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1761, 10, vol. 1-2, 11-12
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MERCURE
Chez
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ
AU
A U
ROI.
OCTOBRE .
1761 .
PREMIER
VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
Cochin
Filius in
PapilionSculp 1755.
A
PARIS ,
( CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à-vis la Comédie Françoife .
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU, rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
.
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
335313
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
AVERTISSEMENT.
,
LE
Bureau du
Mercure eft chez M.
LUTTON
Avocat , Greffier
Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au
recouvrement
du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer
,
francs de port , Les paquets & Lettres
pour remettre , quant à la partie litéraire
, à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire veuir , ou qui prendront lesfrais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
par volume , c'est- à-dire 24 lives d'avance
, en s'abonnant pourfeize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure , écriront à l'adreſſe cideffuus.
On fupplie les perfonnes des provin
ces d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
, referont au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
, d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font les
mêmes pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE . 1761 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ODE A MERCURE.
AH! daigne , officieux Mercure ,
Divin Ambaffadeur des Dieux ,
Servir un peu la créature :
D'un mot tu feras deux heureux .
Vole vers le Berger que j'aime ,
Dis- lui que je crois fon amour ,
Et que mon ardeur eft extrême ,
Comme elle étoit le premier jour.
I. Vol. A iij
6 MERCURE DE FRANCE:
Dis -lui que malgré fon abfence ,
Ses traits , fes yeux me font préfens,
Et que quelques heureux inftans
Me font jouir de la préſence.
Dis qu'Amour fe plaît à donner;
Que des fleurs que ce Dieu me donne,
Je fais d'abord une couronne
Dont je vou frois le couronner.
Que quand je vais dans la prairie ,
J'appelle le tendre Zéphir....
Laiffe là ta rofe chérie ,
Porte à mon Berger ce foupir.
Dis que de ma tendre mufette
Je ne tire jamais de fon ,
Que pour chanter une chanfon ,
Quand c'eſt pour lui que je l'ai faite.
Tu peux lui répéter encor
Que je grave delas l'herbette ,
Sur le bâton de ma houlette ,
Le nom d'Iris & de Lindor.
Tu viens d'unir deux tendres coeurs ;
Ne rougis point de cet office :
Mercure , le Dieu des voleurs ,
Aux Amans doit être propice .
Par Madame GUIBERT.
OCTOBRE. 1761 :
LES AMOURS D'ARMIDE &
de RENAUD , imités du Taffe , par
Madame CHAMPION.
JOIGNEZ- V OIGNEZ-VOUS à ma voix , Divinités des Vers!
De mille fons plaintifs animez mes concerts ;
A mon triſte récit daignez donner des charmes :
D'une Héroïne en pleurs je chante les alarmes ,
Sa haine , pour Renaud , fon dépit , fa fureur ,
Son combat , fſa défaite , & ſa tendre douleur ,
Sa fuite en un vallon , dont le fombre feuillage
Sembloit , au Dieu du jour , diſputer le paffage.
Ce lieu fervoit d'afyle aux finiftres oiſeaux ;
Le Cyprès leur prêtoit les funébres rameaux :
C'est là que fon amour, fans efpoir , fans retource
Va de ſes maux cruels empoifonner la fource .
Mules , fecondez -moi ; foutenez mon pinceau;
Armide va parler : animez mon tableau .
De vos traits impuiffans , j'attendois ma victoire ,
Inutile carquois , opprobre de ma gloire !
Malgré mon défelpoir & l'Amour en fureur ,
Vous avez respecté les jours de mon Vainqueur !
Indignes déformais de fervir ma vengeance ,
Plus indignes encor d'une noble éxiſtence ,
Dans ces fombres déferts , oubliez à jamais ,
Que la rouille vous ronge au fond de ces marais....
Et vous, lâches Guerriers , dont la fière cohorte ,.
A iv
& MERCURE DE FRANCE.
A l'aspect de Renaud me laiffa fans eſcorte !
Loin de vous imiter en cet affreux moment ,
J'olai feule attaquer mon invincible Amant ...
Mais Ciel puis-je y penſer,& ſurvivre à ma rage?
Le perfide farpris dédaigne mon courage ;
Me quitte en foupirant ; & la bouillante ardeur
Dans nos champs défolés va porter la terreur.
Sur fon front menaçant la victoire eft empreintes
Aux plus braves guerriers it inſpire la crainte ;
Pour mériter ma main, en ſervant mon courroux,
Adrafte & Tyfapherne expirent fous fes coups.
Fortuné rejetton de Mars & de Bellonne ,
Raffemble les lauriers dont ton bras te couronne :
Les Sarrafins vaincus par ta feule valeur ,
Graveront tes hauts faits au temple de l'honneur.
La gloire t'environne en dépit de ma rage :
La honte eft dans mon coeur , la mort eſt mon
partage .
Mais puiffent tes regrets être autant de vautours
Qui fans ceffe affamés te déchirent toujours !
Pour prix de tes forfaits , que mon ombre égarée
Te pourfuive partout de ferpens entourée ;
Et puifles -tu bientôt , en proie à tes remords ,
Voir ton nom confondu dans la foule des morts!..
Brillant flambeau du jour ! ſi ta clarté céleſte
Se couvrit d'un nuage au feftin de Thyefte ;
Daigne voiler pour moi tes flambeaux radieux ;
Détourne tes courfiers de ces funeftes lieux ...
Mais , ô Dieux ! quel morrel en trouble le filence ?
OCTOBRE. 1761 . 9
1
Où fuir ? où me cacher ? c'eft Renaud qui s'avance!
O terre! entr'ouvre-toi fous mes pas incertains.
Parque!v iens terminer mes malheureux deſtins.
Ah ! je fuccombe enfin fous le poids qui m'oppreffe
Et même en expirant je chéris ma foibleſſe !
Amour , épargne- moi , dans ce dernier moment ,
Le plaifir douloureux de revoir mon Amant !
Eloigne ce cruel , dont l'âme eft infléxible ;
Jamais fon coeur d'airain ne deviendra fenfible :
Les glaces du Caucafe , en lui donnant le jour ,
L'ont fait inacceffible au feu du tendre Amour ;
Le barbare nâquit de la mer en furie ,
.. } Et fut nourri du fang des tigres d'Hircanie.
Malheureuſe Princeffe , achève ton deſtin ;
Ce fer te reſte encor: plonge-le dans ton ſein.:
Comme une jeune fleur fur la tige féchée ,
Le teint pâle & défait , Armide étoit panchée :
Ses regards éperdus , fes fanglots , fes foupirs ,
Ses beaux yeux autrefois le trône des defirs ,
Tous ces traits enchanteurs de l'aimable jeuneffe
N'offroient que le tableau d'une morne trifteffe ;
Les Parques apprêtoient leurs funeftes cifeaux ,
Et déjà Tyfiphone allumoit fes flambeaux :
Armide d'une main incertaine & tremblante ,
A peine foulevoit fon arme chancelante ;
Quand le brave Renaud , tendre & victorieux ;
Conduit par fon amour , le préfente à fes yeux.
Grand - Dieu ! s'écria - t- il , fi c'eft une foibleffe ,
Puniffez- moi,frappez , mais fauvez ma maîtreſſe! ...
A v
10 MERCURE DE FRANCE
Perfide , lui dit- elle , ofes- tu me braver ?
Jufqu'au dernier moment veux - tu me captiver ?
Va brifer loin de moi des fers que je déteſte ;
La mort eſt aujourd'hui le feul bien qui me reſte.
Le glaive , le poifon , & ces gouffres ouverts
M'affranchiront bientôt des maux que j'ai foufferts.
Ton retour , mon pays , nos autels , ma naiſſance,
Rallument mon courroux , ma haine & ma vengeance.
>
Quand j'éprouve pour toi les plus cruels tourmens
,
Eſt - il pour tes forfaits d'affez grands châtimens ?
Ingrat ! rappelle- toi qu'en un climat fauvage ,
Loin de te retenir dans un dur efclavage ,
Maîtreffe de ton fort , ma clémence en ces lieux
Changea ta fervitude en jours délicieux.
Pour prix de ce bienfait , tu me quittas mourante !
Tu préféras la gloire à ta fidelle amante ...
Calmez , lui dit Renaud , des tranfports fuperflus;
En regrets offenfans ne vous confumez plus :
Déformais , en marchant fur les traces d'Alcide
Je faurai mériter les fuffrages d'Armide.
Peu digne jufqu'ici de vos foins généreux ,
Ce bras en combattant vous prouvera mes feux.
Mes exploits les plus chers feront de vous défendre.
Armé
par mon amour, je peux tout entreprendre
Il n'eft dangers pour vous que je n'ofe affronter:
Au Trône de vos Rois je vous ferai monter...
OOCTOBRE. 1761 .
Renaud par ce difcours appaifa fon Amante ;
Chafla loin de ces bords la Difcorde impuiffante ;
Et l'Amour furleurs coeurs exerçant fon pouvoir,"
Dans les beaux yeux d'Armide à l'nftant fe fit voir .
A Madame M.....
L'AMOUR VENGE,
CANTAT E.
L'AMOUR vouloit me faire aimer ;
Pour éluder fes traits j'ufai d'une défaite .
Je veux bien , dis- je , Amour , me laiffer enflâmer ,
Si tu peux me trouver une Beauté parfaite.
Avec la jeuneffe d'Hébé ,
Qu'elle ait les talens de Minerve ,
Les appas en chanteurs que Vénus le réferve ,
Et la tendrelle de Thisbé .
Vous qui craignez d'être ſenſible ,
N'ofez point défier l'Amour 3
¿ Ou , pour vous braver à fon tour ,
Ce Dieu trouvera tour poffible.
Par quelque frivole détour
En vain vous croirez vous défendre ;
Il fçaura toujours vous ſurprendre ,
Et vous le fervirez un jour."
Vous &c.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE
Que l'Amour eft ingénieux ,
Quand on intéreffe la gloire ?
Il forme Rofalie ; & déjà glorieux ,
Il s'applaudit de la victoire
Qu'il attend d'un objet fi conforme à mes yoeuxì
D'un fi rare affemblage
Tous les Dieux font fürpris
Et de fon propre ouvrage
L'Amour même eſt épris .
Vénus , dans Amathonte
Vole cacher la honte
Qui colore fon front;
2
Et Junon en alarmes ,
Craint encor pour fes charmes,
Quelque nouvel affront..
Mais c'eft l'Amour lui- même ! il conduit Refalic
.... Il m'appelle ; auffitôt j'oublie "
Que je devois toujours redouter ce vainqueur.
Venez , cher tyran de mon coeur ,
Venez , je me ſoumets au joug de votre empire
L'indifférence en vain combattroit mes defirs ;
Trop heureux qui pour vous foupire !
Un coeur indifférent connoît- il les plaifirs
Sortez de votre léthargie ,
Venez , favoris des neuf Soeurs ,
Avec la plus vive énergie ,
Peignons l'Amour & fes douceurs ;
OCTOBRE. 1761 . 13
Et de notre riante Orgie ,
Banniffons les triftes Cenfeurs.
Parons nos têtes de guirlandes ;
Que chacun de nous , pour offrandes,
Donne des foupirs & des voeux.
Pour le tendre Dieu qui m'anime ,
La plus agréable victime
Eft le coeur le plus amoureux.
Sortez &c.
Par M. de Turin. •
LE MOUCHERON DE L'HIPANIS ,
L
Fable Allégorique.
Es bords de l'Hipanis , un Fleuve de Scythie
* Fleuve de Scythie , qui porte aujourd'hui le
nom de Bog.
» Ariftote dit qu'il y a de petites bêtes fur la
> rivière Hipanis , qui ne vivent qu'un jour. Celle
» qui meurt à huit heures du matin , elle meurt
>> en jeuneffe ; celle qui meurt à cinq heures du
» foir , elle meurt en décrépitude . Qui de nous
» ne fe moque de voir mettre en confidération
>> d'heur ou de malheur ce moment de durée ? Le
» plús & le moins en la nôtre , fi nous le comparons
à l'Eternité , ou encore à la durée des
>> Montagnes , des Etoiles , des Arbres & même
» d'aucuns Animaux , n'eft pas moins ridicule.
Effais de MONTAGNE,
14 MERCURE DE FRANCE.
Sont connus par un Moucheron :
L'Hiftoire n'en dit pas le nom ;
L'efpéce eft Ephemère , & fa plus longue vie
N'eft que d'un jour. Dans un âge avancé ,
Un de ces Moucherons décrépit & caffé ,
Sur le foir approchoit de fon heure dernière;
Il ſe croyoit lui -même auffi vieux que le temps ;
Il étoit né quelques inftans
Avant que le Soleil commençât fa carrière .
Sous un vieux champignon qui lui ſervoit d'abri,
Difons mieux , étendu fous le vafte portique
D'un des Palais de cette République ,
Environné des fiens , dont il étoit chéri ,
Ce Sage moribond , à cet inftant critique ,
Leur tint ce difcours pathétique :
Ceffez de plaindre mon deſtin ;
A la plus longue vie , Amis , il eſt un terme ;
Mon heure eft arrivée , & je touche à ma fin ;
Je l'envisage d'un oeil ferme.
Mon grand âge pour moi n'étoit plus qu'un fardeau.
Pour moi fous le Soleil il n'eft rien de nouveau .
Qu'en vous voyant mon âme elt attendrie!
Vous êtes en effet plus à plaindre que moi ,
Mes chers Enfans ! ce n'eſt qu'avec éffroi ,
Que je pense à l'état de ma trifte Patric .
Les révolutions & les calamités.
Qui fiſouvent l'ont ravagée ,
Le grand nombre d'infirmités ,
OCTOBRE. 1761 IS
Dont notre espèce eſt affligée ,
La perte de tous mes Amis ,
L'extinction de ma famille entière ,
De cent malheurs divers où nous fommes foumis
L'expérience journalière ;
Tout ne m'a que trop démontré
Que pour nous il n'eft point de bonheur affuré,
J'ai vécu dans les premiers âges ;
J'ai converfé long- temps avec des Sages ;
Les Infectes étoient alors ,
D'une plus haute taille , & plus fains & plus forts
Que ne le font tous ceux de nos races nouvelles.
Quels n'étoient pas autrefois les refforts
Et le tiflu merveilleux de mes aîles !
Senfiblement & par degré ,
La Nature a depuis en tout dégénéré.
Mes fens font affoiblis , mais non pas ma mémoi
re.
Je vous conjure de me croire :
Le Soleil a du mouvement.
J'étois né tout nouvellement ,
Apeine un foible jour éclairoit nos campagnes ,
Où je vivois fans travail & fans foins ;
Quand tout-à-coup mes yeux furent témoins,
De fon premier lever fur ces hautes Montagnes.
Plufieurs Siécles ont vû cet Aftre glorieux
S'avancer dans le Ciel toujours plus radieux ,
Avec une chaleur tellement dévorante :
Que je puis bien vous atteſter
3
MERCURE DE FRANCE,
Qu'aucun de la race préſente
N'eût jamais pû la fupporter.
Mais à préfent , de fa lamière
De fa vigueur le fenfible déclin
Me fait prévoir que la nature entière
Va bientôt toucher à fa fin.
Dans une obfcurité profonde ,
Menacé d'être enfeveli ,
Que peut encore durer le Monde ?
Cent minutes peut-être & tout eſt accompli.
Que cette terre périſſable ,
Amis , me paroît mépriſable ,
A cet inftant où je vais la quitter !
Combien de fois , hélas ! l'eſpérance trompeuſe
De pouvoir toujours l'habiter ,
N'a-t-elle paś féduit mon âme ambitieuſe !
Combien ceux d'entre vous qui n'ont pour repofer
De retraites que fous ces herbes ,
N'ont-ils pas admiré les cellules fuperbes
Qu'avec tant d'art j'avois fçu me creuſer !
Quelle n'a pas été long- tems ma confiance
Dans un tempérament ardent & vigoureux ,
Et dans la fermeté de mes membres nerveux !
Du néant de notre éxiſtence
Par une trifte expérience ,
Je ne fuis que trop convaincu
Tout iei-bas eft illufoire.
OCTOBRE. 1781. 17
Heureux du moins d'avoir affez vécu
Pour la nature & pour la gloire,
Que je plains ceux que je laiſſe après moi !
Ils n'auront pas les mêmes avantages.
Que dis -je ? Déformais les fous comme les fages,
Les jeunes & les vieux doivent trembler d'éffroi.
De ténébres , de décadence ,
Un Siécle malheureux commence ;
Et qui fait ce qu'à l'avenir ,
Cet Univers va devenir.
Qu'a prétendu l'Auteur de cette Fable ?
Vous l'apprendrez de Cicéron ,
Qui nous a dans ce Moucheron ,
Tracé de l'Homme même un portrait véritable.
Par M. L. A. L. B.
LE PEINTRE COMPLAISANT ,
ÉPIGRAMME.
CERTAINE Précieuſe, un jour, ſe faiſoit peindre.
Aux fauffes couleurs de fon teint ,
Le Peintre embarraffé pouvoit à peine atteindre.
Cr , tandis qu'il broyoit & cérufe , & carmin ;
Pour rendre la bouche petite ,
La Belle fe ferroit les lévres bien & beau.
De la vanité qui l'excite ,
L'Artifte rit , en rongeant fon pinceau.
18 MERCURE DE FRANCE.
Madame , j'ai , dit-il , lû dans votre penſée.
Ceffez de vous gêner , je fu vrai votre goût :
La bouche n'eſt pas commencée , 2
Et je n'en mettrai point du tout.
Par M. GUICHARD.
MÉDIUS ,
ANECDOTE MODERNE.
Ne quid nimis.
PREMIERE PARTIE.
DANS
ANS un Château du bas Languedoc ,
acquis par un Marchand devenu Secrétaire
du petit Collége , vivoit en Gentilhomme
un Magifttat de Narbonne fils de
ce Marchand , avec sooo liv. de rente.
Il auroit pu très- bien foutenir fa dignité
dans fa Ville ; mais il aimoit mieux fe
ruiner en foutenant Nobleffe dans fa
Terre. Il tenoit table ouverte , avoit une
efpéce de carroffe , & quelques chiens
qu'il appelloit fa meute. La Province le
fourniffoit abondamment de convives bénévoles.
Les houberots , dont elle fourmille
, le dévoroient en le careffant ; les
Nobles les plus diftingués le rongeoient
OCTOBRE. 1761 19
en le nazardant : tout cela étoit également
de fon goût.
M. de la Garenne ( c'étoit fon nom de
fief ) avoit une jolie femme qui ne lui
avoit apporté en dot qu'un goût pour la
dépenfe très- analogue à fes nobles inclinations
, & une fupériorité de génie inconteftablement
reconnue de tous les
Beaux- efprits Provinciaux . Elle étoit Philofophe
; & ce qui fait le non plus ultrà ,
Philofophe Matérialiste. Je ferois tort à
la fagacité de mes lecteurs , en leur obfervant
qu'elle étoit bien revenue des livres
de piété & de morale vulgaire ; mais
peut-être n'eft il pas fuperflu de les avertir
qu'elle avoit auffi proferit les livres
de Platon , & ceux des Philofophes qui
avoient affez bien entrevu l'Immortalité
de l'âme. Dans fon éffor , elle ne voloit
que fur la trace des aigles de la Philofophie
nouvelle , de ces génies trancendans
, vraiment fupérieurs à tous les préjugés
incommodes. Zélée Sectatrice des
Anglois, elle en avoit outré les fyftêmes ;
& pour mettre de la fcience jufques dans
fon nom , elle fe faifoit appeller Optime,
affichant par- là la Secte qu'elle avoit embraffée
.
Cette femme fi digne du bonheur ,
qu'elle faifoit confifter à vivre felon la
20 MERCURE DE FRANCE.
nature ( fans trop s'embarraffer d'expli
quer la définition ) cette femme forte
avoit le défagrément de fe voir un fils
déjà âgé de 17 ans , beau comme l'amour,
il est vrai , mais qui ne répondoit pas à
la fublimité de fes leçons. Dans l'efprit ,
il avoit la fottife de ne jamais vouloir
comprendre ce qui étoit inconcevable ;
dans le coeur , il avoit mille foibleffes vulgaires.
Voyoit- il un pauvre du Village
épuisé par la faim & la maladie , il facrifioit
pour le foulager tous fes menus plaifirs
, & venoit enfuite implorer l'humanité
de fa mère , qui fans ceffe avoit dans
la bouche ce grand mot d'humanité ;
mais perfuadée que la pitié eft un état
de fouffrance incompatible avec le bonheur
& la paix du Sage , elle lui apprenoit
que cette paffion dégrade le
Stoicien ; & que fi l'on devoit être bienfaifant
c'étoit feulement par le pur
amour & la révérence de la vertu , ou ,
pour parler jufte , de ce que l'on s'accorde
le plus communément à décorer
du nom de vertu , comme étant le plus
communément avantageux aux fociétés :
d'où elle concluoit très - bien , qu'il ne faut
aider que les gens vertueux . De ces principes
fublimes , defcendant à l'application
, & examinant les moeurs des malOCTOBRE.
1761. 21
heureux pour qui on l'imploroit , elle
trouvoit toujours que c'étoient de vils
efclaves des fens & de la cupidité , qui
déshonorant la nature humaine , fe rendoient
eux-mêmes indignes de tout fecours.
Le jeune homme s'adreffoit à M.
de la Garenne. Mais comment donner
un pain dont fouvent la meute auroit
manqué ? Enfin il avoit recours à un oncle,
amateur de l'agriculture qu'il perfectionnoit
dans le voifinage , Philofophe à
fa manière , & furtout bon citoyen ; mais
qui avoit la pufillanimité de répandre
également fes dons fur les coupables &
fur les juftes , lorsqu'il s'agiffoit de befoins
preffans. Ces fecours en fauvoient
quelques- uns ; mais le village en fourniffoit
tant , qu'il en périffoit encore plufieurs
, ce que notre adolefcent ne voyoit
jamais fans répandre des larmes . Mais
Optime lui remontroit , avec une égalité
d'âme inaltérable , que ces événemens
n'arrivoient que pour le mieux ; que la
terre étoit débarraffée d'un fardeau ; &
que c'étoit une abondance vicieuſe dont
la nature fe purgeoit elle même. Tout
cela ne perfuadoit pas ce fils opiniâtre ,
qui s'étoit fait une petite manière de
voir & de fentir les choſes : auffi défefpérant
de l'élever jamais au grand , elle
22 MERCURE DE FRANCE.
le nomma Médius , être borné ou mitoyen
, titre que fon oncle adopta par
d'autres vues.
Cet oncle ( Arifte ) étoit folidement
Philofophe : non de cette Philoſophie
parliere, qui n'engendre que des monftres,
mais d'une faine & religieufe Philofophie
, qui prenant Socrate pour modèle ,
& fe renfermant dans la pratique , éleve
fes Sages à la divine qualité de Citoyens
vertueux. Cet ami des hommes ayant
en vain éffayé de rectifier l'efprit de fa
belle-foeur , en la faifant revenir à cette
moderation , hors de laquelle il n'y a ni
ſageſſe ni vertu , avoit du moins prémuni
fon neveu contre fes opinions : » Votre
» mère , lui difoit - il , a mal pris une idée
» de Pope , qui n'a jamais dit ce qu'on
lui fait dire , tout eft bien. Cette façon
» de s'énoncer embraffe toutes les parties
» de ce tout , & femble annoncer que
"
toutes nos actions prifes en particulier
» font bonnes en elles -mêmes , ce qui eft
» évidemment abfurde . Mais Pope a dit,
» le tout est bien ; & c'eſt ainſi qu'il fal-
» loit le traduire pour rendre fa penſée :
que des défordres phyfiques & des vi
» ces moraux , il peut réfulter , & il ré-
» fulte en effet un bien univerfel : ce qui
» rentre dans la vérité. Il y a du bien , il
OCTOBRE. 1761. 23
"
y a du mal dans tel ou tel événement
pris à part ; c'en eft affez pour notre
» inftruction , & pour nous engager à
» donner la préférence au bien , en nous
» détachant le plus qu'il nous fera poffi-
» ble , du mal que nous ne pouvons ab
folument éxtirper , parce que malgré
» tous nos éfforts , nous ne pouvons dépouiller
nos qualités adhérentes , qui
» font de nous des êtres éffentiellement
» bornés , des êtres mitoyens.
"
#
Médius demeura convaincu de ces vétités.
Mais en dépit de fa fageffe , il ne
laiffoit pas déja d'être amoureux & de
très-bonne foi; ( on ne l'eft guères autrement
dans un début ) & pour comble ,
fon choix s'étoit fixé fur une fimple Paylane.
Quel opprobre pour la maifon de la
Garenne ! Quel fupplice pour les mânes
du Secrétaire fon ayeul ! Cette intrigue
commençoit à faire du bruit dans la Paroiffe
; ( car on réuffit rarement à cacherl'amour
, mais jamais la première inclination.
) Colette , fille du Sonneur Mathurin
, étoit cette Beile , qui , malgré la
baffeffe de cette extraction va cependant
devenir notre Heroine ; puifqu'enfin
Médius lui - même fera mon Héros . Il
faut bien que je l'avoue , & que l'on convienne
que dans la difette de Héros ,
"
24 MERCURE DE FRANCE.
on en prend où l'on peut , & que l'on ne
être fi difficile.
doit
pas y
Colette entroit dans fa feizième année ;
elle avoit été, jufqu'à cette époque , élevée
fupérieurement à fa condition . Une
Dame d'une terre voifine , qui étoit fa
maraine , l'avoit prife en amitié dès l'enfance,
& l'avoit emmenée à Toulouſe , où
elle l'avoit traitée & élevée comme fa
propre fille. Auffi jamais fille n'aima une
mère plus fincérement , d'une façon plus
tendre , & plus dégagée de tout intérêt :
Une care le lui étoit plus fenfible que tous
les préfens. Colette étoit douée de grâces
naturelles , & enrichie de tous les talens.
A la délicateffe du goût & aux agrémens
de l'efprit , elle joignoit une folidité
de jugement rare , & toutes les vertus
qui rendant les hommes refpectables ,
font adorer les femmes , quand elles font
encore parées par la jeuneffe & par la
beauté. Voilà ce qu'étoit Colette , quand
une mort fubite emportant fa bienfaictrice
, fans qu'elle eût le temps de faire
aucune difpofition , laiffa notre Héroïne
à quinze ans fans refſource , dans les horres
de la pauvreté. Sa Maraine l'avoit
pourtant recommandée de fon vivant à
une four digne d'elle , mariée à un riche
Négociant de Marſeille : mais gênée par
un
OCTOBRE. 1761 25
un mari dur & avare , cette Dame n'avoit
que des pleurs à donner à notre
infortunée . Quelle fituation ! Son bienêtre
paffé devoit devenir pour Colette un
fupplice affreux : fes talens & fes goûts ,
d'éternels fujets de défefpoir. Rien de
tout cela. Ses pleurs furent uniquement
verfés fur le tombeau qui engloutiffoit
l'objet de toutes fes affections ; & d'abord
fe réfignant à fon état avec une fermeté
d'âme prèfque inconcevable , elle vendit
le peu de hardes qu'elle avoit , reprit ,
fans frémir , les habits de fon véritable
état , & revint dans la chaumiere paternelle
, réfolue d'y gagner fa vie par le
travail de fes doigts. On lui offrit de la
doter dans un Couvent ; elle remercia ,
parce qu'elle n'en avoit pas la vocation :
on lui propofa d'être femme -de -chambre,
elle refufa ; parce que fon coeur , qui ſe
foumettoit à la pauvreté , fe révoltoit
contre la fervitude : elle ne crut pas devoir
fe mettre volontairement & par fon
choix plus bas encore que la nature në
l'avoit mife ; & elle penfa n'avoir pas
tout perdu , lorsqu'il lui reftoit la qualité
d'un être libre. Tout cela feroit prèfque
foupçonner, malgré la force du fang & les
priviléges de la nobleffe , que nous nailfous
les mêmes dans les divers états , &
I. Vol. B
1
26 MERCURE DE FRANCE.
que l'éducation feule met de la difference
dans les fentimens : car je préviens d'a
vance le Lecteur qu'il n'a à craindre aucune
furprife ; point de reconnoiffance ni
de coup de théâtre ; je donne Colette pour
la vraie & légitime fille de Mathurin &
de Coline fes père & mère ; & je garentis
qu'elle refera telle jufqu'à la fin du dernier
chapitre inclufivement .
Le malheur , la beauté , la vertu , tout
devoit la rendre intéreffante ; mais que
la pointe du fentiment s'émouffe vite
fur des coeurs vulgaires ! On voulut la
voir ; les hommes prononcérent qu'elle
étoit jolie , les femmes en appellérent ;
quelques- unes feulement voulurent bien
convenir que fous des habits groffiers elle
confervoit un air d'éducation . Optime la
fit venir au Château , & caufa avec elle
un quart d'heure ; mais ayant aifément
découvert, que fon coeur étoit nourri d'une
folide piété , elle la renvoya avec aigreur ;
depuis elle publia conftament qu'on la prônoit
à tort fur un extérieur affez féduifant ;
mais qu'elle l'avoit fondée , & avoit d'abord
trouvé le tuf. Dès -lors Colette fut
bannie du Sallon , & reléguée avec la
femme -de- chambre. Lorfqu'on la mandoit
pour travailler à la journée , moins par
égard pour elle, que pour tirer parti de fon
OCTOBRE. 1761. 27
adreffe ; & quand il arrivoit à quelques
honnêtes gens de déplorer ce renversement
de fortune , Optime blâmoit en eux cette
fenfibilité mal placée, leur révéloit que
la petite n'avoit qu'une fuperficie d'efprit
fans profondeur ; enfin qu'elle étoit dévote
, comme la femmelette qui l'avoit élevée
dans les préjugés d'où elle réfumoit
que fes petites idées fe renfermeroicnt
facilement dans la fphère de fa condition
naturelle ; enfin qu'elle ne méritoit pas
un autre fort ; & qu'en cela , comme en
tout , rien n'étoit arrivé que pour le
mieux.
Pour Médius , nourri dans les principes
de fon oncle , il jugea d'abord que la
vertu folide & le courage vraiment héroïque
, avec lefquels elle faifoit tête à l'infortune
, lui affuroient un mérite réel ,
qui la dédommageoit pleinement de toutes
fes pertes : d'où il concluoit que dans
cet événement , comme dans tous les autres
, le bien & le mal étoient compenfés
aux yeux des Sages.
Mais il ne s'en tint pas long-temps à
ces fpéculations , & paffa tapidement de
l'admiration à la pitié , & de la pitié à l'amour
. Il cherchoit ardemment les occafions
de voir Colette; & fe livrant fans réferve
à ce plaifir dangereux , il fe fentit
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
bientôt embraſer d'un feu fecret , qui ou➡
vroit fon coeur à des defirs inconnus, étendoit
en fon imagination les idées du bonheur
, & fembloit enfin l'animer d'un
nouvel être. Il étoit dans cette fituation
délicieuſe , où l'amour , qui femble ne
rien donner encore , donne en effet des
fenfations plus raviffantes que tous les
plaifirs qu'il fait enfuite fi chérement
acheter car le perfide ne tient jamais la
moitié de tout ce qu'il a promis !
Cette paffion étoit trop vive , trop pu
re & trop ingénue pour que Médius ne
la déclarât pas d'abord à l'objet qui l'avoit
fait naître . On penfe fans doute que
Colette la partagea , & l'on penfe juſte.
Ce jeune coeur s'ouvrit de lui- même aux
premiers foupirs de la Nature ; & l'innocence
de cette âme naïve , attaquée
par
par une paffion vraie , ne put réfifter à
la force de la fympathie. Mais comme
en elle la fageffe avoit devancé l'amour ,
elle fentit d'abord tout le danger de fa
fituation ; & quoiqu'il lui en coutât les
plus cruels efforts , elle prit généreuſement
le feul parti auquel les circonstan
ces néceffitoient fa vertu. Elle mit aux
yeux de fon`Amant , dans le jour le plus
lumineux , toute la force des motifs qui
lui faifoient une loi de ne le plus voir ,
OCTOBRE. 1761 . 19
la différence prodigieufe des états & des
biens , l'opprobre éclatant dont il alloit
la couvrir ; le ridicule qui en rejailliroit
fur lui - même , les oppofitions & plus encore
la jufte douleur de fes parens , à qui
ils devoient tous les deux toute forte de
refpects ; elle réfuta invinciblement tous
les fophifmes que la paffion lui oppofoit ;
enfin elle prit tant fur elle - même , & ſe
tendit fi puiffante fur l'efprit de fon amant,
que le défefpoir dans le coeur , tout en
lui jurant de l'aimer éternellement , il
lui promit de ne jamais troubler fon repos
par fes pourfaites . Au moment cruel
de la féparation , Médius ne fut plus fon
maître , & tombant aux genoux de fon
amante , il lui faifit une main , qu'il arrofa
de fes pleurs . Colette frappée par
contre coup de l'attendriffement le plus
douloureux , ne put retenir quelques larmes
, qui découvrirent le fecret de fon
âme. Mais cette confolation ne dura
qu'un inftant ; car fentant fa foibleffe ,
elle s'arracha précipitament , & courut
s'enfermer dans un galetas voifin. Médius
fe retira défefpéré.
Promettre eft un & tenir eſt un autre.
Ayons de l'horreur pour les traîtres ,
mais confervons de l'indulgence pour les
foibles.
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
Malgré la fincérité de fes promeffes ,
Médius confumé de plus en plus d'une
ardeur que les obftacles enflammoient ,
ne pouvoit s'empêcher de chercher avidement
les occafions de voir fa maîtreffe
; & quoiqu'elle apportât à l'éviter toutes
les précautions poffibles , & qu'elle
s'obfervât avec la plus exacte décence ,
les feules démarches du jeune amoureux ,
ailément apperçues de tout le monde ,
donnérent lieu à la calomnie de déchirer
la vertu la plus pure. Optime , en femme
fupérieure à tous les préjugés , applaudiffoit
hautement à cette amourette ,
difant que la petite étoit affez jolie pour
mériter quelques foins , & aflez maniérée
pour ne pas communiquer à fon fils de
ridicules groffiers , enfin capable de lui
faire honneur , furtout pour un début .
Qu'au furplus il devoit obferver que fa
Divinité n'étoit qu'une Nymphe des bois ;
que dans l'ordre naturel c'étoit à lui l'attaque
, à elle la défenſe ; qu'il faifoit fon
métier ; & que fi elle manquoit à bien
faire le fien , c'étoit tant- pis pour elle :
enfin que tout cela étoit dans les régles ,
& pour le mieux.
Médius , que ces propos défefpéroient,
s'enfuit chez fon oncle chercher un confeil
& des confolations. Il lui ouvre fon
OCTOBRE . 1761 . 3 T
toeur , avec cette éloquence perfuafive ,
dont n'a jamais manqué la paffion. S'il
eût été poffible d'ajouter au mérite de
Colette , je dirois qu'il la peignit en
beau ; mais au moins ' il réuffit à intéreffer
pour elle un honnête - homme.
Le réfultat fut que fon oncle lui fit une
loi d'obéir à cette fage fille , en ceffant
de la voir ; & le grand motif qu'il employa
pour y déterminer Médius , de fut
de lui avouer que lui -même il avoit été
près de fe prévenir contre elle fur la mauvaife
tournure que differentes perfonnes
avoient déjà donnée à cette intrigue.Cette
raifon fut victorieufe , & Médius fit
le facrifice de tous les projets à la réputation
de fa maîtreffe , le feul bien qui
lui reftât.
Arifte le ramena au Château , où ils
trouvérent un Colonel d'Infanterie , parent
de Madame de la Garenne. Arifte
faifit le moment , & repréfenta que Médius
entroit dans l'âge de prendre un
état ; que fon goût dominant étoit le Militaire
, qui lui convenoit effectivement .
Le Colonel auffitôt offrit une Lieutenance
; & fur le champ M. de la Garenne
but à la fanté de fon fils l'Officier ; &
toute la foirée il ne ceffa de l'appeller à
tout propos , monfils l'Officier. Le départ
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
fut arrêté à huit jours ; & dès le lende
main M. de la Garenne vendit un fonds
dont il tira mille écus , qui furent confacrés
à faire débuter fon fils dans le
Corps fur un ton brillant.
Médius fe voyant près de partir pour
une guerre dangereufe , & réfolu de chercher
la gloire parmi les plus grands périls
, ne put réfifter au defir fi naturel de
voir fa maîtreffe une derniere fois , pour
lui jurer une fidélité éternelle , & pour
tâcher d'obtenir d'elle une promeffe pofitive
de fe réſerver à fon hymen . Il venoit
d'apprendre que la bonne mère paffoit la
nuit auprès d'un malade ; & en parcourant
le Village , dans l'ombre du crépufcule
, il entendit Mathurin chanter dans
le cabaret de là concevant l'efpoir de
trouver Colette feule , & ne voulant point
frapper à la
porte de peur d'être entendu
dans le voisinage , de peur même
qu'elle ne refufât de lui ouvrir ; dans un
moment où la tête étoit fi pleine d'amour
& fi vuide de réfléxion , il choifit
le pire parti de tous , & fe réfolut d'efcalader
un mauvais mur, pour s'introduire à fa
fenêtre , qui donnoit fur une petite cour .
Mais en defcendant du mur , une pierre
qu'il tenoit vint à manquer , & il tomba
de fix pieds de haut fi malheureufement
OCTOBRE. 1761. 33
qu'il ſe donna une entorfe au pied . Au
bruit de fa chûte , Colette éffrayée regarde
par la croifée ; elle entrevoit & elle
entend fon amant qui fe plaignoit à voix
baffe , mais douloureufement. Quel combat
entre la fageffe & l'amour ! Étoit- il
poffible de le laiffer feul dans cet état ?
L'humanité même s'y opofoit. Appeller
du monde eût peut- être été le plus fage ;
mais il lui vint à l'efprit qu'on ne croiroit
jamais qu'il fe fût trouvé là fans fon
aveu. Elle prit donc l'unique parti qui
lui reftât , d'aller feule le fecourir. A fa
vue , ce pauvre amant , craignant la juftice
de fes reproches , manqua de fe trouver
mal ; mais cette belle fille , trop fage
pour étaler la fageffe à contre -temps ,
après une légére marque de fon étonnement
& de fes inquiétudes , lui dit d'ellemême
qu'il falloit tout oublier pour ne
fonger qu'à le fecourir & à le mettre en
état de s'en retourner au plus vite . Elle
lui donna le bras , l'amour leur donna'
des forces , & tout en boitant , il entra
avec elle dans la maifon . Elle lui apporta
de l'eau - de-vie & du linge , & lui aida
elle - même à panſer fa jambe où il ne fe
trouva qu'une légére écorchure´ , avec
une forte douleur dans les nerfs . Tour
cela fe paffa de la part de Colette prèfque
BV
34 MERCURE DE FRANCE.
fans parler , & de la part de Médius , en
articulant feulement quelques mots fans
fuite , qui exprimoient la honte , la tendreffe
, la joie même , enfin tout le défordre
de fon âme.
dra
que
Jufqu'ici le Lecteur raisonnable convien-
Colette ne fit rien que d'indifpenfable
; elle prit même affez fur fon coeur
pour engager fortement fon amant à tenter
s'il fe trouveroit affez de forces pour
fe retirer ; mais foit que cela lui fût encore
impoffible , foit que la Nature , qui
a auffi fes fineffes au befoin , lui infpirât
de fe dire plus mal qu'il n'étoit , il lui fit
fentir l'impuiffance actuelle de pofer fon
pied , & lui demanda la grâce , qu'elle ne
pouvoit lui refufer , de le fouffrir près
d'elle jufqu'à ce que la douleur lui laiffât
la retraite poffible. Colette qui n'avoit pas
un coeur de rocher , beaucoup plus émue
qu'elle ne le laiffoit voir , écoutoit avec
un vif attendriffement toute l'expreffion
de l'amour qui animoit Médius. Il lui
déclara qu'il n'avoit pu triompher du deſir
de la voir encore , pour lui jurer un
amour éternel , pour lui donner fa foi , &
pour obtenir d'elle , finon l'aveu de fon
retour , du moins quelque efpérance qu'-
elle refteroit libre , tant que la fuite des
événemens le mît à portée de réparer l'inOCTOBRE
. 1761.
35
juſtice du fort , en lui offrant légitimement
fa fortune , fon coeur & fa main.
Elle entreprit de lui expofer la grandeur
des obftacles qui s'y oppofoient , & furtout
l'obligation & la ferme réfolution où
elle étoit de ne jamais y donner les mains
elle - même , incapable d'abufer de ſa foibleffe
d'une manière fi préjudiciable à fes
intérêts ; mais il lui fit voir tant de fermeté
dans fon projet , tant d'attachement
pour fa perfonne , tant d'admiration
de fon caractère , & un détachement
fi noble de tout ce qu'on appellefortune ,
qu'elle fe perfuada enfin qu'un refus obftiné
alloit mettre au défefpoir un homme
de mérite qui fe facrifioit fi généreufement
pour elle ; un homme que fon
coeur eût choifi entre tous pour lui faire
les mêmes facrifices , fi la fortune eûr
refpectivement changé leurs états . Dès ce
moment elle ne put réuffir à cacher fon
trouble ; & Médius , devenu plus preffant
par l'espoir d'être aimé , lui exprima
fi pathétiquement toute la pureté & la
vérité de la paffion , qu'il furprit enfin l'aveu
charmant du plus parfait retour. Enchanté,
hors de lui- même , tout à l'amour,
il fe jetta à fes genoux , & lui renouvella
avec feu mille & mille fermens d'une fidélité
inviolable . Elle partageoit toute fa
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
fenfibilité , & ne s'en cachoit plus . Eni
vrés de plaifirs , ils fe dirent tout ce que
l'amour content peut infpirer de plus délicieux
; ils fe donnérent des affurancesréciproques
de ne plus vivre que pour s'adorer
, de braver tous les obftacles , de
triompher de toutes les perfécutions , &
d'attendre jufqu'au bout le terme heureux
où l'hymen pût couronner leur conftance.
Leurs âmes étoient fi pures que dans
cette éffufion des coeurs , Colette n'eut
à combattre aucune tentative téméraire
; ils fe trouvoient trop fatisfaits de
pleurer enſemble , de fe découvrir tout
le fecret de leurs âmes , & de tenir leurs
mains tendrement ferrées les unes dans
les autres.
Tout à- coup la porte s'ouvre... Mathu
rin rentre yvre ; & voyant un homme
dans fa maiſon avec fa fille , fans ſavoir
ce qu'il faifoit, il fort furieux , crie au voleur
, & ramène quatre ou cinq yvrognes
qu'il venoit de quitter , tout cela en un
elin d'oeil. Colette tombe évanouie ; Médius
met l'épée à la main ; mais fa feule
préfence contint ces Payfans . Mathurin
feul juroit & crioit dans les termes les
plus groffiers , que fa fille étoit dès honorée.
Médits tâcha de leur faire entendre
que s'étant démis le pied tout auprès de
OCTOBRE. 1761 . 37
cette maifon , il avoit frappé , & que
Colette lui étoit venu ouvrir, & lui avoit
donné dequoi fe panfer. I.es Payfans le
crurent , ou feignirent de le croire , & ils
grondérent Mathurin qui enfin fe calma .
Médius lui fit promettre qu'il ne donnereit
pas à fa fille le moindre défagrément ;
on la rappella de fon évanouiſſement ; &
Médius eut foin de répéter devant elle
le fubterfuge qu'il avoit imaginé. Elle
rentra dans fa chambre où elle s'enferma
; & deux des Payfans prirent Médius
fous les bras pour le reconduire au Château
.
Cette découverte fit un bruit épouvan
table. Les Payfannes naturellement envieuſes
, & de plus jaloufes de la fupério
rité de Colette , malgré toute la fimplicité
& l'honnêteté qu'elle mettoit en oeuvre
pour fe la faire pardonner , la Bourgeoifie
& la Nobleffe des environs , révoltées
de trouver quelque mérite dans la dernière
des claffes , Mathurin furtout qui
déclamoit & agiffoit comme le plus grand
ennemi de fa fille , tout généralement fe
réuniffoit pour la défoler . Enfin elle n'avoit
pour elle que fa mère qui la plaignît,
& le témoignage de fa confcience qui la
foutînt. Médius étoit au défefpoir. Il eût
fait quelque coup d'éclat pour venger l'a
38 MERCURE DE FRANCE.
vertu opprimée ; mais dans fes tranfports
il conferva affez de bon fens pour fentir
combien un pareil vengeur ferviroit à
rendre la calomnie encore plus animée.
Son père , & furtout fa mère, avoient une
manière de lui applaudir qui mettoit le
comble à fon dépit : Ils fe réuniffoient à
trouver la conduite charmante , digne d'illuftrer
un Gentilhomme & un Officier
qui entroit dans le monde ; comme fi
l'honneur de ces états ne confiftoit pas
moins à s'immoler d'innocentes victimes,
qu'à exterminer les ennemis de la patrie.
Médius avoit beau protefter de fon refpect
pour cette belle fille , & afficher toute
la pureté de fes motifs ; on s'obtinoit
à ne pas l'en croire fur la parole.
Son mal de jambes étoit trop peu de
chofe pour l'empêcher d'agir dans des circonftances
fi preffantes . Il courut chez
fon oncle , qu'il trouva dans fon Parc
avec Sophie fa fille unique , âgée de 20
ans, & digne de l'éducation d'un tel père .
Médius leur fit à tous deux le détail exact
de fon avanture , & il fe fit croire . Son
oncle , en le plaignant tendrement de fa
foibleffe , le réprimanda d'avoir d'abord
pouffé les chofes fi loin , en promettant
d'époufer une fille de ce rang , & dont le
caractère , quoiqu'il lui en femblât , ne
OCTOBRE . 1761.
39
ne pouvoit lui être connu que très -fuperficiellement.
Médius avoua d'avoir été trop vîte , ne
s'excufa que fur la violence de fa paffion
, & fur le mérite de fa maîtreffe, que
dans fon enthouſiaſme il peignit à leurs
yeux des plus brillans pinceaux de l'amour.
11 parut furtout défolé du tort irréparable
qu'il venoit de lui faire , & de
toutes les indignités auxquelles il l'expofoit
par fon imprudence . Enfin , à fa priere,
Arifte attendri le réfolut à aller voir cette
malheureuſe fille , à lui donner quelque
confolation , & à employer route fon
autorité pour mettre le père à la raifon.
Il s'y tranfporta en effet , il la trouva
dans la plus vive affliction , & délibérant
fi elle n'accepteroit point par défefpoir la
reffource du Couvent , qu'elle avoit refufé
par Religion . Notre Sage , en entrant
dans les peines , s'acquit d'abord toute fa
confiance : de forte fans favoir ce que
Médius avoit pu lui dire , elle eut le courage
de lui révéler la vérité toute entière.
Enfin elle fit voir tant de fageffe & de
modeftie , fans pourtant rien diffimuler
de fa tendreffe, que le coeur d'Arifte paffa
bientôt de cette pitié générale qu'infpire
l'hmanité , à l'intérêt touchant dont la
vertu malheureufe pénétre les grandes
que
40 MERCURE DE FRANCE:
âmes. Et prenant en conféquence une ré
folution digne de lui , il lui offrit de l'ar
racher à toutes ces horreurs , en la conduifant
, comme un dépôt facré , dans ſa
maifon , où il lui promit qu'elle feroit
avec fa fille non comme complaifante ,
mais comme amie , l'affurant que le caractère
de cette fille la rendoit digne de
ce nom . Colette enchantée de la propofition
, ne la combattit que par quelques
délicateffes qui furent bientôt vaincues ;
elle s'engagea d'elle -même à ne point
voir Médius avant qu'il partit , & à ne
jamais recevoir de lettres de fa part , à
moins qu'elles n'euffent été vues de cet
oncle , qu'elle jura de confulter en tout
comme un père .
Arifte fe hâta de retourner chez lař ,
pour combler de joie fon neveu , en luit
apprenant fa réfolution . Il lui ordonna
de fe rendre chez fon père , avec promeffe
de ne plus voir fa maîtreffe , & de
fe foumettre comme elle à la loi de ne fe
point écrire fecrettement. Et fur le champ
congédiant Médius , il monta en chaifeavec
Sophie , & fut chercher cette malheureufe
fille qu'il ramena chez lui , à l'a
grande fatisfaction de Mathurin , qui fe
trouvoit bien débarraffé. La bonne mère
fe confola par le bien- être de fa fille , &
OCTOBRE . 1761.. 47
par la permiffion qu'elle obtint aifément
de la venir voir autant qu'elle le voudroit.
Arifte & Sophie goûtoient cette joie pure
& parfaite , qui eft la première récompenfe
des bonnes actions . Colette pénétrée
d'une reconnoiffance qu'elle exprimoit
fans baffeffe , mais avec les caractères
les plus marqués de la tendreffe & de
l'héroïfme, leur parut en peu de jours un
tréfor fi précieux qu'ils crurent avoir beaucoup
plus gagné qu'elle a l'acquérir; & bientôt
ces deux filles eftimables fe trouvérent
liées d'une amitié immortelle , comme la
vertu qui en étoit le lien .
Cette démarche fut bientôt publiée au
Château de la Garenne , qu'elle mit en
combuftion. On y déclamoit , dans les
termes les moins mefurés contre Arifte ,
à qui l'on ne pouvoit pardonner cet acte
d'humanité : on trouvoit qu'il étoit honteux
à un vieillard de condefcendre à la
foibleffe d'un jeune fou, & de le confirmer
dans fes idées romanefques , en prêtant à
cette Payfanne des dehors refpectables , &
en décorant cette amourette du vernis
d'un engagement férieux. Arifte auffi ,
bien perfuadé que l'on prendroit tout au
plus mal , fe hâta de venir éffuyer la bordée
, pour épargner à fon neveu les premiers
éclats . Quand fur de bonnes raifons
42 MERCURE DE FRANCE..
il avoit une fois pris un parti , il n'étoit
pas homme à s'ébranler pour tous les raifonnemens
des Sots ; & dans les occafions,
il avoit le courage vraiment philofophique
, de fe voir feul contre tous : aux emportemens
de la paffion : aux fophifmes
de l'orguei , il avoit coutume d'oppofer
d'abord des principes , & bientôt après le
feul filence. Il repréfenta qu'il ne reconnoilloit
entre les hommes d'autre différence
que celle que peut y mettre la vertu ;
qu'un Duc , qui manqueroit de probité ,
ne feroit pour lui qu'un homme méprifable
, à qui il refuferoit fa fille , pour la
donner à un galant homme , qui n'auroit
d'autres titres que du mérite & de l'amour.
Qu'au furplus , il étoit fort éloigné d'entretenir
une intrigue entre fon neveu &
Colette ; qu'il avoit commencé par éxiger
de Médius qu'il ne la verroit point ; & qu'il
alloit employer tous fes foins à s'affurer
fi le fond du caractère de cette fille étoit
réellement auffi beau que les apparences
fembloient le promettre ; qu'il feroit même
fon poffible pour déraciner cette paf
fion , par toutes les voies de douceur, qui
d'ordinaire réuffifoient mieux que les
moyens violens fur les coeurs fenfibles
& généreux que d'ailleurs il ofoit répondre
que fon neveu ne violeroit point
OCTOBRE. .761. 43
les droits du pouvoir paternel ; & qu'ainfi
il dépendroit toujours d'eux- mêmes d'arrêter
les fuites de fon imprudence , par
leur feule oppofition ; mais qu'en obſervant
fcrupuleufement les précautions de
prudence , que lui infpiroit affez l'honneur
de la famille , il ne fe détermineroit
par aucune confidération humaine , à
laiffer l'innocence gémir fans fecours dans
l'opprobre & la mifére ; & qu'enfin il n'abandonneroit
jamais Colette , à moins
qu'elle -même la première n'abandonnât
la vertu .
Il prononça ces paroles d'un ton fi décidé,
que comme on le connoiffoit inébranlable
dans fes principes , on perdit l'efpoir de
le faire changer. D'ailleurs par cet aſcendant
que donne toujours la vérité fur l'erreur
, & la raifon fur le préjugé , il s'étoit
acquis une fupériorité qui ne permettoit
pas de lui refifter en face. Médius jura à
fes parens qu'il ne démentiroit jamais fon
refpect & fon amour filial ; & qu'il renonçoit
à voir couronner fa tendreffe ,
à moins que dans la fuite ils n'y donnaffent
eux-mêmes les mains , vaincus par
leur propre coeur , & par la vertu reconnue
de fon Amarte , dont il perdroit dabord
l'eftime , s'il étoit capable de penſer ou
d'agir autrement.
44 MERCURE DE FRANCE.
Optime , qui avoit eu le loifir de faire
de profondes confidérations fur l'effet
ordinaire du temps , de l'abfence , & des
diffipations d'un jeune Officier , conclut
en elle - même que fon fils ne pourroit tarder
à fe dégouter le premier de cette chimère
, & à prendre les maximes de fes
jeunes camarades . Auffitôt elle fe leva ,
& dit , avec toute la gravité d'un Politique
confommé , » que le temps étoit
» un grand maître ; que leur fils avoit
» le coeur bienfait ; enfin que tout étoit
» au mieux. Son Mari l'en crut fur fa
parole , comme de tout le refte ; & tout
fut à l'inftant paifible & content dans le
Château .
Médius attendri , les larmes aux yeux ,
demanda à fon oncle la permiffion de lui
parler encore en particulier. Plongé dans
de profondes réflexions fur fes imprudences
, fur les malheurs où il venoit d'expofer
fa Maîtreffe , & fur la reffource inéfperée
que lui avoit fourni la Providence ,
admirant la chaîne merveilleufe des événemens
, & fe perdant dans le labyrinthe
du coeur humain , il eut recours à ce Sage
qu'il pria de concilier , s'il étoit poffible ,
ces contradictions . » Car enfin , lui difoitil
, ma conduite me prouve bien que je
fuis un compofé de bien & de mal.
39
OCTOBRE . 1761.
45
Mais vous , mon cher oncle ! mon père !
" vous êtes la vraie image de la Divinité :
» vous êtes parfait,
1
Arifte fourit gracieuſement , & lui répondit
: ô mon fils ! j'aime ces préventions
de votre amitié ; mais fâchez que quand
je defcends dans mon coeur , j'y trouve
affez dequoi me guérir des féductions de
l'amour- propre. Non , je ne fuis point parfait,
& il s'en faut de beaucoup. Ne croyez
pas , n'efpérez pas même que votre Maîtreffe
le foit jamais ; vous exigeriez l'impoffible.
Tâchez d'approcher de la perfection
, mais ne vous découragez pas quand
vous fentirez que vous n'y atteindrez
point. Croyez , mon ami , croyez que le
vice & la vertu , l'erreur & la fageffe , la
force & la foibleffe , la malice & la bonté,
le bonheur & le malheur , font également
les attributs de l'humanité , & les ingrédiens
de notre compofé. Croyez que les
hommes les plus vertueux font ceux qui
participent le moins au mal ; que les plus
méchans font ceux qui participent le
moins au bien ; mais qu'aucun de nous ne
peut être ni parfaitement vertueux ni parfaitement
vicieux ; parce que l'homme eft
borné dans tout , & qu'enfin il eft éfſentiellement
un être mitoyen.
Tout étoit prêt pour le départ , &
46 MERCURE DE FRANCE.
>
l'adieu devint général . M. de la Garenne
prit dans fes mains l'épée de fon fils
qu'il lui ceignit en Amadis, l'exhortant à
imiter , à furpaffer , s'il étoit poffible , la
grandeur d'âme de fon ayeul, qui , en met- .
tant la Nobleffe dans la famille , avoit
impofé à fes defcendans l'obligation de
marcher en Géans dans les fentiers de la
gloire. Optime prit la parole à fon tour :
O mon fils ! dit - elle en Romaine , je lifois
encore hier dans Horace ce noble)
fentiment : » Il eft doux , il eft beau , de
mourir pour la patrie ! » Puifqu'enfin
tout meurt avec nous affure toi du
moins cette eſpèce d'immortalité qui fait
furvivre les Héros à eux- mêmes . Vis ou
meurs avec gloire , & tu auras rempli test
deftinées , & tout fera au mieux.
Médius embraffa tendrement fon père
& fa mère. Son oncle le ferra dans fes
bras , en lui difant : » Mon cher ami ,
» fais ton devoir de guerrier; mais furtout
» fois fidéle à la probité & à la Keligion .
Le refie au Mercure prochain.
こ
OCTOBRE . 1761 . 47
و
VERS fur l'Année Séculaire de la fondation
du College MAZARIN &
fur la diftribution des Prix , faite le
même jour , 21 du mois d'Août 1762 .
C&UEL fpectacle pompeux vient frapper mes regards?
Des moillons de lauriers brillent de toute parts !
O Temple de Minerve , élevé par la gloire ,
Qui du plus grand des Rois confacre la mémoire ,
De feflons & de fleurs qu'elles mains t'ont paré !
Quel beau jour par nos jeux doit être célébré ?
D'Emules différens une foule empreflée ,
De tes Cirques ouverts fait un nouveau Lycée.
Ah ! puille d'âge en âge , une fi noble ardeur ,
Renaiffant dans tes murs , accroître ta ſplendeur !
Defcends , ô Mazarin ! à ma voix qui t'apelle !
Defcends , pour un moment , de la (phère immor
relle !
Viens contempler ici tes fuperbes deſtins !
L'avenir s'offre à moi fous des fignes certains !
Un fiécle a vu déjà conferver ton ouvrage ;
D'un fiécle encor plus beau je goûte le préfage.
Viens toi-même augmenter la pompe de cejour ;
Vois nos coeurs , à l'envi te prouver leur amour.
Telle , dés en naiffant , * Rome, en fes Séuclaires ,
* Ce fut Valérius Publicola qui inftitua les Jeux Sé48
MERCURE DE FRANCE.
Honora la grandeur de ſes Dieux tutélaires .
Héritier de ton nom , vois l'illuftre NEVERS ,
Donner à nos fuccès des foins toujours plus chers.
Dans fon coeur généreux ta grande âme réfide ;
Ta fageffe l'éclaire , & ta bonté le guide .
Afes titres brillans digne de fuccéder ,
Vois , pour notre bonheur , fon fils le ſeconder.
Jaloux , en t'imitant , d'égaler fon modéle ,
Politique fçavant , & Citoyen fidéle ,
Eftimé comme toi d'un Monarque adoré ,
Délices de fa Cour , il y vit admiré.
Daignez permettre auffi que ma main vous en
cenſe ,
Vous, * doctes Compagnons, qu'unit la Vigilance ;
A vos propres honneurs moi - même aſſocié ,
Du moins , en vous louant , je dois être oublié .
C'eft peu qu'en l'art divin de penfer & d'écrire
Vous formiez ces enfans , envieux de s'inftruire :
( L'Esprit n'eft qu'un fléau chez les coeurs corrompus,
)
Vous leur tracez encor le chemin des vertus.
De votre Fondateur ainfi la prévoyance
Voulut unir à Dieu la gloire de la FRANCE.
Et vous,jeunes rivaux**,fur qui du haut des Cieur
Il verfe , chaque jour , fes bienfaits précieux ,
culaires , après l'expulfion de Tarquin le fuperbe , c'ellà
dire , au commencement que Rome devint République
Aux Profeffeurs.
** Aux Penfionnaires
Vos
OCTOBRE. 1761.
49
༢༩
Vos Ayeux de fon Roi pleurérent les conquêtes;
Bientôt ces tems de deuil fe changérent en fêtes ;
Jule, entr'eux & Louis pour cimenter la paix ,
Vous affura l'honneur d'avoir un coeur Français.
Méritez déformais ce titre magnanime ;
De vos Concitoyens difputez - vous l'eſtime ;
Et déjà triomphans dans le Temple des Arts ,
Allez ravir , un jour , les Couronnes de Mars.
Nota. Ces vers , qui avoient été demandés
à l'Auteur , pour être lûs ou récités
par le Profeffeur de Seconde de ce
Collége , qui prononça en Latin le Dicours
fur l'année féculaire de fa fondation
, furent déclamés par un Ecolier , ce
qui obligea d'en retrancher plus d'un
tiers , & par conféquent en défigura totalement
le fens & l'enfemble.
VERS préfentés avec une fleur , par
Mlle PINET DE TRONSIN , à M.
fon frère , le jour de fa fête.
Des mains de l'amitié fidelle , ES
Cher frère , reçois cette fleur .
J'en aichefché longtemps une , qui de mon coeur
Marquât quelle eft pour toi la tendrelle éternelle
I. Vol. C
So MERCURE DE FRANCE
Mais nos Campagnes , par malheur ,
Ne produifent point d'immortelle.
A Montigny aux Amognes , en Nivernois, le &c.
VERS adreffés à M. l'Abbé Spar
M. D. C. D. N.
D mes écrits , Juge éclairé ,
O toi dont le goût épuré
Y porte le flambeau de la faine critique ,
Que fais-tu fous ton toit ruftique?
Afyle préférable aux fuperbes lambris
Que bâtiffent l'orgueil & la délicateffe ,
Qu'habitent les pâles ennuis ,
La goutte enfant de la moleſſe ,
L'oifiveté mère des noirs foucis ,
La vieilleffe prématurée
Et les remords à la vue égarée.
Y chantes- tu tantôt les querelles des Rois ,
Tantôt les amours des Bergères ;
Ou bien t'égarant feul dans l'épaiffeur des bois
Rêves-tu des heures entieres
$
Sur les fources du vrai bonheur ?
Heureux ami ! tu dois le trouver dans ton coeur,
Des Dieux l'indulgence propice
T'a donné la Vertu , les Talens , la Santé.
La douce médiocrité
1.
OCTOBRE. 1761 . T
Te met à l'abri du caprice
De l'aveugle divinité.
Ta table propre , mais frugale ,
Ne reçoit que de vrais amis.
Qui de ton amitié connoiffent tout le prix ;
Et ton âme toujours égale
Ignore jufques au defir.
Cher ami , le temps preſſe , hâte-toi de jouir.
Tous ces plaifirs qui font le charme de ta vie
Un inftant peut te les ravir.
Vivons , difoit Catulle à fa chère Lesbie ,
» Vivons , livrons - nous aux amours ,
» Et ne comptons pour rien les cenſures auſtères
>> Des envieux féxagénaires .
» Au jour qui prend ſa fin luccédent d'autres jours;
» Mais notre vie eſt comme une courte journée
» Et fitôt qu'elle est terminée ,
» Nous nous endormons pour toujours
Ami , cette Morale eſt ſage.
Si tu fçais la mettre en ufage ,
La mort, loin de t'épouvanter ,
Te paroîtra digne d'envie ;
Et tu fortiras de la vie ,
Ainfi qu'on fort d'un long fouper
Cij
2 MERCURE DE FRANCE .
LE MERLE ,
FABLE.
UN Merle ayant appris à chanter à la Ville ,
Se crut longtemps un Chantre fort habile ;
Soir & matin un bon Bourgeois
Qui fe piquoit & de goût & de voix ,
Lui fiffloit le même air. L'oiſeau fous un tel Maître
Perdit ce chant naturel & champêtre ,
Plus agréable mille fois ,
Qu'il avoit apporté des bois.
Tout fier de ce nouveau ramage ,
Il répétoit & fans ceffe & fans fin
(
Un air commun , dont le refrain
Ennuyoit tout le voisinage.
Du Maître un tel concert faifoit le paffe-temps :
On peut manquer ou d'oreille ou de fens ,
Mais s'amuler eſt toujours ſage.
Le bonhomme étoit riche; il poffédoit aux champs
Une agréable métairie ,
Où lui , fa femme & les enfans
Alloient paffer l'automne tous les ans.
Du Merle c'étoit la patrie.
On le met du voyage ; & bien fûr d'y briller
Par un talent fi fingulier ,
Il s'en félicitoit d'avance.
OCTOBRE. 1761 .
53
Quant à ces doux raviflemens
Qui faififfent le coeur dans ces premiers momens
Où l'on revoit les lieux de fa naiſſance ,
Un oiſeau de cette importance
Pour s'y livrer étoit trop orgueilleux ;
Il fe croyoit un Etre merveilleux ,
Un Etre dans fon genre , incomparable , unique.
Placé fur un balcon , il fiffle tout le jour ;
C'eſt là qu'en Maître aux oiſeaux d'alentour
Il croit donner des leçons de Mufique.
Tous viennent en effet l'écouter tour-à- tour ,
Sans qu'aucun jamais lui replique.
Le même air , le même retour
D'un bruit plus monotone encor que méthodique ,
Les excéde tant qu'à la fin ,
Ils défertent tous le jardin.
Un feul , plus curieux , voulut du moins connoître
Cet oifeau qu'il fuppofoit être
D'une espéce nouvelle & d'un pays lointain.
Près de la cage il ſe perche ſoudain ,
Il examine , il confidère :
Quelle furpriſe pour tous deux !
Au feul plumage , chacun d'eux
Dans l'autre croit trouver ſon frère .
Le Merle en liberté dit au Merle en priſon ,
Tes malheurs t'auroient-ils fait perdre la raifon?
(ubien , quel ridicule extrême
Parmi les tiens te fait prendre ce ton ?
Ami , quel eft donc ce jargon?
C.iij
14 MERCURE DE FRANCE.
Nul de nous ne l'entend , & je crois tout de bon
Que tu ne l'entends pas toi-même.
Pour foutenir ce ton faftidieux
A tout moment tu perds haleine....
Reprends le tien , tu chanteras bien mieux ,
Et tu n'auras pas tant de peine.
Ainfi dans les états divers ,
Au lieu de nous tenir à la fimple Nature ,
On croit la redreffer quand on la défigure
Par toute forte de travers.
Par M. L. L. B.
RÉPONSE à M. de la Place , fur la
queftion propofée dans le fecond Mercure
de Juillet , à l'occafion de l'Officier
Union & du Soldat Valentin.
ON ne peut s'empêcher , Monfieur ,
d'être touché de la conduite noble & généreufe
de l'Officier Union , & du Soldat
Valentin : tous deux méritent les plus
grands éloges : tous deux m'ont fait verfer
des larmes d'admiration . La queſtion
qu'on a propofée dans votre Mercure eft
un peu délicate ; il n'eft pas aifé de déci
der qui des deux eft le plus grand , ou
celui qui a expofé fa vie pour fon enne
OCTOBRE. 1761. Y
mì , ou celui qui n'a pû furvivre à fon
Bienfaiteur. Cependant s'il m'eft permis
de hazarder mon fentiment , il me femble
que Valentin mérite la préférence , & a
eu peut-être la gloire d'avoir formé un
Héros .
Plus l'offenfe eft grande , plus on y eft
fenfible ; le reffentiment eft toujours en
proportion de la durée , & de la violence
de l'injure. Ce principe pofé, Valentin devoit
être l'ennemi mortel de fon Officier;
il étoit fon rival en amour , & comme tel
il n'eft pas difficile à croire qu'Union faififloit
toutes les occafions pour le mortifier
auffi difoit- il qu'il donneroit fa vie
pour être délivré d'un tyran qui le traitort
avec tant de barbarie. Cependant il ne
voit pas plutôt ce tyran en danger, que fes
fentimens héroïques fe déployent : Supérieur
aux préjugés vulgaires , & s'élevant
au-deffus d'une âme commune , qui n'auroit
rien tant defiré que de fe repaître du
plaifir malin de le voir écrafé fous les
pieds des chevaux , Valentin s'expoſe à
une mort prefqu'inévitable ; il furmonte
tous les obftacles qui s'oppofent à fon paffage
, enléve courageufement à travers
toutes fortes de dangers , le corps de fon
ennemi , & a la gloire de l'arracher à une
mort affurée.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
L'efprit humain eft toujours porté à recevoir
l'empreinte du Beau ; notre âme
s'aggrandit , nos fentimens s'élèvent dès
que nous remarquons des fentimens élevés
dans les autres ; par un mouvement
fubit & involontaire , nous tâchons de
nous mettre à côté des grands hommes
dont nous entendons rapporter quelque
fait extraordinaire , digne d'être avoué
par les Catons ou les Socrates , nous
voudrions pouvoir imiter leur héroïque
vertu. Auff Union ne peut fe refufer aux
traits généreux de Valentin ; il ne peut
réfifter à tant de grandeur d'âme. Les
fentimens , mais ces fentimens nobles qui
forment les grands hommes , prennent
la
place de la brutalité. Il devient enfin digne
de balancer la gloire de fon rival
mais c'eſt à lui à qui il en eft redevable .
Valentin fait paffer dans le coeur de fon
ennemi un fentiment jufqu'alors inconnu
; la reconnoiffance la plus vive fuccéde
à la haine la plus farouche ; d'homme
brutal & fauvage , il devient ami fenfible,
héros généreux & fublime : il lui eft
impoffible de fe féparer du cadavre fanglant
de fon Bienfaiteur qui tombe expirant
à fes pieds . Ah ! Valentin , s'écriet-
il , en rompant un filence mille fois plus
touchant que les larmes les plus abondanOCTOBRE.
1761 .
57
tes,Valentin,eft- ce pour moi que tu meurs?
pour moi qui te traitois avec tant de
barbarie ?Je ne pourrai pas te furvivre...
Auffitôt le défefpoir s'empare de tous fes
fens ; il meurt accablé de regret.
C'est ainsi que la générofité de l'un
étouffa l'inimitié de l'autre. Quand le
Soldat Valentin n'auroit eu que la gloire
d'avoir réprimé fes mouvemens , cette
fatisfaction fi naturelle que nous avons de
voir fouffrir notre ennemi ; quand il n'auroit
, dis-je, eu que la gloire d'avoir vaincu
ces faux préjugés qui dégradent fi fort
la Raifon , & qui auroient fait regarder à
tout autre moins généreux que lui , la
mort de fon Rival comme un triomphe,
Valentin feroit un Héros à mes yeux.
Mais outre ces mouvemens de vengeance
reprimés , ces préjugés vaincus, s'expofer
foi même à une mort inévitable pour fauver
la vie à un tyran féroce , c'eft le comble
de l'héroïsme. Il faut être magnanime
pour avoir fait ce que fit Valentin ; il auroit
fallu être un monftre pour avoir yû
mourir fon Bienfaiteur fans témoigner
aucune marque de douleur ; mais il faut
être bien grand pour n'y pouvoir ſurvivre.
Auffi , Monfieur, je le répéte, c'eft une
queftion difficile à décider : ce font deux
Héros ; celui qui voudroit abbaiffer l'un
C v
要
48 MERCURE DE FRANCE.
pour élever l'autre, feroit incapable d'imi
ter aucun des deux , peut-être même de
fentir l'héroïfme de leurs actions . Si j'ai
tant foit peu mis l'un au- deffus de l'autre,
c'eft que je ne regarde pas l'imitateur fi
grand que le modèle ; & qu'il eft certain
que Valentin auroit été capable de faire
ce que fit Union , & qu'il ne l'eft pas
qu'Union eût fait ce que fit Valentin.
J'ai l'honneur d'être & c.
P ..... C.
Des environs de Saintes , le 25 Août 1761.
**
RONDE AU à pour s'excufer de
faire un Dialogue qu'on demandoit
entre les trois Vertus Théologales.
A LA Fontaine où l'on puife cette eau ,
Qui fur le haut de la double colline ,
Par un chemin difficile & nouveau ,
Conduit tous ceux qui du docte Boileau ,
Du grand Corneille , ou du tendre Racine₂
Suivent de près l'éloquénce Divine ,
Si comme toi , je bûvois à plein ſeau ,
Des trois Vertus je peindrois le Tableau ,
Ala Fontaine.
OCTOBRE 1961 . 59
A mon défaut qu'un autre le déffine ;
Si tu le veux , tu peux de ton pinceau ,
Le crayonner auffi touchant que beau.
T'offrir des traits de ma touche peu
Illuftre ami , ce feroit porter l'eau ,
A la Fontaine.
fine ,
EPITRE à Madame DENYS ,
un Académicien des Arcades.
N'EN doutons plus , ce charme de la vie ¸
Ce calme heureux , ce plaifir pur & doux ,
Que promet la Philofophie ,
par
Et que mon coeur n'a trouvé que chez vous ,
N'eft point le fruit d'une vertu fauvage ,
Qui toujours mécontente , enſeigne à tout hair.
L'homme eft né pour aimer , c'eſt ſon plus beau
partage ;
Le fentiment feul fait jouir.
Mais ni l'or de Créfus , ni les palmes d'Achile ,
Ni ces lauriers , dont Homère ou Virgile
Ont paré leurs fronts glorieux ,
* Madame Denis eft niéce de M. de Voltaire , elle
réunit aux qualités qui font aimer fon fexe , celles qui fone
eftimer le nôtre . Depuis la mort d'un époux qu'elle chériffait
, elle confacre la liberté qui lui refte , à vivre auprès
de cet oncle , auffi refpectable par les qualités de fon
coeur , & la douceur de fon commerce , que juſtement
fameux par fes Ecrits..
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Ni les tendres langueurs d'un délire amoureux ,
Ne calment de nos coeurs les guèrres inteſtines .
S'ils offent un bonheur , il coute des foupirs
L'amitié feule unit tous les plaifirs:
C'eft une role fans épines.
La paix du coeur & le calme des fens ,
L'art de voir du même ceil le port & le naufrage ,
Aimer , fe faire aimer , jouir de ſes momens ,
N'eftimer les plaifirs qu'autant qu'ils font conftans,
Voilà le vrai bonheur ; c'eſt l'idole du Sage.
Il eſt le prix des vertus , des talens ,
Sage Louife , enfin il eft votre partage.
Votre maiſon eſt le Temple des Arts.
De l'Apollon François , elle eft le fanctuaire.
C'eft en ces lieux que loin des profanes regards
Votre âme fe nourrit des leçons de Voltaire .
C'est là que tour-à- tour Minerve & les neuf Soeurs,
Sur votre front dépofent leur couronne ; I
Mais aux frêles lauriers qu'au Parnaſſe on moiffonne
,
Vous mêlez de plus chères fleurs :
Vous jouillez des droits que fur tous les bons coeurs
La confiance ou l'amitié vous donne.
Toujours préfente & chère à vos amis ,
'Ainfi que vos vertus , ils chantent vos écrits.
Tranquille fous les yeux de ce ce vafte génie
Dont vos foins , vos talens , votre heureufe doucepr
OCTOBRE. 1761.
Soutiennent les travaux , & confolent la vie ,
Et qui n'ouvre qu'à vous les trésors de fon coeur;
Vous vous créez le fort le plus digne d'envie.
Glorieuſe d'offrir un généreux appui
Au reste le plus pur du fang du grand Corneille ,
Vous voulez qu'il foit digne, & de vous, & de lui ...
Sans doute il le fera : votre tendreſſe y veille .
Vous faites des heureux , c'eft le fouverain bien.
Les deux fexes enfin vous doivent l'un & l'autre ;
Vous avez réuni tous les charmes du vôtre
Aux plus rares vertus du mien.
AuChâteau de Ferney , pays de Gex , le 22
Juillet 1761 .
EPITRE à Mlle CORNEILLE.
Vous d'un nom facré , refpectable héritière ,
Vous qui réuniffez tous les droits fur nos coeurs ,
Fille du grand Corneille , & digne d'un tel père ,
Arbriffeau précieux , que fous l'oeil de Voltaire *
Vous couronnez déjà de fleurs !
Enfin d'unfort cruel , vous bravez les rigueurs :
Chaquejour vos plaifirs croiffent avec vos charmes.
* Toutes les perfonnes curieufes de bel es actions & de
belles- lettres , ne peuvent ignorer que M. de Voltaire a ,
pour ainfi dire , adopté la niéce du grand Corneille ; qu'il
éléve cette jeune perfonne , & qu'il confacre , ainfi que
Madame Denys , tous fes foins à lui donner une education
aufli utile que brillante.
इ
2 MERCURE DE FRANCE.
Que vos premiers malheurs doivent vous être chers ?
Qu'il eft doux de penfer aux maux qu'on a fouf
ferts ,
Quand la tendre amitié féche à jamais nos larmes !
Tout eft changé pour vous , & vous ne l'êtes pas.
Votre coeur , de foi toujours maître ,
De les nouveaux deftins augmente les appas ,
En béniffant l'ami qui les fit naître.
Le bonheur trop fouvent aveugle , il vous inſtruit;
Et toujours au- deffus du fort dont il jouit
Cejeune coeur , en cet illuftre afyle
Qu'ouvrit votre grand nom , que parent vos vertus,
Tel qu'aux vergers d'Evreux * toujours pur &
tranquile ,
Ne s'eft permis qu'un fentiment de plus.
De la naifante fleur que le Soleil colore ,
Vous êtes le portrait , vous avez la fraîcheur ;
Et vous trouvez comme elle un aftre bienfaiteur
Dans l'ami généreux que votre coeur honore.
Ce génie immortel , dont les favans écrits
Des fiécles à venir rempliront la mémoire ,
L'honneur du nom Français , le Dieu de fes amis ,
Et le Peintre des Rois qui lui doivent leur gloire ,
Voltaire... vous trouvez en luitous vos parens : }
Ainfique le mérite , il en a la tendreſſe.
Ses utiles leçons forment vos jeunes ans .
* Mlle Corneille eft ainfi que fes ayeux originaire de
Normandie. Elle est née à Evreux , petite Ville de cette
Province,
OCTOBRE. 17617
63
Et vous confolez fa vieilleffe .
Son front pur & paré de lauriers toujours verds ,
A vos yeux innocens fourit & s'intéreffe ;
Et d'une main de père il vous carefie ,
Lorfque de l'autre il inftruit l'Univers.
Que du fein du tombeau ta grande âme s'éveille :
Aux cris de l'amitié , réponds , divin Corneille !
Renais , pour te livrer aux tranfports les plus chers.
Viens embraffer l'ami qui t'appelle fon maître :
Vois ta fille , ton fang , tranquille dans le port,
S'élever fous les yeux du feul homme peut- être
Qui mérita de rendre heureux ſon fort.
Il t'adore , il te voit , te chérit dans ta fille ;
Ton nom divin fe mêle à leurs doux entretiens :
Ne faites déformais qu'une même famille ;
Comme il chante tes vers , reviens chanter les fiens.
Unis par un enfant , que Corneille & Voltaire
Donnent des moeurs au peuple & des leçons aux
Rois :
Qu'aux droits de la Nature , uniſſant d'autres droits,
Cet enfant tour-à-tour les appelle fon père .....
Que cet augufte nom eft flatteur pour tous trois!
Qu'il feroit beau de voir aux rives de la Seine
De Mérope & du Cid les fublimes auteurs ,
Attacher tous les yeux , enchaîner tous les coeurs
Les pénétrer de la flâme foudaine
Qui dévore & nourrit leur âme plus qu'humaine! ...
Où m'emportent , hélas ! des defies trop flatteurs
Ah ! ramenez du moins au ſein de la patrie ,
64 MERCURE DE FRANCE.
L'objet de nos regrets , de nos voeux éternels .
Embéllifez tous deux cette ville chérie ,
Venez... partout vos noms trouveront des autels.
Qu'à votre augufte aſpect la vertu ſe réveille ,
Et qu'à travers les flots d'un peuple admirateur ,
Voltaire offre fon front où repoſe l'honneur ,
Et préſente aux Français la fille de Corneille .
Au Château de Ferney , le 24 Juillet 1761 .
VERS pour être mis au bas du Portrait
de M. TITON DU TILLET , ancien
Maître d'Hôtel de feue Madame LA
DAUPHINE , Auteur du Parnaffe
Français
D.u Titon de l'Antiquité,
Avec notre Titon , telle eft la différence :
L'un reçut & perdit fon immortalité ;
L'autre en jouit , & la diſpenſe.
Par M. de L..... Abonné au Mercure.
RÉFLEXION.
LE FASTE vainement donne un rang chez les hom
mes ;
La façon de penfer nous fait ce que nous fommes.
Le Rôturier Couvent eft Noble ſuppoſé ;
Le Noble eſt quelquefois Rôturier déguiſé,
OCTOBRE, 1761 .
IMITATION de la XVe Ode du III
Livre d'HORACE.
E POUSE d'un Mari que pourſuit la difgrace ,
Dis- moi , vieille Cloris , quand s'éteindront tes
feux ?
Sur les pas de la mort qui de près te menace ,
Veux tu faire marcher les plaifirs & les jeux ?
Sous ces Arbres touffus , où l'on voit Terpficere
Façonner dans fon Art les beautés du Hameau ;
Pourquoi mon oeil furpris te trouve- t -il encore ?
Y viens-tu fervir d'ombre à ce brillant Tableau ?
Que ta fille s'amufe à fouler l'herbe tendre ;
La danſe & les plaifirs pour elle femblent faits.
Qu'aux piéges qu'elle tend Damon fe laiffe prendre;
On doit un tendre hommage à ſes jeunes attraits.
Pour toi, vieille Coquette, en vain tu prens ta lyre,
A table envain d'Aï * tu fables la liqueur ,
Je lis dans tes regards ce que tu n'oſes dire ;
* La Porte d'Auteuil où il y a bal tous les Jeudis & les
Dimanches , & où toutes les jolies femmes de Paris vont
danfer.
** Coteau où se trouve le meilleur vin de Champagne.
66 MERCURE DE FRANCE .
Mais tous ces traits lancés n'éffleurent
coeur.
pas
mon
Lorfque fous tes drapeaux , à force d'impofture ,
Tu cherches vainement , Cloris , à m'enrôler ;
Du temps fur ton vifage , en voyant l'Ecriture ,
Mon mépris fans pitié te condamne à filer.
Fait
MADRIGAL
par un petit Chien , fur les Fables
de M. l'Abbé AU BERT.
Lepremier Madrigal que la gent- chienne
ait fait.
ESOPER OPE nous donna la voix
Phédre épura notre langage;
La Fontaine l'orna d'un nouvel avantage:
Mais nous retrouvons à la fois
1 Dans ce Livre charmant dont nous formons la
LI
Scène ,
Efope , Phédre & La Fontaine.
E mot de la premiere Enigme du
Mercure de Septembre , eft , le Mouvement.
Celui de la feconde , eft , le fon ,
qui a trois fignifications en François : fon,
fuite de l'impreffion que les corps réfonOCTOBRE.
1761. 67
hans font fur les oreilles ; fon , ce qui
refte de la farine , lorfqu'elle eft blutée ;
fon , pronom adjectif & pofleffif. Le mot
du premier Logogryphe , eft , Généalogie.
Les différentes combinaiſons que
donne ce mot , font , Enée , Loi , Elie ,
Nil , éloge , ia , Aon & Nélée , élégie ,
Egon , neige , ego & lego , Eglé ,lion
& âne , gelée , long. Celui du fecond ,
eft , regard. On y trouve rade , gare, garde
, áge , Gerard, Inftituteur de l'Ordre
des Chevaliers de S. Jean de Jéruſalem .
Agde , Egra , rage.
Nou
ENIGM E.
ous fommes douze foeurs , filles d'un même
père ,
Pas toujours d'une même mère.
Chacune fucceffivement ,
Enfante quatre mâles ,
Qui produifent pareillement ,
A diſtances égales ,
Plus de trois cent filles par jour ,
Chacun à fon tour.
Ceux-là naiffent de leurs femelles ;
Nous en naiſſons auffi bien qu'elles :
Ils nous forment ; nous les formons ;
Après quoi nous recommencons .
ParM. S... des environs de Brive - la-gaillarde .
68 MERCURE DE FRANCE.
AUTR E.
MON corps , plein de delicateſſe ,
Coute à bâtir un million de foins ;
Chacun m'eftime plus ou moins ,
Selon quej'ai plus ou moins de fineffe.
Dans la terre eft mon premier lit ,
Dans une fleur mon fecond nid .
Jadis j'habitois chez les Princes ;
Et rarement dans les Provinces
On avoit connu ma beauté :
Mais j'ai fuivi la vanité
Dans tous les coins de fon empire ;
On cherche en moi le goût , la nouveauté.
Un Roi me porte , un valet me defire ,
Et mon triomphe a partout éclaté.
Je fuis au Temple , à la Cour , au Théâtre ,
La Financiere m'idolâtre ,
La Coquette me méne au Bal ,
Et les Dévotes à confeſſe ;
Enfin , jugez de ma foibleſſe
L'eau me gonfle , & me fied très- mal ;
Jufqu'à la mort néanmoins je fais plaire.
Ami Lecteur , on ne voit plus que
moi ;
Me trouver n'eft pas une affaire ;
Cherche- moi bien fur ta femme & fur toi.
Par M. P.
OCTOBRE. 1761. 69
LOGO GRYP H E.
CORINE, Clépatre , Héléne , Athénaïs ,
Tant d'autres , dans chaque Pays ,
De mes traits enchanteurs ont montré la puiſſan
ce.
Lecteur , à ce début , reconnois mon éffence ,
Dont les fix pieds , foumis à ta combinaiſon ,
Pourront te défigner ce qu'en toute ſaiſon ,
Lucullus fit fervir à fa magnificence ;
Un époux malheureux ; une Ville de France ;
Un accès violent , contraire à la raiſon ;
Ce qu'avec dignité fçut être Scipion ;
Un Oifeau ; certain fruit très- commun en Provence.
Je t'en ai dit affez : cherche , rumine , penſe.
Par M. de LANEVERE , ancien Moufquetaire
du Roi , à Dax .
ELIVE
AUTR E.
LÉVE de Bellone , au milieu des haſards
Je me plais à marcher fur les traces de Mars.
Pour fçavoir qui je fuis Lecteur , en mon éſſence
Cherche un Héros des Grecs , admiré dès l'enfance
:
Un fameux Amiral , qui fit qu'Elizabeth *
• Reine d'Angleterre.
70 MERCURE DE FRANCE.
D'un puillant ennemi renverfa le projet ;
Belle , dont les attraits font chantés par Pé
trarque ;
Le père de Théfée ; un Augufte Monarque ,
Philofophe fublime , Empereur fans égal ;
Un de les Succeffeurs , Soldat & Général ;
Celle qui de Jacob fut l'épouſe chérie ;
Un Guerrier , qui jadis s'illuftra dans Pavie ;
Un Peuple & fa Patrie ; un Oifeau paſſager ;
Ce qu'en France , avec Art , les Dames font bril
ler ;
Le Théâtre célébre , où Cefar , par ſa gloire ,
Du Vainqueur de Porus égala la mémoire ;
Le contraire d'humain ; le contraire de gais
Le furnom d'un des Rois dont parle ' Megerai....
Quoique , par ce détail , on puifle me connoître ;
Lecteur , j'ajoûterai qu'onze pieds font mon être.
Par le même.
NON,
CHANSON.
tous les coeurs foumis à ton empire
N'éprouvent point , Amour, un fort charmant
Le Roffiguol chante en aimant ,
Mais la Tourterelle foupire.
'Amour , pardonne- moi, mon coeur a toujours fu
Le fort du Roffignol & de la Tourterelle.
Je ne puis chanter comme lti :
Je craindrois de gémir comme elle;
+
Non , tous les coeurs soumis à ton empire
Néprouvent point amour, un sort charmant,
Le rossignol chan
te en aimant
Wais la tourterelle sou - pi- re, Le rossignol
chan te en aimant
Mais la tourterel le soupire Mais la tourte
Fin
Джо
W
relle soupi -re.Amour, pardonne moi, mon
coeur a
toujoursfui Le sort du rossi
gnol et de la tourterel - le je ne puis chan
Ти
+
ter come Lui
je craindrois degémir come el
je ne puis chanter come lui re craindrois de gé
to To
W
emir come elle . Non tous les coeurs.
Grave par Me Charpentie.
Imprimé par Tournelle.
OCTOBRE. 1761. 71
ARTICLE II.
VOUVELLES LITTERAIRES.
ÉLOGE DE RENÉ DUGU AYTROUIN
, Lieutenant- Général des
Armées Navales , Commandeur de
-l'Ordre Royal & Militaire de Saint
LOUIS: Difcours qui à remporté le
Prix de l'Académie Françoife en :
1761 ; par M. THOMAS , Profefeur
en l'Univerfité de Paris , au College
-de Beauvais. Parum ad mortes noftras
terra latè patet. Senec . natur. quæft. A
Paris , Chez la veuve de Bernard Bru-
Imprimeur de l'Académie Françoife
, Grand'- Salle du Palais. 1761 .
M.THOMAS
vient de recevoir un
nouveau prix d'Eloquence à l'Académie
Françoife dans la féance publique du jour
de S. Louis. C'eft la troifiéme couronne
qu'il remporte en trois années. Le voilà
familiarifé avec les victoires , & bientôt
72 MERCURE DE FRANCE.
on pourra dire de lui ce que difoit Tacite
d'un fameux Romain : Jam tantus erat ut
poffet triumphos contemnere. Il avoit fçu
louer un Magiftrat & un Guerrier ; il vient
de célébrer un homme de mer. C'eſt une
preuve infaillible d'un rare talent, de pouvoir
ainfi traiter avec le même fuccès dif
férens fujets . Comme auffi c'eft une gloiré
bien flatteufe de donner un nouvel
éclat à celle de nos grands hommes : fans
méconnoître certains avantages de l'Hiftoire
fur l'Eloquence , on peut dire que
l'Orateur affure les Héros d'une plus belle
immortalité que l'Hiftorien. Auffi l'on
a fans doute remarqué, à l'honneur de l'Académie
Françoife , qu'elle fait revivre autant
qu'il eft en elle , l'ufage de ces anciennes
Républiques , où l'on érigeoit des
ftatues aux Citoyens qui avoient bien
mérité de la patrie . Des difcours éloquens
font des monumens plus durables que le
marbre & l'airain ; & ceux qui s'illuftrent
dans la carrière des armes ou des loix , doivent
aimer par reconnoiffance les gens de
Lettres.
Des réfléxions Philofophiques & touchantes
fur les inconvéniens de la navigation
ouvrent l'éloge de DUGAYTROUIN...
La navigation eft devenue un
fléau néceffaire auffi utile aux états , que
funefte
OCTOBRE. 1761 . 73
funefte au genre humain. Quelques Cenfeurs
févères ont jugé qu'il n'étoit pas
adroit de commencer l'éloge d'un Héros
par la fatyre de l'art où il s'eft diftingué .
Mais ce défaut , fi c'en un , eft bien excufé
par l'éloquence , & furtout par l'amour
de l'humanité. Ce noble fentiment
n'a pas permis au Panégyrifte de Duguay-
Trouin de diffimuler les abus affreux d'un
Art qui fait la gloire d'un petit nombre
d'hommes & le malheur des autres.
" Queft-ce qu'un homme de Mer ?
» C'eſt un homme qui, placé fur un élé ÷
»ment orageux où il a des ennemis à
» combattre , doit mettre toute la natu-
" re d'intelligence avec lui -même. Con-
" noître toutes les qualités du Navire
qu'il monte ; en faifir d'un coup d'oeil
" toutes les parties ; leur commander
» comme l'âme commande au corps ,
» avec le même empire & la même rapidité
; diftinguer la direction réelle des
" vents de leur direction apparente ; di-
" minuer ou augmenter à fon gré leur
" impulfion ; tirer de la même force des
effets tout contraires ; fe rendre maître
» de l'agitation des vagues , ou même la
»faire concourir à la victoire ; enchaîner
"l'inconftance de tant de caufes différen-
» tes , de la combinaifon defquelles réful-
I. Vol D
74 MERCURE DE FRANCE .
» te le fuccès ; enfin calculer les proba-
» bilités , & maîtriſer les hafards : tel eft
» l'Art d'un homme de Mer.
On ofe dire ici que nous ne ferons
puiffans fur les mers que lorfque la Marine
marchande fera la pépinière de la Marine
Royale. En effet , en Angleterre la
Marine marchande eft une école où les
Particuliers rifquent leur fortune , pour
apprendre à foutenir un jour la fortune
publique. Le fervice dans l'une eft un degré
pour paffer à l'autre. » C'eft du fein de
» la Marine marchande que font fortis
» nos plus grands hommes de Mer , Jean
» Bart,Tourville & le Chevalier Paul:
» c'est elle qui a formé Dugay-Trouin. La
» nature qui le deftinoit à faire de gran-
» des chofes lui accorda la faveur de naî-
» tre fans ayeux .... Il naquit au ſein
» de cette profeffion que l'orgueil dé-
» daigne & qui fait la grandeur des Etats.
"
L'Orateur n'oublie point l'enfance de
fon Héros : elle annonça ce qu'il devoit
être un jour. Il éprouvoit à la vue des Vaiſ
feaux cette émotion douce & puiffante
qui eft la voix du génie. C'eft fur une Frégate
armée par fa famille qu'il commença
fa carrière. Le récit de fon premier combat
qui fut fa premiere victoire , eſt ame-
Le brave Thurot eût auffi pu trouver ici fa
place , de l'aveu des Anglois même.
OCTOBRE , 1761 . ་ ་
né par des pensées énergiques & profon
des fur les différences des combats de Terre
& des combats de Mer.
>> Les batailles de terre préfentent, à la
» vérité , un ſpectacle terrible : maisdu
» moins le fol qui porte les combattans
» ne menace point de s'entr'ouvrir fous
2
»
leurs pas ; l'air qui les environne , n'eſt
» pas leur ennemi , & les laiffe diriger
» leurs mouvemens à leur gré ; la terre
» entiere leur eft ouverte pour échapper
» au danger. Dans les combats de Mer, les
élémens, principes de la vie, deviennent
» tous les miniftres de la mort. L'eau
» n'offre que de vaftes abîmes ,dont la fur-
» face balancée par d'éternelles fecouffes ,
» eft toujours prête à s'ouvrir. L'air agité
» par les vents, produit les orages, trom-
» pe les éfforts de l'homme , &le préci
» pite au-devant de la mort qu'il veut évi-
» ter. Le feu déploye fous les eaux fon
99
activité terrible , entr'ouvre les Vail-
» feaux , & réunit la double horreur d'un
naufrage & d'un embrâfement. La ter-
» re reculée à une diſtance immenſe , re-
» fuſe fon afyle ; fa proximité même eſt
» dangereuse , & le réfuge eft fouvent un
» écueil. L'homme ifolé & féparé du
» monde entier, eft refferré dans une prifon
étroite, d'où il ne peut fortir, tandis
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
» que
"
la mort y entre de tous côtés . Mais
parmi ces horreurs , il trouve quelque
chofe de plus terrible pour lui , c'eft l'hom-
» me fon femblable qui , armé du fer; &
» mêlant l'art à la fureur , l'approche, le
joint, le combat , lutte contre lui fur ce
» vafte tombeau , & unit les éfforts de fa
rage à celle de l'eau , des vents , & du »
» feu.
Bientôt la famille de Duguay-Trouin
le juge digne de commander , & lui confie
un vaiffeau. Il eft jetté par la tempête
fur les côtés d'Irlande ; mais la flamme des
vaiffeaux qu'il brûle éclaire les campagnes
où fumoit le fang des malheureux foldats
de Jacques II.
fim-
Les détails des exploits de Duguay-
Trouin , lorsqu'il n'étoit encore que
ple Armateur, rempliffent cette première
partie. On admire fa valeur dans les dangers
, fa modeftie dans les fuccès , fon
défintéreffement , les regrets qu'il donne
à la mort de deux de fes frères , fa ferme
té dans les revers. Il fçut mettre à pro.
fit le malheur même & faire oublier fes
difgraces. Echappé de l'Angleterre où il
étoit retenu prifonnier , il fe venge en
triomphant de ce Peuple , qui a fondé ſa
puiffance fur la Marine & le commerce.
Bientôt le bruit de fes exploits parvient à
la Cour; & Duguay-Trouin attire les
OCTOBRE. 1761 . ウブ
regards du Gouvernement. Louis XIV
daigne lui envoyer une épée , préfent digne
de Duguay- Trouin . On aime à fuivre
les progrès de fon génie dans fes premiers
combats qui n'influoient point fur
la deftinée de la France , mais où il déployoit
dès-lors autant d'habileté que dans
ceux qui depuis l'ont rendu ft célébre . Car
l'intrépidité guerriere n'étoit pas fon feul
mérite. Duguay- Trouin joignoit les ta
lens de l'efprit aux qualités de l'âme , &
des réflexions profondes à une continuelle
expérience . Rien n'égaloit fon ardeur
pour les combats que fa paffion pour l'étude.
» La Marine , comme tous les autres
Arts , ne fut d'abord que le réful-
» tat informe de quelques combinaiſons
groffières car l'efprit du genre humain
» a eu fon enfance comme celui de cha-
» que mortel. Le temps qui agit lente-
» ment , mais qui agit fans ceffe , l'expé-
" rience qui voit tous les avantages &
" tous les abus , la pratique des hommes
» de mer , les obfervations de quelques
» hommes de génie , qui faififfent en un
inftant ce que des nations & des fiécles
» n'ont point vu , l'activité des paffions
qui cherchent à éxécuter de grandes
» choſes ; & plus que tout cela peut -être ,
" le hafard qui découvre des chofes utiles,
»
ود
"
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
לכ
échappées à la méditation du genre hu-
» main ; toutes ces caufes réunies ont
» étendu les idées , & changé la Marine
» en une ſcience vafte dont la Philofophie
eft l'âme & qui , dans fon cercle
» immenſe , embraffe l'air , les Cieux , la
» Terre & les Mers .... O charmę im-
و د
ود
périeux de l'Hiftoire , quand elle eſt · lue
» par le génie ! Souvent dans le filence de
» la nuit , tandis que tout repofe dans
» l'Univers , tandis que fon Vaiffeau fend
» la mer d'un cours tranquille , Duguay-
» Trouin feul & retiré , veille à la lueur
» d'un flambeau . Il parcourt les annales
» des mers , & lorfqu'il lit de grandes ac-
» tions , fon âme s'élève , fon fang bouillonne,
& tout fon corps tréffaillit d'ad-
» miration & de joie.
Dans la feconde partie on voit Duguay-
Trouin fervir l'Etat dans la Marine
Royale , former de plus grands projets
faire de plus grandes actions , parvenir
par fes fervices , au plus haut point d'élé
vation comme au plus haut degré de gloire.
Le génie de l'Orateur femble s'élever
& s'aggrandir avec la fortune & la gloire
de fon Héros . Les nouveaux triomphes
de Duguay-Trouin devenu Général de
mer, donnent une nouvelle activité à l'intérêt
& à l'Eloquence. Parmi la foule des
OCTOBRE 1761. 79
"
beaux morceaux dont cet ouvrage ef
rempli , & que je regrette de ne pouvoir
tous citer , celui fur les qualités diſtinctives
de l'Armateur & du Général de mer
mérite les plus grands éloges . » L'Arma-
» teur combat pour lui-même ou pour des
» Particuliers : il peut s'abandonner plus
» hardiment à l'impétuofité de fon cou-
" rage. Le Général de mer peut & doit
» moins rifquer : il faut qu'il ménage la
gloire & les forces de l'Etat. Le pre-
» mier ne fait que des coups de main ; il
lui faut plus d'audace. Le fecond concerte
des projets , forme des plans ; il
» lui faut plus de génie . L'un eft animé
» ſouvent par l'intérêt ; & ce motif fi bas,
» mais fi puiffant , peut lui tenir lieu des
» reffources les plus nobles : fi l'autre régle
fes opérations fur des vues de com-
» merce , il fe dèshonore & trahit l'E-
» tat. Celui - ci , maître abſolu de ſes expéditions,
décide des lieux & des tems :
» celui - là eft fouvent gêné par des ordres .
» Le premier commande à des hommes
#
"
•
qu'il a choifis lui-même : Le fecond
» commande quelquefois à fes rivaux
» fouvent à fes ennemis. L'un eft en mê-
» metemps le Ministre & le Général ; fon
deffein ne perce que dans le moment
qu'il l'éxécute : Le projet de l'autre eft
33
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
» fouvent divulgué , avant que fon Efca-
» dre foit fortie du Port. Enfin l'Arma-
» teur ne commande qu'un feul Vaiſſeau
» & toutes les vues fe bornent à le diriger
» dans le combat. Le Général de mer en
» a plufieurs qu'il fait mouvoir de concert :
» Il faut qu'il les place à une diftance on
» ils puiffent fe foutenir , fans pouvoir ſe
" nuire ; qu'il affigne à chacun l'enne-
» mi qu'il doit attaquer , & dont les
» forces font en proportion avec les fien-
» nes ; qu'il donne aux Capitaines des inf-
» tructions qui embraffent les accidens &
» les hafards ; qu'il ait le courage de fuppofer
la mort; >> que les mouvemens com-
ود
» binés de tous les Vaiffeaux foient dirigés
par une vue générale ; que , fans
» précipitation , fans enthouſiaſme & fans
» terreur , il fache démêler & juger ces
» circonftances extrêmes , où il faut fortir
» des règles ordinaires , & facrifier une par-
» tie de fes forces pour conferver l'autre..
Dans la fameute guerre pour la fucceffion
d'Espagne, les victoires de Duguay-
Trouin furent mêlées à nos défaftres. Tandis
que la France perdoit les batailles
d'Hochfet , de Turin , de Ramilies &
de Malplaquet , Duguay- Trouin faiſoit
couler aux extrémités du monde le fang
de nos Vainqueurs.
OCTOBRE. 1761. S'I
fa
pre-
Après un repos
de quatre ans ,
mière action fut étonnante. Il avoit attaqué
un Vaiffeau
de guerre
Hollandois
de
38 canons. Surpris
par l'activité
de l'ennemi
qui tout-à - coup fit une manoeuvre
habile & imprévue , il fe trouva dans une
fituation
défavantageufe
qui l'obligea d'éffuyer
tout le feu de l'Artillerie , fans pouvoire
y répondre. Déjà il avoit reçu deux
coups de canon à fleur d'eau & fept dans
fes mâts ; les ennemis le croyoient
perdu .
Il prend tout-à-coup le parti de fe jetter
dans leur Vaiffeau avec tout fon équipage.
Le Capitaine
Hollandois
fut tué &
fon Vaiffeau
enlevé en moins d'une demiheure.
Ailleurs à la tête de trois Vaiffeaux
& de deux Frégates , il échappe à une Eſcadre
Hollandoife
de quinze
Vaiffeaux .
Il pénétre dans ces climats du Nord ou
l'avidité
conduit tous les ans les Hollandois
pour s'y enrichir par la pêche de la
Baleine . Il y prend , ou rançonne , ou
brûle plus de 40 de leurs Vaiffeaux .
Le parallèle de Duguay- Trouin &
de Forbin eſt un morceau brillant , dicté
par l'impartialité , puifque le Panegyrifte
s'y décide fur les faits , & refpirant cette:
noble fierté qui préfére les vertus aux titres.
Forbin né d'un fang illuftre, avoit
foutenu la gloire de fa naiffance ; Du
D. v.
82 MERCURE DE FRANCE.
»guay-Trouin avoit fait difparoître l'ob-
» fcurité de la fienne. Le premier avoft
» donné un nouvel éclat à fes ayeux le fe-
» cond avoit créé un nom pour fes defcen-
» dans . L'un avoit mis à profit tous les
avantages ; Pautre avoit vaincu tous les
-obſtacles. Tous deux intrépides , éclai
» rés , avides de périls , bravant la mort ,
>> prompts à fe décider, féconds en reffour-
و د
ces. Mais Forbin , né pour être un Gé-
» néral de mer , ne fit jamais que des exploits
d'Armateur , Duguay-Trouin né
pour être un fimple Armateur , fit prefque
toujours des actions d'un grand Ca
pitaine. Le premier en fervant l'Etat
>>penfolt à la récompenſe ; le ſecond penfoit
à la gloire. Forbin vendoit fes fervices
; Duguay - Trouin eût acheté
Phonneur d'être utile.
Le tableau du Devonshire Vaiffeau
Anglois armé de cent canons , défendu par
800 hommes , à moitié confumé par les
flammes , attaqué par Duguay- Trouin ,
qui eût defiré de vaincre pour fauver tant
de braves gens ; cet effrayant tableau éxscita
les plus vifs applaudiffemens dans la
féance publique de l'Académie .
Je ne me lafferois point de fuivre l'Otateur
dans le récit intéreffant des nom
breux exploits de fon Héros ; maisomme
OCTOBRE. 1761 . 83
la précision est une des qualités qui caractérisent
le ftyle de M. Thomas , il me faudroit
ici tranſcrire la plus grande partie de
fon difcours , fi je m'attachois à faire connoître
les principaux faits. Je me bornerai
donc à citer encore la fameuſe expédition
de Riojaneyre , qui dans l'Europe &
dans l'Amérique acquit à Duguay-Trouin
une gloire immortelle , & qui fait auffi le
plus grand honneur à M. Thomas. La hardieffe
de l'entreprife , les difficultés éffrayantes
du fuccès , plufieurs combats (ur
terre & fur mer , les horreurs d'une tempête
mêlée à celles d'un combat livré pendant
la nuit , des alfauts , les fuites décifives
de la victoire , tout cela eſt tracé avec
cette vigueur de pinceau qui tranſporte les
objets dans l'âme , qui fait voir & fentir ,
qui produit cette illufion enchantereffe , le
charine de tous les ouvrages où l'on veut
émouvoir l'imagination & toucher le
coeur.
و د » Onuit affreufe ! nuit terrible ! Son
» filence eſt tout -à- coup troublé par des
décharges de toute l'Artillerie de Du-
» guay-Trouin . En même temps le Ciel
» fe couvre d'orages : le feu des éclairs qui
» ſe mêle au feu continuel & rapide des
» batteries ; le bruit des canons joint aux
éclats redoublés du tonnerre ; les échos
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
» des rochers, les remparts qui s'écroulent,
» les mugiffemens de la mer agitée par la
ود
tempête ; tous ces objets réunis dans
» l'cbfcurité d'une nuit fombre , formoient
autour de Riojaneyre une fcène d'hor-
» reur & d'épouvante. Les Habitans pren-
» nent la fuite. L'avarice emporte les tré-
» fors avec elle au fond des bois & dans les:
» cavernes des montagnes . Les Soldats
» étonnés cédent eux-mêmes au torrent ; ils
» fuient leurs mains ont livré aux flam-
» mes, les dépôts des richeffes publiques :
» Mais dans les entrailles de la terre ils ont
» caché des feux fecrets deſtinés à les venger.
Duguay- Trouin s'avance avec au-
» tant de précaution que s'il n'étoit pas
vainqueur. Il achève de mériter fa vic-
» toire , en l'affurant. Quel fpectacle pour
» ce Héros , lorfque les François , qui , fur
» cette rive étrangere , avoient gémi dans
les prifons , portant fur leur vifage défiguré
l'empreinte de leur infortune , le-
» front pâle , les yeux éteints , le corps re-
» vêtu de lambeaux , vinrent en foule em-
» braffer fes genoux, baiſerent fa main fan-
» glante ; & l'appellant cent fois leur Libérateur
, lui exprimerent cette recon-
>> noiffance vive & fenfible qui n'eſt con--
nue que des malheureux.
ود
»
"
39
Le difcours eft terminé par l'éloge des
OCTOBRE. 1761. 85
qualités morales de Duguay-Trouin , &
par des chofes excellentes fur l'importance
& l'utilité de la Marine , mifes dans la
bouche de Duguay-Trouin lui- même ,
dont l'Orateur évoque l'ombre qu'il fait
érrer dans nos ports & dans nos arfenaux.
Des notes faites avec foin & même avec
génie, accompagnent ce difcours. Elles font
remplies de détails choifis de la vie de Duguay-
Trouin ,.de recherches curieufes fur
celle des Marins fameux , d'obfervations
fur la manoeuvre, le Pilotage l'Architecture
Navale . Le Profeffeur y paroit prèſque
un homme de mer ; peut- être Duguay-
Trouin eût jugé que fon métier n'eft pas
étranger pour fon Panegyrifte : tant il eft
vrai que le génie fupplée à l'expérience , &
que les imaginations fenfibles fçavent faifir
& peindre ce que les efprits vulgaires
n'apperçoivent pas même avec leurs yeux..
On voit que Tacite & Boffuet font les
modèles de M. Thomas. Il a fouvent la
profondeur & la fagacité de l'un , la chaleur
& l'élévation de l'autre. Ce qui le diftingue
, ce font les images fortes & pathé--
tiques . Il eft Poëre dans fes difcours : Mais
chez lui le Poëte n'éclipfe pas l'Orateur , il
ne fait que l'aider . Peut-être n'y a - t - il point
de véritable Eloquence fans Poëfie , ni de
bonne Poëfie fans éloquence. Boffuet n'est
36 MERCURE DE FRANCE.
jamais plus grand que lorfqu'il eft Poëte ,
& M. de Voltaire s'eft diftingué , même
ede nos meilleurs Poëtes , par les morceaux
d'Eloquence dont il a femé fes ouvrages .
M. Thomas eft bien capable de courir d'une
manière brillante les deux carrières . Le
Poëme de Jumonville & l'Epître au Peuple
font fouhaiter qu'il achève fon Poëme
épique fur le Czar. Nous ofons croire que
le projet n'eft pas au - deffus de fes forces:
Les voeux du Public autant que l'intérêt
de fa propre gloire doivent l'animer dans
les difficultés de ce long travail , & le foutenir
dans l'éxécution de la plus haute en -
treprife Littéraire ; celle dont le fuccès
fait tenir le Sceptre au Parnaffe.
PIECESfugitives de M.de VOLTAIRE,
de M. DESMAHIS & de quelques
autres Auteurs, avec deux Hiftoires de
Sadi , célébre Poëte Perfan in- 8 ° d'environ
roo. pages. A Genève , & fe
trouve à Lyon chez Jean- Baptifte Reguillat
& à Paris chez les Libraires qui
débitent les nouveautés.
O N trouve dans ce Recueil quelques
petites Piéces de M. de Voltaire , quatre
OCTOBRE. 1761 87
Epîtres de M. Desmahis, cet Auteur ingénieux
de la Comédie de l'Impertinent , que
la mort vient de nous enlever . On y lit avec
plaifir la Piéce intitulée Pigmalion , d'un
Auteur célebre, plufieurs autres morceaux ,
dont la plus grande partie eft de M. de Campigneulles.
Nous ne nous arrêterons qu'à
fon Hiftoire de Sadi , dans laquelle il a en
en vue de refuter celle qui a paru il y a quel
que temps dans un Ouvrage Périodique
& qu'il a fait imprimer avec la fienne
dans ce Recueil ; nous jetterons auffi un
coup d'oeil fur fon Difcours fur les gens de
Lettres , lu dans l'Affemblée publique de
l'Académie Royale des Sciences , Belles-
Lettres & Arts de Villefranche , le 25
Août de cette année .
Sadi avoit des grâces à rendre au Ciel ,
dit M. de C .... de ne l'avoir pas fair
naître dans l'opulence nidans la pauvre-
» té. Il le remerciait encore de ce que le
fang qui bouillait dans fes veines , était
>> pur fans que la fource en fût illuftre.
» C'est dans une famille honnête, au ſein
33
de la médiocrité, que les talens s'empref-
» fent d'éclote. " Sadi, à dix-neufans, fe fignala
par un chef-d'oeuvre . Il tranfporta fur
la Scène prèfque tous les Peuples dumonde.
Il les peignit avec les couleurs qui leur font
propres, En généralde Théâtrende . Sadi
88 MERCURE DE FRANCE.
39
"
"
و ر
» eft bien entendu . Ses plans font finement
penfés , peu compliqués à la vérité , mais
par là plus vraisemblables , plus propres
» à conduire à un dénoûment naturel .
» Le contrafte des caractères eft adroite-
»ment ménagé. Chaque perfonnage dit
» précisément ce qu'il faut dire dans la
pofition où l'Auteur le place. Le Poéme
» eft fagement coupé par des Scènes ame-
» nées avec intelligence . Leftyle eft exact,
fleuri , élégant » Tout le monde connaît
le ftyle de Sadi . Son Hiftorien le fuit
dans tous fes fuccès . Il nous fait voir en
lui , le Poëte par excellence dans le Poëmet
épique qu'ils a compofé en l'honneur d'un
des plus grands Rois dont fe glorifient les
Perfans . Tour -à- tour Littérateur ; Politique
, Hiftorien & Philofophe , Sadi raffemble
tous les talens . M. de Campigneulles
n'oublie aucune occafion de relever fa
gloire. Il prouve fon défintéreſſement par
le témoignage des Libraires qui ont donné
la dernière Edition de fes OEuvres . Il vante
à tous les coeurs fenfibles la bienfaifance de
cet Ecrivain illuftre en faveur de la petite-
- niéce du premier Tragique du monde. Enfin
on trouve dans cette Hiftoire abrégéé un
éloge complet de Sadi comme Auteur, &
comme homme ; éloge d'autant plus effimable
qu'il ne parait pas dicté par le flar
OCTOBRE. 1761. 89
térie , & que les traits en font pris dans la
nature & dans la vérité.
M. de C. dans fon Difcours fur les gens
de Lettres fait un Tableau en racourci des
factions & des cabales qu'on voit éclore
tous les jours dans les grandes Villes où les
Mufes ont fixé leur féjour . Il fait voir
combien le titre d'homme de Lettres , le
feul que ne donne pas le hafard & le feul
que l'on ne prend pas , eft honorable &
refpectable . A la Chine c'eſt la profeffion
des Lettres qui conduit aux honneurs . Le
foin de gouverner les hommes n'appartient
dans ce Pays, qu'à ceux qui les connoiffent.
Mais pour que cette profeffion procure un
état à ceux qui l'exercent , il faut que le
Gouvernement préfcrive des conditions &
qu'il oblige à les remplir . C'eft ainfi qu'on
parviendrait à donner une confiftance folide
à l'état des gens de Lettres. L'établiſſement
d'une Société d'examinateurs pour
décider du mérite des candidats , réuniroit
plufieurs avantages qu'il faut voir dans
l'ouvrage même.
» La République des Lettres eft un ter-
» rein immenfe qui produit des fleurs & des
» fruits de toutes espèces ; tout dépend de
» la culture . En remuant légére nent la
»furface de ce terrein précieux , l'humble
» violette prend naiffance ; la rofe s'épa90
MERCURE DE FRANCE.
" nouit & fe colore fous les doigts dignes
» de la cueillir : en fouillant profondément,
→ on trouve des pierres ineftimables ; par-
» tout croiffent les Myrthes & les Lauriers .
" Le Dieu du goût les difpenfe également
» à l'efprit , au fentiment & à l'érudition .
» Il couronne tour à - tour l'aimable facili-
» té d'Anacréon , l'amoureufe chaleur des
" vers de Catule , les vaftes connaiffances
» de Cicéron. Les champs qui ne produi
» faient que des ronces & des chardons aux
Laboureurs ignorans , donnent une récolte
abondante aux Cultivateurs inf-
» truits . Honorons les Agriculteurs Litté .
raires qui portent le jour dans les détours
» ténébreux du coeur de l'homme , qui per-
» cent dans la nuit des temps , qui nous
fubjuguent par des figures harides , par
des images féduifantes , par un ftyle nerveux
& fopore. Songeons furtout que
l'agréable eft prèſque toujours utile. C'eft
la belle littérature qui introduit dans les
Empires la politeffe & l'urbanité . Ce
font les ouvrages où regnent l'efprit &
»le fentiment qui amolliffent la dureté
du coeur , de tous les vices le plus funeſ-
» te au monde. Corneille a porté notre
langue jufqu'aux extrémités de l'Europe ;
& bien des gens parmi nous , n'ont appris
l'Italien que pour pouvoir lire le
•
OCTOBRE. 1761. 91
D
Taffe ; tout homme qui prend la plume
» dans le deffein d'inftruire ou d'amufer le
» Public , a des droits inconteftables fur fa
» reconnaiſſance. C'eft un homme de Let-
» tres , s'il réuffit.
En voilà affez pour mettre le Lecteur à
portée de juger da mérite de ce Difcours .
L'Auteur n'eft pas étranger dans la Répu
blique des Lettres. Il poffède l'habitude d'écrire
, & s'il a laiffé des phrafes familières qui
femblent déplacées dans un Difcours Académique
, c'eſt que fans doute il a vu qu'il
n'aurait pas pu donner plus de dignité à
l'expreffion fans énerver la penfée. On ne
fauroit trop inviter les Académies &
les Académiciens à préférer le fond des
choſes au faux clinquant & à la délicateſſe
outrée des mots qui n'en font que la fuperficie.
LETTRE , à l'Auteur du MERCURE.
Si les éclairciffemens , Monfieur , que
j'ai l'honneur de vous adreffer ne paroiffent
avoir d'autre objet aux yeux de certains
Lecteurs , qu'une fimple queſtion de
mots , j'ofe me flatter qu'ils mériteront
an moins quelqu'attention de la part de
92 MERCURE DE FRANCE.
ceux qui font une étude particuliere de
l'Antiquité. M. Ménard dans fa grande
Hiftoire de Nifmes foutient que par le
terme fodalis employé dans une Infcription
qu'il y rapporte ( a ) , on doit entendre
un Amant , en forte que fuivant cet
Hiſtorien , il faudra déformais en pareille
occafion, prendre ce mot fous cette acception.
A quoi il ajoute que l'Auteur de la
Table de Gruter a eu tort de prendre ce
même terme pour le fynonyme de conjux
, & de placer en conféquence les
Infcriptions où il eft employé dans la
claffe de celles qui regardent les maris.
Je prétends au contraire 1 ° . que le mot
fodalis ne peut ici , ni dans aucun cas
femblable , fignifier un amant. 2 °. Qu'il
eft des cas où ce terme fert à défigner un
Epoux. Mais voici auparavant l'Infcription
qui donne lieu à mes obfervations.
D. M.
QVINTO CELIO
EPYTVNCANO
ELVIA SECVNDILLA
SODALI.
Elvia Secundilla , comme l'on voit ,
dreffa cette Infcription à l'honneur des
(a) Tom. 7 , p. 3.86..
OCTOBRE. 1761 . 93
Dieux Mânes de Quintus Coelius. Mais
doit -on croire avec M. Ménard
que le
mot fodali qui s'y rencontre , fignifie que
ce Particulier eût été fon amant ? Dans
le nombre des Infcriptions que je pourrois
rapporter pour établir que ce terme ne
donne point cette fignification , je me
contente de tranfcrire la fuivante.
T. MATINIVS. T. F.
HYMENEVS. SODALI
SVO. FECIT.
Gruter, pag. DLXV. No. 8 .
Il eft vifible par cette Infcription , que le
mot fodali ne peut être rendu par celui
d'Amant , puifqu'elle fut dreffée par le
nommé Matinius , fodali fuo. Dans les
Infcriptions, comme dans les bons Auteurs
& dans le Droit , fodalis ne fignifie qu'une
perfonne qui étoit du même Corps , de la
même Confrérie ; & c'eft en ce fens feul
qu'on a dit fodalitas , fodalis. Un ou
deux exemples font plus que fuffifans
établir cette vérité. Nous apprenons de
Cicéron qu'il avoit toujours eu des Confréres
, primùm habui femper fedales. (b)
Lorsque j'étois Quefteur , continue l'O
(b ) Cicer. de fenect . n . 45.
pour
94 MERCURE DE FRANCE.
rateur Romain , on a établi des Confréries
, fodalitates autem me quæftore conftitute
funt (c). Et nous voyons également
que la Loi nomme fodales ceux qui compofent
le même Collége , c'est-à- dire , ceux
qui font de la même Société , fodales funt
qui ejufdem Collegii funt (d). Le terme
fodalis annonce donc un Confrere , commele
mot fodalitium aufodalitas fignifie
une Confrérie. Ainfi trouvons- nous encore
dans les recueils des Infcriptions de
Gruter & de Gori,fodalitiaria confilii boni
; comme nous lifons dans Ovide qu'une
troupe d'amoureux y eft appellée turba
fodalis , par la raiſon fans doute que ceuxci
font en quelque forte confréres de la
Volupté.
Triftior idcircò non eft , quam tempora Phoebi ,
Quæ relevet luctus , turba fodalis abeſt.
Ovid. remed. amor. verf. 585. 586.
Mais en voilà , fi je ne me trompe , autant
qu'il en faut pour prévenir ceux qui
entrent dans la carrière de l'antiquité, de
ne point interpréter , fur la foi du nouvel
Hiftorien de Nifmes , le terme fodalis
qu'ils peuvent rencontrer dans une Inf
cription ,, par celui d'Amant.
(c) Cic. ibid.
( d) Leg. 4. ff. de Collegiis & corp.
>
OCTOBRE. 1761. 95
2. S'il eft vrai que le terme fodalis
dans fa fignification défigne , comme on
vient de le voir , le membre d'un Corps
ou d'une Société légitimement autoriſée ,
en un mot un Confrére quelconque ; Il eft
fenfible que ce terme doit donner plutôt
l'idée d'un Epoux que celle d'un Amant.
Mais l'Infcription fuivante ne nous permet
pas de douter que le mot fodalis ne
réponde dans certaines occafions à celui
de conjux. Elle eſt ainfi conçue.
D. M.
IVNIE FELICVLA
L. MINICIVS
CLAPORVS
SODALI. SVÆ
BENEMERENTI. F.
Gruter , p. DCCCLXXVI . N°. 3.
Le fçavant Scaliger a donc pû , quoiqu'en
dife M. Ménard , mettre au rang
des Infcriptions qui regardent les maris ,
celles où l'on lit le mot fodalis. Mais c'eſt
au Lecteur à fçavoir diftinguer les cas où
ce terme doit s'entendre d'un Confrére au
lieu d'un Epoux . En vain m'objecteroit-
on qu'avec la dernière Infcription , je
donne pour preuve ce qui fait l'objet de
96 MERCURE DE FRANCE.
la conteftation , puifque l'épithète de bene
merenti fi ordinaire pour les femmes y
eft donnée par Claporus , fodalifuæ , &
qu'il eft certain d'ailleurs que ce terme.
fodalis ne peut jamais fignifier un Amant
ni une Amante. Je ne m'arrêterai point
à relever encore une erreur affez confidérable
dans laquelle tombe ici M.Ménard.
En cherchant à juftifier l'explication qu'il
donne au terme fodalis. Cet Hiſtorien
confond pour tous les temps la Maîtreffe
avec la Concubine. Il y avoit cependant
une grande différence entre l'une & l'autre
, du moins depuis la Loi Papia Poppaa
qui parut fous le regne d'Augufte.
Alors le nom de concubine devint un titre
légal ; en forte qu'on prit pour concubine
celle avec laquelle il n'étoitpoint permis
de contracter de mariage, le concubinage
ayant été autorifé par un des chefs de cetté
Loi . Et le nom de Pellex , qui avant
cette même Loi étoit fynonyme avec ce
lui de concubina pour fignifier indiftin &tement
celle avec laquelle un homme vivoit
, foit qu'il fût marié , foit qu'il fût
célibataire , le nom de Pellex , dis je, devint
en même temps un nom dèshonorant
, & ne fervit qu'à défigner une maî
treſſe .
Au refte fi les Empereurs Romains ont
autorifé
OCTOBRE. 1761. 97.
autorifé le concubinage , je ne vois pas
que la Loi Ancienne l'ait défendu . Car
nous lifons dans l'Ecriture Sainte ( e) que
Gédéon eut un fils nommé Abimélec d'une
Concubine qu'il avoit à Sichem . Auffi Grotius
obſerve- t -il fur ce paffage des Juges ,
que le concubinage étoit alors permis , non
erat vetitus , dit - il , eo tempore concubinatus.
Mais je renvoye à une autre occafion
à m'étendre un peu plus au long fur
cet Article.
J'ai l'honneur d'être , &c.
GRAVEROL de FLOG RHEVAR.
( e )Jug. 8. 30. 31 .
DICTIONNAIRE Géographique , Hi orique
& Politique des Gaules & de la France
, contenant les noms , la fituation &
la defcription des anciennes Provinces Romaines
dans la Gaule Tranfalpine , avec
les Métropoles de ces Provinces : les noms ,
la fituation & la defcription des d'erfes
Nations ou Peuples qui habitoient les
Provinces Romaines de la Gaule Tranfalpine
, avec la Capitale ou le Chef Lien de
chaque Nation ou Peuple : une notice des
divers Peuples , tels que les Alains , les
Bourguignons , les Cimbres , les Francs
I. Vol. E
8 MERCURE DE FRANCE.
les Germains , le Goths , les Hérules , les
Huns , les Normands , les Oftrogoths , les
Teutons , les Wandales , les Wifigoths &
autres qui ont fait des irruptions dans la
Gaule Tranfalpine : l'Etabliffement de la
Monarchie Françoife ; la Chronologie &
la Généalogie des Rois de France , avec
une notice des principaux événemens de
leur régne les noms , la fituation & la
defcription de toutes les Provinces , Villes
, Bourgs , Villages , Paroifles & Communautés
du Royaume , avec le nombre
de feux de chaque lieu ; les Archevêchés ,
Evêchés , Abbayes , Prieurés , Chapitres ,
Cures, Commanderies de l'Ordres de Malthe
, avec leurs revenus ; les Pairies , Duchés
, Principautés , Marquifats , Comtés,
Vicomtés , Baronies , Siries , Châtellenies,
& autres Fiefs confidérables ; les Gouver
nemens Militaires , Généraux & particuliers
; les Villes , Citadelles , Châteaux ,
Forts , Tours & autres Places fortifiéesCS
les Confeils Supérieurs , Parlemens , Chambres
des Comptes , Cours des Aydes , Préfidiaux
, Bailliages , Sénéchauffées, Tables de
Marbre , Chancelleries , Chambres du Do
maine & du Tréfor , Chambres du Commerce
, Cours des Monnoies , Amirautés
Jurifdictions Confulaires , Mâitriſes générales
& particulières des Eaux & Forêts &
autres Jurifdictions avec leurs Refforts; les
OCTOBRE. 1761 .
99
Intendances & Généralités ; les Elections ,
Vigueries , Diocéfes , Bailliages & autres
Diftricts ; les Généralités & les Provinces
Eccléfiaftiques ; les Généralités & Dépar
temens de la Connétablie & Maréchauf
fée du Royaume ; les Prévôtés Générales
des Monnoies & Maréchauffées ; les Greniers
-à-fel des Gabelles de France ; les Bureaux
des Aydes , Grandes Entrées , For
mule , Marque des Fers , Jauge & Courtage
, Droit de Rivière , Domaines de Flandres
& d'Occident ; les Bureaux des cinq
Groffes Fermes & autres Droits y joints
les Bureaux Généraux du Tabac , ceux des
Traites , &c. les Montagnes , Fleuves ,
Rvières , Etangs , Sources fameules , Mines
, Eaux minérales , Salines , Bois & Forêts,
&c . &c. &c . Par M. l'Abbé Expilly ,
Tréforier - Chanoine du Chapitre Royal
de Sainte - Marthe de Tarafcon , de la
Société Royale des Sciences & Belles-
Lettres de Nancy &c. en 4 volumes infolio
, par Soufcription . On foufcrit à
Paris chez C. J. B. Bauche , Libraire ,
quai des Auguftins , & chez les principaux
Libraires des principales Villes du Royaume
& des autres Royaumes , Républiques,
& Etats de l'Europe.
LE GENTILHOMME Cultivateur , on
E ij
336643
100 MERCURE DE FRANCE .
Corps complet d'Agriculture, tiré de l'An
glois , & de tous les Auteurs qui ont le
mieux écrit fur cet Art. Par M Du Puy
d'Emportes , de l'Académie de Florence.
Omnium rerum ex quibus aliquid acquiritur
nihil eft agriculturâ meliu , nihil uberius
nihil homine libero dignius .
Cicer. Lib. 2. de Officiis.
Volume in-4°. Tome I. Paris , 1761 ;
chez P. G. Simon , rue de la Harpe , & à
Bordeaux , chez Chapuis l'aíné , avec Approbation
. Prix , 6 1. broché.
Le même Ouvrage , en deux volumes
in-12 . Prix , 5 l . broché.
NOTIONAIRE , ou Mémorial raifonné
de ce qu'il y a d'utile & d'intéreſſant dans
les connoiffances acquifes depuis la création
du monde jufqu'à préfent. Par M.
de Garfault , Auteur du nouveau Parfait
Maréchal , avec figures en Taille- douce.
In - 8 °. Paris', 1761. Chez Guillaume
Defprez, Imprimeur du Roi & du Clergé
de France , rue S. Jacques , à S. Profper
& aux trois Vertus ,
L'AMI DE L'ETAT , ou Réfléxions Politiques
pour l'intérêt général & particulier
de la France. Par M. le Comte de
OCTOBRE. 1761. ΤΟΥ
F
* *
, ancien Militaire , in - 12 , Trévoux
, 1761 ; & le trouve à Paris , chez
Durand , Libraire , rue du Foin ; Lamber
, rue & près de la Comé lie Françoife ;
Dchefne , rue S. Jacques , au Temple
du Goût ; & à Lyon , chez Aimé de la
Roche , aux Halles de la Grenette.
RÉPONSE à un Ecrit intitulé : Mémoire
fur les Effais des matiéres d'or & d'argent.
Par M. Quevanne Quevanne ,, Confeiller du Roi ,
Effayeur général des Monnoies de France
. Par le Sieur *** . In 8. Amfterdam ,
1761 .
SELECTA SENECA , Philofophi , Opera ;
in Gallicum verfa ,operâ & ftudio P.F.X.D.
in- 12 . Parifiis , 1761 Typis J. Barbou,
viâ San - Jacoboeâ , fub figno Ciconiarum .
Cette Traduction , que l'on trouve à la
fuite du Texte , eft de M. l'Abbé Denis ,
d'Arras , dont nous avons déjà donné dans
nos Mercures , & notament dans le dernier
, quelques Lettres traduites de ce Philofophe
, qui ont été lues avec plaifir . Nous
ne tarderons pas à rendre compte de cet
Ouvrage digne.de faire fuite avec les belles
Editions de M. Barbou.
ANTONII DE HAEN , Confiliarii &
Archiatri S. C. R. A. Majeftatis , necnon
E iij
02 MERCURE DE FRANCE.
Medicine pratica in Univerfitate Vindobo
nenfi , Profefforis primarii , Ratio Medendi
in Nofocomio pratico. Tomus primus & fecundus.
12°. Parifiis , 1761. Apud P. F.
Didot , Iuniorem, Bibliopolam , ad ripam
Auguftinianorum.
L'IMPERATRICE REINE vient de s'affurer
un droit à la reconnoiffance de tous les
hommes préfens & àvenir , par un Etabliffement,
qu'il feroit à fouhaiter pour le bien
de l'humanité que tous les Princes imitaffent
; elle vient de fonder à Vienne pour
l'inftruction des jeunes Médecins un Hôpi
tal , qui devient en même tems un des plus
fûrs moyens qu'on puiffe employer pour
perfectionner l'art de guérir.Lemédecin qui
eft à la tête de cet Hôpital , a le droit de
faire transporter ceux des Malades de la
Ville & même des autres Hôpitaux , dont
il veut fuivre les maladies , foit pour en
montrer le traitement le meilleur aux jeunes
Médecins qui l'accompagnent , foit
pour éclaircir quelques difficultés , réfoudre
quelques doutes , décider entre plufieurs
opinions qui fe rencontrent dans la
pratique , diftinguer les maladies que l'art
peut vaincre, de celles fur lesquelles il ne
peut rien , & reconnoître par l'ouverture
des cadavres la vraie caufe des dernieres ;
OCTOBRE. 1761. 103
foit pour éprouver de nouveaux remédes
renouveller les anciens négligés ou oubliés
, les adminiftrer fous une nouvelle
forme , ou dans des cas dans lefquels on
ne les avoit pas encore donnés. L'ouvrage
que nous annonçons eft le fruit de cet étableffement
qu'on ne fçauroit trop louer, &
un des plus utiles qui ayent été faits pour
le progrès de la Médecine. Il contient la
fuite des obfervations & des éxpériences
faites pendant cinq anneés, & publiées à la
fin de chaque anneé , par M. de Haen ,
fçavant difciple de Boerhaave , qui a éxercé
la Médecine avec ſuccès à la Haye pendant
vingt ans , & que l'Impératrice Reine
a choifi , fans doute par le confeil de
l'Illuftre Baron Vanfwieten , pour former
à la pratique de la Médecine ceux
qui étudient cette Science dans la Capitale
de l'Autriche. M. de Haen traite dans
cet ouvrage les fujets les plus importans
& les plus difficiles de l'Art de guérir , les
fiévres éruptives , les maladies malignes ,
les hydropifies, les anevrifmes, les maladies
des nerfs & c. Il démontre l'excellence de la
doctrine d'Hypocrate , de Sydenham &
Boerhaave fur les maladies aigues & leur
traitement , il rapporte les obfervations &
les expériences qui lui ont fait découvrir
de nouveaux médicamens , ou de nouvel-
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
les vertus dans les Anciens ; en un mot,il
ne marche que le flambeau de l'expérience
à la main , vrai & feul moyen de faire
des découvertes utiles dans la Médecine-
Pratique . On trouvera à la fin du 2e volume
la Differtation du même Auteur fur
la Colique de Poitou ou des Plombiers , qui
étoit devenue fort rare , & qui eft trèseftimée.
Cet Ouvrage fe trouve chez Didot le
jeune , quai des Auguftins , près du Pont
S. Michel , & fe vend s liv . relié .
TRAITÉ DE L'ASTHME , traduit de l'Ang'ois
de Jean Floyer , Docteur en Médecine.
In- 12 , Paris , 1761. Chez le même
Libraire . Prix , 2 liv. 1Ι0Ο f. relié .
Cet habile Médecin , connu d'ailleurs
par tant d'autres Ouvrages , s'eft déterminé
à écrire le Traité dont on annonce la
traduction , touché de compaffion pour les
malheureux Afthmatiques. Il a lui- même
été exposé aux accès de cette fâcheufe maladie
pendant plus de trente ans , ce qui
lui a donné les moyens de faire bien des
obfervations , tant fur lui - même que fur
d'autres malades , de développer cette maladie
, d'en expliquer les caufes , & d'indiquer
les remédes dont il s'eft bien trouvé
tant pour prévenir & éloigner , que pour
rendre fupportables les accès de cette cruel
le maladie,
OCTOBRE . 1761. 105
ANTONII STORCK , Medici Viennenfis ,
Tractatus de Cicutâ &c. in - 12.Vindobone,
1761 : chez le même , Prix , 1 liv. 16 f.
relié. Cet Ouvrage traduit en François , fe
vend le même prix ,
I
L'Auteur y fait voir , d'après des faits &
des expériences certaines , qu'on peut faire
ufage de cette plante même à l'intérieur
fans aucun danger , & qu'elle eft même un
reméde utile & fpécifique dans plufieurs
maladies , qu'on avoit jufqu'à préfent jugées
incurables. Tels font les fkirrhes , les
cancers &c. La fuite de cet Ouvrage vient
d'être traduite par un habile Médecin &
eft actuellement fous preffe.
Le même Libraire , chez lequel on peut
trouver grand nombre de Livres de Medecine
, Chirurgie , Hiftoire Naturelle , en
fait venir actuellement des Pays Etrangers ,
& travaille à y établir des Correfpondances ,
pour tous les Livres nouveaux qui paroîtront.
Ceux qui defireront avoir des Ouvrages
qui ne fe trouvent pas ici , pourront
s'adreffer à lui , ils feront fûrs d'être
bien fervis & à bon compte , ne prenant
que cinq pour cent de commiffion , non
compris le port & frais d'emballage . "
LEÇONS DE MATHÉMATIQUES , à l'ufage
des Colleges par le P. de Merville de la
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
Compagnie de JESUS . Tome premier, contenant
les Elémens d'Arithmétique , d'Algébre
, de Géométrie & de Trigonométrie
rectiligne ( in 8 ° . ) A Paris , chez
Barbou , rue S. Jacques &c .
On doit regarder ce volume comme
P'annonce d'un Corps complet de Géométrie
, efpéce d'Ouvrage qui manque au Public
, du moins dans notre langue : Il eft
vrai que nous avons quelques productions
modernes qui portent ce titre ; mais quel
que eftimables qu'elles foient à bien des
egards , elles font trop bornées du côté
des matières , pour qu'on puiffe les regarder
comme des Cours de Mathématiques.
Celui- ci comprendra outre les élémens ordinaires
, c'eft à - dire outre ce premier volume.
1 °. » L'Aftronomie avec toutes fes
dépendances , c'eft- à- dire , la Trigono-
» métrie Sphérique , la Gnomonique & la
Cofmographie qui fe diftribue elle-mê-
»me en plufieurs branches différentes . 2 °.
» Les Fortifications avec un précis de
» la Tactique des Siéges. 3 ° . L'Artillerie
>>
,
qui renferme le maniement du canon ,
» le jet des bombes , la fcience des mi-
» nes & généralement tout ce qui eft
compris fous le nom de Pyrotechie , à
» l'exception des feux d'artifices dont i
feroit inutile de parler après le fçavan
و د
ވ
OCTOBRE . 1761 . 107
כ
Traité quen a donné M. BELIDOR , 4°.
» La Caftramétation , ou l'art de diſpoſer
» & de fortifier un camp. 5 °. L'Hydrographie
ou la ſcience du Pilotage , par-
» tie éffentielle qui fera traitée avec une
» étendue qui ne laiffera rien à defirer à
» ceux qui ſe deſtinent au ſervice de mer .
» 6°. Les courbes de différens genres , &
» en particulier les Sections coniques. 7°.
» Les principes du calcul intégral & différentiel
dont il femble que nous n'ayons
» pas encore de bons élémens. 8 °. L'Op-
» tique , & généralement tout ce qui con-
» cerne les effets de la lumière. 9°. La
"
Méchanique , avec un Traité complet
» d'Horlogerie. 10°. L'Hydraulique &
» fes différentes branches . 11 °. La théo-
» rie & la pratique du nivellement.
. Telle eft en ſubſtance l'objet & la matière
d'un ouvrage qui comprend toutes
les parties des Mathématiques : entrepriſe
immenfe , mais que perfonne n'eft plus
en état d'exécuter avec fuccès , que
le fçavant Profeffeur qui en a formé le
projet.
*
DURAND , Libraire , à Paris , rue du
Foin S. Jacques , chez lequel fe trouve
T'Hiftoire Naturelle générale & particulière
avec la Deſcription du Cabinet du Roi ,
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
par MM. de Buffon & Daubenton , in-4° .
avertit le Public , qu'attendu les frais trèsconfidérables
des deffeins & gravures de
cet Ouvrages qui ont toujours augmenté
depuis la publication des trois premiers
volumes dans lefquels il n'y avoit que
trente trois Planches , il ne pourra,à compter
du premier Octobre 1761 , donnerchaque
volume de cet Ouvrage, qu'au prixe
de quinze livres en feuilles , au lieu de
douze qu'il l'a vendu .
Les Tomes 8 & 9 in- 4 ° . de cet Ouvrage
contiendront quatre - vingt- quinze.
Planches , & feront en vente le premier
Octobre 1761 .
DI TITO Lucrezio Caro , della natura
della Cofe , Libri VI . Tradotti da Aleffandro
Marchetti . Tomo primo , & fecundo.
In Londra . 1761. Cette Edition , in--
16 , eft très jolie. On en trouve des Exemplaires
chez Durand , Libraire , rue du
Foin , proche la rue S. Jacques . Elle eft
dédiée à M. de Floncel , Cenfeur Royal,
de l'Académie des Arcades de Rome , de
celles de Florence , de Boulogne , & de
Corrone , ci- devant Secrétaire d'Etat de
la Principauté de Monaco , & depuis premier
Secrétaire des Affaires Etrangères
fous le ministère de M. Amelot & de M. le :
OCTOBRE. 1761. 109
Marquis d'Argenfon ; & cette Epître qui
rend juftice à les talens & à fon goût
connu pour la Littérature Italienne , nous
a paru digne d'être traduite.
MONSIEUR ,
On ne doit pas s'étonner , fi tandis que
les fureurs dé la guèrre femblent avoir interdit
tout commerce entre la Tamife & la
Seine , je dédie à un homme de Lettres
François , demeurant à Paris , une réimpreffion
faite en Angleterre , du Lucréce ,
traduit en Langue Tofcane. Les Belles-
Lettres trouvent toujours les chemins ouverts
; & les Journaux de votre Continent
ne ceffent point d'arriver dans cette Iſle . On
y eft informé , Monfieur , qu'après avoir
rempli avec diftinction dans votre Patrie
les emplois les plus honorables , & de la
plus grande confiance , vous vous êtes , en
excellent Connoiſſeur, livré tout entier à
perfectionner la Collection nombreuſe &
bien choifie que vous avez faite de Livres
Italiens , Collection l'on
que peut appeller
un Monument unique & précieux érigé
en France par des mains habiles à la
Littérature Italienne. Que ce travail de
nombre d'années auffi fçavant que difpendieux
, dont vous faites fi généreuſefement
part au Public , yous a rendu vé110
MERCURE DE FRANCE.
ritablement digne d'être reçu avec accla
mation dans plufieurs célébres Académies
d'Italie. Que dans le fein de votre aimable
famille on lit , on écrit , & l'on parle
fi parfaitement la Langue Tofcane , que
plufieurs Italiens fe trouvant chez vous ,
ont cru fouvent être à Rome ou à Sienne.
Que par tant & tant d'autres titres . . . .
Mais je blefferois votre extrême modeſtie
fi je voulois détailler tous les motifs qui
m'ont engagé à vous offrir une Edition
que j'ai faite avec foin . Je vous dirai feulement
que le principal a été de répondre
en partie par ce foible hommage à l'accueil
poli & gracieux que vous m'avez
fait pendant mon féjour à Paris , & de
profiter de cette occafion pour vous affurer
que je fuis & ferai toujours votre &c .
A Londres , le 30 Mai 1761 .
11
G.C.
y a un vers au bas du Portrait , qui
dit en François :
Il en choifit la fleur , il en répand le fruit.
Il fait allufion à la Bibliothèque d'environ
dix mille volumes que M. de Floncel
a formée , tous Italiens , & au plaifir
qu'il a de l'ouvrir à tous les Amateurs de
cette Littérature .
OCTOBRE . 17617 III
L'Edition a été faite par M. Conti ,
Profeffeur de la Langue Toſcane à l'Ecole
Royale Militaire . Son bon goût & les talens
littéraires ont déja été célébrés dans
prèfque tous les Journaux , en parlant des
belles Editions Italiennes qu'il a données .
Celle-ci a le mérite d'être extrêmement
correcte : ce qu'on ne peut pas dire de
celle donnée en 175 ... . . qui , quoiqu'un
chef- d'oeuvre de Typographie , fourmille
de fautes .
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES
ACADÉMIES.
PRIX DE POESIE , pour l'Année
M. DCC. LXII.
LE 25 jour du mois d'Août 1762 , Fête
de S. Louis , l'Académie Françoiſe donnera
un Prix de Poësie , qui fera une Médaille
d'or de la valeur de fix cens livres .
* Le Prix de l'Académie eft formé des fondations
réunies de Meffieurs de Balzac , de Cler
mont-Tonnerre , Evêque de Noyon , & Gaudron."
112 MERCURE DE FRANCE.
1
La Piéce fera une Ode de cent vers ,
dont le fuiet fera au choix des Auteurs ;
& fi elle est déjà connue de quelque maniere
que ce foit , elle fera mife au rebut.
Toutes Perſonnes , excepté les Quarante
de l'Académie , feront reçues à compofer
pour le Prix.
Les Auteurs ne metrront point leur nom
à leurs Ouvrages , mais ils y mettront une
Sentence ou Devife telle qu'il leur plaira .
Ceux qui prétendent au Prix , font aver
que s'ils le font connoître avant le jugement
, foit par eux mêmes , foit par
leurs amis , ils ne concourront point.
tis
Les Ouvrages feront remis avant le premier
jour du mois de Juillet prochain à la
Veuve de B. BRUNET , Imprimeur de l'Académie
Françoife , rue baffe de l'Hôtel
dés Urfins , ou au Palais : & fi le port n'en
eft point affranchi , ils ne feront point retirés.
PRIX propofé par l'Académie des
Sciences , Belles -Lautres , & Arts de
Lyon , pour l'Année 1763.
L'ACADÉMIE des Sciences , Belles - Lettres
& Arts de Lyon , propofe pour Prix
de Mathématiques fondé par M. Chriftin,
OCTOBRE. 1761. 113
qui fera diftribué à la Fête de Saint Louis
1763 , le Sujet ſuivant :
Déterminer quelle eftfur un fleuve, la
conftruction du Moulin le plus avamageux
parfon produit & le moins nuifible
à la navigation.
Quelque générale que foit cette propofition
, il eft aifé de voir que l'Académie a
pour objet les Moulins de la Ville de
Lyon. Ils rendent la navigation difficile
& périlleuse , ils donnent lieu quelquefois
aux accidens les plus funeftes.
Ces artifices pofés fur deux bateaux entre
lefquels la roue à eau eft placée , occupent
35 pieds de largeur. S'ils étoient conftruits
fur un feul bateau , ils prendroient
20 pieds de moins fur le canal de la navigation
, & ils feroient moins expofés à
être endommagés ou emportés par les
grandes eaux , par les glaces , & par les
autres corps étrangers .
On a fait l'effai d'un Moulin fur un feul
bateau. La roue étoit à la poupe , fon axé
parallèle au courant , fes aubes formoient
une vis . Mais cette roue prèfque entierement
plongée dans l'eau , étoit fu'ette à
de fréquens dérangemens & à des réparations
difpendieufes , qui en ont fait abandonner
l'ufage.
114 MERCURE DE FRANCE.
Toutes perfonnes pourront afpirer à ce
Prix. Il n'y aura d'exception que pour les
Mcmbres de l'Académie , tels que les Académiciens
ordinaires & les Vétérans. Les
Affociés réfidant hors de Lyon , auront la
liberté d'y concourir.
Ceux qui enverront des Mémoires, font
priés de les écrire en François ou en Latin,
& d'une manière lifible.
Les Auteurs mettront une deviſe à la
tête de leurs ouvrages . Ils y joindront un
billet cacheté qui contiendra la même devife
, avec leurs noms , demeure & quali
tés. La Piéce qui aura remporté le Prix ,
fera la feule dont le billet fera ouvert.
Ca n'admettra point au concours les
Mémoires dont les Auteurs fe feront fait
connoître directement ou indirectement ,
avant la décifion .
Les Ouvrages feront adreffés francs de
port à Lyon :
Chez M. Bollioud Mermet , Secrétaire
pour la Claffe des Sciences , rue de l'Arfenal.
Ou chez M. le Préfident de Fleurieu
Secrétaire pour la Claffe des Belles Lettres
, rue Boiffac.
- Ou chez le fieur Aimé de la Roche ,
Imprimeur de l'Académie , aux Halles de
la Grenette.
OCTOBRE. 1761 . 113
Aucun Ouvrage ne fera reçu après le
premier Avril 1763. L'Académie dans fon
Affemblée publique , qui fuivra immédiatement
la fête de S. Louis , proclamera la
Piéce qui aura mérité les fuffrages.
Le prix eft une Médaille d or , de la valeur
de 300 liv. Elle fera donnée à celui
qui, au jugement de l'Académie , aura fait
le meilleur Mémoire fur le fujet propofé.
Cette Médaille fera délivrée à l'Auteur
même , qui fe fera connoître , ou au porteur
d'une procuration de fa part , dreffée
en bonne forme.
PROGRAMME de l'Académie Royale
des Sciences de Bordeaux.
Du 25 Août 1761 .
L'ACADÉMIE de Bordeaux diftribue tou
tes les années un Prix de Phyfique , fondé
en 1715 par feu M. le Duc de la Force.
C'est une Médaille d'or , de la valeur de
trois cens livres.
Cette Compagnie, convaincue que l'objet
le plus digne des fciences eft d'éclairer
les hommes fur leurs intérêts les plus chers,
& que la vraie gloire des fociétés littérai
res eft de diriger leurs travaux vers les re
16 MERCURE DE FRANCE.
cherches d'une utilité réelle , s'attache
depuis longtemps à ne propofer pour les
prix qu'elle doit donner , que des fujets
dont il puiffe réfulter quelque avantage
pour l'humanité . Elle voit avec éronnement
que depuis qu'elle a cette attention ,
elle reçoit beaucoup moins d'ouvrages
pour le concours , & que la plupart de
ceux qui lui font envoyés, ne contiennent
rien qui ne foit connu , & ne font que de
pures compilations de ce qui fe trouve
déjà répandu dans tous les Auteurs ; ce qui
trop fouvent l'oblige à leur refufer fes fuffrages
, & à réferver les Prix .
Elle ofe ici , au nom du bien commun
inviter les hommes à fe réveiller fur lesobjets
qui devront toujous mériter la préférence
dans leurs travaux . Elle prévient
auffi de nouveau, qu'en propofant les fujets
qu'elle choifit , elle defire que ceux qui
voudront travailler , s'appliquent furtout
à prendre l'expérience pour guide ; & que
s'il ont de nouvelles vues à préfenter , ils
aient l'attention de les appuyer d'expérien
ces réitérées , fures & bien faites , ou que
s'ils croient que l'on doive s'en tenir à des
vues anciennes , ils aient le foin de les con
firmer par des expériences nouvelles , qui
puiffent du moins ajouter quelque degré à
la confiance qu'elles peuvent mériter.
OCTOBRE. 1761. 177
'Dans cet objet, l'Académie a penſé qu'en
doublant les prix , & joignant aux prix
courans ceux qu'elle auroit refervés , ce feroit
un encouragement de plus pour les
auteurs , qui d'ailleurs y trouveroient quelque
dédommagement pour des dép nfes
qu'exigent quelquefois des expériences d'un
certain genre. M. le Duc de la Force , digne
héritier de ce zéle & de cet amour pour les
fciences , qui confacrerent à leurs progrès
les récompenfes qu'elle diftribae , a bien
voulu le prêter à les vues, & confentir à ce
qu'elle lui a fait propoſer à ce fujet .
Elle annonce donc aujourd'hui qu'elle
avoit trois Prix à donner cette année
( 1761 ) pour fujets defquels elle avoit demandé.
2.º. Si l'on ne pourroit point trouver
dans la préparation des laines , un
moyen qui put les préferver pour la
fuite de la piquure des infectes ?
20. Si les élémens des corps font inaltérables
de leur nature , ou s'ils fe changent
les uns dans les autres?
30. Quelle eft la meilleure manière de
connoître la différente qualité des terres
pour l'agriculture.
Mais que n'ayant trouvé fur ces différens
fujets aucun des ouvrages qui lui ont
été envoyés , qui lui ait paru mériter fes
118 MERCURE DE FRANCE.
fuffrages , elle a été obligée de réferver ces
trois Prix pour l'année 1763 ; qu'ainfi elle'
fe trouveroit avoir en 1763 quatre Prix à
diftribuer , lesquels du confentement de M.
le Duc de la Force , feront convertis en
deux prix feulement , compofés chacun
d'une Médaille d'or de trois cens livres , &
de trois cens livres en argent.
Pour fujets de ces deux Prix , elle demande.
1º. Si dans la préparation des laines
on ne pourroit trouver un moyen qui
fans en altérer la qualité , pút les préferver
pour la fuite de lapiquure des infectes
; ou du moins , fi dans les différentes
teintures qu'on leur donne , on ne
pourroit point mêler quelque ingrédient
qui , fans ternir ni endommager les cou
leurs , put produire le même effet ?
L'Académie a cru avantageux de repropofer
ce fujet , & devoir mieux expliquer
ce qu'elle fouhaite à cet égard :
20. S'il feroit poffible de trouver dans
le genre végétal quelquesplantes dunombre
de celles qui croiffent en Europe , autres
néanmoins que les plantes légumineuses
& les bleds de toute efpece , qui , foit
dans leur état naturel , foit par les préparations
dont elles pourroient avoir befoin
, puffent fuppléer dans des temps de
OCTOBRE. 1761. II
difette,, au défaut des grains , & fournir
une nourriture faine.
L'Académie defire furtout , en propo◄
fant ce fujet fi intéreffant pour l'humanité,
que l'on s'attache à faire les recherches
qu'il peut exiger , fur les plantes qui peuvent
le plus ailément fe trouver, ou que du
moins l'on pourroit le plus facilement fe
procurer , & dont la culture feroit la plus
aifée.
Elle a déjà prévenu qu'elle auroit deux
Prix à diftribuer en 1762 : le premier, fur
la queftion de favoir , fi les opérations
électriques peuvent être utiles ou nuifibles
dans les maladies du corps humain : le
fecond , fur la question de favoir , quels
font les véritables principes de la Greffe ,
& quels moyens on pourroit en déduire
foit pour le fuccès de cette opération ,
foit pour la perfectionner.
Les Differtations fur tous ces fujets ne
feront reçues que jufqu'au premier Mai de
l'année pour laquelle ils font propofés. L'Académie
prie les Auteurs de ne point attendre
au delà de ce terme , pour lui faire remettre
leurs ouvrages , fon deffein étant de
vérifier & de s'affurer par elle-même ( autant
qu'il lui fera poffible , & que le temps
du concours le lui permettra ) des expé
riences dont ils pourront y faire mention .
120 MERCURE DE FRANCE.
On demande que ces Differtations foient
écrites en caracteres bien lisibles . Au bas
11 y aura une fentence ; & les Auteurs font
priés de ne point négliger d'envoyer en
même temps , dans un billet féparé & cacheté
, fur lequel la même ſentence ſerarépétée
, leurs noms , leurs adreffes & leurs
qualités.
On les avertit auffi que fuivant les loix
que l'Académie s'eft prefcrites , elle n'admet
point pour le concours les Piéces qui
fe trouvent fignées par leurs Auteurs , &
qu'elle rejette également toutes celles qui
font écrites en d'autres langues qu'en François
ou en Latin.
Les paquetsferont affranchis de port ,
& adrefes ou à M. DE LAMONTAIGNE fils ,
Confeiller au Parlement , & Secrétaire
de l'Académie , fur les Foffes de la Vifitation
; ou à P. R. BRUN , Imprimeur
Aggrégé de l'Académie , rue Saint-James.
On trouvera chez le Sr BRUN toutes les
Differtations qui ont remporté le Prix au
jugement de l'Académie . On les trouvera
auffi toutes enfemble ou féparément , à
Paris , chez le Sieur BRIASSON , rue Saint
Jacques.
SUJETS
OCTOBRE. 1761. 121
SUJETS propofés par l'Académie
Royale des Sciences & Beaux-Arts ,
établie à Pau ; pour deux Prix , qui
feront diftribués le premier Jeudi du
mois de Février 1762 .
L'ACADÉMIE ayant refervé le Prix , qu'elle
avoit à diftribuer cette année , en donne .
ra deux en 1762 , le premier à un ouvrage
de Profe ; qui aura pour Sujet . L'Eloge
de feu M. de Marca , Archevêque de Paris.
Le fecond à un ouvrage de Poëfie, qui
aura pour fujet , L'électricité.
Les ouvrages de Poëfie feront au plus de
cent Vers , & ceux de Profe d'une demicheure
de lecture ; il en fera adreffé deux
exemplaires à M. de Pomps, Secrétaire de
l'Académie : on n'en recevra aucun après
le mois de Novembre , & s'ils ne font affranchis
des frais du Port.
Chaque Auteur mettra à la fin de fon
Ouvrage une Sentence ; il la répétera audeffus
d'un Billet cacheté , dans lequel il
écrira fon nom .
I. Vol F
22 MERCURE DE FRANCE
DISSERTATION Hiftorique &
Critique fur la vie du Grand-Prétra
AARON. Par M. de BOISSY.
AARON le premier des Souverains Sacrificateurs
Juifs , & frère de Moyſe, étoit
fils d'Amran & de Jocabed qui defcendoient
l'un & l'autre de Levi. ( a ) Il naquit
en Egypte l'an du monde 2430 lelon
la Chronologie du Texte Hébreu ,
de la Période Juliéne 3140 , 1574 ans
avant l'Ere Vulgaire , & 83 ans avant la
fortie des Ifraëlites de ce Pays. Sa naiſſance
précéda de trois ans celle de Moyfe, &
d'un an l'Edit par lequel Pharaon ordonnoit
aux Hébreux de noyer les enfans
qui naîtroient d'eux . ( b ) Ainfi il ne fut
point enveloppé dans la condamnation
que portoit cet Arrêt . On ne ſcait rien de
particulier touchant fa perfonne avant
l'apparition de Dieu à Moyfe fur le Mont
Horeb. Il partagea fans doute jufques- là
les travaux rudes & pénibles dont on accabloit
les Ifraëlites. Dieu ayant réfolu
de fe fervir du ministère de Moyfe pour
( a ) Exod . VI . 20.
(b ) Exod. VII.7.
OCTOBRE. 1761. 123
les tirer de l'oppreffion , où ils gémiffoient
fous la domination des Egyptiens ,
il choifit Aaron pour feconder fon frère
dans cette entreprife , à l'exécution de
laquelle celui ci fe refufoit , alléguant
pour excufe quelques défauts de la langue
foit naturels ou accidentels qui l'empêchoient
de s'énoncer avec facilité. ( c )
Aaron étoit éloquent : c'est le témoignage
avantageux que lui rend Moyfe , à qui
du refte il étoit inférieur. Le Seigneur le
deftina donc à être l'interprête de fon
frère , & à porter la parole pour lui, lorſqu'il
s'agiroit de parler à Pharaon ou aux
Hébreux; emploi dont il s'acquitta encore
à l'égard de ceux - ci après le paffage de la
Mer Rouge. Il partit par l'ordre exprès
de Dieu pour aller au- devant de Moyfe.
( d ) S'il le reçut en fonge ou par une révélation
immédiate de l'Efprit Divin ;
c'est ce que l'Ecriture ne marque pas
précisément . Il rencontra fon frère au
pied du Mont Horeb. Après s'être tendrement
embraffés l'un l'autre , Moyfe informa
Aaron de tout ce que le Seigneur lui
avoit dit , & des prodiges qu'il lui avoit
commandé de faire . Ils retournérent enfemble
en Egypte , où ils expoférent aux
( c ) Exod . IV . 10 14. 15 .
( d ) Exod. ibidem, v. 27.
F
14 MERCURE DE FRANCE.
Ifraelites leur Miffion , la confirmerent
par des miracles , & travaillerent de concert
à la délivrance de ce Peuple. ( e )
Aaron accompagna partout Moyfe , &
eut beaucoup de part à tout ce que ce Légiflateur
fit en cette occafion . Comme ce
détail appartient plutôt à la vie de Moyfe
qu'à celle de ce Grand Prêtre ; nous ne
rapporterons ici ce qui lui eft particulier .
Il fut chargé par fon frère de recueillir de
la manne dans un vafe , autant qu'en
pouvoit contenir la mefure d'un Homer. *.
Illa mit en réſerve dans fa tente par
Fordre du Seigneur , jufqu'à ce que le
Tabernacle fût conftruit.Il l'y dépofa pour
être confervée
à la poftérité , comme un
monument de la nourriture miraculeufe
par laquelle Dieu avoit fait fubfifter les Ifraclites
pendant quarante ans dans le Défert.
(f) Il foutint conjointement
avec
Hur les mains de Moyfe pour l'empêcher
de fe laffer , en les tenant continument
élevées au Ciel fur le fommet de la
Montagne ; tandis que Jofué combattoir
dans la plaine contre les Amalécites . ( g)
( e ) Exod . ibidem à v . 28. ad 31 .
* Homer ou Gomor mefure creufe des Bébreux
, qui faifoit la dixième partie d'un Epha , &
contenoit bien près de trois pintes de Paris.
(f) Exod. XVI . 33. 34.
( g ) Exod. XVII. 9.-10 . 11. & 12 .
OCTOBRE . 1761. 123
A monta fur la Montagne de Sinaï , accompagné
de fes deux fils Nadab &
Abihu & des foixante - dix anciens qui repréfentoient
toute l'affemblée d'Ifraël ,
pour rendre au nom du Peuple hommage
à l'Éternel , dont les Ifraëlites avoient
promis d'exécuter les volontés par la ratification
de l'alliance qu'il venoit de traiter
avec eux . Mais ni lui ni les autres ne
s'avancérent , que jufqu'à une certaine
éminence ; d'où ils virent le Seigneur
dans fa Gloire , fans en fouffrir au un
mal. ( h) Moyfe étant enfuite entré dans
la nuée , qui étoit le Symbole de la préfence
Divine , y demeura quarante jours
pour recevoir de Dieu le Corps des Loi
Morales , cérémonielles & politiques , à
l'obfervation defquelles ce Peuple s'étoit
engagé.
Ce fut dans cet intervalle que les Ifraë
lites qui ne fçurent ce qu'étoit devenu
Moyfe , & ennuyés de ne le voir point
reparoître , s'affemblérent tumultueufe
ment autour de la Tente d'Aaron , pour
le folliciter de leur faire un Dieu qui
marchát devant eux & qu'ils puffent
adorer. (i) Ce Grand Prêtre s'étant laiffé
( h Exod . XXIV . 9. 10 II .
( i. ) Exod. XXXIL 1 .
Fij
126 MERCURE DE FRANCE.
vaincre par leurs cris féditieux, leur dit de
lui apporter tous les Joyaux d'or , dont
ils avoient coutume de fe parer, eux, leurs
femmes & leurs enfans. Ils ne balancerent
point à les lui fournir ; & Aaron ne
les eut pas plutôt reçus de leurs mains ,
qu'il les jetta en fonte & en forma un
Veau du même métal . A la vue de cette
Idole le Peuple tranfporté de joie s'écria ;
Voici , ó Ifraël, le Dieu qui t'a tiré de
Egypte. Aaron entendant les vives acclamations
avec lefquelles les Ifraëlites
le recevoient , dreffa un Autel & l'y
plaça. Il fit proclamer pour le jour fuivant
une Fête folemnelle en l'honneur
de ce nouveau Dieu . Le Peuple vint le:
lendemain de grand matin la célébrer par
des facrifices qu'il lui offiit , par des danfes
& par des feftins : de forte que tout
le jour fe paffa en réjouiffances. ( k ) La
manière dont cette Idole fut faite , fa forme
& la nature du culte qu'on lui rendit
feront le fujet d'un Article particulier auquel
nous renvoyons cette difcuffion..
Nous nous bornerons pour le préfent à
faire quelques réfléxions fur ce qui eft perfonnel
à Aaron dans cet acte d'Idolâtrie
que commirent les Ifraëlites .
( k ) Ibidem, à v. 2 , ad 6,
OCTOBRE. 1761. 127
Ce n'eft pas fans furpriſe qu'on voit un
homme de fon caractère le prêter aux defirs
d'un Peuple également infidéle à fes
promeffes & ingrat envers Dieu qu'offenfoit
fon penchant à un culte idolâtre. Le
commandement par lequel Dieu l'avoit
défendu , étoit exprès. ( 7 ) Il étoit de plus
récent , & Aaron n'avoit pu l'oublier.
Ce feroit donc en vain que ce fouverain
Sacrificateur eût prétexté fon ignorance
à cet égard. Il ne pouvoit fe diffimuler que
cette lâche complaifance de fa part fût
une violation manifefte de la Loi de Dieu ,
que tant de motifs puiffans devoient nonfeulement
rendre préfente à fa mémoire ,
mais même imprimer au fond de fon
coeur en traits ineffaçables. Remarquons
encore qu'il pécha doublement dans cette
conjoncture , en manquant à ce qu'exigeoit
de lui fon ministère pour empêcher
la prévarication des Ifraelites , & en leur
fourniffant lui-même par ce Veau de fonte
l'occafion d'effectuer le crime dont
ceux ci avoient conçu l'idée , & en l'autorifant
par fon exemple. Je fcai qu'on
allégue des raifons plus ou moins vraifemblables
pour la juftification de ce
Grand- Prêtre. Il y en a même qui n'hé
(1 ) Exod. XX . 2. & feqq.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
fitent point à le difculper totalement . Les
autres moins hardis & beaucoup plus judicieux
fe reftreignent à diminuer fa faute,
qu'ils rejettent en partie fur les circonfrances,
fans prétendre pour cela l'excufer
tout-à- fait. Nous rangeons dans la claffe
des derniers S. Ambroife qui n'a ofé juſrifier
ce fouverain Sacrificateur , ni le condamner
abfolument . ( m ) Les Rabbins
marchent à la tête de ceux qui ont entrepris
fon apologie . Ils s'efforcent de colorer
de quelque prétexte la faute d'Aaron ,
& purfent dans leur imagination les particularités
qu'ils débitent à ce fujer . Ils
difent qu'Hur fut maffacré fur la place
pour avoir réfifté à ce Peuple en lui rappellant
le fouvenir des merveilles que
Dieu avoit opérées en fa faveur. Ils ajoutent
qu'aron éffrayé des menaces que
lui fit cette multitude de le traiter de la
même manière , s'il s'obſtinoit à lui refufer
fa demande , céda à fes follicitations
impies. ( 1 ) C'est pourquoi ils prétendent
qu'on doit lire , il craignit &c , au lieu
de ce que porte le Texte en cet endroit ,
( m ) D. Ambrof. Epiftol . 56. Lib . VII . pag.
614. Edit. Parifienf. Erafm .
( n ) Schemoth Rabba fect . XLI . fol . 156. pag .
2. Vide Bochart. Hierozoic , P. 1. Lib . 2. cap. 34.
pag. 333.
OCTOBRE . 1761 . 129
il vit &c. Ce dernier Verbe étant formé
dans la Langue Hébraïque , au temps où
il est employé , des mêmes Lettres que le
premier , leur fignification équivoque ne
fçauroit être déterminée que par la diver
fité de la ponctuation . Ainfi ils bâtiffent.
toute cette belle Hiftoire fur cette fauffe .
leçon qu'ils s'avifent de fubftituer de leur
chef à celle qui eft également confirmée.
par les anciennes Verfions & par les Maforethes.
D'ailleurs quand on leur accor
deroit que cette prétendue leçon feroit,
la véritable ; je ne vois pas qu'ils fuffent
fondés cela à en inférer le meurtre .
pour
d'Hur: puifqu'il eft naturel de fuppofer à.
Aaron des mouvemens de crainte dont
fon âme fut alors ébranlée , indépendamment
du traitement qu'ils veulent que
celui - ci ait effuyé. Ce Grand - Prêtre n'avoit
pas affez peu d'expérience pour ignorer
qu'on a tout à appréhender de l'hu
meur farouche & cruelle d'un Peuple
prêt à rompre le frein de l'autorité , &
capable de fe porter aux plus grandes.
violences. Enfin il n'eft pas vraisemblable,
que Moyfe qui n'a point cru devoir taire
ce qu'il y a de criminel dans l'action de
fon frère , eût voulu fupprimer la mort
d'un des plus importans perfonnages d'éntre
les Ifraelites , fielle eût en pour caufe :
F.v4
130 MERCURE DE FRANCE.
un motif auffi honorable à la mémoire
d'Hur que fon zéle à maintenir en vigueur
la Loi de Dieu , & la fermeté avec
laquelle il auroit lutté contre la propofition
de ce Peuple. Je ne fçai fi ce qu'ils
racontent des vues qu'ils préfument avoir
dirigé la conduite d'Aaron dans cette
rencontre , mérite beaucoup plus de foi ;
quoique cette voie de juftification leur
foit à quelques égards commune avec S..
Auguftin & Théodoret. ( o ) La demande
que ce Grand- Prêtre fit aux Ifraëlites deleurs
joyaux étoit felon eux , un expé--
dient dont il ufa pour rallentir leur ardeur
& même les rebuter en mettant l'exécu---
tion de ce qu'ils lui propofoient en oppo
fition avec leur avarice. Il fe flattoit fur--
tout que leurs femmes ne confentiroient
jamais à fe dépouiller des bijoux qui fervoient
à rehauffer l'éclat de leur parure ,
& pour lesquels les perfonnes du fexe ontun
attachement défordonné . Si ce fut-là
fon deffein , l'événement ne répondit
point à fon attente. L'amour de l'Idolâtrie
l'emporta fur celui de l'or & du luxe.
Les hommes & les femmes apportérent
(o ) D. Auguftin. Quæft. CXLI . ad´Exod.
Lib. 11. pag. 347. Tom . III . Edit . Benedictin recufa
Antwerp. feu Amftelod. Theodoret. Quæft..
LXVI. in Exod. pag. 111. Tom. I. Edit. Sirmond..
OCTOBRE. 1761. 131
fans délai à Aaron ces précieux ornemens
qu'il leur avoit demandés ; & il fe
vit réduit à en faire l'ufage pour lequel
ils les lui avoient , donnés . J'admire les
efforts que l'on fait pour difculper ce
fouverain Sacrificateur , fans confidérer
que tout ce que l'on dit à la décharge , eft
d'une foible reffource , quand on veut
bien réfléchir fur les fuites de fon action .
Nous ne fommes point éloignés de croire
qu'il ne s'y porta que malgré lui & à tou
te extrémité , après avoir inutilement
employé les plus fortes & les plus vives
remontrances pour ramener à l'obéiffance
de la Loi de Dieu ce Peuple infidéle
qui cherchoit à s'en affranchir. C'eft-là :
une préfomption qu'on peut tirer naturel--
lement de la narration de Moyfe. Mais
il paroît y avoir de l'imprudenée à vouloir r
marqser fi précisément l'intention de ce
Grand-Prêtre , relativement à la condui--
te qu'il tint dans cette conjoncture ; tan--
dis que Moyfe lui -même ne nous fournit
aucune inftruction à ce fujet. Nous
avouons que le récit de l'Hiftorien facréé
eft fort abrégé en bien des occafions , &
qu'il lui arrive fouvent d'exprimer en gross
lés événemens , fans détailler les circonftances
qui en dépendent . Cependant il !
faut prendre garde à ne pas débiter fess
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
conjectures comme des faits certains ; &
l'on ne fcauroit être trop réfervé, lorfqu'il
sgt de fuppléer par cette voie à ce que
l'Hiftorien a jugé à propos d'omettre. Il
feroit peut-être plus fage d'imiter fon fi
lence , & de fe borner en particulier ici
à condamner , à fon exemple , l'action
qu'il rapporte , fans rechercher curieuſement
des motifs qui tendent à exténuer
ce qu'elle a de blâmable. Qu'on ne
nous dife pas qu'il eft dangereux de brufquer
la fureur d'un Peuple animé à la ré
volte, & qui s'obſtine dans fes réfolutions :
que c'eft s'expofer à une mort inévitable
que de manquer de déférence pour ce qu'il
veut , dans de ſemblables difpofitions .
Nous convenons que les paffions dont le,
torrent nous entraîne , agiffent avec d'autant
plus d'impétuofité & de violence ,
qu'elle trouvent plus d'obstacles à furmonter
. Mais ces confidérations que la prudence
humaine autorife, ne peuvent avoir
Heu dans un cas de la nature de celui ci ,
où la Religion eft éffentiellement intéreffée.
Il n'y a point alors à balancer entre
le defir de vivre & la crainte de mou-"
rir. Le faint Ministère auquel Aaron'
avoit été deftiné par le Seigneur , les
graces péciales qu'il en avoit reçues ,
fuffifoient pour l'éclairer fur fon devoir.
OCTOBRE. 1761 . 235
C'étoient autant de droits que Dieu reclamoit
fur fa confcience . S'il en avoit
écouté les fuggeftions , il ne fe feroit pas
fait illufion fur le parti qu'il falloit prendre.
Il ne lui reftoit qu'à s'armer d'une
fermeté inébranlable en oppofant la plus
vigoureufe réfiftance aux inftances criminelles
des Ifraëlites , & en travaillant de
toutes les forces à reprimer leur fédition ,
quel que fût le péril qui pût menacer fa
vie. On ne juftifie pas mieux ce Grand-
Prêtre , quand on remarque que fon but,
en faifant un Veau d'Or , étoit de le confacrer
au vrai Dieu qu'il laiffa adorer au
Peuple fous cette forme vifible & fymbolique.
C'est pourquoi il défignoit par le
nom du Dieu Jehovah , l'objet de la Fête
qu'il annonçoit. Les Ifraëlites avoient
fans contredit les mêmes fentimens qu'-
Aaron furce Veau d'Or. Ils le regardoient
comme une emblême & une image de la
Divinité à laquelle ils rendoient leurs
hommages. Quelque groffier que fût leur
efprit , on fe perfuadera difficilement que
leur ftupidité allât jufqu'à transformer.
en un Dieu un Veau de métal , & à y
fixer leur adoration . Ils n'étoient pas pour
cela moins coupables ; puifqu'ils tranfgreffoient
la volonté du Seigneur , qui s'étoir
déclaré formellement contre un pa
734 MERCURE DE FRANCE
?
reil culte. Sa Loi l'avoit profcrit , en ce
qu'il tenoit de l'Idolâtrie , & par cette
raifon il lui étoit injurieux & infiniment
edieux. Il faut que Jofeph ait bien fenti
l'infuffifance des palliatifs qu'on s'efforce '
de trouver à l'action d'Aaron ; puiſqu'il
n'a pas hésité à paffer le fait fous filence.
I le jugeoit fans doute trop honteux à la
mémoire des Ifraëlites & particuliere--
ment de ce Grand - Prêtre, pour en inférer
lé récit dans le corps de fon Hiftoire .Mais
on ne fcauroit lui pardonner une ſemblable
réticence. Il ne devoit pas fe montrer
plus fcrupuleux fur l'honneur de fa nation,
que Moyfe qui a tranfmis dans les annales
, des Juifs la prévarication de leurs
ancêtres , & le péché d'Aaron, fans confidérer
que les liens du fang l'uniſſoient
étroitement à la perfonne de ce fouve--
rain Sacrificateur. C'eût été fe rendre coupable
de mauvaiſe foi , que de fupprimer
le détail de cet événement pour ménager
la réputation de fon frère . Un pareil !
ménagement étoit incompatible avec ce
que lui prefcrivoit l'intérêt de la vérité ,.
qui étoit plus cher à ce faint Légiflateur ,
que celui de fa famille & fle fien propre.-
Il n'y avoit rien qui fût capable d'en ba
lancer les droits dans fon coeur . Cette finsérité
qui éclate partout dans fa narra
OCTOBRE. 1761: 735
fion , en prouve invinciblement l'autenticité.
En effet il eft du devoir d'ún Hiſto--
rien fidéle de rapporter le bien comme le
mal , fans avoir aucun égard à des motifs
purement humains . C'eft à lui de tirer du :
récit des bonnes , & des mauvaiſes actions
, des inftructions qui tournent au
profit de la fociété , en propofant les unes
pour modéle , & en repréfentant les autres
avec la flétriffure qu'elles méritent.
Si nous n'approuvons point les tenta--
tives inutiles de ceux qui ne fe font point
renfermés dans de juftes bornes en prenant
à tâche de difculper Aaron , nous
fommes bien éloignés d'entrer dans la
penſée d'un Commentateur célébre parmi
ceux de fa communion , qui donne
dans une extrémité oppofée. Il avance
hardiment que ce Grand- Prêtre fe porta
volontairement à l'érection du Veau d'Or,
pour ſe concilier la faveur du Peuple ,
dont en l'abfence de Moyfe , il aſpiroit à
fe rendre le chef : ( p ) Il y a de la témérité
à fuppofer à Aaron des motifs auffi i
atroces que ceux qu'on lui impute fans le
moindre fondement , & à rencherir fur
les circonstances de fon crime . par dess
(p ) Cornel. à Lapid . Comment . in Exod.
XXXII. pag. 67. Edit. Antwerp,
44
336 MERCURE DE FRANCE.
conjectures qui ne font propres qaa
Faggraver.
Ce fouverain Sacrificateur ayant encouru
l'indignation de Dieu par fa condefcendance
criminelle pour les Ifraëlites
, en auroit vraisemblablement fubi le
châtiment , fi Moyfe ne l'eût détourné
par fon interceffion auprès de l'Eternel
en faveur de fon frère. Le Seigneur fe
laiffa fléchir par les prières de fon ferviteur.
Aaron ne put foutenir la honte &
la confufion dont le couvroient les juftes
reproches que lui fit Moyfe à fon retour
dans le Camp . Il crut s'excufer en rejettant
la faute fur l'opiniâtreté du Peuple
qui l'avoit forcé de faire ce qui lui attiroit
cette vive cenfure de fa part . ( 9 )
Il n'y a point de doute que ce Grand-
Prêtre ne rougit intérieurementd'alléguer
une excufe auffi vaine , qui étoit un aveu
tacite de fon crime. Il en reconnut bientôt
toute l'énormité & en témoigna un
fincère repentir. Il s'humilia de fon péché
devant Dieu qui lui pardonna . Le
Seigneur l'avoit défigné pour exercer le
Sacerdoce qu'il avoit réfolu de perpétuer
dans fa famille . Après que la conftruction
du Tabernacle fut achevée , Moyfe inftala
fon frère dans les fonctions de cette
( 9 ) Exod. XXXII . 21. 22. & feqq .
OCTOBRE. 1761 . 137
dignité , felon l'ordre qu'il avoit reçu du
Seigneur..( r ) Il fit lui- même les cérémonies
de la confécration , & revêtit Aaron
des habits Pontificaux. Ceux que Dieu
favorise le plus de fes graces, ne font pas
exempts de foibleffe . C'eft ce dont Aaron
nous fournit un exemple en érigeant le
Veau d'Or . Il femble qu'après une faute
de cette nature , il eût dû être en garde
contre les mouvemens de fon coeur. Cependant
il tomba dans une autre , qui fans
être auffi grave que la première, ne laiffoit
pas d'offenfer la juftice Divine. C'étoit
tout à la fois un manquement direct à la
charité fraternelle , & au caractère de
celui que Dieu avoit choisi
pour l'interpréte
& le Miniftre de fes volontés. Ce
Grand-Prêtre foutint Marie fa foeur dans
les murmures qui lui échappérent contre-
Moyfe à l'occafion de Sephora femme
de ce Prophete , qui étoit étrangère . La
plaie foudaine dont le Seigneur frappa
Marie, ouvrit les yeux à Aaron fur ce que
fa conduite avoit de répréhenfible . Il
s'empreffa de demander pardon pour fa
four & pour lui à ce même frère que des
plaintes fi mal fondées avoient outragé .
Moyfe touché de fon repentir & de fa
( r , Levit. VIII . 6.7. & feqq.
138 MERCURE DE FRANCE
foumiffion , offrit fes prières à l'Eternel
pour obtenir la guérifon de Marie ( s ).
A quelque temps de là * Aaron fut
troublé dans la poffeffion du Sacerdote
par les menées féditieufes de Coré , à qui
fe joignirent Dathan , Abiron & deux
cens cinquante des principaux Lévites.
Ce foulévement étoit occafionné par la
jaloufie que Coré avoit conçue contre le
frère de Moyfe, avec qui il eût voulu parrager
cette Dignité à laquelle il prétendoit
par fa naiſſance avoir les mêmes
droits que lui. Le Seigneur fit éclater fa
colère contre les rebelles par un châtiment
exemplaire qui fervit à épouvanter
ceux que leur audace auroit pu pouffer à
cet excès de révolte . La terre s'étant en
tr'ouverte fous leurs pieds , les engloutit
avec leurs familles , & tous leurs biens.
Les deux cens cinquante Lévites complices
de Coré qui fe tenoient avec leursencenfoirs
devant le Tabernacle pour of
frir de leur chef l'encens à l'Eternel , furent
tous confumés par un feu furnaturel
forti inopinément de ce faint Lieu.
(t ) Une punition auffi terrible auroit dû
( s ) Numer. XII. 1. & feqq.
* L'an du Monde 2514. 1499 ans avant l'Ero
Vulgaire.
( t) Ibidem. XVI. 1. & feqq.
OCTOBRE. 1761 139
apprendre aux Ifraëlites à refpecter le
choix de Dieu dans la perfonne de fes
Miniftres. Cependant à peine furent- ils
revenus de la frayeur que le fupplice des
coupables avoit jettée dans leur âme ,
qu'ils fe mirent à murmurer hautement
contre Moyfe & Aaron , à qui ils oferent
reprocher d'avoir été la caufe de la mort
de tant d'hommes. Jamais accufation net
fut plus injufte. La méchanceté étoit à fon
comble. Jofeph remarque que dans la
perfuafion où ils étoient , que rien ne ſe
fait fans la volonté de Dieu, ils croioient
que le Seigneur avoit puni Coré & les
autres Conjurés en faveur de Moyfe. (u)
Ils lui impuroient par conféquent tout ce
qui venoit de fe paffer : comme fi Dieu.
en féviffant contre les féditieux eût eu
moins égard à fa juftice dont le crime.
doit reffentir les effets , qu'aux follicitations
de ce Prophéte. Les deux frères à la
vue de cette émotion populaire fe retirerent
dans le Tabernacle pour le mettreà
couvert de l'emportement des mutins,à:
l'ombre de la puiffance de l'Éternel , dont
la préfence fe manifefta dans la nuée qui
couvrit cette demeure confacrée au
( u ) Fl. Jofeph , Antiquit. Juda. Lib. IV , cap..
pag, 202. Tom. 1. Edit. Haverkamp ..
40 MERCURE DE FRANCE.
culte Divin. Il s'arma une feconde fois
des traits de fa vengeance , & fe prépa
roit à exterminer ce Peuple rebelle .
Moyfe s'intéreffoit à la confervation des
Ifraëlites , malgré l'ingratitude dont ils
payoient les foins & les fervices. Elle
n'avoit pû altérer le fond de tendreffe
qu'il avoit pour eux . Comme il avoit
préffenti les coups que Dieu frappa , il
dit à Aaron , par une infpiration fubite,
de prendre fon encenfoir , & d'aller par
tout le Camp , faire propitiation pourle
péché du Peuple. ( x ) Quelle que fût la
diligence qu'apporta ce Grand-Prêtre à
éxécuter les ordres de fon frère ; le fléau
avoit déja confumé quatorze mille fept
cens hommes , outre ceux qui avoient
péri dans la fédition de Coré. Il auroit
caulé de plus grands ravages encore , fi
Aaron n'avoit arrête le progrès du mal ;
en fe tenant entre les morts & les vivans.
Il pria pour le Peuple , & la plaie ceffa ..
x ) Numer. XVI. 41. 42. &feqq.
Le reste au Mercure prochain.
み
OCTOBRE . 1761 .
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
EXPLICATION des Peintures , Sculpptures
& Gravures de Meffieurs de
l'Académie Royale , dont l'expofuion
a été ordonnée , fuivant l'intention de
SA MAJESTÉ , par M. le Marquis
DE MARIGNY , Commandeur des
Ordres du Roi , Directeur & Ordonnateur
Général de fes Bâtimens , Jardins
, Arts , Académies & Manufactures
Royales : dans le grand Salon
du Louvre , pour l'année 1761. A
Paris , rue S. Jacques. De l'Imprimerie
de J. J. E. Collombat , I. Imprimeur
du Roi , des Cabinet & Mai
fon de S. M. & de l'Académie Royals
de Peinture &c. 1761. Avec Privilége
du Roi.
PICTURA VERITATEM COLIT.
Philoftr. Iconum. Lib. I.
142 MERCURE DE FRANCE.
CETTE expofition eft une de celles qui
depuis ce fage établiſſement a fait le plus
d'honneur à l'Académie Royale de Peinture.
C'eft l'effet de l'encouragement continuel
que donne aux Arts M. le Marquis
de Marigny , qui en eft le Chef: tous les
Artiftes quile regardent comme leur père,
fe font empreffés aux grandes vues qu'il
a pour la gloire de l'Ecole Françoife , aujourd'hui
, fans contredit , la première de
l'Europe. Ils ont donné chacun dans leur
genre de nouvelles preuves , les uns de
leur excellence , les autres de leurs progrès
dans leur Art ; & tous,des éfforts unanimes
qu'ils ont faits pour foutenir la
haute réputation de l'Académie .
Le Public inftruit eft toujours équitable
, & la Capitale abonde en Amateurs
éclairés qui décident fon fuffrage ; ainfi
pour ceux qui vont au Sallon , l'explication
imprimée des Ouvrages qui y font
expofés pourroit fuffire : mais comme les
Arts font une partie ſpécialement affectée
à ce Journal , il n'en eft pas moins de notre
devoir de rendre compte de tout ce
qui intéreffe leur gloire & furtout des expofitions
qui fe font en ce temps , que
l'on peut regarder comme celui où l'Aca
démie tient les grandsjours.
OCTOBRE. 1761. 145
Nous commencerons , comme l'explication
imprimée, par le Tableau du Sallon
qui y appelle le plus tous les yeux &
qui eft en effet le plus digne de les frapper.
C'est le portrait du Roi , tableau de
huit pieds de hauteur fur fix de largeur
par M. Louis- Michel Vanloo , premier
Peintre du Roi d'Efpagne.
Avec la reffemblance la plus parfaite ,
l'Artiſte a rendu dignement cet air ma
jeftueux , fi remarquable dans le Roi , &
qui conftitue ce que les Anciens ont appellé
facies digna imperii. Ce caractère
de grandeur , qui annonce les hommes
faits pour commander aux autres , laiffe
voir dans leur expreffion la plus naturelle,
les traits heureux de cette bonté particu
lière à notre Augufte Monarque . Le furnom
de BIEN-AIMÉ , qu'il a reçu de fes
Peuples, le diftingueront à jamais de tous
les autres Souverains . Quel titre en effet
plus digne & du Prince , & de la Nation
qui a toujours fait gloire d'aimer fes Rois !
Gratiùs eft nomen pietatis quàm poteftatis
. Dans ce tableau le Roi paroît debout
, vêtu du grand Manteau Royal Le
Trône qui eft fous un dais & un fonds
d'Architecture mâle , ajoutent à la richeffe
de cette fuperbe compofition. La figure
eft dans une attitude noble ; la pofition
44 MERCURE DE FRANCE.
en eft aisée & naturelle . Elle eſt bien deffinée
; le velours , l'hermine, tous les ornemens
Royaux font rendus avec une
vérité qui fait illufion . La Nation demandoit
depuis long- temps un pendant au
beau portrait de Louis XIV par M. Rigaud
; M. Vanloo a la gloire de l'avoir
éxécuté au gré de tous les Connoilleurs.
Si la foule des Spectateurs , qui font fans
ceffe devant ce tableau, empêche fouvent
que l'on n'en puiffe approcher , c'eft qu'il
ne parle pas feulement aux yeux. LOUIS
l'amour de fes Peuples & le Bienfaiteur
des Arts, au milieu de ce Sallon, efpéce de
Temple qui leur eft confacré, porte la joie
dans tous les cours . Les Amateurs auroient
voulu qu'on eût mis au - deffous de
ce portrait : Hic Deus nobis hæc otia
fecit.
Les deux grands tableaux à côté du
portrait du Roi , font deftinés pour la
grande Salle de l'Hôtel- de- Ville : ils ont
chacun quatorze pieds de large fur dix de
haut. Celui dont le ſujet eft la publica,
tion de la Paix en 1749 , eft de M. Dumont
le Romain ; le Ciel en eft vigoureux
& fuffiroit pour l'annoncer. Dans cette
allégorie ingénieufe tout eft compofé ,
penſé & deffiné avec fageffe. Le génie de
la France qui armé de fon épée & de fon
bouclier
OCTOBRE. 1761. 145
Y
bouclier paroît en l'air fondre fur la Difcorde
terraffée fous les pieds du Roi , eft
une figure imaginée heureuſement & trèsfavamment
éxécutée. L'autre de ces tableaux
eft de M. Roflin & repréſente le
Roi après fa maladie & fon retour de
Metz , reçu à l'Hôtel- de-Ville par M. le
Prévôt des Marchands & MM . les Echevins
.On y remarque avec plaifir les grands
progrès de M. Rofin dans fon art ; il
fait voir que la reffemblance des portraits
n'eſt pas fon feul talent, & qu'il entend
l'agencement d'une grande machine : feulement
on a regret que le Roi , qui eſt la
principale Figure du tableau , n'y foit vu
que de profil ; mais c'eft probablement cet
que la compofition de fon Sujet, qui d'ailleurs
eft heureuſe, ne lui a pas permis d'éviter
. Il n'eſt aucun portrait de lui au Sallon
qui ne foit touché de main de Maître.
Dans celui de M. le Marquis de Marigni
il étoit naturel que le Peintre fit de nouveaux
éfforts pour fe diftinguer dans fon
talent, & il y a pleinement réuffi.
M. Carle Vanloo ajoûte chaque jour à la
gloire de ce nom qu'il a rendu fi grand dans
la Peinture. La Madelaine dans le défert ,
Sujet fi fouvent traité par les plus grands
Maîtres , l'eft ici d'une manière nouvelle .
On ne peut guères porter plus loins la vé
J. Vol
G
MERCURE DE FRANCE
rité , l'entente & le charme de la couleur.
Ce tableau fera certainement un
des principaux ornemens de l'Eglife de
S. Louis du Louvre, où il eft deftiné. Les
deux tableaux dont l'un repréſente une
lecture , & l'autre une offrande à l'Amour,
font de la plus grande beauté ; ils raviffent
également & par le précieux du pinseau
& par ce charme finéxprimable des
figures , qu'on ne fe laffe point d'admirer.
Ce dernier rappelle ce que Pline
( XXXIV , 8. ) a dit d'un Peintre Grec :
Appellas fecit adorantes Feminas . Car
le Marate & Carle Cignani eux - mêmes
n'ont rien peint de plus gracieux. L'A«
mour menaçant eft un tableau des plus
piquants on lit fa malice dans fes yeux ;
il tient fon arc bandé & armé d'une
fléche qui s'adreffe à quiconque le regarde
& paroît fuivre le Spectateur quelque
part où il fe place . Pline parle avec éloge
d'une Minerve, & Lucien d'une Junon
placée dans le Temple de la Déeffe Si
riéne où l'Antiquité a admiré cet effet
d'optique , qui ne peut être éxécuté que
par un Maître de l'Art. Tous ces tableaux
font de ce coloris enchanteur qui donne
tant de prix aux Ouvrages de M. Vanloo.
C'eſt pour la première fois que l'on
voit au Sallon des preuves de la capacité
OCTOBRE. 1761 : 147
de M. Amédée Vanloo fon neveu , premier
Peintre du Roi de Pruffe. Il y a de
lui quatre tableaux , dont deux de même
grandeur , & qui font ingénieuſement
compofés, repréfentent des Satyres. Dans
ceux -ci il paroît avoir cherché le Rubens .
Dans la guérifon miraculeufe de S. Roch
& furtout dans le Baptême de J. C. que
le Peintre a fait pour l'Eglife de S. Louis
à Verfailles , on s'apperçoit davantage
qu'étant de la famille , il a tâché auffi de
faire honneur à l'Ecole du célèbre Vanloo.
Les Anges dans l'un & dans l'autre
font tels que l'Ecriture les décrit ; on remarque
fur leurs vifages cette férénité &
cette pureté qui caractérisent les corps
céleftes & dans les draperies , cette fraîcheur
& cet éclat lumineux qui doit les
accompagner.
Les Paftorales de M. Boucher font toutes
marquées à fon coin , qui eft celui
des grâces. Præcipua Appellis in arte
venuftas fuit. Ce que l'Antiquité a dit
d'Appelle, nous le difons tous les jours de
M. Boucher. A l'égard de fon grand Paifage
; il eſt traité dans la manière du Bénédette
, on ne doit pas dire imité dans
quelque genre que l'imagination de ce
célèbre Artifte s'amufe, il y paroît toujours
original. La compofition de ce tableau
Gij
748 MERCURE DE FRANCE
eft favante. On voit qu'il a pris plaifir &
s'y livrer à cette fougue de génie , s'il eſt
permis de fe fervir de cette expreffion
qui n'appartient qu'à lui.
Le fonge de S. Jofeph , qui doit être
placé dans l'Eglife de S. Louis à Verfailles
, ne peut qu'ajoûter à la réputation de
M. Jeaurat , qui après s'être éxercé avec
fuccès dans les genres familiers , s'eſt élevé
dans ce tableau- ci à la dignité de fon
Sujet .
Dans les différens tableaux de M. Pier
re , on reconnoît un de ces génies heureux
, nés pour
les grandes compofitions
dans tous les gentes , & qui font appellés
par leur talent à décorer les Temples
& les Palais des Princes. La Defcente de
Croix , tableau de dix- huit pieds de haut
fur dix de large , eft de ce grand caractère
des Carraches auquel il eft fi difficile d'atteindre.
Les expreffions en font fortes, le
pinceau facile & vigoureux , les figures
groupées avec intelligence. Le même génie
& le même mérite fe font fentir dans
la Décolation de S. Jean-Baptifte. La
fuite en Egypte eft un tableau de Chevallet
précieux , & de l'effet le plus piquant
& le plus agréable. Le Jugement
de Paris a vingt - un pieds de large fur
quatorze de haut. C'eſt une grande maOCTOBRE.
1761 149
thine d'une compofition favante, où tout
eft exprimé , tout eft en action . Les Obfervateurs
attentifs ont remarqué l'accord
& l'harmonie qui y régnent dans la
partie de la couleur , auffi - bien que la
correction du Deffein & la facilité du pinceau
. Celui de M. Pierre eft précieux à
cet égard ; c'eft peut-être un des Artiftes
à qui le travail coûte le moins & qui let
cache le mieux. Dans toutes les production
de l'efprit fi la peine fe laiffe voir ,
elle en diminue le prix , parce qu'elle
trouble notre plaifir & détruit notre illufion.
Les Anciens faifoient le plus grand
cas de cette heureufe facilité , comme on
peur le voir par ce paffage de Plutarque
qui a fi bien parlé de tout. Nicomachi
verò picturis &carminibus Homeri extra
reliquas dotes & gratias etiam hoc ineft
expeditè ut facta & facilè appareat. Ce
tableau deſtiné à orner la gallerie du Roi
de Pruffe , y foutiendra dignement l'honneur
de notre Académie de Peinture aux
yeux de ce Monarque qui aime & qui
connoît les Arts.
On eft accoutumé à diftinguer au Sallon
les tableaux de M. Hallé par l'efprit
& les grâces qui y régnent , ainfi que par
le charme de fa couleur. Ces différentes
parties caractériſent en effet plufieurs pe
G iij
50 MERCURE DE FRANCE.
tits tableaux qu'on y voit de lui , & furtout
un de dix pieds en quarré, qui repré
fente les génies de la Poëfie , de l'Hiſtoire,
de la Phyfique & de l'Aftronomie. Ce
tableau qui doit être éxécuté en tapifferie
à la Manufacture des Gobelins , eft
compofé très- artiftement pour cet effet.
Il eft clair partout & en même temps de
la plus grande richeffe . M. Hallé ne s'en
eft pas tenu là cette année ; dans un genre
où il n'avoit pas encore exercé fon
talent, il a fatisfait les Connoiffeurs, étonné
le Public & obtenu des applaudiffement
univerfels . On voit tous les jours
avec un nouveau plaifir fon tableau de
S. Vincent de Paul. Il l'a peint prêchant
en chaire dans l'Eglife de S. Etienne du
Mont. C'eſt encore un tableau clair , lumineux
, d'une couleur argentine & d'un
effet furprenant. La perfpective aërienne
n'y eft pas moins bien rendue que la perf
pective linéale . L'attention d'une foule
d'Auditeurs , qui font fur le devant du
tableau, eft tellement variée felon les différens
caractères qui y font repréfentés ,
qu'on n'entend dire autre chofe à ceux
qui prennent plaifir à en examiner les détails
, finon que c'eft la Nature même.
Le tableau de M. Vien , deftiné pour
l'Eglife de S. Louis à Verfailles , & dont
OCTOBRE 1761 .
le Sujet left S. Germain donnant une médaille
à Sainte Géneviève , eft un de ceux
que le Public a le plus diftingué par fes
éloges. Soit pour la compofition , foit
pour le deffein , foit pour la couleur , on y
connoît à tous ces égards un Peintre du
premier ordre. Quel grand caractère dans
la tête du Saint ! Quelle innocence, quel
le humilité dans celle de la Sainte ! Ce
que de pareils Sujets éxigent furtout, c'eft
la décence avec laquelle celui -ci eft traité.
Elle prouve le jugement du Peintre ,
car cette décence a toujours été regardée
comme une des principales parties de
l'Art , & cependant c'eft peut-être la feule
dont on ne puiffe pas donner de préceptes.
Præcipuè in hac parte præftan
dum eft ut deceant cuncta ; quod pru
dentia magis quàm ulla præceptionis
arte fervatur. Dans le tableau de Chevallet
qui représente une jeune Grecque qui
orne un vafe de bronze d'une guirlande
de fleur , cette figure eft du deffein le plus
pur & le plus élégant. La ceinture placée
un peu haut la fait paroître plus longue
qu'elle ne l'eft en effet. On s'en convaincra
en comparant les proportions foit de
la tête,foit de ce beau bras élevé & dont la
main tient un des bouts de la guirlande
avec les proportions 1 des autres membres.
Giv
52 MERCURE DE FRANCE.
Le caractère gracieux ,mais noble & fimple
de la tête , le goût fage des draperies , la
forme du vafe, tout dans ce tableau eft telle
ment dans la manière grecque, que fans la
fraîcheur du coloris, il pourroit paroître un
monument précieux , confervé à Athénes
par une forte de miracle. Ceux qui ont
pris dans Pline quelque connoiffance des
Peintres Grecs , feroient rentés de croire
que cette Grecque merveilleufe eft de Nicias
l'Athénien . (Voyez Pline XXXV.11. )
S. André amené au Martyre & S. Pierre
délivré defaprifon , font deux tableaux
remarquables de M. Deshais , & dignes
du nom qu'il s'eft fait dans ce genre , qui
eft le premier de la Peinture . Mais quoiqu'on
ne doive plus être étonné de ce qui
vient de lui, les plus grands Connoiffeurs
cependant l'ont été de l'expreffion admi
rable qu'il a donnée à fon S. Benoît , qui
près de mourir vient recevoir le Viatique
à l'Autel. Nous ne prétendons pas comparer
ce tableau à celui où le Carrache a repréfenté
S. Jérôme dans le même acte de
dévotion, & que le Pouffin regardoit comme
un chef- d'oeuvre : nous croyons feulement
que comme objet d'émulation ,
la communion de S. Jérôme a pû fervir
à élever l'imagination du Peintre François.
Le moyen le plus fûr pour
fe
per
OCTOBRE. 1761 ) 153
fectioner dans un Art , eft d'avoir fans ceffe
fous les yeux les modèles de ceux qui
y ont excellé. Il eft glorieux pour M. Deshais
d'avoir traité fi heureufement un Sujet
qui demande ces grandes parties de la
Peinturé , que peut-être on ne peut puifer
toutes en effet que dans l'Ecole des
Carraches.
La Cléopatre expirante & le Socrate
condamné par les Athéniens à boire la
Cigue font de M. Challe . Cet Académicien
a traité ces deux grands Sujets avec
beaucoup d'effet & de force. Dans le tableau
de Socrate , qui eft d'une plus grande
compofition , ce Philofophe paroît recevoir
avec indifférence la Cigue qu'on
lui préfente , tandis qu'on voit fur les vifages
de fes amis & de fes difciples dont il
eft environné , les expreffions de la plus
vive douleur.
..
M. Doyen a tiré de l'Iliade , que les ™
Poëtes & les Peintres devroient regarder
comme leur Manuel , le Sujet de fon
grand tableau de 15 pieds 9 pouces de
hauteur fur 14 de largeur. C'eſt le mo--
ment où Vénus vient d'être bleſſée par
Diomède: L'imagination vive de cet habile
Artifte, échauffée par la lecture d'Ho--
mère , qu'un Auteur Latin appelle Fons
geniorum , lui a fait voir tout ce qu'il aa
G&
154 MERCURE DE FRANCE.
lu & qu'il expofe à nos yeux. De là tout ce
mouvement , toute cette action , toute
cette chaleur enfin que répand dans le
tableau la fureur de Diomède qui y eft fi
fiérement exprimée. Le Spectateur ne
peut y arrêter les regards fans en être
frappé lui-même.Il y a beaucoup de Poë
fie dans ce tableau , qui eft vraiment du
genre le plus fublime. C'eſt M. le Prince
de Turenne à qui il appartient , qui en a
donné le Sujet. Que cet amour pour les
Arts eft louable dans les perfonnes de ce
rang , & quel puiffant encouragement ne
donne- t - il pas aux talens de toute efpéce
! Au furplus , quelques - uns de ceux
qui font attention à tout , ont trouvé que
la Bordure nuifoit un peu à l'effet du tableau
, du moins au Sallon : on imagine
qu'elle feroit beaucoup mieux, file fonds
qui eft noir , étoit doré comme les ornemens
, qui d'ailleurs font mâles & de bon:
goût. Qu'il nous foit permis à ce propos
de rendre juſtice à M. Guibert , Sculpteur
habile dans fon genre , à qui nous devons
la fuperbe Bordure du grand Portrait du
Roi. Elle lui a fait beaucoup d'honneur ,
foit la richeffe & le goût des ornepar
mens convenables au Sujet , foit par le
travail précieux de l'exécution. Ceux qui
s'entendent dans les Arts ont reconnu au
OCTOBRE. 1761. 135
Sallon plufieurs autres Bordures de lui où
les guirlandes de fleurs , celles de feuilles
de chêne & les autres richeffes qu'il n'y
employe qu'avec la plus grande fobriété ,
font recherchées & finies à un degré de
perfection que l'on avoit négligé depuis
longtemps dans les Ouvrages de cette
espéce.
Il eft des Peintres qui ne fe contentent
pas de briller dans un feul genre , & qui
par une ambition louable , éffayent leurs
talens dans tous ceux où ils peuvent fe
fatter de quelque fuccès. C'eft ce que M.
Bachelier a déja fait plus d'une fois , &
qui lui a encore attiré cette année- ci de
nouveaux éloges : quelque mérite qu'il y
ait dans les Quatre Parties du Monde
fi artiftement caractérisées , & dans fesautres
tableaux , ne pouvant parler de
tour , nous ne nous arrêterons qu'à celui
qu'il a fait pour le Roi , & que l'on doit :
exécuter en tapifferie à la manufacture
des Gobelins. Il a 20 pieds de longueur
für 10 de hauteur. Il repréfente d'une
manière nouvelle & en même temps extrêmement
agréablé les Amuſemens de:
Enfance. Il eft de la compofition la plus
riante & d'autant mieux raifonnée , que
toute la richeffe du Sujet eft étalée dans
lèbas du tableau , & par conféquent fouss
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE
,
lės yeux. Il y a peu d'ouvrage dans la
partie fupérieure , qui , demeurant vague
& claire partout , doit mieux réuffir dans
une tapifferie faite pour aggrandir autant -
que pour orner un appartement , que ces
fonds trop chargés , dont l'effet néceffaire
eft de faire paroître les lieux plus :
petits .
Le mérite de-M Chardin eft univerſel
lement reconnu. Les tableaux que l'on
voit de lui au Sallon font dignes de la ré
putation qu'il s'eft faite dans ce genre
de vérité où il excellé depuis fi longtems.
Il n'eft point de Cabinet en Europe où fes
ouvrages ne foient admis au rang de ceux
des meilleurs Maîtres. La patience des
Hollandois n'a pas copié plus fidélement
la nature , & le génie des Italiens n'a pas
employé un pinceau plus vigoureux pour
la rendre. Quel fujet d'étonnement pour
ceux qui aiment à réfléchir ! Vinge Pein
tres l'exprimeront tous avec la même fi- -
délité, & cependant chacun d'une maniè- -
re qui ne reffemblera à aucune des autres.
Lorfque l'on eft parvenu à connoître & à
fentir le prix de ces myftères de l'Art , la
Peinture eft une des fources du plus grand
amuſement.
Au- deffus de tableau du Dioméde , on
voit celui ſur lequel M. Briard a été agréés
OCTOBRE. 1761. 157
à l'Académie. Cette grande compofition
à 23 pieds de hauteur fur 12 de largeur . Il
y a peint le paffage des âmes du Purgatoire
au Ciel. Ce genre où il faut tout
imaginer, demande un génie particulier,
& celui de M. Briard promet beaucoup .
Le tableau de M. Cafanove repréſentant
un Combat de Cavalerie , après avoir
réuni tous les fuffrages de l'Académie ,
qui vient de l'agréer , a été auffi vu du Public
avec autant de fatisfaction que d'é
tonnement , puifqu'il s'agit encore d'un
début. Cet éffai eft d'un Maître qui annonce
toutes les parties que l'on demande
dans un Peintre de Batailles . Du génie ,
du feu , une touche vigoureufe , un colo
ris fier ; des expreffions fortes , l'art de
grouper & de détacher dans la mêlée les
principales figures & c.C'eft de l'affembla
ge de toutes ces parties que réfulte l'effet
prodigieux de ce tableau. Nous devons :
nous féliciter d'avoir acquis dans cet Artiſte
étranger un Peintre digne de rempla
cer parmi nous le fameux Parocel , &
qui dès à préfent atteint de fi près le Bour
guignon & le Salvator Rofe..
养
Les deux Vues de Bayone par M. Vera
net font de la fuite des Ports de France ,
qui s'exécute fous les ordres de M. le
Marquis de Marigny : l'explication dess
158 MERCURE DE FRANCE.
Peintures donne une deſcription détaillée
du travail immenfe de ces deux grands
tableaux ; pour en faire fentir le prix , il
fuffit de dire qu'on y trouve tout ce que
l'on peut attendre de la fupériorité de M.
Vernet dans fon talent , que le burin des
Graveurs les plus habiles a fait connoître
aujourd'hui de toute l'Europe .
Le Public a admiré dans l'intérieur de
la nouvelle Eglife de Sainte Géneviéve
& le génie de l'Architecte fur les deffeins
duquel s'élève à préfent ce grand édifice
, & le talent du Peintre , qui en a
rendu tout l'effet fur une toile de cinq
pieds de haut & de quatre de large. M.
de Machi, qui avoit déjà brillé plus d'une
fois au Sallon , s'y eft acquis cette années
ci la plus grande réputation dans fon genre.
La lumière eft bien entendue & fagement
diftribuée dans ce tableau; la dégradation
des objets & de la couleur y eft fi
jufte , qu'il nous fait jouir d'avance de
cette fuperbe Eglife qui fera bientôt l'un
des plus beaux ornemens de la Capitale.
Panini lui- même n'a pas mieux réuffi dans
fes vues de l'intérieur de S. Pierre de
Rome. On pourroit comparer à auſſi juſte
titre les Architectes de ces vaftes édifices,
que les Peintres qui ont ofé entreprendre
d'en exprimer fur toile toute la grandeur
OCTOBRE. 1781. 159
& toute la magnificence. Cette vue-ci
cependant ne pouvant être regardée que
comme un portrait où la fidélité eft la
partie qu'on recherche le plus, on ne doit
pas être furpris que l'autre tableau de M.
de Machi,qui offre à nos yeux l'intérieur
d'un Temple de fon invention , foit en
core plus piquant & par les beaux effets
de lumière & par les favans contraftes
de l'Architecture. Dans celui- ci le Peintre
a été le maître de fe livrer à toute la richeffé
de fon imagination, & d'y déployer toute la
magie de fon Art . Il y régne en même tems:
une fageffe qu'il eft rare de trouver chez
les Peintres , lorfque , pour ainfi dire , ils
bâtiffent eux-mêmes fur la toile. En effet
le Spectateur devant ce tableau fe croit
transporté dans l'ancienne Rome & à la
porte du Temple de la Paix . Nous ne pouvons
plus admirer que les veftiges impo--
fans de cet édifice immenfe ; mais quelles
preuves n'y trouvons- nous pas , non -feulement
de la grandeur , mais de la fageffe
des anciens Romains ce n'eft point à
Mars que ce Peuple guerrier , ce Peuple
conquérant , ce Peuple Maître du Monde
a confacré le plus fuperbe & le plus vaſte :
de fes Temples , c'eſt à la Paix .
Les Paifages de M : Juliart font d'une
bonne manière & d'une touche fpirituel
le ; ils fe fentent des progrès qu'il fait:
160 MERCURE DE FRANCE.
journellement dans ce genre aimablè
pour lequel il a tant de talent : il eft aifé
d'y remarquer qu'en étudiant la nature ,
il confulte auffi les Maîtres qui ont fçu le
mieux la rendre. Son grand Païfage tient
également & du Salvator Rofe & du Gaf
pre..
On ne doit pas être furpris que M.
Greufe , qui eft le Peintre de la Nature ,
ait éffayé depuis peu fon talent dans le
Portrait, & qu'il y ait fi bien réuſſi. Celui
de M. le Dauphin , qui eft très - reffemblant,
fait beaucoup d'honneur à cet Académicien
, fi fupérieur dans fon Art . Il a
fait auffi fon propre portrait & celui de
fa femme. La tête de fon beau-père eft fi
belle & fi bien peinte , la couleur en eft
fi vraie, qu'on pourroit la croire de Vandeck
, fi l'on n'y reconnoiffoit la touche
particulière à M. Greufe , qu'on ne peut
confondre avec celle d'aucun autre Peintre.
Dans le genre qui lui a fait une fi
grande réputation , on voit un petit tableau
repréſentant une jeune Blanchiffeufe.
Il appartient à M. de la Live de Julli.
Ce morceau eft précieux pour la vérité ,
pour la couleur & pour le charme de
l'expreffion. Nous prions que l'on nous
pardonne de nous fervir fi fouvent des
mêmes termes ; ce n'eft qu'autant que
OCTOBRE . 1761. 161
Nous trouvons les mêmes chofes à louer :
nous fentons tous le befoin que nous
avons de l'indulgence du Lecteur , mais
nous nous croyons d'autant mieux fondés
à l'efpérer, que ces répétitions deviennent
indifpenfables en pareil cas. C'eft moins
pour varier le ſtyle que pour jetter de la
poudre aux yeux du vulgaire, que l'on affecte
fouvent de fe fervir de termes dont
le fens n'eft connu que des Artiftes & des
Amateurs qui les tiennent d'eux. Il n'eſt
pas difficile d'éblouir par là quelques
ignorans toujours prêts à admirer ce
qu'ils n'entendent pas ; mais ce vain étalage
ne peut paroître que ridicule au Lecteur
judicieux qui s'apperçoit aisément
qu'on cherche moins à l'éclairer qu'à lui
en impoſer.
M. de la Tour eft un de ces Artiftes célèbres
, dont le nom fuffit pour garantir
Pexcellence de leurs ouvrages . Avec la
reffemblance il donne tant de vie à fes
portraits, que celui de M. le Duc de Bourgogne
a renouvellé dans tous les coeurs la
douleur dont la France a été pénétrée à la
mort de ce Prince , qui en étoit devenu
l'amour. Les Connoiffeurs regardent le
Portrait de Madame la Dauphine & celui
de M. le Comte de Luface , comme
le Nec plus ultrà du Paftel. Plus on les .
.
462 MERCURE DE FRANCE
confidère attentivement , plus on admiré
l'Art, diſons mieux , plus on l'oublie , puiſqu'en
effet on croit voir la Nature même.
Le portrait de M. de Crébillon & celui de
M. Bertin , quoique d'un genre fi oppofé
, font chacun dans le leur d'une égale
perfection . On trouve dans les portraits
peints par M. de la Tour ce que d'après
les Grecs, les Latins ont appellé mens oculorum
, ce qui fait qu'on croit prefque
y lire jufques aux penfées des perfonnes
qui y font repréfentées. Comme la tête
de M. de Crébillon eft d'un grand caractère
, l'Artiste judicieux la peinte nue
avec quelques cheveux blancs qui lui
donnent beaucoup plus de nobleffe que
n'auroit fait une perruque. Dans la belle
& refpectable vieilleffe de ce grand Poëte
Tragique , il ne lui manque plus que quelques
années pour reffembler autant à Sophocle
par l'âge, qu'il lui reffemble en effet
par fes écrits ; & il n'eft aucun ami des
Mufes, qui ne lui fouhaite une vie encore
plus longue que celle du Poëte Grec .
au rang
M. Drouais le fils , que l'on compte
de nos meilleurs Peintres de Portraits
, a fait un tableau très - agréable de
celui qui repréſente M. de Bethune jouant
avec un chien. Il y a exprimé de la manière
la plus heureuſe la naïveté , l'innos
OCTOBRE. 1761 . 163
cence & les grâces de l'enfance . C'eft un
genre qu'il a fçu fe rendre propre. Les
portraits de Monfieur & de Madame de
Buffon , indépendamment de la reffemblance
qui y eſt parfaite , méritent d'être
examinés avec une attention particulière
par le foin que le Peintre a pris d'y rendre
les étoffes , les dentelles & les autres
ajuſtemens , avec une vérité qui prouve
tout-à- la-fois & l'habileté qu'il a dans fon
talent & l'amour avec lequel il le cultive.
Il est heureux pour lui d'avoir fi bien
' affi dans le Portrait du Pline de nos
jours , qui ne peut manquer d'être gravé
tôt ou tard, & par conféquent de faire paffer
le nom du Peintre à la poftérité la
plus reculée. Depuis longtemps le Public
demande le Portrait de M. de Buf
fon aux Imprimeurs de fon Hiftoire Naturelle.
Dans le Portrait de M. Gilbert de Voifins
, par M. Voiriot , on ne trouve rien
à defirer , & c'eft en faire le plus grand
éloge.
Si la Peinture fait plus d'effet fur le
grand nombre à qui la couleur en impoſe ,
que la Sculpture , celle- ci n'en eft pas
pour cela moins recommandable aux yeux
de ceux qui s'y connoiffent. Depuis le renouvellement
des Arts en Europe , la
464 MERCURE DE FRANCE.
France peut fe glorifier d'une fucceffion
non interrompue de Sculpteurs comparables
aux plus célèbres des autres Pays ;
peut- être même n'en a- t- elle jamais eu
autant du premier ordre qu'aujourd'hui.
Les Chefs- d'oeuvres connus des Bouchar
dons , des Pigales , des Slodis , des le
Moines , des Falconets & c , en font la
la preuve. On en voit de nouveaux au
Sallon de cette année ; dont nous ne pou
vons indiquer que les principaux.
Tel eft le Bufte en marbre de Madame
la Marquise de Pompadour , par M. le
Moine ; cet habile Statuaire y a prouvé
que s'il eft difficile , il n'eft pas impoffi
ble à l'Art de rendre les grâces de la Nature
.
Le Bufte en terre cuite du Sophocle Franyois
par le même eft reffemblant eft pleinde
vie : cette tête a tant d'expreffion qu'on
y reconnoît tout le feu qui anime Khadamiste
& Catilina.
Melpomene a tant d'obligation à Mlle
Clairon, qu'elle ne pouvoit s'acquitter envers
elle que par cette couronne immortelle
qu'elle lui a affurée par les mains de
M. le Moine. Les Arts & les talens fe
plaifent fi fort à être affociés , qu'on a remarqué
qu'ils ont prèfque toujours fleuri
en même temps. Dans ce marbre précieux
OCTOBRE. 1761 165
les fiécles à venir fe plairont à contempler
les traits de l'Actrice qui fait l'étonpement
du nôtre .
Le Bufte du célèbre M. Falconet , ce
vieillard auffi aimable que favant , eft aujourd'hui
éxécuté en marbre , d'après celui
en terre cuite , que le Public avoit
déjà admiré au Sallon . Il eft à remarquet
que l'Artifte & le favant portent le même
nom ; & que chacun d'eux dans fon
genre l'a rendu également digne de la
forte d'immortalité où les chofes humaines
peuvent atteindre. Cette rencontre
de noms a donné lieu à cette Infcription
Grecque qui mérite d'être connue du Public.
Ο ΜΟΝΙΜΟΙΝ ΕΤΕΡΟΣ ΕΤΕΡΟΝ
ЕП ЛАТТЕ ΝΕΟΣ ΠΡΕΣ ΒΥΤΙΝ
L'un des deux homonymes ( perfonnes de
même nom ) a repréfenté l'autre ; lejeune
a fait le vieux.
M. Vaffe qui fontient dignement la
gloire de ce nom , connu dans la Sculpture,
a enrichi la fuite des hommes illuftres de
Troye par un très- beau bufte en marbre.
C'est le portrait du P. le Cointe.
Celui de M. hameau par M. Caffiéri
eft d'une reffemblance étonnante .On doit
favoir gré à ce jeune & habile Artiſte d'avoir
confacré ce monument à l'un des
plus grands Muficiens de l'Europe , &
136 MERCURE DE FRANCE.
certainement au plus favant de tous . La
célébrité des Ouvrages de toute éſpèce de
M. Rameau honore non feulement la
Bourgogne, qui eft fa patrie , mais la France
même qui eft aujourd'hui la patrie de
tous les Arts .
Les Connoiffeurs ont rendu la même
juſtice aux sujets de compofition de tout
genre que l'on voit au Sallon , non feulement
des Sculpteurs dont nous venons
de parler , mais de MM. Challe , Pajou ,
Dumont , Mignot , & d'Huès.
Nous croyons devoir un Article particulier
aux deux petits groupes de femmes
en plâtre de M. Falconet, non feulement
parce qu'ils font remarquables par la pureté
du deffein , par l'élégance des contours
, par la fineffe & les grâces des expreffions
dans les tetês , & en un mot par
le bel effet du tout enſemble , mais encore
parce qu'étant des modéles de chandeliers
, qui doivent être exécutés en ard
gent par M. Germain , nous ne devons
pas laiffer ignorer au Public la façon de
penfer noble de cet habile Artifte , qui le
porte à employer les plus grands Maîtres
pour les deffeins des chefs- d'oeuvre d'Or
févrerie , qui fortent de fon attélier.
Quant aux Eftampes , comme elles fe
multiplient auffi aifément que les Livres
OCTOBRE. 1761. 16
par la voie de l'Impreffion , nous nous
croyons difpenfés d'en parler ; & nous
renverrons le Lecteur au Livre qui en
contient l'explication . Nous nous contenterons
de remarquer que celle de M.Wille
, qui repréſente le Portrait de M. le
Marquis de Marigny , d'après le tableau
de M. Tocqué , eft généralement regardée
comme un chef- d'oeuvre.
C'en eft un autre & qui a ravi tous les
Connoiffeurs , que le deffein au crayon
rouge repréfentant Lycurgue bleffé dans
une fédition ; ou plutôt c'eft un tableau
du genre le plus fublime auquel il ne
manque que la couleur.
A l'afpect de toutes les beautés , dont
nous venons de donner la defcription ,
quel ne doit pas être l'étonnement des
Etrangers qui fe trouvent parmi nous ,
de voir en France les Arts de la Paix
fleurir même au milieu des fureurs de la
guerre ! Si l'on réuniffoit ce que tous les
autres Artiftes de l'Europe ont pu produire
depuis le dernier Sallon de 1759 ,
il est douteux qu'une pareille Collection
pût tenir contre celle qui fe voit aujourd'hui
au Louvre. Ce n'eft pas cependant
qu'en nous occupant des Arts agréables,
nous négligions les Arts utiles les Sociétés
d'Agriculture nouvellement éta
468 MERCURE DE FRANCE..
blies à Paris , à Rennes & dans plufieurs
autres Villes du Royaume, ne feront fure
ment pas moins d'honneur à la fageffe du
Ministère dans l'efprit de tout être qui penfe.
La Nation qui s'éclaire de plus en plus
eft heureuſement parvenue à reconnoître
comme le premier des Arts celui fans lequel
tous les autres ne peuvent fubſiſter.
Il est beaucoup d'autres Ouvrages eftimables
au Sallon , foit en Peinture ou
en Sculpture , foit en Deſſein , dont nous
fommes fâchés que les bornes prefcrites
à ce Journal ne nous ayent pas permis
de rendre compte . D'ailleurs des Artiſtes,
dont les talens font connus depuis longtemps
, ne peuvent nous favoir mauvais
gré de nous être étendus davantage fur
ceux de leurs nouveaux Confrères qui
méritent de l'être.
Nous finirons par remercier au nom
du Public , dont nous ne fommes que l'écho
, M. Chardin de ce qu'il a bien vou
lu fe charger de l'arrangement du Sallon.
Autant que la forme des tableaux a pu
le lui permettre , il les a diftribués non
feulement de manière qu'ils ne ſe puſſent
nuire les uns aux autres , mais de forte
que la plupart fe fiffent valoir l'un l'autre
réciproquement . L'arrangement eft fair
avec tant d'intelligence , qu'on fe trouve
en
OCTOBRE . 1761 .
169
,
en effet au milieu d'une riche Collection
de l'École Françoife où le choix des Sujets
& la grandeur des tableaux paroiffent
avoir décidé de la place qu'ils occupent.
Ou fe doute bien que ce n'eft pas
par hazard que l'on voit l'intérieur de
l'Eglife de Ste Géneviève à côté du Portrait
de M. le Directeur des Bâtimens . Il
étoit jufte de rappeller au Public , dans
une pareille occafion , que c'est au zéle
de M. le Marquis de Marigny pour la
gloire du Roi & de la Nation , que nous
devrons ce fuperbe Monument de l'Architecture
Françoife , comme c'eft à la protection
éclairée qu'il accorde aux habiles
gens de toute eſpéce , que l'on doit déjà
le retour du bon goût dans tous les Arts
qui dépendent du Deffein .
Artibus auctoritatem conciliant , non
qui infolenter de iis jactare audent , fed
qui id cruere ac proferre poffunt quod
unáquáque continetur.
ISOCRATES contra Sophiftas.
Par M. l'Abbé LEBLANC.
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
SUPPLÉMENT à l'Article des Beaux-
Arts.
LE Tableau de M. Greuſe qui repréfente
un Mariage & l'inftant où le père
de l' Accordée délivre la dot à fon Gendre ,
a été expofé trop tard au Sallon pour que
nous avons pu en parler en même temps
que des autres Ouvrages de Peinture ; il
eft toutefois trop capital pour ne pas
mériter unArticle particulier. Ce Tableau
appartient à M. le Marquis de Marigny;
il eft de trois pieds fix pouces de large fur
deux pieds fix pouces de haut. M. Greufe
eft vraiment né Peintre. Cette ingénieufe
& favante compofition en eft la preuve ;
l'efprit y paroît le difputer au talent &
la connoiffance de la Nature à l'éxécution
de l'Art. C'eft fur cette toile que l'on
peut dire que la Peinture parle : le préf
tige y eft fi puiffant, que l'oeil s'y trompe,
& que l'on croit moins voir un tableau
que les objets qui y font repréfentés. Il
eft compofé de douze Figures groupées &
unies à la même action avec toute l'in
telligence poffible. L'Accordée , qui eſt
la principale , occupe le milieu de la fcèOCTOBRE.
1761 175
ne. Cette Figure eft d'une beauté remar
quable, que rend encore plus touchante
l'expreffion d'une pudeur modefte qui eſt
fi bien prononcée par fes yeux baiffes &
par le rouge qui lui monte au vifage .
Elle donne le bras à ſon Fiancé : il eſt ailé
de difcerner dans toute fon attitude le
trouble dont elle eft agitée ; & combien
cette modeftie n'ajoute - t- elle pas à ſes
charmes innocens ! On ne peut trop le
répéter , la pudeur eft non - feulement la
première des vertus , mais encore la première
des grâces dans les femmes . Aux
yeux du Spectateur , ce n'eft pas dans le
fac qu'eft la véritable dot de cette aimable
Villageoife .
Eft illifuadosforma fine arte potens.
Le Fiancé qui reçoit ce fac des mains du
père, eft un grand jeune homme de trèsbonne
mine . On lit auffi fur fon viſage cet
embarras ordinaire à ceux de fon état en
pareille occafion , & qui n'eft que l'effet de
la fimplicité de leurs moeurs & de l'honnêteté
de leurs fentimens. La tête du Père eft
d'un beau choix ; elle eft d'une vérité qui
ne permet pas de douter qu'elle ne foit
prife dans la Nature. On ne peut trop louer
le jugement du Peintre dans l'attention
qu'il a donnée à l'expreffion de cette tête ;
elle caractériſe la bonté du chef de famille
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
& infpire le refpect qui eſt dû à la vieillef
fe. Les os , les mufcles , les veines , les
rides , tout y eft exprimé avec fidélité &
prononcé avec art . La Figure que l'on
voit derrière ce bon-homme , & qui eft
appuyée fur la même chaife où il eft affis ,
paroît être une four aînée de la Fiancée
& qui porte envie à fon bonheur . Il y a
au contraire je ne fais quoi de naif& d'attendriflant
dans les traits de la petite cadette
, dont la tête eft appuyée fur l'épaule
de celle ci . Il eft aifé de reconnoître la
Mère aux careffes qu'elle fait à fa fille.
Cette femme , quoique dans un âge avancé
, paroît jouir de cette force & de cette
• fanté que l'on ne peut entretenir que par
un mélange égal du travail & du repos.
Elle eft affife fur le devant du tableau , &
les traits de fa vieilleffe y contraſtent ;
merveilleufement pour l'effet pittorefque,
avec ceux de la jeuneffe de fa fille, où l'on
voit briller les grâces & les fleurs de la
puberté. Près du Père eft le Tabellion du
Village en culotte rouge & en manteau
noir, & dont l'importance heureuſement
caractériſée ajoûte beaucoup de piquant
& de variété à ce tableau. Toutes ces Figures
font déffinées avec la plus grande
correction. L'Artifte a rendu avec la même
vérité , & la groffiéreté des étoffes & le
OCTOBRE 1761 . 173
tranfpparent de la moufeline . Comme il
n'a rien négligé , on obferve tout ; & lon
eft furpris qu'il ait trouvé fur fa palette
le ton fi jufte du cuir des fouliers. Tous
ces détails ne font petits que lorsqu'ils
font froids ; & l'on peut bien dire que
M. Greufe ne l'eft nulle - part. Les différens
plans font fentis , les lumières juftes
& le Tableau clair partout . Ainfi c'eſt
non feulement l'invention , l'ordonnance
, l'expreffion , le deffein , la couleur
mais les beautés multipliées de chacune
de ces parties qui rendent cet Ouvrage fi
remarquable & fi précieux . On y trouve
dans toutes ce que les Anciens ont appellé
Venuftas Picture . Le foin trop apperçu
nuit plus aux grâces de la Peinture,
qu'il n'y fert ; la fermeté de la touche & la
facilité du pinceau de l'Artiste charment
les yeux au point de cacher tout le travail
. C'eft furement un des Tableaux les
›
plus étudiés & un de ceux qui le paroif
fent le moins . Hanc virtutem optimam
& que maximè exprimit , five ca ingenii
felicitas , five tum laboris , tum artis
opus , vel mixtus ex ambobus & facultas
dicenda eft.
DYONIS . HALICARNASS. in Lyfiâ.
21 Septembre.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
L
MUSIQUE.c
ES CHARMES DE L'AMOUR , Cantatille
a voix feule , avec Accompagnemens de
deux Flutes , Violon , & Baffe . Par M.
Dard , Ordinaire de l'Académie Royale
de Mufique. Prix , 1 liv. 16 f. chez l'Auteur
, rue Montmartre , vis- à- vis la rue
de la Juffienne , à côté de l'Apotiquaire ,
& aux adreffes ordinaires. La Mufique de
cette Cantatille fait beaucoup augurer
des talens de M. Dard.
NOUS
GRAVURE.
ous annonçons avec plaifir quatre
Eftampes qui font beaucoup d'honneur
au goût & au burin de M. Daullé ,
Graveur du Ro1. Elles font de différens
Maîtres, & par conféquent toutes traitées
différemment. La première repréſente
une Chaffe à l'Oifeau , dont le Tableau
eft de Jean Miel , Peintre fort eftimé
pour les effets piquans qu'il a mis dans.
fes Ouvrages. La feconde , d'après Dictricy
, Peintre de la Cour de Saxe , connu
par la fupériorité de ſes talens dans les
OCTOBRE. 1761. 175
différens genres de Peinture , repréfente
Cain & Abel. La troifiéme , qui eft du
même Maître , offre aux yeux fous l'afpect
le plus agréable des Payfannes au
bord d'une rivière. La quatriéme eft intitulée
la Riboteufe Hollandoife , gravée
d'après Modfu .
On les trouve chez l'Auteur , quai des
Auguftins , la Porte cochère près la rue
Git -le- coeur.
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Muſique a donné
le Mardi 22 Septembre la première
Repréſentation de la remife de Camille ,
Reine des Volfques , Tragédie ; paroles
de feu M. Danchet , Mufique de feu M.
Campra. Cet Opéra avoit été repréſenté
pour la première fois le 9 Septembre
1717. Il n'eut alors que 15 Repréfentations
, & n'avoit jamais été repris fur le
Théâtre de Paris ; mais il a fouvent fait
reffource fur les Théâtres de Province ,
où , moins difficile fur la totalité d'un
୨
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Spectacle , le Public fe fatisfait des grandes
beautés qu'il rencontre dans quelques
unes de fes parties ; il y en a en
effet de tranfcendantes dans cet Opéra ,
furtout aux deux premiers Actes . Les
foins des Directeurs de l'Académie viennent
d'en faire jouir le Public de Paris ,
en ayant fait , fous leurs yeux , remettre
le Poëme & la Mufique en état d'être
repréſentés avec plus de fuccès qu'il n'en
avoit eu dans fon origine , & conféquemment
au goût actuel , non pas à la
vérité de ceux qui ne font affectés que
par une certaine combinaiſon de bruit
mufical qui ne dit rien , ou ne dit que ce
que des enfans bien élevés rougiroient
d'écouter avec trop d'attention , ou par
quelques fauts figurés qu'on appelle quelquefois
gaîté dans un Opéra ; mais au
goût jufte & délicat des Spectateurs qui
fans rejetter l'agrément des nouveautés
raiſonnées , n'ont pas encore facrifié à
l'unique plaifir des oreilles ou de la vue
l'intérêt du coeur & l'amufement de l'efprit.
ANALYSE DU POEME.
Par les changemens faits à cet Opéra ,
il est devenu prèfque nouveau . Le Poëme
eft dramatiquement coupé , aujourOCTOBRE.
1761. 177
d'hui , fans excéder en Scènes les bornes
que preferit la nouvelle forme de ce genre
d'Ouvrage. La nouvelle diftribution ,
les retranchemens dans certaines parties,
& les vers ajoutés ou fubftitués dans
d'autres, ont rendu la conduite plus précife
, & font valoir l'intérêt qu'il y avoit
dans le fonds de ce Drame . Camille
fille de Meffellus , Roi des Volfques ,
a été , dans l'enfance , dérobée var Almon
à la fureur politique d'Afide meurtrier
de fon Père & ufurpateur de fon
Trône. Elle a été élevée par ce fidéle Almon
dont elle fe croit la fille , à pourfuivre
les Monftres dans les forêts , à les
combattre, & furtout à regarder l'Amour
comme le plus dangereux de tous . Ce
pendant elle a été furprife par ce fenti
ment fous l'apparence de la pitié en faveur
de Corite , fils de l'ufurpateur, Prince
auquel elle a fauvé la vie en combattant
conjointement un Monftre qui ravageoit
le Pays. Ce Prince veur conduire
Camille dont il eft amoureux , à la Cout
d'Aufide avec Almon fon prétendu Père.
La haine contre les Tyrans rend ce départ
odieux à Camille. Almon la détermine
; mais il lui apprendra auparavant
le fecret de fa naiffance : on doit inzer
combien ce fecret va devenir funefte
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
pour elle en ce moment., & quels combats
il va exciter dans fon âme. Almon
pour cette importante confidence a fait
venir Camille dans l'antre qui renferme
le tombeau même de Meffellus. Il a raf
femblé des Conjurés ; il ne veut leur faire
voir la Princeffe que quand il fe fera
affuré de fon courage. Après l'avoir informée
de la mort cruelle de Meffellus ,
il préfente à Camille le poignard avec lequel
ce Roi malheureux a été immolé.
Il est encore teint de fon fang ; la Princeffe
en friffonne. Almon fait cet inftant
pour lui dire :
L'enfant feul fut fauvé de tant d'horribles coups.
>> Il eſt par fes vertus digne de la Couronne,
CAMILLE .
Et quel eft cet Enfant ?
ALMON,
C'est vous.
Camille le détermine ; elle prend le
poignard , elle veut hâter la vengeance
de fon Père ; elle preffe Almon de nommer
l'Ufurpateur. Il nomme Aufide , Père
de fon Amant ; il pourfuit auffitôt fon
récit ; il apprend à Camille que fur un faux
bruit qu'il avoit fait répandre , Aufide
OCTOBRE , 1761. 179
croit que c'eſt un fils qui étoit refté de
Meffellus ; qu'étant lui même, méconnu
par les années , ils feront en fûreté l'un
l'autre à fa Cour ; il la preffe de partir &
feint de ne pas s'appercevoir du trouble
qu'il lui caufe. Camille fe dévoue entiérement
à la vengeance. Les Conjurés arrivent
; Almon les préfente à la Princeffe
comme les défenfeurs que le Ciel lui deftine.
Ils admirent tous l'éclat de ſa beauté.
Cette acclamation forme le fujet d'un
Choeur. Les mêmes Conjurés enfuite jettent
des fleurs fur le Tombeau de Meſſellus , &
cette partie d'un des ufages religieux de
l'antiquite éft affez bien rendue; elle le feroit
encore plus dignement , fi la paffion de la
Danfe n'entraînoit pas trop tôt ces Conjurés.
Almon & Rutile chantent une espéce
d'Hymne funéraire qui eft d'un fort bel
effet. Camille , le poignard fanglant à la
main , provoque les Conjurés à s'engager
par un ferment terrible & folemnel qu'elle
jeur dicte elle- même. Ils mettent tous
l'épée à la main , & la tenant nue d'une
main , l'autre appuyée fur le Tombeau ,
Camille au milieu d'eux ,le poignard élevé,
ils prononcent tous en chantant , ce ferment
affreux pour l'amour dont certe
Princeffe eft atteinte. Ce moment forme
un des plus beaux fpectacles que l'on air
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
vus ; ce qui joint à la beauté, grande, ferme
& convenable de la Mufique , cauſe
cette émotion , qui fait l'unique & le vrai
plaifir que le bon goût cherche & defire
au Théâtre.
Corite , qui avoit précédé Almon &
Camille à la Cour de fon père , y attend
avec impatience cette Princeffe , dont la
naiffance eft encore obfcure pour lui.
Tous ceux qui avoient accompagné le
Prince ont répandu le bruit des charmes
de Camille unis au courage le plus héroïque.
Elle doit être reçue en triomphe à
cette Cour. Aufide par reconnoiffance
des jours qu'elle a confervés au Prince ,
confent à fon Hymen avec elle. Il juftifie
encore cette condefcendance par une
Maxime galante fans être éfféminée ; parce
que le principe de vérité eft dans la
nature ; & l'application de fa propre for
tune la rend encore plus jufte.
» Aux efforts de mon bras ( dit - il ) je dois mon
» Diadême ,
Et le Trône où je fuis monté :
» Comme par la valeur on peut par la beauté
» S'élever juſqu'au Rang fuprême.
Il compte même que le courage de Camille
pourra l'aider à foutenir fon ufurpaOCTOBRE.
1761 . 181
2
tion contre l'héritier inconnu du Trône
des Volfques , confervé par les foins d'un
Guerrier qui brava ton courroux . L'entrée
de Camille & la réception font le fujet
d'une fête , après laquelle Aufide demande
le père de Camille ; Almon approche; il
veut en vain fe dérober aux regards pénétrans
du Tyran ; il eft reconnu pour celui
qui a confervé l'enfant de Meffellus.
Almon avec la plus grande dignité ,
preffé de rompre le filence ne diffimule
point fa vertueufe action ;& pour la mieux
foutenir,il protefte de tenir toujours caché
le fort de cet enfant. Aufide veut livrer ce
Vieillard aux tourmens ; il eft imploré par
Camille & par Corite. Mais fon fupplice
eft fufpendu ,parce qu' Arfide fe reffouvient
heureufement qu'il a dans ce moment
un facrifice à offrirà la fortune. Ce font là
de ces flétriffures que la fervitude du genre
imprime fur prèfque tous les Opéra ,
ou pour les enviſager plus agréablement,
de ces mal-à-propos dans la converfation
d'une jolie femme , qui n'en altérent pas
trop l'agrément, quoiqu'ils faffent de temps
en temps froncer le fourcil au bon fens . Ce
facrifice à la fortune a lieu , & on le célébre
dans fon Temple. Camille fe prépare
à ne fe
pas laiffer furpaffer en générofité
par Almon, Le Tyran vient accompagné
182 MERCURE DE FRANCE.
de Licteurs. Almon frémit de voir Camille
; il l'appelle fa fille, il veut foutenir cette
louable impofture ; mais dans l'inſtant
qu'on va le frapper , Camille fufpend les
coups en difant qu'elle fçait comme lui
le fatal fecret que l'on veut pénétrer. Elle
promet d'éclaircir ce myftere ; mais elle
éxige que fon père foit libre. Aufide lui
fait ôter les fers, mais en recommandant
de veiller fur lui . Camille enfuite découvre
fon véritable fort au Tyran ; elle eſt
remife à fon tout entre les mains des
gardes. Aufide invite les miniftres de la
fortune à feconder fes prières. C'eſt ce
qui donne lieu au divertiffement , dans
lequel plufieurs Spectateurs auroient trouvé
la fortune plus favorable pour eux en
ce moment , fi l'on eût abregé l'hymne
que lui adreffe fa Prêtreffe , quelque belles
qu'en foient les paroles & la mufique ,
& quelque plaifir qu'on trouve a entendre
l'Actrice qui la chante. Corite , après
la fête , puifque l'ufage nomme ainfi ces
fortes de difparates ; Corite donc vient
demander la grâce de Camille & l'obtient
de fon père , à condition que l'amour
parviendra à étouffer la vengeance. Cette
promeffe cependant n'eft qu'illufoire . L'âme
du Tyran qui a ufurpé , ne pardonne
pas à qui peut l'en punir. Aufide fe proOCTOBRE
. 1761. ·183
pofe de faire périr fes deux victimes . Mais
Camille , dont le courage a refifté aux
inftances de fon Amant,prévient la fureurdu
père , & trouve le moyen de l'immoler
à fa vengeance , à la tête de fes Conjurés.
Corite que l'on a défarmé vient
s'offrir aux coups portés par Camille.
Celle-ci lui déclare qu'ils ne peuvent plus
fe voir. Corite prend le poignard des
mains de Camille & fe tue . Camille veut
le reprendre & fuivre fon Amant au tombeau.
Elle eft arrêtée dans ce funefte
projet
par ceux de fa fuite & par les fortes
repréſentations d'Almon . Elle reſte abîmée
dans fa douleur & dans fes réfléxions;
elle en reffort victorieufe des foibleffes
de l'amour , pour le livrer toute entiere
au foin de régner fur fes Peuples , lefquels
lorfqu'elle eft retirée , célébrent par un
divertiffement le fuccès d'un fi grand événement.
On ne trouvera pas cette difpofition
telle qu'elle eft, ici dans le livre de paroles
imprimé ; c'est une très- judicieuſe tranſ
pofition que l'on a faite de ce divertiſſement
, depuis la première repréfentation.
plus
La verfification de ce Poëme eft une des
plus heureufes de feu M. Danchet, duquel
les talens font reconnus aujourd'hui pour
ce genre , plus qu'ils ne l'étoient pendant
184 MERCURE DE FRANCE.
la vie de ce Poëte , ainsi qu'il arrive prèf
que toujours . Les vers qu'on a joints font,
pour ainfi dire , mariés aux fiens ; ils ne
détonnent point ; & l'on auroit peine à
s'appercevoir des jonctions.
MUSIQUE.
Tout ce qu'il y avoit de plus beau dans
la Mufique de feu M. Campra , le trouvant
dans les Scènes , a été confervé.
Celle des divertiffemens & de toutes les
liaifons néceffaires à la refonte de cet
Ouvrage, eft entierement nouvelle ; cette
Mufique , qui eft de M. le Berton , n'a
befoin d'autres preuves de fon fuccès &
du mérite de l'Auteur , que les efforts
qu'on a déja faits pour lui enlever en
partie l'honneur de l'invention de plufieurs
Morceaux. Je rapporte ici la lettre
qu'il m'a adreffée à ce fujet. Elle inftruira
en même temps le Public avec exactirude,
de ce qu'il y a de nouveau dans l'Opéra.
A M. DELAGARDE , Penfionnaire
adjoint au Privilége du Mercure pour
la Partie des Spectacles.
MON
33
ONSIEUR ,
Quelques perfonnes mal informées !
OCTOBRE . 1761. 185
"
» ont répandu dans le monde que les fymphonies
des quatre premiers Actes de
» Camille , qu'on a cru devoir fubitituer
» aux anciennes de cet Opéra , n'etoient
» de moi qu'en partie , quoiqu'on me les
» attribuât en totalité . La préfomption ,
» toujours condamnable , & fartout dans
» un homme qui ne commence qu'à tra-
» vailler , n'eft nullement ce qui me dé-
» termine à protefter contre la faufleté de
>> ces bruits : en me chargeant du travail
qu'on a jugé néceffaire pour remettre
» Camille au Théâtre , je n'ai eu d'autre
» motif
que de me mettre à portée d'apprendre
, par le jugement du Public ,
» s'il m'étoit permis d'entrer dans la car-
» rière lyrique . Mais comme ce même
» Public , plein de bonté pour ceux qui
» cherchent à lui plaire en l'amufant ,
proferit quiconque veut le parer de ce
qui ne lui appartient pas , & qu'il pour-
» roit , d'après les bruits qui courent ,
» prendre de mes fentiments l'idée la
"
"
"
»
و د
"
plus défavorable ; je n'ai pas cru devoir
» refter dans le filence fur un objet bien
» plus intéreffant pour moi que mes foibles
» talens , & c'eft uniquement pour préve
" nir une impreffion qui me feroit le tort
» le plus capital, que je déclare : que l'ou-
» verture , les airs des divertiffemens des
186 MERCURE DE FRANCE.
"
» quatre premiers Actes & la plus grande
» partie de la vocale du premier Acte que
» le changement des paroles a obligé de
» refaire, font entierement de moi, & que
» c'eft à moi feul qu'on doit imputer tous
» les défauts qui peuvent s'y trouver. Je
» mé flatte que vous voudrez bien entrer
» dans mes vues , & que vous aurez la
" bonté de donner à ma lettre toute la
» publicité qu'elle peut avoir, en l'inférant
dans le premier Mercure : je vous en
ferai très fenfiblement obligé.
J'ai l'honneur d'être & c.
BERTON, Maître de Mufique de l'Or
cheftre de l'Académie Royale.
A Paris le 22 Septembre 1761 .
La modeftie de M. le Berton ne lui a pas
permis apparemment de faire mention,
dans fa lettre , d'autres morceaux du même
Opéra , qui font également de lui.
Tels font le Choeur du premier Acte , auquel
on rend juftice en l'applaudiffant
univerfellement. L'Ariette du même Accte
, chantée par M. Joli , celle du troifiéme
Acte , & le Morceau, Mánes infortunés
& c . Dans le cinquième Acte , dont
le caractère de chant eft admirable , l'accompagnement
en eft ingénieuſement pitOCTOBRE.
1761. 187
torefque , & prête des forces d'expreffion
à la vocale , fans difputer contr'elle l'attention
de l'Auditeur.
L'Ariette de ce cinquième Acte eft de
l'Acteur même qui la chante. *
Si , comme s'exprime M. le Berton ,
tout ce qu'il a fait de Mufique dans cet
Opéra , eft pour interroger le Public , il
doit être fatisfait de la réponſe, & trèsencouragé
à pourfuivre une carrière dans
laquelle il débute avec tant d'avantages.
Non feulement toute cette Mufique eft
dans les meilleurs principes d'harmonie ,
& très agréable dans ceux des divertiffemens
où le Muficien a été fecondé par
la nature des Sujets ; mais elle a de plus
le mérite , très remarquable aujourd'hui ,
d'être partout adaptée avec le plus juſte
raifonnement , au fond de l'ancienne Mufique
de cet Opéra. On fent l'attention
avec laquelle le caractère de nouveauté
que plus d'éffor donne aujourd'hui à nos
Compofiteurs , n'eft appliqué que proportionnellement
au plus ou moins de
diſtance entre les nouveaux morceaux de
Symphonie & l'ancienne Vocale de Campra.
Ce fage ménagement prévient les
difparates fi défagréables au bon goût ,
quelque mérite que puiffe avoir en foi
* M. Petit , Haute- contre des Rôles.
188 MERCURE DE FRANCE.
chacune des parties qui les occafionnent.
BALLET S.
Le Ballet du premier Acte eft très - applaudi.
Indépendemment de l'agrément
avec lequel il eft compofé , M. & Mile
Veftris qui y danfent en Pas de Deux ,
fuffiroient pour en rendre le tableau charmant.
On a remarqué à l'égard de Mile
Veftris,qu'elle n'y doit pas feulement les
applaudiffemens qu'elle reçoit , à la féduction
de fa figure & de fa taille , ni à
la feule volupté de fa danfe , mais à l'exécution
la plus gracieufe & en même
temps régulière des parties méthodiques
de fon talent . Mlle Allard & M. Lani
qui danfent dans ce même Divertiffement
, y ajoûtent un nouvel agrément &
par conféquent un nouveau plaifir pour
le Spectateur.
Cette même Danſeuſe ( Mlle Allard)
exécute dans le troifiéme Acte une danfe
férieufe , avec l'applaudiffement du Public
& le fuffrage des Connoiffeurs.
Les fuites de l'accident arrivé à Mlle
Lani , fur le Théâtre , à l'une des dernières
repréſentations des Indes Galantes
ont privé le Public pour quelque temps ,
de jouir des talens fupérieurs de cette admirable
Daufeufe dans le quatriéme Acte
de Camille.
OCTOBRE. 1761. 189
M. Veftris , dans la Chacone du cinquiéme
Acte , nous obligeroit de répéter
, d'après le Public , d'anciennes expreffions
d'un fentiment de plaifir toujours
nouveau , chaque fois qu'on le
voit éxécuter ce genre de danfe. M. de
Laval danfe dans ce même Acte avec
Mlle Carville. Cette dernière est bien
placée dans un gente noble & gracieux
qui convient à celui de fa danfe & qu'elle
fait d'autant mieux valoir , que fes talensfemblent
fe renouveller. C'eft le caractè
re commun à tout ce qui eft fondé fur des
principes vrais & certains. Tous les Con-
Roiffeurs conviennent que cette Danſeuſe
a ce qu'ils appellent, les pas les plus finis
& lapratique la plus fçavante.
M. d'Auberval jeune Danfeur qui a
débuté cette année , paroît auffi dans ce
dernier Ballet. Le Public femble le juger
digne d'encouragement .
Les Rôles font diftribués convenablement
& très-bien rendus; celui de Camille
par Mlle Chevalier , ceux d'Afide &
d'Almon , par Meffieurs Gélin & Lari
vée , celui de Corite par M. Pillot.
190 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE FRANÇOISE.
MLLELLE Drouin a pris les rôles de Caractère
avec fuccès. Le premier de ce
genre qu'elle ait joué , a été dans le Procureur
arbitre ; enfuite dans la Réconci
liation Normande , dans les Menechmes ,
dans le Chevalier à la mode , les trois
Coufines , &c. Le taleut particulier de
Mlle Drouin ayant toujours été la jufteffe
de raiſonnement dans le débit , joint à
l'art de bien détailler les rôles , la Comédie
ne peut que gagner en lui voyant
remplir cet emploi , qui ne confifte pas
dans le ridicule de la figure ni dans fa vétufté.
Il faut de l'efprit pour bien copier
les Ridicules , & par conféquent ces fortes
de rôles ne pouvoient tomber en meilleures
mains.
Le 12 Septembre , Mlle Clairon , après
une abfence de quelque temps , occafionnée
par les précautions qu'éxige fa fanté,
a reparu dans Tancréde , & a continué
depuis dans d'autres Tragédies . Nous faifons
mention de cet événement , parce
que la célébrité que mérite un talent
auffi fublime que le fien , fait de tous les
temps où elle joue, autant d'époques d'un
OCTOBRE. 1761. 190
nouveau degré de gloire pour elle , & d'un
nouvel étonnement de la part du Public.
Il n'y avoit eu aucune nouveauté fur
ce Théâtre , dont nous ayons , à rendre
compte , jufques aux derniers jours de
Septembre.
COMÉDIE ITALIENNE.
L E7 Septembre , Mlle Vilette a débuté
pour la première fois fur le Théâtre
des Comédiens Italiens par le rôle de
Zerbine dans la Servante Maîtreſſe , Interméde
traduit de la Serva Padrona, &
parodié pour la même Mufique , lequel
étoit précédé de l'Ile des Fous , Piéce
mêlée d'Ariettes , dans laquelle la Débutante
jouoit le rôle de Nicette. On ne
peut paroître avec plus de fuccès & jouir
plus complettement des fuffrages du Public.
Mlle Vilette a l'avantage d'avoir
paffé quelque temps à l'unique Ecole du
Chant , c'est- à- dire à l'Opéra. Sa voix ,
d'un médiocre volume , a l'étendue fuffifante
pour fournir à tous les genres de
Mufique. Cette Débutante eft un nouvel
exemple , s'il en étoit befoin , de la maxime
conſtante , qu'il faut que tous les
talens & tous les fujets foient placés pour
192 MERCURE DE FRANCE.
faire valoir ce qu'ils ont de mérite. Sur
ce Théâtre Mlle Vile.re eft admirée avec
juftice ; on avoit pu prévoit cette deftination
par le fucces qu'elle avoit eu à
l'Opéra dans le Devin de Village.On doit
rendre juftice aux talens de M. Kochard
qui, dans la Servante Maitreffe , a joué en
Acteur confommé , & a chanté en Muficien
de goût. Kien de forcé dans fon jeu
ni dans les expreffions du chant . Il fauvoit
même les éternelles répétitions de
la Mufique , par des actions raifonnées
qui juftifient ou du moins font tolérer
celles de la Cantatrice avec laquelle il
fe trouve en Scène. Cette attention de
goût & de jugement a été fentie par le
Public & payée par les plus grands applaudiffemens
. Il femble que cette réuſſite
ait été le fruit des foins que cet Acteur
avoit pris pour chanter le même Interméde
en Italien , avec Mlle Piccinelli
dans lequel il avoit eu le plus favorable
fuccès qu'un François puiffe attendre , en
exécutant une Mufique & des paroles,
étrangères. Mlle Vilerte, a continué fondébut
dans les mêmes Piéces & dans la
Fille mal gardée.
On a donné le 22 du même mois , la
première Représentation d'une Piéce intitulée
Mazet , Drame de la nouvelle ef
péce ,
OCTOBRE. 1781 . 193
péce, qu'on peut qualifier de Comédie mélée
de Chant , d'Opéra- Comique, d'Interméde,
d'Opéra Bouffon & c.Quelle qu'elle
-foit , elle a eu quelque fuccès. Les
paroles font de M. Anfeaume , & la Mufique
de M. Duni . Les Ouvrages qui
réuffiffent for ce Théâtre, y reftent ordinairement
beaucoup plus longtems qu'il
'n'en faut aux révolutions périodiques de
notre Journal , pour en rendre compte ;
ainfi nous remettons au volume fuivant.
un examen plus détaillé de cette piéce.
OPERA- COMIQUE.
DEPUIS le 22 Août que le Maréchal
a été repréſenté pour la premiere fois , le
Public a prouvé par fon affluence , combien
cette Piéce lui étoit agréable ; on l'a
continuée fans interruption , & elle a
toujours paru nouvelle. Quoique l'ufage
de notre Journal ne foit pas de donner
d'Extraits des Opéra - Comiques , nous
érions difpofés à inférer celui que l'Auteur
de cette Piéce nous avoit adreffé
lorfque l'Ouvrage entier a paru imprimé ;
ce qui doit remplir plus avantageuſement
fes vues ; mais nous croyons ne pas devoir
fupprimer la lettre qui accompa
I. Vol. I
494 MERCURE DE FRANCE.
gnoit cet Extrait , attendu qu'elle a un
objet qui intéreffe fon Ouvrage. Quel que
foit le prix qu'attache l'opinion au genne
des talens , l'attention que les Auteurs pas
roiffent y apporter eft une présomption
refpectable du defir qui les anime & des
foins qu'ils le donnent pour plaire au
Public.
AM. DELAGARDE.
Il ne me convient point , Monfieur , de faire
mon apologie ; maisje voudrois , s'il étoit poffible,
que vous redreffaffiez le jugement de certain Pé
riodifte Hebdomadaire , qui eft tout- à-fait contra
dictoire à l'impreffion que la Piéce a paru faire fur
le Public. Il me reproche que le ſtyle n'a point de
gaîté : je ne fçais ce qu'il entend par gaîté. Si
c'eft la plaifanterie qui roule fur l'équivoque libertine
& lubrique, allurémentje mérite fon reproche
, puifque j'ai fait tout mon poffible pour l'éviter
; mais fi la gaité confifte dans des rapports
de fituations fingulières & dans des plaifanteries
prifes fans malice dans le ſujet même & dans la
nature des choles , le Public m'a rendu plus de
juftice que ce Cenfeur. Je n'ai point vu les Dames
faire ufage de l'éventail ; & leurs applaudiffemens
ont toujours accompagné les éclats du Parterre.
J'ai l'honneur d'être &c.
QUÉTANT.
P. S. Je fçais , Monfieur , & j'avoue que les fituations
en elles- mêmes font triftes ; mais vous
aurez remarqué que la Scène la plus trifte , qui
eft celle où l'on porte Colin dans la cave , a fait
toujours rire ; il y a donc eu de l'artifice dans la
OCTOBRE 1761 % 195
preparation ; & j'imagine que l'intérêt , a gagné
à l'audace de l'entreprife. Je foumets toutes ces
remarques à votre déciſion.
M. Quétant me permettra de ne point
acquiefcer à fa déférence , quelqu'obligeante
qu'elle foit de fa part , & quelque
flatteufe qu'elle puiffe être pour moi. Il
n'appartient de s'arroger le ton décifif
qu'à l'efpéce de Périodiftes dont il fe
plaint. Exerçant par tolérance , un miniftère
fans miffion , ils peuvent à leur gré
fe tromper & tromper ceux qui les lifent
fans aucune conféquence pour ou contre
la réputation des Ouvrages & des Auteurs .
Quant aux Journaux qu'un long uſage &
une ancienne confiance du Public ont
rendu autentiques , ce n'eft que d'après ce
même Public , qu'il leur eft permis de
prononcer . En le confultant , il nous paroît
que M. Quétant a tout l'avantage contre
le Périodifte dont il recufe le prétendu
jugement.
Le 14 Septembre , on a repréſenté ſur
ce même Théâtre , pour la première fois ,
une Piéce intitulée , On ne s'avife jamais
de tcut. M. Sedaine , Auteur des
paroles , a confervé du Conte de la Fontaine
tout ce qui pouvoit refter avec décence.
Les marques ufités de Tuteur &
de Pupile font appliqués au Mari trompé
Iij
196 MERCURE DE FRANCE .
& à la Femme coquette. On trouve le
Poëme bien écrit , & beaucoup de vivacité
dans le Dialogue. Quant à Paction ,
on connoît le talent de M. Sedaine pour
en créer dans un Sujet qui n'en feroit pas
fufceptible ; on doit juger de celle dont il
a profité dans celui ci où elle fe préſente
fi facilement . La Mufique eft de M. Mon
figni , déja connu par trois Piéces dans
ce genre , dont le fuccès n'a point été
équivoque fur ce Théâtre. L'accueil que
le Public fait à celle- ci, ne doit que l'encourager
davantage à en mériter encore
d'autres.
CONCERT SPIRITUEL.
CELUI
2
ELUI qui a été éxécuté le jour de la
Nativité de la Vierge a commencé par
une Symphonie de M. Milandre , fuivie
de Deus nofter &c Motet à grand
choeur de M. Cordelet , après lequel M.
Meyer a joué fur la harpe des Piéces de
fa compofition que l'on a beaucoup applaudies,
ainfi que fon exécution . Mile Fel
chanté un petit Motet ; & M. Balbaſtre
a joué fur l'orgue un de fes Concerto
connu . Le Concert a fini par Laudate
Dominum quoniam bonus , Motet d'ore
gue
de M. Mondonville.
OCTOBRE. 1761. 197
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
De l'Armée du Général Loudon , le 9 Août 1761.
L.
■ 2 de ce mois , douze à quatorze mille Pruf
fiens , qui étoient à Neuftadt fous les ordres du Gé
néral Ziethen , attaquerent le Comte Draskowitz
à Jagerndorff. Un autre Corps de troupes enne→
mies attaqua en même- temps la Ville de Zuckmantel.
Le Comte de Draskowitz , s'appercevant
que le deffein du Général Ziethen étoit de le tourner
, fe replia fur Bentsh , pour veiller à la fureté
du magafin de Wurbenthal. On ne put empêcher
la Ville de Zuckmantel d'être pillée ; mais enfin
on parvint à en chaffer les Proffiens. La nuit fuivante
, ils abandonnerent auſſi Jagerndorff , &
le Comte de Draskovitz y retourna.
L'Impératrice Reine ayant envoyé Carte blan
che au Général Loudon , il a affemblé les Officiers
Généraux de l'Armée , pour leur en faire part. II
les a exhortés à le feconder efficacement dans fes
entreprifes, fur-tout à n'écouter aucun fentiment
de haine ou de jaloufie , & à facrifier toujours les
intérêts particuliers aux avantages & à la gloire
de leur Souveraine .
De VIENNE , le 2 Septembre.
Le 3 du mois dernier , la groffeffe de l'Archidu
chelle , Epouſe de l'Archiduc Jofeph , a été déclarée
à la Cour,
I iij
198 MERCURE པཎྜཏྭཱཔནཱ DE FRANCE.
On a été informé , par un Courier vera de Siléfie
, que le Roi de Prufle avoit fait paller la Neifs
à toute fon Armée. Par ce mouvement il a forcé
le Général Draskowitz d'abandonner les environs
de Neufladt. Le Baron de Loudon , de fon côté a
auffi paflé la Neifs.
Leo, le Comte de Keyferling , premier Miniftre
Plénipotentiaire de l'Impératrice de Raffie
au futur Congrès , partit pour Ratisbonne , d'où
il fe rendra vers la fin du mois à Ausbourg.
Pendant que l'Armée Rulle étoit à Kuntzendorff,
le Roide Pruffe s'eft préfenté pour l'attaquer.
Le Général Baron de Loudon , auffitôt qu'il en eut
avis , fe mit à la tête de quarante Efcadrons , la
plupart de Carabiniers,de Grenadiers à cheval , &
il arriva vers midi fur les hauteurs de Wahlſtadt.
Après avoir effuyé une vive canonnade des enneniis
, il fe plaça a la droite de l'Armée Ruffe , qui
s'étoit rangée en bataille . Les Pruffiens alors fe replierent
, & le Général Loudon , ayant eu une entrevue
avec le Feld-Maréchal Comte de Butturlin ,
retourna à fon Campde Strigau .
Suivant les dernieres nouvelles de Silefie , les
troupes de Rufie & celles de l'Impératrice Reine ,
acheverent, entiérement à Hohen - friedberg leur
jonction le 25. Le 29 , les premieres marcherent à
Strigau. Le Général Baron de Loudon gardefa po
fition près de Freybourg. Il a fait avancer le Général
Brentano à Niclasdorff , où s'eft porté auffi
le Corps des troupes Ruffes , aux ordres du Comte
de Czernichew .
Les dernieres nouvelles de Turquie apprennent
que plufieurs des batimens , avec lefquels le Capitan-
Pacha a fait voile de Conftantinople , ont pris.
la route d'Alexandrie. Les mêmes lettres marquent
que la Ville d'Alep eft affligée de la pelte..
OCTOBRE. 1761. 199
De HAMBOURG , le 4 Septembre.
Les Lettres de Pomeranie marquent que l'Armée
Suédoife campe fous Bartow , & que le's troupes
Pruffiennes aux ordres du Colonel Belling occu
pent les poftes de Treptow , de Malchin & de
Tollenfée.
On mande de Silefie que le Roi de Pruffe a
abandonné les environs de Neustadt & de Jagerndorff.
Depuis le z du mois dernier , toute la Flotte
Ruffe ,forte de quarante Voiles, eft devant Colberg,
& elle a déjà commencé à jetter des bombes dans
la Place.
D'AM CLAM, le 8 Août.
Les quatre mille hommes , que la Flotte de
Impératrice de Ruffie a débarqués a Rugenwalde
, ont joint le Général Romanzoff. Il y a pref
que tous les jours de vives efcarmouches entre les
troupes de ce Général, & celles du Prince Eugene
de Wittemberg. L'action du paffage de Rubenau
a été très - meurtriere , y ayant eu de part ou d'autres
près de cinq cens hommes tués , bleffés ou
prifonniers.
De BERLIN , le 8 Août.
Un détachement de quinze cens Suédois ayant
pris potte au pas de Rubenau , le Colonel Belling
l'a attaqué & repouffé jufqu'à Boldentin . Mais les
ennemis ayant reçu un renfort , ce Colonel a été
contraint de fe retirer , après leur avoir tué en
viron trois cens hommes, & fait quelques prifon
niers. Si l'on en croit les lettres de la Cour , nous
n'avons perdu en cette occafion qu'un Officier &
Cinquante Soldats.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
De DRESDE , le 28 Août.
Le Prince Henri occupe toujours le Camp de
Schlettau . Les Pruffiens continuent de fortifier
Leipfick .
Le Feld Maréchal Comte de Daun a toujours
ici fon quartier géné al . Le Général Lafcy occupe
fur la rive droite de l'Elbe un Camp retranché.
Depuis quelques jours , les eaux de l'Elbe font
fi bafles , qu'on peut paller ce fleuve à gué en divers
endroits. On travaille avec beaucoup d'acti
vité à réparer le Palais du Roi , & à rebâtir les
maifons qui ont été détruites pendant le fiége.
De NUREMBERG , le 14 Aout.
د ر گ ه
Depuis le 3 de ce mois , il y a eu plufieurs efcarmouches
entre les poftes avancés des troupes
de l'Empire & les Pruffiens . Ces derniers , dans
une rencontre près d'Altenbourg , ont eu un
grand nombre de Soldats tués ou bleffés , & il
leur eft déferté plus de cinq cens hommes.
De BONN, le 28 Août.
Le 25 de ce mois , jour de la fête de Saint Louis
dont le Roi de France porte le nom , l'Electeur
foupa avec toute fa Cour , chez le Marquis de
Bauffet , Miniftre Plénipotentiaire de Sa Majefté
Très- Chrétienne . Le repas fut fuivi d'un Bal. Son
Altoffe Electorale avoit eu l'attention d'ordonner
la veille que fa Cour fût en gala à Poccafion de
cette fête .
De MADRID , le 25 Août.
On a
reçu avis que la Princelle
du Brefil
étoit
accouchée
d'un
Prince
, qui fera
nonné
Prince
de Beira .
De ROM B , le 27 Août.
Avant- hier , fête de Saint Louis , vingt- neuf
Cardinaux fe rendirent à l'Eglife de la Nation
OCTOBRE. 1761 . 20L
Françoife. Ils y furent reçus par l'Evêque Duc de
Laon , Ambafladeur du Roi Très-Chrétien , & ils y
affillérent à la Meffe , qui fut célébrée par l'Archevêque
Titulaire de Nicomédie, & chantée par
la Mufique de la Chapelle du Pape .
nat ,
De GENES , le 19 Août.
Les Rebelles de Corfe perfiftent à ne vouloir
point entendre parler d'accommodement. Quiconque
parmi eux montre du penchant , pour
accepter les propofitions des Commiffaires du Séeft
traité comme ennemi public . Réfolus de
former un nouvel Etat Républicain , ils ont établi
des loix & créé des Magiftrats . Au reste , fi le Sénat
veut les reconnoître pour un Peuple libre &
indépendant , ils offrent d'acquitter , non - feulement
les Capitaux , mais même les intérêts des
fommes dues par la Corfe aux Génois . Ainfi les
Commiffaires du Sénat font revenus de la Baftie ,
fans avoir pu réaffir dans leur négociation. On
vient de faire paffer de nouvelles troupes dans cette
Ifle , & le Patrice Jean - Baptiste Sarli s'eft embarqué,
pour aller y exercer les fonctions de Commiflaire
Général .
De LONDRES , le 31 Août.
Des dépêches venues de Bengale par terre nous
inforinent que le 10 Février dernier , un détachement
des troupes de notre Compagnie des Indes
s'eft emparé de Mahé , établillement François fur
la côte de Malabar . Selon les mêmes avis , le Gouverneur
la garnifon & les Habitans de Pontichery
, ont été embarqués fur différens bâtimens ,
qui les ramènent en Europe. Le fieur Lally revient
à bord du Vaiffeau de guerre l'Onflow . On
n'a point touché aux effets de ce Lieutenant-Gćméral.
Les habitans de la Place conquife ont eu
"
Iy
202 MERCURE DE FRANCE.
feulement la permiffion de vendre leurs meubles.
Leurs marchandiſes & leurs autres richelles leur
ont été enlevées . On démolit les fortifications de:
la Ville. Peu après que nous avons eu pris poffef-:
fion de Pontichery , le Nabab de Bengale y a fait
accompagné de les femmes & de fon frère , uneentrée
triomphante. Ses femmes etoient dans des
Voitures couvertes. Le Nabab, ainſi que ſon frère,.
monoitt uné léphant,&c, étoit ſuivi d'une partie de
fes troupes. Au départ des lettres parleſquelles on
a été inftruit de ces détails , le bruit fe répandoit
que le Mogol couroit rifque d'être bientôt dépofé.
Les vents contraires , qui retardoient l'arrivée
de la future Reine , étant changés , on attend à?
tout moment , cette Princeffe .
Trois Vailleaux & un pareil nombre de Frégates
de l'Eſcadre commandée par l'Amiral Saunders
ont pris, fur les Côtes d'Efpagne , le Vaiffeau
François Achille de foixante- quatre canons , &
la Fregate la Bouffonne de trente - deux . Le combat
a été fort long & fort meurtrier. Malgré la
fupériorité que nous donnoient le nombre & lafor
ce de nos bâtimens, peu s'en eft fallu que PAchille
n'ait enlevé à l'abordage le Vaiffeau le Tonnant des
foixante-quatorze canons.
De LUNEVILLE , le 25 Août
Ces jours derniers , le fils du Marquis de Clermont-
Tonnerre , premier Gentilshomme de la
Chambre du Roi de Pologne , Duc de Lorraine &
de Bar, fut baptifé dans la Chapelle du Château.
Il a eu ce Prince pour parrain , pour maraine , la
Reine , repréſentée par Madame ; & il a été nom
mé Staniflas Marie Adelaide. Toute la Cour a af
fifté à cette cérémonie , laquelle a été faite par
L'Archevêque de Besançon , grand Aumônier.de:
Sa Majefté Polonoife....
I
OCTOBRE 176 1 203*
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , des Armées de
Paris , &c.
,
De VERSAILLES , le 17 Septembre 1761.
LEE 23 du mois dernier , le Roi tint le Sceau .
Le 25 , fête de Saint Louis , les Hautbois de la
Chambre , fuivant l'ufage , jouerent plufieurs fanfares
pendant le lever de Sa Majeſté.
Le foir, le Roi foupa au grand Couvert chez
la Reine. Pendant que Leurs Majeftés furent à ta
ble , les vingt- quatre Violons de la Chambre éxé
cuterent plufieurs fymphonies .
Le 24 , le Prince de Lambefc , fils du feu Comte
de Brionne , prêta ferment , entre les mains du
Roi , pour le Gouvernement & la Lieutenance gé
nérale d'Anjou, & pour le gouvernement particulier
des Ville & Château d'Angers & du pont de Cé.-
Sa Majeſté a nommé Miniftre d'Etat le Comte
de Choifeul , fon Ambaſſadeur à Vienne & à Aufbourg
, qui en cette nouvelle qualité a pris féan
ce au Confeil.
Le Roi a accordé les entrées de fa chambre au
Duc de Briffac ..
Le 31 , les Députés des Etats de Languedoc en
rent audience du Roi. Ils furent préſentés à Sa
Majefté par le Comte d'Eu , Gouverneur de la
Province, & par le Comte de Saint- Florentin, Mi
niftre & Secrétaire d'Etat , & conduit par le feur
de Nantouiller , Maître des Cérémonies en furvi
Il vj.
204 MERCURE DE FRANCE :
vance du fieur Desgranges. La députation étoit
compofée , pour le Clergé , de l'Evêque de Caftres
, qui porta la parole ; du Marquis de Caftelnau
, pour la Nobleffe , & des fieurs de Montcabrier
& Fabre , pour le Tiers - Etat , ainſi que du
heur de la Fage, Syndic Général de la Province.
Ces Députés eurent enfuite audience de la Reine
, & de la Famille Royale.
Le 22 , pendant la Meffe du Roi , l'Evêque de
Rennes prêta ferment entre les mains de Sa Majefté.
Le 6 de ce mois , le Roi tint le Sceau.
Le Roi a nommé fon Plénipotentiaire au Congrès,
qui doit s'afiembler à Ausbourg, le Marquis
d'Aubeterre , Chevalier de fes Ordres , & ci- devant
fon Ambaffadeur Extraordinaire auprès du Roi
d'Espagne.
Sa Majesté a accordé le grade de Maréchal de
Camp au fieur de Ville- Patour , Chef d'une Bris
gade du Corps Royal de l'Artillerie , bleflé à
L'Affaire du 16 Juillet , & qui s'y eft comporté
d'une façon très- diftinguée. Le grade de Brigadier
au Marquis d'Efcouloubre , Meftre de Camp d'un
Régiment de Cavalerie , en confidération de la
maniere dont cet Officier a commandé les Grenadiers
de l'Infanterie à l'attaque de l'Abbaye de
Bredlar: un brevet de Mestre de Camp de Dra -j
gons au fieur de Montgrand , Capitaine au Régiment
de Dragons de Choifeul , pour les fervices
qu'il a rendus le 4 Juin , à la tête d'un Piquet s
& une Place de Chevalier dans l'Ordre de Saint
Louis au lieur de Saint Affrique, Capitaine au Régiment
de Chapt , qui s'est fait beaucoup d'honneur
à la défenſe de deux piéces de canon , dont
les ennemis vouloient s'emparer.
L'Abbé de Saint-Hubert eat le 8 une audien
OCTOBRE . 1761. 205
ée particuliere du Roi , dans laquelle il prit congé
de Sa Majefté. Il fut conduit à cette audience,
ainfi qu'à celles de la Reine , de Monfeigneur le
Dauphin , de Madame la Dauphine , de Mgr le
Duc de Berry; de Mgr le Comte de Provence, de
Mgr le Comte d'Artois, de Madame, & de Meldames
Sophie & Louife , par le fieur de la Live ,
Introducteur des Ambaffadeurs .
Le 15 , le Prince de Gallitzin , Miniftre Plénipotentiaire
de l'Impératrice de Ruffie , prit auffi
congé du Roi , dans une audience particuliere , à
laquelle il fut conduit , ainfi qu'à celles de la Reine
, de Mgr le Dauphin , de Madame la Dauphine
, & de Mefdames Sophie & Louiſe , par le même
Introducteur.
Le Roi de Pologne , Duc de Lorraine & de
Bar , arriva le même jour , ici de Luneville .
Meldames Adelaide & Victoire doivent partir
de Plombieres le 24 , pour revenir joindre Leurs
Majeftés.
Le Roi a accordé au Marquis de Villemeur ,
Lieutenant- Général des Armées de Sa Majesté.
& Inspecteur General d'Infanterie , la Place de
Grand-Croix , vacante dans l'Ordre Royal &
Militaire de Saint Louis , par la mort du Comte
de la Billarderie.
Sa Majefté a nommé Brigadier les fieurs de
Scheidt , Colonel - Commandant du Régiment
Royal Deux -Ponts , & de Loyaulté , Chef d'une
Brigade du Corps Royal de l'Artillerie.
Le Comte d'Olonne paſſe à la place de Colonel
Commandant en fecond de la Légion Royale ,
qui vaquoit par la morr da fieur Sicard , & le Roi
a fupprimé la Place de Colonel- Commandant en
roileme , dont le Comte d'Olonne étoit pourvu.
206 MERCURE DE FRANCE
De l'Armée aux ordres du Maréchal Prince de Sou
bife , depuis le 14 Aout.
Le nouveau Corps de troupes , que le Maréchal
Prince de Soubife a détaché de fon armée pour
renforcer celle du Maréchal de Broglie , s'eft mis
en marche , le 9 , du Camp de Dortmund , fous
les ordres du Chevalier de Lévis , Lieutenant-Général
, du Marquis d'Aubigny , du Vicomte de
Thianges , & du Marquis de Talaru , Maréchaux
de Camp. L'Armée eft restée dans fa pofition tou
te la journée , afin de couvrir la première marche
de ce Corps.
Elle a marché le 10 à Bochum . Le ri , elle a
paffé l'Emfer , & campé à Vefterholt . Le même
jour , le Marquis de Voyer fit occuper le pofte de
Halteren fur la Lippe , & porta des détachemens
de l'autre côté de cette riviere: le Comte d'Apchon
occupa Rufchenberg.
Le 12 , l'Armée campa fur la Bruyere de Huls
Le Maréchal de Soubife ayant eu avis que les ennemis
occupoient le haut de la rivière de Stener &
le Muhlbach , & qu'ils tenoient Olphen , Dulmen,
& Hus-Dulmen, donna ordre au Marquis
de Voyer & au Marquis de Conflans , de paſſer la
Lippe. Le Duc de Coigny fut détaché du Corps du
Marquis de Voyer, & marcha fur Hus- Dulmen. Le
Marquis de Conflans tourna ce Village , qui étoit
occupé par un Bataillon de la Légion Britannique,
& jugeant qu'il n'attendroit pas l'attaque , fe porta
fur le chemin de ſa retraite . Le fieur de Sion
ville , commandant les Volontaires de l'armée
fe porta auffi de ce côté ; & dans le temps que
ennemis fe difpofoient à fe retirer par le bois , il
fit une attaque fi vive , qu'il les mit en fort grand
défordre. Le Régiment de Conflans acheva de dêfaire
entierement le Bataillon de la Légion Britanles
OCTOBR E. 1761 . 207
nique , dont on a tué une partie , & pris le refte
avec tous les équipages.
L'armée eft partie le 13 de fon camp de Huls ,
& a paffé la Lippe près de Halteren ; la réſerve du
Prince de Condé faifant l'avant - garde. Le Maréchal
de Soubife , qui vouloit prévenir les ennemis
à Dulmen , fit continuer la marche , & l'Armée
alla camper à Hus-Dulmen : la réſerve ſe porta
à Dulmen , & le corps du Marquis Voyer campa
en avant de certe Ville.
Un détachement des Volontaites de Cambefort
fe porta près de Munſter , où il trouva foixante- dix
chariots , attelés chacun de quatre chevaux. Il en
a amené foixante ; & nayant pas affez de monde
pour les enlever tous , il a coupé les jarrets des
chevaux & briſé les chariots . Il a remené auffi deux
Officiers de Cavalerie , qui ont été faits prifonniers
à Bilderbeck.
Le Maréchal Prince de Soubife , ayant eu avis
que le Corps des ennemis commandé par le Gé--
néral Kilmanfeg , devoit décamper pour aller à
Luckenbeck , fit marcher le 14 les Volontaires
de Clermont & la troupe de Conflans. Le 15 , le
Corps aux ordres du Marquis de Voyer fe porta
à Apelhufen , la réferve du Prince de Condé à
Bulderen : & le Duc de Fronfac à Ludinghaufen.
Le 16 , l'Armée quitta fon Camp de. Hus-Dulmen
, & alla occuper celui d'Apelhufen ; la réſerve
du Prince de Condé campa à Boffenfels , le
Marquis de Voyer à Albachten . Le Maréchal de
Soubife fe porta de fa perfonne jufqu'à la vue de
Munſter, Nos mouvemens avoient obligé le Gé
néral Kilmanfeg a entrer dans la Ville; on occu
pa auffitôt les poftes de Melsburen & de Roxen .
qu'il avoit abandonnés.
L
La nuit du 15 au 16 , le fieur de Cambefort .
qui s'étoit porté avec la trouge jufqu'à Rhene ſur
208 MERCURE DE FRANCE.
Lems , fix à fept lieues au - deffous de Munter , a
furpris ce pofte , & y a enveloppé le nouveau bataillon
des Volontaires Vallons qui s'y formoit .
Les portes de cette Ville ont été rompues à coups
de hache , & le fieur de Cambefort a pris ou tué
ce qui s'y eft trouvé. Le fieur Donzel , commandant
ce bataillon , a été , ainfi que le Major , dangereufement
bleffé & fait prifonnier.
D'un autre côté le Marquis de Voyer s'eft
porté le 17 fur la Verre , & le 18 , il a fait attaquer
à la pointe du jour , par le Marquis de Viomenil
, le Village & le Château de Wolbeck que
les ennemis avoient fortifié. Tout ce qui y étoit
a eu le même fort que le bataillon des Volontaires
Vallons. On a ramené cent foixante prifonniers
, du nombre defquels font cing Officiers.
Le 19 , le Marquis de Vogué s'eft porté vers
Rhene fur l'Ems . Les ennemis y avoient envoyé
un Corps d'environ trois mille hommes , qui s'eſt
retiré à fon approche. Le Marquis de Conflans a
attaqué l'arriere -garde , a fait cinquante prifonniers
, & a enlevé les tentes de la Cavalerie du
corps de Scheiter & une trentaine de Voitures
d'équipages.
L'Armée a campé le 20 près d'Albachten à cinq
quarts de lieues de Munter, &les poftes avancés
ont été placés au-delà du Village de Roxel. Le
21 , un Convoi de chariots fortis de Munfter
avec une eſcorte , pour tranfporter dans la Ville
des fafcines & des paliffades , a été enlevé par les
Volontaires de Soubife. Le Capitaine & l'efcorte,
ont été faits prifonniers.
Le corps commandé par le Général Kilmanfeg ,
eft forti de Munfter le 30 du mois dernier , & s'eft
avancéfur deux colonnes vers le Village de Boffenfelle
occupé par les Volontaires de Soubife & les
Volontaires de l'armée commandés par le fieur de
OCTOBRE. 1761 . 209
Sionville , & fur celui d'Albachten occupé par le
Régiment de Dragons de Chapt , aux ordres da
Duc de Fronfac. L'armée campoit à Appenhufen.
Les poltes avancés furent vivement attaqués. Le
Duc de Fronfac , à la tête des Dragóns , les foutint
avec la plus grande fermeté , & il donna au
Maréchal de Soubile , qui le porta dans cette partie,
le temps de faire avancer des troupes du camp ,
pour protéger les Dragons. Les brigades de Briqueville
, de la Couronne & de Bouillon , précédées
de leurs bataillons de Grenadiers & Chaf
feurs , étant arrivées , le Duc de Froníac fut chargé
d'attaquer les ennemis : ce qui fut exécuté avec
une vigueur extraordinaire. Les ennemis plierent ,
& furent challés de haies en haies jufqu'à la petite
plaine de Roxel . Its voulurent s'y former ; mais
les Dragons de Chapt & les Volontaires de Soubi-
Le les chargerent , entrerent à plufieurs repr fes
dans la colonne , y cauferent un grand défordre ,
& firent des prifonniers . Les ennemis avoient garni
le Village de Roxel . Le Comte de Montbarrey
fit les difpofitions , pour les attaquer avec les bataillons
de Grenadiers & la brigade de la Couronne.
Les ennemis ne foutinrent point le Village . Les
Dragons & les Volontaires fe remirent à leur pourfuite,
firent de nouvelles charges , & toujours avec
fuccès , jufqu'au-delà du ruilleau & fous le feu des
redoutes de la ville de Munfter. La nuit mit fin au
combat. On a ramené quatre cens priſonniers ,
non compris les bleffés abandonnés dans les Vil
lages & dans les Fermes.
Nous avons perdu dans cette affaire le fieur
Benek , Aide- Major du Régiment de Soubile , &
le fieur d'Authienne , Lieutenant , qui ont éré
tués Les fieurs Frimont , Major ; de Grave , Capitaine
de Chaffeurs , & le fieur Helloni , auffi de
ce Régiment, ont été bleffés , ainfi que le fieur le
210 MERCURE DE FRANCE.
Roux , Cornette , & Baron de Numfen , Adjudans
du Roi de Dannemack , & Volontaires à l'armée.
Le Duc de Fronfac , qui a eu la tête de l'attal
que , & qui l'a foutenue jufqu'à la fin , a été trèsbien
fecondé par le Chevalier de Chapt , par les
Marquis de Soyecourt & de la Tour-du- Pin , &1
par te fieur de Cabanac, Capitaine de Dragons.
On vient d'apprendre que le Marquis de Con
fans,qui a pénétré juſqu'à Ofnabruck & pouflé des
détachemens jufqu'à Hervorden , a pris à Ofna
bruck des magalins de farine & d'avoine apparte
nans aux ennemis & qu'il a fait conduire a Coes-t
feldt an convoi dehuit cens chariots chargé de fub
fiftances. Il a pris auffi quatre cens chevaur, & a faic
couper les jarrêts à ceux qu'il n'a pas pu emmener
Le fieur de Cambefort , qui avoit été envoyé
du côté de Mappen , eft auffi revenu à Stadthloon
avec un convor confidérable de voitures chargées
de toutes fortes de ſubſiſtances .
"
La diverfion , que le Maréchal de Soubile
fait tenter fur Ham , a rappellé le Prince Hé
réditaire avec un Corps confidérable fur la Lippe
Ce Prince , après avoir paffé à Ham , s'eft avancé
du mois dernier Halteren . le 31
Ce mouvement a engagé le Maréchal de Sou
bife à s'approcher de la Lippe, & l'armée a marche
le 2 déce mois , pour occuper le Camp des hau
teurs de Halteren vis- à - vis de celui des ennemis.
Le 3 , le Marquis de Vogué fut détaché , pour
fe porter fur Dorftein , & attaquer ce pofte dont
les ennemis s'étoient emparés le 30 , après une
défenſe très- obſtinée de la part de nos troupes
commandées par le Baron de Vierzet , qui ſe dé
fendit de maifons en maifons & de haies en haies ,
& qui ne rendit le poſte qu'à la derniere extrémi
té. Les ennemis , à l'approche du Marquis de
Yogué , l'ont abandonné. Le Duc de Fronfac &
OCTOBRE . 1761. 217
le Baron de Viomenil ont paffé la Lippe à gué ,
& les ont pourfuivis avec les Dragons de Chapt
& les Volontaires du Dauphiné. Ils ont enveloppé
les Grenadiers du Corps de Scheiter , dont aucnin
n'eft echappé ; on a ramené environ deux cens
prifonniers & une pièce de canon ,
Le 4 , l'armée paffa la Lippes elle n'a pas pu
joindre le Prince Héréditaire , qui a décampé le
même jour , & s'eft couvert de la Lippe , après
avoir paflé cette riviere au Village Allufen , Nos
détachemens , pouflés à Dorftein , ont attaquéles
poftes des ennemis vis- à-vis du Château d'Oftendorff,
& ont fait une cinquantaine de prifonniers.
La réſerve du Prince de Condé eft restée à Dorfrein.
Le Prince de Soubile a établi fon quarrier- géné
ral à Vefterholt. On a appris que le Prince hérér
caire s'étoit porté a Dulmen , & que le & il avoit
marché à Ludinghaufen Les ennemisen pallang
la Lippe , avoient laillé une arrière- garde a Luy
nen ; on les a empêchés de couper le Pont , & l'on
a occupé ce Pofte , dans lequel on a fait quelques
prifonniers. **
Pendant la nuit du 9 au 10 , le Geur Wandermefche
, Capitaine dans le Régiment des Volontaires
de Soubife , Commandant un détachement
de cent trente hommes , s'eft porté fur Verne a
la droite de la Lippe , a attaqué un Camp de
Troupes légères des ennemis , a fait prifonniers
quatre Officiers & foixante - quatre Hullards ,
a pris cens cinquante chevaux , & a été obligé Pabandonner
le reſte , n'ayant pas affez de monde
pour les emmener . Il s'eft auili emparé d'une piéce
de canon.
Le Marquis de Conflans afait près de Dulmen
quelques prifonniers de la Légion Britannique ; it
à enlevé un détachement de Dragons fortis de
211 MERCURE DE FRANCE.
Munfter , & un Convoi de viandes falées & d'autres
provifions deftiné pour la Place.
Le Roi a nommé Brigadier de fes Armées le
Marquis de Conflans , en récompenfe de la maniere
utile & brillante , dont il a rempli pendant
cette campagne , avec le Corps qu'il commande,
les commiffions qui lui ont été confiées . Sa Majefté
s'étant fait rendre compte de la défenfe vigoureufe
que le Baron de Vierzet a faite à Dorftein
, l'a nommé auffi Brigadier , pour lui marquer
la fatisfaction . Inftruite des actions diftinguées
du Régiment des Volontaires de Soubife, à
chaque occafion où ce Régiment s'eft trouvé pendant
cette Campagne, Elle a accordé la commiffron
de Colonel & la Croix de Saint Louis au fieur
de Vargemont , Lieutenant- Colonel de ce Régiment
, & le rang de Lieutenant - Colonel au fieur
Wandermefche , Capitaine , dont nous avons
rapporté ci-dellus une expédition . Elle a aufi accordé
la Croix de Saint Louis au fieur de Frimont,
Major du même Régiment.
De l'Armée aux Ordres du Maréchal Duc de Broglie
, depuis le 13 Août.
Le Maréchal de Broglie ayant raffemblé la plus
grande partie de fon Armée dans les environs de
Stenheim , s'eft rapproché le 17 du Vefer , & a
pallé cette riviere a Hoxter le 19. L'Armée ſe
rendit ce jour-là à Furstenberg . Le Prince Ferdinand
de Brunfwick , qui campoit depuis quelques
jours entre Blomberger- Horn , a fait attaquer
l'arriere garde près d'Oldendorff. Le Baron de
Clofen la commandoit . Voyant qu'il alloit avoir
affaire à des forces très-fupérieures , il fe replia
fur ce Village : mais ayant été obligé de l'abandonner
, il fe plaça de maniere que lorfque les
Montagnards Ecoffois & les Grenadiers Anglois
OCTOBRE. 1761. 215
déboucherent , ils fouffrirent beaucoup de fon Ara
tillerie. Il les fit charger enfuite par le fieur
de Guintran , ayant à les ordres les Hullards &
Dragons attachés aux Volontaires de l'Armée
commandée par le fieur de Saint- Victor. Toure
l'Infanterie Angloiſe fut culbutée , & l'on tua ou
prit environ trois cens hommes . Les Dragons d'Elliot,
qui la foutenoient , furent très-maltraités .
Le Comte de Stainville avoit été placé près de
Staberg avec le Corps qu'il commandes il s'eft replié
le 20 fur Caffel , où il a été joint par le nouyeau
Corps de troupes détaché de l'Armée du Bas-
Rhin aux ordres du Chevalier de Levis .
Łe 22 , l'Armée a marché à Daffel , & le 23 ;
elle a campé entre Eimbeck & Moringen . Le Ma
réchal de Broglie a etabli fon quartier général à
Sulbeck.
Le Vicomte de Belfunce , ayant été attaqué
dans les environs de Danifel & d'Ular par des
forces très-fupérieures , a éte forcé de fe retirer
avec perte fur Gottingen . Il a enfuite pris pofteà
Northeim .
Depuis le 2 de Septembre , le Comte de Stainville
eft campé à Grebenſtein avec le Corps de
troupes qui eft à les ordres. Le Baron de Clofen
fut détaché le 3 , pour attaquer le Château de Sabbaborg
fitué dans la Forêt de ce nom . Il s'en eft
emparé , & il a fait la garnifon prifonniere de
guerre.
Le 2 , le Vicomte de Bellunce attaqua près
d'Olterode le Corps comman lé par le Colonel
Freytag , lequel après avoir été forcé d'aban tonner
le pofte d'Ofterode , s'eft retiré dans les retranchemens
, à l'entrée du bois du Hartz. Le
Vicomte de Bellunce l'y a fait attaquer de nouveau
les retranchemens ont été emportés avec
la plus grande vigueur ; on a fait quatre cens
114 MERCURE DE FRANCE.
cinquante prifonniers ; le refte du Corps ennemi
a été difperlé dans les bois , & s'eft retiré ſur Goſlar
: ce qui a donné moyen au Vicomte de Belfance
de pénétrer juſqu'à Clauſthal . Les Marquis
de Vaubecourt , de la Ferronays , de Créquy &
de Châtelux, Colonels ; le fieur Orb, Lieutenant-
Colonel du Régiment de Royal Naſſau, & le ſieur
Colliquet, Capitaine , le font diftingués dans cette
occafion. Le Vicomte de Bellunce a fait payer au
pays deux cens cn quante mille livres de contributions.
Le 4 , le Comte de Chabot s'eft porté dans le
Bailliage de Statoldendorff, & y attaqué le Corps
des Huffards de Brunswick & de Baur. Il a fait
cinquante prifonniers, & il a pris un grand nombre
de chevaux & d'équipages. En même temps ,
il a enlevé les Baillis & les
Bourguemeftres des
Bailliages de Holtzmunden & de Statoldendorff.
Le fieur de Combreuil a infiniment contribué au
fuccès de cette opération.
L
Le 23 du mois dernier , le fieur de Grand- Maifon
, Colonel des Volontaires de Hainault , a furpris
Northaufen , & y a enlevé le Général Gefchray
, ci-devant Colonel au ſervice de France ,
avec le nouveau Corps qu'il y formoit pour le
Roi de Pruffe. La Caifle Militaire , les équipages
& les magazins de toute espéce , ont été pris, de
même que tous des Dragons qui fe font trouvés
dans la Ville , & quatre cens chevaux dans cette
expédition ; de fieur de Grand - Maifon n'a pas perdu
un homme.
De PARIS , le 19 Septembre.
Le 15 du mois dernier , la Proceffion folemnelle
, qui a lieu tous les ans , en éxécution du
Vou de Louis XIII , fe fit avec les cérémonies
ordinaires. L'Archevêque de Paris y officia, & le
OCTOBRE . 1761. 2f5
Parlement y ' affifta , ainfi que la Chambre des
Comptes , la Cour des Aydes & le Corps de Ville.
Le tirage de la Loterie de l'Ecole Royale Militaire
s'eft fait le 14 du même mois , en la manière
accoutumée. Les numéros fortis de la roue
de fortune font , 64 , 11 , 70 , 13 & 65.
Le 25 , le Corps de Ville alla à Versailles , &
ayant à fa tête le Duc de Chevreufe , Gouverneur
de Paris , il eut audience du Roi . Il fut préſenté à
Sa Majefté par le Comte de S. Florentin , Miniftre
& Secrétaire d'État , & conduit par le fieur
de Nantouillet , Maître des Cérémonies , en furvivance
du feur Desgranges . Les fieurs Mercier &
Babile , nouveaux Echevins , prêtérent entre les
mains du Roi le ferment de fidélité , dont le Comtę
de S. Florentin fit la lecture , ainſi qué du Scrutin ,
qui fur préfenté par le fieur Caze de la Bôve ,
Avocat du Roi au Châtelet .
Après cette Audience , le Corps de Ville rendit
fes refpects au Roi , & à la Famille Royale.
Le même jour , fê e de S. Louis , la Proceffion
des Carmes du grand Couvent le rendit , felon la
coutume , à la Chapelle du Palais des Thuileries ,
où ces Religieux chantérent la Meile.
Le Roi ayant ordonné qu'il y eût cette année
one expoſition des Ouvrages de ſon Académie de
Peinture & de Sculpture l'ouverture du Sallon ,
-dans lequel ils font placés au Louvre , s'eft faite
le us.
Le tirage de la huitiéme Loterie de la Ville de
-Paris fe fit leio dans l'Hôt 1 - de- Ville avec les
formalités ordinairs Le premier lot , qui étoit de
cinquante mille livres , eft échu au numéro 2802 ;
celui de vingt mille livres au numéro 190,3 . Les
-deux de dix mille font échus aux numéros 8985
& 14547.
216 MERCURE DE FRANCE.
Lei de ce mois , on célébra dans l'Eglife de
l'Abbaye Royale de S. Denys , le Service annuel
pour le repos de l'âme de Louis XIV , & l'Evê→
que de Lombez y officia pontificalement. Le Duc
de Penthiévre & le Prince de Lamballe y afſiſtérent
, ainfi que le Maréchal Duc de Noailles.
Quelques pelotons de Soldats Anglois , dans le
deffein de faire une tentative près de Dunkerque,
defcendirent le 22 à terre , & s'avancérent vers
les Forts de l'Eft & de la Marine. Le Chevalier le
Cointe , que le Marquis de Barailh a détaché du
Régiment de l'Ile de France , pour commander
dans ces Forts , fit fur ces ennemis un tel feu d'Ar
tillerie & de Moufquetterie , qu'ils ont été bientôt
contraints de fe rembarquer. Ils ont aban→
donné une de leurs Prames , dans laquelle on a
trouvé plufieurs fufils & diverfes munitions .
L'Académie Royale des Belles- Lettres , dans
fon Affemblée du 8 Août , élur le Prince Jablonowsky
pour Affocié libre , à la place du feu Cardinal
Paffionei.
On a appris que la Princeffe de Mecklenbourg-
Strelitz étoit arrivée le 7 de ce mois à Harwich
& le 8 à Londres.
Le Grand- Maître de Malthe , en confidération
des fervices rendus à la Religion par les Baillis
de la Renaudie & de S. Viance , fucceffivement
Grands- Prieurs de la Langue d'Auvergne , a accordé
au Comte de la Renaudie, leur petit neveu,
la permiffion de porter la Croix de l'Ordre.i
Le 12 de ce mois , on a fait dans l'Hôtel- de-
Ville , en la manière accoutumée , le tirage de
la Loterie de l'Ecole Royale Militaire. Les numé
ros fortis de la roue de fortune font , 34 , 76 ,
70, 2 , 33. Le prochain tirage fe fera le 14 Oc
tobre,
MORTS
OCTOBRE. 1761 117
MORTS.
Meffire Philippe- Emmanuel de Cruffol d'Uzés,
Marquis de Saint - Sulpice , mourut à Paris , le
12 du mois d'Août , dans fa 77 ° année.
Dame Eléonore d'Estaing veuve de Meire
Charles le Gendre , Marquis de Berville , Lieute
nant Général des Armées du Roi , & Commane
deur de l'Ordre Royal & Militaire de S. Louis ,
mourut à Paris le 17 , âgé de 78 ans.
Dame Françoiſe - Madelaine Midi de Belair ,
époule de Meffire Claude- Aléxandre Touſtain de
Fontebofc d'Ecrennes , Meſtre de Camp de Caval
lerie & premier Lieutenant des Grenadiers à che
val , eft morte à Paris le 22 , dans la 31 ° année
de fon âge.
Melfire Nicolas Regnauld , Archidiacre de Pa◄
ris , Vicaire Général & Official de ce Diocèle &
Abbé de l'Abbaye de Boulancourt , Ordre de
Citeaux , Diocèfe dé Troyes , modrat auffi le 12
dans fa 79 année .
Meffire Jérôme- François Flahault , Comte de
la Billarderie , Lieutenant- Général des Armées
du Roi , Grand'- Croix de l'Ordre Royal & Militaire
de S. Louis , ancien Gouverneur des Ville
& Château de S. Quentin , & ci- devant Major
des Gardes du Corps , inourut à Paris le 27 dans
la 90 ° année de fon âge.
Henri- Charles de Saulx , Comte de Tavannes,
Chevalier des Ordres du Roi , Lieutenant- Général
des Armées de S. M. & au Gouvernement de
Bourgogne dans le Dijonnois, Conté d'Auronne
, Ballage de la Montagne , Autunnois , Aurois
, Auxerrois , Brionnois & Charolois , Grand-
Bailli de Dijon , Commandant en Chef pour le
Service du Roi dans les Provinces de Bourgogne
& de Breſſe , eſt more Dijon , âgé de 73 ans,
1. Vol.
K
218 MERCURE DE FRANCE.
Marie Jeane Louife Bauyn d'Angervilliers ,
veuve d'Armand- Jean de S. Sinon , Duc de Rufec,
Pair de France , Grand d'Efpagne de la première
Claffe , Maréchal des Camps & Armées da
Roi , mourut à Paris le 7 de Septembre , âgée de
fo ans . Elle avoit été mariée en premières nôces
à Mefire Jean de Longueuil , Seigneur de Maifons
, Préfident du Parlement de Paris .
Meffire Ferdinand , Baron de Rembach , Brigadier
d'Infanterie, eft mort à Paris le 2 dans fa
92° année.
Dame Marie- Madelaine d'Houdetot , veuve de
Meffire Louis de Becdeliévre , Marquis de Cany,
eft morte le dans fa 66 année .
Le Chevalier de Saint- André , Lieutenant- Général
des Armées du Roi , Gouverneur de Montreuil-
fur-mer , & Commandant pour S. M. en
Alface , eft mort à Strasbourg , le 27 du mois
d'Août.
Charles O Brien , Lord , Comte de Thomond ,
Vicomte de Clare , Baron d'Ybrican & de Marc-
Avrfy , au Royaume d'Irlande , Pair du même
Royaume , Maréchal de France , Chevalier des
Ordres du Roi , Commandant pour S. M. en
Languedoc , Gouverneur de Neuf- Brilach en Alface
, & Colonel d'un Régiment d'Infanterie Irlandoife
, mourut à Montpellier , le 9 de Septembre
, âgé de 62 ans.
Dom Pierre le Mayeur , mourut le même jour
en fon Abbaye de Clairvaux, dans la 67° année de
fon âge.
Dame Madelaine Brulart , veuve de Meffire
Louis de Tiffart , Comte de Rouvre , eft morte à
Langres , le 7 , dans fa 95° année.
Charles , Comte de Tobiensky , Grand-Chambellan
de Pologne , eft mort le io , à Paris , âgé,
dit-on , de plus de cent ans.
OCTOBRE . 1761. 2.19
Dame Marie - Louife Molé , veuve de Meffire
Omer- Denis Talon , Marquis du Boulai , Colonel
d'un Régiment d'Infanterie, mourut le 6 en cette
Ville , âgée de près de 80 ans.
Meffire Bernard Sorefte de Belidor , Brigadier
d'Infanterie , Infpecteur de l'Arfenal de Paris &
des Mineurs de France , Membre des Académies.
Royales des Sciences de Paris & de Berlin , & de
la Société Royale de Londres , eft mort le 8.
* Le 16 Juillet,vers les fix heures du foir , mourut
de les bleffures à Soeft, Louis - Ferdinand Jofeph
de Croy , Duc d'Havré & de Croy , Prince
du Saint-Empire , Grand d'Efpagne de la premiere
Claffe , Lieutenant- Général des Armées du
Roi , Gouverneur de Scheleftat . Il fut nommé
Colonel- Lieutenant du Régiment de la Couronne
en 1735. Brigadier en 1743. Maréchal de Camp
en 1745. Lieutenant - Général en 1748. Il fur
bleffé dangereufement à la Bataille de Fontenois
à celle de Laufeldt il eut un cheval tué fous lui ,
un autre bleffé . Il a toujours fervi avec le plus
grand défintéreſſement & la valeur la plus décidée.
Il laiffe de Marie- Cunégonde de Montmorency-
Luxembourg , foeur de M. le Prince de
Tingri , fupérieur par fes vertus à la haute naiffance
, un fils qui donne les plus grandes efpérances
, & quatre filles , dont une Religieufe à la
Vifitation à Paris , deux autres mariées , l'une
au Comte de Rougé , Colonel du Régiment de
fon nom ; l'autre au Marquis de Verac- Saint-
Georges , qui a été bleffé du même boulet qui a
emporté le bras de fon beau- père ; la derniere
de fes filles en bas âge eſt Penſionnaire au Cou¬
vent de la Vilitation .
Le père de M. le Duc d'Havré eſt le premier
Cet Article devoit être inféré dans le dernier Mercure
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
de fa Maiſon qui fe foit établi en France au commencement
du régne de Louis XV. Il avoit fervi
en Espagne à la tête du Régiment des Gardes-
Valonnes. Son frère aîné , qui le commandoit
avant lui , fut tué à la bataille de Saragoffe. On
connoît encore plus le luftre de cette Maiſon que
fon origine , qui remonte dans les fiecles les plus
reculés. Elle a des alliances réitérées avec les Maifons
de Bourbon , de Hongrie & de Lorraine.
M. le Comte de Priego fon frère , Grand d'Elpagnepareillement
, après avoir fervi en France à la
tête du Régiment de Berry , Cavalerie , s'eft attaché
à la Couronne d'Eſpagne , & y eft Colonel des
Gardes-Vallonnes . Le même coup de canon qui
emporta le bras du Duc d'Havré avoit caffé la
cuiffe de M. Pierre -François de Rougé , Marquis
de Rougé , Lieutenant - Général & Gouverneur de
Gineft. Il avoit été Colonel de Vivarais en 1738 ,
de Vermandois en 1743 , il fut fait Brigadier en
17452 Maréchal de Campen 1748. Il laiffe de fon
mariage avec N... de Coëtmen, fille du Marquis de
Coëtmen , Maréchal de Camp & de N ... de
Goyon de Vaudurant deux garçons & deux filles
en bas âge. Il étoit l'aîné de fa maifon ; elle eft
originaire de Bretagne , & dès le onzième fiécle
elle y avoit de très- grandes terres poffédées aujourd'hui
par S.A. S. M. le Prince de Condé
c'étoit un Officier de grande diftinction . Il laiffe
un neveu Colonel d'un Régiment de fon nom &
qui marche dignement fur les traces de fon onele.
On a remarqué qu'en moins d'un fiécle , fix
de cette même maifon ont eu fix Régimens , à la
tête defquels ils ont été tués.
M.le Marquis de Rougé eft mort de les bleffures
, le 17 Juillet au matin.
OCTOBRE. 1761 . 221
SUPPLÉMENT à l'Article des Arts.
CHYMI E.
LETTRE , à l'Auteur du MERCURE.
MONSIEUR ,
Vous avez inféré dans le Mercure du
mois dernier une Lettre de M. Quévanne,
Effayeur Général des Monnoies ; puis- je
me flatter que celle- ci trouvera place dans
celui que vous allez publier ?
Je ne fuis point le défenfeur de l'Anonyme
qui a réfuté le Mémoire de M. Quévanne
fur les Effais des matiéres d'or & d'argent.
Eft- ce un Auteur obfcur ? eft- il de mauvaiſe
foi ? fon Ecrit eft-il un libelle ? Je ne
le crois pas. J'ignore même avec le Public
quels font les griefs qu'on veut lui imputer
; mais je ne puis me difpenfer de foutenir
la certitude des principesqu'il établit
dans fa réponſe ; je les ai adoptés , ces
principes , ils font fondés fur l'expérience ;
je les défendrai;& tant que M. Quévanne
n'y oppofera que des mots & des plaintes
amères , tant qu'il ne les combattra pas
avec des armes victorieufes , la plus faine
partie de mes Confrères , le Bureau de
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
l'Qrfévrerie de Paris,&moi inviolablement
attachés aux anciennes régles , condamnerons
hautement fon feu , fes coupelles ,
& fa nouvelle façon d'opérer.
M. Quévanne eft furpris qu'on ait ofé
lui répondre ; moi je fuis fort étonné qu'il
ofe s'avouer l'Auteur d'un Mémoire qui
n'auroit jamais dû voir le jour . Quand l'amour
du bien public nous guide , & nous
met la plume à la main , ce fentiment
d'accord avec la décence & l'honnêteté ,
nous prefcrit des bornes dont il n'eft jamais
permis de s'écarter . Si M. Quévanne
l'eût écouté , il n'auroit hazardé aucun fait
injurieux ; il n'auroit pas cherché à obfcurcir
la réputation de deux perſonnes
(fon oncle & mon père ) dont il devoit
reſpecter la mémoire , & confervant pour
ceux de fes Confrères qui ne fuivent pas
fa méthode , tous les égards & les ménagemens
dûs en pareil cas , il ne les auroit
pas gratuitement & mal à- propos
traité de gens entêtés de faux préjugés qui
travaillent fans principes & par routine.
J'ai l'honneur d'être &c.
RACLE , Effayeur particulier de
la Monnoie de Paris.
A Paris , ce 6 Septembre 1761.
OCTOBRE. 1761. 223
EVENEMENS SINGULIERS.
RUSSIE.
De Pétersbourg , le 4 Août 1761 .
On effuya encore ici , le 15 du mois dernier
deux nouveaux incendies. Dans le quartier de Wafilei-
Oftroff , le tonnerre tomba fur l'Eglife de S.
André, & à peine- refte- t- il actuellement quelques
veftiges de cet Edifice. La plupart des Maifons
voilines ont été auffi réduites en cendres. Le fecond
incendie a été caufé par une barque chargée d'huile
à laquelle le feu a pris. Une partie du Village de
Welogda- Jemskoy , fitué près de Petersbourg , fur
confumé le même jour par les flâmes,
ESPAGNE.
De Madrid, le 25 Aout.
-
Selon les nouvelles de l'Ile Tercere , la Mer
dans tout le tour de cette Ifle s'éleva , le 31 Mars
dernier , à une très grande hauteur , & quelques
minutes après , reprit fon niveau or finaire . Dans
l'intervalle de trois heures , elle monta & bailla
ainfi plufieurs fois , fucceffivement . Le 14 Avril , if
y eut trois légéres fecouffes de tremblemens de
terre. Le is , on en éfluya une très -violente , & le
17 , deux encore plus terribles. Une épaille fumée
parut le 18 à trois lieues Nord - Ouelt - d'Angra.,
Pendant trois jours , on entendit des bruits fouterrains
, femblables à des coups de tonnerre , Le 20 , -
la terre s'entr'ouvrit , & il de forma trois volcans ,
d'où fortirent autant de torrens de matière fulphureuſe
& enflâmée. Le premier parcourut un efpace
de deux lieues , & réduifit en cendres prèfque tous
le Village de Bifcouros. Les deux autres allérent
fejetter dans la Mer.
224 MERCURE DE FRANCE.
FRANCE .
De Paris , le 29 Août.
La nuit du 4 aus , dans le Village de Ville -fur-
Arc, près de Bar-fur-Seine, quarante- cinq Maiſons
furent confumées par les flâmes. Des bottes de
chanvre , auxquelles le feu a pris pendant que les
Habitans étoient dans leur premier fommeil , ont
été la caufe de ce malheur. Un Père de famille
chargé de fept enfans , une petite fille de dix ans ,
une de cinq , ont péri dans cet incendie , ainfi que
deux cent beftiaux , & une grande quantité de
ruches. Toute la Moiffon de 1761 & les vins de
plufieurs récoltes , ont été perdus , & les habitans
au moment de profiter d'une année abondante ,
Le voyent réduits à la plus affreufe mifère .
AVIS DIVERS.
PLUSIEURS perfonnes difireroient favoir l'adreſſe
du fieur Rouffel , annoncé dans le fecond Volu- ,
me du Mercure de Juillet , comme Inventeur &
Diſtributeur d'une Pommade pour les maux de
gorge , rhumatifmes , gouttes , &c. Il eft prié de
l'envoyer à l'Auteur du Mercure.
Le fieur SAVOYE , Valet-de-chambre de M. le
Bailly de Fleuri , donne avis au Public , qu'il vient
de recevoir de la Fleur d'Orange de Malthe faite
cette année . Il vend la bouteille de pinte 6 liv . il
demeure chez M. le Bailly de Fleury , rue de la
Ville-l'Evêque , Fauxbourg S. Honoré au N ° . 9.
Le fieur ONFROY , Diſtillateur du Roi tenant le
grand Caffé à la deſcente de la Place du Pont S.
Michel à Paris , appliqué depuis bien des années
à perfectionner les Liqueurs de Table, eſt parveOCTOBRE.
1761. 225
nu par fes travaux à les dépouiller de tout ce qui
pouvoit les rendre nuifibles . L'étude conftante
qu'il a faite des qualités des Végétaux dont les
diverfes propriétés lui font bien connues , l'a conduit
à ne rien employer dans la compofition de ces
Liqueurs de table que les aromates , les fleurs ,
les fruits , les femences & les racines , ayant reconnu
que tout ce qui eft gomme ou même réfine
& certaines éllences de fruits peuvent altérer
la fanté. Les Liqueurs de table en général doivent
être regardées comme des digeftifs ou des
cordiaux , & cette confidération feule fuffit pour
en régler l'ufage. C'est d'après ces principes que
le fieur Onfroy a porté les Liqueurs qu'il compofe
à ce degré de perfection qui lui a mérité le
Brevet de Diftillateur du Roi & l'honneur d'être
chargé de fes fournitures. Le prix de fes Liqueurs
de la premiere forte eft de 6 liv. & de la feconde
forte de 3 liv. f. la bouteille de pinte meſure
de Paris.
S
On trouve encore chez le fieur Onfroy une Liqueur
fpiritueuse pour les dents , dont le premier
effet eft d'appailer fur le champ & fans retour les
plus vives douleurs ; elle eft regardée aujourd'hui
comme le topique le plus fûr pour calmer &
diffiper promptement ces fortes de maux ; elle
eft encore fpécifique pour tous les accidens de
la bouche , fans en excepter le fcorbut , contre
lequel on l'employe avec fuccès. Eile eft de plus
fort agréable au goût ; enfin elle conferve la blancheur
des dents fans jamais en altérer l'émail, raffermit
les gencives & leur rend leur coloris naturel
. Le prix eft toujours le même , c'eſt-à - dire ,
3 liv. la bouteille & 30 f. la demie bouteille .
L'accueilfait par le Public au nouveau Chocolat
travaillé à lafaçon de Rome fondant comme da
beure que le fieur Onfroy diftribue depuis quelque
temps , n'a fait que redoubler fon attention
226 MERCURE DE FRANCE.
& fes foins pour fe conferver la confiance ; les
prix en font fixés pour toujours . Le Chocolat
pour l'office à so f. & celui de fanté à 3 liv. le
Chocolat à une vanille vaut 4 liv. à une vanille
& demies liv . à deux vanilles 6 liv . & à trois vanilles
7 liv. Le tout la livre poids de 16 onces ; il
y en a une feptiéme forte en/Paftilles pour manger
à fec, qui eft d'un goût & d'une odeur admirable
; il fe vend 8 liv. la livre , & fe diftribue par paquets
de deux onces & de quatre onces .
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monſeigneur le Chancelier, ΑΙ
le Mercure du premier volume d'Octobre 1761 ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion. A Paris , ce 30 Septembre 1761.
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES,
PIÉCES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
O
ARTICLE PREMIER.
DE à Mercure. Page s
7
IF
LES Amours d'Armide & de Renaud , imités
du Taffe , par Madame Champion.
A Madame M..... L'Amour vengé , Cantate.
LE Moucheron de l'Hipanis , Fable allégorique.
LE Peintre complaifant , Epigramme.
MEDIUS , Anecdote moderne .
VERS fur l'Année Séculaire de la Fondation
du College Mazarin &c.
VERS préfentés par Mlle Pinet de Tronfin ,
13
17
18
47
OCTOBRE. 1761. 227
à M. fon frère.
VERS adreſſés à M. l'Abbé S... par M. D.
C. D. N.
LE Merle , Fable.
RÉPONSE à M. De la Place , fur la queſtion
propofće dans le Mercure de Juillet , à
l'occafion de l'Officier Union & du Soldat
Valentin.
RONDEAU à ***
-Dialogue &c.
pour s'excufer de faire un
EPITRE à Madame Denys , par un Académicien
des Arcades.
EPITRE à Mlle Corneille.
VERS pour être mis au bas du Portrait de
M. Titon du Tillet.
RÉFLEXION .
IMITATION de la XV . Ode du III. Livre
d'Horace .
49
So
52
54
58
59
6I
64
ibid.
65
66
67 &68
69 &70
70
MADRIGAL fait par un petit Chien , fur les
Fables de M. l'Abbé Aubert .
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ÉLOGE de René Duguay- Trouin , par M.
Thomas & c.
PIECES fugitives de M. de Voltaire , de M.
Desmahis & de quelques autres Auteurs ,
& c .
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
ANNONCES des Livres nouveaux.
71
84
91
97 &fuiv
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES ,
ACADÉMIE S.
PRIX de Poëfie , pour l'Année 1762 .
PRIX proposé par l'Académie des Sciences ,
113
228 MERCURE DE FRANCE.
Belles - Lettres , & Arts de Lyon , pour
l'Aunée 1763 .
PROGRAMME de l'Académie Royale des
Sciences de Bordeaux .
SUJETS proposés par l'Académie Royale
des Sciences & Beaux- Arts , établie à
Pau .
DISSERTATION Hiftorique & Critique du
Grand- Piêtre Aaron . Par M. de Boify.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
EXPLICATION des Peintures , Sculptures &
Gravures de MM. de l'Aca fémie Royale ,
expolées dans le Sailon du Louvre , pour
l'Année 1761.
SUPPLEMENT à l'Article des Beaux-Arts.
ART. V. SPECTACLES.
112
115
121
122
14.8
175
MUSIQUE. 174
GRAVURE.
ibid.
OPERA.
175
COMÉDIE Françoiſe. 199
COMÉDIE Italienne. 191
OPERA COMIQUE.
193
CONCERT Spirituel .
196
ART. VI . Nouvelles Politiques. 197
MORTS. 217
CHYMIE.
SUPPLEMENT à l'Article des Arts. 221
223
AVIS DIVERS . 224 &fuiv.
EVENEMENS finguliers,
ERRAT A.
An Mercure précédent , dans la Lettre de M. le Maître
M. Keyfer , page 170. lig . 23. il y a troifiéme mois
il faut treizième mois.
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY,
rae & vis-à-vis la Comédie Françoile.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
OCTOBRE . 1761 .
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
Cochin
Silius inv
Persillon Sculp
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis a vis la Comédie Françoiſe.
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE, rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salie du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi,
710391 150
Auf toilla?
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
ait Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer ;
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie littéraire
, à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piece.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire veuir , ou qui prendront lesfrais
i port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
par volume , c'est-à-dire 24 livres d'avance
, en s'abonnant pourfeize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure , écriront à l'adreſſe cideffinus.
"On fupplie les perfonnes des provin
ces d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affran
chis , refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
, d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , le trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font les
mêmes pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE . 1761 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS fur l'Expofition des Tableaux
au Sallon du Louvre en 1761..
QUEL VEL fpectacle pompeux vient frapper nos regards
!
Quel triomphe eft offert à la docte Peinture !
Cent chef-d'oeuvres divers avec éclat épars ,
De lauriers immortels couronnent la Nature ,
Et femblent réunis pour la gloire des Arts.
II. Vol
A iij
1
16 MERCURE DE FRANCE .
Louis s'offre à mes yeux , Dieux ! quelle main
hardie
Transporte à l'avenir le Portrait de mon Roi
* Vanlo , cette heureuſe faillie ,
Ce fuccès étonnant qui n'étoit dû qu'à toi ,
Immortalife ton génie.
Ce n'étoit pas affez que le plus tendre amour
Dans le fond de nos coeurs eût gravé (on image ,
Il falloit expofer au jour
Un Monument qui fçût en être enfin le gage.
Séduit par cent morceaux rares & précieux
Dont le choix prèſqu'inestimable ,
Forme dans ce Palais un coup d'oeil admirables
Sur la Tour , fur Roflin on arrête les yeux :
2.
Ces Rigauds de nos jours , nés pour peindre les
Dieux ,
Triomphent , occupent la Scène;
Et rivaux fans diſſenfion ,
C'eſt à qui dans la route où la gloire les méne ,
Atteindra la perfection.
** Un fublime talent me rappelle à moi- même :
Admirons ! c'est ici qu'avec un goût extrême
Les Arts ont rapproché leurs chefs - d'oeuvres fçavans
;
*** Vanlo, Dumont , Reflout , Boucher , Peintres
d'Hiftoire ,
* Premier Peintre du Roi d'Espagne.
**
L'Hiftoire.
*** Carle Van-loo , célébre Peintred'Hiftoire.
OCTOBRE . 176 !. 7
Dont les noms ne fçauroient paffer qu'avec les
temps ,
S'éfforcent à l'envi d'obtenir la victoire.
Pierre dont le génie en tous lieux eft vanté ,
Marche d'un pas égal à l'Immortalité.
Le Dieu qui préfide au Parnaffe ,
Content de leurs fréquens fuccès ,
Près des Coypels , des Jouvenets
A déja défigné leur place.
+
En dépit de leurs Envieux ,
Je les vois couronnés par les mains de la Gloire.
Ainfi l'Artiſte vertueux
Verra de fon vivant refpecter fa mémoire.
Qu'apperçois -je ! ô prodige ! ô moment fortuné !
La Sculpture eft portée à ſon plus haut degré.
Lemoyne , Falconet , Vaffé , Mignot , Pigale ,
Nous l'offrent aujourd'hui dans toute fa vigueur }
Et l'Antiquité leur rivale
Reprend fous leur cifeau fa première fplendeur.
Parcourons ce charmant afyle.
Ici , plus d'une main habile
Prend , pour ſe diftinguer , des chemins différens.
II eft de ces heureux talens ,
Dont les yeux enchantés chériffent l'impofture.
Cochin , Cars, & le Bas, par leur préciſion ,
Du fage Connoiffeur , font l'admiration :
Vernet , Chardin , Machy , rivaux de la Nature ,
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Nous la préfentent dans fon beau:
Païfages , Animaux , Figure , Architecture ,
Tout s'anime fous leur pinceau .
D'une nature fimple , imitateur févére ,
Greufe fait dans un goût nouveau ,
Saifir l'art de furprendre , & le fecret de plaire.
Pour rendre à l'avenir les faits les plus brillans.
Et confacrer ton augufte mémoire ,
Dit , à Louis , la Mufe de l'Hiftoire ,
Minerve a fçu former ces hommes excellens 3
Ils vont me feconder dans un fi noble Ouvrages
Tandis que j'écrirai tes exploits glorieux ,
Leur fublime crayon en tracera l'image ;
J'enchanterai les coeurs , ils charmeront les yeux.
BAILLY , Garde des Tableaux du Roi..
EPITRE
PA
à M. D. L. G.....
>
A R les ennuis mon âme anéantie ,
Depuis long- temps plioit fous leur fardeau ;
Je fommeillois , quand ta lettre polie
M'a réveillé du fond de mon tombeau :
Le jour m'a lui ; mon âme à ta lumiere
A rallumé les feux de fon flambeau ;
De tes accens le baume falutaire
A déridéma face atrabilaire ,
Et fait en moi naître un homme nouveau.
OCTOBRE. 1761.
Oui ,je viendrai jouir de ta préſence ;
A ton afpect s'éclipfent les ennuis ;
Ton être aimable & pétri par les ris
Dégourdira ma pefante èxiftence ,
Et m'enſeignant à retrouver mon coeur,
Tu deviendras mon premier Bienfaiteur :
Ta main de fleurs fçait parer la fageffe ;
Du front glacé de l'auftère Raifon 3...
Chez toi l'efprit adoucit la rudeffe ,
Et fçait unir Epicure à Platon.
Sage Amateur d'une active pareſſe
Environné des myrtes du Printemps ,
Du doux plaifir la coupe enchantereffe ,
Entre Apollon , Bacchus , & ta maîtreffe
Sur tes beaux jours verfe l'oubli du temps.
[1
Dans ces climats, retraite fortunée ,
Où la fanté de roles couronnée ,
Serpente & filtre entre des minéraux
Dont le plaifir a creuſé les canaux ;
D'objets riants ton âme environnée ,
Libre de foins , voit s'écouler les ans
Comme je vois s'écouler les journées.
Loin des bavards & des triffes plaifants ,
Des Honnefta , bégueules décharnées ,
Des Fats titrés & des Lourds importants ,
La volupté file tes deſtinées :
1
La volupté ce bien fi paffager , Inne' O
Banni des Cours , à Paris Etranger t 1
Ayv
10 MERCURE
DE FRANCE.
Cet être pur que notre mal- adreſſe
Laiffe échapper , en croyant le faifir ,
Que par la main doit tenir la Sageffe;
Non , ce fantôme appellé le Plaifir ,
Cet art groffier nommé l'art de jouir ,
Avorton né des flancs de la licence ,
Quifans pudeur infultant la décence
En l'aiguifant , émouſſe le defir :
Mais ce bienfait , ce tréfor falutaire
Sorti des Cieux pour confoler la Terre ;
Que la vertu.careſſe fans rougir ; f
Que pofféda dans la longue carrière
Le bon Chaulieu jufqu'au dernier foupir ;
Que chaque Peuple invoque à la manière ;
Dont chacun parle , & que tu fçais fentir.
Loin du fracas de cette ville immenſe ,
Où fur des chars décorés par Martin
Le fombre Ennui proméne l'Indolence:
Sur des côteaux , le Télescope en main ,
En contemplant les différentes chaînes
Qui des Mortels conduisent le deftin ,
Leurs faux plaifirs , leurs véritables peines↓
Moins infenfé que le Sage d'Athènes ,
Sans le hair , tu ris du genre-humain.
Turis tout bas de ces cercles frivoles
Du froid jargon infipides Ecoles
Triftes réduits , bureaux d'oifveté , love!
Où l'ennui regne avec la bienséance fo
Et la tüftelle avec la dignités
OCTOBRE. 1751. ་ ་
Od de l'efprit le coeur fuivant le Code ,
Plaifant par art , & joyeux par méthode ,
Compas en main , ne rit point d'après foi.
Ton oeil laffé de parcourir ces plages
Avec plaifir revient fur tes rivages ,
Où l'âme eft gaie & rit de bonne foi ,
Où le coeur parle & rit fur le vifage.
Ainfi de tout fachant tirer uſage ,
Tout prend une âme & fourit à tes yeux ;
De ton plaifir tout devient le partage.
Tout s'embellit pour les Mortels heureux !
O daigne un jour, abandonnant les Cieux,
De ton bonheur parer mon hermitage !
Il fut un temps où les ris & les jeux
Ont habité dans mon réduit fauvage.
Ils reviendront ces jours délicieux ;
Ton amitié m'en eſt le fûr préfage.
Il reviendra ce bon temps de Chaulieu
Dont mes chansons ont célébré l'Orgie.
O le bon temps , où l'hyver près du feu ,
Des mets fans art & fans cérémonie
La Volupté préparoit l'Ambroifie !
Ces courts feftins par l'ufage apprêtés ,
Des vains cristaux le frivole étalage ,
Des buveurs d'eau , le très-fufpect uſage ,
Dans ce bon temps n'étoient point inventés.
Les conviés paffoient la nuit à table
En devifant d'ingénieux propos ,
A vj
12 MERCURE DE FRANCE
Et fur la fin d'un repas agréable ,
D'un vin d'Aï la féve delectable
D'un fel plus vif aiguifoit leurs bons mots.
Cet heureux Temps créé pour les feuls Sages,
Il renaîtra quand tu viendras me voir :...
La Volupté qui rit fous tes ombrages
Suivra tes pas pour orner mon manoir.
Là , nous verrons , à l'abri des orages ,
Luire un beau jour couronné d'un beau foir;
Là, ranimé par ton exemple aimable ,
Nous bannirons l'inutile chagrin ;
Nous proferirons la Sageffe intraitable -
De ces Docteurs boureaux du genre humain,
Qui nous rendant la vertu haiſſable ,
Avant de vivre , enſeignent à mourir ,
Font fuir les ris , & font peur au plaifir.
Laiffons crier leur foule atrabilaire
Contre ce fexe ornement de la Terres
Il est notre âme , il embellir nos moeurs ;
Sur notre vie il répand la lumiere , ‹-
Nous lui devons juſques à nos vertus,
Et fes défauts font des grâces de plus..
Si la beauté , de carmin embellie ,
Sçait mettre en oeuvre avec dextérité 6
Tous les refforts de la coquetterie ; -
Si fur un front de pommade empâté
Bifarrement un pompon eft plantés
OCTOBRE. 1761
Et fi ce fexe , aimable en fa folie ,
Mêle fouvent avec légéreté
Le fentiment à la frivolité ;
Rufes , vapeurs , caprice , étourderie ,
Tout eft pour nous , juſqu'à ſa vanité.
De ces défauts dont la caufe eft fi chère
Pourquoi nous plaindre ? ils tendent à nous
plaire ;
Et pourrions-nous, injuftes délateurs ,
De nos plaifirs imbécilles Cenfeurs ,
Blâmer l'effet dont nous aimons la caufe >
Ami , pour moi jufqu'aux derniers inftans
Où s'éteindra le flambeau de mes fens,
Où le Deſtin qui des Mortels diſpoſe ,,
Embarquera pour le fombre féjour
Entre deux ais mon éxiſtence cloſe ,
A la beauté je veux faire ma cour,
Et veux jouir juſqu'à mon dernier jour.
Le verre en main je veux braver la Parque
Et traverſer gaîment la trifte barque
Entre les Jeux , & Bacchus , & l'Amour.
Laiffons gronder le ſtupide vulgaire ,
Coloffe épais , machine circulaire ,
Deffus fon axe automate tournant :
Le doux plaifir eft fait pour qui le ſent.
Laiffons paffer au vorace Marchand ,^
A calculer les heures fortunées ;
Pour nous , ami , triplons les deſtinées
4
MERCURE DE FRANCE.
Et quadruplons la vie , en l'abrégeant.
Jouillons vite ; à quoi fert la vieilleffe?
On eft bavard , ſtupide , dégoutant :
En l'enviant , on blâme la jeuneffe ;
Tout le bon fens ne vaut pas fes plaiſirs ,
Ni la Raifon fon heureufe imprudence.
Dans l'âge heureux où les tendres zéphirs
Sur nos beaux jours verfent leur influence ,
Tout eft bonheur & devient jouiſſance :
La vétufté n'a que de froids foupirs.
Chez elle on voit la peſante habitude ,
La courte joie & les longs repentirs
Et l'amour- propre , & la follicitude ,"
Et les regrets , enfans des vains defirs.
Vivre , c'eſt l'art d'employer cette vie ;
Tous les humains vivent le même temps :
C'est un hyver à celui qui s'ennuye ;
A qui jouit , elle n'eft qu'un printemps.
GUERINEAU de S. Péravi.
TRADUCTION des Vers Anglois
de M. PRIOR, qu'il a intitulés :
Imitation d'ANACRÉON
L. A. L. B.
ESPRITS
› par M
SPRITS dangereux & cauftiques ,
Qui penſez faire à tous la loi ,
OCTOBRE. 1761. 35
Je ris de vos traits fatyriques;
Ils ne peuvent rien contre moi.
Je ne chante que la Jeunelle ,
Et les Plaifirs , & la Beauté .
Puiffent mes chants avoir fans ceffe
Les Grâces de la Nouveauté.
S'ils font répétés par les Belles ,
Je fuis vengé de tes mépris;
Trifte Cenfeur , ce n'eſt
Que j'en veux recevoir le prix.
que d'elles
Quel que foit le feu qui m'inſpire ,
Aux Mules je fais peu ma cour ;
C'eft Vénus qui monte ma lyre ,
Et qui me fait chanter l'Amour.
L'éclat d'une illuftre mémoire
N'eft point l'objet de mes defirs :
Aux attraits d'une vaine gloire
Je préfère ceux des plaifirs.
Apollon jamais je change,
Epris pour une autre Daphné ;
Moi- même à ton deftin étrange
Puillai-je me voir condamné !
Puiffai-je, contre mon attente ,
Victime d'un orgueil groffier,
Manquer la Nymphe qui m'enchante,
Pour n'embraffer qu'un vain laurier!
16 MERCURE DE FRANCE.
MÉDIUS ,
ANECDOTE MODERNE..
Ne quid nimis..
SECONDE PARTIE..
MEDIUS alla defcendre à Paris chez
fon Colonel , où il fe lia avec le Chevalier
d'Orval , neveu de ce Seigneur. Notre
héros eut befoin de tout fon amour ,.
pour fe gouverner comme il fit dans les
parties de débauches où il fe trouva engagé
, & où il fçut concilier les égards
qu'il devoit à fes camarades , & la fageffe
qu'il fe devoit à foi-même. Mais il éprouva
à fes dépens, que la feule pratique des
hommes peut nous apprendre à nous bien
conduire avec les hommes . Les exemples
des vices & des ridicules deviennent
des armes fûres dans des mains exercées
à s'en fervir ; tandis que la fimple théorie
des vertus nous laiffe expofés tout à
découvert aux traits de la malignité. Médius
crut qu'un für moyen de fe délivrer
des féductions du Chevalier , ce feroit de
lui découvrir la paffion qui rempliffoit
OCTOBRE. 1761. 17
fon coeur. Il lui raconta donc l'hiftoire
entiere de les amours , appuyant fur la
beauté , plus encore fur le mérite de fa
maîtreffe , & ne cachant pas même la
ferme réfolution où il étoit d'époufer . Il ne
doutoit pas que par cet aveu il ne convainquît
le Chevalier qu'une amante auffi parfaite
méritoit une fidélité fans partage ;
mais il ne fit que s'attirer pour le moment
les railleries les plus amères, & fe préparer
pour le Régiment une fource inépuifable
de chagrins & de querelles. Mais il eft
temps de le tranfporter au Camp.
Préfenté par le Colonel comme fon
parent , & recommandé par la plus heureufe
phyfionomie , Médius fut accueilli
généralement , & ne tarda pas à s'atta
cher les coeurs. Il fe fit furtout un capi
tal de fon devoir . Sa modeftie & fa docilité
lui acquirent l'eftime des Officiers
les plus fages ; & l'humanité de fon âmet
manifeftée par des effets éclatans , lui gagna
invinciblement tous les Soldats . Let
feul Chevalier d'Orval , déja indifpolé
contre lui par la difparate de leurs goûts ,
fut encore envenimé par les éloges qu'il
en entendoit faire aux Anciens , & furtout
par les comparaifons toujours à fon
défavantage que fon oncle établiffoit en--
tre eux deux. Il fe mit donc à cabaler
48 MERCURE DE FRANCE.
contre lui ; & en tournant en ridicule
l'innocence de fes moeurs , il l'expofa aux
railleries de tous les Etourdis du Corps .
Un nouveau fujet acheva d'indifpofer
contre lui cette Jeuneffe . Quand le Régiment
marchoit , Médius inftruit par de
bonnes lectures , & plus encore par fon
propre coeur des devoirs d'unOfficier compâtiffant,
donnoit fon cheval à un valet , &
alloit toujours à pied,même par la pluye &
dans les mauvais chemins , à la tête des
Soldats qui le béniffoient : car ils ne fentent
plus leur mifère , dès qu'ils voyent
leurs Chefs la partager. Le Colonel qui
s'en apperçut loua Médius , fans pourtant
blâmer perfonne , parce que l'abus
étoit trop général pour pouvoir être reproché
à perfonne en particulier. Auffi
Médius avoit-il la précaution de s'excufer
vis- à-vis de fes camarades , en difant
qu'il étoit accoutumé à marcher à pied ,
qu'il le faifoit par goût , & que cela ne
lui coûtoit rien. Mais ceux - ci , pour la
plupart choqués d'un exemple qu'ils ne
vouloient pas fuivre , attribuoient cette
conduite à une envie démesurée de fe
diftinguer à leurs dépens . Enfin d'Orval
déterminé à lui chercher querelle ; un
jour qu'ils alloient de compagnie au quartier
général , & qu'ils étoient tous deux
OCTOBRE . 1761. 19
à cheval , lui dit brufquement qu'il avoit
raifon d'aimer la Soldatefque , ne méritant
pas de fervir fous un autre titre : il
finit par le traiter de bourgeois , digne
en effet d'époufer une Payfanne ; & fans
attendre la réponse de Médius , il faifit
auffitôt un piftolet. Médius , qui n'en
avoit pas , le lui dit froidement , & lui
propofa de mettre l'épée à la main . D'Orval,
fans defcendre , fans même répondre
, lui tendit un de fes piftolets , & prit
du champ. D'Orval , plus animé , tire le
premier , & manque. Médius fond fur
lui ; & à l'inftant que le Chevalier attend
la mort avec fermeté , notre héros lâche
fon coup en l'air , & fe préfente l'épée à
la main. Le Chevalier trop hors de luimême
pour réfléchir fur ce que méritoit
la générofité de fon Adverfaire , deſcend
& l'attaque : ils fe battent avec la plus
grande animofité. Le combat fembloit
inégal d'Orval : avoit paffé deux ans à
l'Académie ; Médius n'avoit jamais tenu
un fleuret ; cependant fon courage & fon
fang- froid fuppléoient à ce qui lui manquoit
du côté de l'expérience. Le hazard
voulut que le pied gliffât au Chevalier ,
qui tomba fi malheureufement , qu'un
tronçon de fon épée fracaffée lui entra
dans la cuiffe ; Médius jetta la fienne par
20 MERCURE DE FRANCE.
terre , & s'offrir à fon ennemi pour le fe
courir. Dans le moment furvinrent deux
Officiers , qui ayant vu de loin tout ce
qui s'étoit paffé , étoient accourus pour
féparer les combattans : ils exaltoient la
nobleffe du procédé de Médius , & blåmoient
fon rival de ne s'y être pas rendu
. Celui- ci les pria tous de ne pas divulguer
un combat qui lui étoit fi défavantageux.
Médius le lui promit ; les
deux Officiers ne dirent mot , & fe retirérent
après avoir panfé légèrement le
bleffé , & l'avoir remis en felle ; Médius
le reconduifit à fa tente ; & il n'eft proteftation
d'amitié que d'Orval ne lui prodiguât
en ce moment , fous condition de
ne faire paffer fa bleffure que pour la
fuite malheureuſe d'une chûte de cheval .
Médius lui en donna fa parole , & la lui
tint fcrupuleufement .
Cependant les Officiers témoins du
combat ne furent pas fi exacts à garder
le filence . Le Colonel qui fut inftruit des
premiers, redoubla d'eftime & d'affection
pour notre héros . Il fit venir les deux
Adverfaires , & exigea qu'ils s'embraffaffent.
Mais d'Orval intérieurement convaincu
d'avoir été trahi & même défferpar
Médius auprès de ſon oncle , ne fe
vit pas plutôt rétabli , qu'il lui envoya
un nouveau cartel.
vi
OCTOBRE. 1761. 21
Notre héros fe vit dans le dernier embarras.
Son devoir lui défendoit d'accepter
le duel ; l'honneur ſembloit lui impofer
une loi toute contraire. Après y avoir
murement réfléchi , il crut devoir facrifier
ce phantôme d'honneur à la vertu &
à la Religion , & fit tenir ce billet à
d'Orval.
" Je crois , Monfieur , vous avoir affez
» prouvé mon courage , pour qu'il ne
vous foit plus permis d'en douter . Je
» ne fais quel nouveau fujet peut vous
» porter à vouloir ma mort ; je puis ce-
» pendant vous jurer que ce qui a éclaté
»de votre fecret ne peut m'être imputé. Si
vous voulez abfolument que nous nous
» battions de nouveau , je ne me cacherai
» pas ; cherchez- moi , attaquez moi , je
tâcherai de me défendre. Mais je ne
puis accepter un duel : ma Religion &
» mon Roi me l'interdifent également.
MÉDIUS.
Le Chevalier fit part de cette Lettre à
quelques Étourdis , à qui il efpéroit donner
de mauvaiſes impreffions du courage
de Médius ; mais la plupart de ceux à
qui il la montra la trouvérent fi fage ,
qu'ils lui confeillerent de la brûler , & de
renoncer à toute idée de vengeance con22
MERCURE DE FRANCE.
tre un brave homme à qui il devoit la vie.
D'Orval feignit d'adopter cet avis , &
n'en conferva pas moins tout fon reffentiment
contre Médius.
Celui-ci fe fentit pour le Chevalier plus
de pitié que d'indignation . Il ne regardoir
fes écarts que comme la fuite néceſſaire
de l'éducation de la plupart des gens de
condition , pour qui les Maîtres mêmes
deviennent des flatteurs , qui croyant élever
leurs âmes , déja trop fuperbes d'ellesmêmes
, ne les entretiennent que des
avantages de leur naiffance , & de leur
fupériorité fur les autres hommes. » Hélas !
"
( s'écrioit- il ) ſans mon digne oncle, fans
» les fages inftructions que je luidois
» j'aurois été de même abandonné à tou-
» tes les femences de corruption qui ba-
>> lancent en nous les principes naturels
» de bonté!
Tant de vertu fut récompenfée par
une Lettre de fon oncle , qui lui annonçoit
une révolution dans la fortune de fa
Maîtreffe. Cette foeur de fa bienfaictrice ,
établie à Marseille , venoit de perdre fon
mari ; & libre de fuivre fon penchant &
les intentions d'une foeur chérie , elle
affuroit à Colette une rente viagère , & un
afyle agréable dans fa maiſon. Arifte avoit
joint au paquet ce billet , de la main de
Colette même :
OCTOBRE . 1761 . 23
»
"
Je fuis enfin tirée des horreurs de la
pauvreté. Le Ciel foit loué ! il fait beau-
» coup pour une infortunée , qui ne mé-
» rite pas une parfaite félicité. Je vous
» rends votre foi , & je vous invite à m'ou-
» blier : je dois le fouhaiter.... je le fouhaite
: fongez à vous conferver.... Non ,
» ne fongez qu'à la gloire ! Elevez - vous fi
» haut , qu'il ne vous foit plus permis à
» vous-même de penſer à moi , finon pour
» m'honorer de votre eftime. C'eft tout
» ce que doit attendre de vous la malheu
» reufe Colette .
Eh non ! s'écria Médius en pleurs ,
non il n'eft pas poffible de foupçonner
ton grand coeur du moindre artifice ; ce
n'eft point ici le fard de la vertu ; c'eſt la
générofité la plus pure qui infpire ta belle
âme ! Colette indigne de moi ! peut- elle
le croire ? Ah , fi je ceffois de t'aimer , ne
ferois-je pas le plus lâche des hommes ?
Le fon de la générale le rappella de
cette ſenſation douloureuſe.Il fallut
partir
; on marchoit à l'ennemi : une bataille
terrible alloit éprouver notre débutant.
Quand on fut fur le point de donner ,
Médius le trouvant proche du Chevalier
d'Orval , lui tendit la main , & lui dit à
haute voix , d'un air riant : » Chevalier ,
»voici le moment de vuider notre querel
24 MERCURE DE FRANCE.
le aux dépens de l'ennemi.... J'accep
» te le défi .. » Médius de courir à lui , &
de l'embraffer. Cette fcène fit fur tous les
coeurs l'impreffion la plus touchante.
D'Orval fit très -bien ; mais Médius fit des
prodiges de valeur , qu'on n'auroit pas
attendus de fon âge il dégagea même
fon Rival des mains de quelques Soldats
qui l'emmenoient prifonnier.Quand après
la victoire le Colonel le cherchia pour lui
applaudir , il le trouva qui , recueilli en
lui même, remercioit le Dieu des combats
de fa confervation , & même de fon courage
car le fage Arifte lui avoit appris,
d'après Platon , que nous tenons tout de
Dieu , & même la vertu. Le Colonel en
fut encore plus fenfible à ſon mérite ; il
l'embraffa , & le fit embraffer pour fon
neveu , qui de ce jour - là devint l'ami le
plus chaud , & l'admirateur le plus fincère
de notre Héros .
Mais ce Héros enfin étoit un homme ,
& un jeune homme.
Les éloges qu'il recevoit de toutes parts
l'éblouirent à la fin ; & les lettres de fa
famille l'acheverent. Son père fe profternoit
devant fa gloire : fa mère ne manquoit
pas de trouver tout au mieux ; fon
oncle , dans l'effufion de fa joie , avoit un
peu paffé les bornes de fa modération ordinaire
;
OCTOBRE . 1761. 25
-
dinaire ; Colette enfin , Colette , au moment
de s'embarquer pour Marfeille, lui
écrivit dans un inftant fi critique , où
fon coeur fe livrant à toute fa tendreffe ,
en laiffa échapper une fois plus que fa
raifon ne s'en feroit permis dans un
quart d'heure plus tranquille. Médius
ne put tenir à tant d'attaques réunies .
L'orgueil fe gliffa dans fon coeur . Il fe
trouvoit fi content de defcendre en foimême
, que fans ceffe il s'abandonnoit au
plaifir de fe contempler. Il fe difoit avec
complaifance : Mon courage eft rare fans
doute , puifque les braves même l'admirent
; j'ai montré ma générofité dans un
combat fingulier ; en refufant un duel ,
j'ai triomphe du faux honneur ; par ma
douceur j'ai fçu vaincre la haine , & forcer
mon ennemi à me chérir ; j'ai eu auſſi
la prudence de me choifir une amante
digne de moi ; & par ma tempérance ,
j'ai vaincu même les voluptés , qui font
l'écueil des plus grands hommes : affurément
fi je ne fuis point parfait , c'est que
nul homme ne le peut être , ainfi que me
l'a appris mon oncle ; mais je ne puis me
déguifer que j'approche beaucoup de la
perfection .
Avec ce fentiment dangereux , la vertu
de Médius ne pouvoit aller loin. Comp-
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE..
tant déformais fur les forces , il fe permettoit
de voir & de faire mille chofes ,
auxquelles il avoit craint jufqnes -là d'expofer
la fragilité de fon âge . Sûr d'être affermi
contre les dangers , il ne fe défendoit
plus de commercer avec les gens
vicieux . » N'eſt - il pas utile de pratiquer
» toutes fortes de perfonnes , afin d'acquérir
la connoiffance parfaite des dif-
» férentes moeurs ? » En abufant de ce
principe , il hantoit fans fcrupule les
agréables libertins du corps : d'Orval étoit
devenu fon ami , bientôt fon confeil ; &
les mêmes fociétés qu'il avoit tant redoutées,
étoient fes cotteries favorites . Flattés
de faire un tel profélyte , ils l'entraînoient
adroitement à celles de leurs parties
où le libertinage étoit le mieux voilé.
Une Actrice , à qui d'Orval donna le
mot , s'étudia à s'affurer fa conquête
par une affectation de beaux fentimens .
Bien avertie que c'étoit une espéce de
Sage qu'il falloit amadouer pour le monter
aubon ton , elle ne fe permettoit devant
lui que de ces gaîtés & de ces galanteries
qui féduifent fans éffaroucher.
Elle fe faifoit un plaifir piquant de ce
qu'elle appelloit fa converfion ; & à cette
malignité ordinaire , elle joignoit un motifintéreffé
; elle étoit amoureufe de Mé
dius.
OCTOBRE . 1761 . 27
Elle fe trouvoit dans une circonstance
qui rendoit fon jeu très - aifé . Un Officier
Général qui l'aimoit éperdûment s'étoit
détaché de l'Armée , & occupé au fiége
d'une place affez éloignée : de forte qu'il
ne paroiffoit aucun Amant établi auprès
d'elle ; d'où Médius concluoit qu'elle
n'en avoit aucun , & admiroit fa fagelle
dans un état fi dangereux. Ses camarades
aidoient à lui éxagérer la belle conduite
de cette fille, unique en fon efpéce. Cette
adroite créature le voyant aux termes ou
elle l'avoir voulu , l'engagea un foir à fouper
tête- à tête , fous prétexte d'avoir à lui
faire une confidence très -intéreffante. Il
s'y rendit avec agitation . Dès qu'ils furent
feuls, elle s'enfonça dans une Bergere, où
le mouchoir fur les yeux , elle entama une
fcène de comique larmoyant. Elle déplora
la néceffité où la naiffance & l'habitude
l'avoient foumife , lui fit une longua
énumération des amertumes qui empoifonnoient
ſa vie , fe plaignit avec étalage
de la perverfité du Public , dont le préjugé
contre un Etat s'étendoit à tous fes
membres fans la moindre diftinction ; enfin
elle mit en avant que fon parti étoit
pris , & qu'elle avoit réfolu de quitter le
Théâtre , au rifque de ruiner abfolument
fa fortune. On peur juger de la haute
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
"
ور
eftime qu'elle s'acquit dans l'efprit un
peu romanefque de notre Preux , il s'approcha
d'elle , fe mit à éffuyer fes pleurs ,
& à la confoler tendrement. Le moment
étoit critique ; elle s'en apperçut , & en
renouvellant la peinture de fes malheurs,
» oui, dit- elle, pour éxécuter mon projet
» de retraite , j'avois befoin de dix mille
»francs ; depuis long - temps je m'épargne
» jufqu'au néceffaire & j'amaffe fol fur fol;
» enfin pour compléter ma fomme , il ne
» me manque plus que vingt louis . »
Vingt louis , pour retirer des occafions du
crime une fille auffi malheureuſe , aufſi
eftimable ! Qu'est- ce que cette fomme
pour un Amateur zélé de la vertu , qui fe
voyoit encore so louis dans fa bourſe !
Auffi les vingt louis furent - ils jettés fur la
table ; & après bien des combats de générofité
, ils finirent par être acceptés , &
bien ferrés .
و د
Le châtiment fuivit de près la faute . Il
étoit fix heures du matin , lorſque Médius
s'arracha du féjour des enchantemens . A
peine eut-il refpiré un air pur, que l'illuſion
fe diffipa. Il revenoit à fon quartier , la
honte & le remords dans l'âme , quand en
rentrant dans fa tente , on lui remit une
lettre de fa mère , qui lui marquoit fans
ménagement, qu'à une lieue des côtes , on
OCTOBRE. 1761. 29
avoit vu un Corfaire fondre fur le Vaiffeau
Marchand qui conduifoit Colette en
Provence ; qu'il lui avoit donné la chaffe
en pleine mer , & qu'un brigantin arrivé
le lendemain dans le port, avoit rapporté
que ce vaiffeau dévoré par les flammes ,
avoit été englouti dans les ondes . Optime
comptoir fort fur la philofophie de fon
fils , qui le foutiendroit dans cet événement
; qui , quoique cruel en apparence ,
ne pouvoit être arrivé que pour le mieux.
Que n'ai -je le pinceau de la nature, pour
peindre des plus vives couleurs le tableau
qu'offrit Médius au moment de cette terrible
épreuve ! Son fang fe glaça dans fes
veines , la lettre lui tomba des mains , il
refta faifi & fans connoiffance . Un ami ,
que fes valets appellerent , le trouva dans
cet état funefte , & ayant lu la lettre fatale,
il découvrit la caufe de fon évanouiffement.
Pénétré lui- même de tout ce que ce
fpectacle avoit d'attendriffant , il employa
tous les foins à rappeller Médius à la
vie. Cet Amant déplorable , ouvrant enfin
des yeux égarés , où le trouble & le
défefpoir étoient peints , le fupplioit de
le laiffer finir une vie qui ne feroit plus
pour lui qu'un long fupplice. Il s'agitoit
, il fe frappoit , il s'arrachoit les
cheveux , & fe livroit à toutes les hor
1
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
reurs du défefpoir. C'en eft donc fait ,
s'écrioit- il avec fureur , elle est morte !
& je vis ! & je fuis coupable ! .. O mort !
mort qu'il ne m'eft pas permis de me
procurer de ma main ! Mort qui fais ma
feule reffource , viens , hâte - toi de brifer
les noeuds qui m'attachent à une vie infâme
, infupportable ! ô Dieu , qui m'ôtez
la plus chère moitié de moi - même , arráchez
- moi donc ce refte de vie , que je
ne puis plus traîner fans horreur... Ces
accens funébres étoient entrecoupés de
mille fanglots & d'exclamations , où l'on
ne voyoit rien de fuivi que le dégoût de
fon éxiftence , & le fupplice de furvivre
à ce qu'il aimoit beaucoup plus que luimême.
Au milieu de cet accès , on lui vint
annoncer qu'il étoit commandé pour un
Détachement. » O Ciel , s'écria - t- il , tu
» te déclares , ra juftice m'appelle, je m'y
» livre , je vole à la mort. "
Le Détachement étoit commandé pour
Pattaque d'un Fort. Médius n'étoit plus
ce Sage intrépide par Religion , c'étoit
un Furieux qui cherchoit la mort par défefpoir.
Tant on feul jour , tant un feul
crime l'avoit tout - à-coup dégradé !
Le Ciel eut pitié de fa foibleffe ; if
veilloit fur lui , tandis qu'il s'abandonnoit
lui- même. Médius fauta dans le foffé
OCTOBRE 1761 32
avec tant de témérité, qu'il ne fut fuivi de
perfonne ; il у fut dans le moment por
té à terre d'un coup de feu , & tomba
au pouvoir des Hanovriens , qui , touchés
de fa valeur , le fecoururent , & le
transportérent dans Hanovre , où il fut
en moins d'un mois , parfaitement rétabli
de fa bleffure.
En attendant qu'il pût être échangé
Médius , en qui la piété avoit rappellé
la raison , avoit fubftitué à fes fureurs une
mélancolie calme & fombre. Retiré dans
un hôtel garni , au fond d'un cabinet , il
ne connoiffoit le fommeil que quand la
Nature épuisée triomphoit pour quelques
momens de fa douleur. Ses foupirs & fes
plaintes pénétrérent dans un appartement
voifin , où elles frappérent l'oreille , &
emurent le coeur compâtiffant d'un Hol-.
landois. C'étoit un homme de génie , qui
chargé des intérêts de fa Nation , étoit
venu s'aboucher avec les Princes de
Brunswick. Ce Citoyen , qui uniffoit la
grandeur à la fimplicité , préféroit au
fafte gênant des Palais la tranquille obfcurité
d'un hôtel garni , & un fouper frugal
aux feftins les plus fomptueux.
Médius , livré à toute fa paffion , faifoit
tout haut , fans s'en appercevoir , le
récit de fes malheurs. Le Hollandois
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
voulut voir Médius ; ç'en étoit affez ; on
ne pouvoit le voir fans l'aimer .
Le Hollandois ne tarda pas à goûter
notre héros , & à faire de fa fociété fon
principal amufement. Il ne l'avoit d'abord
vu qu'à titre d'humanité ; bientôt
il réfolut de fe l'attacher particuliérement
, ravi de trouver dans ce jeune
homme l'union fi rare des qualités les
plus folides , & des agrémens les plus enchanteurs.
Il devoit partir inceffamment
pour l'Ambaffade de Turquie. Le Vilir
que venoit de placer le nouveau Sultan ,
avoit été autrefois le Sangiac d'une ville
d'Egypte , où ce Hollandois fe trouvoit
alors Conful de fa Nation ; il s'étoit formé
entr'eux une amitié étroite , dont le
Turc fe reflouvint après vingt ans . Au mo
ment de fon élévation , il fit fçavoir à
Leurs Hautes Puiffances qu'il feroit flatté
de voir fon ami l'Ambaffadeur de la République
; & elles ne manquérent pas
cette occafion de fe rendre le Vifir favorable.
Le Hollandois propofa à Médius de
s'attacher à fon fort , & de le fuivre à
Conftantinople , en l'affurant avec tendreffe
qu'il le regarderoit comme fon fils
& qu'il fe feroit un devoir éffentiel du
foin de fa fortune. Eh bien , reprit MéOCTOBRE
. 1761 . 33
dius , tenez-moi donc lieu de famille &
de patrie ; auffi bien je ne puis foutenir
l'idée de revoir des lieux qui me retraceroient
fans ceffe le tréfor que j'ai perdu.
Ma patrie n'eft plus celle de ma Colette
; je fuis étranger dans l'Univers entier.
Votre fage République eft l'âme
de toutes les Nations ; en fervant fous
votre Pavillon , je travaillerai pour le
bien de l'Univers. Je ne puis mieux employer
un temps de captivité , où je n'ai
pas la permiffion de dévouer mes jours
au fervice de mon Roi.
,
>
Le Hollandois embraffa Médius &
obtint des Princes de Brunfwick une permiffion
de le conduire en Hollande &
partout où il le croiroit utile à ſes intérêts.
Ils partirent bientôt enfemble pour
Amfterdam , dans le deffein de tout dif
pofer pour leur embarquement.
Médius informa fa famille de fa réfo
lution , & en reçut la permiffion de fuivre
fon projet , avec des lettres de remercîment
pour fon généreux ami. Celle
Arifte étoit un mêlange touchant de
fentiment , de raiſon , & furtout de piété
; & le refpect avec lequel Médius recevoit
tout ce qui lui venoit de cer oncle
, contribua plus que tout le refte à
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
mettre fon efprit dans une affiette un
peu plus tranquille.
Il regardoir avec admiration Amfterdam
comme la ville commune de toutes lesNations
, & le magafin de l'Univers.Toutes les
Religions, toutes les langues , tous leshabillemens
, toutes les moeurs & les coutumes
s'y trouvent réunies . C'eft comme
une Mappemonde , où l'oeil peut fe
promener à la fois fur tous les Peuples ,
qui s'y trouvent pour ainfi dire , en raccourci.
C'étoit aux yeux de Médius une
nouvelle Salente où revivent les loix de
Minos & de Mentor , où l'abondance eſt
produite par l'économie , la fanté par le
travail , la grandeur par le commerce , la
vertu par la liberté , & la félicité par la
vertu .
L'Ambaſſadeur & Médius partirent de
Hollande , & arrivérent à Conftantinople,
où ce dernier , préfenté par fon ami au
Vifir , eut en peu de temps le bonheur de
lui plaire .
Le Sultan & le Vifir offroient le rare
& beau fpectacle de deux hommes qui fe
gouvernoient par les principes facrés de
l'équité naturelle. Ils étoient vivement
follicités par un Nabab Indien , qui
foutenu par les Siamois feuls , avoit ofé
s'attaquer tout à la fois au Mogol fon
Empereur , au Perfan fi long- temps fon
OCTOBRE. 1761 . 35
appui , & au Tartare redoutable à toute
l'Afie. Il preffoit fa Hauteffe de profiter,
des circonstances pour renouveller des
querelles heureuſement éteintes par des
traités refpectables. Le Vifir éxigea que
les uns & les autres établiſſent leurs droits,
& développaffent les motifs de cette
guerre ; le Sultan déclara bientôt qu'il
feroit fidéle aux Traités , & qu'il n'y entreroit
pour rien.
Au moment où les affaires le permettoient
, le Vifir redevenoit homme , &
donnoit à fon ami dans fon Serrail des
fêtes délicieuſes , mais dont la liberté faifoit
le principal agrément . Médius y étoit
toujours admis , & recevoit les marques ,
les plus diftinguées de la bienveillance de
ce Miniftre. Mais toutes les careffes de la
fortune ne pouvoient bannir de fon ame
le fouvenir amer & toujours renaiffant ,
de la perte irréparable qu'il avoit faite.
Ua jour , qu'abforbé dans fes fombres
rêveries , & livré à l'amertume de ſes regrets
, il fe promenoit triftement dans
l'avant-cour de ce Serrail , il y vit arriver
une voiture couverte .
Quelle fut fa furpriſe d'entendre toutà-
coup fortir de ce char une voix lamentable
, & que fon coeur ne put méconnoître
: » Médius , mon cher Médius ,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
» c'est moi , c'eft la malheureuſe Colette
» qu'on ensevelit dans cette affreufe pri-
» fon ; je vous revois , & je vous perds
» encore ; je vous perds pour toujours ..
Eperdu , hors de lui, même , en proie à
toutes les paffions qui le déchiroient à la
fois, Médius couroit à cette voix fi chère ,
& dans fon égarement il alloit affrontermille
morts pour tenter de voir fon
Amante , pour expirer au moins à fes
yeux ; mais il étoit trop tard & la porte
en fe refermant auffitôt , avoit englouti
la victime .
Médius étoit refté immobile & abforbé
dans le défefpoir : mais bientôt l'ameur
frappa fon efprit d'un trait de lumière
, qui l'ouvrit aux rayons de l'efpérance.
Il vole chez l'Ambaffadeur , feprécipite
à fes genoux , & avec toute l'éloquence
des paffions tumultueufes qui
l'agitoient , il lui peint ce qu'il a vu , ce
qu'il fent , ce qu'il efpére , & lui prouve
que fa vie eft uniquement attachée à la
réuffite de fa demande .
L'Ambaffadeur attendri , & prèfque
aufli ému que Médius même , lui dit de le
fuivre , & alla fur le champ demander au
Vifir une audience particulière. Il expofa
pathétiquement la fuite des traverſes des
deux Amans , & implora pour leur réuOCTOBRE
. 1761. 37
nion la généreuſe compaffion du Vifir .
Tandis que ce Seigneur parloit , Médius ,
dans une fcène muette , mais animée &
rendue parlante à force d'expreffion & de
vérité , peignoit plus énergiquement encore
fon amour , fes tourmens , fes eſpérances
& fes craintes. Ce tableau toucha
le Vifir ; ce Miniftre n'avoit pas encore
vu fon efclave ; fon ame née fenfible &
généreufe s'applaudit d'avoir trouvé l'occafion
de faire deux heureux . Il embraffa
Médius , fit appeller le Chef des Eunuques
noirs, & lui ordonna de remettre la
nouvelle Efclave Françoife à ce jeune
Chrétien.
Colette , guidée par l'Eunuque , arriva
avec un voile qui la couvroit de la tête
aux pieds. Quelle fut fa furpriſe , quels
furent fes fentimens à l'afpect de Médius,
dont l'air fatisfait lui communiqua d'abord
les plus flatteufes efpérances. Que
l'on juge s'il tarda à informer cette belle
fille de la générosité du Vifir ! Tous deux
tombérent à fes pieds , où leurs larmes
feules exprimerent tous les tranſports de
leur reconnoiffance. Le Vifir , auffi attendri
que les deux Amans , & craignant
que la vue de Colette , dont le voile qui
s'étoit dérangé laiffoit entrevoir tous les
charmes , ne fiffent fur fes fens une impreffion
trop dangereufe , pria l'Ambaffa
38 MERCURE DE FRANCE.
deur de les emmener avec lui . Allez, ditil
, heureux Amans , allez jouir d'un fort
que je me trouve heureux moi- même de
vous avoir procuré. Et vous , Madame ,
ajouta-t-il en s'adreffant à Colette , & en
lui remettant une caffette magnifique ,
recevez ceci de ma main non - feulement.
comme un gage de mon amitié , mais
comme une foible indennité des maux
que vous a caufés l'esclavage.
Nos deux Amans fe profternoient de
nouveau pour remercier le Vifir, qui profita
de cet inftant pour s'échapper , en
faifant figne à l'Ambaffadeur , de les conduire
à fon Hôtel . A peine y furent- ils ar
rivés que Médius , après avoir raconté à
fon Amante fes avantures , telles que
nous les avons entendues , la pria de lui
faire le récit des fiennes propres . C'eft ce
qu'elle fit en ces termes.
Je m'étois embarquée fur un Vaiffeau
Marchand , pour me rendre à Marseille :
nous n'avions pas encore perdu de vue
les . Côtes du Languedoc , & nous entrions
en pleine mer , quand tout-à-coup
nous nous vimes pourfuivis par un Corfaire
d'Alger qui venoit fur nous à pleines
voiles , & par qui nous ne pouvions man»
quer d'être bientôt atteints. Notre Equipage
fe difpofa à une vive réfiftance'; le
OCTOBRE 1761. 39
combat en effet fut long & fi acharné que
nos gens ne confentirent à fe rendre , que
forcés par un accident qui mit le feu à
notre Bâtiment . Alors pour éviter une
mort certaine , ils fe foumirent à l'efclavage
; & nous paffâmes fur le bord Algérien
, au moment que notre Navire alloit
être enfeveli dans les ondes .
La Fortune qui me menoit en aveugle
au Bonheur par la route des difgrâces ,
permit qu'à la defcente du Vaiffeau je fufle
apperçue par un vieux Boftangi de cette
Cour, qui parcouroit les Ports de Barbarie,
pour y faire une levée d'Efclaves pour le
Serrail du Grand- Seigneur. Je me voyois
donc deftinée au fort le plus infâme ; & je
n'avois pas même la mort pour reffource ,
puifque ma raifon me défendoit de me la
donner à moi - même , avant l'inftant où la
néceffité la plus preffante pourroit en quelque
forte m'y autorifer. Cependant mes
Maîtres me traitoient de la façon la plus
refpectueuse , & ne voyoient plus en moi
que le Sultan à qui j'étois rêlervée . Une
des femmes faites pour me fervir, qui étoit
Françoife & Renégate, malgré la froideur
que j'avois pour elle , s'obftina à me
vouloir du bien , & à m'en faire. Elle
m'apprit que je n'étois plus deftinée
pour le Grand- Seigneur , & que le Bof
40 MERCURE DE FRANCE.
Boftangi , en bon Courtifan , m'avoit mife
à part pour le Vifir , fon protecteur. Mais
toute prifon m'étoit égale ; & je regardois
Ie Serrail où j'entrerois , comme le tombeau
qui devoit bientôt mettre fin aux
horreurs de mon fort.
Tel eft , mon cher Médius , le dénoûment
heureux de mes avantures : la circonftance
la plus delicieufe pour moi eft
de devoir à votre amour & à votre zèle ,
la félicité de mes jours : ils font à vous ;
je vous dois la liberté , l'honneur , peutêtre
, & certainement la vie. Vous êtes
à la fois mon amant , mon libérateur ,
mon ami , mon époux ; je tiens à vous
par tous les liens poffibles , par mes fermens
, par mon devoir , par ma reconnoiffance
; mais aucun de ces liens n'eft auffi
fort que celui de mon inclination .
Colette fe tut , & fon Amant n'avoit
pas la force de parler. L'idée de tant de
périls paffés , qui fe préſentérent à la fois à
leur efprit , les attendrit mutuellement ;
ils fe regardérent en pleurant & pafférent
quelques momens dans un filence touchant
, que Colette interrompit par un
foupir , & Médius par un bailer..
L'Ambaffadeur partagea leur joie. On
ouvrit la caffette du Grand- Vifir , où il fe
trouva cent bourfes , valant environ cent
OCTOBRE . 1761 41
mille livres , & quelques bijoux de grand
prix. L'Ambaffadeur de France devoit
bientôt partir. Il fut arrêté qu'ils profiteroient
d'une fi belle occafion. L'Ambaffadeur
Hollandois força Médius à accepter
des préfens , que fa délicateffe trouvoit
trop magnifiques ; il lui fit promettre de
faire avec fa future époufe le voyage de
Hollande , auffitôt que le tems de fon Ambaffade
feroit expiré ; & cette perfpective
adoucit en partie la douleur de leur féparation.
Nos Amans arrivérent heureufement en
France. M. de la Garenne , qui avoit le
coeur excellent, reçut fon fils avec des larmes
de joie , & ne vit plus dans Colette
qu'une fille ennoblie par les dons du Vifir.
Le mariage ſe fit avec une fatisfaction univerfelle;
jamais Optime n'avoit eu une plus
belle occafion d'appliquer fa maxime favorite
. Médius acheta une Compagnie de
Cavalerie , & acquit une belle terre dans
le voifinage. Il plaça le père & la mère de
Colette dans la principale Ferme , dont il
leur abandonna les revenus , & où Colette
alloit fouvent paffer avec eux des
jours entiers.
Nos époux liérent avec Arifte & la
vertueufe fille la fociété la plus délicieufe.
La jouiffance & l'habitude n'avoient
42 MERCURE DE FRANCE.
>
fait que juftifier l'eftime , affaifonner les
plaifirs , & redoubler l'amour dé nos
époux. Médius comblé de toutes les
délices qui peuvent le plus éblouir les
hommes fur l'inftabilité de leur condition
naturelle , étoit aſſez diſpoſé à penfer
comme ſa mère , & à trouver en effet
que tout étoit au mieux. Mais le fage
Arifte , dans un moment de tranquillité
lui fit obferver que ces beaux jours n'occupoient
qu'un point dans fa vie . Cette
feule réfléxion le pénétra d'un fentiment
douloureux Hélas , s'écria til , l'ef-
: >>
pérance & la crainte qui ne nous quit-
» tent jamais , fuffifent feules pour jetter
» une nuance de confolation dans nos
plus grands malheurs , & pour empoi-
"fonner nos fituations les plus fortunées.
» De nouveaux revers peuvent m'arracher
» le tréfor que je poſléde ; & certaine-
» ment la mort , l'affreufe mort ne m'en
féparera que trop promptement ! Oui ,
le bonheur parfait n'appartient qu'à
» des êtres doués du privilége d'une Eter
» nité immuable ; & j'ai trop éprouvé les
» viciffitudes du fort des hommes , pour
» ne pas revenir à cet axiome universel.
» Tout en ce monde eft éffentiellement mê-
» lé de bien & de mal.
"
39
LOUIS- CLAUDE LECLERC , à Nangis.
OCTOBRE. 1761 *3
ODE SUR LE SALLON.
On s'eft borné uniquement à ce qui
regarde le Roi.
IL eft permis à la Peinture de préſenter
des Efquiffes ; fera -t-il défendu à
la Poëfie d'en offrir , quand la briéveté
du temps empêche de travailler
fon Sujet avec le foin qu'ilexige ?
Du génie honorable afyle ,
Augufte Temple des Beaux- Arts ,
Sallon en merveilles fertile ,
Que vous enchantez mes regards !
Eft-ce là l'effet du tonnerre ?
Comment dans le fein de la guerre
Sont nés ces doux fruits de la paix ?
C'eft Colbert qui les fait éclorre ;
Je le vois refpir er encore ,
Il prend de Marigni les traits.
Hé qui pourroit le méconnoître
A cet efprit für & brillant ,
Qui fait déterrer , faire naître ,
Et mettre en place le talent ;
44
MERCURE
DE FRANCE.
Et les Zeuxis & les Apelles ,
Les Phidias , les Praxiteles
Se reproduifent fous fes loix.
Partout le grand nous le découvre
On le voit achever fon Louvre ,
Et Perrault paroître à ſa voix.
De ton Monarque * augufte , ô France ,
Contemple les traits adorés ,
Son air doux , fa noble preftauce ,
De fon oeil les feux tempérés ;
Voi fur fon front la bonté même ,
Avec la Majefté ſuprême ,
D'un rare accord fe concerter :
Riches fleurons du diadême ,
Mêlange heureux qui fait qu'on aime
Le Maître qu'on doit refpecter.
En doutes- tu , mon Roi , regarde
L'expreffion de notre amour :
**
Ce font nos coeurs qui font ta garde ,
Et ta Capitale eft ta Cour.
Rappelle-toi ce jour d'ivreſſe ,
Où de tes Sujets la tendreſſe
Épuiſa toutes les douceurs ,
* Portrait du Roi par M. Michel Vanloo .
** Tableau de la Réception du Roi à la Ville
àfa convalefcence.
OCTOBRE. 1761 45
Jour touchant , jour rempli de charmes ,
Où l'on vit les enfans en larmes
Faire au père verfer des pleurs.
Qui vois- je à tes côtés placée *
Couvrir la Tèrre de préfens ?
Sous tes pieds vainqueurs terraffée,
La Diſcorde mord fes ferpens .
La Paix ** defcend fur notre rive :
Vers nous , Louis , avec l'olive
Ta main bienfaiſante s'étend .
Puiffe ce rameau defirable
Etre un préfage favorable
De celui que ton Peuple attend !
Sculpteurs , créez - le dans la pierre ,
Dans le marbre allez le chercher ;
Fondeurs , dans le fein de la Terre ,
A la mine allez l'arracher.
Exerce , Pinceau , ta magie ,
Sur la toile porte la vie ,
Donne la parole aux couleurs.
Burins , multipliez l'ouvrage ,
Offrez à tous les yeux l'image
D'un Roi gravé dans tous les coeurs.
Tandis que Colbert vous infpire ,
* L'Abondance.
** Tableau allégorique de la Paix , en 1749 .
46 MERCURE DE FRANCE.
Artiftes , profitez du temps.
Je vais tenir prête ma lyre ,
Infpirez-lui de nouveaux chants.
Préparez nous d'autres fpectacles ,
Enfantez de nouveaux miracles ,
Fixez à jamais vos deftins.
C'eft fous le regne du grand homme
Qu'on doit fe difputer la pomme ;
Elle n'a de prix qu'en fes mains.
Du Peuple plus l'Agonothete *
Dans la Grèce étoit eftimé ,
Plus on auguroit que l'athléte
Dans les Jeux feroit animé.
Quel est l'appas d'une couronne
Que l'ignorance en place donne ?
Les coups font jugés dans la nuit,
Rivaux jaloux de la victoire ,
Voici le vrai jour de la gloire ,
Combattez quand le Soleil luit.
VERS à Mlle ARNOULT , Actrice
de l'Opéra.
QUB ta voix eft mélodieuſe ,
Et que ton art eft enchanteur !
Que ton ame voluptueufe
* Celui qui préfidoit aux Jeux,
OCTOBRE. 1761.
47
Connoît bien la route du coeur !
Lorfque tu peins Thisbé mourante ,
Belle Arnoult , tu nous fais fentir ,
Qu'il peut être doux de mourir ,
Quand on perd une telle Amante.
Par un Abonné au Mercure.
LE CRÉANCIER TIMIDE,
2
STANCES à Madame C **.
DANS ANS un inftant de badinage ,
Eft-ce infortune ? eft- ce bonheur ?
Gagner deux baifers pour un gage ,
Pour deux baifers perdre fon coeur.
La gloire de Life eft complette ,
Je lens ma perte chaque jour ;
Chaque jour j'acquitte ma dette ,
Sans que Life paye à ſon tour.
C'eft mauvaiſe volonté pure ,
Peut-elle fe la pardonner ?
Un argent de cette nature
Seroit & facile à donner ! I
Je crois qu'une heureuſe demande
Préviendroit de nouveaux retards ;
J'ai l'âme trop foible ou trop grande ,
Je n'ole en courir les hazards.
MERCURE DE FRANCE
Mais fi je fuis forcé d'attendre ,
Peut-être ne perdrai- je rien.
Du moins j'aurai droit de prétendre
Tous les intérêts de mon bien .
Dans le commerce de Cythère
Les baiſers font d'un grand produit 3
Mille pour un font le falaire
De vingt-quatre heures de crédit.
Je laiffe dormir ma créance,
Et je m'applaudis mille fois ,
En comptant l'intérêt immenfe
Que doit Life depuis fix mois...
Bien que mon bonheur fût extrême ,
Si le nombre m'étoit payé.
Que Life s'offre d'elle- même ,
Je la tiens quitre de moitié.
LETHINOIS de Reims .
RÉFLEXION für la PRÉVENTION.
O N ne doit pas fans doute , être fort
étonné de voir regner la prévention dans
ces baffes conditions , où des moyens
trop bornés ne permettent pas qu'une
fage éducation vienne dans un âge tendre
au
OCTOBRE. 1761 49
au fecours de la Nature imparfaite , ni
même parmi ceux qui agités , entraînés ,
&, pour ainfi dire , étourdis par le mouvement
continuel & tumultueux de ce tour--
billon qu'on appelle le Monde où l'opulence
les a placés , ne peuvent guères.
faire ufage de l'utile fecours de la réflé
xion qui feule peut faire germer & fructifier
les femences précieufes de l'éducation
. Mais ce qui doit furprendre davantage
, c'est qu'à la honte de la Philofophie
, des Gens de Lettres foient fufceptibles
de ce mal contagieux , comme ceux
qu'une espéce d'inftinct conduit plutôt
que la Raifon. En effet fi la baffe jaloufie
s'efforce tous les jours d'outrager le mé
rite & de décréditer les talens par de
fanglantes fatyres , il fe trouve auffi des
gens qui, indépendemment de leur raiſon
cultivée , donnent inconfidérément leur
confiance à ces fortes d'écrits pour l'ordinaire
:fans aveu , où l'on ne garde l'anonyme
, que pour être difpenfé de prouver
ce qu'on avance , où l'on peut par là
même , calomnier , bleffer , déchirer impunément
qui l'on veut , & dont les Auteurs
reffemblent à des lâches qui , à la faveur
des ombres de la nuit , fe cacheroient
fur le chemin par où ils fauroient
que devroit paffer leur ennemi, pour l'at
II. Vol. C
So MERCURE DE FRANCE
taquer avec moins de danger & lui por
ter des coups plus fûrs. Il devroit fuffice
qu'un ouvrage s'annonçât fous un titre
auffi déshonorant que celui de la fatyre
pour qu'on ne fût pas même tenté de le
Îire , à moins que ce ne fût pour apprendre
jufqu'où peut aller la malignité de
l'envie & pour tâcher de s'en garantir s'il
eft poffible , mais on ne peut alors trop
être fur fes gardes pour éviter le piége
de la prévention ; car le menfonge qui eft
prèfque toujours l'âme de la fatyre ,
n'ayant pas par lui- même de quoi plaire,
fçait au moins , pour le dédommager de ce
qui lui manque , emprunter de l'Art le
ton perfuafif de la vérité, en ſe parant de
tous les agrémens & de toutes les grâces
que l'éloquence peut lui fournir. C'eft un
vifage difforme , mais dont la laideur cachée
fous l'enduit artificiel des couleurs
que la Nature lui a refufées , difpute leprix
à la beauré & l'emporte fouvent fur
elle.
S'il m'étoit permis de faire ici une lé
gère digreffion je dirois , à cette occafion
que l'éloquence eft un Art pernicieux , en
ce qu'il prête des armes à l'injuftice pour
triompher de l'équité , & qu'il est encore
inutile à la vérité qui plaît toute nue;
que lors même qu'il embellit cette derOCTOBRE.
1761. SF
>
nière prêtant auffi des charmes à l'erreur
il arrive que les traits particuliers qui les
diftinguent l'une de l'autre , étant égale
ment cachés fous les mêmes ornemens ,
on les confond toutes les deux . Je dirois
encore qu'il eft à préfumer que l'eloquence
ne doit fon origine qu'au menfonge.
que plus elle eft apprêtée, plus il faut s'en
défier ; que c'eft furtout alors qu'elle eft
une Sirene dangereufe qui n'enchante
les nautoniers par les fons mélodieux &
touchans de fa voix que pour , les mieux
féduire & pour les faire tomber plus furement
dans les piéges qu'elle leur tend ;
que la vérité, avant que le menfonge eût
triomphé d'elle , dédaignoit le fafte
de la parure , & que la fimplicité eſt
encore fon plus bel ornement ; mais
pour ne point m'écarter de mon fujet ,
je dirai que la fatyre eft d'autant plus capable
de prévenir contre ceux qu'elle déchire
impitoyablement , que par une imperfection
de notre incorrigible nature ,
l'orgueil de chacun fe fentant en quelque
forte humilié par les éloges qui ne s'adreffent
point à lui , & flatté par tout ce
qui peut obfcurcir dans les autres l'éclat
du mérite , elle doit plaite à la plupart
des hommes , & que, comme on fçait, la
prévention eft bien voifine du plaifir , fi
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
elle n'en eſt pas même la compagne in◄
féparable. Si cependant on faifoit attention
que ceux qui emploient le temps à
faire des Satyres ', font les vils efclaves de
l'envie qui les tyranniſe ; que dans les accès
que la rage leur fait éprouver , ils verfent
indifféremment leur cauftique poi •
fon fur l'honnête homme & fur le fripon,
qu'ils défigurent les traits refpectables du
mérite , & qu'ils ne ceffent point d'être
de malhonnêtes gens , lors même que les
portraits fi doux qu'ils expofent aux re
gards publics font reffemblans , parce que
les perfonalités font toujours odieufes ;
fi on réflechiffoit encore que perfonne
n'est parfait , & que fans défaut même , fi
cela n'étoit pas impoffible , on pourroit
également devenir l'objet de l'envie, loin
que la Satyre caufât alors du plaifir , l'a
mour - propre éprouveroit au contraire une
fecrette mortification & l'on s'en vengeroit
par le plus fouverain mépris. On y
feroit d'autant mieux fondé que l'envie
dont elle eft le coupable fruit eft la preuve
affez ordinaire de la médiocrité & de
l'infuffifance de l'envieux qui ne fauroit
s'en dérober l'humiliant fentiment , car
s'il fe fentoit capable d'atteindre à cette
fupériorité de mérite & de talens qui eft
au-delà de fa portée , chercheroit - il à la
OCTOBRE. 1761 53
détruire & à la rabbaiſſer au - deffous de lui?
A ces raiſons fuffifantes pour autoriſer
notre mépris envers la Satyre, ſe joignent
encore celles & de l'équité que toute injuftice
doit révolter,& de l'humanité dont
le zéle compatillant doit s'étendre fur
tous ceux , contre qui l'envie fe déchaîne.
Enfin c'eſt à la fois ne pas entendre fes
intérêts & être complice du tort que fait
la Satyre , que d'ajouter foi aux indignes
fuppofitions qu'elle renferme pour l'ordinaire
, & de ne pas combattre le plaifir
qu'elle nous fait naturellement éprou
ver.
N'eft-il pas encore étonnant que la Satyre
faffe quelquefois tomber un Ouvra
ge que le Public a généralement
bien
reçu. Chez un Peuple éclairé ou les Arts
font portés à leur perfection , la bonté
d'un ouvrage n'eft- elle pas fuffifamment
atteftée par l'approbation
publique ? Le
fentiment peut-il errer chez un tel Peuple
? Peut-on dire de lui qu'il ne régle
point les jugemens fur fon goût , & rien ,
* Ceci contredit ce que j'ai avancé dans une
Differtation inférée dans le Mercure de Juin , favoir
que la Satyre ne nuit jamais à la gloire des
Auteurs. Je ne crains point de l'avouer depuis que
cette propofition eft imprimée j'ai réfléchi qu'elle
étoit trop générale.
C fij
34 MERCURE DE FRANCE:
en un mot , devroit - il faire varier fes fuffrages
? Lorsqu'on veut lui prouver qu'un
ouvrage qui a ravi tous les fiens , n'a pas
dû lui caufer du plaifir & qu'il a eu tort
de l'admirer & de l'applaudir , la Satyre
attaque alors également l'Auteur & le
Public ; car porter ce dernier à fe retracter
, c'eft avoir bien mauvaiſe opinion de
fes lumières , ou le juger d'un caractère
bien frivole & bien léger. Ne devroit il
pas fe trouver offenfé du reproche fecret
que la Satyre lui fait éffuyer , dans ce cas,
de fon mauvais goût , ou de fon inconftance
? Mais non , facile à fe laiffer prévenir
, une partie de ce Public ne juftifie
que trop cette idée fi défavantageufe pour
lui.
Lors même que la Satyre relève dans un
ouvrage des défauts réels , mais qui ont
échappé à bien des Lecteurs , elle ne doit
pas faire revenir le Public de fon jugement
, fi les défauts en font rachetés par
de véritables beautés . On doit favoir que
les hommes ne font rien de parfait.
Homère , Virgile , Milton , le Taffe
Corneille , Racine & tant d'autres qui floriffoient
dans les fiécles brillans de la lit
térature , nous ont appris à leurs dépens,
que quelque génie qu'on ait , on ne peut
atteindre à la fou veraine perfection. II
OCTOBRE. 1961 .
feroit en effet aifé de tourner en ridicule
FIliade & l'Odyffée . Ces deux Poëmes font
pleins de traits peu dignes de la Majeſté
de l'Epopée. L'intérêt y eft à tout mo
mene refroidi par les longs & inutiles difcours
qu'y tiennent les perfonnes. Toute
l'Énéide n'eft pas de la même force; on feroit
même tenté de croire que les derniers
livres ne font pas du même Auteur. Le
caractère d'Enée n'y eft pas foutenu. On
s'intéreffe pour lui au commencement du
Poëme , c'eſt un Héros . Vers la fin on forme
des voeux pour que la fortune lui foit
contraire ; il a l'air d'un Raviffeur & d'un
Brigand. Combien n'y a -t - il pas d'images
révoltantes dans le Paradis perdu ? Est-il
rien de plus vifible ou plutôt de plus infenfé
que le combat des bons & des mauvais
Anges ? Rien de plus dégoûtant que
le portrait du péché , rien de plus obfcar
que la defcription du cahos ? Rien enfin
de plus gigantefque & de plus extravagant
, que le pont qui joint la terre à l'abîme
Dès l'entrée du Poëme de la Jérufalem
délivrée , il fe préfente une Epifode
abfolument déplacée . L'ouvrage eft d'ailleurs
rempli de Démons, de Sorciers, d'enchantemens;
il eft vrai que ces chofes qui
nous paroiffent des défauts aujourd'hui ,
étoient regardées autrefois comme des
Civ
36 MERCURE DE FRANCE:
beautés ; mais cela prouve qu'il ne faut pas
toujours s'atacher trop au goût de fon fiécle
& qu'il n'y a que le véritablement beau ,
c'efl - a - dire , la belle nature, qui foit de tous
les temps & de tous les lieux. On ne peut
jamais lui refuſer le droit qu'elle a de
plaire. Ce qui n'en a que l'apparence,brille
comme une éclair & difparoît auffitôt
qu'elle. Corneille a peint les hommes
comme ils devroient être, & non pas comme
ils font . Il en a , pour ainfi dire, fait des
Dieux ; & lorfque laffé de s'en tenir toujours
à une stérile admiration , on veut
imiter les Héros , cette foibleffe qui eft
naturellemenr attachée à l'humanité, rend
bientôt inutiles les efforts qu'on fait pour
arriver à cet état de perfection & de
grandeur qui n'exifta jamais parmi les
hommes , que dans leur imagination . En
un mot , il est quelquefois trop fublime
pour être naturel. Les Héros de Racine
reffemblent à des Héros de Roman . Ils
ne font , pour ainfi dire, que foupirer ; &
quoique ce tendre fentiment qui anime
toute la nature foit généralement en pof.
feffion de nous plaire ; l'idée d'un Héros
amoureux a quelque chofe qui nuit en
même temps à l'Héroïfme & à l'Amour.
Il ne fuffit pas pour être un Héros d'attendrir
& d'intéreffer par les fituations
ter
Da
OCTOBRE . 1761. 57
touchantes où l'on fe trouve ; il faut encore
par des fentimens propres à nourrir
& à élever l'âme & par des actions belles
grandes , & utiles s'il fe peut à tous les
hommes,mériter leur reconnoiffance . L'amour
est plus nuifible que profitable &
pour chacun en particulier & en général
pour la Société. Il exifte rarement avec
le bonheur. Il tourmente ceux dont le
coeur lui eft foumis ; & ceux- ci uniquement
occupés de l'objet qui les captive & des
moyens d'être heureux en s'en procurant
la jouiffance , oublient le refte de l'Univers.
On reproche encore à Racine d'avoir
habillé tous fes Héros à la Françoiſe ;
mais d'un autre côté , que d'imagination
dans ces ouvrages ! Quel feu ! Quel génie!
Quels tableaux ! Quelle nature ! Auffi
malgré les défauts que je viens d'expofer
& beaucoup d'autres dont le détail eût
été trop long , on les regarde à jufte titre,
comme d'excellens modèles de Poëfie; &
c'eft à ces riches fources , qu'on va puifer
tous les jours le vrai , le beau , le naturel ,
On ne doit donc pas dire qu'il ne paroît
plus rien de bon , en fait d'ouvrages de
Littérature ; mais plutôt qu'on ne met
rien aujour de parfait ; & notre fiécle aura
cela de commun avec ceux où les Lettres,
ont été cultivées avec le plus de fuccès. II
C
58 MERCURE DE FRANCE.
ne faudra donc pas , prévenu par des critiques
peu judicieufes , méprifer tous les
Ouvrages modernes, parce qu'il s'y trouve
des défauts. Il faut convenir que dans la
prodigieufe quantité de livres dont on a
été inondé depuis environ foixante ans ,
il y a bien du médiocre ; mais nous avons
auffi eu des Auteurs qui de nos jours euffent
peut-être fait autant d'honneur à la
France , que lui en ont fait dans le fiécle
paffé les Corneilles , les Racines , les Mo-
Tieres , &c , fi par l'avantage que ces derniers
ont eu de nous précéder, il n'avoient
pas prévenu pour eux tous les efprits . On
a toujours, pour ce qui eft ancien, un certain
refpect involontaire. La poſtérité
nous rendra peut - être juftice en mettant
notre fiécle au niveau du dernier.
Enfin c'eft avec le fecours d'une fage &
continuelle défiance, qu'on peut eviter de
fe laiffer furprendre par la prévention .
Nous ne devons pas ignorer que les hommes
ne font jamais fans paffions ; que la
plûpart, loin de combattre celles qui tendent
à détruire & à renverfer les fondemens
de la Société , leur laiffent prendre
un empire qui devenant bientôt habitude
, leur ôte tous les moyens faciles de
s'en délivrer , & que ce n'eft le plus fouyent,
que par les paffions de cette derniè
OCTOBRE. 1761. 59
re efpéce , qu'ils fe laiffent conduire. Appuyé
fur cette connoiffance acquife fouvent
par une funefte expérience on doit
toujours attribuer à quelque mouvement
caché d'envie ou d'intérêt , ce que les hommes
font ou difent au détriment de
leurs femblables ; & comme le mérite offufque
ordinairement ceux que les paffions
dominent , on doit penfer que la
vérité ſe refuſant la plupart du temps aux
lâches efforts qu'ils font pour le ternir, ils
n'ont prèfque jamais recours qu'au menfonge.
Si les éloges que donnent l'amour
& l'amitié paroiffent fufpects , on doit à
plus forte raiſon , foupçonner l'envie de
partialité. Les fentimens de l'amour &
de l'amitié font fouvent fondés fur les
qualités eftimables & brillantes de l'efprit
& du coeur ; & ce n'est jamais au vice
& à l'ignorance que s'attache la rouille de
l'envie. Cette dernière doit paroître encore
d'autant plus fufpecte , qu'elle ne loue
jamais . Comme fon but eft de nuire ; elle
craindroit de détruire par des éloges fincères
le mal qu'elle veut faire l'amitié
plus raiſonnable ofe quelquefois blâmer.
Lorfqu'elle eft vertueufe elle croiroit avoir
des reproches à fe faire , fi elle ne contribuoit
pas à rendre plus parfaits ceux que
fes doux liens uniffent . Mais par un fatal
Ċ vj
o MERCURE DE FRANCE:
effet de la prévention , loin de contredire
l'envie & d'avoir pour elle tout le mépris
& le dedain qu'elle mérite , nous fommes
toujours diſpoſés à prendre fon parti contre
ceux qu'elle perfécute . Combien ne
fommes nous pas injuftes ? Nous voulons
trouver des défauts dans ceux à qui la reconnoiffance
ou l'admiration offre un encens
fouvent dû à la généreufe bienfai
fance ou au talent modeſte ; & nous bornant
à fixer le point de vue défavantageux
fous lequel l'envie nous préfente ceux
qu'elle s'efforce de détruire , nous ne
cherchons point en eux un aſpect plus favorable.
Selon nous ,la louange eft flatterie
& la Satyre fincérité . N'eft -ce pas ,
malgré notre averfion pour les ingrats , autorifer
l'ingratitude par une façon de penfer
auffi peu équitable ? Enfin nous détaillons
avec foin les traits de la beauté pour
tâcher d'en trouver quelques - uns d'irréguliers,
qui lui faffent perdre quelque chofe
de fon prix , & nous ne confidérons que
l'enfemble des objets hideux , comme fi
par un examen férieux de chacune de
leurs parties , on ne pouvoit pas auffi découvrir
quelque beauté cachée qui en diminuât
la difformité . Nous voulons voir
le vice & la médiocrité où ils ne font pas ;
& nous n'appercevons pas la vertu , le
OCTOBRE, 1781. 30
mérite & les talens où ils font ; ou du
moins nous fermons les yeux pour ne les
pas voir ; nous n'en pouvons fupporter
l'éclat ; il femble qu'il nous bleffe dès
que nous y attachons nos regards. Quel
étrange aveglement !
Soyons plus équitables. Ne jugeons
point uniquement d'après les autres.
Ofons nous croire , après avoir écarté
le bandeau des préjugés & des paffions ,
capables de bien juger ; & loin de précipiter
notre jugement , tenons- nous- en à
un doute raiſonnable , lorſque nous n'avons
pas tous les éclairciffemens néceffaires
pour porter une fage décifion . Mon.
trons que la Philofophie , qui dans ce
fiécle a tant fait de progrès parmi nous ,
ne confifte point dans une vaine fpéculation
, & qu'après avoir diffipé les téné
bres de l'ignorance , fon flambeau peut
encore nous guider vers la fageffe.Qu'elle
faffe donc encore un effort pour détruire
la prévention , qui eft l'obftacle le plus
difficile qu'elle ait peut-être à vaincre.
Il ne lui faut plus que ce fuccès pour
triompher.
De Coëme en Anjou ,
Parun Abonné au Mergurev
62 MERCURE DE FRANCE.
LA PEINE ET LE PLAISIR ,
U
FABLE. -
N jour le Plaifir voyageant ,
Sur fon chemin trouva la Peine ;
( II la rencontre très-foavent ,
La chofe n'eft que trop certaine . )
Depuis longtems il fentoit dans le coeur
Contre elle une vive rancune :
Il avoit vu cette importune ,
Maintefois de fes dons altérer la douceur.
Il commence auffitôt à lui chercher querelle ;
En vérité , vous êtes bien cruelle ,
Lui dit-il d'un ton plein d'aigreur :
Si je vais chercher un afyle ,
Vous marchez bientôt fur mes pas :
Vous me chaflez toujours , hélas !
De mon plus charmant domicile.
De grâce , déformais laiſſez moi donc tranquille
Laiffez-moi rendre des humains
Tous les jours heureux & fereins .
Que pourjamais ils goûtent tous mes charmes ;
Qu'ils s'enivrent de mes bienfaits :
Ne les bleffez plus de vos traits ;
Et ne les plongez plus dans de vives allarmes.
1
Ainfi fe plaignoit le Plaifir ;
Mais loin de contenter fes indifcrets defirs
OCTOBRE. 1761 .
La Peine à l'air dur & févére ,
Lui dit , Plaifir , vous ne connoiſſez guére
Ce que c'eft que le coeur humain ;
Aujourd'hui vos faveurs pourront très-bien lu
plaire ,
Et ne lui plaire plus demain.
Dans vos bras fouvent il fommeille ,
Vos préfens auffitôt font pour lui fans attraits :
Il faut que la Peine l'éveille ,
Pour lui faire fentir le prix de vos bienfaits.
La Peine avoit raifon. Mais n'eft- il pas étrange
Que pour rendre piquans nos voeux ,
Et pour être vraiment heureux ,
De Peine & de Plaifir , il faille le mêlange !
22016
AIR.
Au Village mieux qu'à la Ville.
Du Dieu d'Amour on fuit les loix :
On trouve toujours dans nos bois
Une ardeur conftante & tranquille,
Cupidon , au Palais des Rois ,
Regrette une fimple Bergère :
Sous le dais , il dort quelquefois ;
Mais rarement fur la fougère,
༢
34 MERCURE DE FRANCE.
1
LE PORTRAIT ,
O DE Anacreontique.
ETANT naguère à la toilette
D'un Enfant plus beau que le jour,
J'avois déja pris ma palette
Pour le peindre ; c'étoit l'Amour.
Ce Dieu me fourit d'un air tendre ;
Puis me lançant un doux regard
Qu'ofes-tu , dit- il , entreprendre
Après Ovide, après Bernard ?
Nefaut- il pour te fatisfaire
Qu'un portrait ? pourſuit l'Enchanteur
Si tu veux me le laiffer faire
Je vais le graver dans ton coeur,
A ces mots fon front fe colore ;
Il s'avance & du premier trait....
Vois-tu , dit- il , que j'ai peint Laure?
Eh bien ta Laure eft mon Portrait.
A l'Amourje rendis hommage
Pour prix d'un préſent fi flateurs
Ec-depuis , Laure , votre image
A toujours reſté dans mon coeur.
OCTOBRE. 1761 .
EXAMEN DU PORTRAIT ,
Ou ce qui eft plus beau que l'Amour.
MADRIGA L.
Name dis pas que ton Portrait ,
Dieu d'Amour, foit celui de Laure ;
Mon coeur n'en eft pas fatisfait.
Oui , j'y trouve à redire encore ;
Tu conviendras de bonne foi
Que tu n'as point flatté ma Belle.
Quand il feroit trop beau pour toi ,
l'être allez pour elle ;
Il ne peur
Avec ton fourire enchanteur ,
Elle a les traits de ton viſage....
Ils font bien beaux ! ... mais la pudeur
L'embellit encor davantage.
Par M. *** , Garde du Roi de Pologne ,
à Lunéville , ce 28 Septembre 1761 .
66 MERCURE DE FRANCE.
L'ACCORDÉE DE VILLAGE ,
CONTE MORAL,
DONT l'idée eft prife du Tableau de
M. GREUZE , expofé depuis peu de
jours au Sallon du Louvre. ParM.
l'Abbé AUBERT.-
UN FINANCIER , rempli de ſentiment ,
( Qualité qu'on voit rarement
Sous un habit doré ) ; poffédoit une Terre
Où fon généreux caractère
S'appliquoit chaque jour à faire des heureux
Etude rare, mais facile
A qui fçait eftimer ces penchans vertueux-
Que nous ignorons à la ville ,
Mais que des champs les fimples citoyens
Cultivent fagement , comme les premiers biens.
Cetiche , quoiquejeune , avoit vû dans le monde
Beaucoup d'hy mens brillans, peu qui l'euffent.tentés
* On auroit ſouhaité pouvoir étendre à tous les chefsd'oeuvres
dont ce magnifique Sallon eft décoré , l'hommage
que la Poefie rend ici à la Peinture ; mais cette
entrepriſe exigeoit des talens fupérieurs à ceux d'un Auteur
de Contes & de Fables. On s'eft aufli fenti arrêtes
par la difficulté de louer dignement le Mécène à qui les
Arts font redevables de tant de richeffes , & qui remplit
fi bien les intentions d'un Monarque occupé fans ceffe
de leur gloire & des moyens d'en augmenter les progrès
OCTOBRE. 17618 67
Et fon coeur éprouvoit une douleur profonde
De voir qu'on mît partout l'enchère à la beauté,
Le hazard conduifitce Sage.
Au logis d'un Fermier , l'exemple du village ,
Vénérable Vieillard , bon père & bon époux
Il marioit fa fille ; & cejour- là fon gendre
Touchoit la dot , gage d'un noeud fi doux ;
Gage moins cher pour lui, qu'un coeur fincère &
t
tendre'!
En un réduit , propre , mais fans éclat ,
Se faifoit la cérémonie.
Un Payfan coëffé d'un chapeau plat ,
En manteau noir , bas blancs , culotte cramoifie
Dans un coin dreffoit le contrat.
Le Patriarche affis , l'air noble & reſpectable ,
Parloit au gendre avec bonté,
Lui donnoit des leçons de moeurs , de probité ,
Qu'embelliffoit fa bouche aimable.
L'autre debout , l'oeil fixe , & l'air reconnoiffant ;
Avec émotion écoutant fon beau-père ,
D'une main recevoit l'argent ,
Et de l'autre attiroir la Beauté-jeune & chère
Qu'à fes tendres defirs affûroit ce préfent.
De fes doigts délicats cette Beauté timide
A peine ofoit toucher la main de fon Amants
Elle cédoit négligemment
Aux tranſports de ce nouveau guide..
Auffi fraîche que le Printemps ,
Ses regards trahiffoient le trouble de fes lens ;
78 MERCURE DE FRANCË.
Cet air ému, contraint , la rendoit plus charmante
Le lin qui compofoit fes légers vêtemens ,
Embraffoit les contours de la taille élégante.
Sa jeune foeur, qui l'aimoit tendrement ,
Sur fon fein agité laiſſoit couler des larmes.
Une autre plus âgée , en cet heureux moment
Paroiffoit envier ſes charmes.
Sa mère , dont les bras ne pouvoient la quitter ,
Peignoit dans fes regards la trifteffe & la joie ,
Sembloit la plaindre & la féliciter ,
Sembloit chérir & regretter
Le fort d'une auffi belle proie.
Le jeune Financier , en voyant ce tableau 3
Goûtoit d'un fentiment nouveau
C Les délices inexprimables ;
Et troublant à regret un spectacle fi beau ,
De ne chérir que l'or il plaignoit fes femblables.
Cependant il pria ces époux eftimables .
D'accepter un riche préfent.
Mais il leur dit , touché de l'ardeur vive & puré
Que faifoit éclater ce couple attendriſſant :
Ce que fit pour vous la Nature
Ne peut être égalé par ce foible bienfait.
Je me retire fatisfait :
J'ai vu deux coeurs unis & s'aimant pour eux-mê
mes ,
Eprouver des douceurs extrêmes ,
Que chez ceux de ma forte étouffe l'intérêt.
OCTOBRE. 1761 :
OBSERVATIONS fur les talens & fur
les défauts de la compofition dans la
Mufique , par M. l'Abbé D'AULNY
Profeffeur de Philofophie à Beauvais
J' ne fçais point la Mufique , & vraifemblablement
ne la fçaurai de ma vie.
Lorſqu'à trente ans on n'en a pas dévoré
les premieres difficultés , le mieux eſt d'y
renoncer pour toujours. J'ai vu des hommes
s'y livrer à cinquante ans pour la
première fois ; lui facrifier les devoirs , les
bienséances de leur état , le foin même de
leur fortune: la lenteur , ou plutôt la nullité
de leurs progrès a démontré qu'ils
étoient moins inſpirés par le goût que par
la vanité , par le defir d'être hommes de
leur fiécle. Le goût des Arts peut bien fe
conferver fous les glaces de la vieilleffe ,
mais il s'annonce , dans le printemps de nos
années.Ainfi quelles que foient les prérogatives
de l'harmonie , quoiqu'elle falle aujourd'hui
plus que jamais le fond de nos
plaifirs , & qu'elle foit devenue l'ame & le
reffort de prefque toutes les Sociétés , je
crois pouvoir,fans me donner un ridicule ,
renoncer folemnellement à toute réputa
70 MERCURE DE FRANCE.
tion fondée fur la connoiffance , ou fur
l'éxécution de fes régles . Mais ces régles ;
ces Loix particuliéres de meſure, de mouvement,
d'accords, & de proportions harmoniques
portent fur des principes fimples
que la réfléxion peut faifir & développer
fans entrer dans les myſtères de l'Art , &
c'est l'objet que je me fuis propofé.
Peindre la Nature ; & la rendre telle
qu'elle eft , voilà l'éffence & la perfection
de tous les Arts . L'affoiblir , ou la charger,
c'eft quelquefois nous laiffer tous nos befoins
; & c'est toujours prendre fur nos
plaifirs. Un coup de Théâtre , un morceau
de Sculpture , un Tableau, m'affectent délicieufement
, lorſque le charme de l'illufion
remplit toute mon âme , & lui fait
oublier le Peintre , le Sculpteur , le Poëte .
Mais la fource unique de cette illuſion
qu'elle chérit , c'eſt l'imitation . Ce n'eſt
qu'en fouillant dans le fein de la Nature ,
en la fuivant pas à pas , même dans fes
écarts , dans les contradictions , que nos
plus célébres Artiftes ont faifi ces images
frappantes , ces idées vraies & fublimes ,
ces traits fiers & hardis qui caractériſent
* Refpicere exemplar vitæ morumque jubebo ,
Do&tum imitatorem , & veras hinc ducere voces
Art. Poët.
OCTOBRE. ibi .
ཏ
leurs chefs- d'oeuvres . C'eft dans l'analyſe
du coeur , dans la décompofition de fes
fentimens qu'ils ont puifé ces expreffions
animées , ces paffions éloquentes , ces détails
intéreffans que l'Etranger admire
avec nous. Il faut donc que la Nature fe
montre dans toutes les productions de
l'Art ; & le Muficien Compofiteur qui viole
cette régle effentielle , n'eft point fait
pour cimenter l'empire de l'harmonie.
A
Sur ce principe ofons décider que dans
la foule des Compofiteurs , il en eft peu
qui doivent nous attacher , parce qu'il en
eft peu qui fuivent leur modéle. En effet
pour exprimer la Nature , il faut la connoître,
en examiner les refforts & les mouvemens
, fe pénétrer de fon Sujet , le concevoir
avec force , employer le ton & les
nuances qui lui font propres ; mais cette
connoiffance de détail , cet examen réfléchi
, cette force d'idées & de fentimens
enfin cet efprit fage , economique , qui
met toute chofe à fa place , ne ſe trouve
point communément dans nos Harmonif
tes. Soit inapplication , foit défaut de talent,
plufieurs traitent la Mufique comme
on traite la Poësie dans les Colléges . Ils
ont appris fuperficiellement les principes
de la compofition , & ils compofent avec
une rapidité qui étonne . Efclaves de ces
›
72 MERCURE DE FRANCE.
principes , ils n'ont point d'autre Bouffo
le. Il y a dans la Nature une variété admirable
, des traits fins & délicats des fituations
fingulières, des gradations impercep
tibles au vulgaire , dont la repréfentation
enléve l'âme, & fixe l'admiration des Con--
noiffeurs ; mais ce n'eſt point affez de la
Science des régles pour copier la Nature,
quand elle s'enveloppe ou fe multiplie
fous tant de formes différentes. C'eſt :
alors la réfléxion qui éclaire , c'eft de goût
qui dirige. Si Defcartes avoit fait des lie
vres de Mufique , il en auroit ſuivi les
loix ; mais peut- être il eût manqué de goût,
& fes productions feroient infoutenables.
On fçait en général que les diffonances !
produisent dans l'Harmonie un effet merveilleux,
préfervent l'âme de ce trifte fom-.
meil que caufe infailliblement l'uniformité
des fons , & les Auteurs dont je parle
admettent fans difcernement les fauffes
quintes , & les autres diffonances. Tous
les genres n'en font pas également fufceptibles
; & le bon goût réprouve toute fingularité
qui ne fort point du Sujet . On
fçait encore que les tierces & fextes majeures
peignent mieux la trifteffe , les mineures
, le plaifir ; & ils croiroient fe déshonorer
s'ils manquoient à cette régle. Eh !
Les faifeurs de Régles ont- ils donc tout
prévu z
OCTOBRE. 1761.
73
Il y a conftamment des cas particuliers
qui ne peuvent s'y rapporter . D'ailleurs un
fentiment , quelque fort qu'on le ſuppoſe ,
n'eft prèfque jamais unique dans un Sujet
de compofition . Qu'il y ait dans toutes
lés piéces un fentiment dominant, auquel
tous les autres foient fubordonnés , cela
eft dans la Nature , & eft conféquemment
un objet d'imitation ; mais il ne conviendroit
pas que les fentimens acceffoires fuffent
anéantis. Que leur expreffion foit plus
foible ; on y foufcrit : mais qu'elle ferve du
moins à modifier l'expreffion dominante.
On ne remplit point autrement le grand
précepte de l'unité & de la variété , dont
l'inobfervation laiffe tant de Compofiteurs
dans une rebutante médiocrité .
Il en eft parmi les Maîtres de l'Harmonie
que des talens fupérieurs , & leurs méditations
profondes devoient , ce femble , conduire
à la perfection de leur Art ; mais
malheureuſement prévenus en faveur d'une
opinion ridicule , ils trahiffent la Nature
qui les avoit fi bien traités , & leur travail
ne fait ni leur gloire , ni nos plaifirs .
Ils font confifter tout le mérite de la compofition
dans la difficulté ; rien n'eſt beau ,
& facile tout enfemble , il n'en coûteroit
pas affez pour briller . Lifez leurs productions,
vous n'y verrez que des fauts tumul-
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
tueux , des chûtes énormes , des contraf
tes fçavans : ils font en quelque forte les
Métaphyficiens de la Mufique , & ils s'écartent
de la vérité, comme s'en font écár- .
tés nos Philofophes à fyftêmes . La Nature
a fes fecrets fans doute , mais elle fe montre
quelquefois à découvert ; rendez - la fimplement
, & fans apprêt , lorfqu'elle ne s'eſt ,
point cachée fous le voile du myftère . C'eſt
un Héros fubjugué par l'amour , endormi
dans les bras de la volupté ; c'eft une Amante
qui l'enchaîne avec des fleurs , & qui
ne fe refpecte plus avec l'objet de fa paffion
. Qu'ai -je alors befoin de ces tirades
fçavantes qui étonnent l'efprit , & qui ne
difent rien au coeur ? Montrez- moi plutôt
leurs ames confondues , leurs organes ouverts
à l'impreffion du plaifir ; que la douceur
& la tendreſſe de vos fons foient pour
moi l'image des defirs toujours fatisfaits ,
& toujours renaiffans : vous m'intérefferez,
& l'illufion puiffante de l'Harmonie ne ceffera
d'agir fur mon âme , que pour faire .
place aux fentimens que mérite l'Interpréte
de la Nature , & le Peintre des paffions.
C'est ainsi que le Créateur de la Mufique
Françoiſe travailloit pour fa gloire , & pour
les délices de la Nation . Il ne crut pas devoir
bannir du Théâtre lyrique les recherches
& les idées profondes ; mais il les faOCTOBRE.
1761. 75-
trifia fouvent à la Nature. On chantoit à
Paris fa Mufique après une première Repréſentation
. Il étoit perfuadé que la Mufique
étant un art d'agrément , il ne fuffifoit
point de furmonter de grands obftacles
pour fonder une grande réputation .
L'immortel Rameau & le Philofophe de
Genève ont entendu comme lui la voix de
la Nature , & en font devenus les échos.
Cette faculté de l'âme qui reçoit les impreffions
des objets fenfibles , & qui crée
en quelque forte des êtres nouveaux par
fes différentes opérations fur les premieres
idées que les fens lui tranfmettent , l'imagination
eft abfolument néceffaire au Compofiteur
; c'est elle qui l'échauffe , & qui
répand dans fes productions ces traits de
flamme , ces brillans écarts , dont l'exécution
ne laiffe à l'âme que la faculté de
fentir. S'il n'imagine que foiblement, tout
ce qu'il veut rendre porte un caractère de
foibleffe & de contrainte. Il ne fait plus
que s'agiter triftement dans les entraves
de la Régle. Mais qu'il eft dangereux de fe
livrer à toute l'impétuofité de l'imagination
! C'eſt un feu qui nous éclaire , & qui
découvre à nos regards des objets raviffans,
des beautés célestes ; mais il peut nous égarer
& nous perdre ; femblable à ces lueurs
perfides qui trompent le Voyageur dans
Dij
6 MERCURE DE FRANCE.
l'obfcurité de la nuit . Combien de nos Au
teurs harmoniftes altérent la Nature, parce
qu'ils fe laiffent emporter par les faillies
d'une imagination ardente ? Ils veulent
nous enchanter , & ils fortent de la vraifemblance.
J'interroge l'Univers , je compare
leurs repréſentations avec tous les
êtres connus, & je n'y vois rien de reffemblant.
Vous voulez peindre des paffions ,
des vertus , & des vices : pourquoi me tranſporter
dans un monde chimérique ? Prenez
vos traits dans la Nature ; fi je ne découvre
en moi le germe de ces paffions , fi
je n'ai pas même l'idée des vices & des vertus
que vous crayonnez , vous fatiguez inutilement
votre génie ; ce qui m'eft étranger
ne m'affecte pas.
Le goût de la Mufique Italienne a fait
depuis quelques années d'immenfes progrès
parmi nous . Le caractère de notre Mufique
eft prèfqu'entiérement changé . Tout eft vif,
léger , faillant, ou gracieux dans nos Concerts
. Dans les Sujets même les plus auguftes
on ne revoit point cette majeſté impofante
qui fied fi bien à l'origine & à la
Nobleffe de l'harmonie . Ce n'eft plus un
Corps de Mufique , c'eſt un fantôme qui
brille & difparoit au même inftant. Tout
l'Art desCompofiteurs ſe réduit à
gazer des
Portraits , à créer de petites Gentilleffes..
OCTOBRE. 1781. 77
Ils ont pris tous les défauts de leurs modéles
. Si quelquefois ils jettent de l'intérêt
dans leurs ouvrages , ils font alors auffi
dangereux qu'ils étoient frivoles. Ils amolliffent
l'âme par des images voluptueules ,
& rétréciffent la fphère de ' fon activité.
L'amour est le feul fentiment qu'ils rendent
avec fuccès ; & ce fuccès encore ils le doi
vent peut-être moins à leurs talens qu'à la
facilité de nos coeurs toujours prêts à s'élancer
dans le fein de la volupté. Je n'examine
point fi la Mufique Italienne eft fupérieure
à notre Mufique . Un homme d'ef
prit comparoit la première à une jeune Coquette
qui papillonne & folâtre fans ceffe ,
qui n'a point de caractère à force d'en
changer ; ôtez -en la parure , le jargon , la
légéreté : vous ne lui laiffez rien. La Mufique
Françoife eft au contraire , dans la
penfée du même Auteur , une beauté raifonnable
dont les charmes intéreffent d'autant
plus , qu'ils fortent avec plus de décence.
Quoiqu'il en foit de cette comparaifon
qui nous laiffe tout l'avantage , il
eft conftant que le génie de la Mafique varie
avec le génie des Nations. Tous les
Peuples du Monde font foumis à l'empire
de l'harmonie ; mais elle a partout des
marches différentes , un ton , un caractère
diftinctif. Pourquoi donc vouloir nous af-
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
fujettir à des goûts étrangers ? On a toujours
affez de les propres défauts .
A l'égard des Auteurs qui compofent la
Mufique Eccléfiaftique , on ne peut s'empêcher
de reconnoître dans quelques- uns le
génie des grands Maîtres .Mais il en eft dans
cette claffe , qui n'entendent pas même la
lettre fur laquelle ils opérent. Cependant
par un pré ugé auffi commun qu'il eft injufte
, on rejette fur l'Art toutes les fautes du
Compofiteur . On fait un crime à l'Harmonie
de l'abfurdité des expreffions qu'on
lui prête ; & cet Art précieux, dont la première
fin fut d'exciter la Religion des Peuples,
eft regardé comme un ufage fatiguant
par ceux même qui l'ont appellé dans le
Sanctuaire. Puiffent les Auteurs de ce fcandale
mieux cultiver un Art qui les honore :
qu'ils étudient leur Texte & la Nature ;
c'eft là qu'ils doivent prendre les idées &
les fentimens qu'ils mettent en oeuvre ;
leur ginn''ee feroit trop refferré dans le cercle
étroit que l'on trace aux jeunes Eléves .
Mais qu'ils fe fouviennent de modérer les
tranfports de leur imagination . Que leur
ferviroit de n'être point foibles , s'ils devenoient
abfurdes ?
OCTOBRE. 1761. 79
CONTE allégorique à M. De ***
pour l'engager à continuer une entreprife
qu'il avoit commencée avec fuccès
, & dont les difficultés l'avoient
détaché.
UNUn riche Amateur de Jardins N
Paffoit les jours à leur culture :
Il embelliffoit la nature
Des travaux de fes propres mains.
De vingt jets d'eau , d'une cafcade
Un grand parterre étoit orné ,
De tous côtés environné
Par de hauts ifs en colonnades.
A droite des beaux Orangers
Avoient de magnifiques ferres ;
A gauche de fécondes terres
Servoient à de bons potagers:
Plus loin de timides Nayades
Cherchant le jonc & le rofeau,
Suivoient le cours d'un clair ruiffeau
Dans de champêtres promenades.
Un plan de tendres arbrilleaux
Déja paffoit toute eſpérance.
Que manquoit-il ? en apparence
Il ne manquoit que des berceaux .
1
Div
So MERCURE DE FRANCE.
On plante donc ; nouveau prodige
En peu de temps frappe les yeux :
Bientôt on admire en ces lieux
Une charmille à haute tige .
Déja le foigneux ouvrier
Veut courber la branche facile ;
Et le bois à fes loix docile
Seul déja paroît le plier.
Notre Amateur alors fe flatte :
Il voit en ces rameaux un objet raviſſant :
Mais bientôt , ô douleur ! la racine avançant,
Trouve hélas ! une terre ingrate.
Comment en réparer le tort ?
Les progrès des branches finiffent ;
Les feuilles qui par-tout jauniffent
Menacent de prochaine mort.
Vingt fois trompé par l'apparence ,
De tout couper on eft tenté ;
Et vingt fois on eſt arrêté
Par quelques lueurs d'efpérance ,
S'il en revient il reviendra :
Pourquoi , dit- on, ne pas attendre ?
Le bois eft jeune, il peut reprendre.
Eh bien s'il meurt il en mourra.
De la terre trouvons le vice ,
Et cherchons remé le aux befoins.
On y travaille , & par les foins
La terre enfin devient propice.
Dans un terrain comme nouveau
OCTOBRE. 1761. 81
Bientôt les feuilles reverdiffent ;
Bientôt les branches qui s'uniffent
Vont en l'air former le berceau .
L'oeil étonné qui les contemple ,
Voit enfin pour jamais les bois entrelaffés .
O vous, que les revers ont trop tôt terrailés ,'
Efpérez tout fur cet exemple !
LE
DE BILLEHEUST DE S. GEORGE ,
Moufquetaire Noir.
mot de la premiere Enigme du
premier volume d'Octobre eft , les heures.
Celui de la feconde , eft , la Dentelle.
Celui du premier Logogryphe , eft Figure
, dans lequel on trouve Grive , Vrie
Eu, furie , fier , grue & figue. Celui du
fecond Logogryphe , eft , Chevaux-léger ,
dans lequel on trouve Hercule,Rawlegh,
Laure ( la belle ) Egée , Aurele ( Marc ) ,
Galere ( Maximien ) , Rachel, Leve ( Antoine
de ) Grec , Grèce , Grue , grace ,
Gaule , cruel , grave , & le Chauve , furnom
d'un de nos Rois .
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
ENIGME.
N fait de nous fouvent des chapelets ;
Pour la fanté l'on nous met en uſage .
Par caprice on nous nomme laids ;
Et cependant pour le viſage ,
Notre couleur a mille attraits ;
Et quand le Temps qui tout éfface ,
Par une fâcheufe diſgrace ,
Enlève à quelqu'un la beauté ,
On dit en proverbe ufité ,
Qu'auffitôt nous prenons fa place.
D₂
AUTR E.
E ceux qui par mon nom favent me reconnoître
,
Les uns ne m'ont point vû ; d'autres par la fenêtre
Ne m'ont vû qu'en paffant ; tout le monde la
nuit
Me connoît auffi bien que quand le Soleil luit.
Rien ne paroîtra plus contraire,
Cue grand fujet de joie & grand fujet de deuil :
Ils ne différent pourtant guère
Chez moi,qui du berceau m'occupe & du cercueil.
Cela s'appelle être volage :.
C'eſt ma profeſſion ; ma propre qualité ;
OCTOBRE . 1761.
Et pour paffer de l'une à l'autre extrémité ,
Un feul inſtant pas davantage .
Les camps ne me virent jamais ;
Mais quoique faite pour la paix ,
Je ſuis néanmoins le partage
D'un vainqueur diſtingué dans le tems du pillage.
LOGO GRYPH E.
SEPT pie ds forment mon tout : dans
la figure ,
quatre
el
Que nous offre des Cieux fa fuperbe ſtructure.
Dans le refte on découvre un dés quatre élémens ,
Qu'annoncent fort ſouvent le tonnèrre & les vents.
Pour me trouver , Lecteur , décompofe mon être :
Je t'offrirai d'abord un métal adoré ;
Un datif qui s'adreſſe à notre commun Maître ;
Une Ville d'Eſpagne ; un Guerrier cftimé ;
Le fublime du ftyle en genre Poétique ;
Un ftupide Animal ; une Ville d'Afrique ;
J'ai la tête d'un Roi ; dans moi l'on trouve don ;
Pour tout dire, en un mot : je fuis fils d'Apollon.
LECTEUR,
AUTR E.
ECTEUR , tu me connois fi tu nâquis en France,
Et même je fuis für que tu vis fous ma loi ;
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
Puifque tout bon François, malgré ſon inconſtance;
Ne fe laffe jamais d'être conduit par moi .
Cherche dans mes fept pieds , tu trouveras fans
peine ,
Un Tyran qui rendit les Romains malheureux ;
Un Fleuve plus profond qu'à Paris n'eft la Seine ;
Ce qui cache fouvent l'Aftre brillant des Cieux ;
L'état ou fe trouva la Reine de Cythère ,
Lorfque Vulcain la vit outrageant ſon honneur ;
Pour t'en dire encor plus , obferve , confidére ,
Tu me vois fous tes yeux , regarde bien , Lecteur.
Par un Abonné au Mercure.
CHANSON.
SUR le printemps de ma vie ,
L'Amour qui femoit des fleurs ,
Depuis que j'ai vu Silvie ,
Ne verfe que des douleurs.
'Ainfi le Soleil , dès fon aurore ,
Voit obfcurcir fon flambeau ;
Ainfi la rofe qui vient d'éclore ,
Se flétrit fur l'Arbriffeau.
Éloigné de ma maîtreſſe
Que je demande aux échos ,
Les accens de la triſteſſe
Enflent feuls mes chalumeaux.
OCTOBRE. 1761 85.
'Ainfi la fenfible Tourterelle
Pleure un funefte trépas ;
Mais fon Tourtereau lui fut fidéle ,
Silvie , & tu ne l'es pas.
Ah ! fi je pouvois encore ,
M'abufant fur mon état ,
Penfer au coeur que j'adore ,
Sans penfer qu'il eft ingrat !
Mais non , je ne revois point l'image
De l'objet qui m'a charmé ,
Sans revoir celle d'une volage
Dont je ne fuis plus aimé.
Par un Eléve des Affaires Etrangères.
86 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II..
NOUVELLES LITTERAIRES.
LAA SCIENCE DU GOUVERNEMENT , contenant
le Gouvernement de France , la
fondation , la conftitution relativement
aux Traités jufqu'au dernier d'Aix - la - Chapelle
inclufivement , l'étendue , les moeurs ,
les forces , le nombre des habitans , les
revenus , les Loix de chaque Etat de l'Europe
, confidéré en particulier . Par M. de
Réal,Grand- Sénéchal de Forcalquier.Suite
de la première Partie . Tome 2 .
>
Reges gentium dominantur eorum : & qui poteftatem
habentfuper eos benefici vocantur.
Luc. chap. 22. V. 25 .
Vol. in-4° . à Aix - la-Chapelle.
Après le Difcours Préliminaire , & la
divifion que nous avons donné de cet Ouvrage,
le plus étendu que nous connoiffions,
dans les Mercures d'Octobre 1760 , &
Janvier 1761 , les profondes recherches ,
& cette fupériorité de génie qui régne dans
l'Ouvrage immenfe de M. de Réal , nous
ont déterminés à rapporter l'Article de ce
OCTOBRE. 1761 . 87
fecond Volume , chap . 7. page 580 , qui
regarde la plus petite des Républiques
qu'il y ait fur la Tèrre .
Une République moins puiffante encore,
eft celle de S. Marin . C'eft vraisemblable.
ment la plus petite , je ne dis pas de l'Ita
lie , mais du Monde entier . Elle eſt ſituée
entre la Romagne & le Duché d'Urbin :
fait extrêmement important à remarquer.
On ne doit rien ignorer d'un tel Etat.
Difons donc que Saint-Marin eft fon patron
& lui a donné fon nom. C'étoit un
Maçon venu de Dalmatie. Il fut employé
dans la Romagne vers le troifiéme fiécle ,
lorfqu'on conftruifit la Ville d'Arimini.
Tout le temps que fa profeffion lui laiffoit
libre , il l'employoit à convertir les
Payens. A la fin , il abandonna fon métier
pour vivre dans la folitude , & pour prêcher
l'Evangile aux environs de fon hermitage.
C'eft dans cette fainte occupation
qu'il finit fes jours , après avoir été fait
Diacre par l'Evêque d'Arimini . Dans la
fuite , on bâtit une Chapelle & un Monaftère
au lieu où avoit vécu ce faint homme,
Peu-à- peu quelques perfonnes s'y établirent
, & le nombre des maiſons , augmenté
infenfiblement , forma la Ville de Saint-
Marin fur la fin du fixiéme fiécle ( a ).
(a ) Vers l'an 600.
88 MERCURE DE FRANCE.
Enclavée dans les Etats du Pape , la
petite République confifte en une Ville ,
en une montagne & quelques collines . Elle
pofféde ce qu'elle appelle trois Châteaux ,
trois Couvens , & cinq Eglifes , & ne
compte guére moins de fix mille âmes dans
l'étendue de fes Etats .
Au milieu des révolutions qui changent
fans ceffe la face de la tèrre , on fçait les
accroiffemens que la République de Saint-
Marin a reçus , quand on eft inftruit qu'elle
acheta dans fon voifinage un Château en
1100 (b) , & une autre en 1170 ( c) . Les
actes en font confervés dans les Archives
de l'Etat . Un homme de mérite nous affure
que le nom de Syndic de la Communauté
celui du vendeur , & celui des témoins eft
le même dans ces deux actes faits à foixante-
dix ans l'un de l'autre , fans qu'il puiſſe
y avoir d'erreur dans les dates , parce qu'on
y trouve le nom des Papes & des Empereurs
& les années de leur regne (d).
( b ) Le Château de Penna Rofta , des Comtes
de Montefeltro .
( c ) Le Château de Cafolo .
( d ) Addiffon mort Secrétaire d'Etat en Angleterre
, dans un ouvrage anonyme écrit en Anglois
, qui a pour Titre : Remarques fur divers
endroits de l'Italie , faites en 1701 , 1702 &
1703. Londres chez Tonfon 1705. Voyez la page
130 & ſuivantes.
OCTOBRE. 1761. 89
Environ , 290 ans après , la République
de Saint-Marin affifta le Pape Pie II contre
un Malatefta , Seigneur d'Arimini, qui fut
vaincu. Elle reçut ( e) quatre Châteaux (f)
de la reconnoiffance du Pape , mais elle fut
enfuite réduite à fes anciennes limites.
Telle eft l'hiftoire des accroiffemens qu'a
reçus & des pertes qu'a fait la République
de Saint- Marin.
Le pouvoir fuprême de la République
réfidoit originairement dans le Arengo.
C'eſt un Grand- Confeil dans lequel chaque
maiſon avoit fon Député. Dans la fuite les
habitans de Saint-Marin réunirent toute
l'autorité entre les mains du Confeil des
Soixante. Ce Confeil qui, malgré fon nom
n'eft que de quarante perfonnes , eft chargé
de l'adminiftration des affaires ordinaires
& eft compofé la moitié de familles Patriciennes
, & la moitié de Plébé ennes . Le
Arengo eft pourtant encore convoqué dans
les cas extraordinaires .
Si après les fommations requifes , un des
membres du Confeil s'abfente , il eft condamné
à une amende de vingt - trois fols ( ) .
Cette amende , dit la loi , doit être payée
( e ) En 1463 .
(f) Sarravale , Factano , Mongiardino & Fiorentino
, avec le Bourg de Piagge.
(g ) Je compte cette fomme fur le pied de la
Monnoie de France.
90 MERCURE DE FRANCE.
fans aucune forte de diminution ni de grace
(h).
La République a pour Chefs deux Capitaines
qu'on change tous les fix mois.
Le troisième Officier de la
République
eft le
Commiffaire de toutes les affaires ci
viles &
criminelles , & fait fous les Capitaines,
à- peu- près les mêmes fonctions que
les Greffiers en Chef font dans nos Patle
mens. Ce
Commiffaire qui demeure trois
ans en place , eft toujours étranger , pour
éviter que les liaifons de famille n'introdui'ent
la corruption dans l'Etat. Il doit
être Docteur en Droit , d'une
intégrité
reconnue , & eft entretenu aux dépens du
Public.
Le quatriéme eft le Médecin qui doit
auffi être étranger ( je ne fçais par quelle
raiſon ) qui doit encore être changé tous
les trois ans , & qui eſt également entretenu
aux frais de la
République . Il faut qu'il
ait au moins trente-cinq ans , qu'il foit
Docteur de la Faculté , & d'un caractère
honnête & religieux, afin que fon
ignorance
ou la témérité ne dépeuple pas l'Etat.
Il eft obligé d'examiner les drogues & d'a
voir un cheval pour viſiter les malades .
Une autre perfonne qui eft encore fort
( h) Sine aliquâ diminutione aut gratiâ.
OCTOBRE . 1761 . SI
confidérable dans l'Etat , c'eft le Maître .
d'Ecole .
L'homme de mérite que j'ai cité , aſſure
avoir vu un Livre latin in-fol. qui a pour
titre : Statuts de la très - illuftre République
de Saint-Marin ( i ) , imprimés à
Arimini par ordre de la République . Le
Chapitre qui regarde les Miniftres publics,
porte, que lorsqu'un Ambaffadeur fera envoyé
dans un Etat étranger de la part de
la République , elle lui allouera du tréfor
public, jufqu'à la valeur de vingt- trois ( k )
fols par jour.
En vain les Italiens ont cherché à diminuer
la gloire de la République de S. Marin
,, par le titre odieux de Républichetta.
Elle ne perd rien pour cela de fa dignité;&
lorfqu'elle écrit à celle de Venile , ce qui
à la vérité , ne lui arrive pas fouvent , elle
met pour fufcription à fes Letttes : A notre
très-chère Soeur la Séréniffime Républi
que de Venife. Elle l'appelle gravement
dans le corps de la lettre : Notre Séréniffime
Soeur ( 1 ) , & elle met à la foufcription
: Votre très-humble & très-obéiffante
Servante.
( i ) Statuta Illuftriffimæ Reipublicæ Sanéti Marini.
( k ) Je compte toujours fur le pied de notre
Monnoie.
(1 , Sereniffima Sorella .
92 MERCURE DE FRANCE.
Il eft aifé de juger , par ce détail , com
bien les Gouvernemens des autres Etats
-de l'Europe font intérellans.
OBSERVATIONS D'UNE SOCIÉTÉ
D'AMATEURS , fur les Tableaux
expofés au Sallon cette année 2761 ;
tirées de L'OBSERVATEUR LITTÉRAIRE
de M. l'Abbé DELAPORTE.
A Paris , chez Duchefne ,
Libraire , rue S. Jacques, au Temple
du Goût ; Brochure in-12 . de 72 pages
, prix , 21 fols.
CETTE Société d' Amateurs ,ſoit qu'elle
exifte réellement , foit qu'elle ne ferve que
de voile à un feul Auteur , a commencé les
obfervations en 1759 fur diverfes productions
modernes des Arts. M. l'Abbé Delaporte
en a mis au jour quelques Morceaux
en différens temps dans fon Journal . Dès
qu'elles parurent , elles attirérent affez l'attention
des Artiſtes , pour exciter des dif
cuffions, où la fatalité des difputes polémi
ques avoit femé de l'aigreur , tan fis que
Public y voyoit avec affez d'étonnement ,
des connoillances dans les Arts plus profondes
qu'on ne vouloit en montrer, & plus
le
OCTOBRE. 1761 . 93
qu'on n'en fuppoſoit même à des Gens de
Lettres ; en même temps qu'on y reconnoiffoit
dans le ftyle , un talent exercé , & une
méthode de raifonnement fupérieure à ce
que laiffe de loifir aux Artiftes l'exercice de
leurs études ordinaires.
Les dernières obfervations de cette Société
, imprimées féparément dans cette
Brochure , portent fpécialement fur le dernier
Sallon . Il nous a paru qu'en général
le Public y avoit trouvé des vues d'Artiftes
& de Connoiffeurs délicats , préſentées
avec l'ordre & l'agrément des talens littéraires
; une convenance de ftyle analogue
aux divers fujets dont on y rend compte ;
de la Philofophie même dans la recherche
du rapport des effets avec leurs caufes, dans
plufieurs Morceaux de Peinture &de Sculpture
; enfin , ce qui nous a déterminés
pardeffus tour à en faire mention , une
modération très- louable , juſques dans les
critiques , & un fi fage tempérament d'éloges
& de cenfures , que les Artistes même
qui en font l'obiet , ne pourroient ni
affecter de refufer l'éloge , ni fe formaliſer
de la cenfure . Nous copierons plufieurs endroits
en entier , pour laiffer juger de ce
que nous venons de dire : nous commencerons
par le préambule qui eft à la tête
de ces remarques.
94 MERCURE DE FRANCE.
"
"
» Cette révolution de deux années , qui
» conftamment ouvre dans le Palais de nos
» Rois , le tréfor public des Arts , paroif-
» foit à notre impatience plus intéreffante
» que jamais. Nous penfions bien le
que
goût naturel de la Nation , l'émulation
" animée par les regards du Souverain , la
» libérale curiofité de quelques Connoif-
»feurs diftingués , & furtout la vigilante
bienfaifance d'un Mécène , plus protec-
» teur encore par amour que par état, ſuf-
» firoient fans le fecours de la paix , pour
> entretenir avec éclat les travaux de nos
» Artiſtes : mais nous ne nous attendions
» pas , que tandis que l'Europe gémit fous
» le poids d'une guerre dont nous fuppor-
» tons le plus grand fardeau , Paris verroit
» de nouveaux progrès dans les Arts , &
» une auffi fomptueufe abondance de leurs
plus belles productions.
"
"
و د
Le refte de cette courte Préface annonce
l'intention de l'Auteur fur l'impartialité
& fur la modération dans les jugemens.
MM. les Amateurs commencent par
l'examen du Tableau de M. Dumont, fait à
l'occafion de la Paix publiée en 1749. Ils
remarquent que le Peintre a traité le Sujet
plus dans le genre de l'Hiftoire , que dans
la fervile exactitude du Portrait . Ils donnent
des éloges à la fermeté du pinceau
OCTOBRE. 1761. 95
de l'Artiſte , à la belle & fage diftribution
des lumières , ainfi qu'à l'heureufe difpofition
des Groupes . Ils décrivent très- clairement
l'allégorie qui enrichit une partie de
ce Tableau ;ils en juftifient l'alliage avec la
repréſentation naturelle des autres perfonnages
, par l'exemple des compofitions de
Rubens. En feignant de répondre à ceux
auxquels cette forte de mêlange répugne ,
& en autorifant les Peintres par l'ufage des
Sculpteurs dans les Statues , ils font adroitement
fentir l'abfurdité de l'abus , par lequel
» la poſtérité verra les Rois de Fran-
» ce des 17 & 18 ° fiécles , fous les vête-
» mens des Héros de la Gréce & de Rome.
Si ces figures , fouvent ifolées & par
conféquent fans aucun rapport allégorique
, confondent ainsi, au gré des Sculp
» teurs , les temps , les lieux , les perfon-
" nes , pourquoi les Peintres n'auroient- ils
»pas le même droit , furtout lorfqu'il s'agit
d'enrichir une compofition qui pour..
» roit devenir trop froide fans le fecours de
l'allégorie ? Notre filence à l'égard de ces
» ftatues , eft fans doute un reproche que
"nous aurions à nous faire , fi la confidé-
» ration due à des chefs-d'oeuvre,& les mé-
» nagemens convenables pour les grands .
» Artiſtes qui les produifent , n'exigeoient
» de nous des hommages plutôt que des
» leçons .
"
"
>
96 MERCURE DE FRANCE
A la fuite de quelques remarques fur la
vérité de couleur dans quelques parties
de ce Tableau , & fur ce qu'on defireroit ,
d'après le Public , plus de richeffes & moins
d'âpreté dans la figure du Héros qui défigne
le Souverain , on finit cet article en difant :
» Ces légères critiques , dont on n'honore-
» roit point un ouvrage médiocre , n'enlè-
» vent rien à ce Tableau , de ce qui doit
» le faire confidérer comme une belle &
fçavante production d'un de nos plus
» habiles Maîtres , & comme un morceau
» très digne de fon honorable deftination .
"
و و
»
Nous croirions dérober un des plus
agréables tributs de l'admiration due à M.
Carle Van-Loo , fi nous ne rapprochions
pas en entier le premier article des Obfervations
fur fes Tableaux. » Le pinceau
» de ce Peintre , auffi précieux à l'oeil
» du Connoiffeur , qu'agréable à celui du
vulgaire , a enrichi le fuperbe fpectacle
» du Sallon de plufieurs fcènes , qui toutes
» méritent cette attention qu'on donne
» ordinairement à fes ouvrages . Mais un
» attrait univerfel ramène toujours à celui
» qui représente un jeune Eſpagnol lifant
» ' n Roman à deux jeunes filles , qui pa-
» roiffent être les deux fours . Au caractère
» d'intérêt qu'elles y prennent , on recon-
» noît le genre du Livre ; cette lecture fait
naître
OCTOBRE. 1761. 97
» naître en elles un fentiment vif & neuf ,
par lequel on pénétre jufqu'aux idées
» tumultueufes dont fe rempliffent ces
jeunes têtes. La mère affife à quelque
» diſtance, fufpend fon ouvrage pour écou-
» ter: fon attention eft fenfiblement dif-
» férente de celle de fes filles . On remar-
» que bien en elle ce goût pour les avan-
» tures amoureuſes , commun à toutes les
perfonnes de fon fexe ; mais ce qui eft
exprimé dans les jeunes foeurs, ne paroît
» dans la mère , qu'une curiofité caulée
» par la réminifcence ; ou fi l'on y foupçonne
quelque fentiment , c'eft celui du
» regret. Une troifiéme foeur , encore enfant
, faifant voltiger un oifeau au bout
» d'un fil , fans prendre aucun intérêt à la
» lecture , donne le dernier trait de vérité
» à cette fcène piquante dans fa fimplici-
>>
"
ן כ
→
té , & rendue plus intéreffante fur la
» toile , qu'elle ne le feroit peut être dans
» la nature . Au mérite de cette agréable
compofition le joignent les parties les
plus admirables de la Peinture . Un ac-
» cord harmonieux des tons ne gêne ni
» n'altére la vérité des couleurs locales
» dans les carnations , les étoffes & les
"
fites. Ce même gracieux , ce même fua-
» ve fur lequel la vue fe repofe fi volup-
» tueulement dans tous les Tableaux da
II. Vol E
98 MERCURE DE FRANCE.
7
•
» même Peintre , eft allié dans celui - ci , à
» une force fupérieure de coloris . Une
transparence générale en embellit tous
» les objets. Les plans y font diftincte-
» ment déterminés. La vue paffe aisément
» dans toutes les parties . L'air circule au-
» tour de tous les corps . En un mot , tout
» nous a paru charmant dans cette agréa-
» ble compofition .
On donne ici au Tableau du même Peintre
, qui repréfente une Offrande à l'Amour
, & à celui de l'Amour menaçant ,
des éloges différens & convenables à chacun
de ces Morceaux. On obſerve dans
celui de la Madelaine pénitente , que la
claire des Spectateurs qui fans connoiffances
détaillées fe croit Juge des convenances
, n'a pas trouvé les fignes de pénitence
affez indiqués dans la Madelaine . » D'au-
» tres vont jufqu'à defirer dans la tête
» cette expreffion de douleur & d'atténua-
» tion établies fur les ruines d'une Beauté
voluptueufe dont on verroit encore les
"
>> traces .
Si l'on doit applaudir à la juſteſſe des
vues de MM . les Amateurs , & à la délicateffe
du tour dont ils ornent leurs obfervations
, on doit leur tenir plus compte
encore de l'attention avec laquelle ils vont
fubitement à la défenfe du célèbre Artifte .
OCTOBRE. 1761. 99
"
C'eft ainfi , ajoutent-ils auffitôt , que
la critique trop facile à confeiller , perd
» de vue la difficulté de l'exécution ; par-
» ce qu'elle aura vû quelquefois des mira-
» cles de l'effort humain , elle en exige
» toujours de nouveaux . » Ce que prend
eccafion de dire l'Auteurdes Obfervations ,
fur les critiques honnêtes que l'on fait des
ouvrages des Artiftes , nous paroît fi fage
& fi inftructif , que nous ne pouvons nous
difpenfer de le copier , d'autant qu'il raméne
à un fentiment honorable pour le
Tableau de M. Vanloo .
و ر
» Le grand Artiſte fçait mieux que nous,
> apprécier ces fortes de difcuffions . Il les
»reſpecte & en profite, fi elles ont quelque
» fondement; il les néglige & ne s'en offen-
Girelles
» fe pas ,
à faux. Mais dans
portent
» aucun cas elles ne peuvent altérer fa
gloire , ni empêcher que l'on n'admire ,
» entr'autres perfections de cet ouvrage, le
» beau vaporeux qui y regne. Il n'eft peut-
» être aucun de ceux qui ont fait toutes
» ces remarques , qui ne defirât être l'Au-
» teur ou le poffelfeur de ce morceau .
">
Parmi le petit nombre de morceaux
qu'a expofés M. Boucher ( ce font les expreffions
de MM. les Amateurs ) ils diftinguent
un petit Tableau ovale qui repréfente
une Paftorale. Ils louent beaucoup
E ij
Too MERCURE DE FRANCE.
l'agrément des caractères de tête, le facile
enchaînement du grouppe, la vérité de couleur
locale dans les étoffes , la légèreté &
le naturel des draperies . Ils affectent officieuſement
d'infifter fur la force de couleur
& fur l'empâtement , qui en effet diftinguent
ce Tableau . Ils n'obmettent pas
le bel accord des tons qui lui procure un
agréable effet.
On a pu juger du ftyle pittorefque de
ces Obfervations, par ce que nous en avons
rapporté fur le Tableau de la Lecture de
M. Carlo-Vanloo . Les Amateurs , ou leur
redacteur peignent à l'efprit du Lecteur ce
que leurs yeux ont vû dans les Tableaux ,
& ils le peignent quelquefois comme on
defireroit le voir. Ils ne privent pas M.
Boucher du bon office de leur talent , en
rendant compte de deux autres petits Tableaux
, dont l'un repréfente Jupiter fous
figure de Diane , trompant une trop
crédule Nymphe , & l'autre des Nymphes
endormiesfurpriſes par un Satyre.On ne
remarque rien à l'égard de l'Art fur ces
deux Tableaux , finon que M. Boucher
» voit ordinairement la nature dans un
ور
point de beauté , dont elle n'eſt qu'idéą-
» lement fufceptible, » Remarque agréable
pour ce Peintre , mais dont la fineffe n'échappera
pas aux Connoifleurs . Celle du
pinceau littéraire de nos Obfervateurs fe
OCTOBRE. 1761. 161
laiffe pénétrer dans ce que nous allons copier.
» Les Nymphes endormies , autre Ta-
» bleau du même Auteur , offrent à dé-
» couvert les charmes les plus féducteurs
» de la nature ; tandis que le Satyre qui
les furprend , préfente l'image de l'ar-
»dent & fombre defir , fous une vieille
"peau tannée. Son regard enflammé dé-
» céle ce qu'il médite , & profane déja ce
qu'il contemple. On ne fçait à qui ap-'
partient ce Tableau ; mais plus d'un
»homme pourroit fervir de modéle à ce
Satyre.
On juftifie un autre Tableau du même
Maître, dans lequel un grand nombre d'ob .
jets , au rapport des Obfervateurs , ne préfente
aucun Sujet déterminé , en difant de
M. Boucher , que le Peintre des graces eft
auffi le Peintre de tous les genres. Ils qualifient
ce Tableau : » Un admirable rudi-
» ment de peinture , enrichi des meilleurs
» exemples fur toutes les parties que ren-
»ferme cet Art. » Nous ne pouvons paffer
une réfléxion vive & judicieufe à l'occafion
du peu d'ouvrages de ce Peintre au Sallon .
Pourquoi les Artiftes les plus chers à
» ce même Public , Juge fouverain , & vé-
>> ritable maître des talens , paroîtroient - ils
» en négliger le fuffrage ? L'amitié flatte
E iij
102. MERCURE DE FRANCE.
» & careffe ; l'opulence paye ; le feul Pu-
» blic couronne. Qui dédaigneroit ce prix,
» ne feroit pas digne de le mériter.
Les Tableaux de M. Pierre occupent .
enfuite l'attention de nos Amateurs : fur
celui qui repréſente un Chrift defcendu de
la Croix, voici comme ils s'excufent de pro
noncer . » Nous ne pouvons rien rapporter .
» ni des jugemens du Public , ni de nos.
ni - de
»propres opinions fur quelques- uns de ces .
» fortes d'ouvrages . Lorfque les fujets en
»font convenablement traités pour fuffire
» à la piété des Fidéles ou doit croire .
ן כ
qu'ils ont atteint le principal but de leur
» deſtination . Il eft vrai que le réſultat des
» principes des Arts , doit être d'offrir au
» Public des chofes qui lui plaifent ; mais
" il eft dans ces mêmes Arts , des mystères
» qui lui font affez inconnus , pour qu'il
» ne puiffe pas toujours juger du mérite
» de leurs pratiques.
de
Dans le Jugement de Paris , Tableau
21 pieds de large fur 14 de haut , cette
Société penfe que l'étendue eft trop vafte
pour la scène qu'on y repréfente , & que
cet inconvénient fait perdre , dans l'effet
général , le mérite que l'on reconnoît &
que l'on applaudit dans l'exécution pittorefque
de bien des parties . On defireroit
encore dans ces Obfervations , que le fils.
OCTOBRE. 1761. 103
de Priam fût reconnoiffable par le cofume
Phrygien dans fes vêtemens . On défapprouve
l'ufage de repréfenter les Bergers
Poëtiques , tantôt comme nos Paftres modernes
& nationaux tantôt comme les
Bergers de Théâtre. D'ailleurs on y donne
à la figure de Vénus des éloges bien mérités
, ainfi qu'à la jufteffe & à l'accord des
tons , à la fageffe & à la tranquillité du
coloris , lequel felon cette Obfervation
» fans monotonie ne laiffe rien dominer, en
» faifant tout valoir. » Enfin on annonce
ce Tableau comme très eſtimable pour les
Connoiffeurs .
Ce que l'on remarque fur la Décolation
de S. Jean , autre Tableau du même Artifte
, mérite d'être rapporté en entier.
Le fujet est très - bien conçu . Le Peintre
» a judicieuſement éludé l'aspect répugnant
» d'un col , d'où le fang doit jaillir enco-
» re la poſition du perfonnage qui vient
» d'exécuter l'ordre du Tyran , cache cer-
» te partie dégoûtante. Le refte du cada-
» vre , très-bien peint, eft deffiné avec une
» fineffe admirable. L'horreur qu'inſpire
» naturellement un femblable fpectacle ,
» eft ingénieufement exprimée dans la fi-
" gure de la femme , à qui on préfente la
» tête du Saint. La fcène eft nette, quoi-
22 que bien remplie ; & le fite , qui eft l'ex-
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
ور
» térieur d'une prifon , ne laiffe rien à de-
» firer de ce qui peut completter la vérité
» & les convenances. Nous nous flattons
» de n'être démentis par aucun Amateur
»impartial , fur l'éloge que nous donnons
» à cet ouvrage.
"
Un Tableau de M. Hallé repréfentant la
prédication de S. Vincent de Paul , eft
bien détaillé , & les beautés en font fenties
& remarquées par la Société , comme
elles l'ont été par l'Auteur des remarques
fur les Tableaux dans le précédent Mercure
.
S. Germain donnant une Médaille à
Sainte Geneviève , Tableau de M. Vien ,
fait dire avec plaifir à la Société , » que la
réputation qu'il s'eft acquife par les pre- *
» miers ouvrages , étoit plus l'effet de la
réalité de fes talens , que de la préven-
» tion de quelques Connoiffeurs.
Au jugement des Amateurs, ceTableau eft
» en général lumineux & d'un grand effet :
» les maffes des vêtemens facrés font ri-
» ches , de grande manière , & d'un bon
ton , &c. Après avoir applaudi à la juſteffe
des caractères dans les têtes des principaux
perfonnages , ils terminent fur ce
Tableau, en difant. » Les beautés de l'exé-
» cution marquent autant de préciſion
» dans la pratique que dans l'efprit de l'Au-
33
>> teur.
و د
OCTOBRE. 1761 . 101
A l'occafion d'un autre Tableau de M.
Vien , repréfentant une jeune Grecque
qui orne un vafe de bronze avec une
guirlande de fleurs ; après beaucoup d'é-
Toges pour le Peintre & pour le goût de
l'antique dont il a cherché à fe rapprocher
dans ce petit Morceau, nos Amateurs
conviennent qu'aux yeux d'un grand nom
bre de Spectateurs la févérité des principes
pourroit fe confondre avec la froideur
de l'expreffion , fi l'on adoptoit
toujours ce genre. » Pour bien juger ,
» ajoutent- ils , de ces fortes d'études , il
» faut fe rappeller l'origine , peut- être
» même l'enfance de la Peinture. Nous
» n'entendons faire tomber la comparaifon
, que fur la pureté ingénue de cet
» âge.
>>
Nous pafferons les éloges , quoique trèsmérités,
que donnent ces mêmes Obfervations
au Tableau d'une des circonstances
du Martyre de S. André , par M. Deshayes
* , pour rapporter en entier la relation
vive & touchante d'un autre de fes
Tableaux » : on a été univerfellement af-
» fecté d'un fentiment d'admiration en
» confidérant le Tableau où S. Benoît
ود
* Ce jeune Peintre avoit jetté les fondemens
de fa célébrité au Sallon précédent , par un Tableau
d'une autre circonſtance du même mar¬
syre.
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
» mourant reçoit le Viatique à l'Autel
» La figure de ce Saint tombant fur les
» genoux entre les bras de fes Religieux ,
» a été regardée comme un chef- d'oeuvre
d'expreffion ; tous les traits caractériſti-
» ques de cette tête mourante défignent
» ce moment fatal , qu'à peine l'oeil hu-
» main peut faifir dans la nature. Ce n'eft
ود
ود
point un homme qui vient d'expirer ; ce
» n'eft point un homme qui va mourir ;
» c'eſt un homme qui meurt , & cet hom-
» me eft un Saint : on n'en fçauroit dou-
» ter au premier afpect. On voit fur fes
» lévres , dans un inftant unique , la double
action d'une âme qui appelle fon
» Dieu , & du dernier fouffle qui la lui
»porte. Une fenfibilité fraternelle , une..
» 'tendre vénération font peintes fur tous
les vifages des Religieux , & particulie
» rement fur celui du Diacre qui foutient
» le Saint Inſtituteur . L'amour , le reſpect
filial , & un peu de terreur infpirée par
ود
l'image de la mort , font joints à la trifsteffe
des jeunes Acolytes qui portent les
» flambeaux. Le Célébrant eft celui de
» tous, qui paroît le moins dominé par la
douleur. Le Peintre a confidéré , fans
doute, que la grandeur de fon miniſtere
» devoit feule l'occuper. On remarque
pourtant en lui , une attention trifle ,
OCTOBRE . 1761 . 107
quoique fervente , partagée entre le Sa-
» crement qu'il tient , & le Saint auquel il
» va l'adminiftrer . Une certaine foupleffe
» des épaules annonce dans cette figure ,
» & l'action & le fentiment qu'elle exige .
» Quant aux beautés pratiques de la Pein-
» ture , nous avons entendu les Connoiffeurs
admirer furtout , dans ce Tableau
de M. Deshayes , ce que les gens de
» l'Art appellent la perfection de la va-
»peur ; moyen par lequel lé Peintre eft
parvenu à raffembler les couleurs des dif-
» férens objets , pour en faire un coloris
» général , en les uniffant toutes fans les
» confondre . La lumière heureuſement
» diftribuée , diverfifie par les ombres &
les clairs , les habits facerdoraux que
le coftume du Rit affujettit à l'uniformi-
» té. Quoique l'efpace réel ne foit que
» de fix pieds en largeur , & qu'il contien-
» ne néceffairement beaucoup de figures de
»
par
"
grandeur naturelle , tous les plans font
» diftincts & de la plus grande netteté . En-
» fin , nous ne pouvons dire fur cet ouvra-
" ge , tout ce qu'il a dit lui-même à ceux
» qui ont joui du plaifir de le voir .
Si les bornes d'un Extrait permettoient
de rapporter ce que contiennent les obfervations
fur deux autres Tableaux admirables
de M. Deshayes , celui de S.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
Pierre & celui de S. Victor , nos Lecteurs
jugeroient encore mieux & des talens fupérieurs
de ce jeune Maître , & de l'art
avec lequel ils font annoncés dans cette
critique . A l'égard de celui de S. Pierre ,
on y fait obferver l'éclat de la lumière
célefte & furnaturelle qui femble l'éclairer.
L'extafe de l'Apôtre , la beauté de la figure
de l'Ange , l'ordonnance nette & précife
du Tableau , la vérité des fites & des
tons &c . Il faudroit lire dans l'Ouvrage
même ce qui eft dit du Tableau de S. Victor
, Morceau qui difpute de beauté avec
celui de S. Benoît . Une remarque géné
rale & importante pour la gloire de M.
Deshayes & pour augurer de la réputation
où il doit atteindre , eft celle par laquelle
on termine fon Article. » La diverfité
des ftyles ou des manières de ce Pein-
» tre , eft ce qui le rend particulierement
» recommandable. Nous avons reproché
autrefois aux plus grands Maîtres , d'a-
» voir pour tous les Sujets qu'ils traitent,
» une efpéce de furteinte , ( nous hafar-
» dons ce terme ) les uns en jaune , les
» autres en rouge , en verd , en brun , &c .
» On diroit que celui- ci a des yeux particuliers
pour chaque objet, un pinceau dif-
* Voyez l'Obfervateur Littéraire 1759 , Tom.
IV , pages 111 & 180 .
"
"
OCTOBRE. 1761. 109
33
و د
férent pour les rendre , & une touche
» propre à chaque action qu'elle repréfente
. Le Tableau de S. Victor eft par-
» faitement dans le ton de l'Ecole d'Italie .
» Le coloris, quoique vrai dans les détails,
» a , par anticipation , ce vernis du temps,
» ſi reſpecté de quelques Amateurs . Celui
de S. André eft tout différent . Il y a une
» force & une décision que l'on accuferoit
» de dureté , fi l'on ne fenroit qu'elles font
» néceffaires à l'expreffion du Sujet. Au
» contraire , celui de S. Benoît a tout le
fuave qu'on admire dans les Ouvrages
» de le Sueur. Le Tableau de S. Pierre ,
où la vigueur & l'éclat fe marient fans
» fe détruire , eft d'une touche & d'un co-
» loris qui le différencient encore de tous
» les autres .
و د
و د
D'autres morceaux, remarquent les mêmes
obfervations , dans des genres oppofés
aux précédens ,prouvent dans M. Deshayes
une aptitude générale aux diverfes parties
de fon Art.
On diftingue de M. Amédée Vanloo
deux manières dans les Tableaux qu'il a
expofés , L'une ( dans fes repréfentations
bacchiques ) d'un coloris forcé au- delà des
objets confidérés felon l'ordre naturel ; l'autre
d'un ton qui fe rapproche de celui que
femble avoir adopté fa famille. C'eſt dans
10 MERCURE DE FRANCE.
cette dernière que font peints la Guérifon
de S. Roch, & le Baptême de J. C. par
S. Jean. On fait des remarques favorables
à l'égard du premier de ces Tableaux .
En parlant de ceux de M. Chardin ,
cette brochure renouvelle d'une manière
auffi ingénieufe que conforme à la vérité ,
la gloire , & pour ainfi dire les Talens de
cet inimitable Peintre .
On parcourt tous les ouvrages de M.
Bachelier. On tourne en mérite relativement
à l'avantage de la Tapifferie , ce que
ceux qui n'auroient pas fait cette réflexion ,
ont pu critiquer dans un très-grand Tableau
de ce Peintre , deftiné pour la Manufacture
des Gobelins . Celui de Milon le Crotoniate
, eft confidéré comme une fort bonne
étude. On renvoye à un des Mercures de
cette année pour le tableau fur les quatre
Parties duMonde.Nos Amateurs paroiffent
s'être arrêtés avec plaifir fur celui qui repréfente
un très-beau Chat Angola . Mais nous
les laiffons parler eux-mêmes fur un objet qui
femble les avoir avantageuſement affectés .
Ce n'eft pas fans quelque étonnement, que
l'on paffe de la plupart des Tableaux de ce
Peintre ( M. Bachelier ) à une efquiffe en
grifaille , où il a repréfenté une defcente
de Croix. Ce morceau eft, fans outrer
l'éloge , le germe des plus grandes parties
»
OCTOBRE . 1761.
» de l'Art. Un enchaînement fage & ingénieux
dans la compofition , des effets
juftes & frappans d'expreffions & de lamières
, tout ce qui fuffiroit pour conftituer
le grand Peintre , fe trouveroit dans
» le développement de cette belle inten-
» tion , fi elle étoit exécutée dans un Tableau
avec le même fuccès que dans l'ef-
» quiffe.
Les mêmes Amateurs donnent aux Tableaux
de M. Vernet les éloges que l'on.
eft accoutumé de lire & d'entendre fur tout
ce qu'il produit.
» Les talens de M. de Machi pour l'Ar-.
chitecture , difent MM . les Amateurs, dé-
» couvrent à nos yeux impatiens la nouvel
» le Eglife de Sainte Geneviève, avant même
que cet édifice foit conftruit . Ce mo-
» nument de la piété , & qui doit l'être en
» même temps de la gloire de notre Architecture
, eft faifi d'après les projets
» du célébre M. Soufflot , de manière à
» en développer les principales beautés..
Nous y voyons avec la complaifance de
» l'amour propre , combien nos principes
fur la forme des Temples antiques & les
as convenances du Rit Chrétien * , fe font
>> rencontrés avec ceux de ce grand Archi-
»
22
-*
+
* Voyez l'Obfervateur Littéraire 1760 , Tomer
, page 295... IV,
112 MERCURE DE FRANCE.
"
و ر
» tecte . Le goût & le génie qui ont préfidė
» à l'ordonnance de cet édifice , font des
» autorités refpectables qui juftifient les
» obfervationsque nous avions faites à l'é-
» gard du Maître- Autel dans les Eglifes . On
» doit auffi remarquer dans ce nouveau
Temple, avec quelle intelligence par l'emplacement
du grand Autel renfermé dans
» un augufte Sanctuaire , M.Soufflot a diftin-
» gué ce qu'exigeoit l'ineffable majesté des
» Saints Mystères , & par la pofition de la
» Châffe, ce qui convenoit tant à la dignité
» des Reliques , qu'à la commodité des actes-
» de dévotion du Peuple. Nous n'entrerons
point dans le détail de toutes les per-
» fections de l'Art répandues fur cet ad-
» mirable Tableau * ; nous craindrions
» d'être au- deffous & du ſujet , & des éloges
répétés & unanimes des Connoiffeurs
& du Public.
33
ود
Parvenus au Tableau de Vénus bleſſée
par Dioméde, de M. Doyen, nos Amateurs
pefent & balancent tout ce qu'on a dit de
favorable & de défavantageux fur cet Ou-
* N. B. M. l'Abbé Delaporte , Editeur de ces
Obfervations , nous informe que c'eſt par une erreur
dans l'impreffion que le mot de Projet s'étoit
gliffé à la place de celui de Tableau de M. de
Machi , attendu que tout ce qui précéde déclaré
bien que le Projet eft de M. Soufflot.
OCTOBRE . 1761 . 113
,
vrage. Le résultat de leur examen eft un éfpoir
très- flatteur pour ce jeune Artiſte , auquel
ils accordent tout le feu & toute l'élévation
du Poëte Grec dont il a tiré fon fujet
. S'ils conviennent d'une part que tous
les plans ne font pas bien diftincts , que la
chaîne de lumières eft rompue en plufieurs
endroits , &c ; ils rendent juftice à la beauté
de plufieurs parties , entre autres à celles
de ces corps morts ou mourants près
d'un cheval qui lui - même , pour employer
leurs expreffions , foufle pour ainfi dire
lafureur avec le fang. Ils juftifient ce que
quelques Cenfeurs avoient trouvé d'exagégéré
dans la figure de Dioméde ; ils applaudiffent
au caractère de plufieurs autres.
Ils rendent raifon de ce qui a pu donner
lieu à des critiques fur lesquelles ils ne
prononcent pas . Enfin faire connoître
tout ce qu'ils efpérent de ce Peintre
ils terminent ainfi . » Il y a des écarts où
» entraîne un talent trop impérieux pour
»fubir le joug des régles , & qui font
» néanmoins une fource d'efpoir pour la
perfection . Si M. Doyen et tombé dans
quelques uns , ils ne peuvent être que
» de cette espéce . Que ce jeune Artiſte
» étudie encore les Maîtres de l'Art , & il
» le deviendra bientôt lui même.
و د
ود
pour
Ils ne négligent pas de remarquer que l'e
114 MERCURE DE FRANCE.
fuccès d'un Tableau du même Peintre re- .
préfentant une Lifeufe , a été fans contradicteurs.
Nous copions avec plaifir la façon
agréablement ingénieufe dont on annonce
M. Greuze dans ces Obfervations .
» Au Théâtre il eft des Acteurs que le
» Public admire , & aufquels il paye le
» tribut dû aux grands talens ; mais il en
» eft prèfque toujours un qu'il aime davantage
, parce qu'il lui procure un plai-
» fir plus familier . Les premiers font, pour
» ainfi dire , les maîtres , l'autre eft l'ami
» du Parterre ; & cet ami eſt toujours ce-
» lui dont le jeu fe rapproche le plus de la
» naïveté de la nature. Depuis quelques
années c'eft M. Grenze qui jouit de cet
» avantage fur le grand Théâtre Pitto : eſque
du Sallon . Il a eu des prédéceffeurs
» dans l'uſage intéreſſant qu'il fait de ſon
» Art ; mais il en a étendu l'effet , en y
joignant les graces à l'énergie du carac-
» tère : ſon pinceau ſçait ennoblir le
ruftique , fans en altérer la vérité.
L'aimable Tableau de la petite Blanchif
fenfe , & plufieurs têtes admirables font
les premiers objets des louanges très - juftes
& très-raifonnées de ces Obfervations ;
elles vont jufqu'à l'admiration pour le Tableau
qui a fait retourner tout Paris au
ور
genre
OCTOBRE. 1761. 113
Sallon. Nos Lecteurs perdroient trop à extraire
ce morceau .
» Ce qui eft au- deffus de toutes nos
» louanges , au- deffus même de l'idée que
» nous voudrions en donner , c'eſt le Ta-
» bleau fi long- temps attendu au Sallon, &
» dont la fcène eft dans le fein d'une hon-
» nête famille rurale . L'inftant de l'action
-33
qu'a repréſentée M. Greuze , eft celui out
»le pere de l'accordée délivre à fon gen-
» dre futur , l'argent de la dot de fa fille .
» Ce pere affis dans la partie apparente ,
» eft un vieillard d'une phyfionomie ou-
» verte , avec toute la nobleffe de fon état.
" On remarque que c'eft moins la décré-
» pitude de l'âge , que le travail & l'im- .
preffion de l'air , qui a fillonné fon vifa-
» ge. Le pinceau parle dans ce vieillard ;
on entend ce qu'il dit au jeune homme à
qui il remet le fac d'argent , & qui l'é-
» coute debout avec une attention refpectueufe.
On voit qu'il l'exhorte à faire.
» un ufage utile & honnête de cette dot ,
» & on lit fa confiance dans la manière.
» dont il lui parle. La jeune accordée a un.
» bras entrelacé dans celui du jeune hom-
» me. On s'apperçoit que la pudeur & la
préfence des parens retiennent fa main
prête à fe pofer fur celle du futur , qu'elle
defice , mais qu'elle n'ofe toucher . Son
"
".
>>
116 MERCURE DE FRANCÈ.
"autre bras eft embraffé par la bonne mère,
affife vis-à -vis du vieillard . Le chagrin
dé la féparation & la tendreffe maternel-
» le accompagnent & rendent plus inté-
" reffantes les leçons qu'elle donne à ſa fil-
» le. Rien n'eft fi piquant que la figure de
» cette accordée , ni de fi fpirituellement
» adapté au Sujet. Sa tête eft charmante ;
" & les yeux baiffés vers la mère avec ume
" modefte contrainte, ne laiffent que mieux
» deviner le charme naïf de fa phyfiono-
» mie. On y diftingue jufqu'à une petite
hypocrifie douce & honnête , qui couvre
» le véritable intérêt dont elle eft occupée
» dans ce moment. Les foupleffes gracieufes
d'une jolie taille , qui fort des mains
" de la nature, & qu'aucim artifice n'a for-
" mée ni foutenue , font exprimées avec
»une délicateffe au deffus de tout éloge . Il
" n'eſt pas jufqu'à fon tablier blanc , qui
» dans fa chûte naturelle , & fans recherche
apparente , ne concoure à la perfec-
» tion de ce caractère. Une petite foeur ,
» penchée fur les bras de cette accordée ,
pleure leur féparation , comme c'est l'afage
des foeurs cadettes , tandis que derrière
tout ce monde, un petit frère à che-
» veux blonds bouclés , fe léve fur la poin-
» te des pieds pour mieux voir ce qui fe
pafle. L'importance dont eft cette action
""
97
OCTOBRE . 1761. 117
dans une famille , la lui fait croire une
» cérémonie fort curicule. Ce qui ajoute
» infiniment à l'intérêt de la fcène , c'eft le
"3
mêlange de dépit , de regret & de jalou-
» fie qu'on apperçoit diftinctement fur la
phyfionomie d'une autre jeune perfonne,
» qui , le bas du viſage fur la main , derrière
» le fiége du vieillard , léve des yeux mécontens
fur le couple, & particulierement
»fur le futur. Sans reflembler à l'accordée,
» on la reconnoît pourtant à l'air de famil-
» le, pour une foeur aînée , que le choix du
jeune homme a facrifiée à fa cadette.
» Près du vieillard , fur le devant de la toile,
» le Peintre a placé le perfonnage indifpen-
» fable : c'eft le Tabellion avec fon habit
. و د
noir & fon manteau. On voit qu'il fe
» donne l'importance de fon ministère de-
» vant ces bonnes gens , & tout , jufqu'au
» tour de fon chapeau , indique & l'état &
» le perfonnage . En obfervant en détail
" tout ce tableau , on y remarque , de la
» part du Peintre, une attention réfléchie
» & étendue fur toutes les vérités de la na-
» ture , attention qui a peu d'exemples, &
» dont on defireroit plus d'imitateurs .
» Non-feulement les têtes , mais encore
» les jambes , les mains & les carnations
» marquent dans chaque perfonnage l'âge,
» le fixe , l'état , & ce que le plus ou le
118 MERCURE DE FRANCE.
"
33
"3
» moins de fatigue du corps y doit occafionner
de différence . On ne peut trop
» admirer la chaîne heureufe de lumière ,
»qui met tous les objets dans leur véritable
place & dans le ton vrai que
chaque place doit leur donner. Des
ombres fondues avec les clairs opérent
les preftiges de l'illufion , comme on le
» remarque à l'égard d'une armoire placée
»pour faire fond au group pe du vieillard.
La vue en mefure la profondeur & les
faillies , fans le fecours des ombres tranchées
, toujours fauffes lorfque la caufe
de la lumière ne frappe pas l'objet immédiatement.
Les vuides du tableau
"
«
"
و د
و و
33
33
"
و و
font agréablement remplis par quelques
perfonnages épifodiques, mais naturelle-
„ ment acceffoires au fujet. Ce morceau
précieux appartient au Mécène même ,
» qui préfide fur les Arts , ce que nous ré-
» marquons ici , tant pour l'honneur du
» Peintre , que pour celui du goût d'un
,, Protecteur utile aux Artiſtes , non - feu-
» lement par l'ufage de fon autorité , mais
» encore par l'emploi de fes propres fonds.
» Cet hommage que nous lui rendons au
» nom des Artiftes , nous rappelle la jufte
» reconnoiffance qu'ils doivent auffi , &
» qu'ils reffentent tous pour cette généreu-
»fe & conſtante bienfaitrice, qui feconde
و ر
OCTOBRE. 1761 .
» fi ardemment & fi utilement les vues de
» leur Protecteur . C'eſt à elle qu'appar-
» tient un autre Tableau de M. Grenze
repréſentant un Berger qui confulte le
» fort en foufflant fur une fleur. Il a été
» fait pour fervir de pendant à celui de
» l'ingénuité , vu avec tant de plaifir au
» précédent Sallon . Il ne céde point au premier
par le mérite de l'Art ; mais peut-
» être par les graces du caractère de fimpli-
» cité , plus touchantes dans un fexe que
» dans un autre . *
»
On n'a pas omis les deffeins de ce Peintre
qui étoient expofés . On remarque à
l'occafion de ce qu'ils repréfentent , que
» les fujets qu'imagine & que rend fi bien-
» ce jeune Peintre , pourront former un jour
» unTraité complet de morale domestique.
Il paroît que M. Cafanove eft regardé
par MM. les Amateurs, comme le Peintre
qui doit remplacer ceux que nous avons
perdus pour le genre des Batailles . Ils s'expriment
fortement fur la vigueur & fur la
force de la manière de ce Peintre Son
grand Tableau , difent- ils , dévore la vue &
porte la terreur dans l'âme. Expreffion nou .
velle , mais qui rend rapidement & avec
énergie, l'idée de la couleur & de la manière
du nouveau Peintre qui paroît fur la Scè-
* Ces deux Tableaux appartiennent à Madame
la Marquile de Pompadour.
120 MERCURE DE FRANCE.
ne. Ils cherchent enfuite fi cette force dévorante
eft youjours l'imitation exacte de
la nature.
»Le Purgatoire de M. Briard , difent
» nos Amateurs , annonce qu'il n'en deme-
» rera pas là . Ils approuvent & font re-
» marquer beaucoup de parties eftimables
» dans ce Tableau , de la forme la plus in-
» grate pour la compofition . Ils finiffent
» par ce rapport favorable : » Tout ce qui
» peut encourager un jeune Artifte , eft le
» réfultat de l'examen qu'on a fait de ce
» Tableau.
Ce feroit faire tort à M. Roland de la
Porte , nouvel Académicien pour le genre
des imitations , de ne pas copier un trait
qu'on trouve dans l'examen de fes Tableaux
.
"
"
» Si les oifeaux béquetoient des raifins
qui ont fi fort féduit la facile admiration
» de l'antiquité , il feroit très poffible que
» des enfans de nos jours , pour peu qu'ils
» euffent de gourmandife , portaffent la
» main fur les petits pains de notre Pein .
» tre. Ce qui ajoute au mérite de fa ma-
» nière , c'eft qu'elle eft tellement finie &
» fondue , que les yeux fur le Tableau ,
» l'illufion dure encore & n'en devient que
" plus forte.
L'Article des Portraits n'étant pas fort
étendu ,
OCTOBRE. 1761 . Izr
étendu , nous le rapportons prèfqu'en entier.
C
" Le magnifique Portrait du Roi par M.
Michel Van-loo , placé dans l'endroit
» le plus apparent du Sallon , eft un mo-
» nument de ce temps , précieux à la Na-
» tion par l'exactitude de la reffemblan-
» ce , & admiré de tous les Connoiffeurs
» par la beauté du coloris , par l'heu-
» reux agencement de fes parties , & en-
» fin par toute l'ordonnance , où l'on re-
» trouve auffi dans fon exécution , le Pein-
» tre du grand genre.
و د
"
"
» Les Portraits qu'a expofés M. de la
» Tour , foutiennent tous la réputation
qu'il s'eft acquife à fi jufte titre ; c'eſt
» en faire l'éloge le plus flatteur , & le
" plus généralement entendu. Il en est
» plufieurs qui feroient la gloire des Pein-
» tres du premier genre , par la manière
fçavante dont les têtes font travaillées.
Tel eft celui d'un Prince cher aujour-
» d'hui à notre Nation * , & d'un Poëte
Tragique qui jouit de fa mémoire ,
» comme Corneille , dont il a vu les der-
» niers jours , avoit joui de la fienne.
"
"
**
» Nous ne devons pas omettre un au-
» tre Citoyen eftimé , que l'on voit en
* M. le Comte de Luface.
** M. de Crébillon .
II.Vol.
122 MERCURE DE FRANCE.
>
robe de chambre , affis de côté fur une
» chaife dont le doffier lui fert d'appui.
» On ne parle pas de la reffemblance
» mérite ordinaire à ce Peintre ; mais on
ne peut voir une pofition plus facile ,
» plus vraie , & plus d'illufion dans au-
» cun Portrait qui foit forti des mains
» de M. de la Tour.
"
" M. Rofiina exécuté en Peintre de
» Portrait , un des grands Tableaux def-
» tinés à être placés dans l'Hôtel- de -Ville
» de Paris. C'est l'inftant où le Roi, après
» fa maladie , eft reçu dans cette Ville à
» fon retour de Metz. On voit encore
» une partie du carroffe qui a conduit
ce Monarque. Le Prince n'eft pas la
perfonne la plus en évidence , & en-
» core moins celle dont la reffemblance
foit plus exacte. L'Auteur qui eft étranger
, n'a peut -être pas fenti que dans
quelque circonftance que ce puiffe être,
» cette perfonne feroit toujours la plus
s intéreffante à voir pour des fpectateurs
» François; celle que leurs yeux cherchent
d'abord , & fur laquelle ils fixeront tous
leurs regards. M. de Bernage , alors
» Prévôt des Marchands , Magiftrat qui
» s'eft trouvé chargé de confacrer les épo-
» ques les plus mémorables de ce Régne ,
y eft très - reconnoiffable, quoique le co-
و و
15
OCTOBRE. 1761. 123
» loris foit un peu forcé dans les carna-
»tions. On parle , pour ainfi dire , & l'on
» converfe avec les autres perfonnes qui
"
"
"2
compofoient alors le Bureau de la Ville.
» Un petit Page qui court à pied auprès
» d'un Ecuyer , derriere le grouppe où eft
» le Roi , a été généralement remarqué.
» Dans le Portrait de M. le Marquis de
Marigny , par le même Peintre , tout
le Public , en convenant d'une parfaite
» reffemblance dans les traits , a cru voir
» une carnation plus forte & plus arden-
» te , qu'elle n'eft dans l'original . Les Ar-
» tiftes fe font plaints de n'y pas retrouver
» certaine expreffion d'une âme ouverte
» & affable , qui vient auffitôt fe peindre
fur fon vifage , lorfqu'ils approchent de
» lui.
ود
•
» La plupart des Portraits de M. Roflin
lui font encore honneur par la cé-
» lébrité des perfonnes qu'ils repréfentent.
» Les Artiſtes y reconnoiffent M. Bou
» cher , leur Confrère , très- fortement
» reffemblant , dans un de ces inftans qui
» ne font pas donnés au plaifir. Le Por
» trait de Madame Boucher , fa femme ,
» est bien peint , bien ajuſté , & très -re-
» connoiffable : cependant en le compa
» rant à celui du mari , on s'apperçoit que
» le pinceau faifit toujours mieux l'humeur
» que les grâces. Fij
و د
124 MERCURE DE FRANCE.
و د
" Plufieurs Portraits de M. Drouais
» confirment fa réputation par la fraî
» cheur de fon coloris & la vivacité de
fon effet. Tels font entr'autres, ceux de
» MM. de Bethune & d'un des enfans de
» M. le Préfident Defvieux ; mais fur-
» tout , celui d'un jeune Eléve , Tableau
du Cabinet de M. de Marigny. Il eſt
d'un piquant admirable , & peut foute-
» nir & fatisfaire les regards les plus diffi
» ciles . Un autre petit garçon jouant de la
» vielle , peint dans le même genre , eft
» encore un des ouvrages diftingués de
» M. Drouais dans ce Sallon.
ود
"
"
» Les Portraits ramènent à M. Greuze.
» Parmi ceux qu'il a expofés , on doit regarder
le fien comme une galanterie
faite aux Amateurs de la Peinture , auxquels
fes talens font chers. Mais celui
,, de M. Babuty , fon beau- père , fera
confidéré comme un vrai chef- d'oeuvre
peut être propofé comme une utile
leçon , dans la manière de bien traiter
une tête. Ce n'eft pas
feulement par
» caricatures que gravent les années , qu'il
» a donné à ce Portrait la force de l'effet ,
&
و و
"
"
"
les
& la vérité du caractère ; mais c'eſt par
» des paffages , dans les teintes des car-
» nations , dérobés à la Nature même
» avec cette fineffe qui lui eft uniquement
» réſervée.
OCTOBRE. 1761. 125
Nous ne pouvons donner que les premiers
articles de la Sculpture ; l'examen
des autres nous entraîneroit hors des bornes
ordinaires d'un l'Extrait.
» Le Sallon du Louvre , difent MM.
» les Amateurs , eft devenu pour les
» Arts , le Lycée d'Athènes & le Capi-
>> tole de Rome ; c'eft le lieu le plus au-
» gufte de leur Patrie ; les images de ceux
à qui les Arts doivent de la reconnoif-
» fance, y figureront toujours bien. On y
» voit donc avec plaifir , le Bufte en mar-
» bre de Madame la Marquife de Pom-
» padour , par M. le Moine. L'éloge
» qu'on a fait de cet Ouvrage , & qui eft
>> aujourd'hui généralement confirmé par
» les fuffrages du Public , fe trouve dans
» un des Mercures de cette année.Nous y
>> renvoyons nos Lecteurs, dans la crainte
» de ne pas rendre avec autant de jufteffe
& de précifion , tous les détails de ce
» qui conftitue le mérite de ce morceau.
"
» D'autres Portraits expofés au Sallon
» par le même Maître , y font , par
"
» des relations différentes , très - convena-
» bles & très -intéreffans pour le Public &
» pour les Artiftes. Tel eft d'abord celui
» de M. Reftout , refpectable par
» de & belle carrière qu'il a remplie ; &
" enfuite la tête de l'héritier des forces
la
gran-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
» & du génie de Corneille fur notre ſcène
» tragique * . La touche du premier eft
» facile , hardie & fpirituelle. La tête de
» M. de Crébillon eft reffemblante , &
» modelée avec fentiment . Une tête de
» petite fille joue & badine , pour ainſi
» dire , entre la dignité de ces deux Por
» traits. Une touche légere y fait voltiger
» les premieres graces , & cette naïveté
fine , dont la nature pare quelquefois
» notre enfance. Ces trois têtes font en
» terre cuite; ainfi le méchaniſme de l'Art
» en eft plus à découvert , & l'efprit qui
» le guide , plus diftinctement articulé.
» Combien un Artifte ne doit-il pas être
flaté d'avoir contribué à l'immortalité
» de ceux qui , par des talens d'un autre
genre, ont droit de l'attendre de la mé-
» moire des hommes ? Le Bufte en mar-
» bre de Mlle Clairon , procure cet avantage
à M. le Moine. Cette Actrice ini-
» mitable , eft repréfentée fous l'allégorie
» de Melpomène invoquant Apollon , ou
» pour mieux dire , recevant de ce Dieu
» l'infpiration du plus fublime talent de
l'action dramatique . Ce Portrait eſt très-
» reffemblant ; le caractère en eſt noble
» & touchant. Il eft pris fous un de ces
» beaux afpects , par lefquels elle exerce
» fi fouvent au Théâtre , un empire fou-
* M. de Crébillon .
OCTOBRE613 827
verain fur les âmes dont elle fait à fon
» gré moavoir tous les refforts . On nous
accuferoit , peut- être , de trop de prévention
en faveur des Artiftes célébres ,
fi nous n'avions pas foin de remarquer
que quelquefois dans le méchaniſme de
» leur Art , ils négligent trop les recher-
» ches laborieuſes , qui feules finiffent &
» perfectionnent cette vérité d'imitation
que doit prendre la matière fous les
doigts de l'Artifte dans tous les détails .
"
2
,
M. Falconet , dont les Ouvrages portent
toujours le fceau de la vérité embellie
par l'efprit ou par les graces,nous
» fait voir deux petits grouppes de fem-
» mes en plâtre , qui ont attiré notre attention
. Ils font difpofés de manière ,
que de chaque face ils préfentent les
» différens afpects d'une figure de femme.
L'élégance des formes , le choix heureux
» des pofitions , l'agrément des caractères
» de têtes & celui des coëffures , font réu-
» nis dans ces deux grouppes . Pour les
» définir en peu de mots , ce font les di-
» verfes beautés dont eft fufceptible la
» figure d'une femme , diftribuées fous
" quatre points de vue , & rendues avec
» une fidélité qui n'ajoute rien d'idéal à la
» nature. Ces grouppes font des fupports
» de chandeliers , qui doivent être exécu
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE!
tés en argent , & faire partie d'un fer-
» vice de table pour une Cour étrangère.
» Les Amateurs des Arts & ceux de l'hon-
» nêteté , ont applaudi au procédé de M.
» Germain. Il a publié avec une franchi-
»fe , malheureufement peu commune, le
choix qu'il a fait de M. Falconet pour
» l'exécution des modèles de toutes les
figures dans ce Sur-tout. Il foutient ce
» fentiment qui lui fait honneur , par
le
>>
plaifir que paroît lui faire l'expofition
» de ces deux modéles. D'ailleurs , en ren-
» dant publiques les principales études de
» cet ouvrage , M. Falconet affure davan-
» tage à M. Germain le fuccès de fon entrepriſe.
Il eft à préfumer qu'un Auteur
» qui fe foumet à tant de Juges , fait plus
» d'efforts pour mériter les fuffrages .
ور
و د
و د
par
» Nous avons remarqué , avec la plus
> grande diftinction , la tête d'un Philofophe
citoyen ( titres aujourd'hui trop
» fouvent oppofés dans l'opinion publi-
» que célèbre non -feulement la
» fcience & par l'érudition , mais encore
» par toutes les qualités fociales, qui ren-
> dent un homme cher & refpectable à
» fes Compatriotes. Ce Citoyen , ce Philofophe
, porte le même nom que l'Artifte
, qui en a fait un monument auffi
glorieux pour fes talens , qu'honorable
>>
OCTOBRE. 1761. 129
» pour fon coeur *. Nous avons éprouvé
» à l'égard de cette tête , la fatisfaction ,
» flateuſe d'entendre confirmer notre pro-
» pre fentiment , par la déclaration unanime
des Connoiffeurs & des Artiftes
» les plus éclairés. Ils y ont reconnu ,
» ainfi que nous , non - feulement une vé-
» rité de reffemblance égale à la Nature
» même , mais encore une vérité dans le
» travail , qui met ce morceau au nombre
» des modéles propofés pour atteindre à
» la perfection. Nous nous fervirons des
» termes propres à ces Juges , en difant
» que dans ce Bufte , le marbre paroît
» modélé , c'eſt-à- dire , que le cifeau a pris
» toute la liberté , tout l'efprit &la vérité
» de la premiere touche , en confervant
» le fini qu'il doit produire .
Nos Amateurs ne parlent point des Eftampes
qui fe multiplient par l'impreffion;
mais à l'article des Graveurs, ils font avec
juftice un éloge détaillé d'un très - beau
deffein à la Sanguine de M. Cochin , repréfentant
Lycurgue qui appaife une fédition
.
* M. Falconet le Médecin a fait lui- même cette
épigraphe gravée derriere fon Bufte . OMONY-
ΜΟΙΝ ΕΤΕΡΟΣ ΕΤΕΡΟΝ ΕΠΛΑΤΤΕ ΝΕΟΣ
ПРEΣYTÍN , » L'un des deux Omonymes a fait
>> l'autre : le jeune a fait le vieux, »
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
LE GENTILHOMME Cultivateur, ou Corps
complet d'Agriculture , traduit de l'Anglois
de M. Hale , & tiré des Auteurs qui
ont le mieux écrit fur cet Art , avec figu
res , 8 vol. in- 4°. & 16 vol . in- 12 . Prix
de chaque vol, in- 4°. 6 liv. & des deux
vol. in- 12 . qui en font un in - 4 ° . 5 liv.
Par M. Dupuy Demportes , de l'Académie
de Florence , imprimé chez Simon ,
Imprimeur du Parlement , fe vend à Paris
chez le même , & chez Chapuis l'ainé
, Libraire à Bordeaux . On voit dans la
Préface de cet Ouvrage fi defiré par rapport
à la célébrité de fon original , l'Ordonnance
& les Loix que le Traducteur
s'eft impofées . On la lit avec d'autant plus
de plaifir qu'il y regne un eſprit de Patriotifme
que l'on voudroit voir dans tous les
Ecrivains. Après quelques moyens que l'on
donne pour encourager l'Agriculture , on
trouve des obfervations fur l'eftimation
des terres felon leur valeur intrinféque.
Tous les inconvéniens aufquels on eft expolé
, & les détours de la mauvaiſe foi
que l'on y pratique font mis dans un jour
propre à mettre l'Acquéreur & te Vendeur
à couvert de toute furprife. Les intérêts
de l'un & de l'autre y font difcutés de la
OCTOBRE. 1761. 13 【་
manière la plus lumineufe & la plus fatisfaisante
: ce morceau eft neuf & utile.
De là l'on paffe à la connoiffance du fol.
On peut dire à la looange de l'Original &
de fon Traducteur, que la nature & la propriété
des terres relativement au labourage
, aux pâturages , & aux arbres y font expofées
avec une fimplicité & une netteté
dont les Cultivateurs les moins intelligens
peuvent tirer de grands avantages .
Toutes les analyſes des différentes terres y
font réduites en pratique : voilà l'objet
du premier Livre qui fait le premier Tome
de l'in- 12 . Enfaite vient le fecond où l'on
traite des engrais . On les divife en engrais
naturels & en engrais artificiels . On y tire
parti de toutes les fubftances qui ont paru
jufqu'à préfent inutiles & même nuisibles
au général des Cultivateurs. De forte que
pour peu que l'amour de l'agriculture fe
ranime & qu'il foit actif , beaucoup de
Propriétaires qui jufqu'ici ont cru ne pofféder
que des terres vaines , feront bien
furpris de les voir produire des récoltes.
abondantes en fuivant la méthode lumineufe
que l'on trouve dans cet Ouvrage.
Tous les mêlanges des fumiers que l'Au
teur pratique, les différens degrés d'extinction
qu'il leur donne , ou de chaleur qu'il
leur laiffe relativement aux climats , fer-
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
vent à prouver qu'il y a beaucoup de terres
inutiles par la négligence ou par l'ignorance
des Cultivateurs. Nous finiffons l'analyſe
de ce volume en exhortant l'Auteur
à être exact à fournir la fuite au temps fixé,
pour ne pas dégoûter de l'acquifition d'un
Ouvrage fi néceſſaire.
ÉLÉMENS DE PHYSIOLOGIE , Ou Traité
de la ftructure & des ufages des différentes
parties du corps humain , traduit du
Latin de M. Haller. A Paris chez
Guillyn , Libraire , quai des Auguſtins ,
près du Pont S. Michel , au Lys d'Or.
Prix , 3 liv . broché.
EXPOSITION de la Doctrine de l'Eglife
Catholique , fur les matières de controverſe.
Par Meffire Jacques- Benigne Bof-
Suet , Evêque de Meaux &c. Nouvelle
Edition , augméntée de la Traduction Latine
de M. l'Abbé Fleuri Auteur de
l'Hiftoire Eccléfiaftique ; avec une Préface
hiftorique & critique. In - 12 . Paris, 1761 .
Chez G. Defprez, Imprimeur du Roi &
du Clerge de France , rue S. Jacques. Prix,
3 liv. relié .
,
La Préface hiftorique eft nouvelle &
très-curieufe. La Traduction Latine de M.
l'Abbé Fleuri , qui n'avoit jamais été !
OCTOBRE . 1761 133
jointe au François , étoit devenue fi rare ,
qu'on n'en a pu trouver qu'un Exemplaire
à la Bibliothèque du Roi.
ELOGE DE RENÉ Duguay - Trouin
Lieutenant- Général des Armées Navales
de France , Commandeur de l'Ordre Royal
& Militaire de S. Louis. Difcours qui a
concouru pour le Prix de l'Académie Françoiſe
en 1761. Par M. Guis , Négociant
& Académicien de Marſeille .
Conamur tenues grandia.
Horat. Ode 6. L. I.
In- 8° . Paris , 1761. Chez la veuve Brunet
, Imprimeur de l'Académie Françoiſe ,
Grand'- Salle du Palais.
GRAMMAIRE FRANÇOISE Philofophique,
ou Traité complet fur la Phyfique , fur
la Métaphyfique , & fur la Rhétorique du
langage qui regne parmi nous dans la Société.
Par M. d'Açarq , de la Société Littéraire
d'Arras , ci-devant Profeffeur de
Langue & de Belles- Lettres Françoiſes , à
l'Ecole Royale Militaire. Seconde Partie.
In- 12. Genève , 1761 ; & fe vend à Paris
chez Moreau , rue Galande , & chez Lambert
, rue de la Comédie Françoife . Nous
rendrons compte inceffamment de cette
134 MERCURE DE FRANCE.
feconde Partie , qui ne dément en rien la
première , à laquelle nous avons déja rendu
juftice.
NOUVELLE MÉTHODE pour apprendre
facilement la Langue Latine , contenant
les regles des genres , des déclinaifons , des
prétérits , de la fyntaxe , de la quantité &
des accens latins , mifes en François avec
un ordre très- clair & très-abrégé. Préfentée
au Roi. Augmentée d'un grand nombre
de remarques très- folides , & non
moins néceffaires pour la parfaite connoiffance
de la Langue Latine, que pour l'intelligence
des bons Auteurs : tirées de ceux
qui ont travaillé fur cette Langue avec plus
de foin & de lumières . Avec un Traité de
la Poëfie Latine , & une brève inftruction
fur les régles de la Poëhe Françoiſe. Douziéme
Edition , revue , corrigée , & augmentée
d'une Table générale des matières
& des mots latins rapportés pour exemples
,, ou fur lefquels il y a des remarques.
În- 8°. de près de 900 pages. Paris , 1761 .
chez Guillyn , quai des Auguftins, au Lys
d'Or. Prix , 6 liv . relié.
Expofition abrégée des Loix. Volume
in- 8° . Paris , 1761. chez le même Libraire.
Prix relié , 4 liv. La réimpreffion de
cet Ouvrage utile ne peut être qu'agréable
au Public,
OCTOBRE . 1761. 134.
INSTRUCTION Militaire du Roi de Pruffe
pour fes Généraux . Traduite de l'Allemand
, par M. Faefch , Lieutenant- Colonel
dans les Troupes Saxonnes ; avec
XIII. Planches gravées en Taille douce ,
in- 12 . 1761. Se trouve à Paris , chez L.
Cellot , Imprimeur , rue Dauphine , près
le Pont- Neuf.
ÉLOGE HISTORIQUE de MONSEIGNEUR
IE DUC DE BOURGOGNE. In 8 ° . 1761. De
l'Imprimerie Royale. Par M. le Franc de
Pompignan , de l'Académie Françoiſe.
Nous donnerons , dans le Mercure prochain
, l'Extrait de cet Ouvrage , intéreffant
pour la Nation , qui pleurera longtemps
la perte de ce Prince.
RÉFLEXIONS fur le Systême des nou̟-
veaux Philofophes.
L'homme eft de glace aux vérités ;
Il eſt de feu pour les menfonges.
La Fontaine , Liv. 9. Fab. 6.
Brochure in- 12 . A Francfort , 1761 , &
fe trouve à Paris , chez Lottin lejeune,
rue S. Jacques ; & à Falaife , chez Piftel
Préfontaine , vis-à- vis la belle Croix .
136 MERCURE DE FRANCE.
SUPPLÉMENT à l'Article des Piéces
Fugitives.
VERS
A M. LE COMTE DE SAINT-FLORENTIN
, pour le jour de fa fête.
LOUIS ,
LOUIS
, ne craignez
point
le langage
apprêté
;
De toutes
vos
vertus
, je n'en
célèbre
qu'une
,
Peu
brillante
, mais
peu
commune
.
Ce n'est point cette intégrité ,
Ni cette activité prudente ,
Ni cette égalité conſtante ,
Vertus qui font aimer le Mortel reſpecté :
Non , c'eſt votre ſeule bonté.
Qu'une Mufe plus éloquente ,
De tous ces dons du Ciel , faffe admirer l'éclat
Qu'elle célèbre , qu'elle vante ,
Le Miniftre , l'Homme d'Etat :
Ce que j'admire davantage ,
C'eft un coeur qui fçait compâtir
'Aux maux que par lui-même il ne peut reffentir ;
Qui voit les malheureux , les plaint & les foulage.
En nous , bien fouvent la pitié
N'eft qu'un préffentiment du fort qui nous menace :
Mon égal m'attendrit , je puis être à ſa place ,
De ſes ma ux je fuis de moitié.
OCTOBRE. 1781 . 137
Mais touché d'un malheur que l'on n'a point à
craindre ;
Qu le terminer , ou le plaindre ,
C'eft ennoblir fon être , & reffembler aux Dieux ,
Qui du fein du Bonheur,dont fans ceffe ils jouiffent,
Sur les Mortels jettent les yeux ,
Et fur leur deftin s'attendriffent.
Comme eux compâtiffant, foyez aimé comme eux.
Dans ce jour où le Ciel, que pour vous on implore,
Paroît attentif à nos voeux ,
Quels biens vous fouhaiter encore ?
A l'envi tout confpire à vos foins généreux ;
A vos defirs rien n'eſt contraire ;
Vos bienfaits ne font point bornés :
Vous vous plaifez à voir des Mortels fortunés ;
Etvous aurez toujours l'heureux pouvoir d'en faire.
Par Mlle FAVIER
138 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES
ACADÉMIES.
OPUSCULES
MATHÉMATIQUES ,
ou Mémoires fur différens fujets de
Géométrie , de Méchanique , d'Optique
, d'Aftronomie &c. Par M. d'ALEM
BERT , de l'Académie Françoife,
des Académies Royales dés Sciences
de France , de Pruffe & d'Angleterre ,
de l'Académie Royale des Belles-Lettres
de Suéde , & de l'Inftitut de Bologne.
2 Vol. in-4 ° . de plus de 300
pages chacun , à Paris , chez David ,
rue & vis-à-vis la grille des Mathurins.
POUR OUR faire connoître cet Ouvrage aux .
Sçavans , à qui il eft principalement deftiné
, nous inférerons ici prèfqu'en entier
l'Avertiffement de l'Auteur. C'eſt donc M.
d'Alembert qui va parler dans le refte de
cet Article.
OCTOBRE . 1761. 139
Comme les différens Mémoires contenus
dans ces Opufcules , exigent , dit M.
d'Alembert , une lecture attentive & fuivie
, pour ſe mettre au fait des matiéres
qui y font traitées ; je me contenterai de
donner ici une idée générale de ce qu'ils
contiennent.
Dans le premier je fais voir contre M.
Daniel Bernoulli , que la folution donnée
par M. Taylor du Problême des Cor
des vibrantes , eft infuffifante & imparfaite
, même avec l'extenfion ingénieufe que
M. Bernoulli y a donnée ; je prouve que
la feule vraie folution de ce Problême eft
celle que j'ai trouvée le premier par une
méthode fingulière & nouvelle , & que j'ai
publiée dans les Mémoires de l'Académie
de Berlin 1747. Je prouve de plus contre
M. Euler , que cette folution quoiqu'auffi
générale qu'il cft poffible , n'eft cependant
applicable qu'aux cas où la corde a une
certaine figure au commencement de fon
mouvement ; & que dans les autres cas , le
mouvement de la corde ne peut être repréfenté
par aucune formule analytique , ou ,
ce qui revient au même , ne peut être foumis
au calcul. Dans un Supplément à ce
Mémoire , je réponds à un très - habile Géomètre
de Turin , M. de la Grange , qui
avoit embraffé l'opinion de M. Euler , &
140 MERCURE DE FRANCE
qui l'avoit appuyée par de nouvelles preuves
, trouvant celles de M. Euler infuffifantes.
Le ſecond Mémoire a pour objet le mouvement
d'un corps qui tourne autour d'un
axe quelconque , fixe ou variable , avec
une vîteffe quelconque , variable ou uniforme
, étant animé ou non par des forces
accélératrices quelconques . Cet Ecrit n'eft
qu'une application des formules du Problême
de la Préceffion des Equinoxes , que
j'ai résolu le premier , à des cas encore plus
généraux. De favans Géométres ont déjà
traité le Sujet qui fait l'objet de ce Mémoire
; mais ma folution du Problême de la
Préceffion des Equinoxes , qui a ouvert la
route pour réfoudre ce genre de queſtions ,
avoit précédé leur travail , comme ils n'ont
pas fait difficulté d'en convenir eux-mêmes.
Dans le troifiéme Mémoire , je dévelop
pe les loix des ofcillations des corps flottans
, fur lesquelles j'avois déja donné un
Effai dans ma Théorie de la réfiftance des
fluides. M. l'Abbé Boffut, Profeffeur Royal
de Mathématique aux Ecoles du Génie
& Correfpondant de l'Académie des Sciences
, a fait un uſage heureux & utile de
quelques- unes de mes formules dans fon
excellente Piéce fur l'Arrimage des Navires
, qui a partagé le prix de l'Académie
OCTOBRE. 176r. 140
en 1761. Il a de plus ajoûté à ces formules
beaucoup de recherches curieuſes & importantes
qui lui appartiennent , & qui ont
rapport au mouvement des Navires.
Le quatriéme Mémoire a pour objet la
réduction des loix du mouvement des fluides
aux équations analytiques les plus générales
qu'il eft poffible. Après avoir donné
ces équations , je fais voir qu'il y a trèspeu
de cas où le mouvement des fluides
puiffe y être réduit , & par conféquent être
déterminé par un calcul rigoureux ; d'où il
s'enfuit qu'en genéral les loix de l'Hydrodynamique
, en tant qu'on les foumet au
calcul, ne peuvent être connues qu'à - peuprès.
Le but du cinquième Mémoire eft de
rendre plus rigoureufe & plus fimple l'ingénieufe
démonftration du principe de la
compofition des forces que M. Daniel
Bernoulli a donnée dans le premier Volume
des Mémoires de Pétersbourg.
Ces cinq Mémoires avoient déja été
annoncés dans l'Avertiffement de la nouvelle
Edition de mon Traité de Dynamiils
étoient dès lors en état de paroître
; depuis ce temps je les ai perfectionnés
, & augmentés de nouvelles recherches
.
que ;
Dans le fixième Mémoire , je foutiens
142 MERCURE DE FRANCE.
contre le célébre M. Euler, le même fentiment
que foutint autrefois M. Jean
Bernoulli contre M. Leibnitz, fçavoir
que les Logarithmes des quantités négatives
ne font point imaginaires , mais
réels , ou plutôt qu'ils peuvent être fuppofés
à volonté réels ou imaginaires , &
que tout dépend du fyftême de Logarithmes
qu'on choifit. Aux preuves que M.
Jean Bernoulli a données de fon fentiment
, & que j'ai développées & expofées
d'une manière encore plus frappante
, j'en ai joint plufieurs autres ; & j'ai
répondu aux objections de MM. Leibnitz
& Euler , de manière à ne laiffer , ce me
femble , aucun doute. fur cette queſtion
épineuſe & délicate .
+ Le feptiéme Mémoire eft un fupplément
à ce que j'ai donné dans les Mémoires
de Berlin de 1746 & 1747 , für
les intégrations qui dépendent de la rectification
des Sections coniques , & de la
quadrature des lignes du troifiéme ordre,
& une application de ces intégrations à
la quadrature de la furface des cônes
obliques.
J'ai recueilli dans le huitiéme Mémoire
plufieurs remarques fur l'attraction
pour éclaircir & développer quelques endroits
de mes autres Ouvrages. J'y fais
OCTOBRE. 1761 . 143
voir ; 1º . qu'en fuppofant à la Terre un
noyau intérieur d'une denfité différente
du refte du fphéroïde , la figure extérieute
de la Terre dépend moins de la figure,
de ce noyau , comme l'ont cru quelques
favans Géomètres , que du rapport de fa
denfité avec la denfité du refte du fphéroïde.
2 °. Que la Terre , même , en la
fuppofant en partie fluide , pourroit fub-.
fifter fans être un folide de révolution
pourvû qu'elle eût un noyau intérieur
folide , qui ne fût pas un folide de révolution
, & qui fût d'une denfité différen
te de la partie fluide. 3 ° . Enfin j'explique
pourquoi un corpufcule, placé fur une
furface fphérique, éprouve une attraction
qui n'eft que la moitié de celle que la .
même furface exerceroit fur le même
corpufcule , s'il étoit placé à une diſtance
infiniment peu plus grande.
Le neuviéme Mémoire contient l'examen
des principes qu'on employe communément
en Optique , tant par rapport
aux loix de la vifion directe, que par rapport
à celles de la vifion réfléchie ou réfractée
; j'en fais voir le peu de folidité ,
& j'en conclus que dans cette Science prèfque
tout eft encore à faire; que les principes
qui y font le plus généralement reçus,
font , ou faux , ou tout au moins très in144
MERCURE DE FRANCE.
certains ; qu'il eft très -douteux , par exemple
, que les objets foient toujours vûs
dans la direction du rayon viſuel ; que
l'on n'eft pas plus inftruit fur les loix de
la diftance & de la grandeur apparente
des objets dans les miroirs & dans les verres
; que les expériences d'Optique qui
paroiffent les plus fimples , font fujettes à
beaucoup d'illufions & de variétés &c.
Je donne auffi dans ce même Mémoire
une méthode que je crois affez fimple &
affez fûre pour déterminer la diftance &
la grandeur apparente des objets dans la
vifion directe ; & je fais à cette occafion
différentes remarques qui pourront , je
crois , intéreffer les Géométres.
Dans le dixiéme Mémoire , j'examine
les principes reçus jufqu'ici par les Mathé
maticiens fur le calcul des probabilités ,
& je tâche de montrer que ces principes
font au moins très-douteux , pour ne rien
dire de plus. C'eſt à quoi je parviens en
examinant un cas fingulier du Problême
des jeux de hazard , fur la folution duquel
les Analyftes paroiffent s'être vainement
exercés jufqu'aujourd'hui , & qui
ne peut être fufcceptible d'une folution
fatisfaifante , qu'en limitant & en modifiant
les principes dont ces mêmes Analyftes
fe font fervis jufqu'à préfent pour
réfoudre
OCTOBRE. 1761 : 745
téfoudre les queftions de cette efpéce.
Le onzième Mémoire , fur l'Inocula
tion de la petite Vérole , a pour objet de
prouver que dans les calculs qu'on a
faits jufqu'à préfent pour conftater les
avantages de l'inoculation , on n'a point
envifagé la queftion fous fon véritable
point de vue ; & qu'il est très - difficile ,
pour ne pas dire impoffible , d'apprécier
ces avantages par le calcul ; ce qui n'empêche
pas , comme je l'obferve , que la
pratique de l'inoculation ne puiffe être
avantageufe , quand elle fera conduite
avec les précautions convenables. Comme
l'objet de ce Mémoire intéreffe tous
les Citoyens , j'ai tâché de le rendre clair
& impartial ; il n'eft perfonne qui avec
un peu d'attention, ne puiffe le lire , l'entendre
& le juger ; les détails Mathématiques
font rejettés dans des notes trèsétendues
, que j'ai jointes au Mémoire, &
qui contiennent beaucoup d'autres remarques
importantes ou curieufes fur la
théorie de l'inoculation .
Dans le douzième Mémoire , après
avoir montré , contre la prétention d'un
favant Géométre , que la théorie des perturbations
des Cométes eft contenue dans
la folution que j'ai donnée dès 1747 s
du Problême des trois corps , je perfec-
II. Vol. G
14 MERCURE DE FRANCE.
tionne cette théorie ; j'en fimplifie la
pratique par différens moyens que je
propofe pour cet effet ; & je parviens à
ane méthode pour calculer les perturbations
des Cométes , plus fimple , ce me
femble , plus abrégée & plus facile , que
ce qui a été publié jufqu'à préſent ſur
cette matière. J'ai expofé le procédé de
ma méthode avec le plus grand détail , &
avec toute la clarté qui m'a été poffible :
& je me flatte qu'il n'y aura point de
Calculateur tant foit peu intelligent , qui
fur cet expofé ne puiffe entreprendre de
déterminer les altérations du mouvement
des Cométes ; puifque j'ai eu foin de luimettre
fous les yeux la fuite des opérations
qu'il doit faire , & qu'il n'y a plus
abfolument qu'à ſubſtituer aux quantités
algébriques les nombres qui conviennent
à chaque Cométe en particulier .
J'éxamine dans le treiziéme Mémoire ,
la difpute qui s'eft élevée entre les Géométres
au fujet de la différence d'un mois
qui s'eft trouvée entre la prédiction du retour
de la Cométe de 1681 , & l'obfervation
de ce même retour. Je prouve
que cette différence ne doit point être
comparée ( comme on l'a prétendu ) à la
période entiere , encore moins à la fomme
de deux périodes confécutives , mais
OCTOBRE. 1761. - 147
I
•
feulement à la différence de ces deux périodes
, qui n'eft que de 18 mois ; &
qu'ainfi la différence entre le calcul &
l'obfervation , eft au moins d'un dix huitiéme
, & non pas de Je prouve même
, qu'en faifant la répartition la plus
vraisemblable & la plus naturelle des erreurs
commiſes dans les différens réfultats
, l'erreur du dernier réſultat a dû être
vraisemblablement un cinquième du total
; ce qui doit être uniquement imputé
à la nature des circonftances du Problême
, qui n'a pas permis une plus grande
précifion dans les calculs .
Le quatorziéme Mémoire eſt deſtiné à
défendre ma folution du Problême des
trois corps contre les objections qu'on y
a faites , & à montrer les avantages de
cette folution fur celles qui ont été don
nées du même Problême.
Ce Mémoire eft fuivi de nouvelles Tables
de la Lune , d'une forme très- commode
& très fimple. J'ai d'autant plus lieu
d'efpérer que les Aftronomes en feront
ufage, que je les crois d'ailleurs affez exa-
&tes. M. Coufin , habile Mathématicien ,
qui a bien voulu m'aider dans le calcul de
ces Tables , s'en étant fervi pour déterminer
plufieurs lieux de la Lune , n'a ja-
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
1
-
mais trouvé une minute de différence entre
le calcul & l'obfervation.
Enfin , dans le quinziéme Mémoire ,
j'applique à la Lune , regardée comme un
fphéroïde dont les Méridiens & l'Equateur
feroient des ellipfes , la théorie que
j'ai donnée dans les Mémoires de l'Académie
de 1754 fur la préceffion des points
équinoxiaux dans de pareils fphéroïdes.
Je joins à cette application , différentes
remarques fur la libration de la Lune , fur
les mouvemens que peut avoir fon axe ,
& même fur le Problême de la préceffion
des Equinoxes en général.
Telles font , dit M. d'Alembert en finiffant
, les différentes matières traitées
dans ces Opufcules. La plupart des Mé-
'moires qu'elles contiennent , peuvent
fournir le Sujet de plufieurs autres , comme
il eft aifé de s'en convaincre en les
lifant ; & je me propofe de donner de
temps en temps une fuite à ces deux Volumes
, autant que mes autres occupations
pourront me le permettre.
Au refte , je me flatte que les fçavans
Géométres , dont j'ai cru pouvoir attaquer
les affertions , prèfque toujours pour
ma propre défenſe , ne m'en fauront pas
mauvais gré ; en combattant leurs opinions
, je fai tous les égards que je dois
OCTOBRE. 1761. 149
à leur perfonne & à leur mérite , & je
ne crois pas m'en être écarté.
SÉANCE publique de l'Académie des
Belles- Lettres de MARSEILLE,
L'ACADÉMIE des belles Lettres de Marfeille
tint felon l'ufage fa féance publique
le 25 Août . M. l'Abbé Aillaud Directeur
lut une Differtation dans laquelle il
prouva que Marseille eft la plus anciennes
Ville des Gaules , & que ce fut aux
Marſeillois que les Gaulois durent leur
Induftrie & leurs Arts.
Les éloges de MM. Charron & de
la Vifclede, Académiciens , morts en 1760,
furent lus enfuite , le premier par M.
Guis, & le fecond par M. de Sinety.
M. Befo termina la Séance par la
lecture du dixiéme & dernier chant d'un
Poëme intitulé le Chrift.
Le Prix a été réfervé cette année. L'Académie
en diftribuera deux l'année prochaine
elle propoſe pour fujet d'éloquence
l'éloged'Abraham Duquesne, Lieu-"
tenant- Général des Armées Navales fous
LOUIS XIV ; & pour celui de Poëfie les
dangers du luxe. On a la liberté de traiter
G iij
Tso MERCURE DE FRANCE.
ce ſujet en Ode ou en Poëme à rimes plates
de cent Vers au moins & de cent cinquante
au plus.
Le Prix que l'Académie décerne eſt une
Médaille d'or de la valeur de 300 liv.
portant d'un côté le Bufte de M. le Maréchal
de Villars , & fur le revers ces
mots : Premium Academica Maffilienfis
, entourés d'une Couronne de Laurier.
Les Auteurs mettent au bas de leurs
Ouvrages une Sentence ou deviſe tirée
des Auteurs Sacrés ou Profanes & les
adrefferont avant le premier de Mai à M.
Riquant, Secrétaire perpétuel de l'Académie
, rue des Dominicains . Les paquets
qui ne feront point affranchis ne feront
point retirés.
On exclura les Ouvrages en faveur def
quels on aura follicité & dont les Auteurs
fe feront fait connoître. On exclara
encore ceux qui contiendront des traits
indécens , fatyriques , & contraires à la
Religion & au Gouvernement.
ASSEMILÉE Pullique de l'Académie
des Belles-Lettres de MONTAUBAN.
L'ACADÉMIE des Belles- Lettres de Montauban
a célébré le 25 Août la Fête de S.
OCTOBRE. 1761 151
Louis avec la folemnité accoûtumée . Elle a
affifté le matin à une Meffe qui a étéfuivie
de l'Exaudiat pour le Roi,& du Panégyrique
du Saint , prononcé par le R. P. Laveyrie
, Cordelier , Docteur en Théologie .
L'après- midi , l'Académie s'eft rendue
dans la grande Salle de l'Hôtel - de - Ville ,
où elle a été reçue conformément au cérémonial
preferit par le Roi. M. Carrere
fils , Directeur de quartier, a ouvert la
Séance par un Difcours où il a décrit avec
autant de noblefle que de précision les divers
avantages qui réfaltent pour les Lettres
du travail des Académies & de l'intérêt
que le Public paroît y prendre. Il
en a tiré cette conféquence légitime, que
le Public & les Académies reçoivent &
Je donnent ainfi tour-à-tour des lumières
& une émulation réciproques. Il a heureufement
cité en preuve de fa thèse , la
protection que le Roi accorde aux établiffemens
littéraires ; & après avoir appuyé
fur l'attention de l'Académie à
propofer des Sujets intéreffans aux Auteurs
ambitieux de la couronne qu'elle
décerne , il a félicité la Compagnie d'être
entrée d'elle-même dans les aes du
Gouvernement , quand elle a donné pour
le Sujet du Prix de 1761 : Pourquoi les
Arts utiles ne font-ils pas plus cultives
Giv
152 MERCURE DE FRANCE..
•
que les Arts agréables , puifque Sa Majefté
venoit alors de prendre la réfolution
d'encourager par des Sociétés d'Agriculture
le plus utile , le plus ancien &
peut-être le moins perfectionné de tous
les Arts.
des
M. Carrere a donné de fages avis aux
Orateurs qui defirent de cueillir la palme
Académique ; & pour prouver par
exemples , que les Lettres ont l'avantage
de vivifier toutes les profeffions , il a fini
par montrer que les Mufes formerent
» autrefois parmi nous des Richelieu &
» des Colbert pour le ministère ; des Ven-
» dóme & des Villars pour le comman-
» dement des Armées ; des l'Hopital &
» des Dagreſſeau pour la Légiflation ;
» des Seguier & des Lamoignon pour
»la Magiftrature ; des Fleuri & des Bof-
» fret pour les grands Ouvrages de la
""
"
Religion ; des Fléchier & des Maffillon
» pour la Chaire ; des Patru & des Co-
» chin pour le Barreau ; des Fontenelle
» & des Saint- Aulaire pour les charmes
" & pour les douceurs de l'amitié , & c .
L'éloge du Roi & celui du Protecteur fe
'font placés comme d'eux - mêmes dans le
Difcours de M. Carrere.
M. de Bernoi a lû enfuite des Obfervations
fur la critique , où après avoir
OCTOBRE. 1761. 753
relevé les vices qu'elle contracte , entre
les mains des Ignorans & des prétendus
Beaux Efprits , il l'a repréfentée comme
le fruit du goût , des lumières & du bon
fens... Les Envieux , a-t-il dit , ne cherchent
que des fautes , & les Sages voudroient
toujours trouver matière à des
éloges.... La prévention eft le fanatif
me de la Littérature... La critique impartiale
eft une leçon propre à perfectionner
le talent. Elle ne doit être ni trop
févère , ni trop indulgente. Elle eft injuf
te quand elle s'exerce fur les mots plu-
τότ que fur les chofes ; quand elle voudroit
ramener les autres à notre façon
de penfer , à notre manière. M. de Bernoi
n'a pas laillé de demander grâce pour
quelques mots factices , pour la liberté
d'employer quelquefois les mots noи·
veaux. Mais il a fur ce point impofe
aux Auteurs des conditions fi fages , que
pourvu qu'ils les rempliffent , ils n'abuferont
pas du privilége qu'il a reclamě
pour eux. Il a defiré que la critique portât
principalement fur l'expofition du Sujet
, fur la conduite de l'ouvrage , fur les
preuves , fur la clarté des pensées , fur
le choix des termes , fur la netteté des expreffions
, fat la fineſe des tranfitions ,
fur l'heureux emploi des figures , fur le
Gr
154 MERCURE DE FRANCE.
rapport du ftyle avec le Sujet qu'on traite.
Mais l'Art eft l'enfant de la Nature
& c'eft principalement le goût qui peut
nous apprendre à obferver ces régles.
M. Marqueyret s'eft propofé de réfou-.
dre cette queftion délicate : fi les Femmes
ne fe fignalent pas plus fouvent dans
les Beaux- Arts & par de grandes entre →
prifes , faut-il s'en prendre à la Nature
ou à l'éducation qu'on leur donne ?.
Pour détruire le préjugé vulgaire , qui eſt
injurieux aux Femmes , il a commencé
par établir qu'on ne fçauroit admettre
deux genres d'efprits, qui fuivant les intentions
de la Nature , foient féparément
l'appanage des deux fexes : un caractère
de grandeur , de force & de fublimité
pour les hommes & un caractère de foiblee
& de timidité pour les femmes ;
& en tirant des Faftes de l'Hiftoire des
exemples décififs , qui font ici des preuves
fans replique ; il a démontré que la Nature
a fouvent accordé aux femmes tous
les talens néceffaires , tantôt pour gouverner
avec gloire , tantôt pour défendre.
avec fuccès un Etat contre des ennemis.
redoutables , tantôt po ur faire à la Philofophie
le facrifice mê me d'un Trône , tantôt
pour s'élever au d effus d'une foule de
paffions , dont leurs me urs portérent ra
OCTOBRE. 1761. 155
rement l'empreinte & qui dégradent les
hommes , tantôt pour acquérir dans la
Littérature un nom immortel par des Ouvrages
dont les uns paroiffent avoir été
dictés par les Grâces , tandis que les autres
font marqués au coin de la plus profonde
érudition. Selon cet Académicien ,
l'ufage qui confie aux femmes notre enfance
, comme un dépôt précieux à la
Société , plaide leur caufe. Elles font
chargées de nous protéger contre les périls
qui entourent notre berceau ; & nous devons
autant à leurs leçons qu'à leurs
exemples les premières impreffions des
vertusfociales. Après avoir fait remarquer
qu'en négligeant l'éducation des femmes ,
on leur refufe les fecours & l'encouragementfans
lesquels les talens fe défléchent,
& les vertus languiffent dans l'obfcurité,
il a tracé en peu de mots un plan d'inftruction
, propre à mettre en oeuvre les avances
que la Nature leur a faites. Que l'empire
de la Beauté , a-t- il conclu , foit le
régne de la Raifon ! De cet accord naî
tra le bonheur de la Société &c.
M. l'Abbé de Verthamon a lû la traduction
d'une Oraifon de Muret , prononcée
à Veniſe à la louange des Belles - Lettres
; & il a paru que le Traducteur en
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
avoit faifi les beautés pour les faire paffer
dans notre Langue.
Ici , pour varier les lectures , M. de
Bernoi a récité des Vers dont l'objet étoit
de peindre fous la forme d'un conte , un
trait fingulier de la naïve fimplicité de la
Fontaine.
M. de Saint-Hubert,dans un Ouvrage
fort court, a traité le Sujet le plus vafte.
Avec autant d'énergie que de fineffe , il a
dévoilé les artifices , l'aveuglement & les
méprifes de l'amour - propre . Ce ferpent
tortueux , malgré fes plis & replis n'a pu
échapper aux obfervations de l'Académicien
qui l'a fuivi dans tous fes détours ,
en montrant combien il nous abuſe , quand
il nous rend trop contens de nous- mêmes ;
quand il nous fait rechercher les louanges
par des moyens illégitimes ; quand il nous
perfuade de nous parer d'une fauffe modeftie
, & c. L'amour-propre , dit M. de
Saint- Hubert , exerce fon empire fur tous
les états , fur les gens du monde , &fur
"ceux qui paroiffent y avoir renoncé on
le démêle , malgréfafoupleffe , fous l'enveloppe
de l'humilité ; le Philofophe n'en
eft pas exempt ; je l'apperçois dans le
tonneau de Diogène ; & tout foible Ecrivain
que je fuis , c'est peut-être lui qui
OCTOBRE . 1761 . 157
conduit ma plume dans le moment oùje
cherche à le combattre.
M. Teulieres s'eft élevé avec force
contre une maxime avancée , dit- il ,fans
fondement. Quelqu'un a prétendu que
les femmes en formant le goût , corrompent
les moeurs. Opinion auffi fauffe
qu'injurieufe à un fexe qui a verfé dans
nos coeurs le fentiment de la vertu, comme
on convient qu'il a préparé nos ef
prits à la délicatesse du goût... Leflambeau
du raifonnement & de l'expérience
à la main , voici comment M. Teulieres
a combattu les détracteurs des femmes...
La Nature a donné aux femmes tous
les caractéres dont l'affemblage & le concours
peuvent former un coeur vertueux ;
le fentiment , la douceur & la modeftie...
D'un autré côté , la délicatefe de leurs organes
les rend moins propres aux opérations
du vice qui demandent une efpéce
de courage féroce &c... L'Hiftoire
Ancienne & Moderne nous apprend encore
que les Peuples qui ont vécu enfociété
avec les femmes , ont été les plus
vertueux...La Gréce & Rome ont été mifes
ici en contrafte avec les moeurs des Orientaux
& avec celles des Chinois & de quelques
autres: Peuples chez qui en renfermant
les femmes , on ne renferme pas
158 MERCURE DE FRANCE.
les vices.... La galanterie telle qu'elle
étoit en ufage dans les bons vieux tems
Gaulois étoit incapable de corrompre
les moeurs. Si la Nation Françoiſe a été
de tout temps la plus galante de l'Europe
, elle n'a pas moins été la plus polie
&la plus vertueufe.... Une autre ré
* fléxion à la décharge des femmes , c'eſt
qu'il n'en eft prèfque point qui ait proftitué
au vice fa plume on fon pinceau ,
tandis que la vertu a eu fouvent à rougir
des productions des Littérateurs ou
des Artiftes.... Enfin le moyen de foutenir
que
les femmes en formant le goût ,
corrompent les moeurs , puifqu'au jugement
de l'Académie , c'eſt la corruption
des moeurs qui entraîne celle du goût ?
L'amour de la vérité & le fentiment du
beau ne font pas moins les principes de
la vertu dans la Morale, que les fources
du goût dans les Lettres.... M. Teulieres
croit que les femmes elles - mêmes ont
donné lieu à la maxime qu'il a réfutée ;
parce qu'elles ont trop facilement mis au
rang des Philofophes ceux qui ne paroiffent
prèfque jamais avec elles. Comme
fi un Amateur de la fageffe devoit
être néceffairement & par état un ennemi
de leur Société... Si jamais les moeurs
des hommes fe corrompent, ce fera quand
OCTOBRE . 1761. 159
ils ceferont de les refpecter , & non pas
fimplement quand ils commenceront à
vouloir profiter de la délicateffe de leur
goût & de leur amour pour la vertu ... La
chaleur du ftyle de M. Teulieres étoit propre
à peindre le zéle qui lui avoit fait
prendre la defenfe du beau Sexe.
M. l'Abbé Bellet a lu des Obfervations
fur les divers caractères de notre fiécle ;
a recueillir les divers jugemens qu'on en
à déjà portés. Ilfemble , a t- il dit , qu'on
ait voulu nous peindre deux fiécles of
pofés. Les uns en parlent comme d'un
fiécle où tout dégénére , les autres comme
d'un fiécle où tout fe perfectionne.....
Seroit-il poffible que le vrai portrait de
notre age dit renfermer les deux extrémes
? .... Comme tout eft mêlé ici-bas ,
& que le bien & le mal s'y trouvent confondus
dans chaque genre , tous les deux
nous frappent fucceffivement , & parce
que l'impreffion actuelle que nous recevons
de l'un ou de l'autre , remplit communément
la capacité trop bornée de
notre efprit & de notre coeur ; elle nous
jette tour-à-tour dans une espèce d'enthoufiafme
dont notre langage porte l'empreinte.
M. L. B. eft tenté de croire qu'il
faut beaucoup rabattre des difcours vul
gaires , par rapport aux défauts & aux
160 MERCURE DE FRANCE.
avantages de notre fiècle. On groffit
fes mauvaifes & fes bonnes qualités phyfiques
, morales & littéraires . Voilà le
plan de fon difcours dont il n'a pu lire
que la portion deftinée à prouver que l'on
calomnie la Nature , quand on lui reproche
fa prétendue foibleſſe dans le fiécle
où nous vivons.... Après avoir plié
une fois fous les coups de la colère célefte
, elle a repris fon cours : fa marche
, quoique rallentie , n'en estpas moins
ferme ni moins füre ; & elle n'en eft pas
elle-même plus fufceptible de l'affoibliſſement
journalier dont on l'accufe. Un Extrait
ne fçauroit rendre le détail où M.
L. B. eft entré .
Enfin M. de S. Hubert a récité des
Vers ingénieux & polis, adreffés à Ifmène,
fur le travail de l'Académie.
ASSEMBLÉE publique de l'Académie
d'AMIENS, tenue le 25 Août 1761 .
CETTE Séance a été ouverte par l'Eloge
de MONSEIGNEUR le Duc de Bourgogne
lu par M. Baron Secrétaire perpétuel de
l'Académie .
M. Bizet , Directeur , a donné un MéOCTOBRE
. 1761 . 161
'moire fur la rareté des bois en Picardie &
fur les moyens d'y rémedier.
M. de Robecourt , Médecin à Amiens,
Académicien nouvellement éla , a fait
fon Difcours de remerciement , auquel le
Directeur a répondu.
M. Marteau Médecin à Aumale , a
lû une Differtation fur les Bains.
Et M. Vallier , Colonel d'Infanterie ,
l'Effai d'un Poëme fur l'Art de la Guerre ,
& une Ode fur Barreges & Bannieres
L'Académie n'ayant point été fatisfaite
des Ouvrages envoyés au concours fur les
fujets qu'elle avoit propofés , elle propoſe
les mêmes Sujets pour l'année 1762 ,
avec cette différence cependant, que pour
eelui qui regarde le Commerce , elle demande
feulement :
Quel a été en France l'Etat du
Commerce depuis François F. jufqu'à
Louis XIV , exclufivement ?
Pour fujet Littéraire les Auteurs auront
à prouver que
La droiture du coeur eft auffi néceffaire
dans la recherche de la vérité , que la
jufteffe de l'esprit.
Entre les Auteurs qui ont concouru fur
cette matière, il en eft auxquels il n'a manqué
pour atteindre au Prix , que d'en avoir
162 MERCURE DE FRANCE.
faili & traité le Sujet précisément comme
il avoit été annoncé.
Chacun des Prix eft une Médaille d'or
de la valeur de 300 liv.
Les Ouvrages ne feront reçus que jufqu'au
premier Juin exclufivement . Ils feront
adreffés , francs de port , à M. Baron,
Secrétaire perpétuel de l'Académie ,
à Amiens.
Le Prix de l'Ecole de Botanique , te
nue par M. d'Efmery , l'un des Académiciens
, a été donné par l'Académie à
M. Langlet , Etudiant en Pharmacie . Ge
Prix eft une Médaille d'argent .
M. Sellier , de l'Académie , qui tient
à Amiens une École des Arts, a délivré le
30 Août à fes Eléves les Prix donnés par
M. le Duc de Chaulnes ,Gouverneur général
de la Province & Protecteur de l'Académie
. Les deux Prix de Géométrie ont
été rémportés par MM. Anquier & Perlin
: celui d'Architecture , par M. Tranfi :
M. le Febvre a eu celui de la Coupe des
Pierres M. Etamples , celui de l'Arrithmétique
& des Changes : & M. Le
Blond, le Prix des Deffeins pour la Manufacture.
OCTOBRE. 1761. 163
SÉANCE publique de la Société Litté
raire de Chalons fur MARNE.
LAA Société littéraire de Châlons fur
Marne a tenu fa feconde Séance publique
le 2 du mois de Septembre ; elle a
été remplie par la lecture des différens
Mémoires .
M. France en a lu un fur l'Agriculture
en général ; il a démontré avec beaucoup
d'éloquence , que la Terre ayant reçu de
Dieu l'ordre de produire , elle ne peut
ceffer de donner des productions que par
le défaut de culture , à laquelle l'homme
a été condamné , & que fi les plus
mauvaiſes terres de la Province de Champagne
étoient cultivées avec foin & avec
intelligence, elles dédommageroient amplement
le Cultivateur de fes peines .
M. Fradet a lu enfuite des recherches
qu'il a faites au fujet d'une Médaille
Grecque d'or du poids d'une once , deux
gros & demi , dix - huit grains , & de la
grandeur d'une Médaille de moyen bronze
du haut Empire . Cette Médaille qui fe
trouve dans le Cabinet de M. Dupré de
Génefte , Secrétaire de l'Académie de
164 MERCURE DE FRANCE.
Metz, préfente fans légende d'un côté la
tête couronnée de Laurier d'Hercule
Barbu , & de l'autre celle d'une femme
Couverte de la peau du Lion avec cette
Epigraphe ΗΡΑΚΛΕΙ ΡΑΧΕΝΩΙΝ . Comme
on ne connoît dans la Grèce aucun Peuple
du nom de Rachinien , M. Fradet
foupçonne , fi la Médaille eft vraie , qu'il
y a une lettre de moins dans fon Infcription,
foit que le frottement l'ait effacée
foit qu'elle ait été omife par le Graveur ,
ce qui fe rencontre affez fouvent ; & il
croit que cette Médaille ne peut appartenir
qu'à la Ville d'Héraclée de Trachine
; cette Ville étoit dans la Theffalie au
pied du Mont Oeta , fur lequel Hercule
perit & où Déjanire fut enterrée , fuivant
Paufanias.
M. Fradet a lu encore une Fable de
M. Ganeau , qui étoit abfent.
M. Develye a lu la continuation de l'Hif
toire de la Fortereffe de Moyaimer , aujourd'hui
appellée Montaimer.
Cette lecture a été fuivie de celle d'un
Mémoire de M. Billet de la Pagerie fur
les différens moyens qu'on peut employer
pour fertilifer les terres maigres de la ,
Champagne : ces moyens font les engrais
qu'on y doit répandre ; & il indique comme
un des meilleurs , les terres que l'on
OCTOBRE. 1761 165
peut prendre dans les marais , dans les
ruiffeaux , & fur les bords des étangs.
M. l'Abbé Befchefer a lu la fuite de
fon Hiftoire des Evêques de Châlons ;
cette partie contient l'Etat de la Ville de
Châlon fous Clovis ; ce qui s'eft paffé fous
quelques Evêques dont on ignore les actions
, & ce que l'on fçait de celles de
Saint Eluphe , & de Saint Lumier fon
frère & fon Succeffeur.
La Séance a été terminée par la lectu
re qu'a faite M. Vialet , Sous- Ingénieur
des Ponts & Chauffées , d'un Mémoire
für quelques nouvelles applications que
l'on peut faire de la vis & de fon écrou ,
& dont il n'eft pas poffible de ſe diſpenfer
de donner quelque détail. Il a apporté
pour premier exemple une nouvelle
machine propre à récéper les Pilots fous
l'eau; avant que d'en faire la defcription
il a rendu compte d'une autre machine
qui a été inventée par M. Deuffard fon
Confrère ; & il n'a pas cru devoir paffer
fous filence que M. Perronet, Infpecteur
Général des Ponts & Chauffées, eft le premier
qui ait travaillé fur cette matière ,
& qu'on ne peut voir le modèle de la
dernière machine qu'il a compofée dans
cette vue , fans être étonné de la fagaciré
avec laquelle il a furmonté toutes les
166 MERCURE DE FRANCE .
difficultés qu'il y avoit à donner en même
temps à la fcie les trois différens mouvemens
qui lui font néceffaires pour agir
avec fuccès. M. Vialet n'a pas eu précifément
les mêmes difficultés à vaincre
parce que fa machine eft fondée fur un
principe entiérement différent ; c'eſt une
efpéce de machoire tournante , dont les
dents fe refferrent vers le centre du Pilot
à mesure qu'elles le cernent ; ce qui s'opére
par le moyen d'une lanterne qui
embraffe les queues de la machoire , &
non feulement la fait tourner avec elle ,
mais encore la fait ferrer à mesure qu'elle
tourne ; parce que cette lanterne eft
traversée par une vis qui ne lui permet
pas de tourner fans defcendre , & qu'en
defcendant elle fait rapprocher de la verticale
les queues de la machine qui font
fufpendues par leur extrémité , & mobiles
fur le bouton qui les traverse ; toute
cette machine forme une eſpèce de tambour
évidé de trois pieds feulement de
Diamétre , & doit être exécutée entiérement
en fer ; dans le cas où l'on n'auroit
pas befoin de l'extrême précifion dont
elle eft fufceptible en la fixant fur un
échafaut folide, elle a l'avantage de
voir être établie fur un très - petit bateau
ou même fur un radeau ; ce qui la rend
pou-
2
OCTOBRE. 1761 . 167™
très commode pour récéper à peu de frais
les vieux Pilots qu'on rencontre dans prèfque
toutes les rivières , & qui en rendent
la navigation très - dangereufe. Le modéle
qui accompagnoit le Mémoire ne paroît
laiffer aucun doute fur le fuccès de la
machine en grand , où trois hommes au
plus fuffiront pour la manoeuvre.
Si cette machine a des avantages marqués
à certains égards fur cellés qui ont
paru jufqu'a préfent , il eft quelques cas
où celles - ci conferveront la préférence .
Par exemple avec la nouvelle on feroit
obligé de fcier en deux fois les bouts des
Pilots qui excéderoient de plus de trois
pieds la hauteur qu'ils doivent avoir , ce
qui n'eft pas à la vérité un grand inconvénient
; mais elle ne pourroit abſolu
ment fuppléer aux anciennes dans les cas
où il fe trouveroit moins de dix - huit poucès
entre le centre du pilot à récéper &
le bord d'un des pilots environnant , cas
à la vérité fort rare , puifqu'il faudroit
pour cela des pilots d'un pied de diamêtte
, efpacés feulement de deux pieds de
milieu en milieu , c'est- à- dire tant plein
que vuide , ce qui a été démontré entiérement
inutile ; ces différens avantages
& défavantages confirment ce que M.
Vialet a dit au commencement de fon
168 " MERCURE DE FRANCE
Mémoite , que les circonftances variant
à l'infini , on ne fçauroit auffi trop varier
les machines , furtout quand elles font
d'une utilité auffi reconnue que celles
dont il s'agit , & à l'aide defquelles on
parvient non-feulement à fonder à moins
de frais dans le cas où il auroit été poffible
de faire des batardeaux , mais même
à établir folidement des ouvrages dans
des endroits qui n'en auroient pas été
fufceptibles avant l'invention des machines
à récéper les pilots fous l'eau.
Le temps n'a pas permis de faire part
à l'Affemblée de différens autres Mémoires,
notamment de celui de M. Devilliers
fur le rétabliſſement de la culture des terres
en Champagne ; de celui de M. France
dans lequel il propofe les moyens qu'il
a employés pour accélérer la récolte des
Sain - Foins , des nouvelles Réfléxions de
M. Varnier , Docteur en Médecine , fur
l'orge nud , avec des Obfervations fur la
culture du feigle de printemps & du
colla ; d'un Mémoire de M. Devouzy fur
l'ufage & l'utilité du nouveau femoir en
forme de tambour ; & des Obſervations
de M. Vialet fur une Belemnite à deux
pointes, trouvée dans une carrière des environs
de Châlons , où l'on en rencontre
affez communément à une pointe. La
comparaifon
OCTOBRE. 1761.7 169
comparaison de cette bélemnite à deux
pointes avec celles qui n'en ont qu'une,
femble prouver qu'originairement toutes
les bélemnites en ont deux , mais que
l'inférieure étant très -fragile , comme on
le peut voir par le peu d'épaiffeur de ce
que l'on appelle les lévres de la bélemnite
à une pointe , il n'eft pas étonnânt
qu'il s'en trouve fi peu d'entieres,; en
comparant enfuite cette pointe inférieure
avec le pédicule d'une pointe d'ourfin
ordinaire , on eft infenfiblement conduit
& fortement autorifé à ranger les bélemnites
parmi les pointes d'ourfin foffiles .
ACADÉMIE des Belles - Lettres de
MONTAUBAN.
M. L'EVESQUE DE MONTAUBAN ayant
déftiné la fomme de deux cens cinquante
livres ,pour donner un prix de pareille valeur
à celui qui , au jugement de l'Académie
des Belles- Lettres de cette Ville , fe
trouvera avoir fait le meilleur difcours fur
unSujet relatif à quelque point de morale
tiré des Livres Saints , l'Académie diftribuera
ce Prix le 25 Août prochain , fête
de Saint Louis Roi de France .
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
Le fujet de ce difcours ſera pour l'année
1762 ,
Pourquoi les Arts utiles nefont-ils pas
plus cultivés que les Arts agréables ?
Conformément à ces paroles du Sage :
Diligenter exerce agrum tuum. Prov.
xxiv. 27.
L'Académie avertit les Orateurs de
s'attacher à bien prendre le fens du Suier
qui leur eft propofé ; d'éviter le ton de
déclamateur , de ne point s'écarter de leur
plan , & d'en remplir toutes les parties
avec jufteffe & avec précision .
En donnant une feconde fois le même
Sujet , elle invite ceux qui lui ont envoyé
des ouvrages , à les retoucher avec foin ,
pour mettre ou plus de correction dans
leur langage, ou plus de noblefle, dans leur
ftyle , ou plus d'exactitude dans leurs af
fertions.
M
Les Difcours ne feront , tout au plus,
que de demi- heure , & finiront toujours
par une courte prière à JESUS - CHRISst.
On n'en recevra aucun qui n'ait une
approbation fignée de deux Docteurs en
Théologie.
Les Auteurs ne mettront point leurs
noms à leurs ouvrages , mais feulement
une marque , ou parafe , avec un paffage
OCTOBRE. 1761 .. 171
de l'Ecriture Sainte , ou d'un Père de l'Eglife
, qu'on écrira auffi fur le regiftre du
Secrétaire de l'Académie.
Le Prix de 1761 ayant été refervé , il a
été destiné à une Ode ou à un Poëme ,
dont le Sujet fera pour l'année 1762 :
- Les triomphes de la Poëfie chez tous
Les Peuples.
Il y aura ainfi deux prix à diftribuer
l'année 1762 ; un Prix d'éloquence & un
Prix de Poefie.
Les Auteurs feront remettre leurs ouvrages
, dans tout le mois de Mai prochain,
entre les mains de M. de BERNOY
Secrétaire perpétuel de l'Académie , en fa
maifon , rue Montmurat , ou , ea fon abfence
, à M. l'Abbé BELLET , en fa maifon
, rue Cour de - Touloufe.
Le Prix ne fera délivré à aucun , qu'il
ne fe nomme , & qu'il ne fe préfente en
perfonne , ou par procureur , pour le recevoir
& pour figner le dilcours.
Les Auteurs font priés d'ad.effer à M.
le Secrétaire trois copies bien lifibles de
leurs ouvrages , & d'affranchir les paquets
qui feront envoyés par la pofte . Sa s ces
'deux conditions , les ouvrages ne feront
point adinis au concours .
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
SUITE de la Differtation Hiftorique &
Critique fur la Vie du Grand-Prêtre
Aaron. , Par M. DE BOISSY.
DIEU IEU ne borna pas là les fignes éclatans
de la protection qu'il accordoit à fes
Miniftres. Il voulut ajouter un nouveau
miracle qui confirmât le Sacerdoce à Aa
ron d'une manière fi expreffe , que perfonne
n'ofât par la fuite le traverfer dans
Rexercice de cette dignité. Il ordonna à
Moyfe de recevoir des mains des douze
Chefs des Tribus douze verges fur chacune
defquelles ce Légiflateur écriroir le
nom de chaque Chef, & de les mettre
dans le Tabernacle d'Alliance devant
l'Arche . C'est là qu'il réfolut de déclarer
fon choix en faveur de la famille de celui
dont la verge éprouveroit un changement
fenfible & miraculeux. Moyfe obéit;
& les douze verges qu'il demanda de la
part du Seigneur aux Chefs des Tribus ,
lui furent fournies . Il les plaça toutes
dans l'endroit que Dieu lui avoit marqué.
Il mit au milieu d'elles la verge d'Aaron,
& y écrivit le nom du Grand- Prêtre felon
le commandement du Seigneur. ( a )
( a ) Ibidem XVII . 1. & feqq.
OCTOBRE. 1761 173
Les fentimens font partagés fur le nombre
de ces verges . Les uns foutiennent
qu'il y en avoit treize , en comptant féparément
celle d'Aaron . Cette explication
eft la plus fuivie : & l'Auteur de la
Vulgate l'autorife par fa traduction . ( b )
Philon & les Docteurs Juifs du côté defquels
fe rangent quelques Interprétes
Chrétiens ne reconnoiffent en tout que
douze verges , & comprennent celle
d'Aaron dans leur nombre . ( c ) Il faut
avouer que cet endroit du Texte Hébreu
eft conçu en des termes généraux . ( d)
Il n'eft donc pas furprenant qu'ils foient
fufceptibles de ces deux fens , & qu'on
n'en puiffe point inférer démonftrativement
que la verge de ce fouverain Sacrificateur
étoit la treizième , ou qu'elle
faifoit partie des douze . Cependant l'opinion
des premiers paroît mériter la
préférence , quand on confidére que les
defcendans d'Ephraïm & de Manaffe ,
( b ) Vulgat ibidem . XVII . v. 6. fueruntque
virga duodecim abfque virgâ Aaronis.
(c ) Philo de vitâ Mof. Lib. III . pag. 162 .
Tom. 2. Edit . Mangey . R. Aben - Efra , R. Salo-
'mon Jarchi , R. Mofe . Ben Nachman , R. Levi
Ben Gerfon , Abarbanel &c. Cajetanus , Steuchus
Eugub. Paul . Fagius & c. in hunc locum.
(d) Schénim à afchar Mattoth où Mátteh Aharon
bé thok Mattotham .
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
fils du Patriarche Jofeph formoient deux
Tribus diftinctes l'une de l'autre d'ou
il réfulte qu'il y avoit douze Tribus
fans compter celle de Lévi. On préfume
avec beaucoup d'apparence que ces ver
ges étoient de fimples baguettes que les
Chefs de chaque Tribu étoient dans l'habitude
de porter comme une marque de
leur autorité . Les Rabbins , dont l'imagi
nation eſt toujours féconde , quand il s'a--
git de débiter des fables ,
prétendent que
cette verge où étoit écrit le nom d'Aaron ,
étoit la même que celle qui avoit fervi
à Moyfe pour opérer les miracles qu'il
fit en Egypte , & au paffage de la mer
Rouge pour adoucir les eaux améres , &
pour élever le Serpent d'airain. Ils nous
difent gravement qu'elle avoit été détachée
de l'Arbre de vie qui étoit dans le
Paradis ; que Seth Payant reçue d'un Ange
, l'avoit plantée dans le Défert , d'où
Dieu l'avoit montrée à Moyfe. Il n'y a
pas moins de bizarrerie dans le fentiment
de quelques autres Écrivains Juifs
qui ne font aucune difficulté de remonter
ju qu'à Adam , qui , à les en croire ,
avoit tranfmis cette verge à Hénoch.
Elle avoit enfuite paffé des mains de ce
Patriarche dans celles de Fofeph , qui
f'avoit laiffée à la maifon de Pharaon
OCTOBRE. 1761 . 175
થી
dou Jethro l'avoit enlevée pour la donner
à Moyfe fon gendre. ( e ) L'abfurdité
de ces contes puériles eft fi palpable, qu'on'
eft difpenfe d'en entreprendre férieufement
la réfutation. R. Abarbanel en a
rellement rougi pour les anciens Docreurs
de fa Nation , qu'il a cru devoir
les entendre allégoriquement , afin de
fauver leur honneur . (f) Mais en vérité
cette manière de les excufer eft prèfque
auffi ridicule que le tiffu de leurs extravagantes
fictions.
Moyfe étant entré le jour fuivant dans
le Tabernacle , trouva la verge d'Aaron revêtue
de fleurs , de boutons , de feuilles
& d'amandes. La nature da fruit que porta
cette verge, prouve fuffifaminent qu'elle
étoit de bois d'amandier : à moins qu'on
ne veuille encore fuppofer un nouveau
Miracle . Mais ce feroit affurément là multiplier
les Miracles fans néceffité . Il n'eft
pas befoin de relever la grandeur de celuit
dont il s'agit. Elle éclate affez dans les cir-
(e )R. Schimeon ben Jochai in Machkar haodoth
apud Galatin . de Arcan. Cathol , Vert-
Lib VI . cap . 15. pag. 374. Edit. Francof Vide
quoque Rabboth in numer. XVII . Parafch korach.
Fol. 22. pag. z. & in Exod . IV. Parafch.
Schemoth , fol . 122. pag. 2. &c.
(f) Abarbanel. Comment . in Exod. 11. 21 ,
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE .
conftances qui l'accompagnent. On conçoit
aisément qu'une vertu furnaturelle &
par conféquent émanée de Dieu étoit feule
capable de faire reverdir & fleurir une
branche d'amandier défléchée, qu'on avoit
renfermée dans un lieu impénétrable à la
rofée & à la pluie , & de lui faire pouffer
des boutons & des fruits dans le court
éfpace d'une nuit . Il importe peu de recueillir
de l'Hiftoire Profâne, à l'exemple
de M. Huet , ( g ) plufieurs prodiges qui
paroiffent avoir quelque reffemblance
avec celui ci ; puifque parmi ceux qu'on
pourroit alléguer , les uns font évidemment
fabuleux , & par conféquent indignes
d'être mis en paralléle avec un événement
marqué auffi vifiblement du doigt
de Dieu que cette production de la Verge
d'Aaron. A l'égard des autres, on n'y
remarque rien qui n'ait pû arriver naturellement.
Ce n'eft que par pure ignorance
ou par fuperftition, qu'on a attaché
du merveilleux à de pareils faits qui ne
méritent nullement le nom de prodiges.
Ainfi ils font étrangers à l'objet auquel on
s'avife de les comparer. C'eft fur ce piedlà
qu'il faut prendre ce qu'on raconte
de la Lance de Romulus qui ayant pris
( g ) Hueti. Alnetan. Quæftion . Lib . 11. cap.
12. & 24. pag, 224 .
OCTOBRE, 1761. 177
racine devint un cournouillier , ( h ) & de
la maffue d'Hercule , qui étoit de bois
d'olivier fauvage , laquelle reverdit après
avoir été remiſe en terre . ( i ) Il n'eft pas
fort étonnant de voir felon l'obfervation
d'un favant homme › germer avec le
temps par le fecours & l'attraction du fuc
de la terre un rameau d'arbre qu'on y a
planté ; furtout s'il a été coupé d'un de ces
arbres qui ont une féve plus tenace, plus
vifqueufe , & plus huileufe , tels que font
les Oliviers & les Saules. ( k ) Ces fortes
de comparaifons qui ont été du goût de
quelques Critiques modernes, & particulierement
du docte Evêque d'Avranches ,
font prèfqué toutes deftituées de fondement.
Bien loin d'avoir quelque utilité
elles ne nous femblent propres au contraire
qu'à fournir un prétexte de plus
aux Incrédules de s'affermir dans l'injufte
prévention où ils font contre la vérité
des événemens miraculeux atteftés dans
nos faints Livres , & à les conappuyer
féquences odieufes qu'ils tirent de là pour
( h ) Plutarch. in Vit . Romuli pag. 30. Tom.
1. Edit-Wech.
( i ) Paufan. in Corinth. Lib . 11. pag. 14fa
Edit. Wech.
IV.
(k ) Scheuchzer Phyfiq . Sacr . pag . 16. Tom .
H.v.
178 MERCURE DE FRANCE.
porter le même jugement de ces événe
mens , que des vaines traditions du Paganifme.
Ils fe plaifent malignement à confondre
ces deux chofes , malgré leur dif
parité éffentielle ; comme fi elles étoient
du même genre , & fi elles dérivoient de
la même caufe. Ils fe donnent par là plus
beau jeu à les tourner également en ridi
cule.
Moyfe ôta du Tabernacle toutes les verges
du milieu defquelles s'élevoit celle
d'Aaron , que Dieu avoit diftinguée d'une
maniére fi éclatante. Il les produifit en
préfence du Peuple. Chaque Chef de Tribu
reconnut & reprit la fienne . Les Ifraëlites
frappés d'étonnement à la vue d'une
auffi grande merveille , fentirent combien
ils étoient coupables de s'être abandonnés
à l'efprit de rebellion . Ils demeurerent
convaincus que quiconque oféroit dorénavant
s'ingérer fans vocation dans le Miniftere
du Sacerdoce, recevroit la punition
due à fa témérité. ( 1 ) Moyfe dépola par
l'ordre du Seigneur la verge de ſon frère
dans le Tabernacle, comme un monument
qui devoit perpétuer la mémoire du prodige
que Dieu avoit opéré en faveur
dAaron & de fa Tribu : ( m ) C'eft ce qui
( 4) Numer. XVII, 11. 12. 13oi
( m) Ibidem. 10.
OCTOBRE. 1761. 179
a fait croire à Toftat , à Bonfrerius , à Calovius
& en général à la plupart des Commentateurs
Catholiques & Proteftans
que cette verge fe maintint dans fa verdeur
& conferva fes feuilles & fes fruits
tout le temps qu'elle fut gardée dans le
Lieu Saint. Quoique la confervation des
marques du miracle ne foit pas formellement
exprimée dans le Texte de Moyfe;
cependant on peut l'en inférer avec d'autant
plus de vraisemblance qu'elle devenoit
néceffaire pour être dans cet état
à la postérité un témoignage parlant de
la déclaration de Dieu qui avoit conféré
le Sacerdoce à Aaron & à fa famille exclufivement
à toute autre . C'eft fans doute
cette derniere circonftance)que S. Ambroife
a en vue , lorfqu'il remarque dans
cette verge un fymbole de la gracé du
Sacerdoce qui ne fe flétrit jamais , & de
la fleur de l'autorité affectée à fon minif
tère qu'il conferve dans une profonde
humilité. ( n ) Nous ne diffimulerons
point qu'il le préfente une difficulté qui
confifte à favoir fi elle fut placée dans
l'Arche ou auprès de l'Arche . Moyfe nous
laiffe dans le doute à cet égard. Il eft dre
dans le paffage des Nombres que nous
( z ) Ambrol. Epistol . LXXXII . Lib . x. pag .
16630
Hvje
180 MERCURE DE FRANCE.
avons cité en marge , que Dieu lui or
donna de reporter la Verge d'Aaron devant
le Témoignage. Il eft conftant que
Moyfe défigne indifféremment par ce
nom l'Arche d'Alliance ainfi que les Tables
de la Loi . Il l'étend même à tout le
Tabernacle. Il appelle ces chofes fimplement
le Témoignage par une de ces façons
de parler elliptiques qui font d'un
fréquent ufage dans l'Ecriture. Cependant
cette dénomination convient d'une
manière plus particuliere aux Tables de
la Loi , en ce qu'elles contenoient les articles
de l'Alliance , où le Seigneur avoit
témoigné & fignifié fes volontés au Peuple
d'Ifraël. Moyfe en la donnant également
à l'Arche qui renfermoit ces Tables
, & au Tabernacle qui renfermoit
l'Arche, ufe de cette figure de grammaire
par laquelle on appelle la partie contenante
du nom de la partie contenue.
Il y en a néanmoins qui n'hésitent
point à prendre le terme dont il s'agit
dans un fens étroit & rigoureux. Ils l'entendent
des Tables de la Loi , devant
lefquelles ils foutiennent que la Verge
d'Aaron fut immédiatement pofée dans
l'Arche. ( o ) Ils appuyent cette interpré-
( v ) Leidecker. de Republ . Hebræor. lib. VIII .
cap. 2. pag. 506. Tom . I. Prideaux , Hiftoire des
OCTOBRE . 1761 . 181
tation de l'autorité de l'Epître aux Hébreux
, où il eft marqué que l'on gardoit
dans l'Arche cette verge avec l'Urne
pleine de manne & les Tables de la Loi.
(p ) La queftion feroit inconteſtablement
décidée , fi ce que rapporte S. Paul
n'étoit pas contredit par un paffage du
-Livre des Rois & de celui des Paralipomenes
, ou on lit qu'il n'y avoit dans
l'Arche que les Tables de la Loi . ( q )
C'est ce qui fe trouve confirmé par Philon
& par Jofeph. ( r ) Cette contradiction
apparente entre des Ecrivains infpirés
a donné bien de l'exercice aux Interprétes
& aux Critiques qui ont tenté divers
moyens de la concilier. Nous les rêduifons
à fept fortes dont chacune a fes
partifans. Thomas d'Aquin , le Cardinal
Hugues , Nicolas de Lyre & d'après eux
Ofiander & Kenig penfent que le deffein.
de l'Auteur du Livre des Rois n'a été de
Juifs , Liv. III . pag. 265. Tom. 1. Edit . 1728 .
Joach. Lang. Hiftor. Ecclef. V. T. Per. IV .
pag. 186. El . Edzard . Not. in Avoda Zara cap .
2. pag. 217. Jac . Weſten. Nov. Teſt. Gr. in
Comment. ad Epiftol. ad Hebr. pag. 414. Tom.
II.
(P )Epiftol. ad Hebræos . IX. 4.
( q I. Reg. VIII 9. II . Paralipom . 5. 10.
( r ) Philo de vita Mof. Lib. III. pag. 150. Jo
feph Antiqu. Judaic. Lib. VIII. cap. 4. pag. 428
Tom. I.
182 MERCURE DE FRANCE
parler que des Tables de la Loi , comme
étant l'objet principal de la deftination
de l'Arche ; au lieu que la Verge d' Aaron "
n'y ayant été mife avec l'Urne de la Man--
ne qu'accidentellement & par occafion ,
il s'eft cru. difpenfé de faire mention de
ces deux chofes moins ellentielles à ce
dont il s'agit. ( s ) Mais je ne vois point
que cette raifon fût fuffifante pour n'en
rien dire. Cette explication fe rapproche
affez de celle que Lévi ben Gerfon a imaginée,
& que Vatable a fuivie . ( t ) Notre
Kabbin veut que le fens des paroles de
l'Auteur du Livre des Rois indique ſeulement
que de toute la Loi , c'est-à- dire, du
Livre de la Loi, l'Arche ne renfermoit que
les préceptes du Décalogue contenu dans
les Tables en queftion, fans donner l'exclufion
à l'Urne de la Manne & à la Verge
d'Aaron ( u ) qui y étoient pareillement.
(s) Thom. Aquin. Expofit. in Epift. at Hebræ. -
IX. 4.Hugon . Comment. in loco cit . Paralipom .
Nicol . Lyr. Poftill . in L. C. Reg. Ofiand. Schol.
in L. C. Paralipom. Koenig. Vindic. Sacr . Loc. c. -
114. pag. 715 .
(t) Levi Ben-Gerf in I Reg. VIII . 9. & Vatabl.
in eod . loc .
( u ) Ribera de Templo . Lib. 11. cap. 2. Junius
in Parall. Lib. III . Ravanell. Biblioth . Sac. Sub voce
Arca pag. 218. Tom . I. Auguft. Pfeiff. Dubi.
Vexat. Script. S. pag . 488. J. Gafp . Suicer. The
faur. Ecclef. pag. rez. Tom. II.
OCTOBRE. 1761. 183
*
L'une & l'autre interprétation ne nous
paroiffent point heureuses. Elles ont quelque
chofe de forcé & répugnent de plus
à ce qu'exprime ici la force de la particule
exclufive Rak employée par l'Auteur
Sacré. Il faut néceffairement recou
Fir à une folution qui fatisfaffe davantage.
Ribera,Junius , Ravanelle , Pfeiffer, &
Suicer pour accorder le témoignage de
P'Epître aux Hébreux avec celui du Livre
des Rois & des Paralipomenes , rapportent
le pronom relatif, non au mot Ar
che qui eft le plus proche , mais au mot
Tabernacle qui eft le plus éloigné : d'où
il réfulteroit que l'Apôtre auroit fimplement
voulu marquer que l'Urne de la
Manne & la Verge d'Auron étoient dans
le Tabernacle. Ribera & Junius allé
guent pour preuve de leur fentiment uner
infinité d'exemples , où cette conftruction
qui lie le pronom telatif avec un antécé
dent éloigné , eft ufitée dans l'Ecriture.
Nous obferverons pourtant que le feul
Texte Grec de cette Epître fouffre un pa
reil fens ; parce que les noms d'Arche &
de Tabernacle font dans cette Langue du
genre féminin. Cela ne fauroit avoir lieu
à l'égard de la Vulgate & de la Verfion
Syriaque ; le nom de Tabernacle étant
* 3 ~
184 MERCURE DE FRANCE.
1
dans le Latin du genre neutre , & dans le
Syriaque du genre mafculin . Ainfi elles
ne favorifent point cette penfée que MM.
Jurieu & de Beaufobre ont adoptée (x) ,
puifqu'elles traduifent par un pronom féminin
, qui fe rapporte conféquemment
au mot Arche qui eft du même genre dans
ces deux Langues . Entr'autres objections
qu'on fait contre ce fentiment ; il y en a
une qui le détruit abfolument ; c'est que
Saint Paul fe fert immédiatement après
dans le Verfet fuivant d'un pronom qui
ne peut être que relatif à l'Arche que les
Chérubins couvroient de leurs ailes : particularité
qui ne convient nullement au
Tabernacle. Il faut donc de toute néceffité
que le pronom du Verfet précédent
appartienne au même mot ; autrement il
n'y auroit aucune liaifon dans le tiffu du
difcours de cet Apôtre . Paſſons à l'examen
de l'opinion qui a un plus grand nombre
d'approbateurs . Ceux qui fe déclarent en
fa faveur remarquent que la prépofition
Grecque en fe met quelquefois pour avec,
auprès,à côté, auffi bien que pour dans par
un de ces Hébraifmes qui font familiers
aux Ecrivains du Nouveau Teftament . En
(x )Jurieu Hifto . Crit.des Dogm. Part. 11 .
chap. 2. pag. 237. Beaufobre Remarq . crit. fur
le N. Teft. pag. 178. Tom. II.
OCTOBRE. 1761. 185
effet on ne sçauroit défavouer que la particule
Hébraïque be qui répond à cette
prépofition, a en plufieurs occafions les fignifications
que nous venons d'indiquer.
On n'a pour s'en convaincre qu'à confulter
Noldius qui a ramaflé avec beaucoup
de foin tous les exemples que les Livres de
l'ancien Teftament fourniffent à ce sujet.
(y) Il paroît même par quelques locutions
qu'on cite des Auteurs Grecs & Latins
, qu'ils l'employent en diverfes rencontres
dans de femblables acceptions.
Pifcator , Tena , Tornielli , Lorin & le
P. Lamy rendent la prépofition en par
avec , de forte que le fens du paffage de
S. Paul eft , felon eux que l'Urne de la
manne , la Verge d'Aaron , & les Tables
de la Loi étoient avec l'Arche elle-même
dans la partie du Tabernacle appellée le
Saint des Saints. ( z ) C'eft conformément
à cette explication que MM. de
Beaufobre & le Céne ont traduit le Texte
(y) Nold. Concordant. partic . Hebraic. pag.
144. 145.
( z ) Pifcat. Not. Bibl . ad cap. IX . Hebr . Lud .
Tena. Difputation . in Epiſt . ad Hebr . Difficul . V.
Sect . 2. pag. 388. 389. Torniell. Aunal. Sacr.
fub. Ann. M. 3030. N. 19. pag. 21. Tom. II .
Edit . Francof. Lorin . Commentar. in Numer.
pag. 645. Ber. Lamy de Tabernac . Foed . Lib . III .
cap. 5.S. 3. pag. 418. & de Templ . Hierofolym .
Lib. VI . cap . IX. S. 8. pag. 1076.
186 MERCURE DE FRANCE.
de l'Apôtre. ( a ) Notez que le premiera
changé depuis de fentiment, pour embraffer
celui que nous avons exposé plushaut.
Il s'efforce de l'établir dans un ouvrage
pofthume qui n'a vu le jour que
long- temps après la Verfion du Nouveau
Teftament qu'il a publiée conjointement
avec M. l'Enfant. Les autres qui aiment
mieux faire parler S. Paul d'une manière
plus précife , interprérent la prépofition
par auprès, à coté. Ainfi fes paroles figniferoient
que l'Urne de la Manne & la
Verge d'Aaron étoient pofées auprès ou
à côté de l'Arche . Cette traduction de fon
Texte a paru d'autant plus plaufible à
Beze , Etius , Quiftorpius , Drufius,
Louis de Diet , Jacques Cappel, Gerhard
, Etienne Morin, Sebaftien Schmid,
Maius & Hottinger , ( b ) qu'ils ont cru y
J
( a ) Le Céne N. Teftam. pag. 199. Tom . II. -
Beaufobre & l'Enfant N. Teftam . pag. 475. Tom.
II . Edit. 1736. N. B. que le premier eftfeul Auteur
de la traduction des Epitres de S. Paul ainfi que dess
courtes Notes dont elle est accompagnée.
( b. Theod. Bez . Annotation . in Epift. ad '
Hebr. pag. 315. Guill. Eftius. in Comment . ad
eund. loc. Quiftorp. Commentar. ad eund.
loc. Druf. annot . ad eund . loc. inter Critic. Sac.
pag. 1044. Tom . VII . Edit . Amft. Lu . de Dieu
Animadverf. ad eund . loc. pag. 312. Edit. in-49.
Jac. Cappell. Obfervation. ad eund. loc. pagiOCTOBRE.
1761 . 187
trouver le dénoûment de la difficulté qui
a embaraffé tant d'habiles gens. Mais ils
n'ont pas pris garde , qu'il s'en préfente
une qu'on ne parviendra jamais à réfou
dre. S. Paul place les Tables de la Loi
dans le même endroit que l'Urne de la
Manne & la Verge d'Aaron , puifqu'il les
joint enfemble par la particule copula
tive & it ne peut donc point avoir entendu
que cette Urne & cette Verge
étoient auprès ou à côté de l'Arche , qu'il
n'ait auffi entendu la même chofe des
Tables de la Loi . M. Saurin qui s'étoit
d'abord déterminé pour la penfée de ceux
qu'expliquent de la forte le paffage de
l'Apôtre , a fi bien fenti la force de cette
difficulté , qu'il a préféré le parti de de
meurer indécis fur la queftion , à celui de
parler affirmativement à cet égard. ( ) Nous
ajouterons encore qu'elle eft fujette à un
autre inconvénient. C'eft qu'il s'en fui-
193. Gerhard. Comment in Epiftol : ad Hebr.Ibi
den . S eph. Morin. Diflertat. VII. pag. 174. Sebalt.
Schmid . Commentar. in Epift . ad Hebr.
pag . 900. Henr . Maij . Obfervat. Sacr . P. IV . pag.
102. Hottinger. Not. ad Goodwini Mof. &
Aaron. pag. 143. & Differtat. de Tabernaculo inferta
in eod. ope . pag. 325.
(e ) Saurin Difc. Hift . & Crit. fur la Bible
Difc. LIV. pag, 269. Tom . 2. Edit in - 8 .
488 MERCURE DE FRANCE.
fe fert dans le même fens au verfet 2. du
vroit que la prépofition en , dont S. Paul
Chapitre d'où eft tiré le paffage que nous
difcutons,laquelle ne peut abfolument en
cette circonftance fe rendre que par dans,
auroit été employée par l'Apôtre à deux
lignes delà dans une fignification différente.
Il n'eft nullement vraisemblable qu'il
fe fut avifé de lui faire fignifier dans au
premier cas & auprès où à côté au ſecond
dans la même contexture du Difcours . Cette
remarque a également lieu contre le fentiment
de ceux qui traduifent avec . Waltherus
& Glaffius , à l'opinion defquels
M. Sennert juge- à - propos de déférer
ufent d'un autre expédient pour mettre
d'accord S. Paul avec l'Auteur du Livre
des Rois. Ils veulent qu'on confidére
l'Arche d'Alliance de deux manières, l'une
ftricte & rigoureufe pour le feul corps de
l'Arche couverte du Propitiatoire , dans
l'intérieur de laquelle étoient les Tables
de la Loi ; l'autre plus étendue pour un
tout qui comprenoit l'Arche avec les dépendances.
Ils fuppofent à cet effet qu'il
y avoit aux côtés de l'Arche des espéces
de tiroirs , qui renfermoient l'Urne de la
Manne & la Verge d'Aaron. ( d ) Toftat
(d) Walther. Harmon . Biblic . pag. 417. Glaff.
Philolog. Sacr. Lib. III . Tract. 3. pag. 715. Sen
OCTOBRE
. 1761.
189
& Cajetan
( e ) ont eu à - peu-près la même
penſée qui eft commune
aux Juifs. C'eft ce que Buxtorffe
s'eft attaché
à prouver
par des paffages
des deux Talmuds
de Jérufalem
& de Babylone
, & par le témoignage
d'une multitude
d'Ecrivains
de cette Nation. (f) Maimonide
nous apprend
pofitivement
que cette Verge
étoit placée avec l'Urne de la Manne
devant l'Arche
dans le Lieu très faint.
Moyfe de Kotzi & Abarbanel
difent la
même choſe. ( g ) Il faut pourtant
que ce dernier ait cru que ce fentiment
ne fût pas
auffi général
parmi les Juifs , que l'aſſure
Buxtorffe
; puifqu'il
avoue en rapportant
l'opinion
de Lévi benGerfon
qu'il rejette , que la tradition
de quelquesRabbins
lui eft
favorable.Mais
Buxtorffe
le dément nettement
en ceci; il prétend
queLevi Ben Ger
fon eft le feul d'entr'eux
qui foutienne
que l'Urne & la Verge étoient ferrées dans la
parcie intérieure
de l'Arche . Quoique
cetnert.
Differt. de iis que fuere in arcâ in Theſaur
. Theolog
. & Philolog
pag. 467. Tom. I. ( e ) Toftat. in Reg. VIII . Queſt . VI . Cajetan
.
Comment
. in loc . cit . Reg.
(f ) Buxtorf
. Hiftor. Arcæ . Foeder. Cap . V.
pag. 55. 72.
(g ) Maimonid
. De Cultu Divin. Tract. I. paga 15. ex Verfione
Comp. de Veil .
490 MERCURE DE FRANCE.
te interprétation du Texte de S. Paul foit
plus fpécieuſe que les précédentes , nous
avons de la peine à y foufcrire ; parce
qu'il ne nous femble pas naturel que li
c'eût été la pfée de l'Apôtre , il eut marqué
indiſtinctement le lieu des Tables de
la Loi , de l'Urne de la Manne , & de la
Verge d'Aaron , la première de ces chofes
occupant une place différente de celle
des deux autres. Théophylacte a propolé
une voie de conciliation , qui a eu le fuffrage
de plufieurs Auteurs modernes , tel
que Melchior Canus , Bellarmin , Alting
, Hammond , le P. Alexandre &
Wufius. ( h ) Il penſe qu'il n'y eut du
temps de Moyfe & de Salomon que les
Tables de la Loi dans l'Arche ; mais que
dans la fuite , lorfque Jérémie la prit
pour la cacher, la Verge d'Aaron & l'Urne
de la Manne y furent mifes , afin d'y
être mieux & plus fûrement confervées .
C'eft une tradition dont S. Paul pouvoit
avoir été inftruit par Gamaliel fon maître.
Théophylacte ajoute qu'elle étoit de fon
temps communément reçue chez les Juifs
attachés à la Secte des Pharifiens . Il n'eft
pas befoin de dire que cette tradition
( h ) Mof. Mikotzi in Sepher Mitzreth Gadol
fol. 210. pag. I. Abarbanel . Commentar, in Pro
phet. Prior. fol. 226. pag. 1 .
OCTOBRE. 1761. 190
n'a aucun fondement folide , & qu'on
n'en trouve pas le moindre veftige dans
l'Ecriture. D'ailleurs le but de l'Apôtre
dans cette Epître n'eft point de parler du
temps de Salomon ni de fon Temple ;
mais du temps de Moyfe & de fon Tabernacle
dont il y fait fommairement la
defcription. Il y a beaucoup plus d'apparence
à croire que la Verge d'Aaron &
l'Urne de la Manne avoient été placées
dans l'Arche avec les Tables de la Loi
par ce Légiflateur , & qu'elles y demeurerent
jufqu'à la conftruction du Temple.
En effet elles auroient été expofées
à fe perdre, fi on ne les y avoit enfermées,
l'Arche ayant tant de fois changé de
lieu dans le Défert & dans la Terre de
Chanaan pendant tout cet intervalle . Elle
n'en eut de fixe que depuis que le Temple
fut bâti , Salomon l'y ayant fait tranfporter
par les Sacrificateurs . Ce fut vraifemblablement
alors qu'on en ôta l'Urne
de la Manne & la Verge d'Aaro 1 qui ne
couroient plus le même rifque pont les
mettre dans un autre endroit convenable.
Il n'est donc pas furprenant que l'Auteur
du Livre des Rois , qui décrivoit
ce Temple & ce qu'il contenoit, a'ait fait
mention à l'occafion de l'Arche , que des
Tables de la Loi , qui étoient pour lors
192 MERCURE DE FRANCE.
la feule chofe qu'elle renfermât. C'eft a
mon avis la manière la plus probable de
concilier cet Auteur avec S. Paul . C'eſt
auffi le fentiment qu'ont fuivi Catharin
Sanctius , Zegerus , Goodwin , Defmarèts
, le Clerc , Reland , Deylingius
Calmet , Schatgenius , & Wolff. ( i )
Nous pourrions encore joindre à tous ces
favans hommes Grotius , s'il n'avoit une
penfée qui lui eft particulière . Il convient
bien avec eux , que l'Urne de la Manne
& la Verge d' Aaron étoient du temps de
Moyfe dans l'Arche, ainfi que les Tables
de la Loi . Il s'appuye même en cela du
témoignage de Jofeph Ben Gorion à
qui il fait dire fauffement que cette Verge
y étoit placée ; quoique celui -ci rapporte
fimplement qu'elle étoit dans le
Saint des Saints avec l'Arche qui conte-
( i ) Theophylact. Commentar. in Epiſtol. ad
Hebr. pag. 956. Melch . Can. Loc. Theolog. Lib.
II. cap. II . pag. 83. Edit . Colon . Rob. Bellarm.de
Verbo Dei . Lib. I. cap . 17. pag. 85. Edit . Ingolft .
in- 8°. Alting. in Hæbr. IX . 4. pag. 249. Tom.
IV. Oper. Theologic. Hammond . Annotation.ad
Hebr. pag. 326. Tom . I. Elit . Amft. Natal.
Alexandr. Hiftor . Ecclef. Vet . Teftament . Dilfertat.
III . artic . 3.pag . 437. Edit . in fol . Herm .
Wilfi Mifcellan . Sacr . Lib . II . Diflertat . I. pag
144, &c. Tom. II .
noit
OCTOBRE. 1761 193
noit les Tables de l'Alliance. ( k ) Mais il
prétend qu'on en retira l'Urne & la Verge
avant le temps de la fondation du
Temple de Salomon , par la crainte que
l'on avoit que ces chofes ne fe gâtaffent
dans le lieu où elles étoient ferrées . Ce
fut la même confidération qui empêcha
qu'on ne les y remît quand ce Prince éleva
le Temple en conféquence de quoi
on les porta dans un fouterrain , de cette
augufte demeure comme le difent les
Rabbins. ( 7 ) Il eft aifé de répondre à
ceci, que la manière miraculeuſe dont Dieu
( k ) Catharin . de Clavib . Script . S. II . & in
Annotation libr . I. in Commentar. Cajetani .
ad hunc. loc. Epiftol . ad Hebr . Galp . Sanclius
in Commentar . ad I. Reg. VIII . Zeger. Annotation
. ad Epiftol . ad Hebr. Inter. Critic . Sacr.
pag. 1041. Goodw . Mof. & Aar . Lib. II . cap.
I. pag. 344. Delmarets . Notes fur l'Epître aux
Heb. fol . 163. pag. 2. N. T. de le Clerc. V. fes
remarques fur ce V. de l'Epître aux Hebr.
pag. 285. Tom . II . Calmet . Comment. Litter.
fur la même Epître . pag. 693. Edit . in-4° . Reland.
Antiquit. Hebr. p. 1. cap. s . pag. 2. Sal .
Deyling. Obfervation . Sacr. pars fecunda 439 .
& 440. & feqq. Tom . II . Scheet genius in Horis
Hebr. & Talmud . ad loc. cit . Epift . ad Hebr.
pag. 973. Jo . Ch. Wolfii Cure Crit . & Philo
log, in Epiftol . Pofter . D. Paul . pag. 697 .
(1) Jofeph . Gorionid. Lib. VI. cap. 35. pag.
713. Edit. Breei . Praup .
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
veilloit à leur confervation fuffifoit pour
les mettre à l'abri de l'accident que Grotius
fuppofe bien gratuitement. Quant à
la circonftance du fouterrain qu'il lui
plaît d'alléguer , fans entrer dans aucun
détail à cet égard , il eft vrai que les Docteurs
Juifs en parlent dans leur écrits , mais
ce n'eft pas une raifon pour la regardet
comme une chofe indubitable . Voici ce
dont il eft question . Ils racontent que Salomon
ayant appris par quelques Prophétes
de fon temps , que le Temple qu'il
avoit fait conftruire , feroit détruit un jour
par les Affyriens , y fit pratiquer un fouterrain
rempli de détours , afin qu'en cas
de péril on cachât les chofes les plus facrées
& les plus précieufes qu'il renfermoit
dans cet endroit impénetrable à la
recherche des ennemis. Ce fut là qu'il arriva
que le Roi Joftas fit mettre l'Arche
d'Alliance , la Verge d'Aaron , le Vafe
de la Manne , l'Urim & Thummim , avec
l'huile d'Ontion qui ne fe retrouverent
plus dans le fecond Temple que bâtirent
les Juifs à leur retour de la Captivité de
Babylone . (m) Que les Rabbins fe repail
fent de ces révêries ; à la bonne heure , elles
font de leur goût & caractérisent la
( m ) Grotii Annot. in Epiftol, ad Hebr. Inter
Critic. Sacr. pag. 1047 ,
OCTOBRE. 17612 Top
trempe de leur efprit. Mais je ne fçaurois
affez m'étonner qu'un hommeauſſi judiçieux
que Grotiusfe foit laiffé impofer jufqu'au
point de les admetrre . Avant que de
finir cette difcuffion , nous ne croyons
pas qu'il faille taire une objection, quoique
frivole par elle même , que nous font
ceux qui dans l'habitude où ils font de
chicaner furtout , foutiennent qu'on ne
pouvoit point placer la Verge d'Aaron
dans le fond de l'Arche , à caufe de fa
longueur qui devoit excéder de beaucoup
celle de ce coffre facré. Il nous eft facile
d'y fatisfaire en remarquant que l'Arche
ayant deux coudées & demie de long ,
qui felon notre réduction , équivalent à
cing pieds de Roi , fa capacité étoit plus
que fuffifante pour contenir cette Verge.
Ainfi il n'eft pas befoin d'avoir recours à
l'étrange imagination des Interprétes qui
veulent qu'on l'ait mife en double en la
rompant par le milieu , ou bien qu'on en
ait coupé la partie excédente , fans endommager
toutefois les feuilles ni fes
fruits . Nous obferverons auffi que nous
avons des monnoies Juives , dont la légende
eft en caractères Samaritains , où lont
repréfentés la Verge fleurie d'Aaron
& Urne de la Manne. On n'a qu'à lire
l'Ouvrage curieux que M. Reland a pu-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
blié fur cette matière. ( n ) La Verge de
ce Grand-Prêtre d'abord féche & dépouillée
& enfuite chargée de fleurs & de
fruits, a été le ſujet de bien des fens myftiques
& typiques que les Peres de l'Eglife
fe font appliqués à y découvrir . Origène
y a trouvé un emblême de la Croix de
Jefus- Chrift dont les fleurs & les fruits
font les Peuples qui ont cru en l'Evangile.
( o ) S. Jerome,le Pape S. Grégoire & Ifidore
de Séville , l'ont regardée comme
une image expreffe de la mort ignominieufe
de ce Divin Rédempteur , & de fa
glorieuſe Réfurrection. ( p ) Enfin cette
Verge qui fans être humectée & fans rien
devoir à la culture de la Terre , fleurit &
porte des fruits, a paru à Vigile de Tapfe
, au même Ifidore & à S. Bernard
une figure de la Vierge Marie, qui a conçu
& enfanté le Sauveur , fans avoit eu de
commerce charnel avec aucun homme.
(n ) Malechet Joma Gemar . cap. V. Maimonides
, Laniado , R. Bechaj , R. Juda Halllevi
aliique apud J. Ben . Carpzovium . in Differtat.
Quonan arca pervenerit ? cap . 1. § . 7. &
8. & Buddeum in Hiftor. Ecclef. Veter . Teftam .
Sect. IV. pag. 66. Tom. II . Vide quoque Cunæum
de Republic. Ebræor . Lib. I. cap . 14.
pag . 90 .
(o ) Adr. Reland . de Nummis Samaritanor.
Differtat. II . pag . 2. & feqq.
(p ) Origen. in Numer. Homil . IX. pag.
299. Tom. II . Edit . de la Rue.
OCTOBRE. 1761. 197
(9 ) Nous fommes fort éloignés d'envier
ní aux uns , ni aux autres leur pénétration
. Nous confentons bien volontiers
qu'on leur faffe honneur de ces découvertes
, après lefquelles ils courent à perte
de vue. On nous permettra feulement
de dire , fans nous écarter du refpect
qu'on leur doit , qu'il feroit à fouhaiter
qu'ils euffent donné un peu moins
l'éffor à leur imagination , & euffent apporté
plus de modération dans la recherche
de ces fens mystérieux. Ils auroienr
fans doute par- là mieux réuffi dans l'ap
plication des exemples. Leurs plus grands
admirateurs font obligés de convenir
qu'ils les ont quelquefois outrés par des
explications froides & forcées , ou tout
au moins établis fur une énumération de
rapports vagues & arbitraires , qui manquent
de folidité.
(4 ) Hieronym. Commentar. in Jerem. cap.
1. V. 11. pag. 497. Tom . II . Edit. Parif. Marian.
Victor. Gregor . Magn . Expofitio Moral. in Job.
Lib. XIV. cap. 28. pag. 372. Tom . II . Edit. Pa◄
rif. Ifidor. Hifpalenf. Commentar. in Numer.
cap. 15. pag. 477. Edit . Parif. du Breul .
( r ) Vigil. Tapf. contr . Eutych . Lib III . § . 4 .
pag. 26. Edit . Chiffle. Ifidor. Hifpal . Ibidem.
Bernardi Homil . II . pag. 2. Tom . II . Edit.
Horfti.
Lafuite au Mercure prochain.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS UTILE S.
AGRICULTURE .
SEANCE publique extraordinaire concernant
principalement l'AGRICULTURE
; tenue le 11 Juillet 1761. Par
l'Académie Royale des Sciences , des
Belles- Lettres & des Arts de ROUEN .
C'eſt le Secrétaire de l'Académie qui parle.
PARMI les Arts que cultive l'Académie ,
l'Agriculture a toujours tenu le premier
rang. Les tentatives faites en 1745 &
46 pour rendre le bled vivace , & dont
M. de Brequigny , notre Affocié , a rendu
compte à la Compagnie , les Mémoires
de M. l'Abbé Guérin & de M. Boisduval
en 1748 fur le Guy du Chêne , celui de
M. de la Roche en 1750 , fur le Peuplier
blanc , fans compter plufieurs autres differtations
fur les Plantes , de MM. Dufay,
Pinard &c, tous Membres de l'Aca
OCTOBRE. 1761. 199
démie , prouvent que nous nous fommes
toujours occupés du plus ancien & du
plus utile de tous les Arts . Nous avouons
cependant que notre émulation s'eſt augmentée
par celle des Sociétés qui fe font
vouées uniquement à l'Agriculture , par
les attentions du Gouvernement à former
& à protéger ces Sociétés , & furtout par
le zèle éclairé de M. de Brot , Intendant
de la Généralité de Rouen , & Membre
de cette Académie. Ainfi , depuis un an ,
nos Mémoires fur l'Agriculture ayant été
nombreux & intéreffans , & la fécondité
des autres claffes de l'Académie n'en
ayant pas été altérée , cette Compagnie
s'eft déterminée à faire deux féances publiques
, dans l'une defquelles elle feroit
principalement occupée d'Agriculture.
C'eft de celle- ci tenue le 11 Juillet dernier
, que nous allons rendre compte.
M. de Brou , Promoteur de cette utile
féance , l'ouvrit par un Difcours fur l'Établiſſement
des Sociétés d'Agriculture ;
dans lequel tous ceux qui l'ont entendu
ont reconnu les fentimens dont il donne
tous les jours des preuves à fa Généralité
, exprimés avec autant d'humanité
que de nobleffe. Le voici en entier le
Public perdroit trop à nè l'avoir qu'en
extrait.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
MESSIEURS ,
*
Une des Provinces du Royaume
dans laquelle l'amour du bien public eft
le plus généralement répandu , a donné
la première l'exemple d'une Société uniquement
occupée du Commerce & de l'Agriculture.
Des établiſſemens à - peu- près
femblables fe préparent àpréfent dans différens
lieux par les foins du Gouvernement .
L'exemple même que vous donnez aujour
d'hui en affociant ainfi publiquement vos
travaux à ceux de la Société , qui eft prête
àfe former, va peut-être bientôt être imité,
& vos correfpondances mutuelles , femblables
par leur utilité à ces canaux qui
portent la fertilité & l'abondance , achéveront
de perfectionner l'Agriculture dans
le refte du Royaume , & de diriger le
Génie de la Nation vers un objet fi éllentiel
& jufqu'ici trop négligé.
Telle a été en effet la marche de prèfque
tous les fiécles. Les connoiffances
les plus néceffaires n'ont rien pour l'ordinaire
d'affez brillant pour attirer nos pre-
* La Bretagne avoit formé dès 1756 une Société
d'Agriculture & de Commerce . Le Public
a déja été à portée de juger de fon utilité par
la lecture des obfervations de cette Société , qui
ent été imprimées l'année dernière .
OCTOBRE. 1761 . 201
miers regards & nos premiers penchans .
L'Efprit , ainfi que la jeuneffe , commence
par fe livrer au plaifir : les charraes de
la Poëfie , ceux de l'éloquence , ceux thê
me de la fublime & profonde Philofophie,
voilà les premières paffions qui Pentral
nent ; fe repliant enfuite fur lui- même ,
il embraffe des objets d'abord ntoins fétail
fans ; la Morale , la Politique , les A
le Commerce , l'Agriculture fonti
tour l'objet de fes recherches . Il fe répand
ainfi dans tous les différens Etats ; & l'E
prit , devenu plus commun , cherche à lè
rendre plus utile.
Les Sociétés Littéraires , & même la
plupart des établiffemens qui ont eu là
perfection de quelques connoiffances pour
but , fe font formés prèfque dans le même
ordre , & ont fuivi les mêmes progrès.
L'Académie Françoife fut fondée la
première. Le Cardinal de Richelieu , en
la formant , fuivit alors le goûr de la
Nation & le fien propre : il eft même
aiſé de voir par la nobleffe avec laquelle
il exprimoit les volontés du Trône , tou
tes les fois qu'il étoit dans le cas de les
faire connoître , qu'il regardoit la ma
jefté du ſtyle & la grandeur des expref
fions comme un attribut prèfque effentieb
de l'autorité ; peut - être auffi envifageoirs
I v
202 MERCURE DE FRANCE .
il dans la perfection de la Langue un
moyen de plus de donner à la France ,
parmi les autres Nations de l'Europe, cet
afcendant que l'étendue & la profondeur
de fes vues lui promettoient ; car fon defir
pour toute efpéce de gloire étoit fans
bornes ; les obftacles même irritoient la
hardieffe & la fermeté de fon âme. Non
content d'avoir été le maître de ſon fiécle
, fa politique s'élevoit , s'il eft permis
de parler ainfi , juſques dans l'ordre des
deffeins de la Providence ; il préparoit en
quelque forte l'avenir par l'habileté de
fes projets , & fe flattoit de dominer encore
les fiécles qui devoient le fuivre par
l'influence & par la fupériorité de fon
génie.
Colbert , quelque temps après , forma
une nouvelle époque dans le Gouvernement
: Il donna aux Sciences & aux Arts
la même protection que le Cardinal de
Richelieu avoit accordée aux talents littéraires
& aux productions brillantes de
l'efprit. Ce fut lui qui jetta les premiers
fondemens de l'Académie des Sciences ;
il trouva la Nation déjà inftruite & puiffante.
Il voulut l'enrichir & affermir par
le commerce, cette grandeur que les conquêtes
& les Traités précédens lui avoient
donnée. Il attira en France des FabriOCTOBRE.
1761 . 203
quans , dont le nom feul fait encore
honneur à notre commerce . Il établit des
Manufactures , & leur donna des réglemens
qu'il regarda fans doute alors , comme
des inftructions néceffaires . Il prit en
main la balance générale du Commerce ,
& apprit le premier à la France l'art de
la faire pancher en notre faveur par une
jufte diftribution des droits d'entrée & de
fortie *. Enfin il créa en quelque forte une
nouvelle puiffance par l'établiffement
d'une Marine qui a toujours été depuis
l'objet conſtant de la jaloufie , des entreprifes
& de la haine de nos ennemis .
L'adminiſtration d'un grand homme
laiffe toujours des traces qu'il feroit difficile
de perdre. La protection que Colbert
donnoit au Commerce , avoit tellement
éclairé le Gouvernement fur fon utilité ,
* C'eft M. Colbert qui voulant faire ceffer les
inconvéniens de la multiplicité des droits qui fe
percevoient fur les marchandifes , les réunit en
un feul fous la dénomination de droits d'entrée
& de fortie par le tarif de 1654 , qui ſubſiſte
encore aujourd'hui , Ce travail important fit alors
le plus grand bien au Commerce . Le Gouvernement
eft actuellement occupé à le perfectionner
par un tarif plus fimple , & qui , en établiſſant
un droit uniforme à l'entrée & à la fortie du
Royaume , aboliroit les gênes qu'apportent au
Commerce les droits qui fe perçoivent dans dif
férentes Provinces, 1 vj
204 MERCUREDE FRANCE.
qu'on vit naître après lui plufieurs établiffemens
deftinés encore à le favorifer. Un
Bureau général formé dans la Capitale
pour devenir le centre des intérêts de toures
les différentes Provinces, des Chambres
établies dans les principales Villes du
Royaume que le Gouvernement confulte
encore tous les jours fur les queftions les
plus importantes , & dans lesquelles les
Négocians les plus accredités vont fucceffivement
porter leurs lumières ,& recevoir,
par l'honneur feul d'y être admis , la récompenfe
du mérite & de la probité, ont
été la fuite heureuſe de fon miniſtère , &
ont affuré la durée & les progrès des connoiffances
qu'il avoit répandues.
Les mêmes faveurs accordées au Commerce
ſemblent aujourd'hui s'apprêter
pour l'Agriculture , & l'établiffement des
Sociétés que le Gouvernement s'occupe
de former honorera fans doute , un jour ,
le ministère actuel , & lui donnera le mérite
d'avoir connu les vraies richeffes de
l'Etat & d'en avoir cherché la véritable
fource.
.
Tel doit être en effet le but de tout
homme chargé du poids immenſe de
l'adminiſtration , que , fans ceffe occupé
du bien public , il faififfe avide ment tous
les moyens qui peuvent y contribuer ;
OCTOBRE . 1761. 205
que , fans facrifier aucune condition l'une
à l'autre , il ne cherche qu'à faire le bon
heur de toutes ; qu'honorant tous les Etats
il les attache , par là même à leurs devoirs
; qu'il fe confidére affez pour croire
n'avoir plus d'autre intérêt que l'intérêt
public. Enfin que l'amour de fes Conci
toyens , que la gloire de fon Roi , que le
bonheur du Peuple foient pour lui un fujet
continuel de defirs , d'inquiétude , de
tendreffe & de joie .
Le malheur même des temps doit exciter
plus fortement encore le defir de faire
le bien, parce qu'il en fait fentir plus vivement
la néceffité. Efforçons - nous du moins
d'y contribuer. Aucunes des recherches
qui peuvent conduire à un objet fi important,
ne doivent être négligées . La Nature
ne trouve que trop d'obstacles au bien
qu'elle voudroit nous faire ; notre ignorance
, nos préjugés , nos loix mêmes quelquefois
s'opposent à fes bienfaits ; le foin
de la connoître eft le vrai moyen de les
multiplier ; la terre prèfque par - tout ne
fe refuſe à aucun de nos befoins , mais il
faut fçavoir l'ordre dans lequel elle permet
de les lui demander , & les moyens
par lefquels on peut les obtenir. Voilà
donc quel eft cet art vraiment fublime ,
qui renferme les fecrets de la Nature- les
206 MERCURE DE FRANCE.
plus importans , dont dépend le bonheur
de l'humanité, par qui les Etats , les Rois ,
les hommes enfin fubfiftent , & qu'ils ont
jufqu'ici négligé de perfectionner.
Car , il faut l'avouer , l'Agriculture en
général eft prèfqu'encore , dans fon en fance,
livrée dans plufieurs Provinces à l'ignorance
, au mépris , & fur- tout à l'indigence
: elle n'a point acquis cette perfection
qu'ont donné aux autres Arts l'étude , l'eftime
& les récompenfes qui leur ont été
juſtement accordées . On fe contente de
cultiver les cantons les plus fertiles , le
refte eft abandonné prèfque comme inutile.
La terre cependant n'offre pas partout
des dons auffi faciles ; cette mère
bienfaifante fouvent s'arme d'un front
auftère : il faut alors chercher dans fes entrailles
, & pénétrer jufques dans fon fein.
Des trésors font quelquefois cachés fous
une fuperficie aride : des mêlanges plus
fçavans , les fucs mieux ménagés peuvent
changer le fol le plus ingrat en un terrein
fertile ; le fable , le limon , l'argille peuvent
devenir les principes de nouvelles
productions ; & ces productions elles -mêmes
, fi le Cultivateur fçait choifir celles
qui doivent leur fuccéder , fourniront à
la tetre une nouvelle ſubſtance , & la prépareront
à de nouveaux bienfaits.
OCTOBRE . 1761. 207
Mais ces bienfaits , me direz - vous , ô
Laboureurs ! deviennent pour vous d'un
trop haut prix la terre , que vous cultivez
, vous eft trop étrangère pour que
vous puiffiez vous y affectionner ; l'obligation
de la rendre , après un petit nombre
d'années , à fon Propriétaire ; l'excès
du prix que la néceffité vous a quelquefois
forcés d'en donner , les gênes qu'une
crainte peut-être enfin prête à ceffer , apporte
depuis long - temps à la liberté de
vendre , de conferver , ou d'exporter les
fruits ineftimables de vos travaux , les
charges de l'Etat à acquitter , la nature des
impôts , peut - être plus que les impôts
mêmes , l'indigence même enfin , puifqu'il
faut l'avouer , énervent vos efforts
& retiennent vos bras . O mes Concitoyens
, pourquoi convertir notre tendreffe
en douleur & faire couler nos larmes
! les maux inévitables de la guerre
peuvent , fans doute , fufpendre encore ,
pendant un temps , le bien que l'on voudroit
vous faire ; mais ils ne doivent cependant
pas vous en cacher entierement
le defir ; tout devroit au contraire vous
l'annoncer ; ces Sociétés , que l'on
cherche à former dans les différentes
Provinces , & dont vous ferez l'unique
objet , cet empreffement de la part du
208 MERCURE DE FRANCE.
Gouvernement d'étudier vos befoins ,
d'encourager votre induftrie : le Roi , luimême
, veut être inftruit de votre état , il
veut donc le rendre heureux ; & votre
Maître femble , en ce moment , ne vous
demander que le temps de vous défendre
pour pouvoir enfuite vous foulager.
Ainfi , loin de gémir dans l'abbattement
, que l'efpérance au contraire , rani
me en vous l'émulation & le courage . Prenez
quelque confiance aux conſeils que
nous tâcherons de nous mettre en état
de vous donner , & foumettez quelquefois
les préjugés & l'ancienneté de l'habitude
à la fagacité ou au bonheur de nouvelles
découvertes , ainfi que nous foumettons
nous-mêmes toutes les fpéculations à la
fageffe & à la fûreté de votre expérience.
Mais , Meffieurs , que la fimplicité &:
l'utilité de vos leçons en foient fur- tout le
principal mérite ; il s'agit d'inftruire &
non de fe faire admirer. Ne croyez pas
cependant que dans le nombre des Labou
reurs beaucoup ne fuffent en état de recevoir
des inftructions plus élevées; plufieurs
ont commencé par prendre des connoiffes
deftinées fouvent à des Profeffions
moins útiles ; l'oifiveté , le luxe des Villes ,
la fortune même peut-être , les ont vainement
preffés d'abandonner leurs trayaukjo
OCTOBRE. 1761. 209
la fimplicité de leurs moeurs leur a fait méprifer
fes promeffes , & l'ambition de quitter
leur état et heureuſement étouffée en
eux par la droiture , l'honnêteté & même
l'élévation de fentiment qui le leur fait
eftimer.
Confirmons les dans ces généreufes
réfolutions , rendons- les - leur fi chères , fi
précieufes, qu'ils regardent comme un devoir
de les tranfmettre à leur poftérité ;
fongeons enfin qu'on ne doit pas feulement
être ocupé de perfectionner l'Agriculture
; mais qu'il faut encore chercher
à l'honorer. Eh , quel but plus glorieux
peut-on fe propofer que celui d'élever
ainfi en quelque forte l'humanité ?
Plufieurs d'entre vous ont déja donné des
preuves du defir qu'ils avoient de la foulager
; & les premiers momens de l'arrivée
d'un de vos Membres les plus chers
*
* M. l'Archevêque de Rouen , qui ayant été
nommé de l'Académie,fut reçu dans cette Séance.
Une des premières chofes qu'il ait faites après
fa nomination à l'Archevêché de Rouen , a été de
faire détruire la garenne de Gaiìlon qui faifoit un
tort fi confidérable , que la plupart des terres
des environs étoient incultes . Cette garenne eft
aujourd'hui plantée en bois , & il a la fatisfaction
de voir mettre en valeur des terres que les
Propriétaires n'avoient plus femées depuis plus
de 40 ans.
210 MERCURE DE FRANCE.
à cette Province , dont la préfence même
ajoute encore aujourd'hui à la folemnité
de votre Affemblée , ont été marqués par
un facrifice public fait à l'agriculture, d'un
de ces droits fi précieux pour l'ordinaire
aux Seigneurs de terres , fi onéreux à leurs
Vaffaux, & fi contraire au bien de l'Etat.
Ce trait , que tout bon Citoyen ne pourra
fe rappeller qu'avec reconnoiffance , m'a
paru devoir être aujourd'hui configné dans
vos Faftes: puiffent- ils être fouvent honorés
par le récit de faits femblables , &
puiffent des éloges auffi juftement mérités
les rendre , en quelque forte , le dépôt
des actions vertueufes en même temps que
des connoiffances utiles !
Enfuite M. le Mefle lut une Eglogue
fur le même fujet , dans laquelle un des
Interlocuteurs , le plaignant amérement
du fort malheureux des Habitans de la
campagne , eft confolé par l'autre , qui lui
annonce les projets qu'on forme en leur
faveur. Le premier Interlocuteur ne fa
perfuade pas aifément qu'on veuille finir
leurs maux . Il céde cependant aux preuves
multipliées que fon ami lui en donne .
Il conçoit un efpoir plus heureux. Et tous
deux finiffent faire éclater leur reconpar
noiffance.
M. Rondeau lut un Mémoire fur l'utiOCTOBRE
. 1751. 211
lité de faire paître les moutons dans les
prairies à la fin de l'Automne , & la néceffité
d'adoucir à cet égard la rigueur des
Réglemens . Il s'eft affuré par un grand
nombre d'expériences & d'informations ,
que le mouton détruit la mouffe par font
trépignement ; & engraiffe la prairie ,
fans nuire en aucune façon à l'herbe qui
doit repouffer au Printemps . Queles préjugés
qui les faifoient regarder comme
des animaux capables de ruiner les prairies
, foit en arrachant l'herbe qu'ils paiffent
, ou parce que leur dent eft , comme
l'on dit , naturellement malfaifante ,
étoient fans fondement , & que les loix
prohibitives , qui obligeoient à les en
écarter , ne pouvoient avoir d'autre motif
que cet efprit de fageffe & de prévoyance
, qui fe porte toujours à affurer la
fubfiftance du gros bétail encore plus ,
précieux , & l'unique reffource de la portion
des Citoyens , qui mérite le plus de
protection . Mais en refpectant infiniment
des vues auffi fages , il fait voir que les'
vaches & les chevaux , ne trouvant plus
rien à prendre dans les prés dès le commencement
de Novembre , les moutons
doivent alors les y remplacer. En améliorant
les fonds fur lefquels ils pafferont, ils
trouveront encore affez d'une herbe , qui'
212 MERCURE DE FRANCE,
feroit néceffairement perdue , pour s'engraiffer
en fort peu de temps. Enforte que
Tes Propriétaires des troupeaux pourront
changer leurs bêtes deux fois dans un hyver;
ce qui procure au Peuple une abon
dance de bonne nourriture , de matièrespour
nos Manufactures , enrichit les Laboureurs
des vallées & fait également le
bien de ceux des campagnes , qui vendant
bien leurs moutons maigres , fe trouvent
encouragés à en élever.
M. le Cat , Secrétaire des Sciences , lut
un Mémoire fur quelques-unes des principales
analogies entre le Régne végétal
& le Régne animal .
{ M. de Boulay , Secrétaire des Belles-
Lettres, a lu l'Eloge de M. l'Abbé du Renel,
Affocié de l'Académie mort le Février
dernier .
25
M. Dambourney lut un Mémoire fur
la culture & l'emploi de la garance . L'Auteur
excité par les Mémoires de MM . DIhamel
& Hellot à cultiver cette plante
utile , rendit compte de ce qui lui avoit
réuffi , en répétant les expériences de ces
deux célèbres Phyficiens. Il détailla enfuite
en quoi il avoit ofé s'écarter de leurs
préceptes , afin de mettre cette culture à
la portée des habitans de la Campagne. Ilcombattit
le préjugé qui détourne de mul
OCTOBRE. 1761 213
tiplier la Garance par le fecours de la
graine , laquelle lui a procuré , au bout de
18 mois , des plantes plus belles que celles
provenues de drageons ou de boutures de
même âge. Il confeilla de femer cette
graine au commencement du mois de
Mars dans un quarré de potager , à- peuprès
comme de l'oignon , & , lorfque les
jeunes plantes ont trois rangs de feuilles ,
de les lever avec foin & de les tranfplanter
en pleine tèrre à la fuite de la charrue.
On peut femer de même cette graine en
plein champ comme des pois ; mais en
ce cas il faut attendre le mois de Mai.
Nous ne fuivrons point l'Auteur dans ce
qu'il rapporta à l'Académie de fes différens
élais. Nous nous hâtons de paffer à une
découverte importante à l'encouragement
de cette culture , & capable d'opérer une
grande oeconomie dans le prix des teintures
où cet ingrédient eft néceſſaire .
M. Dambourney trouvant de grandes
difficultés à faire fécher , fans feu , les
racines de garance en Automne , hazarda
de les employer fraîches. Il eut ſoin de
les bien laver , pour qu'il n'y reftât point
de terre , & parce qu'il avoit éprouvé
que , ( comme l'annonce M. Duhamel , )
cette racine perd 7 huitiémes de fon
poids en féchant , au point d'être miſe en
秘
214 MERCURE DE FRANCE.
poudre , il eftima devoir dofer conformé
ment. A cet effet , dans un bain qui auroit
exigéf de garance moulue , il mit
8 de racines fraîches pilées dans un
mortier , & teignit à l'ordinaire , en augmentant
feulement un peu la quantité
d'eau. Il trouva qu'après l'opération le
bain étoit encore très - chargé , & le coton
tellement outré de teinture , qu'il
fallut lui faire effuyer deux débouillis pour
le dégrader jufqu'à la couleur d'ufage . Il
continua , en réduifant la dofe à 6 & à
4 f, & ce n'a été que cette derniére
portion qui lui a donné une couleur pareille
à celle qu'on obtient d'une livre
de garance en poudre . On peut donc épargner
moitié de la racine , en l'employant
fraîche, mais ce n'eft point la feule economie.
pro-
1º. On eft difpenfé d'établir des étuves
& des hangards pour faire fecher , lorfque
le temps eft variable .
2°. On eft à l'abri des inconvéniens
d'une déffication trop précipitée ou trop
rallentie , lefquels entraînent également
la
détérioration de la qualité.
3. On évite le déchet du robage & grabelage
, dans lefquels toutes les racines de
la grofleur d'un fer de lacet tombent en
billion .
OCTOBRE, 1761. 215
. On épargne les frais du moulin , le
déchet ou la fraude qui peuvent en réfulter
, & l'incommodité d'attendre qu'il foit
libre , d'autant qu'il n'y en a point dans le
pays d'uniquement destiné à la garance.
Tous ces avantages réunis peuvent s'évaluer
à une oeconomie de huitiémes ,
fur la quantité . Le Cultivateur , qui fauroit
teindre, s'en éjouiroit dès l'inftant qu'il auroit
des racines affez groffes pour être arrachées
. Les Teinturiers, par état, feront
peu- à- peu forcés , par la démonſtration ,
d'en profiter auffi , lorfque cette culture
aura pris faveur en France . Ce fera même
un moyen de l'y accréditer , parce que ,
comme il n'y a point de temps à choifir
pour la maturité , le Laboureur qui apportera
au marché une fomme de racines
fraîches , fera fûr de les y vendre en cet
état , fans être affervi aux foins de la
déffication , foins qui , petits en eux mêmes
, l'effrayent par leur nouveauté . Le
Teinturier pourra acheter journellement ,
à proportion de fon emploi , ou preferire
au Cultivateur le temps pour lequel il en
aura befoin , & en quelle quantité .
M. Dambournéy cultive quatre efpéces
de garance.
La premiere eft originaire de Lille en
Flandres , & telle que celle portée autre216
MERCURE DE FRANCE.
fois en Zelande par les Réfugiés . Elle
fournit beaucoup de racines ; mais la couleur
n'eft ni tenace , ni éclatante fur le
coton .
La feconde a été tirée du Poitou . La
troifiéme procéde de deux plantes trouvées
il y a dix ans , par M. Rondeaux
de l'Académie , en herboriſant fur les roches
d'Oiffel.
La quatrième eft du Lizari ou Hazala
, dont M. Dambourney a fait venir
la graine de Smirne . Il invite les Cultivateurs
à s'attacher à ces trois dernières
efpéces qui fourniffent beaucoup de graines
, & dont les racines étant féchées
fans feu , ou employées fraîches , don-
Bent au coton un incarnat fort vif &.
très - folide. M. Dambourney lut dans la
même Affemblée une Piéce de Vers fur
le prochain Établiement d'une Société
d'Agriculture en cette Ville , & les avantages
qui doivent en réfulter . Il finvite
tous les Citoyens d'y concourir par leurs.
leçons & leurs exemples. Cette Piéce
eft terminée par le Tableau d'une nôce
champêtre. L'Auteur s'adreſſant aux
jeunes époux , tire leur horofcope , & dit :
Attendriffans objets , puis- je "vous méconnoître ›
Aux autels de l'bymen vous venez de paroître
OCTOBRE. 1761. 217
Et confacrer vos noeuds par le fceau du ferment.
J'eulle autrefois gémi du fort qui vous attend...
Comme les tendres fleurs que fait naître l'aurore,
Et qu'un midi brûlant défléche avant d'éclore ,
La faulx de l'indigence eût tranché vos beaux
jours.
Louis de vos deftins change aujourd'hui le cours ;
Il porte fur nos champs les yeux d'un tendre Père ;
La feule oifiveté doit craindre la mifere ;
Acceptez cet augure , allez , jeunes époux ,
Donnez-lui des Sujets utiles comme vous.
ARTS AGRÉABLE S.
ON
GRAVURE.
N trouve chez la veuve François
Chereau , rue S. Jacques , aux deux Piliers
d'or , deux Eftampes , l'une repréfentant
Jupiter & Léda , l'autre Zéphire
& Flore , gravées par M. J. B. Tilliard,
S. d'après deux Tableaux très agréables
de M. Michel- Ange Challe , Peintre Ordinaire
du Roi. Ce font les prémices du
burin d'un jeune Artifte dont l'on peut
concevoir les plus flatteufes efpérances.
7
LE fieur Joullain , quai de la Mégislerie
, à la Ville de Rouen , vient de mettre
en vente deux Cayers de 6 feuilles
II. Vol. K
2S MERCURE DE FRANCE.
chacun, repréfentant divers Sujets d'après
les Porcelaines de la Manufacture Royale
de France compofés jufqu'en 1757 ;
M. Boucher , déffinés par M. Falconet
lefils, & gravés par M. J.F. Tardieu ,
Ces morceaux forment le . commence-
' par
ment d'une fuite que l'on fe propofe de
donner au Public , dont les modéles font
intéreffans
, & à laquelle on apportera
tout le foin poffible. Le prix de chaque
Cahier eft de 1 liv. 10 f. I
NOUVEAU PLAN de Lippstadt en Weftphalie
, dédié à Mgr le Maréchal Prince
DE SOUBISE , par le fieur de Beaurainfils,
à Paris , chez l'Auteur , & chez le fieur
Merigot , Libraire , quai de Conti , au
coin de la rue Guénégaud.
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Mufique conti-
-nue les Répréfentations de Camille . On
-prépare avec les plus grands foins & avec
beaucoup de frais l'Opéra d'Armide. Il
OCTOBRE . 17617 -219
paroît que l'on veut donner un Spectacle
digne de la Nation,& en même temps du
Chef- d'oeuvre des Créateurs du Théâtre
Lyrique en France.
Quinault & Lulli.
COMÉDIE
FRANÇOISE.
Au défaut des nouveautés , que l'on
ne place pas ordinairement dans cette faifon
, on a remis plufieurs Ouvrages excellens,
entr'autres Brutus , Tragédie de M.
de Voltaire , qui a été rendue avec la perfection
de talens ordinaire aujourd'huifur
ce Théâtre. M. Brifart entr'autres , a faifi
univerfellement, dans cette Tragédie, tous
les Spectateurs d'une émotion à laquelle
on ne pouvoir réfifter, & que malgré l'idée
qu'on dévoit avoir de fon jeu , & de la
force pathétique du Rôle , on n'avoit pas
encore éprouvé au même degré dans les
repréfentations de cette Piéce .
COMÉDIE ITALIENNE.
M LLE Vilette a continué fon début
avec le même fuccès que nous avons an-
Kij
220 MERCURE DE FRANCE
6
noncé dans le volume précédent.
Les Répréfentations de la Piéce inti
tulée Mazet, en ont déterminé la réuffite.
Le mérite de la Mufique a été fenti , &
cette Piéce occupe encore avantageufement
la Scêne , où elle ramène journel
lement un plus grand nombre de Specta
teurs.
On
OPERA - COMIQUE.
Na donné fur ce Théâtre une Piéce
intitulée le Tonnelier, puifée dans la fource
féconde & agréable pour cette scène ,
que fourniffent les Contes de la Fontaine.
Mais cette Piéce n'a pas été auffi heureufe
que celles qui ont été données pendant
cette Foire ; elle a été rétirée.
Ce Spectacle a fait fa clôture le 9 de
ce mois . Georget , le Maréchal & On ne
s'avife jamais de tout , ont fervi à terminer
les amufemens du Public. M. Taco
net , Auteur du Compliment fans Compliment
, a donné pour la fin de ce Spectacle
, les Adieux de l'Opéra- Comique
Compliment qui a été très- applaudi. Il
étoit compofé de plufieurs Couplets parodiés
fur les Airs les plus connus & les plus
agréables des trois Opéra- Comiques dont
il étoit précédé,
OCTOBRE 1961. 221
Le concours du Public , plus nombreux
& plus content qu'on n'avoit vû depuis
longtemps à ce Spectacle , fait l'éloge des
foins , de l'attention & du goût des Directeurs
actuels de ce Théâtre.
SUPPLÉMENT à l'Article des Tableaux
expofés au Sallon ; par la
Société des Amateurs. Ce Supplément
eft tiré de l'OBSERVATEUR
LITTÉRAIRE de M. l'Abbé DE
LA PORTE , ainfi que là BROCHURE
dont nous avons rendu compte
dans ce volume , p. 92. & fuiv.
PENDAN ENDANT les derniers jours de l'ouverture
du Sallon , M. Baudouin nouvellement
agréé à l'Académie de Peinture , &
l'un des gendres de M. Boucher , expofa
divers fujets en miniature , dont les plus
remarquables font Dibutade , ou l'origine
de la Peinture , Céphale & Procris , Lot
& fes deux filles . Tous ces morceaux
nous ont paru compofés avec le génie du
grand genre , & traités chacun conformément
à l'efprit de chaque fujet . On remarquoit
dans Céphale une attention in-
K iij
222: MERCURE DE FRANCE.
téreffante à tirer de la plaie le trait fatal
dont il avoit percé fon épouſe. Le Peintre
avoit trouvé le moyen de placer dans
le Tableau de Dibutade des Amours
groupés qui fembloient préfider aux premiers
effais du bel art dont ils avoient ,
infpiré l'invention. Ce grouppe épifodique
, très-relatif au fujet , fournit à la.
partie ombrée , néceffaire pour l'opération
du Deffein , une agréable oppofition
de lumière . Le Tableau de Lot raſſemble
à la fois la force de caractère dans le
fenfuel vieillard , & la volupté licentieufe
dans fes deux filles. Tous ces morceaux
de miniature ont un effet plus grand ,
que ne paroît comporter la pratique de
ce genre ; & dans plufieurs parties de ces
différens fujets , la peine & la patience
du travail font cachées fous l'apparence
de la facilité. On voit auffi de ce nouvel'
Agréé , quelques Portraits finis avec foin ,.
& parés de l'agréable agencement dont
cette forte de Peinture ne s'enrichit qu'en
étudiant les principes & le génie du premier
genre. On doit s'attendre que M.
Baudouin , beau-frère de M. Deshayes
tant admiré dans fes grands Ouvrages ,
brillera de fon côté dans les petits. Le
règne éclatant que promet à la Peinture
Françoife la fage & fçavante protection
OCTOBRE. 1761 223
qui en anime aujourd'hui les divers travaux
& en affure les fuccès , n'aura plus
d'emploi qui ne foit glorieux à l'Art & honorable
pour l'Artifte.
Architecture.
Il femble que le Génie des Arts en ait
raffemblé toutes les richeffes cette année
dans l'enceinte du Louvre : le veftibule qui
précéde le Jardin de l'Infante étoit devenu
un petit Sallon confacré à des deffeins
& projets d'Architecture par M. Dwailly,
jeune Artiſte déja célèbre par les premieres
productions qu'on avoit vues de lui en ce
genre. Nous diftinguerons ce qui eft d'invention
d'avec l'exécution du deffein .
L'objet qui nous a paru le plus confidérable
en compofition , eft le projet d'un
principal Autel pour la Cathédrale d'Amiens
. On en voit divers deffeins & un modéle
en relief. Cette Eglife étant fous l'invocation
de la Vierge , fa glorieuſe Affomption
fait le fujet du Maître- Autel . La Table
repréſente le Tombeau d'où la Mère de
Dieu vient de fortir . Ce Tombeau devenu
un Autel , eft fous une profonde Niche fermée
, qu'il faut confidérer comme une cou
pole ou rotonde coupée diamétralement.
Les bas - reliefs qui décorent les pleins ,
représentent différens traits de l'Histoire
K iv
224 MERCURE DE FRANCE.
de la Vierge , fes vertus font figurées en efpéce
de cariatides placées au lieu de colonnes
au- deffous de l'entablement de la vouffure
; deux Saints font pofés fur des piédeſtaux
au - devant de l'arcade dans la partie
fupérieure. La Vierge eft enlevée , foutenue
& accompagnée par les Anges. Le tout
forme une décoration pyramidale , qui s'éleve
& s'enchaîne depuis le pavé du fanctuaire
jufqu'aux tribunes des arcades. Nous
ne pouvons qu'applaudir à l'heureuſe imagination
qui a fait fubftituer des vertus
aux colonnes Grecques en cette occafion .
Le génie de l'Architecture confifte principalement
a en placer les divers ornemens
convenablement aux circonftances , & à les
affortir avec difcernement. Nous croyons
que ces figures , fans être du genre Gothi
que , fe marient mieux que les colonnes
Grecques , avec les grandes parties Antiques
qui terminent majeftueulement le fond
de cette Cathédrale ; elles forment d'ailleurs
une décoration allégorique , dont la
jufteffe du rapport fatisfait l'efprit . C'eft à
quoi penfe toujours l'Artifte éclairé , & ce
qui le diftingue de ceux dont l'objet unique
eft d'obéir en esclaves aux ufages du métier .
Nous penfons que l'ingénieux Auteur a
préféré de placer des Saints fur les piédeftaux
au-devant de la grande Niche , parce
OCTOBRE. 1761. 225
la
qu'ils donnent des maffes plus mâles que
les Anges ; d'où il réfulte auffi plus d'allégement
pour la demi - voute & pour
machine totale de cette Niche , laquelle
par fa profondeur , quoiqu'avec les juftes
proportions ,paroîtroit peut- être trop écra
fée lorsqu'elle feroit vue de près & du niveau
de fa bafe. C'eft de plus une régle ,
dont la nature donne elle-même le précepte
, que de tenir les maffes du bas
plus fortes & plus pleines que celles qui
font au-deffus. Il eft auffi plus convenable
de placer des figures humaines près de
la terre , & de réferver la partie aërienne
pour les fubftances céleftes . L'attention de
l'Architecte à couvrir le fond de fa Niche
par un grand Tableau , ne nous a pas échap .
pé. Nous avons fenti qu'il a voulu fermer
toute la décoration , pour cacher des Tombeaux
& d'autres objets peu agréables à la
vue , qui font derrière les colonnes du
rompoint de l'Eglife . Après avoir maſqué
les parties du vaiffeau qui pouvoient nuire
à la décoration , M. Dwailly a profité
d'un avantage que lui offroit le local , en
laiffant voir une fenêtre du fond de l'Egli
fe , dont la lumière doit produire deux effets
favorables . Elle détachera la figure de .
la Vierge , & la préfentera diftinctement.
à tous les points de vue de cette Eglife . Si
K v
226 MERCURE
DE FRANCE
.
ce beau projet s'exécute , il enrichira la
Cathédrale
d'une Ville confidérable
de
France, & fera pour le moins autant d'hon
neur au goûtde ceux qui préfident au choix
de cette décoration
, qu'aux talens du jeune
Architecte
, qui l'a imaginée . Il fe trouve
quelques différences
dans le modéle qui eft
en relief.
a
Un deffein da même Artifte repréſente
lé projet d'une Porte pour le Monastère de
l'Abbaye aux Bois à Paris . Cette Porte -eft!
d'autant mieux traitée , que fon genre &
lé ftyle de toute fon ordonnance annon
cent la noble & fage fimplicité du lieu au
quel elle fert d'entrée. Nous y remarquous i
avec plaifir une atttention à laquelle on
s'attache peu ordinairement
, c'eft de ren
dre les parties adjacentes analogues à lar
Porte , & de lier le tour enfemble . Nous !
croyons cependant, que l'Architecte recti
fiera quelque chofe dans le couronnement
,
& qu'il enchaînera davantage la Croix &
lá bafe qui la porte avec l'entablement
de fon portail. L'Art des relations entre
toutes les parties d'une compofition ,
paroît trop naturel à cet Artifte, pour qu'il
néglige cette légère correction . Nous de
vons prévenir même, que ce que nous obfervons
à cet égard , eft fi peu
fenfible
, que
c'eft moins un vice, qu'im-défaut de perfec
tion dans ce Projet. t
OCTOBRE. 1761 . 227
D'autres Deffeins repréfentent différens
fujets d'imagination , tant pour des décorations
de Théâtres , que pour remplir les
idées de plufieurs Programmes. Nous ne
parlons point de leur exécution , le talent
de l'Auteur eft déjà fi connu dans cette
partie , que fon nom feul en annonce lé
mérite. Mais dans l'invention , dans l'ordonnance
& dans les effets relatifs aux divers
fujets de ces morceaux , nous avons
admiré d'après les Connoiffeurs , des beautés
qui méritent attention ; du feu , de la
Poësie , & l'accord difficile du grand effet
avec les grands principes de l'Art. Ces Delfeins
laiffent entrevoir avec fatisfaction ,
que pour le procurer des décorations agréables
aux Spectateurs délicats fur ce genre ,
nos Théatres pourroient n'être plus réduits
à emprunter leur éclat du génie des Étran
gers.
fe
>
Le véritable talent dans un Art n'en
néglige pas les plus petits objets , fur léf
quels il imprime le fceau du bon goût. Un
Secrétaire , qui renferme beaucoup de commodités
dans un petit efpace , en eft une
preuve. Ce meuble appartient à Madame
la Préfidente Defvieux. On doit publict
Pavantage que procure aux Arts l'efpéce
d'abjuration que plufieurs femmes ont fait
du goût petit & mefquin des colifichets ,
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
qúi , fous prétexte de galanterie , s'étoit
introduit dans toutes les décorations intérieures
des maiſons , & avoit paffé de là
aux plus grands objets. Le genre de goût
dans les meubles n'eft point indifférent ; il
accoutume les yeux au beau réel , ou aux
égaremens de la mode. On rapporte ces
modèles familiers à toute autre espéce
d'ornemens ; & l'inftinct de l'habitude
fouvent plus fort que tous les raifonnemens
, corrompt ou purifie le goût , fuivant
fes premieres directions.
La colomne de marbre factice , exécutée
par M. Hermant fur les deffeins de
M. Dwailly , prouve combien il eft avantageux
d'employer d'habiles Artiftes pour
exécuter des morceaux importans . Elle
n'eft que le modèle d'une autre colomne
de porphyre ornée de différens marbres &
de bronze dorés , traités par M. Augufte ,
pour fervir de fupport à un Vafe antique
de porphyre de la plus belle forme * .
Parmi les Deffeins faits d'après divers
édifices , celui qui repréfente les Thermes
de Dioclétien peut être confidéré comme
un Quvrage de compofition . C'eft un des
fragmens d'une étude beaucoup plus confidérable
, conjecturée d'après les meilleurs
Auteurs , & d'après ce qui refte de ce monument.
* Pour M. le Marquis de Voyer,
OCTOBRE. 1761. 229
Les autres Deffeins dignes d'une atten- *
tion particulière , font un Vaſe antique ,
& quatre Vues des principales Places de la
Ville de Rome. Ces Vues , dont deux appartiennent
à M. le Marquis de Marigny,
ont été trouvées par tous ceux qui en connoiffent
le local , de la fidélité la plus
exacte . Mais cette fidélité n'en fait pas le
feul mérite quoique très légèrement coloriées
dans les parties indifpenfables , elles
font l'effet des Tableaux les mieux Peints .
Nous ne craignons point de donner trop
d'éloges à l'intelligence qui regne dans la
gradation des teintes , & nous admirons
fans prèfque en concevoir les moyens ,'
comment de fimples Deffeins lavés fi légérement
, peuvent avoir cette vapeur aërienne
qui rend fi bien la nature & donne tant
de vérité à la perſpective. Le Public s'apperçoit
donc que tous les Arts participent
à l'émulation que leur procure le Génie favorable
qui les dirige aujourd'hui.
LETTRE , à l'Auteur du MERCURE.
Par M. BAUDOUIN , nouvellement
agréé à l'Académie de Peinture.
MONSIE ONSIEUR ,
L'honneur que je viens de recevoir par
mon Agrément à l'Académie Royale de
230 MERCURE DE FRANCE.
Peinture & de Sculpture , n'a point diminué
les fentimens de modeftie que je me
dois fi légitimement . On le foupçonneroit
pourtant , d'après l'éloge emphatique inféré
dans l'Avant- Coureur du de ce
mois. Comme cette Feuille s'imprime chez
Lambert , mon beau - frère , on aura été
très -porté à croire que cet éloge m'avoir
été communiqué , & que j'ai acquiefcé
aux louanges exceffives qu'on affecte de
m'y prodiguer. Cependant , Monfieur ,
j'ofe protefter ici publiquement , que non
feulement je n'ai eu aucune connoiffance
de cet article, mais qu'un de mes amis ( &
cet ami avoit été un de mes Juges ) er
avoit envoyé un autre aux Auteurs de cette
Feuille , dans lequel j'étois fans doute
encore trop loué; mais du moins la louange
n'étoit point rebutante. On n'y a ew
aucun égard ; & fans ma participation on
a fait, en voulant me mieux fervir, ce qu'il
falloit précisément pour indifpofer contre
moi mes Protecteurs & mes Maîtres . On
ne s'eft pas contenté d'exagérer mes foibles
talens;on a de plus ajouté des circonftances
que l'hommage dû à la vérité m'o
blige de défavouer.Il eft faux,par exemple,
que l'Académie m'ait agréé avec une diftinction
particulière , comme on femble l'infinuer
dans l'Avant - Coureur.Si toutes les
voix ont été en ma faveur ce traitement fans
OCTOBRE. 1761. 23
doute plus flatteur que je ne devois l'efpérer
, n'eft point rare dans un corps où
font admis tous les jours des talens bien
fupérieurs aux miens . Il eft encore faux
que l'Académie m'ait invité à expoſer mes
Ouvrages au Sallon . Un de ces Meffieurs
me dit feulement que comme il y avoit
une place vuide , je pouvois les y placer ;
qu'en qualité d'Agréé , j'en avois la permiffion.
Il n'y a rien là , Monfieur , qui
marque une diftin&tion particulière , ni au
cune invitation de la part de l'Académies
En me plaignant du peu d'exactitude des
Auteurs de l'Avant- Coureur * , je ne dois
pas moins reconnoître leur bonne volon
té; & fi l'on m'accufe de cherher par cette
lettre , à attirer fur moi une nouvelle attention
, je répondrai qu'il vaut mieux
faire parler deux fois de foi , que d'en
laiffer toujours mal penfer . J'ai l'honneur
d'être &c. BAUDOUIN.
A Paris , ce 7 Octobre 1761 .
* M. Baudouin auroit pu ajouter en parlant du
peu d'exactitude de ces Écrivains hebdomadaires ,
qu'ils ont loué avec emphafe dans leur feuille , des
Tableaux qui n'étoient pas même au Sallon. Ils en
avoient lu l'annonce dans le Catalogue , & ils ont
jugé de leur mérite fur le plus ou le moins d'intérêt
qu'ils prenoient à leur Auteur . C'eft ainfi que
ces judicieux Appréciateurs des Sciences & des
Arts inftruifent le Public , & prononcent fun les tie
tre feul d'un Ouvrage.
232 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
Du Camp devant Colberg , le 11 Septembre 1761 .
LA flotte Suédoife vint mouiller , le 27 du mois
dernier , vis- à - vis du Village de Henckenhagen.
Elle eft compofée de quatorze voiles . Dès le 28 ,
elle a commencé à joindre le feu de fon Artillerie
à celui de l'Artillerie de notre flotte , pour battre
la Ville de Colberg. Notre feu contre cette place
continue d'être fort vif par terre & par mer , &
dans certains jours nous avons tiré jufqu'à deux
mille tant Bombes que Boulets. Un de nos détachemens
fut attaqué les de ce mois par des forces
fupérieures & effuya quelque perte . Le 6 , les dragons
& les Hullards de l'Armée ennemie tenterent
de furprendre un de nos quartiers , mais ils ne
réuffirent pas dans leur de fein . Deux cens Huf
fards Pruffiens ont été enveloppés , & la plûpart
ont été tués , bleffés ou pris . Notre quartier Général
eft actuellement vis- à -vis de l'aîle gauche du
Prince Eugene de Wirtemberg. Peu s'en eft
fallu que le Général Romanzow n'ait été fait
prifonnier , en allant reconnoître le Camp de ce
Prince.
De TREPTOW, le 29 Août.
Hier au matin , trente Huffards Pruffiens attaquérent
la Garde d'une de nos Portes & ſe retiré,
rent après une légère efcarmouche. Vers midi
OCTOBRE. 1761. 233
on vit paroître une colomne confidérable d'enne
mis. Le tourbillon de pouffière élevée par les pieds
des chevaux empêcha de découvrir l'Infanterie &
l'Artillerie , qui marchoient dans les intervalles de
la Cavalerie.
Le Baron de Wrangel , Commandant de la
Garniſon de cette Ville , fit promptement les difpofitions
de défenfe , & elles furent relles , que les
Pruffiens , malgré la fupériorité de leurs forces ,
furent partout repouffés . Auffitôt que le Comte de
Stackelberg avoit été inftruit de leur marche , il
s'étoit mis en mouvement pour venir à notre fecours
; mais lorsqu'il arriva , ils avoient déja commencé
leur retraite . Ils l'ont faite avec tant de
diligence , que ce Lieutenant- Général n'a pû que
leur envoyer quelques volées de canon. On ne
fçauroit réfoudre leur perte , parce qu'ils ont em
mené leurs morts & leurs bleflés.
De VIENNE , le 16 Septembre .
Les Nouvelles de Siléfie portent que le 4 de
ce mois , les Pruffiens mirent le feu par des Obufiers
à la partie haute du Village d'Arnsdorff. Le
Comte de Drafcowitz repouſſajuſques fur le Glacis
de Schweidnitz quelques- uns de leurs Eſcadrons
qui vouloient troubler un fourage que nous faiſions
près de cette Ville.
Le Maréchal de Butturlin , après s'être féparé
du Général Loudon , marcha fur Lignitz , dans la
réfolution d'opérer une diverfion du côté du Bas-
Oder. Il a repaffé ce fleuve dans les environs de
Steinau , & il dirige fa marche vers Poinin : pour
couvrir les Magalins. Le Général Beck , qui l'avoit
accompagné avec trente Eſcadrons , revient joindre
l'Armée de l'Impératrice , Reine , où le Maréchal
de Butturlin avoit laiffé quinze mille Rufles
fous les ordres du Comte de Czernichew ; on en a
234 MERCURE DE FRANCE.
renforcé le Corps du Général Brentano qui , avee
le Général Ruffe , a été occuper le Pitschenberg ,
afin d'ôter au Roi de Pruffe toute communication
avec Breſlau.
De HAMBOURG , le 26 Septembre.
L
Selon les avis reçus de Poméranie , les Pruffiens!
ont fait , le 13 de ce mois , une feconde tentative
pour s'emparer de la Ville de Treptow ; mais ils
n'ont pas eu plus de fuccès que dans leur premiè-.
re attaque. Ils ont perdu beaucoup de monde avec
quelques canons , & les Ruffes ont fait prifonnier
le Général Werner , qui commandoit les troupes
employées à cette expédition. Les mêmes Nouvelles
ajoutent que , le 18 , les Volontaires de l'Armée
Suédoife ont défait près de Nevenfund un
Corps Pruffien , compofé de deux Bataillons de
Grenadiers , d'un Bataillon du Régiment de Hordt
du Régiment de Huffards de Belling, & de quelques
Compagnies franches. Près de cinq cens hommes
de ce Corps ont été tués , bleſſés ou pris , &
l'on compte neuf Officiers dans le nombre des
Prifonniers .
On mande de Slefwick , quede Prince Charles
Erneft de Holſtein- Gluckfbourg y eft mort dans
La cinquante- fixéme année .
A en juger par le nombre des perfonnes & la
quantité d'effets , qui arrivent ici du Duché de
Brunfwick , les habitans y font dans de vives allarmes.
La Landgrave de Heffe- Caffel arriva ,
le 16 au foir , de Žell en cette Ville , dans le mo
ment qu'on alloit en fermer les portes . Le lendemain
matin , elle continua fa route pour les
Dannemarck . Cette Princeffe fous le nom
voyage
de la Comteffe de Steinau.
OCTOBRE. 1761. 235
De l'Armée de l'Empire , le 15 Septembre.
Trois cens foixante hommes du Corps qui por
toit le nom d'Etrangers Pruffiens , & qui étoit
compofé prèfque tout de déferteurs François ,
arrivérént le z de ce mois , tambour battant , &
avec deux pièces de canon. On les conduifit le 3
à Linden , d'où , profitant de l'Amniftie que Sa
Majefté Très- Chrétienne leur a accordée , ils vont
ſe mettre en chemin pour joindre l'Armée du Maréchal
de Broglie . Les canons , étant du nombre
de ceux qui nous ont été enlevés l'année dernière
par les ennemis , refteront à notre Armée .
Douze mille hommes de l'Armée du Prince
Henri , commandés par le Général Seidlitz ,
ayant marché contre nous avec un train conſidérable
d'Artillerie , le Feld Maréchal de Serbelloni
fit replier tous ceux de nos poftes qui fe trouvoient
trop éloignés pour être foutenus . Les or
dres de notre Général furent exécutés avec tant de
préciſion , que les ennemis ne purent nous furprendre
en aucun endroit. L'affaire la plus vive fe
paffa près de Loma , & le fieur de Graven , Colonel
-Commandant du Régiment de Baroniay , y
fut bleffé . Un détachement de Croates , attaqué¹
par des forces très - fupérieures , fe défendit avec
tant de courage , que les Pruffiens ne purent
l'entamer. Le Général Seidlitz , après avoir feint
de fe retirer vers la Mulda, s'eft porté fur Schmoellen
.En conféquence,le Feld Maréchal de Serbelloni
a jugé à propos de changer fa pofition , & de
choifir un champ de bataille , où la Cavalerie des
ennemis leur devint inutile . Nous fommes venus ,
pour cet effet , la nuit du ƒ au 6 de ce mois , cam-'
per à Weida fur l'Elfter. Par là , les deffeins du
Général Seidlitz ont été tellement déconcertés ,
qu'il a pris le parti d'évacuer de nouveau le Pays
236 MERCURE DE FRANCE.
d'Altembourg. Il a été fortement harcelé dans fa
retraite , par nos troupes légères, qui ont fait plu-
Leurs prisonniers.
De DRESDE , le 10 Septembre.
Le Prince Henri a fait plufieurs détachemens
vers le Brandebourg. Ces jours derniers , fix mille
hommes de fon Armée marcherent à Torgau.
De LISBONNE , le 1 Septembre.
Le 28 du mois dernier , le Prince de Beira fut
baptifé dans la Chapelle Royale par le Cardinal de
Saldanha . Leurs Majeftés tinrent ce Prince fur les
fonts & lui donnerent les noms de Jofeph François
Xavier.
D'ALICANTE , le 10 Septembre.
Un Capitaine de Navire François , qui avoit été
fait prifonnier par les Anglois , a rapporté qu'il ne
reftoit actuellement à Gibraltar qu'un Vaiſſeau de
guerre démâté , & une Frégate en Carene.
De CARTAGENE , le 16 Septembre.
Un Vaiffeau de Sa Majesté Très- Chrétienne "
commandé par le fieur de Contrepont , & que les
Anglois bloquoient depuis long-temps à Oran
a trouvé moyen de leur échapper , & eft arrivé ici
aujourd'hui.
De VIGO , le 31 Août. Ꮴ
"
Le Vaiffeau le Courageux , appartenant à Sa
Majefté Très - Chrétienne , & commandé par le
fieur du Gué- Lambert , Lieutenant de Vailleau
étoit partit le 4 Juin de l'ifle Saint Domingue. Le
fieur du Gué -Lambert a croifé fur les Côtes de la
nouvelle Angleterre , fur le Banc de Terre Neuve
, & a la hauteur des Açores. Il y a fait huit
OCTOBRE. 1761.
237
prifes , dont les unes ont été coulées bas , les autres
rançonnées. Le 1s de ce mois , étant à trente
lieues Nord- Oueſt d'ici , il a été rencontré par un
Vaiffeau de guerre Anglois de quatre- vingt canons
, & une Frégate de quarante. Le combar
s'étant engagé , le fieur du Gué- Lambert a fort
mal traité la Frégate , qui a été contrainte de fe
replier fur fon Commandant , Alors le Vaiffeau
de guerre Anglois en eft venu aux prises avec 1:
Vailleau le Courageux. Ce dernier bâtiment a ren
du long-temps la Victoire douteufe ; mais il a
fallu qu'il cédat à la fupériorité du feu des Anglois.
Ces jours- ci l'on a été informé qu'il avoit été
conduit à Lifbonne.
De ROME, le 9 Septembre.
Aujourd'hui , l'Evêque Duc de Laon , Ambaffa
deur de France , eft allé en grand Cortége à l'audience
du Pape, pour lui préſenter la nomination
de Sa Majesté Très- Chrétienne à la dignité de
Cardinal , en faveur du Prince Conftantin de
Rohan, Evêque de Strasbourg. Le Cardinal Jean-
François Albani a préfenté celle du Roi de Pologne
, Electeur de Saxe , en faveur de l'Evêque
Duc de Laon. Le chapeau auquel le Chevalier de
Saint-George eft en poffeffion de nommer eft
deftiné à l'Archevêque de Befançon ; mais on
nefait pas encore
avec
certitude
quels
font
les au
tres fujets , qui doivent avoir part à la future pro
motion deſtinée pour les Couronnes .
De LONDRES , le 25 Septembre.
La Princeffe de Mecklenbourg- Strelitz étant arrivée
le 8 de ce mois, dans cette Capitale, fon mariage
avec le Roi fut célébré le même jour fur les
dix heures du foir avec la plus grande magnificence.
Les Ambaladeurs & autres Miniftres
238 MERCURE DE FRANCE.
1
$
Etrangers, parmi lefquels fe trouva le fieur de
Bully, affiftérent à cette Cérémonie . Le 22 , le Roi
& la Reine furent couronnés dans l'Eglife de l'Abbaye
de Westminster , par l'Archevêque de Cantorbery.
Le Roi ayant refolu , dans un Confeil extraor
dinaire , de rappeller le fieur Stanley , un Senau
reçur ordre , le 16 , de mettre fur le champ à la
voile pour ramener ce Miniftre en Angleterre .
Le fieur de Bully a pris le 19 congé du lieur Pitt.
Il a été dépêché un Mellager d'Etat en Allemagne
, pour y porter la nouvelle que la négocia
tion pour la paix étoit rompue , & que le Roi
étoit déterminé à pouffer les opérations militaires
avec la plus grande vigueur.
La fuite des Nouvelles Politiques , pour le
Mercure prochain.
APPROBATION.
I.
Alu ,par ordre de Monfeigneur
le Chancelier
,
.de Mercure
du fecond volume
d'Octobre
1761 ,
& je n'y ai rien trouvé qui puifle en empêcher
l'impreffion
. A Paris , ce 15. Octobre
1761 .
GUIROY
,
+
TABLE DES ARTICLES:
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER..
VERS fur l'Expofition des Tableaux au
Sallon du Louvre en 1761.
ITRE , à M. D. L. G....
Pages
OCTOBRE . 1761 259
TRADUCTION des Vers Anglois de M. Prior,
par M. L. A. L. B.
MEDIUS , Anecdote moderne.
ODE fur le Sallon .
VERS à Mile Arnoult , Actrice de l'Opéra .
Le Créancier timide , Stances à Mad. Ĉ ** .
REFLEXIONS fur la Prévention
LA Peine & le Plaifir , Fable.
LE Portrait , Ode Anacreontique.
14
16
43
46
47
148
62
64
65
66
EXAMEN du Portrait , Madrigal .
L'ACCORDÉE de Village , Conte Moral.
OBSERVATIONS fur les talens & fur les défauts
de la compofition dans la Mufique ,
par M. l'Abbé Daulny.
CONTE allégorique à M. De * ****
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
69
79
82
83
84
1
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES. 86.
OBSERVATIONS d'une Société d'Amateurs ,
92
fur les Tableaux expofés au Sallon , & c.
ANNONCES des Livres nouveaux . 130 &fuiv.
SUPPLÉMENT à l'Article des Piéces Fugitives.
Vers à M. le Comte de S. Florentin.
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES ,
ACADÉMIE S...
OPUSCULES Mathématiques , ou Mémoires
fur différens fujets de Géométrie , de
Méchanique , d'Optique , d'Aftronomie ,
&c. Par M. d'Alembert.
SEANCE publique de l'Académie des Belles-
Lettres de Marſeille.
ASSEMBLÉE publique de l'Académie des Belles
-Lettres de Montauban.
136
(138
149
150
ASSEMBLEE publique de l'Acad. d'Amiens .
* 240 MERCURE DE FRANCE.
SEANCE publique de la Société Littéraire de
Châlons fur Marne. 163
'ACADÉMIE des Belles -Lettres de Montauban.
169
SUITE de la Differtation Hiftorique & Cri--
tique fur le Grand- Prêtre Aaron . Par M.
de Boiffy. 172
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
AGRICULTURE .
SEANCE publique extraordinaire concernant
principalement l'Agriculture. Par l'Aca- 蘑
démie Royale des Sciences , des Belles-
Lettres & Arts de Rouen. 198
ARTS AGRÉABLES.
GRAVURE .
217
ART. V. SPECTACLES.
OPÉRA . 218
COMÉDIE Françoife.
219
COMÉDIE Italienne .
ibid.
OPERA- COMIQUE.
220
SUPPLEMENT à l'Article des Tableaux expofés
au Sallon . 221
ART. VI. Nouvelles Politiques. 232
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY,
rue & vis-à-vis la Comédie Françoiſe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU A U ROI.
NOVEMBRE . 1761 .
Diverfité , c'eft ma devife . La Fontaine.
Cochin
Filius inv
PapillonSculp
Chez
A PARIS ,
CCHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à -vis la Comédie Françoife.
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE, rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
mes
AVERTISSEMENT.
LEE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
1
C'est à lui que l'on prie d'adreffer ;
francs de port ,
les paquets & lettres ,
pour remettre , quant à la partie litté
raire , à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire veuir, ou qui prendront lesfrais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
par volume , c'eft-à-dire 24 livres d'avance
, en s'abonnant pourfeize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire ve→
nir le Mercure , écriront à l'adreſſe cideffuus.
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
, refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font les
mêmes pour une année. i
MERCURE
DE FRANCE.
NOVEMBRE. 1761 .
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L'AMOUR CONJUGAL ,
CONTE INDIEN ,
Tiré du SPECTATEUR ANGLOIS.
HYMEN , Volupté pure , âme des fentimens ,
Noeuds facrés , des Mortels fèlicité fuprême !
Je confacre à vous feul mes vers & mon encens ;
Ce feul amour me plaît , c'eſt la vertu , je l'aime,
A iij
? MERCURE DE FRANCE..
Marathon , qui d'hymen chériffoit les liens ,
Etoit de fon pays l'oracle & le modéle,
Exact à fes devoirs , & reſpecté des fiens ,
Il fut bon citoyen , bon père , époux fidéle.
L'épouse dont le Ciel couronna fes vertus ,
Joignoit à ſa beauté l'éclat de la fageffe ;
L'étalage pompeux d'ornemens fuperflus
N'occupoit point un coeur fidéle à fa tendreffe.
L'impitoyable mort troubla ce couple heureux:
Malgré les cris perçans d'une douleur amère ,
Marathon perd l'objet de fes plus tendres voeux ,
Et fa famille en pleurs redemande fa mère.
Tarca n'eft donc plus... Epoux infortuné !
Tout retrace à ton âme une fi chère image ;
It ton coeur aux ennuis pour jamais deſtiné
S'envole fur fes pas jufqu'au fombre rivage ! ...
Le Temps eft un grand Maître , il fixe nos douleurs
;
Les pleurs font un tribut qu'on doit à la Nature ;
Mais Marathon en proie à fes triftes langueurs ,
De fon coeur affligé nourrit le long murmure.
Aux foins de fes amis il remet ſes enfans ;
Il offre avec ferveur un pieux facrifice ;
Ses larmes , fes foupirs , fes voeux & fon encens
Des fombres bords enfin trouve le Dieu propice.
L'Autel tremble .... & ce Dieu fait entendre fa
voix :
Mortel , de tes vertus reçois la récompenſe;
>> Le Ciel en ta faveur femble oublier fes loix :
NOVEMBRE
. i .
Ses bienfaits font le prix de ta persévérance.
Prends ce rameau facré , qu'il dirige tes pas !
» Du monde des efprits pénétre les abîmes ,
>> Séjour craint des Mortels où regne le trépas
» Où la vertufe vange en puniffant les crimes.
Ainfi parla ce Dieu . Marathon profterné
Sent renaître en fon coeur une force nouvelles
N faifit ce rameau , préſage fortuné ;
Il le baife & s'envole où fon amour l'appelle.
Au pied d'une montagne eft un noir fouterrain
Où fon oeil apperçoit une route inconnue :
Marathon s'abandonne à l'ordre du Deftin ;
Un foible jour , au loin , frappe bientôt la vue
Mais à peine engagé dans un étroit ſentier ,
Son coeur eft pénétré d'une frayeur mortelle ;
Un lion furieux fixe fon oeil altier
Sur l'époux qu'il faifit de fa griffe cruelle .
Marathon cependant ne reffent aucun mal ;
L'erreur qui le féduit n'eft qu'une fauffe image ;
Ce lion n'eft qu'une ombre , & de cet animal
Il connoit l'impuiſſance , & n'en craint plus d'ou
trage.
Mais quel nouveau fpectacle ! Une plaine de fleurs
Offre à fon oeil furpris les plus rares merveilles ;
Quelle variété des plus vives couleurs !
Quels fons mélodieux enchantent fes oreilles !
Ici , dans un Bocage on entend les Oifeaux
Egayer les efprits par leur tendre ramage ;
Là , d'un ruiſſeau plaintif le murmure des eaux
A iv
8
MERCURE DE FRANCE.
Des efprits amoureux figure le langage ;
D'autres efprits plus gais dans ces riches vallons
Se difputent le prix d'une courfe légere ;
Là , le Berger affis tâche par fes chanfons
De mériter de plaire à fa tendre Bergere.
Marathon attentif à ces jeux innocens ,
Apperçoit Ïarca dans un lieu folitaire :
Il y vole. Mais ciel ! à fes embraffemens
Elle ne peut offrir qu'une ombre menfongére.
Quel pinceau nous rendroit ces nobles fentimens
De deux coeurs vertueux qu'un même amour
enchaîne ?*
Faut-il que Marathon dans ces heureux inſtans
Ne puiffe fe livrer au penchant qui l'entraîne ?
» Ah ! brifez -vous, dit- il , trop terreftres liens !
» Laiffez- moi , pur efprit , m'unir à ce que j'aime :
» Dieux ! laiffez -moi jouir de celui de mes biens
Quide mon trifte coeur fait le bonheur ſuprê
>>
>> me ! ...
» Arrête , cher Epoux , tes voeux font indifcrets :
» Nos jours font un dépôt que le Ciel nous confie ;
» Des deftins , quels qu'ils foient, attendons les de
>> crets :
» Lui feul doit difpofer du terme de la vie.
>> Vois ces lieux enchantés, ſéjour des bienheureux ,
›› Où la Vertu réſide , ou régne l'Innocence :
» Là Marathon un jour comblera tous mesvoeux
>> Ta Vertu , cher Epoux , aura fa récompenfe.
Aime , eſpére ... à ces mots fon ombre difparoît
Et ne laiſſe en partant qu'un fillon de lumière.
NOVEMBRE. 1761
Marathon , confterné , rentre dans la Forêt ,
Et revient terminer fa pénible carrière .
Ses Enfans , les Amis célébrent fon retour.
Mais ils verront bientôt renaître leurs allarmes :
Ce bonheur eſt un ſonge , il ne dure qu'un jour.
Marathon,veut mourir ; & fenfible à leurs larmes :
» Ah ! ne m'accablez point , dit-il , de vos douleurs
!
» Je rejoins Ïarca cette Epouſe ſi chère ;
» Mes enfans , embraſſez votre Père , & je meurs
>> Content de vous laiffer les vertus d'une Mère.
Il dit : & s'endormant du fommeil de la mort ,
Son âme avec tranfport vole au fombre rivage ;
Marathon , fans obftacle , arrive à l'heureux porr
Qù la tendre Ïarca s'offre fur fon paſſage.
Quel doux raviffement s'empare de leur coeur !
Précieux fentimens ! Amour toujours durable !
Rien ne peut altérer le folide bonheur
Dont jouit à jamais ce couple refpectable.
DAGUES DE CLAIRFONTAINE.
ODE
A une DAME , qui avoit exige que.
l'Auteur fit des Vers pour
CONTENT
pour
elle.
ONTENT de jouir au Parnaſſe,
Des travaux de les nourriffons ,
At
10 MERCURE DE FRANCE.
Je n'ai point , en fuivant leur trace ,
Dans leurs chants confondu mes fons
Iris , condamne ce filence ;
Enfans de mon obéiffance ,
Ces Vers font pour elle entrepris ;
Elle le veut , c'eft mon excuſe :
Sa volonté fera ma Mufe
Son fuffrage fera mon prix .
Apollon , n'eft qu'un nom frivole
Pour qui , comme moi ſçait aimer ;
Ovide , n'eut point d'autre Ecole ;
Et celle , qui le fçut charmer ,
En même-temps lui fçut apprendre
Cette manière , vive , & tendre ,
D'exprimer fi bien fes amours.
Je n'ai pas le même génie ;
Mais j'ai le charme de la vie ,
J'aime , voilà tout mon fecours.
Iris , pour vous , je puis fans crainte ,
Me frayer de nouveaux chemins ;
Mais entré dans ce labyrinthe ,
Où porter mes pas incertains !
Pour me le rendre praticable ,
N'eft-il point de fil ſecourable ,
Auquel je puiffe avoir recours ?
Une ardeur à la mienne égale ,
C'eft le fil qui de ce Dédale ,
Me découvrira les détours.
NOVEMBRE . 1761. 11:
Quand pour l'amante d'Hippomène ,
Mille Amans courent à la mort ;
Si dans l'efpoir qui les entraîne ,
Ils font mal fecondés du fort ;
C'eſt que méprifés d'Athalante ,
De leur tendreſſe languiffante ,
Elle punit la vanité.
Il s'en offre un qui fçait lui plaire ;
Elle mollit dans la carrière :
Il arrive au but ſouhaité.
Voilà les pommes de la Fable.
Elle nous a repréſenté ,
Sous ce fymbole véritable ,
L'Amant de fes fuccès flatté .
Il plaît , il eft charmé de même :
Bientôt vainqueur de ce qu'il aime ,
Son triomphe fera certain.
L'Amour l'emporte fur la Gloire ;
Elle lui céde la victoire ,
Et le couronne de ſa main .
C'eſt une femblable couronne ,
Qui me fera prendre l'éffor ,
Et l'éfpoir que l'Amour me donne ,
Peut feul éxciter mon tranſport .
Mais fi , dédaignant ma tendreſſe ,
Pour moi rien ne vous intéreſſe ,
Je fais des efforts fuperflus :
Si je ne parviens point à plaire ,
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
}
Le Parnaffe eft une chimère ;
Apollon ne m'infpire plus.
Par M. DE LAVALETTE , Capitaine
au Corps Royal.
L'AMOUR ET L'AMITIÉ ,
IDYLLE , en Profe.
TENDRES Agneaux , arrêtez - vous ici , paiffez
l'herbe & les fleurs qui rendent des
odeurs fi douces . Une onde pure les arrofe
fans ceffe ; mais refpectez celles de ce
Boccage : il eft le Temple des Dieux les
plus charmans . O tendre Amour, épargnez
mon coeur! O pure & fainte Amitié, regnez
toujours fur mon âme , & n'allumez dans
le coeur de mon Berger que des flammes
innocentes !
Life , la plus aimable des Bergeres ,
exprimoit ainfi fes voeux ; & d'une main
digne d'être elle - même confacrée à l'Amour
, elle préfentoit au îmulacre de ce
Dieu deux colombes femblables à celles
qui tirent le char de Vénus ; elle offroit
auffi fur , les Autels de l'Amitié les plus
beaux dons de Flore & de Pomone..
Hilas , caché fous un mirthe , s'écria :
Divinités qui faites le charme de ma vie,
NOVEMBRE . 1761. 13
foyez témoins de mes fermens ! j'aimerai
Life jufqu'à mon dernier foupir ; & je
confens que l'Amitié faffe la feule récompenſe
de mes feux , fi Life ne peut m'aimer
davantage... Eh , le puis -je , ingrat, interrompit
la Bergere ? Puis - je vous aimer
plus que je vous aime ? Ces rigueurs , qui
vous femblent cruelles, hélas ! me le font
plus qu'à vous : mais , fans elles , je perdrois
le coeur de celui qui fait mon bonheur
. Ah , Bergere ! répondit Hilas , pouvez-
vous former de pareils foupçons ?
Après tant de fermens , quel retour pour
ma tendreffe ! Vous m'avez dit que
vous m'aimez je l'ai cru , parce que
vous l'avez dit ; un feul mot de la bouche
que j'adore vaut pour moi tous
les fermens des autres Bergeres . J'ai fenti
du plaifir à vous aimer, j'en ai fenti à être
aimé de vous , fans penfer à en defirer
d'autres ; m'occuper de vous dans l'abſence
, vous voir épancher mon coeur dans le
vôtre , c'eft un bonheur affez grand pour
combler tous mes voeux. Ah, Bergere,vous
bleſſez à la fois l'amour & l'amitié !
Que Life fe fentit troublée par de fi
tendres plaintes ! Il eft vrai , dit - elle en
foupirant, les Dieux qui m'entendent doivent
être irrités de mes foupçons . O pure
amitié ; que ton empire eft févère ! O
14 MERCURE DE FRANCE .
amour, que tes charmes font féduifans !
mais pardonne , amour , fi je renonce à
toi pour jamais je ne veux fuivre que les
tranquilles loix de l'amitié .
A ces mots , les Mirthes du Temple
s'agitent , les ruiffeaux fufpendent leur
murmure , toute la nature en filence eſt
attentive à cet oracle , qui fort du Simulacre
de la Divinité.
L'amour & l'amitié n'ont qu'une même Loi :
Tous deux enfans de la Nature
Veulent régner enſemble, & c'eft leur faire injure
Que de les diviſer en ſoi.
Conduite par la Soeur dans les bras de fon frère ;
Life , y doit expier un culte téméraire ;
Et par une éternelle erreur ,
Y prendre l'Amour pour la Soeur.
Ah ! s'écria Life , en gémiffant, la cruelle
amitié voudra donc me trahir : & c'eft
ainfi que les Dieux fe jouent des foibles
Mortels ?
Cependant un orage fe forme dans les
airs ; les timides agneaux fe précipitent
dans les antres creux ; le Soleil retire fa
lumière ; & des ombres épaiffes obfcurcif
fent le jour. Life , tremblante , éperdue ,
fe jette comme dans un afyle, au pied des
Autels de l'amitié ; elle s'y dévoue comNOVEMBRE.
1761. Is
me une victime coupable ; la Déeffe paroît
l'agréer par un fourire. Le Sacrifice
commence , & l'on n'entend plus que ces
mots entrecoupés par des foupirs : Amour!
Ah Dieu trompeur ! C'eft toi ... Tu prétends
me punir fans doute.... je n'implore
point ta clemence : Que je fois cent fois
ta victime !
ParM. de S. Nic.. de la. V... d'Ar....
TRADUCTION de l'Hymne de la
Purification.
Stupete , Gentes &c. De M. DE SANTIUIL.
PEUPLES , étonnez-vous ! pour fauver le coupable,
Un Dieu le rachete en ce jour ,
Et des Loix l'Auteur adorable
S'y foumet lui-même à ſon tour.
Une Vierge ſe purifie ,
Quand fon extrême pureté ,
Des Loix que doit fubir l'Innocence flétrie
Diſpenſe fa maternité.
Humble dans la grandeur , cette Mère pudique
N'ofe avant le terme preſcrit
Approcher le facré Portique
Du Temple qu'elle s'interdit .
Quelle Loi ! quelle injuſte crainte
C
16 MERCURE DE FRANCE,
- Peut vous éloigner de ces lieux ,
Quand vous avez été vous-même, ô Vierge fainte
Le Temple du Maître des Cieux ?
Quel prodige nouveau ! quel augufte Myſtère
Dans cet hommage folemnel !
Un Vieillard , l'Enfant & la Mère
S'immolent fur le même Autel.
L'enfant Divin fe facrifie
Pour racheter l'homme pécheur ;
Le vertueux Pontife offre une fainte vie,
La Mère fon humble pudeur.
O Mère inconfolable ! ô mortelle trifteffe !
O fort , ô comble de douleur !
Quel objet pour votre tendreffe !
Quel fpectacle pour votre coeur !
Cet Agneau , victime innocente
Que vous tenez entre vos bras ,
Doit un jour à vos yeux fur une Croix fanglante
Subir un rigoureux trépas.
De ces jours douloureux immolant les prémicés
Dans l'hommage qu'il vient offrir ,
Il femble hâter les fupplices
Qu'il brûle déjà de fouffrir.
Six luftres bornant fur la Terre
Sa courfe & fes travaux divers
Dans les flots de fon ſang , victime ſalutaire
Il doit laver tous l'Univers.
VÉRARDY M is Arts & Me de Penfion
NOVEMBRE. 1761 17
ENVOI d'un bouquet de coquilles , à
Madame de M...
NEPTUNE & Flore , empreſſés à vous plaire ,
Prétendoient tous les deux enrichir ce préfent.
Pour terminer le différend ,
Neptune a fourni la matiére ,
Flore le deffein ſeulement :
Le reſte eſt d'une main qui croit vous être chère.
Acceptez donc , belle M... Ry:
C'eft l'hommage d'un coeur , plus à vous qu'à luimême
;
Et noubliez pas qu'on vous aime
Plus qu'on ne hait votre mari.
Par M. D. F. D. C.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
ONN connoît déjà , Monfieur , dans notre
Langue , l'Auteur dont on a emprunté
le Morceau qui fuit : la Fontaine lui doit
Pfyché , Fable qu'Apulée lui - même avoit
tirée des célébres Fables Miléfiennes. Le
Jugement de Lucius eft un tableau d'un
goût different. J'ai cru que l'idée burlefque
, qui fait le noeud de cette petite ac18
MERCURE DE FRANCE :
1
tion , ne déplairoit pas ; & je me ſuis hazardé
à la traduire . Ceux qui feroient curieux
de confulter l'original , me fçauront
gré , peut- être , de n'en avoir pas copié
les défauts. J'ai fuivi exactement le fens
de l'Auteur dans ce que j'ai traduit. Du
refte , j'ai profité de toute la liberté qu'Horace
laiffe au Traducteur.
LE JUGEMENT DE LUCIUS,
CONTE , traduit d'APULÉE.
TÉLÉPHRON ÉLÉPHRON avoit fini fon Hiftoire ; les
Convives , dont le vin animoit la belle
humeur , recommencérent à rire . Alors
Birrhéne m'adreffant la parole : demain ,
me dit- elle , arrive la fête du Dieu Ris :
nous célébrons cette fête depuis la fondation
de notre Ville. Notre Peuple eft le
feul dont cette aimable Divinité reçoive
les hommages. Vous verrez que nos cérémonies
ne font point triftes ; venez ſeulement
augmenter notre joie ; & contribuez
à nos offrandes , en imaginant , pour votre
part , quelque chofe que la Divinité puiſſe
agréer. Je répondis à Birrhéne que je travaillerois
à la fatisfaire , pourvu , ajoutaije
, que le Dieu dont vous me faites connoître
le culte , veuille bien favorifer mes
éfforts , & les animer lui - même . Mon Ef
NOVEMBRE. 1761. Ig
clave m'ayant averti qu'il étoit temps de
me retirer , je pris congé des Convives
d'un air qui ne faifoit pas l'éloge de ma
tempérance. Le vent éteignit bientôt le
flambeau qu'on me portoit : ce ne fut donc
pas fans peine que je vins à bout de démêler
mon chemin à travers l'obfcurité. J'approchois
cependant du logis , après avoir
heurté toutes les pierres dont les rues de
cette Ville font femées. Arrivé à la porte ,
je la trouvai affiégée par trois hommes ,
qui me parurent forts & vigoureux, & qui ,
fans être intimidés ni par notre préfence
, ni par le bruit que nous faifions , s'éfforçoient
de pénétrer dans la maiſon . Je
ne crus pas que ce pût être autre chofe
que des Voleurs ; je fonds auffitôt fur
eux , l'épée à la main ; je frappe fans ménagement
tout ce qui me réſiſte . Bientôt
mes adverfaires tombent à mes pieds ,
percés de coups , & rendant les derniers
foupirs. Fotis , éveillée par le bruit , venoit
d'ouvrir. Je me jettai dans la maiſon
tout éffoufflé & tout couvert de fueur , &
m'étant mis au lit , je m'endormis fur le
champ.
*
L'aurore fecouant fon bras de rofe ,
conduifoit déjà fon char fur l'horifon .
Déjà la nuit qui fuyoit devant elle , avoit
* Fotis , Efclave de Milon , Hôte de Lucius.
20 MERCURE DE FRANCE.
fait place au jour. Le fommeil avoit diffipé
les fumées du vin ; mon efprit fe
trouvoit libre. Bientôt le fouvenir de ce
qui s'étoit paffé la veille vint l'occuper.
J'étois affis fur mon lit , les mains pofées
fur les genoux , & le corps penché en
avant. J'avois l'imagination occupée des
penfées les plus triftes : mon fein ſe rempliffoit
de mes larmes. Je croyois être au
Barreau ; je voyois mes accufateurs ; j'entendois
ma Sentence ; j'appercevois autour
de moi les licteurs & les bourreaux..
Je n'ofois me flatter de trouver des Juges
affez favorables pour m'abfoudre ,
couvert comme j'étois du fang de trois
citoyens. Etoit- ce là cet heureux voyage
que le Chaldéen Diophane me promettoit
avec tant d'affurance ?
Ces réfléxions qui m'accabloient , furent
bientôt interrompues. J'entendis
frapper avec force , & dans l'inftant la
maifon fut remplie par les Magiftrats , par
les Officiers de la Ville , & par la foule
qui les fuivoit. Deux licteurs eurent ordre
de me faifir . Je les fuivis fans réfiftance.
A peine avois- je paffé la premiere
rue , que je me vis entouré d'un Peuple
innombrable. Je marchois au milieu
de la multitude , la tête baiffée , me
croyant déjà parmi les morts. Cependang
*
NOVEMBRE. 1761 27
ayant laiffé échapper un regard de côté ,
je fus furpris de voir que , parmi tout ce
Peuple, il n'étoit perfonne qui ne rîc d'une
manière exceffive. Mais ce c'étoit pas
le temps de réfléchir fur ce que je voyois.
On me promena dans toutes les rues
comme une victime d'expiation , après
quoi je fus conduit au Barreau , & placé
devant le Tribunal .
Les Magiftrats s'etoient affis ; les Huiffiers
avoient fait faire filence ; lorfque
le Peuple cria que le lieu où l'on étoit
ne fuffifoit pas pour contenir tout le monde
; qu'une affaire auffi imporante devoit
être traitée fous les yeux de tous les citoyens
; & qu'il falloit fe tranſporter au
Théâtre . Auffitôt , on abandonne le Barreau
; on fe jette en foule fur les fiéges de
l'Amphithéâtre ; on occupe les avenues du
Cirque , on monte fur les toits des Édifices
; les ftatues même , & les colonnes du
Théâtre font chargées de fpectateurs.
Pour moi , on me place dans l'orchestre ;
& tout de fuite on ſe prépare à commencer
l'audience. Un Huiffier cita , d'un ton
éffrayant , celui qui devoit m'accufer. Je
vis un vieillard fe lever , faire les libations
accoutumées , & fe tourner enfuite
vers les Juges , auxquels il parla ainfi .
» Le crime dont il s'agit , Meſſieursį
22 MERCURE DE FRANCE:
» intéreffe également & la fûreté de vos
» Concitoyens , & votre poftérité , à laquelle
» vos exemples doivent être un jour uti-
» les. Votre honneur ainfi que l'intérêt
public exige donc qu'un pareil atentat
» ne demeure pas fans vengeance . Vous le
fçavez , ce n'eft ni le reffentiment , ni
» la haine , c'eft le devoir qui me force à
و ر
"
و د
ه د
parler. Je commande la Garde qui veille
» la nuit à la fûreté de la Ville . Je ne crois
» pas qu'on ait eu lieu jufqu'ici de blâ
» mer ma vigilance ; je me flatte que ma
probité n'eft pas plus fufpecte . Je vais
donc vous expoſer le fait , & vous ren-
» dre un compte fidéle de ce qui s'eft paf-
» fé. La nuit dernière , à- peu - près à la troifiéme
veille , je parcourois à mon ordi-
» naire tous les quartiers de la Ville , exa-
» minant avec une attention fcrupuleufe
» s'il ne fe paffoit rien contre l'ordre ; j'ai
» vu ce malheureux jeune homme , un
poignard à la main , maſſacrer vos con
» citoyens , & fe baigner dans leur fang.
» Il en avoit renverfé trois, dont les cada-
» vres palpitoient encore , à mon arrivée.
» L'horreur de fon action l'a fans doute
"
ود
}
obligé de s'éloigner. Les ténébres nous
» ont empêché de le pourfuivre ; mais la
» Providence ne laiffe pas de tels crimes.
» impunis : nous nous fommes apperçus
NOVEMBRE. 1761 . 23
qu'il s'étoit retiré dans une maiſon où il
a paffé le refte de la nuit. J'ai fait gar-
» der les iffues de cette maifon , dans la
» crainte qu'il ne fe dérobât par des chemins
détournés. J'ai été affez heureux
» pour le faifir , & pour le produire à vo
» tre jugement. Vous avez entre les mains,
» Meffieurs , un coupable fouillé de plu-
» fieurs affaffinats ; un coupable pris fur le
»fait ; un coupable qui n'a pas même l'a-
» vantage de vous appartenir . Vous allez
» donc punir dans un Etranger , un crime
» que vous pourfuivriez avec juftice dans
» un de vos Concitoyens.
Le vieillard ayant ainfi parlé , ceffa de
me faire entendre fa voix foudroyante :
l'Huiffier m'ordonna de répondre , fi
j'avois quelque chofe à alléguer en ma
défenfe. Plus attentif à mes maux & au
fentiment de mon innocence , qu'à la
vaine déclamation de mon accufateur ,
je pleurois , je n'étois pas en état de me
défendre autrement que par mes larmes.
A la fin pourtant je me fentis ranimé
comme par miracle , & j'eus la force de
dire ce qui fuit .
" O citoyens ! qu'il eft difficile à un
» Accufé , qui parle en préſence de trois
» cadavres immolés par fes mains , qui
reconnoît qu'il eft l'Auteur de leur
24 MERCURE DE FRANCE.
" མ་
» mort , de perfuader qu'il eft innocent ,
» quoiqu'il ait raifon de le foutenir ! Cependant
fi l'humanité vous engage
» m'écouter un inftant , il me fera facile
» de vous montrer qu'un malheureux ha-
" zard , ou plutôt qu'un zéle eftimable
» fait aujourd'hui tout mon crime. Je me
» retirois chez mon hôte , un peu tard à
» la vérité , & , puifqu'il faut l'avouer
» un peu trop échauffé par la bonne chère
» que je venois de faire ; ( c'eft-là mon
f
!
véritable crime. ) Je trouve à fa porte
» des voleurs qui travailloient à l'enfon-
» cer. Les gonds étoient déjà ébranlés ;
on avoit forcé les barreaux ; & l'on délibéroit
fur les moyens de fe défaire de
» ceux qui habitoient la maiſon . Déjà
» le plus fort & le plus courageux de
» la troupe haranguoit fes complices :
» Allons , enfans , leur difoit- il , du cou-,
rage ! Attaquons en braves gens ces
» dormeurs- ci. Point de timidité , point,
de foibleffe ; paffons tout au fil de l'é-
20
pée ; maflacrons ceux que nous trouve-
» rons endormis ; tombons fans quartier
» fur ceux qui fe mettroient en défenſe :
» nous fortirons d'ici fans mauvaiſe
» avanture , fi nous n'y laiffons perfonne
» en état de nous nuire. Je l'avoue , Meffieurs
, j'ai tremblé pour mon hôte ;
» j'ai
NOVEMBRE. 1761. 25
"
j'ai craint pour moi- même ; j'ai vu ce
» qu'exigeoit l'honneur & le devoir . Je
me fuis éfforcé de mettre en fuite les
ود
fcélérats qui vouloient nous détruire.
» Mais ces malheureux paroiffoient s'em-
» barraffer de mes éfforts . Ils fe metpeu
» tent tous en défenfe , le Chef fe jette
» fur moi ; me prend par les cheveux , &
» me renverfant en arrière , crie aux au-
» tres de lui donner une pierre pour
"
"3
"
"
m'enfoncer le crâne. J'ai été affez heu-
» reux pour le prévenir. Il est tombé à
» mes pieds fans vie ; j'ai frappé le ſe-
» cond qui s'avançoit fur moi ; & je ſuis
» venu également à bout du troifiéme.
Après avoir ainfi vengé la fureté publique
, après avoir fauvé la vie à mon
hôte , devois- je m'attendre au fupplice
» dont vous me menacez ? N'ai - je pas
plus de droit à vos éloges & à vos récompenfes
Hélas , jufqu'ici ma vie
» a été fans reproche. Jufqu'ici j'ai regardé
l'innocence comme le premier
» des biens. Je l'ai toujours préférée à
» tout autre. Faut- il que pour m'être dé-
» fendu contre des voleurs , pour avoir
puni des fcélérats infâmes, je fois traité
» moi - même comme un vil affaffin ? Quoi
» donc ? prouvera- t- on que j'aye jamais
» connu un feul de ces miférables ? Ai je
"}
>>
"
B
26 MERCURE DE FRANCE.
» eu avec eux le moindre démêlé ? M'a-
» t- on vu feulement leur parler ? Seroit-
» ce la cupidité qui m'auroit porté à les:
» attaquer ? Qu'on dife donc fi l'on a
» trouvé fur moi la moindre chofe qui
» leur ait appartenu. » Après avoir pro--
noncé ces mots , mes larmes recommencérent
à couler. J'étendis les mains vers
mes Juges. Je les fuppliai l'un après l'autre
par les fentimens d'humanité qui devoient
les animer ; par la tendreffe qu'ils
avoient pour leurs enfans ; par les motifs.
les plus capables de les toucher , de ne
pas perdre un innocent ! ... Lorfque je
crus m'appercevoir qu'ils étoient fenfibles
à mes larmes , & que mes raifons
les avoient ébranlés , j'élevai la voix
j'atteftai l'oeil facré de la Divinité auquel
le crime ne peut fe cacher ; je priai les
Dieux de venger mon innocence. Je mis,
mon fort entre leurs mains .
J'ofai enfuite lever les yeux, & les tourner
fur le Peuple . Quelle fut ma furpriſe ! ...
toute l'affemblée fe laiffoit aller à des
éclats de rire que je ne puis exprimer.
Milon , mon hôte Milon , rioit plus fort
que perfonne. Ce fpectacle m'indigna .
Où eft donc , diſois - je en moi - même , la
probité ? où est la reconnoiffance ?, Quoi ,
je me rends coupable d'un homicide
NOVEMBRE . 1761 27
pour déféndre mon hôte ! Je m'expof .
pour lui à perdre honteufement la vie ;
& non content de me laiffer fans défenſe ,
il eft affez barbare pour rire de mon malheur.
Pendant que je faifois ces réflexions
une femme , vêtue d'une longue robe
noire , traverfa le Théâtre , portant un
enfant entre fes bras. Elle étoit fuivie
d'une vieille, couverte de mauvais haillons.
L'une & l'autre tenoient entre leurs mains
des branches d'oliviers , qu'elles arrofoient
de leurs larmes. Elles fe placérent des
deux côtés du lit , fur lequel on avoit expofé
les corps des Voleurs ; & pouffant
des hurlemens affreux , elles conjuroient
à grands cris , les Juges , par la pitié natu
relle à tous les hommes , par la commifération
particulière qu'ils devoient à leurs
concitoyens , par les liens de la commune
Patrie , de venger leur mort & d'appaiſer
leurs mânes . Voyez , difoient -elles , notre
mifére & notre pauvreté; foyez touchés de
l'état où leur perte nous jette! Laiffez - vous
du moins attendrir fur le fort de cet enfant
malheureux , qui fe trouve fans foutien
& fans père ! Satisfaites les Loix qui
vous demandent à haute voix le fang de
l'affaffin.
Elles fe turent. Alors le Magiftrat qui
préfidoit à l'aſſemblée fe leva , & dit ces
Bij
28 MERCURE DE FRANC E.
pour
mots : le crime eft avéré : le coupable le
confeffe ; les loix vont être vengées ; mais
une confidération nous arrête. Il faut connoître
, avant tout , les complices d'un
forfait fi grand. Ce jeune homme n'a pu
furmonter feul trois adverfaires auffi puiffans
. L'esclave qui l'accommpagnoit a pris
la fuite ; les tourmens vont lui arracher
la vérité.Nous n'avons que cette voie
la connoître , & pour purger le Pays de
tous ceux qui ont participé au crime. Auffitôt
on apporte des roues , des fouets ,
des feux , tout l'attirail de la queſtion . Je
fentis croître mon défefpoir à la vue des
tourmens qu'on alloit ajouter au fupplice
qui m'attendoit . Mais la vieille dont les
cris avoient déjà interrompu l'action , s'adreffant
encore aux Juges , les fupplia de
permettre qu'elle expofât à leurs yeux. les
corps fanglans de fes fils , afin que leur
beauté infpirât pour l'affaffin toute l'horreur
qu'il méritoit .
On applaudit à certe demande : le Magiftrat
m'ordonna de lever moi-même le.
voile qui les couvroit ; je n'eus pas la force
d'exécuter un ordre fi cruel. Je réfiftai
longtemps ; mais enfin , les Licteurs me.
frappant les bras & les étendant eux - même
jufques fur le cercueil, j'enlevai rapidement
le manteau dont il étoit couvert....
NOVEMBRE: 1761. 29
Dieux , que devins-je ? Quel prodige !
quelle révolution dans ma fortune ! ce
n'étoit plus des hommes ; c'étoit trois outres
, percés ou déchirés à peu - près dans
les endroits où je croyois avoir frappé mes
ennemis. Alors les ris qu'on s'étoit éfforcé
de retenir , éclatérent plus fort qu'auparavant.
Les Spectateurs s'appuyoient les
les uns fur les autres , pour ne pas tomber.
J'en vis qui foutenoient leur ventre avec
les mains , pour prévenir les inconvéniens
d'un pareil excès. Enfin tous les Spectateurs
fortirent du Théâtre , en me regardant
, & en fe félicitant mutuellement fur
le plaifir qu'ils venoient d'avoir .
1
Pour moi j'étois refté avec le voile à la
main , plus froid que le marbre de la ftatue
contre laquelle je m'étois appuyé . Je ne revins
à moi, que lorfque je me fentis tirer
avec force par mon Hôte , qui m'emmena
malgré mes larmes & ma réfiftance . Nous
nous rendîmes à fa maiſon par les rues les
plus détournées. Milon n'omit rien de ce
qu'il crut propre à me faire oublier ma
mauvaife avanture . Ses foins furent inutiles
; il ne put appaiſer mon indignation .
Cependant les Magistrats revinrent prèfque
fur le champ. Ils me firent des excufes
, & travaillérent de leur côté à me
confoler. Seigneur Lucius , me dit le plus
B iij
30 MERCURE DE FRANCE .
apparent , nous n'ignorons pas quelle ent
votre naiffance , & combien ceux à qui
vous appartenez font diftingués. Nous ferions
au défeſpoir de les outrager. Soyez
perfuadé que nous n'avons pas prétendu
vous faire la moindre infulte . Écartez la
trifteffe que vous nous faites paroître. La
fête que nous célébrons aujourd'hui ne fe
foutient que par de pareils tours. Il n'eſt
perfonne qui ne fe tienne honoré d'y contribuer
; & vous devez regarder comme
un bonheur d'avoir été choisi pour le Héros
du jour. L'aimable Dieu , auquel vous
venez de facrifier , va vous délivrer pour
toujours de l'ennui & de la triſteſſe . D'ailleurs
notre Ville vous a décerné , comme
à fon bienfaiteur , tous les honneurs dont
vous êtes digne. Elle vous met au nombre
de fes Protecteurs ; & le Sénat vient d'ordonner
qu'on vous éléveroit une ſtatue.
Je répondis à ce compliment , que j'étois
fenfible à l'honneur que me faifoit la première
Ville de la Theſſalie ; mais que les
images & les ftatues ne convenoient pas
à ceux de mon rang. Cela dit , j'accompagnai
les Magiftrats jufqu'à la porte , en
leur faiſant la meilleure mine qu'il me fut
poffible.
Je m'étois retiré dans ma chambre ,
je rêvois encore à ce qui m'étoit arrivé,
NOVEMBRE. 1761. 31
Fotis y entra bientôt après moi . Je fus furpris
de l'air timide & embarraffé avec lequel
elle m'aborda.A peine put - elle ouvrir
la bouche pour me parler. Ce ne fut pas
fans fe faire une extrême violence qu'elle
me dit qu'elle étoit la cauſe de mon malheur.
Cauſe innocente à la vérité : me préferve
le Ciel de vous outrager jamais juſqu'à
ce point ! Je donnerois ma vie pour
vous épargner la plus légére difgrace . Mais
ma mauvaife fortune a voulu que ce que
j'ai fait pour me tirer moi -même d'un embarras,
caufat prèfque votre perte. La curiofité
me fit prefler Fotis de s'expliquer.
Je lui répondis : ma chère Fotis , je fçais
que tu n'as jamais penfé à me nuire. J'en
crois plus mon amour que tes fermens . Je
ne te croirois pas toi - même , quand tu me
jurerois le contraire. Parle- moi fans te
troubler. Fotis raffurée , reprit ainfi . Je
tremble de révéler la honte de ma maîtreffe.
Je mourrois plutôt que de vous
rien découvrir , fi je n'étois raffurée par
votre esprit & par votre caractère . Vous
êtes initié dans plufieurs myſtères : vous favez
par conféquent garder un fecret. Que
celui que je vais dépofer dans votre ſein
n'en forte jamais ,
* Ma maîtreffe commande aux morts ;
* On fait que les Theffaliens étoient fort adon
B iv
32 MERCURE DE FRANCE.
change à fon gré le cours des Aftres ;
force les deftins ; fe fait obéir des élémens
; exerce un empire, abfolu fur toute
la nature . Mais cet empire , croiriez - vous
qu'elle n'en fait ufage , que pour fe faire
aimer ? Un jeune homme qui lui plaît ,
eſt bientôt fon efclave. Elle aime actuellement
un jeune Béotien parfaitement
beau . Hier au foir , je l'entendois s'écrier
que fi le Soleil ne fe hâtoit de defcendre
fous l'horizon , elle alloit l'obfcurcir pour
toujours. Elle avoit apperçu chez un Barbier
le Béotien qu'elle aime. Elle m'ordonna
fur le champ d'aller lui chercher
les cheveux qu'on venoit de lui couper ,
& de ne pas rentrer fans en rapporter
quelque chofe. Le Barbier m'apperçut ;
& comme toute la Ville foupçonne ma
maîtreffe , il m'arrêta , arracha de mon
fein les cheveux que j'avois ramaffés , &
me déclara que s'il me voyoit jamais
autour de la boutique , il me dénonceroit
aux Magiftrats . La crainte d'être mal .
traitée de ma maîtreffe , m'auroit fait
prendre la fuite ,fi j'avois pû me léparer de
vous : J'aimai mieux m'expofer à fa mauvaiſe
humeur , & je revins au logis. Heureufement
pour moi , je trouvai en chenés
à la Magie. M. de Fontenelle en donne plufieurs
raifons dans fon Hiftoire des Oracles.
NOVEMBRE. 1761. 33
min un homme qui tondoit des outres ,
dont le poil étoit affez femblable pour
la couleur , aux cheveux que ma maîtreffe
attendoit . J'en pris quelques-uns que je lui
donnai. A peine la nuit fur- elle arrivée ,
qu'elle monta au haut de la maiſon . Elle
fit fur ce que je lui avois remis , ſes invocations
ordinaires. Elle le mit enfuite fur
des charbons ardens . La magie opéra fur
les outres comme elle auroit opéré fur l'amant
même ; les outres furent animés ,
marchérent ,fentirent , fe prêtérent à toutes
les impreffions que ma Maîtreffe vouloit
faire fur le Béotien , & vinrent affiéger le
lieu où l'on brûloit leurs dépouilles . Vous
les apperçutes en revenant de fouper.
Trompé par l'obfcurité, vous combattites,
comme un autre Ajax , non contre des
moutons , mais contre des boucs enflés.
Vos exploits furpaffent ceux du fils de Télamon.
Venez gouter votre victoire dans
mes bras : Puiffiez - vous y oublier les peines
que vous ont donné des ennemis
Ledoutables !
3
Par unjeune homme de Dijon.
fi
t
BY
54 MERCURE DE FRANCE.
ÉPITRE A ÉMILIE.
V.os vers ingénieux , adorable Émilie ,
Nous ont offert un tableau de l'Amour .
Mais qu'avez-vous befoin de prendre ce détour ?
Ménagez mieux les élans du génie ,
Ne prenez que votre miroir ,
Il vous peindra ce Dieu volage ;
Et fi dans vos beaux yeux vous ne le pouvez voir
Dans la glace toujours vous verrez fon image.
Vous le peignez ainfi , que vous le déſſinez ,
Tranquille, fans tranſports, fans feux, ſans jalõuſe
De bonne foi , belle Emilie ,
Et- ce ainfi que vous l'infpirez ?
Chacun felon fon gré , forge , invente , imagine,
Et fe fait de l'Amour , un fyftêine plaifant.
Permettez qu'en vous amuſa nt
Je vous peigne quelle eft , felon moi , l'origine.
Et le but de ce fentiment.
Je ne fuis point Auteur ; l'amoureuſe manie
Quelque fois m'a conduit vers le facré Vallon :
Dans vos beaux yeux j'ai trou é mon Génie ;
Le défir de vous plaire eft mon feul Apollon.
A l'aspect d'un objet qui nous paroît aimable ,
Un mouvement fecret agite notre coeur ;
On vou droit fuir , mais un charme agréable
Nous arrête , l'on céde à fon attrait flatteur
1
NOVEMBRE. 1761. 35
On fe trouble, on rougit, & l'Amour eft vainqueur.
Dès-lors vers l'objet qui l'enflâme ,
Ce coeur vole , l'atteint , fe confume en defirs ;
Avec l'objet qu'on aime on partage fon âme :
C'est pour lui , c'eft par lui que naiffent les plaifits
Sans lui tout nous déplaît. Au lever de l'aurore .,
On rode fur les pas pour y chercher la paix ;
Au coucher du Soleil on y revient encore ;
Que dis-je , l'on voudroit ne ſe quitter jamais.
C'eft alors que l'amour nous apprend à connoître ,
A fentir tout le prix de ces foins complaifans ,
De ces tendres égards, de ces tranfports charmans
De tous ces petits riens que chaque inftant fait
naître ;
L'art féduifant de prévenir les voeux ,
D'étudier les coeurs , de lire dans les yeux ,
De démêler d'un mot l'équivoque flatteuſe ,
De fentir un regard plus ou moins gracieux ,
L'art enfin de conduire une affaire amoureuſe :
Le bonheur est toujours le prix délicieux
De cette étude ingénieufe ;
Plus il est délicat , plus l'Amant est heureux.
Tel eft l'Amour. S'il faut encor que je m'explique,
Je dirai que des fens il attend fes plaifirs ;
Que votre glace Platonique
N'eft point du tout l'objet de fes defirs ;
Que votre froid fyftême eft l'antique chimère
Que Bellerophon combattit :
Illufion , jeu de l'efprit !
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Non! de l'humanité l'amour veut être père ;
Avec lui tout renaît , & fans lui tout finit.
Mais votre coeur m'entend , & contre vous murmure
? ...
Il a raiſon ; avec des charmes auſſi doux ,
Peut- on défendre une telle impoſture ?
Belle Emilie , eh quoi , voudriez- vous
Tromper le voeu de la Nature ?
FABLE
ALLÉGORIQUE préfentée au
ROI DE POLOGNE à Versailles.
L'AIGLE ET LE PHÉNIX .
UNNAigle enflé, bouffi d'orgueil ,
Reprochoit au Phénix ſon air toujours affable.
La grandeur doit , dit- il, ſe rendre reſpectable ;
Et vous la ravallez par un facile accueil.
Quoi , l'hommage des coeurs devroit- il fe contraindre
,
Répondit le Phénix ? Content d'être eſtimé,
Vous cherchez à vous faire craindre :
Moi , je préfére d'être aimé.
Par M. de C *** ;
NOVEMBRE. 1761. 37
VERS fur le Tableau de M. DOYEN ,
repréſentant VÉNUS bleffée par
DIOMEDE.
COMMENT
OMMENT l'Olympe à qui tout céde ,
Fait-il un éffort impuiffant ?
D'une Immortelle , O Dioméde !
Comment vois- je couler le fang ?
Impétueux Fils de la Terre ,
Cours , vole arracher le tonnerre
Des mains des Souverains des Cieux.
A la fierté de ton courage ,
Je fuis forcé de rendre hommage;
Il est beau d'attaquer les Dieux.
LE PSYCHOMETRE , ou Réfléxionsfur
différens caractères de l'Esprit.
L
I.
'ESPRIT profond eft celui qui fçait pénétrer
jufqu'aux racines cachées des vérités
les moins connues , découvrir leurs premieres
femences , remonter aux principes
, defcendre aux conféquences , & démontrer
leur enchaînement ; tels paroif
38 MERCURE DE FRANCE.
fent parmi les anciens , Apollonius , &
& parmi les Modernes , Archimedes ,
Defcartes & Newton.
2 .
L'Elprit fublime préfente à l'âme des
vérités & même des fentimens qui l'ennobliffent
& l'élèvent ; fon objet en tant
que diftingué de l'Eſprit profond, eft plutôt
de perfectionner la volonté que l'entendement
; il arrête , il attire , il attache
, il perfuade , il reffemble affez à l'efprit
lumineux qui éclaire , qui découvre
de nouvelles vérités ou qui met les anciennes
dans leur vrai point de vue : tels
étoient autrefois , Pythagore , Socrate
& Platon , l'Archevêque Fenelon , &
Corneille en France ; le Duc de Shaftſbury
& Milton en Angleterre , le Dante &
le Taffe en Italie .
3 .
L'Efprit folide eft celui qui voit clairement
ce qu'il voit , quoique fa vue ne
foit pas toujours fort étendue ; je le croirois
le même que l'Efprit jufte & Géométrique
; qui fcait arranger fes idées avec
ordre , clarté , & précifion ; l'Angleterre
eft féconde dans ces fortes d'Efprits, Bacon
& Locke en font les exemples . La
France a eu quelques Génies de cette efpéce
comme Nicole , Arnault & le Pere
Bourdaloue Jéfuite.
NOVEMBRE. 1761. 39
4.
L'Efprit fubtil & l'Efprit délicat fe difringuent
par la différence de leur objet :
l'un regarde les pensées & l'autre les fentimens
. L'Esprit fubtil découvre les diftinctions
& les différences les plus déliées
des idées ; il fend un cheveu ; il apperçoit
les premiers élémens des vérités les plus
abstraites tel étoit S. Thomas en Italie ,
Suarez en Espagne , Scot en Ecoffe ,
Malebranche en France.
5.
L'Esprit délicat démêle toutes les nuances
fines des paffions , des vertus , des
fentimens , & des caraères . Waller &
Prifc en Angleterre , la Fontaine & Qui
nault en France ont excellé en ce genre.
6 .
J
L'Esprit vif voit prompter ent fon objet
, le peint avec grâces, l'orne de fleurs ,
l'aiguife par des traits , & l'enrichit de
tours ingénieux ; les Grecs autrefois , les
Italiens & les François aujourd'hui furpaffent
toutes les autres Nations dans ce
genre ; il reflemble affez à l'Efprit brillant
, qui n'a point de lumière propre ,
qui ne crée rien , qui n'a rien d'original ,
mais qui fçait placer les pensées des autres
dans un vrai point de vue ; les faire.
éclore & leur donner de l'éclat : tels font
40 MERCURE DE FRANCE.
la Bruyere & S. Evremont en France ,
l'Espion Turc & le Spectateur Anglois ,
Bocace & Michel Cervantes en Espagne.
7.
L'Efprit mâle eft celui qui faifit forte,
ment fon objet , qui le tourne & retourne
à fon gré. Comme dans la Phyfique
la force réfulte de l'union de la maffe
& de la vitefle , de même l'efprit
mâle renferme la folidité & la vivacité
; il fecoue les préjugés , il écarte les
ombres , il enchaîne l'imagination , il s'enfonce
& s'élève tour- à - tour ; femblable
aux rayons du Soleil réunis , il éclaire &
embrafe tous les objets qu'il rencontre ;
rien n'eft plus rare que ce Génie : Boffuet
& Pafcal en France , Clarke & More en
Angleterre poffédent beaucoup de ces
qualités ; mais il y a des endroits où tõus
ces Auteurs font foibles.
8.
L'Efprit étendu embraffe une grande
quantité d'objets , de rapports , de connoiffances
, il voit de loin , il fçait raffembler
les idées les plus féparées , les comparer
, les combiner , & en tirer des conclufions
; il s'allie fouvent avec l'Efpric
Univerfel , qui a une aptitude pour exceller
dans toutes les Sciences & qui ren ferme
en foi les femences de tous les Efprits
NOVEMBRE . 1761 . 41
Pic de la Mirandole en Italie , Leibnitz
en Allemagne , Boheraave en Hollande ,
Clarke en Angleterre ; Bayle , Fontenelle
, le Père Tournemine , & Voltaire
en France. Le plus grand génie eft fans
doute celui qui voit loin , vîte & clair ;
mais il eft prèfque impoffible de rencontrer
toutes ces éminentes qualités dans
un même Sujet : les génies qui excellent
dans un fens , font défectueux dans un
autre ; le profond eft quelquefois obſcur ,
le fublime frife fouvent le chimérique ;
l'Esprit trop étendu tombe dans le vague ;
la folidité rend quelquefois lent & pefant;
la fubtilité dégénére en idées guindées ;
le délicat en précieux , le lumineux en
éblouiffant , le vif en légèreté fuperficiel
le , & le mâle en hardieffe audacieuſe.
DIVERS PARALLELES.
DESCARTES & Newton ſont peutêtre
les deux plus vaftes Génies que l'Europe
& même l'Univers ait jamais produits
dans aucun fiécle . Le génie du Philofophe
François eft lumineux, fublime, éten .
du , mais pas toujours folide ; celui du
Philofophe Anglois eft profond , exact ,
univerfel , mais fouvent obfcur . Henri
More, Docteur Anglois, étoit un efprit fu42
MERCURE DE FRANCE.
blime , profond & vafte ; mais il ne paroît
pas avoir eu l'ombre de la jufteffe
géométrique. Spinofa au contraire avoit
l'efprit jufte, plus fubtil, plus conféquent ,
& plus univerfel . Le génie de Boffuet
Evêque de Meaux paroît étendu , clair &
folide ; celui de Fenelon eft fublime , lumineux
& délicat. Malebranche eft le génie
le plus fubtil , le plus conféquent , & le
plus fyftématique que jamais Nation ait
produit ; Locke n'a ni la profondeur ni
la fubtilité de Malebranche , c'eſt un efprit
froid , exact & clair ; Milton ne fuit
pas dans fon Poëme , le Paradis perdu ,
les régles de l'Epopée , mais on y rencontre
plus que dans aucun Auteur les
traits d'un génie vraiment créateur. Le
Télémaque eft un Poëme plus régulier que
le Paradis perdu , & le génie du Poëte
François eft plus naturel , plus délicat , &
plus fleuri, quoique moins hardi & moins
mâle que celui du Poëte Anglois ; le fublime
de Milton confifte dans les pensées
& celui de Fenelon dans les fentimens ; le
premier en quelques endroits déroge à la
Majefté de la Religion Chrétienne , le
dernier ennoblit toujours la Religion
Payenne ; on trouve plus de Métaphyfique
& de Théologie dans le Poënie Anglois
; on rencontre plus de Morale & de
T
NOVEMBRE . 1761. 43
Politique dans le Poëme François ; on ne
peut aimer le Télémaque fans être bon
Citoyen ; on peut fe plaire dans la lecture
du Paradis perdu , fans devenir meilleur
Chrétien ; tout y a trop l'air de fable ;
Milton furprend , étonne & tranfporte ,
Fenelon peint , perfuade & transforme ;
les images de Milton font fouvent gigantefques
& outrées ; celles de Fenelon
font toujours naturelles , fimples quoique
fleuries ; l'Enfer de Milton eft plus beau
que fon Paradis , c'est -à- dire mieux dépeint
; l'efprit de Fenelon eft toujours
égal , & maître de fon fujet. Poëte , Philofophe
, Politique, il réuffit dans tous les
genres ; en un mot Fenelon tient le juſte
milieu entre Milton qui fe perd fouvent
dans les nues , & le Taſſe qui s'éléve rarement
au- deffus de la Terre ; la Jéruſalem
conquiſe eft plus variée que le Paradis
perdu , & auffi régulière que le Télémaque;
le génie du Poëte Italien eſt trèsdélicat
, mais peu nerveux ; fes fictions
font amufantes , fes fentimens tendres ,
fes caractères diverfifiés ; mais le furnaturel
de fon Poëme eft fouvent puérile ,
& le fublime s'y trouve plutôt dans les
penfées que dans les fentimens ; on y reconnoît
toutes les marques d'un efprit
imitateur qui ne fçait pas créer des êtres
44 MERCURE DE FRANCE.
& des mondes nouveaux , comme le Poëte
Anglois , ni peindre les vérités fublimes
& morales comme le Poëte François . Les
fictions de Milton fe reflentent un peu
trop de l'efprit Britannique, & de la hardieffe
Proteftante ; celles du Taffe frifent
la fuperftition, le Romanefque , & la Chevalerie
Errante.
Mé-
Bayle & Fontenelle peuvent le comparer
par leur univerfalité : mais le dernier
paroît avoir un génie bien plus profond
& plus exact que le premier. On trouve
dans les ouvrages de Bayle une érudition
immenfe de trois genres , Hiftoire ,
taphyfique , & Belles - Lettres ; on admire
dans ceux de Fontenelle les principes
de prèfque toutes les Sciences , des
Mathématiques , de la Médecine , des
Chymie , de la Phyfique , de la Métaphyfique
, de la Poëfie , de l'Hiftoire & tous
les caractères d'un génie qui embraffe les
objets les plus éloignés & qui connoît
également l'étendue & les bornes de
l'efprit humain. Bayle a l'efprit hardi, lger
, badin , varié , mais il n'approfondit
pas toujours fon Sujet , il paroît fuir la
lumière pour fe perdre dans l'incertitude
ténébreufe du Pyrrhonifme ; il montre
tous les côtés obfcurs d'une queſtion fans
amais chercher le point lumineux d'où
NOVEMBRE . 1761 .
45.
faillit l'évidence, il embellit; il orne , il égaie
tout par les traits brillans, & fes tours ingénieux
;mais fon efprit eft plus Sophifte que
Philofophe , plus éloquent que jufte , plus
poëtique que géométre , plus étendu que
profond. Fontenelle fans avoir tant d'audace
, fe rend maître de tous les Sujets
qu'il traite ; il paroît avoir créé tout ce
qu'il arrange ; il fait éclorre les pensées
informes d'autrui & les met dans l'évidence
; fon efprit univerfel eft également
fubtil & délicat ; il faifit les diftinctions
& les précisions des idées les plus abftraites
, foit Métaphyfiques , foit Géométriques;
il entend auffi toutes les délicateffes
du coeur. On prétend qu'il ne les fent pas
également , & que fon amour est trop
Méthaphyfique , comme celui de Pétrarque.
PARALLÉ LE entre M. l'Abbé Av-
BERT & M. GREUSE.
M'ERIGEANT 'ERIGEANT en Platon nouveau ,
Je veux tracer un Paralléle
Entre la plume & le pinceau.
Des deux côtés j'ai mon modéle :
Peintre habile , aimable Ecrivain ;
Tout favorife mon deffein .
26 MERCURE DE FRANCE
Par toi , cher Abbé , je commence :
Si tu mers la plume à la main ,
Chaque mot porte une ſentence.
Amufant , rigide à la fois ,
Tes fables font autant de loix.
Tu fçais dans ta veine fertile ,
Donner en Philofophe habile ,
D'utiles leçons , même aux Rois ;
Et feul tu courus fur l'aréne
Digne émule de la Fontaine.
Pour toi , Greufe , Peintre charmant ,
Quelle âme tu joins au talent !
Par mille traits de reffemblance
Je puis vous comparer tous deux ,
Et tous deux dans cette occurrence ,
Du Public captivez les voeux ;
Tous deux conduits par la Nature ,
A l'aide d'un charme ingénu ,
Vous avez pris la route fûre
Qui méne droit à la vertu.
Je vais éffayer de décrire ,
Quoique manquant d'expreffions ,
Ce
que chacun de vous m'inſpire
En voyant vos productions.
Là je cauſe avec les lions ;
Je plains le fort de la fauvette ; *
Voyez le Recueil de Fables de M. l'Abbé Auhera
Page 99.
NOVEMBRE. 1761
Et je vois les larmes aux yeux ,
Chloé , Fanfan , Colas , Perrette ;
Tendre mère , enfant dédaigneux
Qu'un penchant à l'orgueil entraîne ;
Mais que par un détour heureux ,
A la vertu Chloé ramène. *
Que de leçons ! que de tableaux ,
Grace à ton talent pour la Fable,
Préfentent fous un voile aimable
Les hommes & les Animaux.
Ici , Greufe animant la toile,
N'offre que fpectacles charmans
Où le Sentiment fe dévoile.
Ses Sujets remplis d'agrémens ,
Puifés dans la fage Nature ,
Loin du vice & de l'impofture ,
Sont l'image des bonnes gens.
Que j'aime ſous un toit ruſtique ,
Unique afyle des vertus ,
Ce bon vieillard paralytique ,
A qui femme , enfans éperdus ,
Remplis de crainte pour la vie ,
Par mille foins qui lui font dûs ,
Marquent leur tendreſſe infinie !
Autre modéle à fentimens :
C'eſt ce bon Père de famille ,
Vieillard en qui la candeur brille ;
Qui lit la Bible à ſes enfans.
Ibid. pages 3. & 25.
48 MERCURE DE FRANCE.
Il en eſt un dernier qu'au Louvre
Tout Paris courut admirer ;
Les Beautés que l'on y découvre
Ne laiffent rien à defirer .
C'eſt un fimple hymen de Village
Qu'on cimente par un contrac
Dans un lieu meublé fans éclat ,
Mais propre ( en faut-il davantage ? )
Là paroit le Chef de ménage
Avec un air de Potentat ;
Puis le Gendre & fon Accordée ,
L'un marquant fa foumiffion ,
Et l'autre avec émotion
S'occupant déja de l'idée
Du plaifir de leur union .
La Nature n'eft point fardée ; '
Mère , Soeurs & Tabellion ,
Tous y fixent l'attention .
Ma Mufe , ceffe d'entrepren fre
Un éloge auffi mérité ;
Pour parvenir à le bien rendre ,
Ton pouvoir eft trop limité.
Par de tels objets excité ,
Notre agréable Fabuliſte
S'eft fait un plaifir enchanté
D'en être le Panégyriſte .
Et fon joli Conte moral
* Cet Ouvrage de M. l'Abé Aubert, intitulé , Conte
Moral , dont l'idée eft prife du Tableau de M, Greufe ,
& c , eft imprimé , & il a paru dans le dernier Vol . du
Mercure .
NOVEMBRE. 1761.
45
Eft l'hommage le plus fidéle
Que tout homme rempli de zéle
Puiffe rendre à l'Original.
En terminant mon paralléle ,
J'avourai fans
déguiſement ,
Que pour peindre le Sentiment ,
Le Coeur , l'Amitié généreuſe ,
Il faut qu'on foit Aubert ou Greuſe,
EN VOI.
FAITES
AITES grace à mon parallèle :
Les vers ne font point mon métier ;
Pour eux je demande quartier ,
Meffieurs , ne voyez que mon zéle.
P. D. S. A.
RÉPONSE à M. P. DE S. A. Peintre ,
au fujet de fon PARALLELE , entre
M.l'Abbé AU BERT & M. GREUSE,
POUR
OUR un Conte que m'a dicté
L'admiration légitime ,
Qu'inſpire le talent fublime
Du Peintre de la Vérité ,
Tu flattes trop ma vanité.
Je ne partage point l'eftime
C
So MERCURE DE FRANCE
Due à ce chef- d'oeuvre parfait ,
Que de tout Paris fatisfait ,
Couronne la voix unanime.
J'ai vu ce fidéle Tableau ,
Où des champs l'aimable innocence ,
Préfente un spectacle fi beau ,
Toucher d'un fentiment nouveau
Le Robin , l'homme de Finance ,
Et le Petit-Maître à manteau.
J'ai vu la Beauté , dont l'image
Y répand un tendre intérêt ,
Arracher des larmes de rage ,
A plus d'un vifage coquet.
J'ai vu maint décrépit objet ,
De fon fard tirant avantage ,
Blâmer , en dreffant fon corfage ,
L'éffort que ce Greufe avoit fait ,
Pour peindre un minois de Village,
Ainfi tout excellent ouvrage ,
Produit un différent effet ,
Suivant le goût , le fexe ou l'âge.
Pour moi , qui , depuis que les Vers
Font tout le charme de ma vie ,
Ne m'occupe que des travers ,
Que m'offre l'humaine folie ;
J'avoue avec fincérité ,
Que je fus dabord enchanté
De cette fcène attendrillante .
NOVEMBRE. 1761 .
se
Je fentis mon coeur agité
Par la douce ingénuité
De la jeune & modefte Amante
Et par l'émotion touchante
De l'Époux de cette Beauté.
Soudain je fis la différence
De cette fincère union ,
A ces, fers que l'Ambition
Fait rechercher à l'Opulence ,
Pour acheter l'indifférence
D'un Faquin qui porte un grand nomi
Je comparai cet hymen tendre ,
Fondé fur des voeux mutuels ,
A ces engagemens cruels
Qu'un coupable intérêt fait prendre
Et rempli d'une juſte horreur ,
Je maudis ce fiécle où le coeur
Eft fouvent forcé de fe rendre
Au plus offrant enchériffeur.
Ainfi , de la fimple Nature ,
Empruntant les vives couleurs ,
Greufe fait fervir la Peinture
A la critique de nos moeurs.
Ainfi , tel que cet Auteur fage , *
Dont l'aimable naïveté ,
Sous une familiére image ,
Intéreffoit l'humanité ;
* La Fontaine ,
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
Par un enchantement ſemblable ,
Greufe inftruit la Société;
Et fon chef- d'oeuvre eft une Fable ,
Qui fait valoir la Vérité.
Pardon , fi je fais trop paroître
Mon goût pour cet Art féduifant ;
Par qui l'homme apprend en riant ,
Ce qu'il eft , ce qu'il devroit être :
Dans cet Art utile & fécond ,
La Fontaine eft mon premier Maître ,
Greufe deviendra le fecond.
Auteurs , dont la plume orgueilleufe
Peint la Nature en Précieuſe ,
Et défigure fes appas ;
Apprenez aujourd'hui de Greufe
A faifir les traits délicats.
Et toi , qu'un attrait pur excite ,
A louer le pinceau charmant
De cet Artiſte que j'imite ,
Dans des Vers rimés foiblement ,
Pourfuis , rends juftice au mérite :
Cher ami , cet exemple eft beau.
Juge éclairé de fon Tableau ,
L'équité régle ton fuffrage :
Habile Peintre , aimable Auteur ,
Tujouis d'un double avantage,
NOVEMBRE. 1761 .
Qui rend à la fois ton hommage ,
Et plas fincère , & plus flatteur !
·L'Abbé Au B'Ert.
QUI
P ...
A M. de M. L. D. D. & c. & c.
Uz t'offrir en ce jour , confacré par ta fête ,
mon appui , mon bonheur , mon eſpoir ,
Des oeillets ? ... leur éclat difparoîtroit ce fir.
Des faveurs de la Cour c'eft l'image parfaite.
Des Vers du temps ? ... mais leur fadeur
Porteroit bientôt à la tête ;
Et mon pinceau , trempé dans la fombre couleur,
En traçant les vertus du Héros que je fête ,
Peindroit , fans le vouloir , les traits de la douleur,
Que t'offrir donc ?... mon coeur ?.. , n'eft- il pas ca
conquête ?
Dans les temps orageux, mon afyle , & mon pøtt
Généreux Duc ! trois fois j'ai quitté ton rivage ;
Victime de faux grands , de l'envie , & du fort ,
Trois fois auffi j'ai fait naufrage;
Et toujours ton abri m'a ſauvé de la mort.
Que ta belle âme , & que ta bienfaiſance ,
Reçoivent leur prix mérité :
Je vais vouër ton Buſte à l'Immortalité ,
Sur les autels de la Reconnoiffance.
Ce 28 Juillet 1761 , à Châtillon
fur-Loing,
ParM. FLUTRY.
34 MERCURE DE FRANCE.
ÉPITA PHE
Du Perroquet de Madame la Marquife
DE CRÉQUI.
IMPROMPTU.
Cx gît le plus charmant, la fleur des Perroquets :
Je répands fur fa tombe un encens légitime ;
'Aujourd'hui fi fa mort arrache nos regrets ,
Son mérite jadis arracha notre eſtime.
Il paffe en un moment , par un fort glorieux ,
Du Temple de Pallas dans les royaumes fom→
bres ;
Il va faire l'honneur des Ombres ,
Puifqu'il a fait les délices des Dieux.
L. P. L. J.
LEE mot de la premiere Enigme du
fecond volume du Mercure d'Octobre ,
eft , le Gratte-cul. Celui de la feconde ,
eft , la Cloche. Celui du premier Logogryphe
, eft , Rondeau dans lequel on
trouve rond , eau , or ,
Daun , Ode , âne , Oran , B , don . Celui
du fecond , eft , honneur , dans lequel
on trouve Neron , Rhône , nue , & mue
femme.
Deo ,
Bonda
NOVEMBRE. 1761 .
E NI G ME. T
QUOIQUE je fois d'une couleur grifâtre" ,
Je blanchis plus blanc que le plâtre ;
Si mon père animé m'engendre avec chaleur ,
D'abord qu'on l'interrompt il change de couleur
Il me produit fans honte & fans colère ;
Cependant fans rougir il ne me fçauroit faire.
Je fers à rappeller l'irrévocable loi ;
Tous les ans dans un jour de fête :
Que tôt ou tard chacun s'apprête ,
A devenir ſemblable à moi.
AUTRE.
FILLE
ILLE d'un père malheureux ,
Je fuis encor plus malheureufe;
Monfort eft des plus rigoureux ;
On me croit riche & je fuis gucufe.
Si quelqu'un me reçoit chez lui ,
C'eft qu'il eft furpris de ma mine ;
Je rougis du défaut d'autrui ,
Dans le moment qu'on m'examine.
Après avoir trompé ſouvent ,
Quoique fans deffein de le faire ,
Il m'arrive ordinairement
De caufer la mort à mon père .
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
LOGOGRYPH E.
Mas cinq pieds , cher Lecteur , écrits tout fimplement
,
Font un être charmant chéri ſurtout à table.
Mais fur deux de mes pieds change & mets un accent
,
D'excellent que j'étois , je fuis abominable.
AUTRE.
J.J ■ dérive d'un mot Latin',
It fuis du genre féminin 3-
Souvent je prêté mon office ,
A qui veut entrer au ſervice ,
Ou bien dans quelque Corps. Onze pieds font
mon tout.
Dans vingt & huit rapports , on me verra partour.
D'abord on trouvera , fi l'on me décompose ,
Un mot fort ufité , qui ſouvent en impoſe ;
Un des Confuls Romains , qui vainquit tant de fois
Les Celtibériens & les Carthaginois.
Un métal précieux que tout le monde envie ;
Un animal groffier , très - utile à la vie ;
L'ornement de celui , dont la néceffité ,
NOVEMBRE . 1761. 57
Va de pair avec la Beauté ;
Une machine d'Hydraulique ;
Ce qui provient de la Mufique ;
Ce qu'aiment les enfans ; ce que craint un vaiffeau
;
Un Infecte fubtil qui pénétre la peau ;
Un grand arbre ; une plante ; & même une rivière
;
La Fille d'Inachus ; des Dieux la Meſſagère ,
Ou bien encor le nom d'une certaine fleur ,
Qui fuivant les pays prend une autre couleur ;
De plus , un lieu de force ; un Fort en Italie ;
Un Inftrument de chaffe; un fameux Mont d'Afie ;
Un fruit qu'on va chercher dans un autre climat 3
Ce que produit la voix ; le nom d'un Potentat ;
L'éffence d'un Mortel , ce qui le conftitue ;
Une piéce aux échecs qui lentement remue ; -
Un oifeau très léger , ou la punition
D'un petit Écolier qui dit mal fa leçon ; `
Le rôle d'un Acteur dans une Comédie ;
Enfin ce qui fait voir qu'une phrafe eſt finie . -
Par M. Le Chevalier de Ch ... Enfeigne
de Vaiffeau , à Breſt.
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
A Mlle L. F. *** , à D. L. C. J.
J
ROMANCE.:
I m'étois long - temps promis E
De n'être qu'amant volage ;~
J'ai bien changé de langage
Depuis que j'ai vu Philis :
D'une conftance éternelle
A préfent je fuis la loi ;
Je ne veux plus que pour elle
Garder mon coeur & ma foi.
Quand fa bouche , en fouriant,,
Chante le Dieu qui m'infpire ,.
Ses yeux peignent le délire
Que j'éprouve en la voyant.
Mais qu'elle me plaît encore ,
Qu'elle raffemble d'appas ,
Lorsqu'aux jeux de Terpficore
Les Grâces forment les pas !
Sur la Tèrre , dans les Cieux ,
Où trouver rien qui l'égale ?
Plyché n'eut point de rivale ,
De l'aveu de tous les Dieux.
Au fiécle de cette Belle
Que n'ont-ils vu ma Philis?
Je m'étois longtems promis De n'être qu'amant volage ,
J'ai bien changé de langage Depuis quej'ai vu Philis
D'une constance éternelle Apresentje suis la loi,
Je ne veuxplus quepour elle Garder mon coeur et mafoi.
D
+
Quand sa bouche en souriant Chante leDieu qui m'inspi -re ,
Ses yeux peignent le délire Quej'éprouve en la voyant :
Mais qu'elle meplait encore Qu'elle rassemble d'appas,
Lorsqu'aux yeux deTherpsicore Lesgraces formentsespas.
La Musique est de M.de S**.
Les Patolles de MBrunet.
THE NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR , LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
.
NOVEMBRE . 1761. 59
[
D'uneinjure trop cruelle ,
Q'elle eût bien vengé Cypris !
Toi , qui peux me rendre heureux ,
Toi , qu'implore ma tendreſſe ,
Pour embellir la jeuneſſe ,
Amour , prête- lui tes feux :
Céde au tranfport qui m'enflâme!
Daigne lui parler pour moi ;
Le foin de guider ſon âme
Ne doit regarder que toi.
Puiffe- t-elle fuir toujours
Ces Amans , que tout ombrage !!
Leur flâme eft comme l'orage
Qui trouble les plus beaux jours :
Que fur ta loi fouveraine
Elle régle fes defirs ;
Et que libre dans ta chaîne ,
Elle y fixe les plaifirs.
Un fidéle ſouvenir ,
Partout m'offre fon image ;-
Sans ceffe de mon hommage
Je pense l'entretenir.
Mais quel eft mon trouble extrême ?
Percé des traits les plus beaux ,
Amour , je crains que toi-même
Nefois un de mes rivaux.
C'vj
Go MERCURE DE FRANCE
Ah! fi ma fincère ardeur
Pouvoit feule un jour lui plaire ,
Dans les ombres du myftère
Cacherois - je mon bonheur ?
Non ; à qui voudroit m'entendre
Je dirois des feux fi doux ;
Le plaifir d'une âme tendre
Eft de faire des jaloux.
Les Parolesfont de M. BRUNET.
La Mufique eft de M. SAINSON , Officier aux
Gardes
NOVEMBRE. 1761. 6r
ARTICLE IE
NOUVELLES LITTERAIRES.
ATLAS méthodique & élémentaire de
Géographie & d'Hiftoire , dédié à
M. le Préfident HENAULT , par M.
BUY DE MORNAS , Géographe de
Mgr LE DUC DE BERRY , Profeffeur
de Géographie & d'Hiftoire.
A Paris , chez l'Auteur , rue S. Jacques
, à côté de S. Yves , & chez Def
même rue , àl'Enfeigne du Globe.
nos,
Le Public jouit enfin d'un Ouvrage que
Pon defiroit depuis fi longtemps , pour
enrichir la Jeuneffe des trésors de la
Géographie , de la Chronologie & de
l'Hiftoire . Il n'étoit pas aifé de trouver
une méthode fimple & facile pour mettre
ces connoiffances à la portée de toute
forte de Lecteurs. M. de Mornas en
nous faifant part de fon travail & de fes
réfléxions , nous indique la véritable route
qu'il faut fuivre , tant pour ne pas ren62
MERCURE DE FRANCE.
dre infructueux les foins que l'on fe done
ne dans le pénible emploi de l'éducation,
que pour en accélérer les progrès . La
voie eft fimple, il ne falloit que parler
aux yeux & amufer l'efprit fans trop l'occuper.
On peut dire que M. de Mornas a
réuni ce double avantage , par la fimplicité
& la netteté de fes plans , par la clarté
, par la folidité des principes , par les
recherches immenfes,par les obfervations
curieufes,& par l'intérêt qu'il a eu le talent
de répandre dans les difcours que l'on voit
fur les bordures de chaque Carte. Cette
première Partie eft compofée de 57 Cartes
qui nous donnent une connoiffance.
exacte de la fphère , de la terre, de l'eau ,
de l'air, du Ciel & des principes de Chronologie.
On voit à la tête de l'Ouvrage
le nom de M. le Préfident Hénault
à qui cer Atlas eft dédié . C'eſt un préfage
heureux pour le fuccès d'une entreprife ,
dont il veut bien paroître le Protecteur, &
accepter la dédicace.
M. de Mornas , après avoir montré
que la Géographie eft fondée fur trois
fortes de principes , 1 ° . Sur les propofi
tions de Géométrie , d'Arithmétique &
de Trigonométrie . 2. Sur les précep
tes & les théorêmes de l'Aftronomie. 3
NOVEMBRE. 1761 63
Sur l'expérience & les obfervations des
Voyageurs , expofe avec netteté le fyftême
de Ptolomée , de Ticho- Brahé , de
Defcartes , de Copernic , les ufages des
cercles de la fphère , & fait nombre d'obfervations
curieufes & particulières . Par
exemple , en parlant des points cardinaux.
& collatéraux , il fait voir que ces points
doivent être confidérés d'une manière abfolue
& d'une manière relative ; mais il
fait obferver qu'il n'eft pas aifé aujourd'hui
d'en déterminer la véritable pofftion.
Car comment affigner le Midi abfolu
des habitans de la Partie Méridiona
le de l'Afrique & de l'Amérique ; puifque
pour voir le Soleil à midi , ils font
obligés de fe tourner du côté de notre
Nord . Cette difficulté n'exiftoit point
avant la découverte de l'Amérique. Les
anciens regardoient avec raifon la Chine
comme leur Orient abfolu , & l'Eſpagne
comme leur occident abfolu : au lieu
qu'aujourd'hui nous ne pouvons guères
déterminer ces points. Les Afiatiques
font leur Occident de ce que nous faifons
notre Orient , & nous faifons notre Occident
de ce que les Américains font leur
Orient. On ne peut donc les regarder que
comme relatifs ; mais il faut bien pren
8
64 MERCURE DE FRANCE
dre garde aux lieux intermédiaires , fans
quoi on s'expoferoit à donner une fauffe
fituation aux différentes régions les unes
par rapport aux autres.
ސ
M. de Mornas en traitant de l'Eclyptique
, nous fait obferver que les Eclipfes
de Soleil de Lune , des Satellites de Jupiter
& de Saturne , & celles des Etoiles
fixes , fervent beaucoup à la Chronologie,
parce qu'elles font comme des points
Exes dans l'ordre des temps , qui procurent
à- peu-près les mêmes fecours aux
Hiftoriens, que les Obfervations des hauteurs
du Soleil procurent aux Naviga
teurs , en expliquant l'inégalité des faifons.
Il démontre pourquoi la chaleur eft
plus grande en Eté qu'en hyver , quoique
le Soleil fe trouve alors dans fon plus
grand éloignement de la Terre : il en donne
plufieurs raiſons : entr'autres il dit, que
cela vient de ce qu'en Eté les rayons du
Soleil étant plus perpendiculaires , tombent
en plus grande quantité & ont plus
de force ; au lieu qu'en hyver les rayons
traverſant obliquement l'air groffier de
notre Athmoſphère, perdent leurs forces ,
à caufe des différentes refractions qu'ils
font obligés de fouffrir. Cette Carte eft
très-curieufe. Il nous donne enfuite une
idée fuffifante de la fubftance tant inté
NOVEMBRE. 1761. 65
rieure qu'extérieure de notre Globe. Il'
entre dans le détail des opérations faites
pour déterminer la figure & la grandeur
de la Terre , & fait quantité d'obfervations
& de réfléxions particuliéres
fur les zônes , fur les climats , fur les longitudes
, qui font en trop grand nombre
pour les répéter ici. Il nous fait voir en
parlant des zônes , que la chaleur ou le
froid , ne vient pas feulement de l'approche
ou de l'éloignement du Soleil , mais
encore de la qualité & de l'expofition des
terres, des plaines ou des montagnes , des
lieux couverts ou découverts , des terres
féches ou humides , de la longueur & de
la brièveté des jours , des vents , des
pluyes , & c. Il eſt conſtant qu'à toures
les latitudes , & même fous l'équateur , la
chaleur diminue , & le froid s'augmente
à mesure que l'on s'éloigne de la furface
de la terre ; que les Pays fitués dans le
milieu des continens étant en général
plus élevés que ceux qui font vers les rivages
de la mer , éprouvent un froid plus
rigoureux , quoique fitués à la même
hauteur du pole ; enfin que les Pays font
plus ou moins froids , felon que leur terrain
eft plus ou moins élevé , plus ou moins
rempli de falpêtre , de fels fofiles & de
fel ammoniac. En parlant des climats ,
66 MERCURE DE FRANCE.
l'Auteur nous démontre que l'inégalité de
ceux de demie-heure, ne vient que de l'obliquité
du tropique , caufée par l'élévation
du pole , & que celle des climats de
jours , vient de la progreffion de la Terre
dans l'Eclyptique , qui eft toujours le milieu
du jour continuel quelque long, qu'il
foit. A l'égard des longitudes , il nous en
fait voir l'utilité . Dans la navigation elles
fervent à la conduite des Vaiffeaux , en
rendant leur route plus certaine . Dans la
Géographie elles contribuent à la perfection
des Cartes , dont il nous explique ,
la nature & les efpéces , les bonnes &
les mauvaiſes qualités , & les différentes
projections. On voit par ce qu'il nous dit ,
combien il eft difficile d'en conftruire de
parfaites , foit par l'inéxactitude des itinéraires
& des relations des voyageurs ,
foit par la longueur du temps qu'il faut
pour s'affurer de la précifion des obfervations
aftronomiques. Il nous fait enfuite
connoître les problêmes les plus curieux
de l'Aftronomie & les diftances itinéraires
des Anciens & des Modernes. Dans:
la divifion naturelle & Phyfique de la
Terre , M. de Mornas fait encore beaucoup
d'obfervations. Il regarde les montagnes
comme les liens qui forment la
Atructure du Globe , & les compare aux
NOVEMBRE. 1761. 67
côtes & aux os qui foutiennent le corps
de l'homme. Il les fait enfuite envifager
comme un effet admirable de la fagefle &
de la bonté de Dieu , par les avantages
qu'on en retire. En parlant des mers , il
fait obferver que la Méditerranée & la
Mer Baltique font pleines de goufres; que
la Mer Morte & la Méditerranée fe déchargent
dans la Mer Rouge par des canaux
fouterrains ; que la Mer Cafpierne
communique également par un pareil canal
au Golfe Perfique ; enfin que la Mer
du Sud , ou pacifique paroît beaucoup
plus haute que le Golfe du Mexique &
que l'Océan Occidental . Il expofe enfuite
en détail les différentes parties de la Mer
& de la Terre , les différens Gouvernemens
, les Religions , les Langues , & un
Tableau fort curieux de quantité de noms
Géographiques , qui en différentes langues
indiquent la fituation des lieux. On
voit par exemple , que le mot Altdorf en
langue Teutone fignifie vieux Village &
répond au mot François la Vienville. Bec,
en Normand & en anglo- Saxon , fignifie
ruiffeau , & indique qu'un lieu eft fitué
auprès comme Caudebec , Bec d'Ambez
, bec d'Allier , & répond au mot
Bach ou Pach des Allemands . Brica
Briva , Briga , en langue. Celtique ,
68 MERCURE DE FRANCE.
Bruck, en Allemand , Bridge en Anglois,
fignifie un pont , & indique que le lieu eft
fitué au paffage d'une rivière, fur un pont.
Dunum en Latin , Dun ou Down en
Anglois , Duynen en Flamand , ou Dunen
, ou Dinen en Saxon , indique qu'un
lieu eft fitué fur une hauteur. Fleur en
François , Fleat en Anglois , Fleet en Allemand
, fignifie qu'un lieu eft fitué près ·
de la mer. Conflant , Bec , Bouche , Cognac
, Cofne , Condé , Candé en François
, Mouth en Anglois , Mund en Alle--
mand , fignifie qu'un lieu eft à l'emboxchure
d'une rivière. Cette Carte eft plei--
ne de femblables recherches . M. de Mornas
nous donne enfuite en trois Cartestoute
la Théorie de l'air. Il explique les ·
propriétés de l'air , les effets de la refrac
tion , les caufes des différentes expériences
, la différence des vents , leurs caufes,
leurs directions , leur variation , leurs
bonnes & mauvaifes qualités ; enfin la
connoiffance , les caufes & les effets de
tous les météores: L'Auteur nous tranfporte
enfuite dans le Ciel , & nous donne
le détail de toutes lesconftellations , la manière
de connoître les principales Etoiles
dans le Ciel , les hauteurs du Soleil , les
caufes & les effets de la Parallaxe , la
Théorie des Cométes & celle des Plané
NOVEMBRE. 1761. 69
tes tant principales que fubalternes . Enfin
il termine fon Ouvrage par quatre Cartes
fur la diftribution du temps , fur les
Eres , fur les Olympiades, les Cycles , les
Périodes , & les Epoques . On peut regar
der cette première partie comme la production
la plus complette que nous ayons
en ce genre : elle eft de nature à nous
faire defirer la fuite de cette précieuſe
collection. En effet , le travail en eft immenſe
, la marche admirable , le plan
neuf , l'exécution parfaite , & par conféquent
l'acquifition néceffaire . La collection
entfère que l'Auteur fe propofe de
donner inceffamment peut tenir lieu de
Bibliothèque à bien des gens , puifqu'elle
contiendra une Hiftoire Politique , Militaïre
& Civile de l'Univers , une Chronologie
générale & une defcription exacte
de la Terre. Comme l'Auteur, vû les dépenfes
qu'il a été obligé de faire pour la
gravure de la première partie , ne peut
retirer les avances de long-temps , il fe
propoſe de donner les deux autres parties
par Soufcription. Nous aurons dans peu
occafion de parler du plan général de la
feconde partie qu'il va faire paroître inceffamment.
70 MERCURE DE FRANCE.
LA SCIENCE DU GOUVERNEMENT.
Noous avons déja annoncé le Ive Volume
de la Science du Gouvernement ,
fur le Droit naturel , dédié au ROI DE
POLOGNE.
Rien ne porte à la conviction comme
la jufteffe des comparaifons M. l'Abbé de
Burle à qui nous fommes redevables de
l'importante production de M. de Réal
fon oncle , s'écarte de la route ordinaire
de louer les Grands de la Terre . Diré à
un Roi qu'il eft généreux , libéral , affable
, bienfaisant , populaire , c'eft le lieu
commun des flatteurs ; mais former un
tableau qui manifefte ces qualités éminentes
, c'eft plaire au Prince avec autant
de décence que de certitude. Cette façon
de penfer a porté M. l'Abbé de Burle à
mettre fimplement la Tête du Roi auffi
reffemblante que bien gravée au Frontif
pice des Gouvernemens de l'Europe, avec
une Sentence prononcée par l'Oracle Divin
qui caractériſe ce grand Monarque ,
& pour ainfi dire l'apothéofe.
Tous les coeurs , toutes les voix fe réuniffent
fur le paralléle de Titus & de Staniflas
, également l'amour & les délices
NOVEMBRE. 1761. 71
des Peuples , ayant du regret de laiffer
paffer un jour fans le marquer par un
bienfait. Ce paralléle eft heureuſement
exprimé par quatre vers au bas du Portrait
du RoI DE POLOGNE.
Aux Héros bienfaiſans , jalouſes deſtinées ,
Vous retranchez en vain des États , des années
Titus & Stanislas auront fait moins d'heureux :
Mais l'un vit dans les cours , l'autre regne fur eux.
L'Épître dédicatoire à ce Prince eft
dans le même goût.
SIRE ,
M. de Réal , libre dans fes jugemens
affranchi de toute prévention de lieu &
de naiffance, écrit en habitant du Monde
qui cherche la vérité , qui aime fes femblables.
Avec cette liberté de penfer ,
SIRE , mon oncle a etabli les vrais prin
cipes du droit naturel , gravés dans le
coeur de Votre Majefté . Elle a prévenu
depuis longues années les fuffrages des
Puiffances de l'Europe ( a ) , dans un Mo-
(a ) Le Roi a donné des marques de fa fatisfaction
a l'Abbé de Burle le Roi d'Espagne de fa
générobité ; le Roi de Dannemarck de la bienveillance.
72 MERCURE DE FRANCE.
nument écrit de fa main ( a ) , à l'occafion
de trente - fix lettres qu'il eut l'honneur
de lui écrire. L'hommage que je fais à
Votre Majefté de ce Traité , eft une fuite
indifpenfable du zéle ardent & du plus
profond refpect de l'oncle & du neveu ,
SIRE,
DE VOTRE MAJESTÉ
Le très - humble, très- affectionné &
foumis Serviteur , l'ABBÉ DE
BURLE REAL DE CURBAN .
Dire à un Prince qu'il a les vrais principes
du Droit naturel , gravés dans fon
c'eft le plus grand des éloges. Pour ›
prifer cette élévation de fentimens , nous
fommes perfuadés qu'on verra avec fatiffaction
l'idée que M. de Réal donne du
Droit naturel.
IDÉE DU DROIT NATUREL.
Les régles de notre conduite ont une
fource primitive , où il eft néceffaire que
nous puifions des connoiffances qui fixent
(a) Je vous fuis bien obligé de votre exactitude ;
Rien n'eft fi beau que les écrits que vous m'envoyez
; je defire vivement d'en témoigner ma
reconnoiffance en toute occafion au très-digne
Auteur de ces Ouvrages,
notre
NOVEMBRE. 1761 . 73
notre entendement , & qui, en éclairant
notre esprit , déterminent notre volonté .
Pour juger des devoirs des Sujets envers
leurs Princes , des devoirs des Princes envers
leurs Sujets , & des obligations mutuelles
des hommes vivans dans les fociétés
civiles , ce qui eft l'objet de la
Science du Gouvernement , il faut d'abord
examiner les régles qu'avoient out
qu'auroient eu ces mêmes hommes vivans
dans l'égalité naturelle , & dans une indépendance
abfolue.
Les hommes ne vivent plus dans l'état
naturel ; ils n'ont même jamais vécu dans
l'état purement naturel ; & le droit naturel
eft néanmoins le premier principe de
leur conduite & la bafe de la Science du
Gouvernement. Ils ont renoncé à l'égalité
dans laquelle la nature les avoit fait
naître , & ils ont formé des Corps politiques.
Ils avoient des Droits , les ont- ils
encore? Ils étoient tenus de certains devoirs
, & ils ont contracté d'autres engagemens
. Quels font- ils ? Comme l'objet
de la Science du Gouvernement eft de
connoître ce que les hommes confidérés
dans ces corps moraux font obligés de
faire , ce qu'ils peuvent ou ne peuvent
point , ce qu'ils ont confervé de leurs
Droits naturels & ce qu'ils en ont cédé ;
D
74 MERCURE DE FRANCE.
ce qui leur eft refté de leur premiere liberté
& ce qu'ils en ont perdu , il faut
néceffairement remonter à la fource , &
examiner quels étoient leurs droits &
leurs engagemens dans l'état de nature ,
ce qui nous conduira à connoître quels ils
font dans l'état civil.
En parlant de l'état naturel dans ce
Traité , je n'entends pas parler , comme
l'on voit , de ce temps oppofé à celui de
la Loi écrite & à celui de la Loi de grace,
qui fourniffent des époques aux Chronologiftes
dans l'ordre de la Religion ;
car dans l'état naturel entendu de cette
manière ( a ) , il y avoit des fociétés civiles
, & les hommes ne jouiffoient par
conféquent plus des droits de la liberté
naturelle prife dans toute fon étendue.
L'état naturel dont je parle ici , eft celui
où l'on confidére les hommes hors de toute
fociété civile , libres de tous engagemens
contractés , & précifément tels que
la nature les fait naître.
L'homme naît dans la privation de toutes
chofes , dans les larmes , dans la douleur
, & il git d'abord dans un berceau
( a ) Voyez dans le Traité du Droit Eccléfiaftique
, l'idée de ce Droit , au I. Sommaire : Des
diverfes Loixfous lefquelles les hommes ont vécu
par rapport à la Religion .
NOVEMBRE . 1761 . 75
pieds & mains liés . Nous ne pouvons nous
représenter un homme qui feroit , pour
ainfi dire , tombé des nues , abfolument
abandonné à lui - même , fans reffource
dans les maux , fans appui dans les adverfités
, fans être ni favorifé de la Divinité ,
ni fecouru par fes femblables , que notre
imagination n'en foit éffrayée , & que
nous ne trouvions que cet homme feroit
extrêmement miférable . Enfant , il périra
infailliblement , à moins que , par une
forte de miracle, quelque bête ne lui donne
le fecours que la nature porte les bêtes
à donner aux animaux de leur efpéce ; &
s'il reçoit ce fecours imprévu & funefte ,
il fucera avec le lait la férocité de fa mère
nourrice . Homme fait , il fera nud ou
couvert de mouffe , fans ufage de la parole
, plein d'étonnement à l'afpect du Soleil
& de tout ce qui s'offrira à fa vue , environné
d'élémens qui concourent à le détruire
, attaqué par fes femblables , en
proie aux bêtes féroces , allarmé de tout ,
éffrayé au moindre bruit , livré à la triftelle
& à l'ennui , dans l'ignorance &
dans la défiance de fon fort , goûtant
pour appailer fa faim , de tout ce qui fe
fe préfentera devant lui , & fe défaltérant
de la premiere eau bourbeufe qu'il trouvera
, cherchant enfin à fe garantir des
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
injures de l'air , par fa retraite dans quel
que caverne ou dans le fond de quelque
épaiffe forêt. Quel malheureux genre de
vie ! Si , pour pouffer notre hypothèſe
plus loin , nous fuppofons que plufieurs
hommes fe trouvent à la fois dans cette
trifte & accablante fituation , & que quelques-
uns d'entr'eux fe rencontrent dans
un Pays défert , quel fecours fe donnerontils
les uns aux autres , également ignorans
, fans éducation , fans induſtrie ?
Pourroit- on n'être pas éffrayé de la feule
idée de la nature humaine confidérée en
elle - même , dans un abandonnement
total , dans la privation de tous les établiſſemens
infpirés à l'homme par la Divinité
, & de toutes les inventions purement
humaines !
Raffurons- nous pour le bonheur des
hommes. Jamais ils n'ont pu ſe trouver
dans cet état , pris dans toute fon étendue .
Un homme qu'un naufrage ou quelqu'autre
accident jette dans un défert ou dans
une Iſle inhabitée , ne fe trouve pas dans
toutes les circonftances de cet état purement
naturel que je viens de décrire . Il
conferve le fouvenir , & de l'induftrie
dont les hommes avec qui il a vécu lui
ont donné l'exemple , & de l'ufage des
commodités de la vie dont il a été le téNOVEMBRE.
1761 . 77
moin; il peut par là pourvoir en quelque
forte à fes befoins ; mais un enfant
exposé dans un défert , privé de tout ſecours
humain , y périroit infailliblement.
Graces à la Providence du Créateur ! Les
hommes en venant au monde font mis
entre les mains de leurs parens , par la
nature même , qui infpire aux pères le
foin de la confervation de leurs enfans ;
& le genre humain a eu des fecours qui
l'ont empêché de tomber dans cet état
terrible de mifére & d'abandonnement .
La Religion nous apprend que , par un
effet particulier de la Providence Divine ,
les premiers hommes apprirent de bonne
heure les arts les plus néceffaires à la vie ,
& que , portés par- là même , à la focialité,
ils fatisfirent à leurs befoins réciproques .
Il eft dit dans la Genèfe , que Dieu fit des
habits de peaux à Adam & à fa femme (a ),
c'eft- à dire , dans le langage Hébreu ,
qu'il leur enfeigna le moyen d'en faire.
Comment eft- ce que , deftitués de tout
inftrument de fer , ils auroient pu s'avifer
d'une telle invention , avant que la coutume
d'égorger les bêtes eût été établie ?
On peut inférer de - là que la Providence
( a ) Fecit quoque Dominus Deus Ada & uxori
jus tunicas pelliceas , & induit eos . Genef. III ,
21
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
Divine inftruifit les premiers hommes de
plufieurs autres chofes qui n'étoient ni
moins difficiles à inventer , ni moins
néceffaires à la vie. Dieu n'ayant pas
voulu que la terre produisit d'elle- même
ce qui étoit néceffaire à la fubfiftance
des hommes , & ayant expreffément -ordonné
à nos premiers parens de la cultiver
& de manger leur pain à la fueur de
leur vifage , il doit néceffairement leur
avoir enfeigné l'art de l'agriculture , la
nature des grains , le temps propre aux
femences , celui de recueillir la moiffon ,
la manière de faire du pain. Tout cela
n'auroit pu être découvert que fort tard ,
& il eft certain que les premiers enfans
Adam étoient laboureurs , & qu'ils
avoient par conféquent l'ufage du fer.
Ce que la Genèfe dit de Tubalcaïn , fils
de Lamech , qu'il peliffoit tout ouvrage
d'airain & de fer ( a ) , ne fuppofe point
qu'il fut l'inventeur de l'art de le forger ,
mais qu'il perfectionna cet art. Deux
Peuples différens qui tous deux ont por
té autrefois le nom de Chalybes , ont eu
la réputation , non d'avoir trouvé , mais
d'avoir perfectionné l'invention du fer.
Le premier eft une Nation de la Scy-
( a ) Tubalcain qui fuit malleator & faber in
cuncta opera aris & ferri, Genef. IV , 22 .
NOVEMBRE . 1761 . 79
thie qu'on prétend avoir la première
fouillé les mines de fer ; le fecond , une
Nation d'Efpagne fur les bords du fleuve
de Chalybes , qu'on nomme aujourd'hui
Cabbé , dont les eaux font excellentés
pour tremper le fer & pour en faire l'acier.
Sans doute , les premiers hommes
ont été inftruits par la Providence de
toutes les chofes néceſſaires à la vie .
Que fi dans la fuite quelques Peuples
furent dans l'ignorance de ces chofes ,
cela vint vraisemblablement de ce que ,
contraints par la violence des autres
hommes , d'abandonner des pays heureux
où ils en avoient l'ufage & de fuir
dans des pays déferts , ils ne purent les
y porter , ou négligérent de le faire. Les
anciens habitans de la Gréce ayant perdu
, on ne fçait par quel accident, l'ufa- .
ge du bled , vécurent long-temps de
glands & de fruits fauvages avant que
la connoiffance de l'agriculture fe renouvellât
parmi eux . Il n'eft pas aifé d'expliquer
au jufte , comment les hommes
perdirent le fouvenir des arts , pendant
les longues années de la barbarie où ils
furent plongés ; mais ce qu'on voit clairement
dans l'Hiftoire , c'eft que plus on
approche des lieux où les enfans de Noé
vécurent , plus on y trouve les Sciences
Div
So MERCURE DE FRANCE.
& les Arts dans leur perfection ; & que
plus on s'en éloigne , plus on les trouve
négligés ; de forte que , pour les rétablit,
il a fallu remonter à l'origine d'où ils
étoient partis.
Il eft conftant qu'aux établiffemens infpirés
par la Divinité , les hommes ajoutérent
plufieurs inventions ; que l'induf
trie humaine fut animée à la vue des
chofes que le Seigneur leur avoit apprifes
; que peu - à- peu les Arts fe perfectionnérent
; & qu'après avoir été comme perdus
, ils fe rétablirent. L'expérience &
l'induftrie , fi néceffaires aux befoins de
la vie , ne s'acquiérent que par la fucceffion
des fiécles. Cela paroîtra évident ,
fi d'un côté l'on fait réfléxion au temps
que les hommes ont employé à fe policer
, à inventer & à perfectionner les
Arts , & fi de l'autre l'on confidére que
plufieurs hommes n'ont contribué de quoi
que ce foit à cette invention , qu'ils ne
contribuent de rien à perfectionner les
chofes inventees , & qu'ils n'en comprennent
pas même le méchaniſme. Les
idées fe fuccédent , & les Arts ne s'inventent
que par imitation . Une premiere
idée renferme le germe d'une feconde
& celle- ci en fe développant , donne la
naiffance à une troifiéme , & ainfi de fuiNOVEMBRE.
1761. 8 .
te . C'eſt le caractère de l'efprit humain ,
il n'avance que par degrés dans fes productions
, femblable à la nature qui fait
& qui multiplie les fiennes , en s'imitant
& en fe répétant elle - même , lorfqu'elle
paroît le plus fe varier.
A toutes fortes d'arts & à toutes les
commodités de la vie , les hommes ajoutérent
l'établiffement des Sociétés civiles
qui en font la perfection. Que ne gagnerent
- ils pas à renoncer à une partie de
leur liberté & à fe donner des maîtres ?
Sous la garantie des Loix , nous pouvons
fans crainte voyager dans toutes les par
ties du monde habitable ; dans les pays
étrangers , fur la foi du droit des gens ,
dans le nôtre , fur la foi des Ordonnances
Royales. Elles font nos gardes pendant le
jour , nos fentinelles pendant la nuit, nos
efcortes fidelles en tout temps & en tout
lieu . En quelqu'endroit du Royaume que
je me tranfporte , je vois par - tout le Sceptre
de mon Roi qui affure ma route , qui
tient tout en reſpect , tout en paix , les
laboureurs dans les campagnes , les voyageurs
dans les forêts , les artifans dans les
villes , les marchands fur la mer. Il femble
que toutes les paffions foient défarmées .
le coeur peut bien encore recevoir fecreetement
quelques impreffions rebelles , mais
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
le bras retenu par la crainte , n'oſe plus
les fervir à leur gré. Semblable à ces tortens
qui coulent entre des montagnes , il
faut que les paffions fe refferrent dans leur
enceinte. S'il en eft quelqu'une qui déborde
encore malgré la digue que lui oppofent
les Loix , elles la font rentrer à l'inf
tant dans fon lit , pour ne plus défoler
que
fon propre terrein , ou du moins pour
ne caufer au dehors aucun ravage confidérable.
Que de mifère dans l'état purement naturel
! Que de grandeur dans les établiffe-.
mens infpirés aux hommes par la Divinité
& dans les inventions purement humaines
!
Les hommes ne peuvent être fans régle
dans cet état d'excellence où Dieu les
a mis . Il faut qu'ils en ayent une qui leur
préfente des principes fixes de conduite ,
& ils l'ont. C'eft dans les Loix qu'ils la
trouvent ; & comme la Loi naturelle eft
la première de toutes, & le fondement de
celles que les hommes ont établies , c'eſt
la Loi naturelle que je commencerai
l'explication de toutes les Loix .
par
La Loi naturelle eft une régle que la droite
raifon montre aux hommespour diriger
leurs actions , & pour leur faire
NOVEMBRE. 1961 . 83
appercevoir ce qui eft jufte & équitable
, foit qu'ils vivent en particulier ,
foit qu'ils foient membres d'un Corps.
La raifon toute pure a pofé les fondemens
de ce Droit , pour la fûreté du genre
humain & la nature même eft l'auteur
de cette régle, laquelle, dans fon origine ,
n'a d'autre livre que les efprits & les coeurs.
La philofophie morale eft proprement la
ſcience de l'homme , celle qui lui apprend
à fe connoître , à fe conduire , à fe rendre
utile à la Société . C'est la jufte application
des moyens propres à la fin que nous devons
nous propofer. C'est la proportion
des objets avec nos idées , la convenance
entre les actions & les objets de ces actions.
C'est l'impreffion de la lumière de
la raifon fur ce que nous devons à Dieu ,"
à nous-mêmes , & aux autres hommes.
Cette régle eft droite comme la raifon
qui la contient , parce qu'elle enfeigne le
chemin le plus court pour arriver au but
qu'on doit fe propofer. On Fappelle de
ce nom à caufe de la reffemblance naturelle
qu'elle a avec la ligne droite qui .
eft la plus courte entre deux points ; &
c'eft ainfi que les actions , étant comparées
avec la Loi qui eft la régle des moeurs,
font dites moralement bonnes ou droi
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
tes , fi elles s'y trouvent conformes .
Ce droit naturel eft divin , puifque Dieu
eft l'Auteur de la Nature , & que nous ne
tenons pas moins de lui la raifon que la
vie; que fa fageffe eft la régle de la raifon
en qui elle exifte éternellement ; &
qu'il eft cette lumière infinie & immuable
qui fe donne à tous fans fe partager ,
cette vérité fouveraine & univerfelle qui
éclaire tous les efprits , comme le foleil
éclaire tous les corps . La Loi naturelle
fondée fur la Raifon eft éternelle & immuable
comme la Raiſon .
רככ
» Nos plus grands Philofophes ont
penfédit Ciceron ) que la Loi n'eſt
point une invention de l'efprit humain,
ni un Réglement fait par les hommes ,
mais quelque chofe d'éternel qui régle
» l'Univers par la fageffe de fes commandemens
& de fes défenfes . Selon eux
cette première & dernière Loi eft l'ef-
» prit de Dieu même , dont la fouveraine
raifon fait faire ou empêche qu'on ne
faffe tout ce qui fe fait ou ne fe fait
point. C'eft de cette Loi que tire fa fageffe
celle que les Dieux ont donnée
au genre humain , laquelle n'eft autre
chofe que l'efprit du Sage , qui fçait
commander le bien & défendre ce qui
NOVEMBRE. 1761. ૪૬
35 y eft contraire ....... ( a ) Il y a une
raifon rapporte - t- il plus loin ) fondée
fur la nature même , qui porte au bien
» & qui détourne du mal ; & cette rai-
» fon a force de Loi , non -feulement du
» jour qu'elle eft redigée par écrit , mais
» dès l'inftant qu'elle commence à rayon-
» ner: or il eft dubitable qu'elle a com-
» mencé avec l'efprit de Dieu même ;
» c'eft pourquoi la Loi proprement dite ,
» la première & la principale Loi , celle
qui a vraiment pouvoir de commander
» & de défendre , eft la droite Raifon de
» Dieu même ( b ) . Cette Loi ( ajoute - t - il
( a ) Hanc igitur video fapientiffimorum fuiffe
fententiam : legem neque hominum ingeniis excogitatam
, neque fitum aliquod effe populorum , fed
aternum quiddam quod univerfum mundum regeret,
imperandi prohibendique fapientia. Ita principem
legem illam & ultimam mentem effe dicebant , omnia
ratione aut cogentis aut vetantis Dei : ex qua
illa lex quam Dei humano generi dederunt, rectè eft
laudanda . Cicer . de Legib . Lib . II .
( b ) Erat enim ratio menfque fapientis , ad jubendum
& ad deterrendum idonea .... Erat
enim ratioprofecta à rerum naturâ & ad rectè faciendum
impellens & à delicto avocans : quæ non tum
denique incipit lex effe cumfcripta eft ; fed tunc cum
orta eft : orta autem fimul eft cum mente divinâ ,
quamobrem lex vera atque princeps apta ad juben-,
dum & ad vetandum ratio eftfummi Jovis, Cicer.
de Legib. Lib. II.
86 MERCURE DE FRANCE.
"
و د
» ailleurs) , n'eft pas écrite au dehors, mais
» elle eft imprimée au- dedans de nous ,
» elle n'a été ni apprife ni reçue , mais
» plutôt prife , puifée , & tirée du fein
» même de la nature ( á ) . De toutes les
» chofes qui font matière d'entretien en-
» tre les fçavans ( dit auffi ce même Phi-
"
"
lofophe ) il n'y en a conftamment aucu-
» ne de plus éffentielle, que de bien com-
» prendre que nous fommes nés pour la
Juftice , & que le Droit n'eft point un
» établiffement de l'opinion , mais de la
» nature ; ( c'est - à - dire , fuivant le langa-
» ge de ce temps -là , de la raiſon ; ) cette
» vérité devient évidente ( ajoute - t - il en-
" core ) fi l'on jette les yeux fur les
fur les rap-
" ports d'égalité & de raiſon qui font en-
» tre les hommes ( b ). »
Je rapporte ces longs paffages , parce
qu ' eft utile qu'on voie ce que les Payens
( a ) Hæc eft enim non faca fed nat : lex quam
non didicimus , accipimus , legimus , verum ex naturâ
ipfa arripuimus , haufimus , expreffimus , ad
quam non docti , fed facti ; non inflituti ,fed imbuti
jumus. Cicer. Orat . pro Mil.
( b ) Sed omnium quæ in hominum doctorum difputatione
verfantur , nihil eft profectò præftabilius
quàm planè intelligi nos ad juftitiam effe natos , neque
opinionefed naturâ conftitutum effe jus . Id enim
patebit fi hominum inter ipfos focietatem conjunctionemque
perfpexeris . De Legib. Lib. I.
NOVEMBRE . 1761. 87
ont penfé de la Loi naturelle , en même
temps qu'on lit ce que les Chrétiens en
difent , afin que les efprits attentifs connoiflent,
dans le rapport de ce que les uns
& les autres enfeignent , combien eft court
le chemin de la Philofophie au Chriftianifme
. Si l'on retranche la pluralité des
Dieux , des expreffions qu'ont employé
dans leurs Ouvrages les plus éclairés d'en-.
tre les Philofophes du Paganifme , il n'y
en rette point dont les Chrétiens ne puiffent
fe fervir .
Qu'un grand Philofophe de nos jours
ait prétendu qu'il n'y a aucune idée innée ;
qu'il l'ait prouvé même , fi l'on veut , cela.
ne fait rien au fyftême que je développe
ici . Ce Philofophe a déclaré qu'il ne prétendoit
pas qu'il n'y eût que des Loix pofitives
. Il a uniquement voulu mettre de.
la différence entre une Loi innée & une
Loi de nature , entre une vérité gravée
originairement dans l'âme & une vérité,
que nous ignorons , mais dont nous pou-,
vons acquérir la connoiffance en nous
fervant , comme il faut , des facultés que
nous avons reçues de la nature ; & il a
fimplement foutenu que ceux qui fuppofent
une Loi innée, & ceux qui nient qu'il
y ait aucune Loi qui puiffe être connue
par la lumière de la raiſon , c'eft à- dire
88 MERCURE DE FRANCE.
fans le fecours d'une révélation poſitive ,
fe trompent également ( a ).
La perfuafion où nous fommes de l'exiſtence
d'un Dieu fage, bon,tout - puiffant ,
nous doit faire faire cette réfléxion : que
dépendans de cet Etre fouverain à l'égard
de notre exiſtence , nous en dépendons
auffi à l'égard de nos actions ; & que nous
fommes obligés de pratiquer tous les devoirs
qui font compris fous le nom de religion
naturelle. Jamais la Divinité ne
m'a parlé elle- même ( peut fe dire chaque
homme ) mais ne me parle -t- elle pas par
l'entremise de ma raifon ? Je dois donc
écouter cet interpréte fidéle , le feul
le feul que
je connoiffe jufqu'ici .
Les différentes Loix , je l'ai expliqué
ailleurs ( b ) , ne font que la Loi naturelle
appliquée aux hommes avec les modifications
convenables aux fituarions où ils
fe trouvent. Le Droit Civil , le Droit Pablic
, le Droit Eccléfiaftique , le Droit des
Gens , ont leur fondement dans le Droit
naturel. Aux preuves que j'en ai données,
j'ajouterai ici celles qui fe tirent de la
Religion révélée .
( a ) Locke , Effai fur l'entendement humain
Liv. I , Chap . II , v . 13 .
b ) Dans l'idée générale de la Science du
ouvernement qui eft à la tête de l'Introdu&t.
NOVEMBRE. 1761 . 89
Nous trouvons la Loi naturelle dans
celle que Dieu donna à nos premiers parens.
Adam , créé dans l'état d'innocence
, avoir les idées du bien & du mal
avant fa chûte . Il ne pouvoit comprendre
les ordres de Dieu , fans voir de l'honnêteté
dans l'obéiffance , & de la turpitude
dans la dérobéiffance. Le Législateur ,
dans la première Loi qu'il donne à Adam,
fuppofe que l'homme s'aime lui - même ,
puifque cette Loi eft fondée fur des promeffes
& fur des menaces. On lui propofe
le bien & le mal. On l'éclaire pour
connoître l'un & l'autre. On l'engage à la
reconnoiffance que la nature elle - même
nous preferit. Dieu lui demande un hommage
pour les faveurs qu'il lui accorde ,
& cet hommage confifte à s'abstenir de
manger du fruit d'un feul arbre. On lui
prefcrit le devoir de fa confervation . Au
jour que tu en mangeras , lui dit on , tu
mourras de mort ( a ) . C'eſt la Loi naturelle
accommodée à l'état où Adam fe trouvoit
alors . On ne pouvoit pas encore lui
défendre l'ufage des idoles qui lui étoient
inconnues , ni de blafphémer le nom du
Seigneur, lorsqu'il ne faifoit que commencer
de le bénir ; ni de tuer fon prochain
( a ) Genef. Chap . II , v.17 .
go MERCURE DE FRANCE .
qui n'exiftoit point encore ; ni de commettre
adultère, lorfqu'il n'y avoit qu'une
feule femme'; ni de dérober , dans un
temps où toutes chofes lui appartenoient,
ni de porter faux témoignage , quand il
n'en pouvoit porter que contre lui - même
; ni de convoiter , puifque toutes chofes
étoient à lui. Mais lorfque les hom
mes fe furent multipliés fur la terre , comme
ils changerent d'état , Dien retraça de
temps en temps la Loinaturelle & la donna
aux hommes.
Les Ifraëlites avoient été délivrés de la
captivité d'Egypte par le Seigneur. Le fu
prême Légiflateur s'enveloppe , pour ainfi
dire , de cebienfait , pour les porter à l'òbéiffance
qu'ils lui devoient. Jefuis le Sei
gneur ton Dieu , qui t'ai retiré hors du
pays d'Egypte,de la maifon de fervitude.
Tu n'auras point , ( a ) &c . On voit bien
que ce motif eft particulier aux Ifraëlites ,
& qu'il n'a pas la même force fur le coeur
des hommes qui n'ont point eu de part
cette délivrance. Le Décalogue eft l'abrégé
du droit naturel , & tous les principes
de l'Ancien Teftament n'en font que l'explication
proportionnée à l'état & aux befoins
du Peuple d'Ifraël. Les grands motifs
( a ) Exod . Chap. XX , v. 2 .
NOVEMBRE. 1761
qui foutiennent cette Loi font les béné
dictions & les malédictions temporelles ,
parce que le temps n'étoit pas encore venų
de révéler clairement la vie & l'immortalité
bienheureuſe en Jefus- Chrift.
Si la Loi de Moyfe étoit la Loi naturelle
accommodée à l'état de la nature
périffable , la Loi de J. C. eft la Loi naturelle
accommodée à l'état de Chrétien
& d'homme immortel . Cela paroît allez
par l'économie des deux Loix . Sous l'ancienne
, Dieu ne femble fe manifefter que
pour ouvrir les abîmes de la terre , pour
embrafer les montagnes , pour menacer
les corps de fes Jugemens , ou pour exécuter
les Arrêts de fa Juftice fur la nature
périffable . Sous la nouvelle , on voit des
hommes méprifer la rigueur des élémens
& la perfécution des hommes , foufftir
avec autant de conftance que s'ils fouffroient
dans un corps emprunté , tranf
portés de joie au milieu du fen qui les
confume , & triomphant de voir diffoudre
ce compofé que les autres hommes
confervent fi précieuſement . Pourquoi
cela ? parce que ces hommes animés de
Pefprit de Dieu , font foutenus par l'idée
de l'éternité que la miféricorde de Dieu
leur a fait connoître diftinctement.
L'Evangile a tout réduit à la première
92 MERCURE DE FRANCE
inftitution , au Droit Naturel . Dans l'ancienne
Loi Dieu avoit prefcrit plufieurs cérémonies
pour retenir dans le devoir une
nation indocile & attachée aux chofes
fenfibles ; & le Droit que Dieu donna à
fon Peuple du temps de Moyfe , renferme
plufieurs chofes au-delà du Droit Naturel
, lefquelles n'étoient fondées que fur
le bon plaifir de Dieu . Mais il n'y a rien
dans l'Evangile qui ne foit de Droit Naturel,
fi on en excepte les vérités qui font
l'objet de notre foi , l'ufage des Sacremens
qu'il a établis , beaucoup de pratiques
qu'il ordonne ou qu'il confeille , dont
le Droit Naturel n'éxigeroit pas l'exercice
, quoiqu'elles foient très - conformes à
l'honnêteté naturelle , & quelques autres
obfervances que J. C. a interdites , & dont
le Droit Naturel ne nous éloigneroit pas
abfolument, quoique la raifon toute feule
fuffife à montrer qu'il eft mieux de s'en
abstenir que de fe les permettre
.
Le reste au Mercure prochain.
NOVEMBRE . 1761. 93
ÉLOGE
HISTORIQUE de Monfeigneur
LE DUC DE
BOURGOGNE , par
M. LEFRANC DE POMPIGNAN ,
de l'Académie Françoife. A Paris ,
de l'Imprimerie Royale , in- 8 ° .1761 .
' ÉPITRE Dédicatoire , l'Avertiffement
& le corps de l'Ouvrage font les trois
parties de cette Brochure intéreffante ,
qui méritent chacune féparément , d'arrêter
les regards & de fixer l'attention de
nos Lecteurs.
""
L'Épitre eft adreffée à MONSEIGNEUR
ود
LE DAUPHIN & à MADAME LA DAUPHINE.
C'est par leurs ordres que l'Auteur leur
préſente un Ouvrage dont ils avoient daigné
entendre la lecture , & qu'ils avoient
honoré de leur approbation . » C'eft , dit
» M. de Pompignan , c'eft l'Histoire &
l'éloge d'un Prince que vous pleurez
» encore , parce que c'étoit votre fils , &
» que la France pleurera toujours , parce
qu'il vous eût reffemblé ....... C'eft
» la première fois qu'on a écrit la vie d'un
» enfant de neuf ans ; mais c'eft la premiè
» re fois auffi qu'une vie de neuf ans a
mérité d'être écrite. Celle- ci.... fera
"
ود
94 MERCURE DE FRANCE.
ود
ود
35
» l'étonnement de nos neveux , & embel-
» lira les Faftes de la première Maiſon de
l'Univers. Il étoit réservé à cete Maiſon ,
» fi féconde en Héros de tous les genres ,
de nous offrir encore de nouveaux modéles
d'héroïfme , dans les enfans même
qu'elle produit .... Ce doit être un
foulagement à votre douleur , d'imagi-
» ner , en vous rappellant celui qui en eft
l'objet , que vous - même le propoſerez
» pour exemple à vos arrières- petits- fils ,
» & que l'Hiftoire de fa courte vie fera
» éternellement l'école des jeunes Princes
» de votre poftérité.
98
အ
»
95
"3
L'Auteur s'adreffe enfuite à MADAME
LA DAUPHINE , & lui dit : » C'eft fur vous
qu'il tourna fes derniers regards ; c'eſt
à vous qu'il adreffa fes dernières paro-
» les .... Vous ne trouverez l'adoucife-
» ment de vos regrets , que dans vos ver-
» tus , & dans celles de l'augufte époux à
qui vous avez donné cette précieuſe famille
, où le réuniffent vos confolations.
nutvélles , notre efpérance & notre
"félicité . Fille de ces Princes belliqueux ,
» qui diſpurécent fi longtemps à Pepin &
à Charlemagne les plus nobles Provin-
» ces de la Germanie , vous avez mêlé au
plus beau fang du monde , le fang illuffre&
courageux des Héros Saxons . Ils
""
و د
19
NOVEMBRE . 1761 195x
و د
ور
Vous ont appris à fupporter avec fermeté
» les malheurs de la condition humaine .
» Élevée par une mère magnanime , qui a
» mérité les larmes & l'admiration de tou-
» te l'Europe , vous trouverez dans votre
» nouvelle Patrie , & dans la Cour d'un
» Roi qui vous chérit comme fa fille
», une autre mère auffi tendre & auffi ver-
» tueufe , qui fait fon bonheur du vôtre ,
» & de celui de tous fes enfans . C'eft dans
» les charmes de cette fociété Royale ,
» & bien douce , que des mains chéres
» éffuyeront vos pleurs , & c.
,
Cette Epître auffi noble qu'attendrif
fante , eft fuivie d'un avertiffement fur la
certitude des Mémoires qui ont fervi à
la compofition de cet Eloge Hiftorique .
On fçait combien on exagere ordinairement
dans tout ce qu'on dit des talens
extraordinaires , & des qualités rares des .
enfans, & furtout des enfans des Princes.
Ce n'eft point fur de pareils matériaux qu'a,
été fait l'Eloge de M.le DUC DE BOURGOGNE.
Quoique ce Prince eût beaucoup d'efprit,
on n'a répété de lui ni épigrammes , ni
bons mots; mais il ne difoit ni ne faifoit
rien qui ne fût un trait de caractère ;
& c'est à quoi on s'eft attaché principalement
dans le détail des faits qu'on
nous remet fous les yeux. Larfqu'il a fallu
96 MERCURE DE FRANCE.
citer fes propres paroles , on s'eft impofe
la loi de les rapporter fans aucun changement
, & fans la moindre altération ,
telles qu'elles ont été confervées par les
perfonnes qui avoient eu le bonheur de
lés recueillir de fa bouche.
C
Au récit des faits , M. Lefranc de Pompignan
mêle fouvent des réfléxions qui
les précédent ou qui les fuivent. Dans
l'extrait que nous allons en faire , nous
choifirons les traits les plus intéreffans .
"
On entretenoit un jour Mgr LE DUC DE
BOURGOGNE des haures qualités du Roi fon
Ayeul, & de la maladie qu'il avoit élluyée
à Metz. » On lui peignoit des couleurs les
plus vives & les plus vraies , cette épo-
» que attendriffante, cette défolation uni-
» verfelle, qui n'eût pas été plus grande fi
» l'Ange de la mort eût menacé la France
» entière. Ces témoignages d'affection fi
« éclatans & fi extraordinaires, que pour en
» bien juger , il faut en avoir été témoin ;
» on lui apprenoit furtout que ce fut en
» cette occafion que les François donné-
» rent à leur Roi ce nom précieux , ce
» titre unique , né du fein de la douleur
» & de la joie, & formé par acclamation.
» Ce récit l'échauffoit , le tranfportoit.
Ah!
que le Roi , s'écria -t - il , dut êtrefenfible
à sant d'amour , & que j'acheterois
volontiers
و د
NOVEMBRE . 1761. 97
volontiers ce plaifir au prix d'une pareille
maladie .
Le jeune Prince , continue l'Auteur ,
poffédoit fupérieurement la Langue Françoifeil,
la parloit avec une correction
& une pureté qui étonnoit. Clair & concis
dans tout ce qu'il difoit , il vouloit ..
qu'on s'énonçât avec netteté & préciſion
lorfqu'on avoit l'honneur de lui parler.
Sa délicateffe fur cet article étoit extrê
me. Il fe contraignoit pour ne pas marquer
une forte d'impatience quand on
lui parloit , ou qu'on lui expliquoit quelchofe
d'une manière obfcure.
que
On avoit préfenté à Mgr le Duc de
Bourgogne une Table chronologique de
tous les Rois de France, depuis la fondation
de la Monarchie. Les Hiftoriens qui
remontent jufqu'à Pharamond, en comptent
ordinairement foixante- cinq. Il fe
figura que tous ces Rois étoient les ayeux ;
& l'on remarqua que fon coeur s'en élevoit
fenfiblement. Le Duc de la Vauguyon
crut qu'il étoit bon de lui dire
qu'on n'avoit point de preuves que les
Rois de la troifiéme Race defcendiffent
de la première , ni même de la feconde.
Il en parut étonné , & répondit avec
une forte de dépit : Au moins, Monfieur,
je defcends de S. Louis & de Henri IV.
E
98 MERCURE DE FRANCE
Ce Prince jouoit un jour tête-à-tête
avec un de fes Sous- Gouverneurs. Il y
cut un coup douteux & qui méritoit d'être
décidé. Le Duc de Bourgogne foutenoit
avec chaleur qu'il avoit gagné ; le Sousgouverneur
de fon côté foutenoit la
même chofe ; & pour éprouver le Prince,
il affectoit autant d'ardeur & d'obftination
que lui. Vous croyez avoir raifon ,
lui difoit-il , & moi auffi . Qui eft- ce qui
cédera ? Ce fera vous , repliqua le Duc
de Bourgogne d'un ton un peu altéré ;
& tout de fuite prenant un air ferein , il
ajouta : parce que vous êtes le plus raifonnable.
On voulut dans une occafion lui faire
honneur d'un de fes avantages remportés
fur lui-même ; on écrivit fur un papier :
Monfeigneur le Duc de Bourgogne fera
un grand Prince ; il commence à maîtrifer
fes paffions. On avoit mis l'écrit
fur fon bureau. A peine avoit-il achevé
de le lire , qu'on vint l'avertir que Mgr
le Dauphin le demandoit. Il prend le
biller , le met dans fa poche , & n'eft
pas plutôt arrivé fur le degré , qu'il le
laiffe adroitement tomber derrière lui.On
s'en apperçoit ; & comme on lui en demanda
la raiſon : C'eft , répond-il , que
quelqu'un trouvera ce papier , le ramaf
NOVEMBRE. 1761 99
fera , lira ce qu'il contient , & le répandra
dans le Public. Ce jeune Prince aimoit
la célébrité que donnent la gloire &
le mérite. Il fouhaitoit qu'on parlât de
lui en bien ; & c'eft une preuve qu'il af
piroit à bien faire.
Mais s'il étoit fenfible à la louange
juſte & méritée , il haïſſoit & mépriſoit
la flatterie. Quelqu'un s'avifa de lui donner
des éloges qui fentoient l'adulation .
Monfieur, lui dit -il , vous me flattez , je
n'aime point qu'on me flatte , & le foir
en fe couchant il dit à fon Gouverneur :
ce Monfieur meflatte ; prenez garde à lui
M. de la Vauguyon lui avoit demandé
lequel de fes trois garçons de la cham
bre il aimoit le mieux ? C'eft un tel , ré
pondit-il , parce qu'il ne me paffoit rien
dans mon bas áge , & qu'il alloit redire
tout ce que je faifois de mal , afin que
L'on me corrigeát.
La médifance lui déplaifoit fouverainement.
Quelqu'un parloit affez mal devant
lui d'un homme dont la naiſſance.
méritoit des égards. Il le fit approcher &
lui dit : Je trouve fort mauvais que vous
parlier ainfi devant moi d'un homme de
condition , n'y revenez plus.
M. le Duc de Briffac , que le Prince
aimoit & eſtimoit infiniment , lui dit un
E ij
Zoo MERCURE DE FRANCE. -
jour ; Monfeigneur à votre première
campagne , je vous demande d'étre votre
Aide de Camp. Non , Monfieur le
Duc , répondit le Prince , vous ferez alors
Maréchal de France , & vous me donnerez
des leçons.
A
•
Le ministère de M. de .... donnoit
les plus belles efpérances , dit M. de
Pompignan les premières opérations
avoient répandu la joie & ranimé le
crédit. Dans ces commencemens , il eut
une maladie qu'on crut d'abord férieuſe ,
& qui ne dura pas. Le jeune Prince qui
l'entendoit louer tous les jours , & par
toutes les bouches , & de toutes les façons
, parut très- inquiet fur fon compte.
Il s'informoir fouvent & avec grand foin
de fes nouvelles. On étoit furpris d'une
attention fi marquée , & on lui en demanda
le motif. Rien de plus fimple ,
répondit- il , j'entends dire à tout le monde
qu'il fert bien le Roi & l'Etat.
r Quand on annonça à M. le Duc de
Bourgogne qu'on devoit ouvrir la tumeur
qu'il avoit au haut de la cuiffe , il
n'en fut ni furpris ni éffrayé. Je m'y attendois
, dit il froidement ; j'avois entendu
dire il y a quelque temps à M. Senac
qui dans ce moment me croyoit endormi
, que je ne m'en tirerois que par une
opération ; je n'en ai point parlé , de
NOVEMBRE. 1761 101
peur qu'on ne crit que cela'm'inquiétoit.
Donnez-moi cependant un demi quart
d'heure pour prendre mon parti. Il voulut
voir les inftrumens dont on fe ferviroit;
il les confidéra, les mania avec un fangfroid
admirable, & s'abandonna tranquillement
aux apprêts & aux rigueurs de l'opération. "
Dans un des premiers jours qui la ſuivit , le
Prince fe trouvoit beaucoup mieux ; il
écrivit à Monfeigneur le Dauphin ce billet
remarquable : » Je commence à me
» mieux porter , je vous prie de me per-
» mettre de continuer mes études ; j'ai
grand peur d'oublier & grande envie
» d'apprendre. Il ne voulut point écrire
cette Lettre , fans en prévenir fon Gouverneur.
M. de la Vauguyon , lui dit- il ,
je vous prie de me permettre d'écrire une
Lettre à quelqu'un , & de ne la pas lire."
Je le veux bien , lui répondit M. de la
Vauguyon ; parce que je fçais que vous
étes très-raifonnable , & que j'ai grande
confiance en votre fageffe. Il l'écrivit; &
comme il étoit au moment de la cacheter ,
il appella M. de la Vauguyon & lui dir :
tenez, voilà ma Lettre ; lifez-la ; je ne
puis me réfoudre à avoir un fecret pour
yous ..
»
Plus de quatre mois après l'opération ,
le jour de la S. Louis , il fe trouva aflez
E iij .
702 MERCURE DE FRANCE.
bien pour s'habiller. Il alla chez le Roi &
chez la Reine ; mais il revint dans fon
Appartement fort fatigué. On lui propofa
de fe mettre dans fon lit , ou du moins à
fon aife , & en robe de chambre. Non
dit- il,je veux recevoir la Ville de Paris ;
cela convient.
•
Cependant le mal avoit fait fecrettement
dans fon corps des progrès & des
ravages mortels. Pour le difpofer au double
facrifice de fa vie & d'une Couronne
temporelle , M. l'Evêque de Limoges ,
fon Précepteur , lui fit lire la Paffion de
Wotre Seigneur dans Evangile de S.
Jean . Quand on en fut à ces paroles , mon
Royaume n'eft pas de ce monde , le Prélat
lui dir que ce paffage le regardoit ; qu'il
n'y avoit plus pour lui de Royaume fur
la tèrre ; qu'un autre régneroit à fa place ;
que le Ciel étoit déformais le feul Empire
auquel il dût penfer. Il fut un peu etonné
de ce difcours , mais fans douleur ni foibleffe
: C'en eft fait , dit - il , vous te
voulez, o mon Dieu ! Je me foumets à votre
volonté. Mon Royaume n'efl pas de
ce monde. Il n'y penfa plus.
Cependant l'heure fatale approchoir.
Le moment eft venu , dit le Prince ; donnez-
moi le Crucifix. Il le prend , & colle
fes lévres mourantes fur le figne adorable
NOVEMBRE. 1761. 103
du falut. Son facrifice fe confomme ; il
va tout quitter & ne regrette rien. Que
dis-je la nature , de l'aveu même de la
Religion , exige encore de lui un tribut &
des adieux ! Ses regards femblent attirés
par un objet invifible ; & foit qu'il cherchât
des yeux cette mère augufte qu'il
avoit tant chérie , & qu'il laiffoit fur la
tèrre ; foit que par l'effet d'une imaginagination
frappée , il crût la voir réellement
, il s'écria d'une voix animée : Ah!
maman ! maman ! c'étoit l'éffor d'une
âme qui rompt fes liens. Il répéta encore
une fois ces expreffions & tendres , fit un
Acte d'amour de Dieu , & rendit le dernier
foupir.
翦
Jufqu'à préfent l'Auteur a couvert d'un
voile l'accablement affreux où étoient
plongés Monfeigneur le Dauphin & Madame
la Darphine.Il ouvre enfin le rideau,
& les expofe aux regards refpectueux de
tous les hommes fenfibles. » A fix heu-
» res du matin , le Duc de la Vauguyon
paffa chez le Roi. Sa Majefté n'étoit
que trop préparée à la funefte nouvelle
qu'on venoit lui annoncer. Elle ordon-
» na au Duc de defcendre chez Monfei-
» gneur le Dauphin ; il s'y rendit fur le
champ , & fit dire au Prince que Mgr.
le Duc de Berry fe portoit bien , & que
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
1
"
30
ود
» le Duc de la Vauguyon étoit là . Ce
" peu de mots fignifioient tout. Le pre-
» mier effet qu'ils produifirent fe conçoit,
» mais ne ſe rend pas. Cependant le Roi
vint chez Madame la Dauphine , qui
» tomba fans connoiffance dans fes bras.
Monfeigneur le Dauphin paroît ; on
» amène le Comte de Provence & le Comte
d'Artois. La Reine arriva ; Mefdames :
a l'avoient précédée ;. toute la Famille
» Royale étoit dans le même lieu . Quels
» objets majestueux & touchans ! quel
» fanctuaire de douleur ! Les petits Princes
fondent en larmes ; leur mère évanouie
; fon augufte époux renversé dans
» un fauteuil , la tête appuyée fur le fein
du Duc de la Vanguyon , fans couleur ,,
fans paroles , fans pouls , fans refpira-.
» tion , & dans un état fi violent , frextraordinaire
, que quelques minutes de
" plus pouvoient le rendre dangereux .
» Le Roi & la Reine occupés à fecourir
» leurs enfans, la tendreffe conjugale , l'a-.
» mour paternel & filial , l'affection fra-
» terneile , tous les fentimens de la na-
» ture déployés & agiffant à la fois fur
» tant de perfonnes royales , qui mêloient
»enfemble leurs gémiffemens & leurs confternations.
"
Ceft par ce morceau touchant & patheNOVEMBRE
. 1761. TOS
tique que M. de Pompignan termine l'Eloge
Hiftorique de Mgr le Duc de Bourgogne.
Tout ce que le fentiment a de
plus tendre y eft exprimé dans la plus noble
fimplicité. On y apprend aux François
ce qu'ils ont perdu , aux enfans des
Rois ce qu'ils doivent imiter . C'eft plutôt
ici un tableau qu'une hiftoire ; mais le tableau
des qualités qui font le bonheur des
Peuples , eft préférable à l'hiftoire des actions
qui les rendent malheureux .
PROSPECTUS d'un Ouvrage intitulé
FLORA DANICA , avec une planche qui
repréſente le RU BUS CHAMAMORUS.
M. l'Envoyé de Dannemarck nous a communiqué
ce Profpectus , en nous priant
d'en faire mention dans le Mercure. On
y verra avec quel foin un Roi pacifique
& bienfaifant s'applique à ranimer les
talens qu'il protége , & à faire fleurir les
Sciences jufqu'aux extrémités du Nord.
*
Il y a quelques années que le Roi de
Dannemarck établit à Coppenhague
dans fon Palais un Jardin de Botanique ,
où doivent fe trouver toutes les efpéces
de plantes qui croiffent en Europe. En
attendant que l'on donne une defcrip--
tion exacte de toutes ces différentes's
106 MERCURE DE FRANCE.
plantes , Sa Majefté Danoife a ordonné
à M. Oder , Docteur en Médecine , &
Profeffeur Royal en Botanique , de publer
toujours la deſcription de toutes
celles qui viennent dans les Royaumes
de Dannemarck , de Norwége , & dans
tous les Etats qui font fous la domination
de ce Monarque . C'eſt de cer Ouvrage
que nous annonçons le Profpectus,
& pour lequel on pourra fonferire chez
les Libraires faivans : A Paris, chez Bouder
, rue S. Jacques , & Durand , rue
cu Foin ; à Lyon , chez Duplain : à Marfeille,
chez Favel ; à Montpellier , chez
Rigand , à Nanci , chez le Seure ; à
Rouen , chez Lallemand ; à Rennes, chez
Vatar; à Bordeaux , chez Chapuis , aufquels
on a envoyé un nombre convena-
Ele d'exemplaires de ce Profpectus.
La principale vue du Roi de Dannemarcken
ordonnant la publication de
cet Ouvrage , a été de répandre parmi
fes Sujets les connoiffances des plantes
qui croiffent fous leurs yeux ; & que par
ce moyen certe Science fi utile ne foit
pas uniquement réſervée à un petir nombre
de Sçavans. Outre ce but principal ,
Sa Majesté veut encore que ce Livre
puiffe fervir aux Étrangers ; & pour cela
IPAuteur y comprendra auffi toutes les
NOVEMBRE. 1761 .
107
plantes d'une partie très confidérable de
la Terre ; c'eft à- dire depuis le 53 ° degré
de latitude jufqu'au cercle polaire ; en
un mot , toures celles de l'Europe Septentrionale
; & l'Ouvrage fe publiera en
Danois , en Allemand & en Latin. On ne
doute pas qu'il ne foit bientôt traduit
dans toutes les Langues.
?
Dans la crainte que cette entrepriſe
une fois commencée ne difcontinue , le
Roi de Dannemarck a voulu qu'elle fûr
T'Ouvrage de l'Inftitut Royal de Botanique
, & que chaque Profeffeur fervant
à cet Inftitur , fût tenu de le continuer ,
en cas que fon prédéceffeur l'ait laiffé
imparfait , & de travailler à fa plus grande
perfection , quand une fois il aura
paru tout entier.
M. Eder remarque judicieufement que
i quelque Prince au Midi de l'Europe
ordonnoit fur les plantes de fon Pays , un
Ouvrage femblable à celui qu'il entreprend
par ordre de fon Souverain , on au-
Toit bientôt un Corps complet de Botanique
également utile à toutes les Nations
Suivant les vues de Sa Majesté Danoile ,
il fera traité dans la Flora Danica , nonfeulement
de la connoiffance des plantes ,
mais auffi de leur ufage . Cette entreprife
fe divife donc en deux parties principales .
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
1 ° . Ce qui regarde la Botanique pure. 2 °.
Ce qui concerne cette fcience appliquée
aux ufages humains . Il n'eft queftion préfentement
que de la première partie. On
y féparera les Eftampes d'avec le Texte,
pour la facilité de ceux qui ne voudront
pas faire la dépense des Eftampes . On ne
mettra qu'une feule efpéce de plante fur
chaque planche ; & les plantes qui n'excédent
pas en grandeur la feuille de papier
In-folio , conferveront leur grandeur
naturelle ; celles au contraire qui furpaf
fent cette feuille de beaucoup , fe repréfenteront
d'abord en petit ; & l'on join
dra à côté une branche , ou une partie
remarquable , dans toute fa grandeur.
Ces planches feront faites & colorées d'après
nature , fur des plantes fraîches, par
MM. Rofler père & fils, l'un Graveur,l'autre
Déffinateur de l'Inftitut Royal de Betanique
.
La publication des Eftampes fera commencée
féparément & avant celle du
Texte , & ce Recueil contiendra nonfeulement
les Figures des plantes rares ,
mais auffi celles des plus communes , fans .
aucune exception . Le Difcours & le Texte
, diftingué des Eftampes , contiendra
trois parties. 1 ° . Des élémens de Bota- -
nique avec une Differtation fur la Natu
T
NOVEMBRE. 1761. 1097
re & les régles pour l'enfeigner. 2°. Un
Catalogue des plantes fpontanées dans
les Royaumes de Dannemarck & de
Norwége , dans les Duchés de Slwic
& de Holftein , & dans les Comtés d'Ol---
denbourg & de Delmenhorst. 3º . Un
Recueil de defcriptions plus détaillées des
mêmes plantes.
Le Catalogue devant être portatif pour
fervir dans les herborifations , ne contiendra
des caractères de chaque plante ,
que ce qu'il faut pour la diftinguer . Le
Recueil des defcriptions fuppléera au
refte . Quoique ces trois parties ne compofent
enfemble qu'un même ouvrage ,
elles fe vendront néanmoins féparément,
afin que chaque Amateur de Botanique
foit fervi felon fes facultés. La première
partie fe donnera aux Habitans du Pays ,
à la fin de l'année 1762 ; les Etrangers ne
pouvant la recevoir qu'en l'année 1763 .
Les Eftampes fe diftribueront par
cahiers. Le premier qui contiendra foi--
xante planches , paroîtra à Pâques de l'année
1762 ; les autres compofés du même
nombre , fe fuivront d'année en année .
On ne prend aueun argent d'avance ; &
toute la foufeription ne confifte qu'à fe faire
infcrire au nombre des Soufcripteurs . Il
eft furtout néceffaire que ceux qui fouhai;
tent des planches enluminées , les demans.-
TO MERCURE DE FRANCE.
dent expreffément ; car on n'en enluminera
qu'autant d'Exemplaires qu'on en
aura demandés . Comme l'Ouvrage fe publie
aux dépens du Prince par les foins de
M. Eder , & que ce dernier eft reſponfable
de chaque Exemplaire, les Soufcripteurs
comprendront qu'il ne peut le défaire
d'aucun fans argent comptant , &
que les frais des Envois , ainfi que ceux
de la correfpondance , & tous les rifques
du voyage feront pour le compte des Acquéreurs.
Le prix de la Soufcription pour
chaque cahier d'Eftampes en noir eft fixé
à quatre écus , argent courant de Dannemarck
, & à neuf écus l'Exemplaire enluminé
; ceux qui n'auront pas foufcrit jufqu'au
mois de Janvier prochain, payeront
un quart en fus de ce prix.
LA GRANDEUR D'AME.
·Exaltavit ut Gigas ad currendam viam ,. å
fummo calo egreffio ejus. Pfal. 18. v. 6.
Par M.He Marquis de Caraccioli , Colonel
au Service du Roi de Pologne , Electeur
de Saxe , dédié à S. M. Impériale &
Royale Apoftolique . Volume in 12.1761.
Francfort , en Foire , chez J. F. Baf
fompierre Libraire à Liége ; chez J
•
NOVEMBRE. 1761 .
Vanden Berghen , Libraire à Bruxelles ;
& le trouve à Paris , chez Nyon , Libraire
, quai des Auguftins. Nous parlerons
, avec plaifir , plus amplement de cet
Ouvrage.
RECUEIL Contenant les délibérations
de la Société Royale d'Agriculture de la
Généralité de Paris , au Bureau de Paris
depuis le 12 Mars jufqu'au 10 Septembre
1761 ; & les Mémoires publiés par
fon ordre pendant le même temps. In-8 ° .
1761. Prix , 1 liv. 4 f. broché. A Paris
chez la veuve d'Houry , Imp . Lib. rue
zue S. Severin, près la rue S. Jacques.
--PANÉGYRIQUE de S. Louis , Roi de
France , prononcé dans la Chapelle du
Louvre , en préfence de MM. de l'Académie
Françoife , le 25 Août 1761. Par
M. l'Abbé de Beauvais , Prédicateur du
Roi. In- 8°. Paris , 1761. Chez la veuve
Brunet , Imp. Lib. de l'Académie Françoiſe
, Grand' - Salle du Palais . Nous rendrons
compte inceffamment de cet Ouvrage.
RÉGLES pour la prononciation
des
Langues Françoife & Latine. In 12. Baris
, 1761. Chez Aug.Mart. Louin l'ai
112 MERCURE DE FRANCE.
né , rue S. Jacques , au Coq. Prix , r liv!
16.f
CONTES MORAUX , par M. Marmon
tel ; fuivis d'une Apologie du Théâtre .
Nouvelle Edition , corrigée & augmen
tée. 2 vol. in- 12 . Paris , 1761. Chez :
l'Esclapart le jeune , quai de Gêvres . Cetté
Edition eft augmentée de trois Contes
nouveaux , le bon Mari , le Connoiffeur,
& l'Ecole des Pères.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES
ACA DE MIE S..
RÉFLEXIONS fur le goût du Siécle
pour les Sciences utiles. -
FRAGMENT D'UN DISCOURS ACADÉMIQUE.
LES Objets les plus dignes de nos recherches
font fans doute , ceux qui inté
reffent le bien public ; & le Citoyen doit
avoir pour maxime conftante que là véritable
gloire de l'homme de Lettres eft
d'être utile à la Société ...
NOVEMBRE . 1761 113
• Les Etudes férieufes , je l'avourai , rebutent
au premier abord. Leurs fuccès
foonntt moins brillants que les autres , l'amour-
propre en eft moins flatté, & la plûpart
des hommes ne prenant confeil que
de l'amour-propre , un très- petit nombre
fe fent de bonne heure du penchant pour
ce genre. Les jeunes gens y trouvent peu
d'attraits ; la Poëfie & l'Eloquence ont
feules des charmes pour eux ;le feu qu'elles
exigent , eft analogue à celui dont ils font
pleins de trente jeunes gens qui fortent,
du Collège avec du goût pour l'étude , il
en eft vingt qui fe jugent Poëtes , ou Orateurs;
ils ne croyent qu'aux Mufes; ils ont
le Parnaffe en perfpective ; ils le voient
rayonnant de lumière ; la gloire les y appelle
; la célébrité les y attend ; ils travaillent
, ils s'élancent , ils font mille efforts
pour gravir ; le fable roule fous leurs
piés, ils retombent; & regrettent enfin, mais
trop tard , les années précieufes qu'ils auroient
pu remplir à nourrir leur mémoire ,
à inftruire leur efprit , à former leur rai
fon, à fe rendre utiles à cette patrie qu'ils
fe font en vain efforcés d'amufer , ou d'intéreffer.
Plûr à Dieu que je fuffe né vieux ! difoit
le Philofophe Averroes. Heureux le
fiécle où l'amour des objets utiles devient
14 MERCURE DE FRANCE .
un fentiment affez univerfellement répan
du , pour germer de bonne heure dans les
coeurs ! C'eft l'ouvrage de cette faine Philofophie
, qui par des progrès lents , mais
certains , parvient à meurir les efprits.
Elle enfeigne à penſer & à fentir. Les lettres
apprennent à concevoir avec clarté ,
& à s'exprimer de même : il eft des efprits
créateurs à qui il ne manque que le
don de fe faire entendre. Les Lettres développent
tous les talents ; elles en font
la bafe & le premier aliment. Les génies
faits pour les illuftrer , pour charmer les
efprits , pour enchanter les coeurs , fe confacrent
à elles dans tous les Siécles ; mais
le fiécle de la Philofophie ramène la multidude
aux Etudes férieufes ; il lui fait
chercher une gloire eſtimable dans des
travaux avantageux ; il infpice l'amour de
l'expérience qui , felon Bacon , eft la démonftration
des démonftrations. Les Arts
font honorés ; les faits font recherchés ;
la vérité fe fait entendre ; on élevé des
Autels à l'Agriculture ; on refpire un noble
enthouſiaſme en faveur de l'humanité.
Mais il est toujours des Frondeurs . Quel
avantage , difent ils, peut réfulter de cette
mode des études férieufes ? Ne fontelles
point férieufes en pure perte ? La
Société loin d'y gagner n'y perd - elle pas
NOVEMBRE. 1761 . 115
au moins de l'agrément ? Quelle eft leur
utilité ? A quoi nous a fervi ce Phyficien ?
Quel bien nous a fait ce Naturalifte ?
Qu'ont produit les travaux de cet Agriculteur
? Un Poëte nous auroit amufé.
Eh , ne craignez pas que les Poëtes , ou
les Orateurs vous manquent! ou du moins
n'attribuez pas aux Sciences , ce qui peut
venir de l'épuiſement de la langue , de
celui du genre , de celui de l'efprit humain
qui peut- être a décrit ſon cercle. Lifez
les Poëtes dont vous jouiffez, & croyez
que, s'il fe trouve des génies vraiment
Poëtiques & Eloquens , ils perceront au
travers de ces Sciences qui ne font hériffées
que pour ceux qui les méconnoiffent.
Je vois l'homme le plus éloquens
de mon fiècle , s'occuper à décrire la Nature.
Le plus beau génie de l'Allemagne ,
le Poëte des Alpes , obferve & difféque
le corps humain. Le Chantre de Henri
fait défricher la Terre.
Les lettres portées fur les aîles du génie
feront toujours en poffeffion d'arracher notre
admiration & de mériter nos hommages.
De quoi nous privera l'Amour des
Etudes férieufes , infpiré à la multitude ?
d'un air avantageux qui rabaiffe l'homme
; d'une légèreté qui le déshonore ; d'un
son frivole qui le dégrade ; d'un éffain d'in
116 MERCURE DE FRANCE.
fectes qui bourdonnent autour des marais
du Parnaffe , petits Auteurs à prétentions
qui deviendront peut- etre de bons Obfervareurs,
de bons Artiftes, de bons Laboureurs.
Alors l'humanité s'enrichira ; l'inégalité
des conditions ceffera de lui être à
charge ; le néceflaire ne fera plus la proie
du fuperflu ; le bien - être fera pour tous .
Rendre les Arts fleuriffans , & les denrées
communes , c'eft affurer du foulagement
aux pauvres , aux riches le plaifir d'en
être témoins , & le bonheur d'y coopérer.
Quel bien ont fait ce Phyficien, ce Naturralifte
, cet Agriculteur ? J'avoue que peutêtre
ils n'ont pas rendu d'éclatans fervices
à la fociété , mais ils n'en font pás
moins utiles. Le nombre des découvertes
eft petit ; mais quelque petit qu'il foit ,
il faut beaucoup de foins pour les conftater,
il faut beaucoup de temps , d'expériences
& de bras pour les mettre à
profit. Voilà ce que ces hommes ont fait :
tout au moins ont- ils entretenu l'amour
d'une bonne chofe . Plus la Science s'ér
tend , plus il eft facile au vrai talent de
rencontrer fa place ; & fans avoir le mé
rite d'une découverte réelle , peut - être
ont-ils ouvert une route dont le but , encore
inconnu , n'en deviendra pas moins
NOVEMBRE. 1761 .
11 ཧ
1
A
avantageufe quelque jour ; telle obfervation
cachée dans leurs Ouvrages eft une
étincelle qui produira de grandes lumiè
res. Ceux qui ont eu la gloire des décou
vertes , n'ont pas toujours rendu juftice
à l'homme obfcur de qui ils les tenoient.
Les premiers Entrepreneurs d'une mine
ont fouvent approché du fillon riche
fans le trouver.Geux qui leur ont fuccédé,
en fuivant les travaux commencés , en
deſcendant dans les puits déja creufés ,
en parcourant les galleries déja ouvertés
, font parvenus au métal précieux
qui a fait leur richeſſe , en faisant celle
de l'État. Multipliez les Obfervateurs ,
vous multiplierez toujours les obfervations
, & les obfervations font des ma-.
tériaux pour la postérité.
Dans l'empire des Lettres la foule eft
à charge , & la médiocrité nuifible ; mais
l'amour des Sciences utiles ne sçauroit
être trop répandu , parce que le nombre
fait fa force ; parce qu'il n'eft perfonne
qui ne puille en reculer les limites . Un
foible Verfificateur ne forma jamais un
grand Poëte ; un modefte Obfervareur
peut inftruire un Phyficien ; & à fuppofer
fes travaux infructueux , il fuffit à la Société
qu'ils foient dirigés au bien , elle
lui accorde fon eftime , peut-être un jour
118 MERCURE DE FRANCE:
lui devra - t- elle de la reconnoiffances
Sans doute les Belles- Lettres , les hau
tes Sciences , ainsi que le Commerce , les
Arts , l'Agriculture , & toutes les études
férieufes, concourent unanimement à fonder
la gloire d'un Empire ; mais jugeons
des chofes comme la poftérité : tâchons
de voir avec fes yeux ; & diffipant le
nuage qui nous environne , éloignons de
nous l'habitude des ufages , des préjugés
des affections particulières. Tramfportons
nous.fur un Port étranger.
Un Peuple nombreux borde le rivage
Trois Vaiffeaux vont mettre à la voile.
Le premier est léger , brillant , doré
chargé de guirlandes , & couvert de matelots
couronnés de fleurs. Le fecond bien
conftruit , mais fans ornement , eft rempli
de machines , de télescopes , de divers
inftrumens : quelques Philofophes s'y
embarquent . Le troifiéme bien plus fim
pleencore porte feulement quelques honnêtes
citoyens.
Les trois Vaiffeaux partent ; à peine.
jette- t- on un regard fur les derniers qui
s'éloignent & difparoiffent en peu de
temps ; tous les yeux font fixés fur le
mier ; il s'écarte peu ; on admire la légére
té de fa marche ; on loue la beauté de fes
manoeuvres; s'il s'échappe un inftant , il
preNOVEMBRE.
1761. T14 :
fe montre bientôt plus brillant que jamais;
le bruit du canon fe fait entendre ; les
feux d'artifices le font reconnoître ; tout
le rivage retentit d'applaudiffemens .
Cependant quelques années s'écoulent ;
on apperçoit le Vaiffeau des Philofophes ;
il revient ; des Curieux s'en approchent ;
ils n'entendent rien aux difcours qu'on
leur tient ; ils retournent applaudir les
feux d'artifices.
Enfin reparoît le troifiéme Vaiffeau : fa
marche lente annonce le poids de fa car
gaifon ; il eft chargé de riches tréfors , de
remédes précieux , de biens de tout genre,
de denrées de toute espéce. On accourt à
lui ; on comble de bénédictions les bons
Citoyens qui le ramènent ; on partage
avec eux les richeffes qu'ils apportent ;
mais il en eft dont on ignore l'ufage : ona
enfin recours aux Philofophes ; on s'empreffe
de les louer ; on profite de leurs
leçons ; on eft heureux ; & le Vaiffeau
doré n'a prèfque plus de Spectateurs .
Telle eft à-peu- près l'image des fuccès
que les hommes peuvent fe promettre
dans leurs travaux ; l'eftime qu'on acquiert
, eft toujours en proportion du bien
que l'on fait ; & tout ce que je prétends
conclure , c'eft qu'il eft plus utile à la
fociété, que la multitude s'occupe aux
120 MERCURE DE FRANCE.
Sciences exactes , que fi le grand nombre
embraffoit uniquement les études agréa
bles .
Mais les unes & les autres fe prêtent
des fecours mutuels , s'éclairent , & fe
donnent des forces . L'illuftre Fontenelle
en a donné un grand exemple à ce fiéclé.
L'Académie Françoife fe félicite d'avoir
des Géométres & des Phyficiens ; & celle
des Sciences s'applaudit de pofféder des
Qrateurs & des Beaux- Elprits .
SUITE de la Diflertation Hiftorique &
Critique fur la vie du Grand-Prêtre
AARON , Par M. de BOISSY.
AARON ARON jouit paiſiblement - juſqu'à :
fa mort de la fouveraine Sacrificature depuis
le miracle qui la lui avoit affurée. Il
avoit époufé Elifabeth fille d'Aminadab
de la Tribu de Juda , & il en eut quatre :
fils , Nadab , Abilu , Eleazar & Ithamar.
( a) Il eut le malheur de voir périr
les deux premiers par une flamme defcendue
du Ciel , pour avoir ofé allumer contre
la défenfe expreffe du Seigneur l'encens
qu'on lui offroit , à un autre feu que ›
14.) Exod. VI, 23.
seluj
NOVEMBRE . 1761. 121
celui qui brûloit continuellement fur
l'Autel des Holocauftes. ( b ) La race des
Grands-Prêtres fut continuée par les deux
autres. Il fut privé de la fatisfaction d'entrer
, après tant de travaux , dans la Terre
promife . Il eut cela de commun avec
Moyfe fon frère ; & ils s'attirérent l'un
& l'autre ce châtiment temporel pour
avoir manqué de confiance en la promeffe
de Dieu , lorfque cet Etre Suprême dit à
Moyfe de frapper le Rocher à Kades ,
afin d'en faire fortir de l'eau. ( c )
Ce fut à l'arrivée des Ifraëlites à la
Montagne de Hor, au pied de laquelle ils
campérent ,, que le Seigneur marqua le
terme de la vie de ce Grand- Prêtre. Il
commanda à Moyfe de conduire Aaron
& fon fils Eleazar fur le fommet de la
Montagne , & d'y ôter au père fes habits
facerdotaux, & d'en revêtir le fils à la vue
de tout le Peuple. Aaron fe conforma à la
volonté du Seigneur ; il remit à Eleazar
les ornemens de fa Dignité , dont il s'étoit
revêtu par l'ordre de Dieu , avant que de
monter fur la Montagne. ( d) Nous remarquerons
que cette inſtallation fut une
exception à ce que la Loi préfcrivoit en
( b ) Levit. X. 12 .
( c ) Numer. XX . 8. 12.
( d ) Ibidem. 25. 26 , & feqq.
F
122 MERCURE DE FRANCE :
pareil cas . 1 °. La fouveraine Sacrificature
étant héréditaire & perpétuelle chez les
Juifs , il n'étoit pas permis à celui qui
l'exerçoit , de réfigner de fon vivant fon
emploi à fes enfans ; à moins qu'il ne fût
abfolument incapable d'en remplir les
fonctions. 2. L'inveftiture fut donnée à
Eleazar hors du Tabernacle & du Camp
où la cérémonie devoit fe faire. Si elle fut
fuffifante pour rendre fa confécration légitime
, nonobftant le défaut de l'onction
fainte ; c'eft ce qu'on ne fçauroit tout- àfait
décider. Plufieurs Interprétes & entr'autres
Cornelius à Lapide d'après Toftat
, ( e ) tiennent pour l'affirmative . Cependant
quoiqu'on ne puiffe pas établir
invinciblement la négative par un paſſage
formel du Texte de Moyfe , on a quelque
lieu de croire que cette onction étoit
éffentielle à l'inauguration des Grands-
Prêtres , puifqu'elle fit partie de celle
d'Aaron . Il eft donc vraisemblable qu'Eleazar
la reçut des mains de Moyfe à
fon retour dans le Camp, avant que d'entrer
en exercice du Pontificat dans lequel
il fut le Succeffeur immédiat de fon père
par le droit de primogéniture : car il étoit
f'aîné de fon frère Ithamar. Ceux qui fe
( e ) Cornel, à Lapid . Commentar. in Numer.
pag. 874.
NOVEMBRE . 1761. 123
plaifent à rechercher des traits de conformité
dans les Rites des Juifs & des
Payens , ne manquent pas d'obferver que
quelques- uns des principaux Miniftres de
la Religion des derniers fe dépouillérent
de leurs vêtemens facrés , lorfqu'ils fentirent
les approches de la mort . (f) Ils
en alléguent des exemples dans la perſonne
de Caffandre , ( g ) & dans celle d'Amphiarais.
(h)
Aaron après avoir vu fon fils revêtu des
habits Pontificaux , fut réuni à fes pères .
Il expira entre les bras de Moyfe & d'Eleazar
qui lui fermérent les yeux , &
l'inhumérent en ce lieu . Sa mort eut cela
de fingulier , c'eft qu'elle n'eut pour caufe
ni la maladie ni l'entière défaillance
de la nature occafionnée par une extrême
vieilleffe. Quoiqu'il fût déja parvenu à un
âge affez avancé pour un temps où la durée
de la vie humaine avoit été confidérablement
abrégée ; il avoit pourtant
encore confervé quelque vigueur , puifqu'il
fut en état de monter fur cette Mon-
(f) Ainſworth in hunc locum Numer. Vid .
Bibl. Fran . publiée par M. de Chaiz avec des Notes
tirées de divers Commentateurs Anglois , pag.
185. Tom . III. premiere part.
(g ) Vid. Afchyl . in Agamemn . v. 1265 .
(h) Vid. Stat. in Thebaid, lib. VII , v. 784
Fij
24 MERCURE
DE FRANCE
.
tagne. Eleazar
n'auroit pû en fa qualité
de fouverain
Sacrificateur
prendre forn
conjointement
avec Moyfe des funérailles
de fon père , fans contracter
une impureté
légale, felon ce que porte le Texte
du Lévitique
. ( i ) S'il agit de la forte , ce
fut en conféquence
des circonftances
par- ticulières
, où il fe trouva . Les ordres exprès
de Dieu qui les avoit fufcitées, le difpenférent
dans cette occafion
de pratiquer
les formalités
requifes par la Loi.
On doit même ajouter qu'il n'avoit pas
été confacré
par l'huile de l'Onction
: ce
qui fuffifoit fans doute pour le fouftraire
à l'obligation
de les accomplir
à la rigueur.
R. Salomon
Jarchi à qui il n'eft
que trop ordinaire
de charger le Texte des
Ecrivains
facrés de glofes auffi bizarres
que
mal fondées , débite avec confiance
que Moyfe ayant trouvé dans la Montagne
une Caverne , ou étoit un tombeau
avec une Lampe allumée , il comprit par
la que Dieu avoit deftiné cet endroit pour
la fépulture de fon frère , qui s'étant couché
dans ce tombeau , s'y endormit tranquillement
au Seigneur. (k) Jofephe rapporte
qu'Aaron mourut fur la Montagne
( i ) Levit. XXI. 11 . (k ) R. Salom. Jarchi. Commentar
. in Num .
XX. 28.
NOVEMBRE . 1761. 125
zar
aux yeux des Ifraëlites . ( 7 ) Il n'eft point
fait mention de cette dernière circonftance
dans le Texte de Moyfe. Il paroît
hors de doute que ce fouverain Sacrificacateur
quitta fur la Montagne fes habits
Pontificaux , pour en revêtir fon fils Eleaà
une diſtance d'où le Peuple pouvoit
voir la cérémonie de l'inveftiture.
Elle n'étoit folemnelle qu'autant qu'elle
fe faifoit publiquement. Mais les paroles
de l'Hiftorien facré nous induifent natu
rellement à croire qu'après cela Aaron
s'éloigna de la vue des Ifraëlites en s'avançant
avec fon frère & fon fils vers
quelque lieu écarté de la Montagne , où
il finit fes jours de la manière dont nous
l'avons dit . Cajetan ne fçauroit fe perfuader
que Moyfe & Eleazar ayent été les
feuls qui foient montés avec Aaron ſur
le mont Hor, il convenoit , felon ce Cardinal
, que les principaux du Peuple & les
proches parens du Grand- Prêtre de la Nation
, l'y accompagnaffent pour lui rendre
les derniers devoirs. ( m ) Nous nous
en tiendrons fimplement aux termes dans
lefquels la narration de Moyfe eft conçue .
(1) Jofeph. Antiquit . Judaic. Lib . IV. cap. 4
pag 209. Tom . I.
(m ) Cajetan. Commentar. in loc. fupra citatum
Numer.
F iij
126 MERCURE DE FRANCE:
Ils ne font point favorables à cette con
jecture qu'on n'appuie que d'une raiſon
de convenance , qui n'a ici aucune force.
Notre devoir d'Historien ne nous permet
pas de paffer fous filence une difficulté
qui naît de la contradiction apparente du
Texte de Moyfe fur le lieu où mourut
Aaron. Le Livre des Nombres marque
le mont Hor , ( n ) & on lit ailleurs que
ce Grand - Prêtre eut fa fépulture à Moféra.
( o ) Il faut avouer que la contrariété a
quelque chofe de frappant. Je fai qu'on a
recours à diverfes folutions . Si elles font
fatisfaifantes , c'eft ce qu'il me femble à
propos d'examiner.Je mettrai d'abord fous
les yeux des Lecteurs le dénombrement
des ftations des Ifraëlites, tel que le préfentent
les Textes dont il s'agit, afin qu'ils
foient à portée, en les comparant enfemble,
de juger de la diverfité,qu'il y a à ce fujet
. Voici de quelle manière Moyfe décrit
ces ftations dans le Livre des Nombres.
» Les Ifraëlites étant partis de Moféroth ,
ils camperent à Béné Jahakan ; d'où ils
allerent camper à Hor- Gudgad ; de- là
» ils allerent camper vers Jotbath ; de là
» ils allerent camper à Habrona ; de - là
» ils allerent camper à Héfion - Gaber ;
n
"
( n ) Numer. XXXIII . 38 .
(0) Deuteronom . X. 6.
NOVEMBRE. 1761. 127
» de- là ils allerent camper au Déſert de
Tfin , qui eft Kadès ; de -là ils vinrent
» camper au pied de la Montagne de
» Hor qui eft à l'extrémité du Pays
>
» d'Edom ; & Aaron le fouverain Sacri-
» ficateur monta fur la Montague de
» Hor , & y mourut , & c.
Le même Moyfe rappellant fommairement
aux enfans d'Ifrael ces divers
campemens dans le Livre du Deutéronome
, y dit " qu'ils partirent de Bééroth
و د
Béné Jahakan pour aller à Moféra , où
» Aaron mourut, & fut enterré, & qu'E-
» léazar fon fils lui fuccéda dans les
fonctions du Sacerdoce : que de là ils
» marchérent vers Gudgad , d'où ils vin-
» rent camper à Jotbath , qui eft un Pays
» où il y a des torrens d'eaux & c.
Il réfulte de la confrontation de ces
deux Textes qu'il y avoit entre Moféra
& la Montagne de Hor une diftance de
plufieurs ftations. Il y a plus encore ; il
eft queftion de fçavçir fi Moféra énoncé
dans le fecond Texte eft le même lieu
q
Mféroth exprimé dans le premier
à d'autant plus d'apparence à
le croire , que ces deux noms ne différent
que par la terminaifon qui diftingue
le nomble pluriel du fingulier. Or il eft
affez ordinaire aux Écrivains facrés d'em-
Fiv
718 MERCURE DE FRANCE
à
ployer également l'un ou l'autre dans
l'indication des mêmes noms , comme il
feroit facile d'en citer des exemples .
D'ailleurs les ftations mentionnées a la
fuite de Moféra dans le Deutéronome,qui
ont précisément le même nom que celles
que Moyfe a marquées dans les Nombres
immédiatement après le campement
de Béné-Jahakan , fuffifent pour fortifier
la créance où l'on eft à cet égard . Il eft
vrai qu'en ce cas on ne fçauroit guéres fe
difpenfer de reconnoître par rapport
Moféra ou à Moféroth une tranfpofition
d'ordre de la part des Copiftes dans l'un
des deux Textes allégués. Ce n'eft pas un
médiocre embarras que de décider auquel
on doit préférablement ajouter foi. Il feroit
naturel de s'attacher à celui des Nom.
bres qui contient une énumération expreffe
& fuivie de tous les campemens du
Peuple d'Ifraël, que Moyfe a pris loin d'y
faire au lieu qu'il ne s'agit dans le Texte
du Deutéronome que d'un endroit abfolument
détaché de ce qui précéde &
de ce qui fuit, où le même Hiftorien par
le en paffant d'une très- petite articlue.
ces ftations. Il y en a toutefois qui fe flattent
de concilier la diverfité de ces Textes
fans admettre une femblable tranfpofition
qui leur paroît mal- à propos donNOVEMBRE.
1761. 129
ner atteinte à l'autenticité des Livres
Saints. Ils veulent que Moféra & Moſéroth
foient des lieux différens. De là ils
fuppofent que Moféra eft le nom du Défert
où étoit fitué le mont Hor , fur lequel
mourut Aaron : de forte que Moyfe
a pu très bien appeller par extenfion le
lieu de la fépulture de ce Grand- Prêtre
du nom du Défert qui renfermoit cette
Montagne , au pied de laquelle fe fit le
campement des Ifraelites . Une confé
quence ultérieure de cette fuppofition les
conduit néceffairement à diftinguer Béroth
Béné-Jahakan , Gudgad & Jotbarh
dont il eft fait mention dans le Livre u
Deuteronome , des campemens ainfi ténommés
dans le Livre des Nombres. Aurtrement
l'un des Textes cités feroit en
contradiction avec l'autre par rapport à
l'ordre de ces ftations. Parmi les Inrorprétes
& les Critiques de diverfes communions,
il y en a plufieurs qui infiftent
fortement fur cette folution propofée par
Aben Efra. (p ) Cependant nous ne crai-
( p ) R. Aben - Efra Commentar, in locum fuprà
citatum Deuteronom . Vid. Tom. I. Biblior. Rabbin.
Edit . Bomberg. Confentiunt fere cum Interprete
illo Judæo, Toftatus, Torniellus , Cornelius.
à Lapide , Gherardhus , Calovius , Drufius , Vare→
nius , &c.
Fy
130 MERCUREDE FRANCE :
gnons pas d'être démentis en la taxant
d'illufoire. Elle a un inconvénient fenfible,
en ce qu'elle oblige fes partifans de multiplier
les ftations d'un même nom , ou
bien de donner plufieurs noms à une feule
ftation , comme font ceux qui avec ce
Rabbin prennent Béeroth Béné-Jahakan
& Gudgad pour les mêmes campemens
que ceux qui font nommés Kadéfeh &
Oboth dans le Livre des Nombres . On ne
fçauroit autorifer l'une ou l'autre hypothefe
d'aucun Texte formel de Moyfe.
Difons plutôt qu'on peut en inférer tout
le contraire . En effet il eft contre la vraifemblance
que Moyfe eût voulu omettre
quatre ftations confécutives dans cet endroit
des Nombres , où fon deffein a été
de donner un Journal fuivi de tous les
campemens des Ifraëlites pendant quarante
ans à travers les Déferts de l'Arabie
depuis leur fortie d'Egypte , jufqu'au
dernier qu'ils firent dans le Pays des
Moabites. Il n'eft pas plus croyable qu'il
fe foit trouvé vers les frontières de l'Idumée
quatre cantons voifins qui euffent
précisément les mêmes noms , que quaatre
autres cantons également voifins , qui
pas loin de la Mer Rouge.
Quelques uns qui ont bien fenti le peu
de probabilité d'une femblable opinion
n'étoient
NOVEMBRE . 1761. 13 F
nt ufé d'un autre expédient pour lever
la difficulté. Ils prétendent que quand
Moyfe raconte que les Ifraelites partirent
de Béeroth Béné Jahakan pour aller à
Moféra .... que de-là ils marcherent
vers Gudgad; d'où ils allerent camper
à Jotbath , &c. l'adverbe local mi
Scham , de-là, ne doit pas fe prendre dans,
un fens immédiat , c'est -à - dire felon eux,
qu'il doit fe rapporter non à Moféra ,
mais à Béréroth Béné - Jahakan . Ainfi les
Ifraëlites ne feroient venus camper dans
le Défert de Moféra , au pied du Mont
Hor , qu'après avoir depuis leur départ de
Moféroth , parcouru fucceffivement Bééroth
Béné -Jahakan , Gudgad , Jotbath &
les autres lieux intermédiaires marqués
dans le Texte des Nombres . ( q ) On ne
fe tire pourtant pas mieux d'affaire par
cette explication , qui eft d'autant moins
plaufible , qu'il en réfulteroit que Moyfe
auroit ici péché groffiérement contre l'a .
nalogie du Difcours par un défaut de
conftruction . Il eft de régle dans toutes
les langues du monde , qu'un adverbe qu ;
exprime une relation foit de lieu ou de
temps, ait avec fon antécédent une liaifon
(9 ) Vid. Ulleri Annal. Vet. Teftam . Et,
Mund. IV. pag. 18. Edit, Brem . -
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
immédiate . R. Levi ben- Gerfon procéde
différemment dans la manière d'accorder
le Texte du Deutéronome avec celui des
Nombres . Il veut qu'on traduife de cette
forte le paffage du Deutéronome : Or
les enfans d'Ifraël partirent de Béeroth
Béné-Jahakan & de Moféra ; & Aaron
mourut alors. Il obferve que l'adverbe
Hébreu Scham que tous les Interprétes
rendent par l'adverbe local hic ou ibi, là ,
re défigne pas toujours le lieu , & qu'il
a quelquefois une fignification équivalente
à celle de l'Hébreu , az, alors . C'eft
ce que notre Rabbin tâche de confirmer
par quelques exemples que lui fourniſſent
divers endroits des Livres Saints , où le
premier adverbe paroît employé dans la
même fignification que le fecond. Il conclud
de cette obſervation que l'adverbe
dont il s'agit , pris pour alors , doit dans
cette occaſion s'entendre en un fens indéfini
qui reviendroit à ceci , qu'Aaron ſeroit
mort & auroit été enfeveli dans l'intervalle
de temps que les Ifraëlites mirent.
à faire les ftations mentionnées . ( r ) Cette
penfée de Levi Ben Gerfon que Tremellius
& Junius ont adoptée en partie
(r ) R. Levi Ben Gerfon in eundem locum
Deuteronom . Vid. Buxtorf. Vindic. Verit. Hebraïc.
Par . II. cap . 13 , pag. 935.
NOVEMBRE. 1761. 133
dans leur verfion de l'Ecriture , ( s ) n'eft
pas plus heureufe que la précédente . Elle
choque auffi vifiblement l'ordre & n'analogie
du récit de Moyfe , & change
l'ufage légitime des termes. R. Moyfe
Ben Nachman , après avoir rejetté le fentiment
d'Aben- Efra , en hafarde un qui
lui eft particulier pour la conciliation de
ces Textes . Il préfume que le Mont Hor
avoit une étendue de plufieurs lieues en
longueur , ou plutôt que c'étoit une
grande chaîne de montagnes. Sa préfomption
eft fondée fur ce que Moyfe appelle
tout court par excellence Hor-ha- Har.
Hor cette Montagne. Si nous devons l'en
croire, elle auroit commencé proche Halfmona
& auroit fini à la frontière du Pays
d'Edom . Il veut que la plaine qui étoit en
face de cette Montagne , contînt les fept
cantons indiqués dans les Nombres , ou
les Ifraelites campérent fucceffivement
depuis Moféra , jufqu'à Kadéſch . Il conjecture
que la diftance qu'il y avoit entre
chacun de ces cantons, n'excédoit guéres
l'efpace d'un mille . Ainfi elle n'étoit pas
fort confidérable. It fuppofe enfuite que
le Peuple d'Ifraël étant parti de Kadéſch
(s ) Filii autem Ifraëlis quum eo progredientes
à puteis filiorum Jahakanis & Molera &c.
134 MERCURE DE FRANCE.
vint camper dans une vallée fituée au
pied du Mont Hor, à l'oppofite de Moféroth
: Moyfe monta par l'ordre du Sei--
gneur avec fon frère Aaron fur le fommet
de cette Montagne , où ce Grand-
Prêtre finit la vie . Or l'endroit de la montagne
où Aaron mourut & fut enterré
étoit dans le voisinage de Moféroth . Il
pouvoit le faire, felon ce Rabbin , que les
cantons fitués dans la plaine fuffent cenfés
être fur la Montagne ; que fon ſommet
& la plaine où elle fe trouvoit placée
, fe nommaffent au pluriel Moféroth
& que chaque lieu féparément s'appellât
Moféra : de forte que l'on difoit Moféra
qui eft fur la montagne , & Moféra qui
eft dans la plaine. Au refte cet Interpréte
Juif prétend que Bééroth Béné-Jahakan
n'eft pas le même lieu que Moyfe
défigne fous le nom de Béné-Jahakan
dans le Livre des Nombres ; mais qu'il
s'agit ici des puits que les enfans de Jahakan
avoient creufés à Hafmona pour
abbreuver leurs troupeaux : & c'eft ce que
dénote la fignification du mot Bééroth.
Il fait auffi de Moféra un lieu different
de Moféroth ; & il penfe que les Ifraëlites
fe rendirent immédiatement de ce
premier endroit au dernier , d'où ils allétent
enfuite camper à Béné-Jahakan. Il
NOVEMBRE. 1761. 135
eft perfuadé que ces chofes font rappor
tées avec plus d'exactitude dans le Deutéronome.
C'est pourquoi Moyfe y parle
par addition de Béréroth Béné -Jahakan
& de Moférá où les Ifraëlites campérent.
( t ) On n'a point de peine à voir combien
cette explication eft obfcure & embarraffée.
Notre Rabbin entaffe ici fuppofitions
fur fuppofitions , qui font plus étranges
les unes que les autres , & qui n'ont de
fondement que dans fon imagination .
Rien n'eft plus frivole que l'induction
qu'il tire de l'expreffion Hor-ha - Har
dont fe fert Moyfe en faifant mention du
Mont Hor , pour attribuer à cette montagne
une étendue de plufieurs lieues.
C'eft accommoder le Texte de l'Ecriture
à fes idées, que de renfermer contre toute
apparence dans les limites de la même
plaine les fept cantons marqués dans le
Livre des Nombres , & de reftreindre.
précisément à un mille leur éloignement.
refpectif ; comme fi les Ifraëlites euffent
dû borner leur marche journalière à un
auffi court efpace de chemin . Il eft abfolument
faux de dire que le récit des cam-
( t ) R. Mofes Nachmanid . Ibidem. Vid. Menaffeh
- Ben Ifrael Conciliar. in Num. Quæft . XV.
pag. 216. Edit. Amft. & Buxtorf. Libr . cit. pag.
93.4.
1.
36 MERCURE DE FRANCE.
pemens indiqués dans le Deutéronome eſt
plus exact que celui des ſtations mentionnées
dans les Nombres ; puifque Moyfe
ne parle là que par parenthèfe , & d'une
manière acceffoire à l'objet principal de
cet endroit de fon Texte.
R. Salomon Jarchi imagine encore
une folution toute différente de celles
que
nous venons de produire , pour laquelle
R. Béchai ne balance point à fe déclarer.
Il dit que le Peuple d'Ifraël fe voyant
privé de la nuée lumineuſe par
la mort
d'Aaron , en faveur de qui les Interprétes
Juifs prétendent ,je ne fçai fur quel fondement
, que le Seigneur l'avoit donnée ,
tomba dans le découragement,& défeſpéra
d'entrer dans le pays de Canaan. C'eft
pourquoi, il reprit le chemin de l'Egypte
; & pour cet effet il retourna de la
montagne de Hor à Kadéfch , d'où il fe
rendit à Moféra ou Moféroth par les
mêmes ftations qu'il avoit déja faites. Ce
Rabbin ajoute que la Tribu de Levi animée
d'un faint zéle s'oppofa vigoureufement
à cette réſolution , & tourna fes armes
contr'eux , afin de les contraindre à
reprendre la route qui menoit à la Terre
de promiffion ; qu'ils reconnurent là leur
faute , & fe repentirent d'un deffein formé
témérairement. Ils fe mirent , felon
NOVEMBRE. 1761 137
notre Docteur Juif , à pleurer amérement
à Moféra la mort d'Aaron , à l'occafion
de laquelle les maux qui venoient de les
affliger , leur avoient été fufcités . Ils menérent
un grand deuil à ſon ſujet , comme
fi c'eût été le temps où elle fût arrivée
, & le lieu où ce Grand Prêtre fut
enterré. ( 1 ) Tout ce qu'on débite ici eſt
avancé fans aucune preuve; & l'on donne
, hardiment des fictions pour la vérité hiftorique.
Si les chofes étoient arrivées de
la manière dont on le raconte , il feroit
bien étonnant que Moyfe n'en eût rien
dit. Un événement de cette importance
caractérifoit affez la défobéiffance de ce
Peuple envers le Seigneur , pour mériter
une mention expreffe de la part de l'Hiftorien
facré. Il eût été contraire aux vues
qui l'infpiroient , d'omettre un fait de la
nature de celui - ci , qui fervoit à juſtifier
ce penchant à la rébellion & cette dureté
de coeur qui font fi fouvent reprochés
aux Ifraëlites dans l'Ecriture. D'ailleurs
s'enfuit- il de ce qu'on a pleuré la
mort, d'un homme en quelque lieu , qu'un
Hiftorien foit autorifé à dire que ce même
homme y ait terminé fa vie & y ait
été inhumé , quand cela eft contraire à
( u ) Salomo Farchi ibidem , Tom . I. Biblior .
Rabbin. & R. Bechai in Numer . XXXIII . 38.
738 MERCURE DE FRANCE.
l'exacte vérité. Si jamais l'impropriété de
ce langage étoit reçue dans le diſcours
il y introduiroit une extrême confufion.
Je demande quel eft l'Ecrivain d'une
claffe ordinaire qui s'exprimeroit de la
forte fans encourir le blâme général : A
plus forte raifon doit-on croire qu'un
Ecrivain tel que Moyfe , dont l'efprit
étoit éclairé d'une lumière furnaturelle ,
a été incapable de rapporter d'une façon
auffi abufive au temps de ce prétendu retour
des Ifraëlites à Moféra l'époque de
la mort de fon frère , & de placer en cet
endroit fa fépulture .
La diverfité de tous ces fentimens qui
ne font appuyés que fur de fragiles conjectures
, montre fuffifamment l'impuiffance
des éfforts qu'on emploie pour lever d'une
manière fatisfaifante la contradiction des
Textes cités. Il vaut beaucoup mieux
avouer ingénument , à l'exemple de Cappel
, de Grotius , de M. Le Clerc (x )
& de quelques autres Interprêtes, que cet
endroit du Texte du Deutéronome a été
altéré
par une de ces méprifes qui font
2
(x ) Lud. Capell . Critic. Sacr. Lib . VI . cap . 7.
pag. 413. Hug. Grot . annotation . in Deuteroloc.
cit. inter Critic. Sacr. pag . 73. Tom. I.
pars fecunda . Edit. Amft. Jo . Cleric . Comment .
eod. loc. pag. 519. Tom. II . Edit. 1710 .
nom .
NOVEMBRE. 1761 . 135
fiordinaires aux Copiftes. Il n'y a aucun
doute qu'ils n'ayent tranfpofé inconſidérément
l'ordre des noms. Il paroît même
que les Verfets 6 & 7 ne conviennent
point à la place qu'ils occupent là ; parce
qu'ils font abfolument fuperflus , & qu'ils
interrompent la fuite du Difcours . Il faut
à la vérité que l'erreur foit de vieille date ;
puifqu'elle eft commune aux Septante , à
la Vulgate & à toutes les anciennes Verfions
, excepté le Texte Samaritain , ou
ces Verfets font exprimés conformément
à ce qui eft énoncé dans les Nombres.
Voici ce qu'on y lit : » Or les enfans d'If-
» rael partirent de Moféroth & allérent
camper à Béné -Jahakan ; de là ils par-
» tirent & allérent camper à Jéthabatha ,
» qui eft une tèrre où il y a des torrens
» d'eau; de là ils partirent & allérent cam-
» per dans le Défert de Tfin , qui eft Ka-
» defch ; delà ils partirent & allérent
» camper au pied du Mont- Hor ; & là
Aaron mourut & y fut enfeveli , & c .
»
S'il étoit conftant que ce fût là la leçon
que portoient les anciens exemplaires Samaritains,
elle feroit inconteftablement la
véritable. Mais comme nous manquons
des preuves qui pourroient nous fournir
à ce fujet la conviction néceffaire , nous
n'ofons affirmer la chofe. M. le Clerc re40
MERCURE DE FRANCE:
marque fort bien que les Samaritains lffoient
peut- être anciennement dans leurs
Exemplaires les mêmes paroles que nous
lifons dans les nôtres. Ce n'a été que
dans la fuite des temps qu'il a pu arriver
que leurs Critiques qui ont revu le Texte
écrit en cette Langue , ayent ufé ici de
leur licence accoutumée en faifant de
leur chefune pareille correction . Cependant
. il eft plus que vraisemblable que
Moyfe a dû parler d'une façon à - peuprès
équivalente pour être d'accord avec
lui - même .
On eft demeuré dans l'ignorance fur
l'endroit de la Montagne de Hor , ou
Moyfe & Eleazar donnérent la fépulture
à Aaron. Il y en a qui font perfuadés que
P'un & l'autre le tinrent caché , de peur
que les Ifraëlites ne lui rendiffent à l'avenir
quelque culte fuperftitieux , ou que les
Arabes parmi lesquels ils vivoient alors ,
ne profanâffent la fainteté de fon tombeau
, s'il venoit à être connu . ( y ) Cependant
un Auteur qui écrivoit dans feiziéme
fiècle , eft d'un fentiment contraire.
Il prétend que l'on montre encore fur
cette montagne le Sépulchre de ceGrand-
Prêtre de la Nation dans une caverne qui
(y ) Calmet , Diction. de la Bible , Art. Aaron ,
pag. 2. Tom. I. Supplem.
NOVEMBRE. 1761. 141
eft fermée , & fur laquelle on a bâti une
belle voûte en forme de Dôme . Il raconte
que les Juifs ont la liberté de le vifiter
pour y faire leurs priéres ; & il ajoûte
que les Mahométans ont une grande
vénération pour ce lieu. ( 2 ) Mais on ne
doit pas beaucoup compter fur ces traditions
populaires dont on a coutume de
repaître la crédulité des Voyageurs .
Moyfe & Eleazar étant deſcendus de
la montagne , apprirent aux Ifraëlites la
mort d'Aaron. On le pleura dans toutes
les Tribus des Hébreux pendant trente
jours , felon l'uſage qui préfcrivoit tout
ce temps pour le deuil des perfonnes
éminentes. Ce fouverain Sacrificateur
mourut le premier jour du cinquième
mois dans la quarantiéme année depuis
la fortie d'Egypte , qui répond à la 25 52°
du Monde , & à la 1452 ° avant l'Ere vulgaire
. Il étoit dans la cent vingt- troifiéme
année de fon âge , & avoit exercé le Pontificat
pendant trente- huit ans trois mois
& vingt-deux jours . ( a) Jofephe fait coincider
le jour de la mort de ce Grand-
Prêtre avec le commencement du mois
felon la Lune , appellé par les Athéniens
(2 ) R. Uri ben Schimeon Jéchous- ha- Abboth
ve Cippi Hebraic. pag.79. Edit . Henr. Hotting
(a) Num. XVIII . XX . 28. 29. XXXIII. 38. 32<
742 MERCURE DE FRANCE.
Hecatomboon , par les Macédoniens ;
Lois , & par les Hébreux Abba. ( b ) İl
eft bon de remarquer qu'on lit fautivement
Sabba dans tous les Imprimés de
cet Hiſtorien antérieurs aux Editions dont
on eft redevable aux foins de MM. Hudfon
& Haverkamp. Un ancien Interprête
Latin a encore enchéri fur la corruption
de ce mot qu'il rend par fedebath.
Il ne ferviroit en rien d'entendre par ce
nom le mois de Sébat ou de Sébet ,
qui répond en partie à notre Lune de
Janvier , & qui par conféquent ne sçauroit
convenir avec l'Hécatombæon des
Athéniens & le Lous des Macédoniens qui
font des mois du Solſtice d'Eté. Ainfi Joſephe
a dû néceffairement les combiner
avec le mois d'Ab ou Abba fuivant la
terminaifon Chaldaïque ', qui eft le onziéme
de l'année civile , & le cinquième
de l'année Eccléfiaftique . L'Auteur du
Seder olam Rabba ou de la grande
Chronique , rapporte le temps de la mort
de ce fouverain Sacrificateur au premier
( b ) Jofeph. Antiquit . Judaïc. Lib. IV . cap. 4.
pag. 209. Tom . I. αποθνήσκει καὶ κατα Σελήνην
νεμηνία , μηνὸς ὄντος παρὰ μὲν Αθηναίοις Εκατομ
βαίων νος καλυμένο , Λώς δε παρὰ Μακεδόσιν ,
Αββα δε παρ' Εβραίοις . Vid. Bernard & Hudfor
not. ad hunc locum .
४
NOVEMBRE. 1761 743
-
jour de ce mois , qui revient à- peu - près
au dix- neuviéme de Juillet. ( c ) Il ne s'agit
pour reftituer la véritable leçon du
Paffage de cet Hiftorien , que de retrancher
la lettre initiale du nom de ce mois
tel qu'il y eft exprimé. Les Copiftes l'auront
mal à propos formée de la lettre
finale du mot précédent , & auront confondu
l'une avec l'autre , trompés par une
forte de reffemblance qu'il y a dans leur
figure . Cette correction eft autorisée par
la nature du fait qui en eft l'objet ; & le
fuffrage des plus habiles Critiques contribue
encore à la confirmer . ( d) Les
Rituels & le Calendrier des Juifs marquent
au premier jour de leur mois d'Ab
un jeûne obfervé par la Nation , en mémoire
de cet événement. A fon imitation,
l'Eglife Latine fait la fête de ce Grand-
Prêtre le premier de Juillet , auquel fon
décès fur le mont Hor a été fixé contre
l'exactitude par les anciens Martyrologes
( c ) Seder Olam Rabba. Cap. X. pag. 29. Edit.
Meyer.
(d )Jac. Cappell . Hiftor . Sacr . & Exotic. ad
ann. 2542. pag. 85. Sam . Petit. Eclog. chronol.
Lib. I. cap. 10. Jo . Selden . de fucceffion. in Pontific.
Hebræor. Lib . I. cap. 1. pag. 220. & 221.
Edit. Elzevir . Sam . Bochart . Hierozoic. Lib . III.
par . II. cap. 13. pag . 424. Henr . Dodwel de ve
ter. Cyclis differtat. II . Sect. 19. pag. 92 .
44 MERCURE DE FRANCE.
•
du nom de S. Jerome , par ceux d'Adon ,
d'Ufuard , de Raban , de Notker , &
par les plus modernes. ( e ) Aaron eft regardé
dans l'exercice du Sacerdoce comme
un Type de Jefus -Chrift qui a rempli légitimement
en fa perfonne toutes les
fonctions de fouverain Pontife, avec cette
différence pourtant que fon Sacerdoce
étant d'un ordre éternel avoit un mérite
furéminent & infini ; au lieu que celui
d'Aaron ayant commencé & devant finir
dans le temps , n'en avoit qu'un figuratif
& limité. L'Auteur infpiré de l'Épître
aux Hébreux fait la comparaifon de l'un
avec l'autre. Après avoir montré leurs
traits de conformité & leurs caractères
diftinctifs , il s'attache à faire voir l'excellence
& la prééminence des prérogatives
du premier fur le fecond dont il
prouve l'imperfection & l'infuffifance par
fa nature & par les circonftances qui ont
concouru à fon établiffement. (f) Les
( a ) Vet. Roman . Martyrolog. pag. 8. Ado.
Vienn. Martyr. pag. 46. Edit . Rofweid. Ufuard .
Martyr. pag. 373. Edit . Soller. Raban . Martyr, in
Thefaur. Monumentor, Ecclefiaft . pag. 3'32.Tom .
II. par. II. Edit. Bafnag. Notker. Martyr. in eod.
Thefaur. pag. 149. Tom. II. par. III . Martyrol.
Roman , à Baronio in lucem prolatum . pag. 259 .
Edit. Parif.
a
( a ) Epiftol. ad Hebræ, cap. VII , VIII , IX,
Commen
NOVEMBRE. 1761 145
Commentateurs & les Théologiens ont
pris à tâche de fuivre cette comparaiſon
dans toute l'étendue de fes dépendances ,
en développant foigneufement fes rapports
. Elle a été maniée avec beaucoup
d'habileté par M. Witfuus qui en a fait le
fujet d'une Differtation particulière . ( g )
( g ) Witf. Mifcellan . Sacr. Lib. II . Differt . II .
à pag. 455. ad 18. Tom . I.
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS UTILES. +
CHIRURGIE.
OBSERVATIONS fur la luxation de
la tête du fémur , à la fuite de chûte
fur la cuiffe.
PREMIERE OBSERVATION.
LE
E 25 Octobre 1757 , Mathieu Champion,
âgé de 19 à 20 ans , d'un bon tempérament
& fain quoique délicat , monte
fur un cheval , attelé avec trois autres à
un chariot chargé de foin ; le pavé étant
G
146 MERCURE DE FRANCE.
fort mauvais pour les chevaux , fon cheval
s'abattit . Le jeune homme tomba fur
le pavé , & reffentit à l'inftant de fa chûte
une vive douleur dans toute l'étendue
de la cuiffe droite . Le cocher affez dur
lui dit qu'il ne falloit pas s'écouter & qu'il
eût à remonter fur fon cheval : ce qu'il fit.
Le chariot fut conduit chez M. le Normand
de Mezi à qui il appartenoit . La diftance
n'étoit pas confidérable. La chûte
s'étoit faite rue du Bacq faubourg S. Germain
, & l'Hotel de M. de Mezi eft rue S.
Dominique , même fauxbourg. Mathieu
arrivé audit Hôtel , y refta le temps néceffaire
pour fe repofer , & laiffer rafraîchir
les chevaux , afin de retourner à
Sceaux d'où il venoit.
Pendant ce peu de temps, les douleurs
fe calmérent fi bien , qu'il remonta fur
le même cheval attelé à la même voiture
, & fit la route fans fe fentir beaucoup
incommodé. Arrivé à Sceaux , les autres
domeftiques
inftruits de fa chûte , lui demandérent
s'il n'avoit point de peine à
marcher il répondit qu'il reffentoit trèspeu
de chofe . Tout le temps que fon
Maître a refté à la campagne , Mathieu.
a fait fon fervice avec exactitude. Il alloit
& venoit même à pied de Sceaux à
Paris , montoit derrière le carroffe , & y
NOVEMBRE. 1761 . 147
monta jufqu'au mois de Janvier qu'il
fuivit fon Maître à Verfailles.
Mathieu eft resté dans cette pofition
jufqu'au 26 Janvier 1758 , où pendant la
nuit de très - vives douleurs fe firent fentir
dans l'articulation . On appella le lendemain
27 M. Bufnel , Chirurgien ordinaire
de la maifon , qui examina la
partie affectée avec toute l'attention poffible
: il n'apperçut ni gonflement ni inflammation
. Il tenta de faire faire quelques
fléxions & extenfions de la cuiffe, &
de la jambe ; mais la violence des douleurs
ne le lui permit pas. La grandeur
de la fiévre obligea de le faigner à dix
heures du matin. Les accidens perfévé..
rant , M. Bufnel réitéra la faignée du
bras fur le midi , & fit appliquer des cataplafmes
faits avec la mie de pain , le
lait & le faffran , qu'on avoit foin de
renouveller toutes les trois ou quatre
heures.
M. Bufnel rendit compte de l'état du
malade à M. le Normand de Mezi , &
lui dit qu'il foupçonnoit un dépôt trèsprofond
, & qu'il y avoit tout lieu de
craindre que l'articulation n'y fût intéreffée
par la luxation du fémur.
M. de Mezi pria M. Lehoc fon Médecin
de paffer chez lui dans l'après -mi-
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
di. M. Bufnel s'y trouva , & expoſa ce
qu'il avoit fait & ce qu'il penfoit . On
fut d'avis de continuer ce qui avoit été
fait juſqu'au lendemain , que l'on fe raffembla
à une heure marquée. Les douleurs
étoient fi aigues & la fièvre fi forte,
que l'on fit fur le champ une faignée , qui
fut réitérée à midi & fur les fix heures du
foir. Cette dernière faignée calma un peu
les accidens , quoique le fang fût roujours
également cocneux & inflammatoire.
Le 29 la fièvre & les douleurs étoient
modérées. On continua le même traitement
que les jours précédens. Le lendemain
, le retour des douleurs détermina à
faire une embrocation avec parties égales
de populeum & de baume tranquil .
le , qui fut continuée quelques jours , &
apporta un peu de calme.
Le 4 Février, M. Bufnel examinant la
cuiffe & la jambe du malade , y trouva un
alongement de quatre travers de doigt
de plus que dans l'état naturel . Ce qui fut
obfervé par M. Lehoc & toutes les perfonnes
de la maiſon qui s'y trouvérent. Dès
ce moment on fut pleinement affuré que
le prognoftic du dépôt & de la luxation
étoit vrai . On exhorta le malade à fe lever
, fes douleurs étant fupportables : il
NOVEMBRE. 1761. 149
marcha à l'aide de deux béquilles , non
fans difficulté & douleur jufqu'au 25 dudit
mois de Février , qu'il fut contraint
de refter dans fon lit , n'en pouvant fortir
fans fentir des douleurs extrêmes , furtout
pendant la nuit , & particulièrement dans
la partie interne du genou.
Ce renouvellement de douleurs occafionna
un nouvel examen qui fit décou
vrir que la cuiffe étoit remontée de quatre
travers de doigt , & que la tête du fémur
fe trouvoit fous les muſcles feffiers.
Ce prétendu Phénomène étonna tous les
Spectateurs .
M. de Mezi fit appeller M. Lehoc fon
Médecin , M. Louis , Chirurgien Major
de la Charité & M. Bufel fon Chirur
gien le 28 pour confulter fur l'état du
malade. Les douleurs étoient fi vives ,
que Mathieu dans fon lit ne pouvoit fe
tourner d'aucun côté. M. Bufnel expofa
tout de nouveau les circonftances rapportées
ci- deffus . On examina la partic affigée,
& M. Louis reconnut comme nous
la luxation de la tête du fémur , qui n'avoit
d'autre caufe que la chûre du malade
fur le pavé.
Mathieu avoit été elevé dans la maifon
de M. de Mezi dès fa plus tendre enfance
: il avoit toujours joui d'une fanté
G iij
150 MERCURE DE FRANCE .
parfaite : il poffédoit la confiance de fon
Maître , & il la méritoit par fa fageffe.
Le jour qu'il fut adminiftré on le queftionna
fur différens articles , & il déclara
qu'il avoit encore fa virginité. Son Maître
en eut tous les foins poffibles jufqu'au 25
Juillet , que preflé par les follicitations
réitérées du Révérend Père Infirmier de
la Charité , qui s'offroit pour avoir un
foin tout particulier du malade & mar--
quer à M. de Mezi fa reconnoiffance &
fon zéle ; il confentit à le faire tranfporter
à la Charité , particuliérement pour
qu'il ne pérît pas fous fes
fous les yeux.
Le 26 Septembre , Matthieu mourut =
on en fit l'ouverture le 27 , & on trouva"
la tête de l'os de la cuiffe , & la cavité de
l'os, innominé cariées & beaucoup de pus
grumeleux dans la cavité de l'articulation.
M. le Médecin de l'Hôpital ; M. le Gagnant
maîtrife , nombre de Chirurgiens ,
& plufieurs Religieux de la Charité y furent
préfens. Le même fait eft attefté par
une lettre de M. Louis,Chirurgien Major
dudit Hôpital, en date dudit jour 27 Septembre
1758 , écrite à M. Bufnel.
Nous fouffigné certifions le contenu
ci deffus être conforme à la plus exacte
vérité , à Paris ce premier Juillet 1761 .
LEHOC , ancien Médecin ordinaire du
NOVEMBRE. 1761. 15I
Roi & de l'Hôtel- Dieu de Paris.
BUSNEL Maître en Chirurgie , & Adjoint
au Comité de l'Académie Royale
de Chirurgie.
SECONDE OBSERVATION.
Une Demoifelle âgée d'environ dix ans,
native de Paris , fille de Monfieur & de
Madame Doublet , demeurant rue de la
Monnoie , au bout du Pont- neuf , fe trouvant
preffée d'aller à la garde- robe , fut
aux commodités , où l'on avoit placé une
pièrre d'environ un pied d'élévation pour
fa facilité . Son opération finie , elle oublie
la pièrre fur laquelle elle étoit montée ,
& tombe du haut de la pièrre fur la cuiffe
droite..
La Demoiſelle fentit dans le moment
de vives douleurs ; mais la crainte d'être
grondée lui fit garder un profond filence.
Cet accident arriva au mois de Septembre
1755.
Pendant plus de trois mois la Demoifelle
Doublet fit tous les exercices ordinaires,
fans qu'on s'apperçût de rien. Madame
fa mère l'avoit conduite à Versailles ,
à S. Cloud dans différentes Compagnies
où elle danfa avec toutes les grâces poffibles
: elle étoit d'une figure fort intéreſfante
& extrêmement aimable . En reve
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
nant de Verſailles , elle fut un peu gênée
dans la voiture : elle fe plaignit de reffentir
de la douleur au genou ; qu'on attribua à
ce mal- aife. La douleur perfévérant , ôn
examina ce genouil ; on n'y trouva rien.
Peu de jours après on s'apperçut que la
Demoiſelle marchoit avec quelque difficulté
, qu'elle boitoit de temps en temps , &
qu'elle fouffroit. Le père , la mère, le Maître
a danfer &c, l'interrogérent,& n'en purent
rien apprendre. On crut que c'étoit nonchalance.
Cependant la difficulté de marcher
& les douleurs augmentérent. La
fiévre furvint, & on la faigna plufieurs fois.
On appella M. Lehoc ,Médecin de la Mai
fon , qui propofa quelques bains domeſtiques.
Au fortir du premier bain, la cuiſſe
& la jambe de la Demoiſelle fe trouvérent
plus longues de près de trois travers de
doigt , que dans l'état naturel : Quelques
jours après on fut fort furpris de les trouver
plus courtes & de fentir la cuiffe remontée
de plus de deux travers de doigt fous
les mufcles feffiers , où la tête du fémar
s'étoit nichée. Ce déplacement ne put fe
faire fans des douleurs intolérables , accom ·
pagnées de fiévre continue. Cet état fàcheux
détermina la famille à appeller du
confeil , d'autant plus que M. Lehoc avoir
déclaré que la maladie étoit fans remédes,
NOVEMBRE . 1761. 153
qu'il y avoit luxation , occafionnée fans
doute par quelque chûte , ayant déja vu
plufieurs fois pareil accident, dont les fuites
avoient été funeftes . Cette vérité fut
enfin confirmée par l'aveu de la Demoifelle
, qui convint d'être tombée & comment.
On fit venir les plus célèbres Chirurgiens
de Paris & d'ailleurs. L'un propofa
des frictions avec l'onguent Mercuriel &
le Styrax , qui furent faites fans fuccès ;
les autres , différens remédes , qui n'eurent
pas plus d'effet.
La fiévre dégénéra en fiévre lente , qui
peu- à- peu précipita la malade dans le
marafme & la confomption : enfin furvinrent
de petits friffons irréguliers , des engourdiffemens
, des convulfions , une eſpéce
de paralyfie fur la langue , & elle
mourut le 23 Juillet 1756 , dix mois
après la chûte.
On en fit l'ouverture. On trouva dans
l'articulation du fémur avec l'os innominé
beaucoup de matiére purulente qui avoit
fair plufieurs fufées de côté & d'autre :
la tête de cet os placée fous les muſcles
feffiers, & la cavité qui le reçoit , cariées ;
les ligamens relâchés & pourris . la plûpart
des glandes du méfentère étoient remplies
d'une matière blanchâtre , épaiffe & pu-
G v
154 MERCURE DE FRANCE.
rulente , accident qui provenoit de la même
caufe que la longueur de la fiévre , les
friffons irréguliers , les convulfions & c.
c'eft- à- dire , du reflux du pus dans la maffe
des liqueurs. Ce même reflux avoit occa
fionné à Mathieu vers la fin de fa maladie
des taches fcorbutiques aux jambes fur les
cuiffes , & avoit rendu les gencives fpongieufes
, au point qu'il en fortoit quelque
fois du fang.
La preuve démonftrative que la dépra
vation des liqueurs avoit pour principé
les fuites de la chûte , foit de Mathieu ,
foit de la Demoiſelle Doublet ; c'eſt qu'a
vant cette chûte , l'un & l'autre jouiffoient
de la meilleure fanté , ainfi que ceux qui
en ont eu une parfaite connoiffance font
prêts de l'attefter, fi quelqu'un en doutoit.
Je fouffigné , certifie la préfente Ob
fervation être conforme à la vérité ; à Pa
ris , ce fix Août 1761. LEHOC , Docteur
Régent & ancien Profeffeur de la Faculté
de Médecine de Paris , l'Ancien des Mé
decins de l'Hôtel- Dieu de ladite Ville.
NOVEMBRE. 1761 755
ARTS AGRÉABLE S.
ACADÉMIE de Peinture & de Sculp
ture de MARSEILLE.
LE 30 Août dernier l'Académie de Peinture
& de Sculpture de Marfeille tint fon
affemblée publique dans la grande Salle
de l'Hôtel - de - Ville . MM . de l'Académie
des Belles -Lettres & MM . les Amateurs
Honoraires ayant été invités y affiftérent.
M. Cofte , Directeur en abfence de M.
Verdiguier ouvrit la Séance par un compliment
à MM. les Echevins qui préfi
doient & qui diftribuérent enfuite les
Prix adjugés aux Eléves pour leurs Deffeins
Académiques. La première Médaille
fut donnée au fieur Michel , la feconde
au fieur Cofte , fils du Directeur préfent
; & la troifiéme au fieur Blanc, Une
quatriéme Médaille fut donnée au ficar
Jacques Cabanis , Elève d'Anatomie
qui elle avoit été adjugée lors du concours
de l'examen . M. Chabaud , Profeffeur
d'Anatomie , lut après un Difcours fur
d'utilité de fon Art , & combien il eft relatif
à la Peinture & à la Sculpture . M
Moulinnerf, Profeffeur & Secrétaire pe
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
pétuel termina la Séance par un Difcours
qui a pour fujet : quoique la Peinture foit
une fidelle imitation de la Nature , elle ne
doit fes effets qu'à l'efprit & au génie.
Ce dernier Difcours attira l'attention de
l'Affemblée , qui applaudit beaucoup à
cette Séance.
Ce même jour il y eut dans la Salle
ordinaire du Modéle , l'expofition publique
des ouvrages de divers Membres de
l'Académie . Cette expofition qui a continué
jufqu'au foir du Dimanche 13 Septembre,
a été nombreufe & brillante. Le
Public empreffé a vû avec fatisfaction les
progrès que l'émulation occafionne parmi
les Membres de cette Académie.
PRECIS de l'Expofition.
Un Grouppe de figures en relief repréfentant
l'Ecole de la Vertu, par M. Verdiguier.
Un Tableau de quatre pieds pour 4 ½
de hauteur, repréfentant Télémaque Berger
en Egypte jouant de la Flûte que
Thermofiris Grand- Prêtre lui a donnée
pour adoucir les moeurs Sauvages des Pâtres
de cette contrée, par M. Cofte.
Quatre Bas- reliefs repréfentant les Arts
& cinq Efquiffes, fujets d'Hiftoire, par M.
Bertrand.
NOVEMBRE. 1761.. 757
Deux Tableaux de Payfages enrichis
de ruines de quatre pieds fur trois de
hauteur . Deux autres Tableaux de Payfages
champêtres de deux pieds fur un de
hauteur . Deux petits Payfages & quatre
deffeins à la Gouache , par M. Richaume.
Trois Tableaux de Payfage d'environ
quatre pieds fur trois de hauteur , par
avid.
M.
Une figure en relief repréfentant Hercule
fur le Bacher, par M. Nicolas.
Cinq Portraits en Bufte , par M. Zirio .
Quatre deffeins de Marine à la Sanguine
; deux dits à la Gouache.
8
Deux petits Portraits au Paſtel de cinq
pouces fur de hauteur, par M. Kapeller.
Le Portrait en pied de M. le Bailly.de
la Salle , décoré des habillemens & du
Cordon de l'Ordre de Malthe . Un grand
Tableau repréſentant les Portraits de M.
Verduffen , Peintre de Batailles , de fon
Epouſe & de fa Servante ; & neuf Portraits
en Bufte , par M. Revelly.
Sept Portraits en Bufte , par M. Arnaud.
Trois Paylages , par M. Defpéches.
Deux Tableaux de Marine de quatre
pieds fix pouces fur trois pieds de hauteur
& un autre du même genre de deux
pieds neuf pouces fur deux pieds trois
18 MERCURE DE FRANCE.
pouces de hauteur , par M. Rey-Vieil
Un Tableau de réception repréfentant
Salomon qui encenfe les Idoles . Un grand
Tableau de huit pieds fix pouces fur fix
pieds quatre pouces de hauteur, repréſentant
le Centenier. Trois petits Tableaux
de Caprice dans le goût du Teniers. Un
Tableau de ruines , & quatre Portraits en
Bufte , par M. Loys.
Un Tableau de trois pieds fur trois
pieds neuf pouces de hauteur , repréſen,
tant l'ombre de Samuel qui apparoît à
Saül, deux Portraits en Bufte , par M. De
cuges .
Un Tableau de quatre pieds fur fix de
hauteur , repréfentant Artemife au moment
qu'elle prend les cendres de fon
Epoux. Un autre Tableau de trois pieds
fix pouces fur quatre pieds de hauteur, repréfentant
Admete prêt à partir pour
l'Armée qui dit adieu à Alcefte. Trois
Efquiffes,fuje ts d'Hiftoire, par M. Celony
NOVEMBRE. 1761. 159
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
OPER A.
L'A'ACCAADDÉÉMIE Royale de Mufique ayant
fixé la premiere repréſentation de la remife
d'Armide au ; de ce mois , nous ne
ferons en état de rendre compte de ce magnifique
Spectacle que dans le volume fuivant
.
Elle donnera le premier Bal le 11 , & le
lendemain reprendra les repréfentations
des Jeudis , jufqu'à la Fête de l'Aſcenfion
.
COMÉDIE FRANÇOISE.
MILE LLE Rozalie , qui avoit déja débuté
fur ce Théâtre , y reparoît , depuis peu ,
avec la même chaleur d'âme & les diſpofitions
d'intelligence , qu'on avoit déja
applaudies en elle, perfectionnées par l'étude
& par l'éxercice de fon talent fur
des Théâtres particuliers . Elle a reçu des
encouragemens flatteurs dans les rôles
160 MERCURE DE FRANCE.
d'Electre & de Phédre ; elle a dû continuer
par celui d'Athalie. La loi que nous
nous fommes impofée de ne jamais prévénir
les décifions définitives du Public à
l'égard des Acteurs débutans , ne nous
permet pas d'en dire davantage actuéllement
fur le fort de ce fecond début .
Les pertes confécutives que le Théâtre
François a faites depuis quelque temps
dans les Rôles de caractères , ont fait revenir
fur la scène Mlle Durancy , ci- devant
Mlle Darimatte, pour feconder , dans
les cas d'indifpofition , Mlle Drouin, Actrice
de ce Théâtre , nouvellement chargée
de cet emploi- , aux talens de laquelle
le Public a applaudi , ainſi que nous en
avons rendu compte dans un des Mercures
précédens. Nous croyons qu'il n'eſt
pas inutile de rappeller , en faveur de Mlle
Durancy , & la néceffité des conjonctures
& le plaifir qu'a fait au Public autre
fois Mlle Darimatte , fur un autre Théâtre
& dans un genre de talens différent.
Mlle de Pinai , jeune Actrice admife
à l'éffai depuis fon début , a eu occafion
de mériter les applaudiffemens par la maniére
dont elle a joué un rôle dans l'Ecole
des Mères; les graces de l'ingénuité & en
même temps la jufteffe d'expreffion qu'elle
a miſe dans les détails de ce petit rôle,
NOVEMBR E. 1761. 161
ont fait fentir au Public , que le talent de
cette jeuné perfonne étoit fufceptible de
progrès .
Ceux que fait journellement M. Molet,
reçoivent auffi de nouveaux encouragemens
dans plufieurs rôles. Le feu dont ce
jeune Acteur eft animé, eft une difpofition
ordinairement favorable & toujours favorifée
par le Spectateur, furtout lorsqu'il
s'apperçoit que l'on travaille à régler ce
feu & à le foumettre par le raifonnement
& par une attention foutenue , à donner
à l'organe de la voix les grâces & la jufteffe
, fi indifpenfablement néceffaires
pour réuffir dans la déclamation .
COMEDIE ITALIENNE.
MILE Vilette , à laquelle le Public
n'a point ceffé d'être très-favorable , a
continué fon début prèfque toujours dans
les mêmes Piéces , dans lefquelles elle
avoit commencé à paroître ; fçavoir l'Iſle
des Foux , la Servante Mattreſſe & la
Fille mal gardée .
Elle a joué pendant deux Repréfentation
de Mazerle Rôle qu'une indifpofition
avoit obligé Mlle Favart de difcontinuer.
Cette dernière Piéce étoit à la douziéme
Repréfentation, le 22 Octobre.
162 MERCURE DE FRANCE.
Le 7 , on avoit remis fur ce Théâtre
une petite Comédie en un Acte , de fett
M. Laffichard , intitulée la Famille , qui
avoit été donnée pour la première fois ,
en 1736 .
: Le Mercredi 22 , on hazarda fous le
titre des Ridicules dujour , la première
Repréſentation d'une Comédie , intitulée
la Mode , Piéce en trois Actes , imprimée
dans les OEuvres de Madame de
Staal , de laquelle par conféquent nous
ne donnerons pas l'analyfe. Cette Piéce
d'ailleurs n'ayant pas réuffi , a été auffitôt
retirée.
Il y a de l'efprit dans cette Comédie &
du ftyle dans quelques - uns de fes détails ,
fuffifamment pour juftifier l'éffai qu'on en
a fait , & avoir engagé les Comédiens
au travail de l'étude. Son mauvais fuccès
donne lieu à quelques obfervations , qui
peuvent être de quelque utilité pour l'art
du Théâtre. La première eft , qu'en gé
néral , il eſt très-rare que des ouvrages
dramatiques deftinés à l'amufement d'une
Société particulière, telle que paroît avoir
eu pour but cette Comédie , ait le même
fuccès fur la Scène publique. Tant de petites
circonstances , heureufement faifies ,
préfentées avec art , relatives fouvent à
ceux qui compofent ces Sociétés , ou à
NOVEMBRE. 1761. 163
ceux qui font les objets les plus fréquens
de la plaifanterie , quelquefois même à
ceux qui repréfentent , font le mérite de
ces fortes d'ouvrages ; mais deviennent
indifférentes & fouvent ridicules pour le
Public , qui n'en eft pas affecté de la même
manière , fans que fon jugement puiffe
être regardé alors comme une cenfure ,
ni de l'Auteur , ni de l'Ouvrage , ni des
applaudiffemens qu'on y avoit donnés.
La feconde obfervation , plus particu
lièrement applicable au fujet de cette Piéce
, c'eſt la difficulté de bien voir , pour
les bien peindre , les Ridicules , qu'on
appelle du Temps. L'apparente facilité de
les faifir eft perfide ; on croit les trouver
dans les Roians , dans les Contes &
dans les petites moralités chagrines du fiécle
, dont les Auteurs fouvent n'en ont
emprunté que quelques Copies infidelles
au Théâtre , auquel à leur tour ils rendent
auffi les leurs encore plus incorrectes &
plus groffières. D'où il s'enfuit que dans
tout cela on n'a pas vu ces ridicules précifément
comme ils font , dans le tableau
original du monde où il falloit les voir .
La vérité cependant , qui a une force ſecrette
dont on ne peut fe défendre , même
en la trahiffant , murmure tout bas à l'inf
tinct de l'Auteur Comique ; il ne recon
164 MERCURE DE FRANCE.
noît pas , il ne s'avoue point ; mais il fent
l'incertitude de fa vue : il en accufe alors
la foibleffe de fes crayons ; il appuye , il
accumule les traits , il monte le ton de
couleur , & la Piéce tombe . Plus le Public
entrevoit les fineffes de nuances qui
doivent être dans l'original , plus il eft
frappé de l'infidélité des Copies.
Enfin une autre vérité générale pour le
genre de Drame Comique , c'eft la fupériorité
de génie,de talens & de perfection ,
beaucoup plus indifpenfable dans la Profe
que dans les Vers .
Sous le fard de la verfification , Thalie
cache fouvent bien des irrégularités . C'eſt
une Beauté vive , dont la parure éblouit
par fon éclat , qui féduit & ne fe laiffe pas
trop examiner. La Profe , au contraire ,
la réduit aux feuls attraits naturels ; il
faut qu'elle plaife par fes propres charmes.
Attentif & paifible contemplateur de fes
traits , l'Esprit en mefure fcrupuleufement
toutes les proportions , & ne ſe livre qu'après
avoir difcuté le droit qu'ils prétendent
à plaire. Sans décider fur le plus ou
le moins de mérite entre l'une & l'autre
de ces deux manières d'écrire la Comédie ,
il est conftant qu'entre autres écueils que
la Profe rencontre , un des principaux eft
la prétendue facilité qui féduit la pareffe
NOVEMBRE . 1761 . 165
& trompe l'ignorance. Il n'eft point d'art
qui exige tant de talens pour y exceller ,
que ceux dont la pratique paroît la plus
facile & la plus commune à tout le
monde.
Le peu de fuccès de la Comédie des
Ridicules du Jour , ne doit pas dérober
aux Acteurs qui étoient chargés des principaux
rôles , les éloges dûs aux éfforts &
aux talens qu'ils ont employés pour les
faire valoir . Nous faififfons avec plaifir
cette occafion pour remarquer que M,
le Jeune , l'un des nouveaux Acteurs de
cette Troupe , développe tous les jours.
de plus en plus les difpofitions avanta
geufes qui lui avoient procuré les premiers
fuffrages du Public , lefquelles fe
perfectionnent par l'encouragement qu'il
en reçoit avec juftice.
AM. DELAGARDE , Penfionnaire
adjoint au Privilége du Mercure pour
la Partie des Spectacles,
ONSIEUR ,
J'ai été impatientée d'avoir vu pendant
une partie de l'Eté nos grands Théâtres
166 MERCURE DE FRANCE.
prèfque déferts ; j'ai regardé la révolution
du goût qui en étoit cauſe comme une
frénéfie , dont la plupart de ceux qui en
étoient affectés ne fentoient pas tout le ridicule.
Dans le chagrin que j'en avois
( parce que la tranquillité de ma fituation
ne m'en fournit guère d'autres , ) j'avois
écrit à une de mes amies en Province ;
cette amie exige de moi que je rende ma
lettre publique , toute informe & toute
folle qu'elle puiffe être. C'eſt à vous , Mr.
de me rendre ce mauvais office , fi vous
penfez néanmoins ne pas trop déffervir le
Public ; car il ne faut fâcher perfonne ,
encore moins fes Maîtres. Dites -lui donc,
je vous prie,très - humblement de ma part,
que je ne prétends point gêner ni cenfurer
le goût & les opinions de qui que ce
foit. Je ne prétends qu'au plaifir de dire
bien haut & à bien du monde , la façon
dont je vois. Que l'on en rie , que l'on
me brocarde tant qu'on voudra ; pourvû
qu'on ne s'irrite pas , je ferai la plus fatisfaite
de toutes les femelles Auteurs qui fe
font gliffées dans la République des Lettres
. Voici la copie de ma Lettre.
33
A Madame Bovc ..... le 20 Sept. 1761 .
Je crains fort , ma chère Dame, que
par un excès de rafinement fur nos plai-
» firs , nous ne retournions , fans nous en
NOVEMBRE . 1761 . 167
5)
"
appercevoir , jufqu'à la Barbarie de nos
gothiques Ancêtres . L'attrait de la farce
s'oppofa long -temps au progrès de notre
Théâtre ; on ne pouvoit la perdre
» de vue dans nos premiers chef-d'oeuvres
» Dramatiques. Le même attrait nous fait
dédaigner aujourd'hui d'autres chef-
" d'oeuvres qui étoient en poffeffion de
toute notre admiration ; qui honorent
» les âmes qu'ils touchent encore , &
» forment les efprits qui s'en amuſent.
Nous rejoignons les deux bouts , ma
chère , les extrémités fe rapprochent ;
» encore un petit cours de bouffonnerie,
» elles fe confondront à ne les plus diftin-
» guer.
"
» Un Spectacle s'eft introduit depuis
peu, auquel on ne peut donner de nom,
parce qu'il n'a point de genre. Il tient
» lieu de l'Opéra - Comique ; il en prend
» le titre fans en avoir ni la forme ni le
» fond. Ce ne font plus des pensées faillantes,
fpirituellement tournées & fou-
" vent délicates qu'on trouvoit dans les
vrais Opéra- Comiques , tels que dans
» la Chercheufe d'Efprit , le Coq du Village,
les Amours Grivois ,le Bal de Straf
bourg, le Suffifant , & plufieurs autres.
» Ce ne font plus des Vaudevilles dont le
chant agréable & facile fe prêtoit à l'en
68 MERCURE
DE FRANCE .
23
38
» chaînement du Dialogue , auquel par
,, cette raifon l'Auditeur , ami des vraifemblances
, fe prêtoit à fon tour avec
» moins de répugnance . Ceje ne fais quoi
», dont il eſt queſtion , ce petit monftre
burlesque auroit quelqu'affinité avec
l'Opéra bouffon des Italiens , s'il avoit
» comme fon prétendu modéle
»
"
" une
» matche plus régulière & plus univoque.
Mais il tombe à tous momens de l'A-
» riette bruyante , au Dialogue parlé . De
» ce Dialogue , il reffaute fubitement à
Ariette . A peine l'efprit s'accroche-t -il
à quelques mots d'une fcène , qu'il eft
tout-à-coup accablé par le bruit épou-
» vantable avec lequel s'annonce le plaifir
qu'on prépare à l'oreille. Celle-ci ,
» n'en eft pas mieux traitée : à peine com-
"3
mence-t - elle a s'accoutumer un peu
» aux cliquetis de l'Ariette fecondés par
» l'Orcheſtre , qu'elle refte fubitement à
» vuide pour n'entendre que quelques
» mots qu'on n'a pu placer dans le toifé
des Vets d'Ariette ; car c'eft une verfification
toute particulière que celle- ci ,
» & qui ne tient en rien de la Poëfie ;
» quoique ce ne foit pas même de la pro
fe rimée . Oh , nous fommes très- nou-
» veaux & très-finguliers dans nos inventions
modernes ! Tel eft cependant ,
•
Madame ,
NOVEMBRE . 1761. 169
ן כ
1
Madame , le plus favori de nos amufemens.
Quand le Maréchalboit & chan-
» te près de fon enclume , il faut que les
héros de la Gréce & de Rome , que s
» Dieux mêmes fe taifent fur nos Théâ-
» tres , ou qu'ils ne parlent plus que pour
» un petit nombre d'amis du bon vieux
» temps. Que ceux dont les occupations
» graves , les foins importans travaillent
» & fatiguent journellement l'efprit ,
» cherchent à le délaffer quelquefois par
» ce qui ne peut jamais l'occuper , rien
» de fi naturel , rien de fi raifonnable ;
Que ceux encore dont les paffions agi-
» tent ou oppriment l'âme , courent , en
» fe fauvant d'eux- mêmes , fe réfugier à
» ces jeux libertins , comme dans un afyle
privilégié où rien ne parle au coeur ,
qu'y a - t-il de plus tolérable ? Mais que
» de fang froid , par un choix de préfé-
» rence , par un goût dont on fait fem-
» blant de raifonner le principe , ces fri-
» volités contraires à toutes les régles des
» Arts , deviennent un amufement univerfel
& dominant ; c'eft ce que je ne
puis voir fans peine , parce que je ne
» fuis pas encore fans toute cette espéce
de raifon , & que je vois pour notre
» Nation , dans cette éffervefcence , un
» ridicule plus dangereux que beaucoup
"
35
>>
و د
H₂
170 MERCURE DE FRANCE.
» d'autres. Eh , s'il nous faut abfolumen
» des hochets , ne pourroit- on pas chan-
', 'ger celui- ci ' contre un autre qui ait un
peu moins de grelots qui n'agacent
pas tant les oreilles délicates ?
"
ور
39
»
38
#
la » Cet égarement du goût , ainfi que
plupart des autres , eft une fuite des
égaremens progreffifs de la Mufique.
» Je penferois affez fur cela comme l'Au-
» teur du Coup d'oeil de l'Opéra. Nous
commençons à devenir trop fçavans en
» Mufique , pour qu'elle foit encore fen-
» fible & raiſonnable. A l'exemple des
» Grecs , nous avons fait tant de petites
recherches , que les grands principes
font oubliés , & nous fommes fi grecs
» dans cet Art , que notre Mufique ne
» parle plus François . Le genre de la Mufique
n'a jamais été cependant confi-
» déré comme une chofe indifférente
» pour la Société ; elle n'a pas échappé à
» la prévoyance des plus fages Légifla-
» teurs : on étoit perfuadé avec raifon
» qu'elle influoit fur le caractère & fur
» les moeurs d'une Nation , parce qu'elle
» en forme & difpofe prèfque tous les
goûts , & que les goûts produifent des
» ouvrages plus ou moins avantageux au
génie général de la Société.
›
Accoutumé à fe plaire au bruit d'une
NOVEMBRË. 1761 . 171
harmonie licentieufe , fans ordre , fans
frein , fans autre objet que la féchereffe
de fes régles ; peut- on habituer
fon efprit à fentir le prix des conve-
" nances & à connoître d'autres loix ,
رو
>> pour fes productions , que les folles
inſpirations du caprice ? D'un autre côté
, encore plus intéreffant , lorſque la
Mufique ne peindra que les images les
plus triviales ou les plus burlesques , &
que par une espéce de débauche , on
» n'écoutera , on n'aimera , on ne vantera
que cette forte de Mufique ; comment
dis-je éviter que bientôt on ne
perde tout fentiment du beau,du grand ,
enfin des tout ce qui peut élever les
» ames & enflammer le génie ? Voici mon
-» dernier mot, Madame , & fur cette Mu-
3
fique & fur les petits mots qu'on faufile
deffous. En occuper plus longtemps
» le Public , c'eft en bonne foi laiffer un
» enfant de bonne maifon s'amufer dans
» l'antichambre & c.
De quelque manière que vous voyiez
le chagrin qui m'avoit dicté la lettre cideffus
, vous me ferez plaifir , Monfieur ,
de lui donner toute la publicité que procure
le Journal où vous avez part ; je me
facrifie en cela au plaifir de mon amie
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
qui le defire. Sacrifiez - moi votre opinion
fi elle eft contraire à la mienne
fans quoi je douterois de l'impartialité
dont vous devez faire profeffion . Je fuis ,
Monfieur & c. DEGASTIN femme d'ENTREVILLE.
15 Octobre 1761.
Nota. La Dame qui nous a fait l'honneur
de nous adreffer fa lettre , par le
Joupçon dont elle nous menace nous
contraint poliment , comme on voit , à
fatisfaire l'empressement qu'elle a d'être
imprimée . Elle ne trouvera pas mauvais ,
s'il lui plaît , que pour éviter un pareil
foupçon de partialité de la part de tous
autres , nous inférions auffi exactement
ce qu'on pourroit nous adreffer de contraire
à fon fentiment ; pourvu néanmoins
qu'on obferve la modération convenable
par rapport à elle , & que l'on
figne les lettres.
SUPPLÉMENT à l'Article III. Sciences
& Belles-Lettres,
HISTOIRE, NATURELLE.
"
TROISILME LETTRE de M, JAUSSIN
, ancien Apoticaire Major des
NOVEMBRE. 1761. 173
>
Camps & Armées du Roi Maître
Apoticaire à Paris , à M. de B....
ancien Commiffaire des Guerres .
SUITE des Obfervations fur quelques
Parties de l'Hiftoire Naturelle de la
Corfe , &c.
ETTE Ifle , Monfieur , a auffi des lacs.
confidérables , tels font ceux de Creno &
d'Ino . On les trouve dans la piève de
Sorenza fur la cime d'une haute montagne
nommée le Gradaccio prèfqu'au
centre de l'Ifle , & que les Anciens appelloient
le Mont d'or , Mons aureus.
Le Golo a fa fource dans le lac d'Ino. De
la manière dont le Gradaccio eft fitué ,
il fépare la Corfe en deux parties. Le
cours du Golo peut être d'environ foixante
quinze milles . Il traverſe entiérement
les deux Jurifdictions de Corfe &
de Baſtia , & il va fe jetter dans la mer
à Mariana.
Il ne feroit pas impoffible , Monfieur ,
de rendre navigables plufieurs des rivières
de ce Royaume , en les faifant communiquer
les unes avec les autres ; car
on ne fçauroit croire combien fans
parler des gros ruiffeaux, on y en compte
>
Hijj
174 MERCURE DE FRANCE
de fortes & d'un long cours: Telles font
le Fiumalto dont la fource eft dans les confins
de la piève d'Orezza, & qui fe décharge
dans la mer à S. Pellegrin . Le Lavignano
qui vient du lac de Creno , à deux milles
de celui d'Ino fur le même mont Gradaccio.
Il paffe par des Pays déferts &
incultes , & aboutit à la mer auprès d'Aleria.
Il reçoit au- deffous de Corfe la pè
tite rivière de Reftonica qui vient de la
piéve de Venaco. C'eft elle dont les eaux
ont la fingulière propriété de blanchir &
de polir le fer , ainfi que je l'ai déja dit
dans ma premiere Lettre.
Le Fiumorbo eft une autre rivière de
la Corfe qui a deux fources , l'une dans
la piève de Vivario , l'autre dans celle
de Corfe , au centre des montagnes inhabitées
; elle s'embouche' dans la mer
au - deffus d'un étang appellé Stagno Orbind.
Le Liamone fort encore du lac
de Creno , & va ſe jetter dans le golphe
de
Sagone.
La
Gravonne à fa fource aux pieds des
montagnes de Bogognano , où elle reçoit
plufieurs gros ruiffeaux & traverſe un pays
fertile. Le Tavalo eſt formé auffi de beau
coup de ruiffeaux qui viennent de diffe
rens lieux , comme de Zitavo , montici
& c. Cette rivière fe jette au Golphe de
NOVEMBRE. 1761. 175
Valinco au- deffous d'Olmetto . Le Valin
co qui donne le nom à ce Golphe , prend
fa fource dans la Piéve de Scopamene &
paffe auprès de la Ville de Sartenne.
Encore une fois , Monfieur,il feroit facile
par le moyen de toutes les rivières ci- deffus
nommées , de tranfporter dans toutes les
Villes & Bourgs de l'intérieur de l'Ile ,
toutes les marchandifes & denrées de fon
cru ; & je me propofe de vous démontrer
une autre fois , qu'elle abonde en toutes
fortes de richelles totalement négligées
aujourd'hui , Au, refte on trouve dans ces
rivières une quantité prodigieufe de Truites
& d'Anguilles excellentes. Il y en a
des unes & des autres dont la groffeur eft
monftrueufe. D'ailleurs on n'y voit aucun
autre poiffon d'eau douce comme Carpe ,
Brochet & c .
Il y a auffi des Etangs en Corfe ; mais
celui de Diana eft remarquable. Il eſt formé
par les eaux de la Mer , & pendant les
chaleurs de l'Eté, celle qui eft fur les bords
fe défléche naturellement , & produit un
fort bon fel dont les Habitans pourroient
Le fervir.
J'ai l'honneur d'être & c.
A Paris ce 6 Septembre 1761 .
Lafuite au Mercureprochain.
Hiv
176 MERCURE
DE FRANCE.
P. S. Vous favez , Monfieur , que je
n'ai point l'honneur d'être Médecin , ainfi
je ne puis pas répondre à la première des
deux queſtions que vous me faites dans
votre Lettre du 20 Août . Les mots de
Diagnoftic & de Prognoftic & c. ne font
nullement de ma compétence . Quant à la
feconde queftion , elle eft un peu plus de
mon reffort , parce qu'elle appartient à
l'Hiftoire , dont toutes les perfonnes qui
veulent approfondir certains faits inconnus
, ont bien la liberté de s'occuper dans
quelque genre que ce foit. Cela pofé ,
Monfieur , il eft donc vrai que les Juifs
ne regardoient pas autrefois la lépre comme
une maladie contagieufe. Un favant
Auteur étranger du fiécle paffé en a donné
des preuves auffi claires que convain-
* dans un excellent ouvrage
qu'on acheva d'imprimer à Amfterdam
en 1687. 1º. Selon cet Auteur les maladies
peftilentielles attaquent les hommes
& le bétail indifféremment ; mais pour la
lépre , ou ne lit point qu'aucune bête en
ait jamais été atteinte. Il eft vrai qu'il eft
parlé d'une lépre des habits & des maifons
, mais on ne fait pas bien ce que
cantes
*
>
Jacoq. Alting, dum viveret SS. Litterarum in
Academia Groningana Profefforis , opera omnia. s
Vol. in-folio chez Gerard Borftius.
NOVEMBRE. 1761. 177
c'eft , & on croit que cette efpéce de contagion
n'a jamais paru hors de la Paleſtine,
2°. Il falloit que tous les Lépreux fe préfentaffent
à un Sacrificateur , qui les examinoit
avec beaucoup de foin , & qui
étoit ainfi obligé de les regarder de fort
près. Or fi la maladie eût été contagieufe ,
les Prêtres auroient été exposés à un
grand danger, eux que les travaux de leur
miniftère, & l'obligation de marcher nuds
pieds rendoient fi infirmes.
3°. Ceux qui étoient atteints de ce mal
fréquentoient librement parnii le peuple
jufqu'à ce qu'ils fuffent vifités par les Prêtres
& déclarés Lépreux. Or cette infpection
ne fe faifoit ni un jour de Sabbat
, ni un jour de Fête , pour ne pas troubles
la dévotion & les réjouiffances publiques.
Il n'y a pas d'apparence qu'on eût
renvoyé ainfi la féparation d'un peftiféré .
4°. Les Gentils qui n'étoient pas Profelytes
& qui demeuroient dans l'enceinte
de Canaan , n'étoient point obligés de
fe montrer aux Sacrificateurs , quoiqu'ils
fuffent Lépreux , & néanmoins perfonne
ne les empêchoit de converfer avec tout
le monde.
5 °. On enfermoit ceux qu'on foupçonnoit
d'être atteints de la lépre dans le
Champ, ou dans la Ville même , & on
Hy
1-8 MERCURE DE FRANCE.
n'en faifoit fortir que ceux qui avoient été
jugés Lépreux. Que s'ils venoient à guérir,
on ne leur permettoit de rentrer , qu'après
un grand nombre d'ablutions , &
d'autres cérémonies qu'il leur falloit obferver.
6. Selon le jugement que le Sacrificateur
prononçoit , on regardoit un homne
comme net , ou comme fouillé. On
fuyoit fa converſation , ou l'on fréquen
toit avec lui. Or il n'eft pas vraisemblable
que cette Sentence rendît une perfonne
plus ou moins contagieufe.
.
7. Et enfin la lépre univerfelle qui
couvroit tout le corps , ne rendoit point
fouillé , puifqu'on déclaroit nets, ceux qui
avoient le corps tout blanc de lépre , &
dans lequels il ne paroiffolt aucune chair
vive. Naaman le Lépreux avoit plufieurs
perfonnes à fon fervice , & il étoit lup
même Ministre du Roi de Syrie , ce qu'il
n'auroit pu être fi fa maladie eût été con
tagieufe . Auffi le mot Hébreu Tamé, qui
fe dit des Lépreux immondes & fouillés ,
ne marque qu'une impureté légale , & ne
s'applique point à ceux qui font affectés de
cette contagion .
Au refte , les Juifs croyoient fi peu que
la lépre étoit une maladie contagieufe ,
qu'ils penfoient au contraire que Dieu par
NOVEMBRE. 1761 . · 179
un effet de fes jugemens impénétrables ,
faifoit tomber cette maladie fur certaines
perfonnes comme une peine extraordinaire.
2
Voilà , Monfieur , tous les éclairciffemens
que je puis vous donner fur cette
matière. Vous voyez en même temps que
je vous prodigue extrêmement l'érudi ·
tion d'autrui , & je n'en rougis point. A
l'égard de la Plante nommée Goemon
M. Royer ne la connoît que par la def
cription qu'en a donnée le Père Gui Tachard
, Jéluite, dans fon Voyage de Siam ,
imprimé à Paris en 1686. C'est une herbe
, felon cet Auteur , qui couvrant prèfque
toute la furface de la mer , la rend
femblable à une grande prairie ; on commence
à la rencontrer lorfqu'on fait voir
le au Sud , à trois cens lieues du Cap de
Bonne- Efpérance . Ce Jéfuite conjecturoit
que le Goëmon venoit des côtes voisines ,
qu'il en étoit détaché par les vagues , &
que les marées , les courans ou les vents
le portoient en haute mer , mais non
pas fort loin des terres .
Pour répondre à votre autre queftion, -
Monfieur ; M. Royer dit que Malpighi
célébre Médecin Italien & très - grand Bor
tanifte , des oeuvres latines duquel on aune
magnifique édition imprimée à Londres
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
en 1686 , eft le premier qui a cru qu'on
pouvoit comparer l'état où le trouvent les
graines avant que de germer, à l'état où eft
le foetus des animaux qui produisent leurs
petits vivans , peu de temps après la conception,
fi ce n'eft que la plante eſt mieux
formée , & paroît plus diftincte que les
premiers principes de l'animal que l'on
voit dans l'oeuf , lequel fouffre des changemens
perpétuels , & s'augmente part
les fucs qui fe filtrent inceffamment au
travers de fes membranes. M. Royer
ajoûte que M. Malpighi finit la première
partie de fon Anatomie des plantes , par
la comparaifon qu'il fait entre leur femence
& les oeufs d'où fortent les animaux.
La réponſe de M. Royer vous
prouvera, Monfieur, que la plantation &
la culture de fes jardins , de même que la
lecture & la fréquentation des plus grands
Botanistes , emportent prèfque tout fon
temps .
Vous me mandez , Monfieur , dans votre
dernière Lettre , qu'avant de vous
abonner pour la Gazette de Médecine
vous feriez bien aife de favoir mon fentiment
fur cette feuille périodique. Certainement
, Monfieur , il ne m'appartient
point d'apprécier le mérite d'aucun ouvrage
d'efprit & de littérature: néanmoins
puifque vous le voulez, je vous le dirai inNOVEMBRË.
1761. 181
ceflamnjent avec toute l'impartialité, &
toute la bonne foi dont je me pique. Vous
me demandez encore quelle eft la devife
ou l'Epigraphe que l'Auteur met ordinairement
au Frontifpice de fa Gazette : vous
allez être fatisfait fur le champ , la voici
; il paroît même qu'à l'avenir il s'y
tiendra.
Tibi fe mortalia fæpè
Corpora debebunt . Ovid.
Je vous obferverai cependant , Monfieur,
qu'il en a adopté une auparavant qui
me plaifoit infiniment , & j'ignore pourquoi
l'Auteur l'a fupprimée. Vous en jugerez
tout- à-l'heure . Emendat ridendo.
Peut on difconvenir que cette penfée -là
ne foit auffi neuve que brillante ? Je la
trouvois fupérieure affurément au Caftigat
ridendo mores du fameux Santeuil
que vous avez lû cent fois ici fur la toile
qui eft au- devant du Théâtre de la Comédie
Italienne . Je puis pourtant me tromper.
Au furplus , Monfieur , vous faites au
mieux de lire le Journal de Médecine . C'eſt
un Ouvrage bâti fur des fondemens folides
, & qui a acquis le droit de plaire
& d'intéreffer. On n'y voit ni mauvaiſes
plaifanteries , ni rapfodies triviales , capa- ·
bles d'ennuyer & de dégoûter les Lecteurs
délicats.
182 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
De PETERSBOURG , le 24 Septembre 1761 .
L Efieur de Werner , Lieutenant Général des
Armées du Roi de Pruffe , s'étant avancé vers
Treptow avec un Corps d'Infanterie & de Cavalerie
, le Comte de Romanzow a fait marcher
contre lui deux bataillons de Grenadiers , huit
Efcadrons de Dragons & de Huffards , & quelques
Cofaques , fous les ordres du Colonel Bibikow.
Ce détachement ayant coupé les Pruffiens ,
les a attaqués fi vivement , qu'après un combat
de peu de durée , le fieur de Werner s'eft rendu
prifonnier , ainfi que treize Officiers & cinq cens
hommes. Le reste du Corps ennemi a été taillé en
piéces , ou difperfé . On s'eft emparé de deux pićces
de canon .
De WARSOVIE , le 30 Septembre .
Un Corps confidérable de troupes Pruffiennes ,
commandé par le Général Plathen , ayant pénéré
jufqu'à Kobielin & à Koftin , a ruiné les Mar
gazins que le Feld- Maréchal de Butturlin y avoit
établis. Bien loin que cet incident faffe perdre de
vue au Feld Maréchal les opérations qu'il a entamées
dans la Poméranie & dans le Brandebourg ,
il s'eft rapproché de ces Provinces , & il a conduit
l'Armée Ruffe en cinq marches , de Radomitz à
Wronki fur la Wartha . Le Knès Dolgorucki, avec
NOVEMBRE. 1761. # 183
ta Divifion des troupes Ruffes , qui eft à les ordres
, fera bientôt à portée de joindre le Général
Romanzow devant Colberg.
•
De STOCKOLM , le 2 Octobre.
Le Roi a revêtu du caractère de fon Ambaffadeur
à la Cour de France , le Baron de Scheffer ,
fon Miniftre Plénipotentiaire auprès de la même
Cour.
On fut informé le 29 du mois , dernier , par des
Lettres de Hambourg , que le 18 il y avoit eu en
Pomeranie , entre un détachement de dix-huit
cens Suédois , aux ordres du fieur de Springport ,
& le Corps Pruffien , commandé par le Colonel
Belling , une action fort vive , dans laquelle les
ennemis avoient été mis en fuite avec une perte
confidérable. Cette nouvelle a été confirmée par
les dépêches du Général Ehredfchwerdt .
On écrit de la rade de Colberg , que le 18 du
mois dernier , les Ruffes avoient tenté de forcer
les lignes du Prince Eugène Fridéric deWirtemberg
Quoique le fuccès n'ait pas répondu entiérement
à l'efpérance des Affaillans , ils ont réuffi néanmoins
à s'emparer d'une batterie de fept canons.
De VIENNE , le 10 Octobre.
Le Comte du Châtelet - Lomont , Miniſtre du
Roi de France en cette Cour , ayant reçu ordre
de Sa Majesté Très - Chrétienne d'y prendre le
caractère de fon Ambaladeur Extraordinaire ,
eut le 4 de ce mois , en cette qualité , fes premières
audiences de Leurs Majeſtés Impériales .
On vient de publier ici les détails de la priſe de
Schweidnitz par les troupes aux ordres du Général
Loudon , fecondées des Ruffes . La vigueur
& la promptitude que l'on a apportées à l'exé-
Eution d'une entrepriſe fi glorieuſe pour le Baron
184 MERCURE DE FRANCE.
de Loudon , n'ont pas laiffé au Général - Major
Comte de Zaftrow qui commandoit dans la
Ville , le temps de propofer une capitulation . Ila
été fait prifonnier avec toute fa garnifon , compofée
de trois mille hommes. Cette action fe palla
la nuit du 30 du mois dernier au premier Octobre.
En trois heures de temps nous nous fommes
rendus maîtres de toutes les parties de la Ville.
Entre les particularités qui rendent cet événement
plus remarquable , on doit obferver que
notre artillerie n'y a point eu de part. Notre infanterie
a percé partout la bayonnette au bout
du fufil ; & l'on ne s'eft fervi contre la Ville
que des canons dont on s'étoit emparé dans les
Forts.
Les Ruffes ont eu , à cet affaut , cinquante &
un hommes tués , & quarante- fix bleffés. Dans
les troupes Autrichiennes
, on compte douze Of-.
ficiers & deux cens foixante - fix Soldats tués, cinquante
Officiers & neuf cens cinquante-fept Soldats
bleffés.
On a trouvé dans Schweidnitz cent trente-fix
canons de bronze , vingt - fix de fer , deux obufiers,
trente-huit mortiers de bronze , fix de fer , deux
pierriers , & cent trente- cinq petits mortiers à
grenades. Le Prince Charles de Lichtenftein a été
envoyé pour préſenter à Leurs Majeſtés Impériales
vingt- cinq drapeaux de la garniſon prifonnière.
On mande de Siléfie , que , depuis la prife de-.
Schweidnitz , le Roi de Pruffe , qui étoit allé
camper dans les environs de Neifs , a fait un
nouveau mouvement , pour fe porter, à ce qu'on
croit , vers Breſlau .
De MADRID , le 29 Septembre.
On mande de Lisbonne , que , dans l'Autodafé
NOVEMBRE . 1761. 185
du 20 de ce mois , le P. Malagrida , Jéfuite , a
été étranglé, & ſon corps jetté dans le feu ; l'Inquifition
l'ayant condamné comme hérétique &
comme s'étant attribué fauffement le don de
Prophétie. Le nombre des perfonnes contre lefquelles
ce Tribunal a prononcé différentes peines,
étoit de foixante-deux, favoir : quarante-deux
hommes & vingt femmes. Il y avoit parmi les
hommes fix Juifs, un Dominicain & un Religieux
de l'Obfervance.
De Londres , le 13 Octobre.
Le 6 de ce mois , le fieur Pitt , l'un des Miniftres
& Secrétaire d'Etat des Affaires Etrangères,
donna fa démiffion au Roi , qui nomma à ſa place
le Lord Comte d'Egremont,ci devant premier Plénipotentiaire
de la Grande-Bretagne au Congrès
d'Ausbourg .
L'Amiral Rodney eft allé prendre le commandement
de l'Efcadre de Portsmouth , deftinée
pour la grande expédition dont on flatte le
Peuple , & qui eft prête à mettre à la voile, lorfque
les vents feront favorables . On embarque une
grande quantité de bombes à Wolwich.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , des Armées
Paris , &c.
LE
De VERSAILLES , le 8 Octobre 1761 .
de
E 21 , du mois dernier , le Roi tint le Sceau."
Le Vicomte de Bellunce , en arrivant à la Cour,
a été préſenté au Roi , à la Reine & à la Famille
Royale.
186 MERCURE DE FRANCE.
"
· Le Roi a diſpoſé du Commandement de Lan
guedoc , vacant par la mort du Maréchal Comtes
de Thomond , en faveur du Duc de Fitz-James.
Sa Majefté a accordé au Comte de Thomond ,
fils aîné du Maréchal , le Régiment d'Infanterie
Irlandoife de Clare qu'avoit fon père . Elle a nom
mé , pour commander ce Régiment , en qualité.
de Colonel en fecond , jufqu'à ce que le Comteli
de Thomond foit en âge d'en prendre le commandement
, le fieur de Fitz-Gerald , Brigadier :
Colonel réformé à la fuite de ce Régiment.
Le 27 du même mois , Madame Adelaide &
Madame Victoire revinrent des eaux de Plombieres
. Madame la Dauphine , & Mesdames Sophie
& Louife , allerent au -devant de ces Princeffesjufqu'à
Meaux.
le.
Par un Edit du mois d'Août de cette année ,
Roi a créé une Charge d'Aumônier ordinaire de
Sa Majesté en faveur de l'Abbé de Sainte Aldegonde
, un de fes Aumôniers de quartier .
Celle d'Aumônier de quartier , vacante par la
mort de l'Abbé de Beaupoil de Saint- Aulaire , a
été donnée par Sa Majesté à l'Abbé de Caſtelane.
Vicaire Général du Diocèle du Puy. L'Abbé de .
Durfort , Vicaire Général du Diocèle de Tours , a
obtenu celle qui vaquoit par la démiſſion de l'Abbé
de Sainte Aldegonde.
Le 27 , le fieur Lefranc de Pompignan , un des
Quarante de l'Académie Françoife, eut l'honneur
de préfenter au Roi l'Eloge Hiftorique de feu
Monfeigneur le Duc de Bourgogne.
Les de ce mois , le Roi de Pologne, Duc de Lor
raine partit pour retourner à Luneville.
De l'Armée commandée par le Maréchal Duc de
Broglie , le 4 Octobre.
L'Armée campa , le 11 du mais. dernier , fur
NOVEMBRE. 187 2 1761.
les hauteurs d'Eimbeck. Le Comte de Luface fe
porta avec la réserve à Gandersheim , & le Baron
de Clofen s'avança à Altengandersheim. Il a marché
le 14 à Sefen , & le 15 à Goflar . Le Général
Luckner s'eft retiré à Hildesheim .
Le 13 , le Maréchal de Broglie , ayant eu avis
par le Comte de Caraman , qu'un Corps des ennemis
, qui avoit paffé le Wefer dans les environs
de Hoxter , venoit s'établir à Neuhaufs , lui ordonna
d'attaquer ce Corps. Le Comte de Caraman
marcha avec promptitude ; il trouva les ennemis
, moitié campés , moitié au Bivouac fur les
hauteurs au- delà de Neuhaufs . Pour ne pas leur
donner le temps de fe reconnoître , il les fit attaquer
par les Volontaires d'Auftrafie , le bataillon
des Grenadiers & Chaffeurs de la Brigade de Caftella
, le Régiment de Dragons de Baufremont
& fa Cavalerie , fans attendre le refte des troupes
qui devoient lejoindre. On a pris un drapeau
& trois piéces de canon ; on a fait cent cinquante
prifonniers ; le Camp a été pillé , & l'on a enlevé
beaucoup d'équipages.
Le Prince Ferdinand ayant paffé la Dymelle 18
avec toute fon Armée , le Comte de Stainville , qui
campoità Grebenſtein , s'eft replié fur Caffel , & a
occupé le Campretranché près de cette Ville. Le 19,
le Prince Ferdinand s'eft avancé à Oberfelmar &
Jmmershaufen; le 20, il a fait un mouvement rétrograde
& a campéjentre Immerhaufen & Weymar.
Le Prince Héréditaire s'eftporté à Fritzlar.
Le 19 , le Maréchal de Broglie arriva de fa
perfonne à Caffel , après avoir donné les ordres
néceffaires aux différens Corps de troupes qu'il a
laillés dans le pays de Hannovre . Il a approuvé
les difpofitions que le Comte de Stainville a fai
tes , & il a envoyé un Corps aux Ordres du Comte
de Rochambeau , pour s'oppofer aux entrepri
188 MERCURE DE FRANCE.
fes du Prince héréditaire. Le fieur Orbs, Major di
Régiment Royal-Naffau , rencontra le 15. près de
Gollar , un détachement de fept cens hommes de
Cavalerie Pruffienne ; il les a attaqués , & leur a
pris cinquante Cavaliers, foixante- dix chevaux, un-
Major & quelques autres Officiers.
Le 24 , on fut informé que le Prince héréditaire
de Brunswick , qui depuis quelques jours
campoit à Fritzlar , s'étoit replié le 23 fur Hoff,
où il a remplacé le Corps de troupes commandé
par le Général Kilmanfeg , qui s'eft retiré íur Volfaguen
. Le Corps aux ordres du Comte de Rochambeau
s'eft avancé à Nider- Vorschutz , près de
Virkel.
Les différens détachemens que le Maréchal de
Broglie avoit envoyés fur le Vefer entre l'embou
chure de la Dymel & Hamelen à droite de ce
fleuve , ont enlevé , après l'avoir pallé en différens
endroits , plufieurs potes que les ennemis
avoient à fa rive ganche , & ont intercepté la na--
vigation de Hamelen à leur armée .
Le 22 , le fieur de Verteuil, qui avoit été envoyé
pour reconnoître la Caſcade du Veillenſtein près
de Caffel , la trouva occupée par des Anglois &
par des Montagnards Ecoflois . Il les atraqua , &
malgré leur réfiftance & la force de ce pofte , il les
emporta l'épée à la main. Aucun d'eux ne s'eft
fauvé. Le fieur de Verteuil a ramené cent douze
prifonniers & deux Officiers .
Le Maréchal de Broglie ayant détaché le Comte
de Vaubecourt , Brigadier , pour attaquer le
Château de Schartzfeld , ce Château a été pris le
25. On y a trouvé quatorze piéces de canon. La
garnifon , qui a été faite prifonniere , étoit compofée
de feize Officiers , neuf Sergens , & trois cens
quarante- huit Soldats.
Le Prince Ferdinand a repaffé la Dymel la nuit
NOVEMBRE. 1761 189
du 2 au 3 de ce mois , & a abandonné la Helfe.
Les ennemis ont été forcés à cette retraite par les
mouvemens que l'Armée du Maréchal de Broglie
continue de faire avec fuccès dans l'Electorat de
Hannovre. Ceux du Maréchal de Soubife vont
fans doute rappeller fur la Lippe , le Corps du
Prince Héréditaire.
Du Camp de COESFELDT , le 29 Septembre.
2
Depuis que le Prince héréditaire s'eft éloigné
de la Lippe pour le porter vers la Heffe, les détachemens
chargés d'éclairer la marche ont fait
quelques prifonniers entre Soeft & Erveté . L'Armée
s'eft rapprochée de Munfter , & le Prince de
Condé le porta le 17 avec la réſerve à Halteren .
Le 18 , l'Armée repaffa la Lippe. Elle campa le
1.9 à Dulmen , & le 20 à Coesfeldt. La réſerve
cámpa le 20 à Oftenwick, & le 21 à Hautmars .
Le fieur de Chevert , Lieutenant-Général , eft
refté à la rive gauche de la Lippe avec la maiſon
du Roi & un Corps de troupes à fes ordres .
Le Marquis de Conflans s'eft emparé le 25 de
la Ville d'Embden, dont la garnifon , composée
de troupes Angloifes , s'eft rendue prifonniere de
guerre. Il a trouvé dans cette place des magalins
très-confidérables de toute efpéce.
Le Marquis de Viomenil s'eft porté dans le
pays de Diepholt, & il a pénétré jufqu'à Hoya , od
il a brûlé des magafins auffi très- considérables appartenant
à l'Armée des Alliés .
Le Baron de Wurmfer , Maréchal de Camp ,
s'eft rendu maître d'Ofnabruck , eft entré dans
le Comté de Ravensberg , & y a de même étruit
& brûlé tous les magafins que les Alliés y avoient
allemblés depuis long- temps à grands frais. On
eftime que ces différens magafins forment un objet
de plus de trois millions de rations de fourago
MERCURE DE FRANCE.
"
T
ge & d'avoine. Ceux qui fe font trouvés dans le
Tecklenbourg & le Comté de Lingen ont été auffi
détruits.Le Marquis de Voyer s'étoit porté à Rhene
, pour foutenir ces différens détachemens , &
le Comte de Melfort s'étoit avancé à Bevergen &
Ippenburen. L'Armée campe à Coesfeldt.
1
Quelques Payfans de l'Ooftfrife ont pris les armes
, dans le deflein de s'oppofer aux troupes
commandées par le Marquis de Conflans , & il a
été obligé de marcher à eux pour les réduire. On
en a tué une centaine qui le défendoient contre les
Troupes du Roi. Le Baron de Wurmfer eſt arrivé
en Ooft -frife avec un détachement , pour foutenir
le Marquis de Conflans.
Le Prince de Condé , après un fiége de deux
jours ,s'eft emparé de la Ville de Meppen. On n'a
point encore le détail des effets qui le font trou
vés dans cette Ville ; le Prince de Condé mande
qu'ils font confidérables . La garniſon eft prifonnière
de guerre.
Du . PORT de l'ORIENT , le 18 Septembre.
Il arriva hier dans cette rade un Paquebot Parlementaire
Anglois, fur lequel étoient embarqués
cent douze habitans de Belle-Ifle , quela faim; la
mifére , & encore plus les mauvais traitemens
qu'ils éprouvoient de la part du fieur Hogdon ,
ont obligés d'abandonner cette Ifle , & de venir
chercher du pain, dans le continent de la France .
Plus de cinq cens infortunés font actuellement
réduits dans Belle - Ifle à la même extrémité. Les
Bourgeois font les plus à plaindre , n'étant pas accoutumés
à travailler pour gagner leur vie.LesAnglois
fans ceffe leur cherchent querelle, afin de les
forcer de s'expatrier , & de pouvoir s'emparer de
leurs maifons, de leurs meubles,fous prétexte de
NOVEMBRE . 1761 191
·
"
leur émigration. On a appris par ce Paquebot, que
l'on avoit fait embarquer une grande partie des
équipages des troupes Angloifes , mais qu'elles
étoient encore toutes àterre, & dans les mêmes pofitions
; qu'elles étoient employées fans relâche à
fortifier la Côte dans toute fon étendue , & que la
fatigue & la mauvaiſe nourriture y caufoient une
grande quantité de maladies .
De PARIS le ·10 Octobre.
Le tirage de la neuviéme loterie de la Ville de
Paris , fe fit , le 17 du mois dernier , dans l'Hôtel-
de-Ville , avec les formalités ordinaires. Le
premier lot , qui étoit de cinquante mille livres ,
eft échu au numéro 5445 ; celuide vingt mille au
numéro 2896. Les deux lots de dix mille font
réchus aux numéros 1949 & 18669 .
Le 16 & le 17 du même mois , on a fait dans
l'Hôtel -de-Ville , le quatriéme tirage de la loterie
des primes réfultantes de l'emprunt ordonné
par l'Arrêt du Confeil du 21 Juin 1757. La prime
de douze mille livres a été gagnée par le numéro
- 1375 , & celle de fix mille par le numéro 34637.
Les porteurs des billets de cette loterie font avertis
qu'a la fin du mois d'Octobre de l'année prochai
ne , on fera , chez M. Blondel de Gagny , Tréfe
⚫rier de la Caiffe des Amortiffemens , l'échange
des coupons des annuités échues au premier Oc
tobre 1761 , ainfi que des billers gagnans les Primes
du préfent tirage , en reconnoiffance de ladite
Caiffe des Amortiffemens , garnies de coupons
d'intérêts du montant des Primes. "
192 MERCURE DE FRANCE.
SUPPLEMENT à l'Art. des Nouvelles
Politiques de France.
De VERSAILLES , le 22 Octobre.
Le 13 de ce mois , le Baron de Scheffer , Ambafladeur
du Roi de Suéde , eut une Audience particuliere
du Roi , dans laquelle il préfenta fes lettres
de Créance à Sa Majefté. Il fut conduit à cette Audience
, anfi qu'à celles de la Reine & de la Famille
Royale, par le fieur de la Live , Introducteur des
Ambaffadeurs.
Le même jour , le Roi tint le Sceau.
Le Comte de Choifeul , Lieutenant Général des
Armées du Roi , & Chevalier de ſes Ordres, prêta
ferment , le même jour , entre les mains de Sa Majefté
, pour le département des Affaires Etrangeres.
Le 14 , le fieur Berryer prêta ferment authentre
les mains du Roi , en qualité de Garde des Sceaux.
Sa Majefté a chargé du Département de la Marine
le Duc de Choiteul , qui conferve en même
tems celui de la Guerre.
La Dame Berryer a pris le Tabouret chez la
Reine.
Le 2 le fieur de Buffy , Miniftre Plénipotentiaire
du Roi près de Sa Majefté Britannique , revint ici
de Londres. A cette occafion il a eu l'honneur d'être
préfenté le 11 à Sa Majefté par le Duc de Choiseul.
Le Roi a donné l'Abbaye de Ste Gloſſinde , Diocéfe
de Metz , à la Dame de Choifeul Beaupré
fur la démiffion de la Dame de Hotman ; l'Abbaye
de S. Laurent , Diocéfe de Bourges , à la Dame
de Laftic ; celle du S. Elprit , Diocéfe de Béziers ,
à la Dame de Beauffet-Roquefort , & celles d'Ollieux
>
-NOVEMBRE. 1781. 193
lieux , Diocéfe de Narbonne , à la Dame de Niquet.
Le 16 , le Général Fontenay , Envoyé extraor
dinaire de la Cour de Pologne , préſenta au Roi le
Conte de Bellegarde , Lieutenant Général des Ar
mées & Confeiller privé du Roi de Pologne Electeur
de Saxe , & le fieur de Zavoiski , Colonel &
Adjudant de Sa Majefté Polonoife.
Le Roi a nommé Commandant en Dauphiné
le Marquis du Mefnil , Lieutenant Général de fes
Armées, & lui a ordonné de fe rendre inceffament
dans cette Province , pour y prendre poffeffion du
Commandement qu'elle lui a confié . Sa Majefté a
admis dans fon Confeil des Dépêches le fieur Feydeau
de Brou , Confeiller d'Etat ordinaire , & au
Confeil Royal , Doyen du Confeil . Elle a accordé
une Place de Conſeiller d'Etat au fieur Pineau de
Lucé , Intendant d'Alface .
Cérémonie de Baptême.
Le 18 de ce mois , l'Archevêque de Narbonne
Grand Aumônier de France , fuppléa les cérémonies
du Baptême , avant la Meffe , à Mgr le Duc
de Berry , & lorfque la Meffe fut finie à Mgr
le Comte de Provence , en préſence de Leurs Majeftés
, qui étoient accompagnées de la Famille
Royale , des Princes & Princelles du Sang , & des
Seigneurs & Dames de la Cour. Mgr le Duc de
Berry eut pour parrain le Roi de Pologne Electeur
de Saxe , repréſenté par le Duc d'Orléans ;
& pour Marraine Madame A délaïde. Il fut nommé
Louis- Augufte. Mgr le Comte de Provence
fut tenu par le Prince de Conti pour le Roi de Pologne
Duc de Lorraine & de Bar. Il eut pour
Marraine Madame Victoire & il fut nommé
Louis Stanislas Xavier,
>
I
"
194 MERCURE DE FRANCE.
Le lendemain 19 , le même Prélat , en préſence
de Leurs Majeftés , accompagnées , comme la
veille , de la Famille Royale , des Princes & Princeffes
du Sang , & de toute la Cour , fuppléa ,
avant la Meſſe , les cérémonies du Baptême à Mgr
le Comte d'Artois . Ce Prince fut tenu par Mgr le
Duc de Berry au nom du Roi d'Efpagne. La
Marraine fut Madame Sophie , & il fut nommé
Charles- Philippe. Le Baptême de Madame fe fit
après la Melle. Mgr le Duc de Berry & Madame
Louife furent Parrain & Marraine de cette Princeffe
,& la nommerent Marie- Adelaide- Clotilde-
Xaviere. Le fieur Alard , Curé de la Paroiffe du
Château , fut préfent, les deux jours à la cérémonie
qui a été faite dans la Chapelle du Roi. Ces
deux jours , la Meffe fut chantée , ainfi qu'à l'ordinaire
, par la Mufique de la Chapelle.
De l'Armée commandée par le Maréchal Prince de
Soubife , le 17 Ottobre.
Le Prince de Condé ayant été chargé d'attaquer
la Ville de Meppen , la tranchée fut ouverte le 30
du mois dernier au foir. Le 3 de ce mais , fur les
dix heures & demie du matin , les affiégés rappellerent
& demanderent à capituler . Le fieur de la
Merville , Colonel , qui commandoit la tranchée,
fit ceffer le feu , reçut les propofitions des ennemis
, & les envoya au Prince de Condé ,qui fir dire
qu'il ne vouloit entendre à aucune capitulation.
Ainfi le Capitaine Duer , Commandant de la Pla◄
ce , & le Major Hadan , Commandant de la garnifon
, fignerent que la garnifon fe rendroit prifonniere
de guerre à la difcrétion du Prince de
Condé , ce qui fut exécuté , & le fieur de Merville
prit poffeffion de la Ville avec les troupes qui
étaient de tranchée. Cette garnifon confiftant en
NOVEMBRE. 1761 . 195
cinq cens hommes & dix -fept Officiers, partit auf-
At pourBremen fous l'efcorte de cinquante Cavaliers
, de trente Fantaflins , commandés les premiers
par un Capitaine , les autres par un Lieute-
Rant. Le Prince de Condé a laiffé aux Officiers &
aux Soldats tous leurs équipages. Rien ne peut égaler
l'activité que ce Prince a fait paroître dans cette
opération .
Il y avoit dans Meppen trente-deux bouches à
feu, dont huit ont été entiérement démontées &
brifées par notre canon. L'incendie a confumé la
plus grande partie des magafins qui étoient dans
cette place on y a trouvé jufqu'à préfent fix mille
facs de grain ou de farine,environ trente milliers
de poudre , & une grande quantité de tabac à fumer,
de légumes , de viandes falées & d'autres
choles de ce genre , que le Prince de Condé a fait
diftribuer aux troupes.
•
*
Le Gear Bourcet de la Saigne , Ingénieur , a
été chargé de la conduite des travaux de ce fiége
& le dieur de S. Aubin a commandé l'Artillerie.
Depuis la prife Meppen , l'armée n'a fait aucun
mouvement. Les différens détachemens qui
ont été employés à l'expédition de l'Oft -frife, fe
font rapprochés de l'armée ; & l'on vient d'apprendre
que le Baron de Vurmfer , Colonel du
Régiment des Volontaires de Soubiſe, après avoir
pénétréjufqu'aux barriéres de la Ville de Bremen,
eft revenu à Kloppenburg. Il a ramené plufieurs
prifonniers, qu'il a faits pendant fa courfe,tant fur
les poftes avancés de la Ville de Bremen , que far
les détachemens qui ont fuivi fon arrière - garde
commandée par le fieur de Commeyras .
* Nota. C'est lui qui s'eft rendu maître d'Ofnabruck ,
& non pas le Baron de Vurmer , Maréchal de Camp ,
comme on l'a dit par erreur dans l'Article qui regarde
la prife de cette Ville.
I jj
96 MERCURE DE FRANCE.
De l'Armée commandée par le Maréchal de Broglie
le 24 Octobre.
Le Corps détaché aux ordres du Comte de Lu
face , & dont celui du Baron de Clofen faifoit
partie ,arriva le 8 de ce mois devant Wolfembutel .
La place fut auffitôt inveſtie & la tranchée ouverte.
Les batteries commencerent à tirer le même jour.
Le 10 , au moment où l'on alloit faire le pallage
du foffé , la garniſon capitula , & fe rendit prifonniere
de guerre. Elle étoit composée de huit cens
hommes commandés par le Lieutenant- Général
Stammer. On a perdu le fieur de Charmont
Major des Ingénieurs , qui a été tué. Don N. de
Silva , Seigneur Efpagnol , qui faifoit cette campagne
comme volontaire , a eu les jambes emportées
d'un coup de canon . Il a mérité les regrets
de l'Armée par la volonté & la fageffe que
l'on remarquoit en lui.
Le 9 , le Chevalier de Maupeou paſſa le Vefer
près de Beverungen , à une demi- lieue de cette
Ville.Il trouva un Corps ennemi pofté fur des hauteurs
avantageufes ; il l'y fit attaquer, & le pouffa
de bois en bois jufqu'à la hauteur du ravin de
Borckholh. La difficulté des paffages ne permit
pas de fuivre plus loin. On a fait quatre cens prifonniers
, du nombre defquels font neuf Officiers ,
& l'on a pris deux piéces de canon .
?
Le même jour , le Comte de Caraman attaqua
près de Halle, fur le chemin de Hamelen
le Corps de Stockaufen , fort de mille hommes.
Il prit le Commandant & foixante dix hommes.
Le Général Luckner , près d'être attaqué par le
Marquis de Poyanne , profita de la nuit pour fe
retirer fur Hamelen,d'où il a pris le chemin d'Hildesheim
.
NOVEMBRE. 1761. 197
$
Le fieur de Saint Victor , Commandant les Volontaires
de l'Armée , s'eft porté jusqu'à Ofterwick
, & il y a pris le bataillon franc Pruffien
de Rhées & quelques Huffards de Klaitz. Il a
pourfuivi le partifan Glafnap , qui s'eft retiré à
Magdebourg.
De PARIS , le 17 Octobre.
Le Prince Clément , frère de Madame la Dauphine
, eft arrivé le 15 de ce mois à Versailles .
Le 14 , on a fait dans l'Hôtel - de - Ville , en la
manière accoutumée , le tirage de la loterie de
l'Ecole Royale Militaire ; les numeros fortis de la
roue de fortune , font , 76 , 46 , 64 , 21 , 82. Le
prochain fe fera le 14 Novembre .
MORTS.
Jean-Baptifte- Louis de Clermont d'Amboiſe ,
Marquis de Renel , Lieutenant - Général des Armées
du Roi , & Gouverneur de Chaumont en
Balligny & de Mont- Dauphin , mourut à Paris le
18 de Septembre , âgé de cinquante - neufans .
Mellire Antoine- Louis Rouillé , Miniſtre d'Etar ,
& Commandeur des Ordres du Roi , eſt mort le
20 à Neuilly près de cette Ville , dans la foixantetreizième
année de fon âge En 1744 , Sa Majesté
lui donna une Place de Confeiller d'Etat , le char◄
gea du détail du Commerce intérieur , & le nom →
ma Commillaire à la Compagnie des Indes . Dans
le mois d'Avril 1749 , il fut pourvu de la Charge
de Secrétaire d'Etat , ayant le département de la
Marine. Le Roi , au mois d'Août 1754 , lui confia
le département des Affaires Etrangères , & lui accorda
la Charge de Grand- Tréforier , Commandeur
de fes Ordres.Le dépériffement de ſa ſanté ne
lui ayant pas permis de continuer plus longtemps
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
les pénibles fonctions de fon nouveau Miniſtère ,
il s'en démit au mois de Juillet 1757 ; & Sa Majefté
, en le retenant dans fon Confeil , lui donna
la Place de Grand- Maître & Sur- Intendant Général
des Poftes . En 1758 , fes infirmités l'obligérent
de fe retirer du Confeil , & depuis , il n'a plus été
occupé que de fes derniers momens . Miniftre fage
, défintéreffé & vertueux , il a parfaitement jultifié
la confiance du Roi , & mérité la confidération
univerfelle dont il a joui , non feulement en
France , mais chez les Etrangers.
> Frère Jean - François - Hyppolite de Regnon
Chevalier de l'Ordre de S. Jean de Jérufalem , &
Commandeur de la Commanderie de Puyravaux ,
eft mort à Luçon le 12 , dans la quarante- feptie
me année de fon âge ; il avoit eu un frère , auf
Chevalier de Malthe, qui fut tué en 1748 , fur les
Vaiffeaux de la Religion .
Dame Louife- Elifabeth Orry , épouse de Meffice
N.de Chaumont de la Galaizière , Chancelier &
Garde des Sceaux de Lorraine , mourut le 15 à
Luneville , âgée de cinquante- deux ans.
Dame Antoinette de la Roche- Aymon , Abbeſſe
de S. Laurent de Bourges , eft morte en fon Ab
baye le 16 , dans la foixante- neuvième année de
fon âge.
Meffire Charles- Guy le Borgue de Kermoran ,
Evêque de Tréguier ,eft mort dans fon Palais Epitcopal,
le 30, âgé de foixante-fept ans.
Le fieur Binet , Chevalier de l'Ordre Royal &
Militaire de faint Louis , Meftre de Camp de Cavalerie
, Gouverneur de la Tour de Corduan &
premier Valet-de- chambre de Mgr le Dauphin,
mourut le 16 à Verſailles , âgé de 73 ans.
NOVEMBRE. 1761 199
.1
EVENEMENS SINGULIERS.
ITALI E.
De PARME , le 8 Septembre 1761 .
A treize milles de Plaifance eft un lieu nommé
'Macineo. En fouillant dans une montagne fur
laquelle il eft fitué , on a découvert les ruines de
la Ville de Velleia , engloutie par un tremblement
de terre , dont aucune Tradition ne peut
fixer l'époque.
GRANDE-BRETAGNE.
De LONDRES , le 6 Octobre.
Le
30 du mois d'Août , il ſurvint à Enfield - Marsh ,
unorage & une pluie de grêle ,tellequ'on ne le fouvient
pas d'en avoir jamais vu de pareille . Quelques-
uns des morceaux de grêle , ou plutôt de
glace , avoient cinq pouces de circonférence. Ils
ont caffé plufieurs panneaux de vitres , brifé de
groffes branches d'arbres , & fait un dommage
confi férable. L'orage fut accompagné de grands
coups de tonnerre , qui augmentérent l'effroi ;
mais il ne dura en tout que trois minutes.
On écrit de Portsmouth dans la Nouvelle
Hampshire , que , vers la fin de Juiller, la foudre
a mis le feu à de vaſtes forêts qui font dans la
Province, & que l'embrafement a déja gagné plus
de foixante- dix milles au- delà du lieu où il a
commencé . Il a détruit des moulins & des habitations.
La fumée étoit fi épaille qu'elle obfcurciffoit
prèfque le Soleil a Newbury & en
d'autres endroits.
On apprend par des Lettres de la Caroline
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Septentrionale , qu'il y a eu au mois d'Avril &
de Mai des pluies fi abondantes & fi continues ,
que des Bâtimens de cent cinquante & deux cens
tonneaux , pouvoient naviger dans les champs.
Plufieurs perfonnes étoient obligées de mettre
leurs chevaux à la nage pour retourner dans
leurs maifons . Ce petit déluge a caufé des ravages
inouis , & a duré précilément quarante jours ,
pendant lefquels on n'a pas apperçu le Soleil.
George Wilfon , âgé de cent cinq ans , épouſa ,
le premier Septembre , à Harbotte , liea de fa
naillance , dans le Comté de Northumberland
ja nommée Lilley- Sorbes. C'eft fa quatrième
femme.
M. Richard Aylmer eft mort près de Dublin ,
âgé de cent cinq ans.
L'intérêt des Navigateurs demande que tous les
Papiers publics annoncent une obfervation faite
par leficur Guillaume Chappel . Ce Sçavant , ayant
voulu un foir examiner la variation de l'aiguille
amantée , on approcha une chandelle . Auflitôt
l'aiguille fe troubla & s'écarta de la direction , à
quaire ou cinq degrés de chaque côté. Le fieur
Chappel , après avoir répété & varié plufieurs
fois cette épreuve , reconnut que le fuif attiroi
fortement l'aiguille aimantée & produifoit ce
mouvement extraordinaire . Un Marin , confulté
fur ce phénomène , a dit ſe ſouvenir d'avoir remarqué
en mer de femblables perturbations dans
l'aiguille , lorfqu'il étoit tombé du fuif fur la boëte
de la Bouffole.
FRANC E.
De PARIS , le 3 Octobre.
Le nommé Etienne Couffié eft mort à Pinfa
guel , Diocèle de Toulouſe , âgé de cent cinq ans..
NOVEMBRE. 1761: 201
De STOCKOLM , le 22 Septembre .
Une Lettre d'Hellingfors en Finlande , porte
que dans la nuit du 9 au 10 de ce mois , vers
les deux heures du matin , un incendie s'y étoit
allumé , & qu'il avoit fait eu peu de temps de
funeftes progrès . Cette Lettre , datée du 10 à
midi , ajoute qu'un tiers de la Ville étoit déja
réduit en cendres , & que l'incendie , malgré les
foins qu'on prenoit pour l'éteindre , fe foutenoit
dans toute la force , & qu'on avoit beaucoup à
craindre pour le refte des maifons qui fubfiftoient
encore .
De MADRID , le 29 Septembre.
Deux orages terribles qu'on éffuya ici le 9 &
le 10 de ce mois , ont ravagé la campagne dans
l'étendue de plus de feize lieues à la ronde . Toutes
les vignes ont été hachées par la grêle . Plufieurs
font totalement détruites par les torrens
qui les ont arrachées ou comblées de terre & de
gravier. Les Francifcains de la ville de Paftrana
ont été contraints d'abandonner leur Couvent ,
les eaux ayant renversé une partie de cet édifice.
Le 14 Octobre 1761 M. BERRYER a prêté ferment
entre les mains du Roi pour la Charge de
Garde des Sceaux à laquelle Sa Majeſté l'a nommé.
M. le Gar le des Sceaux a été fucceffivement
Avocat Général des Requêtes de l'Hôtel en 1728 ,
Confeiller au Parlement de Paris en 1731 , Maitre
des Requêtes en 1739 , Intendant de la Généralité
de Poitiers en 1743 , Lieutenant- Général de
Police de Paris en 1747 , Confeiller d'Erat en
1751 , Ordinaire au Confeil des Dépêches en Sepsembre
1757 , Miniftre d'Etat en Juillet , 1758 &
I v
202 MERCURE DE FRANCE .
Secrétaire d'Etat au Département de la Marine, le
premier Novembre de la même année.
Il eft fils de Nicolas-René Berryer , Chevalier
Seigneur de Ravenoville , Lamotte Hacqueville
& autres lieux, Confeiller au Parlement de Paris
en 1682 , Procureur Général du Grand- Confeil
en 1701 , mort revêtu de cette Charge en 1707 ,
& de Dame Elifabeth- Nicole- Urfule Darnolet de
Loche- Fontaine, fille de Jean- Baptifte Darnolet,
Chevalier Marquis de Burry, Baron de Bourgogne,
Vicomte de Pery & de Loche Fontaine , Préfident
de la Cour des Monnoies de Paris , & auparavant
Confeiller au Parlement de Merz ; & de
Dame Elifabeth de Creil , fille d'Etienne de Creil,
Confeiller au Grand -Confeil , & de Catherine le
Tellier de Morfan, coufine germaine de Michel le
Tellier , Chancelier de France.
Et petit-fils de Louis Berryer, Seigneur Daufrenel
, Lamotte Hacqueville & autres lieux , Chevalier
de l'Ordre du Roi en 1657. Il fut honoré
d'un brevet de Confeiller d'Etat en 1658 , Secrétaire
ordinaire du Confeil d'Etat en 1662 , & des
Commandemens de la Reine Marie- Therefe
d'Autriche en 1681 , chargé de diverſes commiffons
importantes conjointement avec MM . Colbert
, de Machaux , Puffort , Marin , Hauteman ,
Hervau & Daligre , Confeillers d'Etat . I avoir
époufé Renée Hameau , foeur d'André Hameau ,
Confeiller au Parlement de Paris.
De ce mariage étoient auffi illus . 19. Jean-
Baptifte- Louis Berryer , frère aîné de Nicolas
René , Chevalier Seigneur de la Ferriere , d'Argeronne
& autres lieux , Confeiller au Parlement
de Paris en 1674 , Maître des Requêtes en 1678
Secrétaire des Commandements de la Reine en
furvivance de fon père en 1681 , Confeiller d'Eat
ordinaire en 1718 , & grand Doyen des MatNOVEMBRE.
1761. 20 ;
tres des Requêtes , qui avoit épousé en 1674 Catherine
Potier de Novion , fille d'André Marquis
de Novion , Maître des Requêtes & Préſident à
Mortier en furvivance de Nicolas Potier de Novion,
premier Président du Parlement de Paris fon père,
& de Catherine Malon de Bercy . Elle étoit foeur
d'André , Marquis de Novion, auffi premier Préfident
du Parlement de Paris , Commandeur Serétaire
des Ordres du Roi & tante de la feue Maréchale
de Clermont-Tonnerre.
2º. Louis Berryer Chanoine & Archidiacre de
l'Eglife de Paris Abbé Comte de Porrecy de
Notre-Dame du Trouchet & de Loulay.
3°. Anne Berryer qui époula en 1663 Charles
Hureau de Chiverny, Comte du Marais Maréchal
de Camp.
4º. Marie Berryer , qui époufa François de
Brou, Marquis de Fourneaux, premier Ecuyer de
S. A. R. Madame , Mère de M. le Régent.
ORDONNANCE DE POLICE ,
QUI enjoint à tous Propriétaires , Locataires &
Sous-Locataires de la Ville & Fauxbourgs de
Paris , de faire ramonner inceffamment les cheminées
des Appartemens & Lieux qu'ils occupent
, à peine contre les contrevenáns de deux
cent livres d'amende.
Du feize Octobre 1761 .
SUR Ce qui Nous a été remontré par le Procureur
du Roi , Que l'inexécution des Réglemens qui ont
été faitsfur le Ramonage des Cheminées , étant
beaucoup plus à craindre à l'entrée de l'Hy ver quee
dans aucune autre faifon de l'année , à caufe que
la fuie défléchée par les chaleurs de l'Eté & devenue
infiniment plus combuftible , donne lieu à de plus
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
-
grands & fréquents accidens il eft obligé pour fa
la fûreté des Habitans de cette Ville & Faubourgs
de réquérir qu'il Nous plaife renouveler les dilpofitions
des Ordonnances déja rendues fur cette
matiere. Sur quoi , Nous , faifant droit fur le réquifito
re du Procureur du Roi , ordonnons que les Arrêts
, Ordonnances & Réglemens rendus fur le
fait des incendies , & notament l'Ordonnance
de Police du 10 Février 1735 , feront éxécutés
felon leur forme & teneur ; & en conféquence
que , conformément à l'article III . de ladite
ordonnance , tous Propriétaires , Locataires &
Sous Locataires des maifons ' de cette Ville &
Fauxbourgs , feront tenus de faire exactement &
inceflamment ramonner les cheminées des appartemens
& autres lieux par eux loués , fous- loués
ou cccupés , & ce à peine de deux cens livres d'amende
contre ceux qui fe trouveront habiter les
mailons ou chambres dans les cheminées de quelles
le feu aura pris , faute d'avoir été ramonnées encore
qu'il n'en eût réfulté autre accident . Et fera notre
préfente Ordonnance imprimée , lue , publice
& affichée dans tous les lieux ordinaires & accoutu
més de cette Ville & Fauxbourgs , même diſtribuće
gratuitement dans chaque maiſon par les Infpecteurs
de Police . Mandons auxCommiffaires au Châtelet
, & enjoignons aux autres Officiers de Police ,
de tenir la main à fon exécution , & en cas de contravention
, de nous en donner avís , pour y être par
Nous pourvu. Fait & donné par Nous ANTOINE
-RAYMOND JEAN GUALBERT- GABRIEL
DE SARTINE , Chevalier Confeiller du
Roi en fes Confeils , Maître des Requêtes ordinaire
de fon Hotel , Lieutenant - Général de Police de la
Ville , Prévôté & Vicomté de Paris , le feiziéme
jour d'Octobre mil fept sent foixante - un.
DE SARTINE,
NOVEMBRE . 1761. 205
LETTRE à l'Auteur du Mercure , fur
quelques événemens qui appartiennent
à l'Hiftoire Naturelle.
ONNa vu , Monfieur , dans la Gazette de Fran
ce du 15 Août , Article de Londres , que le 16
Juillet il y eut un reflus extraordinaire à Whitby
dans le Comté d'York. On néglige un peu
trop dans plufieurs Villes de France de rappor
ter les phénomènes dont on eft témoin , foit
que les Obfervateurs y manquent , ou ne foient
pas affez fenfibles à ce qui peut intéreffer la curiofité
& l'utilité . Le fiécie éclairé où nous vivons
a abandonné la route des fyftêmes , & s'eft attaché
à fuivre la marche & la conduite de la Nature
, pour en tirer des réſultats qui par les opérations
connues ménent à la connoiffance de ce que
la Nature a de caché . Cette manière détudier la
Nature fur le grand Théâtre où elle agit continuellement
eft la plus affurée pour la connoître.
Si la Nature eft infinirnent variée par le nombre
des efpéces dont la matière eft modifiée , elle régit
chaque efpéce fur un plan particulier par des
loix immuables , & toujours les plus fimples .C'eſt
en combinant les faits extraordinaires par les
temps & les différens lieux où ils arrivent à la fois,
qu'on les ramène à la fimplicité de leur caufe ,
& qu'on les attache à un calcul affez certain pour
en prédire le retour. Il eft donc intéreffant pour
l'humanité qui en retire toujours quelque utilité
effective , pour l'avancement de l'efprit humain.
dans les connoiffances que Dieu lui permet, & les
feules qui foient folides par leur rapport au fu206
MERCURE DE FRANCE:
prême Auteur & à fa fagefle , de contribuer à un
Corps de preuves & d'obfervations qui puiffent
fervir aux excellens Auteurs qui travaillent de nos
jours en France à l'Hiftoire Naturelle. La moindre
négligence à les inftruire par les papiers publics
des événemens que la Nature offre aux
yeux ne peut partir que d'une indifférence ou
d'une indolence qu'on doit fe reprocher . Pour
n'être pas coupable à cet égard , voici quelques
événemens vérifiés avec foin , & dont on peut
avoir les preuves les plus certaines .
On appelle Mafcaret le reflux extraordinaire
de la Mer. Tel eft celui qui eft arrivé le 16 Juillet
en Angleterre.
Le 27 du même mois il y en a eu trois fur la
Côte & dans le Port de la Ville des fables en
Poitou. Le premier commença à fix heures du
matin. Le Port étoit à fec , la marée étant retirée
, fort calme & fans vent . Elle monta en 20
minutes à la hauteur où elle eft en morte marée ,
& fe retira dans le même efpace de temps. A. 9
heures elle monta rapidement roulant les flots
émus , comme un torrent avec grand bruit , en
moins de 10 minutes . Elle fubmergea une barque
qui étoit échouée fur le quai , & fe retira
affez promptement , après avoir été au degré de
hauteur des grandes marées. Entre 10 & 11 heures
ce mouvement recommença avec une égale
impétuofité , & ſe termina de même. Les anciens
Marins de la Ville des fables n'avoient jamais
rien vû de femblable pendant l'été mais dans
P'hyver le 27 Octobre 1760 , il y eut un Maſcaret
accompagné d'effets éffrayans. Sur les quatre
heures après midi dans le temps où la mer fe
retiroit , elle remonta avec une fureur augmentée
par de violens coups de vent Le porta avec
une tourmente terrible contre les murailles d'un
>
:
NOVEMBRE . 1761. 207
quailolidement , conſtruites à chaux & ciment ;
elle abattit toute une branche de cette muraille,
emportant les plus groffes pierres comme des
grains de fable ; elle attaqua enfuite la Ville mêdont
elle auroit pu fubmerger une partie ,
fans un prompt fecours qu'on y porta.
me ,
En comparant les temps & les lieux du Mafcaret
arrivé le 16 Juillet en Angleterre , & celui
arrivé aux Sables le 27 du même mois , il ne
paroît pas qu'il s'y trouve allez de proximité ,
pour qu'ils puiffent être l'effet d'une réaction
quoiqu'ils puiffent avoir la même caufe dans quelques
tremblemens de terre au fond du vafte ballin
des mers. Ceux que l'on continue d'éprouver à
Lisbonne peuvent y avoir quelque part .
Je finirai par un événement d'un autre genre,
qui a été vérifié avec les plus grandes attentions.
2
Au mois de Juin de cette année , deux jeunes
filles de l'Ifle de Noirmoutier y cherchoient des
coquillages dans le creux des rochers . Une d'elles
vit dans une espéce de grotte formée par la
Nature, un animal de forme humaine. Cet ani
mat auffitôt qu'il la vit fe tint droit & s'appuya
fur fes deux mains . Elle appella La compagne
qui étant armée d'un dard , l'enfonça dans le
coeur de l'animal , qui fit un gémiffement femblable
à celui d'une perfonne. Les jeunes filles
lui coupérent les mains , qui avoient des doigts
& des ongles bien formés avec des nageoires
entre les doigts. Le Chirurgien de l'Ifle s'y tranf
porta ; rapporte que ce Monftre marin étoit
de la taille du plus gros homme qu'on puiffe
imaginer ; que fa peau étoit blanche , d'une couleur
femblable à la chair d'un homme noyé qu'il
avoit un fein de femme très -formé , le nez applati
, la bouche grande , le menton orné d'une
efpéce de barbe formée d'écailles délicates,& qu'il
en avoit de ſemblables parfemées comme par Бон
208 MERCURE DE FRANCE.
quets fur toute l'étendue du corps. Sa queue
étoit celle d'un poiffon , & au bout il s'y trouvoit
des efpéces de pieds . Ce poiffon extraordinaire
fait fouvenir de celui qui eſt décrit par
Linnæus en ces termes. Lamia facie hominis
mammis virginis , corpore quadrupedis fquammato
, pedibus anterioribus fera , pofterioribus pecoris.
Ce qui traduit en François veut dire , Lamie
qui a la face d'un homme , les mammelles d'une
fille , le corps d'un quadrupéde écailleux , les
pieds de devant d'une bête fauve , & ceux de derrière
d'un quadrupede.
Il paroît quelques différences entre ce dernier
animal & la femme marine qui a paru dans l'Ifle
de Noirmoutier.Celle- ci paroît approcher davantage
de la forme humaine : mais fi peu agréablement
que les Dames de la Tèrre ne doivent pas
craindre de pareilles rivales .
J'ai l'honneur d'être & c .
RAYMOND.
Aux Sables , le 24 Septembre 1761.
A Meaux , le 28 Septembre.
MADAME LA DAUPHINE , Mefdames ADÉLAIDE
, VICTOIRE , SOPHIE & LOUISE de FRANCE
ont fait a M. l'Evêque de Meaux , premier Aumônier
de MADAME , l'honneur de dîner chez lui à
Meaux avec toute leur Suite le 27 de ce mois,
& d'agréer qu'il eût l'honneur de leur préfenter
MM . les Abbés de Narbonne , de Châleon &
de S. Hilaire , fes Vicaires généraux .
M. l'Evêque de Meaux avoit eu déja l'honneur
de recevoir Meſdames ADELAIDE & VICTOIRE de
France , à Germigni , fa Maifon de Campagne ,
le 29° de Juin de cette année , à leur paffage pour
Plombières.
NOVEMBRE. 1761. 209
A Meffieurs de la Fabrique de la Pa
roiffe de Saint MERRY.
M ESSIEURS ,
Par le Mercure du mois de Septembre de cette
année , vous invitez MM. les Académiciens de
Peinture , de Sculpture , Artiftes , & Amateurs ,
à vous donner leurs avis fur quelques parties qui
reftent à perfectionner à la Chaire de votre Eglife
; ce n'eft qu'en conféquence de la permiffion
que vous en donnez , que je prends la liberté de
vous propofer le mien .
ร
Sans m'arrêter aux ornemens qui doivent terminer
fa partie inférieure au- deffous du vafe
n'étant point Artifte , je m'en tiens fimplement à
vous repréfenter que toute dorure fur partie quelconque
de la Chaire me paroît devoir être ablolament
rejettée ; ce font de ces ornemens paſſagers
, qui n'ont de brillant que pendant un temps
affez court ; car j'appelle un temps de peu de durée
pour un Monument public , celui de trente
ou quarante années au plus , pendant lequel les
dorures deviennent fucceffivement ternes , éteintes
, & enfin noires , au point qu'on fe voit obligé
de les refaire . C'eſt la faute , felon les Connoiffeurs
, & faute irréparable qui a été faite à la
Chaire de S. Roch , laquelle à tous égards eſt un
Morceau digne des Artiftes qui l'ont conçue &
exécutée , en fecouant le joug d'un préjugé trop
longtemps favorable aux anciennes formes. Pour
appuyer mon fentiment fur la profcription totale
de la dorure que vous paroiffez , Meffieurs , indécis
d'admettre ou de rejetter , j'ai à vous citer
210 MERCURE DE FRANCE.
entre autres exemples , celui de l'OEuvre de la Paroiffe
de S. Germain l'Auxerrois , Monument ancien
, admirable pour le travail , & toujours beau
quoique fans dorure;on s'eft bien donné de garde
lors de fa conftruction , d'y en appliquer aucune ,
pas même de verni , on l'a laille dans fon bois
naturel ; & il fubfiftera beau juſqu'à fa deftruction
, puifqu'il eft vrai que le temps n'épargne rien .
A l'égard des dorures dont le Choeur de votre
Eglife eft orné , elles ont bien autant d'Approba
teurs que de Critiques ; elles fubiront à la vérité ,
avec le temps , le fort commun à tout ce brillant
éclat. Mais , pour nous renfermer dans l'objet
dont il eft aujourd'hui queſtion , je crois qu'il convient
d'obferver que toutes ces dorures du Choeur,
n'ont rien de commun avec la Chaire. Le Choeur
peut être doré , & la Chaire ne le point être du
tout , fans que cette différence puiffe produire un
mauvais effet . Examinez , Meffieurs , à la Cathédrale
de Paris , les dorures du Choeur , & la mënuiſerie
magnifique des Stalles ; a - t - on mis de la
dorure fur celle - ci ? On a fenti les inconvéniens
qui en réfulteroient ; on ne l'a point admife , &je
penfe que l'on a bien fait : l'exemple en eft fentible
, il eft fous vos yeux , & celui de l'Euvre Saint
Germain pareillement ; c'eft d'après ces grands
modéles, & non d'après mon fentiment , que vous
êtes en état , Meffieurs , de prendre un parti.
Permettez - moi encore de vous dire un mot far
les quatre Autels qui accompagnent l'entrée du
Choeur de votre Eglife . On a été étonné qu'on ne
les ait pas exécutés tous quatre d'une hauteur égale
dans leur élévation totale. Les deux qui accompagnent
la Grille font plus bas que les deux autres
qui avoifinent les Portes des entrées latérales ; ce
qui paroît ne pas fatisfaire le coup d'oeil , lorfque
le Spectateur , placé dans le point milieu , exa
NOVEMBRE. 1761. 211
mine l'enſemble de ces quatre Autels. If aut croire
que l'on a eu , fans doute , de bonnes raifons pour
admettre cette inégalité & pour les conftruire tels
que nous les voyons . J'ai l'honneur d'être &c . ***
10 Septembre 1761.
AVIS DIVER S.
Le SIEUR CHART REY , Privilégié du Roi , continue
de débiter avec fuccès fa Poudrepurgative dont
nous avons rapporté les qualités & les effets dans
nos précédens Mercures , & dont nous-mêmes
avons éprouvé le plus grand foulagement à la
fuite d'une maladie de plus de trois années. La
lifte imprimée des cures furprenantes qu'il a faites
,revêtue des certificats autentiques des perfonnes
radicalement guéries , conftate tellement l'éf
ficacité de fon reméde, que nous croyons ne pou
voir nous diſpenſer d'en annoncer deux autres
qu'il nous dit avoir découvert depuis peu l'un
eft un fpécifique qui guérit radicalement en peu
de temps les defcentes , ruptures ou hernies des
deux fexes indiftinctement , & à quelque âge que
que ce foit , même en fupprimant le bandage ;
l'autre eft un apozême qui guérit les humeurs
froides , les écrouelles , les vieux ulcères & autres
maladies de ce genrė.
Son adreffe eft toujours , rue du Chantre , près
celle de Saint Honoré .
DUMOUCHEL , Doyen des Syndics des Maitres
d'Armes des Académies du Roi,demeure chez
M. Dollé, rue S Honoré, Marchand de Bas , entre
la rue de l'Arbrefec & celle de la rue du Roulle,
au Cerf Volant ; il fe fait fort de rendre un homme
parfait dans 3 ans , pourvu qu'il ait de la dif
pofition & qu'il veuille travailler.
Lefieur ROUSSEL,dontil eft parlé dans le Mercure
112 MERCURE DE FRANCE.
du mois Juillet dernier , demeure toujours chez
M. Samfon , Marchand Limonadier , à la Grève ,
fous les Pilliers ,au coin de la rue de la Mortellerie.
Il continue toujours avec fuccès les guériſons des
maux de gorge , glandes , gouttes , rhumatismes
avec une pommade . Il a des bouteilles d'une livre
quatre fols , de 3 , & 6 liv.
Il indiquera la demeure des perfonues qu'il a
guéries , à ceux qui l'exigeront.
ON donne avis que la Place de dé Maître de
Mufique de l'Eglife de Nantes eft vacante.Ceux qui
pourroient y prétendre s'adrefferont à M. Bordier,
Maître de Mufique de l'Eglife des Innocens à Paris.
On ne recevra ni gens mariés , ni au- deſſus de
quarante ans. M. Bordier fera part , aux prétendans
, des conditions de cette Place.
EAU admirable de Cologne.
LES frères Rossy de Cologne , feuls poffeffeurs
du vrai fecret , donnent avis au Public , qu'il
y a différentes perfonnes qui vendent d'une Eau
contrefaite fous leurs noms ; & pour qu'il ne foit
point abulé, la véritable ſe vend chez lesdits fieurs
à Cologne , rue Haute , vis-à- vis la rue Salmanack
, & en France chez la veuve Leduc , Marchande
Epicière , rue Dauphine , Magafin de
Provence , à sof. la bouteille ; & l'on fait remifes
au Marchand.
Sans entrer dans le détail des qualités & propriétés
de cette Eau admirable , affez connue de
nos Seigneurs à l'Armée, je me contenterai de dire
qu'elle eft merveilleuse pour l'apopléxie, paralyfie,
tremblement,roideur de col , humeur froide, venin ,
palpitation de coeur,migraine, obftruction de foye,
de la rate, des reins , colique,douleurs d'eftomac,
NOVEMBRE . 1761. 213
tumeurs , bleſſures , & diffout le fang caillé , & eft
autli admirable pour la gravelle & la goutte , l'on
prie les perfonnes d'affranchir leurs Lettres . L'on
vend chez la même Marchande le véritable Elixir
de Garrus.
Le fieur Onfroy vient encore de compoſer trois
Liqueurs de propreté , dont le réfultat donne une
eau laiteufe le fuccès en a furpaffé fon attente.
Ces Liqueurs ont la propriété de blanchir , de rafermir
& de nettoyer la peau, d'en faire paffer les
demangeaifons, de diffiper les taches de rouffeur,
ainfi que les boutons & les tannes , de rafraîchir
le vifage après qu'on eft rafé & d'en éloigner
les rides fans craindre aucun mauvais retour ; il
n'en faut que deux ou trois goutes dans un moyen
verre d'eau froide ou tiéde , qui deviendra blanche
comme du lait pour lui donner l'odeur la plus
agréable . On s'en lave une ou deux fois par jour
fuivant qu'on le trouve affecté plus ou moins des
incommodités de la peau qu'on vient de décrire .
L'Auteur ne prétend pas néanmoins que ces Liqueurs
puiffent détruire radicalement ces petites
maladies de la peau . Ceux qui ont eu la témérité
de l'entreprendre,ont dû voir que ce n'eft pas extérieurement
qu'il faut en chercher la guérifon ,
les fuites en étant quelquefois devenues funeftes.
L'effet des trois Liqueurs n'eft que momentané.
fi l'on celle d'en faire ufage pendant quelques
jours, les mêmes accidens de la peau reviennent.
Ces Liqueurs ne font qu'éffleurer légèrement l'épiderme
& quoique de trois compofitions différentes,
elles produifent également les mêmes effets,
ne différant que dans les odeurs . La premiere
liqueurs eft compofée de fimple Lavande corrigée
de fon odeur âcre & forte dont elle ne retient
qu'un efprit balfamique très-agréable , le prix eft
214 MERCURE DE FRANCE
de 3 liv . 5. f. la bouteille de pinte mefure de Paris
& de 34 f. la chopine. La feconde a auffi pour
baſe la lavande , mais agréablement mêlangée
d'effence analogue ; le prix eft de 4 liv. s f. la
bouteille de pinte & de 44 f. la chopine. La troifiéme
eft un pot -pourri des plus excellens balfamique
, dont le mêlange eft fi bien ménagé que
l'on n'y fent rien de dominant ; le prix eſt de 6
liv . la bouteille de pinte & de 3 liv. la chopine.
On trouve auffi chez le fiear Onfroy une eau de
Lavande, double dont l'odeur n'eſt tirée que de la
fleur de la plante fans nulle addition . Le prix de
cette dernière eft de 55 1. la bouteille de pinte, y
compris la Caraffe.
J'AI
APPROBATION.
' ai lu , par ordre de Monſeigneur le Chancelier,
le Mercure de Novembre 1761 , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , ce 31 Octobre 1761. GUIROY,
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
Page f
l'Au-
L'AMOUR conjugal , Conte Indien
ODE à une Dame qui avoit exigé que
teur fît des vers pour elle.
L'AMOUR & l'Amitié , Idylle , en Profe.
TRADUCTION de l'Hymne de la Purification,
Stupete , Gentes , de M. de Santeuil. 15
12
NOVEMBRE . 1761. 215
Envoi d'un Bouquet de coquilles, à Madame
de M...
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
LE Jugement de Lucius , Contę.
EPITRE à Emilie.
L'AIGLE & le Phénix , Fable allégorique , préfentée
au ROI DE POLOGNE à Versailles.
VERS fur le Tableau de M. Doyen , &c.
LE PSYCOMETRE.
PARALLELE entre M. l'Abbé Aubert & M.
Greufe.
RÉPONSE à M. P. de S. A. Peintre &c.
A M. de M. L. D. D. & c . &c.
ÉPITAPHE du Perroquet de Madame la Marquile
de Créqui.
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
17
ibid.
18
34
36
37
ibid.
45
49
53
54
55
56
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ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ATLAS méthodique & élémentaire de Géographie
& d'Hiftoire , dédié à M. le Préfident
Hénault , par M. Buy de Mornas ,
& c .
LA SCIENCE du Gouvernement.
ÉLOGE hiftorique de Mgr le Duc DE BOURGOGNE
, par M. Lefranc de Pompignan.
ANNONCES des Livres nouveaux.
61
70
93
110 & fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES -LETTRES,
ACADEMIES.
REFLEXIONS fur le goût du Siécle pour les
Sciences utiles.
SUITE de la Diflertation Hiftorique & Critique
fur la Vie du Grand- Prêtre Aaron ,
par M. de Boiffy.
112
120
16 MERCURE DE FRANCE.
ART. IV. BEAUX - ARTS .
ARTS UTILES.
CHIRURGIE.
OBSERVATIONS fur la luxation de la tête du
fémur , à la fuite de chûte fur la cuiffe.
ARTS AGRÉABLES .
ACADEMIE de Peinture & de Sculpture de
Marfeille.
ART. V. SPECTACLES,
OPÉRA
COMÉDIE Françoiſe.
COMÉDIE Italienne.
LETTRE à M. Delagarde , Penfionnaire adjoint
au Privilége du Mercure pour la
Partie des Spectacles.
HISTOIRE NATURELLE.
SUPPLEMENT à l'Article III . Sciences & Belles-
Lettres.
ART. VI. Nouvelles Politiques.
SUPPLEMENT à l'Article des Nouvelles Politiques.
MORTS.
EVENEMENS finguliers.
AVIS DIVERS.
145
155
159
ibid.
161
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199
211 &fuiv
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY,
rue & vis-à-vis la Comédie Françoiſe .
MERCURE
DE
FRANCE ,
DEDIE A U
ROI.
DECEMBRE. 1761 .
Di erfité , c'efi ma devife. La Fontaine.
Chez
1738
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis a vis la Comédie Françoife.
PKAULT , quai de Conti ..
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi,
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
- LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
all recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer ;
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie litté
raire , à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
Jols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir , ou qui prendront lesfrais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raison de 30 fols
par volume , c'eft-à-dire 24 livres d'avance
, en s'abonnant pourfeize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure , écriront à l'adreffe cideffus.
On fupplie les perfonnes des provin
ces d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
, refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
, d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font les
mêmes pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
DECEMBRE . 1761 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LA LIBERTÉ OU LA PARFAITE
INDIFFÉRENCE ,
ODE , traduite de l'Italien , par M.
l'Abbé DESFONTAINES , & mife
en Vers François par une jeune Demoifelle.
TRO
ROP longtemps à ta perfidie ,
Ingrate , hélas je fus livré !
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
Trop longtemps de la jaloufie
Le noir poifon m'a dévoré ;
Mais ta parjure préférence ,
Des charmes de l'indifférence
M'apprend à goûter la douceur.
Sans doute touché de mes peines,
Le Ciel même a brifé des chaînes .
Indignes de mon tendre coeur.
De ce coeur la flâme eft éteinte ;
Il recouvre la liberté.
Mes jours vont couler fans contrainte
Au fein de la tranquillité .
Las enfin de ton inconſtance ,
Sous de feints dehors de vengeance ,
L'Amour ne fe dérobe plus.
Qu'à mes yeux un autre t'adore :
Je verrois même plus encore ,
Mes fens n'en feroient point émus.
Ni pendant la nuit ton image
Ne vient plus troubler mon foumeil
Ni de ta foi le tendre gage
Ne s'offre plus à mon réveil.
Loin d'être l'objet de mes fonges,
Le vil charme de tes mensonges
Sur moi n'a plus aucun pouvoir;
Toute illuſion eſt ceffée ,
Et j'éloigne de ma pensée
Jufqu'au defir de te revoir.
>
DECEMBRE. 1761.
Pour toi j'ai trop verfé de larmes ;
Au pouvoir d'un autre ailément
Je verrai déformais tes charmes ,
Sans éprouver aucun tourment.
Je repaffe tes artifices ,
Tes fermens & tes injuftices ,
Sans perdre ma tranquillité ;
Juge combien elle eft extrême ,
Puifqu'avec mon rival lui- même
Je parlerois de ta beauté !
'Affecte de l'indifférence
Le regard fier & dédaigneux ;
Ou bien emprunte l'apparence
D'un coeur fenfible & généreux ;
Sois à ton gré douce , ou hautaine ,
Sois tendre ou bien fois inhumaine ,
Pour moi l'un & l'autre eſt égal ;
Tes yeux n'ont rien que je defire ,
Et ton ame n'a plus d'empire
Que fur celle de mon rival.
Ni mes plaifirs , ni ma triſteſſe
Ne vont plus dépendre de toi;
D'un dédain ou d'une careffe
Mon coeur ne reçoit plus la loi ;
Les prés , les bois & les collines ,
Des Ris les grâces enfantines
Sans toi me charment tout-à- tour.
A iv
MERCURE DE FRANCE .
Avec toi je hais les boccages ,
Et les plus riants payſages
Me font un epnuyeux féjour.
Je ne te trouve pas moins belle
Juge de ma fincérité !
:
Mais qu'il s'en faut que tu fois celle
Dont je fus fi fort enchanté..
Je vois fur ton charmant viſage
Des traits , des fignes , un préfage
D'une ame double & d'un coeur faux
Oui , l'amour n'eſt qu'une folie ,
Puifque fon étrange manie
Put m'aveugler fur tes défauts ..
Quand il fallut brifer mes chaînes ,
J'en confeffe mon repentir ,
Je fus fi déchiré de peines ,
Que j'euffe autant aimé mourir..
Mais depuis devenu plus fage
D'un long & honteux esclavage
Je rougis & je hais le fort :
S'il m'en falloit une journée ,
Subir l'indigne deftinée ,
Je lui préférerois la mort.
Tel que du piége qui le preffe ,
L'oifeau qui cherche à s'échapper
Aux dépens des plumes qu'il laiffe
DECEMBRE . 1761 . 9
Craint peu de le débarraffer ;
Ou tel qu'arrêté dans le piége ,
Victime d'un cruel manége ,
Il meurt fouvent de déplaiſir ;
Tel , lorsque l'on a du courage ,
Des fers d'une Amante volage
On doit échapper ou mourir.
Ingrate , tu penfes peut- être
Que mon tendre & fenfible coeur
Des feux qu'en fon fein tu fis naître
Eprouve de nouveau l'ardeur ?
Tu crois que d'autant plus il t'aime ,
Il montre un plaifir plus extrême:
A répéter qu'il n'aime plus :
Mais fonge qu'au port qu'il defire,
Le Nautonnier aime à redire
Tous les dangers qu'il a courus..
Le Guerrier , de fes cicatrices ,
Toujours aime à fe faire honneurs
L'homme échappé des précipices
Se plaît à vanter fon bonheur :
Aux douleurs , s'il n'eft plus en proie,
Le Convalescent avec joie ,
Parle des maux qu'il a foufferts ;
Et voyant terminer les gênes ,
L'Esclave libre , exempt de peines ,
Regarde avec plaifir ſes fers..
A v
ΤΟ MERCURE DE FRANCE.
Ah ! ne crois pas que de te plaire ,
Ces vers te prouvent le defir :
Je parle pour me fatisfaire ;
Je rime pour mon feul plaifir.
Soit que ton dépit les réprouve ,
Ou foit que ton goût les approuve ,
A tes jugemens j'ai peu foi.
Que pour eux un autre foupire ;
Je ne veux pas même m'inſtruire
Sur quel ton tu parles de moi.
En toi je perds un coeur volage,
En moi tu perds un coeur conftant.
Qui de nous deux perd davantage ?
Qui de nous deux fut digne Amant ?
Cherches- en un qui ſoit plus tendre,
Qui mieux que moi fçâche te rendre
Stable & fincère à l'avenir.
Pour moi, je ne fuis point avide
De trouver une autre perfide ,
N'en dût- il coûter qu'un foupir.
DECEMBRE. 1761. II
ÉPITRE ,
A Monfieur le COMTE DE BELA ,
Premier Maître- d'Hôtel du ROI DE
POLOGNE , Duc de Lorraine ; après
un Voyage de l'Auteurfait à Nancy
& à Lunéville.
Сомт M TE charmant , en qui l'urbanité
D'un nouveau luftre embellit la Nobleffe
Et dont toujours l'aimable politeſſe
Coule du coeur avec la vérité !
Reçois les Vers & la reconnoiffance
D'un Hôte épris de ton accueil flateur .
Tu l'as charmé : mais que fon éloquence
Va foiblement te rendre ce qu'il penſe ,
fent fi vivement fon coear !
Et ce que
Avec tranſport , COмTE , jë më rappelle
Ce jour longtems l'objet de tous mes voeux ,
Qui , fur tes pas , me fit voir ces beaux lieux ,
Où cher au monde un nouveau Marc- Aurèle
Faifant compter fes bienfaits par fes Loix ,
Al'Univers préfente le modéle
Des vrais Héros , des Sages & des Rois !
J'ai parcouru cette pompeufe enceinte,
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Où , mille objets m'ont offert tour- à- tour
De STANISLAS , l'inéffaçable empreinte..
Du grand , du beau , j'ai vû dans ce ſéjour
Les traits frappans. J'ai vû l'Image fainte
De la vertu que réfléchit fon coeur.
Te fon Palais , Temple du vrai bonheur ,
M'approchent point la difcorde & la plainte ::
La paix conftante , & l'amitié fans feinte ,,
Y font couler des jours délicieux ;
La vérité libre & fimple en ces lieux ,
Penfe , s'exprime , & fe montre fans crainte..
Roi Philofophe , Ami vrai , Prince humain
Ces noms facrés couvrent fon Diadême.
Tels font les traits de fon pouvoir fuprême ;,
Tel eft le noeud qui lie au Souverain
Le Peuple heureux dont il fait le deftin .
Jufqu'en fes Jeux , quel éclat l'environne: !!
Et fixe encor (ur lui tous les regards ;
Mcins glorieux de porter la Couronne ,.
Que de l'honneur illuftrer les beaux Arts :
Ce Roi fçavant les place fur fon Trône ,
Et reçoit d'eux la gloire qu'il leur donne ,,
Comme jadis , le fecond des Céfars. *
(
Ici je vois la fuperbe peintare
Eui confier fes plus nobles . pinceaux ;
* Auguſte
DECEMBRE. 1761. 13
Et de fa main que guide la nature.
Elle reçoit des chefs- d'oeuvres nouveaux.
Là , ranimant ce compas , cette équerre
Qui dirigea les prodiges Romains ,
Quels monumens , enfans de fes deffeins ,
Viennent orner & furprendre la Terre !
Suis-je au Palais qu'habite le Soleil ?
Quel's lieux charmans ! O retraite enchantée !!
Celle d'Armide autrefois fi vantée ,
A fon Héros n'offrit rien de pareil .
Tu m'éblouis , Chanteux : c'eſt une Fée
Qui t'embellit par les mains de l'Amour ;
Ou , c'eft aux fons de la lyre d'Orphée ,
Que s'arrangea ton raviſſant ſéjour.
Qu'avec plaifir , dans ce pouvoir magique ,
Nancy revoir , en béniffant les Cieux ,
Ce Bras puiffant & cette Ame héroïque ,
Qui , dans fes murs devenus fi fameux ,
Créa l'enceinte & vafte & magnifique ,
Où de Louis les traits majestueux
Lui retraçant Augufte pacifique ,
1.
Charment fon goût , fon amour & les yeux !
Mais quels objets plus grands , plus merveil
leux ,
De STANISLAS illuftrent la carrière ?
La Foi, fans voile , ouvre fon Sanctuaire ;
14 MERCURE DE FRANCE .
Je vois affis à côté de l'Autel
Un Souverain que la fageffe éclaire.
Là , ce Vengeur des droits de l'Éternel ,
Docte dans l'Art & d'inftruire & de plaire ,
Par la Raifon triomphe de l'Erreur ;
Et l'Incrédule abjurant fes blafphémes ,
Humble , docile , unit fes anathêmes.
A ceux d'un Roi , fon Maître & ſon Vainqueur.
Vertueux COMTE , auffi fage qu'affable ,
Je lens , hélas ! que mes Vers imparfaits
Ont affoibli le portrait adorable
Que tu me fis des vertus & des faits
De ce grand Roi , digne de toujours vivre.
O Vous, Sçavans raffemblés fous les yeux,
Plus noblement c'eft à vous de pourſuivre
De ces grands Traits le détail glorieux.
Que votre voix éloquente & fidéle
Chante l'afyle , où fa Religion **
Répand le feu de l'émulation
Sur des Mortels , Miniftres de fon zéle ,
Prompts à voler où la Foi les appelle.
* L'incrédulité combattue par le fimple bomfans ,
Ouvrage du Roi.
**
Douze Miffions fondées , & 12000 liv . d'au
mônes à diftribuer tous les ans dans ces Miſſions.
DECEMBRE . 1761.
15
Chantez ce Temple , * o dédaignant les traits
Que lance en vain la Chicane infernale ;
Thémis , fans glaive , affife entre la Paix ,
L'Humanité , la Bonté libérale ,
Sans le fecours d'une bouche vénale ,
Entend le Pauvre , & fur les intérêts ,
Qu'elle a pefés dans fa balance égale ,
Préfére , au droit de rendre ſes Arrêts ,
Le plaifir pur , le paifible fuccès ,
D'anéantir la Diſcorde fatale ,
Par des Confeils qui feront à jamais
De STANISLAS adorer les bienfaits .
Vous qui , pour bien , n'avez que la Naiſſance,
Jeunes Guerriers , ** ce Protecteur des Arts
Vous fait jouir d'une douce abondance ,
Sous des Mentors qu'a choifi fa prudence
Pour vous former aux plus nobles hazards !
Par vos éfforts méritez l'opulence
Que vous promet l'exemple & la fcience
Des Catinat , des Vauban , des Villars :
Vous apprendrez que la feule fageffe
Des vrais Héros confacre la valeur
* Chambre de cinq Avocats chargés de donner
des Confultations gratuites qui terminent fouvent
les différends des Pauvres.
**
Académie de 48 Gentilshommes entretenus
à Lunéville, auxfrais du Roi
16 MERCURE DE FRANCE.
Qu'à la vertu , la plus pure Nobleffe
Doit fon éclat , fon prix , & fa grandeur.
Membres zélés du docte Aréopage ,
*
Qui , dans fon fein , n'admet que le vrai Sage:
Quel riche fond pour vos nobles Travaux !
A l'Univers annoncez ces merveilles ;
A votre amour , à vos fçavantes veilles ,
Sont réfervés des monumens fi beaux !
De STANISLAS que la fidelle Hiſtoire ,
Devienne un Livre , oùfous des traits nouveaux
Les Rois futurs , ainfi que les Héros ,
Viennent puifer la véritable gloire .
EN VOI.
COMTE , pour le tribut que j'acquitte en ce jour ,
Quelle époque plus favorable !
Tu le reçois , lorfqu'en fa Cour
Ton Roi reffent le plaifir inéffable
De voir entre les bras , fur les pas de l'amour ,
Voler deux illuftres PRINCESSES !
*
Témoin de leurs tendres careffes
Et de leurs doux épanchemens ,
Peins -nous cette charmante ivreffe
La Société Royale des Sciences & Belles-
Lettres de Nancy..
DECEMBRE. 1761 . 17
Qu'excitent dans leurs coeurs , en ces heureux momens
,
Le Sang , l'Amour & l'Allégreffe !
Momens délicieux , vous renaîtrez encor :
Nous verrons Stanislas plus heureux que Neftor ;
Rajeunillant au fein d'une augufte Jeunelfe ,
A l'exemple des Dieux , ignorer la vieilleſſe ;
Et plein de jours , exempt d'infirmité ,
Sur les traces de la Sageffe ,
Marcher d'un pas tranquille à l'Immortalité.
DE SAULX , Chanoine de l'Eglife de Reims ,
& Chancelier de l'Univerfité .
LES MIROIRS ENCHANTÉS
CONTE ..
PREMIERE PARTIE.
LeE Roi de l'Isle Brillante venoit de
fuccomber fous les coups d'un cruel
Ufurpateur. Finfinet , fon fils unique ,
& le plus accompli des Héros immortalifés
dans les Contes , forcé de fuir en
attendant des circonftances plus heureufes
, alla confulter un Derviche fur
la route qu'il devoit tenir..
18 MERCURE DE FRANCE.
Vous êtes né pour les avantures , lui
dit le faint homme , après l'avoir regardé
d'un oeil fixe : ce fentier tortueux
conduit au pays des enchantemens ....
Partez , fuivez vos deftinées.
Le Prince , après avoir marché longtemps
, fe trouva à l'entrée d'un bois
coupé par fept différentes allées , & ne
favoit laquelle préférer; lorfqu'une voix
fe fit entendre , & lui dit : » Arrête !
» viens recevoir de moi les bons offi-
» cese je fuis en poffeffion de ren-
» dre aux paffans. "
Le Prince chercha des yeux d'où
cette voix pouvoit partir; il ne vit qu'un
poteau ruftique tel qu'on en trouve fur
les grands chemins , excepté que celuici
étoit furmonté d'une tête qui avoit
quelque figure humaine. Il s'en approcha
feulement dans le deffein de fçavoir
laquelle des routes il devoit prendre
; il ne vit aucune infcription . La
voix continua de fe faire entendre .
Finfinet s'apperçut qu'elle fortoit de ce
poteau qui lui parla ainfi :
Tel que tu me vois,je fus autrefois un
Mortel attaché à la Cour d'un grand
Prince. J'eus pendant ma vie le caractère
officieux , le coeur affectueux & l'efprit
de conciliation ; ami de tout le
DECEMBRE. 1761 . 19
monde j'offrois mon entremife & mes
bons offices au premier venu , j'étois
toujours plein d'idées que je communiquois
volontiers ; je me rendois arbitre
, je tranfigeois pour l'un & pour l'au
tre , j'etois prévenant , infinuant , j'entrois
dans tous les fecrets , je fournif
fois des expédiens , des moyens , je
procurois des accès à la Cour , j'y follitois
fans ceffe , ou je donnois des avis ,
enfin j'etois occupé uniquement des
affaires d'autrui. Heureux fi j'avois eu
autant de crédit que de bonne volonté !
tout en auroit mieux été ; mais les hom- ;
mes font fi injuftes , ils entendent fi peu
leurs intérêts que fouvent on les défoblige
en voulant les fervir. Je tombai
dans ce cas, mon zéle leur parut impor
tun & indifcret ; ils craignirent jufqu'au
bien que je voulois leur procurer . Ils
eurent la folie de ne vouloir plus me
communiquer leurs befoins & leurs af
faires , ils me prierent affez durement
de ne prendre plus aucun intérêt à ce
qui les regardoit. Je me croyois néceffaire
, on fe paffa de moi , j'en fuis mort
de chagrin . Ce fut pourtant un bonheur
pour moi, car les Dieux, toujours juftes,
m'ont accordé une récompenfe proportionnée,
en me confiant l'emploi impor20
MERCURE DE FRANCE.
tant de fervir de guide aux Voyageurs.
Je fuis bien vangé du Public qui m'a
méprifé il eft obligé malgré lui d'avoir
recours à mes avis ; on vient les prendre
des quatre Parties du Monde. Ceux
qui font égarés n'ont qu'à s'adreſſer à
moi , je les remets dans le bon chemin ,
& j'y maintiens ceux qui y font : je
donne à tous , gratuitement , mes confeils.
Ainfi , après ma mort , je fatisfais
pleinement l'inclination que j'ai eue pendant
ma vie , d'être utile & néceffaire.
Voilà mon Hiftoire remercie avec
moi les Dieux de mon bonheur ; la reconnoiffance
m'engage à le conter à
tout le monde. Et toi qu'es-tu , d'où
viens-tu ? où veux-tu aller ? quel eftton
deffein ? parle donc à ton tour , & furtout
expédie ; car je dois mon miniſtère
au Public.
Officieux génie qui préfidez à ces chemins
, lui répondit Finfinet , je fuis
Prince , je cherche le pays des enchantemens,
enfeignez -m'en la route . Alors
le poteau babillard lui répondit gravement
: ces fept allées que tu vois
duifent également ; prends celle que tu
voudras bon voyage ; tu es bien heu
reux de m'avoir trouvé fi à propos..
y con→
Finfinet prit à tout hazard la route
DECEMBRE. 1761 . 21
du milieu , en riant de tout fon coeur
de la grande fortune de cet officieux
Poteau & de l'idée qu'il confervoit de
fon importance.
A peine eut-il touché la rive, qu'il entendit
un concert mê é de voix &
d'inftrumens touchés avec toute la délicateffe
poffible . Il regarda de tous côtés
d'où venoit le bruit , mais il ne vit rien.
Charmé de cette fymphonie , il s'arrêta
quelque temps pour l'écouter . Comme
il promenoit fes regards fur tout ce qui
l'environnoit, il apperçut au milieu d'une
petite Vallée un Berceau de Myrthes
entrelacés de fleurs dont l'air étoit
parfumé. Sa curiofité lui fit porter fes
pas vers cette grotte. Il y vit une ftatue
d'iyvoire de grandeur naturelle , & de
la plus grande beauté. Il s'en approche
& s'apperçoit avec furprife qu'elle fe
coloroit à fon afpect d'un léger incar
nat. Alors trop convaincu que cette
ftatue étoit la Divinité qui préfidoit
dans ces climats , il fe reproche fa témérité
de s'en être approché fans lui
avoir marqué fon refpect . Mais bientôt
le coloris plus vif dont cette ſtatue
lui paroît animée lui fait craindre que
cette Divinité ne faffe éclater contre lui
fa colère. Le Prince pour l'appaifer fe
22 MERCURE DE FRANCE .
profterne comme pour lui demander
pardon de fa faute . La crainte le porte
jufqu'à baifer en tremblant les pieds de
la Déeffe ; & il lit avec étonnement fur
la baze de la ftatue , ces fix vers .
L'amour doit faire le bonheur
De celui qui pourra ranimer cette Belle.
Il faut , pour prix d'une telle faveur ,
Qui doit couvrir fon nom d'une gloire immortelle
,
La porter d'une haleine au fommet de ce mont
Qui menace le Ciel de fon ſuperbe front .
Jugez de l'embarras du Prince ! Il
s'affit ; & confidérant cette ftatue,fa pefanteur
& fa maffe , il ne peut comprendre
qu'un Mortel puiffe entreprendre
avec fuccès une telle avanture . Il
réfolur pourtant de la tenter. Ses premiers
effort pour l'ébranler furent inutiles.
Il les redoubla , & il s'apperçut
qu'elle devenoit mobile. Ce premier
fuccès, ranima fon courage ; illui parut
que cette ftatue devenoit plus légère à
mefure qu'il avançoit.Enfin , après bien
des peines, il vint à bout de la tranfporter
au fommet de la Montagne. Il fut
lui-même étonné de fa force . De quels
mouvemens fon coeur ne fut-il pas agiDECEMBRE.
1761. 23
té ! que n'eût- il pas defiré dans ce moment?
On prétend même qu'il ne put
retenir fon tranfport & qu'il lui vola
quelques faveurs.
A peine fut-il parvenu au haut de la
Montagne , qu'il fut attaqué par des
monftres terribles qui la gardoient. Ils
paroiffoient vouloir le dévorer , mais à
la vue de cette ftatue ils difparurent.
Le Prince fit quelques pas : il apperçut
une belle efplanade & une fuperbe
Ville. Alors la ftatue jetta un cri, & auffitôt
un Peuple innombrable accourut
en foule.LePrince
crut qu'on en vouloit
à fa vie:il fe mit en défenfe; mais un Roi
fuivi de fa Cour,vint accueillir le Prince
avec des tranfports qui marquoient le vif
intérêt qu'il prenoit au retour de la ftatue.
On conduifit Finfinet comme en
triomphe , au Palais à travers les acclamations
du Peuple. Il remarqua qu'à
mefure qu'il avançoit vers la Ville , la
ftatue fe ranimoit de plus en plus.
Dès qu'il fut dans l'appartement du
Roi , elle devint fi pefante que les forces
du Prince venant à lui manquer ,
fut obligé de la pofer à terre. Cet événement
fe répandit dans toute la Ville &
dans un inftant le Palais fut rempli d'un
nouveau concours de Citoyens.
il
24 MERCURE DE FRANCE.
A peine la ftatue fut-elle fixée, qu'elle
changea de forme & devint la plus belle
perfonne du monde . Le Prince fe
jetta à fes genoux & ui cffrit un coeur
qu'il lui avoit déja confacré . L'Hiftoire
nous affure même qu'Aimalle c'est
ainfi que s'appelloit la Princeffe , ne parutpoint
infenfible à l'offre de Finfiniet,
& que la reconnoiffance ne fut pas le
feul motif de fes remercimens.
,
Le Roi ne fe fentoit pas de joie du
retour de fa fille , fur laquelle il ne comptoit
plus. Il embraffoit tout le monde ,
fe jettoit au col de fes Miniftres , interrompoit
les complimens qu'on lui faifoit
pour parler plus haut , & coup oit la
paro e à quiconque la lui adrefſoit . Il
voulut enfin obtenir du fience , ce
qui n'étoit pas aifé ; tout le monde
par oit à la fois , c'étoit l'ufage de cette
Cour. Alors adreffant la paro e à Finfi
net : Seigneur , dit- il , ce jour-ci eft le
plus heureux de ma vie , puifqu'il me
rend une fille que je croyois perdue !
j'efpére que vous ne ine refuferez pas la
fatisfaction de nous apprendre à qui je
dois la fin de fes peines.
ce,
Mon Hiftoire eft courte , dit le Prin
& ma vie n'eft point chargée d'évé
nemens
DECEMBRE. 1761 . 24
nemens. Le feul qui me foit arrivé &
qui m'ait été heureux , eft celui qui m'a
conduit ici . Seigneur , je fuis un Prince
infortuné que le fort a maltraité dès ma
naillance. J'etois deftiné pour monter
fur un Trône ; mais une révolution qui
renverfa tous mes projets , me mit hors
d'état d'y pouvoir jamais prétendre . Je
fortis d'un Pays où le fort m'étoit fi contraire
, réfolu de me livrer à tous les
événemens .
Il raconta enfuite tout ce qui lui étoit
arrivé au Pays des enchantemens .
J'avois préffenti votre naiffance , lui
répondit le Roi ; votre air noble & vos
traits annoncent aifément que vous ne
devez pas être d'un rang ordinaire . Si
la fortune vous a été fi contraire , je
bénis fes rigueurs de vous avoir conduit
dans mes Etats. Vous y trouverez
dequoi vous en dédommager ; trop heureux
moi-même de pouvoir vous procurer
de quoi vous fixer à cette Cour.
La grace avec laquelle Finfinet avoit
raconté fon hiftoire , acheva de déterminer
tous les coeurs en fa faveur ; à
peine le Roi eut-il répondu , qu'il s'éleva
une acclamation générale. Tous
entourerent le Prince ; chacun recom
mença à lui faire fes remercimens ; &
B
26 MERCURE DE FRANCE.
mille voeux furent formés pour qu'il
pût demeurer à la Cour . Ignorans qu'ils
étoient l'amour les avoit prévenus.
Comme cette Nation étoit vive & pétulante
& que chacun y fuivoit fon premier
mouvement , on alla jufqu'à dire
qu'on ne pouvoit mieux faire que de
lui offrir la Princeffe Aimable.
Il est néceffaire d'inftruire le Lecteur
des ufages de cette Cour , & de rendre
compte en même temps des raifons qui
avoient obligé Aimable à devenir ſtatue.
Le Roi qui gouvernoit ces Etats, &
dont les faftes nous ont été confervés ,
a été fort connu par un proverbe qui
eft encore fort en ufage . Ce Monarque
affable & débonnaire faifoit les délices
de fes Sujets , entre lefquels il ne cherchoit
qu'à ramener l'égalité. Il fe plai-
Toit à defcendre de fa grandeur jufqu'à
la familiarité , & fçavoit fi bien tempérer
l'éclat qui environne le Trône , que
T'accès en étoit facile aux plus petits
comme aux plus grands ; en forte
que l'on pouvoit dire que tous fes
Sujets étoient fes amis & fes compagnons
ils regnoient avec lui . Le
bon Roi, pour n'avoir rien à fe reprocher
, n'ufoit qu'à leur gré de fon autorité
; l'adminiftration de fes Etats étoit
DECEMBRE. 1761 . 27
la caufe commune , & chacun y prenoit
l'intérêt qu'il lui plaifoit ; auſſi jamais
Souverain n'eut un confeil plus
nombreux tout Citoyen avoit droit
de propofer fon avis & de le faire
goûter. Jamais Monarque en un mot
ne le fut moins , ne fe foucia moins de'
l'être ; & quiconque à ces traits méconnoîtra
le fameux Roi Petau , fera
affez mal juger de fa littérature . Ce
Prince en un mot , s'étoit marié
par l'avis de fon Confeil , & avoit
époufé une fille telle qu'il avoit plu à fes
Sujets.
,
De cet hymen,auffi heureux que ceux
des Rois le peuvent être , il étoit né la
première année, une Princeffe & dix ans
après une feconde. L'aînée des Princeffes
fut nommée Déplaifante , & la cadette
cut le nom d'Aimable. Ce ne ' fut'
pas fans raifon qu'on leur donna des
noms fi contraires ; la nature y avoit
pourvu ; & l'on peut dire qu'en fe réjouiffant,
elle s'étoit épuifée fur ces deux
Princeffes & en avoit fait des chef-d'oeuvres
bien différens. On ne décrira point
la laideur de Déplaifante ni la beauté
d'Aimable , on ne croiroit pas leurs portraits
reffemblans ; l'un paroîtroit trop
chargé , & l'autre trop flatté. On pré-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
tendoit alors qu'une petite jaloufie arri
vée entre deux Fées pour quelque préfé
rence triviale, avoit occafionné ce prodigieux
contrafte entre les deux fours.
• &
Mais comme l'amour-propre fupplée
ordinairement à ce que la nature nous
refufe , il s'en falloit beaucoup que Dé
plaifante fe crût telle ; fa fierté naturelle
& fa prévention l'empêchoient de fentir
que les hommages de la Cour n'étoient
adreffés qu'à fon rang ; elle ne voyoit pas
qu'elle n'infpiroit que la crainte
ces refpects ferviles qui ne fatisfont que
l'ambition , mais qui ne fuffifent que
trop fouvent aux Grands. D'ailleurs ces
glaces indifcrettes & trop fidelles qui
font à préfent la confolation ou le défefpoir
de celles qui s'en fervent , n'étoient
pas encore en ufage ; une fontaine
tranfparente , un ruiffeau clair &
pur , ou les yeux d'un Amant plus ou
moins amoureux , étoient les feuls mi
roirs de ce temps-là.
Que les fentimens qu'infpiroit la
Princeffe Aimable étoient différens ! Le
plaifir de la voir fi belle animoit les regards
de tous ceux qui l'approchoient ;
elle voyoit tous les yeux fatisfaits fans
en fçavoir la caufe : elle ignoroit en
quoi conſiſtoit la beauté : l'on ne comDECEMBRE.
1761 . 29
mence à s'en inftruire qu'au moment
où l'on cherch à plaire ; & c'eſt à quoi
elle ne penfoit pas . Il eſt vrai qu'Aima
ble étoit alors dans cet âge heureux ,
ou le coeur encore paifible attend la
faifon des plaifirs. Mais l'âge acheva
bientôt de proportionner fon efprit a
Les charmes , la mi en erat de remplir
les deffeins qu'il avoit formés fur
elle .
Déplaifante avoit remarqué avec
chagrin la préférence que l'on donnoit
à fa four. La jaloufie's'étoit emparée de
fon coeur , & l'avoit fait recourir à une
Fée dont le génie méchant étoit conforme
au fien: c'étoit la même Fée qui avoit
préfidé à fa naiffance , & qui avoit condamné
Aimable à perdre la lumière &
à refter ftatue. Le Roi fon père avoit
penfé mourir de la perte de fa fille ; il
avoit encore eu le chagrin de voir que
celle qui lui reftoit , avoit pour le mariage
une répugnance invincible , quoiqu'il
lui eût deftiné le Prince des Lapons
pour Epoux .
Telle étoit la fituation de la Cour ,
lorfqu'Aimable reparut.
La vue de Finfinet caufa bien des événemens,
& pour ainfi dire une révolu
tion générale dans tous les coeurs les
B iij
30. MERCURE DE FRANCE .
plus indifférentes & les prudes mêmes
n'en furent pas exemptes. Déplaifante
la reffentit vivement ; en vain voulutelle
le diffimuler : dès le foir même de
l'arrivée du Prince , après être rentrée
dans fon appartement , elle s'enferma
dans fon cabinet , où elle appella une de
fes femmes. Eh bien, Maufade , lui ditelle
, as-tu vu cet étranger qui vient d'arriver
à la Cour? qu'en dis-tu ?Pour moije
' avouerai que fi j'avois pû prévoir qu'il
y eût fur la terre unMortel auffi digne de
moi , je n'aurois pas pris contre l'amour
des idées fi défavantageufes, & que je n'y
aurois pas renoncé auffi légérement.
Mais du moins , Madame , reprit Mauffade
, vous n'avez pas renoncé pour
toujours à l'hymen ; il eft de toutes les
faifons & de toutes les conditions ; on
Feut faire pour lui ce qu'on ne feroit
fas pour l'amour les établiffemens de
convenance & de raifon font moins
agréables , mais ordinairement plus
heureux ; d'ailleurs il faut donner quelque
chofe au hazard, & compter un peu
fur fon mérite. J'y compte auffi , reprit
Déplaifante ; j'efpére que celui du Prince
m'aidera à vaincre une répugnance
que j'ai toujours eue pour un Etat qui
'affujettiroit aux volontés d'autrui.
DECEMBRE . 1761 . 31
Eh pourquoi faut il que le don de notre
main entraîne celui de notre liberté
& de notre indépendance ? Je ne puis
changer de fituation fans y perdre . Une
Princeffe comme moi ne peut affocier à
fa fortune un Prince quel qu'il foit,fans
defcendre un peu de fon rang & fans
fe dépouiller des avantages de fa naif
fance. Oui , Madame lui répondit
Mauffade , nous avons toutes de bonnes
raifons pour renoncer à l'Hymen ;
mais il ne faut qu'une foibleffe pour
nous y déterminer. Les inconvéniens
que vous craignez , viennent moins de
la perte de notre liberté , que de celle
de notre coeur. Ainfi croyez-moi, Princeffe
, fi d'ailleurs le Prince vous conyient
, époufez-le avant que de l'aimer ;
l'obligation qu'il vous en aura, fera bien
plus grande en un mot bornez-vous
s'il fe peut , au plaifir d'être aimée . Tu
as raifon, dit Déplaifante , je t'entends ;
je vais donc me faire aimer du Prince.
Tel fut l'arrangement fenfé qui fut
arrêté dans le Confeil de Déplaifante
contre un coeur dont l'amour avoit déja
difpofé.
Aimable & Finfinet n'étoient pas dans
une fituation différente . L'Etoile qui
décide en amour avoit agi fur eux en
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
même temps : ils prirent l'un pour l'au
tre ces premières impreffions qui ne
s'effacent prèfque jamais. L'échange de
leurs coeurs fe fit au même moment ; &
ce quiarrive rarement , aucun d'eux n'y
perdit..
Le Roi voulut célébrer le retour de
fa fille par des fêtes galantes. On ordonna
différens divertiffemens ; & pendant
le cours de ces fêtes , Déplaifante chercha
auffi foigneufement les occafions
de marquer fa tendreffe au Prince , qu'il
fut attentif à feindre de ne pas s'en
appercevoir. Les tracafferies qu'elle em
ploya pour brouiller le Prince avec 4imable
, les perfécutions qu'elle leur fuf
cita , les fureurs que lui infpira la jaloufie
lorfqu'elle fut pleinement convaincue
de leur fecrette intelligence , entra?-
neroient dans des détails qui feront aifément
fuppléés par le Lecteur. Il eſt
également inutile de lui apprendre que
les deux Amans perfécutés ne s'en ai
moient que davantage. C'est alors que fe
livrant à tout fon défefpoir: je n'en puis
plus douter ( s'écria Déplaifante ) ils s'aiment
& s'aimeront toujours malgré moi!
que deviendrai-je, & quel affreux avenir?
Hélas ! de toutes les douceurs que j'ef
pérois , je n'aurai donc que celle de la.
vangeance. Oui je me vangerai : Ils.
DECEMBRE. 1761. 33
payeront cher les larmes que me fait répandre
une foibleffe indigne & malheureufe.
Que le Prince parte ; qu'il s'éloigne
à jamais de ces lieux... & toi Princeffe
trop heureuſe , je fçaurai , dans un
exil éternel , te punir d'avoir fçu plaire
à un Prince que je me deftinois.
Cependant les larmes qu'elle répan--
dit en abondance , les fermens qu'elle
fit de fe vanger , l'efpérance de fe guérir
, la foulagerent. Qu'elle connoiffoit
peu l'amour ! On s'en détrompe, fans en
guérir. Quand les foupirs , les pleurs &
le dépit font épuifés , l'efpérance renaît;
& Déplaifante s'y livra. Par un retour
affez ordinaire, ce fentiment diminua le
malheur de fa fituation ; elle crut que le
Prince lui fauroit enfin gré de fes
avances , & de fes feux : comme fi l'a--
mour naiffoit de la reconnoiffancel Elle
excufa même un peu fa foeur & fe flatta
que,puifqu'elle connoiffoit fon amour,,
elle le refpecteroit ; elle tomba enfin
dans toutes les erreurs où un penchant
malheureux entraîne ceux qui ne peu--
vent fe guérir ; & fa foible raifon prit
le parti de fon amour."-
Déplaifante fe mit au lit pour cacher
fon défordre , & fit dire que le cercle
fe tiendroit chez elle. Elle fe flattoit quee
By
34 MERCURE DE FRANCE .
le Prince ne pourroit pas fe difpenfer
de lui rendre vifite . Elle attendit ce moment
comme celui qui devoit décider
de fon fort.
entr'autres ,
En effet le Prince arriva : mais il fallut
auparavant éffuyer bien des vifites
importunes. Aimable ,
vint ui rendre fes devoirs. Déplaifante
pelit à fa vue & ne lui répondit que par
monofyllabes. Le Roi Petau vint enfuite
; de là Finfinet qui voulut fe retirer
: Déplaifante l'arrêta . Dans l'état où
je fuis , lui dit- elle , j'ai befoin d'une
compagnie qui m'amufe & qui me diffipe.
Alors le bon Roi fit affeoir le
Prince ; il s'établit lui-même dans la
plus profonde Bergère , & le cercle fe
forma. La converfation devint genérale
; Aimable , & même Finfinet y
brillerent beaucoup ; Déplaifante même
eur préfque de l'efprit , Chacun s'évertua
& reffentit l'effet ordinaire que produit
fur l'efprit la préfence de ce qu'on aime.
Le Roi étoit le feul qui n'étant pas au
fait des fituations, les déconcertoit tous
par des vivacités & des faillies qui détonnoient
avec la converfation . Il avoit
la voix haute & brufque , & ne la ménageoit
guères : il fe jettoit fans ceffe
à travers les interlocuteurs , s'emparoit
DECEMBRE . 1761 . 35
*
mal-à-propos du texte , diftribuoit la
parole , la coupoit aux autres & à luimême
, interprétoit à fa façon des propos
avancés à deffein pour être relevés
par d'autres que par lui , prévenoit les
réponſes , en détournoit le fens , les
dépaïfoit , entremêloit partout des dictons
, de vieux contes , n'épargnoit pas
les Proverbes ,& quoique Roi, rioit tout
feul. La mauvaiſe humeur de Déplaifante
congédia enfin l'Affemblée. Finfinet
donna la main à Aimable : ce dernier
coup affomma Déplaifante, qui feignant
l'inftant après d'avoir quelque chofe à
dire à fa foeur , la fit appeller . Vous
m'obligerez à un éclat , lui dit Déplaifante
avec hauteur ; vous devriez
éviter les occafions de me déplaire . Aimable
feignit de ne pas l'entendre ; Déplaifante
le fentit ; & voulant à force de
fierté cacher fa confufion : ne comptez
pas m'en impofer , dit-elle , par une
ignorance affectée . Allez; & déformais,
que vos Ecuyers vous reconduifent .
Déplaifante paya bien cher fa tyrannie.
L'amour en confola fa foeur ; il raffermit
fa chaîne & y ajouta de nouveaux
noeuds. C'en fut affez pour la réfoudre
à ne plus cacher fes fentimens au
Prince,& à fe laiffer arracher l'aveu d'un
B vj
36 MERCURE DE FRANCE .
fecret qui lui coûtoit autant à garder
qu'à découvrir..
Déplaifante étoit de fon côté livrée à
la jaloufie la plus noire . Elle forma cent
projets différens qui étoient auffitôt détruits
par d'autres .
Elle s'arrêta à celui de faire foigneufement
obferver les deux Amans. Ils ne
purent échapper aux foins vigilans de
Mauffade , qui vint un jour avertir Deplaifante
qu'ils étoient feuls dans la
Grotte des foupirs. Déplaifante courut
à la Grotte ; & vit le Prince aux genoux
d'Aimable : fon trouble fut égal
au leur le Prince ne lui avoit jamais.
paru plus charmant .Finfinet voulut maladroitement
profiter de cet inftant
de foibleffe en faveur d'Aimable. Non !
s'écria Déplaifante, non , Perfide ! 'cherche
plutôt à te juftifier toi-même, en me
fuivant .... Les foupirs de ces deux
triftes Amans furent les feuls adieux
qu'ils fe firent.
A peine furent-ils arrivés au Palais
qu'Aimable reçut un ordre du Roi
qui la reléguoit dans une Fortereffe
à vingt lieues de la Cour. Elle partit &
foutint fa difgrace avec un courage &
une fermeté qui redoublerent encore le
refpe&& l'adoration du Peuple.Cet évé--
DECEMBRE . 1761 : 37
བྱ
nement donna matière à bien des dif
cours : chacun imagina ce qui lui plut
& le donna pour vraj . On répandit à
deffein , que la Princeffe avoit formé
quelques projets défagréables à la Cour ;
mais les plus fins courtifans fans fe com--
muniquer autrement que par la penfée
conclurent que la jaloufie avoit fait toute
le crime de la Princeffe difgraciée .
Le refte au Mercure prochain..
EPITRE
De M. GRESSET , à M. le Comtez
de.....
FLAVE & Succeffeur d'Horace ,
De Defpreaux & d'Hamilton ,
Vous qui nous ramenez leur ton
Et leur Coloris & leur Grace ,
Sans effort , fans prétention ,
Sans intrigue & fans Dédicace
vous , dont l'Aigle ou les Zéphirss
Guident , au gré de vos defirs ,
La route toujours neuve & fûre ,
Peintre brillant de la Nature ,
De la Sageffe & des Plaifirs !
Quand vous dérobez à notre âge
38
MERCURE
DE
FRANCE
.
Des Tableaux que la Vérité
Et le Génie & la Gaîté
Ont marqués par la main d'un Sage ,
Du fceau de l'Immortalité ;
Dites -moi , divin Solitaire ,
Dites par quelle cruauté ,
Rappellez-vous à la lumière ,
Un phoſphore , une ombre légere ,
Qu'ont tracés mes foibles crayons ,
Et dont la lueur paffagére
S'efface au feu de vos rayons ?
Sur les fonges de ma jeuneſſe ,
Laiffez les voiles de l'oubli ;
Que mon defert ſoit embelli
Par votre main enchantereſſe !
Voilà le feul lien de Fleurs ,
Par qui je veux tenir encore
A cet Art qu'on profane ailleurs ,
Et la Raifon même adore ,
Quand il brille de vos couleurs.
que
Prenez cette Lyre éclatante ,
Qui par les fons majestueux
Maîtriſe mon âme , m'enchante ,
M'élève à la hauteur des Cieux :
Ou que ce facile Génie
Qui de la céleste Harmonie ,
Sçait defçendre aux délaſſemens
D'une douce Philoſophie
DECEMBRE. 1761 . 39
&
M'offre encor fes amuſemens ,
Ces écrits fans cajolerie ,
Sans Satyre , fans baffe envie ,
Ces écrits nobles & rians
Sans pefante bouffonnerie ;
Où la Gaîté jointe au bon-fens ,
Craionne l'humaine folie
Sous les traits heureux & brillans
De la bonne plaifanterie ,
Dont tout le monde a la manie ,
Et qu'atteignent fi peu de gens.
Mais , par malheur pour qui vous aime
Ne confiant rien qu'à regret ,
Toujours mécontent de vous-même ,
Vous voulez être trop parfait ;
Et dans votre trop beau ſyſtême
Un Ouvrage n'eft jamais fait.
Contre mes voeux & mes inftances
Tous vos prétextes font ufés ;
Soyez moins parfait , & lifez ;
J'aime jufqu'à vos négligences .
Pourquoi vous ravir fi fouvent
A l'amitié qui vous appelle ,
Et lui cacher fi conftament
Des tréfors qui font faits pour elle ?
Sauvage enfant de Philoméle ,
Vous êtes cet Oifeau charmant
Qui , fous la verdure nouvelle ,
40 MERCURE DE FRANCE .
Content du Ciel pour confident
De la tendreffe de fon chant ,,
Semble fuir la race mortelle ,
Et s'envale dès qu'on l'entend.! .
A Madame la Ducheffe d'ÉGUILLON,
après la Repréfentation de MEROPE
& du BABILLARD , par les Dlles
Penfionnaires du Couvent de Ruel.
V
ERTUEUSE Ducheſſe , ornement de la France ;
IMuftre rejetton de nos chers Fondateurs 3
Que vous fatisfaites nos coeurs
Par votre agréable préſence !
Săr nos jeux innocens vous répandez des fleurs ,
Puiffent-ils vous prouver notre reconnoiffance !
A Mlle d'EGUILLON qui jouoit le Role
de CLARICE dans leBABILIARD,
Parlapetite MlleGUIBERT quijouoit
celui de NERINE.
DAIGNEZ ; belle Clarice , agréer mon hommage :
Un eternel oubli peut confondre nos jeux ;
Mais quoique nous foyons au matin de notre âge , -
Mon coeur jufqu'à fon foir fera pour vous des
Par Madame GUIBERT
DECEMBRE. 1761. 41
LE MATIN
TRADUCTION.
Lz flambeau de la nuit , la paifible courière
Forte à d'autres Mortels , fon éclat emprunté
Des Etoiles déja s'efface la lumière ;
Et des fombres brouillards l'air n'eft plus in
fecté.
Sur le point de r'ouvrir fa carrière brulante,.
Le Soleil de fes feux , ranime l'Univers ;
La pourpre , le Saphir , l'Eméraude éclatante
Se peignent à nos yeux dans levague des airs.
La Mère de Memnon , l'Aurore aux doigts de Rofe,
Jette fur les Mortels des regards gracieux ;¡
Et les vives couleurs dont elle fe compoſe
Diffipent , de la nuit , les voiles ténébreux.
De l'Orient déja franchiffant la barrière ,
L'altre brûlant du jour eft fur notre hemifphères.
Les nuages groupés , fufpenfus dans les airs ,
Ont pris, à fon afpect , la teinte des éclairs.
De fes premiers rayons , les plaines font doréess
La rofe épanouit fon Calice enchanteur ;
Le lis , à fon éclat vient apporter l'odeur
Qu'exhalent , à l'envi ,fes feuilles fatinées..
42 MERCURE DE FRANCE.
Les oiſeaux enchantés , par leurs chants ame
reux ,
Célébrent le retour du Dieu de la lumière ;
Le Laboureur actif fortant de fa chaumière
Fait marcher devant lui fes Taureaux vigoureux
Ces Globes enflammés , nageans dans la matière ,
Ces Aftres radieux , ce Soleil bienfaiſant ;
Oui , tout ce que je vois dans la Nature entière ,
Eft l'ouvrage , Seigneur , de ton bras tout-puiſfant
!
Tu commandes aux vents : ſur leurs aîles rapides
Ils franchiffent foudain l'immensité des airs ;
Ta main conduit des Cieux les mouvemens divers
,
Et difpenfe , à grands flots , les nuages humides.
D'un foufle , tu formas tous ces monts fourcilleur}
Tu coulas en métaux l'argile mépriſable ;
Aux Aftres tu traças leur courſe dans les Cieux :
Ta parole créa ton féjour adorable.
Mais que fais -je, grand Dieu ! j'oſe tracer en vers ,
Ta gloire, ta grandeur , ta Puiffance Suprême ?...
Hélas ! un vermiffeau dans fa baffeffe extrême,
Doit- il envifager l'Auteur de l'Univers ?
Par le P. Boscus .... • D
DECEMBRE. 1761. 43
Al'Auteur du MERCURE. *
L'ÉPITRE que je joins ici ,
Monfieur , n'eft qu'un pur badinage ,
Où, librement , à la merci
D'une mufe vive & volage ,
Sans aigreur &fans éralage,
Un ami parle à ſon ami.
Je vous en avertis d'avance ,
Pour que l'on n'aille
pas en vain
Y chercher
le germe
malin
De quelqu'injufte
conféquence
Trop étrangère
à mon deffein
.
Sur deux ou trois rimes
boufonnes
On auroit
tort de m'imputer
D'avoir
eu pour but d'infulter
Un ordre
aimable
de Perfonnes
,
Que j'efpére un jour augmenter.
Au refte , Monfieur , j'ai bien peur
que dans la Rapfodie que je vous envoye
, où peut-être ma mémoire ; fans
que je m'en fois apperçu , a-t-elle eu
autant de part que mon imagination ,
vous ne trouviez bien des chofes à reprendre
, en particulier , dans ce qui re-
* Cette pièce , égarée depuis deux ans , vient
d'être retrouvée. On en fait bien des excules à
l'Auteur.
44 MERCURE DE FRANCE.
garde l'exacte méchanique du Vers . Feu
M. de Boiffy a eu quelquefois la bonté
de me donner fon avis là-deffus : mais
toujours inutilement ; & mon excuſe ,
fi c'en eft une , c'eſt que je n'ai jamais
fçu , & que je ne fuis plus actuellement
à même d'étudier les régles de la Verfification
. Un peu d'oreille , de goût , &
de routine ; voila les feuls guides que je
fuis dans mes excurfions lyriques ,
Tel à l'ombre d'un Ormeau»,
Affis auprès de Lifette ,
Tandis qu'au long d'un ruiffeau ,
Son chien guette le troupeau
Qui s'en va pinçant l'herbette ,
Vous voyez un Jouvenceau
Sans principe , ni tablette ,
D'un doigt lourd , fur un roleau ,
Qui lui tient lieu de Muferte ,
Tâtonner un air nouveau ,
Qu'en quêtant la violette ,
Un jour, auprès du Château ,
Il entendit Ifabeau
Jouer fur fon Epinette.
Au bruit de la chan fonnette ,.
De tous les coins du Hameau
Vous voyez fille & fillette ,
Jettant quenouille & fuſeau ,
Courir , voler fous l'Ormeau .
Leur attention muette,,,
DECEMBRE . 1761 .
Leur figure ftupéfaite
Fait fourire le lourdaut ,
Qui des fons durs qu'il répéte
Connoiffant tout le défaut ,
De bon coeur , fur la boulette ;
Briferóit les vains pipeaux;
Mais leurs accords , quoique faux
Mêlés parmi les travaux ,
L'amufent dans la retraite;
Impofent à fes rivaux :
Enfin plaisent à Liſette.
Ma Lifette , à moi , Monfieur , il eft
bon d'en avertir ici font beaucoup
d'honnêtes gens qui femblent prendre
du goût à mes chanfons ruftiques , &
qui m'ont invité plufieurs fois à les
continuer. Je dois tâcher de mériter
leur eftime , du moins par ma promp
titude à leur obéir.
J'ai l'honneur d'être , & c.
EPITRE Badine à M. Mor ... Curé de
la Paroiffe de S. B. en Nivernois .
I' AI penfé plus d'une
fois , mon cher
Confrère
, à la converfation
que nous
eumes
dernierement
enfem
ble , au coin
de votre feu. Vous ne voulez
pas que je
46 MERCURE DE FRANCE.
qitte un Bénéfice de 4 ou 500 liv.
de rente , pour en prendre un de 2 ou
3000 liv. qu'on travaille à me procurer;
& votre raifon , c'eft que le premier
m'a bien fuffi jufqu'à préfent.
Mais permettez- moi de vous dire ,
Que d'avoir trop long- temps pâti
N'eft pas un titre , notre ami ,
Pour perpétuer'fon martyre.
En vain m'objecterez - vous que le
poids de l'habitude égale & confond
infenfiblement tous nos goûts ; & qu'à
la longue les défagrémens d'un état fâcheux
n'affectent pas plus que les dous
ceurs d'un état commode ne flattent.
•
Oh ! pour cela , je n'en crois rien.
Le mal ne fçaurois changer d'être,
Ni le bien , ceffer d'être bien .
Si par fois donc on fait paroître
Qu'on le dégoute d'être bien ,
Ah ! je devine mieux peut- être
C'eft que l'on conçoit le moyen ,
Et qu'on a l'espoir de mieux être.
Au refte , ma raifon à moi , du moins
la principale , fans autre préambule , la
voici. Je vous la dirai , mieux de loin
que de près ; c'eſt une foibleffe , peut-
1
DECEMBRE. 1761. 47
être un gros péché , dans une perfonne
de mon état. De tous temps , j'ai fait
cas de l'eftime des hommes ; & je vous
avoue tout ingénument que je ferois
fort flatté d'y avoir un peu de part. Or ,
des divers chemins qui y ménent,je n'en
fçais point de plus court , de plus fùr ,
de plis gracieux , que celui d'un bon
revenu .
Soyez riche , cela fuffit.
Avec l'argent tout va de fuite ,
Horace & Defpreauxl'ont dits
On a du fçavoir, de l'efprit ,
De la naiffance , du crédit ,
Du courage , de la conduite :
On a tout avec un tréſor .
Le trébuchet qui pefe l'or ,
Eft la balance du mérite .
,
m'allez-vous Il n'y a que les Sots
dire , qui fe laifferont ... Je vous en- tends. Et bien les Sots foient.Du moins
cette portion de l'humanité
que vous
traitez fi dédaigneufement
, compofe
partout le plus grand nombre
qu'on dit: & partout le plus grand nom
bre prévaut , donne le ton & fait loi.
Oh ! n'allez pas , s'il vous plaît, fous prétexte
de quelque abus , ( comme s'ils ne
à ce
48 MERCURE DE FRANCE.
nous étoient pas auffi naturels que l'air
que nous refpirons ,) vous élever ici con
tre un ufage confacré dans tous les Tribunaux
Eccléfiaftiques
& Séculiers.
Les hommes ont vû ces abus.
Mais pour maintes raiſons fort fages
Ne les traitant que de bibus.
Malgré tous les défavantages ,
Ils ont perfifté dans leur us ,
Le premier de tous qui en requit l'établiffement,
ne pouvoir être qu'un habile
homme. Je m'imagine que pour le
faire recevoir , il tint à-peu-près ce langage
à fa Nation : Meffieurs , la vérité
de jour en jour devient fi ridicule , & fi
difficile à découvrir qu'il faut néceffairement
de deux chofes l'une , ou l'abandonner
à fon caprice & nous paffer
tout -à-fait d'elle , ou l'obliger de s'élire
quelque part un domicile fi clair , fi manifefte,
que tout homme qui fçaura feulement
faire le calcul de fes dix doigts,
puiffe à coup für aller l'y trouver &
ly reconnoître . Je conclus donc à ce
qu'il lui foit ordonné de s'établir déformais
partout où fera le plus grand nombre
: le tout à fès rifques , périls, & fortune.
Ge
DECEMBRE. 1761 . 49.
Cet avis fut reçu , goûté ,
partage.
Suivi fans le moindre
Admirez la malignité !
C'est elle qui par badinage ,
Et fous un vilage emprunté ,
Au premier de l'Areopage
Avoit eu foin de le dicter ;
Ne croyant pas qu'on fût fi fage
Que de le vouloir adopter.
7
Mais revenons . Vous voudriez vous,
mon cher ami , n'acquérir la confidération
publique , que comme un fonds
de terre , à titre onéreux ; par des talens,
des vertus , & c ? Mais 1 ° . cette voie eft
trop longue , & trop pénible. D'ailleurs
ce n'eft ni l'intention , ni même , entre
nous foit dit , l'intérêt des hommes ,
qu'on s'en ferve trop fcrupuleufement.
2º. Cette voie n'eft pas toujours auſſi
fûre que vous pourriez vous l'imaginer .
Il ne faudroit que l'Ignorance , ennemie
cachée , mais bien redoutable du
mérite , pour vous arrêter au milieu de
votre courſe.
Partout où naît , & fe produit
Du Talent la tige brillante ;
D'une démarche oblique & lentej
Ge vil infecte la pourfuic.
C
50 MERCURE DE FRANCE,
Là , caché par la petiteffe ,
A loifir tramant ſon projet ,
D'un dard qu'il aiguile en fecret
Dans leur tendre gerine qu'il bfeffe
Il éteint mille aimables fleurs ,
Qui n'attendofent pour faire éclore
L'or & l'azur de leurs couleurs ,
Que l'inſtant heureux ou l'Aurore
Vient déposer au féin de Flore
Le tribut fécond de fes pleurs.
2
- Je vois encore un autre inconvénient
votre pofition au milieu des deferts
. Vous auriez beau crier de là,avant
qu'on vous entendît. Irez-vous donc ,
Chevalier errant du Mérite , courir le
monde , le cafque en tête , & la lance
baiffée , & vous planter au milieu des
chemins , pour faire avouer à tous les
paffans , que vous êtes digne de leur eftime
? Non , vous n'y réuffiriez pas,
Les hommes font trop malins , trop
contrarians . C'eft affez qu'on leur parle
d'un ton impératif, pour n'en rien obtenir
qu'à bonnes enfeignes.
Un rien qu'on vous eut laiffé prendre ;
Sans y voir , fans prefque y fonger
Quelquefois même fans prétendre
Au plaifir de vous obtiger +
Si vous ofez leur faire entendre
DECEMBRE. 1761
ད་
* Que vous voulez vous l'adjuger¸ £1
Comme un tribus qu'on doit vous rendre
N'eſt plus un poiss à négliger, no'ng
Comment ! pouvoit- on s'y méprendre !
C'est un bien dont on voit dépendre
Tout fon falut , tour fon danger; J
Et qu'on ne peut donner ni vendre.
Perfiftez vous à l'exiger ? og san
On rifque tour pour le défendre.
D'un oeil ferme on voit affiéger ,
Braler , détruire , faccager ,bo
Sa mailonylon parci, fon vergeri
Eft-ce tout Nanis pour le vengers
L'honneur dit qu'il faut fur leur cendre
Sans jamais påfler de fe tendre , a'r
Finir par fe faire égorger: 2011
Sur ce pied- là , pacifique , comme
vous êtes , furtout depuis quelque tems,
vous prendrez le parti d'attendre en patience
qu'on vienne de foi - même, reconnoître
& honorer l'homme de mérite
au fond de fa retraite. Mais is n'en
feront rien , je vous le garantis .
.91
De leur part, c'eft faire beaucoup .
Que de fouffrir qu'il fe préfente, A
Il est même bien des lieux , d'ou
L'on eft bien aile qu'il s'abfente.
1.2
12 MERCURE DE FRANCE.
$
Là , fçavoir plier le genou ,
Devant Maître , Dame & Servante : -
Qu'on vous flate , ou qu'on vous tourmente,
Toujours tendre humblement le cou s
Qu'on parle bien & qu'on plaifante
Du Ciel , de la Terre , de tout ,
Tout écouter jufques au bout ,
D'une façon libre & galante ,
Sans marquer ennui ni courroux ;
Dans ces lieux , c'eft la loi conftante,
Qu'on dicte à quiconque les hante :
Orle vrai mérite entre nous ,
N'a pas l'humeur fi complaiſante.
Mais enfin il faut vous mettre à votre
aife. Allons , je veux qu'on vous connoiffe
, qu'on vous goûte qu'on vous
eftime.Toujours ne le ferez-vous que du
petit nombre ; toujours , qu'après avoir
dévoré les fatigues , les dégouts, les longueurs
d'une route accablante : & voilà
juftement ce qui m'empêchera toujours
de faire le voyage avec vous. Oh ! qu'on
va bien mieux & plus commodément à
fon but par le chemin de la fortune !
Au lieu de troter triftement
A pied , ou juché durement
Sur l'efcarcelle d'une Roffe ,
Qui cloche & tombe à tout moment;
DECEMBRE. 1761. 53
C'eft faire la route en dormant ,
Etendu dans un bon carroffe.
Vive , vive un bon revenu ! & Dieu
faffe paix aux bonnes âmes qui fe font:
avifées les premieres de fournir à fes
Miniftres un moyen fi für de fe faire
honorer. En effet , avec un bon revenu
, vous êtes difpenfé , vous ne pouvez
même décemment vous permettre.
de faire aucune fonction clericale , fi
ce n'eft dans quelques circonftances rares
, pour lesquelles le bien de la Religion
, & la gloire de certaines âmes
privilégiées qui ne peuvent plus fe fauver
ignoblement avec la tourbe des
fimples Fidéles , exige qu'on réferve des
Miniftres extraordinaires ..
"
Or qui , pour un léger falaire ,
Bravant Concile & Concordat ,.
Peut , en foudoyant un Vicaire ,
S'affranchir de tout Miniſtère ;
Se réfervant , pour toute affaire ,
D'aller loin de fon Prefbytère ,
Prendre, où bon lui plaît , fon ébats
Chez la gent qui porte rabat ,
Jouit des droits de Gentilhomme ;
Partout , à Paris comme à Rome,
Peut narguer Evêque & Primat ;
C iij
14 MERCURE DE FRANCE.
Trancher , à fon gré , du Prélat ,
*
Bénir , chanter , A* figner tout comme;
Enfin , pour dernier réſultat ,
Ne doit paffer que pour un hommé
Fort au-deffus de fon état.
Avec un bon revenu , pour peu que
* On remarque que dans un Eccléfiaftique pour
robuſte & bien conditionné qu'il foit , la voix di- :
minue toujours à meſure que le revenu augmente.
Entrez dans une Eglife , vous diftinguerez
fans peine au chant un fimple Religieux d'un
Prieur ; un Vicaire d'un Curé ; un Curé riche
d'un Curé pauvre. Sa voix eft, le tarif du revenu.
La raifon de ce phénomène qu'on cherche dans
le Moral eft toute trouvée dans le Phyfique. Les
facultés du corps font en équilibre les unes avec
les autres , & ne peuvent s'étendre qu'aux dépens
de leurs voifines. Dans un individu opulent l'oefo
phage s'élargit de toute néceffité : il eft tout fimple
que la trachée-artére fe rétrécile.:
** Nous avons des Cuiés , fimples , très- fimples
Curés de Campagne , qui prennent ouvertement
le Tité d'Abbé , & ne fignent jamais que
P'Abbé tel ; le robit parce que leur grange peut
contenir année.commune deux ou trois cent douzaines
de gerbes de bled . On s'eft t d'abord mis à
rire de cete fingularité , comme autrefois on rit
du premier Abbé qui , dans les fitcles d'ignorance
& de bat barie , qu cous les qangs fe confondoient,
prit la croile & la mitre. On n'en rit plus , & la
qualité qu'ils fe font arrogées, tout le monde la
leur accorde fans peine apparemment pour obéir
au Confeil du Sage : Stulto refponde fecundumfultitiam
ejus.
DECEMBRE 1761 . 55
le coeur vous en dife de déroger à la
coutume prefque générale , qui veut
qu'un Eccléfiaftique à mille livres de
rente ne s'attache à d'autre étude qu'à
celle de fes plaifirs ; pour peu qu'il
vous prenne goût de vouloir , vous
donner les airs d'homme de Lettres ,
d'ami des Mufes ; rien qu'en parcourant
quelques Ouvrages Périodiques &
vous meublant la mémoire de cinq ou
fix Phrafes extraordinaires & fingulières,
vous avez droit de parler de tout , &
de juger les Auteurs d'un ton hardi ,
pofitif , defpotique.
Or , en toute efpéce d'affaire ,
J'en ai fait note très-ſouvent ,
Un con décifif & tranchant
Eft le diagnoftic ordinaire
D'un Bel- efprit ou d'un Sçavant.
Ce ton mâle impofe au vulgaire ,
Convainc , fubjugue l'Ignorant
Trouble le Sage & le fait taire.
Avec un bon revenu , vous avez le
privilége de vous faire eſcorter en Ville
comme en Campagne, par deux ou trois
Eftafiers dorés comme des calices , leftes
, coquets , femillans .... en un mot
tous tels qu'il faut qu'ils foient pour
Civ
56 MERCURE DE FRANCE .
annoncer avantageufement le Maître
qu'ils fervent , & régler vis- à -vis du
Public le degré de confidération qu'il
a droit d'en attendre.
Or , tout Quidam qui peut ainfi
Doubler , tripler fon exiftence ,
Eft , du moins en circonférence ,
Toujours plus d'un homme & demi
Et , fur le principe établi ,
Que de tout , dans ce monde- ci.
On ne voit trop que l'apparence ,
Par la plus jufte conféquence ;
Ne fçauroit être , notre ami ,
Qu'un perſonnage d'importance.
Avec un bon revenu , il vous eft
libre, que dis-je libre ? il vous eft ordonné,
prefcrit , fous peine de vilenie , par
la plus impérieufe de toutes les Légiflatrices,
lá bienféance , de tenir une table
abondante , & délicate , & d'y convier
, non des Aveugles & des Boiteux ,
ce n'eft plus la mode , mais ce qu'on
appelle la troupe des gens aimables , la
bonne compagnie.
Or qui peut dans fon domicile
A l'aide des heureux talens
1
DECEMBRE . 1761 . 57.
D'un Gilot , I d'un Laurent 2 habile ,
Le foir, tour-à- tour , à la file ,'
Attirer tous les Fainéans
De fon Village ou de fa Ville ;
Fût-il un Négre , un Hottantot ,
Eft toujours un homme admirable ;
Et , ne fçût-il dire oncq un mot
D'approprié , de ſupportable ,
Nulle-part , ainfi qu'à fa table ,
Ne fçauroit paffer pour un Sot.
Vous m'allez dire que cela n'empêche
pas qu'il ne le foit dans le fonds ; mais
ce n'eft pas là ce dont il s'agit. Ce
fonds qui vous inquiéte ,
vous inquiéte , qui eft- ce qui
ira le fouiller , & le traduire au grand
jour? Sera-ce vous , Monfieur l'homme
de Lettres , l'homme à talens ? Vous
auriez tort. Une fottife retranchée der
rière un bon revenu , croyez- moi , mon
cher Confrère , eft une fottife bien ref
pectable. Paffez -moi la comparaifon .
C'eſt un tertre aride, une Roche,
Dont un art profond & fçavant "
Par maints travaux , de proche en proches
Hériffa , défendit l'approche ;
D'où le tranquille Commandant,
1.2. Traiteurs de Neversrenommés .
C v
58 MERCURE DE FRANCE.
Dans un calme heureux , abondant ,
Se rit des traits qu'on lui décoche.
Il y auroit même plus que de la témérité
a l'y aller infulter. C'eft un principe
généralement reçu dans le monde ,
que le mérite , qui n'eft que cela , doit
être timide , modefte , refpectueux,
S'il fait l'Aboyeur , de Pélant ,
Tant- pis pour Monfieur le Mérite.
C'eſt un Cynique , un Impudent ,
Qu'avec foin tout le monde évite ;
Et qu'on met à l'ombre bien vite ,
S'il veut s'en venger , en mordant.
Encore a -t- on bien raiſon. De tous
les talens imaginables , le premier , le
plus éffentiel , le plus digne de notre eſtime
, c'est celui de fçavoir refpecter les
maximes établies , & de ne rien faire :
qui puiffe troubler le bon ordre & la
tranquillité publiques . Finiſſons ; je crois
qu'en voilà affez pour vous prouver
que ce n'eft pas fans fujet que je viſe à
changer de fituation. Au furplus
Si la raifon que je vous donne ,
Ne vous paroît pas affez bonne ;
J'en ai vingt autres à cheifir ,
Qu'au premier beau jour en perfonne ,
DECEMBRE. 1761 . 59
Si votre amitié me l'ordonne ,
J'irai vous déduire â loifir .
En attendant que l'heure fonne ,
Et me procure ce plaifir ,
Toujours trop lent pour mon dear ,
J'ai l'honneur d'être , & c. :
ODE ANACREONTIQUE.
DANS
ANS ce lieu fombre , tout conſpire
A nourrir mon cruel amour :
Le trait fatal qui me déchire ,
S'aiguile & s'accroît chaque jour,
C'est là que je chante Climene :
Son nom eft connu des échos .
Ils font fenfibles à ma peine ,
Elle eft infenfible à mes maux.
Mon malheur helas ! eft extrême
Chaque inftant voit mon mal s'aigrir :
Faut-il que les tranfports que j'aime
Soient ceux qui font le plus fouffrir ?
Du moins fi la douce eſpérance
Charmoit ma cruelle douleur
Amour ! fignale ta puiſſance
Par ma mort ou par mon bonheur.
Par M. L ... d'Arras.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
ADIEUX D'ANDROMAQUE
A ASTIANA X.
O CRIME! &défefpoir ! mon fils ! ma feule joie ! ô
Seul bien refté d'Hector & des cendres de Troie ,
Mon fils , tu vas périr ! & mes funeftes ſoins
Ot avancé l'inftant dont mes yeux ſont témoins,
Ton père , Hector lui -même , & fa gloire paſſée ,
T'arrachent une vie à peine commencée :
Hector toujours préfent aux yeux d'un aſſaſſin ,
Hector conduit les coups & te perce le ſein..
O malheureux hymen ! noeud facré, noeud funefte!
De toute ma grandeur , voilà ce qui me reſte .
L'Afie à mes genoux attendoit en fulpens,
Son Maître & fon appui renfermé dans mes flancx
Et des Grecs , en ces lieux amenés par le crime ,
Ces flancs infortunés renfermoient la victime !
Tu pleures ! ... 6 mon fils ! connoîtrois- tu ton fort ?
Sens- tu, nos maux cruels & prévois-tu ta mort ?
Tes pleurs coulent en vain, & tes mains innocentes,
Tes baiſers redoublés preffent mes mains tremblantes.
Malheureux ! prétends-tu , caché fous mes habits
Ou fléchir ou tromper les deſtins ennemis ?
Hedor ne rompra pas la barrière fatale ,
Qui s'élève entre- nous , & la nuit infernale.
N'efpérons plus le voir, tel qu'au fort des combats,
DECEMBRE. 1761 .
6r
Nos Tyrans , de fes mains , recevoient le trépas ,.
Quand du joug de l'Europe affranchiffant l'Afie" ,
Il vangeoit dans leur fang fon fang & fa Patrie.
Tout eft fini pour nous. Troie a vu fon orgueil
Confondu près d'Hector dans la nuit du cercueil ;
Et dans nos deftructeurs la foif de la vangeance
Etouffa pour jamais la voix de la clémence .
Helas ! ta mort s'apprête , & bientôt fous mes yeux
Précipité du haut de ces murs odieux "
Tes membres palpitans couvriront ce rivage ,
Ces bords enfanglantés , théâtre du carnage.
Hélas ! ton oeil tremblant à peine s'ouvre au jour »
Que le fer ennemi t'enlève à mon amour.
Odour embraffemens ! ô baifers pleins de charmes!
Qu'à ta mère éperdue ils vont coûter de larmes !!
Sauve-toi dans mes bras ! ô mon fils ! c'eſt en vain
Que tu puifas la vie & le jour dans mon ſein .
Pour la dernière fois embraſſe encor ta mère.
Près de joindre au tombeau les manes de ton père,
Montrons-nous tous les deux ardens à recueillir
Toi , mon dernier baiſer , moi ton dernier foupir .
LETTRE à l'Auteur du MERCURE..
V ous connoiffez peut- être , Monfieur
, un jeu d'efprit qui reffemble aux
bouts rimés. On vous donne un certain
62 MERCURE DE FRANCE..
nombre de mots pris au hazard ; vous
compofez enfuite une Hiftoire raifonnable
& fuivie , dans laquelle ils doivent
fe trouver tous. Il vous eft feulement
permis d'en changer l'ordre & de
les employer plus d'une fois . Voici
comme un homme de ce pays a rangé
les mots fuivans : Capitoul. Ecliptique.
Poulain. Arbalétrier. Sarbacanne.
heaume. ferviteur. Ayeul. Faon. Divan.
Colombier. Soupape. Marée. Bol.
LETTRE d'un Ecolier de TOULOUSE.
ENFIN , mon cher ami , me voilà
forti de mon maudit College pour aller
paffer les vacances dans la belle maiſon
que mon oncle le Capitoul a auprès
d'Agde. Je vous dois une defcription
de mon voyage. Un Poëte commenceroit
avec emphafe , en difant que le Soleil
fe préparoit à entrer dans le premier
figne de l'Ecliptique pour darder fur la
Terre fes rayons bienfaifans qui raniment
la Nature ; mais moi, je vous conterai
fimplement comme quoi le 22
Mars à huit heures du matin, nous trouvâmes
à la porte du Collége la magnifiDECEMBRE.
1761. 63
que Chaife de mon Parrain le Prieur
attelée d'un cheval de louage , de fa
grande jument blanche & du petit poulain
qu'on avoit mis en arbalête . Ah !
le maudit Arbalétrier. La forte bête ne
fit que ruer & culbuter. Il fallut le déreler
avant que d'être au bout de la grande
rue . Nous nous embarquâmes donc,
M. Maufadet mon très-digne Précepteur
, moi armé de mon beau fufil , &
le petit Charlot mon coufin , qui ne
voulut point quitter fa Sarbacanne avec
laquelle il fouffoit des pois le long de
la route aux paffans . Guillaume fuivoit
à pied avec fon beau bonnet de toile cirée
qui lui fervoit de heaume & un bâton
en guife de lance , ce qui lui donnoit
tout-à -fait l'air d'un Roland. Le
petit Charlot nous étourdit pendant tout
le chemin du plaifir qu'il auroit à voir le
grand Jet d'Eau, à faire jafer le Sanfonnet
& à manger tout le bonbon que lui
alloit donner fon Ayeul. Moi, je rêvois
que le lendemain je tuerois un Chevreuil
ou un Faon ; & M. Mauffadet
fongeait , j'en fuis fur , a renouveller
avec la petite Fermière des familiarités
qui ont déja penfé le faire chaffer. Enfin
nous appercevons le grand Colombier
le coeur nous bat d'aife ; nous defcen64
MERCURE DE FRANCE.
dons remplis de nos idées ; nous trouvons
mon oncle le Capitoul jouant au
piquet avec Madame l'Elue & un tas de
Campagnards occupés à décider un coup
contre lui avec la même gravité qu'on
traite une affaire au Divan. Mon oncle
prend de l'humeur, reçoit mal fon petitfils
Charlot & loin de lui donner du bon
bon , lui caffe fa Sarbacane. Le pauvre
petit va
va chercher le Sanfonnet ; le chat
l'avoit mangé le jour précédent ; & le
grand Jet d'Eau n'alloit pas , parce que
La Soupape étoit rompue . Nous ne fumes
pas plus heureux que Charlot. M.
Mauffadet trouva la petite Fermiere en
couches ; & moi , au lieu d'aller à la
chaffe , j'ai gardé trois jours le lit pour
une indigeftion de marée gagnée à Befiers.
Heureufement , moyennant deux
vifites du Docteur & trois bols purgatifs.
j'en fuis quitte. Mais vous voyez comme
les projets des hommes & leurs efpérances
s'en vont fouvent en fumée !
J'ai l'honneur d'être & c.
Permettez- moi , Monfieur , de vous
en dire autant ; de tous les Abonnés au
Mercure, perfonne ne vous honore plus
que moi.
DECEMBRE . 1761 . 65
ÉPITRE ,
A Mademoiselle CORNEILLE.
REESSTTEB facré de ce beau ſang ,
Ce fang qui produifit , fi fécond en merveilles ,.
Un Fontenelle , & deux Corneilles ;
Quel Seigneur , digne de fon rang,
Unira les palmes guerrières ,
Dont Mars orna fon écuffon ,
A ces lauriers héréditaires ,
Que tu tiens des mains d'Apollon ?
L'Europe avec refpect , la France avec tendreffe
Doivent applaudir à ton nom ;
La vertus , les talens , ont fondé ta nobleffe
Corneille , grand en tout , méprifa la richeſſe.
La ftérile admiration
Ne nous acquitte pas ; & ton fort intéreſſe
L'honneur de notre Nation .
Voltaire , de Corneille héritier véritable ,
Offre à ce père vénérable ,
De fes travaux , l'hommage glorieux ;
De fa famille auffi lui-même il devient père.
Corneille convient dans les Cieux ,
Que le mépris des biens ,. qui fit fon caractére ,
N'égale pas encor leur emploi vertueux.
ParM. LECLERC ,, à Nangis.
66 MERCURE DE FRANCE.
LE mot de la premiere Enigme du
Mercure de Novembre , eft , la Cendre.
Celui de la feconde , eft, la fauffe Monnoie.
Celui du premier Logogryphe, eft,
Pêche , dans lequel on trouve , par le
moyen feulement de deux accens , Piché.
Celui du fecond , eft Infeription ,
dans lequel on trouve non , Scipion ,
or , porc , crin , pifton , ton , firop, roc ,
ciron , pin , tin , po , io , iris , prifon ,
toni , cor , Sion , citron , fon , Roi
corps , os , pion , pinçon , Crispin .
point.
[
ENIGM E.
A Mademoiselle D.....
DIEU IEU favori de tout ce qui reſpire ,
Objet aimé de tous les fens ,
J'attire tout par nes charmes puiffans ;
Rien n'eft fouftrait à mon empire.
Eglé , que fuis-je donc , avec tant de pouvoir ?
C Une lueur enchantereffe ,
Qui naît , meur & renaît fans ceffe ,
Une ombre, un feu follet , qu'on ne peut concevoir,
DECEMBRE. 1761 67
Qu'en cherchant trop , on ne fait qu'entrevoir.
Je fuis cependant très - fenfible...
Tel qui croit, me, tenir , ne mefent qu'échapper ;
Mais en m'analyfant , on me rend invifible,
Je fuis perdu pour qui me veut développer.
Chac un me trouve où fon âme le porte ;
L'Ambitieux dans la grandeur ,
f
Le Conquérant dans une attaque forte ,
Et le Tyran dans fa fureur.
Un Grand , que fon orgueil encenfe,
Me voit dans fa nombreuſe Cour ;
Un volage dans l'inconftance ,
Un coeur froid dans l'indifférence ,
Un coeur fenfible dans l'amour.
L'Avare avec fon or m'enferme en fa caffette ;
Le Joueur , au piquet me trouve avec les as ;
Le petit Peuple à la Guinguette ;
Et le Faquin dans les petits appas.
Un gros Doyen à rouge trogne ,
Savourant mille mets , avec art apprêtés ,
Dans des flots de vins de bourgogne
Me fable à coups précipités.
Un Poëte en fon trou , rimaillant avec peine
Des vers pillés & mal coufus ,
Tout plein de moi , fe croit nouveau Phébus ,
Roi du facré Vallon , Maitre de l'Hipócrène .
Une Coquette , éprouvant au miroir
Ses grimaces les plus jolies ,
Me rencontre en croyant y voir
68 MERCURE DE FRANCE.
Un minois à caufer un million de folies.
L'Amant aimé m'apperçoit en tous lieux 3
La Nature pour lui me reproduit fans ceffe ;
Une fleur , un ruiffeau , me peignent à fes yeux :
Tel eft l'effet de la tendreffe !
Qui prétend me hair n'eft pas de bonne foi.
Ecoutez un Atrabilaire ,
Avec fon air pédant déclamer contre moi :
A l'entendre , je fuis une erreur du vulgaire ;
Mais en dépit de la morale auftère ,
C'eft pour m'avoir à fa façon ,
Qu'il va dans un coin de la Terre
Faire contre les miens déclamer ſa Raiſon.
Dans la coupe noire & bifarre
De la fière caufticité ,
Tout en me décriant , à longs traits le Barbare
Me puiſe avec tranquillité.
11 en eft cependant que le deftin avare
Condamne à vivre loin de moi ;
J'évite ces Mortels ; & je ne fçais pourquoi,
Je fuis pour eux toujours très-rare,
Les Grands connoiffent peu mes traits ;
Chez eux le fafte m'épouvante ,
Et je bâille dans les Palais :
Un village , un hameau , une plaine riante ,
Ont toujours pour moi plus d'attraits.
1
Mais furtout , cher Eglé, je me plais fur vos traces..
Jevais , reviens , voltige autour de vous.
DECEMBRE. 1761 . bg
Paré de vos attraits , embelli par vos graces ,
On me fent mieux , on me trouve plus doux,
Divine Eglé , quelle feroit ma gloire ,
Si la pudeur qui veille auprès de vous ,
Ne me difputoit la victoire!
J'ofe par fois me montrer dans vos yeux;
J'y brille... mais qu'ailleursje brillerois bien mieux
Si Licidas , qui vous adore ,
Sur vos lévres un jour pouvoit me faire éclore¿
M'y fixer , y mourir ! .. ...
Vous rougiffez ! ...Dois- je paler encore ?
Non , Eglé , c'eft affez ; rougir , c'eft me fentir.
leplayit
AUTRE.
M. D. G.
Mon éclat éblouit le plus noble des fens : ON
Il faut me preffer pour me faire.
Si celui qui me tient me preffe trop long- temps
Je redeviens ma propre mère.
LOGO GRYPH E.
TEL fut mon fort d'être formée exprès
Pour répondre aux befoins d'un objet plein de
fâme ;
70 MERCURE DE FRANCE.
Le fet qui leconfume , & que monfeinreclame ;
ATOM'oblige à demeurer, auprès , tur
Sans quepourtant rien hry repiennẹd
A préfent far ce corps exerceiton efprit: slat
Tu trouveras dequoi te donner appécie ;
Avec une autre tête encor comme la mienne™
Je formerois un homme , & le ferois fans voit ;
Une feuille piquante , une autre feuille indienne ;
Une fille de l'air qu'on entend dans les bois , -
Peu de chofe qui fert à la coquererie
Ce que ta trouveras fous tes doigts en chemin
Lorfque tu toucheras Vielle, ou Claveffin ;
Ce que dans un picnic chacun paie en partie ;
Ce que forme la mer quand elle eft en fureur;
Au milieu d'un flambeau ce qui fait la lueurs
Un Aftre vagabond ; le double nom d'un livre;
Une faifon par qui le Printemps fe fait ſuivre ;
Ce qui garnit le dos de tout Gagne - Petit;
Le turnom de Priape ; un oileau de la Nuit ;
Le Maître du logis trouve ici lon partage.
en avoir davantage
. Devine fitutu veux en
LEBEL DE S. JUST.
alq apo rib untoled
DECEMBRE. 1761 , 71
J
AUTRE,
■fuis un Etre infortuné
¿ A qui Nature a trop donné. »
De mon nom même immenfe eft la ftructure şi
Décomposé , dilléqué dans ces Vers
376
Dont tu veux bien prendre lecture pais 13 1
• Il va t'offrir plus de cent mots diverspuu nianɔɔ
Quand la Mort t'aura fait defcendre
Dans l'affreufe nuit du Cercueil ;
Sur un marbre gravé, fait pour couvrir ta cendre a
Par des éloges vains revivra ton orgueil :
Lecteur , ce monument de la folie humaine,
Avec un pied de moins , des miens feroit formé,
Dans ma tête & ma queue on rencontre fans
peine ,
Le Fainéant qui vit en en un trou renfermé ,
Mes membres épars font encore
L'ornement dont le front du Pape fe décore ;
Un Roi dont le troupeau fut gardé par un Dieg
Un autre Roi , de qui la Villé en fea
De l'Altière Junon fignala la vangeance ;
Un monftre furieux , cent fois décapité ;
La femme de celui qui du Monde noyé ,
En jettant mainte pierre , a réparé l'engeance ;
Ce tendre Amant qu'un voile enfanglanté
Fit aller chez Pluton , fuivi de la Bergère
72 MERCURE DE FRANCE.
L'inceftueux Mortel qui brûla pour fa mère ,
Et par qui dans les flots le Sphinx précipité ,
Arracha les Thébains à la calamité ;
L'Apôtre porte-clefs le Fabulifte illuſtre ,
Qui des écrits d'Efope emprunta tour fon luftres
Le Chantre della Thrace ; & le Dieu des pavors
Ce qu'Ovide inventa pour chanter des Héros ;
L'Amante de Renaud; l'Amante de Léandre ;
Certain mal , fans remede , auquel il faut s'atten
dre ,
Et qu'en vain l'homme voudroit fuir s
Le contraire d'aimer ; & celui de hair.
Je t'ai promis cent mots engagement frivole ;
Qui déjà me fait friffonner ! ...
Je t'en ai dit affez , fi tu fçais deviner .
Difpenfe-moi de te tenir parole.
A METZ.
RONDEAU.
jusques dans le moindre role , Iris tu sé.
duis les coeurs, Un seulgeste une uneparole, Enchan
tent les spectateurs Toujours tendre et delicate,
Ou vive a vec agrément .Dans tonjeu
sans
Min
cesse
éclate L'espritou le sentiment . Seje
vois en toi Nicettej'aspire au bonheur d'Alin
Si tu charme dans Jeannette je brule d'être Co
-linje desire en voyant Lise Le sort de l'heu
W
reux Dorval, Et
par
tout mon ame
éprise
Majeur
Rencontre un nouveau rival. Heureux
W
l'amant dont laflame Peut éclater a tes
yeux Qui du trouble de son ame Peutte parler
en tous lieux :Plus heureux l'amant sincere
W
Qui peut te voir soupirer Et qui certain
de te plaire N'aplus rien à desirer.
DECEMBRE. 1761. 73
RONDEAU .
Jusques dans le moindre rôle USQUES
Iris , tu féduis les coeurs ;
Un feul gefte , une parole
Enchantent les Spectateurs.
Toujours tendre & délicate ,
Ou vive avec agrément ;
Dans ton jeu fans ceffe éclate
L'efprit ou le fentiment.
Si je vois en toi Nicette ,
J'afpire au bonheur d'Alain ;
Si tu chantes dans Jeannette , Charme
Je brûle d'être Colin ;
Je defire en voyant Life ,
Le fort de l'heureux Dorval
Et partout mon âme épriſe ,
Rencontre un nouveau rival.
Heureux l'Amant dont la flâme
Peut éclater à tes yeux ;
Qui du trouble de fon âme
Peut te parler en tous lieux .
Plus heureux l'amant fincère ;
Qui peut te voir ſoupirer
Et qui certain de te plaire ;
N'a plus rien à defirer.
D
74 MERCURE DE FRANCE,
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE à M. DE LA PLACE ,
Auteur du Mercure , fur le Livre
des Principes difcutés pour l'intell'igence
des Pfeaumes & fur la
nouvelle Verfion de ces derniers qui
va paroître. On en détache ici le
Pfeaume I , & on y joint un Eſſai de
Traduction en Vers François,
MONSIEUR ,
M. Marmontel votre Prédéceffeur
au Mercure de France , annonça dans
fon temps les premiers volumes d'un
Livre qui a été bien augmenté depuis.
C'eft celui des Principes difcutés pour
l'intelligence des Livres prophétiques de
l'Ancien Teftament , & Spécialement des
Pfeaumes ,, par les PP . Capucins de la
rue S. Honoré à Paris , ou ( pour faire
mieux connoître les Auteurs qu'ils ne
"
DECEMBRE . 1761 . 75
l'ont fait eux-mêmes ) par la Chambre
Hébraïque & Apoftolique compofée
d'Abbés , de Réguliers & de gens du
Monde.
peu
e
Les 11 & 12 volumes de cet Ouvrage
profond ont été préfentés depuis
à M. le DAUPHIN , & il ne manque
pour le compléter qu'un autre volume
ou peut-être deux avec la Table
des Matières , après quoi paroîtront les
Pfeaumes.
Je laiffe aux Journaux & aux autres
Sçavans le foin d'annoncer ces Livres
intéreffans : mais comme ils le font plus
particuliérement pour les gens du Monde
, j'ai cru comme tel , devoir vous
inviter à en prendre une notion plus
exacte qu'on ne l'a pu avoir à Paris &
dans les Provinces , afin de les enrichir
auffi bien que votre Mercure, de ce que
j'ai puifé moi-même , fans prévention ,
dans ces fources qui doivent être communes
aux Sçavans & aux Ignorans .
Pour cet effet , je remonte plus haut
que M. Marmontel , en fupprimant toute
forte d'éloges pour lui , pour vous ,
Monfieur , & pour mes Auteurs : ils ne
conviennent point à une annonce. M.
l'Abbé de Villefroi , que fes difciples ,
& l'érection de leur Société en Cham
D ij
70 MERCURE DE FRANCE.
bre Hébraïque ont fait connoître depuis
; cet Abbé , dis-je , qui a vieilli
dans l'étude des Langues Orientales ,
publia d'abord 2 vol . in- 12. fous le Titre
de Lettres de M. l'Abbé de *** à
fes Elèves , avec quelques Differtations
très-fçavantes. Il y mêla des exemples ,
ou des effais fur les Pfeaumes , d'après
les principes qu'il donnoit à fes Élèves ,
& qui ont été difcutés par ceux - ci
dans les 14 vol . dont j'ai parlé. Le dernier
des Lettres parut en 1754 &
tous ces Livres auffi bien que d'autres
( a ) qui paroîtront après les Pfeaumes ,
font les fruits du travail opiniâtre de
cette Société & de fon Chef qui en
avoit préparé les germes depuis plus de
30 ans . Croira-t- on , Monfieur , que
Le feul Pfeaume Exurgat Deus & c. a
été travaillé pendant près de 20 ans ; &
qu'après y avoir mis la dernière main ,
M. Racine qui fut invité à le mettre en
vers , défefpéra d'atteindre à la fublimité
de l'Original & à la beauté même de
la Traduction ?
Depuis que les différens volumes des
( a) En particulier le Livre de Job Grec étonnera
on peut le dire d'avance ) & Savans & Ignorans.
DECEMBRE. 1761 . 77
Principes difcutés ont paru fucceffivement
, on a traduit en vers plufieurs
Pfeaumes , parmi le grand nombre de
ceux dont la Chambre Hébraïque a
donné des verfions en François & en
Latin dans ce grand Ouvrage ; mais ces
nouvelles Traductions en vers font difperfées
dans des Livres périodiques dont
je n'indique que le Journal Chrétien , &
le Mercure du temps de M. Marmontel.
Ce dernier Auteur a donné quelques
échantillons de ces Pfeaumes & en Profe
& en Vers ; mais fort peu de notions
fur les Principes difcutés , qui ne l'étoient
pas encore entiérement , & qui
fondent aujourd'hui une verfion frappante.
Il paroiffoit frappé des feuls
commencemens vous le ferez vousmême
de l'enſemble , après avoir parcouru
comme moi les deux petits Tomes
de Lettres de M. l'Abbé de
***
&
les douze des Principes difcutés , ou bien
feulement les Pfeaumes qui y font répandus,
avec les argumens qui les éclairciffent.
Malheureufement tout le monde n'a
pas le loifir , le goût , ou les talens néceffaires
pour fuivre les difcuffions
théologiques qui juftifient la nouvelle
verfion mais fans attendre qu'elle foit
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
complette , on peut prévenir le Public
fur l'efpéce de révolution que va produire
cette nouveauté , & diminuer l'étonnement
jufqu'à ce que la coutume
le faffe ceffer. C'eft rendre fervice en
même temps au Public & à nos Auteurs
qui n'ont pas prétendu donner des chofes
nouvelles ( comme je l'obferverai )
mais les raffembler , les appuyer & les
lier d'une manière toute nouvelle . Non
nova , fed nové , comme le porte l'Épigraphe
de leur Livre .
1. On fçaura donc d'avance que les
Titres anciens de la plûpart des Pfeaumes
n'en faifant point partie ont été
rejettés foit parce qu'ils induifoient à
erreur fur les Auteurs & l'objet de ces
Cantiques facrés ; foit parce qu'ils en
faifoient perdre le Contexte , ou l'harmonie
du fens. Le commun des gens
les attribue prèfque tous à David, fur
la foi du Titre général de ce Recueil , ou
des Titres particuliers de certains Pfeaumes
: le Texte même , peu approfondi ,
femb'oit donner pour Auteur & pour
objet le Roi Prophéte qui y eft nommé
( ce qui mérite une remarque particulière
) : Mais ignorans & fçavans
tout s'y elt trompé , fi vous en exceptez
des Peres & des Auteurs modernes qui
DECEMBRE . 1761 . 79
Ont donné quelquefois au but , dans
différens fiécles . Auffi la Chambre Hébraïque
a-t-elle recueilli & rapproché
tous ces fuffrages épars dans une infi
nité de Livres ; & pour ne paroître rien
avancer d'arbitraire ou de nouveau :
foupçon qui ne fera détruit qu'à la
longue , lorfqu'on fera familiarifé
avec la nouvelle verfion , autant qu'on
l'étoit avec les précédentes. Pour cet
effet il faut oublier celle - ci , fentir les
raifons de celle -là ; profcrire même les
fens allégoriques & moraux qui por
toient à faux ; pour n'admettre à l'ave
nir que le fens vraiment littéral.
2. On faura que fur ce fens littéral ,
on peut feulement en appuyer un autre
que la Chambre Hébraïque appelle auffi
littéral . L'un regardoit l'ancien Ifraël
l'autre regarde le nouvel Ifraël. Et ces
deux fens font annoncés & developpés
dans les argumens de chaque Pfeaume
excepté pour ceux qui n'en font pas
fufceptibles .
3. On fçaura que les Sujets reglant
déformais les Titres , au lieu d'en être
reglés ; les obfcurités & les plus grandes
difficultés difparoîtrent , du moment
qu'on aura le flambeau & les clefs que
fourniffent les principes difcutés. Je ne
D iv
80 MERCURE DE FRANCE.
fçai fi la Préface & les Notes qui accompagneront
la nouvelle verfion tiendront
lieu de ces principes. Je vais en
expofer quelques-uns des plus néceſſaires
pour ceux qui n'auront pas le courage
ou les moyens de les démêler dansle
livre entier deftiné à attaquer les préjugés
, & à fe défendre contre les critiques.
Une de ces Clefs eft l'Eglife , foit de
l'ancien , foit du nouvel Ifraël, qui dans .
les , Pfeaumes , parle , tantôt au nom de
David , ( quoiqu'il ne s'agiffe pas de ce
Roi Prophéte , ni des événemens de fa
vie , encore moins de fes prétendus ennemis
) tantôt fous d'autres noms , &
d'autres expreffions dont je ne fais
qu'avertir ; expreffions fouvent généra- .
les énigmatiques , que les arm
---1- ---gumens , la
Traduction & les Notes développeront
affez peut-être .
Une autre Clef c'eſt la captivité & la
délivrance de Babylone ; ou pour
mieux expliquer ces objets néceffaires
dans la plupart des Pfeaumes , il faut
avoir dans l'idée , l'Eglife d'Ifraël ; (a)
Les Chaldéens ou Babyloniens , Ty-
( a ) Voyez une Diſſertation éſſentielle ſur l'Eglife
du Verbe , dans les Lettres ci- deffus de M.
l'Abbé de *** à fes Eléves.
DÉCEMBRE . 1761 . 81
rans des Juifs ; les Ifraëlites Apoftats &
les faux Prophétes , ennemis plus dɩngereux
, qui joignoient les outrages &
les railleries à la cruauté ; enfin la conquête
des Médes & des Perfes fous
Cyrus , qui fut le libérateur & le vangeur
d'Ifraël ....
En voilà trop pour une Lettre , &
trop peu pour une fi vafte matière . Terminons
là par la verfion du Pfeaume I.
qu'a donnée depuis longtemps M. l'Abbé
de Villefroi , & où l'on voit des
exemples de ce que j'ai avancé. J'y
joins une Traduction nouvelle en Vers
François. On pourra comparer l'une
aux .Verfions ordinaires ; & l'autre à la
belle Parodie morale ( j'ofe l'appeller
ainfi ) que M. Racine a fait de ce même
Pleaume dans le Recueil du Pfeautier
traduit par nos meilleurs Poëtes. ( a)
PSEAUME I.
VERSETS où les termes généraux font
reftreints & déterminés au fens de
l'ancien Ifraël. ( b )
1. Heureux fera l'homme ( c ) qui
( a) Paris , chez Defaint & Saillant , 1751 .
( b) Lettre XIV . de M. l'Abbé de *** à ſes
Elèves. Tome II . p. 384. & fuiv.
(a ) L'Ifraelite. Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
n'aura point fuivi les opinions des Impies
( d ) ; qui n'aura point perfifté dans
la voie ( e ) des pécheurs (f) ; & qui
n'aura point pris féance dans les affemblées
que tiendront les Railleurs . ( g )
2. Mais qui fera ( h ) foumis à la Loi
( i ) du Seigneur [ qui le tiendra captif ]
& qui nuit & jour aura réfléchi fur la
Loi ( k ) [ qui lui rendra la liberté.
3. Cet homme fera femblable à l'arbre
planté fur le bord des eaux , qui
porte fon fruit dans fa faifon , & dont
la feuille ne tombe point. Il réuffira
dans toutes fes entrepriſes.
4. Il n'en fera pas de même des Impies
( 1 ) au contraire ils feront difperfés
comme l'enveloppe du froment
emportée par le vent.
5. C'eft pourquoi les Impies ( m ) ne
reffufciteront point [ de leur captivité ],
en vertu du jugement qui fera
( d) Des Apoftats.
( e ) Le culte.
( f) Des Chaldéens idolâtres..
(g) Les Faux Prophétes.
h) Volontairement.
( i ) Au decret.
( k ) Idem.
( 1) Des Apoftats
( m ) Idem
prononDECEMBRE.
1761. 83
cé contre eux ( n ) ; & les pécheurs ( o )
ne feront point admis dans les affemblées
des Juftes . (p )
6. Car le Seigneur fera profpérer la
voie ( q ) des Juftes ( r ) , & la voie des
Impies ( s ) fera anéantie .
( n ) Par Cyrus.
( o ) Les Chaldéens.
( p ) Des Ifraëlites.
( q ) Le Culte.
(r) Des Ifraëlites.
( s) Des Apoftats.
TRADUCTION nouvelle en Vers François
, d'après la précédente.
HEUREUX fera l'ami de la Juſtice ,
Qui déteftant & Ferreur & le vice ,
Fuit leurs prophanes * Sectateurs ; ( a)
Heureux , dis- je , dans les fers mêmes ,
S'il n'a point écouté les fophifmes flateurs
D'un abominable ſyſtême :
Si les pécheurs ( b) impérieux mortels,
Loin des fentiers de la ſageſſe ,
N'ont point entraîné ſa foibleſſe
Au pied des profanes Autels :
Et s'il n'a point brigué la place
Le mot du Texte eft Impies
( a ) Les Apoftats.
b) Les Chaldéens,
D vi
84 MERCURE DE FRANCE.
Où l'on voit l'ignorante audace
Prophétifer d'un ton moqueur. ( c )
Plus heureux , fi la Loi qui la livre à leur haine ,
Et le decret qui brifera fa chaîne
Occupent nuit & jour fon efprit & fon coeur.
Oui , Juftes attachés à ces pieuſes traces ,
Efpérez la fin des diſgraces ,
Ft l'aimable retour de la faveur des Cieux.
D'un Arbre qui s'élève aux bords d'une onde pure
Les fruits certains , l'immortelle verdure"
Peignent vos deftins à mes yeux.
Mais comme du froment l'enveloppe légère ,
Jouet des tourbillons , vole avec la pouffière ,
Et s'abîme en tous lieux dans les champs étonnés 3
Telle on verra la Race impie
Atteinte , éperdue , affervie
Dans les climats infortunés.
Fais éclater ton courage & ton zéle ( d) ,
Vainqueur , Berger chéri du Dieu de l'Univers ,
Enchaîne pour toujours un ennemi pervers ,
Et ramene un Troupeau déformais plus fidéle.
P. S. Voudrez-vous bien, Monfieur ,
Fromettre au Public pour le Mercure
prochain , une annonce plus préciſe
( c ) Les faux Prophétes.
( d ) Cyrus , Roi des Perfes , Vainqueur des Babylo
niens , & Reftaurateur des Juifs . Voyez la Prophétie
d'Ifaïe , où Dieu l'appelle fon Berger.
DECEMBRE . 1761 . 85
des Livres en queftion , avec de nouveaux
exemples de la Verfion qui paroîtra
l'année prochaine. J'ai demandé
cette annonce à un des Auteurs
ne rien hazarder de mon chef.
› Four
J'ai l'honneur d'être & c .
BELUGE DE MONTFORT , ancien
Moufquetaire du Roi.
GRAMMAIRE FRANÇOISE
Philofophique , ou Traité completfur
la Phyfique,furla Métaphyfique,& fur
la Rhétorique du langage qui régne
parmi nous dans la Société , Volume
in - 12 , page 188 › par M. d'ACARQ
, de la Société d'Arras ,
ci-devant Profeffeur de Langues & de
Belles Lettres Françoifes à l'École-
Royale-Militaire , à Genève , & fe
vend à Paris chez Moreau, rue Galande
, & Lambert , rue de la Comédie.
1761.
-
DEUX
EUX chofes doivent également
flatter M. d'Açarq , par rapport au Traité
86 MERCURE DE FRANCE.
du Nom qu'il nous donna , il y a près
d'un an: les fuffrages du Public éclairé
& impartial qu'il a réunis , & les traits
de la Critique , qui ne s'attache guère
qu'aux bons Ouvrages. Notre Auteur
nous donne aujourd'hui le Traité du
Verbe , qui ne fervira qu'à accroître
fa réputation par les éloges des vrais
Connoiffeurs . Le nouveau Volume de
M. d'Açarq confifte dans un Avant-
Propos , dans le Traité du Verbe , &
dans un Appendice de ce Traité .
,
Pourquoi après le Traité du Nom
avoit- on dit à notre Auteur , voulezvous
nous donner le Traité du Verbe ?
Votre Traité du Nom ne reffemble-t-il
pas aux autres Traités que nous avons
fur cette matiére ? Le titre de votre
Grammaire n'eft- il pas fingulier ? De
quelle utilité eft -elle , la Philofophie
appliquée à la Grammaire ? En quel
endroit de votre Traité du Nom trouvet-
on la Rhétorique du Langage ? & c. Ce
font les objets dont s'occupe M. d'Açarq
dans fon Avant-Propos , qui eſt
fait pour être lu avec plaifir & avec fruit.
Circa voces confenefcimus , y dit-il , en
citant les paroles d'un excellent Philofophe
, & ultra naturæ terminos produ
DECEMBRE . 1761 .
87
cimus pueritiam ftudiis puerilibus ; ita
fit ut , dum memóriam fatigamus , judicium
neglectum langueat ; & inter amplam
verborumfuppellectilem , in maximá
tamen rerum inopiâ verfemur , hydropicis
non abfimiles , qui tumore aqueo
pinguedinem mentiuntur. Nous vielliffons
fur les mots , parce que les études
frivoles qu'on nous fait faire , prolongent
notre enfance au-delà des bornes
prefcrites par la Nature ; il er réfulte
qu'uniquement appliqués à furcharger
notre mémoire , nous laiffons tomber
dans une efpéce de langueur notre jugement
, que nous négligeons trop , &
qu'ayant la tête richement meublée
d'expreffions totalement vuide de
penfées , nous reffemblons , en quelque
manière , aux hydropiques , dont
la bouffiffure formée par un amas
d'eaux , a un faux air du véritable embonpoint.
De là , ajoute le Philofophe
cité par M. d' Açarq , un fecond inconvénient
également funefte ; on n'éffleure
que fuperficiellement , ou l'on
méprife même la Philofophie , le feul
moyen que nous ayions , felon moi ,
d'évertuer l'efprit , & de perfectionner
la faculté de juger , qui eft en nous . Ne
"
88 MERCURE DE FRANCE.
peut-on pas reprocher à la plûpart des
Grammaires que nous avons ,
même fur
notre Langue , le confenefcimus de celle
de M. d'Açarq , qui n'a pas à craindre
qu'on lui faffe le même reproche ? Le
jugement feul fait l'homme ; la mémoire.
ne fait que les Perroquets.
Voici l'Exorde du Traité du Verbe :
une vafte carrière s'ouvre devant nos
yeur ; nous avons à parler d'une partie
d'Oraifon , fans laquelle nous ne parlerions
de rien. Il s'agit du Verbe qui a
pour étymologie le nom Latin Verbum ,
mot. Le Verbe eft le mot par excellence ;
c'est le mouvement , l'âme , la vie
du difcours.... Ce préambule vuide de
mots & plein de chofes , ne peut que
prévenir favorablement.
La nature du Verbe , fa divifion , fes
accidens , fes rapports au Nom , voilà
tout le Traité.
Ce que l'Auteur diftingue dans la
nature du Verbe , ce font l'effence métaphyfique,
l'effence phyfiqne, & le propre,
diftinction qu'ilfalloit faire ; & qu'on
n'avoit pas encore faite.
Le Verbe fe divife d'abord en fubftan
tif& en adjectif, celui-ci en actif , paffif,
neutre , neutre paffif, réfléchi , réciproque.
Ce que M. d'Açarq dit fur le
DECEMBRE 1761. 89
Verbe fubftantif eft neuf, vrai & philofophique
; ce qu'il expofe fur les autres
fortes de Verbes , eft également inconteftable
, & ne trouvera de contradicteurs,
que dans ceux que maîtrife l'aveugle
routine , ou que domine l'amour-propre
, plus aveugle encore .
Les accidens du Verbe fe réduisent au
fens propre , aufensfiguré , à l'espéce , à
la figure, à la voix, au mode, au temps, au
nombre , à la perfonne , à la conjugaison,
à l'analogie , & à l'anomatie. Če côté
du Verbe , qui eft le plus important ,
& le plus foigné dans le Traité de
notre Auteur , eft précédé d'une Differtation
fur les accidens , que l'efprit philofophique
a dictée , que le Grammairien
machinal jugera être de trop , & à
laquelle le véritable Grammairien applaudira.
L'espéce & la figure ont donné
lieu à M. d'Açarq de découvrir une
veine féconde en richeffes grammaticales.
Dans les rapports du Verbe au Nom,
notre Auteur donne une idée de la relation
que peu de gens ont, & que tout
le monde devroit avoir. Le fens , ou
pour parler plus clairement , la convention
gouverne tout le difcours , dit- il ,
en finiffant cet Article.
90 MERCURE DE FRANCE. -
L'Appendice roule fur le génie ou le
caractère de la phrafe françoife , qui
n'eft qu'un tiffu de propofitions , ainfi
que la phrafe de toutes les autres Langues.
Ce qui engage M. d'Açarq à mettre
d'abord fous les yeux de fes Lecteurs
un Traité préliminaire, qui a pour
objet la nature de la propofition , la
néceffité d'avoir la connoiffance des propofitions
, les espéces de propofitions ,
Poppofition des propofitions , la conver
fion des propofitions. Il faudroit n'avoir
guère de Logique pour regarder ce
préliminaire comme un hors-d'oeuvre
dont on auroit pu fe paffer. C'est un
très-bon abrégé de Logique élémentaire
, qui eft en fa place ; & quiconque
trouveroit mauvais que l'Auteur eut
employé tant en cet endroit qu'ailleurs
des termes fcientifiques , feroit voir
feulement qu'il ignore que chaque
genre a fon langage particulier. La
Théologie a le fien , la Géométrie le
fien , la Médecine le fien , & perfonne
ne s'en offenfe. Un Grammairien fimplement
Grammairien n'a befoin que
d'expreffions grammaticales : un Grammairien
Philofophe a beſoin de joindre
aux expreffions grammaticales les expreffions
philofophiques . M. d'Açarq ,
DECEMBRE. 1761 . ΟΙ
,
après avoir préparé les voies qui facilitent
l'intelligence du génie ou du caractère
de la phrafe françoife , confidère
ce que notre phrafe a de commun
avec la phrafe des autres Langues ; il obferve
enfuite ce qui lui eft particulier ,
& ce qui la diftingue. Logique du langage
en général , ellipfe , pléonafme ,
fyllepfe , hyperbole , imitation , voilà
ce que notre phrafe , & celle de toutes
les autres Langues ont de commun.
Notre phrafe fuit l'ordre naturel pour
divifer les penfées , elle exprime le fujet
ainfi que l'attribut de chaque jugement
, elle met le fujet après l'attribut
pour marquer l'interrogation , elle compre
l'e muet parmi les fyllabes , elle tend
enfin à l'euphonie même aux dépens de
la convenance grammaticale la plus
étendue , tel en eft le génie , ou le caractère.
,
Le , Fons erat illimis nitidis argenteus
undis préfente le tableau de la
phrafe françoiſe qui eft originale &
fans embarras , fons , pure & fans mêlange
, illimis , nette & fans prétention
, nitidis , agréable & fans frivolité ,
argenteus , naturelle & fans impofture
undis. C'eft la grande idée que nous .
92 MERCURE DE FRANCE .
donne de notre phrafe M. d'Açarq ,
qui le premier l'a foumife aux loix d'une
exacte analyſe. Je n'ai pu qu'indiquer
la marche de l'Auteur. Il faut entrer
dans la carrière avec lui-même , le
fuivrelentement , & à l'aide du fil néceffaire
qu'il a toujours l'attention de
fournir. M. d'Açarq a pénétré dans l'intérieur
de la Grammaire , & y décéle
des fecrets auffi utiles que curieux : en
un mot , peu de gens auroient été plus
capables de faire fon ouvrage , digne
du Mécène auquel il eſt dédié.
SUR les SATYRES , les TRITONS &
les NEREIDES , Traduction de l' Espagnol
du Pere FEIJOO , Bénédictin
Théâtre Critique , tome 6.
CEEs trois espéces , dont la première
eft terreftre , & les deux autres marines
, furent très-fameufes dans le Paganifme.
Les Satyres , que les Gentils
repréfentoient fous une figure moitié
brute , & moitié humaine , & qu'ils regardoient
comme des demi-Dieux ,
avoient des cornes , une queue & des
pieds de chèvre ; le refte du corps reffembloit
à l'homme. Ils habitoient les
DECEMBRE. 1761.
93
forêts comme des bêtes ; & on les adoroit
dans les Temples comme des Divinités.
,
Les Tritons moitié hommes , &
moitié poiffons , jouiffoient du même
culte montés fur des veaux marins , ils
enfloient deux conques , & fervoient
de trompettes à Neptune , fous les ordres
duquel ils faifoient trembler la mer,
par le fon rauque qu'ils en tiroient.
On ne diftinguoit les Néreides des
Tritons que par le fexe , & parce qu'elles
n'embouchoient pas la trompette . La
partie fupérieure de leur corps étoit
femblable à une femme , le refte à un
poiffon . Elles avoient rang de demi-
Déeffes , comme les Tritons de demi-
Dieux.
Ces trois fortes de monftres paffent
également dans le monde pour des êtres
fabuleux. Je vais leur rendre une exiftence
réelle , fans difconvenir cependant
qu'il ne fe foit gliffé quelque chofe
de la fable dans leurs Hiftoires.
>
Diodore de Sicile Auteur grave ,
rapporte qu'il fut préſenté à Denis
Tyran de Sicile , certains monftres
tels que les anciens figuroient les Satyres
; & Plutarque , qui n'eft pas d'une
autorité inférieure à Diodore , dit qu'on
94 MERCURE DE FRANCE.
montra à Sylla dans fon paffage pour
P'Albanie un Satyre qui avoit été pris
dans un bois.
On peut ajouter au témoignage de
ces deux Auteurs profanes
celui de
deux grands Ecrivains Eccléfiaftiques .
S. Athanafe , dans la vie de S. Antoine
Abbé ; & S. Jerôme , dans celle de S.
Paul premier Hermite , rapportent que
S. Antoine rencontra un de ces monf
tres dans le Défert : que lui ayant demandé
qui il étoit , il répondit qu'il faifoit
nombre de ceux que les Gentils
adoroient fous le nom de Satyres , Silvains
& Incubes ; & qu'il venoit le
prier de leur part d'intercéder pour eux
auprès de Dieu qu'ils croyoient être
defcendu du Ciel pour le falut des hommes
.
Je ne puis m'empêcher d'avouer que
cette circonftance m'a toujours paru
trop forte , pour ne pas me faire douter
de l'Hiftoire. Je veux bien croire qu'il
y a eu des Satyres , & qu'il y en a peutêtre
encore ; mais je ne croirai jamais
qu'ils foient raifonnables , ou que fuppofé
qu'ils aient de la raifon , eile foit
éclairée de la lumière du Chriftianifme :
qu'ils parlent, & vivent dans une eſpéce
de congrégation fraternelle. Ce feroit
DECEMBRE. 1761, 95
aller contre ce que nous apprend la foi ,
que de fuppofer une race d'hommes
non-feulement différens de nous dans
l'organiſation ; mais encore avec lef
quels il n'y auroit jamais eu aucun commerce.
L'idée qu'ils ne feroient pas enfans
du père commun fe préfenteroit
naturellement à l'efprit ; & cette penſée
feroit un péché contre la foi,
Quand même on accorderoit que ces
hommes fuffent des defcendans d'Adam,
il refteroit encore bien des difficultés
à réfoudre. Qui leur auroit communiqué
l'Evangile ? Y eut-il quelqu'un des
Apôtres expreffément envoyé pour leur
converfion ? Trouve-t-on dans les actes
la plus légère trace de cette miffion ?
Pourquoi n'a-t-il jamais paru aucun Satyre
dans les Déferts de l'Egypte , nį
autre-part ? Toute cette race s'eft- elle
donc anéantie , fans que perfonne.lui
ait fait la guerre ; car il n'y a point
d'Hiftoire qui en parle ? C'auroit été
bien dommage qu'un Peuple auffi dévot
, & qui d'un commun accord auroit
fait une députation à S. Antoine
pour fe recommander à fes prières , eût
miférablement péri. Mais dans quelle
langue le Satyre député parla-t -il au
Saint ? Ils ne pouvoient affurément s'en96
MERCURE DE FRANCE .
tendre à moins d'un miracle ; car une
Nation incommunicable à tout le refte
du genre humain , devoit avoir un
langage qui lui fût exclufivement propre.
Concluons donc que cette Hiſtoire
a toutes les apparences d'un conte.
Mais doit-on parler ainfi contre l'autorité
de S. Athanafe & de S. Jerôme ?
Les moyens ne manquent pas pour fauver
l'honneur & le refpect que méritent
les écrits de ces deux grands hommes.
On peut d'abord dire que la vie de
S. Antoine , telle que nous l'avons aujourd'hui
, eft fauffement attribuée à S.
Athanafe. C'eft le fentiment d'André
Rivet , & d'Abraham Scultet . Comme
ces deux Auteurs font Proteftans , &
par conféquent fufpects , il faut chercher
ailleurs une autre folution .
2º. Il fe pourroit faire que S Athanafe
eût tenu cette Hiftoire de quelque
Auteur qu'il auroit cru veridique , &
bien informé du fait ; & à laquelle il
manqueroit cependant quelque circonftance
éffentielle ppoouurr l'accréditer.
Il n'y a en ceci nulle impoffibilité Phyfique
, ni Morale. A l'égard de S. Jerome
, il eft conftant qu'il n'a fait que
rendre en Latin ce que S. Athanafe avoit
écrit en Grec.
3°.
DECEMBRE. 1761 . 91
3°. On peut raisonnablement fuppofer
que ce fut le Démon qui apparut à
S. Antoine fous la forme d'un Satyre,
Tout le monde fçait les grands combats
que ce faint homme eut à foutenir
contre les Puiffances infernales . Pourquoi
l'Esprit tentateur n'auroit-il pas
pris cette fois-ci la figure d'un Satyre ,
s'il préfumoit pouvoir par ce moyen
précipiter dans quelque erreur le faint
Anachoréte ?
Il ne feroit pas enfin fans vraifemblance
que quelque Copifte infilée ,
dans les mains de qui la vie de S. Antoine
écrite par S. Athanafe , feroit
tombée , y eût ajouté la fable du Satyre ,
& que l'original s'étant enfuite perdu ,
cette copie infidelle eût fervi pour toutes
les autres qui auroient été faites juf
qu'à nos jours.
N'y ayant donc pas des Satyres raifonnables
, & avec l'ufage de la parole ,
nous ne pouvons admettre que des Sa
tyres muets , brutes , ou abrutis , te !s
que ceux dont parlent Diodore de Sicilè
& Plutarque. Ce dernier ajoute expreffément
qu'ayant fait interroger celui
qui fut préfenté à Sylla , par des Interprétes
de différentes langues ; il ne répondit
à aucune ; qu'il ne rendit aucun
E
8 MERCURE DE FRANCE .
1
fon articulé ; & que fa voix n'approchoit
pas même de l'humaine , n'étant
qu'un mêlange confus de henniffement
& de chevrotement. reboo
La poffibilité & la vraisemblance
concourent à nous faire croire la production
de pareils monftres par une
fuite du commerce déteftable que certains
individus de l'efpéce humaine auroient
eu avec les chèvres ; & une forte
conjecture me confirme dans l'idée que
les Satyres adorés par les Payens n'étoient
que les fruits de ces infâmes acouplemens.
Nombre de Sçavans font d'opinion
que le Dieu Pan, les Satyres, les Sylvains,
les Incubes & les Faunes n'étoient
qu'une même chofe fous différens
noms ; ce qui leur fait dire qu'il n'y
eut pas un feul Pan , mais plufieurs ,
comme il eft clairement prouvé par les
anciens Poëtes. NOTA : Beaucoup confondent
le Dieu Pan avec le Dieu Sylvain
, & le Dieu Faune. ( Chompré ) en
effet les Gentils repréfentoient le Dieu
Pan dans la même forme que celle
qu'ils donnoient aux Satyres , c'est-àdire
, avec des cornes , une queue , des
pieds de chèvre , & le refte du corps
Temblable à l'homme. Les Paſteurs lui
DECEMBRE. 1761 . 99
rendoient un culte fpécial : Ovide l'appelle
le Dieu des Troupeaux : Virgile &
d'autres Poëtes le nomment le Dieu
des Pafteurs , ou le Dieu d'Arcadie ,
Province Paftorale. On fçait en outre
qu'il n'y a point d'hommes dans le monde
plus capables des crimes de beftialité
que les Bergers , foit par une fuite
de leur éducation ruftique , foit par
leur état qui exige une préfence continuelle
auprès des troupeaux , foit enfin
par le défaut d'autres occafions pour fatisfaire
moins criminellement leur paffion.
Tous ces motifs réunis me portent
à croire qu'il a pu naître des Individus
d'une troifiéme espéce moitié
hommes , & moitié chévres , que la
Barbarie du temps , jointe à la perverfité
des Paſteurs auroit divinifés pour
autorifer le crime ( ce qui étoit produire
un monftre mental beaucoup plus
horrible que le Phyfique ) & dont on
auroit d'abord fait fon Dieu tutélaire
qui poftérieurement , & fuivant les circonftances
, ou le feul caprice , auroit
eu différens noms , tels que ceux de
Pan , de Satyre , de Sylvain , de Faune
&, d'Incube.
,
On m'objectera peut-être que quelques
Philofophes nient la poffibilité de
Eij
ICO MERCURE DE FRANCE.
la génération par le commerce d'un
homme avec une brute. Mais 1º . ce
fentiment eft plus que balancé par celui
de nombre d'autres Philofophes qui
penfent le contraire ; & encore par l'opinion
générale des Théologiens , qui
lorfqu'ils traitent du Baptême des monftres
, fuppofent ces générations poffibles,
2°. Les motifs fur lefquels ces
Philofophes s'appuyent font des plus
foibles. 3 °. Il y a plufieurs Hiftoires de
femblables productions bien autorisées,
& que tous ceux qui ont un peu de lecture
n'ignorent pas. On peut donc dire
que rien ne répugne , & que tout au
contraire porte à penfer que les monftres
adorés par les Anciens fous le nom
de Satyres , n'étoient que les fruits d'un
commerce abominable.
Je fçai que Pline donne le nom de
Satyre à une efpéce de monftres fort
reffemblans à l'homme , qu'on voyoit
dans certaines montagnes de l'Inde ;
d'où il paroîtroit naturel que devoit dériver
l'erreur des Gentils. Mais ces Sa-.
tyres n'étoient que des finges , comme
le fait affez comprendre le même Pline.
D'ailleurs ils n'avoient pas de cornes ;
& les Satyres étoient généralement repréfentés
Bicornus.
DECEMBRE . 1761. 101
Je remarquerai ici en paffant que cette
efpéce de Singes te's précifément
qu'ils font dépeints par Pline , fe trouve
encore aujourd'hui dans certains endroits
de l'Inde . Le Pere le Comte rapporte
que naviguant de la Chine à la
côte de Coromandel , il vit dans le détroit
de Malaca des Singes beaucoup
plus reffemblans à l'homme , que ceux
que nous connoiffons , marchant droits
fur leurs pieds de derrière , ou pour
mieux dire feulement fur les pieds ;
leur voix approche beaucoup de l'hu
maine , & contrefait le petit cri des
enfans ; ils font très-careffans , & leur
agilité eft fi prodigieufe, que d'un faut ils
s'avancent à 30 , 40 , & 50 pieds de
diſtance. Voilà une defcription parfaitement
conforme à celle que nous fait
Pline des animaux qu'il appelle Satyres.
On peut voir dans le Livre 7 , chap. 2 .
ce que ce dernier dit de leur reffemblance
avec l'homme , de leur extrême
agilité , & de la circonftance de marcher
fur leurs ergots : il parle au Liv.
8. chap. 54 , de leur douceur & de leurs
careffes .
Cette digreffion me conduit naturellement
à rectifier une nouvelle au
nous eft venue d'Orient , très- difficile à
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
croire, mais qui bien entendue ne laiffe
aucun doute. Certaines relations de
l'Ifle de Borneo dans la Mer de l'Inde
difent qu'on trouve dans les forêts de
cette Ifle des hommes Sauvages . Cette
épithete ne leur eft pas feulement donnée
dans le fens qu'on l'applique à quelques
Nations Sauvages de l'Amérique :
Elle emporte à leur égard toute la propriété
qu'elle peut avoir ; car quoiqu'ils
ne différent nullement de l'efpéce humaine
dans la difpofition de tous les
membres , & dans la maniere de s'en
fervir , néanmoins l'ufage de la parole
leur manque ; & leur genre de vie eft
tout-à-fait le même que celui des bêtes ,
La difficulté que nous avons propofée
ci-deffus contre l'existence des Satyres
, fe préfente tout de fuite contre
la vérité de cette nouvelle . De tels hommes
, fi réellement ils exiftent , ne peuvent
point être confidérés comme des
defcendans d'Adam : s'ils l'étoient en
effet , l'ufage de la parole auroit dû fe
communiquer fucceffivement des uns
aux autres . On peut ajouter que la lumière
de l'Evangile ne pourroit leur
être tranfmife que par une illuſtration
infufe , ce qui feroit contre les regles
ordinaires de la divine Providence .
DECEMBRE. 1761. 103
La premiere partie de cette objection
n'eft pas abfolument infurmontable. Il
fe pourroit faire que deux jeunes enfans
de différent fexe, dont les Pères vivoient
dans quelque montagne éloignée de
toute habitation , fuffent reſtés dans cette
folitude , par la mort de leurs parens
, fous la feule protection de la Providence
qu'ils euffent cependant crû
en âge , & en force , & enfin procréé .
Il est pour moi tres-probable que ni eux,
ni leurs enfans , n'auroient parlé aucune
langue . Ils auroient donc pu être
réellement des defcendans d'Adam >
quoique l'ufage de la parole leur manquật.
Bien des gens trouveront fans doute
que j'avance ici un Paradoxe extravagant,
Yeast- il rien de plus facile , diront
- ils , que de parler ? Quels font
les hommes flourds , & fi ruftres
qu'on veuille les fuppofer , qui le foient
pour l'ufage de la parole ? Les plus dénués
de fens commun , les plus fimples
le poffédent , ou pour mieux dire , tous
ceux qui en jouiffent le font , car tous
les enfans parlent avant que de parvenir
à l'âge où l'on peut fe fervir de la raifon
: preuve que c'eft une chofe fi naturelle,
qu'à peine l'entendement y eft
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
néceffaire , on pourroit même dire qu'il
n'y entre pour rien .
Cette replique vient d'un défaut de
réflexion . Je conviens qu'il eft très-aifé
de parler par principes enfeignés ; mais
il est très-difficile de le faire par la feule
force de l'entendement . L'invention des
Lettres , eft regardée avec raifon.comme
une des plus belles découvertes , &
peut-être la plus grande à laquelle l'Efprit
humain puiffe parvenir , comme
nous l'avons infinué ailleurs. L'extrême
difficulté qu'elle fupofe eft palpable en
ce que l'ufage de la plume ne fe trouva,
dans aucune des Nations de l'Amérique
, foit parce que les hommes qui
pafférent les premiers à ce nouveau continent
n'avoient pas appris à écrire , ou
parce qu'on n'avoit pas encore de leur
temps , inventé l'écriture . Et qu'arrivat-
il ? que la population eut beau augmenter
dans ces vaftes Pays , il ne s'écou'a
pas moins plufieurs fiécles , fans
qu'il vint dans l'efprit de perfonne que
la plume pouvoit fupléer à la langue
& les caracères aux paroles. De tant de
millions d'hommes , il n'y en eut aucun
qui y penfât , quoique la néceffité fût
auffi grande , que l'importance étoit
univerfelle . Or je demande quelle eſt
DECEMBRE. 1761 . 105
pala
plus belle invention , ou celle d'expliquer
les paroles par des lettres , ou
celle de rendre les penfées par les
roles ? Qu'un chacun penfe comme il
voudra , pour moi je trouve la feconde
infiniment plus ingénieufe ; & la raiſon
c'eft qu'il y a dans celle-ci une bien
plus grande diftance du figne à la chofe
fignifiée , que dans la premiere. Les
traits de la plume & les mouvemens de
la Langue font à la vérité l'un & l'autre
matériels ; mais il faut convenir auffi
qu'autant qu'un efprit différe d'un
corps , autant les conceptions de cet
efprit font éloignées des mouvemens
de la langue. On dira fans doute que la
plume exprime ou rend auffi les fentimens
; mais elle ne le fait que par le
feul moyen des paroles . C'eft une pure
copie d'une autre copie. Il eft éffentiel
de faire encore attention que depuis
l'invention , ou la premiere occafion où
P'on découvrit que lés mouvemens de
la langue pouvoient fervir à rendre les
conceptions de l'efprit , jufqu'à la formation
de l'idiome le plus groffier ou
le moins parfait , il y a eu un chemin
à faire non feulement très-long , mais
encore très-difficile . Ainfi tout compté ,
il fera très-vraisemblable qu'une ' race
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
•
d'hommes qui n'auroit pas acquis un
idiome par infufion , ou par principes
af pris , refteroit plufieurs fiécles fans
l'ufage de la parole . Voilà , je crois ,
meilleure réponse que l'on puiffe faire
à la premiere difficulté propofée au fujet
des hommes fauvages de l'Ile de
Borneo.
la
La feconde partie de l'objection eft
purement théologique . Sa difcuffion
jetteroit dans l'abîme de la divine Providence
, dont les bornes font ignorées
de tous les Mortels. Une chofe
confte certainement par les Saintes
Écritures , c'eft que Dieu veut que tous
les hommes parviennent à la connoiffance
de la vérité , & qu'ils fe fauvent..
Mais comme il eft compatible avec:
cette volonté antécédente & générale ,
comme l'appellent les Théologiens ,
que nombre d'enfans périffent dans le
ventre de leur mere , fans qu'on puiffe
par
par aucun moyen leur procurer le fa
lut ; pourquoi ne pourroit-il pas l'être
auffi que quelques Adultes reftaffent
dans l'impuiffance de s'inftruire ? Tous:
les Théologiens ( à la réferve d'un trèspetit
nombre ) affurent que la volonté
antécédente de la falvation s'étend fur
ces mêmes enfans. La doctrine qui leurDECEMBRE
. 1761. 107
"
fert à appuyer ce fentiment , peut fervir
pour l'autre objet. Au furplus
quand même une Nation entiere périroit
par l'impoffibilité de jouir du bénéfice
de la Prédication , nous devrions
humblement adorer les decrets divins ,
& nous conformer à cette fainte Maxime
: Quis tibi imputavit fi perierint
Nationes , quas tu fecifti ? ( Sapient.
cap. 12. )
C'eft ainfi qu'on peut répondre à
l'argument , fans s'écarter des voies ordinaires
de la Providence . Qui fçair
d'ailleurs fi Dieu n'en obferve pas une
toute particuliere à l'égard de ceux qui
font incapables d'être éclairés par la
prédication ? Ce feroit une témérité
facrilege que de prétendre rendreį raifon
de ce que Dieu veut , & peut faire .
Si nombre d'Adultes parmi les Barbares
font privés , fans que ce foit par leur
faute , du Baptême , & de la connoiffance
de l'Evangile ; pouvons-nous fans
crime en arguer contre la juftice & la
fouveraine bonté du Créateur ? Au furplus
les Théologiens font partagés fur
cette grande queftion . Les uns pour
conferver toute fon intégrité & toute
fon étendue à la Sentence de S. Jean :
Illuminat omnem hominem venientem in
Evi
108 MERCURE DE FRANCE.
hunc mundum , difent que fi les hom-*
mes dont nous parlons ne s'en font pas
rendus indignes par quelque péché perfonnel
, Dieu les éclaire par le miniftere
d'un Ange , ou leur communique
par infufion des efpéces des myiyſtères ;
les autres prétendent que l'Evangile
n'ayant pas été annoncé pour eux , c'eft
la même chofe que s'il n'avoit pas été
prêché , & qu'ils n'appartiennent pas à
la Loi de grace , mais à la Loi de Nature
. Un chacun peut faire à fon choix
l'une ou l'autre application aux Sauvages
de l'Ifle de Borneo .
Quoique ce que nous venons de dire
ne prouve pas une impoffibilité abfolue ,
pour que ceux que l'on appelle hommes
fauvages de l'Ifle de Borneo , ne
foient réellement de notre espéce ; je ne
penfe pas pour cela qu'on doive leur
accorder cette prérogative ; je crois au
contraire qu'il faut les mettre au nombre
des finges , tels ou à peu de chofe
près , que ceux dont parlent Pline & le
Pere le Comte. Mon intention n'étant
que de rectifier les relations fur ce
point , j'adopte fur le refte , tout ce
qu'elles annoncent ; ainfi lorfque le Pere
le Comte , outre les circonftances
qu'il rapporte des finges qu'il vic
DECEMBRE. 1761. 109
dans le détroit de Malaca , à fçavoir ,
qu'ils marchent droits , & que leur voix
ne différe pas de l'humaine , ajoute encore
qu'ils reffemblent beaucoup par le
vifage aux hommes fauvages du Cap
de Bonne-Efpérance , que leur grandeur
eft pour le moins de quatre pieds ,
qu'ils font extrêmement rufés , qu'ils
font auffi facilement comprendre ce
qu'ils veulent , par leurs actions & par
leurs geftes , que le peuvent faire les
hommes muets ; & qu'enfin on remarque
en eux une fingularité qu'on ne voit
pas dans les autres animaux , & qui leur
eft commune , particuliérement avec
nos enfans , qui eft de tapper du pied
lorfqu'ils fe fâchent, ou qu'ils fe réjouif- ,
fent à l'excès ; toutes ces circonstances
peuvent bien porter les habitans de l'Ifle
de Borneo à croire que leurs forêts font
peuplées d'hommes fauvages, fans pour
cela que ces prétendus hommes ceffent
d'être de véritables finges ; & qui pourroit
fe vanter de fçavoir jufqu'à quel
point peut s'étendre l'imitation extérieure
de l'homme dans les animaux ?
Nous allons voir que ceux qui habitent
les Mers ont encore une plus grande
reffemblance avec l'homme , du moins
dans la partie principale & fupérieuré
du corps.
110 MERCURE DE FRANCE.
La Fable entre pour très- peu de chofe
dans tout ce que l'on rapporte des
Tritons & des Néréïdes. Tels que les
anciens Poëtes les ont dépeints , tels ils
fe trouvent aujourd'hui dans la Mer , à
la réferve de la conque ou trompette
marine , que les Modernes n'ont pas reconnue
dans les Tritons . Je dis qu'on
voit, quoique rarement , dans les Mers
certains aquatiques qui de la moitié du
corps en bas font poiffons , & dont la
partie fupérieure porte tous les traits
de la configuration humaine , avec toutes
les marques diftinctives des deux fexes
; enforte que les uns font moitié
poiffons & moitié hommes , & les autres
moitié femmes & moitié poiffons.
Les Modernes prenant la partie principale
pour le tout , appellent ceux- là
hommes marins , & celles-ci femmes
marines. On trouve dans Pline , Elian
& Paufanias , quelques Hiftoires que
des Auteurs plus anciens avoient écrites
de ces hommes & femmes : Naucler,
Belonius , Lilius Giralde Alexandre
d'Alexandrie , Gefner , & d'autres Ecrivains
plus modernes en rapportent de
femblables.
Les faits les plus récens , à ma connoiffance
, font 1° .l'homme marin , que
DECEMBRE . 1761. III
diverfes relations affûrent avoir été apperçu
en 1671 tout près de la grande-
Roche , ou Ifle Petrée , appellée le
Diamant, à une lieue de la Martinique :
deux Français & quatre Négres qui
étoient fur le bord de cette roche , certifiérent
juridiquement l'avoir vu plufieurs
fois près du rivage. Sa figure de
la ceinture en haut étoit parfaitement
femblable à celle de l'homme. Sa taille
pouvoit être comme celle d'un jeune
homme de quinze ans fes cheveux
étoient mêlangés de noir & de blanc &
tomboient fur fes épaules : il avoit le
vifage plein , la barbe grife & égale
partout ; le nés fort camus : fon corps
étoit paffablement blanc , & la peau en
paroiffoit délicate. La partie inférieure
qu'on voyoit entre deux eaux étoit de
poiffon , & fe terminoit par une queue
large & fendue.
Le fecondfait, encore plus récent, eft
d'un autre homme marin qu'on vit à
Breft en 1725 , & dont le Journal de
Trévoux de la même année , Tome 4
page 1902 , parle amplement. Trentedeux
perfonnes qui fe trouvoient à
bord du Navire commandé par le Capitaine
Olivier Morin, le virent pendant
long-temps. Il étoit parfaitement pro112
MERCURE DE FRANCE .
portionné , & tous fes membres étoient
femblables aux nôtres , à la réferve d'une
efpéce de petites nageoires qu'il avoit
comme les canards , entre les doigts
des pieds & des mains . De tous les tours
& divers mouvemens qu'on lui vit faire,
le plus remarquable fut fon élancement
vers la figure qui étoit à la proue
du Vaiffeau , & qui repréfentoit une
belle femme. Il ne la perdoit jamais de
vue ; & ce ne fut qu'après avoir refté
un moment en fufpens , qu'il s'élança
hors de l'eau , comme pour la faifir. Il
y eut encore deux circonftances ridicu
les dans cette occafion ; la premiere de
part du monftre qui ayant un jour
tourné les épaules comme pour témoi
gner le mépris qu'il faifoit des perfonnes
qui le regardoient , s'éleva un peu
au-deffus de l'eau & foulagea fon ventre
: la feconde de la part du Contremaître
du Navire qui prêt à le harponner
s'arrêta tout d'un coup par l'effet
d'une terreur panique, s'imaginant dans
ce moment que le monftre n'étoit qu'un
fpectre , ou l'apparition d'un Matelot
nommé la Commune , qui l'année précédente
s'étoit ôté la vie par défeſpoir
dans le même Vaiffeau , & qu'on avoit
jetté à la mer précisément dans cet endroit.
la
DECEMBRE. 1761. 113
Dans le nombre des Monftres Marins
dont plufieurs Hiftoires font mention
il s'en eft trouvé qui avoient la configuration
entierement humaine; tel étoit
P'homme Marin que Pline dit avoir été
vu de fon temps dans la mer de Cadix :
Toto corpore abfoluta fimilitudine : &
pour qu'on ne penfât pas qu'il en parloit
d'après un public trop crédule , il a
foin d'ajouter qu'il tenoit le fait de quelques
Chevaliers Romains, témoins oculaires
: Auctores habeo in equeftri ordine
fplendentes , vifum ab his &c. Tel étoit
encore celui que Larrey rapporte dans
fon Hiftoire d'Angleterre avoir été pêché
dans cette Ifle en 1187 , & qui fut
préfenté au Gouverneur d'Oxfort , chez
qui il refta fix mois , au bout defquels
ayant trouvé l'occafion de s'évader
, il s'en retourna à la Mer , & on ne
le vit plus. Tel étoit encore la femme
Marine dont fait mention le Dictionnaire
de Trevoux , & qui fut trouvé en
1430 fur le rivage de Weftfrife après
une grande tempête . Des femmes de la
Ville d'Edam l'amenérent , la vêtirent ,
& lui apprirent à filer. Elle fut enfuite
transférée à Harlem , où elle vécut quelques
années , ufant de nos alimens ;
mais elle ne perdit jamais l'inclination
114 MERCURE DE FRANCE .
naturelle qu'elle avoit pour la vie aquatique.
Le même Dictionnaire parle d'une
pêche bien plus furprenante par le nombre.
Sept hommes & neuffemmes , furent
pris d'un feul coup de filet , en
1560 , près l'Ifle de Manar , fur la côte
Occidentale de Ceylan , ( fi renommée
pour la pêche des perles . ) Quelques
Jéfuites , & entre - eux le Pere Henry
Henriquez , furent témoins oculaires de
cette capture , ainfi que Dimes Bofquez
de Valence , Médecin du Viceroi de
Goa. Non feulement la configuration
de ces Monftres étoit entiérement humaine
, mais leurs parties internes reffembloient
encore parfaitement à celles
de l'homme , ce qui fut rendu conſtant
par l'examen anatomique qu'en fit le
Médecin .
Alexandre d'Alexandrie , raconte que
de fon temps , un autre Monftre Marin,
totalement reffemblant à l'homme , fut
pris en Epire. Il ajoute , qu'il fe cachoit
dans une caverne , proche la Mer , pour
mieux furprendre les femmes qui alloient
feules chercher de l'eau , à une
fontaine qui n'en étoit pas éloignée.
Ces Hiftoires , qui prouvent plus que
notre fujet ne le demande , doivent par
DECEMBRE . 1761. LIS
la même raifon le rendre très-probable .
Car s'il eft poffible qu'il exifte des Animaux
Marins femblables dans tout le
corps aux hommes ; pourquoi ne croiroit-
on pas qu'on en a vu qui leur reffembloient
en quelque chofe , ou dans
quelques membres ?
On m'objectera peut-être qu'une totale
reffemblance dans l'organiſation en
fupofe une femblable dans la forme fpécifique.
Or files Animaux Marins , dont
font mention les Hifloires , font totalement
organifés comme les hommes ,
il faut convenir qu'ils font de véritables
hommes , ce qui ne peut fe foutenir
pour de très bonnes raifons : on doit
donc, conclure que ces Narrations font
fabuleufes.
-
Sans m'arrêter ici à difcuter la queftion
, fçavoir s'il eft poffible on non
que de vrais hommes habitent les Mers ,
comme les poiffons , ( ce qui fera le fujet
du difcours fuivant ) je réponds à l'argument
, en accordant la première propofition
, & niant la conféquence. Je
conviens qu'une totale reffemblance
dans l'organifation fuppofe un rapport
fpécifique dans la forme fubftantielle.
Mais il n'eft pas avéré , & peut-être n'eſtil
pas poffible de conftater fi ces ani116
MERCURE DE FRANCE ,
maux font organifés en tout & partout
comme les hommes.L'anatomie vulgaire
ne peut porter fon examen que fur
les parties d'une extenfion fenfible ; &
quoiqu'il y ait dans celle-ci toute la reffemblance
que nos fens peuvent appercevoir
; qui oferoit pour cela foutenir
qu'il n'existe pas dans les parties les plus
fubtiles des organes une difparité fuffi
fante pour qu'une autre forme fubftantielle
, & d'autres facultés y foient proportionnées
? Je n'ai besoin que d'une
feule réfléxion pour appuyer cette probabilité.
Une plus ou moins grande
reffemblance d'organiſation fenfible
entre des efpéces différentes ne prouve
pas une plus ou moins grande fimilitu
de dans les facultés. L'organifation fenfible
de l'Eléphant eft beaucoup plus
différente de celle de l'homme , que
l'organiſation fenfible de nombre d'au
tres animaux ; malgré cela l'Eléphant a
plus de rapport à l'homme que tous les
autres dans les facultés de l'ame . Si donc
la plus grande reffemblance dans les organes
fenfibles ne conftitue pas la plus
grande conformité dans les facultés ;
une totale reffemblance fenfible n'établira
pas mieux un total rapport dans la
forme fubftantielle . Je ne crois pas
DECEMBRE. 1761 . 117
qu'on puiffe nier ces propofitions géné
rales & conféquentes.
Je m'attends qu'il y aura bien des
Lecteurs qui me reprocheront l'omif
fion des Sirenes dans ce difcours , perfuadés
qu'elles doivent figurer parmi
les Monftres Marins , moitié femmes &
moitié poiffons. Il eft vrai que tous les
Peintres les repréfentent ainfi ; mais
c'eft une erreur d'ignorance de l'Hiftoire
& de la Fable. Les Poëtes & les
anciens Auteurs , du moins ceux qui
font le plus recommandables , dépeignent
les Sirenes moitié femmes &
moitié oifeaux, Pline les place parmi
les oifeaux fabuleux ( Liv. 1o. ch. 49. )
Servius en fait de même en commentant
ce paffage de l'Enéïde Jamque
adeò fcopulos Sirenum advecta fubibat,
& dit : Sirenes fecundùm fabulam partim
virgines fuerunt , partim volucres.
Ovide, s'entretenant avec elles ( Metam.
Liv . 5. ) leur donne des vifages de filles,
avec des plumes & des pieds d'oiſeaux :
Plumas pedeſque avium cum virginibus ora feratis.
Enfin Claudian dans fes Epigrammes
, s'exprime ainfi :
Dulce malum pelago Siren, volucrefque puellæ .
L
118 MERCURE DE FRANCE .
"
.
C'eſt donc avec raifon que je ne parle
point ici des Sirenes.
ADDITION , traduite du Supplément
aux huit premiers Tomes du Théâtre
Critique.
IL m'eſt parvenu depuis peu un nouveau
Livre François , qui a pour titre
Caprices d'imagination , ou Lettres fur
divers Sujets d'Hiftoire , de Morale , de
Critique & c. L'Auteur anonyme , parlant
des Sirenes des Tritons & des
Néreïdes, rapporte en partie les mêmes
faits que j'ai cités dans mon feptiéme
Difcours du Tome 6, & en ajoute deux
autres que voici .
,
On trouve , dit -il , dans la riviere de
Tachni qui coule aux confins de la
Province de Lucomorie , à l'extrémité
de l'Empire de la Ruffie, nombre d'hommes
marins de l'un & de l'autre fexe ,
parfaitement reffemblans dans la configuration
de tout le corps aux individus
de notre efpéce , & totalement diſſemblables
dans l'âme , attendu qu'ils n'ont
ni la faculté de raifonner , ni celle de
parler. L'Anonyme cite pour fon garant
DECEMBRE. 1761. 119
Pierre Petoivitz d'Erlefund , dans fon
hiſtoire de Mofcovie , qui ajoute que
la chair de ces animaux eft extrêmement
flatteufe au goût.
>
Le fecond exemple feroit beaucoup
plus fingulier , s'il étoit également vraifemblable.
Des Confeillers du Roi de
Dannemarck naviguant en 1619 de la
Norvége à Coppenhague , virent marcher
dans l'eau un homme Marin qui
portoit un tas d'herbes. Ayant trouvé
le moyen de le pêcher , leur admiration
fut bien plus grande , quand ils
reconnurent que non-feulement fa figure
ne différoit en rien de la nôtre
mais qu'il avoit encore l'ufage de la parole.
Il ne leur donna pas le temps de
lui faire bien des queftions , car dès la
premiere , il les menaça de faire périr
le Navire , fi on ne lui rendoit fur le
champ la liberté. La peur s'empara de
tout le monde ; & l'homme Marin fauta
à la mer. L'Anonyme a foin d'avertir
qu'il a tiré cette Hiftoire du premier
Tome du Théâtre de l'Europe par Jean-
Philippe Abelin , & qu'il n'y a aucune
foi. Car qui eft - ce , continue - t - il ,
qui avoit appris à cet homme Marin la
Langue Danoife , ou toute autre ? Il
conclut que fi le fait eft vrai , il faut le
▸
120 MERCURE DE FRANCE.
regarder comme une apparition de
Spectre , ou comme une illufion diabolique.
Ceux qui font dans la perfuafion
que les Pays Septentrionaux fourmillent
de Sorciers , croiront facilement la
narration d'Abelin , s'imaginant que
l'homme Marin étoit un Magicien .
Nous avons prouvé autre- part qu'il n'y
a pas plus de magie dans le Nord , qu'il
n'y en a au Midi ; & que ceux qui dans
ces Régions paffent , ou ont paffé pour
Sorciers , n'ont été que de vrais fourbes
qui abufoient de la crédulité de
quelques Capitaines de Navires , à qui
ils vendoient les vents qui leur étoient
favorables fourberie accréditée par
que'que cafualité , ou par la connoiffan
ce pratique que certains fignes naturels
leur donnoient quelquefois des vents
qui devoient fe lever le lendemain. Si
l'homme Marin avoit été un Sorcier , ili
étoit fort inutile qu'il demandât fa lis
berté , pouvant fe la rendre lui-même. "
Pour moi , fans recourir à aucun
pacte , ni à aucune forcellerie ,je croirois
le fait très-poffible. On peut voir
les preuves de cette poffibilité dans le
huitiéme Difcours de notre fixiéme
Tome fur l'événement , fingulier du
Montagnard François de Kega . ( NOTA.
Cet
DECEMBRE. 1761 . 121
Cet homme , fuivant nombre de Mémoires
authentiques envoyés au Pere
Feijoo , avoit vécu cinq années confécutives
dans la Mer. Il étoit apprentif
Charpentier à Bilbao , lorfque la veille
de la S. Jean 1674, ayant été fe baigner
à la rivière avec d'autres jeunes gens , &
faifant l'épreuve de la fupériorité de fon
adreffe , il pouffa jufqu'à la Mer , d'où
il ne revint plus . Des Pêcheurs de Cadix
le prirent en 1679 & l'amenérent aux
Cordeliers de cette Ville. On ne put
tirer de lui que quatre mots qui étoient
pain , vin , tabac & lierganez. Ce dernier
mot fignifiant le nom de fon lieu
natal : il y fut conduit par un Cordelier
Miffionnaire. Il refta chez fes parens
environ neufans , fans que le jugement
ni la mémoire lui revinflent. Au bout
de ce temps , il difparut de nouveau ,
& on ne l'a plus revu . Quoique nous
difions par conjecture , que fuppofé
que les hommes marins fuffent de notre
efpéce , lorfqu'on leur trouve une parfaite
reffemblance avec nous tant
,
interne qu'externe ils perdoient
l'ufage de la parole par leur long
féjour dans la mer ; on doit cependant
obferver que notre raifonnement n'exclut
pas la poffibilité que quelques-uns
F
122 MERCURE DE FRANCE.
ne le confervent ; car il n'eft pas néceffaire
que tous s'abrutiffent au point d'oublier
entierement les mots. Les caufes
qui peuvent troubler la raifon de l'homme
, n'opérent pas également dans tous
les individus, Mais comme tout ce qui
eft poffible n'eft pas pour cela vraifemblable,
on peut , je crois , hardiment révoquer
en doute le fait rapporté par
Abelin. Tout y eft extraordinaire , &
d'autant plus qu'il n'y a point d'Hiftoire
qui en cite un femblable.
Je ne dois pas omettre ici que l'Auteur
anonyme eft tombé dans l'erreur
vulgaire , en difant que le nom de Sirenes
fut donné par les Anciens à des
poiffons , dont la moitié du corps en
haut reffembloit à une femme. Nous
avons déja prouvé que les Sirenes étoient
moitié poiffons , & moitié oifeaux.
Par M. CHARY le jeune , de Rouen .
LE VRAI PHILOSOPHE , ou l'Ufage
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avec l'hiſtoire , l'expofition exacte , &
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réuffite . Nous nous difpofons à en rendre
compte dans le Mercure prochain .
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des vertus qui lui conviennent , felon le
fentiment des Philofophes , le témoignage
des Auteurs facrés & profanes ,
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l'Abbé de Mery , Prêtre & Licentié en
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Sed probitas magnos ingeniumque facit.
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l'action du Prédicateur : Ouvrage utile)
à tous ceux qui parlent ou qui ſe dif
Fij
124 MERCURE DE FRANCE. MERCUR
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DECEMBRE . 1761 . 125
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quinze jours une Partie compofée de
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d'abord propofé de donner à la
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que Partie fera détachée , & fe délivrera
tous les quinze jours chez le Libraire
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Difcipline ; 4° . Les plus belles Sentences
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& même à tous les Fidéles qui defirent
s'inftruire à fonds de leur Religion . Par
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de l'Origine & des productions
de l'Imprimerie primitive en taille de
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Paris , 1761. de l'Imprimerie de J.
Barbou.
2
MEMOIRE qui a remporté le prix de
Phyfique de l'année 1761 , au jugement
de l'Académie des Sciences Belles-
Lettres , & Arts de Lyon. Par M. Barberet
, Docteur de la Faculté de Monpellier
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Armées , & Membre de l'Académie
des Sciences de Dijon . in- 12 , Lyon ,
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DECEMBRE . 1761 . 129
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exarata idolo cuidam antiquo in Regiâ
Univerfitate fervato , ad utrafque Academias
Londinenfem & Parifienfem rerum
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propofitas Data Epiftola . Roma , 1761 ,
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21
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DECEMBRE . 1761. 131
SUPPLÉMENT à l'Article des Piéces
Fugitives.
VERS à Mlle ROSALIE qui avoit
débuté à la Comédie Françoife dans
Le Rôle d'Electre. Par M. R. D. B.
SUBLIME Rofalie , accepte cet encens
D'un jeune Amant de Melpomène
Qui t'a voué fes premiers chants.
Il eſt de ton deftin d'illuftrer notre Scène :
J'en crois mon coeur & tes talens .
Je n'ai point attendu pour t'offrir mon hommage
Que tout Paris charmé m'en impofât la loi :
Je veux , quand tous les coeurs fe tourneront vers
τοί ,
Que tu m'en doives le préfage.
Redouble tes efforts. Que le fuccès paffé"
A de plus grands fuccès t'anime & t'encourage.
Phédre doit achever l'ouvrage
Qu'Electre a fi bien commencé.
Que ton âme fenfible & digne de Racine ,
Aille fe faire entendre à fon Ombre divine ,
Et lui caufer tant de plaifir ,
Qu'en fe ranimant elle oublie
La Champmeflé pour Rofalie ;
Et femble encor pouffer un amoureux foupig
F vj
132 MERCURE DE FRANCE .
EPITRE
A SILVIE , à Spa.
ELOIGN 101GNE de ma Silvie,
Rien n'appaile mes regrets ;
Tous les plaifirs de la vie ,
En vain m'offrent leurs attraits :
Hélas ! de fa feule image
Je m'occupe nuit & jour ;
Paris n'a point l'avantage
De me ravir mon amour.
Qui , ma Silvie eft rrop belle
Pour l'oublier un moment;
Malgré l'abfence cruelle ,
Oui , partout le ſentiment
De l'objet le plus charmant
Rapproche mon coeur fidéle.
Toi , qui fus les Cieux pour moi,
Spa ! ta gloire eft extrême :
Quels lieux font plus beaux que toi>
Tu poffédes ce que j'aime !
Vous, Monts, qui l'environnez
Témoins de notre rendreffe ,
Loin d'elle écartez fans cefle
Des Rivaux trop éffrénés.
A chaque aurore nouvelle,
DECEMBRE. 1761. 133
Puiffe fa plaintive voir
Aux échos , tendres comme elle ,
Me redemander cent fois !
Dans les eaux quand ru te plonges
Dieu , qui guides mes accens ,
Puiffent d'agréables fonges
Me peindre dans tous fes fens !
Dans cet aimable délire ,
Ah ! puiffe-t- elle éprouver
Les tranfpores qu'elle m'inſpire ,
Quand l'Amour me fait rêver !
Sans toi , ma chère Silvis ,
Quels biens me font précieus ?
Quand me rendras tu la vie ?
Mon âme eft dans tes beaux yeux!
Une barrière éternelle
Semble mife entre nous deux ,
Et le Temps n'eut jamais d'alle
Pour les Amans malheureux,
Mais par d'injuftes allarmes ,
Je n'outrage point ta foi:
Quel coeur foumis à tes charmes
Sçauroit mieux t'aimer que moi !
Je ne crains point que ton âme
Soit fenfible à d'autres voeux :
Je ne juge de ta flâme
Que par l'excès de tes feux,
A Paris , ce 5 Novembre 1761 .
Par M. BRUNEF
134 MERCURE DE FRANCE .
A Mademoiſelle LECLAIR , de la
Comédie Italienne , fur fon mal depied.
MADRIGAL.
VOTRE bobo croît chaque jour ,
Et votre âme s'en inquiéte.
Croyez-moi ; pour toute recette ,
Leclair, fatisfaites l'Amour.
Quand par vos traits ce Dieu nous frappe ,
Pour nous vous êtes fans pitié .
S'il vous a prife par le pied ,
C'est qu'il veut que l'on vous attrape .
A Paris , ce 3 Novembre 1761 .
Par le même.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES
AGRICULTURE.
L A protection
que S. M. veut
[ bien
accorder
à l'Agriculture
, excite
de plus
en plus le zéle des Citoyens
éclairés
.
Les uns nous
ont donné
des
Ouvrages
DECEMBRE. 1761. 135
excellens fur la culture & des Obfervations
fur les terres abandonnées ; les
autres fe font occupés à connoître la
diverfité des terres , leurs propriétés , & .
la nature des productions dont elles
peuvent être fufceptibles. On vient
même de voir naître des Sociétés refpectables
, dont les Membres font les
bienfaiteurs de la patrie, & de l'humanité,
foit par des recherches , & des expériences
réitérées , foit par les foins qu'ils
prennent d'inftruire les Propriétaires &
les Cultivateurs . Mais ce n'eft pas affez
que de dicter des leçons à ces derniers :
fouvent ils font hors d'état d'en profiter
faute d'argent pour faire les avances.
Il feroit donc important de les
aider , & de les mettre à même de recueillir
le fruit des lumières qu'on leur
donne .
Une Compagnie vient de former un
établiffement pour le défrichement des
Terreins vacans de la Généralité de
Paris appartenans à S. M. & pour l'amélioration
des Terres abandonnées &
autres . Cette Compagnie compofée des
Fermiers des Domaines Royaux de
Meudon , Villebon , Chaville & c , ont
fait un fond de 750000. liv. qu'ils augmenteront
à mefure qu'il en fera be136
MERCURE DE FRANCE.
"
foin , pour fournir les Beftiaux Engrais
, & autres accommodemens utiles
& néceffaires à l'amélioration des
Terres qui en feront fufceptibles , &
dont les Propriétaires voudront traiter
avec eux foit " par Baux à temps , àlongues
années , ou autres traités & conventions.
Ils défricheront & mettront en valeur
les Terres qu'il a plu au Roi de leur accorder
dans la Généralité de Paris , par
Arrêt de fon Confeil du 20 Septembre
1760 , & autres qu'il plaira , tant à SA
MAJESTÉ , qu'à des Seigneurs particu
liers , de leur afcenfer , ou inféoder.
Ils fe flattent que leurs vues , leur
conduite , leur exploitation & leur économie
, pourront mériter les bienfaits
de SA MAJESTÉ , la protection du
Gouvernement , & la confiance du Public.
Le Sieur Noiret , Caiffier de la Com
pagnie , fera toutes les recettes , & dépenfes
, lequel outre fon exactitude &
fa folvabilité perfonnelle déjà connues ,
eft encore bien fuffifamment caution→
né par Acte paffé le 21 Mars 1761 devant
Me Momet , Notaire, où chacum
peut en prendre lecture , ainfi que des
noms & qualités de ceux qui font cette
DECEMBRE. 1761 , 137
entreprife , fous le cautionnement folidaire
defquels . on traitera au nom dur
Sieur de Monrofier.
Les perfonnes qui defireront avoir
de plus amples détails , & qui voudront
faire quelques propofitions à ce fujet ,
s'adrefferont directement , ou par lettres
, au Sieur de Malherbe , Directeur
, rue Saint Nicaife .
Le Public eft prié d'affranchir les
Lettres , fans quoi elles ne feront pas
reçues.
CONSEIL DE LA COMPAGNIE.
MESSIEURS
MALLARD ,
THEVENOT D'ESSAULE , }
Avocats au Pan
lement.
BRUNET , Avocat és Confeils
du Roi.
MOMET , Notaire.
MOREAU , le jeune. Procureurau Par
lement.
PERRIN , Procureurau Cha
TRUDON ,
telet.
Huiffier au Confeil
d'Etat &
Privé du Rois
138 MERCURE DE FRANCE .
ACADÉMIE S.
LETTRE de la Société Littéraire d'ARRAS
, à M. le Comte de COUTU
RELLE , Chambellan actuel de S.A.S.
ELECTORALE PALATINĖ:
MONSIEUR ET CHER CONFRÉRE ,
O
1
N vient de nous remettre les admirables
Médaillons que vous nous
⚫avez annoncés. Ce beau préfent nous
pénétre d'une extrême reconnoiffance,
dont nous n'offrons à Son Alteffe Séréniffime
Monfeigneur l'Electeur, qu'tin
témoignage bien imparfait , dans la
Lettre , que nous vous prions de lui
faire agréer. C'eft à vous , Monfieur ,
qui connoiffez le fond de nos fentimens
pour ce Prince généreux , de
fuppléer ce qui manque à nos foibles
expreffions .
Recevez auffi nos remercimens du
zéle avec lequel vous vous êtes porté à
nous faire obtenir une collection fi précieufe
, du Livre inftructif & curieux
que vous y avez ajouté , & de votre atDECEMBRE
. 1761. 139
tention à nous apprendre toutes les cir
conftances de l'événement le plus intéreffant
& le plus déplorable . Que vos
termes pathétiques nous ont bien prouvé
, Monfieur , la profonde affliction
où vous a jetté le malheur de leurs Alteffes
Electorales ! Vous ne fçauriez douter
que nous n'ayons été nous - mêmes
tres-fenfiblement touchés de ce coup
funefte , & qu'une vive inquiétude ne
nous ait agités , jufqu'au moment où
vous nous avez raffurés , für la fanté
de Madame PElectrice , & fur celle de
fon augufte Epoux . Nos regrets ne
pouvoient être adoucis que par une
auffi favorable nouvelle , qui nous permet
d'envifager dans l'acouchement de
çette Princeffe , tout défaftreux qu'il a
été , le double préfage d'une feconde
groffeffe , & d'une délivrance plus heureufe.
Qu'elle le feroit dans tous les
fens , file fuccès de nos voeux en égaloit
l'ardeur ! Nous nous flattons , Mom
fieur & cher Confrére de la continuation
de vos bons offices , auprès des
illuftres Souverains à qui vous avez le
bonheur d'être attaché : Oui , vous
vous ferez toujours un plaifir , nous en
fommes perfuadés , de travailler à nous
conferver la place honorable, que nous
140 MERCURE DE FRANCE.
occupons dans leur fouvenir . Soyez
pareillement convaincu du jufte retour
dont nos coeurs fçavent payer vos foins,
& de l'attachement fans bornes , avec
lequel nous avons l'honneur d'être.
Monfieur & cher Confrére .
HARDUIN , Secrétaire perpétuel de
la Société Littéraire d'Arras.
A Arrás , le 12 .... 1761.
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE.
EXTRAIT des Mémoires lus à la Séance
publique de l'Académie Royale de
Chirurgie , le Jeudi 2 Avril 1761.
APRÈS la diftribution des Prix , M.
Bordenave lut un paralléle des différentes
méthodes d'ouvrir la velfie dans le
cas de rétention d'urine. L'art a été
DECEMBRE. 1761 141
long-temps en défaut à cet égard. Les
anciens ne prefcrivoient contre une maladie
auffi fréquente que des remédes
généraux , des bains,des ptifanes diurétiques
, dont l'effet augmentoit fouvent
le mal , en furchargeant la veffie d'une
plus grande quantité d'urine , enfin l'introduction
de la fonde étoit la derniere
reffource. Les Obfervateurs ont cru
laiffer à la postérité des faits bien iuftructifs
, en nous confervant le récit de
quelques cures , où l'on voit des rétentions
d'urine terminées au foulagement
des malades le dixiéme jour, l'onziéme
& le quatorziéme , & quelquefois
après un terme plus long. Mais ces
guérifons montrent uniquement les reffources
de la Nature , qui a fauvé quelques
perfonnes que des fecours connus
depuis auroient certainement préfervées
du danger qu'elles ont couru . Depuis
un fiécle & demi , l'attention des
Praticiens a fait faire à l'Art des progrès
manifeftes fur cette matière : Les
connoiffances Anatomiques de la ftructure
des parties , la diffection des cadavres
victimes de la maladie dont il s'agit
, ont fait refléchir au choix & à l'application
des moyens de guérifon qu'on
pouvoit employer avec fuccès. On a
142 MERCURE DE FRANCE .
même appris à varier les remédes généraux
, relativement à la diverfité des cas ;
& l'on s'eft fait des régles qui préfcrivent
jufqu'où s'étend leur utilité , & qui ne
permettent que le délai néceffaire pour
que les fecours plus puiffans ne deviennent
point inefficaces . C'est le difcernement
& la prudence dans l'application
difficile de ces régles , qui
conftituent l'habileté du Chirurgien
dont la main ne peut opérer utilement ,
quelle que foit fa dextérité, fi les lumieres
de l'efprit n'ont déterminé ce qu'elle
doit faire.
L'Art fur le point en queftion , eft
pris , pour ainfi dire , des fa naiffance ;
& M. Bordenave en démontrant comment
on s'eft élevé par degrés à la perfection
dont il étoit fufceptible , fait
voir qu'on a d'abord faifi les procédés
les plus compofés , & qu'on n'a fimplifié
que peu-à-peu. Il prouve dans l'expofition
hiftorique des progrès de chaque
méthode , que ce font les différences
introduites fucceffivement dans la
fratique de la lithotomie , qui ont falt
concevoir des moyens auffi diverfifiés
de procurer par opération une iffue aux
úrines retenues. L'on a donc commencé
par incifer au périnée ; Marc- Aurèle
DECEMBRE, 1761, 143
Severin patle de cette opération d'après
Arculanus. Parmi les Modernes Thevenin
, Tolet , Dionis Saviard & M.
Heifter ont adopté cette méthode, affez
femblable à la taille au grand appareil,
La fimple ponction paroît offrir les
mêmes reffources ; & elle n'a pas les inconvéniens
des procédés opératoires
plus ou moins avantageufement concertés
, dont ces Auteurs ont donné la
defcription . L'invention des trois quarts
devoit naturellement fervir à fimplifier
l'opération néceffaire pour tirer l'urine
retenue, dans les cas où le fecours de la
fonde ne pouvoit avoir lieu. L'Auteur
parle d'abord de la ponction aupérinée,
que M. Heifter dit mal-à-propos avoir
été propofée par Riolan , dès le commencement
du fiécle paffé . C'eſt Tolet
célébre Chirurgien de Paris , en chef de
I'Hôpital de la Charité qui paroît l'avoir
pratiquée le premier dès l'année 1677 ,
M. de la Peyronie l'a faite , vers le commencement
de ce fiécle , avec un trois
quarts beaucoup plus long que ceux que
décrit Tolet ; & M. Bordenave donne la
maniere de faire cette opération avec
méthode. Il parle enfuite de la ponction
à l'hypogaftre. M. Mery , Chirurgien
de l'Hôtel-Dieu de Paris , & de l'Aca144
MERCURE DE FRANCE.
démie Royale des Sciences, l'a pratiquée
avec fuccès , comme il paroît par une
Obfervation qu'il a donnée dans les
Mémoires de 1701. Enfin M. Flurant
Chirurgien de Lyon , affocié de l'Académie,
a imaginé une méthode d'ouvrir
la veffie par l'inteftin rectum avec un
trois quarts courbe.
Il n'y a aucune de ces opérations qui
n'ait été pratiquée avec fuccès ; le choix
n'en eft cependant pas arbitraire , &
telle méthode qui mérite d'être préférée
dans un cas , feroit la plus défectueufe
qu'on pût employer dans une autre circonftance.
Le paralléle de ces différentes
méthodes eft la partie la plus recommandable
du travail de M. Bordenave..
En général la ponction eft plus avantageufe
que l'incifion ; cependant fi l'if
churie étoit produite par une pierre en-.
gagée dans le col de la veffie , ou l'effet
de fungus qui boucheroient fon orifice
, l'incifion offriroit une reffource.
plus affurée , & qui permetroit de combattre
la caufe du mal , après avoir remédié
à la rétention qui eft le fymptome
urgent. Ce précepte eft appuyé d'obfervations
tirées des meilleures fources.
Lorfque le mal vient de l'inflammation
du col de la veffie on préfére la
ponction ;
DECEMBRE. 1761. 145
ponction ; mais on juge qu'il faut la fai
re entre la tubérofité de l'ifchion & l'os
pubis , dans le corps même de la veffie
pour ne bleffer ni fon col ni le canal de
l'uretre , & ne pas augmenter l'inflammation
qui empêche le paffage des urines.
On difcute les avantages de cette méthode
dans l'ifchurie purement inflammatoire
, & dans quelques autres cas
dépendans de vices locaux dans l'uretre .
La fonction hypogastrique paroît , à ne
confidérer que les parties qu'il faut tra❤
verfer pour parvenir à la veffie , plus
aifée & moins dangereufe que la ponc
tion au périnée : mais comme il eft néceffaire
pour le fruit de l'opération , d'entretenir
une voie libre aux urines , on
fait connoître , à cet égard , les défavantages
de la ponction au-deffus des
os pubis. L'Auteur fait , à cette occafion
, ufage d'une Obfervation intéreffante
qui lui a été communiquée par
M. Louis ; & il répond aux obje& ions
qu'on pourroit faire pour autorifer une
opération qui a des inconvéniens éffentiels.
M. Bordenave compare la ponction
par le rectum , la moins doulcu
reufe de toutes , par laquelle on a moins
de parties à divifer , & qui ouvre la vef
fie dans fa partie declive , la plus favo-
G
146 MERCURE DE FRANCE.
rable à l'évacuation des urines . Ces
avantages lui affureroient une préférence
exclufive , fi elle n'avoit des inconvéniens
qui lui font propres. M. Bordenave
témoigne quelques craintes fur la
préfence de la cannule dans le temps
que le malade iroit à la felle ; les mouvemens
inévitables dans cette action
pourroient lui faire abandonner la veffie.
Cette cannule fera certainement
très -incommode dans le cas où le malade
auroit des befoins fréquens , s'il
éprouvoit des tenefmes ; & fi la maladie
ne fe terminoit pas en quelques
jours, il pourroit furvenir inflammation
& fuppuration, accidens aufquels on ne
donneroit pas des fecours auffi fürs &
auffi facilement que fi la ponction eût
été faite au périnée. Dans ce cas - ci, s'il
falloit en venir à l'ouverture de la veffie ,
la cannule ferviroit de guide ; & après
la ponction par le rectum s'il furvenoit
quelque accident , il faudroit
en quelque forte abandonner l'événement
aux reffources incertaines de la
Nature. Il fuit de toute cette difcuffion
que la ponction au périnée convient
dans un plus grand nombre de cas ;
qu'elle eft plus fure , & que fes avantages
comparés avec ceux des autres méDECEMBRE.
1761 . 147
thodes , lui donnent fur elles une préférence
qu'on ne peut contefter.
II.
M. Foubert continua par la lecture
d'un Mémoire fur les fractures du col
du fémur. L'Auteur qui dans une longue
pratique a eu des occafions de voir
cette efpèce de maladie , profcrit les
bandages ordinaires dont il montre l'i
nutilité , & trouve des reffources plus
éfficaces dans des extenfions réitérées.
Les principes fur lefquels cette pratique
eft fondée exigeroient des détails de
manuel que l'on rendroit difficilement
par un extrait.
III...
M. Sabatierlut enfuite une Obfervation
fur une plaie à la veficule du fiel.
Un Officier Invalide , âgé de 45 à 50
ans , d'une très-bonne conflitution
reçut dans un combat fingulier, un coup
d'épée du côté droit , qui pénétra dans
le bas-ventre , entre la troifiéme & la
quatriéme des fauffes côtes. Le bas -ventre
fe tuméfia très-promptement ; la refpiration
difficile, le froid des extrémités,
le pouls petit , concentré & fréquent ,
& des naufées furent les premiers
fymptomes qui fe manifeftérent . Une
chaleur brûlante & une foif que
?
rien
Gij
148 MERCURE DE FRANCE ,
ne pouvoit éteindre, agitérent enfuite le
bleffé. La tenfion du ventre & la difficulté
de refpirer continuerent ; les faignées
ne calmerent point ces fymptomes
permanens ; & on ne put même multiplier
l'adminiftration de ce fecours
autant qu'on l'auroit defiré ; car à la
troifiéme , qui ne fut faite que le lendemain
de la bleffure , le malade tomba
dans un affaiffement difficile à concevoir.
Le troifiéme jour , M, Morand ,
qui voyoit journellement le bleffé , jugea
par le volume du ventre , & par le
tact , qu'il y avoit quelque fluide épanché.
La fluctuation fe faifoit fentir vers
la partie inférieure de la région ombilicale
, du côté droit. Il ne parut y avoir
d'autre parti à prendre, que de procurer
une iffue à la matiere épanchée ; & pour
en connoître la nature , on réfolut de
faire une ponction avec le trois quart ;
elle fut pratiquée le quarriéme jour au
matin. On tira une once ou deux de
liqueurs d'un vert noirâtre ; c'étoit de
la bile pure , & l'on jugea avec fondement
que la véficule du fiel avoit été
bleffée. On ne crut pas devoir tirer une
plus grande quantité de cette liqueur.
Les forces languiffantes du malade furent
foutenues par des potions cordia
3
DECEMBRE . 1761. 149
les , jufqu'à cinq heures du foir , que
MM. Morand & Sabatier convinrent
de la néceffité d'une incifion au basventre
; fur ce principe qu'il faut evacuer
tout liquide étranger dont l'éxiftence
eft reconnue il fortit par cette
opération quinze à feize onces de matiere
qui fut reçué dans un vafe ,fans cel
qui s'en perdit dans les draps : elle étoit
femblable à celle du matin . M. Sabatier
qui eut le courage de la goûter, trouva
à fon exceffive amertume, que c'étoit de
la bile fans aucun mêlange. Le malade
fut panfé convenablement ; il éprouva
pendant quelque temps un peu moins
de gêne dans la refpiration ; mais la tenfion
du ventre ne diminua point ; les
naufées & les vomiffemens devinrent
fréquens ; le pouls s'affoiblit , & le malade
mourut environ cinq heures après
l'opération. L'ouverture du corps confirma
que la véficule du fiel avoit êté
ouverte par la pointe de l'épée . M. Sa
batier, pour rendre fon Obfervation
plus utile a fait des recherches dans les
Auteurs , fur les épanchemens de bile
dans la capacité du bas-ventre. Les deux
exemples que fourniffent Blafius & Job
à Meekren, montrent la poffibilité de la
rupture fpontanée de la véficule du fiel,
G iij
150 MERCURE DE FRANCE .
par fon exceffive dilatation ; mais ils ne
font pas affez analogues au cas que M.
Sabatier a décrit. On ne peut le comparer
avec exactitude, qu'avec des épanchemens
de bile produits par une caufe
extrême. Les Tranfactions Philofophiques
en fourniffent un exemple dont
les effais de la Société d'Edimbourg
ont fait mention , & qui eft cité par M.
Van Swieten dans fes Commentaires
fur les Aphorifmes de Boërrhaave , à
l'article des Plaies du bas-ventre . Ce
font les mêmes fymptomes dans l'une
& dans l'autre ; mais le bleffé Anglois
ne fut point opéré , & il a vécu fept
jours. L'objet de M. Sabatier en publiant
PObfervation dont nous donnons l'extrait
, a été d'établir le prognoftic fpécial
des plaies de la véhicule du fiel ,
lorfque les autres vifceres n'ont fouffert
aucune léfion . C'eft un cas affez rare :
le fait rapporté par l'Auteur , & celui
qui a été communiqué à la Société
Royale de Londres par le Docteur
Stuard , donnent tous les éclairciffemens
qu'on peut defirer fur un accident
auffi fâcheux.
Lafuite auMercure prochain.
DECEMBRE. 1761. 151
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
VI.SINFONIE
INFONIE a più Stromenti , compofte
da varii Autori. 1 ° . Filtz. 2ª. Ruge
, la nova tempefta. 3. Fraentzel. 4°.
Cannabiek. 5. Wagenfeil. 6°. Back.
Opera XII. in-folio . Prix , 10 liv. compris
les parties de Cors de Chaffe . Les
mêmes Symphonies fe vendront enfemble
ou féparément, felon la volonté
des Amateurs . Le Prix fera de 2 1. 8 f.
chaque , en les détachant. A Paris , chez
M. Venier , Éditeur de plufieurs ouvrages
de Mufique inftrumentale , à l'entrée
de la rue S. Thomas du Louvre ,
vis-à-vis le Château d'Eau ; & aux
adreffes ordinaires.
Outre les douze OEuvres de Symphonies
di vari Autori , on trouvera
chez le même les OEuvres fuivantes :
Six Symphonies de Beck. Opera
prima .
Six de Richter. Opera tertia.
Six de Hofman. Opera prima.
Six de Martin.
Six de Sarti. Opera prima.
Six Quatuor de M. Talon.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
.
Six Trio de Martin.
Douze Trio de Berofi. Opera prima
& fecunda.
Six Duo de Groneman pour violons
ou flutes..
Six Duo de S. Angelo
Violoncelle .
, pour
le
Six Sonates de Ferrari pour violon ,
Opera fecunda .
Quatre Concerto pour le Claveffin
compofés par Lorenzini-Yori Vagenfeil
& Binder.
Vingt Piéces de Claveffin di varii
Autori , dans lefquelles font renfermées
les meilleures Piéces d'Alberti.
Opéra prima.
•Vingt Piéces de Claveffin di variiAu
tori , dont la plus grande partie eft
de la compofition de Galupi , Opera
fecunda. Le Prix fe trouvera au bas de
chaque Recueil.
L'ESPOIR flatteur , Cantatille , à
voix feule , avec Accompagnement de
deux Violons & Baffe. Par M. Dard ,
Ordinaire de l'Académie Royale de
Mufique. Prix , 1 liv . 16 f. Chez l'Auteur
, rue Montmartre , vis-à- vis la rue
de la Juffienne , à côté de l'Apotiquaire
, & aux adreffes ordinaires . Ce nou-
1
DECEMBRE. 1761 . 153
vel ouvrage de M. Dard , ne peut qu'ajouter
beaucoup aux efpérances qu'il a
fait juftement concevoir de fon talent.
L
GRAVURE.
E fieur MAGNY , Ingénieur- Phyficien
, & Auteur du nouvel art de rendre
le Deffein au crayon , donne avis ,
qu'ayant formé une Société, dans la vue
de procurer au Public tout l'avantage
qu'on peut retirer de fa nouvelle décou
verte ; des inconvéniens qui furviennent
affez ordinairement dans ces fortes
de liaiſons , l'ont empêché de mettre
au jour les 2 premiers morceaux
éffectués par fa Méthode , l'un en 1757
& l'autre au commencement de 1758.
L'accueil qui fut fait à cette premiere
production par plufieurs Académiciens ,
a qui elle fut préfentée , fut auffi fuivi
de l'applaudiffement de tous les Amateurs
qui en eurent connoiffance ; lefquels
ne defirent rien de plus , que de
voir une fuite d'ouvrage des grands
Maîtres , rendu par cette nouvelle mé
th ode .
C'eft pour fatisfaire à leur empreffe
ment , & à leurs follicitations réïtérées,
Gv
154 MERCURE DE FRANCE .
que le fieur Magny a pris le parti de
faire valoir ce nouvel art par lui-même
& fous fes yeux , étant pour lors à portée
de lui faire prendre journellement un
nouveau luftre , autant par les differens
degrés de perfection . qu'un Auteur eft
cenfé pouvoir y donner , & qui dépen
dent du principe qu'il a fuivi
pour élever
un Art entierement nouveau , que
par les foins du freur Gonord , qui a
déja donné des preuves de fon talent
dans l'art du deffein , par les différens
Prix qu'il a remportés à l'Académie de
Rouen , ainfi que par l'exactitude avec
laquelle il a fçu rendre les originaux
dans les Piéces fuivantes que le fieur
Magny met actuellement au jour , &
dont voici le détail.
Nº. 1. Une Tête de caractère d'après
M. Boucher.
No. 2. Une Académic d'apres M.
Carlo Vanloo.
N. 3. Une petite d'après M. Boucher.
No. 4. Une belle & grande Académie
figure d'Hercule.
N. 5. Une autre Tête d'après M.
Boucher.
N°. 6. Une Tête de goût & libre ,
par le fieur Gonord.
N°. 7. Une petite Académie de M.
DECEMBRE . 1761 . 155
Cochin le fils , figure de femme faite
au crayon eftampé ; genre de deffein
qui n'a point encore été imité ni rendu
jufqu'à ce jour , finon par cette Académie
, qui eft le premier morceau rendu
en ce genre.
On fçait de quel prix font tous les
Ouvrages de M. Cochin , & combien ,
des études d'après lui feroient précieufes
, non feulement pour les Amateurs ,
mais pour les Eléves fort avancés qui
defireroient fe former le goût , en
deffinant d'après un auffi grand Maître.
C'eſt dans cette vue que le fieur Maguy
a imaginé le moyen de pouvoir
les rendre jufqu'au point de s'y méprendre
, afin de faciliter au Public un
avantage réel , en lui procurant une
fuite d'étude , dont il n'auroit jamais
joui fans cette découverte ; la gravure
en Taille-douce n'étant pas fuffifante
par elle - même pour rendre le doux
le gras & le moelleux de l'Eftampe ,
qui décéle fi merveilleufement l'efprit
& les fineffes d'un Original.
"
Sans doute que plufieurs perfonnes
trouveront fingulier que le fieur Magny
fe dife inventeur du nouvel art
de rendre le deffein au crayon , d'au
tant plus , que parmi ceux qui gravent
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE .
en maniere de crayon , il y en a qui
fe font préfentés à l'Académie , en s'en
difant les inventeurs .
La différence la plus nótable entre
fa méthode & celle de fes Copiltes
lefquels n'opérent que par une manouvre
qui ne différe de la gravure en
Taille-douce , qu'en ce qu'au lieu de
pointe & de burin , i's fe fervent d'une
efpéce de matois , lequel étant manié
avec plus ou moins d'adreffe , produit
par des repriſes multipliées , le trait fur
le vernis noir , qu'on donne enſuite à
mordre à l'eau forte , tel que dans la
gravure ordinaire ; au lieu que dans le
nouvel art , on ne fait point ufage ni
de matois , ni d'eau forte. On n'emploie
uniquement que des crayons d'acier
parfaitement analogues au crayon
naturel , & dans le caractére & dans la
manoeuvre ; ce qui fait le coup de
crayon tel qu'on le voit dans les Ouvrages
qu'il expofe , lefquels font exactement
conformes aux originaux , tant
par la manoeuvre que par le caractére
par leur propre couleur.
&
Les Connoiffeurs verront par ce récit
, combien eft grande la différence
qui regne entre la méthode du ficur
Magny & celle des Graveurs en maniere
de crayon.
DECEMBRE . 1761 . 157
Par ce nouvel art , un habile Deffinateur
peut rendre entierement la franchife
du trait & de toutes les parties
d'un Original de Grand-Maître objet
fi précieux & fi intéreffant pour les Eĺéves
! Aulieu que par la méthode ordinaire
, il n'eft pas poffible de rendre la
franchiſe entiere du trait ,. quelqu'habi-.
le que l'on fuppofe l'Artiffe : il ne peut
éviter de répandre dans fon ouvrage ,
une nroleffe dans l'expreffion & un
froid fur l'efprit de l'Original : défaur
que les Connoiffeurs
reprochent à
ceux mêmes qui ont le mieux réuffr
jufqu'à préfent dans ce genre de gravu`
re en maniere de crayon.
Le fieur Magny efpére tous les mois
mettre au jour quelque production de
fon nouvel art ; ce qui fera annoncé
dans fom temps.
Sa demeure eft à l'Abbaye S. Germain
des Prés , Cour des Religieux..
158 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Mufique a
remis au Théâtre le Mardi 3 Novembre
Armide , Tragédie de feu M. Quinault ,
Mufique de feu M. de Lully.
Cet Opéra a été repréfenté pour la
premiere fois le 15 Février 1686 (a) fur
le Théâtre de l'Académie; remis en 1697,
en 1703 , en 1713 , repris en 1714 .
remis fur le même Theatre en 1724. Repris
en 1725 , repréfenté à Verſailles
fur le Théâtre de la grande Ecurie , le
30 Décembre 1745 , continué à Paris,
par l'Académie Royale de Mufique le
7 Janvier 1746 , juſqu'au 26 Mars de
la même année , pendant lequel temps
30 repréſentations produifirent 76258
(a) Mlle Rochois, chantoit alors le rôle d'Armide,
& ce fut fon triomphe. Mlles Fanchon-Moreau
& Defmatins ,jouient les rôles de Confidentes;
M. Dumefnil chantoit le rôle de Renaud, & M. Dun
elui d'Hidraot. Mlle Rochois , morté à Paris au
DECEMBRE. 1761. 159
liv, (b) malgré la diverfion occafionnée
par les fuperbes Fêtes de la Cour , qui
entraînoient une partie du Public , &
qui par l'éclat & la variété des Spectacles
faifoient alors le principal objet de
la curiofité. Cette recette , dans de telles
circonstances , conftate une pleine
réumite à Paris . Elle n'avoit pas été
moins conftatée à Verfailles ; on en redemanda
une feconde & une troifiéme
repréfentation. (c) Ge fuccès à la Cour ,
glorieux pour l'Ouvrage , fut en même
temps honorable pour le talent de Mile
Chevalier , qui chantoit le Rôle d'Armide.
(d) Elle continua ce Rôle à Paris ,
mois d'Octobre 1728 , âgée de 70 ans , avoit chanté
le même rôle d'Armide à la remiſe de 1697. V.
l'hift . du Théâtre de l'Opéra. Paris , Jofeph Barbou
1753.
(b ) Vu fur les Regiftres de l'Académie.
(c ) Le Mercure de Février 1746 place cette deuxiéme
& troiſiéme repréfentation les 13 & 21 Jánvier
, de la même année. On en trouve une autre
à la Cour indiquée le to Février fuivant dans le
Catalogue raifonné des Ballers Opéra &c . de la
riche Bibliothèque de M. le Duc de la Vallierre,
imprimé chez Bauche 1759.
(d) Le Mercure de Janvier 1746 rapporte que
la Reine , Madame la Dauphine & Mefdames de
France avoient daigné marquer leur fatisfaction
à Mlle Chevalier , publiquement dans la Gallerie ,
& que Mefdames l'avoient emmenée dans leur
appartement , où différens airs qu'elle avoit chansés,
avoient été fuivis de la même approbation.
165 MERCURE DE FRANCE.
>
dans lequel , attendu les fréquens fervices
à la Cour elle fut doublée
quelquefois. En premier lieu par feue
Mlle Romainville , enfuite par Mlle
Metz qui chantoit le Rôle de la Gloire
dans le Prologue , & qui chanta en
double celui d'Armide pour la premiere
fois le 8 Mars de l'année 1746. (e ) Cette
derniere l'a chanté pendant peu de repréfentations
.
Ce même Opéra fut repris le 17 Février
1747 jufques à la clôture du Théâtre
au mois de Mars fuivant , & enfin
repris encore pour la Capitation des
Acteurs les 23 , 27 & 31 Mars 1748. (ƒ)
Depuis cette époque jufqu'au mois dernier
il n'avoit pas été repréfenté.
L'intérêt vif que le Public a pris à la
remife de cet Opéra , a fait naître des
conteftations fur les époques de fes reprifes
; ce qui nous a engagé à entrer
dans ce détail de dattes , & à faire les
recherches les plus précifes fur tout ce
qui le concerne.
Toutes les fois qu'Armide a reparu
fous les yeux du Public , cet Ouvrage
a toujours excité un fentiment naturel.
(e) V. le Mercure de Mars 1746.
(f)V.le Mercure d'Avril 1748.
DECEMBRE. 1761. 16x
my
d'admiration , qui ne s'épuife jamais
pour les chefs - d'oeuvre de génie & de
goût. C'eft l'effet qu'il vient de produire
encore . L'Auteur du Mercure de Mars'
1746 , à l'occafion du fuccès qu'eut
alors cet Opéra, remarque que l'Auteur
de l'harmonie aimée du coeur avoit encore
bien des oreilles dans fon parti (je
rapporte les mêmes expreffions ) file
fchifme régne dans nos Concerts , continue-
t-il , il n'a pas encore foumis le
Théatre lyrique &c. &c. Cet Ecrivain ,
ardent défenfeur du goût & jaloux de
Phonneur national en cette partie , combattroit
aujourd'hui avec plus d'avantage
contre ce qu'il appelle les Novateurs
en Mufique , en s'appuyant fur la réuffite
d'Armide. Quoique le nombre &
les forces de ces Novateurs foient prodigieufement
augmentées depuis 1746 ,
quoiqu'ils aient fait de nouvelles recrues
& puifé des reffources dans des
genres dont alors on n'auroit pas foupçonné
l'existence , & dont l'excès peutêtre
en fait prévoir la chûte : il eft cependant
inconteftable que les applau
diffemens & l'affluence perpétuelle des
Spectateurs , déclarent actuellement
pour Armide une réuffite très - fupérieure
encore à celle dont parle l'Au162
MERCURE DE FRANCE..
teur de ce Mercure . Un tel fuccès.
ne peut être attribué à la feule pompe
du fpectacle. Quelques éloges qu'on
doive fur cela , aux foins éclairés & difpendieux
des Directeurs (g) , ainfi qu'aux
Artiſtes qui entrent dans leurs vues , le
mérite fublime du Poëme & de la Mufique,
fecondé par le talent des Acteurs,
doit toujours être confidéré comme la
principale caufe de l'empreffement du
Public & furtout de la continuité de cet
empreffement.
Le Poëme d'Armide eft la derniere &
la plus belle production du génie de fon
célèbre Auteur. Un des Hiftoriens de
la Vie de M. Quinault , ( h ) en doutant
qu'il eût pu faire une Piéce lyrique audeffus
de celle d'Armide , foupçonne
que ce fut cette raifon qui l'engagea à
ne plus travailler dans ce genre.
Non feulement un fentiment unanime
de la Nation , mais encore l'efpéce
d'hommage que vient de lui rendre l'Italie
en traduifant cet excellent Poëmè ;
l'admiration des gens de Lettres de toute
l'Europe ; l'impreffion qu'il fait dans
tous les temps & fur toutes les âmes ;
(g) MM. Rebel & Francoeur.
(h) V. la vie de Philippe Quinault , à la tête de
fon Théâtre , imprimé en 1715.
DECEMBRE . 1761. 163
་
tout confacre cet Ouvrage à l'immortalité
; tout nous autorife a le propofer
aux Poêtes du Théâtre lyrique comnie
un de ces points éminens vers lefquels
on doit toujours tendre, même en défefpérant
d'y atteindre .
La Mufique d'Armide n'eſt pas moins
fublime dans fes chants que l'eft le Poëme
dans toute fa conftitution . Il ferait
donc à defirer que ce genre feryît fans
ceffe de modéle & de guide aux Muficiens
dramatiques. Le Rofcius de la
France , le fameux Baron , fi jaloux de
la fupériorité de fon talent , avouoit
avec une forte de dépit , qu'après y avoir
fouvent penfé & fait bien des recherches,
il n'auroit pu trouver une déclamation
plus jufte & en même temps plus fenfible
que celle des chants de cet Opéra.
Malgré les efforts ridiculement manifeftés
(i) d'un parti oppofé augaut le plus
fpirituellement raifonné , l'efpéce de fu-
( i ) A la cinquiéme repréſentation , on profita
de la foule extraordinaire des Spectateurs , pour
exciter dans le Parterre une rumeur qui empêchoit
d'entendre les Acteurs. L'exactitude de la
Garde Royale , le bon ordre qu'elle fait obſerver
& le refpect qu'elle impofe , calmerent bientôt ce
tumulte , qui n'a pas été récidivé depuis.
164 MERCURE DE FRANCE .
reur avec laquelle tout le Public ſe porte
à cet Opéra,prouve bien qu'en Mufique
ainfi que dans tout autre art, la nature &
le fentiment ne fouffrent point de prèfcription
par le temps. La vérité d'expreffion
& la nobleffe des idées triompheront
toujours des frivoles innovations
qu'enfante le Caprice au défaut du
Génie . Si la manie de la mode
, trop
puiffante parmi nous , les accrédite un
jour , le jour qui fuit les voit anéantir.
Il eft dans toutes les Nations des folies
épidémiques qui fe fuccédent , mais
dont chacune n'eft pas incurable . Nous
avons cru pendant quelque temps les
Pantins indifpenfablement néceffaires
à notre amuſement , peut-être même à
une forte de confidération dans ce
qu'on appelle le bon-air. Nous vivons
promptement à préfent ; un fiécle n'eft
plus qu'un luftre , & chaque luftre a fes
Pantins. Ceux qu'on faifoit jouer contre
la fortune d'Armide , auront apparemment
le fort des autres , les fils en
paroiffent déja rompus . De nouveaux
progrès dans le talent de la danfe ayant
beaucoup étendu la compofition & l'exécution
des Ballets , on avoit déja fenti
la néceffité de profiter des nouvelles
richeffes d'un acceffoire fi agréable dans
DECEMBRE. 1761, 165
nos Opéra. En conféquence , on avoit
déja en plufieurs occafions adapté aux
plus excellens fonds anciens,des airs qui
en rendent les divertiffemens plus faillans
. MM. Rebel & Francoeur ont ajouté
de nouveaux morceaux à ceux qu'ils
avoient placés dans Armide en 1746.
Ces morceaux , dont la plus grande partie
eft de leur compofition , s'affortiffent
très-bien au fond ; quelques-uns paroiffant
même tenir au caractére fondamental
de l'ancienne Mufique , en profitant
néanmoins de l'agrément que
fournit aux Symphoniftes modernes
une éxécution bien plus facile & bien
plus étendue qu'elle n'étoit dans la
naiffance de l'Opéra : remarque importante
pour l'idée qu'on doit avoir des
reffources immenfes du génie de Lully,
puifqu'il a fçu produire les admirables
morceaux que l'on connoît de lui en
fymphonie , dans les bornes étroites
où le renfermoient celles de fon Orcheftre
.
Tout répond aujourd'hui, dans l'exécution
, à la beauté fupérieure de cet
Opéra. Les Acteurs en général femblent
avoir été infpirés par les mânes des
deux célebres Auteurs , pour en mieux
foutenir la gloire . Quelque mérités que
166 MERCURE DE FRANCE.
fuffent les applaudiffemens donnés à
Mlle Chevalier , dans le Rôle d'Armide
, à la précédente reprife , elle en mérite
encore bien davantage , & le Public
à cet égard lui rend la juftice la plus fatisfaifante
. Beaucoup d'accord entre
l'action du jeu & l'expreffion du chant ;
cette expreffion toujours analogue au
fentiment & à la fituation ; une modération
du volume de la voix , dirigée
avec intelligence pour en diftribuer les
forces à propos , & pour la foumettre
aux diverfes refléxions des paffions oppofées
dont ce grand Rôle eft rempli.
C'est ce qu'en général on reconnoît en
elle dans cet Opéra , & cequ'on applaudir
avec tant de raifon. Intéreffante
& patétique dans la tendreſſe
& dans la douleur ; noble & grande jufques
dans fes fureurs, elle attache & fufpend
l'âme dans le morceau , fi difficile
à bien rendre , enfin il eft en ma
puiffance &c. Elle intéreffe quand elle
exprime l'amour le plus tendre ; elle
attendrit ; elle fait verfer des larmes
à la fin du cinquiéme Acte , lorfque
Renaud la quitte & qu'elle chante le
perfide Renaud mefuit, & c. Elle frappe
elle faifit de terreur & de pitié lorfque
le defefpoir livre Armide à la fureur,
D'ailleurs , toujours jufte d'action &
DECEMBRE. 176г . 167
toujours attentive à la Scène muette ,
Mlle Chevalier foutient l'intérêt de fon
Rôle ; & ce Rôle, le premier du Théâtre
lyrique ,bien faifi & bien rendu, eft fans
contredit celui qui doit faire le plus
d'honneur fur cette Scène.
M. Pillot , dont nous avons annoncé
les progrès fucceffifs , prouve dans
le Rôle de Renaud combien il étoit digne
d'encouragement , & en même
temps tout ce que peut furmonter la
perfévérance d'une laborieufe émulation.
Non-feulement il joue ce Rôle
avec la Nobleffe , le fentiment & la jufteffe
du débit néceffaires pour fixer l'attention
& pour intéreffer le coeur, mais
de plus , il le chante avec tant de talent,
qu'il a forcé la Prévention à l'applaudir,
& la mauvaiſe volonté à fe taire . Il fe
fait écouter dans le morceau de chant ,
plus j'obferve ces lieux &c , avec un filence
qui, indépendament de l'extrême
beauté de cette Mufique , eft garant du
plaifir que produit l'art & l'adreffe avec
lefquels il en rend tous les agrémens .
Dans le cinquiéme Acte il a faifi trèsbien
toute la fenfibilité & l'intérêt du
Dialogue de la premiere Scène. A la fin
de cet Acte , lorfque Renaud , preffé
par les Chevaliers Danois , fe laiffe ar168
MERCURE DE FRANCE.
racher aux pleurs d'Armide prefque
mourante , M. Pillot feconde alors avec
tant d'âme l'action & la déclamation
touchante de Mlle Chevalier ; le jeu de
Fun & de l'autre eft fi vrai , leurs expreffions
fi attendriffantes , que tous les
Spectateurs font du parti d'Armide contre
la Gloire , & admirent en gémiffant
le courage de Renaud. Cet A&teur enfin
vient de réunir tous les fuffrages ; le
Rôle de Renaud eft un vrai triomphe
pour lui . Il est peu de Sujets , même
entre ceux que des dons naturels rendroient
les plus chers au Public qui
puffent difputer aujourd'hui de fupériorité
avec M. Pillot dans l'art du
chant dramatique ; genre qui doit être
bien diftingué de tout autre , fans quoi
il arriveroit que le Spectateur glacé admireroit
en s'ennuyant le Chanteur ou
la Cantatrice , & que le plus bel Opéra
tomberoit au milieu des applaudiffemens
qu'on donneroit à la voix.
,
M. Quinault a laiffé un vuide , dans le
quatriéme Acte , très- néceffaire pour le
repos de l'Actrice qui repréfente Armide
; néceffaire même pour ne pas of
frir fans interruption les objets de l'intérêt
principal . Ce vuide devoit apparemment
, dans l'intention du Poëte ,
être
DECEMBRE. 1761. 169
,
être rempli par le preflige des machines
pour figurer celui de la magie
& éffrayer les Chevaliers Danois. Des
Gouffres ouverts des Volcans , des
Monftres de toute efpéce font indiqués
Far les paroles. On remplira quelque
jour fans doute cette idée , ce qui pour
roit occuper beaucoup le Spectateur .
mais le jeu des Monftres a befoin d'être
perfectionné à notre Opéra. Quelques
effais qu'on en ait fait jufqu'à
préfent, ils n'ont produit qu'un petit effet
, qui les expofoit à la dérifion . On
a donc très-fagement fait & très-heureufement
pour la fatisfaction du Public
, de fubftituer l'agréable au terrible
dans cet Acte. C'eft celui où l'on a
placé le plus de Mufique ajoutée. Lorfque
Mlle le Miere , fous le nom de Lucinde
, tente d'enchanter les Chevaliers
Danois , ce projet eft pleinement accompli
fur tous les Spectateurs ; ce qui
contribue beaucoup à l'illufion & remplit
bien le Sujet. Dans les airs quelle
chante , elle imite ou plutôt elle furpaffe
de beauco p ce qu'on peut imaginer de
délicateffes & d'agrément dans le ramage
des oifeaux d'un lieu enchanté. Son
art , la qualité de fon organe , cet aimable
accent de la jeuneffe , qui l'em-
A H
170 MERCURE DE FRANCE.
bellit encore , tout produit un charme
délicieux , auquel ajoute celui de fa figure
. On peut dire , fans outrer l'ima→
ge , que ce font les grâces qui chantent
l'amour & fes plaifirs . Il n'y a que les
Chevaliers Danois , alors , qui, par un
pouvoir furnaturel, fe dérobent à cette
aimable féduction.
M. Gelin , dont la voix & les talens
font en poffeffion de plaire au Public ,
rend très-bien le Rôle d'Hidraot & celui
d'Ubalde. Il met dans le premier
toute la dignité convenable à l'âge & à
la qualité du perfonnage , & dans le fecond
cette fermeté d'un guerrier qui
ne connoît d'autre intérêt que celui de
la gloire & d'autres foins que de la
fuivre .
Dans le Rôle d'Aronte M. Larrivée
meurt d'une maniere intéreffante pour
revivre avec éclat dans celui de la Haine
, au troifiéme Acte. Indépendamment
du grand effet que produit dans
ce Rôle la belle qualité de fa voix , il
eft rentré de jour en jour avec plus de
fuccès dans la chaleur d'action qui doit
animer ce caractère . Il s'eft approché
même, dans quelques parties, de l'énergie
qu'y mettoit M. Dechaſe. Modéle
recommandable en toute action du
DECEMBRE. 1761. 171
genre de celle- ci , où il faut rendre aux
yeux le tableau que le Poëte & le Muficien
tracent à l'efprit.
L'Orchestre & les Chaurs ont auffi
leur part au fuccès d'Armide. Ils contribuent
toujours fans doute au bel enfemble
de l'exécution ; mais en certaines
occafions , comme dans celle- ci , ils
ont des momens diftingués & pour ainfi
dire , en propre . Lorfque les Chours,
à la fin du premier Acte , fe joignent
au Duo d'Armide & d'Hidraot : Pourfuivons
jufqu'au trépas &c. Un chant
vif,ferré & précis eft accompagné d'actions
tumultueufes par tous les Acteurs
du Choeur , qui font fentir avec quelle
ardeur & quel zéle ils partagent la fureur
des principaux Perfonnages. Rien
de mieux imaginé , rien de plus frappant
& qui faffe plus d'impreffion für
le Public ; les plus grands applaudiffemens
matquent fa fatisfaction . Bornés
autrefois au feul exercice du chant , les
Acteurs des Choeurs , dans leur immobilité
jettoient du froid & très-fouvent
du ridicule fur les fituations les plus pathétiques
& fur les coups de Théâtre les
mieux concertés . On avoit déja éſſayé
de mettre en jeu ce corps dont on pourroit
tirer avantage pour les grands Ta-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
un peu
bleaux de la Scène. On y avoit même
réuffi ; mais que les progrès font
lents , quand on a pour obftacles de
vieilles pratiques tranfmifes par fucceffion
! Ce dernier fuccès fait efpérer
qu'on s'attachera à en mériter d'autres
par le même moyen.
Tout le monde connoît la réputation
de l'Orcheftre de l'Opéra . Tout le
monde fçait de quelle confidération eft
ce Corps de Symphoniſtes dans l'ordre
des talens . Les difficultés de la plus grande
exécution & de la plus fçavante pratique
, fatisfont de fa part, mais n'étonnent
plus. Ce qui fe fait remarquer avec
tant de diftinction , ce qu'on auroit peine
à trouver ailleurs , c'eft le vrai tact
de certains morceaux , anciens fans jamais
devenir furannés , de ce goût dont
on voudroit aujourd'hui écarter l'oreille
, mais dont l'âme fe rapproche
avec empreffement dès qu'on le lui repréfente
; c'eſt cette union parfaite, qui
de tant de fons divers ne produit qu'un
feul & même fon ; c'eſt ce moelleux de
l'archet ; cette volupté dans le toucher ;
cet art de faire parler au coeur le bois
& les cordes ; c'eft enfin ce qu'on écoute
avec délices & ce qu'on applaudit
avec enthoufiafme , dans plufieurs enDECEMBRE.
1761. 173
droits d'Armide , particulierement au
deuxième Acte. On a remarqué qu'il
n'y avoit prèfque que les Opéra anciens
, furtout ceux de Lulli , qui pro
curaffent à l'Orcheſtre cet agréable témoignage
d'une fatisfaction particuliere
du Public , marquée par de grands applaudiffemens
.
Les Ballers en général font très-grand
plaifir & foutiennent la réputation de
leur ingénieux Compofiteur. Ils ont la
Nobleffe relative au genre de l'Opéra ;
cette nobleffe eft ranimée dans quelques
Actes, par une forte de gaîté ˆmé→
nagée de maniere à amufer, fans diftraire
le goût.
M. d'Auberval , eft applaudi au premier
Acte , avec diftinction , & cette
diſtinction eſt une juftice . Les applau→
diffemens qu'il reçoit ne font plus feulement
d'efpérance & d'encouragement ,
ce font des fuffrages de Connoifeurs
& une fatisfaction générale , des talens
de ce nouveau Sujet.
On ne fçauroit donner trop d'éloges
à M. & à Mlle Veftris dans leur pas de
deux pour l'enchantement de Renaud.
Jufqu'alors , par le plus abfurde des
contrefens , les meilleurs Danfeurs &
Danfeufes , paroiffoient ne danfer que
Hij
174 MERCURE DE FRANCE .
pour s'enchanter mutuellement & pour
mandier des applaudiffemens au Parterre
en lui adreffant leurs actions
les plus féduifantes ; au contraire , dans
ce pas de deux , M. & Mlle Veftris ne
perdent jamais de vue le lit où repofe
Renaud. Tout ce que leur Scène pantomine
a d'agréable & de voluptueux eft
dirigé fur cet objet . S'ils s'en éloignent
detemps en temps , ce n'eft que pour fe
confulter , fe communiquer de nou
veaux charmes ; ainfi l'illufion eft entiere
. Leurs talens méritent toutes nos
louanges ; mais nous croyons en devoir
encore de plus diftinguées , au fentiment
de goût qui leur a fait facrifier
les applaudiffemens de la multitude à la
noble émulation d'en mériter de plus
flatteurs & d'introduire le raifonnement
dans cet agréable talent.
Le Spectacle que forme la fuite de la
Haine , eft très-bien entendu par le Ballet
& exécuté avec beaucoup d'applaudiffemens
par M. Delaval. Il avoit déjà
enrichi de plufieurs inventions très-ingénieufes
& d'une quantité d'actions
variées & caracteristiques le genre infernal
, qui avoit auparavant à-peu-près
toujours la même marche.
M. Lany danfe un Paftre au quatrié
DECEMBRE. 1761. 175
Ime Acte . Il ne falloit pas moins que fes
talens & tout l'agrément qu'il met dans
ce genre de danfe pour diftraire le Public
du regret de n'y pas voir Mlle Al-
Ilard , tombée malade avant la premiere
repréfentation & qui doit danfer avec
M. Lany. ce même caractère en pas de
deux. M. Veftris , dans la Paffacaille qui
termine les Ballets, au cinquiéme Acte ,
y fait admirer des talens & un genre de
danfe dignes du genre fublime de cet
Opéra.
Mlle Lany qui danfoit au quatriéme
Acte étant tombée malade après la premiere
repréſentation , fon abſence du
Théâtre & celle de Mlle Allard ont
privé le Public en même temps du talent
le plus fupérieur & du talent le plus
agréable. Cependant , quelques regrets
qu'on ait eus de cette privation , il
femble qu'elle ait tournée à la gloire
de l'Opéra d'Armide , puifque les repréfentations
n'en ont pas été fuivies avec
moins d'affluence ; ce qui ne feroit pas
arrivé peut-être dans une grande partie
des Opéra modernes.
Le Spectacle eft dans toutes fes parties
un des plus riches & des plus fomptueux
qu'on ait vû fur le Théâtre de
l'Opéra . Le Public de Patris jouit , en
H iv
176 MERCURE DE FRANCE .
cette occafion,de toute la magnificence
que pourroit offrir la plus brillante Cour
de l'Europe dans un temps de Fêtes .
>
Tous les habits des Choeurs & de la
Danfe fe difputent de richeffe , de goût
& de ga'anterie. On n'en jugeoit autrefois
que par leur brillant ; devenus
plus difficiles depuis qu'on a fenti le
prix des convenances fur nos Théâtres
& la néceffité d'opérer la parfaite
illufion on examine les Habits fur
des principes plus honorables pour l'efprit
des Spectateurs & pour le raifonnement
de ceux qui dirigent cette partie.
L'habit d'Armide a été trouvé de la plus
grande beauté , riche , de grande maniere,
convenable au genre & à la Nobleffe
de la taille de l'Actrice ; mais on
a été un peu furpris de voir des Chevaliers
François , armés de toutes piéces
avec cuiraffes , braffars , cuiffars de fer
&c. avoir les jambes couleur de chair
& des brodequins à l'antique ; ces Critiques
ont penfé auffi que la mante volante
attachée fur une épaule , telle
qu'on la voit aux Dieux & aux Héros
des anciens , ne s'affortiffoit pas bien à
-l'Armure de Chevalerie. La comparai
fon des Chevaliers croifés dans les repréfentations
deTancréde,dont l'habilleDECEMBRE
. 1761. 177
ment a été approuvé fi généralement , à
la Comédie Françoife, a pu donner lieu
à cette obfervation . On doit auffi , par
juftice, imputer ces petits contre-fens au
joug qu'impofe encore l'ancienne opinion
du Public , de croire que le Théâtre
de l'Opéra ne peut admettre que des
chofes qu'on y a toujours vues & feroit
moins pompeux s'il étoit plus exact fur
toutes les vérités de repréfentations.
Les décorations , non-feulement par
leur nombre & par leur éclat , mais par
le mérite de l'art, exigent une attention
particuliere. Celle du premier Acte , qui
repréfente uue Place publique ornée
d'un Arc deTriomphe, eft d'unbeau gen
re d'Architecture, correcte & pure dans
route fon ordonnance ; l'Arc de Triomphe
phe eft très- bien traité , & indique de
bonnes études des monumens de l'Antiquité.
L'invention & le deffein de
cette décoration font de M. Giraud.
Elle eft exécutée fort heureuſement
tant pour lajufteffe destons, que pour leur
accord & la vérité des effets. La Campagne
du deuxième A&te , où l'on doit
voir une rivière former une Ifle agréable
, eft un Payfage gracieux dans fa
compofition , mais dans l'exécution
duquel on apeut- être facrifié aux- effets
酱
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
pittorefques , la fraîcheur de la verdure ,
qu'exigeroit l'intention du Poëme . C'eſt
le lieu où Renaud doit être féduit & enhanté
, c'est pour ainfi dire le féjour
de l'Amour & de la Volupté. La jeuneffe
de la nature y paroîtroit plus convenable
que les diverfes couleurs dont elle
pare fon Automne Ce fleuve , fur lequel
eft établi tout le beau monologue
de Renaud , eft toujours l'objet le moins,
apparent ; on ignore pourquoi dans
tous les temps qu'Armide a été donné
de nos jours , on a fi fort négligé ce
fleuve ; apparemment que dans la fuite.
il trouvera plus de faveur auprès des Décorateurs
qui traiteront ce Sujet. Un vé-,
ritable chef-d'oeuvre de l'art,admiré fansréferve
de tous les Connoiffeurs & qui ;
ne peut trop l'être du Public , eft le Défert
du troifiéme A &te . Les Amateurs
croyent voir,en grand, un beau Payfage,
de Salvator Rofa , & tout le monde y
voit la Nature fidélement rendue , dans
un lieu dont l'horreur a les plus grandes
beau tés. La convenance de ce lieu aux
évocations infernales eft fenfible au premier
coup d'oeil. Ce mérite , de relation
des lieux aux actions , doit être pour le
Théâtre le premier de tous. Indépendemment
d'aucun rapport , l'exécution
DECEMBRE. 1761. 179
pittorefque de ce morceau eft admirable.
L'accord des tons , les beaux effets
de lumière , la fonte des teintes , produifént
une telle illufion que les yeux ne
peuvent foupçonner la divifion des chaffis
fur les aîles ; ce n'eft plus de chaque
côté qu'une feule & même maffe de rochers
. Le Ciel eft à l'uniffon de ce lieu
de terreur & complette l'enfemble de
cette étonnante décoration . ( k ) C'eſt à
M. Baudon , l'un des Peintres qui tra
vaillent pour l'Opéra , qu'eft dû l'honneur
de ce chef-d'oeuvre de Peinture en
détrempe . La Campagne du quatriéme
Acte eft la même que celle du fecond ,
dont nous avons déjà parlé , à l'excep
tion du fond qui repréfente un extérieur
de Palais , vu dans l'éloignement .
Le Palais enchanté d'Armide , de la
compofition de M. Boucher , préfente
l'image d'un vafte & bel Edifice , percé
au fond par de grandes Galleries en
points de vue de côté. Il eft traité entierement
en Architecture naturelle
c'est-à- dire , fans rien indiquer de magique.
C'eft aux Amateurs du Théâtre
a difcuter fi ce genre étoit le plus convenable
& le plus conforme à l'idée du
( A ) Le deffein du fond eft de M. Boucher.
Hvi
180 MERCURE DE FRANCE .
,
Poëte . C'est aux Artiſtes & aux Connoiffeurs
à examiner d'après les loix févéres
de l'Architecture , la régularité des
parties qui compofent ce Palais & les
beautés de leur effet , ou les défauts
s'il y en peut avoir. Nous ne devons
rendre compte que de l'impreffion générale
qui a toujours été favorable à
cette décoration , laquelle eft très bien
peinte , & dont la richeffe frappe agréablement
tous les yeux. L'enchantement
retrouve fes droits & reprend tout fon
pouvoir dans la deftruction de ce Palais .
Des Démons , armés de torches infernales
, accourent aux derniers ordres
d'Armide. Un bruit femblable à celui
dutonnèrre fe fait entendre.A travers un
déluge de feu , qui pénétre les plafonds,
& couvre le Théâtre , Armide s'envole
fur fon char. Tout s'enflâme , tout s'écroule
& fe brife ; des colonnes , des
archivoltes de relief rompues , forment
des monceaux de ruines que les flâmes
dévorent. Une repréfentation en peintu
re des ruines brûlantes duPalais, remplace
fubitement la précédente décoration ,
par un changement que l'on n'apperçoit
pas . Elle accompagne les ruines & le feu
téel des parties en relief. Cette décorarion
, une des plus belles en ce genre ,
DECEMBRE . 1761 .
181
termine ce grand Spectacle , & réunit
les fuffrages des Connoiffeurs à l'admiration
univerfelle du Public. Elle eft
de la compofition de M. Pietro Algieri,
Penfionnaire & Entrepreneur en chef
des décorations de ce Spectacle.M . Lal
lemand, par qui cette décoration a été
admirablement peinte , doit en partager
l'honneur. Le fuccès du preftige de
ce Spectacle eft dû au génie & aux
foins de M. Giraud , qui a dirigé la conftruction
des parties de relief , leurs brifures
& les formes convenables pour
s'affortir avec les parties plates . C'eft
lui qui a trouvé les moyens d'introduire
toute cette maffe , enla faifant fortir
de deffous le Théâtre , & d'opérer
, par le jeu des Machines , tout le
prodigieux effet de la deftruction.
On a continué fur le même Théâtre ,བྱ་
les Jeudi depuis la S. Martin , les repréfentations
de Camille , Tragédie . Mlle
Rozet , dont la voix a été fi applaudie
dans fon début , a chanté le rôle de Camille
& donne de nouvelles efpérances
fur fes talens.
182 MERCURE DE FRANCE .
COMÉDIE
FRANÇOISE.
LEE Samedi 31 Octobre , on a remis
le Sage Etourdi , Comédie en 3 Actes
en vers par feu M. de Boiffy , repréfen
tée pour la premiere fois en 1745. Cette
Piéce n'avoit pas eu alors le fuccès
qu'elle méritoit. ( a ) Elle eſt agréable ;
l'intrigue , quoiqu'un peu forcée , en
eft amusante , & elle a fait affez de plaifir
, à cette repriſe , pour croire qu'elle
entrera dans le nombre des petites Piéces
que l'on donne alternativement fur
ce Théâtre dans le courant de l'année.
Les talens des Acteurs ont contribué
beaucoup à cette réuffite. Une Veuve
fenfée , mais affez jeune encore pour
plaire , & dont le coeur n'eft pas infenfible
, malgré la maturité de l'efprit &
l'honnêteté de moeurs qu'elle fait voir,
a une niéce fort jeune , fort vive , &
que fon étourderie apparente devroit ,
à ce qu'il femble , éloigner de toute
efpéce de goût raifonné. La niéce eft
promife & prèfqu'accordée au jeune
( a ) Cette Comédie avoit eu 7 Repréſentations
dans fa nouveauté,
DECEMBRE. 1761. 183
homme qui donne le nom à la Piéce
c'est-à-dire à l'Etourdi , appellé Sage ,
parce que tout ce qu'il hazarde le conduit
aux fins qu'il s'eft propofées. Les
deux jeunes Accordés conviennent réciproquement
de faire en forte que l'u
nion projettée entr'eux n'ait pas lieu.
Le jeune Etourdi prend la rupture fur
fon compte , & c'eft des reproches les
plus amers qu'il reçoit de la tante à ce
fujet , qu'il prend occafion de lui faire
pour elle-même la déclaration des feux
les plus ardens & , de la paffion la plus
obftinée . Cette tante reçoit cet aveu
d'abord en plaifantant ; le jeune Etourdi
s'obſtine à l'affurer qu'elle l'écoutera
favorablement ; la tante elle-même n'en
croit rien alors , & finit au dénoûment
par fentir qu'elle fe trompoit, & qu'elle
avoit trop compté fur fa raifon. D'un
autre côté , la niéce a conçu du goût
pour une espéce de Philofophe du monde
dont le fyftême eft de fuir tout en-,
gagement , même ceux qui n'obligent
que volontairement ; à plus forte
raifon les liens de l'hymen. Un Valet ,
caractére fingulier dans la Comédie ,
fortifie ce Philofophe dans cette réfolution
, & tâche même par fes intrigues
de détourner fon Maître de tout ce qui
A
184 MERCURE DE FRANCE.
pourroit le faire donner dans le piége.
C'eſt la petite niéce , qui fans s'en ap
percevoir , fait elle-même les premieres
avances de la déclaration à ce Philofophe
, c'eſt fon caractére enjoué & ne
pofant fur rien , qui décéle le fecret
de fon inclination , & qui développe
en même temps celle du Philofophe
pour elle. Le jeune Etourdi anime &
favorife cette intrigue, pour le fuccès de
fes defirs auprès de la tante ; & d'étourderies
en étourderies , parvient enfin à
déterminer une forte d'échange , en
époufant la tante & en faifant époufer
la niéce au Philofophe .
Nous ne donnons cette efquiffe
de la Piéce que pour mettre ceux qui
ne la connoiffent pas en état de mieux
fentir le prix du talent des Acteurs
qui l'ont fait réuffir. On doit convenir
, par exemple, combien il faut d'intelligence
dans le Rôle d'Eliante ,
qui eft cette tante raifonnable &
fenfible , pour foutenir ce caractére de
maniere que le Spectateur lui pardonne
, pour ainfi dire , la ſurpriſe de l'Amour
contre fes propres réflexions ; &
pour la rendre intéreffante lorfqu'il ne
faudroit qu'une maladreffe dans la
moindre partie de ce Rôle , pour le ren
DECEMBRE. 1761. 185
dre ridicule. Mlle Préville , chargée de
ce Perfonnage , l'a fait goûter & l'a
rendu un des plus intéreffans de cette
Comédie. M. Molet , dans le Rôle du
Sage étourdi
a juftifié pleinement
tout ce que nous avions précédemment
avancé en faveur de fes ta'ens . Il faut
tout le feu qu'a mis ce jeune Acteur
dans ce Rôle , pour produire une efpéce
d'éblouiffement à l'efprit des Spectateurs
, comme l'Auteur le fait produire
à celui des Perfonnages de l'action.
Il faut auffi que ce feu foit raifonné
par l'Acteur , pour que l'on foit
féduit & non pas feulement étourdi par
les incartades qu'il y a dans fon Rôle ;
c'cft ce qu'a très - bien exécuté M. Molet.
Mlle Huffe a joué la jeune niéce
dans le fens prefcrit par le Rôle , & y
a reçu des applaudiffemens . Le raifonnement
que met toujours M. de Belcourt
dans fes Rôles luí a fervi à
nuancer fi bien la caufticité de l'efpéce
de Philofophe mondain qu'il repréfentoit
, qu'il a rendu ce Role très-agréable
pour le Public , & qu'en même
temps , fans forcer la vraiſemblance
il paroiffoit pouvoir l'être auffi à la
jeune perfonne qui le préfére. Il feroit
fuperflu de dire combien M. Préville à
,
>
186 MERCURE DE FRANCE.
fait valoir le petit Rôle de Valet , &
combien le Public regrette toujours
que les Rôles qu'il joue ne foient pas
les plus longs dans toutes les Comédies.
On a remis auffi le Lundi 2 Novembre
, l'Ecole des Amis , Comédie en cinq
Actes en Vers , par feu M. de la Chauffée.
Repréfentée pour la premiete fois
en 1737. Elle eut alors douze repréfentations,
& avoit été interrompue à la
dixiéme par l'indifpofition d'un Acteur.
Cette Piéce , un peu froide , par la
nature même de fon Sujet & par des
moralités , fi l'on peut dire , trop dogmatiques
pour le Théâtre étoit faite
cependant pour être remife & pour
refter für le repertoire. Elle a été applaudie
; & fi elle ne foutenoit pas un certain
nombre de repréfentations de fuite,
elle fera toujours plaifir lorfqu'on la reverra
de temps en temps. Les caracteres
en font bien traités & bien foutenus.
Le Rôle de l'Ami , dont le zéle indifcret
brouille tout , quoiqu'il ait de tout
temps eu des modeles dans le monde
eft véritablement neuf fur la Scène
par le jeu que l'Auteur lui a donné
dans l'action de la Comédie. Le perfonnage
de Dordane eft un portrait
DECEMBRE . 1761. 187
quoiqu'un peu chargé , de ces amis
frivoles , qui fervent par bienséance &
par vanité , mais qui tournent à leur
avantage les malheurs de ceux qu'ils
affectent d'aimer . Celui de Monrofe eft
celui d'un homme vraiment de qualité ,
dont la Nobleffe efl encore plus dans
l'âme que dans les titres & dans la naiffante
, & qui fous le poids de la plus
grande infortune , ne s'écarte jamais de
la plus honnête & de la plus exacte probité.
Celui d'Arifte eft celui d'un ami
fage & tendrement attaché , d'un ami
bien rare , & fait pour honorer l'humanité.
Le caractere d'Hortenfe eft rempli
d'élévation & de fentiment. Jufqu'au
Rôle de la Soubrette , quoique peu important
dans l'intrigue , a le mérite de
l'amitié fincère d'une Suivante pour une
Maîtreffe refpectable. Les détails font
plaifir ; les moeurs y font pures & préfentées
dans le plus beau jour.
Le Rôle de Monrofe a fait beaucoup
d'honneur à M. de Bellecourt. Il l'a joué
précifémen comme nous venons de dire
qu'i étoit écrit , en homme de qualité
& non pas en homme qui en affecte les
airs & le maintien qu'il défigure. Il a
rendu ce perfonnage intéreffant fans le
188 MERCURE DE FRANCE.
rendre pleureur , ce qu'il eft difficile de
bien faifir dans la plupart des Rôles dé
l'Auteur de cette Piéce ; enfin la gêne
d'un bras en écharpe qu'exige le Rôle ,
eft devenue par fes foins un moyen de
plus pour donner à fon action une certaine
Nobleffe diftinguée & plus touchante.
Tous ceux qui connoiffent la
Comédie , en réfléchiffant fur ce Rôle, en
fentent mieux les difficultés & par con
féquent le mérite d'y réuffir .
M. de Bonneval qui prend & qui mé
rite de plus en plus la faveur du Public
dans fon emploi , a fait plaifir dans le
caractére d'Aramont, & a très - bien rendu
le comique dont ce Rôle eft fufceptible
.
Celui d'Arifte a été débité par M.
Blainville avec une jufteffe de raifonnement
qui lui a mérité des applaudiſſemens.
Le Rôle intéreffant d'Hortenfe étoit
rempli par Mlle Gauffin ; celui de la
Soubrette étoit devenu important au
fuccès , parce que Mile Dangeville le
jouoit , & celui de Dordánne , dont
nous avons expofé le caractére , étoit
joué par M. Grandval. Ces trois perfonnes
font dans une fi longue poffeffion
de l'admiration publique, que cela nous
DECEMBRE . 1761 , 189
difpenfe de tous détails à leur égard,
Les nommer , c'eft en dire plus à nos
Lecteurs , qui connoiffent leurs talens ,
que
que les éloges que nous aurions lieu
d'en faire . Perfonne ne doutera de la
part qu'ils ont euë à la réuffite de cette
repriſe.
Dans le nombre des Piéces qu'on a
jouées fur le même Théâtre depuis l'Article
de notre dernier volume. L'Ecof
foife , cette Piéce fi célébre par le plus
grand de tous les fucces , a été revue
avec très-grand plaifir. Les motifs de ce
fuccès font trop bien fondés dans l'efprit
du Public , pour ne pas exciter tout
fon empreffement toutes les fois qu'on
la redonne .
Le Mercredi 25 Novembre on a remis
Heraclius , Tragédie . Mlle Clairon
y a reparu dans le Rôle de Pulcherie.
Avec elle a reparu fur notre Scène le
grand Corneille dans toute fa gloire ,
puifqu'il étoit fecondé de fon plus bel
organe. On ne doute pas des applaudiffemens
qu'occafionne toujours la feule
entrée de cette grande Actrice fur le
Théâtre , lorfque fa fanté l'a contrainte
à s'en abfenter pendant quelque temps ,
Nous ne tenterons pas de donner une
190 MERCURE DE FRANCE.
idée précife de la perfection avec laquelle
cet admirable Rôle a été rendu.
En confultant l'impreffion que Mlle
Clairon y fait fur le Public , on pour
roit dire que le Spectateur y confond
fouvent dans fon admiration le fublime
du génie de l'Auteur avec le fublime
du talent de l'Actrice . Lorfque
Mlle Dumefnil a paru dans le Rôle de
Léontine , on ne fauroit dire avec quel
éclat le Public a marqué fa fatisfaction,
de voir réunir des forces fi puiffantes
en faveur de la Tragédie d'Heraclius
c'est-à-dire du plus grand & du plus
heureux effort de l'efprit humain . Qu'il
feroit à defirer pour la gloire de notre
Théâtre , & pour fes intérêts , que ce
voeu général & fi clairement énoncé
engageât quelquefois à donner la mê
me fatisfaction lorfqu'on met des Tragédies
dans lesquelles fe rencontrent
deux Rôles de femmes à-peu-près d'une
égale importance au grand fuccès. Mlle
Dumefnil reçoit les applaudiffemens les
plus flatteurs & les mérite tous dans les
grands traits dont fon Rôle eft rempli.
Le Spectateur équitable ne juge point
fur des comparaifons les grands talens
qui par des routes différentes tendent
au même objet , fçavoir de toucher &
DECEMBRE. 1761 . 191
d'émouvoir. Il couronne de fes fuffrages
toutes les fois qu'on atteint à ce
but glorieux ; heureux le genre de talent
qui y conduit plus fouvent & avec
le plus de certitude . M. le Kain a mis
dans le Rôle d'Heraclius ( crû Martian )
cette chaleur & cette âme qu'on lui connoît.
Le Rôle de Martian ( crû Léonce )
a été rendu par M. de Bellecourt , dans
le véritable fens de l'Illuftre Auteur de
la Tragédie. Mlle Dubois jouoit le Rôle
d'Eudoxe. M. Paulin celui de Phocas ,
M. Blainville , celui d'Exupére & M.
d'Auberval , dans celui d'Amintas , a
très-bien rendu la Scène où il
nonce la mort de Phocas. Il a reçu
les applaudiffemens qu'il méritoit . Toute
la Piéce en général a été jugée bien
jouée & admirablement dans les principaux
Rôles .. Cet ouvrage a furpris ,
étonné l'efprit , & fufpendu l'âme des
Spectateurs autant que s'il cût paru
pour la premiere fois ; auffi a-t- il été
univerfellement applaudi avec la même
vivacité. Nous fommes actuellement
dans un moment favorable au bon
goût. S'il étoit de cauftiques Cenfeurs
qui reprochaffent au Public de fe livrer
quelquefois à certains petits vertiges
momentanés , le fuccès d'Heraclius &
192 MERCURE DE FRANCE .
celui d'Armide feroient garants qu'au
moins il a d'excellens intervalles .
Le même jour 25 Novembre on
donna après Héraclius l'Ifle déferte ,
Comédie moderne , qui a eu du fuccès
dans fa nouveauté & qui a été revue
avec plaifir. Mlle Préville , Mlle Hus, M.
de Bellecourt , M. Mollet & M. Préville
ont joué dans cette petite Piece , dont
Ja repréfentation a été fort applaudie .
COMÉDIE ITALIENNE.
藿
LEE fameux Tableau de M. Greufe , fi
célèbre déja par l'empreffement du Public
au Salon & par les éloges de plufieurs
Ecrivains , a reçu un nouvel
honneur fur le Théatre , en donnant
lieu à une petite Comédie Italienne
, qui a dû fon principal fuccès au
goût univerfel pour ce charmant Ouvrage
, quoique d'ailleurs la Comédie
foit ingénieufement imaginée & gaîment
concertée . Les Comédiens italiens
donnérent la premiere repréfentation
de cette Piéce le 30 Octobre dernier
, fous le titre des Noces d'Arlequin
, dont voici le Canevas .
Arlequin , venant de Bergame pour
époufer
DECEMBRE . 1761. 193
époufer la fille aînée d'une famille , en
voyant la cadette qui lui plaît davantage
, la demande en mariage ; ce que le
pere & lamere ui accordent, mais ce qui
caufe beaucoup de jaloufie à l'aînée.
Pantalon , proche voifin de cette famille
a une fille amoureufe de Célio
auquel Pantalon ne veut. point la donner
en mariage . Camille , qui eft cette
fille cadette accordée à Arlequin , eft eſt
d'intelligence avec la fille de Pantalon
& s'engage, à la faveur de fon mariage
avec Arlequin, lorfqu'on fera leur noce ,
de furprendre Pantalon pour faire époufer
cette fille par Célio . Ce Célio s'eft introduit
avec fon valetScapin dans la maifon
de Pantalon tous les deux déguifés .
Arlequin prend de la jaloufie de voir
Célio déguifé , & de l'entendre parler
de mariage à Camille , ce qui lui fait même
concevoir le deffein de s'en retourner
à Bergame fans époufer ; mais lorfqu'on
lui a expliqué de quoi il s'agit ,
il fe raccomode avec Camille & l'on va
s'affembler pour la délivrance de la
dot & pour célébrer les Nôces . Un
rideau fè léve & laiffe voir le Tableau
de la Famille affemblée dans l'ordre
qui fuit ;
194 MERCURE DE FRANCE,
LE PERE.
LA MERE.
TABLE A U.
M. Desbroffes.
ROSAURA , foeur aînée , derrière
le fauteuil du Père.
M. Champville ,
travefti en femme
Mlle Savi.
CAMILLE , four cadette , Mlle Camille.
accordée à Arlequin.
LE PRETENDU , Arlequin.
3 Soeur , penchée fur l'épaule Mlle Dumalgé.
de l'Accordée ,
Le NOTAIRE ou Tabellion , M. Deheſſe.
Un petit Garçon .
Un autre plus grand.
Deux autres grandes Filles
& une petite.
Affiftans .
Perfonnages acceffoires
du Tableau
de M. Greufe .
Tous ces Perfonnages étoient dans
les mêmes habillemens & dans la même
difpofition que dans le Tableau d'où
l'on a tiré le Sujet de la Piéce , à l'exception
d'Arlequin fubſtitué , dans fon
habit de caractère ,au jeune Villageois
qu'a repréfenté M. Greuze.
A la fin du troifiéme Acte , Pantalon
furvient avec tous les Habitans du Vilage
pour célébrer la noce & faire
honneur aux Mariés. Dans la gaîté que
cela produit , Camille , par un lazzi , en
DECEMBRE. 1751. 195
mettant un mouchoir fur les yeux de
Pantalon , lui fait donner la main de fa
fille à Célio , & furprend fon confentement
pour ce mariage . La difpofition
de joie où fe trouve Pantalon lui fait
pardonner la furprife & tout le monde
fe réjouit par un Ballet qui repréfente
fort bien les réjouiffances d'une Nôce
de Village.
La compofition de cette Piéce eft de
de M. Collalto , Comédien Italien ordinaire
du Roi .
On n'a donné aucune autre nouveauté
fur ce Théâtre.
SUPPLEMENT à l'Article de l'Opéra
L E Jeudi , 26 Novembre , Mlle Cohendet
, qui avoit été ci-devant à l'Opéra
& qui , depuis plufieurs années ,
avoit quitté le Théâtre , a débuté par
un Air ajouté au divertiffement du premier
Acte de Camille. Malgré l'émotion
, dont l'effet étoit fenfio e , par le
vacillement de l'organe , elie a fait entendre
une fort bele voix , & de belles
cadences. On a cru même y reconnoître
beaucoup de progrès dans l'étude du
chant. On ne peu encore rien affärer
196 MERCURE DE FRANCE.
du fuccès de ce début ; on en rendra
compte dans le Volume prochain.
Le même jour , au quatriéme A &te
du même Opéra , Mlle Prudhomme ,
jeune Danfeufe , agréable au Public dès
fon enfance fur le Théâtre de l'Opéra-
Comique , a débuté fur celui de l'Académie
, dans le genre gracieux ; elle a
été applaudie & donne des efpérances ;
mais ce début eft dans le cas de tous les
autres fur lefquels il faut toujours attendre
, pour ne rien hazarder.
> LETTRE d'un Académicien de Rouen
à M. DE LA GARDE , Adjoint ar
Mercurepourla partie des Spectacles.
MONSIEUR,
L'exemple de la Capitale eft fuivi
dans les Provinces , on s'y empreffe de
prendre le ton qu'elle donne ; les embelliffemens
procurés à la Scène Françoife
, marqués au coin du bon goût ,
ne pouvoient manquer d'être imités.
M. le Comte de Lauraguais, Protecteur
& Cultivateur des Sciences & des Arts,
nepeut qu'être fatisfait de voir adoptés &
exécutés dans la Ville de Rouen les
DECEMBRE. 1761. 197
thangemens que fon génie & fa générofité
ont introduit au Théâtre de la
Comédie Françoife . Ces changemens
étoient depuis long- temps l'objet des
voeux de M. de Voltaire , comme cet
Apollon François l'a témoigné à M. de
Lauraguais par fes lettres publiques de
remerciemens. Le fieur Bernaut , Comédien
ordinaire du Roi , au Théâtre
François , Entrepreneur de la Comédie
à Rouen , a fignalé fon entrepriſe par
un renouvellement complet de la Salle
deſtinée au Spectacles. Le Jeudi 22
Octobre dernier il fit l'ouverture de
fon Théâtre par un début des plus brillans.
Avant la repréfentation , la toile
encore baiffée , le Public a eu le loifir
d'admirerune, Salle que fes changemens
peuvent faire paffer pour nouvelle , &
un fort beau rideau d'avant Scène qui
repréfente Melpomene & Thalie chacu
ne avec les emblêmes qui les caractérifent
, accompagnées de génies & d'amours
, avec la devife , una movet luctu
docet altera rifu.
La toile levée laiffa voir un Théâtre
tout nouveau , & femblable à celui de
la Comédie Françoife , une décoration
magnifique & du même ton que le refte
de la Salle avec lequel elle ne faifoit
}
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
qu'un tout, excita de juftes applaudiffe :
mens . Une baluftrade enferme les gradins
des deux côtés du Théâtre &
ceux qui les veulent occuper n'y peuvent
parvenir que par une entrée pratiquée
en dehors au haut des gradins ;
l'accès par les couliffes eft abfolument
interdit , la Scène enfin n'eft plus que
la Scène ; l'illufion eft ménagée dans la
plus grande exactitude ; les lumieres
pratiquées derriere les couliffes & dont
la réflexion éclaire le Théâtre, ont donné
lieu à l'Entrepreneur de fupprimer
les luftres de l'avant-Scène qui fuffiſent
pour détruire l'illufion . C'eft un avantage
qui manque encore à la Salle des
Comédiens François dans laquelle les
luftres offufquent les Spectateurs des
fecondes & troifiémes loges , & leur
dérobent une partie du Tableau dans
les fituations les plus intéreffantes .
La Tragédie d'Alzire avoit été choifie
pour début ; les Acteurs étoient habi'-
lés fuivant le coftume ; une nombreuſe
cohorte des So dats de la garnifon formoit
le cortégé de Gufman , & occu-
"L'Auteur de cette lettre ignoroit apparemment
que ces luftres venoient d'être fupprimés à la Comédie
Françoiſe , à la très grande fatisfaction du
Public.
DECEMBRE. 176 . 199
poit avec dignité un efpace devenu plus
grand par les utiles changemens de l'Entrepreneur
, & que l'art de la perfpective
faifoit paroître encore plus confidérable
. Rien ne fut épargé pour la magnificence
& la Nobleffe de l'exécution .
.
Il étoit jufte , Monfieur , qu'une Vi !-
le qui a donné le jour au Prince des
Poëtes Tragiques, eûr une Salle où l'on
pût repréfenter dignement les chefsd'oeuvre
Dramatiques. Nous jouiffons
aujourd'hui de cet avantage . Notre Salle
eft affez fpacieufe pour exécuter les
excellens ouvrages récens. Tancréde ,
Soliman fecond , & c. avec toute la
pompe & toute la majefté dont ils font
fufceptibles . Le Directeur nous en promet
la repréfentation . Il fe propofe auffi
de varier nos plaifirs , en invitant de
temps à autre des Acteurs & des Actrices
de Paris. Nous efpérons que ces
Comédiens célébres qui partagent l'immortalité
avec les génies fupérieurs
dont ils font l'organe , vifiteront avec
plaifir une Ville dans laquelle plufieurs
fe font formés & dont ils faifoient les
délices avant que la Capitale les lui eàt
enlevés .
J'ai l'honneur d'être & c.
A Rouen , le 28 Octobre 1761 .
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
CONCERT SPIRITUEL.
LE
a
E Concert de la Fête de tous les SS.
a commencé par une fymphonie avec
cors & clarinettes de M. Schenker. M.
Goffet a fait exécuter Dies fre , Motet
à grand Choeur. M. Caperon qui a
paru pour la premiere fois , à exécuté un
Concerto de Violon , qui lui a fait beaucoup
d'honneur . On a trouvé de la force
avec de la jufteffe dans fon jeu :
les fons qu'il produit , font beaux &
agréables. M. Larrivée a chanté Cante-.
mus , petit Motet de M. Mouret, M.
Balbatre a joué un de fes Concerto .
Mlle Lemiere & Mlle Fel ont chanté.
Le Concert a fini par le De profundis ,
Motet à grand Choeur de M. Mondonville
, auquel le Public a marqué fa fatisfaction
de le revoir après une maladie
qui avoit caufé fon abſence pendant
quelques Concerts .
DECEMBRE . 1761. 201
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
De KOSLIN , le 30 Septembre 1761 .
Le détachement laiffé ici par le Maréchal de
Butturlin , pour la garde du magalin qu'il y
avoit établi , n'étoit compolé que de deux bataillons
& de quelques Cofaques , aux ordres du Brigadier
Cherepow. Douze mille Pruffiens , commandés
par le Général Plathen , s'étant préfentés
à l'improvifte devant cette Ville , le fieur Cherepow
n'eut que le temps de former une barricade à
fes troupes avec les chariots de leurs équipages .
Quelque foible que fût ce rempart , elles repoufferent
les deux premières attaques de leur ennemis
avec une perte confidérable de fa part. Mais les
Pruffiens ayant dreflé dans un jardin , une batte➡
rie qui prenoit les Ruffes en flanc ; ces derniers
après s'être défendus trois heures & demie , & après
avoir épuifé toutes leurs munitions , furent obligés
de céder à la fupériorité du nombre. Sept à huir
cens hommes de leurs deux bataillons , ont été
faits prifonniers de guerre , ainfi que le fieur Cherepow
& deux Majors. Le reste s'eft retiré vers
Poman. Il y a eu fix cens foldats tués du côté des
Pruffiens , qui fe font emparés d'environ cinq mille
facs de farine .
Un autre magafin , que les Ruffes avoient à Kobielin
, a été enlevé auffi par un détachement den
troupes du Roi de Pruſſe
1 y
202 MERCURE DE FRANCE .
De STOCKHOLM , le 27 Octubre.
Les violentes tempêtes , qui ont régné depuis
quelques femaines dans la Baltique , avoient donné
de l'inquiétude pour l'efcadre du Roi. On étoit
informé que le 2 de ce mois , l'Efcadre Ruffe avoic
quitté la rade de Colberg, pour retourner dans
les ports de Ruffie, & l'on n'avoit aucunes nouvelles
de la nôtre , qui avoit dû lever l'ancre en même
temps , & revenir à Carelfcron . Le 22 , on a appris
qu'elle étoit arrivée au mouillage de HanoTans
avoir élluyé aucun dommage dans la navigation .
Sur la réquisition de l'Amiral Ruffe , on avoit laiffé
en arrière un Vaiffeau & une Frégate , deflinés
à croifer , avec deux Vailleaux , & deux Frégates
de Ruffie , à la hauteur de Colberg .
De COPPENHAGUE , le 17 Octobre.
On défarme la Flotte du Roi . L'Efcadre Raſſe
qui étoit devant Colberg , & qui , ayant été difperfée
par une tempête , s'étoit réfugiée fur les côtes
de l'Ifle de Boinholm , croife actuellement entre
cette Ifle , & la Poméranie .
De l'Armée du Feld Maréchal Comte de Butturlin ,
Stagardprès de Schiffelbein , le 20 Ottobre.
Quelques Troupes ennemies s'étant approchées
du Village de Weffenftein , pour tâcher de rétablir
la communication entre Stein & Colberg , le
Général Major Berg les attaqua le 16 au matin ,
& les mit totalement en déroute. Il leur enleva
un canon , & il fit prifonniers un Major , onze
autres Officiers , & quatre cens foixante Soldats.
Le reste du détachement Prullien fut poursuivijuf
qu'à Greiffenberg.
Aujourd'hui notre quartier général a été établi
DECEMBRE. 1761 . 203
à Stagard. Le fieur de Berg apris pofte à Plathen
& la Cavalerie de la divifion du Général Fermer
eſt allée camper à Daber .
De REGENWALDE , le 22 Öctobre.
Depuis plufieurs jours , le fieur de Plathen ,
Lieutenant-Général des troupes de Pruffe , occupoit
un Camp près du Village de Spire , a deux
lieues des lignes du Général Romanzow , & il
avoit poutlé fon avant-gardejufqu'à Greiffenberg.
La crainte d'être coupé par un Corps que le GénéralRomanzow
a détaché, l'a déterminé à quitter fa
pofition . Pour couvrir ſa marche, il avoit fait avancer
à Sargelow mille hommes , tant d'Infanterie,
que de Dragons & Huffards , fous les ordres du
Lieutenant Colonel Courbiere . Ce détachement
fut furpris avant hier par le Général Major Berg ,
qui l'a contraint de mettre les armes bas & de le
rendre à difcrétion . Nous nous fommes , en cette
occafion, emparés de cinq piéces de canon & d'un
obulier. Pendant que le fieur de Berg exécuteit (on
attaque , le Lieutenant- Général Plachen a gagné
Stetin , à la faveur des bois qui le déroboient à la
vue des Ruffes.
a
Du Camp de FREY BOURG , le 31 Octobre.
Le 19 de ce mois , il vint de l'Armée Ruffe un
Courier, dont les dépêches contiennent le détail
fuivant.
Le Major Général Berg , qui commande unt
Camp volant dans la marche Uckerane , ayang
été averti qu'un grand Convoi étoit parti de Stetin
, détacha le fieur Teckely , Lieutenant-Colonel
, avec un Régiment de Huffards & deux piéces
de canon , pour inquiéter ce tranſport. Le 12, 18 I vi
04 MERCURE DE FRANCE .
a cinq heures du matin, le fieur Teckely arriva devant
Golnow. Il y fut joint par deux Régimens de
Cofaques & par un détachement d'un Régiment
de Huffards Hongrois . Après quelques cannonades
, on chargea un Corps de Huffards Pruffiens
qui s'étoit mis en bataille à la droite de la Ville.
En mêmetemps , on pafla la riviere fur la gauche
& on tomba fur deux efcadrons de Dragons qui
furent rompus , & prèfque totalement taillés en
piéces. On enleva de ce côté quarante chariots
chargés de poudre, de bombes & de boulets, qu'on
fit fauter en l'air dans le moment . Les Ruffes prirent
auffi environ quatre-vingt chevaux ; à une
affez grande diſtance, on découvrit quarante- cinq
autres chariots également chargés de munitions
de On tira deffus à boulets rouges . La plû- guerre .
part fauterent en l'air , & le feu fe communiqua
au Fauxbourg de Golnow. Vers les dix heures du
matin , les ennemis évacuérent la Ville & reprirent
la route de Sterin. On les a pourſuivis , &
dans leur retraite , plus de cent chariots , à une
partie defquels ils ont mis eux-mêmes le feu , ont
été brûlés. De plus , les Ruffes ont trouvé à Golnow
dix mille tant bombes que boulets .
On a appris aujourd'hui que Sa Majesté Pruffienne
faifoit fortifier un Camp fous Jordans-
Mu hl.
De VIENNE , le 31 Octobre 1761.
LE 16 du mois dernier , à la recommandation
de leurs Alteffes Electorales Palatines , l'Empereur
vient d'élever au rang éminent de Prince de
l'Empireavectous fes defcendans de l'un & 'de l'aure
fexe , le Duc Charles - Hyacinte - Antoine de
Gallean , Prince Romain , Marquis des Iffarts
& de Salernes , Grand - Maître de la Maifon de l'EDECEMBRE.
1761. 205
lecteur Palatin & l'un de fes Confeillers intimes
d'Etat , Chevalier des Ordres de S. Hubert , de
l'Aigle -Blanc , des Saints Maurice & Lazare , & de
S. Jean de Jérufalem , & Sa Majesté - Impériale y
a joint les droits les plus diftingués . Ce Seigneur
qui eft né le 18 Septembre 1737 , n'a qu'une fille
née le 26 Mai 1751 , de fon mariage contracté le
17 Septembre 1758 avec Marie-Françoiſe - Henriette
de Montpezat ,fille de Jean-Jofeph- Paul- Antoi
ne Duc de Montpezat, premier Baron de la Province
de Dauphiné & de Marie-Juftine- Espérance d'Agoult
, Baronne de Montmaur.
La Prince de Gallean , Marquis des Iffarts & de
Salernes , Seigneur du Caftellet , de Courtines ,
des Angles, Chevalier de l'Ordre de l'Aigle- Blanc ,
Confeiller d'Etat , d'Epée en France , & fucceffivement
Amballadeur extraordinaire de S. M.T.C.
aux Cours de Warlowie & de Turin , mort à Avignon
le 18 Aout 1754 , âgé de trente-fept ans ,
& de feue Madeleine-Adelaide- Charlotte-Félicité
de Forbin , des Marquis de la Barbent & de Pontà-
Mouffon.
SA Majefté Impériale a élevé au rang de Comte
du Saint-Empire , le Baron de Bachoff , Envoyé
du Roi de Dannemark.
0619
smojus
zitz
De l'Armée de l'Empire , le 13 Octobre.
La Capitaine Offv a pris dans leComté de Mansfeld
, le château de Seebourg , dont la Garnifon ,
composée d'un Capitaine d'un Lieutenant & de
cinquante hommes , a été faite prifonniere.
LE Général Lucfinky a été détaché par le Maréchal
Comte de Serbelloni pour lever des contributions
dans le pays ennemi . L'Officier Pruffien
qui commande à Léipfick , marcha le 8 dans l'ef
pérance de le furprendre , mais il fut furpris lui206
MERCURE DE FRANCE.
même par le Baron de Lucfinky, qui étant allé à
fa rencontre avec l'élite de fon corps , ne lui a pas
donné le temps de tirer parti de fon artillerie. Infanterie
& Cavalerie , tout a été mis en déroute.
Rentré vainqueur dans Halles , le Baron de Lucfinsky
s'eft hâté de recueillir ce qui reftoit encore
à payer de contributions ; il a fait auffi contribuer
depuis la Ville & les environs de Scharpelen . De là
il vient d'entrer dans le Comté de Mansfeld . Pendant
les marches il a tué & bleſſe beaucoup de monde
aux ennemis : quatre-vingt Hullards qu'il leur
a enlevés , font arrivés hier à notre Quartier Général
.
De HAMBOURG , le 4 Novembre.
Les dernieres nouvelles de Pomeranie contiennent
les délaits fuivans. Après la retraite du Lieutenant
Général Plathen à Stetin , les Rulles ont
emporté un pofte que les Pruffiens avoient a Brontmole
: le Comte de Romanzow , ayant marché
le 23 du mois dernier à Treptow , a fait bombarder
cette Place pendant quarante - huit heures ,
& le 25 elle capitula . Le Commandant a été fait
priſonnier , ainfi que la garnifon composée de
feize cents foldats , & de cinquante deux Officiers.
Les Ruffes ont trouvé dans la Ville fix cens canon ,
un obuzier , & plufieurs chariots de munitions.
Un détachement de la même armée s'eft emparé
le 30 de Strepnitz ; mais la garniſon a trouvé
moyen de fe fauver fur des batteaux qu'elle tenoit
prêts à cet effet.
De RASTADT , le 22 Octobre.
Louis-George Margrave Régent de Bade Baden ,
eft mort aujourd'hui entre deux ou trois heures du
matin, dans la ſoizantiéme année deſon âge, après
DECEMBRE. 1761 . 207
une maladie de quatre mois . Ce Prince ne laiffe
de fon premier mariage avec feue Marie- Anne de
Schwart- Zenberg , que la Princeffe Elifabeth-
Augufte-Françoife âgée de trente- cinq ans. Le
10 Juillet 1755 , il avoit épousé en fecondes nôces
Marie-Jofeph , Princeffe de Baviere , fille de l'Empereur
Charles VII . Il a pour fucceffeur le Prince
Augufte Guillaume- George Simpertus, ſon frère,
Général des Armées de l'Empire.
Le Duc Frédéric Charles de Holftein- Ploen eſt
mort la nuit dù.8 au 19 à Hambourg , dans la
cinquante-fixième année. De fon mariage avec
Chriſtine Irmengade de Reventlàu , il a eu les Princelles
Frédérique Sophie Charlotte , âgée d'environ
vingt- cinq ans ; Charlotte Amélie , âgée de
dix-fept, & Louiſe Albertine , âgée de treize,
Par une convention , qui avoit été conclue, il y a
quelque temps , entre le Roi de Dannemarck &
le feu Duc de Holftein- Ploen le Duché de ce
nom doit être réuni aux Domaines de Sa Majefté
Danoiſe.
DeMADRID , le 3 Novembre.
Le 25 du mois dernier , la Cour célébra l'an
niverfaire de la naiffance de la Reine Douairiere >
qui eft entrée dans fa foixante- dixième année.
Le Roi a difpofé de la Commanderie de Villa-
Frarca , dans l'Ordre de Calatrava en faveur de
Don Diégue de Sylva , qui a eu une jambe emportée
& l'autre brifée par un coup de canon, en
fervant comme Volontaire dans l'Armée aux ordres
du Maréchal de Broglie. Sa Majeſté lui a fait
expédier en même temps un brevet de Colonel.
De GENES , le a Novembre.
On apprend de Corfe que Pafchal de Paoli a
208 MERCURE DE FRANCE.
fait attaquer Macinaggio pour la feconde fois , &
il n'y a pas eu plus de fuccès que la premiere. Il a
été repouffé de même de l'Algajola. Toutes les
Provinces Di là da monti le font féparées du
parti révolté , & celle de Fiumorlo a levé l'étendart
contre Paoli , & a appellé le Colonel Martinetti
, qui s'y eft rendu le 25 Octobre de la Baſtie.
Cette Place , bien loin d'être menacée , eft remplie
de troupes , & les Habitans defireroient que
Paoli voulût fortir de fes montagnes , pour venir
l'attaquer.
De la HAYE , le 6 Novembre.
Dès le 28 du mois dernier , le bruit s'étoit répandu
que les Naturels de l'Ifle de , Ceylan s'étoient
foulevés contre les Hollandois établis dans
cette Ifle , & les avoient prèfque tous malfacrés.
Cette nouvelle a été confirmée en Angleterre le
31 par un exprès dépêché de Baffora par terre
à la Compagnie Angloife des Indes.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée , de
Paris , &c.
DeVERSAILLES , le 19 Novembre 1961 .
L.Marquis de Grimaldi , Ambaſſadeur
Extraordinaire
de la Cour de Madrid , a remis au
Roi de la part du Roi d'Efpagne , pour Mgr le
Comte d'Artois , les marques de l'Ordre de la
Toifon d'Or , dont Sa Majefté a revêtu ce jeune
Prince.
DECEMBRE. 1761 . 209
Le Roi , en nommant le feur Berryer Garde
des Sceaux, a ordonné qu'il continuât ' e rempli
les fonctions de Secrétaire d'Erat ; & ce Miniftre
aura dans fon département les Généralités de la
Rochelle , de Poitou , de Soillons , du Berry &
du Rouffillon .
Sa Majesté a accordé le Gouvernement de
Neuf Brifack , vacant par la mort iu Maréchal
de Thomond au Marquis de Gauville , Lieutenant
Général des Armées de Sa Majefté , &
Commandant du fecond bataillon du Régiment
des Gardes Françoiſes.
Le Chevalier de Chatellux , Colonel du Régiment
de la Marche Province , a apporté au Roi
les Drapeaux de la garnifon de Wolfe butel,
Le 19 du mois dernier , le Chevalier de Fénélon
, Capitaine de Cavalerie , eut l'honneur de
préfenter à Leurs Majeftés , ainfi qu'à la Famillé
Royale , la Tragédie d'Alexandre , de fa compofition
.
Le premier de ce mois , le Comte de Saulx
Tavannes , Lieutenant- Général des Armées du
Roi , & Chevalier d'honneur de la Reine , prêta
ferment entre les mains du Roi pour la Lieutenance
Générale de Bourgogne aux Bailliages de
Dijon, d'Auxonne , de Châtillon & de Bar-fur-
Seine.
Le Marquis du Mefnil , Lieutenant- Général des
Armées du Roi , & Commandant en Dauphiné ,
a auffi prêté les fermens entre les mains de Sa
Majefté pour la Lieutenance Générale de cette
derniere Province.
Sa Majesté a donné l'Abbaye de faint Germain
d'Auxerre , Ordre de faint Benoît , Diocèse d'Auzerre
, à l'Abbé d'Argentré , Lecteur de Mgr le
Duc de Berry ; celle de Moleine , même Ordre ,
210 MERCURE DE FRANCE.
Diocèle de Langres , à l'Abbé d'Herbouville , Vi
caire Général de l'Evêché de Saint Omer ; celle
d'Ardoret , Ordre de Câteaux , Diocèle de Caltres,
à l'Abbé de l'Efcouet , Comte de Lyon , Vicaire
Général de Saint Pol de Léon ; celle de Boulancourt
, même Ordre , Diocèle de Troyes, à l'Abbé.
de Caftelanne , Vicaire Général de Chartres ;
celle de faint Michel de Tonnerre , Ordre de faint
Benoît , Diocèfe de Langres , à l'Abbé de Narbonne
Lara , Vicaire Général de Meaux ; celle de
Noyers , même Ordre , Diocèle de Fours, à l'Abbé
d'Hercé , Vicaire Général de Nantes ; celle de
la Réole , même Ordre , Diocèle de Torbes , à
l'Abbé de Charité , Vicaire Général de Leſcar ;
celle de Tonnay-Charente , même Ordre , Diocèfe
de Saintes, à l'Abbé Solon , Chapelain de Sa
Majefté ; & l'Abbaye Réguliere du Tréfor , Ordre
de Citeaux , Diocèle de Rouen , à la Dame Gabrielle
Venture de Pontevez , Religieufe du Verbe
Incarné d'Anduze , Diocèle d'Alais.
Le Comte de Saint Florentin a préſenté au
Roi les Planches Anatomiques de la feconde diftribution
du Supplément donné par le fieur Gau
tier.
Le 12 , le Roi a pris le deuil pour douze jours:
à l'occafion de la mort du Margrave de Bade Baden.
Monfeigneur le Dauphin portera ce denil
quelques jours de plus .
Le Marquis & la Marquife d'Urban de Gléon
ont été prélentés a Leurs Majeítés , ainfi qu'à la
Famille Royale.
L'Abbé de Burle de Curban préfenta , il y a
quelques jours , au Roi , à la Reine , à Monfeigneur
le Dauphin , & à Madame Adélaïde , le
troifiéme Volume de la Science du Gouvernement ,
par le feu Geur de Réal , Grand Sénéchal de Forcalquier.
DECEMBRE. 1761. 21.1...
Avant- hier , le fieur Fabert , Syndic , & le fieur
Clamer , Sénateur , Députés de la Ville de Hambourg
eurent leur audience publique de congé
du Roi. Ils furent conduits à cette Audience , ainfi
qu'a celle de la Reine & de la Famille Royale, par
le fieur de la Live , Introducteur des Amballadeurs.
Le Roi a nommé à l'Evêché de Tréguier l'Abbé
de Cheylus , Doyen de l'Eglife Cathédrale de
Lizieux , & Vicaire Général du même Diocèle..
Sa Majefté a difpoté du Commandement de la
Province de Bourgogne en faveur du Marquis
d'Anlezy , Lieutenant Général de fes Armées.
va- Elle a accordé le Régiment d'Infanterie ,
cane par la promotion du Marquis de Talaru au
grade de Maréchal de Camp , au Chevalier de
Châtellux , Colonel du Régument d'Infanterie de
la Marche ; le Régiment de la Marche au Comte
de Grenolle , Capitaine Aide-Major dans le Régiment
d'Infanterie du Roi ; le Régiment d'Infanterie
vacant par la mort du Marquis de Vaftan
, au Marquis de Bouville , Capitaine dans le
Régiment de Dragons de la Ferronays ; le Régiment
des Volontaires d'Auftrafie , qui vaquoit par
la mort du fieur de Vignolles, au Chevalier d'Harembures
, Capitaine dans le Régiment de Dragons
de Bauffremont, & la feconde Cornette des
Chevaux- Légers de Berry , vacante par la promotion
du Marquis de Pontcaleck , a une Enfei
gne , au Comte de Valanglart Capitaine dans le
Régiment de Dragons de Monfeigneur le Dauphin
.
Le is le Sr O Dunne , que le Roi a nommé fon
Miniftre lé nipotentiaire auprès du Roi de Portugal
, prit congé de Sa Majefté , étant présenté
par le Comte de Choifeul , Miniftre & Secrétaire
212 MERCURE DE FRANCE.
d'Etat pour le Département des Affaires Etran
gères.
Les Gendarmes de la Carde du Roi arrivérent
de l'Armée le 18 , & dépoférent le même jour
leurs étendarts dans la Chambre de Sa Majesté.
De l'Armée aux ordres du Maréchal Prince de
Soubife à Effen , le 29 Octobre.
"
Le 15 , le fieur Brifaniacki , Capitaine au Régiment
de Huffards de Bercheny , arriva à Borcken
avec un détachement de cinquante chevaux.
Il étoit parti d'Echershaufen à fix lieues de
Hamelen fur la droite du Wefer , le ro au foir ,
& après avoir paffé cette riviere près de cette
Place , il a détruit entre Driborg & Dringelberg
un Convoi des Ennemis , & coupé les jarrets à
plus de deux cens chevaux. S'étant enfuite approché
de la Lippe , il a fait prifonniers le Baron
de Dietfort , Lieutenant Général Heffois , deur
Officiers & cinquante- neuf Soldats. Le fieur de
Brifaniacki fe rendit à Borcken , n'ayant laille
derriere lui que trois hommes de fon détachement.
L'armée partit du Camp de Borcken le 24 de
ce mois , & campa à Dorftein ; le 25 elle alla à
Boer. Elle eft venue le 26 à Elfen , où le Quartier
général a été établi. Le même jour , la réferve
du Prince de Condé fe rendit à Bockum ,
& les troupes légères furent portées à Dortmund .
Depuis ce temps , les troupes font entrées dans
des cantonnemens entre l'Emfer & le Roer.
Les ennemis occupent Luynen & Ham , & l'on
a eu avis que le Prince Héréditaire de Brunfwick
fe trouve dans les environs d'Urlinckauſen , & le
Général Oheim à Drentsferth .
DECEMBRE . 1761 . 213
De l'Armée aux ordres du Maréchal de Broglie à
Eimbeck, le 23 Octobre.
Le Comte de Luface , après l'expédition de
Wolfembutel , s'eft porté fur Brunſwick ; mais
ayant trouvé cette Place munie d'une forte garnifon
, & d'une nombreuſe artillerie , il n'a pu tenrer
une entreprife. Il s'eft rapproché de l'Armée ,
& il eft venu camper à Grandersheim le 16. La
nuit du 13 au 14 , au moment que le Comte de
Luface commençait à retirer fes poftes près de
Brunfwick , celui d'Olpert , où commandoit le
Marquis de Valtan , Brigadier , fut attaqué par
fept bataillons au ordres du Général Luckner , &
forcé après un combat très-vif. On y a perdu deux
cens hommes & une pièce de canon. Le Marquis
de Vaſtan a été bleffe & pris , & depuis , on a fçu
que cet Officier eft mort de fes bleffures. Il eſt
généralement regretté . Les ennemis ont perdu
de leur côté , deux cens Grenadiers, plufieurs Officiers
, & le Général - Major Hothembourg .
Le Maréchal de Broglie vient de faire cantonner
la plus grande partie des Troupes de l'Armée,
dans les différentes pofitions où elles étoient campées.
Le Comte de Stainville a eu ordre de quitter
Caffel , & de fe porter à la droite de l'Armée,
du côté de Claufthal . Nos poftes avancés fur le
Wefer occupent Polle ; ceux des ennemis font à
Croude. L'Armée du Prince Ferdinand eſt dans
les environs de Hamelen , partie à la droite, par
tie à la gauche du Weſer.
Suite des nouvelles de la même Armée , du &
Novembre.
Les ennemis réunis ont marché le 3 & le
de mois , pour le porter fur Eimbeck. Dès que
214 MERCURE DE FRANCE.
Je Maré hal de Broglie en a été infornié , il a
raffémblé les différens Corps de fon Armée.
Le Prince Héréditaire a paru devant les poftes
avancés de l'Armée du Roi les , à neuf heures du
marin.
Le Comte d'Epiès , qui avoir à les ordres trois
cens ciuqnante Hullards ou Dragons , a fait fi bonne
contenance , en fe retirant , qu'il a rallenti la
marche des ennemis .
A trois heures après midi , le Prince Héré țitaire
déploya environ trente mille hommes devant
la droite de l'Armée du Roi . Le Maréchal de
Broglie a fait cannonner ce Corps , ce qui a fufpendu
fa marche .
Les ennemis voyant que leur entrepriſe ne pour
roit pas réullir , & que l'Armée du Roi s'étoit raffemblée
à temps pour s'y oppofer ont décampé
la nuit du 6 au 7 , & le font retirés , leur droite
à l'entrée de la gorge de Vickenſen , près du Village
de Magnholtz , & la gauche en avant du Village
d'Amenfen , fur le chemin d'Eimbeck à Al-
-feld.
Le Maréchal de Broglie détacha à leur pourſuite
dès qu'il fut averti de leur retraite Le Comte
d'Efpiès & le Marquis de Loftanges attaquérent
l'arrière garde des ennemis , & la pouſſérent pendant
deux lieues jufqu'à leur Camp.
Suivant les dernieres nouvelles de l'armée du
Bas- Rhin , le Maréchal de Soubife fe préparoit
-à replier les cantonnemens qu'il occupe entre le
Roer & la Lippe , pour les rapprocher du Rhin.
Lafuite des nouvelles Politiques au Mercure
prochain.
Lu & approuvé , ce 30 Novembre 1761. Signé
GUIROY.
· DECEMBRE. 1761 .. 215
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
Page $
LA LIBERTE ou la parfaite Indifférence ,
Ode traduire de l'Italien , par M.T'Abbé
Desfontaines & c.
EPITRE , à M. le Comte de Bela , premier
Maître-d'Hôtel du Roi de Pologne.
LES Miroirs enchantés , Conte . Premiere
Partie.
EPITRE de M Greffet , à M. le Comte de....
VERS à Madame la Duchelle d'Eguillon &c.
VERS à Mlle d'Eguillon , &c.
LE MATIN , Traduction .
EPITRE à M. Mor ...
II
17
3-7
40
ibid.
41
.45
ODE
Anacreontique.
59
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
60
61
LETTRE d'un Ecolier de Toulouse.
62
EPITRE à Mademoiſelle Corneille . 65
ENIGMES.
66 & 67
LOGOGRYPHES .
70 &71
RONDEAU . 73.
ADIEUX d'Andromaque à Aftianax.
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRE à M. De la Place , fur le Livre des
Principes difcurés &c.
TRADUCTION nouvelle en Vers François &c.
GRAMMAIK Françoife Philofophique &c.
SUR les Satyres , Tritons & Néréides &c .
NITION traduite du Supplément aux
?
74
83
'85
924
216 MERCURE DE FRANCE .
huit premiers Tones Théâtre Critiq
ANNONCES des Livres nouveaux. : 122
SUPPLEMENT à l'Article des Piéces fugitive
EPITRE a Silvie , a Spa.
A Mile Leclair , de la Comédie Italienne,
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETT
AGRICULTURE.
ACADEMIES.
LETTRE de la Société Littéraire d'Arras ,
M. le Comte de Couturelle,
ART. IV. BEAUX -ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE.
XTRAIT des Mémoires lûs à la Séance pu
blique de l'Académie Royale de Chirurg,
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE
GRAVURE.
OPERA.
ART. V. SPECTACLES
COMÉDIE Françoife.
COMÉDIE Italienne.
SUPPLEMENT à l'Article de l'Opéra .
LETTRE d'un Académicien de Rouen , à M
de la Garde
ART. VI. Nouvelles Politiques,
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JOR
rue & vis -a-vis la Comédie Françoie
Chez
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ
AU
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ROI.
OCTOBRE .
1761 .
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AVERTISSEMENT.
,
LE
Bureau du
Mercure eft chez M.
LUTTON
Avocat , Greffier
Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au
recouvrement
du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer
,
francs de port , Les paquets & Lettres
pour remettre , quant à la partie litéraire
, à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire veuir , ou qui prendront lesfrais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
par volume , c'est- à-dire 24 lives d'avance
, en s'abonnant pourfeize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure , écriront à l'adreſſe cideffuus.
On fupplie les perfonnes des provin
ces d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
, referont au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
, d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font les
mêmes pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE . 1761 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ODE A MERCURE.
AH! daigne , officieux Mercure ,
Divin Ambaffadeur des Dieux ,
Servir un peu la créature :
D'un mot tu feras deux heureux .
Vole vers le Berger que j'aime ,
Dis- lui que je crois fon amour ,
Et que mon ardeur eft extrême ,
Comme elle étoit le premier jour.
I. Vol. A iij
6 MERCURE DE FRANCE:
Dis -lui que malgré fon abfence ,
Ses traits , fes yeux me font préfens,
Et que quelques heureux inftans
Me font jouir de la préſence.
Dis qu'Amour fe plaît à donner;
Que des fleurs que ce Dieu me donne,
Je fais d'abord une couronne
Dont je vou frois le couronner.
Que quand je vais dans la prairie ,
J'appelle le tendre Zéphir....
Laiffe là ta rofe chérie ,
Porte à mon Berger ce foupir.
Dis que de ma tendre mufette
Je ne tire jamais de fon ,
Que pour chanter une chanfon ,
Quand c'eſt pour lui que je l'ai faite.
Tu peux lui répéter encor
Que je grave delas l'herbette ,
Sur le bâton de ma houlette ,
Le nom d'Iris & de Lindor.
Tu viens d'unir deux tendres coeurs ;
Ne rougis point de cet office :
Mercure , le Dieu des voleurs ,
Aux Amans doit être propice .
Par Madame GUIBERT.
OCTOBRE. 1761 :
LES AMOURS D'ARMIDE &
de RENAUD , imités du Taffe , par
Madame CHAMPION.
JOIGNEZ- V OIGNEZ-VOUS à ma voix , Divinités des Vers!
De mille fons plaintifs animez mes concerts ;
A mon triſte récit daignez donner des charmes :
D'une Héroïne en pleurs je chante les alarmes ,
Sa haine , pour Renaud , fon dépit , fa fureur ,
Son combat , fſa défaite , & ſa tendre douleur ,
Sa fuite en un vallon , dont le fombre feuillage
Sembloit , au Dieu du jour , diſputer le paffage.
Ce lieu fervoit d'afyle aux finiftres oiſeaux ;
Le Cyprès leur prêtoit les funébres rameaux :
C'est là que fon amour, fans efpoir , fans retource
Va de ſes maux cruels empoifonner la fource .
Mules , fecondez -moi ; foutenez mon pinceau;
Armide va parler : animez mon tableau .
De vos traits impuiffans , j'attendois ma victoire ,
Inutile carquois , opprobre de ma gloire !
Malgré mon défelpoir & l'Amour en fureur ,
Vous avez respecté les jours de mon Vainqueur !
Indignes déformais de fervir ma vengeance ,
Plus indignes encor d'une noble éxiſtence ,
Dans ces fombres déferts , oubliez à jamais ,
Que la rouille vous ronge au fond de ces marais....
Et vous, lâches Guerriers , dont la fière cohorte ,.
A iv
& MERCURE DE FRANCE.
A l'aspect de Renaud me laiffa fans eſcorte !
Loin de vous imiter en cet affreux moment ,
J'olai feule attaquer mon invincible Amant ...
Mais Ciel puis-je y penſer,& ſurvivre à ma rage?
Le perfide farpris dédaigne mon courage ;
Me quitte en foupirant ; & la bouillante ardeur
Dans nos champs défolés va porter la terreur.
Sur fon front menaçant la victoire eft empreintes
Aux plus braves guerriers it inſpire la crainte ;
Pour mériter ma main, en ſervant mon courroux,
Adrafte & Tyfapherne expirent fous fes coups.
Fortuné rejetton de Mars & de Bellonne ,
Raffemble les lauriers dont ton bras te couronne :
Les Sarrafins vaincus par ta feule valeur ,
Graveront tes hauts faits au temple de l'honneur.
La gloire t'environne en dépit de ma rage :
La honte eft dans mon coeur , la mort eſt mon
partage .
Mais puiffent tes regrets être autant de vautours
Qui fans ceffe affamés te déchirent toujours !
Pour prix de tes forfaits , que mon ombre égarée
Te pourfuive partout de ferpens entourée ;
Et puifles -tu bientôt , en proie à tes remords ,
Voir ton nom confondu dans la foule des morts!..
Brillant flambeau du jour ! ſi ta clarté céleſte
Se couvrit d'un nuage au feftin de Thyefte ;
Daigne voiler pour moi tes flambeaux radieux ;
Détourne tes courfiers de ces funeftes lieux ...
Mais , ô Dieux ! quel morrel en trouble le filence ?
OCTOBRE. 1761 . 9
1
Où fuir ? où me cacher ? c'eft Renaud qui s'avance!
O terre! entr'ouvre-toi fous mes pas incertains.
Parque!v iens terminer mes malheureux deſtins.
Ah ! je fuccombe enfin fous le poids qui m'oppreffe
Et même en expirant je chéris ma foibleſſe !
Amour , épargne- moi , dans ce dernier moment ,
Le plaifir douloureux de revoir mon Amant !
Eloigne ce cruel , dont l'âme eft infléxible ;
Jamais fon coeur d'airain ne deviendra fenfible :
Les glaces du Caucafe , en lui donnant le jour ,
L'ont fait inacceffible au feu du tendre Amour ;
Le barbare nâquit de la mer en furie ,
.. } Et fut nourri du fang des tigres d'Hircanie.
Malheureuſe Princeffe , achève ton deſtin ;
Ce fer te reſte encor: plonge-le dans ton ſein.:
Comme une jeune fleur fur la tige féchée ,
Le teint pâle & défait , Armide étoit panchée :
Ses regards éperdus , fes fanglots , fes foupirs ,
Ses beaux yeux autrefois le trône des defirs ,
Tous ces traits enchanteurs de l'aimable jeuneffe
N'offroient que le tableau d'une morne trifteffe ;
Les Parques apprêtoient leurs funeftes cifeaux ,
Et déjà Tyfiphone allumoit fes flambeaux :
Armide d'une main incertaine & tremblante ,
A peine foulevoit fon arme chancelante ;
Quand le brave Renaud , tendre & victorieux ;
Conduit par fon amour , le préfente à fes yeux.
Grand - Dieu ! s'écria - t- il , fi c'eft une foibleffe ,
Puniffez- moi,frappez , mais fauvez ma maîtreſſe! ...
A v
10 MERCURE DE FRANCE
Perfide , lui dit- elle , ofes- tu me braver ?
Jufqu'au dernier moment veux - tu me captiver ?
Va brifer loin de moi des fers que je déteſte ;
La mort eſt aujourd'hui le feul bien qui me reſte.
Le glaive , le poifon , & ces gouffres ouverts
M'affranchiront bientôt des maux que j'ai foufferts.
Ton retour , mon pays , nos autels , ma naiſſance,
Rallument mon courroux , ma haine & ma vengeance.
>
Quand j'éprouve pour toi les plus cruels tourmens
,
Eſt - il pour tes forfaits d'affez grands châtimens ?
Ingrat ! rappelle- toi qu'en un climat fauvage ,
Loin de te retenir dans un dur efclavage ,
Maîtreffe de ton fort , ma clémence en ces lieux
Changea ta fervitude en jours délicieux.
Pour prix de ce bienfait , tu me quittas mourante !
Tu préféras la gloire à ta fidelle amante ...
Calmez , lui dit Renaud , des tranfports fuperflus;
En regrets offenfans ne vous confumez plus :
Déformais , en marchant fur les traces d'Alcide
Je faurai mériter les fuffrages d'Armide.
Peu digne jufqu'ici de vos foins généreux ,
Ce bras en combattant vous prouvera mes feux.
Mes exploits les plus chers feront de vous défendre.
Armé
par mon amour, je peux tout entreprendre
Il n'eft dangers pour vous que je n'ofe affronter:
Au Trône de vos Rois je vous ferai monter...
OOCTOBRE. 1761 .
Renaud par ce difcours appaifa fon Amante ;
Chafla loin de ces bords la Difcorde impuiffante ;
Et l'Amour furleurs coeurs exerçant fon pouvoir,"
Dans les beaux yeux d'Armide à l'nftant fe fit voir .
A Madame M.....
L'AMOUR VENGE,
CANTAT E.
L'AMOUR vouloit me faire aimer ;
Pour éluder fes traits j'ufai d'une défaite .
Je veux bien , dis- je , Amour , me laiffer enflâmer ,
Si tu peux me trouver une Beauté parfaite.
Avec la jeuneffe d'Hébé ,
Qu'elle ait les talens de Minerve ,
Les appas en chanteurs que Vénus le réferve ,
Et la tendrelle de Thisbé .
Vous qui craignez d'être ſenſible ,
N'ofez point défier l'Amour 3
¿ Ou , pour vous braver à fon tour ,
Ce Dieu trouvera tour poffible.
Par quelque frivole détour
En vain vous croirez vous défendre ;
Il fçaura toujours vous ſurprendre ,
Et vous le fervirez un jour."
Vous &c.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE
Que l'Amour eft ingénieux ,
Quand on intéreffe la gloire ?
Il forme Rofalie ; & déjà glorieux ,
Il s'applaudit de la victoire
Qu'il attend d'un objet fi conforme à mes yoeuxì
D'un fi rare affemblage
Tous les Dieux font fürpris
Et de fon propre ouvrage
L'Amour même eſt épris .
Vénus , dans Amathonte
Vole cacher la honte
Qui colore fon front;
2
Et Junon en alarmes ,
Craint encor pour fes charmes,
Quelque nouvel affront..
Mais c'eft l'Amour lui- même ! il conduit Refalic
.... Il m'appelle ; auffitôt j'oublie "
Que je devois toujours redouter ce vainqueur.
Venez , cher tyran de mon coeur ,
Venez , je me ſoumets au joug de votre empire
L'indifférence en vain combattroit mes defirs ;
Trop heureux qui pour vous foupire !
Un coeur indifférent connoît- il les plaifirs
Sortez de votre léthargie ,
Venez , favoris des neuf Soeurs ,
Avec la plus vive énergie ,
Peignons l'Amour & fes douceurs ;
OCTOBRE. 1761 . 13
Et de notre riante Orgie ,
Banniffons les triftes Cenfeurs.
Parons nos têtes de guirlandes ;
Que chacun de nous , pour offrandes,
Donne des foupirs & des voeux.
Pour le tendre Dieu qui m'anime ,
La plus agréable victime
Eft le coeur le plus amoureux.
Sortez &c.
Par M. de Turin. •
LE MOUCHERON DE L'HIPANIS ,
L
Fable Allégorique.
Es bords de l'Hipanis , un Fleuve de Scythie
* Fleuve de Scythie , qui porte aujourd'hui le
nom de Bog.
» Ariftote dit qu'il y a de petites bêtes fur la
> rivière Hipanis , qui ne vivent qu'un jour. Celle
» qui meurt à huit heures du matin , elle meurt
>> en jeuneffe ; celle qui meurt à cinq heures du
» foir , elle meurt en décrépitude . Qui de nous
» ne fe moque de voir mettre en confidération
>> d'heur ou de malheur ce moment de durée ? Le
» plús & le moins en la nôtre , fi nous le comparons
à l'Eternité , ou encore à la durée des
>> Montagnes , des Etoiles , des Arbres & même
» d'aucuns Animaux , n'eft pas moins ridicule.
Effais de MONTAGNE,
14 MERCURE DE FRANCE.
Sont connus par un Moucheron :
L'Hiftoire n'en dit pas le nom ;
L'efpéce eft Ephemère , & fa plus longue vie
N'eft que d'un jour. Dans un âge avancé ,
Un de ces Moucherons décrépit & caffé ,
Sur le foir approchoit de fon heure dernière;
Il ſe croyoit lui -même auffi vieux que le temps ;
Il étoit né quelques inftans
Avant que le Soleil commençât fa carrière .
Sous un vieux champignon qui lui ſervoit d'abri,
Difons mieux , étendu fous le vafte portique
D'un des Palais de cette République ,
Environné des fiens , dont il étoit chéri ,
Ce Sage moribond , à cet inftant critique ,
Leur tint ce difcours pathétique :
Ceffez de plaindre mon deſtin ;
A la plus longue vie , Amis , il eſt un terme ;
Mon heure eft arrivée , & je touche à ma fin ;
Je l'envisage d'un oeil ferme.
Mon grand âge pour moi n'étoit plus qu'un fardeau.
Pour moi fous le Soleil il n'eft rien de nouveau .
Qu'en vous voyant mon âme elt attendrie!
Vous êtes en effet plus à plaindre que moi ,
Mes chers Enfans ! ce n'eſt qu'avec éffroi ,
Que je pense à l'état de ma trifte Patric .
Les révolutions & les calamités.
Qui fiſouvent l'ont ravagée ,
Le grand nombre d'infirmités ,
OCTOBRE. 1761 IS
Dont notre espèce eſt affligée ,
La perte de tous mes Amis ,
L'extinction de ma famille entière ,
De cent malheurs divers où nous fommes foumis
L'expérience journalière ;
Tout ne m'a que trop démontré
Que pour nous il n'eft point de bonheur affuré,
J'ai vécu dans les premiers âges ;
J'ai converfé long- temps avec des Sages ;
Les Infectes étoient alors ,
D'une plus haute taille , & plus fains & plus forts
Que ne le font tous ceux de nos races nouvelles.
Quels n'étoient pas autrefois les refforts
Et le tiflu merveilleux de mes aîles !
Senfiblement & par degré ,
La Nature a depuis en tout dégénéré.
Mes fens font affoiblis , mais non pas ma mémoi
re.
Je vous conjure de me croire :
Le Soleil a du mouvement.
J'étois né tout nouvellement ,
Apeine un foible jour éclairoit nos campagnes ,
Où je vivois fans travail & fans foins ;
Quand tout-à-coup mes yeux furent témoins,
De fon premier lever fur ces hautes Montagnes.
Plufieurs Siécles ont vû cet Aftre glorieux
S'avancer dans le Ciel toujours plus radieux ,
Avec une chaleur tellement dévorante :
Que je puis bien vous atteſter
3
MERCURE DE FRANCE,
Qu'aucun de la race préſente
N'eût jamais pû la fupporter.
Mais à préfent , de fa lamière
De fa vigueur le fenfible déclin
Me fait prévoir que la nature entière
Va bientôt toucher à fa fin.
Dans une obfcurité profonde ,
Menacé d'être enfeveli ,
Que peut encore durer le Monde ?
Cent minutes peut-être & tout eſt accompli.
Que cette terre périſſable ,
Amis , me paroît mépriſable ,
A cet inftant où je vais la quitter !
Combien de fois , hélas ! l'eſpérance trompeuſe
De pouvoir toujours l'habiter ,
N'a-t-elle paś féduit mon âme ambitieuſe !
Combien ceux d'entre vous qui n'ont pour repofer
De retraites que fous ces herbes ,
N'ont-ils pas admiré les cellules fuperbes
Qu'avec tant d'art j'avois fçu me creuſer !
Quelle n'a pas été long- tems ma confiance
Dans un tempérament ardent & vigoureux ,
Et dans la fermeté de mes membres nerveux !
Du néant de notre éxiſtence
Par une trifte expérience ,
Je ne fuis que trop convaincu
Tout iei-bas eft illufoire.
OCTOBRE. 1781. 17
Heureux du moins d'avoir affez vécu
Pour la nature & pour la gloire,
Que je plains ceux que je laiſſe après moi !
Ils n'auront pas les mêmes avantages.
Que dis -je ? Déformais les fous comme les fages,
Les jeunes & les vieux doivent trembler d'éffroi.
De ténébres , de décadence ,
Un Siécle malheureux commence ;
Et qui fait ce qu'à l'avenir ,
Cet Univers va devenir.
Qu'a prétendu l'Auteur de cette Fable ?
Vous l'apprendrez de Cicéron ,
Qui nous a dans ce Moucheron ,
Tracé de l'Homme même un portrait véritable.
Par M. L. A. L. B.
LE PEINTRE COMPLAISANT ,
ÉPIGRAMME.
CERTAINE Précieuſe, un jour, ſe faiſoit peindre.
Aux fauffes couleurs de fon teint ,
Le Peintre embarraffé pouvoit à peine atteindre.
Cr , tandis qu'il broyoit & cérufe , & carmin ;
Pour rendre la bouche petite ,
La Belle fe ferroit les lévres bien & beau.
De la vanité qui l'excite ,
L'Artifte rit , en rongeant fon pinceau.
18 MERCURE DE FRANCE.
Madame , j'ai , dit-il , lû dans votre penſée.
Ceffez de vous gêner , je fu vrai votre goût :
La bouche n'eſt pas commencée , 2
Et je n'en mettrai point du tout.
Par M. GUICHARD.
MÉDIUS ,
ANECDOTE MODERNE.
Ne quid nimis.
PREMIERE PARTIE.
DANS
ANS un Château du bas Languedoc ,
acquis par un Marchand devenu Secrétaire
du petit Collége , vivoit en Gentilhomme
un Magifttat de Narbonne fils de
ce Marchand , avec sooo liv. de rente.
Il auroit pu très- bien foutenir fa dignité
dans fa Ville ; mais il aimoit mieux fe
ruiner en foutenant Nobleffe dans fa
Terre. Il tenoit table ouverte , avoit une
efpéce de carroffe , & quelques chiens
qu'il appelloit fa meute. La Province le
fourniffoit abondamment de convives bénévoles.
Les houberots , dont elle fourmille
, le dévoroient en le careffant ; les
Nobles les plus diftingués le rongeoient
OCTOBRE. 1761 19
en le nazardant : tout cela étoit également
de fon goût.
M. de la Garenne ( c'étoit fon nom de
fief ) avoit une jolie femme qui ne lui
avoit apporté en dot qu'un goût pour la
dépenfe très- analogue à fes nobles inclinations
, & une fupériorité de génie inconteftablement
reconnue de tous les
Beaux- efprits Provinciaux . Elle étoit Philofophe
; & ce qui fait le non plus ultrà ,
Philofophe Matérialiste. Je ferois tort à
la fagacité de mes lecteurs , en leur obfervant
qu'elle étoit bien revenue des livres
de piété & de morale vulgaire ; mais
peut-être n'eft il pas fuperflu de les avertir
qu'elle avoit auffi proferit les livres
de Platon , & ceux des Philofophes qui
avoient affez bien entrevu l'Immortalité
de l'âme. Dans fon éffor , elle ne voloit
que fur la trace des aigles de la Philofophie
nouvelle , de ces génies trancendans
, vraiment fupérieurs à tous les préjugés
incommodes. Zélée Sectatrice des
Anglois, elle en avoit outré les fyftêmes ;
& pour mettre de la fcience jufques dans
fon nom , elle fe faifoit appeller Optime,
affichant par- là la Secte qu'elle avoit embraffée
.
Cette femme fi digne du bonheur ,
qu'elle faifoit confifter à vivre felon la
20 MERCURE DE FRANCE.
nature ( fans trop s'embarraffer d'expli
quer la définition ) cette femme forte
avoit le défagrément de fe voir un fils
déjà âgé de 17 ans , beau comme l'amour,
il est vrai , mais qui ne répondoit pas à
la fublimité de fes leçons. Dans l'efprit ,
il avoit la fottife de ne jamais vouloir
comprendre ce qui étoit inconcevable ;
dans le coeur , il avoit mille foibleffes vulgaires.
Voyoit- il un pauvre du Village
épuisé par la faim & la maladie , il facrifioit
pour le foulager tous fes menus plaifirs
, & venoit enfuite implorer l'humanité
de fa mère , qui fans ceffe avoit dans
la bouche ce grand mot d'humanité ;
mais perfuadée que la pitié eft un état
de fouffrance incompatible avec le bonheur
& la paix du Sage , elle lui apprenoit
que cette paffion dégrade le
Stoicien ; & que fi l'on devoit être bienfaifant
c'étoit feulement par le pur
amour & la révérence de la vertu , ou ,
pour parler jufte , de ce que l'on s'accorde
le plus communément à décorer
du nom de vertu , comme étant le plus
communément avantageux aux fociétés :
d'où elle concluoit très - bien , qu'il ne faut
aider que les gens vertueux . De ces principes
fublimes , defcendant à l'application
, & examinant les moeurs des malOCTOBRE.
1761. 21
heureux pour qui on l'imploroit , elle
trouvoit toujours que c'étoient de vils
efclaves des fens & de la cupidité , qui
déshonorant la nature humaine , fe rendoient
eux-mêmes indignes de tout fecours.
Le jeune homme s'adreffoit à M.
de la Garenne. Mais comment donner
un pain dont fouvent la meute auroit
manqué ? Enfin il avoit recours à un oncle,
amateur de l'agriculture qu'il perfectionnoit
dans le voifinage , Philofophe à
fa manière , & furtout bon citoyen ; mais
qui avoit la pufillanimité de répandre
également fes dons fur les coupables &
fur les juftes , lorsqu'il s'agiffoit de befoins
preffans. Ces fecours en fauvoient
quelques- uns ; mais le village en fourniffoit
tant , qu'il en périffoit encore plufieurs
, ce que notre adolefcent ne voyoit
jamais fans répandre des larmes . Mais
Optime lui remontroit , avec une égalité
d'âme inaltérable , que ces événemens
n'arrivoient que pour le mieux ; que la
terre étoit débarraffée d'un fardeau ; &
que c'étoit une abondance vicieuſe dont
la nature fe purgeoit elle même. Tout
cela ne perfuadoit pas ce fils opiniâtre ,
qui s'étoit fait une petite manière de
voir & de fentir les choſes : auffi défefpérant
de l'élever jamais au grand , elle
22 MERCURE DE FRANCE.
le nomma Médius , être borné ou mitoyen
, titre que fon oncle adopta par
d'autres vues.
Cet oncle ( Arifte ) étoit folidement
Philofophe : non de cette Philoſophie
parliere, qui n'engendre que des monftres,
mais d'une faine & religieufe Philofophie
, qui prenant Socrate pour modèle ,
& fe renfermant dans la pratique , éleve
fes Sages à la divine qualité de Citoyens
vertueux. Cet ami des hommes ayant
en vain éffayé de rectifier l'efprit de fa
belle-foeur , en la faifant revenir à cette
moderation , hors de laquelle il n'y a ni
ſageſſe ni vertu , avoit du moins prémuni
fon neveu contre fes opinions : » Votre
» mère , lui difoit - il , a mal pris une idée
» de Pope , qui n'a jamais dit ce qu'on
lui fait dire , tout eft bien. Cette façon
» de s'énoncer embraffe toutes les parties
» de ce tout , & femble annoncer que
"
toutes nos actions prifes en particulier
» font bonnes en elles -mêmes , ce qui eft
» évidemment abfurde . Mais Pope a dit,
» le tout est bien ; & c'eſt ainſi qu'il fal-
» loit le traduire pour rendre fa penſée :
que des défordres phyfiques & des vi
» ces moraux , il peut réfulter , & il ré-
» fulte en effet un bien univerfel : ce qui
» rentre dans la vérité. Il y a du bien , il
OCTOBRE. 1761. 23
"
y a du mal dans tel ou tel événement
pris à part ; c'en eft affez pour notre
» inftruction , & pour nous engager à
» donner la préférence au bien , en nous
» détachant le plus qu'il nous fera poffi-
» ble , du mal que nous ne pouvons ab
folument éxtirper , parce que malgré
» tous nos éfforts , nous ne pouvons dépouiller
nos qualités adhérentes , qui
» font de nous des êtres éffentiellement
» bornés , des êtres mitoyens.
"
#
Médius demeura convaincu de ces vétités.
Mais en dépit de fa fageffe , il ne
laiffoit pas déja d'être amoureux & de
très-bonne foi; ( on ne l'eft guères autrement
dans un début ) & pour comble ,
fon choix s'étoit fixé fur une fimple Paylane.
Quel opprobre pour la maifon de la
Garenne ! Quel fupplice pour les mânes
du Secrétaire fon ayeul ! Cette intrigue
commençoit à faire du bruit dans la Paroiffe
; ( car on réuffit rarement à cacherl'amour
, mais jamais la première inclination.
) Colette , fille du Sonneur Mathurin
, étoit cette Beile , qui , malgré la
baffeffe de cette extraction va cependant
devenir notre Heroine ; puifqu'enfin
Médius lui - même fera mon Héros . Il
faut bien que je l'avoue , & que l'on convienne
que dans la difette de Héros ,
"
24 MERCURE DE FRANCE.
on en prend où l'on peut , & que l'on ne
être fi difficile.
doit
pas y
Colette entroit dans fa feizième année ;
elle avoit été, jufqu'à cette époque , élevée
fupérieurement à fa condition . Une
Dame d'une terre voifine , qui étoit fa
maraine , l'avoit prife en amitié dès l'enfance,
& l'avoit emmenée à Toulouſe , où
elle l'avoit traitée & élevée comme fa
propre fille. Auffi jamais fille n'aima une
mère plus fincérement , d'une façon plus
tendre , & plus dégagée de tout intérêt :
Une care le lui étoit plus fenfible que tous
les préfens. Colette étoit douée de grâces
naturelles , & enrichie de tous les talens.
A la délicateffe du goût & aux agrémens
de l'efprit , elle joignoit une folidité
de jugement rare , & toutes les vertus
qui rendant les hommes refpectables ,
font adorer les femmes , quand elles font
encore parées par la jeuneffe & par la
beauté. Voilà ce qu'étoit Colette , quand
une mort fubite emportant fa bienfaictrice
, fans qu'elle eût le temps de faire
aucune difpofition , laiffa notre Héroïne
à quinze ans fans refſource , dans les horres
de la pauvreté. Sa Maraine l'avoit
pourtant recommandée de fon vivant à
une four digne d'elle , mariée à un riche
Négociant de Marſeille : mais gênée par
un
OCTOBRE. 1761 25
un mari dur & avare , cette Dame n'avoit
que des pleurs à donner à notre
infortunée . Quelle fituation ! Son bienêtre
paffé devoit devenir pour Colette un
fupplice affreux : fes talens & fes goûts ,
d'éternels fujets de défefpoir. Rien de
tout cela. Ses pleurs furent uniquement
verfés fur le tombeau qui engloutiffoit
l'objet de toutes fes affections ; & d'abord
fe réfignant à fon état avec une fermeté
d'âme prèfque inconcevable , elle vendit
le peu de hardes qu'elle avoit , reprit ,
fans frémir , les habits de fon véritable
état , & revint dans la chaumiere paternelle
, réfolue d'y gagner fa vie par le
travail de fes doigts. On lui offrit de la
doter dans un Couvent ; elle remercia ,
parce qu'elle n'en avoit pas la vocation :
on lui propofa d'être femme -de -chambre,
elle refufa ; parce que fon coeur , qui ſe
foumettoit à la pauvreté , fe révoltoit
contre la fervitude : elle ne crut pas devoir
fe mettre volontairement & par fon
choix plus bas encore que la nature në
l'avoit mife ; & elle penfa n'avoir pas
tout perdu , lorsqu'il lui reftoit la qualité
d'un être libre. Tout cela feroit prèfque
foupçonner, malgré la force du fang & les
priviléges de la nobleffe , que nous nailfous
les mêmes dans les divers états , &
I. Vol. B
1
26 MERCURE DE FRANCE.
que l'éducation feule met de la difference
dans les fentimens : car je préviens d'a
vance le Lecteur qu'il n'a à craindre aucune
furprife ; point de reconnoiffance ni
de coup de théâtre ; je donne Colette pour
la vraie & légitime fille de Mathurin &
de Coline fes père & mère ; & je garentis
qu'elle refera telle jufqu'à la fin du dernier
chapitre inclufivement .
Le malheur , la beauté , la vertu , tout
devoit la rendre intéreffante ; mais que
la pointe du fentiment s'émouffe vite
fur des coeurs vulgaires ! On voulut la
voir ; les hommes prononcérent qu'elle
étoit jolie , les femmes en appellérent ;
quelques- unes feulement voulurent bien
convenir que fous des habits groffiers elle
confervoit un air d'éducation . Optime la
fit venir au Château , & caufa avec elle
un quart d'heure ; mais ayant aifément
découvert, que fon coeur étoit nourri d'une
folide piété , elle la renvoya avec aigreur ;
depuis elle publia conftament qu'on la prônoit
à tort fur un extérieur affez féduifant ;
mais qu'elle l'avoit fondée , & avoit d'abord
trouvé le tuf. Dès -lors Colette fut
bannie du Sallon , & reléguée avec la
femme -de- chambre. Lorfqu'on la mandoit
pour travailler à la journée , moins par
égard pour elle, que pour tirer parti de fon
OCTOBRE. 1761. 27
adreffe ; & quand il arrivoit à quelques
honnêtes gens de déplorer ce renversement
de fortune , Optime blâmoit en eux cette
fenfibilité mal placée, leur révéloit que
la petite n'avoit qu'une fuperficie d'efprit
fans profondeur ; enfin qu'elle étoit dévote
, comme la femmelette qui l'avoit élevée
dans les préjugés d'où elle réfumoit
que fes petites idées fe renfermeroicnt
facilement dans la fphère de fa condition
naturelle ; enfin qu'elle ne méritoit pas
un autre fort ; & qu'en cela , comme en
tout , rien n'étoit arrivé que pour le
mieux.
Pour Médius , nourri dans les principes
de fon oncle , il jugea d'abord que la
vertu folide & le courage vraiment héroïque
, avec lefquels elle faifoit tête à l'infortune
, lui affuroient un mérite réel ,
qui la dédommageoit pleinement de toutes
fes pertes : d'où il concluoit que dans
cet événement , comme dans tous les autres
, le bien & le mal étoient compenfés
aux yeux des Sages.
Mais il ne s'en tint pas long-temps à
ces fpéculations , & paffa tapidement de
l'admiration à la pitié , & de la pitié à l'amour
. Il cherchoit ardemment les occafions
de voir Colette; & fe livrant fans réferve
à ce plaifir dangereux , il fe fentit
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
bientôt embraſer d'un feu fecret , qui ou➡
vroit fon coeur à des defirs inconnus, étendoit
en fon imagination les idées du bonheur
, & fembloit enfin l'animer d'un
nouvel être. Il étoit dans cette fituation
délicieuſe , où l'amour , qui femble ne
rien donner encore , donne en effet des
fenfations plus raviffantes que tous les
plaifirs qu'il fait enfuite fi chérement
acheter car le perfide ne tient jamais la
moitié de tout ce qu'il a promis !
Cette paffion étoit trop vive , trop pu
re & trop ingénue pour que Médius ne
la déclarât pas d'abord à l'objet qui l'avoit
fait naître . On penfe fans doute que
Colette la partagea , & l'on penfe juſte.
Ce jeune coeur s'ouvrit de lui- même aux
premiers foupirs de la Nature ; & l'innocence
de cette âme naïve , attaquée
par
par une paffion vraie , ne put réfifter à
la force de la fympathie. Mais comme
en elle la fageffe avoit devancé l'amour ,
elle fentit d'abord tout le danger de fa
fituation ; & quoiqu'il lui en coutât les
plus cruels efforts , elle prit généreuſement
le feul parti auquel les circonstan
ces néceffitoient fa vertu. Elle mit aux
yeux de fon`Amant , dans le jour le plus
lumineux , toute la force des motifs qui
lui faifoient une loi de ne le plus voir ,
OCTOBRE. 1761 . 19
la différence prodigieufe des états & des
biens , l'opprobre éclatant dont il alloit
la couvrir ; le ridicule qui en rejailliroit
fur lui - même , les oppofitions & plus encore
la jufte douleur de fes parens , à qui
ils devoient tous les deux toute forte de
refpects ; elle réfuta invinciblement tous
les fophifmes que la paffion lui oppofoit ;
enfin elle prit tant fur elle - même , & ſe
tendit fi puiffante fur l'efprit de fon amant,
que le défefpoir dans le coeur , tout en
lui jurant de l'aimer éternellement , il
lui promit de ne jamais troubler fon repos
par fes pourfaites . Au moment cruel
de la féparation , Médius ne fut plus fon
maître , & tombant aux genoux de fon
amante , il lui faifit une main , qu'il arrofa
de fes pleurs . Colette frappée par
contre coup de l'attendriffement le plus
douloureux , ne put retenir quelques larmes
, qui découvrirent le fecret de fon
âme. Mais cette confolation ne dura
qu'un inftant ; car fentant fa foibleffe ,
elle s'arracha précipitament , & courut
s'enfermer dans un galetas voifin. Médius
fe retira défefpéré.
Promettre eft un & tenir eſt un autre.
Ayons de l'horreur pour les traîtres ,
mais confervons de l'indulgence pour les
foibles.
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
Malgré la fincérité de fes promeffes ,
Médius confumé de plus en plus d'une
ardeur que les obftacles enflammoient ,
ne pouvoit s'empêcher de chercher avidement
les occafions de voir fa maîtreffe
; & quoiqu'elle apportât à l'éviter toutes
les précautions poffibles , & qu'elle
s'obfervât avec la plus exacte décence ,
les feules démarches du jeune amoureux ,
ailément apperçues de tout le monde ,
donnérent lieu à la calomnie de déchirer
la vertu la plus pure. Optime , en femme
fupérieure à tous les préjugés , applaudiffoit
hautement à cette amourette ,
difant que la petite étoit affez jolie pour
mériter quelques foins , & aflez maniérée
pour ne pas communiquer à fon fils de
ridicules groffiers , enfin capable de lui
faire honneur , furtout pour un début .
Qu'au furplus il devoit obferver que fa
Divinité n'étoit qu'une Nymphe des bois ;
que dans l'ordre naturel c'étoit à lui l'attaque
, à elle la défenſe ; qu'il faifoit fon
métier ; & que fi elle manquoit à bien
faire le fien , c'étoit tant- pis pour elle :
enfin que tout cela étoit dans les régles ,
& pour le mieux.
Médius , que ces propos défefpéroient,
s'enfuit chez fon oncle chercher un confeil
& des confolations. Il lui ouvre fon
OCTOBRE . 1761 . 3 T
toeur , avec cette éloquence perfuafive ,
dont n'a jamais manqué la paffion. S'il
eût été poffible d'ajouter au mérite de
Colette , je dirois qu'il la peignit en
beau ; mais au moins ' il réuffit à intéreffer
pour elle un honnête - homme.
Le réfultat fut que fon oncle lui fit une
loi d'obéir à cette fage fille , en ceffant
de la voir ; & le grand motif qu'il employa
pour y déterminer Médius , de fut
de lui avouer que lui -même il avoit été
près de fe prévenir contre elle fur la mauvaife
tournure que differentes perfonnes
avoient déjà donnée à cette intrigue.Cette
raifon fut victorieufe , & Médius fit
le facrifice de tous les projets à la réputation
de fa maîtreffe , le feul bien qui
lui reftât.
Arifte le ramena au Château , où ils
trouvérent un Colonel d'Infanterie , parent
de Madame de la Garenne. Arifte
faifit le moment , & repréfenta que Médius
entroit dans l'âge de prendre un
état ; que fon goût dominant étoit le Militaire
, qui lui convenoit effectivement .
Le Colonel auffitôt offrit une Lieutenance
; & fur le champ M. de la Garenne
but à la fanté de fon fils l'Officier ; &
toute la foirée il ne ceffa de l'appeller à
tout propos , monfils l'Officier. Le départ
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
fut arrêté à huit jours ; & dès le lende
main M. de la Garenne vendit un fonds
dont il tira mille écus , qui furent confacrés
à faire débuter fon fils dans le
Corps fur un ton brillant.
Médius fe voyant près de partir pour
une guerre dangereufe , & réfolu de chercher
la gloire parmi les plus grands périls
, ne put réfifter au defir fi naturel de
voir fa maîtreffe une derniere fois , pour
lui jurer une fidélité éternelle , & pour
tâcher d'obtenir d'elle une promeffe pofitive
de fe réſerver à fon hymen . Il venoit
d'apprendre que la bonne mère paffoit la
nuit auprès d'un malade ; & en parcourant
le Village , dans l'ombre du crépufcule
, il entendit Mathurin chanter dans
le cabaret de là concevant l'efpoir de
trouver Colette feule , & ne voulant point
frapper à la
porte de peur d'être entendu
dans le voisinage , de peur même
qu'elle ne refufât de lui ouvrir ; dans un
moment où la tête étoit fi pleine d'amour
& fi vuide de réfléxion , il choifit
le pire parti de tous , & fe réfolut d'efcalader
un mauvais mur, pour s'introduire à fa
fenêtre , qui donnoit fur une petite cour .
Mais en defcendant du mur , une pierre
qu'il tenoit vint à manquer , & il tomba
de fix pieds de haut fi malheureufement
OCTOBRE. 1761. 33
qu'il ſe donna une entorfe au pied . Au
bruit de fa chûte , Colette éffrayée regarde
par la croifée ; elle entrevoit & elle
entend fon amant qui fe plaignoit à voix
baffe , mais douloureufement. Quel combat
entre la fageffe & l'amour ! Étoit- il
poffible de le laiffer feul dans cet état ?
L'humanité même s'y opofoit. Appeller
du monde eût peut- être été le plus fage ;
mais il lui vint à l'efprit qu'on ne croiroit
jamais qu'il fe fût trouvé là fans fon
aveu. Elle prit donc l'unique parti qui
lui reftât , d'aller feule le fecourir. A fa
vue , ce pauvre amant , craignant la juftice
de fes reproches , manqua de fe trouver
mal ; mais cette belle fille , trop fage
pour étaler la fageffe à contre -temps ,
après une légére marque de fon étonnement
& de fes inquiétudes , lui dit d'ellemême
qu'il falloit tout oublier pour ne
fonger qu'à le fecourir & à le mettre en
état de s'en retourner au plus vite . Elle
lui donna le bras , l'amour leur donna'
des forces , & tout en boitant , il entra
avec elle dans la maifon . Elle lui apporta
de l'eau - de-vie & du linge , & lui aida
elle - même à panſer fa jambe où il ne fe
trouva qu'une légére écorchure´ , avec
une forte douleur dans les nerfs . Tour
cela fe paffa de la part de Colette prèfque
BV
34 MERCURE DE FRANCE.
fans parler , & de la part de Médius , en
articulant feulement quelques mots fans
fuite , qui exprimoient la honte , la tendreffe
, la joie même , enfin tout le défordre
de fon âme.
dra
que
Jufqu'ici le Lecteur raisonnable convien-
Colette ne fit rien que d'indifpenfable
; elle prit même affez fur fon coeur
pour engager fortement fon amant à tenter
s'il fe trouveroit affez de forces pour
fe retirer ; mais foit que cela lui fût encore
impoffible , foit que la Nature , qui
a auffi fes fineffes au befoin , lui infpirât
de fe dire plus mal qu'il n'étoit , il lui fit
fentir l'impuiffance actuelle de pofer fon
pied , & lui demanda la grâce , qu'elle ne
pouvoit lui refufer , de le fouffrir près
d'elle jufqu'à ce que la douleur lui laiffât
la retraite poffible. Colette qui n'avoit pas
un coeur de rocher , beaucoup plus émue
qu'elle ne le laiffoit voir , écoutoit avec
un vif attendriffement toute l'expreffion
de l'amour qui animoit Médius. Il lui
déclara qu'il n'avoit pu triompher du deſir
de la voir encore , pour lui jurer un
amour éternel , pour lui donner fa foi , &
pour obtenir d'elle , finon l'aveu de fon
retour , du moins quelque efpérance qu'-
elle refteroit libre , tant que la fuite des
événemens le mît à portée de réparer l'inOCTOBRE
. 1761.
35
juſtice du fort , en lui offrant légitimement
fa fortune , fon coeur & fa main.
Elle entreprit de lui expofer la grandeur
des obftacles qui s'y oppofoient , & furtout
l'obligation & la ferme réfolution où
elle étoit de ne jamais y donner les mains
elle - même , incapable d'abufer de ſa foibleffe
d'une manière fi préjudiciable à fes
intérêts ; mais il lui fit voir tant de fermeté
dans fon projet , tant d'attachement
pour fa perfonne , tant d'admiration
de fon caractère , & un détachement
fi noble de tout ce qu'on appellefortune ,
qu'elle fe perfuada enfin qu'un refus obftiné
alloit mettre au défefpoir un homme
de mérite qui fe facrifioit fi généreufement
pour elle ; un homme que fon
coeur eût choifi entre tous pour lui faire
les mêmes facrifices , fi la fortune eûr
refpectivement changé leurs états . Dès ce
moment elle ne put réuffir à cacher fon
trouble ; & Médius , devenu plus preffant
par l'espoir d'être aimé , lui exprima
fi pathétiquement toute la pureté & la
vérité de la paffion , qu'il furprit enfin l'aveu
charmant du plus parfait retour. Enchanté,
hors de lui- même , tout à l'amour,
il fe jetta à fes genoux , & lui renouvella
avec feu mille & mille fermens d'une fidélité
inviolable . Elle partageoit toute fa
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
fenfibilité , & ne s'en cachoit plus . Eni
vrés de plaifirs , ils fe dirent tout ce que
l'amour content peut infpirer de plus délicieux
; ils fe donnérent des affurancesréciproques
de ne plus vivre que pour s'adorer
, de braver tous les obftacles , de
triompher de toutes les perfécutions , &
d'attendre jufqu'au bout le terme heureux
où l'hymen pût couronner leur conftance.
Leurs âmes étoient fi pures que dans
cette éffufion des coeurs , Colette n'eut
à combattre aucune tentative téméraire
; ils fe trouvoient trop fatisfaits de
pleurer enſemble , de fe découvrir tout
le fecret de leurs âmes , & de tenir leurs
mains tendrement ferrées les unes dans
les autres.
Tout à- coup la porte s'ouvre... Mathu
rin rentre yvre ; & voyant un homme
dans fa maiſon avec fa fille , fans ſavoir
ce qu'il faifoit, il fort furieux , crie au voleur
, & ramène quatre ou cinq yvrognes
qu'il venoit de quitter , tout cela en un
elin d'oeil. Colette tombe évanouie ; Médius
met l'épée à la main ; mais fa feule
préfence contint ces Payfans . Mathurin
feul juroit & crioit dans les termes les
plus groffiers , que fa fille étoit dès honorée.
Médits tâcha de leur faire entendre
que s'étant démis le pied tout auprès de
OCTOBRE. 1761 . 37
cette maifon , il avoit frappé , & que
Colette lui étoit venu ouvrir, & lui avoit
donné dequoi fe panfer. I.es Payfans le
crurent , ou feignirent de le croire , & ils
grondérent Mathurin qui enfin fe calma .
Médius lui fit promettre qu'il ne donnereit
pas à fa fille le moindre défagrément ;
on la rappella de fon évanouiſſement ; &
Médius eut foin de répéter devant elle
le fubterfuge qu'il avoit imaginé. Elle
rentra dans fa chambre où elle s'enferma
; & deux des Payfans prirent Médius
fous les bras pour le reconduire au Château
.
Cette découverte fit un bruit épouvan
table. Les Payfannes naturellement envieuſes
, & de plus jaloufes de la fupério
rité de Colette , malgré toute la fimplicité
& l'honnêteté qu'elle mettoit en oeuvre
pour fe la faire pardonner , la Bourgeoifie
& la Nobleffe des environs , révoltées
de trouver quelque mérite dans la dernière
des claffes , Mathurin furtout qui
déclamoit & agiffoit comme le plus grand
ennemi de fa fille , tout généralement fe
réuniffoit pour la défoler . Enfin elle n'avoit
pour elle que fa mère qui la plaignît,
& le témoignage de fa confcience qui la
foutînt. Médius étoit au défefpoir. Il eût
fait quelque coup d'éclat pour venger l'a
38 MERCURE DE FRANCE.
vertu opprimée ; mais dans fes tranfports
il conferva affez de bon fens pour fentir
combien un pareil vengeur ferviroit à
rendre la calomnie encore plus animée.
Son père , & furtout fa mère, avoient une
manière de lui applaudir qui mettoit le
comble à fon dépit : Ils fe réuniffoient à
trouver la conduite charmante , digne d'illuftrer
un Gentilhomme & un Officier
qui entroit dans le monde ; comme fi
l'honneur de ces états ne confiftoit pas
moins à s'immoler d'innocentes victimes,
qu'à exterminer les ennemis de la patrie.
Médius avoit beau protefter de fon refpect
pour cette belle fille , & afficher toute
la pureté de fes motifs ; on s'obtinoit
à ne pas l'en croire fur la parole.
Son mal de jambes étoit trop peu de
chofe pour l'empêcher d'agir dans des circonftances
fi preffantes . Il courut chez
fon oncle , qu'il trouva dans fon Parc
avec Sophie fa fille unique , âgée de 20
ans, & digne de l'éducation d'un tel père .
Médius leur fit à tous deux le détail exact
de fon avanture , & il fe fit croire . Son
oncle , en le plaignant tendrement de fa
foibleffe , le réprimanda d'avoir d'abord
pouffé les chofes fi loin , en promettant
d'époufer une fille de ce rang , & dont le
caractère , quoiqu'il lui en femblât , ne
OCTOBRE . 1761.
39
ne pouvoit lui être connu que très -fuperficiellement.
Médius avoua d'avoir été trop vîte , ne
s'excufa que fur la violence de fa paffion
, & fur le mérite de fa maîtreffe, que
dans fon enthouſiaſme il peignit à leurs
yeux des plus brillans pinceaux de l'amour.
11 parut furtout défolé du tort irréparable
qu'il venoit de lui faire , & de
toutes les indignités auxquelles il l'expofoit
par fon imprudence . Enfin , à fa priere,
Arifte attendri le réfolut à aller voir cette
malheureuſe fille , à lui donner quelque
confolation , & à employer route fon
autorité pour mettre le père à la raifon.
Il s'y tranfporta en effet , il la trouva
dans la plus vive affliction , & délibérant
fi elle n'accepteroit point par défefpoir la
reffource du Couvent , qu'elle avoit refufé
par Religion . Notre Sage , en entrant
dans les peines , s'acquit d'abord toute fa
confiance : de forte fans favoir ce que
Médius avoit pu lui dire , elle eut le courage
de lui révéler la vérité toute entière.
Enfin elle fit voir tant de fageffe & de
modeftie , fans pourtant rien diffimuler
de fa tendreffe, que le coeur d'Arifte paffa
bientôt de cette pitié générale qu'infpire
l'hmanité , à l'intérêt touchant dont la
vertu malheureufe pénétre les grandes
que
40 MERCURE DE FRANCE:
âmes. Et prenant en conféquence une ré
folution digne de lui , il lui offrit de l'ar
racher à toutes ces horreurs , en la conduifant
, comme un dépôt facré , dans ſa
maifon , où il lui promit qu'elle feroit
avec fa fille non comme complaifante ,
mais comme amie , l'affurant que le caractère
de cette fille la rendoit digne de
ce nom . Colette enchantée de la propofition
, ne la combattit que par quelques
délicateffes qui furent bientôt vaincues ;
elle s'engagea d'elle -même à ne point
voir Médius avant qu'il partit , & à ne
jamais recevoir de lettres de fa part , à
moins qu'elles n'euffent été vues de cet
oncle , qu'elle jura de confulter en tout
comme un père .
Arifte fe hâta de retourner chez lař ,
pour combler de joie fon neveu , en luit
apprenant fa réfolution . Il lui ordonna
de fe rendre chez fon père , avec promeffe
de ne plus voir fa maîtreffe , & de
fe foumettre comme elle à la loi de ne fe
point écrire fecrettement. Et fur le champ
congédiant Médius , il monta en chaifeavec
Sophie , & fut chercher cette malheureufe
fille qu'il ramena chez lui , à l'a
grande fatisfaction de Mathurin , qui fe
trouvoit bien débarraffé. La bonne mère
fe confola par le bien- être de fa fille , &
OCTOBRE . 1761.. 47
par la permiffion qu'elle obtint aifément
de la venir voir autant qu'elle le voudroit.
Arifte & Sophie goûtoient cette joie pure
& parfaite , qui eft la première récompenfe
des bonnes actions . Colette pénétrée
d'une reconnoiffance qu'elle exprimoit
fans baffeffe , mais avec les caractères
les plus marqués de la tendreffe & de
l'héroïfme, leur parut en peu de jours un
tréfor fi précieux qu'ils crurent avoir beaucoup
plus gagné qu'elle a l'acquérir; & bientôt
ces deux filles eftimables fe trouvérent
liées d'une amitié immortelle , comme la
vertu qui en étoit le lien .
Cette démarche fut bientôt publiée au
Château de la Garenne , qu'elle mit en
combuftion. On y déclamoit , dans les
termes les moins mefurés contre Arifte ,
à qui l'on ne pouvoit pardonner cet acte
d'humanité : on trouvoit qu'il étoit honteux
à un vieillard de condefcendre à la
foibleffe d'un jeune fou, & de le confirmer
dans fes idées romanefques , en prêtant à
cette Payfanne des dehors refpectables , &
en décorant cette amourette du vernis
d'un engagement férieux. Arifte auffi ,
bien perfuadé que l'on prendroit tout au
plus mal , fe hâta de venir éffuyer la bordée
, pour épargner à fon neveu les premiers
éclats . Quand fur de bonnes raifons
42 MERCURE DE FRANCE..
il avoit une fois pris un parti , il n'étoit
pas homme à s'ébranler pour tous les raifonnemens
des Sots ; & dans les occafions,
il avoit le courage vraiment philofophique
, de fe voir feul contre tous : aux emportemens
de la paffion : aux fophifmes
de l'orguei , il avoit coutume d'oppofer
d'abord des principes , & bientôt après le
feul filence. Il repréfenta qu'il ne reconnoilloit
entre les hommes d'autre différence
que celle que peut y mettre la vertu ;
qu'un Duc , qui manqueroit de probité ,
ne feroit pour lui qu'un homme méprifable
, à qui il refuferoit fa fille , pour la
donner à un galant homme , qui n'auroit
d'autres titres que du mérite & de l'amour.
Qu'au furplus , il étoit fort éloigné d'entretenir
une intrigue entre fon neveu &
Colette ; qu'il avoit commencé par éxiger
de Médius qu'il ne la verroit point ; & qu'il
alloit employer tous fes foins à s'affurer
fi le fond du caractère de cette fille étoit
réellement auffi beau que les apparences
fembloient le promettre ; qu'il feroit même
fon poffible pour déraciner cette paf
fion , par toutes les voies de douceur, qui
d'ordinaire réuffifoient mieux que les
moyens violens fur les coeurs fenfibles
& généreux que d'ailleurs il ofoit répondre
que fon neveu ne violeroit point
OCTOBRE. .761. 43
les droits du pouvoir paternel ; & qu'ainfi
il dépendroit toujours d'eux- mêmes d'arrêter
les fuites de fon imprudence , par
leur feule oppofition ; mais qu'en obſervant
fcrupuleufement les précautions de
prudence , que lui infpiroit affez l'honneur
de la famille , il ne fe détermineroit
par aucune confidération humaine , à
laiffer l'innocence gémir fans fecours dans
l'opprobre & la mifére ; & qu'enfin il n'abandonneroit
jamais Colette , à moins
qu'elle -même la première n'abandonnât
la vertu .
Il prononça ces paroles d'un ton fi décidé,
que comme on le connoiffoit inébranlable
dans fes principes , on perdit l'efpoir de
le faire changer. D'ailleurs par cet aſcendant
que donne toujours la vérité fur l'erreur
, & la raifon fur le préjugé , il s'étoit
acquis une fupériorité qui ne permettoit
pas de lui refifter en face. Médius jura à
fes parens qu'il ne démentiroit jamais fon
refpect & fon amour filial ; & qu'il renonçoit
à voir couronner fa tendreffe ,
à moins que dans la fuite ils n'y donnaffent
eux-mêmes les mains , vaincus par
leur propre coeur , & par la vertu reconnue
de fon Amarte , dont il perdroit dabord
l'eftime , s'il étoit capable de penſer ou
d'agir autrement.
44 MERCURE DE FRANCE.
Optime , qui avoit eu le loifir de faire
de profondes confidérations fur l'effet
ordinaire du temps , de l'abfence , & des
diffipations d'un jeune Officier , conclut
en elle - même que fon fils ne pourroit tarder
à fe dégouter le premier de cette chimère
, & à prendre les maximes de fes
jeunes camarades . Auffitôt elle fe leva ,
& dit , avec toute la gravité d'un Politique
confommé , » que le temps étoit
» un grand maître ; que leur fils avoit
» le coeur bienfait ; enfin que tout étoit
» au mieux. Son Mari l'en crut fur fa
parole , comme de tout le refte ; & tout
fut à l'inftant paifible & content dans le
Château .
Médius attendri , les larmes aux yeux ,
demanda à fon oncle la permiffion de lui
parler encore en particulier. Plongé dans
de profondes réflexions fur fes imprudences
, fur les malheurs où il venoit d'expofer
fa Maîtreffe , & fur la reffource inéfperée
que lui avoit fourni la Providence ,
admirant la chaîne merveilleufe des événemens
, & fe perdant dans le labyrinthe
du coeur humain , il eut recours à ce Sage
qu'il pria de concilier , s'il étoit poffible ,
ces contradictions . » Car enfin , lui difoitil
, ma conduite me prouve bien que je
fuis un compofé de bien & de mal.
39
OCTOBRE . 1761.
45
Mais vous , mon cher oncle ! mon père !
" vous êtes la vraie image de la Divinité :
» vous êtes parfait,
1
Arifte fourit gracieuſement , & lui répondit
: ô mon fils ! j'aime ces préventions
de votre amitié ; mais fâchez que quand
je defcends dans mon coeur , j'y trouve
affez dequoi me guérir des féductions de
l'amour- propre. Non , je ne fuis point parfait,
& il s'en faut de beaucoup. Ne croyez
pas , n'efpérez pas même que votre Maîtreffe
le foit jamais ; vous exigeriez l'impoffible.
Tâchez d'approcher de la perfection
, mais ne vous découragez pas quand
vous fentirez que vous n'y atteindrez
point. Croyez , mon ami , croyez que le
vice & la vertu , l'erreur & la fageffe , la
force & la foibleffe , la malice & la bonté,
le bonheur & le malheur , font également
les attributs de l'humanité , & les ingrédiens
de notre compofé. Croyez que les
hommes les plus vertueux font ceux qui
participent le moins au mal ; que les plus
méchans font ceux qui participent le
moins au bien ; mais qu'aucun de nous ne
peut être ni parfaitement vertueux ni parfaitement
vicieux ; parce que l'homme eft
borné dans tout , & qu'enfin il eft éfſentiellement
un être mitoyen.
Tout étoit prêt pour le départ , &
46 MERCURE DE FRANCE.
>
l'adieu devint général . M. de la Garenne
prit dans fes mains l'épée de fon fils
qu'il lui ceignit en Amadis, l'exhortant à
imiter , à furpaffer , s'il étoit poffible , la
grandeur d'âme de fon ayeul, qui , en met- .
tant la Nobleffe dans la famille , avoit
impofé à fes defcendans l'obligation de
marcher en Géans dans les fentiers de la
gloire. Optime prit la parole à fon tour :
O mon fils ! dit - elle en Romaine , je lifois
encore hier dans Horace ce noble)
fentiment : » Il eft doux , il eft beau , de
mourir pour la patrie ! » Puifqu'enfin
tout meurt avec nous affure toi du
moins cette eſpèce d'immortalité qui fait
furvivre les Héros à eux- mêmes . Vis ou
meurs avec gloire , & tu auras rempli test
deftinées , & tout fera au mieux.
Médius embraffa tendrement fon père
& fa mère. Son oncle le ferra dans fes
bras , en lui difant : » Mon cher ami ,
» fais ton devoir de guerrier; mais furtout
» fois fidéle à la probité & à la Keligion .
Le refie au Mercure prochain.
こ
OCTOBRE . 1761 . 47
و
VERS fur l'Année Séculaire de la fondation
du College MAZARIN &
fur la diftribution des Prix , faite le
même jour , 21 du mois d'Août 1762 .
C&UEL fpectacle pompeux vient frapper mes regards?
Des moillons de lauriers brillent de toute parts !
O Temple de Minerve , élevé par la gloire ,
Qui du plus grand des Rois confacre la mémoire ,
De feflons & de fleurs qu'elles mains t'ont paré !
Quel beau jour par nos jeux doit être célébré ?
D'Emules différens une foule empreflée ,
De tes Cirques ouverts fait un nouveau Lycée.
Ah ! puille d'âge en âge , une fi noble ardeur ,
Renaiffant dans tes murs , accroître ta ſplendeur !
Defcends , ô Mazarin ! à ma voix qui t'apelle !
Defcends , pour un moment , de la (phère immor
relle !
Viens contempler ici tes fuperbes deſtins !
L'avenir s'offre à moi fous des fignes certains !
Un fiécle a vu déjà conferver ton ouvrage ;
D'un fiécle encor plus beau je goûte le préfage.
Viens toi-même augmenter la pompe de cejour ;
Vois nos coeurs , à l'envi te prouver leur amour.
Telle , dés en naiffant , * Rome, en fes Séuclaires ,
* Ce fut Valérius Publicola qui inftitua les Jeux Sé48
MERCURE DE FRANCE.
Honora la grandeur de ſes Dieux tutélaires .
Héritier de ton nom , vois l'illuftre NEVERS ,
Donner à nos fuccès des foins toujours plus chers.
Dans fon coeur généreux ta grande âme réfide ;
Ta fageffe l'éclaire , & ta bonté le guide .
Afes titres brillans digne de fuccéder ,
Vois , pour notre bonheur , fon fils le ſeconder.
Jaloux , en t'imitant , d'égaler fon modéle ,
Politique fçavant , & Citoyen fidéle ,
Eftimé comme toi d'un Monarque adoré ,
Délices de fa Cour , il y vit admiré.
Daignez permettre auffi que ma main vous en
cenſe ,
Vous, * doctes Compagnons, qu'unit la Vigilance ;
A vos propres honneurs moi - même aſſocié ,
Du moins , en vous louant , je dois être oublié .
C'eft peu qu'en l'art divin de penfer & d'écrire
Vous formiez ces enfans , envieux de s'inftruire :
( L'Esprit n'eft qu'un fléau chez les coeurs corrompus,
)
Vous leur tracez encor le chemin des vertus.
De votre Fondateur ainfi la prévoyance
Voulut unir à Dieu la gloire de la FRANCE.
Et vous,jeunes rivaux**,fur qui du haut des Cieur
Il verfe , chaque jour , fes bienfaits précieux ,
culaires , après l'expulfion de Tarquin le fuperbe , c'ellà
dire , au commencement que Rome devint République
Aux Profeffeurs.
** Aux Penfionnaires
Vos
OCTOBRE. 1761.
49
༢༩
Vos Ayeux de fon Roi pleurérent les conquêtes;
Bientôt ces tems de deuil fe changérent en fêtes ;
Jule, entr'eux & Louis pour cimenter la paix ,
Vous affura l'honneur d'avoir un coeur Français.
Méritez déformais ce titre magnanime ;
De vos Concitoyens difputez - vous l'eſtime ;
Et déjà triomphans dans le Temple des Arts ,
Allez ravir , un jour , les Couronnes de Mars.
Nota. Ces vers , qui avoient été demandés
à l'Auteur , pour être lûs ou récités
par le Profeffeur de Seconde de ce
Collége , qui prononça en Latin le Dicours
fur l'année féculaire de fa fondation
, furent déclamés par un Ecolier , ce
qui obligea d'en retrancher plus d'un
tiers , & par conféquent en défigura totalement
le fens & l'enfemble.
VERS préfentés avec une fleur , par
Mlle PINET DE TRONSIN , à M.
fon frère , le jour de fa fête.
Des mains de l'amitié fidelle , ES
Cher frère , reçois cette fleur .
J'en aichefché longtemps une , qui de mon coeur
Marquât quelle eft pour toi la tendrelle éternelle
I. Vol. C
So MERCURE DE FRANCE
Mais nos Campagnes , par malheur ,
Ne produifent point d'immortelle.
A Montigny aux Amognes , en Nivernois, le &c.
VERS adreffés à M. l'Abbé Spar
M. D. C. D. N.
D mes écrits , Juge éclairé ,
O toi dont le goût épuré
Y porte le flambeau de la faine critique ,
Que fais-tu fous ton toit ruftique?
Afyle préférable aux fuperbes lambris
Que bâtiffent l'orgueil & la délicateffe ,
Qu'habitent les pâles ennuis ,
La goutte enfant de la moleſſe ,
L'oifiveté mère des noirs foucis ,
La vieilleffe prématurée
Et les remords à la vue égarée.
Y chantes- tu tantôt les querelles des Rois ,
Tantôt les amours des Bergères ;
Ou bien t'égarant feul dans l'épaiffeur des bois
Rêves-tu des heures entieres
$
Sur les fources du vrai bonheur ?
Heureux ami ! tu dois le trouver dans ton coeur,
Des Dieux l'indulgence propice
T'a donné la Vertu , les Talens , la Santé.
La douce médiocrité
1.
OCTOBRE. 1761 . T
Te met à l'abri du caprice
De l'aveugle divinité.
Ta table propre , mais frugale ,
Ne reçoit que de vrais amis.
Qui de ton amitié connoiffent tout le prix ;
Et ton âme toujours égale
Ignore jufques au defir.
Cher ami , le temps preſſe , hâte-toi de jouir.
Tous ces plaifirs qui font le charme de ta vie
Un inftant peut te les ravir.
Vivons , difoit Catulle à fa chère Lesbie ,
» Vivons , livrons - nous aux amours ,
» Et ne comptons pour rien les cenſures auſtères
>> Des envieux féxagénaires .
» Au jour qui prend ſa fin luccédent d'autres jours;
» Mais notre vie eſt comme une courte journée
» Et fitôt qu'elle est terminée ,
» Nous nous endormons pour toujours
Ami , cette Morale eſt ſage.
Si tu fçais la mettre en ufage ,
La mort, loin de t'épouvanter ,
Te paroîtra digne d'envie ;
Et tu fortiras de la vie ,
Ainfi qu'on fort d'un long fouper
Cij
2 MERCURE DE FRANCE .
LE MERLE ,
FABLE.
UN Merle ayant appris à chanter à la Ville ,
Se crut longtemps un Chantre fort habile ;
Soir & matin un bon Bourgeois
Qui fe piquoit & de goût & de voix ,
Lui fiffloit le même air. L'oiſeau fous un tel Maître
Perdit ce chant naturel & champêtre ,
Plus agréable mille fois ,
Qu'il avoit apporté des bois.
Tout fier de ce nouveau ramage ,
Il répétoit & fans ceffe & fans fin
(
Un air commun , dont le refrain
Ennuyoit tout le voisinage.
Du Maître un tel concert faifoit le paffe-temps :
On peut manquer ou d'oreille ou de fens ,
Mais s'amuler eſt toujours ſage.
Le bonhomme étoit riche; il poffédoit aux champs
Une agréable métairie ,
Où lui , fa femme & les enfans
Alloient paffer l'automne tous les ans.
Du Merle c'étoit la patrie.
On le met du voyage ; & bien fûr d'y briller
Par un talent fi fingulier ,
Il s'en félicitoit d'avance.
OCTOBRE. 1761 .
53
Quant à ces doux raviflemens
Qui faififfent le coeur dans ces premiers momens
Où l'on revoit les lieux de fa naiſſance ,
Un oiſeau de cette importance
Pour s'y livrer étoit trop orgueilleux ;
Il fe croyoit un Etre merveilleux ,
Un Etre dans fon genre , incomparable , unique.
Placé fur un balcon , il fiffle tout le jour ;
C'eſt là qu'en Maître aux oiſeaux d'alentour
Il croit donner des leçons de Mufique.
Tous viennent en effet l'écouter tour-à- tour ,
Sans qu'aucun jamais lui replique.
Le même air , le même retour
D'un bruit plus monotone encor que méthodique ,
Les excéde tant qu'à la fin ,
Ils défertent tous le jardin.
Un feul , plus curieux , voulut du moins connoître
Cet oifeau qu'il fuppofoit être
D'une espéce nouvelle & d'un pays lointain.
Près de la cage il ſe perche ſoudain ,
Il examine , il confidère :
Quelle furpriſe pour tous deux !
Au feul plumage , chacun d'eux
Dans l'autre croit trouver ſon frère .
Le Merle en liberté dit au Merle en priſon ,
Tes malheurs t'auroient-ils fait perdre la raifon?
(ubien , quel ridicule extrême
Parmi les tiens te fait prendre ce ton ?
Ami , quel eft donc ce jargon?
C.iij
14 MERCURE DE FRANCE.
Nul de nous ne l'entend , & je crois tout de bon
Que tu ne l'entends pas toi-même.
Pour foutenir ce ton faftidieux
A tout moment tu perds haleine....
Reprends le tien , tu chanteras bien mieux ,
Et tu n'auras pas tant de peine.
Ainfi dans les états divers ,
Au lieu de nous tenir à la fimple Nature ,
On croit la redreffer quand on la défigure
Par toute forte de travers.
Par M. L. L. B.
RÉPONSE à M. de la Place , fur la
queftion propofée dans le fecond Mercure
de Juillet , à l'occafion de l'Officier
Union & du Soldat Valentin.
ON ne peut s'empêcher , Monfieur ,
d'être touché de la conduite noble & généreufe
de l'Officier Union , & du Soldat
Valentin : tous deux méritent les plus
grands éloges : tous deux m'ont fait verfer
des larmes d'admiration . La queſtion
qu'on a propofée dans votre Mercure eft
un peu délicate ; il n'eft pas aifé de déci
der qui des deux eft le plus grand , ou
celui qui a expofé fa vie pour fon enne
OCTOBRE. 1761. Y
mì , ou celui qui n'a pû furvivre à fon
Bienfaiteur. Cependant s'il m'eft permis
de hazarder mon fentiment , il me femble
que Valentin mérite la préférence , & a
eu peut-être la gloire d'avoir formé un
Héros .
Plus l'offenfe eft grande , plus on y eft
fenfible ; le reffentiment eft toujours en
proportion de la durée , & de la violence
de l'injure. Ce principe pofé, Valentin devoit
être l'ennemi mortel de fon Officier;
il étoit fon rival en amour , & comme tel
il n'eft pas difficile à croire qu'Union faififloit
toutes les occafions pour le mortifier
auffi difoit- il qu'il donneroit fa vie
pour être délivré d'un tyran qui le traitort
avec tant de barbarie. Cependant il ne
voit pas plutôt ce tyran en danger, que fes
fentimens héroïques fe déployent : Supérieur
aux préjugés vulgaires , & s'élevant
au-deffus d'une âme commune , qui n'auroit
rien tant defiré que de fe repaître du
plaifir malin de le voir écrafé fous les
pieds des chevaux , Valentin s'expoſe à
une mort prefqu'inévitable ; il furmonte
tous les obftacles qui s'oppofent à fon paffage
, enléve courageufement à travers
toutes fortes de dangers , le corps de fon
ennemi , & a la gloire de l'arracher à une
mort affurée.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
L'efprit humain eft toujours porté à recevoir
l'empreinte du Beau ; notre âme
s'aggrandit , nos fentimens s'élèvent dès
que nous remarquons des fentimens élevés
dans les autres ; par un mouvement
fubit & involontaire , nous tâchons de
nous mettre à côté des grands hommes
dont nous entendons rapporter quelque
fait extraordinaire , digne d'être avoué
par les Catons ou les Socrates , nous
voudrions pouvoir imiter leur héroïque
vertu. Auff Union ne peut fe refufer aux
traits généreux de Valentin ; il ne peut
réfifter à tant de grandeur d'âme. Les
fentimens , mais ces fentimens nobles qui
forment les grands hommes , prennent
la
place de la brutalité. Il devient enfin digne
de balancer la gloire de fon rival
mais c'eſt à lui à qui il en eft redevable .
Valentin fait paffer dans le coeur de fon
ennemi un fentiment jufqu'alors inconnu
; la reconnoiffance la plus vive fuccéde
à la haine la plus farouche ; d'homme
brutal & fauvage , il devient ami fenfible,
héros généreux & fublime : il lui eft
impoffible de fe féparer du cadavre fanglant
de fon Bienfaiteur qui tombe expirant
à fes pieds . Ah ! Valentin , s'écriet-
il , en rompant un filence mille fois plus
touchant que les larmes les plus abondanOCTOBRE.
1761 .
57
tes,Valentin,eft- ce pour moi que tu meurs?
pour moi qui te traitois avec tant de
barbarie ?Je ne pourrai pas te furvivre...
Auffitôt le défefpoir s'empare de tous fes
fens ; il meurt accablé de regret.
C'est ainsi que la générofité de l'un
étouffa l'inimitié de l'autre. Quand le
Soldat Valentin n'auroit eu que la gloire
d'avoir réprimé fes mouvemens , cette
fatisfaction fi naturelle que nous avons de
voir fouffrir notre ennemi ; quand il n'auroit
, dis-je, eu que la gloire d'avoir vaincu
ces faux préjugés qui dégradent fi fort
la Raifon , & qui auroient fait regarder à
tout autre moins généreux que lui , la
mort de fon Rival comme un triomphe,
Valentin feroit un Héros à mes yeux.
Mais outre ces mouvemens de vengeance
reprimés , ces préjugés vaincus, s'expofer
foi même à une mort inévitable pour fauver
la vie à un tyran féroce , c'eft le comble
de l'héroïsme. Il faut être magnanime
pour avoir fait ce que fit Valentin ; il auroit
fallu être un monftre pour avoir yû
mourir fon Bienfaiteur fans témoigner
aucune marque de douleur ; mais il faut
être bien grand pour n'y pouvoir ſurvivre.
Auffi , Monfieur, je le répéte, c'eft une
queftion difficile à décider : ce font deux
Héros ; celui qui voudroit abbaiffer l'un
C v
要
48 MERCURE DE FRANCE.
pour élever l'autre, feroit incapable d'imi
ter aucun des deux , peut-être même de
fentir l'héroïfme de leurs actions . Si j'ai
tant foit peu mis l'un au- deffus de l'autre,
c'eft que je ne regarde pas l'imitateur fi
grand que le modèle ; & qu'il eft certain
que Valentin auroit été capable de faire
ce que fit Union , & qu'il ne l'eft pas
qu'Union eût fait ce que fit Valentin.
J'ai l'honneur d'être & c.
P ..... C.
Des environs de Saintes , le 25 Août 1761.
**
RONDE AU à pour s'excufer de
faire un Dialogue qu'on demandoit
entre les trois Vertus Théologales.
A LA Fontaine où l'on puife cette eau ,
Qui fur le haut de la double colline ,
Par un chemin difficile & nouveau ,
Conduit tous ceux qui du docte Boileau ,
Du grand Corneille , ou du tendre Racine₂
Suivent de près l'éloquénce Divine ,
Si comme toi , je bûvois à plein ſeau ,
Des trois Vertus je peindrois le Tableau ,
Ala Fontaine.
OCTOBRE 1961 . 59
A mon défaut qu'un autre le déffine ;
Si tu le veux , tu peux de ton pinceau ,
Le crayonner auffi touchant que beau.
T'offrir des traits de ma touche peu
Illuftre ami , ce feroit porter l'eau ,
A la Fontaine.
fine ,
EPITRE à Madame DENYS ,
un Académicien des Arcades.
N'EN doutons plus , ce charme de la vie ¸
Ce calme heureux , ce plaifir pur & doux ,
Que promet la Philofophie ,
par
Et que mon coeur n'a trouvé que chez vous ,
N'eft point le fruit d'une vertu fauvage ,
Qui toujours mécontente , enſeigne à tout hair.
L'homme eft né pour aimer , c'eſt ſon plus beau
partage ;
Le fentiment feul fait jouir.
Mais ni l'or de Créfus , ni les palmes d'Achile ,
Ni ces lauriers , dont Homère ou Virgile
Ont paré leurs fronts glorieux ,
* Madame Denis eft niéce de M. de Voltaire , elle
réunit aux qualités qui font aimer fon fexe , celles qui fone
eftimer le nôtre . Depuis la mort d'un époux qu'elle chériffait
, elle confacre la liberté qui lui refte , à vivre auprès
de cet oncle , auffi refpectable par les qualités de fon
coeur , & la douceur de fon commerce , que juſtement
fameux par fes Ecrits..
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Ni les tendres langueurs d'un délire amoureux ,
Ne calment de nos coeurs les guèrres inteſtines .
S'ils offent un bonheur , il coute des foupirs
L'amitié feule unit tous les plaifirs:
C'eft une role fans épines.
La paix du coeur & le calme des fens ,
L'art de voir du même ceil le port & le naufrage ,
Aimer , fe faire aimer , jouir de ſes momens ,
N'eftimer les plaifirs qu'autant qu'ils font conftans,
Voilà le vrai bonheur ; c'eſt l'idole du Sage.
Il eſt le prix des vertus , des talens ,
Sage Louife , enfin il eft votre partage.
Votre maiſon eſt le Temple des Arts.
De l'Apollon François , elle eft le fanctuaire.
C'eft en ces lieux que loin des profanes regards
Votre âme fe nourrit des leçons de Voltaire .
C'est là que tour-à- tour Minerve & les neuf Soeurs,
Sur votre front dépofent leur couronne ; I
Mais aux frêles lauriers qu'au Parnaſſe on moiffonne
,
Vous mêlez de plus chères fleurs :
Vous jouillez des droits que fur tous les bons coeurs
La confiance ou l'amitié vous donne.
Toujours préfente & chère à vos amis ,
'Ainfi que vos vertus , ils chantent vos écrits.
Tranquille fous les yeux de ce ce vafte génie
Dont vos foins , vos talens , votre heureufe doucepr
OCTOBRE. 1761.
Soutiennent les travaux , & confolent la vie ,
Et qui n'ouvre qu'à vous les trésors de fon coeur;
Vous vous créez le fort le plus digne d'envie.
Glorieuſe d'offrir un généreux appui
Au reste le plus pur du fang du grand Corneille ,
Vous voulez qu'il foit digne, & de vous, & de lui ...
Sans doute il le fera : votre tendreſſe y veille .
Vous faites des heureux , c'eft le fouverain bien.
Les deux fexes enfin vous doivent l'un & l'autre ;
Vous avez réuni tous les charmes du vôtre
Aux plus rares vertus du mien.
AuChâteau de Ferney , pays de Gex , le 22
Juillet 1761 .
EPITRE à Mlle CORNEILLE.
Vous d'un nom facré , refpectable héritière ,
Vous qui réuniffez tous les droits fur nos coeurs ,
Fille du grand Corneille , & digne d'un tel père ,
Arbriffeau précieux , que fous l'oeil de Voltaire *
Vous couronnez déjà de fleurs !
Enfin d'unfort cruel , vous bravez les rigueurs :
Chaquejour vos plaifirs croiffent avec vos charmes.
* Toutes les perfonnes curieufes de bel es actions & de
belles- lettres , ne peuvent ignorer que M. de Voltaire a ,
pour ainfi dire , adopté la niéce du grand Corneille ; qu'il
éléve cette jeune perfonne , & qu'il confacre , ainfi que
Madame Denys , tous fes foins à lui donner une education
aufli utile que brillante.
इ
2 MERCURE DE FRANCE.
Que vos premiers malheurs doivent vous être chers ?
Qu'il eft doux de penfer aux maux qu'on a fouf
ferts ,
Quand la tendre amitié féche à jamais nos larmes !
Tout eft changé pour vous , & vous ne l'êtes pas.
Votre coeur , de foi toujours maître ,
De les nouveaux deftins augmente les appas ,
En béniffant l'ami qui les fit naître.
Le bonheur trop fouvent aveugle , il vous inſtruit;
Et toujours au- deffus du fort dont il jouit
Cejeune coeur , en cet illuftre afyle
Qu'ouvrit votre grand nom , que parent vos vertus,
Tel qu'aux vergers d'Evreux * toujours pur &
tranquile ,
Ne s'eft permis qu'un fentiment de plus.
De la naifante fleur que le Soleil colore ,
Vous êtes le portrait , vous avez la fraîcheur ;
Et vous trouvez comme elle un aftre bienfaiteur
Dans l'ami généreux que votre coeur honore.
Ce génie immortel , dont les favans écrits
Des fiécles à venir rempliront la mémoire ,
L'honneur du nom Français , le Dieu de fes amis ,
Et le Peintre des Rois qui lui doivent leur gloire ,
Voltaire... vous trouvez en luitous vos parens : }
Ainfique le mérite , il en a la tendreſſe.
Ses utiles leçons forment vos jeunes ans .
* Mlle Corneille eft ainfi que fes ayeux originaire de
Normandie. Elle est née à Evreux , petite Ville de cette
Province,
OCTOBRE. 17617
63
Et vous confolez fa vieilleffe .
Son front pur & paré de lauriers toujours verds ,
A vos yeux innocens fourit & s'intéreffe ;
Et d'une main de père il vous carefie ,
Lorfque de l'autre il inftruit l'Univers.
Que du fein du tombeau ta grande âme s'éveille :
Aux cris de l'amitié , réponds , divin Corneille !
Renais , pour te livrer aux tranfports les plus chers.
Viens embraffer l'ami qui t'appelle fon maître :
Vois ta fille , ton fang , tranquille dans le port,
S'élever fous les yeux du feul homme peut- être
Qui mérita de rendre heureux ſon fort.
Il t'adore , il te voit , te chérit dans ta fille ;
Ton nom divin fe mêle à leurs doux entretiens :
Ne faites déformais qu'une même famille ;
Comme il chante tes vers , reviens chanter les fiens.
Unis par un enfant , que Corneille & Voltaire
Donnent des moeurs au peuple & des leçons aux
Rois :
Qu'aux droits de la Nature , uniſſant d'autres droits,
Cet enfant tour-à-tour les appelle fon père .....
Que cet augufte nom eft flatteur pour tous trois!
Qu'il feroit beau de voir aux rives de la Seine
De Mérope & du Cid les fublimes auteurs ,
Attacher tous les yeux , enchaîner tous les coeurs
Les pénétrer de la flâme foudaine
Qui dévore & nourrit leur âme plus qu'humaine! ...
Où m'emportent , hélas ! des defies trop flatteurs
Ah ! ramenez du moins au ſein de la patrie ,
64 MERCURE DE FRANCE.
L'objet de nos regrets , de nos voeux éternels .
Embéllifez tous deux cette ville chérie ,
Venez... partout vos noms trouveront des autels.
Qu'à votre augufte aſpect la vertu ſe réveille ,
Et qu'à travers les flots d'un peuple admirateur ,
Voltaire offre fon front où repoſe l'honneur ,
Et préſente aux Français la fille de Corneille .
Au Château de Ferney , le 24 Juillet 1761 .
VERS pour être mis au bas du Portrait
de M. TITON DU TILLET , ancien
Maître d'Hôtel de feue Madame LA
DAUPHINE , Auteur du Parnaffe
Français
D.u Titon de l'Antiquité,
Avec notre Titon , telle eft la différence :
L'un reçut & perdit fon immortalité ;
L'autre en jouit , & la diſpenſe.
Par M. de L..... Abonné au Mercure.
RÉFLEXION.
LE FASTE vainement donne un rang chez les hom
mes ;
La façon de penfer nous fait ce que nous fommes.
Le Rôturier Couvent eft Noble ſuppoſé ;
Le Noble eſt quelquefois Rôturier déguiſé,
OCTOBRE, 1761 .
IMITATION de la XVe Ode du III
Livre d'HORACE.
E POUSE d'un Mari que pourſuit la difgrace ,
Dis- moi , vieille Cloris , quand s'éteindront tes
feux ?
Sur les pas de la mort qui de près te menace ,
Veux tu faire marcher les plaifirs & les jeux ?
Sous ces Arbres touffus , où l'on voit Terpficere
Façonner dans fon Art les beautés du Hameau ;
Pourquoi mon oeil furpris te trouve- t -il encore ?
Y viens-tu fervir d'ombre à ce brillant Tableau ?
Que ta fille s'amufe à fouler l'herbe tendre ;
La danſe & les plaifirs pour elle femblent faits.
Qu'aux piéges qu'elle tend Damon fe laiffe prendre;
On doit un tendre hommage à ſes jeunes attraits.
Pour toi, vieille Coquette, en vain tu prens ta lyre,
A table envain d'Aï * tu fables la liqueur ,
Je lis dans tes regards ce que tu n'oſes dire ;
* La Porte d'Auteuil où il y a bal tous les Jeudis & les
Dimanches , & où toutes les jolies femmes de Paris vont
danfer.
** Coteau où se trouve le meilleur vin de Champagne.
66 MERCURE DE FRANCE .
Mais tous ces traits lancés n'éffleurent
coeur.
pas
mon
Lorfque fous tes drapeaux , à force d'impofture ,
Tu cherches vainement , Cloris , à m'enrôler ;
Du temps fur ton vifage , en voyant l'Ecriture ,
Mon mépris fans pitié te condamne à filer.
Fait
MADRIGAL
par un petit Chien , fur les Fables
de M. l'Abbé AU BERT.
Lepremier Madrigal que la gent- chienne
ait fait.
ESOPER OPE nous donna la voix
Phédre épura notre langage;
La Fontaine l'orna d'un nouvel avantage:
Mais nous retrouvons à la fois
1 Dans ce Livre charmant dont nous formons la
LI
Scène ,
Efope , Phédre & La Fontaine.
E mot de la premiere Enigme du
Mercure de Septembre , eft , le Mouvement.
Celui de la feconde , eft , le fon ,
qui a trois fignifications en François : fon,
fuite de l'impreffion que les corps réfonOCTOBRE.
1761. 67
hans font fur les oreilles ; fon , ce qui
refte de la farine , lorfqu'elle eft blutée ;
fon , pronom adjectif & pofleffif. Le mot
du premier Logogryphe , eft , Généalogie.
Les différentes combinaiſons que
donne ce mot , font , Enée , Loi , Elie ,
Nil , éloge , ia , Aon & Nélée , élégie ,
Egon , neige , ego & lego , Eglé ,lion
& âne , gelée , long. Celui du fecond ,
eft , regard. On y trouve rade , gare, garde
, áge , Gerard, Inftituteur de l'Ordre
des Chevaliers de S. Jean de Jéruſalem .
Agde , Egra , rage.
Nou
ENIGM E.
ous fommes douze foeurs , filles d'un même
père ,
Pas toujours d'une même mère.
Chacune fucceffivement ,
Enfante quatre mâles ,
Qui produifent pareillement ,
A diſtances égales ,
Plus de trois cent filles par jour ,
Chacun à fon tour.
Ceux-là naiffent de leurs femelles ;
Nous en naiſſons auffi bien qu'elles :
Ils nous forment ; nous les formons ;
Après quoi nous recommencons .
ParM. S... des environs de Brive - la-gaillarde .
68 MERCURE DE FRANCE.
AUTR E.
MON corps , plein de delicateſſe ,
Coute à bâtir un million de foins ;
Chacun m'eftime plus ou moins ,
Selon quej'ai plus ou moins de fineffe.
Dans la terre eft mon premier lit ,
Dans une fleur mon fecond nid .
Jadis j'habitois chez les Princes ;
Et rarement dans les Provinces
On avoit connu ma beauté :
Mais j'ai fuivi la vanité
Dans tous les coins de fon empire ;
On cherche en moi le goût , la nouveauté.
Un Roi me porte , un valet me defire ,
Et mon triomphe a partout éclaté.
Je fuis au Temple , à la Cour , au Théâtre ,
La Financiere m'idolâtre ,
La Coquette me méne au Bal ,
Et les Dévotes à confeſſe ;
Enfin , jugez de ma foibleſſe
L'eau me gonfle , & me fied très- mal ;
Jufqu'à la mort néanmoins je fais plaire.
Ami Lecteur , on ne voit plus que
moi ;
Me trouver n'eft pas une affaire ;
Cherche- moi bien fur ta femme & fur toi.
Par M. P.
OCTOBRE. 1761. 69
LOGO GRYP H E.
CORINE, Clépatre , Héléne , Athénaïs ,
Tant d'autres , dans chaque Pays ,
De mes traits enchanteurs ont montré la puiſſan
ce.
Lecteur , à ce début , reconnois mon éffence ,
Dont les fix pieds , foumis à ta combinaiſon ,
Pourront te défigner ce qu'en toute ſaiſon ,
Lucullus fit fervir à fa magnificence ;
Un époux malheureux ; une Ville de France ;
Un accès violent , contraire à la raiſon ;
Ce qu'avec dignité fçut être Scipion ;
Un Oifeau ; certain fruit très- commun en Provence.
Je t'en ai dit affez : cherche , rumine , penſe.
Par M. de LANEVERE , ancien Moufquetaire
du Roi , à Dax .
ELIVE
AUTR E.
LÉVE de Bellone , au milieu des haſards
Je me plais à marcher fur les traces de Mars.
Pour fçavoir qui je fuis Lecteur , en mon éſſence
Cherche un Héros des Grecs , admiré dès l'enfance
:
Un fameux Amiral , qui fit qu'Elizabeth *
• Reine d'Angleterre.
70 MERCURE DE FRANCE.
D'un puillant ennemi renverfa le projet ;
Belle , dont les attraits font chantés par Pé
trarque ;
Le père de Théfée ; un Augufte Monarque ,
Philofophe fublime , Empereur fans égal ;
Un de les Succeffeurs , Soldat & Général ;
Celle qui de Jacob fut l'épouſe chérie ;
Un Guerrier , qui jadis s'illuftra dans Pavie ;
Un Peuple & fa Patrie ; un Oifeau paſſager ;
Ce qu'en France , avec Art , les Dames font bril
ler ;
Le Théâtre célébre , où Cefar , par ſa gloire ,
Du Vainqueur de Porus égala la mémoire ;
Le contraire d'humain ; le contraire de gais
Le furnom d'un des Rois dont parle ' Megerai....
Quoique , par ce détail , on puifle me connoître ;
Lecteur , j'ajoûterai qu'onze pieds font mon être.
Par le même.
NON,
CHANSON.
tous les coeurs foumis à ton empire
N'éprouvent point , Amour, un fort charmant
Le Roffiguol chante en aimant ,
Mais la Tourterelle foupire.
'Amour , pardonne- moi, mon coeur a toujours fu
Le fort du Roffignol & de la Tourterelle.
Je ne puis chanter comme lti :
Je craindrois de gémir comme elle;
+
Non , tous les coeurs soumis à ton empire
Néprouvent point amour, un sort charmant,
Le rossignol chan
te en aimant
Wais la tourterelle sou - pi- re, Le rossignol
chan te en aimant
Mais la tourterel le soupire Mais la tourte
Fin
Джо
W
relle soupi -re.Amour, pardonne moi, mon
coeur a
toujoursfui Le sort du rossi
gnol et de la tourterel - le je ne puis chan
Ти
+
ter come Lui
je craindrois degémir come el
je ne puis chanter come lui re craindrois de gé
to To
W
emir come elle . Non tous les coeurs.
Grave par Me Charpentie.
Imprimé par Tournelle.
OCTOBRE. 1761. 71
ARTICLE II.
VOUVELLES LITTERAIRES.
ÉLOGE DE RENÉ DUGU AYTROUIN
, Lieutenant- Général des
Armées Navales , Commandeur de
-l'Ordre Royal & Militaire de Saint
LOUIS: Difcours qui à remporté le
Prix de l'Académie Françoife en :
1761 ; par M. THOMAS , Profefeur
en l'Univerfité de Paris , au College
-de Beauvais. Parum ad mortes noftras
terra latè patet. Senec . natur. quæft. A
Paris , Chez la veuve de Bernard Bru-
Imprimeur de l'Académie Françoife
, Grand'- Salle du Palais. 1761 .
M.THOMAS
vient de recevoir un
nouveau prix d'Eloquence à l'Académie
Françoife dans la féance publique du jour
de S. Louis. C'eft la troifiéme couronne
qu'il remporte en trois années. Le voilà
familiarifé avec les victoires , & bientôt
72 MERCURE DE FRANCE.
on pourra dire de lui ce que difoit Tacite
d'un fameux Romain : Jam tantus erat ut
poffet triumphos contemnere. Il avoit fçu
louer un Magiftrat & un Guerrier ; il vient
de célébrer un homme de mer. C'eſt une
preuve infaillible d'un rare talent, de pouvoir
ainfi traiter avec le même fuccès dif
férens fujets . Comme auffi c'eft une gloiré
bien flatteufe de donner un nouvel
éclat à celle de nos grands hommes : fans
méconnoître certains avantages de l'Hiftoire
fur l'Eloquence , on peut dire que
l'Orateur affure les Héros d'une plus belle
immortalité que l'Hiftorien. Auffi l'on
a fans doute remarqué, à l'honneur de l'Académie
Françoife , qu'elle fait revivre autant
qu'il eft en elle , l'ufage de ces anciennes
Républiques , où l'on érigeoit des
ftatues aux Citoyens qui avoient bien
mérité de la patrie . Des difcours éloquens
font des monumens plus durables que le
marbre & l'airain ; & ceux qui s'illuftrent
dans la carrière des armes ou des loix , doivent
aimer par reconnoiffance les gens de
Lettres.
Des réfléxions Philofophiques & touchantes
fur les inconvéniens de la navigation
ouvrent l'éloge de DUGAYTROUIN...
La navigation eft devenue un
fléau néceffaire auffi utile aux états , que
funefte
OCTOBRE. 1761 . 73
funefte au genre humain. Quelques Cenfeurs
févères ont jugé qu'il n'étoit pas
adroit de commencer l'éloge d'un Héros
par la fatyre de l'art où il s'eft diftingué .
Mais ce défaut , fi c'en un , eft bien excufé
par l'éloquence , & furtout par l'amour
de l'humanité. Ce noble fentiment
n'a pas permis au Panégyrifte de Duguay-
Trouin de diffimuler les abus affreux d'un
Art qui fait la gloire d'un petit nombre
d'hommes & le malheur des autres.
" Queft-ce qu'un homme de Mer ?
» C'eſt un homme qui, placé fur un élé ÷
»ment orageux où il a des ennemis à
» combattre , doit mettre toute la natu-
" re d'intelligence avec lui -même. Con-
" noître toutes les qualités du Navire
qu'il monte ; en faifir d'un coup d'oeil
" toutes les parties ; leur commander
» comme l'âme commande au corps ,
» avec le même empire & la même rapidité
; diftinguer la direction réelle des
" vents de leur direction apparente ; di-
" minuer ou augmenter à fon gré leur
" impulfion ; tirer de la même force des
effets tout contraires ; fe rendre maître
» de l'agitation des vagues , ou même la
»faire concourir à la victoire ; enchaîner
"l'inconftance de tant de caufes différen-
» tes , de la combinaifon defquelles réful-
I. Vol D
74 MERCURE DE FRANCE .
» te le fuccès ; enfin calculer les proba-
» bilités , & maîtriſer les hafards : tel eft
» l'Art d'un homme de Mer.
On ofe dire ici que nous ne ferons
puiffans fur les mers que lorfque la Marine
marchande fera la pépinière de la Marine
Royale. En effet , en Angleterre la
Marine marchande eft une école où les
Particuliers rifquent leur fortune , pour
apprendre à foutenir un jour la fortune
publique. Le fervice dans l'une eft un degré
pour paffer à l'autre. » C'eft du fein de
» la Marine marchande que font fortis
» nos plus grands hommes de Mer , Jean
» Bart,Tourville & le Chevalier Paul:
» c'est elle qui a formé Dugay-Trouin. La
» nature qui le deftinoit à faire de gran-
» des chofes lui accorda la faveur de naî-
» tre fans ayeux .... Il naquit au ſein
» de cette profeffion que l'orgueil dé-
» daigne & qui fait la grandeur des Etats.
"
L'Orateur n'oublie point l'enfance de
fon Héros : elle annonça ce qu'il devoit
être un jour. Il éprouvoit à la vue des Vaiſ
feaux cette émotion douce & puiffante
qui eft la voix du génie. C'eft fur une Frégate
armée par fa famille qu'il commença
fa carrière. Le récit de fon premier combat
qui fut fa premiere victoire , eſt ame-
Le brave Thurot eût auffi pu trouver ici fa
place , de l'aveu des Anglois même.
OCTOBRE , 1761 . ་ ་
né par des pensées énergiques & profon
des fur les différences des combats de Terre
& des combats de Mer.
>> Les batailles de terre préfentent, à la
» vérité , un ſpectacle terrible : maisdu
» moins le fol qui porte les combattans
» ne menace point de s'entr'ouvrir fous
2
»
leurs pas ; l'air qui les environne , n'eſt
» pas leur ennemi , & les laiffe diriger
» leurs mouvemens à leur gré ; la terre
» entiere leur eft ouverte pour échapper
» au danger. Dans les combats de Mer, les
élémens, principes de la vie, deviennent
» tous les miniftres de la mort. L'eau
» n'offre que de vaftes abîmes ,dont la fur-
» face balancée par d'éternelles fecouffes ,
» eft toujours prête à s'ouvrir. L'air agité
» par les vents, produit les orages, trom-
» pe les éfforts de l'homme , &le préci
» pite au-devant de la mort qu'il veut évi-
» ter. Le feu déploye fous les eaux fon
99
activité terrible , entr'ouvre les Vail-
» feaux , & réunit la double horreur d'un
naufrage & d'un embrâfement. La ter-
» re reculée à une diſtance immenſe , re-
» fuſe fon afyle ; fa proximité même eſt
» dangereuse , & le réfuge eft fouvent un
» écueil. L'homme ifolé & féparé du
» monde entier, eft refferré dans une prifon
étroite, d'où il ne peut fortir, tandis
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
» que
"
la mort y entre de tous côtés . Mais
parmi ces horreurs , il trouve quelque
chofe de plus terrible pour lui , c'eft l'hom-
» me fon femblable qui , armé du fer; &
» mêlant l'art à la fureur , l'approche, le
joint, le combat , lutte contre lui fur ce
» vafte tombeau , & unit les éfforts de fa
rage à celle de l'eau , des vents , & du »
» feu.
Bientôt la famille de Duguay-Trouin
le juge digne de commander , & lui confie
un vaiffeau. Il eft jetté par la tempête
fur les côtés d'Irlande ; mais la flamme des
vaiffeaux qu'il brûle éclaire les campagnes
où fumoit le fang des malheureux foldats
de Jacques II.
fim-
Les détails des exploits de Duguay-
Trouin , lorsqu'il n'étoit encore que
ple Armateur, rempliffent cette première
partie. On admire fa valeur dans les dangers
, fa modeftie dans les fuccès , fon
défintéreffement , les regrets qu'il donne
à la mort de deux de fes frères , fa ferme
té dans les revers. Il fçut mettre à pro.
fit le malheur même & faire oublier fes
difgraces. Echappé de l'Angleterre où il
étoit retenu prifonnier , il fe venge en
triomphant de ce Peuple , qui a fondé ſa
puiffance fur la Marine & le commerce.
Bientôt le bruit de fes exploits parvient à
la Cour; & Duguay-Trouin attire les
OCTOBRE. 1761 . ウブ
regards du Gouvernement. Louis XIV
daigne lui envoyer une épée , préfent digne
de Duguay- Trouin . On aime à fuivre
les progrès de fon génie dans fes premiers
combats qui n'influoient point fur
la deftinée de la France , mais où il déployoit
dès-lors autant d'habileté que dans
ceux qui depuis l'ont rendu ft célébre . Car
l'intrépidité guerriere n'étoit pas fon feul
mérite. Duguay- Trouin joignoit les ta
lens de l'efprit aux qualités de l'âme , &
des réflexions profondes à une continuelle
expérience . Rien n'égaloit fon ardeur
pour les combats que fa paffion pour l'étude.
» La Marine , comme tous les autres
Arts , ne fut d'abord que le réful-
» tat informe de quelques combinaiſons
groffières car l'efprit du genre humain
» a eu fon enfance comme celui de cha-
» que mortel. Le temps qui agit lente-
» ment , mais qui agit fans ceffe , l'expé-
" rience qui voit tous les avantages &
" tous les abus , la pratique des hommes
» de mer , les obfervations de quelques
» hommes de génie , qui faififfent en un
inftant ce que des nations & des fiécles
» n'ont point vu , l'activité des paffions
qui cherchent à éxécuter de grandes
» choſes ; & plus que tout cela peut -être ,
" le hafard qui découvre des chofes utiles,
»
ود
"
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
לכ
échappées à la méditation du genre hu-
» main ; toutes ces caufes réunies ont
» étendu les idées , & changé la Marine
» en une ſcience vafte dont la Philofophie
eft l'âme & qui , dans fon cercle
» immenſe , embraffe l'air , les Cieux , la
» Terre & les Mers .... O charmę im-
و د
ود
périeux de l'Hiftoire , quand elle eſt · lue
» par le génie ! Souvent dans le filence de
» la nuit , tandis que tout repofe dans
» l'Univers , tandis que fon Vaiffeau fend
» la mer d'un cours tranquille , Duguay-
» Trouin feul & retiré , veille à la lueur
» d'un flambeau . Il parcourt les annales
» des mers , & lorfqu'il lit de grandes ac-
» tions , fon âme s'élève , fon fang bouillonne,
& tout fon corps tréffaillit d'ad-
» miration & de joie.
Dans la feconde partie on voit Duguay-
Trouin fervir l'Etat dans la Marine
Royale , former de plus grands projets
faire de plus grandes actions , parvenir
par fes fervices , au plus haut point d'élé
vation comme au plus haut degré de gloire.
Le génie de l'Orateur femble s'élever
& s'aggrandir avec la fortune & la gloire
de fon Héros . Les nouveaux triomphes
de Duguay-Trouin devenu Général de
mer, donnent une nouvelle activité à l'intérêt
& à l'Eloquence. Parmi la foule des
OCTOBRE 1761. 79
"
beaux morceaux dont cet ouvrage ef
rempli , & que je regrette de ne pouvoir
tous citer , celui fur les qualités diſtinctives
de l'Armateur & du Général de mer
mérite les plus grands éloges . » L'Arma-
» teur combat pour lui-même ou pour des
» Particuliers : il peut s'abandonner plus
» hardiment à l'impétuofité de fon cou-
" rage. Le Général de mer peut & doit
» moins rifquer : il faut qu'il ménage la
gloire & les forces de l'Etat. Le pre-
» mier ne fait que des coups de main ; il
lui faut plus d'audace. Le fecond concerte
des projets , forme des plans ; il
» lui faut plus de génie . L'un eft animé
» ſouvent par l'intérêt ; & ce motif fi bas,
» mais fi puiffant , peut lui tenir lieu des
» reffources les plus nobles : fi l'autre régle
fes opérations fur des vues de com-
» merce , il fe dèshonore & trahit l'E-
» tat. Celui - ci , maître abſolu de ſes expéditions,
décide des lieux & des tems :
» celui - là eft fouvent gêné par des ordres .
» Le premier commande à des hommes
#
"
•
qu'il a choifis lui-même : Le fecond
» commande quelquefois à fes rivaux
» fouvent à fes ennemis. L'un eft en mê-
» metemps le Ministre & le Général ; fon
deffein ne perce que dans le moment
qu'il l'éxécute : Le projet de l'autre eft
33
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
» fouvent divulgué , avant que fon Efca-
» dre foit fortie du Port. Enfin l'Arma-
» teur ne commande qu'un feul Vaiſſeau
» & toutes les vues fe bornent à le diriger
» dans le combat. Le Général de mer en
» a plufieurs qu'il fait mouvoir de concert :
» Il faut qu'il les place à une diftance on
» ils puiffent fe foutenir , fans pouvoir ſe
" nuire ; qu'il affigne à chacun l'enne-
» mi qu'il doit attaquer , & dont les
» forces font en proportion avec les fien-
» nes ; qu'il donne aux Capitaines des inf-
» tructions qui embraffent les accidens &
» les hafards ; qu'il ait le courage de fuppofer
la mort; >> que les mouvemens com-
ود
» binés de tous les Vaiffeaux foient dirigés
par une vue générale ; que , fans
» précipitation , fans enthouſiaſme & fans
» terreur , il fache démêler & juger ces
» circonftances extrêmes , où il faut fortir
» des règles ordinaires , & facrifier une par-
» tie de fes forces pour conferver l'autre..
Dans la fameute guerre pour la fucceffion
d'Espagne, les victoires de Duguay-
Trouin furent mêlées à nos défaftres. Tandis
que la France perdoit les batailles
d'Hochfet , de Turin , de Ramilies &
de Malplaquet , Duguay- Trouin faiſoit
couler aux extrémités du monde le fang
de nos Vainqueurs.
OCTOBRE. 1761. S'I
fa
pre-
Après un repos
de quatre ans ,
mière action fut étonnante. Il avoit attaqué
un Vaiffeau
de guerre
Hollandois
de
38 canons. Surpris
par l'activité
de l'ennemi
qui tout-à - coup fit une manoeuvre
habile & imprévue , il fe trouva dans une
fituation
défavantageufe
qui l'obligea d'éffuyer
tout le feu de l'Artillerie , fans pouvoire
y répondre. Déjà il avoit reçu deux
coups de canon à fleur d'eau & fept dans
fes mâts ; les ennemis le croyoient
perdu .
Il prend tout-à-coup le parti de fe jetter
dans leur Vaiffeau avec tout fon équipage.
Le Capitaine
Hollandois
fut tué &
fon Vaiffeau
enlevé en moins d'une demiheure.
Ailleurs à la tête de trois Vaiffeaux
& de deux Frégates , il échappe à une Eſcadre
Hollandoife
de quinze
Vaiffeaux .
Il pénétre dans ces climats du Nord ou
l'avidité
conduit tous les ans les Hollandois
pour s'y enrichir par la pêche de la
Baleine . Il y prend , ou rançonne , ou
brûle plus de 40 de leurs Vaiffeaux .
Le parallèle de Duguay- Trouin &
de Forbin eſt un morceau brillant , dicté
par l'impartialité , puifque le Panegyrifte
s'y décide fur les faits , & refpirant cette:
noble fierté qui préfére les vertus aux titres.
Forbin né d'un fang illuftre, avoit
foutenu la gloire de fa naiffance ; Du
D. v.
82 MERCURE DE FRANCE.
»guay-Trouin avoit fait difparoître l'ob-
» fcurité de la fienne. Le premier avoft
» donné un nouvel éclat à fes ayeux le fe-
» cond avoit créé un nom pour fes defcen-
» dans . L'un avoit mis à profit tous les
avantages ; Pautre avoit vaincu tous les
-obſtacles. Tous deux intrépides , éclai
» rés , avides de périls , bravant la mort ,
>> prompts à fe décider, féconds en reffour-
و د
ces. Mais Forbin , né pour être un Gé-
» néral de mer , ne fit jamais que des exploits
d'Armateur , Duguay-Trouin né
pour être un fimple Armateur , fit prefque
toujours des actions d'un grand Ca
pitaine. Le premier en fervant l'Etat
>>penfolt à la récompenſe ; le ſecond penfoit
à la gloire. Forbin vendoit fes fervices
; Duguay - Trouin eût acheté
Phonneur d'être utile.
Le tableau du Devonshire Vaiffeau
Anglois armé de cent canons , défendu par
800 hommes , à moitié confumé par les
flammes , attaqué par Duguay- Trouin ,
qui eût defiré de vaincre pour fauver tant
de braves gens ; cet effrayant tableau éxscita
les plus vifs applaudiffemens dans la
féance publique de l'Académie .
Je ne me lafferois point de fuivre l'Otateur
dans le récit intéreffant des nom
breux exploits de fon Héros ; maisomme
OCTOBRE. 1761 . 83
la précision est une des qualités qui caractérisent
le ftyle de M. Thomas , il me faudroit
ici tranſcrire la plus grande partie de
fon difcours , fi je m'attachois à faire connoître
les principaux faits. Je me bornerai
donc à citer encore la fameuſe expédition
de Riojaneyre , qui dans l'Europe &
dans l'Amérique acquit à Duguay-Trouin
une gloire immortelle , & qui fait auffi le
plus grand honneur à M. Thomas. La hardieffe
de l'entreprife , les difficultés éffrayantes
du fuccès , plufieurs combats (ur
terre & fur mer , les horreurs d'une tempête
mêlée à celles d'un combat livré pendant
la nuit , des alfauts , les fuites décifives
de la victoire , tout cela eſt tracé avec
cette vigueur de pinceau qui tranſporte les
objets dans l'âme , qui fait voir & fentir ,
qui produit cette illufion enchantereffe , le
charine de tous les ouvrages où l'on veut
émouvoir l'imagination & toucher le
coeur.
و د » Onuit affreufe ! nuit terrible ! Son
» filence eſt tout -à- coup troublé par des
décharges de toute l'Artillerie de Du-
» guay-Trouin . En même temps le Ciel
» fe couvre d'orages : le feu des éclairs qui
» ſe mêle au feu continuel & rapide des
» batteries ; le bruit des canons joint aux
éclats redoublés du tonnerre ; les échos
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
» des rochers, les remparts qui s'écroulent,
» les mugiffemens de la mer agitée par la
ود
tempête ; tous ces objets réunis dans
» l'cbfcurité d'une nuit fombre , formoient
autour de Riojaneyre une fcène d'hor-
» reur & d'épouvante. Les Habitans pren-
» nent la fuite. L'avarice emporte les tré-
» fors avec elle au fond des bois & dans les:
» cavernes des montagnes . Les Soldats
» étonnés cédent eux-mêmes au torrent ; ils
» fuient leurs mains ont livré aux flam-
» mes, les dépôts des richeffes publiques :
» Mais dans les entrailles de la terre ils ont
» caché des feux fecrets deſtinés à les venger.
Duguay- Trouin s'avance avec au-
» tant de précaution que s'il n'étoit pas
vainqueur. Il achève de mériter fa vic-
» toire , en l'affurant. Quel fpectacle pour
» ce Héros , lorfque les François , qui , fur
» cette rive étrangere , avoient gémi dans
les prifons , portant fur leur vifage défiguré
l'empreinte de leur infortune , le-
» front pâle , les yeux éteints , le corps re-
» vêtu de lambeaux , vinrent en foule em-
» braffer fes genoux, baiſerent fa main fan-
» glante ; & l'appellant cent fois leur Libérateur
, lui exprimerent cette recon-
>> noiffance vive & fenfible qui n'eſt con--
nue que des malheureux.
ود
»
"
39
Le difcours eft terminé par l'éloge des
OCTOBRE. 1761. 85
qualités morales de Duguay-Trouin , &
par des chofes excellentes fur l'importance
& l'utilité de la Marine , mifes dans la
bouche de Duguay-Trouin lui- même ,
dont l'Orateur évoque l'ombre qu'il fait
érrer dans nos ports & dans nos arfenaux.
Des notes faites avec foin & même avec
génie, accompagnent ce difcours. Elles font
remplies de détails choifis de la vie de Duguay-
Trouin ,.de recherches curieufes fur
celle des Marins fameux , d'obfervations
fur la manoeuvre, le Pilotage l'Architecture
Navale . Le Profeffeur y paroit prèſque
un homme de mer ; peut- être Duguay-
Trouin eût jugé que fon métier n'eft pas
étranger pour fon Panegyrifte : tant il eft
vrai que le génie fupplée à l'expérience , &
que les imaginations fenfibles fçavent faifir
& peindre ce que les efprits vulgaires
n'apperçoivent pas même avec leurs yeux..
On voit que Tacite & Boffuet font les
modèles de M. Thomas. Il a fouvent la
profondeur & la fagacité de l'un , la chaleur
& l'élévation de l'autre. Ce qui le diftingue
, ce font les images fortes & pathé--
tiques . Il eft Poëre dans fes difcours : Mais
chez lui le Poëte n'éclipfe pas l'Orateur , il
ne fait que l'aider . Peut-être n'y a - t - il point
de véritable Eloquence fans Poëfie , ni de
bonne Poëfie fans éloquence. Boffuet n'est
36 MERCURE DE FRANCE.
jamais plus grand que lorfqu'il eft Poëte ,
& M. de Voltaire s'eft diftingué , même
ede nos meilleurs Poëtes , par les morceaux
d'Eloquence dont il a femé fes ouvrages .
M. Thomas eft bien capable de courir d'une
manière brillante les deux carrières . Le
Poëme de Jumonville & l'Epître au Peuple
font fouhaiter qu'il achève fon Poëme
épique fur le Czar. Nous ofons croire que
le projet n'eft pas au - deffus de fes forces:
Les voeux du Public autant que l'intérêt
de fa propre gloire doivent l'animer dans
les difficultés de ce long travail , & le foutenir
dans l'éxécution de la plus haute en -
treprife Littéraire ; celle dont le fuccès
fait tenir le Sceptre au Parnaffe.
PIECESfugitives de M.de VOLTAIRE,
de M. DESMAHIS & de quelques
autres Auteurs, avec deux Hiftoires de
Sadi , célébre Poëte Perfan in- 8 ° d'environ
roo. pages. A Genève , & fe
trouve à Lyon chez Jean- Baptifte Reguillat
& à Paris chez les Libraires qui
débitent les nouveautés.
O N trouve dans ce Recueil quelques
petites Piéces de M. de Voltaire , quatre
OCTOBRE. 1761 87
Epîtres de M. Desmahis, cet Auteur ingénieux
de la Comédie de l'Impertinent , que
la mort vient de nous enlever . On y lit avec
plaifir la Piéce intitulée Pigmalion , d'un
Auteur célebre, plufieurs autres morceaux ,
dont la plus grande partie eft de M. de Campigneulles.
Nous ne nous arrêterons qu'à
fon Hiftoire de Sadi , dans laquelle il a en
en vue de refuter celle qui a paru il y a quel
que temps dans un Ouvrage Périodique
& qu'il a fait imprimer avec la fienne
dans ce Recueil ; nous jetterons auffi un
coup d'oeil fur fon Difcours fur les gens de
Lettres , lu dans l'Affemblée publique de
l'Académie Royale des Sciences , Belles-
Lettres & Arts de Villefranche , le 25
Août de cette année .
Sadi avoit des grâces à rendre au Ciel ,
dit M. de C .... de ne l'avoir pas fair
naître dans l'opulence nidans la pauvre-
» té. Il le remerciait encore de ce que le
fang qui bouillait dans fes veines , était
>> pur fans que la fource en fût illuftre.
» C'est dans une famille honnête, au ſein
33
de la médiocrité, que les talens s'empref-
» fent d'éclote. " Sadi, à dix-neufans, fe fignala
par un chef-d'oeuvre . Il tranfporta fur
la Scène prèfque tous les Peuples dumonde.
Il les peignit avec les couleurs qui leur font
propres, En généralde Théâtrende . Sadi
88 MERCURE DE FRANCE.
39
"
"
و ر
» eft bien entendu . Ses plans font finement
penfés , peu compliqués à la vérité , mais
par là plus vraisemblables , plus propres
» à conduire à un dénoûment naturel .
» Le contrafte des caractères eft adroite-
»ment ménagé. Chaque perfonnage dit
» précisément ce qu'il faut dire dans la
pofition où l'Auteur le place. Le Poéme
» eft fagement coupé par des Scènes ame-
» nées avec intelligence . Leftyle eft exact,
fleuri , élégant » Tout le monde connaît
le ftyle de Sadi . Son Hiftorien le fuit
dans tous fes fuccès . Il nous fait voir en
lui , le Poëte par excellence dans le Poëmet
épique qu'ils a compofé en l'honneur d'un
des plus grands Rois dont fe glorifient les
Perfans . Tour -à- tour Littérateur ; Politique
, Hiftorien & Philofophe , Sadi raffemble
tous les talens . M. de Campigneulles
n'oublie aucune occafion de relever fa
gloire. Il prouve fon défintéreſſement par
le témoignage des Libraires qui ont donné
la dernière Edition de fes OEuvres . Il vante
à tous les coeurs fenfibles la bienfaifance de
cet Ecrivain illuftre en faveur de la petite-
- niéce du premier Tragique du monde. Enfin
on trouve dans cette Hiftoire abrégéé un
éloge complet de Sadi comme Auteur, &
comme homme ; éloge d'autant plus effimable
qu'il ne parait pas dicté par le flar
OCTOBRE. 1761. 89
térie , & que les traits en font pris dans la
nature & dans la vérité.
M. de C. dans fon Difcours fur les gens
de Lettres fait un Tableau en racourci des
factions & des cabales qu'on voit éclore
tous les jours dans les grandes Villes où les
Mufes ont fixé leur féjour . Il fait voir
combien le titre d'homme de Lettres , le
feul que ne donne pas le hafard & le feul
que l'on ne prend pas , eft honorable &
refpectable . A la Chine c'eſt la profeffion
des Lettres qui conduit aux honneurs . Le
foin de gouverner les hommes n'appartient
dans ce Pays, qu'à ceux qui les connoiffent.
Mais pour que cette profeffion procure un
état à ceux qui l'exercent , il faut que le
Gouvernement préfcrive des conditions &
qu'il oblige à les remplir . C'eft ainfi qu'on
parviendrait à donner une confiftance folide
à l'état des gens de Lettres. L'établiſſement
d'une Société d'examinateurs pour
décider du mérite des candidats , réuniroit
plufieurs avantages qu'il faut voir dans
l'ouvrage même.
» La République des Lettres eft un ter-
» rein immenfe qui produit des fleurs & des
» fruits de toutes espèces ; tout dépend de
» la culture . En remuant légére nent la
»furface de ce terrein précieux , l'humble
» violette prend naiffance ; la rofe s'épa90
MERCURE DE FRANCE.
" nouit & fe colore fous les doigts dignes
» de la cueillir : en fouillant profondément,
→ on trouve des pierres ineftimables ; par-
» tout croiffent les Myrthes & les Lauriers .
" Le Dieu du goût les difpenfe également
» à l'efprit , au fentiment & à l'érudition .
» Il couronne tour à - tour l'aimable facili-
» té d'Anacréon , l'amoureufe chaleur des
" vers de Catule , les vaftes connaiffances
» de Cicéron. Les champs qui ne produi
» faient que des ronces & des chardons aux
Laboureurs ignorans , donnent une récolte
abondante aux Cultivateurs inf-
» truits . Honorons les Agriculteurs Litté .
raires qui portent le jour dans les détours
» ténébreux du coeur de l'homme , qui per-
» cent dans la nuit des temps , qui nous
fubjuguent par des figures harides , par
des images féduifantes , par un ftyle nerveux
& fopore. Songeons furtout que
l'agréable eft prèſque toujours utile. C'eft
la belle littérature qui introduit dans les
Empires la politeffe & l'urbanité . Ce
font les ouvrages où regnent l'efprit &
»le fentiment qui amolliffent la dureté
du coeur , de tous les vices le plus funeſ-
» te au monde. Corneille a porté notre
langue jufqu'aux extrémités de l'Europe ;
& bien des gens parmi nous , n'ont appris
l'Italien que pour pouvoir lire le
•
OCTOBRE. 1761. 91
D
Taffe ; tout homme qui prend la plume
» dans le deffein d'inftruire ou d'amufer le
» Public , a des droits inconteftables fur fa
» reconnaiſſance. C'eft un homme de Let-
» tres , s'il réuffit.
En voilà affez pour mettre le Lecteur à
portée de juger da mérite de ce Difcours .
L'Auteur n'eft pas étranger dans la Répu
blique des Lettres. Il poffède l'habitude d'écrire
, & s'il a laiffé des phrafes familières qui
femblent déplacées dans un Difcours Académique
, c'eſt que fans doute il a vu qu'il
n'aurait pas pu donner plus de dignité à
l'expreffion fans énerver la penfée. On ne
fauroit trop inviter les Académies &
les Académiciens à préférer le fond des
choſes au faux clinquant & à la délicateſſe
outrée des mots qui n'en font que la fuperficie.
LETTRE , à l'Auteur du MERCURE.
Si les éclairciffemens , Monfieur , que
j'ai l'honneur de vous adreffer ne paroiffent
avoir d'autre objet aux yeux de certains
Lecteurs , qu'une fimple queſtion de
mots , j'ofe me flatter qu'ils mériteront
an moins quelqu'attention de la part de
92 MERCURE DE FRANCE.
ceux qui font une étude particuliere de
l'Antiquité. M. Ménard dans fa grande
Hiftoire de Nifmes foutient que par le
terme fodalis employé dans une Infcription
qu'il y rapporte ( a ) , on doit entendre
un Amant , en forte que fuivant cet
Hiſtorien , il faudra déformais en pareille
occafion, prendre ce mot fous cette acception.
A quoi il ajoute que l'Auteur de la
Table de Gruter a eu tort de prendre ce
même terme pour le fynonyme de conjux
, & de placer en conféquence les
Infcriptions où il eft employé dans la
claffe de celles qui regardent les maris.
Je prétends au contraire 1 ° . que le mot
fodalis ne peut ici , ni dans aucun cas
femblable , fignifier un amant. 2 °. Qu'il
eft des cas où ce terme fert à défigner un
Epoux. Mais voici auparavant l'Infcription
qui donne lieu à mes obfervations.
D. M.
QVINTO CELIO
EPYTVNCANO
ELVIA SECVNDILLA
SODALI.
Elvia Secundilla , comme l'on voit ,
dreffa cette Infcription à l'honneur des
(a) Tom. 7 , p. 3.86..
OCTOBRE. 1761 . 93
Dieux Mânes de Quintus Coelius. Mais
doit -on croire avec M. Ménard
que le
mot fodali qui s'y rencontre , fignifie que
ce Particulier eût été fon amant ? Dans
le nombre des Infcriptions que je pourrois
rapporter pour établir que ce terme ne
donne point cette fignification , je me
contente de tranfcrire la fuivante.
T. MATINIVS. T. F.
HYMENEVS. SODALI
SVO. FECIT.
Gruter, pag. DLXV. No. 8 .
Il eft vifible par cette Infcription , que le
mot fodali ne peut être rendu par celui
d'Amant , puifqu'elle fut dreffée par le
nommé Matinius , fodali fuo. Dans les
Infcriptions, comme dans les bons Auteurs
& dans le Droit , fodalis ne fignifie qu'une
perfonne qui étoit du même Corps , de la
même Confrérie ; & c'eft en ce fens feul
qu'on a dit fodalitas , fodalis. Un ou
deux exemples font plus que fuffifans
établir cette vérité. Nous apprenons de
Cicéron qu'il avoit toujours eu des Confréres
, primùm habui femper fedales. (b)
Lorsque j'étois Quefteur , continue l'O
(b ) Cicer. de fenect . n . 45.
pour
94 MERCURE DE FRANCE.
rateur Romain , on a établi des Confréries
, fodalitates autem me quæftore conftitute
funt (c). Et nous voyons également
que la Loi nomme fodales ceux qui compofent
le même Collége , c'est-à- dire , ceux
qui font de la même Société , fodales funt
qui ejufdem Collegii funt (d). Le terme
fodalis annonce donc un Confrere , commele
mot fodalitium aufodalitas fignifie
une Confrérie. Ainfi trouvons- nous encore
dans les recueils des Infcriptions de
Gruter & de Gori,fodalitiaria confilii boni
; comme nous lifons dans Ovide qu'une
troupe d'amoureux y eft appellée turba
fodalis , par la raiſon fans doute que ceuxci
font en quelque forte confréres de la
Volupté.
Triftior idcircò non eft , quam tempora Phoebi ,
Quæ relevet luctus , turba fodalis abeſt.
Ovid. remed. amor. verf. 585. 586.
Mais en voilà , fi je ne me trompe , autant
qu'il en faut pour prévenir ceux qui
entrent dans la carrière de l'antiquité, de
ne point interpréter , fur la foi du nouvel
Hiftorien de Nifmes , le terme fodalis
qu'ils peuvent rencontrer dans une Inf
cription ,, par celui d'Amant.
(c) Cic. ibid.
( d) Leg. 4. ff. de Collegiis & corp.
>
OCTOBRE. 1761. 95
2. S'il eft vrai que le terme fodalis
dans fa fignification défigne , comme on
vient de le voir , le membre d'un Corps
ou d'une Société légitimement autoriſée ,
en un mot un Confrére quelconque ; Il eft
fenfible que ce terme doit donner plutôt
l'idée d'un Epoux que celle d'un Amant.
Mais l'Infcription fuivante ne nous permet
pas de douter que le mot fodalis ne
réponde dans certaines occafions à celui
de conjux. Elle eſt ainfi conçue.
D. M.
IVNIE FELICVLA
L. MINICIVS
CLAPORVS
SODALI. SVÆ
BENEMERENTI. F.
Gruter , p. DCCCLXXVI . N°. 3.
Le fçavant Scaliger a donc pû , quoiqu'en
dife M. Ménard , mettre au rang
des Infcriptions qui regardent les maris ,
celles où l'on lit le mot fodalis. Mais c'eſt
au Lecteur à fçavoir diftinguer les cas où
ce terme doit s'entendre d'un Confrére au
lieu d'un Epoux . En vain m'objecteroit-
on qu'avec la dernière Infcription , je
donne pour preuve ce qui fait l'objet de
96 MERCURE DE FRANCE.
la conteftation , puifque l'épithète de bene
merenti fi ordinaire pour les femmes y
eft donnée par Claporus , fodalifuæ , &
qu'il eft certain d'ailleurs que ce terme.
fodalis ne peut jamais fignifier un Amant
ni une Amante. Je ne m'arrêterai point
à relever encore une erreur affez confidérable
dans laquelle tombe ici M.Ménard.
En cherchant à juftifier l'explication qu'il
donne au terme fodalis. Cet Hiſtorien
confond pour tous les temps la Maîtreffe
avec la Concubine. Il y avoit cependant
une grande différence entre l'une & l'autre
, du moins depuis la Loi Papia Poppaa
qui parut fous le regne d'Augufte.
Alors le nom de concubine devint un titre
légal ; en forte qu'on prit pour concubine
celle avec laquelle il n'étoitpoint permis
de contracter de mariage, le concubinage
ayant été autorifé par un des chefs de cetté
Loi . Et le nom de Pellex , qui avant
cette même Loi étoit fynonyme avec ce
lui de concubina pour fignifier indiftin &tement
celle avec laquelle un homme vivoit
, foit qu'il fût marié , foit qu'il fût
célibataire , le nom de Pellex , dis je, devint
en même temps un nom dèshonorant
, & ne fervit qu'à défigner une maî
treſſe .
Au refte fi les Empereurs Romains ont
autorifé
OCTOBRE. 1761. 97.
autorifé le concubinage , je ne vois pas
que la Loi Ancienne l'ait défendu . Car
nous lifons dans l'Ecriture Sainte ( e) que
Gédéon eut un fils nommé Abimélec d'une
Concubine qu'il avoit à Sichem . Auffi Grotius
obſerve- t -il fur ce paffage des Juges ,
que le concubinage étoit alors permis , non
erat vetitus , dit - il , eo tempore concubinatus.
Mais je renvoye à une autre occafion
à m'étendre un peu plus au long fur
cet Article.
J'ai l'honneur d'être , &c.
GRAVEROL de FLOG RHEVAR.
( e )Jug. 8. 30. 31 .
DICTIONNAIRE Géographique , Hi orique
& Politique des Gaules & de la France
, contenant les noms , la fituation &
la defcription des anciennes Provinces Romaines
dans la Gaule Tranfalpine , avec
les Métropoles de ces Provinces : les noms ,
la fituation & la defcription des d'erfes
Nations ou Peuples qui habitoient les
Provinces Romaines de la Gaule Tranfalpine
, avec la Capitale ou le Chef Lien de
chaque Nation ou Peuple : une notice des
divers Peuples , tels que les Alains , les
Bourguignons , les Cimbres , les Francs
I. Vol. E
8 MERCURE DE FRANCE.
les Germains , le Goths , les Hérules , les
Huns , les Normands , les Oftrogoths , les
Teutons , les Wandales , les Wifigoths &
autres qui ont fait des irruptions dans la
Gaule Tranfalpine : l'Etabliffement de la
Monarchie Françoife ; la Chronologie &
la Généalogie des Rois de France , avec
une notice des principaux événemens de
leur régne les noms , la fituation & la
defcription de toutes les Provinces , Villes
, Bourgs , Villages , Paroifles & Communautés
du Royaume , avec le nombre
de feux de chaque lieu ; les Archevêchés ,
Evêchés , Abbayes , Prieurés , Chapitres ,
Cures, Commanderies de l'Ordres de Malthe
, avec leurs revenus ; les Pairies , Duchés
, Principautés , Marquifats , Comtés,
Vicomtés , Baronies , Siries , Châtellenies,
& autres Fiefs confidérables ; les Gouver
nemens Militaires , Généraux & particuliers
; les Villes , Citadelles , Châteaux ,
Forts , Tours & autres Places fortifiéesCS
les Confeils Supérieurs , Parlemens , Chambres
des Comptes , Cours des Aydes , Préfidiaux
, Bailliages , Sénéchauffées, Tables de
Marbre , Chancelleries , Chambres du Do
maine & du Tréfor , Chambres du Commerce
, Cours des Monnoies , Amirautés
Jurifdictions Confulaires , Mâitriſes générales
& particulières des Eaux & Forêts &
autres Jurifdictions avec leurs Refforts; les
OCTOBRE. 1761 .
99
Intendances & Généralités ; les Elections ,
Vigueries , Diocéfes , Bailliages & autres
Diftricts ; les Généralités & les Provinces
Eccléfiaftiques ; les Généralités & Dépar
temens de la Connétablie & Maréchauf
fée du Royaume ; les Prévôtés Générales
des Monnoies & Maréchauffées ; les Greniers
-à-fel des Gabelles de France ; les Bureaux
des Aydes , Grandes Entrées , For
mule , Marque des Fers , Jauge & Courtage
, Droit de Rivière , Domaines de Flandres
& d'Occident ; les Bureaux des cinq
Groffes Fermes & autres Droits y joints
les Bureaux Généraux du Tabac , ceux des
Traites , &c. les Montagnes , Fleuves ,
Rvières , Etangs , Sources fameules , Mines
, Eaux minérales , Salines , Bois & Forêts,
&c . &c. &c . Par M. l'Abbé Expilly ,
Tréforier - Chanoine du Chapitre Royal
de Sainte - Marthe de Tarafcon , de la
Société Royale des Sciences & Belles-
Lettres de Nancy &c. en 4 volumes infolio
, par Soufcription . On foufcrit à
Paris chez C. J. B. Bauche , Libraire ,
quai des Auguftins , & chez les principaux
Libraires des principales Villes du Royaume
& des autres Royaumes , Républiques,
& Etats de l'Europe.
LE GENTILHOMME Cultivateur , on
E ij
336643
100 MERCURE DE FRANCE .
Corps complet d'Agriculture, tiré de l'An
glois , & de tous les Auteurs qui ont le
mieux écrit fur cet Art. Par M Du Puy
d'Emportes , de l'Académie de Florence.
Omnium rerum ex quibus aliquid acquiritur
nihil eft agriculturâ meliu , nihil uberius
nihil homine libero dignius .
Cicer. Lib. 2. de Officiis.
Volume in-4°. Tome I. Paris , 1761 ;
chez P. G. Simon , rue de la Harpe , & à
Bordeaux , chez Chapuis l'aíné , avec Approbation
. Prix , 6 1. broché.
Le même Ouvrage , en deux volumes
in-12 . Prix , 5 l . broché.
NOTIONAIRE , ou Mémorial raifonné
de ce qu'il y a d'utile & d'intéreſſant dans
les connoiffances acquifes depuis la création
du monde jufqu'à préfent. Par M.
de Garfault , Auteur du nouveau Parfait
Maréchal , avec figures en Taille- douce.
In - 8 °. Paris', 1761. Chez Guillaume
Defprez, Imprimeur du Roi & du Clergé
de France , rue S. Jacques , à S. Profper
& aux trois Vertus ,
L'AMI DE L'ETAT , ou Réfléxions Politiques
pour l'intérêt général & particulier
de la France. Par M. le Comte de
OCTOBRE. 1761. ΤΟΥ
F
* *
, ancien Militaire , in - 12 , Trévoux
, 1761 ; & le trouve à Paris , chez
Durand , Libraire , rue du Foin ; Lamber
, rue & près de la Comé lie Françoife ;
Dchefne , rue S. Jacques , au Temple
du Goût ; & à Lyon , chez Aimé de la
Roche , aux Halles de la Grenette.
RÉPONSE à un Ecrit intitulé : Mémoire
fur les Effais des matiéres d'or & d'argent.
Par M. Quevanne Quevanne ,, Confeiller du Roi ,
Effayeur général des Monnoies de France
. Par le Sieur *** . In 8. Amfterdam ,
1761 .
SELECTA SENECA , Philofophi , Opera ;
in Gallicum verfa ,operâ & ftudio P.F.X.D.
in- 12 . Parifiis , 1761 Typis J. Barbou,
viâ San - Jacoboeâ , fub figno Ciconiarum .
Cette Traduction , que l'on trouve à la
fuite du Texte , eft de M. l'Abbé Denis ,
d'Arras , dont nous avons déjà donné dans
nos Mercures , & notament dans le dernier
, quelques Lettres traduites de ce Philofophe
, qui ont été lues avec plaifir . Nous
ne tarderons pas à rendre compte de cet
Ouvrage digne.de faire fuite avec les belles
Editions de M. Barbou.
ANTONII DE HAEN , Confiliarii &
Archiatri S. C. R. A. Majeftatis , necnon
E iij
02 MERCURE DE FRANCE.
Medicine pratica in Univerfitate Vindobo
nenfi , Profefforis primarii , Ratio Medendi
in Nofocomio pratico. Tomus primus & fecundus.
12°. Parifiis , 1761. Apud P. F.
Didot , Iuniorem, Bibliopolam , ad ripam
Auguftinianorum.
L'IMPERATRICE REINE vient de s'affurer
un droit à la reconnoiffance de tous les
hommes préfens & àvenir , par un Etabliffement,
qu'il feroit à fouhaiter pour le bien
de l'humanité que tous les Princes imitaffent
; elle vient de fonder à Vienne pour
l'inftruction des jeunes Médecins un Hôpi
tal , qui devient en même tems un des plus
fûrs moyens qu'on puiffe employer pour
perfectionner l'art de guérir.Lemédecin qui
eft à la tête de cet Hôpital , a le droit de
faire transporter ceux des Malades de la
Ville & même des autres Hôpitaux , dont
il veut fuivre les maladies , foit pour en
montrer le traitement le meilleur aux jeunes
Médecins qui l'accompagnent , foit
pour éclaircir quelques difficultés , réfoudre
quelques doutes , décider entre plufieurs
opinions qui fe rencontrent dans la
pratique , diftinguer les maladies que l'art
peut vaincre, de celles fur lesquelles il ne
peut rien , & reconnoître par l'ouverture
des cadavres la vraie caufe des dernieres ;
OCTOBRE. 1761. 103
foit pour éprouver de nouveaux remédes
renouveller les anciens négligés ou oubliés
, les adminiftrer fous une nouvelle
forme , ou dans des cas dans lefquels on
ne les avoit pas encore donnés. L'ouvrage
que nous annonçons eft le fruit de cet étableffement
qu'on ne fçauroit trop louer, &
un des plus utiles qui ayent été faits pour
le progrès de la Médecine. Il contient la
fuite des obfervations & des éxpériences
faites pendant cinq anneés, & publiées à la
fin de chaque anneé , par M. de Haen ,
fçavant difciple de Boerhaave , qui a éxercé
la Médecine avec ſuccès à la Haye pendant
vingt ans , & que l'Impératrice Reine
a choifi , fans doute par le confeil de
l'Illuftre Baron Vanfwieten , pour former
à la pratique de la Médecine ceux
qui étudient cette Science dans la Capitale
de l'Autriche. M. de Haen traite dans
cet ouvrage les fujets les plus importans
& les plus difficiles de l'Art de guérir , les
fiévres éruptives , les maladies malignes ,
les hydropifies, les anevrifmes, les maladies
des nerfs & c. Il démontre l'excellence de la
doctrine d'Hypocrate , de Sydenham &
Boerhaave fur les maladies aigues & leur
traitement , il rapporte les obfervations &
les expériences qui lui ont fait découvrir
de nouveaux médicamens , ou de nouvel-
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
les vertus dans les Anciens ; en un mot,il
ne marche que le flambeau de l'expérience
à la main , vrai & feul moyen de faire
des découvertes utiles dans la Médecine-
Pratique . On trouvera à la fin du 2e volume
la Differtation du même Auteur fur
la Colique de Poitou ou des Plombiers , qui
étoit devenue fort rare , & qui eft trèseftimée.
Cet Ouvrage fe trouve chez Didot le
jeune , quai des Auguftins , près du Pont
S. Michel , & fe vend s liv . relié .
TRAITÉ DE L'ASTHME , traduit de l'Ang'ois
de Jean Floyer , Docteur en Médecine.
In- 12 , Paris , 1761. Chez le même
Libraire . Prix , 2 liv. 1Ι0Ο f. relié .
Cet habile Médecin , connu d'ailleurs
par tant d'autres Ouvrages , s'eft déterminé
à écrire le Traité dont on annonce la
traduction , touché de compaffion pour les
malheureux Afthmatiques. Il a lui- même
été exposé aux accès de cette fâcheufe maladie
pendant plus de trente ans , ce qui
lui a donné les moyens de faire bien des
obfervations , tant fur lui - même que fur
d'autres malades , de développer cette maladie
, d'en expliquer les caufes , & d'indiquer
les remédes dont il s'eft bien trouvé
tant pour prévenir & éloigner , que pour
rendre fupportables les accès de cette cruel
le maladie,
OCTOBRE . 1761. 105
ANTONII STORCK , Medici Viennenfis ,
Tractatus de Cicutâ &c. in - 12.Vindobone,
1761 : chez le même , Prix , 1 liv. 16 f.
relié. Cet Ouvrage traduit en François , fe
vend le même prix ,
I
L'Auteur y fait voir , d'après des faits &
des expériences certaines , qu'on peut faire
ufage de cette plante même à l'intérieur
fans aucun danger , & qu'elle eft même un
reméde utile & fpécifique dans plufieurs
maladies , qu'on avoit jufqu'à préfent jugées
incurables. Tels font les fkirrhes , les
cancers &c. La fuite de cet Ouvrage vient
d'être traduite par un habile Médecin &
eft actuellement fous preffe.
Le même Libraire , chez lequel on peut
trouver grand nombre de Livres de Medecine
, Chirurgie , Hiftoire Naturelle , en
fait venir actuellement des Pays Etrangers ,
& travaille à y établir des Correfpondances ,
pour tous les Livres nouveaux qui paroîtront.
Ceux qui defireront avoir des Ouvrages
qui ne fe trouvent pas ici , pourront
s'adreffer à lui , ils feront fûrs d'être
bien fervis & à bon compte , ne prenant
que cinq pour cent de commiffion , non
compris le port & frais d'emballage . "
LEÇONS DE MATHÉMATIQUES , à l'ufage
des Colleges par le P. de Merville de la
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
Compagnie de JESUS . Tome premier, contenant
les Elémens d'Arithmétique , d'Algébre
, de Géométrie & de Trigonométrie
rectiligne ( in 8 ° . ) A Paris , chez
Barbou , rue S. Jacques &c .
On doit regarder ce volume comme
P'annonce d'un Corps complet de Géométrie
, efpéce d'Ouvrage qui manque au Public
, du moins dans notre langue : Il eft
vrai que nous avons quelques productions
modernes qui portent ce titre ; mais quel
que eftimables qu'elles foient à bien des
egards , elles font trop bornées du côté
des matières , pour qu'on puiffe les regarder
comme des Cours de Mathématiques.
Celui- ci comprendra outre les élémens ordinaires
, c'eft à - dire outre ce premier volume.
1 °. » L'Aftronomie avec toutes fes
dépendances , c'eft- à- dire , la Trigono-
» métrie Sphérique , la Gnomonique & la
Cofmographie qui fe diftribue elle-mê-
»me en plufieurs branches différentes . 2 °.
» Les Fortifications avec un précis de
» la Tactique des Siéges. 3 ° . L'Artillerie
>>
,
qui renferme le maniement du canon ,
» le jet des bombes , la fcience des mi-
» nes & généralement tout ce qui eft
compris fous le nom de Pyrotechie , à
» l'exception des feux d'artifices dont i
feroit inutile de parler après le fçavan
و د
ވ
OCTOBRE . 1761 . 107
כ
Traité quen a donné M. BELIDOR , 4°.
» La Caftramétation , ou l'art de diſpoſer
» & de fortifier un camp. 5 °. L'Hydrographie
ou la ſcience du Pilotage , par-
» tie éffentielle qui fera traitée avec une
» étendue qui ne laiffera rien à defirer à
» ceux qui ſe deſtinent au ſervice de mer .
» 6°. Les courbes de différens genres , &
» en particulier les Sections coniques. 7°.
» Les principes du calcul intégral & différentiel
dont il femble que nous n'ayons
» pas encore de bons élémens. 8 °. L'Op-
» tique , & généralement tout ce qui con-
» cerne les effets de la lumière. 9°. La
"
Méchanique , avec un Traité complet
» d'Horlogerie. 10°. L'Hydraulique &
» fes différentes branches . 11 °. La théo-
» rie & la pratique du nivellement.
. Telle eft en ſubſtance l'objet & la matière
d'un ouvrage qui comprend toutes
les parties des Mathématiques : entrepriſe
immenfe , mais que perfonne n'eft plus
en état d'exécuter avec fuccès , que
le fçavant Profeffeur qui en a formé le
projet.
*
DURAND , Libraire , à Paris , rue du
Foin S. Jacques , chez lequel fe trouve
T'Hiftoire Naturelle générale & particulière
avec la Deſcription du Cabinet du Roi ,
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
par MM. de Buffon & Daubenton , in-4° .
avertit le Public , qu'attendu les frais trèsconfidérables
des deffeins & gravures de
cet Ouvrages qui ont toujours augmenté
depuis la publication des trois premiers
volumes dans lefquels il n'y avoit que
trente trois Planches , il ne pourra,à compter
du premier Octobre 1761 , donnerchaque
volume de cet Ouvrage, qu'au prixe
de quinze livres en feuilles , au lieu de
douze qu'il l'a vendu .
Les Tomes 8 & 9 in- 4 ° . de cet Ouvrage
contiendront quatre - vingt- quinze.
Planches , & feront en vente le premier
Octobre 1761 .
DI TITO Lucrezio Caro , della natura
della Cofe , Libri VI . Tradotti da Aleffandro
Marchetti . Tomo primo , & fecundo.
In Londra . 1761. Cette Edition , in--
16 , eft très jolie. On en trouve des Exemplaires
chez Durand , Libraire , rue du
Foin , proche la rue S. Jacques . Elle eft
dédiée à M. de Floncel , Cenfeur Royal,
de l'Académie des Arcades de Rome , de
celles de Florence , de Boulogne , & de
Corrone , ci- devant Secrétaire d'Etat de
la Principauté de Monaco , & depuis premier
Secrétaire des Affaires Etrangères
fous le ministère de M. Amelot & de M. le :
OCTOBRE. 1761. 109
Marquis d'Argenfon ; & cette Epître qui
rend juftice à les talens & à fon goût
connu pour la Littérature Italienne , nous
a paru digne d'être traduite.
MONSIEUR ,
On ne doit pas s'étonner , fi tandis que
les fureurs dé la guèrre femblent avoir interdit
tout commerce entre la Tamife & la
Seine , je dédie à un homme de Lettres
François , demeurant à Paris , une réimpreffion
faite en Angleterre , du Lucréce ,
traduit en Langue Tofcane. Les Belles-
Lettres trouvent toujours les chemins ouverts
; & les Journaux de votre Continent
ne ceffent point d'arriver dans cette Iſle . On
y eft informé , Monfieur , qu'après avoir
rempli avec diftinction dans votre Patrie
les emplois les plus honorables , & de la
plus grande confiance , vous vous êtes , en
excellent Connoiſſeur, livré tout entier à
perfectionner la Collection nombreuſe &
bien choifie que vous avez faite de Livres
Italiens , Collection l'on
que peut appeller
un Monument unique & précieux érigé
en France par des mains habiles à la
Littérature Italienne. Que ce travail de
nombre d'années auffi fçavant que difpendieux
, dont vous faites fi généreuſefement
part au Public , yous a rendu vé110
MERCURE DE FRANCE.
ritablement digne d'être reçu avec accla
mation dans plufieurs célébres Académies
d'Italie. Que dans le fein de votre aimable
famille on lit , on écrit , & l'on parle
fi parfaitement la Langue Tofcane , que
plufieurs Italiens fe trouvant chez vous ,
ont cru fouvent être à Rome ou à Sienne.
Que par tant & tant d'autres titres . . . .
Mais je blefferois votre extrême modeſtie
fi je voulois détailler tous les motifs qui
m'ont engagé à vous offrir une Edition
que j'ai faite avec foin . Je vous dirai feulement
que le principal a été de répondre
en partie par ce foible hommage à l'accueil
poli & gracieux que vous m'avez
fait pendant mon féjour à Paris , & de
profiter de cette occafion pour vous affurer
que je fuis & ferai toujours votre &c .
A Londres , le 30 Mai 1761 .
11
G.C.
y a un vers au bas du Portrait , qui
dit en François :
Il en choifit la fleur , il en répand le fruit.
Il fait allufion à la Bibliothèque d'environ
dix mille volumes que M. de Floncel
a formée , tous Italiens , & au plaifir
qu'il a de l'ouvrir à tous les Amateurs de
cette Littérature .
OCTOBRE . 17617 III
L'Edition a été faite par M. Conti ,
Profeffeur de la Langue Toſcane à l'Ecole
Royale Militaire . Son bon goût & les talens
littéraires ont déja été célébrés dans
prèfque tous les Journaux , en parlant des
belles Editions Italiennes qu'il a données .
Celle-ci a le mérite d'être extrêmement
correcte : ce qu'on ne peut pas dire de
celle donnée en 175 ... . . qui , quoiqu'un
chef- d'oeuvre de Typographie , fourmille
de fautes .
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES
ACADÉMIES.
PRIX DE POESIE , pour l'Année
M. DCC. LXII.
LE 25 jour du mois d'Août 1762 , Fête
de S. Louis , l'Académie Françoiſe donnera
un Prix de Poësie , qui fera une Médaille
d'or de la valeur de fix cens livres .
* Le Prix de l'Académie eft formé des fondations
réunies de Meffieurs de Balzac , de Cler
mont-Tonnerre , Evêque de Noyon , & Gaudron."
112 MERCURE DE FRANCE.
1
La Piéce fera une Ode de cent vers ,
dont le fuiet fera au choix des Auteurs ;
& fi elle est déjà connue de quelque maniere
que ce foit , elle fera mife au rebut.
Toutes Perſonnes , excepté les Quarante
de l'Académie , feront reçues à compofer
pour le Prix.
Les Auteurs ne metrront point leur nom
à leurs Ouvrages , mais ils y mettront une
Sentence ou Devife telle qu'il leur plaira .
Ceux qui prétendent au Prix , font aver
que s'ils le font connoître avant le jugement
, foit par eux mêmes , foit par
leurs amis , ils ne concourront point.
tis
Les Ouvrages feront remis avant le premier
jour du mois de Juillet prochain à la
Veuve de B. BRUNET , Imprimeur de l'Académie
Françoife , rue baffe de l'Hôtel
dés Urfins , ou au Palais : & fi le port n'en
eft point affranchi , ils ne feront point retirés.
PRIX propofé par l'Académie des
Sciences , Belles -Lautres , & Arts de
Lyon , pour l'Année 1763.
L'ACADÉMIE des Sciences , Belles - Lettres
& Arts de Lyon , propofe pour Prix
de Mathématiques fondé par M. Chriftin,
OCTOBRE. 1761. 113
qui fera diftribué à la Fête de Saint Louis
1763 , le Sujet ſuivant :
Déterminer quelle eftfur un fleuve, la
conftruction du Moulin le plus avamageux
parfon produit & le moins nuifible
à la navigation.
Quelque générale que foit cette propofition
, il eft aifé de voir que l'Académie a
pour objet les Moulins de la Ville de
Lyon. Ils rendent la navigation difficile
& périlleuse , ils donnent lieu quelquefois
aux accidens les plus funeftes.
Ces artifices pofés fur deux bateaux entre
lefquels la roue à eau eft placée , occupent
35 pieds de largeur. S'ils étoient conftruits
fur un feul bateau , ils prendroient
20 pieds de moins fur le canal de la navigation
, & ils feroient moins expofés à
être endommagés ou emportés par les
grandes eaux , par les glaces , & par les
autres corps étrangers .
On a fait l'effai d'un Moulin fur un feul
bateau. La roue étoit à la poupe , fon axé
parallèle au courant , fes aubes formoient
une vis . Mais cette roue prèfque entierement
plongée dans l'eau , étoit fu'ette à
de fréquens dérangemens & à des réparations
difpendieufes , qui en ont fait abandonner
l'ufage.
114 MERCURE DE FRANCE.
Toutes perfonnes pourront afpirer à ce
Prix. Il n'y aura d'exception que pour les
Mcmbres de l'Académie , tels que les Académiciens
ordinaires & les Vétérans. Les
Affociés réfidant hors de Lyon , auront la
liberté d'y concourir.
Ceux qui enverront des Mémoires, font
priés de les écrire en François ou en Latin,
& d'une manière lifible.
Les Auteurs mettront une deviſe à la
tête de leurs ouvrages . Ils y joindront un
billet cacheté qui contiendra la même devife
, avec leurs noms , demeure & quali
tés. La Piéce qui aura remporté le Prix ,
fera la feule dont le billet fera ouvert.
Ca n'admettra point au concours les
Mémoires dont les Auteurs fe feront fait
connoître directement ou indirectement ,
avant la décifion .
Les Ouvrages feront adreffés francs de
port à Lyon :
Chez M. Bollioud Mermet , Secrétaire
pour la Claffe des Sciences , rue de l'Arfenal.
Ou chez M. le Préfident de Fleurieu
Secrétaire pour la Claffe des Belles Lettres
, rue Boiffac.
- Ou chez le fieur Aimé de la Roche ,
Imprimeur de l'Académie , aux Halles de
la Grenette.
OCTOBRE. 1761 . 113
Aucun Ouvrage ne fera reçu après le
premier Avril 1763. L'Académie dans fon
Affemblée publique , qui fuivra immédiatement
la fête de S. Louis , proclamera la
Piéce qui aura mérité les fuffrages.
Le prix eft une Médaille d or , de la valeur
de 300 liv. Elle fera donnée à celui
qui, au jugement de l'Académie , aura fait
le meilleur Mémoire fur le fujet propofé.
Cette Médaille fera délivrée à l'Auteur
même , qui fe fera connoître , ou au porteur
d'une procuration de fa part , dreffée
en bonne forme.
PROGRAMME de l'Académie Royale
des Sciences de Bordeaux.
Du 25 Août 1761 .
L'ACADÉMIE de Bordeaux diftribue tou
tes les années un Prix de Phyfique , fondé
en 1715 par feu M. le Duc de la Force.
C'est une Médaille d'or , de la valeur de
trois cens livres.
Cette Compagnie, convaincue que l'objet
le plus digne des fciences eft d'éclairer
les hommes fur leurs intérêts les plus chers,
& que la vraie gloire des fociétés littérai
res eft de diriger leurs travaux vers les re
16 MERCURE DE FRANCE.
cherches d'une utilité réelle , s'attache
depuis longtemps à ne propofer pour les
prix qu'elle doit donner , que des fujets
dont il puiffe réfulter quelque avantage
pour l'humanité . Elle voit avec éronnement
que depuis qu'elle a cette attention ,
elle reçoit beaucoup moins d'ouvrages
pour le concours , & que la plupart de
ceux qui lui font envoyés, ne contiennent
rien qui ne foit connu , & ne font que de
pures compilations de ce qui fe trouve
déjà répandu dans tous les Auteurs ; ce qui
trop fouvent l'oblige à leur refufer fes fuffrages
, & à réferver les Prix .
Elle ofe ici , au nom du bien commun
inviter les hommes à fe réveiller fur lesobjets
qui devront toujous mériter la préférence
dans leurs travaux . Elle prévient
auffi de nouveau, qu'en propofant les fujets
qu'elle choifit , elle defire que ceux qui
voudront travailler , s'appliquent furtout
à prendre l'expérience pour guide ; & que
s'il ont de nouvelles vues à préfenter , ils
aient l'attention de les appuyer d'expérien
ces réitérées , fures & bien faites , ou que
s'ils croient que l'on doive s'en tenir à des
vues anciennes , ils aient le foin de les con
firmer par des expériences nouvelles , qui
puiffent du moins ajouter quelque degré à
la confiance qu'elles peuvent mériter.
OCTOBRE. 1761. 177
'Dans cet objet, l'Académie a penſé qu'en
doublant les prix , & joignant aux prix
courans ceux qu'elle auroit refervés , ce feroit
un encouragement de plus pour les
auteurs , qui d'ailleurs y trouveroient quelque
dédommagement pour des dép nfes
qu'exigent quelquefois des expériences d'un
certain genre. M. le Duc de la Force , digne
héritier de ce zéle & de cet amour pour les
fciences , qui confacrerent à leurs progrès
les récompenfes qu'elle diftribae , a bien
voulu le prêter à les vues, & confentir à ce
qu'elle lui a fait propoſer à ce fujet .
Elle annonce donc aujourd'hui qu'elle
avoit trois Prix à donner cette année
( 1761 ) pour fujets defquels elle avoit demandé.
2.º. Si l'on ne pourroit point trouver
dans la préparation des laines , un
moyen qui put les préferver pour la
fuite de la piquure des infectes ?
20. Si les élémens des corps font inaltérables
de leur nature , ou s'ils fe changent
les uns dans les autres?
30. Quelle eft la meilleure manière de
connoître la différente qualité des terres
pour l'agriculture.
Mais que n'ayant trouvé fur ces différens
fujets aucun des ouvrages qui lui ont
été envoyés , qui lui ait paru mériter fes
118 MERCURE DE FRANCE.
fuffrages , elle a été obligée de réferver ces
trois Prix pour l'année 1763 ; qu'ainfi elle'
fe trouveroit avoir en 1763 quatre Prix à
diftribuer , lesquels du confentement de M.
le Duc de la Force , feront convertis en
deux prix feulement , compofés chacun
d'une Médaille d'or de trois cens livres , &
de trois cens livres en argent.
Pour fujets de ces deux Prix , elle demande.
1º. Si dans la préparation des laines
on ne pourroit trouver un moyen qui
fans en altérer la qualité , pút les préferver
pour la fuite de lapiquure des infectes
; ou du moins , fi dans les différentes
teintures qu'on leur donne , on ne
pourroit point mêler quelque ingrédient
qui , fans ternir ni endommager les cou
leurs , put produire le même effet ?
L'Académie a cru avantageux de repropofer
ce fujet , & devoir mieux expliquer
ce qu'elle fouhaite à cet égard :
20. S'il feroit poffible de trouver dans
le genre végétal quelquesplantes dunombre
de celles qui croiffent en Europe , autres
néanmoins que les plantes légumineuses
& les bleds de toute efpece , qui , foit
dans leur état naturel , foit par les préparations
dont elles pourroient avoir befoin
, puffent fuppléer dans des temps de
OCTOBRE. 1761. II
difette,, au défaut des grains , & fournir
une nourriture faine.
L'Académie defire furtout , en propo◄
fant ce fujet fi intéreffant pour l'humanité,
que l'on s'attache à faire les recherches
qu'il peut exiger , fur les plantes qui peuvent
le plus ailément fe trouver, ou que du
moins l'on pourroit le plus facilement fe
procurer , & dont la culture feroit la plus
aifée.
Elle a déjà prévenu qu'elle auroit deux
Prix à diftribuer en 1762 : le premier, fur
la queftion de favoir , fi les opérations
électriques peuvent être utiles ou nuifibles
dans les maladies du corps humain : le
fecond , fur la question de favoir , quels
font les véritables principes de la Greffe ,
& quels moyens on pourroit en déduire
foit pour le fuccès de cette opération ,
foit pour la perfectionner.
Les Differtations fur tous ces fujets ne
feront reçues que jufqu'au premier Mai de
l'année pour laquelle ils font propofés. L'Académie
prie les Auteurs de ne point attendre
au delà de ce terme , pour lui faire remettre
leurs ouvrages , fon deffein étant de
vérifier & de s'affurer par elle-même ( autant
qu'il lui fera poffible , & que le temps
du concours le lui permettra ) des expé
riences dont ils pourront y faire mention .
120 MERCURE DE FRANCE.
On demande que ces Differtations foient
écrites en caracteres bien lisibles . Au bas
11 y aura une fentence ; & les Auteurs font
priés de ne point négliger d'envoyer en
même temps , dans un billet féparé & cacheté
, fur lequel la même ſentence ſerarépétée
, leurs noms , leurs adreffes & leurs
qualités.
On les avertit auffi que fuivant les loix
que l'Académie s'eft prefcrites , elle n'admet
point pour le concours les Piéces qui
fe trouvent fignées par leurs Auteurs , &
qu'elle rejette également toutes celles qui
font écrites en d'autres langues qu'en François
ou en Latin.
Les paquetsferont affranchis de port ,
& adrefes ou à M. DE LAMONTAIGNE fils ,
Confeiller au Parlement , & Secrétaire
de l'Académie , fur les Foffes de la Vifitation
; ou à P. R. BRUN , Imprimeur
Aggrégé de l'Académie , rue Saint-James.
On trouvera chez le Sr BRUN toutes les
Differtations qui ont remporté le Prix au
jugement de l'Académie . On les trouvera
auffi toutes enfemble ou féparément , à
Paris , chez le Sieur BRIASSON , rue Saint
Jacques.
SUJETS
OCTOBRE. 1761. 121
SUJETS propofés par l'Académie
Royale des Sciences & Beaux-Arts ,
établie à Pau ; pour deux Prix , qui
feront diftribués le premier Jeudi du
mois de Février 1762 .
L'ACADÉMIE ayant refervé le Prix , qu'elle
avoit à diftribuer cette année , en donne .
ra deux en 1762 , le premier à un ouvrage
de Profe ; qui aura pour Sujet . L'Eloge
de feu M. de Marca , Archevêque de Paris.
Le fecond à un ouvrage de Poëfie, qui
aura pour fujet , L'électricité.
Les ouvrages de Poëfie feront au plus de
cent Vers , & ceux de Profe d'une demicheure
de lecture ; il en fera adreffé deux
exemplaires à M. de Pomps, Secrétaire de
l'Académie : on n'en recevra aucun après
le mois de Novembre , & s'ils ne font affranchis
des frais du Port.
Chaque Auteur mettra à la fin de fon
Ouvrage une Sentence ; il la répétera audeffus
d'un Billet cacheté , dans lequel il
écrira fon nom .
I. Vol F
22 MERCURE DE FRANCE
DISSERTATION Hiftorique &
Critique fur la vie du Grand-Prétra
AARON. Par M. de BOISSY.
AARON le premier des Souverains Sacrificateurs
Juifs , & frère de Moyſe, étoit
fils d'Amran & de Jocabed qui defcendoient
l'un & l'autre de Levi. ( a ) Il naquit
en Egypte l'an du monde 2430 lelon
la Chronologie du Texte Hébreu ,
de la Période Juliéne 3140 , 1574 ans
avant l'Ere Vulgaire , & 83 ans avant la
fortie des Ifraëlites de ce Pays. Sa naiſſance
précéda de trois ans celle de Moyfe, &
d'un an l'Edit par lequel Pharaon ordonnoit
aux Hébreux de noyer les enfans
qui naîtroient d'eux . ( b ) Ainfi il ne fut
point enveloppé dans la condamnation
que portoit cet Arrêt . On ne ſcait rien de
particulier touchant fa perfonne avant
l'apparition de Dieu à Moyfe fur le Mont
Horeb. Il partagea fans doute jufques- là
les travaux rudes & pénibles dont on accabloit
les Ifraëlites. Dieu ayant réfolu
de fe fervir du ministère de Moyfe pour
( a ) Exod . VI . 20.
(b ) Exod. VII.7.
OCTOBRE. 1761. 123
les tirer de l'oppreffion , où ils gémiffoient
fous la domination des Egyptiens ,
il choifit Aaron pour feconder fon frère
dans cette entreprife , à l'exécution de
laquelle celui ci fe refufoit , alléguant
pour excufe quelques défauts de la langue
foit naturels ou accidentels qui l'empêchoient
de s'énoncer avec facilité. ( c )
Aaron étoit éloquent : c'est le témoignage
avantageux que lui rend Moyfe , à qui
du refte il étoit inférieur. Le Seigneur le
deftina donc à être l'interprête de fon
frère , & à porter la parole pour lui, lorſqu'il
s'agiroit de parler à Pharaon ou aux
Hébreux; emploi dont il s'acquitta encore
à l'égard de ceux - ci après le paffage de la
Mer Rouge. Il partit par l'ordre exprès
de Dieu pour aller au- devant de Moyfe.
( d ) S'il le reçut en fonge ou par une révélation
immédiate de l'Efprit Divin ;
c'est ce que l'Ecriture ne marque pas
précisément . Il rencontra fon frère au
pied du Mont Horeb. Après s'être tendrement
embraffés l'un l'autre , Moyfe informa
Aaron de tout ce que le Seigneur lui
avoit dit , & des prodiges qu'il lui avoit
commandé de faire . Ils retournérent enfemble
en Egypte , où ils expoférent aux
( c ) Exod . IV . 10 14. 15 .
( d ) Exod. ibidem, v. 27.
F
14 MERCURE DE FRANCE.
Ifraelites leur Miffion , la confirmerent
par des miracles , & travaillerent de concert
à la délivrance de ce Peuple. ( e )
Aaron accompagna partout Moyfe , &
eut beaucoup de part à tout ce que ce Légiflateur
fit en cette occafion . Comme ce
détail appartient plutôt à la vie de Moyfe
qu'à celle de ce Grand Prêtre ; nous ne
rapporterons ici ce qui lui eft particulier .
Il fut chargé par fon frère de recueillir de
la manne dans un vafe , autant qu'en
pouvoit contenir la mefure d'un Homer. *.
Illa mit en réſerve dans fa tente par
Fordre du Seigneur , jufqu'à ce que le
Tabernacle fût conftruit.Il l'y dépofa pour
être confervée
à la poftérité , comme un
monument de la nourriture miraculeufe
par laquelle Dieu avoit fait fubfifter les Ifraclites
pendant quarante ans dans le Défert.
(f) Il foutint conjointement
avec
Hur les mains de Moyfe pour l'empêcher
de fe laffer , en les tenant continument
élevées au Ciel fur le fommet de la
Montagne ; tandis que Jofué combattoir
dans la plaine contre les Amalécites . ( g)
( e ) Exod . ibidem à v . 28. ad 31 .
* Homer ou Gomor mefure creufe des Bébreux
, qui faifoit la dixième partie d'un Epha , &
contenoit bien près de trois pintes de Paris.
(f) Exod. XVI . 33. 34.
( g ) Exod. XVII. 9.-10 . 11. & 12 .
OCTOBRE . 1761. 123
A monta fur la Montagne de Sinaï , accompagné
de fes deux fils Nadab &
Abihu & des foixante - dix anciens qui repréfentoient
toute l'affemblée d'Ifraël ,
pour rendre au nom du Peuple hommage
à l'Éternel , dont les Ifraëlites avoient
promis d'exécuter les volontés par la ratification
de l'alliance qu'il venoit de traiter
avec eux . Mais ni lui ni les autres ne
s'avancérent , que jufqu'à une certaine
éminence ; d'où ils virent le Seigneur
dans fa Gloire , fans en fouffrir au un
mal. ( h) Moyfe étant enfuite entré dans
la nuée , qui étoit le Symbole de la préfence
Divine , y demeura quarante jours
pour recevoir de Dieu le Corps des Loi
Morales , cérémonielles & politiques , à
l'obfervation defquelles ce Peuple s'étoit
engagé.
Ce fut dans cet intervalle que les Ifraë
lites qui ne fçurent ce qu'étoit devenu
Moyfe , & ennuyés de ne le voir point
reparoître , s'affemblérent tumultueufe
ment autour de la Tente d'Aaron , pour
le folliciter de leur faire un Dieu qui
marchát devant eux & qu'ils puffent
adorer. (i) Ce Grand Prêtre s'étant laiffé
( h Exod . XXIV . 9. 10 II .
( i. ) Exod. XXXIL 1 .
Fij
126 MERCURE DE FRANCE.
vaincre par leurs cris féditieux, leur dit de
lui apporter tous les Joyaux d'or , dont
ils avoient coutume de fe parer, eux, leurs
femmes & leurs enfans. Ils ne balancerent
point à les lui fournir ; & Aaron ne
les eut pas plutôt reçus de leurs mains ,
qu'il les jetta en fonte & en forma un
Veau du même métal . A la vue de cette
Idole le Peuple tranfporté de joie s'écria ;
Voici , ó Ifraël, le Dieu qui t'a tiré de
Egypte. Aaron entendant les vives acclamations
avec lefquelles les Ifraëlites
le recevoient , dreffa un Autel & l'y
plaça. Il fit proclamer pour le jour fuivant
une Fête folemnelle en l'honneur
de ce nouveau Dieu . Le Peuple vint le:
lendemain de grand matin la célébrer par
des facrifices qu'il lui offiit , par des danfes
& par des feftins : de forte que tout
le jour fe paffa en réjouiffances. ( k ) La
manière dont cette Idole fut faite , fa forme
& la nature du culte qu'on lui rendit
feront le fujet d'un Article particulier auquel
nous renvoyons cette difcuffion..
Nous nous bornerons pour le préfent à
faire quelques réfléxions fur ce qui eft perfonnel
à Aaron dans cet acte d'Idolâtrie
que commirent les Ifraëlites .
( k ) Ibidem, à v. 2 , ad 6,
OCTOBRE. 1761. 127
Ce n'eft pas fans furpriſe qu'on voit un
homme de fon caractère le prêter aux defirs
d'un Peuple également infidéle à fes
promeffes & ingrat envers Dieu qu'offenfoit
fon penchant à un culte idolâtre. Le
commandement par lequel Dieu l'avoit
défendu , étoit exprès. ( 7 ) Il étoit de plus
récent , & Aaron n'avoit pu l'oublier.
Ce feroit donc en vain que ce fouverain
Sacrificateur eût prétexté fon ignorance
à cet égard. Il ne pouvoit fe diffimuler que
cette lâche complaifance de fa part fût
une violation manifefte de la Loi de Dieu ,
que tant de motifs puiffans devoient nonfeulement
rendre préfente à fa mémoire ,
mais même imprimer au fond de fon
coeur en traits ineffaçables. Remarquons
encore qu'il pécha doublement dans cette
conjoncture , en manquant à ce qu'exigeoit
de lui fon ministère pour empêcher
la prévarication des Ifraelites , & en leur
fourniffant lui-même par ce Veau de fonte
l'occafion d'effectuer le crime dont
ceux ci avoient conçu l'idée , & en l'autorifant
par fon exemple. Je fcai qu'on
allégue des raifons plus ou moins vraifemblables
pour la juftification de ce
Grand- Prêtre. Il y en a même qui n'hé
(1 ) Exod. XX . 2. & feqq.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
fitent point à le difculper totalement . Les
autres moins hardis & beaucoup plus judicieux
fe reftreignent à diminuer fa faute,
qu'ils rejettent en partie fur les circonfrances,
fans prétendre pour cela l'excufer
tout-à- fait. Nous rangeons dans la claffe
des derniers S. Ambroife qui n'a ofé juſrifier
ce fouverain Sacrificateur , ni le condamner
abfolument . ( m ) Les Rabbins
marchent à la tête de ceux qui ont entrepris
fon apologie . Ils s'efforcent de colorer
de quelque prétexte la faute d'Aaron ,
& purfent dans leur imagination les particularités
qu'ils débitent à ce fujer . Ils
difent qu'Hur fut maffacré fur la place
pour avoir réfifté à ce Peuple en lui rappellant
le fouvenir des merveilles que
Dieu avoit opérées en fa faveur. Ils ajoutent
qu'aron éffrayé des menaces que
lui fit cette multitude de le traiter de la
même manière , s'il s'obſtinoit à lui refufer
fa demande , céda à fes follicitations
impies. ( 1 ) C'est pourquoi ils prétendent
qu'on doit lire , il craignit &c , au lieu
de ce que porte le Texte en cet endroit ,
( m ) D. Ambrof. Epiftol . 56. Lib . VII . pag.
614. Edit. Parifienf. Erafm .
( n ) Schemoth Rabba fect . XLI . fol . 156. pag .
2. Vide Bochart. Hierozoic , P. 1. Lib . 2. cap. 34.
pag. 333.
OCTOBRE . 1761 . 129
il vit &c. Ce dernier Verbe étant formé
dans la Langue Hébraïque , au temps où
il est employé , des mêmes Lettres que le
premier , leur fignification équivoque ne
fçauroit être déterminée que par la diver
fité de la ponctuation . Ainfi ils bâtiffent.
toute cette belle Hiftoire fur cette fauffe .
leçon qu'ils s'avifent de fubftituer de leur
chef à celle qui eft également confirmée.
par les anciennes Verfions & par les Maforethes.
D'ailleurs quand on leur accor
deroit que cette prétendue leçon feroit,
la véritable ; je ne vois pas qu'ils fuffent
fondés cela à en inférer le meurtre .
pour
d'Hur: puifqu'il eft naturel de fuppofer à.
Aaron des mouvemens de crainte dont
fon âme fut alors ébranlée , indépendamment
du traitement qu'ils veulent que
celui - ci ait effuyé. Ce Grand - Prêtre n'avoit
pas affez peu d'expérience pour ignorer
qu'on a tout à appréhender de l'hu
meur farouche & cruelle d'un Peuple
prêt à rompre le frein de l'autorité , &
capable de fe porter aux plus grandes.
violences. Enfin il n'eft pas vraisemblable,
que Moyfe qui n'a point cru devoir taire
ce qu'il y a de criminel dans l'action de
fon frère , eût voulu fupprimer la mort
d'un des plus importans perfonnages d'éntre
les Ifraelites , fielle eût en pour caufe :
F.v4
130 MERCURE DE FRANCE.
un motif auffi honorable à la mémoire
d'Hur que fon zéle à maintenir en vigueur
la Loi de Dieu , & la fermeté avec
laquelle il auroit lutté contre la propofition
de ce Peuple. Je ne fçai fi ce qu'ils
racontent des vues qu'ils préfument avoir
dirigé la conduite d'Aaron dans cette
rencontre , mérite beaucoup plus de foi ;
quoique cette voie de juftification leur
foit à quelques égards commune avec S..
Auguftin & Théodoret. ( o ) La demande
que ce Grand- Prêtre fit aux Ifraëlites deleurs
joyaux étoit felon eux , un expé--
dient dont il ufa pour rallentir leur ardeur
& même les rebuter en mettant l'exécu---
tion de ce qu'ils lui propofoient en oppo
fition avec leur avarice. Il fe flattoit fur--
tout que leurs femmes ne confentiroient
jamais à fe dépouiller des bijoux qui fervoient
à rehauffer l'éclat de leur parure ,
& pour lesquels les perfonnes du fexe ontun
attachement défordonné . Si ce fut-là
fon deffein , l'événement ne répondit
point à fon attente. L'amour de l'Idolâtrie
l'emporta fur celui de l'or & du luxe.
Les hommes & les femmes apportérent
(o ) D. Auguftin. Quæft. CXLI . ad´Exod.
Lib. 11. pag. 347. Tom . III . Edit . Benedictin recufa
Antwerp. feu Amftelod. Theodoret. Quæft..
LXVI. in Exod. pag. 111. Tom. I. Edit. Sirmond..
OCTOBRE. 1761. 131
fans délai à Aaron ces précieux ornemens
qu'il leur avoit demandés ; & il fe
vit réduit à en faire l'ufage pour lequel
ils les lui avoient , donnés . J'admire les
efforts que l'on fait pour difculper ce
fouverain Sacrificateur , fans confidérer
que tout ce que l'on dit à la décharge , eft
d'une foible reffource , quand on veut
bien réfléchir fur les fuites de fon action .
Nous ne fommes point éloignés de croire
qu'il ne s'y porta que malgré lui & à tou
te extrémité , après avoir inutilement
employé les plus fortes & les plus vives
remontrances pour ramener à l'obéiffance
de la Loi de Dieu ce Peuple infidéle
qui cherchoit à s'en affranchir. C'eft-là :
une préfomption qu'on peut tirer naturel--
lement de la narration de Moyfe. Mais
il paroît y avoir de l'imprudenée à vouloir r
marqser fi précisément l'intention de ce
Grand-Prêtre , relativement à la condui--
te qu'il tint dans cette conjoncture ; tan--
dis que Moyfe lui -même ne nous fournit
aucune inftruction à ce fujet. Nous
avouons que le récit de l'Hiftorien facréé
eft fort abrégé en bien des occafions , &
qu'il lui arrive fouvent d'exprimer en gross
lés événemens , fans détailler les circonftances
qui en dépendent . Cependant il !
faut prendre garde à ne pas débiter fess
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
conjectures comme des faits certains ; &
l'on ne fcauroit être trop réfervé, lorfqu'il
sgt de fuppléer par cette voie à ce que
l'Hiftorien a jugé à propos d'omettre. Il
feroit peut-être plus fage d'imiter fon fi
lence , & de fe borner en particulier ici
à condamner , à fon exemple , l'action
qu'il rapporte , fans rechercher curieuſement
des motifs qui tendent à exténuer
ce qu'elle a de blâmable. Qu'on ne
nous dife pas qu'il eft dangereux de brufquer
la fureur d'un Peuple animé à la ré
volte, & qui s'obſtine dans fes réfolutions :
que c'eft s'expofer à une mort inévitable
que de manquer de déférence pour ce qu'il
veut , dans de ſemblables difpofitions .
Nous convenons que les paffions dont le,
torrent nous entraîne , agiffent avec d'autant
plus d'impétuofité & de violence ,
qu'elle trouvent plus d'obstacles à furmonter
. Mais ces confidérations que la prudence
humaine autorife, ne peuvent avoir
Heu dans un cas de la nature de celui ci ,
où la Religion eft éffentiellement intéreffée.
Il n'y a point alors à balancer entre
le defir de vivre & la crainte de mou-"
rir. Le faint Ministère auquel Aaron'
avoit été deftiné par le Seigneur , les
graces péciales qu'il en avoit reçues ,
fuffifoient pour l'éclairer fur fon devoir.
OCTOBRE. 1761 . 235
C'étoient autant de droits que Dieu reclamoit
fur fa confcience . S'il en avoit
écouté les fuggeftions , il ne fe feroit pas
fait illufion fur le parti qu'il falloit prendre.
Il ne lui reftoit qu'à s'armer d'une
fermeté inébranlable en oppofant la plus
vigoureufe réfiftance aux inftances criminelles
des Ifraëlites , & en travaillant de
toutes les forces à reprimer leur fédition ,
quel que fût le péril qui pût menacer fa
vie. On ne juftifie pas mieux ce Grand-
Prêtre , quand on remarque que fon but,
en faifant un Veau d'Or , étoit de le confacrer
au vrai Dieu qu'il laiffa adorer au
Peuple fous cette forme vifible & fymbolique.
C'est pourquoi il défignoit par le
nom du Dieu Jehovah , l'objet de la Fête
qu'il annonçoit. Les Ifraëlites avoient
fans contredit les mêmes fentimens qu'-
Aaron furce Veau d'Or. Ils le regardoient
comme une emblême & une image de la
Divinité à laquelle ils rendoient leurs
hommages. Quelque groffier que fût leur
efprit , on fe perfuadera difficilement que
leur ftupidité allât jufqu'à transformer.
en un Dieu un Veau de métal , & à y
fixer leur adoration . Ils n'étoient pas pour
cela moins coupables ; puifqu'ils tranfgreffoient
la volonté du Seigneur , qui s'étoir
déclaré formellement contre un pa
734 MERCURE DE FRANCE
?
reil culte. Sa Loi l'avoit profcrit , en ce
qu'il tenoit de l'Idolâtrie , & par cette
raifon il lui étoit injurieux & infiniment
edieux. Il faut que Jofeph ait bien fenti
l'infuffifance des palliatifs qu'on s'efforce '
de trouver à l'action d'Aaron ; puiſqu'il
n'a pas hésité à paffer le fait fous filence.
I le jugeoit fans doute trop honteux à la
mémoire des Ifraëlites & particuliere--
ment de ce Grand - Prêtre, pour en inférer
lé récit dans le corps de fon Hiftoire .Mais
on ne fcauroit lui pardonner une ſemblable
réticence. Il ne devoit pas fe montrer
plus fcrupuleux fur l'honneur de fa nation,
que Moyfe qui a tranfmis dans les annales
, des Juifs la prévarication de leurs
ancêtres , & le péché d'Aaron, fans confidérer
que les liens du fang l'uniſſoient
étroitement à la perfonne de ce fouve--
rain Sacrificateur. C'eût été fe rendre coupable
de mauvaiſe foi , que de fupprimer
le détail de cet événement pour ménager
la réputation de fon frère . Un pareil !
ménagement étoit incompatible avec ce
que lui prefcrivoit l'intérêt de la vérité ,.
qui étoit plus cher à ce faint Légiflateur ,
que celui de fa famille & fle fien propre.-
Il n'y avoit rien qui fût capable d'en ba
lancer les droits dans fon coeur . Cette finsérité
qui éclate partout dans fa narra
OCTOBRE. 1761: 735
fion , en prouve invinciblement l'autenticité.
En effet il eft du devoir d'ún Hiſto--
rien fidéle de rapporter le bien comme le
mal , fans avoir aucun égard à des motifs
purement humains . C'eft à lui de tirer du :
récit des bonnes , & des mauvaiſes actions
, des inftructions qui tournent au
profit de la fociété , en propofant les unes
pour modéle , & en repréfentant les autres
avec la flétriffure qu'elles méritent.
Si nous n'approuvons point les tenta--
tives inutiles de ceux qui ne fe font point
renfermés dans de juftes bornes en prenant
à tâche de difculper Aaron , nous
fommes bien éloignés d'entrer dans la
penſée d'un Commentateur célébre parmi
ceux de fa communion , qui donne
dans une extrémité oppofée. Il avance
hardiment que ce Grand- Prêtre fe porta
volontairement à l'érection du Veau d'Or,
pour ſe concilier la faveur du Peuple ,
dont en l'abfence de Moyfe , il aſpiroit à
fe rendre le chef : ( p ) Il y a de la témérité
à fuppofer à Aaron des motifs auffi i
atroces que ceux qu'on lui impute fans le
moindre fondement , & à rencherir fur
les circonstances de fon crime . par dess
(p ) Cornel. à Lapid . Comment . in Exod.
XXXII. pag. 67. Edit. Antwerp,
44
336 MERCURE DE FRANCE.
conjectures qui ne font propres qaa
Faggraver.
Ce fouverain Sacrificateur ayant encouru
l'indignation de Dieu par fa condefcendance
criminelle pour les Ifraëlites
, en auroit vraisemblablement fubi le
châtiment , fi Moyfe ne l'eût détourné
par fon interceffion auprès de l'Eternel
en faveur de fon frère. Le Seigneur fe
laiffa fléchir par les prières de fon ferviteur.
Aaron ne put foutenir la honte &
la confufion dont le couvroient les juftes
reproches que lui fit Moyfe à fon retour
dans le Camp . Il crut s'excufer en rejettant
la faute fur l'opiniâtreté du Peuple
qui l'avoit forcé de faire ce qui lui attiroit
cette vive cenfure de fa part . ( 9 )
Il n'y a point de doute que ce Grand-
Prêtre ne rougit intérieurementd'alléguer
une excufe auffi vaine , qui étoit un aveu
tacite de fon crime. Il en reconnut bientôt
toute l'énormité & en témoigna un
fincère repentir. Il s'humilia de fon péché
devant Dieu qui lui pardonna . Le
Seigneur l'avoit défigné pour exercer le
Sacerdoce qu'il avoit réfolu de perpétuer
dans fa famille . Après que la conftruction
du Tabernacle fut achevée , Moyfe inftala
fon frère dans les fonctions de cette
( 9 ) Exod. XXXII . 21. 22. & feqq .
OCTOBRE. 1761 . 137
dignité , felon l'ordre qu'il avoit reçu du
Seigneur..( r ) Il fit lui- même les cérémonies
de la confécration , & revêtit Aaron
des habits Pontificaux. Ceux que Dieu
favorise le plus de fes graces, ne font pas
exempts de foibleffe . C'eft ce dont Aaron
nous fournit un exemple en érigeant le
Veau d'Or . Il femble qu'après une faute
de cette nature , il eût dû être en garde
contre les mouvemens de fon coeur. Cependant
il tomba dans une autre , qui fans
être auffi grave que la première, ne laiffoit
pas d'offenfer la juftice Divine. C'étoit
tout à la fois un manquement direct à la
charité fraternelle , & au caractère de
celui que Dieu avoit choisi
pour l'interpréte
& le Miniftre de fes volontés. Ce
Grand-Prêtre foutint Marie fa foeur dans
les murmures qui lui échappérent contre-
Moyfe à l'occafion de Sephora femme
de ce Prophete , qui étoit étrangère . La
plaie foudaine dont le Seigneur frappa
Marie, ouvrit les yeux à Aaron fur ce que
fa conduite avoit de répréhenfible . Il
s'empreffa de demander pardon pour fa
four & pour lui à ce même frère que des
plaintes fi mal fondées avoient outragé .
Moyfe touché de fon repentir & de fa
( r , Levit. VIII . 6.7. & feqq.
138 MERCURE DE FRANCE
foumiffion , offrit fes prières à l'Eternel
pour obtenir la guérifon de Marie ( s ).
A quelque temps de là * Aaron fut
troublé dans la poffeffion du Sacerdote
par les menées féditieufes de Coré , à qui
fe joignirent Dathan , Abiron & deux
cens cinquante des principaux Lévites.
Ce foulévement étoit occafionné par la
jaloufie que Coré avoit conçue contre le
frère de Moyfe, avec qui il eût voulu parrager
cette Dignité à laquelle il prétendoit
par fa naiſſance avoir les mêmes
droits que lui. Le Seigneur fit éclater fa
colère contre les rebelles par un châtiment
exemplaire qui fervit à épouvanter
ceux que leur audace auroit pu pouffer à
cet excès de révolte . La terre s'étant en
tr'ouverte fous leurs pieds , les engloutit
avec leurs familles , & tous leurs biens.
Les deux cens cinquante Lévites complices
de Coré qui fe tenoient avec leursencenfoirs
devant le Tabernacle pour of
frir de leur chef l'encens à l'Eternel , furent
tous confumés par un feu furnaturel
forti inopinément de ce faint Lieu.
(t ) Une punition auffi terrible auroit dû
( s ) Numer. XII. 1. & feqq.
* L'an du Monde 2514. 1499 ans avant l'Ero
Vulgaire.
( t) Ibidem. XVI. 1. & feqq.
OCTOBRE. 1761 139
apprendre aux Ifraëlites à refpecter le
choix de Dieu dans la perfonne de fes
Miniftres. Cependant à peine furent- ils
revenus de la frayeur que le fupplice des
coupables avoit jettée dans leur âme ,
qu'ils fe mirent à murmurer hautement
contre Moyfe & Aaron , à qui ils oferent
reprocher d'avoir été la caufe de la mort
de tant d'hommes. Jamais accufation net
fut plus injufte. La méchanceté étoit à fon
comble. Jofeph remarque que dans la
perfuafion où ils étoient , que rien ne ſe
fait fans la volonté de Dieu, ils croioient
que le Seigneur avoit puni Coré & les
autres Conjurés en faveur de Moyfe. (u)
Ils lui impuroient par conféquent tout ce
qui venoit de fe paffer : comme fi Dieu.
en féviffant contre les féditieux eût eu
moins égard à fa juftice dont le crime.
doit reffentir les effets , qu'aux follicitations
de ce Prophéte. Les deux frères à la
vue de cette émotion populaire fe retirerent
dans le Tabernacle pour le mettreà
couvert de l'emportement des mutins,à:
l'ombre de la puiffance de l'Éternel , dont
la préfence fe manifefta dans la nuée qui
couvrit cette demeure confacrée au
( u ) Fl. Jofeph , Antiquit. Juda. Lib. IV , cap..
pag, 202. Tom. 1. Edit. Haverkamp ..
40 MERCURE DE FRANCE.
culte Divin. Il s'arma une feconde fois
des traits de fa vengeance , & fe prépa
roit à exterminer ce Peuple rebelle .
Moyfe s'intéreffoit à la confervation des
Ifraëlites , malgré l'ingratitude dont ils
payoient les foins & les fervices. Elle
n'avoit pû altérer le fond de tendreffe
qu'il avoit pour eux . Comme il avoit
préffenti les coups que Dieu frappa , il
dit à Aaron , par une infpiration fubite,
de prendre fon encenfoir , & d'aller par
tout le Camp , faire propitiation pourle
péché du Peuple. ( x ) Quelle que fût la
diligence qu'apporta ce Grand-Prêtre à
éxécuter les ordres de fon frère ; le fléau
avoit déja confumé quatorze mille fept
cens hommes , outre ceux qui avoient
péri dans la fédition de Coré. Il auroit
caulé de plus grands ravages encore , fi
Aaron n'avoit arrête le progrès du mal ;
en fe tenant entre les morts & les vivans.
Il pria pour le Peuple , & la plaie ceffa ..
x ) Numer. XVI. 41. 42. &feqq.
Le reste au Mercure prochain.
み
OCTOBRE . 1761 .
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
EXPLICATION des Peintures , Sculpptures
& Gravures de Meffieurs de
l'Académie Royale , dont l'expofuion
a été ordonnée , fuivant l'intention de
SA MAJESTÉ , par M. le Marquis
DE MARIGNY , Commandeur des
Ordres du Roi , Directeur & Ordonnateur
Général de fes Bâtimens , Jardins
, Arts , Académies & Manufactures
Royales : dans le grand Salon
du Louvre , pour l'année 1761. A
Paris , rue S. Jacques. De l'Imprimerie
de J. J. E. Collombat , I. Imprimeur
du Roi , des Cabinet & Mai
fon de S. M. & de l'Académie Royals
de Peinture &c. 1761. Avec Privilége
du Roi.
PICTURA VERITATEM COLIT.
Philoftr. Iconum. Lib. I.
142 MERCURE DE FRANCE.
CETTE expofition eft une de celles qui
depuis ce fage établiſſement a fait le plus
d'honneur à l'Académie Royale de Peinture.
C'eft l'effet de l'encouragement continuel
que donne aux Arts M. le Marquis
de Marigny , qui en eft le Chef: tous les
Artiftes quile regardent comme leur père,
fe font empreffés aux grandes vues qu'il
a pour la gloire de l'Ecole Françoife , aujourd'hui
, fans contredit , la première de
l'Europe. Ils ont donné chacun dans leur
genre de nouvelles preuves , les uns de
leur excellence , les autres de leurs progrès
dans leur Art ; & tous,des éfforts unanimes
qu'ils ont faits pour foutenir la
haute réputation de l'Académie .
Le Public inftruit eft toujours équitable
, & la Capitale abonde en Amateurs
éclairés qui décident fon fuffrage ; ainfi
pour ceux qui vont au Sallon , l'explication
imprimée des Ouvrages qui y font
expofés pourroit fuffire : mais comme les
Arts font une partie ſpécialement affectée
à ce Journal , il n'en eft pas moins de notre
devoir de rendre compte de tout ce
qui intéreffe leur gloire & furtout des expofitions
qui fe font en ce temps , que
l'on peut regarder comme celui où l'Aca
démie tient les grandsjours.
OCTOBRE. 1761. 145
Nous commencerons , comme l'explication
imprimée, par le Tableau du Sallon
qui y appelle le plus tous les yeux &
qui eft en effet le plus digne de les frapper.
C'est le portrait du Roi , tableau de
huit pieds de hauteur fur fix de largeur
par M. Louis- Michel Vanloo , premier
Peintre du Roi d'Efpagne.
Avec la reffemblance la plus parfaite ,
l'Artiſte a rendu dignement cet air ma
jeftueux , fi remarquable dans le Roi , &
qui conftitue ce que les Anciens ont appellé
facies digna imperii. Ce caractère
de grandeur , qui annonce les hommes
faits pour commander aux autres , laiffe
voir dans leur expreffion la plus naturelle,
les traits heureux de cette bonté particu
lière à notre Augufte Monarque . Le furnom
de BIEN-AIMÉ , qu'il a reçu de fes
Peuples, le diftingueront à jamais de tous
les autres Souverains . Quel titre en effet
plus digne & du Prince , & de la Nation
qui a toujours fait gloire d'aimer fes Rois !
Gratiùs eft nomen pietatis quàm poteftatis
. Dans ce tableau le Roi paroît debout
, vêtu du grand Manteau Royal Le
Trône qui eft fous un dais & un fonds
d'Architecture mâle , ajoutent à la richeffe
de cette fuperbe compofition. La figure
eft dans une attitude noble ; la pofition
44 MERCURE DE FRANCE.
en eft aisée & naturelle . Elle eſt bien deffinée
; le velours , l'hermine, tous les ornemens
Royaux font rendus avec une
vérité qui fait illufion . La Nation demandoit
depuis long- temps un pendant au
beau portrait de Louis XIV par M. Rigaud
; M. Vanloo a la gloire de l'avoir
éxécuté au gré de tous les Connoilleurs.
Si la foule des Spectateurs , qui font fans
ceffe devant ce tableau, empêche fouvent
que l'on n'en puiffe approcher , c'eft qu'il
ne parle pas feulement aux yeux. LOUIS
l'amour de fes Peuples & le Bienfaiteur
des Arts, au milieu de ce Sallon, efpéce de
Temple qui leur eft confacré, porte la joie
dans tous les cours . Les Amateurs auroient
voulu qu'on eût mis au - deffous de
ce portrait : Hic Deus nobis hæc otia
fecit.
Les deux grands tableaux à côté du
portrait du Roi , font deftinés pour la
grande Salle de l'Hôtel- de- Ville : ils ont
chacun quatorze pieds de large fur dix de
haut. Celui dont le ſujet eft la publica,
tion de la Paix en 1749 , eft de M. Dumont
le Romain ; le Ciel en eft vigoureux
& fuffiroit pour l'annoncer. Dans cette
allégorie ingénieufe tout eft compofé ,
penſé & deffiné avec fageffe. Le génie de
la France qui armé de fon épée & de fon
bouclier
OCTOBRE. 1761. 145
Y
bouclier paroît en l'air fondre fur la Difcorde
terraffée fous les pieds du Roi , eft
une figure imaginée heureuſement & trèsfavamment
éxécutée. L'autre de ces tableaux
eft de M. Roflin & repréſente le
Roi après fa maladie & fon retour de
Metz , reçu à l'Hôtel- de-Ville par M. le
Prévôt des Marchands & MM . les Echevins
.On y remarque avec plaifir les grands
progrès de M. Rofin dans fon art ; il
fait voir que la reffemblance des portraits
n'eſt pas fon feul talent, & qu'il entend
l'agencement d'une grande machine : feulement
on a regret que le Roi , qui eſt la
principale Figure du tableau , n'y foit vu
que de profil ; mais c'eft probablement cet
que la compofition de fon Sujet, qui d'ailleurs
eft heureuſe, ne lui a pas permis d'éviter
. Il n'eſt aucun portrait de lui au Sallon
qui ne foit touché de main de Maître.
Dans celui de M. le Marquis de Marigni
il étoit naturel que le Peintre fit de nouveaux
éfforts pour fe diftinguer dans fon
talent, & il y a pleinement réuffi.
M. Carle Vanloo ajoûte chaque jour à la
gloire de ce nom qu'il a rendu fi grand dans
la Peinture. La Madelaine dans le défert ,
Sujet fi fouvent traité par les plus grands
Maîtres , l'eft ici d'une manière nouvelle .
On ne peut guères porter plus loins la vé
J. Vol
G
MERCURE DE FRANCE
rité , l'entente & le charme de la couleur.
Ce tableau fera certainement un
des principaux ornemens de l'Eglife de
S. Louis du Louvre, où il eft deftiné. Les
deux tableaux dont l'un repréſente une
lecture , & l'autre une offrande à l'Amour,
font de la plus grande beauté ; ils raviffent
également & par le précieux du pinseau
& par ce charme finéxprimable des
figures , qu'on ne fe laffe point d'admirer.
Ce dernier rappelle ce que Pline
( XXXIV , 8. ) a dit d'un Peintre Grec :
Appellas fecit adorantes Feminas . Car
le Marate & Carle Cignani eux - mêmes
n'ont rien peint de plus gracieux. L'A«
mour menaçant eft un tableau des plus
piquants on lit fa malice dans fes yeux ;
il tient fon arc bandé & armé d'une
fléche qui s'adreffe à quiconque le regarde
& paroît fuivre le Spectateur quelque
part où il fe place . Pline parle avec éloge
d'une Minerve, & Lucien d'une Junon
placée dans le Temple de la Déeffe Si
riéne où l'Antiquité a admiré cet effet
d'optique , qui ne peut être éxécuté que
par un Maître de l'Art. Tous ces tableaux
font de ce coloris enchanteur qui donne
tant de prix aux Ouvrages de M. Vanloo.
C'eſt pour la première fois que l'on
voit au Sallon des preuves de la capacité
OCTOBRE. 1761 : 147
de M. Amédée Vanloo fon neveu , premier
Peintre du Roi de Pruffe. Il y a de
lui quatre tableaux , dont deux de même
grandeur , & qui font ingénieuſement
compofés, repréfentent des Satyres. Dans
ceux -ci il paroît avoir cherché le Rubens .
Dans la guérifon miraculeufe de S. Roch
& furtout dans le Baptême de J. C. que
le Peintre a fait pour l'Eglife de S. Louis
à Verfailles , on s'apperçoit davantage
qu'étant de la famille , il a tâché auffi de
faire honneur à l'Ecole du célèbre Vanloo.
Les Anges dans l'un & dans l'autre
font tels que l'Ecriture les décrit ; on remarque
fur leurs vifages cette férénité &
cette pureté qui caractérisent les corps
céleftes & dans les draperies , cette fraîcheur
& cet éclat lumineux qui doit les
accompagner.
Les Paftorales de M. Boucher font toutes
marquées à fon coin , qui eft celui
des grâces. Præcipua Appellis in arte
venuftas fuit. Ce que l'Antiquité a dit
d'Appelle, nous le difons tous les jours de
M. Boucher. A l'égard de fon grand Paifage
; il eſt traité dans la manière du Bénédette
, on ne doit pas dire imité dans
quelque genre que l'imagination de ce
célèbre Artifte s'amufe, il y paroît toujours
original. La compofition de ce tableau
Gij
748 MERCURE DE FRANCE
eft favante. On voit qu'il a pris plaifir &
s'y livrer à cette fougue de génie , s'il eſt
permis de fe fervir de cette expreffion
qui n'appartient qu'à lui.
Le fonge de S. Jofeph , qui doit être
placé dans l'Eglife de S. Louis à Verfailles
, ne peut qu'ajoûter à la réputation de
M. Jeaurat , qui après s'être éxercé avec
fuccès dans les genres familiers , s'eſt élevé
dans ce tableau- ci à la dignité de fon
Sujet .
Dans les différens tableaux de M. Pier
re , on reconnoît un de ces génies heureux
, nés pour
les grandes compofitions
dans tous les gentes , & qui font appellés
par leur talent à décorer les Temples
& les Palais des Princes. La Defcente de
Croix , tableau de dix- huit pieds de haut
fur dix de large , eft de ce grand caractère
des Carraches auquel il eft fi difficile d'atteindre.
Les expreffions en font fortes, le
pinceau facile & vigoureux , les figures
groupées avec intelligence. Le même génie
& le même mérite fe font fentir dans
la Décolation de S. Jean-Baptifte. La
fuite en Egypte eft un tableau de Chevallet
précieux , & de l'effet le plus piquant
& le plus agréable. Le Jugement
de Paris a vingt - un pieds de large fur
quatorze de haut. C'eſt une grande maOCTOBRE.
1761 149
thine d'une compofition favante, où tout
eft exprimé , tout eft en action . Les Obfervateurs
attentifs ont remarqué l'accord
& l'harmonie qui y régnent dans la
partie de la couleur , auffi - bien que la
correction du Deffein & la facilité du pinceau
. Celui de M. Pierre eft précieux à
cet égard ; c'eft peut-être un des Artiftes
à qui le travail coûte le moins & qui let
cache le mieux. Dans toutes les production
de l'efprit fi la peine fe laiffe voir ,
elle en diminue le prix , parce qu'elle
trouble notre plaifir & détruit notre illufion.
Les Anciens faifoient le plus grand
cas de cette heureufe facilité , comme on
peur le voir par ce paffage de Plutarque
qui a fi bien parlé de tout. Nicomachi
verò picturis &carminibus Homeri extra
reliquas dotes & gratias etiam hoc ineft
expeditè ut facta & facilè appareat. Ce
tableau deſtiné à orner la gallerie du Roi
de Pruffe , y foutiendra dignement l'honneur
de notre Académie de Peinture aux
yeux de ce Monarque qui aime & qui
connoît les Arts.
On eft accoutumé à diftinguer au Sallon
les tableaux de M. Hallé par l'efprit
& les grâces qui y régnent , ainfi que par
le charme de fa couleur. Ces différentes
parties caractériſent en effet plufieurs pe
G iij
50 MERCURE DE FRANCE.
tits tableaux qu'on y voit de lui , & furtout
un de dix pieds en quarré, qui repré
fente les génies de la Poëfie , de l'Hiſtoire,
de la Phyfique & de l'Aftronomie. Ce
tableau qui doit être éxécuté en tapifferie
à la Manufacture des Gobelins , eft
compofé très- artiftement pour cet effet.
Il eft clair partout & en même temps de
la plus grande richeffe . M. Hallé ne s'en
eft pas tenu là cette année ; dans un genre
où il n'avoit pas encore exercé fon
talent, il a fatisfait les Connoiffeurs, étonné
le Public & obtenu des applaudiffement
univerfels . On voit tous les jours
avec un nouveau plaifir fon tableau de
S. Vincent de Paul. Il l'a peint prêchant
en chaire dans l'Eglife de S. Etienne du
Mont. C'eſt encore un tableau clair , lumineux
, d'une couleur argentine & d'un
effet furprenant. La perfpective aërienne
n'y eft pas moins bien rendue que la perf
pective linéale . L'attention d'une foule
d'Auditeurs , qui font fur le devant du
tableau, eft tellement variée felon les différens
caractères qui y font repréfentés ,
qu'on n'entend dire autre chofe à ceux
qui prennent plaifir à en examiner les détails
, finon que c'eft la Nature même.
Le tableau de M. Vien , deftiné pour
l'Eglife de S. Louis à Verfailles , & dont
OCTOBRE 1761 .
le Sujet left S. Germain donnant une médaille
à Sainte Géneviève , eft un de ceux
que le Public a le plus diftingué par fes
éloges. Soit pour la compofition , foit
pour le deffein , foit pour la couleur , on y
connoît à tous ces égards un Peintre du
premier ordre. Quel grand caractère dans
la tête du Saint ! Quelle innocence, quel
le humilité dans celle de la Sainte ! Ce
que de pareils Sujets éxigent furtout, c'eft
la décence avec laquelle celui -ci eft traité.
Elle prouve le jugement du Peintre ,
car cette décence a toujours été regardée
comme une des principales parties de
l'Art , & cependant c'eft peut-être la feule
dont on ne puiffe pas donner de préceptes.
Præcipuè in hac parte præftan
dum eft ut deceant cuncta ; quod pru
dentia magis quàm ulla præceptionis
arte fervatur. Dans le tableau de Chevallet
qui représente une jeune Grecque qui
orne un vafe de bronze d'une guirlande
de fleur , cette figure eft du deffein le plus
pur & le plus élégant. La ceinture placée
un peu haut la fait paroître plus longue
qu'elle ne l'eft en effet. On s'en convaincra
en comparant les proportions foit de
la tête,foit de ce beau bras élevé & dont la
main tient un des bouts de la guirlande
avec les proportions 1 des autres membres.
Giv
52 MERCURE DE FRANCE.
Le caractère gracieux ,mais noble & fimple
de la tête , le goût fage des draperies , la
forme du vafe, tout dans ce tableau eft telle
ment dans la manière grecque, que fans la
fraîcheur du coloris, il pourroit paroître un
monument précieux , confervé à Athénes
par une forte de miracle. Ceux qui ont
pris dans Pline quelque connoiffance des
Peintres Grecs , feroient rentés de croire
que cette Grecque merveilleufe eft de Nicias
l'Athénien . (Voyez Pline XXXV.11. )
S. André amené au Martyre & S. Pierre
délivré defaprifon , font deux tableaux
remarquables de M. Deshais , & dignes
du nom qu'il s'eft fait dans ce genre , qui
eft le premier de la Peinture . Mais quoiqu'on
ne doive plus être étonné de ce qui
vient de lui, les plus grands Connoiffeurs
cependant l'ont été de l'expreffion admi
rable qu'il a donnée à fon S. Benoît , qui
près de mourir vient recevoir le Viatique
à l'Autel. Nous ne prétendons pas comparer
ce tableau à celui où le Carrache a repréfenté
S. Jérôme dans le même acte de
dévotion, & que le Pouffin regardoit comme
un chef- d'oeuvre : nous croyons feulement
que comme objet d'émulation ,
la communion de S. Jérôme a pû fervir
à élever l'imagination du Peintre François.
Le moyen le plus fûr pour
fe
per
OCTOBRE. 1761 ) 153
fectioner dans un Art , eft d'avoir fans ceffe
fous les yeux les modèles de ceux qui
y ont excellé. Il eft glorieux pour M. Deshais
d'avoir traité fi heureufement un Sujet
qui demande ces grandes parties de la
Peinturé , que peut-être on ne peut puifer
toutes en effet que dans l'Ecole des
Carraches.
La Cléopatre expirante & le Socrate
condamné par les Athéniens à boire la
Cigue font de M. Challe . Cet Académicien
a traité ces deux grands Sujets avec
beaucoup d'effet & de force. Dans le tableau
de Socrate , qui eft d'une plus grande
compofition , ce Philofophe paroît recevoir
avec indifférence la Cigue qu'on
lui préfente , tandis qu'on voit fur les vifages
de fes amis & de fes difciples dont il
eft environné , les expreffions de la plus
vive douleur.
..
M. Doyen a tiré de l'Iliade , que les ™
Poëtes & les Peintres devroient regarder
comme leur Manuel , le Sujet de fon
grand tableau de 15 pieds 9 pouces de
hauteur fur 14 de largeur. C'eſt le mo--
ment où Vénus vient d'être bleſſée par
Diomède: L'imagination vive de cet habile
Artifte, échauffée par la lecture d'Ho--
mère , qu'un Auteur Latin appelle Fons
geniorum , lui a fait voir tout ce qu'il aa
G&
154 MERCURE DE FRANCE.
lu & qu'il expofe à nos yeux. De là tout ce
mouvement , toute cette action , toute
cette chaleur enfin que répand dans le
tableau la fureur de Diomède qui y eft fi
fiérement exprimée. Le Spectateur ne
peut y arrêter les regards fans en être
frappé lui-même.Il y a beaucoup de Poë
fie dans ce tableau , qui eft vraiment du
genre le plus fublime. C'eſt M. le Prince
de Turenne à qui il appartient , qui en a
donné le Sujet. Que cet amour pour les
Arts eft louable dans les perfonnes de ce
rang , & quel puiffant encouragement ne
donne- t - il pas aux talens de toute efpéce
! Au furplus , quelques - uns de ceux
qui font attention à tout , ont trouvé que
la Bordure nuifoit un peu à l'effet du tableau
, du moins au Sallon : on imagine
qu'elle feroit beaucoup mieux, file fonds
qui eft noir , étoit doré comme les ornemens
, qui d'ailleurs font mâles & de bon:
goût. Qu'il nous foit permis à ce propos
de rendre juſtice à M. Guibert , Sculpteur
habile dans fon genre , à qui nous devons
la fuperbe Bordure du grand Portrait du
Roi. Elle lui a fait beaucoup d'honneur ,
foit la richeffe & le goût des ornepar
mens convenables au Sujet , foit par le
travail précieux de l'exécution. Ceux qui
s'entendent dans les Arts ont reconnu au
OCTOBRE. 1761. 135
Sallon plufieurs autres Bordures de lui où
les guirlandes de fleurs , celles de feuilles
de chêne & les autres richeffes qu'il n'y
employe qu'avec la plus grande fobriété ,
font recherchées & finies à un degré de
perfection que l'on avoit négligé depuis
longtemps dans les Ouvrages de cette
espéce.
Il eft des Peintres qui ne fe contentent
pas de briller dans un feul genre , & qui
par une ambition louable , éffayent leurs
talens dans tous ceux où ils peuvent fe
fatter de quelque fuccès. C'eft ce que M.
Bachelier a déja fait plus d'une fois , &
qui lui a encore attiré cette année- ci de
nouveaux éloges : quelque mérite qu'il y
ait dans les Quatre Parties du Monde
fi artiftement caractérisées , & dans fesautres
tableaux , ne pouvant parler de
tour , nous ne nous arrêterons qu'à celui
qu'il a fait pour le Roi , & que l'on doit :
exécuter en tapifferie à la manufacture
des Gobelins. Il a 20 pieds de longueur
für 10 de hauteur. Il repréfente d'une
manière nouvelle & en même temps extrêmement
agréablé les Amuſemens de:
Enfance. Il eft de la compofition la plus
riante & d'autant mieux raifonnée , que
toute la richeffe du Sujet eft étalée dans
lèbas du tableau , & par conféquent fouss
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE
,
lės yeux. Il y a peu d'ouvrage dans la
partie fupérieure , qui , demeurant vague
& claire partout , doit mieux réuffir dans
une tapifferie faite pour aggrandir autant -
que pour orner un appartement , que ces
fonds trop chargés , dont l'effet néceffaire
eft de faire paroître les lieux plus :
petits .
Le mérite de-M Chardin eft univerſel
lement reconnu. Les tableaux que l'on
voit de lui au Sallon font dignes de la ré
putation qu'il s'eft faite dans ce genre
de vérité où il excellé depuis fi longtems.
Il n'eft point de Cabinet en Europe où fes
ouvrages ne foient admis au rang de ceux
des meilleurs Maîtres. La patience des
Hollandois n'a pas copié plus fidélement
la nature , & le génie des Italiens n'a pas
employé un pinceau plus vigoureux pour
la rendre. Quel fujet d'étonnement pour
ceux qui aiment à réfléchir ! Vinge Pein
tres l'exprimeront tous avec la même fi- -
délité, & cependant chacun d'une maniè- -
re qui ne reffemblera à aucune des autres.
Lorfque l'on eft parvenu à connoître & à
fentir le prix de ces myftères de l'Art , la
Peinture eft une des fources du plus grand
amuſement.
Au- deffus de tableau du Dioméde , on
voit celui ſur lequel M. Briard a été agréés
OCTOBRE. 1761. 157
à l'Académie. Cette grande compofition
à 23 pieds de hauteur fur 12 de largeur . Il
y a peint le paffage des âmes du Purgatoire
au Ciel. Ce genre où il faut tout
imaginer, demande un génie particulier,
& celui de M. Briard promet beaucoup .
Le tableau de M. Cafanove repréſentant
un Combat de Cavalerie , après avoir
réuni tous les fuffrages de l'Académie ,
qui vient de l'agréer , a été auffi vu du Public
avec autant de fatisfaction que d'é
tonnement , puifqu'il s'agit encore d'un
début. Cet éffai eft d'un Maître qui annonce
toutes les parties que l'on demande
dans un Peintre de Batailles . Du génie ,
du feu , une touche vigoureufe , un colo
ris fier ; des expreffions fortes , l'art de
grouper & de détacher dans la mêlée les
principales figures & c.C'eft de l'affembla
ge de toutes ces parties que réfulte l'effet
prodigieux de ce tableau. Nous devons :
nous féliciter d'avoir acquis dans cet Artiſte
étranger un Peintre digne de rempla
cer parmi nous le fameux Parocel , &
qui dès à préfent atteint de fi près le Bour
guignon & le Salvator Rofe..
养
Les deux Vues de Bayone par M. Vera
net font de la fuite des Ports de France ,
qui s'exécute fous les ordres de M. le
Marquis de Marigny : l'explication dess
158 MERCURE DE FRANCE.
Peintures donne une deſcription détaillée
du travail immenfe de ces deux grands
tableaux ; pour en faire fentir le prix , il
fuffit de dire qu'on y trouve tout ce que
l'on peut attendre de la fupériorité de M.
Vernet dans fon talent , que le burin des
Graveurs les plus habiles a fait connoître
aujourd'hui de toute l'Europe .
Le Public a admiré dans l'intérieur de
la nouvelle Eglife de Sainte Géneviéve
& le génie de l'Architecte fur les deffeins
duquel s'élève à préfent ce grand édifice
, & le talent du Peintre , qui en a
rendu tout l'effet fur une toile de cinq
pieds de haut & de quatre de large. M.
de Machi, qui avoit déjà brillé plus d'une
fois au Sallon , s'y eft acquis cette années
ci la plus grande réputation dans fon genre.
La lumière eft bien entendue & fagement
diftribuée dans ce tableau; la dégradation
des objets & de la couleur y eft fi
jufte , qu'il nous fait jouir d'avance de
cette fuperbe Eglife qui fera bientôt l'un
des plus beaux ornemens de la Capitale.
Panini lui- même n'a pas mieux réuffi dans
fes vues de l'intérieur de S. Pierre de
Rome. On pourroit comparer à auſſi juſte
titre les Architectes de ces vaftes édifices,
que les Peintres qui ont ofé entreprendre
d'en exprimer fur toile toute la grandeur
OCTOBRE. 1781. 159
& toute la magnificence. Cette vue-ci
cependant ne pouvant être regardée que
comme un portrait où la fidélité eft la
partie qu'on recherche le plus, on ne doit
pas être furpris que l'autre tableau de M.
de Machi,qui offre à nos yeux l'intérieur
d'un Temple de fon invention , foit en
core plus piquant & par les beaux effets
de lumière & par les favans contraftes
de l'Architecture. Dans celui- ci le Peintre
a été le maître de fe livrer à toute la richeffé
de fon imagination, & d'y déployer toute la
magie de fon Art . Il y régne en même tems:
une fageffe qu'il eft rare de trouver chez
les Peintres , lorfque , pour ainfi dire , ils
bâtiffent eux-mêmes fur la toile. En effet
le Spectateur devant ce tableau fe croit
transporté dans l'ancienne Rome & à la
porte du Temple de la Paix . Nous ne pouvons
plus admirer que les veftiges impo--
fans de cet édifice immenfe ; mais quelles
preuves n'y trouvons- nous pas , non -feulement
de la grandeur , mais de la fageffe
des anciens Romains ce n'eft point à
Mars que ce Peuple guerrier , ce Peuple
conquérant , ce Peuple Maître du Monde
a confacré le plus fuperbe & le plus vaſte :
de fes Temples , c'eſt à la Paix .
Les Paifages de M : Juliart font d'une
bonne manière & d'une touche fpirituel
le ; ils fe fentent des progrès qu'il fait:
160 MERCURE DE FRANCE.
journellement dans ce genre aimablè
pour lequel il a tant de talent : il eft aifé
d'y remarquer qu'en étudiant la nature ,
il confulte auffi les Maîtres qui ont fçu le
mieux la rendre. Son grand Païfage tient
également & du Salvator Rofe & du Gaf
pre..
On ne doit pas être furpris que M.
Greufe , qui eft le Peintre de la Nature ,
ait éffayé depuis peu fon talent dans le
Portrait, & qu'il y ait fi bien réuſſi. Celui
de M. le Dauphin , qui eft très - reffemblant,
fait beaucoup d'honneur à cet Académicien
, fi fupérieur dans fon Art . Il a
fait auffi fon propre portrait & celui de
fa femme. La tête de fon beau-père eft fi
belle & fi bien peinte , la couleur en eft
fi vraie, qu'on pourroit la croire de Vandeck
, fi l'on n'y reconnoiffoit la touche
particulière à M. Greufe , qu'on ne peut
confondre avec celle d'aucun autre Peintre.
Dans le genre qui lui a fait une fi
grande réputation , on voit un petit tableau
repréſentant une jeune Blanchiffeufe.
Il appartient à M. de la Live de Julli.
Ce morceau eft précieux pour la vérité ,
pour la couleur & pour le charme de
l'expreffion. Nous prions que l'on nous
pardonne de nous fervir fi fouvent des
mêmes termes ; ce n'eft qu'autant que
OCTOBRE . 1761. 161
Nous trouvons les mêmes chofes à louer :
nous fentons tous le befoin que nous
avons de l'indulgence du Lecteur , mais
nous nous croyons d'autant mieux fondés
à l'efpérer, que ces répétitions deviennent
indifpenfables en pareil cas. C'eft moins
pour varier le ſtyle que pour jetter de la
poudre aux yeux du vulgaire, que l'on affecte
fouvent de fe fervir de termes dont
le fens n'eft connu que des Artiftes & des
Amateurs qui les tiennent d'eux. Il n'eſt
pas difficile d'éblouir par là quelques
ignorans toujours prêts à admirer ce
qu'ils n'entendent pas ; mais ce vain étalage
ne peut paroître que ridicule au Lecteur
judicieux qui s'apperçoit aisément
qu'on cherche moins à l'éclairer qu'à lui
en impoſer.
M. de la Tour eft un de ces Artiftes célèbres
, dont le nom fuffit pour garantir
Pexcellence de leurs ouvrages . Avec la
reffemblance il donne tant de vie à fes
portraits, que celui de M. le Duc de Bourgogne
a renouvellé dans tous les coeurs la
douleur dont la France a été pénétrée à la
mort de ce Prince , qui en étoit devenu
l'amour. Les Connoiffeurs regardent le
Portrait de Madame la Dauphine & celui
de M. le Comte de Luface , comme
le Nec plus ultrà du Paftel. Plus on les .
.
462 MERCURE DE FRANCE
confidère attentivement , plus on admiré
l'Art, diſons mieux , plus on l'oublie , puiſqu'en
effet on croit voir la Nature même.
Le portrait de M. de Crébillon & celui de
M. Bertin , quoique d'un genre fi oppofé
, font chacun dans le leur d'une égale
perfection . On trouve dans les portraits
peints par M. de la Tour ce que d'après
les Grecs, les Latins ont appellé mens oculorum
, ce qui fait qu'on croit prefque
y lire jufques aux penfées des perfonnes
qui y font repréfentées. Comme la tête
de M. de Crébillon eft d'un grand caractère
, l'Artiste judicieux la peinte nue
avec quelques cheveux blancs qui lui
donnent beaucoup plus de nobleffe que
n'auroit fait une perruque. Dans la belle
& refpectable vieilleffe de ce grand Poëte
Tragique , il ne lui manque plus que quelques
années pour reffembler autant à Sophocle
par l'âge, qu'il lui reffemble en effet
par fes écrits ; & il n'eft aucun ami des
Mufes, qui ne lui fouhaite une vie encore
plus longue que celle du Poëte Grec .
au rang
M. Drouais le fils , que l'on compte
de nos meilleurs Peintres de Portraits
, a fait un tableau très - agréable de
celui qui repréſente M. de Bethune jouant
avec un chien. Il y a exprimé de la manière
la plus heureuſe la naïveté , l'innos
OCTOBRE. 1761 . 163
cence & les grâces de l'enfance . C'eft un
genre qu'il a fçu fe rendre propre. Les
portraits de Monfieur & de Madame de
Buffon , indépendamment de la reffemblance
qui y eſt parfaite , méritent d'être
examinés avec une attention particulière
par le foin que le Peintre a pris d'y rendre
les étoffes , les dentelles & les autres
ajuſtemens , avec une vérité qui prouve
tout-à- la-fois & l'habileté qu'il a dans fon
talent & l'amour avec lequel il le cultive.
Il est heureux pour lui d'avoir fi bien
' affi dans le Portrait du Pline de nos
jours , qui ne peut manquer d'être gravé
tôt ou tard, & par conféquent de faire paffer
le nom du Peintre à la poftérité la
plus reculée. Depuis longtemps le Public
demande le Portrait de M. de Buf
fon aux Imprimeurs de fon Hiftoire Naturelle.
Dans le Portrait de M. Gilbert de Voifins
, par M. Voiriot , on ne trouve rien
à defirer , & c'eft en faire le plus grand
éloge.
Si la Peinture fait plus d'effet fur le
grand nombre à qui la couleur en impoſe ,
que la Sculpture , celle- ci n'en eft pas
pour cela moins recommandable aux yeux
de ceux qui s'y connoiffent. Depuis le renouvellement
des Arts en Europe , la
464 MERCURE DE FRANCE.
France peut fe glorifier d'une fucceffion
non interrompue de Sculpteurs comparables
aux plus célèbres des autres Pays ;
peut- être même n'en a- t- elle jamais eu
autant du premier ordre qu'aujourd'hui.
Les Chefs- d'oeuvres connus des Bouchar
dons , des Pigales , des Slodis , des le
Moines , des Falconets & c , en font la
la preuve. On en voit de nouveaux au
Sallon de cette année ; dont nous ne pou
vons indiquer que les principaux.
Tel eft le Bufte en marbre de Madame
la Marquise de Pompadour , par M. le
Moine ; cet habile Statuaire y a prouvé
que s'il eft difficile , il n'eft pas impoffi
ble à l'Art de rendre les grâces de la Nature
.
Le Bufte en terre cuite du Sophocle Franyois
par le même eft reffemblant eft pleinde
vie : cette tête a tant d'expreffion qu'on
y reconnoît tout le feu qui anime Khadamiste
& Catilina.
Melpomene a tant d'obligation à Mlle
Clairon, qu'elle ne pouvoit s'acquitter envers
elle que par cette couronne immortelle
qu'elle lui a affurée par les mains de
M. le Moine. Les Arts & les talens fe
plaifent fi fort à être affociés , qu'on a remarqué
qu'ils ont prèfque toujours fleuri
en même temps. Dans ce marbre précieux
OCTOBRE. 1761 165
les fiécles à venir fe plairont à contempler
les traits de l'Actrice qui fait l'étonpement
du nôtre .
Le Bufte du célèbre M. Falconet , ce
vieillard auffi aimable que favant , eft aujourd'hui
éxécuté en marbre , d'après celui
en terre cuite , que le Public avoit
déjà admiré au Sallon . Il eft à remarquet
que l'Artifte & le favant portent le même
nom ; & que chacun d'eux dans fon
genre l'a rendu également digne de la
forte d'immortalité où les chofes humaines
peuvent atteindre. Cette rencontre
de noms a donné lieu à cette Infcription
Grecque qui mérite d'être connue du Public.
Ο ΜΟΝΙΜΟΙΝ ΕΤΕΡΟΣ ΕΤΕΡΟΝ
ЕП ЛАТТЕ ΝΕΟΣ ΠΡΕΣ ΒΥΤΙΝ
L'un des deux homonymes ( perfonnes de
même nom ) a repréfenté l'autre ; lejeune
a fait le vieux.
M. Vaffe qui fontient dignement la
gloire de ce nom , connu dans la Sculpture,
a enrichi la fuite des hommes illuftres de
Troye par un très- beau bufte en marbre.
C'est le portrait du P. le Cointe.
Celui de M. hameau par M. Caffiéri
eft d'une reffemblance étonnante .On doit
favoir gré à ce jeune & habile Artiſte d'avoir
confacré ce monument à l'un des
plus grands Muficiens de l'Europe , &
136 MERCURE DE FRANCE.
certainement au plus favant de tous . La
célébrité des Ouvrages de toute éſpèce de
M. Rameau honore non feulement la
Bourgogne, qui eft fa patrie , mais la France
même qui eft aujourd'hui la patrie de
tous les Arts .
Les Connoiffeurs ont rendu la même
juſtice aux sujets de compofition de tout
genre que l'on voit au Sallon , non feulement
des Sculpteurs dont nous venons
de parler , mais de MM. Challe , Pajou ,
Dumont , Mignot , & d'Huès.
Nous croyons devoir un Article particulier
aux deux petits groupes de femmes
en plâtre de M. Falconet, non feulement
parce qu'ils font remarquables par la pureté
du deffein , par l'élégance des contours
, par la fineffe & les grâces des expreffions
dans les tetês , & en un mot par
le bel effet du tout enſemble , mais encore
parce qu'étant des modéles de chandeliers
, qui doivent être exécutés en ard
gent par M. Germain , nous ne devons
pas laiffer ignorer au Public la façon de
penfer noble de cet habile Artifte , qui le
porte à employer les plus grands Maîtres
pour les deffeins des chefs- d'oeuvre d'Or
févrerie , qui fortent de fon attélier.
Quant aux Eftampes , comme elles fe
multiplient auffi aifément que les Livres
OCTOBRE. 1761. 16
par la voie de l'Impreffion , nous nous
croyons difpenfés d'en parler ; & nous
renverrons le Lecteur au Livre qui en
contient l'explication . Nous nous contenterons
de remarquer que celle de M.Wille
, qui repréſente le Portrait de M. le
Marquis de Marigny , d'après le tableau
de M. Tocqué , eft généralement regardée
comme un chef- d'oeuvre.
C'en eft un autre & qui a ravi tous les
Connoiffeurs , que le deffein au crayon
rouge repréfentant Lycurgue bleffé dans
une fédition ; ou plutôt c'eft un tableau
du genre le plus fublime auquel il ne
manque que la couleur.
A l'afpect de toutes les beautés , dont
nous venons de donner la defcription ,
quel ne doit pas être l'étonnement des
Etrangers qui fe trouvent parmi nous ,
de voir en France les Arts de la Paix
fleurir même au milieu des fureurs de la
guerre ! Si l'on réuniffoit ce que tous les
autres Artiftes de l'Europe ont pu produire
depuis le dernier Sallon de 1759 ,
il est douteux qu'une pareille Collection
pût tenir contre celle qui fe voit aujourd'hui
au Louvre. Ce n'eft pas cependant
qu'en nous occupant des Arts agréables,
nous négligions les Arts utiles les Sociétés
d'Agriculture nouvellement éta
468 MERCURE DE FRANCE..
blies à Paris , à Rennes & dans plufieurs
autres Villes du Royaume, ne feront fure
ment pas moins d'honneur à la fageffe du
Ministère dans l'efprit de tout être qui penfe.
La Nation qui s'éclaire de plus en plus
eft heureuſement parvenue à reconnoître
comme le premier des Arts celui fans lequel
tous les autres ne peuvent fubſiſter.
Il est beaucoup d'autres Ouvrages eftimables
au Sallon , foit en Peinture ou
en Sculpture , foit en Deſſein , dont nous
fommes fâchés que les bornes prefcrites
à ce Journal ne nous ayent pas permis
de rendre compte . D'ailleurs des Artiſtes,
dont les talens font connus depuis longtemps
, ne peuvent nous favoir mauvais
gré de nous être étendus davantage fur
ceux de leurs nouveaux Confrères qui
méritent de l'être.
Nous finirons par remercier au nom
du Public , dont nous ne fommes que l'écho
, M. Chardin de ce qu'il a bien vou
lu fe charger de l'arrangement du Sallon.
Autant que la forme des tableaux a pu
le lui permettre , il les a diftribués non
feulement de manière qu'ils ne ſe puſſent
nuire les uns aux autres , mais de forte
que la plupart fe fiffent valoir l'un l'autre
réciproquement . L'arrangement eft fair
avec tant d'intelligence , qu'on fe trouve
en
OCTOBRE . 1761 .
169
,
en effet au milieu d'une riche Collection
de l'École Françoife où le choix des Sujets
& la grandeur des tableaux paroiffent
avoir décidé de la place qu'ils occupent.
Ou fe doute bien que ce n'eft pas
par hazard que l'on voit l'intérieur de
l'Eglife de Ste Géneviève à côté du Portrait
de M. le Directeur des Bâtimens . Il
étoit jufte de rappeller au Public , dans
une pareille occafion , que c'est au zéle
de M. le Marquis de Marigny pour la
gloire du Roi & de la Nation , que nous
devrons ce fuperbe Monument de l'Architecture
Françoife , comme c'eft à la protection
éclairée qu'il accorde aux habiles
gens de toute eſpéce , que l'on doit déjà
le retour du bon goût dans tous les Arts
qui dépendent du Deffein .
Artibus auctoritatem conciliant , non
qui infolenter de iis jactare audent , fed
qui id cruere ac proferre poffunt quod
unáquáque continetur.
ISOCRATES contra Sophiftas.
Par M. l'Abbé LEBLANC.
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
SUPPLÉMENT à l'Article des Beaux-
Arts.
LE Tableau de M. Greuſe qui repréfente
un Mariage & l'inftant où le père
de l' Accordée délivre la dot à fon Gendre ,
a été expofé trop tard au Sallon pour que
nous avons pu en parler en même temps
que des autres Ouvrages de Peinture ; il
eft toutefois trop capital pour ne pas
mériter unArticle particulier. Ce Tableau
appartient à M. le Marquis de Marigny;
il eft de trois pieds fix pouces de large fur
deux pieds fix pouces de haut. M. Greufe
eft vraiment né Peintre. Cette ingénieufe
& favante compofition en eft la preuve ;
l'efprit y paroît le difputer au talent &
la connoiffance de la Nature à l'éxécution
de l'Art. C'eft fur cette toile que l'on
peut dire que la Peinture parle : le préf
tige y eft fi puiffant, que l'oeil s'y trompe,
& que l'on croit moins voir un tableau
que les objets qui y font repréfentés. Il
eft compofé de douze Figures groupées &
unies à la même action avec toute l'in
telligence poffible. L'Accordée , qui eſt
la principale , occupe le milieu de la fcèOCTOBRE.
1761 175
ne. Cette Figure eft d'une beauté remar
quable, que rend encore plus touchante
l'expreffion d'une pudeur modefte qui eſt
fi bien prononcée par fes yeux baiffes &
par le rouge qui lui monte au vifage .
Elle donne le bras à ſon Fiancé : il eſt ailé
de difcerner dans toute fon attitude le
trouble dont elle eft agitée ; & combien
cette modeftie n'ajoute - t- elle pas à ſes
charmes innocens ! On ne peut trop le
répéter , la pudeur eft non - feulement la
première des vertus , mais encore la première
des grâces dans les femmes . Aux
yeux du Spectateur , ce n'eft pas dans le
fac qu'eft la véritable dot de cette aimable
Villageoife .
Eft illifuadosforma fine arte potens.
Le Fiancé qui reçoit ce fac des mains du
père, eft un grand jeune homme de trèsbonne
mine . On lit auffi fur fon viſage cet
embarras ordinaire à ceux de fon état en
pareille occafion , & qui n'eft que l'effet de
la fimplicité de leurs moeurs & de l'honnêteté
de leurs fentimens. La tête du Père eft
d'un beau choix ; elle eft d'une vérité qui
ne permet pas de douter qu'elle ne foit
prife dans la Nature. On ne peut trop louer
le jugement du Peintre dans l'attention
qu'il a donnée à l'expreffion de cette tête ;
elle caractériſe la bonté du chef de famille
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
& infpire le refpect qui eſt dû à la vieillef
fe. Les os , les mufcles , les veines , les
rides , tout y eft exprimé avec fidélité &
prononcé avec art . La Figure que l'on
voit derrière ce bon-homme , & qui eft
appuyée fur la même chaife où il eft affis ,
paroît être une four aînée de la Fiancée
& qui porte envie à fon bonheur . Il y a
au contraire je ne fais quoi de naif& d'attendriflant
dans les traits de la petite cadette
, dont la tête eft appuyée fur l'épaule
de celle ci . Il eft aifé de reconnoître la
Mère aux careffes qu'elle fait à fa fille.
Cette femme , quoique dans un âge avancé
, paroît jouir de cette force & de cette
• fanté que l'on ne peut entretenir que par
un mélange égal du travail & du repos.
Elle eft affife fur le devant du tableau , &
les traits de fa vieilleffe y contraſtent ;
merveilleufement pour l'effet pittorefque,
avec ceux de la jeuneffe de fa fille, où l'on
voit briller les grâces & les fleurs de la
puberté. Près du Père eft le Tabellion du
Village en culotte rouge & en manteau
noir, & dont l'importance heureuſement
caractériſée ajoûte beaucoup de piquant
& de variété à ce tableau. Toutes ces Figures
font déffinées avec la plus grande
correction. L'Artifte a rendu avec la même
vérité , & la groffiéreté des étoffes & le
OCTOBRE 1761 . 173
tranfpparent de la moufeline . Comme il
n'a rien négligé , on obferve tout ; & lon
eft furpris qu'il ait trouvé fur fa palette
le ton fi jufte du cuir des fouliers. Tous
ces détails ne font petits que lorsqu'ils
font froids ; & l'on peut bien dire que
M. Greufe ne l'eft nulle - part. Les différens
plans font fentis , les lumières juftes
& le Tableau clair partout . Ainfi c'eſt
non feulement l'invention , l'ordonnance
, l'expreffion , le deffein , la couleur
mais les beautés multipliées de chacune
de ces parties qui rendent cet Ouvrage fi
remarquable & fi précieux . On y trouve
dans toutes ce que les Anciens ont appellé
Venuftas Picture . Le foin trop apperçu
nuit plus aux grâces de la Peinture,
qu'il n'y fert ; la fermeté de la touche & la
facilité du pinceau de l'Artiste charment
les yeux au point de cacher tout le travail
. C'eft furement un des Tableaux les
›
plus étudiés & un de ceux qui le paroif
fent le moins . Hanc virtutem optimam
& que maximè exprimit , five ca ingenii
felicitas , five tum laboris , tum artis
opus , vel mixtus ex ambobus & facultas
dicenda eft.
DYONIS . HALICARNASS. in Lyfiâ.
21 Septembre.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
L
MUSIQUE.c
ES CHARMES DE L'AMOUR , Cantatille
a voix feule , avec Accompagnemens de
deux Flutes , Violon , & Baffe . Par M.
Dard , Ordinaire de l'Académie Royale
de Mufique. Prix , 1 liv. 16 f. chez l'Auteur
, rue Montmartre , vis- à- vis la rue
de la Juffienne , à côté de l'Apotiquaire ,
& aux adreffes ordinaires. La Mufique de
cette Cantatille fait beaucoup augurer
des talens de M. Dard.
NOUS
GRAVURE.
ous annonçons avec plaifir quatre
Eftampes qui font beaucoup d'honneur
au goût & au burin de M. Daullé ,
Graveur du Ro1. Elles font de différens
Maîtres, & par conféquent toutes traitées
différemment. La première repréſente
une Chaffe à l'Oifeau , dont le Tableau
eft de Jean Miel , Peintre fort eftimé
pour les effets piquans qu'il a mis dans.
fes Ouvrages. La feconde , d'après Dictricy
, Peintre de la Cour de Saxe , connu
par la fupériorité de ſes talens dans les
OCTOBRE. 1761. 175
différens genres de Peinture , repréfente
Cain & Abel. La troifiéme , qui eft du
même Maître , offre aux yeux fous l'afpect
le plus agréable des Payfannes au
bord d'une rivière. La quatriéme eft intitulée
la Riboteufe Hollandoife , gravée
d'après Modfu .
On les trouve chez l'Auteur , quai des
Auguftins , la Porte cochère près la rue
Git -le- coeur.
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Muſique a donné
le Mardi 22 Septembre la première
Repréſentation de la remife de Camille ,
Reine des Volfques , Tragédie ; paroles
de feu M. Danchet , Mufique de feu M.
Campra. Cet Opéra avoit été repréſenté
pour la première fois le 9 Septembre
1717. Il n'eut alors que 15 Repréfentations
, & n'avoit jamais été repris fur le
Théâtre de Paris ; mais il a fouvent fait
reffource fur les Théâtres de Province ,
où , moins difficile fur la totalité d'un
୨
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Spectacle , le Public fe fatisfait des grandes
beautés qu'il rencontre dans quelques
unes de fes parties ; il y en a en
effet de tranfcendantes dans cet Opéra ,
furtout aux deux premiers Actes . Les
foins des Directeurs de l'Académie viennent
d'en faire jouir le Public de Paris ,
en ayant fait , fous leurs yeux , remettre
le Poëme & la Mufique en état d'être
repréſentés avec plus de fuccès qu'il n'en
avoit eu dans fon origine , & conféquemment
au goût actuel , non pas à la
vérité de ceux qui ne font affectés que
par une certaine combinaiſon de bruit
mufical qui ne dit rien , ou ne dit que ce
que des enfans bien élevés rougiroient
d'écouter avec trop d'attention , ou par
quelques fauts figurés qu'on appelle quelquefois
gaîté dans un Opéra ; mais au
goût jufte & délicat des Spectateurs qui
fans rejetter l'agrément des nouveautés
raiſonnées , n'ont pas encore facrifié à
l'unique plaifir des oreilles ou de la vue
l'intérêt du coeur & l'amufement de l'efprit.
ANALYSE DU POEME.
Par les changemens faits à cet Opéra ,
il est devenu prèfque nouveau . Le Poëme
eft dramatiquement coupé , aujourOCTOBRE.
1761. 177
d'hui , fans excéder en Scènes les bornes
que preferit la nouvelle forme de ce genre
d'Ouvrage. La nouvelle diftribution ,
les retranchemens dans certaines parties,
& les vers ajoutés ou fubftitués dans
d'autres, ont rendu la conduite plus précife
, & font valoir l'intérêt qu'il y avoit
dans le fonds de ce Drame . Camille
fille de Meffellus , Roi des Volfques ,
a été , dans l'enfance , dérobée var Almon
à la fureur politique d'Afide meurtrier
de fon Père & ufurpateur de fon
Trône. Elle a été élevée par ce fidéle Almon
dont elle fe croit la fille , à pourfuivre
les Monftres dans les forêts , à les
combattre, & furtout à regarder l'Amour
comme le plus dangereux de tous . Ce
pendant elle a été furprife par ce fenti
ment fous l'apparence de la pitié en faveur
de Corite , fils de l'ufurpateur, Prince
auquel elle a fauvé la vie en combattant
conjointement un Monftre qui ravageoit
le Pays. Ce Prince veur conduire
Camille dont il eft amoureux , à la Cout
d'Aufide avec Almon fon prétendu Père.
La haine contre les Tyrans rend ce départ
odieux à Camille. Almon la détermine
; mais il lui apprendra auparavant
le fecret de fa naiffance : on doit inzer
combien ce fecret va devenir funefte
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
pour elle en ce moment., & quels combats
il va exciter dans fon âme. Almon
pour cette importante confidence a fait
venir Camille dans l'antre qui renferme
le tombeau même de Meffellus. Il a raf
femblé des Conjurés ; il ne veut leur faire
voir la Princeffe que quand il fe fera
affuré de fon courage. Après l'avoir informée
de la mort cruelle de Meffellus ,
il préfente à Camille le poignard avec lequel
ce Roi malheureux a été immolé.
Il est encore teint de fon fang ; la Princeffe
en friffonne. Almon fait cet inftant
pour lui dire :
L'enfant feul fut fauvé de tant d'horribles coups.
>> Il eſt par fes vertus digne de la Couronne,
CAMILLE .
Et quel eft cet Enfant ?
ALMON,
C'est vous.
Camille le détermine ; elle prend le
poignard , elle veut hâter la vengeance
de fon Père ; elle preffe Almon de nommer
l'Ufurpateur. Il nomme Aufide , Père
de fon Amant ; il pourfuit auffitôt fon
récit ; il apprend à Camille que fur un faux
bruit qu'il avoit fait répandre , Aufide
OCTOBRE , 1761. 179
croit que c'eſt un fils qui étoit refté de
Meffellus ; qu'étant lui même, méconnu
par les années , ils feront en fûreté l'un
l'autre à fa Cour ; il la preffe de partir &
feint de ne pas s'appercevoir du trouble
qu'il lui caufe. Camille fe dévoue entiérement
à la vengeance. Les Conjurés arrivent
; Almon les préfente à la Princeffe
comme les défenfeurs que le Ciel lui deftine.
Ils admirent tous l'éclat de ſa beauté.
Cette acclamation forme le fujet d'un
Choeur. Les mêmes Conjurés enfuite jettent
des fleurs fur le Tombeau de Meſſellus , &
cette partie d'un des ufages religieux de
l'antiquite éft affez bien rendue; elle le feroit
encore plus dignement , fi la paffion de la
Danfe n'entraînoit pas trop tôt ces Conjurés.
Almon & Rutile chantent une espéce
d'Hymne funéraire qui eft d'un fort bel
effet. Camille , le poignard fanglant à la
main , provoque les Conjurés à s'engager
par un ferment terrible & folemnel qu'elle
jeur dicte elle- même. Ils mettent tous
l'épée à la main , & la tenant nue d'une
main , l'autre appuyée fur le Tombeau ,
Camille au milieu d'eux ,le poignard élevé,
ils prononcent tous en chantant , ce ferment
affreux pour l'amour dont certe
Princeffe eft atteinte. Ce moment forme
un des plus beaux fpectacles que l'on air
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
vus ; ce qui joint à la beauté, grande, ferme
& convenable de la Mufique , cauſe
cette émotion , qui fait l'unique & le vrai
plaifir que le bon goût cherche & defire
au Théâtre.
Corite , qui avoit précédé Almon &
Camille à la Cour de fon père , y attend
avec impatience cette Princeffe , dont la
naiffance eft encore obfcure pour lui.
Tous ceux qui avoient accompagné le
Prince ont répandu le bruit des charmes
de Camille unis au courage le plus héroïque.
Elle doit être reçue en triomphe à
cette Cour. Aufide par reconnoiffance
des jours qu'elle a confervés au Prince ,
confent à fon Hymen avec elle. Il juftifie
encore cette condefcendance par une
Maxime galante fans être éfféminée ; parce
que le principe de vérité eft dans la
nature ; & l'application de fa propre for
tune la rend encore plus jufte.
» Aux efforts de mon bras ( dit - il ) je dois mon
» Diadême ,
Et le Trône où je fuis monté :
» Comme par la valeur on peut par la beauté
» S'élever juſqu'au Rang fuprême.
Il compte même que le courage de Camille
pourra l'aider à foutenir fon ufurpaOCTOBRE.
1761 . 181
2
tion contre l'héritier inconnu du Trône
des Volfques , confervé par les foins d'un
Guerrier qui brava ton courroux . L'entrée
de Camille & la réception font le fujet
d'une fête , après laquelle Aufide demande
le père de Camille ; Almon approche; il
veut en vain fe dérober aux regards pénétrans
du Tyran ; il eft reconnu pour celui
qui a confervé l'enfant de Meffellus.
Almon avec la plus grande dignité ,
preffé de rompre le filence ne diffimule
point fa vertueufe action ;& pour la mieux
foutenir,il protefte de tenir toujours caché
le fort de cet enfant. Aufide veut livrer ce
Vieillard aux tourmens ; il eft imploré par
Camille & par Corite. Mais fon fupplice
eft fufpendu ,parce qu' Arfide fe reffouvient
heureufement qu'il a dans ce moment
un facrifice à offrirà la fortune. Ce font là
de ces flétriffures que la fervitude du genre
imprime fur prèfque tous les Opéra ,
ou pour les enviſager plus agréablement,
de ces mal-à-propos dans la converfation
d'une jolie femme , qui n'en altérent pas
trop l'agrément, quoiqu'ils faffent de temps
en temps froncer le fourcil au bon fens . Ce
facrifice à la fortune a lieu , & on le célébre
dans fon Temple. Camille fe prépare
à ne fe
pas laiffer furpaffer en générofité
par Almon, Le Tyran vient accompagné
182 MERCURE DE FRANCE.
de Licteurs. Almon frémit de voir Camille
; il l'appelle fa fille, il veut foutenir cette
louable impofture ; mais dans l'inſtant
qu'on va le frapper , Camille fufpend les
coups en difant qu'elle fçait comme lui
le fatal fecret que l'on veut pénétrer. Elle
promet d'éclaircir ce myftere ; mais elle
éxige que fon père foit libre. Aufide lui
fait ôter les fers, mais en recommandant
de veiller fur lui . Camille enfuite découvre
fon véritable fort au Tyran ; elle eſt
remife à fon tout entre les mains des
gardes. Aufide invite les miniftres de la
fortune à feconder fes prières. C'eſt ce
qui donne lieu au divertiffement , dans
lequel plufieurs Spectateurs auroient trouvé
la fortune plus favorable pour eux en
ce moment , fi l'on eût abregé l'hymne
que lui adreffe fa Prêtreffe , quelque belles
qu'en foient les paroles & la mufique ,
& quelque plaifir qu'on trouve a entendre
l'Actrice qui la chante. Corite , après
la fête , puifque l'ufage nomme ainfi ces
fortes de difparates ; Corite donc vient
demander la grâce de Camille & l'obtient
de fon père , à condition que l'amour
parviendra à étouffer la vengeance. Cette
promeffe cependant n'eft qu'illufoire . L'âme
du Tyran qui a ufurpé , ne pardonne
pas à qui peut l'en punir. Aufide fe proOCTOBRE
. 1761. ·183
pofe de faire périr fes deux victimes . Mais
Camille , dont le courage a refifté aux
inftances de fon Amant,prévient la fureurdu
père , & trouve le moyen de l'immoler
à fa vengeance , à la tête de fes Conjurés.
Corite que l'on a défarmé vient
s'offrir aux coups portés par Camille.
Celle-ci lui déclare qu'ils ne peuvent plus
fe voir. Corite prend le poignard des
mains de Camille & fe tue . Camille veut
le reprendre & fuivre fon Amant au tombeau.
Elle eft arrêtée dans ce funefte
projet
par ceux de fa fuite & par les fortes
repréſentations d'Almon . Elle reſte abîmée
dans fa douleur & dans fes réfléxions;
elle en reffort victorieufe des foibleffes
de l'amour , pour le livrer toute entiere
au foin de régner fur fes Peuples , lefquels
lorfqu'elle eft retirée , célébrent par un
divertiffement le fuccès d'un fi grand événement.
On ne trouvera pas cette difpofition
telle qu'elle eft, ici dans le livre de paroles
imprimé ; c'est une très- judicieuſe tranſ
pofition que l'on a faite de ce divertiſſement
, depuis la première repréfentation.
plus
La verfification de ce Poëme eft une des
plus heureufes de feu M. Danchet, duquel
les talens font reconnus aujourd'hui pour
ce genre , plus qu'ils ne l'étoient pendant
184 MERCURE DE FRANCE.
la vie de ce Poëte , ainsi qu'il arrive prèf
que toujours . Les vers qu'on a joints font,
pour ainfi dire , mariés aux fiens ; ils ne
détonnent point ; & l'on auroit peine à
s'appercevoir des jonctions.
MUSIQUE.
Tout ce qu'il y avoit de plus beau dans
la Mufique de feu M. Campra , le trouvant
dans les Scènes , a été confervé.
Celle des divertiffemens & de toutes les
liaifons néceffaires à la refonte de cet
Ouvrage, eft entierement nouvelle ; cette
Mufique , qui eft de M. le Berton , n'a
befoin d'autres preuves de fon fuccès &
du mérite de l'Auteur , que les efforts
qu'on a déja faits pour lui enlever en
partie l'honneur de l'invention de plufieurs
Morceaux. Je rapporte ici la lettre
qu'il m'a adreffée à ce fujet. Elle inftruira
en même temps le Public avec exactirude,
de ce qu'il y a de nouveau dans l'Opéra.
A M. DELAGARDE , Penfionnaire
adjoint au Privilége du Mercure pour
la Partie des Spectacles.
MON
33
ONSIEUR ,
Quelques perfonnes mal informées !
OCTOBRE . 1761. 185
"
» ont répandu dans le monde que les fymphonies
des quatre premiers Actes de
» Camille , qu'on a cru devoir fubitituer
» aux anciennes de cet Opéra , n'etoient
» de moi qu'en partie , quoiqu'on me les
» attribuât en totalité . La préfomption ,
» toujours condamnable , & fartout dans
» un homme qui ne commence qu'à tra-
» vailler , n'eft nullement ce qui me dé-
» termine à protefter contre la faufleté de
>> ces bruits : en me chargeant du travail
qu'on a jugé néceffaire pour remettre
» Camille au Théâtre , je n'ai eu d'autre
» motif
que de me mettre à portée d'apprendre
, par le jugement du Public ,
» s'il m'étoit permis d'entrer dans la car-
» rière lyrique . Mais comme ce même
» Public , plein de bonté pour ceux qui
» cherchent à lui plaire en l'amufant ,
proferit quiconque veut le parer de ce
qui ne lui appartient pas , & qu'il pour-
» roit , d'après les bruits qui courent ,
» prendre de mes fentiments l'idée la
"
"
"
»
و د
"
plus défavorable ; je n'ai pas cru devoir
» refter dans le filence fur un objet bien
» plus intéreffant pour moi que mes foibles
» talens , & c'eft uniquement pour préve
" nir une impreffion qui me feroit le tort
» le plus capital, que je déclare : que l'ou-
» verture , les airs des divertiffemens des
186 MERCURE DE FRANCE.
"
» quatre premiers Actes & la plus grande
» partie de la vocale du premier Acte que
» le changement des paroles a obligé de
» refaire, font entierement de moi, & que
» c'eft à moi feul qu'on doit imputer tous
» les défauts qui peuvent s'y trouver. Je
» mé flatte que vous voudrez bien entrer
» dans mes vues , & que vous aurez la
" bonté de donner à ma lettre toute la
» publicité qu'elle peut avoir, en l'inférant
dans le premier Mercure : je vous en
ferai très fenfiblement obligé.
J'ai l'honneur d'être & c.
BERTON, Maître de Mufique de l'Or
cheftre de l'Académie Royale.
A Paris le 22 Septembre 1761 .
La modeftie de M. le Berton ne lui a pas
permis apparemment de faire mention,
dans fa lettre , d'autres morceaux du même
Opéra , qui font également de lui.
Tels font le Choeur du premier Acte , auquel
on rend juftice en l'applaudiffant
univerfellement. L'Ariette du même Accte
, chantée par M. Joli , celle du troifiéme
Acte , & le Morceau, Mánes infortunés
& c . Dans le cinquième Acte , dont
le caractère de chant eft admirable , l'accompagnement
en eft ingénieuſement pitOCTOBRE.
1761. 187
torefque , & prête des forces d'expreffion
à la vocale , fans difputer contr'elle l'attention
de l'Auditeur.
L'Ariette de ce cinquième Acte eft de
l'Acteur même qui la chante. *
Si , comme s'exprime M. le Berton ,
tout ce qu'il a fait de Mufique dans cet
Opéra , eft pour interroger le Public , il
doit être fatisfait de la réponſe, & trèsencouragé
à pourfuivre une carrière dans
laquelle il débute avec tant d'avantages.
Non feulement toute cette Mufique eft
dans les meilleurs principes d'harmonie ,
& très agréable dans ceux des divertiffemens
où le Muficien a été fecondé par
la nature des Sujets ; mais elle a de plus
le mérite , très remarquable aujourd'hui ,
d'être partout adaptée avec le plus juſte
raifonnement , au fond de l'ancienne Mufique
de cet Opéra. On fent l'attention
avec laquelle le caractère de nouveauté
que plus d'éffor donne aujourd'hui à nos
Compofiteurs , n'eft appliqué que proportionnellement
au plus ou moins de
diſtance entre les nouveaux morceaux de
Symphonie & l'ancienne Vocale de Campra.
Ce fage ménagement prévient les
difparates fi défagréables au bon goût ,
quelque mérite que puiffe avoir en foi
* M. Petit , Haute- contre des Rôles.
188 MERCURE DE FRANCE.
chacune des parties qui les occafionnent.
BALLET S.
Le Ballet du premier Acte eft très - applaudi.
Indépendemment de l'agrément
avec lequel il eft compofé , M. & Mile
Veftris qui y danfent en Pas de Deux ,
fuffiroient pour en rendre le tableau charmant.
On a remarqué à l'égard de Mile
Veftris,qu'elle n'y doit pas feulement les
applaudiffemens qu'elle reçoit , à la féduction
de fa figure & de fa taille , ni à
la feule volupté de fa danfe , mais à l'exécution
la plus gracieufe & en même
temps régulière des parties méthodiques
de fon talent . Mlle Allard & M. Lani
qui danfent dans ce même Divertiffement
, y ajoûtent un nouvel agrément &
par conféquent un nouveau plaifir pour
le Spectateur.
Cette même Danſeuſe ( Mlle Allard)
exécute dans le troifiéme Acte une danfe
férieufe , avec l'applaudiffement du Public
& le fuffrage des Connoiffeurs.
Les fuites de l'accident arrivé à Mlle
Lani , fur le Théâtre , à l'une des dernières
repréſentations des Indes Galantes
ont privé le Public pour quelque temps ,
de jouir des talens fupérieurs de cette admirable
Daufeufe dans le quatriéme Acte
de Camille.
OCTOBRE. 1761. 189
M. Veftris , dans la Chacone du cinquiéme
Acte , nous obligeroit de répéter
, d'après le Public , d'anciennes expreffions
d'un fentiment de plaifir toujours
nouveau , chaque fois qu'on le
voit éxécuter ce genre de danfe. M. de
Laval danfe dans ce même Acte avec
Mlle Carville. Cette dernière est bien
placée dans un gente noble & gracieux
qui convient à celui de fa danfe & qu'elle
fait d'autant mieux valoir , que fes talensfemblent
fe renouveller. C'eft le caractè
re commun à tout ce qui eft fondé fur des
principes vrais & certains. Tous les Con-
Roiffeurs conviennent que cette Danſeuſe
a ce qu'ils appellent, les pas les plus finis
& lapratique la plus fçavante.
M. d'Auberval jeune Danfeur qui a
débuté cette année , paroît auffi dans ce
dernier Ballet. Le Public femble le juger
digne d'encouragement .
Les Rôles font diftribués convenablement
& très-bien rendus; celui de Camille
par Mlle Chevalier , ceux d'Afide &
d'Almon , par Meffieurs Gélin & Lari
vée , celui de Corite par M. Pillot.
190 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE FRANÇOISE.
MLLELLE Drouin a pris les rôles de Caractère
avec fuccès. Le premier de ce
genre qu'elle ait joué , a été dans le Procureur
arbitre ; enfuite dans la Réconci
liation Normande , dans les Menechmes ,
dans le Chevalier à la mode , les trois
Coufines , &c. Le taleut particulier de
Mlle Drouin ayant toujours été la jufteffe
de raiſonnement dans le débit , joint à
l'art de bien détailler les rôles , la Comédie
ne peut que gagner en lui voyant
remplir cet emploi , qui ne confifte pas
dans le ridicule de la figure ni dans fa vétufté.
Il faut de l'efprit pour bien copier
les Ridicules , & par conféquent ces fortes
de rôles ne pouvoient tomber en meilleures
mains.
Le 12 Septembre , Mlle Clairon , après
une abfence de quelque temps , occafionnée
par les précautions qu'éxige fa fanté,
a reparu dans Tancréde , & a continué
depuis dans d'autres Tragédies . Nous faifons
mention de cet événement , parce
que la célébrité que mérite un talent
auffi fublime que le fien , fait de tous les
temps où elle joue, autant d'époques d'un
OCTOBRE. 1761. 190
nouveau degré de gloire pour elle , & d'un
nouvel étonnement de la part du Public.
Il n'y avoit eu aucune nouveauté fur
ce Théâtre , dont nous ayons , à rendre
compte , jufques aux derniers jours de
Septembre.
COMÉDIE ITALIENNE.
L E7 Septembre , Mlle Vilette a débuté
pour la première fois fur le Théâtre
des Comédiens Italiens par le rôle de
Zerbine dans la Servante Maîtreſſe , Interméde
traduit de la Serva Padrona, &
parodié pour la même Mufique , lequel
étoit précédé de l'Ile des Fous , Piéce
mêlée d'Ariettes , dans laquelle la Débutante
jouoit le rôle de Nicette. On ne
peut paroître avec plus de fuccès & jouir
plus complettement des fuffrages du Public.
Mlle Vilette a l'avantage d'avoir
paffé quelque temps à l'unique Ecole du
Chant , c'est- à- dire à l'Opéra. Sa voix ,
d'un médiocre volume , a l'étendue fuffifante
pour fournir à tous les genres de
Mufique. Cette Débutante eft un nouvel
exemple , s'il en étoit befoin , de la maxime
conſtante , qu'il faut que tous les
talens & tous les fujets foient placés pour
192 MERCURE DE FRANCE.
faire valoir ce qu'ils ont de mérite. Sur
ce Théâtre Mlle Vile.re eft admirée avec
juftice ; on avoit pu prévoit cette deftination
par le fucces qu'elle avoit eu à
l'Opéra dans le Devin de Village.On doit
rendre juftice aux talens de M. Kochard
qui, dans la Servante Maitreffe , a joué en
Acteur confommé , & a chanté en Muficien
de goût. Kien de forcé dans fon jeu
ni dans les expreffions du chant . Il fauvoit
même les éternelles répétitions de
la Mufique , par des actions raifonnées
qui juftifient ou du moins font tolérer
celles de la Cantatrice avec laquelle il
fe trouve en Scène. Cette attention de
goût & de jugement a été fentie par le
Public & payée par les plus grands applaudiffemens
. Il femble que cette réuſſite
ait été le fruit des foins que cet Acteur
avoit pris pour chanter le même Interméde
en Italien , avec Mlle Piccinelli
dans lequel il avoit eu le plus favorable
fuccès qu'un François puiffe attendre , en
exécutant une Mufique & des paroles,
étrangères. Mlle Vilerte, a continué fondébut
dans les mêmes Piéces & dans la
Fille mal gardée.
On a donné le 22 du même mois , la
première Représentation d'une Piéce intitulée
Mazet , Drame de la nouvelle ef
péce ,
OCTOBRE. 1781 . 193
péce, qu'on peut qualifier de Comédie mélée
de Chant , d'Opéra- Comique, d'Interméde,
d'Opéra Bouffon & c.Quelle qu'elle
-foit , elle a eu quelque fuccès. Les
paroles font de M. Anfeaume , & la Mufique
de M. Duni . Les Ouvrages qui
réuffiffent for ce Théâtre, y reftent ordinairement
beaucoup plus longtems qu'il
'n'en faut aux révolutions périodiques de
notre Journal , pour en rendre compte ;
ainfi nous remettons au volume fuivant.
un examen plus détaillé de cette piéce.
OPERA- COMIQUE.
DEPUIS le 22 Août que le Maréchal
a été repréſenté pour la premiere fois , le
Public a prouvé par fon affluence , combien
cette Piéce lui étoit agréable ; on l'a
continuée fans interruption , & elle a
toujours paru nouvelle. Quoique l'ufage
de notre Journal ne foit pas de donner
d'Extraits des Opéra - Comiques , nous
érions difpofés à inférer celui que l'Auteur
de cette Piéce nous avoit adreffé
lorfque l'Ouvrage entier a paru imprimé ;
ce qui doit remplir plus avantageuſement
fes vues ; mais nous croyons ne pas devoir
fupprimer la lettre qui accompa
I. Vol. I
494 MERCURE DE FRANCE.
gnoit cet Extrait , attendu qu'elle a un
objet qui intéreffe fon Ouvrage. Quel que
foit le prix qu'attache l'opinion au genne
des talens , l'attention que les Auteurs pas
roiffent y apporter eft une présomption
refpectable du defir qui les anime & des
foins qu'ils le donnent pour plaire au
Public.
AM. DELAGARDE.
Il ne me convient point , Monfieur , de faire
mon apologie ; maisje voudrois , s'il étoit poffible,
que vous redreffaffiez le jugement de certain Pé
riodifte Hebdomadaire , qui eft tout- à-fait contra
dictoire à l'impreffion que la Piéce a paru faire fur
le Public. Il me reproche que le ſtyle n'a point de
gaîté : je ne fçais ce qu'il entend par gaîté. Si
c'eft la plaifanterie qui roule fur l'équivoque libertine
& lubrique, allurémentje mérite fon reproche
, puifque j'ai fait tout mon poffible pour l'éviter
; mais fi la gaité confifte dans des rapports
de fituations fingulières & dans des plaifanteries
prifes fans malice dans le ſujet même & dans la
nature des choles , le Public m'a rendu plus de
juftice que ce Cenfeur. Je n'ai point vu les Dames
faire ufage de l'éventail ; & leurs applaudiffemens
ont toujours accompagné les éclats du Parterre.
J'ai l'honneur d'être &c.
QUÉTANT.
P. S. Je fçais , Monfieur , & j'avoue que les fituations
en elles- mêmes font triftes ; mais vous
aurez remarqué que la Scène la plus trifte , qui
eft celle où l'on porte Colin dans la cave , a fait
toujours rire ; il y a donc eu de l'artifice dans la
OCTOBRE 1761 % 195
preparation ; & j'imagine que l'intérêt , a gagné
à l'audace de l'entreprife. Je foumets toutes ces
remarques à votre déciſion.
M. Quétant me permettra de ne point
acquiefcer à fa déférence , quelqu'obligeante
qu'elle foit de fa part , & quelque
flatteufe qu'elle puiffe être pour moi. Il
n'appartient de s'arroger le ton décifif
qu'à l'efpéce de Périodiftes dont il fe
plaint. Exerçant par tolérance , un miniftère
fans miffion , ils peuvent à leur gré
fe tromper & tromper ceux qui les lifent
fans aucune conféquence pour ou contre
la réputation des Ouvrages & des Auteurs .
Quant aux Journaux qu'un long uſage &
une ancienne confiance du Public ont
rendu autentiques , ce n'eft que d'après ce
même Public , qu'il leur eft permis de
prononcer . En le confultant , il nous paroît
que M. Quétant a tout l'avantage contre
le Périodifte dont il recufe le prétendu
jugement.
Le 14 Septembre , on a repréſenté ſur
ce même Théâtre , pour la première fois ,
une Piéce intitulée , On ne s'avife jamais
de tcut. M. Sedaine , Auteur des
paroles , a confervé du Conte de la Fontaine
tout ce qui pouvoit refter avec décence.
Les marques ufités de Tuteur &
de Pupile font appliqués au Mari trompé
Iij
196 MERCURE DE FRANCE .
& à la Femme coquette. On trouve le
Poëme bien écrit , & beaucoup de vivacité
dans le Dialogue. Quant à Paction ,
on connoît le talent de M. Sedaine pour
en créer dans un Sujet qui n'en feroit pas
fufceptible ; on doit juger de celle dont il
a profité dans celui ci où elle fe préſente
fi facilement . La Mufique eft de M. Mon
figni , déja connu par trois Piéces dans
ce genre , dont le fuccès n'a point été
équivoque fur ce Théâtre. L'accueil que
le Public fait à celle- ci, ne doit que l'encourager
davantage à en mériter encore
d'autres.
CONCERT SPIRITUEL.
CELUI
2
ELUI qui a été éxécuté le jour de la
Nativité de la Vierge a commencé par
une Symphonie de M. Milandre , fuivie
de Deus nofter &c Motet à grand
choeur de M. Cordelet , après lequel M.
Meyer a joué fur la harpe des Piéces de
fa compofition que l'on a beaucoup applaudies,
ainfi que fon exécution . Mile Fel
chanté un petit Motet ; & M. Balbaſtre
a joué fur l'orgue un de fes Concerto
connu . Le Concert a fini par Laudate
Dominum quoniam bonus , Motet d'ore
gue
de M. Mondonville.
OCTOBRE. 1761. 197
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
De l'Armée du Général Loudon , le 9 Août 1761.
L.
■ 2 de ce mois , douze à quatorze mille Pruf
fiens , qui étoient à Neuftadt fous les ordres du Gé
néral Ziethen , attaquerent le Comte Draskowitz
à Jagerndorff. Un autre Corps de troupes enne→
mies attaqua en même- temps la Ville de Zuckmantel.
Le Comte de Draskowitz , s'appercevant
que le deffein du Général Ziethen étoit de le tourner
, fe replia fur Bentsh , pour veiller à la fureté
du magafin de Wurbenthal. On ne put empêcher
la Ville de Zuckmantel d'être pillée ; mais enfin
on parvint à en chaffer les Proffiens. La nuit fuivante
, ils abandonnerent auſſi Jagerndorff , &
le Comte de Draskovitz y retourna.
L'Impératrice Reine ayant envoyé Carte blan
che au Général Loudon , il a affemblé les Officiers
Généraux de l'Armée , pour leur en faire part. II
les a exhortés à le feconder efficacement dans fes
entreprifes, fur-tout à n'écouter aucun fentiment
de haine ou de jaloufie , & à facrifier toujours les
intérêts particuliers aux avantages & à la gloire
de leur Souveraine .
De VIENNE , le 2 Septembre.
Le 3 du mois dernier , la groffeffe de l'Archidu
chelle , Epouſe de l'Archiduc Jofeph , a été déclarée
à la Cour,
I iij
198 MERCURE པཎྜཏྭཱཔནཱ DE FRANCE.
On a été informé , par un Courier vera de Siléfie
, que le Roi de Prufle avoit fait paller la Neifs
à toute fon Armée. Par ce mouvement il a forcé
le Général Draskowitz d'abandonner les environs
de Neufladt. Le Baron de Loudon , de fon côté a
auffi paflé la Neifs.
Leo, le Comte de Keyferling , premier Miniftre
Plénipotentiaire de l'Impératrice de Raffie
au futur Congrès , partit pour Ratisbonne , d'où
il fe rendra vers la fin du mois à Ausbourg.
Pendant que l'Armée Rulle étoit à Kuntzendorff,
le Roide Pruffe s'eft préfenté pour l'attaquer.
Le Général Baron de Loudon , auffitôt qu'il en eut
avis , fe mit à la tête de quarante Efcadrons , la
plupart de Carabiniers,de Grenadiers à cheval , &
il arriva vers midi fur les hauteurs de Wahlſtadt.
Après avoir effuyé une vive canonnade des enneniis
, il fe plaça a la droite de l'Armée Ruffe , qui
s'étoit rangée en bataille . Les Pruffiens alors fe replierent
, & le Général Loudon , ayant eu une entrevue
avec le Feld-Maréchal Comte de Butturlin ,
retourna à fon Campde Strigau .
Suivant les dernieres nouvelles de Silefie , les
troupes de Rufie & celles de l'Impératrice Reine ,
acheverent, entiérement à Hohen - friedberg leur
jonction le 25. Le 29 , les premieres marcherent à
Strigau. Le Général Baron de Loudon gardefa po
fition près de Freybourg. Il a fait avancer le Général
Brentano à Niclasdorff , où s'eft porté auffi
le Corps des troupes Ruffes , aux ordres du Comte
de Czernichew .
Les dernieres nouvelles de Turquie apprennent
que plufieurs des batimens , avec lefquels le Capitan-
Pacha a fait voile de Conftantinople , ont pris.
la route d'Alexandrie. Les mêmes lettres marquent
que la Ville d'Alep eft affligée de la pelte..
OCTOBRE. 1761. 199
De HAMBOURG , le 4 Septembre.
Les Lettres de Pomeranie marquent que l'Armée
Suédoife campe fous Bartow , & que le's troupes
Pruffiennes aux ordres du Colonel Belling occu
pent les poftes de Treptow , de Malchin & de
Tollenfée.
On mande de Silefie que le Roi de Pruffe a
abandonné les environs de Neustadt & de Jagerndorff.
Depuis le z du mois dernier , toute la Flotte
Ruffe ,forte de quarante Voiles, eft devant Colberg,
& elle a déjà commencé à jetter des bombes dans
la Place.
D'AM CLAM, le 8 Août.
Les quatre mille hommes , que la Flotte de
Impératrice de Ruffie a débarqués a Rugenwalde
, ont joint le Général Romanzoff. Il y a pref
que tous les jours de vives efcarmouches entre les
troupes de ce Général, & celles du Prince Eugene
de Wittemberg. L'action du paffage de Rubenau
a été très - meurtriere , y ayant eu de part ou d'autres
près de cinq cens hommes tués , bleffés ou
prifonniers.
De BERLIN , le 8 Août.
Un détachement de quinze cens Suédois ayant
pris potte au pas de Rubenau , le Colonel Belling
l'a attaqué & repouffé jufqu'à Boldentin . Mais les
ennemis ayant reçu un renfort , ce Colonel a été
contraint de fe retirer , après leur avoir tué en
viron trois cens hommes, & fait quelques prifon
niers. Si l'on en croit les lettres de la Cour , nous
n'avons perdu en cette occafion qu'un Officier &
Cinquante Soldats.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
De DRESDE , le 28 Août.
Le Prince Henri occupe toujours le Camp de
Schlettau . Les Pruffiens continuent de fortifier
Leipfick .
Le Feld Maréchal Comte de Daun a toujours
ici fon quartier géné al . Le Général Lafcy occupe
fur la rive droite de l'Elbe un Camp retranché.
Depuis quelques jours , les eaux de l'Elbe font
fi bafles , qu'on peut paller ce fleuve à gué en divers
endroits. On travaille avec beaucoup d'acti
vité à réparer le Palais du Roi , & à rebâtir les
maifons qui ont été détruites pendant le fiége.
De NUREMBERG , le 14 Aout.
د ر گ ه
Depuis le 3 de ce mois , il y a eu plufieurs efcarmouches
entre les poftes avancés des troupes
de l'Empire & les Pruffiens . Ces derniers , dans
une rencontre près d'Altenbourg , ont eu un
grand nombre de Soldats tués ou bleffés , & il
leur eft déferté plus de cinq cens hommes.
De BONN, le 28 Août.
Le 25 de ce mois , jour de la fête de Saint Louis
dont le Roi de France porte le nom , l'Electeur
foupa avec toute fa Cour , chez le Marquis de
Bauffet , Miniftre Plénipotentiaire de Sa Majefté
Très- Chrétienne . Le repas fut fuivi d'un Bal. Son
Altoffe Electorale avoit eu l'attention d'ordonner
la veille que fa Cour fût en gala à Poccafion de
cette fête .
De MADRID , le 25 Août.
On a
reçu avis que la Princelle
du Brefil
étoit
accouchée
d'un
Prince
, qui fera
nonné
Prince
de Beira .
De ROM B , le 27 Août.
Avant- hier , fête de Saint Louis , vingt- neuf
Cardinaux fe rendirent à l'Eglife de la Nation
OCTOBRE. 1761 . 20L
Françoife. Ils y furent reçus par l'Evêque Duc de
Laon , Ambafladeur du Roi Très-Chrétien , & ils y
affillérent à la Meffe , qui fut célébrée par l'Archevêque
Titulaire de Nicomédie, & chantée par
la Mufique de la Chapelle du Pape .
nat ,
De GENES , le 19 Août.
Les Rebelles de Corfe perfiftent à ne vouloir
point entendre parler d'accommodement. Quiconque
parmi eux montre du penchant , pour
accepter les propofitions des Commiffaires du Séeft
traité comme ennemi public . Réfolus de
former un nouvel Etat Républicain , ils ont établi
des loix & créé des Magiftrats . Au reste , fi le Sénat
veut les reconnoître pour un Peuple libre &
indépendant , ils offrent d'acquitter , non - feulement
les Capitaux , mais même les intérêts des
fommes dues par la Corfe aux Génois . Ainfi les
Commiffaires du Sénat font revenus de la Baftie ,
fans avoir pu réaffir dans leur négociation. On
vient de faire paffer de nouvelles troupes dans cette
Ifle , & le Patrice Jean - Baptiste Sarli s'eft embarqué,
pour aller y exercer les fonctions de Commiflaire
Général .
De LONDRES , le 31 Août.
Des dépêches venues de Bengale par terre nous
inforinent que le 10 Février dernier , un détachement
des troupes de notre Compagnie des Indes
s'eft emparé de Mahé , établillement François fur
la côte de Malabar . Selon les mêmes avis , le Gouverneur
la garnifon & les Habitans de Pontichery
, ont été embarqués fur différens bâtimens ,
qui les ramènent en Europe. Le fieur Lally revient
à bord du Vaiffeau de guerre l'Onflow . On
n'a point touché aux effets de ce Lieutenant-Gćméral.
Les habitans de la Place conquife ont eu
"
Iy
202 MERCURE DE FRANCE.
feulement la permiffion de vendre leurs meubles.
Leurs marchandiſes & leurs autres richelles leur
ont été enlevées . On démolit les fortifications de:
la Ville. Peu après que nous avons eu pris poffef-:
fion de Pontichery , le Nabab de Bengale y a fait
accompagné de les femmes & de fon frère , uneentrée
triomphante. Ses femmes etoient dans des
Voitures couvertes. Le Nabab, ainſi que ſon frère,.
monoitt uné léphant,&c, étoit ſuivi d'une partie de
fes troupes. Au départ des lettres parleſquelles on
a été inftruit de ces détails , le bruit fe répandoit
que le Mogol couroit rifque d'être bientôt dépofé.
Les vents contraires , qui retardoient l'arrivée
de la future Reine , étant changés , on attend à?
tout moment , cette Princeffe .
Trois Vailleaux & un pareil nombre de Frégates
de l'Eſcadre commandée par l'Amiral Saunders
ont pris, fur les Côtes d'Efpagne , le Vaiffeau
François Achille de foixante- quatre canons , &
la Fregate la Bouffonne de trente - deux . Le combat
a été fort long & fort meurtrier. Malgré la
fupériorité que nous donnoient le nombre & lafor
ce de nos bâtimens, peu s'en eft fallu que PAchille
n'ait enlevé à l'abordage le Vaiffeau le Tonnant des
foixante-quatorze canons.
De LUNEVILLE , le 25 Août
Ces jours derniers , le fils du Marquis de Clermont-
Tonnerre , premier Gentilshomme de la
Chambre du Roi de Pologne , Duc de Lorraine &
de Bar, fut baptifé dans la Chapelle du Château.
Il a eu ce Prince pour parrain , pour maraine , la
Reine , repréſentée par Madame ; & il a été nom
mé Staniflas Marie Adelaide. Toute la Cour a af
fifté à cette cérémonie , laquelle a été faite par
L'Archevêque de Besançon , grand Aumônier.de:
Sa Majefté Polonoife....
I
OCTOBRE 176 1 203*
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , des Armées de
Paris , &c.
,
De VERSAILLES , le 17 Septembre 1761.
LEE 23 du mois dernier , le Roi tint le Sceau .
Le 25 , fête de Saint Louis , les Hautbois de la
Chambre , fuivant l'ufage , jouerent plufieurs fanfares
pendant le lever de Sa Majeſté.
Le foir, le Roi foupa au grand Couvert chez
la Reine. Pendant que Leurs Majeftés furent à ta
ble , les vingt- quatre Violons de la Chambre éxé
cuterent plufieurs fymphonies .
Le 24 , le Prince de Lambefc , fils du feu Comte
de Brionne , prêta ferment , entre les mains du
Roi , pour le Gouvernement & la Lieutenance gé
nérale d'Anjou, & pour le gouvernement particulier
des Ville & Château d'Angers & du pont de Cé.-
Sa Majeſté a nommé Miniftre d'Etat le Comte
de Choifeul , fon Ambaſſadeur à Vienne & à Aufbourg
, qui en cette nouvelle qualité a pris féan
ce au Confeil.
Le Roi a accordé les entrées de fa chambre au
Duc de Briffac ..
Le 31 , les Députés des Etats de Languedoc en
rent audience du Roi. Ils furent préſentés à Sa
Majefté par le Comte d'Eu , Gouverneur de la
Province, & par le Comte de Saint- Florentin, Mi
niftre & Secrétaire d'Etat , & conduit par le feur
de Nantouiller , Maître des Cérémonies en furvi
Il vj.
204 MERCURE DE FRANCE :
vance du fieur Desgranges. La députation étoit
compofée , pour le Clergé , de l'Evêque de Caftres
, qui porta la parole ; du Marquis de Caftelnau
, pour la Nobleffe , & des fieurs de Montcabrier
& Fabre , pour le Tiers - Etat , ainſi que du
heur de la Fage, Syndic Général de la Province.
Ces Députés eurent enfuite audience de la Reine
, & de la Famille Royale.
Le 22 , pendant la Meffe du Roi , l'Evêque de
Rennes prêta ferment entre les mains de Sa Majefté.
Le 6 de ce mois , le Roi tint le Sceau.
Le Roi a nommé fon Plénipotentiaire au Congrès,
qui doit s'afiembler à Ausbourg, le Marquis
d'Aubeterre , Chevalier de fes Ordres , & ci- devant
fon Ambaffadeur Extraordinaire auprès du Roi
d'Espagne.
Sa Majesté a accordé le grade de Maréchal de
Camp au fieur de Ville- Patour , Chef d'une Bris
gade du Corps Royal de l'Artillerie , bleflé à
L'Affaire du 16 Juillet , & qui s'y eft comporté
d'une façon très- diftinguée. Le grade de Brigadier
au Marquis d'Efcouloubre , Meftre de Camp d'un
Régiment de Cavalerie , en confidération de la
maniere dont cet Officier a commandé les Grenadiers
de l'Infanterie à l'attaque de l'Abbaye de
Bredlar: un brevet de Mestre de Camp de Dra -j
gons au fieur de Montgrand , Capitaine au Régiment
de Dragons de Choifeul , pour les fervices
qu'il a rendus le 4 Juin , à la tête d'un Piquet s
& une Place de Chevalier dans l'Ordre de Saint
Louis au lieur de Saint Affrique, Capitaine au Régiment
de Chapt , qui s'est fait beaucoup d'honneur
à la défenſe de deux piéces de canon , dont
les ennemis vouloient s'emparer.
L'Abbé de Saint-Hubert eat le 8 une audien
OCTOBRE . 1761. 205
ée particuliere du Roi , dans laquelle il prit congé
de Sa Majefté. Il fut conduit à cette audience,
ainfi qu'à celles de la Reine , de Monfeigneur le
Dauphin , de Madame la Dauphine , de Mgr le
Duc de Berry; de Mgr le Comte de Provence, de
Mgr le Comte d'Artois, de Madame, & de Meldames
Sophie & Louife , par le fieur de la Live ,
Introducteur des Ambaffadeurs .
Le 15 , le Prince de Gallitzin , Miniftre Plénipotentiaire
de l'Impératrice de Ruffie , prit auffi
congé du Roi , dans une audience particuliere , à
laquelle il fut conduit , ainfi qu'à celles de la Reine
, de Mgr le Dauphin , de Madame la Dauphine
, & de Mefdames Sophie & Louiſe , par le même
Introducteur.
Le Roi de Pologne , Duc de Lorraine & de
Bar , arriva le même jour , ici de Luneville .
Meldames Adelaide & Victoire doivent partir
de Plombieres le 24 , pour revenir joindre Leurs
Majeftés.
Le Roi a accordé au Marquis de Villemeur ,
Lieutenant- Général des Armées de Sa Majesté.
& Inspecteur General d'Infanterie , la Place de
Grand-Croix , vacante dans l'Ordre Royal &
Militaire de Saint Louis , par la mort du Comte
de la Billarderie.
Sa Majefté a nommé Brigadier les fieurs de
Scheidt , Colonel - Commandant du Régiment
Royal Deux -Ponts , & de Loyaulté , Chef d'une
Brigade du Corps Royal de l'Artillerie.
Le Comte d'Olonne paſſe à la place de Colonel
Commandant en fecond de la Légion Royale ,
qui vaquoit par la morr da fieur Sicard , & le Roi
a fupprimé la Place de Colonel- Commandant en
roileme , dont le Comte d'Olonne étoit pourvu.
206 MERCURE DE FRANCE
De l'Armée aux ordres du Maréchal Prince de Sou
bife , depuis le 14 Aout.
Le nouveau Corps de troupes , que le Maréchal
Prince de Soubife a détaché de fon armée pour
renforcer celle du Maréchal de Broglie , s'eft mis
en marche , le 9 , du Camp de Dortmund , fous
les ordres du Chevalier de Lévis , Lieutenant-Général
, du Marquis d'Aubigny , du Vicomte de
Thianges , & du Marquis de Talaru , Maréchaux
de Camp. L'Armée eft restée dans fa pofition tou
te la journée , afin de couvrir la première marche
de ce Corps.
Elle a marché le 10 à Bochum . Le ri , elle a
paffé l'Emfer , & campé à Vefterholt . Le même
jour , le Marquis de Voyer fit occuper le pofte de
Halteren fur la Lippe , & porta des détachemens
de l'autre côté de cette riviere: le Comte d'Apchon
occupa Rufchenberg.
Le 12 , l'Armée campa fur la Bruyere de Huls
Le Maréchal de Soubife ayant eu avis que les ennemis
occupoient le haut de la rivière de Stener &
le Muhlbach , & qu'ils tenoient Olphen , Dulmen,
& Hus-Dulmen, donna ordre au Marquis
de Voyer & au Marquis de Conflans , de paſſer la
Lippe. Le Duc de Coigny fut détaché du Corps du
Marquis de Voyer, & marcha fur Hus- Dulmen. Le
Marquis de Conflans tourna ce Village , qui étoit
occupé par un Bataillon de la Légion Britannique,
& jugeant qu'il n'attendroit pas l'attaque , fe porta
fur le chemin de ſa retraite . Le fieur de Sion
ville , commandant les Volontaires de l'armée
fe porta auffi de ce côté ; & dans le temps que
ennemis fe difpofoient à fe retirer par le bois , il
fit une attaque fi vive , qu'il les mit en fort grand
défordre. Le Régiment de Conflans acheva de dêfaire
entierement le Bataillon de la Légion Britanles
OCTOBR E. 1761 . 207
nique , dont on a tué une partie , & pris le refte
avec tous les équipages.
L'armée eft partie le 13 de fon camp de Huls ,
& a paffé la Lippe près de Halteren ; la réſerve du
Prince de Condé faifant l'avant - garde. Le Maréchal
de Soubife , qui vouloit prévenir les ennemis
à Dulmen , fit continuer la marche , & l'Armée
alla camper à Hus-Dulmen : la réſerve ſe porta
à Dulmen , & le corps du Marquis Voyer campa
en avant de certe Ville.
Un détachement des Volontaites de Cambefort
fe porta près de Munſter , où il trouva foixante- dix
chariots , attelés chacun de quatre chevaux. Il en
a amené foixante ; & nayant pas affez de monde
pour les enlever tous , il a coupé les jarrets des
chevaux & briſé les chariots . Il a remené auffi deux
Officiers de Cavalerie , qui ont été faits prifonniers
à Bilderbeck.
Le Maréchal Prince de Soubife , ayant eu avis
que le Corps des ennemis commandé par le Gé--
néral Kilmanfeg , devoit décamper pour aller à
Luckenbeck , fit marcher le 14 les Volontaires
de Clermont & la troupe de Conflans. Le 15 , le
Corps aux ordres du Marquis de Voyer fe porta
à Apelhufen , la réferve du Prince de Condé à
Bulderen : & le Duc de Fronfac à Ludinghaufen.
Le 16 , l'Armée quitta fon Camp de. Hus-Dulmen
, & alla occuper celui d'Apelhufen ; la réſerve
du Prince de Condé campa à Boffenfels , le
Marquis de Voyer à Albachten . Le Maréchal de
Soubife fe porta de fa perfonne jufqu'à la vue de
Munſter, Nos mouvemens avoient obligé le Gé
néral Kilmanfeg a entrer dans la Ville; on occu
pa auffitôt les poftes de Melsburen & de Roxen .
qu'il avoit abandonnés.
L
La nuit du 15 au 16 , le fieur de Cambefort .
qui s'étoit porté avec la trouge jufqu'à Rhene ſur
208 MERCURE DE FRANCE.
Lems , fix à fept lieues au - deffous de Munter , a
furpris ce pofte , & y a enveloppé le nouveau bataillon
des Volontaires Vallons qui s'y formoit .
Les portes de cette Ville ont été rompues à coups
de hache , & le fieur de Cambefort a pris ou tué
ce qui s'y eft trouvé. Le fieur Donzel , commandant
ce bataillon , a été , ainfi que le Major , dangereufement
bleffé & fait prifonnier.
D'un autre côté le Marquis de Voyer s'eft
porté le 17 fur la Verre , & le 18 , il a fait attaquer
à la pointe du jour , par le Marquis de Viomenil
, le Village & le Château de Wolbeck que
les ennemis avoient fortifié. Tout ce qui y étoit
a eu le même fort que le bataillon des Volontaires
Vallons. On a ramené cent foixante prifonniers
, du nombre defquels font cing Officiers.
Le 19 , le Marquis de Vogué s'eft porté vers
Rhene fur l'Ems . Les ennemis y avoient envoyé
un Corps d'environ trois mille hommes , qui s'eſt
retiré à fon approche. Le Marquis de Conflans a
attaqué l'arriere -garde , a fait cinquante prifonniers
, & a enlevé les tentes de la Cavalerie du
corps de Scheiter & une trentaine de Voitures
d'équipages.
L'Armée a campé le 20 près d'Albachten à cinq
quarts de lieues de Munter, &les poftes avancés
ont été placés au-delà du Village de Roxel. Le
21 , un Convoi de chariots fortis de Munfter
avec une eſcorte , pour tranfporter dans la Ville
des fafcines & des paliffades , a été enlevé par les
Volontaires de Soubife. Le Capitaine & l'efcorte,
ont été faits prifonniers.
Le corps commandé par le Général Kilmanfeg ,
eft forti de Munfter le 30 du mois dernier , & s'eft
avancéfur deux colonnes vers le Village de Boffenfelle
occupé par les Volontaires de Soubife & les
Volontaires de l'armée commandés par le fieur de
OCTOBRE. 1761 . 209
Sionville , & fur celui d'Albachten occupé par le
Régiment de Dragons de Chapt , aux ordres da
Duc de Fronfac. L'armée campoit à Appenhufen.
Les poltes avancés furent vivement attaqués. Le
Duc de Fronfac , à la tête des Dragóns , les foutint
avec la plus grande fermeté , & il donna au
Maréchal de Soubile , qui le porta dans cette partie,
le temps de faire avancer des troupes du camp ,
pour protéger les Dragons. Les brigades de Briqueville
, de la Couronne & de Bouillon , précédées
de leurs bataillons de Grenadiers & Chaf
feurs , étant arrivées , le Duc de Froníac fut chargé
d'attaquer les ennemis : ce qui fut exécuté avec
une vigueur extraordinaire. Les ennemis plierent ,
& furent challés de haies en haies jufqu'à la petite
plaine de Roxel . Its voulurent s'y former ; mais
les Dragons de Chapt & les Volontaires de Soubi-
Le les chargerent , entrerent à plufieurs repr fes
dans la colonne , y cauferent un grand défordre ,
& firent des prifonniers . Les ennemis avoient garni
le Village de Roxel . Le Comte de Montbarrey
fit les difpofitions , pour les attaquer avec les bataillons
de Grenadiers & la brigade de la Couronne.
Les ennemis ne foutinrent point le Village . Les
Dragons & les Volontaires fe remirent à leur pourfuite,
firent de nouvelles charges , & toujours avec
fuccès , jufqu'au-delà du ruilleau & fous le feu des
redoutes de la ville de Munfter. La nuit mit fin au
combat. On a ramené quatre cens priſonniers ,
non compris les bleffés abandonnés dans les Vil
lages & dans les Fermes.
Nous avons perdu dans cette affaire le fieur
Benek , Aide- Major du Régiment de Soubile , &
le fieur d'Authienne , Lieutenant , qui ont éré
tués Les fieurs Frimont , Major ; de Grave , Capitaine
de Chaffeurs , & le fieur Helloni , auffi de
ce Régiment, ont été bleffés , ainfi que le fieur le
210 MERCURE DE FRANCE.
Roux , Cornette , & Baron de Numfen , Adjudans
du Roi de Dannemack , & Volontaires à l'armée.
Le Duc de Fronfac , qui a eu la tête de l'attal
que , & qui l'a foutenue jufqu'à la fin , a été trèsbien
fecondé par le Chevalier de Chapt , par les
Marquis de Soyecourt & de la Tour-du- Pin , &1
par te fieur de Cabanac, Capitaine de Dragons.
On vient d'apprendre que le Marquis de Con
fans,qui a pénétré juſqu'à Ofnabruck & pouflé des
détachemens jufqu'à Hervorden , a pris à Ofna
bruck des magalins de farine & d'avoine apparte
nans aux ennemis & qu'il a fait conduire a Coes-t
feldt an convoi dehuit cens chariots chargé de fub
fiftances. Il a pris auffi quatre cens chevaur, & a faic
couper les jarrêts à ceux qu'il n'a pas pu emmener
Le fieur de Cambefort , qui avoit été envoyé
du côté de Mappen , eft auffi revenu à Stadthloon
avec un convor confidérable de voitures chargées
de toutes fortes de ſubſiſtances .
"
La diverfion , que le Maréchal de Soubile
fait tenter fur Ham , a rappellé le Prince Hé
réditaire avec un Corps confidérable fur la Lippe
Ce Prince , après avoir paffé à Ham , s'eft avancé
du mois dernier Halteren . le 31
Ce mouvement a engagé le Maréchal de Sou
bife à s'approcher de la Lippe, & l'armée a marche
le 2 déce mois , pour occuper le Camp des hau
teurs de Halteren vis- à - vis de celui des ennemis.
Le 3 , le Marquis de Vogué fut détaché , pour
fe porter fur Dorftein , & attaquer ce pofte dont
les ennemis s'étoient emparés le 30 , après une
défenſe très- obſtinée de la part de nos troupes
commandées par le Baron de Vierzet , qui ſe dé
fendit de maifons en maifons & de haies en haies ,
& qui ne rendit le poſte qu'à la derniere extrémi
té. Les ennemis , à l'approche du Marquis de
Yogué , l'ont abandonné. Le Duc de Fronfac &
OCTOBRE . 1761. 217
le Baron de Viomenil ont paffé la Lippe à gué ,
& les ont pourfuivis avec les Dragons de Chapt
& les Volontaires du Dauphiné. Ils ont enveloppé
les Grenadiers du Corps de Scheiter , dont aucnin
n'eft echappé ; on a ramené environ deux cens
prifonniers & une pièce de canon ,
Le 4 , l'armée paffa la Lippes elle n'a pas pu
joindre le Prince Héréditaire , qui a décampé le
même jour , & s'eft couvert de la Lippe , après
avoir paflé cette riviere au Village Allufen , Nos
détachemens , pouflés à Dorftein , ont attaquéles
poftes des ennemis vis- à-vis du Château d'Oftendorff,
& ont fait une cinquantaine de prifonniers.
La réſerve du Prince de Condé eft restée à Dorfrein.
Le Prince de Soubile a établi fon quarrier- géné
ral à Vefterholt. On a appris que le Prince hérér
caire s'étoit porté a Dulmen , & que le & il avoit
marché à Ludinghaufen Les ennemisen pallang
la Lippe , avoient laillé une arrière- garde a Luy
nen ; on les a empêchés de couper le Pont , & l'on
a occupé ce Pofte , dans lequel on a fait quelques
prifonniers. **
Pendant la nuit du 9 au 10 , le Geur Wandermefche
, Capitaine dans le Régiment des Volontaires
de Soubife , Commandant un détachement
de cent trente hommes , s'eft porté fur Verne a
la droite de la Lippe , a attaqué un Camp de
Troupes légères des ennemis , a fait prifonniers
quatre Officiers & foixante - quatre Hullards ,
a pris cens cinquante chevaux , & a été obligé Pabandonner
le reſte , n'ayant pas affez de monde
pour les emmener . Il s'eft auili emparé d'une piéce
de canon.
Le Marquis de Conflans afait près de Dulmen
quelques prifonniers de la Légion Britannique ; it
à enlevé un détachement de Dragons fortis de
211 MERCURE DE FRANCE.
Munfter , & un Convoi de viandes falées & d'autres
provifions deftiné pour la Place.
Le Roi a nommé Brigadier de fes Armées le
Marquis de Conflans , en récompenfe de la maniere
utile & brillante , dont il a rempli pendant
cette campagne , avec le Corps qu'il commande,
les commiffions qui lui ont été confiées . Sa Majefté
s'étant fait rendre compte de la défenfe vigoureufe
que le Baron de Vierzet a faite à Dorftein
, l'a nommé auffi Brigadier , pour lui marquer
la fatisfaction . Inftruite des actions diftinguées
du Régiment des Volontaires de Soubife, à
chaque occafion où ce Régiment s'eft trouvé pendant
cette Campagne, Elle a accordé la commiffron
de Colonel & la Croix de Saint Louis au fieur
de Vargemont , Lieutenant- Colonel de ce Régiment
, & le rang de Lieutenant - Colonel au fieur
Wandermefche , Capitaine , dont nous avons
rapporté ci-dellus une expédition . Elle a aufi accordé
la Croix de Saint Louis au fieur de Frimont,
Major du même Régiment.
De l'Armée aux Ordres du Maréchal Duc de Broglie
, depuis le 13 Août.
Le Maréchal de Broglie ayant raffemblé la plus
grande partie de fon Armée dans les environs de
Stenheim , s'eft rapproché le 17 du Vefer , & a
pallé cette riviere a Hoxter le 19. L'Armée ſe
rendit ce jour-là à Furstenberg . Le Prince Ferdinand
de Brunfwick , qui campoit depuis quelques
jours entre Blomberger- Horn , a fait attaquer
l'arriere garde près d'Oldendorff. Le Baron de
Clofen la commandoit . Voyant qu'il alloit avoir
affaire à des forces très-fupérieures , il fe replia
fur ce Village : mais ayant été obligé de l'abandonner
, il fe plaça de maniere que lorfque les
Montagnards Ecoffois & les Grenadiers Anglois
OCTOBRE. 1761. 215
déboucherent , ils fouffrirent beaucoup de fon Ara
tillerie. Il les fit charger enfuite par le fieur
de Guintran , ayant à les ordres les Hullards &
Dragons attachés aux Volontaires de l'Armée
commandée par le fieur de Saint- Victor. Toure
l'Infanterie Angloiſe fut culbutée , & l'on tua ou
prit environ trois cens hommes . Les Dragons d'Elliot,
qui la foutenoient , furent très-maltraités .
Le Comte de Stainville avoit été placé près de
Staberg avec le Corps qu'il commandes il s'eft replié
le 20 fur Caffel , où il a été joint par le nouyeau
Corps de troupes détaché de l'Armée du Bas-
Rhin aux ordres du Chevalier de Levis .
Łe 22 , l'Armée a marché à Daffel , & le 23 ;
elle a campé entre Eimbeck & Moringen . Le Ma
réchal de Broglie a etabli fon quartier général à
Sulbeck.
Le Vicomte de Belfunce , ayant été attaqué
dans les environs de Danifel & d'Ular par des
forces très-fupérieures , a éte forcé de fe retirer
avec perte fur Gottingen . Il a enfuite pris pofteà
Northeim .
Depuis le 2 de Septembre , le Comte de Stainville
eft campé à Grebenſtein avec le Corps de
troupes qui eft à les ordres. Le Baron de Clofen
fut détaché le 3 , pour attaquer le Château de Sabbaborg
fitué dans la Forêt de ce nom . Il s'en eft
emparé , & il a fait la garnifon prifonniere de
guerre.
Le 2 , le Vicomte de Bellunce attaqua près
d'Olterode le Corps comman lé par le Colonel
Freytag , lequel après avoir été forcé d'aban tonner
le pofte d'Ofterode , s'eft retiré dans les retranchemens
, à l'entrée du bois du Hartz. Le
Vicomte de Bellunce l'y a fait attaquer de nouveau
les retranchemens ont été emportés avec
la plus grande vigueur ; on a fait quatre cens
114 MERCURE DE FRANCE.
cinquante prifonniers ; le refte du Corps ennemi
a été difperlé dans les bois , & s'eft retiré ſur Goſlar
: ce qui a donné moyen au Vicomte de Belfance
de pénétrer juſqu'à Clauſthal . Les Marquis
de Vaubecourt , de la Ferronays , de Créquy &
de Châtelux, Colonels ; le fieur Orb, Lieutenant-
Colonel du Régiment de Royal Naſſau, & le ſieur
Colliquet, Capitaine , le font diftingués dans cette
occafion. Le Vicomte de Bellunce a fait payer au
pays deux cens cn quante mille livres de contributions.
Le 4 , le Comte de Chabot s'eft porté dans le
Bailliage de Statoldendorff, & y attaqué le Corps
des Huffards de Brunswick & de Baur. Il a fait
cinquante prifonniers, & il a pris un grand nombre
de chevaux & d'équipages. En même temps ,
il a enlevé les Baillis & les
Bourguemeftres des
Bailliages de Holtzmunden & de Statoldendorff.
Le fieur de Combreuil a infiniment contribué au
fuccès de cette opération.
L
Le 23 du mois dernier , le fieur de Grand- Maifon
, Colonel des Volontaires de Hainault , a furpris
Northaufen , & y a enlevé le Général Gefchray
, ci-devant Colonel au ſervice de France ,
avec le nouveau Corps qu'il y formoit pour le
Roi de Pruffe. La Caifle Militaire , les équipages
& les magazins de toute espéce , ont été pris, de
même que tous des Dragons qui fe font trouvés
dans la Ville , & quatre cens chevaux dans cette
expédition ; de fieur de Grand - Maifon n'a pas perdu
un homme.
De PARIS , le 19 Septembre.
Le 15 du mois dernier , la Proceffion folemnelle
, qui a lieu tous les ans , en éxécution du
Vou de Louis XIII , fe fit avec les cérémonies
ordinaires. L'Archevêque de Paris y officia, & le
OCTOBRE . 1761. 2f5
Parlement y ' affifta , ainfi que la Chambre des
Comptes , la Cour des Aydes & le Corps de Ville.
Le tirage de la Loterie de l'Ecole Royale Militaire
s'eft fait le 14 du même mois , en la manière
accoutumée. Les numéros fortis de la roue
de fortune font , 64 , 11 , 70 , 13 & 65.
Le 25 , le Corps de Ville alla à Versailles , &
ayant à fa tête le Duc de Chevreufe , Gouverneur
de Paris , il eut audience du Roi . Il fut préſenté à
Sa Majefté par le Comte de S. Florentin , Miniftre
& Secrétaire d'État , & conduit par le fieur
de Nantouillet , Maître des Cérémonies , en furvivance
du feur Desgranges . Les fieurs Mercier &
Babile , nouveaux Echevins , prêtérent entre les
mains du Roi le ferment de fidélité , dont le Comtę
de S. Florentin fit la lecture , ainſi qué du Scrutin ,
qui fur préfenté par le fieur Caze de la Bôve ,
Avocat du Roi au Châtelet .
Après cette Audience , le Corps de Ville rendit
fes refpects au Roi , & à la Famille Royale.
Le même jour , fê e de S. Louis , la Proceffion
des Carmes du grand Couvent le rendit , felon la
coutume , à la Chapelle du Palais des Thuileries ,
où ces Religieux chantérent la Meile.
Le Roi ayant ordonné qu'il y eût cette année
one expoſition des Ouvrages de ſon Académie de
Peinture & de Sculpture l'ouverture du Sallon ,
-dans lequel ils font placés au Louvre , s'eft faite
le us.
Le tirage de la huitiéme Loterie de la Ville de
-Paris fe fit leio dans l'Hôt 1 - de- Ville avec les
formalités ordinairs Le premier lot , qui étoit de
cinquante mille livres , eft échu au numéro 2802 ;
celui de vingt mille livres au numéro 190,3 . Les
-deux de dix mille font échus aux numéros 8985
& 14547.
216 MERCURE DE FRANCE.
Lei de ce mois , on célébra dans l'Eglife de
l'Abbaye Royale de S. Denys , le Service annuel
pour le repos de l'âme de Louis XIV , & l'Evê→
que de Lombez y officia pontificalement. Le Duc
de Penthiévre & le Prince de Lamballe y afſiſtérent
, ainfi que le Maréchal Duc de Noailles.
Quelques pelotons de Soldats Anglois , dans le
deffein de faire une tentative près de Dunkerque,
defcendirent le 22 à terre , & s'avancérent vers
les Forts de l'Eft & de la Marine. Le Chevalier le
Cointe , que le Marquis de Barailh a détaché du
Régiment de l'Ile de France , pour commander
dans ces Forts , fit fur ces ennemis un tel feu d'Ar
tillerie & de Moufquetterie , qu'ils ont été bientôt
contraints de fe rembarquer. Ils ont aban→
donné une de leurs Prames , dans laquelle on a
trouvé plufieurs fufils & diverfes munitions .
L'Académie Royale des Belles- Lettres , dans
fon Affemblée du 8 Août , élur le Prince Jablonowsky
pour Affocié libre , à la place du feu Cardinal
Paffionei.
On a appris que la Princeffe de Mecklenbourg-
Strelitz étoit arrivée le 7 de ce mois à Harwich
& le 8 à Londres.
Le Grand- Maître de Malthe , en confidération
des fervices rendus à la Religion par les Baillis
de la Renaudie & de S. Viance , fucceffivement
Grands- Prieurs de la Langue d'Auvergne , a accordé
au Comte de la Renaudie, leur petit neveu,
la permiffion de porter la Croix de l'Ordre.i
Le 12 de ce mois , on a fait dans l'Hôtel- de-
Ville , en la manière accoutumée , le tirage de
la Loterie de l'Ecole Royale Militaire. Les numé
ros fortis de la roue de fortune font , 34 , 76 ,
70, 2 , 33. Le prochain tirage fe fera le 14 Oc
tobre,
MORTS
OCTOBRE. 1761 117
MORTS.
Meffire Philippe- Emmanuel de Cruffol d'Uzés,
Marquis de Saint - Sulpice , mourut à Paris , le
12 du mois d'Août , dans fa 77 ° année.
Dame Eléonore d'Estaing veuve de Meire
Charles le Gendre , Marquis de Berville , Lieute
nant Général des Armées du Roi , & Commane
deur de l'Ordre Royal & Militaire de S. Louis ,
mourut à Paris le 17 , âgé de 78 ans.
Dame Françoiſe - Madelaine Midi de Belair ,
époule de Meffire Claude- Aléxandre Touſtain de
Fontebofc d'Ecrennes , Meſtre de Camp de Caval
lerie & premier Lieutenant des Grenadiers à che
val , eft morte à Paris le 22 , dans la 31 ° année
de fon âge.
Melfire Nicolas Regnauld , Archidiacre de Pa◄
ris , Vicaire Général & Official de ce Diocèle &
Abbé de l'Abbaye de Boulancourt , Ordre de
Citeaux , Diocèfe dé Troyes , modrat auffi le 12
dans fa 79 année .
Meffire Jérôme- François Flahault , Comte de
la Billarderie , Lieutenant- Général des Armées
du Roi , Grand'- Croix de l'Ordre Royal & Militaire
de S. Louis , ancien Gouverneur des Ville
& Château de S. Quentin , & ci- devant Major
des Gardes du Corps , inourut à Paris le 27 dans
la 90 ° année de fon âge.
Henri- Charles de Saulx , Comte de Tavannes,
Chevalier des Ordres du Roi , Lieutenant- Général
des Armées de S. M. & au Gouvernement de
Bourgogne dans le Dijonnois, Conté d'Auronne
, Ballage de la Montagne , Autunnois , Aurois
, Auxerrois , Brionnois & Charolois , Grand-
Bailli de Dijon , Commandant en Chef pour le
Service du Roi dans les Provinces de Bourgogne
& de Breſſe , eſt more Dijon , âgé de 73 ans,
1. Vol.
K
218 MERCURE DE FRANCE.
Marie Jeane Louife Bauyn d'Angervilliers ,
veuve d'Armand- Jean de S. Sinon , Duc de Rufec,
Pair de France , Grand d'Efpagne de la première
Claffe , Maréchal des Camps & Armées da
Roi , mourut à Paris le 7 de Septembre , âgée de
fo ans . Elle avoit été mariée en premières nôces
à Mefire Jean de Longueuil , Seigneur de Maifons
, Préfident du Parlement de Paris .
Meffire Ferdinand , Baron de Rembach , Brigadier
d'Infanterie, eft mort à Paris le 2 dans fa
92° année.
Dame Marie- Madelaine d'Houdetot , veuve de
Meffire Louis de Becdeliévre , Marquis de Cany,
eft morte le dans fa 66 année .
Le Chevalier de Saint- André , Lieutenant- Général
des Armées du Roi , Gouverneur de Montreuil-
fur-mer , & Commandant pour S. M. en
Alface , eft mort à Strasbourg , le 27 du mois
d'Août.
Charles O Brien , Lord , Comte de Thomond ,
Vicomte de Clare , Baron d'Ybrican & de Marc-
Avrfy , au Royaume d'Irlande , Pair du même
Royaume , Maréchal de France , Chevalier des
Ordres du Roi , Commandant pour S. M. en
Languedoc , Gouverneur de Neuf- Brilach en Alface
, & Colonel d'un Régiment d'Infanterie Irlandoife
, mourut à Montpellier , le 9 de Septembre
, âgé de 62 ans.
Dom Pierre le Mayeur , mourut le même jour
en fon Abbaye de Clairvaux, dans la 67° année de
fon âge.
Dame Madelaine Brulart , veuve de Meffire
Louis de Tiffart , Comte de Rouvre , eft morte à
Langres , le 7 , dans fa 95° année.
Charles , Comte de Tobiensky , Grand-Chambellan
de Pologne , eft mort le io , à Paris , âgé,
dit-on , de plus de cent ans.
OCTOBRE . 1761. 2.19
Dame Marie - Louife Molé , veuve de Meffire
Omer- Denis Talon , Marquis du Boulai , Colonel
d'un Régiment d'Infanterie, mourut le 6 en cette
Ville , âgée de près de 80 ans.
Meffire Bernard Sorefte de Belidor , Brigadier
d'Infanterie , Infpecteur de l'Arfenal de Paris &
des Mineurs de France , Membre des Académies.
Royales des Sciences de Paris & de Berlin , & de
la Société Royale de Londres , eft mort le 8.
* Le 16 Juillet,vers les fix heures du foir , mourut
de les bleffures à Soeft, Louis - Ferdinand Jofeph
de Croy , Duc d'Havré & de Croy , Prince
du Saint-Empire , Grand d'Efpagne de la premiere
Claffe , Lieutenant- Général des Armées du
Roi , Gouverneur de Scheleftat . Il fut nommé
Colonel- Lieutenant du Régiment de la Couronne
en 1735. Brigadier en 1743. Maréchal de Camp
en 1745. Lieutenant - Général en 1748. Il fur
bleffé dangereufement à la Bataille de Fontenois
à celle de Laufeldt il eut un cheval tué fous lui ,
un autre bleffé . Il a toujours fervi avec le plus
grand défintéreſſement & la valeur la plus décidée.
Il laiffe de Marie- Cunégonde de Montmorency-
Luxembourg , foeur de M. le Prince de
Tingri , fupérieur par fes vertus à la haute naiffance
, un fils qui donne les plus grandes efpérances
, & quatre filles , dont une Religieufe à la
Vifitation à Paris , deux autres mariées , l'une
au Comte de Rougé , Colonel du Régiment de
fon nom ; l'autre au Marquis de Verac- Saint-
Georges , qui a été bleffé du même boulet qui a
emporté le bras de fon beau- père ; la derniere
de fes filles en bas âge eſt Penſionnaire au Cou¬
vent de la Vilitation .
Le père de M. le Duc d'Havré eſt le premier
Cet Article devoit être inféré dans le dernier Mercure
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
de fa Maiſon qui fe foit établi en France au commencement
du régne de Louis XV. Il avoit fervi
en Espagne à la tête du Régiment des Gardes-
Valonnes. Son frère aîné , qui le commandoit
avant lui , fut tué à la bataille de Saragoffe. On
connoît encore plus le luftre de cette Maiſon que
fon origine , qui remonte dans les fiecles les plus
reculés. Elle a des alliances réitérées avec les Maifons
de Bourbon , de Hongrie & de Lorraine.
M. le Comte de Priego fon frère , Grand d'Elpagnepareillement
, après avoir fervi en France à la
tête du Régiment de Berry , Cavalerie , s'eft attaché
à la Couronne d'Eſpagne , & y eft Colonel des
Gardes-Vallonnes . Le même coup de canon qui
emporta le bras du Duc d'Havré avoit caffé la
cuiffe de M. Pierre -François de Rougé , Marquis
de Rougé , Lieutenant - Général & Gouverneur de
Gineft. Il avoit été Colonel de Vivarais en 1738 ,
de Vermandois en 1743 , il fut fait Brigadier en
17452 Maréchal de Campen 1748. Il laiffe de fon
mariage avec N... de Coëtmen, fille du Marquis de
Coëtmen , Maréchal de Camp & de N ... de
Goyon de Vaudurant deux garçons & deux filles
en bas âge. Il étoit l'aîné de fa maifon ; elle eft
originaire de Bretagne , & dès le onzième fiécle
elle y avoit de très- grandes terres poffédées aujourd'hui
par S.A. S. M. le Prince de Condé
c'étoit un Officier de grande diftinction . Il laiffe
un neveu Colonel d'un Régiment de fon nom &
qui marche dignement fur les traces de fon onele.
On a remarqué qu'en moins d'un fiécle , fix
de cette même maifon ont eu fix Régimens , à la
tête defquels ils ont été tués.
M.le Marquis de Rougé eft mort de les bleffures
, le 17 Juillet au matin.
OCTOBRE. 1761 . 221
SUPPLÉMENT à l'Article des Arts.
CHYMI E.
LETTRE , à l'Auteur du MERCURE.
MONSIEUR ,
Vous avez inféré dans le Mercure du
mois dernier une Lettre de M. Quévanne,
Effayeur Général des Monnoies ; puis- je
me flatter que celle- ci trouvera place dans
celui que vous allez publier ?
Je ne fuis point le défenfeur de l'Anonyme
qui a réfuté le Mémoire de M. Quévanne
fur les Effais des matiéres d'or & d'argent.
Eft- ce un Auteur obfcur ? eft- il de mauvaiſe
foi ? fon Ecrit eft-il un libelle ? Je ne
le crois pas. J'ignore même avec le Public
quels font les griefs qu'on veut lui imputer
; mais je ne puis me difpenfer de foutenir
la certitude des principesqu'il établit
dans fa réponſe ; je les ai adoptés , ces
principes , ils font fondés fur l'expérience ;
je les défendrai;& tant que M. Quévanne
n'y oppofera que des mots & des plaintes
amères , tant qu'il ne les combattra pas
avec des armes victorieufes , la plus faine
partie de mes Confrères , le Bureau de
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
l'Qrfévrerie de Paris,&moi inviolablement
attachés aux anciennes régles , condamnerons
hautement fon feu , fes coupelles ,
& fa nouvelle façon d'opérer.
M. Quévanne eft furpris qu'on ait ofé
lui répondre ; moi je fuis fort étonné qu'il
ofe s'avouer l'Auteur d'un Mémoire qui
n'auroit jamais dû voir le jour . Quand l'amour
du bien public nous guide , & nous
met la plume à la main , ce fentiment
d'accord avec la décence & l'honnêteté ,
nous prefcrit des bornes dont il n'eft jamais
permis de s'écarter . Si M. Quévanne
l'eût écouté , il n'auroit hazardé aucun fait
injurieux ; il n'auroit pas cherché à obfcurcir
la réputation de deux perſonnes
(fon oncle & mon père ) dont il devoit
reſpecter la mémoire , & confervant pour
ceux de fes Confrères qui ne fuivent pas
fa méthode , tous les égards & les ménagemens
dûs en pareil cas , il ne les auroit
pas gratuitement & mal à- propos
traité de gens entêtés de faux préjugés qui
travaillent fans principes & par routine.
J'ai l'honneur d'être &c.
RACLE , Effayeur particulier de
la Monnoie de Paris.
A Paris , ce 6 Septembre 1761.
OCTOBRE. 1761. 223
EVENEMENS SINGULIERS.
RUSSIE.
De Pétersbourg , le 4 Août 1761 .
On effuya encore ici , le 15 du mois dernier
deux nouveaux incendies. Dans le quartier de Wafilei-
Oftroff , le tonnerre tomba fur l'Eglife de S.
André, & à peine- refte- t- il actuellement quelques
veftiges de cet Edifice. La plupart des Maifons
voilines ont été auffi réduites en cendres. Le fecond
incendie a été caufé par une barque chargée d'huile
à laquelle le feu a pris. Une partie du Village de
Welogda- Jemskoy , fitué près de Petersbourg , fur
confumé le même jour par les flâmes,
ESPAGNE.
De Madrid, le 25 Aout.
-
Selon les nouvelles de l'Ile Tercere , la Mer
dans tout le tour de cette Ifle s'éleva , le 31 Mars
dernier , à une très grande hauteur , & quelques
minutes après , reprit fon niveau or finaire . Dans
l'intervalle de trois heures , elle monta & bailla
ainfi plufieurs fois , fucceffivement . Le 14 Avril , if
y eut trois légéres fecouffes de tremblemens de
terre. Le is , on en éfluya une très -violente , & le
17 , deux encore plus terribles. Une épaille fumée
parut le 18 à trois lieues Nord - Ouelt - d'Angra.,
Pendant trois jours , on entendit des bruits fouterrains
, femblables à des coups de tonnerre , Le 20 , -
la terre s'entr'ouvrit , & il de forma trois volcans ,
d'où fortirent autant de torrens de matière fulphureuſe
& enflâmée. Le premier parcourut un efpace
de deux lieues , & réduifit en cendres prèfque tous
le Village de Bifcouros. Les deux autres allérent
fejetter dans la Mer.
224 MERCURE DE FRANCE.
FRANCE .
De Paris , le 29 Août.
La nuit du 4 aus , dans le Village de Ville -fur-
Arc, près de Bar-fur-Seine, quarante- cinq Maiſons
furent confumées par les flâmes. Des bottes de
chanvre , auxquelles le feu a pris pendant que les
Habitans étoient dans leur premier fommeil , ont
été la caufe de ce malheur. Un Père de famille
chargé de fept enfans , une petite fille de dix ans ,
une de cinq , ont péri dans cet incendie , ainfi que
deux cent beftiaux , & une grande quantité de
ruches. Toute la Moiffon de 1761 & les vins de
plufieurs récoltes , ont été perdus , & les habitans
au moment de profiter d'une année abondante ,
Le voyent réduits à la plus affreufe mifère .
AVIS DIVERS.
PLUSIEURS perfonnes difireroient favoir l'adreſſe
du fieur Rouffel , annoncé dans le fecond Volu- ,
me du Mercure de Juillet , comme Inventeur &
Diſtributeur d'une Pommade pour les maux de
gorge , rhumatifmes , gouttes , &c. Il eft prié de
l'envoyer à l'Auteur du Mercure.
Le fieur SAVOYE , Valet-de-chambre de M. le
Bailly de Fleuri , donne avis au Public , qu'il vient
de recevoir de la Fleur d'Orange de Malthe faite
cette année . Il vend la bouteille de pinte 6 liv . il
demeure chez M. le Bailly de Fleury , rue de la
Ville-l'Evêque , Fauxbourg S. Honoré au N ° . 9.
Le fieur ONFROY , Diſtillateur du Roi tenant le
grand Caffé à la deſcente de la Place du Pont S.
Michel à Paris , appliqué depuis bien des années
à perfectionner les Liqueurs de Table, eſt parveOCTOBRE.
1761. 225
nu par fes travaux à les dépouiller de tout ce qui
pouvoit les rendre nuifibles . L'étude conftante
qu'il a faite des qualités des Végétaux dont les
diverfes propriétés lui font bien connues , l'a conduit
à ne rien employer dans la compofition de ces
Liqueurs de table que les aromates , les fleurs ,
les fruits , les femences & les racines , ayant reconnu
que tout ce qui eft gomme ou même réfine
& certaines éllences de fruits peuvent altérer
la fanté. Les Liqueurs de table en général doivent
être regardées comme des digeftifs ou des
cordiaux , & cette confidération feule fuffit pour
en régler l'ufage. C'est d'après ces principes que
le fieur Onfroy a porté les Liqueurs qu'il compofe
à ce degré de perfection qui lui a mérité le
Brevet de Diftillateur du Roi & l'honneur d'être
chargé de fes fournitures. Le prix de fes Liqueurs
de la premiere forte eft de 6 liv. & de la feconde
forte de 3 liv. f. la bouteille de pinte meſure
de Paris.
S
On trouve encore chez le fieur Onfroy une Liqueur
fpiritueuse pour les dents , dont le premier
effet eft d'appailer fur le champ & fans retour les
plus vives douleurs ; elle eft regardée aujourd'hui
comme le topique le plus fûr pour calmer &
diffiper promptement ces fortes de maux ; elle
eft encore fpécifique pour tous les accidens de
la bouche , fans en excepter le fcorbut , contre
lequel on l'employe avec fuccès. Eile eft de plus
fort agréable au goût ; enfin elle conferve la blancheur
des dents fans jamais en altérer l'émail, raffermit
les gencives & leur rend leur coloris naturel
. Le prix eft toujours le même , c'eſt-à - dire ,
3 liv. la bouteille & 30 f. la demie bouteille .
L'accueilfait par le Public au nouveau Chocolat
travaillé à lafaçon de Rome fondant comme da
beure que le fieur Onfroy diftribue depuis quelque
temps , n'a fait que redoubler fon attention
226 MERCURE DE FRANCE.
& fes foins pour fe conferver la confiance ; les
prix en font fixés pour toujours . Le Chocolat
pour l'office à so f. & celui de fanté à 3 liv. le
Chocolat à une vanille vaut 4 liv. à une vanille
& demies liv . à deux vanilles 6 liv . & à trois vanilles
7 liv. Le tout la livre poids de 16 onces ; il
y en a une feptiéme forte en/Paftilles pour manger
à fec, qui eft d'un goût & d'une odeur admirable
; il fe vend 8 liv. la livre , & fe diftribue par paquets
de deux onces & de quatre onces .
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monſeigneur le Chancelier, ΑΙ
le Mercure du premier volume d'Octobre 1761 ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion. A Paris , ce 30 Septembre 1761.
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES,
PIÉCES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
O
ARTICLE PREMIER.
DE à Mercure. Page s
7
IF
LES Amours d'Armide & de Renaud , imités
du Taffe , par Madame Champion.
A Madame M..... L'Amour vengé , Cantate.
LE Moucheron de l'Hipanis , Fable allégorique.
LE Peintre complaifant , Epigramme.
MEDIUS , Anecdote moderne .
VERS fur l'Année Séculaire de la Fondation
du College Mazarin &c.
VERS préfentés par Mlle Pinet de Tronfin ,
13
17
18
47
OCTOBRE. 1761. 227
à M. fon frère.
VERS adreſſés à M. l'Abbé S... par M. D.
C. D. N.
LE Merle , Fable.
RÉPONSE à M. De la Place , fur la queſtion
propofće dans le Mercure de Juillet , à
l'occafion de l'Officier Union & du Soldat
Valentin.
RONDEAU à ***
-Dialogue &c.
pour s'excufer de faire un
EPITRE à Madame Denys , par un Académicien
des Arcades.
EPITRE à Mlle Corneille.
VERS pour être mis au bas du Portrait de
M. Titon du Tillet.
RÉFLEXION .
IMITATION de la XV . Ode du III. Livre
d'Horace .
49
So
52
54
58
59
6I
64
ibid.
65
66
67 &68
69 &70
70
MADRIGAL fait par un petit Chien , fur les
Fables de M. l'Abbé Aubert .
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ÉLOGE de René Duguay- Trouin , par M.
Thomas & c.
PIECES fugitives de M. de Voltaire , de M.
Desmahis & de quelques autres Auteurs ,
& c .
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
ANNONCES des Livres nouveaux.
71
84
91
97 &fuiv
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES ,
ACADÉMIE S.
PRIX de Poëfie , pour l'Année 1762 .
PRIX proposé par l'Académie des Sciences ,
113
228 MERCURE DE FRANCE.
Belles - Lettres , & Arts de Lyon , pour
l'Aunée 1763 .
PROGRAMME de l'Académie Royale des
Sciences de Bordeaux .
SUJETS proposés par l'Académie Royale
des Sciences & Beaux- Arts , établie à
Pau .
DISSERTATION Hiftorique & Critique du
Grand- Piêtre Aaron . Par M. de Boify.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
EXPLICATION des Peintures , Sculptures &
Gravures de MM. de l'Aca fémie Royale ,
expolées dans le Sailon du Louvre , pour
l'Année 1761.
SUPPLEMENT à l'Article des Beaux-Arts.
ART. V. SPECTACLES.
112
115
121
122
14.8
175
MUSIQUE. 174
GRAVURE.
ibid.
OPERA.
175
COMÉDIE Françoiſe. 199
COMÉDIE Italienne. 191
OPERA COMIQUE.
193
CONCERT Spirituel .
196
ART. VI . Nouvelles Politiques. 197
MORTS. 217
CHYMIE.
SUPPLEMENT à l'Article des Arts. 221
223
AVIS DIVERS . 224 &fuiv.
EVENEMENS finguliers,
ERRAT A.
An Mercure précédent , dans la Lettre de M. le Maître
M. Keyfer , page 170. lig . 23. il y a troifiéme mois
il faut treizième mois.
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY,
rae & vis-à-vis la Comédie Françoile.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
OCTOBRE . 1761 .
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
Cochin
Silius inv
Persillon Sculp
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis a vis la Comédie Françoiſe.
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE, rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salie du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi,
710391 150
Auf toilla?
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
ait Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer ;
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie littéraire
, à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piece.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire veuir , ou qui prendront lesfrais
i port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
par volume , c'est-à-dire 24 livres d'avance
, en s'abonnant pourfeize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure , écriront à l'adreſſe cideffinus.
"On fupplie les perfonnes des provin
ces d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affran
chis , refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
, d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , le trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font les
mêmes pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE . 1761 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS fur l'Expofition des Tableaux
au Sallon du Louvre en 1761..
QUEL VEL fpectacle pompeux vient frapper nos regards
!
Quel triomphe eft offert à la docte Peinture !
Cent chef-d'oeuvres divers avec éclat épars ,
De lauriers immortels couronnent la Nature ,
Et femblent réunis pour la gloire des Arts.
II. Vol
A iij
1
16 MERCURE DE FRANCE .
Louis s'offre à mes yeux , Dieux ! quelle main
hardie
Transporte à l'avenir le Portrait de mon Roi
* Vanlo , cette heureuſe faillie ,
Ce fuccès étonnant qui n'étoit dû qu'à toi ,
Immortalife ton génie.
Ce n'étoit pas affez que le plus tendre amour
Dans le fond de nos coeurs eût gravé (on image ,
Il falloit expofer au jour
Un Monument qui fçût en être enfin le gage.
Séduit par cent morceaux rares & précieux
Dont le choix prèſqu'inestimable ,
Forme dans ce Palais un coup d'oeil admirables
Sur la Tour , fur Roflin on arrête les yeux :
2.
Ces Rigauds de nos jours , nés pour peindre les
Dieux ,
Triomphent , occupent la Scène;
Et rivaux fans diſſenfion ,
C'eſt à qui dans la route où la gloire les méne ,
Atteindra la perfection.
** Un fublime talent me rappelle à moi- même :
Admirons ! c'est ici qu'avec un goût extrême
Les Arts ont rapproché leurs chefs - d'oeuvres fçavans
;
*** Vanlo, Dumont , Reflout , Boucher , Peintres
d'Hiftoire ,
* Premier Peintre du Roi d'Espagne.
**
L'Hiftoire.
*** Carle Van-loo , célébre Peintred'Hiftoire.
OCTOBRE . 176 !. 7
Dont les noms ne fçauroient paffer qu'avec les
temps ,
S'éfforcent à l'envi d'obtenir la victoire.
Pierre dont le génie en tous lieux eft vanté ,
Marche d'un pas égal à l'Immortalité.
Le Dieu qui préfide au Parnaffe ,
Content de leurs fréquens fuccès ,
Près des Coypels , des Jouvenets
A déja défigné leur place.
+
En dépit de leurs Envieux ,
Je les vois couronnés par les mains de la Gloire.
Ainfi l'Artiſte vertueux
Verra de fon vivant refpecter fa mémoire.
Qu'apperçois -je ! ô prodige ! ô moment fortuné !
La Sculpture eft portée à ſon plus haut degré.
Lemoyne , Falconet , Vaffé , Mignot , Pigale ,
Nous l'offrent aujourd'hui dans toute fa vigueur }
Et l'Antiquité leur rivale
Reprend fous leur cifeau fa première fplendeur.
Parcourons ce charmant afyle.
Ici , plus d'une main habile
Prend , pour ſe diftinguer , des chemins différens.
II eft de ces heureux talens ,
Dont les yeux enchantés chériffent l'impofture.
Cochin , Cars, & le Bas, par leur préciſion ,
Du fage Connoiffeur , font l'admiration :
Vernet , Chardin , Machy , rivaux de la Nature ,
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Nous la préfentent dans fon beau:
Païfages , Animaux , Figure , Architecture ,
Tout s'anime fous leur pinceau .
D'une nature fimple , imitateur févére ,
Greufe fait dans un goût nouveau ,
Saifir l'art de furprendre , & le fecret de plaire.
Pour rendre à l'avenir les faits les plus brillans.
Et confacrer ton augufte mémoire ,
Dit , à Louis , la Mufe de l'Hiftoire ,
Minerve a fçu former ces hommes excellens 3
Ils vont me feconder dans un fi noble Ouvrages
Tandis que j'écrirai tes exploits glorieux ,
Leur fublime crayon en tracera l'image ;
J'enchanterai les coeurs , ils charmeront les yeux.
BAILLY , Garde des Tableaux du Roi..
EPITRE
PA
à M. D. L. G.....
>
A R les ennuis mon âme anéantie ,
Depuis long- temps plioit fous leur fardeau ;
Je fommeillois , quand ta lettre polie
M'a réveillé du fond de mon tombeau :
Le jour m'a lui ; mon âme à ta lumiere
A rallumé les feux de fon flambeau ;
De tes accens le baume falutaire
A déridéma face atrabilaire ,
Et fait en moi naître un homme nouveau.
OCTOBRE. 1761.
Oui ,je viendrai jouir de ta préſence ;
A ton afpect s'éclipfent les ennuis ;
Ton être aimable & pétri par les ris
Dégourdira ma pefante èxiftence ,
Et m'enſeignant à retrouver mon coeur,
Tu deviendras mon premier Bienfaiteur :
Ta main de fleurs fçait parer la fageffe ;
Du front glacé de l'auftère Raifon 3...
Chez toi l'efprit adoucit la rudeffe ,
Et fçait unir Epicure à Platon.
Sage Amateur d'une active pareſſe
Environné des myrtes du Printemps ,
Du doux plaifir la coupe enchantereffe ,
Entre Apollon , Bacchus , & ta maîtreffe
Sur tes beaux jours verfe l'oubli du temps.
[1
Dans ces climats, retraite fortunée ,
Où la fanté de roles couronnée ,
Serpente & filtre entre des minéraux
Dont le plaifir a creuſé les canaux ;
D'objets riants ton âme environnée ,
Libre de foins , voit s'écouler les ans
Comme je vois s'écouler les journées.
Loin des bavards & des triffes plaifants ,
Des Honnefta , bégueules décharnées ,
Des Fats titrés & des Lourds importants ,
La volupté file tes deſtinées :
1
La volupté ce bien fi paffager , Inne' O
Banni des Cours , à Paris Etranger t 1
Ayv
10 MERCURE
DE FRANCE.
Cet être pur que notre mal- adreſſe
Laiffe échapper , en croyant le faifir ,
Que par la main doit tenir la Sageffe;
Non , ce fantôme appellé le Plaifir ,
Cet art groffier nommé l'art de jouir ,
Avorton né des flancs de la licence ,
Quifans pudeur infultant la décence
En l'aiguifant , émouſſe le defir :
Mais ce bienfait , ce tréfor falutaire
Sorti des Cieux pour confoler la Terre ;
Que la vertu.careſſe fans rougir ; f
Que pofféda dans la longue carrière
Le bon Chaulieu jufqu'au dernier foupir ;
Que chaque Peuple invoque à la manière ;
Dont chacun parle , & que tu fçais fentir.
Loin du fracas de cette ville immenſe ,
Où fur des chars décorés par Martin
Le fombre Ennui proméne l'Indolence:
Sur des côteaux , le Télescope en main ,
En contemplant les différentes chaînes
Qui des Mortels conduisent le deftin ,
Leurs faux plaifirs , leurs véritables peines↓
Moins infenfé que le Sage d'Athènes ,
Sans le hair , tu ris du genre-humain.
Turis tout bas de ces cercles frivoles
Du froid jargon infipides Ecoles
Triftes réduits , bureaux d'oifveté , love!
Où l'ennui regne avec la bienséance fo
Et la tüftelle avec la dignités
OCTOBRE. 1751. ་ ་
Od de l'efprit le coeur fuivant le Code ,
Plaifant par art , & joyeux par méthode ,
Compas en main , ne rit point d'après foi.
Ton oeil laffé de parcourir ces plages
Avec plaifir revient fur tes rivages ,
Où l'âme eft gaie & rit de bonne foi ,
Où le coeur parle & rit fur le vifage.
Ainfi de tout fachant tirer uſage ,
Tout prend une âme & fourit à tes yeux ;
De ton plaifir tout devient le partage.
Tout s'embellit pour les Mortels heureux !
O daigne un jour, abandonnant les Cieux,
De ton bonheur parer mon hermitage !
Il fut un temps où les ris & les jeux
Ont habité dans mon réduit fauvage.
Ils reviendront ces jours délicieux ;
Ton amitié m'en eſt le fûr préfage.
Il reviendra ce bon temps de Chaulieu
Dont mes chansons ont célébré l'Orgie.
O le bon temps , où l'hyver près du feu ,
Des mets fans art & fans cérémonie
La Volupté préparoit l'Ambroifie !
Ces courts feftins par l'ufage apprêtés ,
Des vains cristaux le frivole étalage ,
Des buveurs d'eau , le très-fufpect uſage ,
Dans ce bon temps n'étoient point inventés.
Les conviés paffoient la nuit à table
En devifant d'ingénieux propos ,
A vj
12 MERCURE DE FRANCE
Et fur la fin d'un repas agréable ,
D'un vin d'Aï la féve delectable
D'un fel plus vif aiguifoit leurs bons mots.
Cet heureux Temps créé pour les feuls Sages,
Il renaîtra quand tu viendras me voir :...
La Volupté qui rit fous tes ombrages
Suivra tes pas pour orner mon manoir.
Là , nous verrons , à l'abri des orages ,
Luire un beau jour couronné d'un beau foir;
Là, ranimé par ton exemple aimable ,
Nous bannirons l'inutile chagrin ;
Nous proferirons la Sageffe intraitable -
De ces Docteurs boureaux du genre humain,
Qui nous rendant la vertu haiſſable ,
Avant de vivre , enſeignent à mourir ,
Font fuir les ris , & font peur au plaifir.
Laiffons crier leur foule atrabilaire
Contre ce fexe ornement de la Terres
Il est notre âme , il embellir nos moeurs ;
Sur notre vie il répand la lumiere , ‹-
Nous lui devons juſques à nos vertus,
Et fes défauts font des grâces de plus..
Si la beauté , de carmin embellie ,
Sçait mettre en oeuvre avec dextérité 6
Tous les refforts de la coquetterie ; -
Si fur un front de pommade empâté
Bifarrement un pompon eft plantés
OCTOBRE. 1761
Et fi ce fexe , aimable en fa folie ,
Mêle fouvent avec légéreté
Le fentiment à la frivolité ;
Rufes , vapeurs , caprice , étourderie ,
Tout eft pour nous , juſqu'à ſa vanité.
De ces défauts dont la caufe eft fi chère
Pourquoi nous plaindre ? ils tendent à nous
plaire ;
Et pourrions-nous, injuftes délateurs ,
De nos plaifirs imbécilles Cenfeurs ,
Blâmer l'effet dont nous aimons la caufe >
Ami , pour moi jufqu'aux derniers inftans
Où s'éteindra le flambeau de mes fens,
Où le Deſtin qui des Mortels diſpoſe ,,
Embarquera pour le fombre féjour
Entre deux ais mon éxiſtence cloſe ,
A la beauté je veux faire ma cour,
Et veux jouir juſqu'à mon dernier jour.
Le verre en main je veux braver la Parque
Et traverſer gaîment la trifte barque
Entre les Jeux , & Bacchus , & l'Amour.
Laiffons gronder le ſtupide vulgaire ,
Coloffe épais , machine circulaire ,
Deffus fon axe automate tournant :
Le doux plaifir eft fait pour qui le ſent.
Laiffons paffer au vorace Marchand ,^
A calculer les heures fortunées ;
Pour nous , ami , triplons les deſtinées
4
MERCURE DE FRANCE.
Et quadruplons la vie , en l'abrégeant.
Jouillons vite ; à quoi fert la vieilleffe?
On eft bavard , ſtupide , dégoutant :
En l'enviant , on blâme la jeuneffe ;
Tout le bon fens ne vaut pas fes plaiſirs ,
Ni la Raifon fon heureufe imprudence.
Dans l'âge heureux où les tendres zéphirs
Sur nos beaux jours verfent leur influence ,
Tout eft bonheur & devient jouiſſance :
La vétufté n'a que de froids foupirs.
Chez elle on voit la peſante habitude ,
La courte joie & les longs repentirs
Et l'amour- propre , & la follicitude ,"
Et les regrets , enfans des vains defirs.
Vivre , c'eſt l'art d'employer cette vie ;
Tous les humains vivent le même temps :
C'est un hyver à celui qui s'ennuye ;
A qui jouit , elle n'eft qu'un printemps.
GUERINEAU de S. Péravi.
TRADUCTION des Vers Anglois
de M. PRIOR, qu'il a intitulés :
Imitation d'ANACRÉON
L. A. L. B.
ESPRITS
› par M
SPRITS dangereux & cauftiques ,
Qui penſez faire à tous la loi ,
OCTOBRE. 1761. 35
Je ris de vos traits fatyriques;
Ils ne peuvent rien contre moi.
Je ne chante que la Jeunelle ,
Et les Plaifirs , & la Beauté .
Puiffent mes chants avoir fans ceffe
Les Grâces de la Nouveauté.
S'ils font répétés par les Belles ,
Je fuis vengé de tes mépris;
Trifte Cenfeur , ce n'eſt
Que j'en veux recevoir le prix.
que d'elles
Quel que foit le feu qui m'inſpire ,
Aux Mules je fais peu ma cour ;
C'eft Vénus qui monte ma lyre ,
Et qui me fait chanter l'Amour.
L'éclat d'une illuftre mémoire
N'eft point l'objet de mes defirs :
Aux attraits d'une vaine gloire
Je préfère ceux des plaifirs.
Apollon jamais je change,
Epris pour une autre Daphné ;
Moi- même à ton deftin étrange
Puillai-je me voir condamné !
Puiffai-je, contre mon attente ,
Victime d'un orgueil groffier,
Manquer la Nymphe qui m'enchante,
Pour n'embraffer qu'un vain laurier!
16 MERCURE DE FRANCE.
MÉDIUS ,
ANECDOTE MODERNE..
Ne quid nimis..
SECONDE PARTIE..
MEDIUS alla defcendre à Paris chez
fon Colonel , où il fe lia avec le Chevalier
d'Orval , neveu de ce Seigneur. Notre
héros eut befoin de tout fon amour ,.
pour fe gouverner comme il fit dans les
parties de débauches où il fe trouva engagé
, & où il fçut concilier les égards
qu'il devoit à fes camarades , & la fageffe
qu'il fe devoit à foi-même. Mais il éprouva
à fes dépens, que la feule pratique des
hommes peut nous apprendre à nous bien
conduire avec les hommes . Les exemples
des vices & des ridicules deviennent
des armes fûres dans des mains exercées
à s'en fervir ; tandis que la fimple théorie
des vertus nous laiffe expofés tout à
découvert aux traits de la malignité. Médius
crut qu'un für moyen de fe délivrer
des féductions du Chevalier , ce feroit de
lui découvrir la paffion qui rempliffoit
OCTOBRE. 1761. 17
fon coeur. Il lui raconta donc l'hiftoire
entiere de les amours , appuyant fur la
beauté , plus encore fur le mérite de fa
maîtreffe , & ne cachant pas même la
ferme réfolution où il étoit d'époufer . Il ne
doutoit pas que par cet aveu il ne convainquît
le Chevalier qu'une amante auffi parfaite
méritoit une fidélité fans partage ;
mais il ne fit que s'attirer pour le moment
les railleries les plus amères, & fe préparer
pour le Régiment une fource inépuifable
de chagrins & de querelles. Mais il eft
temps de le tranfporter au Camp.
Préfenté par le Colonel comme fon
parent , & recommandé par la plus heureufe
phyfionomie , Médius fut accueilli
généralement , & ne tarda pas à s'atta
cher les coeurs. Il fe fit furtout un capi
tal de fon devoir . Sa modeftie & fa docilité
lui acquirent l'eftime des Officiers
les plus fages ; & l'humanité de fon âmet
manifeftée par des effets éclatans , lui gagna
invinciblement tous les Soldats . Let
feul Chevalier d'Orval , déja indifpolé
contre lui par la difparate de leurs goûts ,
fut encore envenimé par les éloges qu'il
en entendoit faire aux Anciens , & furtout
par les comparaifons toujours à fon
défavantage que fon oncle établiffoit en--
tre eux deux. Il fe mit donc à cabaler
48 MERCURE DE FRANCE.
contre lui ; & en tournant en ridicule
l'innocence de fes moeurs , il l'expofa aux
railleries de tous les Etourdis du Corps .
Un nouveau fujet acheva d'indifpofer
contre lui cette Jeuneffe . Quand le Régiment
marchoit , Médius inftruit par de
bonnes lectures , & plus encore par fon
propre coeur des devoirs d'unOfficier compâtiffant,
donnoit fon cheval à un valet , &
alloit toujours à pied,même par la pluye &
dans les mauvais chemins , à la tête des
Soldats qui le béniffoient : car ils ne fentent
plus leur mifère , dès qu'ils voyent
leurs Chefs la partager. Le Colonel qui
s'en apperçut loua Médius , fans pourtant
blâmer perfonne , parce que l'abus
étoit trop général pour pouvoir être reproché
à perfonne en particulier. Auffi
Médius avoit-il la précaution de s'excufer
vis- à-vis de fes camarades , en difant
qu'il étoit accoutumé à marcher à pied ,
qu'il le faifoit par goût , & que cela ne
lui coûtoit rien. Mais ceux - ci , pour la
plupart choqués d'un exemple qu'ils ne
vouloient pas fuivre , attribuoient cette
conduite à une envie démesurée de fe
diftinguer à leurs dépens . Enfin d'Orval
déterminé à lui chercher querelle ; un
jour qu'ils alloient de compagnie au quartier
général , & qu'ils étoient tous deux
OCTOBRE . 1761. 19
à cheval , lui dit brufquement qu'il avoit
raifon d'aimer la Soldatefque , ne méritant
pas de fervir fous un autre titre : il
finit par le traiter de bourgeois , digne
en effet d'époufer une Payfanne ; & fans
attendre la réponse de Médius , il faifit
auffitôt un piftolet. Médius , qui n'en
avoit pas , le lui dit froidement , & lui
propofa de mettre l'épée à la main . D'Orval,
fans defcendre , fans même répondre
, lui tendit un de fes piftolets , & prit
du champ. D'Orval , plus animé , tire le
premier , & manque. Médius fond fur
lui ; & à l'inftant que le Chevalier attend
la mort avec fermeté , notre héros lâche
fon coup en l'air , & fe préfente l'épée à
la main. Le Chevalier trop hors de luimême
pour réfléchir fur ce que méritoit
la générofité de fon Adverfaire , deſcend
& l'attaque : ils fe battent avec la plus
grande animofité. Le combat fembloit
inégal d'Orval : avoit paffé deux ans à
l'Académie ; Médius n'avoit jamais tenu
un fleuret ; cependant fon courage & fon
fang- froid fuppléoient à ce qui lui manquoit
du côté de l'expérience. Le hazard
voulut que le pied gliffât au Chevalier ,
qui tomba fi malheureufement , qu'un
tronçon de fon épée fracaffée lui entra
dans la cuiffe ; Médius jetta la fienne par
20 MERCURE DE FRANCE.
terre , & s'offrir à fon ennemi pour le fe
courir. Dans le moment furvinrent deux
Officiers , qui ayant vu de loin tout ce
qui s'étoit paffé , étoient accourus pour
féparer les combattans : ils exaltoient la
nobleffe du procédé de Médius , & blåmoient
fon rival de ne s'y être pas rendu
. Celui- ci les pria tous de ne pas divulguer
un combat qui lui étoit fi défavantageux.
Médius le lui promit ; les
deux Officiers ne dirent mot , & fe retirérent
après avoir panfé légèrement le
bleffé , & l'avoir remis en felle ; Médius
le reconduifit à fa tente ; & il n'eft proteftation
d'amitié que d'Orval ne lui prodiguât
en ce moment , fous condition de
ne faire paffer fa bleffure que pour la
fuite malheureuſe d'une chûte de cheval .
Médius lui en donna fa parole , & la lui
tint fcrupuleufement .
Cependant les Officiers témoins du
combat ne furent pas fi exacts à garder
le filence . Le Colonel qui fut inftruit des
premiers, redoubla d'eftime & d'affection
pour notre héros . Il fit venir les deux
Adverfaires , & exigea qu'ils s'embraffaffent.
Mais d'Orval intérieurement convaincu
d'avoir été trahi & même défferpar
Médius auprès de ſon oncle , ne fe
vit pas plutôt rétabli , qu'il lui envoya
un nouveau cartel.
vi
OCTOBRE. 1761. 21
Notre héros fe vit dans le dernier embarras.
Son devoir lui défendoit d'accepter
le duel ; l'honneur ſembloit lui impofer
une loi toute contraire. Après y avoir
murement réfléchi , il crut devoir facrifier
ce phantôme d'honneur à la vertu &
à la Religion , & fit tenir ce billet à
d'Orval.
" Je crois , Monfieur , vous avoir affez
» prouvé mon courage , pour qu'il ne
vous foit plus permis d'en douter . Je
» ne fais quel nouveau fujet peut vous
» porter à vouloir ma mort ; je puis ce-
» pendant vous jurer que ce qui a éclaté
»de votre fecret ne peut m'être imputé. Si
vous voulez abfolument que nous nous
» battions de nouveau , je ne me cacherai
» pas ; cherchez- moi , attaquez moi , je
tâcherai de me défendre. Mais je ne
puis accepter un duel : ma Religion &
» mon Roi me l'interdifent également.
MÉDIUS.
Le Chevalier fit part de cette Lettre à
quelques Étourdis , à qui il efpéroit donner
de mauvaiſes impreffions du courage
de Médius ; mais la plupart de ceux à
qui il la montra la trouvérent fi fage ,
qu'ils lui confeillerent de la brûler , & de
renoncer à toute idée de vengeance con22
MERCURE DE FRANCE.
tre un brave homme à qui il devoit la vie.
D'Orval feignit d'adopter cet avis , &
n'en conferva pas moins tout fon reffentiment
contre Médius.
Celui-ci fe fentit pour le Chevalier plus
de pitié que d'indignation . Il ne regardoir
fes écarts que comme la fuite néceſſaire
de l'éducation de la plupart des gens de
condition , pour qui les Maîtres mêmes
deviennent des flatteurs , qui croyant élever
leurs âmes , déja trop fuperbes d'ellesmêmes
, ne les entretiennent que des
avantages de leur naiffance , & de leur
fupériorité fur les autres hommes. » Hélas !
"
( s'écrioit- il ) ſans mon digne oncle, fans
» les fages inftructions que je luidois
» j'aurois été de même abandonné à tou-
» tes les femences de corruption qui ba-
>> lancent en nous les principes naturels
» de bonté!
Tant de vertu fut récompenfée par
une Lettre de fon oncle , qui lui annonçoit
une révolution dans la fortune de fa
Maîtreffe. Cette foeur de fa bienfaictrice ,
établie à Marseille , venoit de perdre fon
mari ; & libre de fuivre fon penchant &
les intentions d'une foeur chérie , elle
affuroit à Colette une rente viagère , & un
afyle agréable dans fa maiſon. Arifte avoit
joint au paquet ce billet , de la main de
Colette même :
OCTOBRE . 1761 . 23
»
"
Je fuis enfin tirée des horreurs de la
pauvreté. Le Ciel foit loué ! il fait beau-
» coup pour une infortunée , qui ne mé-
» rite pas une parfaite félicité. Je vous
» rends votre foi , & je vous invite à m'ou-
» blier : je dois le fouhaiter.... je le fouhaite
: fongez à vous conferver.... Non ,
» ne fongez qu'à la gloire ! Elevez - vous fi
» haut , qu'il ne vous foit plus permis à
» vous-même de penſer à moi , finon pour
» m'honorer de votre eftime. C'eft tout
» ce que doit attendre de vous la malheu
» reufe Colette .
Eh non ! s'écria Médius en pleurs ,
non il n'eft pas poffible de foupçonner
ton grand coeur du moindre artifice ; ce
n'eft point ici le fard de la vertu ; c'eſt la
générofité la plus pure qui infpire ta belle
âme ! Colette indigne de moi ! peut- elle
le croire ? Ah , fi je ceffois de t'aimer , ne
ferois-je pas le plus lâche des hommes ?
Le fon de la générale le rappella de
cette ſenſation douloureuſe.Il fallut
partir
; on marchoit à l'ennemi : une bataille
terrible alloit éprouver notre débutant.
Quand on fut fur le point de donner ,
Médius le trouvant proche du Chevalier
d'Orval , lui tendit la main , & lui dit à
haute voix , d'un air riant : » Chevalier ,
»voici le moment de vuider notre querel
24 MERCURE DE FRANCE.
le aux dépens de l'ennemi.... J'accep
» te le défi .. » Médius de courir à lui , &
de l'embraffer. Cette fcène fit fur tous les
coeurs l'impreffion la plus touchante.
D'Orval fit très -bien ; mais Médius fit des
prodiges de valeur , qu'on n'auroit pas
attendus de fon âge il dégagea même
fon Rival des mains de quelques Soldats
qui l'emmenoient prifonnier.Quand après
la victoire le Colonel le cherchia pour lui
applaudir , il le trouva qui , recueilli en
lui même, remercioit le Dieu des combats
de fa confervation , & même de fon courage
car le fage Arifte lui avoit appris,
d'après Platon , que nous tenons tout de
Dieu , & même la vertu. Le Colonel en
fut encore plus fenfible à ſon mérite ; il
l'embraffa , & le fit embraffer pour fon
neveu , qui de ce jour - là devint l'ami le
plus chaud , & l'admirateur le plus fincère
de notre Héros .
Mais ce Héros enfin étoit un homme ,
& un jeune homme.
Les éloges qu'il recevoit de toutes parts
l'éblouirent à la fin ; & les lettres de fa
famille l'acheverent. Son père fe profternoit
devant fa gloire : fa mère ne manquoit
pas de trouver tout au mieux ; fon
oncle , dans l'effufion de fa joie , avoit un
peu paffé les bornes de fa modération ordinaire
;
OCTOBRE . 1761. 25
-
dinaire ; Colette enfin , Colette , au moment
de s'embarquer pour Marfeille, lui
écrivit dans un inftant fi critique , où
fon coeur fe livrant à toute fa tendreffe ,
en laiffa échapper une fois plus que fa
raifon ne s'en feroit permis dans un
quart d'heure plus tranquille. Médius
ne put tenir à tant d'attaques réunies .
L'orgueil fe gliffa dans fon coeur . Il fe
trouvoit fi content de defcendre en foimême
, que fans ceffe il s'abandonnoit au
plaifir de fe contempler. Il fe difoit avec
complaifance : Mon courage eft rare fans
doute , puifque les braves même l'admirent
; j'ai montré ma générofité dans un
combat fingulier ; en refufant un duel ,
j'ai triomphe du faux honneur ; par ma
douceur j'ai fçu vaincre la haine , & forcer
mon ennemi à me chérir ; j'ai eu auſſi
la prudence de me choifir une amante
digne de moi ; & par ma tempérance ,
j'ai vaincu même les voluptés , qui font
l'écueil des plus grands hommes : affurément
fi je ne fuis point parfait , c'est que
nul homme ne le peut être , ainfi que me
l'a appris mon oncle ; mais je ne puis me
déguifer que j'approche beaucoup de la
perfection .
Avec ce fentiment dangereux , la vertu
de Médius ne pouvoit aller loin. Comp-
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE..
tant déformais fur les forces , il fe permettoit
de voir & de faire mille chofes ,
auxquelles il avoit craint jufqnes -là d'expofer
la fragilité de fon âge . Sûr d'être affermi
contre les dangers , il ne fe défendoit
plus de commercer avec les gens
vicieux . » N'eſt - il pas utile de pratiquer
» toutes fortes de perfonnes , afin d'acquérir
la connoiffance parfaite des dif-
» férentes moeurs ? » En abufant de ce
principe , il hantoit fans fcrupule les
agréables libertins du corps : d'Orval étoit
devenu fon ami , bientôt fon confeil ; &
les mêmes fociétés qu'il avoit tant redoutées,
étoient fes cotteries favorites . Flattés
de faire un tel profélyte , ils l'entraînoient
adroitement à celles de leurs parties
où le libertinage étoit le mieux voilé.
Une Actrice , à qui d'Orval donna le
mot , s'étudia à s'affurer fa conquête
par une affectation de beaux fentimens .
Bien avertie que c'étoit une espéce de
Sage qu'il falloit amadouer pour le monter
aubon ton , elle ne fe permettoit devant
lui que de ces gaîtés & de ces galanteries
qui féduifent fans éffaroucher.
Elle fe faifoit un plaifir piquant de ce
qu'elle appelloit fa converfion ; & à cette
malignité ordinaire , elle joignoit un motifintéreffé
; elle étoit amoureufe de Mé
dius.
OCTOBRE . 1761 . 27
Elle fe trouvoit dans une circonstance
qui rendoit fon jeu très - aifé . Un Officier
Général qui l'aimoit éperdûment s'étoit
détaché de l'Armée , & occupé au fiége
d'une place affez éloignée : de forte qu'il
ne paroiffoit aucun Amant établi auprès
d'elle ; d'où Médius concluoit qu'elle
n'en avoit aucun , & admiroit fa fagelle
dans un état fi dangereux. Ses camarades
aidoient à lui éxagérer la belle conduite
de cette fille, unique en fon efpéce. Cette
adroite créature le voyant aux termes ou
elle l'avoir voulu , l'engagea un foir à fouper
tête- à tête , fous prétexte d'avoir à lui
faire une confidence très -intéreffante. Il
s'y rendit avec agitation . Dès qu'ils furent
feuls, elle s'enfonça dans une Bergere, où
le mouchoir fur les yeux , elle entama une
fcène de comique larmoyant. Elle déplora
la néceffité où la naiffance & l'habitude
l'avoient foumife , lui fit une longua
énumération des amertumes qui empoifonnoient
ſa vie , fe plaignit avec étalage
de la perverfité du Public , dont le préjugé
contre un Etat s'étendoit à tous fes
membres fans la moindre diftinction ; enfin
elle mit en avant que fon parti étoit
pris , & qu'elle avoit réfolu de quitter le
Théâtre , au rifque de ruiner abfolument
fa fortune. On peur juger de la haute
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
"
ور
eftime qu'elle s'acquit dans l'efprit un
peu romanefque de notre Preux , il s'approcha
d'elle , fe mit à éffuyer fes pleurs ,
& à la confoler tendrement. Le moment
étoit critique ; elle s'en apperçut , & en
renouvellant la peinture de fes malheurs,
» oui, dit- elle, pour éxécuter mon projet
» de retraite , j'avois befoin de dix mille
»francs ; depuis long - temps je m'épargne
» jufqu'au néceffaire & j'amaffe fol fur fol;
» enfin pour compléter ma fomme , il ne
» me manque plus que vingt louis . »
Vingt louis , pour retirer des occafions du
crime une fille auffi malheureuſe , aufſi
eftimable ! Qu'est- ce que cette fomme
pour un Amateur zélé de la vertu , qui fe
voyoit encore so louis dans fa bourſe !
Auffi les vingt louis furent - ils jettés fur la
table ; & après bien des combats de générofité
, ils finirent par être acceptés , &
bien ferrés .
و د
Le châtiment fuivit de près la faute . Il
étoit fix heures du matin , lorſque Médius
s'arracha du féjour des enchantemens . A
peine eut-il refpiré un air pur, que l'illuſion
fe diffipa. Il revenoit à fon quartier , la
honte & le remords dans l'âme , quand en
rentrant dans fa tente , on lui remit une
lettre de fa mère , qui lui marquoit fans
ménagement, qu'à une lieue des côtes , on
OCTOBRE. 1761. 29
avoit vu un Corfaire fondre fur le Vaiffeau
Marchand qui conduifoit Colette en
Provence ; qu'il lui avoit donné la chaffe
en pleine mer , & qu'un brigantin arrivé
le lendemain dans le port, avoit rapporté
que ce vaiffeau dévoré par les flammes ,
avoit été englouti dans les ondes . Optime
comptoir fort fur la philofophie de fon
fils , qui le foutiendroit dans cet événement
; qui , quoique cruel en apparence ,
ne pouvoit être arrivé que pour le mieux.
Que n'ai -je le pinceau de la nature, pour
peindre des plus vives couleurs le tableau
qu'offrit Médius au moment de cette terrible
épreuve ! Son fang fe glaça dans fes
veines , la lettre lui tomba des mains , il
refta faifi & fans connoiffance . Un ami ,
que fes valets appellerent , le trouva dans
cet état funefte , & ayant lu la lettre fatale,
il découvrit la caufe de fon évanouiffement.
Pénétré lui- même de tout ce que ce
fpectacle avoit d'attendriffant , il employa
tous les foins à rappeller Médius à la
vie. Cet Amant déplorable , ouvrant enfin
des yeux égarés , où le trouble & le
défefpoir étoient peints , le fupplioit de
le laiffer finir une vie qui ne feroit plus
pour lui qu'un long fupplice. Il s'agitoit
, il fe frappoit , il s'arrachoit les
cheveux , & fe livroit à toutes les hor
1
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
reurs du défefpoir. C'en eft donc fait ,
s'écrioit- il avec fureur , elle est morte !
& je vis ! & je fuis coupable ! .. O mort !
mort qu'il ne m'eft pas permis de me
procurer de ma main ! Mort qui fais ma
feule reffource , viens , hâte - toi de brifer
les noeuds qui m'attachent à une vie infâme
, infupportable ! ô Dieu , qui m'ôtez
la plus chère moitié de moi - même , arráchez
- moi donc ce refte de vie , que je
ne puis plus traîner fans horreur... Ces
accens funébres étoient entrecoupés de
mille fanglots & d'exclamations , où l'on
ne voyoit rien de fuivi que le dégoût de
fon éxiftence , & le fupplice de furvivre
à ce qu'il aimoit beaucoup plus que luimême.
Au milieu de cet accès , on lui vint
annoncer qu'il étoit commandé pour un
Détachement. » O Ciel , s'écria - t- il , tu
» te déclares , ra juftice m'appelle, je m'y
» livre , je vole à la mort. "
Le Détachement étoit commandé pour
Pattaque d'un Fort. Médius n'étoit plus
ce Sage intrépide par Religion , c'étoit
un Furieux qui cherchoit la mort par défefpoir.
Tant on feul jour , tant un feul
crime l'avoit tout - à-coup dégradé !
Le Ciel eut pitié de fa foibleffe ; if
veilloit fur lui , tandis qu'il s'abandonnoit
lui- même. Médius fauta dans le foffé
OCTOBRE 1761 32
avec tant de témérité, qu'il ne fut fuivi de
perfonne ; il у fut dans le moment por
té à terre d'un coup de feu , & tomba
au pouvoir des Hanovriens , qui , touchés
de fa valeur , le fecoururent , & le
transportérent dans Hanovre , où il fut
en moins d'un mois , parfaitement rétabli
de fa bleffure.
En attendant qu'il pût être échangé
Médius , en qui la piété avoit rappellé
la raison , avoit fubftitué à fes fureurs une
mélancolie calme & fombre. Retiré dans
un hôtel garni , au fond d'un cabinet , il
ne connoiffoit le fommeil que quand la
Nature épuisée triomphoit pour quelques
momens de fa douleur. Ses foupirs & fes
plaintes pénétrérent dans un appartement
voifin , où elles frappérent l'oreille , &
emurent le coeur compâtiffant d'un Hol-.
landois. C'étoit un homme de génie , qui
chargé des intérêts de fa Nation , étoit
venu s'aboucher avec les Princes de
Brunswick. Ce Citoyen , qui uniffoit la
grandeur à la fimplicité , préféroit au
fafte gênant des Palais la tranquille obfcurité
d'un hôtel garni , & un fouper frugal
aux feftins les plus fomptueux.
Médius , livré à toute fa paffion , faifoit
tout haut , fans s'en appercevoir , le
récit de fes malheurs. Le Hollandois
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
voulut voir Médius ; ç'en étoit affez ; on
ne pouvoit le voir fans l'aimer .
Le Hollandois ne tarda pas à goûter
notre héros , & à faire de fa fociété fon
principal amufement. Il ne l'avoit d'abord
vu qu'à titre d'humanité ; bientôt
il réfolut de fe l'attacher particuliérement
, ravi de trouver dans ce jeune
homme l'union fi rare des qualités les
plus folides , & des agrémens les plus enchanteurs.
Il devoit partir inceffamment
pour l'Ambaffade de Turquie. Le Vilir
que venoit de placer le nouveau Sultan ,
avoit été autrefois le Sangiac d'une ville
d'Egypte , où ce Hollandois fe trouvoit
alors Conful de fa Nation ; il s'étoit formé
entr'eux une amitié étroite , dont le
Turc fe reflouvint après vingt ans . Au mo
ment de fon élévation , il fit fçavoir à
Leurs Hautes Puiffances qu'il feroit flatté
de voir fon ami l'Ambaffadeur de la République
; & elles ne manquérent pas
cette occafion de fe rendre le Vifir favorable.
Le Hollandois propofa à Médius de
s'attacher à fon fort , & de le fuivre à
Conftantinople , en l'affurant avec tendreffe
qu'il le regarderoit comme fon fils
& qu'il fe feroit un devoir éffentiel du
foin de fa fortune. Eh bien , reprit MéOCTOBRE
. 1761 . 33
dius , tenez-moi donc lieu de famille &
de patrie ; auffi bien je ne puis foutenir
l'idée de revoir des lieux qui me retraceroient
fans ceffe le tréfor que j'ai perdu.
Ma patrie n'eft plus celle de ma Colette
; je fuis étranger dans l'Univers entier.
Votre fage République eft l'âme
de toutes les Nations ; en fervant fous
votre Pavillon , je travaillerai pour le
bien de l'Univers. Je ne puis mieux employer
un temps de captivité , où je n'ai
pas la permiffion de dévouer mes jours
au fervice de mon Roi.
,
>
Le Hollandois embraffa Médius &
obtint des Princes de Brunfwick une permiffion
de le conduire en Hollande &
partout où il le croiroit utile à ſes intérêts.
Ils partirent bientôt enfemble pour
Amfterdam , dans le deffein de tout dif
pofer pour leur embarquement.
Médius informa fa famille de fa réfo
lution , & en reçut la permiffion de fuivre
fon projet , avec des lettres de remercîment
pour fon généreux ami. Celle
Arifte étoit un mêlange touchant de
fentiment , de raiſon , & furtout de piété
; & le refpect avec lequel Médius recevoit
tout ce qui lui venoit de cer oncle
, contribua plus que tout le refte à
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
mettre fon efprit dans une affiette un
peu plus tranquille.
Il regardoir avec admiration Amfterdam
comme la ville commune de toutes lesNations
, & le magafin de l'Univers.Toutes les
Religions, toutes les langues , tous leshabillemens
, toutes les moeurs & les coutumes
s'y trouvent réunies . C'eft comme
une Mappemonde , où l'oeil peut fe
promener à la fois fur tous les Peuples ,
qui s'y trouvent pour ainfi dire , en raccourci.
C'étoit aux yeux de Médius une
nouvelle Salente où revivent les loix de
Minos & de Mentor , où l'abondance eſt
produite par l'économie , la fanté par le
travail , la grandeur par le commerce , la
vertu par la liberté , & la félicité par la
vertu .
L'Ambaſſadeur & Médius partirent de
Hollande , & arrivérent à Conftantinople,
où ce dernier , préfenté par fon ami au
Vifir , eut en peu de temps le bonheur de
lui plaire .
Le Sultan & le Vifir offroient le rare
& beau fpectacle de deux hommes qui fe
gouvernoient par les principes facrés de
l'équité naturelle. Ils étoient vivement
follicités par un Nabab Indien , qui
foutenu par les Siamois feuls , avoit ofé
s'attaquer tout à la fois au Mogol fon
Empereur , au Perfan fi long- temps fon
OCTOBRE. 1761 . 35
appui , & au Tartare redoutable à toute
l'Afie. Il preffoit fa Hauteffe de profiter,
des circonstances pour renouveller des
querelles heureuſement éteintes par des
traités refpectables. Le Vifir éxigea que
les uns & les autres établiſſent leurs droits,
& développaffent les motifs de cette
guerre ; le Sultan déclara bientôt qu'il
feroit fidéle aux Traités , & qu'il n'y entreroit
pour rien.
Au moment où les affaires le permettoient
, le Vifir redevenoit homme , &
donnoit à fon ami dans fon Serrail des
fêtes délicieuſes , mais dont la liberté faifoit
le principal agrément . Médius y étoit
toujours admis , & recevoit les marques ,
les plus diftinguées de la bienveillance de
ce Miniftre. Mais toutes les careffes de la
fortune ne pouvoient bannir de fon ame
le fouvenir amer & toujours renaiffant ,
de la perte irréparable qu'il avoit faite.
Ua jour , qu'abforbé dans fes fombres
rêveries , & livré à l'amertume de ſes regrets
, il fe promenoit triftement dans
l'avant-cour de ce Serrail , il y vit arriver
une voiture couverte .
Quelle fut fa furpriſe d'entendre toutà-
coup fortir de ce char une voix lamentable
, & que fon coeur ne put méconnoître
: » Médius , mon cher Médius ,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
» c'est moi , c'eft la malheureuſe Colette
» qu'on ensevelit dans cette affreufe pri-
» fon ; je vous revois , & je vous perds
» encore ; je vous perds pour toujours ..
Eperdu , hors de lui, même , en proie à
toutes les paffions qui le déchiroient à la
fois, Médius couroit à cette voix fi chère ,
& dans fon égarement il alloit affrontermille
morts pour tenter de voir fon
Amante , pour expirer au moins à fes
yeux ; mais il étoit trop tard & la porte
en fe refermant auffitôt , avoit englouti
la victime .
Médius étoit refté immobile & abforbé
dans le défefpoir : mais bientôt l'ameur
frappa fon efprit d'un trait de lumière
, qui l'ouvrit aux rayons de l'efpérance.
Il vole chez l'Ambaffadeur , feprécipite
à fes genoux , & avec toute l'éloquence
des paffions tumultueufes qui
l'agitoient , il lui peint ce qu'il a vu , ce
qu'il fent , ce qu'il efpére , & lui prouve
que fa vie eft uniquement attachée à la
réuffite de fa demande .
L'Ambaffadeur attendri , & prèfque
aufli ému que Médius même , lui dit de le
fuivre , & alla fur le champ demander au
Vifir une audience particulière. Il expofa
pathétiquement la fuite des traverſes des
deux Amans , & implora pour leur réuOCTOBRE
. 1761. 37
nion la généreuſe compaffion du Vifir .
Tandis que ce Seigneur parloit , Médius ,
dans une fcène muette , mais animée &
rendue parlante à force d'expreffion & de
vérité , peignoit plus énergiquement encore
fon amour , fes tourmens , fes eſpérances
& fes craintes. Ce tableau toucha
le Vifir ; ce Miniftre n'avoit pas encore
vu fon efclave ; fon ame née fenfible &
généreufe s'applaudit d'avoir trouvé l'occafion
de faire deux heureux . Il embraffa
Médius , fit appeller le Chef des Eunuques
noirs, & lui ordonna de remettre la
nouvelle Efclave Françoife à ce jeune
Chrétien.
Colette , guidée par l'Eunuque , arriva
avec un voile qui la couvroit de la tête
aux pieds. Quelle fut fa furpriſe , quels
furent fes fentimens à l'afpect de Médius,
dont l'air fatisfait lui communiqua d'abord
les plus flatteufes efpérances. Que
l'on juge s'il tarda à informer cette belle
fille de la générosité du Vifir ! Tous deux
tombérent à fes pieds , où leurs larmes
feules exprimerent tous les tranſports de
leur reconnoiffance. Le Vifir , auffi attendri
que les deux Amans , & craignant
que la vue de Colette , dont le voile qui
s'étoit dérangé laiffoit entrevoir tous les
charmes , ne fiffent fur fes fens une impreffion
trop dangereufe , pria l'Ambaffa
38 MERCURE DE FRANCE.
deur de les emmener avec lui . Allez, ditil
, heureux Amans , allez jouir d'un fort
que je me trouve heureux moi- même de
vous avoir procuré. Et vous , Madame ,
ajouta-t-il en s'adreffant à Colette , & en
lui remettant une caffette magnifique ,
recevez ceci de ma main non - feulement.
comme un gage de mon amitié , mais
comme une foible indennité des maux
que vous a caufés l'esclavage.
Nos deux Amans fe profternoient de
nouveau pour remercier le Vifir, qui profita
de cet inftant pour s'échapper , en
faifant figne à l'Ambaffadeur , de les conduire
à fon Hôtel . A peine y furent- ils ar
rivés que Médius , après avoir raconté à
fon Amante fes avantures , telles que
nous les avons entendues , la pria de lui
faire le récit des fiennes propres . C'eft ce
qu'elle fit en ces termes.
Je m'étois embarquée fur un Vaiffeau
Marchand , pour me rendre à Marseille :
nous n'avions pas encore perdu de vue
les . Côtes du Languedoc , & nous entrions
en pleine mer , quand tout-à-coup
nous nous vimes pourfuivis par un Corfaire
d'Alger qui venoit fur nous à pleines
voiles , & par qui nous ne pouvions man»
quer d'être bientôt atteints. Notre Equipage
fe difpofa à une vive réfiftance'; le
OCTOBRE 1761. 39
combat en effet fut long & fi acharné que
nos gens ne confentirent à fe rendre , que
forcés par un accident qui mit le feu à
notre Bâtiment . Alors pour éviter une
mort certaine , ils fe foumirent à l'efclavage
; & nous paffâmes fur le bord Algérien
, au moment que notre Navire alloit
être enfeveli dans les ondes .
La Fortune qui me menoit en aveugle
au Bonheur par la route des difgrâces ,
permit qu'à la defcente du Vaiffeau je fufle
apperçue par un vieux Boftangi de cette
Cour, qui parcouroit les Ports de Barbarie,
pour y faire une levée d'Efclaves pour le
Serrail du Grand- Seigneur. Je me voyois
donc deftinée au fort le plus infâme ; & je
n'avois pas même la mort pour reffource ,
puifque ma raifon me défendoit de me la
donner à moi - même , avant l'inftant où la
néceffité la plus preffante pourroit en quelque
forte m'y autorifer. Cependant mes
Maîtres me traitoient de la façon la plus
refpectueuse , & ne voyoient plus en moi
que le Sultan à qui j'étois rêlervée . Une
des femmes faites pour me fervir, qui étoit
Françoife & Renégate, malgré la froideur
que j'avois pour elle , s'obftina à me
vouloir du bien , & à m'en faire. Elle
m'apprit que je n'étois plus deftinée
pour le Grand- Seigneur , & que le Bof
40 MERCURE DE FRANCE.
Boftangi , en bon Courtifan , m'avoit mife
à part pour le Vifir , fon protecteur. Mais
toute prifon m'étoit égale ; & je regardois
Ie Serrail où j'entrerois , comme le tombeau
qui devoit bientôt mettre fin aux
horreurs de mon fort.
Tel eft , mon cher Médius , le dénoûment
heureux de mes avantures : la circonftance
la plus delicieufe pour moi eft
de devoir à votre amour & à votre zèle ,
la félicité de mes jours : ils font à vous ;
je vous dois la liberté , l'honneur , peutêtre
, & certainement la vie. Vous êtes
à la fois mon amant , mon libérateur ,
mon ami , mon époux ; je tiens à vous
par tous les liens poffibles , par mes fermens
, par mon devoir , par ma reconnoiffance
; mais aucun de ces liens n'eft auffi
fort que celui de mon inclination .
Colette fe tut , & fon Amant n'avoit
pas la force de parler. L'idée de tant de
périls paffés , qui fe préſentérent à la fois à
leur efprit , les attendrit mutuellement ;
ils fe regardérent en pleurant & pafférent
quelques momens dans un filence touchant
, que Colette interrompit par un
foupir , & Médius par un bailer..
L'Ambaffadeur partagea leur joie. On
ouvrit la caffette du Grand- Vifir , où il fe
trouva cent bourfes , valant environ cent
OCTOBRE . 1761 41
mille livres , & quelques bijoux de grand
prix. L'Ambaffadeur de France devoit
bientôt partir. Il fut arrêté qu'ils profiteroient
d'une fi belle occafion. L'Ambaffadeur
Hollandois força Médius à accepter
des préfens , que fa délicateffe trouvoit
trop magnifiques ; il lui fit promettre de
faire avec fa future époufe le voyage de
Hollande , auffitôt que le tems de fon Ambaffade
feroit expiré ; & cette perfpective
adoucit en partie la douleur de leur féparation.
Nos Amans arrivérent heureufement en
France. M. de la Garenne , qui avoit le
coeur excellent, reçut fon fils avec des larmes
de joie , & ne vit plus dans Colette
qu'une fille ennoblie par les dons du Vifir.
Le mariage ſe fit avec une fatisfaction univerfelle;
jamais Optime n'avoit eu une plus
belle occafion d'appliquer fa maxime favorite
. Médius acheta une Compagnie de
Cavalerie , & acquit une belle terre dans
le voifinage. Il plaça le père & la mère de
Colette dans la principale Ferme , dont il
leur abandonna les revenus , & où Colette
alloit fouvent paffer avec eux des
jours entiers.
Nos époux liérent avec Arifte & la
vertueufe fille la fociété la plus délicieufe.
La jouiffance & l'habitude n'avoient
42 MERCURE DE FRANCE.
>
fait que juftifier l'eftime , affaifonner les
plaifirs , & redoubler l'amour dé nos
époux. Médius comblé de toutes les
délices qui peuvent le plus éblouir les
hommes fur l'inftabilité de leur condition
naturelle , étoit aſſez diſpoſé à penfer
comme ſa mère , & à trouver en effet
que tout étoit au mieux. Mais le fage
Arifte , dans un moment de tranquillité
lui fit obferver que ces beaux jours n'occupoient
qu'un point dans fa vie . Cette
feule réfléxion le pénétra d'un fentiment
douloureux Hélas , s'écria til , l'ef-
: >>
pérance & la crainte qui ne nous quit-
» tent jamais , fuffifent feules pour jetter
» une nuance de confolation dans nos
plus grands malheurs , & pour empoi-
"fonner nos fituations les plus fortunées.
» De nouveaux revers peuvent m'arracher
» le tréfor que je poſléde ; & certaine-
» ment la mort , l'affreufe mort ne m'en
féparera que trop promptement ! Oui ,
le bonheur parfait n'appartient qu'à
» des êtres doués du privilége d'une Eter
» nité immuable ; & j'ai trop éprouvé les
» viciffitudes du fort des hommes , pour
» ne pas revenir à cet axiome universel.
» Tout en ce monde eft éffentiellement mê-
» lé de bien & de mal.
"
39
LOUIS- CLAUDE LECLERC , à Nangis.
OCTOBRE. 1761 *3
ODE SUR LE SALLON.
On s'eft borné uniquement à ce qui
regarde le Roi.
IL eft permis à la Peinture de préſenter
des Efquiffes ; fera -t-il défendu à
la Poëfie d'en offrir , quand la briéveté
du temps empêche de travailler
fon Sujet avec le foin qu'ilexige ?
Du génie honorable afyle ,
Augufte Temple des Beaux- Arts ,
Sallon en merveilles fertile ,
Que vous enchantez mes regards !
Eft-ce là l'effet du tonnerre ?
Comment dans le fein de la guerre
Sont nés ces doux fruits de la paix ?
C'eft Colbert qui les fait éclorre ;
Je le vois refpir er encore ,
Il prend de Marigni les traits.
Hé qui pourroit le méconnoître
A cet efprit für & brillant ,
Qui fait déterrer , faire naître ,
Et mettre en place le talent ;
44
MERCURE
DE FRANCE.
Et les Zeuxis & les Apelles ,
Les Phidias , les Praxiteles
Se reproduifent fous fes loix.
Partout le grand nous le découvre
On le voit achever fon Louvre ,
Et Perrault paroître à ſa voix.
De ton Monarque * augufte , ô France ,
Contemple les traits adorés ,
Son air doux , fa noble preftauce ,
De fon oeil les feux tempérés ;
Voi fur fon front la bonté même ,
Avec la Majefté ſuprême ,
D'un rare accord fe concerter :
Riches fleurons du diadême ,
Mêlange heureux qui fait qu'on aime
Le Maître qu'on doit refpecter.
En doutes- tu , mon Roi , regarde
L'expreffion de notre amour :
**
Ce font nos coeurs qui font ta garde ,
Et ta Capitale eft ta Cour.
Rappelle-toi ce jour d'ivreſſe ,
Où de tes Sujets la tendreſſe
Épuiſa toutes les douceurs ,
* Portrait du Roi par M. Michel Vanloo .
** Tableau de la Réception du Roi à la Ville
àfa convalefcence.
OCTOBRE. 1761 45
Jour touchant , jour rempli de charmes ,
Où l'on vit les enfans en larmes
Faire au père verfer des pleurs.
Qui vois- je à tes côtés placée *
Couvrir la Tèrre de préfens ?
Sous tes pieds vainqueurs terraffée,
La Diſcorde mord fes ferpens .
La Paix ** defcend fur notre rive :
Vers nous , Louis , avec l'olive
Ta main bienfaiſante s'étend .
Puiffe ce rameau defirable
Etre un préfage favorable
De celui que ton Peuple attend !
Sculpteurs , créez - le dans la pierre ,
Dans le marbre allez le chercher ;
Fondeurs , dans le fein de la Terre ,
A la mine allez l'arracher.
Exerce , Pinceau , ta magie ,
Sur la toile porte la vie ,
Donne la parole aux couleurs.
Burins , multipliez l'ouvrage ,
Offrez à tous les yeux l'image
D'un Roi gravé dans tous les coeurs.
Tandis que Colbert vous infpire ,
* L'Abondance.
** Tableau allégorique de la Paix , en 1749 .
46 MERCURE DE FRANCE.
Artiftes , profitez du temps.
Je vais tenir prête ma lyre ,
Infpirez-lui de nouveaux chants.
Préparez nous d'autres fpectacles ,
Enfantez de nouveaux miracles ,
Fixez à jamais vos deftins.
C'eft fous le regne du grand homme
Qu'on doit fe difputer la pomme ;
Elle n'a de prix qu'en fes mains.
Du Peuple plus l'Agonothete *
Dans la Grèce étoit eftimé ,
Plus on auguroit que l'athléte
Dans les Jeux feroit animé.
Quel est l'appas d'une couronne
Que l'ignorance en place donne ?
Les coups font jugés dans la nuit,
Rivaux jaloux de la victoire ,
Voici le vrai jour de la gloire ,
Combattez quand le Soleil luit.
VERS à Mlle ARNOULT , Actrice
de l'Opéra.
QUB ta voix eft mélodieuſe ,
Et que ton art eft enchanteur !
Que ton ame voluptueufe
* Celui qui préfidoit aux Jeux,
OCTOBRE. 1761.
47
Connoît bien la route du coeur !
Lorfque tu peins Thisbé mourante ,
Belle Arnoult , tu nous fais fentir ,
Qu'il peut être doux de mourir ,
Quand on perd une telle Amante.
Par un Abonné au Mercure.
LE CRÉANCIER TIMIDE,
2
STANCES à Madame C **.
DANS ANS un inftant de badinage ,
Eft-ce infortune ? eft- ce bonheur ?
Gagner deux baifers pour un gage ,
Pour deux baifers perdre fon coeur.
La gloire de Life eft complette ,
Je lens ma perte chaque jour ;
Chaque jour j'acquitte ma dette ,
Sans que Life paye à ſon tour.
C'eft mauvaiſe volonté pure ,
Peut-elle fe la pardonner ?
Un argent de cette nature
Seroit & facile à donner ! I
Je crois qu'une heureuſe demande
Préviendroit de nouveaux retards ;
J'ai l'âme trop foible ou trop grande ,
Je n'ole en courir les hazards.
MERCURE DE FRANCE
Mais fi je fuis forcé d'attendre ,
Peut-être ne perdrai- je rien.
Du moins j'aurai droit de prétendre
Tous les intérêts de mon bien .
Dans le commerce de Cythère
Les baiſers font d'un grand produit 3
Mille pour un font le falaire
De vingt-quatre heures de crédit.
Je laiffe dormir ma créance,
Et je m'applaudis mille fois ,
En comptant l'intérêt immenfe
Que doit Life depuis fix mois...
Bien que mon bonheur fût extrême ,
Si le nombre m'étoit payé.
Que Life s'offre d'elle- même ,
Je la tiens quitre de moitié.
LETHINOIS de Reims .
RÉFLEXION für la PRÉVENTION.
O N ne doit pas fans doute , être fort
étonné de voir regner la prévention dans
ces baffes conditions , où des moyens
trop bornés ne permettent pas qu'une
fage éducation vienne dans un âge tendre
au
OCTOBRE. 1761 49
au fecours de la Nature imparfaite , ni
même parmi ceux qui agités , entraînés ,
&, pour ainfi dire , étourdis par le mouvement
continuel & tumultueux de ce tour--
billon qu'on appelle le Monde où l'opulence
les a placés , ne peuvent guères.
faire ufage de l'utile fecours de la réflé
xion qui feule peut faire germer & fructifier
les femences précieufes de l'éducation
. Mais ce qui doit furprendre davantage
, c'est qu'à la honte de la Philofophie
, des Gens de Lettres foient fufceptibles
de ce mal contagieux , comme ceux
qu'une espéce d'inftinct conduit plutôt
que la Raifon. En effet fi la baffe jaloufie
s'efforce tous les jours d'outrager le mé
rite & de décréditer les talens par de
fanglantes fatyres , il fe trouve auffi des
gens qui, indépendemment de leur raiſon
cultivée , donnent inconfidérément leur
confiance à ces fortes d'écrits pour l'ordinaire
:fans aveu , où l'on ne garde l'anonyme
, que pour être difpenfé de prouver
ce qu'on avance , où l'on peut par là
même , calomnier , bleffer , déchirer impunément
qui l'on veut , & dont les Auteurs
reffemblent à des lâches qui , à la faveur
des ombres de la nuit , fe cacheroient
fur le chemin par où ils fauroient
que devroit paffer leur ennemi, pour l'at
II. Vol. C
So MERCURE DE FRANCE
taquer avec moins de danger & lui por
ter des coups plus fûrs. Il devroit fuffice
qu'un ouvrage s'annonçât fous un titre
auffi déshonorant que celui de la fatyre
pour qu'on ne fût pas même tenté de le
Îire , à moins que ce ne fût pour apprendre
jufqu'où peut aller la malignité de
l'envie & pour tâcher de s'en garantir s'il
eft poffible , mais on ne peut alors trop
être fur fes gardes pour éviter le piége
de la prévention ; car le menfonge qui eft
prèfque toujours l'âme de la fatyre ,
n'ayant pas par lui- même de quoi plaire,
fçait au moins , pour le dédommager de ce
qui lui manque , emprunter de l'Art le
ton perfuafif de la vérité, en ſe parant de
tous les agrémens & de toutes les grâces
que l'éloquence peut lui fournir. C'eft un
vifage difforme , mais dont la laideur cachée
fous l'enduit artificiel des couleurs
que la Nature lui a refufées , difpute leprix
à la beauré & l'emporte fouvent fur
elle.
S'il m'étoit permis de faire ici une lé
gère digreffion je dirois , à cette occafion
que l'éloquence eft un Art pernicieux , en
ce qu'il prête des armes à l'injuftice pour
triompher de l'équité , & qu'il est encore
inutile à la vérité qui plaît toute nue;
que lors même qu'il embellit cette derOCTOBRE.
1761. SF
>
nière prêtant auffi des charmes à l'erreur
il arrive que les traits particuliers qui les
diftinguent l'une de l'autre , étant égale
ment cachés fous les mêmes ornemens ,
on les confond toutes les deux . Je dirois
encore qu'il eft à préfumer que l'eloquence
ne doit fon origine qu'au menfonge.
que plus elle eft apprêtée, plus il faut s'en
défier ; que c'eft furtout alors qu'elle eft
une Sirene dangereufe qui n'enchante
les nautoniers par les fons mélodieux &
touchans de fa voix que pour , les mieux
féduire & pour les faire tomber plus furement
dans les piéges qu'elle leur tend ;
que la vérité, avant que le menfonge eût
triomphé d'elle , dédaignoit le fafte
de la parure , & que la fimplicité eſt
encore fon plus bel ornement ; mais
pour ne point m'écarter de mon fujet ,
je dirai que la fatyre eft d'autant plus capable
de prévenir contre ceux qu'elle déchire
impitoyablement , que par une imperfection
de notre incorrigible nature ,
l'orgueil de chacun fe fentant en quelque
forte humilié par les éloges qui ne s'adreffent
point à lui , & flatté par tout ce
qui peut obfcurcir dans les autres l'éclat
du mérite , elle doit plaite à la plupart
des hommes , & que, comme on fçait, la
prévention eft bien voifine du plaifir , fi
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
elle n'en eſt pas même la compagne in◄
féparable. Si cependant on faifoit attention
que ceux qui emploient le temps à
faire des Satyres ', font les vils efclaves de
l'envie qui les tyranniſe ; que dans les accès
que la rage leur fait éprouver , ils verfent
indifféremment leur cauftique poi •
fon fur l'honnête homme & fur le fripon,
qu'ils défigurent les traits refpectables du
mérite , & qu'ils ne ceffent point d'être
de malhonnêtes gens , lors même que les
portraits fi doux qu'ils expofent aux re
gards publics font reffemblans , parce que
les perfonalités font toujours odieufes ;
fi on réflechiffoit encore que perfonne
n'est parfait , & que fans défaut même , fi
cela n'étoit pas impoffible , on pourroit
également devenir l'objet de l'envie, loin
que la Satyre caufât alors du plaifir , l'a
mour - propre éprouveroit au contraire une
fecrette mortification & l'on s'en vengeroit
par le plus fouverain mépris. On y
feroit d'autant mieux fondé que l'envie
dont elle eft le coupable fruit eft la preuve
affez ordinaire de la médiocrité & de
l'infuffifance de l'envieux qui ne fauroit
s'en dérober l'humiliant fentiment , car
s'il fe fentoit capable d'atteindre à cette
fupériorité de mérite & de talens qui eft
au-delà de fa portée , chercheroit - il à la
OCTOBRE. 1761 53
détruire & à la rabbaiſſer au - deffous de lui?
A ces raiſons fuffifantes pour autoriſer
notre mépris envers la Satyre, ſe joignent
encore celles & de l'équité que toute injuftice
doit révolter,& de l'humanité dont
le zéle compatillant doit s'étendre fur
tous ceux , contre qui l'envie fe déchaîne.
Enfin c'eſt à la fois ne pas entendre fes
intérêts & être complice du tort que fait
la Satyre , que d'ajouter foi aux indignes
fuppofitions qu'elle renferme pour l'ordinaire
, & de ne pas combattre le plaifir
qu'elle nous fait naturellement éprou
ver.
N'eft-il pas encore étonnant que la Satyre
faffe quelquefois tomber un Ouvra
ge que le Public a généralement
bien
reçu. Chez un Peuple éclairé ou les Arts
font portés à leur perfection , la bonté
d'un ouvrage n'eft- elle pas fuffifamment
atteftée par l'approbation
publique ? Le
fentiment peut-il errer chez un tel Peuple
? Peut-on dire de lui qu'il ne régle
point les jugemens fur fon goût , & rien ,
* Ceci contredit ce que j'ai avancé dans une
Differtation inférée dans le Mercure de Juin , favoir
que la Satyre ne nuit jamais à la gloire des
Auteurs. Je ne crains point de l'avouer depuis que
cette propofition eft imprimée j'ai réfléchi qu'elle
étoit trop générale.
C fij
34 MERCURE DE FRANCE:
en un mot , devroit - il faire varier fes fuffrages
? Lorsqu'on veut lui prouver qu'un
ouvrage qui a ravi tous les fiens , n'a pas
dû lui caufer du plaifir & qu'il a eu tort
de l'admirer & de l'applaudir , la Satyre
attaque alors également l'Auteur & le
Public ; car porter ce dernier à fe retracter
, c'eft avoir bien mauvaiſe opinion de
fes lumières , ou le juger d'un caractère
bien frivole & bien léger. Ne devroit il
pas fe trouver offenfé du reproche fecret
que la Satyre lui fait éffuyer , dans ce cas,
de fon mauvais goût , ou de fon inconftance
? Mais non , facile à fe laiffer prévenir
, une partie de ce Public ne juftifie
que trop cette idée fi défavantageufe pour
lui.
Lors même que la Satyre relève dans un
ouvrage des défauts réels , mais qui ont
échappé à bien des Lecteurs , elle ne doit
pas faire revenir le Public de fon jugement
, fi les défauts en font rachetés par
de véritables beautés . On doit favoir que
les hommes ne font rien de parfait.
Homère , Virgile , Milton , le Taffe
Corneille , Racine & tant d'autres qui floriffoient
dans les fiécles brillans de la lit
térature , nous ont appris à leurs dépens,
que quelque génie qu'on ait , on ne peut
atteindre à la fou veraine perfection. II
OCTOBRE. 1961 .
feroit en effet aifé de tourner en ridicule
FIliade & l'Odyffée . Ces deux Poëmes font
pleins de traits peu dignes de la Majeſté
de l'Epopée. L'intérêt y eft à tout mo
mene refroidi par les longs & inutiles difcours
qu'y tiennent les perfonnes. Toute
l'Énéide n'eft pas de la même force; on feroit
même tenté de croire que les derniers
livres ne font pas du même Auteur. Le
caractère d'Enée n'y eft pas foutenu. On
s'intéreffe pour lui au commencement du
Poëme , c'eſt un Héros . Vers la fin on forme
des voeux pour que la fortune lui foit
contraire ; il a l'air d'un Raviffeur & d'un
Brigand. Combien n'y a -t - il pas d'images
révoltantes dans le Paradis perdu ? Est-il
rien de plus vifible ou plutôt de plus infenfé
que le combat des bons & des mauvais
Anges ? Rien de plus dégoûtant que
le portrait du péché , rien de plus obfcar
que la defcription du cahos ? Rien enfin
de plus gigantefque & de plus extravagant
, que le pont qui joint la terre à l'abîme
Dès l'entrée du Poëme de la Jérufalem
délivrée , il fe préfente une Epifode
abfolument déplacée . L'ouvrage eft d'ailleurs
rempli de Démons, de Sorciers, d'enchantemens;
il eft vrai que ces chofes qui
nous paroiffent des défauts aujourd'hui ,
étoient regardées autrefois comme des
Civ
36 MERCURE DE FRANCE:
beautés ; mais cela prouve qu'il ne faut pas
toujours s'atacher trop au goût de fon fiécle
& qu'il n'y a que le véritablement beau ,
c'efl - a - dire , la belle nature, qui foit de tous
les temps & de tous les lieux. On ne peut
jamais lui refuſer le droit qu'elle a de
plaire. Ce qui n'en a que l'apparence,brille
comme une éclair & difparoît auffitôt
qu'elle. Corneille a peint les hommes
comme ils devroient être, & non pas comme
ils font . Il en a , pour ainfi dire, fait des
Dieux ; & lorfque laffé de s'en tenir toujours
à une stérile admiration , on veut
imiter les Héros , cette foibleffe qui eft
naturellemenr attachée à l'humanité, rend
bientôt inutiles les efforts qu'on fait pour
arriver à cet état de perfection & de
grandeur qui n'exifta jamais parmi les
hommes , que dans leur imagination . En
un mot , il est quelquefois trop fublime
pour être naturel. Les Héros de Racine
reffemblent à des Héros de Roman . Ils
ne font , pour ainfi dire, que foupirer ; &
quoique ce tendre fentiment qui anime
toute la nature foit généralement en pof.
feffion de nous plaire ; l'idée d'un Héros
amoureux a quelque chofe qui nuit en
même temps à l'Héroïfme & à l'Amour.
Il ne fuffit pas pour être un Héros d'attendrir
& d'intéreffer par les fituations
ter
Da
OCTOBRE . 1761. 57
touchantes où l'on fe trouve ; il faut encore
par des fentimens propres à nourrir
& à élever l'âme & par des actions belles
grandes , & utiles s'il fe peut à tous les
hommes,mériter leur reconnoiffance . L'amour
est plus nuifible que profitable &
pour chacun en particulier & en général
pour la Société. Il exifte rarement avec
le bonheur. Il tourmente ceux dont le
coeur lui eft foumis ; & ceux- ci uniquement
occupés de l'objet qui les captive & des
moyens d'être heureux en s'en procurant
la jouiffance , oublient le refte de l'Univers.
On reproche encore à Racine d'avoir
habillé tous fes Héros à la Françoiſe ;
mais d'un autre côté , que d'imagination
dans ces ouvrages ! Quel feu ! Quel génie!
Quels tableaux ! Quelle nature ! Auffi
malgré les défauts que je viens d'expofer
& beaucoup d'autres dont le détail eût
été trop long , on les regarde à jufte titre,
comme d'excellens modèles de Poëfie; &
c'eft à ces riches fources , qu'on va puifer
tous les jours le vrai , le beau , le naturel ,
On ne doit donc pas dire qu'il ne paroît
plus rien de bon , en fait d'ouvrages de
Littérature ; mais plutôt qu'on ne met
rien aujour de parfait ; & notre fiécle aura
cela de commun avec ceux où les Lettres,
ont été cultivées avec le plus de fuccès. II
C
58 MERCURE DE FRANCE.
ne faudra donc pas , prévenu par des critiques
peu judicieufes , méprifer tous les
Ouvrages modernes, parce qu'il s'y trouve
des défauts. Il faut convenir que dans la
prodigieufe quantité de livres dont on a
été inondé depuis environ foixante ans ,
il y a bien du médiocre ; mais nous avons
auffi eu des Auteurs qui de nos jours euffent
peut-être fait autant d'honneur à la
France , que lui en ont fait dans le fiécle
paffé les Corneilles , les Racines , les Mo-
Tieres , &c , fi par l'avantage que ces derniers
ont eu de nous précéder, il n'avoient
pas prévenu pour eux tous les efprits . On
a toujours, pour ce qui eft ancien, un certain
refpect involontaire. La poſtérité
nous rendra peut - être juftice en mettant
notre fiécle au niveau du dernier.
Enfin c'eft avec le fecours d'une fage &
continuelle défiance, qu'on peut eviter de
fe laiffer furprendre par la prévention .
Nous ne devons pas ignorer que les hommes
ne font jamais fans paffions ; que la
plûpart, loin de combattre celles qui tendent
à détruire & à renverfer les fondemens
de la Société , leur laiffent prendre
un empire qui devenant bientôt habitude
, leur ôte tous les moyens faciles de
s'en délivrer , & que ce n'eft le plus fouyent,
que par les paffions de cette derniè
OCTOBRE. 1761. 59
re efpéce , qu'ils fe laiffent conduire. Appuyé
fur cette connoiffance acquife fouvent
par une funefte expérience on doit
toujours attribuer à quelque mouvement
caché d'envie ou d'intérêt , ce que les hommes
font ou difent au détriment de
leurs femblables ; & comme le mérite offufque
ordinairement ceux que les paffions
dominent , on doit penfer que la
vérité ſe refuſant la plupart du temps aux
lâches efforts qu'ils font pour le ternir, ils
n'ont prèfque jamais recours qu'au menfonge.
Si les éloges que donnent l'amour
& l'amitié paroiffent fufpects , on doit à
plus forte raiſon , foupçonner l'envie de
partialité. Les fentimens de l'amour &
de l'amitié font fouvent fondés fur les
qualités eftimables & brillantes de l'efprit
& du coeur ; & ce n'est jamais au vice
& à l'ignorance que s'attache la rouille de
l'envie. Cette dernière doit paroître encore
d'autant plus fufpecte , qu'elle ne loue
jamais . Comme fon but eft de nuire ; elle
craindroit de détruire par des éloges fincères
le mal qu'elle veut faire l'amitié
plus raiſonnable ofe quelquefois blâmer.
Lorfqu'elle eft vertueufe elle croiroit avoir
des reproches à fe faire , fi elle ne contribuoit
pas à rendre plus parfaits ceux que
fes doux liens uniffent . Mais par un fatal
Ċ vj
o MERCURE DE FRANCE:
effet de la prévention , loin de contredire
l'envie & d'avoir pour elle tout le mépris
& le dedain qu'elle mérite , nous fommes
toujours diſpoſés à prendre fon parti contre
ceux qu'elle perfécute . Combien ne
fommes nous pas injuftes ? Nous voulons
trouver des défauts dans ceux à qui la reconnoiffance
ou l'admiration offre un encens
fouvent dû à la généreufe bienfai
fance ou au talent modeſte ; & nous bornant
à fixer le point de vue défavantageux
fous lequel l'envie nous préfente ceux
qu'elle s'efforce de détruire , nous ne
cherchons point en eux un aſpect plus favorable.
Selon nous ,la louange eft flatterie
& la Satyre fincérité . N'eft -ce pas ,
malgré notre averfion pour les ingrats , autorifer
l'ingratitude par une façon de penfer
auffi peu équitable ? Enfin nous détaillons
avec foin les traits de la beauté pour
tâcher d'en trouver quelques - uns d'irréguliers,
qui lui faffent perdre quelque chofe
de fon prix , & nous ne confidérons que
l'enfemble des objets hideux , comme fi
par un examen férieux de chacune de
leurs parties , on ne pouvoit pas auffi découvrir
quelque beauté cachée qui en diminuât
la difformité . Nous voulons voir
le vice & la médiocrité où ils ne font pas ;
& nous n'appercevons pas la vertu , le
OCTOBRE, 1781. 30
mérite & les talens où ils font ; ou du
moins nous fermons les yeux pour ne les
pas voir ; nous n'en pouvons fupporter
l'éclat ; il femble qu'il nous bleffe dès
que nous y attachons nos regards. Quel
étrange aveglement !
Soyons plus équitables. Ne jugeons
point uniquement d'après les autres.
Ofons nous croire , après avoir écarté
le bandeau des préjugés & des paffions ,
capables de bien juger ; & loin de précipiter
notre jugement , tenons- nous- en à
un doute raiſonnable , lorſque nous n'avons
pas tous les éclairciffemens néceffaires
pour porter une fage décifion . Mon.
trons que la Philofophie , qui dans ce
fiécle a tant fait de progrès parmi nous ,
ne confifte point dans une vaine fpéculation
, & qu'après avoir diffipé les téné
bres de l'ignorance , fon flambeau peut
encore nous guider vers la fageffe.Qu'elle
faffe donc encore un effort pour détruire
la prévention , qui eft l'obftacle le plus
difficile qu'elle ait peut-être à vaincre.
Il ne lui faut plus que ce fuccès pour
triompher.
De Coëme en Anjou ,
Parun Abonné au Mergurev
62 MERCURE DE FRANCE.
LA PEINE ET LE PLAISIR ,
U
FABLE. -
N jour le Plaifir voyageant ,
Sur fon chemin trouva la Peine ;
( II la rencontre très-foavent ,
La chofe n'eft que trop certaine . )
Depuis longtems il fentoit dans le coeur
Contre elle une vive rancune :
Il avoit vu cette importune ,
Maintefois de fes dons altérer la douceur.
Il commence auffitôt à lui chercher querelle ;
En vérité , vous êtes bien cruelle ,
Lui dit-il d'un ton plein d'aigreur :
Si je vais chercher un afyle ,
Vous marchez bientôt fur mes pas :
Vous me chaflez toujours , hélas !
De mon plus charmant domicile.
De grâce , déformais laiſſez moi donc tranquille
Laiffez-moi rendre des humains
Tous les jours heureux & fereins .
Que pourjamais ils goûtent tous mes charmes ;
Qu'ils s'enivrent de mes bienfaits :
Ne les bleffez plus de vos traits ;
Et ne les plongez plus dans de vives allarmes.
1
Ainfi fe plaignoit le Plaifir ;
Mais loin de contenter fes indifcrets defirs
OCTOBRE. 1761 .
La Peine à l'air dur & févére ,
Lui dit , Plaifir , vous ne connoiſſez guére
Ce que c'eft que le coeur humain ;
Aujourd'hui vos faveurs pourront très-bien lu
plaire ,
Et ne lui plaire plus demain.
Dans vos bras fouvent il fommeille ,
Vos préfens auffitôt font pour lui fans attraits :
Il faut que la Peine l'éveille ,
Pour lui faire fentir le prix de vos bienfaits.
La Peine avoit raifon. Mais n'eft- il pas étrange
Que pour rendre piquans nos voeux ,
Et pour être vraiment heureux ,
De Peine & de Plaifir , il faille le mêlange !
22016
AIR.
Au Village mieux qu'à la Ville.
Du Dieu d'Amour on fuit les loix :
On trouve toujours dans nos bois
Une ardeur conftante & tranquille,
Cupidon , au Palais des Rois ,
Regrette une fimple Bergère :
Sous le dais , il dort quelquefois ;
Mais rarement fur la fougère,
༢
34 MERCURE DE FRANCE.
1
LE PORTRAIT ,
O DE Anacreontique.
ETANT naguère à la toilette
D'un Enfant plus beau que le jour,
J'avois déja pris ma palette
Pour le peindre ; c'étoit l'Amour.
Ce Dieu me fourit d'un air tendre ;
Puis me lançant un doux regard
Qu'ofes-tu , dit- il , entreprendre
Après Ovide, après Bernard ?
Nefaut- il pour te fatisfaire
Qu'un portrait ? pourſuit l'Enchanteur
Si tu veux me le laiffer faire
Je vais le graver dans ton coeur,
A ces mots fon front fe colore ;
Il s'avance & du premier trait....
Vois-tu , dit- il , que j'ai peint Laure?
Eh bien ta Laure eft mon Portrait.
A l'Amourje rendis hommage
Pour prix d'un préſent fi flateurs
Ec-depuis , Laure , votre image
A toujours reſté dans mon coeur.
OCTOBRE. 1761 .
EXAMEN DU PORTRAIT ,
Ou ce qui eft plus beau que l'Amour.
MADRIGA L.
Name dis pas que ton Portrait ,
Dieu d'Amour, foit celui de Laure ;
Mon coeur n'en eft pas fatisfait.
Oui , j'y trouve à redire encore ;
Tu conviendras de bonne foi
Que tu n'as point flatté ma Belle.
Quand il feroit trop beau pour toi ,
l'être allez pour elle ;
Il ne peur
Avec ton fourire enchanteur ,
Elle a les traits de ton viſage....
Ils font bien beaux ! ... mais la pudeur
L'embellit encor davantage.
Par M. *** , Garde du Roi de Pologne ,
à Lunéville , ce 28 Septembre 1761 .
66 MERCURE DE FRANCE.
L'ACCORDÉE DE VILLAGE ,
CONTE MORAL,
DONT l'idée eft prife du Tableau de
M. GREUZE , expofé depuis peu de
jours au Sallon du Louvre. ParM.
l'Abbé AUBERT.-
UN FINANCIER , rempli de ſentiment ,
( Qualité qu'on voit rarement
Sous un habit doré ) ; poffédoit une Terre
Où fon généreux caractère
S'appliquoit chaque jour à faire des heureux
Etude rare, mais facile
A qui fçait eftimer ces penchans vertueux-
Que nous ignorons à la ville ,
Mais que des champs les fimples citoyens
Cultivent fagement , comme les premiers biens.
Cetiche , quoiquejeune , avoit vû dans le monde
Beaucoup d'hy mens brillans, peu qui l'euffent.tentés
* On auroit ſouhaité pouvoir étendre à tous les chefsd'oeuvres
dont ce magnifique Sallon eft décoré , l'hommage
que la Poefie rend ici à la Peinture ; mais cette
entrepriſe exigeoit des talens fupérieurs à ceux d'un Auteur
de Contes & de Fables. On s'eft aufli fenti arrêtes
par la difficulté de louer dignement le Mécène à qui les
Arts font redevables de tant de richeffes , & qui remplit
fi bien les intentions d'un Monarque occupé fans ceffe
de leur gloire & des moyens d'en augmenter les progrès
OCTOBRE. 17618 67
Et fon coeur éprouvoit une douleur profonde
De voir qu'on mît partout l'enchère à la beauté,
Le hazard conduifitce Sage.
Au logis d'un Fermier , l'exemple du village ,
Vénérable Vieillard , bon père & bon époux
Il marioit fa fille ; & cejour- là fon gendre
Touchoit la dot , gage d'un noeud fi doux ;
Gage moins cher pour lui, qu'un coeur fincère &
t
tendre'!
En un réduit , propre , mais fans éclat ,
Se faifoit la cérémonie.
Un Payfan coëffé d'un chapeau plat ,
En manteau noir , bas blancs , culotte cramoifie
Dans un coin dreffoit le contrat.
Le Patriarche affis , l'air noble & reſpectable ,
Parloit au gendre avec bonté,
Lui donnoit des leçons de moeurs , de probité ,
Qu'embelliffoit fa bouche aimable.
L'autre debout , l'oeil fixe , & l'air reconnoiffant ;
Avec émotion écoutant fon beau-père ,
D'une main recevoit l'argent ,
Et de l'autre attiroir la Beauté-jeune & chère
Qu'à fes tendres defirs affûroit ce préfent.
De fes doigts délicats cette Beauté timide
A peine ofoit toucher la main de fon Amants
Elle cédoit négligemment
Aux tranſports de ce nouveau guide..
Auffi fraîche que le Printemps ,
Ses regards trahiffoient le trouble de fes lens ;
78 MERCURE DE FRANCË.
Cet air ému, contraint , la rendoit plus charmante
Le lin qui compofoit fes légers vêtemens ,
Embraffoit les contours de la taille élégante.
Sa jeune foeur, qui l'aimoit tendrement ,
Sur fon fein agité laiſſoit couler des larmes.
Une autre plus âgée , en cet heureux moment
Paroiffoit envier ſes charmes.
Sa mère , dont les bras ne pouvoient la quitter ,
Peignoit dans fes regards la trifteffe & la joie ,
Sembloit la plaindre & la féliciter ,
Sembloit chérir & regretter
Le fort d'une auffi belle proie.
Le jeune Financier , en voyant ce tableau 3
Goûtoit d'un fentiment nouveau
C Les délices inexprimables ;
Et troublant à regret un spectacle fi beau ,
De ne chérir que l'or il plaignoit fes femblables.
Cependant il pria ces époux eftimables .
D'accepter un riche préfent.
Mais il leur dit , touché de l'ardeur vive & puré
Que faifoit éclater ce couple attendriſſant :
Ce que fit pour vous la Nature
Ne peut être égalé par ce foible bienfait.
Je me retire fatisfait :
J'ai vu deux coeurs unis & s'aimant pour eux-mê
mes ,
Eprouver des douceurs extrêmes ,
Que chez ceux de ma forte étouffe l'intérêt.
OCTOBRE. 1761 :
OBSERVATIONS fur les talens & fur
les défauts de la compofition dans la
Mufique , par M. l'Abbé D'AULNY
Profeffeur de Philofophie à Beauvais
J' ne fçais point la Mufique , & vraifemblablement
ne la fçaurai de ma vie.
Lorſqu'à trente ans on n'en a pas dévoré
les premieres difficultés , le mieux eſt d'y
renoncer pour toujours. J'ai vu des hommes
s'y livrer à cinquante ans pour la
première fois ; lui facrifier les devoirs , les
bienséances de leur état , le foin même de
leur fortune: la lenteur , ou plutôt la nullité
de leurs progrès a démontré qu'ils
étoient moins inſpirés par le goût que par
la vanité , par le defir d'être hommes de
leur fiécle. Le goût des Arts peut bien fe
conferver fous les glaces de la vieilleffe ,
mais il s'annonce , dans le printemps de nos
années.Ainfi quelles que foient les prérogatives
de l'harmonie , quoiqu'elle falle aujourd'hui
plus que jamais le fond de nos
plaifirs , & qu'elle foit devenue l'ame & le
reffort de prefque toutes les Sociétés , je
crois pouvoir,fans me donner un ridicule ,
renoncer folemnellement à toute réputa
70 MERCURE DE FRANCE.
tion fondée fur la connoiffance , ou fur
l'éxécution de fes régles . Mais ces régles ;
ces Loix particuliéres de meſure, de mouvement,
d'accords, & de proportions harmoniques
portent fur des principes fimples
que la réfléxion peut faifir & développer
fans entrer dans les myſtères de l'Art , &
c'est l'objet que je me fuis propofé.
Peindre la Nature ; & la rendre telle
qu'elle eft , voilà l'éffence & la perfection
de tous les Arts . L'affoiblir , ou la charger,
c'eft quelquefois nous laiffer tous nos befoins
; & c'est toujours prendre fur nos
plaifirs. Un coup de Théâtre , un morceau
de Sculpture , un Tableau, m'affectent délicieufement
, lorſque le charme de l'illufion
remplit toute mon âme , & lui fait
oublier le Peintre , le Sculpteur , le Poëte .
Mais la fource unique de cette illuſion
qu'elle chérit , c'eſt l'imitation . Ce n'eſt
qu'en fouillant dans le fein de la Nature ,
en la fuivant pas à pas , même dans fes
écarts , dans les contradictions , que nos
plus célébres Artiftes ont faifi ces images
frappantes , ces idées vraies & fublimes ,
ces traits fiers & hardis qui caractériſent
* Refpicere exemplar vitæ morumque jubebo ,
Do&tum imitatorem , & veras hinc ducere voces
Art. Poët.
OCTOBRE. ibi .
ཏ
leurs chefs- d'oeuvres . C'eft dans l'analyſe
du coeur , dans la décompofition de fes
fentimens qu'ils ont puifé ces expreffions
animées , ces paffions éloquentes , ces détails
intéreffans que l'Etranger admire
avec nous. Il faut donc que la Nature fe
montre dans toutes les productions de
l'Art ; & le Muficien Compofiteur qui viole
cette régle effentielle , n'eft point fait
pour cimenter l'empire de l'harmonie.
A
Sur ce principe ofons décider que dans
la foule des Compofiteurs , il en eft peu
qui doivent nous attacher , parce qu'il en
eft peu qui fuivent leur modéle. En effet
pour exprimer la Nature , il faut la connoître,
en examiner les refforts & les mouvemens
, fe pénétrer de fon Sujet , le concevoir
avec force , employer le ton & les
nuances qui lui font propres ; mais cette
connoiffance de détail , cet examen réfléchi
, cette force d'idées & de fentimens
enfin cet efprit fage , economique , qui
met toute chofe à fa place , ne ſe trouve
point communément dans nos Harmonif
tes. Soit inapplication , foit défaut de talent,
plufieurs traitent la Mufique comme
on traite la Poësie dans les Colléges . Ils
ont appris fuperficiellement les principes
de la compofition , & ils compofent avec
une rapidité qui étonne . Efclaves de ces
›
72 MERCURE DE FRANCE.
principes , ils n'ont point d'autre Bouffo
le. Il y a dans la Nature une variété admirable
, des traits fins & délicats des fituations
fingulières, des gradations impercep
tibles au vulgaire , dont la repréfentation
enléve l'âme, & fixe l'admiration des Con--
noiffeurs ; mais ce n'eſt point affez de la
Science des régles pour copier la Nature,
quand elle s'enveloppe ou fe multiplie
fous tant de formes différentes. C'eſt :
alors la réfléxion qui éclaire , c'eft de goût
qui dirige. Si Defcartes avoit fait des lie
vres de Mufique , il en auroit ſuivi les
loix ; mais peut- être il eût manqué de goût,
& fes productions feroient infoutenables.
On fçait en général que les diffonances !
produisent dans l'Harmonie un effet merveilleux,
préfervent l'âme de ce trifte fom-.
meil que caufe infailliblement l'uniformité
des fons , & les Auteurs dont je parle
admettent fans difcernement les fauffes
quintes , & les autres diffonances. Tous
les genres n'en font pas également fufceptibles
; & le bon goût réprouve toute fingularité
qui ne fort point du Sujet . On
fçait encore que les tierces & fextes majeures
peignent mieux la trifteffe , les mineures
, le plaifir ; & ils croiroient fe déshonorer
s'ils manquoient à cette régle. Eh !
Les faifeurs de Régles ont- ils donc tout
prévu z
OCTOBRE. 1761.
73
Il y a conftamment des cas particuliers
qui ne peuvent s'y rapporter . D'ailleurs un
fentiment , quelque fort qu'on le ſuppoſe ,
n'eft prèfque jamais unique dans un Sujet
de compofition . Qu'il y ait dans toutes
lés piéces un fentiment dominant, auquel
tous les autres foient fubordonnés , cela
eft dans la Nature , & eft conféquemment
un objet d'imitation ; mais il ne conviendroit
pas que les fentimens acceffoires fuffent
anéantis. Que leur expreffion foit plus
foible ; on y foufcrit : mais qu'elle ferve du
moins à modifier l'expreffion dominante.
On ne remplit point autrement le grand
précepte de l'unité & de la variété , dont
l'inobfervation laiffe tant de Compofiteurs
dans une rebutante médiocrité .
Il en eft parmi les Maîtres de l'Harmonie
que des talens fupérieurs , & leurs méditations
profondes devoient , ce femble , conduire
à la perfection de leur Art ; mais
malheureuſement prévenus en faveur d'une
opinion ridicule , ils trahiffent la Nature
qui les avoit fi bien traités , & leur travail
ne fait ni leur gloire , ni nos plaifirs .
Ils font confifter tout le mérite de la compofition
dans la difficulté ; rien n'eſt beau ,
& facile tout enfemble , il n'en coûteroit
pas affez pour briller . Lifez leurs productions,
vous n'y verrez que des fauts tumul-
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
tueux , des chûtes énormes , des contraf
tes fçavans : ils font en quelque forte les
Métaphyficiens de la Mufique , & ils s'écartent
de la vérité, comme s'en font écár- .
tés nos Philofophes à fyftêmes . La Nature
a fes fecrets fans doute , mais elle fe montre
quelquefois à découvert ; rendez - la fimplement
, & fans apprêt , lorfqu'elle ne s'eſt ,
point cachée fous le voile du myftère . C'eſt
un Héros fubjugué par l'amour , endormi
dans les bras de la volupté ; c'eft une Amante
qui l'enchaîne avec des fleurs , & qui
ne fe refpecte plus avec l'objet de fa paffion
. Qu'ai -je alors befoin de ces tirades
fçavantes qui étonnent l'efprit , & qui ne
difent rien au coeur ? Montrez- moi plutôt
leurs ames confondues , leurs organes ouverts
à l'impreffion du plaifir ; que la douceur
& la tendreſſe de vos fons foient pour
moi l'image des defirs toujours fatisfaits ,
& toujours renaiffans : vous m'intérefferez,
& l'illufion puiffante de l'Harmonie ne ceffera
d'agir fur mon âme , que pour faire .
place aux fentimens que mérite l'Interpréte
de la Nature , & le Peintre des paffions.
C'est ainsi que le Créateur de la Mufique
Françoiſe travailloit pour fa gloire , & pour
les délices de la Nation . Il ne crut pas devoir
bannir du Théâtre lyrique les recherches
& les idées profondes ; mais il les faOCTOBRE.
1761. 75-
trifia fouvent à la Nature. On chantoit à
Paris fa Mufique après une première Repréſentation
. Il étoit perfuadé que la Mufique
étant un art d'agrément , il ne fuffifoit
point de furmonter de grands obftacles
pour fonder une grande réputation .
L'immortel Rameau & le Philofophe de
Genève ont entendu comme lui la voix de
la Nature , & en font devenus les échos.
Cette faculté de l'âme qui reçoit les impreffions
des objets fenfibles , & qui crée
en quelque forte des êtres nouveaux par
fes différentes opérations fur les premieres
idées que les fens lui tranfmettent , l'imagination
eft abfolument néceffaire au Compofiteur
; c'est elle qui l'échauffe , & qui
répand dans fes productions ces traits de
flamme , ces brillans écarts , dont l'exécution
ne laiffe à l'âme que la faculté de
fentir. S'il n'imagine que foiblement, tout
ce qu'il veut rendre porte un caractère de
foibleffe & de contrainte. Il ne fait plus
que s'agiter triftement dans les entraves
de la Régle. Mais qu'il eft dangereux de fe
livrer à toute l'impétuofité de l'imagination
! C'eſt un feu qui nous éclaire , & qui
découvre à nos regards des objets raviffans,
des beautés célestes ; mais il peut nous égarer
& nous perdre ; femblable à ces lueurs
perfides qui trompent le Voyageur dans
Dij
6 MERCURE DE FRANCE.
l'obfcurité de la nuit . Combien de nos Au
teurs harmoniftes altérent la Nature, parce
qu'ils fe laiffent emporter par les faillies
d'une imagination ardente ? Ils veulent
nous enchanter , & ils fortent de la vraifemblance.
J'interroge l'Univers , je compare
leurs repréſentations avec tous les
êtres connus, & je n'y vois rien de reffemblant.
Vous voulez peindre des paffions ,
des vertus , & des vices : pourquoi me tranſporter
dans un monde chimérique ? Prenez
vos traits dans la Nature ; fi je ne découvre
en moi le germe de ces paffions , fi
je n'ai pas même l'idée des vices & des vertus
que vous crayonnez , vous fatiguez inutilement
votre génie ; ce qui m'eft étranger
ne m'affecte pas.
Le goût de la Mufique Italienne a fait
depuis quelques années d'immenfes progrès
parmi nous . Le caractère de notre Mufique
eft prèfqu'entiérement changé . Tout eft vif,
léger , faillant, ou gracieux dans nos Concerts
. Dans les Sujets même les plus auguftes
on ne revoit point cette majeſté impofante
qui fied fi bien à l'origine & à la
Nobleffe de l'harmonie . Ce n'eft plus un
Corps de Mufique , c'eſt un fantôme qui
brille & difparoit au même inftant. Tout
l'Art desCompofiteurs ſe réduit à
gazer des
Portraits , à créer de petites Gentilleffes..
OCTOBRE. 1781. 77
Ils ont pris tous les défauts de leurs modéles
. Si quelquefois ils jettent de l'intérêt
dans leurs ouvrages , ils font alors auffi
dangereux qu'ils étoient frivoles. Ils amolliffent
l'âme par des images voluptueules ,
& rétréciffent la fphère de ' fon activité.
L'amour est le feul fentiment qu'ils rendent
avec fuccès ; & ce fuccès encore ils le doi
vent peut-être moins à leurs talens qu'à la
facilité de nos coeurs toujours prêts à s'élancer
dans le fein de la volupté. Je n'examine
point fi la Mufique Italienne eft fupérieure
à notre Mufique . Un homme d'ef
prit comparoit la première à une jeune Coquette
qui papillonne & folâtre fans ceffe ,
qui n'a point de caractère à force d'en
changer ; ôtez -en la parure , le jargon , la
légéreté : vous ne lui laiffez rien. La Mufique
Françoife eft au contraire , dans la
penfée du même Auteur , une beauté raifonnable
dont les charmes intéreffent d'autant
plus , qu'ils fortent avec plus de décence.
Quoiqu'il en foit de cette comparaifon
qui nous laiffe tout l'avantage , il
eft conftant que le génie de la Mafique varie
avec le génie des Nations. Tous les
Peuples du Monde font foumis à l'empire
de l'harmonie ; mais elle a partout des
marches différentes , un ton , un caractère
diftinctif. Pourquoi donc vouloir nous af-
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
fujettir à des goûts étrangers ? On a toujours
affez de les propres défauts .
A l'égard des Auteurs qui compofent la
Mufique Eccléfiaftique , on ne peut s'empêcher
de reconnoître dans quelques- uns le
génie des grands Maîtres .Mais il en eft dans
cette claffe , qui n'entendent pas même la
lettre fur laquelle ils opérent. Cependant
par un pré ugé auffi commun qu'il eft injufte
, on rejette fur l'Art toutes les fautes du
Compofiteur . On fait un crime à l'Harmonie
de l'abfurdité des expreffions qu'on
lui prête ; & cet Art précieux, dont la première
fin fut d'exciter la Religion des Peuples,
eft regardé comme un ufage fatiguant
par ceux même qui l'ont appellé dans le
Sanctuaire. Puiffent les Auteurs de ce fcandale
mieux cultiver un Art qui les honore :
qu'ils étudient leur Texte & la Nature ;
c'eft là qu'ils doivent prendre les idées &
les fentimens qu'ils mettent en oeuvre ;
leur ginn''ee feroit trop refferré dans le cercle
étroit que l'on trace aux jeunes Eléves .
Mais qu'ils fe fouviennent de modérer les
tranfports de leur imagination . Que leur
ferviroit de n'être point foibles , s'ils devenoient
abfurdes ?
OCTOBRE. 1761. 79
CONTE allégorique à M. De ***
pour l'engager à continuer une entreprife
qu'il avoit commencée avec fuccès
, & dont les difficultés l'avoient
détaché.
UNUn riche Amateur de Jardins N
Paffoit les jours à leur culture :
Il embelliffoit la nature
Des travaux de fes propres mains.
De vingt jets d'eau , d'une cafcade
Un grand parterre étoit orné ,
De tous côtés environné
Par de hauts ifs en colonnades.
A droite des beaux Orangers
Avoient de magnifiques ferres ;
A gauche de fécondes terres
Servoient à de bons potagers:
Plus loin de timides Nayades
Cherchant le jonc & le rofeau,
Suivoient le cours d'un clair ruiffeau
Dans de champêtres promenades.
Un plan de tendres arbrilleaux
Déja paffoit toute eſpérance.
Que manquoit-il ? en apparence
Il ne manquoit que des berceaux .
1
Div
So MERCURE DE FRANCE.
On plante donc ; nouveau prodige
En peu de temps frappe les yeux :
Bientôt on admire en ces lieux
Une charmille à haute tige .
Déja le foigneux ouvrier
Veut courber la branche facile ;
Et le bois à fes loix docile
Seul déja paroît le plier.
Notre Amateur alors fe flatte :
Il voit en ces rameaux un objet raviſſant :
Mais bientôt , ô douleur ! la racine avançant,
Trouve hélas ! une terre ingrate.
Comment en réparer le tort ?
Les progrès des branches finiffent ;
Les feuilles qui par-tout jauniffent
Menacent de prochaine mort.
Vingt fois trompé par l'apparence ,
De tout couper on eft tenté ;
Et vingt fois on eſt arrêté
Par quelques lueurs d'efpérance ,
S'il en revient il reviendra :
Pourquoi , dit- on, ne pas attendre ?
Le bois eft jeune, il peut reprendre.
Eh bien s'il meurt il en mourra.
De la terre trouvons le vice ,
Et cherchons remé le aux befoins.
On y travaille , & par les foins
La terre enfin devient propice.
Dans un terrain comme nouveau
OCTOBRE. 1761. 81
Bientôt les feuilles reverdiffent ;
Bientôt les branches qui s'uniffent
Vont en l'air former le berceau .
L'oeil étonné qui les contemple ,
Voit enfin pour jamais les bois entrelaffés .
O vous, que les revers ont trop tôt terrailés ,'
Efpérez tout fur cet exemple !
LE
DE BILLEHEUST DE S. GEORGE ,
Moufquetaire Noir.
mot de la premiere Enigme du
premier volume d'Octobre eft , les heures.
Celui de la feconde , eft , la Dentelle.
Celui du premier Logogryphe , eft Figure
, dans lequel on trouve Grive , Vrie
Eu, furie , fier , grue & figue. Celui du
fecond Logogryphe , eft , Chevaux-léger ,
dans lequel on trouve Hercule,Rawlegh,
Laure ( la belle ) Egée , Aurele ( Marc ) ,
Galere ( Maximien ) , Rachel, Leve ( Antoine
de ) Grec , Grèce , Grue , grace ,
Gaule , cruel , grave , & le Chauve , furnom
d'un de nos Rois .
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
ENIGME.
N fait de nous fouvent des chapelets ;
Pour la fanté l'on nous met en uſage .
Par caprice on nous nomme laids ;
Et cependant pour le viſage ,
Notre couleur a mille attraits ;
Et quand le Temps qui tout éfface ,
Par une fâcheufe diſgrace ,
Enlève à quelqu'un la beauté ,
On dit en proverbe ufité ,
Qu'auffitôt nous prenons fa place.
D₂
AUTR E.
E ceux qui par mon nom favent me reconnoître
,
Les uns ne m'ont point vû ; d'autres par la fenêtre
Ne m'ont vû qu'en paffant ; tout le monde la
nuit
Me connoît auffi bien que quand le Soleil luit.
Rien ne paroîtra plus contraire,
Cue grand fujet de joie & grand fujet de deuil :
Ils ne différent pourtant guère
Chez moi,qui du berceau m'occupe & du cercueil.
Cela s'appelle être volage :.
C'eſt ma profeſſion ; ma propre qualité ;
OCTOBRE . 1761.
Et pour paffer de l'une à l'autre extrémité ,
Un feul inſtant pas davantage .
Les camps ne me virent jamais ;
Mais quoique faite pour la paix ,
Je ſuis néanmoins le partage
D'un vainqueur diſtingué dans le tems du pillage.
LOGO GRYPH E.
SEPT pie ds forment mon tout : dans
la figure ,
quatre
el
Que nous offre des Cieux fa fuperbe ſtructure.
Dans le refte on découvre un dés quatre élémens ,
Qu'annoncent fort ſouvent le tonnèrre & les vents.
Pour me trouver , Lecteur , décompofe mon être :
Je t'offrirai d'abord un métal adoré ;
Un datif qui s'adreſſe à notre commun Maître ;
Une Ville d'Eſpagne ; un Guerrier cftimé ;
Le fublime du ftyle en genre Poétique ;
Un ftupide Animal ; une Ville d'Afrique ;
J'ai la tête d'un Roi ; dans moi l'on trouve don ;
Pour tout dire, en un mot : je fuis fils d'Apollon.
LECTEUR,
AUTR E.
ECTEUR , tu me connois fi tu nâquis en France,
Et même je fuis für que tu vis fous ma loi ;
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
Puifque tout bon François, malgré ſon inconſtance;
Ne fe laffe jamais d'être conduit par moi .
Cherche dans mes fept pieds , tu trouveras fans
peine ,
Un Tyran qui rendit les Romains malheureux ;
Un Fleuve plus profond qu'à Paris n'eft la Seine ;
Ce qui cache fouvent l'Aftre brillant des Cieux ;
L'état ou fe trouva la Reine de Cythère ,
Lorfque Vulcain la vit outrageant ſon honneur ;
Pour t'en dire encor plus , obferve , confidére ,
Tu me vois fous tes yeux , regarde bien , Lecteur.
Par un Abonné au Mercure.
CHANSON.
SUR le printemps de ma vie ,
L'Amour qui femoit des fleurs ,
Depuis que j'ai vu Silvie ,
Ne verfe que des douleurs.
'Ainfi le Soleil , dès fon aurore ,
Voit obfcurcir fon flambeau ;
Ainfi la rofe qui vient d'éclore ,
Se flétrit fur l'Arbriffeau.
Éloigné de ma maîtreſſe
Que je demande aux échos ,
Les accens de la triſteſſe
Enflent feuls mes chalumeaux.
OCTOBRE. 1761 85.
'Ainfi la fenfible Tourterelle
Pleure un funefte trépas ;
Mais fon Tourtereau lui fut fidéle ,
Silvie , & tu ne l'es pas.
Ah ! fi je pouvois encore ,
M'abufant fur mon état ,
Penfer au coeur que j'adore ,
Sans penfer qu'il eft ingrat !
Mais non , je ne revois point l'image
De l'objet qui m'a charmé ,
Sans revoir celle d'une volage
Dont je ne fuis plus aimé.
Par un Eléve des Affaires Etrangères.
86 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II..
NOUVELLES LITTERAIRES.
LAA SCIENCE DU GOUVERNEMENT , contenant
le Gouvernement de France , la
fondation , la conftitution relativement
aux Traités jufqu'au dernier d'Aix - la - Chapelle
inclufivement , l'étendue , les moeurs ,
les forces , le nombre des habitans , les
revenus , les Loix de chaque Etat de l'Europe
, confidéré en particulier . Par M. de
Réal,Grand- Sénéchal de Forcalquier.Suite
de la première Partie . Tome 2 .
>
Reges gentium dominantur eorum : & qui poteftatem
habentfuper eos benefici vocantur.
Luc. chap. 22. V. 25 .
Vol. in-4° . à Aix - la-Chapelle.
Après le Difcours Préliminaire , & la
divifion que nous avons donné de cet Ouvrage,
le plus étendu que nous connoiffions,
dans les Mercures d'Octobre 1760 , &
Janvier 1761 , les profondes recherches ,
& cette fupériorité de génie qui régne dans
l'Ouvrage immenfe de M. de Réal , nous
ont déterminés à rapporter l'Article de ce
OCTOBRE. 1761 . 87
fecond Volume , chap . 7. page 580 , qui
regarde la plus petite des Républiques
qu'il y ait fur la Tèrre .
Une République moins puiffante encore,
eft celle de S. Marin . C'eft vraisemblable.
ment la plus petite , je ne dis pas de l'Ita
lie , mais du Monde entier . Elle eſt ſituée
entre la Romagne & le Duché d'Urbin :
fait extrêmement important à remarquer.
On ne doit rien ignorer d'un tel Etat.
Difons donc que Saint-Marin eft fon patron
& lui a donné fon nom. C'étoit un
Maçon venu de Dalmatie. Il fut employé
dans la Romagne vers le troifiéme fiécle ,
lorfqu'on conftruifit la Ville d'Arimini.
Tout le temps que fa profeffion lui laiffoit
libre , il l'employoit à convertir les
Payens. A la fin , il abandonna fon métier
pour vivre dans la folitude , & pour prêcher
l'Evangile aux environs de fon hermitage.
C'eft dans cette fainte occupation
qu'il finit fes jours , après avoir été fait
Diacre par l'Evêque d'Arimini . Dans la
fuite , on bâtit une Chapelle & un Monaftère
au lieu où avoit vécu ce faint homme,
Peu-à- peu quelques perfonnes s'y établirent
, & le nombre des maiſons , augmenté
infenfiblement , forma la Ville de Saint-
Marin fur la fin du fixiéme fiécle ( a ).
(a ) Vers l'an 600.
88 MERCURE DE FRANCE.
Enclavée dans les Etats du Pape , la
petite République confifte en une Ville ,
en une montagne & quelques collines . Elle
pofféde ce qu'elle appelle trois Châteaux ,
trois Couvens , & cinq Eglifes , & ne
compte guére moins de fix mille âmes dans
l'étendue de fes Etats .
Au milieu des révolutions qui changent
fans ceffe la face de la tèrre , on fçait les
accroiffemens que la République de Saint-
Marin a reçus , quand on eft inftruit qu'elle
acheta dans fon voifinage un Château en
1100 (b) , & une autre en 1170 ( c) . Les
actes en font confervés dans les Archives
de l'Etat . Un homme de mérite nous affure
que le nom de Syndic de la Communauté
celui du vendeur , & celui des témoins eft
le même dans ces deux actes faits à foixante-
dix ans l'un de l'autre , fans qu'il puiſſe
y avoir d'erreur dans les dates , parce qu'on
y trouve le nom des Papes & des Empereurs
& les années de leur regne (d).
( b ) Le Château de Penna Rofta , des Comtes
de Montefeltro .
( c ) Le Château de Cafolo .
( d ) Addiffon mort Secrétaire d'Etat en Angleterre
, dans un ouvrage anonyme écrit en Anglois
, qui a pour Titre : Remarques fur divers
endroits de l'Italie , faites en 1701 , 1702 &
1703. Londres chez Tonfon 1705. Voyez la page
130 & ſuivantes.
OCTOBRE. 1761. 89
Environ , 290 ans après , la République
de Saint-Marin affifta le Pape Pie II contre
un Malatefta , Seigneur d'Arimini, qui fut
vaincu. Elle reçut ( e) quatre Châteaux (f)
de la reconnoiffance du Pape , mais elle fut
enfuite réduite à fes anciennes limites.
Telle eft l'hiftoire des accroiffemens qu'a
reçus & des pertes qu'a fait la République
de Saint- Marin.
Le pouvoir fuprême de la République
réfidoit originairement dans le Arengo.
C'eſt un Grand- Confeil dans lequel chaque
maiſon avoit fon Député. Dans la fuite les
habitans de Saint-Marin réunirent toute
l'autorité entre les mains du Confeil des
Soixante. Ce Confeil qui, malgré fon nom
n'eft que de quarante perfonnes , eft chargé
de l'adminiftration des affaires ordinaires
& eft compofé la moitié de familles Patriciennes
, & la moitié de Plébé ennes . Le
Arengo eft pourtant encore convoqué dans
les cas extraordinaires .
Si après les fommations requifes , un des
membres du Confeil s'abfente , il eft condamné
à une amende de vingt - trois fols ( ) .
Cette amende , dit la loi , doit être payée
( e ) En 1463 .
(f) Sarravale , Factano , Mongiardino & Fiorentino
, avec le Bourg de Piagge.
(g ) Je compte cette fomme fur le pied de la
Monnoie de France.
90 MERCURE DE FRANCE.
fans aucune forte de diminution ni de grace
(h).
La République a pour Chefs deux Capitaines
qu'on change tous les fix mois.
Le troisième Officier de la
République
eft le
Commiffaire de toutes les affaires ci
viles &
criminelles , & fait fous les Capitaines,
à- peu- près les mêmes fonctions que
les Greffiers en Chef font dans nos Patle
mens. Ce
Commiffaire qui demeure trois
ans en place , eft toujours étranger , pour
éviter que les liaifons de famille n'introdui'ent
la corruption dans l'Etat. Il doit
être Docteur en Droit , d'une
intégrité
reconnue , & eft entretenu aux dépens du
Public.
Le quatriéme eft le Médecin qui doit
auffi être étranger ( je ne fçais par quelle
raiſon ) qui doit encore être changé tous
les trois ans , & qui eſt également entretenu
aux frais de la
République . Il faut qu'il
ait au moins trente-cinq ans , qu'il foit
Docteur de la Faculté , & d'un caractère
honnête & religieux, afin que fon
ignorance
ou la témérité ne dépeuple pas l'Etat.
Il eft obligé d'examiner les drogues & d'a
voir un cheval pour viſiter les malades .
Une autre perfonne qui eft encore fort
( h) Sine aliquâ diminutione aut gratiâ.
OCTOBRE . 1761 . SI
confidérable dans l'Etat , c'eft le Maître .
d'Ecole .
L'homme de mérite que j'ai cité , aſſure
avoir vu un Livre latin in-fol. qui a pour
titre : Statuts de la très - illuftre République
de Saint-Marin ( i ) , imprimés à
Arimini par ordre de la République . Le
Chapitre qui regarde les Miniftres publics,
porte, que lorsqu'un Ambaffadeur fera envoyé
dans un Etat étranger de la part de
la République , elle lui allouera du tréfor
public, jufqu'à la valeur de vingt- trois ( k )
fols par jour.
En vain les Italiens ont cherché à diminuer
la gloire de la République de S. Marin
,, par le titre odieux de Républichetta.
Elle ne perd rien pour cela de fa dignité;&
lorfqu'elle écrit à celle de Venile , ce qui
à la vérité , ne lui arrive pas fouvent , elle
met pour fufcription à fes Letttes : A notre
très-chère Soeur la Séréniffime Républi
que de Venife. Elle l'appelle gravement
dans le corps de la lettre : Notre Séréniffime
Soeur ( 1 ) , & elle met à la foufcription
: Votre très-humble & très-obéiffante
Servante.
( i ) Statuta Illuftriffimæ Reipublicæ Sanéti Marini.
( k ) Je compte toujours fur le pied de notre
Monnoie.
(1 , Sereniffima Sorella .
92 MERCURE DE FRANCE.
Il eft aifé de juger , par ce détail , com
bien les Gouvernemens des autres Etats
-de l'Europe font intérellans.
OBSERVATIONS D'UNE SOCIÉTÉ
D'AMATEURS , fur les Tableaux
expofés au Sallon cette année 2761 ;
tirées de L'OBSERVATEUR LITTÉRAIRE
de M. l'Abbé DELAPORTE.
A Paris , chez Duchefne ,
Libraire , rue S. Jacques, au Temple
du Goût ; Brochure in-12 . de 72 pages
, prix , 21 fols.
CETTE Société d' Amateurs ,ſoit qu'elle
exifte réellement , foit qu'elle ne ferve que
de voile à un feul Auteur , a commencé les
obfervations en 1759 fur diverfes productions
modernes des Arts. M. l'Abbé Delaporte
en a mis au jour quelques Morceaux
en différens temps dans fon Journal . Dès
qu'elles parurent , elles attirérent affez l'attention
des Artiſtes , pour exciter des dif
cuffions, où la fatalité des difputes polémi
ques avoit femé de l'aigreur , tan fis que
Public y voyoit avec affez d'étonnement ,
des connoillances dans les Arts plus profondes
qu'on ne vouloit en montrer, & plus
le
OCTOBRE. 1761 . 93
qu'on n'en fuppoſoit même à des Gens de
Lettres ; en même temps qu'on y reconnoiffoit
dans le ftyle , un talent exercé , & une
méthode de raifonnement fupérieure à ce
que laiffe de loifir aux Artiftes l'exercice de
leurs études ordinaires.
Les dernières obfervations de cette Société
, imprimées féparément dans cette
Brochure , portent fpécialement fur le dernier
Sallon . Il nous a paru qu'en général
le Public y avoit trouvé des vues d'Artiftes
& de Connoiffeurs délicats , préſentées
avec l'ordre & l'agrément des talens littéraires
; une convenance de ftyle analogue
aux divers fujets dont on y rend compte ;
de la Philofophie même dans la recherche
du rapport des effets avec leurs caufes, dans
plufieurs Morceaux de Peinture &de Sculpture
; enfin , ce qui nous a déterminés
pardeffus tour à en faire mention , une
modération très- louable , juſques dans les
critiques , & un fi fage tempérament d'éloges
& de cenfures , que les Artistes même
qui en font l'obiet , ne pourroient ni
affecter de refufer l'éloge , ni fe formaliſer
de la cenfure . Nous copierons plufieurs endroits
en entier , pour laiffer juger de ce
que nous venons de dire : nous commencerons
par le préambule qui eft à la tête
de ces remarques.
94 MERCURE DE FRANCE.
"
"
» Cette révolution de deux années , qui
» conftamment ouvre dans le Palais de nos
» Rois , le tréfor public des Arts , paroif-
» foit à notre impatience plus intéreffante
» que jamais. Nous penfions bien le
que
goût naturel de la Nation , l'émulation
" animée par les regards du Souverain , la
» libérale curiofité de quelques Connoif-
»feurs diftingués , & furtout la vigilante
bienfaifance d'un Mécène , plus protec-
» teur encore par amour que par état, ſuf-
» firoient fans le fecours de la paix , pour
> entretenir avec éclat les travaux de nos
» Artiſtes : mais nous ne nous attendions
» pas , que tandis que l'Europe gémit fous
» le poids d'une guerre dont nous fuppor-
» tons le plus grand fardeau , Paris verroit
» de nouveaux progrès dans les Arts , &
» une auffi fomptueufe abondance de leurs
plus belles productions.
"
"
و د
Le refte de cette courte Préface annonce
l'intention de l'Auteur fur l'impartialité
& fur la modération dans les jugemens.
MM. les Amateurs commencent par
l'examen du Tableau de M. Dumont, fait à
l'occafion de la Paix publiée en 1749. Ils
remarquent que le Peintre a traité le Sujet
plus dans le genre de l'Hiftoire , que dans
la fervile exactitude du Portrait . Ils donnent
des éloges à la fermeté du pinceau
OCTOBRE. 1761. 95
de l'Artiſte , à la belle & fage diftribution
des lumières , ainfi qu'à l'heureufe difpofition
des Groupes . Ils décrivent très- clairement
l'allégorie qui enrichit une partie de
ce Tableau ;ils en juftifient l'alliage avec la
repréſentation naturelle des autres perfonnages
, par l'exemple des compofitions de
Rubens. En feignant de répondre à ceux
auxquels cette forte de mêlange répugne ,
& en autorifant les Peintres par l'ufage des
Sculpteurs dans les Statues , ils font adroitement
fentir l'abfurdité de l'abus , par lequel
» la poſtérité verra les Rois de Fran-
» ce des 17 & 18 ° fiécles , fous les vête-
» mens des Héros de la Gréce & de Rome.
Si ces figures , fouvent ifolées & par
conféquent fans aucun rapport allégorique
, confondent ainsi, au gré des Sculp
» teurs , les temps , les lieux , les perfon-
" nes , pourquoi les Peintres n'auroient- ils
»pas le même droit , furtout lorfqu'il s'agit
d'enrichir une compofition qui pour..
» roit devenir trop froide fans le fecours de
l'allégorie ? Notre filence à l'égard de ces
» ftatues , eft fans doute un reproche que
"nous aurions à nous faire , fi la confidé-
» ration due à des chefs-d'oeuvre,& les mé-
» nagemens convenables pour les grands .
» Artiſtes qui les produifent , n'exigeoient
» de nous des hommages plutôt que des
» leçons .
"
"
>
96 MERCURE DE FRANCE
A la fuite de quelques remarques fur la
vérité de couleur dans quelques parties
de ce Tableau , & fur ce qu'on defireroit ,
d'après le Public , plus de richeffes & moins
d'âpreté dans la figure du Héros qui défigne
le Souverain , on finit cet article en difant :
» Ces légères critiques , dont on n'honore-
» roit point un ouvrage médiocre , n'enlè-
» vent rien à ce Tableau , de ce qui doit
» le faire confidérer comme une belle &
fçavante production d'un de nos plus
» habiles Maîtres , & comme un morceau
» très digne de fon honorable deftination .
"
و و
»
Nous croirions dérober un des plus
agréables tributs de l'admiration due à M.
Carle Van-Loo , fi nous ne rapprochions
pas en entier le premier article des Obfervations
fur fes Tableaux. » Le pinceau
» de ce Peintre , auffi précieux à l'oeil
» du Connoiffeur , qu'agréable à celui du
vulgaire , a enrichi le fuperbe fpectacle
» du Sallon de plufieurs fcènes , qui toutes
» méritent cette attention qu'on donne
» ordinairement à fes ouvrages . Mais un
» attrait univerfel ramène toujours à celui
» qui représente un jeune Eſpagnol lifant
» ' n Roman à deux jeunes filles , qui pa-
» roiffent être les deux fours . Au caractère
» d'intérêt qu'elles y prennent , on recon-
» noît le genre du Livre ; cette lecture fait
naître
OCTOBRE. 1761. 97
» naître en elles un fentiment vif & neuf ,
par lequel on pénétre jufqu'aux idées
» tumultueufes dont fe rempliffent ces
jeunes têtes. La mère affife à quelque
» diſtance, fufpend fon ouvrage pour écou-
» ter: fon attention eft fenfiblement dif-
» férente de celle de fes filles . On remar-
» que bien en elle ce goût pour les avan-
» tures amoureuſes , commun à toutes les
perfonnes de fon fexe ; mais ce qui eft
exprimé dans les jeunes foeurs, ne paroît
» dans la mère , qu'une curiofité caulée
» par la réminifcence ; ou fi l'on y foupçonne
quelque fentiment , c'eft celui du
» regret. Une troifiéme foeur , encore enfant
, faifant voltiger un oifeau au bout
» d'un fil , fans prendre aucun intérêt à la
» lecture , donne le dernier trait de vérité
» à cette fcène piquante dans fa fimplici-
>>
"
ן כ
→
té , & rendue plus intéreffante fur la
» toile , qu'elle ne le feroit peut être dans
» la nature . Au mérite de cette agréable
compofition le joignent les parties les
plus admirables de la Peinture . Un ac-
» cord harmonieux des tons ne gêne ni
» n'altére la vérité des couleurs locales
» dans les carnations , les étoffes & les
"
fites. Ce même gracieux , ce même fua-
» ve fur lequel la vue fe repofe fi volup-
» tueulement dans tous les Tableaux da
II. Vol E
98 MERCURE DE FRANCE.
7
•
» même Peintre , eft allié dans celui - ci , à
» une force fupérieure de coloris . Une
transparence générale en embellit tous
» les objets. Les plans y font diftincte-
» ment déterminés. La vue paffe aisément
» dans toutes les parties . L'air circule au-
» tour de tous les corps . En un mot , tout
» nous a paru charmant dans cette agréa-
» ble compofition .
On donne ici au Tableau du même Peintre
, qui repréfente une Offrande à l'Amour
, & à celui de l'Amour menaçant ,
des éloges différens & convenables à chacun
de ces Morceaux. On obſerve dans
celui de la Madelaine pénitente , que la
claire des Spectateurs qui fans connoiffances
détaillées fe croit Juge des convenances
, n'a pas trouvé les fignes de pénitence
affez indiqués dans la Madelaine . » D'au-
» tres vont jufqu'à defirer dans la tête
» cette expreffion de douleur & d'atténua-
» tion établies fur les ruines d'une Beauté
voluptueufe dont on verroit encore les
"
>> traces .
Si l'on doit applaudir à la juſteſſe des
vues de MM . les Amateurs , & à la délicateffe
du tour dont ils ornent leurs obfervations
, on doit leur tenir plus compte
encore de l'attention avec laquelle ils vont
fubitement à la défenfe du célèbre Artifte .
OCTOBRE. 1761. 99
"
C'eft ainfi , ajoutent-ils auffitôt , que
la critique trop facile à confeiller , perd
» de vue la difficulté de l'exécution ; par-
» ce qu'elle aura vû quelquefois des mira-
» cles de l'effort humain , elle en exige
» toujours de nouveaux . » Ce que prend
eccafion de dire l'Auteurdes Obfervations ,
fur les critiques honnêtes que l'on fait des
ouvrages des Artiftes , nous paroît fi fage
& fi inftructif , que nous ne pouvons nous
difpenfer de le copier , d'autant qu'il raméne
à un fentiment honorable pour le
Tableau de M. Vanloo .
و ر
» Le grand Artiſte fçait mieux que nous,
> apprécier ces fortes de difcuffions . Il les
»reſpecte & en profite, fi elles ont quelque
» fondement; il les néglige & ne s'en offen-
Girelles
» fe pas ,
à faux. Mais dans
portent
» aucun cas elles ne peuvent altérer fa
gloire , ni empêcher que l'on n'admire ,
» entr'autres perfections de cet ouvrage, le
» beau vaporeux qui y regne. Il n'eft peut-
» être aucun de ceux qui ont fait toutes
» ces remarques , qui ne defirât être l'Au-
» teur ou le poffelfeur de ce morceau .
">
Parmi le petit nombre de morceaux
qu'a expofés M. Boucher ( ce font les expreffions
de MM. les Amateurs ) ils diftinguent
un petit Tableau ovale qui repréfente
une Paftorale. Ils louent beaucoup
E ij
Too MERCURE DE FRANCE.
l'agrément des caractères de tête, le facile
enchaînement du grouppe, la vérité de couleur
locale dans les étoffes , la légèreté &
le naturel des draperies . Ils affectent officieuſement
d'infifter fur la force de couleur
& fur l'empâtement , qui en effet diftinguent
ce Tableau . Ils n'obmettent pas
le bel accord des tons qui lui procure un
agréable effet.
On a pu juger du ftyle pittorefque de
ces Obfervations, par ce que nous en avons
rapporté fur le Tableau de la Lecture de
M. Carlo-Vanloo . Les Amateurs , ou leur
redacteur peignent à l'efprit du Lecteur ce
que leurs yeux ont vû dans les Tableaux ,
& ils le peignent quelquefois comme on
defireroit le voir. Ils ne privent pas M.
Boucher du bon office de leur talent , en
rendant compte de deux autres petits Tableaux
, dont l'un repréfente Jupiter fous
figure de Diane , trompant une trop
crédule Nymphe , & l'autre des Nymphes
endormiesfurpriſes par un Satyre.On ne
remarque rien à l'égard de l'Art fur ces
deux Tableaux , finon que M. Boucher
» voit ordinairement la nature dans un
ور
point de beauté , dont elle n'eſt qu'idéą-
» lement fufceptible, » Remarque agréable
pour ce Peintre , mais dont la fineffe n'échappera
pas aux Connoifleurs . Celle du
pinceau littéraire de nos Obfervateurs fe
OCTOBRE. 1761. 161
laiffe pénétrer dans ce que nous allons copier.
» Les Nymphes endormies , autre Ta-
» bleau du même Auteur , offrent à dé-
» couvert les charmes les plus féducteurs
» de la nature ; tandis que le Satyre qui
les furprend , préfente l'image de l'ar-
»dent & fombre defir , fous une vieille
"peau tannée. Son regard enflammé dé-
» céle ce qu'il médite , & profane déja ce
qu'il contemple. On ne fçait à qui ap-'
partient ce Tableau ; mais plus d'un
»homme pourroit fervir de modéle à ce
Satyre.
On juftifie un autre Tableau du même
Maître, dans lequel un grand nombre d'ob .
jets , au rapport des Obfervateurs , ne préfente
aucun Sujet déterminé , en difant de
M. Boucher , que le Peintre des graces eft
auffi le Peintre de tous les genres. Ils qualifient
ce Tableau : » Un admirable rudi-
» ment de peinture , enrichi des meilleurs
» exemples fur toutes les parties que ren-
»ferme cet Art. » Nous ne pouvons paffer
une réfléxion vive & judicieufe à l'occafion
du peu d'ouvrages de ce Peintre au Sallon .
Pourquoi les Artiftes les plus chers à
» ce même Public , Juge fouverain , & vé-
>> ritable maître des talens , paroîtroient - ils
» en négliger le fuffrage ? L'amitié flatte
E iij
102. MERCURE DE FRANCE.
» & careffe ; l'opulence paye ; le feul Pu-
» blic couronne. Qui dédaigneroit ce prix,
» ne feroit pas digne de le mériter.
Les Tableaux de M. Pierre occupent .
enfuite l'attention de nos Amateurs : fur
celui qui repréſente un Chrift defcendu de
la Croix, voici comme ils s'excufent de pro
noncer . » Nous ne pouvons rien rapporter .
» ni des jugemens du Public , ni de nos.
ni - de
»propres opinions fur quelques- uns de ces .
» fortes d'ouvrages . Lorfque les fujets en
»font convenablement traités pour fuffire
» à la piété des Fidéles ou doit croire .
ן כ
qu'ils ont atteint le principal but de leur
» deſtination . Il eft vrai que le réſultat des
» principes des Arts , doit être d'offrir au
» Public des chofes qui lui plaifent ; mais
" il eft dans ces mêmes Arts , des mystères
» qui lui font affez inconnus , pour qu'il
» ne puiffe pas toujours juger du mérite
» de leurs pratiques.
de
Dans le Jugement de Paris , Tableau
21 pieds de large fur 14 de haut , cette
Société penfe que l'étendue eft trop vafte
pour la scène qu'on y repréfente , & que
cet inconvénient fait perdre , dans l'effet
général , le mérite que l'on reconnoît &
que l'on applaudit dans l'exécution pittorefque
de bien des parties . On defireroit
encore dans ces Obfervations , que le fils.
OCTOBRE. 1761. 103
de Priam fût reconnoiffable par le cofume
Phrygien dans fes vêtemens . On défapprouve
l'ufage de repréfenter les Bergers
Poëtiques , tantôt comme nos Paftres modernes
& nationaux tantôt comme les
Bergers de Théâtre. D'ailleurs on y donne
à la figure de Vénus des éloges bien mérités
, ainfi qu'à la jufteffe & à l'accord des
tons , à la fageffe & à la tranquillité du
coloris , lequel felon cette Obfervation
» fans monotonie ne laiffe rien dominer, en
» faifant tout valoir. » Enfin on annonce
ce Tableau comme très eſtimable pour les
Connoiffeurs .
Ce que l'on remarque fur la Décolation
de S. Jean , autre Tableau du même Artifte
, mérite d'être rapporté en entier.
Le fujet est très - bien conçu . Le Peintre
» a judicieuſement éludé l'aspect répugnant
» d'un col , d'où le fang doit jaillir enco-
» re la poſition du perfonnage qui vient
» d'exécuter l'ordre du Tyran , cache cer-
» te partie dégoûtante. Le refte du cada-
» vre , très-bien peint, eft deffiné avec une
» fineffe admirable. L'horreur qu'inſpire
» naturellement un femblable fpectacle ,
» eft ingénieufement exprimée dans la fi-
" gure de la femme , à qui on préfente la
» tête du Saint. La fcène eft nette, quoi-
22 que bien remplie ; & le fite , qui eft l'ex-
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
ور
» térieur d'une prifon , ne laiffe rien à de-
» firer de ce qui peut completter la vérité
» & les convenances. Nous nous flattons
» de n'être démentis par aucun Amateur
»impartial , fur l'éloge que nous donnons
» à cet ouvrage.
"
Un Tableau de M. Hallé repréfentant la
prédication de S. Vincent de Paul , eft
bien détaillé , & les beautés en font fenties
& remarquées par la Société , comme
elles l'ont été par l'Auteur des remarques
fur les Tableaux dans le précédent Mercure
.
S. Germain donnant une Médaille à
Sainte Geneviève , Tableau de M. Vien ,
fait dire avec plaifir à la Société , » que la
réputation qu'il s'eft acquife par les pre- *
» miers ouvrages , étoit plus l'effet de la
réalité de fes talens , que de la préven-
» tion de quelques Connoiffeurs.
Au jugement des Amateurs, ceTableau eft
» en général lumineux & d'un grand effet :
» les maffes des vêtemens facrés font ri-
» ches , de grande manière , & d'un bon
ton , &c. Après avoir applaudi à la juſteffe
des caractères dans les têtes des principaux
perfonnages , ils terminent fur ce
Tableau, en difant. » Les beautés de l'exé-
» cution marquent autant de préciſion
» dans la pratique que dans l'efprit de l'Au-
33
>> teur.
و د
OCTOBRE. 1761 . 101
A l'occafion d'un autre Tableau de M.
Vien , repréfentant une jeune Grecque
qui orne un vafe de bronze avec une
guirlande de fleurs ; après beaucoup d'é-
Toges pour le Peintre & pour le goût de
l'antique dont il a cherché à fe rapprocher
dans ce petit Morceau, nos Amateurs
conviennent qu'aux yeux d'un grand nom
bre de Spectateurs la févérité des principes
pourroit fe confondre avec la froideur
de l'expreffion , fi l'on adoptoit
toujours ce genre. » Pour bien juger ,
» ajoutent- ils , de ces fortes d'études , il
» faut fe rappeller l'origine , peut- être
» même l'enfance de la Peinture. Nous
» n'entendons faire tomber la comparaifon
, que fur la pureté ingénue de cet
» âge.
>>
Nous pafferons les éloges , quoique trèsmérités,
que donnent ces mêmes Obfervations
au Tableau d'une des circonstances
du Martyre de S. André , par M. Deshayes
* , pour rapporter en entier la relation
vive & touchante d'un autre de fes
Tableaux » : on a été univerfellement af-
» fecté d'un fentiment d'admiration en
» confidérant le Tableau où S. Benoît
ود
* Ce jeune Peintre avoit jetté les fondemens
de fa célébrité au Sallon précédent , par un Tableau
d'une autre circonſtance du même mar¬
syre.
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
» mourant reçoit le Viatique à l'Autel
» La figure de ce Saint tombant fur les
» genoux entre les bras de fes Religieux ,
» a été regardée comme un chef- d'oeuvre
d'expreffion ; tous les traits caractériſti-
» ques de cette tête mourante défignent
» ce moment fatal , qu'à peine l'oeil hu-
» main peut faifir dans la nature. Ce n'eft
ود
ود
point un homme qui vient d'expirer ; ce
» n'eft point un homme qui va mourir ;
» c'eſt un homme qui meurt , & cet hom-
» me eft un Saint : on n'en fçauroit dou-
» ter au premier afpect. On voit fur fes
» lévres , dans un inftant unique , la double
action d'une âme qui appelle fon
» Dieu , & du dernier fouffle qui la lui
»porte. Une fenfibilité fraternelle , une..
» 'tendre vénération font peintes fur tous
les vifages des Religieux , & particulie
» rement fur celui du Diacre qui foutient
» le Saint Inſtituteur . L'amour , le reſpect
filial , & un peu de terreur infpirée par
ود
l'image de la mort , font joints à la trifsteffe
des jeunes Acolytes qui portent les
» flambeaux. Le Célébrant eft celui de
» tous, qui paroît le moins dominé par la
douleur. Le Peintre a confidéré , fans
doute, que la grandeur de fon miniſtere
» devoit feule l'occuper. On remarque
pourtant en lui , une attention trifle ,
OCTOBRE . 1761 . 107
quoique fervente , partagée entre le Sa-
» crement qu'il tient , & le Saint auquel il
» va l'adminiftrer . Une certaine foupleffe
» des épaules annonce dans cette figure ,
» & l'action & le fentiment qu'elle exige .
» Quant aux beautés pratiques de la Pein-
» ture , nous avons entendu les Connoiffeurs
admirer furtout , dans ce Tableau
de M. Deshayes , ce que les gens de
» l'Art appellent la perfection de la va-
»peur ; moyen par lequel lé Peintre eft
parvenu à raffembler les couleurs des dif-
» férens objets , pour en faire un coloris
» général , en les uniffant toutes fans les
» confondre . La lumière heureuſement
» diftribuée , diverfifie par les ombres &
les clairs , les habits facerdoraux que
le coftume du Rit affujettit à l'uniformi-
» té. Quoique l'efpace réel ne foit que
» de fix pieds en largeur , & qu'il contien-
» ne néceffairement beaucoup de figures de
»
par
"
grandeur naturelle , tous les plans font
» diftincts & de la plus grande netteté . En-
» fin , nous ne pouvons dire fur cet ouvra-
" ge , tout ce qu'il a dit lui-même à ceux
» qui ont joui du plaifir de le voir .
Si les bornes d'un Extrait permettoient
de rapporter ce que contiennent les obfervations
fur deux autres Tableaux admirables
de M. Deshayes , celui de S.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
Pierre & celui de S. Victor , nos Lecteurs
jugeroient encore mieux & des talens fupérieurs
de ce jeune Maître , & de l'art
avec lequel ils font annoncés dans cette
critique . A l'égard de celui de S. Pierre ,
on y fait obferver l'éclat de la lumière
célefte & furnaturelle qui femble l'éclairer.
L'extafe de l'Apôtre , la beauté de la figure
de l'Ange , l'ordonnance nette & précife
du Tableau , la vérité des fites & des
tons &c . Il faudroit lire dans l'Ouvrage
même ce qui eft dit du Tableau de S. Victor
, Morceau qui difpute de beauté avec
celui de S. Benoît . Une remarque géné
rale & importante pour la gloire de M.
Deshayes & pour augurer de la réputation
où il doit atteindre , eft celle par laquelle
on termine fon Article. » La diverfité
des ftyles ou des manières de ce Pein-
» tre , eft ce qui le rend particulierement
» recommandable. Nous avons reproché
autrefois aux plus grands Maîtres , d'a-
» voir pour tous les Sujets qu'ils traitent,
» une efpéce de furteinte , ( nous hafar-
» dons ce terme ) les uns en jaune , les
» autres en rouge , en verd , en brun , &c .
» On diroit que celui- ci a des yeux particuliers
pour chaque objet, un pinceau dif-
* Voyez l'Obfervateur Littéraire 1759 , Tom.
IV , pages 111 & 180 .
"
"
OCTOBRE. 1761. 109
33
و د
férent pour les rendre , & une touche
» propre à chaque action qu'elle repréfente
. Le Tableau de S. Victor eft par-
» faitement dans le ton de l'Ecole d'Italie .
» Le coloris, quoique vrai dans les détails,
» a , par anticipation , ce vernis du temps,
» ſi reſpecté de quelques Amateurs . Celui
de S. André eft tout différent . Il y a une
» force & une décision que l'on accuferoit
» de dureté , fi l'on ne fenroit qu'elles font
» néceffaires à l'expreffion du Sujet. Au
» contraire , celui de S. Benoît a tout le
fuave qu'on admire dans les Ouvrages
» de le Sueur. Le Tableau de S. Pierre ,
où la vigueur & l'éclat fe marient fans
» fe détruire , eft d'une touche & d'un co-
» loris qui le différencient encore de tous
» les autres .
و د
و د
D'autres morceaux, remarquent les mêmes
obfervations , dans des genres oppofés
aux précédens ,prouvent dans M. Deshayes
une aptitude générale aux diverfes parties
de fon Art.
On diftingue de M. Amédée Vanloo
deux manières dans les Tableaux qu'il a
expofés , L'une ( dans fes repréfentations
bacchiques ) d'un coloris forcé au- delà des
objets confidérés felon l'ordre naturel ; l'autre
d'un ton qui fe rapproche de celui que
femble avoir adopté fa famille. C'eſt dans
10 MERCURE DE FRANCE.
cette dernière que font peints la Guérifon
de S. Roch, & le Baptême de J. C. par
S. Jean. On fait des remarques favorables
à l'égard du premier de ces Tableaux .
En parlant de ceux de M. Chardin ,
cette brochure renouvelle d'une manière
auffi ingénieufe que conforme à la vérité ,
la gloire , & pour ainfi dire les Talens de
cet inimitable Peintre .
On parcourt tous les ouvrages de M.
Bachelier. On tourne en mérite relativement
à l'avantage de la Tapifferie , ce que
ceux qui n'auroient pas fait cette réflexion ,
ont pu critiquer dans un très-grand Tableau
de ce Peintre , deftiné pour la Manufacture
des Gobelins . Celui de Milon le Crotoniate
, eft confidéré comme une fort bonne
étude. On renvoye à un des Mercures de
cette année pour le tableau fur les quatre
Parties duMonde.Nos Amateurs paroiffent
s'être arrêtés avec plaifir fur celui qui repréfente
un très-beau Chat Angola . Mais nous
les laiffons parler eux-mêmes fur un objet qui
femble les avoir avantageuſement affectés .
Ce n'eft pas fans quelque étonnement, que
l'on paffe de la plupart des Tableaux de ce
Peintre ( M. Bachelier ) à une efquiffe en
grifaille , où il a repréfenté une defcente
de Croix. Ce morceau eft, fans outrer
l'éloge , le germe des plus grandes parties
»
OCTOBRE . 1761.
» de l'Art. Un enchaînement fage & ingénieux
dans la compofition , des effets
juftes & frappans d'expreffions & de lamières
, tout ce qui fuffiroit pour conftituer
le grand Peintre , fe trouveroit dans
» le développement de cette belle inten-
» tion , fi elle étoit exécutée dans un Tableau
avec le même fuccès que dans l'ef-
» quiffe.
Les mêmes Amateurs donnent aux Tableaux
de M. Vernet les éloges que l'on.
eft accoutumé de lire & d'entendre fur tout
ce qu'il produit.
» Les talens de M. de Machi pour l'Ar-.
chitecture , difent MM . les Amateurs, dé-
» couvrent à nos yeux impatiens la nouvel
» le Eglife de Sainte Geneviève, avant même
que cet édifice foit conftruit . Ce mo-
» nument de la piété , & qui doit l'être en
» même temps de la gloire de notre Architecture
, eft faifi d'après les projets
» du célébre M. Soufflot , de manière à
» en développer les principales beautés..
Nous y voyons avec la complaifance de
» l'amour propre , combien nos principes
fur la forme des Temples antiques & les
as convenances du Rit Chrétien * , fe font
>> rencontrés avec ceux de ce grand Archi-
»
22
-*
+
* Voyez l'Obfervateur Littéraire 1760 , Tomer
, page 295... IV,
112 MERCURE DE FRANCE.
"
و ر
» tecte . Le goût & le génie qui ont préfidė
» à l'ordonnance de cet édifice , font des
» autorités refpectables qui juftifient les
» obfervationsque nous avions faites à l'é-
» gard du Maître- Autel dans les Eglifes . On
» doit auffi remarquer dans ce nouveau
Temple, avec quelle intelligence par l'emplacement
du grand Autel renfermé dans
» un augufte Sanctuaire , M.Soufflot a diftin-
» gué ce qu'exigeoit l'ineffable majesté des
» Saints Mystères , & par la pofition de la
» Châffe, ce qui convenoit tant à la dignité
» des Reliques , qu'à la commodité des actes-
» de dévotion du Peuple. Nous n'entrerons
point dans le détail de toutes les per-
» fections de l'Art répandues fur cet ad-
» mirable Tableau * ; nous craindrions
» d'être au- deffous & du ſujet , & des éloges
répétés & unanimes des Connoiffeurs
& du Public.
33
ود
Parvenus au Tableau de Vénus bleſſée
par Dioméde, de M. Doyen, nos Amateurs
pefent & balancent tout ce qu'on a dit de
favorable & de défavantageux fur cet Ou-
* N. B. M. l'Abbé Delaporte , Editeur de ces
Obfervations , nous informe que c'eſt par une erreur
dans l'impreffion que le mot de Projet s'étoit
gliffé à la place de celui de Tableau de M. de
Machi , attendu que tout ce qui précéde déclaré
bien que le Projet eft de M. Soufflot.
OCTOBRE . 1761 . 113
,
vrage. Le résultat de leur examen eft un éfpoir
très- flatteur pour ce jeune Artiſte , auquel
ils accordent tout le feu & toute l'élévation
du Poëte Grec dont il a tiré fon fujet
. S'ils conviennent d'une part que tous
les plans ne font pas bien diftincts , que la
chaîne de lumières eft rompue en plufieurs
endroits , &c ; ils rendent juftice à la beauté
de plufieurs parties , entre autres à celles
de ces corps morts ou mourants près
d'un cheval qui lui - même , pour employer
leurs expreffions , foufle pour ainfi dire
lafureur avec le fang. Ils juftifient ce que
quelques Cenfeurs avoient trouvé d'exagégéré
dans la figure de Dioméde ; ils applaudiffent
au caractère de plufieurs autres.
Ils rendent raifon de ce qui a pu donner
lieu à des critiques fur lesquelles ils ne
prononcent pas . Enfin faire connoître
tout ce qu'ils efpérent de ce Peintre
ils terminent ainfi . » Il y a des écarts où
» entraîne un talent trop impérieux pour
»fubir le joug des régles , & qui font
» néanmoins une fource d'efpoir pour la
perfection . Si M. Doyen et tombé dans
quelques uns , ils ne peuvent être que
» de cette espéce . Que ce jeune Artiſte
» étudie encore les Maîtres de l'Art , & il
» le deviendra bientôt lui même.
و د
ود
pour
Ils ne négligent pas de remarquer que l'e
114 MERCURE DE FRANCE.
fuccès d'un Tableau du même Peintre re- .
préfentant une Lifeufe , a été fans contradicteurs.
Nous copions avec plaifir la façon
agréablement ingénieufe dont on annonce
M. Greuze dans ces Obfervations .
» Au Théâtre il eft des Acteurs que le
» Public admire , & aufquels il paye le
» tribut dû aux grands talens ; mais il en
» eft prèfque toujours un qu'il aime davantage
, parce qu'il lui procure un plai-
» fir plus familier . Les premiers font, pour
» ainfi dire , les maîtres , l'autre eft l'ami
» du Parterre ; & cet ami eſt toujours ce-
» lui dont le jeu fe rapproche le plus de la
» naïveté de la nature. Depuis quelques
années c'eft M. Grenze qui jouit de cet
» avantage fur le grand Théâtre Pitto : eſque
du Sallon . Il a eu des prédéceffeurs
» dans l'uſage intéreſſant qu'il fait de ſon
» Art ; mais il en a étendu l'effet , en y
joignant les graces à l'énergie du carac-
» tère : ſon pinceau ſçait ennoblir le
ruftique , fans en altérer la vérité.
L'aimable Tableau de la petite Blanchif
fenfe , & plufieurs têtes admirables font
les premiers objets des louanges très - juftes
& très-raifonnées de ces Obfervations ;
elles vont jufqu'à l'admiration pour le Tableau
qui a fait retourner tout Paris au
ور
genre
OCTOBRE. 1761. 113
Sallon. Nos Lecteurs perdroient trop à extraire
ce morceau .
» Ce qui eft au- deffus de toutes nos
» louanges , au- deffus même de l'idée que
» nous voudrions en donner , c'eſt le Ta-
» bleau fi long- temps attendu au Sallon, &
» dont la fcène eft dans le fein d'une hon-
» nête famille rurale . L'inftant de l'action
-33
qu'a repréſentée M. Greuze , eft celui out
»le pere de l'accordée délivre à fon gen-
» dre futur , l'argent de la dot de fa fille .
» Ce pere affis dans la partie apparente ,
» eft un vieillard d'une phyfionomie ou-
» verte , avec toute la nobleffe de fon état.
" On remarque que c'eft moins la décré-
» pitude de l'âge , que le travail & l'im- .
preffion de l'air , qui a fillonné fon vifa-
» ge. Le pinceau parle dans ce vieillard ;
on entend ce qu'il dit au jeune homme à
qui il remet le fac d'argent , & qui l'é-
» coute debout avec une attention refpectueufe.
On voit qu'il l'exhorte à faire.
» un ufage utile & honnête de cette dot ,
» & on lit fa confiance dans la manière.
» dont il lui parle. La jeune accordée a un.
» bras entrelacé dans celui du jeune hom-
» me. On s'apperçoit que la pudeur & la
préfence des parens retiennent fa main
prête à fe pofer fur celle du futur , qu'elle
defice , mais qu'elle n'ofe toucher . Son
"
".
>>
116 MERCURE DE FRANCÈ.
"autre bras eft embraffé par la bonne mère,
affife vis-à -vis du vieillard . Le chagrin
dé la féparation & la tendreffe maternel-
» le accompagnent & rendent plus inté-
" reffantes les leçons qu'elle donne à ſa fil-
» le. Rien n'eft fi piquant que la figure de
» cette accordée , ni de fi fpirituellement
» adapté au Sujet. Sa tête eft charmante ;
" & les yeux baiffés vers la mère avec ume
" modefte contrainte, ne laiffent que mieux
» deviner le charme naïf de fa phyfiono-
» mie. On y diftingue jufqu'à une petite
hypocrifie douce & honnête , qui couvre
» le véritable intérêt dont elle eft occupée
» dans ce moment. Les foupleffes gracieufes
d'une jolie taille , qui fort des mains
" de la nature, & qu'aucim artifice n'a for-
" mée ni foutenue , font exprimées avec
»une délicateffe au deffus de tout éloge . Il
" n'eſt pas jufqu'à fon tablier blanc , qui
» dans fa chûte naturelle , & fans recherche
apparente , ne concoure à la perfec-
» tion de ce caractère. Une petite foeur ,
» penchée fur les bras de cette accordée ,
pleure leur féparation , comme c'est l'afage
des foeurs cadettes , tandis que derrière
tout ce monde, un petit frère à che-
» veux blonds bouclés , fe léve fur la poin-
» te des pieds pour mieux voir ce qui fe
pafle. L'importance dont eft cette action
""
97
OCTOBRE . 1761. 117
dans une famille , la lui fait croire une
» cérémonie fort curicule. Ce qui ajoute
» infiniment à l'intérêt de la fcène , c'eft le
"3
mêlange de dépit , de regret & de jalou-
» fie qu'on apperçoit diftinctement fur la
phyfionomie d'une autre jeune perfonne,
» qui , le bas du viſage fur la main , derrière
» le fiége du vieillard , léve des yeux mécontens
fur le couple, & particulierement
»fur le futur. Sans reflembler à l'accordée,
» on la reconnoît pourtant à l'air de famil-
» le, pour une foeur aînée , que le choix du
jeune homme a facrifiée à fa cadette.
» Près du vieillard , fur le devant de la toile,
» le Peintre a placé le perfonnage indifpen-
» fable : c'eft le Tabellion avec fon habit
. و د
noir & fon manteau. On voit qu'il fe
» donne l'importance de fon ministère de-
» vant ces bonnes gens , & tout , jufqu'au
» tour de fon chapeau , indique & l'état &
» le perfonnage . En obfervant en détail
" tout ce tableau , on y remarque , de la
» part du Peintre, une attention réfléchie
» & étendue fur toutes les vérités de la na-
» ture , attention qui a peu d'exemples, &
» dont on defireroit plus d'imitateurs .
» Non-feulement les têtes , mais encore
» les jambes , les mains & les carnations
» marquent dans chaque perfonnage l'âge,
» le fixe , l'état , & ce que le plus ou le
118 MERCURE DE FRANCE.
"
33
"3
» moins de fatigue du corps y doit occafionner
de différence . On ne peut trop
» admirer la chaîne heureufe de lumière ,
»qui met tous les objets dans leur véritable
place & dans le ton vrai que
chaque place doit leur donner. Des
ombres fondues avec les clairs opérent
les preftiges de l'illufion , comme on le
» remarque à l'égard d'une armoire placée
»pour faire fond au group pe du vieillard.
La vue en mefure la profondeur & les
faillies , fans le fecours des ombres tranchées
, toujours fauffes lorfque la caufe
de la lumière ne frappe pas l'objet immédiatement.
Les vuides du tableau
"
«
"
و د
و و
33
33
"
و و
font agréablement remplis par quelques
perfonnages épifodiques, mais naturelle-
„ ment acceffoires au fujet. Ce morceau
précieux appartient au Mécène même ,
» qui préfide fur les Arts , ce que nous ré-
» marquons ici , tant pour l'honneur du
» Peintre , que pour celui du goût d'un
,, Protecteur utile aux Artiſtes , non - feu-
» lement par l'ufage de fon autorité , mais
» encore par l'emploi de fes propres fonds.
» Cet hommage que nous lui rendons au
» nom des Artiftes , nous rappelle la jufte
» reconnoiffance qu'ils doivent auffi , &
» qu'ils reffentent tous pour cette généreu-
»fe & conſtante bienfaitrice, qui feconde
و ر
OCTOBRE. 1761 .
» fi ardemment & fi utilement les vues de
» leur Protecteur . C'eſt à elle qu'appar-
» tient un autre Tableau de M. Grenze
repréſentant un Berger qui confulte le
» fort en foufflant fur une fleur. Il a été
» fait pour fervir de pendant à celui de
» l'ingénuité , vu avec tant de plaifir au
» précédent Sallon . Il ne céde point au premier
par le mérite de l'Art ; mais peut-
» être par les graces du caractère de fimpli-
» cité , plus touchantes dans un fexe que
» dans un autre . *
»
On n'a pas omis les deffeins de ce Peintre
qui étoient expofés . On remarque à
l'occafion de ce qu'ils repréfentent , que
» les fujets qu'imagine & que rend fi bien-
» ce jeune Peintre , pourront former un jour
» unTraité complet de morale domestique.
Il paroît que M. Cafanove eft regardé
par MM. les Amateurs, comme le Peintre
qui doit remplacer ceux que nous avons
perdus pour le genre des Batailles . Ils s'expriment
fortement fur la vigueur & fur la
force de la manière de ce Peintre Son
grand Tableau , difent- ils , dévore la vue &
porte la terreur dans l'âme. Expreffion nou .
velle , mais qui rend rapidement & avec
énergie, l'idée de la couleur & de la manière
du nouveau Peintre qui paroît fur la Scè-
* Ces deux Tableaux appartiennent à Madame
la Marquile de Pompadour.
120 MERCURE DE FRANCE.
ne. Ils cherchent enfuite fi cette force dévorante
eft youjours l'imitation exacte de
la nature.
»Le Purgatoire de M. Briard , difent
» nos Amateurs , annonce qu'il n'en deme-
» rera pas là . Ils approuvent & font re-
» marquer beaucoup de parties eftimables
» dans ce Tableau , de la forme la plus in-
» grate pour la compofition . Ils finiffent
» par ce rapport favorable : » Tout ce qui
» peut encourager un jeune Artifte , eft le
» réfultat de l'examen qu'on a fait de ce
» Tableau.
Ce feroit faire tort à M. Roland de la
Porte , nouvel Académicien pour le genre
des imitations , de ne pas copier un trait
qu'on trouve dans l'examen de fes Tableaux
.
"
"
» Si les oifeaux béquetoient des raifins
qui ont fi fort féduit la facile admiration
» de l'antiquité , il feroit très poffible que
» des enfans de nos jours , pour peu qu'ils
» euffent de gourmandife , portaffent la
» main fur les petits pains de notre Pein .
» tre. Ce qui ajoute au mérite de fa ma-
» nière , c'eft qu'elle eft tellement finie &
» fondue , que les yeux fur le Tableau ,
» l'illufion dure encore & n'en devient que
" plus forte.
L'Article des Portraits n'étant pas fort
étendu ,
OCTOBRE. 1761 . Izr
étendu , nous le rapportons prèfqu'en entier.
C
" Le magnifique Portrait du Roi par M.
Michel Van-loo , placé dans l'endroit
» le plus apparent du Sallon , eft un mo-
» nument de ce temps , précieux à la Na-
» tion par l'exactitude de la reffemblan-
» ce , & admiré de tous les Connoiffeurs
» par la beauté du coloris , par l'heu-
» reux agencement de fes parties , & en-
» fin par toute l'ordonnance , où l'on re-
» trouve auffi dans fon exécution , le Pein-
» tre du grand genre.
و د
"
"
» Les Portraits qu'a expofés M. de la
» Tour , foutiennent tous la réputation
qu'il s'eft acquife à fi jufte titre ; c'eſt
» en faire l'éloge le plus flatteur , & le
" plus généralement entendu. Il en est
» plufieurs qui feroient la gloire des Pein-
» tres du premier genre , par la manière
fçavante dont les têtes font travaillées.
Tel eft celui d'un Prince cher aujour-
» d'hui à notre Nation * , & d'un Poëte
Tragique qui jouit de fa mémoire ,
» comme Corneille , dont il a vu les der-
» niers jours , avoit joui de la fienne.
"
"
**
» Nous ne devons pas omettre un au-
» tre Citoyen eftimé , que l'on voit en
* M. le Comte de Luface.
** M. de Crébillon .
II.Vol.
122 MERCURE DE FRANCE.
>
robe de chambre , affis de côté fur une
» chaife dont le doffier lui fert d'appui.
» On ne parle pas de la reffemblance
» mérite ordinaire à ce Peintre ; mais on
ne peut voir une pofition plus facile ,
» plus vraie , & plus d'illufion dans au-
» cun Portrait qui foit forti des mains
» de M. de la Tour.
"
" M. Rofiina exécuté en Peintre de
» Portrait , un des grands Tableaux def-
» tinés à être placés dans l'Hôtel- de -Ville
» de Paris. C'est l'inftant où le Roi, après
» fa maladie , eft reçu dans cette Ville à
» fon retour de Metz. On voit encore
» une partie du carroffe qui a conduit
ce Monarque. Le Prince n'eft pas la
perfonne la plus en évidence , & en-
» core moins celle dont la reffemblance
foit plus exacte. L'Auteur qui eft étranger
, n'a peut -être pas fenti que dans
quelque circonftance que ce puiffe être,
» cette perfonne feroit toujours la plus
s intéreffante à voir pour des fpectateurs
» François; celle que leurs yeux cherchent
d'abord , & fur laquelle ils fixeront tous
leurs regards. M. de Bernage , alors
» Prévôt des Marchands , Magiftrat qui
» s'eft trouvé chargé de confacrer les épo-
» ques les plus mémorables de ce Régne ,
y eft très - reconnoiffable, quoique le co-
و و
15
OCTOBRE. 1761. 123
» loris foit un peu forcé dans les carna-
»tions. On parle , pour ainfi dire , & l'on
» converfe avec les autres perfonnes qui
"
"
"2
compofoient alors le Bureau de la Ville.
» Un petit Page qui court à pied auprès
» d'un Ecuyer , derriere le grouppe où eft
» le Roi , a été généralement remarqué.
» Dans le Portrait de M. le Marquis de
Marigny , par le même Peintre , tout
le Public , en convenant d'une parfaite
» reffemblance dans les traits , a cru voir
» une carnation plus forte & plus arden-
» te , qu'elle n'eft dans l'original . Les Ar-
» tiftes fe font plaints de n'y pas retrouver
» certaine expreffion d'une âme ouverte
» & affable , qui vient auffitôt fe peindre
fur fon vifage , lorfqu'ils approchent de
» lui.
ود
•
» La plupart des Portraits de M. Roflin
lui font encore honneur par la cé-
» lébrité des perfonnes qu'ils repréfentent.
» Les Artiſtes y reconnoiffent M. Bou
» cher , leur Confrère , très- fortement
» reffemblant , dans un de ces inftans qui
» ne font pas donnés au plaifir. Le Por
» trait de Madame Boucher , fa femme ,
» est bien peint , bien ajuſté , & très -re-
» connoiffable : cependant en le compa
» rant à celui du mari , on s'apperçoit que
» le pinceau faifit toujours mieux l'humeur
» que les grâces. Fij
و د
124 MERCURE DE FRANCE.
و د
" Plufieurs Portraits de M. Drouais
» confirment fa réputation par la fraî
» cheur de fon coloris & la vivacité de
fon effet. Tels font entr'autres, ceux de
» MM. de Bethune & d'un des enfans de
» M. le Préfident Defvieux ; mais fur-
» tout , celui d'un jeune Eléve , Tableau
du Cabinet de M. de Marigny. Il eſt
d'un piquant admirable , & peut foute-
» nir & fatisfaire les regards les plus diffi
» ciles . Un autre petit garçon jouant de la
» vielle , peint dans le même genre , eft
» encore un des ouvrages diftingués de
» M. Drouais dans ce Sallon.
ود
"
"
» Les Portraits ramènent à M. Greuze.
» Parmi ceux qu'il a expofés , on doit regarder
le fien comme une galanterie
faite aux Amateurs de la Peinture , auxquels
fes talens font chers. Mais celui
,, de M. Babuty , fon beau- père , fera
confidéré comme un vrai chef- d'oeuvre
peut être propofé comme une utile
leçon , dans la manière de bien traiter
une tête. Ce n'eft pas
feulement par
» caricatures que gravent les années , qu'il
» a donné à ce Portrait la force de l'effet ,
&
و و
"
"
"
les
& la vérité du caractère ; mais c'eſt par
» des paffages , dans les teintes des car-
» nations , dérobés à la Nature même
» avec cette fineffe qui lui eft uniquement
» réſervée.
OCTOBRE. 1761. 125
Nous ne pouvons donner que les premiers
articles de la Sculpture ; l'examen
des autres nous entraîneroit hors des bornes
ordinaires d'un l'Extrait.
» Le Sallon du Louvre , difent MM.
» les Amateurs , eft devenu pour les
» Arts , le Lycée d'Athènes & le Capi-
>> tole de Rome ; c'eft le lieu le plus au-
» gufte de leur Patrie ; les images de ceux
à qui les Arts doivent de la reconnoif-
» fance, y figureront toujours bien. On y
» voit donc avec plaifir , le Bufte en mar-
» bre de Madame la Marquife de Pom-
» padour , par M. le Moine. L'éloge
» qu'on a fait de cet Ouvrage , & qui eft
>> aujourd'hui généralement confirmé par
» les fuffrages du Public , fe trouve dans
» un des Mercures de cette année.Nous y
>> renvoyons nos Lecteurs, dans la crainte
» de ne pas rendre avec autant de jufteffe
& de précifion , tous les détails de ce
» qui conftitue le mérite de ce morceau.
"
» D'autres Portraits expofés au Sallon
» par le même Maître , y font , par
"
» des relations différentes , très - convena-
» bles & très -intéreffans pour le Public &
» pour les Artiftes. Tel eft d'abord celui
» de M. Reftout , refpectable par
» de & belle carrière qu'il a remplie ; &
" enfuite la tête de l'héritier des forces
la
gran-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
» & du génie de Corneille fur notre ſcène
» tragique * . La touche du premier eft
» facile , hardie & fpirituelle. La tête de
» M. de Crébillon eft reffemblante , &
» modelée avec fentiment . Une tête de
» petite fille joue & badine , pour ainſi
» dire , entre la dignité de ces deux Por
» traits. Une touche légere y fait voltiger
» les premieres graces , & cette naïveté
fine , dont la nature pare quelquefois
» notre enfance. Ces trois têtes font en
» terre cuite; ainfi le méchaniſme de l'Art
» en eft plus à découvert , & l'efprit qui
» le guide , plus diftinctement articulé.
» Combien un Artifte ne doit-il pas être
flaté d'avoir contribué à l'immortalité
» de ceux qui , par des talens d'un autre
genre, ont droit de l'attendre de la mé-
» moire des hommes ? Le Bufte en mar-
» bre de Mlle Clairon , procure cet avantage
à M. le Moine. Cette Actrice ini-
» mitable , eft repréfentée fous l'allégorie
» de Melpomène invoquant Apollon , ou
» pour mieux dire , recevant de ce Dieu
» l'infpiration du plus fublime talent de
l'action dramatique . Ce Portrait eſt très-
» reffemblant ; le caractère en eſt noble
» & touchant. Il eft pris fous un de ces
» beaux afpects , par lefquels elle exerce
» fi fouvent au Théâtre , un empire fou-
* M. de Crébillon .
OCTOBRE613 827
verain fur les âmes dont elle fait à fon
» gré moavoir tous les refforts . On nous
accuferoit , peut- être , de trop de prévention
en faveur des Artiftes célébres ,
fi nous n'avions pas foin de remarquer
que quelquefois dans le méchaniſme de
» leur Art , ils négligent trop les recher-
» ches laborieuſes , qui feules finiffent &
» perfectionnent cette vérité d'imitation
que doit prendre la matière fous les
doigts de l'Artifte dans tous les détails .
"
2
,
M. Falconet , dont les Ouvrages portent
toujours le fceau de la vérité embellie
par l'efprit ou par les graces,nous
» fait voir deux petits grouppes de fem-
» mes en plâtre , qui ont attiré notre attention
. Ils font difpofés de manière ,
que de chaque face ils préfentent les
» différens afpects d'une figure de femme.
L'élégance des formes , le choix heureux
» des pofitions , l'agrément des caractères
» de têtes & celui des coëffures , font réu-
» nis dans ces deux grouppes . Pour les
» définir en peu de mots , ce font les di-
» verfes beautés dont eft fufceptible la
» figure d'une femme , diftribuées fous
" quatre points de vue , & rendues avec
» une fidélité qui n'ajoute rien d'idéal à la
» nature. Ces grouppes font des fupports
» de chandeliers , qui doivent être exécu
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE!
tés en argent , & faire partie d'un fer-
» vice de table pour une Cour étrangère.
» Les Amateurs des Arts & ceux de l'hon-
» nêteté , ont applaudi au procédé de M.
» Germain. Il a publié avec une franchi-
»fe , malheureufement peu commune, le
choix qu'il a fait de M. Falconet pour
» l'exécution des modèles de toutes les
figures dans ce Sur-tout. Il foutient ce
» fentiment qui lui fait honneur , par
le
>>
plaifir que paroît lui faire l'expofition
» de ces deux modéles. D'ailleurs , en ren-
» dant publiques les principales études de
» cet ouvrage , M. Falconet affure davan-
» tage à M. Germain le fuccès de fon entrepriſe.
Il eft à préfumer qu'un Auteur
» qui fe foumet à tant de Juges , fait plus
» d'efforts pour mériter les fuffrages .
ور
و د
و د
par
» Nous avons remarqué , avec la plus
> grande diftinction , la tête d'un Philofophe
citoyen ( titres aujourd'hui trop
» fouvent oppofés dans l'opinion publi-
» que célèbre non -feulement la
» fcience & par l'érudition , mais encore
» par toutes les qualités fociales, qui ren-
> dent un homme cher & refpectable à
» fes Compatriotes. Ce Citoyen , ce Philofophe
, porte le même nom que l'Artifte
, qui en a fait un monument auffi
glorieux pour fes talens , qu'honorable
>>
OCTOBRE. 1761. 129
» pour fon coeur *. Nous avons éprouvé
» à l'égard de cette tête , la fatisfaction ,
» flateuſe d'entendre confirmer notre pro-
» pre fentiment , par la déclaration unanime
des Connoiffeurs & des Artiftes
» les plus éclairés. Ils y ont reconnu ,
» ainfi que nous , non - feulement une vé-
» rité de reffemblance égale à la Nature
» même , mais encore une vérité dans le
» travail , qui met ce morceau au nombre
» des modéles propofés pour atteindre à
» la perfection. Nous nous fervirons des
» termes propres à ces Juges , en difant
» que dans ce Bufte , le marbre paroît
» modélé , c'eſt-à- dire , que le cifeau a pris
» toute la liberté , tout l'efprit &la vérité
» de la premiere touche , en confervant
» le fini qu'il doit produire .
Nos Amateurs ne parlent point des Eftampes
qui fe multiplient par l'impreffion;
mais à l'article des Graveurs, ils font avec
juftice un éloge détaillé d'un très - beau
deffein à la Sanguine de M. Cochin , repréfentant
Lycurgue qui appaife une fédition
.
* M. Falconet le Médecin a fait lui- même cette
épigraphe gravée derriere fon Bufte . OMONY-
ΜΟΙΝ ΕΤΕΡΟΣ ΕΤΕΡΟΝ ΕΠΛΑΤΤΕ ΝΕΟΣ
ПРEΣYTÍN , » L'un des deux Omonymes a fait
>> l'autre : le jeune a fait le vieux, »
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
LE GENTILHOMME Cultivateur, ou Corps
complet d'Agriculture , traduit de l'Anglois
de M. Hale , & tiré des Auteurs qui
ont le mieux écrit fur cet Art , avec figu
res , 8 vol. in- 4°. & 16 vol . in- 12 . Prix
de chaque vol, in- 4°. 6 liv. & des deux
vol. in- 12 . qui en font un in - 4 ° . 5 liv.
Par M. Dupuy Demportes , de l'Académie
de Florence , imprimé chez Simon ,
Imprimeur du Parlement , fe vend à Paris
chez le même , & chez Chapuis l'ainé
, Libraire à Bordeaux . On voit dans la
Préface de cet Ouvrage fi defiré par rapport
à la célébrité de fon original , l'Ordonnance
& les Loix que le Traducteur
s'eft impofées . On la lit avec d'autant plus
de plaifir qu'il y regne un eſprit de Patriotifme
que l'on voudroit voir dans tous les
Ecrivains. Après quelques moyens que l'on
donne pour encourager l'Agriculture , on
trouve des obfervations fur l'eftimation
des terres felon leur valeur intrinféque.
Tous les inconvéniens aufquels on eft expolé
, & les détours de la mauvaiſe foi
que l'on y pratique font mis dans un jour
propre à mettre l'Acquéreur & te Vendeur
à couvert de toute furprife. Les intérêts
de l'un & de l'autre y font difcutés de la
OCTOBRE. 1761. 13 【་
manière la plus lumineufe & la plus fatisfaisante
: ce morceau eft neuf & utile.
De là l'on paffe à la connoiffance du fol.
On peut dire à la looange de l'Original &
de fon Traducteur, que la nature & la propriété
des terres relativement au labourage
, aux pâturages , & aux arbres y font expofées
avec une fimplicité & une netteté
dont les Cultivateurs les moins intelligens
peuvent tirer de grands avantages .
Toutes les analyſes des différentes terres y
font réduites en pratique : voilà l'objet
du premier Livre qui fait le premier Tome
de l'in- 12 . Enfaite vient le fecond où l'on
traite des engrais . On les divife en engrais
naturels & en engrais artificiels . On y tire
parti de toutes les fubftances qui ont paru
jufqu'à préfent inutiles & même nuisibles
au général des Cultivateurs. De forte que
pour peu que l'amour de l'agriculture fe
ranime & qu'il foit actif , beaucoup de
Propriétaires qui jufqu'ici ont cru ne pofféder
que des terres vaines , feront bien
furpris de les voir produire des récoltes.
abondantes en fuivant la méthode lumineufe
que l'on trouve dans cet Ouvrage.
Tous les mêlanges des fumiers que l'Au
teur pratique, les différens degrés d'extinction
qu'il leur donne , ou de chaleur qu'il
leur laiffe relativement aux climats , fer-
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
vent à prouver qu'il y a beaucoup de terres
inutiles par la négligence ou par l'ignorance
des Cultivateurs. Nous finiffons l'analyſe
de ce volume en exhortant l'Auteur
à être exact à fournir la fuite au temps fixé,
pour ne pas dégoûter de l'acquifition d'un
Ouvrage fi néceſſaire.
ÉLÉMENS DE PHYSIOLOGIE , Ou Traité
de la ftructure & des ufages des différentes
parties du corps humain , traduit du
Latin de M. Haller. A Paris chez
Guillyn , Libraire , quai des Auguſtins ,
près du Pont S. Michel , au Lys d'Or.
Prix , 3 liv . broché.
EXPOSITION de la Doctrine de l'Eglife
Catholique , fur les matières de controverſe.
Par Meffire Jacques- Benigne Bof-
Suet , Evêque de Meaux &c. Nouvelle
Edition , augméntée de la Traduction Latine
de M. l'Abbé Fleuri Auteur de
l'Hiftoire Eccléfiaftique ; avec une Préface
hiftorique & critique. In - 12 . Paris, 1761 .
Chez G. Defprez, Imprimeur du Roi &
du Clerge de France , rue S. Jacques. Prix,
3 liv. relié .
,
La Préface hiftorique eft nouvelle &
très-curieufe. La Traduction Latine de M.
l'Abbé Fleuri , qui n'avoit jamais été !
OCTOBRE . 1761 133
jointe au François , étoit devenue fi rare ,
qu'on n'en a pu trouver qu'un Exemplaire
à la Bibliothèque du Roi.
ELOGE DE RENÉ Duguay - Trouin
Lieutenant- Général des Armées Navales
de France , Commandeur de l'Ordre Royal
& Militaire de S. Louis. Difcours qui a
concouru pour le Prix de l'Académie Françoiſe
en 1761. Par M. Guis , Négociant
& Académicien de Marſeille .
Conamur tenues grandia.
Horat. Ode 6. L. I.
In- 8° . Paris , 1761. Chez la veuve Brunet
, Imprimeur de l'Académie Françoiſe ,
Grand'- Salle du Palais.
GRAMMAIRE FRANÇOISE Philofophique,
ou Traité complet fur la Phyfique , fur
la Métaphyfique , & fur la Rhétorique du
langage qui regne parmi nous dans la Société.
Par M. d'Açarq , de la Société Littéraire
d'Arras , ci-devant Profeffeur de
Langue & de Belles- Lettres Françoiſes , à
l'Ecole Royale Militaire. Seconde Partie.
In- 12. Genève , 1761 ; & fe vend à Paris
chez Moreau , rue Galande , & chez Lambert
, rue de la Comédie Françoife . Nous
rendrons compte inceffamment de cette
134 MERCURE DE FRANCE.
feconde Partie , qui ne dément en rien la
première , à laquelle nous avons déja rendu
juftice.
NOUVELLE MÉTHODE pour apprendre
facilement la Langue Latine , contenant
les regles des genres , des déclinaifons , des
prétérits , de la fyntaxe , de la quantité &
des accens latins , mifes en François avec
un ordre très- clair & très-abrégé. Préfentée
au Roi. Augmentée d'un grand nombre
de remarques très- folides , & non
moins néceffaires pour la parfaite connoiffance
de la Langue Latine, que pour l'intelligence
des bons Auteurs : tirées de ceux
qui ont travaillé fur cette Langue avec plus
de foin & de lumières . Avec un Traité de
la Poëfie Latine , & une brève inftruction
fur les régles de la Poëhe Françoiſe. Douziéme
Edition , revue , corrigée , & augmentée
d'une Table générale des matières
& des mots latins rapportés pour exemples
,, ou fur lefquels il y a des remarques.
În- 8°. de près de 900 pages. Paris , 1761 .
chez Guillyn , quai des Auguftins, au Lys
d'Or. Prix , 6 liv . relié.
Expofition abrégée des Loix. Volume
in- 8° . Paris , 1761. chez le même Libraire.
Prix relié , 4 liv. La réimpreffion de
cet Ouvrage utile ne peut être qu'agréable
au Public,
OCTOBRE . 1761. 134.
INSTRUCTION Militaire du Roi de Pruffe
pour fes Généraux . Traduite de l'Allemand
, par M. Faefch , Lieutenant- Colonel
dans les Troupes Saxonnes ; avec
XIII. Planches gravées en Taille douce ,
in- 12 . 1761. Se trouve à Paris , chez L.
Cellot , Imprimeur , rue Dauphine , près
le Pont- Neuf.
ÉLOGE HISTORIQUE de MONSEIGNEUR
IE DUC DE BOURGOGNE. In 8 ° . 1761. De
l'Imprimerie Royale. Par M. le Franc de
Pompignan , de l'Académie Françoiſe.
Nous donnerons , dans le Mercure prochain
, l'Extrait de cet Ouvrage , intéreffant
pour la Nation , qui pleurera longtemps
la perte de ce Prince.
RÉFLEXIONS fur le Systême des nou̟-
veaux Philofophes.
L'homme eft de glace aux vérités ;
Il eſt de feu pour les menfonges.
La Fontaine , Liv. 9. Fab. 6.
Brochure in- 12 . A Francfort , 1761 , &
fe trouve à Paris , chez Lottin lejeune,
rue S. Jacques ; & à Falaife , chez Piftel
Préfontaine , vis-à- vis la belle Croix .
136 MERCURE DE FRANCE.
SUPPLÉMENT à l'Article des Piéces
Fugitives.
VERS
A M. LE COMTE DE SAINT-FLORENTIN
, pour le jour de fa fête.
LOUIS ,
LOUIS
, ne craignez
point
le langage
apprêté
;
De toutes
vos
vertus
, je n'en
célèbre
qu'une
,
Peu
brillante
, mais
peu
commune
.
Ce n'est point cette intégrité ,
Ni cette activité prudente ,
Ni cette égalité conſtante ,
Vertus qui font aimer le Mortel reſpecté :
Non , c'eſt votre ſeule bonté.
Qu'une Mufe plus éloquente ,
De tous ces dons du Ciel , faffe admirer l'éclat
Qu'elle célèbre , qu'elle vante ,
Le Miniftre , l'Homme d'Etat :
Ce que j'admire davantage ,
C'eft un coeur qui fçait compâtir
'Aux maux que par lui-même il ne peut reffentir ;
Qui voit les malheureux , les plaint & les foulage.
En nous , bien fouvent la pitié
N'eft qu'un préffentiment du fort qui nous menace :
Mon égal m'attendrit , je puis être à ſa place ,
De ſes ma ux je fuis de moitié.
OCTOBRE. 1781 . 137
Mais touché d'un malheur que l'on n'a point à
craindre ;
Qu le terminer , ou le plaindre ,
C'eft ennoblir fon être , & reffembler aux Dieux ,
Qui du fein du Bonheur,dont fans ceffe ils jouiffent,
Sur les Mortels jettent les yeux ,
Et fur leur deftin s'attendriffent.
Comme eux compâtiffant, foyez aimé comme eux.
Dans ce jour où le Ciel, que pour vous on implore,
Paroît attentif à nos voeux ,
Quels biens vous fouhaiter encore ?
A l'envi tout confpire à vos foins généreux ;
A vos defirs rien n'eſt contraire ;
Vos bienfaits ne font point bornés :
Vous vous plaifez à voir des Mortels fortunés ;
Etvous aurez toujours l'heureux pouvoir d'en faire.
Par Mlle FAVIER
138 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES
ACADÉMIES.
OPUSCULES
MATHÉMATIQUES ,
ou Mémoires fur différens fujets de
Géométrie , de Méchanique , d'Optique
, d'Aftronomie &c. Par M. d'ALEM
BERT , de l'Académie Françoife,
des Académies Royales dés Sciences
de France , de Pruffe & d'Angleterre ,
de l'Académie Royale des Belles-Lettres
de Suéde , & de l'Inftitut de Bologne.
2 Vol. in-4 ° . de plus de 300
pages chacun , à Paris , chez David ,
rue & vis-à-vis la grille des Mathurins.
POUR OUR faire connoître cet Ouvrage aux .
Sçavans , à qui il eft principalement deftiné
, nous inférerons ici prèfqu'en entier
l'Avertiffement de l'Auteur. C'eſt donc M.
d'Alembert qui va parler dans le refte de
cet Article.
OCTOBRE . 1761. 139
Comme les différens Mémoires contenus
dans ces Opufcules , exigent , dit M.
d'Alembert , une lecture attentive & fuivie
, pour ſe mettre au fait des matiéres
qui y font traitées ; je me contenterai de
donner ici une idée générale de ce qu'ils
contiennent.
Dans le premier je fais voir contre M.
Daniel Bernoulli , que la folution donnée
par M. Taylor du Problême des Cor
des vibrantes , eft infuffifante & imparfaite
, même avec l'extenfion ingénieufe que
M. Bernoulli y a donnée ; je prouve que
la feule vraie folution de ce Problême eft
celle que j'ai trouvée le premier par une
méthode fingulière & nouvelle , & que j'ai
publiée dans les Mémoires de l'Académie
de Berlin 1747. Je prouve de plus contre
M. Euler , que cette folution quoiqu'auffi
générale qu'il cft poffible , n'eft cependant
applicable qu'aux cas où la corde a une
certaine figure au commencement de fon
mouvement ; & que dans les autres cas , le
mouvement de la corde ne peut être repréfenté
par aucune formule analytique , ou ,
ce qui revient au même , ne peut être foumis
au calcul. Dans un Supplément à ce
Mémoire , je réponds à un très - habile Géomètre
de Turin , M. de la Grange , qui
avoit embraffé l'opinion de M. Euler , &
140 MERCURE DE FRANCE
qui l'avoit appuyée par de nouvelles preuves
, trouvant celles de M. Euler infuffifantes.
Le ſecond Mémoire a pour objet le mouvement
d'un corps qui tourne autour d'un
axe quelconque , fixe ou variable , avec
une vîteffe quelconque , variable ou uniforme
, étant animé ou non par des forces
accélératrices quelconques . Cet Ecrit n'eft
qu'une application des formules du Problême
de la Préceffion des Equinoxes , que
j'ai résolu le premier , à des cas encore plus
généraux. De favans Géométres ont déjà
traité le Sujet qui fait l'objet de ce Mémoire
; mais ma folution du Problême de la
Préceffion des Equinoxes , qui a ouvert la
route pour réfoudre ce genre de queſtions ,
avoit précédé leur travail , comme ils n'ont
pas fait difficulté d'en convenir eux-mêmes.
Dans le troifiéme Mémoire , je dévelop
pe les loix des ofcillations des corps flottans
, fur lesquelles j'avois déja donné un
Effai dans ma Théorie de la réfiftance des
fluides. M. l'Abbé Boffut, Profeffeur Royal
de Mathématique aux Ecoles du Génie
& Correfpondant de l'Académie des Sciences
, a fait un uſage heureux & utile de
quelques- unes de mes formules dans fon
excellente Piéce fur l'Arrimage des Navires
, qui a partagé le prix de l'Académie
OCTOBRE. 176r. 140
en 1761. Il a de plus ajoûté à ces formules
beaucoup de recherches curieuſes & importantes
qui lui appartiennent , & qui ont
rapport au mouvement des Navires.
Le quatriéme Mémoire a pour objet la
réduction des loix du mouvement des fluides
aux équations analytiques les plus générales
qu'il eft poffible. Après avoir donné
ces équations , je fais voir qu'il y a trèspeu
de cas où le mouvement des fluides
puiffe y être réduit , & par conféquent être
déterminé par un calcul rigoureux ; d'où il
s'enfuit qu'en genéral les loix de l'Hydrodynamique
, en tant qu'on les foumet au
calcul, ne peuvent être connues qu'à - peuprès.
Le but du cinquième Mémoire eft de
rendre plus rigoureufe & plus fimple l'ingénieufe
démonftration du principe de la
compofition des forces que M. Daniel
Bernoulli a donnée dans le premier Volume
des Mémoires de Pétersbourg.
Ces cinq Mémoires avoient déja été
annoncés dans l'Avertiffement de la nouvelle
Edition de mon Traité de Dynamiils
étoient dès lors en état de paroître
; depuis ce temps je les ai perfectionnés
, & augmentés de nouvelles recherches
.
que ;
Dans le fixième Mémoire , je foutiens
142 MERCURE DE FRANCE.
contre le célébre M. Euler, le même fentiment
que foutint autrefois M. Jean
Bernoulli contre M. Leibnitz, fçavoir
que les Logarithmes des quantités négatives
ne font point imaginaires , mais
réels , ou plutôt qu'ils peuvent être fuppofés
à volonté réels ou imaginaires , &
que tout dépend du fyftême de Logarithmes
qu'on choifit. Aux preuves que M.
Jean Bernoulli a données de fon fentiment
, & que j'ai développées & expofées
d'une manière encore plus frappante
, j'en ai joint plufieurs autres ; & j'ai
répondu aux objections de MM. Leibnitz
& Euler , de manière à ne laiffer , ce me
femble , aucun doute. fur cette queſtion
épineuſe & délicate .
+ Le feptiéme Mémoire eft un fupplément
à ce que j'ai donné dans les Mémoires
de Berlin de 1746 & 1747 , für
les intégrations qui dépendent de la rectification
des Sections coniques , & de la
quadrature des lignes du troifiéme ordre,
& une application de ces intégrations à
la quadrature de la furface des cônes
obliques.
J'ai recueilli dans le huitiéme Mémoire
plufieurs remarques fur l'attraction
pour éclaircir & développer quelques endroits
de mes autres Ouvrages. J'y fais
OCTOBRE. 1761 . 143
voir ; 1º . qu'en fuppofant à la Terre un
noyau intérieur d'une denfité différente
du refte du fphéroïde , la figure extérieute
de la Terre dépend moins de la figure,
de ce noyau , comme l'ont cru quelques
favans Géomètres , que du rapport de fa
denfité avec la denfité du refte du fphéroïde.
2 °. Que la Terre , même , en la
fuppofant en partie fluide , pourroit fub-.
fifter fans être un folide de révolution
pourvû qu'elle eût un noyau intérieur
folide , qui ne fût pas un folide de révolution
, & qui fût d'une denfité différen
te de la partie fluide. 3 ° . Enfin j'explique
pourquoi un corpufcule, placé fur une
furface fphérique, éprouve une attraction
qui n'eft que la moitié de celle que la .
même furface exerceroit fur le même
corpufcule , s'il étoit placé à une diſtance
infiniment peu plus grande.
Le neuviéme Mémoire contient l'examen
des principes qu'on employe communément
en Optique , tant par rapport
aux loix de la vifion directe, que par rapport
à celles de la vifion réfléchie ou réfractée
; j'en fais voir le peu de folidité ,
& j'en conclus que dans cette Science prèfque
tout eft encore à faire; que les principes
qui y font le plus généralement reçus,
font , ou faux , ou tout au moins très in144
MERCURE DE FRANCE.
certains ; qu'il eft très -douteux , par exemple
, que les objets foient toujours vûs
dans la direction du rayon viſuel ; que
l'on n'eft pas plus inftruit fur les loix de
la diftance & de la grandeur apparente
des objets dans les miroirs & dans les verres
; que les expériences d'Optique qui
paroiffent les plus fimples , font fujettes à
beaucoup d'illufions & de variétés &c.
Je donne auffi dans ce même Mémoire
une méthode que je crois affez fimple &
affez fûre pour déterminer la diftance &
la grandeur apparente des objets dans la
vifion directe ; & je fais à cette occafion
différentes remarques qui pourront , je
crois , intéreffer les Géométres.
Dans le dixiéme Mémoire , j'examine
les principes reçus jufqu'ici par les Mathé
maticiens fur le calcul des probabilités ,
& je tâche de montrer que ces principes
font au moins très-douteux , pour ne rien
dire de plus. C'eſt à quoi je parviens en
examinant un cas fingulier du Problême
des jeux de hazard , fur la folution duquel
les Analyftes paroiffent s'être vainement
exercés jufqu'aujourd'hui , & qui
ne peut être fufcceptible d'une folution
fatisfaifante , qu'en limitant & en modifiant
les principes dont ces mêmes Analyftes
fe font fervis jufqu'à préfent pour
réfoudre
OCTOBRE. 1761 : 745
téfoudre les queftions de cette efpéce.
Le onzième Mémoire , fur l'Inocula
tion de la petite Vérole , a pour objet de
prouver que dans les calculs qu'on a
faits jufqu'à préfent pour conftater les
avantages de l'inoculation , on n'a point
envifagé la queftion fous fon véritable
point de vue ; & qu'il est très - difficile ,
pour ne pas dire impoffible , d'apprécier
ces avantages par le calcul ; ce qui n'empêche
pas , comme je l'obferve , que la
pratique de l'inoculation ne puiffe être
avantageufe , quand elle fera conduite
avec les précautions convenables. Comme
l'objet de ce Mémoire intéreffe tous
les Citoyens , j'ai tâché de le rendre clair
& impartial ; il n'eft perfonne qui avec
un peu d'attention, ne puiffe le lire , l'entendre
& le juger ; les détails Mathématiques
font rejettés dans des notes trèsétendues
, que j'ai jointes au Mémoire, &
qui contiennent beaucoup d'autres remarques
importantes ou curieufes fur la
théorie de l'inoculation .
Dans le douzième Mémoire , après
avoir montré , contre la prétention d'un
favant Géométre , que la théorie des perturbations
des Cométes eft contenue dans
la folution que j'ai donnée dès 1747 s
du Problême des trois corps , je perfec-
II. Vol. G
14 MERCURE DE FRANCE.
tionne cette théorie ; j'en fimplifie la
pratique par différens moyens que je
propofe pour cet effet ; & je parviens à
ane méthode pour calculer les perturbations
des Cométes , plus fimple , ce me
femble , plus abrégée & plus facile , que
ce qui a été publié jufqu'à préſent ſur
cette matière. J'ai expofé le procédé de
ma méthode avec le plus grand détail , &
avec toute la clarté qui m'a été poffible :
& je me flatte qu'il n'y aura point de
Calculateur tant foit peu intelligent , qui
fur cet expofé ne puiffe entreprendre de
déterminer les altérations du mouvement
des Cométes ; puifque j'ai eu foin de luimettre
fous les yeux la fuite des opérations
qu'il doit faire , & qu'il n'y a plus
abfolument qu'à ſubſtituer aux quantités
algébriques les nombres qui conviennent
à chaque Cométe en particulier .
J'éxamine dans le treiziéme Mémoire ,
la difpute qui s'eft élevée entre les Géométres
au fujet de la différence d'un mois
qui s'eft trouvée entre la prédiction du retour
de la Cométe de 1681 , & l'obfervation
de ce même retour. Je prouve
que cette différence ne doit point être
comparée ( comme on l'a prétendu ) à la
période entiere , encore moins à la fomme
de deux périodes confécutives , mais
OCTOBRE. 1761. - 147
I
•
feulement à la différence de ces deux périodes
, qui n'eft que de 18 mois ; &
qu'ainfi la différence entre le calcul &
l'obfervation , eft au moins d'un dix huitiéme
, & non pas de Je prouve même
, qu'en faifant la répartition la plus
vraisemblable & la plus naturelle des erreurs
commiſes dans les différens réfultats
, l'erreur du dernier réſultat a dû être
vraisemblablement un cinquième du total
; ce qui doit être uniquement imputé
à la nature des circonftances du Problême
, qui n'a pas permis une plus grande
précifion dans les calculs .
Le quatorziéme Mémoire eſt deſtiné à
défendre ma folution du Problême des
trois corps contre les objections qu'on y
a faites , & à montrer les avantages de
cette folution fur celles qui ont été don
nées du même Problême.
Ce Mémoire eft fuivi de nouvelles Tables
de la Lune , d'une forme très- commode
& très fimple. J'ai d'autant plus lieu
d'efpérer que les Aftronomes en feront
ufage, que je les crois d'ailleurs affez exa-
&tes. M. Coufin , habile Mathématicien ,
qui a bien voulu m'aider dans le calcul de
ces Tables , s'en étant fervi pour déterminer
plufieurs lieux de la Lune , n'a ja-
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
1
-
mais trouvé une minute de différence entre
le calcul & l'obfervation.
Enfin , dans le quinziéme Mémoire ,
j'applique à la Lune , regardée comme un
fphéroïde dont les Méridiens & l'Equateur
feroient des ellipfes , la théorie que
j'ai donnée dans les Mémoires de l'Académie
de 1754 fur la préceffion des points
équinoxiaux dans de pareils fphéroïdes.
Je joins à cette application , différentes
remarques fur la libration de la Lune , fur
les mouvemens que peut avoir fon axe ,
& même fur le Problême de la préceffion
des Equinoxes en général.
Telles font , dit M. d'Alembert en finiffant
, les différentes matières traitées
dans ces Opufcules. La plupart des Mé-
'moires qu'elles contiennent , peuvent
fournir le Sujet de plufieurs autres , comme
il eft aifé de s'en convaincre en les
lifant ; & je me propofe de donner de
temps en temps une fuite à ces deux Volumes
, autant que mes autres occupations
pourront me le permettre.
Au refte , je me flatte que les fçavans
Géométres , dont j'ai cru pouvoir attaquer
les affertions , prèfque toujours pour
ma propre défenſe , ne m'en fauront pas
mauvais gré ; en combattant leurs opinions
, je fai tous les égards que je dois
OCTOBRE. 1761. 149
à leur perfonne & à leur mérite , & je
ne crois pas m'en être écarté.
SÉANCE publique de l'Académie des
Belles- Lettres de MARSEILLE,
L'ACADÉMIE des belles Lettres de Marfeille
tint felon l'ufage fa féance publique
le 25 Août . M. l'Abbé Aillaud Directeur
lut une Differtation dans laquelle il
prouva que Marseille eft la plus anciennes
Ville des Gaules , & que ce fut aux
Marſeillois que les Gaulois durent leur
Induftrie & leurs Arts.
Les éloges de MM. Charron & de
la Vifclede, Académiciens , morts en 1760,
furent lus enfuite , le premier par M.
Guis, & le fecond par M. de Sinety.
M. Befo termina la Séance par la
lecture du dixiéme & dernier chant d'un
Poëme intitulé le Chrift.
Le Prix a été réfervé cette année. L'Académie
en diftribuera deux l'année prochaine
elle propoſe pour fujet d'éloquence
l'éloged'Abraham Duquesne, Lieu-"
tenant- Général des Armées Navales fous
LOUIS XIV ; & pour celui de Poëfie les
dangers du luxe. On a la liberté de traiter
G iij
Tso MERCURE DE FRANCE.
ce ſujet en Ode ou en Poëme à rimes plates
de cent Vers au moins & de cent cinquante
au plus.
Le Prix que l'Académie décerne eſt une
Médaille d'or de la valeur de 300 liv.
portant d'un côté le Bufte de M. le Maréchal
de Villars , & fur le revers ces
mots : Premium Academica Maffilienfis
, entourés d'une Couronne de Laurier.
Les Auteurs mettent au bas de leurs
Ouvrages une Sentence ou deviſe tirée
des Auteurs Sacrés ou Profanes & les
adrefferont avant le premier de Mai à M.
Riquant, Secrétaire perpétuel de l'Académie
, rue des Dominicains . Les paquets
qui ne feront point affranchis ne feront
point retirés.
On exclura les Ouvrages en faveur def
quels on aura follicité & dont les Auteurs
fe feront fait connoître. On exclara
encore ceux qui contiendront des traits
indécens , fatyriques , & contraires à la
Religion & au Gouvernement.
ASSEMILÉE Pullique de l'Académie
des Belles-Lettres de MONTAUBAN.
L'ACADÉMIE des Belles- Lettres de Montauban
a célébré le 25 Août la Fête de S.
OCTOBRE. 1761 151
Louis avec la folemnité accoûtumée . Elle a
affifté le matin à une Meffe qui a étéfuivie
de l'Exaudiat pour le Roi,& du Panégyrique
du Saint , prononcé par le R. P. Laveyrie
, Cordelier , Docteur en Théologie .
L'après- midi , l'Académie s'eft rendue
dans la grande Salle de l'Hôtel - de - Ville ,
où elle a été reçue conformément au cérémonial
preferit par le Roi. M. Carrere
fils , Directeur de quartier, a ouvert la
Séance par un Difcours où il a décrit avec
autant de noblefle que de précision les divers
avantages qui réfaltent pour les Lettres
du travail des Académies & de l'intérêt
que le Public paroît y prendre. Il
en a tiré cette conféquence légitime, que
le Public & les Académies reçoivent &
Je donnent ainfi tour-à-tour des lumières
& une émulation réciproques. Il a heureufement
cité en preuve de fa thèse , la
protection que le Roi accorde aux établiffemens
littéraires ; & après avoir appuyé
fur l'attention de l'Académie à
propofer des Sujets intéreffans aux Auteurs
ambitieux de la couronne qu'elle
décerne , il a félicité la Compagnie d'être
entrée d'elle-même dans les aes du
Gouvernement , quand elle a donné pour
le Sujet du Prix de 1761 : Pourquoi les
Arts utiles ne font-ils pas plus cultives
Giv
152 MERCURE DE FRANCE..
•
que les Arts agréables , puifque Sa Majefté
venoit alors de prendre la réfolution
d'encourager par des Sociétés d'Agriculture
le plus utile , le plus ancien &
peut-être le moins perfectionné de tous
les Arts.
des
M. Carrere a donné de fages avis aux
Orateurs qui defirent de cueillir la palme
Académique ; & pour prouver par
exemples , que les Lettres ont l'avantage
de vivifier toutes les profeffions , il a fini
par montrer que les Mufes formerent
» autrefois parmi nous des Richelieu &
» des Colbert pour le ministère ; des Ven-
» dóme & des Villars pour le comman-
» dement des Armées ; des l'Hopital &
» des Dagreſſeau pour la Légiflation ;
» des Seguier & des Lamoignon pour
»la Magiftrature ; des Fleuri & des Bof-
» fret pour les grands Ouvrages de la
""
"
Religion ; des Fléchier & des Maffillon
» pour la Chaire ; des Patru & des Co-
» chin pour le Barreau ; des Fontenelle
» & des Saint- Aulaire pour les charmes
" & pour les douceurs de l'amitié , & c .
L'éloge du Roi & celui du Protecteur fe
'font placés comme d'eux - mêmes dans le
Difcours de M. Carrere.
M. de Bernoi a lû enfuite des Obfervations
fur la critique , où après avoir
OCTOBRE. 1761. 753
relevé les vices qu'elle contracte , entre
les mains des Ignorans & des prétendus
Beaux Efprits , il l'a repréfentée comme
le fruit du goût , des lumières & du bon
fens... Les Envieux , a-t-il dit , ne cherchent
que des fautes , & les Sages voudroient
toujours trouver matière à des
éloges.... La prévention eft le fanatif
me de la Littérature... La critique impartiale
eft une leçon propre à perfectionner
le talent. Elle ne doit être ni trop
févère , ni trop indulgente. Elle eft injuf
te quand elle s'exerce fur les mots plu-
τότ que fur les chofes ; quand elle voudroit
ramener les autres à notre façon
de penfer , à notre manière. M. de Bernoi
n'a pas laillé de demander grâce pour
quelques mots factices , pour la liberté
d'employer quelquefois les mots noи·
veaux. Mais il a fur ce point impofe
aux Auteurs des conditions fi fages , que
pourvu qu'ils les rempliffent , ils n'abuferont
pas du privilége qu'il a reclamě
pour eux. Il a defiré que la critique portât
principalement fur l'expofition du Sujet
, fur la conduite de l'ouvrage , fur les
preuves , fur la clarté des pensées , fur
le choix des termes , fur la netteté des expreffions
, fat la fineſe des tranfitions ,
fur l'heureux emploi des figures , fur le
Gr
154 MERCURE DE FRANCE.
rapport du ftyle avec le Sujet qu'on traite.
Mais l'Art eft l'enfant de la Nature
& c'eft principalement le goût qui peut
nous apprendre à obferver ces régles.
M. Marqueyret s'eft propofé de réfou-.
dre cette queftion délicate : fi les Femmes
ne fe fignalent pas plus fouvent dans
les Beaux- Arts & par de grandes entre →
prifes , faut-il s'en prendre à la Nature
ou à l'éducation qu'on leur donne ?.
Pour détruire le préjugé vulgaire , qui eſt
injurieux aux Femmes , il a commencé
par établir qu'on ne fçauroit admettre
deux genres d'efprits, qui fuivant les intentions
de la Nature , foient féparément
l'appanage des deux fexes : un caractère
de grandeur , de force & de fublimité
pour les hommes & un caractère de foiblee
& de timidité pour les femmes ;
& en tirant des Faftes de l'Hiftoire des
exemples décififs , qui font ici des preuves
fans replique ; il a démontré que la Nature
a fouvent accordé aux femmes tous
les talens néceffaires , tantôt pour gouverner
avec gloire , tantôt pour défendre.
avec fuccès un Etat contre des ennemis.
redoutables , tantôt po ur faire à la Philofophie
le facrifice mê me d'un Trône , tantôt
pour s'élever au d effus d'une foule de
paffions , dont leurs me urs portérent ra
OCTOBRE. 1761. 155
rement l'empreinte & qui dégradent les
hommes , tantôt pour acquérir dans la
Littérature un nom immortel par des Ouvrages
dont les uns paroiffent avoir été
dictés par les Grâces , tandis que les autres
font marqués au coin de la plus profonde
érudition. Selon cet Académicien ,
l'ufage qui confie aux femmes notre enfance
, comme un dépôt précieux à la
Société , plaide leur caufe. Elles font
chargées de nous protéger contre les périls
qui entourent notre berceau ; & nous devons
autant à leurs leçons qu'à leurs
exemples les premières impreffions des
vertusfociales. Après avoir fait remarquer
qu'en négligeant l'éducation des femmes ,
on leur refufe les fecours & l'encouragementfans
lesquels les talens fe défléchent,
& les vertus languiffent dans l'obfcurité,
il a tracé en peu de mots un plan d'inftruction
, propre à mettre en oeuvre les avances
que la Nature leur a faites. Que l'empire
de la Beauté , a-t- il conclu , foit le
régne de la Raifon ! De cet accord naî
tra le bonheur de la Société &c.
M. l'Abbé de Verthamon a lû la traduction
d'une Oraifon de Muret , prononcée
à Veniſe à la louange des Belles - Lettres
; & il a paru que le Traducteur en
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
avoit faifi les beautés pour les faire paffer
dans notre Langue.
Ici , pour varier les lectures , M. de
Bernoi a récité des Vers dont l'objet étoit
de peindre fous la forme d'un conte , un
trait fingulier de la naïve fimplicité de la
Fontaine.
M. de Saint-Hubert,dans un Ouvrage
fort court, a traité le Sujet le plus vafte.
Avec autant d'énergie que de fineffe , il a
dévoilé les artifices , l'aveuglement & les
méprifes de l'amour - propre . Ce ferpent
tortueux , malgré fes plis & replis n'a pu
échapper aux obfervations de l'Académicien
qui l'a fuivi dans tous fes détours ,
en montrant combien il nous abuſe , quand
il nous rend trop contens de nous- mêmes ;
quand il nous fait rechercher les louanges
par des moyens illégitimes ; quand il nous
perfuade de nous parer d'une fauffe modeftie
, & c. L'amour-propre , dit M. de
Saint- Hubert , exerce fon empire fur tous
les états , fur les gens du monde , &fur
"ceux qui paroiffent y avoir renoncé on
le démêle , malgréfafoupleffe , fous l'enveloppe
de l'humilité ; le Philofophe n'en
eft pas exempt ; je l'apperçois dans le
tonneau de Diogène ; & tout foible Ecrivain
que je fuis , c'est peut-être lui qui
OCTOBRE . 1761 . 157
conduit ma plume dans le moment oùje
cherche à le combattre.
M. Teulieres s'eft élevé avec force
contre une maxime avancée , dit- il ,fans
fondement. Quelqu'un a prétendu que
les femmes en formant le goût , corrompent
les moeurs. Opinion auffi fauffe
qu'injurieufe à un fexe qui a verfé dans
nos coeurs le fentiment de la vertu, comme
on convient qu'il a préparé nos ef
prits à la délicatesse du goût... Leflambeau
du raifonnement & de l'expérience
à la main , voici comment M. Teulieres
a combattu les détracteurs des femmes...
La Nature a donné aux femmes tous
les caractéres dont l'affemblage & le concours
peuvent former un coeur vertueux ;
le fentiment , la douceur & la modeftie...
D'un autré côté , la délicatefe de leurs organes
les rend moins propres aux opérations
du vice qui demandent une efpéce
de courage féroce &c... L'Hiftoire
Ancienne & Moderne nous apprend encore
que les Peuples qui ont vécu enfociété
avec les femmes , ont été les plus
vertueux...La Gréce & Rome ont été mifes
ici en contrafte avec les moeurs des Orientaux
& avec celles des Chinois & de quelques
autres: Peuples chez qui en renfermant
les femmes , on ne renferme pas
158 MERCURE DE FRANCE.
les vices.... La galanterie telle qu'elle
étoit en ufage dans les bons vieux tems
Gaulois étoit incapable de corrompre
les moeurs. Si la Nation Françoiſe a été
de tout temps la plus galante de l'Europe
, elle n'a pas moins été la plus polie
&la plus vertueufe.... Une autre ré
* fléxion à la décharge des femmes , c'eſt
qu'il n'en eft prèfque point qui ait proftitué
au vice fa plume on fon pinceau ,
tandis que la vertu a eu fouvent à rougir
des productions des Littérateurs ou
des Artiftes.... Enfin le moyen de foutenir
que
les femmes en formant le goût ,
corrompent les moeurs , puifqu'au jugement
de l'Académie , c'eſt la corruption
des moeurs qui entraîne celle du goût ?
L'amour de la vérité & le fentiment du
beau ne font pas moins les principes de
la vertu dans la Morale, que les fources
du goût dans les Lettres.... M. Teulieres
croit que les femmes elles - mêmes ont
donné lieu à la maxime qu'il a réfutée ;
parce qu'elles ont trop facilement mis au
rang des Philofophes ceux qui ne paroiffent
prèfque jamais avec elles. Comme
fi un Amateur de la fageffe devoit
être néceffairement & par état un ennemi
de leur Société... Si jamais les moeurs
des hommes fe corrompent, ce fera quand
OCTOBRE . 1761. 159
ils ceferont de les refpecter , & non pas
fimplement quand ils commenceront à
vouloir profiter de la délicateffe de leur
goût & de leur amour pour la vertu ... La
chaleur du ftyle de M. Teulieres étoit propre
à peindre le zéle qui lui avoit fait
prendre la defenfe du beau Sexe.
M. l'Abbé Bellet a lu des Obfervations
fur les divers caractères de notre fiécle ;
a recueillir les divers jugemens qu'on en
à déjà portés. Ilfemble , a t- il dit , qu'on
ait voulu nous peindre deux fiécles of
pofés. Les uns en parlent comme d'un
fiécle où tout dégénére , les autres comme
d'un fiécle où tout fe perfectionne.....
Seroit-il poffible que le vrai portrait de
notre age dit renfermer les deux extrémes
? .... Comme tout eft mêlé ici-bas ,
& que le bien & le mal s'y trouvent confondus
dans chaque genre , tous les deux
nous frappent fucceffivement , & parce
que l'impreffion actuelle que nous recevons
de l'un ou de l'autre , remplit communément
la capacité trop bornée de
notre efprit & de notre coeur ; elle nous
jette tour-à-tour dans une espèce d'enthoufiafme
dont notre langage porte l'empreinte.
M. L. B. eft tenté de croire qu'il
faut beaucoup rabattre des difcours vul
gaires , par rapport aux défauts & aux
160 MERCURE DE FRANCE.
avantages de notre fiècle. On groffit
fes mauvaifes & fes bonnes qualités phyfiques
, morales & littéraires . Voilà le
plan de fon difcours dont il n'a pu lire
que la portion deftinée à prouver que l'on
calomnie la Nature , quand on lui reproche
fa prétendue foibleſſe dans le fiécle
où nous vivons.... Après avoir plié
une fois fous les coups de la colère célefte
, elle a repris fon cours : fa marche
, quoique rallentie , n'en estpas moins
ferme ni moins füre ; & elle n'en eft pas
elle-même plus fufceptible de l'affoibliſſement
journalier dont on l'accufe. Un Extrait
ne fçauroit rendre le détail où M.
L. B. eft entré .
Enfin M. de S. Hubert a récité des
Vers ingénieux & polis, adreffés à Ifmène,
fur le travail de l'Académie.
ASSEMBLÉE publique de l'Académie
d'AMIENS, tenue le 25 Août 1761 .
CETTE Séance a été ouverte par l'Eloge
de MONSEIGNEUR le Duc de Bourgogne
lu par M. Baron Secrétaire perpétuel de
l'Académie .
M. Bizet , Directeur , a donné un MéOCTOBRE
. 1761 . 161
'moire fur la rareté des bois en Picardie &
fur les moyens d'y rémedier.
M. de Robecourt , Médecin à Amiens,
Académicien nouvellement éla , a fait
fon Difcours de remerciement , auquel le
Directeur a répondu.
M. Marteau Médecin à Aumale , a
lû une Differtation fur les Bains.
Et M. Vallier , Colonel d'Infanterie ,
l'Effai d'un Poëme fur l'Art de la Guerre ,
& une Ode fur Barreges & Bannieres
L'Académie n'ayant point été fatisfaite
des Ouvrages envoyés au concours fur les
fujets qu'elle avoit propofés , elle propoſe
les mêmes Sujets pour l'année 1762 ,
avec cette différence cependant, que pour
eelui qui regarde le Commerce , elle demande
feulement :
Quel a été en France l'Etat du
Commerce depuis François F. jufqu'à
Louis XIV , exclufivement ?
Pour fujet Littéraire les Auteurs auront
à prouver que
La droiture du coeur eft auffi néceffaire
dans la recherche de la vérité , que la
jufteffe de l'esprit.
Entre les Auteurs qui ont concouru fur
cette matière, il en eft auxquels il n'a manqué
pour atteindre au Prix , que d'en avoir
162 MERCURE DE FRANCE.
faili & traité le Sujet précisément comme
il avoit été annoncé.
Chacun des Prix eft une Médaille d'or
de la valeur de 300 liv.
Les Ouvrages ne feront reçus que jufqu'au
premier Juin exclufivement . Ils feront
adreffés , francs de port , à M. Baron,
Secrétaire perpétuel de l'Académie ,
à Amiens.
Le Prix de l'Ecole de Botanique , te
nue par M. d'Efmery , l'un des Académiciens
, a été donné par l'Académie à
M. Langlet , Etudiant en Pharmacie . Ge
Prix eft une Médaille d'argent .
M. Sellier , de l'Académie , qui tient
à Amiens une École des Arts, a délivré le
30 Août à fes Eléves les Prix donnés par
M. le Duc de Chaulnes ,Gouverneur général
de la Province & Protecteur de l'Académie
. Les deux Prix de Géométrie ont
été rémportés par MM. Anquier & Perlin
: celui d'Architecture , par M. Tranfi :
M. le Febvre a eu celui de la Coupe des
Pierres M. Etamples , celui de l'Arrithmétique
& des Changes : & M. Le
Blond, le Prix des Deffeins pour la Manufacture.
OCTOBRE. 1761. 163
SÉANCE publique de la Société Litté
raire de Chalons fur MARNE.
LAA Société littéraire de Châlons fur
Marne a tenu fa feconde Séance publique
le 2 du mois de Septembre ; elle a
été remplie par la lecture des différens
Mémoires .
M. France en a lu un fur l'Agriculture
en général ; il a démontré avec beaucoup
d'éloquence , que la Terre ayant reçu de
Dieu l'ordre de produire , elle ne peut
ceffer de donner des productions que par
le défaut de culture , à laquelle l'homme
a été condamné , & que fi les plus
mauvaiſes terres de la Province de Champagne
étoient cultivées avec foin & avec
intelligence, elles dédommageroient amplement
le Cultivateur de fes peines .
M. Fradet a lu enfuite des recherches
qu'il a faites au fujet d'une Médaille
Grecque d'or du poids d'une once , deux
gros & demi , dix - huit grains , & de la
grandeur d'une Médaille de moyen bronze
du haut Empire . Cette Médaille qui fe
trouve dans le Cabinet de M. Dupré de
Génefte , Secrétaire de l'Académie de
164 MERCURE DE FRANCE.
Metz, préfente fans légende d'un côté la
tête couronnée de Laurier d'Hercule
Barbu , & de l'autre celle d'une femme
Couverte de la peau du Lion avec cette
Epigraphe ΗΡΑΚΛΕΙ ΡΑΧΕΝΩΙΝ . Comme
on ne connoît dans la Grèce aucun Peuple
du nom de Rachinien , M. Fradet
foupçonne , fi la Médaille eft vraie , qu'il
y a une lettre de moins dans fon Infcription,
foit que le frottement l'ait effacée
foit qu'elle ait été omife par le Graveur ,
ce qui fe rencontre affez fouvent ; & il
croit que cette Médaille ne peut appartenir
qu'à la Ville d'Héraclée de Trachine
; cette Ville étoit dans la Theffalie au
pied du Mont Oeta , fur lequel Hercule
perit & où Déjanire fut enterrée , fuivant
Paufanias.
M. Fradet a lu encore une Fable de
M. Ganeau , qui étoit abfent.
M. Develye a lu la continuation de l'Hif
toire de la Fortereffe de Moyaimer , aujourd'hui
appellée Montaimer.
Cette lecture a été fuivie de celle d'un
Mémoire de M. Billet de la Pagerie fur
les différens moyens qu'on peut employer
pour fertilifer les terres maigres de la ,
Champagne : ces moyens font les engrais
qu'on y doit répandre ; & il indique comme
un des meilleurs , les terres que l'on
OCTOBRE. 1761 165
peut prendre dans les marais , dans les
ruiffeaux , & fur les bords des étangs.
M. l'Abbé Befchefer a lu la fuite de
fon Hiftoire des Evêques de Châlons ;
cette partie contient l'Etat de la Ville de
Châlon fous Clovis ; ce qui s'eft paffé fous
quelques Evêques dont on ignore les actions
, & ce que l'on fçait de celles de
Saint Eluphe , & de Saint Lumier fon
frère & fon Succeffeur.
La Séance a été terminée par la lectu
re qu'a faite M. Vialet , Sous- Ingénieur
des Ponts & Chauffées , d'un Mémoire
für quelques nouvelles applications que
l'on peut faire de la vis & de fon écrou ,
& dont il n'eft pas poffible de ſe diſpenfer
de donner quelque détail. Il a apporté
pour premier exemple une nouvelle
machine propre à récéper les Pilots fous
l'eau; avant que d'en faire la defcription
il a rendu compte d'une autre machine
qui a été inventée par M. Deuffard fon
Confrère ; & il n'a pas cru devoir paffer
fous filence que M. Perronet, Infpecteur
Général des Ponts & Chauffées, eft le premier
qui ait travaillé fur cette matière ,
& qu'on ne peut voir le modèle de la
dernière machine qu'il a compofée dans
cette vue , fans être étonné de la fagaciré
avec laquelle il a furmonté toutes les
166 MERCURE DE FRANCE .
difficultés qu'il y avoit à donner en même
temps à la fcie les trois différens mouvemens
qui lui font néceffaires pour agir
avec fuccès. M. Vialet n'a pas eu précifément
les mêmes difficultés à vaincre
parce que fa machine eft fondée fur un
principe entiérement différent ; c'eſt une
efpéce de machoire tournante , dont les
dents fe refferrent vers le centre du Pilot
à mesure qu'elles le cernent ; ce qui s'opére
par le moyen d'une lanterne qui
embraffe les queues de la machoire , &
non feulement la fait tourner avec elle ,
mais encore la fait ferrer à mesure qu'elle
tourne ; parce que cette lanterne eft
traversée par une vis qui ne lui permet
pas de tourner fans defcendre , & qu'en
defcendant elle fait rapprocher de la verticale
les queues de la machine qui font
fufpendues par leur extrémité , & mobiles
fur le bouton qui les traverse ; toute
cette machine forme une eſpèce de tambour
évidé de trois pieds feulement de
Diamétre , & doit être exécutée entiérement
en fer ; dans le cas où l'on n'auroit
pas befoin de l'extrême précifion dont
elle eft fufceptible en la fixant fur un
échafaut folide, elle a l'avantage de
voir être établie fur un très - petit bateau
ou même fur un radeau ; ce qui la rend
pou-
2
OCTOBRE. 1761 . 167™
très commode pour récéper à peu de frais
les vieux Pilots qu'on rencontre dans prèfque
toutes les rivières , & qui en rendent
la navigation très - dangereufe. Le modéle
qui accompagnoit le Mémoire ne paroît
laiffer aucun doute fur le fuccès de la
machine en grand , où trois hommes au
plus fuffiront pour la manoeuvre.
Si cette machine a des avantages marqués
à certains égards fur cellés qui ont
paru jufqu'a préfent , il eft quelques cas
où celles - ci conferveront la préférence .
Par exemple avec la nouvelle on feroit
obligé de fcier en deux fois les bouts des
Pilots qui excéderoient de plus de trois
pieds la hauteur qu'ils doivent avoir , ce
qui n'eft pas à la vérité un grand inconvénient
; mais elle ne pourroit abſolu
ment fuppléer aux anciennes dans les cas
où il fe trouveroit moins de dix - huit poucès
entre le centre du pilot à récéper &
le bord d'un des pilots environnant , cas
à la vérité fort rare , puifqu'il faudroit
pour cela des pilots d'un pied de diamêtte
, efpacés feulement de deux pieds de
milieu en milieu , c'est- à- dire tant plein
que vuide , ce qui a été démontré entiérement
inutile ; ces différens avantages
& défavantages confirment ce que M.
Vialet a dit au commencement de fon
168 " MERCURE DE FRANCE
Mémoite , que les circonftances variant
à l'infini , on ne fçauroit auffi trop varier
les machines , furtout quand elles font
d'une utilité auffi reconnue que celles
dont il s'agit , & à l'aide defquelles on
parvient non-feulement à fonder à moins
de frais dans le cas où il auroit été poffible
de faire des batardeaux , mais même
à établir folidement des ouvrages dans
des endroits qui n'en auroient pas été
fufceptibles avant l'invention des machines
à récéper les pilots fous l'eau.
Le temps n'a pas permis de faire part
à l'Affemblée de différens autres Mémoires,
notamment de celui de M. Devilliers
fur le rétabliſſement de la culture des terres
en Champagne ; de celui de M. France
dans lequel il propofe les moyens qu'il
a employés pour accélérer la récolte des
Sain - Foins , des nouvelles Réfléxions de
M. Varnier , Docteur en Médecine , fur
l'orge nud , avec des Obfervations fur la
culture du feigle de printemps & du
colla ; d'un Mémoire de M. Devouzy fur
l'ufage & l'utilité du nouveau femoir en
forme de tambour ; & des Obſervations
de M. Vialet fur une Belemnite à deux
pointes, trouvée dans une carrière des environs
de Châlons , où l'on en rencontre
affez communément à une pointe. La
comparaifon
OCTOBRE. 1761.7 169
comparaison de cette bélemnite à deux
pointes avec celles qui n'en ont qu'une,
femble prouver qu'originairement toutes
les bélemnites en ont deux , mais que
l'inférieure étant très -fragile , comme on
le peut voir par le peu d'épaiffeur de ce
que l'on appelle les lévres de la bélemnite
à une pointe , il n'eft pas étonnânt
qu'il s'en trouve fi peu d'entieres,; en
comparant enfuite cette pointe inférieure
avec le pédicule d'une pointe d'ourfin
ordinaire , on eft infenfiblement conduit
& fortement autorifé à ranger les bélemnites
parmi les pointes d'ourfin foffiles .
ACADÉMIE des Belles - Lettres de
MONTAUBAN.
M. L'EVESQUE DE MONTAUBAN ayant
déftiné la fomme de deux cens cinquante
livres ,pour donner un prix de pareille valeur
à celui qui , au jugement de l'Académie
des Belles- Lettres de cette Ville , fe
trouvera avoir fait le meilleur difcours fur
unSujet relatif à quelque point de morale
tiré des Livres Saints , l'Académie diftribuera
ce Prix le 25 Août prochain , fête
de Saint Louis Roi de France .
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
Le fujet de ce difcours ſera pour l'année
1762 ,
Pourquoi les Arts utiles nefont-ils pas
plus cultivés que les Arts agréables ?
Conformément à ces paroles du Sage :
Diligenter exerce agrum tuum. Prov.
xxiv. 27.
L'Académie avertit les Orateurs de
s'attacher à bien prendre le fens du Suier
qui leur eft propofé ; d'éviter le ton de
déclamateur , de ne point s'écarter de leur
plan , & d'en remplir toutes les parties
avec jufteffe & avec précision .
En donnant une feconde fois le même
Sujet , elle invite ceux qui lui ont envoyé
des ouvrages , à les retoucher avec foin ,
pour mettre ou plus de correction dans
leur langage, ou plus de noblefle, dans leur
ftyle , ou plus d'exactitude dans leurs af
fertions.
M
Les Difcours ne feront , tout au plus,
que de demi- heure , & finiront toujours
par une courte prière à JESUS - CHRISst.
On n'en recevra aucun qui n'ait une
approbation fignée de deux Docteurs en
Théologie.
Les Auteurs ne mettront point leurs
noms à leurs ouvrages , mais feulement
une marque , ou parafe , avec un paffage
OCTOBRE. 1761 .. 171
de l'Ecriture Sainte , ou d'un Père de l'Eglife
, qu'on écrira auffi fur le regiftre du
Secrétaire de l'Académie.
Le Prix de 1761 ayant été refervé , il a
été destiné à une Ode ou à un Poëme ,
dont le Sujet fera pour l'année 1762 :
- Les triomphes de la Poëfie chez tous
Les Peuples.
Il y aura ainfi deux prix à diftribuer
l'année 1762 ; un Prix d'éloquence & un
Prix de Poefie.
Les Auteurs feront remettre leurs ouvrages
, dans tout le mois de Mai prochain,
entre les mains de M. de BERNOY
Secrétaire perpétuel de l'Académie , en fa
maifon , rue Montmurat , ou , ea fon abfence
, à M. l'Abbé BELLET , en fa maifon
, rue Cour de - Touloufe.
Le Prix ne fera délivré à aucun , qu'il
ne fe nomme , & qu'il ne fe préfente en
perfonne , ou par procureur , pour le recevoir
& pour figner le dilcours.
Les Auteurs font priés d'ad.effer à M.
le Secrétaire trois copies bien lifibles de
leurs ouvrages , & d'affranchir les paquets
qui feront envoyés par la pofte . Sa s ces
'deux conditions , les ouvrages ne feront
point adinis au concours .
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
SUITE de la Differtation Hiftorique &
Critique fur la Vie du Grand-Prêtre
Aaron. , Par M. DE BOISSY.
DIEU IEU ne borna pas là les fignes éclatans
de la protection qu'il accordoit à fes
Miniftres. Il voulut ajouter un nouveau
miracle qui confirmât le Sacerdoce à Aa
ron d'une manière fi expreffe , que perfonne
n'ofât par la fuite le traverfer dans
Rexercice de cette dignité. Il ordonna à
Moyfe de recevoir des mains des douze
Chefs des Tribus douze verges fur chacune
defquelles ce Légiflateur écriroir le
nom de chaque Chef, & de les mettre
dans le Tabernacle d'Alliance devant
l'Arche . C'est là qu'il réfolut de déclarer
fon choix en faveur de la famille de celui
dont la verge éprouveroit un changement
fenfible & miraculeux. Moyfe obéit;
& les douze verges qu'il demanda de la
part du Seigneur aux Chefs des Tribus ,
lui furent fournies . Il les plaça toutes
dans l'endroit que Dieu lui avoit marqué.
Il mit au milieu d'elles la verge d'Aaron,
& y écrivit le nom du Grand- Prêtre felon
le commandement du Seigneur. ( a )
( a ) Ibidem XVII . 1. & feqq.
OCTOBRE. 1761 173
Les fentimens font partagés fur le nombre
de ces verges . Les uns foutiennent
qu'il y en avoit treize , en comptant féparément
celle d'Aaron . Cette explication
eft la plus fuivie : & l'Auteur de la
Vulgate l'autorife par fa traduction . ( b )
Philon & les Docteurs Juifs du côté defquels
fe rangent quelques Interprétes
Chrétiens ne reconnoiffent en tout que
douze verges , & comprennent celle
d'Aaron dans leur nombre . ( c ) Il faut
avouer que cet endroit du Texte Hébreu
eft conçu en des termes généraux . ( d)
Il n'eft donc pas furprenant qu'ils foient
fufceptibles de ces deux fens , & qu'on
n'en puiffe point inférer démonftrativement
que la verge de ce fouverain Sacrificateur
étoit la treizième , ou qu'elle
faifoit partie des douze . Cependant l'opinion
des premiers paroît mériter la
préférence , quand on confidére que les
defcendans d'Ephraïm & de Manaffe ,
( b ) Vulgat ibidem . XVII . v. 6. fueruntque
virga duodecim abfque virgâ Aaronis.
(c ) Philo de vitâ Mof. Lib. III . pag. 162 .
Tom. 2. Edit . Mangey . R. Aben - Efra , R. Salo-
'mon Jarchi , R. Mofe . Ben Nachman , R. Levi
Ben Gerfon , Abarbanel &c. Cajetanus , Steuchus
Eugub. Paul . Fagius & c. in hunc locum.
(d) Schénim à afchar Mattoth où Mátteh Aharon
bé thok Mattotham .
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
fils du Patriarche Jofeph formoient deux
Tribus diftinctes l'une de l'autre d'ou
il réfulte qu'il y avoit douze Tribus
fans compter celle de Lévi. On préfume
avec beaucoup d'apparence que ces ver
ges étoient de fimples baguettes que les
Chefs de chaque Tribu étoient dans l'habitude
de porter comme une marque de
leur autorité . Les Rabbins , dont l'imagi
nation eſt toujours féconde , quand il s'a--
git de débiter des fables ,
prétendent que
cette verge où étoit écrit le nom d'Aaron ,
étoit la même que celle qui avoit fervi
à Moyfe pour opérer les miracles qu'il
fit en Egypte , & au paffage de la mer
Rouge pour adoucir les eaux améres , &
pour élever le Serpent d'airain. Ils nous
difent gravement qu'elle avoit été détachée
de l'Arbre de vie qui étoit dans le
Paradis ; que Seth Payant reçue d'un Ange
, l'avoit plantée dans le Défert , d'où
Dieu l'avoit montrée à Moyfe. Il n'y a
pas moins de bizarrerie dans le fentiment
de quelques autres Écrivains Juifs
qui ne font aucune difficulté de remonter
ju qu'à Adam , qui , à les en croire ,
avoit tranfmis cette verge à Hénoch.
Elle avoit enfuite paffé des mains de ce
Patriarche dans celles de Fofeph , qui
f'avoit laiffée à la maifon de Pharaon
OCTOBRE. 1761 . 175
થી
dou Jethro l'avoit enlevée pour la donner
à Moyfe fon gendre. ( e ) L'abfurdité
de ces contes puériles eft fi palpable, qu'on'
eft difpenfe d'en entreprendre férieufement
la réfutation. R. Abarbanel en a
rellement rougi pour les anciens Docreurs
de fa Nation , qu'il a cru devoir
les entendre allégoriquement , afin de
fauver leur honneur . (f) Mais en vérité
cette manière de les excufer eft prèfque
auffi ridicule que le tiffu de leurs extravagantes
fictions.
Moyfe étant entré le jour fuivant dans
le Tabernacle , trouva la verge d'Aaron revêtue
de fleurs , de boutons , de feuilles
& d'amandes. La nature da fruit que porta
cette verge, prouve fuffifaminent qu'elle
étoit de bois d'amandier : à moins qu'on
ne veuille encore fuppofer un nouveau
Miracle . Mais ce feroit affurément là multiplier
les Miracles fans néceffité . Il n'eft
pas befoin de relever la grandeur de celuit
dont il s'agit. Elle éclate affez dans les cir-
(e )R. Schimeon ben Jochai in Machkar haodoth
apud Galatin . de Arcan. Cathol , Vert-
Lib VI . cap . 15. pag. 374. Edit. Francof Vide
quoque Rabboth in numer. XVII . Parafch korach.
Fol. 22. pag. z. & in Exod . IV. Parafch.
Schemoth , fol . 122. pag. 2. &c.
(f) Abarbanel. Comment . in Exod. 11. 21 ,
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE .
conftances qui l'accompagnent. On conçoit
aisément qu'une vertu furnaturelle &
par conféquent émanée de Dieu étoit feule
capable de faire reverdir & fleurir une
branche d'amandier défléchée, qu'on avoit
renfermée dans un lieu impénétrable à la
rofée & à la pluie , & de lui faire pouffer
des boutons & des fruits dans le court
éfpace d'une nuit . Il importe peu de recueillir
de l'Hiftoire Profâne, à l'exemple
de M. Huet , ( g ) plufieurs prodiges qui
paroiffent avoir quelque reffemblance
avec celui ci ; puifque parmi ceux qu'on
pourroit alléguer , les uns font évidemment
fabuleux , & par conféquent indignes
d'être mis en paralléle avec un événement
marqué auffi vifiblement du doigt
de Dieu que cette production de la Verge
d'Aaron. A l'égard des autres, on n'y
remarque rien qui n'ait pû arriver naturellement.
Ce n'eft que par pure ignorance
ou par fuperftition, qu'on a attaché
du merveilleux à de pareils faits qui ne
méritent nullement le nom de prodiges.
Ainfi ils font étrangers à l'objet auquel on
s'avife de les comparer. C'eft fur ce piedlà
qu'il faut prendre ce qu'on raconte
de la Lance de Romulus qui ayant pris
( g ) Hueti. Alnetan. Quæftion . Lib . 11. cap.
12. & 24. pag, 224 .
OCTOBRE, 1761. 177
racine devint un cournouillier , ( h ) & de
la maffue d'Hercule , qui étoit de bois
d'olivier fauvage , laquelle reverdit après
avoir été remiſe en terre . ( i ) Il n'eft pas
fort étonnant de voir felon l'obfervation
d'un favant homme › germer avec le
temps par le fecours & l'attraction du fuc
de la terre un rameau d'arbre qu'on y a
planté ; furtout s'il a été coupé d'un de ces
arbres qui ont une féve plus tenace, plus
vifqueufe , & plus huileufe , tels que font
les Oliviers & les Saules. ( k ) Ces fortes
de comparaifons qui ont été du goût de
quelques Critiques modernes, & particulierement
du docte Evêque d'Avranches ,
font prèfqué toutes deftituées de fondement.
Bien loin d'avoir quelque utilité
elles ne nous femblent propres au contraire
qu'à fournir un prétexte de plus
aux Incrédules de s'affermir dans l'injufte
prévention où ils font contre la vérité
des événemens miraculeux atteftés dans
nos faints Livres , & à les conappuyer
féquences odieufes qu'ils tirent de là pour
( h ) Plutarch. in Vit . Romuli pag. 30. Tom.
1. Edit-Wech.
( i ) Paufan. in Corinth. Lib . 11. pag. 14fa
Edit. Wech.
IV.
(k ) Scheuchzer Phyfiq . Sacr . pag . 16. Tom .
H.v.
178 MERCURE DE FRANCE.
porter le même jugement de ces événe
mens , que des vaines traditions du Paganifme.
Ils fe plaifent malignement à confondre
ces deux chofes , malgré leur dif
parité éffentielle ; comme fi elles étoient
du même genre , & fi elles dérivoient de
la même caufe. Ils fe donnent par là plus
beau jeu à les tourner également en ridi
cule.
Moyfe ôta du Tabernacle toutes les verges
du milieu defquelles s'élevoit celle
d'Aaron , que Dieu avoit diftinguée d'une
maniére fi éclatante. Il les produifit en
préfence du Peuple. Chaque Chef de Tribu
reconnut & reprit la fienne . Les Ifraëlites
frappés d'étonnement à la vue d'une
auffi grande merveille , fentirent combien
ils étoient coupables de s'être abandonnés
à l'efprit de rebellion . Ils demeurerent
convaincus que quiconque oféroit dorénavant
s'ingérer fans vocation dans le Miniftere
du Sacerdoce, recevroit la punition
due à fa témérité. ( 1 ) Moyfe dépola par
l'ordre du Seigneur la verge de ſon frère
dans le Tabernacle, comme un monument
qui devoit perpétuer la mémoire du prodige
que Dieu avoit opéré en faveur
dAaron & de fa Tribu : ( m ) C'eft ce qui
( 4) Numer. XVII, 11. 12. 13oi
( m) Ibidem. 10.
OCTOBRE. 1761. 179
a fait croire à Toftat , à Bonfrerius , à Calovius
& en général à la plupart des Commentateurs
Catholiques & Proteftans
que cette verge fe maintint dans fa verdeur
& conferva fes feuilles & fes fruits
tout le temps qu'elle fut gardée dans le
Lieu Saint. Quoique la confervation des
marques du miracle ne foit pas formellement
exprimée dans le Texte de Moyfe;
cependant on peut l'en inférer avec d'autant
plus de vraisemblance qu'elle devenoit
néceffaire pour être dans cet état
à la postérité un témoignage parlant de
la déclaration de Dieu qui avoit conféré
le Sacerdoce à Aaron & à fa famille exclufivement
à toute autre . C'eft fans doute
cette derniere circonftance)que S. Ambroife
a en vue , lorfqu'il remarque dans
cette verge un fymbole de la gracé du
Sacerdoce qui ne fe flétrit jamais , & de
la fleur de l'autorité affectée à fon minif
tère qu'il conferve dans une profonde
humilité. ( n ) Nous ne diffimulerons
point qu'il le préfente une difficulté qui
confifte à favoir fi elle fut placée dans
l'Arche ou auprès de l'Arche . Moyfe nous
laiffe dans le doute à cet égard. Il eft dre
dans le paffage des Nombres que nous
( z ) Ambrol. Epistol . LXXXII . Lib . x. pag .
16630
Hvje
180 MERCURE DE FRANCE.
avons cité en marge , que Dieu lui or
donna de reporter la Verge d'Aaron devant
le Témoignage. Il eft conftant que
Moyfe défigne indifféremment par ce
nom l'Arche d'Alliance ainfi que les Tables
de la Loi . Il l'étend même à tout le
Tabernacle. Il appelle ces chofes fimplement
le Témoignage par une de ces façons
de parler elliptiques qui font d'un
fréquent ufage dans l'Ecriture. Cependant
cette dénomination convient d'une
manière plus particuliere aux Tables de
la Loi , en ce qu'elles contenoient les articles
de l'Alliance , où le Seigneur avoit
témoigné & fignifié fes volontés au Peuple
d'Ifraël. Moyfe en la donnant également
à l'Arche qui renfermoit ces Tables
, & au Tabernacle qui renfermoit
l'Arche, ufe de cette figure de grammaire
par laquelle on appelle la partie contenante
du nom de la partie contenue.
Il y en a néanmoins qui n'hésitent
point à prendre le terme dont il s'agit
dans un fens étroit & rigoureux. Ils l'entendent
des Tables de la Loi , devant
lefquelles ils foutiennent que la Verge
d'Aaron fut immédiatement pofée dans
l'Arche. ( o ) Ils appuyent cette interpré-
( v ) Leidecker. de Republ . Hebræor. lib. VIII .
cap. 2. pag. 506. Tom . I. Prideaux , Hiftoire des
OCTOBRE . 1761 . 181
tation de l'autorité de l'Epître aux Hébreux
, où il eft marqué que l'on gardoit
dans l'Arche cette verge avec l'Urne
pleine de manne & les Tables de la Loi.
(p ) La queftion feroit inconteſtablement
décidée , fi ce que rapporte S. Paul
n'étoit pas contredit par un paffage du
-Livre des Rois & de celui des Paralipomenes
, ou on lit qu'il n'y avoit dans
l'Arche que les Tables de la Loi . ( q )
C'est ce qui fe trouve confirmé par Philon
& par Jofeph. ( r ) Cette contradiction
apparente entre des Ecrivains infpirés
a donné bien de l'exercice aux Interprétes
& aux Critiques qui ont tenté divers
moyens de la concilier. Nous les rêduifons
à fept fortes dont chacune a fes
partifans. Thomas d'Aquin , le Cardinal
Hugues , Nicolas de Lyre & d'après eux
Ofiander & Kenig penfent que le deffein.
de l'Auteur du Livre des Rois n'a été de
Juifs , Liv. III . pag. 265. Tom. 1. Edit . 1728 .
Joach. Lang. Hiftor. Ecclef. V. T. Per. IV .
pag. 186. El . Edzard . Not. in Avoda Zara cap .
2. pag. 217. Jac . Weſten. Nov. Teſt. Gr. in
Comment. ad Epiftol. ad Hebr. pag. 414. Tom.
II.
(P )Epiftol. ad Hebræos . IX. 4.
( q I. Reg. VIII 9. II . Paralipom . 5. 10.
( r ) Philo de vita Mof. Lib. III. pag. 150. Jo
feph Antiqu. Judaic. Lib. VIII. cap. 4. pag. 428
Tom. I.
182 MERCURE DE FRANCE
parler que des Tables de la Loi , comme
étant l'objet principal de la deftination
de l'Arche ; au lieu que la Verge d' Aaron "
n'y ayant été mife avec l'Urne de la Man--
ne qu'accidentellement & par occafion ,
il s'eft cru. difpenfé de faire mention de
ces deux chofes moins ellentielles à ce
dont il s'agit. ( s ) Mais je ne vois point
que cette raifon fût fuffifante pour n'en
rien dire. Cette explication fe rapproche
affez de celle que Lévi ben Gerfon a imaginée,
& que Vatable a fuivie . ( t ) Notre
Kabbin veut que le fens des paroles de
l'Auteur du Livre des Rois indique ſeulement
que de toute la Loi , c'est-à- dire, du
Livre de la Loi, l'Arche ne renfermoit que
les préceptes du Décalogue contenu dans
les Tables en queftion, fans donner l'exclufion
à l'Urne de la Manne & à la Verge
d'Aaron ( u ) qui y étoient pareillement.
(s) Thom. Aquin. Expofit. in Epift. at Hebræ. -
IX. 4.Hugon . Comment. in loco cit . Paralipom .
Nicol . Lyr. Poftill . in L. C. Reg. Ofiand. Schol.
in L. C. Paralipom. Koenig. Vindic. Sacr . Loc. c. -
114. pag. 715 .
(t) Levi Ben-Gerf in I Reg. VIII . 9. & Vatabl.
in eod . loc .
( u ) Ribera de Templo . Lib. 11. cap. 2. Junius
in Parall. Lib. III . Ravanell. Biblioth . Sac. Sub voce
Arca pag. 218. Tom . I. Auguft. Pfeiff. Dubi.
Vexat. Script. S. pag . 488. J. Gafp . Suicer. The
faur. Ecclef. pag. rez. Tom. II.
OCTOBRE. 1761. 183
*
L'une & l'autre interprétation ne nous
paroiffent point heureuses. Elles ont quelque
chofe de forcé & répugnent de plus
à ce qu'exprime ici la force de la particule
exclufive Rak employée par l'Auteur
Sacré. Il faut néceffairement recou
Fir à une folution qui fatisfaffe davantage.
Ribera,Junius , Ravanelle , Pfeiffer, &
Suicer pour accorder le témoignage de
P'Epître aux Hébreux avec celui du Livre
des Rois & des Paralipomenes , rapportent
le pronom relatif, non au mot Ar
che qui eft le plus proche , mais au mot
Tabernacle qui eft le plus éloigné : d'où
il réfulteroit que l'Apôtre auroit fimplement
voulu marquer que l'Urne de la
Manne & la Verge d'Auron étoient dans
le Tabernacle. Ribera & Junius allé
guent pour preuve de leur fentiment uner
infinité d'exemples , où cette conftruction
qui lie le pronom telatif avec un antécé
dent éloigné , eft ufitée dans l'Ecriture.
Nous obferverons pourtant que le feul
Texte Grec de cette Epître fouffre un pa
reil fens ; parce que les noms d'Arche &
de Tabernacle font dans cette Langue du
genre féminin. Cela ne fauroit avoir lieu
à l'égard de la Vulgate & de la Verfion
Syriaque ; le nom de Tabernacle étant
* 3 ~
184 MERCURE DE FRANCE.
1
dans le Latin du genre neutre , & dans le
Syriaque du genre mafculin . Ainfi elles
ne favorifent point cette penfée que MM.
Jurieu & de Beaufobre ont adoptée (x) ,
puifqu'elles traduifent par un pronom féminin
, qui fe rapporte conféquemment
au mot Arche qui eft du même genre dans
ces deux Langues . Entr'autres objections
qu'on fait contre ce fentiment ; il y en a
une qui le détruit abfolument ; c'est que
Saint Paul fe fert immédiatement après
dans le Verfet fuivant d'un pronom qui
ne peut être que relatif à l'Arche que les
Chérubins couvroient de leurs ailes : particularité
qui ne convient nullement au
Tabernacle. Il faut donc de toute néceffité
que le pronom du Verfet précédent
appartienne au même mot ; autrement il
n'y auroit aucune liaifon dans le tiffu du
difcours de cet Apôtre . Paſſons à l'examen
de l'opinion qui a un plus grand nombre
d'approbateurs . Ceux qui fe déclarent en
fa faveur remarquent que la prépofition
Grecque en fe met quelquefois pour avec,
auprès,à côté, auffi bien que pour dans par
un de ces Hébraifmes qui font familiers
aux Ecrivains du Nouveau Teftament . En
(x )Jurieu Hifto . Crit.des Dogm. Part. 11 .
chap. 2. pag. 237. Beaufobre Remarq . crit. fur
le N. Teft. pag. 178. Tom. II.
OCTOBRE. 1761. 185
effet on ne sçauroit défavouer que la particule
Hébraïque be qui répond à cette
prépofition, a en plufieurs occafions les fignifications
que nous venons d'indiquer.
On n'a pour s'en convaincre qu'à confulter
Noldius qui a ramaflé avec beaucoup
de foin tous les exemples que les Livres de
l'ancien Teftament fourniffent à ce sujet.
(y) Il paroît même par quelques locutions
qu'on cite des Auteurs Grecs & Latins
, qu'ils l'employent en diverfes rencontres
dans de femblables acceptions.
Pifcator , Tena , Tornielli , Lorin & le
P. Lamy rendent la prépofition en par
avec , de forte que le fens du paffage de
S. Paul eft , felon eux que l'Urne de la
manne , la Verge d'Aaron , & les Tables
de la Loi étoient avec l'Arche elle-même
dans la partie du Tabernacle appellée le
Saint des Saints. ( z ) C'eft conformément
à cette explication que MM. de
Beaufobre & le Céne ont traduit le Texte
(y) Nold. Concordant. partic . Hebraic. pag.
144. 145.
( z ) Pifcat. Not. Bibl . ad cap. IX . Hebr . Lud .
Tena. Difputation . in Epiſt . ad Hebr . Difficul . V.
Sect . 2. pag. 388. 389. Torniell. Aunal. Sacr.
fub. Ann. M. 3030. N. 19. pag. 21. Tom. II .
Edit . Francof. Lorin . Commentar. in Numer.
pag. 645. Ber. Lamy de Tabernac . Foed . Lib . III .
cap. 5.S. 3. pag. 418. & de Templ . Hierofolym .
Lib. VI . cap . IX. S. 8. pag. 1076.
186 MERCURE DE FRANCE.
de l'Apôtre. ( a ) Notez que le premiera
changé depuis de fentiment, pour embraffer
celui que nous avons exposé plushaut.
Il s'efforce de l'établir dans un ouvrage
pofthume qui n'a vu le jour que
long- temps après la Verfion du Nouveau
Teftament qu'il a publiée conjointement
avec M. l'Enfant. Les autres qui aiment
mieux faire parler S. Paul d'une manière
plus précife , interprérent la prépofition
par auprès, à coté. Ainfi fes paroles figniferoient
que l'Urne de la Manne & la
Verge d'Aaron étoient pofées auprès ou
à côté de l'Arche . Cette traduction de fon
Texte a paru d'autant plus plaufible à
Beze , Etius , Quiftorpius , Drufius,
Louis de Diet , Jacques Cappel, Gerhard
, Etienne Morin, Sebaftien Schmid,
Maius & Hottinger , ( b ) qu'ils ont cru y
J
( a ) Le Céne N. Teftam. pag. 199. Tom . II. -
Beaufobre & l'Enfant N. Teftam . pag. 475. Tom.
II . Edit. 1736. N. B. que le premier eftfeul Auteur
de la traduction des Epitres de S. Paul ainfi que dess
courtes Notes dont elle est accompagnée.
( b. Theod. Bez . Annotation . in Epift. ad '
Hebr. pag. 315. Guill. Eftius. in Comment . ad
eund. loc. Quiftorp. Commentar. ad eund.
loc. Druf. annot . ad eund . loc. inter Critic. Sac.
pag. 1044. Tom . VII . Edit . Amft. Lu . de Dieu
Animadverf. ad eund . loc. pag. 312. Edit. in-49.
Jac. Cappell. Obfervation. ad eund. loc. pagiOCTOBRE.
1761 . 187
trouver le dénoûment de la difficulté qui
a embaraffé tant d'habiles gens. Mais ils
n'ont pas pris garde , qu'il s'en préfente
une qu'on ne parviendra jamais à réfou
dre. S. Paul place les Tables de la Loi
dans le même endroit que l'Urne de la
Manne & la Verge d'Aaron , puifqu'il les
joint enfemble par la particule copula
tive & it ne peut donc point avoir entendu
que cette Urne & cette Verge
étoient auprès ou à côté de l'Arche , qu'il
n'ait auffi entendu la même chofe des
Tables de la Loi . M. Saurin qui s'étoit
d'abord déterminé pour la penfée de ceux
qu'expliquent de la forte le paffage de
l'Apôtre , a fi bien fenti la force de cette
difficulté , qu'il a préféré le parti de de
meurer indécis fur la queftion , à celui de
parler affirmativement à cet égard. ( ) Nous
ajouterons encore qu'elle eft fujette à un
autre inconvénient. C'eft qu'il s'en fui-
193. Gerhard. Comment in Epiftol : ad Hebr.Ibi
den . S eph. Morin. Diflertat. VII. pag. 174. Sebalt.
Schmid . Commentar. in Epift . ad Hebr.
pag . 900. Henr . Maij . Obfervat. Sacr . P. IV . pag.
102. Hottinger. Not. ad Goodwini Mof. &
Aaron. pag. 143. & Differtat. de Tabernaculo inferta
in eod. ope . pag. 325.
(e ) Saurin Difc. Hift . & Crit. fur la Bible
Difc. LIV. pag, 269. Tom . 2. Edit in - 8 .
488 MERCURE DE FRANCE.
fe fert dans le même fens au verfet 2. du
vroit que la prépofition en , dont S. Paul
Chapitre d'où eft tiré le paffage que nous
difcutons,laquelle ne peut abfolument en
cette circonftance fe rendre que par dans,
auroit été employée par l'Apôtre à deux
lignes delà dans une fignification différente.
Il n'eft nullement vraisemblable qu'il
fe fut avifé de lui faire fignifier dans au
premier cas & auprès où à côté au ſecond
dans la même contexture du Difcours . Cette
remarque a également lieu contre le fentiment
de ceux qui traduifent avec . Waltherus
& Glaffius , à l'opinion defquels
M. Sennert juge- à - propos de déférer
ufent d'un autre expédient pour mettre
d'accord S. Paul avec l'Auteur du Livre
des Rois. Ils veulent qu'on confidére
l'Arche d'Alliance de deux manières, l'une
ftricte & rigoureufe pour le feul corps de
l'Arche couverte du Propitiatoire , dans
l'intérieur de laquelle étoient les Tables
de la Loi ; l'autre plus étendue pour un
tout qui comprenoit l'Arche avec les dépendances.
Ils fuppofent à cet effet qu'il
y avoit aux côtés de l'Arche des espéces
de tiroirs , qui renfermoient l'Urne de la
Manne & la Verge d'Aaron. ( d ) Toftat
(d) Walther. Harmon . Biblic . pag. 417. Glaff.
Philolog. Sacr. Lib. III . Tract. 3. pag. 715. Sen
OCTOBRE
. 1761.
189
& Cajetan
( e ) ont eu à - peu-près la même
penſée qui eft commune
aux Juifs. C'eft ce que Buxtorffe
s'eft attaché
à prouver
par des paffages
des deux Talmuds
de Jérufalem
& de Babylone
, & par le témoignage
d'une multitude
d'Ecrivains
de cette Nation. (f) Maimonide
nous apprend
pofitivement
que cette Verge
étoit placée avec l'Urne de la Manne
devant l'Arche
dans le Lieu très faint.
Moyfe de Kotzi & Abarbanel
difent la
même choſe. ( g ) Il faut pourtant
que ce dernier ait cru que ce fentiment
ne fût pas
auffi général
parmi les Juifs , que l'aſſure
Buxtorffe
; puifqu'il
avoue en rapportant
l'opinion
de Lévi benGerfon
qu'il rejette , que la tradition
de quelquesRabbins
lui eft
favorable.Mais
Buxtorffe
le dément nettement
en ceci; il prétend
queLevi Ben Ger
fon eft le feul d'entr'eux
qui foutienne
que l'Urne & la Verge étoient ferrées dans la
parcie intérieure
de l'Arche . Quoique
cetnert.
Differt. de iis que fuere in arcâ in Theſaur
. Theolog
. & Philolog
pag. 467. Tom. I. ( e ) Toftat. in Reg. VIII . Queſt . VI . Cajetan
.
Comment
. in loc . cit . Reg.
(f ) Buxtorf
. Hiftor. Arcæ . Foeder. Cap . V.
pag. 55. 72.
(g ) Maimonid
. De Cultu Divin. Tract. I. paga 15. ex Verfione
Comp. de Veil .
490 MERCURE DE FRANCE.
te interprétation du Texte de S. Paul foit
plus fpécieuſe que les précédentes , nous
avons de la peine à y foufcrire ; parce
qu'il ne nous femble pas naturel que li
c'eût été la pfée de l'Apôtre , il eut marqué
indiſtinctement le lieu des Tables de
la Loi , de l'Urne de la Manne , & de la
Verge d'Aaron , la première de ces chofes
occupant une place différente de celle
des deux autres. Théophylacte a propolé
une voie de conciliation , qui a eu le fuffrage
de plufieurs Auteurs modernes , tel
que Melchior Canus , Bellarmin , Alting
, Hammond , le P. Alexandre &
Wufius. ( h ) Il penſe qu'il n'y eut du
temps de Moyfe & de Salomon que les
Tables de la Loi dans l'Arche ; mais que
dans la fuite , lorfque Jérémie la prit
pour la cacher, la Verge d'Aaron & l'Urne
de la Manne y furent mifes , afin d'y
être mieux & plus fûrement confervées .
C'eft une tradition dont S. Paul pouvoit
avoir été inftruit par Gamaliel fon maître.
Théophylacte ajoute qu'elle étoit de fon
temps communément reçue chez les Juifs
attachés à la Secte des Pharifiens . Il n'eft
pas befoin de dire que cette tradition
( h ) Mof. Mikotzi in Sepher Mitzreth Gadol
fol. 210. pag. I. Abarbanel . Commentar, in Pro
phet. Prior. fol. 226. pag. 1 .
OCTOBRE. 1761. 190
n'a aucun fondement folide , & qu'on
n'en trouve pas le moindre veftige dans
l'Ecriture. D'ailleurs le but de l'Apôtre
dans cette Epître n'eft point de parler du
temps de Salomon ni de fon Temple ;
mais du temps de Moyfe & de fon Tabernacle
dont il y fait fommairement la
defcription. Il y a beaucoup plus d'apparence
à croire que la Verge d'Aaron &
l'Urne de la Manne avoient été placées
dans l'Arche avec les Tables de la Loi
par ce Légiflateur , & qu'elles y demeurerent
jufqu'à la conftruction du Temple.
En effet elles auroient été expofées
à fe perdre, fi on ne les y avoit enfermées,
l'Arche ayant tant de fois changé de
lieu dans le Défert & dans la Terre de
Chanaan pendant tout cet intervalle . Elle
n'en eut de fixe que depuis que le Temple
fut bâti , Salomon l'y ayant fait tranfporter
par les Sacrificateurs . Ce fut vraifemblablement
alors qu'on en ôta l'Urne
de la Manne & la Verge d'Aaro 1 qui ne
couroient plus le même rifque pont les
mettre dans un autre endroit convenable.
Il n'est donc pas furprenant que l'Auteur
du Livre des Rois , qui décrivoit
ce Temple & ce qu'il contenoit, a'ait fait
mention à l'occafion de l'Arche , que des
Tables de la Loi , qui étoient pour lors
192 MERCURE DE FRANCE.
la feule chofe qu'elle renfermât. C'eft a
mon avis la manière la plus probable de
concilier cet Auteur avec S. Paul . C'eſt
auffi le fentiment qu'ont fuivi Catharin
Sanctius , Zegerus , Goodwin , Defmarèts
, le Clerc , Reland , Deylingius
Calmet , Schatgenius , & Wolff. ( i )
Nous pourrions encore joindre à tous ces
favans hommes Grotius , s'il n'avoit une
penfée qui lui eft particulière . Il convient
bien avec eux , que l'Urne de la Manne
& la Verge d' Aaron étoient du temps de
Moyfe dans l'Arche, ainfi que les Tables
de la Loi . Il s'appuye même en cela du
témoignage de Jofeph Ben Gorion à
qui il fait dire fauffement que cette Verge
y étoit placée ; quoique celui -ci rapporte
fimplement qu'elle étoit dans le
Saint des Saints avec l'Arche qui conte-
( i ) Theophylact. Commentar. in Epiſtol. ad
Hebr. pag. 956. Melch . Can. Loc. Theolog. Lib.
II. cap. II . pag. 83. Edit . Colon . Rob. Bellarm.de
Verbo Dei . Lib. I. cap . 17. pag. 85. Edit . Ingolft .
in- 8°. Alting. in Hæbr. IX . 4. pag. 249. Tom.
IV. Oper. Theologic. Hammond . Annotation.ad
Hebr. pag. 326. Tom . I. Elit . Amft. Natal.
Alexandr. Hiftor . Ecclef. Vet . Teftament . Dilfertat.
III . artic . 3.pag . 437. Edit . in fol . Herm .
Wilfi Mifcellan . Sacr . Lib . II . Diflertat . I. pag
144, &c. Tom. II .
noit
OCTOBRE. 1761 193
noit les Tables de l'Alliance. ( k ) Mais il
prétend qu'on en retira l'Urne & la Verge
avant le temps de la fondation du
Temple de Salomon , par la crainte que
l'on avoit que ces chofes ne fe gâtaffent
dans le lieu où elles étoient ferrées . Ce
fut la même confidération qui empêcha
qu'on ne les y remît quand ce Prince éleva
le Temple en conféquence de quoi
on les porta dans un fouterrain , de cette
augufte demeure comme le difent les
Rabbins. ( 7 ) Il eft aifé de répondre à
ceci, que la manière miraculeuſe dont Dieu
( k ) Catharin . de Clavib . Script . S. II . & in
Annotation libr . I. in Commentar. Cajetani .
ad hunc. loc. Epiftol . ad Hebr . Galp . Sanclius
in Commentar . ad I. Reg. VIII . Zeger. Annotation
. ad Epiftol . ad Hebr. Inter. Critic . Sacr.
pag. 1041. Goodw . Mof. & Aar . Lib. II . cap.
I. pag. 344. Delmarets . Notes fur l'Epître aux
Heb. fol . 163. pag. 2. N. T. de le Clerc. V. fes
remarques fur ce V. de l'Epître aux Hebr.
pag. 285. Tom . II . Calmet . Comment. Litter.
fur la même Epître . pag. 693. Edit . in-4° . Reland.
Antiquit. Hebr. p. 1. cap. s . pag. 2. Sal .
Deyling. Obfervation . Sacr. pars fecunda 439 .
& 440. & feqq. Tom . II . Scheet genius in Horis
Hebr. & Talmud . ad loc. cit . Epift . ad Hebr.
pag. 973. Jo . Ch. Wolfii Cure Crit . & Philo
log, in Epiftol . Pofter . D. Paul . pag. 697 .
(1) Jofeph . Gorionid. Lib. VI. cap. 35. pag.
713. Edit. Breei . Praup .
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
veilloit à leur confervation fuffifoit pour
les mettre à l'abri de l'accident que Grotius
fuppofe bien gratuitement. Quant à
la circonftance du fouterrain qu'il lui
plaît d'alléguer , fans entrer dans aucun
détail à cet égard , il eft vrai que les Docteurs
Juifs en parlent dans leur écrits , mais
ce n'eft pas une raifon pour la regardet
comme une chofe indubitable . Voici ce
dont il eft question . Ils racontent que Salomon
ayant appris par quelques Prophétes
de fon temps , que le Temple qu'il
avoit fait conftruire , feroit détruit un jour
par les Affyriens , y fit pratiquer un fouterrain
rempli de détours , afin qu'en cas
de péril on cachât les chofes les plus facrées
& les plus précieufes qu'il renfermoit
dans cet endroit impénetrable à la
recherche des ennemis. Ce fut là qu'il arriva
que le Roi Joftas fit mettre l'Arche
d'Alliance , la Verge d'Aaron , le Vafe
de la Manne , l'Urim & Thummim , avec
l'huile d'Ontion qui ne fe retrouverent
plus dans le fecond Temple que bâtirent
les Juifs à leur retour de la Captivité de
Babylone . (m) Que les Rabbins fe repail
fent de ces révêries ; à la bonne heure , elles
font de leur goût & caractérisent la
( m ) Grotii Annot. in Epiftol, ad Hebr. Inter
Critic. Sacr. pag. 1047 ,
OCTOBRE. 17612 Top
trempe de leur efprit. Mais je ne fçaurois
affez m'étonner qu'un hommeauſſi judiçieux
que Grotiusfe foit laiffé impofer jufqu'au
point de les admetrre . Avant que de
finir cette difcuffion , nous ne croyons
pas qu'il faille taire une objection, quoique
frivole par elle même , que nous font
ceux qui dans l'habitude où ils font de
chicaner furtout , foutiennent qu'on ne
pouvoit point placer la Verge d'Aaron
dans le fond de l'Arche , à caufe de fa
longueur qui devoit excéder de beaucoup
celle de ce coffre facré. Il nous eft facile
d'y fatisfaire en remarquant que l'Arche
ayant deux coudées & demie de long ,
qui felon notre réduction , équivalent à
cing pieds de Roi , fa capacité étoit plus
que fuffifante pour contenir cette Verge.
Ainfi il n'eft pas befoin d'avoir recours à
l'étrange imagination des Interprétes qui
veulent qu'on l'ait mife en double en la
rompant par le milieu , ou bien qu'on en
ait coupé la partie excédente , fans endommager
toutefois les feuilles ni fes
fruits . Nous obferverons auffi que nous
avons des monnoies Juives , dont la légende
eft en caractères Samaritains , où lont
repréfentés la Verge fleurie d'Aaron
& Urne de la Manne. On n'a qu'à lire
l'Ouvrage curieux que M. Reland a pu-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
blié fur cette matière. ( n ) La Verge de
ce Grand-Prêtre d'abord féche & dépouillée
& enfuite chargée de fleurs & de
fruits, a été le ſujet de bien des fens myftiques
& typiques que les Peres de l'Eglife
fe font appliqués à y découvrir . Origène
y a trouvé un emblême de la Croix de
Jefus- Chrift dont les fleurs & les fruits
font les Peuples qui ont cru en l'Evangile.
( o ) S. Jerome,le Pape S. Grégoire & Ifidore
de Séville , l'ont regardée comme
une image expreffe de la mort ignominieufe
de ce Divin Rédempteur , & de fa
glorieuſe Réfurrection. ( p ) Enfin cette
Verge qui fans être humectée & fans rien
devoir à la culture de la Terre , fleurit &
porte des fruits, a paru à Vigile de Tapfe
, au même Ifidore & à S. Bernard
une figure de la Vierge Marie, qui a conçu
& enfanté le Sauveur , fans avoit eu de
commerce charnel avec aucun homme.
(n ) Malechet Joma Gemar . cap. V. Maimonides
, Laniado , R. Bechaj , R. Juda Halllevi
aliique apud J. Ben . Carpzovium . in Differtat.
Quonan arca pervenerit ? cap . 1. § . 7. &
8. & Buddeum in Hiftor. Ecclef. Veter . Teftam .
Sect. IV. pag. 66. Tom. II . Vide quoque Cunæum
de Republic. Ebræor . Lib. I. cap . 14.
pag . 90 .
(o ) Adr. Reland . de Nummis Samaritanor.
Differtat. II . pag . 2. & feqq.
(p ) Origen. in Numer. Homil . IX. pag.
299. Tom. II . Edit . de la Rue.
OCTOBRE. 1761. 197
(9 ) Nous fommes fort éloignés d'envier
ní aux uns , ni aux autres leur pénétration
. Nous confentons bien volontiers
qu'on leur faffe honneur de ces découvertes
, après lefquelles ils courent à perte
de vue. On nous permettra feulement
de dire , fans nous écarter du refpect
qu'on leur doit , qu'il feroit à fouhaiter
qu'ils euffent donné un peu moins
l'éffor à leur imagination , & euffent apporté
plus de modération dans la recherche
de ces fens mystérieux. Ils auroienr
fans doute par- là mieux réuffi dans l'ap
plication des exemples. Leurs plus grands
admirateurs font obligés de convenir
qu'ils les ont quelquefois outrés par des
explications froides & forcées , ou tout
au moins établis fur une énumération de
rapports vagues & arbitraires , qui manquent
de folidité.
(4 ) Hieronym. Commentar. in Jerem. cap.
1. V. 11. pag. 497. Tom . II . Edit. Parif. Marian.
Victor. Gregor . Magn . Expofitio Moral. in Job.
Lib. XIV. cap. 28. pag. 372. Tom . II . Edit. Pa◄
rif. Ifidor. Hifpalenf. Commentar. in Numer.
cap. 15. pag. 477. Edit . Parif. du Breul .
( r ) Vigil. Tapf. contr . Eutych . Lib III . § . 4 .
pag. 26. Edit . Chiffle. Ifidor. Hifpal . Ibidem.
Bernardi Homil . II . pag. 2. Tom . II . Edit.
Horfti.
Lafuite au Mercure prochain.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS UTILE S.
AGRICULTURE .
SEANCE publique extraordinaire concernant
principalement l'AGRICULTURE
; tenue le 11 Juillet 1761. Par
l'Académie Royale des Sciences , des
Belles- Lettres & des Arts de ROUEN .
C'eſt le Secrétaire de l'Académie qui parle.
PARMI les Arts que cultive l'Académie ,
l'Agriculture a toujours tenu le premier
rang. Les tentatives faites en 1745 &
46 pour rendre le bled vivace , & dont
M. de Brequigny , notre Affocié , a rendu
compte à la Compagnie , les Mémoires
de M. l'Abbé Guérin & de M. Boisduval
en 1748 fur le Guy du Chêne , celui de
M. de la Roche en 1750 , fur le Peuplier
blanc , fans compter plufieurs autres differtations
fur les Plantes , de MM. Dufay,
Pinard &c, tous Membres de l'Aca
OCTOBRE. 1761. 199
démie , prouvent que nous nous fommes
toujours occupés du plus ancien & du
plus utile de tous les Arts . Nous avouons
cependant que notre émulation s'eſt augmentée
par celle des Sociétés qui fe font
vouées uniquement à l'Agriculture , par
les attentions du Gouvernement à former
& à protéger ces Sociétés , & furtout par
le zèle éclairé de M. de Brot , Intendant
de la Généralité de Rouen , & Membre
de cette Académie. Ainfi , depuis un an ,
nos Mémoires fur l'Agriculture ayant été
nombreux & intéreffans , & la fécondité
des autres claffes de l'Académie n'en
ayant pas été altérée , cette Compagnie
s'eft déterminée à faire deux féances publiques
, dans l'une defquelles elle feroit
principalement occupée d'Agriculture.
C'eft de celle- ci tenue le 11 Juillet dernier
, que nous allons rendre compte.
M. de Brou , Promoteur de cette utile
féance , l'ouvrit par un Difcours fur l'Établiſſement
des Sociétés d'Agriculture ;
dans lequel tous ceux qui l'ont entendu
ont reconnu les fentimens dont il donne
tous les jours des preuves à fa Généralité
, exprimés avec autant d'humanité
que de nobleffe. Le voici en entier le
Public perdroit trop à nè l'avoir qu'en
extrait.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
MESSIEURS ,
*
Une des Provinces du Royaume
dans laquelle l'amour du bien public eft
le plus généralement répandu , a donné
la première l'exemple d'une Société uniquement
occupée du Commerce & de l'Agriculture.
Des établiſſemens à - peu- près
femblables fe préparent àpréfent dans différens
lieux par les foins du Gouvernement .
L'exemple même que vous donnez aujour
d'hui en affociant ainfi publiquement vos
travaux à ceux de la Société , qui eft prête
àfe former, va peut-être bientôt être imité,
& vos correfpondances mutuelles , femblables
par leur utilité à ces canaux qui
portent la fertilité & l'abondance , achéveront
de perfectionner l'Agriculture dans
le refte du Royaume , & de diriger le
Génie de la Nation vers un objet fi éllentiel
& jufqu'ici trop négligé.
Telle a été en effet la marche de prèfque
tous les fiécles. Les connoiffances
les plus néceffaires n'ont rien pour l'ordinaire
d'affez brillant pour attirer nos pre-
* La Bretagne avoit formé dès 1756 une Société
d'Agriculture & de Commerce . Le Public
a déja été à portée de juger de fon utilité par
la lecture des obfervations de cette Société , qui
ent été imprimées l'année dernière .
OCTOBRE. 1761 . 201
miers regards & nos premiers penchans .
L'Efprit , ainfi que la jeuneffe , commence
par fe livrer au plaifir : les charraes de
la Poëfie , ceux de l'éloquence , ceux thê
me de la fublime & profonde Philofophie,
voilà les premières paffions qui Pentral
nent ; fe repliant enfuite fur lui- même ,
il embraffe des objets d'abord ntoins fétail
fans ; la Morale , la Politique , les A
le Commerce , l'Agriculture fonti
tour l'objet de fes recherches . Il fe répand
ainfi dans tous les différens Etats ; & l'E
prit , devenu plus commun , cherche à lè
rendre plus utile.
Les Sociétés Littéraires , & même la
plupart des établiffemens qui ont eu là
perfection de quelques connoiffances pour
but , fe font formés prèfque dans le même
ordre , & ont fuivi les mêmes progrès.
L'Académie Françoife fut fondée la
première. Le Cardinal de Richelieu , en
la formant , fuivit alors le goûr de la
Nation & le fien propre : il eft même
aiſé de voir par la nobleffe avec laquelle
il exprimoit les volontés du Trône , tou
tes les fois qu'il étoit dans le cas de les
faire connoître , qu'il regardoit la ma
jefté du ſtyle & la grandeur des expref
fions comme un attribut prèfque effentieb
de l'autorité ; peut - être auffi envifageoirs
I v
202 MERCURE DE FRANCE .
il dans la perfection de la Langue un
moyen de plus de donner à la France ,
parmi les autres Nations de l'Europe, cet
afcendant que l'étendue & la profondeur
de fes vues lui promettoient ; car fon defir
pour toute efpéce de gloire étoit fans
bornes ; les obftacles même irritoient la
hardieffe & la fermeté de fon âme. Non
content d'avoir été le maître de ſon fiécle
, fa politique s'élevoit , s'il eft permis
de parler ainfi , juſques dans l'ordre des
deffeins de la Providence ; il préparoit en
quelque forte l'avenir par l'habileté de
fes projets , & fe flattoit de dominer encore
les fiécles qui devoient le fuivre par
l'influence & par la fupériorité de fon
génie.
Colbert , quelque temps après , forma
une nouvelle époque dans le Gouvernement
: Il donna aux Sciences & aux Arts
la même protection que le Cardinal de
Richelieu avoit accordée aux talents littéraires
& aux productions brillantes de
l'efprit. Ce fut lui qui jetta les premiers
fondemens de l'Académie des Sciences ;
il trouva la Nation déjà inftruite & puiffante.
Il voulut l'enrichir & affermir par
le commerce, cette grandeur que les conquêtes
& les Traités précédens lui avoient
donnée. Il attira en France des FabriOCTOBRE.
1761 . 203
quans , dont le nom feul fait encore
honneur à notre commerce . Il établit des
Manufactures , & leur donna des réglemens
qu'il regarda fans doute alors , comme
des inftructions néceffaires . Il prit en
main la balance générale du Commerce ,
& apprit le premier à la France l'art de
la faire pancher en notre faveur par une
jufte diftribution des droits d'entrée & de
fortie *. Enfin il créa en quelque forte une
nouvelle puiffance par l'établiffement
d'une Marine qui a toujours été depuis
l'objet conſtant de la jaloufie , des entreprifes
& de la haine de nos ennemis .
L'adminiſtration d'un grand homme
laiffe toujours des traces qu'il feroit difficile
de perdre. La protection que Colbert
donnoit au Commerce , avoit tellement
éclairé le Gouvernement fur fon utilité ,
* C'eft M. Colbert qui voulant faire ceffer les
inconvéniens de la multiplicité des droits qui fe
percevoient fur les marchandifes , les réunit en
un feul fous la dénomination de droits d'entrée
& de fortie par le tarif de 1654 , qui ſubſiſte
encore aujourd'hui , Ce travail important fit alors
le plus grand bien au Commerce . Le Gouvernement
eft actuellement occupé à le perfectionner
par un tarif plus fimple , & qui , en établiſſant
un droit uniforme à l'entrée & à la fortie du
Royaume , aboliroit les gênes qu'apportent au
Commerce les droits qui fe perçoivent dans dif
férentes Provinces, 1 vj
204 MERCUREDE FRANCE.
qu'on vit naître après lui plufieurs établiffemens
deftinés encore à le favorifer. Un
Bureau général formé dans la Capitale
pour devenir le centre des intérêts de toures
les différentes Provinces, des Chambres
établies dans les principales Villes du
Royaume que le Gouvernement confulte
encore tous les jours fur les queftions les
plus importantes , & dans lesquelles les
Négocians les plus accredités vont fucceffivement
porter leurs lumières ,& recevoir,
par l'honneur feul d'y être admis , la récompenfe
du mérite & de la probité, ont
été la fuite heureuſe de fon miniſtère , &
ont affuré la durée & les progrès des connoiffances
qu'il avoit répandues.
Les mêmes faveurs accordées au Commerce
ſemblent aujourd'hui s'apprêter
pour l'Agriculture , & l'établiffement des
Sociétés que le Gouvernement s'occupe
de former honorera fans doute , un jour ,
le ministère actuel , & lui donnera le mérite
d'avoir connu les vraies richeffes de
l'Etat & d'en avoir cherché la véritable
fource.
.
Tel doit être en effet le but de tout
homme chargé du poids immenſe de
l'adminiſtration , que , fans ceffe occupé
du bien public , il faififfe avide ment tous
les moyens qui peuvent y contribuer ;
OCTOBRE . 1761. 205
que , fans facrifier aucune condition l'une
à l'autre , il ne cherche qu'à faire le bon
heur de toutes ; qu'honorant tous les Etats
il les attache , par là même à leurs devoirs
; qu'il fe confidére affez pour croire
n'avoir plus d'autre intérêt que l'intérêt
public. Enfin que l'amour de fes Conci
toyens , que la gloire de fon Roi , que le
bonheur du Peuple foient pour lui un fujet
continuel de defirs , d'inquiétude , de
tendreffe & de joie .
Le malheur même des temps doit exciter
plus fortement encore le defir de faire
le bien, parce qu'il en fait fentir plus vivement
la néceffité. Efforçons - nous du moins
d'y contribuer. Aucunes des recherches
qui peuvent conduire à un objet fi important,
ne doivent être négligées . La Nature
ne trouve que trop d'obstacles au bien
qu'elle voudroit nous faire ; notre ignorance
, nos préjugés , nos loix mêmes quelquefois
s'opposent à fes bienfaits ; le foin
de la connoître eft le vrai moyen de les
multiplier ; la terre prèfque par - tout ne
fe refuſe à aucun de nos befoins , mais il
faut fçavoir l'ordre dans lequel elle permet
de les lui demander , & les moyens
par lefquels on peut les obtenir. Voilà
donc quel eft cet art vraiment fublime ,
qui renferme les fecrets de la Nature- les
206 MERCURE DE FRANCE.
plus importans , dont dépend le bonheur
de l'humanité, par qui les Etats , les Rois ,
les hommes enfin fubfiftent , & qu'ils ont
jufqu'ici négligé de perfectionner.
Car , il faut l'avouer , l'Agriculture en
général eft prèfqu'encore , dans fon en fance,
livrée dans plufieurs Provinces à l'ignorance
, au mépris , & fur- tout à l'indigence
: elle n'a point acquis cette perfection
qu'ont donné aux autres Arts l'étude , l'eftime
& les récompenfes qui leur ont été
juſtement accordées . On fe contente de
cultiver les cantons les plus fertiles , le
refte eft abandonné prèfque comme inutile.
La terre cependant n'offre pas partout
des dons auffi faciles ; cette mère
bienfaifante fouvent s'arme d'un front
auftère : il faut alors chercher dans fes entrailles
, & pénétrer jufques dans fon fein.
Des trésors font quelquefois cachés fous
une fuperficie aride : des mêlanges plus
fçavans , les fucs mieux ménagés peuvent
changer le fol le plus ingrat en un terrein
fertile ; le fable , le limon , l'argille peuvent
devenir les principes de nouvelles
productions ; & ces productions elles -mêmes
, fi le Cultivateur fçait choifir celles
qui doivent leur fuccéder , fourniront à
la tetre une nouvelle ſubſtance , & la prépareront
à de nouveaux bienfaits.
OCTOBRE . 1761. 207
Mais ces bienfaits , me direz - vous , ô
Laboureurs ! deviennent pour vous d'un
trop haut prix la terre , que vous cultivez
, vous eft trop étrangère pour que
vous puiffiez vous y affectionner ; l'obligation
de la rendre , après un petit nombre
d'années , à fon Propriétaire ; l'excès
du prix que la néceffité vous a quelquefois
forcés d'en donner , les gênes qu'une
crainte peut-être enfin prête à ceffer , apporte
depuis long - temps à la liberté de
vendre , de conferver , ou d'exporter les
fruits ineftimables de vos travaux , les
charges de l'Etat à acquitter , la nature des
impôts , peut - être plus que les impôts
mêmes , l'indigence même enfin , puifqu'il
faut l'avouer , énervent vos efforts
& retiennent vos bras . O mes Concitoyens
, pourquoi convertir notre tendreffe
en douleur & faire couler nos larmes
! les maux inévitables de la guerre
peuvent , fans doute , fufpendre encore ,
pendant un temps , le bien que l'on voudroit
vous faire ; mais ils ne doivent cependant
pas vous en cacher entierement
le defir ; tout devroit au contraire vous
l'annoncer ; ces Sociétés , que l'on
cherche à former dans les différentes
Provinces , & dont vous ferez l'unique
objet , cet empreffement de la part du
208 MERCURE DE FRANCE.
Gouvernement d'étudier vos befoins ,
d'encourager votre induftrie : le Roi , luimême
, veut être inftruit de votre état , il
veut donc le rendre heureux ; & votre
Maître femble , en ce moment , ne vous
demander que le temps de vous défendre
pour pouvoir enfuite vous foulager.
Ainfi , loin de gémir dans l'abbattement
, que l'efpérance au contraire , rani
me en vous l'émulation & le courage . Prenez
quelque confiance aux conſeils que
nous tâcherons de nous mettre en état
de vous donner , & foumettez quelquefois
les préjugés & l'ancienneté de l'habitude
à la fagacité ou au bonheur de nouvelles
découvertes , ainfi que nous foumettons
nous-mêmes toutes les fpéculations à la
fageffe & à la fûreté de votre expérience.
Mais , Meffieurs , que la fimplicité &:
l'utilité de vos leçons en foient fur- tout le
principal mérite ; il s'agit d'inftruire &
non de fe faire admirer. Ne croyez pas
cependant que dans le nombre des Labou
reurs beaucoup ne fuffent en état de recevoir
des inftructions plus élevées; plufieurs
ont commencé par prendre des connoiffes
deftinées fouvent à des Profeffions
moins útiles ; l'oifiveté , le luxe des Villes ,
la fortune même peut-être , les ont vainement
preffés d'abandonner leurs trayaukjo
OCTOBRE. 1761. 209
la fimplicité de leurs moeurs leur a fait méprifer
fes promeffes , & l'ambition de quitter
leur état et heureuſement étouffée en
eux par la droiture , l'honnêteté & même
l'élévation de fentiment qui le leur fait
eftimer.
Confirmons les dans ces généreufes
réfolutions , rendons- les - leur fi chères , fi
précieufes, qu'ils regardent comme un devoir
de les tranfmettre à leur poftérité ;
fongeons enfin qu'on ne doit pas feulement
être ocupé de perfectionner l'Agriculture
; mais qu'il faut encore chercher
à l'honorer. Eh , quel but plus glorieux
peut-on fe propofer que celui d'élever
ainfi en quelque forte l'humanité ?
Plufieurs d'entre vous ont déja donné des
preuves du defir qu'ils avoient de la foulager
; & les premiers momens de l'arrivée
d'un de vos Membres les plus chers
*
* M. l'Archevêque de Rouen , qui ayant été
nommé de l'Académie,fut reçu dans cette Séance.
Une des premières chofes qu'il ait faites après
fa nomination à l'Archevêché de Rouen , a été de
faire détruire la garenne de Gaiìlon qui faifoit un
tort fi confidérable , que la plupart des terres
des environs étoient incultes . Cette garenne eft
aujourd'hui plantée en bois , & il a la fatisfaction
de voir mettre en valeur des terres que les
Propriétaires n'avoient plus femées depuis plus
de 40 ans.
210 MERCURE DE FRANCE.
à cette Province , dont la préfence même
ajoute encore aujourd'hui à la folemnité
de votre Affemblée , ont été marqués par
un facrifice public fait à l'agriculture, d'un
de ces droits fi précieux pour l'ordinaire
aux Seigneurs de terres , fi onéreux à leurs
Vaffaux, & fi contraire au bien de l'Etat.
Ce trait , que tout bon Citoyen ne pourra
fe rappeller qu'avec reconnoiffance , m'a
paru devoir être aujourd'hui configné dans
vos Faftes: puiffent- ils être fouvent honorés
par le récit de faits femblables , &
puiffent des éloges auffi juftement mérités
les rendre , en quelque forte , le dépôt
des actions vertueufes en même temps que
des connoiffances utiles !
Enfuite M. le Mefle lut une Eglogue
fur le même fujet , dans laquelle un des
Interlocuteurs , le plaignant amérement
du fort malheureux des Habitans de la
campagne , eft confolé par l'autre , qui lui
annonce les projets qu'on forme en leur
faveur. Le premier Interlocuteur ne fa
perfuade pas aifément qu'on veuille finir
leurs maux . Il céde cependant aux preuves
multipliées que fon ami lui en donne .
Il conçoit un efpoir plus heureux. Et tous
deux finiffent faire éclater leur reconpar
noiffance.
M. Rondeau lut un Mémoire fur l'utiOCTOBRE
. 1751. 211
lité de faire paître les moutons dans les
prairies à la fin de l'Automne , & la néceffité
d'adoucir à cet égard la rigueur des
Réglemens . Il s'eft affuré par un grand
nombre d'expériences & d'informations ,
que le mouton détruit la mouffe par font
trépignement ; & engraiffe la prairie ,
fans nuire en aucune façon à l'herbe qui
doit repouffer au Printemps . Queles préjugés
qui les faifoient regarder comme
des animaux capables de ruiner les prairies
, foit en arrachant l'herbe qu'ils paiffent
, ou parce que leur dent eft , comme
l'on dit , naturellement malfaifante ,
étoient fans fondement , & que les loix
prohibitives , qui obligeoient à les en
écarter , ne pouvoient avoir d'autre motif
que cet efprit de fageffe & de prévoyance
, qui fe porte toujours à affurer la
fubfiftance du gros bétail encore plus ,
précieux , & l'unique reffource de la portion
des Citoyens , qui mérite le plus de
protection . Mais en refpectant infiniment
des vues auffi fages , il fait voir que les'
vaches & les chevaux , ne trouvant plus
rien à prendre dans les prés dès le commencement
de Novembre , les moutons
doivent alors les y remplacer. En améliorant
les fonds fur lefquels ils pafferont, ils
trouveront encore affez d'une herbe , qui'
212 MERCURE DE FRANCE,
feroit néceffairement perdue , pour s'engraiffer
en fort peu de temps. Enforte que
Tes Propriétaires des troupeaux pourront
changer leurs bêtes deux fois dans un hyver;
ce qui procure au Peuple une abon
dance de bonne nourriture , de matièrespour
nos Manufactures , enrichit les Laboureurs
des vallées & fait également le
bien de ceux des campagnes , qui vendant
bien leurs moutons maigres , fe trouvent
encouragés à en élever.
M. le Cat , Secrétaire des Sciences , lut
un Mémoire fur quelques-unes des principales
analogies entre le Régne végétal
& le Régne animal .
{ M. de Boulay , Secrétaire des Belles-
Lettres, a lu l'Eloge de M. l'Abbé du Renel,
Affocié de l'Académie mort le Février
dernier .
25
M. Dambourney lut un Mémoire fur
la culture & l'emploi de la garance . L'Auteur
excité par les Mémoires de MM . DIhamel
& Hellot à cultiver cette plante
utile , rendit compte de ce qui lui avoit
réuffi , en répétant les expériences de ces
deux célèbres Phyficiens. Il détailla enfuite
en quoi il avoit ofé s'écarter de leurs
préceptes , afin de mettre cette culture à
la portée des habitans de la Campagne. Ilcombattit
le préjugé qui détourne de mul
OCTOBRE. 1761 213
tiplier la Garance par le fecours de la
graine , laquelle lui a procuré , au bout de
18 mois , des plantes plus belles que celles
provenues de drageons ou de boutures de
même âge. Il confeilla de femer cette
graine au commencement du mois de
Mars dans un quarré de potager , à- peuprès
comme de l'oignon , & , lorfque les
jeunes plantes ont trois rangs de feuilles ,
de les lever avec foin & de les tranfplanter
en pleine tèrre à la fuite de la charrue.
On peut femer de même cette graine en
plein champ comme des pois ; mais en
ce cas il faut attendre le mois de Mai.
Nous ne fuivrons point l'Auteur dans ce
qu'il rapporta à l'Académie de fes différens
élais. Nous nous hâtons de paffer à une
découverte importante à l'encouragement
de cette culture , & capable d'opérer une
grande oeconomie dans le prix des teintures
où cet ingrédient eft néceſſaire .
M. Dambourney trouvant de grandes
difficultés à faire fécher , fans feu , les
racines de garance en Automne , hazarda
de les employer fraîches. Il eut ſoin de
les bien laver , pour qu'il n'y reftât point
de terre , & parce qu'il avoit éprouvé
que , ( comme l'annonce M. Duhamel , )
cette racine perd 7 huitiémes de fon
poids en féchant , au point d'être miſe en
秘
214 MERCURE DE FRANCE.
poudre , il eftima devoir dofer conformé
ment. A cet effet , dans un bain qui auroit
exigéf de garance moulue , il mit
8 de racines fraîches pilées dans un
mortier , & teignit à l'ordinaire , en augmentant
feulement un peu la quantité
d'eau. Il trouva qu'après l'opération le
bain étoit encore très - chargé , & le coton
tellement outré de teinture , qu'il
fallut lui faire effuyer deux débouillis pour
le dégrader jufqu'à la couleur d'ufage . Il
continua , en réduifant la dofe à 6 & à
4 f, & ce n'a été que cette derniére
portion qui lui a donné une couleur pareille
à celle qu'on obtient d'une livre
de garance en poudre . On peut donc épargner
moitié de la racine , en l'employant
fraîche, mais ce n'eft point la feule economie.
pro-
1º. On eft difpenfé d'établir des étuves
& des hangards pour faire fecher , lorfque
le temps eft variable .
2°. On eft à l'abri des inconvéniens
d'une déffication trop précipitée ou trop
rallentie , lefquels entraînent également
la
détérioration de la qualité.
3. On évite le déchet du robage & grabelage
, dans lefquels toutes les racines de
la grofleur d'un fer de lacet tombent en
billion .
OCTOBRE, 1761. 215
. On épargne les frais du moulin , le
déchet ou la fraude qui peuvent en réfulter
, & l'incommodité d'attendre qu'il foit
libre , d'autant qu'il n'y en a point dans le
pays d'uniquement destiné à la garance.
Tous ces avantages réunis peuvent s'évaluer
à une oeconomie de huitiémes ,
fur la quantité . Le Cultivateur , qui fauroit
teindre, s'en éjouiroit dès l'inftant qu'il auroit
des racines affez groffes pour être arrachées
. Les Teinturiers, par état, feront
peu- à- peu forcés , par la démonſtration ,
d'en profiter auffi , lorfque cette culture
aura pris faveur en France . Ce fera même
un moyen de l'y accréditer , parce que ,
comme il n'y a point de temps à choifir
pour la maturité , le Laboureur qui apportera
au marché une fomme de racines
fraîches , fera fûr de les y vendre en cet
état , fans être affervi aux foins de la
déffication , foins qui , petits en eux mêmes
, l'effrayent par leur nouveauté . Le
Teinturier pourra acheter journellement ,
à proportion de fon emploi , ou preferire
au Cultivateur le temps pour lequel il en
aura befoin , & en quelle quantité .
M. Dambournéy cultive quatre efpéces
de garance.
La premiere eft originaire de Lille en
Flandres , & telle que celle portée autre216
MERCURE DE FRANCE.
fois en Zelande par les Réfugiés . Elle
fournit beaucoup de racines ; mais la couleur
n'eft ni tenace , ni éclatante fur le
coton .
La feconde a été tirée du Poitou . La
troifiéme procéde de deux plantes trouvées
il y a dix ans , par M. Rondeaux
de l'Académie , en herboriſant fur les roches
d'Oiffel.
La quatrième eft du Lizari ou Hazala
, dont M. Dambourney a fait venir
la graine de Smirne . Il invite les Cultivateurs
à s'attacher à ces trois dernières
efpéces qui fourniffent beaucoup de graines
, & dont les racines étant féchées
fans feu , ou employées fraîches , don-
Bent au coton un incarnat fort vif &.
très - folide. M. Dambourney lut dans la
même Affemblée une Piéce de Vers fur
le prochain Établiement d'une Société
d'Agriculture en cette Ville , & les avantages
qui doivent en réfulter . Il finvite
tous les Citoyens d'y concourir par leurs.
leçons & leurs exemples. Cette Piéce
eft terminée par le Tableau d'une nôce
champêtre. L'Auteur s'adreſſant aux
jeunes époux , tire leur horofcope , & dit :
Attendriffans objets , puis- je "vous méconnoître ›
Aux autels de l'bymen vous venez de paroître
OCTOBRE. 1761. 217
Et confacrer vos noeuds par le fceau du ferment.
J'eulle autrefois gémi du fort qui vous attend...
Comme les tendres fleurs que fait naître l'aurore,
Et qu'un midi brûlant défléche avant d'éclore ,
La faulx de l'indigence eût tranché vos beaux
jours.
Louis de vos deftins change aujourd'hui le cours ;
Il porte fur nos champs les yeux d'un tendre Père ;
La feule oifiveté doit craindre la mifere ;
Acceptez cet augure , allez , jeunes époux ,
Donnez-lui des Sujets utiles comme vous.
ARTS AGRÉABLE S.
ON
GRAVURE.
N trouve chez la veuve François
Chereau , rue S. Jacques , aux deux Piliers
d'or , deux Eftampes , l'une repréfentant
Jupiter & Léda , l'autre Zéphire
& Flore , gravées par M. J. B. Tilliard,
S. d'après deux Tableaux très agréables
de M. Michel- Ange Challe , Peintre Ordinaire
du Roi. Ce font les prémices du
burin d'un jeune Artifte dont l'on peut
concevoir les plus flatteufes efpérances.
7
LE fieur Joullain , quai de la Mégislerie
, à la Ville de Rouen , vient de mettre
en vente deux Cayers de 6 feuilles
II. Vol. K
2S MERCURE DE FRANCE.
chacun, repréfentant divers Sujets d'après
les Porcelaines de la Manufacture Royale
de France compofés jufqu'en 1757 ;
M. Boucher , déffinés par M. Falconet
lefils, & gravés par M. J.F. Tardieu ,
Ces morceaux forment le . commence-
' par
ment d'une fuite que l'on fe propofe de
donner au Public , dont les modéles font
intéreffans
, & à laquelle on apportera
tout le foin poffible. Le prix de chaque
Cahier eft de 1 liv. 10 f. I
NOUVEAU PLAN de Lippstadt en Weftphalie
, dédié à Mgr le Maréchal Prince
DE SOUBISE , par le fieur de Beaurainfils,
à Paris , chez l'Auteur , & chez le fieur
Merigot , Libraire , quai de Conti , au
coin de la rue Guénégaud.
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Mufique conti-
-nue les Répréfentations de Camille . On
-prépare avec les plus grands foins & avec
beaucoup de frais l'Opéra d'Armide. Il
OCTOBRE . 17617 -219
paroît que l'on veut donner un Spectacle
digne de la Nation,& en même temps du
Chef- d'oeuvre des Créateurs du Théâtre
Lyrique en France.
Quinault & Lulli.
COMÉDIE
FRANÇOISE.
Au défaut des nouveautés , que l'on
ne place pas ordinairement dans cette faifon
, on a remis plufieurs Ouvrages excellens,
entr'autres Brutus , Tragédie de M.
de Voltaire , qui a été rendue avec la perfection
de talens ordinaire aujourd'huifur
ce Théâtre. M. Brifart entr'autres , a faifi
univerfellement, dans cette Tragédie, tous
les Spectateurs d'une émotion à laquelle
on ne pouvoir réfifter, & que malgré l'idée
qu'on dévoit avoir de fon jeu , & de la
force pathétique du Rôle , on n'avoit pas
encore éprouvé au même degré dans les
repréfentations de cette Piéce .
COMÉDIE ITALIENNE.
M LLE Vilette a continué fon début
avec le même fuccès que nous avons an-
Kij
220 MERCURE DE FRANCE
6
noncé dans le volume précédent.
Les Répréfentations de la Piéce inti
tulée Mazet, en ont déterminé la réuffite.
Le mérite de la Mufique a été fenti , &
cette Piéce occupe encore avantageufement
la Scêne , où elle ramène journel
lement un plus grand nombre de Specta
teurs.
On
OPERA - COMIQUE.
Na donné fur ce Théâtre une Piéce
intitulée le Tonnelier, puifée dans la fource
féconde & agréable pour cette scène ,
que fourniffent les Contes de la Fontaine.
Mais cette Piéce n'a pas été auffi heureufe
que celles qui ont été données pendant
cette Foire ; elle a été rétirée.
Ce Spectacle a fait fa clôture le 9 de
ce mois . Georget , le Maréchal & On ne
s'avife jamais de tout , ont fervi à terminer
les amufemens du Public. M. Taco
net , Auteur du Compliment fans Compliment
, a donné pour la fin de ce Spectacle
, les Adieux de l'Opéra- Comique
Compliment qui a été très- applaudi. Il
étoit compofé de plufieurs Couplets parodiés
fur les Airs les plus connus & les plus
agréables des trois Opéra- Comiques dont
il étoit précédé,
OCTOBRE 1961. 221
Le concours du Public , plus nombreux
& plus content qu'on n'avoit vû depuis
longtemps à ce Spectacle , fait l'éloge des
foins , de l'attention & du goût des Directeurs
actuels de ce Théâtre.
SUPPLÉMENT à l'Article des Tableaux
expofés au Sallon ; par la
Société des Amateurs. Ce Supplément
eft tiré de l'OBSERVATEUR
LITTÉRAIRE de M. l'Abbé DE
LA PORTE , ainfi que là BROCHURE
dont nous avons rendu compte
dans ce volume , p. 92. & fuiv.
PENDAN ENDANT les derniers jours de l'ouverture
du Sallon , M. Baudouin nouvellement
agréé à l'Académie de Peinture , &
l'un des gendres de M. Boucher , expofa
divers fujets en miniature , dont les plus
remarquables font Dibutade , ou l'origine
de la Peinture , Céphale & Procris , Lot
& fes deux filles . Tous ces morceaux
nous ont paru compofés avec le génie du
grand genre , & traités chacun conformément
à l'efprit de chaque fujet . On remarquoit
dans Céphale une attention in-
K iij
222: MERCURE DE FRANCE.
téreffante à tirer de la plaie le trait fatal
dont il avoit percé fon épouſe. Le Peintre
avoit trouvé le moyen de placer dans
le Tableau de Dibutade des Amours
groupés qui fembloient préfider aux premiers
effais du bel art dont ils avoient ,
infpiré l'invention. Ce grouppe épifodique
, très-relatif au fujet , fournit à la.
partie ombrée , néceffaire pour l'opération
du Deffein , une agréable oppofition
de lumière . Le Tableau de Lot raſſemble
à la fois la force de caractère dans le
fenfuel vieillard , & la volupté licentieufe
dans fes deux filles. Tous ces morceaux
de miniature ont un effet plus grand ,
que ne paroît comporter la pratique de
ce genre ; & dans plufieurs parties de ces
différens fujets , la peine & la patience
du travail font cachées fous l'apparence
de la facilité. On voit auffi de ce nouvel'
Agréé , quelques Portraits finis avec foin ,.
& parés de l'agréable agencement dont
cette forte de Peinture ne s'enrichit qu'en
étudiant les principes & le génie du premier
genre. On doit s'attendre que M.
Baudouin , beau-frère de M. Deshayes
tant admiré dans fes grands Ouvrages ,
brillera de fon côté dans les petits. Le
règne éclatant que promet à la Peinture
Françoife la fage & fçavante protection
OCTOBRE. 1761 223
qui en anime aujourd'hui les divers travaux
& en affure les fuccès , n'aura plus
d'emploi qui ne foit glorieux à l'Art & honorable
pour l'Artifte.
Architecture.
Il femble que le Génie des Arts en ait
raffemblé toutes les richeffes cette année
dans l'enceinte du Louvre : le veftibule qui
précéde le Jardin de l'Infante étoit devenu
un petit Sallon confacré à des deffeins
& projets d'Architecture par M. Dwailly,
jeune Artiſte déja célèbre par les premieres
productions qu'on avoit vues de lui en ce
genre. Nous diftinguerons ce qui eft d'invention
d'avec l'exécution du deffein .
L'objet qui nous a paru le plus confidérable
en compofition , eft le projet d'un
principal Autel pour la Cathédrale d'Amiens
. On en voit divers deffeins & un modéle
en relief. Cette Eglife étant fous l'invocation
de la Vierge , fa glorieuſe Affomption
fait le fujet du Maître- Autel . La Table
repréſente le Tombeau d'où la Mère de
Dieu vient de fortir . Ce Tombeau devenu
un Autel , eft fous une profonde Niche fermée
, qu'il faut confidérer comme une cou
pole ou rotonde coupée diamétralement.
Les bas - reliefs qui décorent les pleins ,
représentent différens traits de l'Histoire
K iv
224 MERCURE DE FRANCE.
de la Vierge , fes vertus font figurées en efpéce
de cariatides placées au lieu de colonnes
au- deffous de l'entablement de la vouffure
; deux Saints font pofés fur des piédeſtaux
au - devant de l'arcade dans la partie
fupérieure. La Vierge eft enlevée , foutenue
& accompagnée par les Anges. Le tout
forme une décoration pyramidale , qui s'éleve
& s'enchaîne depuis le pavé du fanctuaire
jufqu'aux tribunes des arcades. Nous
ne pouvons qu'applaudir à l'heureuſe imagination
qui a fait fubftituer des vertus
aux colonnes Grecques en cette occafion .
Le génie de l'Architecture confifte principalement
a en placer les divers ornemens
convenablement aux circonftances , & à les
affortir avec difcernement. Nous croyons
que ces figures , fans être du genre Gothi
que , fe marient mieux que les colonnes
Grecques , avec les grandes parties Antiques
qui terminent majeftueulement le fond
de cette Cathédrale ; elles forment d'ailleurs
une décoration allégorique , dont la
jufteffe du rapport fatisfait l'efprit . C'eft à
quoi penfe toujours l'Artifte éclairé , & ce
qui le diftingue de ceux dont l'objet unique
eft d'obéir en esclaves aux ufages du métier .
Nous penfons que l'ingénieux Auteur a
préféré de placer des Saints fur les piédeftaux
au-devant de la grande Niche , parce
OCTOBRE. 1761. 225
la
qu'ils donnent des maffes plus mâles que
les Anges ; d'où il réfulte auffi plus d'allégement
pour la demi - voute & pour
machine totale de cette Niche , laquelle
par fa profondeur , quoiqu'avec les juftes
proportions ,paroîtroit peut- être trop écra
fée lorsqu'elle feroit vue de près & du niveau
de fa bafe. C'eft de plus une régle ,
dont la nature donne elle-même le précepte
, que de tenir les maffes du bas
plus fortes & plus pleines que celles qui
font au-deffus. Il eft auffi plus convenable
de placer des figures humaines près de
la terre , & de réferver la partie aërienne
pour les fubftances céleftes . L'attention de
l'Architecte à couvrir le fond de fa Niche
par un grand Tableau , ne nous a pas échap .
pé. Nous avons fenti qu'il a voulu fermer
toute la décoration , pour cacher des Tombeaux
& d'autres objets peu agréables à la
vue , qui font derrière les colonnes du
rompoint de l'Eglife . Après avoir maſqué
les parties du vaiffeau qui pouvoient nuire
à la décoration , M. Dwailly a profité
d'un avantage que lui offroit le local , en
laiffant voir une fenêtre du fond de l'Egli
fe , dont la lumière doit produire deux effets
favorables . Elle détachera la figure de .
la Vierge , & la préfentera diftinctement.
à tous les points de vue de cette Eglife . Si
K v
226 MERCURE
DE FRANCE
.
ce beau projet s'exécute , il enrichira la
Cathédrale
d'une Ville confidérable
de
France, & fera pour le moins autant d'hon
neur au goûtde ceux qui préfident au choix
de cette décoration
, qu'aux talens du jeune
Architecte
, qui l'a imaginée . Il fe trouve
quelques différences
dans le modéle qui eft
en relief.
a
Un deffein da même Artifte repréſente
lé projet d'une Porte pour le Monastère de
l'Abbaye aux Bois à Paris . Cette Porte -eft!
d'autant mieux traitée , que fon genre &
lé ftyle de toute fon ordonnance annon
cent la noble & fage fimplicité du lieu au
quel elle fert d'entrée. Nous y remarquous i
avec plaifir une atttention à laquelle on
s'attache peu ordinairement
, c'eft de ren
dre les parties adjacentes analogues à lar
Porte , & de lier le tour enfemble . Nous !
croyons cependant, que l'Architecte recti
fiera quelque chofe dans le couronnement
,
& qu'il enchaînera davantage la Croix &
lá bafe qui la porte avec l'entablement
de fon portail. L'Art des relations entre
toutes les parties d'une compofition ,
paroît trop naturel à cet Artifte, pour qu'il
néglige cette légère correction . Nous de
vons prévenir même, que ce que nous obfervons
à cet égard , eft fi peu
fenfible
, que
c'eft moins un vice, qu'im-défaut de perfec
tion dans ce Projet. t
OCTOBRE. 1761 . 227
D'autres Deffeins repréfentent différens
fujets d'imagination , tant pour des décorations
de Théâtres , que pour remplir les
idées de plufieurs Programmes. Nous ne
parlons point de leur exécution , le talent
de l'Auteur eft déjà fi connu dans cette
partie , que fon nom feul en annonce lé
mérite. Mais dans l'invention , dans l'ordonnance
& dans les effets relatifs aux divers
fujets de ces morceaux , nous avons
admiré d'après les Connoiffeurs , des beautés
qui méritent attention ; du feu , de la
Poësie , & l'accord difficile du grand effet
avec les grands principes de l'Art. Ces Delfeins
laiffent entrevoir avec fatisfaction ,
que pour le procurer des décorations agréables
aux Spectateurs délicats fur ce genre ,
nos Théatres pourroient n'être plus réduits
à emprunter leur éclat du génie des Étran
gers.
fe
>
Le véritable talent dans un Art n'en
néglige pas les plus petits objets , fur léf
quels il imprime le fceau du bon goût. Un
Secrétaire , qui renferme beaucoup de commodités
dans un petit efpace , en eft une
preuve. Ce meuble appartient à Madame
la Préfidente Defvieux. On doit publict
Pavantage que procure aux Arts l'efpéce
d'abjuration que plufieurs femmes ont fait
du goût petit & mefquin des colifichets ,
K vj
228 MERCURE DE FRANCE.
qúi , fous prétexte de galanterie , s'étoit
introduit dans toutes les décorations intérieures
des maiſons , & avoit paffé de là
aux plus grands objets. Le genre de goût
dans les meubles n'eft point indifférent ; il
accoutume les yeux au beau réel , ou aux
égaremens de la mode. On rapporte ces
modèles familiers à toute autre espéce
d'ornemens ; & l'inftinct de l'habitude
fouvent plus fort que tous les raifonnemens
, corrompt ou purifie le goût , fuivant
fes premieres directions.
La colomne de marbre factice , exécutée
par M. Hermant fur les deffeins de
M. Dwailly , prouve combien il eft avantageux
d'employer d'habiles Artiftes pour
exécuter des morceaux importans . Elle
n'eft que le modèle d'une autre colomne
de porphyre ornée de différens marbres &
de bronze dorés , traités par M. Augufte ,
pour fervir de fupport à un Vafe antique
de porphyre de la plus belle forme * .
Parmi les Deffeins faits d'après divers
édifices , celui qui repréfente les Thermes
de Dioclétien peut être confidéré comme
un Quvrage de compofition . C'eft un des
fragmens d'une étude beaucoup plus confidérable
, conjecturée d'après les meilleurs
Auteurs , & d'après ce qui refte de ce monument.
* Pour M. le Marquis de Voyer,
OCTOBRE. 1761. 229
Les autres Deffeins dignes d'une atten- *
tion particulière , font un Vaſe antique ,
& quatre Vues des principales Places de la
Ville de Rome. Ces Vues , dont deux appartiennent
à M. le Marquis de Marigny,
ont été trouvées par tous ceux qui en connoiffent
le local , de la fidélité la plus
exacte . Mais cette fidélité n'en fait pas le
feul mérite quoique très légèrement coloriées
dans les parties indifpenfables , elles
font l'effet des Tableaux les mieux Peints .
Nous ne craignons point de donner trop
d'éloges à l'intelligence qui regne dans la
gradation des teintes , & nous admirons
fans prèfque en concevoir les moyens ,'
comment de fimples Deffeins lavés fi légérement
, peuvent avoir cette vapeur aërienne
qui rend fi bien la nature & donne tant
de vérité à la perſpective. Le Public s'apperçoit
donc que tous les Arts participent
à l'émulation que leur procure le Génie favorable
qui les dirige aujourd'hui.
LETTRE , à l'Auteur du MERCURE.
Par M. BAUDOUIN , nouvellement
agréé à l'Académie de Peinture.
MONSIE ONSIEUR ,
L'honneur que je viens de recevoir par
mon Agrément à l'Académie Royale de
230 MERCURE DE FRANCE.
Peinture & de Sculpture , n'a point diminué
les fentimens de modeftie que je me
dois fi légitimement . On le foupçonneroit
pourtant , d'après l'éloge emphatique inféré
dans l'Avant- Coureur du de ce
mois. Comme cette Feuille s'imprime chez
Lambert , mon beau - frère , on aura été
très -porté à croire que cet éloge m'avoir
été communiqué , & que j'ai acquiefcé
aux louanges exceffives qu'on affecte de
m'y prodiguer. Cependant , Monfieur ,
j'ofe protefter ici publiquement , que non
feulement je n'ai eu aucune connoiffance
de cet article, mais qu'un de mes amis ( &
cet ami avoit été un de mes Juges ) er
avoit envoyé un autre aux Auteurs de cette
Feuille , dans lequel j'étois fans doute
encore trop loué; mais du moins la louange
n'étoit point rebutante. On n'y a ew
aucun égard ; & fans ma participation on
a fait, en voulant me mieux fervir, ce qu'il
falloit précisément pour indifpofer contre
moi mes Protecteurs & mes Maîtres . On
ne s'eft pas contenté d'exagérer mes foibles
talens;on a de plus ajouté des circonftances
que l'hommage dû à la vérité m'o
blige de défavouer.Il eft faux,par exemple,
que l'Académie m'ait agréé avec une diftinction
particulière , comme on femble l'infinuer
dans l'Avant - Coureur.Si toutes les
voix ont été en ma faveur ce traitement fans
OCTOBRE. 1761. 23
doute plus flatteur que je ne devois l'efpérer
, n'eft point rare dans un corps où
font admis tous les jours des talens bien
fupérieurs aux miens . Il eft encore faux
que l'Académie m'ait invité à expoſer mes
Ouvrages au Sallon . Un de ces Meffieurs
me dit feulement que comme il y avoit
une place vuide , je pouvois les y placer ;
qu'en qualité d'Agréé , j'en avois la permiffion.
Il n'y a rien là , Monfieur , qui
marque une diftin&tion particulière , ni au
cune invitation de la part de l'Académies
En me plaignant du peu d'exactitude des
Auteurs de l'Avant- Coureur * , je ne dois
pas moins reconnoître leur bonne volon
té; & fi l'on m'accufe de cherher par cette
lettre , à attirer fur moi une nouvelle attention
, je répondrai qu'il vaut mieux
faire parler deux fois de foi , que d'en
laiffer toujours mal penfer . J'ai l'honneur
d'être &c. BAUDOUIN.
A Paris , ce 7 Octobre 1761 .
* M. Baudouin auroit pu ajouter en parlant du
peu d'exactitude de ces Écrivains hebdomadaires ,
qu'ils ont loué avec emphafe dans leur feuille , des
Tableaux qui n'étoient pas même au Sallon. Ils en
avoient lu l'annonce dans le Catalogue , & ils ont
jugé de leur mérite fur le plus ou le moins d'intérêt
qu'ils prenoient à leur Auteur . C'eft ainfi que
ces judicieux Appréciateurs des Sciences & des
Arts inftruifent le Public , & prononcent fun les tie
tre feul d'un Ouvrage.
232 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
Du Camp devant Colberg , le 11 Septembre 1761 .
LA flotte Suédoife vint mouiller , le 27 du mois
dernier , vis- à - vis du Village de Henckenhagen.
Elle eft compofée de quatorze voiles . Dès le 28 ,
elle a commencé à joindre le feu de fon Artillerie
à celui de l'Artillerie de notre flotte , pour battre
la Ville de Colberg. Notre feu contre cette place
continue d'être fort vif par terre & par mer , &
dans certains jours nous avons tiré jufqu'à deux
mille tant Bombes que Boulets. Un de nos détachemens
fut attaqué les de ce mois par des forces
fupérieures & effuya quelque perte . Le 6 , les dragons
& les Hullards de l'Armée ennemie tenterent
de furprendre un de nos quartiers , mais ils ne
réuffirent pas dans leur de fein . Deux cens Huf
fards Pruffiens ont été enveloppés , & la plûpart
ont été tués , bleffés ou pris . Notre quartier Général
eft actuellement vis- à -vis de l'aîle gauche du
Prince Eugene de Wirtemberg. Peu s'en eft
fallu que le Général Romanzow n'ait été fait
prifonnier , en allant reconnoître le Camp de ce
Prince.
De TREPTOW, le 29 Août.
Hier au matin , trente Huffards Pruffiens attaquérent
la Garde d'une de nos Portes & ſe retiré,
rent après une légère efcarmouche. Vers midi
OCTOBRE. 1761. 233
on vit paroître une colomne confidérable d'enne
mis. Le tourbillon de pouffière élevée par les pieds
des chevaux empêcha de découvrir l'Infanterie &
l'Artillerie , qui marchoient dans les intervalles de
la Cavalerie.
Le Baron de Wrangel , Commandant de la
Garniſon de cette Ville , fit promptement les difpofitions
de défenfe , & elles furent relles , que les
Pruffiens , malgré la fupériorité de leurs forces ,
furent partout repouffés . Auffitôt que le Comte de
Stackelberg avoit été inftruit de leur marche , il
s'étoit mis en mouvement pour venir à notre fecours
; mais lorsqu'il arriva , ils avoient déja commencé
leur retraite . Ils l'ont faite avec tant de
diligence , que ce Lieutenant- Général n'a pû que
leur envoyer quelques volées de canon. On ne
fçauroit réfoudre leur perte , parce qu'ils ont em
mené leurs morts & leurs bleflés.
De VIENNE , le 16 Septembre .
Les Nouvelles de Siléfie portent que le 4 de
ce mois , les Pruffiens mirent le feu par des Obufiers
à la partie haute du Village d'Arnsdorff. Le
Comte de Drafcowitz repouſſajuſques fur le Glacis
de Schweidnitz quelques- uns de leurs Eſcadrons
qui vouloient troubler un fourage que nous faiſions
près de cette Ville.
Le Maréchal de Butturlin , après s'être féparé
du Général Loudon , marcha fur Lignitz , dans la
réfolution d'opérer une diverfion du côté du Bas-
Oder. Il a repaffé ce fleuve dans les environs de
Steinau , & il dirige fa marche vers Poinin : pour
couvrir les Magalins. Le Général Beck , qui l'avoit
accompagné avec trente Eſcadrons , revient joindre
l'Armée de l'Impératrice , Reine , où le Maréchal
de Butturlin avoit laiffé quinze mille Rufles
fous les ordres du Comte de Czernichew ; on en a
234 MERCURE DE FRANCE.
renforcé le Corps du Général Brentano qui , avee
le Général Ruffe , a été occuper le Pitschenberg ,
afin d'ôter au Roi de Pruffe toute communication
avec Breſlau.
De HAMBOURG , le 26 Septembre.
L
Selon les avis reçus de Poméranie , les Pruffiens!
ont fait , le 13 de ce mois , une feconde tentative
pour s'emparer de la Ville de Treptow ; mais ils
n'ont pas eu plus de fuccès que dans leur premiè-.
re attaque. Ils ont perdu beaucoup de monde avec
quelques canons , & les Ruffes ont fait prifonnier
le Général Werner , qui commandoit les troupes
employées à cette expédition. Les mêmes Nouvelles
ajoutent que , le 18 , les Volontaires de l'Armée
Suédoife ont défait près de Nevenfund un
Corps Pruffien , compofé de deux Bataillons de
Grenadiers , d'un Bataillon du Régiment de Hordt
du Régiment de Huffards de Belling, & de quelques
Compagnies franches. Près de cinq cens hommes
de ce Corps ont été tués , bleſſés ou pris , &
l'on compte neuf Officiers dans le nombre des
Prifonniers .
On mande de Slefwick , quede Prince Charles
Erneft de Holſtein- Gluckfbourg y eft mort dans
La cinquante- fixéme année .
A en juger par le nombre des perfonnes & la
quantité d'effets , qui arrivent ici du Duché de
Brunfwick , les habitans y font dans de vives allarmes.
La Landgrave de Heffe- Caffel arriva ,
le 16 au foir , de Žell en cette Ville , dans le mo
ment qu'on alloit en fermer les portes . Le lendemain
matin , elle continua fa route pour les
Dannemarck . Cette Princeffe fous le nom
voyage
de la Comteffe de Steinau.
OCTOBRE. 1761. 235
De l'Armée de l'Empire , le 15 Septembre.
Trois cens foixante hommes du Corps qui por
toit le nom d'Etrangers Pruffiens , & qui étoit
compofé prèfque tout de déferteurs François ,
arrivérént le z de ce mois , tambour battant , &
avec deux pièces de canon. On les conduifit le 3
à Linden , d'où , profitant de l'Amniftie que Sa
Majefté Très- Chrétienne leur a accordée , ils vont
ſe mettre en chemin pour joindre l'Armée du Maréchal
de Broglie . Les canons , étant du nombre
de ceux qui nous ont été enlevés l'année dernière
par les ennemis , refteront à notre Armée .
Douze mille hommes de l'Armée du Prince
Henri , commandés par le Général Seidlitz ,
ayant marché contre nous avec un train conſidérable
d'Artillerie , le Feld Maréchal de Serbelloni
fit replier tous ceux de nos poftes qui fe trouvoient
trop éloignés pour être foutenus . Les or
dres de notre Général furent exécutés avec tant de
préciſion , que les ennemis ne purent nous furprendre
en aucun endroit. L'affaire la plus vive fe
paffa près de Loma , & le fieur de Graven , Colonel
-Commandant du Régiment de Baroniay , y
fut bleffé . Un détachement de Croates , attaqué¹
par des forces très - fupérieures , fe défendit avec
tant de courage , que les Pruffiens ne purent
l'entamer. Le Général Seidlitz , après avoir feint
de fe retirer vers la Mulda, s'eft porté fur Schmoellen
.En conféquence,le Feld Maréchal de Serbelloni
a jugé à propos de changer fa pofition , & de
choifir un champ de bataille , où la Cavalerie des
ennemis leur devint inutile . Nous fommes venus ,
pour cet effet , la nuit du ƒ au 6 de ce mois , cam-'
per à Weida fur l'Elfter. Par là , les deffeins du
Général Seidlitz ont été tellement déconcertés ,
qu'il a pris le parti d'évacuer de nouveau le Pays
236 MERCURE DE FRANCE.
d'Altembourg. Il a été fortement harcelé dans fa
retraite , par nos troupes légères, qui ont fait plu-
Leurs prisonniers.
De DRESDE , le 10 Septembre.
Le Prince Henri a fait plufieurs détachemens
vers le Brandebourg. Ces jours derniers , fix mille
hommes de fon Armée marcherent à Torgau.
De LISBONNE , le 1 Septembre.
Le 28 du mois dernier , le Prince de Beira fut
baptifé dans la Chapelle Royale par le Cardinal de
Saldanha . Leurs Majeftés tinrent ce Prince fur les
fonts & lui donnerent les noms de Jofeph François
Xavier.
D'ALICANTE , le 10 Septembre.
Un Capitaine de Navire François , qui avoit été
fait prifonnier par les Anglois , a rapporté qu'il ne
reftoit actuellement à Gibraltar qu'un Vaiſſeau de
guerre démâté , & une Frégate en Carene.
De CARTAGENE , le 16 Septembre.
Un Vaiffeau de Sa Majesté Très- Chrétienne "
commandé par le fieur de Contrepont , & que les
Anglois bloquoient depuis long-temps à Oran
a trouvé moyen de leur échapper , & eft arrivé ici
aujourd'hui.
De VIGO , le 31 Août. Ꮴ
"
Le Vaiffeau le Courageux , appartenant à Sa
Majefté Très - Chrétienne , & commandé par le
fieur du Gué- Lambert , Lieutenant de Vailleau
étoit partit le 4 Juin de l'ifle Saint Domingue. Le
fieur du Gué -Lambert a croifé fur les Côtes de la
nouvelle Angleterre , fur le Banc de Terre Neuve
, & a la hauteur des Açores. Il y a fait huit
OCTOBRE. 1761.
237
prifes , dont les unes ont été coulées bas , les autres
rançonnées. Le 1s de ce mois , étant à trente
lieues Nord- Oueſt d'ici , il a été rencontré par un
Vaiffeau de guerre Anglois de quatre- vingt canons
, & une Frégate de quarante. Le combar
s'étant engagé , le fieur du Gué- Lambert a fort
mal traité la Frégate , qui a été contrainte de fe
replier fur fon Commandant , Alors le Vaiffeau
de guerre Anglois en eft venu aux prises avec 1:
Vailleau le Courageux. Ce dernier bâtiment a ren
du long-temps la Victoire douteufe ; mais il a
fallu qu'il cédat à la fupériorité du feu des Anglois.
Ces jours- ci l'on a été informé qu'il avoit été
conduit à Lifbonne.
De ROME, le 9 Septembre.
Aujourd'hui , l'Evêque Duc de Laon , Ambaffa
deur de France , eft allé en grand Cortége à l'audience
du Pape, pour lui préſenter la nomination
de Sa Majesté Très- Chrétienne à la dignité de
Cardinal , en faveur du Prince Conftantin de
Rohan, Evêque de Strasbourg. Le Cardinal Jean-
François Albani a préfenté celle du Roi de Pologne
, Electeur de Saxe , en faveur de l'Evêque
Duc de Laon. Le chapeau auquel le Chevalier de
Saint-George eft en poffeffion de nommer eft
deftiné à l'Archevêque de Befançon ; mais on
nefait pas encore
avec
certitude
quels
font
les au
tres fujets , qui doivent avoir part à la future pro
motion deſtinée pour les Couronnes .
De LONDRES , le 25 Septembre.
La Princeffe de Mecklenbourg- Strelitz étant arrivée
le 8 de ce mois, dans cette Capitale, fon mariage
avec le Roi fut célébré le même jour fur les
dix heures du foir avec la plus grande magnificence.
Les Ambaladeurs & autres Miniftres
238 MERCURE DE FRANCE.
1
$
Etrangers, parmi lefquels fe trouva le fieur de
Bully, affiftérent à cette Cérémonie . Le 22 , le Roi
& la Reine furent couronnés dans l'Eglife de l'Abbaye
de Westminster , par l'Archevêque de Cantorbery.
Le Roi ayant refolu , dans un Confeil extraor
dinaire , de rappeller le fieur Stanley , un Senau
reçur ordre , le 16 , de mettre fur le champ à la
voile pour ramener ce Miniftre en Angleterre .
Le fieur de Bully a pris le 19 congé du lieur Pitt.
Il a été dépêché un Mellager d'Etat en Allemagne
, pour y porter la nouvelle que la négocia
tion pour la paix étoit rompue , & que le Roi
étoit déterminé à pouffer les opérations militaires
avec la plus grande vigueur.
La fuite des Nouvelles Politiques , pour le
Mercure prochain.
APPROBATION.
I.
Alu ,par ordre de Monfeigneur
le Chancelier
,
.de Mercure
du fecond volume
d'Octobre
1761 ,
& je n'y ai rien trouvé qui puifle en empêcher
l'impreffion
. A Paris , ce 15. Octobre
1761 .
GUIROY
,
+
TABLE DES ARTICLES:
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER..
VERS fur l'Expofition des Tableaux au
Sallon du Louvre en 1761.
ITRE , à M. D. L. G....
Pages
OCTOBRE . 1761 259
TRADUCTION des Vers Anglois de M. Prior,
par M. L. A. L. B.
MEDIUS , Anecdote moderne.
ODE fur le Sallon .
VERS à Mile Arnoult , Actrice de l'Opéra .
Le Créancier timide , Stances à Mad. Ĉ ** .
REFLEXIONS fur la Prévention
LA Peine & le Plaifir , Fable.
LE Portrait , Ode Anacreontique.
14
16
43
46
47
148
62
64
65
66
EXAMEN du Portrait , Madrigal .
L'ACCORDÉE de Village , Conte Moral.
OBSERVATIONS fur les talens & fur les défauts
de la compofition dans la Mufique ,
par M. l'Abbé Daulny.
CONTE allégorique à M. De * ****
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
69
79
82
83
84
1
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES. 86.
OBSERVATIONS d'une Société d'Amateurs ,
92
fur les Tableaux expofés au Sallon , & c.
ANNONCES des Livres nouveaux . 130 &fuiv.
SUPPLÉMENT à l'Article des Piéces Fugitives.
Vers à M. le Comte de S. Florentin.
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES ,
ACADÉMIE S...
OPUSCULES Mathématiques , ou Mémoires
fur différens fujets de Géométrie , de
Méchanique , d'Optique , d'Aftronomie ,
&c. Par M. d'Alembert.
SEANCE publique de l'Académie des Belles-
Lettres de Marſeille.
ASSEMBLÉE publique de l'Académie des Belles
-Lettres de Montauban.
136
(138
149
150
ASSEMBLEE publique de l'Acad. d'Amiens .
* 240 MERCURE DE FRANCE.
SEANCE publique de la Société Littéraire de
Châlons fur Marne. 163
'ACADÉMIE des Belles -Lettres de Montauban.
169
SUITE de la Differtation Hiftorique & Cri--
tique fur le Grand- Prêtre Aaron . Par M.
de Boiffy. 172
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
AGRICULTURE .
SEANCE publique extraordinaire concernant
principalement l'Agriculture. Par l'Aca- 蘑
démie Royale des Sciences , des Belles-
Lettres & Arts de Rouen. 198
ARTS AGRÉABLES.
GRAVURE .
217
ART. V. SPECTACLES.
OPÉRA . 218
COMÉDIE Françoife.
219
COMÉDIE Italienne .
ibid.
OPERA- COMIQUE.
220
SUPPLEMENT à l'Article des Tableaux expofés
au Sallon . 221
ART. VI. Nouvelles Politiques. 232
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY,
rue & vis-à-vis la Comédie Françoiſe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU A U ROI.
NOVEMBRE . 1761 .
Diverfité , c'eft ma devife . La Fontaine.
Cochin
Filius inv
PapillonSculp
Chez
A PARIS ,
CCHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à -vis la Comédie Françoife.
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE, rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
mes
AVERTISSEMENT.
LEE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
1
C'est à lui que l'on prie d'adreffer ;
francs de port ,
les paquets & lettres ,
pour remettre , quant à la partie litté
raire , à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire veuir, ou qui prendront lesfrais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
par volume , c'eft-à-dire 24 livres d'avance
, en s'abonnant pourfeize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire ve→
nir le Mercure , écriront à l'adreſſe cideffuus.
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
, refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font les
mêmes pour une année. i
MERCURE
DE FRANCE.
NOVEMBRE. 1761 .
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L'AMOUR CONJUGAL ,
CONTE INDIEN ,
Tiré du SPECTATEUR ANGLOIS.
HYMEN , Volupté pure , âme des fentimens ,
Noeuds facrés , des Mortels fèlicité fuprême !
Je confacre à vous feul mes vers & mon encens ;
Ce feul amour me plaît , c'eſt la vertu , je l'aime,
A iij
? MERCURE DE FRANCE..
Marathon , qui d'hymen chériffoit les liens ,
Etoit de fon pays l'oracle & le modéle,
Exact à fes devoirs , & reſpecté des fiens ,
Il fut bon citoyen , bon père , époux fidéle.
L'épouse dont le Ciel couronna fes vertus ,
Joignoit à ſa beauté l'éclat de la fageffe ;
L'étalage pompeux d'ornemens fuperflus
N'occupoit point un coeur fidéle à fa tendreffe.
L'impitoyable mort troubla ce couple heureux:
Malgré les cris perçans d'une douleur amère ,
Marathon perd l'objet de fes plus tendres voeux ,
Et fa famille en pleurs redemande fa mère.
Tarca n'eft donc plus... Epoux infortuné !
Tout retrace à ton âme une fi chère image ;
It ton coeur aux ennuis pour jamais deſtiné
S'envole fur fes pas jufqu'au fombre rivage ! ...
Le Temps eft un grand Maître , il fixe nos douleurs
;
Les pleurs font un tribut qu'on doit à la Nature ;
Mais Marathon en proie à fes triftes langueurs ,
De fon coeur affligé nourrit le long murmure.
Aux foins de fes amis il remet ſes enfans ;
Il offre avec ferveur un pieux facrifice ;
Ses larmes , fes foupirs , fes voeux & fon encens
Des fombres bords enfin trouve le Dieu propice.
L'Autel tremble .... & ce Dieu fait entendre fa
voix :
Mortel , de tes vertus reçois la récompenſe;
>> Le Ciel en ta faveur femble oublier fes loix :
NOVEMBRE
. i .
Ses bienfaits font le prix de ta persévérance.
Prends ce rameau facré , qu'il dirige tes pas !
» Du monde des efprits pénétre les abîmes ,
>> Séjour craint des Mortels où regne le trépas
» Où la vertufe vange en puniffant les crimes.
Ainfi parla ce Dieu . Marathon profterné
Sent renaître en fon coeur une force nouvelles
N faifit ce rameau , préſage fortuné ;
Il le baife & s'envole où fon amour l'appelle.
Au pied d'une montagne eft un noir fouterrain
Où fon oeil apperçoit une route inconnue :
Marathon s'abandonne à l'ordre du Deftin ;
Un foible jour , au loin , frappe bientôt la vue
Mais à peine engagé dans un étroit ſentier ,
Son coeur eft pénétré d'une frayeur mortelle ;
Un lion furieux fixe fon oeil altier
Sur l'époux qu'il faifit de fa griffe cruelle .
Marathon cependant ne reffent aucun mal ;
L'erreur qui le féduit n'eft qu'une fauffe image ;
Ce lion n'eft qu'une ombre , & de cet animal
Il connoit l'impuiſſance , & n'en craint plus d'ou
trage.
Mais quel nouveau fpectacle ! Une plaine de fleurs
Offre à fon oeil furpris les plus rares merveilles ;
Quelle variété des plus vives couleurs !
Quels fons mélodieux enchantent fes oreilles !
Ici , dans un Bocage on entend les Oifeaux
Egayer les efprits par leur tendre ramage ;
Là , d'un ruiſſeau plaintif le murmure des eaux
A iv
8
MERCURE DE FRANCE.
Des efprits amoureux figure le langage ;
D'autres efprits plus gais dans ces riches vallons
Se difputent le prix d'une courfe légere ;
Là , le Berger affis tâche par fes chanfons
De mériter de plaire à fa tendre Bergere.
Marathon attentif à ces jeux innocens ,
Apperçoit Ïarca dans un lieu folitaire :
Il y vole. Mais ciel ! à fes embraffemens
Elle ne peut offrir qu'une ombre menfongére.
Quel pinceau nous rendroit ces nobles fentimens
De deux coeurs vertueux qu'un même amour
enchaîne ?*
Faut-il que Marathon dans ces heureux inſtans
Ne puiffe fe livrer au penchant qui l'entraîne ?
» Ah ! brifez -vous, dit- il , trop terreftres liens !
» Laiffez- moi , pur efprit , m'unir à ce que j'aime :
» Dieux ! laiffez -moi jouir de celui de mes biens
Quide mon trifte coeur fait le bonheur ſuprê
>>
>> me ! ...
» Arrête , cher Epoux , tes voeux font indifcrets :
» Nos jours font un dépôt que le Ciel nous confie ;
» Des deftins , quels qu'ils foient, attendons les de
>> crets :
» Lui feul doit difpofer du terme de la vie.
>> Vois ces lieux enchantés, ſéjour des bienheureux ,
›› Où la Vertu réſide , ou régne l'Innocence :
» Là Marathon un jour comblera tous mesvoeux
>> Ta Vertu , cher Epoux , aura fa récompenfe.
Aime , eſpére ... à ces mots fon ombre difparoît
Et ne laiſſe en partant qu'un fillon de lumière.
NOVEMBRE. 1761
Marathon , confterné , rentre dans la Forêt ,
Et revient terminer fa pénible carrière .
Ses Enfans , les Amis célébrent fon retour.
Mais ils verront bientôt renaître leurs allarmes :
Ce bonheur eſt un ſonge , il ne dure qu'un jour.
Marathon,veut mourir ; & fenfible à leurs larmes :
» Ah ! ne m'accablez point , dit-il , de vos douleurs
!
» Je rejoins Ïarca cette Epouſe ſi chère ;
» Mes enfans , embraſſez votre Père , & je meurs
>> Content de vous laiffer les vertus d'une Mère.
Il dit : & s'endormant du fommeil de la mort ,
Son âme avec tranfport vole au fombre rivage ;
Marathon , fans obftacle , arrive à l'heureux porr
Qù la tendre Ïarca s'offre fur fon paſſage.
Quel doux raviffement s'empare de leur coeur !
Précieux fentimens ! Amour toujours durable !
Rien ne peut altérer le folide bonheur
Dont jouit à jamais ce couple refpectable.
DAGUES DE CLAIRFONTAINE.
ODE
A une DAME , qui avoit exige que.
l'Auteur fit des Vers pour
CONTENT
pour
elle.
ONTENT de jouir au Parnaſſe,
Des travaux de les nourriffons ,
At
10 MERCURE DE FRANCE.
Je n'ai point , en fuivant leur trace ,
Dans leurs chants confondu mes fons
Iris , condamne ce filence ;
Enfans de mon obéiffance ,
Ces Vers font pour elle entrepris ;
Elle le veut , c'eft mon excuſe :
Sa volonté fera ma Mufe
Son fuffrage fera mon prix .
Apollon , n'eft qu'un nom frivole
Pour qui , comme moi ſçait aimer ;
Ovide , n'eut point d'autre Ecole ;
Et celle , qui le fçut charmer ,
En même-temps lui fçut apprendre
Cette manière , vive , & tendre ,
D'exprimer fi bien fes amours.
Je n'ai pas le même génie ;
Mais j'ai le charme de la vie ,
J'aime , voilà tout mon fecours.
Iris , pour vous , je puis fans crainte ,
Me frayer de nouveaux chemins ;
Mais entré dans ce labyrinthe ,
Où porter mes pas incertains !
Pour me le rendre praticable ,
N'eft-il point de fil ſecourable ,
Auquel je puiffe avoir recours ?
Une ardeur à la mienne égale ,
C'eft le fil qui de ce Dédale ,
Me découvrira les détours.
NOVEMBRE . 1761. 11:
Quand pour l'amante d'Hippomène ,
Mille Amans courent à la mort ;
Si dans l'efpoir qui les entraîne ,
Ils font mal fecondés du fort ;
C'eſt que méprifés d'Athalante ,
De leur tendreſſe languiffante ,
Elle punit la vanité.
Il s'en offre un qui fçait lui plaire ;
Elle mollit dans la carrière :
Il arrive au but ſouhaité.
Voilà les pommes de la Fable.
Elle nous a repréſenté ,
Sous ce fymbole véritable ,
L'Amant de fes fuccès flatté .
Il plaît , il eft charmé de même :
Bientôt vainqueur de ce qu'il aime ,
Son triomphe fera certain.
L'Amour l'emporte fur la Gloire ;
Elle lui céde la victoire ,
Et le couronne de ſa main .
C'eſt une femblable couronne ,
Qui me fera prendre l'éffor ,
Et l'éfpoir que l'Amour me donne ,
Peut feul éxciter mon tranſport .
Mais fi , dédaignant ma tendreſſe ,
Pour moi rien ne vous intéreſſe ,
Je fais des efforts fuperflus :
Si je ne parviens point à plaire ,
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
}
Le Parnaffe eft une chimère ;
Apollon ne m'infpire plus.
Par M. DE LAVALETTE , Capitaine
au Corps Royal.
L'AMOUR ET L'AMITIÉ ,
IDYLLE , en Profe.
TENDRES Agneaux , arrêtez - vous ici , paiffez
l'herbe & les fleurs qui rendent des
odeurs fi douces . Une onde pure les arrofe
fans ceffe ; mais refpectez celles de ce
Boccage : il eft le Temple des Dieux les
plus charmans . O tendre Amour, épargnez
mon coeur! O pure & fainte Amitié, regnez
toujours fur mon âme , & n'allumez dans
le coeur de mon Berger que des flammes
innocentes !
Life , la plus aimable des Bergeres ,
exprimoit ainfi fes voeux ; & d'une main
digne d'être elle - même confacrée à l'Amour
, elle préfentoit au îmulacre de ce
Dieu deux colombes femblables à celles
qui tirent le char de Vénus ; elle offroit
auffi fur , les Autels de l'Amitié les plus
beaux dons de Flore & de Pomone..
Hilas , caché fous un mirthe , s'écria :
Divinités qui faites le charme de ma vie,
NOVEMBRE . 1761. 13
foyez témoins de mes fermens ! j'aimerai
Life jufqu'à mon dernier foupir ; & je
confens que l'Amitié faffe la feule récompenſe
de mes feux , fi Life ne peut m'aimer
davantage... Eh , le puis -je , ingrat, interrompit
la Bergere ? Puis - je vous aimer
plus que je vous aime ? Ces rigueurs , qui
vous femblent cruelles, hélas ! me le font
plus qu'à vous : mais , fans elles , je perdrois
le coeur de celui qui fait mon bonheur
. Ah , Bergere ! répondit Hilas , pouvez-
vous former de pareils foupçons ?
Après tant de fermens , quel retour pour
ma tendreffe ! Vous m'avez dit que
vous m'aimez je l'ai cru , parce que
vous l'avez dit ; un feul mot de la bouche
que j'adore vaut pour moi tous
les fermens des autres Bergeres . J'ai fenti
du plaifir à vous aimer, j'en ai fenti à être
aimé de vous , fans penfer à en defirer
d'autres ; m'occuper de vous dans l'abſence
, vous voir épancher mon coeur dans le
vôtre , c'eft un bonheur affez grand pour
combler tous mes voeux. Ah, Bergere,vous
bleſſez à la fois l'amour & l'amitié !
Que Life fe fentit troublée par de fi
tendres plaintes ! Il eft vrai , dit - elle en
foupirant, les Dieux qui m'entendent doivent
être irrités de mes foupçons . O pure
amitié ; que ton empire eft févère ! O
14 MERCURE DE FRANCE .
amour, que tes charmes font féduifans !
mais pardonne , amour , fi je renonce à
toi pour jamais je ne veux fuivre que les
tranquilles loix de l'amitié .
A ces mots , les Mirthes du Temple
s'agitent , les ruiffeaux fufpendent leur
murmure , toute la nature en filence eſt
attentive à cet oracle , qui fort du Simulacre
de la Divinité.
L'amour & l'amitié n'ont qu'une même Loi :
Tous deux enfans de la Nature
Veulent régner enſemble, & c'eft leur faire injure
Que de les diviſer en ſoi.
Conduite par la Soeur dans les bras de fon frère ;
Life , y doit expier un culte téméraire ;
Et par une éternelle erreur ,
Y prendre l'Amour pour la Soeur.
Ah ! s'écria Life , en gémiffant, la cruelle
amitié voudra donc me trahir : & c'eft
ainfi que les Dieux fe jouent des foibles
Mortels ?
Cependant un orage fe forme dans les
airs ; les timides agneaux fe précipitent
dans les antres creux ; le Soleil retire fa
lumière ; & des ombres épaiffes obfcurcif
fent le jour. Life , tremblante , éperdue ,
fe jette comme dans un afyle, au pied des
Autels de l'amitié ; elle s'y dévoue comNOVEMBRE.
1761. Is
me une victime coupable ; la Déeffe paroît
l'agréer par un fourire. Le Sacrifice
commence , & l'on n'entend plus que ces
mots entrecoupés par des foupirs : Amour!
Ah Dieu trompeur ! C'eft toi ... Tu prétends
me punir fans doute.... je n'implore
point ta clemence : Que je fois cent fois
ta victime !
ParM. de S. Nic.. de la. V... d'Ar....
TRADUCTION de l'Hymne de la
Purification.
Stupete , Gentes &c. De M. DE SANTIUIL.
PEUPLES , étonnez-vous ! pour fauver le coupable,
Un Dieu le rachete en ce jour ,
Et des Loix l'Auteur adorable
S'y foumet lui-même à ſon tour.
Une Vierge ſe purifie ,
Quand fon extrême pureté ,
Des Loix que doit fubir l'Innocence flétrie
Diſpenſe fa maternité.
Humble dans la grandeur , cette Mère pudique
N'ofe avant le terme preſcrit
Approcher le facré Portique
Du Temple qu'elle s'interdit .
Quelle Loi ! quelle injuſte crainte
C
16 MERCURE DE FRANCE,
- Peut vous éloigner de ces lieux ,
Quand vous avez été vous-même, ô Vierge fainte
Le Temple du Maître des Cieux ?
Quel prodige nouveau ! quel augufte Myſtère
Dans cet hommage folemnel !
Un Vieillard , l'Enfant & la Mère
S'immolent fur le même Autel.
L'enfant Divin fe facrifie
Pour racheter l'homme pécheur ;
Le vertueux Pontife offre une fainte vie,
La Mère fon humble pudeur.
O Mère inconfolable ! ô mortelle trifteffe !
O fort , ô comble de douleur !
Quel objet pour votre tendreffe !
Quel fpectacle pour votre coeur !
Cet Agneau , victime innocente
Que vous tenez entre vos bras ,
Doit un jour à vos yeux fur une Croix fanglante
Subir un rigoureux trépas.
De ces jours douloureux immolant les prémicés
Dans l'hommage qu'il vient offrir ,
Il femble hâter les fupplices
Qu'il brûle déjà de fouffrir.
Six luftres bornant fur la Terre
Sa courfe & fes travaux divers
Dans les flots de fon ſang , victime ſalutaire
Il doit laver tous l'Univers.
VÉRARDY M is Arts & Me de Penfion
NOVEMBRE. 1761 17
ENVOI d'un bouquet de coquilles , à
Madame de M...
NEPTUNE & Flore , empreſſés à vous plaire ,
Prétendoient tous les deux enrichir ce préfent.
Pour terminer le différend ,
Neptune a fourni la matiére ,
Flore le deffein ſeulement :
Le reſte eſt d'une main qui croit vous être chère.
Acceptez donc , belle M... Ry:
C'eft l'hommage d'un coeur , plus à vous qu'à luimême
;
Et noubliez pas qu'on vous aime
Plus qu'on ne hait votre mari.
Par M. D. F. D. C.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
ONN connoît déjà , Monfieur , dans notre
Langue , l'Auteur dont on a emprunté
le Morceau qui fuit : la Fontaine lui doit
Pfyché , Fable qu'Apulée lui - même avoit
tirée des célébres Fables Miléfiennes. Le
Jugement de Lucius eft un tableau d'un
goût different. J'ai cru que l'idée burlefque
, qui fait le noeud de cette petite ac18
MERCURE DE FRANCE :
1
tion , ne déplairoit pas ; & je me ſuis hazardé
à la traduire . Ceux qui feroient curieux
de confulter l'original , me fçauront
gré , peut- être , de n'en avoir pas copié
les défauts. J'ai fuivi exactement le fens
de l'Auteur dans ce que j'ai traduit. Du
refte , j'ai profité de toute la liberté qu'Horace
laiffe au Traducteur.
LE JUGEMENT DE LUCIUS,
CONTE , traduit d'APULÉE.
TÉLÉPHRON ÉLÉPHRON avoit fini fon Hiftoire ; les
Convives , dont le vin animoit la belle
humeur , recommencérent à rire . Alors
Birrhéne m'adreffant la parole : demain ,
me dit- elle , arrive la fête du Dieu Ris :
nous célébrons cette fête depuis la fondation
de notre Ville. Notre Peuple eft le
feul dont cette aimable Divinité reçoive
les hommages. Vous verrez que nos cérémonies
ne font point triftes ; venez ſeulement
augmenter notre joie ; & contribuez
à nos offrandes , en imaginant , pour votre
part , quelque chofe que la Divinité puiſſe
agréer. Je répondis à Birrhéne que je travaillerois
à la fatisfaire , pourvu , ajoutaije
, que le Dieu dont vous me faites connoître
le culte , veuille bien favorifer mes
éfforts , & les animer lui - même . Mon Ef
NOVEMBRE. 1761. Ig
clave m'ayant averti qu'il étoit temps de
me retirer , je pris congé des Convives
d'un air qui ne faifoit pas l'éloge de ma
tempérance. Le vent éteignit bientôt le
flambeau qu'on me portoit : ce ne fut donc
pas fans peine que je vins à bout de démêler
mon chemin à travers l'obfcurité. J'approchois
cependant du logis , après avoir
heurté toutes les pierres dont les rues de
cette Ville font femées. Arrivé à la porte ,
je la trouvai affiégée par trois hommes ,
qui me parurent forts & vigoureux, & qui ,
fans être intimidés ni par notre préfence
, ni par le bruit que nous faifions , s'éfforçoient
de pénétrer dans la maiſon . Je
ne crus pas que ce pût être autre chofe
que des Voleurs ; je fonds auffitôt fur
eux , l'épée à la main ; je frappe fans ménagement
tout ce qui me réſiſte . Bientôt
mes adverfaires tombent à mes pieds ,
percés de coups , & rendant les derniers
foupirs. Fotis , éveillée par le bruit , venoit
d'ouvrir. Je me jettai dans la maiſon
tout éffoufflé & tout couvert de fueur , &
m'étant mis au lit , je m'endormis fur le
champ.
*
L'aurore fecouant fon bras de rofe ,
conduifoit déjà fon char fur l'horifon .
Déjà la nuit qui fuyoit devant elle , avoit
* Fotis , Efclave de Milon , Hôte de Lucius.
20 MERCURE DE FRANCE.
fait place au jour. Le fommeil avoit diffipé
les fumées du vin ; mon efprit fe
trouvoit libre. Bientôt le fouvenir de ce
qui s'étoit paffé la veille vint l'occuper.
J'étois affis fur mon lit , les mains pofées
fur les genoux , & le corps penché en
avant. J'avois l'imagination occupée des
penfées les plus triftes : mon fein ſe rempliffoit
de mes larmes. Je croyois être au
Barreau ; je voyois mes accufateurs ; j'entendois
ma Sentence ; j'appercevois autour
de moi les licteurs & les bourreaux..
Je n'ofois me flatter de trouver des Juges
affez favorables pour m'abfoudre ,
couvert comme j'étois du fang de trois
citoyens. Etoit- ce là cet heureux voyage
que le Chaldéen Diophane me promettoit
avec tant d'affurance ?
Ces réfléxions qui m'accabloient , furent
bientôt interrompues. J'entendis
frapper avec force , & dans l'inftant la
maifon fut remplie par les Magiftrats , par
les Officiers de la Ville , & par la foule
qui les fuivoit. Deux licteurs eurent ordre
de me faifir . Je les fuivis fans réfiftance.
A peine avois- je paffé la premiere
rue , que je me vis entouré d'un Peuple
innombrable. Je marchois au milieu
de la multitude , la tête baiffée , me
croyant déjà parmi les morts. Cependang
*
NOVEMBRE. 1761 27
ayant laiffé échapper un regard de côté ,
je fus furpris de voir que , parmi tout ce
Peuple, il n'étoit perfonne qui ne rîc d'une
manière exceffive. Mais ce c'étoit pas
le temps de réfléchir fur ce que je voyois.
On me promena dans toutes les rues
comme une victime d'expiation , après
quoi je fus conduit au Barreau , & placé
devant le Tribunal .
Les Magiftrats s'etoient affis ; les Huiffiers
avoient fait faire filence ; lorfque
le Peuple cria que le lieu où l'on étoit
ne fuffifoit pas pour contenir tout le monde
; qu'une affaire auffi imporante devoit
être traitée fous les yeux de tous les citoyens
; & qu'il falloit fe tranſporter au
Théâtre . Auffitôt , on abandonne le Barreau
; on fe jette en foule fur les fiéges de
l'Amphithéâtre ; on occupe les avenues du
Cirque , on monte fur les toits des Édifices
; les ftatues même , & les colonnes du
Théâtre font chargées de fpectateurs.
Pour moi , on me place dans l'orchestre ;
& tout de fuite on ſe prépare à commencer
l'audience. Un Huiffier cita , d'un ton
éffrayant , celui qui devoit m'accufer. Je
vis un vieillard fe lever , faire les libations
accoutumées , & fe tourner enfuite
vers les Juges , auxquels il parla ainfi .
» Le crime dont il s'agit , Meſſieursį
22 MERCURE DE FRANCE:
» intéreffe également & la fûreté de vos
» Concitoyens , & votre poftérité , à laquelle
» vos exemples doivent être un jour uti-
» les. Votre honneur ainfi que l'intérêt
public exige donc qu'un pareil atentat
» ne demeure pas fans vengeance . Vous le
fçavez , ce n'eft ni le reffentiment , ni
» la haine , c'eft le devoir qui me force à
و ر
"
و د
ه د
parler. Je commande la Garde qui veille
» la nuit à la fûreté de la Ville . Je ne crois
» pas qu'on ait eu lieu jufqu'ici de blâ
» mer ma vigilance ; je me flatte que ma
probité n'eft pas plus fufpecte . Je vais
donc vous expoſer le fait , & vous ren-
» dre un compte fidéle de ce qui s'eft paf-
» fé. La nuit dernière , à- peu - près à la troifiéme
veille , je parcourois à mon ordi-
» naire tous les quartiers de la Ville , exa-
» minant avec une attention fcrupuleufe
» s'il ne fe paffoit rien contre l'ordre ; j'ai
» vu ce malheureux jeune homme , un
poignard à la main , maſſacrer vos con
» citoyens , & fe baigner dans leur fang.
» Il en avoit renverfé trois, dont les cada-
» vres palpitoient encore , à mon arrivée.
» L'horreur de fon action l'a fans doute
"
ود
}
obligé de s'éloigner. Les ténébres nous
» ont empêché de le pourfuivre ; mais la
» Providence ne laiffe pas de tels crimes.
» impunis : nous nous fommes apperçus
NOVEMBRE. 1761 . 23
qu'il s'étoit retiré dans une maiſon où il
a paffé le refte de la nuit. J'ai fait gar-
» der les iffues de cette maifon , dans la
» crainte qu'il ne fe dérobât par des chemins
détournés. J'ai été affez heureux
» pour le faifir , & pour le produire à vo
» tre jugement. Vous avez entre les mains,
» Meffieurs , un coupable fouillé de plu-
» fieurs affaffinats ; un coupable pris fur le
»fait ; un coupable qui n'a pas même l'a-
» vantage de vous appartenir . Vous allez
» donc punir dans un Etranger , un crime
» que vous pourfuivriez avec juftice dans
» un de vos Concitoyens.
Le vieillard ayant ainfi parlé , ceffa de
me faire entendre fa voix foudroyante :
l'Huiffier m'ordonna de répondre , fi
j'avois quelque chofe à alléguer en ma
défenfe. Plus attentif à mes maux & au
fentiment de mon innocence , qu'à la
vaine déclamation de mon accufateur ,
je pleurois , je n'étois pas en état de me
défendre autrement que par mes larmes.
A la fin pourtant je me fentis ranimé
comme par miracle , & j'eus la force de
dire ce qui fuit .
" O citoyens ! qu'il eft difficile à un
» Accufé , qui parle en préſence de trois
» cadavres immolés par fes mains , qui
reconnoît qu'il eft l'Auteur de leur
24 MERCURE DE FRANCE.
" མ་
» mort , de perfuader qu'il eft innocent ,
» quoiqu'il ait raifon de le foutenir ! Cependant
fi l'humanité vous engage
» m'écouter un inftant , il me fera facile
» de vous montrer qu'un malheureux ha-
" zard , ou plutôt qu'un zéle eftimable
» fait aujourd'hui tout mon crime. Je me
» retirois chez mon hôte , un peu tard à
» la vérité , & , puifqu'il faut l'avouer
» un peu trop échauffé par la bonne chère
» que je venois de faire ; ( c'eft-là mon
f
!
véritable crime. ) Je trouve à fa porte
» des voleurs qui travailloient à l'enfon-
» cer. Les gonds étoient déjà ébranlés ;
on avoit forcé les barreaux ; & l'on délibéroit
fur les moyens de fe défaire de
» ceux qui habitoient la maiſon . Déjà
» le plus fort & le plus courageux de
» la troupe haranguoit fes complices :
» Allons , enfans , leur difoit- il , du cou-,
rage ! Attaquons en braves gens ces
» dormeurs- ci. Point de timidité , point,
de foibleffe ; paffons tout au fil de l'é-
20
pée ; maflacrons ceux que nous trouve-
» rons endormis ; tombons fans quartier
» fur ceux qui fe mettroient en défenſe :
» nous fortirons d'ici fans mauvaiſe
» avanture , fi nous n'y laiffons perfonne
» en état de nous nuire. Je l'avoue , Meffieurs
, j'ai tremblé pour mon hôte ;
» j'ai
NOVEMBRE. 1761. 25
"
j'ai craint pour moi- même ; j'ai vu ce
» qu'exigeoit l'honneur & le devoir . Je
me fuis éfforcé de mettre en fuite les
ود
fcélérats qui vouloient nous détruire.
» Mais ces malheureux paroiffoient s'em-
» barraffer de mes éfforts . Ils fe metpeu
» tent tous en défenfe , le Chef fe jette
» fur moi ; me prend par les cheveux , &
» me renverfant en arrière , crie aux au-
» tres de lui donner une pierre pour
"
"3
"
"
m'enfoncer le crâne. J'ai été affez heu-
» reux pour le prévenir. Il est tombé à
» mes pieds fans vie ; j'ai frappé le ſe-
» cond qui s'avançoit fur moi ; & je ſuis
» venu également à bout du troifiéme.
Après avoir ainfi vengé la fureté publique
, après avoir fauvé la vie à mon
hôte , devois- je m'attendre au fupplice
» dont vous me menacez ? N'ai - je pas
plus de droit à vos éloges & à vos récompenfes
Hélas , jufqu'ici ma vie
» a été fans reproche. Jufqu'ici j'ai regardé
l'innocence comme le premier
» des biens. Je l'ai toujours préférée à
» tout autre. Faut- il que pour m'être dé-
» fendu contre des voleurs , pour avoir
puni des fcélérats infâmes, je fois traité
» moi - même comme un vil affaffin ? Quoi
» donc ? prouvera- t- on que j'aye jamais
» connu un feul de ces miférables ? Ai je
"}
>>
"
B
26 MERCURE DE FRANCE.
» eu avec eux le moindre démêlé ? M'a-
» t- on vu feulement leur parler ? Seroit-
» ce la cupidité qui m'auroit porté à les:
» attaquer ? Qu'on dife donc fi l'on a
» trouvé fur moi la moindre chofe qui
» leur ait appartenu. » Après avoir pro--
noncé ces mots , mes larmes recommencérent
à couler. J'étendis les mains vers
mes Juges. Je les fuppliai l'un après l'autre
par les fentimens d'humanité qui devoient
les animer ; par la tendreffe qu'ils
avoient pour leurs enfans ; par les motifs.
les plus capables de les toucher , de ne
pas perdre un innocent ! ... Lorfque je
crus m'appercevoir qu'ils étoient fenfibles
à mes larmes , & que mes raifons
les avoient ébranlés , j'élevai la voix
j'atteftai l'oeil facré de la Divinité auquel
le crime ne peut fe cacher ; je priai les
Dieux de venger mon innocence. Je mis,
mon fort entre leurs mains .
J'ofai enfuite lever les yeux, & les tourner
fur le Peuple . Quelle fut ma furpriſe ! ...
toute l'affemblée fe laiffoit aller à des
éclats de rire que je ne puis exprimer.
Milon , mon hôte Milon , rioit plus fort
que perfonne. Ce fpectacle m'indigna .
Où eft donc , diſois - je en moi - même , la
probité ? où est la reconnoiffance ?, Quoi ,
je me rends coupable d'un homicide
NOVEMBRE . 1761 27
pour déféndre mon hôte ! Je m'expof .
pour lui à perdre honteufement la vie ;
& non content de me laiffer fans défenſe ,
il eft affez barbare pour rire de mon malheur.
Pendant que je faifois ces réflexions
une femme , vêtue d'une longue robe
noire , traverfa le Théâtre , portant un
enfant entre fes bras. Elle étoit fuivie
d'une vieille, couverte de mauvais haillons.
L'une & l'autre tenoient entre leurs mains
des branches d'oliviers , qu'elles arrofoient
de leurs larmes. Elles fe placérent des
deux côtés du lit , fur lequel on avoit expofé
les corps des Voleurs ; & pouffant
des hurlemens affreux , elles conjuroient
à grands cris , les Juges , par la pitié natu
relle à tous les hommes , par la commifération
particulière qu'ils devoient à leurs
concitoyens , par les liens de la commune
Patrie , de venger leur mort & d'appaiſer
leurs mânes . Voyez , difoient -elles , notre
mifére & notre pauvreté; foyez touchés de
l'état où leur perte nous jette! Laiffez - vous
du moins attendrir fur le fort de cet enfant
malheureux , qui fe trouve fans foutien
& fans père ! Satisfaites les Loix qui
vous demandent à haute voix le fang de
l'affaffin.
Elles fe turent. Alors le Magiftrat qui
préfidoit à l'aſſemblée fe leva , & dit ces
Bij
28 MERCURE DE FRANC E.
pour
mots : le crime eft avéré : le coupable le
confeffe ; les loix vont être vengées ; mais
une confidération nous arrête. Il faut connoître
, avant tout , les complices d'un
forfait fi grand. Ce jeune homme n'a pu
furmonter feul trois adverfaires auffi puiffans
. L'esclave qui l'accommpagnoit a pris
la fuite ; les tourmens vont lui arracher
la vérité.Nous n'avons que cette voie
la connoître , & pour purger le Pays de
tous ceux qui ont participé au crime. Auffitôt
on apporte des roues , des fouets ,
des feux , tout l'attirail de la queſtion . Je
fentis croître mon défefpoir à la vue des
tourmens qu'on alloit ajouter au fupplice
qui m'attendoit . Mais la vieille dont les
cris avoient déjà interrompu l'action , s'adreffant
encore aux Juges , les fupplia de
permettre qu'elle expofât à leurs yeux. les
corps fanglans de fes fils , afin que leur
beauté infpirât pour l'affaffin toute l'horreur
qu'il méritoit .
On applaudit à certe demande : le Magiftrat
m'ordonna de lever moi-même le.
voile qui les couvroit ; je n'eus pas la force
d'exécuter un ordre fi cruel. Je réfiftai
longtemps ; mais enfin , les Licteurs me.
frappant les bras & les étendant eux - même
jufques fur le cercueil, j'enlevai rapidement
le manteau dont il étoit couvert....
NOVEMBRE: 1761. 29
Dieux , que devins-je ? Quel prodige !
quelle révolution dans ma fortune ! ce
n'étoit plus des hommes ; c'étoit trois outres
, percés ou déchirés à peu - près dans
les endroits où je croyois avoir frappé mes
ennemis. Alors les ris qu'on s'étoit éfforcé
de retenir , éclatérent plus fort qu'auparavant.
Les Spectateurs s'appuyoient les
les uns fur les autres , pour ne pas tomber.
J'en vis qui foutenoient leur ventre avec
les mains , pour prévenir les inconvéniens
d'un pareil excès. Enfin tous les Spectateurs
fortirent du Théâtre , en me regardant
, & en fe félicitant mutuellement fur
le plaifir qu'ils venoient d'avoir .
1
Pour moi j'étois refté avec le voile à la
main , plus froid que le marbre de la ftatue
contre laquelle je m'étois appuyé . Je ne revins
à moi, que lorfque je me fentis tirer
avec force par mon Hôte , qui m'emmena
malgré mes larmes & ma réfiftance . Nous
nous rendîmes à fa maiſon par les rues les
plus détournées. Milon n'omit rien de ce
qu'il crut propre à me faire oublier ma
mauvaife avanture . Ses foins furent inutiles
; il ne put appaiſer mon indignation .
Cependant les Magistrats revinrent prèfque
fur le champ. Ils me firent des excufes
, & travaillérent de leur côté à me
confoler. Seigneur Lucius , me dit le plus
B iij
30 MERCURE DE FRANCE .
apparent , nous n'ignorons pas quelle ent
votre naiffance , & combien ceux à qui
vous appartenez font diftingués. Nous ferions
au défeſpoir de les outrager. Soyez
perfuadé que nous n'avons pas prétendu
vous faire la moindre infulte . Écartez la
trifteffe que vous nous faites paroître. La
fête que nous célébrons aujourd'hui ne fe
foutient que par de pareils tours. Il n'eſt
perfonne qui ne fe tienne honoré d'y contribuer
; & vous devez regarder comme
un bonheur d'avoir été choisi pour le Héros
du jour. L'aimable Dieu , auquel vous
venez de facrifier , va vous délivrer pour
toujours de l'ennui & de la triſteſſe . D'ailleurs
notre Ville vous a décerné , comme
à fon bienfaiteur , tous les honneurs dont
vous êtes digne. Elle vous met au nombre
de fes Protecteurs ; & le Sénat vient d'ordonner
qu'on vous éléveroit une ſtatue.
Je répondis à ce compliment , que j'étois
fenfible à l'honneur que me faifoit la première
Ville de la Theſſalie ; mais que les
images & les ftatues ne convenoient pas
à ceux de mon rang. Cela dit , j'accompagnai
les Magiftrats jufqu'à la porte , en
leur faiſant la meilleure mine qu'il me fut
poffible.
Je m'étois retiré dans ma chambre ,
je rêvois encore à ce qui m'étoit arrivé,
NOVEMBRE. 1761. 31
Fotis y entra bientôt après moi . Je fus furpris
de l'air timide & embarraffé avec lequel
elle m'aborda.A peine put - elle ouvrir
la bouche pour me parler. Ce ne fut pas
fans fe faire une extrême violence qu'elle
me dit qu'elle étoit la cauſe de mon malheur.
Cauſe innocente à la vérité : me préferve
le Ciel de vous outrager jamais juſqu'à
ce point ! Je donnerois ma vie pour
vous épargner la plus légére difgrace . Mais
ma mauvaife fortune a voulu que ce que
j'ai fait pour me tirer moi -même d'un embarras,
caufat prèfque votre perte. La curiofité
me fit prefler Fotis de s'expliquer.
Je lui répondis : ma chère Fotis , je fçais
que tu n'as jamais penfé à me nuire. J'en
crois plus mon amour que tes fermens . Je
ne te croirois pas toi - même , quand tu me
jurerois le contraire. Parle- moi fans te
troubler. Fotis raffurée , reprit ainfi . Je
tremble de révéler la honte de ma maîtreffe.
Je mourrois plutôt que de vous
rien découvrir , fi je n'étois raffurée par
votre esprit & par votre caractère . Vous
êtes initié dans plufieurs myſtères : vous favez
par conféquent garder un fecret. Que
celui que je vais dépofer dans votre ſein
n'en forte jamais ,
* Ma maîtreffe commande aux morts ;
* On fait que les Theffaliens étoient fort adon
B iv
32 MERCURE DE FRANCE.
change à fon gré le cours des Aftres ;
force les deftins ; fe fait obéir des élémens
; exerce un empire, abfolu fur toute
la nature . Mais cet empire , croiriez - vous
qu'elle n'en fait ufage , que pour fe faire
aimer ? Un jeune homme qui lui plaît ,
eſt bientôt fon efclave. Elle aime actuellement
un jeune Béotien parfaitement
beau . Hier au foir , je l'entendois s'écrier
que fi le Soleil ne fe hâtoit de defcendre
fous l'horizon , elle alloit l'obfcurcir pour
toujours. Elle avoit apperçu chez un Barbier
le Béotien qu'elle aime. Elle m'ordonna
fur le champ d'aller lui chercher
les cheveux qu'on venoit de lui couper ,
& de ne pas rentrer fans en rapporter
quelque chofe. Le Barbier m'apperçut ;
& comme toute la Ville foupçonne ma
maîtreffe , il m'arrêta , arracha de mon
fein les cheveux que j'avois ramaffés , &
me déclara que s'il me voyoit jamais
autour de la boutique , il me dénonceroit
aux Magiftrats . La crainte d'être mal .
traitée de ma maîtreffe , m'auroit fait
prendre la fuite ,fi j'avois pû me léparer de
vous : J'aimai mieux m'expofer à fa mauvaiſe
humeur , & je revins au logis. Heureufement
pour moi , je trouvai en chenés
à la Magie. M. de Fontenelle en donne plufieurs
raifons dans fon Hiftoire des Oracles.
NOVEMBRE. 1761. 33
min un homme qui tondoit des outres ,
dont le poil étoit affez femblable pour
la couleur , aux cheveux que ma maîtreffe
attendoit . J'en pris quelques-uns que je lui
donnai. A peine la nuit fur- elle arrivée ,
qu'elle monta au haut de la maiſon . Elle
fit fur ce que je lui avois remis , ſes invocations
ordinaires. Elle le mit enfuite fur
des charbons ardens . La magie opéra fur
les outres comme elle auroit opéré fur l'amant
même ; les outres furent animés ,
marchérent ,fentirent , fe prêtérent à toutes
les impreffions que ma Maîtreffe vouloit
faire fur le Béotien , & vinrent affiéger le
lieu où l'on brûloit leurs dépouilles . Vous
les apperçutes en revenant de fouper.
Trompé par l'obfcurité, vous combattites,
comme un autre Ajax , non contre des
moutons , mais contre des boucs enflés.
Vos exploits furpaffent ceux du fils de Télamon.
Venez gouter votre victoire dans
mes bras : Puiffiez - vous y oublier les peines
que vous ont donné des ennemis
Ledoutables !
3
Par unjeune homme de Dijon.
fi
t
BY
54 MERCURE DE FRANCE.
ÉPITRE A ÉMILIE.
V.os vers ingénieux , adorable Émilie ,
Nous ont offert un tableau de l'Amour .
Mais qu'avez-vous befoin de prendre ce détour ?
Ménagez mieux les élans du génie ,
Ne prenez que votre miroir ,
Il vous peindra ce Dieu volage ;
Et fi dans vos beaux yeux vous ne le pouvez voir
Dans la glace toujours vous verrez fon image.
Vous le peignez ainfi , que vous le déſſinez ,
Tranquille, fans tranſports, fans feux, ſans jalõuſe
De bonne foi , belle Emilie ,
Et- ce ainfi que vous l'infpirez ?
Chacun felon fon gré , forge , invente , imagine,
Et fe fait de l'Amour , un fyftêine plaifant.
Permettez qu'en vous amuſa nt
Je vous peigne quelle eft , felon moi , l'origine.
Et le but de ce fentiment.
Je ne fuis point Auteur ; l'amoureuſe manie
Quelque fois m'a conduit vers le facré Vallon :
Dans vos beaux yeux j'ai trou é mon Génie ;
Le défir de vous plaire eft mon feul Apollon.
A l'aspect d'un objet qui nous paroît aimable ,
Un mouvement fecret agite notre coeur ;
On vou droit fuir , mais un charme agréable
Nous arrête , l'on céde à fon attrait flatteur
1
NOVEMBRE. 1761. 35
On fe trouble, on rougit, & l'Amour eft vainqueur.
Dès-lors vers l'objet qui l'enflâme ,
Ce coeur vole , l'atteint , fe confume en defirs ;
Avec l'objet qu'on aime on partage fon âme :
C'est pour lui , c'eft par lui que naiffent les plaifits
Sans lui tout nous déplaît. Au lever de l'aurore .,
On rode fur les pas pour y chercher la paix ;
Au coucher du Soleil on y revient encore ;
Que dis-je , l'on voudroit ne ſe quitter jamais.
C'eft alors que l'amour nous apprend à connoître ,
A fentir tout le prix de ces foins complaifans ,
De ces tendres égards, de ces tranfports charmans
De tous ces petits riens que chaque inftant fait
naître ;
L'art féduifant de prévenir les voeux ,
D'étudier les coeurs , de lire dans les yeux ,
De démêler d'un mot l'équivoque flatteuſe ,
De fentir un regard plus ou moins gracieux ,
L'art enfin de conduire une affaire amoureuſe :
Le bonheur est toujours le prix délicieux
De cette étude ingénieufe ;
Plus il est délicat , plus l'Amant est heureux.
Tel eft l'Amour. S'il faut encor que je m'explique,
Je dirai que des fens il attend fes plaifirs ;
Que votre glace Platonique
N'eft point du tout l'objet de fes defirs ;
Que votre froid fyftême eft l'antique chimère
Que Bellerophon combattit :
Illufion , jeu de l'efprit !
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Non! de l'humanité l'amour veut être père ;
Avec lui tout renaît , & fans lui tout finit.
Mais votre coeur m'entend , & contre vous murmure
? ...
Il a raiſon ; avec des charmes auſſi doux ,
Peut- on défendre une telle impoſture ?
Belle Emilie , eh quoi , voudriez- vous
Tromper le voeu de la Nature ?
FABLE
ALLÉGORIQUE préfentée au
ROI DE POLOGNE à Versailles.
L'AIGLE ET LE PHÉNIX .
UNNAigle enflé, bouffi d'orgueil ,
Reprochoit au Phénix ſon air toujours affable.
La grandeur doit , dit- il, ſe rendre reſpectable ;
Et vous la ravallez par un facile accueil.
Quoi , l'hommage des coeurs devroit- il fe contraindre
,
Répondit le Phénix ? Content d'être eſtimé,
Vous cherchez à vous faire craindre :
Moi , je préfére d'être aimé.
Par M. de C *** ;
NOVEMBRE. 1761. 37
VERS fur le Tableau de M. DOYEN ,
repréſentant VÉNUS bleffée par
DIOMEDE.
COMMENT
OMMENT l'Olympe à qui tout céde ,
Fait-il un éffort impuiffant ?
D'une Immortelle , O Dioméde !
Comment vois- je couler le fang ?
Impétueux Fils de la Terre ,
Cours , vole arracher le tonnerre
Des mains des Souverains des Cieux.
A la fierté de ton courage ,
Je fuis forcé de rendre hommage;
Il est beau d'attaquer les Dieux.
LE PSYCHOMETRE , ou Réfléxionsfur
différens caractères de l'Esprit.
L
I.
'ESPRIT profond eft celui qui fçait pénétrer
jufqu'aux racines cachées des vérités
les moins connues , découvrir leurs premieres
femences , remonter aux principes
, defcendre aux conféquences , & démontrer
leur enchaînement ; tels paroif
38 MERCURE DE FRANCE.
fent parmi les anciens , Apollonius , &
& parmi les Modernes , Archimedes ,
Defcartes & Newton.
2 .
L'Elprit fublime préfente à l'âme des
vérités & même des fentimens qui l'ennobliffent
& l'élèvent ; fon objet en tant
que diftingué de l'Eſprit profond, eft plutôt
de perfectionner la volonté que l'entendement
; il arrête , il attire , il attache
, il perfuade , il reffemble affez à l'efprit
lumineux qui éclaire , qui découvre
de nouvelles vérités ou qui met les anciennes
dans leur vrai point de vue : tels
étoient autrefois , Pythagore , Socrate
& Platon , l'Archevêque Fenelon , &
Corneille en France ; le Duc de Shaftſbury
& Milton en Angleterre , le Dante &
le Taffe en Italie .
3 .
L'Efprit folide eft celui qui voit clairement
ce qu'il voit , quoique fa vue ne
foit pas toujours fort étendue ; je le croirois
le même que l'Efprit jufte & Géométrique
; qui fcait arranger fes idées avec
ordre , clarté , & précifion ; l'Angleterre
eft féconde dans ces fortes d'Efprits, Bacon
& Locke en font les exemples . La
France a eu quelques Génies de cette efpéce
comme Nicole , Arnault & le Pere
Bourdaloue Jéfuite.
NOVEMBRE. 1761. 39
4.
L'Efprit fubtil & l'Efprit délicat fe difringuent
par la différence de leur objet :
l'un regarde les pensées & l'autre les fentimens
. L'Esprit fubtil découvre les diftinctions
& les différences les plus déliées
des idées ; il fend un cheveu ; il apperçoit
les premiers élémens des vérités les plus
abstraites tel étoit S. Thomas en Italie ,
Suarez en Espagne , Scot en Ecoffe ,
Malebranche en France.
5.
L'Esprit délicat démêle toutes les nuances
fines des paffions , des vertus , des
fentimens , & des caraères . Waller &
Prifc en Angleterre , la Fontaine & Qui
nault en France ont excellé en ce genre.
6 .
J
L'Esprit vif voit prompter ent fon objet
, le peint avec grâces, l'orne de fleurs ,
l'aiguife par des traits , & l'enrichit de
tours ingénieux ; les Grecs autrefois , les
Italiens & les François aujourd'hui furpaffent
toutes les autres Nations dans ce
genre ; il reflemble affez à l'Efprit brillant
, qui n'a point de lumière propre ,
qui ne crée rien , qui n'a rien d'original ,
mais qui fçait placer les pensées des autres
dans un vrai point de vue ; les faire.
éclore & leur donner de l'éclat : tels font
40 MERCURE DE FRANCE.
la Bruyere & S. Evremont en France ,
l'Espion Turc & le Spectateur Anglois ,
Bocace & Michel Cervantes en Espagne.
7.
L'Efprit mâle eft celui qui faifit forte,
ment fon objet , qui le tourne & retourne
à fon gré. Comme dans la Phyfique
la force réfulte de l'union de la maffe
& de la vitefle , de même l'efprit
mâle renferme la folidité & la vivacité
; il fecoue les préjugés , il écarte les
ombres , il enchaîne l'imagination , il s'enfonce
& s'élève tour- à - tour ; femblable
aux rayons du Soleil réunis , il éclaire &
embrafe tous les objets qu'il rencontre ;
rien n'eft plus rare que ce Génie : Boffuet
& Pafcal en France , Clarke & More en
Angleterre poffédent beaucoup de ces
qualités ; mais il y a des endroits où tõus
ces Auteurs font foibles.
8.
L'Efprit étendu embraffe une grande
quantité d'objets , de rapports , de connoiffances
, il voit de loin , il fçait raffembler
les idées les plus féparées , les comparer
, les combiner , & en tirer des conclufions
; il s'allie fouvent avec l'Efpric
Univerfel , qui a une aptitude pour exceller
dans toutes les Sciences & qui ren ferme
en foi les femences de tous les Efprits
NOVEMBRE . 1761 . 41
Pic de la Mirandole en Italie , Leibnitz
en Allemagne , Boheraave en Hollande ,
Clarke en Angleterre ; Bayle , Fontenelle
, le Père Tournemine , & Voltaire
en France. Le plus grand génie eft fans
doute celui qui voit loin , vîte & clair ;
mais il eft prèfque impoffible de rencontrer
toutes ces éminentes qualités dans
un même Sujet : les génies qui excellent
dans un fens , font défectueux dans un
autre ; le profond eft quelquefois obſcur ,
le fublime frife fouvent le chimérique ;
l'Esprit trop étendu tombe dans le vague ;
la folidité rend quelquefois lent & pefant;
la fubtilité dégénére en idées guindées ;
le délicat en précieux , le lumineux en
éblouiffant , le vif en légèreté fuperficiel
le , & le mâle en hardieffe audacieuſe.
DIVERS PARALLELES.
DESCARTES & Newton ſont peutêtre
les deux plus vaftes Génies que l'Europe
& même l'Univers ait jamais produits
dans aucun fiécle . Le génie du Philofophe
François eft lumineux, fublime, éten .
du , mais pas toujours folide ; celui du
Philofophe Anglois eft profond , exact ,
univerfel , mais fouvent obfcur . Henri
More, Docteur Anglois, étoit un efprit fu42
MERCURE DE FRANCE.
blime , profond & vafte ; mais il ne paroît
pas avoir eu l'ombre de la jufteffe
géométrique. Spinofa au contraire avoit
l'efprit jufte, plus fubtil, plus conféquent ,
& plus univerfel . Le génie de Boffuet
Evêque de Meaux paroît étendu , clair &
folide ; celui de Fenelon eft fublime , lumineux
& délicat. Malebranche eft le génie
le plus fubtil , le plus conféquent , & le
plus fyftématique que jamais Nation ait
produit ; Locke n'a ni la profondeur ni
la fubtilité de Malebranche , c'eſt un efprit
froid , exact & clair ; Milton ne fuit
pas dans fon Poëme , le Paradis perdu ,
les régles de l'Epopée , mais on y rencontre
plus que dans aucun Auteur les
traits d'un génie vraiment créateur. Le
Télémaque eft un Poëme plus régulier que
le Paradis perdu , & le génie du Poëte
François eft plus naturel , plus délicat , &
plus fleuri, quoique moins hardi & moins
mâle que celui du Poëte Anglois ; le fublime
de Milton confifte dans les pensées
& celui de Fenelon dans les fentimens ; le
premier en quelques endroits déroge à la
Majefté de la Religion Chrétienne , le
dernier ennoblit toujours la Religion
Payenne ; on trouve plus de Métaphyfique
& de Théologie dans le Poënie Anglois
; on rencontre plus de Morale & de
T
NOVEMBRE . 1761. 43
Politique dans le Poëme François ; on ne
peut aimer le Télémaque fans être bon
Citoyen ; on peut fe plaire dans la lecture
du Paradis perdu , fans devenir meilleur
Chrétien ; tout y a trop l'air de fable ;
Milton furprend , étonne & tranfporte ,
Fenelon peint , perfuade & transforme ;
les images de Milton font fouvent gigantefques
& outrées ; celles de Fenelon
font toujours naturelles , fimples quoique
fleuries ; l'Enfer de Milton eft plus beau
que fon Paradis , c'est -à- dire mieux dépeint
; l'efprit de Fenelon eft toujours
égal , & maître de fon fujet. Poëte , Philofophe
, Politique, il réuffit dans tous les
genres ; en un mot Fenelon tient le juſte
milieu entre Milton qui fe perd fouvent
dans les nues , & le Taſſe qui s'éléve rarement
au- deffus de la Terre ; la Jéruſalem
conquiſe eft plus variée que le Paradis
perdu , & auffi régulière que le Télémaque;
le génie du Poëte Italien eſt trèsdélicat
, mais peu nerveux ; fes fictions
font amufantes , fes fentimens tendres ,
fes caractères diverfifiés ; mais le furnaturel
de fon Poëme eft fouvent puérile ,
& le fublime s'y trouve plutôt dans les
penfées que dans les fentimens ; on y reconnoît
toutes les marques d'un efprit
imitateur qui ne fçait pas créer des êtres
44 MERCURE DE FRANCE.
& des mondes nouveaux , comme le Poëte
Anglois , ni peindre les vérités fublimes
& morales comme le Poëte François . Les
fictions de Milton fe reflentent un peu
trop de l'efprit Britannique, & de la hardieffe
Proteftante ; celles du Taffe frifent
la fuperftition, le Romanefque , & la Chevalerie
Errante.
Mé-
Bayle & Fontenelle peuvent le comparer
par leur univerfalité : mais le dernier
paroît avoir un génie bien plus profond
& plus exact que le premier. On trouve
dans les ouvrages de Bayle une érudition
immenfe de trois genres , Hiftoire ,
taphyfique , & Belles - Lettres ; on admire
dans ceux de Fontenelle les principes
de prèfque toutes les Sciences , des
Mathématiques , de la Médecine , des
Chymie , de la Phyfique , de la Métaphyfique
, de la Poëfie , de l'Hiftoire & tous
les caractères d'un génie qui embraffe les
objets les plus éloignés & qui connoît
également l'étendue & les bornes de
l'efprit humain. Bayle a l'efprit hardi, lger
, badin , varié , mais il n'approfondit
pas toujours fon Sujet , il paroît fuir la
lumière pour fe perdre dans l'incertitude
ténébreufe du Pyrrhonifme ; il montre
tous les côtés obfcurs d'une queſtion fans
amais chercher le point lumineux d'où
NOVEMBRE . 1761 .
45.
faillit l'évidence, il embellit; il orne , il égaie
tout par les traits brillans, & fes tours ingénieux
;mais fon efprit eft plus Sophifte que
Philofophe , plus éloquent que jufte , plus
poëtique que géométre , plus étendu que
profond. Fontenelle fans avoir tant d'audace
, fe rend maître de tous les Sujets
qu'il traite ; il paroît avoir créé tout ce
qu'il arrange ; il fait éclorre les pensées
informes d'autrui & les met dans l'évidence
; fon efprit univerfel eft également
fubtil & délicat ; il faifit les diftinctions
& les précisions des idées les plus abftraites
, foit Métaphyfiques , foit Géométriques;
il entend auffi toutes les délicateffes
du coeur. On prétend qu'il ne les fent pas
également , & que fon amour est trop
Méthaphyfique , comme celui de Pétrarque.
PARALLÉ LE entre M. l'Abbé Av-
BERT & M. GREUSE.
M'ERIGEANT 'ERIGEANT en Platon nouveau ,
Je veux tracer un Paralléle
Entre la plume & le pinceau.
Des deux côtés j'ai mon modéle :
Peintre habile , aimable Ecrivain ;
Tout favorife mon deffein .
26 MERCURE DE FRANCE
Par toi , cher Abbé , je commence :
Si tu mers la plume à la main ,
Chaque mot porte une ſentence.
Amufant , rigide à la fois ,
Tes fables font autant de loix.
Tu fçais dans ta veine fertile ,
Donner en Philofophe habile ,
D'utiles leçons , même aux Rois ;
Et feul tu courus fur l'aréne
Digne émule de la Fontaine.
Pour toi , Greufe , Peintre charmant ,
Quelle âme tu joins au talent !
Par mille traits de reffemblance
Je puis vous comparer tous deux ,
Et tous deux dans cette occurrence ,
Du Public captivez les voeux ;
Tous deux conduits par la Nature ,
A l'aide d'un charme ingénu ,
Vous avez pris la route fûre
Qui méne droit à la vertu.
Je vais éffayer de décrire ,
Quoique manquant d'expreffions ,
Ce
que chacun de vous m'inſpire
En voyant vos productions.
Là je cauſe avec les lions ;
Je plains le fort de la fauvette ; *
Voyez le Recueil de Fables de M. l'Abbé Auhera
Page 99.
NOVEMBRE. 1761
Et je vois les larmes aux yeux ,
Chloé , Fanfan , Colas , Perrette ;
Tendre mère , enfant dédaigneux
Qu'un penchant à l'orgueil entraîne ;
Mais que par un détour heureux ,
A la vertu Chloé ramène. *
Que de leçons ! que de tableaux ,
Grace à ton talent pour la Fable,
Préfentent fous un voile aimable
Les hommes & les Animaux.
Ici , Greufe animant la toile,
N'offre que fpectacles charmans
Où le Sentiment fe dévoile.
Ses Sujets remplis d'agrémens ,
Puifés dans la fage Nature ,
Loin du vice & de l'impofture ,
Sont l'image des bonnes gens.
Que j'aime ſous un toit ruſtique ,
Unique afyle des vertus ,
Ce bon vieillard paralytique ,
A qui femme , enfans éperdus ,
Remplis de crainte pour la vie ,
Par mille foins qui lui font dûs ,
Marquent leur tendreſſe infinie !
Autre modéle à fentimens :
C'eſt ce bon Père de famille ,
Vieillard en qui la candeur brille ;
Qui lit la Bible à ſes enfans.
Ibid. pages 3. & 25.
48 MERCURE DE FRANCE.
Il en eſt un dernier qu'au Louvre
Tout Paris courut admirer ;
Les Beautés que l'on y découvre
Ne laiffent rien à defirer .
C'eſt un fimple hymen de Village
Qu'on cimente par un contrac
Dans un lieu meublé fans éclat ,
Mais propre ( en faut-il davantage ? )
Là paroit le Chef de ménage
Avec un air de Potentat ;
Puis le Gendre & fon Accordée ,
L'un marquant fa foumiffion ,
Et l'autre avec émotion
S'occupant déja de l'idée
Du plaifir de leur union .
La Nature n'eft point fardée ; '
Mère , Soeurs & Tabellion ,
Tous y fixent l'attention .
Ma Mufe , ceffe d'entrepren fre
Un éloge auffi mérité ;
Pour parvenir à le bien rendre ,
Ton pouvoir eft trop limité.
Par de tels objets excité ,
Notre agréable Fabuliſte
S'eft fait un plaifir enchanté
D'en être le Panégyriſte .
Et fon joli Conte moral
* Cet Ouvrage de M. l'Abé Aubert, intitulé , Conte
Moral , dont l'idée eft prife du Tableau de M, Greufe ,
& c , eft imprimé , & il a paru dans le dernier Vol . du
Mercure .
NOVEMBRE. 1761.
45
Eft l'hommage le plus fidéle
Que tout homme rempli de zéle
Puiffe rendre à l'Original.
En terminant mon paralléle ,
J'avourai fans
déguiſement ,
Que pour peindre le Sentiment ,
Le Coeur , l'Amitié généreuſe ,
Il faut qu'on foit Aubert ou Greuſe,
EN VOI.
FAITES
AITES grace à mon parallèle :
Les vers ne font point mon métier ;
Pour eux je demande quartier ,
Meffieurs , ne voyez que mon zéle.
P. D. S. A.
RÉPONSE à M. P. DE S. A. Peintre ,
au fujet de fon PARALLELE , entre
M.l'Abbé AU BERT & M. GREUSE,
POUR
OUR un Conte que m'a dicté
L'admiration légitime ,
Qu'inſpire le talent fublime
Du Peintre de la Vérité ,
Tu flattes trop ma vanité.
Je ne partage point l'eftime
C
So MERCURE DE FRANCE
Due à ce chef- d'oeuvre parfait ,
Que de tout Paris fatisfait ,
Couronne la voix unanime.
J'ai vu ce fidéle Tableau ,
Où des champs l'aimable innocence ,
Préfente un spectacle fi beau ,
Toucher d'un fentiment nouveau
Le Robin , l'homme de Finance ,
Et le Petit-Maître à manteau.
J'ai vu la Beauté , dont l'image
Y répand un tendre intérêt ,
Arracher des larmes de rage ,
A plus d'un vifage coquet.
J'ai vu maint décrépit objet ,
De fon fard tirant avantage ,
Blâmer , en dreffant fon corfage ,
L'éffort que ce Greufe avoit fait ,
Pour peindre un minois de Village,
Ainfi tout excellent ouvrage ,
Produit un différent effet ,
Suivant le goût , le fexe ou l'âge.
Pour moi , qui , depuis que les Vers
Font tout le charme de ma vie ,
Ne m'occupe que des travers ,
Que m'offre l'humaine folie ;
J'avoue avec fincérité ,
Que je fus dabord enchanté
De cette fcène attendrillante .
NOVEMBRE. 1761 .
se
Je fentis mon coeur agité
Par la douce ingénuité
De la jeune & modefte Amante
Et par l'émotion touchante
De l'Époux de cette Beauté.
Soudain je fis la différence
De cette fincère union ,
A ces, fers que l'Ambition
Fait rechercher à l'Opulence ,
Pour acheter l'indifférence
D'un Faquin qui porte un grand nomi
Je comparai cet hymen tendre ,
Fondé fur des voeux mutuels ,
A ces engagemens cruels
Qu'un coupable intérêt fait prendre
Et rempli d'une juſte horreur ,
Je maudis ce fiécle où le coeur
Eft fouvent forcé de fe rendre
Au plus offrant enchériffeur.
Ainfi , de la fimple Nature ,
Empruntant les vives couleurs ,
Greufe fait fervir la Peinture
A la critique de nos moeurs.
Ainfi , tel que cet Auteur fage , *
Dont l'aimable naïveté ,
Sous une familiére image ,
Intéreffoit l'humanité ;
* La Fontaine ,
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
Par un enchantement ſemblable ,
Greufe inftruit la Société;
Et fon chef- d'oeuvre eft une Fable ,
Qui fait valoir la Vérité.
Pardon , fi je fais trop paroître
Mon goût pour cet Art féduifant ;
Par qui l'homme apprend en riant ,
Ce qu'il eft , ce qu'il devroit être :
Dans cet Art utile & fécond ,
La Fontaine eft mon premier Maître ,
Greufe deviendra le fecond.
Auteurs , dont la plume orgueilleufe
Peint la Nature en Précieuſe ,
Et défigure fes appas ;
Apprenez aujourd'hui de Greufe
A faifir les traits délicats.
Et toi , qu'un attrait pur excite ,
A louer le pinceau charmant
De cet Artiſte que j'imite ,
Dans des Vers rimés foiblement ,
Pourfuis , rends juftice au mérite :
Cher ami , cet exemple eft beau.
Juge éclairé de fon Tableau ,
L'équité régle ton fuffrage :
Habile Peintre , aimable Auteur ,
Tujouis d'un double avantage,
NOVEMBRE. 1761 .
Qui rend à la fois ton hommage ,
Et plas fincère , & plus flatteur !
·L'Abbé Au B'Ert.
QUI
P ...
A M. de M. L. D. D. & c. & c.
Uz t'offrir en ce jour , confacré par ta fête ,
mon appui , mon bonheur , mon eſpoir ,
Des oeillets ? ... leur éclat difparoîtroit ce fir.
Des faveurs de la Cour c'eft l'image parfaite.
Des Vers du temps ? ... mais leur fadeur
Porteroit bientôt à la tête ;
Et mon pinceau , trempé dans la fombre couleur,
En traçant les vertus du Héros que je fête ,
Peindroit , fans le vouloir , les traits de la douleur,
Que t'offrir donc ?... mon coeur ?.. , n'eft- il pas ca
conquête ?
Dans les temps orageux, mon afyle , & mon pøtt
Généreux Duc ! trois fois j'ai quitté ton rivage ;
Victime de faux grands , de l'envie , & du fort ,
Trois fois auffi j'ai fait naufrage;
Et toujours ton abri m'a ſauvé de la mort.
Que ta belle âme , & que ta bienfaiſance ,
Reçoivent leur prix mérité :
Je vais vouër ton Buſte à l'Immortalité ,
Sur les autels de la Reconnoiffance.
Ce 28 Juillet 1761 , à Châtillon
fur-Loing,
ParM. FLUTRY.
34 MERCURE DE FRANCE.
ÉPITA PHE
Du Perroquet de Madame la Marquife
DE CRÉQUI.
IMPROMPTU.
Cx gît le plus charmant, la fleur des Perroquets :
Je répands fur fa tombe un encens légitime ;
'Aujourd'hui fi fa mort arrache nos regrets ,
Son mérite jadis arracha notre eſtime.
Il paffe en un moment , par un fort glorieux ,
Du Temple de Pallas dans les royaumes fom→
bres ;
Il va faire l'honneur des Ombres ,
Puifqu'il a fait les délices des Dieux.
L. P. L. J.
LEE mot de la premiere Enigme du
fecond volume du Mercure d'Octobre ,
eft , le Gratte-cul. Celui de la feconde ,
eft , la Cloche. Celui du premier Logogryphe
, eft , Rondeau dans lequel on
trouve rond , eau , or ,
Daun , Ode , âne , Oran , B , don . Celui
du fecond , eft , honneur , dans lequel
on trouve Neron , Rhône , nue , & mue
femme.
Deo ,
Bonda
NOVEMBRE. 1761 .
E NI G ME. T
QUOIQUE je fois d'une couleur grifâtre" ,
Je blanchis plus blanc que le plâtre ;
Si mon père animé m'engendre avec chaleur ,
D'abord qu'on l'interrompt il change de couleur
Il me produit fans honte & fans colère ;
Cependant fans rougir il ne me fçauroit faire.
Je fers à rappeller l'irrévocable loi ;
Tous les ans dans un jour de fête :
Que tôt ou tard chacun s'apprête ,
A devenir ſemblable à moi.
AUTRE.
FILLE
ILLE d'un père malheureux ,
Je fuis encor plus malheureufe;
Monfort eft des plus rigoureux ;
On me croit riche & je fuis gucufe.
Si quelqu'un me reçoit chez lui ,
C'eft qu'il eft furpris de ma mine ;
Je rougis du défaut d'autrui ,
Dans le moment qu'on m'examine.
Après avoir trompé ſouvent ,
Quoique fans deffein de le faire ,
Il m'arrive ordinairement
De caufer la mort à mon père .
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
LOGOGRYPH E.
Mas cinq pieds , cher Lecteur , écrits tout fimplement
,
Font un être charmant chéri ſurtout à table.
Mais fur deux de mes pieds change & mets un accent
,
D'excellent que j'étois , je fuis abominable.
AUTRE.
J.J ■ dérive d'un mot Latin',
It fuis du genre féminin 3-
Souvent je prêté mon office ,
A qui veut entrer au ſervice ,
Ou bien dans quelque Corps. Onze pieds font
mon tout.
Dans vingt & huit rapports , on me verra partour.
D'abord on trouvera , fi l'on me décompose ,
Un mot fort ufité , qui ſouvent en impoſe ;
Un des Confuls Romains , qui vainquit tant de fois
Les Celtibériens & les Carthaginois.
Un métal précieux que tout le monde envie ;
Un animal groffier , très - utile à la vie ;
L'ornement de celui , dont la néceffité ,
NOVEMBRE . 1761. 57
Va de pair avec la Beauté ;
Une machine d'Hydraulique ;
Ce qui provient de la Mufique ;
Ce qu'aiment les enfans ; ce que craint un vaiffeau
;
Un Infecte fubtil qui pénétre la peau ;
Un grand arbre ; une plante ; & même une rivière
;
La Fille d'Inachus ; des Dieux la Meſſagère ,
Ou bien encor le nom d'une certaine fleur ,
Qui fuivant les pays prend une autre couleur ;
De plus , un lieu de force ; un Fort en Italie ;
Un Inftrument de chaffe; un fameux Mont d'Afie ;
Un fruit qu'on va chercher dans un autre climat 3
Ce que produit la voix ; le nom d'un Potentat ;
L'éffence d'un Mortel , ce qui le conftitue ;
Une piéce aux échecs qui lentement remue ; -
Un oifeau très léger , ou la punition
D'un petit Écolier qui dit mal fa leçon ; `
Le rôle d'un Acteur dans une Comédie ;
Enfin ce qui fait voir qu'une phrafe eſt finie . -
Par M. Le Chevalier de Ch ... Enfeigne
de Vaiffeau , à Breſt.
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
A Mlle L. F. *** , à D. L. C. J.
J
ROMANCE.:
I m'étois long - temps promis E
De n'être qu'amant volage ;~
J'ai bien changé de langage
Depuis que j'ai vu Philis :
D'une conftance éternelle
A préfent je fuis la loi ;
Je ne veux plus que pour elle
Garder mon coeur & ma foi.
Quand fa bouche , en fouriant,,
Chante le Dieu qui m'infpire ,.
Ses yeux peignent le délire
Que j'éprouve en la voyant.
Mais qu'elle me plaît encore ,
Qu'elle raffemble d'appas ,
Lorsqu'aux jeux de Terpficore
Les Grâces forment les pas !
Sur la Tèrre , dans les Cieux ,
Où trouver rien qui l'égale ?
Plyché n'eut point de rivale ,
De l'aveu de tous les Dieux.
Au fiécle de cette Belle
Que n'ont-ils vu ma Philis?
Je m'étois longtems promis De n'être qu'amant volage ,
J'ai bien changé de langage Depuis quej'ai vu Philis
D'une constance éternelle Apresentje suis la loi,
Je ne veuxplus quepour elle Garder mon coeur et mafoi.
D
+
Quand sa bouche en souriant Chante leDieu qui m'inspi -re ,
Ses yeux peignent le délire Quej'éprouve en la voyant :
Mais qu'elle meplait encore Qu'elle rassemble d'appas,
Lorsqu'aux yeux deTherpsicore Lesgraces formentsespas.
La Musique est de M.de S**.
Les Patolles de MBrunet.
THE NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR , LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
.
NOVEMBRE . 1761. 59
[
D'uneinjure trop cruelle ,
Q'elle eût bien vengé Cypris !
Toi , qui peux me rendre heureux ,
Toi , qu'implore ma tendreſſe ,
Pour embellir la jeuneſſe ,
Amour , prête- lui tes feux :
Céde au tranfport qui m'enflâme!
Daigne lui parler pour moi ;
Le foin de guider ſon âme
Ne doit regarder que toi.
Puiffe- t-elle fuir toujours
Ces Amans , que tout ombrage !!
Leur flâme eft comme l'orage
Qui trouble les plus beaux jours :
Que fur ta loi fouveraine
Elle régle fes defirs ;
Et que libre dans ta chaîne ,
Elle y fixe les plaifirs.
Un fidéle ſouvenir ,
Partout m'offre fon image ;-
Sans ceffe de mon hommage
Je pense l'entretenir.
Mais quel eft mon trouble extrême ?
Percé des traits les plus beaux ,
Amour , je crains que toi-même
Nefois un de mes rivaux.
C'vj
Go MERCURE DE FRANCE
Ah! fi ma fincère ardeur
Pouvoit feule un jour lui plaire ,
Dans les ombres du myftère
Cacherois - je mon bonheur ?
Non ; à qui voudroit m'entendre
Je dirois des feux fi doux ;
Le plaifir d'une âme tendre
Eft de faire des jaloux.
Les Parolesfont de M. BRUNET.
La Mufique eft de M. SAINSON , Officier aux
Gardes
NOVEMBRE. 1761. 6r
ARTICLE IE
NOUVELLES LITTERAIRES.
ATLAS méthodique & élémentaire de
Géographie & d'Hiftoire , dédié à
M. le Préfident HENAULT , par M.
BUY DE MORNAS , Géographe de
Mgr LE DUC DE BERRY , Profeffeur
de Géographie & d'Hiftoire.
A Paris , chez l'Auteur , rue S. Jacques
, à côté de S. Yves , & chez Def
même rue , àl'Enfeigne du Globe.
nos,
Le Public jouit enfin d'un Ouvrage que
Pon defiroit depuis fi longtemps , pour
enrichir la Jeuneffe des trésors de la
Géographie , de la Chronologie & de
l'Hiftoire . Il n'étoit pas aifé de trouver
une méthode fimple & facile pour mettre
ces connoiffances à la portée de toute
forte de Lecteurs. M. de Mornas en
nous faifant part de fon travail & de fes
réfléxions , nous indique la véritable route
qu'il faut fuivre , tant pour ne pas ren62
MERCURE DE FRANCE.
dre infructueux les foins que l'on fe done
ne dans le pénible emploi de l'éducation,
que pour en accélérer les progrès . La
voie eft fimple, il ne falloit que parler
aux yeux & amufer l'efprit fans trop l'occuper.
On peut dire que M. de Mornas a
réuni ce double avantage , par la fimplicité
& la netteté de fes plans , par la clarté
, par la folidité des principes , par les
recherches immenfes,par les obfervations
curieufes,& par l'intérêt qu'il a eu le talent
de répandre dans les difcours que l'on voit
fur les bordures de chaque Carte. Cette
première Partie eft compofée de 57 Cartes
qui nous donnent une connoiffance.
exacte de la fphère , de la terre, de l'eau ,
de l'air, du Ciel & des principes de Chronologie.
On voit à la tête de l'Ouvrage
le nom de M. le Préfident Hénault
à qui cer Atlas eft dédié . C'eſt un préfage
heureux pour le fuccès d'une entreprife ,
dont il veut bien paroître le Protecteur, &
accepter la dédicace.
M. de Mornas , après avoir montré
que la Géographie eft fondée fur trois
fortes de principes , 1 ° . Sur les propofi
tions de Géométrie , d'Arithmétique &
de Trigonométrie . 2. Sur les précep
tes & les théorêmes de l'Aftronomie. 3
NOVEMBRE. 1761 63
Sur l'expérience & les obfervations des
Voyageurs , expofe avec netteté le fyftême
de Ptolomée , de Ticho- Brahé , de
Defcartes , de Copernic , les ufages des
cercles de la fphère , & fait nombre d'obfervations
curieufes & particulières . Par
exemple , en parlant des points cardinaux.
& collatéraux , il fait voir que ces points
doivent être confidérés d'une manière abfolue
& d'une manière relative ; mais il
fait obferver qu'il n'eft pas aifé aujourd'hui
d'en déterminer la véritable pofftion.
Car comment affigner le Midi abfolu
des habitans de la Partie Méridiona
le de l'Afrique & de l'Amérique ; puifque
pour voir le Soleil à midi , ils font
obligés de fe tourner du côté de notre
Nord . Cette difficulté n'exiftoit point
avant la découverte de l'Amérique. Les
anciens regardoient avec raifon la Chine
comme leur Orient abfolu , & l'Eſpagne
comme leur occident abfolu : au lieu
qu'aujourd'hui nous ne pouvons guères
déterminer ces points. Les Afiatiques
font leur Occident de ce que nous faifons
notre Orient , & nous faifons notre Occident
de ce que les Américains font leur
Orient. On ne peut donc les regarder que
comme relatifs ; mais il faut bien pren
8
64 MERCURE DE FRANCE
dre garde aux lieux intermédiaires , fans
quoi on s'expoferoit à donner une fauffe
fituation aux différentes régions les unes
par rapport aux autres.
ސ
M. de Mornas en traitant de l'Eclyptique
, nous fait obferver que les Eclipfes
de Soleil de Lune , des Satellites de Jupiter
& de Saturne , & celles des Etoiles
fixes , fervent beaucoup à la Chronologie,
parce qu'elles font comme des points
Exes dans l'ordre des temps , qui procurent
à- peu-près les mêmes fecours aux
Hiftoriens, que les Obfervations des hauteurs
du Soleil procurent aux Naviga
teurs , en expliquant l'inégalité des faifons.
Il démontre pourquoi la chaleur eft
plus grande en Eté qu'en hyver , quoique
le Soleil fe trouve alors dans fon plus
grand éloignement de la Terre : il en donne
plufieurs raiſons : entr'autres il dit, que
cela vient de ce qu'en Eté les rayons du
Soleil étant plus perpendiculaires , tombent
en plus grande quantité & ont plus
de force ; au lieu qu'en hyver les rayons
traverſant obliquement l'air groffier de
notre Athmoſphère, perdent leurs forces ,
à caufe des différentes refractions qu'ils
font obligés de fouffrir. Cette Carte eft
très-curieufe. Il nous donne enfuite une
idée fuffifante de la fubftance tant inté
NOVEMBRE. 1761. 65
rieure qu'extérieure de notre Globe. Il'
entre dans le détail des opérations faites
pour déterminer la figure & la grandeur
de la Terre , & fait quantité d'obfervations
& de réfléxions particuliéres
fur les zônes , fur les climats , fur les longitudes
, qui font en trop grand nombre
pour les répéter ici. Il nous fait voir en
parlant des zônes , que la chaleur ou le
froid , ne vient pas feulement de l'approche
ou de l'éloignement du Soleil , mais
encore de la qualité & de l'expofition des
terres, des plaines ou des montagnes , des
lieux couverts ou découverts , des terres
féches ou humides , de la longueur & de
la brièveté des jours , des vents , des
pluyes , & c. Il eſt conſtant qu'à toures
les latitudes , & même fous l'équateur , la
chaleur diminue , & le froid s'augmente
à mesure que l'on s'éloigne de la furface
de la terre ; que les Pays fitués dans le
milieu des continens étant en général
plus élevés que ceux qui font vers les rivages
de la mer , éprouvent un froid plus
rigoureux , quoique fitués à la même
hauteur du pole ; enfin que les Pays font
plus ou moins froids , felon que leur terrain
eft plus ou moins élevé , plus ou moins
rempli de falpêtre , de fels fofiles & de
fel ammoniac. En parlant des climats ,
66 MERCURE DE FRANCE.
l'Auteur nous démontre que l'inégalité de
ceux de demie-heure, ne vient que de l'obliquité
du tropique , caufée par l'élévation
du pole , & que celle des climats de
jours , vient de la progreffion de la Terre
dans l'Eclyptique , qui eft toujours le milieu
du jour continuel quelque long, qu'il
foit. A l'égard des longitudes , il nous en
fait voir l'utilité . Dans la navigation elles
fervent à la conduite des Vaiffeaux , en
rendant leur route plus certaine . Dans la
Géographie elles contribuent à la perfection
des Cartes , dont il nous explique ,
la nature & les efpéces , les bonnes &
les mauvaiſes qualités , & les différentes
projections. On voit par ce qu'il nous dit ,
combien il eft difficile d'en conftruire de
parfaites , foit par l'inéxactitude des itinéraires
& des relations des voyageurs ,
foit par la longueur du temps qu'il faut
pour s'affurer de la précifion des obfervations
aftronomiques. Il nous fait enfuite
connoître les problêmes les plus curieux
de l'Aftronomie & les diftances itinéraires
des Anciens & des Modernes. Dans:
la divifion naturelle & Phyfique de la
Terre , M. de Mornas fait encore beaucoup
d'obfervations. Il regarde les montagnes
comme les liens qui forment la
Atructure du Globe , & les compare aux
NOVEMBRE. 1761. 67
côtes & aux os qui foutiennent le corps
de l'homme. Il les fait enfuite envifager
comme un effet admirable de la fagefle &
de la bonté de Dieu , par les avantages
qu'on en retire. En parlant des mers , il
fait obferver que la Méditerranée & la
Mer Baltique font pleines de goufres; que
la Mer Morte & la Méditerranée fe déchargent
dans la Mer Rouge par des canaux
fouterrains ; que la Mer Cafpierne
communique également par un pareil canal
au Golfe Perfique ; enfin que la Mer
du Sud , ou pacifique paroît beaucoup
plus haute que le Golfe du Mexique &
que l'Océan Occidental . Il expofe enfuite
en détail les différentes parties de la Mer
& de la Terre , les différens Gouvernemens
, les Religions , les Langues , & un
Tableau fort curieux de quantité de noms
Géographiques , qui en différentes langues
indiquent la fituation des lieux. On
voit par exemple , que le mot Altdorf en
langue Teutone fignifie vieux Village &
répond au mot François la Vienville. Bec,
en Normand & en anglo- Saxon , fignifie
ruiffeau , & indique qu'un lieu eft fitué
auprès comme Caudebec , Bec d'Ambez
, bec d'Allier , & répond au mot
Bach ou Pach des Allemands . Brica
Briva , Briga , en langue. Celtique ,
68 MERCURE DE FRANCE.
Bruck, en Allemand , Bridge en Anglois,
fignifie un pont , & indique que le lieu eft
fitué au paffage d'une rivière, fur un pont.
Dunum en Latin , Dun ou Down en
Anglois , Duynen en Flamand , ou Dunen
, ou Dinen en Saxon , indique qu'un
lieu eft fitué fur une hauteur. Fleur en
François , Fleat en Anglois , Fleet en Allemand
, fignifie qu'un lieu eft fitué près ·
de la mer. Conflant , Bec , Bouche , Cognac
, Cofne , Condé , Candé en François
, Mouth en Anglois , Mund en Alle--
mand , fignifie qu'un lieu eft à l'emboxchure
d'une rivière. Cette Carte eft plei--
ne de femblables recherches . M. de Mornas
nous donne enfuite en trois Cartestoute
la Théorie de l'air. Il explique les ·
propriétés de l'air , les effets de la refrac
tion , les caufes des différentes expériences
, la différence des vents , leurs caufes,
leurs directions , leur variation , leurs
bonnes & mauvaifes qualités ; enfin la
connoiffance , les caufes & les effets de
tous les météores: L'Auteur nous tranfporte
enfuite dans le Ciel , & nous donne
le détail de toutes lesconftellations , la manière
de connoître les principales Etoiles
dans le Ciel , les hauteurs du Soleil , les
caufes & les effets de la Parallaxe , la
Théorie des Cométes & celle des Plané
NOVEMBRE. 1761. 69
tes tant principales que fubalternes . Enfin
il termine fon Ouvrage par quatre Cartes
fur la diftribution du temps , fur les
Eres , fur les Olympiades, les Cycles , les
Périodes , & les Epoques . On peut regar
der cette première partie comme la production
la plus complette que nous ayons
en ce genre : elle eft de nature à nous
faire defirer la fuite de cette précieuſe
collection. En effet , le travail en eft immenſe
, la marche admirable , le plan
neuf , l'exécution parfaite , & par conféquent
l'acquifition néceffaire . La collection
entfère que l'Auteur fe propofe de
donner inceffamment peut tenir lieu de
Bibliothèque à bien des gens , puifqu'elle
contiendra une Hiftoire Politique , Militaïre
& Civile de l'Univers , une Chronologie
générale & une defcription exacte
de la Terre. Comme l'Auteur, vû les dépenfes
qu'il a été obligé de faire pour la
gravure de la première partie , ne peut
retirer les avances de long-temps , il fe
propoſe de donner les deux autres parties
par Soufcription. Nous aurons dans peu
occafion de parler du plan général de la
feconde partie qu'il va faire paroître inceffamment.
70 MERCURE DE FRANCE.
LA SCIENCE DU GOUVERNEMENT.
Noous avons déja annoncé le Ive Volume
de la Science du Gouvernement ,
fur le Droit naturel , dédié au ROI DE
POLOGNE.
Rien ne porte à la conviction comme
la jufteffe des comparaifons M. l'Abbé de
Burle à qui nous fommes redevables de
l'importante production de M. de Réal
fon oncle , s'écarte de la route ordinaire
de louer les Grands de la Terre . Diré à
un Roi qu'il eft généreux , libéral , affable
, bienfaisant , populaire , c'eft le lieu
commun des flatteurs ; mais former un
tableau qui manifefte ces qualités éminentes
, c'eft plaire au Prince avec autant
de décence que de certitude. Cette façon
de penfer a porté M. l'Abbé de Burle à
mettre fimplement la Tête du Roi auffi
reffemblante que bien gravée au Frontif
pice des Gouvernemens de l'Europe, avec
une Sentence prononcée par l'Oracle Divin
qui caractériſe ce grand Monarque ,
& pour ainfi dire l'apothéofe.
Tous les coeurs , toutes les voix fe réuniffent
fur le paralléle de Titus & de Staniflas
, également l'amour & les délices
NOVEMBRE. 1761. 71
des Peuples , ayant du regret de laiffer
paffer un jour fans le marquer par un
bienfait. Ce paralléle eft heureuſement
exprimé par quatre vers au bas du Portrait
du RoI DE POLOGNE.
Aux Héros bienfaiſans , jalouſes deſtinées ,
Vous retranchez en vain des États , des années
Titus & Stanislas auront fait moins d'heureux :
Mais l'un vit dans les cours , l'autre regne fur eux.
L'Épître dédicatoire à ce Prince eft
dans le même goût.
SIRE ,
M. de Réal , libre dans fes jugemens
affranchi de toute prévention de lieu &
de naiffance, écrit en habitant du Monde
qui cherche la vérité , qui aime fes femblables.
Avec cette liberté de penfer ,
SIRE , mon oncle a etabli les vrais prin
cipes du droit naturel , gravés dans le
coeur de Votre Majefté . Elle a prévenu
depuis longues années les fuffrages des
Puiffances de l'Europe ( a ) , dans un Mo-
(a ) Le Roi a donné des marques de fa fatisfaction
a l'Abbé de Burle le Roi d'Espagne de fa
générobité ; le Roi de Dannemarck de la bienveillance.
72 MERCURE DE FRANCE.
nument écrit de fa main ( a ) , à l'occafion
de trente - fix lettres qu'il eut l'honneur
de lui écrire. L'hommage que je fais à
Votre Majefté de ce Traité , eft une fuite
indifpenfable du zéle ardent & du plus
profond refpect de l'oncle & du neveu ,
SIRE,
DE VOTRE MAJESTÉ
Le très - humble, très- affectionné &
foumis Serviteur , l'ABBÉ DE
BURLE REAL DE CURBAN .
Dire à un Prince qu'il a les vrais principes
du Droit naturel , gravés dans fon
c'eft le plus grand des éloges. Pour ›
prifer cette élévation de fentimens , nous
fommes perfuadés qu'on verra avec fatiffaction
l'idée que M. de Réal donne du
Droit naturel.
IDÉE DU DROIT NATUREL.
Les régles de notre conduite ont une
fource primitive , où il eft néceffaire que
nous puifions des connoiffances qui fixent
(a) Je vous fuis bien obligé de votre exactitude ;
Rien n'eft fi beau que les écrits que vous m'envoyez
; je defire vivement d'en témoigner ma
reconnoiffance en toute occafion au très-digne
Auteur de ces Ouvrages,
notre
NOVEMBRE. 1761 . 73
notre entendement , & qui, en éclairant
notre esprit , déterminent notre volonté .
Pour juger des devoirs des Sujets envers
leurs Princes , des devoirs des Princes envers
leurs Sujets , & des obligations mutuelles
des hommes vivans dans les fociétés
civiles , ce qui eft l'objet de la
Science du Gouvernement , il faut d'abord
examiner les régles qu'avoient out
qu'auroient eu ces mêmes hommes vivans
dans l'égalité naturelle , & dans une indépendance
abfolue.
Les hommes ne vivent plus dans l'état
naturel ; ils n'ont même jamais vécu dans
l'état purement naturel ; & le droit naturel
eft néanmoins le premier principe de
leur conduite & la bafe de la Science du
Gouvernement. Ils ont renoncé à l'égalité
dans laquelle la nature les avoit fait
naître , & ils ont formé des Corps politiques.
Ils avoient des Droits , les ont- ils
encore? Ils étoient tenus de certains devoirs
, & ils ont contracté d'autres engagemens
. Quels font- ils ? Comme l'objet
de la Science du Gouvernement eft de
connoître ce que les hommes confidérés
dans ces corps moraux font obligés de
faire , ce qu'ils peuvent ou ne peuvent
point , ce qu'ils ont confervé de leurs
Droits naturels & ce qu'ils en ont cédé ;
D
74 MERCURE DE FRANCE.
ce qui leur eft refté de leur premiere liberté
& ce qu'ils en ont perdu , il faut
néceffairement remonter à la fource , &
examiner quels étoient leurs droits &
leurs engagemens dans l'état de nature ,
ce qui nous conduira à connoître quels ils
font dans l'état civil.
En parlant de l'état naturel dans ce
Traité , je n'entends pas parler , comme
l'on voit , de ce temps oppofé à celui de
la Loi écrite & à celui de la Loi de grace,
qui fourniffent des époques aux Chronologiftes
dans l'ordre de la Religion ;
car dans l'état naturel entendu de cette
manière ( a ) , il y avoit des fociétés civiles
, & les hommes ne jouiffoient par
conféquent plus des droits de la liberté
naturelle prife dans toute fon étendue.
L'état naturel dont je parle ici , eft celui
où l'on confidére les hommes hors de toute
fociété civile , libres de tous engagemens
contractés , & précifément tels que
la nature les fait naître.
L'homme naît dans la privation de toutes
chofes , dans les larmes , dans la douleur
, & il git d'abord dans un berceau
( a ) Voyez dans le Traité du Droit Eccléfiaftique
, l'idée de ce Droit , au I. Sommaire : Des
diverfes Loixfous lefquelles les hommes ont vécu
par rapport à la Religion .
NOVEMBRE . 1761 . 75
pieds & mains liés . Nous ne pouvons nous
représenter un homme qui feroit , pour
ainfi dire , tombé des nues , abfolument
abandonné à lui - même , fans reffource
dans les maux , fans appui dans les adverfités
, fans être ni favorifé de la Divinité ,
ni fecouru par fes femblables , que notre
imagination n'en foit éffrayée , & que
nous ne trouvions que cet homme feroit
extrêmement miférable . Enfant , il périra
infailliblement , à moins que , par une
forte de miracle, quelque bête ne lui donne
le fecours que la nature porte les bêtes
à donner aux animaux de leur efpéce ; &
s'il reçoit ce fecours imprévu & funefte ,
il fucera avec le lait la férocité de fa mère
nourrice . Homme fait , il fera nud ou
couvert de mouffe , fans ufage de la parole
, plein d'étonnement à l'afpect du Soleil
& de tout ce qui s'offrira à fa vue , environné
d'élémens qui concourent à le détruire
, attaqué par fes femblables , en
proie aux bêtes féroces , allarmé de tout ,
éffrayé au moindre bruit , livré à la triftelle
& à l'ennui , dans l'ignorance &
dans la défiance de fon fort , goûtant
pour appailer fa faim , de tout ce qui fe
fe préfentera devant lui , & fe défaltérant
de la premiere eau bourbeufe qu'il trouvera
, cherchant enfin à fe garantir des
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
injures de l'air , par fa retraite dans quel
que caverne ou dans le fond de quelque
épaiffe forêt. Quel malheureux genre de
vie ! Si , pour pouffer notre hypothèſe
plus loin , nous fuppofons que plufieurs
hommes fe trouvent à la fois dans cette
trifte & accablante fituation , & que quelques-
uns d'entr'eux fe rencontrent dans
un Pays défert , quel fecours fe donnerontils
les uns aux autres , également ignorans
, fans éducation , fans induſtrie ?
Pourroit- on n'être pas éffrayé de la feule
idée de la nature humaine confidérée en
elle - même , dans un abandonnement
total , dans la privation de tous les établiſſemens
infpirés à l'homme par la Divinité
, & de toutes les inventions purement
humaines !
Raffurons- nous pour le bonheur des
hommes. Jamais ils n'ont pu ſe trouver
dans cet état , pris dans toute fon étendue .
Un homme qu'un naufrage ou quelqu'autre
accident jette dans un défert ou dans
une Iſle inhabitée , ne fe trouve pas dans
toutes les circonftances de cet état purement
naturel que je viens de décrire . Il
conferve le fouvenir , & de l'induftrie
dont les hommes avec qui il a vécu lui
ont donné l'exemple , & de l'ufage des
commodités de la vie dont il a été le téNOVEMBRE.
1761 . 77
moin; il peut par là pourvoir en quelque
forte à fes befoins ; mais un enfant
exposé dans un défert , privé de tout ſecours
humain , y périroit infailliblement.
Graces à la Providence du Créateur ! Les
hommes en venant au monde font mis
entre les mains de leurs parens , par la
nature même , qui infpire aux pères le
foin de la confervation de leurs enfans ;
& le genre humain a eu des fecours qui
l'ont empêché de tomber dans cet état
terrible de mifére & d'abandonnement .
La Religion nous apprend que , par un
effet particulier de la Providence Divine ,
les premiers hommes apprirent de bonne
heure les arts les plus néceffaires à la vie ,
& que , portés par- là même , à la focialité,
ils fatisfirent à leurs befoins réciproques .
Il eft dit dans la Genèfe , que Dieu fit des
habits de peaux à Adam & à fa femme (a ),
c'eft- à dire , dans le langage Hébreu ,
qu'il leur enfeigna le moyen d'en faire.
Comment eft- ce que , deftitués de tout
inftrument de fer , ils auroient pu s'avifer
d'une telle invention , avant que la coutume
d'égorger les bêtes eût été établie ?
On peut inférer de - là que la Providence
( a ) Fecit quoque Dominus Deus Ada & uxori
jus tunicas pelliceas , & induit eos . Genef. III ,
21
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
Divine inftruifit les premiers hommes de
plufieurs autres chofes qui n'étoient ni
moins difficiles à inventer , ni moins
néceffaires à la vie. Dieu n'ayant pas
voulu que la terre produisit d'elle- même
ce qui étoit néceffaire à la fubfiftance
des hommes , & ayant expreffément -ordonné
à nos premiers parens de la cultiver
& de manger leur pain à la fueur de
leur vifage , il doit néceffairement leur
avoir enfeigné l'art de l'agriculture , la
nature des grains , le temps propre aux
femences , celui de recueillir la moiffon ,
la manière de faire du pain. Tout cela
n'auroit pu être découvert que fort tard ,
& il eft certain que les premiers enfans
Adam étoient laboureurs , & qu'ils
avoient par conféquent l'ufage du fer.
Ce que la Genèfe dit de Tubalcaïn , fils
de Lamech , qu'il peliffoit tout ouvrage
d'airain & de fer ( a ) , ne fuppofe point
qu'il fut l'inventeur de l'art de le forger ,
mais qu'il perfectionna cet art. Deux
Peuples différens qui tous deux ont por
té autrefois le nom de Chalybes , ont eu
la réputation , non d'avoir trouvé , mais
d'avoir perfectionné l'invention du fer.
Le premier eft une Nation de la Scy-
( a ) Tubalcain qui fuit malleator & faber in
cuncta opera aris & ferri, Genef. IV , 22 .
NOVEMBRE . 1761 . 79
thie qu'on prétend avoir la première
fouillé les mines de fer ; le fecond , une
Nation d'Efpagne fur les bords du fleuve
de Chalybes , qu'on nomme aujourd'hui
Cabbé , dont les eaux font excellentés
pour tremper le fer & pour en faire l'acier.
Sans doute , les premiers hommes
ont été inftruits par la Providence de
toutes les chofes néceſſaires à la vie .
Que fi dans la fuite quelques Peuples
furent dans l'ignorance de ces chofes ,
cela vint vraisemblablement de ce que ,
contraints par la violence des autres
hommes , d'abandonner des pays heureux
où ils en avoient l'ufage & de fuir
dans des pays déferts , ils ne purent les
y porter , ou négligérent de le faire. Les
anciens habitans de la Gréce ayant perdu
, on ne fçait par quel accident, l'ufa- .
ge du bled , vécurent long-temps de
glands & de fruits fauvages avant que
la connoiffance de l'agriculture fe renouvellât
parmi eux . Il n'eft pas aifé d'expliquer
au jufte , comment les hommes
perdirent le fouvenir des arts , pendant
les longues années de la barbarie où ils
furent plongés ; mais ce qu'on voit clairement
dans l'Hiftoire , c'eft que plus on
approche des lieux où les enfans de Noé
vécurent , plus on y trouve les Sciences
Div
So MERCURE DE FRANCE.
& les Arts dans leur perfection ; & que
plus on s'en éloigne , plus on les trouve
négligés ; de forte que , pour les rétablit,
il a fallu remonter à l'origine d'où ils
étoient partis.
Il eft conftant qu'aux établiffemens infpirés
par la Divinité , les hommes ajoutérent
plufieurs inventions ; que l'induf
trie humaine fut animée à la vue des
chofes que le Seigneur leur avoit apprifes
; que peu - à- peu les Arts fe perfectionnérent
; & qu'après avoir été comme perdus
, ils fe rétablirent. L'expérience &
l'induftrie , fi néceffaires aux befoins de
la vie , ne s'acquiérent que par la fucceffion
des fiécles. Cela paroîtra évident ,
fi d'un côté l'on fait réfléxion au temps
que les hommes ont employé à fe policer
, à inventer & à perfectionner les
Arts , & fi de l'autre l'on confidére que
plufieurs hommes n'ont contribué de quoi
que ce foit à cette invention , qu'ils ne
contribuent de rien à perfectionner les
chofes inventees , & qu'ils n'en comprennent
pas même le méchaniſme. Les
idées fe fuccédent , & les Arts ne s'inventent
que par imitation . Une premiere
idée renferme le germe d'une feconde
& celle- ci en fe développant , donne la
naiffance à une troifiéme , & ainfi de fuiNOVEMBRE.
1761. 8 .
te . C'eſt le caractère de l'efprit humain ,
il n'avance que par degrés dans fes productions
, femblable à la nature qui fait
& qui multiplie les fiennes , en s'imitant
& en fe répétant elle - même , lorfqu'elle
paroît le plus fe varier.
A toutes fortes d'arts & à toutes les
commodités de la vie , les hommes ajoutérent
l'établiffement des Sociétés civiles
qui en font la perfection. Que ne gagnerent
- ils pas à renoncer à une partie de
leur liberté & à fe donner des maîtres ?
Sous la garantie des Loix , nous pouvons
fans crainte voyager dans toutes les par
ties du monde habitable ; dans les pays
étrangers , fur la foi du droit des gens ,
dans le nôtre , fur la foi des Ordonnances
Royales. Elles font nos gardes pendant le
jour , nos fentinelles pendant la nuit, nos
efcortes fidelles en tout temps & en tout
lieu . En quelqu'endroit du Royaume que
je me tranfporte , je vois par - tout le Sceptre
de mon Roi qui affure ma route , qui
tient tout en reſpect , tout en paix , les
laboureurs dans les campagnes , les voyageurs
dans les forêts , les artifans dans les
villes , les marchands fur la mer. Il femble
que toutes les paffions foient défarmées .
le coeur peut bien encore recevoir fecreetement
quelques impreffions rebelles , mais
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
le bras retenu par la crainte , n'oſe plus
les fervir à leur gré. Semblable à ces tortens
qui coulent entre des montagnes , il
faut que les paffions fe refferrent dans leur
enceinte. S'il en eft quelqu'une qui déborde
encore malgré la digue que lui oppofent
les Loix , elles la font rentrer à l'inf
tant dans fon lit , pour ne plus défoler
que
fon propre terrein , ou du moins pour
ne caufer au dehors aucun ravage confidérable.
Que de mifère dans l'état purement naturel
! Que de grandeur dans les établiffe-.
mens infpirés aux hommes par la Divinité
& dans les inventions purement humaines
!
Les hommes ne peuvent être fans régle
dans cet état d'excellence où Dieu les
a mis . Il faut qu'ils en ayent une qui leur
préfente des principes fixes de conduite ,
& ils l'ont. C'eft dans les Loix qu'ils la
trouvent ; & comme la Loi naturelle eft
la première de toutes, & le fondement de
celles que les hommes ont établies , c'eſt
la Loi naturelle que je commencerai
l'explication de toutes les Loix .
par
La Loi naturelle eft une régle que la droite
raifon montre aux hommespour diriger
leurs actions , & pour leur faire
NOVEMBRE. 1961 . 83
appercevoir ce qui eft jufte & équitable
, foit qu'ils vivent en particulier ,
foit qu'ils foient membres d'un Corps.
La raifon toute pure a pofé les fondemens
de ce Droit , pour la fûreté du genre
humain & la nature même eft l'auteur
de cette régle, laquelle, dans fon origine ,
n'a d'autre livre que les efprits & les coeurs.
La philofophie morale eft proprement la
ſcience de l'homme , celle qui lui apprend
à fe connoître , à fe conduire , à fe rendre
utile à la Société . C'est la jufte application
des moyens propres à la fin que nous devons
nous propofer. C'est la proportion
des objets avec nos idées , la convenance
entre les actions & les objets de ces actions.
C'est l'impreffion de la lumière de
la raifon fur ce que nous devons à Dieu ,"
à nous-mêmes , & aux autres hommes.
Cette régle eft droite comme la raifon
qui la contient , parce qu'elle enfeigne le
chemin le plus court pour arriver au but
qu'on doit fe propofer. On Fappelle de
ce nom à caufe de la reffemblance naturelle
qu'elle a avec la ligne droite qui .
eft la plus courte entre deux points ; &
c'eft ainfi que les actions , étant comparées
avec la Loi qui eft la régle des moeurs,
font dites moralement bonnes ou droi
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
tes , fi elles s'y trouvent conformes .
Ce droit naturel eft divin , puifque Dieu
eft l'Auteur de la Nature , & que nous ne
tenons pas moins de lui la raifon que la
vie; que fa fageffe eft la régle de la raifon
en qui elle exifte éternellement ; &
qu'il eft cette lumière infinie & immuable
qui fe donne à tous fans fe partager ,
cette vérité fouveraine & univerfelle qui
éclaire tous les efprits , comme le foleil
éclaire tous les corps . La Loi naturelle
fondée fur la Raifon eft éternelle & immuable
comme la Raiſon .
רככ
» Nos plus grands Philofophes ont
penfédit Ciceron ) que la Loi n'eſt
point une invention de l'efprit humain,
ni un Réglement fait par les hommes ,
mais quelque chofe d'éternel qui régle
» l'Univers par la fageffe de fes commandemens
& de fes défenfes . Selon eux
cette première & dernière Loi eft l'ef-
» prit de Dieu même , dont la fouveraine
raifon fait faire ou empêche qu'on ne
faffe tout ce qui fe fait ou ne fe fait
point. C'eft de cette Loi que tire fa fageffe
celle que les Dieux ont donnée
au genre humain , laquelle n'eft autre
chofe que l'efprit du Sage , qui fçait
commander le bien & défendre ce qui
NOVEMBRE. 1761. ૪૬
35 y eft contraire ....... ( a ) Il y a une
raifon rapporte - t- il plus loin ) fondée
fur la nature même , qui porte au bien
» & qui détourne du mal ; & cette rai-
» fon a force de Loi , non -feulement du
» jour qu'elle eft redigée par écrit , mais
» dès l'inftant qu'elle commence à rayon-
» ner: or il eft dubitable qu'elle a com-
» mencé avec l'efprit de Dieu même ;
» c'eft pourquoi la Loi proprement dite ,
» la première & la principale Loi , celle
qui a vraiment pouvoir de commander
» & de défendre , eft la droite Raifon de
» Dieu même ( b ) . Cette Loi ( ajoute - t - il
( a ) Hanc igitur video fapientiffimorum fuiffe
fententiam : legem neque hominum ingeniis excogitatam
, neque fitum aliquod effe populorum , fed
aternum quiddam quod univerfum mundum regeret,
imperandi prohibendique fapientia. Ita principem
legem illam & ultimam mentem effe dicebant , omnia
ratione aut cogentis aut vetantis Dei : ex qua
illa lex quam Dei humano generi dederunt, rectè eft
laudanda . Cicer . de Legib . Lib . II .
( b ) Erat enim ratio menfque fapientis , ad jubendum
& ad deterrendum idonea .... Erat
enim ratioprofecta à rerum naturâ & ad rectè faciendum
impellens & à delicto avocans : quæ non tum
denique incipit lex effe cumfcripta eft ; fed tunc cum
orta eft : orta autem fimul eft cum mente divinâ ,
quamobrem lex vera atque princeps apta ad juben-,
dum & ad vetandum ratio eftfummi Jovis, Cicer.
de Legib. Lib. II.
86 MERCURE DE FRANCE.
"
و د
» ailleurs) , n'eft pas écrite au dehors, mais
» elle eft imprimée au- dedans de nous ,
» elle n'a été ni apprife ni reçue , mais
» plutôt prife , puifée , & tirée du fein
» même de la nature ( á ) . De toutes les
» chofes qui font matière d'entretien en-
» tre les fçavans ( dit auffi ce même Phi-
"
"
lofophe ) il n'y en a conftamment aucu-
» ne de plus éffentielle, que de bien com-
» prendre que nous fommes nés pour la
Juftice , & que le Droit n'eft point un
» établiffement de l'opinion , mais de la
» nature ; ( c'est - à - dire , fuivant le langa-
» ge de ce temps -là , de la raiſon ; ) cette
» vérité devient évidente ( ajoute - t - il en-
" core ) fi l'on jette les yeux fur les
fur les rap-
" ports d'égalité & de raiſon qui font en-
» tre les hommes ( b ). »
Je rapporte ces longs paffages , parce
qu ' eft utile qu'on voie ce que les Payens
( a ) Hæc eft enim non faca fed nat : lex quam
non didicimus , accipimus , legimus , verum ex naturâ
ipfa arripuimus , haufimus , expreffimus , ad
quam non docti , fed facti ; non inflituti ,fed imbuti
jumus. Cicer. Orat . pro Mil.
( b ) Sed omnium quæ in hominum doctorum difputatione
verfantur , nihil eft profectò præftabilius
quàm planè intelligi nos ad juftitiam effe natos , neque
opinionefed naturâ conftitutum effe jus . Id enim
patebit fi hominum inter ipfos focietatem conjunctionemque
perfpexeris . De Legib. Lib. I.
NOVEMBRE . 1761. 87
ont penfé de la Loi naturelle , en même
temps qu'on lit ce que les Chrétiens en
difent , afin que les efprits attentifs connoiflent,
dans le rapport de ce que les uns
& les autres enfeignent , combien eft court
le chemin de la Philofophie au Chriftianifme
. Si l'on retranche la pluralité des
Dieux , des expreffions qu'ont employé
dans leurs Ouvrages les plus éclairés d'en-.
tre les Philofophes du Paganifme , il n'y
en rette point dont les Chrétiens ne puiffent
fe fervir .
Qu'un grand Philofophe de nos jours
ait prétendu qu'il n'y a aucune idée innée ;
qu'il l'ait prouvé même , fi l'on veut , cela.
ne fait rien au fyftême que je développe
ici . Ce Philofophe a déclaré qu'il ne prétendoit
pas qu'il n'y eût que des Loix pofitives
. Il a uniquement voulu mettre de.
la différence entre une Loi innée & une
Loi de nature , entre une vérité gravée
originairement dans l'âme & une vérité,
que nous ignorons , mais dont nous pou-,
vons acquérir la connoiffance en nous
fervant , comme il faut , des facultés que
nous avons reçues de la nature ; & il a
fimplement foutenu que ceux qui fuppofent
une Loi innée, & ceux qui nient qu'il
y ait aucune Loi qui puiffe être connue
par la lumière de la raiſon , c'eft à- dire
88 MERCURE DE FRANCE.
fans le fecours d'une révélation poſitive ,
fe trompent également ( a ).
La perfuafion où nous fommes de l'exiſtence
d'un Dieu fage, bon,tout - puiffant ,
nous doit faire faire cette réfléxion : que
dépendans de cet Etre fouverain à l'égard
de notre exiſtence , nous en dépendons
auffi à l'égard de nos actions ; & que nous
fommes obligés de pratiquer tous les devoirs
qui font compris fous le nom de religion
naturelle. Jamais la Divinité ne
m'a parlé elle- même ( peut fe dire chaque
homme ) mais ne me parle -t- elle pas par
l'entremise de ma raifon ? Je dois donc
écouter cet interpréte fidéle , le feul
le feul que
je connoiffe jufqu'ici .
Les différentes Loix , je l'ai expliqué
ailleurs ( b ) , ne font que la Loi naturelle
appliquée aux hommes avec les modifications
convenables aux fituarions où ils
fe trouvent. Le Droit Civil , le Droit Pablic
, le Droit Eccléfiaftique , le Droit des
Gens , ont leur fondement dans le Droit
naturel. Aux preuves que j'en ai données,
j'ajouterai ici celles qui fe tirent de la
Religion révélée .
( a ) Locke , Effai fur l'entendement humain
Liv. I , Chap . II , v . 13 .
b ) Dans l'idée générale de la Science du
ouvernement qui eft à la tête de l'Introdu&t.
NOVEMBRE. 1761 . 89
Nous trouvons la Loi naturelle dans
celle que Dieu donna à nos premiers parens.
Adam , créé dans l'état d'innocence
, avoir les idées du bien & du mal
avant fa chûte . Il ne pouvoit comprendre
les ordres de Dieu , fans voir de l'honnêteté
dans l'obéiffance , & de la turpitude
dans la dérobéiffance. Le Législateur ,
dans la première Loi qu'il donne à Adam,
fuppofe que l'homme s'aime lui - même ,
puifque cette Loi eft fondée fur des promeffes
& fur des menaces. On lui propofe
le bien & le mal. On l'éclaire pour
connoître l'un & l'autre. On l'engage à la
reconnoiffance que la nature elle - même
nous preferit. Dieu lui demande un hommage
pour les faveurs qu'il lui accorde ,
& cet hommage confifte à s'abstenir de
manger du fruit d'un feul arbre. On lui
prefcrit le devoir de fa confervation . Au
jour que tu en mangeras , lui dit on , tu
mourras de mort ( a ) . C'eſt la Loi naturelle
accommodée à l'état où Adam fe trouvoit
alors . On ne pouvoit pas encore lui
défendre l'ufage des idoles qui lui étoient
inconnues , ni de blafphémer le nom du
Seigneur, lorsqu'il ne faifoit que commencer
de le bénir ; ni de tuer fon prochain
( a ) Genef. Chap . II , v.17 .
go MERCURE DE FRANCE .
qui n'exiftoit point encore ; ni de commettre
adultère, lorfqu'il n'y avoit qu'une
feule femme'; ni de dérober , dans un
temps où toutes chofes lui appartenoient,
ni de porter faux témoignage , quand il
n'en pouvoit porter que contre lui - même
; ni de convoiter , puifque toutes chofes
étoient à lui. Mais lorfque les hom
mes fe furent multipliés fur la terre , comme
ils changerent d'état , Dien retraça de
temps en temps la Loinaturelle & la donna
aux hommes.
Les Ifraëlites avoient été délivrés de la
captivité d'Egypte par le Seigneur. Le fu
prême Légiflateur s'enveloppe , pour ainfi
dire , de cebienfait , pour les porter à l'òbéiffance
qu'ils lui devoient. Jefuis le Sei
gneur ton Dieu , qui t'ai retiré hors du
pays d'Egypte,de la maifon de fervitude.
Tu n'auras point , ( a ) &c . On voit bien
que ce motif eft particulier aux Ifraëlites ,
& qu'il n'a pas la même force fur le coeur
des hommes qui n'ont point eu de part
cette délivrance. Le Décalogue eft l'abrégé
du droit naturel , & tous les principes
de l'Ancien Teftament n'en font que l'explication
proportionnée à l'état & aux befoins
du Peuple d'Ifraël. Les grands motifs
( a ) Exod . Chap. XX , v. 2 .
NOVEMBRE. 1761
qui foutiennent cette Loi font les béné
dictions & les malédictions temporelles ,
parce que le temps n'étoit pas encore venų
de révéler clairement la vie & l'immortalité
bienheureuſe en Jefus- Chrift.
Si la Loi de Moyfe étoit la Loi naturelle
accommodée à l'état de la nature
périffable , la Loi de J. C. eft la Loi naturelle
accommodée à l'état de Chrétien
& d'homme immortel . Cela paroît allez
par l'économie des deux Loix . Sous l'ancienne
, Dieu ne femble fe manifefter que
pour ouvrir les abîmes de la terre , pour
embrafer les montagnes , pour menacer
les corps de fes Jugemens , ou pour exécuter
les Arrêts de fa Juftice fur la nature
périffable . Sous la nouvelle , on voit des
hommes méprifer la rigueur des élémens
& la perfécution des hommes , foufftir
avec autant de conftance que s'ils fouffroient
dans un corps emprunté , tranf
portés de joie au milieu du fen qui les
confume , & triomphant de voir diffoudre
ce compofé que les autres hommes
confervent fi précieuſement . Pourquoi
cela ? parce que ces hommes animés de
Pefprit de Dieu , font foutenus par l'idée
de l'éternité que la miféricorde de Dieu
leur a fait connoître diftinctement.
L'Evangile a tout réduit à la première
92 MERCURE DE FRANCE
inftitution , au Droit Naturel . Dans l'ancienne
Loi Dieu avoit prefcrit plufieurs cérémonies
pour retenir dans le devoir une
nation indocile & attachée aux chofes
fenfibles ; & le Droit que Dieu donna à
fon Peuple du temps de Moyfe , renferme
plufieurs chofes au-delà du Droit Naturel
, lefquelles n'étoient fondées que fur
le bon plaifir de Dieu . Mais il n'y a rien
dans l'Evangile qui ne foit de Droit Naturel,
fi on en excepte les vérités qui font
l'objet de notre foi , l'ufage des Sacremens
qu'il a établis , beaucoup de pratiques
qu'il ordonne ou qu'il confeille , dont
le Droit Naturel n'éxigeroit pas l'exercice
, quoiqu'elles foient très - conformes à
l'honnêteté naturelle , & quelques autres
obfervances que J. C. a interdites , & dont
le Droit Naturel ne nous éloigneroit pas
abfolument, quoique la raifon toute feule
fuffife à montrer qu'il eft mieux de s'en
abstenir que de fe les permettre
.
Le reste au Mercure prochain.
NOVEMBRE . 1761. 93
ÉLOGE
HISTORIQUE de Monfeigneur
LE DUC DE
BOURGOGNE , par
M. LEFRANC DE POMPIGNAN ,
de l'Académie Françoife. A Paris ,
de l'Imprimerie Royale , in- 8 ° .1761 .
' ÉPITRE Dédicatoire , l'Avertiffement
& le corps de l'Ouvrage font les trois
parties de cette Brochure intéreffante ,
qui méritent chacune féparément , d'arrêter
les regards & de fixer l'attention de
nos Lecteurs.
""
L'Épitre eft adreffée à MONSEIGNEUR
ود
LE DAUPHIN & à MADAME LA DAUPHINE.
C'est par leurs ordres que l'Auteur leur
préſente un Ouvrage dont ils avoient daigné
entendre la lecture , & qu'ils avoient
honoré de leur approbation . » C'eft , dit
» M. de Pompignan , c'eft l'Histoire &
l'éloge d'un Prince que vous pleurez
» encore , parce que c'étoit votre fils , &
» que la France pleurera toujours , parce
qu'il vous eût reffemblé ....... C'eft
» la première fois qu'on a écrit la vie d'un
» enfant de neuf ans ; mais c'eft la premiè
» re fois auffi qu'une vie de neuf ans a
mérité d'être écrite. Celle- ci.... fera
"
ود
94 MERCURE DE FRANCE.
ود
ود
35
» l'étonnement de nos neveux , & embel-
» lira les Faftes de la première Maiſon de
l'Univers. Il étoit réservé à cete Maiſon ,
» fi féconde en Héros de tous les genres ,
de nous offrir encore de nouveaux modéles
d'héroïfme , dans les enfans même
qu'elle produit .... Ce doit être un
foulagement à votre douleur , d'imagi-
» ner , en vous rappellant celui qui en eft
l'objet , que vous - même le propoſerez
» pour exemple à vos arrières- petits- fils ,
» & que l'Hiftoire de fa courte vie fera
» éternellement l'école des jeunes Princes
» de votre poftérité.
98
အ
»
95
"3
L'Auteur s'adreffe enfuite à MADAME
LA DAUPHINE , & lui dit : » C'eft fur vous
qu'il tourna fes derniers regards ; c'eſt
à vous qu'il adreffa fes dernières paro-
» les .... Vous ne trouverez l'adoucife-
» ment de vos regrets , que dans vos ver-
» tus , & dans celles de l'augufte époux à
qui vous avez donné cette précieuſe famille
, où le réuniffent vos confolations.
nutvélles , notre efpérance & notre
"félicité . Fille de ces Princes belliqueux ,
» qui diſpurécent fi longtemps à Pepin &
à Charlemagne les plus nobles Provin-
» ces de la Germanie , vous avez mêlé au
plus beau fang du monde , le fang illuffre&
courageux des Héros Saxons . Ils
""
و د
19
NOVEMBRE . 1761 195x
و د
ور
Vous ont appris à fupporter avec fermeté
» les malheurs de la condition humaine .
» Élevée par une mère magnanime , qui a
» mérité les larmes & l'admiration de tou-
» te l'Europe , vous trouverez dans votre
» nouvelle Patrie , & dans la Cour d'un
» Roi qui vous chérit comme fa fille
», une autre mère auffi tendre & auffi ver-
» tueufe , qui fait fon bonheur du vôtre ,
» & de celui de tous fes enfans . C'eft dans
» les charmes de cette fociété Royale ,
» & bien douce , que des mains chéres
» éffuyeront vos pleurs , & c.
,
Cette Epître auffi noble qu'attendrif
fante , eft fuivie d'un avertiffement fur la
certitude des Mémoires qui ont fervi à
la compofition de cet Eloge Hiftorique .
On fçait combien on exagere ordinairement
dans tout ce qu'on dit des talens
extraordinaires , & des qualités rares des .
enfans, & furtout des enfans des Princes.
Ce n'eft point fur de pareils matériaux qu'a,
été fait l'Eloge de M.le DUC DE BOURGOGNE.
Quoique ce Prince eût beaucoup d'efprit,
on n'a répété de lui ni épigrammes , ni
bons mots; mais il ne difoit ni ne faifoit
rien qui ne fût un trait de caractère ;
& c'est à quoi on s'eft attaché principalement
dans le détail des faits qu'on
nous remet fous les yeux. Larfqu'il a fallu
96 MERCURE DE FRANCE.
citer fes propres paroles , on s'eft impofe
la loi de les rapporter fans aucun changement
, & fans la moindre altération ,
telles qu'elles ont été confervées par les
perfonnes qui avoient eu le bonheur de
lés recueillir de fa bouche.
C
Au récit des faits , M. Lefranc de Pompignan
mêle fouvent des réfléxions qui
les précédent ou qui les fuivent. Dans
l'extrait que nous allons en faire , nous
choifirons les traits les plus intéreffans .
"
On entretenoit un jour Mgr LE DUC DE
BOURGOGNE des haures qualités du Roi fon
Ayeul, & de la maladie qu'il avoit élluyée
à Metz. » On lui peignoit des couleurs les
plus vives & les plus vraies , cette épo-
» que attendriffante, cette défolation uni-
» verfelle, qui n'eût pas été plus grande fi
» l'Ange de la mort eût menacé la France
» entière. Ces témoignages d'affection fi
« éclatans & fi extraordinaires, que pour en
» bien juger , il faut en avoir été témoin ;
» on lui apprenoit furtout que ce fut en
» cette occafion que les François donné-
» rent à leur Roi ce nom précieux , ce
» titre unique , né du fein de la douleur
» & de la joie, & formé par acclamation.
» Ce récit l'échauffoit , le tranfportoit.
Ah!
que le Roi , s'écria -t - il , dut êtrefenfible
à sant d'amour , & que j'acheterois
volontiers
و د
NOVEMBRE . 1761. 97
volontiers ce plaifir au prix d'une pareille
maladie .
Le jeune Prince , continue l'Auteur ,
poffédoit fupérieurement la Langue Françoifeil,
la parloit avec une correction
& une pureté qui étonnoit. Clair & concis
dans tout ce qu'il difoit , il vouloit ..
qu'on s'énonçât avec netteté & préciſion
lorfqu'on avoit l'honneur de lui parler.
Sa délicateffe fur cet article étoit extrê
me. Il fe contraignoit pour ne pas marquer
une forte d'impatience quand on
lui parloit , ou qu'on lui expliquoit quelchofe
d'une manière obfcure.
que
On avoit préfenté à Mgr le Duc de
Bourgogne une Table chronologique de
tous les Rois de France, depuis la fondation
de la Monarchie. Les Hiftoriens qui
remontent jufqu'à Pharamond, en comptent
ordinairement foixante- cinq. Il fe
figura que tous ces Rois étoient les ayeux ;
& l'on remarqua que fon coeur s'en élevoit
fenfiblement. Le Duc de la Vauguyon
crut qu'il étoit bon de lui dire
qu'on n'avoit point de preuves que les
Rois de la troifiéme Race defcendiffent
de la première , ni même de la feconde.
Il en parut étonné , & répondit avec
une forte de dépit : Au moins, Monfieur,
je defcends de S. Louis & de Henri IV.
E
98 MERCURE DE FRANCE
Ce Prince jouoit un jour tête-à-tête
avec un de fes Sous- Gouverneurs. Il y
cut un coup douteux & qui méritoit d'être
décidé. Le Duc de Bourgogne foutenoit
avec chaleur qu'il avoit gagné ; le Sousgouverneur
de fon côté foutenoit la
même chofe ; & pour éprouver le Prince,
il affectoit autant d'ardeur & d'obftination
que lui. Vous croyez avoir raifon ,
lui difoit-il , & moi auffi . Qui eft- ce qui
cédera ? Ce fera vous , repliqua le Duc
de Bourgogne d'un ton un peu altéré ;
& tout de fuite prenant un air ferein , il
ajouta : parce que vous êtes le plus raifonnable.
On voulut dans une occafion lui faire
honneur d'un de fes avantages remportés
fur lui-même ; on écrivit fur un papier :
Monfeigneur le Duc de Bourgogne fera
un grand Prince ; il commence à maîtrifer
fes paffions. On avoit mis l'écrit
fur fon bureau. A peine avoit-il achevé
de le lire , qu'on vint l'avertir que Mgr
le Dauphin le demandoit. Il prend le
biller , le met dans fa poche , & n'eft
pas plutôt arrivé fur le degré , qu'il le
laiffe adroitement tomber derrière lui.On
s'en apperçoit ; & comme on lui en demanda
la raiſon : C'eft , répond-il , que
quelqu'un trouvera ce papier , le ramaf
NOVEMBRE. 1761 99
fera , lira ce qu'il contient , & le répandra
dans le Public. Ce jeune Prince aimoit
la célébrité que donnent la gloire &
le mérite. Il fouhaitoit qu'on parlât de
lui en bien ; & c'eft une preuve qu'il af
piroit à bien faire.
Mais s'il étoit fenfible à la louange
juſte & méritée , il haïſſoit & mépriſoit
la flatterie. Quelqu'un s'avifa de lui donner
des éloges qui fentoient l'adulation .
Monfieur, lui dit -il , vous me flattez , je
n'aime point qu'on me flatte , & le foir
en fe couchant il dit à fon Gouverneur :
ce Monfieur meflatte ; prenez garde à lui
M. de la Vauguyon lui avoit demandé
lequel de fes trois garçons de la cham
bre il aimoit le mieux ? C'eft un tel , ré
pondit-il , parce qu'il ne me paffoit rien
dans mon bas áge , & qu'il alloit redire
tout ce que je faifois de mal , afin que
L'on me corrigeát.
La médifance lui déplaifoit fouverainement.
Quelqu'un parloit affez mal devant
lui d'un homme dont la naiſſance.
méritoit des égards. Il le fit approcher &
lui dit : Je trouve fort mauvais que vous
parlier ainfi devant moi d'un homme de
condition , n'y revenez plus.
M. le Duc de Briffac , que le Prince
aimoit & eſtimoit infiniment , lui dit un
E ij
Zoo MERCURE DE FRANCE. -
jour ; Monfeigneur à votre première
campagne , je vous demande d'étre votre
Aide de Camp. Non , Monfieur le
Duc , répondit le Prince , vous ferez alors
Maréchal de France , & vous me donnerez
des leçons.
A
•
Le ministère de M. de .... donnoit
les plus belles efpérances , dit M. de
Pompignan les premières opérations
avoient répandu la joie & ranimé le
crédit. Dans ces commencemens , il eut
une maladie qu'on crut d'abord férieuſe ,
& qui ne dura pas. Le jeune Prince qui
l'entendoit louer tous les jours , & par
toutes les bouches , & de toutes les façons
, parut très- inquiet fur fon compte.
Il s'informoir fouvent & avec grand foin
de fes nouvelles. On étoit furpris d'une
attention fi marquée , & on lui en demanda
le motif. Rien de plus fimple ,
répondit- il , j'entends dire à tout le monde
qu'il fert bien le Roi & l'Etat.
r Quand on annonça à M. le Duc de
Bourgogne qu'on devoit ouvrir la tumeur
qu'il avoit au haut de la cuiffe , il
n'en fut ni furpris ni éffrayé. Je m'y attendois
, dit il froidement ; j'avois entendu
dire il y a quelque temps à M. Senac
qui dans ce moment me croyoit endormi
, que je ne m'en tirerois que par une
opération ; je n'en ai point parlé , de
NOVEMBRE. 1761 101
peur qu'on ne crit que cela'm'inquiétoit.
Donnez-moi cependant un demi quart
d'heure pour prendre mon parti. Il voulut
voir les inftrumens dont on fe ferviroit;
il les confidéra, les mania avec un fangfroid
admirable, & s'abandonna tranquillement
aux apprêts & aux rigueurs de l'opération. "
Dans un des premiers jours qui la ſuivit , le
Prince fe trouvoit beaucoup mieux ; il
écrivit à Monfeigneur le Dauphin ce billet
remarquable : » Je commence à me
» mieux porter , je vous prie de me per-
» mettre de continuer mes études ; j'ai
grand peur d'oublier & grande envie
» d'apprendre. Il ne voulut point écrire
cette Lettre , fans en prévenir fon Gouverneur.
M. de la Vauguyon , lui dit- il ,
je vous prie de me permettre d'écrire une
Lettre à quelqu'un , & de ne la pas lire."
Je le veux bien , lui répondit M. de la
Vauguyon ; parce que je fçais que vous
étes très-raifonnable , & que j'ai grande
confiance en votre fageffe. Il l'écrivit; &
comme il étoit au moment de la cacheter ,
il appella M. de la Vauguyon & lui dir :
tenez, voilà ma Lettre ; lifez-la ; je ne
puis me réfoudre à avoir un fecret pour
yous ..
»
Plus de quatre mois après l'opération ,
le jour de la S. Louis , il fe trouva aflez
E iij .
702 MERCURE DE FRANCE.
bien pour s'habiller. Il alla chez le Roi &
chez la Reine ; mais il revint dans fon
Appartement fort fatigué. On lui propofa
de fe mettre dans fon lit , ou du moins à
fon aife , & en robe de chambre. Non
dit- il,je veux recevoir la Ville de Paris ;
cela convient.
•
Cependant le mal avoit fait fecrettement
dans fon corps des progrès & des
ravages mortels. Pour le difpofer au double
facrifice de fa vie & d'une Couronne
temporelle , M. l'Evêque de Limoges ,
fon Précepteur , lui fit lire la Paffion de
Wotre Seigneur dans Evangile de S.
Jean . Quand on en fut à ces paroles , mon
Royaume n'eft pas de ce monde , le Prélat
lui dir que ce paffage le regardoit ; qu'il
n'y avoit plus pour lui de Royaume fur
la tèrre ; qu'un autre régneroit à fa place ;
que le Ciel étoit déformais le feul Empire
auquel il dût penfer. Il fut un peu etonné
de ce difcours , mais fans douleur ni foibleffe
: C'en eft fait , dit - il , vous te
voulez, o mon Dieu ! Je me foumets à votre
volonté. Mon Royaume n'efl pas de
ce monde. Il n'y penfa plus.
Cependant l'heure fatale approchoir.
Le moment eft venu , dit le Prince ; donnez-
moi le Crucifix. Il le prend , & colle
fes lévres mourantes fur le figne adorable
NOVEMBRE. 1761. 103
du falut. Son facrifice fe confomme ; il
va tout quitter & ne regrette rien. Que
dis-je la nature , de l'aveu même de la
Religion , exige encore de lui un tribut &
des adieux ! Ses regards femblent attirés
par un objet invifible ; & foit qu'il cherchât
des yeux cette mère augufte qu'il
avoit tant chérie , & qu'il laiffoit fur la
tèrre ; foit que par l'effet d'une imaginagination
frappée , il crût la voir réellement
, il s'écria d'une voix animée : Ah!
maman ! maman ! c'étoit l'éffor d'une
âme qui rompt fes liens. Il répéta encore
une fois ces expreffions & tendres , fit un
Acte d'amour de Dieu , & rendit le dernier
foupir.
翦
Jufqu'à préfent l'Auteur a couvert d'un
voile l'accablement affreux où étoient
plongés Monfeigneur le Dauphin & Madame
la Darphine.Il ouvre enfin le rideau,
& les expofe aux regards refpectueux de
tous les hommes fenfibles. » A fix heu-
» res du matin , le Duc de la Vauguyon
paffa chez le Roi. Sa Majefté n'étoit
que trop préparée à la funefte nouvelle
qu'on venoit lui annoncer. Elle ordon-
» na au Duc de defcendre chez Monfei-
» gneur le Dauphin ; il s'y rendit fur le
champ , & fit dire au Prince que Mgr.
le Duc de Berry fe portoit bien , & que
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
1
"
30
ود
» le Duc de la Vauguyon étoit là . Ce
" peu de mots fignifioient tout. Le pre-
» mier effet qu'ils produifirent fe conçoit,
» mais ne ſe rend pas. Cependant le Roi
vint chez Madame la Dauphine , qui
» tomba fans connoiffance dans fes bras.
Monfeigneur le Dauphin paroît ; on
» amène le Comte de Provence & le Comte
d'Artois. La Reine arriva ; Mefdames :
a l'avoient précédée ;. toute la Famille
» Royale étoit dans le même lieu . Quels
» objets majestueux & touchans ! quel
» fanctuaire de douleur ! Les petits Princes
fondent en larmes ; leur mère évanouie
; fon augufte époux renversé dans
» un fauteuil , la tête appuyée fur le fein
du Duc de la Vanguyon , fans couleur ,,
fans paroles , fans pouls , fans refpira-.
» tion , & dans un état fi violent , frextraordinaire
, que quelques minutes de
" plus pouvoient le rendre dangereux .
» Le Roi & la Reine occupés à fecourir
» leurs enfans, la tendreffe conjugale , l'a-.
» mour paternel & filial , l'affection fra-
» terneile , tous les fentimens de la na-
» ture déployés & agiffant à la fois fur
» tant de perfonnes royales , qui mêloient
»enfemble leurs gémiffemens & leurs confternations.
"
Ceft par ce morceau touchant & patheNOVEMBRE
. 1761. TOS
tique que M. de Pompignan termine l'Eloge
Hiftorique de Mgr le Duc de Bourgogne.
Tout ce que le fentiment a de
plus tendre y eft exprimé dans la plus noble
fimplicité. On y apprend aux François
ce qu'ils ont perdu , aux enfans des
Rois ce qu'ils doivent imiter . C'eft plutôt
ici un tableau qu'une hiftoire ; mais le tableau
des qualités qui font le bonheur des
Peuples , eft préférable à l'hiftoire des actions
qui les rendent malheureux .
PROSPECTUS d'un Ouvrage intitulé
FLORA DANICA , avec une planche qui
repréſente le RU BUS CHAMAMORUS.
M. l'Envoyé de Dannemarck nous a communiqué
ce Profpectus , en nous priant
d'en faire mention dans le Mercure. On
y verra avec quel foin un Roi pacifique
& bienfaifant s'applique à ranimer les
talens qu'il protége , & à faire fleurir les
Sciences jufqu'aux extrémités du Nord.
*
Il y a quelques années que le Roi de
Dannemarck établit à Coppenhague
dans fon Palais un Jardin de Botanique ,
où doivent fe trouver toutes les efpéces
de plantes qui croiffent en Europe. En
attendant que l'on donne une defcrip--
tion exacte de toutes ces différentes's
106 MERCURE DE FRANCE.
plantes , Sa Majefté Danoife a ordonné
à M. Oder , Docteur en Médecine , &
Profeffeur Royal en Botanique , de publer
toujours la deſcription de toutes
celles qui viennent dans les Royaumes
de Dannemarck , de Norwége , & dans
tous les Etats qui font fous la domination
de ce Monarque . C'eſt de cer Ouvrage
que nous annonçons le Profpectus,
& pour lequel on pourra fonferire chez
les Libraires faivans : A Paris, chez Bouder
, rue S. Jacques , & Durand , rue
cu Foin ; à Lyon , chez Duplain : à Marfeille,
chez Favel ; à Montpellier , chez
Rigand , à Nanci , chez le Seure ; à
Rouen , chez Lallemand ; à Rennes, chez
Vatar; à Bordeaux , chez Chapuis , aufquels
on a envoyé un nombre convena-
Ele d'exemplaires de ce Profpectus.
La principale vue du Roi de Dannemarcken
ordonnant la publication de
cet Ouvrage , a été de répandre parmi
fes Sujets les connoiffances des plantes
qui croiffent fous leurs yeux ; & que par
ce moyen certe Science fi utile ne foit
pas uniquement réſervée à un petir nombre
de Sçavans. Outre ce but principal ,
Sa Majesté veut encore que ce Livre
puiffe fervir aux Étrangers ; & pour cela
IPAuteur y comprendra auffi toutes les
NOVEMBRE. 1761 .
107
plantes d'une partie très confidérable de
la Terre ; c'eft à- dire depuis le 53 ° degré
de latitude jufqu'au cercle polaire ; en
un mot , toures celles de l'Europe Septentrionale
; & l'Ouvrage fe publiera en
Danois , en Allemand & en Latin. On ne
doute pas qu'il ne foit bientôt traduit
dans toutes les Langues.
?
Dans la crainte que cette entrepriſe
une fois commencée ne difcontinue , le
Roi de Dannemarck a voulu qu'elle fûr
T'Ouvrage de l'Inftitut Royal de Botanique
, & que chaque Profeffeur fervant
à cet Inftitur , fût tenu de le continuer ,
en cas que fon prédéceffeur l'ait laiffé
imparfait , & de travailler à fa plus grande
perfection , quand une fois il aura
paru tout entier.
M. Eder remarque judicieufement que
i quelque Prince au Midi de l'Europe
ordonnoit fur les plantes de fon Pays , un
Ouvrage femblable à celui qu'il entreprend
par ordre de fon Souverain , on au-
Toit bientôt un Corps complet de Botanique
également utile à toutes les Nations
Suivant les vues de Sa Majesté Danoile ,
il fera traité dans la Flora Danica , nonfeulement
de la connoiffance des plantes ,
mais auffi de leur ufage . Cette entreprife
fe divife donc en deux parties principales .
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
1 ° . Ce qui regarde la Botanique pure. 2 °.
Ce qui concerne cette fcience appliquée
aux ufages humains . Il n'eft queftion préfentement
que de la première partie. On
y féparera les Eftampes d'avec le Texte,
pour la facilité de ceux qui ne voudront
pas faire la dépense des Eftampes . On ne
mettra qu'une feule efpéce de plante fur
chaque planche ; & les plantes qui n'excédent
pas en grandeur la feuille de papier
In-folio , conferveront leur grandeur
naturelle ; celles au contraire qui furpaf
fent cette feuille de beaucoup , fe repréfenteront
d'abord en petit ; & l'on join
dra à côté une branche , ou une partie
remarquable , dans toute fa grandeur.
Ces planches feront faites & colorées d'après
nature , fur des plantes fraîches, par
MM. Rofler père & fils, l'un Graveur,l'autre
Déffinateur de l'Inftitut Royal de Betanique
.
La publication des Eftampes fera commencée
féparément & avant celle du
Texte , & ce Recueil contiendra nonfeulement
les Figures des plantes rares ,
mais auffi celles des plus communes , fans .
aucune exception . Le Difcours & le Texte
, diftingué des Eftampes , contiendra
trois parties. 1 ° . Des élémens de Bota- -
nique avec une Differtation fur la Natu
T
NOVEMBRE. 1761. 1097
re & les régles pour l'enfeigner. 2°. Un
Catalogue des plantes fpontanées dans
les Royaumes de Dannemarck & de
Norwége , dans les Duchés de Slwic
& de Holftein , & dans les Comtés d'Ol---
denbourg & de Delmenhorst. 3º . Un
Recueil de defcriptions plus détaillées des
mêmes plantes.
Le Catalogue devant être portatif pour
fervir dans les herborifations , ne contiendra
des caractères de chaque plante ,
que ce qu'il faut pour la diftinguer . Le
Recueil des defcriptions fuppléera au
refte . Quoique ces trois parties ne compofent
enfemble qu'un même ouvrage ,
elles fe vendront néanmoins féparément,
afin que chaque Amateur de Botanique
foit fervi felon fes facultés. La première
partie fe donnera aux Habitans du Pays ,
à la fin de l'année 1762 ; les Etrangers ne
pouvant la recevoir qu'en l'année 1763 .
Les Eftampes fe diftribueront par
cahiers. Le premier qui contiendra foi--
xante planches , paroîtra à Pâques de l'année
1762 ; les autres compofés du même
nombre , fe fuivront d'année en année .
On ne prend aueun argent d'avance ; &
toute la foufeription ne confifte qu'à fe faire
infcrire au nombre des Soufcripteurs . Il
eft furtout néceffaire que ceux qui fouhai;
tent des planches enluminées , les demans.-
TO MERCURE DE FRANCE.
dent expreffément ; car on n'en enluminera
qu'autant d'Exemplaires qu'on en
aura demandés . Comme l'Ouvrage fe publie
aux dépens du Prince par les foins de
M. Eder , & que ce dernier eft reſponfable
de chaque Exemplaire, les Soufcripteurs
comprendront qu'il ne peut le défaire
d'aucun fans argent comptant , &
que les frais des Envois , ainfi que ceux
de la correfpondance , & tous les rifques
du voyage feront pour le compte des Acquéreurs.
Le prix de la Soufcription pour
chaque cahier d'Eftampes en noir eft fixé
à quatre écus , argent courant de Dannemarck
, & à neuf écus l'Exemplaire enluminé
; ceux qui n'auront pas foufcrit jufqu'au
mois de Janvier prochain, payeront
un quart en fus de ce prix.
LA GRANDEUR D'AME.
·Exaltavit ut Gigas ad currendam viam ,. å
fummo calo egreffio ejus. Pfal. 18. v. 6.
Par M.He Marquis de Caraccioli , Colonel
au Service du Roi de Pologne , Electeur
de Saxe , dédié à S. M. Impériale &
Royale Apoftolique . Volume in 12.1761.
Francfort , en Foire , chez J. F. Baf
fompierre Libraire à Liége ; chez J
•
NOVEMBRE. 1761 .
Vanden Berghen , Libraire à Bruxelles ;
& le trouve à Paris , chez Nyon , Libraire
, quai des Auguftins. Nous parlerons
, avec plaifir , plus amplement de cet
Ouvrage.
RECUEIL Contenant les délibérations
de la Société Royale d'Agriculture de la
Généralité de Paris , au Bureau de Paris
depuis le 12 Mars jufqu'au 10 Septembre
1761 ; & les Mémoires publiés par
fon ordre pendant le même temps. In-8 ° .
1761. Prix , 1 liv. 4 f. broché. A Paris
chez la veuve d'Houry , Imp . Lib. rue
zue S. Severin, près la rue S. Jacques.
--PANÉGYRIQUE de S. Louis , Roi de
France , prononcé dans la Chapelle du
Louvre , en préfence de MM. de l'Académie
Françoife , le 25 Août 1761. Par
M. l'Abbé de Beauvais , Prédicateur du
Roi. In- 8°. Paris , 1761. Chez la veuve
Brunet , Imp. Lib. de l'Académie Françoiſe
, Grand' - Salle du Palais . Nous rendrons
compte inceffamment de cet Ouvrage.
RÉGLES pour la prononciation
des
Langues Françoife & Latine. In 12. Baris
, 1761. Chez Aug.Mart. Louin l'ai
112 MERCURE DE FRANCE.
né , rue S. Jacques , au Coq. Prix , r liv!
16.f
CONTES MORAUX , par M. Marmon
tel ; fuivis d'une Apologie du Théâtre .
Nouvelle Edition , corrigée & augmen
tée. 2 vol. in- 12 . Paris , 1761. Chez :
l'Esclapart le jeune , quai de Gêvres . Cetté
Edition eft augmentée de trois Contes
nouveaux , le bon Mari , le Connoiffeur,
& l'Ecole des Pères.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES
ACA DE MIE S..
RÉFLEXIONS fur le goût du Siécle
pour les Sciences utiles. -
FRAGMENT D'UN DISCOURS ACADÉMIQUE.
LES Objets les plus dignes de nos recherches
font fans doute , ceux qui inté
reffent le bien public ; & le Citoyen doit
avoir pour maxime conftante que là véritable
gloire de l'homme de Lettres eft
d'être utile à la Société ...
NOVEMBRE . 1761 113
• Les Etudes férieufes , je l'avourai , rebutent
au premier abord. Leurs fuccès
foonntt moins brillants que les autres , l'amour-
propre en eft moins flatté, & la plûpart
des hommes ne prenant confeil que
de l'amour-propre , un très- petit nombre
fe fent de bonne heure du penchant pour
ce genre. Les jeunes gens y trouvent peu
d'attraits ; la Poëfie & l'Eloquence ont
feules des charmes pour eux ;le feu qu'elles
exigent , eft analogue à celui dont ils font
pleins de trente jeunes gens qui fortent,
du Collège avec du goût pour l'étude , il
en eft vingt qui fe jugent Poëtes , ou Orateurs;
ils ne croyent qu'aux Mufes; ils ont
le Parnaffe en perfpective ; ils le voient
rayonnant de lumière ; la gloire les y appelle
; la célébrité les y attend ; ils travaillent
, ils s'élancent , ils font mille efforts
pour gravir ; le fable roule fous leurs
piés, ils retombent; & regrettent enfin, mais
trop tard , les années précieufes qu'ils auroient
pu remplir à nourrir leur mémoire ,
à inftruire leur efprit , à former leur rai
fon, à fe rendre utiles à cette patrie qu'ils
fe font en vain efforcés d'amufer , ou d'intéreffer.
Plûr à Dieu que je fuffe né vieux ! difoit
le Philofophe Averroes. Heureux le
fiécle où l'amour des objets utiles devient
14 MERCURE DE FRANCE .
un fentiment affez univerfellement répan
du , pour germer de bonne heure dans les
coeurs ! C'eft l'ouvrage de cette faine Philofophie
, qui par des progrès lents , mais
certains , parvient à meurir les efprits.
Elle enfeigne à penſer & à fentir. Les lettres
apprennent à concevoir avec clarté ,
& à s'exprimer de même : il eft des efprits
créateurs à qui il ne manque que le
don de fe faire entendre. Les Lettres développent
tous les talents ; elles en font
la bafe & le premier aliment. Les génies
faits pour les illuftrer , pour charmer les
efprits , pour enchanter les coeurs , fe confacrent
à elles dans tous les Siécles ; mais
le fiécle de la Philofophie ramène la multidude
aux Etudes férieufes ; il lui fait
chercher une gloire eſtimable dans des
travaux avantageux ; il infpice l'amour de
l'expérience qui , felon Bacon , eft la démonftration
des démonftrations. Les Arts
font honorés ; les faits font recherchés ;
la vérité fe fait entendre ; on élevé des
Autels à l'Agriculture ; on refpire un noble
enthouſiaſme en faveur de l'humanité.
Mais il est toujours des Frondeurs . Quel
avantage , difent ils, peut réfulter de cette
mode des études férieufes ? Ne fontelles
point férieufes en pure perte ? La
Société loin d'y gagner n'y perd - elle pas
NOVEMBRE. 1761 . 115
au moins de l'agrément ? Quelle eft leur
utilité ? A quoi nous a fervi ce Phyficien ?
Quel bien nous a fait ce Naturalifte ?
Qu'ont produit les travaux de cet Agriculteur
? Un Poëte nous auroit amufé.
Eh , ne craignez pas que les Poëtes , ou
les Orateurs vous manquent! ou du moins
n'attribuez pas aux Sciences , ce qui peut
venir de l'épuiſement de la langue , de
celui du genre , de celui de l'efprit humain
qui peut- être a décrit ſon cercle. Lifez
les Poëtes dont vous jouiffez, & croyez
que, s'il fe trouve des génies vraiment
Poëtiques & Eloquens , ils perceront au
travers de ces Sciences qui ne font hériffées
que pour ceux qui les méconnoiffent.
Je vois l'homme le plus éloquens
de mon fiècle , s'occuper à décrire la Nature.
Le plus beau génie de l'Allemagne ,
le Poëte des Alpes , obferve & difféque
le corps humain. Le Chantre de Henri
fait défricher la Terre.
Les lettres portées fur les aîles du génie
feront toujours en poffeffion d'arracher notre
admiration & de mériter nos hommages.
De quoi nous privera l'Amour des
Etudes férieufes , infpiré à la multitude ?
d'un air avantageux qui rabaiffe l'homme
; d'une légèreté qui le déshonore ; d'un
son frivole qui le dégrade ; d'un éffain d'in
116 MERCURE DE FRANCE.
fectes qui bourdonnent autour des marais
du Parnaffe , petits Auteurs à prétentions
qui deviendront peut- etre de bons Obfervareurs,
de bons Artiftes, de bons Laboureurs.
Alors l'humanité s'enrichira ; l'inégalité
des conditions ceffera de lui être à
charge ; le néceflaire ne fera plus la proie
du fuperflu ; le bien - être fera pour tous .
Rendre les Arts fleuriffans , & les denrées
communes , c'eft affurer du foulagement
aux pauvres , aux riches le plaifir d'en
être témoins , & le bonheur d'y coopérer.
Quel bien ont fait ce Phyficien, ce Naturralifte
, cet Agriculteur ? J'avoue que peutêtre
ils n'ont pas rendu d'éclatans fervices
à la fociété , mais ils n'en font pás
moins utiles. Le nombre des découvertes
eft petit ; mais quelque petit qu'il foit ,
il faut beaucoup de foins pour les conftater,
il faut beaucoup de temps , d'expériences
& de bras pour les mettre à
profit. Voilà ce que ces hommes ont fait :
tout au moins ont- ils entretenu l'amour
d'une bonne chofe . Plus la Science s'ér
tend , plus il eft facile au vrai talent de
rencontrer fa place ; & fans avoir le mé
rite d'une découverte réelle , peut - être
ont-ils ouvert une route dont le but , encore
inconnu , n'en deviendra pas moins
NOVEMBRE. 1761 .
11 ཧ
1
A
avantageufe quelque jour ; telle obfervation
cachée dans leurs Ouvrages eft une
étincelle qui produira de grandes lumiè
res. Ceux qui ont eu la gloire des décou
vertes , n'ont pas toujours rendu juftice
à l'homme obfcur de qui ils les tenoient.
Les premiers Entrepreneurs d'une mine
ont fouvent approché du fillon riche
fans le trouver.Geux qui leur ont fuccédé,
en fuivant les travaux commencés , en
deſcendant dans les puits déja creufés ,
en parcourant les galleries déja ouvertés
, font parvenus au métal précieux
qui a fait leur richeſſe , en faisant celle
de l'État. Multipliez les Obfervateurs ,
vous multiplierez toujours les obfervations
, & les obfervations font des ma-.
tériaux pour la postérité.
Dans l'empire des Lettres la foule eft
à charge , & la médiocrité nuifible ; mais
l'amour des Sciences utiles ne sçauroit
être trop répandu , parce que le nombre
fait fa force ; parce qu'il n'eft perfonne
qui ne puille en reculer les limites . Un
foible Verfificateur ne forma jamais un
grand Poëte ; un modefte Obfervareur
peut inftruire un Phyficien ; & à fuppofer
fes travaux infructueux , il fuffit à la Société
qu'ils foient dirigés au bien , elle
lui accorde fon eftime , peut-être un jour
118 MERCURE DE FRANCE:
lui devra - t- elle de la reconnoiffances
Sans doute les Belles- Lettres , les hau
tes Sciences , ainsi que le Commerce , les
Arts , l'Agriculture , & toutes les études
férieufes, concourent unanimement à fonder
la gloire d'un Empire ; mais jugeons
des chofes comme la poftérité : tâchons
de voir avec fes yeux ; & diffipant le
nuage qui nous environne , éloignons de
nous l'habitude des ufages , des préjugés
des affections particulières. Tramfportons
nous.fur un Port étranger.
Un Peuple nombreux borde le rivage
Trois Vaiffeaux vont mettre à la voile.
Le premier est léger , brillant , doré
chargé de guirlandes , & couvert de matelots
couronnés de fleurs. Le fecond bien
conftruit , mais fans ornement , eft rempli
de machines , de télescopes , de divers
inftrumens : quelques Philofophes s'y
embarquent . Le troifiéme bien plus fim
pleencore porte feulement quelques honnêtes
citoyens.
Les trois Vaiffeaux partent ; à peine.
jette- t- on un regard fur les derniers qui
s'éloignent & difparoiffent en peu de
temps ; tous les yeux font fixés fur le
mier ; il s'écarte peu ; on admire la légére
té de fa marche ; on loue la beauté de fes
manoeuvres; s'il s'échappe un inftant , il
preNOVEMBRE.
1761. T14 :
fe montre bientôt plus brillant que jamais;
le bruit du canon fe fait entendre ; les
feux d'artifices le font reconnoître ; tout
le rivage retentit d'applaudiffemens .
Cependant quelques années s'écoulent ;
on apperçoit le Vaiffeau des Philofophes ;
il revient ; des Curieux s'en approchent ;
ils n'entendent rien aux difcours qu'on
leur tient ; ils retournent applaudir les
feux d'artifices.
Enfin reparoît le troifiéme Vaiffeau : fa
marche lente annonce le poids de fa car
gaifon ; il eft chargé de riches tréfors , de
remédes précieux , de biens de tout genre,
de denrées de toute espéce. On accourt à
lui ; on comble de bénédictions les bons
Citoyens qui le ramènent ; on partage
avec eux les richeffes qu'ils apportent ;
mais il en eft dont on ignore l'ufage : ona
enfin recours aux Philofophes ; on s'empreffe
de les louer ; on profite de leurs
leçons ; on eft heureux ; & le Vaiffeau
doré n'a prèfque plus de Spectateurs .
Telle eft à-peu- près l'image des fuccès
que les hommes peuvent fe promettre
dans leurs travaux ; l'eftime qu'on acquiert
, eft toujours en proportion du bien
que l'on fait ; & tout ce que je prétends
conclure , c'eft qu'il eft plus utile à la
fociété, que la multitude s'occupe aux
120 MERCURE DE FRANCE.
Sciences exactes , que fi le grand nombre
embraffoit uniquement les études agréa
bles .
Mais les unes & les autres fe prêtent
des fecours mutuels , s'éclairent , & fe
donnent des forces . L'illuftre Fontenelle
en a donné un grand exemple à ce fiéclé.
L'Académie Françoife fe félicite d'avoir
des Géométres & des Phyficiens ; & celle
des Sciences s'applaudit de pofféder des
Qrateurs & des Beaux- Elprits .
SUITE de la Diflertation Hiftorique &
Critique fur la vie du Grand-Prêtre
AARON , Par M. de BOISSY.
AARON ARON jouit paiſiblement - juſqu'à :
fa mort de la fouveraine Sacrificature depuis
le miracle qui la lui avoit affurée. Il
avoit époufé Elifabeth fille d'Aminadab
de la Tribu de Juda , & il en eut quatre :
fils , Nadab , Abilu , Eleazar & Ithamar.
( a) Il eut le malheur de voir périr
les deux premiers par une flamme defcendue
du Ciel , pour avoir ofé allumer contre
la défenfe expreffe du Seigneur l'encens
qu'on lui offroit , à un autre feu que ›
14.) Exod. VI, 23.
seluj
NOVEMBRE . 1761. 121
celui qui brûloit continuellement fur
l'Autel des Holocauftes. ( b ) La race des
Grands-Prêtres fut continuée par les deux
autres. Il fut privé de la fatisfaction d'entrer
, après tant de travaux , dans la Terre
promife . Il eut cela de commun avec
Moyfe fon frère ; & ils s'attirérent l'un
& l'autre ce châtiment temporel pour
avoir manqué de confiance en la promeffe
de Dieu , lorfque cet Etre Suprême dit à
Moyfe de frapper le Rocher à Kades ,
afin d'en faire fortir de l'eau. ( c )
Ce fut à l'arrivée des Ifraëlites à la
Montagne de Hor, au pied de laquelle ils
campérent ,, que le Seigneur marqua le
terme de la vie de ce Grand- Prêtre. Il
commanda à Moyfe de conduire Aaron
& fon fils Eleazar fur le fommet de la
Montagne , & d'y ôter au père fes habits
facerdotaux, & d'en revêtir le fils à la vue
de tout le Peuple. Aaron fe conforma à la
volonté du Seigneur ; il remit à Eleazar
les ornemens de fa Dignité , dont il s'étoit
revêtu par l'ordre de Dieu , avant que de
monter fur la Montagne. ( d) Nous remarquerons
que cette inſtallation fut une
exception à ce que la Loi préfcrivoit en
( b ) Levit. X. 12 .
( c ) Numer. XX . 8. 12.
( d ) Ibidem. 25. 26 , & feqq.
F
122 MERCURE DE FRANCE :
pareil cas . 1 °. La fouveraine Sacrificature
étant héréditaire & perpétuelle chez les
Juifs , il n'étoit pas permis à celui qui
l'exerçoit , de réfigner de fon vivant fon
emploi à fes enfans ; à moins qu'il ne fût
abfolument incapable d'en remplir les
fonctions. 2. L'inveftiture fut donnée à
Eleazar hors du Tabernacle & du Camp
où la cérémonie devoit fe faire. Si elle fut
fuffifante pour rendre fa confécration légitime
, nonobftant le défaut de l'onction
fainte ; c'eft ce qu'on ne fçauroit tout- àfait
décider. Plufieurs Interprétes & entr'autres
Cornelius à Lapide d'après Toftat
, ( e ) tiennent pour l'affirmative . Cependant
quoiqu'on ne puiffe pas établir
invinciblement la négative par un paſſage
formel du Texte de Moyfe , on a quelque
lieu de croire que cette onction étoit
éffentielle à l'inauguration des Grands-
Prêtres , puifqu'elle fit partie de celle
d'Aaron . Il eft donc vraisemblable qu'Eleazar
la reçut des mains de Moyfe à
fon retour dans le Camp, avant que d'entrer
en exercice du Pontificat dans lequel
il fut le Succeffeur immédiat de fon père
par le droit de primogéniture : car il étoit
f'aîné de fon frère Ithamar. Ceux qui fe
( e ) Cornel, à Lapid . Commentar. in Numer.
pag. 874.
NOVEMBRE . 1761. 123
plaifent à rechercher des traits de conformité
dans les Rites des Juifs & des
Payens , ne manquent pas d'obferver que
quelques- uns des principaux Miniftres de
la Religion des derniers fe dépouillérent
de leurs vêtemens facrés , lorfqu'ils fentirent
les approches de la mort . (f) Ils
en alléguent des exemples dans la perſonne
de Caffandre , ( g ) & dans celle d'Amphiarais.
(h)
Aaron après avoir vu fon fils revêtu des
habits Pontificaux , fut réuni à fes pères .
Il expira entre les bras de Moyfe & d'Eleazar
qui lui fermérent les yeux , &
l'inhumérent en ce lieu . Sa mort eut cela
de fingulier , c'eft qu'elle n'eut pour caufe
ni la maladie ni l'entière défaillance
de la nature occafionnée par une extrême
vieilleffe. Quoiqu'il fût déja parvenu à un
âge affez avancé pour un temps où la durée
de la vie humaine avoit été confidérablement
abrégée ; il avoit pourtant
encore confervé quelque vigueur , puifqu'il
fut en état de monter fur cette Mon-
(f) Ainſworth in hunc locum Numer. Vid .
Bibl. Fran . publiée par M. de Chaiz avec des Notes
tirées de divers Commentateurs Anglois , pag.
185. Tom . III. premiere part.
(g ) Vid. Afchyl . in Agamemn . v. 1265 .
(h) Vid. Stat. in Thebaid, lib. VII , v. 784
Fij
24 MERCURE
DE FRANCE
.
tagne. Eleazar
n'auroit pû en fa qualité
de fouverain
Sacrificateur
prendre forn
conjointement
avec Moyfe des funérailles
de fon père , fans contracter
une impureté
légale, felon ce que porte le Texte
du Lévitique
. ( i ) S'il agit de la forte , ce
fut en conféquence
des circonftances
par- ticulières
, où il fe trouva . Les ordres exprès
de Dieu qui les avoit fufcitées, le difpenférent
dans cette occafion
de pratiquer
les formalités
requifes par la Loi.
On doit même ajouter qu'il n'avoit pas
été confacré
par l'huile de l'Onction
: ce
qui fuffifoit fans doute pour le fouftraire
à l'obligation
de les accomplir
à la rigueur.
R. Salomon
Jarchi à qui il n'eft
que trop ordinaire
de charger le Texte des
Ecrivains
facrés de glofes auffi bizarres
que
mal fondées , débite avec confiance
que Moyfe ayant trouvé dans la Montagne
une Caverne , ou étoit un tombeau
avec une Lampe allumée , il comprit par
la que Dieu avoit deftiné cet endroit pour
la fépulture de fon frère , qui s'étant couché
dans ce tombeau , s'y endormit tranquillement
au Seigneur. (k) Jofephe rapporte
qu'Aaron mourut fur la Montagne
( i ) Levit. XXI. 11 . (k ) R. Salom. Jarchi. Commentar
. in Num .
XX. 28.
NOVEMBRE . 1761. 125
zar
aux yeux des Ifraëlites . ( 7 ) Il n'eft point
fait mention de cette dernière circonftance
dans le Texte de Moyfe. Il paroît
hors de doute que ce fouverain Sacrificacateur
quitta fur la Montagne fes habits
Pontificaux , pour en revêtir fon fils Eleaà
une diſtance d'où le Peuple pouvoit
voir la cérémonie de l'inveftiture.
Elle n'étoit folemnelle qu'autant qu'elle
fe faifoit publiquement. Mais les paroles
de l'Hiftorien facré nous induifent natu
rellement à croire qu'après cela Aaron
s'éloigna de la vue des Ifraëlites en s'avançant
avec fon frère & fon fils vers
quelque lieu écarté de la Montagne , où
il finit fes jours de la manière dont nous
l'avons dit . Cajetan ne fçauroit fe perfuader
que Moyfe & Eleazar ayent été les
feuls qui foient montés avec Aaron ſur
le mont Hor, il convenoit , felon ce Cardinal
, que les principaux du Peuple & les
proches parens du Grand- Prêtre de la Nation
, l'y accompagnaffent pour lui rendre
les derniers devoirs. ( m ) Nous nous
en tiendrons fimplement aux termes dans
lefquels la narration de Moyfe eft conçue .
(1) Jofeph. Antiquit . Judaic. Lib . IV. cap. 4
pag 209. Tom . I.
(m ) Cajetan. Commentar. in loc. fupra citatum
Numer.
F iij
126 MERCURE DE FRANCE:
Ils ne font point favorables à cette con
jecture qu'on n'appuie que d'une raiſon
de convenance , qui n'a ici aucune force.
Notre devoir d'Historien ne nous permet
pas de paffer fous filence une difficulté
qui naît de la contradiction apparente du
Texte de Moyfe fur le lieu où mourut
Aaron. Le Livre des Nombres marque
le mont Hor , ( n ) & on lit ailleurs que
ce Grand - Prêtre eut fa fépulture à Moféra.
( o ) Il faut avouer que la contrariété a
quelque chofe de frappant. Je fai qu'on a
recours à diverfes folutions . Si elles font
fatisfaifantes , c'eft ce qu'il me femble à
propos d'examiner.Je mettrai d'abord fous
les yeux des Lecteurs le dénombrement
des ftations des Ifraëlites, tel que le préfentent
les Textes dont il s'agit, afin qu'ils
foient à portée, en les comparant enfemble,
de juger de la diverfité,qu'il y a à ce fujet
. Voici de quelle manière Moyfe décrit
ces ftations dans le Livre des Nombres.
» Les Ifraëlites étant partis de Moféroth ,
ils camperent à Béné Jahakan ; d'où ils
allerent camper à Hor- Gudgad ; de- là
» ils allerent camper vers Jotbath ; de là
» ils allerent camper à Habrona ; de - là
» ils allerent camper à Héfion - Gaber ;
n
"
( n ) Numer. XXXIII . 38 .
(0) Deuteronom . X. 6.
NOVEMBRE. 1761. 127
» de- là ils allerent camper au Déſert de
Tfin , qui eft Kadès ; de -là ils vinrent
» camper au pied de la Montagne de
» Hor qui eft à l'extrémité du Pays
>
» d'Edom ; & Aaron le fouverain Sacri-
» ficateur monta fur la Montague de
» Hor , & y mourut , & c.
Le même Moyfe rappellant fommairement
aux enfans d'Ifrael ces divers
campemens dans le Livre du Deutéronome
, y dit " qu'ils partirent de Bééroth
و د
Béné Jahakan pour aller à Moféra , où
» Aaron mourut, & fut enterré, & qu'E-
» léazar fon fils lui fuccéda dans les
fonctions du Sacerdoce : que de là ils
» marchérent vers Gudgad , d'où ils vin-
» rent camper à Jotbath , qui eft un Pays
» où il y a des torrens d'eaux & c.
Il réfulte de la confrontation de ces
deux Textes qu'il y avoit entre Moféra
& la Montagne de Hor une diftance de
plufieurs ftations. Il y a plus encore ; il
eft queftion de fçavçir fi Moféra énoncé
dans le fecond Texte eft le même lieu
q
Mféroth exprimé dans le premier
à d'autant plus d'apparence à
le croire , que ces deux noms ne différent
que par la terminaifon qui diftingue
le nomble pluriel du fingulier. Or il eft
affez ordinaire aux Écrivains facrés d'em-
Fiv
718 MERCURE DE FRANCE
à
ployer également l'un ou l'autre dans
l'indication des mêmes noms , comme il
feroit facile d'en citer des exemples .
D'ailleurs les ftations mentionnées a la
fuite de Moféra dans le Deutéronome,qui
ont précisément le même nom que celles
que Moyfe a marquées dans les Nombres
immédiatement après le campement
de Béné-Jahakan , fuffifent pour fortifier
la créance où l'on eft à cet égard . Il eft
vrai qu'en ce cas on ne fçauroit guéres fe
difpenfer de reconnoître par rapport
Moféra ou à Moféroth une tranfpofition
d'ordre de la part des Copiftes dans l'un
des deux Textes allégués. Ce n'eft pas un
médiocre embarras que de décider auquel
on doit préférablement ajouter foi. Il feroit
naturel de s'attacher à celui des Nom.
bres qui contient une énumération expreffe
& fuivie de tous les campemens du
Peuple d'Ifraël, que Moyfe a pris loin d'y
faire au lieu qu'il ne s'agit dans le Texte
du Deutéronome que d'un endroit abfolument
détaché de ce qui précéde &
de ce qui fuit, où le même Hiftorien par
le en paffant d'une très- petite articlue.
ces ftations. Il y en a toutefois qui fe flattent
de concilier la diverfité de ces Textes
fans admettre une femblable tranfpofition
qui leur paroît mal- à propos donNOVEMBRE.
1761. 129
ner atteinte à l'autenticité des Livres
Saints. Ils veulent que Moféra & Moſéroth
foient des lieux différens. De là ils
fuppofent que Moféra eft le nom du Défert
où étoit fitué le mont Hor , fur lequel
mourut Aaron : de forte que Moyfe
a pu très bien appeller par extenfion le
lieu de la fépulture de ce Grand- Prêtre
du nom du Défert qui renfermoit cette
Montagne , au pied de laquelle fe fit le
campement des Ifraelites . Une confé
quence ultérieure de cette fuppofition les
conduit néceffairement à diftinguer Béroth
Béné-Jahakan , Gudgad & Jotbarh
dont il eft fait mention dans le Livre u
Deuteronome , des campemens ainfi ténommés
dans le Livre des Nombres. Aurtrement
l'un des Textes cités feroit en
contradiction avec l'autre par rapport à
l'ordre de ces ftations. Parmi les Inrorprétes
& les Critiques de diverfes communions,
il y en a plufieurs qui infiftent
fortement fur cette folution propofée par
Aben Efra. (p ) Cependant nous ne crai-
( p ) R. Aben - Efra Commentar, in locum fuprà
citatum Deuteronom . Vid. Tom. I. Biblior. Rabbin.
Edit . Bomberg. Confentiunt fere cum Interprete
illo Judæo, Toftatus, Torniellus , Cornelius.
à Lapide , Gherardhus , Calovius , Drufius , Vare→
nius , &c.
Fy
130 MERCUREDE FRANCE :
gnons pas d'être démentis en la taxant
d'illufoire. Elle a un inconvénient fenfible,
en ce qu'elle oblige fes partifans de multiplier
les ftations d'un même nom , ou
bien de donner plufieurs noms à une feule
ftation , comme font ceux qui avec ce
Rabbin prennent Béeroth Béné-Jahakan
& Gudgad pour les mêmes campemens
que ceux qui font nommés Kadéfeh &
Oboth dans le Livre des Nombres . On ne
fçauroit autorifer l'une ou l'autre hypothefe
d'aucun Texte formel de Moyfe.
Difons plutôt qu'on peut en inférer tout
le contraire . En effet il eft contre la vraifemblance
que Moyfe eût voulu omettre
quatre ftations confécutives dans cet endroit
des Nombres , où fon deffein a été
de donner un Journal fuivi de tous les
campemens des Ifraëlites pendant quarante
ans à travers les Déferts de l'Arabie
depuis leur fortie d'Egypte , jufqu'au
dernier qu'ils firent dans le Pays des
Moabites. Il n'eft pas plus croyable qu'il
fe foit trouvé vers les frontières de l'Idumée
quatre cantons voifins qui euffent
précisément les mêmes noms , que quaatre
autres cantons également voifins , qui
pas loin de la Mer Rouge.
Quelques uns qui ont bien fenti le peu
de probabilité d'une femblable opinion
n'étoient
NOVEMBRE . 1761. 13 F
nt ufé d'un autre expédient pour lever
la difficulté. Ils prétendent que quand
Moyfe raconte que les Ifraelites partirent
de Béeroth Béné Jahakan pour aller à
Moféra .... que de-là ils marcherent
vers Gudgad; d'où ils allerent camper
à Jotbath , &c. l'adverbe local mi
Scham , de-là, ne doit pas fe prendre dans,
un fens immédiat , c'est -à - dire felon eux,
qu'il doit fe rapporter non à Moféra ,
mais à Béréroth Béné - Jahakan . Ainfi les
Ifraëlites ne feroient venus camper dans
le Défert de Moféra , au pied du Mont
Hor , qu'après avoir depuis leur départ de
Moféroth , parcouru fucceffivement Bééroth
Béné -Jahakan , Gudgad , Jotbath &
les autres lieux intermédiaires marqués
dans le Texte des Nombres . ( q ) On ne
fe tire pourtant pas mieux d'affaire par
cette explication , qui eft d'autant moins
plaufible , qu'il en réfulteroit que Moyfe
auroit ici péché groffiérement contre l'a .
nalogie du Difcours par un défaut de
conftruction . Il eft de régle dans toutes
les langues du monde , qu'un adverbe qu ;
exprime une relation foit de lieu ou de
temps, ait avec fon antécédent une liaifon
(9 ) Vid. Ulleri Annal. Vet. Teftam . Et,
Mund. IV. pag. 18. Edit, Brem . -
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
immédiate . R. Levi ben- Gerfon procéde
différemment dans la manière d'accorder
le Texte du Deutéronome avec celui des
Nombres . Il veut qu'on traduife de cette
forte le paffage du Deutéronome : Or
les enfans d'Ifraël partirent de Béeroth
Béné-Jahakan & de Moféra ; & Aaron
mourut alors. Il obferve que l'adverbe
Hébreu Scham que tous les Interprétes
rendent par l'adverbe local hic ou ibi, là ,
re défigne pas toujours le lieu , & qu'il
a quelquefois une fignification équivalente
à celle de l'Hébreu , az, alors . C'eft
ce que notre Rabbin tâche de confirmer
par quelques exemples que lui fourniſſent
divers endroits des Livres Saints , où le
premier adverbe paroît employé dans la
même fignification que le fecond. Il conclud
de cette obſervation que l'adverbe
dont il s'agit , pris pour alors , doit dans
cette occaſion s'entendre en un fens indéfini
qui reviendroit à ceci , qu'Aaron ſeroit
mort & auroit été enfeveli dans l'intervalle
de temps que les Ifraëlites mirent.
à faire les ftations mentionnées . ( r ) Cette
penfée de Levi Ben Gerfon que Tremellius
& Junius ont adoptée en partie
(r ) R. Levi Ben Gerfon in eundem locum
Deuteronom . Vid. Buxtorf. Vindic. Verit. Hebraïc.
Par . II. cap . 13 , pag. 935.
NOVEMBRE. 1761. 133
dans leur verfion de l'Ecriture , ( s ) n'eft
pas plus heureufe que la précédente . Elle
choque auffi vifiblement l'ordre & n'analogie
du récit de Moyfe , & change
l'ufage légitime des termes. R. Moyfe
Ben Nachman , après avoir rejetté le fentiment
d'Aben- Efra , en hafarde un qui
lui eft particulier pour la conciliation de
ces Textes . Il préfume que le Mont Hor
avoit une étendue de plufieurs lieues en
longueur , ou plutôt que c'étoit une
grande chaîne de montagnes. Sa préfomption
eft fondée fur ce que Moyfe appelle
tout court par excellence Hor-ha- Har.
Hor cette Montagne. Si nous devons l'en
croire, elle auroit commencé proche Halfmona
& auroit fini à la frontière du Pays
d'Edom . Il veut que la plaine qui étoit en
face de cette Montagne , contînt les fept
cantons indiqués dans les Nombres , ou
les Ifraelites campérent fucceffivement
depuis Moféra , jufqu'à Kadéſch . Il conjecture
que la diftance qu'il y avoit entre
chacun de ces cantons, n'excédoit guéres
l'efpace d'un mille . Ainfi elle n'étoit pas
fort confidérable. It fuppofe enfuite que
le Peuple d'Ifraël étant parti de Kadéſch
(s ) Filii autem Ifraëlis quum eo progredientes
à puteis filiorum Jahakanis & Molera &c.
134 MERCURE DE FRANCE.
vint camper dans une vallée fituée au
pied du Mont Hor, à l'oppofite de Moféroth
: Moyfe monta par l'ordre du Sei--
gneur avec fon frère Aaron fur le fommet
de cette Montagne , où ce Grand-
Prêtre finit la vie . Or l'endroit de la montagne
où Aaron mourut & fut enterré
étoit dans le voisinage de Moféroth . Il
pouvoit le faire, felon ce Rabbin , que les
cantons fitués dans la plaine fuffent cenfés
être fur la Montagne ; que fon ſommet
& la plaine où elle fe trouvoit placée
, fe nommaffent au pluriel Moféroth
& que chaque lieu féparément s'appellât
Moféra : de forte que l'on difoit Moféra
qui eft fur la montagne , & Moféra qui
eft dans la plaine. Au refte cet Interpréte
Juif prétend que Bééroth Béné-Jahakan
n'eft pas le même lieu que Moyfe
défigne fous le nom de Béné-Jahakan
dans le Livre des Nombres ; mais qu'il
s'agit ici des puits que les enfans de Jahakan
avoient creufés à Hafmona pour
abbreuver leurs troupeaux : & c'eft ce que
dénote la fignification du mot Bééroth.
Il fait auffi de Moféra un lieu different
de Moféroth ; & il penfe que les Ifraëlites
fe rendirent immédiatement de ce
premier endroit au dernier , d'où ils allétent
enfuite camper à Béné-Jahakan. Il
NOVEMBRE. 1761. 135
eft perfuadé que ces chofes font rappor
tées avec plus d'exactitude dans le Deutéronome.
C'est pourquoi Moyfe y parle
par addition de Béréroth Béné -Jahakan
& de Moférá où les Ifraëlites campérent.
( t ) On n'a point de peine à voir combien
cette explication eft obfcure & embarraffée.
Notre Rabbin entaffe ici fuppofitions
fur fuppofitions , qui font plus étranges
les unes que les autres , & qui n'ont de
fondement que dans fon imagination .
Rien n'eft plus frivole que l'induction
qu'il tire de l'expreffion Hor-ha - Har
dont fe fert Moyfe en faifant mention du
Mont Hor , pour attribuer à cette montagne
une étendue de plufieurs lieues.
C'eft accommoder le Texte de l'Ecriture
à fes idées, que de renfermer contre toute
apparence dans les limites de la même
plaine les fept cantons marqués dans le
Livre des Nombres , & de reftreindre.
précisément à un mille leur éloignement.
refpectif ; comme fi les Ifraëlites euffent
dû borner leur marche journalière à un
auffi court efpace de chemin . Il eft abfolument
faux de dire que le récit des cam-
( t ) R. Mofes Nachmanid . Ibidem. Vid. Menaffeh
- Ben Ifrael Conciliar. in Num. Quæft . XV.
pag. 216. Edit. Amft. & Buxtorf. Libr . cit. pag.
93.4.
1.
36 MERCURE DE FRANCE.
pemens indiqués dans le Deutéronome eſt
plus exact que celui des ſtations mentionnées
dans les Nombres ; puifque Moyfe
ne parle là que par parenthèfe , & d'une
manière acceffoire à l'objet principal de
cet endroit de fon Texte.
R. Salomon Jarchi imagine encore
une folution toute différente de celles
que
nous venons de produire , pour laquelle
R. Béchai ne balance point à fe déclarer.
Il dit que le Peuple d'Ifraël fe voyant
privé de la nuée lumineuſe par
la mort
d'Aaron , en faveur de qui les Interprétes
Juifs prétendent ,je ne fçai fur quel fondement
, que le Seigneur l'avoit donnée ,
tomba dans le découragement,& défeſpéra
d'entrer dans le pays de Canaan. C'eft
pourquoi, il reprit le chemin de l'Egypte
; & pour cet effet il retourna de la
montagne de Hor à Kadéfch , d'où il fe
rendit à Moféra ou Moféroth par les
mêmes ftations qu'il avoit déja faites. Ce
Rabbin ajoute que la Tribu de Levi animée
d'un faint zéle s'oppofa vigoureufement
à cette réſolution , & tourna fes armes
contr'eux , afin de les contraindre à
reprendre la route qui menoit à la Terre
de promiffion ; qu'ils reconnurent là leur
faute , & fe repentirent d'un deffein formé
témérairement. Ils fe mirent , felon
NOVEMBRE. 1761 137
notre Docteur Juif , à pleurer amérement
à Moféra la mort d'Aaron , à l'occafion
de laquelle les maux qui venoient de les
affliger , leur avoient été fufcités . Ils menérent
un grand deuil à ſon ſujet , comme
fi c'eût été le temps où elle fût arrivée
, & le lieu où ce Grand Prêtre fut
enterré. ( 1 ) Tout ce qu'on débite ici eſt
avancé fans aucune preuve; & l'on donne
, hardiment des fictions pour la vérité hiftorique.
Si les chofes étoient arrivées de
la manière dont on le raconte , il feroit
bien étonnant que Moyfe n'en eût rien
dit. Un événement de cette importance
caractérifoit affez la défobéiffance de ce
Peuple envers le Seigneur , pour mériter
une mention expreffe de la part de l'Hiftorien
facré. Il eût été contraire aux vues
qui l'infpiroient , d'omettre un fait de la
nature de celui - ci , qui fervoit à juſtifier
ce penchant à la rébellion & cette dureté
de coeur qui font fi fouvent reprochés
aux Ifraëlites dans l'Ecriture. D'ailleurs
s'enfuit- il de ce qu'on a pleuré la
mort, d'un homme en quelque lieu , qu'un
Hiftorien foit autorifé à dire que ce même
homme y ait terminé fa vie & y ait
été inhumé , quand cela eft contraire à
( u ) Salomo Farchi ibidem , Tom . I. Biblior .
Rabbin. & R. Bechai in Numer . XXXIII . 38.
738 MERCURE DE FRANCE.
l'exacte vérité. Si jamais l'impropriété de
ce langage étoit reçue dans le diſcours
il y introduiroit une extrême confufion.
Je demande quel eft l'Ecrivain d'une
claffe ordinaire qui s'exprimeroit de la
forte fans encourir le blâme général : A
plus forte raifon doit-on croire qu'un
Ecrivain tel que Moyfe , dont l'efprit
étoit éclairé d'une lumière furnaturelle ,
a été incapable de rapporter d'une façon
auffi abufive au temps de ce prétendu retour
des Ifraëlites à Moféra l'époque de
la mort de fon frère , & de placer en cet
endroit fa fépulture .
La diverfité de tous ces fentimens qui
ne font appuyés que fur de fragiles conjectures
, montre fuffifamment l'impuiffance
des éfforts qu'on emploie pour lever d'une
manière fatisfaifante la contradiction des
Textes cités. Il vaut beaucoup mieux
avouer ingénument , à l'exemple de Cappel
, de Grotius , de M. Le Clerc (x )
& de quelques autres Interprêtes, que cet
endroit du Texte du Deutéronome a été
altéré
par une de ces méprifes qui font
2
(x ) Lud. Capell . Critic. Sacr. Lib . VI . cap . 7.
pag. 413. Hug. Grot . annotation . in Deuteroloc.
cit. inter Critic. Sacr. pag . 73. Tom. I.
pars fecunda . Edit. Amft. Jo . Cleric . Comment .
eod. loc. pag. 519. Tom. II . Edit. 1710 .
nom .
NOVEMBRE. 1761 . 135
fiordinaires aux Copiftes. Il n'y a aucun
doute qu'ils n'ayent tranfpofé inconſidérément
l'ordre des noms. Il paroît même
que les Verfets 6 & 7 ne conviennent
point à la place qu'ils occupent là ; parce
qu'ils font abfolument fuperflus , & qu'ils
interrompent la fuite du Difcours . Il faut
à la vérité que l'erreur foit de vieille date ;
puifqu'elle eft commune aux Septante , à
la Vulgate & à toutes les anciennes Verfions
, excepté le Texte Samaritain , ou
ces Verfets font exprimés conformément
à ce qui eft énoncé dans les Nombres.
Voici ce qu'on y lit : » Or les enfans d'If-
» rael partirent de Moféroth & allérent
camper à Béné -Jahakan ; de là ils par-
» tirent & allérent camper à Jéthabatha ,
» qui eft une tèrre où il y a des torrens
» d'eau; de là ils partirent & allérent cam-
» per dans le Défert de Tfin , qui eft Ka-
» defch ; delà ils partirent & allérent
» camper au pied du Mont- Hor ; & là
Aaron mourut & y fut enfeveli , & c .
»
S'il étoit conftant que ce fût là la leçon
que portoient les anciens exemplaires Samaritains,
elle feroit inconteftablement la
véritable. Mais comme nous manquons
des preuves qui pourroient nous fournir
à ce fujet la conviction néceffaire , nous
n'ofons affirmer la chofe. M. le Clerc re40
MERCURE DE FRANCE:
marque fort bien que les Samaritains lffoient
peut- être anciennement dans leurs
Exemplaires les mêmes paroles que nous
lifons dans les nôtres. Ce n'a été que
dans la fuite des temps qu'il a pu arriver
que leurs Critiques qui ont revu le Texte
écrit en cette Langue , ayent ufé ici de
leur licence accoutumée en faifant de
leur chefune pareille correction . Cependant
. il eft plus que vraisemblable que
Moyfe a dû parler d'une façon à - peuprès
équivalente pour être d'accord avec
lui - même .
On eft demeuré dans l'ignorance fur
l'endroit de la Montagne de Hor , ou
Moyfe & Eleazar donnérent la fépulture
à Aaron. Il y en a qui font perfuadés que
P'un & l'autre le tinrent caché , de peur
que les Ifraëlites ne lui rendiffent à l'avenir
quelque culte fuperftitieux , ou que les
Arabes parmi lesquels ils vivoient alors ,
ne profanâffent la fainteté de fon tombeau
, s'il venoit à être connu . ( y ) Cependant
un Auteur qui écrivoit dans feiziéme
fiècle , eft d'un fentiment contraire.
Il prétend que l'on montre encore fur
cette montagne le Sépulchre de ceGrand-
Prêtre de la Nation dans une caverne qui
(y ) Calmet , Diction. de la Bible , Art. Aaron ,
pag. 2. Tom. I. Supplem.
NOVEMBRE. 1761. 141
eft fermée , & fur laquelle on a bâti une
belle voûte en forme de Dôme . Il raconte
que les Juifs ont la liberté de le vifiter
pour y faire leurs priéres ; & il ajoûte
que les Mahométans ont une grande
vénération pour ce lieu. ( 2 ) Mais on ne
doit pas beaucoup compter fur ces traditions
populaires dont on a coutume de
repaître la crédulité des Voyageurs .
Moyfe & Eleazar étant deſcendus de
la montagne , apprirent aux Ifraëlites la
mort d'Aaron. On le pleura dans toutes
les Tribus des Hébreux pendant trente
jours , felon l'uſage qui préfcrivoit tout
ce temps pour le deuil des perfonnes
éminentes. Ce fouverain Sacrificateur
mourut le premier jour du cinquième
mois dans la quarantiéme année depuis
la fortie d'Egypte , qui répond à la 25 52°
du Monde , & à la 1452 ° avant l'Ere vulgaire
. Il étoit dans la cent vingt- troifiéme
année de fon âge , & avoit exercé le Pontificat
pendant trente- huit ans trois mois
& vingt-deux jours . ( a) Jofephe fait coincider
le jour de la mort de ce Grand-
Prêtre avec le commencement du mois
felon la Lune , appellé par les Athéniens
(2 ) R. Uri ben Schimeon Jéchous- ha- Abboth
ve Cippi Hebraic. pag.79. Edit . Henr. Hotting
(a) Num. XVIII . XX . 28. 29. XXXIII. 38. 32<
742 MERCURE DE FRANCE.
Hecatomboon , par les Macédoniens ;
Lois , & par les Hébreux Abba. ( b ) İl
eft bon de remarquer qu'on lit fautivement
Sabba dans tous les Imprimés de
cet Hiſtorien antérieurs aux Editions dont
on eft redevable aux foins de MM. Hudfon
& Haverkamp. Un ancien Interprête
Latin a encore enchéri fur la corruption
de ce mot qu'il rend par fedebath.
Il ne ferviroit en rien d'entendre par ce
nom le mois de Sébat ou de Sébet ,
qui répond en partie à notre Lune de
Janvier , & qui par conféquent ne sçauroit
convenir avec l'Hécatombæon des
Athéniens & le Lous des Macédoniens qui
font des mois du Solſtice d'Eté. Ainfi Joſephe
a dû néceffairement les combiner
avec le mois d'Ab ou Abba fuivant la
terminaifon Chaldaïque ', qui eft le onziéme
de l'année civile , & le cinquième
de l'année Eccléfiaftique . L'Auteur du
Seder olam Rabba ou de la grande
Chronique , rapporte le temps de la mort
de ce fouverain Sacrificateur au premier
( b ) Jofeph. Antiquit . Judaïc. Lib. IV . cap. 4.
pag. 209. Tom . I. αποθνήσκει καὶ κατα Σελήνην
νεμηνία , μηνὸς ὄντος παρὰ μὲν Αθηναίοις Εκατομ
βαίων νος καλυμένο , Λώς δε παρὰ Μακεδόσιν ,
Αββα δε παρ' Εβραίοις . Vid. Bernard & Hudfor
not. ad hunc locum .
४
NOVEMBRE. 1761 743
-
jour de ce mois , qui revient à- peu - près
au dix- neuviéme de Juillet. ( c ) Il ne s'agit
pour reftituer la véritable leçon du
Paffage de cet Hiftorien , que de retrancher
la lettre initiale du nom de ce mois
tel qu'il y eft exprimé. Les Copiftes l'auront
mal à propos formée de la lettre
finale du mot précédent , & auront confondu
l'une avec l'autre , trompés par une
forte de reffemblance qu'il y a dans leur
figure . Cette correction eft autorisée par
la nature du fait qui en eft l'objet ; & le
fuffrage des plus habiles Critiques contribue
encore à la confirmer . ( d) Les
Rituels & le Calendrier des Juifs marquent
au premier jour de leur mois d'Ab
un jeûne obfervé par la Nation , en mémoire
de cet événement. A fon imitation,
l'Eglife Latine fait la fête de ce Grand-
Prêtre le premier de Juillet , auquel fon
décès fur le mont Hor a été fixé contre
l'exactitude par les anciens Martyrologes
( c ) Seder Olam Rabba. Cap. X. pag. 29. Edit.
Meyer.
(d )Jac. Cappell . Hiftor . Sacr . & Exotic. ad
ann. 2542. pag. 85. Sam . Petit. Eclog. chronol.
Lib. I. cap. 10. Jo . Selden . de fucceffion. in Pontific.
Hebræor. Lib . I. cap. 1. pag. 220. & 221.
Edit. Elzevir . Sam . Bochart . Hierozoic. Lib . III.
par . II. cap. 13. pag . 424. Henr . Dodwel de ve
ter. Cyclis differtat. II . Sect. 19. pag. 92 .
44 MERCURE DE FRANCE.
•
du nom de S. Jerome , par ceux d'Adon ,
d'Ufuard , de Raban , de Notker , &
par les plus modernes. ( e ) Aaron eft regardé
dans l'exercice du Sacerdoce comme
un Type de Jefus -Chrift qui a rempli légitimement
en fa perfonne toutes les
fonctions de fouverain Pontife, avec cette
différence pourtant que fon Sacerdoce
étant d'un ordre éternel avoit un mérite
furéminent & infini ; au lieu que celui
d'Aaron ayant commencé & devant finir
dans le temps , n'en avoit qu'un figuratif
& limité. L'Auteur infpiré de l'Épître
aux Hébreux fait la comparaifon de l'un
avec l'autre. Après avoir montré leurs
traits de conformité & leurs caractères
diftinctifs , il s'attache à faire voir l'excellence
& la prééminence des prérogatives
du premier fur le fecond dont il
prouve l'imperfection & l'infuffifance par
fa nature & par les circonftances qui ont
concouru à fon établiffement. (f) Les
( a ) Vet. Roman . Martyrolog. pag. 8. Ado.
Vienn. Martyr. pag. 46. Edit . Rofweid. Ufuard .
Martyr. pag. 373. Edit . Soller. Raban . Martyr, in
Thefaur. Monumentor, Ecclefiaft . pag. 3'32.Tom .
II. par. II. Edit. Bafnag. Notker. Martyr. in eod.
Thefaur. pag. 149. Tom. II. par. III . Martyrol.
Roman , à Baronio in lucem prolatum . pag. 259 .
Edit. Parif.
a
( a ) Epiftol. ad Hebræ, cap. VII , VIII , IX,
Commen
NOVEMBRE. 1761 145
Commentateurs & les Théologiens ont
pris à tâche de fuivre cette comparaiſon
dans toute l'étendue de fes dépendances ,
en développant foigneufement fes rapports
. Elle a été maniée avec beaucoup
d'habileté par M. Witfuus qui en a fait le
fujet d'une Differtation particulière . ( g )
( g ) Witf. Mifcellan . Sacr. Lib. II . Differt . II .
à pag. 455. ad 18. Tom . I.
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS UTILES. +
CHIRURGIE.
OBSERVATIONS fur la luxation de
la tête du fémur , à la fuite de chûte
fur la cuiffe.
PREMIERE OBSERVATION.
LE
E 25 Octobre 1757 , Mathieu Champion,
âgé de 19 à 20 ans , d'un bon tempérament
& fain quoique délicat , monte
fur un cheval , attelé avec trois autres à
un chariot chargé de foin ; le pavé étant
G
146 MERCURE DE FRANCE.
fort mauvais pour les chevaux , fon cheval
s'abattit . Le jeune homme tomba fur
le pavé , & reffentit à l'inftant de fa chûte
une vive douleur dans toute l'étendue
de la cuiffe droite . Le cocher affez dur
lui dit qu'il ne falloit pas s'écouter & qu'il
eût à remonter fur fon cheval : ce qu'il fit.
Le chariot fut conduit chez M. le Normand
de Mezi à qui il appartenoit . La diftance
n'étoit pas confidérable. La chûte
s'étoit faite rue du Bacq faubourg S. Germain
, & l'Hotel de M. de Mezi eft rue S.
Dominique , même fauxbourg. Mathieu
arrivé audit Hôtel , y refta le temps néceffaire
pour fe repofer , & laiffer rafraîchir
les chevaux , afin de retourner à
Sceaux d'où il venoit.
Pendant ce peu de temps, les douleurs
fe calmérent fi bien , qu'il remonta fur
le même cheval attelé à la même voiture
, & fit la route fans fe fentir beaucoup
incommodé. Arrivé à Sceaux , les autres
domeftiques
inftruits de fa chûte , lui demandérent
s'il n'avoit point de peine à
marcher il répondit qu'il reffentoit trèspeu
de chofe . Tout le temps que fon
Maître a refté à la campagne , Mathieu.
a fait fon fervice avec exactitude. Il alloit
& venoit même à pied de Sceaux à
Paris , montoit derrière le carroffe , & y
NOVEMBRE. 1761 . 147
monta jufqu'au mois de Janvier qu'il
fuivit fon Maître à Verfailles.
Mathieu eft resté dans cette pofition
jufqu'au 26 Janvier 1758 , où pendant la
nuit de très - vives douleurs fe firent fentir
dans l'articulation . On appella le lendemain
27 M. Bufnel , Chirurgien ordinaire
de la maifon , qui examina la
partie affectée avec toute l'attention poffible
: il n'apperçut ni gonflement ni inflammation
. Il tenta de faire faire quelques
fléxions & extenfions de la cuiffe, &
de la jambe ; mais la violence des douleurs
ne le lui permit pas. La grandeur
de la fiévre obligea de le faigner à dix
heures du matin. Les accidens perfévé..
rant , M. Bufnel réitéra la faignée du
bras fur le midi , & fit appliquer des cataplafmes
faits avec la mie de pain , le
lait & le faffran , qu'on avoit foin de
renouveller toutes les trois ou quatre
heures.
M. Bufnel rendit compte de l'état du
malade à M. le Normand de Mezi , &
lui dit qu'il foupçonnoit un dépôt trèsprofond
, & qu'il y avoit tout lieu de
craindre que l'articulation n'y fût intéreffée
par la luxation du fémur.
M. de Mezi pria M. Lehoc fon Médecin
de paffer chez lui dans l'après -mi-
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
di. M. Bufnel s'y trouva , & expoſa ce
qu'il avoit fait & ce qu'il penfoit . On
fut d'avis de continuer ce qui avoit été
fait juſqu'au lendemain , que l'on fe raffembla
à une heure marquée. Les douleurs
étoient fi aigues & la fièvre fi forte,
que l'on fit fur le champ une faignée , qui
fut réitérée à midi & fur les fix heures du
foir. Cette dernière faignée calma un peu
les accidens , quoique le fang fût roujours
également cocneux & inflammatoire.
Le 29 la fièvre & les douleurs étoient
modérées. On continua le même traitement
que les jours précédens. Le lendemain
, le retour des douleurs détermina à
faire une embrocation avec parties égales
de populeum & de baume tranquil .
le , qui fut continuée quelques jours , &
apporta un peu de calme.
Le 4 Février, M. Bufnel examinant la
cuiffe & la jambe du malade , y trouva un
alongement de quatre travers de doigt
de plus que dans l'état naturel . Ce qui fut
obfervé par M. Lehoc & toutes les perfonnes
de la maiſon qui s'y trouvérent. Dès
ce moment on fut pleinement affuré que
le prognoftic du dépôt & de la luxation
étoit vrai . On exhorta le malade à fe lever
, fes douleurs étant fupportables : il
NOVEMBRE. 1761. 149
marcha à l'aide de deux béquilles , non
fans difficulté & douleur jufqu'au 25 dudit
mois de Février , qu'il fut contraint
de refter dans fon lit , n'en pouvant fortir
fans fentir des douleurs extrêmes , furtout
pendant la nuit , & particulièrement dans
la partie interne du genou.
Ce renouvellement de douleurs occafionna
un nouvel examen qui fit décou
vrir que la cuiffe étoit remontée de quatre
travers de doigt , & que la tête du fémur
fe trouvoit fous les muſcles feffiers.
Ce prétendu Phénomène étonna tous les
Spectateurs .
M. de Mezi fit appeller M. Lehoc fon
Médecin , M. Louis , Chirurgien Major
de la Charité & M. Bufel fon Chirur
gien le 28 pour confulter fur l'état du
malade. Les douleurs étoient fi vives ,
que Mathieu dans fon lit ne pouvoit fe
tourner d'aucun côté. M. Bufnel expofa
tout de nouveau les circonftances rapportées
ci- deffus . On examina la partic affigée,
& M. Louis reconnut comme nous
la luxation de la tête du fémur , qui n'avoit
d'autre caufe que la chûre du malade
fur le pavé.
Mathieu avoit été elevé dans la maifon
de M. de Mezi dès fa plus tendre enfance
: il avoit toujours joui d'une fanté
G iij
150 MERCURE DE FRANCE .
parfaite : il poffédoit la confiance de fon
Maître , & il la méritoit par fa fageffe.
Le jour qu'il fut adminiftré on le queftionna
fur différens articles , & il déclara
qu'il avoit encore fa virginité. Son Maître
en eut tous les foins poffibles jufqu'au 25
Juillet , que preflé par les follicitations
réitérées du Révérend Père Infirmier de
la Charité , qui s'offroit pour avoir un
foin tout particulier du malade & mar--
quer à M. de Mezi fa reconnoiffance &
fon zéle ; il confentit à le faire tranfporter
à la Charité , particuliérement pour
qu'il ne pérît pas fous fes
fous les yeux.
Le 26 Septembre , Matthieu mourut =
on en fit l'ouverture le 27 , & on trouva"
la tête de l'os de la cuiffe , & la cavité de
l'os, innominé cariées & beaucoup de pus
grumeleux dans la cavité de l'articulation.
M. le Médecin de l'Hôpital ; M. le Gagnant
maîtrife , nombre de Chirurgiens ,
& plufieurs Religieux de la Charité y furent
préfens. Le même fait eft attefté par
une lettre de M. Louis,Chirurgien Major
dudit Hôpital, en date dudit jour 27 Septembre
1758 , écrite à M. Bufnel.
Nous fouffigné certifions le contenu
ci deffus être conforme à la plus exacte
vérité , à Paris ce premier Juillet 1761 .
LEHOC , ancien Médecin ordinaire du
NOVEMBRE. 1761. 15I
Roi & de l'Hôtel- Dieu de Paris.
BUSNEL Maître en Chirurgie , & Adjoint
au Comité de l'Académie Royale
de Chirurgie.
SECONDE OBSERVATION.
Une Demoifelle âgée d'environ dix ans,
native de Paris , fille de Monfieur & de
Madame Doublet , demeurant rue de la
Monnoie , au bout du Pont- neuf , fe trouvant
preffée d'aller à la garde- robe , fut
aux commodités , où l'on avoit placé une
pièrre d'environ un pied d'élévation pour
fa facilité . Son opération finie , elle oublie
la pièrre fur laquelle elle étoit montée ,
& tombe du haut de la pièrre fur la cuiffe
droite..
La Demoiſelle fentit dans le moment
de vives douleurs ; mais la crainte d'être
grondée lui fit garder un profond filence.
Cet accident arriva au mois de Septembre
1755.
Pendant plus de trois mois la Demoifelle
Doublet fit tous les exercices ordinaires,
fans qu'on s'apperçût de rien. Madame
fa mère l'avoit conduite à Versailles ,
à S. Cloud dans différentes Compagnies
où elle danfa avec toutes les grâces poffibles
: elle étoit d'une figure fort intéreſfante
& extrêmement aimable . En reve
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
nant de Verſailles , elle fut un peu gênée
dans la voiture : elle fe plaignit de reffentir
de la douleur au genou ; qu'on attribua à
ce mal- aife. La douleur perfévérant , ôn
examina ce genouil ; on n'y trouva rien.
Peu de jours après on s'apperçut que la
Demoiſelle marchoit avec quelque difficulté
, qu'elle boitoit de temps en temps , &
qu'elle fouffroit. Le père , la mère, le Maître
a danfer &c, l'interrogérent,& n'en purent
rien apprendre. On crut que c'étoit nonchalance.
Cependant la difficulté de marcher
& les douleurs augmentérent. La
fiévre furvint, & on la faigna plufieurs fois.
On appella M. Lehoc ,Médecin de la Mai
fon , qui propofa quelques bains domeſtiques.
Au fortir du premier bain, la cuiſſe
& la jambe de la Demoiſelle fe trouvérent
plus longues de près de trois travers de
doigt , que dans l'état naturel : Quelques
jours après on fut fort furpris de les trouver
plus courtes & de fentir la cuiffe remontée
de plus de deux travers de doigt fous
les mufcles feffiers , où la tête du fémar
s'étoit nichée. Ce déplacement ne put fe
faire fans des douleurs intolérables , accom ·
pagnées de fiévre continue. Cet état fàcheux
détermina la famille à appeller du
confeil , d'autant plus que M. Lehoc avoir
déclaré que la maladie étoit fans remédes,
NOVEMBRE . 1761. 153
qu'il y avoit luxation , occafionnée fans
doute par quelque chûte , ayant déja vu
plufieurs fois pareil accident, dont les fuites
avoient été funeftes . Cette vérité fut
enfin confirmée par l'aveu de la Demoifelle
, qui convint d'être tombée & comment.
On fit venir les plus célèbres Chirurgiens
de Paris & d'ailleurs. L'un propofa
des frictions avec l'onguent Mercuriel &
le Styrax , qui furent faites fans fuccès ;
les autres , différens remédes , qui n'eurent
pas plus d'effet.
La fiévre dégénéra en fiévre lente , qui
peu- à- peu précipita la malade dans le
marafme & la confomption : enfin furvinrent
de petits friffons irréguliers , des engourdiffemens
, des convulfions , une eſpéce
de paralyfie fur la langue , & elle
mourut le 23 Juillet 1756 , dix mois
après la chûte.
On en fit l'ouverture. On trouva dans
l'articulation du fémur avec l'os innominé
beaucoup de matiére purulente qui avoit
fair plufieurs fufées de côté & d'autre :
la tête de cet os placée fous les muſcles
feffiers, & la cavité qui le reçoit , cariées ;
les ligamens relâchés & pourris . la plûpart
des glandes du méfentère étoient remplies
d'une matière blanchâtre , épaiffe & pu-
G v
154 MERCURE DE FRANCE.
rulente , accident qui provenoit de la même
caufe que la longueur de la fiévre , les
friffons irréguliers , les convulfions & c.
c'eft- à- dire , du reflux du pus dans la maffe
des liqueurs. Ce même reflux avoit occa
fionné à Mathieu vers la fin de fa maladie
des taches fcorbutiques aux jambes fur les
cuiffes , & avoit rendu les gencives fpongieufes
, au point qu'il en fortoit quelque
fois du fang.
La preuve démonftrative que la dépra
vation des liqueurs avoit pour principé
les fuites de la chûte , foit de Mathieu ,
foit de la Demoiſelle Doublet ; c'eſt qu'a
vant cette chûte , l'un & l'autre jouiffoient
de la meilleure fanté , ainfi que ceux qui
en ont eu une parfaite connoiffance font
prêts de l'attefter, fi quelqu'un en doutoit.
Je fouffigné , certifie la préfente Ob
fervation être conforme à la vérité ; à Pa
ris , ce fix Août 1761. LEHOC , Docteur
Régent & ancien Profeffeur de la Faculté
de Médecine de Paris , l'Ancien des Mé
decins de l'Hôtel- Dieu de ladite Ville.
NOVEMBRE. 1761 755
ARTS AGRÉABLE S.
ACADÉMIE de Peinture & de Sculp
ture de MARSEILLE.
LE 30 Août dernier l'Académie de Peinture
& de Sculpture de Marfeille tint fon
affemblée publique dans la grande Salle
de l'Hôtel - de - Ville . MM . de l'Académie
des Belles -Lettres & MM . les Amateurs
Honoraires ayant été invités y affiftérent.
M. Cofte , Directeur en abfence de M.
Verdiguier ouvrit la Séance par un compliment
à MM. les Echevins qui préfi
doient & qui diftribuérent enfuite les
Prix adjugés aux Eléves pour leurs Deffeins
Académiques. La première Médaille
fut donnée au fieur Michel , la feconde
au fieur Cofte , fils du Directeur préfent
; & la troifiéme au fieur Blanc, Une
quatriéme Médaille fut donnée au ficar
Jacques Cabanis , Elève d'Anatomie
qui elle avoit été adjugée lors du concours
de l'examen . M. Chabaud , Profeffeur
d'Anatomie , lut après un Difcours fur
d'utilité de fon Art , & combien il eft relatif
à la Peinture & à la Sculpture . M
Moulinnerf, Profeffeur & Secrétaire pe
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
pétuel termina la Séance par un Difcours
qui a pour fujet : quoique la Peinture foit
une fidelle imitation de la Nature , elle ne
doit fes effets qu'à l'efprit & au génie.
Ce dernier Difcours attira l'attention de
l'Affemblée , qui applaudit beaucoup à
cette Séance.
Ce même jour il y eut dans la Salle
ordinaire du Modéle , l'expofition publique
des ouvrages de divers Membres de
l'Académie . Cette expofition qui a continué
jufqu'au foir du Dimanche 13 Septembre,
a été nombreufe & brillante. Le
Public empreffé a vû avec fatisfaction les
progrès que l'émulation occafionne parmi
les Membres de cette Académie.
PRECIS de l'Expofition.
Un Grouppe de figures en relief repréfentant
l'Ecole de la Vertu, par M. Verdiguier.
Un Tableau de quatre pieds pour 4 ½
de hauteur, repréfentant Télémaque Berger
en Egypte jouant de la Flûte que
Thermofiris Grand- Prêtre lui a donnée
pour adoucir les moeurs Sauvages des Pâtres
de cette contrée, par M. Cofte.
Quatre Bas- reliefs repréfentant les Arts
& cinq Efquiffes, fujets d'Hiftoire, par M.
Bertrand.
NOVEMBRE. 1761.. 757
Deux Tableaux de Payfages enrichis
de ruines de quatre pieds fur trois de
hauteur . Deux autres Tableaux de Payfages
champêtres de deux pieds fur un de
hauteur . Deux petits Payfages & quatre
deffeins à la Gouache , par M. Richaume.
Trois Tableaux de Payfage d'environ
quatre pieds fur trois de hauteur , par
avid.
M.
Une figure en relief repréfentant Hercule
fur le Bacher, par M. Nicolas.
Cinq Portraits en Bufte , par M. Zirio .
Quatre deffeins de Marine à la Sanguine
; deux dits à la Gouache.
8
Deux petits Portraits au Paſtel de cinq
pouces fur de hauteur, par M. Kapeller.
Le Portrait en pied de M. le Bailly.de
la Salle , décoré des habillemens & du
Cordon de l'Ordre de Malthe . Un grand
Tableau repréſentant les Portraits de M.
Verduffen , Peintre de Batailles , de fon
Epouſe & de fa Servante ; & neuf Portraits
en Bufte , par M. Revelly.
Sept Portraits en Bufte , par M. Arnaud.
Trois Paylages , par M. Defpéches.
Deux Tableaux de Marine de quatre
pieds fix pouces fur trois pieds de hauteur
& un autre du même genre de deux
pieds neuf pouces fur deux pieds trois
18 MERCURE DE FRANCE.
pouces de hauteur , par M. Rey-Vieil
Un Tableau de réception repréfentant
Salomon qui encenfe les Idoles . Un grand
Tableau de huit pieds fix pouces fur fix
pieds quatre pouces de hauteur, repréſentant
le Centenier. Trois petits Tableaux
de Caprice dans le goût du Teniers. Un
Tableau de ruines , & quatre Portraits en
Bufte , par M. Loys.
Un Tableau de trois pieds fur trois
pieds neuf pouces de hauteur , repréſen,
tant l'ombre de Samuel qui apparoît à
Saül, deux Portraits en Bufte , par M. De
cuges .
Un Tableau de quatre pieds fur fix de
hauteur , repréfentant Artemife au moment
qu'elle prend les cendres de fon
Epoux. Un autre Tableau de trois pieds
fix pouces fur quatre pieds de hauteur, repréfentant
Admete prêt à partir pour
l'Armée qui dit adieu à Alcefte. Trois
Efquiffes,fuje ts d'Hiftoire, par M. Celony
NOVEMBRE. 1761. 159
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
OPER A.
L'A'ACCAADDÉÉMIE Royale de Mufique ayant
fixé la premiere repréſentation de la remife
d'Armide au ; de ce mois , nous ne
ferons en état de rendre compte de ce magnifique
Spectacle que dans le volume fuivant
.
Elle donnera le premier Bal le 11 , & le
lendemain reprendra les repréfentations
des Jeudis , jufqu'à la Fête de l'Aſcenfion
.
COMÉDIE FRANÇOISE.
MILE LLE Rozalie , qui avoit déja débuté
fur ce Théâtre , y reparoît , depuis peu ,
avec la même chaleur d'âme & les diſpofitions
d'intelligence , qu'on avoit déja
applaudies en elle, perfectionnées par l'étude
& par l'éxercice de fon talent fur
des Théâtres particuliers . Elle a reçu des
encouragemens flatteurs dans les rôles
160 MERCURE DE FRANCE.
d'Electre & de Phédre ; elle a dû continuer
par celui d'Athalie. La loi que nous
nous fommes impofée de ne jamais prévénir
les décifions définitives du Public à
l'égard des Acteurs débutans , ne nous
permet pas d'en dire davantage actuéllement
fur le fort de ce fecond début .
Les pertes confécutives que le Théâtre
François a faites depuis quelque temps
dans les Rôles de caractères , ont fait revenir
fur la scène Mlle Durancy , ci- devant
Mlle Darimatte, pour feconder , dans
les cas d'indifpofition , Mlle Drouin, Actrice
de ce Théâtre , nouvellement chargée
de cet emploi- , aux talens de laquelle
le Public a applaudi , ainſi que nous en
avons rendu compte dans un des Mercures
précédens. Nous croyons qu'il n'eſt
pas inutile de rappeller , en faveur de Mlle
Durancy , & la néceffité des conjonctures
& le plaifir qu'a fait au Public autre
fois Mlle Darimatte , fur un autre Théâtre
& dans un genre de talens différent.
Mlle de Pinai , jeune Actrice admife
à l'éffai depuis fon début , a eu occafion
de mériter les applaudiffemens par la maniére
dont elle a joué un rôle dans l'Ecole
des Mères; les graces de l'ingénuité & en
même temps la jufteffe d'expreffion qu'elle
a miſe dans les détails de ce petit rôle,
NOVEMBR E. 1761. 161
ont fait fentir au Public , que le talent de
cette jeuné perfonne étoit fufceptible de
progrès .
Ceux que fait journellement M. Molet,
reçoivent auffi de nouveaux encouragemens
dans plufieurs rôles. Le feu dont ce
jeune Acteur eft animé, eft une difpofition
ordinairement favorable & toujours favorifée
par le Spectateur, furtout lorsqu'il
s'apperçoit que l'on travaille à régler ce
feu & à le foumettre par le raifonnement
& par une attention foutenue , à donner
à l'organe de la voix les grâces & la jufteffe
, fi indifpenfablement néceffaires
pour réuffir dans la déclamation .
COMEDIE ITALIENNE.
MILE Vilette , à laquelle le Public
n'a point ceffé d'être très-favorable , a
continué fon début prèfque toujours dans
les mêmes Piéces , dans lefquelles elle
avoit commencé à paroître ; fçavoir l'Iſle
des Foux , la Servante Mattreſſe & la
Fille mal gardée .
Elle a joué pendant deux Repréfentation
de Mazerle Rôle qu'une indifpofition
avoit obligé Mlle Favart de difcontinuer.
Cette dernière Piéce étoit à la douziéme
Repréfentation, le 22 Octobre.
162 MERCURE DE FRANCE.
Le 7 , on avoit remis fur ce Théâtre
une petite Comédie en un Acte , de fett
M. Laffichard , intitulée la Famille , qui
avoit été donnée pour la première fois ,
en 1736 .
: Le Mercredi 22 , on hazarda fous le
titre des Ridicules dujour , la première
Repréſentation d'une Comédie , intitulée
la Mode , Piéce en trois Actes , imprimée
dans les OEuvres de Madame de
Staal , de laquelle par conféquent nous
ne donnerons pas l'analyfe. Cette Piéce
d'ailleurs n'ayant pas réuffi , a été auffitôt
retirée.
Il y a de l'efprit dans cette Comédie &
du ftyle dans quelques - uns de fes détails ,
fuffifamment pour juftifier l'éffai qu'on en
a fait , & avoir engagé les Comédiens
au travail de l'étude. Son mauvais fuccès
donne lieu à quelques obfervations , qui
peuvent être de quelque utilité pour l'art
du Théâtre. La première eft , qu'en gé
néral , il eſt très-rare que des ouvrages
dramatiques deftinés à l'amufement d'une
Société particulière, telle que paroît avoir
eu pour but cette Comédie , ait le même
fuccès fur la Scène publique. Tant de petites
circonstances , heureufement faifies ,
préfentées avec art , relatives fouvent à
ceux qui compofent ces Sociétés , ou à
NOVEMBRE. 1761. 163
ceux qui font les objets les plus fréquens
de la plaifanterie , quelquefois même à
ceux qui repréfentent , font le mérite de
ces fortes d'ouvrages ; mais deviennent
indifférentes & fouvent ridicules pour le
Public , qui n'en eft pas affecté de la même
manière , fans que fon jugement puiffe
être regardé alors comme une cenfure ,
ni de l'Auteur , ni de l'Ouvrage , ni des
applaudiffemens qu'on y avoit donnés.
La feconde obfervation , plus particu
lièrement applicable au fujet de cette Piéce
, c'eſt la difficulté de bien voir , pour
les bien peindre , les Ridicules , qu'on
appelle du Temps. L'apparente facilité de
les faifir eft perfide ; on croit les trouver
dans les Roians , dans les Contes &
dans les petites moralités chagrines du fiécle
, dont les Auteurs fouvent n'en ont
emprunté que quelques Copies infidelles
au Théâtre , auquel à leur tour ils rendent
auffi les leurs encore plus incorrectes &
plus groffières. D'où il s'enfuit que dans
tout cela on n'a pas vu ces ridicules précifément
comme ils font , dans le tableau
original du monde où il falloit les voir .
La vérité cependant , qui a une force ſecrette
dont on ne peut fe défendre , même
en la trahiffant , murmure tout bas à l'inf
tinct de l'Auteur Comique ; il ne recon
164 MERCURE DE FRANCE.
noît pas , il ne s'avoue point ; mais il fent
l'incertitude de fa vue : il en accufe alors
la foibleffe de fes crayons ; il appuye , il
accumule les traits , il monte le ton de
couleur , & la Piéce tombe . Plus le Public
entrevoit les fineffes de nuances qui
doivent être dans l'original , plus il eft
frappé de l'infidélité des Copies.
Enfin une autre vérité générale pour le
genre de Drame Comique , c'eft la fupériorité
de génie,de talens & de perfection ,
beaucoup plus indifpenfable dans la Profe
que dans les Vers .
Sous le fard de la verfification , Thalie
cache fouvent bien des irrégularités . C'eſt
une Beauté vive , dont la parure éblouit
par fon éclat , qui féduit & ne fe laiffe pas
trop examiner. La Profe , au contraire ,
la réduit aux feuls attraits naturels ; il
faut qu'elle plaife par fes propres charmes.
Attentif & paifible contemplateur de fes
traits , l'Esprit en mefure fcrupuleufement
toutes les proportions , & ne ſe livre qu'après
avoir difcuté le droit qu'ils prétendent
à plaire. Sans décider fur le plus ou
le moins de mérite entre l'une & l'autre
de ces deux manières d'écrire la Comédie ,
il est conftant qu'entre autres écueils que
la Profe rencontre , un des principaux eft
la prétendue facilité qui féduit la pareffe
NOVEMBRE . 1761 . 165
& trompe l'ignorance. Il n'eft point d'art
qui exige tant de talens pour y exceller ,
que ceux dont la pratique paroît la plus
facile & la plus commune à tout le
monde.
Le peu de fuccès de la Comédie des
Ridicules du Jour , ne doit pas dérober
aux Acteurs qui étoient chargés des principaux
rôles , les éloges dûs aux éfforts &
aux talens qu'ils ont employés pour les
faire valoir . Nous faififfons avec plaifir
cette occafion pour remarquer que M,
le Jeune , l'un des nouveaux Acteurs de
cette Troupe , développe tous les jours.
de plus en plus les difpofitions avanta
geufes qui lui avoient procuré les premiers
fuffrages du Public , lefquelles fe
perfectionnent par l'encouragement qu'il
en reçoit avec juftice.
AM. DELAGARDE , Penfionnaire
adjoint au Privilége du Mercure pour
la Partie des Spectacles,
ONSIEUR ,
J'ai été impatientée d'avoir vu pendant
une partie de l'Eté nos grands Théâtres
166 MERCURE DE FRANCE.
prèfque déferts ; j'ai regardé la révolution
du goût qui en étoit cauſe comme une
frénéfie , dont la plupart de ceux qui en
étoient affectés ne fentoient pas tout le ridicule.
Dans le chagrin que j'en avois
( parce que la tranquillité de ma fituation
ne m'en fournit guère d'autres , ) j'avois
écrit à une de mes amies en Province ;
cette amie exige de moi que je rende ma
lettre publique , toute informe & toute
folle qu'elle puiffe être. C'eſt à vous , Mr.
de me rendre ce mauvais office , fi vous
penfez néanmoins ne pas trop déffervir le
Public ; car il ne faut fâcher perfonne ,
encore moins fes Maîtres. Dites -lui donc,
je vous prie,très - humblement de ma part,
que je ne prétends point gêner ni cenfurer
le goût & les opinions de qui que ce
foit. Je ne prétends qu'au plaifir de dire
bien haut & à bien du monde , la façon
dont je vois. Que l'on en rie , que l'on
me brocarde tant qu'on voudra ; pourvû
qu'on ne s'irrite pas , je ferai la plus fatisfaite
de toutes les femelles Auteurs qui fe
font gliffées dans la République des Lettres
. Voici la copie de ma Lettre.
33
A Madame Bovc ..... le 20 Sept. 1761 .
Je crains fort , ma chère Dame, que
par un excès de rafinement fur nos plai-
» firs , nous ne retournions , fans nous en
NOVEMBRE . 1761 . 167
5)
"
appercevoir , jufqu'à la Barbarie de nos
gothiques Ancêtres . L'attrait de la farce
s'oppofa long -temps au progrès de notre
Théâtre ; on ne pouvoit la perdre
» de vue dans nos premiers chef-d'oeuvres
» Dramatiques. Le même attrait nous fait
dédaigner aujourd'hui d'autres chef-
" d'oeuvres qui étoient en poffeffion de
toute notre admiration ; qui honorent
» les âmes qu'ils touchent encore , &
» forment les efprits qui s'en amuſent.
Nous rejoignons les deux bouts , ma
chère , les extrémités fe rapprochent ;
» encore un petit cours de bouffonnerie,
» elles fe confondront à ne les plus diftin-
» guer.
"
» Un Spectacle s'eft introduit depuis
peu, auquel on ne peut donner de nom,
parce qu'il n'a point de genre. Il tient
» lieu de l'Opéra - Comique ; il en prend
» le titre fans en avoir ni la forme ni le
» fond. Ce ne font plus des pensées faillantes,
fpirituellement tournées & fou-
" vent délicates qu'on trouvoit dans les
vrais Opéra- Comiques , tels que dans
» la Chercheufe d'Efprit , le Coq du Village,
les Amours Grivois ,le Bal de Straf
bourg, le Suffifant , & plufieurs autres.
» Ce ne font plus des Vaudevilles dont le
chant agréable & facile fe prêtoit à l'en
68 MERCURE
DE FRANCE .
23
38
» chaînement du Dialogue , auquel par
,, cette raifon l'Auditeur , ami des vraifemblances
, fe prêtoit à fon tour avec
» moins de répugnance . Ceje ne fais quoi
», dont il eſt queſtion , ce petit monftre
burlesque auroit quelqu'affinité avec
l'Opéra bouffon des Italiens , s'il avoit
» comme fon prétendu modéle
»
"
" une
» matche plus régulière & plus univoque.
Mais il tombe à tous momens de l'A-
» riette bruyante , au Dialogue parlé . De
» ce Dialogue , il reffaute fubitement à
Ariette . A peine l'efprit s'accroche-t -il
à quelques mots d'une fcène , qu'il eft
tout-à-coup accablé par le bruit épou-
» vantable avec lequel s'annonce le plaifir
qu'on prépare à l'oreille. Celle-ci ,
» n'en eft pas mieux traitée : à peine com-
"3
mence-t - elle a s'accoutumer un peu
» aux cliquetis de l'Ariette fecondés par
» l'Orcheſtre , qu'elle refte fubitement à
» vuide pour n'entendre que quelques
» mots qu'on n'a pu placer dans le toifé
des Vets d'Ariette ; car c'eft une verfification
toute particulière que celle- ci ,
» & qui ne tient en rien de la Poëfie ;
» quoique ce ne foit pas même de la pro
fe rimée . Oh , nous fommes très- nou-
» veaux & très-finguliers dans nos inventions
modernes ! Tel eft cependant ,
•
Madame ,
NOVEMBRE . 1761. 169
ן כ
1
Madame , le plus favori de nos amufemens.
Quand le Maréchalboit & chan-
» te près de fon enclume , il faut que les
héros de la Gréce & de Rome , que s
» Dieux mêmes fe taifent fur nos Théâ-
» tres , ou qu'ils ne parlent plus que pour
» un petit nombre d'amis du bon vieux
» temps. Que ceux dont les occupations
» graves , les foins importans travaillent
» & fatiguent journellement l'efprit ,
» cherchent à le délaffer quelquefois par
» ce qui ne peut jamais l'occuper , rien
» de fi naturel , rien de fi raifonnable ;
Que ceux encore dont les paffions agi-
» tent ou oppriment l'âme , courent , en
» fe fauvant d'eux- mêmes , fe réfugier à
» ces jeux libertins , comme dans un afyle
privilégié où rien ne parle au coeur ,
qu'y a - t-il de plus tolérable ? Mais que
» de fang froid , par un choix de préfé-
» rence , par un goût dont on fait fem-
» blant de raifonner le principe , ces fri-
» volités contraires à toutes les régles des
» Arts , deviennent un amufement univerfel
& dominant ; c'eft ce que je ne
puis voir fans peine , parce que je ne
» fuis pas encore fans toute cette espéce
de raifon , & que je vois pour notre
» Nation , dans cette éffervefcence , un
» ridicule plus dangereux que beaucoup
"
35
>>
و د
H₂
170 MERCURE DE FRANCE.
» d'autres. Eh , s'il nous faut abfolumen
» des hochets , ne pourroit- on pas chan-
', 'ger celui- ci ' contre un autre qui ait un
peu moins de grelots qui n'agacent
pas tant les oreilles délicates ?
"
ور
39
»
38
#
la » Cet égarement du goût , ainfi que
plupart des autres , eft une fuite des
égaremens progreffifs de la Mufique.
» Je penferois affez fur cela comme l'Au-
» teur du Coup d'oeil de l'Opéra. Nous
commençons à devenir trop fçavans en
» Mufique , pour qu'elle foit encore fen-
» fible & raiſonnable. A l'exemple des
» Grecs , nous avons fait tant de petites
recherches , que les grands principes
font oubliés , & nous fommes fi grecs
» dans cet Art , que notre Mufique ne
» parle plus François . Le genre de la Mufique
n'a jamais été cependant confi-
» déré comme une chofe indifférente
» pour la Société ; elle n'a pas échappé à
» la prévoyance des plus fages Légifla-
» teurs : on étoit perfuadé avec raifon
» qu'elle influoit fur le caractère & fur
» les moeurs d'une Nation , parce qu'elle
» en forme & difpofe prèfque tous les
goûts , & que les goûts produifent des
» ouvrages plus ou moins avantageux au
génie général de la Société.
›
Accoutumé à fe plaire au bruit d'une
NOVEMBRË. 1761 . 171
harmonie licentieufe , fans ordre , fans
frein , fans autre objet que la féchereffe
de fes régles ; peut- on habituer
fon efprit à fentir le prix des conve-
" nances & à connoître d'autres loix ,
رو
>> pour fes productions , que les folles
inſpirations du caprice ? D'un autre côté
, encore plus intéreffant , lorſque la
Mufique ne peindra que les images les
plus triviales ou les plus burlesques , &
que par une espéce de débauche , on
» n'écoutera , on n'aimera , on ne vantera
que cette forte de Mufique ; comment
dis-je éviter que bientôt on ne
perde tout fentiment du beau,du grand ,
enfin des tout ce qui peut élever les
» ames & enflammer le génie ? Voici mon
-» dernier mot, Madame , & fur cette Mu-
3
fique & fur les petits mots qu'on faufile
deffous. En occuper plus longtemps
» le Public , c'eft en bonne foi laiffer un
» enfant de bonne maifon s'amufer dans
» l'antichambre & c.
De quelque manière que vous voyiez
le chagrin qui m'avoit dicté la lettre cideffus
, vous me ferez plaifir , Monfieur ,
de lui donner toute la publicité que procure
le Journal où vous avez part ; je me
facrifie en cela au plaifir de mon amie
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
qui le defire. Sacrifiez - moi votre opinion
fi elle eft contraire à la mienne
fans quoi je douterois de l'impartialité
dont vous devez faire profeffion . Je fuis ,
Monfieur & c. DEGASTIN femme d'ENTREVILLE.
15 Octobre 1761.
Nota. La Dame qui nous a fait l'honneur
de nous adreffer fa lettre , par le
Joupçon dont elle nous menace nous
contraint poliment , comme on voit , à
fatisfaire l'empressement qu'elle a d'être
imprimée . Elle ne trouvera pas mauvais ,
s'il lui plaît , que pour éviter un pareil
foupçon de partialité de la part de tous
autres , nous inférions auffi exactement
ce qu'on pourroit nous adreffer de contraire
à fon fentiment ; pourvu néanmoins
qu'on obferve la modération convenable
par rapport à elle , & que l'on
figne les lettres.
SUPPLÉMENT à l'Article III. Sciences
& Belles-Lettres,
HISTOIRE, NATURELLE.
"
TROISILME LETTRE de M, JAUSSIN
, ancien Apoticaire Major des
NOVEMBRE. 1761. 173
>
Camps & Armées du Roi Maître
Apoticaire à Paris , à M. de B....
ancien Commiffaire des Guerres .
SUITE des Obfervations fur quelques
Parties de l'Hiftoire Naturelle de la
Corfe , &c.
ETTE Ifle , Monfieur , a auffi des lacs.
confidérables , tels font ceux de Creno &
d'Ino . On les trouve dans la piève de
Sorenza fur la cime d'une haute montagne
nommée le Gradaccio prèfqu'au
centre de l'Ifle , & que les Anciens appelloient
le Mont d'or , Mons aureus.
Le Golo a fa fource dans le lac d'Ino. De
la manière dont le Gradaccio eft fitué ,
il fépare la Corfe en deux parties. Le
cours du Golo peut être d'environ foixante
quinze milles . Il traverſe entiérement
les deux Jurifdictions de Corfe &
de Baſtia , & il va fe jetter dans la mer
à Mariana.
Il ne feroit pas impoffible , Monfieur ,
de rendre navigables plufieurs des rivières
de ce Royaume , en les faifant communiquer
les unes avec les autres ; car
on ne fçauroit croire combien fans
parler des gros ruiffeaux, on y en compte
>
Hijj
174 MERCURE DE FRANCE
de fortes & d'un long cours: Telles font
le Fiumalto dont la fource eft dans les confins
de la piève d'Orezza, & qui fe décharge
dans la mer à S. Pellegrin . Le Lavignano
qui vient du lac de Creno , à deux milles
de celui d'Ino fur le même mont Gradaccio.
Il paffe par des Pays déferts &
incultes , & aboutit à la mer auprès d'Aleria.
Il reçoit au- deffous de Corfe la pè
tite rivière de Reftonica qui vient de la
piéve de Venaco. C'eft elle dont les eaux
ont la fingulière propriété de blanchir &
de polir le fer , ainfi que je l'ai déja dit
dans ma premiere Lettre.
Le Fiumorbo eft une autre rivière de
la Corfe qui a deux fources , l'une dans
la piève de Vivario , l'autre dans celle
de Corfe , au centre des montagnes inhabitées
; elle s'embouche' dans la mer
au - deffus d'un étang appellé Stagno Orbind.
Le Liamone fort encore du lac
de Creno , & va ſe jetter dans le golphe
de
Sagone.
La
Gravonne à fa fource aux pieds des
montagnes de Bogognano , où elle reçoit
plufieurs gros ruiffeaux & traverſe un pays
fertile. Le Tavalo eſt formé auffi de beau
coup de ruiffeaux qui viennent de diffe
rens lieux , comme de Zitavo , montici
& c. Cette rivière fe jette au Golphe de
NOVEMBRE. 1761. 175
Valinco au- deffous d'Olmetto . Le Valin
co qui donne le nom à ce Golphe , prend
fa fource dans la Piéve de Scopamene &
paffe auprès de la Ville de Sartenne.
Encore une fois , Monfieur,il feroit facile
par le moyen de toutes les rivières ci- deffus
nommées , de tranfporter dans toutes les
Villes & Bourgs de l'intérieur de l'Ile ,
toutes les marchandifes & denrées de fon
cru ; & je me propofe de vous démontrer
une autre fois , qu'elle abonde en toutes
fortes de richelles totalement négligées
aujourd'hui , Au, refte on trouve dans ces
rivières une quantité prodigieufe de Truites
& d'Anguilles excellentes. Il y en a
des unes & des autres dont la groffeur eft
monftrueufe. D'ailleurs on n'y voit aucun
autre poiffon d'eau douce comme Carpe ,
Brochet & c .
Il y a auffi des Etangs en Corfe ; mais
celui de Diana eft remarquable. Il eſt formé
par les eaux de la Mer , & pendant les
chaleurs de l'Eté, celle qui eft fur les bords
fe défléche naturellement , & produit un
fort bon fel dont les Habitans pourroient
Le fervir.
J'ai l'honneur d'être & c.
A Paris ce 6 Septembre 1761 .
Lafuite au Mercureprochain.
Hiv
176 MERCURE
DE FRANCE.
P. S. Vous favez , Monfieur , que je
n'ai point l'honneur d'être Médecin , ainfi
je ne puis pas répondre à la première des
deux queſtions que vous me faites dans
votre Lettre du 20 Août . Les mots de
Diagnoftic & de Prognoftic & c. ne font
nullement de ma compétence . Quant à la
feconde queftion , elle eft un peu plus de
mon reffort , parce qu'elle appartient à
l'Hiftoire , dont toutes les perfonnes qui
veulent approfondir certains faits inconnus
, ont bien la liberté de s'occuper dans
quelque genre que ce foit. Cela pofé ,
Monfieur , il eft donc vrai que les Juifs
ne regardoient pas autrefois la lépre comme
une maladie contagieufe. Un favant
Auteur étranger du fiécle paffé en a donné
des preuves auffi claires que convain-
* dans un excellent ouvrage
qu'on acheva d'imprimer à Amfterdam
en 1687. 1º. Selon cet Auteur les maladies
peftilentielles attaquent les hommes
& le bétail indifféremment ; mais pour la
lépre , ou ne lit point qu'aucune bête en
ait jamais été atteinte. Il eft vrai qu'il eft
parlé d'une lépre des habits & des maifons
, mais on ne fait pas bien ce que
cantes
*
>
Jacoq. Alting, dum viveret SS. Litterarum in
Academia Groningana Profefforis , opera omnia. s
Vol. in-folio chez Gerard Borftius.
NOVEMBRE. 1761. 177
c'eft , & on croit que cette efpéce de contagion
n'a jamais paru hors de la Paleſtine,
2°. Il falloit que tous les Lépreux fe préfentaffent
à un Sacrificateur , qui les examinoit
avec beaucoup de foin , & qui
étoit ainfi obligé de les regarder de fort
près. Or fi la maladie eût été contagieufe ,
les Prêtres auroient été exposés à un
grand danger, eux que les travaux de leur
miniftère, & l'obligation de marcher nuds
pieds rendoient fi infirmes.
3°. Ceux qui étoient atteints de ce mal
fréquentoient librement parnii le peuple
jufqu'à ce qu'ils fuffent vifités par les Prêtres
& déclarés Lépreux. Or cette infpection
ne fe faifoit ni un jour de Sabbat
, ni un jour de Fête , pour ne pas troubles
la dévotion & les réjouiffances publiques.
Il n'y a pas d'apparence qu'on eût
renvoyé ainfi la féparation d'un peftiféré .
4°. Les Gentils qui n'étoient pas Profelytes
& qui demeuroient dans l'enceinte
de Canaan , n'étoient point obligés de
fe montrer aux Sacrificateurs , quoiqu'ils
fuffent Lépreux , & néanmoins perfonne
ne les empêchoit de converfer avec tout
le monde.
5 °. On enfermoit ceux qu'on foupçonnoit
d'être atteints de la lépre dans le
Champ, ou dans la Ville même , & on
Hy
1-8 MERCURE DE FRANCE.
n'en faifoit fortir que ceux qui avoient été
jugés Lépreux. Que s'ils venoient à guérir,
on ne leur permettoit de rentrer , qu'après
un grand nombre d'ablutions , &
d'autres cérémonies qu'il leur falloit obferver.
6. Selon le jugement que le Sacrificateur
prononçoit , on regardoit un homne
comme net , ou comme fouillé. On
fuyoit fa converſation , ou l'on fréquen
toit avec lui. Or il n'eft pas vraisemblable
que cette Sentence rendît une perfonne
plus ou moins contagieufe.
.
7. Et enfin la lépre univerfelle qui
couvroit tout le corps , ne rendoit point
fouillé , puifqu'on déclaroit nets, ceux qui
avoient le corps tout blanc de lépre , &
dans lequels il ne paroiffolt aucune chair
vive. Naaman le Lépreux avoit plufieurs
perfonnes à fon fervice , & il étoit lup
même Ministre du Roi de Syrie , ce qu'il
n'auroit pu être fi fa maladie eût été con
tagieufe . Auffi le mot Hébreu Tamé, qui
fe dit des Lépreux immondes & fouillés ,
ne marque qu'une impureté légale , & ne
s'applique point à ceux qui font affectés de
cette contagion .
Au refte , les Juifs croyoient fi peu que
la lépre étoit une maladie contagieufe ,
qu'ils penfoient au contraire que Dieu par
NOVEMBRE. 1761 . · 179
un effet de fes jugemens impénétrables ,
faifoit tomber cette maladie fur certaines
perfonnes comme une peine extraordinaire.
2
Voilà , Monfieur , tous les éclairciffemens
que je puis vous donner fur cette
matière. Vous voyez en même temps que
je vous prodigue extrêmement l'érudi ·
tion d'autrui , & je n'en rougis point. A
l'égard de la Plante nommée Goemon
M. Royer ne la connoît que par la def
cription qu'en a donnée le Père Gui Tachard
, Jéluite, dans fon Voyage de Siam ,
imprimé à Paris en 1686. C'est une herbe
, felon cet Auteur , qui couvrant prèfque
toute la furface de la mer , la rend
femblable à une grande prairie ; on commence
à la rencontrer lorfqu'on fait voir
le au Sud , à trois cens lieues du Cap de
Bonne- Efpérance . Ce Jéfuite conjecturoit
que le Goëmon venoit des côtes voisines ,
qu'il en étoit détaché par les vagues , &
que les marées , les courans ou les vents
le portoient en haute mer , mais non
pas fort loin des terres .
Pour répondre à votre autre queftion, -
Monfieur ; M. Royer dit que Malpighi
célébre Médecin Italien & très - grand Bor
tanifte , des oeuvres latines duquel on aune
magnifique édition imprimée à Londres
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
en 1686 , eft le premier qui a cru qu'on
pouvoit comparer l'état où le trouvent les
graines avant que de germer, à l'état où eft
le foetus des animaux qui produisent leurs
petits vivans , peu de temps après la conception,
fi ce n'eft que la plante eſt mieux
formée , & paroît plus diftincte que les
premiers principes de l'animal que l'on
voit dans l'oeuf , lequel fouffre des changemens
perpétuels , & s'augmente part
les fucs qui fe filtrent inceffamment au
travers de fes membranes. M. Royer
ajoûte que M. Malpighi finit la première
partie de fon Anatomie des plantes , par
la comparaifon qu'il fait entre leur femence
& les oeufs d'où fortent les animaux.
La réponſe de M. Royer vous
prouvera, Monfieur, que la plantation &
la culture de fes jardins , de même que la
lecture & la fréquentation des plus grands
Botanistes , emportent prèfque tout fon
temps .
Vous me mandez , Monfieur , dans votre
dernière Lettre , qu'avant de vous
abonner pour la Gazette de Médecine
vous feriez bien aife de favoir mon fentiment
fur cette feuille périodique. Certainement
, Monfieur , il ne m'appartient
point d'apprécier le mérite d'aucun ouvrage
d'efprit & de littérature: néanmoins
puifque vous le voulez, je vous le dirai inNOVEMBRË.
1761. 181
ceflamnjent avec toute l'impartialité, &
toute la bonne foi dont je me pique. Vous
me demandez encore quelle eft la devife
ou l'Epigraphe que l'Auteur met ordinairement
au Frontifpice de fa Gazette : vous
allez être fatisfait fur le champ , la voici
; il paroît même qu'à l'avenir il s'y
tiendra.
Tibi fe mortalia fæpè
Corpora debebunt . Ovid.
Je vous obferverai cependant , Monfieur,
qu'il en a adopté une auparavant qui
me plaifoit infiniment , & j'ignore pourquoi
l'Auteur l'a fupprimée. Vous en jugerez
tout- à-l'heure . Emendat ridendo.
Peut on difconvenir que cette penfée -là
ne foit auffi neuve que brillante ? Je la
trouvois fupérieure affurément au Caftigat
ridendo mores du fameux Santeuil
que vous avez lû cent fois ici fur la toile
qui eft au- devant du Théâtre de la Comédie
Italienne . Je puis pourtant me tromper.
Au furplus , Monfieur , vous faites au
mieux de lire le Journal de Médecine . C'eſt
un Ouvrage bâti fur des fondemens folides
, & qui a acquis le droit de plaire
& d'intéreffer. On n'y voit ni mauvaiſes
plaifanteries , ni rapfodies triviales , capa- ·
bles d'ennuyer & de dégoûter les Lecteurs
délicats.
182 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
De PETERSBOURG , le 24 Septembre 1761 .
L Efieur de Werner , Lieutenant Général des
Armées du Roi de Pruffe , s'étant avancé vers
Treptow avec un Corps d'Infanterie & de Cavalerie
, le Comte de Romanzow a fait marcher
contre lui deux bataillons de Grenadiers , huit
Efcadrons de Dragons & de Huffards , & quelques
Cofaques , fous les ordres du Colonel Bibikow.
Ce détachement ayant coupé les Pruffiens ,
les a attaqués fi vivement , qu'après un combat
de peu de durée , le fieur de Werner s'eft rendu
prifonnier , ainfi que treize Officiers & cinq cens
hommes. Le reste du Corps ennemi a été taillé en
piéces , ou difperfé . On s'eft emparé de deux pićces
de canon .
De WARSOVIE , le 30 Septembre .
Un Corps confidérable de troupes Pruffiennes ,
commandé par le Général Plathen , ayant pénéré
jufqu'à Kobielin & à Koftin , a ruiné les Mar
gazins que le Feld- Maréchal de Butturlin y avoit
établis. Bien loin que cet incident faffe perdre de
vue au Feld Maréchal les opérations qu'il a entamées
dans la Poméranie & dans le Brandebourg ,
il s'eft rapproché de ces Provinces , & il a conduit
l'Armée Ruffe en cinq marches , de Radomitz à
Wronki fur la Wartha . Le Knès Dolgorucki, avec
NOVEMBRE. 1761. # 183
ta Divifion des troupes Ruffes , qui eft à les ordres
, fera bientôt à portée de joindre le Général
Romanzow devant Colberg.
•
De STOCKOLM , le 2 Octobre.
Le Roi a revêtu du caractère de fon Ambaffadeur
à la Cour de France , le Baron de Scheffer ,
fon Miniftre Plénipotentiaire auprès de la même
Cour.
On fut informé le 29 du mois , dernier , par des
Lettres de Hambourg , que le 18 il y avoit eu en
Pomeranie , entre un détachement de dix-huit
cens Suédois , aux ordres du fieur de Springport ,
& le Corps Pruffien , commandé par le Colonel
Belling , une action fort vive , dans laquelle les
ennemis avoient été mis en fuite avec une perte
confidérable. Cette nouvelle a été confirmée par
les dépêches du Général Ehredfchwerdt .
On écrit de la rade de Colberg , que le 18 du
mois dernier , les Ruffes avoient tenté de forcer
les lignes du Prince Eugène Fridéric deWirtemberg
Quoique le fuccès n'ait pas répondu entiérement
à l'efpérance des Affaillans , ils ont réuffi néanmoins
à s'emparer d'une batterie de fept canons.
De VIENNE , le 10 Octobre.
Le Comte du Châtelet - Lomont , Miniſtre du
Roi de France en cette Cour , ayant reçu ordre
de Sa Majesté Très - Chrétienne d'y prendre le
caractère de fon Ambaladeur Extraordinaire ,
eut le 4 de ce mois , en cette qualité , fes premières
audiences de Leurs Majeſtés Impériales .
On vient de publier ici les détails de la priſe de
Schweidnitz par les troupes aux ordres du Général
Loudon , fecondées des Ruffes . La vigueur
& la promptitude que l'on a apportées à l'exé-
Eution d'une entrepriſe fi glorieuſe pour le Baron
184 MERCURE DE FRANCE.
de Loudon , n'ont pas laiffé au Général - Major
Comte de Zaftrow qui commandoit dans la
Ville , le temps de propofer une capitulation . Ila
été fait prifonnier avec toute fa garnifon , compofée
de trois mille hommes. Cette action fe palla
la nuit du 30 du mois dernier au premier Octobre.
En trois heures de temps nous nous fommes
rendus maîtres de toutes les parties de la Ville.
Entre les particularités qui rendent cet événement
plus remarquable , on doit obferver que
notre artillerie n'y a point eu de part. Notre infanterie
a percé partout la bayonnette au bout
du fufil ; & l'on ne s'eft fervi contre la Ville
que des canons dont on s'étoit emparé dans les
Forts.
Les Ruffes ont eu , à cet affaut , cinquante &
un hommes tués , & quarante- fix bleffés. Dans
les troupes Autrichiennes
, on compte douze Of-.
ficiers & deux cens foixante - fix Soldats tués, cinquante
Officiers & neuf cens cinquante-fept Soldats
bleffés.
On a trouvé dans Schweidnitz cent trente-fix
canons de bronze , vingt - fix de fer , deux obufiers,
trente-huit mortiers de bronze , fix de fer , deux
pierriers , & cent trente- cinq petits mortiers à
grenades. Le Prince Charles de Lichtenftein a été
envoyé pour préſenter à Leurs Majeſtés Impériales
vingt- cinq drapeaux de la garniſon prifonnière.
On mande de Siléfie , que , depuis la prife de-.
Schweidnitz , le Roi de Pruffe , qui étoit allé
camper dans les environs de Neifs , a fait un
nouveau mouvement , pour fe porter, à ce qu'on
croit , vers Breſlau .
De MADRID , le 29 Septembre.
On mande de Lisbonne , que , dans l'Autodafé
NOVEMBRE . 1761. 185
du 20 de ce mois , le P. Malagrida , Jéfuite , a
été étranglé, & ſon corps jetté dans le feu ; l'Inquifition
l'ayant condamné comme hérétique &
comme s'étant attribué fauffement le don de
Prophétie. Le nombre des perfonnes contre lefquelles
ce Tribunal a prononcé différentes peines,
étoit de foixante-deux, favoir : quarante-deux
hommes & vingt femmes. Il y avoit parmi les
hommes fix Juifs, un Dominicain & un Religieux
de l'Obfervance.
De Londres , le 13 Octobre.
Le 6 de ce mois , le fieur Pitt , l'un des Miniftres
& Secrétaire d'Etat des Affaires Etrangères,
donna fa démiffion au Roi , qui nomma à ſa place
le Lord Comte d'Egremont,ci devant premier Plénipotentiaire
de la Grande-Bretagne au Congrès
d'Ausbourg .
L'Amiral Rodney eft allé prendre le commandement
de l'Efcadre de Portsmouth , deftinée
pour la grande expédition dont on flatte le
Peuple , & qui eft prête à mettre à la voile, lorfque
les vents feront favorables . On embarque une
grande quantité de bombes à Wolwich.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , des Armées
Paris , &c.
LE
De VERSAILLES , le 8 Octobre 1761 .
de
E 21 , du mois dernier , le Roi tint le Sceau."
Le Vicomte de Bellunce , en arrivant à la Cour,
a été préſenté au Roi , à la Reine & à la Famille
Royale.
186 MERCURE DE FRANCE.
"
· Le Roi a diſpoſé du Commandement de Lan
guedoc , vacant par la mort du Maréchal Comtes
de Thomond , en faveur du Duc de Fitz-James.
Sa Majefté a accordé au Comte de Thomond ,
fils aîné du Maréchal , le Régiment d'Infanterie
Irlandoife de Clare qu'avoit fon père . Elle a nom
mé , pour commander ce Régiment , en qualité.
de Colonel en fecond , jufqu'à ce que le Comteli
de Thomond foit en âge d'en prendre le commandement
, le fieur de Fitz-Gerald , Brigadier :
Colonel réformé à la fuite de ce Régiment.
Le 27 du même mois , Madame Adelaide &
Madame Victoire revinrent des eaux de Plombieres
. Madame la Dauphine , & Mesdames Sophie
& Louife , allerent au -devant de ces Princeffesjufqu'à
Meaux.
le.
Par un Edit du mois d'Août de cette année ,
Roi a créé une Charge d'Aumônier ordinaire de
Sa Majesté en faveur de l'Abbé de Sainte Aldegonde
, un de fes Aumôniers de quartier .
Celle d'Aumônier de quartier , vacante par la
mort de l'Abbé de Beaupoil de Saint- Aulaire , a
été donnée par Sa Majesté à l'Abbé de Caſtelane.
Vicaire Général du Diocèle du Puy. L'Abbé de .
Durfort , Vicaire Général du Diocèle de Tours , a
obtenu celle qui vaquoit par la démiſſion de l'Abbé
de Sainte Aldegonde.
Le 27 , le fieur Lefranc de Pompignan , un des
Quarante de l'Académie Françoife, eut l'honneur
de préfenter au Roi l'Eloge Hiftorique de feu
Monfeigneur le Duc de Bourgogne.
Les de ce mois , le Roi de Pologne, Duc de Lor
raine partit pour retourner à Luneville.
De l'Armée commandée par le Maréchal Duc de
Broglie , le 4 Octobre.
L'Armée campa , le 11 du mais. dernier , fur
NOVEMBRE. 187 2 1761.
les hauteurs d'Eimbeck. Le Comte de Luface fe
porta avec la réserve à Gandersheim , & le Baron
de Clofen s'avança à Altengandersheim. Il a marché
le 14 à Sefen , & le 15 à Goflar . Le Général
Luckner s'eft retiré à Hildesheim .
Le 13 , le Maréchal de Broglie , ayant eu avis
par le Comte de Caraman , qu'un Corps des ennemis
, qui avoit paffé le Wefer dans les environs
de Hoxter , venoit s'établir à Neuhaufs , lui ordonna
d'attaquer ce Corps. Le Comte de Caraman
marcha avec promptitude ; il trouva les ennemis
, moitié campés , moitié au Bivouac fur les
hauteurs au- delà de Neuhaufs . Pour ne pas leur
donner le temps de fe reconnoître , il les fit attaquer
par les Volontaires d'Auftrafie , le bataillon
des Grenadiers & Chaffeurs de la Brigade de Caftella
, le Régiment de Dragons de Baufremont
& fa Cavalerie , fans attendre le refte des troupes
qui devoient lejoindre. On a pris un drapeau
& trois piéces de canon ; on a fait cent cinquante
prifonniers ; le Camp a été pillé , & l'on a enlevé
beaucoup d'équipages.
Le Prince Ferdinand ayant paffé la Dymelle 18
avec toute fon Armée , le Comte de Stainville , qui
campoità Grebenſtein , s'eft replié fur Caffel , & a
occupé le Campretranché près de cette Ville. Le 19,
le Prince Ferdinand s'eft avancé à Oberfelmar &
Jmmershaufen; le 20, il a fait un mouvement rétrograde
& a campéjentre Immerhaufen & Weymar.
Le Prince Héréditaire s'eftporté à Fritzlar.
Le 19 , le Maréchal de Broglie arriva de fa
perfonne à Caffel , après avoir donné les ordres
néceffaires aux différens Corps de troupes qu'il a
laillés dans le pays de Hannovre . Il a approuvé
les difpofitions que le Comte de Stainville a fai
tes , & il a envoyé un Corps aux Ordres du Comte
de Rochambeau , pour s'oppofer aux entrepri
188 MERCURE DE FRANCE.
fes du Prince héréditaire. Le fieur Orbs, Major di
Régiment Royal-Naffau , rencontra le 15. près de
Gollar , un détachement de fept cens hommes de
Cavalerie Pruffienne ; il les a attaqués , & leur a
pris cinquante Cavaliers, foixante- dix chevaux, un-
Major & quelques autres Officiers.
Le 24 , on fut informé que le Prince héréditaire
de Brunswick , qui depuis quelques jours
campoit à Fritzlar , s'étoit replié le 23 fur Hoff,
où il a remplacé le Corps de troupes commandé
par le Général Kilmanfeg , qui s'eft retiré íur Volfaguen
. Le Corps aux ordres du Comte de Rochambeau
s'eft avancé à Nider- Vorschutz , près de
Virkel.
Les différens détachemens que le Maréchal de
Broglie avoit envoyés fur le Vefer entre l'embou
chure de la Dymel & Hamelen à droite de ce
fleuve , ont enlevé , après l'avoir pallé en différens
endroits , plufieurs potes que les ennemis
avoient à fa rive ganche , & ont intercepté la na--
vigation de Hamelen à leur armée .
Le 22 , le fieur de Verteuil, qui avoit été envoyé
pour reconnoître la Caſcade du Veillenſtein près
de Caffel , la trouva occupée par des Anglois &
par des Montagnards Ecoflois . Il les atraqua , &
malgré leur réfiftance & la force de ce pofte , il les
emporta l'épée à la main. Aucun d'eux ne s'eft
fauvé. Le fieur de Verteuil a ramené cent douze
prifonniers & deux Officiers .
Le Maréchal de Broglie ayant détaché le Comte
de Vaubecourt , Brigadier , pour attaquer le
Château de Schartzfeld , ce Château a été pris le
25. On y a trouvé quatorze piéces de canon. La
garnifon , qui a été faite prifonniere , étoit compofée
de feize Officiers , neuf Sergens , & trois cens
quarante- huit Soldats.
Le Prince Ferdinand a repaffé la Dymel la nuit
NOVEMBRE. 1761 189
du 2 au 3 de ce mois , & a abandonné la Helfe.
Les ennemis ont été forcés à cette retraite par les
mouvemens que l'Armée du Maréchal de Broglie
continue de faire avec fuccès dans l'Electorat de
Hannovre. Ceux du Maréchal de Soubife vont
fans doute rappeller fur la Lippe , le Corps du
Prince Héréditaire.
Du Camp de COESFELDT , le 29 Septembre.
2
Depuis que le Prince héréditaire s'eft éloigné
de la Lippe pour le porter vers la Heffe, les détachemens
chargés d'éclairer la marche ont fait
quelques prifonniers entre Soeft & Erveté . L'Armée
s'eft rapprochée de Munfter , & le Prince de
Condé le porta le 17 avec la réſerve à Halteren .
Le 18 , l'Armée repaffa la Lippe. Elle campa le
1.9 à Dulmen , & le 20 à Coesfeldt. La réſerve
cámpa le 20 à Oftenwick, & le 21 à Hautmars .
Le fieur de Chevert , Lieutenant-Général , eft
refté à la rive gauche de la Lippe avec la maiſon
du Roi & un Corps de troupes à fes ordres .
Le Marquis de Conflans s'eft emparé le 25 de
la Ville d'Embden, dont la garnifon , composée
de troupes Angloifes , s'eft rendue prifonniere de
guerre. Il a trouvé dans cette place des magalins
très-confidérables de toute efpéce.
Le Marquis de Viomenil s'eft porté dans le
pays de Diepholt, & il a pénétré jufqu'à Hoya , od
il a brûlé des magafins auffi très- considérables appartenant
à l'Armée des Alliés .
Le Baron de Wurmfer , Maréchal de Camp ,
s'eft rendu maître d'Ofnabruck , eft entré dans
le Comté de Ravensberg , & y a de même étruit
& brûlé tous les magafins que les Alliés y avoient
allemblés depuis long- temps à grands frais. On
eftime que ces différens magafins forment un objet
de plus de trois millions de rations de fourago
MERCURE DE FRANCE.
"
T
ge & d'avoine. Ceux qui fe font trouvés dans le
Tecklenbourg & le Comté de Lingen ont été auffi
détruits.Le Marquis de Voyer s'étoit porté à Rhene
, pour foutenir ces différens détachemens , &
le Comte de Melfort s'étoit avancé à Bevergen &
Ippenburen. L'Armée campe à Coesfeldt.
1
Quelques Payfans de l'Ooftfrife ont pris les armes
, dans le deflein de s'oppofer aux troupes
commandées par le Marquis de Conflans , & il a
été obligé de marcher à eux pour les réduire. On
en a tué une centaine qui le défendoient contre les
Troupes du Roi. Le Baron de Wurmfer eſt arrivé
en Ooft -frife avec un détachement , pour foutenir
le Marquis de Conflans.
Le Prince de Condé , après un fiége de deux
jours ,s'eft emparé de la Ville de Meppen. On n'a
point encore le détail des effets qui le font trou
vés dans cette Ville ; le Prince de Condé mande
qu'ils font confidérables . La garniſon eft prifonnière
de guerre.
Du . PORT de l'ORIENT , le 18 Septembre.
Il arriva hier dans cette rade un Paquebot Parlementaire
Anglois, fur lequel étoient embarqués
cent douze habitans de Belle-Ifle , quela faim; la
mifére , & encore plus les mauvais traitemens
qu'ils éprouvoient de la part du fieur Hogdon ,
ont obligés d'abandonner cette Ifle , & de venir
chercher du pain, dans le continent de la France .
Plus de cinq cens infortunés font actuellement
réduits dans Belle - Ifle à la même extrémité. Les
Bourgeois font les plus à plaindre , n'étant pas accoutumés
à travailler pour gagner leur vie.LesAnglois
fans ceffe leur cherchent querelle, afin de les
forcer de s'expatrier , & de pouvoir s'emparer de
leurs maifons, de leurs meubles,fous prétexte de
NOVEMBRE . 1761 191
·
"
leur émigration. On a appris par ce Paquebot, que
l'on avoit fait embarquer une grande partie des
équipages des troupes Angloifes , mais qu'elles
étoient encore toutes àterre, & dans les mêmes pofitions
; qu'elles étoient employées fans relâche à
fortifier la Côte dans toute fon étendue , & que la
fatigue & la mauvaiſe nourriture y caufoient une
grande quantité de maladies .
De PARIS le ·10 Octobre.
Le tirage de la neuviéme loterie de la Ville de
Paris , fe fit , le 17 du mois dernier , dans l'Hôtel-
de-Ville , avec les formalités ordinaires. Le
premier lot , qui étoit de cinquante mille livres ,
eft échu au numéro 5445 ; celuide vingt mille au
numéro 2896. Les deux lots de dix mille font
réchus aux numéros 1949 & 18669 .
Le 16 & le 17 du même mois , on a fait dans
l'Hôtel -de-Ville , le quatriéme tirage de la loterie
des primes réfultantes de l'emprunt ordonné
par l'Arrêt du Confeil du 21 Juin 1757. La prime
de douze mille livres a été gagnée par le numéro
- 1375 , & celle de fix mille par le numéro 34637.
Les porteurs des billets de cette loterie font avertis
qu'a la fin du mois d'Octobre de l'année prochai
ne , on fera , chez M. Blondel de Gagny , Tréfe
⚫rier de la Caiffe des Amortiffemens , l'échange
des coupons des annuités échues au premier Oc
tobre 1761 , ainfi que des billers gagnans les Primes
du préfent tirage , en reconnoiffance de ladite
Caiffe des Amortiffemens , garnies de coupons
d'intérêts du montant des Primes. "
192 MERCURE DE FRANCE.
SUPPLEMENT à l'Art. des Nouvelles
Politiques de France.
De VERSAILLES , le 22 Octobre.
Le 13 de ce mois , le Baron de Scheffer , Ambafladeur
du Roi de Suéde , eut une Audience particuliere
du Roi , dans laquelle il préfenta fes lettres
de Créance à Sa Majefté. Il fut conduit à cette Audience
, anfi qu'à celles de la Reine & de la Famille
Royale, par le fieur de la Live , Introducteur des
Ambaffadeurs.
Le même jour , le Roi tint le Sceau.
Le Comte de Choifeul , Lieutenant Général des
Armées du Roi , & Chevalier de ſes Ordres, prêta
ferment , le même jour , entre les mains de Sa Majefté
, pour le département des Affaires Etrangeres.
Le 14 , le fieur Berryer prêta ferment authentre
les mains du Roi , en qualité de Garde des Sceaux.
Sa Majefté a chargé du Département de la Marine
le Duc de Choiteul , qui conferve en même
tems celui de la Guerre.
La Dame Berryer a pris le Tabouret chez la
Reine.
Le 2 le fieur de Buffy , Miniftre Plénipotentiaire
du Roi près de Sa Majefté Britannique , revint ici
de Londres. A cette occafion il a eu l'honneur d'être
préfenté le 11 à Sa Majefté par le Duc de Choiseul.
Le Roi a donné l'Abbaye de Ste Gloſſinde , Diocéfe
de Metz , à la Dame de Choifeul Beaupré
fur la démiffion de la Dame de Hotman ; l'Abbaye
de S. Laurent , Diocéfe de Bourges , à la Dame
de Laftic ; celle du S. Elprit , Diocéfe de Béziers ,
à la Dame de Beauffet-Roquefort , & celles d'Ollieux
>
-NOVEMBRE. 1781. 193
lieux , Diocéfe de Narbonne , à la Dame de Niquet.
Le 16 , le Général Fontenay , Envoyé extraor
dinaire de la Cour de Pologne , préſenta au Roi le
Conte de Bellegarde , Lieutenant Général des Ar
mées & Confeiller privé du Roi de Pologne Electeur
de Saxe , & le fieur de Zavoiski , Colonel &
Adjudant de Sa Majefté Polonoife.
Le Roi a nommé Commandant en Dauphiné
le Marquis du Mefnil , Lieutenant Général de fes
Armées, & lui a ordonné de fe rendre inceffament
dans cette Province , pour y prendre poffeffion du
Commandement qu'elle lui a confié . Sa Majefté a
admis dans fon Confeil des Dépêches le fieur Feydeau
de Brou , Confeiller d'Etat ordinaire , & au
Confeil Royal , Doyen du Confeil . Elle a accordé
une Place de Conſeiller d'Etat au fieur Pineau de
Lucé , Intendant d'Alface .
Cérémonie de Baptême.
Le 18 de ce mois , l'Archevêque de Narbonne
Grand Aumônier de France , fuppléa les cérémonies
du Baptême , avant la Meffe , à Mgr le Duc
de Berry , & lorfque la Meffe fut finie à Mgr
le Comte de Provence , en préſence de Leurs Majeftés
, qui étoient accompagnées de la Famille
Royale , des Princes & Princelles du Sang , & des
Seigneurs & Dames de la Cour. Mgr le Duc de
Berry eut pour parrain le Roi de Pologne Electeur
de Saxe , repréſenté par le Duc d'Orléans ;
& pour Marraine Madame A délaïde. Il fut nommé
Louis- Augufte. Mgr le Comte de Provence
fut tenu par le Prince de Conti pour le Roi de Pologne
Duc de Lorraine & de Bar. Il eut pour
Marraine Madame Victoire & il fut nommé
Louis Stanislas Xavier,
>
I
"
194 MERCURE DE FRANCE.
Le lendemain 19 , le même Prélat , en préſence
de Leurs Majeftés , accompagnées , comme la
veille , de la Famille Royale , des Princes & Princeffes
du Sang , & de toute la Cour , fuppléa ,
avant la Meſſe , les cérémonies du Baptême à Mgr
le Comte d'Artois . Ce Prince fut tenu par Mgr le
Duc de Berry au nom du Roi d'Efpagne. La
Marraine fut Madame Sophie , & il fut nommé
Charles- Philippe. Le Baptême de Madame fe fit
après la Melle. Mgr le Duc de Berry & Madame
Louife furent Parrain & Marraine de cette Princeffe
,& la nommerent Marie- Adelaide- Clotilde-
Xaviere. Le fieur Alard , Curé de la Paroiffe du
Château , fut préfent, les deux jours à la cérémonie
qui a été faite dans la Chapelle du Roi. Ces
deux jours , la Meffe fut chantée , ainfi qu'à l'ordinaire
, par la Mufique de la Chapelle.
De l'Armée commandée par le Maréchal Prince de
Soubife , le 17 Ottobre.
Le Prince de Condé ayant été chargé d'attaquer
la Ville de Meppen , la tranchée fut ouverte le 30
du mois dernier au foir. Le 3 de ce mais , fur les
dix heures & demie du matin , les affiégés rappellerent
& demanderent à capituler . Le fieur de la
Merville , Colonel , qui commandoit la tranchée,
fit ceffer le feu , reçut les propofitions des ennemis
, & les envoya au Prince de Condé ,qui fir dire
qu'il ne vouloit entendre à aucune capitulation.
Ainfi le Capitaine Duer , Commandant de la Pla◄
ce , & le Major Hadan , Commandant de la garnifon
, fignerent que la garnifon fe rendroit prifonniere
de guerre à la difcrétion du Prince de
Condé , ce qui fut exécuté , & le fieur de Merville
prit poffeffion de la Ville avec les troupes qui
étaient de tranchée. Cette garnifon confiftant en
NOVEMBRE. 1761 . 195
cinq cens hommes & dix -fept Officiers, partit auf-
At pourBremen fous l'efcorte de cinquante Cavaliers
, de trente Fantaflins , commandés les premiers
par un Capitaine , les autres par un Lieute-
Rant. Le Prince de Condé a laiffé aux Officiers &
aux Soldats tous leurs équipages. Rien ne peut égaler
l'activité que ce Prince a fait paroître dans cette
opération .
Il y avoit dans Meppen trente-deux bouches à
feu, dont huit ont été entiérement démontées &
brifées par notre canon. L'incendie a confumé la
plus grande partie des magafins qui étoient dans
cette place on y a trouvé jufqu'à préfent fix mille
facs de grain ou de farine,environ trente milliers
de poudre , & une grande quantité de tabac à fumer,
de légumes , de viandes falées & d'autres
choles de ce genre , que le Prince de Condé a fait
diftribuer aux troupes.
•
*
Le Gear Bourcet de la Saigne , Ingénieur , a
été chargé de la conduite des travaux de ce fiége
& le dieur de S. Aubin a commandé l'Artillerie.
Depuis la prife Meppen , l'armée n'a fait aucun
mouvement. Les différens détachemens qui
ont été employés à l'expédition de l'Oft -frife, fe
font rapprochés de l'armée ; & l'on vient d'apprendre
que le Baron de Vurmfer , Colonel du
Régiment des Volontaires de Soubiſe, après avoir
pénétréjufqu'aux barriéres de la Ville de Bremen,
eft revenu à Kloppenburg. Il a ramené plufieurs
prifonniers, qu'il a faits pendant fa courfe,tant fur
les poftes avancés de la Ville de Bremen , que far
les détachemens qui ont fuivi fon arrière - garde
commandée par le fieur de Commeyras .
* Nota. C'est lui qui s'eft rendu maître d'Ofnabruck ,
& non pas le Baron de Vurmer , Maréchal de Camp ,
comme on l'a dit par erreur dans l'Article qui regarde
la prife de cette Ville.
I jj
96 MERCURE DE FRANCE.
De l'Armée commandée par le Maréchal de Broglie
le 24 Octobre.
Le Corps détaché aux ordres du Comte de Lu
face , & dont celui du Baron de Clofen faifoit
partie ,arriva le 8 de ce mois devant Wolfembutel .
La place fut auffitôt inveſtie & la tranchée ouverte.
Les batteries commencerent à tirer le même jour.
Le 10 , au moment où l'on alloit faire le pallage
du foffé , la garniſon capitula , & fe rendit prifonniere
de guerre. Elle étoit composée de huit cens
hommes commandés par le Lieutenant- Général
Stammer. On a perdu le fieur de Charmont
Major des Ingénieurs , qui a été tué. Don N. de
Silva , Seigneur Efpagnol , qui faifoit cette campagne
comme volontaire , a eu les jambes emportées
d'un coup de canon . Il a mérité les regrets
de l'Armée par la volonté & la fageffe que
l'on remarquoit en lui.
Le 9 , le Chevalier de Maupeou paſſa le Vefer
près de Beverungen , à une demi- lieue de cette
Ville.Il trouva un Corps ennemi pofté fur des hauteurs
avantageufes ; il l'y fit attaquer, & le pouffa
de bois en bois jufqu'à la hauteur du ravin de
Borckholh. La difficulté des paffages ne permit
pas de fuivre plus loin. On a fait quatre cens prifonniers
, du nombre defquels font neuf Officiers ,
& l'on a pris deux piéces de canon .
?
Le même jour , le Comte de Caraman attaqua
près de Halle, fur le chemin de Hamelen
le Corps de Stockaufen , fort de mille hommes.
Il prit le Commandant & foixante dix hommes.
Le Général Luckner , près d'être attaqué par le
Marquis de Poyanne , profita de la nuit pour fe
retirer fur Hamelen,d'où il a pris le chemin d'Hildesheim
.
NOVEMBRE. 1761. 197
$
Le fieur de Saint Victor , Commandant les Volontaires
de l'Armée , s'eft porté jusqu'à Ofterwick
, & il y a pris le bataillon franc Pruffien
de Rhées & quelques Huffards de Klaitz. Il a
pourfuivi le partifan Glafnap , qui s'eft retiré à
Magdebourg.
De PARIS , le 17 Octobre.
Le Prince Clément , frère de Madame la Dauphine
, eft arrivé le 15 de ce mois à Versailles .
Le 14 , on a fait dans l'Hôtel - de - Ville , en la
manière accoutumée , le tirage de la loterie de
l'Ecole Royale Militaire ; les numeros fortis de la
roue de fortune , font , 76 , 46 , 64 , 21 , 82. Le
prochain fe fera le 14 Novembre .
MORTS.
Jean-Baptifte- Louis de Clermont d'Amboiſe ,
Marquis de Renel , Lieutenant - Général des Armées
du Roi , & Gouverneur de Chaumont en
Balligny & de Mont- Dauphin , mourut à Paris le
18 de Septembre , âgé de cinquante - neufans .
Mellire Antoine- Louis Rouillé , Miniſtre d'Etar ,
& Commandeur des Ordres du Roi , eſt mort le
20 à Neuilly près de cette Ville , dans la foixantetreizième
année de fon âge En 1744 , Sa Majesté
lui donna une Place de Confeiller d'Etat , le char◄
gea du détail du Commerce intérieur , & le nom →
ma Commillaire à la Compagnie des Indes . Dans
le mois d'Avril 1749 , il fut pourvu de la Charge
de Secrétaire d'Etat , ayant le département de la
Marine. Le Roi , au mois d'Août 1754 , lui confia
le département des Affaires Etrangères , & lui accorda
la Charge de Grand- Tréforier , Commandeur
de fes Ordres.Le dépériffement de ſa ſanté ne
lui ayant pas permis de continuer plus longtemps
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
les pénibles fonctions de fon nouveau Miniſtère ,
il s'en démit au mois de Juillet 1757 ; & Sa Majefté
, en le retenant dans fon Confeil , lui donna
la Place de Grand- Maître & Sur- Intendant Général
des Poftes . En 1758 , fes infirmités l'obligérent
de fe retirer du Confeil , & depuis , il n'a plus été
occupé que de fes derniers momens . Miniftre fage
, défintéreffé & vertueux , il a parfaitement jultifié
la confiance du Roi , & mérité la confidération
univerfelle dont il a joui , non feulement en
France , mais chez les Etrangers.
> Frère Jean - François - Hyppolite de Regnon
Chevalier de l'Ordre de S. Jean de Jérufalem , &
Commandeur de la Commanderie de Puyravaux ,
eft mort à Luçon le 12 , dans la quarante- feptie
me année de fon âge ; il avoit eu un frère , auf
Chevalier de Malthe, qui fut tué en 1748 , fur les
Vaiffeaux de la Religion .
Dame Louife- Elifabeth Orry , épouse de Meffice
N.de Chaumont de la Galaizière , Chancelier &
Garde des Sceaux de Lorraine , mourut le 15 à
Luneville , âgée de cinquante- deux ans.
Dame Antoinette de la Roche- Aymon , Abbeſſe
de S. Laurent de Bourges , eft morte en fon Ab
baye le 16 , dans la foixante- neuvième année de
fon âge.
Meffire Charles- Guy le Borgue de Kermoran ,
Evêque de Tréguier ,eft mort dans fon Palais Epitcopal,
le 30, âgé de foixante-fept ans.
Le fieur Binet , Chevalier de l'Ordre Royal &
Militaire de faint Louis , Meftre de Camp de Cavalerie
, Gouverneur de la Tour de Corduan &
premier Valet-de- chambre de Mgr le Dauphin,
mourut le 16 à Verſailles , âgé de 73 ans.
NOVEMBRE. 1761 199
.1
EVENEMENS SINGULIERS.
ITALI E.
De PARME , le 8 Septembre 1761 .
A treize milles de Plaifance eft un lieu nommé
'Macineo. En fouillant dans une montagne fur
laquelle il eft fitué , on a découvert les ruines de
la Ville de Velleia , engloutie par un tremblement
de terre , dont aucune Tradition ne peut
fixer l'époque.
GRANDE-BRETAGNE.
De LONDRES , le 6 Octobre.
Le
30 du mois d'Août , il ſurvint à Enfield - Marsh ,
unorage & une pluie de grêle ,tellequ'on ne le fouvient
pas d'en avoir jamais vu de pareille . Quelques-
uns des morceaux de grêle , ou plutôt de
glace , avoient cinq pouces de circonférence. Ils
ont caffé plufieurs panneaux de vitres , brifé de
groffes branches d'arbres , & fait un dommage
confi férable. L'orage fut accompagné de grands
coups de tonnerre , qui augmentérent l'effroi ;
mais il ne dura en tout que trois minutes.
On écrit de Portsmouth dans la Nouvelle
Hampshire , que , vers la fin de Juiller, la foudre
a mis le feu à de vaſtes forêts qui font dans la
Province, & que l'embrafement a déja gagné plus
de foixante- dix milles au- delà du lieu où il a
commencé . Il a détruit des moulins & des habitations.
La fumée étoit fi épaille qu'elle obfcurciffoit
prèfque le Soleil a Newbury & en
d'autres endroits.
On apprend par des Lettres de la Caroline
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Septentrionale , qu'il y a eu au mois d'Avril &
de Mai des pluies fi abondantes & fi continues ,
que des Bâtimens de cent cinquante & deux cens
tonneaux , pouvoient naviger dans les champs.
Plufieurs perfonnes étoient obligées de mettre
leurs chevaux à la nage pour retourner dans
leurs maifons . Ce petit déluge a caufé des ravages
inouis , & a duré précilément quarante jours ,
pendant lefquels on n'a pas apperçu le Soleil.
George Wilfon , âgé de cent cinq ans , épouſa ,
le premier Septembre , à Harbotte , liea de fa
naillance , dans le Comté de Northumberland
ja nommée Lilley- Sorbes. C'eft fa quatrième
femme.
M. Richard Aylmer eft mort près de Dublin ,
âgé de cent cinq ans.
L'intérêt des Navigateurs demande que tous les
Papiers publics annoncent une obfervation faite
par leficur Guillaume Chappel . Ce Sçavant , ayant
voulu un foir examiner la variation de l'aiguille
amantée , on approcha une chandelle . Auflitôt
l'aiguille fe troubla & s'écarta de la direction , à
quaire ou cinq degrés de chaque côté. Le fieur
Chappel , après avoir répété & varié plufieurs
fois cette épreuve , reconnut que le fuif attiroi
fortement l'aiguille aimantée & produifoit ce
mouvement extraordinaire . Un Marin , confulté
fur ce phénomène , a dit ſe ſouvenir d'avoir remarqué
en mer de femblables perturbations dans
l'aiguille , lorfqu'il étoit tombé du fuif fur la boëte
de la Bouffole.
FRANC E.
De PARIS , le 3 Octobre.
Le nommé Etienne Couffié eft mort à Pinfa
guel , Diocèle de Toulouſe , âgé de cent cinq ans..
NOVEMBRE. 1761: 201
De STOCKOLM , le 22 Septembre .
Une Lettre d'Hellingfors en Finlande , porte
que dans la nuit du 9 au 10 de ce mois , vers
les deux heures du matin , un incendie s'y étoit
allumé , & qu'il avoit fait eu peu de temps de
funeftes progrès . Cette Lettre , datée du 10 à
midi , ajoute qu'un tiers de la Ville étoit déja
réduit en cendres , & que l'incendie , malgré les
foins qu'on prenoit pour l'éteindre , fe foutenoit
dans toute la force , & qu'on avoit beaucoup à
craindre pour le refte des maifons qui fubfiftoient
encore .
De MADRID , le 29 Septembre.
Deux orages terribles qu'on éffuya ici le 9 &
le 10 de ce mois , ont ravagé la campagne dans
l'étendue de plus de feize lieues à la ronde . Toutes
les vignes ont été hachées par la grêle . Plufieurs
font totalement détruites par les torrens
qui les ont arrachées ou comblées de terre & de
gravier. Les Francifcains de la ville de Paftrana
ont été contraints d'abandonner leur Couvent ,
les eaux ayant renversé une partie de cet édifice.
Le 14 Octobre 1761 M. BERRYER a prêté ferment
entre les mains du Roi pour la Charge de
Garde des Sceaux à laquelle Sa Majeſté l'a nommé.
M. le Gar le des Sceaux a été fucceffivement
Avocat Général des Requêtes de l'Hôtel en 1728 ,
Confeiller au Parlement de Paris en 1731 , Maitre
des Requêtes en 1739 , Intendant de la Généralité
de Poitiers en 1743 , Lieutenant- Général de
Police de Paris en 1747 , Confeiller d'Erat en
1751 , Ordinaire au Confeil des Dépêches en Sepsembre
1757 , Miniftre d'Etat en Juillet , 1758 &
I v
202 MERCURE DE FRANCE .
Secrétaire d'Etat au Département de la Marine, le
premier Novembre de la même année.
Il eft fils de Nicolas-René Berryer , Chevalier
Seigneur de Ravenoville , Lamotte Hacqueville
& autres lieux, Confeiller au Parlement de Paris
en 1682 , Procureur Général du Grand- Confeil
en 1701 , mort revêtu de cette Charge en 1707 ,
& de Dame Elifabeth- Nicole- Urfule Darnolet de
Loche- Fontaine, fille de Jean- Baptifte Darnolet,
Chevalier Marquis de Burry, Baron de Bourgogne,
Vicomte de Pery & de Loche Fontaine , Préfident
de la Cour des Monnoies de Paris , & auparavant
Confeiller au Parlement de Merz ; & de
Dame Elifabeth de Creil , fille d'Etienne de Creil,
Confeiller au Grand -Confeil , & de Catherine le
Tellier de Morfan, coufine germaine de Michel le
Tellier , Chancelier de France.
Et petit-fils de Louis Berryer, Seigneur Daufrenel
, Lamotte Hacqueville & autres lieux , Chevalier
de l'Ordre du Roi en 1657. Il fut honoré
d'un brevet de Confeiller d'Etat en 1658 , Secrétaire
ordinaire du Confeil d'Etat en 1662 , & des
Commandemens de la Reine Marie- Therefe
d'Autriche en 1681 , chargé de diverſes commiffons
importantes conjointement avec MM . Colbert
, de Machaux , Puffort , Marin , Hauteman ,
Hervau & Daligre , Confeillers d'Etat . I avoir
époufé Renée Hameau , foeur d'André Hameau ,
Confeiller au Parlement de Paris.
De ce mariage étoient auffi illus . 19. Jean-
Baptifte- Louis Berryer , frère aîné de Nicolas
René , Chevalier Seigneur de la Ferriere , d'Argeronne
& autres lieux , Confeiller au Parlement
de Paris en 1674 , Maître des Requêtes en 1678
Secrétaire des Commandements de la Reine en
furvivance de fon père en 1681 , Confeiller d'Eat
ordinaire en 1718 , & grand Doyen des MatNOVEMBRE.
1761. 20 ;
tres des Requêtes , qui avoit épousé en 1674 Catherine
Potier de Novion , fille d'André Marquis
de Novion , Maître des Requêtes & Préſident à
Mortier en furvivance de Nicolas Potier de Novion,
premier Président du Parlement de Paris fon père,
& de Catherine Malon de Bercy . Elle étoit foeur
d'André , Marquis de Novion, auffi premier Préfident
du Parlement de Paris , Commandeur Serétaire
des Ordres du Roi & tante de la feue Maréchale
de Clermont-Tonnerre.
2º. Louis Berryer Chanoine & Archidiacre de
l'Eglife de Paris Abbé Comte de Porrecy de
Notre-Dame du Trouchet & de Loulay.
3°. Anne Berryer qui époula en 1663 Charles
Hureau de Chiverny, Comte du Marais Maréchal
de Camp.
4º. Marie Berryer , qui époufa François de
Brou, Marquis de Fourneaux, premier Ecuyer de
S. A. R. Madame , Mère de M. le Régent.
ORDONNANCE DE POLICE ,
QUI enjoint à tous Propriétaires , Locataires &
Sous-Locataires de la Ville & Fauxbourgs de
Paris , de faire ramonner inceffamment les cheminées
des Appartemens & Lieux qu'ils occupent
, à peine contre les contrevenáns de deux
cent livres d'amende.
Du feize Octobre 1761 .
SUR Ce qui Nous a été remontré par le Procureur
du Roi , Que l'inexécution des Réglemens qui ont
été faitsfur le Ramonage des Cheminées , étant
beaucoup plus à craindre à l'entrée de l'Hy ver quee
dans aucune autre faifon de l'année , à caufe que
la fuie défléchée par les chaleurs de l'Eté & devenue
infiniment plus combuftible , donne lieu à de plus
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
-
grands & fréquents accidens il eft obligé pour fa
la fûreté des Habitans de cette Ville & Faubourgs
de réquérir qu'il Nous plaife renouveler les dilpofitions
des Ordonnances déja rendues fur cette
matiere. Sur quoi , Nous , faifant droit fur le réquifito
re du Procureur du Roi , ordonnons que les Arrêts
, Ordonnances & Réglemens rendus fur le
fait des incendies , & notament l'Ordonnance
de Police du 10 Février 1735 , feront éxécutés
felon leur forme & teneur ; & en conféquence
que , conformément à l'article III . de ladite
ordonnance , tous Propriétaires , Locataires &
Sous Locataires des maifons ' de cette Ville &
Fauxbourgs , feront tenus de faire exactement &
inceflamment ramonner les cheminées des appartemens
& autres lieux par eux loués , fous- loués
ou cccupés , & ce à peine de deux cens livres d'amende
contre ceux qui fe trouveront habiter les
mailons ou chambres dans les cheminées de quelles
le feu aura pris , faute d'avoir été ramonnées encore
qu'il n'en eût réfulté autre accident . Et fera notre
préfente Ordonnance imprimée , lue , publice
& affichée dans tous les lieux ordinaires & accoutu
més de cette Ville & Fauxbourgs , même diſtribuće
gratuitement dans chaque maiſon par les Infpecteurs
de Police . Mandons auxCommiffaires au Châtelet
, & enjoignons aux autres Officiers de Police ,
de tenir la main à fon exécution , & en cas de contravention
, de nous en donner avís , pour y être par
Nous pourvu. Fait & donné par Nous ANTOINE
-RAYMOND JEAN GUALBERT- GABRIEL
DE SARTINE , Chevalier Confeiller du
Roi en fes Confeils , Maître des Requêtes ordinaire
de fon Hotel , Lieutenant - Général de Police de la
Ville , Prévôté & Vicomté de Paris , le feiziéme
jour d'Octobre mil fept sent foixante - un.
DE SARTINE,
NOVEMBRE . 1761. 205
LETTRE à l'Auteur du Mercure , fur
quelques événemens qui appartiennent
à l'Hiftoire Naturelle.
ONNa vu , Monfieur , dans la Gazette de Fran
ce du 15 Août , Article de Londres , que le 16
Juillet il y eut un reflus extraordinaire à Whitby
dans le Comté d'York. On néglige un peu
trop dans plufieurs Villes de France de rappor
ter les phénomènes dont on eft témoin , foit
que les Obfervateurs y manquent , ou ne foient
pas affez fenfibles à ce qui peut intéreffer la curiofité
& l'utilité . Le fiécie éclairé où nous vivons
a abandonné la route des fyftêmes , & s'eft attaché
à fuivre la marche & la conduite de la Nature
, pour en tirer des réſultats qui par les opérations
connues ménent à la connoiffance de ce que
la Nature a de caché . Cette manière détudier la
Nature fur le grand Théâtre où elle agit continuellement
eft la plus affurée pour la connoître.
Si la Nature eft infinirnent variée par le nombre
des efpéces dont la matière eft modifiée , elle régit
chaque efpéce fur un plan particulier par des
loix immuables , & toujours les plus fimples .C'eſt
en combinant les faits extraordinaires par les
temps & les différens lieux où ils arrivent à la fois,
qu'on les ramène à la fimplicité de leur caufe ,
& qu'on les attache à un calcul affez certain pour
en prédire le retour. Il eft donc intéreffant pour
l'humanité qui en retire toujours quelque utilité
effective , pour l'avancement de l'efprit humain.
dans les connoiffances que Dieu lui permet, & les
feules qui foient folides par leur rapport au fu206
MERCURE DE FRANCE:
prême Auteur & à fa fagefle , de contribuer à un
Corps de preuves & d'obfervations qui puiffent
fervir aux excellens Auteurs qui travaillent de nos
jours en France à l'Hiftoire Naturelle. La moindre
négligence à les inftruire par les papiers publics
des événemens que la Nature offre aux
yeux ne peut partir que d'une indifférence ou
d'une indolence qu'on doit fe reprocher . Pour
n'être pas coupable à cet égard , voici quelques
événemens vérifiés avec foin , & dont on peut
avoir les preuves les plus certaines .
On appelle Mafcaret le reflux extraordinaire
de la Mer. Tel eft celui qui eft arrivé le 16 Juillet
en Angleterre.
Le 27 du même mois il y en a eu trois fur la
Côte & dans le Port de la Ville des fables en
Poitou. Le premier commença à fix heures du
matin. Le Port étoit à fec , la marée étant retirée
, fort calme & fans vent . Elle monta en 20
minutes à la hauteur où elle eft en morte marée ,
& fe retira dans le même efpace de temps. A. 9
heures elle monta rapidement roulant les flots
émus , comme un torrent avec grand bruit , en
moins de 10 minutes . Elle fubmergea une barque
qui étoit échouée fur le quai , & fe retira
affez promptement , après avoir été au degré de
hauteur des grandes marées. Entre 10 & 11 heures
ce mouvement recommença avec une égale
impétuofité , & ſe termina de même. Les anciens
Marins de la Ville des fables n'avoient jamais
rien vû de femblable pendant l'été mais dans
P'hyver le 27 Octobre 1760 , il y eut un Maſcaret
accompagné d'effets éffrayans. Sur les quatre
heures après midi dans le temps où la mer fe
retiroit , elle remonta avec une fureur augmentée
par de violens coups de vent Le porta avec
une tourmente terrible contre les murailles d'un
>
:
NOVEMBRE . 1761. 207
quailolidement , conſtruites à chaux & ciment ;
elle abattit toute une branche de cette muraille,
emportant les plus groffes pierres comme des
grains de fable ; elle attaqua enfuite la Ville mêdont
elle auroit pu fubmerger une partie ,
fans un prompt fecours qu'on y porta.
me ,
En comparant les temps & les lieux du Mafcaret
arrivé le 16 Juillet en Angleterre , & celui
arrivé aux Sables le 27 du même mois , il ne
paroît pas qu'il s'y trouve allez de proximité ,
pour qu'ils puiffent être l'effet d'une réaction
quoiqu'ils puiffent avoir la même caufe dans quelques
tremblemens de terre au fond du vafte ballin
des mers. Ceux que l'on continue d'éprouver à
Lisbonne peuvent y avoir quelque part .
Je finirai par un événement d'un autre genre,
qui a été vérifié avec les plus grandes attentions.
2
Au mois de Juin de cette année , deux jeunes
filles de l'Ifle de Noirmoutier y cherchoient des
coquillages dans le creux des rochers . Une d'elles
vit dans une espéce de grotte formée par la
Nature, un animal de forme humaine. Cet ani
mat auffitôt qu'il la vit fe tint droit & s'appuya
fur fes deux mains . Elle appella La compagne
qui étant armée d'un dard , l'enfonça dans le
coeur de l'animal , qui fit un gémiffement femblable
à celui d'une perfonne. Les jeunes filles
lui coupérent les mains , qui avoient des doigts
& des ongles bien formés avec des nageoires
entre les doigts. Le Chirurgien de l'Ifle s'y tranf
porta ; rapporte que ce Monftre marin étoit
de la taille du plus gros homme qu'on puiffe
imaginer ; que fa peau étoit blanche , d'une couleur
femblable à la chair d'un homme noyé qu'il
avoit un fein de femme très -formé , le nez applati
, la bouche grande , le menton orné d'une
efpéce de barbe formée d'écailles délicates,& qu'il
en avoit de ſemblables parfemées comme par Бон
208 MERCURE DE FRANCE.
quets fur toute l'étendue du corps. Sa queue
étoit celle d'un poiffon , & au bout il s'y trouvoit
des efpéces de pieds . Ce poiffon extraordinaire
fait fouvenir de celui qui eſt décrit par
Linnæus en ces termes. Lamia facie hominis
mammis virginis , corpore quadrupedis fquammato
, pedibus anterioribus fera , pofterioribus pecoris.
Ce qui traduit en François veut dire , Lamie
qui a la face d'un homme , les mammelles d'une
fille , le corps d'un quadrupéde écailleux , les
pieds de devant d'une bête fauve , & ceux de derrière
d'un quadrupede.
Il paroît quelques différences entre ce dernier
animal & la femme marine qui a paru dans l'Ifle
de Noirmoutier.Celle- ci paroît approcher davantage
de la forme humaine : mais fi peu agréablement
que les Dames de la Tèrre ne doivent pas
craindre de pareilles rivales .
J'ai l'honneur d'être & c .
RAYMOND.
Aux Sables , le 24 Septembre 1761.
A Meaux , le 28 Septembre.
MADAME LA DAUPHINE , Mefdames ADÉLAIDE
, VICTOIRE , SOPHIE & LOUISE de FRANCE
ont fait a M. l'Evêque de Meaux , premier Aumônier
de MADAME , l'honneur de dîner chez lui à
Meaux avec toute leur Suite le 27 de ce mois,
& d'agréer qu'il eût l'honneur de leur préfenter
MM . les Abbés de Narbonne , de Châleon &
de S. Hilaire , fes Vicaires généraux .
M. l'Evêque de Meaux avoit eu déja l'honneur
de recevoir Meſdames ADELAIDE & VICTOIRE de
France , à Germigni , fa Maifon de Campagne ,
le 29° de Juin de cette année , à leur paffage pour
Plombières.
NOVEMBRE. 1761. 209
A Meffieurs de la Fabrique de la Pa
roiffe de Saint MERRY.
M ESSIEURS ,
Par le Mercure du mois de Septembre de cette
année , vous invitez MM. les Académiciens de
Peinture , de Sculpture , Artiftes , & Amateurs ,
à vous donner leurs avis fur quelques parties qui
reftent à perfectionner à la Chaire de votre Eglife
; ce n'eft qu'en conféquence de la permiffion
que vous en donnez , que je prends la liberté de
vous propofer le mien .
ร
Sans m'arrêter aux ornemens qui doivent terminer
fa partie inférieure au- deffous du vafe
n'étant point Artifte , je m'en tiens fimplement à
vous repréfenter que toute dorure fur partie quelconque
de la Chaire me paroît devoir être ablolament
rejettée ; ce font de ces ornemens paſſagers
, qui n'ont de brillant que pendant un temps
affez court ; car j'appelle un temps de peu de durée
pour un Monument public , celui de trente
ou quarante années au plus , pendant lequel les
dorures deviennent fucceffivement ternes , éteintes
, & enfin noires , au point qu'on fe voit obligé
de les refaire . C'eſt la faute , felon les Connoiffeurs
, & faute irréparable qui a été faite à la
Chaire de S. Roch , laquelle à tous égards eſt un
Morceau digne des Artiftes qui l'ont conçue &
exécutée , en fecouant le joug d'un préjugé trop
longtemps favorable aux anciennes formes. Pour
appuyer mon fentiment fur la profcription totale
de la dorure que vous paroiffez , Meffieurs , indécis
d'admettre ou de rejetter , j'ai à vous citer
210 MERCURE DE FRANCE.
entre autres exemples , celui de l'OEuvre de la Paroiffe
de S. Germain l'Auxerrois , Monument ancien
, admirable pour le travail , & toujours beau
quoique fans dorure;on s'eft bien donné de garde
lors de fa conftruction , d'y en appliquer aucune ,
pas même de verni , on l'a laille dans fon bois
naturel ; & il fubfiftera beau juſqu'à fa deftruction
, puifqu'il eft vrai que le temps n'épargne rien .
A l'égard des dorures dont le Choeur de votre
Eglife eft orné , elles ont bien autant d'Approba
teurs que de Critiques ; elles fubiront à la vérité ,
avec le temps , le fort commun à tout ce brillant
éclat. Mais , pour nous renfermer dans l'objet
dont il eft aujourd'hui queſtion , je crois qu'il convient
d'obferver que toutes ces dorures du Choeur,
n'ont rien de commun avec la Chaire. Le Choeur
peut être doré , & la Chaire ne le point être du
tout , fans que cette différence puiffe produire un
mauvais effet . Examinez , Meffieurs , à la Cathédrale
de Paris , les dorures du Choeur , & la mënuiſerie
magnifique des Stalles ; a - t - on mis de la
dorure fur celle - ci ? On a fenti les inconvéniens
qui en réfulteroient ; on ne l'a point admife , &je
penfe que l'on a bien fait : l'exemple en eft fentible
, il eft fous vos yeux , & celui de l'Euvre Saint
Germain pareillement ; c'eft d'après ces grands
modéles, & non d'après mon fentiment , que vous
êtes en état , Meffieurs , de prendre un parti.
Permettez - moi encore de vous dire un mot far
les quatre Autels qui accompagnent l'entrée du
Choeur de votre Eglife . On a été étonné qu'on ne
les ait pas exécutés tous quatre d'une hauteur égale
dans leur élévation totale. Les deux qui accompagnent
la Grille font plus bas que les deux autres
qui avoifinent les Portes des entrées latérales ; ce
qui paroît ne pas fatisfaire le coup d'oeil , lorfque
le Spectateur , placé dans le point milieu , exa
NOVEMBRE. 1761. 211
mine l'enſemble de ces quatre Autels. If aut croire
que l'on a eu , fans doute , de bonnes raifons pour
admettre cette inégalité & pour les conftruire tels
que nous les voyons . J'ai l'honneur d'être &c . ***
10 Septembre 1761.
AVIS DIVER S.
Le SIEUR CHART REY , Privilégié du Roi , continue
de débiter avec fuccès fa Poudrepurgative dont
nous avons rapporté les qualités & les effets dans
nos précédens Mercures , & dont nous-mêmes
avons éprouvé le plus grand foulagement à la
fuite d'une maladie de plus de trois années. La
lifte imprimée des cures furprenantes qu'il a faites
,revêtue des certificats autentiques des perfonnes
radicalement guéries , conftate tellement l'éf
ficacité de fon reméde, que nous croyons ne pou
voir nous diſpenſer d'en annoncer deux autres
qu'il nous dit avoir découvert depuis peu l'un
eft un fpécifique qui guérit radicalement en peu
de temps les defcentes , ruptures ou hernies des
deux fexes indiftinctement , & à quelque âge que
que ce foit , même en fupprimant le bandage ;
l'autre eft un apozême qui guérit les humeurs
froides , les écrouelles , les vieux ulcères & autres
maladies de ce genrė.
Son adreffe eft toujours , rue du Chantre , près
celle de Saint Honoré .
DUMOUCHEL , Doyen des Syndics des Maitres
d'Armes des Académies du Roi,demeure chez
M. Dollé, rue S Honoré, Marchand de Bas , entre
la rue de l'Arbrefec & celle de la rue du Roulle,
au Cerf Volant ; il fe fait fort de rendre un homme
parfait dans 3 ans , pourvu qu'il ait de la dif
pofition & qu'il veuille travailler.
Lefieur ROUSSEL,dontil eft parlé dans le Mercure
112 MERCURE DE FRANCE.
du mois Juillet dernier , demeure toujours chez
M. Samfon , Marchand Limonadier , à la Grève ,
fous les Pilliers ,au coin de la rue de la Mortellerie.
Il continue toujours avec fuccès les guériſons des
maux de gorge , glandes , gouttes , rhumatismes
avec une pommade . Il a des bouteilles d'une livre
quatre fols , de 3 , & 6 liv.
Il indiquera la demeure des perfonues qu'il a
guéries , à ceux qui l'exigeront.
ON donne avis que la Place de dé Maître de
Mufique de l'Eglife de Nantes eft vacante.Ceux qui
pourroient y prétendre s'adrefferont à M. Bordier,
Maître de Mufique de l'Eglife des Innocens à Paris.
On ne recevra ni gens mariés , ni au- deſſus de
quarante ans. M. Bordier fera part , aux prétendans
, des conditions de cette Place.
EAU admirable de Cologne.
LES frères Rossy de Cologne , feuls poffeffeurs
du vrai fecret , donnent avis au Public , qu'il
y a différentes perfonnes qui vendent d'une Eau
contrefaite fous leurs noms ; & pour qu'il ne foit
point abulé, la véritable ſe vend chez lesdits fieurs
à Cologne , rue Haute , vis-à- vis la rue Salmanack
, & en France chez la veuve Leduc , Marchande
Epicière , rue Dauphine , Magafin de
Provence , à sof. la bouteille ; & l'on fait remifes
au Marchand.
Sans entrer dans le détail des qualités & propriétés
de cette Eau admirable , affez connue de
nos Seigneurs à l'Armée, je me contenterai de dire
qu'elle eft merveilleuse pour l'apopléxie, paralyfie,
tremblement,roideur de col , humeur froide, venin ,
palpitation de coeur,migraine, obftruction de foye,
de la rate, des reins , colique,douleurs d'eftomac,
NOVEMBRE . 1761. 213
tumeurs , bleſſures , & diffout le fang caillé , & eft
autli admirable pour la gravelle & la goutte , l'on
prie les perfonnes d'affranchir leurs Lettres . L'on
vend chez la même Marchande le véritable Elixir
de Garrus.
Le fieur Onfroy vient encore de compoſer trois
Liqueurs de propreté , dont le réfultat donne une
eau laiteufe le fuccès en a furpaffé fon attente.
Ces Liqueurs ont la propriété de blanchir , de rafermir
& de nettoyer la peau, d'en faire paffer les
demangeaifons, de diffiper les taches de rouffeur,
ainfi que les boutons & les tannes , de rafraîchir
le vifage après qu'on eft rafé & d'en éloigner
les rides fans craindre aucun mauvais retour ; il
n'en faut que deux ou trois goutes dans un moyen
verre d'eau froide ou tiéde , qui deviendra blanche
comme du lait pour lui donner l'odeur la plus
agréable . On s'en lave une ou deux fois par jour
fuivant qu'on le trouve affecté plus ou moins des
incommodités de la peau qu'on vient de décrire .
L'Auteur ne prétend pas néanmoins que ces Liqueurs
puiffent détruire radicalement ces petites
maladies de la peau . Ceux qui ont eu la témérité
de l'entreprendre,ont dû voir que ce n'eft pas extérieurement
qu'il faut en chercher la guérifon ,
les fuites en étant quelquefois devenues funeftes.
L'effet des trois Liqueurs n'eft que momentané.
fi l'on celle d'en faire ufage pendant quelques
jours, les mêmes accidens de la peau reviennent.
Ces Liqueurs ne font qu'éffleurer légèrement l'épiderme
& quoique de trois compofitions différentes,
elles produifent également les mêmes effets,
ne différant que dans les odeurs . La premiere
liqueurs eft compofée de fimple Lavande corrigée
de fon odeur âcre & forte dont elle ne retient
qu'un efprit balfamique très-agréable , le prix eft
214 MERCURE DE FRANCE
de 3 liv . 5. f. la bouteille de pinte mefure de Paris
& de 34 f. la chopine. La feconde a auffi pour
baſe la lavande , mais agréablement mêlangée
d'effence analogue ; le prix eft de 4 liv. s f. la
bouteille de pinte & de 44 f. la chopine. La troifiéme
eft un pot -pourri des plus excellens balfamique
, dont le mêlange eft fi bien ménagé que
l'on n'y fent rien de dominant ; le prix eſt de 6
liv . la bouteille de pinte & de 3 liv. la chopine.
On trouve auffi chez le fiear Onfroy une eau de
Lavande, double dont l'odeur n'eſt tirée que de la
fleur de la plante fans nulle addition . Le prix de
cette dernière eft de 55 1. la bouteille de pinte, y
compris la Caraffe.
J'AI
APPROBATION.
' ai lu , par ordre de Monſeigneur le Chancelier,
le Mercure de Novembre 1761 , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , ce 31 Octobre 1761. GUIROY,
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
Page f
l'Au-
L'AMOUR conjugal , Conte Indien
ODE à une Dame qui avoit exigé que
teur fît des vers pour elle.
L'AMOUR & l'Amitié , Idylle , en Profe.
TRADUCTION de l'Hymne de la Purification,
Stupete , Gentes , de M. de Santeuil. 15
12
NOVEMBRE . 1761. 215
Envoi d'un Bouquet de coquilles, à Madame
de M...
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
LE Jugement de Lucius , Contę.
EPITRE à Emilie.
L'AIGLE & le Phénix , Fable allégorique , préfentée
au ROI DE POLOGNE à Versailles.
VERS fur le Tableau de M. Doyen , &c.
LE PSYCOMETRE.
PARALLELE entre M. l'Abbé Aubert & M.
Greufe.
RÉPONSE à M. P. de S. A. Peintre &c.
A M. de M. L. D. D. & c . &c.
ÉPITAPHE du Perroquet de Madame la Marquile
de Créqui.
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
17
ibid.
18
34
36
37
ibid.
45
49
53
54
55
56
58
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ATLAS méthodique & élémentaire de Géographie
& d'Hiftoire , dédié à M. le Préfident
Hénault , par M. Buy de Mornas ,
& c .
LA SCIENCE du Gouvernement.
ÉLOGE hiftorique de Mgr le Duc DE BOURGOGNE
, par M. Lefranc de Pompignan.
ANNONCES des Livres nouveaux.
61
70
93
110 & fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES -LETTRES,
ACADEMIES.
REFLEXIONS fur le goût du Siécle pour les
Sciences utiles.
SUITE de la Diflertation Hiftorique & Critique
fur la Vie du Grand- Prêtre Aaron ,
par M. de Boiffy.
112
120
16 MERCURE DE FRANCE.
ART. IV. BEAUX - ARTS .
ARTS UTILES.
CHIRURGIE.
OBSERVATIONS fur la luxation de la tête du
fémur , à la fuite de chûte fur la cuiffe.
ARTS AGRÉABLES .
ACADEMIE de Peinture & de Sculpture de
Marfeille.
ART. V. SPECTACLES,
OPÉRA
COMÉDIE Françoiſe.
COMÉDIE Italienne.
LETTRE à M. Delagarde , Penfionnaire adjoint
au Privilége du Mercure pour la
Partie des Spectacles.
HISTOIRE NATURELLE.
SUPPLEMENT à l'Article III . Sciences & Belles-
Lettres.
ART. VI. Nouvelles Politiques.
SUPPLEMENT à l'Article des Nouvelles Politiques.
MORTS.
EVENEMENS finguliers.
AVIS DIVERS.
145
155
159
ibid.
161
165
172
182
192
197
199
211 &fuiv
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY,
rue & vis-à-vis la Comédie Françoiſe .
MERCURE
DE
FRANCE ,
DEDIE A U
ROI.
DECEMBRE. 1761 .
Di erfité , c'efi ma devife. La Fontaine.
Chez
1738
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis a vis la Comédie Françoife.
PKAULT , quai de Conti ..
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi,
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
- LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
all recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer ;
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie litté
raire , à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
Jols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir , ou qui prendront lesfrais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raison de 30 fols
par volume , c'eft-à-dire 24 livres d'avance
, en s'abonnant pourfeize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure , écriront à l'adreffe cideffus.
On fupplie les perfonnes des provin
ces d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
, refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
, d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font les
mêmes pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
DECEMBRE . 1761 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LA LIBERTÉ OU LA PARFAITE
INDIFFÉRENCE ,
ODE , traduite de l'Italien , par M.
l'Abbé DESFONTAINES , & mife
en Vers François par une jeune Demoifelle.
TRO
ROP longtemps à ta perfidie ,
Ingrate , hélas je fus livré !
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
Trop longtemps de la jaloufie
Le noir poifon m'a dévoré ;
Mais ta parjure préférence ,
Des charmes de l'indifférence
M'apprend à goûter la douceur.
Sans doute touché de mes peines,
Le Ciel même a brifé des chaînes .
Indignes de mon tendre coeur.
De ce coeur la flâme eft éteinte ;
Il recouvre la liberté.
Mes jours vont couler fans contrainte
Au fein de la tranquillité .
Las enfin de ton inconſtance ,
Sous de feints dehors de vengeance ,
L'Amour ne fe dérobe plus.
Qu'à mes yeux un autre t'adore :
Je verrois même plus encore ,
Mes fens n'en feroient point émus.
Ni pendant la nuit ton image
Ne vient plus troubler mon foumeil
Ni de ta foi le tendre gage
Ne s'offre plus à mon réveil.
Loin d'être l'objet de mes fonges,
Le vil charme de tes mensonges
Sur moi n'a plus aucun pouvoir;
Toute illuſion eſt ceffée ,
Et j'éloigne de ma pensée
Jufqu'au defir de te revoir.
>
DECEMBRE. 1761.
Pour toi j'ai trop verfé de larmes ;
Au pouvoir d'un autre ailément
Je verrai déformais tes charmes ,
Sans éprouver aucun tourment.
Je repaffe tes artifices ,
Tes fermens & tes injuftices ,
Sans perdre ma tranquillité ;
Juge combien elle eft extrême ,
Puifqu'avec mon rival lui- même
Je parlerois de ta beauté !
'Affecte de l'indifférence
Le regard fier & dédaigneux ;
Ou bien emprunte l'apparence
D'un coeur fenfible & généreux ;
Sois à ton gré douce , ou hautaine ,
Sois tendre ou bien fois inhumaine ,
Pour moi l'un & l'autre eſt égal ;
Tes yeux n'ont rien que je defire ,
Et ton ame n'a plus d'empire
Que fur celle de mon rival.
Ni mes plaifirs , ni ma triſteſſe
Ne vont plus dépendre de toi;
D'un dédain ou d'une careffe
Mon coeur ne reçoit plus la loi ;
Les prés , les bois & les collines ,
Des Ris les grâces enfantines
Sans toi me charment tout-à- tour.
A iv
MERCURE DE FRANCE .
Avec toi je hais les boccages ,
Et les plus riants payſages
Me font un epnuyeux féjour.
Je ne te trouve pas moins belle
Juge de ma fincérité !
:
Mais qu'il s'en faut que tu fois celle
Dont je fus fi fort enchanté..
Je vois fur ton charmant viſage
Des traits , des fignes , un préfage
D'une ame double & d'un coeur faux
Oui , l'amour n'eſt qu'une folie ,
Puifque fon étrange manie
Put m'aveugler fur tes défauts ..
Quand il fallut brifer mes chaînes ,
J'en confeffe mon repentir ,
Je fus fi déchiré de peines ,
Que j'euffe autant aimé mourir..
Mais depuis devenu plus fage
D'un long & honteux esclavage
Je rougis & je hais le fort :
S'il m'en falloit une journée ,
Subir l'indigne deftinée ,
Je lui préférerois la mort.
Tel que du piége qui le preffe ,
L'oifeau qui cherche à s'échapper
Aux dépens des plumes qu'il laiffe
DECEMBRE . 1761 . 9
Craint peu de le débarraffer ;
Ou tel qu'arrêté dans le piége ,
Victime d'un cruel manége ,
Il meurt fouvent de déplaiſir ;
Tel , lorsque l'on a du courage ,
Des fers d'une Amante volage
On doit échapper ou mourir.
Ingrate , tu penfes peut- être
Que mon tendre & fenfible coeur
Des feux qu'en fon fein tu fis naître
Eprouve de nouveau l'ardeur ?
Tu crois que d'autant plus il t'aime ,
Il montre un plaifir plus extrême:
A répéter qu'il n'aime plus :
Mais fonge qu'au port qu'il defire,
Le Nautonnier aime à redire
Tous les dangers qu'il a courus..
Le Guerrier , de fes cicatrices ,
Toujours aime à fe faire honneurs
L'homme échappé des précipices
Se plaît à vanter fon bonheur :
Aux douleurs , s'il n'eft plus en proie,
Le Convalescent avec joie ,
Parle des maux qu'il a foufferts ;
Et voyant terminer les gênes ,
L'Esclave libre , exempt de peines ,
Regarde avec plaifir ſes fers..
A v
ΤΟ MERCURE DE FRANCE.
Ah ! ne crois pas que de te plaire ,
Ces vers te prouvent le defir :
Je parle pour me fatisfaire ;
Je rime pour mon feul plaifir.
Soit que ton dépit les réprouve ,
Ou foit que ton goût les approuve ,
A tes jugemens j'ai peu foi.
Que pour eux un autre foupire ;
Je ne veux pas même m'inſtruire
Sur quel ton tu parles de moi.
En toi je perds un coeur volage,
En moi tu perds un coeur conftant.
Qui de nous deux perd davantage ?
Qui de nous deux fut digne Amant ?
Cherches- en un qui ſoit plus tendre,
Qui mieux que moi fçâche te rendre
Stable & fincère à l'avenir.
Pour moi, je ne fuis point avide
De trouver une autre perfide ,
N'en dût- il coûter qu'un foupir.
DECEMBRE. 1761. II
ÉPITRE ,
A Monfieur le COMTE DE BELA ,
Premier Maître- d'Hôtel du ROI DE
POLOGNE , Duc de Lorraine ; après
un Voyage de l'Auteurfait à Nancy
& à Lunéville.
Сомт M TE charmant , en qui l'urbanité
D'un nouveau luftre embellit la Nobleffe
Et dont toujours l'aimable politeſſe
Coule du coeur avec la vérité !
Reçois les Vers & la reconnoiffance
D'un Hôte épris de ton accueil flateur .
Tu l'as charmé : mais que fon éloquence
Va foiblement te rendre ce qu'il penſe ,
fent fi vivement fon coear !
Et ce que
Avec tranſport , COмTE , jë më rappelle
Ce jour longtems l'objet de tous mes voeux ,
Qui , fur tes pas , me fit voir ces beaux lieux ,
Où cher au monde un nouveau Marc- Aurèle
Faifant compter fes bienfaits par fes Loix ,
Al'Univers préfente le modéle
Des vrais Héros , des Sages & des Rois !
J'ai parcouru cette pompeufe enceinte,
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Où , mille objets m'ont offert tour- à- tour
De STANISLAS , l'inéffaçable empreinte..
Du grand , du beau , j'ai vû dans ce ſéjour
Les traits frappans. J'ai vû l'Image fainte
De la vertu que réfléchit fon coeur.
Te fon Palais , Temple du vrai bonheur ,
M'approchent point la difcorde & la plainte ::
La paix conftante , & l'amitié fans feinte ,,
Y font couler des jours délicieux ;
La vérité libre & fimple en ces lieux ,
Penfe , s'exprime , & fe montre fans crainte..
Roi Philofophe , Ami vrai , Prince humain
Ces noms facrés couvrent fon Diadême.
Tels font les traits de fon pouvoir fuprême ;,
Tel eft le noeud qui lie au Souverain
Le Peuple heureux dont il fait le deftin .
Jufqu'en fes Jeux , quel éclat l'environne: !!
Et fixe encor (ur lui tous les regards ;
Mcins glorieux de porter la Couronne ,.
Que de l'honneur illuftrer les beaux Arts :
Ce Roi fçavant les place fur fon Trône ,
Et reçoit d'eux la gloire qu'il leur donne ,,
Comme jadis , le fecond des Céfars. *
(
Ici je vois la fuperbe peintare
Eui confier fes plus nobles . pinceaux ;
* Auguſte
DECEMBRE. 1761. 13
Et de fa main que guide la nature.
Elle reçoit des chefs- d'oeuvres nouveaux.
Là , ranimant ce compas , cette équerre
Qui dirigea les prodiges Romains ,
Quels monumens , enfans de fes deffeins ,
Viennent orner & furprendre la Terre !
Suis-je au Palais qu'habite le Soleil ?
Quel's lieux charmans ! O retraite enchantée !!
Celle d'Armide autrefois fi vantée ,
A fon Héros n'offrit rien de pareil .
Tu m'éblouis , Chanteux : c'eſt une Fée
Qui t'embellit par les mains de l'Amour ;
Ou , c'eft aux fons de la lyre d'Orphée ,
Que s'arrangea ton raviſſant ſéjour.
Qu'avec plaifir , dans ce pouvoir magique ,
Nancy revoir , en béniffant les Cieux ,
Ce Bras puiffant & cette Ame héroïque ,
Qui , dans fes murs devenus fi fameux ,
Créa l'enceinte & vafte & magnifique ,
Où de Louis les traits majestueux
Lui retraçant Augufte pacifique ,
1.
Charment fon goût , fon amour & les yeux !
Mais quels objets plus grands , plus merveil
leux ,
De STANISLAS illuftrent la carrière ?
La Foi, fans voile , ouvre fon Sanctuaire ;
14 MERCURE DE FRANCE .
Je vois affis à côté de l'Autel
Un Souverain que la fageffe éclaire.
Là , ce Vengeur des droits de l'Éternel ,
Docte dans l'Art & d'inftruire & de plaire ,
Par la Raifon triomphe de l'Erreur ;
Et l'Incrédule abjurant fes blafphémes ,
Humble , docile , unit fes anathêmes.
A ceux d'un Roi , fon Maître & ſon Vainqueur.
Vertueux COMTE , auffi fage qu'affable ,
Je lens , hélas ! que mes Vers imparfaits
Ont affoibli le portrait adorable
Que tu me fis des vertus & des faits
De ce grand Roi , digne de toujours vivre.
O Vous, Sçavans raffemblés fous les yeux,
Plus noblement c'eft à vous de pourſuivre
De ces grands Traits le détail glorieux.
Que votre voix éloquente & fidéle
Chante l'afyle , où fa Religion **
Répand le feu de l'émulation
Sur des Mortels , Miniftres de fon zéle ,
Prompts à voler où la Foi les appelle.
* L'incrédulité combattue par le fimple bomfans ,
Ouvrage du Roi.
**
Douze Miffions fondées , & 12000 liv . d'au
mônes à diftribuer tous les ans dans ces Miſſions.
DECEMBRE . 1761.
15
Chantez ce Temple , * o dédaignant les traits
Que lance en vain la Chicane infernale ;
Thémis , fans glaive , affife entre la Paix ,
L'Humanité , la Bonté libérale ,
Sans le fecours d'une bouche vénale ,
Entend le Pauvre , & fur les intérêts ,
Qu'elle a pefés dans fa balance égale ,
Préfére , au droit de rendre ſes Arrêts ,
Le plaifir pur , le paifible fuccès ,
D'anéantir la Diſcorde fatale ,
Par des Confeils qui feront à jamais
De STANISLAS adorer les bienfaits .
Vous qui , pour bien , n'avez que la Naiſſance,
Jeunes Guerriers , ** ce Protecteur des Arts
Vous fait jouir d'une douce abondance ,
Sous des Mentors qu'a choifi fa prudence
Pour vous former aux plus nobles hazards !
Par vos éfforts méritez l'opulence
Que vous promet l'exemple & la fcience
Des Catinat , des Vauban , des Villars :
Vous apprendrez que la feule fageffe
Des vrais Héros confacre la valeur
* Chambre de cinq Avocats chargés de donner
des Confultations gratuites qui terminent fouvent
les différends des Pauvres.
**
Académie de 48 Gentilshommes entretenus
à Lunéville, auxfrais du Roi
16 MERCURE DE FRANCE.
Qu'à la vertu , la plus pure Nobleffe
Doit fon éclat , fon prix , & fa grandeur.
Membres zélés du docte Aréopage ,
*
Qui , dans fon fein , n'admet que le vrai Sage:
Quel riche fond pour vos nobles Travaux !
A l'Univers annoncez ces merveilles ;
A votre amour , à vos fçavantes veilles ,
Sont réfervés des monumens fi beaux !
De STANISLAS que la fidelle Hiſtoire ,
Devienne un Livre , oùfous des traits nouveaux
Les Rois futurs , ainfi que les Héros ,
Viennent puifer la véritable gloire .
EN VOI.
COMTE , pour le tribut que j'acquitte en ce jour ,
Quelle époque plus favorable !
Tu le reçois , lorfqu'en fa Cour
Ton Roi reffent le plaifir inéffable
De voir entre les bras , fur les pas de l'amour ,
Voler deux illuftres PRINCESSES !
*
Témoin de leurs tendres careffes
Et de leurs doux épanchemens ,
Peins -nous cette charmante ivreffe
La Société Royale des Sciences & Belles-
Lettres de Nancy..
DECEMBRE. 1761 . 17
Qu'excitent dans leurs coeurs , en ces heureux momens
,
Le Sang , l'Amour & l'Allégreffe !
Momens délicieux , vous renaîtrez encor :
Nous verrons Stanislas plus heureux que Neftor ;
Rajeunillant au fein d'une augufte Jeunelfe ,
A l'exemple des Dieux , ignorer la vieilleſſe ;
Et plein de jours , exempt d'infirmité ,
Sur les traces de la Sageffe ,
Marcher d'un pas tranquille à l'Immortalité.
DE SAULX , Chanoine de l'Eglife de Reims ,
& Chancelier de l'Univerfité .
LES MIROIRS ENCHANTÉS
CONTE ..
PREMIERE PARTIE.
LeE Roi de l'Isle Brillante venoit de
fuccomber fous les coups d'un cruel
Ufurpateur. Finfinet , fon fils unique ,
& le plus accompli des Héros immortalifés
dans les Contes , forcé de fuir en
attendant des circonftances plus heureufes
, alla confulter un Derviche fur
la route qu'il devoit tenir..
18 MERCURE DE FRANCE.
Vous êtes né pour les avantures , lui
dit le faint homme , après l'avoir regardé
d'un oeil fixe : ce fentier tortueux
conduit au pays des enchantemens ....
Partez , fuivez vos deftinées.
Le Prince , après avoir marché longtemps
, fe trouva à l'entrée d'un bois
coupé par fept différentes allées , & ne
favoit laquelle préférer; lorfqu'une voix
fe fit entendre , & lui dit : » Arrête !
» viens recevoir de moi les bons offi-
» cese je fuis en poffeffion de ren-
» dre aux paffans. "
Le Prince chercha des yeux d'où
cette voix pouvoit partir; il ne vit qu'un
poteau ruftique tel qu'on en trouve fur
les grands chemins , excepté que celuici
étoit furmonté d'une tête qui avoit
quelque figure humaine. Il s'en approcha
feulement dans le deffein de fçavoir
laquelle des routes il devoit prendre
; il ne vit aucune infcription . La
voix continua de fe faire entendre .
Finfinet s'apperçut qu'elle fortoit de ce
poteau qui lui parla ainfi :
Tel que tu me vois,je fus autrefois un
Mortel attaché à la Cour d'un grand
Prince. J'eus pendant ma vie le caractère
officieux , le coeur affectueux & l'efprit
de conciliation ; ami de tout le
DECEMBRE. 1761 . 19
monde j'offrois mon entremife & mes
bons offices au premier venu , j'étois
toujours plein d'idées que je communiquois
volontiers ; je me rendois arbitre
, je tranfigeois pour l'un & pour l'au
tre , j'etois prévenant , infinuant , j'entrois
dans tous les fecrets , je fournif
fois des expédiens , des moyens , je
procurois des accès à la Cour , j'y follitois
fans ceffe , ou je donnois des avis ,
enfin j'etois occupé uniquement des
affaires d'autrui. Heureux fi j'avois eu
autant de crédit que de bonne volonté !
tout en auroit mieux été ; mais les hom- ;
mes font fi injuftes , ils entendent fi peu
leurs intérêts que fouvent on les défoblige
en voulant les fervir. Je tombai
dans ce cas, mon zéle leur parut impor
tun & indifcret ; ils craignirent jufqu'au
bien que je voulois leur procurer . Ils
eurent la folie de ne vouloir plus me
communiquer leurs befoins & leurs af
faires , ils me prierent affez durement
de ne prendre plus aucun intérêt à ce
qui les regardoit. Je me croyois néceffaire
, on fe paffa de moi , j'en fuis mort
de chagrin . Ce fut pourtant un bonheur
pour moi, car les Dieux, toujours juftes,
m'ont accordé une récompenfe proportionnée,
en me confiant l'emploi impor20
MERCURE DE FRANCE.
tant de fervir de guide aux Voyageurs.
Je fuis bien vangé du Public qui m'a
méprifé il eft obligé malgré lui d'avoir
recours à mes avis ; on vient les prendre
des quatre Parties du Monde. Ceux
qui font égarés n'ont qu'à s'adreſſer à
moi , je les remets dans le bon chemin ,
& j'y maintiens ceux qui y font : je
donne à tous , gratuitement , mes confeils.
Ainfi , après ma mort , je fatisfais
pleinement l'inclination que j'ai eue pendant
ma vie , d'être utile & néceffaire.
Voilà mon Hiftoire remercie avec
moi les Dieux de mon bonheur ; la reconnoiffance
m'engage à le conter à
tout le monde. Et toi qu'es-tu , d'où
viens-tu ? où veux-tu aller ? quel eftton
deffein ? parle donc à ton tour , & furtout
expédie ; car je dois mon miniſtère
au Public.
Officieux génie qui préfidez à ces chemins
, lui répondit Finfinet , je fuis
Prince , je cherche le pays des enchantemens,
enfeignez -m'en la route . Alors
le poteau babillard lui répondit gravement
: ces fept allées que tu vois
duifent également ; prends celle que tu
voudras bon voyage ; tu es bien heu
reux de m'avoir trouvé fi à propos..
y con→
Finfinet prit à tout hazard la route
DECEMBRE. 1761 . 21
du milieu , en riant de tout fon coeur
de la grande fortune de cet officieux
Poteau & de l'idée qu'il confervoit de
fon importance.
A peine eut-il touché la rive, qu'il entendit
un concert mê é de voix &
d'inftrumens touchés avec toute la délicateffe
poffible . Il regarda de tous côtés
d'où venoit le bruit , mais il ne vit rien.
Charmé de cette fymphonie , il s'arrêta
quelque temps pour l'écouter . Comme
il promenoit fes regards fur tout ce qui
l'environnoit, il apperçut au milieu d'une
petite Vallée un Berceau de Myrthes
entrelacés de fleurs dont l'air étoit
parfumé. Sa curiofité lui fit porter fes
pas vers cette grotte. Il y vit une ftatue
d'iyvoire de grandeur naturelle , & de
la plus grande beauté. Il s'en approche
& s'apperçoit avec furprife qu'elle fe
coloroit à fon afpect d'un léger incar
nat. Alors trop convaincu que cette
ftatue étoit la Divinité qui préfidoit
dans ces climats , il fe reproche fa témérité
de s'en être approché fans lui
avoir marqué fon refpect . Mais bientôt
le coloris plus vif dont cette ſtatue
lui paroît animée lui fait craindre que
cette Divinité ne faffe éclater contre lui
fa colère. Le Prince pour l'appaifer fe
22 MERCURE DE FRANCE .
profterne comme pour lui demander
pardon de fa faute . La crainte le porte
jufqu'à baifer en tremblant les pieds de
la Déeffe ; & il lit avec étonnement fur
la baze de la ftatue , ces fix vers .
L'amour doit faire le bonheur
De celui qui pourra ranimer cette Belle.
Il faut , pour prix d'une telle faveur ,
Qui doit couvrir fon nom d'une gloire immortelle
,
La porter d'une haleine au fommet de ce mont
Qui menace le Ciel de fon ſuperbe front .
Jugez de l'embarras du Prince ! Il
s'affit ; & confidérant cette ftatue,fa pefanteur
& fa maffe , il ne peut comprendre
qu'un Mortel puiffe entreprendre
avec fuccès une telle avanture . Il
réfolur pourtant de la tenter. Ses premiers
effort pour l'ébranler furent inutiles.
Il les redoubla , & il s'apperçut
qu'elle devenoit mobile. Ce premier
fuccès, ranima fon courage ; illui parut
que cette ftatue devenoit plus légère à
mefure qu'il avançoit.Enfin , après bien
des peines, il vint à bout de la tranfporter
au fommet de la Montagne. Il fut
lui-même étonné de fa force . De quels
mouvemens fon coeur ne fut-il pas agiDECEMBRE.
1761. 23
té ! que n'eût- il pas defiré dans ce moment?
On prétend même qu'il ne put
retenir fon tranfport & qu'il lui vola
quelques faveurs.
A peine fut-il parvenu au haut de la
Montagne , qu'il fut attaqué par des
monftres terribles qui la gardoient. Ils
paroiffoient vouloir le dévorer , mais à
la vue de cette ftatue ils difparurent.
Le Prince fit quelques pas : il apperçut
une belle efplanade & une fuperbe
Ville. Alors la ftatue jetta un cri, & auffitôt
un Peuple innombrable accourut
en foule.LePrince
crut qu'on en vouloit
à fa vie:il fe mit en défenfe; mais un Roi
fuivi de fa Cour,vint accueillir le Prince
avec des tranfports qui marquoient le vif
intérêt qu'il prenoit au retour de la ftatue.
On conduifit Finfinet comme en
triomphe , au Palais à travers les acclamations
du Peuple. Il remarqua qu'à
mefure qu'il avançoit vers la Ville , la
ftatue fe ranimoit de plus en plus.
Dès qu'il fut dans l'appartement du
Roi , elle devint fi pefante que les forces
du Prince venant à lui manquer ,
fut obligé de la pofer à terre. Cet événement
fe répandit dans toute la Ville &
dans un inftant le Palais fut rempli d'un
nouveau concours de Citoyens.
il
24 MERCURE DE FRANCE.
A peine la ftatue fut-elle fixée, qu'elle
changea de forme & devint la plus belle
perfonne du monde . Le Prince fe
jetta à fes genoux & ui cffrit un coeur
qu'il lui avoit déja confacré . L'Hiftoire
nous affure même qu'Aimalle c'est
ainfi que s'appelloit la Princeffe , ne parutpoint
infenfible à l'offre de Finfiniet,
& que la reconnoiffance ne fut pas le
feul motif de fes remercimens.
,
Le Roi ne fe fentoit pas de joie du
retour de fa fille , fur laquelle il ne comptoit
plus. Il embraffoit tout le monde ,
fe jettoit au col de fes Miniftres , interrompoit
les complimens qu'on lui faifoit
pour parler plus haut , & coup oit la
paro e à quiconque la lui adrefſoit . Il
voulut enfin obtenir du fience , ce
qui n'étoit pas aifé ; tout le monde
par oit à la fois , c'étoit l'ufage de cette
Cour. Alors adreffant la paro e à Finfi
net : Seigneur , dit- il , ce jour-ci eft le
plus heureux de ma vie , puifqu'il me
rend une fille que je croyois perdue !
j'efpére que vous ne ine refuferez pas la
fatisfaction de nous apprendre à qui je
dois la fin de fes peines.
ce,
Mon Hiftoire eft courte , dit le Prin
& ma vie n'eft point chargée d'évé
nemens
DECEMBRE. 1761 . 24
nemens. Le feul qui me foit arrivé &
qui m'ait été heureux , eft celui qui m'a
conduit ici . Seigneur , je fuis un Prince
infortuné que le fort a maltraité dès ma
naillance. J'etois deftiné pour monter
fur un Trône ; mais une révolution qui
renverfa tous mes projets , me mit hors
d'état d'y pouvoir jamais prétendre . Je
fortis d'un Pays où le fort m'étoit fi contraire
, réfolu de me livrer à tous les
événemens .
Il raconta enfuite tout ce qui lui étoit
arrivé au Pays des enchantemens .
J'avois préffenti votre naiffance , lui
répondit le Roi ; votre air noble & vos
traits annoncent aifément que vous ne
devez pas être d'un rang ordinaire . Si
la fortune vous a été fi contraire , je
bénis fes rigueurs de vous avoir conduit
dans mes Etats. Vous y trouverez
dequoi vous en dédommager ; trop heureux
moi-même de pouvoir vous procurer
de quoi vous fixer à cette Cour.
La grace avec laquelle Finfinet avoit
raconté fon hiftoire , acheva de déterminer
tous les coeurs en fa faveur ; à
peine le Roi eut-il répondu , qu'il s'éleva
une acclamation générale. Tous
entourerent le Prince ; chacun recom
mença à lui faire fes remercimens ; &
B
26 MERCURE DE FRANCE.
mille voeux furent formés pour qu'il
pût demeurer à la Cour . Ignorans qu'ils
étoient l'amour les avoit prévenus.
Comme cette Nation étoit vive & pétulante
& que chacun y fuivoit fon premier
mouvement , on alla jufqu'à dire
qu'on ne pouvoit mieux faire que de
lui offrir la Princeffe Aimable.
Il est néceffaire d'inftruire le Lecteur
des ufages de cette Cour , & de rendre
compte en même temps des raifons qui
avoient obligé Aimable à devenir ſtatue.
Le Roi qui gouvernoit ces Etats, &
dont les faftes nous ont été confervés ,
a été fort connu par un proverbe qui
eft encore fort en ufage . Ce Monarque
affable & débonnaire faifoit les délices
de fes Sujets , entre lefquels il ne cherchoit
qu'à ramener l'égalité. Il fe plai-
Toit à defcendre de fa grandeur jufqu'à
la familiarité , & fçavoit fi bien tempérer
l'éclat qui environne le Trône , que
T'accès en étoit facile aux plus petits
comme aux plus grands ; en forte
que l'on pouvoit dire que tous fes
Sujets étoient fes amis & fes compagnons
ils regnoient avec lui . Le
bon Roi, pour n'avoir rien à fe reprocher
, n'ufoit qu'à leur gré de fon autorité
; l'adminiftration de fes Etats étoit
DECEMBRE. 1761 . 27
la caufe commune , & chacun y prenoit
l'intérêt qu'il lui plaifoit ; auſſi jamais
Souverain n'eut un confeil plus
nombreux tout Citoyen avoit droit
de propofer fon avis & de le faire
goûter. Jamais Monarque en un mot
ne le fut moins , ne fe foucia moins de'
l'être ; & quiconque à ces traits méconnoîtra
le fameux Roi Petau , fera
affez mal juger de fa littérature . Ce
Prince en un mot , s'étoit marié
par l'avis de fon Confeil , & avoit
époufé une fille telle qu'il avoit plu à fes
Sujets.
,
De cet hymen,auffi heureux que ceux
des Rois le peuvent être , il étoit né la
première année, une Princeffe & dix ans
après une feconde. L'aînée des Princeffes
fut nommée Déplaifante , & la cadette
cut le nom d'Aimable. Ce ne ' fut'
pas fans raifon qu'on leur donna des
noms fi contraires ; la nature y avoit
pourvu ; & l'on peut dire qu'en fe réjouiffant,
elle s'étoit épuifée fur ces deux
Princeffes & en avoit fait des chef-d'oeuvres
bien différens. On ne décrira point
la laideur de Déplaifante ni la beauté
d'Aimable , on ne croiroit pas leurs portraits
reffemblans ; l'un paroîtroit trop
chargé , & l'autre trop flatté. On pré-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
tendoit alors qu'une petite jaloufie arri
vée entre deux Fées pour quelque préfé
rence triviale, avoit occafionné ce prodigieux
contrafte entre les deux fours.
• &
Mais comme l'amour-propre fupplée
ordinairement à ce que la nature nous
refufe , il s'en falloit beaucoup que Dé
plaifante fe crût telle ; fa fierté naturelle
& fa prévention l'empêchoient de fentir
que les hommages de la Cour n'étoient
adreffés qu'à fon rang ; elle ne voyoit pas
qu'elle n'infpiroit que la crainte
ces refpects ferviles qui ne fatisfont que
l'ambition , mais qui ne fuffifent que
trop fouvent aux Grands. D'ailleurs ces
glaces indifcrettes & trop fidelles qui
font à préfent la confolation ou le défefpoir
de celles qui s'en fervent , n'étoient
pas encore en ufage ; une fontaine
tranfparente , un ruiffeau clair &
pur , ou les yeux d'un Amant plus ou
moins amoureux , étoient les feuls mi
roirs de ce temps-là.
Que les fentimens qu'infpiroit la
Princeffe Aimable étoient différens ! Le
plaifir de la voir fi belle animoit les regards
de tous ceux qui l'approchoient ;
elle voyoit tous les yeux fatisfaits fans
en fçavoir la caufe : elle ignoroit en
quoi conſiſtoit la beauté : l'on ne comDECEMBRE.
1761 . 29
mence à s'en inftruire qu'au moment
où l'on cherch à plaire ; & c'eſt à quoi
elle ne penfoit pas . Il eſt vrai qu'Aima
ble étoit alors dans cet âge heureux ,
ou le coeur encore paifible attend la
faifon des plaifirs. Mais l'âge acheva
bientôt de proportionner fon efprit a
Les charmes , la mi en erat de remplir
les deffeins qu'il avoit formés fur
elle .
Déplaifante avoit remarqué avec
chagrin la préférence que l'on donnoit
à fa four. La jaloufie's'étoit emparée de
fon coeur , & l'avoit fait recourir à une
Fée dont le génie méchant étoit conforme
au fien: c'étoit la même Fée qui avoit
préfidé à fa naiffance , & qui avoit condamné
Aimable à perdre la lumière &
à refter ftatue. Le Roi fon père avoit
penfé mourir de la perte de fa fille ; il
avoit encore eu le chagrin de voir que
celle qui lui reftoit , avoit pour le mariage
une répugnance invincible , quoiqu'il
lui eût deftiné le Prince des Lapons
pour Epoux .
Telle étoit la fituation de la Cour ,
lorfqu'Aimable reparut.
La vue de Finfinet caufa bien des événemens,
& pour ainfi dire une révolu
tion générale dans tous les coeurs les
B iij
30. MERCURE DE FRANCE .
plus indifférentes & les prudes mêmes
n'en furent pas exemptes. Déplaifante
la reffentit vivement ; en vain voulutelle
le diffimuler : dès le foir même de
l'arrivée du Prince , après être rentrée
dans fon appartement , elle s'enferma
dans fon cabinet , où elle appella une de
fes femmes. Eh bien, Maufade , lui ditelle
, as-tu vu cet étranger qui vient d'arriver
à la Cour? qu'en dis-tu ?Pour moije
' avouerai que fi j'avois pû prévoir qu'il
y eût fur la terre unMortel auffi digne de
moi , je n'aurois pas pris contre l'amour
des idées fi défavantageufes, & que je n'y
aurois pas renoncé auffi légérement.
Mais du moins , Madame , reprit Mauffade
, vous n'avez pas renoncé pour
toujours à l'hymen ; il eft de toutes les
faifons & de toutes les conditions ; on
Feut faire pour lui ce qu'on ne feroit
fas pour l'amour les établiffemens de
convenance & de raifon font moins
agréables , mais ordinairement plus
heureux ; d'ailleurs il faut donner quelque
chofe au hazard, & compter un peu
fur fon mérite. J'y compte auffi , reprit
Déplaifante ; j'efpére que celui du Prince
m'aidera à vaincre une répugnance
que j'ai toujours eue pour un Etat qui
'affujettiroit aux volontés d'autrui.
DECEMBRE . 1761 . 31
Eh pourquoi faut il que le don de notre
main entraîne celui de notre liberté
& de notre indépendance ? Je ne puis
changer de fituation fans y perdre . Une
Princeffe comme moi ne peut affocier à
fa fortune un Prince quel qu'il foit,fans
defcendre un peu de fon rang & fans
fe dépouiller des avantages de fa naif
fance. Oui , Madame lui répondit
Mauffade , nous avons toutes de bonnes
raifons pour renoncer à l'Hymen ;
mais il ne faut qu'une foibleffe pour
nous y déterminer. Les inconvéniens
que vous craignez , viennent moins de
la perte de notre liberté , que de celle
de notre coeur. Ainfi croyez-moi, Princeffe
, fi d'ailleurs le Prince vous conyient
, époufez-le avant que de l'aimer ;
l'obligation qu'il vous en aura, fera bien
plus grande en un mot bornez-vous
s'il fe peut , au plaifir d'être aimée . Tu
as raifon, dit Déplaifante , je t'entends ;
je vais donc me faire aimer du Prince.
Tel fut l'arrangement fenfé qui fut
arrêté dans le Confeil de Déplaifante
contre un coeur dont l'amour avoit déja
difpofé.
Aimable & Finfinet n'étoient pas dans
une fituation différente . L'Etoile qui
décide en amour avoit agi fur eux en
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
même temps : ils prirent l'un pour l'au
tre ces premières impreffions qui ne
s'effacent prèfque jamais. L'échange de
leurs coeurs fe fit au même moment ; &
ce quiarrive rarement , aucun d'eux n'y
perdit..
Le Roi voulut célébrer le retour de
fa fille par des fêtes galantes. On ordonna
différens divertiffemens ; & pendant
le cours de ces fêtes , Déplaifante chercha
auffi foigneufement les occafions
de marquer fa tendreffe au Prince , qu'il
fut attentif à feindre de ne pas s'en
appercevoir. Les tracafferies qu'elle em
ploya pour brouiller le Prince avec 4imable
, les perfécutions qu'elle leur fuf
cita , les fureurs que lui infpira la jaloufie
lorfqu'elle fut pleinement convaincue
de leur fecrette intelligence , entra?-
neroient dans des détails qui feront aifément
fuppléés par le Lecteur. Il eſt
également inutile de lui apprendre que
les deux Amans perfécutés ne s'en ai
moient que davantage. C'est alors que fe
livrant à tout fon défefpoir: je n'en puis
plus douter ( s'écria Déplaifante ) ils s'aiment
& s'aimeront toujours malgré moi!
que deviendrai-je, & quel affreux avenir?
Hélas ! de toutes les douceurs que j'ef
pérois , je n'aurai donc que celle de la.
vangeance. Oui je me vangerai : Ils.
DECEMBRE. 1761. 33
payeront cher les larmes que me fait répandre
une foibleffe indigne & malheureufe.
Que le Prince parte ; qu'il s'éloigne
à jamais de ces lieux... & toi Princeffe
trop heureuſe , je fçaurai , dans un
exil éternel , te punir d'avoir fçu plaire
à un Prince que je me deftinois.
Cependant les larmes qu'elle répan--
dit en abondance , les fermens qu'elle
fit de fe vanger , l'efpérance de fe guérir
, la foulagerent. Qu'elle connoiffoit
peu l'amour ! On s'en détrompe, fans en
guérir. Quand les foupirs , les pleurs &
le dépit font épuifés , l'efpérance renaît;
& Déplaifante s'y livra. Par un retour
affez ordinaire, ce fentiment diminua le
malheur de fa fituation ; elle crut que le
Prince lui fauroit enfin gré de fes
avances , & de fes feux : comme fi l'a--
mour naiffoit de la reconnoiffancel Elle
excufa même un peu fa foeur & fe flatta
que,puifqu'elle connoiffoit fon amour,,
elle le refpecteroit ; elle tomba enfin
dans toutes les erreurs où un penchant
malheureux entraîne ceux qui ne peu--
vent fe guérir ; & fa foible raifon prit
le parti de fon amour."-
Déplaifante fe mit au lit pour cacher
fon défordre , & fit dire que le cercle
fe tiendroit chez elle. Elle fe flattoit quee
By
34 MERCURE DE FRANCE .
le Prince ne pourroit pas fe difpenfer
de lui rendre vifite . Elle attendit ce moment
comme celui qui devoit décider
de fon fort.
entr'autres ,
En effet le Prince arriva : mais il fallut
auparavant éffuyer bien des vifites
importunes. Aimable ,
vint ui rendre fes devoirs. Déplaifante
pelit à fa vue & ne lui répondit que par
monofyllabes. Le Roi Petau vint enfuite
; de là Finfinet qui voulut fe retirer
: Déplaifante l'arrêta . Dans l'état où
je fuis , lui dit- elle , j'ai befoin d'une
compagnie qui m'amufe & qui me diffipe.
Alors le bon Roi fit affeoir le
Prince ; il s'établit lui-même dans la
plus profonde Bergère , & le cercle fe
forma. La converfation devint genérale
; Aimable , & même Finfinet y
brillerent beaucoup ; Déplaifante même
eur préfque de l'efprit , Chacun s'évertua
& reffentit l'effet ordinaire que produit
fur l'efprit la préfence de ce qu'on aime.
Le Roi étoit le feul qui n'étant pas au
fait des fituations, les déconcertoit tous
par des vivacités & des faillies qui détonnoient
avec la converfation . Il avoit
la voix haute & brufque , & ne la ménageoit
guères : il fe jettoit fans ceffe
à travers les interlocuteurs , s'emparoit
DECEMBRE . 1761 . 35
*
mal-à-propos du texte , diftribuoit la
parole , la coupoit aux autres & à luimême
, interprétoit à fa façon des propos
avancés à deffein pour être relevés
par d'autres que par lui , prévenoit les
réponſes , en détournoit le fens , les
dépaïfoit , entremêloit partout des dictons
, de vieux contes , n'épargnoit pas
les Proverbes ,& quoique Roi, rioit tout
feul. La mauvaiſe humeur de Déplaifante
congédia enfin l'Affemblée. Finfinet
donna la main à Aimable : ce dernier
coup affomma Déplaifante, qui feignant
l'inftant après d'avoir quelque chofe à
dire à fa foeur , la fit appeller . Vous
m'obligerez à un éclat , lui dit Déplaifante
avec hauteur ; vous devriez
éviter les occafions de me déplaire . Aimable
feignit de ne pas l'entendre ; Déplaifante
le fentit ; & voulant à force de
fierté cacher fa confufion : ne comptez
pas m'en impofer , dit-elle , par une
ignorance affectée . Allez; & déformais,
que vos Ecuyers vous reconduifent .
Déplaifante paya bien cher fa tyrannie.
L'amour en confola fa foeur ; il raffermit
fa chaîne & y ajouta de nouveaux
noeuds. C'en fut affez pour la réfoudre
à ne plus cacher fes fentimens au
Prince,& à fe laiffer arracher l'aveu d'un
B vj
36 MERCURE DE FRANCE .
fecret qui lui coûtoit autant à garder
qu'à découvrir..
Déplaifante étoit de fon côté livrée à
la jaloufie la plus noire . Elle forma cent
projets différens qui étoient auffitôt détruits
par d'autres .
Elle s'arrêta à celui de faire foigneufement
obferver les deux Amans. Ils ne
purent échapper aux foins vigilans de
Mauffade , qui vint un jour avertir Deplaifante
qu'ils étoient feuls dans la
Grotte des foupirs. Déplaifante courut
à la Grotte ; & vit le Prince aux genoux
d'Aimable : fon trouble fut égal
au leur le Prince ne lui avoit jamais.
paru plus charmant .Finfinet voulut maladroitement
profiter de cet inftant
de foibleffe en faveur d'Aimable. Non !
s'écria Déplaifante, non , Perfide ! 'cherche
plutôt à te juftifier toi-même, en me
fuivant .... Les foupirs de ces deux
triftes Amans furent les feuls adieux
qu'ils fe firent.
A peine furent-ils arrivés au Palais
qu'Aimable reçut un ordre du Roi
qui la reléguoit dans une Fortereffe
à vingt lieues de la Cour. Elle partit &
foutint fa difgrace avec un courage &
une fermeté qui redoublerent encore le
refpe&& l'adoration du Peuple.Cet évé--
DECEMBRE . 1761 : 37
བྱ
nement donna matière à bien des dif
cours : chacun imagina ce qui lui plut
& le donna pour vraj . On répandit à
deffein , que la Princeffe avoit formé
quelques projets défagréables à la Cour ;
mais les plus fins courtifans fans fe com--
muniquer autrement que par la penfée
conclurent que la jaloufie avoit fait toute
le crime de la Princeffe difgraciée .
Le refte au Mercure prochain..
EPITRE
De M. GRESSET , à M. le Comtez
de.....
FLAVE & Succeffeur d'Horace ,
De Defpreaux & d'Hamilton ,
Vous qui nous ramenez leur ton
Et leur Coloris & leur Grace ,
Sans effort , fans prétention ,
Sans intrigue & fans Dédicace
vous , dont l'Aigle ou les Zéphirss
Guident , au gré de vos defirs ,
La route toujours neuve & fûre ,
Peintre brillant de la Nature ,
De la Sageffe & des Plaifirs !
Quand vous dérobez à notre âge
38
MERCURE
DE
FRANCE
.
Des Tableaux que la Vérité
Et le Génie & la Gaîté
Ont marqués par la main d'un Sage ,
Du fceau de l'Immortalité ;
Dites -moi , divin Solitaire ,
Dites par quelle cruauté ,
Rappellez-vous à la lumière ,
Un phoſphore , une ombre légere ,
Qu'ont tracés mes foibles crayons ,
Et dont la lueur paffagére
S'efface au feu de vos rayons ?
Sur les fonges de ma jeuneſſe ,
Laiffez les voiles de l'oubli ;
Que mon defert ſoit embelli
Par votre main enchantereſſe !
Voilà le feul lien de Fleurs ,
Par qui je veux tenir encore
A cet Art qu'on profane ailleurs ,
Et la Raifon même adore ,
Quand il brille de vos couleurs.
que
Prenez cette Lyre éclatante ,
Qui par les fons majestueux
Maîtriſe mon âme , m'enchante ,
M'élève à la hauteur des Cieux :
Ou que ce facile Génie
Qui de la céleste Harmonie ,
Sçait defçendre aux délaſſemens
D'une douce Philoſophie
DECEMBRE. 1761 . 39
&
M'offre encor fes amuſemens ,
Ces écrits fans cajolerie ,
Sans Satyre , fans baffe envie ,
Ces écrits nobles & rians
Sans pefante bouffonnerie ;
Où la Gaîté jointe au bon-fens ,
Craionne l'humaine folie
Sous les traits heureux & brillans
De la bonne plaifanterie ,
Dont tout le monde a la manie ,
Et qu'atteignent fi peu de gens.
Mais , par malheur pour qui vous aime
Ne confiant rien qu'à regret ,
Toujours mécontent de vous-même ,
Vous voulez être trop parfait ;
Et dans votre trop beau ſyſtême
Un Ouvrage n'eft jamais fait.
Contre mes voeux & mes inftances
Tous vos prétextes font ufés ;
Soyez moins parfait , & lifez ;
J'aime jufqu'à vos négligences .
Pourquoi vous ravir fi fouvent
A l'amitié qui vous appelle ,
Et lui cacher fi conftament
Des tréfors qui font faits pour elle ?
Sauvage enfant de Philoméle ,
Vous êtes cet Oifeau charmant
Qui , fous la verdure nouvelle ,
40 MERCURE DE FRANCE .
Content du Ciel pour confident
De la tendreffe de fon chant ,,
Semble fuir la race mortelle ,
Et s'envale dès qu'on l'entend.! .
A Madame la Ducheffe d'ÉGUILLON,
après la Repréfentation de MEROPE
& du BABILLARD , par les Dlles
Penfionnaires du Couvent de Ruel.
V
ERTUEUSE Ducheſſe , ornement de la France ;
IMuftre rejetton de nos chers Fondateurs 3
Que vous fatisfaites nos coeurs
Par votre agréable préſence !
Săr nos jeux innocens vous répandez des fleurs ,
Puiffent-ils vous prouver notre reconnoiffance !
A Mlle d'EGUILLON qui jouoit le Role
de CLARICE dans leBABILIARD,
Parlapetite MlleGUIBERT quijouoit
celui de NERINE.
DAIGNEZ ; belle Clarice , agréer mon hommage :
Un eternel oubli peut confondre nos jeux ;
Mais quoique nous foyons au matin de notre âge , -
Mon coeur jufqu'à fon foir fera pour vous des
Par Madame GUIBERT
DECEMBRE. 1761. 41
LE MATIN
TRADUCTION.
Lz flambeau de la nuit , la paifible courière
Forte à d'autres Mortels , fon éclat emprunté
Des Etoiles déja s'efface la lumière ;
Et des fombres brouillards l'air n'eft plus in
fecté.
Sur le point de r'ouvrir fa carrière brulante,.
Le Soleil de fes feux , ranime l'Univers ;
La pourpre , le Saphir , l'Eméraude éclatante
Se peignent à nos yeux dans levague des airs.
La Mère de Memnon , l'Aurore aux doigts de Rofe,
Jette fur les Mortels des regards gracieux ;¡
Et les vives couleurs dont elle fe compoſe
Diffipent , de la nuit , les voiles ténébreux.
De l'Orient déja franchiffant la barrière ,
L'altre brûlant du jour eft fur notre hemifphères.
Les nuages groupés , fufpenfus dans les airs ,
Ont pris, à fon afpect , la teinte des éclairs.
De fes premiers rayons , les plaines font doréess
La rofe épanouit fon Calice enchanteur ;
Le lis , à fon éclat vient apporter l'odeur
Qu'exhalent , à l'envi ,fes feuilles fatinées..
42 MERCURE DE FRANCE.
Les oiſeaux enchantés , par leurs chants ame
reux ,
Célébrent le retour du Dieu de la lumière ;
Le Laboureur actif fortant de fa chaumière
Fait marcher devant lui fes Taureaux vigoureux
Ces Globes enflammés , nageans dans la matière ,
Ces Aftres radieux , ce Soleil bienfaiſant ;
Oui , tout ce que je vois dans la Nature entière ,
Eft l'ouvrage , Seigneur , de ton bras tout-puiſfant
!
Tu commandes aux vents : ſur leurs aîles rapides
Ils franchiffent foudain l'immensité des airs ;
Ta main conduit des Cieux les mouvemens divers
,
Et difpenfe , à grands flots , les nuages humides.
D'un foufle , tu formas tous ces monts fourcilleur}
Tu coulas en métaux l'argile mépriſable ;
Aux Aftres tu traças leur courſe dans les Cieux :
Ta parole créa ton féjour adorable.
Mais que fais -je, grand Dieu ! j'oſe tracer en vers ,
Ta gloire, ta grandeur , ta Puiffance Suprême ?...
Hélas ! un vermiffeau dans fa baffeffe extrême,
Doit- il envifager l'Auteur de l'Univers ?
Par le P. Boscus .... • D
DECEMBRE. 1761. 43
Al'Auteur du MERCURE. *
L'ÉPITRE que je joins ici ,
Monfieur , n'eft qu'un pur badinage ,
Où, librement , à la merci
D'une mufe vive & volage ,
Sans aigreur &fans éralage,
Un ami parle à ſon ami.
Je vous en avertis d'avance ,
Pour que l'on n'aille
pas en vain
Y chercher
le germe
malin
De quelqu'injufte
conféquence
Trop étrangère
à mon deffein
.
Sur deux ou trois rimes
boufonnes
On auroit
tort de m'imputer
D'avoir
eu pour but d'infulter
Un ordre
aimable
de Perfonnes
,
Que j'efpére un jour augmenter.
Au refte , Monfieur , j'ai bien peur
que dans la Rapfodie que je vous envoye
, où peut-être ma mémoire ; fans
que je m'en fois apperçu , a-t-elle eu
autant de part que mon imagination ,
vous ne trouviez bien des chofes à reprendre
, en particulier , dans ce qui re-
* Cette pièce , égarée depuis deux ans , vient
d'être retrouvée. On en fait bien des excules à
l'Auteur.
44 MERCURE DE FRANCE.
garde l'exacte méchanique du Vers . Feu
M. de Boiffy a eu quelquefois la bonté
de me donner fon avis là-deffus : mais
toujours inutilement ; & mon excuſe ,
fi c'en eft une , c'eſt que je n'ai jamais
fçu , & que je ne fuis plus actuellement
à même d'étudier les régles de la Verfification
. Un peu d'oreille , de goût , &
de routine ; voila les feuls guides que je
fuis dans mes excurfions lyriques ,
Tel à l'ombre d'un Ormeau»,
Affis auprès de Lifette ,
Tandis qu'au long d'un ruiffeau ,
Son chien guette le troupeau
Qui s'en va pinçant l'herbette ,
Vous voyez un Jouvenceau
Sans principe , ni tablette ,
D'un doigt lourd , fur un roleau ,
Qui lui tient lieu de Muferte ,
Tâtonner un air nouveau ,
Qu'en quêtant la violette ,
Un jour, auprès du Château ,
Il entendit Ifabeau
Jouer fur fon Epinette.
Au bruit de la chan fonnette ,.
De tous les coins du Hameau
Vous voyez fille & fillette ,
Jettant quenouille & fuſeau ,
Courir , voler fous l'Ormeau .
Leur attention muette,,,
DECEMBRE . 1761 .
Leur figure ftupéfaite
Fait fourire le lourdaut ,
Qui des fons durs qu'il répéte
Connoiffant tout le défaut ,
De bon coeur , fur la boulette ;
Briferóit les vains pipeaux;
Mais leurs accords , quoique faux
Mêlés parmi les travaux ,
L'amufent dans la retraite;
Impofent à fes rivaux :
Enfin plaisent à Liſette.
Ma Lifette , à moi , Monfieur , il eft
bon d'en avertir ici font beaucoup
d'honnêtes gens qui femblent prendre
du goût à mes chanfons ruftiques , &
qui m'ont invité plufieurs fois à les
continuer. Je dois tâcher de mériter
leur eftime , du moins par ma promp
titude à leur obéir.
J'ai l'honneur d'être , & c.
EPITRE Badine à M. Mor ... Curé de
la Paroiffe de S. B. en Nivernois .
I' AI penfé plus d'une
fois , mon cher
Confrère
, à la converfation
que nous
eumes
dernierement
enfem
ble , au coin
de votre feu. Vous ne voulez
pas que je
46 MERCURE DE FRANCE.
qitte un Bénéfice de 4 ou 500 liv.
de rente , pour en prendre un de 2 ou
3000 liv. qu'on travaille à me procurer;
& votre raifon , c'eft que le premier
m'a bien fuffi jufqu'à préfent.
Mais permettez- moi de vous dire ,
Que d'avoir trop long- temps pâti
N'eft pas un titre , notre ami ,
Pour perpétuer'fon martyre.
En vain m'objecterez - vous que le
poids de l'habitude égale & confond
infenfiblement tous nos goûts ; & qu'à
la longue les défagrémens d'un état fâcheux
n'affectent pas plus que les dous
ceurs d'un état commode ne flattent.
•
Oh ! pour cela , je n'en crois rien.
Le mal ne fçaurois changer d'être,
Ni le bien , ceffer d'être bien .
Si par fois donc on fait paroître
Qu'on le dégoute d'être bien ,
Ah ! je devine mieux peut- être
C'eft que l'on conçoit le moyen ,
Et qu'on a l'espoir de mieux être.
Au refte , ma raifon à moi , du moins
la principale , fans autre préambule , la
voici. Je vous la dirai , mieux de loin
que de près ; c'eſt une foibleffe , peut-
1
DECEMBRE. 1761. 47
être un gros péché , dans une perfonne
de mon état. De tous temps , j'ai fait
cas de l'eftime des hommes ; & je vous
avoue tout ingénument que je ferois
fort flatté d'y avoir un peu de part. Or ,
des divers chemins qui y ménent,je n'en
fçais point de plus court , de plus fùr ,
de plis gracieux , que celui d'un bon
revenu .
Soyez riche , cela fuffit.
Avec l'argent tout va de fuite ,
Horace & Defpreauxl'ont dits
On a du fçavoir, de l'efprit ,
De la naiffance , du crédit ,
Du courage , de la conduite :
On a tout avec un tréſor .
Le trébuchet qui pefe l'or ,
Eft la balance du mérite .
,
m'allez-vous Il n'y a que les Sots
dire , qui fe laifferont ... Je vous en- tends. Et bien les Sots foient.Du moins
cette portion de l'humanité
que vous
traitez fi dédaigneufement
, compofe
partout le plus grand nombre
qu'on dit: & partout le plus grand nom
bre prévaut , donne le ton & fait loi.
Oh ! n'allez pas , s'il vous plaît, fous prétexte
de quelque abus , ( comme s'ils ne
à ce
48 MERCURE DE FRANCE.
nous étoient pas auffi naturels que l'air
que nous refpirons ,) vous élever ici con
tre un ufage confacré dans tous les Tribunaux
Eccléfiaftiques
& Séculiers.
Les hommes ont vû ces abus.
Mais pour maintes raiſons fort fages
Ne les traitant que de bibus.
Malgré tous les défavantages ,
Ils ont perfifté dans leur us ,
Le premier de tous qui en requit l'établiffement,
ne pouvoir être qu'un habile
homme. Je m'imagine que pour le
faire recevoir , il tint à-peu-près ce langage
à fa Nation : Meffieurs , la vérité
de jour en jour devient fi ridicule , & fi
difficile à découvrir qu'il faut néceffairement
de deux chofes l'une , ou l'abandonner
à fon caprice & nous paffer
tout -à-fait d'elle , ou l'obliger de s'élire
quelque part un domicile fi clair , fi manifefte,
que tout homme qui fçaura feulement
faire le calcul de fes dix doigts,
puiffe à coup für aller l'y trouver &
ly reconnoître . Je conclus donc à ce
qu'il lui foit ordonné de s'établir déformais
partout où fera le plus grand nombre
: le tout à fès rifques , périls, & fortune.
Ge
DECEMBRE. 1761 . 49.
Cet avis fut reçu , goûté ,
partage.
Suivi fans le moindre
Admirez la malignité !
C'est elle qui par badinage ,
Et fous un vilage emprunté ,
Au premier de l'Areopage
Avoit eu foin de le dicter ;
Ne croyant pas qu'on fût fi fage
Que de le vouloir adopter.
7
Mais revenons . Vous voudriez vous,
mon cher ami , n'acquérir la confidération
publique , que comme un fonds
de terre , à titre onéreux ; par des talens,
des vertus , & c ? Mais 1 ° . cette voie eft
trop longue , & trop pénible. D'ailleurs
ce n'eft ni l'intention , ni même , entre
nous foit dit , l'intérêt des hommes ,
qu'on s'en ferve trop fcrupuleufement.
2º. Cette voie n'eft pas toujours auſſi
fûre que vous pourriez vous l'imaginer .
Il ne faudroit que l'Ignorance , ennemie
cachée , mais bien redoutable du
mérite , pour vous arrêter au milieu de
votre courſe.
Partout où naît , & fe produit
Du Talent la tige brillante ;
D'une démarche oblique & lentej
Ge vil infecte la pourfuic.
C
50 MERCURE DE FRANCE,
Là , caché par la petiteffe ,
A loifir tramant ſon projet ,
D'un dard qu'il aiguile en fecret
Dans leur tendre gerine qu'il bfeffe
Il éteint mille aimables fleurs ,
Qui n'attendofent pour faire éclore
L'or & l'azur de leurs couleurs ,
Que l'inſtant heureux ou l'Aurore
Vient déposer au féin de Flore
Le tribut fécond de fes pleurs.
2
- Je vois encore un autre inconvénient
votre pofition au milieu des deferts
. Vous auriez beau crier de là,avant
qu'on vous entendît. Irez-vous donc ,
Chevalier errant du Mérite , courir le
monde , le cafque en tête , & la lance
baiffée , & vous planter au milieu des
chemins , pour faire avouer à tous les
paffans , que vous êtes digne de leur eftime
? Non , vous n'y réuffiriez pas,
Les hommes font trop malins , trop
contrarians . C'eft affez qu'on leur parle
d'un ton impératif, pour n'en rien obtenir
qu'à bonnes enfeignes.
Un rien qu'on vous eut laiffé prendre ;
Sans y voir , fans prefque y fonger
Quelquefois même fans prétendre
Au plaifir de vous obtiger +
Si vous ofez leur faire entendre
DECEMBRE. 1761
ད་
* Que vous voulez vous l'adjuger¸ £1
Comme un tribus qu'on doit vous rendre
N'eſt plus un poiss à négliger, no'ng
Comment ! pouvoit- on s'y méprendre !
C'est un bien dont on voit dépendre
Tout fon falut , tour fon danger; J
Et qu'on ne peut donner ni vendre.
Perfiftez vous à l'exiger ? og san
On rifque tour pour le défendre.
D'un oeil ferme on voit affiéger ,
Braler , détruire , faccager ,bo
Sa mailonylon parci, fon vergeri
Eft-ce tout Nanis pour le vengers
L'honneur dit qu'il faut fur leur cendre
Sans jamais påfler de fe tendre , a'r
Finir par fe faire égorger: 2011
Sur ce pied- là , pacifique , comme
vous êtes , furtout depuis quelque tems,
vous prendrez le parti d'attendre en patience
qu'on vienne de foi - même, reconnoître
& honorer l'homme de mérite
au fond de fa retraite. Mais is n'en
feront rien , je vous le garantis .
.91
De leur part, c'eft faire beaucoup .
Que de fouffrir qu'il fe préfente, A
Il est même bien des lieux , d'ou
L'on eft bien aile qu'il s'abfente.
1.2
12 MERCURE DE FRANCE.
$
Là , fçavoir plier le genou ,
Devant Maître , Dame & Servante : -
Qu'on vous flate , ou qu'on vous tourmente,
Toujours tendre humblement le cou s
Qu'on parle bien & qu'on plaifante
Du Ciel , de la Terre , de tout ,
Tout écouter jufques au bout ,
D'une façon libre & galante ,
Sans marquer ennui ni courroux ;
Dans ces lieux , c'eft la loi conftante,
Qu'on dicte à quiconque les hante :
Orle vrai mérite entre nous ,
N'a pas l'humeur fi complaiſante.
Mais enfin il faut vous mettre à votre
aife. Allons , je veux qu'on vous connoiffe
, qu'on vous goûte qu'on vous
eftime.Toujours ne le ferez-vous que du
petit nombre ; toujours , qu'après avoir
dévoré les fatigues , les dégouts, les longueurs
d'une route accablante : & voilà
juftement ce qui m'empêchera toujours
de faire le voyage avec vous. Oh ! qu'on
va bien mieux & plus commodément à
fon but par le chemin de la fortune !
Au lieu de troter triftement
A pied , ou juché durement
Sur l'efcarcelle d'une Roffe ,
Qui cloche & tombe à tout moment;
DECEMBRE. 1761. 53
C'eft faire la route en dormant ,
Etendu dans un bon carroffe.
Vive , vive un bon revenu ! & Dieu
faffe paix aux bonnes âmes qui fe font:
avifées les premieres de fournir à fes
Miniftres un moyen fi für de fe faire
honorer. En effet , avec un bon revenu
, vous êtes difpenfé , vous ne pouvez
même décemment vous permettre.
de faire aucune fonction clericale , fi
ce n'eft dans quelques circonftances rares
, pour lesquelles le bien de la Religion
, & la gloire de certaines âmes
privilégiées qui ne peuvent plus fe fauver
ignoblement avec la tourbe des
fimples Fidéles , exige qu'on réferve des
Miniftres extraordinaires ..
"
Or qui , pour un léger falaire ,
Bravant Concile & Concordat ,.
Peut , en foudoyant un Vicaire ,
S'affranchir de tout Miniſtère ;
Se réfervant , pour toute affaire ,
D'aller loin de fon Prefbytère ,
Prendre, où bon lui plaît , fon ébats
Chez la gent qui porte rabat ,
Jouit des droits de Gentilhomme ;
Partout , à Paris comme à Rome,
Peut narguer Evêque & Primat ;
C iij
14 MERCURE DE FRANCE.
Trancher , à fon gré , du Prélat ,
*
Bénir , chanter , A* figner tout comme;
Enfin , pour dernier réſultat ,
Ne doit paffer que pour un hommé
Fort au-deffus de fon état.
Avec un bon revenu , pour peu que
* On remarque que dans un Eccléfiaftique pour
robuſte & bien conditionné qu'il foit , la voix di- :
minue toujours à meſure que le revenu augmente.
Entrez dans une Eglife , vous diftinguerez
fans peine au chant un fimple Religieux d'un
Prieur ; un Vicaire d'un Curé ; un Curé riche
d'un Curé pauvre. Sa voix eft, le tarif du revenu.
La raifon de ce phénomène qu'on cherche dans
le Moral eft toute trouvée dans le Phyfique. Les
facultés du corps font en équilibre les unes avec
les autres , & ne peuvent s'étendre qu'aux dépens
de leurs voifines. Dans un individu opulent l'oefo
phage s'élargit de toute néceffité : il eft tout fimple
que la trachée-artére fe rétrécile.:
** Nous avons des Cuiés , fimples , très- fimples
Curés de Campagne , qui prennent ouvertement
le Tité d'Abbé , & ne fignent jamais que
P'Abbé tel ; le robit parce que leur grange peut
contenir année.commune deux ou trois cent douzaines
de gerbes de bled . On s'eft t d'abord mis à
rire de cete fingularité , comme autrefois on rit
du premier Abbé qui , dans les fitcles d'ignorance
& de bat barie , qu cous les qangs fe confondoient,
prit la croile & la mitre. On n'en rit plus , & la
qualité qu'ils fe font arrogées, tout le monde la
leur accorde fans peine apparemment pour obéir
au Confeil du Sage : Stulto refponde fecundumfultitiam
ejus.
DECEMBRE 1761 . 55
le coeur vous en dife de déroger à la
coutume prefque générale , qui veut
qu'un Eccléfiaftique à mille livres de
rente ne s'attache à d'autre étude qu'à
celle de fes plaifirs ; pour peu qu'il
vous prenne goût de vouloir , vous
donner les airs d'homme de Lettres ,
d'ami des Mufes ; rien qu'en parcourant
quelques Ouvrages Périodiques &
vous meublant la mémoire de cinq ou
fix Phrafes extraordinaires & fingulières,
vous avez droit de parler de tout , &
de juger les Auteurs d'un ton hardi ,
pofitif , defpotique.
Or , en toute efpéce d'affaire ,
J'en ai fait note très-ſouvent ,
Un con décifif & tranchant
Eft le diagnoftic ordinaire
D'un Bel- efprit ou d'un Sçavant.
Ce ton mâle impofe au vulgaire ,
Convainc , fubjugue l'Ignorant
Trouble le Sage & le fait taire.
Avec un bon revenu , vous avez le
privilége de vous faire eſcorter en Ville
comme en Campagne, par deux ou trois
Eftafiers dorés comme des calices , leftes
, coquets , femillans .... en un mot
tous tels qu'il faut qu'ils foient pour
Civ
56 MERCURE DE FRANCE .
annoncer avantageufement le Maître
qu'ils fervent , & régler vis- à -vis du
Public le degré de confidération qu'il
a droit d'en attendre.
Or , tout Quidam qui peut ainfi
Doubler , tripler fon exiftence ,
Eft , du moins en circonférence ,
Toujours plus d'un homme & demi
Et , fur le principe établi ,
Que de tout , dans ce monde- ci.
On ne voit trop que l'apparence ,
Par la plus jufte conféquence ;
Ne fçauroit être , notre ami ,
Qu'un perſonnage d'importance.
Avec un bon revenu , il vous eft
libre, que dis-je libre ? il vous eft ordonné,
prefcrit , fous peine de vilenie , par
la plus impérieufe de toutes les Légiflatrices,
lá bienféance , de tenir une table
abondante , & délicate , & d'y convier
, non des Aveugles & des Boiteux ,
ce n'eft plus la mode , mais ce qu'on
appelle la troupe des gens aimables , la
bonne compagnie.
Or qui peut dans fon domicile
A l'aide des heureux talens
1
DECEMBRE . 1761 . 57.
D'un Gilot , I d'un Laurent 2 habile ,
Le foir, tour-à- tour , à la file ,'
Attirer tous les Fainéans
De fon Village ou de fa Ville ;
Fût-il un Négre , un Hottantot ,
Eft toujours un homme admirable ;
Et , ne fçût-il dire oncq un mot
D'approprié , de ſupportable ,
Nulle-part , ainfi qu'à fa table ,
Ne fçauroit paffer pour un Sot.
Vous m'allez dire que cela n'empêche
pas qu'il ne le foit dans le fonds ; mais
ce n'eft pas là ce dont il s'agit. Ce
fonds qui vous inquiéte ,
vous inquiéte , qui eft- ce qui
ira le fouiller , & le traduire au grand
jour? Sera-ce vous , Monfieur l'homme
de Lettres , l'homme à talens ? Vous
auriez tort. Une fottife retranchée der
rière un bon revenu , croyez- moi , mon
cher Confrère , eft une fottife bien ref
pectable. Paffez -moi la comparaifon .
C'eſt un tertre aride, une Roche,
Dont un art profond & fçavant "
Par maints travaux , de proche en proches
Hériffa , défendit l'approche ;
D'où le tranquille Commandant,
1.2. Traiteurs de Neversrenommés .
C v
58 MERCURE DE FRANCE.
Dans un calme heureux , abondant ,
Se rit des traits qu'on lui décoche.
Il y auroit même plus que de la témérité
a l'y aller infulter. C'eft un principe
généralement reçu dans le monde ,
que le mérite , qui n'eft que cela , doit
être timide , modefte , refpectueux,
S'il fait l'Aboyeur , de Pélant ,
Tant- pis pour Monfieur le Mérite.
C'eſt un Cynique , un Impudent ,
Qu'avec foin tout le monde évite ;
Et qu'on met à l'ombre bien vite ,
S'il veut s'en venger , en mordant.
Encore a -t- on bien raiſon. De tous
les talens imaginables , le premier , le
plus éffentiel , le plus digne de notre eſtime
, c'est celui de fçavoir refpecter les
maximes établies , & de ne rien faire :
qui puiffe troubler le bon ordre & la
tranquillité publiques . Finiſſons ; je crois
qu'en voilà affez pour vous prouver
que ce n'eft pas fans fujet que je viſe à
changer de fituation. Au furplus
Si la raifon que je vous donne ,
Ne vous paroît pas affez bonne ;
J'en ai vingt autres à cheifir ,
Qu'au premier beau jour en perfonne ,
DECEMBRE. 1761 . 59
Si votre amitié me l'ordonne ,
J'irai vous déduire â loifir .
En attendant que l'heure fonne ,
Et me procure ce plaifir ,
Toujours trop lent pour mon dear ,
J'ai l'honneur d'être , & c. :
ODE ANACREONTIQUE.
DANS
ANS ce lieu fombre , tout conſpire
A nourrir mon cruel amour :
Le trait fatal qui me déchire ,
S'aiguile & s'accroît chaque jour,
C'est là que je chante Climene :
Son nom eft connu des échos .
Ils font fenfibles à ma peine ,
Elle eft infenfible à mes maux.
Mon malheur helas ! eft extrême
Chaque inftant voit mon mal s'aigrir :
Faut-il que les tranfports que j'aime
Soient ceux qui font le plus fouffrir ?
Du moins fi la douce eſpérance
Charmoit ma cruelle douleur
Amour ! fignale ta puiſſance
Par ma mort ou par mon bonheur.
Par M. L ... d'Arras.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
ADIEUX D'ANDROMAQUE
A ASTIANA X.
O CRIME! &défefpoir ! mon fils ! ma feule joie ! ô
Seul bien refté d'Hector & des cendres de Troie ,
Mon fils , tu vas périr ! & mes funeftes ſoins
Ot avancé l'inftant dont mes yeux ſont témoins,
Ton père , Hector lui -même , & fa gloire paſſée ,
T'arrachent une vie à peine commencée :
Hector toujours préfent aux yeux d'un aſſaſſin ,
Hector conduit les coups & te perce le ſein..
O malheureux hymen ! noeud facré, noeud funefte!
De toute ma grandeur , voilà ce qui me reſte .
L'Afie à mes genoux attendoit en fulpens,
Son Maître & fon appui renfermé dans mes flancx
Et des Grecs , en ces lieux amenés par le crime ,
Ces flancs infortunés renfermoient la victime !
Tu pleures ! ... 6 mon fils ! connoîtrois- tu ton fort ?
Sens- tu, nos maux cruels & prévois-tu ta mort ?
Tes pleurs coulent en vain, & tes mains innocentes,
Tes baiſers redoublés preffent mes mains tremblantes.
Malheureux ! prétends-tu , caché fous mes habits
Ou fléchir ou tromper les deſtins ennemis ?
Hedor ne rompra pas la barrière fatale ,
Qui s'élève entre- nous , & la nuit infernale.
N'efpérons plus le voir, tel qu'au fort des combats,
DECEMBRE. 1761 .
6r
Nos Tyrans , de fes mains , recevoient le trépas ,.
Quand du joug de l'Europe affranchiffant l'Afie" ,
Il vangeoit dans leur fang fon fang & fa Patrie.
Tout eft fini pour nous. Troie a vu fon orgueil
Confondu près d'Hector dans la nuit du cercueil ;
Et dans nos deftructeurs la foif de la vangeance
Etouffa pour jamais la voix de la clémence .
Helas ! ta mort s'apprête , & bientôt fous mes yeux
Précipité du haut de ces murs odieux "
Tes membres palpitans couvriront ce rivage ,
Ces bords enfanglantés , théâtre du carnage.
Hélas ! ton oeil tremblant à peine s'ouvre au jour »
Que le fer ennemi t'enlève à mon amour.
Odour embraffemens ! ô baifers pleins de charmes!
Qu'à ta mère éperdue ils vont coûter de larmes !!
Sauve-toi dans mes bras ! ô mon fils ! c'eſt en vain
Que tu puifas la vie & le jour dans mon ſein .
Pour la dernière fois embraſſe encor ta mère.
Près de joindre au tombeau les manes de ton père,
Montrons-nous tous les deux ardens à recueillir
Toi , mon dernier baiſer , moi ton dernier foupir .
LETTRE à l'Auteur du MERCURE..
V ous connoiffez peut- être , Monfieur
, un jeu d'efprit qui reffemble aux
bouts rimés. On vous donne un certain
62 MERCURE DE FRANCE..
nombre de mots pris au hazard ; vous
compofez enfuite une Hiftoire raifonnable
& fuivie , dans laquelle ils doivent
fe trouver tous. Il vous eft feulement
permis d'en changer l'ordre & de
les employer plus d'une fois . Voici
comme un homme de ce pays a rangé
les mots fuivans : Capitoul. Ecliptique.
Poulain. Arbalétrier. Sarbacanne.
heaume. ferviteur. Ayeul. Faon. Divan.
Colombier. Soupape. Marée. Bol.
LETTRE d'un Ecolier de TOULOUSE.
ENFIN , mon cher ami , me voilà
forti de mon maudit College pour aller
paffer les vacances dans la belle maiſon
que mon oncle le Capitoul a auprès
d'Agde. Je vous dois une defcription
de mon voyage. Un Poëte commenceroit
avec emphafe , en difant que le Soleil
fe préparoit à entrer dans le premier
figne de l'Ecliptique pour darder fur la
Terre fes rayons bienfaifans qui raniment
la Nature ; mais moi, je vous conterai
fimplement comme quoi le 22
Mars à huit heures du matin, nous trouvâmes
à la porte du Collége la magnifiDECEMBRE.
1761. 63
que Chaife de mon Parrain le Prieur
attelée d'un cheval de louage , de fa
grande jument blanche & du petit poulain
qu'on avoit mis en arbalête . Ah !
le maudit Arbalétrier. La forte bête ne
fit que ruer & culbuter. Il fallut le déreler
avant que d'être au bout de la grande
rue . Nous nous embarquâmes donc,
M. Maufadet mon très-digne Précepteur
, moi armé de mon beau fufil , &
le petit Charlot mon coufin , qui ne
voulut point quitter fa Sarbacanne avec
laquelle il fouffoit des pois le long de
la route aux paffans . Guillaume fuivoit
à pied avec fon beau bonnet de toile cirée
qui lui fervoit de heaume & un bâton
en guife de lance , ce qui lui donnoit
tout-à -fait l'air d'un Roland. Le
petit Charlot nous étourdit pendant tout
le chemin du plaifir qu'il auroit à voir le
grand Jet d'Eau, à faire jafer le Sanfonnet
& à manger tout le bonbon que lui
alloit donner fon Ayeul. Moi, je rêvois
que le lendemain je tuerois un Chevreuil
ou un Faon ; & M. Mauffadet
fongeait , j'en fuis fur , a renouveller
avec la petite Fermière des familiarités
qui ont déja penfé le faire chaffer. Enfin
nous appercevons le grand Colombier
le coeur nous bat d'aife ; nous defcen64
MERCURE DE FRANCE.
dons remplis de nos idées ; nous trouvons
mon oncle le Capitoul jouant au
piquet avec Madame l'Elue & un tas de
Campagnards occupés à décider un coup
contre lui avec la même gravité qu'on
traite une affaire au Divan. Mon oncle
prend de l'humeur, reçoit mal fon petitfils
Charlot & loin de lui donner du bon
bon , lui caffe fa Sarbacane. Le pauvre
petit va
va chercher le Sanfonnet ; le chat
l'avoit mangé le jour précédent ; & le
grand Jet d'Eau n'alloit pas , parce que
La Soupape étoit rompue . Nous ne fumes
pas plus heureux que Charlot. M.
Mauffadet trouva la petite Fermiere en
couches ; & moi , au lieu d'aller à la
chaffe , j'ai gardé trois jours le lit pour
une indigeftion de marée gagnée à Befiers.
Heureufement , moyennant deux
vifites du Docteur & trois bols purgatifs.
j'en fuis quitte. Mais vous voyez comme
les projets des hommes & leurs efpérances
s'en vont fouvent en fumée !
J'ai l'honneur d'être & c.
Permettez- moi , Monfieur , de vous
en dire autant ; de tous les Abonnés au
Mercure, perfonne ne vous honore plus
que moi.
DECEMBRE . 1761 . 65
ÉPITRE ,
A Mademoiselle CORNEILLE.
REESSTTEB facré de ce beau ſang ,
Ce fang qui produifit , fi fécond en merveilles ,.
Un Fontenelle , & deux Corneilles ;
Quel Seigneur , digne de fon rang,
Unira les palmes guerrières ,
Dont Mars orna fon écuffon ,
A ces lauriers héréditaires ,
Que tu tiens des mains d'Apollon ?
L'Europe avec refpect , la France avec tendreffe
Doivent applaudir à ton nom ;
La vertus , les talens , ont fondé ta nobleffe
Corneille , grand en tout , méprifa la richeſſe.
La ftérile admiration
Ne nous acquitte pas ; & ton fort intéreſſe
L'honneur de notre Nation .
Voltaire , de Corneille héritier véritable ,
Offre à ce père vénérable ,
De fes travaux , l'hommage glorieux ;
De fa famille auffi lui-même il devient père.
Corneille convient dans les Cieux ,
Que le mépris des biens ,. qui fit fon caractére ,
N'égale pas encor leur emploi vertueux.
ParM. LECLERC ,, à Nangis.
66 MERCURE DE FRANCE.
LE mot de la premiere Enigme du
Mercure de Novembre , eft , la Cendre.
Celui de la feconde , eft, la fauffe Monnoie.
Celui du premier Logogryphe, eft,
Pêche , dans lequel on trouve , par le
moyen feulement de deux accens , Piché.
Celui du fecond , eft Infeription ,
dans lequel on trouve non , Scipion ,
or , porc , crin , pifton , ton , firop, roc ,
ciron , pin , tin , po , io , iris , prifon ,
toni , cor , Sion , citron , fon , Roi
corps , os , pion , pinçon , Crispin .
point.
[
ENIGM E.
A Mademoiselle D.....
DIEU IEU favori de tout ce qui reſpire ,
Objet aimé de tous les fens ,
J'attire tout par nes charmes puiffans ;
Rien n'eft fouftrait à mon empire.
Eglé , que fuis-je donc , avec tant de pouvoir ?
C Une lueur enchantereffe ,
Qui naît , meur & renaît fans ceffe ,
Une ombre, un feu follet , qu'on ne peut concevoir,
DECEMBRE. 1761 67
Qu'en cherchant trop , on ne fait qu'entrevoir.
Je fuis cependant très - fenfible...
Tel qui croit, me, tenir , ne mefent qu'échapper ;
Mais en m'analyfant , on me rend invifible,
Je fuis perdu pour qui me veut développer.
Chac un me trouve où fon âme le porte ;
L'Ambitieux dans la grandeur ,
f
Le Conquérant dans une attaque forte ,
Et le Tyran dans fa fureur.
Un Grand , que fon orgueil encenfe,
Me voit dans fa nombreuſe Cour ;
Un volage dans l'inconftance ,
Un coeur froid dans l'indifférence ,
Un coeur fenfible dans l'amour.
L'Avare avec fon or m'enferme en fa caffette ;
Le Joueur , au piquet me trouve avec les as ;
Le petit Peuple à la Guinguette ;
Et le Faquin dans les petits appas.
Un gros Doyen à rouge trogne ,
Savourant mille mets , avec art apprêtés ,
Dans des flots de vins de bourgogne
Me fable à coups précipités.
Un Poëte en fon trou , rimaillant avec peine
Des vers pillés & mal coufus ,
Tout plein de moi , fe croit nouveau Phébus ,
Roi du facré Vallon , Maitre de l'Hipócrène .
Une Coquette , éprouvant au miroir
Ses grimaces les plus jolies ,
Me rencontre en croyant y voir
68 MERCURE DE FRANCE.
Un minois à caufer un million de folies.
L'Amant aimé m'apperçoit en tous lieux 3
La Nature pour lui me reproduit fans ceffe ;
Une fleur , un ruiffeau , me peignent à fes yeux :
Tel eft l'effet de la tendreffe !
Qui prétend me hair n'eft pas de bonne foi.
Ecoutez un Atrabilaire ,
Avec fon air pédant déclamer contre moi :
A l'entendre , je fuis une erreur du vulgaire ;
Mais en dépit de la morale auftère ,
C'eft pour m'avoir à fa façon ,
Qu'il va dans un coin de la Terre
Faire contre les miens déclamer ſa Raiſon.
Dans la coupe noire & bifarre
De la fière caufticité ,
Tout en me décriant , à longs traits le Barbare
Me puiſe avec tranquillité.
11 en eft cependant que le deftin avare
Condamne à vivre loin de moi ;
J'évite ces Mortels ; & je ne fçais pourquoi,
Je fuis pour eux toujours très-rare,
Les Grands connoiffent peu mes traits ;
Chez eux le fafte m'épouvante ,
Et je bâille dans les Palais :
Un village , un hameau , une plaine riante ,
Ont toujours pour moi plus d'attraits.
1
Mais furtout , cher Eglé, je me plais fur vos traces..
Jevais , reviens , voltige autour de vous.
DECEMBRE. 1761 . bg
Paré de vos attraits , embelli par vos graces ,
On me fent mieux , on me trouve plus doux,
Divine Eglé , quelle feroit ma gloire ,
Si la pudeur qui veille auprès de vous ,
Ne me difputoit la victoire!
J'ofe par fois me montrer dans vos yeux;
J'y brille... mais qu'ailleursje brillerois bien mieux
Si Licidas , qui vous adore ,
Sur vos lévres un jour pouvoit me faire éclore¿
M'y fixer , y mourir ! .. ...
Vous rougiffez ! ...Dois- je paler encore ?
Non , Eglé , c'eft affez ; rougir , c'eft me fentir.
leplayit
AUTRE.
M. D. G.
Mon éclat éblouit le plus noble des fens : ON
Il faut me preffer pour me faire.
Si celui qui me tient me preffe trop long- temps
Je redeviens ma propre mère.
LOGO GRYPH E.
TEL fut mon fort d'être formée exprès
Pour répondre aux befoins d'un objet plein de
fâme ;
70 MERCURE DE FRANCE.
Le fet qui leconfume , & que monfeinreclame ;
ATOM'oblige à demeurer, auprès , tur
Sans quepourtant rien hry repiennẹd
A préfent far ce corps exerceiton efprit: slat
Tu trouveras dequoi te donner appécie ;
Avec une autre tête encor comme la mienne™
Je formerois un homme , & le ferois fans voit ;
Une feuille piquante , une autre feuille indienne ;
Une fille de l'air qu'on entend dans les bois , -
Peu de chofe qui fert à la coquererie
Ce que ta trouveras fous tes doigts en chemin
Lorfque tu toucheras Vielle, ou Claveffin ;
Ce que dans un picnic chacun paie en partie ;
Ce que forme la mer quand elle eft en fureur;
Au milieu d'un flambeau ce qui fait la lueurs
Un Aftre vagabond ; le double nom d'un livre;
Une faifon par qui le Printemps fe fait ſuivre ;
Ce qui garnit le dos de tout Gagne - Petit;
Le turnom de Priape ; un oileau de la Nuit ;
Le Maître du logis trouve ici lon partage.
en avoir davantage
. Devine fitutu veux en
LEBEL DE S. JUST.
alq apo rib untoled
DECEMBRE. 1761 , 71
J
AUTRE,
■fuis un Etre infortuné
¿ A qui Nature a trop donné. »
De mon nom même immenfe eft la ftructure şi
Décomposé , dilléqué dans ces Vers
376
Dont tu veux bien prendre lecture pais 13 1
• Il va t'offrir plus de cent mots diverspuu nianɔɔ
Quand la Mort t'aura fait defcendre
Dans l'affreufe nuit du Cercueil ;
Sur un marbre gravé, fait pour couvrir ta cendre a
Par des éloges vains revivra ton orgueil :
Lecteur , ce monument de la folie humaine,
Avec un pied de moins , des miens feroit formé,
Dans ma tête & ma queue on rencontre fans
peine ,
Le Fainéant qui vit en en un trou renfermé ,
Mes membres épars font encore
L'ornement dont le front du Pape fe décore ;
Un Roi dont le troupeau fut gardé par un Dieg
Un autre Roi , de qui la Villé en fea
De l'Altière Junon fignala la vangeance ;
Un monftre furieux , cent fois décapité ;
La femme de celui qui du Monde noyé ,
En jettant mainte pierre , a réparé l'engeance ;
Ce tendre Amant qu'un voile enfanglanté
Fit aller chez Pluton , fuivi de la Bergère
72 MERCURE DE FRANCE.
L'inceftueux Mortel qui brûla pour fa mère ,
Et par qui dans les flots le Sphinx précipité ,
Arracha les Thébains à la calamité ;
L'Apôtre porte-clefs le Fabulifte illuſtre ,
Qui des écrits d'Efope emprunta tour fon luftres
Le Chantre della Thrace ; & le Dieu des pavors
Ce qu'Ovide inventa pour chanter des Héros ;
L'Amante de Renaud; l'Amante de Léandre ;
Certain mal , fans remede , auquel il faut s'atten
dre ,
Et qu'en vain l'homme voudroit fuir s
Le contraire d'aimer ; & celui de hair.
Je t'ai promis cent mots engagement frivole ;
Qui déjà me fait friffonner ! ...
Je t'en ai dit affez , fi tu fçais deviner .
Difpenfe-moi de te tenir parole.
A METZ.
RONDEAU.
jusques dans le moindre role , Iris tu sé.
duis les coeurs, Un seulgeste une uneparole, Enchan
tent les spectateurs Toujours tendre et delicate,
Ou vive a vec agrément .Dans tonjeu
sans
Min
cesse
éclate L'espritou le sentiment . Seje
vois en toi Nicettej'aspire au bonheur d'Alin
Si tu charme dans Jeannette je brule d'être Co
-linje desire en voyant Lise Le sort de l'heu
W
reux Dorval, Et
par
tout mon ame
éprise
Majeur
Rencontre un nouveau rival. Heureux
W
l'amant dont laflame Peut éclater a tes
yeux Qui du trouble de son ame Peutte parler
en tous lieux :Plus heureux l'amant sincere
W
Qui peut te voir soupirer Et qui certain
de te plaire N'aplus rien à desirer.
DECEMBRE. 1761. 73
RONDEAU .
Jusques dans le moindre rôle USQUES
Iris , tu féduis les coeurs ;
Un feul gefte , une parole
Enchantent les Spectateurs.
Toujours tendre & délicate ,
Ou vive avec agrément ;
Dans ton jeu fans ceffe éclate
L'efprit ou le fentiment.
Si je vois en toi Nicette ,
J'afpire au bonheur d'Alain ;
Si tu chantes dans Jeannette , Charme
Je brûle d'être Colin ;
Je defire en voyant Life ,
Le fort de l'heureux Dorval
Et partout mon âme épriſe ,
Rencontre un nouveau rival.
Heureux l'Amant dont la flâme
Peut éclater à tes yeux ;
Qui du trouble de fon âme
Peut te parler en tous lieux .
Plus heureux l'amant fincère ;
Qui peut te voir ſoupirer
Et qui certain de te plaire ;
N'a plus rien à defirer.
D
74 MERCURE DE FRANCE,
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE à M. DE LA PLACE ,
Auteur du Mercure , fur le Livre
des Principes difcutés pour l'intell'igence
des Pfeaumes & fur la
nouvelle Verfion de ces derniers qui
va paroître. On en détache ici le
Pfeaume I , & on y joint un Eſſai de
Traduction en Vers François,
MONSIEUR ,
M. Marmontel votre Prédéceffeur
au Mercure de France , annonça dans
fon temps les premiers volumes d'un
Livre qui a été bien augmenté depuis.
C'eft celui des Principes difcutés pour
l'intelligence des Livres prophétiques de
l'Ancien Teftament , & Spécialement des
Pfeaumes ,, par les PP . Capucins de la
rue S. Honoré à Paris , ou ( pour faire
mieux connoître les Auteurs qu'ils ne
"
DECEMBRE . 1761 . 75
l'ont fait eux-mêmes ) par la Chambre
Hébraïque & Apoftolique compofée
d'Abbés , de Réguliers & de gens du
Monde.
peu
e
Les 11 & 12 volumes de cet Ouvrage
profond ont été préfentés depuis
à M. le DAUPHIN , & il ne manque
pour le compléter qu'un autre volume
ou peut-être deux avec la Table
des Matières , après quoi paroîtront les
Pfeaumes.
Je laiffe aux Journaux & aux autres
Sçavans le foin d'annoncer ces Livres
intéreffans : mais comme ils le font plus
particuliérement pour les gens du Monde
, j'ai cru comme tel , devoir vous
inviter à en prendre une notion plus
exacte qu'on ne l'a pu avoir à Paris &
dans les Provinces , afin de les enrichir
auffi bien que votre Mercure, de ce que
j'ai puifé moi-même , fans prévention ,
dans ces fources qui doivent être communes
aux Sçavans & aux Ignorans .
Pour cet effet , je remonte plus haut
que M. Marmontel , en fupprimant toute
forte d'éloges pour lui , pour vous ,
Monfieur , & pour mes Auteurs : ils ne
conviennent point à une annonce. M.
l'Abbé de Villefroi , que fes difciples ,
& l'érection de leur Société en Cham
D ij
70 MERCURE DE FRANCE.
bre Hébraïque ont fait connoître depuis
; cet Abbé , dis-je , qui a vieilli
dans l'étude des Langues Orientales ,
publia d'abord 2 vol . in- 12. fous le Titre
de Lettres de M. l'Abbé de *** à
fes Elèves , avec quelques Differtations
très-fçavantes. Il y mêla des exemples ,
ou des effais fur les Pfeaumes , d'après
les principes qu'il donnoit à fes Élèves ,
& qui ont été difcutés par ceux - ci
dans les 14 vol . dont j'ai parlé. Le dernier
des Lettres parut en 1754 &
tous ces Livres auffi bien que d'autres
( a ) qui paroîtront après les Pfeaumes ,
font les fruits du travail opiniâtre de
cette Société & de fon Chef qui en
avoit préparé les germes depuis plus de
30 ans . Croira-t- on , Monfieur , que
Le feul Pfeaume Exurgat Deus & c. a
été travaillé pendant près de 20 ans ; &
qu'après y avoir mis la dernière main ,
M. Racine qui fut invité à le mettre en
vers , défefpéra d'atteindre à la fublimité
de l'Original & à la beauté même de
la Traduction ?
Depuis que les différens volumes des
( a) En particulier le Livre de Job Grec étonnera
on peut le dire d'avance ) & Savans & Ignorans.
DECEMBRE. 1761 . 77
Principes difcutés ont paru fucceffivement
, on a traduit en vers plufieurs
Pfeaumes , parmi le grand nombre de
ceux dont la Chambre Hébraïque a
donné des verfions en François & en
Latin dans ce grand Ouvrage ; mais ces
nouvelles Traductions en vers font difperfées
dans des Livres périodiques dont
je n'indique que le Journal Chrétien , &
le Mercure du temps de M. Marmontel.
Ce dernier Auteur a donné quelques
échantillons de ces Pfeaumes & en Profe
& en Vers ; mais fort peu de notions
fur les Principes difcutés , qui ne l'étoient
pas encore entiérement , & qui
fondent aujourd'hui une verfion frappante.
Il paroiffoit frappé des feuls
commencemens vous le ferez vousmême
de l'enſemble , après avoir parcouru
comme moi les deux petits Tomes
de Lettres de M. l'Abbé de
***
&
les douze des Principes difcutés , ou bien
feulement les Pfeaumes qui y font répandus,
avec les argumens qui les éclairciffent.
Malheureufement tout le monde n'a
pas le loifir , le goût , ou les talens néceffaires
pour fuivre les difcuffions
théologiques qui juftifient la nouvelle
verfion mais fans attendre qu'elle foit
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
complette , on peut prévenir le Public
fur l'efpéce de révolution que va produire
cette nouveauté , & diminuer l'étonnement
jufqu'à ce que la coutume
le faffe ceffer. C'eft rendre fervice en
même temps au Public & à nos Auteurs
qui n'ont pas prétendu donner des chofes
nouvelles ( comme je l'obferverai )
mais les raffembler , les appuyer & les
lier d'une manière toute nouvelle . Non
nova , fed nové , comme le porte l'Épigraphe
de leur Livre .
1. On fçaura donc d'avance que les
Titres anciens de la plûpart des Pfeaumes
n'en faifant point partie ont été
rejettés foit parce qu'ils induifoient à
erreur fur les Auteurs & l'objet de ces
Cantiques facrés ; foit parce qu'ils en
faifoient perdre le Contexte , ou l'harmonie
du fens. Le commun des gens
les attribue prèfque tous à David, fur
la foi du Titre général de ce Recueil , ou
des Titres particuliers de certains Pfeaumes
: le Texte même , peu approfondi ,
femb'oit donner pour Auteur & pour
objet le Roi Prophéte qui y eft nommé
( ce qui mérite une remarque particulière
) : Mais ignorans & fçavans
tout s'y elt trompé , fi vous en exceptez
des Peres & des Auteurs modernes qui
DECEMBRE . 1761 . 79
Ont donné quelquefois au but , dans
différens fiécles . Auffi la Chambre Hébraïque
a-t-elle recueilli & rapproché
tous ces fuffrages épars dans une infi
nité de Livres ; & pour ne paroître rien
avancer d'arbitraire ou de nouveau :
foupçon qui ne fera détruit qu'à la
longue , lorfqu'on fera familiarifé
avec la nouvelle verfion , autant qu'on
l'étoit avec les précédentes. Pour cet
effet il faut oublier celle - ci , fentir les
raifons de celle -là ; profcrire même les
fens allégoriques & moraux qui por
toient à faux ; pour n'admettre à l'ave
nir que le fens vraiment littéral.
2. On faura que fur ce fens littéral ,
on peut feulement en appuyer un autre
que la Chambre Hébraïque appelle auffi
littéral . L'un regardoit l'ancien Ifraël
l'autre regarde le nouvel Ifraël. Et ces
deux fens font annoncés & developpés
dans les argumens de chaque Pfeaume
excepté pour ceux qui n'en font pas
fufceptibles .
3. On fçaura que les Sujets reglant
déformais les Titres , au lieu d'en être
reglés ; les obfcurités & les plus grandes
difficultés difparoîtrent , du moment
qu'on aura le flambeau & les clefs que
fourniffent les principes difcutés. Je ne
D iv
80 MERCURE DE FRANCE.
fçai fi la Préface & les Notes qui accompagneront
la nouvelle verfion tiendront
lieu de ces principes. Je vais en
expofer quelques-uns des plus néceſſaires
pour ceux qui n'auront pas le courage
ou les moyens de les démêler dansle
livre entier deftiné à attaquer les préjugés
, & à fe défendre contre les critiques.
Une de ces Clefs eft l'Eglife , foit de
l'ancien , foit du nouvel Ifraël, qui dans .
les , Pfeaumes , parle , tantôt au nom de
David , ( quoiqu'il ne s'agiffe pas de ce
Roi Prophéte , ni des événemens de fa
vie , encore moins de fes prétendus ennemis
) tantôt fous d'autres noms , &
d'autres expreffions dont je ne fais
qu'avertir ; expreffions fouvent généra- .
les énigmatiques , que les arm
---1- ---gumens , la
Traduction & les Notes développeront
affez peut-être .
Une autre Clef c'eſt la captivité & la
délivrance de Babylone ; ou pour
mieux expliquer ces objets néceffaires
dans la plupart des Pfeaumes , il faut
avoir dans l'idée , l'Eglife d'Ifraël ; (a)
Les Chaldéens ou Babyloniens , Ty-
( a ) Voyez une Diſſertation éſſentielle ſur l'Eglife
du Verbe , dans les Lettres ci- deffus de M.
l'Abbé de *** à fes Eléves.
DÉCEMBRE . 1761 . 81
rans des Juifs ; les Ifraëlites Apoftats &
les faux Prophétes , ennemis plus dɩngereux
, qui joignoient les outrages &
les railleries à la cruauté ; enfin la conquête
des Médes & des Perfes fous
Cyrus , qui fut le libérateur & le vangeur
d'Ifraël ....
En voilà trop pour une Lettre , &
trop peu pour une fi vafte matière . Terminons
là par la verfion du Pfeaume I.
qu'a donnée depuis longtemps M. l'Abbé
de Villefroi , & où l'on voit des
exemples de ce que j'ai avancé. J'y
joins une Traduction nouvelle en Vers
François. On pourra comparer l'une
aux .Verfions ordinaires ; & l'autre à la
belle Parodie morale ( j'ofe l'appeller
ainfi ) que M. Racine a fait de ce même
Pleaume dans le Recueil du Pfeautier
traduit par nos meilleurs Poëtes. ( a)
PSEAUME I.
VERSETS où les termes généraux font
reftreints & déterminés au fens de
l'ancien Ifraël. ( b )
1. Heureux fera l'homme ( c ) qui
( a) Paris , chez Defaint & Saillant , 1751 .
( b) Lettre XIV . de M. l'Abbé de *** à ſes
Elèves. Tome II . p. 384. & fuiv.
(a ) L'Ifraelite. Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
n'aura point fuivi les opinions des Impies
( d ) ; qui n'aura point perfifté dans
la voie ( e ) des pécheurs (f) ; & qui
n'aura point pris féance dans les affemblées
que tiendront les Railleurs . ( g )
2. Mais qui fera ( h ) foumis à la Loi
( i ) du Seigneur [ qui le tiendra captif ]
& qui nuit & jour aura réfléchi fur la
Loi ( k ) [ qui lui rendra la liberté.
3. Cet homme fera femblable à l'arbre
planté fur le bord des eaux , qui
porte fon fruit dans fa faifon , & dont
la feuille ne tombe point. Il réuffira
dans toutes fes entrepriſes.
4. Il n'en fera pas de même des Impies
( 1 ) au contraire ils feront difperfés
comme l'enveloppe du froment
emportée par le vent.
5. C'eft pourquoi les Impies ( m ) ne
reffufciteront point [ de leur captivité ],
en vertu du jugement qui fera
( d) Des Apoftats.
( e ) Le culte.
( f) Des Chaldéens idolâtres..
(g) Les Faux Prophétes.
h) Volontairement.
( i ) Au decret.
( k ) Idem.
( 1) Des Apoftats
( m ) Idem
prononDECEMBRE.
1761. 83
cé contre eux ( n ) ; & les pécheurs ( o )
ne feront point admis dans les affemblées
des Juftes . (p )
6. Car le Seigneur fera profpérer la
voie ( q ) des Juftes ( r ) , & la voie des
Impies ( s ) fera anéantie .
( n ) Par Cyrus.
( o ) Les Chaldéens.
( p ) Des Ifraëlites.
( q ) Le Culte.
(r) Des Ifraëlites.
( s) Des Apoftats.
TRADUCTION nouvelle en Vers François
, d'après la précédente.
HEUREUX fera l'ami de la Juſtice ,
Qui déteftant & Ferreur & le vice ,
Fuit leurs prophanes * Sectateurs ; ( a)
Heureux , dis- je , dans les fers mêmes ,
S'il n'a point écouté les fophifmes flateurs
D'un abominable ſyſtême :
Si les pécheurs ( b) impérieux mortels,
Loin des fentiers de la ſageſſe ,
N'ont point entraîné ſa foibleſſe
Au pied des profanes Autels :
Et s'il n'a point brigué la place
Le mot du Texte eft Impies
( a ) Les Apoftats.
b) Les Chaldéens,
D vi
84 MERCURE DE FRANCE.
Où l'on voit l'ignorante audace
Prophétifer d'un ton moqueur. ( c )
Plus heureux , fi la Loi qui la livre à leur haine ,
Et le decret qui brifera fa chaîne
Occupent nuit & jour fon efprit & fon coeur.
Oui , Juftes attachés à ces pieuſes traces ,
Efpérez la fin des diſgraces ,
Ft l'aimable retour de la faveur des Cieux.
D'un Arbre qui s'élève aux bords d'une onde pure
Les fruits certains , l'immortelle verdure"
Peignent vos deftins à mes yeux.
Mais comme du froment l'enveloppe légère ,
Jouet des tourbillons , vole avec la pouffière ,
Et s'abîme en tous lieux dans les champs étonnés 3
Telle on verra la Race impie
Atteinte , éperdue , affervie
Dans les climats infortunés.
Fais éclater ton courage & ton zéle ( d) ,
Vainqueur , Berger chéri du Dieu de l'Univers ,
Enchaîne pour toujours un ennemi pervers ,
Et ramene un Troupeau déformais plus fidéle.
P. S. Voudrez-vous bien, Monfieur ,
Fromettre au Public pour le Mercure
prochain , une annonce plus préciſe
( c ) Les faux Prophétes.
( d ) Cyrus , Roi des Perfes , Vainqueur des Babylo
niens , & Reftaurateur des Juifs . Voyez la Prophétie
d'Ifaïe , où Dieu l'appelle fon Berger.
DECEMBRE . 1761 . 85
des Livres en queftion , avec de nouveaux
exemples de la Verfion qui paroîtra
l'année prochaine. J'ai demandé
cette annonce à un des Auteurs
ne rien hazarder de mon chef.
› Four
J'ai l'honneur d'être & c .
BELUGE DE MONTFORT , ancien
Moufquetaire du Roi.
GRAMMAIRE FRANÇOISE
Philofophique , ou Traité completfur
la Phyfique,furla Métaphyfique,& fur
la Rhétorique du langage qui régne
parmi nous dans la Société , Volume
in - 12 , page 188 › par M. d'ACARQ
, de la Société d'Arras ,
ci-devant Profeffeur de Langues & de
Belles Lettres Françoifes à l'École-
Royale-Militaire , à Genève , & fe
vend à Paris chez Moreau, rue Galande
, & Lambert , rue de la Comédie.
1761.
-
DEUX
EUX chofes doivent également
flatter M. d'Açarq , par rapport au Traité
86 MERCURE DE FRANCE.
du Nom qu'il nous donna , il y a près
d'un an: les fuffrages du Public éclairé
& impartial qu'il a réunis , & les traits
de la Critique , qui ne s'attache guère
qu'aux bons Ouvrages. Notre Auteur
nous donne aujourd'hui le Traité du
Verbe , qui ne fervira qu'à accroître
fa réputation par les éloges des vrais
Connoiffeurs . Le nouveau Volume de
M. d'Açarq confifte dans un Avant-
Propos , dans le Traité du Verbe , &
dans un Appendice de ce Traité .
,
Pourquoi après le Traité du Nom
avoit- on dit à notre Auteur , voulezvous
nous donner le Traité du Verbe ?
Votre Traité du Nom ne reffemble-t-il
pas aux autres Traités que nous avons
fur cette matiére ? Le titre de votre
Grammaire n'eft- il pas fingulier ? De
quelle utilité eft -elle , la Philofophie
appliquée à la Grammaire ? En quel
endroit de votre Traité du Nom trouvet-
on la Rhétorique du Langage ? & c. Ce
font les objets dont s'occupe M. d'Açarq
dans fon Avant-Propos , qui eſt
fait pour être lu avec plaifir & avec fruit.
Circa voces confenefcimus , y dit-il , en
citant les paroles d'un excellent Philofophe
, & ultra naturæ terminos produ
DECEMBRE . 1761 .
87
cimus pueritiam ftudiis puerilibus ; ita
fit ut , dum memóriam fatigamus , judicium
neglectum langueat ; & inter amplam
verborumfuppellectilem , in maximá
tamen rerum inopiâ verfemur , hydropicis
non abfimiles , qui tumore aqueo
pinguedinem mentiuntur. Nous vielliffons
fur les mots , parce que les études
frivoles qu'on nous fait faire , prolongent
notre enfance au-delà des bornes
prefcrites par la Nature ; il er réfulte
qu'uniquement appliqués à furcharger
notre mémoire , nous laiffons tomber
dans une efpéce de langueur notre jugement
, que nous négligeons trop , &
qu'ayant la tête richement meublée
d'expreffions totalement vuide de
penfées , nous reffemblons , en quelque
manière , aux hydropiques , dont
la bouffiffure formée par un amas
d'eaux , a un faux air du véritable embonpoint.
De là , ajoute le Philofophe
cité par M. d' Açarq , un fecond inconvénient
également funefte ; on n'éffleure
que fuperficiellement , ou l'on
méprife même la Philofophie , le feul
moyen que nous ayions , felon moi ,
d'évertuer l'efprit , & de perfectionner
la faculté de juger , qui eft en nous . Ne
"
88 MERCURE DE FRANCE.
peut-on pas reprocher à la plûpart des
Grammaires que nous avons ,
même fur
notre Langue , le confenefcimus de celle
de M. d'Açarq , qui n'a pas à craindre
qu'on lui faffe le même reproche ? Le
jugement feul fait l'homme ; la mémoire.
ne fait que les Perroquets.
Voici l'Exorde du Traité du Verbe :
une vafte carrière s'ouvre devant nos
yeur ; nous avons à parler d'une partie
d'Oraifon , fans laquelle nous ne parlerions
de rien. Il s'agit du Verbe qui a
pour étymologie le nom Latin Verbum ,
mot. Le Verbe eft le mot par excellence ;
c'est le mouvement , l'âme , la vie
du difcours.... Ce préambule vuide de
mots & plein de chofes , ne peut que
prévenir favorablement.
La nature du Verbe , fa divifion , fes
accidens , fes rapports au Nom , voilà
tout le Traité.
Ce que l'Auteur diftingue dans la
nature du Verbe , ce font l'effence métaphyfique,
l'effence phyfiqne, & le propre,
diftinction qu'ilfalloit faire ; & qu'on
n'avoit pas encore faite.
Le Verbe fe divife d'abord en fubftan
tif& en adjectif, celui-ci en actif , paffif,
neutre , neutre paffif, réfléchi , réciproque.
Ce que M. d'Açarq dit fur le
DECEMBRE 1761. 89
Verbe fubftantif eft neuf, vrai & philofophique
; ce qu'il expofe fur les autres
fortes de Verbes , eft également inconteftable
, & ne trouvera de contradicteurs,
que dans ceux que maîtrife l'aveugle
routine , ou que domine l'amour-propre
, plus aveugle encore .
Les accidens du Verbe fe réduisent au
fens propre , aufensfiguré , à l'espéce , à
la figure, à la voix, au mode, au temps, au
nombre , à la perfonne , à la conjugaison,
à l'analogie , & à l'anomatie. Če côté
du Verbe , qui eft le plus important ,
& le plus foigné dans le Traité de
notre Auteur , eft précédé d'une Differtation
fur les accidens , que l'efprit philofophique
a dictée , que le Grammairien
machinal jugera être de trop , & à
laquelle le véritable Grammairien applaudira.
L'espéce & la figure ont donné
lieu à M. d'Açarq de découvrir une
veine féconde en richeffes grammaticales.
Dans les rapports du Verbe au Nom,
notre Auteur donne une idée de la relation
que peu de gens ont, & que tout
le monde devroit avoir. Le fens , ou
pour parler plus clairement , la convention
gouverne tout le difcours , dit- il ,
en finiffant cet Article.
90 MERCURE DE FRANCE. -
L'Appendice roule fur le génie ou le
caractère de la phrafe françoife , qui
n'eft qu'un tiffu de propofitions , ainfi
que la phrafe de toutes les autres Langues.
Ce qui engage M. d'Açarq à mettre
d'abord fous les yeux de fes Lecteurs
un Traité préliminaire, qui a pour
objet la nature de la propofition , la
néceffité d'avoir la connoiffance des propofitions
, les espéces de propofitions ,
Poppofition des propofitions , la conver
fion des propofitions. Il faudroit n'avoir
guère de Logique pour regarder ce
préliminaire comme un hors-d'oeuvre
dont on auroit pu fe paffer. C'est un
très-bon abrégé de Logique élémentaire
, qui eft en fa place ; & quiconque
trouveroit mauvais que l'Auteur eut
employé tant en cet endroit qu'ailleurs
des termes fcientifiques , feroit voir
feulement qu'il ignore que chaque
genre a fon langage particulier. La
Théologie a le fien , la Géométrie le
fien , la Médecine le fien , & perfonne
ne s'en offenfe. Un Grammairien fimplement
Grammairien n'a befoin que
d'expreffions grammaticales : un Grammairien
Philofophe a beſoin de joindre
aux expreffions grammaticales les expreffions
philofophiques . M. d'Açarq ,
DECEMBRE. 1761 . ΟΙ
,
après avoir préparé les voies qui facilitent
l'intelligence du génie ou du caractère
de la phrafe françoife , confidère
ce que notre phrafe a de commun
avec la phrafe des autres Langues ; il obferve
enfuite ce qui lui eft particulier ,
& ce qui la diftingue. Logique du langage
en général , ellipfe , pléonafme ,
fyllepfe , hyperbole , imitation , voilà
ce que notre phrafe , & celle de toutes
les autres Langues ont de commun.
Notre phrafe fuit l'ordre naturel pour
divifer les penfées , elle exprime le fujet
ainfi que l'attribut de chaque jugement
, elle met le fujet après l'attribut
pour marquer l'interrogation , elle compre
l'e muet parmi les fyllabes , elle tend
enfin à l'euphonie même aux dépens de
la convenance grammaticale la plus
étendue , tel en eft le génie , ou le caractère.
,
Le , Fons erat illimis nitidis argenteus
undis préfente le tableau de la
phrafe françoiſe qui eft originale &
fans embarras , fons , pure & fans mêlange
, illimis , nette & fans prétention
, nitidis , agréable & fans frivolité ,
argenteus , naturelle & fans impofture
undis. C'eft la grande idée que nous .
92 MERCURE DE FRANCE .
donne de notre phrafe M. d'Açarq ,
qui le premier l'a foumife aux loix d'une
exacte analyſe. Je n'ai pu qu'indiquer
la marche de l'Auteur. Il faut entrer
dans la carrière avec lui-même , le
fuivrelentement , & à l'aide du fil néceffaire
qu'il a toujours l'attention de
fournir. M. d'Açarq a pénétré dans l'intérieur
de la Grammaire , & y décéle
des fecrets auffi utiles que curieux : en
un mot , peu de gens auroient été plus
capables de faire fon ouvrage , digne
du Mécène auquel il eſt dédié.
SUR les SATYRES , les TRITONS &
les NEREIDES , Traduction de l' Espagnol
du Pere FEIJOO , Bénédictin
Théâtre Critique , tome 6.
CEEs trois espéces , dont la première
eft terreftre , & les deux autres marines
, furent très-fameufes dans le Paganifme.
Les Satyres , que les Gentils
repréfentoient fous une figure moitié
brute , & moitié humaine , & qu'ils regardoient
comme des demi-Dieux ,
avoient des cornes , une queue & des
pieds de chèvre ; le refte du corps reffembloit
à l'homme. Ils habitoient les
DECEMBRE. 1761.
93
forêts comme des bêtes ; & on les adoroit
dans les Temples comme des Divinités.
,
Les Tritons moitié hommes , &
moitié poiffons , jouiffoient du même
culte montés fur des veaux marins , ils
enfloient deux conques , & fervoient
de trompettes à Neptune , fous les ordres
duquel ils faifoient trembler la mer,
par le fon rauque qu'ils en tiroient.
On ne diftinguoit les Néreides des
Tritons que par le fexe , & parce qu'elles
n'embouchoient pas la trompette . La
partie fupérieure de leur corps étoit
femblable à une femme , le refte à un
poiffon . Elles avoient rang de demi-
Déeffes , comme les Tritons de demi-
Dieux.
Ces trois fortes de monftres paffent
également dans le monde pour des êtres
fabuleux. Je vais leur rendre une exiftence
réelle , fans difconvenir cependant
qu'il ne fe foit gliffé quelque chofe
de la fable dans leurs Hiftoires.
>
Diodore de Sicile Auteur grave ,
rapporte qu'il fut préſenté à Denis
Tyran de Sicile , certains monftres
tels que les anciens figuroient les Satyres
; & Plutarque , qui n'eft pas d'une
autorité inférieure à Diodore , dit qu'on
94 MERCURE DE FRANCE.
montra à Sylla dans fon paffage pour
P'Albanie un Satyre qui avoit été pris
dans un bois.
On peut ajouter au témoignage de
ces deux Auteurs profanes
celui de
deux grands Ecrivains Eccléfiaftiques .
S. Athanafe , dans la vie de S. Antoine
Abbé ; & S. Jerôme , dans celle de S.
Paul premier Hermite , rapportent que
S. Antoine rencontra un de ces monf
tres dans le Défert : que lui ayant demandé
qui il étoit , il répondit qu'il faifoit
nombre de ceux que les Gentils
adoroient fous le nom de Satyres , Silvains
& Incubes ; & qu'il venoit le
prier de leur part d'intercéder pour eux
auprès de Dieu qu'ils croyoient être
defcendu du Ciel pour le falut des hommes
.
Je ne puis m'empêcher d'avouer que
cette circonftance m'a toujours paru
trop forte , pour ne pas me faire douter
de l'Hiftoire. Je veux bien croire qu'il
y a eu des Satyres , & qu'il y en a peutêtre
encore ; mais je ne croirai jamais
qu'ils foient raifonnables , ou que fuppofé
qu'ils aient de la raifon , eile foit
éclairée de la lumière du Chriftianifme :
qu'ils parlent, & vivent dans une eſpéce
de congrégation fraternelle. Ce feroit
DECEMBRE. 1761, 95
aller contre ce que nous apprend la foi ,
que de fuppofer une race d'hommes
non-feulement différens de nous dans
l'organiſation ; mais encore avec lef
quels il n'y auroit jamais eu aucun commerce.
L'idée qu'ils ne feroient pas enfans
du père commun fe préfenteroit
naturellement à l'efprit ; & cette penſée
feroit un péché contre la foi,
Quand même on accorderoit que ces
hommes fuffent des defcendans d'Adam,
il refteroit encore bien des difficultés
à réfoudre. Qui leur auroit communiqué
l'Evangile ? Y eut-il quelqu'un des
Apôtres expreffément envoyé pour leur
converfion ? Trouve-t-on dans les actes
la plus légère trace de cette miffion ?
Pourquoi n'a-t-il jamais paru aucun Satyre
dans les Déferts de l'Egypte , nį
autre-part ? Toute cette race s'eft- elle
donc anéantie , fans que perfonne.lui
ait fait la guerre ; car il n'y a point
d'Hiftoire qui en parle ? C'auroit été
bien dommage qu'un Peuple auffi dévot
, & qui d'un commun accord auroit
fait une députation à S. Antoine
pour fe recommander à fes prières , eût
miférablement péri. Mais dans quelle
langue le Satyre député parla-t -il au
Saint ? Ils ne pouvoient affurément s'en96
MERCURE DE FRANCE .
tendre à moins d'un miracle ; car une
Nation incommunicable à tout le refte
du genre humain , devoit avoir un
langage qui lui fût exclufivement propre.
Concluons donc que cette Hiſtoire
a toutes les apparences d'un conte.
Mais doit-on parler ainfi contre l'autorité
de S. Athanafe & de S. Jerôme ?
Les moyens ne manquent pas pour fauver
l'honneur & le refpect que méritent
les écrits de ces deux grands hommes.
On peut d'abord dire que la vie de
S. Antoine , telle que nous l'avons aujourd'hui
, eft fauffement attribuée à S.
Athanafe. C'eft le fentiment d'André
Rivet , & d'Abraham Scultet . Comme
ces deux Auteurs font Proteftans , &
par conféquent fufpects , il faut chercher
ailleurs une autre folution .
2º. Il fe pourroit faire que S Athanafe
eût tenu cette Hiftoire de quelque
Auteur qu'il auroit cru veridique , &
bien informé du fait ; & à laquelle il
manqueroit cependant quelque circonftance
éffentielle ppoouurr l'accréditer.
Il n'y a en ceci nulle impoffibilité Phyfique
, ni Morale. A l'égard de S. Jerome
, il eft conftant qu'il n'a fait que
rendre en Latin ce que S. Athanafe avoit
écrit en Grec.
3°.
DECEMBRE. 1761 . 91
3°. On peut raisonnablement fuppofer
que ce fut le Démon qui apparut à
S. Antoine fous la forme d'un Satyre,
Tout le monde fçait les grands combats
que ce faint homme eut à foutenir
contre les Puiffances infernales . Pourquoi
l'Esprit tentateur n'auroit-il pas
pris cette fois-ci la figure d'un Satyre ,
s'il préfumoit pouvoir par ce moyen
précipiter dans quelque erreur le faint
Anachoréte ?
Il ne feroit pas enfin fans vraifemblance
que quelque Copifte infilée ,
dans les mains de qui la vie de S. Antoine
écrite par S. Athanafe , feroit
tombée , y eût ajouté la fable du Satyre ,
& que l'original s'étant enfuite perdu ,
cette copie infidelle eût fervi pour toutes
les autres qui auroient été faites juf
qu'à nos jours.
N'y ayant donc pas des Satyres raifonnables
, & avec l'ufage de la parole ,
nous ne pouvons admettre que des Sa
tyres muets , brutes , ou abrutis , te !s
que ceux dont parlent Diodore de Sicilè
& Plutarque. Ce dernier ajoute expreffément
qu'ayant fait interroger celui
qui fut préfenté à Sylla , par des Interprétes
de différentes langues ; il ne répondit
à aucune ; qu'il ne rendit aucun
E
8 MERCURE DE FRANCE .
1
fon articulé ; & que fa voix n'approchoit
pas même de l'humaine , n'étant
qu'un mêlange confus de henniffement
& de chevrotement. reboo
La poffibilité & la vraisemblance
concourent à nous faire croire la production
de pareils monftres par une
fuite du commerce déteftable que certains
individus de l'efpéce humaine auroient
eu avec les chèvres ; & une forte
conjecture me confirme dans l'idée que
les Satyres adorés par les Payens n'étoient
que les fruits de ces infâmes acouplemens.
Nombre de Sçavans font d'opinion
que le Dieu Pan, les Satyres, les Sylvains,
les Incubes & les Faunes n'étoient
qu'une même chofe fous différens
noms ; ce qui leur fait dire qu'il n'y
eut pas un feul Pan , mais plufieurs ,
comme il eft clairement prouvé par les
anciens Poëtes. NOTA : Beaucoup confondent
le Dieu Pan avec le Dieu Sylvain
, & le Dieu Faune. ( Chompré ) en
effet les Gentils repréfentoient le Dieu
Pan dans la même forme que celle
qu'ils donnoient aux Satyres , c'est-àdire
, avec des cornes , une queue , des
pieds de chèvre , & le refte du corps
Temblable à l'homme. Les Paſteurs lui
DECEMBRE. 1761 . 99
rendoient un culte fpécial : Ovide l'appelle
le Dieu des Troupeaux : Virgile &
d'autres Poëtes le nomment le Dieu
des Pafteurs , ou le Dieu d'Arcadie ,
Province Paftorale. On fçait en outre
qu'il n'y a point d'hommes dans le monde
plus capables des crimes de beftialité
que les Bergers , foit par une fuite
de leur éducation ruftique , foit par
leur état qui exige une préfence continuelle
auprès des troupeaux , foit enfin
par le défaut d'autres occafions pour fatisfaire
moins criminellement leur paffion.
Tous ces motifs réunis me portent
à croire qu'il a pu naître des Individus
d'une troifiéme espéce moitié
hommes , & moitié chévres , que la
Barbarie du temps , jointe à la perverfité
des Paſteurs auroit divinifés pour
autorifer le crime ( ce qui étoit produire
un monftre mental beaucoup plus
horrible que le Phyfique ) & dont on
auroit d'abord fait fon Dieu tutélaire
qui poftérieurement , & fuivant les circonftances
, ou le feul caprice , auroit
eu différens noms , tels que ceux de
Pan , de Satyre , de Sylvain , de Faune
&, d'Incube.
,
On m'objectera peut-être que quelques
Philofophes nient la poffibilité de
Eij
ICO MERCURE DE FRANCE.
la génération par le commerce d'un
homme avec une brute. Mais 1º . ce
fentiment eft plus que balancé par celui
de nombre d'autres Philofophes qui
penfent le contraire ; & encore par l'opinion
générale des Théologiens , qui
lorfqu'ils traitent du Baptême des monftres
, fuppofent ces générations poffibles,
2°. Les motifs fur lefquels ces
Philofophes s'appuyent font des plus
foibles. 3 °. Il y a plufieurs Hiftoires de
femblables productions bien autorisées,
& que tous ceux qui ont un peu de lecture
n'ignorent pas. On peut donc dire
que rien ne répugne , & que tout au
contraire porte à penfer que les monftres
adorés par les Anciens fous le nom
de Satyres , n'étoient que les fruits d'un
commerce abominable.
Je fçai que Pline donne le nom de
Satyre à une efpéce de monftres fort
reffemblans à l'homme , qu'on voyoit
dans certaines montagnes de l'Inde ;
d'où il paroîtroit naturel que devoit dériver
l'erreur des Gentils. Mais ces Sa-.
tyres n'étoient que des finges , comme
le fait affez comprendre le même Pline.
D'ailleurs ils n'avoient pas de cornes ;
& les Satyres étoient généralement repréfentés
Bicornus.
DECEMBRE . 1761. 101
Je remarquerai ici en paffant que cette
efpéce de Singes te's précifément
qu'ils font dépeints par Pline , fe trouve
encore aujourd'hui dans certains endroits
de l'Inde . Le Pere le Comte rapporte
que naviguant de la Chine à la
côte de Coromandel , il vit dans le détroit
de Malaca des Singes beaucoup
plus reffemblans à l'homme , que ceux
que nous connoiffons , marchant droits
fur leurs pieds de derrière , ou pour
mieux dire feulement fur les pieds ;
leur voix approche beaucoup de l'hu
maine , & contrefait le petit cri des
enfans ; ils font très-careffans , & leur
agilité eft fi prodigieufe, que d'un faut ils
s'avancent à 30 , 40 , & 50 pieds de
diſtance. Voilà une defcription parfaitement
conforme à celle que nous fait
Pline des animaux qu'il appelle Satyres.
On peut voir dans le Livre 7 , chap. 2 .
ce que ce dernier dit de leur reffemblance
avec l'homme , de leur extrême
agilité , & de la circonftance de marcher
fur leurs ergots : il parle au Liv.
8. chap. 54 , de leur douceur & de leurs
careffes .
Cette digreffion me conduit naturellement
à rectifier une nouvelle au
nous eft venue d'Orient , très- difficile à
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
croire, mais qui bien entendue ne laiffe
aucun doute. Certaines relations de
l'Ifle de Borneo dans la Mer de l'Inde
difent qu'on trouve dans les forêts de
cette Ifle des hommes Sauvages . Cette
épithete ne leur eft pas feulement donnée
dans le fens qu'on l'applique à quelques
Nations Sauvages de l'Amérique :
Elle emporte à leur égard toute la propriété
qu'elle peut avoir ; car quoiqu'ils
ne différent nullement de l'efpéce humaine
dans la difpofition de tous les
membres , & dans la maniere de s'en
fervir , néanmoins l'ufage de la parole
leur manque ; & leur genre de vie eft
tout-à-fait le même que celui des bêtes ,
La difficulté que nous avons propofée
ci-deffus contre l'existence des Satyres
, fe préfente tout de fuite contre
la vérité de cette nouvelle . De tels hommes
, fi réellement ils exiftent , ne peuvent
point être confidérés comme des
defcendans d'Adam : s'ils l'étoient en
effet , l'ufage de la parole auroit dû fe
communiquer fucceffivement des uns
aux autres . On peut ajouter que la lumière
de l'Evangile ne pourroit leur
être tranfmife que par une illuſtration
infufe , ce qui feroit contre les regles
ordinaires de la divine Providence .
DECEMBRE. 1761. 103
La premiere partie de cette objection
n'eft pas abfolument infurmontable. Il
fe pourroit faire que deux jeunes enfans
de différent fexe, dont les Pères vivoient
dans quelque montagne éloignée de
toute habitation , fuffent reſtés dans cette
folitude , par la mort de leurs parens
, fous la feule protection de la Providence
qu'ils euffent cependant crû
en âge , & en force , & enfin procréé .
Il est pour moi tres-probable que ni eux,
ni leurs enfans , n'auroient parlé aucune
langue . Ils auroient donc pu être
réellement des defcendans d'Adam >
quoique l'ufage de la parole leur manquật.
Bien des gens trouveront fans doute
que j'avance ici un Paradoxe extravagant,
Yeast- il rien de plus facile , diront
- ils , que de parler ? Quels font
les hommes flourds , & fi ruftres
qu'on veuille les fuppofer , qui le foient
pour l'ufage de la parole ? Les plus dénués
de fens commun , les plus fimples
le poffédent , ou pour mieux dire , tous
ceux qui en jouiffent le font , car tous
les enfans parlent avant que de parvenir
à l'âge où l'on peut fe fervir de la raifon
: preuve que c'eft une chofe fi naturelle,
qu'à peine l'entendement y eft
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
néceffaire , on pourroit même dire qu'il
n'y entre pour rien .
Cette replique vient d'un défaut de
réflexion . Je conviens qu'il eft très-aifé
de parler par principes enfeignés ; mais
il est très-difficile de le faire par la feule
force de l'entendement . L'invention des
Lettres , eft regardée avec raifon.comme
une des plus belles découvertes , &
peut-être la plus grande à laquelle l'Efprit
humain puiffe parvenir , comme
nous l'avons infinué ailleurs. L'extrême
difficulté qu'elle fupofe eft palpable en
ce que l'ufage de la plume ne fe trouva,
dans aucune des Nations de l'Amérique
, foit parce que les hommes qui
pafférent les premiers à ce nouveau continent
n'avoient pas appris à écrire , ou
parce qu'on n'avoit pas encore de leur
temps , inventé l'écriture . Et qu'arrivat-
il ? que la population eut beau augmenter
dans ces vaftes Pays , il ne s'écou'a
pas moins plufieurs fiécles , fans
qu'il vint dans l'efprit de perfonne que
la plume pouvoit fupléer à la langue
& les caracères aux paroles. De tant de
millions d'hommes , il n'y en eut aucun
qui y penfât , quoique la néceffité fût
auffi grande , que l'importance étoit
univerfelle . Or je demande quelle eſt
DECEMBRE. 1761 . 105
pala
plus belle invention , ou celle d'expliquer
les paroles par des lettres , ou
celle de rendre les penfées par les
roles ? Qu'un chacun penfe comme il
voudra , pour moi je trouve la feconde
infiniment plus ingénieufe ; & la raiſon
c'eft qu'il y a dans celle-ci une bien
plus grande diftance du figne à la chofe
fignifiée , que dans la premiere. Les
traits de la plume & les mouvemens de
la Langue font à la vérité l'un & l'autre
matériels ; mais il faut convenir auffi
qu'autant qu'un efprit différe d'un
corps , autant les conceptions de cet
efprit font éloignées des mouvemens
de la langue. On dira fans doute que la
plume exprime ou rend auffi les fentimens
; mais elle ne le fait que par le
feul moyen des paroles . C'eft une pure
copie d'une autre copie. Il eft éffentiel
de faire encore attention que depuis
l'invention , ou la premiere occafion où
P'on découvrit que lés mouvemens de
la langue pouvoient fervir à rendre les
conceptions de l'efprit , jufqu'à la formation
de l'idiome le plus groffier ou
le moins parfait , il y a eu un chemin
à faire non feulement très-long , mais
encore très-difficile . Ainfi tout compté ,
il fera très-vraisemblable qu'une ' race
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
•
d'hommes qui n'auroit pas acquis un
idiome par infufion , ou par principes
af pris , refteroit plufieurs fiécles fans
l'ufage de la parole . Voilà , je crois ,
meilleure réponse que l'on puiffe faire
à la premiere difficulté propofée au fujet
des hommes fauvages de l'Ile de
Borneo.
la
La feconde partie de l'objection eft
purement théologique . Sa difcuffion
jetteroit dans l'abîme de la divine Providence
, dont les bornes font ignorées
de tous les Mortels. Une chofe
confte certainement par les Saintes
Écritures , c'eft que Dieu veut que tous
les hommes parviennent à la connoiffance
de la vérité , & qu'ils fe fauvent..
Mais comme il eft compatible avec:
cette volonté antécédente & générale ,
comme l'appellent les Théologiens ,
que nombre d'enfans périffent dans le
ventre de leur mere , fans qu'on puiffe
par
par aucun moyen leur procurer le fa
lut ; pourquoi ne pourroit-il pas l'être
auffi que quelques Adultes reftaffent
dans l'impuiffance de s'inftruire ? Tous:
les Théologiens ( à la réferve d'un trèspetit
nombre ) affurent que la volonté
antécédente de la falvation s'étend fur
ces mêmes enfans. La doctrine qui leurDECEMBRE
. 1761. 107
"
fert à appuyer ce fentiment , peut fervir
pour l'autre objet. Au furplus
quand même une Nation entiere périroit
par l'impoffibilité de jouir du bénéfice
de la Prédication , nous devrions
humblement adorer les decrets divins ,
& nous conformer à cette fainte Maxime
: Quis tibi imputavit fi perierint
Nationes , quas tu fecifti ? ( Sapient.
cap. 12. )
C'eft ainfi qu'on peut répondre à
l'argument , fans s'écarter des voies ordinaires
de la Providence . Qui fçair
d'ailleurs fi Dieu n'en obferve pas une
toute particuliere à l'égard de ceux qui
font incapables d'être éclairés par la
prédication ? Ce feroit une témérité
facrilege que de prétendre rendreį raifon
de ce que Dieu veut , & peut faire .
Si nombre d'Adultes parmi les Barbares
font privés , fans que ce foit par leur
faute , du Baptême , & de la connoiffance
de l'Evangile ; pouvons-nous fans
crime en arguer contre la juftice & la
fouveraine bonté du Créateur ? Au furplus
les Théologiens font partagés fur
cette grande queftion . Les uns pour
conferver toute fon intégrité & toute
fon étendue à la Sentence de S. Jean :
Illuminat omnem hominem venientem in
Evi
108 MERCURE DE FRANCE.
hunc mundum , difent que fi les hom-*
mes dont nous parlons ne s'en font pas
rendus indignes par quelque péché perfonnel
, Dieu les éclaire par le miniftere
d'un Ange , ou leur communique
par infufion des efpéces des myiyſtères ;
les autres prétendent que l'Evangile
n'ayant pas été annoncé pour eux , c'eft
la même chofe que s'il n'avoit pas été
prêché , & qu'ils n'appartiennent pas à
la Loi de grace , mais à la Loi de Nature
. Un chacun peut faire à fon choix
l'une ou l'autre application aux Sauvages
de l'Ifle de Borneo .
Quoique ce que nous venons de dire
ne prouve pas une impoffibilité abfolue ,
pour que ceux que l'on appelle hommes
fauvages de l'Ifle de Borneo , ne
foient réellement de notre espéce ; je ne
penfe pas pour cela qu'on doive leur
accorder cette prérogative ; je crois au
contraire qu'il faut les mettre au nombre
des finges , tels ou à peu de chofe
près , que ceux dont parlent Pline & le
Pere le Comte. Mon intention n'étant
que de rectifier les relations fur ce
point , j'adopte fur le refte , tout ce
qu'elles annoncent ; ainfi lorfque le Pere
le Comte , outre les circonftances
qu'il rapporte des finges qu'il vic
DECEMBRE. 1761. 109
dans le détroit de Malaca , à fçavoir ,
qu'ils marchent droits , & que leur voix
ne différe pas de l'humaine , ajoute encore
qu'ils reffemblent beaucoup par le
vifage aux hommes fauvages du Cap
de Bonne-Efpérance , que leur grandeur
eft pour le moins de quatre pieds ,
qu'ils font extrêmement rufés , qu'ils
font auffi facilement comprendre ce
qu'ils veulent , par leurs actions & par
leurs geftes , que le peuvent faire les
hommes muets ; & qu'enfin on remarque
en eux une fingularité qu'on ne voit
pas dans les autres animaux , & qui leur
eft commune , particuliérement avec
nos enfans , qui eft de tapper du pied
lorfqu'ils fe fâchent, ou qu'ils fe réjouif- ,
fent à l'excès ; toutes ces circonstances
peuvent bien porter les habitans de l'Ifle
de Borneo à croire que leurs forêts font
peuplées d'hommes fauvages, fans pour
cela que ces prétendus hommes ceffent
d'être de véritables finges ; & qui pourroit
fe vanter de fçavoir jufqu'à quel
point peut s'étendre l'imitation extérieure
de l'homme dans les animaux ?
Nous allons voir que ceux qui habitent
les Mers ont encore une plus grande
reffemblance avec l'homme , du moins
dans la partie principale & fupérieuré
du corps.
110 MERCURE DE FRANCE.
La Fable entre pour très- peu de chofe
dans tout ce que l'on rapporte des
Tritons & des Néréïdes. Tels que les
anciens Poëtes les ont dépeints , tels ils
fe trouvent aujourd'hui dans la Mer , à
la réferve de la conque ou trompette
marine , que les Modernes n'ont pas reconnue
dans les Tritons . Je dis qu'on
voit, quoique rarement , dans les Mers
certains aquatiques qui de la moitié du
corps en bas font poiffons , & dont la
partie fupérieure porte tous les traits
de la configuration humaine , avec toutes
les marques diftinctives des deux fexes
; enforte que les uns font moitié
poiffons & moitié hommes , & les autres
moitié femmes & moitié poiffons.
Les Modernes prenant la partie principale
pour le tout , appellent ceux- là
hommes marins , & celles-ci femmes
marines. On trouve dans Pline , Elian
& Paufanias , quelques Hiftoires que
des Auteurs plus anciens avoient écrites
de ces hommes & femmes : Naucler,
Belonius , Lilius Giralde Alexandre
d'Alexandrie , Gefner , & d'autres Ecrivains
plus modernes en rapportent de
femblables.
Les faits les plus récens , à ma connoiffance
, font 1° .l'homme marin , que
DECEMBRE . 1761. III
diverfes relations affûrent avoir été apperçu
en 1671 tout près de la grande-
Roche , ou Ifle Petrée , appellée le
Diamant, à une lieue de la Martinique :
deux Français & quatre Négres qui
étoient fur le bord de cette roche , certifiérent
juridiquement l'avoir vu plufieurs
fois près du rivage. Sa figure de
la ceinture en haut étoit parfaitement
femblable à celle de l'homme. Sa taille
pouvoit être comme celle d'un jeune
homme de quinze ans fes cheveux
étoient mêlangés de noir & de blanc &
tomboient fur fes épaules : il avoit le
vifage plein , la barbe grife & égale
partout ; le nés fort camus : fon corps
étoit paffablement blanc , & la peau en
paroiffoit délicate. La partie inférieure
qu'on voyoit entre deux eaux étoit de
poiffon , & fe terminoit par une queue
large & fendue.
Le fecondfait, encore plus récent, eft
d'un autre homme marin qu'on vit à
Breft en 1725 , & dont le Journal de
Trévoux de la même année , Tome 4
page 1902 , parle amplement. Trentedeux
perfonnes qui fe trouvoient à
bord du Navire commandé par le Capitaine
Olivier Morin, le virent pendant
long-temps. Il étoit parfaitement pro112
MERCURE DE FRANCE .
portionné , & tous fes membres étoient
femblables aux nôtres , à la réferve d'une
efpéce de petites nageoires qu'il avoit
comme les canards , entre les doigts
des pieds & des mains . De tous les tours
& divers mouvemens qu'on lui vit faire,
le plus remarquable fut fon élancement
vers la figure qui étoit à la proue
du Vaiffeau , & qui repréfentoit une
belle femme. Il ne la perdoit jamais de
vue ; & ce ne fut qu'après avoir refté
un moment en fufpens , qu'il s'élança
hors de l'eau , comme pour la faifir. Il
y eut encore deux circonftances ridicu
les dans cette occafion ; la premiere de
part du monftre qui ayant un jour
tourné les épaules comme pour témoi
gner le mépris qu'il faifoit des perfonnes
qui le regardoient , s'éleva un peu
au-deffus de l'eau & foulagea fon ventre
: la feconde de la part du Contremaître
du Navire qui prêt à le harponner
s'arrêta tout d'un coup par l'effet
d'une terreur panique, s'imaginant dans
ce moment que le monftre n'étoit qu'un
fpectre , ou l'apparition d'un Matelot
nommé la Commune , qui l'année précédente
s'étoit ôté la vie par défeſpoir
dans le même Vaiffeau , & qu'on avoit
jetté à la mer précisément dans cet endroit.
la
DECEMBRE. 1761. 113
Dans le nombre des Monftres Marins
dont plufieurs Hiftoires font mention
il s'en eft trouvé qui avoient la configuration
entierement humaine; tel étoit
P'homme Marin que Pline dit avoir été
vu de fon temps dans la mer de Cadix :
Toto corpore abfoluta fimilitudine : &
pour qu'on ne penfât pas qu'il en parloit
d'après un public trop crédule , il a
foin d'ajouter qu'il tenoit le fait de quelques
Chevaliers Romains, témoins oculaires
: Auctores habeo in equeftri ordine
fplendentes , vifum ab his &c. Tel étoit
encore celui que Larrey rapporte dans
fon Hiftoire d'Angleterre avoir été pêché
dans cette Ifle en 1187 , & qui fut
préfenté au Gouverneur d'Oxfort , chez
qui il refta fix mois , au bout defquels
ayant trouvé l'occafion de s'évader
, il s'en retourna à la Mer , & on ne
le vit plus. Tel étoit encore la femme
Marine dont fait mention le Dictionnaire
de Trevoux , & qui fut trouvé en
1430 fur le rivage de Weftfrife après
une grande tempête . Des femmes de la
Ville d'Edam l'amenérent , la vêtirent ,
& lui apprirent à filer. Elle fut enfuite
transférée à Harlem , où elle vécut quelques
années , ufant de nos alimens ;
mais elle ne perdit jamais l'inclination
114 MERCURE DE FRANCE .
naturelle qu'elle avoit pour la vie aquatique.
Le même Dictionnaire parle d'une
pêche bien plus furprenante par le nombre.
Sept hommes & neuffemmes , furent
pris d'un feul coup de filet , en
1560 , près l'Ifle de Manar , fur la côte
Occidentale de Ceylan , ( fi renommée
pour la pêche des perles . ) Quelques
Jéfuites , & entre - eux le Pere Henry
Henriquez , furent témoins oculaires de
cette capture , ainfi que Dimes Bofquez
de Valence , Médecin du Viceroi de
Goa. Non feulement la configuration
de ces Monftres étoit entiérement humaine
, mais leurs parties internes reffembloient
encore parfaitement à celles
de l'homme , ce qui fut rendu conſtant
par l'examen anatomique qu'en fit le
Médecin .
Alexandre d'Alexandrie , raconte que
de fon temps , un autre Monftre Marin,
totalement reffemblant à l'homme , fut
pris en Epire. Il ajoute , qu'il fe cachoit
dans une caverne , proche la Mer , pour
mieux furprendre les femmes qui alloient
feules chercher de l'eau , à une
fontaine qui n'en étoit pas éloignée.
Ces Hiftoires , qui prouvent plus que
notre fujet ne le demande , doivent par
DECEMBRE . 1761. LIS
la même raifon le rendre très-probable .
Car s'il eft poffible qu'il exifte des Animaux
Marins femblables dans tout le
corps aux hommes ; pourquoi ne croiroit-
on pas qu'on en a vu qui leur reffembloient
en quelque chofe , ou dans
quelques membres ?
On m'objectera peut-être qu'une totale
reffemblance dans l'organiſation en
fupofe une femblable dans la forme fpécifique.
Or files Animaux Marins , dont
font mention les Hifloires , font totalement
organifés comme les hommes ,
il faut convenir qu'ils font de véritables
hommes , ce qui ne peut fe foutenir
pour de très bonnes raifons : on doit
donc, conclure que ces Narrations font
fabuleufes.
-
Sans m'arrêter ici à difcuter la queftion
, fçavoir s'il eft poffible on non
que de vrais hommes habitent les Mers ,
comme les poiffons , ( ce qui fera le fujet
du difcours fuivant ) je réponds à l'argument
, en accordant la première propofition
, & niant la conféquence. Je
conviens qu'une totale reffemblance
dans l'organifation fuppofe un rapport
fpécifique dans la forme fubftantielle.
Mais il n'eft pas avéré , & peut-être n'eſtil
pas poffible de conftater fi ces ani116
MERCURE DE FRANCE ,
maux font organifés en tout & partout
comme les hommes.L'anatomie vulgaire
ne peut porter fon examen que fur
les parties d'une extenfion fenfible ; &
quoiqu'il y ait dans celle-ci toute la reffemblance
que nos fens peuvent appercevoir
; qui oferoit pour cela foutenir
qu'il n'existe pas dans les parties les plus
fubtiles des organes une difparité fuffi
fante pour qu'une autre forme fubftantielle
, & d'autres facultés y foient proportionnées
? Je n'ai besoin que d'une
feule réfléxion pour appuyer cette probabilité.
Une plus ou moins grande
reffemblance d'organiſation fenfible
entre des efpéces différentes ne prouve
pas une plus ou moins grande fimilitu
de dans les facultés. L'organifation fenfible
de l'Eléphant eft beaucoup plus
différente de celle de l'homme , que
l'organiſation fenfible de nombre d'au
tres animaux ; malgré cela l'Eléphant a
plus de rapport à l'homme que tous les
autres dans les facultés de l'ame . Si donc
la plus grande reffemblance dans les organes
fenfibles ne conftitue pas la plus
grande conformité dans les facultés ;
une totale reffemblance fenfible n'établira
pas mieux un total rapport dans la
forme fubftantielle . Je ne crois pas
DECEMBRE. 1761 . 117
qu'on puiffe nier ces propofitions géné
rales & conféquentes.
Je m'attends qu'il y aura bien des
Lecteurs qui me reprocheront l'omif
fion des Sirenes dans ce difcours , perfuadés
qu'elles doivent figurer parmi
les Monftres Marins , moitié femmes &
moitié poiffons. Il eft vrai que tous les
Peintres les repréfentent ainfi ; mais
c'eft une erreur d'ignorance de l'Hiftoire
& de la Fable. Les Poëtes & les
anciens Auteurs , du moins ceux qui
font le plus recommandables , dépeignent
les Sirenes moitié femmes &
moitié oifeaux, Pline les place parmi
les oifeaux fabuleux ( Liv. 1o. ch. 49. )
Servius en fait de même en commentant
ce paffage de l'Enéïde Jamque
adeò fcopulos Sirenum advecta fubibat,
& dit : Sirenes fecundùm fabulam partim
virgines fuerunt , partim volucres.
Ovide, s'entretenant avec elles ( Metam.
Liv . 5. ) leur donne des vifages de filles,
avec des plumes & des pieds d'oiſeaux :
Plumas pedeſque avium cum virginibus ora feratis.
Enfin Claudian dans fes Epigrammes
, s'exprime ainfi :
Dulce malum pelago Siren, volucrefque puellæ .
L
118 MERCURE DE FRANCE .
"
.
C'eſt donc avec raifon que je ne parle
point ici des Sirenes.
ADDITION , traduite du Supplément
aux huit premiers Tomes du Théâtre
Critique.
IL m'eſt parvenu depuis peu un nouveau
Livre François , qui a pour titre
Caprices d'imagination , ou Lettres fur
divers Sujets d'Hiftoire , de Morale , de
Critique & c. L'Auteur anonyme , parlant
des Sirenes des Tritons & des
Néreïdes, rapporte en partie les mêmes
faits que j'ai cités dans mon feptiéme
Difcours du Tome 6, & en ajoute deux
autres que voici .
,
On trouve , dit -il , dans la riviere de
Tachni qui coule aux confins de la
Province de Lucomorie , à l'extrémité
de l'Empire de la Ruffie, nombre d'hommes
marins de l'un & de l'autre fexe ,
parfaitement reffemblans dans la configuration
de tout le corps aux individus
de notre efpéce , & totalement diſſemblables
dans l'âme , attendu qu'ils n'ont
ni la faculté de raifonner , ni celle de
parler. L'Anonyme cite pour fon garant
DECEMBRE. 1761. 119
Pierre Petoivitz d'Erlefund , dans fon
hiſtoire de Mofcovie , qui ajoute que
la chair de ces animaux eft extrêmement
flatteufe au goût.
>
Le fecond exemple feroit beaucoup
plus fingulier , s'il étoit également vraifemblable.
Des Confeillers du Roi de
Dannemarck naviguant en 1619 de la
Norvége à Coppenhague , virent marcher
dans l'eau un homme Marin qui
portoit un tas d'herbes. Ayant trouvé
le moyen de le pêcher , leur admiration
fut bien plus grande , quand ils
reconnurent que non-feulement fa figure
ne différoit en rien de la nôtre
mais qu'il avoit encore l'ufage de la parole.
Il ne leur donna pas le temps de
lui faire bien des queftions , car dès la
premiere , il les menaça de faire périr
le Navire , fi on ne lui rendoit fur le
champ la liberté. La peur s'empara de
tout le monde ; & l'homme Marin fauta
à la mer. L'Anonyme a foin d'avertir
qu'il a tiré cette Hiftoire du premier
Tome du Théâtre de l'Europe par Jean-
Philippe Abelin , & qu'il n'y a aucune
foi. Car qui eft - ce , continue - t - il ,
qui avoit appris à cet homme Marin la
Langue Danoife , ou toute autre ? Il
conclut que fi le fait eft vrai , il faut le
▸
120 MERCURE DE FRANCE.
regarder comme une apparition de
Spectre , ou comme une illufion diabolique.
Ceux qui font dans la perfuafion
que les Pays Septentrionaux fourmillent
de Sorciers , croiront facilement la
narration d'Abelin , s'imaginant que
l'homme Marin étoit un Magicien .
Nous avons prouvé autre- part qu'il n'y
a pas plus de magie dans le Nord , qu'il
n'y en a au Midi ; & que ceux qui dans
ces Régions paffent , ou ont paffé pour
Sorciers , n'ont été que de vrais fourbes
qui abufoient de la crédulité de
quelques Capitaines de Navires , à qui
ils vendoient les vents qui leur étoient
favorables fourberie accréditée par
que'que cafualité , ou par la connoiffan
ce pratique que certains fignes naturels
leur donnoient quelquefois des vents
qui devoient fe lever le lendemain. Si
l'homme Marin avoit été un Sorcier , ili
étoit fort inutile qu'il demandât fa lis
berté , pouvant fe la rendre lui-même. "
Pour moi , fans recourir à aucun
pacte , ni à aucune forcellerie ,je croirois
le fait très-poffible. On peut voir
les preuves de cette poffibilité dans le
huitiéme Difcours de notre fixiéme
Tome fur l'événement , fingulier du
Montagnard François de Kega . ( NOTA.
Cet
DECEMBRE. 1761 . 121
Cet homme , fuivant nombre de Mémoires
authentiques envoyés au Pere
Feijoo , avoit vécu cinq années confécutives
dans la Mer. Il étoit apprentif
Charpentier à Bilbao , lorfque la veille
de la S. Jean 1674, ayant été fe baigner
à la rivière avec d'autres jeunes gens , &
faifant l'épreuve de la fupériorité de fon
adreffe , il pouffa jufqu'à la Mer , d'où
il ne revint plus . Des Pêcheurs de Cadix
le prirent en 1679 & l'amenérent aux
Cordeliers de cette Ville. On ne put
tirer de lui que quatre mots qui étoient
pain , vin , tabac & lierganez. Ce dernier
mot fignifiant le nom de fon lieu
natal : il y fut conduit par un Cordelier
Miffionnaire. Il refta chez fes parens
environ neufans , fans que le jugement
ni la mémoire lui revinflent. Au bout
de ce temps , il difparut de nouveau ,
& on ne l'a plus revu . Quoique nous
difions par conjecture , que fuppofé
que les hommes marins fuffent de notre
efpéce , lorfqu'on leur trouve une parfaite
reffemblance avec nous tant
,
interne qu'externe ils perdoient
l'ufage de la parole par leur long
féjour dans la mer ; on doit cependant
obferver que notre raifonnement n'exclut
pas la poffibilité que quelques-uns
F
122 MERCURE DE FRANCE.
ne le confervent ; car il n'eft pas néceffaire
que tous s'abrutiffent au point d'oublier
entierement les mots. Les caufes
qui peuvent troubler la raifon de l'homme
, n'opérent pas également dans tous
les individus, Mais comme tout ce qui
eft poffible n'eft pas pour cela vraifemblable,
on peut , je crois , hardiment révoquer
en doute le fait rapporté par
Abelin. Tout y eft extraordinaire , &
d'autant plus qu'il n'y a point d'Hiftoire
qui en cite un femblable.
Je ne dois pas omettre ici que l'Auteur
anonyme eft tombé dans l'erreur
vulgaire , en difant que le nom de Sirenes
fut donné par les Anciens à des
poiffons , dont la moitié du corps en
haut reffembloit à une femme. Nous
avons déja prouvé que les Sirenes étoient
moitié poiffons , & moitié oifeaux.
Par M. CHARY le jeune , de Rouen .
LE VRAI PHILOSOPHE , ou l'Ufage
de la Philofophie , relativement à la fo-.
ciété civile , à la vérité & à la vertu
avec l'hiſtoire , l'expofition exacte , &
la réfutation du Pyrrhonifine ancien &
moderne,
Floriferis ut apes in faltibus omnia libant ,
Omnia nos itidem depafcimur aurea dicta.
Lucret, Lib. 3.
DECEMBRE. 1761 . 123
Volume in-8°. Paris , 1762. Chez Babuty
, fils , quai des Auguftins, à l'Etoile .
Et chez Brocas l'ainé , rue S. Jacques
au ChefS. Jean. Avec Approbation &
Privilége du Roi. Ce Livre fait pour
inftruire & pour plaire , eft digne de fa
réuffite . Nous nous difpofons à en rendre
compte dans le Mercure prochain .
TRAITÉ de la véritable Nobleffe, &
des vertus qui lui conviennent , felon le
fentiment des Philofophes , le témoignage
des Auteurs facrés & profanes ,
avec les exemples des hommes illuftres .
Traduit du Latin de Clicthoveus ; par M.
l'Abbé de Mery , Prêtre & Licentié en
Théologie.
J.
Nec clarum nomen avorum ;
Sed probitas magnos ingeniumque facit.
Ovida
in-12. Paris , 1761. chez G. Defprez,
Imprimeur-Libraire ordinaire du Roi
& du Clergé de France , rue S. Jacques.
Prix , 1 liv. 10 f. broché.
و
L'ÉLOQUENCE DU CORPS Ou
l'action du Prédicateur : Ouvrage utile)
à tous ceux qui parlent ou qui ſe dif
Fij
124 MERCURE DE FRANCE. MERCUR
pofent à parler en Public. Par M. l'Abbé
Dinouart , Prêtre , Chanoine de PÉglife
Collégiale de S. Benoît & de l'Académie
des Arcades de Rome. Seconde
Édition revue & augmentée. In- 12.
Paris , 1761. chez le même Libraire.
Prix, 2 liv. 10 f. relié.
HISTOIRE CRITIQUE de Nicolas
Flamel & de Pernelle fa femme : recueillie
d'Actes anciens qui justifient
l'origine & la médiocrité de leur fortune
contre les imputations des Alchymiftes.
On y ajoute le Teftament de
Pernelle , & plufieurs autres Piéces intéreffantes.
In- 12. Paris , 1761. chez
le même. Prix , 2 liv. 10 f. relié.
JOURNÉES PHYSIQUES ,
Heureuſe celle dont le génie s'élevant audeffus
des fens , vole , guidée par la Raifon à la
découverte des véritables principes , & perce le
fombre voile qui dérobe aux Mortels les myſtères
de la Nature !
Anti-Lucret. Trad. de Bougainville . L. 3-
, 2 vol. in-12. Lyon , chez Jean Deville
Libraire , grande rue Merciere,au grand
Hercule ; & fe trouve à Paris. Cer Ouvrage
eft clair , méthodique & paroît
DECEMBRE . 1761 . 125
deftiné principalement aux femmes qui
veulent avoir quelques connoiffances
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L'INDUSTRIE , ou les Principes des
Arts & Métiers réduits en pratique .
O fortunatos nimiùm , fua fi bona norint !
Virg. Georg. Lib. I.
Premiere Partie. Des Arts & Métiers
primordiaux , & des natures & qualités
de leurs productions. Brochure in-8 °.
Paris , 1761. chez Defpilly , Libraire ,
rue S. Jacques , à la vieille Pofte . Avec
Approbation & Privilege du Roi. Idem .
Les Principes du Commerce réduits en
pratique , & les Productions Terreftres :
premiere Partie . Idem. De la Culture des
Terres. Les Auteurs de cet Ouvrage utile
fe font décidés , fur les obfervations qui
leur ont été faites , à en donner tous les
quinze jours une Partie compofée de
cinq feuilles au lieu de deux qu'ils s'étoient
d'abord propofé de donner à la
fin de chaque mois. De façon que cha
que Partie fera détachée , & fe délivrera
tous les quinze jours chez le Libraire
indiqué ci-deffus .
INSTRUCTION DES NÉGOCIANS,
F iij
126 MERCURE DE FRANCE .
Ouvrage utile aux Juges & Confuls , &
à tous ceux qui font le commerce . Par
P. J. Malon , Imprimeur - Libraire .
Nouvelle Edition , augmentée . Petit in-
12. A Blois , 1761 , chez l'Auteur; & à
Paris , chez P. G. le Mercier , rue S. Jacques
, au Livre d'Or ; & chez R. M. Defpilly,
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LE CHRÉTIEN FIDELE A SA VOCATION
, ou Réflexions fur les principaux
devoirs du Chrétien , diftribués
par chaque jour du mois , & utiles pour
les retraites . Avec le Tableau d'un vrai
Chrétien , compofé des Paffages choifis
des SS . Docteurs de l'Eglife. Nouvelle
Edition , revue , corrigée & augmentée.
Petit in- 12 , Paris , 1761 , che7
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Petit in-12. A Londres , 1762. & fe
trouve à Paris , chez Duchefne , rue
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traduit de l'Anglois , avec des notes critiques
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DECEMBRE . 1761 . 127
les Freres Duplain ; à Paris , chez Defaint
& Saillant , rue Saint-Jean-de-
Beauvais , & chez Durand
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Sainte dans le courant d'une
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par jour le tout difpofé à l'ufage des
Miffels de Rome , de Paris , de Rouen &
d'Amiens. Dédié à Monfeigneur le Duc
de Berry , par un Curé du Diocèfe
d'Amiens. Grand in-8° . très - bien imprimé.
Paris, 1761. chez A. M. Lottin ,
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BIBLIOTHEQUE portative des Peres
de l'Eglife ; qui renferme 1 ° . L'Hiftoire
abrégée de leur vie ; 2° . L'Analyſe de
leurs principaux Ouvrages ; 3 ° . Les endroits
les plus remarquables de leur Doctrine
fur le Dogme , la Morale & la
Difcipline ; 4° . Les plus belles Sentences
Spirituelles contenues en leurs Ecrits :
Ouvrage utile à MM. les Eccléfiaftiques,
& même à tous les Fidéles qui defirent
s'inftruire à fonds de leur Religion . Par
feu M. Tricalet , Directeur du Sémi-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
naire de S. Nicolas . A Paris , in-8°. Tome
VII , contenant S. Jean Damafcene,
S. Anfelmé , & S. Bernard. Chez le
même Libraire . Prix 4 liv . en feuilles &
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REMARQUES fur un Ouvrage intitulé
, Lettre fur l'origine de l'Imprimerie
, & c. pour fervir de fuite au Traité
de l'Origine & des productions
de l'Imprimerie primitive en taille de
bois . Par M. Fournier le jeune , in-8°.
Paris , 1761. de l'Imprimerie de J.
Barbou.
2
MEMOIRE qui a remporté le prix de
Phyfique de l'année 1761 , au jugement
de l'Académie des Sciences Belles-
Lettres , & Arts de Lyon. Par M. Barberet
, Docteur de la Faculté de Monpellier
, ancien premier Médecin des
Armées , & Membre de l'Académie
des Sciences de Dijon . in- 12 , Lyon ,
1761 ; chez les Freres Duplain , grande
rue Merciere ; & fe trouve à Paris, chez
Durand , rue du Foin , & chez Defaint
& Saillant , rue S. Jean de Beauvais.
De Infcriptione quadam Egyptiaca
Taurini inventa & Characteribus
DECEMBRE . 1761 . 129
Egyptiis olim & finis communibus
exarata idolo cuidam antiquo in Regiâ
Univerfitate fervato , ad utrafque Academias
Londinenfem & Parifienfem rerum
antiquarum inveftigationi & ftudio
propofitas Data Epiftola . Roma , 1761 ,
ex Typographiâ Palladis. Typis Nicolai,
& Marci Palearini , publicâ auctori
tate. Cette brochure fe vend à Paris
chez Debure l'aîné , quai des Auguftins .
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21
ALEXANDRE , Tragédie nouvelle
en cinq Actes & en Vers. Par M. de
Fenélon , Capitaine de Cavalerie de
l'Ordre Royal & Militaire de S. Louis .
In-8 °. Paris , 1761 , chez Gueffier
fils , Libraire, rue du Hurepoix ; & chez
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130 MERCURE DE FRANCE .
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des Livres nouveaux qui paroîtront pêndant
l'année , excepté les Ouvrages Périodiques.
DECEMBRE . 1761. 131
SUPPLÉMENT à l'Article des Piéces
Fugitives.
VERS à Mlle ROSALIE qui avoit
débuté à la Comédie Françoife dans
Le Rôle d'Electre. Par M. R. D. B.
SUBLIME Rofalie , accepte cet encens
D'un jeune Amant de Melpomène
Qui t'a voué fes premiers chants.
Il eſt de ton deftin d'illuftrer notre Scène :
J'en crois mon coeur & tes talens .
Je n'ai point attendu pour t'offrir mon hommage
Que tout Paris charmé m'en impofât la loi :
Je veux , quand tous les coeurs fe tourneront vers
τοί ,
Que tu m'en doives le préfage.
Redouble tes efforts. Que le fuccès paffé"
A de plus grands fuccès t'anime & t'encourage.
Phédre doit achever l'ouvrage
Qu'Electre a fi bien commencé.
Que ton âme fenfible & digne de Racine ,
Aille fe faire entendre à fon Ombre divine ,
Et lui caufer tant de plaifir ,
Qu'en fe ranimant elle oublie
La Champmeflé pour Rofalie ;
Et femble encor pouffer un amoureux foupig
F vj
132 MERCURE DE FRANCE .
EPITRE
A SILVIE , à Spa.
ELOIGN 101GNE de ma Silvie,
Rien n'appaile mes regrets ;
Tous les plaifirs de la vie ,
En vain m'offrent leurs attraits :
Hélas ! de fa feule image
Je m'occupe nuit & jour ;
Paris n'a point l'avantage
De me ravir mon amour.
Qui , ma Silvie eft rrop belle
Pour l'oublier un moment;
Malgré l'abfence cruelle ,
Oui , partout le ſentiment
De l'objet le plus charmant
Rapproche mon coeur fidéle.
Toi , qui fus les Cieux pour moi,
Spa ! ta gloire eft extrême :
Quels lieux font plus beaux que toi>
Tu poffédes ce que j'aime !
Vous, Monts, qui l'environnez
Témoins de notre rendreffe ,
Loin d'elle écartez fans cefle
Des Rivaux trop éffrénés.
A chaque aurore nouvelle,
DECEMBRE. 1761. 133
Puiffe fa plaintive voir
Aux échos , tendres comme elle ,
Me redemander cent fois !
Dans les eaux quand ru te plonges
Dieu , qui guides mes accens ,
Puiffent d'agréables fonges
Me peindre dans tous fes fens !
Dans cet aimable délire ,
Ah ! puiffe-t- elle éprouver
Les tranfpores qu'elle m'inſpire ,
Quand l'Amour me fait rêver !
Sans toi , ma chère Silvis ,
Quels biens me font précieus ?
Quand me rendras tu la vie ?
Mon âme eft dans tes beaux yeux!
Une barrière éternelle
Semble mife entre nous deux ,
Et le Temps n'eut jamais d'alle
Pour les Amans malheureux,
Mais par d'injuftes allarmes ,
Je n'outrage point ta foi:
Quel coeur foumis à tes charmes
Sçauroit mieux t'aimer que moi !
Je ne crains point que ton âme
Soit fenfible à d'autres voeux :
Je ne juge de ta flâme
Que par l'excès de tes feux,
A Paris , ce 5 Novembre 1761 .
Par M. BRUNEF
134 MERCURE DE FRANCE .
A Mademoiſelle LECLAIR , de la
Comédie Italienne , fur fon mal depied.
MADRIGAL.
VOTRE bobo croît chaque jour ,
Et votre âme s'en inquiéte.
Croyez-moi ; pour toute recette ,
Leclair, fatisfaites l'Amour.
Quand par vos traits ce Dieu nous frappe ,
Pour nous vous êtes fans pitié .
S'il vous a prife par le pied ,
C'est qu'il veut que l'on vous attrape .
A Paris , ce 3 Novembre 1761 .
Par le même.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES
AGRICULTURE.
L A protection
que S. M. veut
[ bien
accorder
à l'Agriculture
, excite
de plus
en plus le zéle des Citoyens
éclairés
.
Les uns nous
ont donné
des
Ouvrages
DECEMBRE. 1761. 135
excellens fur la culture & des Obfervations
fur les terres abandonnées ; les
autres fe font occupés à connoître la
diverfité des terres , leurs propriétés , & .
la nature des productions dont elles
peuvent être fufceptibles. On vient
même de voir naître des Sociétés refpectables
, dont les Membres font les
bienfaiteurs de la patrie, & de l'humanité,
foit par des recherches , & des expériences
réitérées , foit par les foins qu'ils
prennent d'inftruire les Propriétaires &
les Cultivateurs . Mais ce n'eft pas affez
que de dicter des leçons à ces derniers :
fouvent ils font hors d'état d'en profiter
faute d'argent pour faire les avances.
Il feroit donc important de les
aider , & de les mettre à même de recueillir
le fruit des lumières qu'on leur
donne .
Une Compagnie vient de former un
établiffement pour le défrichement des
Terreins vacans de la Généralité de
Paris appartenans à S. M. & pour l'amélioration
des Terres abandonnées &
autres . Cette Compagnie compofée des
Fermiers des Domaines Royaux de
Meudon , Villebon , Chaville & c , ont
fait un fond de 750000. liv. qu'ils augmenteront
à mefure qu'il en fera be136
MERCURE DE FRANCE.
"
foin , pour fournir les Beftiaux Engrais
, & autres accommodemens utiles
& néceffaires à l'amélioration des
Terres qui en feront fufceptibles , &
dont les Propriétaires voudront traiter
avec eux foit " par Baux à temps , àlongues
années , ou autres traités & conventions.
Ils défricheront & mettront en valeur
les Terres qu'il a plu au Roi de leur accorder
dans la Généralité de Paris , par
Arrêt de fon Confeil du 20 Septembre
1760 , & autres qu'il plaira , tant à SA
MAJESTÉ , qu'à des Seigneurs particu
liers , de leur afcenfer , ou inféoder.
Ils fe flattent que leurs vues , leur
conduite , leur exploitation & leur économie
, pourront mériter les bienfaits
de SA MAJESTÉ , la protection du
Gouvernement , & la confiance du Public.
Le Sieur Noiret , Caiffier de la Com
pagnie , fera toutes les recettes , & dépenfes
, lequel outre fon exactitude &
fa folvabilité perfonnelle déjà connues ,
eft encore bien fuffifamment caution→
né par Acte paffé le 21 Mars 1761 devant
Me Momet , Notaire, où chacum
peut en prendre lecture , ainfi que des
noms & qualités de ceux qui font cette
DECEMBRE. 1761 , 137
entreprife , fous le cautionnement folidaire
defquels . on traitera au nom dur
Sieur de Monrofier.
Les perfonnes qui defireront avoir
de plus amples détails , & qui voudront
faire quelques propofitions à ce fujet ,
s'adrefferont directement , ou par lettres
, au Sieur de Malherbe , Directeur
, rue Saint Nicaife .
Le Public eft prié d'affranchir les
Lettres , fans quoi elles ne feront pas
reçues.
CONSEIL DE LA COMPAGNIE.
MESSIEURS
MALLARD ,
THEVENOT D'ESSAULE , }
Avocats au Pan
lement.
BRUNET , Avocat és Confeils
du Roi.
MOMET , Notaire.
MOREAU , le jeune. Procureurau Par
lement.
PERRIN , Procureurau Cha
TRUDON ,
telet.
Huiffier au Confeil
d'Etat &
Privé du Rois
138 MERCURE DE FRANCE .
ACADÉMIE S.
LETTRE de la Société Littéraire d'ARRAS
, à M. le Comte de COUTU
RELLE , Chambellan actuel de S.A.S.
ELECTORALE PALATINĖ:
MONSIEUR ET CHER CONFRÉRE ,
O
1
N vient de nous remettre les admirables
Médaillons que vous nous
⚫avez annoncés. Ce beau préfent nous
pénétre d'une extrême reconnoiffance,
dont nous n'offrons à Son Alteffe Séréniffime
Monfeigneur l'Electeur, qu'tin
témoignage bien imparfait , dans la
Lettre , que nous vous prions de lui
faire agréer. C'eft à vous , Monfieur ,
qui connoiffez le fond de nos fentimens
pour ce Prince généreux , de
fuppléer ce qui manque à nos foibles
expreffions .
Recevez auffi nos remercimens du
zéle avec lequel vous vous êtes porté à
nous faire obtenir une collection fi précieufe
, du Livre inftructif & curieux
que vous y avez ajouté , & de votre atDECEMBRE
. 1761. 139
tention à nous apprendre toutes les cir
conftances de l'événement le plus intéreffant
& le plus déplorable . Que vos
termes pathétiques nous ont bien prouvé
, Monfieur , la profonde affliction
où vous a jetté le malheur de leurs Alteffes
Electorales ! Vous ne fçauriez douter
que nous n'ayons été nous - mêmes
tres-fenfiblement touchés de ce coup
funefte , & qu'une vive inquiétude ne
nous ait agités , jufqu'au moment où
vous nous avez raffurés , für la fanté
de Madame PElectrice , & fur celle de
fon augufte Epoux . Nos regrets ne
pouvoient être adoucis que par une
auffi favorable nouvelle , qui nous permet
d'envifager dans l'acouchement de
çette Princeffe , tout défaftreux qu'il a
été , le double préfage d'une feconde
groffeffe , & d'une délivrance plus heureufe.
Qu'elle le feroit dans tous les
fens , file fuccès de nos voeux en égaloit
l'ardeur ! Nous nous flattons , Mom
fieur & cher Confrére de la continuation
de vos bons offices , auprès des
illuftres Souverains à qui vous avez le
bonheur d'être attaché : Oui , vous
vous ferez toujours un plaifir , nous en
fommes perfuadés , de travailler à nous
conferver la place honorable, que nous
140 MERCURE DE FRANCE.
occupons dans leur fouvenir . Soyez
pareillement convaincu du jufte retour
dont nos coeurs fçavent payer vos foins,
& de l'attachement fans bornes , avec
lequel nous avons l'honneur d'être.
Monfieur & cher Confrére .
HARDUIN , Secrétaire perpétuel de
la Société Littéraire d'Arras.
A Arrás , le 12 .... 1761.
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE.
EXTRAIT des Mémoires lus à la Séance
publique de l'Académie Royale de
Chirurgie , le Jeudi 2 Avril 1761.
APRÈS la diftribution des Prix , M.
Bordenave lut un paralléle des différentes
méthodes d'ouvrir la velfie dans le
cas de rétention d'urine. L'art a été
DECEMBRE. 1761 141
long-temps en défaut à cet égard. Les
anciens ne prefcrivoient contre une maladie
auffi fréquente que des remédes
généraux , des bains,des ptifanes diurétiques
, dont l'effet augmentoit fouvent
le mal , en furchargeant la veffie d'une
plus grande quantité d'urine , enfin l'introduction
de la fonde étoit la derniere
reffource. Les Obfervateurs ont cru
laiffer à la postérité des faits bien iuftructifs
, en nous confervant le récit de
quelques cures , où l'on voit des rétentions
d'urine terminées au foulagement
des malades le dixiéme jour, l'onziéme
& le quatorziéme , & quelquefois
après un terme plus long. Mais ces
guérifons montrent uniquement les reffources
de la Nature , qui a fauvé quelques
perfonnes que des fecours connus
depuis auroient certainement préfervées
du danger qu'elles ont couru . Depuis
un fiécle & demi , l'attention des
Praticiens a fait faire à l'Art des progrès
manifeftes fur cette matière : Les
connoiffances Anatomiques de la ftructure
des parties , la diffection des cadavres
victimes de la maladie dont il s'agit
, ont fait refléchir au choix & à l'application
des moyens de guérifon qu'on
pouvoit employer avec fuccès. On a
142 MERCURE DE FRANCE .
même appris à varier les remédes généraux
, relativement à la diverfité des cas ;
& l'on s'eft fait des régles qui préfcrivent
jufqu'où s'étend leur utilité , & qui ne
permettent que le délai néceffaire pour
que les fecours plus puiffans ne deviennent
point inefficaces . C'est le difcernement
& la prudence dans l'application
difficile de ces régles , qui
conftituent l'habileté du Chirurgien
dont la main ne peut opérer utilement ,
quelle que foit fa dextérité, fi les lumieres
de l'efprit n'ont déterminé ce qu'elle
doit faire.
L'Art fur le point en queftion , eft
pris , pour ainfi dire , des fa naiffance ;
& M. Bordenave en démontrant comment
on s'eft élevé par degrés à la perfection
dont il étoit fufceptible , fait
voir qu'on a d'abord faifi les procédés
les plus compofés , & qu'on n'a fimplifié
que peu-à-peu. Il prouve dans l'expofition
hiftorique des progrès de chaque
méthode , que ce font les différences
introduites fucceffivement dans la
fratique de la lithotomie , qui ont falt
concevoir des moyens auffi diverfifiés
de procurer par opération une iffue aux
úrines retenues. L'on a donc commencé
par incifer au périnée ; Marc- Aurèle
DECEMBRE, 1761, 143
Severin patle de cette opération d'après
Arculanus. Parmi les Modernes Thevenin
, Tolet , Dionis Saviard & M.
Heifter ont adopté cette méthode, affez
femblable à la taille au grand appareil,
La fimple ponction paroît offrir les
mêmes reffources ; & elle n'a pas les inconvéniens
des procédés opératoires
plus ou moins avantageufement concertés
, dont ces Auteurs ont donné la
defcription . L'invention des trois quarts
devoit naturellement fervir à fimplifier
l'opération néceffaire pour tirer l'urine
retenue, dans les cas où le fecours de la
fonde ne pouvoit avoir lieu. L'Auteur
parle d'abord de la ponction aupérinée,
que M. Heifter dit mal-à-propos avoir
été propofée par Riolan , dès le commencement
du fiécle paffé . C'eſt Tolet
célébre Chirurgien de Paris , en chef de
I'Hôpital de la Charité qui paroît l'avoir
pratiquée le premier dès l'année 1677 ,
M. de la Peyronie l'a faite , vers le commencement
de ce fiécle , avec un trois
quarts beaucoup plus long que ceux que
décrit Tolet ; & M. Bordenave donne la
maniere de faire cette opération avec
méthode. Il parle enfuite de la ponction
à l'hypogaftre. M. Mery , Chirurgien
de l'Hôtel-Dieu de Paris , & de l'Aca144
MERCURE DE FRANCE.
démie Royale des Sciences, l'a pratiquée
avec fuccès , comme il paroît par une
Obfervation qu'il a donnée dans les
Mémoires de 1701. Enfin M. Flurant
Chirurgien de Lyon , affocié de l'Académie,
a imaginé une méthode d'ouvrir
la veffie par l'inteftin rectum avec un
trois quarts courbe.
Il n'y a aucune de ces opérations qui
n'ait été pratiquée avec fuccès ; le choix
n'en eft cependant pas arbitraire , &
telle méthode qui mérite d'être préférée
dans un cas , feroit la plus défectueufe
qu'on pût employer dans une autre circonftance.
Le paralléle de ces différentes
méthodes eft la partie la plus recommandable
du travail de M. Bordenave..
En général la ponction eft plus avantageufe
que l'incifion ; cependant fi l'if
churie étoit produite par une pierre en-.
gagée dans le col de la veffie , ou l'effet
de fungus qui boucheroient fon orifice
, l'incifion offriroit une reffource.
plus affurée , & qui permetroit de combattre
la caufe du mal , après avoir remédié
à la rétention qui eft le fymptome
urgent. Ce précepte eft appuyé d'obfervations
tirées des meilleures fources.
Lorfque le mal vient de l'inflammation
du col de la veffie on préfére la
ponction ;
DECEMBRE. 1761. 145
ponction ; mais on juge qu'il faut la fai
re entre la tubérofité de l'ifchion & l'os
pubis , dans le corps même de la veffie
pour ne bleffer ni fon col ni le canal de
l'uretre , & ne pas augmenter l'inflammation
qui empêche le paffage des urines.
On difcute les avantages de cette méthode
dans l'ifchurie purement inflammatoire
, & dans quelques autres cas
dépendans de vices locaux dans l'uretre .
La fonction hypogastrique paroît , à ne
confidérer que les parties qu'il faut tra❤
verfer pour parvenir à la veffie , plus
aifée & moins dangereufe que la ponc
tion au périnée : mais comme il eft néceffaire
pour le fruit de l'opération , d'entretenir
une voie libre aux urines , on
fait connoître , à cet égard , les défavantages
de la ponction au-deffus des
os pubis. L'Auteur fait , à cette occafion
, ufage d'une Obfervation intéreffante
qui lui a été communiquée par
M. Louis ; & il répond aux obje& ions
qu'on pourroit faire pour autorifer une
opération qui a des inconvéniens éffentiels.
M. Bordenave compare la ponction
par le rectum , la moins doulcu
reufe de toutes , par laquelle on a moins
de parties à divifer , & qui ouvre la vef
fie dans fa partie declive , la plus favo-
G
146 MERCURE DE FRANCE.
rable à l'évacuation des urines . Ces
avantages lui affureroient une préférence
exclufive , fi elle n'avoit des inconvéniens
qui lui font propres. M. Bordenave
témoigne quelques craintes fur la
préfence de la cannule dans le temps
que le malade iroit à la felle ; les mouvemens
inévitables dans cette action
pourroient lui faire abandonner la veffie.
Cette cannule fera certainement
très -incommode dans le cas où le malade
auroit des befoins fréquens , s'il
éprouvoit des tenefmes ; & fi la maladie
ne fe terminoit pas en quelques
jours, il pourroit furvenir inflammation
& fuppuration, accidens aufquels on ne
donneroit pas des fecours auffi fürs &
auffi facilement que fi la ponction eût
été faite au périnée. Dans ce cas - ci, s'il
falloit en venir à l'ouverture de la veffie ,
la cannule ferviroit de guide ; & après
la ponction par le rectum s'il furvenoit
quelque accident , il faudroit
en quelque forte abandonner l'événement
aux reffources incertaines de la
Nature. Il fuit de toute cette difcuffion
que la ponction au périnée convient
dans un plus grand nombre de cas ;
qu'elle eft plus fure , & que fes avantages
comparés avec ceux des autres méDECEMBRE.
1761 . 147
thodes , lui donnent fur elles une préférence
qu'on ne peut contefter.
II.
M. Foubert continua par la lecture
d'un Mémoire fur les fractures du col
du fémur. L'Auteur qui dans une longue
pratique a eu des occafions de voir
cette efpèce de maladie , profcrit les
bandages ordinaires dont il montre l'i
nutilité , & trouve des reffources plus
éfficaces dans des extenfions réitérées.
Les principes fur lefquels cette pratique
eft fondée exigeroient des détails de
manuel que l'on rendroit difficilement
par un extrait.
III...
M. Sabatierlut enfuite une Obfervation
fur une plaie à la veficule du fiel.
Un Officier Invalide , âgé de 45 à 50
ans , d'une très-bonne conflitution
reçut dans un combat fingulier, un coup
d'épée du côté droit , qui pénétra dans
le bas-ventre , entre la troifiéme & la
quatriéme des fauffes côtes. Le bas -ventre
fe tuméfia très-promptement ; la refpiration
difficile, le froid des extrémités,
le pouls petit , concentré & fréquent ,
& des naufées furent les premiers
fymptomes qui fe manifeftérent . Une
chaleur brûlante & une foif que
?
rien
Gij
148 MERCURE DE FRANCE ,
ne pouvoit éteindre, agitérent enfuite le
bleffé. La tenfion du ventre & la difficulté
de refpirer continuerent ; les faignées
ne calmerent point ces fymptomes
permanens ; & on ne put même multiplier
l'adminiftration de ce fecours
autant qu'on l'auroit defiré ; car à la
troifiéme , qui ne fut faite que le lendemain
de la bleffure , le malade tomba
dans un affaiffement difficile à concevoir.
Le troifiéme jour , M, Morand ,
qui voyoit journellement le bleffé , jugea
par le volume du ventre , & par le
tact , qu'il y avoit quelque fluide épanché.
La fluctuation fe faifoit fentir vers
la partie inférieure de la région ombilicale
, du côté droit. Il ne parut y avoir
d'autre parti à prendre, que de procurer
une iffue à la matiere épanchée ; & pour
en connoître la nature , on réfolut de
faire une ponction avec le trois quart ;
elle fut pratiquée le quarriéme jour au
matin. On tira une once ou deux de
liqueurs d'un vert noirâtre ; c'étoit de
la bile pure , & l'on jugea avec fondement
que la véficule du fiel avoit été
bleffée. On ne crut pas devoir tirer une
plus grande quantité de cette liqueur.
Les forces languiffantes du malade furent
foutenues par des potions cordia
3
DECEMBRE . 1761. 149
les , jufqu'à cinq heures du foir , que
MM. Morand & Sabatier convinrent
de la néceffité d'une incifion au basventre
; fur ce principe qu'il faut evacuer
tout liquide étranger dont l'éxiftence
eft reconnue il fortit par cette
opération quinze à feize onces de matiere
qui fut reçué dans un vafe ,fans cel
qui s'en perdit dans les draps : elle étoit
femblable à celle du matin . M. Sabatier
qui eut le courage de la goûter, trouva
à fon exceffive amertume, que c'étoit de
la bile fans aucun mêlange. Le malade
fut panfé convenablement ; il éprouva
pendant quelque temps un peu moins
de gêne dans la refpiration ; mais la tenfion
du ventre ne diminua point ; les
naufées & les vomiffemens devinrent
fréquens ; le pouls s'affoiblit , & le malade
mourut environ cinq heures après
l'opération. L'ouverture du corps confirma
que la véficule du fiel avoit êté
ouverte par la pointe de l'épée . M. Sa
batier, pour rendre fon Obfervation
plus utile a fait des recherches dans les
Auteurs , fur les épanchemens de bile
dans la capacité du bas-ventre. Les deux
exemples que fourniffent Blafius & Job
à Meekren, montrent la poffibilité de la
rupture fpontanée de la véficule du fiel,
G iij
150 MERCURE DE FRANCE .
par fon exceffive dilatation ; mais ils ne
font pas affez analogues au cas que M.
Sabatier a décrit. On ne peut le comparer
avec exactitude, qu'avec des épanchemens
de bile produits par une caufe
extrême. Les Tranfactions Philofophiques
en fourniffent un exemple dont
les effais de la Société d'Edimbourg
ont fait mention , & qui eft cité par M.
Van Swieten dans fes Commentaires
fur les Aphorifmes de Boërrhaave , à
l'article des Plaies du bas-ventre . Ce
font les mêmes fymptomes dans l'une
& dans l'autre ; mais le bleffé Anglois
ne fut point opéré , & il a vécu fept
jours. L'objet de M. Sabatier en publiant
PObfervation dont nous donnons l'extrait
, a été d'établir le prognoftic fpécial
des plaies de la véhicule du fiel ,
lorfque les autres vifceres n'ont fouffert
aucune léfion . C'eft un cas affez rare :
le fait rapporté par l'Auteur , & celui
qui a été communiqué à la Société
Royale de Londres par le Docteur
Stuard , donnent tous les éclairciffemens
qu'on peut defirer fur un accident
auffi fâcheux.
Lafuite auMercure prochain.
DECEMBRE. 1761. 151
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
VI.SINFONIE
INFONIE a più Stromenti , compofte
da varii Autori. 1 ° . Filtz. 2ª. Ruge
, la nova tempefta. 3. Fraentzel. 4°.
Cannabiek. 5. Wagenfeil. 6°. Back.
Opera XII. in-folio . Prix , 10 liv. compris
les parties de Cors de Chaffe . Les
mêmes Symphonies fe vendront enfemble
ou féparément, felon la volonté
des Amateurs . Le Prix fera de 2 1. 8 f.
chaque , en les détachant. A Paris , chez
M. Venier , Éditeur de plufieurs ouvrages
de Mufique inftrumentale , à l'entrée
de la rue S. Thomas du Louvre ,
vis-à-vis le Château d'Eau ; & aux
adreffes ordinaires.
Outre les douze OEuvres de Symphonies
di vari Autori , on trouvera
chez le même les OEuvres fuivantes :
Six Symphonies de Beck. Opera
prima .
Six de Richter. Opera tertia.
Six de Hofman. Opera prima.
Six de Martin.
Six de Sarti. Opera prima.
Six Quatuor de M. Talon.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
.
Six Trio de Martin.
Douze Trio de Berofi. Opera prima
& fecunda.
Six Duo de Groneman pour violons
ou flutes..
Six Duo de S. Angelo
Violoncelle .
, pour
le
Six Sonates de Ferrari pour violon ,
Opera fecunda .
Quatre Concerto pour le Claveffin
compofés par Lorenzini-Yori Vagenfeil
& Binder.
Vingt Piéces de Claveffin di varii
Autori , dans lefquelles font renfermées
les meilleures Piéces d'Alberti.
Opéra prima.
•Vingt Piéces de Claveffin di variiAu
tori , dont la plus grande partie eft
de la compofition de Galupi , Opera
fecunda. Le Prix fe trouvera au bas de
chaque Recueil.
L'ESPOIR flatteur , Cantatille , à
voix feule , avec Accompagnement de
deux Violons & Baffe. Par M. Dard ,
Ordinaire de l'Académie Royale de
Mufique. Prix , 1 liv . 16 f. Chez l'Auteur
, rue Montmartre , vis-à- vis la rue
de la Juffienne , à côté de l'Apotiquaire
, & aux adreffes ordinaires . Ce nou-
1
DECEMBRE. 1761 . 153
vel ouvrage de M. Dard , ne peut qu'ajouter
beaucoup aux efpérances qu'il a
fait juftement concevoir de fon talent.
L
GRAVURE.
E fieur MAGNY , Ingénieur- Phyficien
, & Auteur du nouvel art de rendre
le Deffein au crayon , donne avis ,
qu'ayant formé une Société, dans la vue
de procurer au Public tout l'avantage
qu'on peut retirer de fa nouvelle décou
verte ; des inconvéniens qui furviennent
affez ordinairement dans ces fortes
de liaiſons , l'ont empêché de mettre
au jour les 2 premiers morceaux
éffectués par fa Méthode , l'un en 1757
& l'autre au commencement de 1758.
L'accueil qui fut fait à cette premiere
production par plufieurs Académiciens ,
a qui elle fut préfentée , fut auffi fuivi
de l'applaudiffement de tous les Amateurs
qui en eurent connoiffance ; lefquels
ne defirent rien de plus , que de
voir une fuite d'ouvrage des grands
Maîtres , rendu par cette nouvelle mé
th ode .
C'eft pour fatisfaire à leur empreffe
ment , & à leurs follicitations réïtérées,
Gv
154 MERCURE DE FRANCE .
que le fieur Magny a pris le parti de
faire valoir ce nouvel art par lui-même
& fous fes yeux , étant pour lors à portée
de lui faire prendre journellement un
nouveau luftre , autant par les differens
degrés de perfection . qu'un Auteur eft
cenfé pouvoir y donner , & qui dépen
dent du principe qu'il a fuivi
pour élever
un Art entierement nouveau , que
par les foins du freur Gonord , qui a
déja donné des preuves de fon talent
dans l'art du deffein , par les différens
Prix qu'il a remportés à l'Académie de
Rouen , ainfi que par l'exactitude avec
laquelle il a fçu rendre les originaux
dans les Piéces fuivantes que le fieur
Magny met actuellement au jour , &
dont voici le détail.
Nº. 1. Une Tête de caractère d'après
M. Boucher.
No. 2. Une Académic d'apres M.
Carlo Vanloo.
N. 3. Une petite d'après M. Boucher.
No. 4. Une belle & grande Académie
figure d'Hercule.
N. 5. Une autre Tête d'après M.
Boucher.
N°. 6. Une Tête de goût & libre ,
par le fieur Gonord.
N°. 7. Une petite Académie de M.
DECEMBRE . 1761 . 155
Cochin le fils , figure de femme faite
au crayon eftampé ; genre de deffein
qui n'a point encore été imité ni rendu
jufqu'à ce jour , finon par cette Académie
, qui eft le premier morceau rendu
en ce genre.
On fçait de quel prix font tous les
Ouvrages de M. Cochin , & combien ,
des études d'après lui feroient précieufes
, non feulement pour les Amateurs ,
mais pour les Eléves fort avancés qui
defireroient fe former le goût , en
deffinant d'après un auffi grand Maître.
C'eſt dans cette vue que le fieur Maguy
a imaginé le moyen de pouvoir
les rendre jufqu'au point de s'y méprendre
, afin de faciliter au Public un
avantage réel , en lui procurant une
fuite d'étude , dont il n'auroit jamais
joui fans cette découverte ; la gravure
en Taille-douce n'étant pas fuffifante
par elle - même pour rendre le doux
le gras & le moelleux de l'Eftampe ,
qui décéle fi merveilleufement l'efprit
& les fineffes d'un Original.
"
Sans doute que plufieurs perfonnes
trouveront fingulier que le fieur Magny
fe dife inventeur du nouvel art
de rendre le deffein au crayon , d'au
tant plus , que parmi ceux qui gravent
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE .
en maniere de crayon , il y en a qui
fe font préfentés à l'Académie , en s'en
difant les inventeurs .
La différence la plus nótable entre
fa méthode & celle de fes Copiltes
lefquels n'opérent que par une manouvre
qui ne différe de la gravure en
Taille-douce , qu'en ce qu'au lieu de
pointe & de burin , i's fe fervent d'une
efpéce de matois , lequel étant manié
avec plus ou moins d'adreffe , produit
par des repriſes multipliées , le trait fur
le vernis noir , qu'on donne enſuite à
mordre à l'eau forte , tel que dans la
gravure ordinaire ; au lieu que dans le
nouvel art , on ne fait point ufage ni
de matois , ni d'eau forte. On n'emploie
uniquement que des crayons d'acier
parfaitement analogues au crayon
naturel , & dans le caractére & dans la
manoeuvre ; ce qui fait le coup de
crayon tel qu'on le voit dans les Ouvrages
qu'il expofe , lefquels font exactement
conformes aux originaux , tant
par la manoeuvre que par le caractére
par leur propre couleur.
&
Les Connoiffeurs verront par ce récit
, combien eft grande la différence
qui regne entre la méthode du ficur
Magny & celle des Graveurs en maniere
de crayon.
DECEMBRE . 1761 . 157
Par ce nouvel art , un habile Deffinateur
peut rendre entierement la franchife
du trait & de toutes les parties
d'un Original de Grand-Maître objet
fi précieux & fi intéreffant pour les Eĺéves
! Aulieu que par la méthode ordinaire
, il n'eft pas poffible de rendre la
franchiſe entiere du trait ,. quelqu'habi-.
le que l'on fuppofe l'Artiffe : il ne peut
éviter de répandre dans fon ouvrage ,
une nroleffe dans l'expreffion & un
froid fur l'efprit de l'Original : défaur
que les Connoiffeurs
reprochent à
ceux mêmes qui ont le mieux réuffr
jufqu'à préfent dans ce genre de gravu`
re en maniere de crayon.
Le fieur Magny efpére tous les mois
mettre au jour quelque production de
fon nouvel art ; ce qui fera annoncé
dans fom temps.
Sa demeure eft à l'Abbaye S. Germain
des Prés , Cour des Religieux..
158 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Mufique a
remis au Théâtre le Mardi 3 Novembre
Armide , Tragédie de feu M. Quinault ,
Mufique de feu M. de Lully.
Cet Opéra a été repréfenté pour la
premiere fois le 15 Février 1686 (a) fur
le Théâtre de l'Académie; remis en 1697,
en 1703 , en 1713 , repris en 1714 .
remis fur le même Theatre en 1724. Repris
en 1725 , repréfenté à Verſailles
fur le Théâtre de la grande Ecurie , le
30 Décembre 1745 , continué à Paris,
par l'Académie Royale de Mufique le
7 Janvier 1746 , juſqu'au 26 Mars de
la même année , pendant lequel temps
30 repréſentations produifirent 76258
(a) Mlle Rochois, chantoit alors le rôle d'Armide,
& ce fut fon triomphe. Mlles Fanchon-Moreau
& Defmatins ,jouient les rôles de Confidentes;
M. Dumefnil chantoit le rôle de Renaud, & M. Dun
elui d'Hidraot. Mlle Rochois , morté à Paris au
DECEMBRE. 1761. 159
liv, (b) malgré la diverfion occafionnée
par les fuperbes Fêtes de la Cour , qui
entraînoient une partie du Public , &
qui par l'éclat & la variété des Spectacles
faifoient alors le principal objet de
la curiofité. Cette recette , dans de telles
circonstances , conftate une pleine
réumite à Paris . Elle n'avoit pas été
moins conftatée à Verfailles ; on en redemanda
une feconde & une troifiéme
repréfentation. (c) Ge fuccès à la Cour ,
glorieux pour l'Ouvrage , fut en même
temps honorable pour le talent de Mile
Chevalier , qui chantoit le Rôle d'Armide.
(d) Elle continua ce Rôle à Paris ,
mois d'Octobre 1728 , âgée de 70 ans , avoit chanté
le même rôle d'Armide à la remiſe de 1697. V.
l'hift . du Théâtre de l'Opéra. Paris , Jofeph Barbou
1753.
(b ) Vu fur les Regiftres de l'Académie.
(c ) Le Mercure de Février 1746 place cette deuxiéme
& troiſiéme repréfentation les 13 & 21 Jánvier
, de la même année. On en trouve une autre
à la Cour indiquée le to Février fuivant dans le
Catalogue raifonné des Ballers Opéra &c . de la
riche Bibliothèque de M. le Duc de la Vallierre,
imprimé chez Bauche 1759.
(d) Le Mercure de Janvier 1746 rapporte que
la Reine , Madame la Dauphine & Mefdames de
France avoient daigné marquer leur fatisfaction
à Mlle Chevalier , publiquement dans la Gallerie ,
& que Mefdames l'avoient emmenée dans leur
appartement , où différens airs qu'elle avoit chansés,
avoient été fuivis de la même approbation.
165 MERCURE DE FRANCE.
>
dans lequel , attendu les fréquens fervices
à la Cour elle fut doublée
quelquefois. En premier lieu par feue
Mlle Romainville , enfuite par Mlle
Metz qui chantoit le Rôle de la Gloire
dans le Prologue , & qui chanta en
double celui d'Armide pour la premiere
fois le 8 Mars de l'année 1746. (e ) Cette
derniere l'a chanté pendant peu de repréfentations
.
Ce même Opéra fut repris le 17 Février
1747 jufques à la clôture du Théâtre
au mois de Mars fuivant , & enfin
repris encore pour la Capitation des
Acteurs les 23 , 27 & 31 Mars 1748. (ƒ)
Depuis cette époque jufqu'au mois dernier
il n'avoit pas été repréfenté.
L'intérêt vif que le Public a pris à la
remife de cet Opéra , a fait naître des
conteftations fur les époques de fes reprifes
; ce qui nous a engagé à entrer
dans ce détail de dattes , & à faire les
recherches les plus précifes fur tout ce
qui le concerne.
Toutes les fois qu'Armide a reparu
fous les yeux du Public , cet Ouvrage
a toujours excité un fentiment naturel.
(e) V. le Mercure de Mars 1746.
(f)V.le Mercure d'Avril 1748.
DECEMBRE. 1761. 16x
my
d'admiration , qui ne s'épuife jamais
pour les chefs - d'oeuvre de génie & de
goût. C'eft l'effet qu'il vient de produire
encore . L'Auteur du Mercure de Mars'
1746 , à l'occafion du fuccès qu'eut
alors cet Opéra, remarque que l'Auteur
de l'harmonie aimée du coeur avoit encore
bien des oreilles dans fon parti (je
rapporte les mêmes expreffions ) file
fchifme régne dans nos Concerts , continue-
t-il , il n'a pas encore foumis le
Théatre lyrique &c. &c. Cet Ecrivain ,
ardent défenfeur du goût & jaloux de
Phonneur national en cette partie , combattroit
aujourd'hui avec plus d'avantage
contre ce qu'il appelle les Novateurs
en Mufique , en s'appuyant fur la réuffite
d'Armide. Quoique le nombre &
les forces de ces Novateurs foient prodigieufement
augmentées depuis 1746 ,
quoiqu'ils aient fait de nouvelles recrues
& puifé des reffources dans des
genres dont alors on n'auroit pas foupçonné
l'existence , & dont l'excès peutêtre
en fait prévoir la chûte : il eft cependant
inconteftable que les applau
diffemens & l'affluence perpétuelle des
Spectateurs , déclarent actuellement
pour Armide une réuffite très - fupérieure
encore à celle dont parle l'Au162
MERCURE DE FRANCE..
teur de ce Mercure . Un tel fuccès.
ne peut être attribué à la feule pompe
du fpectacle. Quelques éloges qu'on
doive fur cela , aux foins éclairés & difpendieux
des Directeurs (g) , ainfi qu'aux
Artiſtes qui entrent dans leurs vues , le
mérite fublime du Poëme & de la Mufique,
fecondé par le talent des Acteurs,
doit toujours être confidéré comme la
principale caufe de l'empreffement du
Public & furtout de la continuité de cet
empreffement.
Le Poëme d'Armide eft la derniere &
la plus belle production du génie de fon
célèbre Auteur. Un des Hiftoriens de
la Vie de M. Quinault , ( h ) en doutant
qu'il eût pu faire une Piéce lyrique audeffus
de celle d'Armide , foupçonne
que ce fut cette raifon qui l'engagea à
ne plus travailler dans ce genre.
Non feulement un fentiment unanime
de la Nation , mais encore l'efpéce
d'hommage que vient de lui rendre l'Italie
en traduifant cet excellent Poëmè ;
l'admiration des gens de Lettres de toute
l'Europe ; l'impreffion qu'il fait dans
tous les temps & fur toutes les âmes ;
(g) MM. Rebel & Francoeur.
(h) V. la vie de Philippe Quinault , à la tête de
fon Théâtre , imprimé en 1715.
DECEMBRE . 1761. 163
་
tout confacre cet Ouvrage à l'immortalité
; tout nous autorife a le propofer
aux Poêtes du Théâtre lyrique comnie
un de ces points éminens vers lefquels
on doit toujours tendre, même en défefpérant
d'y atteindre .
La Mufique d'Armide n'eſt pas moins
fublime dans fes chants que l'eft le Poëme
dans toute fa conftitution . Il ferait
donc à defirer que ce genre feryît fans
ceffe de modéle & de guide aux Muficiens
dramatiques. Le Rofcius de la
France , le fameux Baron , fi jaloux de
la fupériorité de fon talent , avouoit
avec une forte de dépit , qu'après y avoir
fouvent penfé & fait bien des recherches,
il n'auroit pu trouver une déclamation
plus jufte & en même temps plus fenfible
que celle des chants de cet Opéra.
Malgré les efforts ridiculement manifeftés
(i) d'un parti oppofé augaut le plus
fpirituellement raifonné , l'efpéce de fu-
( i ) A la cinquiéme repréſentation , on profita
de la foule extraordinaire des Spectateurs , pour
exciter dans le Parterre une rumeur qui empêchoit
d'entendre les Acteurs. L'exactitude de la
Garde Royale , le bon ordre qu'elle fait obſerver
& le refpect qu'elle impofe , calmerent bientôt ce
tumulte , qui n'a pas été récidivé depuis.
164 MERCURE DE FRANCE .
reur avec laquelle tout le Public ſe porte
à cet Opéra,prouve bien qu'en Mufique
ainfi que dans tout autre art, la nature &
le fentiment ne fouffrent point de prèfcription
par le temps. La vérité d'expreffion
& la nobleffe des idées triompheront
toujours des frivoles innovations
qu'enfante le Caprice au défaut du
Génie . Si la manie de la mode
, trop
puiffante parmi nous , les accrédite un
jour , le jour qui fuit les voit anéantir.
Il eft dans toutes les Nations des folies
épidémiques qui fe fuccédent , mais
dont chacune n'eft pas incurable . Nous
avons cru pendant quelque temps les
Pantins indifpenfablement néceffaires
à notre amuſement , peut-être même à
une forte de confidération dans ce
qu'on appelle le bon-air. Nous vivons
promptement à préfent ; un fiécle n'eft
plus qu'un luftre , & chaque luftre a fes
Pantins. Ceux qu'on faifoit jouer contre
la fortune d'Armide , auront apparemment
le fort des autres , les fils en
paroiffent déja rompus . De nouveaux
progrès dans le talent de la danfe ayant
beaucoup étendu la compofition & l'exécution
des Ballets , on avoit déja fenti
la néceffité de profiter des nouvelles
richeffes d'un acceffoire fi agréable dans
DECEMBRE. 1761, 165
nos Opéra. En conféquence , on avoit
déja en plufieurs occafions adapté aux
plus excellens fonds anciens,des airs qui
en rendent les divertiffemens plus faillans
. MM. Rebel & Francoeur ont ajouté
de nouveaux morceaux à ceux qu'ils
avoient placés dans Armide en 1746.
Ces morceaux , dont la plus grande partie
eft de leur compofition , s'affortiffent
très-bien au fond ; quelques-uns paroiffant
même tenir au caractére fondamental
de l'ancienne Mufique , en profitant
néanmoins de l'agrément que
fournit aux Symphoniftes modernes
une éxécution bien plus facile & bien
plus étendue qu'elle n'étoit dans la
naiffance de l'Opéra : remarque importante
pour l'idée qu'on doit avoir des
reffources immenfes du génie de Lully,
puifqu'il a fçu produire les admirables
morceaux que l'on connoît de lui en
fymphonie , dans les bornes étroites
où le renfermoient celles de fon Orcheftre
.
Tout répond aujourd'hui, dans l'exécution
, à la beauté fupérieure de cet
Opéra. Les Acteurs en général femblent
avoir été infpirés par les mânes des
deux célebres Auteurs , pour en mieux
foutenir la gloire . Quelque mérités que
166 MERCURE DE FRANCE.
fuffent les applaudiffemens donnés à
Mlle Chevalier , dans le Rôle d'Armide
, à la précédente reprife , elle en mérite
encore bien davantage , & le Public
à cet égard lui rend la juftice la plus fatisfaifante
. Beaucoup d'accord entre
l'action du jeu & l'expreffion du chant ;
cette expreffion toujours analogue au
fentiment & à la fituation ; une modération
du volume de la voix , dirigée
avec intelligence pour en diftribuer les
forces à propos , & pour la foumettre
aux diverfes refléxions des paffions oppofées
dont ce grand Rôle eft rempli.
C'est ce qu'en général on reconnoît en
elle dans cet Opéra , & cequ'on applaudir
avec tant de raifon. Intéreffante
& patétique dans la tendreſſe
& dans la douleur ; noble & grande jufques
dans fes fureurs, elle attache & fufpend
l'âme dans le morceau , fi difficile
à bien rendre , enfin il eft en ma
puiffance &c. Elle intéreffe quand elle
exprime l'amour le plus tendre ; elle
attendrit ; elle fait verfer des larmes
à la fin du cinquiéme Acte , lorfque
Renaud la quitte & qu'elle chante le
perfide Renaud mefuit, & c. Elle frappe
elle faifit de terreur & de pitié lorfque
le defefpoir livre Armide à la fureur,
D'ailleurs , toujours jufte d'action &
DECEMBRE. 176г . 167
toujours attentive à la Scène muette ,
Mlle Chevalier foutient l'intérêt de fon
Rôle ; & ce Rôle, le premier du Théâtre
lyrique ,bien faifi & bien rendu, eft fans
contredit celui qui doit faire le plus
d'honneur fur cette Scène.
M. Pillot , dont nous avons annoncé
les progrès fucceffifs , prouve dans
le Rôle de Renaud combien il étoit digne
d'encouragement , & en même
temps tout ce que peut furmonter la
perfévérance d'une laborieufe émulation.
Non-feulement il joue ce Rôle
avec la Nobleffe , le fentiment & la jufteffe
du débit néceffaires pour fixer l'attention
& pour intéreffer le coeur, mais
de plus , il le chante avec tant de talent,
qu'il a forcé la Prévention à l'applaudir,
& la mauvaiſe volonté à fe taire . Il fe
fait écouter dans le morceau de chant ,
plus j'obferve ces lieux &c , avec un filence
qui, indépendament de l'extrême
beauté de cette Mufique , eft garant du
plaifir que produit l'art & l'adreffe avec
lefquels il en rend tous les agrémens .
Dans le cinquiéme Acte il a faifi trèsbien
toute la fenfibilité & l'intérêt du
Dialogue de la premiere Scène. A la fin
de cet Acte , lorfque Renaud , preffé
par les Chevaliers Danois , fe laiffe ar168
MERCURE DE FRANCE.
racher aux pleurs d'Armide prefque
mourante , M. Pillot feconde alors avec
tant d'âme l'action & la déclamation
touchante de Mlle Chevalier ; le jeu de
Fun & de l'autre eft fi vrai , leurs expreffions
fi attendriffantes , que tous les
Spectateurs font du parti d'Armide contre
la Gloire , & admirent en gémiffant
le courage de Renaud. Cet A&teur enfin
vient de réunir tous les fuffrages ; le
Rôle de Renaud eft un vrai triomphe
pour lui . Il est peu de Sujets , même
entre ceux que des dons naturels rendroient
les plus chers au Public qui
puffent difputer aujourd'hui de fupériorité
avec M. Pillot dans l'art du
chant dramatique ; genre qui doit être
bien diftingué de tout autre , fans quoi
il arriveroit que le Spectateur glacé admireroit
en s'ennuyant le Chanteur ou
la Cantatrice , & que le plus bel Opéra
tomberoit au milieu des applaudiffemens
qu'on donneroit à la voix.
,
M. Quinault a laiffé un vuide , dans le
quatriéme Acte , très- néceffaire pour le
repos de l'Actrice qui repréfente Armide
; néceffaire même pour ne pas of
frir fans interruption les objets de l'intérêt
principal . Ce vuide devoit apparemment
, dans l'intention du Poëte ,
être
DECEMBRE. 1761. 169
,
être rempli par le preflige des machines
pour figurer celui de la magie
& éffrayer les Chevaliers Danois. Des
Gouffres ouverts des Volcans , des
Monftres de toute efpéce font indiqués
Far les paroles. On remplira quelque
jour fans doute cette idée , ce qui pour
roit occuper beaucoup le Spectateur .
mais le jeu des Monftres a befoin d'être
perfectionné à notre Opéra. Quelques
effais qu'on en ait fait jufqu'à
préfent, ils n'ont produit qu'un petit effet
, qui les expofoit à la dérifion . On
a donc très-fagement fait & très-heureufement
pour la fatisfaction du Public
, de fubftituer l'agréable au terrible
dans cet Acte. C'eft celui où l'on a
placé le plus de Mufique ajoutée. Lorfque
Mlle le Miere , fous le nom de Lucinde
, tente d'enchanter les Chevaliers
Danois , ce projet eft pleinement accompli
fur tous les Spectateurs ; ce qui
contribue beaucoup à l'illufion & remplit
bien le Sujet. Dans les airs quelle
chante , elle imite ou plutôt elle furpaffe
de beauco p ce qu'on peut imaginer de
délicateffes & d'agrément dans le ramage
des oifeaux d'un lieu enchanté. Son
art , la qualité de fon organe , cet aimable
accent de la jeuneffe , qui l'em-
A H
170 MERCURE DE FRANCE.
bellit encore , tout produit un charme
délicieux , auquel ajoute celui de fa figure
. On peut dire , fans outrer l'ima→
ge , que ce font les grâces qui chantent
l'amour & fes plaifirs . Il n'y a que les
Chevaliers Danois , alors , qui, par un
pouvoir furnaturel, fe dérobent à cette
aimable féduction.
M. Gelin , dont la voix & les talens
font en poffeffion de plaire au Public ,
rend très-bien le Rôle d'Hidraot & celui
d'Ubalde. Il met dans le premier
toute la dignité convenable à l'âge & à
la qualité du perfonnage , & dans le fecond
cette fermeté d'un guerrier qui
ne connoît d'autre intérêt que celui de
la gloire & d'autres foins que de la
fuivre .
Dans le Rôle d'Aronte M. Larrivée
meurt d'une maniere intéreffante pour
revivre avec éclat dans celui de la Haine
, au troifiéme Acte. Indépendamment
du grand effet que produit dans
ce Rôle la belle qualité de fa voix , il
eft rentré de jour en jour avec plus de
fuccès dans la chaleur d'action qui doit
animer ce caractère . Il s'eft approché
même, dans quelques parties, de l'énergie
qu'y mettoit M. Dechaſe. Modéle
recommandable en toute action du
DECEMBRE. 1761. 171
genre de celle- ci , où il faut rendre aux
yeux le tableau que le Poëte & le Muficien
tracent à l'efprit.
L'Orchestre & les Chaurs ont auffi
leur part au fuccès d'Armide. Ils contribuent
toujours fans doute au bel enfemble
de l'exécution ; mais en certaines
occafions , comme dans celle- ci , ils
ont des momens diftingués & pour ainfi
dire , en propre . Lorfque les Chours,
à la fin du premier Acte , fe joignent
au Duo d'Armide & d'Hidraot : Pourfuivons
jufqu'au trépas &c. Un chant
vif,ferré & précis eft accompagné d'actions
tumultueufes par tous les Acteurs
du Choeur , qui font fentir avec quelle
ardeur & quel zéle ils partagent la fureur
des principaux Perfonnages. Rien
de mieux imaginé , rien de plus frappant
& qui faffe plus d'impreffion für
le Public ; les plus grands applaudiffemens
matquent fa fatisfaction . Bornés
autrefois au feul exercice du chant , les
Acteurs des Choeurs , dans leur immobilité
jettoient du froid & très-fouvent
du ridicule fur les fituations les plus pathétiques
& fur les coups de Théâtre les
mieux concertés . On avoit déja éſſayé
de mettre en jeu ce corps dont on pourroit
tirer avantage pour les grands Ta-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
un peu
bleaux de la Scène. On y avoit même
réuffi ; mais que les progrès font
lents , quand on a pour obftacles de
vieilles pratiques tranfmifes par fucceffion
! Ce dernier fuccès fait efpérer
qu'on s'attachera à en mériter d'autres
par le même moyen.
Tout le monde connoît la réputation
de l'Orcheftre de l'Opéra . Tout le
monde fçait de quelle confidération eft
ce Corps de Symphoniſtes dans l'ordre
des talens . Les difficultés de la plus grande
exécution & de la plus fçavante pratique
, fatisfont de fa part, mais n'étonnent
plus. Ce qui fe fait remarquer avec
tant de diftinction , ce qu'on auroit peine
à trouver ailleurs , c'eft le vrai tact
de certains morceaux , anciens fans jamais
devenir furannés , de ce goût dont
on voudroit aujourd'hui écarter l'oreille
, mais dont l'âme fe rapproche
avec empreffement dès qu'on le lui repréfente
; c'eſt cette union parfaite, qui
de tant de fons divers ne produit qu'un
feul & même fon ; c'eſt ce moelleux de
l'archet ; cette volupté dans le toucher ;
cet art de faire parler au coeur le bois
& les cordes ; c'eft enfin ce qu'on écoute
avec délices & ce qu'on applaudit
avec enthoufiafme , dans plufieurs enDECEMBRE.
1761. 173
droits d'Armide , particulierement au
deuxième Acte. On a remarqué qu'il
n'y avoit prèfque que les Opéra anciens
, furtout ceux de Lulli , qui pro
curaffent à l'Orcheſtre cet agréable témoignage
d'une fatisfaction particuliere
du Public , marquée par de grands applaudiffemens
.
Les Ballers en général font très-grand
plaifir & foutiennent la réputation de
leur ingénieux Compofiteur. Ils ont la
Nobleffe relative au genre de l'Opéra ;
cette nobleffe eft ranimée dans quelques
Actes, par une forte de gaîté ˆmé→
nagée de maniere à amufer, fans diftraire
le goût.
M. d'Auberval , eft applaudi au premier
Acte , avec diftinction , & cette
diſtinction eſt une juftice . Les applau→
diffemens qu'il reçoit ne font plus feulement
d'efpérance & d'encouragement ,
ce font des fuffrages de Connoifeurs
& une fatisfaction générale , des talens
de ce nouveau Sujet.
On ne fçauroit donner trop d'éloges
à M. & à Mlle Veftris dans leur pas de
deux pour l'enchantement de Renaud.
Jufqu'alors , par le plus abfurde des
contrefens , les meilleurs Danfeurs &
Danfeufes , paroiffoient ne danfer que
Hij
174 MERCURE DE FRANCE .
pour s'enchanter mutuellement & pour
mandier des applaudiffemens au Parterre
en lui adreffant leurs actions
les plus féduifantes ; au contraire , dans
ce pas de deux , M. & Mlle Veftris ne
perdent jamais de vue le lit où repofe
Renaud. Tout ce que leur Scène pantomine
a d'agréable & de voluptueux eft
dirigé fur cet objet . S'ils s'en éloignent
detemps en temps , ce n'eft que pour fe
confulter , fe communiquer de nou
veaux charmes ; ainfi l'illufion eft entiere
. Leurs talens méritent toutes nos
louanges ; mais nous croyons en devoir
encore de plus diftinguées , au fentiment
de goût qui leur a fait facrifier
les applaudiffemens de la multitude à la
noble émulation d'en mériter de plus
flatteurs & d'introduire le raifonnement
dans cet agréable talent.
Le Spectacle que forme la fuite de la
Haine , eft très-bien entendu par le Ballet
& exécuté avec beaucoup d'applaudiffemens
par M. Delaval. Il avoit déjà
enrichi de plufieurs inventions très-ingénieufes
& d'une quantité d'actions
variées & caracteristiques le genre infernal
, qui avoit auparavant à-peu-près
toujours la même marche.
M. Lany danfe un Paftre au quatrié
DECEMBRE. 1761. 175
Ime Acte . Il ne falloit pas moins que fes
talens & tout l'agrément qu'il met dans
ce genre de danfe pour diftraire le Public
du regret de n'y pas voir Mlle Al-
Ilard , tombée malade avant la premiere
repréfentation & qui doit danfer avec
M. Lany. ce même caractère en pas de
deux. M. Veftris , dans la Paffacaille qui
termine les Ballets, au cinquiéme Acte ,
y fait admirer des talens & un genre de
danfe dignes du genre fublime de cet
Opéra.
Mlle Lany qui danfoit au quatriéme
Acte étant tombée malade après la premiere
repréſentation , fon abſence du
Théâtre & celle de Mlle Allard ont
privé le Public en même temps du talent
le plus fupérieur & du talent le plus
agréable. Cependant , quelques regrets
qu'on ait eus de cette privation , il
femble qu'elle ait tournée à la gloire
de l'Opéra d'Armide , puifque les repréfentations
n'en ont pas été fuivies avec
moins d'affluence ; ce qui ne feroit pas
arrivé peut-être dans une grande partie
des Opéra modernes.
Le Spectacle eft dans toutes fes parties
un des plus riches & des plus fomptueux
qu'on ait vû fur le Théâtre de
l'Opéra . Le Public de Patris jouit , en
H iv
176 MERCURE DE FRANCE .
cette occafion,de toute la magnificence
que pourroit offrir la plus brillante Cour
de l'Europe dans un temps de Fêtes .
>
Tous les habits des Choeurs & de la
Danfe fe difputent de richeffe , de goût
& de ga'anterie. On n'en jugeoit autrefois
que par leur brillant ; devenus
plus difficiles depuis qu'on a fenti le
prix des convenances fur nos Théâtres
& la néceffité d'opérer la parfaite
illufion on examine les Habits fur
des principes plus honorables pour l'efprit
des Spectateurs & pour le raifonnement
de ceux qui dirigent cette partie.
L'habit d'Armide a été trouvé de la plus
grande beauté , riche , de grande maniere,
convenable au genre & à la Nobleffe
de la taille de l'Actrice ; mais on
a été un peu furpris de voir des Chevaliers
François , armés de toutes piéces
avec cuiraffes , braffars , cuiffars de fer
&c. avoir les jambes couleur de chair
& des brodequins à l'antique ; ces Critiques
ont penfé auffi que la mante volante
attachée fur une épaule , telle
qu'on la voit aux Dieux & aux Héros
des anciens , ne s'affortiffoit pas bien à
-l'Armure de Chevalerie. La comparai
fon des Chevaliers croifés dans les repréfentations
deTancréde,dont l'habilleDECEMBRE
. 1761. 177
ment a été approuvé fi généralement , à
la Comédie Françoife, a pu donner lieu
à cette obfervation . On doit auffi , par
juftice, imputer ces petits contre-fens au
joug qu'impofe encore l'ancienne opinion
du Public , de croire que le Théâtre
de l'Opéra ne peut admettre que des
chofes qu'on y a toujours vues & feroit
moins pompeux s'il étoit plus exact fur
toutes les vérités de repréfentations.
Les décorations , non-feulement par
leur nombre & par leur éclat , mais par
le mérite de l'art, exigent une attention
particuliere. Celle du premier Acte , qui
repréfente uue Place publique ornée
d'un Arc deTriomphe, eft d'unbeau gen
re d'Architecture, correcte & pure dans
route fon ordonnance ; l'Arc de Triomphe
phe eft très- bien traité , & indique de
bonnes études des monumens de l'Antiquité.
L'invention & le deffein de
cette décoration font de M. Giraud.
Elle eft exécutée fort heureuſement
tant pour lajufteffe destons, que pour leur
accord & la vérité des effets. La Campagne
du deuxième A&te , où l'on doit
voir une rivière former une Ifle agréable
, eft un Payfage gracieux dans fa
compofition , mais dans l'exécution
duquel on apeut- être facrifié aux- effets
酱
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
pittorefques , la fraîcheur de la verdure ,
qu'exigeroit l'intention du Poëme . C'eſt
le lieu où Renaud doit être féduit & enhanté
, c'est pour ainfi dire le féjour
de l'Amour & de la Volupté. La jeuneffe
de la nature y paroîtroit plus convenable
que les diverfes couleurs dont elle
pare fon Automne Ce fleuve , fur lequel
eft établi tout le beau monologue
de Renaud , eft toujours l'objet le moins,
apparent ; on ignore pourquoi dans
tous les temps qu'Armide a été donné
de nos jours , on a fi fort négligé ce
fleuve ; apparemment que dans la fuite.
il trouvera plus de faveur auprès des Décorateurs
qui traiteront ce Sujet. Un vé-,
ritable chef-d'oeuvre de l'art,admiré fansréferve
de tous les Connoiffeurs & qui ;
ne peut trop l'être du Public , eft le Défert
du troifiéme A &te . Les Amateurs
croyent voir,en grand, un beau Payfage,
de Salvator Rofa , & tout le monde y
voit la Nature fidélement rendue , dans
un lieu dont l'horreur a les plus grandes
beau tés. La convenance de ce lieu aux
évocations infernales eft fenfible au premier
coup d'oeil. Ce mérite , de relation
des lieux aux actions , doit être pour le
Théâtre le premier de tous. Indépendemment
d'aucun rapport , l'exécution
DECEMBRE. 1761. 179
pittorefque de ce morceau eft admirable.
L'accord des tons , les beaux effets
de lumière , la fonte des teintes , produifént
une telle illufion que les yeux ne
peuvent foupçonner la divifion des chaffis
fur les aîles ; ce n'eft plus de chaque
côté qu'une feule & même maffe de rochers
. Le Ciel eft à l'uniffon de ce lieu
de terreur & complette l'enfemble de
cette étonnante décoration . ( k ) C'eſt à
M. Baudon , l'un des Peintres qui tra
vaillent pour l'Opéra , qu'eft dû l'honneur
de ce chef-d'oeuvre de Peinture en
détrempe . La Campagne du quatriéme
Acte eft la même que celle du fecond ,
dont nous avons déjà parlé , à l'excep
tion du fond qui repréfente un extérieur
de Palais , vu dans l'éloignement .
Le Palais enchanté d'Armide , de la
compofition de M. Boucher , préfente
l'image d'un vafte & bel Edifice , percé
au fond par de grandes Galleries en
points de vue de côté. Il eft traité entierement
en Architecture naturelle
c'est-à- dire , fans rien indiquer de magique.
C'eft aux Amateurs du Théâtre
a difcuter fi ce genre étoit le plus convenable
& le plus conforme à l'idée du
( A ) Le deffein du fond eft de M. Boucher.
Hvi
180 MERCURE DE FRANCE .
,
Poëte . C'est aux Artiſtes & aux Connoiffeurs
à examiner d'après les loix févéres
de l'Architecture , la régularité des
parties qui compofent ce Palais & les
beautés de leur effet , ou les défauts
s'il y en peut avoir. Nous ne devons
rendre compte que de l'impreffion générale
qui a toujours été favorable à
cette décoration , laquelle eft très bien
peinte , & dont la richeffe frappe agréablement
tous les yeux. L'enchantement
retrouve fes droits & reprend tout fon
pouvoir dans la deftruction de ce Palais .
Des Démons , armés de torches infernales
, accourent aux derniers ordres
d'Armide. Un bruit femblable à celui
dutonnèrre fe fait entendre.A travers un
déluge de feu , qui pénétre les plafonds,
& couvre le Théâtre , Armide s'envole
fur fon char. Tout s'enflâme , tout s'écroule
& fe brife ; des colonnes , des
archivoltes de relief rompues , forment
des monceaux de ruines que les flâmes
dévorent. Une repréfentation en peintu
re des ruines brûlantes duPalais, remplace
fubitement la précédente décoration ,
par un changement que l'on n'apperçoit
pas . Elle accompagne les ruines & le feu
téel des parties en relief. Cette décorarion
, une des plus belles en ce genre ,
DECEMBRE . 1761 .
181
termine ce grand Spectacle , & réunit
les fuffrages des Connoiffeurs à l'admiration
univerfelle du Public. Elle eft
de la compofition de M. Pietro Algieri,
Penfionnaire & Entrepreneur en chef
des décorations de ce Spectacle.M . Lal
lemand, par qui cette décoration a été
admirablement peinte , doit en partager
l'honneur. Le fuccès du preftige de
ce Spectacle eft dû au génie & aux
foins de M. Giraud , qui a dirigé la conftruction
des parties de relief , leurs brifures
& les formes convenables pour
s'affortir avec les parties plates . C'eft
lui qui a trouvé les moyens d'introduire
toute cette maffe , enla faifant fortir
de deffous le Théâtre , & d'opérer
, par le jeu des Machines , tout le
prodigieux effet de la deftruction.
On a continué fur le même Théâtre ,བྱ་
les Jeudi depuis la S. Martin , les repréfentations
de Camille , Tragédie . Mlle
Rozet , dont la voix a été fi applaudie
dans fon début , a chanté le rôle de Camille
& donne de nouvelles efpérances
fur fes talens.
182 MERCURE DE FRANCE .
COMÉDIE
FRANÇOISE.
LEE Samedi 31 Octobre , on a remis
le Sage Etourdi , Comédie en 3 Actes
en vers par feu M. de Boiffy , repréfen
tée pour la premiere fois en 1745. Cette
Piéce n'avoit pas eu alors le fuccès
qu'elle méritoit. ( a ) Elle eſt agréable ;
l'intrigue , quoiqu'un peu forcée , en
eft amusante , & elle a fait affez de plaifir
, à cette repriſe , pour croire qu'elle
entrera dans le nombre des petites Piéces
que l'on donne alternativement fur
ce Théâtre dans le courant de l'année.
Les talens des Acteurs ont contribué
beaucoup à cette réuffite. Une Veuve
fenfée , mais affez jeune encore pour
plaire , & dont le coeur n'eft pas infenfible
, malgré la maturité de l'efprit &
l'honnêteté de moeurs qu'elle fait voir,
a une niéce fort jeune , fort vive , &
que fon étourderie apparente devroit ,
à ce qu'il femble , éloigner de toute
efpéce de goût raifonné. La niéce eft
promife & prèfqu'accordée au jeune
( a ) Cette Comédie avoit eu 7 Repréſentations
dans fa nouveauté,
DECEMBRE. 1761. 183
homme qui donne le nom à la Piéce
c'est-à-dire à l'Etourdi , appellé Sage ,
parce que tout ce qu'il hazarde le conduit
aux fins qu'il s'eft propofées. Les
deux jeunes Accordés conviennent réciproquement
de faire en forte que l'u
nion projettée entr'eux n'ait pas lieu.
Le jeune Etourdi prend la rupture fur
fon compte , & c'eft des reproches les
plus amers qu'il reçoit de la tante à ce
fujet , qu'il prend occafion de lui faire
pour elle-même la déclaration des feux
les plus ardens & , de la paffion la plus
obftinée . Cette tante reçoit cet aveu
d'abord en plaifantant ; le jeune Etourdi
s'obſtine à l'affurer qu'elle l'écoutera
favorablement ; la tante elle-même n'en
croit rien alors , & finit au dénoûment
par fentir qu'elle fe trompoit, & qu'elle
avoit trop compté fur fa raifon. D'un
autre côté , la niéce a conçu du goût
pour une espéce de Philofophe du monde
dont le fyftême eft de fuir tout en-,
gagement , même ceux qui n'obligent
que volontairement ; à plus forte
raifon les liens de l'hymen. Un Valet ,
caractére fingulier dans la Comédie ,
fortifie ce Philofophe dans cette réfolution
, & tâche même par fes intrigues
de détourner fon Maître de tout ce qui
A
184 MERCURE DE FRANCE.
pourroit le faire donner dans le piége.
C'eſt la petite niéce , qui fans s'en ap
percevoir , fait elle-même les premieres
avances de la déclaration à ce Philofophe
, c'eſt fon caractére enjoué & ne
pofant fur rien , qui décéle le fecret
de fon inclination , & qui développe
en même temps celle du Philofophe
pour elle. Le jeune Etourdi anime &
favorife cette intrigue, pour le fuccès de
fes defirs auprès de la tante ; & d'étourderies
en étourderies , parvient enfin à
déterminer une forte d'échange , en
époufant la tante & en faifant époufer
la niéce au Philofophe .
Nous ne donnons cette efquiffe
de la Piéce que pour mettre ceux qui
ne la connoiffent pas en état de mieux
fentir le prix du talent des Acteurs
qui l'ont fait réuffir. On doit convenir
, par exemple, combien il faut d'intelligence
dans le Rôle d'Eliante ,
qui eft cette tante raifonnable &
fenfible , pour foutenir ce caractére de
maniere que le Spectateur lui pardonne
, pour ainfi dire , la ſurpriſe de l'Amour
contre fes propres réflexions ; &
pour la rendre intéreffante lorfqu'il ne
faudroit qu'une maladreffe dans la
moindre partie de ce Rôle , pour le ren
DECEMBRE. 1761. 185
dre ridicule. Mlle Préville , chargée de
ce Perfonnage , l'a fait goûter & l'a
rendu un des plus intéreffans de cette
Comédie. M. Molet , dans le Rôle du
Sage étourdi
a juftifié pleinement
tout ce que nous avions précédemment
avancé en faveur de fes ta'ens . Il faut
tout le feu qu'a mis ce jeune Acteur
dans ce Rôle , pour produire une efpéce
d'éblouiffement à l'efprit des Spectateurs
, comme l'Auteur le fait produire
à celui des Perfonnages de l'action.
Il faut auffi que ce feu foit raifonné
par l'Acteur , pour que l'on foit
féduit & non pas feulement étourdi par
les incartades qu'il y a dans fon Rôle ;
c'cft ce qu'a très - bien exécuté M. Molet.
Mlle Huffe a joué la jeune niéce
dans le fens prefcrit par le Rôle , & y
a reçu des applaudiffemens . Le raifonnement
que met toujours M. de Belcourt
dans fes Rôles luí a fervi à
nuancer fi bien la caufticité de l'efpéce
de Philofophe mondain qu'il repréfentoit
, qu'il a rendu ce Role très-agréable
pour le Public , & qu'en même
temps , fans forcer la vraiſemblance
il paroiffoit pouvoir l'être auffi à la
jeune perfonne qui le préfére. Il feroit
fuperflu de dire combien M. Préville à
,
>
186 MERCURE DE FRANCE.
fait valoir le petit Rôle de Valet , &
combien le Public regrette toujours
que les Rôles qu'il joue ne foient pas
les plus longs dans toutes les Comédies.
On a remis auffi le Lundi 2 Novembre
, l'Ecole des Amis , Comédie en cinq
Actes en Vers , par feu M. de la Chauffée.
Repréfentée pour la premiete fois
en 1737. Elle eut alors douze repréfentations,
& avoit été interrompue à la
dixiéme par l'indifpofition d'un Acteur.
Cette Piéce , un peu froide , par la
nature même de fon Sujet & par des
moralités , fi l'on peut dire , trop dogmatiques
pour le Théâtre étoit faite
cependant pour être remife & pour
refter für le repertoire. Elle a été applaudie
; & fi elle ne foutenoit pas un certain
nombre de repréfentations de fuite,
elle fera toujours plaifir lorfqu'on la reverra
de temps en temps. Les caracteres
en font bien traités & bien foutenus.
Le Rôle de l'Ami , dont le zéle indifcret
brouille tout , quoiqu'il ait de tout
temps eu des modeles dans le monde
eft véritablement neuf fur la Scène
par le jeu que l'Auteur lui a donné
dans l'action de la Comédie. Le perfonnage
de Dordane eft un portrait
DECEMBRE . 1761. 187
quoiqu'un peu chargé , de ces amis
frivoles , qui fervent par bienséance &
par vanité , mais qui tournent à leur
avantage les malheurs de ceux qu'ils
affectent d'aimer . Celui de Monrofe eft
celui d'un homme vraiment de qualité ,
dont la Nobleffe efl encore plus dans
l'âme que dans les titres & dans la naiffante
, & qui fous le poids de la plus
grande infortune , ne s'écarte jamais de
la plus honnête & de la plus exacte probité.
Celui d'Arifte eft celui d'un ami
fage & tendrement attaché , d'un ami
bien rare , & fait pour honorer l'humanité.
Le caractere d'Hortenfe eft rempli
d'élévation & de fentiment. Jufqu'au
Rôle de la Soubrette , quoique peu important
dans l'intrigue , a le mérite de
l'amitié fincère d'une Suivante pour une
Maîtreffe refpectable. Les détails font
plaifir ; les moeurs y font pures & préfentées
dans le plus beau jour.
Le Rôle de Monrofe a fait beaucoup
d'honneur à M. de Bellecourt. Il l'a joué
précifémen comme nous venons de dire
qu'i étoit écrit , en homme de qualité
& non pas en homme qui en affecte les
airs & le maintien qu'il défigure. Il a
rendu ce perfonnage intéreffant fans le
188 MERCURE DE FRANCE.
rendre pleureur , ce qu'il eft difficile de
bien faifir dans la plupart des Rôles dé
l'Auteur de cette Piéce ; enfin la gêne
d'un bras en écharpe qu'exige le Rôle ,
eft devenue par fes foins un moyen de
plus pour donner à fon action une certaine
Nobleffe diftinguée & plus touchante.
Tous ceux qui connoiffent la
Comédie , en réfléchiffant fur ce Rôle, en
fentent mieux les difficultés & par con
féquent le mérite d'y réuffir .
M. de Bonneval qui prend & qui mé
rite de plus en plus la faveur du Public
dans fon emploi , a fait plaifir dans le
caractére d'Aramont, & a très - bien rendu
le comique dont ce Rôle eft fufceptible
.
Celui d'Arifte a été débité par M.
Blainville avec une jufteffe de raifonnement
qui lui a mérité des applaudiſſemens.
Le Rôle intéreffant d'Hortenfe étoit
rempli par Mlle Gauffin ; celui de la
Soubrette étoit devenu important au
fuccès , parce que Mile Dangeville le
jouoit , & celui de Dordánne , dont
nous avons expofé le caractére , étoit
joué par M. Grandval. Ces trois perfonnes
font dans une fi longue poffeffion
de l'admiration publique, que cela nous
DECEMBRE . 1761 , 189
difpenfe de tous détails à leur égard,
Les nommer , c'eft en dire plus à nos
Lecteurs , qui connoiffent leurs talens ,
que
que les éloges que nous aurions lieu
d'en faire . Perfonne ne doutera de la
part qu'ils ont euë à la réuffite de cette
repriſe.
Dans le nombre des Piéces qu'on a
jouées fur le même Théâtre depuis l'Article
de notre dernier volume. L'Ecof
foife , cette Piéce fi célébre par le plus
grand de tous les fucces , a été revue
avec très-grand plaifir. Les motifs de ce
fuccès font trop bien fondés dans l'efprit
du Public , pour ne pas exciter tout
fon empreffement toutes les fois qu'on
la redonne .
Le Mercredi 25 Novembre on a remis
Heraclius , Tragédie . Mlle Clairon
y a reparu dans le Rôle de Pulcherie.
Avec elle a reparu fur notre Scène le
grand Corneille dans toute fa gloire ,
puifqu'il étoit fecondé de fon plus bel
organe. On ne doute pas des applaudiffemens
qu'occafionne toujours la feule
entrée de cette grande Actrice fur le
Théâtre , lorfque fa fanté l'a contrainte
à s'en abfenter pendant quelque temps ,
Nous ne tenterons pas de donner une
190 MERCURE DE FRANCE.
idée précife de la perfection avec laquelle
cet admirable Rôle a été rendu.
En confultant l'impreffion que Mlle
Clairon y fait fur le Public , on pour
roit dire que le Spectateur y confond
fouvent dans fon admiration le fublime
du génie de l'Auteur avec le fublime
du talent de l'Actrice . Lorfque
Mlle Dumefnil a paru dans le Rôle de
Léontine , on ne fauroit dire avec quel
éclat le Public a marqué fa fatisfaction,
de voir réunir des forces fi puiffantes
en faveur de la Tragédie d'Heraclius
c'est-à-dire du plus grand & du plus
heureux effort de l'efprit humain . Qu'il
feroit à defirer pour la gloire de notre
Théâtre , & pour fes intérêts , que ce
voeu général & fi clairement énoncé
engageât quelquefois à donner la mê
me fatisfaction lorfqu'on met des Tragédies
dans lesquelles fe rencontrent
deux Rôles de femmes à-peu-près d'une
égale importance au grand fuccès. Mlle
Dumefnil reçoit les applaudiffemens les
plus flatteurs & les mérite tous dans les
grands traits dont fon Rôle eft rempli.
Le Spectateur équitable ne juge point
fur des comparaifons les grands talens
qui par des routes différentes tendent
au même objet , fçavoir de toucher &
DECEMBRE. 1761 . 191
d'émouvoir. Il couronne de fes fuffrages
toutes les fois qu'on atteint à ce
but glorieux ; heureux le genre de talent
qui y conduit plus fouvent & avec
le plus de certitude . M. le Kain a mis
dans le Rôle d'Heraclius ( crû Martian )
cette chaleur & cette âme qu'on lui connoît.
Le Rôle de Martian ( crû Léonce )
a été rendu par M. de Bellecourt , dans
le véritable fens de l'Illuftre Auteur de
la Tragédie. Mlle Dubois jouoit le Rôle
d'Eudoxe. M. Paulin celui de Phocas ,
M. Blainville , celui d'Exupére & M.
d'Auberval , dans celui d'Amintas , a
très-bien rendu la Scène où il
nonce la mort de Phocas. Il a reçu
les applaudiffemens qu'il méritoit . Toute
la Piéce en général a été jugée bien
jouée & admirablement dans les principaux
Rôles .. Cet ouvrage a furpris ,
étonné l'efprit , & fufpendu l'âme des
Spectateurs autant que s'il cût paru
pour la premiere fois ; auffi a-t- il été
univerfellement applaudi avec la même
vivacité. Nous fommes actuellement
dans un moment favorable au bon
goût. S'il étoit de cauftiques Cenfeurs
qui reprochaffent au Public de fe livrer
quelquefois à certains petits vertiges
momentanés , le fuccès d'Heraclius &
192 MERCURE DE FRANCE .
celui d'Armide feroient garants qu'au
moins il a d'excellens intervalles .
Le même jour 25 Novembre on
donna après Héraclius l'Ifle déferte ,
Comédie moderne , qui a eu du fuccès
dans fa nouveauté & qui a été revue
avec plaifir. Mlle Préville , Mlle Hus, M.
de Bellecourt , M. Mollet & M. Préville
ont joué dans cette petite Piece , dont
Ja repréfentation a été fort applaudie .
COMÉDIE ITALIENNE.
藿
LEE fameux Tableau de M. Greufe , fi
célèbre déja par l'empreffement du Public
au Salon & par les éloges de plufieurs
Ecrivains , a reçu un nouvel
honneur fur le Théatre , en donnant
lieu à une petite Comédie Italienne
, qui a dû fon principal fuccès au
goût univerfel pour ce charmant Ouvrage
, quoique d'ailleurs la Comédie
foit ingénieufement imaginée & gaîment
concertée . Les Comédiens italiens
donnérent la premiere repréfentation
de cette Piéce le 30 Octobre dernier
, fous le titre des Noces d'Arlequin
, dont voici le Canevas .
Arlequin , venant de Bergame pour
époufer
DECEMBRE . 1761. 193
époufer la fille aînée d'une famille , en
voyant la cadette qui lui plaît davantage
, la demande en mariage ; ce que le
pere & lamere ui accordent, mais ce qui
caufe beaucoup de jaloufie à l'aînée.
Pantalon , proche voifin de cette famille
a une fille amoureufe de Célio
auquel Pantalon ne veut. point la donner
en mariage . Camille , qui eft cette
fille cadette accordée à Arlequin , eft eſt
d'intelligence avec la fille de Pantalon
& s'engage, à la faveur de fon mariage
avec Arlequin, lorfqu'on fera leur noce ,
de furprendre Pantalon pour faire époufer
cette fille par Célio . Ce Célio s'eft introduit
avec fon valetScapin dans la maifon
de Pantalon tous les deux déguifés .
Arlequin prend de la jaloufie de voir
Célio déguifé , & de l'entendre parler
de mariage à Camille , ce qui lui fait même
concevoir le deffein de s'en retourner
à Bergame fans époufer ; mais lorfqu'on
lui a expliqué de quoi il s'agit ,
il fe raccomode avec Camille & l'on va
s'affembler pour la délivrance de la
dot & pour célébrer les Nôces . Un
rideau fè léve & laiffe voir le Tableau
de la Famille affemblée dans l'ordre
qui fuit ;
194 MERCURE DE FRANCE,
LE PERE.
LA MERE.
TABLE A U.
M. Desbroffes.
ROSAURA , foeur aînée , derrière
le fauteuil du Père.
M. Champville ,
travefti en femme
Mlle Savi.
CAMILLE , four cadette , Mlle Camille.
accordée à Arlequin.
LE PRETENDU , Arlequin.
3 Soeur , penchée fur l'épaule Mlle Dumalgé.
de l'Accordée ,
Le NOTAIRE ou Tabellion , M. Deheſſe.
Un petit Garçon .
Un autre plus grand.
Deux autres grandes Filles
& une petite.
Affiftans .
Perfonnages acceffoires
du Tableau
de M. Greufe .
Tous ces Perfonnages étoient dans
les mêmes habillemens & dans la même
difpofition que dans le Tableau d'où
l'on a tiré le Sujet de la Piéce , à l'exception
d'Arlequin fubſtitué , dans fon
habit de caractère ,au jeune Villageois
qu'a repréfenté M. Greuze.
A la fin du troifiéme Acte , Pantalon
furvient avec tous les Habitans du Vilage
pour célébrer la noce & faire
honneur aux Mariés. Dans la gaîté que
cela produit , Camille , par un lazzi , en
DECEMBRE. 1751. 195
mettant un mouchoir fur les yeux de
Pantalon , lui fait donner la main de fa
fille à Célio , & furprend fon confentement
pour ce mariage . La difpofition
de joie où fe trouve Pantalon lui fait
pardonner la furprife & tout le monde
fe réjouit par un Ballet qui repréfente
fort bien les réjouiffances d'une Nôce
de Village.
La compofition de cette Piéce eft de
de M. Collalto , Comédien Italien ordinaire
du Roi .
On n'a donné aucune autre nouveauté
fur ce Théâtre.
SUPPLEMENT à l'Article de l'Opéra
L E Jeudi , 26 Novembre , Mlle Cohendet
, qui avoit été ci-devant à l'Opéra
& qui , depuis plufieurs années ,
avoit quitté le Théâtre , a débuté par
un Air ajouté au divertiffement du premier
Acte de Camille. Malgré l'émotion
, dont l'effet étoit fenfio e , par le
vacillement de l'organe , elie a fait entendre
une fort bele voix , & de belles
cadences. On a cru même y reconnoître
beaucoup de progrès dans l'étude du
chant. On ne peu encore rien affärer
196 MERCURE DE FRANCE.
du fuccès de ce début ; on en rendra
compte dans le Volume prochain.
Le même jour , au quatriéme A &te
du même Opéra , Mlle Prudhomme ,
jeune Danfeufe , agréable au Public dès
fon enfance fur le Théâtre de l'Opéra-
Comique , a débuté fur celui de l'Académie
, dans le genre gracieux ; elle a
été applaudie & donne des efpérances ;
mais ce début eft dans le cas de tous les
autres fur lefquels il faut toujours attendre
, pour ne rien hazarder.
> LETTRE d'un Académicien de Rouen
à M. DE LA GARDE , Adjoint ar
Mercurepourla partie des Spectacles.
MONSIEUR,
L'exemple de la Capitale eft fuivi
dans les Provinces , on s'y empreffe de
prendre le ton qu'elle donne ; les embelliffemens
procurés à la Scène Françoife
, marqués au coin du bon goût ,
ne pouvoient manquer d'être imités.
M. le Comte de Lauraguais, Protecteur
& Cultivateur des Sciences & des Arts,
nepeut qu'être fatisfait de voir adoptés &
exécutés dans la Ville de Rouen les
DECEMBRE. 1761. 197
thangemens que fon génie & fa générofité
ont introduit au Théâtre de la
Comédie Françoife . Ces changemens
étoient depuis long- temps l'objet des
voeux de M. de Voltaire , comme cet
Apollon François l'a témoigné à M. de
Lauraguais par fes lettres publiques de
remerciemens. Le fieur Bernaut , Comédien
ordinaire du Roi , au Théâtre
François , Entrepreneur de la Comédie
à Rouen , a fignalé fon entrepriſe par
un renouvellement complet de la Salle
deſtinée au Spectacles. Le Jeudi 22
Octobre dernier il fit l'ouverture de
fon Théâtre par un début des plus brillans.
Avant la repréfentation , la toile
encore baiffée , le Public a eu le loifir
d'admirerune, Salle que fes changemens
peuvent faire paffer pour nouvelle , &
un fort beau rideau d'avant Scène qui
repréfente Melpomene & Thalie chacu
ne avec les emblêmes qui les caractérifent
, accompagnées de génies & d'amours
, avec la devife , una movet luctu
docet altera rifu.
La toile levée laiffa voir un Théâtre
tout nouveau , & femblable à celui de
la Comédie Françoife , une décoration
magnifique & du même ton que le refte
de la Salle avec lequel elle ne faifoit
}
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
qu'un tout, excita de juftes applaudiffe :
mens . Une baluftrade enferme les gradins
des deux côtés du Théâtre &
ceux qui les veulent occuper n'y peuvent
parvenir que par une entrée pratiquée
en dehors au haut des gradins ;
l'accès par les couliffes eft abfolument
interdit , la Scène enfin n'eft plus que
la Scène ; l'illufion eft ménagée dans la
plus grande exactitude ; les lumieres
pratiquées derriere les couliffes & dont
la réflexion éclaire le Théâtre, ont donné
lieu à l'Entrepreneur de fupprimer
les luftres de l'avant-Scène qui fuffiſent
pour détruire l'illufion . C'eft un avantage
qui manque encore à la Salle des
Comédiens François dans laquelle les
luftres offufquent les Spectateurs des
fecondes & troifiémes loges , & leur
dérobent une partie du Tableau dans
les fituations les plus intéreffantes .
La Tragédie d'Alzire avoit été choifie
pour début ; les Acteurs étoient habi'-
lés fuivant le coftume ; une nombreuſe
cohorte des So dats de la garnifon formoit
le cortégé de Gufman , & occu-
"L'Auteur de cette lettre ignoroit apparemment
que ces luftres venoient d'être fupprimés à la Comédie
Françoiſe , à la très grande fatisfaction du
Public.
DECEMBRE. 176 . 199
poit avec dignité un efpace devenu plus
grand par les utiles changemens de l'Entrepreneur
, & que l'art de la perfpective
faifoit paroître encore plus confidérable
. Rien ne fut épargé pour la magnificence
& la Nobleffe de l'exécution .
.
Il étoit jufte , Monfieur , qu'une Vi !-
le qui a donné le jour au Prince des
Poëtes Tragiques, eûr une Salle où l'on
pût repréfenter dignement les chefsd'oeuvre
Dramatiques. Nous jouiffons
aujourd'hui de cet avantage . Notre Salle
eft affez fpacieufe pour exécuter les
excellens ouvrages récens. Tancréde ,
Soliman fecond , & c. avec toute la
pompe & toute la majefté dont ils font
fufceptibles . Le Directeur nous en promet
la repréfentation . Il fe propofe auffi
de varier nos plaifirs , en invitant de
temps à autre des Acteurs & des Actrices
de Paris. Nous efpérons que ces
Comédiens célébres qui partagent l'immortalité
avec les génies fupérieurs
dont ils font l'organe , vifiteront avec
plaifir une Ville dans laquelle plufieurs
fe font formés & dont ils faifoient les
délices avant que la Capitale les lui eàt
enlevés .
J'ai l'honneur d'être & c.
A Rouen , le 28 Octobre 1761 .
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
CONCERT SPIRITUEL.
LE
a
E Concert de la Fête de tous les SS.
a commencé par une fymphonie avec
cors & clarinettes de M. Schenker. M.
Goffet a fait exécuter Dies fre , Motet
à grand Choeur. M. Caperon qui a
paru pour la premiere fois , à exécuté un
Concerto de Violon , qui lui a fait beaucoup
d'honneur . On a trouvé de la force
avec de la jufteffe dans fon jeu :
les fons qu'il produit , font beaux &
agréables. M. Larrivée a chanté Cante-.
mus , petit Motet de M. Mouret, M.
Balbatre a joué un de fes Concerto .
Mlle Lemiere & Mlle Fel ont chanté.
Le Concert a fini par le De profundis ,
Motet à grand Choeur de M. Mondonville
, auquel le Public a marqué fa fatisfaction
de le revoir après une maladie
qui avoit caufé fon abſence pendant
quelques Concerts .
DECEMBRE . 1761. 201
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
De KOSLIN , le 30 Septembre 1761 .
Le détachement laiffé ici par le Maréchal de
Butturlin , pour la garde du magalin qu'il y
avoit établi , n'étoit compolé que de deux bataillons
& de quelques Cofaques , aux ordres du Brigadier
Cherepow. Douze mille Pruffiens , commandés
par le Général Plathen , s'étant préfentés
à l'improvifte devant cette Ville , le fieur Cherepow
n'eut que le temps de former une barricade à
fes troupes avec les chariots de leurs équipages .
Quelque foible que fût ce rempart , elles repoufferent
les deux premières attaques de leur ennemis
avec une perte confidérable de fa part. Mais les
Pruffiens ayant dreflé dans un jardin , une batte➡
rie qui prenoit les Ruffes en flanc ; ces derniers
après s'être défendus trois heures & demie , & après
avoir épuifé toutes leurs munitions , furent obligés
de céder à la fupériorité du nombre. Sept à huir
cens hommes de leurs deux bataillons , ont été
faits prifonniers de guerre , ainfi que le fieur Cherepow
& deux Majors. Le reste s'eft retiré vers
Poman. Il y a eu fix cens foldats tués du côté des
Pruffiens , qui fe font emparés d'environ cinq mille
facs de farine .
Un autre magafin , que les Ruffes avoient à Kobielin
, a été enlevé auffi par un détachement den
troupes du Roi de Pruſſe
1 y
202 MERCURE DE FRANCE .
De STOCKHOLM , le 27 Octubre.
Les violentes tempêtes , qui ont régné depuis
quelques femaines dans la Baltique , avoient donné
de l'inquiétude pour l'efcadre du Roi. On étoit
informé que le 2 de ce mois , l'Efcadre Ruffe avoic
quitté la rade de Colberg, pour retourner dans
les ports de Ruffie, & l'on n'avoit aucunes nouvelles
de la nôtre , qui avoit dû lever l'ancre en même
temps , & revenir à Carelfcron . Le 22 , on a appris
qu'elle étoit arrivée au mouillage de HanoTans
avoir élluyé aucun dommage dans la navigation .
Sur la réquisition de l'Amiral Ruffe , on avoit laiffé
en arrière un Vaiffeau & une Frégate , deflinés
à croifer , avec deux Vailleaux , & deux Frégates
de Ruffie , à la hauteur de Colberg .
De COPPENHAGUE , le 17 Octobre.
On défarme la Flotte du Roi . L'Efcadre Raſſe
qui étoit devant Colberg , & qui , ayant été difperfée
par une tempête , s'étoit réfugiée fur les côtes
de l'Ifle de Boinholm , croife actuellement entre
cette Ifle , & la Poméranie .
De l'Armée du Feld Maréchal Comte de Butturlin ,
Stagardprès de Schiffelbein , le 20 Ottobre.
Quelques Troupes ennemies s'étant approchées
du Village de Weffenftein , pour tâcher de rétablir
la communication entre Stein & Colberg , le
Général Major Berg les attaqua le 16 au matin ,
& les mit totalement en déroute. Il leur enleva
un canon , & il fit prifonniers un Major , onze
autres Officiers , & quatre cens foixante Soldats.
Le reste du détachement Prullien fut poursuivijuf
qu'à Greiffenberg.
Aujourd'hui notre quartier général a été établi
DECEMBRE. 1761 . 203
à Stagard. Le fieur de Berg apris pofte à Plathen
& la Cavalerie de la divifion du Général Fermer
eſt allée camper à Daber .
De REGENWALDE , le 22 Öctobre.
Depuis plufieurs jours , le fieur de Plathen ,
Lieutenant-Général des troupes de Pruffe , occupoit
un Camp près du Village de Spire , a deux
lieues des lignes du Général Romanzow , & il
avoit poutlé fon avant-gardejufqu'à Greiffenberg.
La crainte d'être coupé par un Corps que le GénéralRomanzow
a détaché, l'a déterminé à quitter fa
pofition . Pour couvrir ſa marche, il avoit fait avancer
à Sargelow mille hommes , tant d'Infanterie,
que de Dragons & Huffards , fous les ordres du
Lieutenant Colonel Courbiere . Ce détachement
fut furpris avant hier par le Général Major Berg ,
qui l'a contraint de mettre les armes bas & de le
rendre à difcrétion . Nous nous fommes , en cette
occafion, emparés de cinq piéces de canon & d'un
obulier. Pendant que le fieur de Berg exécuteit (on
attaque , le Lieutenant- Général Plachen a gagné
Stetin , à la faveur des bois qui le déroboient à la
vue des Ruffes.
a
Du Camp de FREY BOURG , le 31 Octobre.
Le 19 de ce mois , il vint de l'Armée Ruffe un
Courier, dont les dépêches contiennent le détail
fuivant.
Le Major Général Berg , qui commande unt
Camp volant dans la marche Uckerane , ayang
été averti qu'un grand Convoi étoit parti de Stetin
, détacha le fieur Teckely , Lieutenant-Colonel
, avec un Régiment de Huffards & deux piéces
de canon , pour inquiéter ce tranſport. Le 12, 18 I vi
04 MERCURE DE FRANCE .
a cinq heures du matin, le fieur Teckely arriva devant
Golnow. Il y fut joint par deux Régimens de
Cofaques & par un détachement d'un Régiment
de Huffards Hongrois . Après quelques cannonades
, on chargea un Corps de Huffards Pruffiens
qui s'étoit mis en bataille à la droite de la Ville.
En mêmetemps , on pafla la riviere fur la gauche
& on tomba fur deux efcadrons de Dragons qui
furent rompus , & prèfque totalement taillés en
piéces. On enleva de ce côté quarante chariots
chargés de poudre, de bombes & de boulets, qu'on
fit fauter en l'air dans le moment . Les Ruffes prirent
auffi environ quatre-vingt chevaux ; à une
affez grande diſtance, on découvrit quarante- cinq
autres chariots également chargés de munitions
de On tira deffus à boulets rouges . La plû- guerre .
part fauterent en l'air , & le feu fe communiqua
au Fauxbourg de Golnow. Vers les dix heures du
matin , les ennemis évacuérent la Ville & reprirent
la route de Sterin. On les a pourſuivis , &
dans leur retraite , plus de cent chariots , à une
partie defquels ils ont mis eux-mêmes le feu , ont
été brûlés. De plus , les Ruffes ont trouvé à Golnow
dix mille tant bombes que boulets .
On a appris aujourd'hui que Sa Majesté Pruffienne
faifoit fortifier un Camp fous Jordans-
Mu hl.
De VIENNE , le 31 Octobre 1761.
LE 16 du mois dernier , à la recommandation
de leurs Alteffes Electorales Palatines , l'Empereur
vient d'élever au rang éminent de Prince de
l'Empireavectous fes defcendans de l'un & 'de l'aure
fexe , le Duc Charles - Hyacinte - Antoine de
Gallean , Prince Romain , Marquis des Iffarts
& de Salernes , Grand - Maître de la Maifon de l'EDECEMBRE.
1761. 205
lecteur Palatin & l'un de fes Confeillers intimes
d'Etat , Chevalier des Ordres de S. Hubert , de
l'Aigle -Blanc , des Saints Maurice & Lazare , & de
S. Jean de Jérufalem , & Sa Majesté - Impériale y
a joint les droits les plus diftingués . Ce Seigneur
qui eft né le 18 Septembre 1737 , n'a qu'une fille
née le 26 Mai 1751 , de fon mariage contracté le
17 Septembre 1758 avec Marie-Françoiſe - Henriette
de Montpezat ,fille de Jean-Jofeph- Paul- Antoi
ne Duc de Montpezat, premier Baron de la Province
de Dauphiné & de Marie-Juftine- Espérance d'Agoult
, Baronne de Montmaur.
La Prince de Gallean , Marquis des Iffarts & de
Salernes , Seigneur du Caftellet , de Courtines ,
des Angles, Chevalier de l'Ordre de l'Aigle- Blanc ,
Confeiller d'Etat , d'Epée en France , & fucceffivement
Amballadeur extraordinaire de S. M.T.C.
aux Cours de Warlowie & de Turin , mort à Avignon
le 18 Aout 1754 , âgé de trente-fept ans ,
& de feue Madeleine-Adelaide- Charlotte-Félicité
de Forbin , des Marquis de la Barbent & de Pontà-
Mouffon.
SA Majefté Impériale a élevé au rang de Comte
du Saint-Empire , le Baron de Bachoff , Envoyé
du Roi de Dannemark.
0619
smojus
zitz
De l'Armée de l'Empire , le 13 Octobre.
La Capitaine Offv a pris dans leComté de Mansfeld
, le château de Seebourg , dont la Garnifon ,
composée d'un Capitaine d'un Lieutenant & de
cinquante hommes , a été faite prifonniere.
LE Général Lucfinky a été détaché par le Maréchal
Comte de Serbelloni pour lever des contributions
dans le pays ennemi . L'Officier Pruffien
qui commande à Léipfick , marcha le 8 dans l'ef
pérance de le furprendre , mais il fut furpris lui206
MERCURE DE FRANCE.
même par le Baron de Lucfinky, qui étant allé à
fa rencontre avec l'élite de fon corps , ne lui a pas
donné le temps de tirer parti de fon artillerie. Infanterie
& Cavalerie , tout a été mis en déroute.
Rentré vainqueur dans Halles , le Baron de Lucfinsky
s'eft hâté de recueillir ce qui reftoit encore
à payer de contributions ; il a fait auffi contribuer
depuis la Ville & les environs de Scharpelen . De là
il vient d'entrer dans le Comté de Mansfeld . Pendant
les marches il a tué & bleſſe beaucoup de monde
aux ennemis : quatre-vingt Hullards qu'il leur
a enlevés , font arrivés hier à notre Quartier Général
.
De HAMBOURG , le 4 Novembre.
Les dernieres nouvelles de Pomeranie contiennent
les délaits fuivans. Après la retraite du Lieutenant
Général Plathen à Stetin , les Rulles ont
emporté un pofte que les Pruffiens avoient a Brontmole
: le Comte de Romanzow , ayant marché
le 23 du mois dernier à Treptow , a fait bombarder
cette Place pendant quarante - huit heures ,
& le 25 elle capitula . Le Commandant a été fait
priſonnier , ainfi que la garnifon composée de
feize cents foldats , & de cinquante deux Officiers.
Les Ruffes ont trouvé dans la Ville fix cens canon ,
un obuzier , & plufieurs chariots de munitions.
Un détachement de la même armée s'eft emparé
le 30 de Strepnitz ; mais la garniſon a trouvé
moyen de fe fauver fur des batteaux qu'elle tenoit
prêts à cet effet.
De RASTADT , le 22 Octobre.
Louis-George Margrave Régent de Bade Baden ,
eft mort aujourd'hui entre deux ou trois heures du
matin, dans la ſoizantiéme année deſon âge, après
DECEMBRE. 1761 . 207
une maladie de quatre mois . Ce Prince ne laiffe
de fon premier mariage avec feue Marie- Anne de
Schwart- Zenberg , que la Princeffe Elifabeth-
Augufte-Françoife âgée de trente- cinq ans. Le
10 Juillet 1755 , il avoit épousé en fecondes nôces
Marie-Jofeph , Princeffe de Baviere , fille de l'Empereur
Charles VII . Il a pour fucceffeur le Prince
Augufte Guillaume- George Simpertus, ſon frère,
Général des Armées de l'Empire.
Le Duc Frédéric Charles de Holftein- Ploen eſt
mort la nuit dù.8 au 19 à Hambourg , dans la
cinquante-fixième année. De fon mariage avec
Chriſtine Irmengade de Reventlàu , il a eu les Princelles
Frédérique Sophie Charlotte , âgée d'environ
vingt- cinq ans ; Charlotte Amélie , âgée de
dix-fept, & Louiſe Albertine , âgée de treize,
Par une convention , qui avoit été conclue, il y a
quelque temps , entre le Roi de Dannemarck &
le feu Duc de Holftein- Ploen le Duché de ce
nom doit être réuni aux Domaines de Sa Majefté
Danoiſe.
DeMADRID , le 3 Novembre.
Le 25 du mois dernier , la Cour célébra l'an
niverfaire de la naiffance de la Reine Douairiere >
qui eft entrée dans fa foixante- dixième année.
Le Roi a difpofé de la Commanderie de Villa-
Frarca , dans l'Ordre de Calatrava en faveur de
Don Diégue de Sylva , qui a eu une jambe emportée
& l'autre brifée par un coup de canon, en
fervant comme Volontaire dans l'Armée aux ordres
du Maréchal de Broglie. Sa Majeſté lui a fait
expédier en même temps un brevet de Colonel.
De GENES , le a Novembre.
On apprend de Corfe que Pafchal de Paoli a
208 MERCURE DE FRANCE.
fait attaquer Macinaggio pour la feconde fois , &
il n'y a pas eu plus de fuccès que la premiere. Il a
été repouffé de même de l'Algajola. Toutes les
Provinces Di là da monti le font féparées du
parti révolté , & celle de Fiumorlo a levé l'étendart
contre Paoli , & a appellé le Colonel Martinetti
, qui s'y eft rendu le 25 Octobre de la Baſtie.
Cette Place , bien loin d'être menacée , eft remplie
de troupes , & les Habitans defireroient que
Paoli voulût fortir de fes montagnes , pour venir
l'attaquer.
De la HAYE , le 6 Novembre.
Dès le 28 du mois dernier , le bruit s'étoit répandu
que les Naturels de l'Ifle de , Ceylan s'étoient
foulevés contre les Hollandois établis dans
cette Ifle , & les avoient prèfque tous malfacrés.
Cette nouvelle a été confirmée en Angleterre le
31 par un exprès dépêché de Baffora par terre
à la Compagnie Angloife des Indes.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée , de
Paris , &c.
DeVERSAILLES , le 19 Novembre 1961 .
L.Marquis de Grimaldi , Ambaſſadeur
Extraordinaire
de la Cour de Madrid , a remis au
Roi de la part du Roi d'Efpagne , pour Mgr le
Comte d'Artois , les marques de l'Ordre de la
Toifon d'Or , dont Sa Majefté a revêtu ce jeune
Prince.
DECEMBRE. 1761 . 209
Le Roi , en nommant le feur Berryer Garde
des Sceaux, a ordonné qu'il continuât ' e rempli
les fonctions de Secrétaire d'Erat ; & ce Miniftre
aura dans fon département les Généralités de la
Rochelle , de Poitou , de Soillons , du Berry &
du Rouffillon .
Sa Majesté a accordé le Gouvernement de
Neuf Brifack , vacant par la mort iu Maréchal
de Thomond au Marquis de Gauville , Lieutenant
Général des Armées de Sa Majefté , &
Commandant du fecond bataillon du Régiment
des Gardes Françoiſes.
Le Chevalier de Chatellux , Colonel du Régiment
de la Marche Province , a apporté au Roi
les Drapeaux de la garnifon de Wolfe butel,
Le 19 du mois dernier , le Chevalier de Fénélon
, Capitaine de Cavalerie , eut l'honneur de
préfenter à Leurs Majeftés , ainfi qu'à la Famillé
Royale , la Tragédie d'Alexandre , de fa compofition
.
Le premier de ce mois , le Comte de Saulx
Tavannes , Lieutenant- Général des Armées du
Roi , & Chevalier d'honneur de la Reine , prêta
ferment entre les mains du Roi pour la Lieutenance
Générale de Bourgogne aux Bailliages de
Dijon, d'Auxonne , de Châtillon & de Bar-fur-
Seine.
Le Marquis du Mefnil , Lieutenant- Général des
Armées du Roi , & Commandant en Dauphiné ,
a auffi prêté les fermens entre les mains de Sa
Majefté pour la Lieutenance Générale de cette
derniere Province.
Sa Majesté a donné l'Abbaye de faint Germain
d'Auxerre , Ordre de faint Benoît , Diocèse d'Auzerre
, à l'Abbé d'Argentré , Lecteur de Mgr le
Duc de Berry ; celle de Moleine , même Ordre ,
210 MERCURE DE FRANCE.
Diocèle de Langres , à l'Abbé d'Herbouville , Vi
caire Général de l'Evêché de Saint Omer ; celle
d'Ardoret , Ordre de Câteaux , Diocèle de Caltres,
à l'Abbé de l'Efcouet , Comte de Lyon , Vicaire
Général de Saint Pol de Léon ; celle de Boulancourt
, même Ordre , Diocèle de Troyes, à l'Abbé.
de Caftelanne , Vicaire Général de Chartres ;
celle de faint Michel de Tonnerre , Ordre de faint
Benoît , Diocèfe de Langres , à l'Abbé de Narbonne
Lara , Vicaire Général de Meaux ; celle de
Noyers , même Ordre , Diocèle de Fours, à l'Abbé
d'Hercé , Vicaire Général de Nantes ; celle de
la Réole , même Ordre , Diocèle de Torbes , à
l'Abbé de Charité , Vicaire Général de Leſcar ;
celle de Tonnay-Charente , même Ordre , Diocèfe
de Saintes, à l'Abbé Solon , Chapelain de Sa
Majefté ; & l'Abbaye Réguliere du Tréfor , Ordre
de Citeaux , Diocèle de Rouen , à la Dame Gabrielle
Venture de Pontevez , Religieufe du Verbe
Incarné d'Anduze , Diocèle d'Alais.
Le Comte de Saint Florentin a préſenté au
Roi les Planches Anatomiques de la feconde diftribution
du Supplément donné par le fieur Gau
tier.
Le 12 , le Roi a pris le deuil pour douze jours:
à l'occafion de la mort du Margrave de Bade Baden.
Monfeigneur le Dauphin portera ce denil
quelques jours de plus .
Le Marquis & la Marquife d'Urban de Gléon
ont été prélentés a Leurs Majeítés , ainfi qu'à la
Famille Royale.
L'Abbé de Burle de Curban préfenta , il y a
quelques jours , au Roi , à la Reine , à Monfeigneur
le Dauphin , & à Madame Adélaïde , le
troifiéme Volume de la Science du Gouvernement ,
par le feu Geur de Réal , Grand Sénéchal de Forcalquier.
DECEMBRE. 1761. 21.1...
Avant- hier , le fieur Fabert , Syndic , & le fieur
Clamer , Sénateur , Députés de la Ville de Hambourg
eurent leur audience publique de congé
du Roi. Ils furent conduits à cette Audience , ainfi
qu'a celle de la Reine & de la Famille Royale, par
le fieur de la Live , Introducteur des Amballadeurs.
Le Roi a nommé à l'Evêché de Tréguier l'Abbé
de Cheylus , Doyen de l'Eglife Cathédrale de
Lizieux , & Vicaire Général du même Diocèle..
Sa Majefté a difpoté du Commandement de la
Province de Bourgogne en faveur du Marquis
d'Anlezy , Lieutenant Général de fes Armées.
va- Elle a accordé le Régiment d'Infanterie ,
cane par la promotion du Marquis de Talaru au
grade de Maréchal de Camp , au Chevalier de
Châtellux , Colonel du Régument d'Infanterie de
la Marche ; le Régiment de la Marche au Comte
de Grenolle , Capitaine Aide-Major dans le Régiment
d'Infanterie du Roi ; le Régiment d'Infanterie
vacant par la mort du Marquis de Vaftan
, au Marquis de Bouville , Capitaine dans le
Régiment de Dragons de la Ferronays ; le Régiment
des Volontaires d'Auftrafie , qui vaquoit par
la mort du fieur de Vignolles, au Chevalier d'Harembures
, Capitaine dans le Régiment de Dragons
de Bauffremont, & la feconde Cornette des
Chevaux- Légers de Berry , vacante par la promotion
du Marquis de Pontcaleck , a une Enfei
gne , au Comte de Valanglart Capitaine dans le
Régiment de Dragons de Monfeigneur le Dauphin
.
Le is le Sr O Dunne , que le Roi a nommé fon
Miniftre lé nipotentiaire auprès du Roi de Portugal
, prit congé de Sa Majefté , étant présenté
par le Comte de Choifeul , Miniftre & Secrétaire
212 MERCURE DE FRANCE.
d'Etat pour le Département des Affaires Etran
gères.
Les Gendarmes de la Carde du Roi arrivérent
de l'Armée le 18 , & dépoférent le même jour
leurs étendarts dans la Chambre de Sa Majesté.
De l'Armée aux ordres du Maréchal Prince de
Soubife à Effen , le 29 Octobre.
"
Le 15 , le fieur Brifaniacki , Capitaine au Régiment
de Huffards de Bercheny , arriva à Borcken
avec un détachement de cinquante chevaux.
Il étoit parti d'Echershaufen à fix lieues de
Hamelen fur la droite du Wefer , le ro au foir ,
& après avoir paffé cette riviere près de cette
Place , il a détruit entre Driborg & Dringelberg
un Convoi des Ennemis , & coupé les jarrets à
plus de deux cens chevaux. S'étant enfuite approché
de la Lippe , il a fait prifonniers le Baron
de Dietfort , Lieutenant Général Heffois , deur
Officiers & cinquante- neuf Soldats. Le fieur de
Brifaniacki fe rendit à Borcken , n'ayant laille
derriere lui que trois hommes de fon détachement.
L'armée partit du Camp de Borcken le 24 de
ce mois , & campa à Dorftein ; le 25 elle alla à
Boer. Elle eft venue le 26 à Elfen , où le Quartier
général a été établi. Le même jour , la réferve
du Prince de Condé fe rendit à Bockum ,
& les troupes légères furent portées à Dortmund .
Depuis ce temps , les troupes font entrées dans
des cantonnemens entre l'Emfer & le Roer.
Les ennemis occupent Luynen & Ham , & l'on
a eu avis que le Prince Héréditaire de Brunfwick
fe trouve dans les environs d'Urlinckauſen , & le
Général Oheim à Drentsferth .
DECEMBRE . 1761 . 213
De l'Armée aux ordres du Maréchal de Broglie à
Eimbeck, le 23 Octobre.
Le Comte de Luface , après l'expédition de
Wolfembutel , s'eft porté fur Brunſwick ; mais
ayant trouvé cette Place munie d'une forte garnifon
, & d'une nombreuſe artillerie , il n'a pu tenrer
une entreprife. Il s'eft rapproché de l'Armée ,
& il eft venu camper à Grandersheim le 16. La
nuit du 13 au 14 , au moment que le Comte de
Luface commençait à retirer fes poftes près de
Brunfwick , celui d'Olpert , où commandoit le
Marquis de Valtan , Brigadier , fut attaqué par
fept bataillons au ordres du Général Luckner , &
forcé après un combat très-vif. On y a perdu deux
cens hommes & une pièce de canon. Le Marquis
de Vaſtan a été bleffe & pris , & depuis , on a fçu
que cet Officier eft mort de fes bleffures. Il eſt
généralement regretté . Les ennemis ont perdu
de leur côté , deux cens Grenadiers, plufieurs Officiers
, & le Général - Major Hothembourg .
Le Maréchal de Broglie vient de faire cantonner
la plus grande partie des Troupes de l'Armée,
dans les différentes pofitions où elles étoient campées.
Le Comte de Stainville a eu ordre de quitter
Caffel , & de fe porter à la droite de l'Armée,
du côté de Claufthal . Nos poftes avancés fur le
Wefer occupent Polle ; ceux des ennemis font à
Croude. L'Armée du Prince Ferdinand eſt dans
les environs de Hamelen , partie à la droite, par
tie à la gauche du Weſer.
Suite des nouvelles de la même Armée , du &
Novembre.
Les ennemis réunis ont marché le 3 & le
de mois , pour le porter fur Eimbeck. Dès que
214 MERCURE DE FRANCE.
Je Maré hal de Broglie en a été infornié , il a
raffémblé les différens Corps de fon Armée.
Le Prince Héréditaire a paru devant les poftes
avancés de l'Armée du Roi les , à neuf heures du
marin.
Le Comte d'Epiès , qui avoir à les ordres trois
cens ciuqnante Hullards ou Dragons , a fait fi bonne
contenance , en fe retirant , qu'il a rallenti la
marche des ennemis .
A trois heures après midi , le Prince Héré țitaire
déploya environ trente mille hommes devant
la droite de l'Armée du Roi . Le Maréchal de
Broglie a fait cannonner ce Corps , ce qui a fufpendu
fa marche .
Les ennemis voyant que leur entrepriſe ne pour
roit pas réullir , & que l'Armée du Roi s'étoit raffemblée
à temps pour s'y oppofer ont décampé
la nuit du 6 au 7 , & le font retirés , leur droite
à l'entrée de la gorge de Vickenſen , près du Village
de Magnholtz , & la gauche en avant du Village
d'Amenfen , fur le chemin d'Eimbeck à Al-
-feld.
Le Maréchal de Broglie détacha à leur pourſuite
dès qu'il fut averti de leur retraite Le Comte
d'Efpiès & le Marquis de Loftanges attaquérent
l'arrière garde des ennemis , & la pouſſérent pendant
deux lieues jufqu'à leur Camp.
Suivant les dernieres nouvelles de l'armée du
Bas- Rhin , le Maréchal de Soubife fe préparoit
-à replier les cantonnemens qu'il occupe entre le
Roer & la Lippe , pour les rapprocher du Rhin.
Lafuite des nouvelles Politiques au Mercure
prochain.
Lu & approuvé , ce 30 Novembre 1761. Signé
GUIROY.
· DECEMBRE. 1761 .. 215
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
Page $
LA LIBERTE ou la parfaite Indifférence ,
Ode traduire de l'Italien , par M.T'Abbé
Desfontaines & c.
EPITRE , à M. le Comte de Bela , premier
Maître-d'Hôtel du Roi de Pologne.
LES Miroirs enchantés , Conte . Premiere
Partie.
EPITRE de M Greffet , à M. le Comte de....
VERS à Madame la Duchelle d'Eguillon &c.
VERS à Mlle d'Eguillon , &c.
LE MATIN , Traduction .
EPITRE à M. Mor ...
II
17
3-7
40
ibid.
41
.45
ODE
Anacreontique.
59
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
60
61
LETTRE d'un Ecolier de Toulouse.
62
EPITRE à Mademoiſelle Corneille . 65
ENIGMES.
66 & 67
LOGOGRYPHES .
70 &71
RONDEAU . 73.
ADIEUX d'Andromaque à Aftianax.
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRE à M. De la Place , fur le Livre des
Principes difcurés &c.
TRADUCTION nouvelle en Vers François &c.
GRAMMAIK Françoife Philofophique &c.
SUR les Satyres , Tritons & Néréides &c .
NITION traduite du Supplément aux
?
74
83
'85
924
216 MERCURE DE FRANCE .
huit premiers Tones Théâtre Critiq
ANNONCES des Livres nouveaux. : 122
SUPPLEMENT à l'Article des Piéces fugitive
EPITRE a Silvie , a Spa.
A Mile Leclair , de la Comédie Italienne,
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETT
AGRICULTURE.
ACADEMIES.
LETTRE de la Société Littéraire d'Arras ,
M. le Comte de Couturelle,
ART. IV. BEAUX -ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE.
XTRAIT des Mémoires lûs à la Séance pu
blique de l'Académie Royale de Chirurg,
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE
GRAVURE.
OPERA.
ART. V. SPECTACLES
COMÉDIE Françoife.
COMÉDIE Italienne.
SUPPLEMENT à l'Article de l'Opéra .
LETTRE d'un Académicien de Rouen , à M
de la Garde
ART. VI. Nouvelles Politiques,
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JOR
rue & vis -a-vis la Comédie Françoie
Qualité de la reconnaissance optique de caractères