou qui prendront les frais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raison de 30 fols
parvolum. c'est-à- dire 24 livres d'avance,
en s'abonnant pour feize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure , écriront à l'adreſſe cideffus.
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payanı
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
, refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
, d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année . Il y en a jufqu'à
préfent quatre - vingt -huit volumes.
Une Table générale , rangée par,
ordre des Matières , fe trouve à la fin du
foixante-douxiéme .
A
ご
THEQUE
2019
MERCURE
DE FRANCH
MAR S. 1763.
LYON
*
1893 1893
DE
LA
*2711
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L'HYVER ,
POEM E.
Das froides régions du Pole
Déchaîné contre nos climats ,
Le plus fier des enfans d'Eole
Livre déja d'affreux combats
Dans nos champs d'où Zéphir s'envole,
Et dans nos jardins fans appas ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
Où fur un trône de frimats
Régne l'hyver qui les défole
Bientôt en proie à la rigueur
De l'ennemi qui la menace,
La Nature dans la douleur
Préffent la prochaine diſgrace ,
Armé de neiges & de glaces ,
Il fond fur elle avec fureur :
Il en triomphe avec audace :
Elle tombe fous fon vainqueur ;
Et par ce tyran deſtructeur
Voit de fa beauté qui s'éfface
S'éteindre l'éclat enchanteur.
De fon ancienne ſplendeur
Je ne découvre aucune trace ;
Ce n'eft plus qu'une informe maffe
Prèfque fans vie & fans couleur.
De leur richeffe & de leur grace ,
Tous les Arbres font dépouillés.
Plus de Parterres émaillés ;
Il n'en eft resté que la place.
Le fommet de ces buiffons verds
Ne fe couronne plus de roſes :
Le doux parfum des fleurs éclofe s
Ne s'éxhale plus dans les airs.
Ces Vergers que chargeoit Pomone ,
De tous les trésors de l'Automne ,
Ont perdu leurs charmes divers.
Ces côteaux de vignes couverts,
MARS. 1763. 7
"
Ces belles & riches contrées
Où flottoient les moiffons dorées :
Se changent en d'affreux déferts.
Des oifeaux au fond des bocages ,
Nous n'entendons plus les ramages :
Ils ont oublié leurs concerts ,
Depuis que ces lieux font fauvages.
Des ruiffeaux qui fur ces rivages
Sembloient & fi purs & fi clairs ,
On ne voit plus couler les ondes ;
Au fond de leurs grottes profondes
Les Nayades font dans les fers.
Toi- même , Aréthufe , en ta fuite ,
Je te vois tremblante , interdite :
Les glaces enchaînent ton cours;
Alphée , ardent à ta pourſuite ,
De cet avantage profite ;
II femble abréger les détours ;
A gros bouillons il précipite
Ses flots pouffés par les amours.
Mais près d'atteindre ſon Amante ,
Et fur le point de la faifir ,
Le fort va tromper fon attente :
Son bonheur va s'évanouir.
Tout-à-coup la marche eft plus lente :
Il fent fon onde s'épaiffir :
Ses Flots durciffent : il s'arrête
Et perd l'efpoir de ſa conquête
Au moment même d'en jouir.
A iv
8 MERGURE DE FRANCE .
Bergers ; qui tantôt fous ces hêtres
Failiez de vos chanfons champêtres
Retentir au loin les échos ,
Vous ne venez plus dans ces plaines ,
Suivant des routes incertaines ,
Conduire à l'écart vos troupeaux ;
Et du pied de ces arbriſſeaux
Où vous fouliez l'herbe nouvelle
Qui n'aît fur le bord des ruiffeaux ,
Tandis que votre chien fidéle. ,
Infatigable fentinelle ,
Joignoit à vos foins ſes travaux ,
Le fon perçant de vos pipeaux
Ne s'étend plus dans les campagnes ;
Par des airs & des chants nouveaux
Et des vallons & des montagnes
Vous n'égayez plus le repos.
Nous ne voyons plus ces Bergères.
Auffi douces que leurs agneaux ,
Aux accens de vos chalumeaux ,.
Sur la furface des bruyeres
Imprimant leur traces légères ,
Danfer à l'ombre des ormeaux.
Du fein des champêtres aſyles ,
Un Peuple d'habitans nouveaux.
Repaffe au milieu de nos Villes ,
Laiffant fes Parcs & fes châteaux.
Failons comme eux , belle Délie :
MARS. 1763. 9
Quittons les bois & les hameaux ,
Quittons la campagne flétrie ,
Et revenons dans la Cité
Chercher cette fociété
Que des champs l'hyvex a bannie.
Entrons dans ces cercles brillans
Et dans ces falles décorées ,
Par cent flambeaux moins éclairées ,
Que par l'éclat des diamans
Dont les femmes fe font parées.
Ofons à leurs caquets bruyans
Mêler nos voix plus modérées :
Tenons mille propos plaifans :
Rions tout bas des fimagrées
Des airs fadement importans ,
Et des manières bigarrées
De tous ces êtres différens ;
Des coquettes , des mijaurées ,
Des petits-maîtres fémillans ,
Des hommes à petits talens ,
De leurs protectrices titrées ,
De leurs protecteurs ignorans.
On apporte la table verte ,
Délie , armons -nous d'un fizain:
Jouons , & fans plaindre la perte ,
Et fans nous applaudir du gain.
Mais l'ennui commence à nous prendre
Fuyons ces lieux ;allons nous rendre
A v
10 MERCURE DE FRANCE .
Au Temple du Dieu des Accords:
Quels fons flatteurs s'y font entendre !
Dans le langage le plus tendre
L'Amour exprime fes tranſports.
Quelle touchante mélodie !
Au goût vanté de l'Aufonie ,
L'Art François unit les efforts ,
Et la Nymphe de l'harmonie
Se pare de tous les trésors.
La jeune & fouple Terpsichore
S'avançant d'un pas gracieux ,
A tant de pompe ajoute encore
L'appareil brillant de ſes jeux.
Mais que vois-je ? Du haut des nuës ,
Au milieu des airs fufpendues ,
Les Dieux deſcendent fur des chars ;
Et quittant les Royaumes fombres ,
Les Eumenides & les Ombres
Viennent éffrayer mes regards.
A cette illufion étrange ,
Tandis que je livre mes yeux ,
D'un coup de fifflet tout fe change , .
Et je me trouve en d'autres lieux.
Où font ces rians payſages ,
Ces jardins fi beaux , ces ombrages ,
Formés par des berceaux épais ?
Je vois la mer & ſes rivages ,
Des rochers couverts de naufrages ,
Remplacer ces bords pleins d'attraits ..
Que dis-je ? A ces horribles plages
MAR S. 1763.
TI
1
Succède un portique , un palais ;
Et quand j'admire ces ouvrages ,
Tout-à-coup des refforts fecrets
Au lieu de ces pompeux objets ,
M'offrent de lugubres images ;
Un tombeau bordé de cyprès ,
Un Autel qui s'éleve auprès ,
A l'ombre de ces noirs feuillages ;
Et dont la Mort garde l'accès.
De ce Spectacle magnifique ,
Eh bien , fommes- nous fatisfaits ?
Les vers , la danfe , la mufique ,.
Et cet affemblage magique
De tant de merveilleux effets
Ont fans doute , en notre âme éprife
D'une aimable & vive furpriſe-
Produit le doux faififfement :
Mais tandis que l'aſpect frappant T
De cette pompe enchantereſſe ,
Dans mes efprits porte fans ceffe
Le charme du raviffement ,,
Et plonge mes fens dans l'yvreffe
Au milieu de tant de richeſſe , -
Le coeur eft dans le dénûmensg :
Il ne voit rien qui l'intéreſſe ,
Qui flatte fa délicateſſe ,
Qui lui fourniffe un fentiment; ↑ ·
Oui , même quand le tien palpite's
Quand il pouffe un fréquent foupir ,
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Charmante Arnoult , à m'attendrir
C'eſt en vain que ta voix m'invite.
Tu fais étonner & ravir :
De tés fons j'admire les charmes ;
Mais c'eft fans répandre des larmes ,
Que tu me vois leur applaudir.
Demain nous pleurerons , Délie ,
Nous pleurerons avec Clairon :
L'Art , la Nature , le Génie
Ont monté la voix fur leur ton ,
Et mis dans fon expreffion
L'âme , la force , l'énergie ,
Tout le feu de la paffion.
Zelmire , par elle embellie ,
Fera paffer jufqu'en nos coeurs
Le fentiment de fes douleurs .
Ou toi , Dumefnil , d'Athalie
Tu feras parler les fureurs ,
L'ambition , la rage impie :
Tu rempliras mes fens d'horreurs,
En déteſtant ta barbarie ,
Je gémirai fur les malheurs
De la victime pourſuivie
Par tes facrilèges noirceurs.
De Jofabet , d'éffroi ſaiſie ,
Je partagerai les terreurs :.
Comme elle allarmé far la vie
Du feul eſpoir de ſa patrie ,
MARS . 1763.
13
Je joindrai mes pleurs à fes pleurs.
Du théâtre volons à table ;
Que la joie y vole avec nous ;
Qu'elle répande un charme aimable
Sur ce qui doit flatter nos goûts.
Eh ! qu'est-ce que la bonne chère
Que n'anime point la gaité ?
Un plaifir qui n'eſt point gouté ,
L'ennui dreffant fon fanctuaire
Sur celui de la volupté .
Viens donc , viens , charmante Déeffe
Viens avec les Ris & les jeux
Dont la troupe te fuit fans ceffe.
Ecarte , bannis de ces lieux
Le filence, le férieur ,
Ces noirs fignaux de la trifteffe
Qu'ils faffent place à l'allégreffe .
Viens à ces apprêts faſtueux ,
De l'art aidé de la richelle ,
Joindre encore tes tranfports heureux !
Sans ta puiffance favorable ,
Sans toi ce fouper fomptueux
Ne feroit que délicieux ::
Fais plus fais qu'il foit agréable ;
Viens le rendre voluptueux.
De toutes parts le nectar coule ,
Et l'on s'en abbreuve à longs traits :
Dans le vin pétillant & frais
14 MERCURE DE FRANCE.
Les plaifirs furnagent en foule.
Parmi les flots de ta liqueur ,
Ils s'élancent de la bouteille :
Dieu des Buveurs , Dieu de la treille ,
Ils embelliffent ta couleur..
Je vois cette troupe légère
Au gré d'une folâtre ardeur
Se trémouffer dans la fougère ;
Je les fens en vuidant mon vèrre
Deſcendre avec toi dans mon coeur .
Mais déja la nuit avancée
A fait les deux tiers de fon tour:
Bientôt à fon ombre éclipfée
Succédera le point- du-jour.
Le Peuple après un fommeil court
Entr'ouvrant déja la paupière ,
S'apprête à revoir la lumière
Dès qu'elle fera de retour.
Dans cette alcove folitaire
Conduis avec moi , Dieu d'Amour ,
Celle qui reflemble à ta mère ,
Qui fait l'ornement de ta cour ,
Et qu'à mon coeur tu rends fi chère.
Guidés par ce Dieu tutélaire ,.
Retirons-nous fous ces rideaux ;
Que fon flambeau feul nous éclaire :
Sur ce lit couvert de pavots
Je crois voir l'Autel de Cythère.
MARS. 1763. 15:
Délie , à mes tranſports nouveaux
Ofe te livrer toute entiere ;
En confommant l'heureux mystère ,
Tombons dans les bras du repos.
Par un nouveau Venu au Parnaſſe.
LETTRE de Mlle *** à Madame....
fur l'ÉMILE de M. ROUSSEAU..
VOUS
176.2.
me demandez , Madame ,
quels font mes amuſemens à la campagne
? vous pouvez vous les imaginer
fans peine , la promenade , la chaffe ,
la
pêche , le jeu , la table , & puis le jeu
encore , car cet éternel jeu ne finit ja
mais ; un peu de lecture , quelques réflexions
bonnes bonnes ou mauvaiſes ;
voilà ce qui nous occupe , non pas
fans regretter Paris : car j'aime le Spectacle
, il n'y en a point ici : je chéris
la liberté , on n'en connoît ici que le
nom : on vous l'ôte a force de fe van--
ter qu'on vous la donne. Je conviens
qu'on a partout des devoirs de fociété
à obferver , mais ils font plus gênans
à la campagne. Si le coeur étoit
de la partie ; fi le devoir devenoit . un
16 MERCURE DE FRANCE.
goût , il feroit plus facile à remplir.
Mais on fe voit de trop près pour ne
fe point connoître ; & il eft difficile
de s'aimer , quand on fe connoît fi
bien. Pour me fauver de la néceffité de
jouer , je fuppofe quelquefois que j'ai
des brochures à lire qu'il me faut renvoyer
à Paris , & je dis fouvent la
vérité. Je n'ai eu que quatre jours le
livre d'Emile , & vous m'avouerez que
ce n'eft pas affez.Jel'ai cependant lû tout
entier, excepté une bonne partie de la profeffion
de foi duVicaireSavoyard.M.Rouf
feau écrit trop bien , pour qu'on puiffe
fe refufer à l'envie & au plaifir de le
lire . J'ai reconnu dans fon Emile , l'auteur
de la nouvelle Heloïfe ; mais je
ne reconnois plus l'Auteur des difcours
contre les Sciences , & fur l'égalité des
conditions , ni même de la lettre contre
les Spectacles. On pardonnoit à M.
Rouffeau , un peu de mifantropie en
faveur de la pureté de fa morale. Il
nous difoit quelquefois des vérités un
peu trop dures ; mais il les difoit avec
F'énergie qu'elles infpirent. Si la vérité
ne plait pas toujours , elle a du moins
le droit de convaincre. M. Ronfleau
fe plaint de nos moeurs , il a raiſon . Je
crains bien que leur maligne influence
MAR S. 1763. 17
n'ait amolli les fiennes. Ce Philofophe
févère a déridé fon front. Dans fon
Emile il difcute des matières qui ne
me paroiffent guères propre à l'éducation
d'un jeune homme. Et je crois
qu'en pareil cas les leçons intéreffent
plus le maître que l'écolier. Peut-être ,
Madame , allez-vous me taxer d'ingratitude
envers M. Rouffeau ; vous me
repréſenterez que je lui dois avec mon
fexe beaucoup de reconnoiffance , de
tout le bien qu'il en dit , de ce qu'il
daigne même en parler , foit en bien
foit en mal. Mais je ne crois pas qu'il
fe faffe pour cela beaucoup de violence.
Il aime trop les femmes pour n'y pas
penfer , & pour n'en pas parler plus
qu'il ne voudroit. On m'avoit déja
prévenue qu'il nous exaltoit beaucoup
dans fon dernier ouvrage : je n'en
puis difconvenir. Mais nous ne devons
pas , ce me femble , en tirer beaucoup.
de vanité. Il a eu foin d'effacer par le
trait le plus humiliant , tout le plaifir
que cela pouvoit nous faire. Il veut.
qu'une femme foit femme , & rien de
plus. Si la comparaifon eft permiſe ,
j'oferai représenter à M. Rouſſeau
qu'un homme élevé comme tout homme
l'eft felon fon état , eft bien plus
18 MERCURE DE FRANCE .
au- deffus de fon Etre , qu'un femme
Cependant fouvent vous le voyez qui
non content de l'éducations qu'on lui
donne , veut franchir les bornes qu'elle
lui prefcrit. Son genie tranfcendant veut
être créateur. Il ajoute aux Arts & aux
Sciences , qu'il pofféde , & veut en
produire de nouvelles . S'il s'abîme dans
dans la fpéculation , il veut lire jufques
dans l'avenir ; il interroge les aftres
il meſure leur étendue , leur diſtance
il prédit les révolutions qui doivent
leur arriver ; il fait plus , il veut comprendre
celui qui les a créés . Tandis
qu'il n'eft point de limites pour fon
efprit curieux , qu'il veut pénétrer ce
qui eft impénétrable , & percer le voile
que la Providence a mis fur fes décrets ;
enfin tandis qu'il s'éleve jufqu'à la Divinité
même , il ne fera pas permis à
une femme de s'élever feulement jufqu'à
l'homme , en defirant la moindre partie
de l'éducation qu'on lui donne !
Seroit- ce en l'imitant qu'on fe rendroit
indigne de lui ? je conviens qu'il faut
que chacun refte dans fa fphère ; mais
celle d'une femme eft bien étroite , &
il eft naturel de chercher à fortir de
fa prifon. Je conviens qu'il y a des devoirs
d'état à remplir ; que ceux d'une
MARS. 1763. 19
.....
femme font éffentiels , & qu'elle doit les
préférer à toute autre occupation . Mais
enfin toutes les femmes n'ont pas
dirai-je,le bonheur ? ..le mot feroit peutêtre
hazardé : toutes les femmes , dis - je ,
Ine font pas mères; ainfi elles ne peuvent
pas toutes être entourées de hardes d'En--
fans. Que celles qui n'ont pas ce glorieux
avantage, ayent la liberté du moins
d'être entourées de brochures ; il leur reftera
encore affez de temps pour cultiver
leurs charmes , & pour plaire même
à M. Rouffeau. Mais me dira- t- il , elles
auront le titre de bel- efprit , & toutefille
bel-efprit , reftera fille , tant qu'il y aura®
des hommes fenfes fur la terre ? Heureufement
, qu'ils ne le font pas tous , &
les Demoiſelles beaux- efprits, ne trou--
veront que trop à qui s'allier. Mais fi
elles ne trouvoient pas. ( Le Ciel nous
offre quelquefois des Phénomènes , la
terre pourroit en offrir à fon tour , ) fi.
les hommes alloient devenir raifonnables
? Eh bien , elles auroient toujours
le tire de bel efprit , & à peu de frais
s'il faut feulement pour l'acquérir êtreentourées
de brochures. Si elles font forcées
de garder le célibat : cet état peut
avoirfes douceurs ; & quoiqu'en dife
M. Diderot , dans fon Père de Famille,,
20 MERCURE DE FRANCE.
il ne prépare pas toujours des regrets. La
liberté qu'il laiffe , peut dédommager du
ridicule attaché au bel - efprit. Mais M.
Rouffeau me paroît trop généreux , de
rejetter ce ridicule fur nous feules : nous
fommes trop juftes pour le recevoir
entierement ; & nous nous contentons
d'en accepter au plus la moité : car
fi l'on compte au Parnaffe neuf Mufes
pour un Apollon , à peine peut- on compter
ici- bas , une mufe pour un bien plus
grand nombre d'Apollons ; & malgré
leur rareté , M. Rouffeau femble douter
encore de leur propre éxiſtence !
Je lui pardonne de nous avoir menacées
de ne point trouver d'époux : ce font
de ces malheurs qu'on peut fupporter;
d'ailleurs , l'effet ne fuit pas toujours la
menace. Je lui pardonne auffi de nous
accufer de n'avoir point de génie ; nous
nous contentons de l'efprit , puifqu'il
veut bien nous le laiffer. Mais je ne
lui pardonne point d'ofer affurer , que
toute femme qui écrit a quelqu'un
qui lui conduit la main . Il ne nous
laiffe pas même la gloire de faire du
mauvais. Je ne fçai ; mais il me femble
qu'un Auteur eft trop amoureux de
ouvrages, pour les donner ainfi gratuitement.
Il auroit pourtant dû nomfes
MARS . 1763.
21
,
9
mer les plumes élégantes qui ont bien
voulu facrifier leur gloire à celles des
Sévignés , des la Suze , & des autres
Dames illuftres du dernier fiécle.
A l'égard des modernes qui ont quelque
réputation M. Rouffeau auroit
pû les prier de fe laiffer enfermer ſeulement
vingt-quatre heures , avec de l'encre
& du papier , & par ce qu'elles auroient
produit , il auroit jugé de leurs
talens. Vous me direz fans doute
Madame , qu'on peut douter de bien
des chofes , lorfqu'on doute de la révélation
: mais tout ce que M. Rouffeau
dira contre notre Religion , ne lui portera
aucune atteinte. Qu'il prenne le
ton férieux ou le ton ironique , fes
raifonnemens ne pourront l'ébranler ;
la Religion fe foutient d'elle-même , &
trouve un défenfeur dans chaque conſcience
. Mais nous,qui ofera nous défendre
, quand M. Rouffeau nous attaque ?
Il faut donc fe taire , car je n'ai déjà
peut-être que trop parlé. Permettez - moi
feulement de vous affurer de la vive
fincérité des fentimens avec lefquels
J'ai l'honneur d'être , &c.
>
22 MERCURE DE FRANCE.
COUPLETS , à l'occafion d'un Ballet
des ELEMENS , à une Salamandre.
U
AIR: Quoi , vous partez.
N feu léger éblouit & s'échappe ,
Un feu brulant détruit ce qu'il atteint ;
Un feu plus doux en vous voyant nous frape ,
L'Amour l'allume & jamais ne l'éteint.
Même on prétend que le fripon , fous cape ,
Rit comme vous de celui qui s'en plaint.
A une autre Salamandre , fur tous
les Élémens.
AIR: Partout où régne le chagrin.
L'Amour , ce Roi de l'Univers ,
Ce Dieu dont vous êtes l'image ,
De tous les Elémeus divers
Reçoit le tribut & l'hommage.
De Vénus l'élément natal ,
Les eaux à l'Amour font bien chères ;
Auffi de leur brillant criſtal
11 fit le miroir des Bergères.
Quand il vole comme un éclair
MARS.
23:
Sur les pas fugitifs des Belles. ,
La main des habitans de l'air
Soutient & parfume ſes aîles .
La Terre fleurit fous les pas ,
Et lui prépare au ſein des fêtes
Des lits de fleurs pour les combats
De jennes coeurs pour les conquêtes.
Mais immortel comme les Dieux ,
Il doit cette gloire à fa flamme.
L'Elément qui brille à vos yeux ,
Eft de l'Amour la vie & l'âme.
EPIGRAMME.
ON vantoit l'autre jour le grand ſçavoir d'Argant
:
Seul il valoit toute une Académie ;
Seul il eût fait une Encyclopédie ;
Salomon près de lui n'eût éré qu'une enfant.
Lors , me tournant vers la jeune Iſabelle :
Pour moi , de rien fçavoir ne puis venir à bout ;
Hors vous aimer. Ah ! s'il eſt vrai , dit- elle ,
Mon cher ami , vous fçavez tout.
Par M. SAUTREAU.
24 MERCURE DE FRANCE .
"
VERS fur le mariage de Mlle DE
DROMESNIL , avec M. le
Marquis DE BELSUNCE.
Par M. TANEVOT.-
ALLEZ , Hymen , vous couronner de
gloire ,
Allez jouir d'une double victoire ,
Et , dans un champ fertile en Myrthes , en Lau
riers ,
Unir encor les Grâces aux Guerriers.
Ainfi les guirlandes d'Armide
Enchaînoient de Renaud le courege intrépide.
Des feux plus purs , chaftes Epoux ,
Vous préfagent un fort plus doux.
Aimable Dromefnil , d'une Soeur fortunée ;
Goûtez la même deſtinée ;
L'on vous verra briller autant :
Telle , dans les Jardins de Flore •
Une Rofe qui vient d'éclore ,
D'une autre auffi vermeille eft fuivie à l'inſtant
S des trois Déeffes rivales ,
Quelqu'une avoit eu vos appas ,
Sur ce Montfameux , leurs débats ,
* Le Mont Ida.
!
De
MARS. 1763 : 25
De tant de maux , ſources fatales ,
N'auroient pas occupé beaucoup
Ce beau Berger que l'on renomme:
La Diſcorde eût manqué fon coup,
On n'eût point difputé la Pomme.
BELSUNCE , armé de tous les traits
Que l'on forge à Paphos , ſubjugue vos attraits
Tout applaudit dans cette fête ,
A fon bonheur , à la conquête.
Nouveau triomphe des Amours ,
Non des zéphirs , volages dans leurs cours.
*
O vous , donc , Nymphe enchantereſſe ,
Allez aux pieds d'une augufte Princeffe ,
Cultiver des Vertus dont l'agréable odeur
Parfume votre jeune coeur :
C'est l'hommage qu'Elle defire ,
Et tout l'Encens qu'Elle refpire .
ENVOοι1.
Pardonnez à ces vers de trop peu de valeur :
( Ma Mufe à chaque pas chancelle ; )
S'ils font dépourvus de chaleur ,
C'eſt d'un feu qui s'éteint la derniere étincelle.
* En qualité de Dame de MADAME.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
L'AMOUR ET L'HYMEN
RÉCONCILIÉS ,
CONTE EPITHALAMIQUE.
LE Dieu de la tendreffe perdoit infenfiblement
fon empire fur les humains .
Il ne les conduifoit plus aux Autels de
l'Hymen. Depuis longtemps ils ne le
confultoient plus , pour former ces rapides
engagemens , que fouvent un même
jour voit naître & finir.
L'Amour s'en confoloit.. Il régnoit toujours
fur les coeurs fans éxpérience. Quand
de la premiere jeuneffe on paffe à l'âge
des defirs , on aime à fe livrer aux douces
inquiétudes du Dieu des cours. On
ne voit , on n'entend que par lui . On
n'exprime que ce qu'il infpire : & ce
qu'il infpire eft le fentiment de la Volupté
même .
Le goût des frivolités lui arracha ce
refte de puiffance : Azor , l'aimable
Azor , dont le coeur étoit fait pour toutes
les vertus , ofa former des defirs :
& ils n'étoient pas ceux de l'Amour. Il
dit à toutes les jolies femmes qui s'ofMARS.
1763. 27
,
frirent à fes regards , qu'il les adoroit ;
& il le leur juroit,fans reffentir aucune
des émotions de l'Amour. D'où provient
donc cet égarement , s'écria - t- il ?
Vangeons-nous , ou ramenons Azor ,
ou puniffons les coupables. Leur nombre
l'effraya. Ces ufages qui l'outraguuiunt
étoient devenus ceux de wus
Les hommes du bon ton . Azor eût cru
fe perdre de réputation parmi fes pareils,
s'il eût tenté d'afficher le fentiment.
Le fils de Vénus défefpéré de ne pouvoir
ni corriger Azor , ni punir les coupables
, prit le parti de les abandonner
à leur délire , & de dérober fa honte
aux Dieux même s'il le pouvoit. Dans
cette vue il parcouroit des deferts immenfes,
& partout il proféroit les plaintes
les plus touchantes. Les volages oifeaux
interrompoient leurs chants mélodieux
, pour , pour l'entendre . Les timides
hôtes des bois oublioient leurs frayeurs
pour foupirer avec lui. Les tigres & les
lions fufpendoient leur férocité , pour
s'adoucir à fes accens . Les fiers Aquilons
calmoient leur indomptable fureur
, pour s'attendrir à fa voix . Tel
eft fon pouvoir. La Nature & tous les
Etres qu'elle produit , fe plaiſent à céder
aux impreffions de ce Dieu. Mortels in-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
grats , fe difoit- il , vous êtes donc les
feuls qui réfiftez à mes loix ? Je vous détefte
! C'étoit ainfi qu'il exhaloit fon
courroux ,
Un jour qu'il s'étoit prèſqu'épuisé de
fatigue , il apperçut un bois dans un
vallon fort éloigné. Il s'y rendit. Il fut
upris de voir que ce féjour étoit tulbelli
de tous les ornemens de l'Art.Quel
être intelligent, s'écria -til , a fçu ſe préparer
cette riante folitude ? Il fe dérobe
aux Mortels ? Ah ! c'eſt un Sage . Cherchons-
le , je brûle de me l'attacher,& de
le combler de mes dons, s'il en eft digne.
Il pénétra dans ce bois. A l'afpect
d'une multitude de promenades artiſtement
variées , fon étonnement redoubloit.
Bientôt il arrive dans un bofquet
charmant . Des branches galament
entrelaffées en interdifoient l'entrée aux
rayons d'un foleil brulant. Les fleurs les
plus rares & les plus vives y répandoient
un parfum enchanteur. L'Amant
de Flore y entretenoit une fraîcheur
délicieufe , par le fouffle de fon haleine.
Un gazon élevé par les Grâces faifoit
l'enfoncement de ce bofquet.
L'Amour entrevit fur ce gazon un
Etre pour lequel il s'intéreffa. Négligemment
étendu fur ce tapis émail,
MARS. 1763 . 29
,
lé , il paroiffoit plongé dans les rêveries
d'un fommeil inquiet ; fes paupiéres
entr'ouvertes laiffoient couler
quelques larmes ; il parloit même.
» Mortels infenfés , fe difoit- il vous
» avez méconnu mes bienfaits ; je de-
» vrois vous haïr. Ne puis - je du moins
» vous oublier ? C'eft toi , charmante
» Félime , qui les retraces à mon fou-
» venir. Ciel ! c'eſt l'hymen , s'écria l'Amour
avec une extrême vivacité. Il fe
plaint donc auffi de l'aveuglement des
hommes ?
"
"
Qui es-tu , toi , reprit l'Hymen en
» fe réveillant ? Que cherches- tu dans
» ces aſyles inhabités ? Pourquoi trou-
» bles-tu mon repos ? Mais.... Que
» vois - je ? C'eſt l'Amour ! .. Cruel ennemi
, qu'attens-tu de moi ?.... Fuyons.
Arrête , cher frère ! As-tu pu croire
que j'étois ton ennemi ? Quelle erreur
! Expliquons- nous ; je t'en conjure.
Je me flatte de te faire fentir l'injuftice
de tes reproches. Mais depuis
quel temps habites- tu ces fôrets ? je te
croiois toujours occupé du fort des
humains.
» Tu le croiois , perfide ? ne font- ce
» pas tes caprices qui m'ont ravi ce
» foin. N'as-tu pas ceffé d'enflammer
B iij
30 MERCURE DE FRANCE .
les coeurs que j'uniffois ? N'as- tu
» pas même employé toutes les féduc-
" tions pour traverfer la tranquille in-
» nocence que je leur procurois , en
» les précipitant dans des liens contrai-
>> re aux miens ? apprens donc les fuites
» funeftes de cette méfintelligence , fi
» tu les ignores.
» Dès que tu m'eus quitté , le fu-
" perbe Plutus s'appropria le droit de
» dicter mes loix. Je lui abandonnai
» les ames viles , & capables de fe laif-
Q
fer féduire par fon opulence . Je me
» contentois de difpofer de quelques
» coeurs fufceptibles de délicateffe.
» Félime, entr'autres , Félime , me parut
» digne de toute mon attention . La
» connois-tu ? Quels traits , Quel coeur,
» Quelles beautés , Quelle âme ! Mille
» fois le jour, je me rappelle le moment
» qui l'offrit à mes regards . Elle étoit
» dans un cercle de douze jolies fem-
" mes. La moins belle de ces femmes
" eût effacé ta Mere : Félime les effa-
" çoit toutes. Parée des feules grâces
» que donne la Nature , elle obfcurcif-
» foit toutes celles que peut donner.
» l'Art. Cher frère ! qu'elle étoit belle
» & touchante ! Les Dieux , tu le fçais,
» fe plaifent à faire le bonheur des
MARS . 1763. 31
mortels qui font leurs images. De
» cet inftant , je me propofai de ne rien
» négliger , pour rendre celui de Fé-
» lime durable & parfait. J'avois pour
» cela befoin , non de ton art ; il
» fiéroit mal à des coeurs foumis à mes
» loix , mais de tes feux ; mais de tes
» tranſports toujours féduifans , lorfque
» le fentiment les fait naître. Je te cher-
" chai dans tous les lieux où on te foup-
» çonnoit. Inhumain ! tu me fuyois
» fans doute . Furieux de ne pouvoir
» te rencontrer je te maudis mille
» fois. Je quittai le féjour des humains ;
» & depuis ce temps , je m'éfforce de
» vous oublier.
Tes plaintes , chere frère , font légitimes.
Les hommes font des ingrats . Ils
nous ont outragés . Je les fuis depuis.
long-temps , parce que je les croiois
foumis de ton confentement , au Dieu
des richeffes. Puniffons les . Mais que ce
foit en les rendant témoins de la félicité
fuprême , dont peuvent jouir deux
coeurs unis par l'Hymen & l'Amour.
Cette vengeance digne de nous , doit
nous réunir. Je connois Félime. Qu'elle
foit le gage de notre réconciliation .
Seule elle peut me rendre fur le coeur
d'Azor, des droits qui m'ont été uſur-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
pés par les frivoles ufages de ce fiécle.
Vois le trait que je leur prépare à l'un
& à l'autre .
?
» Quel eft cet Azor ? Mérite - t - il un
» coeur tel que celui de Félime ? Oui ,
cher frère , j'en jure par le Styx. Si le
plus puiffant des Dieux vouloit plaire ,
fi moi-même je fuccombois à ce defir
j'emprunterois la figure , le coeur & l'efprit
d'Azor. Sa figure eft noble & intéreffante.
Elle féduit lorfqu'on le voit
pour la premiere fois. Lorfqu'on le revoit
, elle féduit encore plus. Son coeur
eft digne de cette figure . Il eft tendre ,
vif & compâtiffant . Les plaifirs d'Azor
feroient des vertus parmi les Immortels
. Ils confiftent à foulager des peines
, à prévenir des befoins , à faire des
heureux. S'il ne faifit pas toujours les
occafions de goûter ces plaifirs , c'eft
que cela ne fe peut pas ; c'eft que les
devoirs de fon état s'y oppofent ; c'eſt
que le Deftin lui-même tenteroit vainement
de fatisfaire tous les hommes.
Ce coeur dont je te parle eût été fans
défauts s'il eût pu devenir fenfible .
Azor a de l'efprit , de la fcience, du jugement
, de la raifon , & il n'en rougit
point ; & il n'en eft pas plus avantageux.
Que ne puis -je te le faire confiMARS.
1763. 33
dérer dans les diverfes occupations de
fa vie ? Tu le verrois s'élever avec la
rapidité de l'Aigle du Dieu du Tonnerre
, lorfqu'il s'agit de manifefter les volontés
de fon augufte Souverain . Eftil
queftion de prévenir une difette , tu
le prendrois pour le Dieu du Nil , fertilifant
les vaftes campagnes de l'Egypte.
Tente-t- il d'encourager les Sciences &
les Arts , tu dirois , c'eft Apollon préfidant
à l'affemblée des chaftes Soeurs ; &
dans toutes ces fonctions , tu diftinguerois
le fentiment qui le dirige. C'eft
l'amour de l'humanité.
Tel eft le Mortel que je deftine à
Félime. Rallume ton flambeau , cher
frère , pour unir leurs coeurs .
Avalit que de rien promettre ,l'Hymen
tant de fois trompé par les promeffes
de l'Amour , voulut connoître Azor.
Il partit pour aller l'examiner. Félime
& lui foupoient chez Alcandre leur
ami. Les Dieux s'y tranfportérent. Hymen
fut enchanté. » Azor & Félime ,
» dit-il à l'Amour , font faits l'un pour
» l'autre ; lance le trait qui doit les en-
» flammer ; mon flambeau fera le reſte .
Alcandre adreffoit alors cet impromptu
a Félime.
"
Du tendre Amour écoute le langage ,
B v
34 MERCURE DE FRANCE .
Belle Félime , il en veut à ton coeur.
Lequel de nous obtiendra l'avantage
De voir enfin couronner fon ardeur ?
Tu t'attendris , Félime ! quel préfage !
Le tendre Amour te prépare un vainqueur.
A ces mots , Azor foupira . Un regard
de Félime acheva de triompher de fon
indifférence . Sur le champ il en fit l'aveu
dans ces termes :
Certaine de notre conftance ,
Tu dois faire un de nous heureux.
Si tu donnes la préférence
A celui qui t'aime le mieux ;
Aimable Félime , j'eſpére ,
Et j'ai des droits .
Droits charmans ! ah ! je les préfére
rang des Rois. Au
Felime ne put entendre cet aveu fans
trouble ; & fes yeux , les plus beaux.
yeux que la Nature ait formés , ne purent
dérober ce trouble au trop heureux
Azor. Que dirai-je de plus ? ils
furent unis par l'Hymen & l'Amour.
Azor eft l'Amant & l'Epoux de Félime .
Il l'adore ; elle l'aime ; & ils fe fuffifent.
Puiffent leurs plaifirs renouveller chaMARS.
1763.
35
que jour leur tendreffe ! Puiffe leur tendreffe
éternifer leurs plaifirs !
Préfenté le 5 de Fevrier à Paris à
M. & Mde de ...... le lendemain de
leur mariage !
VERS fur le Tableau du ROI , repréfenté
par les VERTUS .
PAR l'ingénieux artifice
Et de l'optique & du pinceau ,
Les Vertus , & furtout la Bonté , la Juftice ;
De Louis offrent le tableau.
Si dans un autre perſpective ,
On peignoit les coeurs des François ;
De ces coeurs réunis la peinture naïve
De l'Amour offriroit les traits.
Par M. l'Abbé AUBERT .
CRISTALLIDE LA CURIEUSE ,
CONTE tiré des MILLE ET UNE
QUI
NUITS.
01 veut garder une femme , s'abufe ;
tromper fur de tout temps leur lot
L'art de
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
La moins fubtile a toujours quelque rufe ;
Et le jaloux finit par être fot.
De leur vertu repofez -vous fur elle.
Mais en ce cas feront- elles fidéles ?
Oui- dà ! peut- être ; mais du moins
Vous vous épargnerez des foins.
Schariar , Roi de l'Inde & Schazenan fon frere,
Tous deux beaux & bienfaits , furprirent un matin
Leurs très-chaftes moitiés s'embarquant pour Cythère
,
L'une avec un Faquir , & l'autre avec un Nain.
Sur ces couples galans tous deux firent mainbaffe
;.
C'étoit trop de rigueur : chez nous on eût fait
grace
A la fragilité du Séxe féminin ;
Mais fur les bords grothiers du Gange ,
De Joconde & du Roi Lombard
Le cas dut fembler fort étrange ,
Si tel cas doit pourtant étonner quelque part.
Tout vengé qu'il étoit , Schariar plein de rage,
Ne pouvoit digérer qu'on eût fait cet outrage
Au front augufte d'un Sultan.
Mon cher frére , dit-il , un jour à Schagenan,
Sortons de ce Palais où cette horrible image
Sans ceffe eft préſente à mes yeux .
Les voilà tous deux en voyage.
Près des bords de la mer un bois délicieux
Par fa fraicheur & fon ombrage
MARS. 1763. 37
Contre les traits du jour leur prêtoit du couvert ;
Lorfque du fein des flots ouvert ,
Ils virent à grand bruit s'élever jufqu'aux nues
Un Coloſſe éffrayant , qui d'écume couvert
Traverfoit les ondes émues.
D'un haut cédre à l'inftant ils gagnent le fommer,
Non fans invoquer Mahomet.
Le Coloffe aborde & prend tèrre.
Des noirs enfans d'Eblis c'étoit le plus hideux ;
Son dos étoit chargé d'une caiffe de vèrre.
Il la pofe à quelques pas d'eux ,
Ouvre avec quatre clefs tout autant de ferrures.
Il en fort une Déïté
Brillante de l'éclat des plus belles parures ,
Plus brillante cent fois encor de la beauté.
» Dame qui plaiſez ſeule à mon âme enchantée ,
Dit notre Polyphême à cette Galatée :
» Séyez-vous près de moi , j'ai besoin de repos.
La Belle , à ce galant propos ,
S'affit ; & le Monftre difforme
Des genoux de Vénus faifant fon oreiller ,
Il repofe fa tête énorme ,
S'endort & bientôt ronfle à faire tout trembler.
La Dame étoit très éveillée :
Sur le faîte de l'arbre elle apperçoit nos gens ,
Qui fe cachoient fous la feuillée.
Par mille geftes obligeans,
A defcendre elle les convie.
Eux de s'en excuſer , en montrant le Génie .
38 MERCURE DE FRANCE.
A ce Monftre auffitôt dérobant les genoux ,
Elle fe léve , accourt , & leur dit en courroux :
Ou defcendez , ou je l'éveille.
Ils defcendirent donc. Alors , d'un ton plus doux
Profitons du temps qu'il fommeille.
Voyez-vous ce gazon... puis fans dire le reſte ,
En rougiffant elle y guida leurs pas ;
Mais que ce fût une rougeur modefte ,
Ami Lecteur , vous ne le croirez pas.
La Dame étoit grande cauſeuſe ;
Mais je fupprime l'entretien :
Suffit qu'elle prouva très bien
Qu'on ne la nommoit pas pour rien
Cristallide la Curieufe .
De chaque Prince enfuite exigeant un anneau ;
En voici cent , dit - elle , en y joignant les vô es
Cent de bon compte qui font nôtres ,
Cent qu'à caufer ainfi j'ai gagné bien & beau ,
Et j'efpére en gagner bien d'autres,
Malgré les foins jaloux de ce vilain brutal ,
Malgré fa priſon de criſtal .
;
Adieu , Prince , partez , Mahomet vous le rende
Son paradis fans doute a des plaifirs bien doux ;
Mais croyez moi , tromper un furveillant jaloux »
Il n'eft point ici- bas de volupté plus grande:
C'est vrai plaifir de femme & le premier de tous.
Elle court à ces mots rejoindre le Génie ,
Souléve fa tête endormie ,
Et la remet fur les genoux
MAR S. 1763.
39
VERS après une grande maladie de
l'Auteur.
O vous , dont je peindrois , fi vous n'étiez ma
femme ,
Les Grâces , les Talens , & furtout les Vertus 1
Qui partagez mes maux , & m'aimez encor plus ,
Charlotte ! recevez ce tribut de ma flamme.
Vos diſcours , votre exemple , ô moitié de mon
âme !
Me font enfin braver les caprices du fort ;
Vos tendres foins m'arrachent à la mort,
Er de mes jours renouvellent la trame......
Mais j'entends s'écrier... L'éloge eſt un peu fort !
Ah ! j'en dirois bien plus , fi vous n'étiez ma
femme.
FEUTRY.
ODE AN ACREONTIQUE
AMOUR , laiffe-là ma lyre s
Tu fûs mon maître autrefois :
Mais j'ai quitté ton empire ;
On fouffre trop fous tes Loix.
J'ai dit : adieu le bel âge ,
J'ai di adieu les Amours &
40
MERCURE DE FRANCE.
Ileft bien temps d'être fage
Dans l'Autonne de ſes jours.
Connois l'erreur qui t'égare ,
M'a dit cet enfant vainqueur
Ce beau nom dont on fe pare
Couvre le néant du coeur .
Trifte fou qui te crois fage
Ne crains point de t'enflammer :
On ne plaît point à ton âge ;
Mais n'eft-ce rien. que d'aimer ?
Regarde Aminte & l'adore ;
Tout Cythère eft dans les yeux.
Son âme plus belle encore
Eft un rare don des Cieux.
Son efprit jamais ne laffe ,
Son air eſt toujours nouveau.
La voit-on c'eft une Grâce ;
Parle-t-elle ? c'elt Sapho.
VERS à une jeune Demoiselle qui demandoit
pourquoi le vrai mérite en
amour étoit celui qui plaifoit le moins.
Da l'aimable Enchanteur de toute la Nature ,
Dont l'empire eft fondé fur des illufions ,
Vous voulez que fans fictions ,
MARS . 1763. 4L
Le compas à la main un Poëte meſure
Les invifibles noeuds de les féductions ?
Que je dife pourquoi , chez lui le vrai mérite
Céde aux vaines lueurs que préſente le faux ?
D'Hercule , je pourrois remplir tous les travaux
Avant que mon efprit de cet ordre s'acquitte .
L'Amour eſt un enfant fans principe & ſans loix :
Dans les tendres ardeurs que ce Dieu nous infpire
,
Le caprice toujours décide de fon choix ;
Et c'est tout ce que j'en puis dire.
Votre coeur , belle Iris , en eft feul excepté ;
Au-deffus des erreurs d'une amoureuſe flamme ›
Les droits du vrai mérite y font en fureté ,
Puifque vous le portez dans le fond de votre
ame.
PRÉCIS HISTORIQUE fur la vie
DE RAIMOND LULLE.
L'ABRÉGÉ
Chronologique de l'hiftoire
Eccléfiaftique
, imprimé chez
Hériffant , rue S. Jacques , fait mention
, fous l'année 1312 , d'un établiſfement
de Maîtres en Langues Hébraïque
, Arabique & Chaldéenne
dans
les principales Villes de l'Europe , pour
faciliter la converfion des Infidéles . On
42 MERCURE DE FRANCE.
étoit fort touché dans ce tems , du
defir de faire la conquête de la Terre
Sainte , par ce pieux motif. L'Auteur
de l'excellent Ouvrage que je viens
de citer , attribue cette établiffement
au zéle de Raimond Lulle , du tiers
Ordre de S. François , qui le follicitoit
depuis long - temps. On ajoute fur
le compte de ce Sçavant , qu'on en
fcait fi peu l'hiftoire , que les uns en
ont fait un Magicien , les autres un
Hérétique , & les autres un Martyr.
Ces qualités ne font incompatibles
, en même temps , dans le même
fujet , que dans la vraie acception , qui
eft la feule raifonnable. Un même objet
peut être confideré fous plufieurs
afpects , & l'on juge ordinairement par
la maniere dont on voit , fans s'embarraffer
fi l'on a vu comme il falloit.
Il n'eft point étonnant que Raimond
Lulle ait paffé pour Magicien . Difciple
d'Arnoud de Ville Neuve dans l'Alchymie
, il s'eft fort appliqué à chercher
des fecrets extraordinaires ; il a beaucoup
travaillé & écrit fur le grand
Euvre ; & l'on affure qu'il a fait de
l'or. Agrippa a été un de fes Sectateurs,
dans des temps plus voifins de
nous ; & les lumieres d'un Siécle plus
MARS . 1763. 43
éclairé ne l'ont point garanti de l'accufation
de magie. Rien n'empeche que
Raimond Lulle n'ait été regardé comme
Magicien par des gens qui affûrement
ne l'étoient pas. Il est tout fimple que
ceux qui ne portoient pas la mauvaise opinion
fur ce laborieuxChymifte au point
de le croire en commerce avec le Diable
, fe foient retranchés charitablement
Ale taxer d'Héréfie ;fentiment plus favorable
qui retardoit au moins jufqu'à fa
mort fon affociation avec les Damnés. Je
ne fçais dans quelles fources on a puifé ,
pour jetter des foupçons fi injurieux
fur la mémoire d'un grand homme
qui a fouffert le martyre pour la Religion
Chrétienne ; & pourquoi on a
cru que l'on manquoit de notice fur
fa vie. Il étoit Efpagnol , né de parens
nobles , dans l'Ifle Majorque en
1235. Jeune il s'appliqua beaucoup à l'étude
de la Logique , & acquit le furnom
de Docteur illuminé. Il s'attacha enfuite
à la Chymie , fit beaucoup d'écoliers ,
& publia un grand nombre des Traités
fort connus & eftimés des Adeptes .
On fçait qu'il a vêcu jufqu'à l'âge de
quatre-vingt ans , & qu'il a été martyrifé
en Afrique par les Infideles.
On fixe même le jour de fa mort au
44 MERCURE DE FRANCE .
vingt-neuviéme Juin 1315 l eft certain
que dès l'âge de 30 ans , les Sciences
mondaines n'eurent plus pour lui
le moindre attrait. Il fe dévoua entiérement
à la converfion des Mahométans
, & il a emploié les quaran- ..
te-cinq dernieres années de fa vie à
les prêcher avec autant de zéle que de
fuccès. Ses travaux ont été glorieufement
courronnés par la même palme
que le premier Martyr. Il fut lapidé
par ordre d'un Roi : juffu Regis Bogia
: je ne fçais fi Bogia eft le nom
du Roi , ou de fon Royaume.
Rien ne juftifie qu'il ait été Religieux
, comme quelques uns l'ont avancé.
Le Tiers Ordre de S. François
eft une Congrégation , ou plutôt une
Confrairie de piété, dans laquelle on admet
les gens mariés. On dit queRaimond
Lulle étoit de ce nombre. George Mathias
Profeffeur de Médecine en l'Univerfité
de Gottingen , dans un livre
imprimé en 1761 , qui a pour titre
Confpectus hiftoriæ medicorum chronologicus
, prétend que Lulle abandonna
fa femme pour embraffer la regle de
S. François ; & M. Eloy , Auteur du
Dictionnaire Hiftorique de la Médecine
, rapporte fous la caution d'EcriMARS.
1763. 45
vains Efpagnols , que Lulle fut épris
pour une jeune fille , appellée Elénore ,
qui refufoit opiniatrément de l'écouter .
Un jour qu'il la preffoit & qu'il lui
demandoit la raifon de fes refus , elle
ouvrit fur le champ fon corfet , & lui
montra un fein dévoré par un cancer.
On prétend que Lulle , en amant tendre
& généreux , fut porté par cette occafion
à voyager pour étudier en Chymie
, & trouver fous les grands maîtres
en cet art des rémedes contre
l'infirmité de fa Maîtreffe. D'autres
difent que frappé du fpectacle qu'on
lui avoit mis fous les yeux , il s'adonna
à la vertu & aux exercices
de la pénitence , & que de là eft venu
fon entier devoûment à la converfion
des Infideles. Il étudia dans cette vue
l'Arabe àl'âge de trente ans ; & Jacques,
Roi d'Arragon , fonda à fa follicitation
, un Séminaire à Majorque pour
l'inftruction des Miffionnaires.
>
VERS à M. le Chevalier DE CHATELUS
fur ceux qu'il a préfentés à
Mgr le Prince DE CONDÉ.
Le charme de la Poëfie
46 MERCURE DE FRANCE.
Sur tout ce qui vit a des droits ;
La folide philofophie
Pour plaire en emprunte la voix ;
Le Conquerant le plus illuftre
Qui voit l'Univers à ſes pieds ,
En tire encor un nouveau luftre :
Mais il faut que vous le chantiez .
Votre Mufe vive & riante
Allie avec précision ,
Toujours belle , toujours touchante ,
Le badinage & la Raiſon .
La mienne au doux repos livrée,
Amante des eaux & des bois ,
Dans leur filence retirée ,
Jufques au fublime Empirée
N'a jamais élevé la voix.
Des Dieux adorant la puillance ,
Tentant peu d'efforts indifcrets,
Sans chanter fa reconnoiffance ,
Elle jouit de leurs bienfaits.
Quelquesfois l'amour qui m'inſpire
Lui- même préside à mes ſons :
Je chante ce jour ou Thémire
Sattendriffoit par mes chanſons.
Ce fouvenir & cette Image
Font encor ma félicité .
C'eſt ainsi que de mon jeune âge
J'amufe la légéreté .
MARS. 1763. 47
Dans le repos & la molelle
Coulent rapidement mes jours;
Et mon indolente parelle ,
Quoiqu'honorant fort la fageffe ,
S'éveille à la voix des amours.
A votre Mule délicate
Je laiffe embellir la Raifon ,
Et nous faire entendre Socrate ,
Par la bouche d'Anacreon .
ANGELIQUE , Anecdote qu'on au
roit rendue plus intéressante , fi elle
étoit moins vraie.
Q
..
UI eft là ? s'écrie la Marquife de ***
qui a l'audace de me reveiller fi matin ?
qui ofe entrer dans mon appartement
avant que j'aie fonné ? c'eft vous , impertinente
qu'elle heure eft - il ? Madame
, répond Lifette , en tremblant ,
il eft midi paffé .. eh bien , Mademoifelle
, doit-il être jour chez moi à
midi ? On ne tient pas à vos étourderies
réïtérées ; je vous en ai prévenue , vous
travaillez à vous faire chaffer... Je vous
demande pardon ! mais... Ne voilà - t- il
pas de vos Mais? Je vous ai dit que mais
étoit déplacé dans votre bouche .... fi
48 MERCURE DE FRANCE.
:
Madame vouloit permettre ... Si Madame
! Vous ne finirez point avec vos
mais & vos fi qui m'affomment.... Au
nom de Dieu , Madame laiffez - moi
vous dire le fujet ... Je m'en doute le
Comte impatient , peu jaloux d'obſerver
l'ordre des procédés , vous aura
payée pour fe faire annoncer ? ... Non,
Madame... ce Provincial qui m'eſt recommandé
eft venu pour m'entretenir
de fon procès. Je ne fçais pas un mot
de fon affaire n'importe , j'arrangerai
un fouper avec fes Juges ; je foutiendrai
fon bon droit au deffert ; je lui réponds
d'une douzaine de voix : qu'il
foit tranquille... Ce n'eft pas cela , Madame...
C'est donc ce jeune Chanoine
dont mon Abbé m'a parlé , qui vient
me demander ce que je penfe d'un Sermon
fur l'humilité , qu'il doit prêcher
à la Cour?..Non , je ne l'ai pas vu... C'eft
donc cet Officier Gafcon avec qui j'ai
joué fur fa parole , qui m'enyoye les
cent piftoles qu'il a perdues ? mais cela
n'eft pas croiable .... Cela n'eſt pas
non plus .... Ceci commence à m'impatienter.
Vous verrez que la Préſidente
me fait prier de lui dicter ce qu'elle
doit dire de la Piéce qu'on donnera ce
foir aux François. Il fuffit de la faire
avertir
MARS. 1763. 49
avertir que l'Auteur me l'a lue , que j'ai
retenu trois Loges , & que tous mes domeftiques
déguifés fe rendront au Parterre
pour contribuer au fuccès de cette
Piéce , en claquant des mains à tort &
à travers. Attendez ; ne feroit-ce pas
plutôt cet apprentifFinancier , qui voudroit
de tout fon coeur paroitre boffu
& qui n'eft que contrefait. ? J'y fuis fans
doute: il m'apporte ce joli perroquet qui
a fait tout mon amufement dans l'ennuyeufe
fête qu'il m'a donnée avanthier.
Ah , que j'aurai de peine à lui faire defapprendre
les fadeurs qu'il a entendu
débiter à fon maître ! ... Non , Ma- .
dame , il n'eft pas queftion de la Préfidente
, du Financier ni de fon Perroquet.
Une chofe bien plus férieufe ..
Vous me faites trembler , Lifette ! o
Ciel que voulez- vous dire ; mon Angola....
Il n'eft arrivé aucun accident à
ice cher animal. Hélas ! il vaudroit mieux
qu'il fût mort & avec lui tous les Angola
, du monde Treve à vos
fouhaits impertinens. Vous me pouffez
à bout , vous m'excédez ; le Chevalier
eft malade , je le vois trop , il ne fortira
pas d'aujourd'hui. Il a hier prodigieufement
foupé. Quel fâcheux contre
temps , à la veille du jour où je dois
r
с
C
50 MERCURE DE FRANCE .
couronner fa conftance ! .... J'ignore
fi M. le Chevalier a foupé & s'il est
malade mais Mademoiſelle votre fille
eft dans un état que je ne peux vous
celer. Elle s'eft couchée avec un mal
de tête très-violent , accompagné de
beaucoup de fiévre ; elle a eu des convulfions
pendant la nuit. Le Médecin l'a
trouvée en danger & nous a confeillé
de vous en avertir . ... Lifette , mon
Médecin eft un efprit pufillanime qui
voit du danger partout. L'indifpofition
d'Angélique n'aura pas de fuite. D'ail
leurs quel changement voulez-vous qu'opére
ma préfence ? Vous auriez pu vous
difpenfer de me réveiller. Cependant
je verrai Angélique ; allons qu'on m'habille;
& avant tout , informez- vous fi
fa maladie .....je crains le mauvais air.
mais vous avez fans doute pris l'allarme
trop légérement.
En voilà probablement affez pour
faire connoître cette Marquife , qu'on
peut mettre au nombre de ces demimonftres
dont le nom change tous
les jours à Paris & qu'on défigne encore
en Province fous celui de petites
Maîtreffes. De grands biens , une phifionomie
fans caractère , mais propre
à faifir toutes les nuances dans l'occaMARS.
1763. St
་
fion , un efprit faux & un coeur gâté ;
tel doit être le partage de ces femmes à
prétentions qui aviliffent leur féxe &
le nôtre. Tel étoit aufli celui de la Marquife.
Reftée veuve à l'âge de vingt
ans , elle avoit tâché par toutes fortes
de voies, de fe dédommager de la contrainte
dans laquelle elle avoit gémi
avec un honnête homme qui avoit ofé
l'empêcher de fe déshonorer. Elle n'avoit
pu lui pardonner cet excès de févérité
; & c'étoit le motif de la haine
qu'elle gardoit à fa mémoire.,
Angélique étoit le feul fruit de cet
Hymen mal afforti, fans être exactement
régulière , fa beauté frappe au premier
coup d'oeil. On ne cherche pas à détailler
fes traits ; on en admire l'enfemble.
Quoique fes yeux ayent perdu de
leur vivacité & que l'incarnat de fon
teint foit flétri par fes pleurs , on ne
la voit pas encore fans un tendre intérêt.
Je ne m'arrêterai pas à tracer l'ét
quiffe des agrémens extérieurs qu'Angélique
tient de la Nature ; elle les dédaigna
dès qu'elle les eut connus. Ceci
conduit à l'éloge de fon âme : mais je ne
fuis que fon Hiftorien & je dois me
borner au fimple récit des faits pour ménager
au Lecteur le plaifir delicat de
prononcer lui - même.
Cij
$2 MERCURE DE FRANCE
* .**
La Marquife étoit fur le point de
prendre pour Epoux le Chevalier de
qu'elle préféroit à fes rivaux , à
caufe de l'éloignement qu'il avoit toujours
marqué pour la jaloufie. Le Chevalier
n'avoit qu'un grand nom , des
efpérances de fortune & un fond d'a-
' mour propre inépuifable. Il avoit ai
mé Angelique avant que de s'être décla
ré pour fa mère. Il fut le premier qui
s'offrit à fes yeux , à peine ouverts à
l'amour. Une paffion d'une verité mơmentanée
, maniée par un habile hom
me , n'eft que trop propre à féduire
Tinnocence . Angelique eft née fenfible .
Elle fe livra à fon penchant avec fécurité.
L'abîme étoit couvert de fleurs ' ;
elle ne s'en apperçut qu'en s'y précipitant.
Le Chevalier , pour furmonter fes
Tcrupules , avoit eu la baffeffe de re-
Courir aux fermens . Il l'avoit même
obligée d'accepter une promeffe de mariage
. Il n'en falloit pas tant pour abufer
de fa crédulité . Elle ne concevoit
pas qu'un homme d'honneur dût jamais
en manquer. Il lui étoit refervé
d'en faire la trifte expérience & de parfer
tout-à - coup de l'eftime & de l'amour
à l'indignation & au mépris. O
vous qui voulez mériter le doux nom
ONLAR-ILA. 1907 CHOK ]
**
C
MARS. 1763.4 $3
de mère ! occupez-vous fans ceffe à
montrer aux jeunes perfonnes qui fous
vos yeux commencent leur entrée fur
la fcène du monde , tout ce qu'elles
doivent faire pour fe garantir du poifon
qu'on y verfe dans des coupes trompeufes
! arrachez le voile que l'illufion
tient fufpendu fur tous les objets qu'elles
y rencontrent. Apprenez-leur à n'eftimer
que ce qu'eftiment les gens fenfés
, qui furnagent fur cette mer ora
geufe , & qui gouvernés par une fage
défiance , évitent les écueils dont elle
eft environnée .
Angélique venoit de s'appercevoir
qu'elle étoit la victime de fa créduli
té. Une feule voie lui fembloit ouverte
pour eviter l'opprobre ; elle la trouva
fermée . Elle apprit que le Chevalier
alloit jurer à fa mère , à la face des
autels , la foi qu'il lui avoit donnée ,
Cette nouvelle lui fit une fi grande révolution
, qu'auffitôt après fa maladie
on défefpéroit qu'elle pût recouvrer fa
fanté. La Marquife vint la voir , comme
elle l'avoit promis. Angélique fixa
Les yeux mourans fur elle. Elle prit fa
main & la stint long-temps fur fon
coeur. Elle voulut parler ; la voix lui
manqua. Le danger ne ceffa qu'au bour
$
Cij
$4 MERCURE DE FRANCE.
de quelques jours . Les Médecins la virent
à leur grand regret dans cet état
de langueur , qui réfiſte aux efforts de
leur art , & qui donne la mort à tout
moment fans ôter la vie .
La Marquise contracta avec le Chevalier
, ne s'imaginant pas qu'elle portoit
le coup le plus funefte à la fenfibilité
d'Angélique. Le mariage fe fit
avec ce vain appareil de réjouiffances,
qui n'eft fouvent que le fimulacre de
la joie. Les motifs du Chevalier & de la
Marquife n'étoient pas affez purs pour
leur procurer cette fatisfaction intérieure,
qui eft peut-être l'unique récompenfe
de la vertu .
Angélique n'avoit pu fe réfoudre à
déclarer à fa mère fon fatal fecret. Cependant
il ne lui étoit plus poffible
de le cacher. La douleur dans laquelle
elle étoit plongée ne lui ayant pas permis
de quitter fon appartement , elle
n'avoit pas vu le Chevalier depuis fa
maladie. Elle prit enfin le parti de lui
confier fon état. Il fe rendit chez elle
dès qu'elle lui eut fait fçavoir qu'elle
vouloit lui parler. Il la trouva les coudes
appuyés fur une table , une plume
à la main , & les yeux fixés fur un papier
arrofé de fes larmes . Ses joues
MARS. 1763. 55
étoient colorées d'un rouge âpre qui
rendoit plus remarquable la pâleur mortelle
qui régnoit fur le refte de fon vifage.
Ses lévres étoient entr'ouvertes ;
tout en elle annonçoit un être accablé
fous le poids du malheur & prêt à ne
prendre confeil que de fon défeſpoir.
Le Chevalier , avec un air d'attendriffement
, voulut lui témoigner fa furpriſe
de la trouver fi changée. Il ofa même
entreprendre de juftifier fon procédé &.
l'affura que fon amour n'avoit fouffert
aucune altération. Mon établiſſement
lui dit - il , eft une affaire d'intérêt , à laquelle
mon coeur n'a pas pris la moindre
part. Je fuis bien éloigné de vou
loir rompre les noeuds qui nous uniffent.
L'Amour les a formés : ils font facrés
pour moi. Belle Angélique , après vous
avoir aimée , avez-vous pu croire que
la Marquife m'ait rendu inconftant ? Non,
je jure à vos pieds que je n'ai jamais
eu pour elle que de l'indifférence . Tant
pis , répondit Angélique ! vous n'en
êtes que plus coupable & ma mère plus
malheureuſe. Mais peu m'importe que
vous m'ayez aimée , ou non . C'eſt affez
qu'il ait fubfifté entre nous une
liaifon que je détefte . Je ne vous ferai
point de reproches , car je ne vous hais
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
pas je vous méprife & me borne à
vous déclarer l'état où je fuis . Vous
en êtes la caufe . Vous pouvez feul me
fournir les moyens d'en dérober la
connoiffance au Public. Je n'en ferai
pas moins dégradée à mes propres yeux:
mais je me dois à moi- même & à ma
famille , la trifte confolation d'avoir fait
tous més efforts pour cacher mon opprobre
& ma honte ; foible & derniére
reffource d'une infortunée , que le remords
pourfuivra fans ceffe & qui ne
voit d'autre terme à fes maux que celui
de fa vie !
Ce difcours prononcé, de fang froid,
glaça d'horreur le Chevalier. Il cut peine
à bégayer quelques mots pour faire
entendre à Angélique qu'il avoit compris
ce qu'elle exigeoit de lui , &
qu'elle pouvoit compter fur fes foins.
Il la quitta dans un défordre dont la
Marquife s'apperçut. Elle lui demanda
quel avoit été le fujet de fa converfation
avec fa fille . Le Chevalier habile à
diffimuler , Paffura que fa langueur fe
diffiperoit bientôt fi elle vouloit lui
permettre d'aller refpirer l'air de la campagne.
La Marquife ne demandoit pas
mieux , & dès le lendemain , Angélique
avec fa femme de chambre & un
"
MARS. 1763. 57
vieux domestique , partit pour le Châ→
teau de ***. Le Chevalier peu de temps
après y envoya un Chirurgien . La femme
de chambre & lui furent les feuls
qu'on mit dans la confidence : l'un
& l'autre ont répondu à la confiance
qu'on leur avoit témoignée ; & tout fut
conduit avec tant de prudence , que
perfonne ne fe douta de la trifte avan→
ture d'Angélique.
Avec toutes les qualités néceffaires pour
plaire dans la fociété, il eft difficile qu'on
s'ennuye avec foi- même . Angélique
paffa une année entière dans fa retraite.
fans defirer d'en fortir. Enfin la Mar
quife la rappella auprès d'elle. Elle trou
va la maifon de fa mère dans un déf
ordre dont la maîtreffe feule ne s'appercevoit
pas. Le Chevalier avoit diffipé
la meilleure partie des biens de fa
femme & l'avoit même déterminée à
s'obliger pour des fommes confidérables.
Il fe préfentoit alors un parti fort
avantageux pour Angélique ; mais fa ré
folution étoit prife : elle avoit vu qu'elle
ne pouvoit reclamer le bien que fon
père lui avoit laiffé , fans ruirer fa mè
re un coeur comme le fien ne balance
guères. Elle prit de fi fages mefures
, qu'elle fit réfoudre la Marquife à
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
fe faire féparer d'avec fon mari, & lui fit
enfuite une donation de tout ce qu'elle
avoit droit de reclamer. La Marquife
ne put réfiſter à un procédé fi généreux.
Elle connut qu'elle étoit mère. L'amitié
dont elle commença à fentir les douceurs
, la dédommagea des vains plaifirs
qu'elle avoit perdus. Elle s'applique
aujourd'hui à réparer par une conduite
irréprochable les égaremens de fa
vie. Elle fe plaît à croire qu'elle doit
fon bonheur à fa fille & ne ceffe de
lui en témoigner fa reconnoiffance.
Angélique s'applaudit du facrifice
qu'elle a fait , & toutes deux jouiffent
d'une tranquillité d'autant plus flateuſe,
qu'elles ont appris à leur dépens à en
connoître tout le prix.
#
Par M. de C *** , à Lyon.
Pour le Portrait de Mlle .
Tour céde as naturel , l'Art ne peut l'égaler ; OUT
Cette reffemblance eft parfaite.
Mais l'aimable.... n'eft ici que muette
Et j'aime à l'entendre parler.
ParM, PASCAL , C. de G. au R. de Piémont.
MARS. 1763 .. 59
A Son Alteffe Royale Mgr LE DUC
DE SAVOIE , en lui fouhaitant la
bonne année.
PRINCE , dont les Ayeux font retentir l'hiſtoire
Des plus hautes vertus , des plus illuftres faits
Fils d'un Roi fignalé par plus d'une victoire ,
Qui chérit & procure aux autres Rois la Paix :
D'un coeur reconnoiffant agréez les fouhaits.
Mécène généreux , eſpoir de la Patrie ,
On voit revivre en vous l'ancien Germanicus.
Dieu , qui chéris fon coeur , fes moeurs & fes
vertus ,
Daigne le conferver ! chaque jour de fa vie
Au bonheur d'un grand Peuple ajoute un jour de
plus.
PÉRÉNOTTI , à Turin.
VERS.
SUR le nom de Méchant , je veux que l'on s'explique
:
Pour corriger un Sot par un bon mot piquant
L'on eft Milantrope , ou Cauftique.
Mais , à mon avis , le Méchant
Eft l'homme lâche & bas qui déchire l'abfent;
C vi
65 MERCURE DE FRANCE.
C'eft lui qu'il faut charger de la haine publique ,
Ainfi qu'un Scélérat qui tue en ſe cachant .
AUTRE S.
JE connois trop l'amour , pour m'en trop occu
per :
A l'amitié je crains de me tromper ;
L'intérêt ou la politique
Rendent ce noeud problématique ,
Et les plus fins s'y laiffent attrapper.
Le Ciel l'a donc voulu ; car il eût pu marquer
Le véritable ami par un figne phyfique.
2
Par Madame B.
LE
E mot de la premiere Enigme du
mois de Février eft l'Encenfoir. Celui
de la feconde eft Adam & Eve. Celui
du premier Logogryphe eft Alphabet ,
où l'on trouve ah! Baal , Beat , Apt
& Aleth , Alep , Bále , Aba , pâte à faire
le pain , halte , Abel , palet , pal , hale
table , plat & bal. Celui du fecond eft
Epine , où en mettant la premiere lettre
après le p , l'on trouve peine ; épi
pie & pin en retranchant la premiere &
la derniere lettre. -
MARS. 1763.
61
ENIGM E.
DEUX chofes, quoique différentes ,
N'ont cependant qu'un même nom ;.
Lecteur , dans les rimes fuivantes
Cherches-en l'explication .
L'une dépend du feul hazard ,
Et dans la faifon la plus dure
Eft produire par la Nature ,
L'autre eft un pur effet de l'Art.
Celle- là ne plaît qu'en été ,
Au lieu que dans l'hyver elle eft infupportable
Mais celle-ci , plus agréable ,
Plaît en toute ſaiſon parfon utilité.
Je vais développer ce ténébreux myſtère.
Le Séxe fuit l'une avec foin ,
Et de l'autre a ſouvent befoin
Pour trouver les moyens de plaire.
AUTR E..
J'ABORDE d'un air gracieux
Celui pour qui je m'intéreffe ;
J'ai néanmoins fouvent l'adreffe
De lui faire bailler les yeux.
J'ai milje tours ingénieux.
62 MERCURE DE FRANCE.
Pour le bonheur , pour la Trifteffe.
Par un excès de Politeffe ,
Je puis devenir ennuyeux.
J'ai droit de m'adreffer aux Princes ;
Je fuis de toutes les Provinces ,
Ainfique de chaque Saiſon.
Vous qui cherchez à me connoître ,
Mille fois vous m'avez fait naître
Par Politique , ou par Raiſon.
LOGO GRYPH E.
Tour Rhéteur me connoît : Cicéron m'employas
Mais furtout avec feu contre Catilina.
On trouve en moi le nom de cette Impératrice
En laquelle Jofeph eut une Protectrice ;
Le nom d'une Déeffe , & celui d'un Auteur
Dont la Fontaine fut habile imitateur ;
Un célébre Ecrivain dont Albion s'honore ;
Un précieux objet pour Vertumne & pour Flore ;
Un des Rois d'Ifraël ; une fleur ; ce qu'enfin
On admire en Rouffeau , * Fontenelle & Rollin.
Par M. de LANEVERE , ancien Moufquetaire
du Roi ; à Dax .
1. J. Rouffeau de Genève.
MARS. 1763.
63
JE
AUTRE
Jsfuis un des plaifirs fait pour le genre humain,
Et je fuis le plus doux peut être :
Lecteur , fi tu veux me connoître ,
Le nombre de mes pieds ſe trouve dans ta main.
Avec eux tu feras le nom que chacun donne
<
A l'objet qui charme fon coeur ;
Un autre hélas , qui par malheur
Ne doit prèlque jamais fe donner à perfonne ;
Un autre nom révéré du Chrétien ;
Ce que tu dois fauver, & ce que l'on refpire's
Ce qu'un fils de Saturne avoit pour fon Empire ;
Ce que Boileau trouvoit ſi bien ;
Ce qui dans les combats eft le plus néceffaire ;
D'animaux croaffans la retraite ordinaire ;
Ce que bien malgré lui le pauvre forçat tient ;
Un mot fynonyme à colère ;
D'autres encor , mais je n'en dirai rien ;
Enfin ce que fans moi l'homme eft fouvent las
d'être .
Ne t'en étonne point , Lecteur ;
Si tu parviens à me connoître ,
Tu trouveras fans moi qu'il n'eft point de bonheur,
La Chanfon notée fe trouvera à
l'Article des Spectacles.
64 MERCURE DE FRANCE .
ARTICLE IL
NOUVELLES LITTERAIRES.
MÉTHODE de M. KEYSER pour
l'adminiftration de fes dragées dans
le traitement des Maladies vénériennes
, imprimée par ordre du Ror
1763. Brochure in-8 °.
DEE toutes les maladies qui affligent
l'humanité , il n'en eft point de plus digne
de la vigilance du Gouvernement,
& des foins de la médecine , que celles
qui portent la corruption dans la maffe
générale de nos humeurs , infectent
notre origine , tranfmettent un funefte
héritage aux races futures , & affoil- lift
fent infenfiblement l'efpèce humaine.
Telles font les maladies vénériennes
dont M.Keyfer fait une defcription bien
éffrayante dans l'excellent avant-propos
qui précéde fa méthode. Ce terrible fléau
éxerce furtout fa fureur fur le bas Feuple
& fur les foldats , moins pourvus de
moyens pour fe prémunir contre fes
MARS. 1763. 65
premieres atteintes. Ici M. Keyfer nous
donne une hiftoire curieufe & intéreffante
, quoique très -fuccinte
des re-
,
médes employés en différens temps contre
les maladies vénériennes . Les végétaux
célébres dont le nouveau monde
fe fervoit fi avantageufement pour
les combattre , n'eurent qu'un médiocre
fuccès dans nos climats . On apprit
par expérience , que le mercure en étoit
le feul fpécifique ; mais on a prèfque
toujours varié fur la maniere de le préparer
, de l'introduire dans le corps &
de l'adminiftrer. Les premieres épreuves
on été en faveur de l'application extérieure
; on a enfuite penfé que fon ufage
intérieur pourroit être plus éfficace,
On l'a donné , pour ainfi dire , tel que
la nature nous l'a fourni ; & l'on s'eft
contenté d'une légére purification extérieure
; mais l'on s'eft bientôt apperçu
que fon poids l'entraînoit par la voye
inteſtinale , & ne lui permettoit point
d'entrer dans les veines lactées. On a
conclu qu'il falloit lui donner différentes
préparations ; & les Maîtres de l'Art
fe font éxercés à le rendre propre
opérer de la maniere la plus efficace.
De-la tant de diverfes méthodes qui ont
eu quelque fuccès ; mais leur crédit
,
66 MERCURE DE FRANCE .
plus fouvent con redit par l'expérience ,
ne s'eft jamais foutenu long - temps . Le
plus grand nombre des Chirurgiens ont
tourné leur confiance du côté des frictions
en y préparant le corps , par tout
ce qui pouvoit les rendre falutaires . On
eft venu à bout d'établir ainfi un traitement
plus prudent , plus ménagé &
plus méthodique que les précédens . On
a opéré des guérifons ; mais on en a
manqué un grand nombre. Quelque
fageffe qu'on ait employée dans l'adminiftration
, fouvent on n'a pu prévenir
des accidens redoutables. L'épuisement
des malades , par l'excès de la falivation ,
a été tel , pour l'ordinaire , que les convalefcences
ont été une feconde maladie.
On a cru obvier à cet inconvéónient
en évitant la falivation la plus
légére ; mais en adouciffant le reméde
, on n'a fait, pour ainfi dire, que pallier
le mal. Nous pafferons fous filence
les autres méthodes inventées jufqu'au
temps de Boerhaave, qui ofa faire l'effai
du fublimé corrofif , avec les ménagemens
qu'éxigeoit une entrepriſe fi
périlleufe. Son autorité prépondérante,
celle de fon illuftre difciple le Baron
de Vanfwieten , & quelques fuccès fur
les tempéramens robuftes , ont accrédi
,
MARS. 1763. 67
té jufqu'à un certain point ce reméde
mais n'ont pu effacer la jufte méfiance
que mérite un poifon , quelque petite
qu'en foit la dofe , avec quelque prudence
qu'on l'adminiftre. Le feul point
fur lequel on ne varie pas , c'eft que
le vrai fpécifique du virus vénérien , ne
doit point être cherché ailleurs que dans
le mercure. On ne fe partage que fur
la maniere de le préparer & de l'adminiftrer.
M. Keyfer appellé dès fa jeuneffe à
P'exercice de la Chirurgie , & particulierement
livré au traitement des maladies
vénériennes , apprit de bonne
heure à connoître l'imperfection des
différentes méthodes . Prévenu d'un
goût décidé pour la Chymie , il s'appliqua
principalement à travailler le
Mercure , dans tous les fens poffibles
pour découvrir le plus propre à développer
& à manifefter complettement fa
vertu anti-vénérienne . Il faut lire dans
l'ouvrage même les raifonnemens pleins
de folidité , de jufteffe , de clarté & de
précifion fur la nature de ce minéral ,
fur fa vertu , fes effets & la manière
de le préparer. Ce que M. Keyfer a
imaginé avec tant de fagacité , il l'a exécuté
avec le fuccès le plus heureux ;
68 MERCURE DE FRANCE.
mais il n'y eft parvenu qu'après des ef
forts redoublés ; & fa conftance courageufe
le conduifit enfin au terme defiré.
Dès-lors fon reméde ne pouvoit
manquer d'éprouver bien des contradictions
; mas il en triompha par le
nombre & la folidité des cures qu'il
opéra ,, par fa conduite prudente & circonfpecte
, par le témoignage des per
fonnes vertueufes & éclairées qui ont
fuivi fes traitemens , & par la protection
particulière de M. le Maréchal de Biron.
Ce Seigneur , ami de la vérité & du bien
public , en établiffant & en foutenant
un Hôpital pour les Soldats des Gardes
Françoifes , a fervi puiffament M. Key
fer , le Corps illuftre qu'il commande ,
& la totalité des citoyens . Convaincu
par fes propres yeux de l'éfficacité d'un
reméde dont il voyoit chaque jour les
effets les plus falutaires , il n'a point dédaigné
de defcendre dans des détails
pour en maintenir le crédit , pour dé
voiler l'impofture attachée à le décrier.
L'expérience continua à parler en faveur
des dragées de M. Keyfer. Le Public y
éut recours avec un redoublement de
confiance. Plufieurs perfonnes recom¬
mandables par leur probité , par leur
zéle pour tous les objets d'utilité pus
·MAR· S. 1763.
60
i
blique , joignirent leurs voix à celle de
M. le Maréchal de Biron. Un Miniftre
également diftingué par la fupériorité
de fes lumiéres , par fes dignités & par
fa naiffance , fans interrompre fes grandés
occupations publiques , militaires &
maritimes , recueillit avec foin tous ces
fuffrages , parce qu'ils tendoient à fecourir
tous les fujets du Roi , &, furtout
cette partie qui fait la force de
l'Etat. Il les fit valoir aifément auprès
de Sa Majefté , qui a bien voulu agréer
P'offre que M. Keyfer lui a faite du fecret
de la compofition ; & dans la vue
de proportionner
la récompenfe
à l'utilité
du reméde , Elle l'a gratifié d'une
penfion annuelle de dix mille livres ,
ainfi que nous l'avons déja dit dans un
de nos Mercures précédens. Les Lettres
Patentes du Roi rappellent les raifons
qui ont déterminé S. M. à acquérir
ace fecret ; c'est l'ufage qui s'est fait
des dragées anti- vénériennes,tant fur un
grand nombre de Particuliers, que dans
les Hôpitaux militaires , & les fuccès
authentiques qui ont fuivi. 2°. Le defir
de ménager à tout le monde la farcilité
de fe procurer pour un prix mo-
-dique un reméde excellent , & fi fou-
-vent néceffaire , & de ne point l'expo70
MERCURE DE FRANCE.
fer à tomber dans le difcrédit , par l'ignorance
, l'inexpérience , & peut-être
la mauvaiſe foi de quelques - uns de
ceux qui le prépareroient. On n'a point
à craindre que cet important dépôt périffe
: il ne pouvoit être confié à des
mains plus fures & plus habiles qu'à
celles de M. Senac. La place qu'il occupe
, la confiance dont le Roi l'honore
, l'étendue de fès connoiffances en
Médecine , fes fçavans écrits & fes lumières
particulières en Chymie , doivent
donner le plus grand poids au rapport
fidéle qu'il en a fait à Sa Majeſté.
Un autre témoignage qui doit encore
foutenir la confiance générale pour un
reméde fi précieux à l'humanité , eſt
celui de M. Richard , premier Médecin
de l'Armée , qui eft auffi le dépofitaire
de ce fecret. Plus de mille expériences
faites fous fes yeux , & dont il a endu
un compte fidéle au Miniftre , font des
preuves qui n'ont laiffé aucun doute fur
Tefficacité du reméde , & que fa probité
reconnue & fon zéle pour le bien pu-
"blic ne lui ont pas permis de diffimuler.
Nous n'entrerons ici dans aucun détail
"au fujet de la Méthode de M. Keyfer. Un
fimple extrait ne fuffiroit pas aux malades
qui font dans le cas de faire ufaMARS.
1763. 71
ge du reméde , & deviendroit inutile à
ceux qui fe portent bien . Les premiers
fe procureront aisément l'ouvrage même
qui s'envoye avec la dofe de dragées
néceffaire à leur guériſon , pour la
fomme de 14 liv.
DISCOURS prononcé dans l'Académie
Françoife , le Samedi 22 Janvier
M. DCC. LXIII , à la réception
de M. l'Abbé DE VOISENON
- Paris , chez la veuve Brunet , Imprimeur
de l'Académie Françoife , au
Palais & rue baffe des Urfins. 1763.
in-4°.
LE Public a vu avec plaifir un Eléve
***
aimable de Thalie fuccéder à un des
plus chers Favoris de Melpomène , & a
applaudi au choix de l'Académie Françoife
, qui a nommé M. l'Abbé de Voifenon
à la place de M. de Crébillon . Ce
fut le Samedi , 22 Janvier , que M. l'Abbé
de Voifenon y vint prendre féance
& y prononça un difcours qui a mérité
Jes applaudiffemens d'une nombreuſe
Affemblée. On fçait quelle eft la diffi2
MERCURE DE FRANCE.
culté de ces fortes d'Ouvrages , où fur
un plan tout tracé on éxige cependant
des chofes neuves. Sans s'écarter de la
Toute indiquée , l'ingénieux Récipiendaire
a fçu employer des tours nou
veaux qui l'ont , pour ainfi dire , tiré de
la claffe commune. Il fuccédoit à un
très-grand Poëte : fon difcours , quoiqu'en
profe , devoit donc refpirer la
plus haute Poëfie;& c'eft dans ce langage
fublime qu'il a dignement loué fon illuftre
prédéceffeur. » Le grand Corneille,
» dit-il , & le tendre Racine venoient
» d'être plongés dans les ténébres du
tombeau : leurs maufolées étoient
placés aux deux côtés du trône qu'ils
» avoient accupé ; la Mufe de la Tragédie
étoit panchée fur l'urne de Pom-
"pée , & fixoit des regards de défola-
» tion fur Rodogune , Cinna , Phedre,
Andromaque & Britannicus. Elle étoit
tombée dans une létargie profonde ;
fon âme ufée par la douleur , n'avoit
» plus la force que donne le défeſpoir.
Dans l'excès de fon abbattement
fon poignard étoit échappé de fes
mains : un mortel fier & courageux ,
enveloppé de deuil , s'avance avec in-
» trépidité ; ramaffe le poignard & s'écrie
: Mufe , ranime- toi , je vais te ren-
» dre
25
MARS. 1763. 73
» dre ta fplendeur. La Terreur entendit
» fa voix & parut fur la Scène : Tu me
» rappelles à la lumière , & ton Génie
» m'a donné un nouvel être , dit - elle
» avec tranfport. A ces mots elle faifit
» une coupe enfanglantée , marcha de-
» vant lui , & fit retentir le Mont facré
» du nom de Crébillon . La Mufe re-
» prit fes fens ; lés cendres de Corneille
» & de Racine s'animérent ; & leur
» Succeffeur fut placé fur le Trône éle-
» vé entre les deux tombeaux. -
Après cet éloge poëtique , M. l'Abbé
de Voifenon entra dans quelques détails
au fujet des Ouvrages dramatiques
de fon Prédéceffeur. Il dit , en parlant
d'une de fesTragédies . » Atrée & Thyefte,
» ce chef- d'oeuvre d'horreur , fit une
» impreffion fi forte , qu'on détourna
» les yeux ; on la lut , on l'admira' ;
» mais on n'en foutint la repréſentation
» qu'avec peine ; & c'étoit la louer que
» de n'ofer la voir.
L'éloge de M. de Crébillon , dont nous
n'avons rapporté qu'une petite partie
eft fuivi des autres éloges d'ufage dans
ces fortes de cérémonies ; & enfin le
- difcours eft terminé par la defcription
poëtique de deux Temples que l'Auteur
appelle le Temple de la faufe Gloire , &
D
74 MERCURE DE FRANCE,
le Temple de la Gloire véritable. Il place
dans le premier les Gengiskan , les
Tamerlan , les Alexandres , & tant
d'autres qui les ont pris pour modéles ;
de là une defcription des malheurs que
cauſe l'ambition des Conquérans. Le
Temple de la Gloire véritable eft bien
différent. C'eſt le féjour des bons Rois
tels que Marc Aurele , Trajan , Titus ,.
S. Louis , Louis XII, Henri IV; ce qui
améne très-naturellement l'élogedu Roi,
Lours XV,qui doit être l'ornement de
ce Temple. C'eft par là que finit le
difcours de M. l'Abbé de Voifenon ,
dans lequel on a trouvé des tours nouveaux
, des penfées ingénieufes , & une
variété d'images & de ftyle peu ordinaire
dans les Ouvrages de cette nature
.
M. le Duc de S. Agnan en qualité
de Directeur de l'Académie , répondit
au diſcours du nouveau Récipiendaire,
C'étoit M. le Duc de Nivernois qui devoit
être chargé de ce travail , fi des affaires
plus importantes ne l'euffent occupé
ailleurs. C'eft à quoi M, le Duc de
S. Agnan fait allufion quand il dit: » Les
» grands intérêts qui lui font confiés
» peuvent feuls nous empêcher aujour
» d'hui de regretter fon abfence. De là
•
MARS. 1763. 75
,
paffe à l'éloge de M. le Duc de Nivernois
qu'il finit ainfi : » Daignez
» Meffieurs , oublier ce que vous per-
» dez en ce jour , & ne vous occuper
» que de la fatisfaction que vous au-
» rez bientôt de le revoir le rameau d'o-
» livier entre les mains , plus en état
que jamais de vous aider à faire con-
» noître à la Poftérité la plus reculée
» juſqu'à quel degré notre bien - aimé
Maître & Protecteur a porté tant de
» fois , & fi récemment encore , les
» fentimens d'humanité , de bonté &
» d'amour de fes Peuples : fentimens
» nés avec lui pour notre bonheur , &
» garants à l'Europe entière de l'ufage
» qu'il fait des dernières leçons de fon
» augufte Bifayeul , toujours préfentes
» à fes yeux , & pour jamais gravées
» au fond de fon coeur.
C'est avec ces mêmes traits d'une noble
fimplicité que M. le Duc de S. Agnan
avoit loué M. l'Abbé de Voifenon
, & le grand Poëte Tragique qu'il
venoit remplacer à l'Académie. On a
applaudi à ces divers éloges ; & le difcours
imprimé n'a point démenti les
applaudiffemens de l'Àffemblée .
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
LES APRÉS- SOUPERS de la Campagne
, ou Recueil d'Hiftoires courtes,
amufantes & intéreſſantes ; à Amfterdam
, & fe trouve à Paris chez
Bauche , quai des Auguftins , & Duchefne
, rue S. Jacques . 2. vol. in- 12
2763,
It paroît que le Public reçoit avec
plaifir les différens recueils où l'on réunit
pour fon amufement un certain
nombre de Contes , choifis avec goût ,
& recueillis des meilleurs Auteurs. Parmi
ces diverfes collections nous n'en
avons guères lu de plus agréables que
celle que nous annonçons aujourd'hui .
On y trouve des hiftoires piquantes ,
écrites avec efprit , & préfentées fous
un point de vue moral , qui joint toujours
l'utilité à l'agrément. Nous ferions
fort aifes d'entrer dans quelques
détails ; mais ces fortes d'avantures ne
font point fufceptibles d'analyfe ; ce feroit
ôter à nos Lecteurs une partie du
plaifir qu'il y a à les lire , que de les
annoncer par extraits.
MARS. 1763. myby
,
dit
LETTRE fur un Poëme Latin
feizième Siècle , de Monfieur de
MASSAC , Receveur Général des
Fermes du Roi , Abonné au Mercure
& de la Société Royale d'Agriculture
de la Généralité de Limoges
, à Monfieur DE MONT , de la
méme Société , Confeiller au Parlement
de Touloufe & de l'Académie
des Jeux Floraux.
MONSIEUR,
En parcourant la nouvelle Edition
du Dictionnaire de Moreri , vous avez
trouvé dites-vous , qu'il y eft fait
mention d'un Raimond de Maflac ,
Auteur d'un Poëme Latin fur les Eaux
minérales de Pougues ( a ) . Vous ne
( a ) Pougues , Village du Nivernois , entre
Nevers & la Charité, étoit autrefois fort renommé ,
( je ne fçais s'il l'eft encore ) à cauſe de deux fontaines
dont les eaux avoient la vertu de guérir de
l'hydropifie & de la pierre. Quoique ces deux
fontaines , dont l'une s'appelloit de S. Léger , &
F'autre de S. Marceau , ne fuffent diftantes l'une
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
doutez point que cet ouvrage ne
foit entre mes mains ; & quoique M.
l'Abbé Goujet en ait parlé affez avantageufement
dans fa Bibliothéque Françoife
, vous feriez-bien aife que je
vous fiffe connoître plus particuliérement
l'Auteur & fon Ouvrage.
Il m'est d'antant plus aife de vous
fatisfaire fur le fecond objet.de votre
demande , que je viens précisément
de lire avec attention le Poëme dont
il s'agit. Quant aux particularités concernant
l'Auteur , que vous exigez auffi
, je ne puis vous en rapporter que
très-peu , qui ont ont échappé aux recherches
de M. l'Abbé Goujet..
Meffire Raimond de Maffac , dont
les defcendans ont joui fans interrup-.
tion de la nobleffe , qui avoit été accordée
par Charles VII en 1434 à
Jean de Mafac fon bifayeul & Chef
de ma Famille , étoit originaire de
Clairac en Agénois , comme il le dit
lui - même. Il quitta fa Patrie pour aller
fixer fon domicile à Orléans l'an 1586.
Ce fait eft prouvé par une Enquête en
de l'autre que d'un pied , on remarquoit cependant
quelque différence dans le goût de leurs
eaux. Voyez le Traité de ces Fontaines imprimé
à Paris en 1581 .
MARS. 1763 . 79
bonne forme faite le 15 Mars 1678
à la Requête de noble Augé de Maf
fac , Officier au Régiment d'Artois ;
piéce qui eft entre les mains de mon
Père .
Par l'Epitre Dédicatoire de Raimond
de Maffac , au Prince Charles de Gon
zagues de Cleves ( b ) premier du nom ,
Duc de Nevers & de Rhêtel , Pair de
France , Prince de Mantoue , & Gouverneur
de Champagne , & de Brie ,
on voit que cet Auteur étoit d'un caractère
gai & qu'il étoit fort 'recherché
par les perfonnes de la premiere
Qualité. Plufieurs autres de fes écrits en
fourniffent auffi la preuve. On peut
conjecturer par la date de fes derniers
ouvrages , qu'il mourut au commencement
du dix -feptiéme Siécle . Indépendamment
de fa traduction d'Ovide en
vers françois , à laquelle fon fils Charles
de Maffac , travailla beaucoup , &
de fon Poëme fur les Eaux de Pougues
, traduit auffi en vers françois par
le même Charles, il en compofa plufieurs
IV .
( b ) La branche des Gonzagues de Cleves fur
éteinte par la mort de Ferdinand Charles Gouzagues
du nom , Duc de Mantoue & de Montferrat
, & le Cardinal de Mazarin acquit les Duchés
de Nevers & de Rhetel des derniers Ducs de
Mantoue. Diy
80 MERCURE DE FRANCE.
autres latins.J'en ai vu de fa façon à la tête
d'une édition de Juftin , qu'on réimprima
de fon temps . Il célébra les talens
de plufieurs Auteurs fes contemporains.
Il fut lui - même célébré par plufieurs
Sçavans , & fon Poëme latin , dont je
vais vous parler , eft enrichi de notes
grecques & latines de Jacques le Vaf-
Jeur , Docteur en Théologie , né à
Vimes dans le Ponthieu , près d'Abbeville
. Vous fçavez mieux que moi ,
mon cher ami , que la Poëfie Didactique
, ayant pour but principal d'inſtruire
les hommes , la bonté des Poëmes
en ce genre doit fe régler fur l'utilité
du Sujet que l'on traite & fur les
avantages qui réfultent des inftructions
qu'on y donne. La beauté de la verfification
, l'abondance dans les images,
la force de l'expreffion &c. ne font
pour ainfi dire , que les machines que
fait jouer le Poëte pour amufer le Lecteur
; machines qui font cependant
néceffaires pour conftituer un corps
d'ouvrage , qui plaiſe en intéreffant
lectorem delectando , pariterque monendo.
Je puis vous affurer que ,
fi vous
lifez vous-même la feconde édition ( c)
( c ) Elle se trouve dans plufieurs Bibliothé
ques , & notamment à Paris dans celle du Collé
ge Mazarin ,
1
MÁRS. 1763.
81
du Poëme , intitulé : Remundi Maffaci
Clarici Agenenfis & Collegii Aurelianenfis
Falcultatis Medica Decani Pugea
, feu de Limphis Pugeacis libri
duro .
Vous verrez avec plaifir qu'à la fo-
Fidité des préceptes repandus dans tout
l'ouvrage , le Poëte a ajouté un air
d'enjouement qui régne depuis le
commencement jufqu'à la fin . On y
y trouve en effet des comparaifons juftes
& bien afforties , de la facilité dans
la verfification , des expreffions délicates
, des tours heureux . L'agrément des
defcriptions fait difparoître la féchereſfe
des préceptes. Le Poëte peint partout,
Et il me femble que fon pinceau rend
mieux les couleurs de la nature . Médecin
habile, Philofophe profond, if expofe
avec clarté cette phyfique obfcure , qui
éroit en vogue dans fon temps, & il en
tire dequoi expliquer clairement tout
ce qui a trait à fon ouvrage ; il féme
quelquefois des traits d'une érudition
peu commune ; ce n'eft pas tout : comme
le Poëme Didactique fans épiſode
feroit ennuyeux , il y en mêle fagement
quelqu'une. Enfin je crois qu'on
peut dire fans être taxé de prévention,
que cet ouvrage fait quelque hon-
D v
82 MERCURE DE FRANCE .
1
neur à fon Siécle . En voici une Analyfe
fuccinte qui vous en donnera fans
doute l'idée que j'en ai conçue .
ANALYSE DU PREMIER LIVRÉ-
Le Poëte , après avoir expofé fon
Sujet en peu de mots , paffe rapidement
fur l'invocation , & nous préfente
de la manière fuivante , le tableau
d'un homme qui reffent les douleurs de
la pierre.
Calculus in cyftam poftquam de rene pependit
Labitur , atque fero fenfim impellente vagatur :
Sin minor ipfe locus fuerit , majufque locatuna
Tenditur ureter , tenſuſque dolore fatigar
Humanum corpus repetito vulnere punctum ,
Horrendæ indè cruces , atque irrequieta laborum
Colligitur rabies , jacet heu patientia victa ,
Ægeragens morbum fecum fua damna ferendo ,
Carfitat huc illuc , ringens , tremebundus , anhelans
,
Pertæfus vitam , pertæfus lumina coeli ,
Mortem orat , Superofque infanâ voce laceffit :
Haud aliter taurus tacito percuffus afilo
Aftuat in rabiem , campos , montefque peragrans
Aeraque immenfum crebris mugitibus urgens ,
Seque fugit , fequiturque , malique renafcitur Au-
Acr.
MARS. 1763. 83
Cette peinture me paroît d'une touche
forte & naturelle. L'Auteur explique enfuite
la formation , les fymptomes, & les
fuites funeftes de cette maladie . Il nous
apprend que ce n'eft pas feulement dans
Fes canaux urétaires des reins , que fe
forme la pierre il en a vu lui -même
aux deux côtés du coeur dans le pou
mon , dans le cerveau & dans d'autres
parties du corps . De-là , fon imagination
le transporte fur le bord de la fontaine
de Pougues , où le Dieu de la mé
decine va lui apprendre depuis quel
temps ces eaux coulent dans cette contrée
, avec quelles précautions il faut
les boire , & comment elles ont la ver
tu de diffoudre la pierre. Le Dieu de
la Loire , dit-il , éleva avec foin une fille
qu'il avoit eue de la Nymphe Pégée.
Cette jeune Nayade fut bien-tôt recherchée
en mariage par tous les Dieux
champêtres ; mais elle dédaigna leurs
tranſports amoureux. Apollon l'apperçut
un jour dans le temps qu'elle chaf
foit. La Beauté , les Charmes , les Grâ
ces , le port majestueux de la nouvelle
Diane , firent naître à l'inftant dans le
coeur du Dieu , un amour des plus vio-
Fens. Il la pourfuivit , mais en vain ; elle
arrive en fuyant fur le bord de la Loire
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
où fon père , pour la fouftraire aux
pourfuites d'Apollon , la change en fontaine.
Le Dieu qui la chériffoit , même
après fa métamorphofe , donne aux eaux
de cette fontaine , la vertu de guérir de
plufieurs maladies & particuliérement
celle de la pierre .
ANALYSE DU DEUXIÈME
LIVRE.
2.
Le Poëte , à qui le Dieu de la médecine
avoit infpiré , pendant un léger
fommeil , ce qu'on a vu dans le premier
Livre , fe tranſporte maintenant à.
l'endroit où coulent les eaux qui font la
matière de fes Vers. Après les avoir
analyſées lui-même , il explique en Phyficien
la formation des fontaines . Il y
a , dit- il , dans la terre & furtout dans.
les creux des rochers des réfervoirs où
l'eau fe ramaffant en grande quantité &.
fe filtrant dans les canaux fouterrains
prend des couleurs & des goûts différens
, felon les matieres qu'elle rencontre
fur fon paffage . Il paroît par ce que
dit notre Poëte , que l'efprit de vitriol.
& de fouffre abonde dans les eaux de
Pougues ; ce qui leur donne tant de
vertu pour diffoudre les parties fablonneufes
& tartareufes qui forment la
MARS. 1763. 85
pierre . Après cet éxamen il place adroitement
l'éloge de Henry le Grand qu'il
prie de veiller à la confervation & à
l'embéliffement de ces fources falutaires
, qui font auffi éfficaces pour la
pierre que pour les maux de poitrine .
En finiffant il trace encore avec un
pinceau non moins délicat qu'énergique
, le portrait de plufieurs perfonnes
diftinguées qui avoient été à Pougues
chercher du foulagement à leurs douleurs.
Il faut lire dons l'Ouvrage même
l'éloge pompeux & magnifique qu'il
fait des Gonzagues , des Guifes , des
Longuevilles , des la Châtre. Je me bor--
ne à vous rapporter le plus court ; c'eft.
celui de Claude - Catherine de Clermont,
Baronne de Rhetz , & Dame de Dam-.
pierre , fi célébre par fon efprit . Elle ,
fut Ducheffe de Retz & mourut en
1603 , âgée de foixante ans.
Nec tu carminibus noftris indicta manebis ,
REZIA , grandè decus Mufarum & nobilis arte ,
Et quæ docta fonas æquantia plectra Maronem ;
Parnaffi cultrix & Galli Neftoris uxor ,
Femina virtute & majorum ftemmate fulgens ,
Sicque tuo fulgebit opus fub nomine noftrum .
Vous connoiffez depuis longtemps >>
86 MERCURE DE FRANCE .
Monfieur , quels font les fentimens
d'eftime , de confidération & d'amitié
avec lefquels
J'ai l'honneur d'être & c.
A Brive-la- Gaillarde , ce 15 Décembre 1762.
A L'AUTEUR DU MERCURE ,
Sur un Plagiat .
ILL y
a quelques
années
, Monfieur
qu'une
perfonne
envoya
de
Beauvais
ou
d'Amiens
, une
piéce
de
vers
qu'elle
foufcrivit
pour
en
paroître
modeftement
F'Auteur
, dans
l'idée
fans
doute
que
M.
PAVILLON
de
l'Academie
Frangoife
étoit
inconnu
dans
la
Capitale
;
cette
fupercherie
, pour
ne
rien
dire
de
plus
, lui
réuffit
, &
on
vit
paroître
au
Mercure
LES
CONSEILS
A
IRIS
,
fous
le titre
, je
crois
, à moitié
déguifé
, DE
CONSEILS
A UNE
JEUNE
ĎEMOISELLE
. J'en
écrivis
à l'Auteur
du
Mercure
qui
la démafqua
dans
le
Mercure
fuivant
.
Dans le premier volume de votre
Mercure de ce mois qu'on vient de
m'apporter , j'y trouve page 69 à - peuMARS.
1763. 87
près la même chofe dans un autre genre ,
c'eft l'ÉNIGME dont le mot eft Fiacre
ou Carroffe de place , qui a déja été
inférée au Mercure il y a quelques années.
Il faut efpérer que l'Anonyme de
qui vous la tenez vous enverra bientôt
Enigme des Coches publics qui , je
crois , eft dans le premier ou fecond volume
du Mercure de M. Dufrefny.
Il est pourtant bon de vous faire connoître
ces pirateries ,
étant tous lesjours
dans le cas d'être trompé de cette
manière par le peu de temps que
vous avez pour la rédaction de votre
Journal, qui ne vous permet pas de vous
reffouvenir à l'inftant des Ouvrages des
Auteurs dont veulent fe parer certains
plagiaires en abufant honteufement le
Public ; ce qui eft de la derniere éffronterie
, furtout lorfqu'ils ofent y mettre
leurs noms ; cela devroit même avoir
fon effèce de punition proportionnée
à celles que les larrons trouvent dans
les Loix .
Cette dénonciation de filouterie littéraire
doit être rendue publique pour .
F'éxemple . Vous en ferez au furplus l'ufage
que vous voudrez .
J'ai l'honneur d'être , & c.
Ce 21 Janvier 1763.
De la G ***
88 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. DE LA PLACE , fur
un Jetton , frappé en 1606.
ILeLeft aifé , Monfieur , de vous donner
l'explication du ' jetton dont vous faites.
mention dans votre fecond Mercure du
mois de Janvier 1763 , page 78. J'ai
trouvé ce jetton en original en cuivre
parmi ceux des Rois de France que
j'ai raffemblés qui ont été frappés au
commencement de la Monarchie juf
qu'à préfent. Voici le tipe de ce jet
ton. On voit d'un côté le Roi Henri
IV debout devant un autel fur lequel
il met fa main droite devant un Crucifix
lors de fon abjuration faite dans:
l'Eglife de S. Denis , le Dimanche 25
Juillet 1593 , & l'autre main élevée
vers le Ciel , avec cette Légende : Tuta
mihi numinis ara. Exg. 1606.
Revers , la Religion fous la figure
d'une femme , conduifant par la main
le Roi Louis XIII enfant , à une Eglife
au- deffus d'une montagne , & tenant
de la main droite un coeur enflammé
avec ces mots , Hæc tibi certa domus.
Exg. 1606. D. N. Abonné au Mercure
A Paris , le 24 Janvier 1763+
MARS. 1763. 89
ANNONCES DE LIVRES,
COLLECTION de différens Morceaux
fur l'Hiftoire Naturelle & Civile
des Pays du Nord , fur l'Hiftoire Naturelle
en général , fur d'autres Sciences ,
fur différens Arts ; traduit de l'Allemand
, du Suédois , du Latin , avec des
notes du Traducteur. Par M. de Keralio
, Capitaine , Aide - Major à l'École
Militaire , & chargé d'y enfeigner la
Tactique. Tome premier , in- 12.
Je vais jusqu'où je puis 5
Et femblable à l'Abeille , en nos jardins écloſe ,
De différentes fleurs j'affemble & je compofe
Le miel que je produis.
Rouffeau, Od, I. du Liv. 3. Stroph . 30.
A Paris , chez R. Davidts , Libraire
quai des Auguftins , à S. Jacques. Cette
Collection très - intéreffante , & dont
nous nous propofons de rendre compte
, fera bientôt fuivie de plufieurs autres
volumes .
LA MORALE ÉVANGÉLIQUE expliquée
par les SS . Pères ; ou Homélies .
choifies des Pères de l'Eglife , fur tous,
go MERCURE DE FRANCE .
les Evangiles des Dimanches & Fêtes
de l'année . Ouvrage très-utile aux Curés
, aux Eccléfiaftiques chargés d'inf
truire les Peuples ; & généralement à
tous les Fidéles qui veulent s'inſtruire à
fond des vérités de la Religion. Par M.
l'Abbé Mary de la Canorgue , Prêtre
Licentié en Théologie. in- 12 . Tom. I.
Paris , 1763 , chez Lottin le jeune ,
rue S. Jacques , vis- à-vis la rue de la
Parcheminerie.
Les jeunes Eccléfiaftiques qui fe
deftinent à inftruire les Peuples , qui
n'ont pas des facilités de puifer euxmêmes
dans les Pères, trouveront dans ce
recueil d'Homélies , les endroits les plus
beaux des SS. Pères. On y rencontre des
morceaux vifs & très -éloquens , des
comparaifons fort belles qui jettent un
grand jour dans la fuite du difcours :
partout beaucoup de lumiére & d'onction
, & cette véritable éloquence de
chofes & non de mots qui inftruit &
perfuade à la fois. Les fideles y trouveront
une morale füre & une inftruction
folide.
Quelques perfonnes au premier coup
d'oeil ont cru que ces Homélies étoient
celles qui fe trouvent dans le Breviaire
que l'on avoit raffemblées & fimpleMARS.
1763. 91
ment traduites . Il y a cependant une
grande différence entre les unes & les
autres. D'abord il n'étoit guères poffible
de faire un recueil commé celuici
, fans fe rencontrer fréquemment
avec celles -là. D'ailleurs on ne trouve
ordinairement dans le Bréviaire qu'un
morceau qui a rapport à un endroit ou
à une partie de l'Evangile ; & ici prèfque
toutes les Homélies paraphrafent le
texte de l'Evangile en entier. Souvent
elles expliquent le fens moral , le figuré
& allégorique ; elles renferment même
quelquefois une triple explication de
tout l'Evangile,
-
On trouve chez le même Libraire
Les Stations de la Paffion de N. S.
Jefus Chrift , qquuii eenn contiennent
l'Hiftoire , avec des Réflexions & des
Prieres , &c. à l'ufage des Eglifes , Monaftères
& Communautés , où l'on fait
des proceffions pour adorer Jefus- Chrift;
Ouvrage propre aux Confrères de Jé
rufalem , aux Maifons Religieufes du
Calvaire , du Saint Sépulchre , des Filles-
Dieu & autres ; & généralement utile
à tous ceux qui veulent fe rappeller &
honorer le mystère de la Croix , dans
la fainte Quinzaine , tous les Vendredis,
92 MERCURE DE FRANCE .
ou durant tout le cours de l'année . Vol.
in- 12, 1 liv. 6 f.
Le même Libraire Lottin , le jeune ,
vient d'acquérir du fond de M. le Prieur ,
les Exercices Religieux , utiles & profitables
aux Ames religieufes qui defirent
s'avancer en la perfection , avec
plufieurs avis , Inftructions & Pratiques
fpirituelles pour les y conduire , & c.
Vol. in-12 , 2 liv. 10 f
INSTRUCTIONS Chrétiennes fur les
huit Béatitudes tirées des faints Pères de
l'Eglife , & en particulier de faint Auguftin
, fuivies d'une Priére & Afpirations
; ou Abrégé de toute la Morale
de l'Evangile , dans lequel le Chrétien
trouvera des règles füres pour former
fes fentimens & fa conduite & des
motifs de confolation dans toutes les
épreuves de la vie. Par M. Cabrisseau ,
Théologal de Rheims . A Paris chez
Lottin , le jeune , Libraire , rue S. Jacques
, vis-à-vis la rue de la Parcheminerie.
1763. Avec approbation & Privilège
du Roi.
,
,
LES DEUX LIVRES de S. Auguftin
, Evêque d'Hippone , à Pollentius ,
fur les mariages adultères , traduits en
MARS. 1763.
93
François , avec le Texte Latin à côté,
des notes , & une differtation . Dédiés à
M. l'Evêque de Soiffons . Ouvrage utile
& même néceffaire à tous les Confeffeurs
, & finguliérement aux Miffionnaires
employés chez les Infidéles . in - 12 .
Paris , 1763. Chez G. Defprez , Imprimeur
du Roi & du Clergé de France,
rue S. Jacques. Frix , 2 1. 2. f. broché.
LETTRES Philofophiques , fur la
formation des Sels & des Cryftaux , &
fur la génération & le Méchanifme or
ganique des Plantes & des Animaux , à
l'occafion de la pièrre bélemnite & de
la pièrre lenticulaire , avec un Mémoi 】
re fur la Théorie de la Tèrre . Par M.
Bourguet. Seconde édition , in - 12 . avec
figures. Amfterdam , chez Marc- Michel
Rey , 1763 , & fe trouve chez Briaffon,
rue S. Jacques , à Paris,
VOYAGE du M. ***
en Périgord ,
Vers & Profe . Brochure in- 12. Chez
Brocas & Humblot , rue S. Jacques.
DISCOURS fur la Satyre , Ouvrage
traduit de l'Italien .
Intereft Reipublicæ cognofci malos.
Brochure in- 12. Amfterdam , 1763 , &
94 MERCURE DE FRANCÉ.
fe trouve à Paris chez les Libraires qui
vendent les Nouveautés.
MARII CURILLI Groningenfis Satyre
. Groninga , apud Jacobum Bolt ,
Bibliopolam. 1758.
GER. NICOLAI HERQUENII , Arcad.
Socii , & Acad . Reg. Pariſ. Litter.
& Antiq . Miniftri , Italicorum Liber
unus. Groninga. Typis Jacobi Boltii
, Bibliopola. 1762.
N. B. L'Auteur qui nous a fait l'honneur
de nous adreffer ces deux Ouvrages
dont nous n'avons qu'un très-bon
compte à rendre , ne nous dit pas s'il
s'en trouve à Paris des exemplaires.
ÉSSAI fur les Bois de Charpente , ou
Differtation de la Compagnie des Architectes
& Experts des Bâtimens à Paris
, en réponse au Mémoire de M. Paris
Duvernai , Confeiller d'Etat , Intendant
de l'Ecole Royale Militaire , fur la
Théorie & la Pratique des gros Bois de
Charpente , dans leur exploitation &
dans leur emploi. Rédigée par MM .
Babuty , Defgodetz , & le Camus de
Mezieres, Brochure in- 12 . Paris , 1763 .
Chez Babuty fils , Libraire , quai des
Auguftins , à l'Etoile.
MARS. 1763. 95
CAQUET BON BEC , la Poule à ma
tante , Poëme badin.
Et frontem nugis folvere difee meis.
Ovid. -
Brochure in-12 . 1763. Se trouve à Paris
chez Pankoucke , à côté de la Comédie
Françoiſe & chez Duchefne , rue S. Jaques.
JUDITH & DAVID , Tragédies. Par
M. L *** , Avocat. A Amfterdam, 1763;
& fe trouvent à Paris , chez Guillyn ,
Libraire , quai des Aug. au Lys d'or.
THEATRE de M. Nivellede la Chauffée
, de l'Académie Françoife. vol.
in- 16. jolie édition. Paris , 1763, Chez
Prault , petit-fils , Libraire , quai des
Auguftins,
ABRÉGÉ de la Grammaire Françoi
fe. Par M. de Wailly, Nouvelle édition
in- 12. Paris , 1763. Chez J. Barbou
Libraire -Imprimeur , rue S. Jacques ,
aux Cigognes . Prix , 1 liv. 4 f. Cette
Grammaire eft aujourd'hui adoptée par
l'Univerfité & par l'Ecole Militaire. On
trouve chez le même Libraire , la Grammaire
Françoiſe in - 12 , du même Au̟-
teur. Le prix eft de 2 1, 10 f
96 MERCURE DE FRANCE.
DUPUIS & DESRONAIS , Comédie
en trois Actes , & en vers librés , repré
fentée pour la premiere fois par les Comédiens
François ordinaires du Roi
le 17 Janvier 1763 , par M. Collé , Lecteur
de Mgr le Duc d'ORLEANS , premier
Prince du Sang. A Paris , chez
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques , au
Temple du Goût. Le prix eft de 1 liv.
10 f. Le fuccès conftant de cette Piéce
charmante , que l'on voit toujours avec
le même plaifir , nous difpenſe d'en
rien dire ici de plus. On en verra l'extrait
à l'article des Spectacles.
I
N. B. On trouve chez le même Libraire
, les Piéces fuivantes.
L'AMOUR PATERNEL , ou la Suivante
reconnoiffante , Comédie Italienne
, en trois Actes & en profe. Par M.
Goldoni , compofée pour les Comédiens
Italiens ordinaires du Roi , & repréfentée
fur leur Théâtre au mois de Février
1763. Extrait , Scène , Part - fcène , avec
les Lettres de M. Goldoni & de M.
Meflé , tant fur cette Piéce que fur plufieurs
autres objets des Spectacles . Prix
I liv. 4 f.
LE MILICIEN , Comédie en un A&te,
mêlée d'Ariettes ; par M. Anfeaume , la
Mufique
MARS. 1763. 97
Mufique de M. Duny , repréfentée pour
la premiere fois à Verfailles devant leurs
Majeftés , le 29 Décembre 1762 ; & à
Paris fur le Théatre de la Comédie
Italienne le premier Janvier 1763. Prix,
I liv . 4 f.
,
LE GUY DE CHÊNE , ou la Fête
des Druides , Comédie en un Acte &
en vers libres , mêlée d'Ariettes , avec
un divertiffement. Par M. de Junquieres
le fils. La Mufique de M. de la Ruette ,
repréſentée pour la premiere fois par les
Comédiens Italiens ordinaires du Roi ,
le Mercredi 26 Janvier 1763. Prix , 1 1 .
4 f.
LA BAGARRE , Opéra bouffon , en
un A&te ; par M. Poinfinet ; la Mufique
de M. Vanmalder.
Non plau fus , fed rifus.
repréſenté pour la première fois par les
Comédiens Italiens ordinaires du Roi ,
le 10 Février 1763. Prix , 1 l . 10 f. avec
la Mufique.
POSTILLON PARISI EN , cu Conducteur
fidéle de la Ville , Fauxbourgs
& environs de Paris dédié à Meffire
E
98 MERCURE DE FRANCE .
Jean -Baptifte-Elie Camus de Pontcarré,
Chevalier , Seigneur de Viarme & autres
lieux , Confeiller d'Etat & Prévôt
des Marchands de la Ville de Paris , par
MM. Louis Denis & Louis Mondhard
à Paris, Chèz Denis , rue S. Jacques ,
vis-à-vis le Collége de Clermont , &
chez Mondhard, même rue & à l'hôtel
de Saumur. 1763.
LETTRE de M. le Brun , Secrétaire
des Commandemens de S. A. S. Mgr
le Prince de Conti , à l'Auteur du Mercure
.
J'apprends , Monfieur,avec beaucoup
de furprife que quelques perfonnes ,
dont fans doute je n'ai pas l'honneur
d'être connu , croyent , ou feignent de
croire que je fuis un des Auteurs du
nouveau Journal de la Renommée Littéraire.
Je vous prie de vouloir bien
rendre publique cette Lettre , où je déclare
que je n'aurai jamais de part à aucun
Ouvrage de ce genre d'ailleurs trèseftimable
, mais dont je n'ai ni le temps
ni le goût , ni le talent.
J'ai l'honneur d'être , & c.
MARS. 1763. DE CHEQUE
ARTICLE III.
LYON
1813
SCIENCES ET BELLES- LETTRES
ACADÉMIE. S.
EXTRAIT du Mémoire lu à l'Affemblée
publique de l'Académie Royale
des Sciences , le 13 Novembre 1762
par M. DE PARCIEUX , de la même
Académie ; fur un moyen de donner
une abondante quantité de bonne eau
dans tous les Quartiers de PARIS
VILL
LEESS Anciens & furtout les Romains
furent toujours occupés du foin de procurer
de l'eau aux Villes de leur domination.
Nous en avons une preuve
dans les monumens qu'ils conftruifoient
pour cet ufage & qui fubfiftent encore.
dans plufieurs Villes de France. On en
voit à Lyon , à Nifmes , à Fréjus , à
Joigny proche Metz , &c. Au lieu d'imiter
leur exemple: & : d'employer les
moyens dont ils fe fervirent autrefois,
nous avons eu jufqu'ici recours à des
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
machines pour fournir à la Capitale le
peu d'eau qu'elle a , fi ce n'eft les eaux
de Rungis que la Reine Marie de Médicis
y fit venir dans le fiécle dernier.
L'infuffifance de ces Machines a fait
naître à M. Dep. l'idée d'un projet qu'il
développe dans le Mémoire que nous
annonçons ; projet d'autant plus utile
qu'il remplit parfaitement fon objet
fans des dépenfes énormes ; pour en
rendre l'éxécution moins éffrayante
M. Dep. remet en peu de mots fous
les yeux les immenfes travaux que fi
rent les Romains dans les Gaules dans
le peu de temps qu'ils les ont poffédées ,
pour la conduite des eaux . Il fait enfuite
voir la néceffité d'adopter fon projet
en prouvant que la plupart des
Quartiers de Paris manquent d'eau ou
n'en ont qu'en très-petites quantité.
Après des Obfervations fort éxactes
& dont on pourra voir le détail dans
le Mémoire , M. D. a trouvé qu'il pouvoit
faire venir les eaux de la Rivière
d'Yvette prifes à Vaugien à la Place de
la Porte S. Michel , d'où fe feroit la
diftribution dans tout le refte de Paris ;
diftribution d'autant plus facile que les
eaux de l'Yvette viendroient à la même :
hauteur que celles de Rungis , qu'on
MARS. 1763.
101
nomme communement d'Arcueil.
L'Aqueduc propofé parcourra un
chemin de dix - fept à dix-huit mille
toifes en côtoyant d'abord le lit naturel
de l'Yvette depuis Vaugien jufqu'à Palaifeau.
De la vallée de l'Yvette pour
fe rendre à celle de la Bievres , on lui
pratiquera un paffage fous une partie
de la montagne qui eft entre Palaifeau
& Maffy. Arrivée dans la vallée de la
Bievres , le Canal dans lequel coulera
l'eau de l'Yvette fuivra la côte droite
de la Bievres , viendra paffer la gorge
de Fiernes ou de Tourvoye fur un pont
aqueduc , continuera enfuite fa route
fous Fiernes & fous l'Hay , & arrivera
à Arcueil. Là elle paffera la vallée ſur
un autre pont aqueduc joignant celui
de la Reine Marie de Médicis , fur lequel
paffent les eaux de Rungis & elle
fuivra enfuite l'aqueduc actuel jufqu'au
Fauxbourg S. Jacques.
Pour faire connoître d'une manière
plus fenfible les endroits par où doit
paffer ce canal ou cet aqueduc , M.
de Parcieux a joint à fon Mémoire une
carte du lieu où l'on voit le cours de
la rivière d'Yvette depuis fes premieres
fources jufqu'à Paris ; le cours de la
riviere de Biévres , & celui du nouveau
canal.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
La nature du terrein dont les eaux
pluviales tombent dans l'Yvette avoit
bien fait préffentir à M. D. que l'eau
devoit en être bonne ; néanmoins pour
s'en affurer complettement , il en a fait
porter un certain nombre de bouteilles
pleines & cachetées à MM. Hellot &
Macquer , habiles Chymiftes de la même
Académie , qui l'ont fait paffer par toutes
les épreuves que la Chymie fournit
; & l'on voit par leur examen rapporté
tout au long à la fin du Mémoire ,
que cette eau eft de la plus excellente
qualité.
L'abondance des eaux étoit encore
un point éffentiel dont il falloit s'affurer
, de la quantité de pieds cubes d'eau
que dépenfoient par feconde les moulins
de Vaugien & le dernier du ruif
feau de Gif dans les temps des plus baf
fes eaux , M. D. a conclu qu'il paffoit
plus de 1000 pouces d'eau à Vaugien ,
& plus de 200 à 'Gif.
En effet , fi Pon circonferit le terrein
qui envoye fes eaux pluviales aux deux
prifes de Vaugien & de Gif , on trouve
, dit M. D. que plus de 36 millions
de toifes quarrées envoyent leurs eaux
à Vaugien ou à Gif & nous croyons
qu'il auroit pu dire plus de 40 millions ;
MARS. 1763. 103
mais il aime-mieux annoncer moins
afin qu'on ne foit pas trompé dans fon
attente .
Le tiers de l'eau qui tombe fur ce
terrein que M. Mariotte fuppofe s'imbiber
pour fournir les fources , pris
moyennement pour toute l'année , don
neroit plus de trois mille pouces d'eau
continuels . Si on fait les réfervoirs nécèffaires
pour conferver le trop de certains
temps pour remplacer le moins
des autres , ou voit qu'il eft aifé de
procurer à la Ville de París deux mille
pouces d'eau continuels & davantage.
Après avoir parlé des moyens d'amener
l'eau de l'Yvette à Paris , & de
ce qu'il y aura à faire pour l'avoir toute
l'année pure , belle & limpide , M.
D. fait l'analyfe de l'eau de la Seine
telle qu'on la puife prefque dans tout
Paris. Après avoir montré ce qu'il entre
d'égoûts dans cette rivière par la rive
droite , qui eft beaucoup plus la Marne
que la Seine , il fait remarquer ce que
l'autre rive reçoit , & voici comme il
s'exprimé :
La rive gauche de la rivière eft encore
bien pire ; on le concevra aiſément
, fi on fe repréfente que tous les
égoûts de la partie méridionale de Pa-
E iij
104 MERCURE DE FRANCE.
L
ris tombent dans la Seine , dans Paris
même ou au-deffus , par la rivière des -
Gobelins , dans laquelle fe rendent les
égoûts de toute efpéce , de Bicêtre &
de l'Hôpital , ceux des Fauxbourgs
Saint-Jacques , Saint-Marceau & Saint-
Victor , lefquels joints à tout ce que
cette rivière reçoit des Blanchiffeufes
dont fon cours eft couvert depuis &
compris le Clos-Payen jufqu'au Pontaux-
tripes , & à tout ce que les Teinturiers
, Mégiffiers , Tanneurs , Amidonniers
, Braffeurs & autres ouvriers y
jettent , la rendent indifpenfablement la
plus vilaine & la plus mal-faine qu'on
puiffe imaginer
La rive gauche de la Seine reçoit
cette eau à fon entrée dans Paris , vient
laver les trains de bois qui font les trois
quarts de l'année le long du Port de la
Tournelle , rencontre les égoûts des
foffés Saint- Bernard & des Grands- degrés
; celui de la Place Maubert , qui
feul feroit capable de gâter une grande
rivière : ainfi préparée elle vient paffer
fous les ponts de l'Hôtel-Dieu , où elle
reçoit de cet Hôpital immenfe , toutes
les ....... on n'ofe le dire : arrivent
enfuite l'égoût de la rue de la Harpe ,
ceux du quai des Auguftins , & enfin
MARS. 1763. 105
par les trois qui fortent fous le quai
Malaquais , les immondices d'une grande
partie de Paris ; & c'eft de l'eau qui
coule le long de cette rive , prife audeffous
du Pont-neuf , dont eft abreuvé
tout le fauxbourg Saint - Germain
ou peu s'en faut , & affez généralement
celle qu'on boit dans tout Paris,
On ne trouvera pas que ce tableau
foit flaté ; mais M. D. n'annonce rien
qui ne foit connu de tout Paris .
Tout le monde fent aifément que
ce projet eft un des plus grands des
plus utiles , des plus importans,des plus
intéreffans & des plus urgens qu'on puifle
propofer pour cette grande Ville , &
M. D. n'oublie rien de tout ce qui peut
faire efpérer aux Citoyens que fon
projet fera éxécuté un jour. Il ne diffimule
pas que tout ce qu'il y a à faire
pour amener l'eau jufqu'à la rue Hyacinthe
, & pour la diftribuer dans Paris
, doit coûter même affez confidérablement
; mais , dit - il , Paris n'en vautil
pas bien la peine ? pourroit-on fe
perfuader & voudroit-on perfuader aux
autres , que nous fommes arrivés dans
un fiécle où l'on n'ofe plus entrepren
dre les chofes les plus grandes & les
plus utiles ? Que l'on compare feute-
E v
106 MERCURE DE FRANCE .
ment , eu égard au nombre d'habitans ,
& qu'on cherche à mettre quelque proportion
, fi on le peut , entre ce que
l'on propofe pour la Capitale de la
France , & ce que l'on vient de faire
pour une ville de province ; alors le
projet n'effrayera plus.
On compte qu'il y a aux environs
de 800 mille âmes dans dans Paris , &
36 à 40 mille à Montpellier ; ce dernier
nombre n'eft au plus que la vingtiéme
partie du premier.
On vient d'amener à Montpellier les
eaux de plufieurs fources réunies , lefquelles
donnent aux environs de 70 à
80 pouces , dans les plus grandes féchereffes
, par un aqueduc de 7409 toifes
de long , voûté dans toute fa longueur
, de trois pieds de largeur für 6
de hauteur fous clef, dans l'étendue duquel
il a fallu percer une montagne de
200 toifes de longueur , faire plufieurs
ponts - aqueducs pour traverfer les basfonds
, entr'autres un fur la Lironde qui
eft affez confidérable , & celui qui traverfe
le vallon de la Merci fous le Peirou
, lequel eft compofé de deux ponts
l'une fur l'autre ; le premier de 64 arches
de cinq toifes de diamètre , & le fecond
de 140 arches de deux toifes chacune, &
MARS. 1763 . 107
de plus l'épaiffeur des piles & des culées;
ce dernier a près de 400 toifes de long
fur 60 pieds de hauteur du deffous de
la rigole à l'endroit le plus bas du vallon
C'est tout au plus , fi le projet pour àmener
l'Yvette à Paris , demande trois
ou quatre fois autant d'ouvrage , pour
vingt fois autant d'habitans & pour la
Capitale de la France.
La ville de Carcaffonne , laquelle
felon Dom Vaiffette , dans fa Géographie
hiſtorique ne contient que 8000 à
10000 habitans , à trouvé dans la bonne
adminiftration de fes revenus , auffi-
bien que dans la ville de Montpellier
, le moyen de fe procurer 2 à
300 pouces d'eau , par un petit aqueduc
de 3 pieds de haut , fur 18 pouces
de largeur , & de 4000 toifes de long,
porté fur des arceaux en plufieurs endroits.
Cette eau eft une partie de la
rivière d'Aude , qu'on à dérivée il y a
12 ou 15 ans .
Au refte , il faut attendre , fans déferpérer
, continue M. D. què dès Savans
capables de juger de toutes les parties
d'un pareil projet & d'évaluer le prix
de chacune , que la Cour ou les Magiftrats
commettront , ayent prononcé .
J'ofe affurer , en attendant leur exa-
E
vj
108 MERCURE DE FRANCE.
men , qu'il y a eu de nos jours des
monumens commencés & finis , & d'autres
commencés qui marchent à grands
pas à leur perfection , qui couteront
plus que celui- ci Je les crois tous néceffaires
, mais celui de donner de l'eau
à Paris l'eft autant qu'aucun , & l'on
peut trouver des moyens pour celui-ci,
comme on en a trouvé pour ceux-là.
Les grands hommes , & nous en
avons , ont de grandes reffources : pourquoi
ne s'en trouveroit- il pas qui imitaffent
Gérard de Poiffi , ce refpectable
& généreux citoyen , qui a immortalifé
fon nom pour avoir donné onze
mille marcs d'argent , deftinés à faire
paver les rues de Paris. Quelle gloire
ne s'eft-il pas acquife , en employant
une partie de fes richeffes pour l'utili
té de fes concitoyens ? Puifque la mémoire
de cet acte généreux s'eft confervée
jufqu'à nous , elle durera vraifemblablement
auffi long-temps qu'il y
aura des hommes dans Paris.
M. Dép. fait voir dans fon Mémoire
qu'il faudroit 1881000 livres de notre
monnoye pour faire à préfent ce qu'on
faifoit alors avec la valeur de onze mille
marcs d'argent.
Quels exemples de générofité ne nous
MARS. 1763 . 10g
, non comdonnent
pas nos voifins ! un célébre
Médecin Anglois , vient de donner aux
environs de cinq millions de livres de
notre monnoye , pour faire bâtir un
Amphithéâtre anatomique
pris les fondations qu'il fe propofe de
faire pour les Profeffeurs . Qu'auroit - il
donné pour faire venir de l'eau à Londres
, fi celle de la nouvelle rivière n'y
avoit déjà été menée ? Efpérons que nos
plus riches Citoyens ne le céderont en
rien à la générofité des Anglois.
On peut trouver de ces grandes actions
dans tous les fiécles ; le quartier
de l'Univerfité eft couvert de monumens
fondés par la générofité de plufieurs
dignes Patriotes , proportionnée
à leur fortune ; & fous le règne de
Louis XV il y a des ames auffi généreufes
que fous celui de Philipe-Augufte
; je les crois même en plus grand
nombre : le zéle avec lequel les principaux
Corps & plufieurs dignes & grands
Citoyens fe font empreffés de contribuer
au rétabliſſement de la Marine françoife
, en eft une preuve.
La ville de Reims n'oublira jamais
le nom & le bienfait de M..Godinot ,
qui après avoir fait des embelliffemens
coufidérables à la Cathédrale dont il
110 MERCURE DE FRANCE .
étoit Chanoine , a procuré de l'eau à
fes concitoyens par une machine qu'il
a fait conftruire à fes dépens , ainfi
qu'une grande partie des conduites &
des fontaines qui la diftribuent dans
tous les quartiers ; on lui a encore l'obligation
de plufieurs autres travaux publics.
Il y a certainement dans Paris des
âmes auffi bienfaifantes qu'à Reims ;
mais avec le noble defir d'être utile à
fes concitoyens , il faut l'heureux concours
des facultés.
Quel eft le citoyen zélé pour le bien
public , dit M. D. qui ne donnât volontiers
fi les autres moyens manquent,
une ou deux années du revenu de fa
maifon pour y faire venir en tout temps
une quantité d'eau fuffifante ? Que ne
donneroit-on pas dans nombre de Châteaux
où l'eau manque,pour avoir une
fource d'un pouce d'eau feulement ?
quelles dépenfes ne fait- on pas quelquefois
pour s'en procurer dans des
maifons qu'on n'habite qu'en paffant ?
ne feroit-ce pas faire de fon argent un
meilleur ufage que de l'employer en
lambris en dorures & en autres ornemens
fuperflus & paffagers ? la bonne
eau fera toujours de mode.
En effet , quel avantage d'avoir dans
MAR S. 1763.
III
la maiſon qu'on habite le plus longtems ,
une fource de bonne eau , fourniffant
l'office , la falle à manger , coulant fans
ceffe dans la cuifine , entraînant les immondices
fans leur laiffer le temps de
fermenter & d'empuantir & infecter
l'air des endroits où l'on conferve les
viandes & de ceux où on les prépapare,
Quelle fatisfaction de voir laver
fa cuifine & tous fes recoins dix
fois par jour , fi l'on veut ! on eft moins
pareffeux à nétoyer partout quand l'eau
ne coute pas à tirer.
Non feulement cette abondance d'eau
tiendra le dedans de la maifon
propre &
frais , mais auffi les rues qui deviendront
des ruiffeaux formés tant par l'eau
de refte qui fortira des grandes maiſons
que par celles qu'on employera à laver.
Ces ruiffeaux entraîneront fans ceffe les
boues , entretiendront
le pavé propre &
mouillé auprès des ruiffeaux pour le foulagement
des chevaux. En Eté on arrofera
, ou pour mieux dire , on lavera
les rues avec cette eau auffi fouvent
qu'on le voudra , au lieu de deux fois
qu'on les humecte à préfent avec fort
peu d'eau & fouvent avec de l'eau vilaine
& puante , qui jettée en petite
112 MERCURE DE FRANCE.
quantité , ne fait que tenir la boue délayée
pendant un peu de temps & infecter
d'autant mieux l'air , l'abondance
de celle-ci le rendra fain & falubre *
ce qui eft fi important pour la fanté des
citoyens & d'autant plus néceffaire que
le nombre des habitans eft plus confidérable
; tout le monde fent de refte
que le féjour des boues & immondices
contre les murs ou contre les bornes ,
doit de néceffité rendre l'air bas , infecté
& mal fain & c'eft celui que
nous refpirons.
2 .
Quelle tranquillité d'avoir dans fa
maifon un réfervoir toujours plein d'eau
& fans ceffe renouvellé pour fournir un
fecours prompt
& à propos dans un cas
de malheur tant pour foi que pour le
voifinage !
Dans la féconde partie de cet intéreffant
Mémoire , M. Dep. rend compte
de ce qui l'a conduit à former ce
projet , & de ce qu'il a fait pour s'affurer
d'abord de la poffibilité, & enfuite
pour dire exactement à quelle hauteur
l'eau pouvoit arriver à Paris. Il a fallu
pour cela rapporter le tout à un point
fixe & immuable , & c'eft au fol de l'Églife
N. D. qu'il a rapporté toutes fes
opérations.
MARS. 1763.. 113
Faifant abftraction de la pente qui
fait couler l'eau de moulin en moulin
depuis Vaugien jufqu'à Paris , les chutes
des moulins ont fait connoître à M.
D. de combien l'eau de Vaugien étoit
plus élevée que l'eau de la Seine fous le
Pont de l'Hôtel- Dieu , de laquelle déduifant
la quantité de pieds & pouces
dont le fol de N. D. étoit plus élevé
que la Seine le même jour qu'il mefuroit
les chutes des moulins , le refte
donne l'élévation de l'eau de Vaugien
fur le fol de N. D. qui eft de 83 pieds
9 pouces.
Le nivellement que M. D. a fait &
répété plufieurs fois pour parvenir à
connoître de combien l'arrivée des eaux
d'Arcueil eft plus élevée que le même
fol de N. D. fuppofe des opérations
fort intéreffantes pour les perfonnes
qui font au fait de ces matiéres ; mais
comme elles ne font pas à la portée
de tous nos Lecteurs , nous nous contenterons
d'en rapporter les principaux
réſultats .
1°. Le haut de la Tour méridionale
de N. D. eft plus élevé que le fol de
l'Eglife pris au bas de l'efcalier des
Tours de 204 pieds 9 pouces. 2 ° .Le haut
du parapet de l'Obfervatoire eft plus
114 MERCURE DE FRANCE . -
haut que le même fol de N. D. de
151 pieds d'où il fuit que la Tour
méridionale de N. D. eft plus élevée
que le haut de l'Obfervatoire de 43.
pieds 9 pouces . 3 ° . Le bouillon d'arrivée
des eaux d'Arcueil eft plus élevée
que le le fol de N. D. de 67 pieds 10
pouces & demie , qui ôtés de 83 pieds
9 pouces dont l'eau de Vaugien eft plus
élevée que le même fol de N. D. refte
15 pieds 10 pouces & demi dont
l'eau de l'Yvette à Vaugien eft plus
élevée que l'arrivée des eaux d'Arcueil
à côté de l'Obfervatoire , non compris
la pente qui la fait couler de moulin
en moulin depuis Vaugien jufqu'à
Paris.
4°. Le haut de la Place de l'Eftrapade
eft plus élevé que le fol de N. D. de
81 pieds 3 pouces.
5. Enfin l'endroit le plus élevé du parapet
du
pont de l'Hôtel-Dieu eft plus
élevé que le fol de N. D. de 10 pieds 6
pouces , ce qui donne le moyen de connoitre
de combien la Seine eft plus baffe
que le fol de N. D.
M. D. avec cette modeftie qui
convient aux vrais Sçavans qui n'ont
d'autres vues que celles du bien public,
MARS. 115
veut bien n'être pas cru fur fa parole ,
il demande lui-même qu'on faffe examiner
fon projet ; mais il defire que ce
foit par les perfonnes les plus capables
& les plus propres à infpirer la confiance
que l'objet mérite. Comme il
connoît bien la vérité de ce qu'il propofe
, on voit en plufieurs endroits de
fon Mémoire qu'il eft pleinement perfuadé
que fon projet fera exécuté à l'avenir
s'il ne l'eft à préfent. Voici comment
il s'exprime en un endroit.
Ne connoiffant rien de plus urgent à
faire pour une grande ville , après la
conftruction des ponts , quand il en
faut , que de procurer dans tous les
quartiers une fuffifante quantité de
bonne eau ; & connoiffant affez bien
les environs de Paris , pour pouvoir affurer
qu'il n'y a que la riviére d'Yvette
qui , donnant cette fuffifante quantité
de bonne eau , puiffe y arriver à une
hauteur propre à l'envoyer dans tous
les quartiers , à moins de l'aller prendre
beaucoup plus loin ; je crois être fondé
à me perfuader que ce projet fera
éxécuté à l'avenir , s'il ne l'eft à préfent
, & d'autant plus , comme je l'ai
déja fait obferver que c'eft la feule
dépense que la Ville puiffe faire dont
116 MERCURE DE FRANCE.
les fonds lui rentrent avec avantage
en faifant le bien des citoyens , cetré
dépense n'étant , à proprement dire
qu'une avance ou de l'argent placé.
Mais quand même cette dépenfe ne
devroit jamais rentrer : pour une grande
ville , capitale d'un grand royaume , il
faut de grandes chofes.
Il regarde donc l'éxécution de ce
projet comme indifpenfable , foit dans
peu , foit à l'avenir : or dans quelque
temps qu'on l'entreprenne , on doit
faire le tout de manière à pouvoir recevoir
& laiffer couler plus de 2000 pouces
d'eau, vû qu'on peut les avoir dèsà-
préfent les trois quarts de l'année
& qu'on pourra fe les procurer pour
toute l'année quand on le voudra , & c .
Quand même M. Dep. n'auroit pas
la fatisfaction de voir éxécuter fon projet
, il pourra fe flatter d'avoir rendu un
fervice éffentiel à fa patrie , en faisant
une fi heureufe découverte . Elle intéreffa
tout le monde dès qu'il commença
à en faire part , & jamais Mémoire
n'a été écouté avec plus d'attention ni
plus applaudi qu'il le fut lorfqu'il en fit
la lecture à l'Affemblée de la rentrée
publique de l'Académie Royale des
Sciences , du mois de Novembre derMARS.
1763 . 117
nier. Le Miniftre toujours attentif à ce
qui peut contribuer au bien public , a
voulu qu'il fut imprimé à l'Imprimerie
Royale.
Lorfque M. Dep. eut l'honneur de le
préfenter au Roi , il en fut accueilli favorablement
, & Sa Majesté voulut bien
entrer avec lui dans des détails qui marquoient
fort l'intérêt qu'Elle y prenoit.
Ĉe Mémoire ne fe vend pas ; on n'en
a tiré quele nombre d'exemplaires qu'on
a voulu donner ; mais on le trouvera
dans la fuite des Mémoires de l'Académie
des Sciences , pour l'année 1762 .
GÉOMÉTRI E.
ON demande ( Mercure de France
du mois de Fevrier page 113 ) le rapport
de la bâfe aux côtés d'un triangle
ifocéle circonfcrit à deux cercles contigus
, dont les diametres font dans la
raifon de trois à un , de manière que
la plus grande circonference touchant
les deux côtés & la bâfe , celle du petit
cercle touche feulement les côtés. Réponſe.
Ce rapport eft celui de l'égalité
; c'est- à-dire que ce triangle eft l'Equilatéral
, dans le quel on peut infcrire
118 MERCURE DE FRANCE .
de la manière propofée , non feulement
deux , mais une infinité de cercles dont
les diamètres aillent toujours en décroiffant
dans la même raifon de 3. à 1.
Par un Abonné au Mercure.
A Paris , le 16 Fevrier 1763 .
EXTRAIT de la Séance publique de
l'Académie des Sciences , Arts &
Belles-Lettres de DIJON , tenue dans
Grande Salle de l'Hôtel-de- Ville le
17 Août 1762.
•
LEE
Secrétaire perpétuel , après avoir
fait quelques réflexions générales fur les
exercices littéraires & fur les différens
programmes des prix de l'Académie
obferya qu'elle avoit propofé deux fois
une question de la plus grande utilité,
concernant la caufe de la graiſſe
du vin , & les moyens de l'en préferver-
ou de le rétablir. Elle s'étoit attachée
, ajouta-t- il , d'autant plus volontiers
à cet objet , que les éclairciffemens
qu'elle defiroit , devoient mettre
la Bourgogne en état de conferver
MARS. 1763. 119
cette liqueur éxquife qui fait le fond
de fes richeffes & de fon commerce .
Mais les Mémoires qui furent envoyés
à l'Académie , lorfqu'elle interrogea
pour la premiere fois les Obfervateurs
de la Nature fur cette efpéce de dépériffement
du vin , n'ayant pas fuffifamment
rempli fes vues , elle ouvrit un
nouveau concours fur le même fujet ,
dans la jufte confiance que les recherches
, les expériences & les découvertes
répondroient à fon attente. Cependant
une feule Differtation qui lui fut adreffée
au mois de Mars dernier , n'ayant
encore obtenu ni fon approbation ni
fes fuffrages , la médaille qu'elle deſtinoit
au meilleur ouvrage fur la graiffe
des vins , a été réſervée pour l'année
1763 , à l'Auteur qui aura traité avec
le plus de folidité le problême qu'elle
vient de publier , fçavoir : Quels font ,
relativement à la Bourgogne , les avantages
& les défavantages du canal projetté
en cette Province , pour la communication
des deux mers par lajonction
de la Sône & de la Seine ? Parmi le
grand nombre d'écrits qui ont paru
fur le projet de ce canal , on a déja
touché, mais trop fuperficiellement, l'utilité
& les inconvéniens qui en réfulte120
MERCURE DE FRANCE .
roient. Aujourd'hui , l'Académie , en
fuppofant la poffibilité de cet établiſſement
de quelque manière qu'on en détermine
le local , fe borne à l'intérêt effentiel
de la patrie , & demande précifément
fi l'exécution de cette vaſte entrepriſe
, feroit plus avantageufe qu'onéreuse
à la Bourgogne ?
M. Poncet de la Rivière , ancien Evêque
de Troyes , a lù enfuite une Differtation
fur l'Esprit Académique. Ce
que cet efprit eft en lui-même , & ce
qu'il eft par comparaifon avec les autres
; tel eft le plan de fon ouvrage , tel
eft l'objet de fes réfléxions . Sans s'arrer
ter à la définition que les Philofophes
donnent de l'efprit , il en revient à celle
qui lui femble la plus analogue au dif-
Cours oratoire. Qu'eft- ce donc que l'efprit
, dit-il ? Un feu que la Nature allume
dans nos âmes , plus ou moins vif
felon le degré de chaleur & d'activité
qu'il plaît à l'éternel Auteur de notre
éxiſtence de lui donner ; plus ou moins
brillant felon notre attention ou notre
négligence à réfléchir fur lui les lumièrés
qu'ont répandu les Aftres qui , dans
tous les fiécles, éclairérent le Monde littéraire
; plus ou moins borné felon notre
hardieffe ou notre indolence à éloigner
MARS. 1763 . 121
gner fes limites ; plus ou moins fécond
felon la culture que l'émulation lui
donne ou que l'oifiveté lui refuſe : für
de plaire quand il en eft jaloux & digne
d'obtenir l'admiration lorfqu'il fe rend
habile à la faifir & capable de la fixer.
Quoique l'efprit ne foit point affervi
aux pays ; qu'il anime les neiges & les
frimats de l'Amérique , comme il s'enflamme
au foleil brulant de l'Afrique
& de l'Italie ; cependant à le juger d'après
la diverfité qui fe trouve dans la façon
de penfer des différens peuples , ne diroit-
on pas que dépendant en quelque
forte des climats , il en prend les qualités
& les défauts ; & qu'il tire , comme
les fruits , fa couleur & fon goût
du terroir où il fe produit. M. l'Evêque
de Troyes entre ici dans le détail
des différens caractères d'efprit des Nations
, & finit ainfi par celui du Francois.....
En France , amufant par fon
caractère , riche de fon fonds , propreaux
plus grands éffors , capable encore
de produire les chefs- d'oeuvres qu'il admire
; fi , plus content de poffeder fes
richeffes que jaloux de les étendre , il
ne préféroit le talent délicat qui embellit
, au génie puiffant qui invente : fait
pour plaire , mais trop livré à cet attrait;
F
122 MERCURE DE FRANCE,
"
ingénieux dans fes penfées , peut- être
trop étudié dans fon langage ; voulant
des apprêts jufques dans la naïveté qui
les bannit ; portant les recherches de l'art
jufques dans les agrémens de la Nature
; Philofophe par fantaifie ; & , fi j'ofe
le dire , moins fage , parce qu'il fait entrer
de la mode jufques dans fa fageffe.
Après avoir fait voir que l'efprit ne
dépend ni du fang ni de la naiffance ;
que , quoique reçu de la Nature , il eſt
le mérite de la perfonne ; l'Auteur donne
une idée de l'efprit académique , en faifant
le portrait des Affemblées où il doit
fe produire. Qu'eft- ce donc , dit ce Prélat
qu'une Affemblée Littéraire , &
fous quels traits dois-je vous la repréfenter
? c'eft un corps d'hommes polis
& cultivés , livrés de bonne heure par
attrait , & dans la fuite attachés par goût,
à l'étude des Lettres ; dont les moeurs
font ornées par les Mufes ; dont le caractère
eft fans foibleffe , férieux fans
auftérité , fçavant fans féchereffe , agréable
fans affectation , épuré dans tous les
défauts qui font l'écueil de la fociété
& enrichi de tous les avantages qui en
font l'agrément. Ce tableau fut fuivi de
l'énumération des talens propres à foutenir
la gloire de ces Affemblées . Par
>
MARS . 1763 . 123
"
mi les différentes efpèces de fciences qui
font à rejetter , le Prélat s'éléve furtout
contre cette fcience qui n'eft qu'un
amas fonore & faftueux de connoiffances
vaines & ftériles fouvent auffi
pernicieufes pour le coeur qu'agréables
à l'efprit ; qui ajoûtant peu au mérite
que l'on veut avoir , ôtent beaucoup de
celui que l'on a ; ne font à l'homme
qu'un honneur médiocre , & font prèsque
toujours une playe dangereufe au
Chrétien. Pardonnez- moi cette réfléxion
, Meffieurs , ajoûte le Prélat , je
me la crois permife , même dans une
Affemblée académique ; & je connois
affez vos coeurs pour ne pas craindre
d'en être défavoué. En confidérant les
différentes fortes d'efprits qui concourent
à former le caractère de l'efprit
académique, M. l'Evêque de Troyes
s'arrête principalement à ces efprits
amis de la fageffe , qui vont fur les
tombeaux des Anciens Maîtres du Monde
recueillir les reftes de cette Philofophie
véritable qui épuroit les moeurs
en dirigeant les talens ; & dont les prin
cipes tracés par des génies puiffans
mais par des efprits dociles , formoient
des Sujets aux Royaumes & des Citoyens
aux Républiques : Philofophie fi
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
vantée ……………….. Mais , oferois -je le dire ?
Philofophie aujourd'hui fi peu connue ,
fi méconnoiffable dans ces fectes altières
& impérieufes , ifolées & répandues ,
graves & fantafques ; en qui une farouche
frivolité qui ne connoit point de
loix , s'arroge le droit fuperbe d'en
donner ; dont le difcours n'eft que
fentence & paradoxe ; les principes qu'indépendance
& irréligion ; les actions
qu'un libertinage de moeurs déguiſé ou
rafiné ; où fous le nom de fageffe , une
audacieuſe folie confacre les vertiges les
plus honteux à la raifon , & peut-être
les plus dangereux pour les Etats ; dont
l'efprit oppofé à celui de la fubordination
, ne fe foumet que par contrainte
& en reclamant pour fa liberté ; où la
Religion méconnue dans ce qu'elle
commande , combattue dans ce qu'elle
enſeigne , ne trouve pas même dans
fes enfans ce refpect dont fes ennemis
ne purent autrefois fe difpenfer de l'honorer.
J'ai dû cette vivacité de réfléxions
, dit le Prélat , & à ma façon de
pénfer & au caractère dont j'ai l'honneur
d'être revêtu. Je ne pouvois , Meffieurs
rendre un hommage plus glorieux à l'efprit
qui vous anime , qu'en réveillant
publiquement votre dégoût contre un
MARS. 1763. 125
efprit fi étranger à vos jugemens & à
vos moeurs.
Ce Difcours fut fuivi de la lecture
d'un Mémoire de M. Fournier , contenant
des Obfervations fur les différentes
manières dont périffent ceux qui
font frappés de la foudre , fur les accidens
qu'ils éprouvent , & fur le traitement
qu'on doit employer lorfqu'ils
peuvent être rappellés à la vie.
Les femmes font auffi propres que
les hommes à l'étude des Sciences & à
la culture des Arts : c'eft le fujet d'une
differtation de M. l'Abbé Picardet , où
en éffayant de prouver que les talens
& les difpofitions font les mêmes dans
les deux féxes ; il montre la frivolité des
prétextes qu'on employe ordinairement
pour étouffer dans les femmes l'amour
des Sciences , des Arts & des Belles - Lettres.
La délicateffe du tempérament ,
le défaut de goût pour les grandes chofes
& d'aptitude aux Sciences , l'efprit
de détail & les foins oeconomiques ,
font de vains préjugés qu'il expofe
qu'il combat & qu'il détruit. Les Sciences
& les Arts n'ont donc aucunes difficultés
qui doivent ralentir l'émulation
des Dames pour mettre encore dans
un plus grand jour la vérité de cette
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
conclufion , M. l'Abbé Picardet jette
un coup d'oeil fur les Arts où elles réuffiffent
fupérieurement ; comme l'éloquence
, la mufique , la poëfie , la peinture
, l'aftronomie , l'hiftoire naturelle ,
la médecine , la philofophie & la morale
.
La Séance a été terminée par un Mémoire
de M. Marêt puifné , fur la méri
dienne. Après avoir obfervé la diverfité
des fentimens à ce fujer , l'Auteur annonce
qu'il va fixer les incertitudes qui
en pourroient naître , en faisant voir
les avantages que procure ce fommeil,
& les précautions que l'on doitprendre
en s'y livrant. C'eſt l'intérêt de la digeftion
, dit- il , qui engage à blâmer
ou à louer la méridienne. Mais ce problême
fera réfolu dès qu'on aura prouvé
que loin de nuire à la digeftion , cet
ufage lui eft favorable. D'après cet idée.
il expofe fuccintement , fuivant les principes
de Boerhaave , le méchanifme de
la digeſtion . » C'eſt dans une diffolu-
» tion que la chaleur facilite , dans une
» décompofition qui eft le produit du
» mêlange du fluide nerveux & d'un
» commencement de fermentation pu-
"tride & acide , que confifte le mé-
» chanifme de la digeftion : pour déci
MARS. 1763. 127
der fi la méridienne eft avantageufe
relativement à cet objet , il faut donc
s'attacher à examiner :
Si elle augmente la chaleur de l'eftomac ;
Si elle facilite l'abord du fluide nerveux dans ce
vifcère ;
Si enfin elle y favorife la fermentation.
Chacune de ces propriétés attribuées
à la méridienne eft examinée & prouvée
dans autant de paragraphes. Les objections
de différens Auteurs tant anciens
que modernes y font rapprochées &
réfolues. Mais malgré les avantages que
peut procurer la méridienne par ellemême
, M. Marét avertit que ce fommeil
éxige des attentions particulières
quand on s'y livre :
Le temps où elle doit commencer ;
Le terme auquel il faut la finir :
La fituation qu'on doit prendre en dormant :
La température du Lieu qu'on choifit
pour dormir , l'habillement- même
loin d'être indifférens , font de la plus
grande impportance ; & tous ces détails ,
minucieux en apparence , ceffent de le paroître
dès qu'on les fuit avec l'Auteur.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
En effet , dans fa differtation , la phyfiologie
fe réunit à l'anatomie pour prouver
qu'il eft éffentiel » d'attendre que la
» Nature nous engage elle- même à dor-
» mir ; de proportionner la durée du
» fommeil , à la chaleur du tempéra-
» ment , à la qualité & à la quantité des
>> alimens .
C'est au peu d'attention que l'on fait
ordinairement à ces détails , que M. Marêt
attribue tous les accidens qui ont
déterminé quelques Auteurs à décrier
la méridienne. Cependant il l'interdit
à ceux qui dorment plus des fept heures
que la raifon femble permettre de donner
au fommeil ; ainfi qu'à ceux qui ,
livrés au plaifir ou à l'étude , veillent
une grande partie de la nuit , dorment
le jour , & ne s'éveillent qu'après que
le foleil a parcouru la moitié de fa
carrière ; à moins que leur dîné ne foit
confidérablement retardé. Mais en général
, il croit que dans certaines cir-
» conftances les hommes doivent fans
» éxception fe livrer au fommeil après
le dîné ; qu'il peuvent tous dormir
quelquefois au fortir de ce repas , &
» qu'il y en a beaucoup qui ne pour-
» roient s'y refufer fans imprudence.
Chacune de ces propofitions eft jufMARS.
1763. 129
r
tifiée par des détails ; d'où il réfulte qu'on
doit regarder ceux qui font d'un tempérament
fanguin ou bilieux , comme
les feuls auxquels la méridienne convienne
peu. L'Auteur termine fa differtation
en invoquant l'expérience ; non
comme une preuve de l'utilité de la
méridienne qu'il croit avoir fuffifamment
établie ; mais comme une préfomption
favorable à cette habitude.
Que ceux qui blâment la méridienne ,
ajoûte-t-il , ceffent donc de prétendre
nous forcer à réfifter à l'impulfion de
la nature ; elle nous invite à dormir
après le dîné la raifon d'ailleurs le
confeille , & l'expérience doit au moins
faire préfumer que c'eft un moyen capable
de nous procurer la fanté la plus
defirable , & de nous faire parvenir à
un âge très-avancé .
ÉCOLE Royale Vétérinaire , établie à
Lyon fous la direction de M. BOURGELAT
, Ecuyer du Ror , & Correfpondant
de l'Académie Royale des
Sciences de France.
L E Lundi , trente un Janvier
Fy
Q 您
2
130 MERCURE DE FRANCE.
a procédé dans l'Hôtel de l'Ecole Royale
Vétérinaire à la diftribution d'un
nouveau prix dont le Sujet concernoit
les parties extérieures du cheval & furtout
celles dont la connoiffance intéreffe
le plus , tels font les yeux , la
bouche , les nafeaux & c.
OCette diftribution a été faite felon
la forme obfervée lors de celle qui cut
lieu le 20 Decembre dernier. Dix-neuf
des Eléves ont encore concouru , après
que les billets cachetés & contenant
cent quatre- vingt queftions divifées
& reparties dans ces mêmes billets leur
ont été adjugés par le fort ; ils fe font
mutuellement interrogés d'après les
queftions qu'ils avoient tirées,& le dixneuviéme
a répondu à celui des chefs
de brigade choifi & nommé pour concourir
encore avec lui.
L'Affemblée étoit nombreufe & compofée
de perfonnes diftinguées ; celles
qui dans la féance du 20 Décembre
avoient daigné juger des efforts des
Eléves ont prononcé pareillement dans.
celle- ci .
Les fieurs d'Enguien de la Ville de-
Lyon , & Bredin de la Ville d'Auxonne,
qui dans le précédent concours avoient
mérité le prix , ont foutenu leur répu
MARS. 1763. 131
tation & ont acquis un nouveau droit
à l'eftime du public . Le premier a fait
une démonſtration anatomique des parties
extérieures & intérieures du globe
fur les piéces même ; il a remporté le
prix.
Le fecond a eu à jufte titre le premier
Acceffit ; il a fait une démonſtration
très-claire & très -fimple de la connoiffance
de l'âge du cheval par la dentition
.
Les fieurs Detuncq , Eléve entretenu
par M. l'Intendant d'Amiens , & Brachet
, Eléve entretenu par la Province
de Bugey , ont balancé longtemps les
voix pour le fecond Acceffit , qui a été
accordé au fieur Detuncq ; le fieur Brachet
a obtenu le troifiéme .
Quant au quatriéme on a été contraint
de faire tirer au fort les fieurs
Beauvais , Eléve entretenu par M. l'Intendant
d'Amiens , ( il avoit eu le premier
Acceffit , le 20 Décembre , ) &
Preflier , Eléve entretenu par M. l'Intendant
de Moulins , ( il avoit eu le
quatriéme ) le fort a favorifé le fieur
Bauvais qui l'a obtenu.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
Noms des Eléves qui ont concourit.
LES SIEURS ,
Vierville. Didney.
Rambert. Defchaux.
Saunier. Detuncq.
Bloufard. Guilet.
Kamerlet. Rouffet.
Moret.
Preflier.
Gauthier.
Defaveniers.
Bauvais.
Pufenas .
Bredin . D'Enguien.
Brachet,interrogé par le fieur d'Enguien.
MARS. 1763.
133
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE.
LETTRE d'un Élève en Chirurgie de
L'HOPITAL DE LA CHARITÉ , à
l'Auteur du Mercure , fur l'opération
de la Taille.
MONSIEUR,
-
Les Belles Lettres & les Sciences
agréables ne font pas les feules qui fixent
votre attention ; vous paroiffez même
toujours prendre un nouveau plaifir
à inftruire le Public de chofes utiles.
Cette réfléxion me donne lieu d'efpérer
que vous voudrez bien informer ce même
Public,dans votre Mercure prochain,
du fuccès des tailles faites à l'Hôpital de
la Charité avec l'inftrument , & par le
neveu du célébre Frère Cofme.
La grace que je vous demande vous
134 MERCURE DE FRANCE.
,
Faroîtra jufte & néceffaire fi vous
voulez bien confidérer qu'elle a pour
objet de répondre à la lettre d'un Eléve
en Chirurgie de Paris inférée à la
page 132 du fecond volume du Mercure
de ce mois , par laquelle on cherche à
jetter des doutes fur la réuffite des opérations
de la taille faites à la Charité
le Neveu & l'Éléve du Frère Cofme.
par
Je fuis Éléve en Chirurgie , Monfieur
, ainfi que celui qui a écrit lat
lettre dont je vous parle ; mais je fuis
l'un des Éléves de l'Hôpital de la Charité
, & par conféquent témoin & obfervateur
des chofes dont je vais vous
rendre compte.
La lettre de mon Confrère à un Maître
de Province fe termine par cette
phrafe , en parlant du LITHOTOME
CACHÉ. On s'en eft fervi à la Charité ;
le neveu du Frère Cofme eft un des Chirurgiens
de eet Hôpital . C'eft pour moi ,
ajoute celui qui écrit , vous en dire affez;
les fuccès vous diront le refte.
Eh bien , Monfieur , puifqu'il eft néceffaire
de les publier ces fuccès. , je
veux dire ceux du neveu du Frère Cofme
, & ceux de Fexcellente méthode
de fon oncle : apprenez , je vous en
fupplie , au Public & à mon Confrère
MARS. 1763. 135
que depuis la déclaration du Roi qui
a rétabli les Réligieux de la Charité
dans leurs premiers droits , quant aux
Chirugiens de leurs Hopitaux , on a
fait dans celui de Paris l'opération de
la taille par la méthode du Frére Cof
me fur des fujets de tout âge & par
différentes mains avec un fuccès égal..
De 14 malades affligés de la pièrre qui
font venu cette année, trois ont été opérés
par M. Bafcilac neveu du Frère Cof
me & Chirurgiens gagnans maîtrife dans
cet Hôpital , tous trois ont été parfaitement
guéris en moins de 20 jours . N'eft ce
pas là de ma part vous en dire affes? pour
qu'il ne foit plus permis à mon Confrère
de laiffer le Public en doute fur
la capacité & les fuccès du neveu du
Frère Cofme à la Charité.
Quatre autres Sujets affligés de la
Pierre ont été opérés par le Religieux
Chirurgien en Chef de cette Maifon
avec le même lithotome & en fuivant
les préceptes du Frère Cofme. Trois ont
été guéris avec le plus grand fuccès . Un
feul a péri plus de douze jours après fon
opération , des fuites d'une fiévre puride
furvenue après l'opération . On a
trouvé après fa mort plus d'une chopine
de férofité bilieufe & purulente épan136
MERCURE DE FRANCE.
chée dans la poitrine du défunt dont
les poulmons étoient remplis de tubercules
partie en fuppuration & partie
dans l'état d'endurciffement ; les parties
opérées ont été examinées trèsfcrupuleufement
& ont été trouvées fans
aucune lézion ; la caufe de mort enfin
a été déclarée celle du vice de lapoitrine.
Un procès verbal figné des Médecins, &
du Maître en Chirurgie de la maison,fait
la preuve légale de ce que j'ai l'honneur
de vous dire fur la mort de celui dés
quatre malades opérés de la pierre à la
Charité par le Religieux Chirurgien en
chef , avec l'inftrument du Frère Cofme
& en fuivant fa méthode.
Sept autres Sujets également affligés
de la pierre , ont été opérés avec l'inftrument
du Frère Cofme , par M. Sue ,
Chirurgien-Major du même Hôpital ;
cinq ont également guéri en peu de
temps , ainfi que cela eft ordinaire , par
l'excellente méthode de Frère Cofme ,
quand il n'arrive pas d'accidens étrangers
à l'opération ; un des fept , opéré
par M. Sue , eft mort plufieurs jours
après l'opération ; c'étoit un vieillard de
plus de foixante -dix ans ; il étoit affligé
de la pierre depuis fa naiffance. MM.
Sue, Bafcilac & le Religieux ChirurMARS.
1763 . 137
gien en chef firent l'impoffible pour perfuader
au malade d'achever fa carrière
avec fon ennemi. Mais le malade preffé
par les plus vives douleurs répondit
qu'il ne pouvoit plus y furvivre & qu'il
vouloit courir les rifques de l'opération .
La charité des Religieux les força à recevoir
le malade ; mais la prudence des
Chirurgiens les détermina à demander
l'affiftance des Médecins & des Chirurgiens
confultans de la Maifon. M. Pibrac
, l'un des deux Chirurgiens confultans
, fe rendit à l'invitation avec MM.
Verdelhan & Maloette , Médecins ordinaires
de la Charité. Tous virent un
vieillard décrépit & défléché ; M. Pibrac
reconnut une Pierre d'un diamètre confidérable.
On opina pour la néceffité de
l'opération ; le malade fut préparé , &
M. Sue l'opéra. Il tira plufieurs fragmens
de pierre & il toucha enfuite au
fond de la veffie une maffe dure qui
fut imprenable par les tenettes ; la foibleffe
du malade ne permit pas de faire
de plus longues tentatives ; on le porta
an lit & il mourut fix jours après ; ſa foibleffe
n'ayant pas permis de faire aucune
autre tentative pour tirer la maffe
que
l'on avoit été forcé de laiffer.
Je laiffe à MM. les Médecins & aux
138 MERCURE DE FRANCE.
Chirurgiens de l'Hôpital de la Charité
à apprendre au Public ainfi qu'aux
Maîtres de l'art de la Ville & des Pro
vinces , s'il étoit aucun moyen poffible
pour opérer non- feulement la guériſon
du malade , mais encore de faire l'extraction
de cette portion de pièrre fermée
& refferrée dans le fond de la
veffie par le rétréciffement d'une portion
de la veffie qui s'étoit racornie &
qui ne formoit plus qu'une enveloppe
ferrée , ou pour mieux figurer la chofe
le moule dur & racorni de la maffe de
pierre que M. Sue n'avoit pu extraire
dans l'opération. C'eſt par l'ouverture
du cadavre qu'on a manifefté cette vérité.
Le feptiéme malade affligé de la pièrre
& opéré par M. Sue n'eft pas à la vé
rité fans danger au moment préfent ;
c'eft un homme d'un tempérament noir
& bilieux , qui depuis fon bas âge eft
fujet à des coliques , & à des rétentions
d'urine ; il a été fondé ; la pièrre
a été reconnue ; il a été opéré. M.
Sue a retiré plufieurs fragmens de pierre.
Le Malade a été pendant les douze
premiers jours de l'opération fans douleurs
, fans fiévre & avec appétit ; il
Jui eft furvenu depuis des douleurs aux
MAR S. 1763. 139
reins , aux hypocondres , un vomiffemens
avec des friffons qui font fuivis
de fiévre avec chaleur ; les urines paffent
néanmoins avec abondance dans
les momens de relâche & plus volontiers
par la voye ordinaire que par la
plaie.
Tels font , Mr , les fuites exactes des
opérations de la pierre que j'ai vu faire
à la Charité depuis l'année derniere par
la méthode du Frère Cofme.
Il ne faut cependant pas croire que
nos Maîtres à la Charité ne fçachent fe
fervir que du lithotome caché ; ( car par
exemple , ) deux malades qui avoient
chacun une pierre confidérable engagée
au col de la veffie , ont été opérés au
petit appareil par M. Sue : mais ils ont
été traités à la méthode du Frère Cofme ,
je veux dire , fans leur faire fouffrir aucun
panfement , & ils ont été tous deux
parfaitement guéris en peu de temps.
Le premier de ces deux malades avoit
été ci-devant opéré trois fois la premiere
par feu M. de la Peyronie , la feconde
par M. le Cat , & la troifiéme par
feu M. Thomas . Le malade a déclaré qu'à
chaque opération il avoit été panfé , &
qu'à chaque fois il étoit demeuré à guérir
plus de fept & huit femaines ; au lieu
;
140 MERGURE DE FRANCE . ,
qu'à la quatriéme opération par laquelle
M. Sue a fait l'extraction d'une pierre
d'un volume plus gros que celui d'un
oeuf de poule , la guérifon parfaite du
malade s'eft opérée en trois femaines
de temps
.
Le fecond de ces deux malades opéré
au petit appareil , a eu le même fuccès
que le premier fans avoir été panfé.
Voila encore une fois , Monfieur
ce que j'ai obfervé à la Charité depuis
que l'on y pratique l'opération de la
taille avec l'inftrument du Frère Cofme
& en fuivant fes maximes. J'y trouve
des avantages ineftimables pour opérer
les vivans ; mais comme mon.confrère
nous apprend dans fa Lettre à un Maî--
tre de Province , qu'en prenant d'une
main le Lithotome caché , & de l'autre
les Mémoires de l'Académie de Chirur
gie , on fent en opérant SUR LES CADAVRES
, naître fous la main tous les
dangers de cet inftrument. J'ai fait em--
plette de l'un & de l'autre pour m'éffayer
cet hyver fur des cadavres , & fuivant
littéralement les Mémoires de l'Académie
de Chirurgie ; mais je vous affure ,
Monfieur , que fi je m'apperçois qu'en
fuivant ce qui nous eft préfcrit dans
ces Mémoires il en naiffe fous la
2.
MARS. 1763. T41
nous
main les
dangers , que mon confrère
annonce
pour les cadavres
, je
fupprimerai
les Mémoires
de l'Académie
de ma bibliothèque , & je garderai
l'excellent
Lithotome caché du Frère Cofme
pour m'en fervir à la façon de
nos Maîtres de la Charité qui s'en fervent
pour les vivans
avec les plus
grands avantages
fans aucun danger &
avec un fuccès plus certain que toutes
les autres méthodes
.
,
,
J'ai l'honneur d'être , & c.
A Paris , ce 26 Octobre 1762 .
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
LETTRE de M. DELALANDE , de
l'Académie des Sciences , à M. DE
LA PLACE , fur un Tableau allégorique
des vertus , formant le Portrait
du ROI , peint par M. Amédée VANLOO
, Peintre du Roi de PRUSSE .
Il n'eſt point d'année , Monfieur , où L
142 MERCURE DE FRANCE.
i'on ne voye fortir de la Famille des
Vanloo des Morceaux de Peinture dignes
de faire honneur à la France , &
d'immortalifer leurs Auteurs ; mais nous
n'avions point encore vu allier les charmes
de la Peinture avec le génie de la
Phyfique , comme dans le Tableau que
M. Amédée Vanloo vient de faire.
Tout Paris a voulu voir ce chef- d'oeuvre
d'optique , de perfpective , de compofition
& d'allégorie ; mais le temps
n'a pas permis d'en faire obferver à
tout le monde les particularités , & elles
font trop curieufes pour ne pas en
donner au Public quelques détails .
;
Ce Tableau préfente d'abord à la
vue fimple un affemblage de plufieurs
figures qui expriment les différentes
vertus qui peuvent former un grand
Prince la Magnanimité eft affife &
appuyée d'une main fur l'écu de la
France ; elle tient de l'autre un Sceptre
& un dard brifé pour marquer la clémence
; le diadême qu'elle porte annonce
le deffein de faire le bien & fon
Sceptre la puiffance de l'exécuter ; elle
a à fes pieds un lion ; c'eft le fymbole
de cette vertu .
,
Plus bas eft la Juftice, qui d'une main
tient une balance , de l'autre une épée
MARS. 1763. 143
nue. Elle eft appuyée fur un lion pour
nous montrer qu'il faut qu'elle foit fecondée
de la force. Le mafque fur la
tête du lion annonce que la Juſtice fait
démafquer le vice & le punir. Les faifceaux
placés fous les lions expriment
l'accroiffement de force qui réſulte de
l'accord de ces deux vertus ; on y voit
auffi une corne d'abondance , pour indiquer
que tout profpére dans un Etat
où régne la Juftice.
Derrière la magnanimité fe voit la
valeur militaire , repréfentée par un
Guerrier tenant un drapeau qui enveloppe
plufieurs picques , pour montrer que
les hommes réunis fous l'étendard de
la vertu font invincibles. Derrière elle ,
fe voit une pyramide qui repréfente la
gloire des Princes perpétuée par des monumens.
A côté de la valeur militaire
eft l'intrépidité repréfentée par un Soldat
qui s'appuye für fes armes. La vertu
héroïque eft à la droite , c'eft un Guerrier
fous les attributs d'Hercule ; il tient
› d'une main une maffue fur l'épaule , &
de l'autre les pommes d'or des Heſpérides
, emblême du plus célébre de fes
exploits.
Au devant de la vertu héroïque eft
la vertu pacifique, repréſentée par Miner
144 MERCURE DE, FRANCE.
•
ve , Déeffe de la Sageffe & des Arts : elle
tient d'une main une branche d'olivier
fur les armes de France , & porte de l'autre
la lance qui fervoit dans les anciens
tournois & dans les jeux qu'on
célébre durant la paix ; cette lance eft
entourrée de ferpens , fymbole de la
Prudence.
Près de Minerve , eft la Générosité ;
c'eft une jeune fille qui porte fur la tête
une gaze d'or & des perles : fes bras nuds
annoncent que le propre de cette vertu
eft de fe dépouiller de tout intérêt , & de
faire le bien , même fans efpérance de
retour. Elle s'appuye fur le bouclier de
Minerve , pour montrer qu'elle favorife
particuliérement ceux qui cultivent les
Arts & les Sciences ; elle tient même le
cordon de l'Ordre du Roi , comme une
des recompenfes diftinguées que M. le
Marquis de Marigny a procurées à plufieurs
Artiftes célébres que nous avons
actuellement . Au deffous de Minerve
font les attributs des beaux Arts.
Toutes ces figures forment juſqu'ici
un tableau qui feul feroit honneur à
M. Vanloo ; mais ce n'eft rien encore
au prix de ce qui en refulte enfuite de
fingulier on regarde ce Tableau au
travers d'une efpèce de lunette dont
l'objectif
MAR S. 1763 . 145
tor
T'objectif eft un verre à facettes formé
de plufieurs plans , inclinés à l'axe du
tableau ; ces différentes refractions réuniffent
en un très - petit efpace toutes les
figures difperfées fur la furface du tableau
, en les diminuant de manière à
n'en former qu'une feule figure , & cette
figure eft la tête du Roi , exprimée
avec une reffemblance très- remarquable.
La figure de la Juftice eft ce qui forme
l'oeil du ROI avec une des faces de
la frifure qui approche le plus de l'oeil :
le Peintre nous dit par là , que rien n'é
chappe aux regards de la juftice du Monarque.
La magnanimité donne auffi
une partie de l'oeil ; la joue l'oreille &
le fourcil qui exprime la volonté fuprême
; la tête de Médufe compofe une
partie de l'autre fourcil : elle femble
nous dire que les regards d'un Prince
jufte épouvantent le crime & produifent
dans les coupables cette confternation
& cet anéantiffement qui reffemble
à la métamorphofé que la vue
terrible des ferpens de Médufe produifoit
autrefois .
La valeur guerrière donne une partie
du nez & de la bouche , parce que
la bouche eft l'organe du commande-
G
146 MERCURE DE FRANCE .
ment ; la vertu héroïque donne une
partie de l'autre joue avec le coin de la
bouche ; elle finit le nez & les narrines.
Minerve donne l'oeil du Roi du petit
côté : l'oeil de ce grand Prince voit avec
bonté ceux qui cultivent les vertus
les fciences & les arts. La Générofité
concourt à finir l'oeil du petit côté , la
tempe & un côté des cheveux. La Sculpture
, exprimée par une tête d'Apollon ,
donne le front & les lauriers dont il eſt
couronné. Le lion de la Magnanimité
forme l'autre tempe , & achève le front.
Le mafque produit la blancheur du front
& finit le fourcil. La crinière des lions
forme le toupet , qui eft blanchi par la
figure qui repréfentoit l'Intrépidité.
"
Vous voyez , Monfieur , par ce détail
combien il y a eu d'intelligence
dans la combinaiſon de deux chofes
auffi étrangères & auffi différentes entre
elles , que le font d'un coté ſept à
huit figures , chargées de fignifications
allégoriques auffi bien imaginées , de
l'autre la reffemblance d'une feule tête .
On a vu quelquefois des effets de perfpective
& de dioptrique qui confiftoient
à faire voir fur une forme régulière
ce qui paroiffoit d'abord n'en avoir
point ; cela femble n'être pas diffi"
MAR S. 1763. 147
cile , il ne faut que deffiner en regardant
au travers du verre dans lequel
le deffein doit être vu . Il en résulte
enfuite un objet quelconque dont la
forme vue de tout autre point eft difficile
à prévoir ; mais fi l'on veut qu'il
en réfulte des objets qui ayent une
forme régulière , cela paroit fort diffi -
cile. La difficulté augmente encore
quand la forme des objets eft déterminée
d'avance pour être appercue d'une
telle maniere foit du point de vue ,
foit de tout autre point . Si l'on propofe
enfin de former un portrait avec d'autres
figures qui y aient un rapport donné
, le problême paroît comme impoffible
& le fuccès de M. Vanloo pouvoit
feul ce me femble juftifier l'entrepriſe
. Il feroit à fouhaiter qu'il fit
part au Public & aux Sçavans des idées
qui ont pu lui faire entreprendre un onvrage
auffi fingulier & des moyens qui
lui en ont procuré le fuccès.
J'ai l'honneur d'être , &c.
DELALANDE
Ce Tableau a été préfenté à Sa
Majefté , par M. le Marquis de Marigny
.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
MUSIQ U E.
SIX ARIETTES Françoiſes , dans le
goût Italien
> avec accompagnement
d'un violon & d'une baffe , fuivis d'une
Cantate à grande fymphonie. Dédiées
à M. le Marquis de l'Hôpital , Lieutenant
Général des Armées du Roi.
Par M. Ciampalenfi , ordinaire de la
Mufique du Roi . Prix des Ariettes
féparées 3 1. de la Cantate 1. 10 f. aux
adreffes ordinaires de Mufique .
LA GUITTARRE de bonne humeur
, ou Recueil de Vaudevilles badins
, avec accompagnement de guittare.
Par M. Merchi. Septiéme livre
de guittare. Euvre 10. Prix 6 livres .
A Paris , chez l'Auteur , rue du Rempart
S. Honoré près des Quinze-Vingts ,
chez un Tapiffier ; & aux adreffes ordinaires
de Mufique.
LES RÉCRÉATIONS chantantes
ou Journal Lyrique , contenant des airs
choifis dans les Opéra- Comiques , avec
accompagnement de violon , flute , ou
pardeffus de viole , notés fur la clef
MARS. 1763. 149
de G ré fol , & ajuftés de façon qu'on
peut les jouer en duo fur les inftrumens
; par M. Legat de Fourcy , Maître
de chant , & Organiſte de S. Germainle-
vieux fixiéme Recueil. A Paris ,
chez M. la Chevardiere , rue du Roule ,
à la Croix d'or. Prix , 3 liv.
,
CONCERTO pour le clavecin , avec
accompagnement de deux violons alto
viola & baffa , dédiés à Madame Coufzard
, compofés par M. Wondradfchek.
Prix , 6 liv , A Paris , chez l'Auteur
rue Mazarine , chez un Perruquier , &
aux adreffes ordinaires. La réputation
méritée de l'Auteur infpire un préjugé
très-favorable pour ce nouvel ouvrage .
2
SUPPLÉMENT à l'Article des Piéces
fugitives.
SUITE de la Traduction de MAL-APROPOS
, ou L'EXIL DE LA PUDEUR
, Poëme Grec.
QUATRIÈME CHANT.
L A nuit , fi chère à l'Amour & que
ce Dieu embellit fouvent de fes char-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
mes , impatiente de fe rendre à Paphos
, avoit preffé le Soleil de lui faire
place. Non qu'elle eût violé les loix
immuables de fon cours ; mais elle
avoit étendu les bords de fon voile
de telle forte , qu'à peine Phoebus touchoit
à l'humide empire , que fes
derniers rayons avoient été abforbés.
Une quantité prodigieufe de flam
beaux avoient fait un jour nouveau ;
& ce jour eft le vrai jour de Paphos.
A la lueur de ces Aftres factices , on
vit reparoître les Immortels Époux ; &
chacun deux fe rendit dans des cabinets
différens . Leur cour fe partagea
pour affifter à leur toilette. L'Hymen
vifita alternativement l'une & l'autre
lui-même avoit appellé la Galanterie ;
il l'introduifit à celle de l'Amour , &
les Grâces fe déroboient tour-à-tour
pour y paffer quelques inftans. La
toilette de l'Amour n'eft pas longue ;
il vola à celle de fa Pfyché , dans l'inftant
que par les mains de la Pudeur
elle achevoit de prendre une feconde
robe nuptiale d'un tiffu d'argent le plus
éclatant , que les Arts avoient parfemé
des tréfors de l'Orient. Les Grâces ,
empreffées autour d'elle , fe diſpu
toient le prix du goût ; & chacune en
-
MAR S. 1763. ISI
particulier s'applaudiffoit des ornemens
que la Beauté rend fi faciles à placer
& auxquels elle prête tant d'agré
ment.
Les toilettes étant finies , & les époux
encore plus parés de leurs charmes
que des ornemens qu'on y avoit ajoutés,
au milieu des lumières cachées dans
les feuilles & dans les fleurs , de ma
nière que les unes & les autres paroiffoient
produire la clarté ; cette troupe
charmante traverfa les jardins pour
retourner au Palais principal . Au - devant
, étoit dreffé un trône de brillans ;
plus éclatans que le Soleil , fous un
Pavillon de la plus riche pourpre de
Tyr , rayonnéé d'or & de diamans . Des
guirlandes de fleurs , artificiellement
imitées par les pierres les plus précieuſes
, en renouoient les pentes ; &
étoient foutenues par de jeunes zéphirs
dont les afles tranfparentes & orien
tées , s'accordoient harmonieufement
avec les couleurs du Pavillon . C'eſtlà
, que l'Amour & Pfyché fe placerent
pour voir la troupe agile des Plaifirs &
des Amours fe jouer alternativement ,
fur un canal de l'onde & du feu
que Vulcain avoit préparé pour le ter-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
de
vue ,
" rible Dieu de la Guèrre. Tantôt l'air .
embrafé offroit un fpectacle dont la vue
avoit peine à foutenir l'éclat & à fuivre
la variété des fcènes. Tantôt , par
des machines que les Arts avoient fournies
, l'Onde pouffée en jets à perte
étoit recueillie en l'air dans des
vâfes portés par les enfans aîlés qui ,
en la réverfant , lui donnoient mille
formes différentes ; la lumière étoit
telle dans ces fêtes qu'elle prêtoit
aux eaux l'apparence du criftal en fufion.
A ces jeux en fuccédoient d'autres
qui préfentoient l'image paffagère &
paifible des ravages & des embrafemens
qui , trop fouvent parmi les
Mortels , ne font qu'un jeu du Maître
charmant , qu'on amufoit alors
tour -à -tour le Tyran & le Dieu du
monde. Quelquefois on appercevoit
des traits de flâme , pénétrer , fans s'éteindre
, la profondeur des Ondes &
en faire fortir les froides Déités fur des
Conques galantes. Les Amours , qui
avoient lancé ces traits , menoient en
triomphe ces Dieux des eaux enchaînés .
Tout ce que les armes de l'Amour avoient
fait de conquêtes remarquables dans
l'Empire de Neptune , étoit rappellé
par des répréfentations animées. Chaque
MAR S. 1763. 153
1
partie de ces jeux , fi l'on vouloit les
bien peindre , fuffiroit à un Poëme
entier.
les
Plus puiſſant au Parnaffe que le Dieu
même qui y régne , l'Amour avoit appellé
les Mufes , & les Mufes s'étoient
empreffées à fignaler leur zéle ,, par
plus agréables effets de leurs talens. C'eft
à leurs foins qu'on devoit les preftiges
qui avoient figuré dejà les amours de
quelques Déïtés des eaux . Mais leur,
chef- d'oeuvre en ce genre étoit préparé
dans l'intérieur du Palais ; on s'y
rendit donc , pour jouir d'un nouveau
fpectacle qui ne cédoit a aucun de
ceux qu'on venoit de voir , mais dont ,
mon foible ftyle (a) ne pourra donner
qu'un trait aride & fans coloris.
CINQUIÈME CHANT..
Dans une des Salles les plus vaftes
du Palais , étoit difpofé un Théâtre
d'un genre & d'une forme dont notre
Grèce ne fourniroit que d'imparfaits
modéles toute la Cour de Paphos fe
raffembla dans ce lieu.
La Scéne n'étoit pas vifible aux Spec-
(a ) On fait que les Anciens nommoient ainf
fe poinçon avec lequel ils écrivoient fur les Tabletres
enduites de cire.
Gy
$4 MERCURE DE FRANCE.
1
ateurs , lorfqu'ils entrerent pour fe
placer ; on auroit eu peine à la foupconner
;on n'y voyoit qu'un fuperbe Amphitéâtre.
Mais à peine les deux Fpoux
y furent entrés , que la partie qui féparoit
la fcène difparut. On apperçut alors
un nouvel univers renfermé dans l'enceinte
de ce lieu ; des cieux , des mers ,
des campagnes , le terrible féjour des
enfers , & des Palais céleftes. La Nature
& l'Art magique , par leurs efforts réunis
, auroient peine à produire les prodiges
qu'offroit cette merveilleufe Scène.
Les Mufes s'étoient métamorphofées
fous diverfes formes , pour repréſenter
elles - mêmes les perfonnages d'un Drame
, dicté par Apollon , & qui retraçoit
en action les amours , les tourmens
& la félicité fuprême de la tendre Pfyché.
Cette repréſentation , qui n'étoit
point l'effet des Mafques groffiers en
ufage fur nos Théâtres ( b ) , étoit fi
fidéle , que Pfyché fut étonnée
fuite un peu inquiette de la Mufe qui
la repréfentoit : elle furprit les yeux de
l'Amour fouvent prêts à s'y méprendre ,
tant étoit parfaite l'illufion de la métaen-
(b) Sur les théâtres des Anciens les Acteurs
fe fervoient de mafques pour représenter les per
fonnages de leur Rôle.
MARS. 1763. 155
morphofe. Plus puiffante encore étoit
celle des accens qui renouvelloient
dans l'âme de Pfyché les fentimens
qu'elle avoit éprouvés. Ces accens
étoient dans un mode , & les vers dans
une mefure qui nous font encore inconnus.
Les chants , mariés à l'harmenie
de l'Orchestre , étoient apparemment
le langage même des Dieux pour
lefquels ce Spectacle étoit préparé. L'Amour
fourit à la vue de la Mufe qui
avoit emprunté fa figure ; il fe tourna
vers Pfyché pour confulter fon impreffion
; mais celle-ci , en portant fes
beaux yeux fur les fiens , lui dit , je
croirois voir l'Amour fur cette fcène
phantaftique , fil'Amour n'étoit à mes
côtés ; mais on ne peut jamais fe méprendre
à la fiction , que quand il ne
daigne pas fe montrer lui-même.
A l'endroit du Drame qui rappelloit
les tourmens de la jeune Pfyché ; au
terrible afpect des enfers , repréſentés
très-vivement , & fur-tout à l'impitoyable
menace de lui ravir la beauté ; cette
tendre amante , par un mouvement involontaire
, fe précipita dans les bras
de fon époux. Il en fut allarmé ; il
favoit mauvais gré aux Mufes du choix
de ces images douloureufes , pour une
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
fete confacrée aux plus doux plaifirs
Eh ! non , non , s'écria Pfyché , que
ne puis- je , tous les inftans de ma vie
immortelle , avoir un fouvenir auffi vif
des maux que j'ai foufferts pour vous.
On ne jouit bien des délices de l'amour
que par la mémoire des peines qu'elles
ont coutées. L'Amour cependant fit
dire aux Mufes par le Dieu du goût que
l'on fixoit trop long-temps l'attention
fur de fi funeftes tableaux . Auffi-tôt on
en vit fuccéder de plus riants : la clémence
de Vénus & la félicité des deux
amans en étoient l'objet. C'eſt alors que
Terpficore , par des danfes voluptueufes
& gayes , vint effacer l'impreffion pathétique
que fes foeurs avoient procurée .
SIXIÈME CHANT.
Un autre Sujet tout différent occupa le
théâtre. La fatyre s'en étoit emparé. La
Scène ne répréfentoit plus qu'une vaſte
mer. On vit fur fa furface s'élever plufieurs
Syrenes , dont les figures féduifantes
étoient auffi variées que leurs enchantemens.
Sans quitter l'humide fein de l'onde,
où plonge toujours la partie de leurs
corps, qui ne tient plus à l'humaine ſtruccture,
elles formoient par des entrelacemens&
des bondiffemens fur les flots , des
eſpèces de danfes , au fon de leurs chants
MARS. 1763, 157
,
mélodieux. Le tout refpiroit une volupté
fi dangereufe , que la plupart
des fpectateurs mêmes malgré la
force de leur divine exiſtence , en
étoient prèfque entraînés ; mais la plaifanterie
du Spectacle , qui furvint , fit
bientôt diſtraction à ce léger penchant,
en-
On apperçut des Barques fur cet
océan elles étoient , la plûpart , galamment
ornées , & paroiffoient chargées
de perfonnages qui repréfentoient
les principaux états de l'humanité. Ces
Barques n'avançoient pas toutes
femble on les voyoit d'abord dans le
lointain ; on remarquoit les mouvemens
oppofés qui fe paffoient entre des Nautoniers
expérimentés & des Paffagers
imprudens , qui les contraignoient à fe
détourner de leur route. Quelques Syrènes
fe détachoient pour aller au-devant
des Barques & fe faire voir de plus
près. Dès que les Barques en approchoient
les artificieufes Syrènes , ſe
replongeant dans l'onde , en reffortoient
à des diſtances éloignées. C'eft ainfi
qu'elles attiroient , par ces feintes refuites
, les Paffagers jufques dans certains
efpaces , où étoient cachés fous les
flots des filets plus déliés que les cheveux
de leurs blondes treffes , mais plus
158 MERCURE DE FRANCE.
infrangibles que l'acier de LEMNOS.On
diftinguoit dans ces diverfes Barques de
fuperbes Archontes , de graves Aréopagites
, des héros de Mars , des diſciples
de la Philofophie , enfin tous les
Ordres de la République , jufqu'à
d'auftères Sacrificateurs : chacun d'eux
difputoit avec foi-même quelques momens
; mais chacun d'eux veilloit l'inftant
où les patrons des barques détournoient
la vue , afin de fauter plus librement
dans ces flots empoifonnés , à
l'aide des mains perfides que leurs tendoient
les Syrènes . D'autres fembloient
s'y laiffer gliffer mollement , & comme
par diftraction , croyant apparemment
par-là fe dérober leur propre foibleffe
& s'épargner le reproche de leur chûte.A
peine ces divers perfonnages tomboient
en la puiffance des Monftres charmans
qui les avoient furpris , qu'ils étoient
enchaînés de fleurs. Les Syrènes en
avoient qui étoient enchantées pour chaquefens
en particulier ; de forte que ces
victimes fe trouvoient arrêtées dans toutes
les parties de leur être . Ainfi que
certains animaux carnaciers fe jouent
quelque temps de leur proie avant que
de la dévorer , telles ces femmes infidieufes
, faifoient en cent façons des
MARS. 1763. 159
jouets de leurs Captifs ; & par les formes
les plus ridicules qu'elles leur faifoient
prendre , elles les expofoient au
rire des Spectateurs , avant que de les
précipiter dans les abîmes de cet océan ,
Les jeunes étourdis de notre Grèce ne
furent pas les moins amufans des perfonnages
de cette comique Pantomime.
Les Syrènes les faifoient tourner avec
une rapidité incroyable autour d'elles :
elles avoient pour cela des fouets de
toutes les paffions , qui leur donnoient
à chaque inftant des impulfions contraires.
Elles changeoient enfuite ces
Etres en différentes efpèces d'animaux ;
elles s'amufoient de leur babillage en
perroquets ; elles leur faifoient répéter
à -peu-près ce qu'ils auroient dit fous
leur forme naturelle ; elles les faifoient
voler comme des Etourneaux , &
retomber dans la mer , où ils difparoiffoient
pour quelques momens. Enfuite ,
fous la forme de petits chiens , elles les
dreffoient fur le champ à plufieurs exercices
plus comiques les uns que les autres
; puis elles finiffoient par les tranfformer
en dogues furieux , dont les
rauques aboyemens étoient fuivis de
combats dévorans , qui fe terminoient
au gré du caprice de leurs cruelles maîtreffes.
160 MERCURE DE FRANCE.
>
De toutes ces Pantomimes , dont
Momus avoit concerté les fcènes , il n'y
en eut point de plus piquante que la
dernière. On vit approcher une Barque
plus confidérable que les précédentes ;
les flammes ou banderoles étoient de
pourpre de Tyr & de tiffus de l'or le
plus pur. A mefure que ce bâtiment
chargé d'un nombreux cortége , approchoit
des fpectateurs , on y découvroit
de nouveaux ornemens. Le Chef fe
diftinguoit fur tous les autres par l'éclat
des plus riches étoffes & des pierreries
dont il étoit couvert, On voyoit,
au mouvement perpétuel de fes mains ,
qu'il répandoit avec profufion toutes
fortes de richeffes aux Syrènes du fecond
ordre qui bondiffoient autour de
fa Barque , mais dont les charmes n'étoient
pas affez puiffans pour arrêter un
Dieu , car c'étoit le Dieu Plutus que
repréfentoit ce phantaftique perfonnage.
Il étoit alors en querelle avec l'Amour
& n'avoit point été appellé à ces fêtes.
Les Mufes , fouvent piquées des avançes
humiliantes qu'elles font à ce Dieu
& du dédain dont il les reçoit ,
avoient faifi cette occafion de vengeance.
On reconnoiffoit Plutus non-
>
feulement à fa fplendeur , mais à une
MARS. 1763.
161
certaine pâleur livide , qu'il porte luimême
fur le vifage , & qu'il communique
à fes favoris , abforbés dans le
foin d'accumuler & de conferver les
tréfors qu'il leur confie . Trois des principales
Syrènes attendoient cette précieufe
proie avec une nonchalance affectée
, qui leur en affuroit davantage
la conquête . Elles formerent alors des
concerts fi touchans ; elles prirent des
attitudes fi enchantereffes , que l'âme
d'aucun Mortel n'eût pu foutenir , fi
l'on ofoit le dire , le poids délicieux
de cette volupté. L'âme du Dieu des
Richeffes ne fut pas inacceffible. Les
Syrènes avoient ajouté à leurs enchantemens
ordinaires le charme d'un parfum
plus fort que celui qu'on offre aux
autres Dieux , & dont l'yvreffe eft inévitable.
Plutus reçut en apparence
l'hommage des trois Syrènes , qui ne
faifoient que prêter à fa vanité un léger
tribut dont il alloit les dédommager
par celui de toutes fes poffeffions . Les
Syrènes éleverent les bras vers lui ; il
s'inclina pour recevoir leurs embraffemens.
Bientôt elles l'eurent enlevé de
fon bord , & la Barque avec tout le
cortége difparut au milieu de la troupe
des autres Syrènes. Les principales Ac
162 MERCURE DE FRANCE ,
>
au moien
trices de ce jeu foutinrent quelque
temps Plutus fur leurs bras , puis , par
un badinage enjoué , elles le plongerent
dans les eaux enchantées. C'eft alors
qu'on ne peut compter toutes les tranfformations
burlefques par lefquelles on
le fit paffer. La dernière amufa particuliérement
la Cour du Dieu de Paphos.
On vit reparoître la tête de Plutus
fur la fuperficie de l'eau . Les trois
Syrènes , alternativement
d'un petit foufflet dont elles lui avoient
pofé le tuyau dans la bouche , gonflé
rent cette tête au point que toute fa
forme difparut , pour faire place à un
globe que l'air feul rempliffoit. Les Syrènes
alors s'écartérent ; & fe rejettant
en l'air l'une à l'autre ce globe de vent,
elles donnerent le Spectacle riant d'un
exercice très-agréable , jufqu'à ce que
ces jeux ayant affez duré , les Syrènes
fe plongerent avec leur proie au fond
de l'Océan. La Scène fe referma fubi
tement telle qu'elle avoit été avant le
Spectacle , & toute la cour des deux
époux les fuivit à la Salle du Banquet.
-
SEPTIÉ ME CHANT. f
Je ne décrirai point le lieu délicieux
& brillant deftiné au Banquet des Di
MARS. 1763. 163
vinités de Paphos. Je ne ferai point
l'énumération des mets exquis dont
Comus avoit dirigé la compofition &
l'ordre des fervices. Lorfque les Dieux
habitent la Terre , ils fe plaifent à ufer
de la nourriture des Mortels , ainfi que
des autres plaifirs que leur bonté fouveraine
a attachés à chacun de nos
fens. Ce qui eft plus important à mon
Sujet ce font les rangs des principaux
convives ; l'Hymen avoit de droit le
premier il étoit placé entre les deux
Epoux. Ce fut lui qui pofa fur leurs
têtes les couronnes en ufage dans les
feftins.
Chaque affemblée , chaque événement
tant foit peu folemnel , fait naître
dans les cours fublunaires une multitude
de conteftations . Les Cours Céleftes
n'en font pas plus exemptes. Cependant
celle de l'Amour dans fes fêtes
particulières eft très-facile fur l'étiquette
; mais l'Hymen préfidoit à celleci
& l'Hymen , ( Tyran jufques dans
les Plaiſirs , ) eft le premier qui ait introduit
les graves minucies du cérémonial.
Plus cérémonieufe que toute autre
& plus délicate fur les frivoles honneurs
la Pudeur reclama en cette occafion
la place que la Volupté vouloit
164 MERCURE DE FRANCE .
occuper auprès de Pfyché. Toujours
fière par humeur autant que par état ,
fouvent querelleufe par orgueil pour
des prérogatives qu'elle céderoit par
goût , cette majeftueufe Pudeur implora
l'autorité de l'Hymen , & l'Hymen
prononça en fa faveur. Pour confoler
la Volupté , l'Amour la fit mertre à fes
côtés . L'Amour déféroit encore aux
droits des premiers jours de l'Hymen.
O Hymen de combien d'années d'outrages
& d'affronts tu payes fouvent
les vaines déférences que tu éxiges
dans tes jours de Fêtes folemnelles ! La
place de Bacchus étoit marquée à la
droite de l'Amour. Ainfi la Volupté ne
fe crut point déplacée d'être entre eux.
Comus de l'autre côté fe rencontroit
près de la Pudeur. La vénérable Matrone
vit cet arrangement avec quelque
complaifance ; car de tous les Dieux
qui compofoient cette Cour , le délectable
Comus étoit celui avec lequel elle
7.
fe
permet un peu plus de familiarité .
Les Mufes étoient à la même table , &
Momus avec elles. Les Grâces avoient
refufé galamment de prendre place ,
pour fe réſerver le plaifir de fervir les
nouveaux Époux . Des Bacchantes chorfies
environnoient le lit de Bacchus.
MARS. 1763. 165
Chaque convive avoit un des demi-
Dieux de cette Cour, attaché au foin de
prévenir fes moindres defirs. Quelques
jeunes filles & quelques jeunes garçons
de Paphos , confacrés au temple , étoient
admis au même office..
D'autres tables raffembloient le refte
de la Cour , & la Gayeté , voltigeoit
alternativement des unes aux autres ;
tandis que dans l'intervalle des fervices ,
les Mufes faifoient entendre leurs concerts.
Bacchus ne contribuoit pas peu à
l'agrément de ce Banquet. Après les
premières coupes du nectar célefte , il
propofa le nectar de la Terre ; on en
avoit apporté de toutes les régions du
Monde. Ce fut la première fois que
dans une Ifle de la Gréce on goûta
d'un vin recueilli dans les climats barbares
des Gaules . Bacchus l'avoit fait
réſerver pour cette fête ; il voulut que
la Gayeté fe chargcât feule de le verfer.
Cette liqueur petillante comme elle , en
étoit l'image. Il en fit préfenter par
l'Amour à la belle Pfyché , dans une
coupe du plus pur criftal ; la févère
Pudeur crut qu'il étoit des fonctions de
fa charge d'examiner ce breuvage inconnu
, & voulut arrêter la main de la
jeune Epcufe prête à porter la coupe
66 MERCURE DE FRANCE .
fur fes lévres : mais celle -ci , en regar
dant avec une douce ingénuité la févère
Matrône , but la coupe fans héfiter ;
puis s'adreffant à elle , lui dit : O ! refpectable
Pudeur ; ce qui m'eft préfenté
par l'Amour ne peut m'être fufpect
& ne doit pas vous allarmer , puifque
l'Hymen ne s'y oppofe pas. L'Amour
paya du regard le plus tendre ce que
venoit de dire Pfyché , & l'Hymen luimême
ne put refufer d'y foufcrire. Bacchus
fit alors un figne à Comus , &
tous deux de concert engagerent la
Pudeur à vuider plufieurs coupes de la
même liqueur , à l'ombre de fon voile ,
qu'elle avoit rabaiffé. La Gayeté derrière
elle , en éclatoit de rire , & Momus ,
avec les Mufes préparoit déja des chanfons
à ce fujet. Mais ce filtre n'eut qu'un
effet momentané. La Pudeur en devint
un peu moins trifte , fans oublier les
entreprifes que projettoit fon indifcret
orgueil , au milieu de la galanterie de
ces Fêtes.
HUITIEME CHANT .
Malgré l'impatience de l'Amour , la
joie & le plaifir prolongerent le feſtin
jufques affez avant dans la nuit . Enfuite
les époux pafferent chacun dans leurs
appartemens particuliers , où ils furent
MARS. 1763. 167
conduits en pompe , au fon de divers
inftrumens , & au bruit des acclamations
univerfelles ; après quoi on les
laiffa en liberté. La chambre dans laquelle
devoient fe réunir les deux époux
avoit à - peu - près la forme d'un temple.
Sous une rotonde la Volupté
y avoit fait préparer le lit nuptial. ” Il
étoit fermé d'une double enceinte de
baluftres fur laquelle bruloient des
parfums céleftes , dans des caffolettes
d'or. Un double pavillon couvroit les
deux Enceintes. La lampe fatale , qui
avoit tant caufé de larmes à Pfyché ,
& qui fut cependant la fource de fa
félicité , avoit été fufpendue par la Volupté
au ciel du pavillon intérieur , avec
un tel artifice , que fans en appercevoir
la flamme , fa lumière réfléchie
éclairoit le lit d'un jour fi doux & fi
voluptueux , que cet aftre nouveau du
myftère faifoit craindre le retour de
l'aftre brillant qui anime & féconde
l'univers ,
L'Amour paffa le premier dans cette
chambre il étoit précédé d'une troupe
d'enfans ailés , portans devant lui leurs
flambeaux allumés, Le fien étoit entre
les mains de la Volupté. Elle entra feule
avec l'Amour dans l'enceinte intérieu168
MERCURE DE FRANCE
re. La troupe badine des enfans de Cythère
fe difperfa dans les avenues . Pfyché
, pour fe rendre en ce lieu myftérieux
étoit foutenue par l'Hymen
d'une main , & de l'autre par la Pudeur.
>
Il paroiffoit que tout alloit fe paffer
dans l'ordre antique & confacré par
l'ufage , fuivant lequel la Pudeur conduifoit
l'Epoufe jufques à la chambre
nuptiale , retiroit les voiles qui la couvroient
, l'attendoit le lendemain pour
les lui rendre & ne la pas quitter pendant
le reste du jour. On avança donc
jufques à la première enceinte fous le
grand pavillon extérieur. Le Mystère ,
exact & fidele , gardoit l'entrée du fecond
, dont il tenoit les rideaux fermés.
Les Graces attendoient que la Pudeur
enlevât les voiles qui enveloppoient la
belle Pfyché , pour la porter dans leurs
bras fur le lit nuptial. La Pudeur au
contraire s'avança impérieufement pour
pénétrer dans la dernière enceinte
malgré les efforts du Myftère , qui en
défendoit l'entrée. L'Amour reclama
avec impétuofité contre la violence
qu'on éxerçoit dans l'afyle facré de fon
fanctuaire. L'Hymen , dont la main
pefante brife fouvent l'édifice dont il
>
veut
MARS. 1763. 167
veut pofer les fondemens , l'Hymen
prétendit que ce fanctuaire étoit le fien ,
& que lui feul devant y donner des
loix , il vouloit que la Pudeur y préfidât.
Il menaçoit de fufpendre la fin de l'hymenée
, & de remener fur le champ
Pfyché dans l'Olympe , attendre la décifion
des Dieux affemblés. Ce n'étoit pas
la première fois que l'Hymen avoit commencé
par intimider l'Amour : ce n'étoit
pas la première fois que ce dernier avoit
fini par s'en venger cruellement. Il ſefe
réferva cette reffource , & feignit encore
de céder pour cette fois. La Pudeur
encouragée par ce premier triomphe ,
porta fes prétentions jufqu'à vouloir
paffer la nuit dans la dernière enceinte ,
où la Volupté feule avoit le droit de
veiller. La Volupté , affez douce naturellement
, devint furieufe & fe récria
contre cette entreprife. Il fut réglé que
la Pudeur veilleroit dans la première
enceinte , affez près néanmoins pour
que la nouvelle Epoufe pût toujours entendre
fa voix. La cruelle gouvernante
en abuſa tellement , qu'elle ne ceffoit
de l'appeller & de lui répéter des leçons
déplacées , fur lefquelles ni les reproches
impatiens de l'Amour , ni les cris de la
Volupté , ne pouvoient impofer filence .
H
170 MERCURE DE FRANCE .
Les Grâces craintives s'étoient difperfées
au premier bruit de la querelle
& les ordres de l'Amour même auroient
eu peine à les rappeller.
Enfin cette nuit de trouble & d'al- ·
larmes fit place au jour. L'opiniâtre Matrone
reconduifit Pfyché à fon appartement.
Trop nouvelle Déeffe pour connoître
toutes les prérogatives de fon
état , Pfyché flottoit entre la foumiffion
que la févère Pudeur exigeoit
d'elle , & la douleur amère d'affliger
l'Amour. De nouvelles fêtes embellirent
cette fecondejournée : ce qui l'embellit
encore plus , fut la préſence de Vénus,
qui vint vifiter les époux . Son fils fe
plaignit à elle de la tyrannie que l'Hymen
& la Pudeur entreprenoient d'exercer
fur lui-même , jufques au centre de
fon empire & de celui de fa mère. La
Déeffe , fenfible aux plaintes de fon
fils , lui promit que dès que les fêtes
préparées par Terpficore , pour l'entrée
de la nuit fuivante , auroient pris fil ,
elle remonteroit à la cour célefte faire
parler leurs communs droits , contre les
ennemis fecrets qu'ils avoient appellés
eux-mêmes dans leurs états . Diffimulez
, dit- elle , mon fils , paroiffez toujours
obéir , c'eft le plus für moyen que
MARS. 1763: 171
Amour & la Volupté puiffent prendre
pour détruire le pouvoir de l'Hymen
& de la Pudeur.
La feconde foirée fut plus prolongée
encore que la première. Les amuſemens
de Therpficore ayant occupé long-temps
une cour charmante , qui fe livroit au
plaifir dans l'ignorance des fecrets chagrins
qui en agitoient les chefs. Vénus ,
en retournant à l'Olympe , feignit de
quitter PAPHOS pour quelque temps.
La pudique Matrone en conçut l'efpoir
d'un nouveau triomphe ; car la préfence
de Vénus étoit contraire à fes projets.
Dès la nuit fuivante , après le cérémonial
de la veille , elle avoit repris fa
place ordinaire ; mais n'ayant pû fe
défendre d'un léger fommeil , qu'avoit
peut-être occafionné l'exercice , quoiqu'affez
froid, de quelques danfes qu'elle
s'étoit permife , elle fe réveilla tout-àcoup
; & dans le dépit de la négligence
qu'elle fe reprochoit , elle voulut la réparer
avec éclat. Elle ouvrit , ou plutôt
déchira les rideaux de l'enceinte facrée.
Le Myfière alla chercher fa retraite dans
ceux du lit des Epoux , & la Volupté
indignée quitta la place . L'Amour en
ce moment ufa de cette perfide douceur
qu'il fait fi bien employer quelque-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
fois , & ne fit à fon ennemie que de
tendres plaintes , qui encouragerent
encore fa fermeté .
(.
Cependant la Volupté éplorée avoit
répandu l'allarme dans l'intérieur du Palais
: elle gémiffoit avec les Grâces du
fort de leur maître , lorfqu'une lumière
céleste annonça le retour de Vénus.
Elles rentrerent avec elle dans la chambre
de l'Amour. A fon afpect , la Pudeur
troublée voulut fe retirer. Arrêtez.
, dit Vénus, arrêtez , imprudente maîtreffe
, pour écouter l'ordre fuprême des
Dieux. Si je vous euffe trouvé dans les
bornes prefcrites à votre emploi , mon.
pouvoir étoit limité , j'étois contrainte
à foutenir le vôtre jufques dans mon
propre empire mais vous avez paffé
ces bornes immuables votre injufte
ufurpation vous foumet à mon fils & à
moi , c'eft à lui que les Dieux ont déféré
le droit de prononcer. La Pudeur,
rougiffant de colère & de confufion , ſe
retira pour aller attendre fon arrêt : il
ne fut pas différé. Après avoir confulté
un moment avec fa mère , l'Amour fit
déclarer à la vénérable Pudeur , par la
bouche même de fon ennemie ( la Volupté
) , qu'elle eût à quitter fon empire
pour n'y jamais reparoître : c'étoit l'exi-
•
fe
MARS. 1763. 173
ler de la terre. Quelle région habitée
n'eft pas l'empire de l'Amour ?
>
Ainfi , pour avoir voulu MAL - APROPOS
ufurper des droits que l'Amour
ne devoit pas céder , la Pudeur en perdit
que l'Hymen même ne put lui rendre:
& l'Amour de fon côté perdit l'avantage
flatteur de la victoire , dans prèfque
toutes fes conquêtes. Perfonne n'y gagna
; la Volupté elle - même s'ennuya
bientôt de fes triomphes , & fe trouva
fatiguée de l'exercice d'un pouvoir fans
bornes & jamais contredit .
Depuis cette fatale époque , quelques
foins qu'ayent pris les Dieux pour réconcilier
la Pudeur avec l'Amour , il
veut toujours l'exiler des lieux où il
donne des loix & la Pudeur ne fait
prèfque jamais lui céder ou fe défendre
›
que MAL- A- PROPOS.
» Toi feule , fage & tendre Delphire!
> toi feule as pû donner afyle à ces deux
» ennemis dans une paix inaltérable .
» C'eſt ce bienfait des Dieux qu'a voulu
>> confacrer ma Mufe . Plus cette faveur
» deviendra rare dans les fiécles futurs
»
plus on admirera ta gloire & le
» bonheur de ton amant .
Par M. D L. G.
Hij
174 MERCURE DE FRANCE .
J'AI
A Mad... L. D... De......
'AI promis à mon Roi d'être fon Chevalier ,
Et dès long- temps je fuis le vôtre ;
Par ce double ferment je viens de me lier.
Je fuis fûr & jamais je ne veux l'oublier ,
En fervant l'un , de plaire à l'autre .
Parunjeune Chevalier de l'Ordre de S. Louis.
ARTICLE V.
SPECTACLES.
SPECTACLES DE LA COUR A VER
LE
SAILLES .
E. Mardi 1 Février les Comédiens
François repréfenterent le Glorieux ,
Comédie en cinq Actes & en vers du
feu fieur NÉRICAULT DESTOUCHES .
Le fieur BELCOUR y jouoit le principal
rôle ( a ) . Pour feconde Piéce les
Orignaux , Comédie en un Acte , en
profe , du feu fieur FAGAN (b).:
( a ) Premiére Repréſentation en 17321
(b ) En 1737.
MARS. 1763 . 175
Le Mercredi il n'y a point eu de
fpectacle à caufe de la Fête.
Le Jeudi les mêmes Comédiens re-
3
préfenterent Zulime , Tragédie du fieur
de VOLTAIRE (c) . La Dile CLAIRON
jouoit le rôle de Zulime. La Dlle Du-
BOIS celui d'Atide ; la Dlle PRÉVILLE
celui de Serame. Les rôles de Benafar
& de fon confident étoient remplis par
les fieurs BRISART & DUBOIS : ceux
de Ramir & du Confident, par les fieurs
le KAIN & d'AUBERVAL. La Tragédie
fut fuivie de l'Indifcret , Comédie
en un Acte en vers du même Auteur
(d) .
Le Mardi 18 on repréfenta l'Efprit
follet , Comédie en 5 Actes & en vers
du feu fieur HAUTEROCHE (e) , qui
fut fuivie du Cocher fuppofé (f) , Comédie
en un Acte & en profe du même
Auteur .
Le lendemain 9 les Comédiens Italiens
repréſenterent la Cantatrice , Comédie
Italienne , dans laquelle la Dile
PICCINELLI exécutoit le rôle de Cantatrice.
Cette Comédie précédoit Ver-
(c) En 27 40.
( d ) En 1725 .
( e )En 1684.
(f)Dans la même année.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
tumne & Pomone , ballet en un A&te ,
extrait du ballet des Elémens ) repréfenté
par l'Académie Royale de Mufique,
conjointement avec la Mufique du
Roi. Le Poëme de ce Ballet eft du fieur
Roy , Chevalier de l'Ordre de S. Michel.
La Mufique , du feu fieur DESTOUCHES
. Les rôles de Vertumne & de
Pan furent exécutés par les fieurs GELIOTE
& GELIN ; celui de Pomone
par la Dile ARNOULD . Les Grâces &
l'expreffion des chants de ce ballet , l'efprit
& l'agrément qui régnent dans le
Poëme , les talens fi connus & fi admirés
des Acteurs qui en rendoient les
principaux rôles , tant de charmes réunis
ne pouvoient manquer de plaire & de
rendre cette repréfentation très-agréable.
La Dlle LANI danfoit feule une
principale entrée dans les Bergeres . Le
fieur CAMPIONI & la Dlle DUMONCEAU
un pas de deux. Les fieurs LAVAL
& GARDEL danfoient dans les
Faunes , ainfi que les fieurs d'AUBERVAL
, GROSSET & CAMPIONI. Le
fieur LANI & la Dlle ALLARD exécutoient
les principales entrées dans les
Paftres.
Le Jeudi io , les Comédiens François
repréſenterent Mérope , Tragédie du
fieur de VOLTAIRE , dans laquelle la
MARS. 1763. 177
Dlle DUMESNIL joua le rôle de Mérope.
(g).
Pour feconde Pièce le Galant Coureur
, Comédie en un Acte en profe du
feu fieur le GRAND ( h ) . Le fieur Mo-
LÉ y jouoit le principal rôle.
Le Mardi 15 , dernier jour du Carnaval
, par extraordinaire , les Sujets de la
Comédie Italienne exécuterent à la
Cour deux Opéra- Comiques ; le Roi &
le Fermier , Paroles du fieur SEDAINE ,
Mufique du fieur MONCIGNI & On ne
s'avife jamais de tout.
On donnera dans le Mercure prochain
le Journal des autres repréfentations
jufques à la clôture .
N. B. Nous n'avons fait qu'annoncer
fommairement , dans le précédent
Vol. les premiers BALS DE LA COUR.
Nous ne doutons pas que nos Lecteurs
n'en defirent une relation détaillée jufques
à la fin du Carnaval : mais comme
ce genre de Spectacles doit à tous égards
être diftingué des repréfentations theatrales
dont nous venons de rendre compte
, on en a fait un Article particulier
que l'on trouvera après notre Article des
Théâtres & autres Spectacles ordinaires.
(g) Première fois en 1743 .
(h) En 1722 .
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES DE PARIS.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Mufique
a remis au Théâtre le Mardi 22 Février
TITON & L'AURORE, Paftorale Héroïque
en en 3 A&tes, précédée d'un Prologue,
dont le Sujet eft PROMETHEE animant
des Statues d'hommes & de femmes.
avec le feu du Ciel qu'il a dérobé.
Cet Opéra a été repréfenté pour la
première fois , au mois de Janvier 1753-
Il eut alors le fuccès le plus éclatant &
le plus longtemps foutenu , qu'on ait
vu fur ce Théâtre. Une époque mémorable
, mais affligeante pour les Amateurs
de ce Spectacle , ajoute encore à
fa célébrité , en ce que cet Opéra a été
le dernier dans lequel M. GELIOTE
a chanté fur le Théâtre de Paris.
Le Public a prouvé dès la première
repréfentation de cette Remife que l'ouvrage
devoit à fon propre mérite , &
non pas aux circonftances , l'avantage
de lui plaire. M. PILLOT qui joue le
rôle de Titon , eft applaudi avec juftice
dans plufieurs endroits éffentiels de ce
}
MAR S. 1763. 179
rôle. La mémoire récente encore de
M. GELIOTTE , & renouvellée journellement
par les repréſentations de la Cour
eft une ennemie qui fait honneur , même
en triomphant , au talent & à l'application
de M. PILLOT , bien moins
fecondé par l'organe que fon célébre
Prédéceffeur. Mlle LE MIERRE ( époufe
de M. LARRIVÉE ) fans avoir eu
les mêmes obftacles de comparaifon à
vaincre fe fait beaucoup d'honneur
dans le rôle de l'Aurore qu'elle chante
& qu'elle joue avec un égal fuccès . Les
rôles de Palès & d'Eole , quoique moins
intéreffans dans le fujet que les deux précédens
, font beaucoup d'effet , & font
très -bien rendus ; le premier , par Mlle
CHEVALIER ; l'autre , par M. GELIN .
Ce dernier eft particuliérement très -applaudi
dans le grand morceau du fecond
Acte Vents furieux , &c , dans
lequel fa belle voix eft déployée avec
tous fes avantages. Mais ce qui , avec
beaucoup de plaifir , fait l'étonnement
& l'attention du Public , c'eſt la manière
dont M.MUGUETchante la célébre Ariette
du Dieu des coeurs & c . On peut avec
autant de juftice lui attribuer ce que
nous venons de dire à l'occafion de
H⋅ vj
180 MERCURE DE FRANCE .
M. PILLOT , puifque cette Ariette étoit
exécutée par M. GELIOTE , & faifoit ,
une partie très - brillante du rôle de
Titon . On doit ajouter au fujet de
M. MUGUET qu'en donnant de juftes
éloges aux foins qu'il a pris de
chanter avec art ce Morceau , il eft redevable
auffi à l'avantage de fa voix du
plaifir que le Public trouve à l'entendre.
Cette favorable circonftance doit
fans doute encourager ce Sujet à redoubler
d'efforts & d'application pour
profiter du même avantage dans d'autres
occafions , & pour faire valoir par le
talent la faveur que la Nature lui a donnée
du côté de l'organe.
Nous ne parlerons point des parties
acceffoires dans cet Opéra ; les vers
& la Mufique fuffifent au fuccès de
l'ouvrage .
Les vers du Prologue font de feu M.
de la MOTHE . Le Poëme de feu M. de
la MARRE , Auteur du Poëme de Zaïde
(a ) . La Mufique de M. de MONDONVILLE
.
(a ) Nous ignorons par quel motif dans l'édition
des paroles de cet Opéra , on n'a fait ,
contre l'ufage , mention uniquement que de
l'Auteur de la Mufique. Comme nous n'avons
aucune raison pour priver la mémoire de feu M.de
MAR S. 1763. 181
L'Extrait du Poëme fe trouve au Mercure
de Février 1753 .
On continue les Fêtes Grecques &
Romaines les Jeudis. Le Public y entend
avec beaucoup de plaifir entr'autres
talens de ce Théâtre M. LARRIVÉE
dans le rôle d'Alcibiade , ainfi que
dans le rôle de Prométhée au Prologue
de Titon & l'Aurore.
laMARRE de la gloire d'un ouvrage auffi agréable,
nous avons cru , conformément à tous les Journaliſtes
& les Bibliographes de ce Théâtre, devoir
la lui reftituer ici.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE 26 Février on joua pour la 17°
repréſentation Dupuis & des Ronais
Comédie dont nous avons déja parlé
dans le Mercure précédent. Il eft , depuis
longtemps fi peu d'exemples d'un
pareil nombre de repréſentations
fur ce
Théâtre , que cette feule circonftance
fair mieux que tout ce que nous
pourrions ajouter , l'éloge le moins
fufpect de cet Ouvrage. L'analyfe
que nous en donnons ici , n'eft que
pour fatisfaire la première curiofité des
182 MERCURE DE FRANCE :
Lecteurs qui n'auroient pu fe procurer
l'édition de cette Piéce. Quand nous
aurions étendu davantage notre Extrait ,
nous aurions toujours fait perdre trop de
plaifir aux Lecteurs & fupprimé trop
de beautés dans le coloris de l'Ouvrage
, pour difpenfer de recourir à l'Ouvrage
même .
MARS. 1763.
183
EXTRAIT
DE DUPUIS ET DES RONAIS,
Comédie en trois Actes en vers libres ;
par M. COLLÉ , Lecteur de Monfeigneur
le Duc d'ORLÉANS.
PERSONNAGES.
M. DUPUIS , homme de Finance ,
père de MARIANE ,
MARIANE , fa fille , amoureuſe
de DES RONAIS ,
ACTEURS.
M. Brifard.
Mlle Gauffin.
M. Mollé
DES RONAIS , auffi Financier ,
amoureux de MARIANE ,
CLÉNARD , ci- devant Précepteur du
feu neveu de DUPUIS , M. Dubois
GASPARD , Notaire , M. d'Auberyal
LAVIOLETTE , Valet de Chambre .
La Scène eft à Paris , dans le Salon de M. Dupuis.
LE
E vieux . Dupuis a deſtiné fa fille à
Des Ronais . Les deux Amans , qui s'aiment
avec une égale tendreffe , n'afpirent
qu'après le jour de leur union ,
& fe flattent que cet hymen n'eft pas
éloigné. Mariane a vingt - cinq ans :
184 MERCURE DE FRANCE.
2
Dupuis approuve leur amour & defire
ce mariage ; il a engagé Des Ronais
qu'il aime , à venir demeurer dans fa
maifon il fe dépouille en fa faveur
d'une Charge de Finance qu'il a occupée
l'espace de trente- deux ans; il a fait venir
un Notaire ; Des Ronais & Mariane
ont ordre de fe rendre dans fon appartement
; tout cela femble annoncer un
mariage prochain , & ce mariage néanmoins
paroît devoir être encore différé
; en voici la raifon.
DUPUIS.
A cet hymen fije donnois les mains ,
Abandonné dans ma vieilleſſe ,
Réduit à cet état dont j'ai cent fois frémi ,
Jevivrois feul & mourrois de trifteffe ,
De perdre en même temps ma fille & mon ami.
C'eſt cette juſte défiance
Que je renferme dans mon fein ,
Dont j'épargne à leur coeur la trifte connoiffance ,
Qui ne feroit qu'augmenter leur chagrin ;
Et pour donner en apparence
Quelque motif à mes délais ,
Sur les exploits galans j'attaque Des Ronais.
Ce n'eft qu'un voile adroit pour couvrir le myf
tère
Que de mon fecret je leur fais.
C'est dans ces quatorze vers qu'eft
MARS. 1763. 185
>
renfermé tout le fujet de cette Comédie.
Dupuis , pour juſtifier ſes délais , dont
il vient d'expofer le motif, attribue à
Des Ronais des intrigues galantes qui
pourroient faire le malheur de fa fille
fi elle devenoit fon époufe. Cette galanterie
de Des Ronais n'eft pas une
pure fuppofition ; & les bruits qui s'en
répandent ne font point fans fondement.
On fait qu'une Comteffe lui a fait
des avances , auxquelles il a paru répondre
; & le hazard veut qu'une Lettre
de cette femme à Des Ronais tombe
entre les mains du vieux Dupuis , qui
triomphe d'avoir cette piéce à oppofer
aux inftances des deux Amans. La Scène
où il leur fait part de cette Lettre , a
paru un chef-d'oeuvre. Nous en rapporterons
quelques traits qui pourront en
donner une idée.
DUPUIS à Mariane,
Ecoute
Le billet qu'on écrit à cet homme galant : -
Tu verras que tantôt j'avois raiſon fans doute.
Pour l'époufer fi vîte il eft trop fémillant .
( il veut lire. )
Ce Lundi.....
DESRONAIS ,l'interrompant , & le tirant par la
manche , en fe cachant de Mariane ; & voulant
l'empêcher de lire,
186 MERCURE DE FRANCE .
Eh !par grace ! ...
DUPUIS , fecouant la tête.
Oh ! non pas. Sans votre façon dure ,
Vos reproches amers fur ma mauvaiſe foi ,
Ce n'eût été qu'entre vous feul & moi,
Que j'euffe fait cette lecture.
Mais , pour me difculper de tous mes torts , je voi
Qu'à ma fille , à préfent , malgré moi je la doi .
( Se retournant vers fa fille . )
Lifons donc , pour cela , la lettre de la Dame.
( Illie. )
Ce lundi.
Comment donc depuis plus d'un mois , vous
tournez la tête à votre Comteffe ; & il y a huit
grands jours qu'elle n'a entendu parler de vous.
Voilà une bonne folie ! ceci auroit tout l'air d'une
rupture , fi je voulois y entendre ; furtout depuis la
dernière lettre que j'ai reçue de vous , & qui etoit
fi gauche. Mais finiffons ceci ; les ruptures m'excédent
; tout cela m'ennuie ; &je vous pardonne .
Au fond , pourtant , c'eft une bonne femme !
Quelle clémence ! la belle âme!
( Il continue de lire. )
C'eftjeudi lejour de ma loge à l'Opéra ; " venezy.
Je reviens exprès de la Campagne , cejour-là ,
pour fouper avec vous ; je vous menerai & vous ramenerai
. A jeudi , donc ; je le veux ; entendezvous
queje le veux ? Tâchez de quitter vos Dupuis
de bonne heure.. S'interrompant , vos DUPUIS ?
VOS
Je vous défends , furtout , de me parler de cette
MARS. 1763. 187
petite fille , ( II ôte fon chapeau à Mariane ) , &
de m'en dite tant de merveilles . Il y a dequoi en
périr d'ennui ; ou , ce qui feroit cent fois pis encore
, il faudroit en devenirjaloufe. A jeudi , mon
cher Des Ronais . Rancune tenanté , au moins .
( Il les regarde, & ils reflent tous un moment fans
parler. )
Qu'est- ce ? .... Eh bien !
pétrifiés !
... Vous voilà tous deux
Ma fille , vous voyez , fans que je le prononce ,
Tous mes délais juſtifiés .
( A Des Ronais , en lui remettant la lettre de la
Comteffe .)
Comme un homme poli , vous vous devez
réponſe
>
A ce billet galant , vif & des plus inftans :
Et pour la faire , moi , je vous donne du temps :
Mais , mais , beaucoup ; .... un temps confidérable.
MARIANE ,
du ton du fentiment.
Quoi ; vous me trompiez ? Vous ! Quoi ! vous ,
Des Ronais , vous !
DUPUIS , d'un ton de gaîté .
Eh ! vraiment , il nous trompoit tous !
DES RONAIS , d'un air modefte & affligé.
Eh ! Monfieur ! eft- ce à vous de me trouver cau➡
pable ?
J'aurois bien des moyens pour me juftifier :
Si je n'avois en vous un Juge qui m'accable ,
188 MERCURE DE FRANCE.
Et qui ne veut que me facrifier.
MARIANE.
avec un peu de dédain.
Vous vous juftifiriez !
On peut l'en défier.
DUPUIS , d'un air triomphant .
DES RONAIS , vivement.
Non , vis-à- vis de vous , divine Mariane ,
Je ſuis un criminel qui tombe à vos genoux;
Je mérite votre courroux ;
Et moi- même je me condamne ,
Je m'abhorre. Qui? moi ! ...J'ai pu bleffer l'amour! ..
L'amour que j'ai pour vous ! par un juſte retour ,
Punillez - moi , foyez impitoyable ;
De votre colère équitable
Faites-moi fentir tous les coups ,
Je ne m'en plaindrai pas. Mais vous , Monfieur ,
mais vous !
Si vous ne cherchiez pas des prétextes plaufibles ,
Four pallier vos réfus éternels ,
Tous mes torts , à vos yeux , feroient moins
criminels ,
Ils feroient moins irrémiſſibles.
DUPUIS.
DESRONAIS.
Vous le
croyez ?
Oui ,fans cela , Monfieur ,
Nous ne me feriez pas un crime d'une erreur ,
Quel'on pardonne à l'âge , & qu'il m'a fait come
mettre.
MARS. 1763. 189
Vous me juftifiriez vous -même , & par la lettre ,
Dont ici , contre moi , vous venez d'abuſer.
Dupuis marque fa ſurpriſe .
Rien n'eft plus vrai , vous avez trop d'ufage ,
D'habitude du monde , & vous êtes trop fage ,
Pour que ce vain écrit , qui fert à m'accufer,
Ne pût , fi vous vouliez , tourner à m'excuſer.
Examinons- le , & voyons ce qu'il prouve,
Voici d'abord ce que j'y trouve :}
( Il lit. )
Comment donc ! depuis plus d'un mois , vous
tournez la tête à votre Comteffe.
Depuis un mois. Ce fut au Bal de l'Opéra.
Que s'engagea cette fotte aventure …..
Voyez ... Mais , pefez donc fur le temps qu'elle
dure.
( Il lit. )
Et il y a huit grands jours qu'elle n'a entendu
parler de vous... ( Plus bas. ) Ceci auroit tout l'air
d'une rupture . .. Oui ! L'air d'une
rupture ;
C'en eft une , bien une , une qui durera ,
Une bien complette , bienfure ,
Ou jamais femme n'y croira.
MARIANE ,
en foupirant & fans le regarder,
Comment vous croire , yous ?
DES RONAIS.
Que vous m'affligeriez ,
·Si vous pensez qu'en cette aventure fatale ,
190 MERCURE DE FRANCE .
Elle ait , un feul inftant , été votre rivale;
Ne l'imaginez pas. Vous vous dégraderiez.
DUPUIS.
Qu'il connoît bien le coeur des femmes !
Il eft vif, éloquent. Je ne fuis plus furpris ,
S'il fait tourrner la tête à de fort grandes Dames
MARIAN E.
Infidéle eh ! voilà le prix ...
DUPUIS.
Voilà comme l'amour échauffant fes efprits
Et lui prêtant fon éloquente ivreſſe ,
Il enflâma certe Comteſſe ,
Dont il étoit ; & dont il eft encore épris.
DES RONAIS.
Moi ! de l'amour pour elle ! Eft-ce ainſi qu'on
profane
Le nom d'amour ? Le plus profond mépris
Eft le feul fentiment ; oui , le feul , Mariane ,
Qu'elle ait excité dans mon coenr .
Je le prouve encor , par ſa lettre :
Surtoutje vous défends de me parler de'Mariane..¿
DUPUIS , l'interrompant.
Ah ! tout beau ! daignez me permettre ;
Lifez comme on a mis , comme on a voulu
mettre.
Cette petite Fille.
DES RONAIS.
Eh bien ! foit. Oui , Monfieur.
( Il lit. )
MARS. 1763.
Surtout je vous défends de me parler de cette
» petite Fille. ( Il mâchonne les derniers mots à
Mariane. ) Et de m'en dire tant de merveilles.
Pendant le peu de temps qu'a duré mon erreur
Je n'étois plein que de vous -même;
Je ne lui parlois que de vous ;
De votre coeur , de mon amour extrême
De nos fentimens les plus doux ;
Du defir vif , & du bonheur fuprême
De me voir un jour votre Epoux ....
Son orgueil ; non , fon coeur me paroiffoit jalous
De ces objets toujours préſens à ma penſée ,
Mais fans ceffe mon coeur les lui préſentoit tous :
Et quoiqu'au fond de l'âme , elle en fût offenſée , ]
Elle- même , elle étoit forcée
De ne me parler que de vous.
Pendant le couplet précédent , Mariane s'atten
drit par degrés , & prépare lefoupir qui doit lui
échapper à la fin de ce même couplet.
Hélas !
MARIANE.
DUPUIS , du ton du dépit.
Tu t'attendris
Quelle foibleffe extrême !
MARIANE , pleurant prèſque.
Moi ! je m'attendris , moi !
DUPUIS.
Eh ! mais , fans doute. Eh ! parbleu ! je le voi
P
192 MERCURE DE FRANCE.
(
Pauvre dupe ! .... crois- tu que fans partage il
aime?
MARIAN E.
Mon Père ! Eh , Je ne crois rien , moi .
DESRONAIS , à Marianne.
Ah ! croyez que vous ſeule & toujours adorée ,
Vous regnates toujours fur ce coeur emporté ,
Par une folle ardeur de fi peu de durée ....
( S'adreffant à Dupuis . )
Et pour vous pénétrer de cette vérité ,
Regardez Mariane ... Et
voyez , d'un côté ,
La décence & l'honnêteté ,
Le fentiment ; une ame ..... Eh ! quelle âme adorable
!
Sa tendreffe pour moi ; .... mais que j'ai mérite
De perdre , en me rendant coupable ...
Et voyez de l'autre côté .....
DUPUIS.
Phoebus , que tout cela !
MARIANE ,
Mais non. En vérité ,
Je fuis bien loin , ici , de prendre la défenſe ;
Ni même , dans l'aveu de fon extravagance ,
De vous faire obſerver , au moins , ſa bonne foi.
Non , la légèreté m'offenſe ;
Je fuis fenfible ; je la voi ;
Mais vous mon père , hélas ! pourquoi
En
MARS. 1763 . 193
En montrez - vous encor plus de courroux que
moi !
Malgré toute la complaifance ,
Et le refpect que je vous doi ,
Voulez-vous enfin que je penfe! ...
DUPUIS.
Quoi donc ! Que penſes-tu ? ( àpart. ) J'enrage.
MARIANE.
Mais je croi ,
Sans m'éloigner trop de la vraiſemblance ,
Que les torts, ( trop réels ) de Monfieur Des Ro
nais ,
Vous fervent bien dans les projets ,
Que vous vous étiez faits d'avance.
D'UPUIS.
Quels projets ! Ma conduite eft toute imple. Eh !
mais,
C'est le fait feul qui parle , & que je te préſente ;
Des Ronais aime ailleurs.
MARIANE.
Aimer ! c'eft bientôt dit.
Aimer ! Que votre âme eft contente
D'appuyer fur ce mot , ( à part. ) que mon coeur
contredit !
DUPUIS.
Eh ! Oui , flatte-toi donc que cette grande Dame
N'a plus aucuns droits fur fon âme ,
Et ne lui fera pas négliger les Dupuis.
Et la petite Fille ?
I
194 MERCURE DE FRANCE.
DES RONAIS.
Ah ! Monfieur , je ne puis
Tenir à ce reproche horrible .
MARIANE , à part.
Eh ! Son projet eft bien vifible !
DES RONAIS.
Mariane , de mille coups ,
Je percerois ce coeur , s'il eût été fenfible ;
Un feul inftant , pour un autre que vous.
DUPUIS.
Bon ! bon ! difcours d'amans. Ils fe reffemblent
tous.
MARIAN E.
Non , ceux- là font fentis,
DES RONAIS.
Sans doute , & c'eſt mon âme ,
Qui parle , qui vous peint , qui veut , en traits de
Aâme ,
Dans votre coeur graver mon repentir .
Dans le mien le remords s'eft déja fait ſentir
Ce n'eft pas d'aujourd'hui , que mon amour ré
clame .
Contre l'erreur qui l'a furpris.
Si vous fçaviez tout le mépris
Que , dès cet inftant- là , j'ai conçu pour moimême,
Pour ma fatuité , pour ma foibleffe extrême ;
Oui , Mariane , ici , je le jure à vos pieds ;
MARS. 1763. 195
Malgré votre courroux , malgré vos juftes
plaintes ,
Si vous aviez pu voir mes remords & mes craintes ,
Vous- même vous me plaindriez .
MARIAN E.
Ecoutez , Des Ronais : je veux votre parole
De ne rèvoir jamais la Comteffe ...
DES RONAIS.
Ah ! l'honneur ,
L'amour font le ferment ! Et fi je le viole,
Que je perde à la fois la vie & votre coeur.
MARIAN E.
Je le reçois , & vous pardonne .
DES RONAIS , voulant fe jetter aux pieds
de Mariane.
Trop généreufe Amante !
DUPUIS.
Eh ! comment donc ! comment !
C'eft au moment où je vous donne
Une preuve invincible ...
MARIANE.
Oui , c'eſt dans ce moment ,
Mon Pere , où dans l'aveu naïf de ſa foibleſſe ,
Je vois moins fon aveuglement
Que fes remords & fa tendreffe:
Où , de ce même égarement ,
Je crois voir & trouver la cauſe ,
Et l'excufe de vos délais.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
DUPUIS.
Parbleu ! ceci n'eft pas mauvais ,
Et c'eft fort bien prendre la choſe !
D'après cet éclairciffement ,
Qui contre moi tourne directement ,
Vous verrez que c'eft moi qui fuis coupable. Enforte
...
MARIANE.
Mon pere , pardonnez ! je ſens que je m'emporte
;
Mais vous m'aimez ; vous voulez mon bonheur
;
Moi-même à nous unir , fouffrez que je vous
porte ;
L'hymen m'affurera de fa conftante ardeur.
Des Ronais eft rempli d'honneur ;
Mon pardon généreux fur l'âme de Monfieur
Doit faire une impreffion forte ;
Et je vous réponds de fon coeur.
DUPUIS.
Quelle eft'ta caution ? L'amour qui te tranſporte ?
C'eſt une déraison qui me met en fureur.
Non , non , ce n'eft qu'après les plus longues
épreuves
Que je ferai de Monfieur Des Ronais,
Qu'il fera ton époux. Je veux qu'il le foit. Mais ,
De fa bonne conduite , il me faut d'autres
preuves.
MARS. 1763. 197
Bien perfuadés que les galanteries de
des Ronais ne font qu'un faux prétexte
pour différer leur mariage , les deux
Amans font auprès de Dupuis les plus
vives inftances pour l'obliger à s'expliquer
fur le véritable motif de fes délais.
DUPUIS , après avoir réfifté quelque temps .
Il vient d'un fentiment que vous croirez biſarre ,
( Quoique très- vrai pourtant ) & qui n'eſt point fi
rare ;
Mais que dans la jeuneſſe , on n'a point , mon
ami :
C'eſt la défiance des hommes
Qu'en moi l'expérience a trop bien affermi ,
Surtout dans le fiécle où nous fommes.
C'eſt en partant d'après ce principe ennemi ,
Que j'entends , que je veux que votre mariage
Que vous preffez tous deux fi fort ,
Ne fe falle qu'après ma mort.
Nous regrettons de ne pouvoir rapporter
toute la Scène qui fuit cette explication
; elle eft à la fois vive , noble,
ingénieufe & attendriffante. M. Dupuis
entreprend d'abord de juftifier fa façon
de penfer , & dit aux deux Amans :
ma fille
Quand vous , Des Ronais , vous ,
Vous ferez occupés d'abord de votre amour
>
I iij
198 MERCURE DE FRANCE .
Qu'après cela viendront les foins d'une famille ;
Qu'aux devoirs les plaifirs fuccédant tour- àtour
,
Vous recevrez chez vous & la Ville & la Cour ;
Que pour ſuffire à ce brillant commerce ,
Tous vos momens feront comptés ;
Qu'enfuite enfin des deux côtés
Les paffions viendront à la traverſe ;
Je dois beaucoup compter fur vos bontés.
L'amitié des enfans paffe alors comme un fonge.
C'est dans le tourbillon où le monde les plonge ;
Hélas ! c'eft dans ces temps de travers & d'écart,
Qu'à peine la jeuneffe fonge
A l'existence d'un vieillard .
Ma fille ; on ne voit dans le monde
Que des pères abandonnés
A leur folitude profonde ,
Par des enfans ... fouvent qui les ont ruinés.
Mais en voit-on d'affez bien nés ,
Pour ofer en public , faire leur compagnie
De ces Vieillards infortunés ?
Ils leur feront , & par cérémonie
Une vifite ou deux par mois ;
Seront diftraits , rêveurs , immobiles & roids
Dans un fauteuil viendront s'étendre ;
Parleront peu , ne diront rien de tendre ,
Et s'en iront après avoir bâillé vingt fois.
MARS. 1763. 199
Encore font- ce les plus honnètes ;
Qui , commandés par l'abſolu pouvoir
Que fur ces Meffieurs- là peuvent encore avoir
Des bienféances méchaniques ,
Viennent ainfi ſe rendre en mauvais politiques ,
A ce qu'ils nomment leur devoir ;
Nous donner , en fuivant des ufages antiques ,
Par décence , & bien moins pour nous que pour
autrui ,
De ces preuves périodiques
De leur ingratitude & de leur froid ennui.
Des Ronais ne croit pas devoir combattre
les idées de ce vieillard ; il connoît
la bonté de fon coeur , & c'eft
par le fentiment & la tendreffe qu'il eſfaye
de vaincre fa réfiftance .
Non , vous n'êtes point infenfible.
Ne vous dérobez point aux tendres mouvemens ,
Très- reſpectable ami , qu'il eſt prèſque impoſfible
Que vous n'éprouviez pas dans d'auffi doux momens.
Que l'amour paternel , notre commune flâme ,
Qu'une fille , un fils , deux amans ,
Que l'amitié , l'amour , la nature en votre âme ,
Par la réunion de tous ces fentimens ,
En l'embrafant du feu qui nous enflamme ,
Y faffent tout céder à leurs tranfports charmans
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
C'eſt votre coeur lui feul , lui feul que je reclame.
Vous vous vous attendriffez. Mon père ,
à vos
genoux ,
Je lis dans vos regards que j'obtiendrai de vous
Ce doux confentement oùje force votre âme.
Dupuis ne fe rend point encore ; &
cette réfiftance qui met l'impétueux
Des Ronais hors de lui-même , ne lui
permet plus de fe contenir. La douceur
de Mariane , & tout ce qu'elle montre
de tendreffe , d'attachement & de fou--
miffion pour fon père , triomphe enfin
de l'obftination du vieillard qui lui dit ;
Je ne veux point laiſſer à ma raiſon fidèle
Le temps 'de refroidir ma fenfibilité.
Qu'aujourd'hui votre hymen fe faffe ;
Aujourd'hui donne- lui la main ...
Je ne répondrois pas demain
De t'accorder la même grace.
Ainfi finit cette Piéce intéreffante .
MAR S. 1763.
201
OBSERVATIONS fur la Comédie de
DUPUIS & DES RONAIS.
COMBIEN il feroit agréable pour nous de n'avoir
jamais à rendre compte au Public , que d'Ouvrages
tels que celui dont nous venons de faire l'Extrait
! Certains de n'être pas contredits fur les
éloges , nous aurions la fatisfaction d'exercer une
critique , utile au progrès de l'art , fans bleſſer
l'amour-propre des Auteurs.
Dans ce que nous avons déja dit au fujet de
cette Comédie (a) nous avions réſumé à- peuprès
ce que le Public avoit le plus applaudi , & ce
qu'il a confirmé depuis par des fuffrages réfléchis.
Intérêt touchant fans trifteffe ; morale fans
pédanterie ; détails toujours agréables fans affectation
de tours brillans , d'où réfulte la juſteſſe
& la facilité dans le Dialogue ; par- tout un fentiment
puisé dans la nature & non dans le Roman
du coeur. Telle eft l'idée générale qui nous a paru
rester de cette Piéce à tous ceux qui la connoiffent.
Qu'il nous foit permis , pour notre
propre inftruction , d'y ajouter quelques réflexions
particulières que l'ouvrage nous a fait naître.
Le fujet eft fort fimple. L'emploi qu'en a fait
l'Auteur pour fournir à trois Actes , fait d'autant
plus d'honneur à fon talent , qu'il ne laiffe
appercevoir aucune extenfion forcée. Examinons
fes moyens.
Il ne pouvoit y avoir dans cette Piéce beaucoup
(a) Voyez le Mercure de Février , Article des
Spectacles de la Cour.
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
de ce qu'on appelle communément ACTION . Un
Sujet auffi peu compliqué ne pouvant & ne devant
admettre la multiplicité des incidens , ni un
mouvement bien apparent dans la marche ou
dans la conduite du Drame. Mais quand d'autres
Modernes , furtout parmi les François , ne
nous auroient pas appris par leurs fuccès qu'il
ya différens genres d'ACTION , cette Piéce luf
firoit peut-être pour nous le faire appercevoir.
Je ne fais fi l'on ne trouvera pas trop d'affectation
dans les termes , lorfque nous diftinguons
l'ACTION DRAMATIQUE en action phyfique & en
action morale. Je crois au moins pouvoir m'affurer
qu'il y a de la vérité dans la diftinction
& que la Comédie dont il s'agit eſt du genre
d'ACTION morale.
>
Ne pourroit-on pas confidérer comme action
phyfique ou matériele , celle qui par la force de
l'intrigue , par l'enchaînement des incidens , met
les perfonnages dans des fituations opposées
l'une à l'autre , celle qui change alternativement
la fortune de divers projets , par des événemens
préparés mais imprévus , & enfin par
d'autres événemens indépendans de la volonté
ou des fentimens de quelques perfonnages , rapproche
le terme ou dénoûment que cette même
ACTION avoit rendu à éloigner ?
Il devoit fe rencontrer très - peu d'ACTION
de ce genre
dans
la Comédie
de Dupuis
& Des
Ronais
. Tout
ce qui peut
avoir
rapport
au premier
genre
eft l'incident
( très- ingénieu
fement
trouvé
, & très - habilement
mis en oeuvre
) de la.
Lettre
de la Comtelle
à Des Ronais
entre
les
mains
de Dupuis
. Nous
reviendrons
au mérite
de ce moyen.
Au contraire , ne pourroit- on pas placer dans
MARS. 1763. 203
le fecond genre d'ACTION , qu'on nous permettra
de nommer morale ou métaphysique , les ob facles
qui résultent feulement du contraſte des
caractères ou d'un intérêt actif & puiffant oppofé
aux vues & aux défirs des perfonnages intéreffans
?Ne peut-on pas ranger dans la même claffe
un jeu de refforts que produit la feule gradation
de fentiment entre les perfonnages , & qui donne
aux uns une certaine force , indépendante des
événemens , fur les volontés des autres ? Le mouvement
qui résulte de cette forte de moyens
n'a fon principe & fon action que dans le coeur
& ne peut être fans doute bien faifi que par l'efprit.
C'eſt de ce fecond genre , tel que nous éffayons
de le définir , que l'Auteur a tiré le plus grand
parti dans fa Piéce . C'eſt par la que l'incident de
la lettre , qui pouvoit donner à Dupuis les plus
fortes armes contre l'importunité des deux Amans ,
& qui femble devoir , finon détruire , au moins
altérer cruellement le concert de leurs fentimens,
devient au contraire l'occafion du triomphe qu'ils
remportent fur la volonté la plus obftinément
affermie. C'eſt la juſteſſe avec laquelle Marian
voit l'égarement momentané de fon Amant,
dans la conviction d'un fait que les feuls foupçons
auroient pu lui exagérer ; c'est le pardon
généreux & tendre qui en réfulte ; c'eſt enfuite
la violence de Des Ronais qui donne lieu au fa
crifice héroïque,mais naturel,que fait cette fille de
l'amour le plus légitime & le plus ardent , à la
feule manie de fon Père, qui , en le touchant invinciblement,
amêne par une voie fort naturelle au
dénoûment qui paroiffoit défefpéré ; fans qu'aucun
des Perfonnages foit forti du caractère primitifque
l'Auteur leur a donné.Voilà des moyens
I vi
204 MERCURE DE FRANCE .
qui tiennent tous au coeur ,
fans fecours d'evénement.
Voilà donc cette gradation , ce reffort
de fentiment qui agit avec une force pour
ainfi dire coacrve , & qui opére toute la conduite
& le dénoûment de ce Drame dont le fond eft
un des plus fimples qui foit au Théâtre.
En applaudiflant avec tout le Public au talent
de l'Auteur & à l'art qu'il a employé dans cette
Comédie , nous n'en exhorterons pas moins les
Auteurs à fe défendre de la féduction de l'exemple.
Nous nous garderons bien d'encourager à
courir les hazards d'un genre , où les chûtes
feroient fans reffources , & où il ne faut pas moins
qu'un fuccès auffi décidé pour juſtifier la hardieffe
de l'entrepriſe.
Le Public , après avoir quelque temps balancé
fur le caractère fingulier de Dupuis, femble avoir
reconnu combien il étoit néceffaire au jeu des
autres caractères. Peut être on ne le foupçonnoit
pas dans la Nature , que par faute de ré-
Aléxions , & encore plus faute de cette bonne foi
dont on manque avec foi-même auffi ſouvent
au moins qu'avec les autres. D'ailleurs , on eft
obligé de convenir que tout ce que l'art le plus
délicat & le mieux raifonné peut fournir , a été
employé pour adoucir ce que ce caractère offre
d'abord d'injurieux à l'humanité.
N. B. En publiant la Lettre fuivante fur un
événement qui doit caufer tant de regrets au Public,
nous tâchons de continuer de marquer notre empreffement
fur le tribut d'éloges qu'on doit aux per-
Jonnes célebres . On goûte une efpéce de confolation ,
en lifant l'hommage qu'on leur rend ; & notre
reconoiffance envers elles nous fait fouhaiter que
la pofiérité fe les repréfente telles que nous les avons
vues , mais cela eft impoffible à l'égard de l'Actrice
charmante dont la perte nous eft fi fenfible.
4
MARS. 1763. 205
LETTRE de M. DE SAINT FOIX à
Vou
M.****
OUS me demandez mon fentiment,
Monfieur , fur l'idée d'un tableau auquel
vous travaillez . Il repréfentera ,
dites-vous , Thalie éplorée , qui fait tous
fes efforts pour retenir une Actrice qui
veut la quitter. Je ne doute point de
l'habileté de votre pinceau ; je vous
dirai feulement qu'il y a des objets qui
font moins du reffort de l'imagination
que du fentiment ; je fuis perfuadé que
Thalie aura l'attitude & toute l'expreffion
convenables ; mais l'Actrice
Monfieur , cette A&trice divine
, fon front , fes yeux ,
fon nez
fa bouche, tous fes traits fi délicatement
affortis pour lui compofer la phifionomie
la plus aimable & la plus piquante ;
fa taille de nymphe ; fon maintien libre ,
aifé & toujours décent , Mademoiſelle
Dangeville enfin ( car fa retraite duThéâtre
eft le fujet de votre tableau ) Mademoifelle
Dangeville , Monfieur , peuton
efpérer de la bien peindre ! Avec de
l'intelligence , du fentiment , de l'étude
& de la réflexion , on peut fe perfection206
MERCURE DE FRANCE.
nerle goût , & devenir une Actrice trèsbrillante
; mais l'Actrice de génie eft
bien rare , & il y a la même différence
qu'entre Moliere & un Auteur qui n'a
que de l'efprit. Nous avons vu Mlle
Dangeville jouer dans les caractères les
plus oppofés , & les faifir toujours de
façon que nous en fommes encore à
ne pouvoir nous dire dans lequel nous
l'aimions le plus. On aura de la peine à
s'imaginer que la même perfonne ait
pû jouer avec une égale fupériorité l'Indifcrète
dans l'Ambitieux ; Martine dans
les Femmes fçavantes ; la Comteſſe dans
les Moeurs du temps ; Colette dans les
trois Coufines ; Me Orgon dans le Complaifant
; la fauffe Agnès dans le Poëte
campagnard ; la Baronne d'Olban dans
Nanine ; l'Amour dans les Grâces , &
tant d'autres rôles fi différens . Combien
de fois,à la premiere repréſentation
d'une Comédie , a-t- elle procuré des applaudiffemens
à des endroits où l'Auteur
n'en attendoit pas ! Je me fouviens
que le célébre Néricaut Deftouches
dont on alloit jouer une Piéce nouvelle,
craignoit pour un monologue & quelques
traits dans le cinquiéme Acte ; il
vouloit les fupprimer donnez-vous- en
bien de garde lui dit- elle , je vous réMARS.
1763. 207
ponds que ces traits & ce monologue feront
très-applaudis. En effet , elle joua
le tout avec un naturel , des grâces , une
naïveté qui déciderent la réuffite , &
triompherent de tous les efforts qu'une
indigne cabale avoit faits , pendant les
quatre premiers A&tes , pour faire tomber
cette Comédie. Ce qui acheve de
caractèrifer la perfonne de génie dans
Mlle Dangeville , c'eft qu'elle eft fimple
, vraie , modefte , timide même
n'ayant jamais le ton orgueilleux du talent
, mais toujours celui d'une fille
bien élevée ; ignorant d'ailleurs toute
cabale , & dans le centre de la tracaf
ferie , n'en ayant jamais fait aucune.
J'ai cru , Monfieur , puifque vous me
confultiez , que je devois vous communiquer
mes idées fur fon caractère , parce
qu'il me femble qu'il faut commencer
par connoître celui de la perfonne que
l'on veut peindre. Je fouhaite que vous
réuffifficz ; je fouhaite que vous puiffiez
faifir cette âme fine , naturelle , délicate
& fenfible , qui vit , qui parle , qui voltige
& badine fans ceffe dans fes yeux ,
fur fa bouche & dans tous fes traits. Je
fuis , Monfieur , votre très- humble &
très-obéiffant Serviteur ,
SAINT FOIX.
208 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE ITALIENNE.
ONNa repris fur ce Théâtre Sancho-
Pança dans fon Ifle , Opéra bouffon
dont la Mufique admirable de M. Philidor
avoit fait le fuccès.
On a continué pendant le mois précédent
les repréfentations de la jolie
Comédie , mêlée d'Ariettes intitulée
le Gay de Chêne , dont nous avons déja
parlé.
,
Le 4 Février on donna la première
repréſentation de l'Amour Paternel , ou
la Suivante reconnoiffante , Comédie Italienne
en 3 Actes en profe de M. GOLDONI.
C'eft la première que ce célebre
Auteur ait compofée & fait repréfenter
depuis fon féjour en France. Elle a été
très-applaudie par les Spectateurs en état
de fentir les beautés de la langue Italienne,
& le genre caractériſtique de ce théâtre
, on pourroit dire même en général
celui de la vraie Comédie , que l'illuftre
M. GOLDONI a rétabli dans fa Patrie .
Cette Piéce a été interrompue après la
deuxiéme repréſentation par l'indifpofition
fucceffive de plufieurs Acteurs
qui ne pouvoient y être remplacés .
MARS. 1763: 209
Le 10 on donna la première & l'unique
repréſentation de la Bagarre ,
Comédie en un A&te , mêlée d'Ariettes.
Dans quelque indulgence que le goût
du Public l'eût entraîné jufqu'alors pour
certains Drames de quelques Opéra-
Comiques du nouveau genre , il n'a pas
jugé apparemment devoir faire grace à
celui- ci , qui a éprouvé toute la juftice
de fes jugemens & la févérité de fes
cenfures. Il n'a pas réparu fur le théâtre.
Cette Piéce a été le premier Opéra-
Comique qui ait éprouvé ce fort
depuis la réunion au théâtre Italien.
Par une jufte prévoyance , l'Auteur
des paroles les avoit fait imprimer
avant la repréſentation . Il y a joint
une Préface , où , en fe plaignant
de ce qu'il appelle les petits chagrins
qu'il a reçus du Public , il lui laiffe entrevoir
trop clairement l'opinion qu'il a
de fon goût & de fes jugemens. Il ménage
encore moins ( par la même prévoyance
) les Journaliſtes forcés par
état de rendre compte des petits chagrins
de certains Auteurs.
Il faut bien remarquer à l'égard de
cette Piéce , que la Mufique , dont il
refte une idée favorable , ne doit pas
être confondue dans la chûte .
210 MERCURE DE FRANCE.
·
Le 19 le Bon Seigneur , Comédie
nouvelle en un Acte en profe , mêlée
d'Ariettes , fut donnée pour la première
fois ſur ce théâtre , & n'eut pas un fuccès
heureux mais il eft jufte d'obferver
que cette Piéce a éprouvé en cela ,
le fort commun à tous les ouvrages faits
pour une fociété & pour une circonftance
particulière. Tout le mérite qu'ils
avoient eft perdu auprès du Public , qui
ne peut y être fenfible. C'eſt une erreur
dans laquelle font tombés tant d'Auteurs
, dont la réputation même étoit
conftatée , qu'elle ne doit ni ne peut por
ter atteinte à celle des Auteurs de cet
ouvrage , ni prévenir déſavantageuſement
fur leurs talens.
On a donné le 22 la troifiéme repréfentation
de l'Amour paternel , que l'on
continue depuis avec fuccès , ainſi que
celles d'Arlequin cru mort , Comédie
Italienne en un Acte de M. GOLDONI ,
repréſentée pour la première fois, le 24 ,
avec beaucoup d'applaudiffemens. L'abondance
des matières nous contraint à
remettre au Mercure prochain le plaifir
de parler avec plus d'étendue des ouvrages
& du génie de cet Auteur .
MARS. 1763. 21x
CONCERT SPIRITUEL
du 2 Février , Fête de la Purification.
Na éxécuté deux grands Motets , l'un le Magnificat
de feu M. BELISSEN , l'autre In exitu de
M. BLANCHARD , Maître de Mufique de la Chapelle
du Roi. M. BESCHE a chanté dans ces deux
Motets. M. JOLY a chanté avec fuccès Coronate ,
petit Motet de M. LE FEVRE , & felon l'ufage ,
Mlle FEL un petit Motet italien. M. GAVINIES
joua un nouveau Concerto de fa compofition qui
fut très- applaudi. On parut content de l'éxécution
& de la compofition de M. LE GRAND dans le Concerto
qu'il éxécuta fur l'Orgue. Le concours de
monde à ce Concert ainfi qu'aux précédens , continue
de marquer la fatisfaction du Public .
212 MERCURE DE FRANCE.
**
ARTICLE VI.
BALS DE LA COUR ,
Auxquels ont affifté Leurs Majeftés &
& la Famille Royale.
Dans la Salle des Spectacles du Roi
à Versailles.
INDÉPENDAMENT
DÉPENDAMENT des Danfes d'ufage
exécutées par plufieurs Princes du
Sang & par la Jeuneffe la plus brillante-
& la plus diftinguée de la Cour ; les
mêmes Perfonnes ont danfé , à chacun
de ces Bals , des Ballets figurés dont.
nous allons rendre compte.
PREMIER BAL , le Lundi 27 Janvier.
Le Sujet du Ballet , étoit les SAISONS.
Ce Ballet étoit divifé en 4 Quadrilles,
defquels voici la diftribution.
MARS. 1763.
213
LE
PRINTEMPS.
M. le Prince de GUIMENÉ .
M. le Marquis de LAVAIR .
Mde la Princeffe de CHIMAI.
Mde la Comteffe d'ESPARBÈS .
L'ÉTÉ.
M. le Prince de BOURNONVILLE.
M. le Marquis d'HARCOURT.
Mde la Princeffe de GUIMEné .
Mde la Comteffe de
LANMARIE ,
L'AUTOMNE.
M. le Marquis de VAUDREUIL.
M. le Marquis de SERAN .
Mde la Marquife de DURAS.
Mde la Comteffe de l'ILLEBONNE.
tHYVE R.
M. le Marquis d'ENTRAGUES.
M. le Chevalier de CLERMONT.
Mde la Comteffe de MAILLY.
Mde la Comteffe de SALUCES.
1
214 MERCURE DE FRANCE.
Ces Quadrilles , dont les Perfonnages
étoient vêtus dans les caractères propres
à chaque Saiſon , entrèrent fur une
marche à quelque diftance l'un de
l'autre , par le fond de la partie ceintrée
de la falle , en face des loges de Leurs
MAJESTÉS.Chaque Quadrille danfa fucceffivement
fon Entrée, & elles fe réunirent
enfuite toutes les quatre dans une
Entrée générale qui terminoit ce Ballet.
Il fut applaudi par des battemens de
mains réïtérés. La Cour le redemanda ,
& il fut danſé une feconde fois dans ce
même Bal.
1
Les Entrées de l'Hyver & de l'Été
étoient de la compofition du fieur de
Hefe , Comédien ordinaire du Roi au
Théâtre Italien. Les deux autres & le
Ballet général étoient du fieur Gardel ,
de l'Académie Royale de Mufique.
SECOND BAL , le
24 Janvier.
On redanfa le Ballet des Saifons ;
ainfi qu'il avoit été exécuté au Bal précédent
, & il fit le même plaifir . Enfuite
parut un Quadrille de Provençaux & de
Provençales ,habillés fuivant le Coſtume
National . Ce qui faifoit le Sujet d'un
Ballet nouveau.
MARS. 1763. 215
PROVENÇAUX.
M. le Comte de GENLIS.
M. le Marquis de DURAS.
M. le Marquis de VIBRAY.
M. le Comte de RABODANGE .
PROVENÇALES,
Mde la Marquife de RONCÉ.
Mde la Comteffe de MAILLÉ.
Mde la Marquife de ROCHAMBEau,
Mde la Marquife de BEZONS.
L'effet de ce Ballet, de la compofition
du fieur de Heffe étoit fort agréable &
parut faire plaifir ; il fut auffi danſé
deux fois.
TROISIÈME BAL , le 31 Janvier.
On redonna les Provençaux. Le Sujet
du nouveau Ballet étoit pour cette nuit,"
la Noce de Village. Celui- ci , d'un autre
genre & beaucoup plus confidérable
que les précédens , offroit à - peu-près
le même tableau que la Fête champêtre
dans Rolland. Nous donnerons
d'abord la diftribution des Danfeurs
fuivant les perfonnages qu'ils avoient à
figurer.
216 MERCURE DE FRANCE.
LE SEIGNEUR DU
VILLAGE ,
LA DAME ,
LE MARIÉ ,
LA MARIÉE ,
M. le Duc d'OR
LÉANS.
Mde la Duchefe
de MAZARIN.
M. le Prince de
CONDÉ.
Mde la Marquife
de DURAS.
Le Frere de la MA- M. le Duc de
RIÉE ,
CHARTRES.
d'ESPARBÉS.
La Soeur du MA- Mde la Comteffe
RIÉ,
Le Père du MA- M. le Marquis de
RIÉ ,
VAUDREUIL.
La Mère de la MA- Mde la Comteffe de
RIÉE ,
Le MAGISTER
L'ILLEBONNE.
M. le Marquis de
SERAN.
La Femme du MA- Mde la Marquife
GISTER ,
GARÇONS DE
- LA NOCE.
de BRANCAS.
FILLES DE
LA NOCE.
M. le Marquis de Mde la Marquife
VIBRAI de RONCÉ.
Με
MARS. 1763 . 217
M. le Marquis de Mde la Comteffe
DURAS .
M. le Marquis de
BELSUNCE .
M. le Comte de
RABODANGE .
de MAILLÉ .
Mde la Marquife de
ROCHANBAU.
Mde la Marquife
de BEZONS.
SYMPHONISTES jouans de divers
inftrumens à la tête de la Marche.
Cette Troupe arrivoit dans l'ordre
fuivant. Le Magifter & fa femme conduifoient
des Symphoniſtes , après lefquels
venoient les Garçons & les Filles
de la Nôce , précédans le Seigneur
& la Dame. La Marche étoit fermée par
un groupe , compofé du Marié & de
la Mariée fe tenans par la main , le
Pere & la Mere à leurs côtés ; le frere
& la four à leur fuite . On jouoit la marche
de la fête des Mariés de Roland.
Le Seigneur & la Dame alloient s'affeoir
en face, fous les loges de leurs Majeftés .
Les Joueurs d'inftrumens fe plaçoient
fur des banquetes de gazon aux deux
côtés de la Salle.
Le Ballet ouvroit par une Danfe générale
des Garçons & des Filles du Vil-
K
218 MERCURE DE FRANCE.
lage , après laquelle le frère & la four
des Maries , danfant un pas-de- deux ,
alloient préfenter des Bouquets au Seigneur
& à la Dame , que tous les Garçons
& toutes les Filles, réunis au frère
& à la foeur , alloient enfuite inviter à
prendre part à la fête .
Le Seigneur & la Dame danſoient
une courante , un menuet & une gigue
de caractère , après quoi ils retournoient
à leur place. On ne pouvoit trop admirer
la nobleffe & les graces avec
lefquelles étoient exécutées ces Danſes ,
que leur ancienneté ainfi que celle des
habillemens quoique fort riches , rendoient
comiques ; mais de ce genre de
comique que peut - être les perfonnes
du plus haut rang font feules en état
de bien rendre,& dont elles peuvent s'amufer
avec dignité.
Les Filles de la nôce formoient enfuite
une danſe entr'elles pour aller préfenter
des bouquets au Marié. Le Magifter
& fa femme danfoient enfemble.
Les garçons de la nôce faifoient
à la Mariée la même galanterie de
bouquets que les Filles avoient faite au
Marie. Le Père & la Mère danfoient
feuls enſemble. Après leur Entrée , le
frère , la foeur , les garçons & les filles
MARS. 1763 . 219
fe joignoient tous pour aller inviter le
Marie & la Mariée à danfer : ce qu
faifoient ceux - ci , après en avoir demandé
la permiffion au Père & à la
Mère. Ce pas de Deux étoit une des Entrées
diftinguées & des plus applaudies ,
dans ce joli Ballet, par les grâces nobles
& naturelles des perfonnes qui l'exécutoient.
Leurs habillemens étoient
charmans & d'une galanterie peut- être
un peu au-deffus de la condition villageoife
, mais qui en rappelloit néanmoins
le caractère .
Le Magifter & fa femme , les Garçons
& les Filles de la Nôce , le frère
la foeur , le Marié & la Mariée fe joignoient
tous pour aller prendre le Scigneur
& la Dame . Ceux- ci fe mêloient
avec toute la Nôce pour former les Entrées
générales qui terminoient le Ballet.
On doit penfer avec quelle vivacité
ce Ballet fut applaudi par toute la Cour
& avec quel empreffement il fut redemandé
; on le danfa une feconde fois.
Il étoit de la compofition du fieur de
Heffe.
On avoit changé la premiere décoration
de la falle pour ce nouveau Ballet.
La partie ceintrée repréfentoit un ançien
Château avec quelques arbres ; &
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
la partie de la falle où l'on danfoit étoit
ornée en guirlandes & en feftons de
fleurs
QUATRIÈME BAL , le 7 Février.
Le Sujet du Ballet préparé pour ce
quatriéme Bal étoit les Elémens , diftribué
comme celui des Saifons en
quatre Quadrilles.
LE FE U.
M. le Marquis d'ENTRAGUES .
M. le Marquis d'ESCARS.
Mde la Marquife de SALUCES .
Mde la Marquife de MAILLY.
L'AIR.
M. le Baron de FRISENDorff .
M. le Marquis d'HARCOUR. *
Mde la Marquife de STAINVILLE.
Mde la Marquife de BELSUNCE.
* Au Bal fuivant M. le Marquis de CHABRILLAN
prit la place de M. le Marquis d'Harcour.
M
20
BIBLIO
LYON
*
1883*
MARS. 1763.
221
LATER RE.
M. le Comte d'EGREVILLE .
M. le Marquis de POLIGNAC.
Mde la Marquife de GLION.
Mde la Marquife de NAGU.
L'EAU.
M. le Prince de BOURNONVILLE .
M. le Prince de GUIMENÉ .
Mde la Princeffe de CHIMAY .
Mde la Marquife de SERAN .
On s'étoit propofé , dans les habillemens
de ce Ballet , de repréfenter les
Élémens , moins par les Etres connus
dans les fictions ordinaires , que par la
fupofition de Corps fantaftiques qui
feroient formés de chaque Elément
même. L'éxécution a repondu à ce projet
, autant que l'art peut atteindre à
cette forte de repréfentation . Ainfi
pour les Perfonnages de la Terre , on
avoit arrangé des habits de forme fimple
& peu drapée , dont les fonds , de
différens gris , étoient rayés de couches
, ou lames d'or & d'argent , tournées
en ornemens måles fur certaines
K iij
222 MERCURE DE FRANCE .
parties. Le tout enrichi de pierreries.
Le Quadrille de l'Eau étoit très- brillant
, & paroiffoit vêtu de cet Elément
même , dont on avoit imité les diverfes
couleurs & quelques-uns de fes effets.
Celui du Feu fembloit couvert de feux
de différentes nuances , fans aucun rapport
aux repréſentations de Furies ou
de Démons . Ces trois Quadrilles étoient
fort riches . Dans celui de l'Air il régnoit
plus de galanterie : des fonds d'un bleu
célefte ornés de nuages légers & tranfparens
, de volans de gaze que l'air agitoit
, & d'étoiles brillantes entrevues
dans plufieurs endroits . Tels étoient les
habillemens de ce Quadrille .
Ainfi que dans le Ballet des Saifons,
les quatre Quadrilles entroient fur une
Marche , en groupes féparés les uns des
autres . Ils danfoient chacun des Entrées
adaptées au caractère de chaque
Elément . Ils fe mêloient enfemble, enfuite
ils fe repartageoient & formoient
des Danfes particulières à certaines diftances
les uns des autres . Enfin ils fe
réuniffoient
pour former l'Entrée générale
de la fin .
Ce Ballet , dont la compofition étoit
ingénieufe & agréable , fut éxécuté
MARS. 1763. 223
avec une précifion que l'on auroit à
peine éxigé des gens de l'art ; & avec
des grâces plus faciles à rencontrer dans
des Danfeurs de l'ordre de ceux qui
figuroient à ces Bals , que dans ceux
mêmes qui font profeffion de ce talent.
La compofition des Entrées de ce
Ballet étoit du fieur Lani , Maître des
Ballets de l'Académie Royale de Mufique
.
Il fit une impreffion très - agréable
fur la Cour, qui le redemanda , & il fut
danfé deux fois.
Dans le même Bal on revit avec un
nouveau plaifir le Ballet de la Noce
de Village , qui avoit été redemandé
& qui fut danſé deux fois .
La Décoration de la Salle avoit été
totalement changée pour ce Bal . Elle
fut enrichie de Pierreries qui formoient
des ornemens dans toutes fes parties ,
relatifs à ceux de l'Architecture ou affortis
& mariés avec ces mêmes ornemens
, ainfi que de fuperbes rofettes aux
endroits du plafond , d'où pendoient les
luftres. Ceux -ci étoient fufpendus par
des guirlandes des mêmes Pierreries entremêlées
de fleurs.Toute cette brillante
décoration avoit été difpofée & exé-
K iv
224 MERCURE DE FRANCE .
cutée par le fieur Levêque , Garde - magazin
général des Menus & Plaifirs du
ROI.
CINQUIÈME BAL , le 24 Février.
Le Mai Flamand fut le Sujet d'un
nouveau Ballet , pour cette dernière
Nuit. Plus Pantomime , plus en action
& plus compofé qu'aucun des précédens
, nous allons éffayer de détailler
la compofition & les parties du tableau
qu'il repréfentoit . L'objet en étoit l'hommage
rendu par les habitans d'un canton
de Flandres à un ancien & très- grand
Seigneur de ce Pays.On fuppofe quel'action
de cet hommage étoit de planter un
Mai devant fon château , avec tout
l'appareil & toute la gaîé des fêtes qui
peuvent embellir cette forte de cérémonial
champêtre.
Ainfi cela formoit deux corps de ballet
diftingués . L'un compofé du Seigneur
avec fa famille , les Seigneurs & Dames
de fa Cour ou de fa compagnie , &
tout le cortége qui accompagnoit les
Seigneurs de ce pays. Dans l'autre corps
de Ballet étoient les Habitans avec un
Bourgmeftre à leur tête.
MAR S. 1763. 225
La Salle du Bal repréfentoit la Scène
convenable à cette action : un château
antique dans le fond , du genre des anciens
édifices de Flandres , & la partie
où l'on danfoit ornée de verdure & de
fleurs .
Diftribution des Perfonnages danfans
dans le Ballet.
LE SEIGNEUR ,
Un SEIGNEUR de
fa Compagnie ,
Le Fils du SEIgneur
,
La Fille du SEIGNEUR
,
Une Dame de la
Cour du SEIGNEUR
,
M. le Marquis de
SERAN.
M. leMarquis d'A
VARAI.
M. le Comte de
LAVAIR.
Mde la Comteffe
d'ESPARBÉS. ›
Mde la Marquife
de BRANCAS .
La Gouvernante , Mde la Ducheffe de
MAZARIN.
Le Bourgmeftre , M. le Marquis de
VAUDREUIL.
GARÇONS duVil FILLES du Villalage,
ou Payfans
ge ou Flamandes
.
Flamans.
M. le Duc de Mde la Marquife
FRONSAC , de BEZONS..
K v
226 MERCURE DE FRANCE.
M. le Marquis de
DURAS.
M. le Comte de
RABODANGE .
M. le Vicomte de
CHABOT .
M. le Comte de
COIGNY .
Mde la Baronne de
WASSEBERGH
.
Mde la Ducheffe
de CossÉ.
Mde la Marquiſe
d'AVARAI.
Mde la Vicomteſſe
de BEAUNE.
M. le Chevalier de Mde de ROCH AMCOIGNY
.
BEAU.
Six Pages vêtus à l'antique & à la
Flamande.
Symphoniftes..
Deux Pages , portant chacun un faucon
fur le poing , ouvroient la marche.
Enfuite paroiffoit le Seigneur , fuivi de
deux autres Pages , dont l'un portoit fa
Rondache & l'autre fon Epée. Le jeune
Seigneur , fa Soeur , avec la Gouvernante
, entroient à la fuite avec deux
autres Pages , dont l'un portoit un Arc:
& l'autre une Lance.. La Dame & le Seigneur
de cette Cour les fuivoient.
Le Bourgmeftre ( vêtu de noir & dans
l'exact habillement des portraits de Wandeik
& Reimbranz ) étoit fuivi des Payfannes
Flamandes & de Symphoniſtes ,
dont les inftrumens étoient ornés de rubans
& d'oripeaux
..
MARS. 1763. 227
Le Seigneur , avec fa Famille & fa
Cour , alloir prendre place au fond de
la Salle. Quelques Garçons du Village
faifoient groupe au milieu de la Salle ;
d'autres pofoient par derriere des gradins
de gazon. On apportoit enfuite le Mai ,
& les Payfans Flamands qui le portoient
avoient des maillets & des coins pour le
planter.
Le Bourgmeftre faifoit ranger les Filles
du Village en demi-rond . Il ordonnoit
enfuite aux Symphoniſtes de commencer
une Sérénade en l'honneur du
Seigneur , pendant laquelle les Garçons
élevoient le Mai , qui étoit orné de cercles
de fleurs par étages. Sur la fin de
la Sérénade , les Symphoniftes alloient
fe placer fur les gradins de gazons , au
pied du Mai qu'ils environnoient .
Ces Joueurs d'inftrumens , vêtus à
la Flamande & de couleur forte , ainfi
groupés au centre , faifoient valoir &
reffortir les autres parties éclatantes du
tableau .
Les filles du Village conduifoient
en danfant le Bourguemeftre à un fiége
préparé auprès du Mai en face de la
Cour. Dès qu'il y étoit affis , les Garçons
Flamands & les Filles formoient
enfemble plufieurs danfes autour de ce
Mai K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
Le Bourguemeftre fe levoit ; il alloit
inviter le Seigneur à danfer avec fa
Compagnie , & retournoit gravement
reprendre fa place . Le Seigneur , fa
Famille & fa Compagnie , danfoient
des Entrées conformes à la dignité de
leurs caractères..
Tout le Village applaudiffoit par des
battemens de mains à la complaifance
du Seigneur & de fa Cour. Tous formoient
une Entrée de trois en trois, ce
qui faifoit quatre groupes aux quatre
coins de la Salle .
Les Pages s'approchoient du Mai , en
détachoient de très-longues guirlandes
de fleurs , dont il étoit entouré. Sur la
fin des précédentes entrées , ils alloient
occuper les quatre angles , & les deux
milieux de côté de la Salle , en tenant &
foulevant les extrémités des guirlandes ,
ce qui formoit un Baldaquin très-galant.
Sur des Allemandes que jouoit la
Symphonie , le Seigneur fe levoit avec
vivacité & alloit inviter les Dames du
Bal à danfer en leur préfentant les
hommes de fa cour. Les Filles du Village
alloient prendre des hommes dans
le Bal , & tous enfemble danfoient
fous le Baldaquin de fleurs. Ce moment
MAR S. 1763. 229
de mêlange des Flamands avec les au
tres Perfonnes du Bal produifoit un
tumulte de gaîté très-piquant & trèsagréable.
Le Bourgmestre interrompoit
ces Danfes ; & lorfque le Seigneur
avec fa cour avoit repris fa place au bas
des loges de SA MAJESTÉ , il raffembloit
tous fes habitans en demi cercle
& chantoit les couplets fuivans , fur
l'Air de la Ronde des Amours Grivois
ainfi qu'il eft notté ci- contre. Tous les
couplets étoient adreffés au Seigneur
& les Affiftans en répétoient le
refrain au Choeur.
Vla donc not' Mai qu'eſt planté ♪
Je viens compléter l'hommage.
Pour nous donner plus d'gaîté ,
Et couronner notre ouvrage,
Faut la chanſon du Seigneur.;
C'eſt dans l'ordre & c'eft l'ufage ;
Le coeur doit donner au coeur ( refrain. )
Le vrai droit du Seigneur.
Son Domaine eft ben peuplé ;
Quoiqu'ça faffe ben du monde ,
Tout ç'monde- là raffemblé ,
F'roit chorus à notre ronde ,
Diroit comm'nous : » notre bonheur
» Sur vos jours , fur vous ſe fonde ;
230 MERCURE DE FRANCE.
>> Tous nos coeurs ne font qu'un coeur;
» C'eſt l'vrai droit du Seigneur.
On l'aim'roit quand i'n' feroit
Pas d'une auffi bonn'famille :
Pourquoi ? ç'eft qu'il brilleroit
Partout où la bonté brille.
Et quand nous l'chantons , l'ardeur
Qui dans tous nos yeux petille ,
Rend ben moins au rang qu'au coeur
De notre bon Seigneur.
A par foi chacun penfoit
C'que jly dis , qu'eſt ben , c'que j'penfe
A tous nos coeurs ça peſoit ;
Pour eux l'mien rompt le filence :
Au furplus ça n'fait qu'un coeur
De plus dans la confidence.
Ouvrons donc nos coeurs en choeur
A notre bon Seigneur.
Sa Famill' qu'il couv' des yeux”
En bonté comm'ça lui r'femble !
Tous ont leur part dans les voeux
Qu'un mêm' zéle ici raffemble::
Ils aimont tant not bonheur
Que pour nous ils n'ont enfemble
Qu'un mêm' coeur qui tient du coeu
De notre bon Seigneur
MARS.
231
Avant de v'nir , je m'difois :
Comment eft-c' que j'vais m'y prendre ?
J'voulois chanter ; puis j'nofois :
V'la pourtant qui'l vient d'mentendrer
Sa bonté guérit d'la peur
Si ça m'fait trop entreprendre ;
Le pardon eft dans fon coeur :
C'eſt l'vrai droit du Seigneur.
Cette Ronde fut chantée très-agréablement
, avec beaucoup de naturel &
d'enjouement. Chaque couplet en étoit
univerfellement applaudi.
Après la Ronde , les Garçons alloient
inviter le Bourgmeftre à danfer : il s'en
défendoit beaucoup , il refufoit mê
me les Filles : mais il étoit entraîné par
toutes ces troupes réunies. Enfuite il
s'animoit ; enforte qu'il danfoit une entrée
feul ; puis il alloit prendre le Seigneur
& fa cour, qu'il engageoit à danfer
avec lui . Les Garçons & les Filles formoient
un Rond , qui environnoit le
Seigneur , fa Cour & le Bourgmeftre..
Un groupe général de tous les perfonnages
terminoit le Ballet d'une manière
très-brillante .
La compofition générale du Ballet &
de toutes les Entrées eft du fieur de
232 MERCURE DE FRANCE.
Heffe ; le fieur Lani avoit compofé les
premieres Entrées du Seigneur & de fa
cour .
Nous ne donnerons point le détail
des Habillemens , il nous fuffira de dire
que l'effet général en parut brillant &
agréable. Ils étoient tous dans le genre
convenable , & l'Enſemble produifoit
deux Tableaux réunis , fidélement
copiés , mais avec
mais avec cchhooiixx , d'après
Vauwermans , pour les Flamands de
qualité , & d'après Tenieres pour les
Villageois.
Ce Ballet eût le fuccès qu'on
s'en étoit promis. Il fut exécuté avec la
plus grande préciſion & les grâces propres
du genre , dans tous les caractères
différens dont il étoit compofé. Il fut
redemandé & danſé trois fois dans cette
même nuit , & toutes les fois ap-.
plaudi avec une nouvelle vivacité.
M. le DUC DE DURAS , Premier
Gentilhomme de la Chambre en exercice
, fecondé de MM. les autres Gentilshommes
de la Chambre , faifoit les
honneurs à tous ces Bals.
Il y avoit dans les Salles joignantes
celle du Bal , toutes les fortes de rafraîchiffemens
que l'on pouvoit defirer,
ainfi
que les Bouillons , confommés &c.
MARS. 1763. 233
AUTRES BALS A LA COUR.
›
,
Il y a eu , pendant ce Carnaval
plufieurs Bals particuliers à la Cour.
Entre-autres, il y en avoit reguliérement
chaque femaine , chez Madame la Princeffe
de GUIMENÉ où danfoit la
plus brillante Jeuneffe. Le Mardi
dernier jour du Carnaval Madame
la Maréchale de DURAS en donna un
pour les Dames qui n'étoient plus dans
l'ufage de danfer. La plupart des Dames
& des Seigneurs qui formoient ce Bal
étoient Pères & Mères de ceux qui danfoient
cette même nuît à l'autre Bal .
Vers 5 heures du matin , toute la Jeuneffe
qui avoit danfé chez Mde la Princeffe
de GUIMENÉ fe rendit chez
Mde la Maréchale de DURAS , & les
deux Bals fe trouvant réunis , les Pères
danferent avec leurs filles , & les fils
avec leurs mères . Ce dernier Bal dura
jufqu'à 10 heures du matin.
و
On fit à cette occafion la Chanfon
fuivante :
AIR : Monfeigneur , vous ne voyez_rien ( dans
Annette & Lubin ) ou Dodo , P'Enfant dormira
tantôt.
A moi , charmant Anacréóns
234 MERCURE DE FRANCE.
J'invoque aujourd'hui ton génie.
Des Jeux prolonger la faifon,
C'eſt ajouter à notre vie .
Appellons ici la gaîté ,
L'innocence & la liberté.
Enfans de quinze ans ,
Laiffez danfer vos Mamans.
Conviens , Amour , qu'ici des ans
Tu méconnoîtrois l'intervalle :
La moins jeune de ces Mamans
Peut de fa fille être rivale .
Appellons , &c .
Belles , qui formez des projets ,
Trente ans eft pour vous le bel âge :
Vous n'en avez pas moins d'attraits ;
Vous en connoiffez mieux l'ufage.
C'eſt le vrai moment d'être heureux :
On plait autant ; on aime mieux.
Enfans , &c.
Croyez-vous que le Dieu malin ,
Dont je chéris & crains la flâme ,
Allume aux rayons du matin
Le flambeau qui brûle notre âme
Son feu , fi je l'ai bien ſenti ,
Reffemble aux ardeurs du Midi
Enfans , &c.
MARS. 1763. 235
ARTICLE VII.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Mofcou , le 12 Janvier 1763.
PLUSIEURS Puiffances ont fait à cette Cour des
repréſentations en faveur du Prince Charles de
Saxe au fujer de la Courlande ; mais elles ont été
fans fuccès , & Sa Majefté Impériale a fait expédier
par fon Ministère le refcrit fuivant , qui a été
envoyé à plufieurs de fes Miniftres dans les Cours
Etrangères.
"
La réponse que la Cour de Ruffie a donnée au
Comte de Mercy & qu'elle donnera à toutes les
Puiffances qui voudront s'intéreſſer pour le Prince
Charles de Saxe , contient la Déclaration fuivante :
L'Impératrice n'ayant pu découvrir aucune
raifon valable pour dépouiller le Duc Erneft-
Jean & fes héritiers des Duchés de Courlande &
de Semigalle , ne pouvoit fans bleffer les droits
de l'équité , s'empêcher de le reconnoître pour
Duc légitime , & de defirer qu'il fût rétabli dans
la poffeffion entière de ces Duchés , d'autant que
ce foit le voeu unanime de prèſque toute la Nobleffe
de Courlande , & que , conformément aux
Pacta fubjectionis , le Duc Erneft-Jean profeſſe
la Religion Luthérienne & non la Romaine.
D'ailleurs , Sa Majefté Impériale eft bien éloignée
de vouloir déroger aux droits de fes voifins ,
& par conféquent de vouloir agir en aucune manière
contre les droits & privilèges de la Courlande
, Provinces voisines & limitrophes de fon
Empire
236 MERCURE DE FRANCE.
De WARSOVIE , le 15 Janvier 1763.
DÉCLARATION de l'Impératrice de Ruffiefur les
Affaires de Courlande .
» L'Impératrice de toutes les Ruffies , en mon-
» tant fur le Trône , croyoit ne pouvoir donner
» des marques plus éclatantes du defir qu'Elle a
» d'entretenir l'amitié & le bon voisinage du Roi
» & de la République de Pologne , qu'en rendant
>> la liberté à ceux pour qui le Roi & le Sénat l'a-
>> voient demandée tant de fois & avec tant d'inftances
fous le règne de l'Impératrice Elifabeth.
5›
C'eft d'après ces confidérations que Sa Majefté
Impériale a accordé la liberté au Duc Er-
» neft-Jean de Courlande , & qu'Elle a interpofé
» en même temps fa médiation auprès de Sa Ma-
»jefté le Roi de Pologne , pour qu'il lui plût de
>> rétablir ce Duc dans ces Duchés , & de lui ren-
>> dre les domaines dont il avoit dégagé lui-même
» une partie , & dont l'autre lui a été cédée par
» l'Impératrice Anne , de glorieufe mémoire.
>> Plus cette démarche étoit fondée fur la rai-
» fon & l'équité , moins Sa Majesté Impériale
≫ pouvoit croire qu'on la regarderoit , ainfi qu'on
» l'a fait dans la réponſe du Roi du 3 Septembre-
» dernier , comme une ufurpation fur les droits
» Suzérains du Roi & de la République ; car
" peut-on dire avec quelque fondement que
celui qui , fur l'affaire en queſtion , en fait la
» réquifition au Suzerain même , ufurpe ou con-
» tefte fes droits ? Se peut-il qu'on interpréte fi
>> peu favorablement ce qui a été demandé de la
>> part de la Ruffie avec tant dejuftice & d'égards ?
La fuite des Nouvelles Politiques au Mercure
prochain
MARS. 1763. 237
ARTICLE VIII.
ECONOMIE ET COMMERCE.
PRIX des Grains pendant la fin de
FROMENT
Février.
ROMENT ( le feptier ) a varié de 12 à 16 liv.
Seigle , de 8 liv.s fols à 8 liv. 15 fols. L.S
Orge , de 9 liv. 10 à 10 liv. 10 L
Avoine , de 16 liv . à 18 liv. 10 f.
Avoine en Banne , de 16 liv. à 16 liv. 10 f.
Menus Grains.
Lentilles ( le feptier. ) de 28 liv. à 54.liv.
Haricots , de 27 à 39 liv.
Poids verds , de 20 liv. à sa liv.
Poids gris , 20 liv.
Féveroles , de 13 liv. à 14 liv.
Féves de Marais , 24 liv.
Féves Suiffes , 28 liv. à 44 liv.
Vefce , de 16 liv. à 17 liv. 10 f.
Bours & OEufs.
J
Beurre d'Iffigni ( le cent . ) 85 liv.
Beurre de la Ferté , 63 liv.
OEufs de Gournai ( le millier. ) 48 liv. De Long
jumeau , 39 liv. D'Arras , 38 liv.
Fourrages.
Le foin ( le cent ) 34 liv.
La Paille , 16 liv.
238 MERCURE DE FRANCE.
APPROBATIO N.
J'ai lu , par ordre de Mónſeigneur le Chancelier, 'AI
le Mercure de Mars 1763 , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion. A
Paris , ce 28 Février 1763. GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.,
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
L'HYVER , Poëme.
LETTRE de Mŀle *** à Madame. . . fur
l'Emile de M. Rouffeau.
COUPLETS à l'occafion d'un Ballet des Elémens
, à une Salamandre .
ÉPIGRAMME.
VERS fur le mariage de Mlle de Dromefnil
avec M. le Marquis de Belfunce.
ENVOI.
Page 5
IS
22
23
24
25
26
35
ibid.
L'Amour & l'Hymen réconciliés , Conte Epithalamique.
VERS fur le Tableau du Ror , repréſenté
par les VERTUS .
CRISTALLIDE la Curieufe , Conte tiré des
Mille & une Nuits.
VERS après une grande maladie de l'Auteur. 39
ODE Anacréontique.
VERS à une jeune Demoiselle.
ibid.
40
41 PRÉCIS hiftorique fur la vie de Raimond Lulle .
VERS à M. le Chevalier de Chatelus, fur ceux
MAR S. 1763 . 239
qu'il a préfentés à Mgr le Prince de Condé . 45
ANGÉLIQUE , Anecdote.
POUR le Portrait de Mlle....
A Son Alteffe Royale Mgr le Duc de Savoie,
en lui fouhaitant la bonne année.
VERS.
AUTRES.
ENIGMES.
47
18
59
ibid.
60
61 & 62
62 & 63,
LOGOGRYPHES.
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
MÉTHODE de M. Keyfer pour l'adminiſtration
de fes dragées dans le traitement
des Maladies vénériennes .
DISCOURS prononcé dans l'Aca lémie Françoife
, à la réception de M. l'Abbé de
Voifenon.
LES après-foupers de la Campagne,
64
71
76
77
80
88
89 &fuiv.
LETTRE furun Poëme Latin, de M. de Maffac
, à M. de Mont. #
A l'Auteur du Mercure , fur un Plagiat.
LETTRE à M. De la Place , fur un Jetton
frappé en 1606 .
ANNONCES de Livres,
ARTICLE III . SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADEMIES.
EXTRAIT du Mémoire lu à l'Aſſemblée publique
de l'Académie Royale des Sciences ;
par M. de Parcieux .
GEOMETRI E.
EXTRAIT de la Séance publique de l'Académie
des Sciences , Arts & Belles -Lettres
de DIJON.
ÉCOLE Royale Vétérinaire , établie à Lyon
fous,la direction de M. Bourgelat.
99
117
128
129.
240 MERCURE DE FRANCE .
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE.
LETTRE d'un Éléve en Chirurgie de l'Ho-
PITAL DE LA CHARITÉ , à l'Auteur du
Mercure, fur l'Opération de la Taille.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
LETTRE de M. Delalande , de l'Académie
des Sciences , à M. De la Place.
MUSIQUE.
133
141
148
SUPPLEMENT à l'Article des Piéces fugitives
SUITE de la Traduction de Mal- à-propos
ou l'Exil de la Pudeur , Poëme Grec.
A Mad... L. D. De......
·
...
ART. V. SPECTACLE S.
SPECTACLES de la Cour à Verſailles .
OPÉRA.
SPECTACLES DE PARIS.
COMÉDIE Françoiſe.
149
174
174
178
181
200
205
COMÉDIE Italienne. 208
CONCERT Spirituel .
211
ART. VI. BALS de la Cour. 212
ART. VII. Nouvelles Politiques. 235
ART. VIII . Economie & Commerce. 236
OBSERVATIONS fur Dupuis & Des Ronais .
LETTRE de M. de SaintFoix à M****.
(
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY
rue & vis-à-vis la Comédie Françoile.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
AVRIL. 1763 .
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
PREMIER VOLUME.
Chez
Bachin
Sysime
Rapik1o7u85S.culp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY, vis- à-vis la Comédie Françoiſe.
PRAULT , quai de Conti.
DU CHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
.31
2 L.
C
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch à côté du
Sellier du Roi.
,
C'est à lui
que l'on prie d'adrefer
,
francs
de port , les paquets
& lettres
,
pour remettre
, quant à la partie litté- raire , à M. DE LA PLACE
, Auteur du Mercure
.
"
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port. !
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir , ou qui prendront les frais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
parvolum , c'est- à- dire 24 livres d'avance,
en s'abonnant pour feize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure , écriront à l'adreſſe cideffus.
On Supplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le payement
enfoit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
, refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
, d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année. Il y en a jufqu'à
préfent quatre - vingt -neuf volumes.
Une Table générale , rangée par
ordre des Matières , fe trouve à la fin du
foixante-douziéme.
DE
T
LYON
MERCURE
DE FRANCE
AVRIL. 1763 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE .
ODE
SUR LA STATUE ÉQUESTRE
CIBLI
DU ROI.
L ! quel Coloffe admirable
S'offre aux yeux des Citoyens ?
Une Déité femblable
Au Soleil des Rhodiens.
D'amour , de reconnoiffance
?
I. Vol. A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Je fens mon coeur enflammé ;
Je vois l'Aftre de la France :
C'eft LOUIS LE BIEN - AI MÉ.
Erato , daigne paroître !
Viens !J'implore ton fecours !
Je veux célébrer mon Maître
Sur la Lyre dès Amours.
Paris ! jufques dans les nues ,
Éléve ce Grand BOURBON ;
Tu lui dois plus de Statues
Que Cecropie à Solon.
( a ) Fils célébre de Philippe !
Ton fuffrage fi vanté ,
A Praxitelle , à Lifippe
Donna l'Immortalité.
Sur les traces de leur gloire
S'avancent d'un pas égal ,
Vers le Temple de Mémoire ,
( b ) Goor , Bouchardon & Pigal.
15
(a ) Alexandre le Grand ordonna que fes Portraits
feroient peints par le feul Apelle ; les Statues
fculptées par Praxitelle , & jettées en fonte
par Lifippe , à caufe de l'excellence de ces deux
Artiſtes.
( b ) La Statue du Roi eft du travail du fieur
Goor, fur les deffeins du fieur Bouchardon , qui
dans fon Teſtament , fait fix mois avant la mort,
defira que le fieur Pigal fût fon Succeffeur dans
cet Ouvrage
.
1
AVRIL. 1763. 7
(c ) Une charmante, Bergère ,
Que le Dieu des coeurs guidoit ,
Defina d'une main chère ,
Un Amant qu'elle adoroit;
Ainfije te vois , France !
Retracer dans ce grand jour ,
La parfaite reflemblance
De l'objet de ton amour.
Des Arts , l'Amour eft le maître ,
Par eux il peut nous charmer ;
Si l'efprit leur donna l'être
L'Amour fçut les animer .
Nous lui devons la Sculpture ,
L'Eloquence , les Concerts ,
Le Pinceau , l'Architecture ,
l'Art d'Uranie & les Vers.
Louis ! leur troupe timide
Vole autour de ta Grandeur ;
Sois leur afyle , leur guide ,
Leur ami , leur défenfeur.
Les Rois qui les protégerent
Sont encor chers aux mortels ;
C'eſt par là qu'ils mériterent
Des Monumens éternels.
( c ) Une Bergère , dit Pline , inventa le Def
feing en traçant fur un mur , avec du charbon ,
les contours de l'ombre de fon amant
A iv
& MERCURE DE FRANCE.
Clio , ta plume Içavántės do on ( 0)
A confacré leurs exploits !
La jeune Erato nous vante
L'aménité de leurs Loit. pusma f
Sur les Bronzes d'Italie, dov sebua
Les Céfars nous font préfens. DISK
C'est ainsi que le Génies lion sticking ol
Brave l'injure des temps. blad
( d ) HENRY ! fur ta Face augufte
Je contemple ta Bonté.
I
A tes traits , LouÍS LE JUSTE
Je reconnois l'Équité.
LOUIS LE GRAND , ta nobleffe
21192
Nous annonce tes hauts faits .
ROI BIEN- AIME ! la Sageffe
Sur ton Front grava fés traits .
Vous , dont la Mufe fertile
Fait revivre les Heros !
Chantres du terrible Achille ,
Sans vos pénibles travaux ,
Aux bords de la Mer Égée ,
Son nom voilé par l'oubli ,
Dans les tombeaux de Sigée
Refteroit enſeveli.
1
(d ) Cette Strophe eft adreffé e aux quatre Sta
Lues Equeftres des Rois BOURBON <STRONG
AVRIL. 1763.¨¨
Troupe aveugle de Barbares !
Dont les flambeaux deftructeurs
Confumoient les OEuvres rares
De tant d'efprits créateurs :
Les Préjugés , l'Ignorance ,
L'Esclavage , le Mépris ,
Sont la jufte récompenſe
De vos forfaits inouis.
Nations ! Villes célèbres !
Les Ouvrages de vos mains
Ont diffipé les ténébres ,
Si fatales aux humains.
Memphis , Athènes , Palmire ,
Rome , Florence , Paris !
Vos noms illuftrent l'Empire
Que Pallas vous a remis.
( e) Grand Préfet ! (f) Sages Édiles ,
D'un Roi , Père des Français ,
Dans la Reine de nos Villes ,
Eternifez les bienfaits.
g) Marigni ! que de merveilles
Vont éclore fous tes yeux !
Tu protéges , tu réveilles
Les mortels ingénieux .
( c ) M. le Prévôt des Marchands.
(f MM. les Echevins.
(g M. le Marquis de Marigni , Surintendant
des Bâtimens , &c. A. v
10 MERCURE DE FRANCE .
Dieu des rives du Méandre ,
Sur mon coeur régle ma. voir !
Jeune encor , daigne m'apprendre
A chanter nos dignes Rois !
L'amour feul de la Patrie
Soutient mon foible talent :
Prête-moi ton harmonie ,
Pour l'unir au Sentiment .
Par le Chevalier DE VIGUIER , Mousquetair
du Roi dans la premiere Compagnie .
LOUIS. X V.
Son règne à jamais mémorable
Des fiècles à venir fera l'étonnement.
L'Amour de fes Sujets pofa ce Monument ,
Attendant que l'hiftoire en fonde un plus durable.
PIRON.
LE POETE PHILOSOPHE.
LONGTEMPS
ONGTEMPS obfcurci d'orages
Le Ciel , enfin , fans nuages
Reprend la férénité ? .
Et la terre que décore
A l'envi Cérès & Flore ,
Préfente à l'oeil enchanté
Richeffe enfemble & Beauté .
AVRIL. 1763. II
Zéphir agitant fes aîles
Autour des roſes nouvelles
Où brille un doux incarnat
Fait fentir à l'âme émue
Le plaifir de l'odorat
Joint à celui de la vue.
Sous ces arbres en berceau ,
Quel doux murmure m'attire !
C'eft le bruit d'un clair ruiffeau
Baignant la fleur qui fe mire
Dans le criftal de fon eau.
Je vois d'un rameau fur l'autre
Voltiger l'ardent moineau
Dont l'amour vaut bien le nôtre ,
Et le tendre tourtereau
De la conftance l'Apôtre.
Aujourd'hui pourtant l'on dit
Que ce fut bien à crédit
Qu'on lui donna cette gloire ;
Car dans ce fiécle maudir
Sans preuve on ne veut rien croire.
Moi qui ne doute de rien
Your mon falut & fais bien ,
Je croirois la tourterelle
Des gens conftans le modéle ,
Si je n'affignois le prix
A nos Femmes de Paris,
Fidéles à ce qu'ils fentent
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Les oiſeaux amoureux chantent is
Et n'engagent point, leur foi : 1. SOÁ
De nature c'eft la loi.
Ils n'ont garde d'aller faire
Pardevant .... .... ou Notaire
Le ferment d'aimer toujours
Ce qui peut ceffer de plaire.
Hélas ! leurs tendres amours ,
Ce ruiffeau , ce doux ombrage , i
Tout à mes yeux dans ce bois
Retrace l'heureux boccage
Où, pour la premiere fois ,
Thémire écouta ma peine ;
Thémire ayant en ſa fleur
D'une roſe la couleur ,
Du Zéphir la douce haleine ,
Des cheveux qui fans deffein
Tomboient en boucle d'ébene
Sur l'albâtre de fon fein.
Temps heureux des doux menfonges !
Age fi court du bonheur ,
Que font devenus tes fonges !
Le temps cruel précepteur
Nous donne l'expérience ;
Fatal arbre de fcience ,.
Qui des douces voluptés.
Rompt l'illufion & chaffe
Les plaifirs qu'elle remplace
Par de dures yérités !
AVRIL. 1763. 13
VERS fur un Portrait donné à Mlle
DANGEVILLE.
TITON àfa Filleule aimable
A légué de Duclos le Portrait admirable :
Titon par un fi digne choix ,
Fait quatre éloges à la fois.
P. D. S. A. Peintre
Nota Le Portrait de Mlle Duclos , une des
plus grandes Actrices qu'il y ait eu dans le Tragique
, peint par le célébre Largilliere , vient
d'être légué par l'illuftre M. Titon du Tiller ,
Auteur du Parnaffe François , à l'inimitable
Mlle Dangeville fa Filleule , dont les rares talens
dans le Comique font portés au dernier
degré.
CONSEILS d'une Mère à fa Filie.
OCTAVE te recherche , & le vieil Alcidon
De fes biens & de lui , voudroit te faire don ;
L'un eft jeune , agréable , & l'autre fort utile,
Et pour un jeune coeur le choix eft difficile .
Alcidon eft modefte , & riche , & généreux :
Ton Octave n'a rien , mais il eft amoureux.
J'aimerois Alcidon ; tu dois aimer Octave.
14 MERCURE DE FRANCE.
Ma Fille c'eſt pour toi : fans contrainte choifis
Le printemps & fes fleurs , ou l'automne & fes
fruits .
Prends jeune Maître , ou vieil Efclave.
T
ABBAS ET SOHRY ,
NOUVELLE PERS ANNE.
ABBAS , Roi de Perfe , fut , comme
tant d'autres Potentats , furnommé le
Grand, pour avoir fait de grands maux
à fes Voifins. Il aimoit paffionnément
les femmes & la guerre . Il la faiſoit
autant pour peupler fon Sérail que pour
accroître fes Etats . Tout Roi dont la
femme étoit belle & le Royaume voifin
de celui de Perfe , devoit alors fonger
à défendre l'une & l'autre. Du refte ,
Abbas étoit auffi prompt à fe refroidir
qu'à s'enflammer , & en amour comme
en guerre , une conquête achevée lui
en faifoit bientôt defirer une nouvelle .
Il y avoit alors dans le Pays d'Imirete
, ( c'eft l'ancienne Albanie ) une
Nota. Le fonds de ce Conte eft vrai , & tiré
des Voyages de Chardin . Sohry eſt auffi connue ,
auffi célébre en Perfe, que la belle Agnès l'eft en
France.
AVRIL. 1763. IS
jeune Princeffe , nommée Sohry , &
foeur du Souverain de cette Contrée. ,
Sohry étoit plus belle qu'on ne le peut
décrire , même en ftyle oriental . C'eſt
elle que les Poëtes Perfans ont depuis
chantée à l'envi. Mais l'hyperbole , qui.
leur eft fi familière , fe trouva dans ,
cette rencontre au - deffous de la réalité.
Il fut , pour cette feule fois , hors de,
leur pouvoir d'outrer un Sujet.
L'admirable Sohry vivoit fous la tutelle
d'une mere qui l'égaloit prèfque .
en beauté , & ne la furpaffoit que de
trois luftres en âge : c'eft-à -dire qu'elle
n'avoit guéres que trente ans. Cette
Princeffe après avoir été Reine s'étoit
faite Religieufe ; état qui dans cette
contrée n'oblige point à s'enfermer dans .
un Cloître. On refte dans fa maiſon ,
& l'on eft libre d'en fortir fans que pour
cela aucun des voeux reçoive , ou foit.
censé avoir reçu nulle atteinte.
Sohry , que nul voeu pareil n'enchaînoit
, gardoit cependant une folitude
plus rigoureufe. Elle habitoit & ne quittoit
point certain Château inacceffible à
tout étranger. J'en excepte le Prince de
Georgie à qui , felon l'ufage de ces
lieux , la Princeffe étoit fiancée depuis
l'âge de cinq ans. Déja même il auroit
16 MERCURE DE FRANCE.
dû être fon époux , fi une guerre fanglante
qui l'occupoit , & la connoiffance
qu'il avoit du caractère d'Abbas , n'euffent
retardé le moment de cette union.
A cela près , les charmes de Sohry n'étoient
guères connus que de fa mère
du Roi fon frère & des femmes qui la
fervoient. Ces femmes , à l'exception
d'une feule , ignoroient même fa qualité.
Tant de précautions avoient pourbut
de dérober cette jeune merveille
aux pourfuites du Roi de Perfe , qui
avoit l'ambition de ne peupler fon Sérail
que de Princeffes. On eut même
recours à un autre moyen , beaucoup
plus infupportable pour cette captive
que la folitude la plus trifte. Ce fut de
publier que fon extrême laideur obligeoit
de la fouftraire à tous les regards.
Ce bruit trouva peu d'incrédules.
On fe fouvint qu'il avoit déja fallu en
ufer ainfi à l'égard d'une foeur aînée de
la Princeffe ; objet réellement auffi difforme
que Sohry étoit féduifante . On
avoit même depuis publié la mort de
cette première captive , qui néanmoins
éxiftoit toujours. La raifon de ce procédé
, c'eft que chez cette nation , la
laideur eſt un opprobre , & qu'elle n'eft
pas moins rare dans ces heureuſes conAVRIL.
1763. 17
#
trées , que l'extrême beauté dans quel
ques autres.
Quant à Sohry , elle ne fe conſoloit
point de l'injure qu'on faifoit à fes charmes.
Elle ignoroit que quelqu'un fongeât
aux moyens de détromper , à cet
égard , & le Public ; & furtout le Roi
de Perfe . C'étoit Zomrou , ancien Miniftre
du feu Roi d'Imirette , & qui d'abord
avoit efpéré de devenir beau - père
du Roi regnant. Las d'efpérer en vain
il pria ce Prince d'époufer fa fille , ou
de ne point vivre avec elle comme s'il
l'eût époufée. Difvald , c'eft le nom du
Roi , répondit en Souverain abfolu
& Zomrou fe retira en Sujet mécon-,
tent.
>
Il crut , toutefois , de voir encore diffimuler
; mais au fond il ne refpiroit
que vengeance , & choifit Abbas pour
fon vengeur. Il fongea à tirer parti du
caractère de ce Prince. La faveur où il
s'étoit maintenu jufqu'alors à la Cour
d'Imirette , l'avoit mis à portée de s'inftruire
de ce qui étoit un mystère pour
tout autre Particulier ; il fçavoit que la
laideur de Sohry n'étoit que fuppofée ,
& il fçavoit de plus le motif de cette
fuppofition . Il fait part at Sophi de toutes
fes découvertes , s'efforce d'exagérer
f
18. MERCURE DE FRANCE .
C
les charmes de Sohry , & trace un por-,
trait bien inférieur encore à fon mo-"
déle. En un mot , il n'épargne rien pour
irriter Abbas contre le frère , & l'enflam-.
mer vivement pour la foeur.:
Ce moyen bifarre a tout le fuccès
qu'il pouvoit avoir Abbas comptoit
parmi fes Eunuques , un Italien qui pour
entrer au Sérail n'avoit pas eu befoin
de changer d'état. C'étoit un de ces
Etres anéantis dès leur naiffance , & à
qui , pour tout dédommagement , l'art
procure un fauffet plus ou moins aigre .
Ce Chantre involontaire avoit dès- lors ;
fçu joindre la Peinture à la Mufique.
Il alloit tour-à-tour du lutrin au chevalet
; il paffoit d'une dévote Ariette au
Portrait d'une Beauté galante . Mais il
trouva que ces travaux réunis ne rapprochoient
point de lui la fortune. II
réfolut de la chercher dans d'autres climats
. Ses voyages , le hafard , ou fa deftinée
, le conduifirent jufqu'à Ifpahan .,
Là , fa qualité d'Eunuque lui procure.
l'avantage de s'attacher au Roi de Perfe ,.
& le caractère de ce Prince lui fournit .
bientôt l'occafion de déployer tous festalens.
Déjà plus d'une fois ce nouveau confident
lui avoit fait connoître les plus .
}
AVRIL. 1763. 19.
belles Princeffes des pays voifins , fans,
que pour cela Abbas eût été obligé de
quitter fa Cour. Il fut queftion d'ufer
d'un ftratagême à -peu-près femblable.
auprès de la Princeffe d'Imirette . Voilà
l'Eunuque encore une fois déguifé en
femme , & conduit en diligence jufqu'à
la Capitale de cette contrée. Il y voit
Zomrou , & en tire certains éclairciffemens
indifpenfables . Quant au furplus
, Abbas l'avoit mis à portée de
furmonter bien des obftacles , ou ce
qui revient au même , l'avoit mis en
état de prodiguer l'or. Il le prodigua &
féduifit tous ceux dont il crut avoir be--
foin. Mais nul d'entr'eux ne pénétra fes
vues . Il fe garda bien , furtout , de nommer
la Princeffe à ceux qui avoifinoient
fa demeure , inftruit d'avance , que ni
eux , ni même la plupart des femmes.
qui la fervoient , ne la connoiffoient
fous ce titre. Au furplus , il apprit que
la jeune Solitaire paroiffoit affez fouvent
à certaine fenêtre , donnant fur une plaine,
vafte & riante. Il fut charmé de la découverte
, fe rendit au lieu indiqué ,
& trouva , de plus , un petit bofquet
propre à favorifer fon deffein. Il étoit,
peu diftant de la fenêtre dont il vient
d'être parlé. L'Eunuque toujours dé20
MERCURE DE FRANCE.
guifé y entra , s'y plaça de maniere à
n'être vu qu'autant qu'il le voudroit
& attendit que la Princeffe daignât ellemême
fe laiffer voir.
1
Elle n'avoit fur ce point aucune répugnance
; chofe affez croyable dans
une jeune Beauté. Souvent même en
contemplant fes charmes dans une glace
, elle gémiffoit de les contempler feule
. Les jardins où elle ne trouvoit pour
toute compagnie que des fleurs , des
ftatues & des femmes , lui devenoient
infipides. Elle n'y jetroit les yeux , ou
ne les parcouroit que par défoeuvrement.
L'Eunuque fans quitter fon embufcade
, fongeoit aux moyens de l'attirer
du côté de la plaine. Il y réuffit avec
le fecours de quelques ariettes Italiennes
, qu'il fe mit à chanter de fon mieux ,
& fort bien. A peine fes accens eurent
frappé l'oreille de la Princeffe , qu'elle
accourut vers fa fenêtre favorite . Ellemême
étoit fort empreffée de voir la
Cantatrice étrangère , car elle jugea, quoiqu'à
regret , que cette voix ne pouvoit
être que celle d'une femme . De fon côté,
l'Eunuque fe tenoit à l'entrée du bofquet,
& là fans être vu trop à découvert ,
& fans difcontinuer de chanter, il tira fes
crayons & déſſina la Princeffe , qui enAVRIL.
1763.
21
chantée de fa voix , ne fongeoit ni à
l'interrompre , ni à difparoître. Déjà
même l'efquiffe du Portrait étoit achevée
, & l'Eunuque chantoit encore
étoit encore écouté . Il crut en avoir
affez fait pour le moment , renferma fes
crayons , & mit fin aux ariettes . Alors
la Princeffe donna ordre que la prétendue
Chanteufe lui fût amenée. C'étoit
ce que demandoit l'Agent travefti.
Il eft introduit auprès d'elle , gracieufement
accueilli , loué fur fa voix ; &
obligé de répondre à une foule de queftions.
?
Il les avoit prévues en partie , & ne
fut embaraffé par aucunes. Sohry lui
demanda entre autres chofes , fi les
Princeffes de fon Pays étoient belles
& les Princes fort galans ? Madame , répondit
la fauffe Italienne , aucune de ces
Princeffes ne vous égale en beauté ,
& tous les Princes de la terre deviendroient
galans , deviendroient paffionnés
, s'ils avoient le bonheur de vous
voir un feul inftant, Sohry ne répondit
rien à ce difcours , mais elle foupira ,
L'Eunuque étoit trop habile pour ne pas
entrevoir la caufe de ce foupir. Etre la
plus belle perfonne de l'Orient & paffer
pour la plus laide , n'avoir que dix22
MERCURE DE FRANCE.
huit ans & pas l'ombre de liberté ; ne
compter qu'un adorateur , qu'on ne voit
que rarement , qu'on n'aime que fort
peu , & ne pouvoir efpérer qu'un autre
le remplace : à coup fùr on foupireroit
, on gémiroit à moins ; & Sohry ,
en effet , ne ſe bornoit pas toujours à
foupirer.
Elle propofe à la fauffe Cantatrice de
s'arrêter quelque temps auprès d'elle .
C'étoit ce que l'Eunuque defiroit le plus ;
cependant il diffimula , oppofa quelques
obftacles faciles à lever , & fe conduifit
avec tant d'art qu'il augmenta l'empreffement
de Sohry , & diffipa tous
les foupçons de fes furveillantes. Il céda ,
enfin , & parut n'avoir fait que céder.
Son emploi confifta d'abord à chanter
auprès de la Princeffe , & à lui donner
quelques leçons de Mufique. Elle joignoit
à fes autres perfections , une voix
auffi propre à charmer l'oreille , que
fes
traits l'étoient à charmer les yeux. L'Eunuque
avoit foin de lui chanter les airs
les plus tendres , & c'étoit toujours
ceux qu'elle apprenoit le plus aifément.
Elle vouloit auffi qu'il lui expli
quât les paroles fur lefquelles ces avis
avoient été compofés . Mais le Traducteur
avoit prèfque toujours foin de leur
AVRIL. 1763: 23
donner un fens relatif à la fituation où
fe trouvoit fa charmante éléve , & aux
fentimens qu'il vouloit faire naître en
fon âme. Delà nouveaux foupirs , nouvelles
rêveries , nouvelles queftions. Il
crut l'inftant favorable pour hafarder
'une épreuve d'une autre genre. Ce fut
de placer le Portrait d'Abbas fous les
yeux de la Princeffe d'Imirette .
,
Sohry lui parloit fouvent & de l'ennui
attaché à une folitude perpétuelle ,
& de la difficulté de vaincre cet ennui.
Je ne vois qu'un moyen de l'éviter , &
c'eft à vous que j'en fuis redevable .
Mais on ne peut ni toujours entendre
chanter , ni toujours chanter foi -même.
Il eft , reprit vivement l'Italien d'autres
talens auffi récréatifs que celui - là ,
auffi faciles à acquérir . Si la Mufique
vous fait imiter & furpaffer le chant des
oifeaux de vos bofquets , la Peinture
par exemple , vous apprendroit à imiter
les oifeaux mêmes , & bien d'autres
objets plus intéreffans que des oifeaux.
Eh quoi ? reprit encore plus vivement
Sohry , auriez-vous auffi le talent dont
vous parlez ? Feu mon époux , repliqua
l'intrépide Italien , le poffédoit au plus
haut degré ; je conferve même le Portrait
d'un Prince de Perfe qu'il peignit
24 MERCURE DE FRANCE .
durant le féjour qu'il fit à Ifpahan .
A peine eut-il prononcé ces mots ,
que la Princeffe voulut voir le Portrait,
& à peine l'a -t-il mis en évidence
qu'elle s'en faifit , le fixe avec attention
, paroît s'émouvoir , loue avec exclamation
l'art du Peintre , & admire
encore plus , mais fans en rien dire , les
traits qu'il a imités . Elle s'informe cependant
qui on a voulu repréfenter dans
cette peinture , & file Peintre n'a point
flatté fon modéle ? Je fçais que fon
grand talent fut d'imiter la reffemblance
, reprit l'Eunuque ; mais j'ignore à
qui ce Portrait reffemble. Une mort
fubite empêcha mon époux de m'en
inftruire à fon retour au Caire où il
m'avoit laiffée. Quelqu'un , à qui la
Cour de Perfe eft connue , m'a dit reconnoître
ici les traits du grand Abbas
C'eft ce que je n'ai pu vérifier , & ce
que fans doute je ne vérifierai jamais .
L'Agent d'Abbas n'avoit pas cru devoir
paroître mieux inftruit de peur de
fe rendre fufpect . Il fçavoit d'ailleurs
que cette incertitude ne ferviroit qu'à
irriter l'impatience de la Princeffe , &
que cette impatience une fois fatisfaite
, la conduiroit à un fentiment plus
vif en core. Il ne fe trompoit pas. Sohry
tomba
AVRIL. 1763. 25
tomba dans une rêverie mélancolique
& profonde. Le Portrait qu'elle avoit
en fon pouvoir l'intéreffoit vivement.
Quelle impreffion ne feroit donc pas
fur elle l'objet qui y eft repréſenté ?
Quel dommage fi ce Prince n'exiftoit
plus ! & s'il exiftoit encore , quel plus
grand dommage d'ignorer qui il eſt ,
d'en être ignorée foi-même ? Toutes ces
penfées agitoient fucceffivement la Princeffe
captive. L'Eunuque l'examinỏit &
la devinoit . Elle lui fit une nouvelle
queftion. Cet Art , lui dit-elle , que
votre époux poffédoit fi bien , vous eftil
donc abfolument inconnu ? C'étoit
encore où l'adroit Emiffaire l'attendoit.
Il répondit que , fans y exceller , il s'y
étoit fouvent éffayé avec fuccès. Vous
pourriez donc , reprit la Princeffe , imiter
la figure de ce petit chien ? Vous en
jugerez , repliqua l'Eunuque , en préparant
fes crayons. A l'inftant même il
deflina cet animal , & le jour fuivant ,
il fit voir à Sohry le tableau déja fort
avancé. C'est dommage , lui dit- elle ,
de n'employer vos talens qu'à peindre
des animaux. J'ai une Efclave qui m'amufe
par fes folies , autant qu'une femme
peut en amufer une autre : fa figure
a quelque chofe d'original , & je vou-
I. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
drois par votre fecours en conferver la
copie. Volontiers , dit encore l'Eunuque
, à qui cette gradation parut devoir .
être bientôt fuivie d'une plus éffentielle .
Déja il demandoit
à Sohry la permiffion
de faire venir cette Efclave ... Attendez,
ajouta de nouveau la Princeffe ; tout ceci
eft , & doit être un mystère entre nous,
& l'Efclave la plus zélée peut devenir
indifcrette
. Ne pourriez-vous pas , pourfuivit-
elle en rougiffant
un peu, exercer
vos talens fur un autre objet ? Par
exemple , me peindre moi-même au lieu
d'elle Madame , repliqua l'Eunuque
tranfporté de joie , mais toujours habile
à diffimuler , je doute que tout l'effort
de l'Art puiffe aller jufques-là : mais
j'exquifferai de mon mieux ces traits.
que la Nature elle-même auroit peine
à reproduire une feconde fois .
•
Sohry lui demanda enfuite quelle
attitude lui fembloit la plus avantageufe
. Celle , répondit-il , qui vous eſt la
plus ordinaire . Il n'eft pas plus en votre
pouvoir d'être fans grâce que fane
beauté.
L'Eunuque alors commença librement
ce Portrait qui étoit l'objet principal
de fa miffion , & qu'il avoit cru
auparavant ne pouvoir éxécuter qu'à
AVRIL. 1763. 27
>
la dérobée . Le zéle qu'il avoit pour fon
Maître & les facilités que lui donnoit
la Princeffe , firent qu'il fe furpaffa
lui- même dans cette nouvelle occafion
. Il parut avoir peint la plus belle
Perfonne du monde , & n'égala pas
encore fon modéle . Cependant , chofe
affez rare , il fatisfit la Beauté qu'il avoit
peinte. Il fe propofoit de tirer une copie
éxacte de ce Portrait : la Princeffe
lui en épargna la peine . Elle lui permit
d'emporter l'Original dans fa Patrie.
Qu'il ferve , ajouta -t -elle , à m'y faire
mieux connoître que dans la mienne où
je dois toujours vivre ignorée. Elle prononça
ces mots d'une voix tremblante
fes yeux devinrent humides C'en fut
affez pour déterminer l'Eunuque à s'expliquer
un peu plus qu'il n'avoit fait jufqu'alors
; mais , cependant , toujours
par emblême ; forte de langage que fon
art le mettoit à même d'employer à fon
choix. Il n'eut pas le loifir d'en faire un
long ufage. La prochaine arrivée du
Prince de Georgie l'obligea de précipiter
fon départ. Sehry elle-même ne crut
pas devoir s'y oppofer. Mais , en partant
, il la fupplia d'accepter une autre
production de fon art , un tableau dont
elle pourroit voir un jour la répétition
B ij
28 MERCURE DE FRANCE.
au naturel. A ces mots , la fauffe Italienne
préfente à la Princeffe un paquet
bien enveloppé , bien cacheté , & s'éloige
en diligence.
Sohry foupçonne que c'eft quelque
autre Portrait , non moins anonyme
que le premier , dont l'Etrangère vient
de lui faire préfent. Elle rompt l'enveloppe
& voit un tableau compofé de
deux figures. Mais quelle eft fa furpriſe
de reconnoître dans l'une fa propre image
, & dans l'autre celle du Portrait
dont on vient de parler ! Cette derniere
figure étoit repréfentée aux pieds de
celle de Sohry & lui offroit un Sceptre.
Le Prince , d'ailleurs , étoit orné de tous
les attributs du Monarque , & même
du Conquérant. Mais c'étoit là tout ;
rien de plus ne fervoit à indiquer fon
nom. L'Agent d'Abbas s'étoit tenu fur
cette réſerve , ne fe croyant pas autorifé
à en dire plus , & craignant furtout
, d'en dire trop.
C'eſt Abbas ! difoit Sohry en ellemême
; plus d'une raifon me porte à
le préfumer. Mais hélas ! Si c'eft lui ,
que de raifons s'oppofent à fes vues ?
Ne s'expliquera-t-il point trop tard ? Me
fera-t-il jamais poffible de l'entendre ,
ou permis de l'écouter ?
AVRIL. 1763 . 29
Ces réfléxions fe renouvelloient fouvent
dans fon âme , & l'attriftoient
toujours. Cependant l'Eunuque arrive
à Ifpahan ; inftruit le Monarque de ce
qu'il a fait , & l'exhorte à venir luimême
achever un ouvrage fi heureuſement
commencé. Le Portrait de Sohry
étoit pour Abbas une exhortation encore
plus éfficace. Il lui parut fi beau
qu'il le foupçonna d'être un peu flatté.
Le Peintre cependant , lui proteſtoit
qu'en cette occafion , l'art étoit reſté
fort au-deffous de la nature , & cet aveu
ne partoit point d'une fauffe modeftie :
Sohry étoit auffi fupérieure à fon Portrait
, qu'il l'étoit lui-même à toutes
les Beautés dont le Sérail d'Abbas étoit
peuplé.
.
On ne tarda pas à voir paroître à
la Cour d'Imirette un envoyé du Sophy.
Cette ambaffade avoit un double objet
; de demander Sohry au nom d'Abbas
, ou de déclarer la guerre en cas
de refus. Lui-même regardoit ce refus
comme certain. Une haine ancienne ,
& par conféquent ridicule , & par conféquent
implacable , animoit les deux
nations , l'une contre l'autre . De fort
mauvais Politiques les entretenoient dans
ce préjugé ; & leurs Princes , qui fou-
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
vent ne l'approuvoient pas , n'ofoient
éffayer de le détruire .
C'eft , furtout , ce que ne vouloit
point tenter Difvald , frère de Sohry ,
& de plus ennemi perfonnel d'Abbas.
Réfolu de réjetter fa demande , il prend
avec le Prince de Georgie , fon futur
beau-fière , des mefures pour lui réfifter.
On éffaye en même tems de
faire prendre le change à l'Envoyé du
Sophy. On ne lui parle que de la
pré endue laideur de Sohry , & pour
mieux l'en convaincre , on fait paroître
à fes yeux cette four aînée , difforme
à tous égards , & qui n'a rien de commun
avec fa cadette , excepté le nom .
L'Agent d'Abbas étoit fort furpris qu'un
Roi pût fe réfoudre à 'raffembler une
armée pour tenter une pareille conquête.
La vraie Sohry , celle qui occafionnoit
tout ce trouble , en étoit la moins
inftruite . Elle continuoit à vivre &
à s'ennuyer dans la folitude. Le tableau
que lui avoit laiffé l'Eunuque ,
en la quittant , occupoit fouvent fes
regards . Seroit-il bien vrai , qu'Abbas
ne me crût pas auffi affreufe qu'on
le publie Elle fe le perfuadoit de fon
mieux , & à tout évenement cette idéo
AVRIL. 1763. 31
la confoloit . Survint tout-à- coup le
Prince de Georgie occupé lui même
d'un idée fort affligeante pour elle , &
qu'il croit propre à le raffurer. Il
venoit , dis- je , exiger de fa Fiancée
un facrifice qui paroîtra toujours exceffivement
dur à une belle perfonne
, & même à une laide : c'étoit d'écrire
de fa propre main au Roi de
Perfe , qu'elle n'a ni agrémens , ni
beauté. Une telle propofition fit frémir
la Princeffe . Elle trouva que c'étoit
abufer de fa docilité & porter
Pafcendant jufqu'à la tyrannie . Elle gardoit
un morne & froid filence. Taymuras
réitére fa demande , & eft furpris
d'avoir été contraint de le faire .
He quoi ! lui dit-elle enfin , avec beaucoup
d'emotion & de vivacité , ma
réputation de laideur n'eft - elle pas fuffifament
établie ? ne paffai- je pas pour
un modéle de difformité ? Le Roi de
Perfe , reprit-il avec chagrin , n'en paroît
pas bien convaincu. Il vous fait
demander par un Ambaſſadeur , &
il vient lui-même appuyer cette demande
à la tête de cent mille hommes.
Cette réponſe rendit la Princeffe une
feconde fois rêveufe. Le dépit fur fon-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
vifage parut avoir fait place à d'autres
mouvemens & Taymuras crut même y
remarquer l'empreinte de la joie. Ce
fut une raifon de plus pour infifter
fur la démarche qu'il exigeoit. Eh que
produira ma lettre ? ajouta la Princeffe ;
détrompera- t-elle plutôt Abbas
que les
difcours de toute une Nation ? Une
ligne de votre main , repliqua Taymuras
, en fera plutôt crue que toutes les
bouches de l'Afie. Une femme qui déclare
qu'elle manque de beauté , ne doit
point trouver d'incrédules.
Sohry lui objecta encore que fa main
ne devoit pas être plus connue d'Abbas
que fa figure , qu'il ne pouvoit connoître.
Mais Taymuras lui apprit qu'une
lettre , qu'elle lui adreffoit dans certaine
occafion , étant tombée au pou
voir du Sophy , il connoiffoit & fon
écriture , & leurs engagemens réciproques.
A l'égard de vos charmes , pourfuivit
il , peut-être Abbas a -t- il fait fur
ce point certaines découvertes ; peutêtre
n'eft- ce qu'un foupçon , & c'eft ce
foupçon qu'il faut détruire .
C'étoit là au contraire , ce que Sohry
eût voulu confirmer. Il fallut , pour la
réduire , les ordres abfolus de la Reine
fa mère. Alors elle vit qu'il falloit céAVRIL.
17630
33
der . Hé bien , dit-elle à Taymuras , avec
un mouvement de dépit qu'elle ne put
contenir , voyons comment vous exigez
qu'on tourne cette lettre fingulière ?
Choififfez-en vous-même les expreffions;
je ne ferai qu'écrire fous votre dictée .
Volontiers , reprit Taymuras , & il
commença ainfi :
La Princeffe d'IMIRETTE , au Roi
DE PERSE.
à
ma J'apprends , Seigneur , que vous prétendez
m'arracher à mon pays ,
famille , au Prince qui doit être mon
époux. C'est à quoi vous ne parviendrez
jamais de mon aveu.
...
La Princeffe avoit écrit , fans interruption
, tout le commencement de
cette phrafe ; mais elle fe fit répéter la
fin jufqu'à trois fois . Taymuras pourfuivit
en ces termes :
Je dois même vous répéter ce que la
Renommée a dû vous apprendre ;
fuis peu digne de cet excès d'empreffement..
Ces derniers mots parurent encore
embarraffer Sohry. Eft -ce bien là ce
que vous avez voulu dire ? demandatelle
au Prince en rougiffant, Précifé-
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
ment , reprit-il ; & il répéta les mêmes
expreffions aufquelles il ajouta celles
qui fuivent :
J'ai moins d'attraits que la moins
belle des femmes de cette contrée.....
Vous me trouvez donc bien affreuſe ?
interrompit- elle de nouveau .... Ah !
vous n'êtes que trop adorable , reprit
Taymuras. Mais voulez - vous paffer
pour telle dans l'efprit du Roi de Perfe ?
Ah ! s'il eft ainfi , quittez la plume &
montrez-vous ? Sohry , quoique d'une
main tremblante , écrivit donc encore
ce que le Prince venoit de lui dicter.
Elle s'en croyoit quitte ; mais il
ajouta :
C'eft cette entiere privation de char
mes qui m'oblige à fuir tous les regards
; je voudrois pouvoir me fuir
moi-même ·
Chacun de ces mots faifoit friffonner
la Princeffe. L'altération de fon
vifage marquoit celle de fon âme . La
plume lui échappa de la main . En vérité
, Seigneur , dit- elle , en fe levant
avec dépit , j'ignore quand vous tarirez
fur mes imperfections ! Eh , madame
reprit Taymuras , à peine ce porAVRIL.
1763. 35.
trait idéal fuffit pour me raffurer ! Hébien
, ajouta Sohry , toujours fur le
même ton , je vais vous aider à finir
le tableau . A ces mots , faififfant un
miroir elle éxamine fes traits en détails
; & regardant Taymuras d'un
air ironique & fier : commençons , pourfuivit-
elle › par ces yeux : fans doute
qu'il faut les peindre petits , ronds ,
caves , fans efprit , fans activité ? A
merveille ! reprit Taymuras.
4
SOHRY .
Cette bouche , des plus grandes ; ces
lévres , pâles & livides ?
TAYMURAS,
On ne peut mieux !
SOHRY .
Ces dents , noires & mal rangées →
Bon !
TAYMURAS.
SOHRY.
Ce teint , fans blancheur , fans coloris
, fans vivacité ?
TAY MURA S..
: Parfaitement bien !
SOHRY.
Enfin , toute cette phyfionomie,maf
fade & rebutante ?
B- vj
36 MERCURE DE FRANCE.
TAY MEURAS.
Oui ! voilà le Portrait qu'il convient
d'envoyer au Roi de Perfe.
<
Sohry écrivit , en effet , toutes ces
chofes ; mais non fans murmurer contre
celui qui l'obligeoit à les écrire. La
lettre part , eft remife au Sophy & le
jette dans la plus extrême furpriſe. Il
compare cette lettre avec celle qui auparavant
eft tombée entre fes mains.
L'écriture lui en paroît toute femblable.
C'eft , difoit - il , Sohry ellemême
qui s'accufe de laideur : puis - je
refufer de l'en croire ? Mais fi je l'en
crois , l'Eunuque à coup fur , n'eft qu'un
impofteur. Il ordonne qu'on le faffe venir
, & lui prefcrit impérieuſement d'accorder
, s'il le peut , les deux Portraits :
celui qu'il a fait de Sohry en peinture
& celui qu'elle fait d'elle -même par
écrit.
Chaque ligne que lifoit l'Eunuque
ajoutoit à fon étonnement. Il reconnoît
la main de la Princeffe , & ne recon- .
noît aucun de fes traits dans les détails
burleſques dont cette lettre eft remplie .
Ce n'eft pas tout ; arrivent à l'inſtant
même des dépêches de l'Envoyé du
Sophy , dépêches qui femblent confirmer
en tout point les détails de la let
AVRIL. 1763. 37
tre. L'Eunuque , hors de lui-même
tombe aux genoux d'Abbas. Je jure par
le Commentaire d'Aly , s'écrie le Renégat
Italien , que le portrait que j'ai remis
à votre Majefté eft encore bien inférieur
aux charmes de la Princeffe d'Imirette
, & que la peinture qu'elle fait
ici d'elle-même , n'eft que pour vous
faire prendre le change , comme on l'a
fait prendre à votre Miniftre.
Quoi ! s'écria le Sophy indign é , cette
femme me mépriferoit au point de vouloir
que je la cruffe laide ? Il y a peu
d'exemples d'un mépris porté jufques-là .
N'importe, c'est ce qu'il faut vérifier . En
effet , dès le jour même , il donna des
ordres pour faire marcher une armée
nombreuſe vers les frontièresd'Imirette ,
& peu de temps après , il marcha luimême
pour la commander. Il eut foin
de conduire l'Eunuque avec lui pour
deux raifons ; pour le mettre à même de
fe juftifier , ou pour le faire pendre s'il
ne fe juflifioit pas .
On fçut bientôt à la Cour d'Imirette
qu'il falloit ou fe battre , ou trouver au
Roi de Perfe , une Princeffe auffi belle
qu'il fe la figuroit . On s'en tint au premier
parti. Quant à celle dont la beauté
occafionnoit tant de mouvemens , elle
38 MERCURE DE FRANCE.
Qût volontiers approuvé le parti le plus
doux. Il eft rare qu'une femme fache
mauvais gré à tel amant que ce puiffe
être des efforts qu'il fait pour l'obtenir
, & Sohry étoit fort contente que
fa lettre n'eût point ralenti ceux d'Abbas.
qui
Les Rois d'Imirette & de Georgie
avoient réuni leurs forces . Ils s'étoient
retranchés , & attendoient Abbas , quit
ne fe fit pas long- temps attendre. Il les
attaqua fans héfiter. Le combat fut rude
& fanglant. Les deux Rois alliés s'y comporterent
, l'un en Souverain qui défend
fes Etats , l'autre en amant qui défend
fa maîtreffe . Mais les efforts d' Abbas ne
furent pas moins grands , & furent plus
heureux . Il remporta une victoire complette
, détruifit , ou diffipa l'armée ennemie
, & pourfuivit les deux' Chefsjufqu'à
la Ville où le frère de Sohry tenoit
fa Cour.
Inftruit par l'Eunuque Italien que
la Princeffe tenoit la fienne ailleurs
il y marcha fur le champ , tandis que
la meilleure partie de fes troupes bloquoit
la Capitale. Il arrive & apprend
qu'en effet Sohry habite ce fejour. On
conçoit fans peine l'excès de fon impatience
& de fa joie . Il ordonne qu'on
le conduife vers la Princeffe. Il eft obéis
AVRIL 1763 . 39
Mais que voit-il ? Un'objet auffi hideux
qu'il efpéroit le trouver féduifant ,
le vrai modéle du portrait exprimé dans
la lettre qu'il a reçue avant fon départ
; en un mot , la difforme Princeffe
qu'on a déja fait voir à fon Envoyé !
Certains rapports faits aux deux Rois
fur le féjour & le départ de la fauffe
étrangère , les avoit déterminés à ſubſtituerdans
cette même folitude l'aînée
à la cadette. Abbas fit quelques queftions
à fa prifonnière. Les réponfes qu'il
en reçut , augmenterent fon déplaifir.
Elles étoient parfaitement conformes à
la lettre qu'il fuppofoit avoir été écrite
par elle ; & il refte perfuadé que cette
Sohry fi fameufe par fa beauté, ne doit
l'être que par fa laideur. Je n'ai nuk
reproche à lui faire , difoit Abbas , elle
eft encore plus difforme qu'elle ne me
l'écrit. Pour toi , miférable , ajouta - t-il
en parlant à l'Eunuque , ce qui la juf
tifie te condamne : cette exceffive dif
formité eft l'arrêt de ta mort.
Grand Roi ! s'écria l'Eunuque , en
tombant de nouveau aux pieds . dur
Sophy , que votre Majefté me laiffe
éclaircir ce mystère. Il y en a un dans
tout ceci que je ne connois pas . J'ai
eu à peindre & j'ai peint la plus
40 MERCURE DE FRANCE.
belle perfonne du monde : ce n'eft
donc pas celle
que vous voyez. Mais
celle que j'ai peinte exifte , j'en réponds
fur ma tête , que vous ferez le maître.
de me faire enlever demain comme
aujourd'hui . De grâce retournez vers la
Capitale , hatez - en le fiége , la prife.
pourra mettre entre vos mains une capture
encore plus précieuse.
Zomrou eût pû en partie développer
cette énigme.Mais lui-même avoit laiffé.
pénétrer fes deffeins : il étoit gardé à
vue par ordre des deux Rois , depuis le
jour de l'arrivée du Miniftre d'Abbas .
Par cette raiſon , il n'avoit pas été plus
utile à cet Envoyé qu'il ne pouvoit l'être
alors au Sophy même. Abbas prit donc
une double réfolution . Ce fut de preffer
la Ville affiégée , & de faire battre
la campagne par des Emiffaires munis
du Portrait que l'Eunuque avoit tracé .
Le Prince leur ordonna de lui amener
toutes les femmes qui auroient quelque
reffemblance avec ce Portrait . L'Eunuque
ambitionnoit cette commiffion ;
mais Abbas ne lui permit pas de s'éloigner
de lui. Il vouloit s'en fervir à diftin-.
guer la Princeffe , au cas qu'elle fe trouvât
dans la Ville , ou pouvoir venger
fur lui fon chagrin , au cas qu'elle ne
fe trouvât nulle- part.
"
AVRIL. 1763. 41
Le Siége fut pouffé avec tant de vigueur
qu'en peu de jours la Ville n'avoit
plus guéres que la moitié de fes défenfes
& de fa garnifon . Mais le courage
des deux Rois étoit toujours le
même. Ils ne vouloient ni fe rendre
ni livrer la Princeffe qu'Abbas eût préferé
à toutes les Villes de leurs Etats.
Elle n'étoit point d'ailleurs dans la Capitale.
Sohry inconnue & déguisée
habitoit un afyle fi peu fait pour
elle
qu'il n'y avoit nulle apparence qu'on
dût l'y chercher. Là , elle gémiffoit fur
fes charmes qui caufoient l'oppreffion
de fa Patrie. Mais prèfque certaine
qu'Abbas eft celui dont elle adore en
fecret l'image , elle n'ofe le qualifier
d'oppreffeur. Elle fent même qu'il ne
tient qu'à ce léger éclairciffement pour
qu'il foit , à-peu- près , juftifié dans for
âme.
,
Cependant , le péril augmentoit fans
relâche pour la Capitale. D'un inſtant
à l'autre la Place pouvoit être forcée
pillée , faccagée . Le Roi Difvald , réfolu
à tout , excepté à voir fa Maîtreffe
& fa Mère expofées aux fuites qu'entraîne
le fac d'une Ville , prit le parti
de les faire échapper , l'une après l'autre
, par une voie qu'il croyoit füre,
42 MERCURE DE FRANCE .
Mais Abbas avoit pris des précautions
plus fùres encore . Peu d'inftans après
feur fortie on lui amena les deux fugiti
ves.
J'ai déja dit que la mère de Sohry ne
cédoit en beauté qu'à Sohry même.
Il y avoit , de plus , entre elles , cette
forte de reffemblance qui ne fuppofe
pas toujours une entiére égalité de charmes.
Par cette raifon le Portrait qu'avoit
tracél'Eunuque , Portrait bien inférieur
à l'original , reffembloit beaucoup
plus à la premiere qu'à la feconde.
Abbas au premier coup d'oeil s'y
méprit & crur tout l'emblême expliqué.
Les charmes de fa Captive firent même
tant d'impreffion fur lui , qu'il ne fongea
plus à faire d'autres recherches , & que
' Eunuque Peintre lui parut abfolument
juftifié . Mais celui - ci prétendit lui-même
ne l'être pas encore. Il affura fon Maître
que jamais cette Princeffe n'avoit fervi
de modéle au Portrait , en queſtion ,
& qu'à coup für ce modéle exiftoit..
S'il eft ainfi , Madame , reprit Abbas
, en s'adreffant à la mère de Sohry
vous voyez dès à préfent ce qui peut &
doit former votre rançon. Un objet qui
vous reffemble peut feul vous remplacer
auprès de moi. Vous régnerez , dang
AVRIL. 1763. 43
mon Sérail , ou bien la Princeffe votre
fille y occupera le rang qui vous eft
offert. Je ne puis renoncer à l'une que
pour obtenir l'autre.
>
Ce difcours fit frémir la belle prifonnière
. Elle conjura en vain le Sophy de
fe rappeller le voeu par lequel elle s'étoit
liée vou qui ne lui permettoit plus:
de difpofer d'elle- même . Un pareil motif
a bien peu de pouvoir fur l'âme d'un
Sectateur d'Aly. A peine Abbas parutil
y faire quelque attention : Il ne dépend
que de vous , Madame , reprit - il , &
de garder vos voeux , & de combler les
miens. Que l'aimable Sohry vienne jouir
d'un avantage que vous dédaignez , fau
te de le bien connoître . N'efpérez pas
du moins, que je cherche à étouffer l'a
mour le plus fincère & le plus ardent ,
lorfque vous paroîtrez n'écouter qu'une
haine injufte & de vains préjugés .
Abbas , qui n'avoit prèfque pas remarqué
Fatime ( c'eft le nom de la fille
de Zomrou ) l'envifagea lorfquelle commençoit
à murmurer , tout bas , de
cette inattention . Abbas. trouva l'amour
de Difvald parfaitement bien fondé.
Fatime avoit affez de charmes pour l'en--
flammer lui-même , fi elle n'eût pas eu
Sohry pour rivale. Il fongea cepen
44 MERCURE DE FRANCE
dant à faire craindre au Roi d'Imirette
que Sohry n'éffayât trop tard de l'emporter
fur Fatime.
Ce ftratagême lui réuffit. A peine
Difvald eut appris la captivité de fa
mère & de fa maîtreffe , qu'il fongea:
férieufement à les échanger pour fa
foeur. Ce fut dans ce moment là-même ,
que les Emiffaires d'Abbas lui amenerent
une jeune perfonne vêtue en Efclave
, & infiniment plus belle encore
que le portrait qu'il leur avoit confié.
On s'empreffe , on regarde , on admire.
C'eft Sohry ! s'écrie auffitôt l'Eunuque ;
c'eft ma fille ! s'écrie la Princeffe Douairiere
: c'eſt Abbas ! s'écrie en même
temps la prétendue Efclave , & elle s'évanouit.
Abbas , hors de lui - même , ébloui de
tant d'attraits , & ne fachant comment
interpréter cette défaillance & cette exclamation
fubites , ordonne qué les
fecours foient prodigués à la Princeffe.
Lui-même eft le plus ardent à la fecourir.
Au milieu de quelques agitations
inévitables, une boete cachée dans
ſes habits d'eſclave s'échappe & tombe.
Abbas croit la reconnoître , s'en faifit ,
l'ouvre & y trouve fon portrait. A
cette vue , toute fa fierté afiatique difAVRIL.
1763. 45
paroît ; il tombe aux genoux de la fauffe
efclave. Adorable Sohry , s'écria- t- il !
quoi même en fuyant ma perfonne ,
vous fuyiez avec mon image ! Il eſt
donc vrai que vous ne m'évitiez que
par contrainte ? Ah, ceffez de gêner vos
fentimens & daignez - en recueillir les
fruits à peine les croirai - je affez
payés de toute ma tendreffe & de
toute ma puiffance.
Sohry , en ce moment , ouvre les
yeux. Quelle eft fa furprife ! elle voit
fe réalifer la tableau que l'Eunuque
lui a laiffé en la quittant ; elle voit
en perfonne le fuperbe Abbas dans
l'attitude où elle l'a vû tant de fois en
peinture ; elle le voit à fes pieds ! Un
mouvement de joie qu'elle cherche à
cacher une forte de confufion modefte
ajoutent encore à fa beauté.
Survient à l'inftant la Reine fa mère ,
& fa confufion augmente. Mais un
Envoyé du Roi d'Imirette vint mettre
fin à leur embarras réciproque . Il venoit
propofer pour l'échange des deux
premieres captives , celle que le hazard
avoit déja mis au pouvoir du Sophy.
Ce qui n'empêcha pas que l'échange
ne fut accepté , la paix faite , & ce qui
46 MERCURE DE FRANCE .
dit encore infiniment plus , toute femence
de guerre éteinte .
Abbas reffentoit fon bonheur , au
point de vouloir que tous les autres
fuffent heureux . Il acerut les Etats du
Roi d'Imirette , qui époufa Fatime ; il
fit époufer fa propre foeur au Princ eà
qui il enlevoit Sohry : il partagea avec
cette dernière toute fa puiffance &
la laiffa régner fans partage fur fon
âme. L'Eunuque mit fin à fes voyages ;
& Sohry en fixant le coeur de fon Epoux,
afura aux Princes voifins leur repos ,
leurs femmes & leurs Etats .
Par M. DE LA DIXMERIE .
LES ECOLIERS ET LE BALON ,
PAR
FABLE.
AR un beau jour de la ſemaine ,
C'eft -à -dire un jour de congé ,
De jeunes Ecoliers en plaine
Un troupeau partagé ,
S'envoyoit , l'un à l'autre , un Balon élastique ;
C'étoit un charme de les voir !
A toi ! ... Fort bien ! .... A moi ! .... Chacun
court & s'applique ,
Ne voulant point faillir au jeu comme au devoir.
AVRIL. 1763 . 47
L'un deux , laffé de l'exercice ,
Par ignorance ou par malice ,
Pique le Balon , l'air s'enfuit ,
Et le faux embonpoint foudain s'évanouit.
Ainfi dans l'orgueil qui l'anime <
Se montre le demi -fçavant :
Tout rempli de fa propre eftime ,
Il s'enfile ! Mais fondez-le il n'en fort que du
venţ
Par M. GUICHARD .
STANCES fur l'incendie du Palais
Epifcopal d'AMIENS , arrivé le
Dimanche 19 Décembre.
Qu
UELS cris foudains fe font entendre ?
Quel nuage obfcurcit les airs ?
Je m'empreffe & je crains d'apprendre
D'où partent ces triftes concerts !
L'airain fonne quelles allarmes !
Chacun tremble , pâlit d'effroi ;
Et parmi tout un Peuple en larmes
Perfonne ne tremble pour foi.
Quel est donc ce nouveau prolige ?
La paix fuit- elle loin de nous ?
La main du Dieu qui nous afflige
Annonce-t-elle fon courroux &
48 MERCURE DE FRANCE.
Mais que vois - je ! un torrent de flâme
Qu'accroît un vent impétueux
Porte la terreur dans les âmes ,
Et frappe la voute des Cieux.
D'un Prélat le Palais augufte
Va- t-il donc être confumé ,
Tandis qu'aux Autels d'un Dieu juſte
D'un faint zéle il eſt animé ?
( a ) C'eſt en vain qu'on veut l'en diſtraire ;
Tous les biens ne font rien pour lui ;
Content du fimple néceffaire
Ses feuls befoins font ceux d'autrui.
Si quelque crainte le tourmente
Et peut redoubler " fon ardeur ,
C'eft que la flamme qui s'augmente
Ne porte plus loin fa fureur.
( a ) L'incendie qu'on avoit d'abord cru peu
dangereux , le manifefta au dehors au moment
qu'on commençoit les Vêpres. Le Prélat qu'on
vint avertir , non feulement ne quitta point
le Service Divin , il refta profterné au pied
de l'Autel jufqu'à la fin du jour , donnant à
tout le Peuple l'exemple édifiant d'une piété
& d'un détachement dignes des Paſteurs des
premiers Siécles . On l'engagea inutilement à
fe repofer. Il ne quitta qu'au moment où la
clôture des portes de la Ville l'obligeait d'en
fortir pour fe retirer à fon Séminaire.
Pour
AVRIL 1763.
Pour fon troupeau feuf il reclame
Le fecours d'un Dieu tout-Puiffant.
C'en eft fait , & déja la flamme
N'a plus qu'an effet languiffant.
7 02011
Oui , Grand Dieu ! c'eft à fes prières ,
Que nous devons ce changement :
Jamais des Saints les coeurs fincères
Ne t'ont imploré vainement.
Seigneur , acheve ton ouvrages i
Que nos voeux, ne ſoient point déçus ;
Que d'un Prélat , ta vive image ,`
Les ans égalent les vertus !
Par M. LELIU.
E PITREN
EN
A M. G.
A M.
N lifant les Vers
12
Si remplis de charmes
Que tu m'as offerts ,
J'ai verfé des larmes.
Quoi ! faut-il , hélas !
Qu'un deftin barbare
Jufques au trépas
Tous deux nous fépare !
J'ai vu de nos jours
. Vol.
T
50 MERCURE DE FRANCE
i
S'éclipfer l'aurore
Les Ris , les Amours
Nous fuivent encore.
Enchaînons de fleurs
Leur troupe volage :
Les foucis , les pleurs
Sont-ils de notre âge ?
On tend au bonheur
Par des foins extrêmes :
Quelle aveugle erreur !
Il eſt en nous-mêmes.
Un Lys , un Jaſmin
Vaut une Couronne
Lorfque par ta main
Amour me le donne.
Au cours de nos ans
Quand l'amour préſide ,
Il fixe du temps 1
L'aîle trop rapide.
Le coeur eft preffant ;
Entends fon langage :
Jouir du préfent ,
Eft le lot du Sage.
Par M. B..
AVRIL. 1763 . 51
HOROSCOPE du premier Enfant de
M. le Marquis D. F. Brigadier des
Armées du Roi & C. des G. de la
REINE.
DIGNE IGNI Sang de nos demi- Dieux ,
De leur amour le premier gage ,
Votre avénement précieux
Fait retentir tout ce Rivage
Des tranfports d'un Peuple joyeux ;
Empreffé de vous rendre hommage.
Sur cet événement heureux
Tandis que tout fur cette plage ,
Signale fon zéle en fes jeux
Qui n'en font qu'une foible image ;
Souffrez qu'interrogeant les Cieur
Un Aftrologue de Village
Faffe en peu de mots de fon mieux
Votre horoſcope en fon langage.
Daignez d'un fouris gracieux
Favorifer ce badinage
Qui bravera les envieux
S'il peut avoir votre fuffrage.
Oui , pour vous , l'efpoir de ces lieux $
L'avenir par moi s'enviſage ,
Grace à mon art mystérieux.
Cij
52 MERCURE DE FRANCE .
De biens , d'honneurs quel aſſemblage
S'offre à mes regards curieux !
Des tems ils percent le nuage.
Je lis configné , d'âge en âge ,
Le deftin le plus glorieux
Qui doit être votre partage.
Tendre fruit des plus charmans noeuds
Aimable enfant , quel avantage
Pour nous comme pour nos Neveux !
Par la douceur & le courage
Que vous avez reçu des Dieux
Vous deviendrez par héritage
Grand & Bon comme vos ayeux,
Quel plus defirable appanage !
Vous ferez adoré comme eux ,
Et nous aimerez: doux préfage ,
Qui comble à jamais tous nos voeux,
Par M. D. L *** Abenné au Mercure
AVRIL. 1763. 53
A M. le Prince DE SOLRE , fils unique
de M. le Prince DE CROY , Lieutenant-
Général des Armées du Ror ,
fur fa guérison de la petite vérole ,
qu'il a eue à Londres.
LALa Vertu dans ce fiécle , hélas ! fi négligée ,
E la Religion chaque jour outragée ,
A peine réfiftant au torrent de nos moeurs ,
En fecret gémiffoient fur leurs communs malheurs.
L'Amitié dont les feux meurent bientôt fans
elles ,
Par ces mots vint tarir la fource de leurs pleurs :
» Raffurez-vous , Soeurs immortelles ,
>> Vous n'avez point perdu tous vos adorateurs ,
» Le plus zélé vous reſte ; honneur de votre Em-
» pire ,
» Dans l'âge dangereux des frivoles erreurs ,
» Unique efpoir d'un fang , où pour vous tour
reſpire ,
כ כ
Ses exemples partout vont vous gagner des
> coeurs.
Que la joie en ce jour fuccédé à vos douleurs ;
» Raffurez-vous : CROY refpire.
Par M, DES..... C. A. R. de C. C.
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
VERS de feu M. COFFIN , mis au
bas d'une Eftampe de feu M. SAMUEL
BERNARD.
Hic , vir hic eft , cujus vazio in diſcrimine
præfens
Experta auxilium Gallia foepe fuit.
Ille per occultos terrâque , marique , meatus ;
In patriam externas deproperavit opes.
Ille etiam , & fifci reparavit damna gementis ,
Ille etiam , & Populi depulit ore famem .
Il lum ergo titulis ultro Rex auxit honorum ,
Cui fat erat Civis gloria parta boni.
LES mêmes Vers traduits en François.
T.u vois dans ce Portrait un homme dont la
France ,
Dans des temps rudes & fâcheux ,
Eprouva fifouvent une fûre affiftance ,
Et plus d'un fecours généreux.
Et la Terre , & les Mers fecondant fon génie ,
Il fçut , méprisant le danger ,
Enrichir chaque jour fon heureuſe Patrie
Des dépouilles de l'Etranger.
AVRIL. 1763. 55
Ses fonds plus d'une fois acquitterent la dette
Dufifc affoibli , languiffant
Ils fauverent encor d'une affreuse difette
Le Peuple affamé , gémiſſant.
Par les bienfaits d'un Roi d'éternelle mémoire ,
Que d'honneurs unis à fes biens !
Quoiqu'il ne recherchât que la folide gloire
D'être au rang des bons Citoyens .
Par M. GUILLO DE LA CHASSAGNE ,
Gentilhomme Francomtois ..
DIALOGUE entre DÉMOCRITE &
N
MOLIERE.
MOLIER É.
' EST - CE pas vous que les fottifes
des hommes faifoient rire ?
DEMOCRITE.
N'eft- ce pas vous qui faifiez rire les
hommes de leurs fottifes ?
MOLIER E.
Qui ; notre emploi fut très- différent ,
comme vous voyez.
DEMOCRIT E.
Je choifis le moins pénible , celui
en même temps , qui me parut le plus
Civ
$6 MERCURE DE FRANCE.
propre à corriger l'efpéce humaine de
fes travers.
MOLIERE.
L'expérience dut bientôt vous détromper.
Loin que ces ris perpétuels
guériffent les Athéniens de leurs folies ,
ils chargerent , dit-on , Hippocrate du
foin de vous guérir de la vôtre.
DEMOCRITE.
J'avoue que j'ai laiffé mes Compatriotes
auffi extravagans qu'ils l'étoient
d'abord. Mais vous-même , qu'euffiezvous
fait à ma place ?
MOLIERE.
Ce que j'ai fait depuis vous . Au lieu
de me livrer à un rire immodéré , &
dès-lors , un peu ridicule , j'aurois tracé
le tableau des travers qui le provoquoient.
DEMOCRITE.
C'eût été vous- même rifquer le fort
de Zeuxis , qui mourut , à force de
rire , en contemplant certain grotesque
portrait qu'il venoit de tracer.
MOLIER E.
Oh , pour moi , je n'ai jamais ri .
AVRIL. 1763. 57
DÉMOCRITE.
Vous euffiez donc pleuré.
MOLIERE.
Ne diroit- on pas , à vous entendre
que vos Athéniens eurent un brévet
exclufif de ridicule ? Nos François ne
pourront - ils , au moins , prétendre au
parallèle ?
DEMOCRITE.
J'en doute. Figurez-vous une Nation
Tégère , capricieufe , inconféquente ; approuvant
aujourd'hui ce qu'elle blâmera
demain ; fans but , fans réflexion , fans
caractére : changeant avec la même facilité
, de fyftême , de ridicules , de mo--
des & d'amis : une Nation , en un mot ,
qui n'a d'uniformité que dans fon inconftance....
Tels furent mes Compatriotes.
Auriez -vous eu de pareils objets
à peindre ?
MOLIERE,
A-peu-près ..
DÉMOCRITE ,
Par exemple , y eut- il jamais parmi
vous d'étourdi auffi effronté que notre
Alcibiade ?
Cv
58 MERCURE DE FRANCE .
MOLIER E.
Alcibiade eût été parmi nous un
homme à citer , une efpéce de Sage.
DÉMOCRIT E. •
Que dirons nous de ce Peuple qui
s'amufoit à plaindre le chien de cet
infenfé , & qui ne plaignoit pas tant
de maris dont il féduifoit , ou enlevoit
la femme ?
MOLIER E.
J'ai connu certaine contrée où les
maris fupportoient plus facilement ces
fortes d'affronts , qu'un coup donné
mégarde à leur chien .
DEMOCRITE.
par
Qui n'eût pas ri , à ma place , de
voir cette multitude orgueilleufe ériger
une foule de ftatutes aux Orateurs qui
fçavoient le mieux louer fes travers &
Les caprices?
MOLIER E.
Chez nous la multitude ne peut
rien ; auffi n'eft - ce pas elle qu'on loue.
Il eft, en même temps , affez rare qu'un
Grand outre la reconnoiffance envers
ceux qui l'ont le plus flatté. Il fe borne
à trouver l'éloge un peu mince , &
AVRIL. 1763. 59
à oublier jufqu'au nom de l'Auteur .
DEMOCRITE.
N'ai-je pas vû ces mêmes Athéniens
traiter plus mal leurs meilleurs Généraux
que leurs plus mauvais Rhéteurs ,
& bannir des Murs de leur Ville
ceux qui les avoient le mieux défendus
?
MOLIERE.
›
Nos François fuivent une autre méthode.
Ils payent fouvent d'un malin
vaudeville les plus grandes actions
comme les plus grandes fautes , &
nulle difgrace ne les afflige , dès qu'il
en peut naître une épigramme.
DEMOCRITE .
A propos d'épigramme , parlons des
Auteurs mes contemporains. Que de
jaloufies , que de petiteffes dans les
plus Grands! Que de prétentions , que
d'orgueil dans les plus Petits ! Je crois les
voir encore s'agiter , cabaler , s'entremordre,
s'entre-détruire, avec autant de
fureur que les Grecs , & les Troyens ,
autre espéce de foux , combattirent
pour une Beauté déja furrannée ..
Oh certainement , vos Auteurs ont
été plus raisonnables !
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
MOLIER E.
Il femble , au contraire , que vous
ayez voulu les peindre . Mais je pour--
rois ajouter plus d'un trait au tableau .,
Si les Ecrivains modernes font infé--
rieurs aux anciens , ce n'eft pas du côté
de la tracafferie .
DÉMOCRITE.
Paffe encore pour certains Auteurs
& furtout pour les Poëtes. Mais que
dire des Philofophes ? Quelle contrariété
dans leurs difcours , dans leur
conduite , dans leurs fyftêmes ! Chacun
d'eux crée un monde à fa manière
& fe perfuade avoir faifi la vraie. J'ai
auffi , moi-même qui vous parle , bâti
mon Univers. Après quoi , j'ai ri de ce
frêle édifice , comme j'avois fait des
tant d'autres.
MOLIERE..
"
Nous ne manquons pas , non plus ,
de ces fortes d'Architectes . Il n'en eft
aucun qui ne croye avoir bâti fur de
meilleurs fondemens que tous fes rivaux
. Mais , au bout d'un quart de fiécle
, on pourroit dire de ces Monumens
, comme de la Ville de Priam ::
c'est ici ou fut Troye
AVRIL. 1763 .
or
DEMOCRITE.
Une telle manie a dû vous fournir
plus d'une fcène vraiment comique.
MOLIER E..
J'ai refpecté le peu que nous fçavions
d'Aftronomie , c'est - à - dire , tout ce
qui m'a paru démontré fur cette matière.
Mais & peut-être j'eus tort ) je.
ridiculifai dans les femmes ces fortes de
recherches.
DÉMOCRITE . {
Quoi ! parmi vous les femmes s'amufent
à mefurer les Cieux ? J'en félicite
leurs époux . Nos Athéniennes
pour la plûpart , facrifioient à d'autres:
genres de curiofité.
MOLIER E.
Oh ! nous avons auffi des curieufes
de plus d'une espéce..
DÉMOCRITE.
Leurs maris font - ils jaloux ? J'ai beau
coup ri des vaines précautions de certains
époux d'Athenes , éviter cer
tain accident qu'on n'évite guères que
par hafard.
pour
MOLIER E.
De mon temps , plus d'un mari eut le
même. foible ; & moi-même je n'en:
62 MERCURE DE FRANCE.
fus pas exempt. Mais j'eus le courage
de fronder & mon ridicule , & celui
des autres : leçon qui fructifia au point
que
mes fucceffeurs font réduits à fronder
un ridicule tout oppofé.
DÉMOCRITE.
Eft- ce la feule de vos leçons qu'on
ait prife trop à la lettre ?
MOLIERE.
J'en puis citer d'autres . Par exemple
, j'ai ridiculifé , & prèfque à tous
propos , le jargon barbare , le craffeux
pédantifme des Médecins de mon fiécle.
Aujourd'hui c'eft l'élégance de
leurs difcours , de leur parure & de leur
équipage , qui fert de matière aux Sarcafmes
de Thalie. Il en eſt ainfi de
quelques autres travers , qui n'ont fait
que fe métamorphofer en travers non
moins bifarres.
DÉMOCRITE.
Avouez donc , entre nous , que votre
méthode pour corriger les hommes
n'eft pas plus éfficace que la mienne.
MOLIER E.
C'eft ce que je n'avouerai pas. Un
ridicule anéanti , fût-il même remplacé
AVRIL. 1763. 63
par un autre , eft toujours un ridicule
de moins.
DEMOCRITE.
Comment cela ?
MOLIER E.
C'eft que tous deux euffent pu exifter
en même tems. Aux Précieufes ridicu
les , ont fuccédé les Petites -Maîtreſſes.
Mais fi je n'euffe réuffi à diffamer les premieres
, on les verroit marcher de frontavec
les fecondes.
DEMOCRITE.
Que conclure , enfin , de tout ceci ?
MOLIERE
.
Que la fource du ridicule eft intariffable
chez les humains ; qu'on peut
en prévenir les débordemens , mais non
en arrêter le cours : en un mot , qu'un
Moliere y trouveroit toujoursà réprendre
, & un Démocrite toujours à rire.
Par M. DE LA DIXMERIE.
54 MERCURE DE FRANCE .
PORTRAIT de Madame C * *
par M. ***
CET art féduifant de charmer,
Ces éffain de plaifirs qui vole fur vos traces,.
Ces appas enchanteurs qui vous font tant aimer,
Iris , vous les tenez des Grâces .
Toutes trois à l'envi par leurs tendres ace
cords ,
Signalerent votre naiffance ;
Et fur vous avec complaifance ,
Chacune prodigua fes plus riches tréſors.
L'une pour appanage
Vous donna la beauté , les ris & l'enjoûment,
La féconde du Sentiment
Dubon coeur , de l'eſprit a fait votre partage.
Enfin fans le fecours de l'Art ,
De mille heureux taléns vous orna la troifiéme..
Ainfi de vous , belle - C *** ‹
Trois ont fait une quatrième.
LE mot de la premiere Enigme du
mois de Mars eft la Glace. Celui de la
feconde eft le Compliment. Celui du
premier Logogryphe eft Profopopée ,
dans lequel on trouve Poppée , Ops ,
AVRIL. 1763.
Efope , Pope , Rofée , Ofée , Rofe &
Profe . Celui du fecond eft aimer , dans
lequel on trouve amie , ami , Marie ,
ame , air , mer , rime arme , mare
rame ire , mari , & c.
>
ENIGM E.
Je vais t'apprendre non deſtin :
Fuge s'il est heureux ou déplorable :
Dès que je fuis formé , mon père impitoyable
Me plonge le fer dans le fein.
Je fuis fait pour fervir une fière maîtreſſe
Que pourtant je tiens ,fous mes loix ,
Et qui fouvent pour marquer fa nobleſſe ,
Va du même pas que les Rois.
Si celle que je fers eft richement parée,
Je me reffens de fon fuperbe atour ;
En campagne , en ville , à la Cour ,
Elle a toujours une garde affurée.
Quand je la gouverne , elle eft bien :
M'échappe- t-elle , on la craint d'ordinaire ;
Auffi jamais on ne m'impute rien
De tout le mal qu'elle peut faire.
11 eft vrai que dans fon emploi ,
Pour elle mon fecours eft de peu d'importance ;
Mais du moins elle trouve en moi
Son repos & fon innocence.
66 MERCURE DE FRANCE,
AUTR E.
SANS corps , couleur , goût , ni figure ;
Jai donné l'être à la Nature ;
Habile , qui pourra jamais dire comment !
On parle de moi fort fouvent ,
Toujours fans pouvoir me comprendre ;
Qui me cherche ne peut me prendre ;
Qui me trouve eft ſouvent furpris ,
J'infpire toujours le mépris.
G .... DE NEVERS.
LOGO GRYPH E.
SEPT
EPT lettres peignent ma figure :
Voici toute ma découpure.
Ecueil en mers très -dangereux ;
Métal dont on eſt amoureux ;
Source où l'on puiſe les Sciences ;
Séjour des pures confciences ;
Un nom refpecté des François ,
Mais moins connu chez les Génois ;
Un Saint révéré dans l'Eglite ;
Fleuve qu'en France on préconiſe ;
Mets de mode à la Saint Martin ,
AVRIL. 1763 : 67
Qui du Peuple fait le feftin ;
Un Prophéte ; un ton de la game ;
Un brillant ornement de femme ;
Organe utile & des plus apparens ;
Deux Inftrumens de fons bien différens ;
Mais , Ciel ! qu'entends- je ? une cloche maudite
M'appelle , il faut que je te quitte.
Par M. DESNOYERS , d'Etampes , Abonné
au Mercure.
AUTR E.
CINQpieds compofent mon effence ;
Lecteur , pour me trouver donne - toi patience.
D'abord j'offre à tes yeux un métal ſéduiſant ;
Certain pronom Latin ; un Monstre dévorant ;
Un Adverbe François ; un Oiſeau de paſſage ;
Un endroit où tu fais fouvent plus d'un voyage ;
Enfin , ami Lecteur , fi tu veux raſſembler
Tous mes membres épars , tu peux te rappeller
Que tu me vois fouvent dans un faint domicile ,
Et que je fçais te plaire & t'attacher ,
Surtout lorfqu'une main habile
Sçait me toucher.
687 MERCURE DE FRANCE.
8
QUATRE
AUTRE.
UATRE pieds , cher Lecteur , font toute ma
ftructure :
Je tire mon éclat d'un Divin Rédempteur.
Mais , en me renverfant , je change de nature >
Et fuis , fous un feul nom , Saint , Roi , Pape
Empereur.
Par M. DE LANEVERE , Ancien Mousquetaire
du Roi , à Dax , le 12 Février 1763.
CHANSON.
COLIN m'a fçu charmer ,
Colin a fçu me plaire.
Hélas ! comment donc faire ,
Pour ne pas trop l'aimer ?
De plaifir , de douleur
Jefens mon âme atteinte ;
Et je ne puis , fans crainte ,
Lui découvrir mon coeur.
Colin m'a fçu charmer , &c.
Lent.
Co_lin m'a sçu charmer, Co.
V
lin
a
scu me plaire, Hélas ! coment doncfaire Pour
Fin.
ne pas trop l'aimer ? Pour ne pas ttrroopp l'aimer?
Mineur+
De plaisir de douleur
ame
Je sens mon
atteinte , Et je ne puis sans
W
crainte Lui découvrir
жо
+
*Ө
топ coeur,
W
Lui découvrir mon coeur. Co-
W
"AVRIL 1763. 69
1
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE à l'Auteur du Mercure Sur
les ÉNIGMES & les LOGOGRYPHES,
Vous ne fçaviez probablement pas
Monfieur , que la premiere Enigme du
Mercure de Janvier , dont le mot eft
Fiacre , a été imprimée il ya huit ou
dix ans dans ce même Journal ; mais foit
que vous ayez ignoré cette circonftance
ou que vous ayez voulu l'ignorer
le Public vous en fçaura gré. L'énigme
aura été nouvelle pour bien des
Lecteurs , & je n'en connois point de
plus jolie. La feule qui lui pourroit être
comparée , eft l'énigme célébre du Ramoneur
par feu M. de la Motte , de l'Açademie
Françoiſe ; mais celle du Fiacre
dont M. l'Abbé Blanchet eft auteur ,
l'emporte fur l'autre par la jufteffe &
la continuité de l'allégorie , & par l'aifance
de la verfification. A cette occafion
, permettez-moi , Monfieur , de
70 MERCURE DE FRANCE.
1
vous dire que les Amateurs fe plaignent
que la partie des Enigmes & des Logogriphes
eft depuis affez long-temps
négligée dans les Mercures. Les anciennes
énigmes de ce Journal étoient
communément bien faites. En peut-on
dire autant de celles d'aujourd'hui ? &
les Logogryphes font - ils de meilleure
main ? Je conviens que ces genres ne
font pas fublimes ; mais s'ils ne font pas
faits pour l'être du moins n'ont - ils
rien de méprifable : comme celui des
Rébus qui a été fi long-temps à la
mode , & dont nous voyons encore
fur quelques écrans des veftiges qui font
honte au goût de notre fiècle. Une
énigme bien faite peut auffi bien que
mille autres chofes , remplir un moment
du loifir d'un homme d'efprit.
J'en ai vu plus d'un s'amufer à chercher
le mot d'une énigme : j'en ai vu d'autres
en faire . M. de la Motte dont l'efprit
facile fe plioit à tout , & qui a
eu des fuccès mérités dans prèfque tous
les genres de Littérature , n'a pas dédaigné
celui-ci . Il acceptoit volontiers
les défis qu'on lui faifoit : témoin celui
de faire un Sonnet en quatorze mots ,
ou des bouts rimés qui euffent un fens
complet : ce qu'il fit du jour au lendeF
71
AVRIL. 1763.
main. On le trouve dans le Mercure
de Mars 1729. C'eft je crois , l'unique
exemple qu'il y ait eu jufqu'ici de cette
efpéce de tour de force ; Mais ce n'eſt
pas tout. Ces bouts rimés qui fans addition
faifoient un fens complet , il les
remplit lui-même à la manière ordinaire
& de plufieurs façons : entr'autres
par un Logogryphe très - ingénieux
dont le mot étoit Sacrifice , ( voyez le
Mercure d'Avril 1729. ) Un autre défi
fait à M. de la Motte avoit produit l'année
précédente une douzaine d'énigmes
, qu'il donna toutes à la fois dans
le Mercure de Janvier 1728. Celle du
Ramoneur étoit du nombre. La Motte
ne méprifoit aucun genre : il connoiffoit
la difficulté de tous , & d'autant
'mieux qu'il l'avoit vaincue. Quoiqu'il
en foit du mérite des énigmes , vous
fçavez , Monfieur , qu'elles font une
partie intégrante du Mercure depuis fon
inftitution. Les uns y cherchent l'Hiftoriette,
les autres la Chanfon , d'autres
l'énigme ou le Logogryphe. N'ayons
point de goût exclufif , laiffons à chacun
la liberté de fuivre le fien .
Les Anciens, que nous reconnoiffons
pour nos modéles en tout genre , avoient
une forte de vénération pour les Éni72
MERCURE DE FRANCE.
gmes , & un grand refpe &t pour ceux
qui les expliquoient. Les Philofophes
les Sages de la Gréce s'énonçoient myftérieufement
& par Enigmes . Les Rois
s'envoyoient par défi ces fortes de problêmes
à réfoudre , & y attachoient des
prix confidérables. dipe devint Roi
pour avoir deviné l'Enigme du Sphinx.
Ce trait , fut-il fabuleux de tout point ,
prouve au moins qu'on fe faifoit une
haute idée de ce talent , qui cependant
dépend beaucoup de l'exercice.
Aujourd'hui tel qui a befoin de jouer,
pour fentir fon exiſtence , trouve ridicule
qu'on s'arrête un moment à chercher
le mot d'une Enigme , & fait vanité
de n'en avoir de fa vie lû une feule ,
quoiqu'affurément il y ait plus d'efprit
& plus d'art dans une Enigme moderne
bien faite , que dans toutes celles que
nous connoiffons des anciens . Le dédain
, furtout de ceux qui ne fe fentent
pas de facilité pour les deviner , eſt
inéxorable . Ces deux extrémités font
également vicieufes : les Enigmes ni
leurs dipes
certes n'ont mérité
Nicet excès d'honneur, ni cette indignité.
L'eftime extraordinaire des anciens
pour
AVRIL. 1763. 73
pour les auteurs & les déchiffreurs d'énigmes
, tenoit à la fimplicité des premiers
temps ; le mépris qu'on affecte
aujourd'hui pour un amufement ingénieux
, s'il n'eft pas l'effet de l'amourpropre
humilié , eft du moins la fuite
du goût dédaigneux & blazé de notre
fiècle .
Mais la caufe la plusvrai-femblable de
l'efpèce d'aviliffement où font tombées
les énigmes parmi nous , du moins
dans la Capitale , n'eft , peut-être , auffi
que l'exceffive facilité d'en faire de'
mauvaifes , & l'abus que font journellement
de cette facilité un grand nombre
de jeunes gens de province , qui
fortant du collége , & fçachant à peine
coudre deux rimes & compter par leurs
doigts le nombre des fyllabes qui forment
un vers, fe croyent auteurs, quand
ils voyent une énigme de leur façon
imprimée dans le Mercure. Après tout ,
leur amour-propre n'eft- il pas excufable?
Le concours eft ouvert : ils voyent leur
énigme admife , ils s'applaudiffent d'une
préférence qui leur eft adjugée fur
leurs concurrens épars dans tout le
royaume. Comment ne fe croiroientils
pas devenus des perfonnages ? Permettez
-moi , Monfieur , de rabattre leur
I. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE .
vanité , en leur révélant le fecret de
l'École.
L'Auteur du Mercure a autre chofe
à faire que des Enigmes & des Logogryphes
; & tout ce qu'on peut éxiger
de lui , c'eſt de choifir ce qu'il trouve
de mieux ou de moins mauvais dans
ce qu'on lui envoye. S'il n'y trouve
rien de bon , le choix devient prèfque
indifférent , il donne les énigmes telles
qu'il les a reçues. Mais pourquoi les
imprimer ? dira quelque Lecteur injufte
par mauvaiſe humeur , ou peu inftruit.
Pourquoi ? Je vais lui répondre
pour vous.
•
Dès l'origine du Mercure un article
fut deftiné à l'énigme ; telle a été l'intention
du fondateur. Il n'y avoit alors
qu'un Mercure & une énigme par mois .
Aujourd'hui vous avez par an feize
Mercures à fournir , dont chacun doit
contenir deux ou trois énigmes & autant
de Logogryphes. C'eft une corvée
que vos derniers prédéceffeurs fe font
impofée volontairement . Chaque volume
doit paroître à jour nommé : c'eſt
un arrangement pris avec le Public .
D'ailleurs la république des Lettres eft
intéreffée à la fortune de ce Journal.
Nombre de littérateurs eftimables ont
AVRIL 1763. 75
des penfions affignées fur le produit du
Mercure. Sa chûte ou fa décadence les
fruftreroit en tout ou en partie de la
récompenfe de leurs travaux, & les priveroit
d'un revenu dont quelques - uns
auroient peine à fe paffer. C'eft donc
une néceffité pour l'auteur du Mercure,
d'être exact à remplir fa tâche dans le
temps préfcrit ; & de donner ce qu'il a
reçu , faute de mieux. D'ailleurs telle
énigme , fruit de la veine de l'apprentif
bel- efprit d'une petite ville , fi elle
eft rebutée , diminuera le nombre des
abonnés au Mercure , en faisant perdre
une ou plufieurs Soufcriptions des parens
, amis & partifans du jeune auteur :
événement qui fouvent répété pourroit
-tirer à conféquence . Il ne vous est donc
pas poffible , Monfieur , je le répéte
de vous rendre difficile fur le choix des
piéces qu'on vous envoye. Mais dirat-
on peut-être , & cette objection m'embarraffe
plus que la précédente ; je vous
avouerai même que c'est moi qui la
fais. Pourquoi ne pas s'en tenir à l'ancien
contingent ? Ne fuffit- il pas d'une
énigme par mois, en y joignant , fi l'on
veut , un Logogryphe , puifque ceux-ci
fe font introduits dans le Mercure à
-titre d'auxiliaires des énigmes ? Pour-
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
quoi s'impofer volontairement
un tribut
double , triple , quadruple de celui
que l'on doit au Public , & un tribut
d'autant plus difficile à payer , que le
nombre annuel des Mercures s'eft accru
de douze à feize volumes ? Si toutes les
manufactures
d'énigmes & de logogryphes
du royaume ne fuffifent pas
pour en fournir par an foixante & quatre
d'une bonne qualité , pourquoi ne
réduire ce nombre à moitié ? La
difficulté décroîtroit dans le même
rapport : les places au Mercure deviendroient
de moitié plus rares ; & les
jeunes entrepreneurs
feroient un double
effort pour être préférés,
pas
1
Mais comment pourront- ils réuffir ,
s'ils travaillent fans principes & fans modéles
? Ils ont ; direz-vous , les régles des
Enigmes dans le Traité du Père Méneftrier.
Ils peuvent les apprendre dans
cet auteur : mais le Traité des
Enigmes eft devenu rare ; il eft difficile
à trouver , même à Paris ; à plus
forte raifon en Province & je le
cites fans l'avoir jamais vu. Effayons
donc de fuppléer aux préceptes de cet
Ecrivain, en confultant le feul bon fens.
Les énigmes des Anciens étoient fort
briéves . Elles ne conténoient
qu'une
AVRIL 1763. 77
·
queftion , ou une propofition enveloppée
fous des termes obfcurs , métaphoriques
& équivoques , qui la rendoient
difficile à deviner. Telle étoit
la fameuse énigme du Sphinx : elle peignoit
l'homme & fes trois âges , d'enfance
, de virilité & de vieilleffe , fous
la figure d'un animal qui marchoit le
matin à quatre pieds , fur le midi à
deux pieds , & le foir à trois.
-Les Modernes ont donné un peu plus
d'extenfion au champ de leurs énigmes ;
ils feignent de décrire la chofe par
fes caufes , fes effets , fes propriétés
diverfes , furtout en rapprochant celles
qui préfentent une apparence de con--
tradiction. Ils ont imaginé de mettre
les énigmes en vers foit pour leur donner
plus de grace , ou pour les rendre
plus aifées à retenir, comme auffi d'en
perfonifier le fujet , & de le faire parler
au lecteur ; pour rendre l'énigme moins
froide & plus intéreſſante .
Du refte, la méthaphore , l'antithefe ,
l'équivoque , font les figures favorites de
l'énigme foit ancienne , foit moderne.
Blâmer l'équivoque dans une énigme
, ce n'eft pas entrer dans l'efprit
de la chofe. Le but de l'auteur eft de
donner le change au lecteur , qui d'ail-
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
leurs s'y attend. Il eſt donc permis à
l'auteur d'employer des expreffions à
plufieurs fens , dont le véritable ne fe
découvre que lorfque le mot eft connu.
Alors il faut que le voile tombe ,
que le fens devienne clair & que toutes
les explications paroiffent fi juftes , que
celui qui n'a pas deviné l'énigme convienne
, s'il eft de bonne foi , que c'eft
fa faute. C'est une mauvaiſe énigme
que celle dont on a le mot fans en
être für.
Chaque trait de l'énigme pris féparément
peut bien s'appliquer à différens
objets ; mais tous les traits réunis
ne doivent convenir qu'à une feule
chofe, dont le nom eft le mot cherché,
Cette régle eft la première & la principale
de l'énigme.
C'est une mal - adreffe de laiffer appercevoir
fans néceffité fi le mot de
l'énigme eft mafculin ou féminin. C'eſt
en diminuer de moitié la difficulté
puifque c'eſt retrancher en pure perte
la moitié des mots parmi lefquels on
auroit pû chercher le véritable.
Une bonne énigme doit éxciter la
curiofité du lecteur & donner envie
de la deviner : foit par quelque trait qui
femble défigner clairement le mot , foit
AVRIL. 1763. 79
par la fingularité des contraftesqu'elle étafe.
Elle doit être courte , précife , ne rien
contenir qui n'annonce quelque particularité
nouvelle , & s'il fe peut, qui n'augmente
la difficulté fous l'apparence d'un
éclairciffement. Il faut furtout en bannir
les longueurs , les vers inutiles &
ces apoftrophes au Lecteur qui ne font
qu'un pur verbiage.
Quelquefois il fuffit d'un feul trait
pour caractériser le fujet de l'énigme
fi particulièrement, qu'on ne puiffe faire
l'application de ce trait à aucun autre
objet. Quand avec cela le mot n'eſt pas
trop clairement indiqué , c'eft un moyen
für d'intéreffer & de provoquer la curiofité
du lecteur. Par exemple :
Nous fommes quatorze frères ,
Dont le meilleur fort fouvent ne vaut guères.
Le dernier & c.
Cela ne peut convenir qu'aux quatorze
vers d'un Sonnet ; & cependant
l'expérience prouve que cela ne fuffit
pas pour déceler le Sonnet , puifque
cette énigme propofée au célébre Caffé
de la Motte ne fut devinée que par lui.
En pareil cas il n'eſt pas néceffaire d'allonger
l'énigme par d'autres détails , ni
D iv
80 MERCURE DE FRANCE.
d'entaffer les métaphores & les contraftes.
C'est même une forte de mérite
que d'avoir indiqué le mot par un feul
trait qui convienne exclufivement au
Sujet,& fuffife pour le faire reconnoître;
fans pourtant le défigner d'une manière
trop évidente.
>
Mais la meilleure énigme , fans contredit
, eft celle dont le Sujet eſt voilé
fous une métaphore bien juſte : furtout
fi cette métaphore continuée devient une
allégorie foutenue & fuivie fans écart.
Telle eft l'énigme du mot Fiacre, où , la
voiture ainfi nommée , eft peinte fous
l'image d'une maison à louer la-
-quelle à deux portes , trois fenêtres , du
logement pour quatre Maîtres ; même
pour cinq en un befoin , deux caves , un
grenier à foin ; maifon que le Propriétaire
avec fa baguette d'Enchanteur peut
tranfporter au gré du Locataire dans tel
quartierqu'il lui plaira ,maifon quiporte
un écriteau tiré de Barême & de l'Algébre,
& dont le nom auffi bien que celui de
l'Enchanteur fe lit dans le Calendrier. Il
eft rare de trouver un mot auffi heureux
& auffi fécond , & plus rare encore
de le mettre fi ingénieufement en
oeuvre. Un Poëte du premier ordre , un
Voltaire pourroit fe fçavoir gré d'avoir
AVRIL. 1763.
81
fait ce petit ouvrage qui peut fervir de
modéle en fon genre .
Je viens aux Logogryphes, contre lefquels
je vois dans la plupart des lecteurs
, & furtout chez les femmes , encore
plus de prévention que contre les
énigmes. Paffe pour une énigme , difent-
elles , mais un Logogryphel c'eft
un vrai grimoire on n'y comprend
rien. La magie du Logogryphe eſt cependant
très- innocente & fon artifice
affez fimple ; fon nom feul peut éffaroucher
les Dames . Logogryphe fignifie littéralement
en Gréc , Enigme fur le mot ,
& dans un fens plus étendu , Enigme
fur les parties du mot . L'énigme proprement
dite ne décrit qu'une feule cho- ,
fe , dans un langage obfcur & figuré.
Auffi l'énigme s'explique-t-elle par un
feul mot. Dans le Logogryphe , ce n'eft
pas une feule énigme qu'on propoſe à
deviner , mais un affeinblage de plufieurs
énigmes , dont une fur le mot
total, & plufieurs autres fur les fyllabes
ou parties du mot différemment arrangées.
Les Logogryphes font plus modernes
que les énigmes ; cependant leur origine
eft affez ancienne . Je ne fçais quel
auteur Arabe a fait un Traité des
D y
$2 MERCURE DE FRANCE .
Enigmes & des Logogryphes ; mais ce
n'eft pas ce dont il s'agit ici .
En ftyle de Logogryphe , le mot total
eft appellé le corps , & les lettres ou
fyllabes qu'on fépare & dont on forme
d'autres mots , font réputées les mem→
bres de ce corps : comme dans cet ancien
Logogryphe Latin , dont le mot
eft mufcatum ; & où par la diffection
du mot , on trouve mus
muftum.
mufca &
Sume caput mus ) , curram : ventrem ( ca ) conjunge
, volabo. ( mufca )
Addepedes ( tum ) , comedes , ( muſcatum ) ;
& fine ventre ( ca ) , bibes. ( muftum ).
Le premier Logogryphe François qui
ait paru dans les Mercures , fe trouve à
la fin du 2 volume de Décembre 1727 .
Il est bien fait , & le Mercure du mois
de Février 1728 , pag. 310 , lui donne
pour auteur le Marquis de la Guefnerie
en Anjou. Cependant au mois de Juillet
fuivant, M. le Clouftier d'Andely p. 1612.
prétendit que les deux premiers qui
avoient paru dans le Mercure , & qu'il
ne cite ni n'indique , font de lui.
Mais il s'en faut bien que ces premiers
Logogryphes , introduits dans les MerAVRIL.
1763. 83'
cures de France il y a environ 35 ans ,
foient les plus anciens dans notre Langue.
J'en connois un du célébre Dufrefni
qui doit avoir au moins 50 ou 60
ans. Je ne fçais s'il fut imprimé en fon
temps dans le Mercure galant : encore
moins s'il eft le doyen des Logogryphes
François ; mais au befoin , il pourroit
leur fervir de modéle. Le voici . Le
mot eft Orange.
Sans ufer de pouvoir magique ,
Mon corps entier en France ( Orange ) a deux
tiers en Afrique. ( Oran ) .
Ma tête ( Or ) n'a jamais rien entrepris en vain ;
Sans elle , en moi tout eft divin . ( Ange )
Je fuis affez propre au ruftique , ( Orge )
Quand on me veut ôter le coeur ( An )
Qu'a vu plus d'une fois renaître le Lecteur,
Mon nom bouleverfé , dangereux voisinage ,
Au Gafcon imprudent peut caufer le naufrage.
( Garone. )
D'après ce Logogryphe & quelques
autres qui ont été goûtés , on en peut
établir les régles. La plupart de celles
de l'énigme lui font communes avec le
Logogryphe , mais le Logogryphe en
a de particulières que voici.
Préfenter d'abord une énigme fort
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
courte fur le mot entier du Logogryphe.
Je dis fort courte , parce qu'elle ne doit
fervir que d'introduction aux énigmes
qui doivent fuivre , fur les divifions ou
combinaiſons du même mot.
On pourroit objecter que l'a uteur
du Logogryphe précédent ne s'eft pas
affujetti à cette régle ; & que fon début
, Mon corps entier en France , n'eſt
pas une énigme ; puifqu'on peut dire
également de toutes les villes & de tous
les lieux du Royaume Mon corps entier
en France , comme il le dit de la
ville d'Orange : mais l'auteur y a fuppléé
avantageufement en ajoutant que
ce corps entier en France a deux tiers
en Afrique : ce qui ne peut plus convenir
qu'au mot Orange , & fait deux
énigmes en un ſeul vers .
Če ne feroit pas abfolument un défaut
, que la petite énigme préparatoire
du Logogryphe fur le mot entier convînt
à deux mots différens ; puifque les
énigmes fuivantes ferviroient à reconnoître
lequel eft le véritable. Il eſt cependant
mieux que l'énigme du début
ne puiffe pas recevoir deux différentes
explications.
Après l'énigme fur le mot entier
viennent les énigmes particulières fur
AVRIL 1763. 85
il
les démembremens & les tranfpofitions
de ce mot. Voici en quoi confifte leur
mérite ; 1º. dans la clarté de l'indication
des fyllabes ou lettres qui par leurs divifions
& combinaifonsforment de nouveaux
mots & donnent lieu aux nouvelles
énigmes. Rien n'eft plus clair
que cette indication dans le Logogryphe
que nous venons de citer. Ma
tete n'a jamais rien entrepris en vain
défigne bien la pre miere fyllabe . Sans
elle en moi tout eft divin : otez Or ,
refte Ange. Les autres mots font pareillement
indiqués fans équivoque :
comme Orge en retranchant la fyllabe
du milieu An , qui fait le coeur du
mot. & c. 2°. Dans la jufteffe de ces
énigmes fubalternes , qui ne doivent
être ni trop claires ni trop bbfcures :
j'ajoute , ni trop longues pour ne pas.
fatiguer l'attention du lecteur. Si une
énigme en forme doit être courte , à
plus forte raifon la briéveté convientelle
aux énigmes dont l'affemblage compofe
le Logogryphe . Elles ont ici toutes
les conditions requife's . 3 ° . Dans le nombre
des énigmes que le mot entier renferme
dans fes divifions. Il eft clair que c'eft
un mérite de plus pour un Logogryphe
, le reſte étant égal , de contenir
86 MERCURE DE FRANCE .
un plus grand nombre d'énigmes.
Il y en a fix dans celui d'Orange ,
quoique le mot n'ait que fix lettres .
L'Auteur auroit pu en tirer un plus grand
nombre d'énigmes , puifqu'il a négligé
les mots Orage , Rage , Age , Gare ,
Argo , &c. Il a fans doute craint
de devenir trop long ou trop confus.
4°. Enfin dans l'art de referrer le
tout dans le moins d'espace poffible , en
évitant les inutilités & les longueurs .
Ici l'auteur a renfermé fes fix énigmes
en neuf vers.
Les mots les plus favorables aux Logogryphes
font ceux dans lefquels on
trouve un plus grand nombre de mots
par de fimples divifions , lefquelles font
beaucoup plus faciles à indiquer que les
tranfpofitions de lettres . Tel eft le mot
Courage , dont les fimples divifons ou
retranchemens feront trouver Cou, rage;
Cour , age; Courge , Cage , Orage. &c.
Ainfi les mots les plus longs, quoiqu'ils
fourniffent d'ordinaire un plus grand
nombre de combinaiſons , font les moins
avantageux pour un Logogryphe. Imagineroit-
on que pour en faire un , on
eût choifi un mot tel que Métamorphofe ,
d'où l'on n'en peut guères tirer d'autre
qu'en fe donnant la torture , & où pour
AVRIL. 1763.
87
e
indiquer le mot , phare , par exemple ,
il faut avertir le Lecteur de raffembler
la 8 , la 9 , la 4 , la 7 & la 2º lettre
& qu'alors il trouvera ce qni fait
lefalu des navigateurs , c'eft ce qu'on
exprimera dans le vers fuivant ou dans
quelque autre auffi harmonieux :
Huit , neuf, quatre , fept , deux : je guide le
Nocher.
C'est au choix heureux de mots de
cette espéce qu'on a l'obligation d'avoir
vû longtemps les Mercures remplis de
Logogryphes dans ce ftyle.
On s'eft enfin laffé de ce langage
barbare , & plutôt que d'indiquer les
tranfpofitions de lettres par leur numé
ro , on a pris le parti de ne les point
indiquer du tout , & de faire dire au
mot entier du Logogryphe ; vous trouverez
en moi un adverbe , une Saiſon ,
un Elément , un Saint , un Pape , un
Empereur , un fleuve , une note de mufique
, &c. fans défigner l'ordre des lettres
qui forment ces mots , ce qui eft
auffi vague & auffi confus , que l'autre
expédient étoit uniforme & faftidieux.
Si les mots trop longs font rarement
propres pour un Logogryphe , les mots
les plus courts offrent quelquefois dans
88 MERCURE DE FRANCE.
un très -petit nombre de lettres un affez
grand nombre de combinaiſons , ce
qui leur donne une forte de grace , parce
qu'on ne s'attend pas à cette fécondité.
Par exemple on vous annonce un
mot de trois lettres , dans lequel on trouve
neuf ou dix mots différens , fur lef
quels on fera neuf ou dix petites énigmes
par diverfes combinaiſons bien indiquées
en devinant le mot ail,vous ferez
furpris d'y trouver lia , ali , lai , ai,
ia , al , la , note de mufique , la , article,
là , adverbe , il article ; & li meſure itinéraire
de la Chine.
Il y a des mots tellement compofés,
qu'en retranchant fucceffivement une
deux , trois , quatre lettres , il refte toujours
un mot entier & enfin une lettre ,
lefquels peuvent fournir matière à autant
d'énigmes,& faire de tout un joli Logogryphe.
Par exemple, canon , par le retranchement
fucceffif d'une lettre , devient
anon , non , on , & la lettre n. Silex
, mot latin , eft dans le même cas ;
on y trouve ilex , lex ex & x , fans
compter file & lis. Dans Avoie , nom
d'une Sainte que porte une rue de Paris
, en fuivant la même méthode , vous
trouverez voye , vie , ie , & l'e muet. Ce
mor a cela de particulier encore , que
> >
AVRIL. 1763. 89
les cinq lettres qui le compofent, font
a , i , o , u. Ces deux derniers Logogryphes
ont été faits & donnés au Mercure
il y a quelques années.
Le mot latin adamas fournit un
exemple encore plus fingulier & peutêtre
unique. En le rognant lettre à lettre
( qu'on me permette cette expreffion )
par le commencement , il deviendra
damas , amas , mas , as & s ; & en lė
mutilant à rebours , adama , adam , ada,
( Princeffe connue dans l'hiftoire ) ad
& a ; mais cela feroit un mêlange bizarre
de mots François , Latins & Efpagnols
qu'il faudroit diftinguer , ce qui
feroit difficile & de plus cauferoit des
longueurs & de l'embrouillement.
Un mot qui a plufieurs anagrames,
peut fournir un Logogryphe par de fim
ples tranfpofitions fans retranchement.
Je connois un Logogryphe dans ce cas
dont le mot eft nacre. On y trouve par
fimple tranfpofition de lettres , crane ,
carne , écran , Nerac , Rance , ( carrière
de marbre ) & ancre. 1
Depuis quelque temps , le défaut ordinaire
des Logogryphes du Mercure
eft de n'être Logogryphes que de nom ;
puiſqu'on y dit au Lecteur préciſement
tout ce qu'il faut pour lui faire trouver
90 MERCURE DE FRANCE.
le mot fans avoir rien à deviner , ce
qui provient de ce qu'on péche contre
la feconde des quatres régles que j'ai
données plus haut & qu'au lieu de faire
des énigmes fur les parties féparées du
mot total , on exprime ces parties par
des fynonymes équivalens à leur nom .
Je n'en chercherai point la preuve plus
loin que dans le Mercure de Janvier
où fe trouve l'énigme du Fiacre. Le
mot du fecond Logogryphe eft Soif:
l'énigme fur ce mot par laquelle on
commence le Logogryphe, eft affez bien
faite , mais trop longue , puifque la
préface d'un ouvrage n'en doit pas
faire prés de la moitié. Si la lecture
de cette énigme préliminaire n'a pas
fuffi pour me faire deviner le mot
Soif, le refte va me l'indiquer fi
clairement, qu'il ne me fera pas poffible
de m'y méprendre. Je pourfuis ma lecture
& je vois que l'on m'annonce que
je trouverai dans le mot que je cherche
, 1 ° . l'objet des foins d'Argus. Eftce
là une énigme ? C'eft comine fi l'on
me difoit,vous trouverez Io ; j'écris donc
Io : voilà déja deux lettres . 2° . Certaine
note de Mufique ; rien ne m'indique encore
laquelle c'eft des fept notes ; je
laiffe donc fon nom en blanc , & je conAVRIL
1763. or
,
inue . 3 ° . Un arbriffeau des plus touf
fus , ce pourroit être if ou bien hour.
Je fufpends mon jugement. Je lis juf
qu'au bout , & le dernier vers m'apprend
que le mot entier n'a que quatre
lettres. Or j'en fçais déja deux , i & o :
je reprens où j'en étois , & je vois 4 ° .
qu'il faut trouver dans le mot entier une
vertu théologale. Laquelle des trois ?
Ce ne peut être que foi , puifque le
mot entier n'a que quatre lettres , &
que i & o que j'ai déja font du nombre .
J'écris donc foi. Je conclus auffitôt que
l'arbriffeau dont j'étois en doute ne
peut être qu'if, puifqu'il fe trouve dans
le mot foi. Il ne manque denc plus
qu'une lettre. 5. Ce dont un chien quand
il peut fe régale. Autant vaudroit dire
un os. Or dans le mot os je trouve la
lettre o que j'ai déja , & de plus la lettres
; celle -ci eft donc la quatriéme qui
me manquoit.J'écris donc os.5º.Un terme
enfin de dédain , de mépris. On ne peut
exprimer plus clairement le mot fi, que
je trouve en effet dans les mots que j'ai
déja. Les quatre lettres du mot font
donc i , o , f & f. J'y cherche la note
de mufique que j'ai laiffée en fouffrance
; & je vois que ce ne peut être que
la note fi. Il ne reste plus qu'à faire un
92 MERCURE
DE FRANCE.
mot avec les quatre lettres trouvées ¿
o,f, s. Quatre lettres ne peuvent s'ar- .
ranger que de vingt- quatre façons différentes
, dont la moitié dans le cas préfent
ne pourroit fe prononcer. Dès les
premiers effais de combinaifons , je
m'apperçois que ces quatre lettres i ,
o, f, s , ne peuvent faire que les mots
fois & foif. Ce dernier mot explique
très-bien l'énigme du début : le mot
du Logogryphe eft donc foif.Toutes ces
opérations fe font beaucoup plus promptement
qu'elles ne peuvent fe décrire ;
enforte qu'à la feconde lecture
avoir rien deviné , je reconnois évidemment
que le mot cherché eft foif, &
que tout ce qu'on m'a dit avec apparence
de mystère , fe réduit à cette propofition
, Lecteur , faites un mot françois
de ces quatre lettres , i , o , f , s ;
or je demande fi c'eft- là un Logogryphe.
J'en dirois prèfque autant de l'autre qui
fuit , dont le mot eft mode , ainfi que'
de la plupart de ceux que je vois dans
les Mercures depuis quelques années.
fans
Il est vrai que fouvent le mot a
plus de quatre lettres, & que quoiqu'elles
me foient toutes indiquées auffi clairement
que fi l'on me les eût nommées ,
il feroit long & pénible d'en compofer
AVRIL. 1763. 93
#
an feul mot.Je me contente alors d'avoir
toutes les lettres du mot, & j'abandonne
fans regret une recherche purement ennuyeuſe
, qui n'éxige que la patience de
former 120 arrangemens différens , file
mot a cinq lettres ; 720, s'il en a fix ; ſept
fois 720 ou 5047 , s'il y a fept lettres
& c,ce qui n'eft plus que l'ouvrage d'un
manoeuvre. Il n'y a que l'utilité ou l'im-
-portance de l'objet , cu une raiſon d'interêt
, qui pût faire furmonter un tra
vail auffi rebutant.
J'ai l'honneur d'être , & c.
LETTRE au même fur l'Etabliſſement
d'un Bureau de Confultations pour
les PAUVRES.
ON
>
N. trouve , Monfieur , dans le Mercure
de Fevrier 1763. l'extrait d'une
Lettre de M. Marin Cenfeur Royal
qui contient un projet auquel on ne
peut donner trop d'éloges. Il s'agit de
I'Etabliffement d'un Bureau de Con-
-fultations pour les Pauvres . En attendant
que le plan propofé par l'Auteur
puiffe recevoir fon entiere exécution
, le bien public & la juftice due
à l'ordre des Avocats du Parlement de
་
94 MERCURE DE FRANCE.
Paris , femblent éxiger que l'on faff
mention des Confultations de charité,
qui fe donnent tout les Mercredis , dans
leur Bibliothéque , fituée première Cour
de l'Archevêché. L'affemblée eft compofée
de fix ou huit' Avocats , qui font
invités de s'y trouver par une Lettre
de M. le Premier Avocat Général .
Ces Meffieurs écoutent tout ce que les
Pauvres viennent leur expofer ; ils éxaminent
les piéces qui leur font préfentées
; & lorfque les queftions ne font
pas d'une trop longue difcuffion , ils
délivrent fur le champ une confultation
fignée de tous les Affiftans. Si l'affaire
éxige un ample éxamen , on diftribue
les piéces à quelqu'un de la compagnie,
qui fe charge d'en faire le rapport dans
une autre Affemblée.
Vous voyez par-là , Monfieur , qu'il
ne s'agiroit que d'étendre les reffources
de l'Etabliffement déja formé , pour
remplir les vues de M. Marin. Les Confultans
, les livres , le lieu d'aſſemblée
fubfiftent ainfi tous les nouveaux fecours
que des Citoyens généreux voudroient
fournir , pourroient être employés
à la pourfuite des droits reconnus
légitimes,des malheureux qui ne feroient
pas en état d'en avancer les frais.
:
Qu'il me foit permis d'ajouter ici une
AVRIL 1763 . 95
bfervation qui intéreffe également le
-repos des familles , & dont l'objet pourroit
être du reffort de cette Affemblée
refpectable. Ne feroit-il pas poffible de
mettre un frein à la paffion de ces Plaideurs
entêtés qui, malgré l'évidence d'une
mauvaife caufe , ont la funefte manie
de fufciter des procès injuftes avec
d'autant plus de hardieffe , qu'ils n'ont
rien à perdre ? De là il arrive fouvent
qu'un Père de famille , très-malaifé luimême
, fe trouve forcé d'avancer pour
fa défenfe , des fommes qui feront à
jamais perdues pour lui , attendu l'infolvabilité
de fon Adverfaire . Les Etrangers
& les Dévolutaires font obligés en
pareil cas de donner une caution pour
la fureté du recouvrement des frais
que l'on appelle Cautio judicatum folvi.
On pourroit en étendre l'obligation
aux Plaideurs dont je parle , & rendre
le Bureau des Confultations Juge des
cas où cette précaution feroit néceffaire.
S'il eft trifte de ne pouvoir pas obtenir
la reftitution d'un bien far lequel on a
des droits , faute d'être en état d'avancer
quelques argent pour les faire valoir
, il n'eft pas moins fâcheux de perdre
une partie de fa fortune par la né
ceffité de repouffer les atteintes d'un
.
96 MERCURE DE FRANCE.
aggreffeur injufte , fur lequel il n'y
rien à recouvrer.
J'ai l'honneur d'être & c.
Ce 26 Février 1763.
M. D. L. M. A. a. P.
LETTRE à l'Auteur du MERCURE ,
fur une INSCRIPTION.
PERMETTEZ-MOI de m'adreſſer à
vous , Monfieur , pour demander des
éclairciffemens fur l'Infcription fuivante
, aux perfonnes qui font verfées dans
la connoiffance des Antiquités & des
Monumens de Paris.
On a reconſtruit depuis un an ou deux
la façade d'une maifon fituée rue S. Martin
, vis-à- vis l'Eglife de S. Julien des
Ménétriers, Avant la démolition , la porte
d'entrée de cette maifon , quoique
de moyenne grandeur , étoit ornée de
fculptures ; & au milieu des figures &
des ornemens , il y avoit au-deffus de
la porte un marbre noir fur lequel
étoient infcrits en lettres d'or ces deux
vers de Juvénal :
Summum crede nefas animam præferre pudori,
Et propter vitam vivendi perdere caufas.
3
II
AVRIL. 1763. *
97
Il s'agiroit de fçavoir quel peut avoir
été le fujet & le motif de cette Infcription
intéreffante , dont il me femble
utile de conferver le fouvenir,
J'ai l'honneur d'être , & c.
Mars 1763.
* . L. B.
HISTOIRE POÉTIQUE
tirée des
Poëtes François ; par M. l'ABBE
B... à Paris chez Nyon , Libraire ,
quai des Auguftins , près le Pont
Saint Michel, à l'Occafion ; 1763 ;
un volume petit in- 12. Avec Approbation
& Privilége du Roi.
L'AUTEUR de ce petit ouvrage , auffi
agréable que néceffaire pour l'intelligence
de la Fable , ne s'eft pas borné
à une fimple expofition de la Mythologie.
Il la met , pour ainfi dire ,
en action ; tout femble fe produire &
agir fous les yeux du Lecteur ; & ,
pour entrer dans quelque détail , on
croit être le temoin des Scènes tragiques
qui affligerent la Ville de Thèbes ;
I. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
>
on croit fe trouver en perfonne au
fiége de Troye ; ce morceau furtout
réunit à la fois , l'intérêt , la force &
la précifion . MM . Corneille , Racine ,
Rouffeau , de la Motte Crébillon
Fontenelle , de Voltaire , Greffet , &c ,
ont fourni les traits de ce tableau. Ce
font ces mêmes Poëtes avec Malherbe
Quinaut , la Foffe , Voiture , Moliere,
Boileau , Campiftron , Danchet , la
Grange , & tout ce que nous avons
eu de plus diftingué fur notre Parnaffe ,
qui ont été la fource où l'Auteur a
puifé la partie agréable de cette hiftoire
doublement poëtique , puifqu'elle
offre tous les traits de la Fable fous
les charmes de la Poëfie . Cette idée
nous a paru très - heureuſe & nous
ofons dire que l'Auteur l'a parfaitement
exécutée. C'eft au Public d'af
furer le fuccès d'un Ouvrage dont l'utilité
ne doit point tarder à fe faire fentir.
Outre les morceaux en Vers dont
nous venons de parler , chaque trait de
la Mythologie eft expliqué en Profe par
l'Auteur , de manière à faire mieux fentir
les morceaux en Vers qui lui fuccédent
, & forment avec cette profe
un tout agréable & piquant . Le ftyle en
eft clair , précis , naturel & foutenu
›
BIBLIO
LYO
THEQUE
99
en-
AVRIL. 1763 .
d'un ton d'intérêt , propre à fixer
tion des jeunes Lecteurs auxquels ce Livre
eft deſtiné. Tout y eft épuré avec
un foin porté jufqu'au fcrupule , & qui
auroit pu nuire à l'Ouvrage ,
attention n'eût pas dû emporter néceffairement
la préférence .
fi cette
DE LA SANTÉ , Ouvrage utile à tout
le monde ; par M. l'Abbé JAQUİN ;
chez Durand, Libraire , rue du Foin ;
feconde édition ; 1763. 1 vol . in- 12.
NOUS ous ne fimes qu'annoncer la premiere
édition de cet Ouvrage utile
dont nous promîmes un extrait plus
étendu. Aujourd'hui qu'on vient d'en
publier une édition nouvelle , nous faififfons
cette occafion de le rappeller à
nos Lecteurs , tous intéreffés à le connoître.
Il n'eft pas queftion ici de recouvrer
fa fanté lorfqu'on a eu le malheur
de la perdre , mais de la conferver
, lorfqu'on a l'avantage d'en jouir.
Ce n'est guères que dans les horreurs
de la maladie , que l'on connoît le bonheur
de fe bien porter. Que de regrets
alors fur les excès qui ont empoifon-
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
né les douceurs de nos jours ! C'eft dans
cet Ouvrage que l'on apprendra à les
prévenir. L'Auteur ne préfcrit pas également
à tout le monde les mêmes préceptes
; & avant que de donner fes règles
de fanté , il éxamine les nuances différentes
qui diftinguent chaque individu.
La différence des tempéramens eft
donc d'abord un des points effentiels
fur lefquels il porte fes regards ; il préfcrit
, pour chaque tempérament , les règles
les plus convenables au but qu'il
fe propofe.
,
De l'éxamen des tempéramens, il s'attache
à celui de l'air , des vents des
climats , des faifons & au choix d'une
habitation , toutes chofes néceffaires à
la fanté , & dont il eft , par conféquent ,
très- utile de bien connoître la nature
& les propriétés. De- là l'Auteur paffe aux
alimens dont il fait connoître les diverfes
qualités , & leur influence fur les différens
tempéramens. Ce Chapitre offre
des détails très - inftructifs , & dont on
la fanté les plus grands peut tirer pour
avantages. Le fommeil , l'éxercice du
corps , les éxcrétions & fécrétions font
la matière des trois Chapitres fuivans.
Nous n'en citerons que quelques traits
concernant le tabac. Cette plante n'eft
AVRIL. 1763.
ION
>>
regardée par la plupart de ceux qui en
» font ufage , que comme un pafletemps
agréable & indifférent pour la
» fanté ; mais ils fe trompent. Une pou-
» dre qui irrite & ébranle le 'cerveau ,
» peut- elle paffer pour indifférente ?
" Que le tabac , avec tous fes défagré-
» mens , fa malproprété & fes dangers ,
» fe foit introduit chez le François , cet
» efclave avide de la mode , c'eft ce que
» j'imagine affez facilement. Mais qu'il
ait pu fe perpétuer depuis plus d'un
» fiécle , & parvenir au point de faveur
» où nous le voyons chez ce Peuple
» fi inconftant , c'est ce que je ne con-
» çois pas. Préfenté par l'avidité du
» commerçant , adopté par la mode , for-
» tifié par quelques effets que la bétoine
» auroit opérés , foutenu par la politi-
» que , vanté par le Financier , devenu
» enfin un amufement pour la pareffe
» & une reffource pour la converfation ,
» il eft actuellement au rang de ces be-
» foins de fantaifie , dont on fe prive-
» roit plus difficilement que de réels .
» Mais comment quitter le tabac , dit- on ,
quand on en a une fois pris l'habitude
? n'eft- ce pas s'expoſer à beaucoup
» d'inconvéniens ? il eft un moyen bien
» für pour en ceffer l'ufage fans en être
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
» incommodé ; c'eft de le ceffer peu-à-
» peu.... Quand on veut le quitter , il
» eft bon de commencer dans l'été
» temps où les humeurs fe diffipent facilement
par la tranfpiration infenfible .
" Que les parens capables d'apprécier
» ces réfléxions , apportent toute leur
» attention , pour empêcher leurs enfans
» de contracter une habitude au moins
» inutile , ſouvent dangereufe,& toujours
» onéreufe par le prix du tabac , pour le
» Peuple qui en fume & qui en prend
en poudre .
On voit par cette citation le ton agréable
qui régne dans cet Ouvrage , & la
manière d'écrire de M. l'Abbé Jaquin ,
qui ne peut manquer de lui concilier le
fuffrage de fes Lecteurs , lors même qu'il
combat leurs habitudes & leurs goûts.
Les quatre derniers Chapitres de ce
Volume traitent de la propreté des différens
féxes , âges & états , des caufes
morales qui influent fur la fanté , telles
que les paffions & les affections de l'ame ;
& enfin des dangers auxquels on s'expofe
quand on fait des remédes fans
néceffité. On voit que l'Auteur s'eft
éxactement renfermé dans fon objet ; &
les régles qu'il donne font établies fur
les principes les plus fimples de la PhyAVRIL.
1763. 103
fique , fur les obfervations les plus conftatées
, & fur les expériences les plus
invariables. Il a faifi fcrupuleufement
les plus petits détails ; dans une matière
auffi intéreffante , ils ne peuvent
être regardés comme minucieux. Enfin
on s'apperçoit que le bien public à
été fon unique objet ; & c'eft l'avoir
rempli , que d'offrir des préceptes do
fanté convenables à tous les Lecteurs.
TRAITÉ ABRÉGÉ de Phyſique à l'ufage
des Colleges ; par M. de SAINTIGNON
, Procureur général des
Chanoines réguliers de la Congrégation
de notre Sauveur , de la Société
Royale des Sciences & des Arts de
Metz , &c. A Paris , chez Durand,
Libraire , rue du Foin , au Griffon ;
1763 , avec Approbation & Privilége
du Roi. Six volumes in- 12.
QUOIQUE nous avons déja d'excelnous
lens Ouvrages fur la Phyfique
croyons que celui - ci ne paroîtra point
inutile. L'Auteur a enfeigné cette fcien-
EW
104 MERCURE DE FRANCE.
ce pendant plufieurs années ; & comme
il a principalement travaillé pour les
jeunes gens , il a donné à fes écrits l'ordre
le plus propre à leur en rendre l'étude
moins pénible , & plus utile dans
l'efpace de temps que l'ón y deftine
ordinairement. Il ne fe donnet pour l'Inventeur
d'aucun fyftême , d'aucune découverte
dans la fcience qu'il a traitée ;
mais on ne lui difputera ni le mérite
d'avoir lu & choifi ni celui d'avoir
raffemblé & mis en ordre ce qui pouvoit
entrer dans fon plan , d'après les
-Auteurs les plus célébres . M. l'Abbé
Nollet , entre autres , lui a été d'un trèsgrand
fecours ; & M. de Saintignon ne
difconvient pas qu'il n'ait fouvent emprunté
jufqu'aux expreffions même de
cet habile Académicien . Parmi les Auteurs
qui ont traité de la Phyfique , les
uns font trop abftraits pour de jeunes
gens , d'autres font trop diffus ; quelques-
uns n'ont pour objet qu'une partie
de cette ſcience ; d'autres fuppofent
dans leurs Lecteurs des connoiffances
préliminaires que l'on n'a pas communément.
Les uns n'ont écrit
que pour
les Sçavans , les autres pour les perfonnes
qui fe contentent d'une connoiffance
fuperficielle. M. de Saintignon a
AVRIL 1763. IOS
eu raifon de croire qu'un cours de
Phyfique deftiné à l'ufage de la Jeuneffe
, devoit tenir une efpéce de milieu
entre les deux dernières claffes , &
être mis à la portée de tout le monde
fans qu'il fût cependant indigne de l'attention
des perfonnes les plus éclairées.
C'eft à quoi nous penfons qu'il eft
heureufement parvenu ; & pour donner
une légère idée des matières qui font
traitées dans cet Ouvrage , il fuffira de
les indiquer.
La matière en général , fes propriétés,
les fenfations qu'elles excitent en nous
par le moyen du mouvement , & le
mouvement lui- même , font le fujet du
premier volume. Le fecond traite de la
pefanteur& de la lumière , le troifiéme,
le quatriéme & le cinquiéme du monde
en général & de fes principales parties
des élémens , des météores , des plantes .
des fontaines , & c ; & le dernier Tome
a pour objet le corps humain & les
différentes fenfations de l'homme . Toutes
ces matières font traitées dans l'ordre
le plus clair & le plus méthodique:
ce qui répond parfaitement au but que
l'Auteur s'eft propofé en travaillant fpécialement
pour les Colléges , aufquels
cet Ouvrage fera d'une très-grande uti-
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
QUINZE nouvelles Cartes de l'Atlas
de M. BUY DE MORNAS.
C'EST ' EST toujours avec un nouveau
plaifir , que nous revenons à cet Ouvrage
important , & en même temps le
mieux éxécuté & le plus parfait que nous
ayons en ce genre . Nous ne fçaurions
trop infifter fur l'exactitude de M. de
Mornas , & de fon Confrère , le fieur
Defnos , à tenir leurs engagemens .
Chaque partie de cette belle & fçavante
entrepriſe paroit régulièrement
au temps fixé dans leur Profpectus ; &
ce n'eft que par l'abbondance des matières
dont nous avons à rendre compte,
que nous avons différé de parler des
quinze Cartes nouvelles qui paroiffent
depuis quelque temps. Le plan de l'Auteur
étant connu par plufieurs de nos
extraits précédens , nous ne ferons
qu'indiquer aujourd'hui les Pays & les
faits mentionnés dans les nouvelles
Cartes. La première , qui eft la trenteuniéme
de la feconde partie , nous offre
les Ifles Britanniques , où l'on trouve
les noms des anciens Peuples , & les
retranchemens faits par les Romains
AVRIL. 1763. 107
du temps de Severe & d'Antonin. La
Germanie ancienne , divifée & fubdivifée
par les Peuples qui l'habitoient
autrefois , eft préfentée dans la trentedeuxiéme
Carte . On voit dans les
cinq fuivantes , la Rhétie , la Norique ,
& l'Illyrie en général ; la Pannonie
la Liburie , la Dalmatie & la Gréce ;
la Salmatie Européenne , la Dace &
la Moefie ; la Macedoine & la Trace ;
l'Epire & la Theffalie avec l'hiſtoire
des différens Peuples qui habiterent
ces Contrés , & des grands événemens
qui les ont rendues célébres dans l'antiquité.
L'Acarnanie , la Locride , &
la Phocide ; la Béothie , la Mégaride ,
l'Attique & le Péloponefe , avec des
obfervations fur leurs principales Villes ,
font la matière de trois Cartes qui
terminent le cours de Géographie ancienne
, que M. de Mornas a rendu
complet en vingt Cartes feulement ; &
il paroît qu'il n'a rien oublié pour rendre
cette defcription digne d'accompagner
fon cours d'hiftoire , foit par
la netteté du burin , foit par l'exactitude
des recherches.
C'eft à la Carte quarante-uniéme ,
que cet Auteur commence à nous ou
vrir le beau fpectacle de l'Univers
E vj
108 MERCURE DE FRANCE .
en nous donnant les differentes épo
ques de Phiftoire ancienne . Il nous
fait connoître combien l'étude de l'hif
toire eft difficille à ceux qui veulent
l'approfondir ou l'écrire. Les principales
caufes de ces difficultés , font la
fombre politique des Rois de l'antiquité
, les mutations , & les différentes
valeurs des mois & des années chez
les Anciens Peuples , le grand nombre
de noms & de titres que portoient les
anciens Rois , la ridicule vanité des
Peuples de vouloir paroître anciens ;
celle des Hiftoriens Grecs , qui cherchoient
plutôt à faire briller leur éloquence
dans leur narration , qu'à dé-
Couvrir la vérité dans leurs récits ;
enfin la perte que l'on a faite des
écrits les plus éxacts fur l'ancienne hiftoire.
Dans les quatre dernières Cartes,
P'Auteur recherche les objets & les
caufes de Pidolatrie ; il traite de
Empire de Babylone , & d'Affyrie ,
de la différence de ces deux Etats dans
leur origine , de la Religion , du Gouvernement
, des Coutumes, Ufages,& c.
de ces deux Nations . Il préfente une
introduction à l'hiftoire d'Egypte , où
décrit l'antiquité de fon Gouverne
mem , fes Loix , fa Religion &c. On
AVRIL. 1763. 109
y voit les lieux où étoient les fameufes
Pyramides, le Labyrinthe , le lac Moris ;
& pour l'utilité de fes Lecteurs , M.
de Mornas a eu foin de faire graver
dans un coin de la Carte , la repréfentation
d'une momie , d'une pyramide
& d'un obélifque .
Tels font les objets de quinze Cartes
que nous annonçons, & qui feront bientôt
fuivies de quinze autres pour fatisfaire
l'empreffement du Public qui
paroît tous les jours goûter de plus en
plus cet Ouvrage. L'Auteur invite les
perfonnes qui ont foufcrit , à retirer
leurs Exemplaires ; & de notre côté
nous croyons qu'on ne peut trop tôt
fe procurer un ouvrage qui préfente
à la fois la Géographie la plus exacte
& un cours complet d'histoire Univerfelle.
On foufcrit chez M. de Mornas ,
rue S. Jacq. auprès de S.Yves , & chez
le fieur Defnos , dans la même rue.
ANNONCES DE LIVRES.
DICTIONNAIRE domeftique portatif
, contenant toutes les connoiffances
relatives à l'oeconomie domestique &
rurale ; où l'on détaille les différentes
110 MERCURE DE FRANCE.
branches de l'agriculture , la manière
de foigner les chevaux , celle de nourrir
& de conferver toute forte de beftiaux
, celle d'élever les abeilles , les
vers à foie ; & dans lequel on trouve
les inftructions néceffaires fur la Chaffe,
la Pêche , les Arts , le Commerce , la
Procédure , l'Office la Cuifine & c .
Ouvrage également utile à ceux qui vivent
de leurs rentes ou qui ont des terres
, comme aux Fermiers , aux Jardi
niers , aux Commerçans & aux Artiſtes.
Par une Société de gens de Lettres . In-
8° . Paris , 1763. Chez Vincent , Imprimeur-
Libraire , rue S. Severin .
,
Nous avons annoncé , l'année dernière
, la première partie du premier volume
de cet Ouvrage utile , contenant
les lettres A & B. Celle que nous annonçons
aujourd'hui , renferme la lettre
C.
LE GENTILHOMME CULTIVATEUR
, ou Corps complet d'Agriculture
, traduit de l'Anglois de M. Hall ,
& tiré des Auteurs qui ont le mieux
écrit fur cet Art. Par M. Dupuy d'Emportes
,
de l'Académie de Florence.
Tome 5. in-4°. Paris , 1763.. Chez
P. G. Simon , Imprimeur du Parlement,
AVRIL. 1763.
rue de la Harpe ; Durand , Libraire,
rue du Foin ; Bauche , Libraire , quai
des Auguftins ; & à Bordeaux , chez
Chapuis l'aîné.
din ,
HISTOIRE DE SALADIN , Sultan
d'Egypte & de Syrie ; avec une Introduction
, ou Hiftoire abrégée de la dynaftie
des Ayoubites fondée par Salades
notes critiques , hiftoriques ,
géographiques , & quelques piéces juftificatives.
Par M. Marin , de la Société
Royale des Sciences & Belles -Lettres
de Lorraine , de l'Académie de
Marſeille , & Cenfeur Royal.
Quis nefcit primam effe hiftoriæ legem , he
quid falfi dicere audeat , deinde ne quid
veri non audeat ?
Cic. de Orat. Lib . II,
Pont
2 volumes in- 12 . Paris , 1763. Chez
Grangé , Imprimeur- Libraire
Notre- Dame , près la Pompé , au Cabinet
de la Nouveauté ; Bauche , quai
des Auguftins ; & Dufour , quai de
Gêvres , à l'Ange Gardien ."
Le fuccès de la première Edition de
cet Ouvrage garantit celui de la feconde.
ESPRIT , Saillies & Singularités du
112 MERCURE DE FRANCE.
P. Caftel. In- 12 . Amfterdam , 1763. Et
fe trouve à Paris , chez Vincent , rue
S. Severin .
Nous rendrons compte avec plaifir
de cet Ouvrage rempli d'idées auffi fingulières
qu'amufantes.
MANDEMENT & Inftruction paſtorale
de Mgr l'Archevêque de Lyon ,
portant condamnation des trois parties
de l'hiftoire du Peuple de Dieu , compofée
par le F. Berruyer, de la Compagnie
de Jefus , des écrits imprimés
pour la défenſe de ladite hiftoire , & du
Commentaire latin du F. Hardouin , de
da même Compagnie , fur le Nouveau
Teftament. In- 12. Lyon , 1763. de
l'Imprimerie & chez Aimé de la Roche ,
Imprimeur de Mgr l'Archevêque & du
Clergé aux Halles de la Grenette ;
chez Claude Cizeron , Libraire , à la
defcente du pont de pierre , du côté de
S. Nizier. Et fe trouve à Paris , chez
Pankoucke , Libraire , rue & à côté de
la Comédie Françoife.
RECUEIL DE PIECES en Profe &
en Vers , lues dans les Affemblées publiques
de l'Académie Royale de la
Rochelle dédié à S. A. S. Mgr. leAVRIL.
1763. 113
Et
e
Prince de Conti , Protecteur de ladite
Académie . Tome 3. in- 8° . A La Rochel
le , 1763. Chez Jérôme Legier , Imprimeur
de l'Académie , au Canton des
Flamands ; & fe trouve à Paris , chez
Merigot Père , quai des Auguftins . Prix,
31. 10 f. broché , 4 1. 10 f. relié.
On trouve chez le même Libraire
l'Ordonnance de la Marine commentée
par M. Valier. In-4°. 2 vol . Prix ,
24 liv. relié.
LE LANGAGE DE LA RAISON ;
par l'Auteur de la jouillance de foimême.
Venitefilii , audite me ; timorem Domini
docebo vos.
Pf. 33. V. II .
Paris , 1763. Chez Nyon , Libraire ,
quai des Auguftins , à l'Occafion .
HISTOIRE Univerfelle , Sacrée &
Profane , compofée par ordre de Mefdames
de France. Tomes 15 & 16. in-
12. Paris , 1763. Chez Louis Cellot
Imprimeur - Libraire Grand'Salle du
Palais , à l'Ecu de France & rue Dauphine.
Ces deux nouveaux volumes ne font
•
114 MERCURE DE FRANCE.
que confirmer la réputation juftement
acquife de leur Auteur ( M. Hardion
de l'Académie Françoife ) dont l'Ouvrage
traduit en Italien fe trouve chez
le même Libraire .
VOYAGE Pittorefque des environs
de Paris , ou defcription des Maifons.
Royales , Châteaux , & autres lieux de
plaifance , fituées à quinze lieues aux
environs de cette Ville . Par M. D ***.
Nouvelle Edition , corrigée & augmentée.
In- 12. Paris , 1763. Chez Debure
Père , quai des Auguftins , à l'Image
S. Paul ; & Debure , fils aîné , même
quai , à la Bible d'or .
MELANGE de Maximes , de Réfléxions
& de Caractères. Par M. Durey
d'Harnoncourt , Licentié en Droit. On
y a joint une Traduction des Conclufioni
d'Amore de Scipion Maffei , avec
le Texte à côté. Nouv. Edition , revue
& corrigée par l'Auteur;in -8 °; Bruxelles,
1763 ; & fe vend à Paris , chez Valleyrefils
, Imprimeur-Libraire , rue de la
vieille Bouclerie , à l'Arbre de Jeffé.
L'Auteur dit , dans fa Préface , qu'il
s'eft propofé les deux grands modéles
qui font nos maîtres dans l'art de peinAVRIL.
1763. 115
dre les hommes , la Rochefoucault &
la Bruyere ; mais fans fe flatter de les
atteindre , & fans s'affujettir à leur manière
, c'est-à-dire à la précifion du premier
, & à la méthode de l'autre. On
trouvera ( dit - il ) ici , comme l'annonce
le titre , des maximes , des réfléxions
& des portraits ; mais ce ne font que
des découpures jettées fans ordre fur
le papier. On a cru que la diverfité qui
fait le prix de ces fortes d'Ouvrages
demandoit cette efpéce de négligence .
On peut comparer , ce me femble , les
écrits de ce caractère à ces bofquets
dont les arbres , plantés irréguliérement
par les feules mains de la Nature , donnent
à la vue un plaifir plus touchant ,
que ces jardins fomptueux , dont tous
les plans font alignés & tirés au cordeau
, & c.
Nous ne tarderons pas à rendre compte
de cet Ouvrage , qui fait honneur
à fon Auteur.
NOUVELLES Obfervations théoriques
& pratiques fur la Goutte , avec
le détail des plantes , &c , qui forment
le reméde fpécifique calmant la goutte ;
dédiées à M. le Marquis de Marigny
Commandeur des Ordres du Roi , Di116
MERCURE DE FRANCE.
recteur général de fes Bâtimens , &c.
Par M. Chavy de Mongerbet , Médecin
des Bâtimens du Roi. On a joint , à la
fin de ce Traité celui des hernies
avec le traitement de ces maladies &
de celles des relâchemens de matrice &
de fondement.
,
Hic non agitur de verbis , fed de rebus.
In-12. Paris , 1763. Chez Michel Lambert
, rue & à côté de la Comédie Françoife.
LA LOUISIADE , ou le Voyage de
la Terre-Sainte , Poëme héroïque . Par
M. Moline , Avocaten Parlement.
Dùmnumerat palmas , credidit eſſe ſenem. Mart.
in-8° . Paris , 1763. Chez Defaint , junior
, à la Bonne-foi.
CONTES MORAUX dans le goût de
ceux de M. Marmontel , tirés de divers
Auteurs , & publiés par Mlle Uncy ; tomes
III & IV , chez Vincent , rue S. Severin.
Nous rendrons compte à la fois de
ces deux nouveaux volumes, & des deux
qui les ont précédés.
ODE SUR LA PAIX , par M. Pioger,
Capitaine de Cavalerie. In -8 °, Paris
1763. Chez Cuiſſart , Libraire , Pont au
AVRIL. 1763. 117
1
1
1
Change , à la Harpe. Nous en rendrons
compte dans le Mercure prochain .
LE BUCHERON , ou les trois Souhaits
, Comédie en un Acte , mêlée d'ariettes
. Repréfentée pour la première
fois par les Comédiens Italiens ordinaires
du Roi , le Lundi 28 Février 1763 ,
in-8° . à Paris , chez Claude Hériffant,
Imprimeur-Libraire , rue Neuve Notre
- Dame , à la Croix d'or . Prix , 1 liv.
4 f. Mufique de M. Philidor. Voyez
L'Article des Spectacles,
NOUVEAUX Elémens de Dynamique
& de Méchanique , par M. Mathon
de la Cour , de l'Académie Royale
des Sciences & Belles - Lettres de
Lyon ; à Paris chez les Frères Periffe ;
& fe trouve à Paris , chez Rollin
rue S. Jacques , vol. in -8 ° de 130
pages avec figures. 2 liv. 10 f. broché,
Les Principes de la Méchanique & de
la Dynamique font abftraits difficiles
, même pour les Géométres ; les
plus habiles n'ont pas dédaigné de s'en
occuper de la manière , ce femble , la
plus élémentaire , & ils ne font pas
toujours d'accord fur les premières vérités
d'où il s'agit de partir.
118 MERCURE DE FRANCE.
L'ouvrage de M. Mathon eft traite
d'une manière nouvelle , & fa méthode
n'avoit point encore paru ; elle fe
réduit à l'équilibre ou à l'oppofition
qu'il y a dans les forces motrices ; jointe
à la réfiftance que l'Auteur fuppofe
dans la matière pour toute efpéce de
mouvement.
Les propriétés de l'équilibre font 1º.
l'égalité qu'il y a néceffairement entre
les fommes des forces oppofées, en quelque
fens que ce foit qu'on les décompofe.
2. L'égalité entre les fommes
des momens oppofés par rapport
à un point quelconque du plan dans
lequel font les directions des forces ,
ou par rapport à un axe quelconque
qu'on peut imaginer à volonté dans le
cas où les directions des forces ne feroient
pas toutes dans un même plan .
M. Mathon tire de ces deux propriétés
plufieurs équations algébriques qu'il
applique aux principaux problêmes de
la Dynamique ; ceux qui ont le plus de
rapport avec les grandes queftions qui
ont ététraitées par les Géométres; il s'agit
par exemple de trouver le mouvement
que recevra un fyftême de corps agité
par des forces quelconques ; de trouver
le mouvement que doivent prendre
L
AVRIL. 1763. 119
?
plufieurs corps frappés à la fois par
un autre ; la plupart des problêmes de
Dynamique viennent fe placer comme
de fimples corollaires des principes lumineux
que l'Auteur y établit tels
font les théories des centres d'ofcillations
des centres de rotations
des plans inclinés , des poulies , des
frottemens ; la charge que fupportent
ces points d'appui , ces léviers
& plufieurs autres queftions importantes
& délicates. Ce Traité quoique fort
court , ne laiffe pas de développer les
élémens de cette Science avec plus de
netteté qu'on ne l'a fait en même
temps qu'il s'éléve à des recherches
très-fçavantes ; on y voit l'efprit mathé
matique , c'eft-à-dire d'ordre, de fimplification
, de déduction , les nouveaux
théorêmes donnés par M. le Chevalier
d'Arcy , y font démontrés d'une ma
nière très-fimple. Et cet Ouvrage paroît
fort néceffaire à ceux qui voudroient
entreprendre de lire feuls ce
qu'ont écrit fur la Dynamique les Auteurs
illuftres qui s'en font occupés , tels
que MM. Bernoulli , Herman , Euler,
Clairaut , d'Alembert , &c .
,
CHARPENTIER , Libraire , quai des
120 MERCURE DE FRANCE
Auguftins , près le Pont S. Michel , à
S. Chryfoftome , a acheté de M. Prault,
petit-fils , les OEuvres de Nivelle de la
Chauffée , de l'Académie Françoiſe ,
nouvelle Edition , corrigée & augmentée
de plufieurs Piéces qui n'avoient
point encore paru . 1763.5 vol. in-12.
petit format. Cette Edition mérite à
toutes fortes d'égards d'être recherchée .
On la doit à un ami de l'Auteur,M . Sablier
, Affocié de l'Académie des Belles-
Lettres de Marfeille. Les OEuvres de
Deftouches , 10 vol . in- 12. petit format.
Les OEuvres de Théâtre de M. de Saint-
Foix , nouvelle Edition revue , corrigée
& augmentée de plufieurs Comédies
4 vol. in-12. 1762 . ,
AVIS AU PUBLIC,
SUR le Mémoire de M. DEPARCIEUX.
Nous avons dit dans notre dernier
Mercure, qu'on n'avoit tiré du Mémoire
de M. Deparcieux , fur le moyen
' d'amener la riviere d'Yvette à Paris ,
à la porte S. Michel , que le nombre
d'exemplaires qu'on vouloit donner ,
& cela étoit vrai ; mais on avoit eu
la précaution de ne pas rompre les
formes ; & voyant que bien des perfonnes
AVRIL. 1763.
121
fonnes le demandoient , on en a tiré
depuis quelques exemplaires qui fe
vendent chez M. Durand , Libraire ,
rue du Foin .
Quelques perfonnes,mais en petit nombre
, ont marqué de l'inquiétude fur le
goût de vafe ou de Marais , dont M.
Dep. parle dans fon Mémoire. Il a'oublié
de faire obferver que l'eau fur
laquelle ont été faites toutes les épreuves
, a été puifée dans le temps que les
feuilles des arbres achevoient de tomber
, encore toutes vertes & pleines de
fuc , qu'elles ne pouvoient manquer de
communiquer à l'eau , joint à ce qu'elle
doit néceffairement enlever des dépôts
qui font dans prèfque tout le cours de
cette rivière , qu'on ne cure jamais
ou que par parties , & de loin en loin
y ayant tels endroits que perfonne du
lieu n'a jamais vu curer ; goût qu'elle
ne prendra plus quand on fera obferver
le réglement pour le curage de la
rivière. Car il ne faut pas être grand
Phyficien pour fentir que l'eau ne peut
avoir ce goût en fortant de la terre &
après avoir été filtrée par un terrein qui
eft prèfque partout de fable vitrifiable
qu'elle lave depuis des Siétles ' ;
terrein de même nature que ceux des
I. Vol. F
>
122 MERCURE DE FRANCE.
hauts de S. Cloud , ville Davré , Ro
quencourt , Meudon , Vanvres Clamart
, Buc , & c. dont les eaux font
pourtant excellentes.
,
Pour ne laiffer aucun doute fur un
projet auffi important pour la Ville de
Paris , M. Dep. fe propofe de lever plus
expreffement toutes ces difficultés , quí
dans le fond ne peuvent guères faire
d'impreffion fur l'efprit des Magiſtrats
éclairés que cela regarde , qui s'en rapporteront
au jugement des perfonnes
capables d'examiner , qui affurent que
l'eau expofée à l'air libre , fans chaleur
& fans mouvement , a entièrement
perdu ce goût au bout de quelques
jours. On pourroit dire d'après cela ,
qu'importeroit-il qu'elle eût ce goût
en fortant de terre , puifqu'elle le perd ?
( fuppofition gratuite. ) Au furplus, c'eft
un goût qu'elle a de commun avec
l'eau de toutes les rivières plus ou
moins fort ; la Seine elle -même n'en
eft pas exempte quand elle eft baffe
en Automne ; on n'y fait pas attention
parce que perfonne n'en parle , &
cela parce que perfonne ne boit l'eau
de la Seine qu'après qu'elle a repofé
dans un réfervoir ou qu'elle a paffé par
une fontaine fablée ; il faudroit dans
AVRIL. 1763: 123
le's comparaifons mettre toujours toutes
chofes égales.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES
ACADÉMIE S.
ACADÉMIE des Sciences & Belles-
Lettres de DIJON.
L'ACADÉMIE
convaincue que la
matière importante
qu'elle vient de
choifir pour le concours au prix qu'elle
adjugera dans le mois d'Août 1764 ,
ne peut être approfondie
qu'avec un
temps & un travail confidérables
, annonce
dès-à-préfent ce fujet qui confifte
à déterminer la nature des Anti-
Spafmodiques
proprement
dits , à expliquer
leur manière d'agir , à diftinguer
leurs différentes
espéces & à marquer
leur ufage dans les maladies ?
On ne répétera point ici les condiditions
& les formalités que les Auteurs
doivent obferver en envoyant
leurs mémoires à l'Académie ; toutes les
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
Sociétés Littéraires du Royaume les
ont fi fouvent rappellées dans leurs
programmes , que ceux qui fe préfentent
aujourd'hui aux concours Académiques
, n'ont plus befoin probablement
d'en être avertis .
La queftion que propofe l'Académie,
lui paroît fi intéreffante , qu'elle ne
veut point fixer l'étendue des mémoires:
quelque long que foit un ouvrage ,
s'il mérite fon approbation , il aura
droit à fes fuffrages & à la courronne
Académique.
Les paquets affranchis de ports , feront
adreffés à M. Michault , Secré
taire perpétuel de l'Académie , rue de
Guife , à Dijon .
Ils ne feront reçus que jufqu'au
premier Avril 1764 exclufivement .
SÉANCE publique de l'Académie de
BESANÇON pour la diftribution
des Prix.
LE 24 Août 1762 , l'Académie de
Befançon fit célébrer dans l'Eglife des
P P. Carmes une Meffe avec un Motet ;
le Panégyrique de S. Louis fut enfuite
AVRIL. 1763. 125
prononcé par M. Pavoy , Docteur en
Théologie , Curé de Pugé en Franche-
Comté. L'après - midi du même jour
l'Académie tint une Séance publique
pour la diftribution des Prix . M. de
Frafne , Avocat Général Honoraire du
Parlement de Franche-Comté , Préfident
de l'Académie , fit un difcours
relatif à l'objet de cette Séance. Il obferva
fur la réferve du Prix d'éloquence
pour l'année prochaine : " Que c'eſt un
» moment de repos qui devient l'affu-
» rance d'une récolte plus abondante
» pour l'avenir ; que d'efprit n'eft pas
» toujours également fertile dans fes
» productions ; qu'expofé à des varia-
» tions qui le rendent fouvent mécon-
» noiffable à lui-même , il reffent ainſi
» que la Nature , les influences du temps
» & des circonftances ; que dans un
" Sujet propofé pour un Difcours ,
" tout dépend de la manière de l'apper-
» cevoir , de l'impreffion plus ou moins
» vive qu'il fait dans l'âme & des idées
» qui en résultent ; que de là naît cet-
» te heureufe facilité à préfenter le
L
chofes fous l'afpect qui leur con-
» vient , à les traiter avec ordre , à leur
» appliquer des principes qui devien-
» nent une fource féconde de confé-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
» quences , & à répandre à propos fur
» tout l'ouvrage les agrémens du colo-
» ris ; qu'au contraire fi l'efprit foible-
» ment affecté ne faifit pas le véritable
» point de la queſtion à difcuter , il fe
» rétrécit en quelque forte , il tombe
» dans la langueur & de là dans les
» écarts.
M. de Frafne déclara enfuite que le
prix d'érudition avoit été décerné à
Dom Berthod , Bénédictin , Bibliothé
caire de l'Abbaye de S. Vincent de Befançon
, Auteur déja couronné plus d'une
fois par l'Académie ; que l'Acceffit
avoit été déféré en premier ordre à Dom
Coudret, Religieux de la même Abbaye,
& à l'Auteur de la Differtation qui a pour
devife Vivit poft funera Virtus. Le
mérite de ces deux derniers Ouvrages
fit remarquer à M. de Frafne » que
» quand on fuit d'auffi près le vainqueur
, on participe à fa gloire , &
» qu'il femble même que l'on peut
détacher
quelques fleurs de fa couronne
fans en diminuer l'éclat.
M. de Frafne annonça enfin que le
prix des Arts avoit été également adjugé
à M. Perreciot , Etudiant en Médecine
à Befançon & à André Vautheret,
Thuillier , demeurantau Village
AVRIL 1763. 127
"
de Four en Franche-Comté. Cette décifion
occafionna un acte de générosité
dont l'Académie eut la fatisfaction d'être
témoin avec le Public ; M. Perreciot
refufa de profiter du partage dont le
prix étoit fufceptible ; il s'empreffa de
céder à fon concurrent la médaille d'or
qui eft de la valeur de 200 liv . il ne fe
réferva que la gloire de la mériter deux
fois. Un procédé fi digne des Arts &
des Lettres aufquels il confacre fa jeuneffe
, excita l'admiration de toute l'Af
femblée. Dans la même Séance on inftalla
parmi les Affociés étrangers de l'Académie
le R. P. Pacioudi , Théatin
ancien Procureur général de fon Ordre,
Hiftoriographe de l'Ordre de Malthe ,
Bibliothécaire & Antiquaire de S. A. R.
le Duc de Parme , Membre de l'Académie
des Infcriptions & Belles-Lettres
de Paris , de celles de Florence , de Cortone
, de Pefaro , &c . On dérogea en
faveur de ce fçavant Etranger à l'ufage
des Académies de France ; on lui permit
de faire en Latin fon Difcours de réception,
auquel M. de Frafne , en qualité
de Préfident, répondit en François . La
Séance fut terminée par la lecture du
Programme des Sujets propofés pour
les Prix de 1763.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
RENTRÉE publique de l'Académie de
BESANÇON , du 17 Novemb. 1762,
M. ATHALIN , Doyen des Profeffeurs
de Médecine en l'Univerfité de
Befançon , & Vice-Préfident de l'Académie
, ouvrit la Séance par des regrets
modeftes d'avoir à fuppléer en
l'abſence de M. de Frafne & à remplacer
fes talens dans une occafion , où
il fe flatoit de n'avoir qu'à les admirer
en filence. Il indiqua enfuite le retour de
la paix comme un double fujet d'allegreffe
& pour les bons Citoyens &
pour les Gens dé Lettres , à qui elle
doit fervir d'époque d'une nouvelle
émulation . Delà il paffa à l'annonce des
ouvrages préparés pour cette Séance ,'
dont la lecture fe fit dans l'ordre fuivant.
M. Binétruy de Grand-Fontaine ,
Secrétaire perpétuel , fit l'éloge hiftorique
de M. de Clevans, Marquis de Bou-"
clans , Confeiller Honoraire du Parlement
de Franche- Comté , & de M.
le Baron de Courbouffon , Préfident à
Mortier du même Parlement. M. Rougnon
, Profeffeur de Médecine en l'Unii
AVRIL. 1763. 129
verfité de Befançon difcuta dans fon
difcours de réception , les influences
du climat & de l'air , furtout par rapport
à la Franche-Comté. M. l'Abbé
Camus , Chanoine de l'illuftre Eglife
Métropolitaine de Befançon , développa
dans fon difcours de reception les
caractéres de la vraie grandeur qui difsingue
celui qui n'ufe de fa fortune &
de fon élevation que pour devenir meilleur.
M. Athalin termina la Séance par
la réponse qu'il fit en qualité de Vice-
Préfident aux Complimens des deux
Récipiendaires.
PRIX propofés par l'Académie des
Sciences , Belles - Lettres , & Arts de
BESANÇON , pour l'année 1763. ,
L'ACADÉMIE 'ACADÉMIE des Sciences , Belles-
Lettres , & Arts de Befançon , diftribuera
le 24 Août 1763 trois Prix différens.
Le premier Prix , fondé par feu M. le
Duc de Tallard , eft deſtiné pour l'Eloquence
; il confifte en une Médaille
d'or de la valeur de trois cens cinquante
ivres. Le Sujet du Difcours fera :
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
•
Combien les moeurs donnent de luftre
aux talens ?
Le Difcours doit être à-peu-près d'u
ne demi- heure de lecture. L'Académie
ayant réfervé le Prix de 1762 , en aura
deux de la même efpéce à diftribuer en
1763.
Le fecond Prix , également fondé par
feu M. le Duc de Tallard , eſt deſtiné
pour l'Erudition ; il confifte en une Médaille
d'or de la valeur de deux cens
cinquante livres . Le Sujet de la Differtation
fera :
Comment fe font établis les Comtes
héréditaires de Bourgogne ; quelle fut
d'abord leur autorité , & de quelle nature
étoit leur Domaine ?
La Differtation doit être à- peu près
de trois quarts d'heure de lecture , fans
y comprendre le chapitre de preuves ,
qui devra être placé à la fin de l'Ouvrage.
Les Auteurs qui auront à produire
des Chartres non encore imprimées ,
font priés de les tranfcrire en entier ,
pour mettre l'Académie à portée de
mieux apprécier les preuves qui en réfulteront.
Le troifiéme Prix , fondé par la V
AVRIL 1763
131
12
de Besançon , eft deftiné pour les Arts ;
il confifte en une Médaille d'or de la
valeur de deux cens livres, Le Sujet du
Mémoire fera :
Quelle eft la nature des maladies épidémiques
qui attaquent le plus fouvent
les bêtes à cornes ; quelles en font les
caufes & les fymptômes , & quels font
les moyens de les prévenir ou de les
guérir?
Les Auteurs ne mettront point leurs
noms à leurs ouvrages , mais feulement
une devife ou fentence à leur choix
ils la répéteront dans un billet cacheté
dans lequel ils écriront leurs noms &
leurs adreffes . Ils enverront leurs ouvrages
francs de port , au fieur Daclin,
Imprimeur de l'Académie , avant le premier
du mois de Mai prochain.
Les ouvrages de ceux qui fe feront
connoître par eux-mêmes , ou par leurs
amis , feront exclus du concours..
ི་རི་་
F vj
132 MERCURE DE FRANCE .
SÉANCE publique de l'Académie Royale
des Sciences & Beaux - Arts de
PAU.
M. LE Baron de Navailles Pocyferre,
Chevalier d'honneur au Parlement , ouvrit
la féance par un Difcours fur les
avantages que l'on retire à célébrer les
grands hommes. Avantages également
précieux au coeur & à l'efprit. Il étoit
écrit avec goût & avec éloquence.
On fit lecture enfuite d'un Poëme
qui a remporté le Prix. Le Sujet propofé
étoit le Pacte de famille . M. Le
Mefle , de l'Académie des Sciences
Belles-Lettres & Arts de Rouen en eft
l'Auteur.
M. de Bordenave Caffou , Confeiller
au Parlement , & M. Bourdier de Bauregard,
Directeur des Domaines du Roi
en Bearn, qui avoient été élus pour remplir
deux places vacantes, y prononcerent
leur difcours de remercîment. M. le Directeur
( Navailles Pocyferre ) y répondit
au nom de l'Académie. L'Affemblée
étoit brillante & nombreufe , & applaudit
généralement & au Difcours
AVRIL. 1763. 133.
des Récipiendaires & à ceux du Directeur
qui méritoient les plus juftes éloges.
MÉDECINE.
OBSERVATIONS fur l'Hiftoire de la
MÉDECINE.
PLUSIEURS Sçavans fe font fait une
réputation diftinguée , en écrivant hiftoriquement
fur la Médecine : Daniel le
Clerc & le Docteur Freind ont travaillé
d'une manière digne de la poſtérité.
Les éffais de Bernier , tout fatyriques
qu'ils font , ou peut-être auffi
parce qu'ils font fatyriques , fe font lire
avec pláifir , & joignent l'agrément
à l'inftruction. Nous ne citons pas le
livre de la Métrie , qui n'eft qu'une
invective raiſonnée. Ces Ouvrages fourniroient
à peine quelques matériaux
pour l'hiſtoire de la Médecine en
France. Pour la faire utilement , il
faudroit bien connoître les Auteurs &
leurs travaux ; rappeller quels ont ét
les fyftêmes fuivant lefquels les Prati
ciens ont éxércé dans les différens temps
expofer les progrès fucceffifs de l'art
134 MERCURE DE FRANCE .
les viciffitudes qu'il a éffuyées , le ca
price des différentes opinions d'où la
vie des hommes a dépendu ; marquer ,
fi l'on pouvoit , le fatal enchaînement
des circonftances qui ont donné de la
vogue aux Charlatans , & fait préférer
des affronteurs , à ceux qui méritoient
l'eftime du Public & qui pouvoient fe
rendre dignes de fa reconnoiffance ;
dire enfin quelles fuites malheureuſes a
eues cette confiance mal placée, & faire
voir que la protection qu'on accorde
aux uns aux dépens des autres , eft une
vraie confpiration contre l'humanité
dont les fiécles même qu'on accufe de
barbarie , n'ont pas eu à rougir.
Mais quelles connoiffances , quelles
recherches , quelle fagacité & quel
temps ne demanderoit pas un pareil
travail ! Nous n'en fommes pas dédommagés
par une brochure nouvelle qui
à pour titre Effai hiftorique fur la Médecine
en France. Ce que ce livre contient
de relatif à fon titre , ſe borne
à une lifte des noms & furnoms , des
premiers Médecins de nos Rois ; à celle
des noms & furnoms des Doyens de
la Faculté de Médecine de Paris , depuis
1395 , jufques & compris 1761 ,
élus chaque année le premier Samedi
AVRIL. 1763. 135
après la Touffaint ; ce qui n'eft pas
plus intéreffant , que les loix , les ftatuts
& les ufages de cette Faculté, qu'on
donne en entier , fans obmettre l'article
des fonctions des Bedeaux . On parle
plus au long d'Hippocrate , d'Afclepiade
, & de Galien , que de Fernel , de
Baillou & de Riolan. Eh ! qu'importe
à la Médecine Françoife ce qu'on dit
de S. Charles Borromée , qui dans la
deuxième partie des Actes du premier
Concile de Milan , a défendu aux Moines,
aux Chanoines réguliers & aux Clercs
de faire la Médecine ? L'Auteur de cet
éffai eft fans doute un jeune homme, nou
vellement forti des Ecoles , & qui aime à
tranfcrire du Latin. Il a pourtant bien
fenti que fes Lecteurs pourroient en être
fatigués: on n'approuvera peur-être pas ,
dit-il dans fa préface , plufieurs paffages
Latins dans un ouvrage François : j'écris
furtout pour mes Confrères & pour les
jeunes Médecins qui ne font pas fâchés
de rencontrer du Latin. C'eft ce qui fait
qu'on ne s'eft pas gêné là - deffus , & il
n'y a peut-être pas un grand inconvénient.
Mais ce que l'on auroit dû éviter , c'eſt
une fatyre perfonnelle contre le célébre
Tronchin,Médecin de Genêve , & avoir
un peu plus de modération fur les
136 MERCURE DE FRANCE .
à
Chirurgiens en général , parmi lesquels
il y en a qui font honneur à leur art ,
leur nation & à leur fiécle . C'eſt un
zéle de novice , que la maturité de l'ârendra
quelque jour plus difcret. ge
J'éffayerai de faire connoître l'eſprit
de recherches néceffaires pour écrire
l'hiftoire d'un art , par la difcuffion de
deux points dont il eft queftion dans
la brochure que je viens de citer. L'un
regarde la perfonne de Lanfranc , &
l'autre l'origine de la maladie honteufe
qui eft le fruit de la débauche .
Suivant l'Auteur de l'Effai hiftorique ,
on apprend par les écrits de Lanfranc de
Milan , qui arriva à Paris en 1295 ,
que cette Ville,dont pour lors l'enceinte
étoit peu étendue , avoit néanmoins
un affez grand nombre de Médecins qui
formoit un Collége ou Société qui étoit en
grande réputation. Il ajoute qu'il ignore
fur quel fondement les Auteurs anonymes
d'une efpéce de Factum , fans fignature,
qu'on diftribuoit il y a quelques années
furtivement avec un grand nombre de
cartons , & qu'on avoit décoré du titre
impofant de Recherches fur l'origine &
les progrès de la Chirurgie en Franont
fait Lanfranc de Milan
Membre du foi-difant Collége de Saint
ce >
AVRIL 1763. 137
els
>
Louis ; tandis que cette efpéce de Livre
avance dans un autre endroit que
Jean Pitard qui vivoit vers 1320 , en
étoit le Fondateur. On fe feroit bien
donné de garde , ajoute- t-on , de faire
de Lanfranc un Chirurgien , & furtout
un Chirurgien François , fi l'on avoit
pris la peine de lire fa Chirurgie , trèsbeau
Manufcrit de la Bibliothéque
Royale . En effet , continue l'Auteur
après avoir donné les plus grands éloges
aux Médecins de Paris , Lanfranc
gémit dans plus d'un endroit de l'état
miférable où étoit réduite de fon temps
Ja Chirurgie en France. Il. dit que les
Chirurgiens y étoient prèfque tous
idiots (fçachant à peine leur langue
tous laïques , vrais manoeuvres & fi
ignorans qu'à peine trouvoit- on un Chirurgien
rationel ; qu'ils ne fçavoient
point mettre de différence entre le cautère
actuel & le cautère potentiel , ce
qui étoit caufe qu'en France on ne fe
fervoit plus de cautère .
Dans toute cette injurieufe tirade , il
y a plus de fautes que de mots ; c'eſt ce
qu'il eft facile de prouver. L'Auteur qui
paroît ne connoître que le manufcrit de
la Chirurgie de Lanfranc à la Bibliothéque
Royale , ne fçait pas que cet
138 MERCURE DE FRANCE .
Ouvrage eft public par diverfes éditions
imprimées à Venife & ailleurs en
1490 , 1519 , 1544 & 1553 ; qu'il y en
a même une Traduction Françoife,trèsbien
imprimée en caractères femblables
à ceux d'un Livret qui a pour titre la
Civilité puérile & honnête . Or nous trouvons
dans la lecture même de Lanfranc
où l'on nous renvoye , le contraire de
tout ce qu'on allégue fur cet ancien Auteur
dans l'Effai hiftorique.
Il étoit Chirurgien. Il vint en France
forcément , comme plufieurs autres Italiens
que le malheur des temps chaffa de
leur pays pendant les factions des Guelphes
& des Gibelins. Il s'arrêta à Lyon
où il a exercé la Chirurgie ; il eft venu
à Paris où il a pratiqué & enfeigné cet
art avec la plus grande diftinction : donc
il étoit Chirurgien. La fource de l'erreur
qui a fait croire qu'il étoit ce que
nous appellons préfentement un Médecin
, vient de ce que ce terme étoit employé
alors dans fa vraie fignification .
Medicus , qui medetur. Tout homme
appliqué à la guérifon des maladies.
étoit Médecin ; c'eft pourquoi le Chirurgien
Lanfranc en prend le nom . On
diftinguoit par l'épithète de Phyficien
celui qui donnoit fon application à la
AVRIL. 1763 . 139
Médecine ſpéculativement,qui ne voyoit
ད །། point de malades , ou qui en les voyant
bornoit fes foins à des confeils & à
des avis ; tels font encore aujourd'hui
nos Médecins . Leurs Prédéceffeurs étoient
Eccléfiaftiques , & la plupart Chanoines
de Notre- Dame. Le mot de Chirurgien
étoit auffi une épithéte qui fervoir à défigner
fpécialement le Médecin qui opéroit
de la main , & Lanfranc même ne
fe fervoit pas fubftantivement du terme
Chirurgus , mais de l'Adjectif Cyrurgicus.
De même le mot Phyficus fuppofoit
toujours le fubftantif générique
medicus ; fans quoi le terme auroit
manqué la fignification dans laquelle
on l'employoit ; car la Phyfique a bien
d'autres parties que la Médecine ; &
ceux qui s'y appliquoient étoient certainement
des Phyficiens.
Les Médecins qui formoient à Paris
du temps de Lanfranc un Collége ou
Société en grande réputation étoient les
Pères du Collége de Chirurgie , pour
lequel Jean Pitard , premier Chirurgien
de S. Louis & de Philippe- le- Bel a obtenu
des Statuts & des Loix . Dans le
Chapitre fecond de fa grande Chirurgie
, Lanfranc traite des qualités néceffaires
à un Chirurgien , de qualitate,
140 MERCURE DE FRANCE.
formá , moribus & fcientiâ Cyrurgici . II
éxige de lui beaucoup plus qu'on ne
requiert aujourd'hui du Médecin. Il
établit des régles morales qui montrent
combien on étoit attentif à vouloir que
les Chirurgiens fuffent des Perfonnages
auffi refpectables par leur probité que
par le fçavoir. Au Chapitre XV , du
fpafme qui furvient à une playe , il
parle d'une bleffure à la tête qui avoit
été traitée à Milan par un de fes écoliers
Chirurgien , nommé Oliverius de monte
orphano : il le reprend d'avoir confoli- >
dé cette playe à l'extérieur , avant que
d'en avoir détergé le fond ; & pour ne
pas repéter fon nom , après l'avoir défigné
par le mot fcholaris Cyrurgicus ;
il l'appelle un peu plus bas , ille Medicus.
Que pourroit oppofer à des preuves
auffi convaincantes l'Auteur de l'Ef
fai hiftorique ?
Lanfranc , donne à fon ami Bernard,
les motifs qui l'ont engagé à écrire fur
la Chirurgie : pour l'amour de lui ; propter
amorem tuum , Bernarde cariffime.
Il s'y est déterminé par les prières &
par les ordres des Médecins ; propter
preces præceptaque venerabilium Phyfi
ca Magiftrorum. Il ne faut pas perdre
de vue les termes refpectueux dont il
*
AVRIL. 1763. 141
fe fert dans l'expreffion de ce motif ,
præcepta venerabilium ; & il faut les
comparer à ceux du motif fuivant , qui
eft l'amitié fraternelle qu'il portoit aux
-Eléves en Chirurgie qui le fuivoient
dans l'exercice de cet art pour en apprendre
la pratique fous un auffi grand
Maître : propter fraternum amorem valentium
Medicinae fcolarium , mihi tam
honorabilem facientium comitivam, On
ne voit nulle-part qu'il ait parlé injurieufement
des Chirurgiens , comme on
l'avance ; il dit au contraire formellement
qu'il n'a jamais offenfé perfonne
& qu'il a prié Dieu pour fes perfécuteurs.
Les recherches fur l'origine de la
Chirurgie qu'on appelle une espéce de
Livre , ne font pas de Lanfranc un Chirurgien
François . Elles difent qu'il étoit
de Milan , & qu'il a enfeigné & pratiqué
la Chirurgie à Paris. M. Winflow étoit
Danois & Médecin de Paris. Lanfranc
étoit contemporain de Jean Pitard, que
l'Auteur de l'Effai hiſtorique donne
pour vivant vers 1320. Il eſt mort fort
âgé en 1315. C'est dans la force de l'âge
& au retour de fon voyage de la Terre-
Sainte où il avoit accompagné S. Louis,
qu'il réunit les Chirurgiens en Corps.
1
142 MERCURE DE FRANCE.
Ils formoient une Société dès l'an 1260.
& Lanfranc n'eft venu à Paris qu'en
1295 ; où eft donc la contradiction de
le mettre au nombre des Chirurgiens de
Paris , c'est -à - dire de ceux qui éxerçoient
la Chirurgie dans cette Capitale ?
La fuite au Mercure prochain.
LETTRE à M. DE LA PLACE , fur
les Aqueducs , fur les grands Chemins
, &c.
MONSIEUR ONSIEUR ,
,
L'Hiftoire des grands chemins de l'Einpire
Romain de M. Bergier , & le
magnifique projet de donner de l'eau
à Paris par M. Deparcieux , de l'Académie
Royale des Sciences , m'ont fait
naître une idée que je vous prie de
communiquer au Public .
M. Bergier dit dans fon Avertiffement
que plufieurs Savans de différentes Provinces
l'ont aidé à compofer fon Ouvrage
& l'on fent affez que des recherches
auffi immenfes ne peuvent
pas être faites par un feul homme.
AVRIL. 1763. 143
Ces recherches font profondes &
inftructives , & peut-être leur devonsnous
l'attention particulière , & bien
digne de la protection Royale qu'on
apporte aux grands chemins , beaucoup
plus fous ce régne & fous le précédent ,
qu'on n'a fait fous les autres.
Une histoire des aqueducs faits dans
les Gaules par la même nation pour procurer
de l'eau aux Villes , ne pourroitelle
pas avoir auffi fon objet d'utilité ?
au moins pourroit-elle fatisfaire la curiofité
de nombre de Lecteurs d'une manière
très -piquante , & par-là devenir
utile .
Il y a peu de Villes dans le Royaume
fi petites qu'elles foient, où l'on ne trouve
des hommes lettres & fouvent très-érudits.
Il feroit à fouhaiter que dans chaque
canton , où l'on trouve des reftes
d'aqueducs faits par les Romains ou par
d'autres , jufques & compris ceux faits
de nos jours pour procurer de l'eau aux
Habitans des Villes , il fe trouvât quelques
Savans qui vouluffent bien prendre
la peine de faire des recherches
fur ces refpec &tables monumens faits
pour l'utilité publique , ainfi que les
chemins.
On pourroit fuivre le plan de la dif144
MERCURE DE FRANCE .
fertation que M. de Lorme de l'Acadé
mie de Lyon a faite fur les aqueducs
conftruits par les Romains pour procurer
de l'eau à cette Ville , ou s'en faire
une autre fi le fujet l'éxige ; la differtation
de M. de Lorme , a été imprimée
à Lyon , chez Aimé de la Roche , aux
Halles de la Grenette. Il faudroit y joindre
quelques deffeins en figures quand
il en feroit befoin. Ces differtations envoyées
aux Auteurs du Mercure , ou à
l'Académie des Infcriptions & Belles-
Lettres feroient honneur à leurs Auteurs
& plaifir aux Lecteurs , & l'on en feroit
un jour un recueil en confervant à chacun
l'honneur de fon travail.
?
La prife d'eau ou le commencement
des aqueducs , leur route & leur étendue
, la defcription dés reftes tels qu'ils
font , la grandeur & la forme du paffage
de l'eau , la conftruction & la matière
qu'on y employoit , quelle eau
ils portoient de fource ou de rivière
la quantité qu'on en pouvoit prendre
à ces fources ou à ces rivières , fi l'eau
étoit menée à couvert ou à découvert ,
la quantité de pente , le nombre & l'étendue
des vallons à traverfer , avec la
hauteur que devoient avoir les pontsaqueducs
aux endroits les plus bas des
vallons
AVRIL. 1763 . 145
vallons , les montagnes ou rochers coupés
ou percés , & dans quelle longueur ,
&c , font autant de chofes qu'il eft à
fouhaiter qu'on faffe connoître quand
on le verra clairement , ou dire ce qu'on
préfume par tel ou tel indice tâcher
de dire par qui ils ont été faits , quand
on poura le fçavoir ou le préfumer ou
l'établir par quelque recherche hiſtorique.
>
Ces mêmes recherches pourront peutêtre
apprendre , pour quelques aqueducs
comme celles de M. Bergier ont fait
pour quelques chemins , s'ils ont été
faits des fonds publics de l'Etat ou de
la Ville pour laquelle ils étoient faits
ou par la générofité de quelque riche
Citoyen , auxquels il appartient de faire
les grandes chofes , quand ils penſent
affez bien pour fentir qu'un nom refpectable
laiffé à leur poftérité eft bien
plus flatteur & communément plus utile
que trop de grands biens trouvés en
naiffant , dont il ne refte fouvent rien
à la fin de la feconde ou de la troifiéme
génération. Paris en fournit nombre
d'éxemples , on ne les cherche pas
longtemps ; mais il fera toujours difficile
de perfuader aux perfonnes accoutumées
à entaffer millions für millions
I.Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE .
qu'un Particulier n'eft pas plus heureux ,
on pourroit même dire pas plus riche
avec vingt ou trente millions qu'avec
dix , & qu'une médiocre fortune avec
un nom mémorable par quelque belle
action de valeur ou de patriotisme ,
donneroient bien plus d'âme , de fentimens,
de confidération & de fatisfaction
que cet excès de richeffes feul.
Il eft probable que les aqueducs
auront trouvé des bienfaiteurs comme
les grands chemins en ont trouvé,les uns
& les autres étant de la plus grande néceffité.
Ceux qui connoiffent bien l'hiftoire
pourront fur cet objet faire des
découvertes qui intérefferont les Lecteurs
patriotes, ainfi qu'a fait M. Bergier,
pour ce qui concerne les grands chemins.
Ce Sçavant nous apprend , Liv. I.
Chap. XXIV. que plufieurs Citoyens
Romains donnoient des fommes confidérables
pour faire travailler aux chemins;
que les uns donnoient de leur
vivant, d'autres par teftament, les uns des
fommes déterminées , d'autres celles
qui étoient néceffaires pour faire conftruire
à neuf, ou faire paver ou entretenir
une longeur défignée de chemins
; d'autres s'affocioient pour faire
AVRIL. 1763.
un chemin entier qu'ils dédioient à
un Prince chéri ou bien -aimé , auquel
ils donnoient fon nom . Peut- on mieux
flatter un Maître digne de l'affection
de fes Sujets , & lui faire fa cour plus
grandement , qu'en travaillant à tranfmettre
fon nom à la postérité par des
Monumens publics , durables & utiles
qui font connoître à la fois le reſpect ,
l'attachement & l'amour qu'on avoit
pour lui ?
Lacer , affectionné à l'Empereur Trajan
, fit bâtir à fes propres frais un
pont confidérable dans la Ville d'Alicante
, à l'honneur de ce Prince . Les habitans
de la Ville de Chaves en Portugal,
lui en dédiérent un autre.
Un Médecin nommé Décimius , né
de baffe condition , mais avec des fentimens
élevés , nobles & généreux , donna
350 mille fefterces ; & un Chirurgien
oculiſte , nommé Clinicus , 309 mille
fefterces pour être employés au pavé
des chemins fommes avec lesquelles
on devoit faire alors des travaux confidérables.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
SUPPLÉMENT aux Piéces Fugitives,
COUPLETS
Sur l'AIR : Laiffex danfer vos Mamans.
SUR l'Elévation de la Statue du Roi ;
& fur la PAIX.
Q
UELS tranfports ! quelle émotion !
En voyant de Louis l'Image ?
Des Enfans de Pygmalion
C'eſt pour nous le plus bel ouvrage ;
Notre Roi s'élève à nos yeux ,
Au moment qu'il nous rend heureux !
Français , bons Français ,
Chantons Louis & la Paix ,
Le laurier croît dans les cyprès ,
Et fa recherche eſt une yvreffe :
L'olivier produit des Sujets ,
Et c'eft d'un bon Roi la richeffe :
LOUIS a les fiens dans fon coeur
Et fa gloire eft dans leur bonheur.
Français , bons Français !
Chantons Louis & la Paix.
Par M. B,,... Auteur de deux petites Piéces de
Vers inférées par erreur dans le Mercure de Mars
fous le nom de Madame B……….. pag. $ 9 & 60 . .....
AVRIL. 1763. 149
"
VERS à S. A. S. Mgr le Prince
LOUIS DE ROHAN , Coadjuteur
de Strasbourg, fur fa convalefcence .
Du trépas Miniftre perfide ,
Un fouffe empoisonné , par fon progrès rapide ,
Alloit vous enlever au printemps de vos jours ;
Mais , du mortel venin pour arrêter le cours,
Votre Compagne & votre Guide ,
Minerve oppoſe ſon Egide,
Et des Cieux la Santé vient à votre ſecours,
Ah! puiffe auprès de vous fe fixer l'immortelle !
PRINCE , fi l'amitié , le reſpect & le zélé
Pouvoient la fuppléer , vous vivriez toujours.
Par M. l'Abbé DANGERVILLE.
REGRETS d'un Habitant du Parterre ,
fur la retraite de Mlle DANGEVILLE
.
DANGEVILLE ! & trop digne Mortelle !
Avec qui rien ne peut entrer en parallèle ;
Que de talens ! quel naturel , quel feu
Tuviens de nous montrer dans la Piéce nouvelle:(a)
( a ) L'Anglois à Bordeaux.
Għiij
150 MERCURE DE FRANCE.
Combien d'efprit ! que d'agrémens ! quel jeu
Actrice inimitable & cependant cruelle,
C'est donc là ton dernier adieu
Mon coeur en fait un libre aveu ,
Oui , ce coeur que ta perte touche ,
A fon chagrin ne met point de milieu.
Quand je vois cet Anglois farouche
S'attendrir par degrès , fe foumettre à ta loi , ¡
Je dévore les mots qui fortent de ta bouche :
Mais ce qui plus me charme en toì ,
C'eft cette ardeur , ce zéle pour ton Roi .
De la Marquife * on ne voit plas le Rôle ,
C'eft Dangeville & c'eft fon coeur qui vole
En chantant de la Paix l'ouvrage confommé
Et les bontés de ce Ror BIEN - AIMÉ.
Va , fois conrente , fois heureufe ,
C'eſt l'objet de tous mes fouhaits :
Ta retraite est bien glorieufe ;
Mais fouvien s- toi que pour jamais
Tu mets le comble à d'éternels regrets.
(b ) Mlle Dangeville yjoue le rôle de Marquife,
VERS adreffés à . M. FAVART , le
jour de la première repréfentationide
fa Piéce au fujer de la PAIX.
OUU 1 , je te reconnois à ton nouvel ouvrages.
Favart , il eft digne de toi :
AVRIL. 1763. 151
En Philofophe, en homme ſage ,
De tes talens tu fais emploi ;
Nous devons tous te rendre hommage.
Chacun avec tranſport lira tes vers charmans ;
Le feu de ton génie y grave en traits de flamme
ces beaux fentimens
Ces vertus ,
Qui font l'image de ton âme.
Tu peins l'humanité prodiguant les bienfaits ;
L'amour modefte & vrai , l'amitié tendre & fûre
Les Rois Pères de leurs Sujets ,
Les héros amis de la Paix :
Tout refpire en tes vers l'honneur & la droiture .
Jouis , mon cher Eavart , de tes fuccès heureux;
Ils honorent ton fiécle , en te comblant de gloire;
Ce jour va faire époque dans l'Hiſtoire ;
Et tous les coeurs honnêtes , vertueux,
Seront toujours , pour toi , le Temple de Mémoire.
Par M...
AUTRES.
TOUJOURS Favart dans ſes ouvrages ,
A réuni tous les fuffrages :
C'eft un triomphe bien flatteur.
Mais je ne m'en étonne guère;
Avec efprit parler au coeur ,
Au coeur , comme à l'efprit , c'eft être für de
plaire.
NAU.
G iv
152 MERCURE DE FRANCE.
AIR Du Vaudeville de l'Anglois à Bordeaux.
TON ON pinceau fçait charmer & plaire ;
Tu traces avec art
De tout François le cara Aère .
L'Anglois te dit : Favart ,
Touche là ; voici ton falaire.
Tu détruis ma haine à jamais.
Faifons la paix ;
Vive la Paix.
Par M. MARIN,
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS UTILE S.
}
GÉOGRAPHIE.
PLAN de la Ville & Fauxbourgs de
Paris , divifè en vingt Quartiers , dont
la plus grande partie a été rectifiée d'après
les différens deffeins , levés géométriquement
, tirés du Cabinet de M.
le Chevalier de Beaurain , Géographe
AVRIL. 1763. 153
Ordinaire du Roi , & de beaucoup
d'obfervations faites fur les lieux par
l'Auteur , qui ont fervi a réformer plufieur
obmiffions qu'on a laiffé ſubfifter
dans ceux qui ont précédé celui- ci.
L'on y a joint celles qui indiquent les
Meffageries , les Coches , Caroffes &
Rouliers des différens endroits de la
France & le jour de leur départ , les
Boëtes aux lettres de la Grande- Pofte &
les principaux paffages d'une rue à l'autre
: Ouvrage utile à toutes perfonnes ,
principalement à celles de Cabinet . Dédié
& préfenté à Meffire LE CAMUS DE
PONTCARRÉ, Seigneur de Viarme ,&e.
Confeiller d'Etat , Prévôt des Marchands
, par le Sieur DE HARME ,
Topographe du Roi.
On y a joint un Plan général de la
Ville , Cité , Univerfité & Fauxbourgs
de Paris , divifé en vingt Quartiers ,
fait pour fervir à orienter les trentecinq
feuilles du grand Plan de Paris.
Se vend chez l'Auteur , rue S. Honoré
, paffage des Grandes Ecuries du
Roi , vis-à -vis S. Roch , & chez le
fieur Lattré , Graveur , rue S. Jacques ,
près la Fontaine S. Severin , à la Ville
de Bordeaux .
Nous ne pouvons mieux faire l'élo-
Gv
154 MERCURE DE FRANCE .
圈
ge de cet Ouvrage , qu'en rapportant
le Brevet accordé par Sa Majefté à.
l'Auteur.
!
Aujourd'hui cinq Mars mil fept cent
foixante-trois , le Roi étant à Verſailles ,
voulant donner au Sieur Louis - François
DE HARME , une marque de fa
bienveillance , & mettant d'ailleurs en
confidération les progrès qu'il a faits
dans la Topographie , reconnus par
les ouvrages qu'il a donnés & particulièrement
par le Plan de la Ville de
Paris , qu'il a levé & diftribué en cinquante
feuilles , indépendamment de
plufieurs autres plans agréables & utiles:
Sa Majefté toujours attentive à récompenſer
le mérite & les talens , a accordé
audit fieur de Harme , le titre de
Topographe de Sa Majefté , lui permet
d'en prendre la qualité en tous.
lieux & à fes Héritiers ; & pour af
furance de fà volonté , Sa Majesté m'a
commandé de lui expédier le préfent
Brevet , qu'elle a figné de fa main-
& fait contrefigner par moi Confeiller
Secrétaire d'Etat & de fes Commandemens
& Finances.
-
Le fieur Latré , Graveur , ci- devant
au coin de la rue de la Parcheminerie ,
AVRIL. 1763. 155
& actuellement demeurant rue S. Jacques
, près la Fontaine S. Severin , du
côté de la rue Galande , à l'Enfeigne
de la Ville de Bordeaux ; vient de mettre
au jour une Carte marine des Côtes
d'Angleterre , d'Ecoffe & d'Irlande , dédiée
à S. A. S.Mgr le Duc de Penthiévre,
avec une Analyfe des principaux fondemens
fur lesquels cette Carte eft appuyée.
M. Bonne , Auteur de cer Ouvrage
, a eu égard dans la projection à
l'applatiffement de la terre vers les Poles
Pour rendre cette Carte plus intéreffante
& plus utile , il y a marqué les fondes,
la variation de l'aiguille aimantée, l'heure
& la hauteur des marées.
Le fieur Lattré a publié l'Atlas mo
derne , format in -fol. de Librairie , pour
fervir à la Géographie de M. l'Abbé
Nicole de la Croix & à toute : a
autre Géographie , pour lire les voyageurs
& fuivre les opérations militaires;
il eft auffi utile pour l'hiftoire moderne .
Il fe vend relié en carton 19 liv . 10 f...
en veau 24 liv . en papier fin lavé . & .
relié en veau , 30 liv.
L'Atlas militaire de toutes les Côtes
de France , avec le plan des Villes &
principaux Ports de ce Royaume , relié
en veau , 9 liv . en papier d'hollande
G-vj
156 MERCURE DE FRANCE.
(
lavé & relié en maroquin , 15 liv.
L'Atlas topographique des Environs
de Paris , en 24 feuilles , avec une Table
alphabétique , relié en veau 6 liv.
lavé & relié en maroquin , 10 liv. 4 f.
collé fur taffetas , lavé avec étui 10 liv.
fur toile avec étui fans lavure 6 1. avec
lavure 8 l. 10 f.
L'Atlas , ou Etrènnes Géographiques,
contenant la Mappemonde , les 4 Parties
& les Etats d'Europe augmenté cetre
année de 4 Cartes & un Traité de
Sphère , relié en veau 9 liv . 10 f. en
maroquin II liv .
L'Atlas militaire , où font marqués
les marches & campemens des Armées ,
avec un journal depuis le commencement
de la derniere guerre jufqu'aux
préliminaires de la Paix fignée le trois
Novembre dernier.
Un petit plan de Paris , au même
point d'échelle que ceux de l'Atlas maritime
, que l'on peut joindre aux différens
Atlas ci - deffus. Il fe vend féparément
, lavé , 2 liv . 10 f. monté fous
verre 4 liv. ou 4 liv . 10 f.fuivant la bor
dure.
On trouve auffi dans fon fond différentes
Mappe-mondes , les quatre parties
& les différens Etats d'Europe avec
AVRIL. 1763. 157
plufieurs plans de Ville , le tout en grandes
feuilles d'Atlas ordinaire , il a auffi
des Cartes de différens Auteurs.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
LETTRE à MM. de la Société des
Amateurs , fur le Tableau allégorique
des Vertus formant le Portrait
du Roi , peint par M. AMÉDÉE
VAN LOO .
MESSIEURS ,
ESSIEURS , j'ai vu avec le plus
grand plaifir le Tableau des vertus
royales que M. Amédée Vanloo a expofé
aux regards des Curieux dans fon
attelier au Vieux Louvre. Cet Artiſte
a recu fur cette production les
plus grands éloges : fon art lui a fervi à
rendre fur la toile les qualités dont tout
François fçait qu'eft formé le caractère
d'un Maître chéri. Inftruit par vos
judicieuſes obfervations , auxquelles je
dois le goût que j'ai pris pour les Arts ,
je n'ai pas confidéré ce Tableau avec
la ftupide admiration qui diminue fi fort
58 MERCURE DE FRANCE.
le prix des louanges qu'elle donne , &
dont un Artifte eft bien moins flatté
que des fuffrages accordés avec connoiffance
de caufe.En vous prenant pour
guides , je n'ai garde de prononcer fur
le talent manuel du Peintre : il eft für
qu'il ne faut pas juger rigoureufement
le tableau en lui-même , en faisant abftraction
de l'effet fingulier qu'il produit
lorfqu'on le regarde à travers un
verre la difpofition des figures devoit
être relative à cet effet. Il ne s'agit pas
de difcuter en métaphyficien fi la valeur,
l'intrépidité , & la vertu héroïque confidérée
comme vertu militaire , font des
êtres moraux bien diftingués ; & fi la
magnanimité dans un Roi guerrier eſt
autre chofe que la vertu héroïque . Je
ne dirai rien non plus des attributs qui
caractériſent ces différentes vertus , pour
ne vous parler que du preftige ou de
la magie naturelle de ce tableau . On
le regarde avec une lunette fixée dans
un point ; & au lieu d'appercevoir toutes
les figures du tableau , dont on a décrit
les fymboles dans le Mercure du
mois de Mars , on voit uniquement le
Portrait du Roi. L'idée est belle , &
l'éxécution très-fatisfaifante mais cet
effet ne s'eſt pas préfenté à mon efprit
AVRIL. 1763. 149
comme une chofe fi miraculeuse , & je
ferois furpris qu'un Phyficien l'eût qualifié
de probleme qui paroît comme . impoffible
, & eût dit que le fuccès feul!
paroit juftifier l'entreprife. Il n'eft quef .
tion ici , fi je ne me trompe , que d'un
phénomène d'optique affez facile à réfoudre.
Je ne fuis pas étonné qu'on foit
embaraffé dans la recherche de fa folution
lorfqu'on voudra la trouver dans
les principes de la perfpective , à laquelle
il n'appartient point ; & en confondant.
dans les explications qu'on voudroit en
donner , la catoptrique qui eft la connoiffance
des rayons réfléchis , & conféquemment
celle des miroirs qui les
renvoyent , avec la dioptrique qui eft la
fcience des réfractions , & des verres
qui rompent les rayons aufquels ils don-
' nent paffage. M. Muffchenbroek , tom .
II . de fon Effai phyfique , à l'Article de
la catoptrique , parle des images régulières
tracées dans plufieurs efpéces de
miroirs auxquels on préfente des figures
qui font entiérement irrégulières . Il
dit , § 1313 , que celles - ci peuvent être
tracées fuivant les régles infaillibles des
mathématiques ; & plus bas , § 1317 ,
qu'on peut trouver les régles pour former
les différens plans de ces fortes
160 MERCURE DE FRANCE.
de miroirs dans un Auteur François
qui a traité de la perfpective avec beaucoup
d'éxactitude , mais qui a caché
fon nom. Il doit certainement y avoir
auffi des régles certaines pour former
l'effet qu'on obferve à l'infpection du
tableau allégorique ; & c'eft aux principes
de la dioptrique à les fournir. On
fçait en général que les rayons de lumière
paffant au travers d'un verre qui
contient plufieurs furfaces planes différemment
inclinées , font rompus dans
chaque furface , & vont avec leur inclinaifon
propre fe réunir dans un foyer
commun . L'oeil placé dans ce foyer reçoit
de toutes les furfaces , des impreffions
diftinguées , mais propres du même
objet ; & comme l'efprit porte naturellement
les objets à l'extrémité des
rayons droits , un même objet ſe voit
multiplié par toutes les furfaces du verre .
De-là , l'effet prétendu merveilleux ,
mais fort fimple , des verres à facettes.
Dans l'inverfe , un verre taillé d'une
manière déterminée ne laiffera voir d'un
tableau que certains points , lefquels
paroîffant réunis formeront un objet
tout différent de celui que préfente ce
même tableau à l'oeil nud ; cela eft aifé
à concevoir. Il faut dabord fe défaire de
AVRIL. 1763. 161
Tidée que toutes les parties qui compofent
le tableau allégorique , fervent
a former le Portrait du Roi : c'eft une
chofe impoffible ; des objets colorés dans
une difpofition déterminée & fort étendue
> ne peuvent fe concentrer & s'identifier
pour repréfenter un autre objet
avec lequel ils n'ont aucun rapport
phyfique dans leur enfemble. Mais le
phénomène s'explique aifément, en prenant
dans les différens points du tableau
des parties toutes faites , dont la réunion
formera le Portrait du Roi. Ceux
qui y ont donné quelque attention
doivent fe fouvenir qu'il n'y a aucune
des figures qui n'ait quelque chofe des
traits majestueux du Roi ; l'une les yeux ,
l'autre la bouche , l'autre le front , & c .
Le talent du Peintre doit être diftingué
de l'effet optique de fon tableau. A
cet égard , il eft fait fuivant des régles
certaines , & fa difpofition a été mefurée
à la régle & au compas. M. Vanloo
eft le maître de fon fecret ; mais je fuis
perfuadé qu'il pourroit avec le même
verre faire voir le Portrait du Roi fur
un tableau tout différent du premier ,
pourvu qu'il fût dans les mêmes proportions
& que les parties dont la
réunion fait l'image du Monarque , fuf
>
162 MERCURE DE FRANCE.
fent dans la même difpofition . La mế-
chanique de ce travail eft füre ; le mérite
du Peintre dans l'éxécution , eft un
objet à part , & le génie de la compofition
eft encore un fait différent ; c'eft
furtout l'idée ingénieufe qu'il faut louer
ici. M. Vanloo étoit bien für de plaire ,
en parlant aux François le langage de
leur coeur. Perfonne ne voit le Portrait
du Roi fans fe rappeller toutes les ver+
tus qui font le fujet du tableau allégo ÷
rique. Chaque fois que j'ai été contem→
pler la belle Statue que la Ville vient
de faire ériger dans la Place de LOUIS
XV , pour conferver à la postérité la
plus reculée les traits du Monarque
Bien-aimé, dans ceMonument de l'amour
de fon Peuple , je me rappelle le vers
de Martialfur la Statue d'un Empereur
Romain.
Hæcmundifacies , hæcfunt Jovis orafereni.
J'ai l'honneur d'être , & c..
GRAVURE.
A Toilette di Savoyard , d'après le
Tableau original de Morillos , gravée:
"
par Louis Halbou haute de quinze མར་
AVRIL. 1763. 163
pouces fur onze pouces de largeur .
Se vend à Paris chez la veuve Che
reau , aux deux piliers d'or , & chez
M. Halbou , au Soleil d'or , rue de la
Comédie Françoife. Prix , 20 fols .
MUSIQUE...
METHODE THODE ou Principes pour enfeigner
& apprendre facilement l'accompagnement
du Clavecin ou l'harmonie
, le raifonnement , ou la théorie
de baffe fondamentale avec les
paffages de baffe- continue quelcon--
ques , & la façon de les accompagner
à coup-für , même fans chiffres & une.
Planche gravée à la fin du Livre pour
les exemples ; par M. Bertheau , Organifte
de la Métropole de Tours. Cette
méthode coûte 12 fols , & fe trouve à
Paris aux adreffes ordinaires de Mufique
; à Orléans , chez Chevillon , Li-.
braire , rue Royale ; à Angers chez
Boutemy ; à Tours , chez Lambert.
•
L'ART de la Flute Traverfière , par
M. de Luffe. Prix , 7 liv . 4 f. Se vend
aux adreffes ordinaires de Mufique , &
chez l'Auteur , rue S. Jacques , près S..
164 MERCURE DE FRANCE.
Yves , maifon de l'Univerfité à Paris.
L'Auteur a eu pour but dans cet ouvrage
de tirer des ténébres le principe
théorique & pratique de la flute , & de
l'expofer au grand jour avec toute la
précifion & la clarté dont il étoit fufceptible.
Par là ce principe devient à la
portée même de ceux qui n'ont aucune
connoiffance de la Mufique.
M. D. L, dans fon Difcours préliminaire
enfeigne à bien placer les mains
fur la flute donne la vraie façon de
l'emboucher , & démontre enfuite les
divers tacs ou coups de langue , leurs
différentes propriétés , la manière de les
articuler , les pofitions des doigts pour
former tous les tons des gammes naturelle,
diézée & bémolifée , & leurs tremblemens
appellés cadences.
Nous pouvons affurer que ces démonftrations
font faites plus nettement
qu'elles ne l'ont encore été.
L'Auteur entre fçavamment dans le
détail inftructif des agrémens , dans celui
de leur genre & du caractère d'expreffion
auquel ils font propres . Il parle
très-bien de la fixation des phraſes muficales
, du lieu & des momens confacrés
à la refpiration . Cet Article nous
paroît important pour la confervation
AVRIL 1763. 165
•
des poulmons. Si on eût pris ces mefures-
là plutôt , les Médecins n'auroient
pas affuré que la flute eft contraire aux
petites fantés ; la méthode victorieuſe
de M. D. L. doit faire évanouir ce préjugé.
Qu'on fçache ménager fa refpiration
, alors l'un des plus agréable inftrumens
de la Mufique reprendra vigueur
parmi nous. Un foufle doux & léger ne
ruinera jamais la poitrine. Nous confeillons
aux Amateurs de la flute de fe procurer
le Livre eſtimable de M. D. L. il
leur développera ce que nous ne faifons
qu'indiquer ici.
Après une tablature des fons harmoniques
, fuivent plufieurs leçons en forme
de petites Sonates avec la baffe , mais
proportionnées aux forces des Commencans.
L'ouvrage fe termine par douze
Caprices ou cadences finales remplis de
traits & de difficultés propres à faciliter
l'exercice de l'embouchure & des
doigts . On peut les inférer dans les Concertos
pour la flute .
Nous ne pouvons qu'applaudir à cette
nouvelle méthode ; elle jette de la
lumiére fur un art agréable , & foulage
les Maîtres en les difpenfant de la rebu-
´tante occupation d'écrire eux-mêmes des
principes ; mais fon plus grand mérite
166 MERCURE DE FRANCE .
eft de conduire leurs éléves à des fuc
cès auffi certains que rapides.
SEI SINFONIE , con violini , alto
viola , baffo , & corni da caccia a
piacimento , da Gio Battifta Cirri da
Forlir Opera feconda. Prix 9 liv . Chez
PAuteur , rue Croix des Petits - Champs ,
chez le fieur Mique , Perruquier , &
aux Adreffes ordinaires. Ces Symphonies
font d'un nouveau genre & fort
goûtées .
SONATES DE CLAVECIN , Premier
Livre. Par J. P. le Grand , Maître
de Clavecin & Organifte de l'Abbaye
S. Germain des Près. Chez l'Auteur
, rue S. Honoré , vis-à -vis la rue
neuve du Luxembourg ; & chez le fieur
le Menu , Marchand de Mufique , rue
du Roule , à la Clef d'Or, Prix 19 liv.
Cet Ouvrage fait honneur à fon
Auteur.
RÉFLEXIONS fur la Mufique ,
& la vraie manière de l'exécuter fur
le violon ; Par M. Brijon. Prix en blanc ,
avec les exemples & les airs gravés ,
3 liv . 12 f. à Paris chez l'Auteur , logé
chez M. Prudent , Profeffeur de Mu
fique & d'Inftrumens , rue du Petit
AVRIL. 1763 . 167
Pont , au bas de la rue S. Jacques , la
porte cochere à côté d'un Marchand
Papetier. On en trouve auffi des Exemplaires
chez M. Vaudemont , rue Beaurepaire
, près la rue Montorgueil , &
aux Adreffes ordinaires de Mufique.
Cet Ouvrage renferme des idées neuves
, auffi heureufement que clairement
exprimées. Nous en donnerons
ipceffamment l'Extrait.
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
SUITE DES SPECTACLES DE LA
COUR A VERSAILLES .
L E Jeudi 17 Février , les Comédiens
François repréfenterent Inès de Caftro ,
Tragédie du feu fieur LA MOTTE ( a ) ,
& pour feconde Piéce l'Ecole amoureu--
fe , Comédie en un A&te & en vers du
fieur BRET ( b ).
Dans la Tragédie , le rôle d'Inès fut
( a) Première repréſentation d'Inès en 1720 ;
32 repréſent. de fuite.
(b) L'Ecole amoureuse en 1747. & repréſent.
168 MERCURE DE FRANCE .
joué par la Dlle GAUSSIN , celui de la
Reine par la Dile DUBOIS , & celui de
Conftance par la Dlle Huss. Le fieur
BELCOUR joua le rôle de Rodrigue , le
fieur MOLÉ , celui de D. Pedre , le fieur
BRIZART ,Alphonfe , le fieur DUBOIS,
l'Ambassadeur de Caftille , & le fieur
DAUBERVAL , le rôle de Henrique.
Le fieur MOLÉ , les Dlles Huss
PRÉVILLE , BELCOUR & LE Kain,
jouerent dans la Comédie.
Le Mardi 22 Fevrier , les mêmes Comédiens
repréſenterent les Femmes fçavantes
, ( c ) Comédie en vers , en cinq
Actes , de MOLIERE , Cette excellente
Piéce fut très-bien rendue ; elle fit fur
les Amateurs du vrai genre comique ,
l'effet qu'on doit toujours attendre des
Ouvrages de l'inimitable génie qui a
créé & en même temps . perfectionné
le Théâtre François , lorfqu'on apportera
, en remettant ces chefs-d'oeuvres ,
toutes les attentions qu'ils méritent .
La Dlle DUMESNIL jouoit le rôle
de Philaminte. Les Dlles PRÉVILLE &
Huss , ceux des deux filles. Belife
étoit jouée par la Dlle DROUIN , & la
Dlle BELCOUR jouoit le rôle de la
Servante Martine . Chrifalde & Arifte ,
( c ) Première repréſentation en 1651 .
par
AVRIL . 1763 . 169
2
par les fieurs BONNEVAL & DAUBERVAL.
Le rôle de Clitandre étoit joué
par le fieur BELCOUR ; ceux de Trillotin
& Vadius , par les fieurs DANGEVILLE
& ARMAND ; & celui de Julien,
par le fieur BOURET.
Cette Piéce fut fuivie de la Famille
extravagante ( d ) Comédie en un Acte
& en Vers du feu fieur LEGRAND.
Plufieurs des mêmes A&teurs & Actrices
de la grande Piéce repréfentoient
dans celle-ci , excepté le rôle de Cléon
Amant d'Elife , joué par le Sr MOLÉ ,
celui d'Elife par la Dlle DESPINAY , &
le rôle de Soubrette par la Dlle LE
KAIN. Le lendemain on repréſenta
pour la feconde fois Vertumne & Pomone
, Ballet extrait des Elémens, dont
nous avons parlé dans le Mercure de
Mars. Cette repréſentation d'Opéra fut
précédée d'une Comédie Italienne intitulée
le Diable boiteux , jouée par les
Acteurs de ce Théâtre.
Le 2 Mars on donna un Ballet en
un Acte intitulé la Vue , extrait du
Ballet des Sens; Poëme du fieur ROI
Mufique du feu fieur MOURet.
La Dlle LE MIERRE , ( époufe du
fieur LARRIVÉE , ) chanta le rôle de
( d ) Première repréſentation en 1709.
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE .
T
l'Amour , la Dlle VILLETTE , du
Théâtre des Italiens , ( époufe du feur
LA RUETTE ) chanta le rôle de Zé
phire. La Dile DUBOIS , l'ainée , celui
d'Iris , & le fieur LARRIVÉE celui
d'Aquilon. Une indifpofition accidentelle
dans la voix de la Dlle LE MIERRE
mit l'éxécution de ce Baliet en rifque de
n'être pas achevée , & nuifit à fon fuccès.
La Dlle LANI & le fieur GARDEL
danferent des Pas feuls ; le fieur LAVAL,
la Dile VESTRIS , les fieurs LANI
DAUBERVAL , les Dlles ALLARD &
PESLIN danfoient différens Pas
toutes les principales Entrées.
la
La repréſentation de cet Opéra fut
précédée d'une Comédie Italienne
nouvelle , en un A&te , intitulée Arlequin
cru mort , par le fieur GOLDONI .
Cette Comédie fit plaifir ; & l'on rendit ,
par des fuffrages très -honorables
même juftice aux talens de ce célébre
Etranger , que l'on avoit déjà rendue à
la repréfentation de l'Amour Paternel.
Le lendemain Jeudi 3 Mars
".
Comédiens François repréfenterent les
Déhors trompeurs ou l'Homme dujour,(e)
( e ) Premiere repréſentation en 1740. 17
repréſentations,
,
les
AVRIL 1763. 171
Comédie en cinq Actes & en Vers
du feu fieur DE BOISSY . Le Baron
étoit joué par le fieur BELCOUR ; le
Marquis , par le fieur MOLÉ ; M. de
Forlis , par le fieur BONNEVAL ; &
Champagne , par le fieur PREVILLE ;
le rôle de la Comteffe , par la Dlle DANGEVILLE
; ceux de Lucile & de Céliante,
par les Diles HUSS & PREVILLE;
celui de Lifette , par la Dlle BELCOUR .
La feconde Piéce étoit l'Ile déferte ,
Comédie en un A&te & en Vers , du
fieur COLLET. Le fieur MOLE y jonoit
le rôle de Ferdinand, le fieur BELCOUR,
celui de Timante ; & le fieur PRÉVILLE,
le Matelot ; les rôles de Conftance & de
Silvie , furent joués par les Diles PRÉ-
VILLE & HUSS.
Le Mardi , 8Mars , par les mêmes Comédiens,
le Dépit amoureux , Comédie
de MOLIERE en 5 Actes en Vers. (f)
Erafte étoit joué par le fieur BELCOUR
, & Gros- René , fon valet , par
le fieur ARMAND ; Valére , par le fieur
MOLÉ & Mafcarille ,, par le fieur
BOURET ; les deux Vieillards , par les
fieurs BONNEVAL & BLAINVILLE ;
le Pédant , par le fieur DANGEVILLE ;
Lucile, par la Dlle GAUSSIN , fa Sui-
(f) En 1658.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
vante , Marinette , par la Dlle DANGEVILLE
, Afcagne , par la Dlle DUBOIS ,
& fa Suivante Frofine , par la Dlle LE
ΚΑΙΝ,
Pour feconde Piéce,on donna Annette
& Lubin , Comédie en un Acté , mêlée
d'Ariettes , de la Dlle FAVART & du
fieur L ***, Cette Piéce fut repréſen
tée par les Comédiens du Théâtre Italien
, ainfi qu'elle l'eft à Paris & par
les mêmes Acteurs.
Le lendemain , Mercredi , 9 Mars ,
après la repréſentation du Barbier paralitique
, Comédie Italienne , on éxécuta
le Devin du Village , ( g ) intermède ,
Paroles & Mufique du fieur ROUSSEau.
Le rôle de Colin , étoit parfaitement
rempli par le fieur GÉLIOTE, qui ne doit
rien du plaifir extrême que font fa voix &
fes talens à la difficulté d'en jouir depuis
fa retraite ; la Dlle VILLETTE
( époufe du fieur LARUETTE , ) a joué
& chanté très- agréablement le rôle de
Colette , dans lequel elle avoit déjà eu
du fuccès fur le Théâtre de l'Opéra ,
avant de paffer à celui de la Comédie
Italienne. Le fieur CAILLOT , Acteur
de ce dernier Théâtre , & des talens duquel
nous avons fi fouvent occafion de
( g ) Première repréſent . à l'Opéra en 1753•
AVRIL 1763. 173
parler avec de nouveaux éloges , a fort
bien chanté auffi le rôle du Devin dans
cet Interméde. On a pû reconnoître
quoique dans une petite étendue d'action
, ce que prête d'avantage au jeu
d'un chanteur l'habitude & l'art de la
Comédie . On parlera ci-après du Divertiffement
de la fin de cet Intermé-.
de , à l'Article de la feconde repriſe.
Le jour fuivant , 10 Mars , les Comédiens
François repréfenterent Brutus,
(h) Tragédie du Sr VOLTAIRE. Brutus
& Valérius , par les fieurs BRISART &
BLAINVILLE ; Arons , par le fieur
DUBOIS ; Titus , Fils de Brutus , par
le fieur LE KAIN ; Meffala , par le fieur
PAULIN ; Proculus , par le fieur DAUBERVAL
; Tullie , par la Dlle Huss , &
Algine , par la Dile DESPINAY.
Pour petite Piéce , l'Esprit de contradition,
Comédie en un Acte & en Profe,
du feu fieur DUFRESNI ( i ) . Le fieur
MOLE y jouoit le rôle de Valére ; le
fieur PAULIN , celui de Lucas ; le fieur
BONNEVAL , Oronte ; le fieur DANGEVILLE
, Tibaudois ; la Dlle DROUIN ,
Mde Oronte; & la Dlle Huss, Angélique.
(h ) Première Repréſentation en 1730.
35 repréfentations.
(i ) Première repréfent. en 1700. 16 repréf.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
f
Le Mardi 15 , les Comédiens François
donnerent Mélanide , ( k ) Comédie en
Vers en cinq Actes , du feu fieur DE
LA CHAUSSÉE . Lefieur BRISART repréfentoit
le Marquis d'Orvigny ; le
fieur DUBOIS , Théodon ; le fieur BELCOUR
, Darviane , la Dlle GAUSSIN
Melanide ; la Dlle DROUIN , Dorifées
& la Dlle Huss , Rofalie.
A la fuite de cette Piéce les Acteurs
de la Comédie Italienne éxécuterent le
Bucheron , Comédie mêlée d'Ariettes.
Mufique du fieur PHILIDOR , Paroles
du fieur GUICHARD & du fieur C***
Cette efpèce d'Interméde comique ,
très-ſuivi à Paris & duquel nous parlerons
plus en détail ci- après , parut agréable
à la Cour ; ceux. mêmes qui n'approuvent
pas l'application des tours &
de l'accent de la Mufique Italienne aux
Paroles Françoiſes rendirent juftice aux
grands talens du fieur PHILIDOR : & le
fieur CAILLOT , qui a l'art de rendre
aimable tout ce qu'il éxécute , en adouciffant
cet accent mufical étranger à l'expreffion
de notre langue , réunit les
fuffrages des Amateurs de l'un & de
l'autre genre. On donnera connoiffance
de cet Ouvrage dans l'Article des
Spectacles de Paris.
( k) Première repréſent . en 1741. 16 repræl
AVRIL. 1763. 175
>
Le lendemain , 16 Mars , a été , pour
afnfi dire , un jour de fête diftinguée fur
le Théâtre de la Cour , par la réunion
des deux plus agréables Ouvrages en
Mufique & en Paroles dans différens
genres ,
éxécutés par les plus rares ta
lens propres à ce Spectacle. La troifiéme
repriſe de Vertumne & Pomone ,
Ballet , & la deuxième du Devin
du Village occupérent entiérement fa
Scène. Les Acteurs , dont on a parlé cideffus
parurent dans l'un & l'autre
Ballet s'être furpaffés. Le Divertiffement
de Vertumne & Pomone , compofé comme
tous ceux des autresSpectacles qu'on
avoit donnés , de plufieurs morceaux
choifis dans divers Opéra ou autres
Ouvrages , étoit particuliérement ajusté
pour donner beaucoup d'airs de différens
genres au fieur GÉLIOTE , qui
les chanta tous avec la même voix
qu'on a tant admirée & avec un
naturel dans les tours de fon chant &
des graces que peut- être , fans illufion ,
on pourroit regarder comme nouvellement
acquifes & ajoûtées encore à tout
ce qu'on lui connoiffoit de fupériorité
dans ce talent.
Le Divertiffement dans le Devin du
Village , fubftitué à celui de cet Inter-
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
méde , étoit charmant par la variété &
par la gaîté des morceaux dont il étoit
compofé. Le fieur CAILLOT y chantoit
une Ariette compofée pour cet objet
par le fieur PHILIDOR : mais ce qu'il
y avoit de plus faillant & d'unique en
fon genre , étoit un Pas de quatre Villageois
& Villageoifes
, éxécuté par le
fieur LANI , la Dlle ALLARD , le fieur
DAUBERVAL
& la Dlle PESLIN . Ces
quatre Sujets dont l'affortiment
du genre
, des tailles & des talens , feroit impoffible
à raffembler
dans toute l'Europe
, éxécutoient
ce Pas avec une double
préciſion de jufteffe & de graces co miques, qui méritoient
toute l'admiration
dont ils furent honorés & qui comblerent
le plaifir que faifoit l'enſemble
de ce Spectacle.
Ces divertiffemens étoient arrangés
ainfi que tous les précédens , par le fieur
REBEL , Surintendant de la Mufique
du Roi , de fémeftre depuis le premier
Janvier. Le goût du choix & la plus délicate
analogie dans les rapports de genre
avec les Ouvrages auxquels ces Divertiffemens
étoient adaptés , ont reçu
& mérité de très-juftes éloges .
Le Jeudi , 17 Mars , on donna Zaïre , (1)
(4) Prem. Repréfent, en 1732. 30 Repréfent.
AVRIL 1763. 177
1.
Tragédie du fieur de VOLTAIRE
Orofmane , repréfenté par le fieur LE
KAIN ;Lufignan, par le fieur BRISART;
Néreftan & Chatillon , par les fieurs
MOLE & DUBOIS ; Zaïre , par la Dlle
GAUSSIN ; Fatime , par la Dlle PRÉ-
VILLE .
Ce même jour , qui étoit , felon l'ufage
, celui de la clôture des Spectacles
à la Cour , fut auffi marqué par une repréfentation
très- intéreffante fçavoir
celle de l'Anglois à Bordeaux , Comédie
en un Acte , en Vers libres , du fieur
FAVART , à l'occafion de la Paix , repréfentée,
à Paris pour la premiere fois ,
le Lundi précédent , on diroit avec le
plus grand fuccès , fi celui qu'elle a eu à
la Cour n'avoit été en quelque forte encore
plus éclatant. Nous parlerons
dans l'Article de Paris , de cette Piéce
nouvelle dont l'Auteur a eu l'honneur
d'être préſenté au Roi .
P
N. B. On a éxactement nommé , dans
cettefin du Journal des Spectacles de la
Cour , tous les Acteurs qui ont repréſen
té dans chaque Piéce du Théâtre François
, afin de conftater en même temps
les Sujets éxiftans à ce Théatre pendant
cette derniere année & le fervice qu'ils
Ну
178 MERCURE DE FRANCE .
ont eu l'honneur de remplir en préfence
de leurs Majeftés.
SPECTACLES DE PARIS.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Mufique a
continué Titon & l'Aurore , ( ainfi que
les Fêtes Grecques & Romaines les
Jeudi , jufques à la clôture de fon
Théâtre , laquelle s'eft faite cette année
, le Samedi 19 Mars , pour le com- le.compte
de l'Académie , & non pour les Acteurs
, comme il étoit d'ufage. Ceux- ci
ont penfé qu'il feroit plus utile au produit
du Bene-fit vulgairement nommé
Capitation , de donner quelques BALS
à la rentrée ; ils ont indiqué le premier
pour le 12 du préfent mois d'Avril.
M. MUGUET , dont nous avons précédemment
parlé à l'occafion de l'Ariette
du Dieu des Coeurs , a chanté le
rôle entier de Titon , dans lequel il a
été applaudi avec juſtice.
M. DUPAR , jeune Hautecontre
d'une figure & d'une taille avantageufe
pour le Théâtre , a débuté par un MorAVRIL.
1763. 179
ceau détaché. Les Connoiffeurs font
très-contens de la qualité de cette voix
qu'ils comparent même à celles dont la
mémoire eft célébre . Ils trouvent dans
ce Sujet le véritable caractère du fon
de Hautecontre joint à l'aptitude des
agrémens éffentiels dans le chant. Lorfqu'un
peu plus d'expérience & d'ufage
aura mis M. DUPAR en état d'être
mieux connu du Public , nous le ferons
nous-mêmes d'en rendre un compte
plus exact.
Mlle DUPLAN , jeune Sujet de l'Académie
, a eu occafion de paroître
quelquefois , & de faire entendre un
très-beau corps de voix , avec une difpofition
très-favorable à l'expreffion
d'un fentiment vif & des paffions les
plus fortes.
La figure de cette jeune Perfonne eft
heureufement coupée , & fpécialement
pour le genre d'expreffion auquel elle
paroît portée.
Les reprefentations des Jeudis , comme
nous l'avons déja fait remarquer ,
ont été une école très - avantageufe ,
tant pour former les jeunes Sujets de
ce Théâtre , que pour faire développer,
par l'ufage , les talens de quelques autres
qui n'ont pas de fréquentes occa
· ༄
Hvi
180 MERCURE DE FRANCE.
fions de fervir , & par conféquent d'être
connus du Public .
N. B. M. GELIOTE , dont nous.
avions indiqué la retraite du Théâtre
après les représentations de TITON &
L'AURORE , ne s'eft retiré qu'en 1754,
à la clôture du Théâtre , après les re- .
préfentations d'une remife de CASTOR
& POLLUX. Ce qui avoit induit en
erreur à cet égard , c'est qu'en effet il devoit
quitter après l'Opéra de TITON
& qu'il fut engagé à refterencore une
année.
COMÉDIE
FRANÇOISE.
L E Mercredi , 2 Mars , on donna la
premiere repréſentation de Théagêne &
Cariclée , Tragédie nouvelle. Le pre- .
mier Acte de cette Tragédie fut applaudi
, de même que plufieurs endroits
dans les autres Actes ; mais le Public.
'ayant pas paru approuver la conduite
de ce Poëme , il a été retiré après cette
repréfentation. Cet événement ne doit
ni préjudicier à l'opinion avantageufe
qu'on avoit des talens de l'Autenr , nî
AVRIL. 1763.
181
à l'encouragement qu'ils méritent.
Quand on applaudit à la touche & au
coloris d'un Peintre , il peut fe tromper
fur l'effet de la difpofition dans un tableau
, fans perdre du côté de la gloire
de fon art , & fans que les Amateurs
attendent moins de fes autres productions
dans la fuite ...
Il y avoit , pour la repréſentation de
cette Tragédie , une décoration d'un
effet très-pittorefque. Les ruines qu'elle
repréfentoit , interrompoient cette ouverture
uniforme que l'on laiffe toujours
au milieu de nos Théâtres. Ce genre de
décorer , lorfque les fites de la Scène
y prêtent , devroit être regardé par nos
Décorateurs comme un effai propre à
les éclairer fur les moyens de varier plus
fçavament leurs ouvrages.
Les Comédiens François ont remis
au Théâtre le 28 Février le Somnam
bule , (a) Comédie en profe en un A&te.
Cette Piéce ( Auteur Anonyme ) que
l'on croît être l'ouvrage d'une Société
de gens du monde & de beaucoup d'efprit
, a eu plus de fucès à cette repriſe
que dans fa nouveauté. Elle a été jouée
très agréablement. M. BELCOUR repréfentoit
le Somnambule de la manière la
plus vraie & la plus amufante. Mlle
fa) Premiere Bépréfent. le 19 Janvier 1739.
182 MERCURE DE FRANCE.
DROUIN , qui jouoit un rôle de carac
tère , a mis auffi un comique d'intelligence
que la Piéce éxige & qui contribuoit
à fon agrément. La vivacité de M.
MOLÉ & les graces comiques de M.
PRÉVILLE , complétoient l'effet heureux
des repréſentations de cette Comédie
qui a été fuivie avec fuccès.
Une autre remife de Piéce fur laquelle
nous nous permettons fans fcrupule de
répéter les éloges que méritent les Comédiens
François , eft celle des Femmes
Sçavantes , de MOLIERE , repriſe
le même jour ( 28 Février. ) Nous en
avons parlé ci- devant dans l'Article des
Spectacles de la Cour. Nous annonçons
avec plaifir qu'il reft encore parmi nous,
une portion de Spectateurs ( ce n'eft pas
à la vérité la plus nombreufe , ) qu'un
goût de préférence attache à ces beanrés
, malgré leur ancienneté & malgré la
mode de certaines gentilleffes dramatiques
fardées des graces volatiles de la
Mufique nouvelle .
Les repréſentations des Femmes Sçavantes
ont été fort applaudies ; & ces
applaudiffemens n'avoient certainement
pas leur fource dans la frivolité du goût
dominant.
La Débutante pour l'emploi des caAVRIL.
1763. 183
+
ractéres qui a paru dans quelques rôles
de ce genre eft Mlle DORVILLE , foeur
de. Mlle RIVIERE ( ci-devant Mlle
CATINON , ) de Mlle CARELIN & de
Mlle BOGNIOLI . Le Public a reconnu
dans cette Débutante , qu'elle avoit part
à l'efpèce de patrimoine de cette famlle
pour les talens du Théâtre. Les fuccès
dans ce genre , où l'on ne paroît jamais
dans l'age qui féduit & intéreffe ne
peuvent être auffi brillans que dans d'autres
; mais Mlle DORVILLE a eu la
fatisfaction de montrer à des Spectateurs
éclairés une connoiffance raifonnée de
fon talent & une pratique du Théâtre
qui peut la rendre très - utile à tous ceux
pour lefquels elle fera employée.
›
Le Lundi 14 Mars on a donné la
première repréfentation de l'Anglois
à Bordeaux Comédie nouvelle en
vers libres & en un Acte , fuivie d'un
Divertiffement au fujet de la Paix, Le
plus grand fuccès , le plus unanime &
le moins fufpe & a couronné cet ouvra
ge . Le Public impatient de n'en pas voir
paroître l'Auteur, que fa modeftie avoit
fait fortir du Spectacle longtemps avant
la fin , après l'avoir inutilement deman
dé près d'un quart d'heure , ne permit
pas que l'on commençât le Divertiffe
V
184 MERCURE DE FRANCE .
W
ment , qu'au moins on n'eût publiquement
déclaré fon nom ; & lorfqu'un des
Acteurs eut nommé M. FAVART ( a ) ,
on applaudit pendant longtemps avec
une vivacité univerfelle. Cet Auteur a
été obligé à la feconde repréfentation
de céder à un empreffement auffi flat-
(a) Nous faififfons avec empreffement l'occa→
fion de rendre à cet égard un témoignage pur
blic à la vérité , & un témoignage que des circonftances
particulières nous ont mis en état
d'affirmer par ferment , s'il en étoit befoin . Nous
atteftons ici que M. FAVART eft feul l'Auteur de
cette Piéce. L'envie fecrette du Lecteur ou du
Spectateur qui cherche à fe venger pour ain
dire de ce qu'elle eft forcée d'admirer , le penchant
à croire autre chofe que ce que l'on nous
préfente ; la fauffe vanité de paroître inftruit de
certains fecrets de la Société toutes ces petites
caufes réunies , avoient concouru à accréditer une
efpéce de propos courant à la mode pour enlever
très-injuftement à M. FAVART l'honneur de
les talens , déja connus & eftimés , & fur le
loris defquels les Gens de Lettres , ( Juges natarels
en cette partié ) ne pourront jamais ſe méprendre
que volontairement. Au refte cet Auteur
, quoique dans un genre moins élevé , peut
Te flatter du même honneur qu'on a fait longtemps
à un grand homme , ( par la ridicule Fable
du Chartreux ) petit ftratagême de l'Envie
publique qui fe renouvellera fouvent contre bien
des Auteurs , tant qu'il y aura des Méchaas intéreffés
à femer un faux bruit , des Etourdis pour
Le débiter & des Sots pour le croire.
CoAVRIL
1763. 185
teur de la part du Public , & a reçu en
perfonne les témoignages éclatans de
fon fuffrage.
La morale la plus philofophique, embellie
des grâces & de toutes les fleurs
d'un ftyle où l'efprit & l'élégance brillent
toujours ; une délicateffe adroite à
peindre avec vérité deux Nations plus
rivales qu'ennemies ; des éloges fans flaterie
pour l'une & pour l'autre ; des critiques
fines & vives fans amertume fur
les caractères , les ufages & les moeurs
des François & des Anglois ; pardeffus,
tout , un fentiment vrai & touchant des
vertus de l'humanité ; voilà le précis de
l'ouvrage dont nous différons avec le
plus grand regret de donner un Extrait
détaillé : mais le peu d'efpace que l'abondance
des autres matières laiffe à
notre Article des Spectacles,nous oblige
à le remettre au Vol. du 15 de ce mois.
Cette Piéce a été jouée parfaitement;
& M. PREVILLE dans le rôle de Sudmner
a fait un plaifir tout nouveau .
Nous n'ofons prèfqu'ici rendre à Mlle,
DANGEVILLE le tribut d'éloges trop
mérités en cette occafion. Si ce tribut,
eft le dernier que nous devions payer
à cette inimitable Actrice , c'est renouveller
des regrets trop bien fondés.
186 MERCURE DE FRANCE.
AVIS SUR L'ÉDITION DE
L'ANGLOIS A BORDEAUX.
N. B. On apprend que plufieurs per
fonnes fefont affociées pour copier cette
Piéce aux repréfentations , afin d'envoyer
ces Copies à des Chefs de Troupes
de Province. On ne doute pas qu'il n'y
ait quelqu'Edition faite fur ces copies
& fans doute très-informe: On avertit
le Public que la véritable Edition fefait
chez DUCHESNE , rue S. Jacques ;
qu'elle fera facile à reconnoître par le
Divertiffement dont la Mufiquefera imprimée
à la fin , & par le Paraphe de
Auteur qui fera fur le titre.
9 Le Samedi , 19 Mars on donna
pour la clôture de ce Théâtre la quatriéme
repréſentation de cette même
Piéce ( l'Anglois à Bordeaux. ) Le concours
des Spectateurs y étoit auffi confidérable
qu'il puiffe être , les applau
diffemens perpétuels. Cette foirée ainfi
que toutes celles où cette Piéce avoit
été repréſentée , l'extérieur de l'Hôtel
des Comédiens a été illuminé.
L'Anglois à Bordeaux fut précédé
d'une repréſentation de Tancréde , dans
!
AVRIL. 1763. 187
laquelle Mlle DUBOIS , repréfentant à
la place de Mlle CLAIRON , eut un
fuccès très-agréable , & d'autant plus
flateur qu'il lui fut confirmé en fortant
du Théâtre , par le fuffrage de l'admirable
A&trice qu'elle avoit doublée &
qui avoit affifté à la repréſentation . ( b )
Mlle DUBOIS avoit déjà joué avec fuc
cès dans la repréfentation de Théagéne
& Cariclée , & dans celle de l'Orphelin
de la Chine . Paroître dans des rôles
que le Public eft accoutumé à voir ren
dre par Mlle CLAIRON & n'y être
que foufferte fans dèfagrément , feroit
pour une Actrice un titre de talent ; y
faire plaifir en beaucoup de parties , y
être applaudie de bonne foi , & ne paroître
dèfagréablement en aucun en
droit , c'eft , à ce qu'il femble , décider
Mlle DUBOIS , l'efpérance de ce Théâtre
pour le tragique . La conduite de
ce jeune Sujet dans l'étude de fon art ,
confirmera ou détruira cette efpérance.
Le même jour M. DAUBERVAL ,
Acteur du Théatre François , prononça
le Difcours fuivant.
(b ) La fanté de Mlle CLAIRON , quoiqu'extrémement
altérée , laiſſe eſpérer avec les fecours du
repos & du temps , un rétabliffement qui la ren
dra aux yeux du Public.
188 MERCURE DE FRANCE.
MESSIEURS ,
» Chargé de vous préfenter l'homma❤
» ge de notre reconnoiffance , il m'eft
» doux de penfer que cet emploi pré-,
> cieux à mon coeur appartient à celui
» fur lequel votre indulgence a le plus
» éclaté.
» Il eſt de ces momens où la Nature
» pour ainfi dire épuifée paroît rallen-
» tie dans fes productions,où les grands
» Modéles qui ont précédé , femblent
» avoir été formés aux dépens de leurs
Succeffeurs. Alors les difpofitions les.
» plus communes paroiffent avoir acquis
» quelques droits à votre bienveil-
» lance.
.
» Oui , Meffieurs , vous voulez bien
» avoir égard aux circonftances , & ne
pas nous juger toujours à la rigueur.
» Vous avez daigné jetter un regard
» favorable fur nos efforts , dans un
» temps où la retraite de M. GRAND-
" VAL vous laiffoit à regretter un Ac-
» teur inimitable , qui au talent le plus
» vrai joignoit l'art de rendre le Ridicule
fans rien faire perdre à fes rô-
" les dans leur nobleffe ; vous applau-
» diffiez en lui ce mérite fi rare d'être
AVRIL. 1763. 189
" le Peintre de fon Siécle , & de paroî-
» tre fur la Scène moins Acteur qu'-
» homme du monde ; l'homme même ;
» du jour qu'il repréfentoit.
כ
» Vous avez été frappés depuis , Mef-
» fieurs , d'une perte plus grande encore
: ce Spectacle vous la retracera
dans tous les temps. L'Auteur d'A-
» trée , de Rhadamifte , d'Electre, dont
le génie avoit porté tant de fois la
» terreur dans votre âme , l'Efchyle
François n'eft plus ; mais fes fublimes
» productions vous reftent , & fa gloi-
» re perfonnelle devient aujourd'hui
> celle de toute la Nation.
"
» Qu'il me foit permis , Meffieurs
» de guider vos regards vers ce Mau-
» folée que fait élever à ce grand Hom-
» me un Roi dont la tendreffe pater-
» nelle
pour fes Sujets perçe les ombres
?> de la mort.
» Nous ne vous envierons plus , Na-
» tions voiſines ! ces témoignages publics
de vénération pour les talens fu-
» blimes. Le marbre va vous exprimer
» cette grande vérité que le Père des
» Peuples eft auffi celui des Arts.
» Mais cet honneur rendu aux mâ-
» nes de CRÉBILLON eft encore atten-
» du de ceux du Grand CORNEILLE ,
190 MERCURE DE FRANCE .
» de RACINE , de MOLIERE ; oferaije
le dire , Meffieurs , ces mânes il-
» luftres l'attendent de vous.
»
» Héritiers de cette grandeur qui furt
" l'âme du fiécle dernier , tout ce qui
» lui eft échappé d'actions glorieuſes
» vous appartient . Ce lieu même vous
» rappelle encore à ces fentimens géné-
» reux qui ont arraché à l'infortune la
» petite fille du Grand CORNEILLE.
» Ce que vous avez fait pour le fang de
» ce grand homme marque ce qui vous
» refte à faire pour fa mémoire .
·
» Qu'il fera beau de voir un Monar-
» que & un Peuple rivaux fe difputer
» la gloire utile d'honorer les talens !
» quoi de plus propre à les encourager
» que ces témoignages éternels de votre
» admiration ? que ne devez - vous point
» attendre , Meffieurs , des Auteurs dra-
» matiques , lorfqu'ils pourront ſe flat-
» ter que les fuffrages dont vous les
» avez honorés feront perpétués fur le
» marbre ? oui , Meffieurs , les talens
» vous doivent tout leur éclat. Ils s'éteignent
loin du charme des applau
» diffemens & du flambeau de la criti-
» que . Que n'ont-ils de même leur four-
» ce dans le fentiment vrai du befoin de
> votre indulgence ! J'aurois en vous
AVRIL. 1763. 191
ม» la demandant , Meffieurs , l'efpoir fatisfaisant
de mériter un jour vos bon
» tés.
Ce Difcours fut généralement applaudi.
Le principal objet ( feu M. CRÉ-
BILLON , auquel pour la dernière fois
nous ajoutons - le Monfieur ) étoit récemment
renouvellé dans la mémoire
des Spectateurs , par un très -beau Portrait
de ce grand Poëte , que les Comédiens
venoient de faire placer depuis
quelques jours , au rang des illuftres
foutiens du Théâtre François. Ce Portrait
, admirable par la vérité de la reffemblance
& par toutes les grandes parties
de la Peinture , eft-l'ouvrage de M.
DOYEN , Peintre du ROI .
ne ,
Quoique la retraite de Mlle Dan-
GEVILLE ne paroiffe que trop certainous
remettons à donner les anecdotes
que nous fommes dans l'ufage
d'inférer dans nos Journaux fur les Sujets
de ce Théâtre en ces fortes d'occafions
: mais nous communiquerons un
des hommages que la Poëfie , qu'elle
a fi bien fervie , rend à cette excellente
Actrice.
#92 MERCURE DE FRANCE.
VERS à l'occafion de la retraite de
Mlle DAN GEVILLE.
Tout Paris l'adoroit , tout Paris la regrette ;
Du Théâtre François elle étoit l'ornement.
On ne perdra jamais d'Actrice plus parfaite :
Jamais on ne verra plus modeſte talent.
Chacun peut en juger par ce trait furprenant :
Elle force l'envie à pleurer ſa retraite.
COMÉDIE ITALIENNE.
ONN trouve chez Duchefne à Paris un
Extrait imprimé de l'Amour paternel ,
Comédie Italienne dont nous avons parlé
dans nos précédens Mercures. Cer
Extrait , ainfi que les Lettres du Traducteur
, fuffit pour faire connoître à
ceux qui n'auroient pas lu les OEuvres
de M. GOLDONI , combien cet Auteur
mérite la célébrité qu'il s'eft acquife.
L'habitude où nous fommes de ne nous
plaire , de ne rire & de ne prêter quelqu'attention
qu'aux fcènes où paroiffent
ce qu'on appelle les Mafques ; d'ailleurs,
les grands talens des Acteurs qui les portent
actuellement , entr'autres l'Arlequin
& le Pantalon , tout cela n'a pas
permis à M. GOLDONI de les bannir
ici
AVRIL 1763. 193
,
ici comme il a fait de fon Théâtre patriotique
. Malgré cette efpéce de fervitude
, qui affujettit au comique un peu
chargé , il n'en a pas mis moins d'intrigue
, moins de conduite & d'enchaî →
nement dans la plupart des Scènes
moins d'ordre , & d'éloquence naturelle
dans le ftyle . Comme de nouvelles difficultés
font ordinairement créer de nouveaux
moyens aux véritables génies ,
celui - ci a tourné en plufieurs endroi's
de fes nouvelles Piéces , le Lazi au
profit du Sentiment ; c'eft particuliérement
ce qu'on ne peut conteſter dans
une Scène de l'Amour paternel , où
l'art confommé de M. CARRELIN eft
admirablement fecondé par l'heureux
naturel de Mlle CAMILLE . On peut
dire la même chofe de plufieurs parties
des rôles de Pantalon dans cette Comédie
& dans celles qui l'ont fuivie ,
-éxécutées avec un pathétique admirable
dans le genre par M. COLALTO , Acteur
Italien de ce Théâtre .
Dans, la Comédie Italienne en un
A&te , intitulée Arlequin cru mort ,
M. GOLDONI s'eft prêté encore
plus aux Spectateurs François en mettant
les fcènes plus étendues entre l'Ar-
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
lequin & le Scapin , qui font dans l'ufage
de parler François dans les Comédies
Italiennes . On fent , malgré cette
conformité avec les farces fur Canevas,
combien l'efprit de l'Auteur & fon génie
pour le vrai comique ajoutent d'agrément
à cette nouvelle fcène, par l'ordre
des idées & par l'efprit qui orne
les plaifanteries , conditions fans lefquelles
il n'y a nulle- part de plaifanterie
que pour ceux qu'il eft quelquefois
humiliant d'amufer. Cette Piéce donnée
pour la premiere fois le 25 Février , a
donc eu un fuccès plus étendu dans
tous les ordres des Spectateurs , même
parmi ceux qui ne peuvent plus s'amufer
que de l'Opéra- Comique : Avantage
fans doute fort au -deffous des talens
de l'Auteur & du mérite de fes Ouvrages
, mais qui doit être auffi précieux
pour lui que l'étoit autrefois pour Mo-
LIERE , l'honneur d'introduire la Comédie
, en la mafquant quelquefois des
livrées de la farce . Ceci doit s'appliquer
auffi à une Comédie en cinq Actes du
même Auteur , intitulée Arlequin Valet
de deux Maîtres , repréfentée pour la
rrefois le 4 Mars.Cette Piéce contient un
Imbroglio foutenu avec un Génié fin-
.:
AVRIL. 1763. 195
gulier & qui produit des Scènes fort comiques
. Elle a été fuivie & a paru réuffir
généralement.
n'a
Le 28 Février , on a donné pour la
première fois le Bucheron ou les trois
Souhaits , Comédie en Vers & en un
Acte , mêlée d'Ariettes ; elle fut unaniment
applaudie. Ce fuccès tres - mérité
tant par la Mufique que par la conftitution
agréable & riante du Poëme ,
fait qu'augmenter. Le Public l'a toujours
revue , jufqu'à la clôture de ce Théâtre ,
avec un nouveau plaifir ; nous en aurions
nous-mêmes à nous étendre davantage
fur cette Nouveauté , fi nous n'en
avions déja parlé dans les Spectacles de
la Cour. ( a ) Elle est tirée d'un Conte
de PERRAULT , imprimé à la tête de
la Piéce. Nous croyons que nos Lecteurs
en verront l'Analyfe avec plaifir.
EXTRAIT DU BUCHERON.
, fort d'une BLAISE le Bucheron
foret , un fagot & une cognée fur
l'épaule , une bouteille d'ofier à la
main. Il fe repofe ; tandis qu'il déplore
les peines de fon état , il en
( a ) Voyez ci-deffus l'Article des Spectacles de
la Cour.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE .
ra ,
tend gronder le tonnerre , il tremble ;
MERCURE paroît fur un nuage : ah !
Seigneur , lui dit BLAISE , que je
fouffre toujours pourvu que je vive !
MERCURE , après l'avoir raffuré , lui
annonce qu'il aura trois Souhaits à former
qui feront accomplis , & lui recominande
en partant , de profiter de la
bonté de JUPITER . BLAISE exprime
d'abord fon étonnement , il fe livre
à la joie , il rêve à ce qu'il fouhaiteil
est bien embaraffé , tout ce qu'il
fe propoſe , il le rejette. Il avale le
refte de fa bouteille , comptant que cela
lui ouvrira l'efprit. MARGOT , fa femme,
le furprend , elle le gronde fur fon
oifiveté , lui reproche fon peu d'amour
pour elle pour fes enfans lui dit
qu'il ne fonge point à établir SUZETTE
, leur fille , que SIMON , riche Fermier
la demande en mariage ; à ce
nom BLAISE , hauffe les épaules ,
MARGOT , queftionne , & on la met
affez difficilement au fait de l'heureufe
avanture qui fait méprifer SIMON. Elle
fe radoucit,flatte fonMari autant qu'elle
l'a querellé ; il fort pour confulter le
BAILLI & appaifer fes Créanciers .
MARGOT , feule , fe fait un portrait
extravagant de fa grandeur future , &
,
AVRIL. 1763. 197
faute de joie ; SIMON vient s'informer
quand il époufera SUZETTE ?pour toute
réponse on lui rit au nez . Arrivent un
CABARETIER & une MEUNIERE ,
qui font les Créanciers ; on les reçoit
de même ; au mot de tréfor que lâche
MARGOT , ils ceffent leurs menaces ,
lui font les offres les plus obligeantes
& fe retirent perfuadés qu'elle a trouvé
un tréfor. SIMON eft auffi dans cette
erreur , SUZETTE la confirme en venant
parler gaîment de la richeffe prochaine
de fon père , MARGOT lui impofe
filence , & lui enjoint de ne plus
penfer à SIMON : elle avoue ingénument
qu'elle n'y a jamais penfé ; & fur
ce que la mère dit qu'elle lui réferve
quelqu'un qui fera mieux fon fait , la
jeune fille , qui a paru dans la première
Scène avec COLIN, fon amant , croyant
qué c'eft de lui qu'il eft queftion , le
nomme ; MARGOT s'emporte. SIMON
qui triomphe de la voir traverfée , rit ,
& SUZETTE s'obſtine à vouloir Co-
LIN. L'abfence de BLAISE inquiette
l'ambitieufe MARGOT , elle fort pour
l'aller rejoindre , en ordonnant à fa fille
de refter avec SIMOM , homme d'àge,
qu'elle ne craint pas comme le jeune
COLIN . Empreffemens & fleurettes de
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
la part de SIMON , éloges contraftés de
COLIN , cet amant furvient ; le bon
Fermier touché de leurs amours naïfs,
fait un retour fur lui-même & promet
de les feconder auprès de BLAISE.
>
BLAISE améne le BAILI , homme
qui vante beaucoup fes confeils &
qui ne fait que boire & manger en
préfcrivant toujours la modération. Le
BUCHERON rempli de fes idées de
fortune , entend avec peine une propofition
de mariage qui retarde l'accompliffement
de fes trois Souhaits , il fe
débarraffe de SUZETTE & de COLIN
par des promeffes vagues , & retient
SIMON qui le complimente. MARGOT
revient on fe met à table , chacun
donne un avis conforme à fon goût ,
on mange quelques petits poiffons ,
BLAISE excite fes convives & furtout
le BAILLI ; " encore , s'écrie- t-il , que
» n'avons je à la place , car je fçai que
» vous les aimez …….. là .... une belle
» anguille ! il en paroît une dans le plat
toute accommodée . BLAISE fe dépite
, MARGOT l'invective , le BAILLI
& SIMON mangent & boivent. La colère
& le déluge de propos de la femmé
réduifent le mari qui ne peut l'adoucir
parles deux fouhaits qu'il dit avoir encore
AV- RIL. 1763.. 199
à former , à fouhaiter fans y fonger .
qu'elle devienne muette ; elle veut continuer
fes injures , mais en vain ; de
rage elle renverfe les bancs & fort défefpérée
. Le BAILLI Confeille , BLAISE
fe défole & SIMON plaifante. SUZETTE
arrive tout en pleurant , elle fe plaint
que fa mère l'a battue , elle fe confole
dans l'efperance qu'on la mariera avec
COLIN , & s'afflige après l'explication
des deux malheurs , fçavoir l'anguille
& la perte de la parole. COLIN vient
demander fi MARGOT confent enfin à
l'accepter pour gendre , on le renvoye
à BLAISE , qui gémit de n'avoir plus
qu'un fouhait . MARGOT reparoît amenée
par une Commère qui lui fert d'interpréte
; Blaife propofe à fa femme de
la faire Reine , par fon dernier fouhait,
Reine & ne point parler , dit le
BAILLI , non , non. Cela met dans une
grande perplexité le mari , il s'attendrit ;
il maudit fon indifcrétion . Tout le monde
fe joint pour l'engager à rendre la
parole à la pauvre MARGOT ; il héfite
longtemps ; il céde , elle ne tient plus
en place , ce font des remercîmens , &
un caquet infinis . SIMON rit à gorge
déployée ; le BAILLI , dont la manie
eft de fe montrer le maître dit à
I iv
2.00 MERCURE DE FRANCE.
BLAISE que le fouvenir de fes dettes
tourmente , qu'il arrangera cette affaire
& obtiendra du temps des Créanciers.
Tout fe pacifie , le Bucheron reprend fa
cognée en chantant l'amour du travail
& des biens naturels , on fe difpofe à
unir COLIN & SUZETTE. La Piéce eft
terminée par un Vaudeville qui en dérive
, & dont le refrain eft : Trop de pe
tulance gâte tout.
REMARQUES.
On trouve dans ce petit Drame , une conduîte
fage , un ftyle proportionné au Sujet , des plaifanteries
unes , une gaité franche , des traits
même de Morale , mais jettés fans prétention }
les Ariettes y font adroitement enchâllées , & la
Mufique , qui eft de M. Philidor , eft de la plus
grande beauté. Les plaintes du Bucheron fur fa
mifére , le plaifir enfuite d'avoir trois fouhaits à
former , bonheur qui lui paroît un fonge , le
Quatuor des Créanciers , &c. le Trio des Confultations
, le Septuor de la fin , Morceau détaillé
fans la moindre confuſion & les airs de Sur
zette & de Colin tout cet enfemble faifit &
frappe par la vérité des caractères de chaque Interlocuteur
établis dans cette Mufique pittoresque.
>
›
Il n'y a que les Exemplaires pour la Cour
qui portent le nom de M. Guichard ; mais il
nous a écrit qu'il étoit fâché de le voir nommer
feul dans une Piéce faite cnnjointement avec M.
C***, qui lui en a infpiré l'idée d'après le Conte' ;
que même leur intention à tous deux étoit de
AVRIL 1763 .
201
garder l'Anonyme , fentant bien que le fuccès
des Comédies à Ariettes appartient plus de droit
aux Muficiens qu'aux Poëtes. Nous ne pouvons
qu'applaudir à la modeftie de l'un & de l'autre
& à l'équité de M. Guichard.
La Mufique de cette Piéce fait d'autant plus
d'honneur à M. PHILIDOR , déja fi connu par
fes précédens ouvrages ; qu'à la fcience de l'harmonie
, fur laquelle il a reçu des éloges fans
contradiction , il a joint en cette occafion l'ufage
du goût qui affortit le genre muſical_aux détails
des paroles. Sans ceffer d'être auſſi Harmonifte
, iikl a tourné fon génie à cette mélodie
agréable & phragée que notre Langue exige , &
à laquelle on reviendra toujours , malgré même
quelques fuccès dans un genre qui dénature en
même temps l'efprit de la Langue & celui dela
Mufique qu'on y veut adapter.
Tous les Acteurs ont joué dans cette Piéce
avec beaucoup de feu & d'intelligence . M.CAILLOT
, M. DE LA RUETTE , M. CHAMPVILLE &
M. CLAIRVAL , Miles LA RUETTE , BERAUD &
DESGLANDS en exécutoient les rôles,
>
Un Acteur nouveau , dans les rôles
de chant , a débuté für ce Théâtre
le 1 Mars par celui du Prince dans
Nintete à la Cour & par celui du Mπ-
ficien dans le Magafin des Modernes ,
avec beaucoup de fuccès ; le Public
a confirmé ce 1er fuffrage dans tous
les rôles par lefquels il a continué fon
début jufqu'à la clôture , qui ne s'aſt
pas faite comme celle de l'Opéra
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
& du Théâre François , le dernier
jour avant la Semaine de la Paffion ,
mais le Samedi veille du Dimanche
des Rameaux. Pendant cette dernière
Semaine depuis le Dimanche , vingt ,
jufqu'au vingt- fix Mars , inclufivement ,
excepté le jour de la Fête de l'Annonciation
, on a éxécuté le Bucheron ,
dont on vient de parler & plufieurs
autres Spectacles mêlés de Mufique ,
du Répertoire de ce Théâtre & de celui
de l'Opéra - Comique , lefquels ont
été alors tous intitulés fur les Affiches ,
Piéces mêlées d'Arriettes.
On a donné le jour de la clôture
la quartorziéme repréfentation du Bucheron
, précédé du Roi & le Fermier.
On ne peut avoir un plus grand
concours de Spectateurs qu'en a eu
ce Spectacle , auquel la foule a toujours
été incroyable pendant cet hyver.
CONCERTS SPIRITUELS.
DANS la femaine de la Paffion il y a eu Concert
le Dimanche , le Mardi fuivant & le Vendredi
, Fête de l'Annonciation .
Dans le premier de ces Concerts on a exécuté
Lauda Jerufalem , Moter à grand Choeur de M.
AVRIL 1763.
203
DELALANDE , & le Confitebor de Pergolize . M.
BESCHE y a chanté & M. BALBATRE a éxécuté for
l'orgue plufieurs morceaux qui ont fait beaucoup
de plaifir.
Dans le Concert du Mardi on a éxécuté Inclina
Domine , Motet à grand Choeur de M. BLANCHARD,
Maître de Mufique de la Chapelle du Roi ,
dans lequel M. DUBUT , Ordinaire de la Chapelle
du Roi , a chanté un récit de deſſus . Ce jeune
talent qne l'on peut encore regarder comme
dans l'enfance , relativement à fon âge , ne doit
pas être regardé de même par rapport à l'ufage ,
à la préciſion & aux autres parties de la Mufique
ainsi que de l'art du chant. La voix du jeune M.
DUBUT est très agréable , & fon articulation
très-nette & très- correcte. Il a été fort applaudi
non ſeulement en faveur de fon âge , mais par le
plaifir qu'on a pris à l'entendre ; en le rappellant
celui dont avoit fait jouir longtemps M. RICHER
dans le même âge & dans le même genre de voix.
On reprit le Confitebor de Pergoléze .
-
Le Vendredi , on éxécuta Nifi Dominus , Motet
à grand Choeur de M. BELISSEN , & le Confitemini
de feu M. DE LA LANDE . Qu'il nous
foit permis de remarquer quelle impreffion fait
& fera toujours la fublime compofition de ce
célébre Muficien . Quelle majefté dans le caractère
général de fes chants ! Quelle analogie
avec la divine infpiratation qui régne dans les
Pleaumes ! Quel fentiment dans l'expreffion !
Quelle grandeur & quelle fagetle dans les images
que le génie de cet Auteur ne paroît point
chercher , mais qu'elles femblent venir faifir avec
une variété infinie & du meilleur goût , dans les
différentes parties de fes moters Quelle vérité
dans le coloris général ! Mérite rare dans prèf-
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
que tous les ouvrages qui méritent notre adm
ration à d'autres égards..
Mlle HARDI , jeune Sujet , conduite par fon
père en Italie à l'âge de neuf ans , pour y
être
inftruite dans la Mufique ; & formée dans la
connoiffance de la Langue & du goût du chant
de cette Nation a chanté dans ces trois Concerts
différens airs Italiens avec beaucoup de fuccès.
Sa voix eft agréable , timbrée & flexible . Elle
chante cette Mufique purement dans le genre &
avec les feuls agrémens qui lui font propres , &
analogues à l'idiome du Pays. Nouvelle , & peutêtre
enfin utile leçon pour les Cantatrices , qui
n'ont appris en France que la caricature de ce
goûr.
Mlle FEL a chanté avec le fuccès & les applaudiflemens
ordinaires plufieurs Récits dans les
grands Motets , & n'a point chanté de petit Motet
Italien.
MM. GAVINIES , LE MIERE & LE DUC Ont
joué à ces trois Concerts des airs en trio de la
compofition de M. GAVINIÉS .
Dans les Concerts du Mardi & du Vendredi ,
M. DUPORT a joué feul des . Sonates & Concerto
de fa compofition..
·
Par tout ce que nous avons eu occafion de dire
précédemment à l'avantage du talent fi agréa
ble & fi fingulier de M. DUPORT , on doit juger
du plaifir que le Public a eu de l'entendre après.
quelques Concerts d'où il s'étoit abfenté , & des
applaudiffemens qu'il a reçus.
CONCERT du Dimanche des
RAMEAUX .
On a exécuté Confitemini , Motet à grand
choeur de M. l'Abbé GoULET , ancien Maître de
AVRIL. 1763. 20
Mufque de la Cathédrale de Paris. Ce Moter a
été applaudi en plufieurs endroits. Le jeune M.
DUBUT , dont nous venons de parler , a chan
té. Le Concert a fini par Dominus regnavit ,
Motet à grand choeur de feu M. DE LA LANDE ,
dans lequel Mile ARNOULD a chanté avec applaudiffement
le récit Adorate. Dans le même
Motet, Mile ROZET & M. GELIN , ont éxécutè un
Duo qui a été univerfellement applaudi & avec
la plus grande juftice..
MM. DUPORT & KOHUALT ont joué des airs
en Duo fur le Violoncelle & le Luth . C'est ici
précisément une de ces occafions où il n'y a point
d'expreffions pour les éloges mérités & pour rendre
le fentiment de plaifir des Auditeurs. Les airs
qu'ils éxécutoient étoient travaillés avec un goût
& un art infinis , fur des Sujets connus, agréables
& faciles , ce qui a beaucoup ajouté à l'extrême
Latisfaction du Public ; en forte qu'ils ont été pour
ainfi dire contraints par la vivacité des applaudillemens
, de céder à fes defirs & de continuer de
jouer , après le nombre d'airs déterminé pour
ce Concert. Nous ne pouvons nous diſpenſer à
ce fujer de renouveller aux grands talens , l'avis
qu'ils reçoivent en tant d'occafions de la part des
Auditeurs fur le genre de mufique qu'ils exécutent.
Quand voudront- ils enfin fe donner à
eux-mêmes la flatteufe fatisfaction , d'être toujours
agréables en étonnant & fe défendre du
penchant obftiné pour les feules difficultés ?
Mlle HARDI chanta très- bien un bel Air Italien
& avec une voix plus également foutenue que
dans les Concerts précédens.
M. GAVINIES a joué un Concerto de fa compofition
, dans lequel il a été fort applaudi .
Mlle FEL a chanté un petit Motet , dont la
206 MERCURE DE FRANCE.
Mufique n'eft pas entiérement dans le genre Italien
; elle y a reçu tous les applaudiffemens que
méritent la voix & fes talens.
On rendra compte dans le fecond volume de
ce mois des Concerts de la Semaine Sainte & de
celle de Pâques.
ARTICLE VI.
SUITE des Nouvelles Politiques du
mois de Mars.
ور
'SUITE de l'Article de WARSOVIE.
PERSON ERSONNE n'ignore la conftirution de la Diète
» de pacification de l'année 1736 , faite du confentement
de tous les Ordres de la Républi-
» que , touchant les Duchés de Courlande & de
» Semigalle. On y a ftatué qu'après l'extinction
de la famille de Kettler celui à qui ces Fiefs
>> feroient conférés en jouiroit , lui & fes defcen-
» dans mâles , moyennant un diplôme en uſage
» dans de pareils cas , & qu'on conviendroit avec
>> lui des conditions féodales . La Commiſſion de
» 1727 , déléguée par la Diète de 1726 pour les
affaires de Courlande , avoit été prorogée juf-
» qu'à cette époque . Tout cela a été observé &
» exécuté felon ladite conftitution . Le Duc Er-
>> neft Jean reçut le diplôme Royal ; les Commiffaires
nommés de la République convinrent
>> avec lui des conditions féodales ; il reçut l'invel-
>> titure , felon la courume , & le diplôme de l'in-
» veftiture lui fut expédié folemnellement fous
les deux fceaux de la Couronne & du Grand
» Duché de Lithuanie , avec promelle au nouAVRIL.
1763. 207
» veau Feudataire , de la part de la République ,
de le protéger & de le défendre dans fes Du-
>> chés , lui & fes defcendans , contre qui que ce
» ſoit ; ainfi ce Dac acquit par-là un plein & in-
→ dubitable droit à ces Duchés pour lui & pour
>> fes defcendans mâles .
» Or fi un Prince Feudataire ne peut , fans être
coupable d'un crime de félonie , être privé des
Fiefs qu'il a acquis légalement , de quel droit
» foutiendra t - on que le Duc Erneſt Jean doit
» être privé de fes Duchés , fans avoir été ni en-
→ tendu ni jugé , & fans avoir commis de crime
contre le Roi ni la République ?
» Si dans le temps où l'on a voulu le dépouiller
de fes Duchés , il y avoit des raifons d'Etat
» pour l'en tenir éloigné , les raifons d'Etat qui
»l'y rappellent aujourd'hui font d'autant plus
fortes , qu'il eft juſte de rendre à chacun ce qui
>> lui appartient.
>>Par les droits de la nature & du bon voiſinage
» on eft obligé de protéger , contre la violence &
l'injuſtice , un Prince voisin & opprimé : ainf
» Sa Majefté Impériale de toutes les Ruffies ne
» peut refuſer de maintenir le Duc & les Etats de
» Courlande & de Semigalle dans leurs droits ,
→ priviléges & prérogatives.
»Sa Majefté Impériale n'ignore pa's que ces
>> Duchés font un Fief dépendant du Corps en-
→ tier de la République , & non du Trône feul
» des Rois de Pologne , felon la teneur du di-
>> plôme de l'incorporation de l'année 1569 , &
felon la conftitution de 17 36 ftatuée du conſenɔɔrement
de tous les Ordres de la République.
La fuite des Nouvelles Politiques au Mercure
prochain.
208 MERCURE DE FRÁNCE.
GENEALOGIE de la Maifon de SPARRE , felon
Les Piéces quifont chez M. de CLEREMBEAUT
& qui ont étéproduites à l'Ordre de Malte.
SPARRE OU TOFFTA , illuftre & ancienne Maifon
de Suéde , alliée de très- proché aux familles
qui ont régné en Suéde foit avant ou après la révolution
arrivée dans ce Royaume lors de l'invafion
des Danois fous Chriftiern II. leur Roi. On
trouve dans les biftoires & les généalogies Suédoifes
l'an 1150 Sixten de Toffta , grand Ecuyer
du Royaume de Suéde fous le Roi Canut. Sixten
eut pour fils Nicolas Toffia , qui lui fuccéda dans
la Charge de grand Ecuyer , & épouſa Mereta,
Princelle dont l'hiftoire vante beaucoup la beau
té & la vertu ; elle étoit fille d'Eric X , Roi de
Suéde , & de Rhechiffa , fille de Waldemar , Roi
de Dannemarck . Nicolas Toffta mourut l'an 1250
& laifla de Mereta , Ambernus , qui fut Grand
Maître-d'Hôtel du Royaume & le Chef de la
Branche aînée des Toffta , qui dura peus Sixten
II. qui fut Prince du Sénat & Chef de la branche
cadette , dont la poftérité ſe perpétue encore
aujourd'hui en France dans la ligne directe ; en
Suede & autres Pays du Nord , en lignes collatérales.
On ignore avec qui Ambernus prit alliance
; fes enfans furent Nicolas II , grand maître
d'hôtel , mort en 1313 fans poftérité ; Nanne ,
Chevalier de l'éperon d'or , qui fit des voeux dans
le Monastère de Efchiltunen ; Ulphon , Chevalier
de l'éperon d'or , grand maître d'Hôtel & Sénéchal
de Néricie , qui époula Chriftine , fille de Simon
Jonas , & fut le feul qui laiffa des enfans ;
Canut , Chevalier de l'éperon d'or , mort en 1350-
fans poftérité ; Ingeburge , qui fut mariée à Hermannde
Kafflebeck. Ulphon mourut en 1345 , laif
AVRIL. 1763 . 200
fant Ingeburge mariée à Benoit , Duc d'Algoth ,
tué en Hollande , Marguerite , mariée à Stenon
Chevalier & Senateur , & Charles de Toffta , le der
nier mâle de fa branche ; il fut grand Maréchal
de Suéde & Sénéchal d'Uplande , mort en 1399%
ne laiffant de fon mariage avec Helene , fille d'Ifraël
Birgerque Marguerite , mariée en premieres
nôces à Canut Bondé. De ce mariage fortit Charles
VIII, Roi de Suede. Canut , vécut peu après lui.
Marguerite , époufa Stenon Furon , dont elle n'eût
que Brigitte ou Britte , raariée à Gustave Sture ,
Chevalier de l'éperon d'or . De ce mariage eft for
ti une autre Brigitte , qui époufa Jean Chrifliern,
Senateur du Royaume , qu'elle fit Pere de Frédé
ric de Ridboh , ou Gripsholm , qui le fut de Guftar
ve Vafa , qui chaffa les Danois de la Suede &
s'en fit déclarer Roi. Ainfi le fang de Margueritte,
"& par elle celui des Tofftas , a été uni avec celui
des Rois de Suéde jufqu'à la Reine Chriftine , la
derniere de la poftérité de Vafa, laquelle abdiqua
la couronne & fé retira à Rome où elle eft morte
fans avoir été mariée .
mort
Seconde Branche qui fubfifte encore. Sixten ,
fils de Nicolas Toffta , Prince du Sénat ,
en 1295. Son fils fut Ambern I, grand Maréchal
de Suede fous Eric & Valdemar , qui regnerent
conjointement. Ambern lailla Ears ou Laurent I ,
grand Ecuyer , mort en 1299 , quatre ans après
fon père. Son fils fut Ambern II , Chevalier de
l'éperon d'or , qui vêcur longtemps ; on ne fçait
point avec qui ces trois Seigneurs prirent allian
ce. Laurent II , eut auffi Ingeburge , mariée dans
la branche aînée des Barons de Horn à Chriftierne.
Aumine. Amborn eut pour fils Laurent II , mort ea
1373. Il laiffa d'Hélene , fille d'Haquin Lamnes ,
Prince du Sang Royal de Norvege , qu'il avoir
1
210 MERCURE DE FRANCE .
épousé , Siggéfurnommé de Agard , Grand Ecuyer,
qui laiffa Laurent III , dit de Agard ,Grand Ecuyer.
Celui- ci époufa Ingeburge , fille de Benoit Laurent,
fon parent fans doute , dont il n'eut què Sigge de
Siagard , qui fit alliance avec Chriftine , fille de
Magnus de Natoda de Giaxholm > 2 morte en
1522. Sigge mourut en 1500 , & lailla Laurent
IV fon fils , appellé de Sundbi , qui fut Chevalier
de l'éperon d'or & Maréchal de Suede fa femme
fut Brigitte ou Brilte , fille de Turon Trolle , qui
lui donna Eric de Sparre , Baron de Sundbi , Vice-
Chancelier de Suéde , & Jean Sparre de Berquara,
Président de Calmar , qui fut la tige d'une autre
branche continuée par Sigifmond Sparre Eric eft le
premier qui a porté le nom de Sparre , & qui l'a
donné à tous les defcendants de Toffta. Ce nom
veut dire poutre d'or, dont Jacques VI , Roi d'Ecoffe
& d'Angleterre , décora les armes , en recompenfe
des fervices que ce Seigneur lui avoit
rendus . Eric , eut la tête tranchée à Lingkpin , en
1600 , pour avoir embrallé le parti de Sigifmond ,
Roi de Suede & de Pologne , fon véritable Maître,
contre Charles IX , Duc de Sudermanie , qui ufurpa
la couronne fur Sigifmond , fon neveu . Eric ,
lailla de Elba , Comtelle de Brahé , fon époufe ,
morte en 1609 , Guftave , Jean , Sigifmond , ( Ces
trois-ci n'ont point laiffé de postérité ; ) Laurent
V , Pierre , Charles , qui ont laillé des enfans ; Brigitte
, Béate. Celle-ci fut mariée au Baron Eric
& n'eur qu'une fille appellé Catherine . Laurent V,
époufa Merta , fille du Comte Banaër , dont il
n'eut que Pierre , fi célébre par les grandes charges
qu'il a occupées & par les négociations où il fur
employé , dont le frere époufa la Princeffe Palarine
nié ce de la Reine Chriftine & foeur du
Roi Charles -Guftave. Son épouſe fut Ebba , fille
,
AVRIL 1763.
211
咩
de Pontus de la Gardie , originaire de France ,
grand chancelier & premier Miniftre de la Reine
Chriftine , en 1607 , & le plus opulent Seigneur de
Suede Pierre , fut Sénateur & grand Maître d'Artillerie
, Ambaffadeur extraordinaire auprès de
Charles II , Roi de la Grande Bretagne , Médiateur
au Congrès de Cologne , enfuite Ambaſſadeur
auprès de Louis XIV , à qui il rendit de
grands fervices en formant entre la Suede & la
France une union qui fubfifte encore. Louis XIV,
pour reconnoître fes fervices , lui donna des lettres
de Comte pour lui & ſes enfans à jamais , avec la
liberté d'acquérir & de poffeder en France telles
terres on charges qu'il voudroit avec les mêmes
prérogatives que fes fujets , au nombre deſquels
ce Monarque l'admettoit. Pierre de Sparre , pendant
le féjour que fon Ambaffade lui occafionna
en France , conçut le deffein de vendre tous fes
biens en Suede & de s'établir dans ce Royaume
où il méditoit d'embraffer la Religion Catholique.
Le temps de fon caractère étant expiré il retourna
en Suede. Pendant qu'il travailloit à éxécuter
fes projets la mort le furprit en 1698. It
n'eut d'Ebba la femme , morte en 1693 , que Lau
rent VI, magnus , qui après la mort de fon pere
palla en France où il entra aú ſervice avec titre de
Lieutenant Colonel dans le Regiment de Sparre ,
aujourd'hui Royal Suédois , dont Eric de Sparre ,
Amballadeur & petit fils d'Eric , étoit alors Colonel
en 1700 environ. Laurent VI , étant en 1703
en garnifon à Tournai , y époula Félicité , fille de
Sire le Vaillant, Baron de Vaudripont & de N. fille
du Baron d'Hériffen , Comte du S. Empire. Après
avoir abjuré le Luthéranifme dans la Chapelle de
l'Evêque de Tourhais ce changement de Religion
le for profcrire en Suede , oùles biens furent con212
MERCURE DE FRANCE.
fiíqués , il ſupporta conftamment ces revers ja
qu'à la mort arrivée à Paris en 1725 & fut enterré
à S. Sulpice après avoir vécu 62 ans. Il a laiffé
de Félicité le Vaillant , deux enfans mâles , Jofeph-
Ignace , Comte de Sparre , & Pierre , Comte de
Sparre , tous deux au fervice de France . Jofeph
Ignace , âgé de 52 , ans , Maréchal de Camp en
1748 & Colonel du Régiment Royal Suédois en
1742 , a époufé en 1730 Marie du Chambge , fille
de Sire du Chambge de Lieffart , premier préfident
de la Chambre des Comptes de Flandres , d'une
famille ancienne & illuftrée dans la robe , originaire
du Franc de Bruge. Leurs enfans ſont Aléxandre
Sparre , Colonel du Régiment Royal Suć
dois , Ernefte Sparre Colonel dans le même Régi
ment ; Augufte Sparre , qui eft dans l'état ecclé.
fiaftique , & Gustave Sparre , âgé de cinq ans
Chevalier de Malthe.
Tiré de Meenius Suenon , Généalogiſte Sué→
dois.
De Schinnerus , Poëte Suédois .
De Gothus & Ericus , Hiftoriens Suédois.
Des Mémoires de la Paix de Rifvick , par Dü
mont..
N. B. Cette maiſon a fourni au Roi , dans la
courant de ce fiécle , Officiers . Il y en a encore
actueliement neuf au Service de Sa Majesté.
M. BAILLY le fils , Garde des Tableaux du
Roi en furvivance , a été reçu à l'Académie des.
Sciences le 29 Janvier , pour remplir une place
d'Aftronome.
Le 1s Mars 1763 , a été célébré le Mariage
de Mallire Louis Honoré de Montillet de, Gre
AVRIL. 1763. 213
naud , Marquis de Rougemont & autres lieux ,
premier. Enteigne de la premiére Compagnie
des Moufquetaires de la Garde du Roi , Chevalier
de l'Ordre Royale Militaire de S. Louis
Fils de Meffire Pierre Anthelme de Montiller,
Chevalier Grand- Bailly d'épée des Provinces de
Bugey , & Valmorey , & d'Henriette Victoire
de Bellecombe , avec Dame Jeanne Charlotte
Elifabeth de Chabannes Curton , Veuve de
Meffire Jean Bochart Marquis de Champigni ,
Fille de Meffire Jean Baptifte de Chabannes Curton
Chevalier Comte de Rochefort & autres lieux
& de Défunte Dame Claire Elifabeth de Roquefeuil
, & Soeur de Jacques Charle Comte
de Chabannes Marquis de Curton en Guyenne ,
& du Palais dans le Foreft , Comte de Rochefort
en Auvergne & autres lieux ; Colonel au
Corps des Grenadiers de France . La Bénédiction
Nuptiale a été donné dans l'Eglife Paroifliale
de S. Sulpice par l'Archevêque d'Aufch
Oncle du Marquis de Montillet.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monſeigneur le Chancelier,
le Mercure d'Avril 1763 , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , ce 31 Mars 1763. GUIROY.
214 MERCURE DE FRANCE.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
ODE DE fur la Statue Équeftre du Ror . Pages
LOUIS XV .
LE POETE Philofophe.
VERS fur un Portrait donné à Mlle Dangeville.
CONSEILS d'une Mère à fa Fille.
ABBAS & Sohry , Nouvelle Perfanne.
LES Ecoliers & le Balon , Fable.
10
ibid.
13
ibid.
14
46
STANCES fur l'incendie du Palais Epifcopal
d'Amiens , arrivé le Dimanche 19 Décembre.
EPITRE à M. G.
HOROSCOPE du premier Enfant de M. le
Marquis D. F.
A M. le Prince de Sulre , fils unique de M. le
Prince de Croy
VERS de feu M. Coffin , mis au bas d'une
Eftampe de feu M, Samuel Bernard.
Les mêmes Vers traduits en François.
DIALOGUE entre Démocrite & Moliére.
PORTRAIT de Madame C ** par M. ***,
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
·
47
49
SI
13
54
ibid.
ss
64
65 & 66
67 & 68
ibid.
AVRIL. 1763. 215
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES .
LETTRE à l'Auteur du Mercure , fur les
Enigmes & les Logogryphes.
69
LETTRE au même fur l'Etabliſſement d'un
Bureau de Conſultations pour les Pauvres. 73
LETTRE à l'Auteur du Mercure , fur une
Infcription.
HISTOIRE Poetique , tirée des Poëtes François
; par M. l'Abbé B ….
DE LA SANTÉ , Ouvrage utile à tout le
monde ; par M. l'Abbé Jaquin.
96
97
99
TRAITÉ abrégé de Phyfique à l'ufage des Colléges;
par M. de Saintignon."
QUINZE nouvelles Cartes de l'Atlas de M.
Buy de Mornas.
ANNONCES de Livres.
103
106
109 &fuiv.
ARTICLE III . SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADEMIES.
ACADÉMIE des Sciences & Belles - Lettres de
Dijon.
SEANCE publique, de l'Académie de Befancon
pour la diftribution des Prix .
RENTREE publique de l'Académie de Befançon
, du 17 Novembre 1762 .
PRIX propofés par l'Académie des Sciences,
Belles - Lettres , & Arts de Befançon , pour
l'année 1763. "
SEANCE publique de l'Académie Royale
des Sciences & Beaux Arts de Pau,
MEDECIN E.
OBSERVATIONS fur l'Hiftoire de la Méde-
123
124
128
129
132
-cine... 133
18
216 MERCURE DE FRANCE .
LETTRE à M. De la Place , fur les Aqueducs ,
fur les grands chemins , & c.
SUPPLEMENT aux Piéces Fugitives.
COUPLETS fur l'Élévation de lá Statue du
Ror & fur la PAIX.
VERS à S. A. S. Mgr le Prince Louis de Rohan
, Coadjuteur de Strasbourg , fur fa
convalescence .
REGRETS d'un Habitant du Partèrre , ſur la
retraite de Mlle Dangeville.
VERS adreflés à M. Favart , le jour de la
première reprefentation de fa Piéce au
fujet de la Paix.
AUTRES.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
142
148
149.
ibid.
ISO
IfI
ARTS UTILES.
G20 GRAPHIE. 154
ARTS AGRÉABLES
.
PEINTURE.
LETTRE à MM. de la Société des Amateurs
, fur le Tableau allégorique des
Vertus formant le Portrait du Roi ,
peint par M. Amédée Vanloo .
GRAVURE.
MUSIQUE.
44 ART. V. SPECTACLES..
SUITE des Spectacles de la Cour à Verſail-
SPECTACLES DE PARIS.
les.
OPÉRA .
COMÉDIE Françoiſe.
COMÉDIE Italienne.
CONCERTS Spirituels.
157
162
165
167
178
180
·192
202
ART. VI. Suite des Nouvelles Polit. de Mars. 206
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
AVRIL. 1763 .
Diverfité , c'eft ma devife. La Fontaine.
SECOND VOLUME.
DELA
VILLE
ABL
JUEQUE
LYON
1893
Cochin
Saline inte
PapillosSculpe
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à-vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
Chez
DUCHESNE, rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais,
Avec Approbation & Privilége du Roi ,
AVERTISSEMENT.
LEE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer ,
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie litté
raire , à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir, ou qui prendront lesfrais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
parvolum. c'eft-à-dire 24 livres d'avance,
en s'abonnant pour feize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers
, qui voudront
faire ve
nir le Mercure
, écriront
à l'adreſſe
cideffus
.
On Supplie les perfonnes
des provinces
d'envoyer
par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affran
chis , refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
, d'en marquer le prix.
Le Nouveau
Choix de Piéces tirées
des Mercures
& autres Journaux
, par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions
font
les mêmes pour une année. Il y en a jufqu'à
préfent quatre - vingt - dix volumes.
Une Table générale , rangée par ordre des Matières , fe trouve à la fin du
foixante-douziéme.
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL. 1763.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SUR LA PARESSE.
f
HEUREUX Loifir , douce Indolence ,
Dans la paix & dans le filence
Que j'aime à goûter tes appas !
Que j'aime à dormir dans tes bras
Sans m'appercevoir que je penfe ,
Ne fongeant qu'à mon éxiſtence ,
N'y fongeant même prèſque pas !
ravaux & foins de difparoître
I. Vol. A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Dès que tu t'approches de nous
Ne rien fçavoir , c'eſt te connoître.
Arts pénibles , éloignez-vous :
Ce n'eft qu'en vous ignorant tous ,
Que j'apprendrai bien celui d'être,
Inftruis- moi dans cet art fi doux ,
Dieu du repos , fois mon ſeul maître g
Qui n'en a point d'autre que toi
Se fait une aimable habitude
De jouir doucement de ſoi.
A l'abri de l'inquiétude ,
La fuir eft toute ſon étude ,'
Et te goûter tout ſon emploi.
Viens être mon guide & mon Roi
Je veux me jetter dans ta chaîne,
Loin qu'on en redoute la gêne ,
On aime à tomber fous ſon poids
La liberté qui fuit les loix
Se plaît à plier ſous la tienne.
Mais , ô ma chere Qiliveté !
Tandis qu'en ton fein je fommeille
Quelle voix frappe mon oreille ,
Et trouble ma tranquillité ?
Baillant , à demi je m'éveille :
J'entr'ouvre un oeil déconcerté.
Quel objet tout-à-coup l'étonne ?
Que vois-je ? où fuis-je tranſporté ?
J'apperçois fur un même trône
Et portant femblable couronne
AVRIL 1763.
Une double Divinité
Qu'un peuple de Fous environne ,
Et qu'encenſe la Vanité.
D'un air inquiet , agité ;
S'avance une foule importune :
L'ambition & la fortune
Sont l'une & l'autre Déité.
Leurs mains font pleines de largeffes ;
Et fi j'en crois à leurs promeſſes ,
Crédit , puiſſance , dignité ,
Titres , honneurs , emplois , richeffes ,
Au gré de mon avidité
Viendront me prouver leurs tendreffes ,
Pourvû que laiffant tes careffes ,
Je me range de leur sôté.....
Vaines & trompeuſes idoles !
Par vos féduifantes paroles
Croyez-vous que je fois tenté ?
Gardez pour vous vos dons frivoles ,
Mon coeur n'en peut être flatté.
La gloire la plus éclatante
Ne vaut point la douceur charmante
De cette oifive obfcurité
Où végére ma nonchalance :
Riches , fiers de votre opulence ,
Je le fuis de ma pauvreté.
De cette fuperbe affluence
L'avantage eft trop acheté ;
Nul de vous dans fon abondance
7
A iy
MERCURE DE FRANCE .
Ne peut dire avec vérité ,
Comme moi dans mon indigence ?
Mon bonheur ne m'a rien coûté.
Que me veut cette Mufé affable bukk
Qui m'attireau facré vallon
Sa main de la spart Apollon
Me préfente un laurier durable
Mais un travail infatigable
De ce laurier fera le prix :
Il ne doit être le
partage
Que de celui dont les écrits
Dignes de paffer d'âge en âge
Avec un affidu courage
Seront polis , & repolis ?...
Retourne , 'Mufe enchantereſſe ;
Et n'interromps plus mon repos :
Remporte tes brillans rameaux
J'aime cent fois mieux ma pareffe.
Si quelquefois avec tes foeurs!
Errant fur les bords du Permeffe ,
Je veux moiſſonner quelques fleurs ,
Ce n'eſt point au prix des douceurs
Qu'on goûte au fein de la moleffe :
Pour elles volontiers je laiffe
Mules , Phabus & leurs faveurs."
Bien fou quiconque fe confume
En écrivant pour éffacer ;
Je veux que les vers fous ma plume
Viennent d'eux-mêmes fe placer :
?
I
AVRIL. 1763.
Ainfi que l'eau de l'hypochrene
De la fource dont elle fort"
Jaillit fans obftacle & fans peine ,
D'une heureuſe & facile veine
Je veux qu'ils coulent fans effort.
Je ne veux point , ô Renommée !
• Te facrifier mon loiſir
Et changer contre ta fumée
Et mon bonheur & mon plaifir.
Que dis -je ? le Plaifir lui-même
Des ris , des jeux environné ,
Ceint d'un tranſparent diadême jin A
Et de guirlandes couronné ,
S'offre à mes yyeux fart un nuage
Dans les vague des airs traîné . ) and
Ce jeune Dieu paroît orné des ho'l
De tous les attraits du bel âge :
Il eſt léger , il eft volage ;
Son oeil eft vif , fon front , ferein ;) .
Le caprice & le badinage
T
Le tiennent tous deux par la main, g
Les fleurs qui tombent de fon "fein
Jonchent les lieux de fon paffage :
Des amours le brillant effain
Devant lui vole à tire d'aîle ,
Et lui prépare le chemin.
Il vient à moi ; fa voix m'appelle :
A fa voix , je marche , je cours.
Adieu , charmante létargie ,
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Où tantôt mon âme affoupie
Eûr voulu fommeiller toujours,
Pour me féparer de tes charmes ,
La fortune & l'ambition
N'ont point eu d'affez fortes armes :
L'éclat d'un immortel renom
N'a pu me vaincre & me féduire :
J'ai préféré ton doux empire
Aux vains honneurs de l'Hélicon.
Le plaifir feul a l'avantage
De m'arracher à tes appas ;
Mais s'il m'entraîne ſur ſes
pas ,
Ce n'eft que pour un court voyage
Dont tu me verras revenir
Plus épris de mon éſclavage
Sur tes genoux me rendormir.
Se livrer trop à l'allégreſſe ,
Ce n'eft point en ſçavoir jouir.
Qui veut agir avec fageffe ,
Donne fa vie à la pareſſe ,
Et quelques momens au plaifir.
Par le nouveau venu au Parnaffe.
AVRIL 1763.
II
Un Officier Général , étoit fur le point
d'époufer Mlle .... lorſqu'il fut bleffé
à mort à la fin de la Campagne
de 1759. Il eft cenfé écrire à fa
Maîtreffe dans l'inftant où expirant
fur le champ de bataille , il fe fert du
fer d'une picque qu'il trempe dans
fon fang pour tracer ces Vers.
MA chère Julie ! adore les deftins ;
Ils font naître & mourir nos projets incertains .
Une lance acérée , inſtrument du carnage ,
Eft aux bords du cercueil , pour moi d'un autre
uſage.
Arme de la fureur , tu deviens , en ce jour ,
Dans mes débiles mains , le pinceau de l'Amour
!!....i
Mon fang forme à longs traits , fur l'arène fusi
cu mante ,
Des fignes interdits à ma voix expirante.
Hélas ! s'il fut verfé , fans regret pour mon Rois
Il m'eft doux de fentir qu'il coule encor pour
toi ! .....
Je t'aimai : je t'adore ; ( excufe ma foibleffe : ) ;
Mais foit tranſports jaloux , foit orgueil , fojt
vreffe ;
Aviat
Avj
12 MERCURE DE FRANCE.
Ciel pourquoi redouté-je en ce fatal moment ,
Qu'un autre après ' ma mort puiffe être tom
Amant ?
Ah ! pardonne à ma crainte injufte , téméraire 7
Non ,tu n'as point brulé d'une flamme ordinaire ;
Non ; je fçais qu'aifément ton coeur ferme &
conftant
Peut donner à ton Sexe un exemple éclatant.
Lechemin tortueux que tient la perfidie,
( Tu me l'as dit cent fois ) , méne à l'ignominie...
Hélas ! il m'en fouvient : quand aux bords Champenois,
on
Ton amant t'embraffa pour la derniere fois :
» Cher époux , m'as-tu dit , tu vois de l'hyménée
» Eteindré les flambeaux ; mais ma foi t'eft done.
» née ;
» Et quel que foit ton fort , fois für que ce lien .
» Enchaîne pour jamais & mon être & le tien ....
Au moins ce foible eſpoir en mourant , me ſoulage......
Mais je touche à l'inftant , que craint même le
Sage 179 707 mm & erbror i åingi a T
Le jour fuit & fe change en d'épaiffes vapeurs....
L'abîme s'ouvre : adieu , fois fidéle....je meurs.
L'ÀMANT RÉVOLTÉ CONVERTI.
LA Tout-Puiffant Dieu de l'Amour ,
Avoit un jour bleſſé mon âme,
AVRIL. 1763 : 13
Moi, je voulois le bleffer à mon tour ,
Et j'aiguifois les traits d'une Epigramme ;
Quand ce Dieu , pour guérir mon mal ,
Vint me trouver avec Thémire .
Adieu ma haine & ma fatyre ,
Je ne fis plus qu'un Madrigal……… . }
Par M. B. P. D. GRA..... de Lyan.
É PIGRAMME
A l'Auteur d'une mauvaise Epître, qu'il
finiffoit par
des adieux à la Raifon .
PAR tes adieux à la Raiſon ,
Pourquoi terminer ton Epître ? .
Il eût été plus de ſaiſon ,
De les mettre à côté du titre :
Car long-temps après fon départ
Lui dire adieu , c'eſt un peu tard.
Par le même.
AIR : Je te revois , charmante Life.
JUSTIFICATION.
A'une Amie.
J'A fenti rechauffer ma cendre ,
J'ai cru reconnoître l'ardeur
A qui ma jeuneffe trop tendre
14 MERCURE . DE FRANCE.
Dut la moitié de fon bonheur.
Eglé , votre voix me rappelle ;
Pour un coeur trifte & malheureux ,
L'Amour n'a plus qu'une étincelle
Et l'Amitié feule a des feux.
Gardez mon coeur , je vous le laiſſe,
Soutenez fa fragilité,
Et des piéges de ma foibleffe
Sauvez encor ma liberté.
Il eft für que toute la vie
Je vous aimerai tendrement ;
Et fi vous êtes mon Amie ,
De qui pourrai -je être l'Amant ?
1 LES MARIAGES HEUREUX ET
MALHEUREUX ,
CONTE MORAL.
RIEN n'eft fi rare que les mariages
heureux , depuis qu'on n'exige plus que
des convenances bizarres établies par
l'opinion & le préjugé. La conformité
des goûts , l'union des cours paroiffent
aux parens des conditions inutiles . La
naiffance ou le bien font les feules qui
méritent leur attention ; ils ne font déterminés
que par l'un ou par l'autre. Ces
AVRIL. 1763. 15
injuftes Loix du monde , ces funeftes
préjugés portent la corruption dans
fe fein des familles en détruifant l'union
qui doit y régner ; ou fi l'union
y paroît encore , c'eſt une eſpèce de
tréve convenue que la dépravation mutuelle
a rendue néceffaire.
Azelim , fu d'une famille illuftre par
l'ancienneté de fa nobleffe & les charges
honorables qu'elle avoit toujours
occupées , s'étoit retiré de la Cour pour
finir fa carrière dans une maifon de
campagne aux environs de Paris . Il y
raffembloit la Société la plus brillante.
Le chemin étoit couvert de voitures
qui alloient ou qui revenoient de la
folitude d'Azelim . C'étoit là que les Pétits
-Maîtres & les Coquettes inventoient
les modes , traitoient d'originaux les
hommes vertueux , & de prudes les femmes
raisonnables , décidoient du mérite
d'un jeune Auteur , critiquoient la piéce
nouvelle , l'élevoient jufqu'aux nues,
ou la condamnoient à l'oubli. Une jeune
perfonne dont Azelim avoit acheté
les complaifances , & dont il avoit cru
pouvoir acheter le coeur , augmentoit
encore par fes talens les charmes de
cette retraite. On ne parloit à Paris que
du féjour délicieux d'Azelim ; la variété
16 MERCURE DE FRANCE.
des plaifirs qu'il procuroit à fes convives
faifoit l'entretien de toutes les Sociétés
. On le regardoit comme l'homme
du monde le plus heureux mais
ceux qui ne jugent point fur de trompeux
dehors appercevoient l'indigence
& le chagrin qui la fuit , à travers le
fafte & l'opulence de cette maifon ; au
milieu de la joie , le Maître paroiffoit
quelquefois accablé de trifteffe .
Azelim avoit deux enfans qui paffoient
dans le monde pour les Cavaliers
les mieux faits & les plus aimables .Tous
deux avoient une heureufe phyfionomie
, une démarche noble & affurée
un maintien décent & modefte ; mais
leur caractére étoit bien différent. L'un
étoit férieux , tranquille & mélancolique
; infenfible aux frivoles amuſemens
du monde , il n'avoit d'amour que pour
les Sciences. L'autre , vif & léger , couroit
avidement après les plaifirs. L'aîné ,
qui s'appelloit Linias , gémiffoit en fer
cret fur les dépenfes exceffives de fon
père ; il ne participoit point à cette
joie tumultueufe qui menaçoit fa famille
d'une ruine prochaine. Il voyoit
avec indignation Azelim entouré d'une
multitude de flateurs qui le méprifoient
intérieurement , & qui n'atten-
1
AVRIL. 1763 . 17
doient que fa perte pour infulter à fa
mifére. Dorville au contraire fe livroit
avec tranfport aux charmes féduifans
du plaifir ; fon coeur amolli par la volupté
ne pouvoit plus s'enyvrer que de
fa dangereufe vapeur ; fon âme n'étoit
fatisfaite qu'au milieu du défordre d'une
vie diffipée.
Il y avoit à quelque diftance de la
maifon d'Azelim un Gentilhomme appellé
Daubincourt, qui, fans ambition &
fans defirs , jouiffoit en paix du bien
qu'il avoit reçu de fes ayeux. Ennemi
du fafte & de la fomptuofité , fa maifon
n'étoit point remplie d'une troupe
d'efclaves inutiles qui ne fervent qu'à
la vanité du Maître . Les meubles étoient
antiques , mais propres ; fa table n'étoit
couverte que de viandes communes &
de légumes de fon jardin : à peine étoitil
connu des grands dont il étoit environné.
Mais cette heureufe fimplicité
lui procuroit des jours plus fereins
un fommeil plus tranquille que n'au
roient pu faire l'opulence & les plaifirs.
Rapproché par fes moeurs & fa façon
de vivre des habitans du Village
où il demeuroit , il en étoit adoré ; ces
bonnes gens faifoient tous les jours des
voeux pour fon bonheur. Si la médiocri18
MERCURE DE FRANCE.
té de fa fortune ne lui permettoit pas de
leur faire de grandes largeffes , il les
aidoit de fes confeils , il exhortoit les
malheureux à la patience , il leur apprenoit
à fouffrir. Son époufe auffi compatiffante
que lui , fe rendoit chez les
malades , elle leur donnoit fes foins &
fon temps ; le defir d'être utile à fes
femblables la mettoit au-deffus de ces
foibleffes , que la grandeur qui veut tirer
avantage des fervices mêmes , appelle
fenfibilité. Ces heureux époux avoient
une fille appellée Julie , qui joignoit
à la beauté la plus touchante , un efprit
droit & pénétrant qui faififoit toujours
le vrai , un coeur fenfible & bon
qui le lui faifoit aimer ; élevée fous les
yeux de ces parens adorables , elle avoit
pris dans leurs leçons les notions les
plus éxactes de la vertu .
Linias fe promenant un jour , en
rêvant fur les malheurs que le luxe préparoit
à fa famille , avançoit toujours
fans penfer à l'éloignement où il étoit
de la maifon de fon père : la vue d'un
homme qui lifoit à l'ombre d'une touffe
de faules fur le bord d'un ruiffeau , le
tira tout-à-coup de fes rêveries. Etonné
de fe trouver dans un lieu qu'il ne connoît
pas , il aborde l'Etranger , lui deAVRIL.
1763 . 19
mande où il eft ? Daubincourt, furpris
à fon tour , de voir à deux pas de fa
maiſon le fils aîné d'Azelim , fatisfait à
fes demandes , & le prie enfuite de venir
fe repofer , & prendre chez lui quelques
rafraîchiffemens.
Linias qui n'avoit jamais vu Daubincourt
, mais qui fouvent avoit entendu
faire l'éloge de fes vertus , fut
charmé de connoître un homme dont
les moeurs étoient en vénération dans
tout le voisinage ; il fentit même dans
ce moment l'empire de la vertu fur fon
âme : fon coeur qui n'avoit encore trouvé
perfonne dans le fein de qui il pût
s'épancher , cherchoit à s'échapper vers
celui du fage Daubincourt ; un penchant
invincible & fecret l'entraînoit
vers cet homme extraordinaire . Il entre
dans une maifon dont la fimplicité répondoit
à celle du Maître ; tout reſpiroit
cette heureufe médiocrité qui
fait les délices des âmes vertueufes.
Cette maifon dont la propreté faifoit
tout l'ornement , avoit quelque chofe
de plus riant que ces Palais magnifiques,
où les richeffes de l'art ne préfentent aux
yeux du fpectateur que l'idée affligeante
d'une injufte inégalité. Daubincourt
fit fervir à Linias les rafraîchifle20
MERCURE DE FRANCE .
mens dont il avoit befoin . N'imaginez
pas un buffet couvert de porcelaines
qu'un efclave attentif étale aux yeux
des étrangers pour fatisfaire l'orgueil
du Maître : on ne lui préfenta que les
fruits de la faifon & du vin tel que le
pays le produifoit ; mais la fimplicité de
ce repas avoit plus de charmes que les
profufions d'un grand , à travers lefquelles
on apperçoit l'avarice. Linias , lui´
dit Daubincourt , vous ne verrez pas mon
époufe & ma fille ; elles font allées au
hameau voifin porter du fecours à un
malheureux que l'indigence & la maladie
réduisent à la plus affreufe extrémité:
il ne faudra pas moins qu'une action
auffi louable pour les confoler de leur
abfence; car votre mérite leur eft connu .
Linias , ramené par Daubincourt au
Village le plus voifin de la maifon d'Azelim
, lui demanda la permiffion de
venir quelquefois le voir dans fa folitude
& jouir de fa converfation. Mais à
cette demande fes yeux fe mouillerent
de larmes , fon coeur oppreffé par le
fardeau de fes peines , cherchoit à s'en
décharger dans celui de cet homme de
bien. Daubincourt , lui dit-il , il y a
vingt ans paffés que j'ai vu le jour ; depuis
ce temps je n'ai trouvé perfonne
AVRIL. 1763. 21
dont j'aie pu faire un véritable ami. Le
monde n'a été pour moi qu'une vafte
folitude où j'ai toujours érré fans rencontrer
un homme dont l'âme attirât la
mienne ; je n'ai vu dans la Société qu'orgueil
, corruption , & méchanceté. Si
vous aimez la vertu vous devez être.
fenfible & compatiffant ; vous ferez
touché de mes maux ; je vous regarde
comme un ami tendre & fincère que
la fortune m'envoie pour nie confoler.
Vertueux jeune homme , lui dit Dau-
-bincourt , je connois l'état où vous êtes :
´un coeur contraint de foupirer en fecret
eft un pénible fardeau . Je l'ai fenti
quelquefois ; mais ce que vous n'avez
point encore heureufement éprouvé
c'eft la perfidie d'un traître qui fe joue
de la confiance d'un ami. Dans ces
cruelles circonstances , l'éfpèce humaine
fe peint à l'efprit fous les couleurs les
plus odieufes ; le monde n'eft qu'un
cahos où le vice honoré triomphe de
la vertu qui languit dans l'oppreffion &
le mépris.Le coeur abbatu par la trifteffe,
fe concentre en lui-même & fait des
efforts pour ſe détacher de tout ; une
funefte mifantropie s'en empare ; & de
l'homme le plus doux & le plus fenfible
, elle en fait l'ennemi le plus cruel
22 MERCURE DE FRANCE.
du genre humain. Linias , j'ai paffé par
ces terribles états ; l'enthouſiaſme de la
vertu me fit abandonner les hommes
que je jugeois indignes de ma tendreſſe ;
je vins dans cette retraite avec la réfolution
de ne plus retourner dans la fociété
qui me paroiffoit le féjour du crime :
la haine de mes femblables que je nourriffois
dans mon coeur , mefoutint quelques
années contre le defir de revenir
parmi eux. Chaque fois qu'il s'élevoit
dans mon âme , je me repréfentois pour
le détruire le repos de ma folitude , l'indépendance
où j'étois du caprice & de
la méchanceté des hommes . Mais je me
faifois illufion à moi-même : mon coeur
vuide , étoit en proie à des agitations intérieures
qui renverfoient cette tranquillité
dont je croyois jouir ; la mauvaiſe
humeur & le chagrin me faifoient fentir
à chaque inftant que je n'étois pas à ma
place. Des affaires vinrent heureuſement
à mon fecours . Rentré dans le monde ,
j'y trouvai des gens de bien ; le hazard
amena vers moi de vrais amis dont le
commerce enchanteur effaça peu- à-peu
les idées triftes qui me rendoient fombre
& chagrin. J'enviſageai le monde
fous un afpect plus favorable ; le défordre
que j'avois apperçu fe diffipa ; la
AVRIL. 1763. 23
>
,
la
vertu me parut avoir des adorateurs Je
vis alors que le vice à qui j'avois attribué
le droit injufte de faire des heureux
faifoit au contraire le fupplice
de fes partifans. Remis à la place que
Nature m'avoit deſtinée mon coeur
fentit une joie qu'il n'avoit point encore
éprouvée ; je crus jouir d'une nouvelle
éxiftence . Des noeuds formés par
la vertu , mirent le comble à mon bonheur.
Je m'unis aux pieds des autels avec
une jeune perfonne,dont la fortune étoit
médiocre à la vérité ; mais qui poffédoit
des richeffes plus réelles & d'un plus
grand prix les qualités de fon âme la
rendoient plus eftimable à mes yeux que
des biens qui ne fervent fouvent qu'à
nous avilir. Elevée dans la retraite , elle
préféra le féjour de la campagne à la
vie diffipée des Villes. Je me rendis avec
elle dans cette folitude ; mais j'y apportai
un coeur fatisfait & tranquille;& je connus
alors qu'il faut être bien avec foi-même,
pour goûter les plaifirs de la retraite.
C'eft à cette femme adorable que je dois
les plus beaux jours de ma vie ; C'eſt
à notre union que je dois cette volupté
pure dont mon âme eft remplie. Linias,
votre coeur brifé par la douleur vous empêche
de voir les chofes telles qu'elles
24 MERCURE DE FRANCE .
font ; le chagrin qui vous dévore leur
donne néceffairement une teinte qui les
défigure : les objets fe peignent confufément
dans une rivière agitée par la
tempête ; ce n'eft que dans le cryſtal
d'une eau pure & tranquille qu'on voit
l'azur d'un ciel fans nuages. Lorfque
le calme vous aura rendu la tranquillité,
vous ferez moins injufte envers les hommes
; ils vous paroîtront alors plus dignes
de compaffion que de haine . Linias
, venez quelquefois dans ma folitude
; fi l'amitié peut adoucir vos maux,
vous devez tout attendre de la mienne :
je connois depuis longtemps votre
amour pour la vertu ; c'eft à lui que
vous devez mon eftime & ma confiance.
Linias , qui pendant ce difcours étoit
refté immobile & penfif , pouffa un
profond foupir ; prenant enfuite une
des mains du généreux Daubincourt
il l'arrofoit de fes pleurs. Ah ! Daubincourt
lui dit -il vous me rendez la
vie. Je ceffe d'être malheureux , puifque
je trouve un ami fenfible & compatiffant.
Il acheva le chemin qui leur reftoit
à faire enfemble, en lui parlant de fa
famille ; il verfoit dans le fein de cet ami
fincère & vertueux les fentimens dont
fon âme cherchoit depuis longtemps à fe
> λ
délivrer .
1
AVRIL. 1763. 25
délivrer. Quoique Daubincourt ne pût
apporter aucun reméde aux malheurs
dont il étoit menacé , les paroles confolantes
de cet homme vrai calmoient fes
craintes & faifoient renaître l'efpérance
au fond de fon coeur. Arrivés au village
dont ils étoient convenus , Daubincourt
fe fépara de Linias , en arrêtant avec
lui un rendés-vous au même endroit .
, Linias de retour chez fon pére ,
trouva la cour remplie de voitures qui
venoient d'amener une compagnie nouvelle
. Azelim , entouré d'un cercle nombreux
, avaloit à longs traits le funefte
poifon de la flatterie. Il recevoit avec une
orgueilleufe fatisfaction les hommages
de ces vils efclaves dont le coeur démentoit
en fecret les louanges qu'ils
lui donnoient à haute voix ; une foule
de domeftiques augmentoit encore le
tumulte & le defordre de cette maiſon ;
on l'auroit crue livrée au pillage d'une
troupe ennemie . Linias , retiré dans fa
chambre, comparoit tout ce fracas avec
la paix & la tranquillité qui régnoient
chez Daubincourt. Malheureux Azelim !'
difoit- il , il n'y a donc que l'infortune qui
puiffe arracher le bandeau qui t'aveugle
Enyvré de ta chimérique grandeur & de
ta fauffe opulence , tu ne refpires que
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
le plaifir & la joie. Tu t'en rapportes
plutôt aux âmes baffes qui t'environnent
& te vantent ta félicité , qu'à ton propre
coeur que le trouble agite ! Porte tes
regards fur le funefte avenir que tu
prepares à ta malheureufe famille : tu
verras cette multitude de Créanciers
qui t'obféde inutilement chaque jour,
s'emparer de ce Palais magnifique , de
ces meubles précieux , de ces tableaux
rares qui te méritent le titre de connoiffeur
, partager entre eux tes dépouilles
& te plonger dans la mifère la plus
affreufe.Tu verras ces infâmes adulateurs,
qui font aujourd'hi l'éloge de ta magnificence
, blâmer hautement ta folie
& déchirer ton coeur par les outrages
les plus humilians . Ah , Daubincourt !
c'eft chez toi que le bonheur habite :
la frugalité te procure l'abondance ;
l'obfcurité t'affure le repos .
Cependant Linias fe livroit moins
à la trifteffe ; fon coeur étoit devenu
plus tranquille. Préparé par les difcours
de fon ami aux coups de la néceffité ,
il attendoit avec impatience la triſte
révolution de fa fortune. Mais lorsqu'il
penfoit que les biens d'Azelim feroient
beaucoup au - deffous des dettes immenfes
qu'il avoit contractées , fon couAVRIL.
1763. 27
rage s'évanouiffoit ; il croyoit voir les
victimes infortunées du luxe d'Azelim
apporter à fes pieds leurs juftes plaintes ;
il entendoit leurs gémiffemens & leurs
reproches.
Le jour marqué par Daubincourt
étant arrivé , Linias fe rendit dès le
matin au rendés-vous . La préfence de
cet ami pouvoit feule diminuer le poids
accablant de fes peines & rendre à fon
coeur allarmé la confiance & la paix . Linias
, lui dit Daubincourt , vous devez
juger à mon exactitude , de l'intérêt que
je prends à votre malheureux fort. Il
n'eft rien que je ne faffe pour l'adoucir:
fi je ne puis vous remettre dans
l'opulence où vous avez toujours vêcu,je
puis du moins vous apprendre à fupporter
l'indigence & peut-être les moyens d'en
fortir. Mais venez , Linias , ma famille
vous attend ; vous trouverez dans ces
coeurs fenfibles un plus fûr appui , que
dans les vaines promeffes d'un Grand
qui ne s'occupe que de lui- même . L'amitié-
vous dédommagera des biens de
la fortune , qui ne peuvent remplir une
âme épriſe de la vertu ; les larmes que
vous verrez couler de nos yeux , vous
feront goûter un plaifir que n'éprouvent
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
་ས་ ་
jamais les hommes puiffans qui ne font
entourés que d'envieux & d'ennemis ,
Linias , en entrant chez Daubincourt ,
trouva fon époufe & fa fille à l'ouvrage.
L'une tenoit une toile groffière deſtinée
aux malheureux du Village ; l'autre travailloit
au linge de la maifon . Quel
Spectacle pour Linias , qui n'avoit jamais
vu que des femmes occupées de
leur parure ou du jeu ! elles fe leverent
& le reçurent avec une politeffe obligeante
. Linias étoit amené par Daubincourt
; il étoit malheureux à ces deux
titres , il fut auffitôt de la famille. Mais
lorfqu'il eut jetté les yeux fur la fille de
fon ami , fon coeur qui jufqu'alors avoit
été confumé par le chagrin , devint en
un moment la victime d'une paffion
nouvelle qui lui fit oublier tous fes
maux . Les regards attachés fur Julie ,
il contemploit avec une efpèce de raviffement
ce vifage qui portoit l'empreinte
de l'innocence & de la candeur. Les graces
touchantes de cette jeune fille le tenoient
dans une douce yvreffe qui le
tranfportoit chacune de fes paroles étoit
un trait de feu dont fon âme étoit embrafée.
Il regardoit par intervalle Daubincourt
& fon époufe qui lui parloient ;
AVRIL. 1763. 29
mais fes yeux revenoient malgré lui fur
l'adorable Julie ; rien ne pouvoit l'en
détacher. Si les affaires de la maiſon appelloient
cette aimable fille dans une autre
chambre , il prêtoit l'oreille pour
entendre le fon flatteur de cette voix
qui portoit dans fon coeur un trouble
délicieux. Cependant, revenu de cet enchantement,
il auroit voulu cacher à fon
ami le défordre de fon âme ; mais il
n'étoit plus temps : Daubincourt & fon
époufe l'avoient pénétré. Tous deux attentifs
au mouvement du vifage de Linias
, ils ne doutoient plus de l'impref
fion qu'avoit fait fur fon coeur la préfence
de Julie. Linias , obligé de fe
rendre ' chez fon père , fe fépara les farmes
aux yeux dé cette aimable famille ;
il ne pouvoit s'arracher de cette maifon
où fon coeur étoit enchaîné par l'amour
le plus violent. Daubincourt ne lui propofa
point comme la première fois de
l'accompagner une partie de chemin ;
il fçavoit qu'il ne pouvoit encore être
le confident des tranfports de fon ami ,
& qu'un entretien étranger à cet objet
feroit déplacé. Suis -je affez malheureux ?
difoit Linias , occupé de fa nouvelle
paffion. N'avois - je pas affez de mes
maux fans y ajoûter un amour qu'il
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
faudra facrifier aux Loix injuftes de la
focieté ? Mon père exigera que je m'u
niffe à quelque femme ambitieufe &
riche qui voudra couvrir d'un beau nom
la baffeffe de fon origine ; fes biens feront
peut-être tout fon mérite ; ou s'il
approuve mes defirs , puis je eſpérer
que Daubincourt , qui ne jouit que
d'une
fortune médiocre , veuille m'accorder
fa fille à qui je ne pourrai donner
que mon coeur & ma main ? Oferai-je
la lui demander ? ... De quelque côté
que je me tourne , je ne vois que des
obftacles ; il femble que tout s'oppose à
mon bonheur. Ah ! Julie ! fi je ne puis
vous obtenir , s'il faut renoncer à la
feule femme que mon coeur ait jamais
aimée , pour en époufer une autre que
mon coeur n'aimerà jamais ; je foupirerai
chaque jour après le terme de ma
- carrière : je n'aurai d'autre confolation
que de m'en approcher par mes defirs .
Azelim , ayant appris le retour de
Linias , le fit appeller. Mon fils , lui ditil
, des lettres que j'ai reçues de Paris
m'annoncent pour vous l'établiſſement
le plus avantageux. Une Famille , à la
vérité peu connue , mais dont la fortu
ne eft confidérable , vous demande pour
gendre. J'aurois voulu pouvoir vous
AVRIL. 1763. 31
donner une époufe de votre naiffance
& de votre rang ; mais ce rang même
qui m'obligeoit à de grandes dépenfes ,
a dérangé ma fortune & m'impofe la
trifte néceffité d'accepter une fille opulente
dont les richeffes foutiennent l'éclat
de notre maifon , & vous fourniffent
les moyens d'acheter à la Cour un
emploi convenable au nom que vous
portez. Il eft des temps malheureux où
s'oubliant foi-même on ne doit confulter
que les conjonctures ; il faut defcendre
en quelque forte de fon état
pour s'élever enfuite beaucoup plus
haut. Mais je ne veux point uſer de mon
autorité ; je ne ferai jamais le tyran de
mes enfans. Si vous aviez pour ce mariage
une répugnance invincible , Dorville
prendra votre place avec joie : cette
fortune lui fera peut-être même plus
utile qu'à vous. Il a des connoiffances
chez le Prince , des amis puiffans , des
talens agréables ; votre amour pour la
folitude vous a de tout temps éloigné
du monde ; vous préférez une vie tranquille
aux intrigues de la Cour. Cependant
, Linias , c'eſt l'aîné qu'on demande
je ne ferai ma réponſe , je ne verrai
Dorville que lorfque vous ferez décidé.
Ah ! mon père , dit Linias , que
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
Dorville jouiffe de la fortune qui m'eſt
offerte ; je n'afpire point au bonheur
d'être riche , encore moins à celui d'époufer
une fille inconnue qui tireroit
peut-être de fon opulence le droit de me
rendre malheureux. Vous connoiffez
mes goûts ; ils exigent une vie privée :
la folitude a pour moi plus de charmes
que les plaifirs bruyans du monde.
Azelim , qui panchoit en fecret pour
Dorville , dont l'efprit étoit agréable &
petillant , conclut à la hâte un hymen
qui devoit rendre à fa famille un éclat
que la mifére étoit fur le point d'obfcurcir.
Dorville , enchanté , fit de nouveaux
emprunts pour fatisfaire le luxe
& la vanité de fon époufe , qui recevoit
fes préfens d'un air vain & dédaigneux,
Née dans l'abondance , elle ne mit
point de bornes à fes defirs ; les chofes
n'avoient de mérite à fes yeux qu'autant
qu'elles étoient rares : devenues
communes , il falloit s'en défaite à vil
prix. Son mari , dont le goût pour la
dépenfe ne s'accordoit malheureuſement
que trop avec le fien , applaudiffoit à fes
profufions. Mais fa complaifance ne fit,
que la rendre plus fière & plus hautaine
rien ne fe faifoit chez elle que par
fes ordres ; ceux du Maître n'étoient
*
AVRIL. 1763 . 33
jamais exécutés . Non contente du mépris
& des reproches humilians dont elle
l'accabloit chaque jour , elle imagina
qu'une femme de fon rang devoit avoir
un ami qui la dédommageât en fecret
de l'ennui qu'elle éprouvoit avec fon
mari. Cet heureux confident l'accompagnoit
aux Spectacles & aux promenades
, fans que l'infortuné Dorville
pût s'y oppofer. S'il s'en plaignoit , on
lui repréfentoit avec aigreur que la
jaloufie le couvriroit de ridicule ; que
les femmes les plus vertueufes tenoient
la même conduite ; & il n'y avoit qu'un
efprit bizarre & jaloux qui pût taxer
de licence une pareille liberté .
...
Dorville indigné de voir fon fort uni
pour toujours à celui d'une femme
qui le méprifoit , chercha bientôt à s'en
confoler , en fe livrant à la débauche.
Mais revenons à Linias.
>
Heureufement échappé au danger de
former des noeuds mal affortis , il étoit
encore agité par de nouvelles craintes .
Daubincourt & fon Epoufe voudroientils
lui accorder leur fille ? Cet hymen
qui feroit fon bonheur , feroit - il celui
de l'aimable Julie ? Lui a-t-il infpiré
cé penchant qui l'entraîne vers elle ?
Son choix n'eft-il peut -être pas déja
By
34 MERCURE DE FRANCE .
fait au fond de fon coeur ? .... Ces:
idées l'affligent & le tourmentent. Son
efprit incertain érre de tout côté fans
pouvoir fe fixer. Il retourne chez Daubincourt
; cette retraite étoit pour lui
le féjour le plus délicieux. Eloigné de
Julie , fon âme inquiette n'étoit fenfi-.
ble à rien . Il ne put cacher à fon
ami le trouble de fon coeur ; fa trifteffe
le trahiffoit. Linias , lui dit Daubincourt
, ce n'eft plus fur le luxe
d'Azelim que vous pleurez aujourd'hui :
vous portez dans votre âme un chagrin
fecret que vous cachez à votre
ami ! En eft-il que je puiffe ignorer
& que je ne partage ? Si vous avez
de nouveaux chagrins, répandez- les dans
le fein d'un homme dont la fenfibilité
vous eft connue : vos réferves font injurieufes
à ma tendreffe. Ah ! Daubincourt
vous m'arrachez mon fecret.
Père de l'aimable Julie , fachez qu'il
n'y a plus de bonheur pour moi , fi
je n'obtiens pour époufe cette fille adorable
dont l'image toujours préfente à
mon efprit , n'en fera jamais effacée ! .... :
Vivez heureux , Linias : vos vertus ont
fait fur l'âme de Julie la même impreffion
que fur la mienne ; vos coeurs que
la Nature forma l'un pour l'autre , ne
feront point féparés & malheureux ;
,
AVRIL. 1763 . 35
c'est une injuftice dont nous n'aurons
point à rougir. Linias paffant de la
douleur aux tranfports de la joie la plus
vive , fe jetta au col de fon ami , &
ne lui répondit que par ces larmes
précieufes que la reconnoiffance fait répandre
; & cet hymen auquel Azelim
donna fon confentement , fit le bonheur
de ces époux qui toujours charmés
l'un de l'autre , goûterent cette
félicité pure dont ils étoient dignes ,
& qui ne peut naître que de l'union
des coeurs. Des bords de la Conie.
VERS à Mde RICCO BONI ,Auteur
d'AMÉLIE , Roman de FIELDING
Auteur de TOM JONES & de Ja-
SEHP ANDREWS.
AINSI de tes écrits les charmes raviflans ,
La vivacité , la nobleffe
Unie à la délicateffe ,
Se rendent maître de nos fens !
Chaque trait qui naît fous ta plume
Eft l'empreinte du Sentiment ;
Et le beau feu que ton génie allume ,
Décide de nos coeurs le moindre mouvement
Par un penchant doux & facile ,
B vi
35 MERCURE DE FRANCE.
La tendre fierté de ton ſtyle
>
>
Les force à partager tes regrets , tes plaifirs
Et meut tous les efprits au gré de tes defirs
Et quel coeur barbare , infléxible ,
Peut ne pas devenir ſenſible , ( a )
Aux peines que reffent l'aimable Catesby ?
Qui n'eft pas pénétré de fa vive allégreffe ,
Lorſqu'elle voit enfin couronner fa tendreſſe
Par fa douce union à l'heureux d'Offery,
A cet objet , celui d'une longue triſteſſe ?
Cet objet qu'elle crut parjure , vicieux ;
Quel plaifir de le voir fincère , vertueux !
Lorfque l'on voit Fanni ( b ) ( amanre infortunée
! )
Pleurer fa trifte deſtinée ,
Qui pourroit ne pas s'attendrir ?
Quand du plus tendre amour on la voit embrasée ,
Par un indigne amant lâchement abuſée ;
Eh ! quel coeur pourroit , fans frémir ,
L'écouter , fe plaindre , gémir ?
Pour moi quand je l'entends à tous tant que nous
fommes
Nous reprocher ſes chagrins , ſes malheurs ;
Mon viſage bientôt eft baigné de ſes pleurs :
Je rougis d'être au nombre de ces hommes.
(a )Lettres de Milady Juliette Catesby à Milady
Henriette Campley fon amie.
( b ) Lettres de Miftris Fanni Butler à Milord
Charles Alfred , &c. ouvrage charmant de
Madame Riccoboni.
AVRIL 1763 . 37
>
De ta félicité que tu fais d'envieux ,
Heureux Fielding ! Ecrivain glorieux
Dé qui devoient les fortunes ouvrages
Par la main du Génie être un jour embellis ,
Et les fentimens annoblis
Ravir d'univerfels fuffrages !
Mais Dieux que dis-je ? .... & quel trouble eft le
mien ?
Cet ouvrage n'eft plus le tien
Oui , fous les mêmes noms qu'a peine on en con .
ſerve ,
C'est l'ouvrage du Goût , c'eft celui de Miner
Afes traits on le reconnoît :
L'Anglois fe voit détruit , & Fielding difparoît.
Heureux Fenton , plus heureufe Amélie , (c)
Vous que le fort enfin le plus fortuné lie :
Ah ! vous l'étiez juſques dans vos malheurs !
Dieux ! que la main qui les publie
En nous attendriffant adoucit vos douleurs !
Mais qu'à nos yeux votre bonheur augmente
Lorfque Riccoboni nous en peint les douceurs .
Généreufe , compatiſſante ,
Mère des Grâces , des Talens ,
M
Tendre Riccoboni ; tout par toi nous enchante
Notre félicité devient bien plus touchante ;
Nos malheurs bien moins accablans ,
Dès que c'eſt ta voix qui les chante.
(c ) Amélie , Roman de M. Fielding , deraïer
Ouvrage de Mde. Riccoboni.
Par le C. D. §. ´A ****
38 MERCURE DE FRANCE.
PORTRAIT ALLEGORIQUE
*
A Mademoiſelle A * * *
SÇAVANTE Minerve,
Pour peindre Clio ,
Inſpire à ma verve
Les vers de Sapho !
Puiffant Amour ! guide
Mon foible pinceau :
Que ne fuis - je Ovide
Pour faire un tableau !
La fimple Nature ,
Les ris & les jeux
Ornent la figure;
D'un air gracieur ,
La Volupté pure
Brille dans fes yeux.
Vénus & les Graces ,
Marchent fur ſes traces ;
Son port eft divin :
Rivale de Flore ,
La rofe colore
L'éclat de fon tein.
Sa bouche vermeille
Nous peint le corail ;
Sa gorge naifante
AVRIL. 1763. 39
D'albâtre éclatante
Efface l'émail.
Son tendre fourire
Pénetre le coeur ;
Lorſqu'elle foupire
On fent la fraîcheur
Qu'exhale Zéphire.
Ses doigts raviffans
Forment fur la lyre
Mille accords touchants
Qui jettent les fens
Dans un doux delire.
Le Docte Apollon
Defcend du vallon ,
Pour prêter l'oreille
A l'amoureux fon
De fa voix pareille
Aux chants d'Amphion.
Par M. P. L. M *** de Montpellier.
ÉPITRE
Adreffée à une jeune perfonne qui , au
fortir de l'Abbaye de S. CYR , avoit
demandé à l'Auteur ce que c'étoit
l'Amour?
vous , jeune Eglé , dont le coeur
que
40 MERCURE DE FRANCE.
Content de fon indifférence ,
Ne connoît point ce Dieu vainqueur ,
Ce Dieu que tout le monde encenſe :
Ah ! puiffiez -vous ainfi toujours
Ignorer que ce Traître aimable
Peut obfcurcir vos plus beaux jours !
C'eſt un Dieu qui n'eſt redoutable
Que parce que les Ris , les Jeux ,
Sont fes plus ordinaires armes ,
Et qu'il ne paroît à nos yeux
Que revêtu de tous fes charmes.
Quoique ce Dieu jamais n'émouffe
Les traits dont il perce nos coeurs ;
S'il frappe , la bleflure eft douce :
On chérit jufqu'à fes fureurs.
Belle Eglé , puiſque dans votre âme
L'Amour encore eſt inconnu ,
Craignez d'y voir naître une flâme
Dont gémiroit votre vertu.
Veillez fans ceffe fur vous- même ;
Défiez-vous de vos appas ;
Surtout avec un foin extrême
Voyez qui s'offre fur vos pas.
Peut-être du Dieu de Cythère
Eprouverez-vous la noirceur ;
11 fçait toujours le contrefaire
Quand il veut entrer dans un coeır.
Souvent pour tromper l'Innocence
AVRIL. 1763. 41
Et Aétrir toute fa beauté ,
L'Amour de la naïve enfance
Emprunte l'Ingénuité.
Son air intéreffant & rendre
N'épouvante plus la Padeur ;
Alors à peine on peut le prendre
Pour cet Amour fi féducteur.
Son abord n'elt plus redoutable ;
Son flambeau , fon arc , & fes traits ,
Ne font plus dans fa main coupable :
On ne voit plus que fes attraits.
Eglés que vous devez le craindre
S'il vient fous ce déguiſement s
Car l'Impofteur fçaura tout feindre
Pour vous tromper plas aifèment.
Séduite par fa douceur feinte ,
Et plus encor par vos defirs ,
Vous vous livrerez fans contrainte
A l'eſpoir flatteur des Plaiſirs,
Mais de la trifte Expérience
Tôt ou tard le flambeau laira ;
A votre aveugle confiance
Le Repentir fuccédera .
Sonmile enfin à fon empire ,
Vous croirez trouver le repos ;
Mais ce ne fera qu'un délire ,
Trop fenfible image des Bots.
Tout pour vous changera de face ;
42 MERCURE DE FRANCE.
Les chagrins , les foins , les foucis
De la Gaîté prendront la place :
Vos yeux par les pleurs obfcurcis
Perdront lear tendreffe , leurs charmes;
Et victime de vos defirs ,
Vous languirez dans les allarmes
Qu'entraîne l'abus des plaifirs..
Hélas ! tendre Eglé , dans votre âme
En vain vous chercherez la paix !
Vous n'y trouverez que la flâme
Qui l'en a chaffée à jamais .
En vain , en vain triſte & plaintive ,
Vous chercherez la liberté ;
L'amour vous retiendra captive
Par l'attrait de la Volupté.
Telle la tendre tourterelle
A l'ombre d'un feuillage épais ,
Pleure fa compagne fidelle
Qu'elle ne reverra jamais.
!
Jeune Eglé , dont la tendre Aurore
A le vif éclat de ces fleurs
Qu'au matin le Soleil décore
Des plus agréables couleurs ;
Ah ! quelle perte ! quel dommage
Si tant d'appas en vous unis
Etoient au printemps de votre âge.
Par les triftes chagr ins flétris....
Mais trop crédule un jour peut-être
AVRIL. 1763 . 43
Sous les traits chéris d'un Amant
Ne voudrez- vous plus reconnoître
Le Dieu que j'ai peint foiblement !
Séduite par votre tendreffe ,
Vous fuivrez un penchant trop doux ,
Sans voir dans cette aveugle ivreffe
Que c'eft l'amour qui s'offre à
Sous un aſpect fi favorable,
Eglé , que ne fera -t-il pas ?
vous.
Vous croirez dans un trouble aimable
Voir naître des fleurs fous les pas.
Mais hélas ! ce feront des roſes
Dont la beauté s'éclipfera
Sitôt qu'elles feront éclofes :
L'épine feule reftera.
Par M. le Dr ... de B .. : 3
VERS adrefes à M. le Marquis DE
BRÉH AND par les Troupes Irlandoifes
& Ecoffoifes que cet Infpecteur
a été chargé de réformer..
PATRICE , que nous révérons
Comme notre premier Apôtre ,
Bréhand , ainfi que vous nâquit chez les Bretons 3
Le Ciel yous a choifis pour être nos patrons,
44 MERCURE DE FRANCE.
Vous dans ce monde , & lui dans l'autre.
17 *Cette réforme s'est faite à Valenciennes le
Mars ,jour de S. Patrice, très-révéré par lés Irlandois
& les Ecofois.
A Son Excellence MARIE PAWLOVNA
NARISKIN
VERS à l'occafion des Fêtes pour le
Couronnement de CATHERINE II ,
Impératrice de toutes les Ruffies.
EST- CE ST - Cв Vénus , ou Terpficore ,
Qui frappe nos regards dans ce cercle enchanté ?
Sous les pas elle fait éclore
Les Amours & la Volupté.
C'eft la taille d'Hébé , la fraîcheur de l'Aurore ,
La vivacité de Flore ,
D'Eglé la légéreté.
C'eft Nariskin , c'eft plus encore :
Elle unit tout , les grâces , la beauté.
Sous quelque forme différente ,
Qu'elle cherche à le déguifer ,
Toujours noble , toujours charmante ,
Rien ne fauroit la métamorphofer.
Chacun s'écrie , en la voyant paroître ,
Le mafque en vain veut nous cacher les traits
AVRIL. 1763. 45
" C'eſt Nariskin ! qui peut la méconnoître ?
Nulle autre n'a fon air & fes attraits .
Par M. RAOULT.
ESSAI Philofophique fur les Caractè
res diftinctifs du vrai Philofophe.
Evo rariffima noftro fimplicitas.
Ovid. arte amandi , l. 1. v . 241.
Réfléxions préliminaires .
LA Philofophie n'a jamais été plus
vantée que dans ce Siécle , où fes loix
cependant
& fes maximes font moins
fuivies & plus négligées. Enfut- il en
effet un plus fécond en prétendus Philofophes
dont les moeurs font fi éloignées
de cette fimplicité , de cette droiture
de coeur qui caractériſent
ſi parfaitement
le vrai Sage ?
» Des prétentions , dit M. le Franc
» de Pompignan , ne font pas des titres.
» On n'eft pas toujours Philofophe pour
» avoir fait des Traités de Morale , fon-
» dé les profondeurs de la Métaphyfi-
"
que , atteint les hauteurs de la plus
» fublime Géométrie , révélé les fecrets
» de l'Hiftoire Naturelle , deviné le fyf-
» tême de l'Univers.
46 MERCURE DE FRANCE.
כ
"
» Le Sçavant inftruit & rendu meilleur
par fes Livres voilà l'homme
» de Lettres ; le Sage vertueux & chré-
» tien , voilà le Philofophe . Ce n'eft
> donc pas la profeffion feule des Let-
» tres & des Sciences qui en fait la gloi-
» re & l'utilité.
Ouvrons les yeux fur les érreurs de
notre Siécle , cherchons à connoître
cette vraie Philofophie ; qu'elle foit l'objet
de notre étude & de nos defirs ; &
que fes difciples zélés , fes fectateurs fidéles
foient nos modéles & nos maîtres.
Regarderai -je comme Philofophe ce
Stoïcien aveugle & indifférent à tous
les événemens heureux ou malheureux
qui fe paffent fur la Scène du monde ?
qui contemple d'un oeil fec & tranquille
cette mer orageufe fi féconde en écueils
& en naufrages ? L'humanité gémit dans
l'accablement & l'oppreffion ; la Nature
fouffre .... Il eft fourd aux cris de la douleur
; fon âme barbare eft inacceffible à
tout fentiment de pitié. L'innocence
perfécutée implore en vain fon fecours;
il détourne les yeux pour fuir un fpectacle
qui pourroit l'attendrir : il fe fait
gloire de fe rendre maître des mouvemens
de fon coeur & de triompher des
affections de fon âme . Malheureux ! tu
AVRIL 1763. 47
te prives du feul plaifir des gens de
bien ; celui de partager les pleurs & les
peines de tes femblables.
Je ne m'occupe point des Rois, de leurs querelles
Que me fait le fuccès d'an fiége ou d'un combat?
Je laiffe à nos oififs ces affaires d'Etat :
Je m'embarraffe peu da Pays que j'habite ;
Le véritable Sage eft un Cofmopolite.
On tient à la Patrie & c'eft le feul lien ?
Fi donc ! c'eft fe borner que d'être Citoyen.
Loin de ces grands rever s qui défolent le monde ,
Le Sage vit chez lui dans une paix profondes
Il détourne les yeux de ces objets d'horreur ;
Il eſt fon feul Monarque & fon Légiflateur :
Rien ne peut altérer le bonheur de fon Etre ;
C'eſt aux Grands à calmer les troubles qu'ils font
naître.
L'efprit Philofophique,
Ne doit point déroger jufqu'à la politique.
Ces Guerres , ces Traités , tous ces riens importans,
S'enfoncent par degrésdans l'abîme des temps.
Quels monftres dans la Nature &
pour la Société , que des hommes revêtus
d'un pareil caractère !
48 MERCURE DE FRANCE.
Accorderai-je le titre de Philofophe
cet Auteur licentieux & téméraire , qui
ne laiffe rien échapper à la malignité
de fa plume , aux faillies déréglées de
fon efprit ; qui voulant tout foumettre
à l'empire abfolu de fa Raifon orgueilleufe
, profcrit , renverſe , détruit tout
ce qui eft au-deffus de fon impérieuſe
intelligence ?
Sera-ce à cet homme envieux & jaloux
du mérite d'autrui , qui flétrit
l'honneur même dans fa noble carrière ;
qui s'efforce d'obfcurcir les vertus & le
mérite de l'homme de bien , & d'établir
fur les ruines & les débris de fa fortune ,
fa propre grandeur , fa réputation & fa
gloire ?
maux
Sera- ce enfin à celui qui par un paradoxe
auffi
abfurde.qu'extravagant , réduit
l'homme à la condition des anile
dégrade & fe dégrade luimême
? Qui voudroit anéantir cette
feule Raifon même qui le diftingue des
animaux ftupides & groffiers ? ....
L'indignation qu'il fait éclater contre elle ,
eft lapreuve la plus authentique de fa
foibleffe & de fon impuiffance.
9 Corriger l'homme de fes défauts
profcrire les érreurs , s'élever contre fes
égaremens, lui faire connoître l'étendue
de
AVRIL. 1763. 49
de fes devoirs , lui repréfenter la grandeur
de fa deftination , blâmer l'abus
de fes paffions , lui dévoiler la dépravation
de fon coeur , rappeller enfin
l'homme à l'homme même ; voilà ce qui
caractériſe le vrai Philofophe , ce Philofophe
éclairé , cet ami de l'humanité
ce Maître du Monde , ce vrai Sage fi
digne de nos hommages & de nos fentimens
. Peignons-le ce vrai Philofophe ;
& pour imiter un modéle fi précieux ,
appliquons-nous à le connoître.
•
Le vrai Philofophe , par la droiture
de fon coeur , par les reffources d'une
raifon mûre & réfléchie , cherche à acquerir
les lumières fi néceffaires à
l'homme pour connoître la verité.
Sourd aux prejugés du fiécle , il triomphe
aifément des fiens : c'eft , dit
Platon , un ouvrage de patience dont
le temps amène le fuccès. La patience
qui fert à l'acquifition de la véritable
gloire , eft la feule vertu qui puiffe en
faire jouir , & qui tranquilife l'âme au
milieu des orages de la vie.
Quoi de plus digne en effet de la
fpeculation d'un vrai Philofophe , que
cet amour du vrai , que cet attrait puiffant
pour la vertu , ce commerce tendre
& précieux de l'amitié
II. Vol.
cette aimable
C
So MERCURE DE FRANCE .
candeur de moeurs , ce défintéreffement
noble & généreux ?
Philofophes vertueux ! mes modéles
& mes Maîtres ne font- ce pas là vos
obligations & les loix que vous vous
êtes préfcrites à-vous mêmes ? La verité
qui vous guide, perce & diffipe les nuages
de l'erreur & de l'ignorance. L'Incertitude
du coeur & de l'efprit trouve
au milieu de vous fes doutes éclaircis ;
le libertinage voit fes déréglemens profcrits
la décence & la pureté de vos
moeurs eft une critique en action de la
corruption du fiécle. Cette ftupide indifférence
, de l'âme ou plutôt cet orgueil
ftoïque & monstrueux eft forcé
par votre exemple d'abjurer fon infenfibilité
dure & opiniâtre. Amitié ! vertu !
générofité ! Il eft encore pour vous des
afyles privilégiés fur la terre ; on trouve
encore des coeurs dignes de vous en fervir
, & capables d'apprécier vos bienfaits.
Le Philofophe à l'abri de l'erreur,
parce qu'il marche avec précaution , le
Philofophe ne fe laiffe point éblouir par
les preftiges de l'illufion : le préjugé qui
régle & motive les jugemens de la plupart
des hommes , lui oppofe en vain fes voiles
ténébreux , pour derober à fa fagacité
& à fa pénétration des connoiffances
AVRIL. 1763. SI
utiles & lumineufes fon génie les déchire
, diffipe , perce leur obſcurité ;
c'eft le foleil qui chaffe les nuages.
-Les plaifirs bruyans ne font pas du
goût du vrai Philofophe ; leur frivolité
fixe à peine fon attention : ils ne font à
fes yeux que des bijoux fragiles. Il fcait
réprimer fes paffions, contenir fes defirs ,
recevoir le plaifir avec réfléxion , le
ménager avec économie , en ufer avec
difcrétion , & en jouir plus long - temps .
L'ambition , la feule permife à l'homme
, eft de chercher à s'inftruire & à fe
rendre utile à la focieté, à préférer le bien
public à fon bien particulier. L'héroïfme
de la vertu peut lui préfcrire des facrifices
qui coûtent à l'amour- propre &
quelquefois aux fentimens de la Nature ,
aux liens du fang & de l'amitié la plus
tendre en s'y foumettant , la gloire &
l'honneur deviennent fa récompenfe.
Caton le dévoue au falut de la patrie;
Brutus immole fa tendreffe paternelle à
la jufte févérité des loix : ces grands
hommes étoient citoyens avant que
d'être pères & maîtres de leurs actions
& de leurs fentimens. Ces traits frappans
& fublimes ne font point au- deffus
de notre fphère, Tous les grands hommes
qui nous ont précédés , eurent des
C ij
52 MERCURE DE FRANCE.
2
C
foibleffes & des vertus. l'Expérience
que nous fournit l'hiftoire d'une longue
fuite de fiécles , nous a appris à éviter
leurs foibleffes ; la Religion hous apprend
à rectifier les motifs de nos actions
, & nous procure l'avantage précieux
de furpaffer même leurs vertus.
"
Eh , pourquoi nous croire dégénérés
des vertus de nos ancêtres ? Ne furent-
-ils pas des hommes comme nous , fujets
aux mêmes paffions & aux mêmes foibleffes
?... Devenons moins légers , tâchons
de réfléchir , cherchons & chériffons
le bien , refpectons la vértu ,
favourons les douceurs de l'amitié , prévenons
les befoins des hommes , fou-
-venons- nous enfin que nous fommes
citoyens de l'Univers , que notre patrie
eft partout , & que nos obligations fe
multiplient à proportion que le nombre.
de nos femblables s'étend , & que leurs
befoins s'augmentent
LE PHILOSOPHÉ AMI DE LA VÉRITÉ,
Premier Caractère.
Le vrai Philofophe n'eft autre chofe
que l'homme honnête , l'ami du vrai &
de toutes les vertus , re
AVRIL 1763.1 53
Inviolablement attaché a fes devoirs ,
la vérité régle toutes fes démarches . La
droiture de fon coeur eft la premiere
verru qui éclate dans fes actions. Ennei
du menfonge & de tout artifice , il
en ignore les obliques détours. Il ne
cherche point les tenébres de la nuit
pour cacher à la lumiere la honte d'une
conduite irrégulière ou criminelle ; il
cherche le grand jour parce qu'il eft
ennemi du crime ; nul reproche fecret
ne le trouble ; il marche & fe préfente à
découvert ; fon extérieur annonce la
candeur & la paix de fon âme . Tout ce
qui offenfe la droiture de fon coeur , a
feul droit de le révolter. C'eſt dans ce cas
feulement , qu'il permet à fon âme de
franchir les bornes de la modération.
Véhément, plein de feu dans fes difcours,
c'eft Demofthene qui foudroye l'incré
dulité des Athéniens.
1
- Les fentimens de l'homme vrai font
des Oracles du monde. Roi de lui -même,
habile furveillant , il commande en
Souverain à fes paffions. La vérité feule
l'intéreffe : l'impreffion que la vérité
fait fur fon efprit & fur fon coeur , eſt un
fentiment de plaifir. Sagement avare
des mouvemens de fon âme , il ne les
prodigue point avec légéreté ; une mé-
C iij
$4 MERCURE DE FRANCE .
thode fare dirige toutes fes opérations :
Il combine , il choifit , il réfléchit : fes
fentimens enfin prennent l'éffor avec
cette mâle fécurité que donne la conviction
.
Vérité généreuſe ! es- tu donc ignorée
Et du féjour des Rois à jamais retirée ?
31
Nourri loin du menfonge & de l'efprit des Cours;
J'ignore de tout art les obliques détours :
Mais libré également d'eſpérance & de crainte
J'agirai fans foibleffe & parlerai fans feinte :
On expofe toujours avec autorité
La caufe de l'honneur & de la vérité.
GRESSET .
2
L'eftime de l'homme vrai fait néceffairement
notre apologie ; elle fait
préfumer notre mérite , nous fuppofe
des vertus , & nous fait juger dignes
de l'eftime des autres.
L'élévation de l'âme eft auffi l'appanage
du vrai Philofphe. Tout eft grand ;
tout eft noble & fublime dans les âmes
généreufes. L'homme vrai eft l'ami de
Toutes les vertus , parce que les vertus
feules peuvent produire la véritable
gloire il ne s'enorgueillit point de fon
excellence & de fa fupériorité. Sa modeftie
fert de contrepoids à fon amourAVRIL.
1763. 55
propre. Sa cenfure n'eft pas amère : il
plaint les érreurs ; il fe rappelle qu'il eſt
homme , & que par la corruption de
fa nature, il n'eft point inacceffible aux
foibleffes de l'humanité. La douceur de
fon caractère, la candeur de fes moeurs,
cette fage défiance de lui-même , cette
réferve fcrupuleufe font pour fes fières
un motif de confolation , de joie , &
d'inftruction .
La jufteffe & la folidité de l'efprit
font également le partage du vrai Philofophe.
Les objets qui nous environ
nent , intéreffent plus ou moins l'home
me fpéculatif : l'homme vrai & judicieux
ne fe laiffe frapper qu'avec raifon
; il ne voit jamais par les yeux de
la prévention ; examinateur fcrupuleux
il épure les chofes dans le creufet du bon
fens , & lorfqu'il eft convaincu qu'elles
font exemptes d'alliage & d'infidélité , il
prononce avec cette fermeté de courage
qu'infpire la certitude. Il n'a lieu ni de
craindre , ni de fe repentir ; les fages précautions
qu'il a prifes , les recherches
exactes qu'il a faites , les lumières qu'il a
confultées , le mettent à l'abri de toute
erreur.
A cet efprit jufte & folide je n'oppoferai
point une forte d'efprit de frivolité ;
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
un efprit leger & volage qui comme lë
papillon voltige d'objets en objets fans
jamais fixer fon inconftance ; un efprit
d'Ergotifme qui ne fe plaît que dans la
difpute & foutient avec le même enthoufiafme
le vrai & le faux ; un efprit
de paradoxe qui fe fingularife par une
façon de penfer extraordinaire & qui ne
peut être propre qu'à lui ; un efprit de
perfifflage qui toujours monté fur des
échaffes , toujours guindé , fe laiffe
éblouir de tout ce qu'il voit : les moindres
objets fe métamorphofent dans fon
imagination extravagante , en images
gigantefques : c'eft un affemblage confus
d'idées neuves , bizarres & burlefques
, des traits de lumière avec d'épaiffes
tenébres , des écarts de génie &
de raifon. Il n'eft point furpris , mais
il eft pétrifié ; il n'eft point fâché , mais
défefperé ; il n'eft point fatigué , mais
excédé ; il n'aime point avec paffion ,
mais avec fureur ; on n'eft point aimable
, mais adorable : en un mot le langage
du bel- efprit à la mode , fon maintien
, fes attitudes , fes démarches , fes
actions font des mouvemens convulfifs
qui demandent un reméde prompt
& néceffaire , l'inoculation du bon fens.
Le Philofophe ami du vrai , fçait facrifier
l'efprit à ſon devoir. Son eſprit
AVRIL. 1763. 57
lui préfente une faillie qui peut bleffer l'amitié
ou flétrir la réputation; il l'étouffe ,
il la rejette généreufement , perfuadé que
cette fureur de l'efprit n'eft que frivolité
; frivolité fouvent très- dangereufe !
L'efprit folide n'eft donc autre chofe
que le bon efprit . Son étude eft la recherche
de la vérité ; fes productions
ne refpirent que l'amour du bien public
, le bonheur de fes femblables .
l'agrément & la joie de la Société.
Le Philofophe eft également vrai
dans fes paroles . Le Grand Corneille
en nous tranfmettant dans fa Comédie
du Menteur cette belle maxime de
Phédre : Mendaci ne verum quidem di
centi creditur ; nous fait fentir combien
la Vérité perd , lorfqu'elle paffe par une
bouche impure .
Quand un Menteur la dit ,
En paffant par fa bouche elle perd fon crédit .
Le vrai Sage n'ouvre la bouche que
pour rendre témoignage à la Vérité. Fidéle
dans fes promeffes , vrai dans fes
paroles , la lâche crainte , la baffe flaterie,
le refpect humain ne peuvent étouf
fer la Vérité dans fa bouche , qui en
eft l'organe pur & refpectable.
Cy
$538 MERCURE DE FRANCE.
En toute occafion la Vérité m'enchante ;
Et je l'aime encor mieux fière & déföbligeante
Qu'un menfonge flateur dont le miel empefté
Par un coeur délicat eſt toujours déteſté.
DESTOUCHES.
耙
La Vérité , dit M. de la Rochefou
cault , eft l'aliment des efprits ; elle fait
plus que les nourrir , elle les échauffe ,
elle eft le premier moteur de leur activité
; elle eft le rayon du Soleil , qui
n'étant que lumière & que feu par fa
nature , développe & met en mouvement
les germes renfermés dans notre
âme fur laquelle il agit.
Le menfonge eft une apoftafie du
coeur & de l'efprit. Celui qui fe déshonore
par le menfonge , renonce authentiquement
au titre d'honnête homme ; il
viole les loix les plus facrées , il infulte
au genre humain , fe couvre d'opprobre
, & devient l'objet de la déteftation
publique. La naiffance ne donne point
le privilége de cotoyer à fon gré la Vérité
; le bel- efprit celui d'avancer certaines
anecdotes médifantes ou fuppofées
, fous prétexte d'amufer la Société.
La valeur n'apprendpoint la fourbe à ſon Ecole.
Tout homme de courage eft homme de parole ;
AVRIL. 1763: 59
A des vices fi bas il ne peut confentir ;
Et fuit plus que la mort la honte de mentir.
Mais laiffe-moi parler , toi de qui l'impoſture
Souille honteuſement le don de la Nature :
Qui fe dit Gentilhomme & ment comme tu fais
Il ment , quand il le dit , & ne le fut jamais.
Eft- il vice plus bas ? Eft-il tache plus noire ?
Plus indigne d'un homme élevé pour la gloire ?
Eft-il quelque foibleſſe , eſt-il quelqu'action
Dont un coeur vraiment noble ait plus d'averfion?
P. CORNEILLE.
Le fordide intérêt , ce motif fi bas ,
pouroit-il fermer la bouche à l'honnête
homme? lui feroit-il trahir la caufe de
la Vérité ? Son honneur lui eft plus cher
que toutes les fortunes du monde . Un
appas fi humiliant eft indigne de lui.
Trop grand , trop vrai , trop généreux ,
il eft à l'abri de la féduction , Des moyens
fi déshonorans , des motifs fi vils & fi
bas font le partage des âmes mercenaires
qui font trafic de leur fentimens ; le
menfonge & la fourberie font pour
elles une reffource de fubfiftance & une
forte de bien -être.
Le respect humain eft un vain prétexte
pour cacher aux autres la vérité . La
crainte de déplaire eft un motif injufte
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
qui n'excitera jamais l'homme de bien
à la trahir ; & le filence de la flaterie
n'eft pas moins condamnable que fon
langage. La complaifance en pareil cas
n'eft infpirée que par l'amour de foimême
: c'est beaucoup moins chercher
ce qui eft vertueux & honnête , que ce
qui eft agréable & utile.
Loin d'ici ces précautions d'une fauffe
prudence , ces ménagemens cruels fi
préjudiciables au bien de la Société. Les
Rois , les Grands de la Tèrre ont encore
plus befoin que le commun des hommes
d'entendre la vérité. Plus ils font élevés
, plus ils ont d'orages à craindre ,
de tempêtes à redouter. L'homme vrai
le Philofophe vertueux eft le feul
Pilote auquel on doit avoir recours. Lui
feul peutfürement diriger notre courſe ,
& nous conduire heureuſement au port.
DAGUES DE CLAIRFONTAINE.
La fuite au Mercure prochain.
AVRIL. 17631 fr
'A M. l'Abbé DE VOISENON ,
de l'Académie Françoife.
DOCTEUR charmant dans l'art de plaire ,
Aimable éléve de l'Amour
Et le favori de ſa mère ,
Le Dieu des Arts vient en ce jour .
De vous ouvrir fon fanctuaire :
Sur vos pas au facré vallon
Ónt marché les Grâces légères;
Vous fuccédez à Crébillon
Quoique différens dans leur ton
Chez nous tous les talens font frères.
On l'a vu fous des traits nouveaux
Rendre fon luftre à Melpomène ,
Suivre les maîtres fur la fcène
Et comme eux refter fans égaux.
Le rideau s'ouvre , on voit la Haine
Secouer les fombres flambeaux ;
Les mânes quittent leur tombeaux ,
Et les Dieux leur féjour fuprême.
Le Spectateur pleure & frémir ;
Tout tremble , la critique même
Ferme les yeux , & l'applaudit.
Sous une plus riante image.
Vous nous préfentez le Plaifir :
L'Amour rit au fond d'un boccage ;
62 MERCURE DE FRANCE.
Les Ris , les Jeux & le zéphir
Folâtrent fous le verd feuillage ;.
Climène écoute vos chanfons ;
L'Amour dans vos vers l'intéreffe ;
Souvent elle interrompt vos fons
Pour fe livrer à fon ivreffe.
Crébillon plaît en éffrayant 3
Vous nous charmez par l'agréable :
Je ne fçais pas s'il eft plus grand ,
Mais je fçais qu'il eft moins aimable .
Par M. L. M. de V....
VERS faits pour une Eftampe du
Médaillon de Mgr le Prince DE
CONDÉ , envoyée chez plufieurs
Dames.
Soir qu'il combatte on qu'il ſoupire ,
Il eſt également heureux :
Le Sort s'empreffe à lui fourire ,
Le Plaifir à combler fes voeux.
1
Sa voix foumet les plus cruelles ,
La Gloire fuit fes étendarts :
Il est l'Amour auprès des Belles ,
Dans fon camp il eft le Dieu Mars.
Par l'Auteur des Versprécédens.
AVRIL. 1763. 63
RÉPONSE de Madame BL. à une
déclaration d'amour.
En vain tu me peins ta tendreffe :
Non , cette image enchantereffe
Sur moi ne prend aucun pouvoir.
Mon coeur content , mon coeur paiſible ,
Eft heureux au fein du devoir.
Imite-moi , s'il eft poffible.
B. a P ....
VERS fur le Maufolée que S. M. a ordonné
d'ériger à feu M. DE CRÉ-
BILLON dans l'Eglife de S. Gervais.
EMULE & digne Succeffeur
Des Racines & des Corneilles ,
Qui , d'un genre nouveau devenu Créateur ,
Sçus r'élever à la hauteur
De leurs plus fublimes merveilles ,
Sans être leur Imitateur :
Du fombre défefpoir , de la pâle terreur
Sûr Oracle , fièr interpréte >
Dont la mâle éloquence & la noble chaleur ,
En charmant nos efprits les pénétrent d'horreur :
64 MERCURE DE FRANCE .
Auffi bon Citoyen que célébre Poëte ,
Dont la Société regrette
Le caractère égal & l'aimable douceur ;
Sage Ecrivain , Docte Cenfeur ,
CRÉBILLON , que ton fort devient digne d'en
vie !
Tandis que couverte de deuil ,
Melpomène, des Dieux du Théâtre fuivie ,
C De larmes baigne ton cercueil ; 1
Louis d'un feul regard te rappelle à la vie.
Ce bienfaifant Monarque, en éffuyant les pleurs
De Melpomène déſolée ,
Par la plus rare des faveurs
Te fait dreffer lui- même un riche Mauſolée .
La Sageffe fourit à ce noble projet ;
La Patrie applaudit ; tout le Parnaſſe ad nire ;
Le faux zéle pâlit & murmure en fecret ;
L'envie en frémiſſant ſoupire ,
Et n'admire qu'à regret
L'éclat du Bienfaiteur , & celui du Bienfait.
Par M, l'Abbé DANGERVILLE ;
A CLIMENE
**** . qui avoit demandé
des Vers à l'Auteur.
Our , je ferai pour vous des Vers ;
Oui , je prétens faire connaître
AVRIL. 1763: 65
Aux quatre coins de l'Univers ;
Que les feux que vous faites naître ,
De leurs langeurs , de leurs tourmens
Font chaque jour expirer mille Amans.
Je parlerai de vos mains adorables ,
De votre bouche , de vos yeux ,
Que l'on peut dire inimitables ,
Et dignes de charmer les Mortels & les Dieur.
Certain point cependant me retient & me gêne ,
Me force à réfléchir fur ce que je promets
C'eft (vous le dirai - je , Climene ? )
C'eft que j'ai fait ferment ... de ne mentir jamais.
Par M. D. L ....
LE
,
mot de la premiere Enigme du
premier vol. du Mercure d'Avril eft
Fourreau d'Epée. Celui de la feconde eft
Rien. Celui du premier Logogryphe
eft Ecolier , où l'on trouve Roc , or ,
Ecole , Ciel , Roi , Eloi , Loire oie
Elie , re , colier , oeil , lire > cor. Celui
du fecond eft Orgue , dans lequel on
trouve or , ego , or , (adverbe) grue, nue.
Celui du troifiéme eſt Noël , dont l'inverfion
eft Léon. Il y a eu des Saints ,
des Rois , des Papes & des Empereurs
du nom de Léon.
66 MERCURE DE FRANCE.
MON
ENIGM E.
ON Etre eft très-particulier ,
J'ai les deux fexes en partage ;
Mais ce qui rend mon fort encor plus fingulier ;
C'eft d'en changer , en changeant d'âge.
Je fais du genre mafculin ,
Pendant que dure ma jeuneffe ;
Mais je deviens du féminin
Aux approches de la vieilleffe..
Mon fexe dépend des Humains ;
Tantôt mâle , tantôr fémelle ,
Je reçois mon fort de leurs mains
Sans leur être jamais rebelle.
Lorfque , coupés en deux , mes membres font
épars ,
Chacun d'eux montre un mâle au goût de tout
le monde ;
Mais s'ils reftent unis , ils n'offrent aux regards
Q'u'une femelle route ronde.
Par M. D. V........
AVRIL. 1763 . 67
J
AUTRE.
E fuis nuit & jour fur pieds , toujours
prêt à être utile . Je travaille pour
les pauvres & pour les riches ; & je fuis
eftimé des grands & des petits ; je fais
bien des tours , fans avancer d'un pas ;
& quand j'irois toute l'année fans marrêter
, je me trouverois toujours à ma
place. Je fuis d'une grandeur affez confidérable
, & mes appartemens font
proportionnés à ma grandeur. Je reçois
beaucoup de vifites & je n'en rends aucune.
Bien différent des hommes dont
la tête commande le corps , c'eft ma
queue qui commande ma tête & la met
en état de bien remplir fon devoir.
LOGOG RY PH E.
Au Luxe je dois l'éxiſtence ;
Auſſi jamais ne me vit- on
De ceux qui font dans l'indigence
Habiter la trifte maiſon.
Pour me faire paroître avec bien plus de grace ,
Dans un haut rang avec foin l'on me place ;
Mon frère plus petit que moi̟ ,
68 MERCURE DE FRANCE.
N'a pas un fi brillant emploi >
Car on le foule aux pieds , & dans cette poſture
Heft ſouvent couvert de pouffiere & d'ordure.
Cependant nous vivons de fi bonne amitié ,
Qu'en nous défuniffant je péris de moitié ;
Et mon plus grand chagrin d'être ainfi divifée ,
Eft que dans cet état on me tourne en rifée .
Remets-nous enſemble , Lecteur ,
Et change moitié de mon être
Tu me verras fouvent paroître ;
Sur la boutique du Traiteur.-
Par Mlle DU VERGER , d'Angers«
J.
AUTR E.
E peins une fleur du jeune âge ,
Que l'on n'a plus après quinze ans ,
A moins que l'on ne foit bien fage.
On dit que chez nos vieux parens ,
On la portoit dans le ménage ;
Mais par malheur dep is longtemps
Nous avons banni cet ufage.
En voyant ce tableau , ce tableau , Lecteur ,
Vous croyez déja , je le gage ,
Trouver le nom de cette fleur
Et dans le fond de votre coeur ,
Vous croyez qu'elle rime en áge?
AVRIL. 1763. 6g
་
Ainfi dans ce fiécle volage and
L'efprit de la légéreté 4 Nuo sit
Sait tourner tout en badinage ,
Et l'on préfére ce langage
A celui de la Vérité.
Mon cher Lecteur , foyez plus fage ;
Et loin de la frivolité ,
Cherchez l'objet de mon ouvrage .
Neuf lettres compofent fon nom.
On trouve en en faiſant uſage ,
Une nymphe qui de Junon
Autre fois brouilla le ménage ,
Et lui fit faire un grand tapage
Ce que fait toujours un fripon .,
Si ce n'eft à la queſtion ,
A moins qu'il n'ait bien du courage ;
Le nom qu'on donne à ce beau jour ,
Qui devroit couronner l'Amour ,
Et fixer les Amans volages ;
Un mot qu'on voudroit avoir dit ,
Dans bien des honnêtes ménages
Où de bon coeur on fe maudit ;
Une fille du dernier âge ,
De qui les attraits , les talens ,
L'efprit & le libertinage
Charmoit tour - à-tour les Savans
Les Voluptueux & les Sages ;
Un Seigneur qui fait les meffages
70 MERCURE DE FRANCE,
D'un Prince qui bénit les gens ;
Une fille en faint équipage ,
Qui ſouvent malgré ſes vertus
Voudroit bien craindre le veuvage ;
Un vieux mot que l'on ne dit plus ;
Une ville fur le rivage
De la ...... mais il me faut ceffer :
Je cráins , Lecteur , de vous laſſer
Par la longueur de cet ouvrage ,
Où je peins en foible langage ,
Un Sujet facile à trouver.
Chaque homme l'a dans ſon jeune âge ;
Heureux qui peut le conſerver !
Par M. BRONDEX.
COUPLETS
DANS
A mettre en chant.
ANS ces bois où le fort m'amène ,
Sous ces ombrages frais ,
Tout me parle de l'inhumaine
Dont la beauté m'enchaîne ,
Tout m'en offre les traits.
Ce matin , en voyant éclore
Les rayons du Soleil ,
Je difois : ô riante Aurore ,
AVRIL. 1763. 71
De celle que j'adore
Tu me peins le réveil !
Tu charmes en vain ce boccage,
Roffignol enchanteur ;
Tu ne fçaurois dans ton ramage,
Dé fon brillant langage
Egaler lá douceur.
Il fort de fa bouche vermeille
Un miel plus précieux
Que ne l'eft celui de l'abeille ;
Elle charme l'oreille
Auffi bien que les
yeux.
Son efprit , fa raiſon égale
Ses appas féducteurs.
Outre la beauté qu'elle étale ,
Ainfi la rofe exhale
Les plus douces odeurs.
Hélas ! que cette fleur cruelle
Dont on craint d'approcher ,
Nous peint fidélement ma belle !
On foupire pour elle,
Et l'on n'ofe y toucher.
Viens fléchir fon coeur intraitable ,
Amour puis- je eſpérer :
72 MERCURE DE FRANCE.
Que tu la rende un jour capable
Du fentiment aimable
Qu'elle fçait inſpirer ?
Près de fa compagne charmante
Un jeune Tourtereau ,
(
Brulé du feu qui me tourmente ,
De fa voix gémiffante
Attriftoit ce coteau.
J'ai vu la farouche maîtreſſe
Méprifer les foupirs.
Touchée enfin de fa tendreffe
Voilà qu'elle s'empreſſe
De combler fes defirs.
Par cette agréable avanture
Mon fort femble éclairci.
Faut- il en accepter l'augure ?
Et les maux que j'endure
Finiront-ils ainfi ?
Oui , je fléchirai ma Bergère ;
Mes maux n'auront qu'un temps.
Quand l'hyver nous a fait la guerre,
Il laiffe en paix la Tèrre ,
Et fait place au Printemps.
Par M. GERMAIN DE CRAIN.
ARTICLE
AVRIL. 1763 . 73
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE de M. lePréſident HÉN AULT,
au fujet de la Differtation de M. de
SAINT-FOIX , fur la Statue Equeftre
qui eft à Notre- Dame de Paris.
J
Paris , 16 Février 1763 .
AI reçu hier , Monfieur , par la Petite
Pofte , un Paquet timbré B. avec la date
du mois ; je l'ouvris en préfence des
perfonnes qui me faifoient l'honneur de
dîner chez moi. J'y trouvai avec furpriſe
& reconnoiffance ,une réponse à l'article
de votre Mercure , où M. de Saint-foix
combat ce que j'ai avancé au fujet de
la Statue équestre de Philippe-le -Bel. Ce
n'avoit pas été fans précautions , que
j'avois pris un parti fur une queftion
que je fçais qui a été agitée plufieurs
fois ; & je me ferois fait un plaifir de répondre
à M. de Saint-foix qui a mérité
l'eftime publique , s'il m'avoit fait l'honneur
de s'adreffer à moi-même ; mais
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE .
comme il a pris un autre parti , j'ai cru
devoir éviter une querelle littéraire , &
je m'en fuis rapporté au jugement des
Lecteurs de cette Lettre . Ce n'eft donc
point moi qui parle aujourd'hui , c'eſt
un Anonyme qui joint à la générofité
de me défendre un incognito dont je
me plains à lui-même , puifqu'il me
met dans l'impoffibilité de lui témoigner
ma reconnoiffance : fa differtation
m'a paru fi bien faite , que je n'ai pas
héfité , Monfieur , à avoir l'honneur
de vous l'envoyer. C'eft peut- être le
moyen d'arracher le fecret de mon protecteur
; & je le prie avec d'autant plus
d'inftances de fe déclarer , qu'il me
garentira du foupçon , qui eft quelquefois
affez fondé d'avoir emprunté cette
forme pour me cacher moi- même.
J'ai l'honneur d'être , & c.
HENAULT.
LETTRE de l'Anonyme à M. le Préftdent
HENAULT.
MONSIEUR ,
Vous aurez , fans doute , lû dans le
Mercure de Janvier , premier Vol .pag.
73 , une petite differtation où M. de
Saint-Foix prétend que vous avez eu
tort de croire que la Statue Equeftre qui
eft dans l'Eglife de N. D. eft celle de
AVRIL. 1763. 75
par
Philippe le Bel : mais je prens la liberté
de vous confiller de ne pas vous preffer
de chanter la palinodie. Vous trouverez
de quoi appuyer le fentiment que
vous avez embraffé dans une difcuffion
bien faite que vous lirez dans un voyage
à Munfter , écrit le célébre Claude
Joly mort en 1700 , grand Chantre &
Official de l'Eglife de Paris. Ce voyage
a été imprimé à Paris en 1670 in- 12 .
L'Auteur recommandable par fon érudition
& par fa piété , qui nous a donné
un grand nombre de bons ouvrages ,
avoit été en 1646 à la fuite de Madame
de Longueville à Munſter où fon mari
travailloit alors au Traité de Weftphalie .
A fon retour , M. Joly fit une relation
des lieux par où il avoit paffé &
de ce qu'il y avoit remarqué de curieux .
C'eſt à l'occafion de Bouvines où Philippe
Augufte a remporté une victoire
par l'interceffion de la Vierge , qu'il
parle des batailles de Mons en Puelle
& de Caffel où Philippe le Bel &
Philippe de Valois remporterent auffi ,
par la même interceffion , la victoire
fur les Flamands. M. Joly y difcute
très-au long la queftion de la Statue
Equeftre de l'Eglife de Notre-Dame de
Paris ; il le fait d'une maniere fenfée &
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
folide , comme un homme qui n'eft
point paffionné pour un fentiment ,
plutôt que pour un autre ; mais enfin
il conclud à regarder la Statue Equeſtre
comme étant de Philippe le Bel. Si vous
joignez à la lecture de la differtation
de M. Joly , trois lettres de M. Jouet
Chanoine de Chartres & ami de M.
Joly , qui à fa priere avoit fait des
recherches dans les Archives de fon
Chapitre , pour éclaircir ce trait d'hiftoire
,
, je fuis perfuadé que vous ne
fongerez pas à vous retracter , parce
que vous verrez que la differtation de
M. de Saint - Foix n'eft rien moins
qu'une démonftration de ce qu'il avance
d'après plufieurs de nos Auteurs . Ces
lettres de M. Jouet font imprimées à
la fin du voyage de Munfter. Je n'entrerai
point dans le détail de ce que
contiennent ces écrits , où l'on trouve
par avance la réponſe aux objections
qu'on vous fait , même à celles des
leçons de l'ancien Breviaire de Paris .
Il faudroit tranfcrire prefque toute la
differtation de M. Joly , ainfi que les
lettres de M. Jouet ; il vaut mieux que
vous ayez le plaifir de les lire vousmême.
Ce qui vous divertira , peutêtre
, eft la façon différente dont M. Joly
AVRIL. 1763 . 77
a lu les autorités qu'on vous objecte
je veux dire les grandes Chroniques
de France & le Continuateur de Nangis.
Car M. de Saint- Foix lit dans les
Chroniques qu'il cite , que , ce fut dans
l'Eglife de NOTRE-DAME DE PARIS
que Philippe de Valois entra monté fur
fon deftrier. Et M. Joly dit que dans
le manufcrit authentique qu'il avoit de
ces Chroniques , on lifoit expreffément
que Philippe de Valois après avoir remis
l'Oriflambe fur l'Autel de Saint
Denis , s'en alla à NOTRE-DAME
DE CHARTRES , & quand il fut là ,
il fe arma des armes qu'il avoit portées
en la bataille des Flamands , puis
monta fur un deftrier & ainfi entra en
Eglife très - devotement. Il en eſt de
même du Continuateur de Nangis.
M. de Saint- Foix lit Rex verò ( Philippus
Valefius ) .... Pofteà IVIT
PARISIOS & Ecclefiam Beatæ Mariæ
ingreffus , &c. Mais M. Joly d'après
un manufcrit de S. Germain des Prés
lit Pofteà INIIT CARNOTUM &
Ecclefiam Beata Maria ingreffus. Et
c'eſt en effet ainfi qu'on lit dans les
deux Editions in -4" . & in-fol. du
Spécilége où eft le Continuateur de
Nangis ; on n'y trouve point Ivit Pa-
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
rifios , mais Ivit Camotum . Delà , Monfieur
, il faut conclure que M. de Saint-
Foix a lu dans les mêmes ouvrages
autrement que M. Joly , ce qui prouveroit
qu'il y a des variantes dans les
manufcrits . Mais l'on n'en peut rien
conclure contre votre fentiment , juf
qu'à ce qu'on ait fait voir quelle eft la
véritable leçon à laquelle on doit s'en
tenir. Je fuis perfuadé que fi M. de
Saint- Foix avoit lu la differtation de
M. Joly , il eft trop galant homme pour
avoir voulu faire defcendre fi malhonnêtement
notre grand Roi Philippe le
Bel de deffus fon cheval , & exiger que
Meffieurs du Chapitre de Notre- Dame
de Paris changent l'infcription qu'ils
ont fait mettre à la Statue Equeftre ;
ce qu'ils ne feront affurément pas , parce
qu'ils ont vu l'ouvrage de leur ancien
Confrere.
J'ai cru , Monfieur , que , quoique
vous ayez beaucoup lu , vous pouviez
ignorer la differtation de M. Joly qu'on
ne s'aviferoit pas d'aller chercher dans
un voyage à Munſter. Vous me permettrez
de ne point mettre mon nom
à ces réflexions qui n'en valent pas la
peine , outre que le nom ne fait rien
à la chofe ; mais elles font d'un de vos.
AVRIL. 1763. 19
ferviteurs qui a l'honneur de vous être ,
depuis long - tems , très-refpectueufement
dévoué .
RÉPONSE de M. de SAINT - FOIX.
F'ignorois qu'on avoit mis une nou
velle infcription au - deffous de la Statue
Equeftre qui eft à Notre - Dame ; il n'y
a qu'un an que je l'appris par une Brochure
où l'on me reprenoit aigrement
fur ce que j'avois dit , dans mes Effais
Hiftoriques , que cette Statue repréfentoit
Philippe de Valois . L'Auteur de
cette Brochure , pénétré d'admiration
pour M. le Préfident Henault , ne joignoit
pas à ce mérite celui d'être poli ;
ainfi je n'ai jamais pensé à lui répondre ;
mais en faifant des corrections & des
additions à mes Effais Hiftoriques , j'ai
voulu voirfi je m'étois trompé au fujet de
cette Statue ; ma differtation a paru dans
le premier Volume du Mercure de Janvier
dernier ; voici un nouvel Anonyme
qui m'attaque ; il mêle à l'érudition
le fel de la fine plaifanterie , & je ne
doute point que les perfonnes qui dînoient
chez M. le Préfident Henault
n'ayent bien ri lorfqu'il dit qu'il me croit
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
trop galant homme pour vouloir faire
defcendre fi malhonnêtement notre grand
Roi Philippe le Bel de deffus fon cheval.
Je ne connoiffois point le Voyage de
Munfter, je l'ai cherché , je l'ai trouvé ,
je l'ai lu , & je protefte que j'aurois
fouhaité de pouvoir dire que je m'étois
trompé ; ma pareffe en eût été flattée
; mais les raifonnemens de Claude
Joly n'ont fervi qu'à me confirmer dans
le fentiment que j'avois embraffé. Il
faut néceffairement rappeller l'état de la
queſtion , & l'on peut compter que je
vais l'expofer avec une entiere impartialité.
9 :
Philippe le Bel, en reconnoiffance
de la victoire qu'il avoit remportée fur
les Flamands à Mons en Puelle le 18
Août 1304 , fit des fondations à Notre-
Dame de Paris , à Notre - Dame de
Chartres & dans d'autres Eglifes ; mais ,
ni dans ces actes de fondation , ni dans
aucun ancien Breyiaire , ni dans aucun
Hiftorien comtemporain , il n'eft dit
qu'il foit entré à cheval dans l'Eglife de
Notre-Dame de Paris , & qu'il y ait
fait à la Vierge l'offrande de fes armes
& de fon cheval. D'ailleurs , il n'y en a
& il n'y en a jamais eu aucunes preuves
dans les Papiers , Cartulaires , Nécrologe
& Archives de Notre-Dame.
AVRIL. 1763.
81
P
*
Après avoir parlé de la victoire que
Philippe de Valois remporta à Caffel
fur les Flamands le 23 Août 1328 ,
différens manufcrits des grandes Chroniques
de S. Denis , & toutes les anciennes
Editions de ces Chroniques ,
difent , que Philippe de Valois vint à
Saint Denis , & lui rendit fur fon Autel
l'oriflame qu'il avoit pris quand ilpartit
pour aller contre les Flamands , & puis
s'en alla à Notre- Dame de Paris , &
quand il fut là , fe fit armer des armes
qu'il avoit portées dans la bataille contre
les Flamands , & puis monta fur
fon deftrier , & ainfi entra dans l'Eglife
de Notre - Dame , & très- devotement la
remercia , & luipréfenta le cheval fur lequel
il étoit monté & toutes fes armures.
Quelle peut donc être la difcuffion
demandera- t'on ? La voici : on dit que
dans différens manufcrits des grandes
Chroniques de Saint Denis , s'il y a que
Philippe de Valois alla à Notre- Dame
de Paris & y entra monté fur fon def
trier, &c. il y a dans d'autres manufcrits
de ces mêmes Chroniques , qu'il alla à
Notre-Dame de Chartres , & y entra
monté furfon deftrier , &c . & on ajoute
que dans le Continuateur de Nangis
* Edition de 1493 , de 1517 , & autres.
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
on peut lire également iniit Parifios
ou iniit Carnotum , parce que Parifios
ou Carnotum font variantes ; & on con
clut de là que Philippe de Valois n'étant
point entré à cheval dans l'Eglife
de Paris , mais dans celle de Chartres
ce n'eft point fa Statue qu'on voit dans
l'Eglife de Paris , mais celle de Philippe
le Bel
Les grandes Chroniques de Saint
Denis , après avoir parlé fort au long
de la bataille de Mons en Puelle , difent
fimplement que Philippe le Bel revint
à Paris environ la Saint Denis à grande
joye ineftimable. Le Continuateur de
Guillaume de Nangis , après avoir parlé
des fondations que ce Prince fit dans
quelques Eglifes & dans celle de Paris
en reconnoiffance de fa victoire , ne dit
pas un mot de fa cavalcade dans cette
Eglife . Eft- il naturel que ces Hiftoriens
n'en euffent pas parlé à l'article de ce
Prince & de fes fondations ? Eft-il naturel
que dans la fuite , lorfqu'ils difent que
Philippe de Valois entra à cheval dans
l'Eglife de Paris , où , fi l'on veut , de
Chartres , ils n'euffent pas ajouté , comme
Philippe le Bel avoit fait après fa
victoire de Mons en Puelle ? Cette ob-.
jection n'eſt - elle pas convaincante 2
AVRIL 1763. 83
Ne faudroit- il pas , pour la combattre ,
préfenter quelque titre authentique où
fut porté que Philippe le Bel entra
dans l'Eglife de Paris à cheval ; or , ni
Claude Joly , ni autres n'en produifent
& n'en ont jamais produit aucun ; au
lieu que dans un manufcrit qui, paroît
être de 1360 , cotté H , numéro 22 ,
& faifant partie des manufcrits que le
Chapitre de Notre Dame a donnés au
Roi , il eft dit que Philippe de Valois ,
après la bataille de Caffel , l'an 1328
entra tout armé fur fon deftrier dans
L'Eglife de Notre- Dame de Paris ...
& que fa repréfentation eft affife fur
deux pilliers devant l'image de ladite
Dame , en la Nefde ladite Eglife.
-
Examinons à préfent la Lettre de Clau
de Joly. Paul Emile , dit-il , attribue la
Statue en queftion à Philippe le Bel ; &
Paul Emile étant Chanoine de Notre-
Dame de Paris il est vraisemblable
qu'il n'auroit pas attribué à ce . Prince
une action fi publique & fi folemnelle ,
s'il n'en eût été bien affuré, ou par
quelqu'écrit authentique. Qu par une :
tradition qui étoit alors tenue pour conftante
& certaine parmi fes Confreres.
Réponse. Sous le regne de Henri II
à côté de cette Statue , on mit des vers
9
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
& une infcription qui y a fubfifté plus
de cent ans , & par laquelle on difoit
que c'étoit la Statue de Philippe de Valois
; la plupart des Chanoines dont
Paul Emile avoit été Confrère , étoient
encore vivans ; eft- il naturel qu'ils ne
fe fuffent pas oppofés à cette infcription ,
& qu'ils l'euffent approuvée , fi elle
avoit été contraire à ce qui étoit porté
dans leurs Archives ?
C'eft fur le témoignage de Nicole
Gilles , dit Claude Joly , que quand on
a commencé de mettre dans les Breviaires
de Paris les Leçons qui font mention de
cette victoire , on a attribué à Philippe
de Valois , non-feulement l'entrée à cheval
dans l'Eglife de Paris , mais auffi
la victoire & la fondation de la fête de
l'année 1304 , quoiqu'il ne fut Roi que
vingt-quatre ans après.
,
Réponse. Dans plufieurs manufcrits
des grandes Chroniques de Saint Denis
bien antérieurs à Nicole Gilles &
dans toutes les anciennes Editions de
ces Chroniques , il eft dit que Philippe
de Valois entra à cheval dans la Cathédrale
de Paris ; c'eft fur ces autorités
que dans les Breviaires on a attribué
cette action folemnelle à ce Prince ;
Claude Joly ne l'ignoroit pas , & il a
AVRIL. 1763. 84
donc tort de dire qu'on ne s'eft fondé
que fur le témoignage de Nicole Gilles.
D'ailleurs , les Breviaires ne confondent
ni les deux Rois , ni les deux victoires ;
il y eft dit , in Ecclefia Parifienfi , propter
commemorationem victoria Philippi
Pulchri , fit duplum ; & après des
Leçons & verfets fur la Vierge , il eft
dit auffi , Philippus Valefius , cum infignem
victoriam de rebellibus Flandris
obtinuiffet , quæ contigit anno 1328 , &c.
Voilà les deux victoires & les deux Rois
bien diftingués ; Philippe le Bel avoit
fait une fondation ; Philippe de Valois
avoit fait une offrande qu'il racheta
par une fomme confidérable , comme
je le prouverai dans la fuite ; d'ailleurs
il avoit fait élever un monument de fa
victoire & de fa reconnoiffance envers
la Vierge ; l'Eglife de Paris faifoit commémoration
de ces deux batailles mémorables
, gagnées l'une & l'autre pendant
l'octave de l'Affomption .
Claude Joli dit qu'il eft encore bon d'obferver
qu'on n'a point mis dans les breviaires
de Paris aucune leçontouchant cela,
avant l'édition de 1584 ; car , ajoutet-
il , il n'y en a aucun qui en parle dans
ceux d'auparavant , de 1479 & 1492.
Réponse. L'Hiftoire de Paul Emile fut
86 MERCURE DE FRANCE.
il
imprimée en 1544 quarante après , eny
1584 , lorfque le Chapitre de Notre
Dame jugea apropos de mettre dans les
breviaires les leçons en queftion , n'eſtpas
vrai femblable qu'il auroit adopté
L'opinion de Paul Emile fon confrère
s'il n'avoit vû dans fes archives qu'elle
n'étoit foutenable. J'ajouterai que
dans ce temps là , il paroiffoit chaque
jour quelque écrit qui traitoit des anciens
droits de nos Rois fur la Flandres
pas
& que même les Provinces unies , cette
même année 1584, avoient offert à Henri
III de fe mettre fous fa domination ;
peut- être que le Chapitre de notre Dame
, attendu ces circonftances , jugea a
propos de joindre a la commémoration
de la victoire de Philippe le Bel , celle
de la victoire de Philippe de Valois ;
on inféroit dans ce temps là , dans les
breviaires & rituels , des prieres & des .
leçons bien moins convenables..
Claude Joli dit que M. de Sponde
Evêque de pamiers , pretend que ceux
qui ont atribué la ftatue en queftion a
Philippe Lebel, ont été refutezpar plufieursperfonnes
, & même par les anciens
Cartulaires de l'Eglife de Paris dont ils
n'avoient pas vu les Archives
ajoute Claude Joli , de quelles Archives
mais
AVRIL 1763.
87
M. de Sponde veut-il parler , puifqu'il
n'y en a point d'autres que la fondation
de Philippe le Bel & les vieux breviaires .
de cette Eglife , qui portent tous le nom
de Philippe le Belfans parler en aucune
façon de Philippe de Valois , lefquelles
Archives Paul Emile avoit pû voir , mais
que certainement Nicole Gilles ni ceuxdefon
opinion n'avoient pas vues , puifque
ce qu'il en écrit leur eft tout contraire.
Reponse , Loin de nous produire quelque
Piéce authentique , dans laquelle il
foit dit que Philippe le Bel entra à cheval
dans l'Eglife de notre Dame , & que
c'eft fa ftatue qu'on y voit , Claude Joli
convient que Paul Emile n'en a point eu
d'autres preuves , & qu'il n'y en a point
d'autres , que la fondation d'une rente
de cent livres,faite par ce Prince , & que.
ce qui eft porté dans les vieux breviaires
; Or, de l'aveu même de Claude Joli,
il n'en eft pas dit un mot dans l'acte de
fondation de cette rente ; & les vieux.
Breviaires difent uniquement , in Ecclefia
Parifienfi , propter commemorationem»
victoria Philippi pulchri , fit duplum.
Le pere Texera & M. de Sponde , qui
avoient eu communication des Archives
de Notre Dame , comme en convient
Claude Joli, ont-ils eu tort de rejetter
88 MERCURE DE FRANCE .
de pareilles preuves ? n'eft-il pas fingu
lier de dire que fi Nicole Gilles les avoit
vues , elles lui auroient fait changer d'opinion
? d'ailleurs M. de Sponde dit que
ceux qui attribuent la ftatue en queftion
à Philippe le Bel, font refutezpar d'anciens
. Cartulaires de l'Eglife de Paris ;
dira-ton que ces anciens Cartulaires
n'ont jamais exifté , & que M. de Sponde
n'en a point vûs ?
Des Prêtres de l'Oratoire ont continué
l'hiftoire particuliere de l'Eglife de Paris
; ils avoient eu en communication
les Archives , le nécrologe , & tous les
titres de cette Cathédrale ; ils avoient
lû la differtation de Claude Joli & les
lettres de M. Jouet , fon ami ; ces hiftoriens
, dans leur ouvrage in-folio , dedié
à M. le Cardinal de Noailles & imprimé
en 1710 , difent , l . 18 , c. 3 , p.
615
qu'il n'eft pas douteux que la ftatue en
queftion eft de Philippe de Valois , &
qu'aucun Roi , avant lui , n'étoit entré
à cheval dans l'Eglife de Notre-Dame ;
& ils ont lû , comme moi , dans le continuateur
de Guillaume de Nangis, qu'ils
citent , iniit Parifios ; ainfi l'anonyme
qui écrit à M. le Prefident Henault , &
qui dit fi poliment ce qui vous divertira ,
doit trouver ces Prêtres de l'Oratoire
très divertiffans. -
AVRIL. 1763. 89
Claude Joly qui tâche d'acrocher des
autorités , cite les Annales de Malingre ,
quoiqu'il n'ignorât pas que Malingre
dans fes Antiqués de Paris , page 10 ,
s'étoit retracté , & qu'il dit que la Statue
en queftion repréfente Philippe de Valois.
Thevet eft du même avis ; cela
n'empêche pas Claude Joly de le citer
en fa faveur .
Je pourrois m'autorifer de la Médaille
qu'on voit dans la France Métallique
, & faire fentir la fauffeté du
raifonnement de Claude Joly ; mais
comme je ne cherche & que je n'employe
que la vérité , j'avoue que cette
Médaille eft fuppofée ; mais on juge
bien que l'Auteur de la France Métallique
, pour fuppofer cette Médaille
alla à Notre-Dame de Paris & copia
bien exactement la Statue en queftion.
Venons à préfent aux Lettres de
M. Jouet. Il dit que Philippe le Bel , en
reconnoiffance de fa victoire de Mons
en Puelle , fit à l'Eglife de Chartres ,
comme à celle Paris , une fondation de
cent livres de rente ; qu'en conféquence
on célébre tous les ans à Chartres , le
17 Août , l'Office de Notre-Dame de
la Victoire , & que ce jour-là on tire
du tréfor & l'on expofe aux yeux du
go MERCURE DE FRANCE ..
public une Armure très- riche , mais
qui ne pouvoit être que d'un jeune
homme de treize à quatorze ans ; il
differte beaucoup fur cette armure , &
prétend que Philippe le Bel envoya
fon fils Charles en faire l'offrande à
Notre-Dame de Chartres ; mais il ne
réfléchit pas que ce fils Charles n'avoit
que neufans lors de la bataille de Mons
en Puelle ; qu'il n'étoit point à cette
bataille ; que ce n'étoient pas fes armes ,
mais celles de fon pere qu'il auroit été
chargé d'offrir ; qu'il n'eft pas douteux
que l'épée & la ceinture font femées
de Dauphins & que ces armes font
donc bien poftérieures au règne de
Philippe le Bel, le Dauphiné n'ayant
été uni à la Couronne qu'en 1349 ;
qu'enfin c'eft l'armure que Charles VI,
qu'on appella long-tems le petit Roi ,
envoya en offrande à Notre -Dame de
Chartres , après avoir battu les Fla
mands à Rofebeque en 1482 ce
Prince n'avoit alors que quatorze ans.
On demandera pourquoi on étale cette
armure le jour qu'on célébre la victoire
de Mons en Puelle ? Parce qu'apparemment
, dans la fuite des tems , on avoit
oublié de qui elle venoit , & qu'on
imagina que c'étoit une offrande de
AVRIL. 1763 91
Philippe le Bel; il eft naturel de penfer
plutôt à ceux qui font des fondations.
qu'aux autres. Ce qu'il y a de trèscertain
, c'est que dans l'acte de fondation
de cent livres de rente & dans
les Archives de l'Eglife de Chartres ,
il n'eft point parlé du tout de cette
armure ni d'aucune offrande de Philippe
le Bel ; il fit , je le répéte , des
fondations à Paris , à Chartres , & dans
d'autres Eglifes , en reconnoiffance de fa
victoire ; mais il n'y offrit jamais ni fes
armes ni fon cheval
M. Jouet produit enfuite une pièce
authentique , tirée des Archives de l'Eglife
de Chartres , dans laquelle il eft
dit , que le Chapitre s'étant aſſemblé , a
délibéré que la fomme de mille livres
que le Roi ( Philippe de Valois ) a donnée
pour le rachapt de fon cheval & de
fes armes , qu'il avoit préfentez lui même
à la Vierge , fera employée à acquerir
des fonds ou des révenus pour ladite.
Eglife de Chartres. Cela confirme ce
que j'ai toujours penfé & dit , & ce qu'a
écrit , il y a plus de cent-ans , M. Souchet
, Secrétaire & Chanoine du chapi-.
tre de Chartres , dans fon hiftoire Manuferite
de ce chapitre & de cette ville
Philippe de Valois alla d'abord à Notre
02 MERCURE DE FRANCE.
1
Dame de Paris ou il offrit à la Vierge fes
armes & fon cheval , & les racheta par
une fomme de mille livres ; il alla enfuite
à Chartres ou il fit précisément la
même cérémonie. C'étoient les anciens
ufages ; dans une tranfaction de l'an
1329 , entre les Curés de Paris & l'Eglife
du S. Sepulchre , il eft dit qu'un
mourant fera libre de choisir fa fepulture
dans cette Fglife , mais que fon corps
fera d'abord porté à la Paroiffe fur laquelle
il fera mort & que le Curé de
cette Paroiffe aura la moitié du luminaire
& de ce qui reviendra des hardes & chevaux
( ex pannis & equis ) qui feront
préfentés , lors de l'inhumation dans
Eglife du S. Sepulcre. Au fervice fait
à S. Denis en 1489 , pour Bertrand Duguefclin
, par l'ordre de Charles VI ,
L'Evêque qui célebroit la Meffe , reçut le
préfent des chevaux qui furent préſentés
à l'offrande , en leur mettant la main fur
la tête ; enfuite on les remena ; mais il
fallut compofer pour le droit de l'Abbaye
à laquelle ils étoient dévolus.
En
1329 Pierre
de
Cugneres
,
Avocat
du Roi au Parlement
, plaida
contre
les ufurpations
des Ecléfiaftiques
fur la juftice
temporelle
; le Jugement
de Philippe
de Valois
parut
favorable
AVRIL. 1763:
93
au Clergé qui tacha de lui marquer fa
réconnoiffance par des honneurs & des
tîtres ; il lui donna celui de Roi Catholique
; & comme la victoire de Caffel
& l'action folemnelle que ce Prince
avoit faite à Paris & à Chartres
étoient affez récentes, je croirois volontiers
que ce fut dans ce temps-là , que
chacune de ces deux Eglifes lui éleva
une ftatue équeftre ; ce qu'il y a de très
certain , c'eſt que l'Eglife de Sens ( 1 )
lui en éleva une dans ce même temps-
-là , femblable , dit D. du Breul , page
21 , à celle de ce Roi dans notre Eglife
de Paris , & au- deffous de laquelle
ftatue de Sens , on lit deux vers où il
eft qualifié défenfeur des droits de l'Eglife.
L'Auteur du Traité des anciennes armes
offenfives & défenfives des François
, imprimé chez Blaife , en 1635 .
dit , p . 113 , que Philippe le Bel ayant
rendu le Parlement fédentaire , les Chcvaliers
qui y préfidoient , pourfe diftinguer
des gens de Loi , firent faire des
bonnets de la forme de leurs cafques , &
( 1 ) Pierre du Roger , Archevêque de Sens ,
parla pour le Clergé , & imagina cette marque
de reconnoiffance envers Philippe de Valois , au
lieu des Décimes que ce Prince eípéroit du Clergé.
94 MERCURE DE FRANCE .
que voilà l'origine des Mortiers des Préfidens
; car ce ne fut , ajoute-t-il , que
fous le regne de Philippe le Long qu'on
imagina les cafques en forme de cone ,
s'élargiffant en defcendant fur les épau
les & comme un fabot renverfé
tel que celui qu'on voit à Philippe de
Valois dans Notre - Dame de Paris ; on
croyoit parer à l'inconvénient des cafques
trop plats , fur lefquels un coup de
maffue bien affené devoit enfoncer la tête
de celui qui le portoit ; mais dans là
fuite on trouva ces cafques fi pefans ,
qu'on changea encore.
HISTOIRE de JONATHAN WILD
le Grand , traduit de l'Anglois de
M. FIELDING, Auteur de JOSEPH
ANDREWS & de TOM JONES , &c
A Londres , & fe trouve à Paris chez
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques,
au Temple du Goût , 1763 ; deux volumes
in- 12.
L'OUVRAGE que nous annonçons
eft d'un genre fingulier ; & le nom de
fon Auteur , fi connu en France par les
AVRIL. 1763. 95
Traductions qui ont été faites de plufieurs
de fesromans , prévient d'avance
en faveur de celui- ci. Sous le voile d'une
ironie foutenue depuis le commencement
jufqu'à la fin de l'Ouvrage, l'Au
teur cherche à défabufer les hommes
des idées fauffes & prèfque toujours
dangereufes , qu'ils fe forment communément
de la grandeur. Un infigne Scélérat
que des crimes de toute efpéce
conduifent enfin au dernier fupplice , eft
le héros qu'il a choifi pour relever &
cenfurer les préjugés , le mauvais goût,
l'efprit de parti & différens autres défauts
de fes compatriotes ; & quoique,
l'ouvrage foit fait principalement pour
la Nation Angloife , il n'y a point de
Peuple qui ne puiffe s'y reconnoître, ni
de Lecteur qui ne puiffe en profiter. On
ne s'attend pas que nous faffions le récit
des attentats horribles que l'on fait
commettre au fameux Scélérat qui joue
le premier rôle dans ce roman. Il n'eft
question que de vols , d'affaffinats & de
perfidies les plus atroces ; contentonsnous
d'en citer quelques exemples pour
faire connoître le genre de critique de
notre Auteur , toujours préfenté fous le
-voile de l'ironie.
Jonathan Wild , dit Legrand , chef
96 MERCURE DE FRANCE .
»
d'une troupe de voleurs , étoit iffu de
parens diftingués dans cette profeffion .
On l'envoya à l'école avec les autres
enfans de fon âge ; mais il montra
» pour l'étude la répugnance la plus
» marquée . Son Maître , homme de
» beaucoup de fens & de mérite , le
» difpenfa bientôt de toute peine à cet
» égard ; & tandis qu'il affuroit à fes
parens qu'il faifoit les plus grands
» progrès , il lui permettoit de fe livrer
» entiérement à fes inclinations , parce
» qu'il fentoit bien qu'elles le porte-
» roient à des objets plus nobles que les
» fciences , qui , comme on en convient
généralement , ne rendent aucun pró-
» fit , & ne font propres , qu'à empêcher
» un galant homme de s'avancer dans
» le monde. "
Wild y débuta par quelques traits de
friponnerie qui donnerent dès - lors de
grandes efpérances de fon talent. Il fit
connoiffance avec le Comte de la Rufe,
Chevalier d'induftrie ; & ils eurent enfemble
de fréquentes conférences fur
les principes fondamentaux de leur art.
On croit communément que les voleurs
confervent entr'eux une forte de probité
qui les empêche de fe nuire mutuellement.
Le grand. Wild étoit bien audeffus
AVRIL 1763: 97
deffus de ces petites foibleffes : nonfeulement
il croyoit qu'il eft indigne
d'un grand coeur de refpecter la bourfe
de fes camarades ; » mais il n'étoit pas
» même de ces hommes mal -nés , qui
» rougiroient de voir un ami , après
» l'avoir volé ou trahi. Ce caractère
» pufillanime a fouvent produit dans le
» monde les crimes les plus monstrueux .
" Un excès de modeftie dans ce genre
» a porté bien des gens à affaffiner , ou
» du moins à ruiner fans reffource ceux
>> contre qui leur confcience leur repro-
" choit d'avoir commis quelque pecca-
» dille , foit en débauchant leurs fem-
» mes on leurs filles , foit en trahiffant
» leur confiance , foit en rendant contre
>> eux un faux témoignage. Mais dans
» notre héros , tout étoit véritablement
» grand. Toujours maître de lui , il ne
"
craignoit point d'aller boire avec un
» homme qu'il avoit dévalifé le mo-
» ment d'auparavant. »
Sa conduite à l'égard de fon ami
Francoeur fut un chef- d'oeuvre d'héroïfme
en ce genre. Ce dernier étoit
un Marchand Jouiallier , qui affervi aux
idées populaires avoit la foibleffe d'être
compatiffant , fenfible & généreux . Il
portoit la fimplicité au point de ne jamais
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
tirer avantage de l'ignorance de ceux
~ qui venoient acheter chez lui , & de fe
contenter du profit le plus modique.
Sa femme étoit une ame commune
efpèce d'animal domeftique , qui avoit
la petiteffe de fe borner aux foins de
fa famille & de fe faire un devoir de
plaire à fon mari & de bien élever fes
enfans. Ce fut à cette femme , fi peu
manièrée , que Francoeur. préfenta le
grand Wild comme le meilleur de fes
amis. Les premières preuves que notre
héros lui donna de fon amitié , furent
de lui faire efcamoter fes bijoux , tirer
de lui des lettres de change , de le faire
mettre en prifon , de lui enlever fa femme
, &c. &c . & à chaque trait de perfidie
, il avoit la force & le courage de
fe préfenter à lui , tandis que des âmes
vulgaires fe feroient fait un devoir d'éviter
fa rencontre. » Il n'avoit ni l'ex-
» térieur foumis d'un Curé qui aborde
» fon Seigneur après s'être oppofé à
» fon élection , ni l'air, qu'affecte un
» un Médecin , qui apprend à la porte
» de fon malade , que , graces à fes foins ,
» le pauvre patient eft parti pour l'autre
» monde, nila contenance abbattue d'un
» homme, qui , après avoir long-temps
» lutté entre la vertu & le vice , &
»
AVRIL 1763.
TOPHEQUE
Gron
DE
LA
ה ד ו
s'être enfin
déterminé
pour le dern
» eft malheureufement
pris fur le fa
» dans fa première friponnerie
: Mais
» fon maintien noble , hardi , magna-
» nime & plein de confiance , étoit
» celui d'un homme en place , lorſqu'il
" affure un des fes protégés
, que le
» pofte qu'il lui avoit promis n'eft plus
» vacant , & qu'il eft actuellement
rem-
» pli par un autre qui le lui avoit de-
» mandé avant lui . Car de même que
» l'homme en place ne manque pas de
» vous reprocher aigrement
, que vous
» n'avez perdu l'emploi que vous fou: -
haitiez , que par votre négligence
» de même auffi notre héros commen-
» çoit par blâmer fon ami fans lui don-
» ner le tems de répondre ; & c . »
Wild ne croit pas avoir affez fait
contre Francoeur , s'il ne vient à bout
de le conduire à la potence . Déjà il á
trouvé le moyen de le repréfenter comme
un banqueroutier frauduleux , &
de faire arrêter fa femme comme complice.
Wild en impofe tellement aux
Juges de fon ami , qu'un Arrêt définitif
condamne enfin au dernier fupplice
l'infortuné Francoeur , qui , tout innocent
& tout honnête homme qu'il eft ,
eft fur le point de voir fa fentencé
E ij
100 MERCURE DE FRANCE
à
éxécutée. Il eft vrai que lorfqueJonathan
apprit le fort de fon ami , il eut un
un inftant de foibleffe. Il pâlit pour la
première fois ; il faillit de fuccomber
fous le poids des horreurs que lui caufoit
la destinée d'un innocent que luimême
avoit fait condamner injuftement.
Mais fa grandeur d'âme vint toutà-
coup à fon fecours , & lui fir blâmer
ces penfées ignobles , qui s'étoient élevées
malgré lui dans fon efprit. » Quoi !
» difoit-il , femblable à un enfant
» une femme , je perdrois en un inf
tant cet honneur que j'ai acquis avec
» tant de gloire ? .... Qu'est - ce après
tout que la vie d'un homme ? Des
armées , des nations entiéres n'ont-
» elles pas été fouvent immolées à la
» fantaifie d'un grand homme ? Et fans
» parler ici de cette première claffe de
» la grandeur , qui comprend les con
» quérans du genre- humain , combien
» de gens n'ont-ils pas été facrifiés fous
» de vains prétextes pour fatisfaire le
" reffentiment particulier , ou même
» pour exercer le génie d'un héros du
» fecond ordre ? Mais qu'ai-je fait après
tout ? J'ai ruiné une famille ; j'ai con-
» duit un innocent à la potence. Loin
de m'en repentir , je devrois pleurer
AVRIL 1763.
ΤΟΙ
?
comme Alexandre de n'en avoir
» pas ruiné davantage , ou fait pendre
un plus grand nombre.
Francoeur n'eut cependant pas le fort
qui fembloit l'attendre. Son innocence
fut reconnue de fes Juges ; & le grand
Wild reçut enfin la récompenfe dûe à
fon héroïfme. Il fut convaincu & condamné
à une mort qu'on ne pourra
s'empêcher d'appeller honorable , fi on
confidére les grands hommes qui ont
eu l'honneur de la mériter.
6
??
par
Jamais ce héros ne fut arrêté.
aucune de ces foibleffes qui déconcertent
les petites âmes , & qui font
» généralement comprifes fous la dé-
» nomination d'honnêteté. Il avoit entiérement
renoncé à toute pudeur ,
à tout fentiment de compaffion &
» d'humanité ; défauts , qui , comme il
» ne craignoit pas de le dire , étoient
» directement contraires à la grandeur ,
" & fuffifoient pour rendre un homme
» abfolument incapable de faire dans le
» monde une figure un peu honnête ...
» Il avoit compofé des maximes qu'il
» regardoit comme autant de moyens
» fùrs pour parvenir à la grandeur , &
» qu'il obferva conftamment dans toutes
fes démarches. En voici quelques-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
» unes. Ne faire jamais à perfonne plus
» de mal qu'il n'eft néceffaire pour
» l'éxécution de fon projet ; parce que
le mal eft quelque chofe de trop
précieux pour le prodiguer inutile-
"
» ment.
» N'admettre parmi les hommes au-
» cune diftinction fondée fur l'amitié
» ou fur quelqu'autre raifon que ce foit ,
mais les facrifier tous également à ſon
» intérêt.
2
» Éviter la pauvreté & la mifére , &
» ne s'attacher , autant qu'il eft poffible ,
» qu'au pouvoir & aux richeffes.
» Ne jamais récompenfer perſonne
" felon fon mérité , & lui infinuer ce-
» pendant toujours que la récompenfe
» eft fort au- deffus de ce qu'on lui doit.
» Une bonne réputation eft comme
» l'argent ; on peut s'en défaire , ou
,, du moins la rifquer pour fe procurer
» quelqu'avantage.
" Les vertus , femblables à des pièrres
» précieuſes , fon aifément contrefaites.
» Parmi les unes & les autres , les fauf-
» fes parent également ceux qui les
" poffedent , & il y a bien ly. peu de con-
» noiffeurs affez habiles pour diftinguer
le vrai diamant du diamant factice.
Eien des fripons fe font perdus pour
AVRIL. 1763 . 103
»ne s'être pas livrés fans réferve à la
» friponnerie. Un homme qui ne joue
» pas tout fon jeu doit naturellement
» perdre ».
En voilà affez pour faire connoître
le genre de critique contenu dans ce
Roman , & le tour d'efprit qu'employe
l'Auteur pour reprendre les défauts qui
font l'objet de fa cenfure. On doit
fçavoir gré au Traducteur de nous avoir
procuré la connoiffance de cet Ouvrage
agréable & plaifant. Sa verfion nous a
paru fidéle fans fervitude , fon ftyle
aifé , mais fans négligence :
*
,
PHILOSOPHIA , Adufum fcholarum
accommodata , authore Antonio SEGUY
facræ Facultatis Parifienfis
Licentiato Theologo , atque in ftudii
Parifienfis Univerfitate Philofophiae
Profeffore , docente in Collegio Mar
chiano . Logica. Parifiis , apud Deffaint
& Saillant , vid Sancti Joannis Bellovaci,
Savoye, Barbou, Duchefne, Brocas
, via Jacobea ; 1763 ; vol. in- 12:
Depuis quelque tems le Public eft
inondé d'une multitude de projets fur
l'enfeignement public & particulier ,
E iv
704 MERCURE DE FRANCE.
dans lefquels on propoſe de faire appren
dre aux enfans différentes parties de
la Philofophie. Les favans en rient ,
parce que les Auteurs de ces projets
fuppofent dans les enfans autant de
difpofitions & de force de raiſonnement
, qu'ils en ont eux-mêmes.
Quand on a enfeigné longtemps , on
fait par expérience , que ceux qui commencent
leur cours de Philofophie ,
n'y font prefque rien s'ils font trop jeunes
; & que les meilleurs efprits ont de
la peine , dans les commencements , à
faifir les raifonnemens les plus fimples ;
qu'il faut les former peu-à-peu à lier
deux idées enfemble , à concevoir leurs
rapports ; & c.
M. l'Abbé Seguy connu par fa
Métaphyfique en 2 vol . in 12 , dont
nos prédeceffeurs & les autres journaliftes
firent dans le tems beaucoup d'éloges
, & que les favans continuent à
eftimer & à rechercher , a donné une
Logique dans laquelle il fuit la méthode
la plus propre à l'inftruction des jeunes
gens . Il les prépare au raifonnement
par des définitions claires , 1 ° . fur les
idées , 2º . fur le langage , & les différentes
fortes de mots , 3 ° . fur le juge_
ment , 4° . fur les différentes fortes de
propofitions, où il explique ce qui eft n
FORAVRIL. 1763 105
ceffaire pour leur vérité , leur fauffeté ,
leur contradictoire. Cette partie fi né
ceffaire à la clarté & à la jufteffe de l'ef
prit, l'Auteur la traite avec plus d'exactitude
que
la Logique de Port- Royal ,
qu'on eftime fi fort par cet endroit.
Après ces notions néceffaires , il démontre
les régles des fyllogifmes fimples
& compofés , fait voir en peu de mots
quoi fe réduifent les régles d'Ariftote ,
celle de l'Art de penfer , & du P. Buffier.
Il finit cette première partie par
des régles de la méthode.
La fecondes Partie contient i quatre
Differtations : la premiére fur les fenfations
dans laquelle fes Sçavans trou
veront beaucoup de chofes qui leur
feront plaifir , entre- autres la réfutation
du Livre de l'Efpris & du Traité des
fenfations , avec beaucoup de queſtions
importantes & curieufes. La feconde
differtation eft fur les idées innées ,
vraies fauffes , claires , diftin &tes & c,
& fur l'évidence, La troifième fur tousles
-motifs de certitude , & fur la probabilité.
La quatriéme fur le doute et
Voilà une Logique complette , d'où
Auteur a banni les questions inutiles
qui dégoutoient les meilleurs efprits,
Tout y elt traité avec beaucoup de
E v
106 MERCURE DE FRANCE,
clarté , de précifion , & d'érudition. Cer
Ouvrage foutient la réputation que l'Auteur
a méritée par fa niétaphyfique .
Les trois volumes in -12 fe vendent
thez l'Auteur & chez les Libraires ci-
: it empls nomo
deffus nommés.
noiton 2901917A
L'ÉCONOME POLITIQUE ; Projet
21your
pour enrichir & pour perfectionner
l'efpèce humaine , in- 12 . à Paris ,
chez Moreau, rue Galande , Pilot ,
• Quai de Conti , &c . 1763 , brochure
-1 en tout 224 pages , prix 26 fols
broché.
olallo ob quolla paltor
CET ouvrage traite de plufieurs matiè
res toutes fort intéreffantes pour la Société.
L'Auteur anonyme propofe d'abord
un moyen tres-fimple d'affarer une honnête
fubfiftance aux domeftiques ,aux ar
tifans , & aux laboureurs dans leur vieik
leffe , moyen également propre à mettre
à l'aife tous ceux qui voudroient l'eme
ployer; viennent enfuite quelques pros
jets relatifs au perfectionnement de l'ef
pèce humaine , matière trop grave pour
ne pas mériter l'attention du Gouver
ment. On trouve après cela des ré
(
AVRIL. 1763. 107
fléxions fur les abus des Maîtrifes &
des Réceptions dans les Mêtiers & dans
le Négoce.
En lifant ce que l'Auteur expofe fur
fur ce dernier objet , on voit que tous
ce qu'il a traité précédemment forme
un tout intimément lié . En effet , notre
Econome Politique ne s'occupe partie
culiérement jufqu'ici que des intérêts
du petit peuple , toujours auffi dépourvu
de fortune que de lumières. Cet Ouvrage
eft terminé par quelques nouvelles vues
relatives à l'éducation . Nous ne ferons
qu'indiquer ce qué penfe l'Auteur , &
nous renverrons à fon Livre pour les
détails.
Afin de mettre à l'aife les gens de la
plus baffe condition , notre Auteur qui
reléve avec beaucoup de jugement le
mérite d'une vie économe & laborieufe
fuppofe que chacun des Domeftiques ,
Artifáns & Laboureurs , peut épargner
par an guarante-huit livres en renonçant
pour cela , s'il le faut , au tabac ,
au vin , au jeu .
» Cette fomme remife , dit - il , * ă
» quelque Compagnie folide & com-
» merçante , portera fept & demi pour
» cent d'intérêt viager , mais intérêt.
* Page 7 & 8..
Τ
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
» qui demeurera entre les mains des
» Preneurs pendant le cours de vingt
» ans , & qui fervira pour groffir le capital
, fi ce n'eft que le bailleur vienne
à fe marier avant ce terme , auquel
» cas on lui fera , s'il le veut , la rente
» des fonds qu'il aura livrés à la condition
de fept & demi pour cent
» pendant les premiers vingt ans.
On ne voit qu'avec furprife les produits
qui résultent de l'emploi fage &
bien fuivi qu'un travailleur peut faire
de fes épargnes , & l'on eft forcé de
convenir avec notre Économe que la
pierre philofophale eft trouvée , le
moyen de faire une fortune honnête
puifqu'il ne s'agit pour cela
que d'être
fobre & laborieux .
Les preuves de ces produits font bien
expofées par l'Auteur : il fait voir que
fi celui qui pendant vingt ans a fourni
quarante- huit livres par années ( ce qui
fera 960 liv. ) n'en reçoit pas l'intêret
durant ces vingt années , fon capital lui
produira 218 liv. 14 f. de rente viagere ,
fur le pied de dix pour cent après ces
vingt ans . Une mife plus ou moins forte
produiroit un viager plus ou moins con
fidérable après le même nombre d'années
, & toujours à proportion en conAVRIL
1763. 109 .
tinuant plus long-tems. Les calculs qui
fondent ce projet font aifés à vérifier
pour peu qu'on foit attentif en les li
fant.
L'Auteur qui déplore les ravages du
luxe , de la prodigalité & du défoeuvrement
dans toutes les conditions , réunit
ici les fages motifs qui doivent engager
nos concitoyens à fe réformer. Selon
lui les Prédicateurs fans craindre d'avilir
la dignité de la Chaire , devroient furtout
remontrer les maux qui résultent
de la pareffe & des vaines dépenses en
faifant voir les avantages inestimables
que produit l'économie jointe à des
Occupations utiles & conftantes . Il penfe
que comme rien n'eft vil ou petit que
ce qui eft mauvais ou inutile , nos Orateurs
facrés ne devroient pas craindre
de defcendre fur cette matière à certains
détails feuls capables d'inftruire le
petit peuple de ſes vrais intérêts ,
Le goût du peuple pour les chanfons
fournit un autre moyen de le corriger.
» Je youdrois , dit * l'Auteur , que l'A-
» cadémie Françoife , de concert avec
» celles qui lui font les plus unies , def-
» tinât au moins fix cens livres tous les
» ans pour une chanfon faite avec
* Page go.
*
110 MERCURE DE FRANCE .
» efprit fur un air agréable & connu ,
» chanfon qui enfeigneroit une morale
utile , raifonnable , tendant à l'enri-
» chiffement du public & des particu
liers , & qui préfentant le travail & la
parcimonie comme les vrais fonde-
» mens de l'honneur & du plaifir , ex-
» poferoit par un contrafte habilement
» tracé , les fuites honteufes & funeftes
de la pareffe & de la diffipation . »
Quelques pages auparavant , on voit
les Dames chargées de l'honorable
emploi de la réformation des moeurs.
» Si de jeunes beautés , chacune dans
» fa fphère , témoignoient à leurs fou
» pirans certains mépris pour les frivolités
, les jeux , les momeries , pour
toute dépenfe infructueufe & mat
placée , qu'elles marquaffent une ef-
» time de préférence pour ceux qui
» montreroient des fruits fenfibles de
» l'économie , d'un travail continu
"
*
d'une application perfévérante , c'eſt
alors que nous verrions les change-
» mens les plus heureux & les plus
inefpérés. »
30.
Terminons l'extrait de cette partie
de l'ouvrage , en renvoyant le Lecteur
aux occupations fubfidiaires que PAu-
Page 88,
^ " AVRIL. 1763. 13
F
teur donne aux gens aifés page 64.
Leur amour-propre n'eft qu'une vaine
délicateffe aux yeux de notre Econome
Politique , auffi le traite - t'il très -philofophiquement
en voulant qu'ils ayent
tous quelque petite occupation manuelle
pour remplacer le jeu , les fpectacles ;
Les vifutes & les lectures inutiles..
Dans la feconde partie , l'Auteur affigne
d'abord les différentes caufes phyfiques
de la foibleffe de l'efpèce hu
maine. Elles ne nous ont para que trop
vraies , contentons -nous d'en rapporter
une feule , le Lecteur la trouvera fuivie
de l'une de ces grandes vérités qu'on
ne peut trop inculquer à la jeuneffe.
» Une autre caufe * d'affoibliffement
" parmi nous , c'eft que les travailleurs.
» en petit nombre , écrafés des fatigues.
néceffaires pour foutenir tant de gens.
» oifeux , accablés d'ailleurs par les mis
39 lices & les corvées , felvoyent encore
arracher de mille manières une fub-
» fiftance dont ils auroient befoin pour
» éléver leurs enfans ..... C'eſt ainfi
» qu'on perd ou qu'on affoiblit fans ' y
penfer les meilleurs fujets du Royau-
» me car enfin hous l'avouerons fi
" nous fommes de bonne foi ; un la
Page 126,917, xton ollut sup
112 MERCURE DE FRANCE.
" boureur , un ouvrier de campagne ,
» un manoeuvre font conftamment plus
» précieux & plus à ménager que tant
» de citadins , artiſtes de moleffe & de
» luxe , à qui nous prodiguons notre
» eftime. Ces hommes de fatigue & de
» peine , injuftement avilis , nous procu-
» rent l'abondant néceffaire & nous
» comblent en un mot de biens folides
» & durables , tandis qu'un frifoneur
» s'exerce vingt ans fur nos têtes fans
qu'il nous laiffe au bout du terme le
» moindre fruit d'un fi long travail,
" Qu'on n'oublie donc jamais que les
» fimples villageois , les travailleurs les
plus groffiers , font proprement les
peres nourriciers de notre efpège , &
qu'ainfi nous fommes tous intéreffés
» à ce qu'on ne les fatigue pas au point
" de ne pouvoir remplir leur haute def
» tination. "
"
Quant au moyen de perfectionner
notre espéce , l'Auteur en indique plufieurs
qu'il faut voir à la page 130 &
fuivantes de fon Ouvrage. Ils nous ont
parut très -fimples ; mais ici comme dans
ce qui regarde le public , le fuccès dépend
des foins du Gouvernement,
Difons un mot des deux autres ebjets
que traite notre Auteur. Il parle
AVRIL. 1763. * 113
avec force contre les abus des maîtrifes
& fait voir que les droits auxquels
font affujettis la plupart des Récipiendaires,
écartent un grand nombre
de Sujets capables d'être utiles en public.
Faute d'argent pour être admis
dans les Corps des Métiers ou dans le
Négoce , plufieurs de ceux que leurs
talens appellent à la perfection , paffent
leur vie dans la détreffe , attachée à
l'état d'apprentifs ou de compagnons, &
par conféquent reftent malgré eux dans
le célibat ; ou ce qui eft encore pis
portent leur courage & leur habileté
chez les Etrangers nos ennemis ou nos
rivaux. Ceux qui ofent fe marier chez
nous fans obtenir la Maîtrife , rampent
toute leur vie dans la mifere avec leur
famille
, double caufe de la dépo
pulation & de l'affoibliffement de notre
efpéce.
L'Auteur approfondit cette matière
importante ; & après avoir montré tous
les inconviens de l'état actuel des Maitrifes
, il expofe les moyens de remédier
à un mal dont les effets font beaucoup
plus nuifibles à la nation , qu'on
ne le croit communément.
Le même goût pour l'utilité qui di114
MERCURE DE FRANCE .
rige toujours les vues de notre Econome
politique , lui fait defirer que l'écriture
& le calcul foient enfeignés à
la jeuneffe avec le plus grand foin dans
le cours des études ; il propofe encore
quelques autres projets relatifs à l'éducation.
Du refte cette brochure écrite
d'un ftyle clair & coulant , eft pleine
d'idées neuves & intéreffantes , & tout
y refpire l'amour de la Patrie & le
goût de l'aifance nationale . C'est ce
que l'Auteur a bien caractérise par ce
beau Quatrain où il s'eft peint lui-même
page 153 .
Indulgent pour autrui , pour lui-même ſévère ,
Damis au bien commun dirigea ſes travaux ,
Et fenfible pour tous à l'humaine mifère ,
Chercha l'art d'éviter ou d'alléger nos maux.
AVRIL. 1763: 115
AVIS AU PUBLIC.
FEEUU MMoriau , Procureur du Ror
de la Ville , Magiftrat refpectable ,
dont la probité & le goût pour les Lettres
faifoient le caractère , ayant laiffé
par fon teftament à la Ville de Paris ,
fa Bibliothéque à condition de la rendre
publique ; M. de Viarmes , Prévôt
des Marchands & Meffieurs les Echevins
toujours difpofés à procurer les moyens
de cultiver les Lettres , ont accepté le
legs de M. Moriau , & en conféquence
ils ont nommé pour Bibliothécaire M.
Bonamy , de l'Académie Royale des
Belles-Lettres , & pour Sous-Bibliothécaire
M. l'Abbé Ameilhon. Ainfi cette
Bibliothéque qui eft à l'Hôtel de Lamoignon
, rue Pavée au Marais , fera
ouverte pour la première fois le Mer-.
credi 13Avril de cette année après- midi,.
& continuera de l'être tous les Mercredis
& Samedis de chaque femaine , juf-.
qu'aux vacances . C'eſt un avantage pour
les perfonnes ftudieufes de ce quartier
de Paris , éloigné des autres Bibliothé
ques publiques
116 MERCURE DE FRANCE .
ANNONCES. DE LIVRES.
RÉFLEXIONS fur la Mufique , & la
vraie manière de l'exécuter fur le vioion.
Par M. Brijon . in-4° . Paris, 1763 .
Chez l'Auteur , chez M. Prudent , Profeffeur
de Mufique & d'Inftrumens , rue
du Petit-Pont , au bas de la rue S. Jacques
, la porte cochère à côté d'un Marchand
de Papier , dans la cour, l'efcalier
à gauche ; & chez M. Vandemont , rue
Beaurepaire , près la rue Montorgueil ,
& aux adreffes ordinaires. Prix,en blanc,
avec les exemples & les airs gravés , 3 1,
12 f
POÉTIQUE FRANÇOISE , par M.
Marmontel. in-8° . 2 vol. diſtribués en 3 .
Paris ; 1763. Chez l'Efclapart , Librai
re , quai de Gêvres. Avec Approbation
& Privilége du Roi.
" Je divife ma Poëtique ( dit l'Au-
" teur ) en deux parties : l'une contient
» les idées élémentaires & les principes
» généraux ; l'autre en fait l'application
» aux divers genres de Poëfie.
» Il y a dans les Arts productifs qua-
» tre objets à confidérer l'Artifte
l'inftrument , les matériaux & l'ouvra
AVRIL. 1763.
117
"
ge . Trois font les moyens de l'Art
» le quatriéme en eft la fin ; & le meil-
» leur ufage poffible des uns relative-
» ment à l'autre , eft le réſultat de tou-
» tes les régles. Tel eft le plan fur lequet
» j'ai dirigé ma méthode.
montrer Nous ne tarderons pas à
avec quelle fagacité & quelle étendue
de lumières , l'Auteur a fçu remplir ce
Plan auffi fimple qu'utile pour ceux qui
aiment où cultivent les talens qui font
du reffort de la Poëfie.
PLAIDOYERS & Mémoires , conte
nant des questions intéreffantes , tant
en matières civiles , canoniques & criminelles
, que de Police , de Commerce
, avec les jugemens & leurs motifs
fommaires , & plufieurs difcours fur
différentes matières , foit de Droit Pu
blic , foit d'Hiftoire . Par M. Mannory.
ancien Avocat en Parlement. Tome 8°.
In- 12. Paris , 1763. Chez Claude Hériffant
, Libraire- Imprimeur , rue neuve
Notre-Dame , à la Croix d'or. Ce nouveau
volume n'eft ni moins varié , ni
moins utile , ni moins intéreffant que
ceux qui l'ont précédé.
MELANGES intéreffans & curieux
118 MERCURE DE FRANCE.
ou Abrégé d'Hiftoire Naturelle , Morale
, Civile & Politique , de l'Afie , l'Afrique
, l'Amérique , & des Tèrres Polaires
. Par M. R. D. S *** . in - 12. 2
vol . Paris , 1763. Chez Durand , Libraire
, rue du Foin . Nous parlerons
plus amplement de ces deux volumes
dont l'on paroît fouhaiter la fuite .
CONTES MORAUX , dans le goût de
M. Marmontel , recueillis de divers Auteurs
; publiés par Mlle Uncy. In-8°.
Tomes 3 & 4. A Amfterdam ; & ſe
trouvent à Paris , chez Vincent , rue
S. Severin.
- ANALYSE de la Coutume générale
d'Artois , avec les dérogations des Coutumes
locales. In - 12 . Paris , 1763. Chez
·Charpentier , quai des Auguftins , à S.
Chryfoftôme.
DISCOURS fur l'Émulation , adreffé
à la Société Royale des Sciences &
Belles-Lettres de Nanci. Par M. Bollioud
Mermet , Secrétaire perpétuel de
l'Académie des Sciences , Belles - Lettres
& Arts de Lyon. Brochure in-8°. A
Lvon , 1763 , chez les frères Periffe ,
Libraires , grande rue Mercière ; & ſe ;
AVRIL. 1763. 119
=
trouve à Paris chez Bauche , quai des
Auguftins, Prix , 12 f.
NOUVELLE MÉTHODE de cultiver
la vigne dans tout le Royaume ; plus
oeconomique & plus favorable à la perfection
du vin , que la méthode ordinaire
, prouvée par des expériences . Par
M. Maupin , ancien Valet- de-Chambre
de la Reine. In- 12 . Paris , 1763. Chez
Mufier fils , Libraire , quai des Auguft.
TRAITÉ DE LA DANSE , qui contient
les premiers principes de l'Art , la
nanière de marcher , de fe préſenter
faluer avec grâce , la façon de daner
le menuet comme il fe danſe auourd'hui
, lleess ddiifffféérreennss pas & figures
les contredanfes en ufage. Ouvrage
tile aux jeunes perfonnes qui defirent
e perfectionner dans cet exercice. Par
e fieut Joffou l'aîné , Maître à danfer
de l'Académie Royale établie à Angers
pour les exercices du corps . In-16. Angers
, 1763. Chez A. J. Jahier , Libraire-
Imprimeur du Roi , rue S. Michel ;
& fe trouve à Paris , chez Guyllin ,
quai des Auguftins. Prix , 15 f. broché.
OPHILIE , Roman traduit de l'An120
MERCURE DE FRANCE .
glois , par M. B *** ; 2 vol . in- 12 . Amf
terdam , 1763. Et fe trouve chez les Libraires
qui vendent les Nouveautés.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES
RÉSOLUTION des deux Questions
propofées dans le Mercure de Janvier
1763 , énoncées en ces termes .
x
O N compte dans une Ville affiégée
35000 habitans ,dont le nombre d'hommes
eft en proportion à celui des femmes
; comme les des 8 du nombre
75 ; font au des 27 , du
nombre 238. L'on demande combien
d'hommes & de femmes ?
-
J'ai réfolu la queſtion de deux maniè
res différentes pour les raifons que je
déduirai ci-après ; & afin de faire éviter
toute méprife , je nommerai la première
, A , & la feconde B.
REPONSE. Selon la réfolution A.
3445
4045 hommes , & me. & 30951
femmes , & 87234
me.
90679
90679
REPONSE. Selon la réfolution B.
5622 hommes , 7803 me. & 29377 fem-
394317 me.
mes ,
376239
71902
REMARQUÈ
AVRIL. 1763.
121
REMARQUE fur cette Propofition.
PRINCIPE ÉTABLI.
L'énoncé d'un Problême quelconque
doit être intelligible , & ne point être
fufceptible d'équivoque .
5
Je démontre que l'énoncé de cette
propofition eft défectueux , en A que
les deux premiers termes de cette proportion
font fufceptibles de deux fens.
L'on ne peut deviner ce que l'on entend
dans le premier de ces termes par - 8 ;
& 27 dans le fecond : or il n'y a
point de milieu , car , ou l'on entend A
-8 unités , & +27 unités : ou B - 3
fractions , & + 27 fractions. Ce qui
pour lors devient bien différent pour la
folution de la Queftion propofée ; elle
peut donc fe réfoudre dans l'un ou l'autre
de ces cas : donc l'énoncé péche còntre
le Principe ci-deffus.
Toute la difficulté de ce Problême
confifte donc dans l'énoncé , comme je
viens de le faire voir. Or venons main-
-tenant à l'opération ,je dis que telle tournure,
ou combinaiſon qu'on voudra lui
donner , il faut 1 °. établir en même raifon
les deux termes donnés , ( qui font
la raifon des hommes aux femmes. )
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
L'on a un troifiéme terme connu qui
eft la fomme totale des habitans de la
ville en queftion , donc le 4° ne fçauroit
varier , puifque trois termes font
déterminés ; en formant donc , componendo
, cette analogie , la fomme des
termes du rapport des hommes aux
femmes , joints enſemble , font au premier
conféquent de ce rapport : comme
la fomme totale des habitans font
à un 4 terme proportionnel qui donnera
néceffairement la totalité des femmes
qui feront dans cette ville telle que je la
donne ci-contre , par la réfolution de
l'un ou l'autre de ces deux cas .
Mais en raiſon inverfe en formant cette
autre analogie la fomme des termes
du rapport des femmes aux hommes
joint auffi enſemble , font au premier
conféquent , comme la même fomme
totale des habitans font à un 4º proportionel
qui donnera auffi la totalité des
hommes qui feront dans cette ville, & c.
On pourra fe convaincre de la fureté
de ces opérations par une troifiéme analogie
, en mettant en raifon directe , inverſe
, ou alterne , &c , ( cela eſt arbitraire
) le rapport du premier nombre
donné , eft au fecond comme la raifon
des hommes eft à celle des fimes . Or
AVRIL. 1763 . 123
cela eft vrai , puifque le produit des extrêmes
égalera celui des moyennes . Ce
qu'il f. D.
Il fera alors très-aifé de trouver fi
l'on veut , combien de temps cette ville
pourroit fe foutenir en cas de fiége , fi
on faifoit fortir les femmes , en fuppofant
qu'il n'y eût des vivres dans cette
Place pour la totalité des habitans que
pour fix mois , il n'y a plus de difficul
té , puifque le nombre des hommes &
des femmes eft déterminé.
J'obſerve en paffant que dans la théorie
ce problême eft toujours foluble
mais en nature , c'eft un être de raifon,
car l'on ne partage pas ainfi pour l'ordinaire
les hommes & les femmes par
morceaux.
AUTRE Queftion dans le même Mercure
énoncée en ces termes.
Les cartes peintes d'un jeu de Piquet
étant fupprimées , faire avec les vingt
qui reftent , deux tas inégaux , & tels
que chaque tas contienne autant de
cartes qu'il y aura de fois fept points
dans l'autre tas.
RÉPONSE. Le nombre de cartes de
chaque tas , ne peut être fixé autrement
que par 11 & 9 .
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Les vingt cartes blanches d'un jeu de
Piquet compofent 140 points ; or il n'y
a qu'à faire enforte qu'il y ait 77 points
dans le tas de 9 ; & il y aura néceffairement
63 points dans le tas de 11 ,
ce qui fatisfera à la queſtion.
Il y a fept façons différentes par les
combinaifons de mettre 77 points d'un
côté , & 63 de l'autre , que je détaillerois
; mais comme je crois la queſtion
trop peu intéreffante par elle-même , je
ne m'amuferai point à en faire l'analyfe ,
j'en laifferai le foin à quelqu'autre qui
fera moins de cas du temps que moi.
AUBORT DE TOMASSET , Ingénieur- Géographe
, chez M. Bienvenu , Architecte , rue neuve
Saint Etienne , proche Notre - Dame de Bonne-
Nouvelle.
PROBLEME DE GEOMÉTRIE.
Un triangle ifocéle étant circonfcrit
à deux cercles contigus , dont les diamètres
font m & n ; de manière que fa
bafe touche la grande circonférence ,
& chacun de fes côtés , celle-ci & la
petite on demande quel eft dans ce
triangle le rapport de la bafe aux côtés.
Proposé par ALBERT , Etudiant en
Mathématique, fous M. BAUBÉ à Lyon.
A Lyon , ce 28 Mars 1763.
AVRIL. 1763. 125
MÉDECIN E.
SUITE des Obfervations fur l'Hiftoire
de la Médecine.
JAI promis des réfléxions fur l'origine
de la maladie qui eft le fruit de la débauche
, & qu'on prétend avoir été in- .
connue des Européens avant la découverte
du Nouveau-Monde. Cette matière
devoit-elle être l'objet de l'attention de
l'Auteur de l'Effai Hiſtorique fur la Médecine
en France ? Pour faire venir la
question , il nous donne , d'après la
traduction latine d'un Auteur Grec , la
defcription de la Lépre. Aretée , de Capadoce
, qui vivoit , à ce qu'on préfume ,
fous l'Empire de Néron , devoit bien
fe promettre que fes écrits feroient recommandables
à la poftérité la plus
reculée & leur
, ppaarr leur vérité
élégante, précifion ; mais que fon
Traité de la Lépre foit employé
comme pièce conftitutive dans l'hiſtoire
de la Médecine Françoife , c'eft à quoi
nous ne pouvions nous attendre . L'Auteur
s'eft permis cette expofition pour
établir les différences qu'il trouve entre
la lépre , maladie fi publique du temps
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE .
de Saint Louis , & la maladie fecrette
de nos jours. De-là une longue énumération
des foins que ce Saint Roi
prenoit des malades ; il les vifitoit dans
les Hôpitaux & panfoit leurs plaies. II
fe fanctifioit par la Chirurgie qu'il honoroit
, en employant fes mains facrées
à foulager fes Sujets par l'exercice de
cet art.
La lépre venoit d'Egypte , dit l'Auteur
, & le mal vénérien nous vient de
l'Amérique : on en eft redevable , ajoutet-
il, à la découverte de Chriftophe Colomb.
Voilà une vieille erreur qui ne fait
honte à perfonne , parce que c'eft àpeu-
près celle de tout le monde . Un
Hiftorien ne doit pas adopter légérement
les idées communes , fur- tout
lorfqu'il éxifte des faits certains qui
ôtent à ces idées bannales tout le crédit
qu'on leur donne mal-à-propos . Dom
Sanchez , fçavant Médecin Portugais
qui vit actuellement à Paris , après avoir
été premier Médecin de l'avant derniere
Impératrice des Ruffies , a publié un
Ouvrage il y a quelques années dans lequel
il prouve d'après des écrits authentiques
, que la maladie dont il s'agit étoit
connue en Europe avant le voyage de
Criftophe Colomb en Amérique . A la
AVRIL.
127 .
1763.
bonne heure qu'on y ait été plus attentif
depuis le fiége de Naples , parce
qu'elle a fait alors des ravages affreux
parmi les François , par le commerce
qu'ils ont eu avec des femmes gâtées
par les Efpagnols : mais cette maladie
date de plus loin ; & la Chirurgie de
Lanfranc de Milan , écrite à Paris en
1296 en fait foi. L'Auteur de l'Effai
Hiftorique connoît cet ouvrage ; il y
verra au Chapitre onzième de la troifiéme
doctrine du troifiéme Traité , que
le fic , le chancre & l'ulcére qui arrivent
en certain endroit du ccorps , viennent
d'un commerce impur ; ex commixtione
cum fedá muliere , quæ cum
agro talem habente morbum de novo
coierat. Peut- on exprimer plus correctement
la caufe du principe contagieux
qui fe communique d'un homme à un
autre par l'entremise d'une tierce perfonne
? Lanfranc va plus loin , & il indique
un préfervatif à celui qui recedit
à muliere quam habet fufpectam de immundicia.
Rien n'eft prouvé , fi ces
paffages ne font pas des argumens démonftratifs
de l'éxiftence du mal vénérien
avant la découverte de l'Amérique
.
Quand on veut écrire l'hiſtoire d'un
Eiv
128 MERCURE DE FRANCE.
Art , on ne peut puifer dans trop de four
ces , pourvu qu'on y apporte l'efprit de
difcernement convenable , pour faire un
bon ufage des chofes. Je ne crois pas ,
par exemple , que les circonftances particuliéres
de la vie privée d'un Médecin
puiffent être employées dans l'hiftoire
de la Médecine. Cependant quand
elles font finguliéres & fort honorables
on ne feroit pas blâmé d'en conferver
la mémoire. L'on n'eft pas fâché de
fçavoir que le fçavant Duret , Médecin
ordinaire de Charles IX & de Henri III,
étoit fi confidéré de fes maîtres , que
Henri III voulut conduire fa fille à
l'Eglife le jour de fon mariage. Sa Majefté
étoit à droite & le pere à gauche .
Le Roi ne fe contenta pas d'honorer
la noce de fa préfence , il fit don à la
mariée de toute la vaiffelle d'or & d'argent
qui avoit fervi au repas & qui
pouvoit monter , dit - on , à la fomme
de 40000 liv. Mais l'anecdote eſt-elle
fure ? L'Auteur ne nomme pas fon
garant. Elle eft rapportée à la tête des
OEuvres de Duret , dans la Préface
d'Adrien Peleryn Chrouet , Docteur en
Médecine . D'où celui - ci l'a - t-il tirée ?
L'Auteur de l'Effai Hiftorique pouvoit
la copier , mais il ne falloit pas obmettre
AVRIL. 1763. 129
la notice des ouvrages qui ont fait paffer
le nom de Duret à la poftérité . Cela
étoit effentiel à l'hiftoire de la Médecine
en France & l'on n'en dit mot ,
pour nous parler de la vaiffelle que le
Roi a donnée à la fille de ce Médecin
le jour de fes noces. Pourquoi encore
altérer le prix de ce préfent : il fe montoit
à 40000 florins & non point à
40000 livres , comme on l'avance .
Les Commentaires de Louis Duret
fur les prénotions coaques d'Hyppocrate
, n'ont été imprimés qu'après fa
mort par les foins de Jean Duret fon
fils , & font dédiés par celui – ci à
Henri III. Jean Duret eut fort jeune
la furvivance de fon pere à la Cour.
Il avoit deux freres , l'un Subſtitut du
Procureur Général au Parlement de
Paris dont il exerça les fonctions pendant
les
guerres civiles lorfque le Parlement
étoit à Tours ; & l'autre Préfident
de la Chambre des Comptes de Paris.
Tout cela eft dit pour faire honneur à
la Médecine en la perfonne de Duret
pere .
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. DE LA PLACE , ou
Réponse aux Obfervations fur l'Hiftoire
de la Médecine.
V OUS ignoriez fans doute , Monfieur ,
que l'Effai Hiftorique fur la Médecine
en France , tant critiqué par un Anonyme
dans votre premier Volume du
Mercure d'Avril à l'article Médecine
eft l'ouvrage de M. Chomel , ancien
Doyen de la Faculté de Médecine de
Paris , Médecin Vétéran du Roi , & qui
depuis plus de trente ans jouit de la
réputation la plus diftinguée .
*
Mais fi l'indifférence de M. Chomel
pour cette critique peu mefurée l'em-
Fêche d'y répondre , ma qualité de novice
& de fon élève me donne le
zèle néceffaire pour le faire pour lui..
* La preuve que je l'ignorois en effet , fe trouve
dans l'Annonce même que j'ai faite de cet Ouvrage
, dans le Mercure du mois de Décembre
1762. Les Auteurs qui croyent pour un temps:
devoir garder l'anonyme , devroient du moins..
fe faire connoître aux Journaliſtes auxquels ils
envoyent leurs ouvrages ; ce feroit le moyen de
prévenir fouvent les critiques qui peuvent leur
déplaire,
AVRIL 1763. 131 '
94
Je ne reléverai pas ce qu'il y a d'offenfant,
ce ne font pas des raifons. M. Chomel
n'a attaqué perfonne & il ne s'eft élevé
que contre des abus pernicieux au bien
public , contre les Empiriques , les Moi- ..
nes , les Eccléfiaftiques qui font la Mé
decine les Moines défroqués . S'il av
défigné M. Tronchin , c'eft parce qu'il
lui croit des torts réels dans une Préface
qu'il a miſe à la tête d'une Édition qu'il
a donnée des avres de Baillon. Il n'y
a rien d'ailleurs contre fa perfonne .
Quant à ce qui regarde Saint Come , je
renvoye aux recherches de Pafquier ,
qui prouvent que c'étoit une Confrairie
& nullement un Collége. Au fujet de
Lanfranc , il fuffit de citer fes propres
termes & ceux de Guy de Chauliac par
lefquels on voit inconteftablement , ainfi
que parles Lettres de Philippe le Bel,
quel étoit alors l'état de la Chirurgie
en France . A l'égard de Jean Pitard ,
il n'y a que les Lettres de 1311 qui en
parlent & il étoit Chirurgien -Juré du
Châtelet , ce qui lui donnoit droit &
autorité de former une Communauté
dont il étoit le chef; ce qui non -feulement
ne fait rien au foi- difant Collége ,
mais prouve contre lui & démontre
que la police qu'on vouloit établir dans
F vj
132 MERCURE
DE FRANCE
.
les arts & métiers, étoit une police nouvelle
& légale fous la feule autorité du
Prévôt de Paris . Je ne vous parlèrai
point des mots Cyrurgicus & Phyficus
prendre
qu'on veut abfolument
fair
pour des adjectifs : ces prétentions font
un peu trop romanefques
. On trouve
dans tous les anciens titres Phyficus
Domini Regis pour défigner le Médecin
du Roi . Un reproche plus étonnant
encore , eft celui qu'on fait à
M. Chomel de n'avoir pas parlé de Fernel
, de Baillon , & de Riolan. Comment
pouvoit-il en parler ? Il en eft reſté
au règne de Saint Louis. Devoit - il
bouleverfer toute la Chronologie
pour
parler de ces Médecins ? Je ne fuis pas
moins furpris de voir appeller le Livre
de la Metrie une invective raifonnée.
Ignore-t- on , ou a-t-on oublié que
cette fatyre indécente a été brûlée par
la main du Bourreau ? J'en refterai là ,
Monfieur , & c'en eft affez pour répondre
à la premiére partie de la critique
qui fe trouve dans le premier Mercure
de ce mois. Si la difpute s'étoit annoncée
purement littéraire , peut- être M. Chomel,
auroit-il répondu par la même voie ,
qui , fans doute , ne lui auroit pas été
refufée. Une nouvelle édition détaillera
AVRIL. 1763. 133
tous ces faits , qui ne font qu'énoncés
dans l'Effai Hiftorique.
J'ai l'honneur d'être , & c.
PHILIPPE , Médecin de la Faculté de Paris.
LETTRE A L'AUTEUR DU
MERCURE.
REMEDE CONTRE L'HYDROPISIE .
E Je crois devoir , Monfieur , vous faire
part , par principe de Religion , & par
fenfibilité aux différentes maladies qui
attaquent le corps humain , d'un reméde
que j'ai contre l'hydropifie , efpéce
de maladie à laquelle nos Payfans
de cette Province font extrêmement
fujets. L'expérience heureufe que je
fais de ce reméde m'engage à vous
prier de l'inférer dans votre Mercure ;
rien n'eft plus fimple que ce reméde :
le voici.
On fait faire trois fagots de trois différens
bois , fçavoir de houx , de fureau
& de frefne , tous les trois de poids
égal ; on les brule enſemble , après quoi
on en paffe la cendre par un tamis
bien fin ; on , la met enfuite dans un
134 MERCURE DE FRANCE.
pot ou autre vafe bien couvert. Il faut
obferver qu'il faut couper ces différens
bois dans les deux temps de la féve ,
comme au mois de Mai ou au mois
d'Août , & les bruler auffitôt qu'ils font
coupés. Comme on a beaucoup de peine
à allumer ces bois verts je me fers
d'un réchaud rempli de braife que je
mets fous ces bois pour les allumer. Dès
que le feu eft bien pris , on retire le
réchaud avec la braize qui y étoit , afin
qu'il n'entre rien d'étranger dans la cen
dre . Il faut obferver que pour bien faire
confommer cette cendre , on a foin ,
après que tous les bois font brulés , de
la raffembler dans un tas ; on la couvre
enfuite , & on la laiffè dans la cheminée
l'efpace de trente- fix heures au
moins , enfuite on la paffe par le tamis
le plus fin. On donne au malade le poids
d'un liard de cette cendre dans une demie
chopine de vin blanc , que l'on répand
dans un vafe de terre ou autre ,
pourvu qu'il ne foit point de bois, parce
que cette cendre s'y attacheroit ; on la
mêle de même avec un inftrument qui
ne foit point de bois , après quoi on
donne le tout à boire au malade que
l'on a foin de bien couvrir , afin de le
faire fuer ; & trois ou quatre heures
AVRIL. 1763. 135
après on lui donne un potage. Il fautrecommander
au malade de n'ufer ni
de lait , ni de galette , ou autre nourriture
groffière, pendant cinq ou fix mois.
Ce reméde peut fe répéter jufqu'à trois
fois , pourvu que l'on laiffe huit jours
d'intervalle entre chaque prife. Voilà ,
Monfieur , le reméde dont j'ai cru devoir
vous inftruire ; il feroit inutile pour
une hydropifie de poitrine formée, mais
pour toute autre efpéce d'hydropific il
eft excellent , & je l'éprouve tous les
jours avec le plus grand fuccès.
J'ai l'honneur d'être , & c.
DULAS , Gentilhomme de Rennes en Bretagne..
SUPPLÉMENT aux Piéces Fugitives..
LETTRE d'un Habitant du Palais.
Royal, à M. DE LA PLACE.
MONSIEUR ,9 .
Comme ce qui concerne le bien Public
eft une des parties éffentielles de
votre Journal , on voit avec plaifir votreattention
à ne rien négliger de tout
ce qui peut y contribuer ; l'incendie
136 MERCURE DE FRANCE.
terrible qui vient de reduire en cendres
un des plus beaux Spectacles de
l'Europe , occupe aujourd'hui bien douloureuſement
les efprits de tous les
Citoyens.
J'ai été témoin de ce funefte événement
& j'ai vu dans une heure de
temps la Salle de l'Opéra confumée
par les flammes & tout le Palais Royal
dans le danger le plus éminent ( a ) .
> C'est le Mercredi 6 de ce mois
qu'entre onze heures & onze heures
& un quart un tourbillon de fumée
épouvantable annonça le feu qui embrâfoit
la Salle , & qui menaçoit d'un
côté le Palais du Prince & de l'autre
la rue S. Honoré par les maiſons du
cul - de - fac de l'Opéra. La quantité
de bois & d'autres matières combuftibles
, qui abondent dans un Spectacle
qui confifte principalement en décorations
& en machines , donnoient
au feu une telle activité , qu'à midi &
(a ) Quelle perte c'eût été & pour la Capitale
& pour tout le Royaume , que cette fuperbe Collection
de Tableaux , que l'on peut regarder comme
une des richeffes de l'Etat , & qui ne contribue
pas peu à attirer tant d'Etrangers à Paris !
On peut rebâtir des Palais , mais de pareilles pertes
font irréparables.
AVRIL. 1763: 137
demi cette Salle n'étoit déja plus que
la plus vafte & la plus horrible de toutes
les fournaifes .
Dans un embrâfement auffi violent ,
il étoit difficile que les fecours arrivalfent
auffi promptement qu'il étoit naturel
de le defirer. Il eft vrai que la
peine que l'on eut d'abord à avoir
de l'eau en quantité fuffifante , a bien
démontré toute l'utilité du Projet de
M. Deparcieux , dont vous avez donné
, Monfieur , l'extrait dans votre Mercure.
On peut foupçonner auffi que
la Police de Paris , fi admirable à tant
d'égards , pourroit être fufceptible encore
d'une plus grande perfection fur
le fervices des Pompes il doit être
d'autant plus permis de le dire, qu'aujourd'hui
la fageffe du Miniftère ne
demande qu'à connoître les abus pour
les réformer , & que l'on doit tout
attendre de ce Magiftrat auffi éclairé
que vigilant , que le Roi a élevé à une
place où le Peuple l'auroit nommé , &
qui a fi bien prouvé combien il en étoit
digne , en maintenant la fureté de Paris
dans des temps fi difficiles . (b)
(b ) Le Lecteur apprendra fans doute avec plai
fir une fage précaution déja priſe il y a longtems
par M. le Lieutenant Général de Police. Les Maî
138 MERCURE DE FRANCE..
Par toutes ces raiſons je me crois at
torifé à vous expofer ici , Monfieur , ce
qui fe pratique à Strasbourg , au fujet
des incendies. Nuit & jour un homme
gagé par la Ville fait la fentinelle au
clocher de la Cathédrale dont l'élévation
prodigieufe domine la Ville de
route part. Si le feu prend en quelque
endroit le furveillant fonne le tocfin
& par la direction , le jour , d'un drapeau
blanc , & la nuit d'une lanterne
indique le Quartier de la Ville où eft le
feu . Toutes les Pompes y accourent
fans qu'il foit befoin de les aller cher--
cher. La premiere arrivée eſt récompenſée
par une fomme qu'eft obligée de
payer par forme d'amande celle qui n'arrive
que la dernière : ainfi la même
ardeur anime tous les Pompiers , les.
uns pour gagner le prix , les autres pour
ne pas le payer. Il n'eft pas poffible de
fe refufer au fentiment d'admiration
qu'infpire une police fi merveillėuſe.
Il fe peut que l'étendue immenfe de la
Ville de Paris y rendit un pareil établiffement
impraticable. Si ce n'eft pas
tres des Voitures qui fourniffent de l'eau aux quartiers
éloignés de la Ville & des Fauxbourgs , ont
ordre de ne rentrer chez eux , que leurs tonneaux
pleins , pour fervir en cas de beſoin..
AVRIL. 1763: 139
·
un éxemple à fuivre , on peut du moins.
en profiter pour faire mieux ce qui fe
fait communément. Cette réfléxion n'eft
pas d'un cenfeur , caractère communément
odieux & dont je fuis très-éloigné ;
je ne parle qu'en fimple Citoyen , dont
l'unique but eft d'avertir ceux qui font
plus au fait que je ne le fuis de tout ce
qui regarde un objet fi important , de
propofer les réformes dont notre Police
pourroit avoir befoin à cet égard .
C'est toujours beaucoup pour quiconque
tient au bien de l'humanité , que de
Poccafionner de quelque manière que
ce foit. Toute fimple qu'eft cette Lettre
, j'en ferois gloire fi elle donnoit
lieu au génie patriotique , qui fait de fi
heureux progrès parmi nous d'enfanter
quelque projet qui pût garantir nos
Neveux de ces terribles défaftres dont
nous n'avons été que trop fouvent témoins.
Un Philofophe & peut- être le
plus grand de tous , Socrate lui - même ,
ne fe glorifioit de rien tant que de favoir
faire accoucher les efprits .
Avant que de finir , je ne puis me
refufer la fatisfaction de vous faire part
d'un autre Spectacle dont j'ai eté témoin
, fpectacle toujours trifte à la
vérité , mais intéreffant & qui fait trop
140 MERCURE DE FRANCE .
d'honneur â nos Concitoyens pour le
paffer fous filence.
Au Jardin du Palais Royal , qui étoit
encore ouvert à l'ordinaire , on voioir
deux chaînes différentes compofées de
perfonnes de tout état , fans diftinction
de rang , de dignité , de fexe même ,
l'une formée pour fauver les Archives
du Palais , l'autre pour fournir plus
promptement l'eau aux Pompes qui
pouvoient feules en arrêter l'incendie.
Le zéle dont chacun est animé dans
ces terribles événemens redoubloit
fenfiblement encore , ainfi l'a remarqué
un fage Magiftrat , par le
refpect & l'amour dont tous les Citoyens
font pénétrés pour M. le Duc
d'Orléans & pour le Prince fon fils ,
dont la préſence les affectoit fi vivement.
Que ce Public dont tant de faux Philofopes
affectent de mal parler , devient
alors refpectable & intéreſſant !
Que ce spectacle fait honneur à l'humanité
! Mais puiffe le Jardin du Palais
Royal n'en offrir jamais de pareil.
J'ai l'honneur d'être , & c.
que
*
L * A* L * B *.
* M. le Procureur du Roi.
AVRIL. 1763: 141
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS,
MUSIQUE.
CLAVECIN VERTICAL.
LESES Clavecins ordinaires fe pofent
difficilement à cauſe du jour qu'il faut
trouver pour le clavier , occupent beaucoup
de place & ne forment point un
embelliffement pour une falle ou un
fallon. M. Obert , Organiſte de la Cathédrale
de Boulogne fur mer , conftruit
depuis plus de dix ans des Clavecins verticaux
à grand ravalement jufqu'au fa
en haut & en bas avec un troifiéme
regiftre de petite octave coupé au de
la re au-deffus de la clef d'ut pour renforcer
le deffus ou la baffe au befoin
& dans l'angle perdu il fçait y ménager
un tympanum . Ils ont fix pieds trois
pouces de hauteur compris la corniche
& non le pied , & ils ne prennent dans
l'angle d'une pièce que quinze pouces
de profondeur fur trois pieds de largeur.
1
142 MERCURE DE FRANCE.
Ces inftrumens s'élévent quarrément ,
& quand les portes font fermées ils ne
préfentent plus que la figure d'un buffet
fufceptible de toutes éfpèce d'ornement.
Quoique les fouterreaux ayent
un mouvement horizontal , l'Artifte a
trouvé le fecret d'en faciliter le renvoi
avec précifion & vivacité ; le toucher
n'eft point dur ; on y trouve même fous
les doigts un moelleux qui excite en
quelque forte à donner plus de brillant
dans le jeu & dans les agrémens de
l'éxécution. La table fe porte quarrément
par-tout , & ils rendent une harmonie
mieux nourrie & plus délicate
que celle des clavecins ordinaires. Enfin
il a eu la fatisfaction de recevoir
les plus grands éloges d'un très- grand
nombre de Muficiens célébres qui ont
paffé par cette Ville , notamment de
deux de ceux de S. A. S. Monfeigneur
le Prince de Conti ; mais le feul témoignage
de M. le Comte de Turpin , Lieutenant
Général des Armées du Roi, qui
commandoit en ce pays l'année dernière
, & qui en a tenus à fon Hôtel
pendant le féjour qu'il y a fait , peut
fuffire pour convaincre de la force du
fon , de la beauté de l'harmonie , &
de la fupériorité de cet habile Artiſte
AVRIL. 1763. 143
qui en a fait derniérement deux pour
P'Angleterre , où ils ont été tellement
admirés qu'il vient de recevoir ordre d'y
en faire paffer cinq autres qu'il éxécute
actuellement. Comme ce travail lui eft
devenu familier par la pratique , il ne
les vend plus que vingt & un louis compris
la caiffe , &c. Ils font très - ornés
dedans & dehors , & fi l'on y veut un
couronnement en fculpture dorée , ainfi
que les baguettes , l'on payera quatre
louis de plus ; mais il faut envoyer la
hauteur des pièces où ils doivent être
placés. Ils peuvent être tranfportés partout
fans rifque. Il faut affranchir les
lettres.
GRAVURE.
L'ART de graver Architecture dans le
goût du Lavis.
DANS ANS le nombre des découvertes
intéreffantes que ce fiècle a déja procurées
aux beaux arts , les amateurs feront
fans doute contens de celle que
le fieur Pierre - André Barabé vient de
mettre au jour. Cet Artifte qui entend
très - bien l'Architecture à laquelle il s'eft
appliqué férieuſement pendant plufieurs
144 MERCURE DE FRANCE:
années à l'École de M. Blondel, Architecte
du Roi , imagina dès le mois de
Janvier 1762 , d'imiter le pinceau dans
la gravure , à la place des tailles ufitées
jufqu'à préfent. Le fieur Barabé connoiffoit
bien la manière appellée la manière
noire que Chemitz & plufieurs
habiles Artiftes en ce genre ont employée
dans des fujets d'hiftoire ; mais
Cette manière noire ne fe pouvant appliquer
à l'Architecture , celle-ci demandant
plus de précifion dans le trait ,
& d'éxactitude dans les ornemens que
n'en éxigent la figure , le payfage , ou
toute autre fabrique des tableaux de
chevalet ; notre Auteur a conçu & fait
forger un outil qui , conduit par des
combinaifons qu'il a appliquées à ce
genre de travail , lui fait faire une mulfitude
infinie de points triangulaires qui
bien fondus enſemble expriment dans
le plus grand degré de perfection les
teintes les plus légères , & les ombres
les plus marquées dans le goût du lavis ,
& même une accélération , à laquelle
il n'avoit d'abord ofé prétendre. Le fieur
Barabé content de fes premiers fuccès ,
communiqua cette nouvelle invention
à M. le Comte de Caylus , qui enchanté
de cette découverte , encouragea l'Auteur
AVRIL. 1763. 145
que
teur & le chargea de lui graver quelques
planches d'après les deffeins de
Meffieurs Mignard que M. de Franque
Architecte du Roi lui avoit fait procurer
& qui ont très-bien réuffi . Ce fçavant
& digne citoyen confeilla même
au fieur Barabé de faire voir ſes épreu
ves à l'Académie Royale d'Architecture.
Il a fuivi ce confeil patriotrique & a été
très - bien accueilli de ce Corps illuftre
auquel il a été préſenté ainfi fes
ouvrages ,le 21 Mars de cette année , par
M. Soufflot , Architecte & Contrôleur
des Bâtimens du Roi , Ecuyer , Chevalier
de l'Ordre de Saint Michel, & .
Membre de cette Académie. Ce jeune
Auteur dans cette féance a goûté la
fatisfaction de voir applaudir fes recherches
, fes talens & fon travail , & d'obtenir
enfuite l'Extrait des Registres de
cette Compagnie ; Extrait que je vais
vous rapporter ici , comme un garant
de la perfection que je viens de vous
annoncer.
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie
Royale d'ARCHITECTURE , du 22
Mars 1763.
M. Barabé a préfenté à PAcadémie
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
quatre morceaux de gravure d'Architecture
éxécutés dans une manière nouvelle
d'après des deffeins du Temple de
Diane à Nîmes , faits à la fin du dernier
fiécle par M. Mignard : ces quatre
Morceaux doivent faire partie d'un Livre
des Antiquités de Languedoc & de
Provence que M. le Comte de Caylus
va donner au Public , & qui fera entiérement
gravé dans cette nouvelle manière
qui a paru à l'Académie très-bien
imiter le lavis à l'encre de la Chine . La
Compagnie qui a vu avec plaifir ces
quatre Morceaux de gravures , & qui
regarde la nouvelle manière dont ils
font exécutés , comme très- agréable &
très- utile , eft d'avis qu'on ne peut trop
encourager M. Barabé qui les a faits à
perfe&ionner de plus en plus ce nouveau
genre de gravures qui rend parfaitement
bien les deffeins d'Architecture.
On vient de mettre au jour une eftampe
en taille douce auffi bien gravée
que compofée . * M. Dupuis , Ğraveur
du Roi y foutient admirablement
la réputation dont il jouit & le tableau de
Elle eft intitulé , Déguisemens enfantins.
AVRIL 1763. 147
,
même grandeur , eft de M. Eiſen ,
Père Deffinateur. Elle est dédiée
à Meffire Jean - Louis - Etienne d'Huteau
, Chevalier & c , Lieutenant de
Roi en la Province du Languedoc &
dé MM . les Maréchaux de France en
Albigeois.
Et fe trouve à Paris chez Buldet
rue de Gefvres . Le prix eft de 40 f.
>
On trouve chez M. Defnos , Ingénieur
pour les Globes & Sphères , rue
S. Jacques , au Globe , une Carte particulière
de la Cayenne , Colonie Françoife
avec le Plan particulier de la
Ville , très-foigneufement gravée.
Comme la Cayenne attire aujourd'hui
l'attention du Public , on a cru
qu'il en verroit volontiers une Carte
particulière ; & celle qu'on lui préſente
ne laiffe rien à defirer pour la connoiffance
éxacte de ce pays . On y a
joint des obfervations fur la découverte
de cette Ifle , fes productions naturelles
, fon étendue , & furtout ce qui
peut être un objet de curiofité dans
les circonftances actuelles.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V.
SPECTACLES,
EXTRAIT DE L'ANGLOIS
A BORDEAUX.
Repréfenté pour la premiere fois par les
Comédiens François , le 4 Mars 1763.
PERSONNAGES . ACTEURS
DARMANT ,
M. Malé.
La Marquife de FLORICOURT , 1
Soeur de DARMANT , Mlle Dangeville.
Mylord BRUMTON , M. Belcour.
CLARICE , Fille du Mylord, Mlle Huff.
ROBINSON , Valet du Mylord ,
M. Armand.
SUDMER , riche Négociant Anglois, M.Préville.
La Scène eft à Bordeaux , dans la Maiſon
de Darmant.
MYLORD BRUMTON s'embarque à
Dublin pour aller à Londres avec
CLARICE fa fille , il tranſporte avec lui
la plus grande partie de fa fortune :
fon Vaiffeau eft attaqué par une Fré- +
AVRIL 1763. 149
E
gate Françoife commandée par DARMANT.
Après un combat très -vif , le
Vaiffeau Anglois coule à fonds ; on n'a
que le temps de fauver les gens de
1'Equipage qui font conduits à Bordeaux.
Le Mylord & fa fille font logés
chez DARMANT , qui employe tous les
moyens poffibles pour adoucir le fort
de fes prifonniers ; mais BRUMTON ne
veut accepter aucuns fecours .
Tous ces détails font exposés dans
la prémiere Scène entre DARMANT &
la Marquife de FLORICOURT,
L'Officier François fe plaint à fa
foeur , de la fierté fuperbe & dédaigneufe
du Mylord qui aime mieux expofer
fa fille aux befoins que d'accepter
un bienfait des mains d'un ennemi.
Mais mon frere , dit la Marquife , en
cherchant à rendre fervice au Mylord ,
ne fongeriez - vous point à fa fille ?
Cette Angloife eft charmante. DARMANT
avoue qu'il adore CLARICE ;
mais il veut qu'elle l'ignore.
,, L'amour dégraderoit la générofité.
LA MARQUISE
5
Qui vous fait donc agir ?
DARMA N. T.
L'humanité.
Giij
150 MERCURE DE FRANCE .
La Marquife fe moque de fa difcré
tion , elle lui confeille de fe déclarer à
Clarice & de faire enforte de gagner
la bienveillance du Mylord.
» Devenez fon ami.
DARMANT.
" Mes foins font fuperflus ;
>>Ses principes outrés d'honneur patriotique ,
» Sa façon de penfer qu'il croit philofophique ,
» Sa haine contre les François ;
>> Tout met une barrière entre nous pour jamais.
POLA MARQUISE.
>> Je prétens la brifer , j'entreprens le Mylord ,
» Nous verrons donc ce Philofophe ,
» Et s'il veut raiſonner ; c'eſt moi qui l'apostrophe.
» Cependant obligez le Mylord en filence
» Et cherchez des moyens fecrets.....
ל כ
DARMANT.
>>J'ai déja commencé ; mais n'en parlez jamais ,
D'un bienfait divulgué, l'amour-propre s'offenfe,
>> Le Valet Robinſon eſt dans mes intérêts ;
» Par fon moyen , fon Maître a touché quelques
>> fommes.
AVRIL. 1763 151
Sous le nom fuppofé d'un Patriote Anglois.
LA MARQUISE.
»Voilà comme il faudroit toujours tromper les
» hommes.
Robinson paroît :
LA MARQUISE.
Que fait ton Maître ?
ROBINSON.
Il penſe ,
DARMAN T.
Et Clarice ,
ROBINSON.
Soupire.
DARMANT demande à ROBINSON
ce que le Mylord penſe de la lettre de
change qu'il lui a fait parvenir ; le valet
lui répond que fon Maître n'a aucun
foupçon à cet égard , & qu'il croit que
le bienfait vient de SUDMER à qui il a
promis fa fille . ROBINSON ajoute : mon :
Maître
>> Convaincu qu'il lui doit ce fervice
Hâtera le moment de lui donner Clarice.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
DARMANT.
» Clarice à Sudmer ?
ROBINSON.
» Oui.
DARMANT.
» Va-t-en.
ROBINSON fe retire ; c'eft par ces
mots que l'intérêt de la Pièce s'établit
& que fe forme le noeud.
La Marquife encourage fon frère.
CLARICE paroît ; elle vient prier Madame
de FLORICOURT de tirer fon père
de la profonde mélancolie où il eft
plongé ......
Il vous a entendu
(continue Clarice).
>> Jouer au Clavecin un concerto d'Indel ;
» Notre Mufique Angloiſe éxcite ſes tranſports
» Pour la premiere fois je vois ici , Madame ,
Le plaifir dans fes yeux & le jour dans ſon âme
DARMAN T.
» Ma foeur , ma foeur , courez au Clavecin .
La Marquife fait connoître qu'elle a
AVRIL. ་
153 1763 .
un autre projet ; elle quitte la Scène.
CLARICE veut rentrer ; DARMANT
l'arrête. Ils ont enſemble un entretien
qui développe l'intérêt. L'un & l'autre
épris de l'amour le plus tendre , diffimulent
leurs fentimens & font tous leurs
éfforts pour fe cacher les mouvemens de
leurs coeurs . Cette fcène filée n'eft point
fufceptible d'un extrait , parce qu'elle
dépend des gradations & des nuances; on
citera feulement ces vers qui la terminent
, & dits fupérieurement par M.
'MOLÉ.
> Le coeur reconnoît- il un Pays différent ?
C'eſt la diverfité des moeurs, des caractères,
Qui fit imaginer chaque Gouvernement.
>> Les Loix font des freins falutaires
» Qu'il faut varier prudemment ,
Suivant chaque climat , chaque tempérament ;
» Ce font des régles néceffaires ,
&
>
Pour que l'on puiffe adopter librement
→ Dės vertus même involontaires.
» Mais ce qui tient au Sentiment ,
N'a dans tous les Pays qu'une Loi , qu'un lan
" gage :
» Tous les hommes également .
» S'accordent pour en faire usage.
François , Anglois , Efpagnol , Allemand
Vont au- devant du noeud que le coeur leur
Gy
t
» dénote ,
154 MERCURE DE FRANCE.
>> Ils font tous confondus par ce lien charmant
» Et quand on eſt ſenſible , on eſt compatriote
>> Malheur à ceux qui penſent autrement ;
>> Une âme féche , une âme dure
» Devroit rentrer dans le néant:
» C'eſt aller contre l'ordre. Un Etre indifférent
>> Eft une erreur de la Nature.
DARMANT fe retire à la vue de
ERUMTON ; ce Mylord eft furieux de
ne voir que des jeux , jeux , de n'entendre que
des ris , des férénades , & d'être étourdi
de chanteurs qui avec leurs maudits tam-.
bourins paffent inceffamment exprès
fous fes fenêtres , pour le troubler dans
fes ennuis.
» Tandis
que la Difcorde en cent climats divers
» De tant d'infortunés écrafe les afyles ,
» Le François chante , on ne voit dans fes Villes
Que feftins , jeux , bals & concerts.
» Quel Dieu le fait jouir de ces deftins tranquilles
Dans lefein de la guerre il goûre le repos.
→ Sans peines , fans befoins & libre fous un Maître
» Le François eft heureux & l'Anglois cherche à
» l'être.
CLARICE.
20. Vous pouvez l'être auffi.
AVRIL 1763. 155
BRUMTON fait rentrer fa fille ; il:
gémit de fe voir retenu chez un peuple
frivole ; il fe précipite dans un fauteuil
& porte les yeux de tous côtés.
>>Tout ne préfente ici qu'un luxe ridicule.
( Il arrête fes regards fur une Horloge : .)
>>Quoi l'art a décoré jufqu'à cette pendule ?:
>> On couronne de fleurs l'interprête du temps ,
» Qui diviſe nos jours & marque nos inftans !
>>Tandis que triftement ce globe qui balance
>> Me fait compter les pas de la mort qui s'avance.
>>Le François entraîné par de légers defirs-
» Ne voit fur ce cadran qu'un cercle de plaifirs.
On tire le Mylord de fes réfléxions ,
en lui apportant de l'argent : BRUMTON
relit la lettre attribuée à SUDMER .
Mylord , je vous envoye une lettre de
change, &c.
Après en avoir fait la lecture , le Mylord
forme le deffein de ne plus demeurer
chez DARMANT. Il charge
fon valet d'aller lui chercher un autre
logement.
5. Pour vivre feuls dans l'ombre & le filénce.
La Marquife paroit , Brumton veutfe retirer
elle l'arrête :
G.vj
156 MERCURE DE FRANCE.
» En qualité d'homme qui penſe ,
» Je ne crois pas que Monfieur fe difpenfe
›› D'éclairer ma raiſon , mon coeur & mon efprit.
» Vous êtes Philofophe , à ce que l'on m'a dit.
D
·
» Communiquez un peu votre ſcience.
LE MYLORD.
Je pense pour moi feul.
LA MARQUISE. ·
» Ah ! quelle inconſéquence i
En vain le Sage réfléchit ,
Si la fociété n'en tire aucun profit ;
>>On doit la cultiver pour elle, pour foi- même.
Eh ! laiffez -là vos fonges creux ;
>> La meilleure morale eft de fe rendre heureux,
>>On ne peut l'être feul avec votre.ſyſtême ,
» Mon inftin &t me le dit & mon coeur encor
>> mieux !
>>La chaîne des befoins rapproche tous les hom
> mes ;
» Le lien du plaifir les unit encor plus.
>> Ces noeuds fi doux pour vous font-ils rompus?
>> Pour être heureux, fayez ce que nous fommes,
LE MYLOR D.
Connoiffez mieux l'Anglois ,Madame, ſon génie
Le porte à de plus grands objets.
AVRIL. 1763. 157
Politique profond , occupé de projets,
Il prétend à l'honneur d'éclairer fa patrie.
» Le moindre Citoyen , attentif à fes droits ,
Voit les papiers publics , & régit l'Angleterre ;
Du Parlement compte les voix ,
>>Juge de l'équité des Loix ,
Prononce librement fur la paix ou la guerre ,
» Peſe les intérêts des Rois ,
Et du fond d'un Caffé leur meſure la terre.
LA MARQUISE.
Jouiffez comme nous.
LE MYLORD.
Mais d'un fi doux lonfir
Quel eft le fruit ?
LA MARQUISE
Le plaifir.
LE MYLORD.
Le plaifir
LA MARQUISE
Je parois ridicule à vos yeux , je le voi.
Mais tout confidéré , quel eft le ridicule ?
Sous des traits différens dans le monde il ci-
>> cule.
Mais au fond, quel eft-il une convention ,
158 MERCURE DE FRANCE.
» Un phantôme idéal , une prévention.
Il n'éxifta jamais aux yeux d'un homme fages
Se variant au gré de chaque Nation ,
» Le ridicule appartient à l'ufage :
L'uſage eft pour les moeurs , les habits , le lan
22
gage .
» Mais je ne vois point les rapports--
»Qu'il peut avoir avec notre âme ;
» L'homme eft homme par -tout : fi la vertu l'en
» flamme ,
» C'eſt mon héros , je laiffe les dehors.
>> Quoi ! toujours notre efprit fantafque
»Ne jugera jamais l'homme que fur le maſque
Nous avons des défauts, chaque Peuple a les fiens.
»Pourquoi s'attacher à des riens?
» Eh ! oui , des riens , des miſéres , vous dis- je ,
Sa Qui ne méritent pas d'exciter votre humeur ;
»C'eſt d'un vice réel qu'il faut qu'on fe corrige :
>>Les écarts de l'efſprit ne font pas ceux du coeur.
BRUMTON eft frappé des lumières
philofophiques qui percent à travers le
tourbillon de la gaîté.
La Marquife dit du bien des Anglois
.
> Comment donc vous penſez &
~fs'écrie Brumton , enfaififfant la main de la Mare
quife. )
Ah ! vous mefédujrjez & vous étiez Angloiſes
AVRIL, 1763. 159
Madame de FLORICOURT qui con
noît dans ce moment tous les avantages
qu'elle a fur le Mylord , va plus loin ;
elle veut l'engager à figurer dans un
ballet. BRUMTON eft indigné de la
propofition ; la Marquife lui replique
vivement.
>> Et pourquoi chercher des raifons
» Pour nourrir chaque jour votre milanthropie
» Vous pensez , & nous jouiſſons :
Laiffez-là , croyez - moi , votre Philofophie ,
Elle donne le fpléne , elle endurcit les coeurs
» Notre gaîté que vous nommez folie ,
» Nuance notre efprit de riantes couleurs
» Par un charme qui fe varie ,
Elle orne la Raifon , elle adoucit les moeurs
»C'eſt un printemps qui fait naître les fleurs
» Sur les épines de la vie.
Madame de FLORICOURT quitte
BRUMTON en ne lui donnant qu'un
moment pour fe déterminer. Mylord
refté feul , fe reproche d'avoir marqué
trop d'aigreur à la Marquife ; car malgréfon
inconféquence , dit- il ,
» Je m'apperçois qu'elle a bon coeur ,
» Et fans qu'elle y fonge elle penfe.
44
» Allons , allons , Mylord , il faut quetu t'apaiſes,
160 MERCURE DE FRANCE.
Fais effort fur toi- même & pardonne aux Fran
çoiſes ;
t
On peut s'y faire....
DARMANT s'avance , il annonce au
Mylord que l'on va renvoyer des prifonniers
Anglois pour pareil nombre
de François , & qu'il l'a fait comprendre
dans l'échange. Qui vous en a prié ?
dit BRUMTON ; je ne veux rien devoir
qu'à ma Nation. J'ai fait des dépêches
pour Londres ; je trouverai fans vous la
fin de mes malheurs . DARMANT remarque
un nouvel accès d'humeur dans
BRUMTON.
DARMANT.
Ah ! je vois ce que c'eft : vous avez vû ma ſoeur
Ses airs évaporés & la tête légére....
MYLORD , à part.
» Veut-il interroger mon coeur ?
DAR MANT.
Oui je conçois qu'elle a pu vous déplaire.
LE MYLORD.
A quoi bon votre foeur ? je l'excufſe aiſément.
a Elle eft femme.
1
AVRIL. 1763. 160
DARMANT.
Son caractere...
LE MYLORD.
M'en fuis-je plaint ?
DARMAN T.
Non , poliment.
LE MY LORD.
Je ne fais point poli.
DARMANT.
Scachez que fon fyftême
»Eftde vous confoler,de vous rendre àvous-même,
»Si je ne l'arrêtois , Monfieur , journellement
Vous feriez obfédé.
LE MYLORD.
Monfieur , laiffez-la faire.
•
DARMANT demande à BRUMTON
fon amitié ou du moins fon eftime. Le
Mylord repart.
» Eh ! malgré moi , Monfieur , vous avez mos
» eſtime ; &c.
162 MERCURE DE FRANCE .
On annonce un Anglois ; c'eft SUDMER
; il fe précipite dans les bras du
Mylord , il fe retourne vers DARMANT ,
il le reconnoît pour fon bienfaiteur.
DARMANT n'a aucune idée d'avoir vu
SUDMER . Celui-ci lui dit :
>>>Je ſuis affez heureux moi ,pour vous reconnoître .
» Rappellez-vous que je vous dois la vie.
>>Vous changeâtes pour moi la fortune ennemies
( Portant la main fur fon coeur:)
» Voilà le livre où font écrits tous les bienfaits.
>>Vous êtes mon ami , du moins je fuis le vôtre
» C'eſt par vos procédés que vous m'avez lié :
›› Je m'en fouviens , vous l'avez oublié ,
as Nous faiſons notre charge en cela l'un & l'autre,
Il raconte les obligations qu'il a a
DARMANT. BRUMTON reproche à
SUDMER l'accueil qu'il fait au François.
Vous n'êtes pas Anglois,
SUDMER.
Je fuis plus ; je fuis homme.
Qu'avez-vous contre lui ? cette froideur m'af
>>fomme ;
Efclave né d'un goût national ,
AVRIL. 1763. 163
"
» Vous êtes toujours partial !
N'admettez plus des maximes contraires ,
Et comme moi voyez d'un oeil égal , ""
" Tous les hommes qui font vos frères.
J'ai détesté toujours un préjugé fatal.
,, Quoi ! parce qu'on habite un autre coin de terre
‚ Il faut ſe déchirer & ſe faire la guerre.
" Tendons tous au bien général ;
5, Crois- moi , Mylord , j'ai parcouru le monde ,
Je ne connois fur la machine ronde
» Rien que deux Peuples différens §.
Sçavoir les hommes bons & les hommes mé→
,, chans.
,,Je trouve par- tout ma patrie
Oùje trouve d'honnêtes gens
,, En Cochinchine , en Barbarie ,
,, Chez les Sauvages mêmes ; &c.
SUDMER invite DARMANT à être
de fa nôce ; BRUMTON fe retire pour
aller avertir fa fille de l'arrivée de
SUDMER. DARMANT ne peut cacher
fon trouble ; SUDMER le foupçonne
d'être fon rival: il veut s'en éclaircir.
DARMANT le quitte .
CLARICE paroît avec fon père ;
SUDMER la trouve charmante ; il lui
demande s'il aura le bonheur d'en être
aimé ; la réponſe de CLARICE donne
encore lieu à des foupçons. BRUMTON
164 MERCURE DE FRANCE.
répond pour fa fille. Je fçais , dit-il ,
comme ma fille penfe , & la reconnoiffance
qu'elle fent comme moi de vos
rares bienfaits , doit l'attacher à vous tendrement.
Quels font ces bienfaits ? re-:
plique SUDMER. Le Mylord lui montre
la lettre qu'il a reçue de fa part ; le Négociant
n'y comprend rien.
Je fais dans un courroux extrême , dit-il, )
Comment , quelqu'an a pris mon nom ,
Pour faire une bonne aЯtion
Que j'aurois pû faire moi-même ?
Il fort pour aller demander des éclairciffemens
au Banquier qui a payé la
lettre de change.
Dans la Scène fuivante le Mylord interroge
fa fille fur les difpofitions de
fon coeur ; elle lui répond avec une franchife
Angloife , qu'elle eft prête à obéir
à fon père ; mais qu'elle n'a pu fe défendre
d'aimer DARMANT. Le Mylord
eft frappé d'étonnement : fa fille le
raffure en lui difant que rien n'a fait
connoître fes fentimens à l'Officier François
, & qu'elle ignore de même les
fiens.
SUDMER arrive ; il n'a pû rien fçavoir
du Banquier. On appelle ROBINAVRIL.
1763. 169
SON ; ce valet forcé par des menaces
de découvrir la vérité , déclare que DARMANT
eft l'auteur des bienfaits que le
Mylord a reçus
"2
LE MYLORD.
O Ciel ! aimeroit-il ma fille ?
ROBINSON.
, Oh ! non , Mylord , iln'oferoit
C'est générosité toute pure.....
Le Mylord demande à CLARICE £
elle eft inftruite ; elle protefte que non.
La Marquife arrive ; fon frère la fuit.
Elle annonce que la paix eft ratifiée &
fait une peinture très-vive de la joie
publique. BRUMTON dit à DARMANT.
Nos Nations font réconciliées .
Par vos traits généreux vous m'avez corrigé,
Et l'amitié furmonte enfin le préjugé :
Que par cette amitié nos maiſons foient liées.
,,Pour vous marquer combien vous m'êtes cher,
Vous fignerez le Contrat de ma fille ""
,, Que dès ce ſoir je marie à Sudmer.
DARMANT eft confterné. La Marquife
rit ; le Mylord en demande la
raiſon; ta Marquise découvre l'amour de
166 MERCURE DE FRANCE .
fon frère pour CLARICE. SUDMER dit
à BRUMTON qu'il pourroit faire une
fottife d'époufer fa fille ; il ajoute :
"
""
Mon rival doit au fond avoir la préférence ,
Sous mon nom il a fçu faifir l'occafion
› D'avoir pour vous ,Mylord , un procédé fort bont
Si je deviens le mari de Clarice ; ""
,, Il eft homme peut-être à rendre encor fervices
„, Je ſuis accoutumé d'être ſon prête-nom .
Le Mylord donne fa fille à DARMANT
& lui- même épouſe la Marquiſe.
SUDMER applaudit à cette double al
liance & dit au François.
,,Daignez , mon cher Darmant , en cette circon .
,, ftance ,
,, Me foulager du poids de la reconnoiffance :
,,Jefens queje fuis vieux,je me vois de grands biens,
Je n'ai point d'héritiers ; foyez tous deux les
"
""
miens....
Point de remerciment , ce feroit une offenfe.
,, Si je vous fçais heureux , mes amis , c'eſt affez ,
C'est vous , c'est vous qui me récompenfez.
La Marquife termine la Pièce
"
quatre vers fuivans.
39
par
les
Lecourage & l'honneur rapprochent les pays,
,,Et deux Peuples égaux en vertus , en lumières,,
De leurs divifions renverfent les barrières
"> Pour demeure toujours amis.
AVRIL. 1763. 167
OBSERVATIONS SUR L'ANGLOIS
A BORDEAUX.
Il ne nous refte que peu de chofes à ajouter
à ce que nous avons dit fur cette Piéce dans le
précédent Mercure , auquel nous prions les Lecteurs
de vouloir bien permettre que nous les
renvoyons.
Tout le monde conçoit aifément ce que doit
être un Drame fait & conftruit pour une circonftance
à laquelle , action , intrigue , carac
tères , fituations , jeu de Théâtre , & furtout le
dénoûment doivent ſe rapporter. On peut donc
fentir par la difficulté de l'ouvrage , le prix de
l'intelligence & de l'art qui regnent dans celleci
; puifqu'en y faifant la plus légére attention ,
on apperçoit que cette Comédie fans éprouver
beaucoup de changemens , & fans aucun renverfement
de conftruction ni dans le fond ni dans
les détails , deviendra une Comédie de tous les
temps , & une Comédie toujours agréable.
On fe difpenfera de répondre à ceux qui ju
geroient le caractère du Mylord trop obstinément
mifanthrope. Il y a dans la conſtitution du
Drame & dans la néceflité des contraſtes , dequoi
juftifier à cet égard la touche un peu forte de ce
caractère. On doit fe prêter aux difficultés de
l'art pour nuancer le fond d'un caractère national
, de manière à produire par les conféquences
des mêmes principes , des fentimens , une humeur
& une conduite auffi oppofés qu'on les voit
à tous momens entre Sudmer & ce Mylord . L'ef168
MERCURE DE FRANCE .
fet qui en réſulte eft fans contredit affez agréable
pour ne pas s'attacher à en critiquer fcrupuleufement
les moyens , d'autant qu'ils ne préfentent
rien de forcé au premier afpect .
Les détails du rôle de la Marquife le rour
agréable de fa Philofophie , ce qu'il prêtoit au
plaifir de voir & d'entendre plus longtemps Mlle
Dangeville , l'objet de regrets fi juftes & fi vivement
fentis par le Spectateur, tout devoit nous
empêcher d'examiner s'il n'y auroit pas eu quelques
moyens de rendre les progrès de la conquê
te fur le Mylord un peu plus fenfibles dans leur
gradation.
Nous avons déja parlé précédemment du coloris
de cette Piéce. Aujourd'hui que nous venons
d'en mettre une partie fous les yeux du Public ,
ce feroit faire tort à l'Auteur , que de prévenir
les éloges qu'il recevra de chaque Lecteur ,
éloges plus fateurs pour lui que ceux que nous
répéterions ici.
Les Comédiens François ont fait l'ouverture
de leur Théâtre,Lundi 11 Avril,
par Sémiramis , Tragédie de M. DE
VOLTAIRE & le Somnambule.
Nous ne pouvons plus nous diffimuler
, ni au Public , la perte que nous
avions différé de conftater. Toutes les
follicitations , les offres les plus avantageufes
& les plus honorables , l'attrait
de fa propre gloire , attrait renouvellé
autant de fois que paroiffoit Mademoifelle
DANGEVILLE rien n'a pû la
détourner du projet annoncé de fa retraite,
,
AVRIL. 1763. 169
traite , malheureuſement trop indiſpen :
fa fanté.
fable
pour
Le Public , amateur du Théâtre , a eu
d'autres regrets à joindre à celui - ci , par
la perte de Mademoiſelle GAUSSIN.
M. DANGEVILE , frère de l'admirable
Actrice dont on ne peut fe confoler ,
vient auffi de fe retirer.
Le Compliment que M. DAUBERVAL
a prononcé à l'ouverture du Théàtre
, contenant le jufte tribut d'éloges
que nous nous propofions de payer
aux deux A&trices dont on vient de
parler nous allons le rapporter en
entier.
و
t
COMPLIMENT prononcé par
M. DAUBERVAL , à l'ouverture du
Théatre François , le 11 Avril 1763 .
MESESSIEURS , JRS ,
" LA fonction auffi flateufe qu'hono-
» rable
que j'ai à remplir , met celui qui
» en eft chargé à portée d'ofer vous ren-
» dre compte de fon zèle , de fes efforts
» pour mériter vos bontés , & de folliciter
» votre indulgence dont perfonne n'a plus
II. Vol.
"
H
170 MERCURE DE FRANCE.
» befoin que moi. C'eft en connoiffant &
» en fentant tout le prix de ce précieux
» avantage , que je ne puis cependant
» me diffimuler qu'aujourd'hui il de-
» voit regarder un des Acteurs le plus
» en poffeffion de vous plaire ; vous
» feriez moins affectés des pertes qu'il
» vous apprendroit , fi vous aviez fous
» les yeux une des reffources qui vous
reftent. Vous préffentez aifément ,
» Meffieurs , que je vais parler de Ma-
» demoiſelle GAUSSIN & de Made-
» moiſelle DANGEVILLE.
"
» On a l'obligation à la premiere d'un
» genre nouveau de Comédie ; fa figure
» charmante , les graces ingénues de fon
» jeu , le fon intéreffant de fa voix ont
» fait imaginer de mettre en action des
» tableaux anacréontiques : fes yeux
parloient à l'âme ; & l'amour fembloit
l'avoir fait naître pour prouver
» que la volupté n'a pas de parure plus
piquante que la naïveté . Cette perte
» étoit affez grande ; celle de Mademoi-
» felle DANGEVILLE achève de nous
accabler.
"3
»
» Cette Actrice fi pleine de fineffe
» & de vérité , qui renfermoit en elle
» feule de quoi faire la réputation de
» cinq ou fix A&trices , cette favorite
AVRIL. 1763 . 171
des grâces à laquelle perfonne ne
» peut reffembler , puifque dans tous
» les rôles elle ne fe reffembloit pas elle-
» même : Mademoiſelle DANGEVILLE
» fe dérobe à fa propre gloire , & fair
» fuccéder vos regrets à vos acclama-
» tions .
» Vous n'avez rien épargné , Mef-
» fieurs , pour la retenir ; vos applau-
» diffemens réitérés exprimoient ce que
»vous paroiffiez en droit d'en éxiger ,
» & fembloient lui dire , vous faites nos
" plaifirs ; Thalie vous a ouvert tous
» fes tréfors ; elle vous a difpenfé les
» richeffes de tous les âges ; vos per-
» fections toujours nouvelles triomphe-
» ront dutemps . Pourquoi nous quittez-
» vous ?
»
» Les Auteurs lui répétoient fans
» ceffe : nous trouvons fi rarement un
» Acteur pour chaque caractère , vous
» les faififfez tous ; nous avons tant de
» peine à vaincre les cabales , votre
préfence les enchaîne . Notre art eft fi
» difficile , vous applaniffiez nos obſta-
» cles , vous n'en rencontrez point pour
» atteindre l'excellence du vôtre ; &c
vous fçavez fi bien le ménager , qu'il
» femble que ce foit la nature même
» qui vous en épargne les frais. Pour
"
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
"" chère
» quoi nous abandonnez - vous ? Enfin
» Meffieurs , vous regrettez un Actrice
» qui vous enchantoit , & nous ne nous
» confolons pas de nous voir privés
» d'une Camarade qui nous étoit auffi
que précieufe. Au lieu d'avoir
» le fafte trop ordinaire au grand ta-
» lent , elle ignoroit fa fupériorité &
» doutoit d'elle - même quand nous la
prenions pour modèle . Elle fçavoit
» par le liant de fon caractère fe con-
» cilier tous les efprits ; & fans fe don-
» ner aucun foin pour ſe faire un parti ,
» elle n'en avoit que plus de partiſans :
» nous l'admirions & nous l'aimions .
" Sa famille eft depuis long-temps ,
Meffieurs , en poffeflion de vous plaire;
», & fon frère , qui fe retire auffi , vous
a tracé fouvent le fouvenir d'un oncle
fon modèlé. L'un & l'autre ont
39
"
prouvé par leurs fuccès, dans ces rôles
» peu brillans par eux- mêmes, qu'aucun
» genre comique n'eft ftérile , que lorf-
», que l'on manque de talens .
Ces pertes multipliées , au lieu de
nous décourager , Meffieurs , vont-ré-
» doubler notre application pour avoit
droit à vos fuffrages : ce n'eft qu'en
» vous offrant des progrès dans nos ta
lens , ce n'eft qu'en en découvrait
AVRIL. 1763. 173
de naiffans , que l'on peut vous con- .
» foler , Meffieurs , de ceux que vous
» aurez peut-être trop long-temps fujet
» de regretter. »
ود
COMÉDIE ITALIENNE.
LEE
S Comédiens Italiens ont fait l'ouverture
de leur Théâtre le même jour,
11 Avril, par les Soeurs Rivales , le Bucheron
, & Arlequin crú mort.
OPERA.
LA Salle de l'Opéra , compriſe dans
l'incendie qui a confumé ( le Mercredi
6 de ce mois ) quelques parties des Bâtimens
du Palais Royal , ayant été
totalement détruite par la violence
des flammes , en moins d'un quart
d'heure , l'Académie Royale de Mufique
n'a pu reprendre le cours de fes repréfentations
dans le temps accoutumé.
Cependant, l'attention du Gouvernement
pour tout ce qui peut intéreffer le
Public , n'a pas laiffé un moment d'incertitude
fur le fort d'un Spectacle auffi
néceffaire à l'amufement des Citoyens,
H iij
174 MERCURE DE FRANCE,
que convenable à la fplendeur de la Ca
pitale . Dès le lendemain de l'embrâſement
, M. le Comte de S. Florentin , Miniftre
& Secrétaire d'Etat , adreffa aux
fieurs Rebel & Francoeur , Directeurs de
cette Académie , des ordres par écrit à
l'effet d'affurer les Sujets qui la compofent
, de la continuité de leur état , en
enjoignant à chacun d'eux de ne fe pas
écarter , & d'être prêts à reprendre l'exercice
de leurs talens inceffamment ,
dans le lieu qui aura été déterminé ,
en attendant qu'on ait pris les mefures
& les moyens convenables pour la
conftruction d'une nouvelle Salle.
SUITE des Concerts Spirituels.
Il y a eu Concert tous les jours de la Semaine
Sainte.
"
;
Dans les premiers , on a repris quelques- uns
des Moters à grand choeur qui avoient été éxécutés
précédemment Inclina Domine , de M.
BLANCHARD , Maître de Mufique de la Chapelle
du Roi. Confitemini , autre Moter à grand choeur
de M. l'Abbé GOULET , ancien Maître de Mufide
l'Eglife de Paris ; le Deus venerunt Moter
a grand choeur de feu M. FANTON , d'une belle
& fçavante diftribution & d'un grand effet. Le
Lundi Saint on avoit éxécuté pour la première
fois Dixit Dominus Domino meo , Motet àgrand
choeur del Signor Leonardo Leo , Ouvrage d'un
que
AVRIL. 1763. 175
affez beau travail pour l'harmonie & d'un genr
qui porte le caractère du temps où la Mufique
Italienne n'avoit pas encore été corrompue par
l'extravagance des faillies & par la furabondante.
affluence des tours d'éxécution .
On éxécuta le Mercredi Saint , l'admirable
Stabat de PERGOLEZE . Mademoiſelle HARDI ,
dont nous avons déja parlé , & M. AIUTO de la
Mufique du Roi y récitoient . On connoît le mérite
de ce célébre Motet ; on l'a donné les deux
autres jours fuivans , & il a été tous les jours trèsbien
éxécuté . Mademoiſelle HARDI y a eu beaucoup
d'applaudiffemens. Les autres grands Motets
qu'on a donnés avec le Stabat , n'ont ni moins
de mérite ni moins de célébrité dans leur genre.
Le même jour , on éxécuta le Miferere de feu
M. de LALANDE. Mademoiſelle ARNOULD y
chanta le récit Sacrificium Deo , avec cette expreffion
touchante qui eft naturelle à la qualité
de fa voix & au caractère de fon talent ; les applaudiffemens
qu'elle y reçut , font garans de cet
éloge. Le Jeudi , on donna le Motet connu fous
le nom de Meffe de GILLES ; ouvrage dont la
célébrité difpenfe d'ajouter aux éloge sde tous
les connoiffeurs.
Ce même jour ( Jeudi Saint ) M. AIUTO ,
par quelqu'accident imprévu , n'ayant pu arriver
de Verfailles pour le temps du Concert , M. BBSCHE
fe prêta à y fuppléer dans le Stabat. L'art
avec lequel il s'acquitta de l'éxécution de cette
partie , mérite autant d'éloges que fa bonne volonté.
Sans beaucoup de connoiffance en mufique
on conçoit facilement de quelle difficulté il eft
de convertir fur le champ une partie de deffus
en haute-contre , en n'altérant point la modu
lation d'un chant auffi précieux que l'eft
H. iv
176 MERCURE DE FRANCE.
celui du Stabat . C'eft ce que fit M. BESCHE avec
une préciſion , une fageffe & un goût qui attirerent
les applaudiffemens de tous les auditeurs.
Le Vendredi Saint , on donna le De profundis
de M. REBEL , Sur- Intendant de la Mufique du
Roi. Nous avons déja eu occafion de parler de
ce Motet , dont la célébrité eft actuellement établie
avec juftice. Il fut fort bien éxécuté & fit un
très- grand effet . On finit par le Stabat.
Les Moters du Samedi Saint furent Regina
cali , de M. l'Abbé TOUSSAINT , Maître de Mufique
de la Cathédrale de Dijon , qui parut être
goûté ; & un Salve Regina à grand choeur ,
de
M. KOHAULT , duquel nous avons parlé à l'occafion
des Duos de Luth & de Violoncelle avec
M. DUPORT. Ce Motet avoit été éxécuté le Jeudi
précédent entre les deux grands Moters & jugé
très digne d'être au même rang & de ter
miner un Concert. Le génie , le goût & l'agrément
regnent dans toute la compofition de ce
morceau : il eft travaillé d'une manière brillante ,
mais fans bifarrerie . Mlle FEL y chantoit des récits
avec un accompagnement de Violoncelle
obligé , éxécuté par M. DUPORT. C'étoit avoir
réuni tout ce qui eft le plus agréable au Public
dans un Motet qui par lui -même méritoit les
fuffrages.
Le jour de Pâques, on éxécuta Dominus regnavit,
de feu M. DE LALANDE . Mlle ARNOULD Y chanta
un récit. On finit par Deus venerunt , de feu M.
FANTON . Nous avons parlé plus haut de ce motet.
Il nous refte à ajouter que le Public & les connoiffeurs
paroiffent aimer beaucoup la musique de
cet Auteur & regretter que l'on n'en donne pas
plus fouvent.
M. BESCHE fit beaucoup de plaifir dans le pe
tit Motet de M. Mouret Benedictus .
AVRIL 1763. 177
Le Lundi , le Concert commença par Notus in
Judæa, de la compofition de M. MATHIEU , le fils ,
Ordinaire de la Mufique du Roi , & finit par Lauda
Jerufalem , de M. l'Abbé GIROULT , Maître de
Mufique de la Cathédrale d'Orléans.
Le Mardi de Pâques , Cantemus , motet de M.
GIRAULT , Ordinaire de la Mufique du Roi & de
l'Académie Royale , dans lequel il y a beaucoup
de chofes agréables & bien travaillées , qui furent
applaudies . Le Dixit , da Signor LEO .
Le Vendredi , après les Fêtes , il y eur Concert.
On y reprit le Miferere , de M. DE LA LANDE, dans
lequel Mile ARNOULD , avec plus de fuccès encore
que la premiere fois ,y chanta l'admirable recit Sacrificium.
L'impreffion qu'elle fit fur le Public
dans ce morceau fut univerfelle & de la plus
grande vivacité ; les applaudiffemens qu'on lui
donna exprimerent d'une manière inconteftable
la juftice que nous rendons ici aux grands talens
de Mile ARNOULD pour tout qui ce porte le caaractère
du Sentiment. i
2
On termina cé Concert par Mifericordias Domini
, Motet de M. BLANCHARD , digne du
métite reconnu de cet Auteur.
Le Dimanche de Quafimodo , jour de la clôcure
des Concerts , on commença par Lauda
Jerufalem de M. DE LALANDE Mlle ARNOULD
y chanta un récit. On reprit le Motet Mifericordias
Domini..
3
1.K
&
Ce Concet fut remarquable par une nowveauté
très - intéreſſante pour le Public ,
qui par le fuccès lui devint on ne peut pas plus
agréable . Mlle DUBOIS , de la Comédie Fran
çoife , dont nous avons eu occafion d'annoncer
les progrès dans le grand art de la Déclama
tion tragique, fit l'eflai le plus flatteur pour elle
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
de fes autres talens , en chantant à ce Concert
un Motet à voix feule de feu M. MOURET , avec
une très -belle voir, la plus belle articulation ' ,
la juftelle des fons & la précifion des mouvemens
, qu'on loueroit dans une Cantatrice confommée
& journellement exercée. On conjecture
facilement combien elle fut applaudie..
Les divers talens , foit fymphoniſtes , foit chanzeurs
qui font habituellement les plaifirs du Public
à ce Concert , ne nous fçauront pas mauvais
gré ne de pas répéter ni détailler ici tout ce
qu'ils ont reçus & mérités de nouveaux éloges.
M. GAVINIES , M. BALBASTRE , M. DUPORT "
prodige fur lequel nous n'avons plus d'expref
fions ) ont joué chacun des Concerto ou dés
Sonates dans plufieurs de ces Concets. Les Duos
entre M. KOHAUT fur le Luth & M. DUPORT
fur le Violoncelle , ont été fréquemment répétés
& jamais trop applaudis au gré du Public.
M. LE MIERRE , M, CAPRON , déja connus &
arès-goûtés du public, ont éxécuté fur le violon des
morceaux de diſtinction à pluſieurs de ces Concerts.
M. MAYER , dont on a parlé ci - devant, a
joué de la Harpe au dernier Concert , avec le
même fuccès qu'il avoit eu cet Hyver.
M. LEGRAND a éxécuté un Concerto fur l'Or
gue, qui a été généralement approuvé.
M. BOUTEUX joua le Vendredi 8 , un Concerto
de Violon dans lequel il eut beaucoup
d'approbateurs .
M. FELIX REINER , ordinaire de la Mufique
du Duc de BAVIERE , a éxécuté plufieurs fois .
divers morceaux fur le Baffon , avec beaucoup
de talent & une grande pratique de cet inftru
ment .
Nous croyons nous être rappellés les nou
AVRIL. 1763. 170
veautés en talens qui ont contribué à l'agrément
& à la beauté des Concerts pendant les trois
femaines de Pâques.
Nous ne devons pas obmettre que le jeune
M. DUBUT , cité dans le précédent Volume , a
paru dans prefque tous les Concerts fuivans , où.
il a toujours fait plaifir .
>
Mlle HARDI , qui a chanté à tous les Concerts,
& dont nous avons parlé au commencement du
mois , paroît avoir été la nouveauté intéreffante
cette année qui a fixé l'attention & les fuffrages
des Auditeurs. Il eft honorable pour ce
jeune Sujet d'avoir par une épreuve auffi peu
fufpecte que l'approbation univerfelle , prouvé
qu'elle mérite les bienfaits de fes auguftes Protecteurs.
Mlle ROZET a chanté plufieurs Moters à voix
feule avec une très- belle voix & les marques
d'un progrès fenfible dans l'art.
Mlle BERNARD , de laquelle on a parlé dans
plufieurs Mercures , a chanté auffi quelquefois.
Ce font Mlle FEL , Mrs GELIN , BESCHE &
MUGUET qui ont foutenu feuls , cette année, le
fonds de la Mufique pour les grands récits pendant
tout le cours des Concerts.
Le Public paroît confirmé dans l'opinion avan -
tageufe qu'il avoit conçue d'abord des nouveaux
Directeurs du Concert , par le bon choix des
ouvrages & des talens qui ont paru pendant
ces trois ſemaines de Pâques.
HvF
180 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V I.
SUITE des Nouvelles Politiques du
mois de Mars.
ور
ور
"
SUITE de l'Article de WARSOVIE.
„ Loin donc que Sa Majefté Impériale veuille
> ufurper les droits de la République , Elle avoue
» hautement la Suzeraineté de la République de
Pologne fur lefdits Duchés , & elle ne le pro-
» pole pas moins de les maintenir conftamment
» dans leurs dépendances féodales avec la République.
Elle ne reconnoît & ne reconnoîtra
» jamais pour Duc légitime des Duchés de Cour-
>>lande & de Semigalle que le Duc Erneſt -Jean ,
>> invefti légalement du confentement de toute la
République.
כ כ
02
Par- là Sa Majefté Impériale remplit ce qu'exigent
la juftice & le droit du voisinage , & ne
> fait que fuivre les conftitutions & les loix de la
République , à l'exemple de toutes les Puiffances
» de l'Europe qui , en vertu de fes conftitutions ,
» ont reconnu Erneft - Jean , Duc légitime de
Courlande.
Le Duc de Biren, par desUniverfaux datés de Mittau,
oùila fait un voyage leiode ce mois ,a fixé leroe
du mois prochain pour l'affemblée qu'il annonce ,
& en preffant la Régence & la Nobleffe dontelle
fera compofée , de lui rendre hommage
il s'étend fur les fervices que lui rend l'Impératrice
Catherine , en le rétabliffant dans fon
honneur & dans fes biens , fans dire un mot
AVRIL. 1763.
181
ni du Roi ni de la République de Pologne
enfin il déclare que Samedi prochain 22 de ce
mois , il s'établira à Mittau avec toute fa famille.
Le fieur Simolin', Réfident de Ruffie , a
accompagné les Univerfaux du Duc de Biren
' d'une lettre circulaire , dans laquelle il recommande
de la part de fa Cour à la Nobleffe
Courlandoife de fe foumettre à l'ancien Souverain
rappellé. Il promet à ceux qui le reconnoîtront
aujourd'hui , la protection de l'Impératrice
fa maîtreffe , & menace au contraire de l'indignation
de cette Princeffe ceux qui voudroient lui
réfifter. Le Duc Charles , qui eft toujours à Mitrau
, a cru devoir envoyer ces deux Piéces au Roi
fon père , en lui écrivant , comme à fon Seigneur
Suzerain lui dénoncer ces procédés vio- > pour
lens , dont l'effet achévera de détruire fon établiffement
en Courlande : il réclame toujours la
protection du Roi , celle de la République , & les
ordres de Sa Majefté fur la conduite qu'il doit
tenir.
Sa Majesté Polonoiſe a répondu à ce Prince
que , ne pouvant lui rien préfcrire fans l'avis du
Sénat , elle a fait expédier fes Lettres néceffaires
pour le convoquer , & que le réfultat des délibérations
de cette Affemblée fixera le parti qu'il
aura à prendre. On compte que ce Confeil aura
lieu vers la fin du mois . prochain .
De MITTAU, le 17 Janvier 1763.
Le Duc Charles eft encore dans fon Palais :
cependant on a loué dans la même rue cinq
maifons , qui doivent être occupées par le Duc de
Biren & fa famille ; ce qui fait penfer que les
Ruffes n'ont encore aucun ordre d'ufer de violence
envers le fils de Sa Majesté Polonoiſe ."
Le Réſident de Ruffie a envoyé des foldats chez
l'Imprimeur de cette Ville , & l'a forcé de
182 MERCURE DE FRANCE.
changer les feuilles déja imprimées d'un Alna.
nach pour la prefente année , dans lequel le
Prince Charles étoit nommé comme Duc de
Courlande : on a fait fubftituer à fon nom & à
Les titres le Duc de Biren.
Le Chancelier de Courlande ayant reçu ordre
de l'Impératrice de Rulie , par un refcrit que lui
communiqua le Réfident de cette Princelle , de
faire entendre au Prince Charles , que Sa Majefté
Impériale ayant pris la ferme réſolution de protéger
efficacement le Duc de Biren & de le réta
blir dans les Duchés de Courlandé & de Sémi
galle , le Prince n'avoit point de meilleur parti à
prendre ,que de le retirer de ces Duchés . Le Chancelier
s'étant acquitté de cette fâcheuse commiffion
, le Duc Charles l'a chargé de demander une
copie du refcrit au fieur Simolin , qui l'a refusée.
Le Prince a fait réponſe que , malgré la confidération
& le refpect qu'il devoit à l'Impératrice de
Ruffie , il n'avoit d'ordre à recevoir que du Roi
fon père , & qu'il les attendroit pour prendre fon
parci.
DE COPPENHAGUE , le 8 Janvier 1763.
.
Le Roi a nommé Lieutenant- Général de fes
Armées le fieur de Chaz ot , Gentilhomme François
, Commandant de Lubeck.
DE HAMBOURG , le 25 Janvier 1763 .
Les Prifonniers Pruffiens qui font détenus à
Ulm , avoient fait un complot pour le procurer
leur liberté , pour cet effet , ils fe font affemblés
pendant la nuit & ont attaqué très - vivement
une grande garde , après avoir defarmé la fentinelle
; mais l'allarme s'eft répandue promptement
dans la Ville ; on eft venu au fecours de
la garde , & fes prifonniers ont été arrêtés &.
AVRIL. 1763. 183
-refferrés plas étroitement. On mande qu'il a péri
dans ce tumulte un Lieutenant avec quelques
foldats des troupes de la Ville & quinze Prufs
Liens.
DE RATISBONNE , le 24 Janvier 1763..
Les Miniftres de Bamberg , Wurtzbourg &
Eudle , viennent d'accéder aux fuffrages de ceux
qui dans le Collége des Princes , ont voté pour
le parti de la neutralité. Celui de Brandebourg-
Culmbach a auſſi déclaré que le Margrave , fon
Maître , étoit prêt de concourir aux mefures propres
à rétablir la tranquillité de l'Empire.
DE NUREMBERG , le 3 Février 1763 .
On vient d'apprendre que l'Electeur Palatin
envoyé ordre au Général d'Effern , qui commande
fon contingent , de quitter l'Armée de l'Empire
& de fe rendre dans les Etats de fon Alteffe
Electorale ; & qu'en conféquence les troupes Pa
latines fe font mifes en marche , & ont paffé la
riviére du Tauber le premier de ce mois , pour
fe porter dans le Duché de Neubourg.
De Madrid , le 25 Janvier 1763.
Le Roi vient de confirmer en faveur du Comte
Don Cafimir Pignatelli , Lieutenant- Général des
Armées de Sa Majesté Très- Chrétienne , le titre
de Grand d'Espagne , attaché à la maifon d'Egmont.
Sa Majesté a relevé pour toujours ce titre
du droit de Lanfas , & de demi- annate.
DE ROME , le 26 Janvier 1763.
Le Cardinal Jérôme Colonna , Diacre du titre
de Sainte Agathe,Camerlingue de la fainte Eglife,
1184 MERCURE DE FRANCE.
2
Grand-Prieur de Rome ; & Archiprêtre de la Bafilique
de Sainte Marie- Majeure , mourut la nuit
du 17 au 18 de ce mois , dans la cinquante- cinquiéme
année de fon âge. Il vaque par. cette
mort un fixiéme Chapeau dans le facré Collège,
en comptant celui dont la nomination eft réfervée
au Roi de Portugal,.
ན
DE NAPLES , le 8 Janvier 1763.
9
L'aventure fuivante a été inférée dans la Gazette
de certé Ville . Une femme de Créntone fut
' accufée par la voix publique d'avoir ôté la vie à
fon mari , quoiqu'on n'eût d'autre preuve - contre
elle que l'abfence du mari , dont on n'avoit aucune
nouvelle depuis deux ou trois ans & le
commerce affez intime que cette femme paroif-
Loit entretenir avec un autre homme. Sur de femblables
foupçons on lui fit fon procès. La crainte
des tortures lui fit avouer un crime qu'elle n'avoit
pas commis ; elle fut condamnée à être pendue
& fon corps fut jetté dans le Pô. Cinq à fix jours
après l'exécution arriva le mari , qui revenoit
du Pays de Parme , où il s'étoit engagé pour
trois ans. Il apprend tout ce qui s'étoit paffé ; il
fe montre aux accufateurs & aux Juges pourjuftifier
la femme on le traite d'impofteur , & on
lui foutient que le véritable mari eft mort , puifque
fa femme a été pendue pour l'avoir fait
mourir. i
FRANCE .
Nouvelles de la Cour , de Paris ,&c.
DeVERSAILLES , le 16 Fevrier 1763 .
Le Maréchal Duc de Biron & le Duc de
Choifeul ont fait entendre au Roi tes Mufiques
AVRIL. 1763 . 185
attachées au Régiment des Gardes Françoiles &
Suiffes ; & Sa Majesté en a paru très - fatisfaite .
Leurs Majeftés ainfi que la Famille Royale ,
ont figné , le 23 du mois dernier , le Contrat
de mariage du Comte de Sparre avec la Demoiſelle
de Camufet. Le Comte de Sparre eft
d'une Famille de Suede , très - ancienne dans ce
Royaume ,& illuftrée par plufieurs alliances avec
des Maifons Souveraines. Son Père , le Comte
de Sparre , Maréchal des Camps & Armées du
Roi , eft petit-fils du Comte Pierre Sparre , Ambaffadeur
de Suede en France en 1675 .
Le 24 du même mois il y a eu Bal à la Cour.
Leurs Majeftés , ainfi que Monſeigneur le Dauphin
, Madame la Dauphine , Madame Adélaïde ,
Mesdames Victoire & Sophie l'honorerent de leur
préfence. Le Duc d'Orléans , le Duc de Chartres
, le Prince de Condé , le Comte de Luface
, & la Comreffe de Henneberg , affifterent
à cette affemblée , qui fut très -brillante par le
concours & la magnificence des Seigneurs &
des Dames de la Cour.
Le 25 la Comteffe de Choifeul- la - Beaume a
été préfentée à Leurs Majeftés , ainfi qu'à la Famille
Royale , par la Ducheffe de Choifeut.
Le fieur Hardion , de l'Académie Françoife ;
a eu l'honneur de préfenter à Leurs Majeftés
& à la Famille Royale les 15 & 16 ° volumes
de fon Hiftoire Univerfelle. Le fieur Targe , ci
devant Proffeffeur de Langue Françoife , & ac
tuellement Profeffeur de Mathématique à l'Ecole
Royale Militaire , a préfenté auffi à Monfeigneur
le Duc de Berry & à Monſeigneur le Comte
de Provence , les Tomes 5 , 6 , 7 , & 8 de
fa Traduction de l'Hiftoire d Angleterre ; par le
feur Smolett. £
Sa Majesté a difpofé de la Lieutenance Géné186
MERCURE DE FRANCE.
rale du Comté de Charolois & du commande,
ment en Chef de la Province de Bourgogne
vacant par la mort du Marquis d'Anlezy , en
faveur du Comte de la Guiche , Lieutenant Gćnéral
des Armées du Roi.
Le 30 , le fieur d'Argouges , nommé à la.
place de Lieutenant Civil au Châtelet de Paris ,
après la retraite de fon père , fut préſenté en
cette qualité à Leurs Majeftés & à la Famille
Royale.
54
Le même jour , l'Abbé de Voifenon , préfenta
à Leurs Majeftés & à la Famille Royale ,
le Difcours qu'il a prononcé à l'Académie Françoife
pour la réception.
Le 31 , il y eut Bal à la Cour. Le Roi , ainf
que Monfeigneur le Dauphin , Madame la Dauphine
, Madame Adélaïde , Meſdames Victoire ,
Sophie & Louiſe l'honorerent de leur préfence,
Le Duc d'Orléans , le Duc de Chartres , le Prince
de Condé , le Prince de Conti , le Comte dẹ.
la Marche , le Comte de Luface & la Comteffe
de Henneberg , affifterent à cette Affemblée
, qui fut auffi brillante que les précédentes.
Le 1. de ce mois , les Chevaliers , Commandeurs
& Officiers de l'Ordre , affifterent au fervice
anniverfaire qu'on célébre pour les Cheva
diers de l'Ordre. L'Evêque de Langres y officia
Le même jour , le feur Gigot , Ex- Recteur
de l'Univerfité , accompagné des Doyens des quatre
Facultés , ent l'honneur de préfenter , felon
Tufage , un Cierge au Roi , à la Reine , à Monfeigneur
le Dauphin , à Madame la Dauphine ,
à Monfeigneur le Duc de Berry , & à Monfeigneur
le Comte de Provence.
Le même jour , le Père Pays , Commandeur
de la Merci , accompagné de trois de fes ReliAVRIL.
1763. 187
gieux , a eu l'honneur de préfenter un Cierge
à la Reine , en conféquence d'une condition im
pofée à cet Ordre , lorfque Marie de Médicis
en permit l'établiſſement à Paris en 1613 .
> du
Le 2 , Fête de la Purification de la Sainte
Vierge , les Chevaliers , Commandeurs & Offi
ciers de l'Ordre du Saint Eſprit , s'étant affemblés
vers les onze heures du matin dans le Cabinet
du Roi , le Prince de Lamballe fut introduit
dans ce Cabinet , où il fut reçu Chevalier
de l'Ordre de Saint Michel . Le Roi fortit enfuite
de fon appartement pour aller à la Chapelle :Sa
Majefté étoit précédée du Duc d'Orléans , dú
Duc de Chartres du Prince de Condé ,
Prince de Conti du Comte de la Marche , du
Comte d'Eu , du Duc de Penthievre & des Che
valiers , Commandeurs de l'Ordre . Le Prince de
Lamballe , en habit de Novice , marchoit entre
les Chevaliers & les Officiers . Le Roi , devant
qui les deux Huiffiers de la Chambre portoient
leurs maffes , étoit en manteau , le Collier de l'Or
dre pardeffus , ainfi que celui de la Toifon d'Or.
Lorfqu'on eut chanté l'Hymne Veni Creator
le Roi monta fur fon Trône , & reçur Cheva
lier le Prince de Lamballe . L'Evêque Duc de
Langres, Prélat,Commandeur, célébra la Grand-
Meffe , à laquelle la Reine , accompagnée de
Madame la Dauphine , de Madame Adélaïde
& de Meſdames Victoire , Sophie & Louiſe , affifta
dans la Tribune ; après quoi , le Roi fut reconduit
à fon appartement en la maniere accoutumée.
2.
Le même jour , la Marquife de Belfunce fut
préſentée à Leurs Majeſtés , ainfi qu'à la Famille
Royale , par la Comteffe de Belfunce ; & le Comte
d'Apchon , Maréchal des Camps & Armées du
188 MERCURE DE FRANCE.
Roi , à été présenté à Sa Majeſté en qualité de
Gouverneur du Duc de Bourbon .
Le 7 , il y eut Bal à la Cour. Leurs Majeftés ,
ainní que Monfeigneur le Dauphin , Madame la
Dauphine , & Meldames , l'honorerent de leur
préfence. Le Duc d'Orléans , le Duc de Chartres ,
le Prince de Condé , le Prince de Lamballe , &
le Conte de Luface affiftérent à cette affemblée .
Le même jour , le Prince de Beauvau , qui
commandoit les Troupes Françoiles en Portugal
, eft arrivé , & a été préſenté au Roi ,
Le 6 , Leurs Majeftés , ainsi que la Famille
Royale , fignérent le Contrat de mariage du Comte
de la Luzerne , avec la Demoifelle Angrand
d'Alleret. Le même jour , la Ducheffe d'Havré .
fut préfentée à Leurs Majeftés & à la Famille
Royale , par la Marquife de Léde , & prit le Tabouret
chez la Reine.
Le 8 , le Prince Héréditaire de Naffau-Saarbruck
eut l'honneur d'être préfenté au Roi , à
la Reine & à la Famille Royale.
Le 10 , on célébra dans l'Eglife Paroiffiale de
Notre-Dame , un Service pour feue Madame
Henriette de France. La Reine y affifta , ainfi
que Monfeigneur le Dauphin , Madame la Dauphine
, Madame Adélaïde , Meldames Victoire ,.
Sophie & Louife.
Le 13 Leurs Majeftés , ainfi que la Famille
Royale , fignerent le Contrat de mariage du
Comte de Montboiffier avec la Demoiſelle de
- Rochechouart.
Le 14 , il y eut Bal à la Cour. Leurs Majeftés
, ainfi que Monfeigneur, le Dauphin , Madame
la Dauphine , le Duc d'Orléans , le Duc
de Chartres , le Prince de Condé , le Prince de
Lamballe , le Comte de Laface , & la ComAVRIL.
1763: 189
teffe de Henneberg affifterent à cette Affemblée
.
La Ducheffe de la Rochefoucault & la Ba
ronne de Warsberg furent préfentées à Leurs
Majeftés & à la Famille Royale ; la premiere ,
par la Ducheffe d'Enville ; & la feconde , par
la Comteffe d'Helmftat. La Ducheffe de la Rochefoucault
prit le Tabouret le même jour.
Le Comte de Bonneguife , Capitaine dans le
Régiment de Bourgogne , Cavalerie , a obtenu
l'agrément du Roi , pour la charge de Colo
nel- Lieutenant du Régiment d'Infanterie d'Eu ,
vacante par la promotion du Comte de Caſtellane
au grade de Maréchal de Camp.
Aujourd'hui la Cour a pris le deuil pour quinze
jours , à l'occafion de la mort du Cardinal de
Baviere , Evêque & Prince de Liége.
Le 2 de ce mois , Archevêque de Narbonne ,
Grand -Aumônier de France , prêta ferment entre
les mains du Roi , pour l'Archevêché de
Rheims.
Sa Majefté a difpofé de l'Archevêché de Touloufe
en faveur de l'Evêque de Condom ; & de
l'Evêché de Condom en faveur de l'Abbé d'Anteroche
, Vicaire Général du Diocèle de Cambray.
Le Roi a donné l'Abbaye de Reclus , Ordre
de Citeaux , Diocèle de Troyes , à l'Abbé de
Ventoux , Vicaire - Général du même Diocèle ;
Celle de Sainte Claire d'Annonay en Vivarais ,
Diocèle de Vienne , à la Dame de Belmés , Religieufe
Urfuline du Monaftere de Pernés , Diocèle
de Carpentras ; & le Prieuré de Poiffy' ,
Ordre de Saint Dominique , Diocèle de Chartres
, à la Dame de la Beaume-Suze , Religieufe
Bénédiaine de l'Abbaye de, Saint Honoré de
Tarafcon.
190 MERCURE DE FRANCE.
L'Impératrice Catherine de Ruffie , depuis
fon avenement au Trône , ayant fait difficulté
de renouveller la reverfale qui avoit été fucceffivement
donnée par l'Impératrice Elifabeth &
par l'Empereur Pierre III . au fujet du titre
Impérial , le Baron de Breteuil , Miniftre Plénipotentiaire
de Sa Majefté en Ruffie , a été
quelque temps fans avoir fon audience & fans
remettre les lettres de créance ; mais pour lever
cette difficulté , l'Impératrice Catherine à fait
remettre la déclaration fuivante à tous les
Miniftres Etrangers réſidans à ſa Cour.
DECLARATION faite par l'ordre exprès de Sa
Majefté Impériale de toutes les Ruffies.
»Le titre d'Impérial que Pierre le Grand , de
glorieuſe mémoire , a pris , ou plutôt renou
» vellé pour lui & pour fes fuccefleurs , appar¬
פ כ
tient depuis longtemps tant aux Souverains
» qu'à la Couronne & à la Monarchie de toutes
» les Ruffies. Sa Majefté Impériale regarde com-
« me contraire à la folidité de ce principe tout re-
» nouvellement des reverfales qu'on avoit don
» nées fucceffivement à chaque Puiffance lorf
» qu'elle reconnut ce titre. En conséquence ,
Sa
» Majefté vient d'ordonner à ſon Miniſtre de faire
» une déclaration générale que le titre d'Impérial,
» étant par fa nature même une fois attaché à la
» Couronne & à la Monarchie de Ruffie , & per
pétué depuis longues années & fucceffions , ni
Elle ni fes fuccefleurs à perpétuité ne pour
«<< ront plus renouveller lefdites reverfales , & en
>> core moins entretenir quelque correſpondan-
>> ce avec les Puiffances qui refuferont de reconnoî
>>tre le titre Impérial dans les perſonnes des
AVRIL. 1763. 191
"
Souverains de toutes les Ruffies , ainfi que dans
>> leur Couronne & leur Monarchie : & pour que
>>cette déclaration termine à jamais toutes les dif-
» ficultés dans une matiére qui ne doit en com-
» porter aucune , S. M. en fe conformant à la dé
> claration de l'Empéreur Pierre le Grand , dé-
» clare que le titre d'Impérial n'apportera au-
» cun changement au cérémonial ufité entre les
Cours , lequel reftera toujours fur le même
» pied.
Fait à Mofcou , ce 21 Novembre 1762.
Signé , WORONZow.
B. A. GALLITZIN.
Le Baron de Breteuil ayant envoyé ici cette dé
claration , Sa Majefté a ordonné qu'on y fît une
réponſe propre à conftater irrévocablement le cérémonial
entre les deux Cours , & à prévenir en
même temps les difficultés qui pourroit s'élever
dans la fuite , au préjudice de la bonne intelligen
-ce qu'Elle défire de perpétuer entre elles .
DECLARATION faite par l'ordre exprès du Roi ,
pourfervir de réponſe à celle qui a été remiſe au
Baron de Breteuil par les Miniftres de Sa Majefté
Impéria e de toutes les Ruffies.
20
» Les titres ne font rien par eux- mêmes ; ils
n'ont de réalité qu'autant qu'ils font reconnus ;
& leur valeur dépend de l'idée qu'on y attache
& de l'étendue leur donnent ceux qui ont le
que
droit de les admettre , de les rejetter ou de les
limitter. Les Souverains eux - mêmes ne peuvent
pas s'attribuer des titres à leur choix ; l'aven
de leurs Sujets ne fuffit pas ; celui des autres
» Puiſſances eſt néceffaire , & chaque Couronne,
כ
192 MERCURE DE FRANCE .
libre de reconnoître ou de récufer un titre nou-
» veau , peut auſſi l'adopter avec les modifications
» & les conditions qui lui conviennent.
» En fuivant ce principe , Pierre I & ſes fucceffeurs
, jufqu'à l'impératrice Elifabeth , n'ont ja-
» mais été connus en France que fous la dénomi-
» nation de Czar. Cette Princeffe eft la premiere
de tous les Souverains de Ruffie à qui le Roi
ait accordé le titre Impérial , mais ce fut fous
» la condition expreffe que ce titre ne porteroit
aucun préjudice au cérémonial ufité entre
» les deux Cours.
39
L'Impératrice Elifabeth foufcrivit fans peine
» à cette condition , & s'en eft expliquée de la
se manière la plus précife dans la réverfale , dreffée
par fon ordre & fignée au mois de Mars 1745
par les Comtes de Beftucheff & de Woronzow.
La fille de Pierre I y témoigne toute fa fatisfaction
. Elle y reconnoît que c'eft par amitié & par
» une attention toute particuliere du Roi pour Elle,
que Sa Majeflé a condefcendu à la reconnoif
fance du titre Impérial que d'autres Puissances
lui ont déja concédé , & Elle avoue que cette com-
» plaifance du Roi lui eft tres - agréable.
و د
» Le Roi , animé des mêmes fentimens pour
» l'Impératrice Cathérine , ne fait point difficulté
s de lui accorder aujourd'hui le titre Impérial , & 33
de le reconnoître en Elle comme attaché au
30 Trône de Ruffie : mais Sa Majesté entend que
ɔ cette reconnoiſſance ſoit faite aux mêmes conditions
que fous les deux regnes précédens , &
» Elle déclare que, fi par la fuite quelqu'un des
fucceffeurs de l'Impératrice Catherine , oubliant
» cet engagement folemnel & réciproque , venoit
à former quelque prétention contraire à l'ufage
conftamment fuivi entre les deux Cours fur le
» rang
AVRIL. 1763. 193
८
» rang & la préféance , de ce moment la Couronne
de France , par une jufte réciprocité , reprendroit
fon ancien flyle , & cefferoit de don-
»ner le titre Impérial à celle de Ruffie.
כ כ
Cette déclaration tendante à prévenir tout
fujet de difficulté pour l'avenir , eft une preuve
de l'amitié du Roi pour l'Impératrice , & du defir
fincere qu'il a d'établir entre les deux Cours
une union folide & inaltérable .
Fait à Versailles le 18 Janvier 1763 .
Signé LE DUC DE PRASLIN.
De STRASBOURG , le 20 Janvier 1763.'
Le 17 de ce mois , le Maréchal de Contades ,
le fieur de Lucé , Intendant de la Province , &
l'Evêque d'Arath , fe font tranfportés , en conféquence
des Lettres de Cachet qui leur ont été
adreffées , à l'Abbaye Réguliere de Marmoutier
, Ordre de Saint Benoît de l'ancienne Obfervance
, près de Saverne au Diocèle de Strafbourg
, pour y affifter en qualité de Commiffaires
du Roi , à l'élection d'un nouvel Abbé , dont
la Place étoit vacante par la mort du Père Placide.
Schweigheuffer , Religieux du même ordre ,
décédé le is Décembre dernier . On a procédé
le lendemain 18 à cette élection par la ' voye du
fcrutin , & tous les fuffrages fe font réunis en
faveur du Pere Anfelme Genin , Religieux de la
même Abbaye , natif de Waffelonne en Alface ,
âgé de quarante-deux ans...
De PARIS , le 18 Février 1763.¨
L'Académie Royale des Sciences ayant préfenté
au Roi les Sieurs Bailli & J eaurat pour la
place d'Adjoint Aftronome , vacante par la mort
de l'Abbé de la Caille , S. M. les a nommés un
II. Vol, obim Indus »
194 MERCURE DE FRANCE.
:1
& l'autre , à la charge que la premiere place qui
vaquera dans cette Claffe ne fera point remplie.
Le Traité définitif de Paix a été figné le 10
de ce mois chez le fieur Duc de Bedfort , Ambaffadear
Extraordinaire & Plénipotentiaire du
Roi de la Grande- Bretagne , entre les Ambaffadeurs
& Plénipotentiaires qui ont figné les Préliminaires
à Fontainebleau te 3 Novembre de l'année
derniere. Le fieur de Mello , Miniftre Plénipotentiaire
du Roi de Portugal près du Roi , &
fon Ambaffadeur pour les conférences de la Paix ,
a figné en même temps l'acte d'acceffion de Sa
Majefté très fidele au Traité définitif.
Le 29 du mois dernier , le fieur Gor , Commiffaire
Général des fontes de l'Artillerie , a coulé
en bronze à l'Arfenal la Statue pédestre du Roi ,
qui doit être érigée dans la Place Royale de
Rheims. Cette fonte a eu le même fuccès que
celle qui a été faite le 20 Novembre dernier des
deux Figures de dix pieds de proportion qui doivent
accompagner le Piédeftal . La figure du Roi
a onze pieds & demi de proportion , ce Monu
ment , que la Ville de Rheims confacre à la
gloire de S.M. eft de la compofition du Sr Pigalle.
Le Vingt- cinquiéme tirage de la Loterie de
l'Hôtel-de-Ville s'eft fait le 25 du mois dernier ,
en la manière accoptumée. Le lot de cinquante
mille liv. eft échu au numero 53043 ; celui de
vingt mille liv. eft échu au numero 5 26 38 ; & les
deux de dix mille 1. aux numero 53005 & 58779 .
Les de ce mois , on a tiré la Loterie de l'Ecole
Royale Militaire . Les Numéros fortis de la roue
de fortune , font , 19 , 30 , 3 , 42 , 18. Le prochain
tirage le fera le Mars.
Le Roi ayant pris la réfolution de donner à
tout fon Brat Militaire une conftitution nouvelle ,
uniforme & conftante , vient de rendre une OrAVRIL
1763.
donnance , pour la Cavalerie , conçue fur le même
195
plan que celles qui a déja été publiée concernant
'Infanterie. Par cette nouvelle Ordonnance , darée
du 21 Décembre 1762 , Sa Majesté conferve
fur pied ,
indépendamment du Régiment des Carabiniers
de
Monfeigneur le Comte de Provence ,
les trente Régimens de Cavalerie fuivans ; le Colonel
- Général , le Meftre de- Camp- Général , le
Commiffaire-Général , Royal , du Roi , Royal-
Etranger , les Cuiratliers du Roi , Royal -Cravates ,
Royal- Rouillon , Royal-Piémont , Royal- Almand
, Royal- Pologne , Royal- Lorraine , Royal-
Picardie , Royal-
Champagne , Royal-Navarre ,
Royal
Normandie, la Reine, Dauphin,
Bourgogne ,
Berry , Artois , Orléans , Chartres , Condé, Bourbon
, Clermont , Conti , Penthiévre & Noailles,
Chacun de ces trente
Régimens fera composé en
tout temps de huit
Compagnies qui formeront quatre
efcadrons . On créera une place de Sous- Lieutenant
dans chaque
Compagnie , & le titre de
Cornette fera fupprimé , à la réserve de celui qui
eft attaché à la
compagnie du Colonel - Général
de la Cavalerie. La place de Maréchal - des - Logis
relle qu'elle eft
aujourd'hui , fera
fupprimée , &
il fera crée dans chaque
compagnie quatre places
de
Maréchal- des- Logis pour y remplir les
mêmes
fonctions que les Sergens dans l'Infanterie.
Chaque
compagnie de Cavalerie fera commandée
en tout temps par un
Capitaine y
Lieutenant & un- Sous-
Lieutenant , &
compofée
de quatre
Maréchaux -des- Logis , un Fourrier ,
huit
Brigadiers , huit
Carabiniers , trente- deux
Cavaliers & un
Trompette , tous montés . Ille-
Ta créé dans chacun des trente
Régimens de Cavalerie
deux charges de Sous -Aide Major & une
place de Tréforier ; il fera
pareillement établi
un
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
un Quartier- Maître dans chaque Régiment & un
Porte- Etendard par chaque Elcadron . Les difpofitions
qui regardent le choix , les rangs & les fon
Aions des Officiers , la police & la difcipline , l'adminiftration
de la caifle , le terme des engagemens
& des congés , &c , font les mêmes que
celles qui ont été établies pour l'Infanterie . Sa
Majeſté a auffi réglé une paye de paix & une
paye de guerre pour les troupes de fa Cavalerie
de la manière fuivante.
Compagnies. A chaque Capitaine , 2000 livres
par an en paix , & 3600 livres en guerre. Au
Capitaine Lieutenant des Compagnies Meſtrede
- Camp des Régimens du Meftre- de- Camp
Général & du Commiflaire- Général. A chaque
Lieutenant & au Sous- Lieutenant de la Compagnie
du Colonel- Général , 900 livres en paix &
1200 livres en guerre. A chacun des Cornettes
& Sous- Lieutenant des Compagnies du Colonel-
Général de Meftre- de- Camp- Général & du Commiffaire-
Général , 675 livres en paix & 900 livres
en guerre. A chaque Sous- Lieutenant , 600 livres
en paix & 800 livres en guerre. A chaque
Maréchal des Logis , 234 livres en paix & 270
livres en guerre. Au Fourrier , 216 livres en paix
>
252 livres en guerre. A chaque Brigadier
144 livres en paix & 180 livres en guerre. A
chaque Carabinier , 135 livres en paix & 171 livres
en guerre. A chaque Cavalier , Timbalier
ou Trompette , 126 livres en paix & 162 livres
en guerre.
Etat-Major. Au Meftre- de-Camp , indépendamment
de fes appointemens de Capitaine ,
2500 livres en paix & 3000 livres , en guerre.
A Chacun des Meftres-de- Camp- Commandans
des Régimens de Meftre- de-Camp- Général ,
AVRIL. 1763. 197
1
Commiffaire- Général & du Régiment Royal-
Allemand , 2500 livres en paix & 3000 livres
en guerre . Au Lieutenant- Colonel , indépendamment
de les appointemens de Capitaine , 1600 li
vres en paix & 1800 livres en guerre. Au Major
, 3000 livres en paix & 4500 livres en guerre.
A chaque Aide-Major , avec commiffion de Capitaine
, 1800 livres en paix & 3000 livres en
guerre. A chaque Aide- Major , fans commiffion
de Capitaine , 1500 livres en paix & 2000
livres en guerre. A chaque Sous - Aide - Major
1000 livres en paix & 1200 livres en guerre.
Au Quartier- Maître , 600 livres en paix & 800
livres en guerre. A chaque Porte- Etendard ,
480 livres en paix & 540 livres en guerre . Au-
Tréforier , 2000 livres en paix ,
& 3000 livres
en guerre . A l'Aumônier , 720 livres en temps
de guerre ſeulement. Au Chirurgien , 720 livres
en temps de guerre feulement .
Sa Majefte veut que la paye de guerre ne
foit donnée qu'à ceux defdits Régimens qui ferviront
en campagne , à commencer du jour de
leur arrivée à l'armée , juſqu'à celui de leur départ
de l'armée pour rentrer dans le Royaume ;
& que ceux qui demeureront en garniſon dans
le Royaume pendant la guerre ne touchent que
la paye réglée pour le temps de paix. Sa Majefté
établit les moyens de parvenir à la nouvelle
compofition & à la réforme preſcrites.
Cette Ordonnance eft terminée par un état de
l'uniforme réglé par le Roi pour l'habillement
& équipement des Régimens de fa Cavalerie.
Il paroît auffi trois autres Ordonnances du Roi.
Par la premiere , en date du 12 Décembre
1762 , & portant réduction dans les trente Compagnies
du Régiment des Gardes Françoiſes , Sa
ཙྩ
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Majefté ordonne que ces trente Compagnies 3
qui font actuellement compofées de cent quarante
hommes , feront réduites au nombre de
cent vingt- fix , y compris fix Sergens , trois
Caporaux , neufAnfpeffades , quatre Tambours ,
& cent quatre Fusiliers .
Par la feconde & la troifiéme , du 21 du
même mois , Sa Majesté réforme la Compagnie
des Volontaires de Cambefort & le Régiment
de Cavalerie Allemande deNaffau-Wfingen.
Il paroît une Ordonnance du Roi , datée du 21 .
Décembre 1762 concernant les Régimens d'Infanterie
Irlandoife . Suivant cette Ordonnance , Sa
Majeſté conferve fur pied les Régimens de Bulkeley
, Clare , Dillon , Rothe & de Berwick ; le Régiment
Royal- Ecoffois & ceux d'Ogilvy & de Lally
feront fupprimés & incorporés dans les cinq qui
feront confervés , & dont chacun formera un bataillon
divifé en une Compagnie de Grenadiers
& huit de Fufiliers ; chacune des compagnies de
Grenadiers fera commandée en tout temps , ainfi
que chaque compagnie de Fufiliers , par un Capitaine
, un Lieutenant & un Sous - Lieutenant.
Celles des Grenadiers feront compofées chacune
de deux Sergens , d'un Fourrier, quatre Caporaux,
quatre Appointés , quarante Grenadiers , & d'un
Tambour ; celles des Fufiliers , en temps de paix ,
de quatre Sergens , d'un Fourrier , de huit Caporaux
, huit Appointés , quarante Fufiliers & de
deux Tambours : il fera créé dans chaque Régiment
un Sous-Aide- Major , un Tréſorier ,
Quartier-Maître, deur Porte -Drapeaux , un Tambour-
Major. Il continuera d'être entretenu un
Colonel en fecond dans le Régiment de Dillon .
Les difpofitions qui ont été établies pour l'Infanterie
& la Cavalerie Françoiſes feront exactement
fuivies relativement au choix , aux rangs & aux
un
AVRIL. 1763 . 199
fonctions des Officiers , à la police & à la difcipline
, ainfi qu'à l'adminiftration de la caiffe ,
&c. La paye de paix & la paye de guerre feront
réglées de la manière fuivante , & avec les mêmes
claufes que celles portées dans les précédentes
Ordonnances de Sa Majesté.
Compagnies de Grenadiers . A chaque Capitaine
, 2000 en paix , & 3000 livres ¿en guerre ;
au Lieutenant 900 livres en paix , & 1200 livres
en guerres au Sous-Lieutenant 500 livres
en paix , & 900 livres en guerre ; à chaque Sergent
, 222 livres en paix , & 228 livres en guerre ;
au Fourrier , 180 livres en paix , & 186 livres
en guerre à chaque Caporal , 156 livres en
paix , & 162 livres en guerre ; à chaque appointé ,
138 livres en paix , & 144 livres en guerre ; à
chaque Grenadier & au Tambour , 120 livres en
paix & 126 livres en guerre.
>
Compagnies de Fufilters . Au Capitaine , 1800
livres en paix , & 2400 livres en guerre au
Lieutenant 600 livres en paix , & 1000 en
guerres au Sous - Lieutenant 540 livres en
paix , & 800 livres en guerre à chaque Sergent
204 livres en paix , & 210 livres en guerre ,
au Fourrier , 162 livres en paix , & 168 en
guerre à chaque Caporal , 138 livres en paix .
& 144 livres en guerres à chaque Appointé
120 livres en paix 126 livres en guerres à cha-,
que Fufilier ou Tambour , 102 livres en paix
& 108 livres en guerre.
Etat-Major. Au Colonel , y compris les appointemens
de Capitaine , 12000 livres en tout
temps ; au Lieutenant colonel , indépendamment
de fes appointemens de Capitaine 1700.
livres en paix , & 3000 livres en guerre ; au
Major , 2880 livres en paix , & 4000 livres en
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
>
guerres à chaque Aide- Major , avec la commiffion
de Capitaine , 1800 livres en paix , &.
2400 livres en guerre ; à chaque Aide- Major ,
fans commiffion de Capitaine , 1200 livres en
paix , & 1860 livres én guerre ; à chaque Sous-
Aide- Major , 600 livres en paix , & 1200 livres
en guerres à chaque Porte- Drapeau , 450 livres
en paix , & 600 livres en guerre ; au Quartier-
Maître , 540 livres en paix & 800 livres en
guerres au Tréforier , 1200 livres en paix , &
2000 livres en guerre ; au Tambour- Major
252 livres en tout temps ; à l'Aumônier , soo
livres en paix , & 720 livres en guerre ; Au Chirurgien
, co livres en paix , & 720 livres en
guerre ; au Colonel en fecond du Régiment de
Dillon , 2400 liv . en paix , & 2880 liv . en guerre.
A
>
Les Officiers excédans le nombre préfcrit feront
reformés. Les Colonels qui feront dans ce cas
conferveront leurs appointemens en y comprenant
la gratification qui étoit attachée à leurs
charges. Les autres Officiers réformés & qui
feront étrangers , ou originaires Anglois , Ecoffois
& Irlandois , jouiront ; fçavoir , les Lieutenants-
Colonels , de 1800 livres de penſions
les Capitaines de Grenadiers de 1200 livres ; les
Capitaines de Fufiliers qui auront vingt ans de fervice
, & le Major , de 1050 livres ; les autres
Capitaines de Fufiliers , de 800 livres ; les Lieutenans
de 400 liv . & les Lieutenans en fecond
ou Enfeignes de 300 livres. Les Capitaines
ou Capitaines en fecond , qui feront François ,
jouiront en penfions fur le Tréfor Royal , s'ils
ont vingt ans de fervice , de 300 livres feulement.
Quant aux Lieutenans , Lieutenans en.
fecond ou Enfeignes qui feront François , its
fe retireront chez eux pour y attendre les em-
›
AVRIL. 1763.
201
plois auxquels Sa Majefté les deftine. Cette Ordonnance
eft terminée par un état de l'unifórme
réglé par Sa Majefté pour l'habillement
& équipement de ces cinq Régimens.
MORTS.
ce
Un Exprès dépêché de Liége , a apporté la
nouvelle de la mort du Cardinal de Baviere. Il
s'étoit trouvé légérement incommodé le 20 Janvier
, & l'on avoit pris fon indifpofition pour une
fluxion dans la tête. Les fymptômes ont changé
depuis , la maladie eft devenue plus grave , &
malgré tous les fecours de la Médecine ,
Prince eſt mort le 27 à dix heures du matin. Il
fé nommoit Jean -Théodore , il étoit né Duc de
Baviere , Cardinal Prêtre de la Sainte Egliſe Romaine
, Evêque Prince de Liége , de Ratisbonne &
de Freyfingue , & par l'Evêché de Liége , Duc
en partie de Bouillon , Marquis de Franchimont ,
Comte de Lors & de Hornes , Baron d'Herstal
, & c. Né à Munich le 3 Septembre 1703. Il
avoit été élu Evêque de Ratisbonne ſur la démilfión
de Jofeph-Clément de Baviere , fon oncle ,
le 29 Juillet 1719 , & Coadjuteur du même Prince
à l'Evêché de Freyfingue le 4 Novembre
1723 , dont il devint Titulaire le 23 Février
1727 ; il fut ordonné Prêtre le 8 Avril 1736 ,
facré le premier Octobre fuivant ; créé Cardinal
Le 9 Septembre 1743 ( déclaré feulement le 17
Janvier 1746. ) Et élu Evêque Prince de Liége
le 23 Janvier 1744 .
Ce Prince étoit fils de Maximilien Emmanuel ,
Electeur de Baviere , mort le 26 Février 17 26
& de Thérefe Cunegonde , fille de Jean MI Sobiesky
, Roi de Pologne , morte le ro Mars
1730. Il avoit pour frères ainés , 1 °. Charles - Al
202 MERCURE DE FRANCE.
bert , Electeur de Baviere , élu Empereur le 24
Janvier 1744 ↑ & mort le 20 Janvier 1745 , père
de l'Electeur de Baviere régnant , 20. Ferdinand-
Marie Duc de Baviere à Munick , mort le 9 Décembre
1738 , laiffant Clément - François de
Paule , Duc de Baviere à Munick ; 3 ° . Clément-
Augufte , Archevêque de Cologne , Electeur de
1 Empire , & c , mort le 6 Février 1761. Il étoit
oncle , à la mode de Bretagne , du Roi , étant
neveu de Marie-Anne Chriſtine Victoire de Baviere
, épouſe de Louis de France ; Dauphin de
Viennois & Ayeul de Sa Majesté.
Le Comte d'Aunay , Lieutenant Général des
Armées du Roi , eft mort dans une de fes Terres
en Nivernois.
N. Boivin de Vaurony , Abbé Commendataire
des Abbayes Royales de Preuilly , Ordre
de Citeaux , Diocéle de Sens ; & de Saramont ,
Ordre de S. Benoît , Diocéfe d'Auſch , mourut
en cette Ville le 22 Janvier , âgé de quatrevingt-
dix ans.
Jean-Baptifte de Bernart d'Averne , Grand-
Vicaire de Lifieux , Abbé Commendataire de
l'Abbaye de Lorroux ,Ordre de Citeaux , Diocéfe
d'Angers , eft mort en cette Ville le 26
du même mois dans la foixante-dixiéme année
de fon age.
Louis Racine , Ecuyer , Avocat en Parlement
& Penfionnaire Vétéran de l'Académie des
Infcriptions & Belles-Lettres , eft mort en cette
Ville , le 29 du même mois dans la foixanteonziéme
année de fon âge . Fils du grand Racine
, il a foutenu l'honneur de ce beau nom
par des Ouvrages eftimables , furtout par le
Poëme de la Religion . Il laiffe deux filles ; il avoi
eu un fils qui donnoit de grandes -efpérances
AVRIL. 1763. 203
& qui fut malheureufement fub mergé par les
flots de la mer fur une jettée du Port de Cadix
le jour même du tremblement de terre de Lisbonne,
Magdelaine-Leonor Gigault de Bellefont , Abbeffe
de l'Abbaye Royale de Montivilliers , Ordre
de S. Benoît , Diocéfe de Rouen , eft morte
en cette Abbaye , âgée de cinquante- fept ans,
Marie-Thérefe de Damas - Crux , épouse de Louis-
Theodofe Andrault , Comte de Langeron , Mar
quis de la Côte , Baron de la Ferté - Langeron ,
de Sacy , &c. Lieutenant Général des Armé es
du Roi , Lieutenant pour Sa Majefté des quatre
Evêchés de la Bafle - Bretagne , Commandant
en chef dans la Province de Guyenne , & Gouverneur
de Breſt & des Ifles d'Ouëlfant , eft
morre à Paris , les Février , âgée de vingt - trois
ans .
Catherine- Elifabeth de Roncourt , veuve de
Nicolas- François de Hennequin , Conte de
Curel , de Geneloncourt , & Desfrenelles , Ba
ron du S, Empire , Chambellan du feu Duc de
Lorraine Leopold , & Grand- Louvetier de Lorraine
, eft morte à Luneville dans le mois de
Janvier, âgée d'environ cinquante ans .
Marie- Francais- Augufte de Matignon , Comte
de Gacé , ci-devant Meftre de Camp du Régiment
du Roi , Cavalerie , Brigadier , des , Ar
mées du Roi , eft mort le 8 Février , dans la trene
te-deuxième année de fon âge.
Catherine-Charlotte-Amélie de Choifeul ,Veuve
de Louis- Henri de Maillart , Baron d'Hanneffe
Dame de l'Ordre de l'Impératrice - Reine , eft
morte en fon Château d'Y,che en Lorraine , le 20
Janvier ; elle ne laiffe de ce mariage qu'une fille
unique mariée au Marquis d'Harcourt.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE..
Marie- Marguerite Martin , veuve de Florent
Jean de Valliere , Lieutenant- Général des Armées
du Roi , Grand'Croix de l'Ordre Royal &
Militaire de S. Louis , ancien Directeur- Général
de l'Artillerie de France , Gouverneur de Bergues
,& Membre de l'Académie Royale des Sciences
, eft morte en cette Ville le ro Février , âgée
de foixante- douze ans.
Claude Fontaine , Régent à Dardagny proche
Genève , eft mort le 2 Janvier , dans la cent troi-
Liême année de fon âge.
Jean Conftant , né à Limoux en Languedoc le
4 Juin 1749 , ancien Lieutenant du Régiment
de la Vieille Marine , eft mort en cette Ville le
16 Janvier. Il avoit reçu fept bleffures pendant
vingt-cinq ans de fervice , & s'étoit retiré en
1688. Il étoit , diſoit- il , à côté du feur de Saint
Hilaire , lorfque cet Officier eut le bras emporté
au moment que le grand Turenne fut tué d'un
bouler de canon. Il étoit logé au Temple , où la
Cérémonie de fes funérailles s'eft faite avec l'appareil
militaire , par les ordres & aux frais du
Prince de Conti.
Le Service annuel , fondé par le Roi en l'Abbaye
Royale de Saint Denis en France , pour feue
Madame Henriette , fut célébré le 11 Février
avec les Cérémonies ordinaires . L'Evêque de
Meaux , premier Aumônier de cette Princefle ,
y affifta , ainfi que la Ducheffe de Beauvilliers ,
Dame d'Honneur , le Baron de Montmorenci ,
Chevalier d'Honneur , & les autres Dames &
Officiers de la maifon de feue Madame.
AVRIL. 1763. 205
NOUVELLES POLITIQUES
Du mois d'Avril 1763.
De WARSOVIE , le 9 Février 1763.
ONNa appris par les dernières Lettres de Courlande
que le fieur Simolin a remis au Sénateur
Lipski , Caftellan de Lincici , une Déclaration
dont voici la teneur .
DÉCLARATION de l'Impératrice de toutes les
Ruffies , remife parfon Miniftre à M. le Caftellan
de Lipski.
Sa Majefté Impériale ne permettra jamais
que S. E. M. lé Caftellan & M.le Palatin de
Glateo éxécutent la commiffion dont Sa Ma
» jefté Polonoiſe les a chargés , ni qu'ils éxer
cent aucun acte de Jurifdiction dans les Duchés
de Courlande & de Semigallé.
*
??
""
""
1
Les affaires actuelles de la Courlande font des
affaires d'Etat qui demandent la concurrence
de toute la République ; le Roi & le Sénat ne
peuvent feuls s'en attribuer la décifion .
L'Impératrice ne reconnoît & ne reconnoîtra
jamais d'autre Duc que S. A. S. l'ancien Due
Erneft -Jean , légitimement inveſti du conſentement
de toute la République , & pour
l'é
largiffement duquel le Roi , conjointement avec
la République , s'eft fi fouvent intéreffé.
» Sa Majefté Impériale n'ignore point que ces
Duchés font un Fief dépendant du Corps entier
de la République , & non du Trône des
Rois de Pologne ; conféquemment l'Impéra
ratrice ne fouffrira jamais qu'on faffe la moin
206 MERCURE DE FRANCE:
» dre infraction aux droits & aux immunités de
ladite République , & qu'on s'arroge des affaires
qui font de fa compétence feule .
33
( Signé ) C. DE SIMOLIN . »
Ce Sénateur Lipski a fait à cette Déclaration
la Réponse fuivante .
RÉPONSE à la Déclaration , remife de la part
de Sa Majefté Impériale de Ruffie par fon
Confeiller d'Etat M. de Simolin.
» La Courlande eft un Fief relevant du Roi
so qui en eft le Seigneur Suzerain , conformément
» aux conſtitutions du Royaume ; il n'appartient
» done par conféquent qu'à Sa Majefté le Roi de
Pologne de prendre connoiffance des affaires
qui regardent ce Fief,
ƉƆ
22
รว
Depuis Sigifmond - Augufte jufqu'à Auguf-
» te III. qui règne glorieufement fur une Nation
jaloufe de fes droits & immunités , la République
n'a jamais trouvé rien à blâmer dans
l'ufage que fes Rois ont fait de leur autorité
» & du pouvoir qu'elle leur a accordé fur les Duchés
de Courlande & Semigalle .
"
Le Roi & le Sénat n'ont pas le pouvoir légiſlatif,
mais bien celui de mettre en éxécution
» ce qui a été réglé par les trois Ordres du
Royaume ; par conféquent la conftitution de
→ 1736 a donné au Roi le pouvoir de conférer l'inveftiture
de ce Fief à celui que Sa Majesté en
jugeroit digne . Depuis cette époque , toutes
les Diettes ont été malheureuſement rompues,
& le Roi & le Sénat ont fuivi l'efprit & le fens
de celle de 1736 , tant à l'occafion d'Erneft-
Jean de Biren , qu'à l'égard de Son Alteffe
Royale le Duc régnant Charles. Le Roi & le
AVRIL. 1763. 207
బ
Sénat , ainfi que la Nobleffe de Courlande ont
follicitéinutilement , pendant 18 ans confécutifs,
l'élargiffemens du premier, Le Sénat & la No
» bleffe du Duché ont demandé au Roi le Prince
» Royal Charles pour Duc ; la Déclaration de
l'Impératrice Elifabeth , de glorieuse mémoire ,
» a déterminé le Roi , & a été bientôt fuivie de
la tranfaction folemnelle conclue entre ladite
» Souveraine & Son Alteſſe Royale en 1759. Dèslors
, il étoit tout fimple que le Roi envoyât ,
avec l'avis de fon Sénat , des Sénateurs en
» Courlande , pour prendre connoiffance des troubles
qui fe font élevés dans ce Duché , & des
» violences qui s'y font commifes par les trou-
>> pes Impériales.
55
On ne peut donc , fans bleffer ouvertement
le droit des gens , & fans enfreindre tous
les Traités qui fubfiftent entre la Pologne
& la Ruffie , empêcher les deux Sénateurs délégués
de remplir l'objet de leur miffion , autorifée
par les loix du Royaume & par un ufage
> conftant.
53
53
פ כ
55
$0
» Si Sa Majesté Impériale ne reconnoît pas le
Prince Royal Charles pour Duc de Courlande ,
» c'eſt un malheur pour ce Prince , mais le Fief
n'en eft moins fous la Souveraineté du
pas
» Roi. Les titres de Sa Majesté à cet égard font
inconteftables ; & depuis plus de deux fiécles
» la République n'a jamais difputé à nos Rois
» les droits qu'elle leur a accordés fur ce Fief.
» Ce n'eft qu'au cas où il viendroit à changer de
nature que cette République s'eft réſervé d'en
prendre connoiffance , comme il eft aifé de le
voir dans nos convenitons de 1569 & 1727 .
» Donné à Mittau , le 29 Janvier 1763. »
Le Duc de Biren eſt arrivé avec . La famille
""
20
208 MERCURE DE FRANCE.
•
•
à Mittau , & y a fait fon entrée folemnelle k
22 du mois dernier . Le Magiſtrat & les Gardes
de la Bourgeoifie , qui ont d'abord refuſé de
prêter fement de fidélité au nouveau Duc , y
'ont été contraints par des éxécutions militaires.
Le fieur Simolin a même fait menacer les Magiftrats
de les faire enlever. La nuit avant cette
entrée folemnelle , on avoit enlevé de l'arc de
triomphe érigé en 1759 pour l'hommage rendu
au Prince Charles comme Duc de Courlande ,
la Couronne Royale & Ducale de ce Prince , fes
armes & celles de la Couronne de Pologne ,
ainfi que les infcriptions qui avoient été gra
vées fur ce monument. Les Membres de la Régence
Ducale ont été fommés par un Officier
Ruffe envoyé par le fieur Simolin de reconnoître
& de fervir le Duc de Biren comme légitime Duc
de Courlande ; mais ils ont répondu qu'ils ne
pouvoient le faire ; fans manquet à la fidélité
qu'ils doivent au Roi & à la République comme
Seigneurs Suzerains de ces Duchés , & au double
ferment de Vaffaux & de Serviteurs qu'ils ont
prêté au Prince Charles leur légitime Duc. Le
Dimanche fuivant , les troupes Ruffes ont forcé
la porte de la Tribune Ducale dans la principale
Eglife Luthérienne de Mittau. Le Duc de Biren
s'y est rendu ; & le Sur-Intendant Luthérien a
été forcé de le haranguer en qualité de Souverain
du pays , & d'entonner le Te Deum , qui
a été chanté au bruit d'une décharge de l'artillerie
Ruffe. La Bourgeoisie a été forcée de nouveau
à illuminer fes maifons le foir. Mais tour cet appareil
& ces actes de violence n'ont pu ébranler
la fermeté du Prince Charles , qui perfifte à refter
dans fon Palais jufqu'à la dernière extrémité.
AVRIL. 1763. 209
Du 17 Février..
Des nouvelles de Lithuanie nous apprennent
que le fieur Zabielo , Grand Veneur de ce Duché
, préfidant à la Diétine qui s'eft affemblée le
de ce mois à Kowno pour l'élection des Députés
au Tribunal annuel de Lithuanie , a haran-.
gué la Nobleffe de ce diftrict , & lui a expoſé d'une
manière G pathétique fes droits & la fituation du.
Duc Charles , qu'il a déterminé tous les Gentilshommes
de ce canton , au nombre de près de
cinq cens , à marcher avec leur fuité à Mittau ,
qui n'eft qu'à deux petites journées de Kowno ,
pour y foutenir la caufe du fils de leur Roi , y
défendre fa perfonne , & fe joindre à la partie
de la Nobleffe Courlandoiſe qui lui eſt reſtée fidelle.
Toute cette troupe s'eft mife en marche le 8 ,
accompagnée de quelques Dragons de l'armée de
Lithuanie , & elle a du être rendue le lendemain
à Mittau. On ignore encore quel effet cet événement
aura produit parmi les Partifans du Duc
de Biren , & ce qui s'eft paffé dans l'affemblée
de la Nobleife qu'il avoit indiquée pour le ro..
COPIE d'un Mémoire juftificatif en faveur dù
Duc de Biren , & envoyé de Mittau le 16 Janvier
1763.
➡ La Diete de Grodno de 1726 , en déclaran *
» nulle l'Election prématurée du Comte de Saxe ,
» ordonna qu'après l'extinction de la famille de
Kettler les Duchés de Courlande & de Semigalle
feroient incorporés à la Pologne & par-
» tagés èn Palatinats.
"
ל כ
DA
Cette difpofition n'ayant convenu ni aux
voifins ni à la Nobleffe de Courlande , on
trouva moyen de l'annuller par la Diete de
210 MERCURE DE FRANCE.
33
pacification de l'an 1736 ; celle- ci ftatua qu'a
près le décès du dernier mâle de la famille
→ Ducale de Kettler , le Roi donneroit l'inveſti-
» ture des deux Duchés à un autre & à fes def-
» cendans mâles.
os en 1737 ,
Ferdinand , le dernier de Kettler , étant mort
la Nobleffe de Courlande choisit
» pour Duc , à la recommandation de l'Impé-
» ratrice Anne , le Comte Jean- Erneft de Biren ;
» le Roi , en vertu de la fufdite conftitution de
» 1736 , donna effectivement en 1739 l'inveſti-
» ture au nouveau Duc , tant pour lui que pour
» fes defcendans mâles , avec toutes les folem
nités requifes.
» L'année ſuivante , 1740 , ce Prince qui avoit
eté Régent en Ruffie , fur , en cette qualité ,
» arrêté & éxilé avec fa famille ; & l'on mit un fequeftre
fur les revenus de la Courlande , afin
» de recouvrer les fommes qu'il y avoit fait
"paffer de Ruffie.
» Les chofes reſterent en cet état , même après
le changement qui fe fir dans le Gouvernement
» de Ruffie en 1741 , par lavénement de l'Im
pératrice Elifabeth au Trône..
Le Roi & le Sénat de Pologne ayant fait
de fréquentes inftances pour faire rendre au
» Duc Jean-Erneft la liberté & la jouillance de
soles Duchés , l'Impératrice fit constamment en-
» tendre que des raisons d'Etat , dont Elle n'a
jamais jugé à propos d'énoncer le détail , ne
lelgi permettoient pas.
» Enfin , le Prince Charles de Pologne & de
» Saxe , étant venu en 1758 à Petersbourg pour
faire fa cour à l'Impératrice avant que de fe
» rendre à l'armée Ruffe , où il alloit fervir en
qualité de Volontaire , fçut intéreffer au fort de
အ
AVRIL. 1763 . 217
"
""
""
fa famille cette Princeffe , qui l'affura qu'Elle
feroit fort aife de le voir établi Duc de Courlande
. Afin de réaliſer cette promeffe , & d'en
accéléret l'effet , Sa Majefté Impériale chargea
fes Miniftres à Mittau & à Warfovie d'y déclarer
que des raifons d'Etat ne lui permettroient
jamais de remettre en liberté le Duc
,, Jean- Erneft & fes fils , mais qu'Elle verroit
avec plaifir le Prince Charles établi à ſa place ,
,, en cas que les loix le permiffent.
""
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"
"3 En conféquence , le Roi de Pologne , flatté
,, de pouvoir procurer cet établiſſement à fon
fils , prit le parti d'affembler un Senatûs Con-
,,filium : d'y faire décider la vacance du Duché
de Courlande , de nommer le Prince Charles
» pour en remplir le Trône , & de lui confier
même l'inveftiture au commencement de l'an
>> 1759.
"2
""
"3
ود
Mais il eft à remarquer que la réſolution ·
du Senatûs Confilium ne fut point approuvée
» unanimement , & que dès-lors plufieurs des
>> Miniftres & Sénateurs les plus éclairés , tels
» que font les Princes Czartoriski , prouverent
que le Roi avec le Sénat n'avoit pas l'autorité
requife pour décider cette affaire , puifqu'elle
étoit uniquement du reffort de la Diéte ; que
» celle de 1736 n'avoit donné au Roi le pou-
» voir de nommer un Duc de Courlande que
» pour une feule fois , puifqu'elle avoit nommé-
» ment ftatué qu'après la mort du dernier
» Kettler , le Roi conféreroit le Duché à un autre
& à fes defcendans mâles exclufivement ,
ce qui avoit été légitimement éxécuté par l'inveftiture
folemnelle donnée au Duc Jean- Er
,, neft en 1739 ; & qu'ainfi ils protestoient con-
,, tre le réſultat du Sénat.
212 MERCURE DE FRANCE.
29
29
"" Cette difpofition du Roi & dù Sénat ren-
,, contra auffi dès les commencemens quelques
» oppofitions parmi les Nobles de Courlande ;
& le Prince Charles , en violant depuis , les
Pactes conclus avec les Etats par fon Plénipotentiaire
, ainfi que les loix & les priviléges
du Pays , n'a fait qu'accroître chaque
,, jour le nombre des oppofitions , de forte
,, que pluffeurs Diocèles entiers n'ont jamais
voulu le reconnoître & lui rendre hommage.
""
La fuite des Nouvelles Politiques au Mercure
prochain.
ARTICLE VII
ECONOMIE ET COMMERCE.
PRIX des Grains à Paris , pendant le
cours du préfent mois d'Avril.
FROMENT
ROMENT ( lefeptier ) 14 a 15 liv.Il en a été vendu
à 12 & à 13 liv.
Seigle , 8 liv. 15 f. à 9 liv.
Avoine , 16 1. 10 f. à 18 liv . 10 f.
Vefce , 12 liv . à 16 liv.
9 liv . 9 liv . 10 f.
Volaille & Gibier à la mi- Avril..
Chapon gras ( la piéces liv. às 1. rof.
Poularde , liv. à 4 4
liv . 10 f.
Boulet gras , 2 liv.'s f. 2 liv . 10 f. & 2 liv. 1.5 f.
វ
AVRIL 1763. 2.13
*
Poulet commun , 1 liv. 10 f. i liv. 15
Perdrix , 1 liv & 1 liv. 10 f.
Dindon gras 6 & 7 liv.
Dindon commun , 3 liv. 10 f. & 4 liv.
Liévre , 2 liv. 10 f. à 3 liv.
Lévreau , 31. ro f. à 4 liv .
Pigeon , 15 à 20 f.
Canneton de Rouen , 3 liv. 10 f. à 4 liv. 10 f.
Le Canneton commun I liv. 10 f. à 1 liv . Is f •
L'Agneau , 6 , 8 à 10 liv.
Cochon de lait , 4 liv. 5 liv . & 6 liv.
Beurre & OEufs du même
Beurre d'Iffigni , 14 f. ( la livre. )
Beurre de Gournai , 18 f.
Beurre de Chartres , 13 f.
Celui de Gâtinois , 11 & 12 f.
I
temps.
Les oeufs de Gournai , 33 liv. ( le millier. ) De
Longjumeau , 32 , d'Arras & de Picardie , 29 à 30 liv.
Fourrages.
Paille , 13 à 16 liv: ( le cent. )
Le Foin , de 30 à 34 liv..
214 MERCURE DE FRANCE.
J'AI
APPROBATION.
J'ai lu ,par ordre de Monſeigneur le Chancelier ;
le fecond volume du Mercure d'Avril 1763 ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion. A Paris, ce 14 Avril 1763. GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE,
ARTICLE PREMIER .
SUR la Pareffe. Pages
JI
VERS d'un Officier Général qui étoit fur le
point d'époufer Mlle.... &c.
L'AMANT révolté converti .
ÉPIGRAMME à l'Auteur d'une mauvaiſe Epître
, &c.
JUSTIFICATION , à une Amie.
LES Mariages heureux & malheureux ,
CONTE MORAL.
VERS à Mde Riccoboni , Auteur d'Amélie ,
Roman de Fielding.
PORTRAIT allégorique à Mlle A *** .
ÉPITRE à une jeune perfonne , au fortir de
l'Abbaye de S. Cyr.
VERS adreffés à M. le Marquis de Bréhand
par les Troupes Irlandoifes & Ecoffoiles .
VERS à l'occafion des Fêtes pour le Couronnement
de Catherine II , Impératrice
de toutes les Ruffies.
12
13
ibid.
14
35
3&
39
3 3
43
44
AVRIL. 1763. 215 .
ESSAI Philofophique fur les Caractères diftinctifs
du vrai Philofophe .
VERS l'Abbé à M. de Voifenon , de l'Académie
Françoiſe.
45
61
VERS faits pour une Eftampe du Médaillon
de Mgr le Prince de Condé , envoyée chez
plufieurs Dames.
REPONSE de Madame Bl . à une déclaration
d'amour.
VERS fur le Maufolée que S. M. a ordonné
d'ériger à feu M. de Crébillon dans l'Eglife
de S. Gervais .
A Climéne ****
qui avoit demandé des vers
62
63
ibide
à l'Auteur.
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
64
66 & 67,
68 & 69
70 COUPLETS à mettre en chant.
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES .
LETTRE de M. le Préfident Hénault ; au fujet
de la Differtation de M. de Saintfoix,
fur la Statue Equeftre qui eft à N. D. de
Paris.
RÉPONSE de M. de Saintfoix.
ac-
HISTOIRE de Jonathan Wild le Grand , traduit
de l'Anglois de M. Fielding, Auteur
de Jofeph Andrews & de Tom Jones.
PHILOSOPHIA , ad ufum Scholarum
commodata , authore Antonio Seguy.
L'ECONOME Politique ; Projet pour enrichir
& pour perfectionner l'efpéce humaine.
Avis au Public .
ANNONCES de Livres.
73
ཀླམ79
94
103
206
115
116 & fuiv.
ARTICLE HI.SCIENCES AT BELLES-LETTRES .
RESOLUTION des deux queſtions propoſées
dans le Mercure de Janvier 1763 . 129
216 MERCURE DE FRANCE .
MÉDECINE.
SUITE des Obfervations fur l'Hiftoire de la
Médecine.
LETTRE à M. De la Place , ou Obfervations
fur l'Hiftoire de la Médecine.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
SUPPLÉMENT aux Piéces Fugitives.
LETTRE d'un Habitant du Palais Royal , à
M. De la Place,
ART. IV. BEAUX - ARTS.
130
133
138
MUSIQUE.
CLAVECIN vertical.
GRAVURE.
ART. V. SPECTACLES.
EXTRAIT de l'Anglois à Bordeaux.
COMPLIMENT prononcé par M. Dauberval ,
à l'ouverture du Théâtre François.
COMÉDIE Italienne.
OPERA .
SUITE des Concerts Spirituels .
141
143
148
169
173
ibid.
174
ART. VI. Suite des Nouvelles Polit. de Mars. 180
NOUVELLES Politiques d'Avril. 205
ART. VII . Economie & Commerce. 212
PRIX des Grains , Volaille & Gibier.
BEURRE & Cufs.
ibid.
213
THEQUE
Do
LYON
*
1893
FILLE
ab
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY,
rue & vis-à-vis la Comédie Françoiſe
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
              
          