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1761, 07, vol. 1-2, 08-09
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
JUILLET. 1761 .
PREMIER VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine
Shus
Papillon Seuly.
Certain
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis- a-vis la Comédie Françoife.
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Augultins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilige du Roi.
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
335812
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure, rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch, à côté du Sellier du Roi .
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remet
tre , quant à la partie littéraire , à M.
DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols piéce .
Les perfonnés de province auxquelles on
onverra le Mercure par la pofte , payerone
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir,ou qui prendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume,
c'est-à-dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci- deffus.
A jj
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement enfoit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pièces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
De la Place , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
噪
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET. 1761 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L
EPITAPHE
De M. DE MONTCALM.
ES Troupes Françoifes qui ont défendu
le Canada avec tant de courage pendant
cinq années , defirant d'élever un
Monument à la gloire de M. le Marquis
de Montcalm leur Général , M. de Bougainville
, Colonel d'Infanterie employé
I. Vol.
A iij
MERCURE DE FRANCE.
en Canada , & frère de M. de Bougain
ville de l'Académie Françoife , a écrit à
'Académie des Belles- Lettres pour lui
demander une Epitaphe qui pût être pofée
à Québec dans l'iglife où M. de Montcalm
eft enterré.
LETTRE de M. DE BOUGAINVILLE ,
à l'Académie Royale des Infcriptions
& Belles-Lettres.
MESSIEURS ,
La Gréce & P'Italie étoient pleines de
monumens décernés par la voix publique
aux défenfeurs de l'État : gages immortels
& précieux de la reconnoiffance nationale
, & qui furent , vous le favez ,
une des caufes de cet héroïsme , dont
l'hiftoire ancienne nous offre des traits fi
fréquens. L'envie de les mériter , l'espoir
de les obtenir avoient fait du defir de la
véritable gloire & de l'amour de la patrie,
des vertus communes dans les beaux jours
d'Athènes & de Rome. Si ces monumens
font un des premiers objets de vos études
, la plus noble de vos prérogatives eft
le droit que vous avez , Meffieurs , d'en
confacrer de pareils à ceux de nos concitoyens,
que des qualités rares , des ſervices
JUILLET. 1761. 7
importans , de grandes actions produites
par de grands motifs , ont rendus chers à
la France. La Nation fe repofe fur vous
d'un foin que d'anciennes Républiques
prenoient elles- mêmes : c'eft à vous qu'il
appartient d'acquitter ce qu'elle croit
devoir aux hommes illuftres qu'elle a
perdus , mais qui fe font immortalifés en
la fervant. Le Marquis de Montcalm mé
rite de vous, cet honneur. Il a vêcu trop
peu pour fa patrie ,
patrie , affez pour fa propre
gloire , puifqu'il n'eft mort qu'après avoir
eu le temps & les occafions de manifefter
à nos yeux fes talens , un courage , une
vertu que des épreuves décifives & de
plus d'un genre ont mis dans tout leur
jour. Nos ennemis , en même tems qu'ils
prodiguoient les témoignages éclatans de
la plus haute eftime à leur Chef tué dans
la même affaire , ont , comme nous,pleuré
notre Général. Les habitans de leurs
Provinces , dont le nom de Montcalm fut
la terreur , ont mêlé leurs regrêts aux
farmes des Soldats dont il étoit le père
& l'exemple. Les Anglois, maîtres aujourd'hui
des lieux où les cendres repoſent ,
veulent bien nous y laiffer le droit d'y
rendre un hommage public à la mémoire
d'un homme qu'ils honorent autant que
A iv
S MERCURE DE FRANCE.
nous le regrettons. Le corps du Marquis
de Montcalm eft dépofé dans l'Eglife des
Urfulines à Québec : une Infcription
manque à fa tombe. Prêtez , Meffieurs ,
votre voix à la jufte douleur des troupes
qu'il commandoit , aux regrêts amers des
Canadiens qu'il a défendus , & aux fentimens
que lui doit à jamais fa Nation. Je
fuis , Meffieurs & c. DE BOUGAINVILLE.
L'Académie des Belles- Lettres , pour
remplir les defirs des Troupes Françoiles,
& nous pouvons dire , les voeux de la Nation
, a compofé l'Epitaphe fuivante :
HIC JACET
Utroque in orbe æternum victurus
Ludovicus Jofephus de MONTCALM GÖZON
Marchio fancti Verani , Baro Gabriaci
Ordinis fancti Ludovici Commendator
Legatus Generalis Exercituum Gallicorum
Egregius & Civis & Miles
Nullius rei appetens præterquam veræ laudis
Ingenio felici & litteris exculto
Omnes Militiæ gradus per continua decora
emenfus
Omnium Belli Artium , temporum , difcriminum
gnarus
In Italia , in Bohemia , in Germania
Dux induftrius
JUILLET. 1761 . 9
Mandata fibi ita femper gerens ut majoribus
par haberetur
Jam clarus periculis
Ad tutandam Canadenfem Provinciam miffus
Parva militum manu Hoftium copias non femet
repulit
Propugnacula cepit viris armifque inſtructiſſima
Algoris , inediæ , vigiliarum , laboris patiens
Sais unicè profpiciens , immemor ſuî
Hoftis acer , Victor manfuetus
Fortunam virtute , virium inopiam peritiâ &
celeritate compenſavit
Imminens Coloniæ fatum & confilio & manu per.
quadriennium fuftinuit
Tandem ingentem Exercitum Duce ſtrenuo &
audaci
Claffemque omni bellorum mole gravem
Multiplici prudentiâ diu ludificatus
Vi pertractus ad dimicandum
In primâ acie , in primo conflictu vulneratus
Relligioni quam femper coluerat innitens
Magno fuorum defiderio nec fine hoftium mærore
Extinctus eft
Die XIV Septemb. A. D. MDCCLIX . ætatis XLVIII
Mortales optimi ducis exuvias in excavatâ humo
Quam globus bellicus decidens diffilienfque
defoderat
Galli lugentes depofuerunt ,
Er generofæ hoftium fidei commendarunte
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
M. DE BOUGAINVILLE a envoyé
cette Epitaphe à M. PITT , & y a
joint la Lettre fuivante.
MONSIEUR ONSIEUR ,
Les hommages rendus fous votre miniftère,
à la mémoire de M. Wolf, me font un
garant, que vous ne défapprouverez point
les éfforts fait la reconnoiffance des que
Troupes Françoifes, pour perpétuer le fouvenir
du Marquis de Montcalm . Le corps
de ce Général , honoré par les regrets de
votre Nation , eft inhumé à Québec . J'ai
l'honneur de vous envoyer une Epitaphe
quel'Académie des Infcriptions a faite pour
lui . Je vous prie , Monfieur , de vouloir
bien l'examiner ; & , s'il n'y a point d'inconvénient
, de me faire obtenir la permiffion
de l'envoyer à Québec , gravée fur
un marbre qui foit pofé fur la tombe du
Marquis de Montcalm . En cas que cette
permiffion nous foit accordée , oferois - je
vous fupplier , Monfieur , d'avoir la bonté
de me le faire favoir , & de m'envoyer en
même temps un paffeport , pour que le
marbre gravé foit reçu à bord d'un vaiffeau
Anglois , & que M. Murray , Gouverneur
de Québec , permette qu'il yfoit
JUILLET. 1761. Ir
placé dans l'Eglife des Urfulines ? Je vous
demande pardon , Monfieur , de vous détourner
pour un objet étranger à vos importantes
occupations ; mais c'eſt vous
rendre hommage , que de chercher à immortalifer
les hommes illuftres & less
grands Citoyens.
Je fuis avec refpect &c..
DE BOUGAINVILL
A Paris, ce 24 Mars 1761 .
REPONSE de M. PITT à M. de Bou
MONS
GAINVILLE..
ONSIEUR,
Ce m'eſt une vraie fatisfaction de pous
voir vous envoyer l'agrément du Roi fur
un Sujet auffi intéreffant qu'eft l'Epitaphe,
qui eft d'une beauté achevée , que l'Académie
des Infcriptions de Paris a faite pour
M. le Marquis de Montcalm , & qu'on
defire d'envoyer à Québec , gravée fur une
marbre , qui doit être pofé fur la tombe
de cet illuftre Militaire . On ne peut qu'applaudir
à la nobleffe des fentimens dess
Troupes Françoiſes , qui ont fervi en Canada
, en voulant rendre un pareil tribuz
à la mémoire de leur Général , qu'elless
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
ont vu mourir à leur tête d'une manière
digne d'elles & de lui - même.
Je me ferai un plaifir , Monfieur , de
faciliter en toutes chofes, des intentions fi
refpectables ; & d'abord qu'on me fera
favoir les arrangemens qu'on aura pris
pour faire embarquer ce marbre , je ne
manquerai pas de vous faire parvenir auffitôt
le paffeport que vous defirez, & d'envoyer
au Gouverneur de Québec , les ordres
pour fa réception.
Au refte , Monfieur , je vous fupplie
d'être perfuadé de ma jufte fenfibilité
fur ce qu'il y a de fi obligeant à mon
fujet dans la Lettre dont vous m'avez honoré
, & de croire que je faifis comme un
bonheur, l'occafion de vous témoigner les
fentimens d'eftime & de confidération
diftinguée , avec lefquels j'ai l'honneur
d'être & c. W. PITT.
A Londres , ce 10 Avril 1761 .
A M. FAV ART , fur fa Comédie de
SOLIMAN SECOND.
TOI , qui fais embellir la raiſon ,
Par les attraits d'une fage folie ;
Répandre dans les ris & les jeux de Thalie
Un précepte fublime , une utile leçon ;
Louant nos bons ayeux , & leur vieille méthode ,
JUILLET. 1761 . 13 .
Cenfurer avec art dans un couplet faillant ,
L'étiquette du jour , & les airs à la mode ,
Poëte ingénieux , Philofophe amuſant ,
Favart , tu vois tes lauriers & ta gloire ,
Fleurir & croître tous les jours :
Ta Muſe vole au Temple de Mémoire
Sur le char léger des Amours.
Quelle beauté nouvelle,orne ton nouveau drame !
Le père du plaifir , l'intérêt en eft l'âme ;
De ce joli roman , dans tes mains animé
Un fil imperceptible enchaîne les parties :
Sous fon coloris propre on voit tout exprimé.
Le génie étincelle à travers les faillies.
Quelle douce langueur , & quelle volupté
Dans les foupirs de la tendreſſe !
Dans l'effor de la liberté ,
Quelle grandeur ! quelle mâle nobleffe !
Dans le propos léger de la frivolité ,
Quel fourire malin , quelle délicateffe !
Les Muſes , les Vertus , les Grâces & l'Amour ,
T'ont remis leur pinceau , l'ont guidé tour-à-tour.
Que j'aime à voir ce Defpote fuprême ,
Le Vainqueur de l'Afie , un Sultan orgueilleux
Dépofer du Croiffant le faſte ambitieux ;
Ce fier tyran des coeurs , reconnoître lui-même
Le prix du fentiment , & de l'égalité i
Et chercher la félicité
14 MERCURE DE FRANCE.
Dans les plaifirs de l'innocence ,
Et non dans la brutalité
D'une groffière jouiffance ;
Au milieu d'un Serrail , Temple de la licence ,
Des ennuis dévorans triſte & ſombre féjour
Qui raffemble un troupeau de Belles ,
Auffi peu tendres que cruelles
Et qui ne vit jamais les Autels de l'Amour..
Fière Espagnole , aimable Elmire
Tes attraits touchans , ta fraîcheur ,
Et ton langage féducteur ,
Sur une âme fenfible , ont un puiffant empire..
Dans tes fers , Soliman foupire
Aux yeux de l'Amant plein d'ardeur ,
Déjà l'Amante eft fans égale.......
Mais je vois fa rivale.
La jeune Roxelane , en fa vive gaîté ,
Légère avec raiſon , frivole avec ſageſſe ,
Eſclave avec grandeur , & fière avec tendreſſe
Aimant par fentiment , & non par vanité ,
Plaît d'abord , intéreffe ;
Et bientôt fubjuguant l'Empire & l'Empereur ,,
Fair pancher la balance ,
Et du Prince incertain fixe enfin l'inconftance ,
Sur fon Trône avec elle en plaçant le bonheur...
Du beau Sexe François la Sultane eft la gloire ;
Et vous avez fenu , Belles , votre victoire.
JUILLET. 1761 . 15
Et de là ce concours , ces applaudiffemens
Donnés avec tranſport à la Muſe adorable
Dont l'art inimitable
De fon heureux époux feconde les talens ,
Et fait prêter encor de nouveaux agrémens
A. fon efprit aimable..
Pouvoit- elle manquer de mettre dans fon jeu
Du vrai , du naturel , & de l'âme & du feu ?
Dans Roxelane elle voit fon image ;
Son caractère & tendre & généreux ;
Son efprit délicat , fon léger badinage ,
Sa franchiſe furtout & fon coeur vertueux..
Le Poëte avec avantage
Se prépare un fuccès flatteur ,
Lorfque fes écrits font l'ouvrage
Moins de l'art que du coeur ;
Qu'il trace fes portraits fur l'objet de ſa flâme ;;
Ou qu'il peint dans les vers les vertus & ſon âme,
Favart , ainfi ton triomphe eft complet.
En vain ta noble modeſtie
Veut renvoyer tout l'honneur du Sujet
A l'Auteur qui le dut à ſon fécond génie.
Marmontel eft trop grand pour vouloir l'accepter,
Pour ôter un rameau , d'une main envieuſe ,
Au laurier qu'a cueilli ta Muſe ingénieuſe.
Qui paffe fon modéle auroit pû l'inventer.
Tel ce Peintre divin ?, cet Artifte fublime
17 MERCURE DE FRANCE
Le célébre Vanloo , s'il voit un beau deſſein
Qui décéle à fes yeux le crayon du Pouffin ;
Son génie échauffé le faifit & l'anime :
D'un brillant coloris & d'un hardi pinceau
Déployant auffitôt la force & la magie ;
Sa main fait lui donner une nouvelle vie ;
Il devient créateur ; c'eft à lui le tableau.
Cos ***
A Madame SEGUIER , Marquise de
Remigny , étant dans fon Château de
S. Franchis en Nivernois.
J'Ar différé longtemps , vertueuſe Seguier , AI
A venir ici vous payer
Le tribut de mon jufte hommage.
Le ton de hauteur , de fierté ,
Par malheur pour l'humanité ,
Dans les Maiſons des Grands un peu trop en uſage,
Prêt d'entreprendre le voyage ,
M'avoit conftamment arrêté.
Inftruit du naufrage
Que fur cette plage
Fertile en rochers ,
Ont fait maints nochers ,
Pleins d'art , de courage ;
De peur de luter
Contre quelqu'orage ,
JUILLET. 1761 .
Je n'ofois quitter
Les bords du rivage .
J'errois , à cet air de bonté ,.
De douceur , d'affabilité ,
Qui régle tout ici , façons , humeur , langage
Bien mieux encor à ce ton de gaîté ,
De faillie , & de badinage ,
Dont l'attrait flatte , excite, engage ,
Et fait régner partout l'efprit de liberté.
Je fens combien j'eus tort d'avoir tant hésité ;
Et je condamne en moi le fentiment fauvage
D'une fotte timidité
Qu'un rien étonne & décourage.
Mais lorsque d'un autre côté ,
Occupée à l'écart , à broder quelqu'ouvrage ,
Je vous vois , écoutant avec tranquillité ,
Peſant tout au poids fûr d'un goût fin ,juſtë & fage,
Sentir dans le propos , ce qui n'eft qu'étalage ,
Apparence , frivolité ,
Et n'accorder votre fuffrage ,
Qu'au bon fens , qu'à la vérité ;
'Ah ! je pardonne alors à ma rufticité 3
Et je fens que , par vanité ,
J'aurois dû tarder davantage .
Par un Curé du Nivernois.
Le Mars 1761 .
18 MERCURE DE FRANCE.
EPITRE à Mlle de P ......
I E volage & tendre Zéphire
Chaffe la faifon des frimats ;
Le Printemps traîne für fes pas
Le Plaifir , par qui tout refpire ,
Et déjà fon naiffant empire
Séme les jeux & les appas.
Bientôt la Nature riante ,
Plus active , & plus diligente ,
Va faire éclore mille fleurs ;;
Et déjà Thémire plus belle
Sur une conquête nouvelle
Lance des traits toujours vainqueurs.
En vain ce Spectacle agréable
↓
S'apprête à briller à mes yeux ,
Du cruel ennui qui m'accable ,
J'aime le poifon odieux.
Par quelle fatale puiſſance
Vois-je donc flétrir mes beaux jours 2
Une léthargique indolence
S'armant contre mon exiſtence ,
Va-t-elle en abréger le cours ?
Un trouble , une langueur extrême-
Dans les bras du fommeil lui-même
M'arrache de fombres regrets.
Abreuvé de fiel & de larmes,
JUILLET. 1761 . 19
Ne pourrai je donc déformais
Retrouver ces jours pleins de charmes
Que donnent le calme & la paix ?
Tout me laffe , tout m'importune ,
Mon coeur en ce triſte ſéjour ,
Peu touché des feux de l'amour ,
Et des grâces de la fortune ,
Les cherche & les fuit tour- à-tour.
Depuis qu'une étoile maudite
Vous a fait quitter nos climats ,
Cette terre ingrate & profcrite
Ne me préfente plus d'appas;
C'est vous dont les grâces touchantes
Sur ces demeures peu charmantes
Fixoient mille agrémens divers.
Oui , c'eft votre image chérie ,
Qui dans ma tranquille patrie
Me faifoit trouver l'Univers.
Il n'eft plus d'erreur agréable
Qui puiffe régner fur mes fens ;
La Sageffe peu fecourable ,
M'offre en vain fes foins impuiffans
L'ardeur , la flâme la plus vive ,
Ne paroît à mes yeux diſtraits ,
Qu'une illufion fugitive ,
Qui le détruit par fes progrès.
Une tendreſſe paffagère
Ne remplit jamais le defir ;
La Raiſon grondeuſe & ſévère ;
20 MERCURE DE FRANCE
Loin de moi bannit le plaifir.
Une lente mélancolie ,
Seule arbitre de mes deſtins ,
De la Sageffe à la Folie
Proméne mes voeux incertains.
Moi-même , auteur de mon fupplice ,
Voltigeant au gré du caprice ,
Et d'un coeur toujours agité ,
Dans les accès de mon délire ,
J'aime & je détefte l'empire
Du Faux & de la Vérité.
Que fais-je ? & quel charme m'abuſe
Pourquoi ces tragiques accens ?
Eft-ce donc pour vous que ma Muſe
Doit former des fons languiffans ?
Ah ! puiffent les plaiſirs en foule ,
Du temps rapide qui s'écoule ,
Remplir vos inftans fortunés !
Mais , s'il le peut , malgré l'abfence ,
Qu'aux dépens de votre conftance
Vos voeux ne foient point couronnés.
Par M. AUD... Juge Royal de Barjals en
Provence,
JUILLET. 1781. 27
LETTRE à Madame *** ,
A LA réſerve des lettres de complimens
qui font trop frivoles , & des lettres d'affaires
qui font trop ennuyeufes , toutes
les autres ont pour objet de fatisfaire un
fentiment. Celui qui me conduit aujourd'hui
, Madame , & dont je fuis occupé
depuis longtemps, c'eft la vénération. Ôn
ne me croiroit pas dans mon bon ſens , fi
l'on avoit que j'adreffe cette vérité à une
veuve de vingt- deux ans , charmante pour
la figure & l'efprit . Vous êtes peut- être
étonnée vous- même de cette façon de s'exprimer.
Mais pour vous prouver que
le
terme eft convenable , & que je ne fuis
aveuglé par aucune illufion , je vais vous
préfenter votre portrait , ou plutôt vous
rappeller ce qui vous eft arrivé. La candeur
de votre âme & la fimplicité de vos
procédés me perfuadent que vous ne vous
voyez point telle que vous êtes ; & plufieurs
détails de votre propre conduite vous
ont non feulement échappé , mais ne vous
ont laiffé aucune impreffion.
Permettez moi de vous rappeller que
vos charmes & tout ce que vous promettiez
à l'esprit d'un homme fage & éclairé ,
21 MERCURE DE FRANCE
engagérent il y a quelques années mon
ami à vous époufer : quoique fa condition
fût fortable , il parut faire votre fortune
aux yeux du monde groffier , tandis qu'il
vous a dû le bonheur complet des dernieres
années de fa vie. Vous avez vécu avec
lui fans amour , mais avec une fatisfaction
& une égalité parfaite. Votre coeur étoit
rempli d'un fentiment dont votre conduite
étoit la peinture ; agréable pour fes
amis , aimable pour lui . toujours égale ,
attentive avec efprit , animée d'une reconnoiffance
intérieure , rien ne vous a
coûté pour lui plaire ; vous n'avez jamais
paru fentir le devoir ; il a toujours pris
l'apparence du plaifir.Enfin vous avez perdu
un ami ; les larmes & les cris n'ont
point exprimé vos regrets ; ils ont été renfermés
. Touchée dans le filence , fenfible
avec verité, vous avez porté tous vos fentimens
fur le fils qu'il vous a laiffé ; & pour
le mettre plus en état de foutenir le nom
de fon père , vous vous êtes reléguée fans
aucun éclat , dans une terre éloignée de
vos parens & de vos connoiffances ; vous
y vivez fans autre objet que l'éducation
d'un enfant de deux ans , qui même n'avoit
point été nourri chez vous; la reconnoiſſance
feule & le fouvenir d'un ami tel que
fon père , vous ont déterminée. Vous réuJUILLET.
1781 . 23
niffez donc les deux qualités rares de fem
me charmante , & d'honnête homme ;
vous méritez par conféquent la vénération
de ceux qui vous connoiſſent.
Voilà le foulagement que je n'ai pu
me refuſer , en exécutant la prière que
Vous venez de me faire , de vous écrire
quelquefois ; je la regarde comme un ordre
: combien de gens la regarderoient
comme une faveur ? Pour moi , qui viens
de vous prouver combien vos fentimens
& votre caractère me font connus ; je vois
dans la préférence dont vous m'honorez .
le defir raifonnable de ne point rompre
tout commerce avec les vivans , & le
projet fenfé d'admettre des idées nouvelles
dans une folitude qui ne peut être
toujours occupée . J'approuve d'autant
plus ce parti, que non feulement à un âge
comme le vôtre , mais à tous les âges , il
ne faut fe livrer à aucun excès , & que celui
de la retraite eft le plus dangereux ,
fur- tout pour une ame fenfible . Mon expérience
& vos bontés me permettent de
vous parler avec fincérité : votre coeur eft
né tendre ; il ne s'eft encore livré qu'à l'amitié
, le moment de l'amour n'a point
encore paru ; peu de gens fe font vantés
de l'avoir évité ; craignez vous fur ce
point ;je puis vous affurer que vous aime
24 MERCURE DE FRANCE
riez peut - être
être trop bien pour le ton qui
régne dans le monde ; & ce ton me feroit
defirer que vous en fuffiez témoin au
moins une partie de l'année. Il eft fi peu
dans la nature ce ton pervers , qu'il eſt
aifé d'en perdre la mémoire ; enfin cette
raifon eft la plus forte de celles qui me
font craindre votre folitude. Je fais que
vous avez toujours lû les Romans ; j'ai
même appris avec plaifir , qu'on vous envoyoit
les nouveautés qui paroiffent en
ce genre. Née fage , & capable de réfléxion
, leur lecture peut vous fervir à éviter
le danger de l'expreffion des fentimens
; mais vous avez à redouter l'impreffion
d'une figure nouvelle , toujours
plus forte , quand le coeur & l'efprit ont
été longtemps fans être diffipés ; malgré
la rareté de ce qu'on appelle un coup de
foudre , cette révolution n'eft pas fans
exemple.
Je ne vous fais pas d'excufe fur le ton
qui régne dans cette lettre . J'ai l'honneur.
d'être connu de vous ; en m'ordonnant de
vous écrire , vous avez prévu que je fuivrois
mon caractère : j'avoue cependant
que votre lettre m'a pris au dépourvû ; je
fuis peu curieux , & j'ignore dans ce moment
les nouveautés amufantes , mais je
les faurai dans la fuite ; & mes lettres
feront
JUILLET. 1761 . 25
feront moins dogmatiques. Pour vous
prouver cependant le defir que j'ai de
répondre à vos bontés , je vais vous rapporter
une expreffion de conftance & d'amour.
Elle m'a paru plus vive & plus délicate
que celles des Romans ordinaires.
En cherchant il y a quelques jours une
bagatelle dans les voyages de la Hontan,
le hazard me préfenta le récit qu'il fait
d'un Officier François qui s'exprimoit
dans les termes les plus paffionnés pour
toucher une femme fauvage qu'il trouvoit
fort à fon gré . Cette femme après
l'avoir écouté fans l'interrompre , lui dit
avec douceur & naïveté , l'ami qui eft devant
mes yeux m'empêche de te voir.
Il feroit auffi ridicule que déplacé de
s'étendre avec vous , Madame , fur les
graces & la fingularité d'une réponſe dictée
par la feule vérité du fentiment. Je
finis cette longue lettre en vous affurant
combien je fuis touché & flatté du ſouvenir
dont vous m'avez honoré.
1. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de Madame la Marquise de la'
G... à M. D. R... Confeiller au Par
lement de Toulouse.
J'AI AI reçu votre lettre , Monfieur ; je n'y
répondrai pas , il faudroit avoir un ſtyle
auffi brillant, auffi agréable que le vôtre ;
contentez - vous de quelques réflexions
qui m'échappent , & qui font pour vous
feul. Je compte fur votre indulgence &
fur votre amitié.
La bonté du coeur ſemble un mérite inutile ,
R.... de nos jours , elle n'eſt d'aucun prix :
On peut être mordant , envieux & futile ,
Perfiffler l'Univers , voir tout avec mépris ,
Végérer fans talens , penfer en imbécille ,
Pourvu qu'on foit joueur ; c'eft la commune loi.
A mes fages confeils deviens un peu docile ,
Ne vante plus le goût , & ce je ne fai quoi ,
Qu'à la beauté jadis on crut fi néceſſaire ;
Les aveugles mortels en font trop peu de cas ,
Pour être fûr de féduire & de plaire ,
› Il ne faut que des airs , des mines , du fracas.
Un Commerce flatteur d'égards & de tendreſſe ,
Fut de mode autrefois dans la fociété ,
Le plaifir s'y rendoit guidé par la fagelſe ;
Il n'en eft plus de même & la caufticité
JUILLET. 1761 : 27
De nos cercles brillans , bannit la politeffe ;
L'Ennui s'atfied ſouvent près de la dignité ,
On vous déchire enfin , alors qu'on vous careffe.
Hélas ! on paffe tout à la frivolité !
Oui,l'homme du bon ton , qui trompe fa maîtreffe
Qui manque à fes amis, n'eft pas moins refpecté.
Sur ces travers s'il m'échappe un murmure,
Si j'ofe me placer au nombre des Cenfeurs ,
Du monde entier pourtantce n'est pas la peinture.
Je connois des vertus , je fai qu'il eft des moeurs ;
Aux plus fertiles champs qu'on laiffe fans culture ,
Il naît également des chardons & des fleurs ,
Et l'art doit quelquefois corriger la Nature.
Le Ciel te prodigua les plus grandes faveurs ,
Le plus heureux génie , un caractére affable :
De ces rares préfens , ne cache pas les fruits ;
Célèbre dans tes vers quelque orgie agréable ;
Eclaire-nous toujours par de doctes Ecrits :
Mais fouviens - toi que loin de tes amis ,
Il eſt trop dangereux de fe montrer aimable.
Je ne me charge pas , Monfieur , de faire
vos commiffions près de tous ceux qui vous
aiment, ce feroit trop d'ouvrage en un jour ;
revenez auplutôt .Je fuis perfuadée que je
partagerai avec bien des gens le plaifir de
vous voir & c.
Touloufe, ce 24 Mars 1761.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
LETTRES de MISS HENRIETTE
BUTTLEY , fur différens Sujets & à
différentes Perfonnes . Traduites de
l'Anglois.
AVERTISSEMENT.
Cenom E nom d'Henriette Buttley, fous lequel
on fait paroître ces lettres , eft le nom de
la fille d'une des femmes de la meilleure
Compagnie & des plus eftimées de l'Angleterre.
Il paroît par le tour de fon génie
, & même par celui de fon ftyle, qu'elle
a voyagé en France , & qu'elle y a fair
d'affez longues réfidences. On croit que
le mêlange du caractère national & de
celui qu'elle a pu emprunter de nos Françoifes
, doit piquer la curiofité du Public.
Nous ne donnerons pour éffai qu'une
de ces lettres . Nous avons choisi pour
cela ,celle où elle traite d'une façon trèsneuve
, un point de morale fociale qui
tient à la galanterie. On a pû fuppofer
qu'il feroit affez intéreffant de connoître
fous quel afpect fe préfentent de telles
matières dans une tête femelle Angloiſe
& francifée.
JUILLET. 1761. 29
Pour laiffer toute l'impreffion de l'Original
, on n'a rien changé au texte de
ces lettres en les traduifant . Peut - être
quelques idées paroîtront- elles fingulières
& hardies ; il faudra fe rappeller que
c'eſt une Angloiſe qui écrit. Peut - être
trouvera-t- on ridicule ce que nous appellons
en France , affectation de mots phi
lofophiques ; on fe prêtera alors au ftyle
d'une Angloife Philofophe ; & l'on voudra
bien fe dire qu'un Ridicule à Paris
peut fort bien être un Mérite à Londres.
On a rendu par des équivalens quelques
expreffions qui auroient été baffes dans
notre langue ; d'autres au contraire exagérées.
Ces équivalens pourront encore
paroître à quelques Cenfeurs légers , les
uns trop familiers , les autres trop bourfouflés
on fe reffouviendra que ces lettres
font d'une femme. Enfin on ne jugera
pas définitivement un Recueil , fur
une feule lettre. C'eft ce qui nous engagera
peut-être à en hazarder quelques autres.
A MILEDI CLA **.
EH BIEN ! ma chère Miledi , vous vous
croyez outragée ? Vous voilà furieuſe !
Votre amant vous a écrit d'un con qui
bleffe le refpect dû au beau fexe ? Vous
dénoncez le coupable , vous demandez
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
vengeance & vous préparez , dites - vous ,
les plus rigoureux châtimens ! Je fçais
mieux que vous - même toute cette grande
affaire ; je l'ai examinée comme votre
amie , mais je prononcerai comme votre
Juge. J'ai vu Lord Kerw ... Je fuis certaine
qu'il ne m'en aura pas impofé. Ses
paffions font trop hautes & trop entiéres
pour le cacher dans les petits détours
du menfonge. Je n'héfite donc point à
vous rappeller des faits que vous ne démentirez
pas.
Après une de ces tracafferies que l'Amour
a fi fouvent fait naître entre vous
& le Lord ( fans vous rendre moins chers
l'un à l'autre , ni moins aimables pour
ceux qui vous connoiffent ) il étoit convenu
de s'abftenir le lendemain de vous
voir chez vous. Le prétexte ou la cauſe
de cet exil , étoit l'humeur de votre vieux
oncle , qui n'apperçoit jamais les choſes ,
que quand il ne faut plus les voir. Le
Lord paffe près de votre logis ; il reconnoît
vos porteurs ; vous rentrez chez
vous il y vole. Il avoit fans doute quelque
chofe à vous dire ; car lorfqu'on aime
comme ce Lord , & que l'on eft aimée
comme Miledi Clar ... , l'un des deux
n'a -t- il pas toujours mille chofes à dire ,
& l'autre peut - il refufer de les enten-
:
7
JUILLET. 1761 . 31'
dre Votre porte , qui n'avoit jamais
été fermée pour ce Lord , lui laiffe d'abord
un libre paffage ; mais prêt de pénétrer
jufqu'à votre appartement
, la fimple
& ingénue Charlotte
l'arrête
en balbutiant
que vous n'êtes pas rentrée. Les regards
perçans du Lord, & encore plus, la
vérité que cette fille trahit , l'intimident
& lui font confier qu'elle a ordre de
céler fa maîtreffe
précisément
pour Lord
Kerw ... Celui -ci infifte & dit cependant
qu'il ne veut point violer une configne
qu'il refpecte ; mais fans entrer , il demande
que vous veniez l'écouter
un moment.
L'imprudente
Négociatrice
, étourdie
de tant de nouveautés
, & glacée par
tant de craintes
oppofées
, feint , felon.
vous , d'aller faire le meffage du Lord ; &
pour fe débarraffer
, retourne
fans vous
avoir avertie , lui dire que vous perfitez
à n'y être pas pour lui. Pendant
cette
ridicule
ambaffade
le poftulant
étoit
demeuré
enfermé
entre deux portes.
Quelle fituation , Miledi , pour qui connoît
comme vous Lord Kerw .. ! J'avoue
que le récit m'en a fait frémir pour lui ,
& que j'ai été tentée de vous haïr ; je le
ferois encore aujourd'hui
, fans ce preſtige
inconnu
qui vous attache des amans , &
qui vous conferve
des amis , malgré tou-
,
B iv
92 MERCURE DE FRANCE.
res les mefures que vous prenez pour en
perdre.
C'eft en fortant de cette étrange fcène ,
que tout brulant encore d'amour, de dépit
& de fureur ,vous êtes étonnée que le Lord
Vous écrive une lettre pleine des termes
les plus forts , mais les plus éloignés de
la baffe invective ! Ce font ces termes ,
que j'ai lus , qui vous ont tourné la tête
jufqu'à leur appliquer les plus groffières
interprétations , & jufqu'à vous abaiffer à
confier contre lui votre reffentiment à des
gens que vous auriez dû facrifier au fien.
Qu'avez vous fait , Miledi , de la dignité
que je vous connoiffois dans l'efprit , lorf
que votre coeur l'avoit affocié à celui du
plus galant homme de l'Angleterre ? Depuis
que des circonftances contrariantes
m'ont obligée à vous perdre de vue , j'ignore
un peu l'état de votre Société . Mais
prenez-y garde , Miledi ; le commerce de
certaines perfonnes , & fur-tout de gens
communs par l'efprit , eft comme cest
alimens qui changent le tempérament
avec lenteur , fans que ceux qui en ufent
s'apperçoivent eux-mêmes de l'effet qu'ils
éprouvent. Vous avez voulu humilier
l'homme du monde qui tient de plus près
à votre amour-propre , l'ami de tous les
momens , & l'amant de tout votre êtres
JUILLET. 1761 . $3
c'est vous , Miledi , que vous avez avilie
aux yeux de confidentes capables de
compter de vos foibleffes au profit de leur
vanité. Quoi , vous voilà réduite à reclamer
le ſtupide formulaire de la Bourgeoifie
Françoife , & vous en êtes enfin au refpect
pour les Dames ! on diroit, à vous entendre,
que vous auriez paffé une partie de
vos jours à Paris dans les Sociétés de la
rue S. Denis , ou dans le quartier du Palais,
avec les petites maîtreffes de la baffe robe.
Où pourriez-vous ailleurs avoir puifé des
idées fi folles & fi petites , du refpect que
notre féxe doit exiger des hommes ? n'avez-
vous jamais réfléchi férieuſement fur
le principe de cet ufage , qui met quel
quefois à nos pieds ceux qui fe croyent
toujours nos Maîtres. Ces Maîtres , fort
impérieux dans la réalité,feignent en apparence
de fervir en nous leurs Eſclaves. Jeu
perfide ! qui fait tomber notre pauvre
amour-propre dans tant de piéges , & ne
fert qu'à rendre notre fervitude plus évidente
! vous connoiffez fans doute la Fête
des Rois ? Hélas ! nous ne ſommes en ce
monde , ma chère amie , que les Reines
de la féve. Les Sots & les gens fenfés s'amufent
de cette fiction : mais avec cette
différence qué les premiers , ftrictement
attachés aux régles du jeu , ne ceffent de
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
crier la Reine boit, dès que nous portons la
main au verre , quoique d'ailleurs ils commettent
& difent cent impertinences à
notre égard ; au lieu que les autres oublient
cette formule pour nous entretenir
plus honnêtement . Ceci eft l'image de ce
que je vais éffayer de vous développer.
Les hommes ont en général une idée
de fupériorité fur nous , que rien ne pourra
détruire. Cette idée produit un fentiment
qui, quoiqu'éffentiellement le même
parmi eux , fe modifie différemment , &
diftingue les hommes d'une inftitution
fupérieure d'avec ceux qui , dans quelque
pofition que les ait placés la fortune, traînent
toujours quelques lambeaux de leur
premiere baffeffe . Les premiers regardent
ces maximes & ces pratiques d'hommage
extérieur envers nous , comme une convention
néceffaire à leurs plaifirs , & propre
d'ailleurs à maintenir une certaine Police
dans la Société. En ſe prêtant à cette
convention , mais en ne fe courbant pas
fous fon joug , ils nous admettent par là ,
plus folidement que les autres, à partager
véritablement les droits de cette même
fociété , puifqu'ils ne nous croyent pas incapables
d'en partager les charges . C'eft
ainfi qu'ils nous dérobent la vue des diftances
que le préjugé a établies entre eux
& nous. Si vous aviez bien calculé le fyf
JUILLET. 1761 35
tême d'orgueil des hommes , vous fauriez
que c'eft beaucoup faire pour eux, que de
nous croire quelquefois dignes de les offenfer.
Le reffentiment vif n'eft point une
injure ; il eft au contraire le fupplice de
l'amour - propre pour celui qui l'éprouve.
C'eft dépendre , que d'être irrité par l'action
d'autrui ; & c'eft avouer cette dépendance
, que de s'en plaindre avec aigreur.
Votre Lord n'a donc fait que vous
confirmer une tendreffe mille fois plus
affurée & plus eftimable , par les vérités
dures dont il vous accable , que ne feroient
toutes les fades déclarations d'un
Amant du bas ordre . A quoi fervent, entre
nous , les miférables fineffes dans lefquelles
s'enveloppe la colére , finon à
rendre fes effets moins pardonnables , &
à faire paroître plus petit celui qui la
reffent ? Les gens médiocres découvrent
de cette paffion les plus honteufes parties
, en voulant la couvrir fous le voile
déchiré d'un mépris affecté. Les ames nobles
s'irritent à vifage découvert ; & le
dépit parle en elles fon véritable langage.
Pourquoi, Miledy, nous humilierionsnous
auprès des hommes , jufqu'à vouloir
qu'ils nous difpenfaffent des égards &
même des grands principes de la fociété ?
S'il ne nous convient pas d'en être dif
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
penſées ; fi nous ne pouvons fans rougir
accepter une telle prérogative , quand
nous fentons à quel titre on nous l'accorderoit
; répondez- moi , Miledi , de
quel droit prétendrez- vous qu'un homme
ne vous rappelle pas à ces mêmes devoirs
, à ces mêmes égards , ainfi qu'il en
vferoit avec un de fes pareils , avec un
homme enfin qu'il auroit lieu de croire
lui avoir manqué ? Le beau privilége à
exercer que celui de violer impunément
les loix honnêtes de la politeffe , & les
devoirs facrés de l'amitié ! Quand l'autorité
en ufe , de ce chimérique privilége ,
elle s'abîme dans la baffeffe de la tyrannie.
Que fera- ce donc quand des femmes
auront cette honteuſe prétention ? Elles
iront alors puiſer dans l'ignominie du
néant dequoi alimenter leur extravagant
orgueil. Que ce foit erreur ou raifon , juftice
ou ufurpation , la fupériorité des
hommes exifte & s'exerce réellement fur
nous ; elle n'eſt un problême que pour
quelques femmelettes qui n'ont jamais
fongé à rien. Or un de ces hommes , un
de ces êtres fi fiers , traite au pair avec
vous : & vous en êtes offenfée ! Il vous
éléve jufqu'à lui , jufqu'à fes égaux , par
fes reproches : c'eft alors que vous criez
qu'il vous manque de refpect ! Votre
JUILLET. 1761. 37
'Amant vous avertit , que fans renoncer à
tout ce qu'il connoiffoit en vous de bien
& d'honnête , vous ne pouvez commettre
envers lui une action injurieufe : voilà
ce que vous traitez d'infulte infoutenable
! voilà ce qui vous précipite dans le
défeſpoir le plus indécent ! Par pitié
pour vous - même , Miledy , confidérez les
odieufes conféquences d'une telle façon
d'agir ; & voyez avec éffroi l'abaiffement
où elle vous plongeroit , fi vous y perfiltiez.
Mais je connois Miledi Clar... ; ce
n'eft en elle qu'un fentiment emprunté
de quelqu'ame avilie , adopté fans réfléxion
, & qui n'aura agité qu'un inftant la
fuperficie de la fienne.
Vous trouveriez - vous plus honorée ,
ma trop délicate amie , par cet appas groffier
de douceur & de ménagement , que
certains hommes employent prèfqu'indif
tinctement avec les femmes qu'ils defirent
, comme avec les animaux domeſtiques
qu'ils veulent s'attacher. Convenez
que c'eft une vanité bien fotte , de mettre
de la gloire à fe croire impuniffable ,
parce qu'on nous croit au deffous de la
vengeance. Telle eft cependant cette confidération
des hommes populaires pour
notre fexe. Il n'y a qu'une femme auffi
commune que fes plats adulateurs , qui
38 MERCURE DE FRANCE.
·
puiffe fe méprendre fur la ridicule étiquette
du refpect pour les Dames. Une ame de
la trempe de celle du Lord vous querelle ,
comme ce Lord querelleroit un ami qu'il
craindroit de trouver perfide ou prêt à fe
déshonorer. Il n'a pas befoin pour plaire
de ces bas artifices que les Caillettes appellent
le grand favoir vivre avec les
femmes. Il ne lui faut pas non plus , pour
prendre quelque confidération de lui - même
, s'échafauder fur la diftinction de fon
féxe , il trouve dans fon efprit & dans fon
coeur , des titres bien moins équivoques.
Une femme comme Miledi Cla ... eft
pour un tel homme, une ame de la même
efpéce que la fienne; il en exige les mêmes
fentimens, parce qu'il penfe qu'elle a droit
aux mêmes vertus. Voilà pourtant ce que
Miledi regarde comme une injure ! ces
hommes vils & abjects, ces amans à courbettes
, dont on vous a vanté fi haut les
impudentes politeffes , font au contraire
de petits géans qui ne peuvent établir
leur chimérique grandeur que fur leur
matérielle virilité. Plus ils rampent, & plus
ils nous infultent. Quand ils s'abaiffent
devant nous , ils s'imaginent ne faire que
fe prêter à notre petiteffe. Ces fuperbes
atômes fouflés croiroient nous accabler
du poids de leur exiftence , s'ils fe heurJUILLET.
1761 . 39
toient contre la nôtre. J'ai obfervé foigneufement
les manoeuvres de cette fourmilière
mafculine , je les ai bien étudiés.
Je vous garantis que la feule idée de notre
foibleffe les fait paroître infenfibles à nos
offenſes , & nous établit parmi eux une
efpéce de fauve- garde contre leur vengeance.
Voilà , je vous jure , l'unique motif
de toutes ces foupleffes de leur part ,
de ces foumiffions fi lourdement affectées
, enfin de ces maximes d'un refpect
aveugle & fans bornes pour les femmes ;
ce qui , traduit dans le langage de la vérité
, ne fignifie que la plus complette
négligence pour tout ce que peut produire
notre fexe d'actions ou de fentimens.
Cette découverte eft dure , ma
chère amie ! mais il en faut profiter, pour
ne pas être les dupes de l'efpéce d'hommes
élevés & entretenus dans ces principes
. Ce mépris pour notre fexe , déguifé
en refpect , eft un des caractères auquel
on peut reconnoître l'efprit populaire
fous le fafte impofant de l'opulence . Gardons-
nous de nous en laiffer impofer. Le
Peuple est toujours Peuple , fous quelque
forme qu'il paroiffe , & partout il eft la
fource des fauffes idées & le centre des
inconféquences.
Remontez vers vous-même , Miledi ,
40 MERCURE DE FRANCE.
& vous retrouverez Lord Kerw ... auffi
digne de vous qu'il ait jamais été. N'ou
bliez pas furtout , que pour une femme
honnête , avoir un Amant n'eft point une
action indifférente dans la fociété raiſonnable
. Elle commence par être confidérée
comme une foibleffe . Une femme
fait- elle la foutenir avec une certaine
conftance on s'y accoutume , on la tolére.
Prolonge- t- elle cette conftance audelà
du terme des galanteries ? on va plus
loin , on la refpecte. Vous en êtes précifément
à ce point délicat ; prenez- y garde
: de ce haut point , il n'y a pas de
demi- chûtes. La premiere précipite fans
retour dans le gouffre du mépris ; & je
ne crois pas que ce foit une retraite fort
agréable pour notre vieilleffe. Adieu .
Miledy , vous ferez toujours la plus chère
& la plus tendre de mes amies ; je
defire & je compte fort que vous ne cefferez
jamais d'être la plus refpectable.
Avant deux jours vous me prierez d'engager
Lord Kerw... à me donner la main
pour aller prendre le Thé chez vous.
JUILLET. 1761. 41
VERS à Mile DUBOIS l'aînée , Actrice
de la Comédie Françoife , à l'occafion de
Jon Portrait , peint par l'Auteur.
POUR OUR peindre de tes traits l'affemblage charmant
,
Jenne Dubois , il falloit un Apelle .
Il n'en eft plus ! beauté , grâce , enjoûment ,
Vivacité , nobleſſe , ſentiment ,
Tour eût brillé fous fon pinceau fidéle .
Mais puiſqu'enfin , contente de mon zèle ,
A mes crayons , tu daignes applaudir ;
Par leur fuccès , fe lailfant enhardir ,
Ma Mufe veut du moins achever la Peinture.
Elle ne connoît point la flatteuſe impoſture.
Sur nous les paffions agiffent à ton gré .
A nos regards fur la fcène animée ,
Tout fuit les mouvemens où ton coeur est livré :
Es- tu Didon abandonnée ;
On accuſe avec toi l'impitoyable Enée.
Quand fous tes traits Alzire, Hypermnestre, Idamé,
Sont en bute à de noires trames ,
Le Spectateur émû , pâlit , eft allarmé.
Il ne voit que toi feule , il partage tes flâmes ,
Tes périls , ton effroi , tes foupirs , tes douleurs.
Par d'heureux changemens ramenée à la vie ,
42 MERCURE DE FRANCE.
Voyons- nous triompher la vertu pourſuivie ?
Quelle férénité fuccéde à nos terreurs !
Puiffante illufion ! foit plaifir ou triſteſſe ,
Tu nous fais chérir tes erreurs ;
Mais nous ne te devons , dans cette douce ivreffe
Qu'à l'objet qui nous intéreffe .
De la Melpomène du jour
Sois donc , belle Dubois , l'éléve & la rivale.
Dans l'art , qu'elle ennoblit , perfonne ne l'égale .
Du Théâtre à l'envi foyez l'âme & l'amour.
Suis ces principes vrais qu'inſpire la Nature.
Au triomphe qu'elle t'affure ,
Tu joins encor le charme de la voix ;
Ce talent fut fon premier choix ;
Et c'eft le comble à la Volupté pure
De t'y voir briller quelquefois .
Par un Peintre .
A M. BOUT AUD , au fujet de la
furvivance qu'il a obtenue de la Charge
de Fourier des Logis de la Maiſon du
Roi , dont un defes parens eft pourvu .
DE
MADRIGAL.
E LOUIS , cher Boutaud, la faveur aujourd'hui
Par un titre nouveau t'attache encore à lui.
Honoré d'un bienfait que ton zéle mérite
JUILLET. 1761 43
Permets que par ces Vers ma voix te félicite.
Mais puifque déformais tu marques les logis ,
Tu dois à mes defirs accorder une grâce :
Au rang de tes plus vrais amis
Dans ton coeur marque-moi ma place.
Par M. GUÉRIN DE FRÉMICOURT .
Du 15 Février 1761 .
TRADUCTION libre du Monologue de
SIGISMONDE , tiré de la Tragédie
Angloife intitulée TANCREDE , Acte
V. Scène V.
NFIN te voilà feule , ô femme infortunée !
A d'éternels remords par l'amour condamnée !
De tous les malheureux qu'éveille la douleur ,
Qu'elle agite & pourſuit au milieu des ténébres ,
Quide mon fort cruel, peut atteindre l'horreur ?....
Sigifmonde, entends - tu ces cris fourds & funébres,
Ces fons entrecoupés qui s'élèvent vers toi ,
De tes fermens trahis qui réclament ta foi ?...
De ces vaines terreurs je me croyois exempte ;
La raiſon m'éclairoit & raffuroit mes pas ....
Hélas ! c'eſt de mon coeur que naît mon épouvante
;
* Voyez le Mercurede Février 1761. pag. 38.
44 MERCURE DE FRANCE.
Si Tancréde m'aimoit , je ne frémirois pas.
Je crains... Eh, que crains- tu , victime déplorable ?
Quand l'espoir nous foutient , la crainte eft par
donnable ;
Mais moi j'ai tout perdu, je ne dois plus trembler:
Les larmes & la mort voilà ce qui me reſte....
Toi, qui de ces chagrins faits pour nous accabler ,
Modéres fans efforts l'activité funefte ,
Et fufpens dans l'oubli confolant des malheurs
Jufqu'aux tourmens affreux des Amantes trompées
,
Sommeil je n'attends pas tes paifibles douceurs }
Que faire en ce Palais arrofé de mes pleurs ?
Où fuir ? ... D'un bruit confus mes oreilles frappées....
Je m'abufois.... On vient... Ciel ! quel eft mon
effroi ? ...
Fuyons... Mais quel objet ? ...Je me meurs, c'eſt
le Roi!
ÉPITRE à un jeune Prince. Par M.
DE BOULMIERS.
PRINCE,en qui la raifon n'a point attendu l'âges
A vos jeunes vertus , j'offre un utile hommage s
Pardonnez les confeils que j'ofe vous donner ;
Le zéle les dicta , peut on les condamner ?
Je ne vous trace point des leçons de courage •
JUILLET. 1761. 45
La valeur eſt chez vous le premier héritage ;
Le fang dont vous fortez eſt un gui le certain ;
Le lion n'engendra jamais le foible dain.
Du bonheur de nosjours le premier pas décide s
Prenez l'honneur pour maître & la vertu pour
guide ;
L'honneur & la vertu... de leurs auguſtes mains ,
Les Dieux gravent ces mots dans le coeur des hu
mains ;
Maisde nos paffions les fougueufes chimères ,
En effacent bientôt les facrés caractères .
L'amour vient le premier , par les fauffes douceurs
Nous offrir des regrets ,fous le nom de faveurs.
Bercépar le plaifir dans une douce yvreſſe ,
On s'endort aifément au ſein de la moleſſe ;
Ony boit à longs traits l'oubli de fon devoir ,
Mais le réveil fouvent n'eft qu'un long défeſpoir
Avez- vous fecoué cette honteuſe chaîne ,
Une autre paffion auffitôt vous entraîne.
La gloire vient offrir à vos defirs trop vains ,
Le criminel honneur d'égorger les humains;
Bientôt on vous apprend le grand art dela guerre,
Et comment , par méthode , on ravage la terre.
Puifque l'ambition , l'erreur , la vanité ,
Font de cet art affreux une néceffité 3
Moiffonnez des lauriers au milieu des allarmes ,
Mais qu'ils foient arrofés , moins de fang que de
larmes.
46 MERCURE DE FRANCE:
La victoire au Guerrier doit arracher des pleurs ;
Qui ne plaint les vaincus, mérite leurs malheurs ;
Du titre de vainqueur , en vain il ſe renomme,
Il fe croit un Héros , il n'eft pas même un homine.
Mais s'il daigne effuyer les pleurs des malheureux,
Sa feule humanité le met au rang des Dieux.
De ces Rois bienfaiſans , il en eſt un encore ,
L'Univers le refpecte , & fon Peuple l'adore ;
Du bien de fes Sujets , ce Monarque animé ,
Préfére au nom de Grand , celui de Bien- Aimé.
Mais ces Rois , direz -vous , enfans de la Victoire ,
Dont les noms font gravés au Temple de Mémoire,
Sur cent Peuples foumis , leur bras victorieux ,
Rend leur régne tranquille autant que glorieux ?
L'apparence vous jerte en une erreur profonde ;
Il n'eft point de repos pour ces Tyrans du monde
Et la garde qui veille autour de leurs Palais ,
Aux foucis dévorans n'en ferme point l'accès.
Sous leurs lambris dorés les ennuis , la triſteſſe ,
Même au fein des plaifirs , les accable fans ceffe.
La crainte , les terreurs , l'effroi , le noir chagrin ,
Se font jour à travers de leurs portes d'airain ;
Une fecrette horreur qui les fuit fur le Trône ,
Leur montre un Dieu vengeur qui briſe leur Couronne
;
Les Filles de l'enfer augmentent leurs tranſports ,
Et verfent dans leur fein le poiſon des remords.
JUILLET. 1761. 47
A leurs coeurs déchirés par les mains des Furies
Les douceurs de la paix , pour jamais font ravies ;
De ces fiers Conquérans , tel eft le fort affreux ,
Tel eft l'état cruel , s'ils ne font vertueux;
En vain par vos travaux feriez-vous un Alcide ,
Si dans tous vos exploits , la vertu ne vous guide.
Mais les devoirs des Grands ſont donc bien rigoureux
?
Le moindre écart les perd ; le Peuple eſt plus heu-
1 reux.
Quoi,dans l'erreur toujours l'apparence vous jette !
De la Thiarre au Froc , du Sceptre à la Houlette ,
Le mortel mécontent trompé par fes deſirs ,
Ne voit en lui que peine , en autrui que plaifirs.
Prince, foyez content du fort qui vous fit naître,
Il ne vous fit pas Roi , foyez digne de l'être ;
L'ambition jamais ne conduit au bonheur ;
Il n'eft point fous le dais , il eft dans notre coeur.
Chacun peut le trouver dans ce qui l'environne.
La fortune le montre & la vertu le donne,
Par les divers befoins que l'homme éprouve en
lui ,
Elle enfeigne à fon coeur à foulager autrui ;
C'eſt
pour
nous entr'aider
que
le Ciel nous fit naf
tre ;
Qui ne fait des heureux, n'eft pas digne de l'être.
Mais que l'art d'obliger , eft un art délicat !
Un bienfait mal-adr oit , ne produit qu'un ingrat
48 MERCURE DE FRANCE
En répandant les dons , une ame vertueufe
Sait cacher avec foin une main généreuſe.
D'un coeur névraiment grand , c'eſt la premiere
loi.
La vertu pour témoin , n'a beſoin que de fois
Et fans s'inquiéter de la reconnoiffance ,
Le plaifir du bienfait devient fa récompenſe.
Enfin par fes confeils éclairant nos deſirs ,
La vertu fait pour nous le choix de nos plaiſirs ?
Des folles paffions , elle détruit les charmes ,
Et pour en triompher , elle donne des armes.
Elle tient lieu de tout , c'eſt un préfent des Cieux ,
C'eſt le tréfor du Sage : en l'accordant , les Dieux
Scurent nous enfeigner par leur bonté ſuprême ,
Le moyen d'être heureux,fans fortir de foi-même.
EN VOI.
Efclave de ton rang ma Muſe intéreſſée ,
PRINCE , ne t'offre point un encens impoſteur ;
Le plaifir de t'inftruire a féduit ma pensée ,
Quand celui de t'aimer eft entré dans mon coeur,
JUILLET.
1761 .
49
A M. le
Marquis de
Bussy , fur fon
mariage avec
Mlle DE
CHOISEUL.
VOUS ous avez fû fervir votre Prince , & ce Roi
Qui tient dans l'Inde fous fa loi
Les plus beaux
diamans du
monde.
Vous
fouliez près de lui ces
Aftres fous vos pas ;
Mais tous les
trésors de
Golconde
Ne vous
récompenferoient pas.
La Beauté que
l'hymen a remiſe en vos bras ,
Étoit le vrai tréfor , étoit le prix infigne
Dont le
courage & le zéle étoient dignes.
Par la
MUSE
LIMONADIERE.
L'AMOUR
DÉGUISÉ ,
FABLE.
QUAND
Cupidon veut jouer
quelque tour ,
C'eſt à coup sûr un tour de
maître ;
Je le
rencontrai
l'autre jour :
Où ne
trouve-t-on pas
l'Amour?
Heureux qui peut le fuir dès qu'il le voit
paroitre !
Il s'étoit cette fois
tellement
déguiſé ,
Que fans fon air fin & rufé ,
Je n'aurois pu le
reconnoître,
I. Vol.
C
fo MERCURE DE FRANCE.
A petit bruit , en tapinois ,
Il cheminoit fans are & fans carquois ,
Sans les traits pour lancer aux Belles ;
Je l'examine & j'apperçois
Qu'avec foin il cachoit fes aîles.
Au lieu d'avoir les yeux couverts de fon bandeau,
Sa tête étoit de roſes couronnée ;
Dans fes perfides mains il tenoit un flambeau
Qu'on auroit pris pour celui d'hyménée.
Il vous tendra quelque piége nouveau ,
Philis , méfiez-vous de ce faux étalage :
Telle en effet a longtemps été fage ,
Qui donne enfin dans le panneau ,
Par l'efpoir feul du mariage.
Par M. L. A. L. B.
EPITRE , par M. P ***.
Oui , Damis , la Philoſophie
UI ,
A pour moi de puiffans attraits :
Heureux qui peut paffer la vie ,
A l'étude de fes fecrets.
Mais fans parler de la morale ,
Qui dans fes principes conftans ,
Fut & fera toujours égale
Pour tous les lieux , pour tous les temps ;
Sans parler de l'art ſophiſtique ,
JUILLET. 1761 : S
Mis enoeuvre par la Logique ;
Art par la raiſon inventé ,
Qui la féduifant elle-même,
Soutient à l'appui d'un dilême ,
L'erreur comme la vérité ;
Laiffant cette Science obſcure ,
Où le Métaphyficien
Se met l'efprit à la torture ,
Raifonne , écrit à l'aventure ,
Et prouve enfin qu'il ne voit rien ;
Les divers objets où s'attache
La Phyfique , dont l'oeil
perçant ,
Va toujours approfondiſſant
Ce que la Nature nous cache ,
N'ont pas pour moi le même prix ;
Et je ne fus jamais épris
D'une découverte futile ,
Fruit de la curiofité ;
Je veux que tout méne à l'utile ,
Et ferve à la fociété.
Il eſt beau , merveilleux fans doute ,
De tracer , d'indiquer la route
Que les Aftres tiennent entr'eux ;
Quels mouvemens fait fur fon axe
Notre petit globe terreux ;
De connoître la parallaxe
Par des calculs profonds , certains ,
De ces Cométes vagabondes ,
Cij
SE MERCURE DE FRANCE.
Qui vont parcourant tous ces mondes
Inconnus aux yeux des humains !
J'admire ces grands interprètes
De l'Algébre , idiome obfcur ;
Qui fixent dans un degré fûr ,
Des orbes les forcesfecrettes ,
Centrifuges ou centripetes ,
Des corps la gravitation ,
Et déterminent des Planetes
La réciproque attraction .
Par des calculs prèſqu'incroyables
Que feuls ils ont l'art de chiffrer ,
Ils favent enfin meſurer
Les grandeurs incommenfurables,
Quels mortels plus audacieux ,
Lalffant à leurs favans confrères
L'honneur de s'élever aux Cieux ,
D'en parcourir toutes les fphères
Ofent d'un regard curieux ,
Que guide un imprudent génie ,
Percer jufqu'aux premiers momens
Dù l'on vit naître l'harmonie
Qui régne entre les Elémens .
Tout exifte , de tous les temps,
Dit l'un , la matiére incréée ,
Eft d'une éternelle durée.
L'autre débrouillant le cahos ,
Voit tout s'arranger & tout naître ,
JUILLET. 1781 .
Il affigne , il donne à chaque être ,
Le mouvement & le repos .
Et bientôt nouveaux Encélades ,
Ils vont au Ciel , livrant affaut ,
Sapper le Trône du Très- Haut.
Ainfi , d'inviſibles Monades ,
L'un veut remplir tout l'Univers;
L'autre tient , dans fa folle idée ,
La Divinité comme aux fers ,
Dans la matière enveloppée.
L'ordre , l'arrangement & l'art ,
L'Univers , ce qui le compoſe ,
A leurs yeux ne font autre chofe ,
Qu'un pur ouvrage du hazard.
Par leurs fyftêmes facriléges ,
Dégradé de fes priviléges ,
L'homme , au néant eft deſtiné ,
Ce qui fent en lui , ce qui penſe ,
Ceffe d'être un foufle émané
D'une fuprême intelligence.
Son âme doit fubir le fort
De la matière périffable ;
Et devient fitôt qu'il eſt mort
Auffi vile qu'un grain de fable.
Ainfi dans l'homme , tout finit ;
Si l'on admet l'ame immortelle ,
Ce n'eft qu'autant qu'elle s'unit
A cette maffe univerfelle ,
Ciij
34 MERCURE DE FRANCE.
D'Efprits , qui partout répandus ,
Mêlés fans être confondus ,
Sont les germes de toutes chofes ,
Et par qui l'on voit reproduits ,
Sous diverfes métamorphofes ,
Les Etres par le temps détruits.
D'Empedocles , d'Anaximenes ,
Des Savans de Gréce & d'Athènes ,
On rappelle les vifions ;
La Vérité femble éclipfée
Par de vieilles opinions ,
Qui fortent d'un nouveau Licée.
Plus ils prolongent leurs détours ,
Et plus les fleuves s'élargiffent ;
Єent ruiffeaux qui s'y réuniffent ,
En enflent fans ceffe le cours.
Ainfi les erreurs s'accréditent
Par la longue fuite des ans ;
Philofophes , demi- Savans ,
Succeffivement les méditent ;
En vain leur efprit s'y confonds
C'eſt pour eux un germe fécond ,
D'où chaque jour ils font éclore
Des erreurs que leur vanité
Nous rend plus funeſtes encore
Que celles de l'Antiquité.
Quelles conféquences impies
Naiffent de leurs principes vains !
JUILLET. 1761 . 55
Ainfi ces fublimes génies
Sément l'erreur chez les humains,
Par eux les vertus & le vice
Sont placés au même degré ;
De précipice en précipice
Ils courent d'un pas afſuré.
Tel pendant une nuit obfcure ,
Au milieu d'un vafte defert ,
Un voyageur marche & fe perd ,
Cherchant fa route à l'aventure :
Moins il fuit les fentiers battus ,
Plus il s'égare fans reſſource ,
Et tombe à la fin de fa courfe ,
Dans des abîmes inconnus.
Voilà de nos prétendus Sages ,
Le vrai , mais effrayant Tableau ;
Envain parmi d'épais nuages ,
L'efprit leur tient lieu de flambeau;
Sa foible & trompeuſe lumiére ,
Commence par les offufquer ,
Et par degrés , fçait leur maſquer ,
Dieu , l'homme & la Nature entiére.
Philofophes trop indiſcrets ,
De tout ils nous rendent la cauſe ,
Sans voir quelle eſpace interpoſe
Entr'eux , & fes divers fecrets ,
Ce Créateur , ce Dieu fuprême ,
Qui fait feul tout ce qu'il a fait ,
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Et ne rend compte qu'à lui-même ,
Du principe & de fon effet.
Pourquoi vouloir percer la nue
Qu'oppose à vos débiles yeux ,
Le Souverain Maître des Cieux ?
Sur vous-même fixez la vue ,
Philofophes ambitieux !
Cherchez plutôt à vous connoître ;
Définiffez-nous , s'il ſe peut ,
Ce compofé , qui fait votre Etre ;
Ce qui dans vous , penfe & fe meut;
D'où naît ce merveilleux mêlange ,
Qui tient de la brute , & de l'Ange ;
Comment les nerfs font les refforts
Par qui l'une & l'autre fubftance ,
La matière , avec ce qui penfe ,
S'aident par de communs efforts .
Si vous pénétréz ces mystères;
Alors , fans être téméraires ,
Vous pourrez porter vos regards
Sur les objets que la Nature
Vous préfente de toutes parts ;
Avec une lumière pure ,
Vous découvrirez les erreurs
De vorre incertaine Phyfique ,
Et fonderez les profondeurs
De l'abftraite Métaphyfique.
Mais quand vos yeux toujours couverts ,
JUILLET. 1761. 57
Ne verront point ce microſcôme ,
L'homme , ce point , ou cet atôme ,
En raison de tout l'Univers ;
C'eſt le comble de la folie ,
De vouloir embraſſer un tout ,
Dont on ne peut venir à bout
De faifir la moindre partie.
Tel le Roitelet orgueilleux
Franchiffant les monts fourcilleux ,
Voudroit comme l'Aigle hardie ,
Dédaignant la terre & les mers ,
Planer dans le vague des airs ,
Et de fon vol fendant les nues ,
S'y tracer un libre chemin ,
Au-deffus de l'effort humain ,
Pour des régions inconnues.
Gardons-nous enfin d'adopter
Les principes à rejetter
De ces efprits du premier ordre ,
Dès qu'il n'en fauroit réfulter ,
Et qu'anarchie , & que défordre ;
Leur favoir profond & vanté ,
Aux yeux du vrai Sage qui penfe ,
Pour le bien de l'humanité ,
Ne vaut pas une humble ignorance.
Combien follement curieux ,
I'homme fuit de routes frivoles !
Tout eft , pour d'illuftres Ecoles ,
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
L'objet d'un travail férieux .
Là , par un feu de reverbère ,
Un vieux Chymifte atrabilaire ,
De la marcaffite extrait l'or ,
Ou diſtile par l'Athanor
Un élixir imaginaire.
Ici , par ordre étiqueté ,
Dans le coton empaqueté ,
Sont des amas de coquillages ,
D'arbustes marins , de coraux ,
De foffiles & de cryftaux ,
Tirés des plus lointains rivages.
Non loin , fufpendus au plafond ,
D'un cabinet vafte & profond ,
De Scorpions , de Crocodiles ,
De monftres divers , de Reptiles ,
Sont les fquellettes empaillés ,
Dont l'aspect encor intimide ,
Et glace le plus intrépide.
Voyons ces livres émaillés
D'aîles de papillons , de mouches ;
Ils femblent former des cartouches ,
Où brillent autant de couleurs ,
Que le zéphire avec l'aurore
En font éclater fur les fleurs ,
Quand le Printemps les fait éclore.
Suivons , & ne nous laffons pas ,
Damis, portons ici nos pas.
JUILLET. 1761 ; 59
Examinons cet aſſemblage
De bronzes à demi rongés ,
Qui diftribués par étage ,
Sont par fymétrie arrangés.
C'eſt là , que maint Auteur travaille
A conftater la vérité ,
Par l'exergue d'une Médaille
D'un point d'hiſtoire conteſté.
Que fait dans la falle voifine
Ce Commentateur appliqué
Sur une Grammaire Latine ?
Il éclaircit & détermine
Un paffage obfcur , ou tronqué ,
De quelqu'ignorant Cronologue ,
Qui place au régne des Conftans
Des événemens importans
Paffés fous les Paléologue.
Arrêtons encor nos regards
Sur tous ces volumes épars.
Là , pour remplir les intervalles
D'un régne à l'autre interrompu ;
L'un par un travail aſſidu ,
Du Monde parcourt les annales ;
Tandis qu'une Carte à la main ,
L'autre fuit d'un oeil incertain ,
Du Tygre impétueux la rive ,
Pour chercher les murs de Ninive 3
Ou ceux qu'au rivage Africain ,
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Pour , un jour , au Peuple Romain ,
Servir d'un immortel trophée ,
Bâtit la foeur infortunée
De l'avare Pigmalion ;
Ou parcourt les bords du Scamandre ,
Pour y découvrir fous la cendre ,
Quelques vieux restes d'llion .
Ces recherches peu néceffaires ,
Ces découvertes Littéraires ,
Qu'offrent-elles plus à nos yeux ,
Que la mince & frivole gloire ,
D'orner , de charger fa mémoire ,
De faits fimplementcurieux ?
S'il faut enfin que je m'explique ;
Cette obfcure & haute Physique ,
Eft bien peu digne de nos foins.
A quoi fert le plus beau ſyſtême ,
Quand il ne garantit pas même ,
Du plus léger de nos befoins ?
De Newton , ce Mortel fublime ,
Qui femble en fes écrits divers ,
Avoir pénétré dans l'abîme
Du globe entier de l'Univers ,
Le profond & vafte génie ,
Eclaira la Philofophie :
Par lui nous furent dévoilés ,
Dans les découvertes certaines ,
Des orbes les plus reculés
JUILLET. 1761.
61
Tous les merveilleux phénomènes .
Mais autant j'admire Newton ,
J'aime ce Sujet d'Angleterre ,
Qui le premier dans ſon canton ,
Féconda fa ftérile terre .
Pratiquant les fimples leçons ,
Et l'art heureux de Triptolême ,
Il enrichit par les moiffons ,
Ses concitoyens & lui- même .
Si fon nom obfcur , peu vanté ,
Ne peut , par d'affez brillans titres ,
Mériter l'immortalité ,
Qu'y perd-t-il rien ; l'humanité ,
Le gravera fur les regîtres.
Confultons , fans plus diſcourir ,
Les hommes tous d'accord , vont dire ,
Qu'il eft moins beau de les inftruire ,
Qu'important de les fecourir.
LiE mot de la première Enigme du
Mercure de Juin , eft , un Lit. Čeļui de
la feconde , eſt , les cinq voyelles , a , e, i ,
o , u. Le mot du premier Logogryphe ,
eft , Libraire. On y trouve Arbre. Sans
Arbre point d'avenue. Lyre , c'étoit l'inftrument
d'Apollon. Braire , rire . Le
Voyageur fe repofe à l'ombre des arbres .
Bile , elle donne la mort quand elle
62 MERCURE DE FRANCE.
abonde. La grande Salle du Palais eft
remplie de Libraires. Celui du fecond
Logogryphe , eft , Soupir . On y trouve
ris , ours , oui , fi , firop , pur.
S
ENIGM E.
ÉPOUILLE d'un Maçon d'efpéce fingulière ,
J'ai voyagé fur l'eau , j'ai marché ſur la terre :
Mais j'ai changé depuis ; & l'air préſentement
D'ordinaire eft mon élément.
On m'y proméne en plus d'une manière ;
Tantôt folidement affis ;
Tantôt droit comme une bannière ;
Surtout quand brille au Ciel cet Aftre dont le fils
Dans le Pô baigna fon derrière.
Tu penfes me tenir , Lecteur ; mais point du tout.
Du derrière au lieu que j'occupe,
La différence eft grande : écoute jufqu'au bout.
Souvent à qui porte une juppe
Je donne un air vif & piquant ,
Et fais faire un Berger charmant
D'ane aimable & jeune Bergère.
Plat , rond , pointu , noir , rouge ou gris
La néceffité fut ma mère ;
Mais l'ufage m'ôte mon prix :
Tantôt larges , enflés , tantôt maigres , petits ,
Mes femblables exelus de leur place ordinaire
JUILLET. 1761 . 63
Sont fi ridiculement mis ,
Qu'ils font hauffer l'épaule au Philofophe auſtère.
Ceux qui par une humeur groffière
Ne me déplaceroient jamais ,
Apprêteroient encor bien autrement à rire .
Si dans ma taille il entre de l'excès ,
Et que par un exemple on veuille la décrire ,
Celui d'un Saint fert de comparaiſon.
A gens allant de compagnie
On donne quelquefois mon nom.
Je fers à maint Enfant auffi noir qu'un démon ,
Pour couvrir certaine partie ,
Qui chez eux & chez les Dévots
A befoin d'être garantie.
D'autres , foit par maintien , foit par coquetterie ,
Ou pour fourire à de malins propos,
Ne me laiffent aucun repos.
Tel qui m'obtient , peut d'un très-grand Empire
Devenir Roi , fans être appellé Sire ;
Et jufqu'en Amérique il aura des Sujets.
Devine qui je fuis , Lecteur , à tous ces traits :
Si tu me tiens , je n'ai plus rien à dire.
AUTRE.
LICTIUR, quoique tortue, on me barre le corps ;
Sans cela je ferois aux vivans comme aux morts.
64 MERCURE DE FRANCE.
. Ce n'eft point encor tout: pour forger monfupplice,
On me met dans les fers . Juge de l'injuſtice !
Compagne pour jamais de la félicité ,
Je fers également à l'infidélité.
J'excite la fureur , je fais tomber la foudre ,
Je frémis , je friffonne & je fuis toute en feu.
Tu peux , je crois , par- là me deviner dans peu ;
Mais de dire mon nom , je ne puis m'y réfoudre.
Par M. de V.
LOGOGRYPHE.
E gagerois que la Camille ,
Que l'on voit courir dans Virgile ,
Quoiqu'elle n'eût pas ma groffeur
Ni ma coloffale épaiffeur ,
Près de moi n'eſt qu'une tortue :
Ma maffe informe & faugrenue ,
Lui céde en taille & lui céde en beauté ;
Mais halre-là pour la légéreté.
Lecteur , veux- tu de compagnie ,
Entreprendre quelque partie ?
Veux-tu danfer? je donne bal ...
Fi donc , je m'en tirerois mal ;
Au fecond pas je ferois hors d'haleine ,
Et ne ferois plus bonne à rien ;
La raiſon eft que ma bedaine
JUILLET. 1761 . 65
M'empêche de fauter comme je voudrois bien.
Faifons plutôt quelque voyage.
En moins de rien je te ferai paffer
Et le Nil & l'Elbe à la nage.
Tu pourras même encor fans te laffer
Voir Albe & puis Albi par la même voiture.
Serois-tu curieux de voir encor Jeu a?
Je t'y débarquerai de bon coeur , je te jure 3
J'irai t'attendre enfuite au bord de la Sala.
AUTRE.
De huit pieds , cher Lecteur , eft compofé mon
être ,
Que l'on voit chaque jour , au Théâtre paroître.
Sans me décompofer , d'abord on trouve en moi
Le nom de certaine meſure ,
Dont nous fait préſent la Nature ,
Et que chacun porte avec foi :
J'offre dans le reſtant du corps cette partie ,
Par qui jadis , le Troyen fut vengé ,
D'un fameux Roi de Theffalie ,
Au Styx par fa mere plongé.
36 MERCURE DE FRANCE.
Aux boi
AUTR E.
ux bois , comme à la Ville , on m'entend fort
fouvent.
Dépouillé de mon chef, je rends l'homme puiffants
Remis dans mon entier , prenez-moi par derriere ,
Je fuis exactement , auffi dur que la pierre.
De BORDE A U X.
CHANSON.
Du charmant Berger qui m'engage ,
Amour , daigne m'offrir les traits !
Mes tranfports feront mon hommage ,
Si les foupirs font tes bienfaits.
Si je puis régner dans ſon âme ;
S'il vient me parler fans détour ;
Le fincère aveu de ma flâme ,
Sera le prix de fon retour.
OW
Du charm berger qui mengage Am daigne moffrir
6
3
3
traits: Mes transports seront mon hommage
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ЖӨ-
Si ses soupirs sont tes bienfaits.Mes transports se
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3
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ront mon hommage Si ses soupirs sont les bienfaits
5 4 6to σ 6
σ
7
5 4
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ABTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
JUILLET. 1761 .
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
HISTOIRE des Conſpirations , Conjurations
& Révolutions célèbres tant anciennes
que modernes . Par M. DESOR;
MEAUX. Tomes IX. & X. 1760 .
SECOND EXTRAIT.
Tome X. Suite des Révolutions des
No
Indes.
ous avons laiffé dans le volume précédent
, l'Empire Mogol dans fon plus
haut point de gloire , confidérablement
étendu par la valeur d'Oramgzeb, défendu
par des troupes bien difciplinées & formées
à l'école de ce grand Empereur ,
tranquille dans l'intérieur & au dehors
mais prêt à voir fe ranimer ces guerres
civiles dont il avoit tant de fois été le
théâtre fanglant. Oramgzeb par fon teſtament
avoit laiffé l'Empire à Cha- Halam ,
l'aîné de ſes trois fils . Il en avoit démembré
le Décan & le Guzurate , en faveur
d'Azamcha , fon fecond fils , le Golcon
68 MERCURE DE FRANCE.
de & le Vifapour , fes principales conque
tes , formoient l'appanage de Kambach ,
le plus jeune de tous : ce dernier , content
de fon partage , faifoit fes délices
de l'amour de fes Sujets , & d'une paix
qu'il fe flatroit que fon peu d'ambition lui
conferveroit ; Azamcha ne penfoit pas
ainfi : le fang de les ancêtres bouillonnoit
dans fes veines ; caché dans le camp
d'Orangzeb malgré fes ordres , il attendoit
fa mort pour profiter de l'affection
des troupes pendant l'abfence de Cha-
Halam: il arrêta les courriers qui alloient
annoncer à fes frères la mort de leur
père . Cha- Halam occupé à une expédition
dont Orangzeb l'avoit chargé , & Kam
bach dans fon gouvernement étoient dang
la plus parfaite tranquillité , tandis qu'Aqamcha
faifoit les funérailles de leur père ;
il s'étoit déja fait reconnoître Roi du
Pays qu'Oramgzeb lui avoit laiffé par fon
teftament , & il le préparoit à fe faire
proclamer Empereur de tout le Mogol.
Cha- Halam le prévint ; il ſe rendit à Dehly
& y reçut les voeux & les fermens d'un
Peuple qui admiroit en lui des qualités
qui le rendoient fi différent de fes prédéceffeurs
il fongea enfuite à réprimer
l'ambition de fon frère . Celui- ci mit inutilement
en oeuvre toutes les rufes dont
JUILLET. 1761 69
Les ancêtres s'étoient fi heureuſement fervis
: Azamudime fils de Cha- Halam eut la
gloire d'affurer l'Empire à fonpère par
une glorieufe victoire ; elle le rendit maître
des Etats & de la vie d'Azamcha ;
la fortune ne paroiffoit pas encore décidée
pour Azamudine ; un expédient dont
il fe fervit la lui rendit entiérement favorable.
Par l'ordre de ce Prince on raf-
» fembla pendant la nuit tous les cha-
» meaux de l'Armée , au nombre de plus
» de soo , & on leur chargea fur le dos ,
» dans l'endroit où les deux boffes laiſſent
» un intervalle , une petite piéce de cam-
" pagne ; on donna à chacun de ces nou-
» veaux combattans deux conducteurs &
» trois Canoniers , & on les rangea fur une
» feule ligne à la tête de l'Armée ; Azam-
» cha dès le point du jour s'avança avec
»fon armée pour combattre ; on le laiſſa
" approcher , & quand on le vit à portée
» de l'artillerie , les conducteurs firent
préfenter le côté aux chameaux ; & les
» Canonniers fervirent avec tant de rapi
» dité & de fuccès , que le défordre , le
» trouble & la terreur fe répandirent dans
» l'Armée ennemie qui refta immobile . »
Azamudine déjà à demi vainqueur , l'enveloppa
avec fes troupes & rendit fa victoire
complette ; » Azamcha , après s'être
70
MERCURE DE
FRANCE
» battu jufques à la derniere
extrémité
avec l'élite de fes braves , & avoir fait
» des efforts plus
qu'humains , épuiſé ,
bleffé &
craignant furtout de tomber
entre les mains de l'ennemi , fe plongea
lui-même le poignard dans le fein , dédaignant
de mourir d'une main moins
» noble que la fienne.
»
•
Cha- Halam
jufqu'alors Prince jufte &
religieux avoit
refpecté les États de Kam
bach ; il
Y étoit engagé par la foi des
fermens , mais enfin cédant aux
confeils
ambitieux de fes enfans il
ordonna
qu'on marchât à la conquête du Golconde
& du
Vifapour. » On
remarque , ajoute
» M.
Deformeaux , qu'il ne donna cet
» ordre injufte , qu'après avoir vifité le
» tombeau
d'Oramgzeb , comme fi l'avi-
» dité dont ce Prince avoit donné tant
de marques pendant fa vie , eût réveillé
celle de fon fils.
Kambach périt
miférablement en
défendant fes Etats ,
& laiffa Cha-Halam feul
poffeffeur de
l'ancien & du
nouveau
Domaine conquis
par les pères. Ce fut la feule tache
qui ternit la gloire de ce Prince vertueux
; mais il ne jouit pas
longtemps
du fruit de fon crime ; il
mourut après
avoir régné avec moins d'éclat & plus
de
bonheur
qu'Oramgzeb ; à ſa mort on
JUILLET. 1781.
vit de nouveau le fang Mogol s'élever
contre lui-même ; fes fils fe difputérent
la Couronne avec acharnement ; le Sultan
Mogedin triompha de fes frères , & les fit
tous périr ; la même année il fut déthrôné
par fon neveu Ferrushier ; celui- ci périt
de la main de deux frères qu'il avoit élevés
de la lie du Peuple au faîte des grandeurs
ces deux frères appellés les Seids
mirent à fa place fon coufin Reffiedned
jat, qu'ils maflacrérent auffi bientôt après,
Reffiendelet fon frère reçut la couronné
de leurs mains ; après un régne fort
court il'la laiffa à fon coufin Muhammedcha
en faveur de qui les Seids plus puif
fans que les Princes & les Grands en difpoférent.
La lâcheté & la foibleffe de
Muhammed mirent l'Empire Mogol en
proie aux guerres les plus fanglantes. » Il
jugea de tous les hommes , dit notre
» Hiſtorien, par ceux qui l'environnoient;
» & il les crut tous avares , diffimulés
hypocrites , flatteurs & voluptueux.
» Peut-être ne crut-il pas cette race mé-
» priſable digne de fes foins , & que c'eſt
pour la punir qu'il en abandonna la
» conduite à des Miniftres corrompus.
Un de ces Miniftres , nommé Nizam-el-
Molouck , lui rendit les Seids fufpects , &
les poignarda par fon ordre avec leurs
72 MERCURE DE FRANCE.
partifans. Victime de la jaloufie de Kans
devron , nouveau favori de Muhammed
Nizam, deux fois , fut exilé , & deux fois
les befoins de l'Etat le firer c rappeller
A l'âge de plus de quatre - vingts ans
prié , & pour ainfi dire conjuré par l'Empereur
de revenir pour appaifer les Patanes
& les Marattes que ce perfide Mogol
avoit lui- même foulevés en fecret
pour le rendre néceffaire , il fut reçu par
le politique Kan- devran avec les démonftrations
d'amitié les plus marquées . Nizam
ayant pacifié tous les troubles , devint à
la Cour un homme inutile , & fut bientôt
l'objet des rifées des Courtifans &
du Favori lui- même . » Un jour qu'il en-
» tra chez l'Empereur , Kan- devran s'échappa
jufqu'à dire tout haut : Voici le
Maimoundi ( ce mot fignifie un Charla-
» tan qui fait danſer les Singes . ) Oui, re-
» prit le Miniftre furieux , & qui te fera
» bientôt danfer . Nizam ne refpirant que
vengeance , médita l'horrible projet de
perdre tous les ennemis , & d'envelopper
l'Empereur même dans leur ruine , s'il
s'obtinoit à les protéger ; il s'affocia un
grand Général Mogol nommé Scader-
Kan. Nous allons voir ces deux fameux
Traîtres bouleverfer l'Empire & mettre
"3
le
JUILLET. 1761 . 73
le Sceptre Mogol à la veille de paller
dans des mains étrangères .
Tandis que l'Empire Mogol gémiffoit
de ces divifions , la Perfe étoit en proie
aux plus grands malheurs ; la pefte & la
famine fe joignirent aux guerres inteftines
, qui duroient depuis vingt ans , &
emportoient plus d'un million de fes habitans.
Ce fut au milieu de ces fléaux qui
la défoloient , que , de la qualité de fimple
Citoyen , Nadir- Koul s'éleva au Trône .
A la tête d'une troupe de Brigands , il ravageoit
les Campagnes & pilloit les Villes ,
quand il tomba entre les mains de Schah-
Thamas , le feul des fils du Sophy nouvellement
détrôné , qui eût échappé au naufrage
de fa famille . » Le Prince , auquel
» on avoit vanté le courage & les talens
» de Nadir- Koul , voulut le voir. Pourquoi
, lui dit- il , avec de la valeur , de la
naiſſance & des talens , as tu embraffe
l'infáme métier de Brigand ? Voyant , lui
répondit Nadir- Koul , mon Roi détró-
» né , ma Patrie fubjuguée , mes biens en-
» vahis , mes fervices fans récompenfe , j'ai
» été obligé d'avoir recours au brigandage
» pour fubfifter. Le Prince trouva d'abord
la réponſe infolente , & ordonna qu'on
» le fit périr fous le bâton . Quelques mo-
» mens après , fe rappellant les paroles du
I. Vol.
">
و د
>>
D 1
74
MERCURE
DE FRANCE .
38
» Criminel , il y vit plus de grandeur d'a
» me que d'arrogance ; il révoqua l'ordre
» & fit grace à Nadir- Koul ; mais l'exé-
» cation étoit déjà fort avancée à peine
» lui trouva-t- on quelques reftes de cha-
» leur & de vie. On le fit revenir à force
» de foins , & on parvint même avec le
» temps,à le guérir de fes bleffures. Nadir
Koul paffa de l'échafaut à la tête des Armées
du Prince ; il lui reconquit la Perfe ;
& pour lui marquer fon dévouement, prit
le nom de Thamas- Koulikan , fous lequel
il eft connu le plus ordinairement , & qui
fignifie en langue Perfanne l'Esclave de
Thamas. Il ne feignoit cet attachement
à fon Souverain , que pour mieux voiler
fes vues criminelles ; elles éclatérent bientôt.
Un jour il envoya prendre le nouveau
Roi dans fon Palais, le fit amener dans la
Place publique d'Ifpahan ; là, en préfence
de l'Armée & du Peuple qu'il avoit aſſemblés
, il lui reprocha dans les termes les
plus outrageans , des crimes vrais ou fuppofés
: il fit enfuite une longue harangue
au Peuple , qui fur le champ fait retentir
l'air de mille imprécations contre Schah
Thamas , demande à grands cris qu'il foit
déposé , proclame fon fils Roi à fa place ,
& défére la Régence à Thamas- Koulikan.
Celui- ci après avoir remporté un
JUILLET. 1761.
75
grand nombre de victoires fur les ennemis
de l'État; après avoir joint à la Perſe de
nouvelles conquêtes, convoque les Grands
de la Nation & leur déclare » qu'ayant
» vieilli dans les travaux de la guerre , fa
» fanté ne lui permet plus de foutenir le
» fardeau des affaires & qu'il abdique la
» Régence. L'Affemblée , gagnée ou inti-
» midée , comprit l'intention du Régent
» & le proclama Roi. Thamas Kouli -kan
reprit fur le champ fon ancien nom de
Nadir , auquel il ajouta celui de Schah &
s'adonna entiérement aux foins de faire
fleurir fon nouveau Royaume.
Nous avons été obligés de fuivre l'Auteur
dans cette petite digreffion , & nous
efpérons qu'on nous faura gré de nous
être un peu étendus fur un perfonnage auffi
fameux & fur des événemens de notre fiécle.
Ce fut Schah- nadir que Nizam & Seadet-
Kan choiſirent pour l'inftrument de
leur vengeance & de leur ambition. Ils
l'attirerent à la conquête de l'Indoftan par
des lettres entierement féduifantes, & corrompirent
les Gouverneurs des frontieres
qui pouvoient s'oppofer à fon paffage. Le
Roi de Perfe avoit déjà envahi le Tabulif
tan avant que le lâche Muhammed ſçût
qu'il avoit un pareil ennemi fur les bras
fitôt qu'il l'eut appris , il convoqua un
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Dorban , où par la perfidie ou le défaut
de lumières des Omhras, les avis des traîtres
prévalurent toujours . Pendant que les
chofes traînoient en longueur , Schah- nadir
avançoit avec une rapidité furprenante
; il avoit déjà conquis toutes les Provinces
en deçà de l'Indus , quand on fongea
à lui oppofer une armée de trois
cent mille hommes. Cet habile Ufurpateur
, dans lequel on voyoit renaître les
plus célébres Conquérans de l'Antiqui
té , paffa le fleuve à la vue de l'armée
ennemie. Les Mogols , felon l'avis des
perfides , évitérent une bataille , &
laifférent l'ennemi s'amufer , difoient- ils ,
à prendre des Villes : ils efpéroient l'envelopper
& le détruire par la famine ;
mais eux- mêmes furent bientôt en proie
à ce cruel fléau. Ils alloient enfin fuccomber
fous le vainqueur , lorfque Seadet
Kan attendri des malheurs de fa patrie ,
repouffa quelques détachemens Perfans
qui dévaftoient déjà le camp des Mogols
, eut bientôt affaire au gros de l'armée
, & après avoir réfifté longtemps ,
tomba lui- même entre les mains de l'ennemi.
Les Perfans mirent en déroute l'armée
Mogole , qui à la fin avoit ofé les
combattre. Schah- nadir obligea Muhammed
à lui accorder une entrevue , où ,
JUILLET. 1761 .
après avoir juré fur l'Alcoran de n'attenter
ni à la vie ni à fa couronne , il le
condamna à ( a ) quarante Kourours de
dédommagement & à ( 6 ) dix de tribut
annuel. Il fit enfuite arrêter l'infortuné
Mogol , & le lendemain envoya dans fon
camp un détachement de cavalerie , qui
au milieu de trois cent mille hommes
qui compofoient encore l'Armée Indienne
, enleva tranquillement les femmes
les enfans , les tréfors & les équipages
de l'Empereur & des principaux Omhras
; il fit enfuite publier dans tous les
quartiers , que tous les Officiers , Soldats ,
Vivandiers , & généralement tous les
Mogols eaflent à fe retirer avec leurs
bagages dans le cours de la journée fous
peine de la vie . Ces ordres qui furent
ponctuellement exécutés , le rendirent
maître abfolu de la Perfonne de l'Empereur.
Un crime facile lui auroit affuré
l'Empire ; mais il fe contenta de le rendre
tributaire. Il marcha droit à Dehly
précédé des deux traîtres Nizam & Seadet
Kan qui répandoient dans toutes les
Villes par où il devoit paffer , que les
deux Souverains étoient dans la plus parfaite
intelligence . Il traînoit avec lui
( a ) Environ neuf cens foixante millions.
(b) Environ deux cens trente- huit millions .
D iij
78 MERCURË DE FRANCE.
8
Muhammed , fes femmes & fes Miniftres
dans des litieres & des palanquins où ils
étoient couchés fur le dos .Arrivé à Dehly,
Muhammed , la veille du triomphe que
Schah-Nadir devoit célébrer dans cette
Ville , de crainte que cette fête ne fût
troublée par fes Sujets , leur défendit de
paroître le lendemain ni dans les rues ,
ni fur les toits des maiſons. Nizam devint
bientôt le feul favori du Conquérant
; il lui dépeignit la légèreté de Seadet-
Kan avec des couleurs fi vives , que
Schah- Nadir en conçut beaucoup de défance.
Quand cet Omhra vint le Caluer
au Palais qu'il s'étoit choifi , le Roi de
Perfe voyant qu'au lieu de préfens il ne
lui préfentoit qu'une fatale lifte des
grands Mogols & de leurs biens , il ne
lui répondit que par un regard furieux
qu'il accompagna de ces paroles menaçantes
: Qu'eft devenue , traître , la parole
que tu m'as donnée de me livrer tous
les trésors de l'Empire ? Où eft le riche
préfent que tu m'avois deftiné ? Réfous toi
à mourir demain ou à remplir tes promef
fes. Ces paroles furent un coup de foudre
pour Seadet- kan ; il s'en retourna chez
lui le poignard dans le coeur , & prit un
Foifon violent dont il expira en peu de
temps.
JUILLET. 1761 . 79
Les Mogols remplis d'indignation &
de fureur fouffrirent impatiemment le
joug qui les opprimoit, quand deux omhras
firent courir le bruit de la mort de
Schah-Nadir ; à la tête d'un grand nombre
d'habitans de Dehly , ils firent un carnage
horrible de Perfans ; mais accablés
par le nombre ils furent bientôt difperfés.
Cette confpiration ranima la cruauté de
Schah- Nadir ; il donna ordre à fes troupes
de fe répandre dans la ville , de mettre
tout à feu & à fang & de s'enrichir
de fon pillage. Le barbare Conquérant
jouiffoit de cet affreux ſpectacle du haut
du minaret de la mofquée du Palais . A
peine fa vengeance fut- elle affouvie , que
les Mogols éprouverent un autre fleau ;
les rues par les ordres du Tyran furent
nettoyées en vingt- quatre heures : mais
on n'eut pas le temps d'enlever les cadavres
des maiſons , l'infection qu'ils répandirent
produifit bientôt une peſte
horrible. Cependant le vainqueur s'étoit
emparé des tréfors de la Couronne & de
ceux d'un grand nombre de Seigneurs
de la Cour : il fit enfuite bloquer la ville
pour empêcher les habitans d'en fortir
& de fouftraire leurs richeffes à fon avarice
; la famine fuivit bientôt cet ordre
barbare ; à la fin il réfolut de quitter
Div
So MERCURE DE FRANCE.
l'Indoftan , d'y laiffer Muhammed fur le
Thrône comme fon vaffal , & de fe réferver
feulement les Provinces en deçà de
l'Indus , qu'il joignit à la Perfe. Il ordonna
à l'Empereur Mogol de s'affocier
Nizam qu'il déclara premier Miniftre ,
Régent de l'Empire & Tuteur de l'Empereur.
Le Conquérant ne voulut pas quitter
Dehly fans faire un nouvel acte de fa
cruauté & de fon avarice : il exigea une
contribution exorbitante des habitans de
cette malheureufe Ville , & il n'y eut pas
de violence qu'on n'employât pour l'extorquer.
Nadir-Koul enfin taffafié , & emportant
avec lui d'immenfes richeffes ,
donna à fon armée le fignal du départ.
Sur la route il tira encore de Lahor une
forte fomme. La crue extraordinaire de
Indus Pattêta longtemps , & penfa le
faire périr avec fon armée , donnant aux
Aghuans le temps de lui tomber fur les
bras ; l'efpérance d'un riche butin avoit
raffemblé ces Peuples aguerris au brigandage
, au nombre de plus de cent
nille : un peu d'argent répandu entre les
Chefs diffipa bientôt cette troupe avide..
Ayant paffé le fleuve , le Roi de Perſe détruifit
facilement de nouveaux ennemis
qui s'oppofoient à fon paffage . Après
avoir tenté vainement de rentrer dans
JUILLET. 1761 .
81
l'Indoftan , où il fe repentoit d'avoir
épargné Agra , il retourna à Ifpahan ,
exila fon fils aîné qui avoit formé le
deffein de lui ôter la Couronne , ravagea
la Tartarie , fit de vains projets pour
envahir la Turquie , furchargea fes Sujets
d'impôts , inonda de leur fang des
Provinces rebelles , fit périr fon fils dans
les fupplices , détruifit un grand nombre
de confpirations, & périt enfin de la main
de fon propre neveu.
Tandis que Schah- Nadir éprouvoit ces
diverfes révolutions , la foibleffe de Muhammed
avoit infpiré aux Grands de foa
Empire des idées d'indépendance qu'ils
effectuoient peu -à peu . Les Rajas & les
Nababs refufoient de payer le tribut . Le
vieux Nizam même à l'âge de cent ans ,
ofa porter fes vues jufques fur leThrône de
Tamerlan . Devenu fufpect à l'Empereur, il
vit bientôt rappeller à la Cour & revêtir
des premiers emplois ceux que fes confeils
avoient fait exiler peu auparavant .
Ces nouveaux favoris ne refpiroient que
vengeance contre leur ancien ennemi ;
ils engagerent Muhammed à gagner en ſecret
les Marates , peuple avide de butin ,
& qui entra bientôt les armes à la main
dans le Décan . Nizam , voyant fon Gouvernement
attaqué par ces Barbares , &
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
s'appercevant du pouvoir de fes ennemis
fur l'efprit de l'Empereur , fe joignit au
Grand Vifir ; & raffemblant une petite Armée
, ces deux Seigneurs difgraciés campérent
à peu de diſtance de Dehly . L'Empereur
effrayé les rappella bientôt , & les
combla d'honneurs. Cependant Badgira
à la tête des Marattes avoit déjà envahi la
Nababie d'Arcatte , voifine du Décan ;
la famille du Nabab échappée au vainqueur,
avoit trouvé à Pondichéri, auprès de
M. Dumas qui en étoit Gouverneur , un
afyle qui attira bientôt fur les François
les armes des Marattes. Pondichéri invefti
entierement & affiégé par une Armée de
trois cens mille hommes, auroit peut-être
eu peine à réfifter longtemps , lorfqu'un
léger préfent de quelques bouteilles de
liqueurs que M. Dumas fit à un Envoyé
de Badgira , diffipa la tempête qui les menaçoit
la Maîtreffe du Roi des Marattes
paffionnée pour les liqueurs , preffa avec
inftance fon amant d'en demander de femblables
à M. Dumas ; la générofité avec laquelle
celui- ci lui en envoya fur le champ,
toucha le coeur du barbare. Il fit préfent à
fon tour au Gouverneur d'un Serpau * ma-
Habit fort ample d'étoffe de foie & or. Ce
préfent eft la faveur la plus fignalée qu'on puiſſe
recevoir de l'Empereur , des Rois & dés Généraux
Indiens,
JUILLET. 1761 .
83
&
gnifique , lui demanda fon amitié ,
abandonnant Pondicheri, fe mit en marche
pour le Dekan. Nizam frappé de la
conduite des François dans des circonftances
auffi difficiles , reconnoiſſant d'ailleurs
de l'accueil qu'ils avoient fait à la
famille du Nabab d'Arcatte , fon vaffal
& fon ami , écrivit à M. Dumas pour le
féliciter , & le fit créer par l'Empereur ,
Mafoubdar ou Commandant de quatre
mille cinq cens chevaux entretenus aux
dépens du Tréfor Royal : dignité éminente
qui donne à ceux qui en font revêtus, le
même rang qu'aux Nababs &aux Généraux
Mogols ; elle eft aujourd'hui héréditaire
aux Gouverneurs de Pondicheri. Quelques
préfens & une lettre artificieufe de
Nizam firent bientôt renoncer Badgira à
la conquête du Decan , dont il fe promettoit
un riche butin .
Un bruit fourd qui fe répandit que les
Marattes n'avoient marché à cette expédition,
que par l'inftigation de Muhammed,
indifpofa tous les efprits contre lui . Les
Nababs profitérent du déchaînement univerfel
pour s'affermir dans l'indépendance
dont ils avoient jetté les fondemens ; une
révolution infenfible rendit l'Empire Mogol
, en quelque forte, ſemblable au Corps
Germanique. Nizam devint encore plus
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
odieux à l'Empereur qui lui attribuoit cette
décadence. La mort de Schah- Nadir
fortifia la haine de Muhammed ; il ofa la
faire paroître ; Nizam effrayé fe retira
dans fon Gouvernement. Mais après avoir
tramé avec un grand nombre des principaux
Ombras qui lui étoient tous dévoués ,
le complot le plus affreux que ce climat
fi fertile en crimes , ait jamais vu naître.
Pour venir à bout de fes deffeins , le Miniftre
difgracié engagea de nouveau les
Barbares à fondre fur l'Indoftan . Les Conjurés
exciterent le peuple à demander que
l'Empereur fe mît lui- même avec fon fils
à la tête des troupes ; le projet de ces félerats
étoit de les faire périr tous deux dans
un combat l'evénement les obligea de
changer leurs difpofitions .Amet - Schah , fils
de Muhammed,âgé de dix - huit ans , partit
feul pour commander l'armée . La troupe -
des Conjurés fe fépara ; une partie le fuivit,
après s'être engagée par les plus hortibles
fermens,à le maffacrer dans un temps
marqué ; les autres réfterent à la Cour , devant
étrangler Muhammed à- peu- près dans
le même temps . Une conjuration fi bien
concertée auroit certainement entraîné la
ruine de la Maifon Impériale & mis le
Sceptre dans la main de Nizam , fi quelques
Omhras touchés des qualités brilJUILLET.
1761 . 85
lantes qui diftinguoient le jeune Amet-
Schah , ne lui euffent découvert tout le
complot. Amet Schah triomphant de fes af
faffins & peu après des ennemis , retourna
couvert de gloire à la Capitale . Mais
quelle fut fa douleur , lorfqu'il apprit que
fon père ne vivoit plus ; ceux des Conjurés
qui étoient restés à la Cour , croyant
leurs ordres exécutés à l'armée, avoient répandu
le bruit de la mort d'Amet- Schah ,
avoient étouffé & jetté par la fenêtre
l'Empereur , & avoient publié qu'ayant appris
la mort de fon fils , fon défefpoir l'avoit
porté à attenter fur fes jours.
Le jeune Prince connut bientôt tous les
complices ; ils étoient au nombre de vingtdeux.
Il craignit de fuccomber s'il agiffoit
à force ouverte ; il prit l'habit d'un
Faquir & feignit de renoncer au Trône ;
il affembla tous les Grands & leur déclara
cette réſolution. Que celui de vous
dit- il , que j'enverrai chercher cette nuit
fe tienne prêt à recevoir de mes mains
le fçeau de l'Empire & à regner fous mon
nom. Amet- Schah profitant de leur fécurité,
apofta dans vingt - deux Chambres qu'il
deftinoit pour les lieux de fa vengeance ,
deux bourreaux avec ordre d'étrangler
l'Omhra qui y entroit pendant la nuit. Les
vingt-deux affaffins conduits chacun fépa
86 MERCURE DE FRANCE.
rément dans une de ces Chambres , y
trouverent un jufte fupplice au lieu de la
Couronne qu'ils y attendoient. Le jeune
Prince convoqua le lendemain une affemblée
générale dans laquelle il découvrit la
confpiration à fes Sujets , & fut proclamé
Empereur au milieu des acclamations les
plus flatteufes. Nizam reçut bientôt ordre
de fe rendre à la Cour. Mais il prevint la
mort honteuse qui l'attendoit ; on prétend
qu'à l'âge de cent fept ans il termina fes
jours avec du poifon qu'il tenoit prêt depuis
bien des années. Des guerres fanglantes
troublerent encore l'Indoftan pour
fa fucceffion : Mouza- Ferzingue un de fes
petits- fils, eut la protection d'Amet-Schah&t
des François. Le fecours de ceux- ci alloit
lui affurer laCouronne,quand il périt dans
un combat. Les Généraux - Majors allerent
fur le champ trouver Salabetzingue ,
un des fils de Nizam, & le proclamerent
Roi. Mais il déclara qu'il ne monteroit
fur le Trône qu'avec l'agrément des François
: car , s'écria- t - il , je ne veux vivre &
Tegner qu'avec l'appui de cette nation invincible.
Quand il fut affuré de la protection
de Meffieurs Dupleix & de Buffy
Commandans des François , il aecepta la
Couronne & fe déclara vaffal du Roi de
France. Amet - Schah fut détrôné & conJUILLET.
1761
87
damné à une prifon perpétuelle par un
Prince de fon fang qui lui fuccéda fous le
nom d'Alemguir ou Oramgzeb II. Le nouvel
Empereur ne fçut pas porter ce nom ,
& il ne fut comme Muhammed qu'un vain
fantôme de Roi .
M. Deformeaux termine ici l'Hiſtoire
des révolutions des Indes. Celle de Siam
occupe le refte du dixiéme Volume. Nous
en rendrons compte dans le Mercure du
mois prochain.
MEMOIRES pour fervir à l'Hiftoire de la
vie & des Ouvrages de M. l'Abbé LENGLET
DU FRESNOY . A Paris chez
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques
2761.
A La Préface , qui eft très - judicieuſe , annonce
le plan que l'Auteur de ces Mémoires
s'eft propofé de fuivre ; & ce plan
fe réduit à un fimple abrégé de la vie civile
& littéraire d'un homme plus fameux
par fes aventures que parfes Ouvrages , qui
a écrit avec plus d'imagination que d'exactitude
; mais qui, foit par la fingularité de
fes idées , foit par la fertilité de fa plume ,
88 MERCURE DE FRANCE. ·
s'eft acquis une affez grande réputation
dans le monde Littéraire. *
Le même efprit de fageffe & le même
amour pour la vérité régnent & dans la
vie & dans les autres parties qui compofent
ces Mémoires . C'eft avec raifon que
l'Auteur s'eft crû en droit , en parlant de la
perfonne & des Ouvrages de M. l'Abbé
Lenglet , d'ufer de la même franchiſe & de
la même liberté qu'il fe permettoit avec tant
d'autres.
On n'a pourtant point imité fa licence :
on peint , fans le flatter , le Savant dont
on écrit la vie , qui n'a pas été à beaucoup
près auffi décente que variée . Ceux même
qui feroient d'avis que , foit par l'importance
de fes Ouvrages, foit par la manière
dont il a vécu , il n'a pas mérité un pareil
honneur , ne pourront s'empêcher du
moins , de favoir gré à fon Hiftorien des
critiques utiles & des recherches curieufes
dont il a enrichi ces Mémoires .
On ne peut nier qu'il ne fût à fouhaiter
pour la gloire des Lettres , que l'on pût enfevelir
dans l'oubli tant de faits qui ont
avili quelques-uns de ceux qui les ont cultivées
avec le plus de fuccès. Combien de
Philofophes ne l'ont été que dans leurs
* Préface.
JUILLET. 1761 . 89
Ecrits
,
On voit avec douleur dans la viedu
célébre Bacon , Chancelier d'Angleterre
, que la juftice fe vendoit au Tribunal
de celui qui en étoit le Chef. Dans la
vie de M. l'Abbé Lenglet , on voit un Ecrivain
fans moeurs qui , admis dans une Bibliothèque
renommée, eft accusé d'en avoir
diftrait les meilleurs livres ; qui fe fait
payerfort cher une fuite de Mémoires qu'on
n'ajamais pú tirer de fes mains , fous prétexte
qu'ils avoient étéfaifis par ordre du
Miniftère ; qui , par l'adreffe & la rufe qu'il
employoit dans le commerce de fes Manufcrits
, s'étoit rendu fi redoutable , que le
plus fin Libraire ne traitoit jamais avec lui
qu'en tremblant... ; qui rioit fouvent tout
le premier , & s'applaudiffoit même des
avantages qu'il avoit fur les Cenfeurs &
les Libraires , & de la manière dont il les
dappoit tour-à-tour ; qui ayant toujours
paflé pour un Intriguant foit à Paris , foit
dans les Pays étrangers , employé par nos
Miniftres & en liaison avec ceux de nos
ennemis , fouvent fufpect aux uns & aux
autres, d'abord craint, puis protégé par le
Prince Eugène , ne paroît que trop par
l'efpéce de fervice qu'on tiroit de lui ,
avoir exercé partout le plus périlleux &
le plus méprifable de tous les métiers .
Qu'est - ce qu'un Ecrivain licentieux &
90 MERCURE DE FRANCE.
inconféquent , que les récompenfes n'ont
point touché , que les punitions n'ont jamais
pu corriger , qui facrifiant ſa fortune
à fon amour pour la liberté , s'expofoit
fans ceffe à la perdre ; & qui en effet
a été fi fouvent mis à la Baſtille , qu'il en
avoit en quelque forte contracté l'habitude
? A ce fujet , fon Hiftorien rapporte
qu'un Exempt , appellé Tapin , étoit celui
qui fe tranfportoit ordinairement chez
lui pour lui fignifier les Ordres du Roi.
Quand M. l'Abbé Lenglet le voyoit
» entrer , à peine lui donnoit- il le temps
» d'expliquer fa commiffion ; & prenant
» auffitôt la parole. Ah bonjour , M. Tapin
! allons vite , difoit- il à fa Gouver-
» nante , mon petit paquet , du linge &
» mon tabac &c. & il alloit gaîment à la
Baftille avec M. Tapin.
Quoiqu'il en pût arriver , l'Abbé Lenglet
vouloit penſer , écrire , agir & vivre
librement. Il dépendit de lui de s'attacher
au Prince Eugène qui l'emmena à Vienne;
ou au Cardinal Paffionei , qui auroit defiré
de l'attirer à Rome ; ou , ce qui auroit
été plus raiſonnable , à M. le Blanc , Miniftre
de la Guerre , qui dans plufieurs
occafions s'étoit fervi de lui . Il refuſa
tous les partis qui lui furent proposés :
fon amour pour l'indépendance étouffa
JUILLET. 1761 93
dans fon coeur la voix de l'ambition. Ce
ne font , comme le remarque très - bien à
ce fujet l'Hiftorien de fa vie , ni l'efprit
ni les talens , ni le favoir , ni le génie ,
ni la vertu même qui nous avancent dans
le monde ; c'eft uniquement le caractère
d'esprit
une certaine foupleffe dans les
refforts de l'âme , un longfervice auprès
des Grands , une conftance , une affiduité
qui ne fe rebute ni des lenteurs , ni des refus
, ni des duretés : difons plus , fouvent
auffi ce font les caprices de la protection &
de la fortune.
Un des grands défauts de l'Abbé Len
glet, étoit la fureur de juger ; il s'étoit érigé
un tribunal où il citoit anciens & modernes
, & les faifoit comparoître à fon
gré. Malheureusement , ajoute fon Hiſtorien
, il a laiffe des fucceffeurs , gens qui
fans miffion comme fans autorité, exercent
en defpotes la fouveraine Magiftrature du
Parnaffe. L'Abbé Lenglet éprouva plus
d'une fois combien il eft dangereux de fe
charger de la Police Littéraire.
Ce Savant fi laborieux, fur la fin de fes
jours , s'appliqua à la Chymie ; & comme
fon travail ne l'avoit pas rendu riche , il
eut la folie de chercher la pierre philofophale.
Il voulut auffi être lui- même
fon Médecin. La confiance qu'il avoit
2 MERCURE DE FRANCE.
aux drogues de fa compofition penfa lui
couter la vie : il fe donna d'abord une efpèce
d'hydropifie , dont il ne guérit qu'en
fe rendant prefque étique. Après avoir eu
le bonheur d'échapper à fes remédes par
la force de fon tempérament , parvenu
à l'âge de quatre - vingt - deux ans , il périt
d'une manière funefte au mois de Janvier
1755. En rentrant chez lui ,fur les fix heures
du foir , il prit un Livre nouveau qu'on
lui avoit envoyé. C'étoit .
Il en lut quelques Pages , s'en .
dormit,& tomba dans le feu. Ses voifins accoururent
trop tard pour le fecourir ; il
avoit la tête prefque brulée lorsqu'on le retira
du feu. *
La Liſte prodigieufe des Ouvrages qu'il
a compofés ou publiés , n'eft pas moins fingulière
que fa vie . Avec le Nouveau Teftament
en Latin , le Diurnal Romain en
François , l'Imitation de Jefus Chrift en
forme de Prières , peut- on n'être pas fcandalife
d'y trouver le Roman de la Rofe ,
les Arrêts d'Amour , le Traité de l'Ufage
des Romans ? Ecrivain pour & contre
, comme font tous ceux qui cherchent
moins à fe faire eftimer dans les Lettres
qu'à en vivre , à peine l'Abbé Lenglet eat-
Abrégé de la vie & c .
*
JUILLET. 1761 93
il fait paroître ce dernier Ouvrage fi répréhensible
, & qu'on a appellé avec raifon
l'Ecole de l'Epicuréifme le plus groffier
, que pour éviter la punition que méritoit
cette production cynique , il la critiqua
lui même dans un autre Livre intitulé
l'Hiftoire juftifiée contre les Romans .
Sa Réfutation de Spinoza n'eft rien moins
que ce que promet le Titre. C'est au contraire
une pernicieufe Compilation de
tous les Argumens des plus fameux Spinofiftes.
En parcourant le Catalogue de
fes Ouvrages , on voit que la Théologie ,
l'Hiftoire , la Littérature , la Politique
la Galanterie , la Satyre , en un mot le
Sacré & le Prophane ont tour - à - tour , &
peut - être avec la même indifférence ,
exercé la plume de cet Ecrivain licentieux.
La feule de fes Productions qui lui
faffe véritablement honneur , eft fa Méthode
pour étudier l'Hiftoire , dont il a donné
tant d'Editions , & qui eft en effet un des
meilleurs Livres que nous ayons en ce
genre . Nous croyons devoir , pour tous
les autres Ouvrages qu'il a compofés ou
dont il a été l'Editeur , renvoyer nos Lecteurs
au Catalogue dont nous venons de
parler . On trouvera dans les favantes recherches
de celui qui l'a publié , une pro
fonde érudition , une faine Critique & af94
MERCURE DE FRANCE.
fûrément plus de goût que n'en avoit M.
l'Abbé Lenglet. Son Hiftorien n'eft pas
fimplement un Bibliographe très - inf
truit , c'eſt un Philofophe éclairé qui fait
apprécier les connoiffances & l'ufage des
talens. A ces traits caractériſtiques , nous
pourrions reconnoître l'Auteur eſtimable
de différens morceaux Hiftoriques qui ont
été accueillis du Public : mais quelques
raifons qu'ait un Ecrivain de garder l'Anonyme,
nous croyons qu'on doit toujours
refpecter le voile dont il a voulu fe cou
vrir. » Un Auteur qui renonce ainfi à la
» gloire que tout Ecrivain croit toujours
≫ pouvoir retirer de fon Ouvrage , mérite
» bien du moins , pour récompenſe de ſa
» modeftie , ou de la juftice qu'il fe rend .
» qu'on ne tire pas le voile derrière lequel
» il fe dérobe aux yeux du monde , fût- ce
» pour l'honorer ». L'Abbé de S. Réal de
la Critique , chap. 1.
JUILLET. 1761 95
LETTREfur la Defcription du MAUSOLES
de Mgr le Duc DE BOURGOGNE,
A M. D. L. P.
ONSIEUR ,
Je ne crois pas que le terme de Maufolée
employé dans la defcription imprimée
de la Pompe funébre pour Monſeigneur
le Duc de Bourgogne , foit le mot
propre ; il me femble au contraire trèsoppofé
à l'idée que l'on doit donner &
que l'on a en effet, de ces fortes de décorations.
L'etymologie du mot de Maufolée eſt
naturellement dans fon origine Hiftorique
, perfonne ne l'ignore. Le nom de
Maufole a produit celui de Maufolée ; &
ce Monument , compté au nombre des
merveilles de l'Art, étoit deftiné à contenir
& à garantir des ravages du temps , les
cendres du Prince pour lequel il avoit été .
érigé. L'idée que l'on a dans notre langue
de ce terme , eft exactement conforme à
cette origine. Jamais on n'a entendu &
l'on n'entendra autre chofe par la quali
6 MERCURE DE FRANCE.
fication de Maufolée, qu'un monument durable
, compofé des matières les plus folides
, & élevé fur le tombeau de quelqu'un
dont on veut perpétuer la mémoire. Qu'y
a- t-il de plus oppofé à cela , qu'une décoration
mobile , deftinée à orner pendant
une Cérémonie de trois ou quatre heures ,
la place où l'on dépofe un cercueil , pour
le lever de cet endroit & l'inhumer enfuite
dans le lieu deftiné à cet ufage ? Après
quoi toute la décoration difparoît & il
n'en reste aucun veftige fur le corps du
Prince défunt , ni aux environs. Je penfe
donc, que c'eft le terme de Catafalque qui
convient en cette occafion . Mais je crois
entrevoir ce qui aura fair tomber dans
l'erreur les Artiftes , ou tels autres qui auront
rédigé cette defcription. Les Cata
falques font plus ordinairement conftruits.
pour des fervices ou commémorations, que
pour des Obféques ; d'où ils auront inféré
que pour cette derniere cérémonie , le
terme étoit impropre. Il n'eft donc pas
inutile , pour l'exactitude de notre langue,
de faire obferver que le mot de Catafalque
eft un mot générique qui fignifie toute
décoration funébre ; & que par l'ufage , on
l'a appliqué aux décorations mobiles &
paffagères .Il y a un mot particulier pour fi
gnifier les répréfentations où il n'y a poine
de
JUILLET. 1961 . 97
de corps déposé, ce mot eft Cenotaphe, par
lequel on entend un tombeau vuide .
Ce qui me confirme dans l'opinion que
Catafalque eft le feul terme que l'on dûc
employer en cette occafion , eft l'étymologie
que j'en ai recherchée : ce mot nous
vient de l'Italien ; mais les Italiens l'ont
probablement pris dans leGrec.Nous trou
vons dans ce mot celui de Kara ,prépofition
qui fignifie de , infuper , in , fecundum ,
verfus , propter &c ; & le verbe alo ,
in lucem edo , oftendo , indico , praluceo ;
d'où eft compofé le verbe Karapaiva , declaro
, affirmo , oftendo. L'analogie eft
fenfible avec l'ufage de nos Catafalques :
J'annonce , j'indique fur quelque chofe ;
& pour fe faire nieux entendre , ofons
nous fervir d'un expreffion triviale , je
fers d'enfeigne. Telle eft la fignification
naturelle du verbe Grec. On fent avec
quelle jufteffe il fe rapporte à l'uſage des
Carafalques. Si l'on aime mieux faire dériver
ce mot d'un autre verbe Grec Kataparrála
, le fens fe trouvera encore plus
relatif. Ce verbe , qui fignifie faire paroître,
rendre les chofes préfentes par des images ,
femble convenir particulierement aux Catafalques.
Ainfi , foit que ces fortes de décorations
couvrent ou ne couvrent pas
pour quelques momens , un cercueil , elles
I. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
n'en font pas moins des repréſentations
d'attributs de chiffres ou d'allégories , qui
indiquent les titres , les dignités & les
vertus de la perfonne pour laquelle eft
deftinée la Pompe Funébre ; conféquemment
il n'y a que ce nom quifoit applicable
à ces fortes de décorations . Celui de Maufolée
produit une erreur trop groffière ,
puifqu'il fignifie précisément toute autre
choſe que celle dont on donne la defcription.
Je fuis perfuadé que vous aurez eu la
même idée ; je ne fais que vous prévenir,
dans la crainte que cette Obfervation
n'échappât dans le nombre des Pièces que
vous êtes obligé de voir. Vous fçavez
comme moi , que le Mercure a fait autorité
& le fait encore journellement en différentes
occafions. Il n'eft donc pas convenable
d'y laiffer inférer des méprifes de
cette nature fans les relever .
J'ai l'honneur d'être , Monfieur & cher
Confrère, avec tous les fentimens , & c.
D. L. G. Penfionnaire Adjoint au Mercure.
JUILLET. 1761 . ୨୨
LETTRE de M. DE CAMPIGNEULLES
des Académies Royales d'Angers , de
Villefranche , de Caën , & de la Société
Littéraire- Militaire , Tréforier de France
en la Généralité de Lyon , à M. DE LA
PLACE , Auteur du Mercure.
AYAYANT appris , Monfieur , que plufieurs
perfonnes, tant àParis qu'en Province, m'attribuaient
un Livre nouveau intitulé Candide,
feconde partie, j'ai cru devoir défavouer
cet ouvrage de la manière la plus précise , la
plus propre à me concilier la bienveillancedes
gens vertueux que j'honore , & dans
l'efprit defquels mon filence auroit pu produire
un effet fâcheux. Je les prie inftamment
d'être bien convaincus que je n'ai jamais
rien écrit de contraire à la décence
aux principes de la morale & de la vraie
religion; que la fuite de Candide n'eft point
de moi ; que je défapprouve la licence qui
y regne & l'efpéce de Philofophie qu'on y
trouve à chaque page ; qu'enfin de toutes
les brochures qu'on a mifes fur mon compte
, je n'ai véritablement compofé que de
foibles effais fur divers fujets , imprimés
E ij
636312
100 MERCURE DE FRANCE.
avec beaucoup de fautes en 1758 , & .des
Anecdotes fur la fatuité, fuivies de recher
ches & de réflexions fur les Petits- Maîtres
anciens & modernes . Si cet ouvrage a
joui d'un affez grand fuccès , je ne doute
pas que le genre d'utilité qu'il comporte
n'en foit la premiere caufe. LeFrançois porte
tout à l'extrême : L'Enthouſiaſme pour
le fervice de Cérès lui fait abandonner le
culte des Muſes . Les Poëtes , les Littérateurs
font confidérablement tombés. Un
faifeur de Madrigaux , pour être quelque
chofe , eft obligé de bâtir un petit traité ſur
l'Agriculture.On feroit tenté de croire que
toutes nos terres vont être en valeur &
nos efprits en friche. Après tout , cet entoufiafme
paffager pourra faire un grand
bien à la Nation ; je ne cherche point à le
ralentir mais je m'applaudis feulement
que mon ouvrage ait paru dans un tems où
l'on croyoit encore qu'il étoit utile & glorieux
de déraciner les vices , & de faire la
guèrre à des ridicules infupportables dans
la Société. J'en reviens à la fuite de Candide.
Quoique quelques gens de Lettres
l'ayent trouvée affez bien écrite pour parer
qu'elle étoit d'un homme très- célébre
en Europe ; encore un coup , Monfieur , je
la défavoue abfolument; & je vous prie inf
JUILLET. 1761. IOI
tamment dè rendre cette Lettre publique.
J'ai l'honneur d'être , & c.
THOREL DE CAMPIGNEULLES.
A Lyon , ce 28 Mai 1761 .
P. S. C'est particuliérement dans le pays
que j'habite, que , foit par ignorance ou par
mauvaiſe foi , on fe plaît à m'attribuer je
ne fais combien de petites brochures , parmi
lefquelles il s'en trouve qui feroient un
tort ſenſible à mon coeur & à mon efprit .
Il eft bon que les gens qui ne me connaiffent
pas apprennent que je ne fais guères
de petites brochures . Ceux qui me connaiſfent
me rendent juftice.
. DE LA VIE & des Maurs des Chanoines
; par Denis Rikel , Chartreux ; Ouvrage
également utile à tous les Eccléfiaftiques
. Traduit du Latin, par M. l'Abbé
de Mery , Prêtre & Licentié en Théologie
. In- 12 . Louvain , 1761 ; & le trouve
à Paris , chez Guillaume Defprez, Libraire
, rue S. Jacques.
ANALYSE de l'Ouvrage du Pape Benoit
XIV. (ur les Béatifications & Canonifations
, approuvée par lui-même & dédiée
au Roi. Volume in 12. Paris , 1761 , chez
E iij
702 MERCURE DE FRANCE.
Lottin le jeune , rue S. Jacques , au coin
de la rue de la Parcheminerie . On trouve
chez le même Libraire , qui vient
d'acquérir le fonds du fieur Hardy , les
ELEMENS des Sciences & des Arts Littéraires
, traduits de l'Anglois de Benjamin
Martin , 3 vol. in- 12.7 1. 10 f.
Le premier Volume traite de la Théologie
, Grammaire & Rhétorique &c. Le
II de la Logique , Métaphyfique , Géographie
ancienne & moderne , de l'Hiftoire
& Phyfiologie & c. Le III de la
Botanique , Anatomie , Pharmacie , Médecine,
Politique & Economie , de la Jurifprudence
& du Blafon &c.
I.E SPECTACLE des Beaux- Arts, ou Confidérations
touchant leur nature , leurs objets
, leurs effets & leurs régles principales
; avec des obfervations fur la manière
de les envifager ; fur les difpofitions néceffaires
pour les cultiver , & fur les
moyens propres pour les étendre & perfectionner
, vol . in- 12 . 2 1. 10 f.
Cet Ouvrage qui fert de Suite au Spectacle
de la Nature de M. PLUCHE , traite
des Beaux- Arts en général ; de leur naiffance
, de leur progrès , & de leur décadence
; des différens âges & pays où ils
JUILLET. 1761 . 103
ont fleuri ; de la Verfification Françoife ;
de la Poëfie & de fes différens genres ; de
la Langue Françoife par rapport à la Poëfie
& à la Mufique ; de la Mufique & de
fes différens genres &c.
MANUEL de l'Homme du Monde , ou
connoiffance générale des principaux états
de la Société , & de toutes les matières
qui font le fujet des converfations ordinai
res. Ce qui a pour objet les diverſes dignités
, charges , commiffions , dans le Civil ,
le Militaire , la Finance , le Commerce ;
les Maifons Souveraines de l'Europe , le
droit de chaque Souverain &c. Les notions
éffentielles fur les affaires civiles &
fur les engagemens que l'on contracte ; les
parties principales des Belles- Lettres , &
les hommes célébres en tous les genres ;
les chofes remarquables qui concernent
particulièrement la Ville de Paris , comme
les Compagnies de Juſtice, les diversCorps
établis pour le progrès des Sciences & des
Arts , les Spectacles , les Monumens publics
, & tout ce qui mérite l'attention
des Patriotes & des Etrangers. Par ordre
alphabétique. Gros in- 8 ° . Paris , 1761 ..
chez Guillyn , quai des Auguſtins , près
du Pont S. Michel , au Lys d'Or . Cet
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
Ouvrage nous paroît auffi utile que
fait.
bien
LA VIE & l'Efprit de S. Charles Borromée
, Cardinal de Ste Praxede , Archevêque
de Milan . Par le R. Père Antoine
Touron , de l'Ordre des Frères Prêcheurs .
Grand in - 12 . 3 vol. A Paris , chez Butard
, Libraire, rue S. Jacques, à la Vérité.
ÉLÉMENS d'Arithmétique , d'Algèbre ,
& de Géométrie , avec une Inftruction
aux Sections coniques : Ouvrage utile,
pour difpofer à l'étude de la Phyfique &
des Sciences Phyfico - Mathématiques.
Par J. M. Mazéas , Profeffeur de Philofophie
en l'Univerfité de Paris , au Collège
Royal de Navarre . Seconde Edition , revue
, corrigée & augmentée par l'Auteur.
In- 8°. Paris , 1761 , chez P. G. Le Mercier
, Libraire , rue S. Jacques , au Livre
d'Or.
HISTOIRE UNIVERSELLE Sacrée & Profane
, compofée par ordre de Mefdames
de France , par M. Hardion , de l'Acadé->
mie Françoife , de celle des Infcriptions
& Belles- Lettres , Garde des Livres du
Cabinet du Roi. In- 12 , Tomes 13 & 14.
Paris , 1761 , chez Guillaume Desprez ,
JUILLET. 1761. 105
rue S. Jacques , à S. Profper & aux trois
Vertus. Nous nous propofons de rendre
bientôt compte de ces deux nouveaux
volumes , qui ne démentent point ceux
qui les ont précédés. Le prix des deux volumes
eft de liv . reliés . S
FABLES NOUVELLES divifées en 6 Livres
, avec des notes & un difcours fur la
manière de lire les Fables , ou de les réciter.
Nouvelle Edition revue , corrigée
& confidérablement augmentée . Par M.
l'Abbé Aubert, Volume in - 16 , ſoigneufement
imprimé ; qui fe vend à Paris
chez l'Auteur , Place Dauphine ; chez
Defaint & Saillant , rue S. Jean de Beauvais
; Duchesne , rue S. Jacques ; & chez
Langloisfils, au bas de la rue de la Harpe .
Deux Parties réunies en un vol . Prix, a 1.
Nous rendrons compte de cet Ouvrage ,
qui ne peut que faire beaucoup d'honneur
à fon Auteur.
LA VIE de Laurent de MEDICIS , furnommé
le Grand , & le Père des Lettres ,
Chef de la République de Florence ;
adreffée au Pape Leon X : traduite du
Latin de Nicolas Valori , fon contemporain.
Avec des notes & quelques Piéces
anciennes qui ont rapport au même Su-
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
jet. In- 12 . Paris , 1761. Chez Nyon , Libraire
, quai des Auguftins , à l'Occafion .
Prix , 1 liv. 16 f.
RÉFLEXIONS fur les Principes de la Juftice
, Brochure in - 12 , de 150 pages.
Paris , 1761 , chez Leclerc , Libraire au
Palais ; par l'Auteur de l'Inftruction facile
Jur les Conventions : Ouvrage où il a krouvé
la vérité de l'Epigraphe qu'il a placée
au Frontifpice de celui ci.
Onpourroit recueillir dans un très -petit
volume , toute la fubftance de ces Principes
généraux , quifont dictés par la Loi
naturelle & qui influent fur toutes les
décifions des Juges .
M. le Chancelier d'AGUESSEAU , dans
fon Inftruction fur l'Etude du Droit.
EUVRES diverfes de Grécourt, nouvelle
Edition , foigneufement corrigée , & augmentée
d'un grand nombre de Piéces qui
n'avoient jamais été imprimées . in- 16 ,
Luxembourg , 1761 ; 4 Volumes , avec le
Portrait de l'Auteur. On en trouve des
Exemplaires chez Duchefne , rue S. Jacques.
HISTOIRE de l'Univerfité de Paris , depuis
fon origine jufqu'en l'année 1600 .
JUILLET. 1761 . 107
Par M. Crevier , Profeffeur Emérite de
Rhétorique , en l'Univerfité de Paris , au
College de Beauvais. in- 12 , 7 Volumes ;
Paris , 1761 , chez Defaint & Saillant ,
rue S. Jean de Beauvais , vis- à - vis le Col
lége. Les 7 Volumes reliés , 21 liv .
LES COMPTES FAITS de Barême , où l'on
trouve les fupputations qui fe font par
les Multiplications , pour la valeur de
quelque chofe que l'on puiffe imaginer ,
& à telle fomme qu'elles puiffent monter.
Ouvrage très - utile à tous Tréforiers , Officiers
, Entrepreneurs , Négocians , & même
à ceux qui ne ne favent pas l'Arithmétique
; jolie Edition , in- 24 , par conféquent
très-portative . Paris , 1761 , chez
Nyon , Quai des Auguſtins , à l'Occafion.
TRAITÉ de la défenſe intérieure & extérieure
des redoutes , avec cinq grandes
Planches. Par M. De Touzac, Lieutenant
réformé du Régiment de Poitou , & Ingénieur-
Géographe du Roi . Volume in-
8°. gravé par M. Chambon , de la Société
Littéraire & Militaire. A Paris , chez
Claude Hériffant , Imprimeur Libraire ,
rue Notre - Dane , à la Croix d'Or. 1761 .
Programme de l'Auteur.
Monintention,en préſentant ce Traité,
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
"
1
eft d'être utile à tous les Officiers , & T
à tous ceux qui fe deftinent à l'Art Militaire.
Les différentes pofitions des terreins
m'ont fait reconnoître , après plufieurs
Campagnes de Bohême , d'Italie , des Alpes
& d'Allemagne ; la néceffité où tous
les Officiers font de fçavoir tirer avantage
des terreins pour la conftruction des Re- .
doutes , qui peuvent leur convenir. Ce
que je préfente , n'eft que le fruit de mes
travaux pendant plus de vingt ans de fervice.
Je ne me fuis déterminé à préfenter cet
Ouvrage , qu'après l'avoir communiqué à
des perfonnes diftinguées : leur fuffrage
augmente ma confiance & mon zéle. Si le
Public en juge auffi favorablement, & que
ce petit Traité puiffe être utile, cela m'engagera
à publier d'autres Ouvrages théoriques
& pratiques fur l'Art Militaire.
Conditions.
Le prix de chaque Exemplaire eft de
liv. 10 f. broché.
On ne fera reçu à foufcrire que jufqu'au
mois d'Août 1761 : paffé ce temps , chaque
Exemplaire fe vendra 7 liv. 10 f. fans
pouvoir efpérer aucune diminution.
Nota. Les perfonnes qui voudront s'afJUILLET.
1761 . 109
farer de la beauté de la Gravure , & de
l'exactitude des Plans , s'adrefferont à M.
Chambon , Graveur de la Société Littéraire
& Militaire , rue S. Jacques , près
ļa rue Galande , au Papillon .
ABRÉGÉ DE L'HISTOIRE des Plantes
Ufuelles dans lequel on donne leurs
noms différens , tant François que Latins ;
la manière de s'en fervir ; la dofe , & les
principales compofitions de Pharmacie ,
dans lesquelles on les emploie. Par feu
Pierre-Jean- Baptifte Chomel , Docteur-
Régent , & ancien Doyen de la Faculté de
Médecine de Paris , Confeiller- Médecin
ordinaire du Roi , Affocié vétéran de
l'Académie Royale des Sciences . Nouvelle
Edition , revue , corrigée & aug
mentée. Paris , 1761 , 3 Volumes in- 12 .
Se vendent chez la Veuve Didot , Nyon ,
la Veuve Damonneville Leclerc , &
Guillyn , Libraires Quai des Auguftins
; chez Cavelier , rue S. Jacques ,
d'Houry , rue de la Bouclerie, & Durand,
rue du Foin .
>
"
AVIS aux Soufcripteurs du Cours d'Hif
toire & de Géographie univerfelle.
- MESSIEURS LES SOUSCRIPTEURS ,
mé110
MERCURE DE FRANCE.
contens à fi jufte titre , d'attendre depuis
huit mois la fuite du COURS D'HISTOIRE
UNIVERSELLE , font trop équitables pour
imputer à l'Auteur les obftacles qui l'ont
arrêté jufqu'à préfent . Perfonne n'avoit un.
intérêt plus fenfible à la continuation
d'un Ouvrage qu'ils avoient honoré d'un
accueil favorable. Animé dans fon travail
par un encouragement
fi flatteur , on ne
peut le foupçonner
d'en avoir lui -même
fufpendu le cours. Il s'y eft vû malheureufement
forcé par une cauſe tout - à- fait
étrangère.
Il croiroit devoir rougir s'il étoit obligé
de fe juftifier fur l'emploi des fonds. Les
perfonnes qui ont foufcrit n'ignorent
pas que la remife de ces fonds a été faite
à l'Imprimeur , qui en eft encore actuellement
dépofitaire . Quoique cet Imprimeur
fût chargé des frais de l'Edition , cette
difficulté n'auroit pas empêché l'Auteur
de continuer à remplir fes engagemens
vis -à- vis du Public ; mais retenu à chaque
inftant par des procédures multipliées , il
n'a pû fuivre ce projet fans y être autorifé.
C'eft uniquement dans cette vue , dégagée
de tout autre motif que celui de répondre
aux bontés du Public, en réparant
un délai trop long, mais involontaire , qu'il
prie MESSIEURS LES SOUSJUILLET.
1761. Fri
CRIPTEURS de vouloir bien lui faire
parvenir à l'adreffe qu'il a l'honneur de
leur communiquer , des copies collationnées
, des Quittances de Soufcription , qui
leur ont été données : & comme il auroit
arriver que par inadvertance ou quelqu'autre
raison, plufieurs perfonnes euffent
foufcrit fans recevoir des quittances , on invite
ceux qui font dans ce cas, de marquer
la datte du jour qu'ils auront foufcrit , &
le nombre des feuilles qu'on leur a fournies
; la connoiffance exacte des Soufcripteurs
étant abfolument néceffaire pour
prévenir toute négligence.
* A MONSIEUR L'ABBE' LUNEAU
DE BOISJERMAIN , rue & à côté de la
Comédie Françoife.
Avis aux Soufcripteurs du Dictionnaire
Univerfel des Sciences Eccléfiaftiques.
LE fieur Jombert , Libraire du Roi ,
vient de mettre au jour les 3. & 4°. Volumes
du DictionnaireUniverfel des Sciences
Eccléfiaftiques : le temps & les circonftances
ne lui ont pas permis de tenir
l'engagement qu'il avoit contracté avec
le Public , de donner cet important Ouvrage
en deux livrains feulement, mais
112 MERCURE DE FRANCE.
le fetard de la livraifon du s . vol . ne
fera prolongé que jufqu'au courant de
Décembre prochain . MM. les Soufcripteurs
font priés d'envoyer le coupon de
la reconnoiffance de Soufcription qui
leur refte en faifant retirer ces deux volumes
: le fieur Jombert leur donnera une
nouvelle reconnoiffance pour retirer gratis
le 5. volume.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES,
ACADÉMIE S.
EXTRAIT du Difcours prononcé au Collége
Royal de France , le 5 Mai. Par
M. DELALANDE , de l'Académie
Royale des Sciences.
UN ufage ancien & toujours obſervé
par MM. les Profeſſeurs Royaux , eſt de
prononcer lors de leur réception un Difcours
Latin fur la Science qu'ils doivent
profeffer ; ce ne font point ici de vaines
cérémonies , mais prèfque toujours des
Differtations importantes , qui fervent à
JUILLET. 1761 .
éclaircir des queftions , ou à préfenter fous
des traits plus intéreffans, ce qu'il importe
aux hommes de connoître ; tel fut furtout
le difcours de M. Delalande : l'utilité
des Mathématiqués dans l'ufage de la vie ,
le fecours qu'elles procurent aux hommes,
leur application immédiate à nos befoins ,
lui fourniffoient une matière qu'il auroit
su peine à ébaucher, s'il n'avoit fçû fe borner
aux chofes les plus éffentielles & en
même temps le moins connues .
Les hommes jouiffent à tous momens
des avantages que les Sciences leur ont
procurés , fans en apperçevoir le progrès,
les difficultés , l'importance. Parmi les
ravaux de l'Académie des Sciences , on
rouve fur- tout une infinité de chofes dont
'application eft auffi utile , que l'invenion
en eft ingénieufe. La découverte des¹
Télescopes , la conftruction des Miroirs
rdens , les Pompes , les Syphons , les
Fortifications , l'Artillerie , la Navigation ,
la conftruction & la manoeuvre des Vaiffeaux,
la Perſpective, l'Architecture, l'Hydraulique
, la Gnomonique , l'Horlogerie ;
que de chofes où l'humanité puife fans
ceffe des fecours, & dont la perfection intéreffe
par conféquent tous les hommes !
La fondation du Collège Royal de
France par François I , fut un des premiers
114 MERCURE DE FRANCE.
traits par lesquels ce Monarque Reſtaura
teur des Lettres , fignala ſa protection &
fon amour pour les Sciences ; mais cet établiſſement
fameux & qui conferve encore
tout fon éclat, eft furtout utile à la France
pour ce qui concerne les Mathématiques;
c'eſt le feul endroit ou l'on puiffe apprendre
ce qu'elles ont de fublime & de relevé
, où l'on puiffe trouver chaque jour
des Mathématiciens prêts à éclaircir toutes
les difficultés , & à procurer tous les
fecours que des perfonnes ftudieufes peuvent
fouhaiter.
L'éloge de ce Monarque , Fondateur
eft devenu auffi indifpenfable dans les difcours
du College Royal , que celui du Cardinal
de Richelieu dans les complimens
de l'Académie Françoiſe . M. Delalande
tira le fien principalement du nombre des
grands hommes que François I. fut favorifer
& raffembler ; qui illuftrérent fon regne
, & formérent la révolution de l'efprit
humain . De là venoit affez naturellement
l'éloge des premiers Profeffeurs
Royaux qui jouirent tous dans ce tempslà
, de la plus haute réputation , mais qui
n'ont point dégéneré fous les regnes fuivans
; tout ce qu'il y a eu de plus fameux
dans les Lettres , pour les Langues Orientales
, les Mathématiques , la Philofophie,
JUILLET. 1761 .
le Droit Canon, la Medecine, l'Eloquence ,
fe voit dans l'Hiftoire de ce bel établiffement
donné par M. l'Abbé Goujet en 3
vol . in-12. M. Delalande ne dit rien de
trop, en affurant qu'on auroit peine à citer
un des Profeffeurs Royaux qui n'ait pas
été un homme illuftre dans quelqu'une
des parties qu'on y enfeigne : Vatable
Danez, Gaffendi , Roberval , Lahire, Varignon
, d'Herbelot , Rolin , Patin , Tournefort
, Geoffroy , Baluze furent des gens
uniques de leur temps & dans leurs genres
, qui illuftrérent furtout cet établiffement
, & lui donnérent la réputation dont
il jouit encore en Europe.
L'éloge du Roi regnant fourniffoit à
l'Orateur une vafte carrière,fans fortir de
fon Sujet , je veux dire des Sciences Phyfiques
& Mathématiques ; on fait que ce
Prince, dont le Gouvernement a pour caractère
diſtinctif la modération & la douceur
, donne aux Sciences toute l'activité
imaginable , les cultive , les protége d'une
manière efficace , & ne leur refufe aucun
des fecours que les Savans lui demandent .
Combien l'Académie des Sciences furtout
ne lui doit- elle pas de reconnoiſſance &
d'éloges ? Des voyages en Laponie , & en
Amérique , nous ont appris la figure de la
Tèrre ; les voyages en Afrique & en Al116
MERCURE DE FRANCE.
lemagne nous ont appris les diftances de
la Lune à la Tèrre , & nous ont procuré
un Catalogue de dix - mille Etoiles qu'on
ne voit pas fur notre horifon ; actuellement
même l'Académie vient d'envoyer
avec les fecours de l'Etat , aux Indes , en
Afrique , en Sibérie des Obfervateurs pour
le paffage de Vénus fur le Soleil qui doit
faire connoître la diftance du Soleil & de
toutes les Planetes entr'elles & par raport
à la Tèrre .
M. le Comte de S. FLORENTIN , qui affiftoit
à la cérémonie , devoit entrer naturellement
pour quelque chofe dans l'é--
loge de la protection que reçoivent aujourd'hui
les Sciences ; lui qui eft actuellement
le Miniftre , chargé du Département
des Académies , qui depuis plus de
vingt ans remplie une place d'Honoraire
dans celle des Sciences , & n'a jamais rien
oublié de ce qui pouvoit fignaler fon amour
pour les connoiffances qu'on y cultive . Le
College Royal en particulier a été l'un
des objets de fa protection & de fon zéle ;
la guerre feule a empêché qu'il ne lui
donnât une nouvelle face , en logeant d'une
manière plus décente ce nouveau Lycée ,
& en augmentant les fecours qu'on lui accorde
chaque année ſur le Tréfor Royal.
Parmi les chofes importantes qu'un État
JUILLET. 1761. 117
doit à la culture des Sciences , le progrès
de la Navigation eft certainement une
des plus confidérables ; la découverte des
Longitudes qui a été cherchée & defirée
fi long-temps , eft comme faite aujourd'hui
par le travail des Aftronomes ; les mouvemens
de la Lune étant obfervés chaque
jour fur un Vaiffeau , l'on en conclut fans
peine la Longitude à quelques lieues près ;
& l'on eft à portée de rectifier l'eſtime
des Pilotes , qui fans cela s'écarte fouvent
de deux cent lieues & davantage. Le célébre
Morin , l'un des Profeffeurs Royaux
fous Louis XIII , fut l'inventeur de cette
belle méthode , à laquelle on n'a prèſque
ajoûté que l'exactitude des calculs & la
précifion des inftrumens ; & c'eft pour
fervir à cette recherche des Longitudes
fur Mer, que l'Académie des Sciences pu
blie chaque année un Catalogue des lieux
de la Lune à midi & à minuit de tous les
jours ; ce travail fait partie de la connoiffance
des mouvemens céleftes que M. Dela
lande lui- même compofe depuis plufieurs
années.
Quelle haute idée ne doit- on pas fe former
, dit M. Delalande , de l'importance
de ces recherches , en voyant un prix de
cinq cents mille livres , qu'avoit propofé
pour la découverte des Longitudes , cette
718 MERCURE DE FRANCE.
Nation indomptée, qui par fa Marine femvouloir
envahir notre commerce , nos
Colonies , nos Côtes , notre liberté même ?
Les Anglois ont appris de Cromwel ce
qu'apprit Themiftocle aux Athéniens , Pompée
aux Romains , Colbert à Louis XIV ;
que quiconque eft maître de la Mer , devient
bientôt maître de tout le refte.
Si les befoins de la fanté nous paroiffent
encore plus immédiats que ceux de la
Splendeur & de la Puiflance de l'Etat ,
nous trouvons dans les Mathématiques
une application à la Medecine fur laquelle
M. Delalande infifta beaucoup dans fon
difcours , parce qu'elle eft peu connue.
.
L'Aftrologie infecta pendant plufieurs
fiécles la Médecine. On parloit alors des
conjonctions féches ou humides , de planetes
froides , malignes , bienfaifantes ,
d'aſpects , de maifons , d'horofcope . On a
banni avec raifon ces rêveries ; mais il eſt
une influence de corps céleftes , auffi réelle
que les autres étoient chimériques , appuiée
fur des faits & fur des raifonnemens
naturels , dont on n'a pas encore ofé s'occuper
, de peur de paroître revenir à l'ancienne
fuperftition.
Cependant on connoît aujourd'hui l'attraction
générale & réciproque de tous
les Corps qui exiftent dans la nature ; on
JUILLET. 1761 . 119
fait que le Soleil & la Lune en particulier
font capables de faire monter toutes
les eaux de la Mer , de balancer l'axe du
monde , de produire dans la Mer pacifique
un vent alifé & conftant qui ne ceffe
jamais. Une force fi puiffante , qui ſe manifefte
dans le Ciel , fur la Tèrre , fur la
Mer , & fur la maffe de l'Air qui nous environne
, pourroit- elle n'avoir aucun effet
fur nos corps ? Voyons ce qu'en ont obfervé
les Médecins les plus célébres , ceux
même qui ont écrit depuis que l'Aftrologie
eft oubliée , ils ne parlent tous que de
nombre fepténaires , de crifes régulières ,
de mortalités arrivées au moment de certaines
Eclipfes ; on y voit des maladies
dont les Paroxifmes fuivoient à la minute
le flux & le reflux de la Mer , d'autres
dont les retours s'accordent avec les Phafes
de la Lune , d'autres enfin qui ont un
rapport vifible avec l'Apogée & le Perigée
de la Lune , ou avec fes paffages par l'Equateur.
"On fait par les calculs de l'Attraction
. que toutes ces circonftances doivent
en effet y entrer , & influer plus ou
moins fuivant l'état du Ciel au commencement
de la maladie;il eft vrai que les Médecins
ne favent ce que c'eſt qu'Apogée ,
Périgée, ou Equateur ; maispourquoi n'en
croiroient- ils pas un Mathématicien qui
120 MERCURE DE FRANCE.
paroît avoir cultivé la Medecine , & qui
leur annonce des connoiffances nouvelles
qu'ils peuvent ailément acquérir en joi
gnant un peu l'étude des Mathématiques
å celle de la Medecine ? Pour y contribuer
autant qu'il eft en fon pouvoir , M. Delan
"Lande a annoncé que les leçons qu'il donnera
cette année trois fois la femaine au
College Royal , auront pour objet l'attraction
générale & réciproque des corps céleftes
, la preuve de cette loi & les effets
qui en résultent .
200
HISTOIRE NATURELLE.
AVIS aux Amateurs d'Ornithologie .
Li■ P. Fourcault , Religieux Minime
& Naturalifte , qui depuis vingt ans eft
connu de tous les Savans , & a reçu de
l'Académie des Sciences les témoignages
les plus honorables de confidération , excelle
furtout dans l'art de préparer & de
conferver les oifeaux , de leur donner les
attitudes , la vivacité , & pour ainfi dire
la vie ; enfin de les défendre des Infectes
qui les détruifent ; il en a fait à Mâcon
qui eft le lieu de fa réfidence , une collection
auffi complette & auffi rare qu'on
en puiffe voir dans le Royaume ( excepté
le
JUILLET. 1761 . 121
le Cabinet du Roi ) . Il y a joint les nids
& les oeufs de la plupart de ces oifeaux ;
enfin il a enrichi fon cabinet de plufieurs
quadrupedes rares & étrangers.
Cette précieufe collection , dont le P.
Fourcaule eft obligé de fe défaire , à quelque
prix que ce foit , au plus tard dans le
mois de Novembre prochain , en détail
ou en maffe , fera pour les Curieux une
occafion bien précieuſe & bien rare de
s'enrichir dans ce genre- là. On pourra
traiter avec le P. Fourcault par lettres ,
en affranchiffant le port.
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS UTILE S.
AGRICULTURE.
M. LE CONTRÔLEUR GÉNÉRAL , qui s'oc
cupe beaucoup de l'augmentation de l'Agriculture
, fource des richeffes de l'État ,
ayant repréſenté au Roi, que rien ne contribueroit
davantage à la rendre floriflante
, que d'établir dans toutes les Généra
lités du Royaume , des Sociétés compo-
I. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
fées d'un certain nombre de perfonnes
poffédant , ou cultivant des terres , éclai
rées par une pratique conftante , & diftinguées
dans leur état , qui s'occuperoient
uniquement de cet objet éffentiel ; il aété
rendu le 24 Février dernier un Arrêt
du Confeil d'État du Roi , qui ordonne
l'Établiffement d'une Société d'Agricul
ture dans la Généralité de Tours . Cette
Société eft compofée de trois Bureaux ,
dont l'un tient fes féances à Tours , l'autre
à Angers , & le trojfiéme au Mans :
cependant tous les Membres de la Société
ne forment qu'un feul Corps , ils ont
féance & voix délibérative dans les trois
Bureaux , lorsqu'ils fe trouvent dans le
lieu de leur établiſſement. Chacun de
ces trois Bureaux eft compofé de vingt
perfonnes dont les noms fe lifent à la
fuite de l'Arrêt . Les Affemblées ordinaires
de chaque Bureau fe tiennent une
fois par femaine ; les Délibérations de la
Société fur tous les objets de l'Agriculture
, & les Mémoires relatifs aux mêmes
objets doivent être adreffés au Contrôleur
Général des Finances , pour y être pourvu
par
le Roi. Les fieurs Verrier , Négociant
à Tours , Dubois , Profeffeur de Droic
en l'Univerſité d'Angers , & Duverger
JUILLET. 1761. 127
Négociant au Mans , qui font partie des
foixante Membres de cette Société , fone
nommés Secrétaires perpétuels des Bu
reaux établis dans les Villes de leur réfidence.
On doit un établiſſement auffi utile
au travail , aux foins & aux démarches
de M. le Marquis de Turbilly , Auteur de
l'excellent Ouvrage fur les défrichemens,
qui de concert avec M. l'Escalopier , Intendant
de la Généralité de Tours , s'eft
donné tous les mouvemens néceffaires
pour le former & le faire réuffir. Il a paru
dépuis un autre Arrêt du Confeil d'Etat
du Roi , rendu le premier Mars dernier ,
qui ordonne également l'Établiſſement
d'une Société d'Agriculture dans la Généralité
de Paris. Les difpofitions de cet
Arrêt font les mêmes que celles du précédent
, à l'exception que cette Société
eft compofée de quatre Bureaux , dont le
premier tient les féances à Paris , le fecond
à Meaux , le troifiéme à Beauvais ,
& le quatrième à Sens. Le Bureau de Paris
eft compofé de vingt perfonnes dont
les noms fe lifent à la fuite de l'Arrêt ,
& chacun des trois autres Bureaux, de dix
perfonnes qui doivent être défignées. M.
Palerne , Tréforier de Mgr le Duc d'Or
léans , l'un des vingt Membres du Bureau
de Paris, eft nommé Secrétaire perpétuel
Fij
724 MERCURE DE FRANCE.
de la Société . M. de Sauvigny , Confeiller
d'Etat & Intendant de la Généralité
de Paris, a formé cet établiſſement, d'autant
plus important pour le Royaume ,
que l'exemple de la Capitale produira le
meilleur effet dans les Provinces. Il a été
fecondé , dans cette opération , par M. le
Marquis de Turbilly.
CHIRURGIE,
Maitre ès LETTRE de M. FERRAND
Arts en l'Univerfité de Paris , Correfpondant
de l'Académie Royale des Sciences,
Belles-Lettres & Arts de Rouen , & Chirurgien
de l'Hôtel Royal des Invalides
à M. LAMI , Théologien de Sa Majefté.
Impériale , Profeffeur public d'Hiftoire
Sacrée de l'Univerfité de Florence ,
Membre de plufieurs Académies de
l'Europe &c ; fur la fenfibilité des parties
du corps animal , en réponſe à une
Lettre d'un Chirurgien de Turin , infe
rée dans le Mercure de France , Août
1769
MON
ONSIEUR,
Sile Chirurgien , Penfionnaire du Roi
JUILLET 1961. 121
de Sardaigne eût lû ma lettre ( a ) avec
attention , fans préjugés , & avec l'équité
qui doit toujours régler les jugemens que
nous portons fur les autres , il n'y auroit
point trouvé que je cherche à détruire la
réputation de l'illuftre Baron de Haller.
S'il eût été plus au fait de la queftion , il
fe feroit épargné les frais de fes réflexions
inutiles , qui , à travers le mafque de la
vérité dont il fe pare , laiffent entrevoir
une envie démesurée de critiquer plutôt
celle d'écrire fagement ; & il ne fe
feroit point avifé de vouloir défendre la
Doctrine de M. Haller , en produifant des
objections trop foibles pour éffrayer les
Partifans du Docteur Whytt.
que
Je n'ai prononcé le nom de M. Haller
qu'avec les égards & le refpect qui lui font
dûs. Tout le monde le connoît , comme
un Savant très - eftimable par différentes
découvertes auffi ingénieufes qu'utiles.On
ne peut difconvenir qu'il ne foit de tous.
les Phyficiens Modernes celui qui s'eft le
plus occupé de la Phyfique du corps humain
, & que perfonne n'a travaillé avec
tant d'ardeur à tirer la Phyfiologie des
ténébres de l'erreur où elle a été fi longtemps
enfevelie.Il est donc bien jufte de lui
(a ) Lettre à M. Vandermonde , Mercure d'Avril
,Tome II . 1760.
Fiij
16 MERCURE DE FRANCE:
décerner les honneurs dûs aux Savans
qui fervent l'humanité par leurs talens ,
qui l'éclairent par leurs lumières , & qui
l'ornent par leurs vertus . La reconnoiffance
nous fait un devoirfacré de ce tribut
d'éloges envers les grands hommes . L'intérêt
même du genre humain exige & reclame
ces hommages ( b )
Un témoignage auffi authentique de
refpect & de vénération , doit fans doute
me laver aux yeux du Public, de l'imputation
odieufe du Chirurgien de Turin , qui
péche par excès de zéle . Si j'ai pris la li
berté de propofer M. Haller pour exem
ple à ceux qui interrogent la Nature par
T'expérience , ç'a été pour leur faire voit
combien ils doivent fe tenir en garde contre
l'erreur ; puifqu'il y a apparence qu'un
grand homme s'eft lui- même trompé.
Vous le favez , Monfieur , on ne fau
roit apporter trop de précautions dans la
recherche de la vérité ; on ne fauroit
trop épier la Nature , pour me fervir de
l'expreffion du grand Fontenelle ; il faut
plus examiner , dit- il , que décider , fuivre
attentivement fa marche par des obfervations
exactes , & non pas la prévenir par
( b ) M. Thomas. Éloge de Maurice , Comte
de Saxe , qui a remporté le Prix de l'Académie
Françoiſe.
JUILLET. 1761 : 127
des jugemens précipités . Rien ne fied mieux
à notre raison que des conclufions un peu
timides , & même quand elle a le droit de
décider , elle feroit bien de relâcher quelque
chofe. ( e ) Voilà, Monfieur, quelles étoient
mes vues , lorfque j'ai avancé qu'il y auroit
du danger à bâtir fur des obſervations
mal faites. J'ai cité l'exemple de M. Haller
, pour avertir que le nom d'un grand
homme ne doit pas éblouir au point de
faire foufcrire aveuglément à tout ce qu'il
avance ; principalement lorfqu'il s'agit
d'une matière intéreſſante. Sans cela , un
homme en réputation , un homme décoré
de titres Littéraires , un Savant même
pourroit protéger le faux , l'accréditer , &
faire paffer à la poſtérité des erreurs dangereuses.
Il eft donc permis d'examiner
pour découvrir finon le défaut des expériences
, au moins le vice des conclufions
qui en émanent. Encore une fois la vérité
eft la fouveraine du Sage ; elle feule doit
attirer les regards , & mériter fon attention
; c'eſt à elle feule qu'il doit facrifier
fans ajoûter foi par une lâche complaifance
à ce qui pourroit lui porter atteinte .
Nullius additus jurare in verba magiftri.
Horace.
(c) Euvres de Fontenelle , Tome V. Éloge de
M. Dodart , p. 199 & 200.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
On ne peut me faire un crime de ne
point croire au fyftême de M. Haller.
Quoique je fois pénétré de refpect pour
ce Savant , je ne faurois adopter les conclufions
fur lesquelles porte fa Doctrine.
La raifon m'entraîne vers un fyftême oppofe
. Depuis que les tourbillons ne gouvernent
plus le monde , l'être Géoméerique
a prévalu ; il eft prèfque feul refpecté
aujourd'hui ; on veut tout expliquer
par l'attraction & le méchaniſme de fes
loix cependant Defcartes , l'immortel
Defcartes, ce Père de la faine Philofophie,
n'en eft pas moins l'objet de notre vénération
& de nos hommages . Ceux qui ne
font point partifans de l'hypothèſe de ce
grand Philofophe , conviendront toujours
qu'il a paru dans la nuit obfcure de la
Phylique , & qu'il l'a diffipée . Sans lui ,
il n'y auroit peut être jamais eu de Newton.
Affurément M. Haller ne s'offenfera
pas de la comparaifon ; & le Chirur
gien de Turin accordera qu'on peut embraffer
un autre fyftême que celui de fon
Héros. Mais venons au fait.
Pour vous retracer l'état de la queftion,
je vais avoir l'honneur , Monfieur , de
vous mettre fous les yeux le Précis de la
Doctrine de M. Haller fur la fimplicité
des partis du corps animal , vous expofer
JUILLET. 1761 129
fommairement les principes généraux
dont M. Whytt fe fert pour la combattre ;
puis je defcendrai dans les détails nécefréfuter
les objections de mon faires
pour
adverfaire.
PREMIÉREMENT. La Doctrine de M.Haller
roule fur trois Chefs .
1° Il réfulte de fes expériences que les
tendons , les ligamens , les capfules articulaires,
la dure-mère , la plévte & les au
tres membranes font infenfibles.
2º. De l'infenfibilité de ces parties &
du témoignage négatif de l'Anatomie qui
n'y découvre aucun nerf,il en conclut contre
l'exiſtence des nerfs dans ces parties ;
c'eft pourquoi il leur refufe le fentiment.
3.Puifque ces parties font abfolument
infenfibles , c'est à tort qu'on les a regardées
comme le fiége de pluſieurs maladies
douloureuſes . Ainfi , fuivant ce troifiéme
Chef, qui eft le corollaire des deux premiers
, la douleur , l'enflure , l'inflammation
qui fuivent quelquefois la faignée du
bras , ne doivent point être attribuées à
la piqure des tendons ou des aponevroſes.
La phrénéfie & la migraine ne logeront
jamais dans la dure- mère . Les douleurs aigués
de la goute ne doivent être rappor
tées.ni aux ligamens , ni aux capfules des
articulations. La douleur dans la pleurélie,
Fv
30 MERCURE DE FRANCE.
ne vient point de l'inflammation de la
plèvre qui eft privée de fentiment.
ner
Vous voyez , Monfieur , par ce fimple
expofé, que le fyftême de M. Haller tend à
mettre la réforme dans l'Art de guérir ;
car fi ces conclufions ſont juſtes , il eſt évident
qu'elles doivent renverfer les idées
reçues & produire des innovations confidérables
dans la Théorie , & la Pratique
de la Médecine . En effet, des Chirurgiens
ou des Médecins qui s'y fieroient , feroient
obligés de fuivre une nouvelle méthode
dans le traitement des maladies.
Il étoit donc bien important d'examifcrupuleuſement
fi ce grand homme
ne s'eft pas trompé , fi l'erreur n'étoit pas
cachée dans les conféquences fur lefquelles
il étayoit fon fyftême. Auffi ces nouveautés
intéreffantes devinrent- elles bientôt
l'objet de l'attention & de la curiofité
de quantité de perfonnes éclairées . Vous
favez , Monfieur , qu'on s'occupa à vérifier
fes expériences dans les principales
Villes de l'Europe. ( d) Mais foit que plukeurs
ayent été féduits par la haute ré-
Futation de M. Haller , foit qu'ils n'ayent
pas apporté affez d'attention , foit enfin
qu'ils n'ayent pas bien vu faute de tour-
( d ) Paris , Rouen , Floren.e , Bologne , Rome
JUILLET. 1761 : 13-1
ner l'objet de tous les fens , ils n'ont pû
parvenir à découvrir la vérité. Cet honneur
étoit réservé à l'illuftre M. le Cat (e),
qui eft de tous les adverſaires du Docteur
Haller, celui qui a le premier & le mieux
écrit. Les célébres Bianchi & Laghi (f) ,
MM. Fabbrini & Nannoni , Profeffeurs à
Florence , fe font mis après lui fur les
rangs , & ils ont eu la gloire de renverser
de concert ce dangereux fyftême. Comme
la plupart de leurs Mémoires font
encore déposés dans les Faftes de plufieurs
Académies loin des yeux du vulgai
re , & qu'on a beaucoup de peine à fe
procurer les autres ; il eft permis d'ignorer
leur doctrine , jufqu'à ce qu'elle foit
publiée ou devenue moins rare , & de
(e) Ce favant Chirurgien, en donnant un Mémoire
qui a remporté le prix de Berlin à l'Académie
de cette Ville , y en joignit un autre auffi
long que le premier fur la fenfibilité de la dure
& pie merc , tendons , membranes &c. Deux ans
après , cette Differtation lui a été demandée par
M. Bianchi , qui n'a travaillé qu'après lui fur ce
fujet. Elle a été imprimée à côté d'un Recueil far
cette matière donné par l'Inſtitur de Bologne qui
à cette occafion , a reçu M. le Cat au nombre de
fes Affociés , de la façon la plus honorable , à ce
que lui a écrit M. Bianchi.
(ƒ) Differt. imprimée en Latin , à Bologne , done
il est fait mention dans vos Nouvelles Litteraires.
F.vj
132 MERCURE DE FRANCE.
puifer des objections contre les nouvelles
idées de M. Haller , dans des Ouvrages
plus connus. Le Docteur Whytt , favant
Profeffeur d'Edimbourg, qui eft auffi
entré en lice , a publié un Ouvrage ( g )
très fagement écrit qui détruit ces nouveautés
, & qui fappe directement les
fondemens du fyftême de fon Adverfaire.
SECONDEMENT.Voici les principes généraux
fur lefquels il appuye fa doctrine .
4
1. M. Wyhut obferve contre le premier
chef , que M. Haller ne peut tirer
aucun parti de fes expériences , parce
que les animaux qui en ont été le ſujet ,
étoient par l'expérience même , dans un
état qui affectoit trop vivement les autres
parties , pour qu'ils paruffent fenfibles
à des affections plus foibles qu'on
occafionnoit dans celles dont on vouloit
éprouver la fenfibilité. Ainfi il y a grande
apparence qu'il s'eft mépris pour n'avoir
pas fait attention qu'une douleur plus
(g ) Effais Phyfiologiques contenant des obfervations
fur la fenfibilité & fur l'irritabilité des
parties du corps animal , à l'occaſion du Mémoire
de M. Haller fur ce fujet , traduits de l'Anglois
par M. Thébault , Docteur en Médecine & Profelleur
de l'École de Mathématiques établie à
Rennes. A Paris , chez les Frères Étienne. 2 rue
S. Jacques , à la Vertu .
JUILLET. 1761 . 133
forte & plus aigue détruit en grande par
tie le fentiment d'une moins forte & moins
aigue. Duobus doloribus fimul eumdem
locum infeftantibus , vehementior obfcurat
alterum. ( h ) Il n'a donc fait que vérifier
' cet aphorifme d'Hyppocrate fans prouver
fa thèfe . Les animaux fur lefquels il faifoit
des épreuves , ne fe plaignoient point ,
lorfqu'après avoir bleffé leurs parties les
plus fenfibles, on irritoit des parties moins
fenfibles . Cela eft- il étonnant ? demande
·M. Whytt. On peut piquer le coeur d'un
animal à qui on a ouvert la poitrine , fans
que la douleur paroiffe augmenter . Efton
en droit d'en conclure que le coeur
: n'eft pas fenfible ? Tout ce qu'on peut en
inférer , c'eft que cette piquure ne fait
aucune impreffion fur un animal moutant
, que l'excès des tourmens a déjà
pour ainfi dire , privé de fentiment. M.
Whytt tire un grand avantage de cet
argument qu'il applique à plufieurs autres
expériences faites par fon Adverfaire
; & il s'en fert pour s'oppoſer aux
conclufions dont ce Médecin compofe
fon ſyſtême.
2º. M. Whytt foutient que de l'infenfi-
: bilité des parties & du témoignage néga-
(4 ) Hyppocratis aphor . Lib. 11. N°. XŁYI,
134 MERCURE DE FRANCE.
tif de l'Anatomie , M. Haller a tort de
conclure qu'elles n'ont effectivement aucun
nerf, & par conféquent aucune fenfibilité.
Il combat fort le vice de cette
conclufion , & il étend dans la trame organique
des parties nommées dans le
premier chef des filamens nerveux d'une
exilité indéfinie , qui , à la vérité , échap
pent à notre fagacité , & fe refuſent aux
recherches anatomiques ; mais dont l'exiſtence
eſt démontrée par la fenfibilité
plus ou moins grande qui fe fait appercevoir
lorfqu'il furvient à ces parties
quelque tenfion, ou quelqu'inflammation.
Il diftingue donc deux temps, la fanté & la
maladie. Dans le premier état , plufieurs
parties ne font douées que d'un fentiment
très-foible , & en cela , nous devons admirer
la bonté de l'Auteur de la Nature ,
qui prévient par cette fage précaution les
maux auxquels nous ferions en proie ,
même dans les exercices ordinaires de la
vie , fi elles étoient très fenfibles. On
peut donc agacer impunément ces parties
dans l'état de fanté ; fi on caufe de
la douleur , elle fera très- légère. Mais
furvient il une inflammation ? Les filamens
trop tendus excitent une fenfibilité
très-vive , dont le cri eft la voix de la Nasure
qui demande les fecours dont elle a
-
JUILLET. 1761 . 135
befoin. L'inftinct devance la réflexion ,
trop lente pour nous obliger à chercher le
reméde. Ainfi , la fenfibilité muette dans
l'état de fanté , eft l'organe , l'interprête
de la Nature dans la maladie .
C'eft avec ces fages principes , que M.
Whytt répond au deuxième Chef de fon
Adverfaire ; il les tranfporte à toutes les
expériences où la fenfibilité a femblé fuir
devant M. Haller. Il fait voir que les os
mêmes , & la toile cellulaire de la duremère
, infenfibles dans l'état naturel , font
pourvus de filets nerveux , quoique M.
Haller faffe militer l'Anatomie contre
leur exiſtence dans ces parties. Il prouve
enfin , par quantité d'exemples , les différens
degrés de la ſenſibilité qui croît toujours
dans nos parties en raifon composée
des nerfs qui les traverſent , & des différens
aiguillons qui la mettent en jeu ; il
prétend qu'elle vit plus ou moins dans les
différentes pièces de notre machine ; mais
qu'elle n'eft morte dans aucun de nos organes
. Voilà , Monfieur , les argumens
qu'il oppofe aux conclufions de M. Haller.
3°. Il rappelle les maladies dans les
endroits d'où fon adverfaire les avoit exilées
pour toujours ; & il oppofe à fes raifonnemens
les inflammations du périofte
& des glandes, & les mouvemens doulou136
MERCURE DE FRANCE.
reux des articulations dans les Rhuma
tifmes. Enfuite il réfute les articles particuliers
fur lefquels le Docteur Haller infifte,
& que je pourrois fuivre , fi je ne craignois
de paffer les bornes d'une Lettre.
"
Telles font , Monfieur, les raifons qu'employe
M.Whytt pour reftituer le fentiment
aux Parties que fon adverfaire en dépouilloit
; c'eft ainfi que reffufcitant l'ancienne
harmonie fympathique , il rétablit les maladies
dans le même fiége où les Médecins
les avoient jufqu'ici unanimement placées
; quoiqu'en dife le Chirurgien de
Turin .
Spiritus intùs alit , totamque infufa per artàs
Mens agitat molem.....!
Virgil.
J'aurois pú expofer auffi les fentimens
de ces deux célébres Médecins fur l'irritabilité
; mais , outre que cela m'auroit
mené trop loin , mon adverfaire n'a point
entamé cette queftion . Je me contenterai
de lui annoncer que je fuis anti - Hallerien
fur cet article.
TROISIEMEMENT. Il me refte à paffer en
revue les difficultés que me propofe le
Chirurgien de Turin. Elles roulent fur fept
obfervations.
Les tendons coupés& découverts troyJUILLET.
1761. 137
vés fans fenfibilité , font le fujet des trois
premières .
La dure- mère déchirée fans douleur
l'aponévrole du fafeia lata , le périofte du
tibia & le fac herniaire trouvés infenfibles,
font la matière des quatre fuivantes.
J'accorde au Chirurgien de Turin qu'elles
font toutes vraies & bienfaites ; mais
je l'arrête aux conclufions pour l'envoyer
s'inftruire à l'école du Médecin Anglois.
M. Whytt lui apprendra que les conféquences
font téméraires & abfurdes . Ces
obfervations ne prouvant rien , je pourrois
me difpenfer de toute autre réponſe ;
mais , pour ne pas fâcher mon adverfaire,
je vais donner des nerfs & de la fenfibilité
:
1º. aux tendons. Le Chirurgien de Turin
, doit favoir , que les fibrilles qui en .
trent dans leur compofition , ne font que
des continuations des fibres mufculaires.
Tendo autem mufculi ritè examinatus , dit
Boerhaave , difcerpitur in tot fibrillas in
quot mufculus , &c. ( i ) Il n'ignore peutêtre
pas non plus que dans le foetus & les
enfans nouveaux nés, les parties qui par la
fuite doivent être des tendons , font muf
culaires en tout , ou en partie , & que le
rapport des parties tendineufes aux muf-
( i ) Boerh. inftitut . medic. § . 399.
138 MERCURE DE FRANCE.
culeuſes croît en raifon directe de l'âge
des animaux. Or de l'aveu même de M.
Haller , les muſcles font fournis de nerfs ;
que mon adverfaire tire la conféquence.
Il y a plus , le même M. Haller rapporte ,
en commentant l'aphorifme ci deffus, que
M. Boerhaave a vu dans un tendon préparé
par Ruifch , des artères rouges & de
petites cellules à l'entour. (k ) Il y a donc
auffi des nerfs ; puifque le microſcope
nous apprend qu'ils accompagnent les
vaiffeaux par tout.
L'infpection Anatomique vient à l'appui
de ces preuves. M. Grima , Chirur
gien penfionnaire de l'Ordre de Malthe ,
examinant avec un Profeffeur en Médecine
de Florence le mufcle biceps, ytrouva plufieurs
filamens nerveux qui s'étendoient
dans toute la ſubſtance . Ils étoient accompagnés
de vaiſſeaux très- déliés ; & en
conduifant ſes recherches juſqu'au tendon ,
il a vû que les nerfs y entroient : ce qu'il
ne diftinguoit , dit- il , qu'avec peine , parce
que les fibres tendineufes font de la
même nature & de même couleur. Cette
démonftration a été répétée en préſence
de plufieurs autres Profeffeurs & Démonf
trateurs de Florence.
( k) In tendine à Ruifchio præparato ,, vidit
Boerhavius arterias rubras , & circumpofitamfabri
cam cellulofam.
JUILLET. 1761 . 139
›
"Une autre expérience tentée le 22 Avril
1756 , complera les preuves. Il détacha
d'un cadavre differens muſcles avec leurs
tendons , leurs vaiffeaux , leurs nerfs &
les parties des os auxquels ils s'attachent.
Il les fit macérer dans l'eau ; & par ce procédé
, il remarqua entre la gaîne , & le
tendon du muſcle biceps, une grolle branche
de nerf qui s'étendoit le long du tendon
, perçoit fa gaîne vers la tubérofité du
rayon , & fortant de là, reproduifoit plufieurs
branches. Il vit pofitivement que
cette branche de nerf venant du muſcle ,
alloit fe perdre dans le tendon . M. le
Comte Félici , Profeffeur en Médecine da
Collége Florentin étoit préfent.
Voici des autorités . Etienne Riviere ,
dans fon Traité d'Anatomie , publié en
1545. par Charles Etienne, dit en parlant
des tendons : pars eft nervo & ligamento
compofita à mufculo nafcens ; & un peu
plus bas quapropter fenfus eft particeps
minùs quidem quàm nervus , magis autem
quàm ligamentum . Jean Tagaut , au Chapitre
des plaies, des nerfs & des ligamens,
s'exprime ainfi : » les tendons étant d'une
» fubftance compofée de nerfs , tirent à
» cet égard leur origine du cerveau : cependant
leurs bleffures attirent moins la
» convulfion que celles des nerfs . François
95
140 MERCURE DE FRANCE.
Peccetti au Chap. 45 parlant des plaies ,
des tendons & des ligamens , dit expreffément
que les tendons ont des nerfs.
Confultons actuellement l'état de maladie
pour y trouver leur fenfibilité. Le
panaris de la troifiéme eſpéce ne caufe de
fi vives douleurs , qu'à caufe de l'extrême
fenfibilité du tendon. C'eft ainfi que Mun
nicks & beaucoup d'autres les expliquent
Genga rapporte d'après Fabrice de Hil
den , qu'un jeune homme de vingt- quatre
ans fut attaqué de fphacéle à la fuite
d'une piquute de tendon au doigt, & qu'on
fut obligé de faire l'amputation entre l'avant-
bras & l'humerus ; & il dit , un peu
plus bas » On raconte d'Archange Mer
cenario , Profeffeur de Padoue , qu'ayant
été bleffé au tendon dans une faignée ,
» il mourut en convulfion . » M. Wanfwieten
, dans fon Commentaire fur les aphorifmes
de Boerhaave au §. 20. des plaies
en général , cite l'exemple d'un Gentilhomme
, qui tomba en convulfion avec
un furieux grincement de dents , auffitór
que le Chirurgien eut faifi avec une pincé
un tendon proche de la malléole interne ,
penfant que c'étoit une portion de la tunique
celluleufe . Hyppocrate dit le
même Auteur , nous fournit auffi une ter-
2
JUILLET. 1761 141
tible Hiftoire fur cet article : ( 1 ) Thrinon .
fils de Damon , avoit un ulcére proche la
cheville du pied ; on y mit un médicament
corrofif. Il fut faifi de l'opifthotonos &
mourut. Il eft vraisemblable , dit , M.
Wanfwieten , que par le nerfpur , Hypocrate
a entendu un tendon dépouillé de fa
gaine , parce qu'alors il eft tout blanc. On
trouve encore dans M. Whytt ( m ) un
exemple effrayant . » Il y a quelques an-
» nées , dit-il , qu'une perfonne mourut
» dans cette Ville ( à Edimbourg ) d'une
» fiévre occafionnée par la douleur , l'en-
» flure & l'inflammation qui furvinrent
après l'ouverture de la veine médiane
» du bras droit . Le tendon du biceps
» étoit enflé , & avoit prèfque dix fois
»fon volume naturel.
L'état de maladie en a dit affez fur la
fenfibilité des tendons . Invoquons encore
en fa faveur le cémoignage de l'expérience.
M. Grima en rapporte plufieurs
dans un excellent Mémoire ( n ) lû à l'Académie
des Apathyftes,
( 1 ) Epid. Liv. s . Chartier, Tome 9. p. 348,
(m ) Ellais Phyfiolog. obferv. fur la fenfibilité ,
P. 172 .
r ( n ) Mémoire fur la ſenſibilité des tendons ,
prononcé en Italien à l'Académie des Apathyftes
par M. Grima , Membre de ceue Académie de
T42 MERCURE DE FRANCE.
Le 27 du mois de Mai 1756 , il fic a
Florence dans l'Hôpital de Sainte Marieneuve
une incifion à la patte poſtérieure
d'une chienne fuivant toute la longueur
du tendon d'achille ; l'ayant féparé des
parties voisines , il piqua légérement fa
gaîne feule. La chienne fe plaignit & retira
la patte. Elle fe plaignit plus fort ,
lorfqu'il toucha la furface de fa gaîne.
avec l'eau forte , & quand l'efcarre fut
tombée , il excita une fenfibilité trèsgrande
en touchant feulement avec le
bout du doigt le tendon d'achille décou
vert. Cette expérience a été faite en préfence
de MM. Barbette , Profeſſeur en
Médecine , & Fabbrini , Anatomifte.
Le 12 Juin fuivant , à la follicitation
de M. Buonaparte , Profeffeur de l'Univerfité
de Pife , il répéta cette expérience
devant plufieurs perfonnes éclairées. Il
fépara les trois tendons , qui par leur
réunion forment le tendon d'achille.
Quand la douleur caufée par cette opéra
tion fut calmée , il piqua le tendon avec
une aiguille. Le mouvement que fit le
chien en retirant la patte , prouva qu'il
avoit fouffert. L'ayant laiffé quelque
celle de Cortone &c. Ce Mémoire a été traduit en
François , dédié à M. le Bailli de Froulai , & infaré
dans le Journal Etranger.
*
JUILLET. 1761. 149
temps en repos , il paffa une aiguille à
travers ce tendon , & le chien le plaignit
de même. Peu après , il toucha la même
partie avec de l'eau forte l'animal fe
débattit alors avec beaucoup de violence.
Le 21 du même mois , l'ingénieux M.
Grima éprouva encore la fenfibilité des
tendons en préfence de plufieurs Savans
fur deux agneaux & fur un chien. Lorfqu'il
piqua le tendon des agneaux , ces
paifibles animaux ne firent que retirer la
patte , ils remuoient les lévres & faifoient
quelques légers mouvemens ; mais le chien
plus vif, & moins patient trembloit , s'agitoit
, crioit & faifoit des éfforts pour
rompre fes liens. M. Guadagni piqua luimême
le tendon & le trouva fenfible ;
obfervant néanmoins qu'il l'étoit plus au
commencement qu'au milieu & vers la
fin où il fe confond avec la fubftance de
l'os. Après plus d'un quart d'heure de
repos , on appliqua fur le tendon un peu
de beurre d'antimoine , l'animal , dans
le moment même parut à peine en être
averti ; mais quelques inftans après il fit
connoître par les cris & fes agitations, qu'il
étoit très-fenfible au mal qu'on lui faifoit.
Il tournoit fa rage vers ceux qui en étoient
les Auteurs , & cherchoit à les mordre
avec plus de raiſon que les chiens du trou144
MERCURE DE FRANCE.
peau d'Ulyffe ( o ) . Je ne crois pas que
l'apparition de Minerve l'eût appaifé.
Je finis l'article des expériences par
l'Hiftoire de M. Bicci , qui a été lui - même
victime de la fenfibilité des tendons. Ce
Profeffeur en Chirurgie de Florence , eut ,
au rapport de M. Grima , plufieurs tendons
des muſcles extenfeurs & fléchiffeurs
du gros orteil découverts à la fuite d'une
maladie . M. Valentin Del Turco toucha
le milieu de ces tendons , avec une pince ,
fans en toucher la gaîne ; M. Bicci y pa-
Lut fenfible.On appliqua une autre fois fur
le tendon un plumeau trempé dans l'eaude-
vie ; la douleur fut très - aigue , & le
fentiment insupportable . Je crois que M.
Grima a raifon d'avancer qu'on en peut
conclure que les tendons font toujours
fenfibles dans l'état fain.
S'ils ont paru infenfibles à quelquesuns
, & en particulier au Chirurgien de
Turin , c'eft que 1. la perfonne qui fait
le fujet de fa première obfervation , fouffroit
déjà beaucoup de la fection de la
peau , & cette douleur diminuoit le ſentiment
de celle qu'il caufoit en touchant
les tendons , ou bien les filamens nerveux
qui fe diftribuent à ces parties, avoient été
coupés par le coup de fabre. 2 °. Dans
( 0 ) Odyſſ. Lib. 14. & 16.
les
JUILLET. 1761 . 145
les deux obfervations fuivantes , les tendons
étoient découverts , féparés de leur
gaîne , & par conféquent dépouillés de
leurs petits vaiffeaux , & de leurs dépendances
néceffaires; il n'eft donc pas étonnant
qu'ils ayent paru infenfibles . Cette
infenfibilité ne vient pas de la nature du
tendon , mais d'une caufe accidentelle
ou extérieure. L'air , par exemple , peut
avoir défléché leurs filamens nerveux , &
en ce cas le fluide animal n'aura pû couler
jufqu'aux extrémités des fibres qu'il a à
parcourir , pour y porter le fentiment &
la vie. La fenfibilité étant éffentiellement
foumise à l'action des nerfs , il est évident
que les fibrilles nerveufes doivent avoir
toutes les conditions , toutes les convenances
néceffaires pour la libre influence
de l'efprit animal . Sans cela , point de fentiment.
Le Chirurgien de Turin eft fans doute
fubjugué par tant de preuves , de démonf
trations , d'autorités , d'expériences & de
raifonnemens , qui affûrent inconteftablement
aux tendons des nerfs la fenfibilité
qu'il ofoit leur refuſer fans connoiffance
de caufe . Ses quatre autres obfervations
ne prouvent rien : j'y réponds
en deux mots .
2º. La dure mére a des nerfs : le témoi-
I, Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
gnage de M. Winflow me fuffit ; elle eft
fenfible , fufceptible d'inflammation , de
fuppuration ; un demi- Chirurgien fçait ces
chofes -là. L'ouverture des cadavres & les
maladies qui arrivent à cette membrane
le prouvent abondamment. Je ne ferai
point d'autres frais contre ce deuxième
Chef. Je conviens que dans l'état fain
elle eft prèfqu'infenfible ; mais il faudroit
n'avoir ni logique , ni bon fens , pour
conclure de l'infenfibilité apparente à l'infenfibilité
abfolue.
3. L'Aponévrofe dufafcia lata eft auffi
fenfible. Combien de fois n'a- t - elle pas
été le fiége des plus cruelles douleurs ?
Combien de fois ne l'a- t- on pas vu irritée
, enflammée & c.
4. Le périofte jouit malheureufement
du même privilége. Il feroit bien à fouhaiter
qu'il fût infenfible. Les malades
affligés du panaris de la quatriéme efpéce
n'auroient pas à fouffrir ces énormes douleurs
qui les défeſpérent.
5°. Quand j'accorderois à mon Adver
faire , que dans l'opération de la hernie
les malades fouffrent l'ouverture du fac
fans rien dire , je le défierois d'en rien
conclure en faveur du fyftême qu'il protége.
D'ailleurs , s'il a panfé des plaies
faites par cette opération , il a dû remarJUILLET.
1781. 147
quer que , lorfque la fuppuration fe forme
, le fac eft enflammé & fort douloureux.
Je fupprime toute autre preuve contre
ces derniers chefs qui ne fignifient rien ,
pour éviter une prolixité inutile & ennuyeufe.
Le Chirurgien de Turin convient fans
doute du néant de fes futiles objections ,
qu'il n'auroit jamais dû produire par refpect
pour la caufe de M. Haller. L'amour
de la vérité qui lui a mis la plume à la
main , auroit dû lui infpirer de s'inftruire,
& de fe mettre au fait de ce qui ſe paſſe
dans le monde favant , plutôt que celle
de critiquer & de fe conftituer Juge d'une
difpute dont il ne doit être que fimple
fpectateur. Il s'imaginoit avoir la gloire
de donner le démenti aux anti- Hallériens ,
& de raffurer le Public furfa terreur panique
; mais il s'eft fait illufion . Il falloit
plus de connoiffance , plus de fineffe &
de logique pour foutenir un fyftême qui
s'écroule de toutes parts fous une foule
d'objections aufquelles il eft impoffible
de répondre.
Qu'il ne dife pas que je fuis poffédé
de l'ambition d'entrer en lice avec les
grands hommes. Non tali me dignor honore.
Virgil. Je mettrois bas les armes de-
G ij
948 MERCURE DE FRANCE.
vant M. Haller. Je fçais trop dans quel
rapport peut être un petit Plébéïen de la
République des Lettres avec un Savant
de cet ordre , pour ofer joûter contre lui,
Je ne lute qu'avec mes égaux.
Ainfi quand le Chirurgien de Turin
voudra m'honorer de quelques objections,
je me ferai un devoir d'y répondre avec
refpe &t pour les Savans & avec beaucoup
de politeffe pour lui ; quand ce ne feroit
que pour lui en donner l'exemple & le
faire rougir d'avoir employé fi groffiérement
la comparaifon odieufe & triviale
d'un infâme incendiaire de l'antiquité
avec un homme qui ne cherche en tout
que la vérité , le plaifir de s'inftruire , &
celui de contribuer au bien général de la
Société .
La protection que vous accordez à ceux
qui ont envie de bien faire , me donne
lieu d'efpérer , Monfieur , que vous excuferez
la liberté que je prends de vous
adreffer cette petite Differtation . Puiffet
- elle attirer vos regards & mériter vos
faveurs le Public recevra toujours favo
rablement un Ouvrage qui paroît fous les
aufpices d'un Sayant fi counu & fi reveré
dans le monde .
J'ai l'honneur d'être avec vénération &c.
Le 4 Septembre 1769.
FERRAND,
JUILLET
. 1781 .
149
OPTIQUE.
LE fieur Paſſemant , Ingénieur du Roi
au Louvre, eut l'honneur le 5 Mai , de préfenter
à Sa Majefté , au Château de Bellevue
, une nouvelle lunette de trois pieds
de longueur, qu'il avoit conftruite fuivant
les principes de M. Dollond , après avoir
dévoilé la feconde partie de fon mémoite
( quoique très - obſcure ) donné dans les
Tranfactions Philofophiques de la Société
Royale de l'année 1758. L'objectif de
cette lunette fouffre 14 lignes d'ouverture
, au lieu de fept lignes qu'on donne
ordinairement à une lunette de cette
longueur ; c'eft même toute l'ouverture
que fouffriroit une lunette de 15 pieds
de longueur par conféquent cette nouvelle
lunette a quatre fois plus de lumière
, & groffit ou rapproche beaucoup
plus les objets . Elle a un champ trèsgrand
; & elle eft fi claire , qu'après le foleil
couché , lorsqu'on ne voit plus les objets
éloignés avec une lunette ordinaire
de 3 pieds , on les voit diftinctement avec
celle - ci : cette forte de lunette fera d'une
grande utilité foit fur terre , foit fur mer.
Sa Majesté en a été très-fatisfaite.
G iij
150 MERCURE DE FRANCE
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
SUITE de la Réponse de M. RAMEAU à
la Lettre que M. d'ALEMBERT lui a
adreffée dans le 2º Mercure d'Avril dernier.
PARDONNEZ - M ARDONNEZ- MOI , Monfieur , fi je reviens
Encore à votre Lettre. L'empreffement
avec lequel j'y ai répondu m'a fait paffer
fous filence certains articles , fur lefquels
je crois devoir faire aujourd'hui quelques
réflexions .
Vous dites en débutant : je nefuis guère
dans l'ufage de répondre à ce qu'on écrit
contre moi : & à la fin : puifque vous l'exigez,
je répondrai ( uniquement par égard
pour vous ) à tous les articles de votre Lettre
, qui paroiffent le mériter tant foit peu .
Vous prenez le change , Monfieur , ou vous
voulez le faire prendre aux autres . C'eſt
vous qui avez écrit contre moi , & ma
Lettre ( a ) n'est qu'une réponse à ce que
vous avez avancé pour affoiblir , autant
qu'il étoit poffible , ce que vous aviez approuvé
avec l'Académie des Sciences .Vous
( a ) A la fin du Code de Muſique .
JUILLET. 1761. 15r
fuppofez que j'y exige une réponse de votre
part ; mais loin de l'exiger , je doutois
que vous écriviffiez encore fur ce fujet.
C'est ce qu'auroient dû vous faire fentir
ces paroles de la fin : Si vous revenez à la
charge , j'espère du moins que vous n'oublierez
plus ce que vous avez figné. Remarquez
, s'il vous plaît , que je ne dis
point : Si vous me répondez , mais que je
dis : Si vous revenez à la charge ; car
c'eft à moi à me défendre , & c'eſt vous
qui êtes l'aggreffeur. En prétendant me
répondre , vous déclarez que vous le faites
uniquement par égard pour moi. Je
fuis flatté du compliment : je crois néanmoins
que vous le faites uniquement par
égard pour vous : c'est- à- dire , pour juftifier
aux yeux des Connoiffeurs un changement
qui doit les étonner. Vous me donnez
des louanges , lorfque vous m'adreffez
la parole : je vous en remercie ; mais comment
les accorder avec les efforts que
vous faites pour rabaiffer mes ouvrages ?
Vous me direz peut- être qu'alors vous ne
me nommez pas je laiffe à juger fi cette
raiſon eft bonne vous promettez de répondre
à tous les articles de ma lettre
qui vous paroiffent le mériter tant foit
peu, & vous me demandez grace fur les
deux principaux.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
Vous ne fauriez vous réfoudre ( ce font
vos termes ) à prouver férieufement que,
la Géométrie n'eft pas fondée fur la Mufique.
La Géométrie n'eft- elle pas fondée
fur le calcul ; & le calcul n'eft-il pas fondé
fur les proportions ? Apeine un corps.
fonore réfonne , que l'oreille eft frappée.
d'une proportion enchantereffe. Bientôt
après on y découvre les proportions fur
lefquelles feules toute la Géométrie eſt
fondée : & le compas à la main on y reconnoît
les rapports qui les conftituent.
Ajoutons à cela que chacune de ces proportions
eft compofée de trois termes , &
que dans la Gamme même réfide le moyen
d'y en joindre un quatrième . Se trouve - t - il
dans la Nature un Phénomène qui préſente
feulement l'ombre de tant de vérités reconnues
en Géométrie , & dont aucun fens
foit affecté de même ? U eft donc naturel
de croire que les hommes doivent ces connoiffances
à la réfonnance du corps fonore :
que la Géométrie fondée fur ces mêmes
connoiffances , doit fon origine à la fcience
des fons qu'il a fallu commencer par
être Muficien avant que de devenir Géomètre
; ( b ) & par conféquent que la Géométrie
ne peut , fans injuftice , contefter à
la Mufique une primauté , en faveur de la-
( b) Ibidem. p. 236.
JUILLET. 1761 . 153
quelle la Nature dépofe d'une maniére fi
évidente.
Quant à l'autre Article , je ne fçais fi la
manière dont vous l'expofez n'eft pas une
plaifanterie . Il eft néanmoins notre condamnation
à tous , comme je vais le prouver
.
Pythagore dit que le nombre fept eft
parfait par Nature. Quelle raifon a pu
lui faire avancer cette propofition : Nul autre
objet que la Mufique ne nous offre néceffairement
ce nombre : il penfoit donc à
la Mufique. La Gamme n'a que fept notes
: ( c ) il connoiffoit ces fept notes par
les Tetracordes qui ont précédé fon fyftême
; il en a conclu que le nombre fept
eft parfait par nature ; mais lorsqu'il en a
tiré cette conféquence , il avoit cherché
les rapports de ces notes , & les avoit trouvés
dans une progreffion triple : ce qui lui
avoit fait attribuer au nombre trois la
toute - puiffance fur la Mufique , & plus
encore fur la Géométrie. Pourquoi donc
donne- t- il au nombre fept une perfection
fingulière , & ne la donne-t-il pas plutôt
an nombre trois ? Il envifageoit apparemment
l'ordre des fept notes fans penfer à
( c) C'eft en fous- entendant l'octave du premier
fon , qui lui eft identique , qu'on fuppofe huit no
tes , ou fons dans la Gamme.
'GY
454 MERCURE DE FRANCE.
la quinte qui en eft la fource , comme elle
l'eft primitivement du nombre 3. ( d ) Navons
nous pas fait comme lui N'avonsnous
pas formé tous nos fyftêmes de Mufique
des fept mêmes notes dont il a formé
le fien ? L'ordre de la Gamme eft fi naturel
qu'il s'empare en même temps des
oreilles & de la voix de quiconque veut
chanter. L'origine de cet ordre eft due à
la quinte , & nous avons donné cet ordre
pour principe , fans penfer à fon origine.
Voilà notre erreur , la vôtre comme la
mienne vous pouviez donc vous difpenfer
de rappeller ma réfléxion fur ce fujet.
Je viens de relire une lettre , où vous
Fouvez bien avoir eu part , & où l'on plaifante
un peu fur le nombre 3 : voyez cependant
fi Pythagore n'étoit pas bien
fondé en lui attribuant la toute puillance
fur la Mufique ?
Un feul corps fonore , un objet unique,
produit trois confonnances , la quinte , la
tierce & la fixte majeures , en produifant
en même temps ces trois nombres premiers
, 2. 3. & 5 : là fe découvrent les
trois feules proportions qui exiftent , cha-
(d) Pour qu'on ne me chicane point fur l'origine
des nombres , difons du moins que les confonnances,
en les reproduifant décident du plus ou
du moins de perfection entre les rapports qu'elles
y déterminent.
JUILLET. 1761. 155
cune composée de trois termes , où la Géométrique
fe triple , favoir la double , la
triple & la quintuple , & d'où fe tirent
toutes les connoiffances néceffaires en Mufique
, tant pour la théorie que pour la
pratique le nombre 3 , c'est - à - dire ,
la quinte , y devient l'arbitre de l'harmonie
& de fa fucceffion naturelle , fucceffion
qui fe développe dans une proportion
triple , d'où naiffent les fept Notes
de la Gamme , le Mode : Notes dont
tous les rapports qui en déterminent
l'ordre , confiftent uniquement dans ces
trois diffonances , le ton majeur , le mineur
, & le demi ton majeur puis trois
Modes majeurs , & autant de mineurs ,
feuls naturellement rélatifs entr'eux : enfin
trois genres d'harmonie & de Mélodie , en
y affociant la proportion quintuple , favoir
, le Diatonique , le Chromatique &
l'Enharmonique. Refpectez donc, du moins
en cela , les idées d'un grand Philofophe
qui n'auroit guères pû les porter plus loin
qu'il l'a fait , quand même il en eût connu
la fource , qui le repro luit en dix circonftances
différentes , toutes naturellement
inſpirées. J'oubliois qu'un Tempérament
proportionne , & beancoup plus fatisfai
fant dans toutes les variétés poſſibles ,
qu'aucun qu'on ait imaginé , fe puife en
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
core dans une progreffion triple. ( e )
Je finirai , Monfieur , par l'examen de
deux de vos propofitions. L'Académie des
Sciences , dites- vous , n'a point été compromife
, en approuvant , d'après mon rapport
, ce qu'ily a réellement d'utile , de
neuf & d'excellent dans vos recherches fur
la Mufique . (f) Ces paroles fignifient clairement
que l'Académie des Sciences n'a
approuvé qu'une partie de ma Démonftration
, qu'elle y a trouvé des chofes utiles ,
neuves , bonnes , & d'autres inutiles &
mauvaiſes . L'Académie néanmoins , d'après
vous , a tout approuvé fans aucune
réferve ! oferai- je vous dire que ceux qui
ont lû l'approbation , doivent trouver peu
de fincérité dans la manière dont vous en
parlez ?
D'un autre côté vous condamnez certains
Muficiens qui ont la fureur de donner
à leurs productions un faux air fcientifique
qui n'en impofe qu'aux ( g ) igno
(e ) Chap. VII. de ma Génération harmonique,
P. 75.
(f) Ces recherches font ma Démonſtration ,
que vous & toute l'Académie des Sciences avez
approuvée fous ce titre . Je ne fais que penfer de
ce que vous fuppofez dans l'Encyclopédie fur ce
fujet , non plus que du tour que vous prenez ici
pour déguifer la vérité.
(g) Au mot Fondamental de l'Encyclopédie ,
JUILLET. 1761 . 157
·
rans. Vous ne me nommez pas ; mais
avouez- le de bonne foi , ceci me regarde
uniquement. Depuis environ 150 ans , je
veux dire , depuis Zarlino & plufieurs autres
qui n'ont rien ajouté de neuf à fes
découvertes , je fuis le feul qui ait écrit
fcientifiquement , bien ou mal , de la Mufique
, excepté quelques Sectateurs de mes
Principes . C'eft donc moi qui , felon vous ,
ai la fureur de donner à mes productions
un air fcientifique , air que vous appellez
faux , & qui n'en impofe qu'aux Ignorans :
c'eft donc vous auffi qui êtes l'ignorant à
qui j'en ai impofé comme à toute l'Académie
des Sciences . Voyez , Monfieur , combien
vous vous égarez; car perfonne ne doutera
que vous n'ayez voulu me défigner; &
fi vous me defignez , voyez quel honneur
vous vous faites ,à vous & à toute l'Académie
! Seroit-ce pour autorifer les erreurs de
votre Collégue fur la Mufique , que vous
vous êtes appliqué à déprifer ainfi ce que
vous aviez autorifé précédemment par votre
propre fignature ? Il avoit pris lui- même
, le meilleur parti . C'étoit de les faire
oublier , en promettant , dès le VI Tome
de l'Encyclopédie , de les juftifier dans un
Dictionaire . Mais au lieu de ce Dictionaire,
il a fait unRoman; où , s'il s'agit de Mufique,
ce n'eft plus que pour jetter au feu toute
158 MERCURE DE FRANCE:
la Mufique Françoife , & fans doute tout
ce qu'il en a écrit ; car il n'en excepte pas
même un des jolis Actes qui ayent paru fur
notre Scène lyrique , & qui ne peut être
dû qu'à une paffion dominante pour l'art.
Se peut-il que loin d'être encouragé par
le plus brillant fuccès , à fuivre une carrière
auffi heureuſement commencée , il ait
précisément choifi les premiers inftans de
ce fuccès,pour le déchaîner contre la Mufique
Françoife , dont cet Acte fait partie
& qu'enfin défefpéré du peu de fruit de fes
déclamations , quoique fecondées par cer➡
tains particuliers , qui comptent beaucoup
fur leurs opinions , & fur la manière de les
faire valoir , il ait condamné le tout aux
flâmes ? Il faut qu'un manque de quelques
fecours néceffaires l'ait porté à cette extré
mité : n'en doutons pas.
Je reviens à nous , Monfieur ; difcutons
à l'avenir de fang froid , & que nul motif
ne nous faffe tomber dans des égaremens &
dans des contradictions dont il eft impoffi
ble qu'on ne s'apperçoive.
JUILLET. 1761. 159
LETTRE , fur la façon de déflécher
E
les fleurs.
N lifant le fecond Volume du Mercure
de Janvier 1761 , j'ai trouvé , Monfieur ,
à la page 1 So , un procédé pour déflécher
les fleurs en confervant leur forme & leur
couleur naturelle. On y lit , que des perfonnes
ayant trouvé , après bien des tentatives
, le procédé en queſtion , refuſérent
de le publier ; que ce refus détermina
un Citoyen zélé pour le bien Public , à le
faire imprimer. Comme on ne fait remonter
cette découverte qu'à un Académicien
de Boulogne , appellé Jofeph Monti , &
que l'on doit la vérité au Public , je vais
indiquer les Ouvrages qui en font mention.
Je commencerai par ceux qui en ont
parlé depuis M. Monti , enfuite j'indiquerai
ceux qui lui font antérieurs.
Parmi ces Ouvrages , le plus récent eft
un Traité fur la connoiffance & la culture
des Jacinthes par l'Auteurdu Traité des
Renoncules, imprimé à Avignon en 1759,
chez Chambeau. On trouve à la page 136
un Chapitre fur la maniére de déflécher
les fleurs de Jacinthe en confervant leur
160 MERCURE DE FRANCE.
forme & leur couleur naturelle . L'Auteur
dit formellement que fa méthode peut
fervit pour toute forte de fleurs . On trou
ve dans ce même Chapitre , des notes où
font quelques-unes des citations dont je
ferai ufage.
M. Linnæus a très- bien détaillé ce procédé
dans un Ouvrage qui a pour titre
Amanitates Academica , imprimé à Amſterdam
en 1756 .
Quant à M. Monti , il eft vrai qu'ayant
communiqué en 1745 à l'Inftitut de Bologne
la méthode en queftion, il a paffé pour
l'Auteur de la découverte. Le Journal
Littéraire d'Italie imprimé à Amſterdam
en 1749 page 638 , & le Journal Economique
de Décembre 1755 lui en font
effectivement honneur ; mais les faits que
je vais citer , & que je garantis , prouvent
qu'il n'en eft pas l'Auteur.
La manière de déflécher les fleurs , pour
en faire d'agréables momies , eft décrite
dans un Livre intitulé Ecole d'Economie
& de Campagne . Cet Ouvrage imprimé
à Nuremberg en 1678 , eft de M. Boeckler,
Profeffeur de Strasbourg .
Le Pere Jean- Baptifte Ferrari , Jéfuitea
donné le même procédé dans fon excel
lent Traité de la culture des fleurs , pu
blié en Latin à Rome en 1623 , & à Am
JUILLET. 1761. 161
fterdam en 1646 ; & dans le 4º Livre de
cet Ouvrage , ( je parle de l'Édition
d'Amfterdam ) chapitre 2 , p . 433 , il
avoue tenir ce fecret de Jean- Rodolphe
Camerarius . Mais qui fçait fi en recherchant
plus loin , on ne trouveroit pas
que Camerarius le tenoit d'un autre ?
Quoiqu'il en foit , ce procédé eft décrit
en très- beau Latin & fort détaillé dans
Ferrari. En voici une traduction trèsbien
faite tirée des affiches des Provinces
du Mercredi 11 Février ; elle a été faite
par M. de Querlon d'après les indications
que j'ai données dans l'affiche précédente.
و د
Rempliffez jufqu'à moitié feulement
" un vafe de terre , de cuivre ou de bois,
» de fable paffé au tamis ; verſez enfuite
jufqu'aux bords du même vafe de l'eau
» bien pure & bien claire que vous re-
» muerez & mêlerez bien avec un mor-
33
و د
ceau de bois dans le fable , pour en dé-
» tacher les particules de terre graffe ou
» de fumier qui pourroient y être reflées .
» Le fable étant repofé , vous ôterez
» l'eau trouble du vafe , en la verfant
par inclination , & vous continuerez
» de laver ce fable juſqu'à ce que toute
» l'eau qui le couvre foit limpide & fans
» nuage. Quand le fable eft ainfi bien
و د
33
162 MERCURE DE FRANCE.
:
nettoyé , on l'expofe au foleil tout le
» temps qu'il faut pour déflécher entié-
» rement fon humidité. On prépare en-
»fuite pour chaque fleur un vaiffeau d'un
» volume convenable de terre ou de fer
» blanc ; on choifit les fleurs les plus bel-
» les , les plus parfaites & les plus fé-
» ches , en obfervant de leur laiffer une
» tige d'une longueur fuffifante d'une
» main on les pofe délicatement dans le
» vafe , de manière qu'elles foient enfoncées
de deux ou trois doigts au- deffus
» des bords , & qu'elle ne touche point
» le vaſe , de l'autre main on verfe peuà-
peu le fable jufqu'à ce que toute la
» tige ou la queue des fleurs foit couver-
» te , puis on en couvre légèrement la
» fleur même en écartant un peu fes feuil-
» les. La Tulippe exige de plus une petite
❞ opération : il faut couper la fommité
triangulaire qui s'élève au milieu de
» fon calice , & par là les feuilles de la
» fleur refteront mieux attachées à la
tige . Lorsqu'on aura rempli les vaſes ,
» on les laiffera pendant un mois ou deux
" expofé au Soleil , & l'on en tirera les
» fleurs peu différentes , quoique défféchées
, des fleurs fraîchement écloſes ,
» mais fans odeur .
»
"
39
Mais fans avoir lû le Livre du Profef
JUILLET. 1761. 163
Teur Boeckler ni celui du Pere Ferrari , les
perfonnes qui viennent de faire un fi
grand nombre d'expériences pour parvenir
à découvrir cet ancien procédé , auroient
dû trouver leur befogne à moitié faite
dans prèfque toutes les Pharmacopées de
l'Europe. On trouve dans tous ces Ouvrages
des formules relatives à la défficcation
& à la confervation des racines , des plantes
, de leur tige, de leurs feuilles , de leur
fleurs &c. On peut confulter les Ouvrages
de Schroder , d'Offman , la Bibliothèque
Pharmaceutique de Manget , les Pharmacopées
de Brandebourg , d'Auxbourg , de
Strasbourg , de Vienne , de Wirtemberg ,
d'Amfterdam &c. On voit dans les Préfaces
de la plupart de ces Ouvrages & furtout
dans le corps de la Pharmacopée de
Schroder tout ce qu'il y a d'intéreffant à
favoir pour la defficcation des plantes.
Ces principes y font à la vérité noyés
dans des chofes qui leur font en quelque
forte étrangères , mais on y rencontre
ce principe général & connu de tout le
monde , que pour déffécher les plantes
d'une manière à les bien conferver
, il faut les expofer au Soleil & à un
courant d'air rapide . Il y a apparence
que c'eft dans ces excellentes fources
que M. Rouelle a puifé ce principe dont
164 MERCURE DE FRANCE .
ilf ait ufage dans les leçons qu'il donné
fur la Pharmacie , ainfi que l'annonce
l'Auteur de la Defcription du procédé
imprimé dans le Mercure dont j'ai parlé
plus haut.
J'indiquerois volontièrs tous les endroits
des ouvrages que je viens de citer ,
où l'on traite de la defficcation des plantes
, fi je n'avois point de bornes à me
preferire ; mais vous pouvez voir , Monfieur
, d'après tout ce que j'ai dit , que la
prétendue découverte qui fait aujourd'hui
tant de bruit , n'eft rien moins que nouvelle
. Il eft fâcheux que les Naturaliftes
ayent attendu fi tard à faire de belles
momies de plantes . Quel progrès n'eût pas
fait la Botanique , fi depuis Camerarius
ou feulement depuis le Pere Ferrari , on
eût pratiqué cette méthode pour conferver
les plantes étrangères , qui ne s'ac
commodent point de nos climats ? On auroit
des collections de ces plantes dans les
cabinets , comme on en a de coquillages ,
d'Infectes & c.
Au refte ce fecret fera de peu d'utilité
pour les fleurs qui font l'ornement des
jardins. Il n'y a prèfque point de Fleuriftes
qui ne fachent faire venir , dans les
hyvers les plus rigoureux , des oeillets ,
des anémones , des femi- doubles & beauJUILLET.
1761 . 165
coup d'autres fleurs que l'on préférera
toujours à celles qui font défféchées.
J'ai l'honneur d'être & c .
N
RIGAULT de S. Quentin.
GRAVURE .
ous avons prévenu le Public que le
feur BEAUVARLEZ avoit entrepris quatre
grands Morceaux , d'après le célèbre Luc
Jordans , furnommé Faprefto . Il vient
d'en finir un dont le fujet eft l'enlèvement
d'Europe. Quoiqu'il fe fût promis de ne
les mettre au jour que deux à deux , il
n'a pû fe refufer aux folicitations de ceux
qui , dans l'impatience d'en jouir , l'ont
preffé de rendre public ce premier Morceau
.La force & la vigueur avec lefquelles
il eft rendu , étonnent & frappent du
premier coup d'oeil ; le Graveur a fçû faire
paffer dans l'Eftampe toute l'impreffion &
la magie du Tableau. Enfin , plus on l'examine
en détail , plus on en trouve le trag
vail
pur , favant & gracieux.
Le même Artifte , pour ne point trop
s'appefantir fur le grand Morceau que
nous venons d'annoncer , a gravé , dans
fes heures de relâche , une autre Eftampe ,
qu'il vient de mettre au jour , intitulée
166 MERCURE DE FRANCE.
Tancréde fecouru par Herminie , d'après
un Tableau de M. de la Grenée. L'Eftampe
peut tenir place chez les Curieux ; elle
eft très-bien rendue.
LA Vie des Peintres Flamands , Alle
mands & Hollandois , avec des Portraits
gravés en taille- douce , une indication de
leurs principaux ouvrages , & des réflexions
fur leurs différentes manières ; par
M. J. B. Defcamps , Peintre , Membre
de l'Académie Impériale , Francifcienne ,
de celle des Sciences , Belles-Lettres &
Arts de Rouen , & Profeffeur de l'Ecole
du Deffein de la même Ville , Tome troifiéme.
Ce livre , fi attendu par les Artiſtes
& par les Amateurs , a fait le même plaifir
aux Gens de Lettres , nous ofons affûrer
qu'il aura le même fuccès que les deux
Volumes , déjà dans les mains du Public .
On le trouve à Paris chez Defaini & Sail
lant, rue S. Jean de Beauvais , chez Piffor ,
Quai de Conti , chez Durand , rue du
Foin , & chez l'Auteur , à Rouen . Le prix
eft de huit livres le volume broché.
CARTE Topographique de l'Ifle de Belle-
Ifle , fes Ports , rades , mouillages , vigies
& autres détails Hydrographiques ,
avec un Plan particulier de la Citadelle &
JUILLET. 1761. 167
Bourg de Palais , par le fieur de Beaurin ,
fils de M. le Chevalier de Beaurain , Géographe
du Roi.
Cette Carte aparu le Jeudi 28 Mai ;
& fe trouve chez l'Auteur & chez Mérigot
, Libraire , quai de Conti , au bas
du Pont-neuf , au coin de la rue Guénégaud
, à Paris. On avoit négligé jufques
à préfent, de donner aucun détail de
cette Ifle ; mais les circonftances préfentes
ont engagé le fieur de Beaurain fils , de
faire des recherches ; il eft parvenu à détailler
cette Carte autant qu'elle en eft
fufceptible pour fatisfaire les Curieux : il
a ajouté auffi les mouvemens de l'Efcadre
Angloiſe le 8 Avril , & leur deſcente
du 23 du même mois.
LA CHAIRE de la Paroiffe de S. Roch,'
inventée
par Simon Challes , Sculpteur
ordinaire du Roi ; gravée par Etienne
Feffard , Graveur du Roi , de fa Bibliothèque
& de l'Académie Royale de Parme,
fous la conduite de M. Jean Maduel,
Curé de ladite Paroiffe. A Paris , chez
l'Auteur , à la Bibliothèque du Roi , rue
de Richelieu , la veuve Chereau , rue S.
Jacques , & Joullain , quai de la Mé
gifferie.
168 MERCURE DE FRANCE.
CATALOGUE des Eftampes de feu Ge
rard Audran , qui fe trouvent chez Michel
Audran , fon petit neveu , Entrepreneur
des Tapifferies pour le Roi à la
Manufacture Royale des Gobelins , feul
poffeffeur des Planches .
OEUVRES DE POUSSIN.
Le Portrait de N. Pouffin , tiré par
lui même , & gravé par J. Pefne . 1 1. 1of.
Les fept Sacremens , en grand, de deux
feuilles , gravé par J. Pefne. 24 1.
Les fept Sacremens , en petit , gravés
par Benoit Audran . 12 liv .
Le Baptême des Pharifiens , de deux
feuilles & en peit , gravé par Gérard Audran.
3 1. 10 f.
Pyrrhus , en deux feuilles . 3 1. 10 f.
Coriolan , en deux feuilles. 3 1. 10 f.
La Femme Adultère . 2 1. 10 f.
La Vérité enlevée par le Temps. 2 liv.
Le Maître d'École. 1 1. 15 f.
I
Le Mariage de la Vierge , en petit, 12 ſ.
Renaud & Armide. 2 1.
Sainte Françoile , Romaine . 15 f.
Hercule & Omphale. 10 f.
Apollon & Daphné. 10 f.
La Charité Romaine. 10 .
Métamorphofe de Narciffe . 1 1..
Le ravillement de S. Paul. 1 1.
Moïfe
JUILLET. 1761 . 169
Moife expofé fur les eaux. 1 1. 10 f; en
grand. 3 1. 10 f.
Moife fauvé des eaux . rl . rof.
Moife frappant le Rocher , en petit 1 l.
to f; en grand. 6 1 .
La Manne , en petit. i 1. 10 f.
La Galatée , de J. Pefne. 1 1. 10 f.
Le Teftament d'Eudamidas. 2.1.
L'Empire de Flore , par G. Audran ,
1 l. 15 f.
Travaux d'Hercule , gravés par
Les
19
J.
Pefne
. s 1.
Un Livre à deffiner , de 13 feuilles ,
par le même. 2 l . 10 f.
1
Le Crucifix en grand, s ; & en petit.1 l.
of
OEUVRES DE LE BRUN.
Les grandes Batailles d'Alexandre ,
gravées par G. Audran, 200 1.32
La grande & la petite Defcente de
Croix , gravées par B. Audran . 3 :1; en
petit 12 f.
La Préſentation de Jesus au Temple ,
en grand 3 I. & en petit , par B. Audran
. 12 f.
La Defcente du S. Efprit, en grand & en
petit par G. Audran. 3 1. en petit 12 f
Le Moife qui frappe les Bergers , & le
Mariage de Moïfe , en grand & en petic ,
par B. Audran. 3 1. 10 f..
I.Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
Le Plafond de la Chapelle de Sceaux ,
par G. Audran, 10 l.
Le Plafond du Pavillon de l'Aurore de
Sceaux. 8 1.
La Préfentation de la Vierge, au Tem
ple , en petit. 12 l.
ſ.
Le Martyre de S. Etienne , en grand &
en petit,par G. Audran . 3 I. en petit 15
L'Affomption de la Sainte Vierge , de
Duflos , en petit . 12 f.
t
Le Mallacre des Innocens , en petit.
1 l. 10 f.
Le Chrift au Jardin des Oliviers , en
petit. 12 f.
Le Crucifix , en petit. 12 f.
Ste Geneviève , en petit . 12 f.
Notre Dame de Pitié , en petit 10 f
CUVRES DE MIGNARD.
Sainte Cécile . liv.
3
Le Plafond du Val - de - Grace , en 6
feuilles , par G. Audran , 12 liv.
Le Portement de Croix, par G. Audran,
5 liv. & en petit 1 liv. to f.. S
La Copie du Portement de Croix , par
B. Audran. 3 liv. io f.
Le grand & le petit Baptême de Jelus-
Chrift , par S.Jean . 2 liv. en petit rzf.
Les deux deffus de porte de S. Cloud ,
qui font la Jaloufie & les Plaiſirs des jardins
, gravés par B. Audran, 1 liv. 1of.
JUILLET. 1761. 175
Le Marquis de Beringhen . 1 liv .
Louis de Beringhen . 1 liv.
La Pefte , par G. Audran . 4 liv. & en
petit liv. to f.
Lully. I liv
OEUVRES DE LE SUEUR.
Saint Laurent en petit , gravé par B.
Audran. 3 liv. en grand 15 f, en petit.
Saint Gervais.& S. Protais Martyrs ,
gravé par G. Audran , 15 l.
L'Aurore , gravé par G. Audran.
OEUVRES DE RAPHAEL, 1
Saint Paul , en petit , battu par les déf.
mons. If
Un Livre de 14 Enfans dans les angles.
2 liv.
13 Figures Hyéroglyphiques... & 10
Bas-reliefs. 4 liv.
Saint Paul & S. Barnabé. z liv. ro f.
La mort d'Annanie . 3 liv. 10 f.
Moife au Buiffon ardent. ; liv. 10 f. 3
Ulyffe découvre Achille. 1 liv. 10 f.
La Transfiguration . 2 liv. 10 f.
OEUVRES DE CARACHE.
Le Trépas de S. François .
I liv. 10 f.
Le S. Jérôme. 1 liv. I
Le S. Antoine. 15 f.
La Samaritaine. en petit
15 f.
Gravés par
G.Audran
Hi
17 MERCURE DE FRANCE
OEUVRES DU DOMINIQUAIN.
Jefus au Jardin des Olives , par J. Aug
dran, liv . IS ር.
Le Rofaire par G. Audran. 3 liv.
L'Annonciation de Daflos. 3 liv. ;
I Le S. Jérôme , par B. Audran. 1 l . 15 f.
Quatre Ovals , par G. Audran . 2 liv.
OEUVRES DE CHARMETON.
Un Livre de fix feuilles de Plafonds ;
par G. Audran. 1 liv. 10 f.
Deux Livres de Corniches , de 30 feuilles
, par G. Audran , 2 liv,
Cinq Livres de 30 feuilles'
d'Ornemens de Montans.
Un Livre de feuilles de
Vales .
Un Livre de 6 feuiles de
Panneaux.
Un Livre de 6 feuilles , Culs
de lampes.
Quatre Livres de 6 feuilles
chacun , de Mafques
Un Livre de Cartouches .
PORTRAIȚ §.
à trois f
la feuille,
Le Portrait du Roi , de M. Perfon. i
-Liv. 15 f.
Cinq Portraits de M. Rigaud. 1 liv . 15 f.
JUILLET. 1761. 171
Un Portrait , de Largilliere . 12 f.
Deux Portraits , de Nanteuil. 10 f.
Plufieurs autres petits Portraits. 6 f.
FLEURS.
"
Deux Livres de Robert , de 12 feuilles
chacun. 1 liv. 10 f.
Un Livre de 16 feuilles . 2 liv.
Deux Livres de 12 feuilles chacun , d'Oifeaux
de Robert , gravés d'après les Oifeaux
de la Ménagerie de Verfailles. 3 liv.
10 f.
PAYSAGES DE VAN - DER - KABEL ,
& autres Auteurs.
Un Livre de 4 grandes feuilles, & trois
autres différens . s f. la feuille. S
: Cinq petits Livres. 3 f. la feuille .
Un grand Livre des vues d'Italie , de
Faucus , par 6. Audran , 6 f. la feuille.
Un Livre de 6 feuilles , de Gafpe ; &
plufieurs autres Payfages des meilleurs
Maîtres , par G. Audran. 5 f. la feuille.
OEUVRES mêlées de plufieurs Auteurs.
Le Jugement de Salomon , de Coypel,
gravé par G. Audran. 3 1. 10f.
Renaud & Armide , par J. Audran.
2 1. 10 f.
H jij
174 MERCURE DE FRANCE.
La Vierge de Villequain
I l. 10 f.
> par Pitaw
.
La Fuite en Egypte , de Verdier , par
G. Audran , 24.
La Samaritaine de Villequain , par
Baudet. 1 1. 10 f.
La Samaritaine d'après Champagne.
12 f.
Saint Pierre , du Lanfranc , par G.
Audran, 15 f.
Un Livre de 30 feuilles de Proportions
du corps humain, mefurées fur l'Antique .
31106
Un Livre de 4 feuilles de Frifes , de la
Fage , par G. Audran , 1 l . 10 f.
Les 4 Rommanelles Poetiques , "par
G. Audran, 2 1.
Un Plafond de feuilles , de Piettre
de Cortone , par G. Audran, 1L 1of.
Le Chandelier de S. Pierre de Rome ,
du Bernin , par G. Audran, 10 f.:
L'Invocation & l'Imitation des Saints
pour tous les jours de l'année , avec un
xtrait de leurs vies , des prières & des
Réfléxions , gravés par Sebaftien le Clerc.
On peut le relier en petits volumes . 4
1of.
1.
Le Frontifpice des Métamorphofes
d'Ovide en Rondeaux , par le Clerc. 10 f.
La Vie & les moeurs de Ste Catherine
JUILLET. 1761. 175
de Sienne , en 12 f. par Vanius , 2 1. 10 f.
L'alliance & la Paix , Figure allégorique
de Louis XIV. 6 f.
Le Tems découvre la vérité de la Peinture
, par Teftelin. 15 f.
La Multiplication des Pains, de Claude
Audran , pat J. Audran ,
La Peinture , de Claude Audran , par
B. Audran, 12 f.
Les huit Figures du Tombeau du Préfident
Séguier , en 2 feuilles. 1 1 .
Le Paffage de la Mer Rouge , de Verdier
', par G. Audran . 3 §.
Les fept OEuvres de Miféricorde , de
Bourdon par L. Audran, 9 l ,
Les 4 Élémens de l'Albane , en petit ,
par B : Audran, 61.
La Miffion des Apôtres , par G. Au-
'dran, of.
La Sainte Famille , du Carle- Maratte. 12 f.
Sainte Marie Egyptienne , par Bongin .
32 f..
L'Adoration des Pafteurs , du Guide.
12 f
Les Pelerins d'Emaüs , du Titien. 12 £
Sainte Maranne & Sainte Cire . 12 f.
Sainte -Geneviève , du Mellan. 12 f
Le Trépas de la Sainte Vierge. If
La Communion de la Vierge. 12 £
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
La Madelaine , du Guide. 1 1.5 f.
Le S. André , du Guide , par J. Audian.
3 1. 10 f.
La Pénitence , d'après Licherie , par
Bazin. 1 1. 15 f.
L'Annonciation , de l'Albane , 12 f.
La Madelaine , du même , par Scotin.
.12 f.
€
La Scène , d'après C. Audran . 3 1.
Le Baptême , d'après Licherie. 2 1.
La Similitude des Enfans.
L'Incrédulité de S. Thomas. 1 l . § f.
La Communion de S. Denis . 12 f.
Ganiméde, du Titien , par G. Audran,
12 f
Le Bombardement de Gènes. 2 1.
Le Profil de la Ville de Rome. 1 1. 10 f.
Le Temps triomphe de l'Envie. 6 f.
Judith qui tranche la tête à Holopher- ne. 3 f.
Bacchus & Apollon , par G. Audrani
10 f.
S. Jérôme , de Licherie. 1 1. 10 f.
S. Hyacinthe , du Guerchin. 12 f
S. Bruno , de C. Audran . 10 f.
Le Baptême , de l'Albane , 31. 10 L
La Charité Romaine. 10 f.
Le Cadavre , de Houaffe . 11. 10 f
La Cananée. 12 f.
Saint Michel. 12 f
JUILLET. 1761. 177
Saint Mathieu . 4 f.
Saint André. 6 f.
Sainte Théreſe. 12 f.
Plufieurs petits Cartouches . 4 f.
Defcription de l'Eglife des Invalides ;
avec le Plan général de l'Hôtel & l'Explication
des Tableaux in - folio. 15 1.
Idem abrégée. 6 1 .
Idem in- 12. 1 1. 4 f.
MECHANIQUE.
MEMOIRE fur les rectifications convenables
à faire aux Machines , concernant
la conftruction des Edifices , tant pour
tranfporter les fardeaux , que pour les
élever.
ON fe fert , depuis 17 à 18 cens ans ,
de Machines qu'on nomme angins , chevres,
grues , grueaux & chariots , à l'ufage
des Edifices , pour tranfporter & élever les
pierres , moilons , briques , charpentes &
autres corps , fervant à leur conftruction .
Quoique ces Machines foient en ufage
depuis fi longtemps , on eft en état de
prouverqu'elles font encore fort éloignées
de leur perfection, puifqu'en les rectifiant
on pourroit , par leur moyen , procurer
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
deux avantages confidérables ; l'un de ga
guer près de moitié du temps fur la conftruction
des Edifices , l'autre d'épargner
au moins deux tiers de dépenfe fur la main
d'oeuvre.
Par exemple : un Edifice quelconque „
que l'on eftimeroit pouvoir bâtir en trois
années , dont les journées d'Ouvriers employés
aux tranſports & élévations des
pierres &c, monteroient à trois cens mille
livres , par l'ufage des Machines d'aujourd'hui
, pourroit le faire avec cent mille
livres , en moins de deux années , par le
moyen des Machines rectifiées que l'on
propofe.
2 Si fur un Edifice tel que celui propofé ,
on peut gagner une année de temps , &
economifer deux cens mille livres , combien
y auroit- il de temps à gagner fur la
conftruction d'une Ville entiére , & d'oeconomie
à faire , lorfqu'outre les maiſons
Bourgeoises, on a à y édifier des Temples,
des Monaftères & des Palais ?
Le fieur Pinfon , Architecte- Méchanicien
& Inspecteur des Bâtimens du Roi ,
Auteur de ces rectifications , connu par
différens Projets, annoncés dans les Journaux
, penfe que ces moyens pourroient
être utiles à tous Porentats , Princes & c .
qui auroient des Edifices de conféquence
JUILLET. 1761.
179
à faire de telle nature & conftruction
qu'elles puiffent être , comme Villes de
Guerre , Châteaux , Fortereffes , Ports
Digues , Eclufes , Risbans , levées ou jettées
dans la Mer & c , murs de Quays , Ponts
fur les Rivieres & c.
Il eft en état de donner, en préſence de
toutes les Puiffances qui voudroient l'honorer
de leur confiance & de celle de telle
perfonne qu'elles choifiront , la preuve dé
ce qu'il avance d'une manière invincible
& plufieurs autres avantages qui en réfulteroient
, même à fes propres frais &
dépens , s'ils le defirent fous le bon
plaifir du Miniſtère François , en faifant ,
au préalablé avec lui , des conditions
convenables.
>
L'Auteur de ce Mémoire eft parvenu à
la perfection de l'Hydraulique , par des
machines fimples , durables & peu cou
teuſes en conſtruction & entretien , par
le moyen defquelles on peut procurer
des eaux abondamment , dans telle poftion
que ce foit , pour faire des Fontaines
dans les Villes , dans les Jardins ,
ainfi qu'expulfer celles qui nuifent. Ces
machines pouvent être mues , par le
moyen des courans des vents , des hommes
, des chevaux & c.
On peut voir fon projet pour fourniz
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
d'eau la Ville de Paris , dans le Journal
du mois d'Avril 1739.
Celui de la perfection des Moulins à
Eaux & à Vents , dans le Journal d'Octobre
1746 , & beaucoup d'autres qu'il n'a
point annoncés , comme ceux des rectifi
cations des Machines de Marly , du Pont
Notre- Dame , à Paris , & de la Pompe du
Pont-Neuf, qui en feroient très -fufceptibles.
On pourroit , par le moyen de la nouvelle
grue propofée dans ce Mémoire ,
pour élever les fardeaux , charger & dé-"
charger lesVaiffeaux avec moins de temps
& de dépense qu'ils coutent aujourd'hui.
Il a auffi découvert des moyens trèsfupérieurs
à ceux dont on s'eft fervi juf
qu'ici , pour retirer les Vaiffeaux & Batteaux
fubmergés avec leurs charges , de
telle nature & pefanteur qu'elles puiffent
être , même les plus gros Vaiffeaux de
Guèrre , chargés de toute leur Artillerie ,
à telle profondeur que les cables puiffent
les atteindre.
Le fieur Pinfor demeure à Verfailles
près le Jeu de Paulme , & à Paris , chez
M. Deperthes , Avocat au Parlement , rue
Mazarine , Cour de Munfter.
JUILLET. 1761 180
SUPPLEMENT à l'Article de Mufique .
SIX SONATES pour le Clavecin , dédiées
à Mgr le Prince LOUIS DE ROHAN , Coadjuteur
de l'Evêché de Strasbourg , compofées
par M. Leonzi Honaver , Livre
Premier. In-folio ; prix , en blanc , 9 liv.
A Paris , chez l'Auteur , à l'Hôtel de Soubife,
vieille rue du Temple, & aux adreffes
ordinaires.
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Mufique continue
de repréfenter Zaïs. Les parties qui
avoient déterminé lefuccès de cet Opéra,
favoir la Mufique & le Ballet , l'ont foutenu
avantageufement , pour la gloire da
célébre Auteur de cette Mufique & pour
les recettes de ce Spectacle. Cette dernière
circonftance ne doit s'entendre néanmoins
que des jours , où la mode de certaine
promenade & de quelques petits
182 MERCURE DE FRANCE.
Spectacles qui s'y trouvent , a laiffé au
Public la liberté de fréquenter les grands
Théâtres de la Ville...
Le Vendredi 12 Juin , M. d'Auberval ,
Danfeur , a debuté dans les Airs de M.
Lyonnois au deuxième Acte : il continue
fon début. Le Dimanche 14 , Mlle Pélin
a débuté dans les Airs de Mlle Lani.
Pour rendre compte des talens de ces deux
Sujets, nous attendrons que le Public les
ait décidément appréciés. Le Vendredi
19 , Mlle Allard a débuté dans le troifiéme
Acte par deux Airs ajoutés , l'un noble
& gracieux , l'autre plus vif ; & au
quatriéme Acte , dans la Pantomime que
danfoit Mlle Lyonnois.
On defiroit voir à l'Opéra Mlle Allard.
Cette Danfeufe , quoique fort jeune encore
, étoit applaudie depuis longtemps
fur un Théâtre , ( a ) où la danfe prèfque
toujours ifolée du Spectacle principal ,
n'en fait pas même l'acceffoire , & n'eft
prèfque toujours que le moindre objet
d'attention pour les Spectateurs. Chaque
Théâtre fait des mêmes perfonnes , des juges
différens. Quoiqu'intimidée par là ' ,
Mlle Allard dès la fin de fon premier Air,
fut applaudie à titre de juftice au moins
La Comédie Françoiſe,
JUILLET. 1761. 18%
autant qu'elle l'avoit été à titre d'encouragement
lorfqu'elle parut. Une grande
jufteffe d'oreille , de la précifion dans les
pas, une exécution brillante & égale dans
les deux jambes , font des qualités que le
Public voit avec plaifir fe trouver réunies
dans ce Sujet. Il eft en tout un ftyle local,
fi on peut le dire, que Mlle Allard acquérera
fans doute en très- peu de temps . On
ne paroît rien defirer dans la Pantomime
dont elle poffède les graces , & pour laquelle
ceflyle local de l'Opéra eft moins:
néceffaire qu'ailleurs.
Ce début a été une des occafions remarquables,
ou le Public fait quelquefois éclater
la jufteffe de fon goût & l'équité de fes
fuffrages . En donnant à Mlle Allard , par
fes applaudiffemens ,.la fatisfaction la plus
flatteufe , il les redoubla pour Mile Lani,
de manière à déclarer diftin &tement qu'il
ne connoiffoit aucune rivalité poffible avec
la première Danfeufe de l'Europe , qualifiée
& reconnue pour telle , non - feulement
par les Spectateurs François ; mais
par tous les Etrangers qui ont vu l'Opéra
de Paris.
184 MERCURE DE FRANCE
COMEDIE FRANÇOISE .
LE 24 Mai , on repréfenta la Métromanie.
Quoiqu'il ne foit pas d'ufage de
faire mention des Ouvrages qui font perpétuellement
au Théâtre , celui- ci peut
avoir des prérogatives particulières. Il eſt
intéreffant de conftater par des expériences
réïterées, qu'il y a des Chefs-d'oeuvre de
Génie, qui, à l'abri des erreurs du goût, n'éprouvent
aucune des viciffitudes de la
mode , & que le Public renouvellé pour
toute autre chofe , paroît être toujours le
même pour cette Piéce. D'ailleurs , l'Auteur
( M. Piron ) qui a affifté à cette repréfentation,
& qui ne connoiffoit point
les Acteurs les plus modernes , témoigna
tant de fatisfaction de leur jeu , que ce leroit
leur faire tort , de taire un témoignage
fi flatteur pour eux,& fi recommandable
auprès du Public.
On a repris fur le même Théâtre Iphigénie
en Tauride, Tragédie de feu M. de la
Touche. Lamémoire du fuccès prodigieux
de cette Piéce lorsqu'on la mit au Théâtre
pour la première fois , eft encore récente.
L'impreffion qu'elle a faite à cette reprife
, doit redoubler nos regrets fur la perte
JUILLET. 1761. 185
de ce jeune Poëte. Les trois Acteurs
principaux de cette Tragédie , fçavoir
Mlle Clairon , MM. le Kain & Bellecour
en ont rendu les rôles au gré des
Connoiffeurs , fupérieurement même au
temps de fa nouveauté fur le Théâtre ;
quoiqu'ils ayent eu dès- lors une trèsgrande
part à fon extrême fuccès . Mais
Mlle Clairon nous apprend tous les jours,
qu'il eft des progrès poffibles dans fon
Art , quoique parvenue au plus haut degré
d'excellence.
On a remis enfuite ( le 8 Juin) le Bour
geois Gentilhomme , Comédie de Moliére
avec tous les agrémens . Cette Piéce a été
en général auffi bien rendue qu'elle puiffe
l'être en aucun temps ; de l'aveu même
des Anciens , contempteurs par état , des
talens actuels . M. Préville a fait du rôle
de M. Jourdain, tout ce qu'il eft poffible
d'en faire , pour entrer dans les vues du
célébre Génie qui l'a compofé : & fans
doute que ce même Auteur n'eût pas defiré
un Sujet plus naturellement difpofé
à bien rendre le rôle de Nicole que Mad
Bellecour. La gaîté de fon air eft fi vraie
au Théâtre , qu'elle entraîne néceffairement
tous les Spectateurs, Le comique,
de cette Scène a été fuffifant plus d'une
fois, pour attirer la foule à cette Piéce ;
186 MERCURE DE FRANCE.
mais dans les temps , il eft vrai , où l'on
permettoit encore à la nature de contribuer
à la récréation de l'efprit . On ne
peut diffimuler que le talent reconnu des
Acteurs dans cette reprife , n'a pas été
récompensé par l'emprellement du Public,
autant que l'intérêt du bon goûr devoit
le faire defirer. Combien les Nations
Etrangères doivent- elles être étonnées ,
quand elles apprennent que Moliére
remis avec foin & avec art fur fon Théâ
tre natal , eft négligé , & furtout facrifié
à de frivoles gentilleffes , où le Public fe
porte en foule , longtemps après même
qu'il a été laffé de les entendre . Tel , qui
pour fuir les repréſentations des Piéces
de Moliére , fe fonde fur l'ennui d'une
choſe trop connue , n'a quelquefois pas
la mémoire de la Comédie que l'on joue,
ou plus fouvent encore ne l'aura jamais
vu repréfenter. C'eſt donc moins un fentiment
naturel de curiofité qui ſoutient
l'affluence aux nouvelles frivolités , qu'un
faux air , excité par le defir d'être vû , où
P'on préfume que l'on verra tout le mon
de. Le Goût & la Raifon n'ont pas d'ennemis
plus dangereux que les faux airs.
JUILLET. 1761 .
187
COMEDIE ITALIENNE.
LE 7 Juin , on donna pour la dernière
fois , Soliman Second ou les Sultanes.
Cette Piéce a eu 27 Repréfentations plei
nes & fans interruption. A ne confulter
que le nombre des Spectateurs & leurs
applaudiffemens , elle auroit pû en avoir
encore davantage. Le Public doit être
informé que les airs nouveaux , qu'il a
applaudis dans cette Piéce , font de M.
Gibert , Auteur de la Mufique de la Fortune
au Village. Les Airs de ce Muficien,
dans Soliman , font , celui que chantoit
Mile Defgland , & un autre , chanté par
M. Cailleau , dans le Divertiffement Turc ,.
fur ces Paroles : Mahomet , prendsfoin des
deftinées & c.
Le 8 du même mois , on repréfenta ,
pour la première fois , la Bonne Fille
Comédie nouvelle Italienne , mêlée d'Ariettes
, tirée de Goldoni , Mufique de
M. Duni.
Les Ouvrages de M. Goldoni offrent
fans doute un champ très-fertile pour en
richir tous les Théâtres de l'Europe , fans
en excepter le nôtre. La jolie Comédie des
Caquets l'a bien prouvé mais tous ces
188 MERCURE DE FRANCE.
fruits tranfplantés ne réuffiffent pas également.
La Bonne Fille , telle qu'elle a parus
même après toutes les réformes , n'empêchera
pas de regarder cette Comédie des
Caquets, comme l'unique tentative heureufe
, jufqu'à préfent , fur le tranfport des
richeffes du nouveau Théâtre Italien , en
France.
Il y a eu cependant beaucoup de monde
aux premières Repréſentations de cette
Comédie ; mais on doit attribuer cette
affluence au defir d'entendre Mlle Piccinelli
, qui avoit beaucoup d'Airs à chanter.
Le plaifir que fait cette nouvelle Cantatrice
, eft établi fur un talent trop agréable
& trop réel , pour s'affoiblir. On doit
croire , au contraire , que ce plaifir devien
dra encore plus vif, lorfque Mlle Piccinelli
, plus familiariſée avec un Public tout
nouveau pour elle , animera un peu davantage
l'exacte adreffe de fon chant & les g s graces
naturelles de fon jeu. Tout excès , s'il féduit
d'abord, finit par devenir défagréable.
Cette jeune Actrice n'a point à craindre
de tomber dans celui d'une action trop déréglée
, mais fes plus ardens admirateurs
defirent qu'elle évite celui de la froideur
qui eft quelquefois l'écueil du talent le
mieux raifonné ; & la beauté même ne s'en
garantit pas toujours ,
JUILLET. 1761 ;. 189
. Une autre caufe du nombre des Specta
teurs qui ont honoré le peu de repréſentations
de la Bonne Fille, a été le Ballet des
Pierrots par M. Felicini.
En convenant de toutes les fimilitudes
de ce Ballet avec d'autres à- peu- près du
même genre , il eft certain que c'eſt une
collection des plus riches , des plus abondantes
& des plus variées de tous les exercices
Pantomimes imaginables. Son excelfive
longueur eft non feulement fuppor
tée , mais devient prèfqu'irréprochable ,
par l'immenfe variété des figures qu'il préfente.
Ces figures font d'autant plus d'éffet
, qu'elles fe fuccédent rapidement &
forment des Tableaux diftinctement déf
finés. Mile Camille & M. Francini raniment
finguliérement le jeu de cette Pantomime
, dans tous les endroits où ils y
paroiffent. Ce Ballet a furvêcu avec fuccès
à la Piéce à laquelle il étoit joint.
On a remis fur le Théâtre de la Comédie
Italienne , la Gouvernante , Comédie
Françoife , en vers & en trois Actes , par
feu M. Aviffe , repréfentée pour la premiere
fois en 1737 , fans avoir été reprife
depuis le temps de fa nouveauté.
Cette Comédie cependant , eft un des
Ouvrages modernes , où peut- être on air
le plus approché du comique de Moliére,
go MERCURE DE FRANCE:
même , s'il eft poffible , de la juftelle.de
fon Dialogue. La mort a enlevé ce jeune
Auteur dès les premiers pas qu'il avoit faits
fur le Théâtre. Il femble qu'une fatalité
particulière s'applique à nous ravir tout ce
qui pourroit faire revivre les grands Modéles
du Dramatique François . La mort récente
de M. Defmahis en eft une nouvelle
preuve. La Troupedes Italiens eft plus difpofée
aujourd'hui à pouvoir hazarder de véritables
Comédies , & les Amateurs de ce
Théâtre defireroient avec raifon qu'on y
encourageât les Acteurs. Mlle Boiyoni a
joué la Gouvernante avec le talent de
Comédienne , & de Comédienne Françoife
, qu'elle poffède au moins auffi réguliérement
que d'autres qui avoient autrefois
fon même emploi dans les Piéces
Françoifes de ce Théâtre. On connoît le
caractère original & fpirituel du jeu de
M. De Heffe chargé du rôle de Frontin
qu'il avoit déja joué en 1737. Mlle Lafont
chargée du rôle de Célie , a mérité
des encouragemens , & doit faire defirer
que plus d'exercice dans la vraie Comédie
, rempliffe l'efpoir que l'on eft porté
à concevoir en fa faveur par les grâces
de fa figure.
Cette Piéce , qui avoit eu beaucoup de
fuccès dans fa nouveauté , vient d'être
encore applaudie , dans la repriſe.
JUILLET. 1981 ; for
OPERA - COMIQUE.
L'OPÉRA - COMIQUE , a fait l'ouverture de
fon Théâtre le 27 Juin, à la Foire S. Laurent.
On y a repréfenté un petit Prologue
intitulé le Compliment fans Compliment
, nouveau ; le Ral Bourgeois, Opéra-
Comique de M. Favart ; & le Cady Dupé.
Le Compliment fans Compliment eft de la
plus grande gaîté , & a fait le plus grand
plaifir. Le Spectacle en général a été trouvé
très agréable ; & a attiré jufqu'à préfent
un grand nombre de Spectateurs.
ARTICLE V I.
NOUVELLES POLITIQUES:
V₁
De WARSOVIE , le 29 Mai 1761 .
INGT mille Ruffes , fous les ordres du Comte
de Czernichew , font entrés le 19 dans le Palatinat
de Pofnanie , & ont paffé la Wartha Ils feront
inceflamment fuivis du refte des troupes
commandées par le Feld Maréchal de Butturlin .
Le Général de Tottleben continue de fe maintenir
près de Stolpe , où il attend des renforts confidérables.
La fufpenfion d'armes , dont il eft convedu
avec le Baron de Werner , eft fur le point
d'expirer.
192 MERCURE DE FRANCE.
On mande de Pétersbourg , qu'on y célébra , le
2 de ce mois , l'anniverfaire de la naiffance de la
Grande Ducheffe . Suivant les mêmes avis , l'Impératrice
de Ruffie a nommé le Comte de Keyferling
& le Comtede Czernichew , pour affifter
de la part au Congrès d'Ausbourg.
La fanté du Prince Clément de Saxe n'étant
pas encore parfaitement rétablie , il ne fera point
la campagne prochaine. On compte qu'il pallera,
ainfi que le Duc de Courlande , tour l'été dans
cette Cour.
On apprend de Conftantinople que la feconde
Sultane eft accouchée le 19 de ce mois d'une
Princeffe. On fera , pour cet événement , les mêmes
réjouiffances qui ont été faites à la naiſſance
de la premiere Fille du Grand - Seigneur.
Suivant les mêmes avis , on commence à croire
que l'expédition , aux préparatifs de laquelle on
travaille depuis fi longtemps , fe réduira à une
croifiére de quelques Efcadres Ottomanes dans
l'Archipel & dans la Méditerranée. On affure du
moins que la vivacité de ces préparatifs eſt fort
rallentie. Aucune des attaques formées autrefois
contre Malthe n'ayant réulli , les troupes témoignent
peu d'empreffement pour une entrepriſe
dont elles n'attendent pas plus de fuccès.
De DANTZICK , le 1. Juin,
L'Armée Ruffe eft en pleine marche pour con
mencer les opérations de la Campagne. Elle fe
porte de Marienbourg à Pofnan , par Dirſchau ;
Mewe , Munckenwald , Neubourg , Nakeln &
Wengrowetz. Le Maréchal Comte de Butturlin
la commande én Chef. Des trois diviſions qui la
compofent , la premiere eft aux ordres du Général
Comte de Fermer ; le Knès Gallitzin conduit
la feconde ; & la troifiéme eft commandée par
le
JUILLET. 1761 . 193
>
le Lieutenant- Général Romanzow . Le Comte de
Czernichew eft à la tête d'un Camp volant . On
affure qu'une divifion attaquera la Silésie ,pendant
que les autres pénétreront dans la Pomeranie &
dans le Brandebourg.
De COPPENHAGUE , le 14 Mai..
Suivant les avis de Stockholm , les Miniftres
qui font fur les rangs pour affifter en qualité de
Plénipotentiaires du Roi de Suéde au prochain
Congrès , font le Comte de Barck , Envoyé Extraordinaire
de Sa Majefté Suédoiſe à la Cour de
Vienne , & les Barons de Scheffer & de Hopken ,
le premier , Miniftre du même Prince auprès du
Roi de France , le fecond , Envoyé à Warfovie.
On mande de Pétersbourg que le 19 du mois
dernier , le Kan de Georgie eut audience de l'Impératrice
de Ruffie , & qu'il lui a fait préfent d'un
diamant eftimé cent mille livres , Monnoie de
France .
De VIENNE , le Juin.
Le Marquis de L'hopital , ci- devant Ambaffa
deur Extraordinaire de Sa Majefté Très- Chrétienne
auprès de l'Impératrice de Ruffie eft arrivé ici de
Pétersbourg. Il continuera bientôt la route pour
Paris. Le Comte d'Hamilton , Evêque , Prince
d'Olmutz , recevra dans peu l'inveftiture de cette
dignité .
Le Comte de Choifeul , Ambaffadeur du Roi
de France auprès de Leurs Majeftés Impériales ,
partit le 19 de ce mois pour Paris , d'où il ira à
Ausbourg , en qualité de Miniftre Plénipotentiaire
de Sa Majesté Très- Chrétienne. Il fera remplacé
ici pendant le temps du Congrès , par le
Comte du Châtelet- Lomont , qui fera revêtu du
caractère de Miniftre Plénipotentiaire.
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
Selon les nouvelles les plus récentes de Silésie ,
le Général Baron de Laudon avoit encore , le 24
du mois dernier , fon quartier général à Haupt
mandorff. Il a renforcé la garniſon de Glatz par
cinq bataillons & par le Régiment de Hullards
de Nadafty. Les Généraux Sincere & Odonel
campent auprès de Zittau , d'où ils peuvent en
quelques marches joindre le Général Laudon . ~
Le Roi de Pruffe n'a fait aucun mouvement de
puis fon arrivée dans les environs de Schweidnitz
Son quartier général eft à Kuntzendorff.
On a vu avec ſurpriſe dans quelques papiers
publics, que le Grand- Seigneur failoit avancer
une armée vers la Ruffie , & que la Cour de Pétersbourg
rappelloit une partie des troupes Ruffes
deftinées a agir contre les Prufſiens . Ces bruits
font deftitués de tout fondement.
Du Quartier Général de l'Armée aux ordres du Baron
de Laudon , à Hauptmansdorff, le 31 Mai.
Les Troupes détachées de l'Armée du Maréchal
Comte de Daun , & commandées par le Lieutenant-
Général d'Argenteau , arrivérent le 18 de ce
mois à Trautenau. On reçut avis le jour ſuivant
que l'Infanterie amenée de Saxe , par le Roi de
Pruffe , étoit entrée dans le Camp qu'occupoit le
Général Goltz , & que la Cavalerie ennemie avoit
pris des Quartiers de Cantonnement , dans les environs
de Schweidnitz . Selon le rapport des Déferteurs
, l'Armée de Sa Majefté Pruffienne a été
jointe par tous les Corps détachés , & elle eft prête
à fe mettre en mouvement.. Il lui eft arrivé de
Schweidnitz un train confidérable d'Artillerie .
De HAMBOURG , le 29 Mai.
Quinze mille hommes de Troupes Danoiſes
JUILLET. 1761. 1
campent actuellement à fix lieues de cette Ville
Un Corps d'égale force eft affèmblé dans le Holf
tein. Les Troupes de la Maiſon du Roi de Danne
marck s'y rendront au premier jour . Selon les
Lettres de Coppenhague , l'Eſcadre Danoife n'at
tend que les derniers ordres pour mettre à la voile.
Le Prince Eugene de Wirtemberg a fait tracer
près de Laage un Camp pour les troupes qu'il
commande dans le Meklenbourg . La Ville de
Guftrow n'ayant pu acquitter une nouvelle contribution
de deux cens mille-écus , à été exécutée
militairement , ainfi que celle de Schwerin .
a
Suivant les Lettres de Stockholm , le Baron
de Lantingshaufen s'eft démis du commandement
de l'armée Suédoife . Le Général Ehrens werdt a
été nommé pour le remplacer.
•
De DRESDE , le 25 Mai.
L'Armée Autrichienne forme actuellement
plufieurs Camps , & le Feld Maréchal Comte de
Daun a tranféré fon quartier général de Nettnitz
en cette Ville.
On mande de Warfovie que le Roi , notre
Electeur , a nommé les Comtes de Flemming &
de Rex les Miniftres Plénipotentiaires au Congrès
d'Ausbourg.
Selon les nouvelles que nous recevons du Camp
Pruffien , l'Armée qui a pris dernierement la route
de la Siléfie , confifte en trente deux bataillons
, foixante trois elcadrons & quelques Corps
de Chaffeurs. Celle que le Prince Henri commande
dans le Camp de Schlettau , eft compofée
de quarante-fix bataillons & de quatre- vingttrois
efcadrons. Ce Prince a fous lui les Lieutemans-
Généraux Hulfen , Canitz , Seydlitz &
Krockow. Le Général Seydlitz doit commander
un Corps détaché , qui fera poſté près de Luben,
Iij
196 MERCURE DE FRANCE.
pour entretenir la communication entre l'Armée
de Sa Majefté Pruffienne & celle du Prince Henri.
Les Pruffiens , en évacuant (une partie de cet
Electorat , ont réduit les habitans à une telle difette
, qu'on les voit arriver ici par troupes , pour
chercher leur fubfiftance.
•
Nous apprenons de Berlin , que Sa Majesté
Fruffienne a ordonné d'en tranfporter les magafins
dans des lieux plus fûrs. La Famille Royale
de Pruffe eft partie pour Magdebourg.
Le Prince Albert de Saxe eft de retour à l'Armée
Autrichienne . Il commandera cette année
une brigade de Cavalerie , compofée de deux régimens
de Cuiraffiers , de quatre de Dragons , &
de quelques Compagnies de Ulans . L'Armée du
Prince Henri n'eft pas encore raffemblée .
De LEIPSICK , le 30 Mai.
Le Roi de Pruffe a fait publier une déclaration
par laquelle il promet route fureté aux Marchands
qui fe rendront à la prochaine Foire de
Naumbourg. Notre garniſon eft à préſent trèsfoible.
Les Partis de l'Armée de l'Empire vienment
jufqu'à nos portes. Un d'eux enleva derniérement
près d'ici vingt Cavaliers Pruffiens avec
leur Commandant. Le directoire de Guerre du
Roi de Pruffe n'a pas jugé à propos de continuer
fa réfidence dans cette Ville.
De BAMBERG , le 14 Mai.
Les Pruffiens fe font entierement retirés du
Voigtland & du Cercle des Montagnes. Le 29
du mois dernier , la garnifon de Zwickau prit la
route de Chemnitz. Jéna fut évacué le même
jour. Le lendemain le Général Schenkendorff
ayant abandonné Gera , joignit le Général Syebourg
, & ils fe replierent à Borna , d'où le preJUILLET.
1961 .
197
mier s'eft porté avec l'infanterie fous Lomatfch,
pendant que la Cavalerie a marché à Torgau.
Le Corps qui occupoit Freyberg , en partit la
nuit du 4 aus de ce mois pour le rendre au camp
de Meiffen. Les troupes de l'Empire font rentrées
dans Zeitz . Le Maréchal Comte de Serbelloni a
établi fon quartier à Cronach . Le Colonel Tor
rok a repris poffeffion de Chemnitz . La Thurin
ge eft encore occupée par les Pruffiens,
De RATISBONNE , le 22 Mai.
Le Prince Ferdinand de Brunſwick , Général de
l'Armée combinée d'Angleterre & de Hanovre ,
avoit déclaré aux Chanoines de Munſter , quefon
deffein n'étoit point de porter aucune atteinte à
leurs droits , ni de s'immifcer dans l'élection de
leur futur Evêque.
En conféquence , on s'attendoit à les voir bientôt
, ainfi que ceux d'Hildesheim , de Paderborn
& d'Ofnabruck , donner à leurs Eglifes des Chefs
dignès de les régir . Contre une efpérance fi bien
fondée , on a appris que le Prince Ferdinand nonfeulement
avoit refufé au Baron de Reifchach ,
nommé Commiffaire Impérial pour affifter aux
élections de Munſter & de Paderborn , l'entrée de
ces Evêchés , mais encore qu'il avoit défendu aux
Chapitres des deux Cathédrales , ainfi qu'à celui
de la Cathédrale d'Ofnabruck , de procéder à
l'élection de nouveaux Evêques , juſqu'à ce qu'il
fût arrivé des ordres du Roi de la Grande-Bretagne.
De plus , on a fçu que la Régence de Hanovre
avoit fait fignifier au Chapitre d'Ofnabruck ,
qu'elle étoit dans l'intention de lui ôter la jouiffance
des revenus de la Manfe Epifcopale , malgré
les priviléges accordés par les Empereurs , &
malgré l'efprit de la capitulation perpétuelle.
Dans un Décret adreffé à la Diete , l'Empereur
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
fait voir combien de tels procédés font contraires
au Traité de Weftphalie , fuivant lequel les
Chapitres immédiats des Archevêchés & Évêchés
de l'Empire font obligés , après la mort de leurs
Archevêques ou Evêques , de procéder inceffamment
à l'élection d'un nouveau Prélat & Régent
du Pays.
» Il eſt notoire , dit Sa Majefté Impériale ;
» qu'en vertu des Concordats arrêtés en 1448
>> entre le Saint Siége & le Corps Germanique ,
ב כ
les Chapitres doivent toujours procéder à une
> nouvelle élection dans le terme de trois mois,
a compter du jour de la vacance du Siége , &
5 qu'après l'expiration de ce terme, le Siége Apoftolique
a droit de leur donner un nouveau
Chef. Perfonne n'ignore non plus , qu'en qualité
de Chef de l'Empire , nous ne pouvons refufer
notre protection aux Membres du Corps
Germanique , qui fe trouvent lézés dans quelques-
uns de leurs droits , & que nous avons
ɔɔjuré , dans notre capitulation , de maintenir les
Chapitres dans leurs priviléges , ftatuts & ufa-
» ges .
» Les Chapitres de Munſter & de Paderborn
» ajoute l'Empereur , ont fuivi exactement ce que
les. Conftitutions de l'Empire préfcrivent. Au
» contraire , les troupes , qui occupent ces Evê-
>> chés , ont renverfé les loix fondamentales de
l'Allemagne.Elles attaquent même directement
>> les droits de l'autorité Impériale , & elles ofent
entreprendre d'en arrêter l'exercice , d'une ma
>> nière dont on n'a point vu d'exemple dans les
plus grands troubles.
Sa Majefté Impériale termine fon Décret , en
invitant la Diete à prendre en confidération des
événemens fi peu attendus . Elle témoigne atten
dre du zéle des Membres de cette Affemblée pour
JUILLET. 1761 . 199
le foutien de la Conftitution Germanique , qu'ils
chercheront férieufement les moyens convenables,
pour réprimer ces entrepriſes dangereuſes ; pour
maintenir dans leur intégrité les libertés & prérogatives
des Etats tant Eccléfiaftiques que Séculiers
, & pour venger la Majefté Sacrée du Chef
Supreme de l'Empire , ainfi que fes droits & ſon
indépendance.
De ROME , le 24 Mai.
Les difficultés , énoncées dans l'article de Ratisbonne
, s'étant oppofées à l'élection d'un nouvel
Evêque d'Hildesheim , le Pape a prorogé le terme
auquel elle devoit fe faire , fuivant le Concordat
de 1448. On ne doute pas que les Chapitres dè
Münfter & de Paderborn n'obtiennent une fembla
ble prorogation . Sa Sainteté a accordé au Car
dinal de Bavière , un Bref d'éligibilité pour l'un
ou l'autre de ces Evêchés , à condition que ce
Prince , s'il eft élu à l'un des deux , le démettra
d'un de ceux qu'il pofféde.
:
De LONDRES , le 31 Mai.
La Cérémonie du Couronnement de Sa Majesté
eft fixée au 6 d'Octobre. Un Vaiffeau venant
des Iſles Canaries a rapporté que le tremblement
de tèrre du 31 Mars dernier s'y étoit fait fentir
avec affez de violence. Suivant des Lettres de Lisbonne
, on continue d'y éffuyer plufieurs fecoufles
légères. Elles entretiennent la frayeur du Peuple
que les ordonnances févères du Roi de Portugal
peuvent à peine empêcher d'abandonner la Ville.
La nouvelle de la priſe du Comptoir & du Fort
de Bencoule s'eft confirmée ; mais on a fçu que
f'on étoit rentré dans cet établiffement , & que
l'on travailloit à le mettre déformais à l'abri de
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
toute furpriſe. On a reçu , par la voie de Baffora ,
des Lettres qui affûrent que les François ont un
Camp fous les Murs de Pondichéri , & qu'on ne
peut continuer le Siége de cette Place , fi l'on ne
reçoit de nouveaux renforts d'hommes , de Munitions
& d'Artillerie .
L'arrivée du fieur de Buffy , Miniftre de Sa Majefté
Très-Chrétienne , a fait ici beaucoup de plaifir.
Le Peuple a témoigné par des démonftrations
de joie , combien il defire que la négocia
tion de ce Miniftre ait un heureux fuccès.
La feconde flotte équipée à Portſmouth , eft
entiérement approvifionnée. Elle fera commandée
par les Amiraux Hawke & Pocok ; & l'on
compte qu'elle mettra bientôt à la voile. Le Lord
Howe fera , dit on , chargé du commandement
des troupes qu'elle a à bord , & qui font defti
nées pour une feconde expédition.
De BRUXELLES , le 6 Juin.
Le 2 , le Chapitre de l'Eglife Métropolitaine de
Cologne s'étant affembié , la dignité de Grand
Doyen fut conférée unanimement au Comte de
Zell , Grand Écolâtre du même Chapitre , Chanoine
de l'Églife de Strasbourg, & Doyen de celle
de S. Géreon .
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c;
De MARLY , le 18 Juin 1761 .
LⓇ
E 22 du mois dernier , le Roi figna le contra
de mariage du fieur Hubert de Sercy , Capitais
JUILLET. 1761. 201
ne- Chef de la Grande Fauconnerie de France ,
& de Demoiſelle Henriette- Rofe de la Chaize .
Le 27 , la Cour quitta le deuil qu'elle avoit
pris le 27 Mars pour la mort de Mgr le Duc de
BOURGOGNE .
Le Roi a accordé le Gouvernement de Thionville
, vacant par la mort du Comte de Courtomer
, au Comte de Vaux , Lieutenant - Général ,
qui avoit obtenu celui de l'Ile d'Oleron ; le Gouvernement
de l'Ile d'Oleron , au Vicomte de Bel
funce , Maréchal de Camp ; & le Commandement
des Ville & Citadelle de Nancy , qu'avoit
le feu fieur de Torcy , au fieur de Montefquiou ,
Sous-Directeur de l'Artillerie d'une partie du département
des trois Evêchés , avec rang de Colonel.
Sa Majesté a difpofé du Gouvernement de la
Baftille en faveur du Comte de Jumilhac
Cubjac.
Le 29 , le Roi tint le Sceau.
Le 31 , Leurs Majeftés & la Famille Royale
fignérent le contrat de mariage du Comte de la
Chapelle & de Demoiſelle de Romance ; & celui
du fieur de Pomereu , Avocat Général du Grand-
Confeil , avec Demoiſelle le Gendre , fille du
Geur le Gendre , Préfident de la Chambre des
Comptes.
La Place de Confeiller d'Etat ordinaire , vacante
par la mort du fieur de Creil de Bournezeau
, a été accordée au fieur le Pelletier de
Beaupré ; & celle de Confeiller d'Etat de fémeftre
, qu'avoit le fieur de Beaupré , eſt remplie par
le fieur Bourgeois de Boynes , ci - devant Intendant
de Franche- Comté , & Premier Préſident du
Parlement de Belançon .
Le Roi a donné l'Abbaye de Genlis , Ordre de
Prémontré , Diocèfe de Noyon , à l'Abbé Brulare
Iv
102 MERCURE DE FRANCE.
de Genlis ; & celles de Villancourt , Ordre de
Citeaux , Diocéfe d'Amiens à la Dame Feydeau ,
-Religieufe Bernardine de l'Abbaye de Pont- aux-
Dames , Diocèſe de Meaux .
Le Marquis d'Armentieres a pris congé de Sa
Majefté , dans les premiers jours de Juin , pour
aller prendre le Commandement dans le Pays
Meffin.
"
Il a paru dans des Gazettes étrangères une déclaration
prétendue de la France à la Couronne
de Suéde . On n'imagine pas d'où provient cette
piéce controuvée & défavouée quant au fond &
à la forme par le Ministère de France.
Le 13 Juin , le Roi tint le Sceau .
Sa Majesté a nommé le fieur de Fleffelles pour
remplacer le fieur de Gourgues parmi les Maîtres
des Requêtes qui préfident au Grand- Confeil par
commillion.
De l'Armée aux ordres du Maréchal Prince de
Soubize , le 6 Juin .
On apprend de Wefel , que le Maréchal Prince
de Soubize doit y établir au premier jour fon
qu riier général. La garnifon de cette Place vient
d'être renforcée par quatre bataillons. Les François
ne tarderont pas à entrer en campagne. Plufeurs
détachemens de troupes légères ont déjà
fait des courfes jufques fur le territoire d'Eberfeldt.
Les Lettres de Weftphalie portent que le Prince
Ferdinand de Brun wick a toujours fon quartier
à Neuhaufs près de Paderborn . Celui du Prince
Héréditaire de Brunfwick eft à Nottelen près de
Manfter. Les Alliés continuent de fortifier Munt
ter & Lippstadt.
JUILLET. 1761 ) 203
De BELLE-ISLE , le Juin .
On a appris que la Citadelle de Belle- Ifle s'eft
rendue le 7. Voici les articles de la Capitulation.
ARTICLE PRELIMINAIRE .
Le Chevalier de Sainte-Croix , Brigadier des
Armées du Roi , & Commandant de la Place >
demande qu'elle ne fe rende que le 12 , afin d'at↓
tendre fi jufqu'à ce temps il ne lui arrivera point
de fecours que cependant il ne fe faffe nul travail
de part ni d'autre , & qu'il n'y ait nul acte d'hoftilité
, ni aucune communication des Alliégeans
avec les Alliégés. Refufe.
ARTICLE I. Toute la Garnifon fortira avec les
honneurs de la Guerre , par la bréche , tambour
battant , drapeaux déployés , méches allumées , &
trois piéces de canon avec douze coups à tirer
chacune. Chaque foldat aura dans fa cartouche
quinze coups à tirer. Tous les Officiers , Sergens',
Soldats & Habitans , pourront emporter tous leurs
équipages & bagages , & les femmes fuivront
leurs maris:
Accordé , en faveur de la belle défenſe que la Ci
tadelle afaite , fous les ordres du Chevalier de Sain
te-Croix.
ART. II. Il fera fourni deux chariots couverts ,
dont les effets feront déposés dans deux Chaloupes
couvertes , qui ne pourront être vifitées.
Les chariots couvertsfont refufés , mais on aura
foin de faire tranſporter tous les bagages, en grande
tèrre , par le plus court chemin .
ART . III . Il fera fourni des Bâtimens, pour tranf
porter les troupes Françoifes par le plus court
chemin dans les Ports de France les plus voilins
de Belle-Ifle , & l'on profitera du premier vens
favorable. Accordé.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
ART. IV. Il fera fourni aux troupes Françoifes ,
qui feront embarquées , les vivres néceffaires pour
le trajet , fur le même pied qu'il en eſt fourni aux
troupes de Sa Majefté Britannique , & il ne fera
mis fur les Bâtimens que le même nombre d'Officiers
& de Soldats qu'on a coutume d'y en mettre
des troupes Angloifes. Accordé.
ART. V. Il fera donné un Bâtiment , lorſque
les troupes feront embarquées , aux fieurs Chevalier
de Sainte- Croix , Brigadier des Armées du
Roi ; de la Ville , Lieutenant de Roi ; de la Garrigue
, Colonel d'Infanterie avec brevet de Commandant
au défaut du Chevalier de Sainte- Croix ;
les Officiers de l'Etat Major , & ceux de l'Artillerie
& du Génie , compris , ainfi que les trois piéces de
canon & les Soldats du Corps Royal de l'Artillerie ,
pour être tranfportés à Nantes avec leurs femmes,
& avec les domeftiques & équipages qu'ils ont
dans la Citadelle , fans qu'il foit permis de les vifiter.
Il leur fera fourni des vivres du Bâtiment
comme l'on en donneroit aux Officiers Anglois de
pareils grades.
On aura foin que tous ceux qui font nommés
dans cet article foient tranfportés au plutôt à Nantes
avec leurs bagages & effets , de même que les
trois piéces de canon accordées par le premier ar
ticle.
ART. VI. Après l'expiration du terme porté par
l'article préliminaire , il fera livré une porte de la
Citadelle aux Troupes de Sa Majefté Britannique ,
à laquelle porte il y aura une garde Françoiſe de
pareil nombre , jufqu'au moment que les Troupes
du Roi fortiront pour s'embarquer ; & il fera con-
. figné aux deux gardes , de ne laiffer entrer aucun
foldat Anglois ni fortir aucun foldat François ,
fans permiffion de leurs Généraux.
JUILLET. 1761. 205
Une porte fera livrée aux troupes de Sa Majesté
Britannique , dès le moment que la Capitulation
fera fignée , & un nombre égal de troupes Françoifes
occupera la même porte .
ART. VII . Il fera accordé aux Commiffaires
des Guerres & Tréforiers un Bâtiment , où ils
pourront emporter tous leurs équipages , & emmener
leurs Secrétaires , Commis & Domeftiques,
fans qu'il leur foit fait aucun tort ni vifite . Ils feront
conduits , ainfi que les troupes , au Port le
plus voifin. Accordé.
ART. VIII. Les fieurs de Taille , Capitaine
Général de la Garde- Côte , Lamy , Major , deux
Lieutenans de Canonniers , &
quatre- vingt- dix
Canonniers Gardes- Côtes foldés par le Roi , feront
les maîtres de refter dans Belle- Ifle , ainfi
que tous les Habitans , fans qu'il leur foit porté
aucun préjudice dans leurs perfonnes , ni dans
leurs biens ; & s'ils ont envie de vendre leurs
biens , meubles & immeubles , barques & filets ,
pendant l'intervalle de fix mois , & de paffer en
grande terre , il ne leur fera fait aucun empêchement
, mais au contraire tous les fecours &
paffeports néceffaires leur feront fournis .
Ils refteront dans l'Ifle fous la protection du Roi
de la Grande-Bretagne , comme les autres habitans
, ouferont tranfportés en grande terre avec la
garnifon à leur choix .
ART. IX. Le fieur Savignon , Commis du Tréforier
des troupes Françoifes , pourra refter à
Belle-Ifle avec fa famille , ou venir en grande
terre avec les mêmes prérogatives , ainfi que
l'Asmurier,
les Canonniers bourgeois , les Gardes- Magafins
, & tous les Ouvriers attachés à l'Artillerie
& au Génie.
Accordé pour refter dans l'Ifle fur le pied des au
tres habitans , ou bien être transportés en grande
serre à leur choix.
1
206 MERCURE DE FRANCE.
ART. X. La Religion Catholique , Apoſtolique
& Romaine , fera exercée dans l'Ifle avec la même
liberté que fous la domination Françoile , & les
Eglifes feront confervées avec leurs Recteurs , Curés
& autres Prêtres , qui feront maintenus dans
leurs priviléges , fonctions , immunités & revenus ,
I'E- & qui , en cas de mort , feront remplacés par
vêque de Vannes.
On accorde àtous les habitans fans diftinction ,
Bexercice libre de leur Religion . L'autrepartie de
eet article doit néceffairement dépendre du bonplai
fir de Sa Majefté Britannique.
ART. XI . Les Officiers & Soldats , qui font aux
Hôpitaux de la Ville & de la Citadelle , jouiront
des mêmes traitemens que la garniſon ; & après
leur guériſon , il leur fera donné les Bâtimens néceffaires
, pour être tranfportés en France. En at
tendant , il leur fera fourni les fubfiftances & remedes
jufqu'à leur départ , fuivant les états qu'en
préfenteront les Contrôleur & Chirurgien , & qui
feront vifés par le Commiffaire François qui reftera
à Belle -Ifle . Accordé.
ART. XII. Il fera donné des ordres pour que
les Commiffaires , tant d'Artillerie & du Génie ,
que des Vivres , viennent faire l'inventaire de ce
qui fe trouvera dans les magaſins du Roi , defquels
Sfera fourni en pain , vin & viande , la ſubſiſtance
aux troupes Françoifes , jufqu'au moment de leur
départ , fur le même pied qu'ils l'ont actuellement.
On fournira jufqu'à leur départ toutes lesfubfiftances
néceffaires fur le même pied que pour les troupes
de Sa Majesté Britannique.
ART XIII. Le fieur de Khraffwrt , Général Major
, ainfi que tous les Officiers & Soldats Anglois
qui ont été faits prifonniers depuis le 8 Avril
1761 inclufivement , feront mis en liberté après.
JUILLET. 1761 . 207
la fignature de la Capitulation , & dégagés des paroles
qu'ils ont données jufqu'à ce jour , de même
que les Officiers François des différens grades , Vo
lontaires , Sergens & Soldats , qui ont été faits
auffi prifonniers depuis le 8 Avril.
Les Officiers & Soldats Anglois , prifonniers de
guerre à la Citadelle , font libres dès le moment de
la fignature de la Capitulation . Les Officiers &
Soldats François prifonniers de guerre feront échan
gés fuivant le cartel de l'Eclufe.
Tous les articles ci - deffus feront exécutés de
bonne foi de part & d'autre ; les interprétations
de ceux qui pourroient être douteux feront traitées
à l'amiable.
Il fera envoyé après la fignature des otages de
part & d'autre , pour la fûreté des articles de la
Capitulation.
༣
Les archives , regiftres , papiers publics , & écrits
qui peuvent regarder le gouvernement de l'Ifle , feront
remis de bonnefoi à un Commiffaire du Roi de
la Grande-Bretagne.
Trois jours feront accordés pour l'évacuation de
ta Citadelle , & toutes les chofes néceffaires pour
Vembarquement feront prêtes pour recevoir la gar
nifon & fes effets.
Un Officier François fera chargé de livrer à un
Commiffaire Anglois toutes les munitions de guerre
& de bouche , & généralement tout ce qui appartient
au Roi Très- Chrétien ; & il fera ordonné à un
Officier de montrer les mines & les fouterrains de la
Place.
Fait & arrêté triple , le 7 Juin 1761 .
Signé J. HODGSON. LE CHEVALIER DE SAINTECROIX.
KHEPPEL .
Le
De PARIS, le 20 Juin 1761 .
de ce mois, le Prince Louis- René-Edouard
de Rohan Guémené, Evêque de Canope ou Bo208
MERCURE DE FRANCE.
chir en Egypte, & Coadjuteur de l'Evêché de Strafbourg
, élu par l'Académie Françoile pour , remplir
la place vacante par la mort de l'Abbé Seguy,
prit Séance dans cette Compagnie , & prononça
fon difcours de remerciment. Le Duc de Nivernois
lui répondit en qualité de Directeur.
On a appris que le Cardinal Cavalchini , Abbé
de l'Abbaye de S. Michel de la Clufe en Piémont,
de laquelle dépend la Collation d'un très-grand
nombre de Bénéfices dans le Royaume de France ,
a nommé Vicaire- Général de cette Abbaye , à la
place du feu Abbé de Canillac , Comte de Lyon ,
Auditeur de Rote , Commandeur des Ordres du
Roi , l'Abbé de Pingon , auffi Comte de Lyon , &
Vicaire-Général du Diocèfe de Vienne.
Le tirage de la cinquiéme Loterie de la Ville
de Paris, fe fit le 18 dans l'Hôtel de Ville avec
les formalités ordinaires . Le premier Lot , qui étoit
de soooo livres , eft échu au numéro 4904 , & celui
de 20000 , au numéro 15705. Les deux Lots
de dix mille font échus aux numéros 5244 &
18967. >
Le tirage de la Loterie de l'Ecole Royale Mili
taire , s'eft fait en la manière accoutumée , dans
l'Hôtel de Ville , le 22. Les numéros fortis de la
roue de fortune , font 21 , 36 , 63 , 39 & 9. Le
prochain tirage fe fera le 19 du mois de Juin.
MARIAGES.
Le Comte de Starhemberg , Membre du Confeil
Aulique , Chambellan de l'Empereur , & Am
baffadeur de Leurs Majeftés Impériales auprès du
Roi , époufa le 1 Juin , à Anvers , la Princeffe
Françoiſe de Salm - Salm. Le Prince Charles de
Lorraine , a honoré de la préſence les fêtes qui ont
été données à cette occafion.
Leg Juin , le Comte de la Chapelle , Sous-
Lieutenant au Régiment des Gardes Françoiles , a
JUILLET. 1761. 202
époufé Demoiſelle Marie-Elifabeth de Romance
fille du Marquis de Romance , Ecuyer ordinaire
du Roi , Commandant en la Grande Ecurie. La
Bénédiction Nuptiale , leur a été donnée , en l'Eglife
Paroiffiale de Saint Laurent , & leur Contrat
de Mariage avoit été figné , le 31 Mai par
Leurs Majeftés , & par la Famille Royale.
MORTS.
Anne-François de Montmorency- Luxembourg,
Duc de Montmorency , Brigadier d'Infanterie , &
Colonel du Régiment de Tourraine , eft mort le
22 Mai , à l'armée du Bas-Rhin , dans la vingtfixième
année de fon âge.
Louis- Charles de Conflans , fecond fils du Mar
quis d'Armentieres, mourut à Paris, le 26 , âgé de
vingt- trois ans. Il étoit Lieutenant de Vaiffeau , &
Aide-Major de la Marine.
Mellire Jean- Baptifte - Charles de Pouffemotte
de l'Etoile , Comte de Graville , Cornette dans le
Régiment de Cavalerie de Talleyrand , eft mort
le 22 , à l'armée du Bas- Rhin , dans la vingt &
aniéme année de fon âge.
Frere Jean de Souza de Caillaris , Portugais ,
Chevalier Grand'Croix de l'Ordre de Saint Jean
de Jérufalem , mourut à Paris , le 4 Juin , dans la
cinquante & uniéme année de fon âge.
Mathieu-Fréderic de Montmorency - Luxembourg
, fils unique du feu Duc de Montmorency ,
mourut à Montmorency , le 17 , dans la cinquième
année de fon âge.
Dame Catherine , Comteffe de Bielynska , veuve
de Meffire Jean- Victor de Befenval , Baron de
Brunftat , Lieutenant- Général des Armées du Roi,
& Colonel du Régiment des Gardes Suiffes , eft
morte le même jour à Paris , âgée de foixantedix-
fept ans.
210 MERCURE DE FRANCE .
EVENEMENS SINGULIERS .
ITALI E.
De ROME , le 24 Mai 1751 .
En creufant dans le Jardin des Religieufes de
Saint Ambroife on a découvert une partie du
Cirque Flaminien . Une voute parfaitement confervée
, & dont les Peintures n'ont prèſque point
fouffert d'altération , mérite d'être comptée au
nombre des plus précieux reftes de ce monument.
On a trouvé , en fouillant près de la Porte Latine ,
deux falles fouterraines , dans lesquelles étoient
quatre tombeaux avec des Urnes de Marbre , ornées
de fculpture.
GRANDE-BRETAGNE , du 16 Juin 1761 .
On lit avec ſurpriſe dans nos papiers publics
que dans l'efpace de quinze jours on a arrêté un
homme accufé d'avoir égorgé fa fille ; qu'un Couvreur
, de Cork , nommé Mulowney , a étranglé
fa femme; & qu'un Intendant' , nommé Me. Carly,
a coupé la fienne par morceaux .
Un Botaniste de Fulham , a apporté d'Amérique
une efpéce de Melon qui pete cinquante livres .
Il a quatre pieds de circonférence , & trente - deux
pouces de long. Le corps eft canelé comme une
colonne , & entre les canelures , il y a un nombre
régulier de pointes auffi aigues que des épines ,
& d'une forme femblable à celle des Molettes
d'éperon. Ces pointes ont un pouce de longueur ,
& à l'extremité de leur tête , on voit quatre
croiffances rondes de fubftance folide , couvertes
de filets rougeâtres , durs & épais comme une
broffe.
a
ex-
Il y a quelques jours qu'une pièce d'eau dans un
jardin que pofléde un Gentilhomme à Southgate
JUILLET. 1761 .
218
"
s'éleva , tout-à-coup , à une hauteur extraordi
naire , & on la vit bouillir pendant quelques minutes
, précisément comme de l'eau qui bout dans
un pot. Quelques meubles de la Maiſon fe trouverent
renversés , environ dans le mêine temps.
1 Plufieurs pièces d'eau éprouverent les mêmes mouvemens
dans quelques endroits de ce Royaume,
particuliérement à Cranbroock & à Tenterden ,
dans le Comté de Kent , à Godalmin , dans le
Comté de Surrey &c. lors du tremblement de
Tèrre de Lisbonne , en 175 , fans qu'on eût fenri
la moindre fecoulle dans ces endroits-là .
Des Lettres de Venife , annoncent la mort du
Sénateur Dom Jean Divédo , âgé de cent quatre
ans.
FRANCE.
Du 20 Juin 1761.
Le 1s du mois dernier , le feu prit après midi
dans la Paroille de Gouffainville près de Goneffe ,
& aidé par le vent impétueux qui fouffloit , il s'étendit
avec tant de rapidité , qu'il confumia en peu
d'heures quarante-fix maifons. Plus de cent perfonnes
ont abfolument perdu tous leurs effets .
L'activité du Curé de cette Paroifle a beaucoup
contribué a'arrêter les progrès de l'incendie , qui
auroit réduit tout le Village en cendres , s'il étoit
arrivé la nuit .
La nuit du 26 au 27 du même mois , un orage
violent caufa beaucoup de dommage à Vaux &
dans les environs . Les portes du clos du Château
& la Vieille Tour , ont été renversées , ainfi qu'une
partie des murs de Clôture. La pluie a été fi abondante
, que l'eau a fait fur le chemin neuf une
excavation de huit à dix pieds de profondeur , &
qu'elle a inondé plufieurs Maifons , d'où les habitans
ont été obligés de fe fauver par les fenêtres .
Oer Orage étoit accompagné d'un tonnerre des
2T2 MERCURE DE FRANCE:
plus éffrayans , & d'une grêlé dont la plûpart
des grains étoient de la grolleur d'une noix .
A Châteauroux , près d'Embrun , eſt un enfant
âgé d'environ treize ans , nommé Guillaume Gay,
qu'on prétend n'avoir bu ni mangé depuis le 14
Avril 1760. Le Prieur Fournier , Curé de Châteautour
, après l'avoir gardé un mois entier chez lui ,
affure s'être convaincu par lui-même de la vérité
d'un fait ſi extraordinaire.
La nommée Marie Maffou eft morte, le 26 du
mois dernier, à Paris , fur la Paroiffe de Sainte
Marguerite , dans la cent deuxième année de fon
âge. Elle feroit parvenue vraisemblablement à une
vieilleffe plus avancée , fans un Cancer dont elle
étoit attaquée depuis huit ans.
Il eſt mort à Etampes une autre fille , nommée
Marie David , & âgée de cent cinq ans . On
affure que , malgré l'extrême mifére dans laquelle
elle avoit paffé toure fa vie , elle n'avoir jamais
été malade.
LETTRE de M. le Comte de CARCADO ,
à l'Auteur du Mercure.
Aux Sables en Poitou , le 4 Juin 1761 .
J'ai reçu , Monfieur , par la Pofte , un Mémoire
imprimé chez Etienne Chenault , rue de la Vieille-
Draperie , intitulé , Mémoire fignifié pour le fieur
Mathieu du Mets de la Broffe , Demandeur ; contre
la Demoiſelle Jeanne de Cotte , ſe diſant veuve
tantôt du fieur Alexis de Gotte , Officier dans les
Gardes Walonnes , & tantôt de Meſlire Vincent
Marie Anne , Chevalier , Seigneur de Thorigny
& de Kercado , auffi Officier des les Gardes Wa
lonnes.
Il y a dans cet intitulé deux points , qui doivent
paroître intéreffans à tout le monde ; l'un
de prendre un nom , l'autre la manière de le porter
; & comme le mien paroît avoir été employé
JUILLET. 1761 213
en Efpagne , où il eft dangereux ainfi que dans les
autres Pays Etrangers d'autorifer par fon filence
ceux qui y prennent des noms & qualités qui ne
leur appartiennent point, & que fouvent ils n'honorent
pas ; j'ai cru devoir par toutes ces conſidérations
, vous prier de configner dans votre Ouvrage
Périodique , la préſente & la proteſtation ci-jointe.
Je fuis très parfaitement , Monfieur , votre
très-humble &c.
CARCADO.
Je fouffigné , Comte de Carcado , Maréchal de
Camp , Employé , Commandant dans le Poitou ,
certifie que la Terre & Seigneurie de Kercado .
n'a jamais été poffédée que par ceux du Sang &
du nom le Sénéchal Kercado , & qu'aucun de
ceux des trois branches dudit nom , n'a été marié
à la Dame Jeanne de Cotte , qui dans un Mémoire
imprimé & public , prend la qualité de veuve de
Meffire Vincent - Marie-Anne, Chevalier, Seigneur
de Thorigny & de Kercado , Officier aux Gardes
Walonnes en Eſpagne. Fait aux Sables le 4 Juin
CARCADO. 1761.
Le nom de Kercado & de Carcado , a toujours
été le même dans les anciens Titres. Voyez les
Généalogiftes.
LETTRE DE M. MARMONTEL ,
à l'Auteur du Mercure.
Il fe répand , Monfieur , plufieurs Editions furtives
du Recueil de mes Contes Moraux.Commeje
vais en donner une nouvelle avec des corrections
& des additions confidérables , je crois devoir en
prévenir le Public , afin qu'il attende la collection
complette . Ceux qui ont acheté ma première Edition
, que l'on reconnoît à une vignette delfinée
par le célébré M. Cochin , ceux - la dis je , auront le
fupplément à part , du même format & du même214
MERCURE DE FRANCE.
caractère ; ceux qui auroient acheté les Editions
défectueufes qu'on a faites fans mon aveu , n'auroient
pas le même avantage ; & c'eſt pour éviter
tout reproche & toute furprife que je vous prie
Monfieur, de vouloir bien publier cet avis . J'ai
l'honneur d'être & c.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le Mercure du premier volume de Juillet 1761
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion. A Paris , ce 30 Juin 1761. GUIROY .
4
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
EPITAPHE de M. de Montcalm. Pages
LETTRE de M. de Bougainville , à l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles-
Lettres.
LETTRE de M. de Bougainville à M. Pitt.
RÉPONSE de M. Pitt , a M. de Bougainville .
VERS à M. Favart , fur la Comédie de Soliman
II.
A Madame Seguier, Marquife de Remigny,
& c.
EPITRE à Mlle de P...
LETTRE à Madame ***
LETTRE de Madame la Marquife de la G...
à M. D. R... Confeiller au Parlement de
Toulouſe.
LETTRES de Mifs Henriette Buttley , fur
différens Sujets & a différentes perfonnes.
5
JO
ΤΙ
12
16
18
21
26
JUILLET. 1761. 215
Traduites de l'Anglois.
VERS à Mlle Dubois l'ainée , Actrice de la
Comédie Françoile , &c.
A M. Boutaud , Madrigal.
TRADUCTION libre du Monologue de Sigimonde
, tiré de la Tragédie Angloile
intitulée Tancréde.
EPITKE a un jeune Pince. Par M. des Boul
miers.
A M. le Marquis de Buffy , fur fon mariage
avec Mlle de Choiseul."
L'AMOUR déguilé , Fable.
EPITRE , par M. P ***.
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
28
41
4&
43
49.
ibid.
jo
82 &63
64& 65
66
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
HISTOIRE des Confpirations , Conjurations
&c. Par M. Deformeaux . Second Extrait.
MÉMOIRES pour fervir à l'Hiftoire de la vie
& des ouvrages de M. l'Abbé Lenglet du
Frefnoy.
LETTRE fur la Defcription du Mauſolée de
Mgr le DUC DE BOURGOGNE .
67.
87
95
LETTRE de M. de Campigneules , des Académies
Royales d'Angers , de Villefranche , de
Caen &c.
ANNONCES des Livres nouveaux.
99
101.&fuiv.
ART. III . SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADEMIES.
EXTRAIT du Difcours prononcé au Collége
Royal de France . Par M. Delalande.
HISTOIRE NATURILLE.
112
Avis aux Amateurs d'Ornithologie. 139
216 MERCURE DE FRANCE.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
AGRICULTURE.
CHIRURGIE,
LETTRE de M. Ferrand , Maître ès Arts en
l'Univerfité de Paris à M. Lami &c.
OPTIQUE.
ARTS AGRÉABLES .
MUSIQUE.
SUITE de la Réponſe de M. Rameau à la
Lettre que M. d'Alembert lui a adreflée
121
124
149
dans le fecond Mercure d'Avril dernier. 150
LETTRE , fur la façon de déflécher les fleurs . 159
GRAVURE.
MECHANIQUE.
MÉMOIRE fur les rectifications convenables
à faire aux Machines concernant la conftruction
des Edifices & c.
SUPPLEMENT à l'Article de Mufique.
OPÉRA.
ART. V. SPECTACLES.
COMÉDIE Françoiſe.
165
177
ibid.
181
184
COMÉDIE Italienne . 187
OPERA- COMIQUE .
191
ART. VI . Nouvelles Politiques. ibid.
MARIAGES .
208
MORTS. 209
EVENEMENS finguliers. 2 :0
LETTRE de M. le Comte de Carcado & c. 212
LETTRE de M. Marmontel &c.
213
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis-à-vis la Comédie Françoile .
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
JUILLET. 1761 .
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine .
Cachia
Simaime
PlowSculpe
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis-à-vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais
Avec Approbation & Privilège du Roi.
需
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi .
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remet
tre , quant à la partie littéraire , à M.
DE LA PLACE Auteur du Mercure.
,
Le prix de chaque volume eft de 36 fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province auxquelles on
onverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir,ou qui prendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume,
c'est-à-dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe c - deſſus.
A ij .
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en foit
fait d'avance au Bureau .
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pièces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
De la Place , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET. 1761 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE à Madame *
E H quoi ! de mes égaremens
Il faut vous faire la peinture ?
Honteux de mes amuſemens
Je redoute votre cenfure ,
Et voudrois , dans la nuit des temps ,'
Cacher des erreurs que j'abjure.
Efclave du plaifir , dès mes plus jeunes ans ,
A ij
6 MERCURE DE FRANCE.
Et difciple outré d'Epicure ,
J'ai proſtitué mon encens ;
Et fouvent dupe de mes fens ,
L'excès fut toujours la meſure
Que je mis à mes fentimens.
Après un tel aveu , Julie ,
Comment pourrez - vous recevoir
Un coeur ufé jufqu'à la lie ,
Qui , loin de fon midi , voit les ombres du foir ?
Mais fi jamais ce coeur fe plie
Sous les fages loix du devoir ;
S'il prend une nouvelle vie ,
Dans le noeud charmant qui le lie,
Je n'ai pas perdu tout espoir.
Vous plaire eft mon unique envie ;
Vous obéir eft mon fçavoir :
Et plus le paffé m'humilie ,
Plus vous lentez votre pouvoir.
A vos genoux il faut donc faire
De mes péchés confeffion ?
Le plus grand , feroit de metaire:
Ainfi , grace à l'intention
D'un Amant , qui craint de déplaire
A l'objet de fa paflion ;
Bien moins heureux , que téméraite ,
Dans tous mes voyages galans ,
J'éprouvai le deftin contraire ,
Et je luttai contre les vents.
JUILLET. 1761 . 7
א
Le prix de mes voeux inconſtans
Fut un plaifir imaginaire
Et des maux réels & cuifans .
Pour commencer l'apprentiſſage
Du joli métier de l'amour ,
Je me rangeai fous l'eſclavage
D'une Belle fur le retour :
La vivacité de l'hommage
La rendit fenfible à fon tour.
A feize ans , bon Dieu , le bel âge !
L'on aime bien plus en un jour ,
L'on aime cent fois davantage ,
Que lorfque par un long détour ,
La Raiſon plus froide & plus fage ,
Nous a démontré l'avantage
Du très -métaphysique amour.
Il est vrai que mon coeur volage
Brila bientôt fes premiers noeuds ;
A peine échappé de l'orage ,
Il s'enflamma de nouveaux feux:
Un Ciel ferein & fans nuage ,
M'annonça des jours plus heureux.
Aulitôt aimé qu'amoureux ,
J'aimai , je brulai pour un Ange
Cent fois plus beau que la Beauté.
Jamais les Dieux , dans leur bonté ,
N'ont fait un plus heureux mêlange
De grâces , de vivacité,
A iv
3 MERCURE DE FRANCE.
De tendreffe & de volupté .
Pourquoi , par un caprice étrange ,
Y joindre la légèreté !
Jans foupçons d'infidélité ,
Pendant
quatre ans je fçus m'en rendre maître
Étois- je aimé? Je croyois l'être :
C'est même chofe , ou peu s'en faut :
Souvent en amour le bon lot
Eft pour celui qui dit peut-être..
Qui veat trop voir & trop connoître ,
Au dénoûment fe trouve fot.
Croire fans voir eft le balot ,
Et le vrai bonheur de notre être.
O vous , Barbons léxagénaires
Achetant à force d'écus
Quelques tendreſſes mercenaires ,
Et que l'on trompe tant & plus ;
Vous voulez croire qu'on vous aime !
J'y confens pour l'honneur de vos triſtes appas :
Mais pourquoi ne voulez-vous pas
Qu'à vingt ans on penfe de même ?
On me trompa ; mon trop crédule coeur
Fut la dupe de fa tendreſſe ,
Et les tranfports de ma maîtreffe
N'étoient qu'un fonge féducteur.
On me fit entrer en partage
Avec un rival ténébreux :
Défefpéré de cet outrage ,
JUILLET. 1761.
Par les fermens les plus affreux ,
Je bannis de mon coeur l'image
De ce Dieu perfide & volage
Qui venoit de trahir mes voeux.
Vains fermens , promeffe frivole !
En vain j'eus recours à Bacchus :
Je m'enivrois à ſon école ,
Et rougiffois de fes abus.
Peu content de ce nouveau maître ,
J'abandonnai fes étendarts.
Cruel amour , aimable traître !
Tu vins encor t'offrir à mes regards
Mille fois plus beau que ta mère.
Tu raffemblas dans mon vainqueur
Les grâces , la beauté , l'efprit , le caractère.
Il eft trop vrai que le bonheur
N'eft qu'une brillante chimère ;
Mon fort avoit trop de douceur ;
Ce fut une fleur paſſagère :
La Parque ravit à mon coeur
Celle qui m'aimoit tant & qui me fut fi chère.
Je crus que les Dieux en colère
Portoient fur moi leur bras vengeur.
En vain , pour unique faveur ,
Je les priai de finir ma carrière s
Infenfibles à ma prière ,
Ils fauvérent mes jours pour combler leur furau,
Le Temps , ce grand confolateur ,
A y
10 MERCURE DE FRANCE,
Adoucit un peu ma milère :
Je trouvai le calme enchanteur ,
Au milieu de l'étude auftère
De plus d'un ennuyeux Auteur ,
Et de fon froid Commentateur.
Le Devoir , dont le poids m'avoit paru lévère , .
Fut le charme de ma douleur ;
Et j'étouffai ma plainte amère
Sous les vains lauriers de l'honneur.
Laiffez moi garder le filence ,
Sur mille engagemens divers ,
Enfans obfcurs de l'Indécence ,
De la Mode & de fes travers ;
Des voeux reçus prèíqu'aufitôt qu'offerts ,
Sont les feuls bien qu'Amour diſpenſe ,
Four prix de ces indignes fers.
En peu de mots voilà l'hiſtoire
De mes ridicules amours.
Bercé par une fauffe gloire ,
Les plaifirs ont paffé plus vite que le jour ;
Et les regrets , fixés dans ma mémoire ,
En ont empoisonné le cours .
Vous feule avez fçu dans mon âme ,
Ranimer une vive flâme , ง
Que le malheur éteignit à moitié.
Des biens que j'ai perdus , vous retraçant les cher
mes ,
J'ai vu fouvent couler vos larmes
JUILLET. 1761 .
IL
L'Infortune eut toujours des droits fur la Pitié.
Sous le voile de l'Amitié ,
J'ai fait parler l'Amour fincère ;
Sous ce mafque , il a fçu vous plaire ;
Enfin il eft digne de vous.
Que monfort feroit de jaloux ,
Si , fous les aîles du Myſtère ,
Je ne cachois un bien fi doux !
Cet amour , fi pur & fi tendre ,
Ne doit jamais vous allarmer .
Si mon coeur n'a pû ſe defendre ,
S'il fut trop prompt à s'enflâmer ;
Ce n'étoit que pour mieux apprendre
Comment il devoit vous aimer.
LETTRE , à l'Auteur du MERCURE.
Ily a long- tems qu'on a dit , Monfieur
que les actions intéreffantes pour l'humanité
méritoient d'étre confervées dans les
dépôts publics des différentes Nations ; c'eſt
l'obligation la plus grande que la poſtérité
puiffe avoir aux âges qui la précédent. Les
mêmes Tableaux peuvent être utiles aux
âmes foibles & aux âmes généreufes ; ils
fervent de reproche aux unes & de modéle
aux autres .
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
D'après l'étude que vous avez faite des
Ouvrages Anglois , je ne doute pas , Monfieur
, que le fait dont je veux vous entretenir
ne vous foit connu : il fe trouve dans
le premier Volume d'un des ouvrages de
M. Steele . Cette anecdote donna lieu à
une queſtion intéreffante l'Écrivain
propofe lui- même , & que je ferois bienaife
de voir réfoudre par la voie de votre
Mercure .
que
Pendant le fiége de Namur, que les Puiffances
alliées contre la France firent au
commencement de ce fiécle , il fe trouvoit
dans le Régiment du Colonel Hamil-
10n un bas Officier qu'on appelloit Union ,
& un fimple Soldat , nommé Valentin.
Ces deux hommes étoient rivaux , & les
querelles particuliéres que leur amour
avoit fait naître les rendirent ennemis
irréconciliables.
Union , qui fe trouvoit l'Officier de Valentin
, faififfoit toutes les occafions poffibles
de le tourmenter & de faire éclater
fon reffentiment. Le Soldat fouffroit tout
fans réfiftance ; mais il difoit quelquefois
qu'il donneroit la vie pour être vengé de
ce Tyran.
Plufieurs mois s'étoient paffés dans cet
état , lorfq'un jour ils furent comman
* The Tatler.
JUILLET. 1761 . 13
dés l'un & l'autre pour l'attaque du châreau.
Les François firent une fortie , où
l'Officier Union reçut un coup de feu
dans la cuiffe . Il tomba ; & comme les
François preffoient de toutes parts les
troupes alliées , il s'attendoit à être foulé
aux pieds. Dans ce moment il eut recours
à fon ennemi . Ah ! Valentin , s'écria - t - il,
peux- tu m'abandonner ? Valentin , à fa
voix , courut précipitamment à lui ; & au
milieu du feu des François , il mit l'Officier
fur fes épaules , & l'enleva courageufement
à travers les dangers jufqu'à
la hauteur de l'Abbaye de Salfine. Dans
cet endroit un boulet de canon l'emporta
lui - même , fans toucher à l'Officier.
Valentin tomba fous le corps de fon ennemi
, qu'il venoit de fauver. Celui - ci oubliant
alors fa bleffure , fe releva en s'arrachant
les cheveux ; & fe rejettant auffitôt
fur ce corps défiguré , il s'écria : Ah !
Valentin , eft- ce pour moi que tu meurs ?
Pour moi , qui te traitois avec tant de
barbarie ? Je ne pourrai pas te furvivre.,
Je ne le veux pas... Non ! ..
Il fut impoffible de féparer Union
'du cadavre fanglant de Valentin , malgré
les efforts qu'on fit pour l'en arracher.
Enfin on l'enleva , tenant toujours em
braffé le corps de fon bienfaiteur ; &
14 MERCURE DE FRANCE.
pendant qu'on les portoit ainfi l'un & l'autre
dans les rangs , tous leurs camarades ,
qui connoiffoient leur inimitié, pleuroient
à la fois de douleur & d'admiration .
Lorfque Union fut ramené dans fa
tente , on panfa de force la bleffure qu'il
avoit reçue ; mais le jour fuivant , ce
malheureux , appellant toujours Valentin
, mourut au milieu des remords & du
défefpoir.
C'est une queftion qui peut s'élever entre
les âmes nobles , favoir lequel de ces deux
infortunés fit paroître plus de générosité ,
ou celui qui expofa fa vie pour fon ennemi
, ou celui qui ne voulut pas furvivre
à fon bienfaiteur ?
Si vous vous rappellez , Monfieur , le
fait que je viens de rapporter, vous verrez
que je l'ai traduit affez littéralement .
J'ai l'honneur d'être & c.
FABLE , tirée de PLATON.
PLUTUS ET PÉNIE.
UN jour Plutus en voyage
Rencontra la Pauvreté .
Bien différent étoit leur équipage !
Le Dieu voluptueux , volage ,
JULLLET. 1761 . 15
Et piqué par la Nouveauté ,
Par caprice en fut entêté .
Quoique, maigre , & fort mal vêtue ,
Cette Déefle avoit ne fais quoi de charmant:
Des traits fias , la taille menue ,
Un grand fond de douceur , un air de retenue ,
De probité , de candeur ingénue ;
Tout cela pouvoit plaire , & plut réellement .
Plutus , pour abréger , fait offre d'un talent :
Dieu fait comme on rejette & l'amant & la
fomme !
Lui , fans fe rebuter , en offre dix , vingt , cent ;
A cent on parlemente . En fomme ,
Pour mille on fe rendit. La faim eft trop fouvent
Mauvaiſe confeillère.... ô charme de l'argent !
Platon , qui conte l'avanture ,
Prétend qu'il en nâquit l'Amour ;
Et prouve qu'en effet l'Amour tient fa nature
De ces Dieux dont il tient le jour.
De fon Père il reçut la grandeur de courage ,
La prodigalité , qui femble fon partage ,
L'air fuffifant , le coeur volage ,
Un goût très- vif pour les plaifirs ,
La haute opinion qu'il conçoit de lui - même ,
Enfin la confiance extrême.
Mais auffi de fa Mère il tient des qualités
Qui font directement contraires ;
16 MERCURE DE FRANCE.
Principes des diverfités
Qu'il répand dans les caractères.
Eh, ne fent-on pas bien que c'eſt la pauvreté
Dont il reçut cette indigence ,
Ce befoin d'un autre fubftance ,
Vers laquelle fans ceffe avec flamme il s'élance ?
Ne s'exprimant pourtant qu'avec timidité ;
Tantôt n'ofant fortir d'un modefte Gilence ;
Et tantôt demandant avec vivacité ,
Et jufqu'à l'importunité ?
N'eft-ce pas d'elle encor qu'il tient cette aptitude
Qu'il apporte à la fervitude ?
Cette pudeur craintive , & cette humilité ,
Cette peur d'être réjetté ,
Ces foupçons , cette inquiétude ,
Dont , même fans fujer , fon coeur eft agité ?
Platon connoiffoit bien l'amour , en vérité !
RONDE A U.
ACythère , dans fon jeune âge ,
Chaque Mortel fait un voyages
Au Dieu de ce riant féjour ,
Et grands & petits , tour- à- tour,
Vont rendre un légitime hommage,
Advint qu'avec Cloris , un jour,
Non fans provifion d'amour ,
JUILLET. 1761 .
17
J'entrepris mon Pélerinage
A Cythère.
Vénus qui vit ce beau viſage ,
Ces yeux fins , ce fein , ce corfage
S'oppofant à notre retour ,
La retint pour orner la Cour ;
Et moi , pour lui fervir de Page ,
A Cythère .
Dis
BOUQUET.
A M. P.....
Es Grâces à Cythère on célébroit la fête,
Portes-leur un bouquet , me dit le tendre amour.
Je partois , je volois ; quand l'amitié m'arrête ,
Pour vous d'un même foin me chargeant à fon
tour .
C'eſt votre fête autfi , dit- elle.
Elle veut qu'en fon non je vous offre des fleurs :
Mais je n'ai qu'un bouquet ; que ma peine eſt
cruelle !
A l'amitié paroîtrai - je infidelle ?
Ou le ſerai- je au Dieu des coeurs ?
Que faire ?... Un feul bouquet! ... Ah je vous le
préſente :
Acceptez -le p **** ma peine finira,
L'amitié fera très-contente ;
Et l'amour me remercîra.
18 MERCURE DE FRANCE.
DIALOGUE DES MORTS.
E
PLATON , DIOGENE.
DIOGENE.
EFECTIVEMENT , un Philofophe ne laiffoit
pas de bien figurer à la Cour corrompue
de Denis !
*
PLATON.
Je vous répéte qu'il y figuroit mieux
que dans une folitude , mieux que chez
un Peuple de Sages : c'eft Hipocrate qui
quitte un air falubre, pour s'enfermer dans
une Ville peftiférée . Ne vous défabuferezvous
point , ô Diogene ! de cette faulle
Philofophie , qui rapportant tout à l'intérêt
perfonnel , foule aux pieds les droits
de l'humanité , ces devoirs facrés qui nous
obligent à nous oublier nous - mêmes ,
pour nous confacrer tout entiers à l'amour
du genre humain ? Eroit- ce une entrepriſe
indigne du Sage , que de facrifier fon averfion
pour la fervitude , au feul efpoir de
faire le bonheur d'un grand Peuple , en
formant fon Prince à la vertu ? Tous les
malheurs , que j'avois prévus , & que j'ai
bravés , ne m'empêcheroient pas de ten-
* Le
Tyran.
JUILLET. 1761 . 19
ter encore un fi grand bien , au péril de
mon repos , de ma liberté , de ma vie.
DIO GENE.
Etoit- ce bien là ce qu'en penfoient les
Athéniens ? Ce fafte féducteur des Cours ,
ce defir de briller fur un grand Théâtre ,
cette vanité de revenir à Athènes étaler
un luxe plus grand encore que celui de vos
tapis ; tout cela fembloit affez naturellement
le motif de vos complaifances : tout
cela rendoit le Philofophe affez fufpect ,
& pouvoit avilir même la Philofophie.
PLATON.
J'avois un deffein bon en foi ; je me
jugeois ; le Ciel & ma confcience me juftifioient
; que me falloit- il de plus ? Jamais
je ne fus intérieurement plus fatif
fait , que quand je me voyois mépriſer
pour une bonne action : j'étois fûr alors
des récompenfes de la Divinité . Elles font
bien préférables à toute eftime humaine.
DIOGENE.
Pour moi , j'ai cru fervir les hommes ,
en leur donnant la leçon héroïque de méprifer
tous les biens de la fortune , tous
ces biens étrangers , ou plutôt ces phantômes
de biens , qui font autres que la
vertu. J'ai voulu les ramener par mon
exemple à l'état de nature.
20 MERCURE DE FRANCE.
PLATON.
Entendons- nous . Définiffez - moi l'état
'de nature felon vos principes.
DIOGEN E.
Ah Plason ! que , pour le bien concevoir,
il faudroit le défaire des préjugés , de
ces préjugés qui font ceux des Philofophes
eux- mêmes , & qui nous perfuadent que
nous formons entre tous les animaux une
efpéce privilégiée. Notre feule Secte a mis
de la bonne foi , où toutes les autres ne
mettent que de l'orgueil. Pour nous apprécier
avec jufteffe,commençons par defcendre
de la fupériorité où nous a porté
notre prévention,& par nous remettre au
niveau de tous ces êtres, en qui la nature
reconnoît comme en nous fes Enfans , au
niveau des bêtes enfin . Je vois déjà votre
amour- propre frémir ; mais , nous autres
Cyniques , nous favons contre nous - même
rendre témoignage à la vérité . L'homme
, dans l'état de nature , eft placé ſur
la tèrre par le Créateur , comme tous les
autres animaux , foible , nud , imbécille ,
doué de fens pour ſe conſerver , & d'un
certain inftinct pour fe conduire : il eft réduit
à renouveller fa fubftance par la nourriture
, & à réparer fes forces par le fommeil
; enfin à remplir toutes les fonctions
animales pour foutenir fon individu , &
JUILLET. 1761. 21
pour multiplier fon efpéce. Regardez
l'homme fauvage , vous aurez vu l'homme
dans fon état naturel. Les hommes n'ont
point été dans l'origine placés dans une
Ville bâtie pour leur ufage par les Dieux ,
afin qu'ils y vécuffent en Société , au milieu
des Arts & des Sciences ; mais ils ont
été créés , ainſi que les autres animaux ,
hôtes des forêts , pour s'y nourrir en commun
des fruits des arbres , des racines &
des herbes de la tèrre. Nous avons reçu
des piés & des mains , des dents & des
ongles , pour fournir à ces befoins effentiels
, & pour nous défendre foit par la
force , foit par l'adreffe , foit par la fuite.
Tel eft l'état de nature , oorrddoonnnnéé par l'Auteur
même de la nature ; état en effet plus
heureux , plus afforti à nos vrais befoins
que l'état forcé où nous a mis l'abus
de notre Raifon, & dans lequel nous
fommes devenus la proie de mille befoins
imaginaires , coupables de tous les vices.
que la Société a introduits , & eſclaves
enfin de nos femblables , qui ont profité
de ces vices & de ces befoins honteux ,
pour affervir la multitude au caprice d'un
feul. Oui , les maux de cette vie factice en
furpaffent tellement les biens , que rien
aujourd'hui ne peut mieux dédommager
un homme du malheur d'être né , que la
22 MERCURE DE FRANCE.
reffource de ne pouvoir pas réfléchir fur
fa condition . Vous nous avez appellés Cyniques
, du nom d'un animal très - fidéle ,
qu'il vous plaît de trouver plus vil que
l'homme ; mais ce nom , que nous ne refufons
pas , nous rappelle à notre inftitution
primitive , que vous font malheureufement
oublier les titres de Rois , de Sujets
, de Maîtres , d'Eſclaves , ou même de
Citoyens. Pour moi je ne reconnois pour
Patrie que la tèrre entière , dont le Domaine
m'étoit indivis avec les autres animaux
, Bipedes ou Quadrupedes , rampans
ou aîlés , tous mes Concitoyens , tous mes
égaux , ainsi que vous , ainfi qu'Alexandre.
PLATON.
Voudriez-vous à préſent me donner la
définition de l'homme ?
DIOGENE.
L'homme eft un animal à deux pieds
fans plumes . Vous-même l'avez défini tel ;
& vous vous fouvenez bien que j'en lâchai
un dans votre Académie .
*
PLATON.
Ceffons de raifonner , ou ceffez de plaifanter.
Vous venez de cenfurer l'abus de
notre Raiſon ; vous convenez donc que
l'homme eft un animal raisonnable ?
*
Il y lâcha plaifament un Coq plumé , difant
voilà l'homme de Platon. :
JUILLET. 1761 ; 23'
DIOGEN E.
Je fuis de bonne foi , oui , j'en conviendrai
, mais avec quelques reftrictions . Je
fens bien que pour raiſonner comme nous
faifions là-haut , il faut avoir quelque Raifon
; mais je voudrois que les hommes ,
dans la prifon des corps, n'ufaffent de ce
préfent , que pour le bien-être de leurs
corps : la Raifon feule alors regneroit dans
ces bas-lieux , où , dégagée de fes entraves
charnelles, elle eft rendue à toute fa fublimité.
PLATON.
Enfin vous convenez que l'homme a
quelque chofe de plus que le fens & l'inf
tinct ; de plus que les bêtes , qu'il a la raifon?
J'en conclus que le Ciel n'opère
rien en vain , n'accorde cette raifon aux
hommes , qu'afin qu'ils en faffent le meilleur
ufage poffible . Auffi cette raifon étant
la prérogative effentielle qui les diftingue
de la Brute , ils doivent , pour fe montrer
des hommes parfaits , faire ufage de cette
fubftance divine , qui leur affure la fupériorité.
L'homme , en naiffant , n'eſt point
un homme parfait , non plus que l'oifeau
qui ne peut voler en naiffant ; il faut que
l'âge donne les ailes à l'oifeau , & la raifon
à l'homme. L'homme Sauvage . n'eft
pas non plus un homme parfait : autant
24 MERCURE DE FRANCE :
que les hommes corrompus dans la Société
font au-delà de l'état de nature , autant
ce Sauvage abruti eft demeuré au- deſſous
de ce même état : l'un en eft forti ; l'autre
n'y eft jamais parvenu. Faute d'ufage &
de jeu , les fibres de fon cerveau groffier
fe font épaiflies , & n'ont plus eu leur reffort
libre. C'eft fa pareffe & fon engourdiffement
ftupide qui l'ont dégradé , & réduit
effectivement au rang des bêtes , à
l'empire defquelles la nature l'avoit appellé.
Auffi ceux qui ont fenti leur Nobleffe
fe font tirés de cette odieuſe reffemblance
, fi contraire aux vues de la Providence
: ils fe font mis hors de pair par
la parole & par la raifon. Convenez que
l'ufage feul de la parole , inutile au Sauvage
ifolé , & donné aux hommes pour
les unir , annonce qu'ils font faits pour
la Société ; & que le don de la raiſon
prouve qu'ils doivent vivre fuivant des
Loix raifonnables. Auffi bientôt ils fe font
unis par les vertus , dont ils étoient feuls
capables ; & ils ont découvert dans le fond
de leur coeur , ces Loix eternelles
que la
Divinité Y avoit gravées. Entourés de
fes bienfaits , ils n'ont pu méconnoître
fon exiſtence : leurs réflexions fur euxmêmes
, & fur les objets de la nature , leur
ont fait imaginer des Arts adaptés à leurs
befoins
JUILLET. 1761 . 25
4
befoins , & que l'expérience a perfectionnés
une fuite d'obfervations communiquées
, ont infenfiblement produit ces
Sciences , dont la vertu fait tirer les plus
grands avantages . Qu'étoit- il befoin qu'un
Dieu fe plaçât dans une Ville bâtie miraculeufement
? Ce Dieu n'opéroit - il pas le
même bienfait , en leur donnant une imagination
capable d'y fuppléer , avec le feul
fecours de leurs mains ? Auffi leur reconnoiffance
a-t- elle bâti des Temples à la Divinité
, auffitôt que des Villes pour euxmêmes.
Que dis- je ? Dès les temps où ils
fe contentoient d'habiter des cabanes , ils
avoient élevé déjà des Autels de gazon ;
& partout où il y eut des hommes réunis ,
le culte Divin fut le premier des établiffémens.
Voilà l'état digne de l'homme , voilà
l'état de nature ; dans ce jufte milieu , entre
la ftupidité & la folie. Voilà quels feroient
les hommes , dans une Ville habitée
feulement par des Philofophes , c'eſtà-
dire par des Savans qui fuffent vertueux ,
ou par des gens vertueux quand même ils
ne feroient pas Savans , tels enfin
que dans
ma République . Tel fut conftamment So-
Crate , tel vous futes vous - mêmes, par raport
à l'innocence des moeurs ; & tels feront
par tout pays, ceux qui fuivront fidé-
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
lement les confeils de la Raifon , ces principes
éternels de morale , dont font naturellement
pénétrés tous les coeurs des humains
. Ainfi l'état de nature eft vraiment
l'état du Sage ; & l'homme vicieux ſeul eſt
un animal dépravé.
DIOGENE.
Mais que pouvois-je faire de mieux pour
m'arracher au vice ! J'allois à la fource ; &
coupant toutes les paffions dans leur germe
, je n'avois plus rien à craindre de
leurs progrès. Le pain & l'eau étoient ma
nourriture ; un tonneau faifoit ma maiſon
& mon lit ; j'allois prèfque nud ; & après
que j'eus réformé ma taffe , un bâton me
refta pour tout mobilier. Ne vous en déplaife
, vous philofophiez bien plus commodément.
PLATON.
Il est vrai que parmi les plaifirs dont le
Ciel tempère les mifères de la condition
humaine , je ne m'en refufai , par fyftême ,
aucun qui fût licite . Je ne mettois pas la
fageffe dans la privation abfolue, mais dans
Pufage bien réglé : perfuadé que tout excès
eft vicieux , je voulois en tout de la modération,
jufques dans la tempérance . Tandis
que vous vous refufiez prèfque le néceffaire
au coin d'une rue , & qu'Ariftippe
fe plongeoit dans les voluptés à la Cour
JUILLET. 1761 . 27
des Rois ; je vivois à la table de Denis
avec autant de ſobriété que j'euſſe fait à
celle de Socrate ; & cent fois , j'ai eu le
bonheur de contenir le Prince , & conféquemment
tous les convives . O Diogène !
que penfer d'une fageffe inutile au Public,
faute de pouvoir être imitée ? Quand ce
Public vous admireroit , quel falaire pour
un homme de bien ! Sa vraie, fa feule récompenfe
eft de rendre fon exemple utile ,
en formant les autres hommes à des vertus
de pratique . Pour vous chercher à votre
tonneau , il falloit une vaine curiofité ,
ou un génie outré conforme au vôtre , tel
que celui d'Alexandre ; on alloit vous voir ,
mais on ne s'attachoit point à vous . Tandis
que la politeffe de mes manières , un
certain goût qui flattoit la délicateffe des
Athéniens , & ces tapis même dont vous
me reprochiez le luxe, attiroit à mon école
une jeuneſſe brillante , qui arrivoit plus
curieuſe de décence que de fageffe , & que
je renvoyois enfin préférant la fageffe aux
faux plaifirs , à la fortune , à la vie même .
Ainfi je me faifois un devoir d'attirer le
commun des hommes , en profitant de tout
& même de leurs foibleffes , pour les gaguer
à la vertu . Je corrigeai mon Neveu ,
par le feul fpectacle de l'égalité de mes
mours ; j'en ai ramené mille autres par ma
Bij
728 MERCURE DE FRANCE.
douceur & ma modération foutenue. O
Diogène ! La vie du Sage n'a de mérite
qu'autant qu'elle eſt active , & que cette
activité tourne au profit de la Patrie & de
l'humanité .
M. LE CLERC , de Nangis.
EGLOGUE, par Madame CHAMPION.
LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ.
L'AURORE à fon retour éclipfoit les Etoiles
Et contraignait la Nuit de replier fes voiles ;
Les rofeaux agités s'inclinoient fur les Eaux;
Déja l'on entendoit le concert des Oiseaux.
Au pied d'une Golline , un vallon folitaire
Etoit le rendez - vous d'une jeune Bergère.
Soleil , s'écrioit- elle , embellis nos forêts ,
Viens dorer nos Côteaux & blanchir nos guérêts !
Le parfum renfermé fous le duvet des plantes
Va bientôt s'exhaler en vapeurs odorantes.
J'entends avec plaifir murmurer ce Ruiffeau ,
Tout eft divin pour moi fur ce charmant Côteau.
Amour , tendre artifan de mes premières
chaînes ,
Raméne mon Amant dans ces riantes plaines !
Oui , fa préſence encore embellira ces lieux ! ...
Mon coeur à s'allarmer eft-il ingénieux
Il juroit par l'Amour & par fon exiſtence
JUILLET. 1761 . 29
Qu'il fouffroit plus que moi des rigueurs de l'ab.
fence.
Si jamais fon tourment peut égaler le mien ,
Je redoute a la fois , mon amour & le fien……….
Et vous , Arbres touffus referrez vos feuillages ,
Abaillez vos rameaux , découvrez ces rivages ;
J'y verrai mon Amant précipiter les pas ;
Me chercher , me trouver & voler dans mes bras.
Chantez , tendres Oiseaux , prenez part à ma joie ,
Des rigueurs de l'Amour , je ne fuis plus la proie..
Flore , étale à mes yeux tes tréfors renaiffans ;
J'entends de mon Berger les champètres accens :
C'eſt dans ce lieu charmant que fa flamme conf
tante
Va couronner les voeux de fa fidelle Amante...
Mais , je me flatte en vain , & ma brûlante ardeur
Fait fuccéder la crainte au repos de mon coeur..
Du plaifir au chagrin que la pente eſt rapide !
Je ne vois plus ici qu'une campagne aride ;
Zéphire difparoît , & les froids Aquilons
Gémiffent avec moi dans ces triſtes vallons.
Je fens de la douleur les plus vives atteintes ;
J'entends déja l'Echo multiplier mes plaintes :
En vain pour te revoir j'invoque ici les Dieux ;
Cruel , tu ne viens point ! mon coeur féduit mes
yeux ;
Et ce coeur agité d'un foupçon qui le bleffe ,
Pour la première fois gémit de la foibleſſe.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Perfide , je t'aimois ! je paffois d'heureux jours.
Ciel! qui peut de tes feux interrompre le cours ?
Quel charme te préfente une flamme étrangère ?
Est-ce pour ajoûter à ma douleur amère ?
La droiture en mon ame & la fimplicité ·
A-t- elle donc perdu fon luftre & la beauté?
De mes charmes fans art tu vantois la puiffance ;
Tu goûtois le plaifir au fein de la conftance ;
L'incarnat de mon teint te prouvoit ma pudeur ,
Et toujours fur mon front tu voyois la candeur.
Sous les loix d'un Amant féducteur & volage
J'ai donc fait de l'Amour le doux apprentiffage !
Ah , Barbare ! Et c'eft toiqui caules mes douleurs ?
C'eft toi qui fans pitié me fais verfer des pleurs ?
Objet de mille voeux , te fuis- je moins fidelle ?
Quand j'ai tout fait pour toi , me trouve- tu moins
belle ?
Le bonheur , de l'amour émouffe- t- il les traits ?
Pour toi , le changement eft pourtant fans at
traits ....
Mais fi l'ingrat jouit de l'erreur qui m'abuſe :
Si pent trahir fa foi , lorfque mon coeur l'excufe;
Que toute la Nature , ardente à me venger ,
S'arme contre un cruel qui ne fait qu'outrager ;
Qu'il pélle ! .... Ah ! que dis- je ! une Amante
égarée
A d'injufles fureurs eft fans ceffe livrée...
Qu'il vive , le cruel ! mais que fon coeur pervers
JUILLET. 1781 . 31
Eprouve déformais les plus fâcheux revers!
Amour , entends ma voix , daigne m'être propice :
Tu connois mon injure & tu lui dois juftice.
Redoutable vengeur des fidéles Amans ,
Change fes jours fereins en des jours de tourmens
;
Qu'à fon forfait enfin la peine foit égale.
Qu'avili fans eſpoir aux pieds de ma Rivale ,
Au char de l'inhumaine en Efclave enchaîné,
A d'éternels mépris fon coeur foit condamné !
J
A M. DE LA PLACE.
E viens , Monfieur , de recevoir une
lettre anonyme à laquelle vous voudrez
bien me permettre de répondre par la
voie du Mercure , efpérant que l'Auteur
aura la bonté de me mettre une autre
fois à même de lui répondre directement.
•
A P... en Nivernois , le 8 Juin 1761 .
J'ai reçu à P... , Monfieur , la lettre
obligeante que vous m'avez adreſſée à
mon ancienne Cure de S. Maurice , où
vous me croyez encore , mais où le Ciel
ne m'a laiffé que le temps qu'il falloit
pour apprendre ,
A l'école de la mifére ,
A régler infenfiblement
Mes befoins fur le néceſſaire ;
Biv
32 MERCURE DE FRANCE
Et dans un état plus proſpère ,
A jouir indifféremment
Des biens qu'il daigneroit me faire.
Je fuis infiniment fenfible à vos louanges
je les dois à l'amour patriotique ; &
je vous en remercie , comme fi elles m'étoient
dues à des titres plus flatteurs . Par
reconnoiffance je veux vous tirer d'une
erreur où vous êtes à mon égard . Vous
croyez reconnoître les originaux que j'ai
crayonnés dans ma pénultiéme lettre à
M. De la Place ; mais je vous jure que
je ne les connois pas moi- même, & qu'ils
n'exiftent que dans mon imagination. Au
efte , dans le fiécle où nous fommes ,
La ridicule eft h commun ,
Qu'il peut très ailément le faire ,
Qu'entre maint portrait arbitraire ,
Qu'au hazard , fans deffein aucun ,
On trace d'une main légére ,
Il s'en trouve par fois quelqu'un ,
Qui nous préſente un importun
Dont l'aspect a pu nous déplaire.
Je fuis comme vous , Monfieur , originaire
de C.... ; mais je ne le connois pas
affez, pour me flatter d'en faire le tableau
hiftorico-critiqué . Je vous avouerai même
que je ne me fuis guères appliqué à
JUILLET. 1761. 33
I
l'étudier , depuis les grands changemens
qu'ont produits dans les moeurs générales
de nos Concitoyens , les petites révolutions
furvenues dans la fortune de quelques
Particuliers. Oui , mon cher Compa
triote ,
Depuis que , de notre Cité,
La franchife , la bonhomie ,
La fimplicité s'eft enfuie ,
Sur les pas de l'égalité :
Depuis qu'en remontant l'Yonne ,
Nos flotteurs nous ont apporté
Les trésors , & la vanité ,
Dont la Capitale foifonne :
Depuis qu'en nos humbles réduits
Se font fiérement introduits
L'or , les parquets , l'enluminure 3
Depuis que la Magiftrature ( a)
En habit long , vafte fourure ,
Monte le matin au Barreau ,
Et le foir galoppe en chapeau
Et furtout ( b) brillant de dorure;
Depuis que l'hyver , en fabot ( c)
(a ) Il y a peu de temps que les Officiers deJuftice
vontplaider enrobe. On doit à M. N. cet établiffement
qui les fait refpecter.
7b C terme eftfubjiantif.
( c , Cette chauffure jaine , quoique gênante au
commencement , a été longtemps en ufage chez les
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
L'Artifan feul foule la boue ,
Et feul , l'été , fur le Charlot ( d )
Batifolle , boit , chante , & joue ;
Depuis que le jeune Marmot
Que fon père imprudent avoue ,
Craignant moins le bras de B... ( e ).
Le brave à fes yeux , & s'en joue ;
Depuis qu'en beau cabriollet
On voit rouler femme & fillette ,
Dont la grand- mère ne rouloit
Tout ou plus jadis qu'en charette ;
Depuis que l'altière Grizette
Porte fontange & mantelet ;
Le C..... fous fa Jacquette ,
Caleçon , & bas violet ,
Et l'Abbé , cheveux en vergette ,
Fine dentelle à fa manchete ,
Et ruban rouge à fon collet ;
Enfin depuis que la Richeſſe
A tout gâté, tout ſabverti ,
Et , pour ménager ſa moleſſe ,
Fondé des Mefles à midi ,
Premiers d'un Peuple qui ne cherchoit en tout que
fon utilité.
( d ) Boulingrin fort élevé où la Populace vafe
divertir le Dimanche.
( e ) M. B... excellent Grammairien ; fameux
dans le canton à plus d'un titre ; mais qu'on ne
fait plus affez refpecterpar la jeuneſſe qui n'y gagne
pas.
JUILLET. 1761 . 35
Où , guidé par fa folle ivreffe ,
A deux genoux maint Etourdi.
Va fur fon amoureux fouci
Differter avec la maîtreffe :
Je vous avoue , dis-je , que depuis
toutes ces belles chofes - là , j'ai peu fait
ma cour à la patrie. Mais laiffons cette
bonne mère commune , qui tombe en
enfance , & revenons à votre lettre. La
botte légère que j'ai portée à la Gent
domeftique vous fait préfumer que j'ai
de l'argent , & que je crains les voleurs.
Vous me faites beaucoup plus d'honneur
que je n'en mérite. Juger un homme riche
ou fimplement aifé , c'eft le plus bel
éloge qu'on en puiffe faire , dans ce temsci
furtout. Mais je ne veux tromper perfonne.
Voici la déclaration vraie & précife
de ma fortune paffée , préfente &
future , s'il plaît à Dieu , & à mes héritiers
.
J'eus cent écus à S. Maurice ;
J'en vêcus , je m'en contentai .
Au fortir de ce bénéfice ,
J'eus plus du double à S. S...
1
J'y mourois de faim , je quittai ,
Au bout de dix ans de fupplice.
Le Ciel à mes voeux plus propice ,
B vj
6 MERCURE DE FRANCE
M'a donné le quintuple ici.
Je fuis content , & Dieu merci ,
Tout auffi gueux qu'à S. Maurice !
Arrangez cela , Monfieur , avec le goût
de modération que je vous difois avoir
contracté dans ma premiere ſtation . Rien
de plus vrai cependant . Il me feroit facile
de vous montrer l'accord de cette
prétendue contrariété ; mais fa chofe n'en
mérite pas la peine.
J'ai l'honneur d'être & c.
N... Curé dans le Nivernois.
MADAME de B *** à M. FUME'E,
Medecin de S. A. S. Mgr. le PRINCE
DE CONTI , qui a guéri Madame de
C *** ,fa foeur , d'une grande maladie.
EPITR E.
Nx crois pas qu'en ce jour un fade complimient
Se mêle , cher Fumée , au zéle qui m'inſpire :
Je trouve le plaifir plus facile , plus grand ,
A bien fentir qu'à bien écrire;
De ma reconnoiffance, écoute les accens
Daigne recevoir fon encens.
Je te dois une foeur tendre , aimable , chérie :
Ofouvenir touchant , pour mon âme attendrie !
JUILLET. 1761.
37
Dans l'aurore des ans elle expiroit fans toi;
Le glaive de la mort étoit levé fur elle ;
Nos cris , nos larmes , notre effroi
Ne pouvoient défarmer la Parque trop cruelle .
Mille maux compliqués nous ôtoient tout espoir ;
Tes fecours affidus adouciffoient nos peines.
Mais comment ofer entrevoir
Que tu faurois par des routes certaines ,
La ramener des bords du ténébreux ſéjour !
Chaque inftant dans nos coeurs éteignoit l'efpérance
;
Et nous ne voyons plus , hélas ! dans ta préſence
Qu'une preuve de ton amour.
Ta bonté s'efforcoit encore
De cacher l'excès du danger;
Et tu fongeois à menager
Et le Père & la Mère , & l'Epoux qui l'adore.
Rien ne peut échapper à des coeurs bienfaifans &
Ton oeil fûr & hardi veilloit fur la mourante;
Ton air ferme & ferein confoloit fes parens ;
Tu la fauvas enfin : tu paffes notre attente ;
Tu nous rends un objet ſi cher à tous les coeurs 3
Et fans prétention , fans fonger à ta gloire ,
Quand ta voix nous apprend la fin de nos malheurs
,
Tu ne dis rien de ta victoire :
Ton unique defir eft d'éffuier nos pleurs.
Ah ! ces traits généreux gravés dans ma mémoire
38 MERCURE DE FRANCE.
Jamais ne pourront s'éffacer !
Ils font toujours préfens , j'aime à m'en retracer
La tendre & confolante hiftoire .
Utile & cher ami , comment puis- je exprimer
Ce vif fentiment qui m'enflâme ?
Par des traits de feu dans mon âme
Tes vertus ont fçu l'imprimer.
Si la bonté , fila Science ,
Si l'activité , la prudence ,
La modeftie & la douceur
Menent au fentier du bonheur ;
A de plus juftes droits qui pourroit y prétendre ?
Par autant de bienfaits tu comptes tes momens.
Puiffent tes jours heureux fe prolonger longtemps !
Puiffes-tu les paffer près de l'épouſe tendre
Qui partage avec toi ton noble ſentiment !
Des Dieux juftes & bons , ton coeur doit tout attendre
,
Si c'eſt les imiter , que d'être bienfaiſant.
É PIGRAM ME.
DAMON , AMON , fans égard , fans fcrupule ,
Raille avec un air méprisant.
Il fe pique d'être plaifant :
.
Et n'eft que ridicule .
D. S. D.
JUILLET. 1761 .
39
IDE'E générale du ftyle des Orientaux.
TOUTES les Nations ont une forte d'eſprit
qui leur eft propre , & qui a toujours beaucoup
d'influence fur la langue qu'elles parlent.
Les Orientaux , par exemple , joignent
à une imagination libre & fertile , un efprit
jufte & une fageffe profonde. Auffi
trouve-t-on dans leurs ouvrages , des figures
hardies , des définitions courtes &
vives , des maximes excellentes Ces traits ,
quoique privés dans une traduction de l'énergie
qu'ils ont dans l'original , font
néanmoins l'expreffion la plus fenfible du
génie de ces Peuples . J'ai l'honneur , Monfieur,
de vous en envoyer un petit nombre
d'exemples.Les uns contiennent des vérités
de tous les lieux & de tous les temps ; les
autres renferment des images que nous
profcrivons aujourd'hui, que nous aurions
pardonnées autrefois , & qui font généreufement
adoptées fur la moitié de notre
globe. Il eft fans doute bien fâcheux
que les Orientaux fe plaifent à des métaphores
que les Occidentaux défaprouvent.
Mais ils ont tant d'autres torts à notre
égard ! Ils ont des habits & des ufages fi
différents des nôtres ! Par exemple :
40 MERCURE DE FRANCE.
Mes voeux pour vous font femblables à
des pierres précieuſes & à des fleurs bien
arrangées.
Deux frères ayant trouvé un tréfor , le
partagerent ; l'un négocia dans la Ville &
l'autre alla voyager & commercer dans
l'Inde. A fon retour , frappé des belles maifons
que fon frère avoit fait bâtir dans la
Ville , il en voulut conftruire une qui les
furpaffât & qui pût le faire admirer de tout
le monde. Pour cet effet , il la bâtit fur
un Vaiſſeau qui périt au milieu du Port ; &
toutes fes richeles furent englouties.
Regardez - vous dans le miroir d'un autre
.
L'Écritoire eft un étang, du milieu duquel
il fort des fources de fcience , & du bord
duquel s'élevent des nuages d'éloquence.
Les Plumes font les Ambaffadeurs de la
parole , & 'Écriture eft la langue de la main.
C'eft un livre dont le parfum & les bonmes
odeurs récréent l'odorat de l'àme.
Le feu de la colere du bon a beau s'allumer,
il reffemble à la fumée du bois d'aloës
qui ne fait jamais de fuye .
Sois aveugle en entrant chez les Rois , &
muet en fortant .
L'humanité confifte à s'humilier lorfqu'on
eft grand , à pardonner lorsqu'on
a du pouvoir , & à donner fans prétendre
à la reconnoillance.
JUILLET. 1761. 4.7
L'obéiffance eft la richeffe des pauvres
Le fort le plus malheureux eft celui
'd'un homme d'efprit fous les ordres d'un
ignorant .
Le vin eft entré , le fecret va fortir.
A quoi fert le mérite , s'il n'eft accompagné
de bonheur ? Un bouton de fleur
peut-il s'ouvrir , s'il n'eft aidé par le vent
du matin ?
Deux amis étant brouillés , le Santon
dit à l'un des deux : Dieu a créé deux efpéces
d'hommes , l'une pefante & lourde
comme la terre , & l'autre légére & coulante
comme l'eau ; quand un ruiffeau le
mêle avec la terre , elle produit les fleurs
& les fruits imitez cette eau par votre
douceur & votre patience ; vous ramenerez
votre ami.
Que la douceur de vos paroles réjouiffe
le goût de mon âme.
Il convient aux gens d'efprit d'éteindre
le feu de leur colère avec de l'eau
puifée dans la fontaine de patience , &
non d'embrafer le feu de la colère avec
le bois de l'impatience.
C'est avec le lait qu'on fait fortir les
Serpents de leurs trous.
La honte fit paroître fur fon viſage une
tulippe d'une couleur incomparable.
Il demanda à l'Empereur , en prenant
42 MERCURE DE FRANCE .
congé de lui , comment il vouloit qu'il
traitât les féditieux ? Fais , lui dit - il ,
comme fi tu voulois démêler une corde
nouée ; & prends garde de l'embaraffer
d'avantage , en la ferrant trop.
Il lui fit donner cinquante coups de
bâton & lui dit enfuite : c'eft pour te faire
comprendre que tu ne dois pas te mêler
de ce qui ne te regarde pas . Hélas ! dit - il ,
je l'aurois compris dès le premier coup ,
fi vous vous fuffiez expliqué plutôt !
Gelaladdin Rumi, conte dans fes Vers,
qu'un Chameau qui étoit monté fur un
Minaret , s'écria : je fuis ici caché, ne découvrez
pas le lieu de ma retraite .
LEE mot de la première Enigme du
premier volume du Mercure de Juiller
eft , Chapeau , qui fe fait ordinairement
de peau de Caftor , animal amphibie qui
fe bâtit des maifons . On compare un
grand chapeau à celui de S. Roch. On
appelle Frère Chapeau , un Religieux qui
accompagne partout fon confrère. Les
Ramonneurs fe font des genouillères
avec la forme d'un chapeau. Celui de la
feconde Enigme , e ft la lettre F. Le mot
du premier Logogryphe , eft , Baleine ,
dans lequel on trouve Bal, le Nil, l'Elbe,
JUILLET. 1761 . 43
Albe , Albi , & Jena . Celui du ſecond ,
eſt , Pantalon , où l'on trouve pan , mefure
qui fe fait par l'extenfion du pouce ,
& des doigts oppofés , & talon , partie
du corps où Achille fut bleflé . Celui du
troifiéme , eft cor , où l'on trouve or &
TOC.
ENIGM E.
Jx fuis liquide , utile & fouvent néceſſairę ; E
Mais , Lecteur , je faurois peu plaire
Sans un certain affortiment.
Unie indiffolublement
A tel qui paroît inon contraire
A-pèü-près comme blanc à noir ;
C'eſt alors qu'il nous fait beau voir
Prenant cent formes différentes ,
Faire cent chofes furprenantes.
Le résultat de notre tout ,
Au gré du caprice & du goût ,
Flate , étonne , inftruit , plaît , irrite ,
Confole , afflige , calme , agite ,
Fait naître la haine & l'amour ,
Porte les ordres de la Cour ,
Met un Laquais dans la Finance ,
D'un mince Clerc fait un Prélat ,
D'un Commis un homme d'Etat ;
44 MERCURE DE FRANCE,
En un mot régle tout en France .
Que dis - je ? en France ! c'eft trop peu :
Si l'on fait bien nous mettre en jeu ,
Nous volons au bout de la tèrre ,
Portant ou la Paix ou la Guerre ,
Nous fufpendons , nous donnons le trépas 3.
Dans ce bas monde enfin que ne faiſons- nous pas
Pour le bien & le mal , l'agréable & l'utile ?
Devine donc , Lecteur , il n'eft pas difficile.
Par M. S.... des environs de Brive.
AUTRE.
D'UN Labyrinte obfcur , où regnent les alarmes
Je fors , fans être vû , pour expirer ſoudain ;
Dans les lieux que j'habite on chercheroit en vain
De la tranquillité la douceur & les charmes.
Sans être ni Bandeau , ni Fléche , ni Carquois ,
Je vole fur les pas du Dieu de la tendreſſe.
De l'excès du plaifir , du fein de la trifteffe
Je nais chez les Bergers , ainfi que chez les Rois.
Une foule d'Amans , adorable Thémire ,
Me firent mille fois paroître à votre Cour,
Au nom de vos beaux yeux payez- les de retour,
Aimez.... & vous allez étendre mon Empire .
JUILLET. 1761 .
LOGOGRYPHE.
UTILE,
41
1 , aux Champs de Mars : jamais fans ma
valeur ,
Suréna de Craffus n'eût été le vainqueur.
Neuflettres font mon nom : ami Lecteur , com
bine,
Tu pourras y trouver celle de l'Héroïne ,
Dont les faits merveilleux , fecondés par Dunois
Rendirent la ſplendeur au Trône de nos Rois ;
Pour devenir Savant , ce qu'on met en uſage ;
Ce qu'on voit annoncer le Tonnèrre & l'Orage ;
Un légume , une Sainte , un timide animal ;
Un Roi , vainqueur de Rome ; un péché capital;
Un des quatre Elémens ; deux notes de Mufique ;
Un Verbe , en me cherchant , qu'il faut mettre en
pratique.
Je pourrois , cher Lecteur , en dire beaucoup plus
Mais , je fuis ennemi des détails ſuperflus.
Par M. LANEVERE , ancien Mousquetaire du
Roi , à Dax, le 9 Mai 1761.
COMME
AUTRE.
OMMENT puis-je me définir ?
J'exifte fans voir la lumière ;
Et le préfent autant que l'avenir
46 MERCURE DE FRANCE.
... Eft pour moi cahos & myſtère.
A
Que fuis-je donc ? Lecteur , c'eſt ton affaire :
peu de frais tu peux me deviner ;
Et fi tu prends plaifir à combiner,
Mes fept pieds vont te fatisfaire.
Je deviens Roi , Moine , Robin ;
Partout où je fuis je fais boire ;
Et par un bizare deftin ,
Je porte toujours robe noire ;
A qui le veut j'offre mon bien ;
Mais c'est toujours fans conféquence ,
Car on peut me réduire à rien
Sans me réduire à l'indigence.
Par M. DESMARAIS DU CHAMBON.
CHANSON à boire , dont on peut faire
un Duo.
VERSEZ -moi de cejus divin ;
Buvons , chers camarades :
Chantons & revenons fans fin
Des Chanfons aux rafades.
Mettons- nous tous à l'uniffon :
Qu'importe qu'on en gloſe ?
Si le vin ôte la Raifon ,
Il ôte peu de choſe.
JUILLET. 17617 47.
ARTICLE II
NOUVELLES LITTERAIRES.
ESSAIS HISTORIQUES fur l'ANGLETERRE
, Brochure in- 12 . A Paris,
chez les Frères Etienne , rue S. Jacques,
à la Vertu.
L'A'AUUTTEEUURR de cet Ouvrage nous apprend
que fon but eft de faire connoître ,
par les faits, l'hiftoire du Royaume d'Angleterre
, fes conftitutions , les fources de
fa puiffance , les moeurs de fes Peuples ,
leurs ufages , & même leur Littérature .
Comme il faut préfenter les objets de
manière , que l'efprit en faififfe ailément
tous les rapports , on a divifé ce Livre
en trois parties. La premiere n'offre que
les événemens & les traits qui peuvent
dépendre des moeurs & de l'humanité ;
c'est -àdire, qu'elle a principalement pour
objet l'étude de l'efprit & du coeur Anglois
. La feconde raHemble les faits qui
ont rapport à l'Hiftoire , aux Loix , aux
Finances & aux Armes. La troifiéme ,tout
46 MERCURE DE FRANCE.
.. Eft pour moi cahos & mystère.
A
Que fuis- je donc ? Lecteur , c'eſt ton affaire :
peu de frais tu peux me deviner ;
Et fi tu prends plaifir à combiner ,
Mes fept pieds vont te fatisfaire.
Je deviens Roi , Moine , Robin ;
Partout où je fuis je fais boire ;
Et par un bizare deſtin ,
Je porte toujours robe noire ;
A qui le veut j'offre mon bien ;
Mais c'est toujours fans conféquence ,
Car on peut me réduire à rien
Sans me réduire à l'indigence.
Par M. DESMARAIS DU CHAMBON.
CHANSON à boire , dont on peut faire
V
un Duo.
ERSEZ - moi de ce jus divin ;
Buvons , chers camarades :
Chantons & revenons ſans fin
Des Chanfons aux rafades.
Mettons-nous tous à l'uniffon:
Qu'importe qu'on en glofe ?
Si le vin ôte la Raifon ,
Il ôte peur de choſe.
F
I
JUILLET. 17617
47
.
ARTICLE ILI.
NOUVELLES LITTERAIRES:
ESSAIS HISTORIQUES fur l'ANGLETERRE
, Brochure in- 12 . A Paris,
chez les Frères Etienne , rue s . Jacques ,
à la Vertu .
L'AUT ' AUTEUR de cet Ouvrage nous apprend
que
fon but eft de faire connoître .
par les faits, l'hiftoire du Royaume d'Angleterre
, fes conftitutions , les fources de
fa puiffance , les moeurs de fes Peuples ,
leurs ufages , & même leur Littérature .
Comme il faut préfenter les objets de
manière , que l'efprit en faififfe aifément
tous les rapports , on a divifé ce Livre
en trois parties. La premiere n'offre que
les événemens & les traits qui peuvent
dépendre des moeurs & de l'humanité ;
c'eft -àdire , qu'elle a principalement pour
objet l'étude de l'efprit & du coeur Anglois.
La feconde ralemble les faits qui
ont rapport à l'Hiftoire , aux Loix , aug
Finances & aux Armes . La troifiéme, tour
48 MERCURE DE FRANCE.
ce qui concerne le commerce , l'Agricul
ture & les Arts . Nous choifirons dans
chaque partie , ce que nous croirons de
plus propre à piquer la curiofité de nos
Lecteurs .
Un ufage très - incommode en Angleterre
, eft celui de diftribuer de l'argent
aux domestiques des maifons où l'on eft
invité à dîner . On a fait des écrits fort
férieux pour & contre une coutume qui
n'eft pratiquée par aucune autre Nation ;
qui attire aux Anglois , des railleries de
la part des autres Peuples ; qui gêne la
communication entre les amis , en les affujettiffant
à un impôt fouvent très- onéreux.
Un homme de grande confidération
ayant appris qu'il fe formoit une ligue
pour retrancher aux domestiques ces fortes
de profits , a dit d'un ton très - animé,
en préſence d'une affemblée nombreuſe,
que s'il s'en trouvoit un qui refufat de
recevoir une générofité de fa main , il
regarderoit ce refus comme une infulte
que le Maître auroit cherché à lui faire ,
& qu'il cefferoit de le voir.
La curiofité eft une paffion très forte
chez les Anglois ; ils ne regrettent rien
pour la fatisfaire. Lorfque Théodore , Roi
de Corfe , fut parti de Londres pour fon
expédition , le Particulier chez qui il avoit
logé ,
JUILLET. 1761. 49
logé , tourmenté par l'affluence du monde
qu'amenoit chez lui la curiofité de voir
la chambre de ce prétendu Monarque ,
imagina de ne la montrer que pour de
l'argent. Il ſe borna à un sheling par perfonne
, & il entaffa des fommes confidérables.
Un Officier de la maiſon du feu
Roi vient de tirer du Peuple trois ou quatre
cens livres fterling , en faifant voir
auffi pour un sheling , la Salle du Palais
de S. James , où le Roi avoit été déposé,
avant que d'être porté à Westminster.
La paffion des paris eft fi forte en Angleterre
, qu'il a fallu des loix pour la réprimer.
Toute gageure qui excéde la
fomme de vingt- trois ou vingt- quatre
piftoles , eft déclarée nulle. Malgré cette
loi , on y fait toujours les paris les plus
confidérables , fur les chofes les plus frivoles
: ce fera de faire traîner pendant
un certain temps , une voiture par des
chiens ; de faire foutenir à des oies une
marche fuivie de plufieurs lieues ; de faire
faire à un cochon une lieue & demie par
heure. Il n'y a pas longtemps qu'un homme
de condition paria une très - groffe
fomme , qu'il feroit un mille de chemin.
en marchant fur les pieds & les mains , &
qu'il arriveroit plutôt au but , qu'un cheval
qu'on feroit aller à reculons.
II. Vol. C
So MERCURE DE FRANCE:
Il vient de fe paffer à Dublin une fcene
affez comique , mais qui montre combien
l'on y eft exact à obferver le Dimanche.
Voici , à peu près , comme on la raconte.
Une Joueufe célébre fut arrêtée
dans fa chaife par la populace , lorf
qu'elle alloit entrer un jour de Dimanche
dans une maifon où l'on donne à
jouer. L'éffroi la faifit ; elle demande ce
qu'on lui veut. On la prie de fortir de fa
chaife. Elle fait d'abord quelque difficulté
; on infifte ; elle obéït. Celui qui portoit
la parole , lui dit : » Madame , nous
"
fçavons que vous menez une vie peu
» édifiante ; votre paffion pour le jeu vous
fait oublier ce que vous devez au jour
» du Seigneur ; c'eft l'intérêt que l'on
» prend à votre âme , qui vous attire cet-
"
te petite remontrance de notre part,
En même temps on lui préfente une
Bible , & on la fait jurer fur les faintes
Ecritures , de renoncer au jeu pour
toujours . On eut beaucoup de peine à lui
arracher ce ferment ; mais il fallut obéir,
On lui dicte les paroles l'une après l'autre
; elle les répéte d'une voix intelligible
, & on l'oblige à baifer le livre
fur lequel elle vient de jurer. Elle
croit en être quitte , & veut rentrer dans
fa chaife ; on l'en empêche encore en
JUILLET. 1761 . si
»
"
lui difant : » Vous fçavez , Madame, que
l'humilité eft une vertu agréable à
» Dieu ; vous n'aurez jamais eu une plus
belle occafion de la pratiquer. Nous
» allons vous eſcorter ; contentez- vous
» de vous faire fuivre par vos porteurs ;
» vous retournerez à pied au milieu de
» nous jufqu'à votre logis . Elle fut ainfi
reconduite en grande pompe ; & quand
elle fut rentrée dans fa maiſon , la foule
ſe diſperſa.
Pendant la derniere faifon des eaux
de Bath , il y eut deux foufcriptions ouvertes
dans cette ville, l'une pour des exercices
fpirituels , l'autre pour une affemblée
de jeu. Le nombre des Soufcripteurs de
la premiere ne paffa pas douze ; la feconde
en eut foixante - fept . Quelqu'un a dit
à ce fujet, qu'il y avoit en Angleterre foixante-
fept contre douze à parier pour l'Enfer
contre le Ciel .
Voici un exemple peu commun d'une
détermination prife par le Peuple , pour
fermer au vice une porte que le Gouvernement
veut lui ouvrir. Les habitans du
bourg de Leadhills en Ecoffe , fcandalifés
des défordres que l'ufage des boiffons fortes
introduisent dans un Etat, ont figné une
réfolution par laquelle ils fe promettent
mutuellement de ne jamais boire d'eau-
Cij
12 MERCURE DE FRANCE.
de-vie faite avec les grains du pays , &
de ne fréquenter aucun caffé ni cabaret
qui en débiteroient. Ils invitent leurs
compatriotes à fe joindre à eux , & ont
fait répandre cet Acte dans les trois
Royaumes par les papiers publics .
y
La plupart des voleurs Anglois fe piquent
de faire leur métier avec diftinction.
Un Banquier de Londres reçut , il
a peu de temps , la vifite d'un de ces
honorables Coquins , qui fe préfenta dans
fa chambre le piftolet à la main , & lui
demanda fon argent ou les clefs de fon
bureau. Le Banquier donna les clefs , &
le voleur fit fon coup. Il revint , remit
les clefs au Banquier , & lui dit : » Vous
» aurez , Monfieur , la bonté d'obferver
» que je n'ai pris que l'argent qui étoit
» dans votre tiroir ; vous trouverez vos
» bijoux & votre montre où vous les avez
» laiffés.
Voici encore un trait remarquable d'un
autre voleur. Un riche Négociant revenoit
de la campagne avec la famille ,
lorfque deux brigands fe préfentent à ſa
voiture. Un d'eux , le piftolet à la main ,
crie au cocher de s'arrêter ; l'autre adref
fant la parole aux perfonnes qui étoient
dans la voiture , les prie très- poliment de
jetter dans fon chapeau tout l'argent qu'elJUILLET.
1761.
"
les pouvoient avoir. On en jette ; il ne
trouve pas la fomme affez forte ; il infifte
pour avoir davantage. » C'eft manquer
» d'honneur , leur dit- il , que de ne pas
répondre à la politeffe de mon procé-
» dé. Il n'eft pas vraisemblable qu'avec
» un train pareil , on ait fi peu d'argent.
» C'eft qu'apparemment vous voulez me
» tromper ; mais je vous ferai l'affront
» de vous fouiller ; je n'en viens à cette
» extrémité qu'avec les coquins. Le Négociant
lui jetta une bourfe qui contenoir
douze guinées , & le pria de fe retirer.
» Monfieur , repliqua le voleur , je
» fuis bien aiſe de vous faire voir que j'ai
l'ufage du monde ; je vous fouhaite un
» bon voyage. Il partit auffitôt avec fon
» camarade , & on les eut bientôt perdu
» de vue.
"
Un Anglois vient de metre au jour un
Projet de Soufcription pour former un
fond en faveur des enfans & des veuves
des Jurifconfultes , qui meurent fans
laiffer de bien pour le foutien de leur
famille. Les Journalistes qui annoncent
ce Projet , en ont pris occafion
de propofer au Public les idées fuivantes.
» Si un établiffement de cette nature eft
jugé néceffaire , nous croyons qu'il fau-
» droit lui donner une plus grande éten-
"
G iij
54 MERCURE DE FRANCE.
ور
due & y faire participer tous les Citoyens
qui éclairent leurs Compatriotes par
leurs Ecrits. Il eft certain que la plûpart
» des gens qui vivent du produit de leur
Plume , font condamnés au Célibat ,
» par l'impoffibilité d'affurer un douaire
convenable aux femmes qu'ils pourroient
époufer. C'eft un inconvénient
» très - fâcheux pour l'Etat , du côté de la
population , puifqu'il augmente le nom-
» bre des Célibataires qui le font par néceffité
; & que ce nombre eſt toujours
trop grand. Mais on y trouvera encore
» un autre préjudice pour les moeurs de
» la Nation , fi l'on confidére que les gens
qui trouvent tant de difficultés à fe ma-
» rier , font précisément ceux qui , par
»
99
un effet néceffaire de la bonne éduca-
» tion qu'ils ont reçue , méneroient la
» vie la plus convenable & la plus décente
dans l'état du mariage , & par le
pouvoir de l'exemple , foutenu de la ré-
» putation de l'efprit , feroient rentrer
l'Hymen dans tous les droits , que cer-
» taines fauffes vertus de Société ont ufur-
» pés fur lui. Nous ajouterons une troi-
و د
"
fiéme confidération ; c'eft que ces mê-
" mes gens de Lettres , qui privent l'Etat
» de leur poftérité , le privent auffi des
» effets d'une bonne éducation , qu'ils feJUILLET.
1961 . 55
» roient en état de donner à leurs enfans ,
» & des lumières de toute efpéce qu'ils
» pourroient leur tranſmettre.
La célèbre Actrice , Mlle Oldfield ;
morte en 1730 , fut enterrée dans l'Abbaye
de Weftminfter . Elle avoit été expofée
pendant deux jours fur un magnifique
lit de parade . Ses obfèques fe firent
avec autant de pompe & de décence , que
fi pendant fa vie elle eût été une de ces
auguftes perfonnes qu'elle n'avoit fait que
repréſenter. Le drap mortuaire qui couvroit
fon cercueil , fut porté par fix perfonnes
de la plus grande diftinction . Le
Doyen du Chapitre de Weftminſter officia
à la Cérémonie .
Le Théâtre Anglois a perdu depuis peu
Mlle Woffington , Actrice excellente dans
le tragique. C'est à elle que l'Armée Britannique
, actuellement en Allemagne ,
eft redevable de la Soufcription volontai
re , établie à Londres & dans plufieurs
Villes du Royaume , pour lui procurer des
foulagemens. Elle en a donné la première
idée . Les Troupes Angloifes ont été fournies
, fur le produit de cette Soufcription,
d'un nombre fuffifant de gillets & de fouliers
, & s'en font bien trouvées pendant
l'hyver de 1760 , qui a été rigoureux . Cette
même Comédienne a laiffé tout fon bien
à un Officier Général. Cy
56 MERCURE DE FRANCE:
La feconde partie, qui a pour titre Frag
mens hiftoriques , commence par différens
traits de la vie de Henri , Prince de Galles
, fils aîné de Jacques 1. On demanda
un jour à ce jeune Prince , s'il aimoit la
chaffe du Cerf? » Je conviens qu'elle m'a- `
» mufe , répondit - il ; mais il ya une autre
» chaffe que je lui préférerois encore ; c'eft
» celle des Rebelles , & des voleurs de l'E-
» tat , & je le ferois avec une meute de
braves gens. Henri aimoit beaucoup fon
jeune frère le Duc d'York , qui monta
fur le Trône fous le nom de Charles I ;
mais il prenoit un plaifir fingulier à le
faire pleurer , en lui difant qu'il feroit
d'Eglife . Un jour il lui mit par force fur
la tête le chapeau d'un Archevêque , en
Ini difant que s'il apprenoit bien , il le
feroit Archevêque de Cantorbery. Le
jerne Prince outré de cette propofition ,
jetta à terre le chapeau , & le foula aux
pieds.
Le jugement & l'exécution du Lord
Conte de Ferrers , qui fut pendu à Londres
l'année derniere , donnent lieu à
de fort longs détails. Mais toutes les gazettes
ont inftruit l'Europe des particularités
de fon crime & de fon fupplice.
Nous fubftituerons à ce morceau peu intéreffant
, des circonftances plus curieuſes
JUILLET. 1781. '57.
du couronnement des Rois d'Angleterre .
Le Seigneur de Bardolf, dans le Comté
de Surry , reclame le droit de faire
apprêter au Roi un plat de gruau , & de
le fervir lui-même fur la table. Il eſt d'ufage
que le Roi , pour le récompenfer de
ce fervice , le faffe Chevalier. C'eſt le
Seigneur de Scoulton , dans le Comté de
Norfolk, qui eft Lardeur en chef ; & tout
le lard qui reste après la cuifine faite , lui
appartient. Le Seigneur de Wirkfap,dans
le Comté de Nottingham , a le droit de
fournir au Roi le gant qu'il met à fa
main droite. Il n'y a que le Seigneur de
Lyfton qui puiffe faire les gauffres pour
le Roi , & les lui fervir. Les autres prétentions
, dont la lifte eft fort longue
font relatives à tout ce qui fe pratique le
jour du couronnement. Il appartient au
Lord , grand Chambellan , pour avoir
préſenté la chemiſe au Roi , près de trente
aulnes de velours cramoifi , le lit du
Roi , & tout le meuble où il a couché
ainfi que tous fes habillemens de nuit.
Le Champion du Roi garde le cheval fur
lequel il eſt monté ; & il a de plus une
coupe & un couvert d'or. Il en revient
autant au Lord Maire de Londres , qui
verſe du vin au Roi après le dîner. Toute
la vaiffelle d'argent appartient au Grand
Ecuyer , &c.
›
C vj
•
18 MERCURE DE FRANCE.
C'eft une chofe finguliere , que les op
pofitions marquées de quelques événemens
, dont la grande Salle de Weſtminſ
ter a été le théâtre : c'eft le premier endroit
où les Rois d'Angleterre fe placent
fur le Trône . Ce fut celui où Richard II
fut déposé. Plufieurs Rois y ont tenu des
banquets royaux , où ils ont traité avec
fplendeur les plus grands Princes de l'Europe.
Henri III , y ayant raffemblé fix
mille pauvres , en avoit fait auparavant
un Hôpital. Dans le temps que le Parlement
y tenoit fes féances , un débordement
des eaux arriva , & on la traverſoit
en bateau. Les jours de couronnement , le
Champion d'Angleterre , armé de toutes
pieces , y entre à cheval , jette fon gant à
terre , & fait un défi à quiconque ofera
conteſter le droit du nouveau Souverain .
Qn vit en 13 : 6 , une femme vêtue en
Courtilanne , montée fur un cheval , entrer
dans cette Salle , tandis que le Roi
y donnoit un feftin à fa Cour , le promeper
autour des tables , jetter devant le
Roi un écrit où il étoit accufé d'injuftice ,
tourner la bride , faluer les affiftans , &
s'en aller.
On a remarqué que le feu Roi étoit le
feul des Souverains d'Angleterre , féconds
de leur nom , qui ait régné heureuſement
JUILLET. 1761 . 59
dans ce Royaume. Guillaume II , furnommé
le Roux , fut tué à la chaffe.
Henri II, fut malheureux pendant toute
la premiere partie de fon regne , par
les
affaires que lui fufcita l'Archevêque de
Cantorbery. Il le fit affaffiner ; & le repentir
qu'il en eut , empoifonna le refte
de fa vie. Edouard II , fut détrôné par
fon fils , & affaffiné. Richard II fut dépofé;
& l'on a prétendu que la mort de Charles
II n'étoit point naturelle. Enfin Jacques
II , après avoir perdu fa Couronne ,
eft mort en exil .
La troifiéme partie préfente des détails
de commerce & d'agriculture qui ne font
guères fufceptibles d'un extrait . Nous y
renvoyons nos Lecteurs ; & nous invitons
l'Auteur de cette Brochure à continuer
fes recherches & à nous en faire part.
LETTRE de M. d'ARNAUD à M. DE
LA PLACE , Auteur du Mercure.
Ce 28 Juin 1761 .
MONSIEUR ONSIEUR ,
Mes amis viennent de m'apprendre
que dans un libelle on m'affocie aux travaux
d'un Journalfte ; je ne travaille à
G vj
To MERCURE DE FRANCE
aucun Journal , & je mépriſe les libelles.
A l'égard de mes vers , je les abandonne
au Jugement du Public. Il n'ignore pas
que les trois volumes de Poëfies qui ont
paru fous mon nom , ne font qu'une édi
tion informe , où ce qui peut m'appartenir
eft entièrement défiguré. J'ai l'honneur
d'être & c.
REMARQUES fur quelques Paffages
d'HORACE, difficiles à entendre aujour
d'hui : par un Savant de Province.
Licet fub paupere tecto
Reges & regum vitâpræcurrere amicos.
ON s'imagine qu'Horace a voulu dire
que fous un toit couvert de chaume , on
poffédoit plus de richeffes que fur le Trône
; qu'on étoit plus refpecté dans une
fimple cabane que fous des lambris dorés ;
qu'un Pauvre avoit de plus riches habits
qu'un grand Seigneur ; qu'une Payfane
avoit plus d'adorateurs qu'une femme de
la Cour. On s'imagine cela, & l'on dit tout
de fuite : Horace n'a pas raifon. Mais qu'on
y prenne bien garde ; ce n'eft pas de tout
cela qu'Horace a parlé , c'eſt du bonheur.
Dulce & decorum eft pro patria mori.
Ce Paſſage eſt un de ceux que j'ai eu le
JUILLET. 1761 .
6I
plus de peine à faire entendre à quelques
jeunes Militaires , que j'ai eu occafion de
voir. Ils ne trouvoient de douceur qu'à
vivre au gré de leurs defirs , de gloire qu'à
féduire une femme , & ils n'avoient pas
même l'idée attachée au mot de Patrie.
Un certain fentiment foible & confus leur
faifoit aimer à revoir les lieux de leur
naiſſance ; un refte de politeffe & d'égard
leur faifoit refpecter ceux dont ils tenoient
le jour ; mais ces mots fi doux & fi énergiques
de Concitoyens & de Patrie , ces
mots qui font naître une efpéce d'enthoufiafme
dans les âmes qui penfent , ils n'y
comprenoient rien du tout.
Outre le luxe & les paffions , qui toutes
vont à rapprocher l'homme de luimême
& à l'éloigner des autres ; ce qui
a contribué à faire perdre de vue l'acception
du mot Pairie , c'eft cette maxime
que quelques Philofophes prennent
tant de foin d'étaler : l'Univers eft la Patrie
du Sage.Ce principe eft très - beau; & il feroit
à fouhaiter que tous les hommes fe
regardaffent comme ne faifant qu'une
même famille, & vécuffent en frères ; voilà
ce qui eft vrai. Mais la multitude qui
répéte , fans y penfer , ce que le Philofophe
ne dit qu'après l'avoir bien médité ,
ne faifit jamais une vérité dans toute fon
62 MERCURE DE FRANCE.
étendue , & ne la prend que du côté qui
flatte le plus fes préjugés. Elle s'eft donc
imaginée que la patrie de l'homme étant
l'Univers , on ne devoit pas plus à ceuxau
milieu defquels on vit fous le même
gouvernement , qu'aux Chinois & aux
Hottentots : ce qui eft évidemment faux.
Je reviens au Paffage en queſtion.
Pour le faire entendre aux jeunes gens ,
il faut bien leur apprendre que la vraie
douceur , la vraie fatisfaction ne confiftent
pas à pouvoir s'enivrer de liqueurs
fe ruiner au jeu , s'abbrutir dans la débauche
, & anéantir fon âme dans le tu
multe des paffions ; que la gloire n'eft
pas le privilége de porter un plumet , de
fe qualifier de Marquis ou de Comte , de
méprifer le Bourgeois , & d'avoir la tête
coupée au lieu d'être pendu comme la
canaille ; il faut fur tout leur bien faire
fentir que la patrie eft quelque chofe ; &
au lieu de raifons , dont ils ne font pas
toujours capables , frapper leurs oreilles
de ces grands noms qui vivront dans la
mémoire des hommes auffi longtemps
qu'ils conferveront l'idée de la vertu : leur
montrer un Turenne , le premier des
Héros dans l'art de mener les hommes au
combat , expofant généreufement fa vie
pour le falut de la France , & ménageant
JUILLET. 1781 . 63
le fang de fes foldats parce qu'ils étoient
fes concitoyens : leur peindre un Montcalm
expirant dans des climats éloignés , loin
de fes amis & de fa famille ; mais fous les
yeux de fa patrie , dont l'image échauffoir
fon courage au milieu des hazards , & c.
En Erudit profond j'aurois dû citer les
Codrus , les Decius , les Scipions , & cette
foule d'hommes que nous appellons
des héros moins fur la foi de leurs hiftoriens
, que fur la parole des Pédans qui
en étourdiffent notre enfance ; mais ( malgré
le mauvais exemple de quelques -uns
de mes confrères ) pour être fçavant , je
ne m'en fouviens pas moins que je fuis
François.
O Cives , Cives , quærenda pecunia primum ,
Virtus poft nummos.
J'ai vu un riche Financier qui ne favoit
de Latin que ce paffage, encore le croyoitil
d'un S. Père , tant il y trouvoit de bon
fens . Je n'eus pas de peine à le faire convenir
qu'il étoit d'Horace ; mais il me fut
impoffible de lui en faire appercevoir le
fens ironique : car enfin, me diloit- il tou
jours , avec de l'argent n'a- t- on pas aujourd'hui
tout autant de vertu qu'on en
veut ? On achète l'équité des Magiſtrats ,
l'honneur des femmes , la conlcience des
64 MERCURE DE FRANCE
dévots . Allez , allez , quiconque eft riche
eft tout.
Une petite réfléxion philofophique en
paffant.
Contre une paffion puiſſante ,
Cette raifon que l'on nous vante
Ne fait qu'un inutile effort :
En vain fa voix eſt touchante ;
Dès que le coeur argumente ,
La Raiſon a toujours tort.
1
Sit mihi prima fides.
Ce n'eft pas moi qui le dis , mais je l'entends
répéter tous les jours : le Dauphinois
aime à tromper ; le Normand eft habile
dans l'art de mentir ; le Gafcon fe
plaît à en impoſer. Voilà déjà trois grandes
Provinces de France d'où la bonne
foi eft bannie. D'un autre côté on ne
ceffe de dire qu'on la perd en devenant
courtifan ; que celle du grand monde eft
bien foible ; que les femmes en ont trèspeu
, & que le Petit-Maître n'en a point
du tout. Peut-être s'eft- elle retirée parmi
le Peuple ? Mais on ne convient pas généralement
qu'il foit compofé d'hommes.
Faut- il être furpris après cela, qu'on trouve
aujourd'hui tant d'obfcurité dans ce
paffage ? Mon commentaire le feroit en
core plus ; ainſi je le ſupprime.
JUILLET. 17616 35
Non tu corpus eras fine pectore.
Pour l'intelligence de ceci , il faut favoir
que la Philofophie au temps d'Horace
n'étoit pas , à beaucoup près , au point
de perfection où elle eft parmi nous . On
croyoit alors qu'il y avoit dans l'homme,
outre le corps & la matière , une fubftance
totalement différente , capable de fentir
& de penfer. C'étoit donc un compliment
qu' Horace faiſoit à ſon ami, quand
il lui difoit vous n'êtes point un corps
fans âme pour traduire le texte mot à
mot. C'eſt comme s'il lui eût dit : vous ne
vous bornez pas à exifter , vous aimez à
vivre , à exercer votre âme par la penſée,
à l'aggrandir par les connoiffances , à
l'ennoblir par les fentimens ; en un mot ,
pour parler le langage de nos Orateurs
à antithèſes , vous avez , avec les agrémens
du corps , toutes les qualités de l'ef
prit & du coeur .
Ce fyftême qui fait l'homme compoſe
d'un corps & d'une âme , me paroît favorable
à la belle Poëfie . Si quelques Philofophes
cherchent à le détruire , je voudrois
que les Faifeurs de vers le confervaffent
toujours dans leur code poëtique
, ne fût- ce qu'au même titre qu'ils y
confervent les belles fables d'Homère,
66 MERCURE DE FRANCE.
Virtus eft vitium fugere,
Quelle eft. l'idée de votre Horace dans
ce paffage , me difoit un jour un jeune
homme à la mode ? Eft- ce que la vertu
& le vice font quelque chofe de réel ?
Est- ce que toutes ces mifères à qui le
Peuple donne des noms impofans , font
autre chofe que les effets du tempérament
ou de l'éducation ? Votre Poëte
avoit de l'efprit , mais on voit bien qu'il
n'étoit pas grand Philofophe. Allez, mon
bon ami ; l'honneur , la probité , le vice ,
la vertu , grands mots que tout cela. Je
voulus répondre ; je voulus par un argument
ad hominem ( pour parler le langage
de la Logique , car il faut bien
qu'on s'apperçoive à quelque chofe que
je fuis favant ; ) je voulus le faire defcendre
dans fon âme , & là lui faire lire ces
principes de moeurs que la main du premier
Etre a gravés dans tous les coeurs ,
& qui ne dépendent ni de l'éducation ni
des préjugés. Il fit une pirouette , éclata
de rire , & toutes les femmes dirent : il
a raiſon.
Ineptus paftilles Rufillus olet.
Il y a deux chofes à remarquer ici . La
premiere c'eſt que le nom de Ruffillus eft
tout feul , & qu'il n'eft pas au pluriel , comme
nous diſons quelquefois les Mécenes
les Pradons pour défigner les Protecteurs
JUILLET. 1761 67
des Lettres , ou les mauvais Ecrivains.
Cela prouve qu'au temps d'Horace on ne
connoiffoit pas cette espéce d'êtres que
nous connoiffons tant nous autres & que
nous diftinguons à leurs talons rouges , &
à l'élégance de leur coëffure.
Ce point de Chronologie eft plus important
qu'on ne penfe , & je me propoſe
de le développer davantage dans un petit
ouvrage que je publierai inceffamment &
qui aura pour titre : Hiftoire naturelle d'un
infecte appellé Petit- Maitre avec les moyens
de s'en préferver.
Ce que je remarque en fecond lieu , c'eſt
l'épithète d'Ineptus. On ne comprend pas
à préfent qu'elle puiffe convenir à un galant
homme tel que Rufillus eft défigné
par ce mot : Paftillos olet. Tout au contraire
, nos petites Maîtreffes & nos Agréables
ne manqueroient pas d'en qualifier
tout homme affez peu élégant pour
pas parfumé de la tête aux pieds.
n'être
Il faut donc fe fouvenir que les moeurs
de ce temps- là étoient bien différentes des
nôtres , & conféquemment moins eftimables.
Ne vivons -nous pas au dix- huitiéme
fiécle , où l'on est enchanté de tout , où
tout eft du dernierparfait, du dernier goût
du dernier beau & c ?
Quidfaciam ? Præfcri • Quiefcas.
68 MERCURE DE FRANCE
Il y a en France trois ou quatre mille
Faifeurs de Romans , de Gazettes , de Profe,
de Vers , à qui le goût & le Public , ce qui
eft prèfque la même chofe , répétent tous
les jours ce mot d'Horace : Quiefcas ; &
il n'en eft aucun qui le comprenne. Les
gens de ma Province ont fur cela un Proverbe
admirable. Il n'y a point de plus
mauvaisfourd que ceux qui ne veulent pas
entendre.
Moi , qui ne fuis pas fourd & qui veux
entendre , je me tais. Je trouve que j'ai
bien affez parlé . Plût à Dieu que le Public
ne trouve pas que j'aye parlé trop !
A Lyon, L. P.
JUILLET. 1761
MÉLANGES DE
PHYSIQUE,
ET DE MORALE ,
Contenant l'Extrait de l'Homme Phyfique
& Moral , des Réfléxions fur le Bonheur
, un Difcours fur la nature & le.
fondement du Pouvoir Politique , & un
Mémoirefur le Principe Phyfique de la
Régénération des Etres. A Paris , chez
H. L. Guérin & L. F. Delatour.1761.
Avec Approbation & Privilége du Roi,
POUR OUR faire connoître au Public l'Ou
vrage que nous lui annonçons , nous nous
fervirons des propres termes de l'Editeur ;
Voici comme il s'exprime aù commencement
de fa Préface. » L'Auteur des diffé-
» rens traités que je publie, eft un Méde-
» cin célébre , qui a longtemps exercé fa
profeffion . & qui l'a illuftrée par plus
d'un excellent Ouvrage . Les idées neu-
» ves & utiles qu'il préfente ici , les pré-
» ceptes importans qu'il donne , ne font
» que le développement naturel & l'application
heureufe des principes généraux
qu'il a pofés pour fondement de fon
39
39
29
70 MERCURE DE FRANCE.
se
»nouveau plan de l'Economie Animale .
» Telle eft la force & la fécondité de ces
Principes , qu'ils fe plient avec la même
» aifance au Phyfique & au Moral des ac-
» tions humaines , qu'ils embraffent auffi
» naturellement leurs divers Phénomènes ,
& qu'ils manifeftent clairement leur
» cauſe commune , leurs dépendances
» mutuelles & leurs rapports récipro-
» ques.
Les Obfervations dont la découverte
de ces Principes & le réfultat , les preuves
qui les conftatent, les principales conféquences
qui en réfultent, fe trouvent détaillées
dans deux Ouvrages de l'Auteur
qui ont précédé celui - ci , l'un écrit en Latin
: Inftitutiones Medica ex novo Medicina
confpectu , l'autre en François : IDÉE DE
L'HOMME PHYSIQUE ET MORAL. Ces Prin
cipes appliqués aux fonctions , donnent
à la Médecine une Théorie générale qui
lui manquoit. Mais comme les différens
Journaux ont fait connoître dans le temps
ces deux Ouvrages fi utiles , nous nous
bornerons à parler ici des Réflexions fur
Le Bonheur & du Difcours fur le Pouvoir
Politique , qui paroiffent pour la première
fois , & qui d'ailleurs font plus à la
portée du plus grand nombre de nos Lecteurs
.
JUILLET. 1761 : 75
RÉFLEXIONS SUR LE BONHEUR.
L'objet qu'il nous importe le plus de
connoître & de bien approfondir , c'eft
l'Art de fe rendre heureux autant qu'on
peur fe propofer de l'être ; cet Art eft cependant
fi ignoré , qu'à peine convient- on
qu'il existe : les feules fources où il eft poffible
de le puifer, font les liaiſons du Moral
avec le Phyfique . Hippocrate & Socrate
ne les ont pas ignorées ; mais quant au
méchaniſme de ces rapports , & à l'aſpect
fous lequel il falloit confidérer ce méchanifme
, ni eux , ni leurs Sectateurs n'en
ont eu aucune jufte idée. Vanhelmont a
plutôt écrit en vifionnaire qu'en Médecin .
L'Auteur de ces Mélanges eft le premier
qui ait découvert les vraies Loix de l'Economie
Animale. Il part d'un principe
qu'on ne peut lui contefter: c'eft que l'Art
de fe rendre heureux tient effentiellement à
l'Art de vivre & d'employer à propos tous
les moyens de foutenir la vie . Selon lui, le
Bonheur ne paroît une chimère, que parce
qu'il a été jufqu'ici mal défini . En ne le
confidérant que relativement à l'influence
néceffaire de l'exercice plus ou moins libre
des fonctions du corps fur les affections
de l'âme , c'est l'Art d'acquérir & de
conferver le meilleur fentiment poffible de
72 MERCURE DE FRANCE.
notre existence. le Bonheur n'eft donc que
la jouillance de tout ce qu'on fait à propos
phyfiquement & moralement pour le
foutien de la vie ; ainfi il ne peut être le
partage de ceux qui ne vivent qu'à l'aventure
& qui ne font pas affez éclairés pour
favoir vivre autrement.
On voit par là combien il eft éffentiel
d'avoir une bonne méthode : les hommes
fe portent par leur nature à ce qu'ils
voyent clairement devoir faire leurs avantages,
& fuyent ce qu'ils favent devoir leur
nuire. Il n'auroit donc fallu qu'une expérience
fouvent répétée de ces avantages
& de ces inconvéniens, pour que les hommes
, quels que foient les effets réels des
divers climats & des diverfes complexions
, fuffent très -différens de ce qu'ils
font ; mais jufqu'à préfent cette condition
fi éffentielle d'une expérience bien éclairée
étoit impoffible à remplir, parce qu'on
manquoit des connoiffances néceffaires à
la jufte évaluation de nos rapports avec
les divers objets de nos befoins . L'Auteur
rappelle ici en peu de mots , la manière
dont eft expofé le jeu de l'Economie Aninale
dans l'Homme Phyfique & Moral. Il
établit qu'aucune fenfation faite dans le
cerveau ne peut devenir un fentiment ,
qu'autant que ces vibrations fe font éten
dues
JUILLET. 1761 . 73
dues jufqu'au centre diaphragmatique ;
d'où il conclut que c'eft principalement de
l'état plus ou du moins libre du jeu du Dia.
phragme que dépend l'effet des fenfations,
& par conféquent le fentiment plus ou
moins favorable de notre exiftence . Les
obſtacles les plus communs à l'action de la
tête , fi néceffaire pour contrebalancer la
réaction de l'eftomac & des inteftins , font
l'ennui , les craintes , les trop fortes conténtions
d'efprit.
L'ennui eft une véritable diminution de
vie , un état dans lequel la tête manque
d'un effet fuffifant des caufes qui déterminent
fon action ..... Lorfque l'ame eft
frappée de quelque danger , l'action de
la tête eft d'abord fufpendue & par conféquent
celle du diaphragme.... L'état
de profonde réflexion eft femblable à peuprès
à celui de la crainte , lorfqu'il n'y eft
point queftion de faire emploi des forces
mufculaires , il n'en différe que par le degré.
Amefure que la contention devient
exceffive elle doit porter des obftacles au
jeu de l'Economie Animale. Ainfi l'état
de crainte & de réflexion doit prendre fur
l'activité du corps à proportion qu'il dérange
l'économie de fes principaux organes
; or s'il eft vrai , comme on n'en peut
raifonnablement douter , que notre bon-
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
heur ne foit que le meilleur fentiment poffible
de notre exiftence , ou le fentiment le
plus complet de notre activité , l'Auteur
par les défordres de l'Economie Animalę
qu'il expofe , fait voir combien un état
habituel de crainte , & de réflexion doit Y
être nuifible. L'état de délire par ivreſſe
ou par maladie , les rêves , les divers jugemens
que felon les diverfes difpofitions
de notre corps nous portons fur les mê
mes objets , tout nous prouve à quel point
la plupart des acquiefcemens de l'ame dépendent
de la difpofition des Organes.
L'Auteur remarque encore que l'état habituel
de crainte & de réflexion n'eſt pas
la feule caufe qui faffe perdre aux orga
nes de la région diaphragmatique la foupleffe
qui leur eft néceffaire , & que tous
les défauts de régime , à les prendre la
plupart dès l'enfance , même dès le ber
ceau , doivent à la longue produire.leş
mêmes effets . L'efpèce d'irritation fourde
& de vicieufe fenfibilité que le défaut de
foupleffe de ces organes ne peut manquer
de produire , devient dans une infinité de
perlonnes , qui ne s'en doutent feulement
pas , la caufe d'un fond habituel d'inquiétude
fans aucun fujet , de ces goûts auffi
vifs que paffagers , enfin de toute forte
de paffions ou de fâcheufes illufions....
JUILLET. 1761 . 75
Lorfque ces objets manquent ou qu'on
eft ufé pour eux , ou qu'on croit devoir fel
les interdire , c'eft un hypocondriaciſme
infurmontable , formé par le doute perpétuel
où les perfonnes font de leur exiftence,
à cauſe du peu de fentiment qu'elles
éprouvent de leur activité. Les moindres
effets de cet état hypocondriaque , font
une vie timide , & par conféquent en proie
à toutes les illufions & à toutes les craintes,
parce que l'ame eft affectée comme fi les
objets étoient réels. Nous fommes fàchés
que les bornes d'un extrait nous empêchent
de luivre Auteur dans tous
ces détails fi intéreffans pour l'humanité.
C'est ici que ce favant Medecin
prouve qu'il ne connoît pas moins bien la
caufe , & les effets des maladies de l'ame
que de celles du corps
& que les premières
ne font peut être pas moins dangerenfes
que les autres. Cette expérience
ne fe peut prendre que dans le grand
monde où ces maladies , ignorées du peu
ple qui travaille , font les fuites de l'oifiveté
& des autres vices qui accompagnent
les richefles. Pour les foutiens convenables
de cette activité fi éffentielle à la vie ,
nous devons tendre fans ceffe ou d'iiéé
ou d'action à quelque objet qui nous intéreffe.
Nous lommes portés à dot.r de
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
notre exiſtence felon que nous manquons
de la difpofition ou d'objets qui nous la
font éprouver favorablement. C'eſt à ce
fujet que l'Auteur fait voir clairement l'utilité
morale des Sciences & des beaux
Arts, & par conféquent l'importance dont
il eft , principalement pour les bonnes
moeurs , que le goût des belles connoiffances
foit répandu. Ainfi fans fe l'être,
propofé , cet Auteur fi eftimable fait ſentir
par l'évidence de fes principes tout le
faux , & tout le ridicule de ces Paradoxes
bizarres qu'ont avancé contre les Sciences
l'orgueil d'une fauffe Philofophie , l'envie
de faire du bruit & l'efprit de fingularité..
Nous vivons au moins autant de defirs &
d'occupations que du pain que nous mangeons
& de l'air que nous refpirons : fans
les fenfations qui nous viennent continuellement
des objets de nos befoins &
de nos defirs , la tête n'auroit pas à beaucoup
près le reffort néceffaire pour entretenir
, & contrebalancer comme il convient
, le reffort & l'action de tous les autres
organes . C'eſt une vérité que l'on expofe
ici dans tout fon jour & qui juſqu'à
préfent n'avoit été que fuperficiélement
apperçue. Les hommes en général courent
au plaifir , comme à l'état le plus favorable
de leur éxiftence ; ils favent néanmoins
que
leurs plaifirs ne font dans le
JUILLET. 1761 : 77
1
fonds que les enfans de leurs befoins :
mais , fi le bonheur n'eft que l'Art de s'affurer
du meilleur fentiment poffible de notre
exiftence, les plaifirs ne peuvent être
confidérés que comme un ingrédient du
Bonheur , comme une des caufes éffentielles
au foutien de la vie. Cette caufe
produiroit même un effet contraire à fa
nature à proportion que l'ufage en feroit
éxceffif ou mal placé. Le plaifir n'eft produit
que par un plus parfait accord du
jeu de l'Economie Animale , c'eft une efpéce
d'uniffon d'autant moins durable
qu'il eft extrême, parce qu'il fufpend prèfqu'entiérement
l'action propre de tous les
organes. Cela feul prouve , indépendemment
de l'expérience , que les plaifirs vifs
deviennent pernicieux felon qu'ils font fréquens.
L'ambition elle - même eft un des
plus grands obftacles au bonheur. L'homme
eft naturellement dans un état craintif
parce qu'il ne renferme point en lui les
caufes de fon éxiſtence ; ſa ſubſiſtance l'inquiéte
, de là il fait des efforts continuels
pour tout envahir s'il eft poffible . Ainfi
l'ambition dans fon principe n'eft qu'un
fentiment d'inquiétude , qui le plus fouvent
ne fe forme que par les fuites de nos
préjugés fur les caufes du bonheur. L'am◄
bitieux ne s'apperçoit pas qu'avec ce tu-
Diij'
78 MERCURE DE FRANCE.
multe de defirs & de crainte dont il eft .
toujours agité , il ne fait dans le fond que
donner pâture à fon inquiétude , fous le
prétexte d'augmenter ou d'étayer fon éxiftence.
Au contraire, un homme d'un fens
droit & bien éclairé connoît fes devoirs
& les remplit avec un fuccès & un plaifir
qui ne peuvent manquer de s'augmenter
l'un par l'autre : de là un fonds de fatisfaction
qui flatte à remplir bien autrement
que les plus agréables fenfations de
toute autre efpéce. Il n'eft point en peine
de l'emploi & du renouvellement de fon
activité, chofe fi embaraffante pour la plûpart
des hommes.... La modération eft une
efpéce de théorie, qui fans ſpécifier les raifons,
forme à peu près l'art de vivre, commel'art
de vivre parvient à fon tour à donner
cette modération à ceux qui ne l'ont
pas par caractère.... L'Art d'être heureux
ne fauroit donc être que l'efprit de modération
& l'attention éclairée qui nous
fait ufer à propos des caufes de la durée
de la vie , & entretenir par là cet ordre
d'action & de réaction . Cette attention
foutenue & éclairée à remplir fes devoirs
de toute espéce , eft la fource la plus féconde
& la caufe la plus affurée de fenfations
, & de mouvemens propres à faJUILLET.
1761 .
79
vorifer l'harmoniephyfique
du corps . L'effet
de toutes ces fenfations agréables , réduit
à fa valeur phyfique , n'eft qu'un or
dre plus parfait du jeu réciproque du Dia
phragme & de la maffe inteftinale , puifque
le bonheur confidéré , comme il doit
Pêtre , n'eft qu'un fentiment favorable de
notre éxiftence , toujours produit & renouvellé
par une harmonie de fenfations qui
réfulte de l'ufage bien réglé des cauſes de
la vie.
Nous avions déjà de deux de nos Philofophes
François , des plus célébres , des
Traités fur le Bonheur. M. de Fontenelle ,
qui eft le premier , a fi bien pratiqué ce
qu'il a enfeigné aux autres , que par le cours
d'une vie réglée & tranquille il eft parvenu
à la plus grande vieilleffe fans en
avoir prèfque connu les infirmités . A la
modération , cette efpéce de théorie dont
nous avons parlé & qui faifoit fon caractère
, il a joint toutes les lumières de la
Philofophie : mais quelque poids qu'une
fi heureuſe expérience ajoute à fes réflexions
, il en convient lui - même dans
će qu'il a écrit : C'est la Sageffe qui prêche
dans le défert une petite troupe d' Auditeurs
qu'elle a choifis , parce qu'ils favoient déjà
une bonne partie de ce qu'elle peut leur
apprendre,
Div
So MERCURE DE FRANCE.
M. de Maupertuis , né moins heureufement
que M. de Fontenelle , &
& que fes
amis ( car il méritoit d'en avoir ) ont fouvent
plaint dans le temps que fes ennemis
l'ont le plus envié, M. de Maupertuis,
eft le fecond qui a entrepris de traiter du
Ponheur. Comment pouvoit - il l'enfeigner
? il ne l'a jamais connu . Il ne paroît
pas par fes calculs qu'il foit donné a la
Géométrie de le trouver. Nous enfeignera-
t- on l'Art d'être heureux en nous prouvant
que perfonne ne peut l'être ? le trifte
emploi pour la Philofophie que celui d'affliger
toujours l'humanité en pure perte !
L'Auteur des Réflexions Nouvelles eft
plus confolant , & que M. de Maupertuis
& que M. de Fontenelle lui - même. Ce
n'eft pas à un petit nombre de Sages qu'il
s'adreffe , c'eft à tous les Etres capables
de penfer & de réflechir. D'ailleurs il a
fur l'un & l'autre l'avantage de nous apprendre
des chofes que nous ne favions.
pas , & qu'il nous importe à tous de connoître.
On a vu que c'eft un Phyficien qui
démontre la néceffité de ce que tant de
Philofophes ont entrepris inutilement de
nous perfuader. On peut trouver la Morale
arbitraire , mais on ne peut fe refufer
à l'évidence des principes Phyfiques.
Nous favions bien tous que les fources de
JUILLET. 1761 .
81
' notre bonheur font au - dedans de nousmêmes
; ce Médecin Philofophe nous en
découvre le principal canal en éclairant
du flambeau de l'Anatomie , tout le jeu
de l'Economie Animale. Il nous fait voir
que pour vivre heureux ( & l'honnête
homme feul peut l'être ) rien n'eft fi éffentiel
que d'entretenir dans un jufte équilibre
le jeu refpectif du principal centre de
notre activité ; & il nous en indique les
moyens bien autrement préfentés & évalués
qu'ils ne l'avoient été jufqu'à préfent.
Il étoit réſervé à la faine Philofophie
de ce Siécle de tirer des connoiffances
Phyfiques , les inftructions les plus
propres à faire germer & fructifier les
Préceptes de la Morale.
Nous donnerons au prochain Mercure
l'Extrait du Difcours fur la nature & le
fondement du pouvoir Politique.
LETTRE de M. DE VOLTAIRE.
SIC YOS
IC vos non vobis. Dans le nombre
immenfe de Tragédies , Comédies, Opéra-
Comiques , Difcours Moraux & Facéties
au nombre d'environ cinq cent mille qui
-font l'honneur éternel de la France , on
vient d'imprimer une Tragédie fous mon
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
nom , intitulée Zulime ; la Scène est en
Afrique. Il eft bien vrai qu'autrefois
ayant été avec Alzire en Amérique ; je
fis un petit tour en Afrique avec Zulime
avant d'aller voir Idamé à la Chine :
mais mon voyage d'Afrique ne me réuffit
point. Prèfque perfonne dans le Parterre
ne connoiffoit la ville d'Arfénie qui étoit
be lieu de la Scène ; c'eft pourtant une Colonie
Romaine nommée Arfenaria , &
c'eft encore par cette raiſon- là qu'on ne
la connoiffoit pas.
Trémizène eſt un nom bien fonore, c'eſt
un joli petit Royaume, mais on n'en avoit
aucune idée ; la Piéce ne donna nulle envie
de s'informer du giffement de ces Côtes.
Je retirai prudemment ma flotte ; &
que defperat tractata nitefcere poffe relinquit.
Des Corfaires fe font enfin faifis de
la Pićce & l'ont fait imprimer ; mais par
droit de conquête ils ont fupprimé deux
ou trois cent vers de ma façon & en ont
mis autant de la leur : je crois qu'ils ont
très -bien fait ; je ne veux point leur voler
leur gloire , comme ils m'ont volé mon
ouvrage. J'avoue que le dénoûment leur
appartient , & qu'il eft auffi mauvais que
l'étoit le mien : les Rieurs auront beau
jeu , car au lien d'avoir une Piéce à fiffler
, ils en auront deux.
JUILLET. 1761. 83
Il eft vrai que les Rieurs feront en petit
nombre , car peu de gens pourraient
lire les deux Piéces ; je fuis de ce nombre ;
& de tous ceux qui prifent ces bagatelles
ce qu'elles valent , je fuis peut- être celui .
qui y met le plus bas prix. Enchanté des
chefs d'oeuvres du fiécle paffé autant que
dégoûté du fatras prodigieux de nos médiocrités
, je vais expier les miennes en
me faifant le Commentateur de Pierre
Corneille. L'Académie a agréé ce travail ;
je me flatte que le Public le fecondera ,
en faveur des héritiers de ce grand nom.
Il vaut mieux commenter Heraclius
que de faire Tancréde , on rifque bien
moins. Le premier jour que l'on joua ce
Tancréde , beaucoup de Spectateurs étoient
venus armés d'un manufcrit qui couroit
le monde , & qu'on affuroit être mon ouvrage
; il reffembloit à cette Zulime.
C'eft ainfi qu'un honnête Libraire "
nommé Goffe , s'avifa d'imprimer une
histoire générale qu'il affuroit être de
moi, & il me le foutenoit à moi-même :
il n'y a pas grand mal à tout cela :
quand on véxe un pauvre Auteur , les
dix-neuf vingtiémes du Monde l'ignorent
, le reste en rit , & moi auffi . Il y a
trente à quarante ans que je prenois férieufement
la chofe. J'étois bien fot !
Adieu , je vous embraffe . D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
COLLECTION de différentes Piéces, concernant
la Chirurgie , l'Anatomie , & la
Médeciné Pratique , extraites principalement
des Ouvrages étrangers. Tome
Premier. In- 12 . Paris , 1761. Chez le
Beton , Imprimeur ordinaire du Roi, rue
de la Harpe.
DUCHESNE , Libraire à Paris , rue faint
Jacques , au Temple du Goût , met en
vente trois volumes de Supplément au
DICTIONNAIRE GÉNÉALOGIQUE de toutes
les Maifons de France & des principales.
des Pays Étrangers , Contenant de nouveaux
Mémoires avec les corrections , additions
& augmentations néceſſaires aux
trois premiers publiés en 1757. Ces trois
nouveaux volumes fe vendent 13 i . 10 f.
brochés.
Le même Libraire donnera tous les
ans , & à commencer au mois de Janvier
1762 , dans un petit volume portatif , le
Calendrier des Princes & de la Nobleffe ,
ne contenant que l'état actuel des familles
nobles de France . Elles font priées
de lui donner avis ( franc de port ) des
changmens qui arriveront chaque année
, fçavoir , mariages , naiffances &
morts,
JUILLET. 1761. 8,
. Avis des Libraires affociés , touchant
la Soufcription propofée pour la Collection
des OEuvres de M. le Chancelier d'AGUESSEAU
, en plufieurs volumes in- 4 ° .
Le nom feul de l'illuftre Magiftrat ,
fçavant en tout genre de Littérature , qui
eft à la tête de cette Collection , fait l'éloge
de l'Ouvrage entier ; & l'on ne craint
pas d'ajouter , que les différentes Piéces
dont elle fera compofée , à en juger par
le premier Volume que nous préfentons
au Public , font autant de Chefs - d'oeuvres
qui peuvent faire regarder leur Auteur
comme le Démosthène & le Cicéron de la
France. Les Maîtres d'Eloquence & les
Jurifconfultes y trouveront partout des
modéles , & fouvent d'utiles leçons . On
y verra le portrait du grand Homme
tracé , pour ainfi dire , d'après nature ,
foit pour le coeur , foit pour l'efprit &
pour les connoiffances. Enfin , les gens
de Lettres de tout état , trouveront l'agréable
qui flatte , le fublime qui tranfporte
, & l'utile qui inſtruit .
Il ne nous eft pas poffible de déterminer
, quant à préfent , le nombre des Volumes
que contiendra cette Collection .
Quoiqu'il en foit , chaque Volume aura
au moins Quatre-vingt feuilles d'impreffion
, des mêmes Caractères & Papier que
86 MERCURE DE FRANCE..
ce premier Volume ; & l'on peut promettre
la plus grande exactitude , & la correction
la mieux entendue .
Ceux qui voudront foufcrire , en recevant
le premier Volume payeront , tant
pour ledit Volume que pour le fuivant
la fomme de Dix- huit livres , qui eſt à
raifon de Neuf livres chaque Tome en
feuilles pour les Soufcripteurs. En retirant
le fecond , il fera payé Neuf livres pour le
troifiéme, & ainfi fucceffivement ; & l'on
n'aura rien à payer pour retirer le dernier
Volume.
Nous avertiffons que l'on ne recevra
des Soufcriptions que jufqu'à la livraiſon
du fecond Volume .
Le premier Volume fe diftribue maintenant.
Le fecond fe délivrera aux Soufcripteurs
le premier Septembre prochain ;
le troifiéme au premier Mars 1762 ; &
les fuivans s'imprimeront confécutivement
fans interruption.
Les perfonnes qui voudront foufcrire ,
pourront s'adreffer à Paris chez Defaint &
Saillant , rue S. Jean de Beauvais , Jean-
Thomas Hériffant , rue S. Jacques , Savoye
, rue S. Jacques , Simon , Imprimeur ·
du Parlement , rue de la Harpe, Durand,
fue du Foin Saint Jacques. 1761 .
JUILLET. 1761 .
87
BIBLIOTHEQUE choifie de Médecine
tirée des Ouvrages périodiques , tant
François qu'Etrangers , avec plufieurs Pićces
rares , & des Remarques utiles & curieufes.
Avec un très- grand nombre de
Figures gravées en Taille - doce. Par M.
Planque , Docteur en Médecine.
L'objet de l'Auteur , en formant ce
Corps d'Ouvrage , a été de raffembler les
plus excellens morceaux qui regardent
toutes les parties de la Médecine. Les
fources où il a puifé font les Journaux
& les Recueils que publient chaque années
les Sociétés fçavantes de l'Europe. Il
a fait revivre un grand nombre de pièces
intéreffantes , qui noyées dans une infinité
d'autres piéces de différens genres, étoient
inconnues & perdues pour la Médecine.
Ce ne font point des productions mifes
au jour pour fonder le goût du Public ; ce
font des Obfervations rares & fingulières,
qui font le fruit des veilles & de l'expérience
des Génies les plus confommés
dans la Science de la Médecine & de la
Phyfique : Ce font des Differtations fçavantes
, qui n'ayant point affez d'étendue
peur former un Volume , ont pris place
dans la récolte précieufe des Journaux.
La feconde fource où l'Auteur a puifé ,
n'eft pas moins précieufe ; ce font les cé
88 MERCURE DE FRANCE.
lébres Académies qui ont répandu dans
l'Europe des tréfors ineftimables. Les Mémoires
qui en fortent , font d'autant plus
parfaits, que les Auteurs font très - éclairés
& très- verfés dans les matières qu'ils
traitent ; car chaque Membre de ces Académies
ont pour objet de leur application
, une des parties de la Médecine ,
comme l'Anatomie, la Chirurgie , la Chymie
, la Botanique , & c . D'ailleurs, les fecours
qu'ils empruntent de leurs Collégues
, ne contribuent pas peu à perfectionner
leur Ouvrage ; car les Sciences
Le prêtent mutuellement la main , & ont
entr'elles une liaifon réciproque Par
exemple , fans la Phyfique & la Méchanique
, l'Anatomie feroit peu utile dans
l'Art de guérir. Qu'apprend-t- on en difféquant
un cadavre ? On voit des os , des
tendons , des mufcles , des glandes , du
fang, des poumons & un coeur ? Mais un
Anatomifte , avec les yeux d'un Méchanicien
, apperçoit des colonnes , des cordages
, des coins , des leviers , des poulies,
des foufflets , des tuyaux, des liqueurs
qui y coulent , & un pifton qui les pouffe.
En admirant les phénomènes qu'il voic
dans la machine vivante , il reconnoît
qu'ils n'ont d'autres principes , que le jeu
l'activité de fes refforts ; parce qu'il ſair
JUILLET. 1761 89
que tout étant vivant , tout y doit être en
action ; que la moindre fibrile a fon reffort
, que la moindre particule a fon mouvement
; & que c'eft de ces mouvemens
réunis , que procéde ce concert d'actions ,
cet équilibre , cette harmonie qui conftitue
l'intégrité de l'économie animale . En
effet , fans ces connoiffances on ne fauroit
faire des progrès dans l'Art de guérir ;
on ne peut rétablir ce qui eft défectueux
dans l'homme , fans connoître les fecrets
refforts de la machine vivante , fans appercevoir
leur rapport & leur liaifon .
Lorſqu'on eft éclairé par la Phyfique ,
& par les Mathématiques , dont plufieurs
parties font néceffaires au progrès de la
Médecine , comme la Géométrie , la Méchanique
, l'Hydroftatique , l'Hydraulique,
l'Optique ; lorfqu'on connoît la ftructure
du corps , la forme , la fituation , l'ufage
& les fonctions des parties par rapport à
la vie & à la fanté ; ces lumières conduifent
à la connoiffance du dérangement de
la machine ; on eft en état de juger de la
grandeur des défordres qui s'y font , &
l'on fe trouve à portée de proportionner
les moyens de les détruire. Mais la méthode
générale , fans le fecours des expériences
& des obfervations , ne peut faire
un Praticien parfait. L'hiftoire exacte des
gó MERCURE DE FRANCE.
maladies fait découvrir les fecrets de la
nature , fait connoître la force , la vertu
& l'ufage des remédes , & guide dans la
façon de les adminiftrer , & de les dif
penfer ; auffi n'y a- t-il pas d'ouvrage plus
utile en Médecine que les Obfervations .
Mais combien de talens , combien de
connoiffances ne faut- il pas pofféder , pour
donner des Obfervations exactes & folides
Ce n'est que des Sociétés fçavantes
, qui réuniffent dans leurs Membres
toutes ces connoiffances , ou de quelques
Particuliers qui ont fait une étude conftante
& fuivie de certains points de la
Médecine , qu'on peut attendre de pareilles
productions ; & ce qui achève de
prouver la folidité des Mémoires des Académiciens
, c'eft que quoiqu'on puiffe
compter fur la vigilance & l'exactitude
de chaque Membre en particulier, il n'en
fort point de pièce , qu'elle n'ait été lue
& examinée dans leurs Affemblées , & que
la Compagnie n'air donné fon confentement
pour l'impreffion . Peut- il échapper
tien de défectueux à des yeux fi clair-
Voyans ?
Ce font ces Matériaux précieux qui for
ment le Corps de la Bibliothéque choifie
de Médecine. La plupart des piéces font
fuivies de Remarques curieufes qu'on a tiJUILLET.
1761 . ១ ៛
rées des meilleurs Praticiens , & qui com
battant & confirmant le fentiment de l'Auteur,
ne fervent pas peu à l'éclairciffement
de la matière.
On peut donc dire avec affurance , que
la Bibliothéque choifie de Médecine n'a
pas besoin d'autre éloge , pour en faire
connoître l'avantage & même la néceffité
, que d'annoncer les deux fources d'où
on l'a tirée ; que ce font des morceaux
rares , recherchés , intéreffans , enfantés
par les plus grands génies de leur fiécle ;
que ce font des Mémoires nés aux acclamations
de tout le monde fçavant ; que
cette Collection épargne le temps fi précieux
à ceux qui s'appliquent aux Scien
ces ; qu'elle ménage la peine des recher
-ches que cchhaaccuunn nn''aa pas occafion de faifurtout
dans les Provinces ; & que
l'acquifition en eft facile. Ne peut - on
pas fe flatter que cet Ouvrage paroiffant
au jour muni dé fi excellentes & de fi
fûres prérogatives , fera reçu favorablement
?
A
On l'a terminé par deux Tables ; une
- des Titres des Piéces , dans le même ordre
qu'elles font dans les originaux , avec
le chiffre à la marge , qui indique la page
où elles font placées dans la Bibliothéque
choifie ; l'autre eft une Table raiſon96
MERCURE DE FRANCE.
nature ,
maladies fait découvrir les fecrets de la
fait connoître la force , la vertu
& l'ufage des remédes , & guide dans la
façon de les adminiftrer , & de les dif
penfer ; auffi n'y a- t-il pas d'ouvrage plus
utile en Médecine que les Obfervations .
Mais combien de talens , combien de
connoiffances ne faut- il pas pofféder,pour
donner des Obfervations exactes & folides
? Ce n'est que des Sociétés fçavantes
, qui réuniffent dans leurs Membres
toutes ces connoiffances , ou de quelques
Particuliers qui ont fait une étude conf
tante & fuivie de certains points de la
Médecine , qu'on peut attendre de pareilles
productions ; & ce qui achève de
prouver la folidité des Mémoires des Académiciens
, c'eft que quoiqu'on puiſſe
compter fur la vigilance & l'exactitude
de chaque Membre en particulier, il n'en
fort point de pièce , qu'elle n'ait été lue
& examinée dans leurs Affemblées , & que
la Compagnie n'ait donné fon confentement
pour l'impreffion . Peut- il échapper
rien de défectueux à des yeux fi clairvoyans
?
- Ce font ces Matériaux précieux qui for
ment le Corps de la Bibliothéque choifie
de Médecine. La plupart des piéces font
fuivies de Remarques curieufes qu'on a tiJUILLET.
1761. ១ ៖
rées des meilleurs Praticiens , & qui com
battant & confirmant le fentiment de l'Adteur,
ne fervent pas peu à l'éclairciffement
de la matière .
On peut donc dire avec affurance , que
la Bibliothéque choifie de Médecine n'a
pas besoin d'autre éloge , pour en faire
connoître l'avantage & même la néceffité
, que d'annoncer les deux fources d'où
on l'a tirée ; que ce font des morceaux
rares , recherchés , intéreffans , enfantés
par les plus grands génies de leur fiécle ;
que ce font des Mémoires nés aux acclamations
de tout le monde fçavant ; que
cette Collection épargne le temps fi pré
cieux à ceux qui s'appliquent aux Scien
ces; qu'elle ménage la peine des recher
-ches que chacun n'a pas occafion de fai-
-re , furtout dans les Provinces ; & .que
J'acquifition en eft facile. Ne peut - on
pas fe flatter que cet Ouvrage paroiffant
au jour muni de fi excellentes & de fi
fûres prérogatives , fera reçu favorablement
?
On l'a terminé par deux Tables ; une
des Titres des Piéces , dans le même ordre
qu'elles font dans les originaux , avec
le chiffre à la marge , qui indique la page
où elles font placées dans la Bibliothéque
choifie ; l'autre eft une Table raiſon90
MERCURE DE FRANCE.
maladies fait découvrir les fecrets de la
nature , fait connoître la force , la vertu
& l'ufage des remédes , & guide dans la
façon de les adminiftrer , & de les dif
penfer ; auffi n'y a- t- il pas d'ouvrage plus
utile en Médecine que les Obfervations.
Mais combien de talens , combien de
connoiffances ne faut- il pas pofféder, pour
donner des Obfervations exactes & folides
Ce n'eft que des Sociétés fçavantes
, qui réuniffent dans leurs Membres
toutes ces connoiffances , ou de quelques
Particuliers qui ont fait une étude conf
tante & fuivie de certains points de la
Médecine , qu'on peut attendre de pareilles
productions ; & ce qui achève de
prouver la folidité des Mémoires des Académiciens
, c'est que quoiqu'on puiffe
compter fur la vigilance & l'exactitude
de chaque Membre en particulier, il n'en
fort point de pièce , qu'elle n'ait été lue
& examinée dans leurs Affemblées , & que
la Compagnie n'air donné fon confentement
pour l'impreffion . Peut- il échapper
rien de défectueux à des yeux fi clairvoyans
!
Ce font ces Matériaux précieux qui for
ment le Corps de la Bibliothéque choifie
de Médecine. La plupart des piéces font
fuivies de Remarques curieufes qu'on a ti
JUILLET. 1761 : 97
rées des meilleurs Praticiens , & qui com
battant & confirmant le fentiment de l'Adteur,
ne fervent pas peu à l'éclairciffement
de la matière.
On peut donc dire avec affurance , que
la Bibliothéque choifie de Médecine n'a
pas besoin d'autre éloge , pour en faire
connoître l'avantage & même la néceffité
, que d'annoncer les deux fources d'où
on l'a tirée ; que ce font des morceaux
rares , recherchés , intéreffans , enfantés
par les plus grands génies de leur fécle ;
que ce font des Mémoires nés aux acclamations
de tout le monde fçavant ; que
cette Collection épargne le temps fi précieux
à ceux qui s'appliquent aux Scien
ces ; qu'elle ménage la peine des recher
-ches que chacun n'a pas occafion de faire
, furtout dans les Provinces ; & .que
J'acquifition en eft facile. Ne peut - on
pas fe flatter que cet Ouvrage paroiffant
au jour muni de fi excellentes & de fi
fûres prérogatives , fera reçu favorablement
?
On l'a terminé par deux Tables ; une
des Titres des Piéces , dans le même ordre
qu'elles font dans les originaux, avec
le chiffre à la marge , qui indique la page
où elles font placées dans la Bibliothéque
choifie ; l'autre eſt une Table raiſon32
MERCURE DE FRANCE.
née des matières qui font contenues dans
cette Collection .
On a confulté la commodité du Publié
en imprimant cet Ouvrage fous deux for
mes in-4° . & in - 12 . On a cru auffi le
rendre plus commode en rangeant les
matières du Corps de l'Ouvrage par or
dre alphabétique
.
Il y a au jour fix Volumes in- 4 ° . le
feptiéme fous preffe ; & dix - huit Volu
mes in- 1 2. le dix-neuviéme & les fuivans
font fous preffe .
Ce Livre s'imprime & ſe vend à Paris
chez la Veuve d'Houry , Imprimeur-Libraire
de Mgr le Duc d'ORLÉANS , rue
S. Severin , près la rue S. Jacques.
CÉRÉMONIES & Coutumes Religieuſes
de tous les Peuples du monde , ornées de
254 Planches déffinées & gravées par
Bernard Picard , neuf Volumes in-folio ,
& Superftitions anciennes & modernes :
Préjugés vulgaires qui ont induit les Peuples
à des ufages & à des pratiques contraires
à la Religion , deux Volumes infolio
, avec des Figures qui repréfentent
ces pratiques . Onze Vol. in - fol. propofés
par foufcription.
L'Hiftoire générale des Cérémonies ,
Mours &CoutumesReligieufes eft un fujet
JUILLET. 1761 . 93
auffi vafte qu'intéreffant , & qui dans l'éxécution
ne pouvoit manquer de devenir
infiniment amufant & inftructif. Il ne fe
borne pas à certain Peuple en particulier ;
il embraffe tous les divers fyftêmes de Religion
qui partagent les différentes Nations
de la terre . L'Indien & l'Européen ,
le Négre du Congo , comme le Sauvage
du Canada , le Juif & le Mahométan , le
Chrétien & l'Idolâtre , le Catholique &
le Proteftant entrent néceffairement dans
ce plan , & doivent y paffer fucceffivement
en revue. Aucun Peuple connu , aucune
Secte , quelque obfcure qu'elle foit ,
n'y eft oubliée . On y expofe la doctrine de
chacune en particulier , on difcute fon
origine & fes progrès , on repréfente fa
difcipline & fon gouvernement, on décrit
fes pratiques & fes cérémonies . Enfin , en
donnant ainfi une idée des ufages que les
différens Peuples obfervent dans leurs
actes de Religion , on faitenfquelque forte
l'Hiftoire générale des moeurs & des inclinations
de toutes les Nations du monde ;
parce que le génie de chacune d'elles fe
caractériſe dans le culte qu'elles rendent
à l'objet de leur vénération .
Nous ne nous étendrons pas davantage
fur le mérite & l'utilité de cet Ouvrage ;
il eft connu , & la réputation eft faite de94
MERCURE DE FRANCE.
puis plus de quarante ans. Nous propofons
aujourd'hui par Soufcription le petit nom
bre d'Exemplaires qui en teftoit en Hollande
, & que nous avons acquis avec les
Planches originales de Picard. Ces Planches
ont été gravées avec tant d'art &
tant de foin , qu'elles paroiflent auffi fraî
ches & auffi belles que fi elles n'avoient
pas encore fervi. C'eſt une vérité dont on
pourra fe convaincre en prenant la peine
d'en venir, voir les dernieres épreuves tirées
, chez le fieur Tilliard , Libraire
quai des Auguftins , l'un des Affociés.
Sujets traités dans les différens volumes
des Cérémonies Religieufes.
TOMES I. & II.
Differtation préliminaire fur le Culte
religieux , Cérémonies & Coutumes qui
s'oblervent parmi les Juifs ; Cérémonies
de l'Eglife Catholique , Mémoires hiftoriques
concernant les Inquifitions , & c. & c .
TOME III.
Cérémonies & Ufages des Grecs & des
Proteftans , avec une Differtation fur les
premieres révolutions de Religion au
commencement du XVI . fiécle .
TOME IV.
Les Anglicans & leurs Ulages , avec
·JUILLET. 1761 .
95
quelques Diflertations fur les Sees des
Anabaptiftes , des Quaquers &c . & c.
TOME V.
Le
Mahométiſme & tout ce qui le concerne
.
TOME VI. & VII.
Les Idolâtres de l'Amérique & des Indes
Orientales , contenant la Théologie
des Banians , la Difcipline des Bramines
de la Côte de
Coromandel , les Cérémonies
Religieufes des Peuples de la Tartarie
, de la Chine, du Japon , de l'Afrique,
de l'Amérique , & c. &c.
TOME VIII.
Differtations hiftoriques fur la Difcipline
& les Rits de l'Eglife Catholique ,
fur les Ordres Militaires , fur le Sacre &
le
Couronnement des Rois , & c. & c.
TOME IX.
Paralléle hiftorique des Cérémonies
Religieufes de tous les Peuples du monde.
Conditions de la
Soufcription .
On pourra fouferire jufqu'au premier
Mars de l'année 1762 .
On obfervera que du 1
Novembre
1761 , au 1 * Mars 1762 , l'exemplaire de
vra être retiré entier & payé en un feul
payement.
On aura la liberté de prendre enfem96
MERCURE DE FRANCE.
ble ou féparément les Cérémonies Reli
gieufes , & les Superftitions en petit papier.
Prix en Feuille.
Les Cérémonies Religieufes & les Superftitions
, onze Volumes in-folio, grand
papier.
450
liv.
On payera
en foufcrivant
, 96 liv. en
recevant
les s premiers
Vol. au 1 Août
1761
, 177
liv. en recevant
les 6 derniers
Vol
. au
Nov.
fuiv
. 177
l . Total
, 450
l .
Les
Cérémonies
Religieufes
& les Superftitions
, onze
Volumes
in folio
, petit
papier
.
220 liv.
On payera en foufcrivant
, 48 liv. en
recevant les s premiers Vol . au 1 ' Août
1761 , 86 liv. en recevant les 4 derniers
Vol. au 1 Nov. fuiv. 66 1. Total , 220 1.
Les Cérémonies Religieuſes feules , neuf
Volumes in-folio , petit papier , 180 liv.
On payera en foufcrivant , 48 liv. en
recevant les s premiers Vol. au 1 ' Août
1761 , 66 liv. en recevant les 4 dern. Vol.
au 1 Nov. fuiv. 66 liv. Total , 180 liv.
Les Superftitions , deux Volumes in-folio
, petit papier , féparément. 60 liv.
Chacun des fix premiers Volumes des
Cérémonies , en grand papier à
Les mêmes en petit papier à
45
liv.
30
liv.
Les
JUILLET. 1761 . 97
Les Tomes huit & neuf, grand papier
feulement enfemble , 81 liv .
Ceux qui voudront jouir plus promptement
de l'Ouvrage, auront la liberté de
retirer l'Exemplaire complet à la fin du
mois d'Août , en faifant les trois payemens
en un feul.
Après l'expiration du terme fixé pour
foufcrire , les Cérémonies Religieufes &
les Superftitions , onze Volumes in -folio ,
grand papier,feront vendus 600 liv . & en
petit papier 300 liv.
Les perfonnes qui voudront fouferire
pourront s'adreffer à Paris , chez David ,
Libraire , rue des Mathurins ; Durand ,
Libraire , rue du Foin ; Tilliard , Libraire
quai des Auguſtins ; Davitz, Libraire , quai
des Auguftins , & Debure le jeune , Libraire
, quai des Auguftins.
La magnifique PLANCHE deffinée & gravée
par Bernard Picard , & qui fert de
frontispice aux Cérémonies Religieufes
&c. fe vend féparément ; elle fe trouve à
Paris , chez le fieur Tilliard , Libraire ,
quai des Auguftins , auquel elle appartient
particuliérement. Les épreuves font trèsbelles
, & tirées avec beaucoup de foin
par une main habile , fur du beau & grand
papier d'Hollande. Le prix eft de 9 livres,
II. Vole
E
8 MERCURE DE FRANCE.
BIBLIOTHEQUE portative des Peres de
'Eglife ; qui renferme I. l'Hiftoire abrégée
de leur vie ; II. l'Analyfe de leurs principaux
Ouvrages ; III. les endroits les plus
remarquables de leur Doctrine fur le
Dogme , la Morale & la Diſcipline ; I V.
les plus belles Sentences fpirituelles contenues
en leurs Ecrits : Ouvrage utile à
MM. les Eccléfiaftiques , & même à tous
les Fidéles qui defirent s'inftruire à fonds
de leur Religion. Par M. *** Tome V I.
Contenant Théodoret , S. Léon , Pape , S.
Céfaire d'Arles & S. Grégoire , Pape , Vol.
in-8°. 4 1. en feuilles , & s 1. relié. Pour
fervir de fuite au Dictionnaire Apoftolique.
A Paris , chez Auguftin- Martin Lotin
, l'aîné, Libraire & Imprimeur de Mgr
le Duc de BERRY , rue S. Jacques , près S.
Yves au Coq. 1761. Avec Approbation &
Privilége du Roi. Le feptiéme Volume eft
fous- Preffe .
S
JUILLET. 1761. 99
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIES.
DISCOURS qui a été préſenté à l'Académie
des Jeux Floraux de Toulouse ,
pour concourir au Prix affigné pour
l'année 1761 , fur ces paroles : La lumière
des Lettres n'a- t- elle pas plus fait
contre la fureur des duels, que l'autorité
des Loix ?
NOUS ous apprenons des monumens de
T'Hiftoire, que la Poefie & l'Eloquence ont
été le lien principal des plus paifibles fociétés.
La droiture du coeur qu'elles infpirent,
l'élévation des fentimens , la politeffe
& l'humanité , fi naturelles aux Cultivateurs
des Beaux - Arts , ont profcrit du
Commerce du monde ces maximes fangninaires
, que le préjugé de plufieurs fiécles
y avoit confacrées fous le nom de
l'Honneur.
Le duel, ce fleau de la Société, ce monf-
E ii
Too MERCURE DE FRANCE.
•
Tre odieux , qui ne refpire que les homici
des & qui les exécute , qui fait couler des
larmes & qui s'y baigne , qui verfe le fang
& qui s'en nourrit : le duel fous le mafque
de la Bravoure , faifoit autrefois impunément
les plus triftes ravages , & fe portoit
à des excès qui font l'opprobre de l'humanité.
Les Loix , par leur févérité , tentérent
vainement d'étonner ce crime , de remertre
la valeur dans un ufage légitime , & de
ramener nos Gladiateurs à une fage modération
mais elles éprouverent toujours
leur impuiflance. Comme elles ne font ces
Loix, qu'une régle fuperficielle qui dirige
l'action fans lui donner l'âme , un frein qui
affujettit le dehors , fans le confentement
de la volonté , elles ne firent que brifer
les premiers flots de la colère , ôter pour
un tems le glaive de la main , fans défarmer
le coeur.
Il n'étoit réfervé qu'à la lumière des Lettres
, dont l'Empire paifible fonde l'autorité
des loix fur la douceur des moeurs ,
de produire ces effets ; fon afcendant fur
l'efprit & fur le coeur , eft d'autant plus
puiffant, qu'il le fait moins fentir.L'homme
indocile le révolte toujours contre l'autorité
des loix ; mais il fe trouve agréablement
forcé de fe rendre aux charmes féJUILLET.
1761 . lar .
duifans de la lumière des Lettres .
Le Corps Politique d'un Etat doit plutôt
fa fûreté à la politeffe qui régne parmi les
Membres qui le compoſent , qu'à la fageffe
des Loix qui le dirigent, & à l'attention .
foutenue du Légiflateur . Que feroit - ce en
effet que tout cet amas de Peuples , deVilles
, & de Provinces enveloppées fous une
même légiflation, qu'une confufion de Puiffance
, embarraffante pour le Prince , onéreufe
aux fujets , principalement fi la lumiè
re des Lettres, qui eft le fruit de la Raiſon
la plus épurée , ne méloit pas fes douceurs
aux amertumes d'une foumiffion forcée ?
Ne cherchons pas loin de nous la preuve
de cette vérité. La France qui depuis
plufieurs fiécles , avoit des loix fixes , des
maximes certaines , une conduite fuivie
n'eft parvenue à bannir de fon fein la
fureur du duel , qu'après que la lumière
des Lettres a diffipé le préjugé du faux
point d'honneur , & réveillé dans le coeur
des Cultivateurs des Arts , les fentimens
de l'humanité . C'eft alors que les moeurs
fe font adoucies , que cet air dur & farouche
, que l'exercice des armes y avoit
entretenu , & que les loix n'avoient pú
détruire , s'eft diffipé ; que la Nation enfin
eft parvenue à ce haut point de fupériorité,
qui la fait regarder comme la
E. iij
102 MERCURE DE FRANCE
premiere Monarchie du Monde.
Mais pour prouver avec ordre , comment
la lumière des Lettres a plus contribué
que l'autorité des loix, à diffiper le
faux préjugé du point d'honneur , jettons
rapidement les yeux fur les Faftes de
la France , & remontons à ces temps
malheureux , où un déluge des Barbares
fortis des régions fauvages du Nord , tel
qu'un fleuve qui fe déborde , inondérent
fucceffivement nos Provinces , ne laiffant
après eux que les traces fanglantes de
leur paffage, renverfant avec un brutal emportement
les Monumens les plus précieux
de l'Antiquité , & l'amas de ce que les
Sciences & les Arts y avoient produit de
plus exquis pendant plufieurs fiècles.
Les Francs , Peuples fiers & belliqueux,
après avoir envahi l'Empire Romain , & fait
la conquête des Gaules , y introduisirent
avec leurs moeurs , une efpéce de férocité
inféparable d'une Nation noarrie depuis
longtemps dans le fracas des armes ,
& dans la licence des combats . L'ignorance
, triſte fruit de la diffipation de la
guerre ; les leçons qu'ils donnoient aux
jeunes gens qu'ils ( a ) émancipoient ;
( a )Tunc in ipfo Concilio vel principum aliquis
, vel pater vel propinquus fcuto frameâque
juvenem ornat.... Hic primus juvenis honos . Ante
hoc domus pars , mox Reipublicæ. Tacit. de morib,
Germanorum .
JUILLET. 1781 103
leurs Loix , qui fembloient ne connoître ,
comme dans l'ancienne Lacédémone
d'autres vertus que les vertus militaires ,
d'autres crimes que la lâcheté (b) ; tout
cela avoit répandu fur l'efprit de la Nation
je ne fçai quel air de licence , toujours
fatal á la politeffe , & éffacé jufques
au fouvenir de ce gouvernement fage
, dirigé par la prudence , & de ces loix
dictées par le bon fens qui avoient fi longtemps
foutenu l'Empire Romain .
Le préjugé du point d'honneur , qu'ils
regardoient comme un devoir d'Etat & de
Religion , les portoit aux plus noirs deffeins
de la vengeance . l'Epée qui éft la défenſe
des Sujets , devenoit entre les mains des
Sujets même , l'inftrument de leur propre
ruine. Le meurtre étoit confondu avec le
devoir. L'injure feule avoit le droit de réparer
l'injure (c) ; l'intérét le plus léger (d)
( b ) Si par défaut de courage, quelqu'un fe défiftoit
du combat , il étoit privé du droit de fucceffion
, & devenoit comme étranger à fa propre
famille en punition de fon peu de courage. Loi
Salique , tit. 63.
( c ) Les Francs n'avoient pas de Magiftrats pendant
la paix. De ce defaut d'autorité dans le chef,
& de cette indépendance dans les Membres , nailfoit
la coutume de le faire juſtice à foi- même.
Tacit de moribus German.
( d) Le combat étoit en ufage pour toute forte
E iv
104 MERCURE DE FRANCE:
une parole peu réfléchie , un fimple gel
te , un figne de mépris devenoit le fignal
de la révolte . Ni les égards de l'amitié , ni
les liens de la chair & du fang , ni l'amour
de la vie , rien n'étoit capable de tempé
rer la chaleur de ces efprits accoutumés à
une politique toute guerriére , qui ne connoifloit
d'autre Loi que celle du plus fort .
Les amis révoltés s'armoient contre les
amis ; les parens prenoient les armes contre
les parens ; tels que ces enfans de la
terre , qui avoient refpiré la mort dès le
berceau, ils couroient tous à la vengeance;
& plus les mains étoient fouillées , plus la
victime étoit précieuſe .
Les Loix Civiles qui auroient dû reprimer
ces abus , ne fervirent qu'à les perpétuer
& à leur donner plus de cours. The
mis ne pefoit plus les différends à la balance
; elle ne les décidoit qu'à la pointe
de l'épée. La foibleffe ou la mort d'un
Gladiateur étoit regardée comme la
preuve juridique de l'innocence de l'autre
( e) ; & fouvent pour fe venger d'un
de demandes ; il fuffifoit que la valeur fût de
douze deniers . Beaumanoir , ch . 63. p. 315.
. ( e ) Les Francs prenoient toujours l'événement
du combat pour un Arrêt de la Providence , toujours
attentive à punir le Criminel. Efprit des
Loix , T. 3. p. 305.
JUILLET. 1761. 105
coupable , on faifoit périr mille innocens.
Je parle felon l'exacte vérité ; le fang
étoit répandu comme l'eau ; un meurtre
étoit bientôt fuivi d'un nouveau meurtre.
Le Vainqueur fe voyoit obligé de préter
le flanc à de nouveaux aggreffeurs : femblable
à ces athlètes , où celui qui quittoir
la lice , donnoit fon flambeau à fon fucceffeur
(f) , le fils prenoit la place du père
bleffé ; le frère fuccédoit au frère vaincu ;
le parent fouffroit pour le parent déjà
mort ; (g) la trace du fang de l'un n'étoit
éffacée que par les flots de celui de l'autre
; & rarement une victime fuffifoit
pour éteindre une querelle.
Ombres plaintives de nos athlètes , &
vous mânes facrés des plus généreux défenfeurs
de l'État , ceffez d'environner le
trône , de reclamer en votre faveur l'autorité
de nos Rois & la rigueur de leurs
Edits! La fureur du duel eft montée à fon
comble ; le mal eft fans reméde ; les loix
ne peuvent qu'envenimer la plaie biem
loin de la guérir ..:
(f) C'étoit une courſe qui ſe faifoit à Athènes
trois fois chaque année, & qu'on nommoit la Courfe
aux flambeaux , parce qu'on couroit avec u
flambeau allumé à la main. Plutarque . Ariftoph.
(g ) On ne pouvoit demander le combat que
pour foi ou pour quelqu'un de fon lignage. Des
fontaines , ch. 22. art. 4.
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
En vain nos Rois font- ils gronder leur
tonnèrre , affemblent- ils les plus noires
tempêtes fur la tête des contempteurs de
leurs Edits : Rien n'eft capable de ramener
aux Loix de la modération ces hommes
qui veulent qu'une injure foit une
plaie qui ne peut être lavée que dans le
fang de celui qui l'a faite.
En vain établiffent- ils des peines contre
les vainqueurs , & contre les vaincus ; peines
d'autant plus févéres , qu'elle s'étendent
fur les vivans & fur les morts ; d'au
tant plus griéves qu'elles font jointes avec
l'infamie ; d'autant plus inévitables que leur
terrible & facré ferment ôte au coupable
toure espérance de pardon. Les plus fages
en fe foumettant à des loix fi judicieuſes ,
craindront de ſe dégrader . Ils entendront
fouffler les vents , gronder le tonnèrre, crever
la nue fans en être étonnés . Les exem
ples mémorables de févérité qu'on exerce
fur tant d'illuftres têtes , ne ferviront qu'à
leur faire imaginer un nouveau genre de
point d'honneur dans le mépris même des
fupplices.
Ce n'eft pas que les loix ne puiffent fer
vir de frein à l'emportement fougueux de
nos paffions , mettre de juftes bornes à
la fureur de ceux qui font foumis à leur
autorité ; & que l'envie de nuire ne foit
JUILLET. 1761 , 107
fouvent arrêtée par la crainte de ne pas
le faire impunément ( car telle eft la
fin pour laquelle elles font établies. )
Mais hors de là que produifent - elles ,
que plus de circonfpection dans le crime,
plus d'espoir dans les actions ? elles empêchent
les hommes d'être des réfractaires
publics ; mais elles n'en font point d'excellens
citoyens : ces efclaves fubjugués
mordent en frémiffant les liens qu'ils n'ont
pas la force de rompre ; toute leur attention
confifte à fe dérober aux yeux du Public
, fans en être moins difpofés à ſe porter
aux feènes les plus fanglantes, & les plus.
tragiques , lorfqu'ils peuvent prendre des
mefures affez juftes , pour n'avoir rien à
craindre de la part des hommes . On doit
tout appréhender d'un homme qui dévore
fon chagrin dans le fecret. Le feu mal
éteint produit toujours des fuites funeftes :
La nue fombre qui renferme de noires
vapeurs dans fon ſein , vomit bientôt des
foudres & des tonnerres. L'autorité des
Loix en un mot arrête la main , mais elle
ne change pas le coeur ; & la paix n'eſt
affurée que lorfque le coeur eft défarmé.
Pour changer le coeur de nos Gladiateurs
, il falloit des refforts qui fuffent en
état d'agir éfficacement fur leur volonté ;
il falloit réformer leur façon de penfer ,
E vi
108 MERCURE DE FRANCE.
adoucir leurs moeurs fauvages , leur donner
pour ainfi dire un Etre nouveau, & une
feconde nature.
La lumière des Lettres pouvoit feule
produire ces heureux changemens . Elle fait
fur les efprits des impreffions fi fortes ,
que rien ne peut les éffacer , elle grave
dans les coeurs des maximes fi fûres & fi
fatisfaifantes , qu'elles lui fervent de régle
dans toutes les actions de la vie : elle
donne enfin à toutes nos démarches une
certaine politeffe qui fait le plus doux lien
de la Société .
Telle est la différence qu'il y a entre
l'autorité des Loix & la lumière des Lettres
les unes réglent les actions du Citoyen
, les autres dirigent les actions de
l'homme. Celles- là font établies , celles- ci
nous font comme infpirées. Les unes commandent
à l'efprit , les autres n'agiſſent
que fur les coeurs ; on plie par force fous
le joug des premieres , on obéit volontiers
aux fecondes, parce qu'on ne fait alors que
céder à fes propres mouvemens.
I'homme veut être libre dans quelque
pofition qu'il le trouve : il ne veut devoir
fa perfuafion qu'à lui même. L'autorité
des Loix bleffe fa liberté ; ce n'eft qu'en
paroiffant la refpecter qu'on le tourne
qu'on le méne , qu'on le fait rentrer dans
JUILLET. 1761 . 109
fon devoir , quand il s'en eft écarté : tour
dépend de favoir intéreffer fon amourpropre;
le piége eft infaillible.
Tel que ces torrens rapides qui inondent
les campagnes , rendent inutiles les
pénibles travaux du Laboureur ; fi tout- àcoup
vous leur oppofez une forte digue ,
pour arrêter le progrès de leur courſe,loin
d'en ralentir la fureur, vous l'augmentez.
Mais fi une main adroite détourne avec
art le cours de ces eaux ; fi avec précaution
& ménagement elle en change la
pente , vous les voyez redevenir tranquilles
, rentrer dans leur lit naturel ,
& reprendre fans peine leur cours ordinaire.
Il en eft de même de ces hommes qu'anime
la brutale fureur du duel . Leur oppofez-
vous des loix ? Loin de les appailer,
vous les irritez . Mais fi une main habile ,
déchirant avec art le voile prophane du
faux point d'honneur dont ils fe couvrent,
les ramène avec douceur aux fages intentions
du Légiflateur , & leur laiffe entrevoir
que la maxime du point d'honneur
une fois établie , étant libre à un chacun
de s'approprier le droit du glaive, de repouffer
la force par la force , la fociété
ne feroit plus qu'un amas monftrueux
de furieux armés les uns contre les au
110 MERCURE DE FRANCE.
tres ; cette multitude d'hommes qui la
compofent , qu'un affemblage confus d'êtres
déplacés , & défunis qui s'entrechoqueroient
conftamment , & qui loin de
nous faire apprécier le bonheur d'être venus
au monde , nous feroient regarder le
néant, tout affreux qu'il eft, comme mille
fois préférable à la vie : alors vous les
voyez ces efprits entichés de ces fauffes
maximes, revenir de leurs préjugés, avouer
leur méprife , plier avec plaifir fous le
joug de l'autorité des Loix , les aimer ,
les chérir , les refpecter , & par l'aveu de
leur erreur & de leur crime , préparer
le chemin au triomphe de la vertu .
Ces exemples font des exemples de
tous les âges ; ainfi la Thrace ne fut plus
fauvage , quand elle eut entendu la voix
d'Orphée ; celle d'Amphion raffembla les
Thébains c'est ce qui a donné lieu aux
anciens Poëtes de feindre ingénieuſement
que le fils d'Apollon attiroit à lui par les
fons harmonieux de fa lyre , les rochers
les plus durs & les animaux les moins
dociles , pour nous apprendre que rien
ne résiste aux charmes féduifans de la
Poëfie & de l'Eloquence ; que c'eſt à l'éclat
de cette lumière , que les Peuples ont
paffé de la barbarie à la politeffe , de la férocité
cruelle à l'amour de la vertu.
JUILLET. 1781. ilf
N'eft- ce pas de la lumière des Lettres ,
que Rome , la Maîtreffe du Monde , la
Mere des Sciences & des Arts tenoit
l'empire du bon goût , de la parole & de
la politeffe ? Auffi jamais Peuple ne fut fi
fage , fi ennemi de la cruauté , fi éclairé
fur la connoiffance de la véritable gloire.
On ne vit jamais parmi eux , le Citoyen
s'armer contre le Citoyen , pour venger
fa propre caufe. Ils laiffoient à leurs Efclaves
, l'art funefte de nos Gladiateurs ;
ils ne favoient difputer entre eux , que
de gloire & de vertu ( h ) ; auffi eft il
inoui que pendant une longue fuite des
fiécles , il y ait eu parmi eux un feul exemple
du combat fingulier ( i ) .
Mais fans aller chercher loin de nous
l'époque précife de l'abolition des duels
fixons nos regards fur ce Prince à jamais
mémorable dans nos hiftoires , qui après
avoir dompté la rebellion , défarmé l'hérélie
, augmenté l'autorité Royale , abbatu
l'orgueil des Souverains , & enfin par
la force d'une digue infurmontable , préſcrit
des bornes à la mer irritée , & retenu
la fureur des vagues de ce fier élément ,
entreprit de reprimer la trop bouillante
(4) Jurgia fimultatis cum hoftibus exercebants
Gives cum civibus de virtute pugnabant. Saluſte.
f ) M. Rolin , Traité des Erudes.
712 MERCURE DE FRANCE.
impétuofité de fes Sujets , de réunir la
force à la politeffe , & de remettre l'honneur
dans fon premier éclat. ( k )
Son oeil perçant , qui lui fait entrevoir
que la manie du duel ne s'eft introduite
parmi nous qu'à la faveur des ténébres.
de l'ignorance , lui découvre en même
temps toutes les reffources qu'il peut trouver
dans une Nation capable des plus
grandes chofes, lorfqu'on fait donner l'impulfion
à fes talens & à fes vertus par l'émulation
, le puiffant reffort de nos âmes.
Il favoit que la culture des Lettres ,
eft le plus folide fondement d'un Etat ;
que la gloire d'une Nation confifte moins
à fe faire craindre par la force des armes ,
qu'à fe faire refpecter par les charmes
de la parole ; que pour rendre les hommes
heureux il faut commencer par
les rendre meilleurs ; que l'harmonie de
la Société est toujours proportionée au
degré de lumière qui éclaire chaque Citoyen
fur les devoirs ; que les Loix ont
peu d'autorité fur les moeurs ; que le Prince
ne trouve jamais plus de docilité & de
foumiffion, que parmi les efprits les plus
éclairés & les plus folides ; qu'en faiſant
fleurir les Sciences , en réveillant le génie
endormi depuis longtems dans les téné
(A) LOUIS XIII.
JUILLET. 1761 . 173
bres de l'ignorance , il affermiffoit les
fonderens de l'Etat , & lui ouvroit le che
min de la gloire.
Aidé des fages conſeils d'un illuftre favori
des Mufes ( 1), il ofe tenter ce que firent
les premiers Héros qui perfuadérent
aux hommes de quitter leur vie aggrèfte
& folitaire , pour établir de douces &
utiles fociétés , dont le but étoit de rendre
les hommes en quelque manière plus humains
; il arrête la barbarie dans fa courfe
; il ramène parmi nous les arts fugitifs
& perfécutés ; il raffemble les Mufes difperfées
; il les engage à fe réunir , pour
former ces concerts divins , dont l'har
monie doit fe répandre dans tout l'Univers
( m ) ; il rétablit des Ecoles publiques
deftinées à conferver le dépôt des connoiffances
les plus néceffaires au maintien
de la Société , où un éffain de jeunes
nourriffons vient puifer l'amour de la Religion
& du Gouvernement , l'attachement
inviolable à fes Souverains , & le
goût de la politeffe la plus épurée , qui
fait le plus doux lien des coeurs . ( n )
La révolution qui fe fait dans les ef
( 1) Le Cardinal de Richelieu .
(m ) L'Etablillement de l'Académie Françoiſe.
( n ) La Sorbonne rétablie.
114 MERCURE DE FRANCE.
prits eft encore plus forte qu'on n'auroit
ofé l'efpérer.Le flambeau des Arts prèſque
éteint fe rallume ; la rouille qui couvroit
l'efprit des Peuples commence à tomber.
Les differentes branches du corps de la
Littérature, en fe réuniffant , prennent une
nouvelle vigueur ; & comme la terre oifive
& pareffeufe , attend pour produire qu'elle
feit remuée ; comme le caillou froid &
immobile ne devient une fource de lumière
qu'autant qu'il eft heurté ; les Sciences
cultivées jettent de toute part des
étincelles plus vives & plus fréquentes ;
la lumière fe répand dans tous les Etats.
Semblables à ces fleuves célébres, qui par
leurs cours officieux ne ceffent jamais
d'arrofer , d'engraiffer & d'enrichir les
Provinces , en portant partout avec la
fertilité une heureuſe abondance , il ſe
fait une circulation de goût de Littérature
de la Capitale aux Provinces ; la pureté
du langage fait couler infenfiblement dans
les efprits la délicateffe du fentiment ; les
coeurs fe réuniffent à proportion que les
penfées fe communiquent ; des hommes
illuftres en tour genre de Littérature ſe
multiplient ; les Sophocles , les Démosthènes
les Cicérons , les Thucydides , les
Xénophons , les Polybes reparoiffent au
milieu de nous , & forment pour la gloire
JUILLET. 17610 115
de la Nation , les Scipions , les Lucullus ,
les Céfars , dont les mains triomphantes
ont fi vaillament foutenu le Trône dans
les jours les plus nébuleux.
Que dis-je ?fous les aufpices des Clémences
Ifaures, (o) les Sapho & les Corynes (p),
le féxe qui femble n'être pas fait pour les
Lettres , s'élève d'un vol rapide jufques au
faîte du Parnaffe ; il fe diftingue même
parmi les juges de nos Académies ( 9 ) , &
nous force de convenir que ce genre de
mérite , dont nous avions fait notre principal
appanage , eft de tout fexe ; & que
fi le defir de lui plaire fit autrefois tant de
vaillans & de braves ( r ) , celui de les
imiter dans leurs combats Litteraires, nous
donne aujourd'hui des Poëtes divins &
des Orateurs éloquents.
:
L'efprit & le coeur ainfi réglés , tour
rentre dans l'ordre les dernieres étincelles
d'une flamme qui avoit déjà volé
dans toute l'Europe ), commencent à s'éteindre
; les ténébres fufpendues fur l'abîme
fe diffipent ; la France , comme un au
(0 ) La Fondatrice des Jeux Floraux.
(p ) Femmes Grecques célébres par leur efprit
& par leurs Poëfies .
(9 ) Mlle Catalan , Madame Montegut & Madame
la Marquife de la Gorce.
(r)La Chevalerie.
1
TIG MERCURE DE FRANCE.
tre cahos , fe développe peu- à- peu ; les
hommes rougiffent de leurs premieres erreurs
; & à mesure qu'ils deviennent plus
éclairés , ils font plus doux , plus modérés
& plus traitables ; nos champs ne
fament plus du fang de mille victimes ;
le glaive eft remis dans fon fourreau ; le
fer ne décide plus les querelles particuliéres
; la cruauté & l'injuftice , déguisées
fous le nom de bravoure , n'infultent plus
à l'autorité des Loix ; la politeffe & les
égards réglent les devoirs de la vie civile.
Nos plus vaillans Guerriers , devenus
avares de leur fang , fans avoir rien perdu
de la délicateffe de leurs fentimens, fe refufent
à ces fauffes preuves de valeur qui
les faifoient courir à la mort par la crainte
d'un opprobre imaginaire : ils font vaillans
fans brutalité , magnanimes fans injuftice
; la victoire a beau les appeller , le
devoir les retient & enchaîne leur courage.
Ils fe font une loi de refpecter le
Prince ,jufques dans la perfonne même du
Sujet,ils conviennent que les voies de fair
entre Particuliers , bleffent directement
les lumières de la Raifon , les droits de
l'humanité , & le reſpect dû au Souverain
qui les gouverne.
Telle est la révolution qui s'eft faite
dans les moeurs , dans le gouvernement
JUILLET. 1761. 117
*
& dans les Arts , qui a donné à la France
un éclar , une fupériorité qu'elle n'avoir
jamais eu depuis l'établiffement de la Monarchie
, & qui a été la brillante époque
de ce tiffu de glorieux événemens qui
illuftrent l'hiftoire de notre fiécle.
Siécle à jamais mémorable , tant par
les productions de l'efprit que par les prodiges
de la valeur ; auffi fertile en célébres
Ecrivains qu'en Guerriers magnanimes .
Ne foyons donc plus furpris , fi ſous
un régne fi poli & fi éclairé , on eft parvenu
fi promptement à fixer la véritable
idée du point d'honneur , à décrier , à
rendre même odieufe & méprifable la
brutale fureur du duel , contre laquelle
l'autorité des Loix a fait tant d'inutiles
éfforts ; fi l'on a renfermé la bouillante
ardeur de la Nobleffe Françoife , dans
les légitimes bornes de cette belle émulation
, qui ne trouve de gloire que dans
les occafions de prodiguer fon fang pour
la gloire de l'Etat , & pour le fervice du
Prince qui le gouverne.
Jouillez , ô Roi bienfaiſant , au ſein de
votre Empire , du doux fruit de vos paternelles
attentions ! Le titre facré & immortel
de BIEN - AIMÉ que vous a déféré le cri
de la Nation , plus précieux que les monumens
de bronze & de marbre , que la
118 MERCURE DE FRANCE.
tendreffe & le devoir de vos Peuples vous
ont élevé de toutes parts , vous répond de
leurs coeurs , & va vous placer dans les
Faftes du monde , à côté des Princes magnanimes
qui ont le plus favorifé les
Arts, travaillé à guérir les maux qui défofoient
l'humanité , & à affurer le repos &
la tranquillité des régnes à venir.
Arcum conteret & confringet arma , fcuta comburet
igni. Pfal. 45.
Par A. B. R. G. C. , Abonné au Mercure.
A Narbonne , ce 18 Mai 1761 .
RESOLUTION du Problême proposé par
M. l'Abbé B.... dans le Mercure de
Juin , exemte des caractéres & fignes ,
dégagemens & fubftitutions de l'Algé
bre ; & dont chaque pas eft motivé à
l'avance.
ENONCE'
"
NONCE . » Trouver quatre nombres ,
dont le 1 , & le des trois autres faf-
៖
» fent une fomme égale au 2º, & au des
» trois autres ; égale au 3 ° , & au des
» trois autres ; égale au 4° , & au des
» trois autres.
e
Premiere Opération. L'égalité mutuelle
JUILLET. 1761 .
ل ا و
des quatre fommes ne fourniffant que
trois égalités diftin &tes , pour déterminer
quatre Inconnues : je complette le nombre
de ces égalités , en introduifant une
nouvelle Connue indéterminée pour un
temps , à laquelle je compare ces quatre
fommes féparément : ce qui a donné au
Problême une feconde forme.
Seconde Opération . Pour voir plus clairément
ce que je dois faire , je fais dif
paroître les fractions ; en multipliant
chacune des quatre égalités , par le dénominateur
de la fraction qu'elle renferme
: ce qui leur donne la forme fuivante.
Troifiéme forme. Le fextuple de la
premiere Inconnue , joint aux trois autres
Inconnues , eſt égal au ſextuple d'une
certaine quantité cenſée Connue . Le
quintuple de la feconde Inconnue , joint
aux trois autres , eft égal au quintuple de
cette même Connue Le quadruple de la
troifiéme Inconnue , joint aux trois autres
, égale le quadruple de la Connue ; &
le triple de la quatrième Inconnue , joint
aux trois autres , vaut le triple de la
Connue.
Refléxion. A préfent je vois clairement
que pour avoir féparément la valeur de
chaque Inconnue , en obtenant d'abord
120 MERCURE DE FRANCE.
celle d'un de fes multiples , fçavoir le
quintuple de la premiere , le quadruple
de la feconde , le triple de la troifiéme ,
& le double de la quatrième ; je n'aurois
qu'à retrancher de chacune des dernieres
égalités , la fomme des quatre Inconnues
d'une part , & la valeur de cette fomme
de l'autre part ; & que pour avoir la valeur
de cette fimple fomme , en obtenant
la valeur d'un de fes multiples ; je n'ai
qu'à préparer nos quatre égalités , de telle
façon qu'étant toutes ajoutées enſemble ,
la fomme totale des premiers membres ,
contienne un même nombre de fois chaque
Inconnue. Je vois enfuite que j'obtiendrai
toujours pour cette fomme totale
, la forme que je defire ; quel que foir
le nombre par lequel je multiplierai avant
l'Addition , cette partie de chaque égalité
qui renferme une fois feulement les quatre
Inconnues ; mais qu'il n'en eft pas de
même des Multiples excédans que renferment
ces mêmes égalités ( le quintuple
de la premiere Inconnue &c. ) de forte
que , c'eft uniquement , à rendre ces
Multiples divers , des Equimultiples , que
doit tendre le choix de mes multiplicateurs.
Or , pour qu'un quintuple , un quadruple
, un triple & un double deviennent
des Equimultiples , il faut chercher quel
at
JUILLET. 1761 .
121
*
Go
eft le plus petit nombre divifible par si
4,3 & 2 ; & prendre les Quotiens pour
Multiplicateurs ; c'eft- à- dire , qu'il faut
multiplier le quintuple par , ou 12 ; le
quadruple , par , ou 15 ; le triple , par
, ou 20 ; & le double , par , ou 30.
Troifiéme Opération . Je multiplie donc
les quatre égalités , fous leur troifiéme
forme , par les nombres 12 , 15 , 20 &
30 , refpectivement . Sous cette quatrième
forme , je les additionne ; ce qui me donne
, 137 fois la fomme des quatre Inconnues,
égale à 317 fois la Connue indéterminée.
Enfin , je divife le tout par 137 ;
ce qui m'apprend que la fimple fomme
des quatre Inconnues , eft les de la
Connue .
Seconde Réflexion . Si l'on veut que la
fomme des quatre Inconnues , foit un
nombre entier , & le plus petit des nombres
entiers poffibles ; comme il paroît
que ç'a été l'intention de M. l'Abbé B...
il faut prendre , pour déterminer la Connue
, le plus petit nombre dont les 7 ,
foient un nombre entier. Or : 317 &
137 , n'ayant aucun divifeur commun , ce
lus petit nombre , eft 137 ; & fes 317
font 3 17.
Cinquiéme forme. Par conféquent , les
feconds membres des quatre égalités pri-
II. Vol. F
1379
122 MERCURE DE FRANCE.
fes fous leur troifiéme forme , font , 6 fois
137,5 fois 137 , 4 fois 137 & 3 fois 137 ;
c'est -à- dire , 822,685 , 548 & 411 : pendant
que la fimple fomme des quatre Inconnues
, eft 317.
Quatrième opération. De chacune des
égalités fous cette cinquiéme forme ; je
retranche féparément , la fimple fomme
des Inconnues d'une part , & la valeur de
cette fomme de l'autre part , comme je
me l'étois propofé dès le commencement .
Sixième forme. Donc le quintuple de
la premiere Inconnue , eſt égal à 8 2 2 moins
317 , c'est à dire , à sos ; le quadruple de
la feconde Inconnue , eſt égal à 685 moins
317 , c'eſt- à- dire à 368 ; le triple de la
troifiéme Inconnue , eft égal à 548 moins
317 , c'est- à - dire à 231 ; & le double de
de la quatrième Inconnue , eft égal à 411
moins 317 , c'est à dire à 94:
Cinquiéme opération. Je divife les deux
membres des égalités , revêtues de cette
dernière forme , refpectivement par 5 , 4 ,
3 & 2 .
Solution. Donc , la première Inconnue ,
vaut 101 ; la feconde , vaut 92 ; la troifiéme
, vaut 77 ; & la quatrième , vaut 47.
Troifiéme Réfléxion . Cette réfolution
doit être nommée Algébrique plutôt qu'Arithmétique
: puifqu'elle opére fur les InJUILLET.
1761. 123
connues même. Car , ce n'eft pas la briéveté
des expreffions, par lesquelles on défigne
, tant les Inconnues & les indéterminées
, que les opérations indiquées , ou
les rapports d'égalité & c ; ce n'eft pas
même un choix & un ordre d'opérations
différens de ce qui eft d'ufage dans le
Commerce , qui conftituent la différence
éffentielle de l'Algèbre d'avec l'Arithmétique
commune. Veut - on l'exemple d'un
Problême quelque peu difficile , réfolu par
la feule Arithmétique vulgaire , c'est- àdire
, en n'opérant que fur des quantités
connues on le trouvera dans la façon
dont M. Newton réfout lui - même le neuviéme
Problême de fon Arithmétique
univerfelle. Dans ce fens , l'Arithmétique
pure , eft une Logique pratique ; tout au
moins auffi propre que l'Algèbre ou la
Géométrie , à perfectionner nos facultés
intellectuelles ; ce qui eft le but que doivent
principalement fe propofer dans l'Etude
des Mathématiques pures , ceux qui
ne veulent ou ne peuvent pas afpirer à les
appliquer à la Phyfique.
Le SAGE, Correfpondant de l'Académie Royale
des Sciences.
A Genève, ce 29 Juin 1761,
Fij
124 MERCURE DE FRANCE:
MÉDECINE.
*
TABLEAU de la Rage, Par M, HOIN
L E fujet d'un Mémoire que je lus il y a
quelque temps à une des Séances publiques
de cette Académie , me parut fixer
affez votre attention , Meffieurs , pour me
faire efpérer que je ne la fatiguerai point
aujourd'hui , en vous préfentant encore le
même objet fous une autre face ,
J'examinai alors s'il y avoit un fpécifique
contre la Rage ; & je prouvai par le
précis d'un grand nombre d'obſervations,
dont plufieurs m'étoient particulières, que
le Mercure pouvoit être regardé comme
le principal préfervatif connu de cette affreufe
maladie.Son effrayant tableau peint
d'après nature & fur le deffein crayonné
par Boerhaave , que j'ofe mettre fous vos
yeux , eft bien propre à vous convaincre
que , fi le Mercure prévient effectivement
les accès de la Rage , c'eft une des
plus importantes découvertes de notre
fiécle.
Lorsqu'un homme a été mordu par un
Animal enragé, & que le venin qu'il a reçu
commence à fe dévélopper , il fe réveille
* Cet Ecrit a été lû à l'Académie de Dijon , dans
une de tes Alfemblées publiques ,
JUILLET. 1961. izs
prèfque toujours dans fes playes ou dans
les cicatrices une fenfation douloureufe
que l'Art ou le temps avoit déjà fait ceffer:
mais pour cette fois elle ne fe bornè
point à la bleffure , elle s'étend de proche
en proche jufqu'à l'arrière bouche , & même
, ce qui eft plus rare , jufqu'aux párties
intérieures de la tête, où elle parvient
dans l'efpace de trois ou quatre jours , &
occafionne un vertige , que Salius Diverfus
regarde comme un figne infaillible
d'une Rage prochaine . ( a ) Quelquefois
cette maladie fe manifefte avant que la
douleur des cicatrices ou des playes ne
l'annonce d'autres fois la douleur s'évanouit
pour un temps , renaît enfuite &
détruit par là l'efpérance fondée trop tôt
fur un calme trompeur.
:
Pendant que cette douleur fourde , ou
même purgative , toujours locale à fon
principe, fait plus ou moins promptement
des progrès ,les bords des plaies rougiffent,
s'élévent , deviennent fanguinolens , frangés
; leur centre fournit une fuppuration
fanieufe ; les cicatrices déjà formées prennent
une couleur livide , fe gonflent , fe
durciffent ; d'autres douleurs vagues , inftantanées
fe font fentir par élancemens en
( a ) De Affect . Particul. cap. 19. p . 364. Ex
Vaniwieten in Boerhaav . T. 3 .
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
différentes parties du corps : les entrailles
font émues ; le ventre fe reffèrre ; le
cours du fang eft ralenti , celui des urines
fufpendu ; ou lorfque les urines coulent
encore aisément , elles font épaiffes , laiteufes
, quelquefois noires ; des friffons ,
des chaleurs , des ardeurs fuccédent à différentes
repriſes ; une laffitude & une pefanteur
dans tous les membres caractérifent
la diminution des forces mufculaires .
La Paralyfie qui affecta cinq jours avant
la Rage , le bras d'un malade mordu à la
main , a démontré une fois que ce poifon
pouvoit détruire en quelque partie l'action
des muſcles qu'il engourdit d'abord
dans les autres ( b ).
Que l'homme dans cet abattement entrevoie
ou non le danger dont il eft menacé;
le refferrement & la pâleur de fon vifage
, fon air fombre , fon regard inquiet ,
le frémiffement , le tremblement de fon
corps décélent la peur qu'il voudroit quelquefois
cacher ou qu'il ne diftingue pas
lui-même. On l'a vu plufieurs fois , pour
avoir oublié fa bleffure , ou ne s'en être
pas défié , montrer les apparences d'une
crainte fans objet .
Alors ennuyé de tout , plongé dans la
mélancolie , accablé de trifteffe , il cher-
(b ) Tranf. Phil , ex eod . L. c.
JUILLET. 1761 : 127
che à fuir le commerce des hommes ; il
bâille , il foupire dans la folitude qu'il a
trouvée ; il va , vient , retourne , s'affied ,
fe leve , fe couche , n'eft bien nulle - part
& dans aucune fituation ; il fe plaint , murmure
& gronde à demi- voix ; il eſpére
encore le repos que le fommeil procure :
mais à peine eft-il endormi que des rêves
affreux le tourmentent : tantôt il voit des
étangs profonds où l'on s'apprête à l'engloutir
; tantôt il eft entouré d'animaux
de même efpéce que celui dont la dent
meurtrière a frayé la route au venin ;
fpectateur inquiet de leur acharnement
les uns contre les autres , il ne tarde
pas à fe croire affailli par fon premier
vainqueur , & forcé d'entrer en lice :
le defefpoir à beau lui tenir lieu de courage
, par des cris réels il annonce autant
fon effroi que fon combat avec le phan
tôme qu'un vain fonge lui préfente ; il s'agite
, il s'éveille en furfaut & le preſtige
n'eft pas encore diffipé . En racontant même
qu'il s'eft crû aux prifes avec l'animal
qui l'a mordu , en difant qu'il a lutté de
nouveau contre ce dangereux adverſaire ,
il fe perfuade de le voir , de l'entendre ;
il s'écrie épouvanté qu'on dérobe à fes
regards un fi funefte objet , qu'on le délivre
des angoiffes dont il eft accablé par
ée fpectacle. Fiv
28 MERCURE DE FRANCE.
En effet il ne refpire qu'avec peine ; fa
poitrine refferrée ne joue qu'imparfaitement
; on la voit rejetter avec lenteur l'air
qu'elle a paru forcée de recevoir : la foibleffe
du corps , un frémiffement général ,
le refferrement du pouls , l'affaiffement
du vifage, les yeux égarés , la voix tremblante
de cet infortuné , tout avoue l'augmentation
du trouble de fon âme.
Cependant la fermeté manque , le cou- ,
tage eft abbatu lorfqu'il refte beaucoup
d'affauts à foutenir. Le malade a foif: &
d'abord étonné de fa répugnance à regarder
la boiffon qu'on lui préfente , il s'éfforce
de la furmonter ; fa furpriſe accroît
par la difficulté qu'il éprouve en buvant ,
pas la douleur quelquefois pungitive, fou-.
vent indéterminée , qu'il reffent au gofier
Torfqu'il avale , par les fuffocations qui
fuccédent , par le tremblement convulfif
qui les accompagne : il attribue ces accidens
à un embarras fingulier dans la gorge;
il penfé que la route eft fermée aux alimens
folides : quel étonnement pour lui
de fentir qu'ils ne rencontrent point d'obftacle
, que la déglutition du pain , de la
foupe même eft facile tandis que celle du
bouillon , de l'eau , du vin , ne fe peut
faire qu'avec douleur.
Alois il prend les liquides en averfion
il fe propofe de fupporter patiemment la
JUILLET. 1761 . 129
foif : mais enfin il oublie fa répugnance &
fes projets ; la foif eft devenue brûlante ;
il demande avec ardeur l'eau qui pourroit
l'appaifer on le voit s'élancer avec joie
fur le vafe qui la contient , tréffaillir à fon
afpect , frémir en l'approchant des lévres
& le rejetter avec éffroi lorfque l'eau les
touche.
L'eftomac s'enfle , la poitrine & le gofier
fe refferrent , le jeu de la refpiration
eft prèfque etouffé , les membres fe roidiffent
: bientôt toutes ces parties fe foulévent
; & l'Hydrophobe agité d'affreules
convulfions , le vifage rouge de colère ,
l'oeil furieux , crie d'une voix entrecoupée
qu'on ôte de fes yeux la nouvelle boiffon
qu'on lui prépare , qu'elle eft pour lui le
plus cruel fupplice . » Pourquoi , difoit Eli-
» fabeth Bryant guérie de la Rage ; pour-
» quoi fe donner la peine d'étouffer entre
» deux lits les malheureux que l'horreur
» de la boiffon tourmente? Il ne falloit que
» tenir de l'eau devant moi , certainement
» l'ouvrage eût été fini en très peu de
» temps ( c ).
Néanmoins elle n'avoit pas apperçu
dans l'eau la gueule béante d'un chien prêt
à la dévorer . En vain Baccius attribue - t- il
l'averfion pour les liquides à ce prétendu
( c ) Nugent , Ellai fur l'Hydrophobie . p . 14.
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
fimulacre , dont il dit que les yeux de
quelques Hydropobes ont été fafcinés en
fa préfence ( d ) De tous ceux que Salius
Diverfus a vûs ( e ) , de tous ceux que j'ai
vûs moi - même , aucun n'a autorifé la
croyance publique à ce fujer : tous au
contraire m'ont affuré qu'un liquide, trouble
ou transparent , de quelque eſpéce
qu'il fût , ne leur paroiffoit que ce même
liquide ; mais qu'ils ignoroient pourquoi ,
ils ne pouvoient point en fupporter la
vue. Je ferois tenté de placer le rapport
de Baccius avec le Conte d'Avicenne (f)
qui fait trouver des figures de petits chiens
dans l'urine des hydrophobes , fi je n'avois
pas été témoin que Pierre Hévon , regardant
un jour l'eau qu'on lui préfentoit,
s'écria , la repouffant avec horreur , qu'il
y voyoit fon Père & fa Mère , alors abtens.
Un délire paffager abufera donc quelquefois
; mais n'attribuons pas au feul afpect
de la boiffon toute l'horreur qu'elle
infpire. Comment pourroit elle être excitée
lorsqu'on renferme le liquide dans
un vaiffeau couvert ( g ) , lorfque le ma
d) De venenis . p . 76. ex Vanfwieten . L. c .
( e De febr peftilent . p . 444. ex eod.
(f) Lib. 4. F 6. Tract . 4. cap. 7.
( g) Aftrue. Dill. de hydrophobiâ, p. 16.
JUILLET. 1761 . izr
lade l'en retire à l'aide d'un chalumeau ?
Cependant il n'a pas plutôt touché les lévres
& la langue , que les mêmes phénomènes
reparoiffent. On a vu juſqu'à l'enfant
reculer à la première goutte de lait
que fa bouche & fes mains exprimoient
du fein de fa Nourrice (h ).
D'ailleurs , il eft des hydrophobes qui
confidérent attentivement & fans peine
l'eau qu'ils defirent : flattés de l'efpérance
de l'avaler , ils ne fe rebutent pas de leurs
premières tentatives inutiles, & rarement
fe fuccès récompenfe leurs éfforts : ou fi
quelques-uns d'entr'eux parviennent à furmonter
leur répugnance , on diftingue
par leurs geftes les tourmens qu'ils endu
rent & le courage qui les leur fait fupporter
; mais il faut une foif étonnanté
pour les mettré plufieurs fois à la même
épreuve. J'ai vu Pierre Hévon, moins heureux
que le Philofophe dont parle Aetius,
qui par la force de la raifon vainquit fon
hydrophobie , bût & guérit ( i ,; je l'ai vu ,
dis je, en même état boire un verre d'eau
fans frémillement ; il m'avoua bientôt
qu'il avoit beaucoup fouffert , & que s'if
(h) Celius Aurelianus ex Sorano Dict . de Med .
de James . T.
3. p. 360.
( iy Differt: fur la Rage. Par M. de Sauvages.
P. 39..
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
n'en avoit rien témoigné , c'étoit de peur
que je ne le fiffe boire par force, ce qui le
fatiguoit davantage que quand il cédoit
de bonne heure à mes inftances .
Combien ne s'eft il pas trouvé d'hydrophobes
en qui la feule propofition de
boire , le feul nom d'un li uide prononcé
en leur préfence a réveillé des mouvemens
convulfifs interrompus par un calme
d'une certaine durée ; tandis que d'autres
foupiroient après les boiffons , la demandoient
& ne pouvoient pas en ufer.
Tout eft fingulier dans cette affreufe maladie
, jufqu'à la variété de ce fymptôme.
Le même hydrophobe qui voit couler fon
fang avec tranquillité,frémit à lavue d'une
compreffe mouillée dont on va couvrir fa
plaie ; à celle des mains humides. du Chirurgien
qui vient de les laver à l'écart
(k ) : un autre ne peut fans éffroi regarder
fon fang , ni même l'entendre tomber
dans le vafe préparé pour le recevoir
; la faignée ne feroit point affez abondante
& l'on n'empêchoit pas le jet du fang
de réfonner dans fa chûte : celui - ci eft
agité de convulfions lorfqu'il avale fa falive
feule ; mais il neft point ému quảnf
(k ) J'en ai été témoin à l'occafion d'une fai
gnée faite à Pierre Hevon pendant fon Hydrophobie
JUILLET. 1761 . 133
elle paffe avec le bol alimentaire qu'elle
a confidérablement
amolli : celui -là fait
encore ufage du vin & du bouillon , lorfque
fa maladie le force à refuſer de l'eau
ou de la ptifane ( 7 ) . Il y en a même qui
témoignent autant d'horreur pour les alimens
folides que pour les liquides ( m ) ;
tandis que d'autres avalent précipitamment
les premiers qu'ils ne mâchent point , de
peur que la falive ne les pénétre . Quelquefois
l'hydrophobie ceffe entiérement, &
d'autres fymptómes lui fuccédent : d'autres
fois elle fubfifte avec de nouveaux accidens;
elle augmente même jufqu'à jetter
le malade dans la fureur la plus violente.
Alors l'éclat du jour le bleffe ; les couleurs
vives le fatiguent ; les objets refplendiffans
l'éblouiflent ; il ferme fes à
yeux
la lumière , qu'ils ne peuvent plus fupporter
; il les couvre de fes mains ; il voudroit
que fon oreille ne fût frappée d'aucun
fon ; le bruit le plus léger l'effraye ;
laboyement des chiens l'agite ; la converfation
de fes amis l'afflige ; leur marche ,
leur haleine même l'incommodent ; quelquefois
le moindre attouchement le fait
friffonner ; l'air qu'il réſpire Ini eſt à charge
; les portes & les fenêtres ne lui paroiſ-
( 1 ) La Differt . citée de M. de Sauvages . p . 12.
J'ai aufli vê ces faits .
(m) Aftruc, Diff. de l'Hydrophobie . p. 17
134 MERCURE DE FRANCE.
fent jamais affez fermées , furtout lorſque
le vent foufle . Etienne Euguenit le cachoit
fous fa couverture , & ne vouloit répondre
à aucune queftion . Pierre Hévon cria
jufqu'à ce qu'on eût ôté de fa préfence
des objets de couleur rouge. Elifabeth
Bruyant trembloit aux hurlemens des
chiens (z ). Une Hydrophobe de Meynes
fit éteindre les cierges pendant la Communion
; un autre ne put fouffrir l'Extrême-
Onction que fur un pied ; le Clerc de
l'Abbaye d'Alais prie les affiftans de détourner
de lui leur haleine & de fermer
tout accès à l'air dans fa chambre ( o ) ;
le Médecin, dont Calius Aurelianus raconte
l'hiſtoire , fupplie la larme à l'oeil , fes
amis de ne pas l'approcher ; il fent une de
fes larmes tomber fur lui , la fureur le
transporte & lui fait déchirer les vêtemens.
(p)
La fiévre qui s'allume prèfque toujours
dans le corps d'un hydrophobe ; une infomnie
continuelle ; l'éjection fréquente
des urines que l'ardeur accompagne ; la
chaleur qu'il reffent dans les entrailles &
même dans les membres ( q ) ; l'âcreté dé
( n ) Nugent , Effai fur l'Hydrophobie. p . 34 .
( 0 ) Aftruc , L. C. p. 11. & 13 .
(p ) Diff. de M. de Sauvages . p . 12.
(9 ) James , Diet, de Medec. 1.
4
JUILLET. 1761. 135
la bile porracée & des matiéres glutineufes
qu'il rejette quelquefois par un vomiffement
précédé de naufées & fouvent fuivi
de cardialgie , de fyncope ; la foetidité
de l'humeur muqueufe fournie par les
glandes du gofier ; l'aridité de la bouche ;
la féchereffe de la langue, contribuent enaugmenter
fa foif; mais la fenfibi
lité de fes nerfs l'empêche toujours de l'appaifer
.
core à
C'eft alors qu'il crie aux Affiftans de le
fuir , qu'il eft prêt à les déchirer , qu'il ne
fe pofféde plus d'horribles convulfions
l'agitent ; d'un oeil étincelant & furieux il
cherche , il choifit une victime ; il menace
de mordre ; il mord la main même qui lui
tend des fecours.
Que par des liens on mette un frein à
fa fureur : il jure ; il grince les dents ; elles
heurtent avec grand bruit les unes
contres les autres ; il les porte fur tous
les corps qu'il peut atteindre ; il s'efforce
de les tourner fur lui. La violence de fes
mouvemens convulfifs ; l'écume qui blanchit
fes lévres , qu'il tâche de pouffer avec
vigueur fur ceux qui l'environnent & dont
il voudroit les couvrir ; fes cris élancés
d'une voix fes hurlemens affreux
rauque ;
ne prouvent que trop , qu'il fent encore
redoubler fa rage , faute de l'affouvir fur
136 MERCURE DE FRANCE.
lui- même , à l'exemple du Cavalier , dont
parle Bauhin , qui fe déchira les bras
dans un de les accès . ( r )
Malheur à ceux qui n'ont pas eu la précaution
d'attacher l'Hydrophobe lorfque
les frémiffemens de fon corps , la rougeur
de fon vifage & l'immobilité de fes yeux
ont annoncé l'approche du paroxisme de
fa maladie ! Malheur à ceux qu'il n'a pas
prévenus lui- même , comme il le fait
prèfque toujours , quand il s'apperçoit que
la rage eft prête à le faifir ! Malheur à ce
lui qui porte l'audace jufqu'à négiiger l'avis
falutaire qu'il en reçoit , jufqu'à ne pas
redouter les effets d'un tranfport que rien
n'arrête ! L'Hydrophobe s'élance bientôt
fur le téméraire , le punit par une morfure
, dangereufe en proportion du degré
de fureur qui l'a produite , de la qualité
du venin qu'elle a tranfmis , de la nature
du déchirement de la partie bleffée . Il eft
vrai que Mongin m'a déclaré qu'il n'avoit
jamais été dans le cas de faire le plus léger
éffort pour s'empêcher de mordre , même
lorfque je lui faifois la plus grande violence
pour le forcer à boire ; mais il en
eft. peu qui puiffent l'avouer comme lui :
prèfque tous reffemblent au Clerc d'Alais
(7) Aftruc , L. C. p. 16.
JUILLET. 1761 . 137 '
qui , menaçant tout le monde & ne refpectant
que fon Père , mordit le doigt du
Prêtre qui lui faifoit une onction fur les
lévres ( s ) ; à Jean de Bielle qui , retenu
dans des entraves dont il ne pouvoit fe
dégager me juroit de porter loin fa
vengeance , s'il venoit à bout de rompre
les liens qui le fufpendoient en augmen
tant la fureur ; au Payfan dont M. Haguenot
prit foin , qui l'afſuroit en grinçant les
dents, qu'il dévoreroit une armée ( 1 ) . On
en a vû ſe jetter fur des chiens & les déchirer.
Mais comme fi le defir de perpétuer
par des morfures , cette affreufe maladie.
ne fuffifoit pas pour tourmenter l'hydrophobe
, il s'en éveille un autre peut - être
plus cruel , celui de perpétuer fon efpéce
lorfqu'on gémit de la voir expofée à
cette horrible fituation . Quel tems choifit :
la Nature pour exciter , au rapport d'Amatus
, l'éroticomanie dans une femme
>
hydrophobe ( u ) ; pour caractériſer le bel
âge dans le feptuagenaire dont parle Ri
valier , qui fait confentir fa femme à
éteindre des feux longtems étouffés , mais,
( s ) Dans Schenckius . Obf. Med . p . 848 .
(t) Dans M. de Sauvages , L. C. p. 12.
( ) Ibid. p. 37.
138 MERCURE DE FRANCE.
renaiffans alors plus ardens que jamais (x) !
Quel abus de prodigalité ne montre - t- elle
point envers le Porte-faix d'Hernandez !
quel moyen choifit- elle pour terminer fa
vie ? Après l'avoir fait paffer trois jours
dans une jouiffance auffi fauffe qu'involontaire
, elle lui fait rendre l'âme avec
le principe du corps , » involuntariis ac
perpetuis pollutionibus afflictus femen &
animam fimul efflavit (y ). »
Ne blâmons pas ici la Nature , tandis
qu'elle épargne à ce malheureux le plus
grand des fupplices de l'hydrophobe : celui
de rentrer tout- à- coup dans le calme pour
connoître toute l'horreur de fon état ,
pour diftinguer quel funefte poifon roule
dans fes veines , pour gémir fur fes fureurs
paffées , pour craindre celles qui doivent
fe rallumer , enfin pour attendrir les affif
tans par fes plaintes , fes remords , fest
priéres & fes frayeurs.
C'est là le fpectacle où le fentiment
anéantit les autres facultés de l'âme , où
l'efprit n'eft rien & le coeur eft tout , où
(x ) Amatus Lufitanus , Curat. Med . Cent. 7
Cur. 41. Ex Vanfwieten. L. C.
(y) Bonet , Sepulchr. Acant. T. 1. p. 2 16.
( ).Hernandez Rerum Mexican. Medit. The
faur. P. 493. & Recchius ad Animalia nov. Hilpan.
in Lifteri Exercit . de Hydroph. p . 108., &
Wanfwieten, L. G,
JUILLET. 1761 .
139
l'homme éprouve que penfer & fentir ne
font pas la même chofe. Ah ! comment
F'hydrophobe n'attendriroit- il pas , puifque
le phrénétique, moins à plaindre , arrache
nos gémiſſemens ? cependant nous voyons
que le délire perpétuel de ce furieux ne lui
permet pas de réfléchir fur fes violences ,
d'entrevoir le précipice dont il touche le
bord: nous voyons au contraire qu'il le porte
à des excès dont il n'eft plus en état de mefurer
l'étendue; qu'il éfface le caractère de
l'homme & ne fait paroître fous les traits
de la figure humaine, qu'un animal farou
che & redoutable : nous voyons que ce
malade rentré dans fes droits , lorſque la
phrénéfie ceffe , ne conferve pas le fouvenir
affligeant des actions irrégulières , des
difcours vagues , impies , indécens , injurieux
s'ils pouvoient l'être , qu'a produits
une tête bouleverfée par le mouvement
impétueux des humeurs , & la grande rigidité
des fibres .
Mais quand l'Hydrophobe nous dit
qu'il a connu dans l'accès même , toute
la force de fa rage ; qu'il s'eft occupé fans
relâche à réprimer le defir de mordre ;
qu'il a diftingué quelquefois l'inutilite
de fes éfforts ; qu'il a redoublé fes maux
en fe révoltant contre le peu d'empire de
fon âme fur un corps en proie à la puif140
MERCURE DE FRANCE .
fance d'un venin cruel ; qu'il meurt autant
du regret d'avoir bleffé que du poifon
dont il n'a pû réprimer la violence :
quand il demande au Ciel de l'écrafer fubitement
, s'il n'eft que ce moyen de borner
les fureurs dont il prévoit le retour ;
quand il implore le bras des fiens pour
hâter le coup fufpendu par le Ciel ; quand
il s'écrie : ah ! plutôt , plutôt la mort que
de la caufer ! quand ému à la vue de ſes
enfans défolés, il les appelle avec tendreffe
& les repouffe auffi - tôt par un redoublement
d'amour paternel qui lui fait craindre
de les infecter ; eft- il un coeur affez
dur pour ne point compâtir ? Jamais je
n'ai vû de Spectateur que l'on dût envoyer
à la forêt vivre avec fes femblables .
C'est alors qu'on voudroit au moins
que l'hydrophobe eût le délire du Phrénétique
mais il fe rencontre rarement avec
la rage ; ou s'il en affoiblit quelquefois
l'horreur , c'eft pour quelques inftans.
Tel fut celui de Bielle , qui dans un accès
accompagné d'une fiévre à fon plus haut
point , ayant pouffé des hurlemens & des
cris affreux, nous dit dans le calme , qu'ils
avoient été occafionnés par la préſence
d'un loup contre lequel on avoit dû le voir
fe défendre avec courage : tel fut celui de
Boulée qui demanda fon couteau pour ther
JUILLET. 1761. 147
Le même loup dont le fimulacre l'éffrayoit
quoiqu'éveillé .
L'intervalle des paroxismes n'eft pas
toujours auffi cruel . J'ai vû Mongin montrer
une fermeté d'âme que la Religion
feule peut donner : il édifioit par fes prićres
ferventes , par fes difcours pathéti
ques dans leur fimplicité ; il remercioit
le Seigneur de ce que la maladie dont il
le rendoit la victime , ne l'avoit jamais
excité à mordre ; il lui demandoit la grâce
de mourir fans nuire à perfonne ; il confidéroit
avec une joie tranquille , fi j'ofe le
dire , les approches de la mort qu'il aɛtendoit
fans la demander ni la craindre.
Boulée , non moins Philofophe que Chré
tien , s'en occupoit , en parloit paifiblement
, confoloit fa famille , nous remercioit
des foins , quoiqu'infructueux , que
nous lui avions prodigués , invitoit les
autres bleffés par le même loup à ne point
s'effrayer de fon état,à fe tranquillifer plutôt
far ce que la force de leur tempérament
avoit permis qu'ils priffent plus
de remédes que la délicateffe du fien n'avoit
laiffé la liberté de lui en préfcrire.
Mais pour ces exemples rares , combien
n'en a - t- on pas qui nous retracent l'hydrophobe
fortant d'un accès , gémiffant
fur la rigueur de fon fort , & retombant
142 MERCURE DE FRANCE:
bientôt dans un autre qui lui prépare de
nouvelles douleurs ? Les paroxifmes de
Bielle n'eurent prèfque point d'intervalle
pendant deux jours : Denis Hévan paffa
un pareil terme dans l'alternative des convullions
& du repos qui fe fuccédoient à
chaque demie heure : fon frère furvêquic
quatre jours à fes premiers accidens ; &
fa foeur ne fut pas deux jours hydrophobe.
Ces atteintes réïtérées enflamment de
plus en plus le malade : le feu qui le dévore
a dans les yeux,un éclat d'autant plus
vif , qu'il eft prêt à s'éteindre ; il fe fait ,
jour à travers les larmes , & la chaffie
qui couvre les paupières ; la langue en eft
déjà brûlée ; la bouche ouverte eft hideufe
par les flots d'écure qui la bordent ,
par le grincement de dents continuel, par
les mouvemens convulfifs des lévres . Ces
mouvemens paffent à tout le corps ; ils
élévent & les membres de l'hydrophobe
couverts d'une fueur froide , vifqueufe, &
le lit où des liens l'ont fixé , il femble que
le (palme du bas - ventre aille repouffer fes
vifcères dans la poitrine ( a ) : les gémiffémens
profonds , les fanglots, les cris étouf
fés fuccédent aux clameurs , aux hurle-
( a ) Bruce , de hydrophobiâ in difp . Med. Pract
Haller, T. 1. p. 603.
JUILLET. 1761. 143
mens , aux aboyemens mêmes ; ils partent
d'une poitrine opprimée qui s'affaiffanc
tout - à- coup , fuffoque le malheureux
dont les tourmens horribles ont fait croire
qu'il y auroit de l'humanité à prévenir
l'inftant auquel la Nature les termine.
S'il eft encore de ces hommes abufés
& rendus féroces par une fauffe tendreſſe,
qu'ils ne fe chargent plus d'un crime ! Le
Ciel n'a- t- il donc pas attaché fes grâces
à la patience qu'il met à l'épreuve , aux
douleurs qu'il envoie , aux fentimens qu'il
excite ? D'ailleurs la Médecine n'eft pas
oifive ; elle a guéri des hydrophobes (6) : la
Nature n'eft pas toujours marâtre envers
fes enfans qu'elle afflige ; elle ne les laiffe
pas tous périr dans un état auffi affreux. .
Ce même Bielle , que j'ai dit avoir été
furieux pendant deux jours , je l'ai vû
perdre par degré fon horreur pour la
boiffon ; j'ai vû fes defirs effrénés s'éteindre
; j'ai vû fes forces épuifées par les affauts
qu'il avoit foutenus ; en un mot , je
l'ai vu devenir peu-à- peu paralytique de
tous fes membres, refter deux autres jours
dans cet état de foibleffe extrême fans fe
plaindre d'aucune douleur , montrant un
vifage où , quoiqu'il fût prèfque éffacé ,
(b ) Nugent , Effai fur l'Hydrophobie. Hift. de
l'Acad . Royale des Sciences. 1699. &c . &c .
144 MERCURE DE FRANCE.
on lifoit encore la tranquillité de fon âme
que l'on entretenoit par de pieufes confolations
, & mourir en paix après quelques
heures d'agonie. Les derniers accidens
d'Etienne Euguenit furent à - peu- près
les mêmes ; & les Tranfactions Philofophique
nous en avoient déjà fourni un exemple
( c) .
Cependant il eft des lieux , & peutêtre
ne font- ils pas éloignés , où ces malades
qui fe font endormis chrétiennement
dans les bras du Seigneur, auroient
trouvé des Chretiens animés d'un faux
zéle & touchés d'une compaffion mal entendue
qui, croyant les facrifier à la fûreté
publique , les auroient immolés à leurs
propres craintes , tandis que la Rage les
rendoit dangereux , & que les liens fuffifoient
pour prévenir les effets d'un mal
qui ne prend point fa fource dans la corruption
du coeur. Jufqu'à quand l'homme
oubliera- t- il que la vie eft entre fes mains
pour la conferver , la donner même ; &
non pour la ravir à l'innocent , quelque
malheureux qu'il ſoit ?
( c) Vanfwieten . L. C. l'hiftoire des Hydrophobes
que j'ai vûs , & dont j'ai parlé dans cet écrit ,
fera peut être publiée dans la fuite.
ARTICLE
JUILLET. 1761. 145
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS UTILE S.
LETTRE , à l'Auteur du MERCURE.
LAA
Cloche du Plongeur eft une de ces
machines plus propre à orner le Cabinet
d'un Phyficien , & à fatisfaire la curiofité
d'un Amateur , qu'utile dans la réalité
foit pour étendre le commerce , foit pour
enrichir l'Hiftoire Naturelle , foit pour
nourrir , accroître ou embellir notre luxe .
Cet objet feroit- il à négliger dans le fiécle
où nous vivons ? Après avoir lû &
médité ce qu'on vous a adreffé fur cette
matière , non- feulement j'ai été frappé
des obftacles qui s'oppofent à la perfection
de cette machine , mais encore convaincu
de fon impoffibilité.
Le même zéle , c'est- à- dire , l'amour
de l'humanité qui a dirigé les Auteurs qui
en ont parlé , eft auffi le motif qui m'engage
à fournir des preuves de mon affertion
, dès que j'en établis une fois la vérité
, on tournera fes vues vers des objets
II. Vol. G
144 MERCURE DE FRANCE.
on lifoit encore la tranquillité de fon âme
que l'on entretenoit par de pieuſes confolations
, & mourir en paix après quelques
heures d'agonie. Les derniers accidens
d'Etienne Euguenit furent à - peu- près
les mêrnes ; & les Tranfactions Philofophique
nous en avoient déjà fourni un exemple
( c ) .
Cependant il eft des lieux , & peutêtre
ne font- ils pas éloignés , où ces malades
qui fe font endormis chrétiennement
dans les bras du Seigneur, auroient
trouvé des Chretiens animés d'un faux
zéle & touchés d'une compaffion mal entendue
qui , croyant les facrifier à la fûreté
publique , les auroient immolés à leurs
propres craintes , tandis que la Rage les
rendoit dangereux , & que les liens fuffifoient
pour prévenir les effets d'un mal
qui ne prend point fa fource dans la corruption
du coeur. Jufqu'à quand l'homme
oubliera - t- il que la vie eft entre fes mains
pour la conferver , la donner même ; &
non pour la ravir à l'innocent , quelque
malheureux qu'il foit ?
( c) Vanfwieten . L. C. l'hiftoire des Hydrophobes
que j'ai vûs , & dont j'ai parlé dans cet écrit ,
fera peut être publiée dans la fuite.
ARTICLE
JUILLET. 1761. 145
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS UTILES.
LETTRE , à l'Auteur du MERCURE.
LA Cloche du Plongeur eſt une de ces
machines plus propre à orner le Cabinet
d'un Phyficien , & à fatisfaire la curiofité
d'un Amateur , qu'utile dans la réalité ,
foit pour étendre le commerce , foit pour
enrichir l'Hiftoire Naturelle , foit pour
nourrir , accroître ou embellir notre luxe.
Cet objet feroit-il à négliger dans le fiécle
où nous vivons ? Après avoir lû &
médité ce qu'on vous a adreffé fur cette
matière , non- feulement j'ai été frappé
des obftacles qui s'opposent à la perfection
de cette machine , mais encore convaincu
de fon impoffibilité.
Le même zéle , c'est- à- dire , l'amour
de l'humanité qui a dirigé les Auteurs qui
en ont parlé , eft auffi le motif qui m'engage
à fournir des preuves de mon affertion
, dès que j'en établis une fois la vérité
, on tournera fes vues vers des objets
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
plus aifés à faifir & à traiter , & l'on ne
craindra point que l'expérience détruife
l'édifice que l'imagination feule avoit conftruit
, fans prévoir que les élémens s'y
oppoferoient .
L'air , renfermé dans la Cloche , s'échauffe
, & fe falit par la tranfpiration ,
fe condenſe par la preffion de l'eau qui
fait éffort pour entrer. ( * ) Ces deux confidérations
ne permettent pas qu'on fe
propofe jamais de perfectionner cette
machine. Confultons l'expérience , & nous
verrons quel dérangement cauſe à l'oeconomie
animale une trop grande preffion .
Le fang incompreffible, comme toutes les
autres liqueurs , s'extravafe bientôt lorfque
les vaiffeaux qui le contiennent ſe
rétréciffent. Auffi lorfqu'on voulut fe fervir
de cette Cloche pour defcendre un
homme dans des profondeurs confidérables
, quel fut l'étonnement de ceux qui
le retirerent à demi mort , tout couvert
de fang , & qui ne donnoit pour toute
marque de vie , que de terribles convulfons
! S'il fut trop téméraire , ceux qui
l'emploierent furent trop ignorans .
Il s'agit ici d'une profondeur confidérable :
car quoique la fimple cloche fuffife pour une profondeur
médiocre , nos Plongeurs y defcendent
fans ces précautions,
JUILLET. 1761. 147
Il femble , Monfieur , que l'Auteur de
la machine que vous avez fait graver dans
votre Mercure de Mars , n'ait point fait
attention à cet inconvénient , felon moi ,
le plus dangereux & le plus difficile à
éviter. Sa machine n'eft , à proprement
parler,qu'un ventilateur . Il renouvelle l'air
de la Cloche, mais diminue- t -il la preffion
qui ſe fait autour du plongeur? bien plus,
je crois qu'il l'augmente : car pour renouveller
l'air de la Cloche , il en introduit
du nouveau afin de forcer l'eau à
defcendre. L'effet que produit l'air comprimé
agit avec autant de force autour de
l'homme , qu'il le fait fur la furface de
l'eau à moins de renoncer aux loix de la
faine Phyfique , je ne vois pas ce qui pourroit
l'en empêcher. De forte que s'il faut
une force de fix cent livres pour faire
baiffer l'eau qui fert de baze à la Cloche,
l'homme éprouvera de toute part une
preffion égale à fix cent livres . Un homme
dans cet état feroit - il fort à fon aiſe , &
le reméde vaudroit- il mieux que le mal
D'ailleurs quelle fûreté à faire ufage
d'une Cloche où il fe trouve deux foupapes
qui peuvent s'ouvrir tout-à - coup , ou
ne point retenir l'air affez conftamment ,
& par conféquent expofer le plongeur à
être étouffé par l'eau. Ceux qui font ufage
Gij
148 MERCURE DE FRANCE:
des machines, favent que de pareils incon
véniens n'arrivent que trop fouvent.
Jufqu'ici j'ai fuppofé qu'il feroit facile
d'introduire un nouvel air dans la Cloche,
mais un peu d'examen m'y fait trouver .
une extrême difficulté. Pour y réuffir , il
faut pouffer avec la pompe un air qui
puiffe faire lever la foupape ; alors , ou
l'on fera defcendre le pifton fort bas , ou
l'on y fuppléera par quelque autre moyen :
le premier eft fimple , mais long & trèsfatiguant
; le fecond feroit compliqué &
couteux donc d'un ufage peu commun .
Je pourrois encore demander de quelle
matière feront faits les tuyaux montans ?
Celui qui contient la pompe doit être
capable d'une très- grande réfiftance , &
feroit- il affez fort , s'il n'étoit de métal ?
Mais la force qu'il acquerera , ce fera aux
dépens de fa légéreté ; quel embarras
Sur-tout , lorsqu'il s'agira de plonger ou
de retirer cette machine perpendiculairement
. D'ailleurs la longueur des tuyaux
une fois donnée , la Cloche ne pourra
fervir qu'à une profondeur qui leur fera
égale , il faudra par conféquent les ralonger
ou les racourcir fuivant la plus ou
moins grande profondeur des eaux nouvelle
difficulté !
Vous voyez , Monfieur , que la Cloche
JUILLET. 1761 . 149
du plongeur , malgré les foins qu'on s'eft
donnés, ne peut être d'aucune utilité . J'en
fuis fâché , fur tout pour ceux qui livrent
leur fortune à l'inconftance des flots .
J'ai l'honneur d'être , & c.
L'Abbé BACON , d'Arras .
CHIRURGIE.
TRAITE' des Bandages & appareils ,
avec une Defcription abrégée des brayers
ou bandages , & de plufieurs machines
propres à différentes maladies . Par M.
SUE , Profeffeur & Démonftrateur en
Anatomie aux Ecoles Royales de Chirurgie
, de l'Académie Royale de Peinture
& Sculpture , Cenfeur Royal , &
Confeiller du Comité de l'Académie
Royale de Chirurgie , & de la Société
Royale de Londres . Seconde Edition.
A Paris , chez Guillaume Cavelier, rue
S. Jacques , au Lys d'Or ; & chez l'Auteur
, rue des Foffes S. Germain l'Auxerrois
1761. Avec Approbation & Přivilége
du Roi,
G iij
750 MERCURE DE FRANCE.
CETETTTEE feconde Édition étoit due à
l'accueil favorable que le Public a fait à
la premiere , comme le dit l'Auteur. Elle
eft augmentée de plufieurs bandages &
appareils que l'Auteur a éprouvés ou inventés,
d'un petit Traité des bandages ou
brayers , & de plufieurs machines propres
à différentes maladies , d'après un choix
très - févère de ceux que M. Sue a jugés les
meilleurs , aufquels il en a ajouté plufieurs
de fon invention.
La Science des bandages & appareils
eft d'autant plus importante dans la pratique
de l'art de guérir , pour les maladies
externes , que celle de bien opérer.
C'eft ainfi qu'en jugeoient les Anciens ,
'comme il eft dit dans la Préface de ce
Livre M. Sue ne craint pas d'avancer
que fans la fcience de cette partie de la
Chirurgie , la pratique des autres eft abfolument
défectueufe & même dangereufe.
Le malade qui s'eſt foumis à des panfemens
douloureux , voit avec confolation
l'appareil mis fur fa plaie contenu
fous un bandage qui le garantit d'acci
dens funeftes. La confiance dans la perfonne
du Chirurgien n'eft affurée, que lorfque
le bandage bienfait , affure lui- même
le fuccès de l'opération.
JUILLET. 1761. 151
L'utilité de ce Traité confifte principalement
dans cette fimplicité fi néceffaire
aux livres qui traitent des Arts , où il faut
avant toutes chofes beaucoup de netteté;
il n'y a que le véritable Citoyen qui fache
dans un Ecrit , rejetter les ornemens
qui ne font que pour lui- même , & ne
s'attacher qu'à l'utile , parce qu'il met
toute la gloire dans la recherche du bien
*public.
Ce Livre eft un de ceux qui , fait patticuliérement
pour les Eléves , n'eft pas
d'un moindre ſervice pour les Sçavans ,
à caufe des principes qu'il renferme fous
des définitions , defcriptions exactes ou
l'on fçait qu'un mot omis ou déplacé
caufe un défordre dans la mémoire , qui
les fait oublier infenfiblement , même
aux perfonnes de l'Art.
Il
>
y a d'ailleurs dans cet Ouvrage beaucoup
de difcuffion & deréformes de bandages
, d'appareils & de machines déjà en
ufage ; & une augmentation confidérable`
de beaucoup d'autres qui n'avoient point
encore été imaginés . Ce Traité eft divifé
en trois Parties ; dans la première on expofe
les bandages & appareils en général
; dans la feconde , on les décrit tous
en particulier , & on indique en même
temps la longueur , & la largeur que
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
doivent avoir les bandes , & les piéces de
linges qui doivent être employées ; &
dans la troifiéme Partie , il eft fait mention
de différens bandages ou brayers avec
la manière de les conftruire , ainfi que de
plufieurs machines , dont l'ufage des unes
eft relative à certaines fractures , & celui
des autres eft pour redreffer les os des
Rachitiques ; d'autres enfin peuvent être
employées dans certaines maladies parti
culiéres.
La premiere partie a trois chapitres :
dans le premier on traite des bandages.
en général , de leurs noms , définitions ,
differences , & des ufages qui ont rapport
aux différentes parties ; on y trouve auffi
les divifions & fousdivifions des bandages
, & les différentes claffes fous lefquelles
on peut les ranger. Le fecond
Chapitre traite de la bande & de fes conditions
felon la méthode du Chapitre précédent
, de la façon de la commenter &
de l'appliquer , & de fituer la partie bleffée
, la bonne façon de faire un bandage
& d'en connoître les défauts , & l'attention
que doit y apporter le Chirurgien
en quoi M. Sue témoigne beaucoup d'affection
& de tendreffe pour les malades ;
chofes fi néceffaires , qu'elles ne contribuent
pas peu à leur guérifon par l'état
JUILLET. 1761 . 153
de tranquillité que leur procurent les témoignages
extérieurs de bonté & de fenfibilité
d'un Chirurgien compâtiffant. Le
troifiéme Chapitre employe le même ordre
fur la matière des appareils , ce qui
forme comme un Traité préliminaire des
bandages & appareils en général .
La feconde partie eft des bandages en
particulier. Elle commence par avertir
que la lecture des meilleurs Traités ne
fuffit pas pour acquérir fur cette matière
une parfaite connoiffance ; les leçons font
néceffaires , parce que ceci eft de la nature
des chofes qu'il faut voir opérer pour
les bien apprendre ; à quoi M. Sue ajoute
qu'il faut répéter enfuite foi même l'application
, comme on l'a vû faire , pour
s'en faire une habitude fûre lorfqu'il s'a
gira de paffer à la pratique.
Cette Partie renferme quatre Chapitres
; car il s'eft gliffe après l'errata une
faute pour le nombre de ces Chapitres ; ce
qui eft de peu d'importance. ) Le premier
Chapitre préfente trois bandages & appareils
pour la tête & les parties qui lui
partiennent & l'avoifinent de plus près.
Le fecond Chapitre eft des bandages &
appareils du tronc depuis le trente -un jufqu'au
quarante - fept inclufivement : le
troifiéme Chapitre ici nommé , le quatre,
Gy
ap154
MERCURE DE FRANCE.
· ·
traire des bandages & appareils , qui fervent
aux extrémités fupérieures depuis le
quarante fept jufqu'au foixante - fept inclufivement
. Enfin le quatrième Chapitre
ici nommé le cinq , comprend les bandages
& appareils pour les extrémités inférieures
, depuis le foixante fept juſqu'au
foixante dix fept inclufivement. A ces
quatre Chapitres M. Sue a joint quatre
appareils irréguliers C. A. D. qui ne peuvent
fe rapporter aux bandages régulièrs
par la qualité de leur matière ou de leur
forme , à caufe de certaines efpéces de
maladies , ou des circonftances particulières
dans lesquelles on ne fauroit affigner
d'appareil fixe , qui puiffe être réduit
aux principes. Il faut ici une grande connoiffance
de l'Art avec un génie de reffource.
Dans la defcription du tout , on ſent à
la première vue quelle clarté répand fur
chaque objet , l'union du bandage & de
l'appareil décrits enfemble , & le choix
fcrupuleux des termes les plus propres.
Le traité qui vient à la fuite de celui -ci
eft des bandages ou brayers & des machines
propres à contenir quelques parties ;
il eft divifé en quatre parties qui font
tre Chapitres où prefque tout eft neuf &
ne fe trouve pas ailleurs ; la méthode eft
la même que dans le premier Traité,
quaJUILLET.
1761. ISS
Les perfonnes de l'Art rendront à cet
Ouvrage une juftice que méritent les récherches
, la connoiffance de l'Art , la
fûreté & l'univerfalité de pratique qui
étoient néceffaires pour compofer quelque
chofe de méthodique fur des matières
qui ne fe trouveroient qu'éparſes, dénuées
des principes , des notions générales , &
d'une Science d'application qui compofent
cependant tous le fond d'un Art . De
forte qu'on peut dire que M. Sue a fait un
Art de ce qui ne l'étoit point encore.
LETTRE du Frère COSME , Feuillant ,
écrite le 3 Juin 1761 , à M. MERtru,
Maître en Chirurgie à Paris , Démonf
trateur de Chirurgie aux Ecoles de Médecine
de la même Ville.
MONSIEUR,
Il m'eft revenu comme un fait certain ,
qu'en démontrant les opérations de Chirurgie
cette année aux Ecoles de Médecine
, vous y avez avancé publiquement
en parlant de la taille , que je n'avois pas
donné dans les liftes que j'avois publiées
en différentes fois , le nombre des morts
auffi exactement que celui des vivans ou
guéris. G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
Comme pareille avanture fe répandoit
fourdement dans le Public en 1793 , je
pris le parti de donner un défi public de
prouver cette calomnie dans le Journal
des Savans , Janvier 1754 , page 155 fous
le titre , Lettre du Frère Cofme à MM. les
Auteurs du Journal des Savans . Vous
pouvez vous en affurer . Depuis cette Epoque
je n'ai rien publié en lifte.
Quoique je fois très - difficile à croire
l'impofture , on m'a fi fort affuré que vous
aviez avancé ce fait , que je m'adreffe à
vous même pour favoir ce qui en eft , &
'j'efpére que vous ne ferez aucune difficulté
de me répondre le oui , ou le non
fans biais , fuivant l'opinion que vous
m'avez donnée de votre probité , lorfque
j'ai eu occafion de vous fréquenter chez
M. le Marquis Dupont Duchâteau , auprès
duquel je vous ai rendu la juftice qu'il
me paroi oit que vous méritiez .
Si l'allégation dont je me plains fe bornoit
uniquement à ma réputation perfonnelle
, je fuis bien éloigné d'en tirer raifon
; mais vous favez mieux que moi le
danger des fauffetés qu'un Profeffeur public
peat avancer à la multitude d'Élèves
de toute espéce qui vont l'écouter , &
dont le plus grand nombre fuivent les impreffions
comme une loi , & c.
J'efpére donc que votre réponſe me
1 157
JUILLET. 1961.
mettra en état de démentir les rapporteurs
qui fe difent témoins du fait , ou
qu'elle pourra fe publier comme un antidote
dans les écrits publics , pour détromper
les gens de l'Art fur les conféquences
qu'ils auroient tirées d'un enfeignement ,
où ils auroient pris le change contre vos
intentions.
Je fouhaite de tout mon coeur que fe
rapport foit faux , & que rien ne puiffe
diminuer l'eftime que j'ai conçue de votre
probité , ni celle que le Public a lieu d'avoir
de votre capacité . & c .
J'ai l'honneur d'être & c.
Si je ne reçois aucune réponſe dans la
huitaine , je n'y compterai plus .
Cette Lettre n'a été envoyée au Mercure
que le 25 du même mois , 22 jours
après fa date , au défaut d'une réponſe.
ANATOMIE.
LE Volume des Mémoires de l'Acadédémie
Royale des Sciences de 1744 , en
contient un d'Anatomie fur la ftructure
des reins , par M. Bertin , avec quatre
Planches très curieufes . L'explication de
ces Planches eft très chargée , & l'on ne
fcait point comment ce volume a paru
avec les planches , fans les lettres qui ont
158 MERCURE DE FRANCE.
rapport à l'explication . Comme cela faifoit
pour ceux qui ont la collection , un
volume imparfait, M. Morand a été chargé
de l'impofition des lettres & des chiffres
en grand nombre , & l'Académie
vient de publier ces Planches avec les lertres
qui manquoient . Il faut s'adreſſer à
I'Imprimerie Royale .
MORAND.
LETTRE à la Société des Gouteux.
L Es progrès de ma poudre balfamique
ou ptifane pour le foulagement de la
goutte , devenant tous les jours plus intéreffans
, & la réputation de ce reméde
s'établiffant folidement , je dois inftruire
le Public des moyens que j'ai employés
pour y parvenir. Après les premieres années
d'expériences , je me fuis adreffé aux
Chefs de l'Art,à qui j'ai confié la compofition
de cette découverte ; tels font MM.
de Sénac & de la Saône , premiers Médécins
du Roi & de la Reine , M. Bory &
M. de Bordeux , Docteurs Médecins de
Paris , M. Morand , célèbre Chirurgien de
Paris, & c ; qui non feulement l'ont regardé
comme un remède doux & incapable
de produire des effets contraires ; mais en
JUILLET. 1761.
159
1
ont fait l'éloge en le confeillant aux malades
goutteux . Ses différens fuccès ont diffipé
le préjugé de quelques - uns & excité
toute l'attention de ceux qui étoient les
plus incrédules. Les peines & les traverfes
que j'ai éffuyées dans l'exécution d'un projet
fi difficile, n'ont fait qu'exciter mon zéle
& augmenter mon émulation ;toujours appliqué
à la pratique de cette terrible maladie
, j'ai fait les obfervations les plus
utiles pour foulager tous les Goutteux ,
quoique d'un tempérament différent ; je
preferis aux uns ma ptifane naturelle , &
à d'autres , je l'ordonne coupée avec un
quart de petit lait clarifié , ou de lait pur
chez ceux qui n'en font point incommodés
; j'en foutiens les effets par de doux
purgatifs quand ils font indiqués ; j'ai même
formé un purgatif particulier en poudre
dont l'on forme des bols , pour ceux
qu'une répugnance infurmontable ne peut
affujettir à l'ufage des liquides. Mon nouveau
traité fur la goutte , qui eft imprimé
& fe vend chez M. Lambert , rue de la
Comédie Françoiſe à Paris , eft un Ouvrage
qui intéreffe très - particuliérement tous
les Goutteux , leur confeillant de le lire
& le relire encore ; ils y trouveront toutes
les reffources que peuvent leur procurer
la théorie & la pratique : ils y verront
160 MERCURE DE FRANCE.
auffi des faits opérés par mon reméde &
les fuites des effets contraires de ceux que
l'on a mis en ufage . Plus flatté d'une réputation
qui s'établit peu à peu , que de
celle qui s'éclipfe à l'inftant qu'elle s'annonce
, je prouverai à la Société que [es
intérêts me font précieux , & ne négligerai
aucun moyen de mériter fon eftime &
fa confiance . J'ai fixé le prix de mon reméde
à vingt- quatre fols la prife pour la
bouteille ; je n'ai pas crû devoir me refufer
à de fages confeils & à l'humanité :
j'aurai des correfpondances dans toutes les
Capitales du Royaume & les principales
Villes de l'Europe , pour la plus grande
commodité du Public qui n'eft pas toujours
dans le cas d'attendre : mon ordonnance
eft à la fin de l'Ouvrage , & tous les
moyens d'ufer du reméde y font indiqués.
Il faut avoir le foin d'affranchir les Lettres
que l'on m'écrit , de même que celles de
mes correfpondans. Je fuis logé chez M.
de la Font, petite rue S. Roch , quartier
Montmartre à Paris. MM . les Libraires
qui voudront avoir mon Ouvrage pour lediftribuer
dans leurs Provinces , s'adrefferont
à M. Lambert à Paris.
CHERVY DE MONGERBET . D, M.
JUILLET. 1761. 161
ASTRONOMIE , OPTIQUE ,
HORLOGERIE.
DESCRIPTION & Ufage de divers Ouvrages
& inventions de M. PASSEMANT
, Ingénieur du Ro1 : fuite de
l'Extrait inféré dans le Mercure du
mois de Mai dernier.
E NTRE toutes les merveilles dont cette
Brochure donne une notice , & que nous
fommes obligés de fupprimer dans un Extrait
, on ne peut fe difpenfer d'indiquer
le grand Miroir de glace , * de 45 pouces
de diamètre , préfenté au Roi en 1757.
Ce Miroir , expofé au foleil , en réunit
tellement les rayons , qu'un morceau d'argent
, placé au foyer , eft fondu en trois
fecondes . La matiére fondue tombe de
fept pieds de hauteur dans un vaſe
d'eau , & elle s'étend fous l'eau comme
une toile d'araignée ; la chaleur étant fi
forte , que ni l'air , ni l'eau ne peuvent la
mettre en grenailles. Les minéraux & les
pierres les plus dures ne réfiftent point à
fon effet. Ce Miroir joint à cette faculté ,
* Grand Miroir de 45 pouces de diamètre.
162 MERCURE DE FRANCE.
celle de faire paroître de grandeur natu
relle des Payfages , des Bâtimens , des
Ports de Mer , peints fur des Tableaux
de fix pieds de grandeur , en forte qu'on
les voit comme dans leur véritable étar ,
& qu'un deffein d'Architecture fait l'effet
d'un Bâtiment élévé dans fes vraies
proportions , & tel qu'il fera dans fa conftruction
réelle. Il eft facile de fentir quel
avantage il en doit réfulter pour juger &
rectifier les défauts , qui dans les Edifices
les plus confidérables ne s'apperçoivent
qu'après la conftruction . L'Auteur s'engage
dans cette Brochure à fournir aux
curieux , de ces fortes de Miroirs de la
grandeur qu'ils fouhaiteront.
M. Paffemant avoit donné au Public en
1737 , un Traité fur la conſtruction des
Télescopes , qu'il fe propofe d'augmenter
d'un nombre confidérable de recherches
qu'il a faites depuis , fur ce Méchaniſme .
Les Mathématiques lui doivent encore
une excellente méthode pour divifer un
quart de cercle , avec tant d'exactitude
qu'on eft fûr d'une feconde ; & il a ajouté
à cette méthode , la manière de conftruire
cet inftrument d'une façon que l'Obfervateur
foit affuré de la même précifion dans
l'uſage qu'il en peut faire. Quel motif
pour engager tous ceux qui opérent dans
JUILLET. 1761 .
163
quelque partie que ce foit des Mathémaiques
, à fe fervir des inftramens que dirige
la fagacité d'un tel Artifte .
BAROMETRES .
La plus grande perfection des Barometres
& des Thermometres a été auffi un
des objets du travail de M. Paffemant.
Paffons le détail des différens Barometres
d'une conftruction toute nouvelle , &
d'une fenfibilité très-fupérieure à tous les
autres , pour rendre à notre Savant Méchanicien
le tribut d'éloges & de reconnoiffance
que l'on doit à fon Barometre
de Mer.
BAROMETRE de Mer , dont feu M.
THUROT afait ufage.
L'extrême avantage de prévoir les variations
du temps fur Mer , étoit trop fenfible
& trop intéreffant , pour n'avoir pas
été defiré; mais cet éffort, jufqu'à préfent,
avoit paru au- deffus des plus hautes prétentions
de l'induftrie humaine . La vacillation
continuelle de la colonne de Mèrcure
rendoit impraticable l'ufage des Barometres
. Notre Auteur , qui a furmonté
cet obftacle par un des moyens les plus
fimples , nous apprend qu'il eut l'honneur
le 12 Août 1759 , de faire au Roi la def
164 MERCURE DE FRANCE
cription du Barometre de Mer.On s'eft fervi
de ce précieux inftrument fur quelquesuns
de nos vaiffeaux , dans les dernières
campagnes de Mer , notamment fur ceux
du feu Capitaine Thurot , nom trop cher
encore à tout bon Patriote , & trop refpectable
dans la Navigation , pour que
fon choix & fes expériences n'aflurent
pas le mérite & l'utilité d'une invention
de cette importance.
HORLOGERIE.
Les defcriptions contenues dans cette
Brochure , des divers Chefs - d'oeuvre d'Horlogerie
dont M. Paffemant a enrichi cet
Art , font fi peu chargées de ce qui fait
valoir des chofes très - inférieures , que les
extraire feroit les copier en entier ; il feroit
à craindre même de prévenir le plaifir
qu'elles feroient au Lecteur dans l'ouvrage
même : nous ne pouvons cependant
refuſer un moment d'attention aux dernières
Montres à répétition de l'Auteur, la
première defquelles il a eu l'honneur de
préfenter au Roi l'année dernière.
MONTRE où l'on voit le Mécha
nifme de la Répétition .
Quelque peu fenfible que puiffe être quelqu'un
au Méchanifme admirable d'une
JUILLET. 1761. 165
•
Montre à Répétition , il ne pourra dif
convenir de l'agrément qu'il y auroit à
voir , en s'en fervant, tout le jeu des piéces
qui la compofent. M. Paffemani eſt
parvenu à mettre à découvert , fous un
criftal , qui fait le fond de la boëte , toutes
les piéces de la cadrature ; en forte
qu'en faifant frapper l'heure , on voit le
jeu de toutes ces piéces ; obfervation que
l'on répéte autant de fois que l'on veut ,
fans détériorer la montre. Lorfque l'on
confidére tous les changemens qu'il a
fallu faire dans la difpofition des rouages
; qu'il falloit de plus , que toutes les
piéces de la cadrature fujettes à tourner
fiffent cette opération dans un fens contraire
; que d'ailleurs il étoit indifpenfable
de rendre fans jeu le renvoi de l'aiguille
des minutes au limaçon des quarts ,
& qu'en mettant l'aiguille des minutes
fur l'heure , ce limaçon fe plaçât auffi
exactement que s'il étoit fous le cadran ;
fi l'on confidére donc toutes ces difficultés
, on reconnoîtra qu'elles demandoient
des recherches infinies ; & l'on ne nous
foupçonnera pas de prodiguer indiftinctement
une puérile admiration à toutes les
découvertes que nous annonçons au Public .
166 MERCURE DE FRANCE:
T
1
HORLOGERIE ASTRONOMIQUE.
Les Ouvrages finguliers en Horlogerie
Aftronomique du même Auteur , & qui
avoient précédé ce dernier , étant d'un
plus grand apparat , ont été vus d'un plus
grand nombre de curieux.
Une Pendule couronnée d'une fphère
mouvante , préfentée au Roi en 1759 , &
placée dans fon cabinet à Verſailles . Une
autre finie en 1754 , qui a été envoyée
aux Indes , deſtinée pour le Roi de Golconde
; une Pendule Aftronomique faite
pour le Grand- Seigneur , en 1749 ; propre
à être miſe fur un Bureau; des pendules
à fecondes réduites dans une boëte
ou dans un cartel de grandeur à être attachées
à une muraille. Les mêmes pendules
font à équation , en forte qu'elles
indiquent le temps vrai & le temps
moyen , avantage que le même Auteur a
trouvé auffi le fecret de donner à des
montres.
MACHINE PARALLECTIQUE
MOUVANTE.
On ne voit pas fans étonnement une
Machine parallectique, rendue mouvante,
& préfentée au Ror en 1757 , dans la
boëte de laquelle eft renfermé un mouJUILLET.
1761 ; 167
yement qui fait tourner un télescope
garni d'un micrométre . Cet inftrument
fuit le Ciel toute la nuit , en forte cependant
que l'on peut accélérer ou ralentir
fon mouvement
, fuivant celui de
la Planette qu'on obferve. Les favans Obfervateurs
doivent être particulierement
fenfibles à l'utilité prodigieufe de cette
Machine.
GLOBES MOUVAN S.
Les Temps & les Empires qui ont eu
des Mécènes , ont eu feuls la gloire de
produire & de développer des génies qui
les ont illuftrés. Notre Auteur finit en
1759 pour M. le Marquis de Marigny ,
Directeur des Bâtimens du Roi , deux
globes qui ont été placés depuis dans
une Maiſon Royale .
Le Globe Célefte tourne fur lui-même
en 23 heures 56 minutes 4 fecondes
temps de la révolution des Etoiles fixes ;
en forte que l'on voit toutes les Etoiles qui
fe lévent & qui fe couchent , & toutes
celles qui paffent au méridien . Un Soleil
fait le tour de ce Globe en parcourant
en une année l'écliptique , fans que l'on
voie comment il communique avec le
rouage. Au Pole arctique eft placé un cadran
d'Email , où l'heure & la minute font
marquées.
68 MERCURE DE FRANCE:
Le Globe Terreftre tourne fur lui- mê
me en 24 heures . Au Zénith eſt placé un
Soleil qui femble éclairer le Globe : l'horifon
fert à féparer la partie éclairée de la
partie obfcure . Toutes les Villes qui atteignent
le bord de l'horifon entrent dans
la lumière ; celles qui paffent fous le Soleil
ont midi ; celles qui atteignent le bord oppofé
de l'horifon , entrent dans la nuit.
Les poles de ce Globe s'élevent de 23 degrés
& demi en été , & s'abaiffent de 23
degrés & demi en hyver , fuivant la déclinaifon
du Soleil . Par ce mouvement les
jours croiffent & décroiffent réguliérement
; & on voit les Pays qui ont fix mois
de jour & fix mois de nuit , & les faifons
fe fuccédent régulièrement .
Toute la Méchanique qui fait mouvoir
ces deux Globes , eft cachée ; & ils n'ont
befoin d'être montés que toutes les femaines.
Depuis l'impreffion de cette Brochure ,
l'Auteur a terminé d'autres Ouvrages qui
ne méritent ni moins de curiofité
moins d'admiration .
ni
M. PASSEMANT , eft logé au Louvre
au- deffus de M. BOUCHER , Peintre du
Roi.
ARITHMÉTIQUE.
JUILLET. 1761. 169
ARITHMÉTIQUE.
M. DUFOUR , Ingénieur en Chef de la
Compagnie d'Agriculture , qui a mis au
jour l'année derniere uneTable Géométrique
Françoife ou Allemande , gravée en
4 Planches , non compris le Titre Allemand
, à l'effet de faire trouver au premier
afpect les produits de tous les nombres
intermédiaires entre 1 & 100 , ayant
été requis de diminuer le prix de cetteTable
, dont la compofition a été approuvée
& l'utilité reconnue , donne avis au Public
qu'il en fournira les Exemplaires fous
les différens formats , aux prix ci - deffous :
SÇAVOIR;
Les 4 Planches en feuilles féparées &
tirées fur grand Nom de Jefus , & le Titre
Allemand fur papier fimple à liv. 10 f.
Les mêmes 4 Planches réunies & collées
enfemble ,
£ 1 liv. 14 f
Réunies & collées fur toile avec bor
dure en foye bleue ,
Reliées in-4 . en bazane ,
Et reliées in -4°. en veau ,
4
liv. 12 f.
31.6 f
3 liv. 18 f
Les anciens prix de ces Tables étoient
de 2 liv. 8. f. en feuilles ; de : 2. liv. 12 :
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
réunies & collées enſemble ; de S5 l. 10 f.
réunies & collées fur toile avec bordure en
foye bleue; de 4 liv.4 f.reliée in-4° . bazane
& de 4 liv. 16 f. reliée in-4° . en veau.
L'Auteur a prévû & levé les difficultés
qu'auroient produites les raccordemens
lors des collures pour l'affemblage des 4
feuilles de cette Table , en une ſeule ; en
mettant en tête & à gauche des 1 , 2 , 3 &
4 planches , les nombres générateurs intermédiaires
entre 1 & 100 qui fe fervent
réciproquement de multiplicande & de
multiplicateurs , & fucceffivement d'une
Planche à l'autre , ainfi on peut ( chaque
feuille reftant féparée) faire par le moyen
de ces nombres générateurs , toutes les
multiplications poffibles entre 1 & 100.-
Ufage de cette Table , les quatre feuilles
reftant séparées.
En tête de la premiere Planche , on
donne deux exemples pour trouver les
produits nommés rectangles , en ce que
les nombres ou racines de ces produits
font inégaux.
Cette premiere Planche renferme 1225
produits rectangulaires des nombres entre
& so , l'un par l'autre , & so produits
nommés quarrés des mêmes nombres
depuis 1 jufqu'à so inclufivement .
JUILLET. 1761. 171
Dans la feconde Planche , on donne
deux exemples pour trouver dans cette
Table les produits quarrés contenus dans
les Diagonales AD & F D des premiere
& quatrième Planches .
Ces quatre exemples font plus que fuffifans
pour connoître à fond la manière
de trouver dans les quatre Planches de
cette Table les produits à volonté entre
1 & 10000 .
La troifiéme Planche renferme 2500
produits ( nommés rectangles ) de tous
les nombres , depuis 51 jufqu'à 100, multipliés
par les nombres intermédiaires entre
& so inclufivement , qui font en
tête de cette troifiéme Planche.
Enfin la quatriéme Planche contient
1º.le long de la diagonale F D , les so
produits quarrés de tous les nombres depuis
51 juſqu'à 100 inclufivement. 2 °.
1225 produits rectangulaires entre 51 &
100.
"Outre que cette Table a été pouffée
jufqu'à 100 , elle a l'avantage fur celle
de Pythagore ( qui ne l'avoit donnée que
depuis jufqu'à 10 ) de préfenter dans fa
diagonale les quartés des 100 nombres
générateurs qu'elle contient, mais encore.
celui d'être dépouillée de 4950 produits
qui feroient en double emploi , fi Pytha
Hij
172 MERCURE DE FRANCE,
gore eût de même pouffé fa Table juf
qu'à 100 .
Les Perfonnes de Province qui defireront
fe procurer ces Tables peuvent ( en
affranchiflant le port de leurs lettres &
celui de l'argent , felon le format qu'el,
les voudront ) s'adreffer à Paris à M. Dufour
, rue S. Honoré , vis- à- vis de la rue
de la Sourdiére , maifon de M. Dangard,
Notaire ; elles recevront l'ordinaire d'après
leur demande , & par la voie qu'elleş
indiqueront , ces Tables Géométriques.
Nota. Les Exemplaires in - 4° . ont été
faits exprès pour les Bureaux & les Cabinets
dans lefquels les Tables collées fur
toile font auffi très- utiles .
SUPPLEMENT à l'Article des Sciences
& Belles- Lettres.
Application du calcul des probabilités à
l'inoculation de la petite vérole.
OnN peut réfoudre çes fortes de queftions
de deux façons : la premiere en trouvant
qu'il y a au plus , ou au moins , tant en
faveur d'un parti , plutôt que de l'autre ;
la feconde en déterminant au jufte , l'avantage
ou le défavantage d'un parti an
JUILLET. 1765 173
deffus de l'autre . Celle - ci eft fans contredit
la plus parfaite ; mais la premiere fufpour
le déterminer dans l'ufage de la fit
vie.
PROBLEME.
Déterminer quel est le défavantage d'attendre
la petite vérole naturelle , relativement
à celui de fe la faire donner par
inoculation. "
Je cherche d'abord le défavantage de
fe faire donner la petite vérole par inoculation
, & je fuppofe qu'on inocule un
enfant de 4 ans, & que de 300 Inoculés
il en meurt un ;je fuppofe encore que la
vie ordinaire de l'homme eft de 64 ans :
fi cet enfant rifquoit les 60 années qu'il
doit vivre , contre un autre qui en rifqueroit
un pareil nombre , & qu'il pût
gagner les années de cet autre, nommant
A les années qu'il doit vivre , fon * fort
s'exprimeroit par 299+ A ++ & ſon
avantage feroit
70 1970
J
2
300
I
38A , mais comme cet
On entend par le fort d'un Joueur ce qu'il a
dans l'enjeu , qui eft comme les hazards qui font
en fa faveurs s'il a plus de la moitié des hazards
en fa faveur , outre fa mife , il a une portion
dans la mife de l'autre , & cette portion eft ce
qu'on appelle fon avantage. i
Hij
74 MERCURE DE FRANCE.
enfant rifque les années futures de ſa vie,
fans efpérance d'en gagner d'autres , &
feulement pour fauver fes années futures
d'un plus grand danger , fon fort fera
222+A++ o, & aulieu d'avoir de l'a-
1
360
vantage , il aura le défavantage réel de
A. Cherchons maintenant fon défavantage
, s'il eût attendu la petite vérole
naturelle. De huit perfonnes qui en font attaquées
il en fuccombe une; fon fort feroit
donc 7 +B +1 +o fon défavantage B , 198
-
8
je nomme ici les années B , parce que le
nombre n'en eft plus le même , le défavantage
de la petite vérole Inoculée
étant A , & celui de la petite vérole 1380
naturelle B , le défavantage de la petite
vérole fera à celui de l'Inoculée , comme
300 B à 8 A. Pour donner une valeur
à B. je fuppofe que le germe de la petite
vérole fe manifefte également chaque
année de la vie , ayant déterminé la vie
de l'homme à foixante - quatre ans , il
faudra prendre le terme moyen entre 4 &
64, & on aura 30 pour la valeur de B, &
l'on trouvera que le défavantage de la
petite vérole naturelle fera 300 + celui
de l'Inoculée 16 ou 18 → 1 .
Il y en a qui ont eftimé le défavantage
JUILLET. 1761. 175
de la petite vérole naturelle , fans avoir
égard aux nombres des années qu'on rifque,
& de celui de la petite vérole Inoculée
+ ; de là ils ont conclu que le défavantage
de la petite vérole naturelle étoit
à celui de l'Inoculée comme 300 à 8 ; en
quoi ils fe font trompés ; ils auroient dû
voir, que le défavantage de la petite vérole
naturelle eft un défavantage de la petite
vérole Inoculée en raifon compofée de
300 à 8+ du nombre des années qu'on
rifque , c'est- à- dire , en raifon compofée
de ces deux raports 300 8 & B A , qui eft
300 Bà 8 A , comme nous venons de le
trouver. Le défavantage d'attendre la petite
vérole naturelle eft donc à celui de
l'Inoculée au moins comme 18 à 1 .
J'ai fait une fuppofition à trop défavantageufe
à l'Inoculation , en fuppofant
que dans celui qui attend la petite vérole
naturelle , fon germe ne fe manifeſtera
qu'au milieu de fa carrière : il n'en eſt prefque
point où il attende fi tard à fe manifefter.
Pour fuivre un calcul plus approchant
de l'exactitude , ou qui l'atteigne
peut-être , je diftribuerois la manifeftation
du germe de cette façon : depuis quatre
ans jufqu'à quatorze , la moitié du
monde a la petite vérole , depuis quatorze
jufqu'à vingt- quatre,, depuis vingt-
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
,
quatre jufqu'à trente quatre , depuis
trente- quatre jufqu'à quarante- quatre
depuis quarante - quatre jufqu'à cinquantequatre
, depuis cinquante- quatre jufqu'à
foixante- quatre un autre réduifant
ces fractions en entier , on a 32 , 16 , 8 , 4,
2, 2. Pour trouver le défavantage de celui
qui attendroit la petite vérole naturelle &
chez qui elle devoit fe déclarer dans les
10 premières années , relativement au
défavantage qu'il auroit eu en fe faifant
inoculer à quatre ans la petite vérole
pouvant fe manifefter dans les premières
ou dans les dernières années des dix ans ,
il faut prendre un terme moyen entre dix
qui eft cinq , de forte que l'enfant aura
la petite vérole à neuf ans , & courra rifque
de perdre cinquante - cinq ans ; on
aura donc pour ces termes des rapports
dont il faut chercher la raifon compofée.
(300 , 8 , 55 , 60 , & cette raifon fera
16500 , 480 ou 341 , 1. On trouvera de
même , que le défavantage d'attendre la
petite vérole , fi le germe doit fe manifef
ter dans la feconde dixaine de la vie de
l'enfant, fera 28 & s'il fe manifefte dans
la troifiéme dixaine , il fera 21 , s'il fe
manifefte dans la quatriéme dixaine , il
fera 15 , s'il fe manifefte dans la cinquiéme
dixaine il fera 9 , s'il fe manifefte
dans la fixiéme dixaine, il fera 3 j. Si
JUILLET. 1761. 177
la petite vérole doit fe déclarer dans la
première dixaine, le défavantage eft 345 ,
fi elle doit fe déclarer dans la deuxième
dixaine , le défavantage eft 28 ; mais
comme elle a trente- deux perfonnes à attaquer
dans la première dixaine , contre
ſeize dans la deuxième , ou ce qui eft la
-même chofe , qu'il y a trente- deux contre
feize qu'elle fe déclarera plutôt dáns la
première dixaine que dans la feconde , je
multiplie 34 % par trente-deux & 28 par
feize , & j'ai 1100 pour le défavantage
de la première dixaine & 450 pour celui
de la feconde. Multipliant de même 21 %
par 8 15 par 4 , 9 par 2 & 3 auffi par
2. On aura pour les défavantages de ces
quatre dixaines 173 , 62 , 18 & 6 , les défavantages
des fix dixaines feront.
Et le Total des défavantages
1824 , divifant cette ..
•
fomme par 64 on aura 28 de
forte que le..
défavantage exact d'attendre la petite
vérole dans les impofitions..
que nous avons faite, à celui de so
la faire donner.
par Inoculation eft de 28
C. Q. F. B....
·
à I.
ilob
450
175
62/2
18
6
Total , 1812 .
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
Nous avons fuppofé la vie ordinaire de
l'homme de 64 ans , ce qui peut être
trop : mais qu'on faffe le dernier calcul
que nous venons de donner fuivant une
autre fuppofition qu'on croye approcher
plus du vrai , cela ne diminuera ni n'augmentera
pas beaucoup l'avantage de l'Inoculation;
nous ne voulions que montrer
qu'on peut foumettre cette queftion au
calcul des probabilités, le Public jugera fi
nous y avons réuffi . Si dans la fuite on fait
des Obfervations plus exactes , il fera auffi
facile de calculer fuivant ces obfervations
que fuivant les fuppofitions que nous
avons faites.
Nous avons mis au nombre des défavantages
de l'Inoculation, les riſques que
court l'Inoculé de perdre les années qui
s'écoulent depuis 4 ans jufqu'à l'âge fait ;
ce n'eft point un inconvénient pour le
Fere qui fait inoculer fon enfant , il lui eft
auffi fenfible de le perdre à 20 ans qu'à 4 ;
cet inconvénient n'en eft pas un non plus
pour l'état , qui n'a pas plus tiré de fervice
d'un adolefcent qui meurt à 17 ou 14
ans , que d'un enfant de 4 ans ; mais il
eft inutile de relever des avantages auffi
minutieux en faveur d'une opération , ou
quand ils feroient quatre fois & huit fois
moindres, il feroit toujours dans les régles
JUILLET. 1761 179
de la prudence de la mettre en ufage.
Je ne pafferai pas cependant fous filence
le double avantage que le beau fexe tire
de l'Inoculation , en mettant ſa beauté ,
qui eft une feconde vie à ménager , à couvert
du danger ; mais je ne reléverai point
les autres avantages de cette opération :
ils l'ont été affez en beaucoup d'ouvrages,
& fur-tout dans les Differtations & dans
les Lettres de M. de la Condamine. Que le
fort de cet illuftre Académicien eſt à envier
jamais Savant n'a fait une application
plus utile à l'humanité de ſon ſavoir.
Qu'il eft beau qu'un Royaume entier reconnoiffe,
que s'il a adopté cette naturelle
méthode , il en a l'obligation à fes fortes
& éloquentes Differtations, & que tous les
Citoyens qu'elle arrachera à une mort prématurée
lui devront leur vie.
*
J'attens avec impatience que la Differtation
de M. d'Alembert fur cette queftion
me parvienne , pour voir fi les difficul
tés qu'il croit inacceffibles au talent me
le paroîtront autant. Celles qui font rapportées
dans l'Extrait que M. de Vandermonde
a donné de cette Differtation , ne
m'ont pas paru apporter d'obftacles à
* Cette Differtation eft imprimée en entier dans
PObfervateur Litteraire de M. l'Abbé de la Porte ,
Tome V de l'Année 1766.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
mes calculs , ni en diminuer la certitude. ,
excepté une , fur laquelle je ne puis rien
dire , parce que je ne l'ai pas entendue.
Quoiqu'il en foit, l'autorité d'un auffi grand
-Géométre & Philofophe , ne me laiffe pas
fans inquiétude fur le fort des folutions
que j'ai données . Aux Sables , le 2 Mars
1761 .
MASSÉ DE LA RUDELIERE ..
ARTS. AGRÉABLE S.
M.
GRAVURE.
MOYREAU , Graveur du Ror , rue
des Mathurins , vient de donner deux
nouvelles Eftampes , d'après J. Paul Panini
, Romain. L'une repréfente un Maurfolée
antique , l'autre , les ruines d'un :
Aqueduc Elles font dignes de la curiofité:
des Amateurs .
JUILLET. 1761. 191
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Mufique a préparé
pour le Mardi 14 de ce mois , la premiere
Repréſentation
de la Remife des
Indes Galantes , Ballet dont les Paroles
font de feu M. Fuzelier , & la Mufique
de M. Rameau..
Ce Ballet fut donné pour la premiere
fois en 1735 repris en 1743 & en 1751 .
On rendra compte des détails de l'exécution
& du fuccés de la remife de cet
Opéra dans le Volume du mois prochain .
COMEDIE FRANÇOISE.
LESES Comédiens François ont remis au
Théâtre le Samedi 4 de ce mois , la Com--
reffe d'Orgueil, Comédie en Vers & en 5
Actes de Thomas Corneille , jouée pour la
premiere fois en 1670 .
Quoique cette Comédie fût reſtée au
Théâtre, il y avoit fi longtems qu'elle
182 MERCURE DE FRANCE.
n'y avoit reparu , que la Repréfentation
en étoit nouvelle pour la plus grande
partie du Public. La différence des
ufages du temps où cette Piéce a été compofée,
& encore plus la diftance du genre
comique qui exiftoit alors, jufqu'à la perfection
à laquelle notre Théâtre eft parvenu
depuis , doit nous rendre ces fortes
d'Ouvrages un peu étrangers aujourd'hui.
Ajoutons le tour forcé des intrigues , réfultant
des caractères outrés qui amuſoient
lesSpectateurs; des expreffions dans le Dialogue
qui n'étoient que familieres , & qui
font devenues triviales ; la licence des
équivoques toujours moins tolérées lorfque
cette licence régne le plus dans les
moeurs ; tout fembloit réuni contre la
Comteffe d'Orgueil. Cependant la gaîté de
cette Piéce & la manière dont elle a été
rendue par M. Préville & Mlle Dangeville
, pour lefquels les deux principaux
rôles comiques paroiffoient avoit été faits ,
ont attiré des applaudiffemens. Le plaifir
de rire l'a emporté fur la vaine oftentation
de critiquer. Les repréfentations de
cette Comédie ont été affez fuivies pour
ne pas décourager fur le projet de faire revivre
de temps en temps , plufieurs Piéces
de notre ancien Théâtre, trop légèrement
abandonnées .
JUILLET. 1761 . 183
Le 8 , on remit Orefte , Tragédie de M.
de Voltaire, qui avoit été repréſentée pour
la premiere fois au commencement de
l'année 1750 .
Les Acteurs à cette repriſe étoient :
ORESTE ,
ELECTRE ,
IPHISE ,
CLITEMNESTRE ,
EGISTE ,
PILADE ,
M. le Kain.
Mlle Clairon.
Mlle Huffe.
Mlle Dumefnil.
M. Paulin .
PAMMENE ,
M. Molet.
M. Brizard.
Les applaudiffemens avec lefquels les
repréfentations de cette Tragédie viennent
d'être reçues, ne nous laiffent rien à
ajouter pour la gloire de fon illuftre Auteur
; le plaifir & l'admiration du Public
en font des garans plus fûrs & bien plus
Aatteurs que nos éloges. Tout parallèle
que l'on feroit de cette Piéce avec l'admirable
Electre de M. Crébillon , manqueroit
de jufteffe. Quoique le Sujet foit le
même , la manière de le faifir & de le
traiter, fait de ces Tragédies deux Piéces
différentes. Chacune ayant des genres de
beautés particuliers , le mérite de l'une ne
* V. le Mercure de Février 1750.
184 MERCURE DE FRANCE.
peut détruire celui de l'autre . Ce n'eft point
à l'efprit à adjuger la préférence , c'eſt au
coeur à fe laiffer entraîner fuivant ce qu'il
trouve dans l'une ou dans l'autre de ces
deux Tragédies , de plus propre à l'érouvoir
; & c'eft avoir remporté un prix glorieux
dans la carrière dramatique, que d'avoir
donné lieu à cette efpéce de difcuffion ,
après les fuccès éclatans & toujours foute
nus de la Tragédie d'Electre.. L'Auteur
d'Orefte n'a rien changé dans la conduite
générale de fa Piéce , ni dans le fil des
Scènes ; il a feulement ajouté ou changé
quelques vers dans certaines parties du
Dialogue ; ce qui procure de nouvelles
beautés dans les détails . Entre ce peu de
vers nouveaux qui ne fe trouvent pas imprimés
dans les différentes Editions d'Orefte
, nous en avons remarqué quelquesuns
que nos Lecteurs ne nous défapprouveront
peut- être pas
de
rapporter.
Dans la premiere Scène du troifiéme
Ate , Orefle raconté ainfi à Piladé la rencontre
qu'il a faite de fa mère qu'il ne
connoît pas encore.
و ر » J'étois dans ce tombeau, lorfqueton oeil fidèle
» Veilloit fur ces dépôts confiés à ton zèle ;
» J'appellois en fecret ces mânes indignés ;
>>Je leur offrois mes dons de mes larmes baignés..
JUILLET. 1761. 185
Une femme vers moi courant déſeſpérée ,
» Avec des cris affreux , dans la tombe eft entrée ,
» Comme fi dans ces lieux qu'habite la terreur,
» Elle eût fui fous les coups de quelque Dieu ven-
» geur.
» Elle a jetté fur moi fa vue épouvantée ;
» Elle a parlé , j'ai vû les Filles de l'Enfer ,
» Sortir entre elle & moi de l'abîme entr'ouvert
» Leurs ferpens , leurs flambeaux , leur voix fom .
» bre & terrible ,
M'infpiroient un tranfport inconcevable , horri
» ble ;
>>Une fureur atroce ; & je fentois ma main ·
Se lever malgré moi , prête à percer fon fein.
» Ma raifon s'enfuyoit de monâme éperdue ;
» Cette femme en tremblant s'eft fouftraite à ma
>> vue ,
> Sans s'adreffer aux Dieux , & fans les honorer
» Elle fembloit les craindre , & non les adorer ..
>> Plus loin & c.
*
Ces derniers vers particuliérement ont
une force de pinceau à laquelle l'énergie
fimple & noble de l'expreffion donne le
caractère du fublime. On fent avec quel
art , dans les vers qui précédent , l'Auteur
prépare & juftifie en quelque forte le parri
cide qui doit faire la catastrophe .
Dans la deuxième Scène du même Acte.
486 MERCURE DE FRANCE
Orefte fe plaint à Pammene de la défenſe
lui font les Dieux de fe découvrir à
Eledre.
que
» Pourquoi nous impofer par des loix inhumaines
» Et des devoirs nouveaux , & de nouvelles peines !
» Les Mortels malheureux n'en ont-ils pas affez ?
>> Sous des fardeaux fans nombre ils vivent terraf-
» fés.
» A quel prix , Dieux puiſſants , avons- nous reçu
>> l'être ?
N'importe , eft- ce à l'Eſclave à condamner fon
Maître ?
» Obéiffons , Pammene , & c .
A la deuxième Scène du quatrième Acte,
Electre trompée par de faux bruits , &
méconnoiffant fon frere dans Orefte qu'elle
croit le meurtrier d'Orefte même , malgré
toute la piété que fait paroître ce jeune
Etranger pour les Mânes d'Agamemnon
dit à Iphife.
• · Ainfi donc les Mortels
>>Se baignent dans le fang, & tremblent aux Au-
» tels ;
» Ils paffent fans rougir du crime ' au facrifice.
» Eſt- ce ainfi que des Dieux on trompe la juſtice !
La fin de la Piéce a été jouée telle que l'Auteur
l'avoit d'abord defiré ; c'eſt - à - dire que
JUILLET. 1761. 187
Clitemeneftre y eft tuée prefque fur le Théátre
, ainfi que dans Sophocle. La confufion
des Spectateurs avec les Acteurs fur la
Scène , n'ayant plus lieu , on a rétabli ce
que cette abfurde coutume avoit obligé
de fupprimer dans la cataſtrophe.
On n'avancera rien qui ne confirme le
témoignage de tous les Spectateurs , en
affurant qu'Oreste a été en général rendu
très-fupérieurement à ce qu'il l'avoit été
dans fa nouveauté . Onze ans d'exercice
raifonné portent à la perfection des talens
déja difpofés pour entraîner tous les
fuffrages. Mile Dumefnil a été admirable
& très- applaudie dans le peu de traits dont
le perfonnage de Clitemneftre eft fufceptible
, action de cette Tragédie ne permettant
pas que ce rôle foit auffi intéreffant
que ceux d'Orefte & d'Electre.
à ex- M. le Kain , dont le jeu toujours applaudi
eft particulierement propre
primer les fentimens les plus forts , a
trouvé dans le caractère d'Orefte dequoi
developper tout ce que l'art & l'intelligence
ajoutent dans un Acteur , à la fenfibilité
naturelle de fon âme.
Mile Huffe a montré du feu & de l'intelligence
dans le rôle d'Iphife. Le Public
a reconnu par fes applaudiffemens , ce que
gagnent ces feconds rôles lorfqu'ils font
188 MERCURE DE FRANCE.
remplis par des Actrices auxquelles les
grâces de la figure ne font pas négliger l'étude
& les foins qu'exige leur talent . M.
Molet a été vû favorablement dans le
rôle de Pilade.
Nous étions tentés de ne rien dire de
Mlle Clairon. Il eft fi embarraffant d'avoir
à rendre compte des nouveaux prodiges
de cette Actrice , toutes les fois
qu'elle joue un nouveau rôle ou qu'elle
en reprend un ancien , que la vérité ceffe
de devenir vraisemblable. Ceux qui auront
été témoins des repréfentations d'Orefle
, nous trouveront fans doute beaucoup
trop au - deffous des impreffions , out
plutôt de l'enchantement qu'Electre leur
a fait éprouver ; ceux que leur abfence
aura empêché de jouir de ce plaifir nous
accuferont d'exagération. Cependant ce
n'eft ni le penchant à encherir , lorfqu'on
a à parler plufieurs fois du même Sujet ,
ni l'illufion d'une impreffion récente , qui
nous fait affurer que Mile Clairon a étonné
dans ce rôle par des traits d'un fublime
& d'une force de vérité qui ont paru tout
nouveaux. Le caractère & le fentiment
perpetuel d'Electre n'étant qu'une fureur
enflamée contre fon Tyran , d'où fuit undefir
effréné de vengeance; il eft inconcevable
ce que l'art de cette inimitable '
JUILLET. 1761. 189
Actrice y a placé de nuances , toutes plus
frappantes les unes que les autres . D'un
fentiment unique , elle a trouvé le merveilleux
fecret d'en faire naître tous les
genres démotion qui peuveut enlever
Pâme du Spectateur .
N. B. Pour prévenir quelques cenfures
peu refléchies , nous ne pouvons trop répéter
qu'en rendant compte des Spectacles ,
nous avons toujours en vue ceux de nos Lecteurs
que l'abfence ou d'autres circonstances
empêchent d'en étre témoins, & d'en juger
par eux-mêmes.
COMEDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens , ont donné
fur leur Théâtre la Serva Padrona , dans laquelle
Mlle Piccinelli a exécuté avec fuccès
le principal Rôle .
Le Samedi 11 , on repréfenta pour la
première fois , le Fils d'Arlequin perdu &
retrouvé , Comédie nouvelle Italienne .
Elle fut très - bien reçue du Public , ainfi
que le Ballet Pantomime dont elle eft fuivie,
de la compofition de M. Felicini, Intitulé
le Jardin Anglois : on rendra un
190 MERCURE DE FRANCE.
compte plus détaillé de ce Spectacle dans
le prochain Mercure.
On a mis , par erreur , dans le Volume
précédent le nom de M. Francini ; c'eſt
M. Bertelaure qui danfoit avec Mlle Camille
dans le Ballet des Pierrots , que le
Public a vu tant de fois avec plaifir.
O
OPERA - COMIQUE .
N a continué avec fuccés les Repréfentations
du Jardinier & fon Seigneur ,
ainfi que celles du Cadi dupé , deux Piéces
mêlées d'Ariettes , dont les genres font
différens & plaifent également au Public .
Le 3 de ce mois , on donna pour la première
fois la Fauffe Turque , Opéra Comique
nouveau , que les Auteurs ont retiré.
Le Ballet intitulé le Bouquet, a eu un fort
plus heureux ; Mlle Menaffier y a été entr'autres
fort applaudie. Le genre de Danſe
de M. Allard , quoique jugé par quelques
Amateurs un peu forcé, a des Partifans , &
conféquemment des applaudiffemens.
*
JUILLET . 1761. 191
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES:
De VIENNE , le 20 Juin 1761.
Ls de ce mois , l'Archiducheſſe Amelie ſe
trouva indiſpoſée , & le 6 , fa petite vérole ſe manifelta.
L'éruption n'ayant été accompagnée d'aucun
accident , cette Princeffe eft actuellement hors
de danger . Selon les lettres reçues de la Siléfie
notre armée garde ſa même poſition , & le Baron
de Laudon a toujours fon quartier général à
Hauptmansdorff. Les Pruffiens n'ont fait encore
aucun mouvement . Six mille hommes de leurs
troupes occupent le Zeiskenberg . Divers partis des
troupes du Lieutenant- Général Beck , qui campe
fur les frontieres de la Luface & de la Baffe- Silefie ,
ont déjà pénétré dans cette derniere Province , &
y ont levé des contributions .
Nous apprenons de Warfovie, que le Prince Cle
ment de Saxe vient d'embraffer l'Etat Eccléfiaftique
, & qu'il a reçu la tonfure des mains du Comte
Visconti , Nonce du Pape .
Plufieurs Aftronomes ont fait ici l'obſervation du
paffage de Vénus fur le difque du Soleil . Le temps
fut d'abord peu favorable ; mais il permit du moins
de déterminer le moment de la phaſe laplus éffentielle
; fçavoir , celui de la fortie de la Planete. Le
fieur Caffini , de l'Académie Royale des Sciences
de Paris , obſerva ce Phénomène en préſence de
l'Archiduc Jofeph , qui étoit venu exprès de La
19 MERCURE DE FRANCE.
xembourg. Entre toutes les Tables Aftronomiques ,
fuivant lefquelles on a calculé ce pallage , celles
du fieur Caffini père ont donné les déterminations
les plus conformes à l'événement.
Les nouvelles de Conftantinople portent que
les réjouillances pour la naiffance de la feconde
fille du Grand- Seigneur , ont duré fept jours. On
n'y a pas perdu l'efpérance de voir naître un béritier
de la Couronne Ottomane . Deux Sultanes
font encore enceintes, & Sa Hauteffe a fait donner
part de cet événement aux Miniftres Etrangers. En
même temps , Elle les a fait prier de défendre aux
Maîtres de Navires de leurs Nations , de tirer le
canon , lorfqu'ils pafferont devant le Serrail. Au
départ de ces nouvelles , l'Efcadre Ottomane n'attendoit
qu'un vent favorable pour mettre à la
voile. Elle eft feulement compofée de douze Vaiffeaux
; & l'on ne croit pas qu'elle ait d'autre deftination
, que d'aller recueillir le tribut annuel des
Iles de l'Archipel. La pefte qui régnoit à Smyrne ,
a ceflé , mais elle fait encore du ravage dans diverfes
Provinces de la domination du Grand- Seigneur.
On apprend encore de Conftantinople que le
Prince Héraclius , un des Prétendans à la Couronne
de Perfe , a remporté depuis peu des avantages
confidérables fur fes Compétiteurs . Ces avantages
ont été fuivis de la réduction des deux places
d'Hendfchi & d'Erivan . La premiere a été emportée
d'affaut ; la derniere s'eft ſoumise au Vainqueur
, qui s'eft contenté de lui impofer une contribution
de dix mille fequins. Aflad- Kan & fa
famille font venus fe rendre à ce Prince ; & il les
a envoyés , fous une sûre garde , au Château de
Tefflis . Une grande partie de la Province de Karabah
s'eft rangée fous l'obéiffance du même Prince .
Ces troupes alliégeoient , au départ de ces nouvelles
,
JUILLET. 1761 , 193
les , les Villes de Berda & de Suchfa , qui doivent
être maintenant en fa puiffance.
De HAMBOURG , le 20 Juin.
On a reçu avis de Pomeranie , que les troupes ,
aux ordres du Prince Eugene de Wirtemberg ,
avoient paflé l'Oder , & qu'elles avoient joint le
Général Werner . Elles doivent former un cordon
depuis Colberg jufqu'à la Nouvelle - Marche . Selon
les mêmes avis , les Ruffes le renforcent confidérablement
dans la Poméranie .
Les Suédois fe préparent à entrer en campagne.
On croit qu'ils marcheront d'abord vers le Mecklenbourg
. La Flotte Suédoife a mis à la voile de
l'Ile de Rugen , & elle doit établir la croifiere devant
l'embouchure de l'Oder.
Suivant les lettres de Coppenhague , on y a fait ,
le de ce mois , l'oblervation du paffage de Vénus
fur le difque du Soleil. Par un bonheur inef
péré , le temps , quoiqu'ayant été prefque toujours
couvert , a néanmoins permis d'obferver l'entrée
& la fortie de Vénus . L'émerfion totale eft arrivée
à neufheures vingt - trois minutes du matin .
On écrit de Stockholm , que le Baron de Lutzow
, Envoyé Extraordinaire de la Cour de Schwerin
, eft arrivé dans cette Capitale , I eft chargé de
folliciter la médiation de la Couronne de Suede ,
au fujet des indemnités que le Duc de Mecklenbourg
fe propofe de demander à Sa Majesté Pruffienne.
Ce Miniftre ira enfuite s'acquitter d'une
femblable commiflion auprès de l'Impératrice de
Ruffie,
De MAGDEBOURG , le 20 Juin .
Suivant les avis reçus de la Poméranie , la fufpenfion
d'armes , dont les Généraux Werner &
Tottleben étoient convenus , expira le 6 de ce mois .
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE
Le lendemain , le Comte de Tottleben s'avança
avec un Corps de troupes , pour s'emparer de Belgart
qu'il fit fommer. Le Général Werner y marcha
avec huit bataillons & quelques efcadrons.
Ces deux Corps fe canonnerent le 8 pendant toute
la journée. Enfin les Ruffes renoncerent à leur entreprife
& fe retirerent. Les Pruffiens allerent
enfuite reprendre à Corlin leur premiere pofition.
·De DRESDE , le 10 Juin.
Le 29 du mois dernier , les Pruffiens formerent
une entrepriſe contre les poftes Autrichiens , établis
à Kellelfdorff & dans les Villages voisins. Quatre
bataillons , foutenus d'un Corps de Cavalerie.
fortirent , le 28 au foir , du camp de Meiffen , &
marcherent , pendant la nuit , fur ces poftes qu'ils
attaquerent le lendemain matin . Mais le Général
Ried repoufla l'ennemi , qui ſe retira avec perte
d'environ deux cens hommes tant tués que pri
fonniers.
Le Maréchal Comte de Daun eft parti pour la
Siléfie avec un détachement de fon armée . Il a
laiffé au Général Haddick le commandement des
troupes , qui campent dans les environs de cette
Capitale.
On apprend de Léipfick , que les Pruffiens en
ont retiré leurs Hôpitaux & la plus grande partie
de leurs magafins. Leurs prifonniers de guerre
ont été transférés à Magdebourg.
Suivant les nouvelles de la Baffe - Luface , le
Corps aux ordres du Général Goltz arriva , le 20
dans les environs de Groſs - Glogau , & entra dans
le camp que le Prince Henri avoit occupé l'année
derniere. Ce Général a porté quelques Corps en
avant du côté de Zullickau , pour obſerver les
Ruffes qui marchent vers la Siléfie. Les habitans
JUILLET. 1961 . 195
des lieux fitués au- delà de l'Oder ſe retirent endeçà
de ce fleuve avec leurs meilleurs effets .
De NUREMBERG , le 12 Juin.
Le Maréchal Comte de Serbelloni a , depuis
quelques jours fon quartier général à Hoff. L'armée
de l'Empire s'eft mife en mouvement le 4
de ce mois , & elle eft actuellement dans les environs
de Plaven , d'où elle marchera inceffamment
vers la Saxe. Ses poſtes avancés s'étendent juſqu'à
Chemnitz & Jena fur la Saala.
De ROME , le 6 Tuin.
L'Evêque Duc de Laon , Ambaffadeur de France ,
fe rendit, il y a quelques jours , en grand cortége
au Palais du Quirinal , où il eut audience du Pape.
On prend toujours à Malthe les précautions né→
ceffaires pour éviter l'invafion des Turcs. On
mande de cette Ifle que le Grand-Maître , quoiqu'âgé
de plus de quatre-vingts ans , y anime tous
les travaux par la préſence. Le Bailli d'Anciot a
été nommé Général en chef des troupes de la Religion.
Elles commencent à camper , & on leur a
déjà affigné les poftes qu'elles doivent occuper en
cas d'attaque.
De la BASTIA , le Juin.
Les Commiffaires nommés par le Sénat de Gênes
, pour inviter à la foumiffion les habitans de
cette Ifle , ont fait publier une Déclaration à cet
effet ; mais les avis qui nous viennent de l'inté
rieur de l'Ifle , portent que plufieurs des Mécontens
ne paroiffent plus difpofés à écouter des pro-,
fitions de paix, & que quelques- uns des Chefs s'efforcent
d'entretenir le feu de la révolte. Le Colonel
Martinetti , ayant donné retraite à des perfonnes
chargées de difpofer les efprits à la conci-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE
liation , a été inveſti dans fa maiſon , & il ne s'eſt
fauvé qu'avec peine des mains des Rebelles . Deux
autres Officiers Corfes , accufés d'incliner pour la
paix , ont été enfermés dans d'étroites prifons
De LONDRES , le 21 Juin.
Le fieur de Buffy , Miniftre de France , a déjà
eu plufieurs conférences avec les Miniftres de Sa
Majefté .
On fe propofe d'embarquer dix mille hommes
de troupes réglées fur la Flotte que doit comman
der l'Amiral Hawke.
Sa Majesté a donné le Gouvernement de Belle
Ile au Major- Général Crawford.
Le Monument que le Roi a réfolu de faire élever
dans l'Abbaye de Weſtminſter , à la mémoire dų
célebre Etienne Hales , fera exécuté fur les def
eins du fieur Wilton.
De la HAYE , le 26 Juin .
Un de nos Vaiffeaux , arrivé depuis peu de
l'Inde , a rapporté que le Nabab Jaffier Alikan ,
s'étant rendu odieux par fa tyrannie , avoit été
dépofé . Les marques d'affection que les Anglois
reçoivent du nouveau Nabab , donnent lieu de
croire qu'ils ont eu beaucoup de part à cette révo
lution.
De BRUXELLES , le 20 Juin.
L'élection du Prince Charles de Lorraine à la di
gnité de Grand-Maître de l'Ordre Teutonique, ne
permettant point à ce Prince de porter les marques
d'autres Ordres de Chevalerie , il a quitté
celles de la Toifon d'Or.
Le quartier général du Roi de Pruffe eft tou
jours à Kuntzendorff. Ses troupes ont fait dernierement
un mouvement , par lequel elles fe
JUILLET. 1761 : 197
font approchées de Franckenftein . Le Baron de
Laudon a fait occuper les défilés de la Bohême
par le Général d'Argenteau , & ceux de Wartha
par le Comte de Draskowitz . Le Comte de Bethlem
, qui eft poſté du côté de Cunnersdorff &
de Neuftadt , obferve les Pruffiens . Il fe faifit detnierement
de vingt Bateaux chargés de grains &
de fourages , dont on détruifit ce qu'on ne pouvoit
emporter.
On apprend de l'armée Ruffe , que la Divifion
aux ordres du Prince de Gallitzin eft arrivée le
à Pofuan , & que les autres continuent leur marche
vers la même Ville avec diligence. Le Corps du
Lieutenant - Général Romanzow , qui eft de vingtdeux
mille hommes , fe porte fur la Poméranie.
Suivant les mêines nouvelles , le Maréchal de Butturlin
partit le 30 du mois dernier de Munſterwald
, & arriva le 3 de ce mois à Goronowo .
On a des avis certains que toute l'armée , aux
ordres du Baron de Goltz , Général Pruffien , eſt
arrivée le 3 & le 14 de ce mois à Pofnan , d'où
elle continuera fa marche , après quelques jours de
repos .
FRANCE
.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée }
de Paris , &c.
De MARLY , le 25 Juin 1761 .
L18 de ce mois , le Coadjuteur de Strasbourg
préfenta à Leurs Majeſtés le Diſcours qu'il a prononcé
, lejour de fa réception , à l'Académie Fran
soife.
198 MERCURE DE FRANCE.
Le 21 , la Comteffe de Starhemberg , épouse
de l'Ambaffadeur de Leurs Majeftés Impériales
fut préfentée au Roi , à la Reine & à la Famille
Royale.
Le même jour , Leurs Majeftés fignerent le contrat
de mariage du Comte de Chavagnac & de
Demoifelle des Efcotais de Chantilly.
Le Roi vient d'accorder les entrées de fa chambre
au Marquis de l'Hopital , Chevalier de fes Ordres ,
premier Ecuyer de Madame Adelaide , & ci - devant
Ambaffadeur Extraordinaire de Sa Majeſté ,
auprès de l'Impératrice de Ruffie,
Sa Majesté a difpofé du Régiment d'Infanterie
de Touraine , vacant par la mort du Duc de
Montmorency , en faveur du Comte de Montmorency-
Logny , Colonel d'un Régiment d'Infanterie
de fon nom ; & du Régiment d'Infanterie
de Montmorency , en faveur du Marquis de Royan
, Colonel dans le Régiment des Grenadiers
de France , employé en qualité de Colonel en fecond
du Régiment des Grenadiers Royaux de la
Trefne.
Elle a nommé le Chevalier de Rofnyvinen de
Piré , Enſeigne de Vaiffeau au Guidon que la mort
du fieur de Rofnyvinen de Piré , fon frère , a fait
vaquer dans la Gendarmerie .
De VERSAILLES , le 2 Juillet .
Le 29 du mois dernier , le Roi tint le Sceau à
Marly.
Leurs Majeftés & la Famille Royale revinrent
ici le 30.
Le même jour , Madame Adelaïde & Madame
Victoire partirent , pour aller prendre les eaux
de Plombieres . Madame la Dauphine & Meſdames
Sophie & Louife ont accompagné ces Prin
colles juſqu'à Paris.
JUILLET. 1761 . 199
Le Roi a accordé le rang de Meftre de Camp
au fieur de Bouffanelle , Capitaine de Cavalerie
dans le régiment de Beauvilliers.
De BORDEAUX , le 7 Juin..
Le 4 de ce mois , le Chapitre de Saint Seurin ,
de cette Ville , célébra un Service folemnel pour
le repos de l'âme de feu Monfeigneur le Duc de
Bourgogne. On avoit dreſſé trois Autels à la porte
du Choeur du côté de la Nef , au milieu de laquelle
on avoit élevé un magnifique Catafalque..
La Meffe fut chantée en mulique , & l'Abbé de
Larramiere , Chanoine du Chapitre , prononça
l'Oraiſon Funébre. Il prit pour texte ces paroles.
chapitre 31 de Jérémie , verfet 15. Voxin Rama,
audita eft lamentationis & fletûs Rachel plorantis,
filios fuos , & nolentis confolari , quia non funt.
Le Maréchal Duc de Richelieu , accompagné de
la Nobleſſe , aſſiſta à cette cérémonie.
Après le fervice , le Chapitre fit diftribuer des
aumônes à tous les pauvres qui s'étoient rendus
à la porte de l'Eglife.
Journal de l'Armée aux ordres du Maréchal Prin
ce de Soubife , depuis le 9 Juin.
Ce jour le Maréchal Prince de Soubife , ayant
décidé fon mouvement en avant , fit partir le refte
de l'Artillerie , qui étoit à Neufs , pour Keyſervert
, où fe raffemblerent le 10 , fous les ordres,
du fieur de Chevert , les Troupes qui formoient
le Camp de Duffeldorff. Plufieurs jours aupara
vant , une partie de l'Artillerie avoit marché à
Wefel. Lejo , une partie de la Maiſon du Roi ,
qui s'étoit avancée le 9 fur la rive gauche du
Rhin à portée du Pont de Wefel y palla ce
Яeuve. On ouvrit des marches entre la riviere de
>
I iv
206 MERCURE DE FRANCE.
Roer & celle d'Emfer , ainſi qu'entre cette der
niere & la Lippe , dans le double objet de réunir
l'Armée fur la rive droite de la Lippe ou fur
celle du Roer : ce qui a été éxécuté avec la plus
grande activité & toute l'intelligence poffibles , &
n'a pas peu contribué à donner le change à l'ennemi
. Le Maréchal & le quartier général arrive
rent le 10 à Wefel . Le 1 , les Troupes commandées
par le fieur de Chevert , fe porterent à Bruck
fur la rive gauche du Roer. La Maiſon du Roi
acheva , le même jour , de paffer le Rhin & de
fe réunir aux troupes du Camp à Wefel . Le Camp
de Rées ,commandé par le Marquis de Voyer, ayant
paffé aufli le Rhin , campa fur la rive droite de
ce fleuve . Il s'avança le lendemain près de Liffel
, d'où il vint fe pofter en avant du Camp
de Wefel près de Drevenick. Le mouvement général
de l'Armée fe fit le 13 à cinq heures du matin
. Le Camp de Wefel paffa la Lippe fur quatre
colonnes. Celle de la gauche , que formoit le
corps aux ordres du Marquis de Voyer , augmenté
de deux régimens de Dragons , des Volontaires
de Clermont , & du refte de ceux de
Infanterie , ne s'ébranla que la derniere . Elle
fut deftinée non - feulement à affurer le déblai du
Camp , mais encore à couvrir la gauche de l'Armée
, qui alla le même jour camper à Hoff. Le
corps du Marquis de Voyer fut porté en avant
de l'armée & fervit d'avant-garde. Le même jour,
le fieur de Chevert paffa le Roer fur deux colonnes
& vint camper à Ellen . Le Prince de
Croy eft refté fur la rive gauche du Roer avec
un Corps de troupes , afin de couvrir la communication.
Le fieur de Chevert s'avança le 14 à
Steil , & l'armée ayant paffé l'Emfer , établit fon
Camp à Effen ; laiffant la Maiſon du Roi 3 quarts
de lieue en arriere. Le Marquis de Voyer qui , avec.
,
JUILLET. 1761. 201
fon Corps , joignit le Prince de Soubife , longea
avec deux régimens de Dragons , les Volontaires
de Clermont , les Huffards & les Volontaires
de l'Infanterie , la riviere d'Emfer par fa rive
gauche , en la montant , pour couvrir le flanc
gauche de l'armée . Le 15 , le Corps du fieur de
Chevert campa en avant de Bockum , où le Maréchal
de Soubife établit fon quartier général , &
l'armée féjourna à Effen . On fit occuper les Villages
de Luke - Dortmund & de Gaftorps par ies
Volontaires de Dauphiné , quatre cent Volontaires
d'Infanterie , & deux régimens de Dragons
L'armée marcha le 25 d'Eden à Vattenfcheid ,
où elle campa fur deux lignes entre ce Village
& Bockum ; & la Maifon du Roi fe porta en
avant d'Elfen . Les Volontaires de Conflans prirent
pofte à Dortmund . Le 17 , le Corps du fieur
de Chevert fe porta fur Luxe-Dortmund , l'ar
mée en avant de Bockum , & la Maiſon du Roi
à Vattenfcheid . Toute l'armée le réunit le 18 en
ordre de bataille entre Luke - Dortmund & Dortmund.
On a formé une avant-garde de plufieurs
brigades d'Infanterie & de Cavalerie , de tous
les Dragons , les Haffards , des Volontaires de
l'Infanterie , & de ceux de Clermont , de Dau
phiné & de Conflans , aux ordres du Prince de
Condé. Ce Prince a fous Ini le Marquis de Voyer.
Le Prince de Soubife établit fon quartier général
à Matten. Malgré les pluies continuelles , qur
Ont entierement gâté les chemins , toutes les
marches fe font faites dans le plus grand ordre ,
& les troupes font arrivées , fans lanfer de traf
neurs. Le 19 , un détachement de Huffards' de
Chamborant rencontra les chaffeurs ennemis ,
dont douze furent tués , & huit furent pris avec
leurs chevaux. Les Volontaires de Conflans firent
aufli le même jour quelques prifonniers . Le 20
1-y
202 MERCURE DE FRANCE.
le 21 , l'armée
ſe repola
pour
le remettre
des fatigues
qu'elle avoit éffuyées , & pour donner aux
convois , à l'Artillerie & aux équipages , le temps
de la joindre. Le 22 elle marcha à Brackel , où
le Maréchal Prince de Soubife établit fon quartier
général . Ce même jour , vers les trois heures
du matin , on attaqua les poftes de Luynen , de
Kamen & d'Unna , que les ennemis continuoient
d'occuper.
Le Comte de Turpin , Maréchal de Camp
avec les Volontaires de l'Infanterie & ceux de
Clermont , foutenus par la brigade de Talaru ,
forma l'attaque de Luynen. Les troupes , qui dé •
fendoient ce pofte , l'abandonnerent après une
légere réfiftance , & elles pafferent de l'autre côté
de la Lippe , nous laiffant deux piéces de canon .
On a fait dans cette attaque près de trois cens
prifonniers aux ennemis. Ils y ont eu auſſi un
grand nombre d'hommes bleffés ou tués. Entre
les derniers eft le feur de Lindau , Colonel des
chaffeurs .
A Kamen , dont le Marquis de Bréhant, Maréchal
de Camp , à dirigé l'attaque , les ennemis,
avertis par le bruit qu'ils entendoient à Luynen ,
fe font tenus fur leurs gardes , & ont commencé
leur retraite en bon ordre. Cependant , quoique
le paffage de la riviere de Sifeke , dont les ponts
étoient rompus , ait retardé nos troupes , le fieur
de Viomenil , Colonel des Volontaires de Dau
phiné , a joint l'arriere-garde des ennemis , l'a
chargée vigoureufement , & lui a enlevé qua,
rante pritonniers prefque tous à cheval.
Trois cens Hullards , qui étoient à Unna , le
font contentés de fufiller quelque temps avec
nos avant-gardes , & fe font retirés prefqu'aullitôt.
Tous les détachemens étoient aux ordres du
Marquis de Voyer , Lieutenant Général.
JUILLET. 1761 . 203
Aujourd'hui 23 , le quartier général a été tranfféré
à Unna , & l'armée campe en avant dans une
pofition avantageufe.
De FRANC FORT , le 12 Juin.
On vient d'envoyer à toutes les troupes les ordres
pour fortir de leurs quartiers , & fe raffembler
fur différens points à portée de commencer
les opérations. Le Maréchal de Broglie fe difpofe
à fe rendre inceffainment à Caffel. Le Chevalier
du Muy , Lieutenant-Général , eſt allé prendre ,
en attendant , le commandement des troupes qui
s'y affembleront.
On a nouvelle que le Général Sporcken s'eft
avancé fur la Dymel avec un Corps d'environ
vingt mille hommes , & qu'il eft campé entre
Varbourg & Liebenau.
De PARIS, le 4 Juillet.
On procédera , le 3 du mois prochain , dans
l'Hôtel du Duc de Penthiévre , Amiral de France,
à la vente des diamans de la prife Angloife l'Ajax
, faite par le Vaiffeau du Roi le Prothée , fous
le commandement du fieur Cornic . Des lettres
de change à deux ufances , duement acceptées ,
feront prifes en payement pour argent comp
tant.
L'Ordre du Saint-Elprit ayant par une délibération
prife au chapitre du ro Mai dernier , offert
au Roi un fecours de deux millions de livres
à titre de prêt, Sa Majefté a autorifé ledit Ordre
à emprunter cette fomme , favoir un million de
livres à conftitution de rentes héréditaires fur le
pied du denier vingt,& un million à conſtitution de
rentes viageres, à tous âges indiftinctement, fur le
pied de dix pour cent. Afin de pourvoir au payement
des rentiers. Le Roi a crée au profit dudit
Ordre deux cens mille livres de rentes, exemtes de
Ivj
204 MERCURE DE FRANCE.
>
toute retenue des dixième , vingtiémes , deux fols
pour livre d'iceux , & autres impofitions, à pren
dre fur le produit de la ferme générale des Poftes .
De ces deux cens mille livres , l'Ordre en employera
cinquante mille au payement des arrérages
des rentes héréditaires , cent mille au paye--
ment des arrérages des rentes viageres & les
cinquante mille de furplus , avec le montant des
arrérages des rentes qui s'amortiront , au remboursement
du capital des cinquante mille livres
de rentes héréditaires , jufqu'à leur entier rembourfement.
Lorfqu'elles feront totalement rembourfées
, Sa Majeſté ſera acquittée envers l'Ordre
du fufdit prêt de deux millions , & ne devra
plus que ce qui fubfiftera encore des rentes
viageres.
Le tirage de la loterie de la Ville de Paris fe
fit le 18 dans l'Hôtel de -Ville avec les formali .
tés ordinaires. Le premier lot , qui étoit de cinquante
mille livres , eft échû au numéro 7414 ;
celui de vingt mille , au numéro 12397. Les deux
lots de dix. mille font échûs aux numéros 9724
& 107 38.
On a fait le 19 dans l'Hôtel - de -Ville , en la maniere
accoutumée , le tirage de la Loterie Royale
militaire. Les numéros fortis de la roue de fortu
tune font , 51 , 89 , 17 , 34 , 4. Le prochain tira--
ge fe fera le 17 du mois de Juillet . Dans quelques
exemplaires d'une des gazettes dernieres , il .
faut lire 36 au lieu de 33 pour le fecond numé
ro forti à l'avant derniet tirage ..
M. ORTS..
Frere Gabriel de Briqueville de la Luzerner,'
Chevalier de l'Ordre de Saint Jean de Jérufalem
& Commandeur de. Sours & Arville,, Brigadier :
JUILLET. 1761. ΣΟΥ
de Cavalerie , mourut à Paris le 12 Juin âgé de
foixante & un ans . Dame Marie Deniſe - Elifabeth
Pucelle , époufe de Melire Louis - François
Marquis de Galiffet , eft morte en cette Ville , le
14, dans la cinquante- deuxième année de fon
âge.
On a appris de Wefel que Meffire Marc- Antoine
Front de Beaupoil de Saint Aulaire , Marquis
de Lanmari , Guidon de Gendarmerie , y
étoit mort le 16 de la petite vérole , dans fa vingtdeuxième
année.
LOUIS CHARLES DE LORRAINE, Comte de Brionne
, grand Ecuyer de France , Chevalier des Ordres
du Roi , & Gouverneur de la Province d'Anjou
, Maréchal des Camps & Armées de Sa Majeſté
, mourut à Paris le 28 , dans la trente-fixiéme
année de fon âge.
Ce Prince , qu'un caractère affable & toujours:
égal , une âme ſenſible & bienfaisante , rendoient
fi cher à l'humanité , aimé de fon Roi autant qu'il·
lui étoit attaché , & digne de connoître les vrais
amis , enlevé de ce monde après une maladie
auffi cruelle que longue , emporte les regrets de
ceux mêmes qui n'avoient jamais eu le bonheur
d'en approcher . Doué dès l'enfance dé toutes les
vertus Morales & Chrétiennes , l'âge n'avoit fait .
que les augmenter en lui ; époux fidéle , père
tendre , protecteur ardent , plus charitable que
faftueux ; on peut dire que dans la perfonne de ce
Prince la mort vient de ravir à la fois , à la patrie
, un Citoyen , aux Arts , un ami ; aux pauvres
, un pere , & aux grands , un modéle.
Il étoit arriere-petit- fils de Louis de Lorraine ,
Comte d'Armagnac , de Brionne & de Charny ,
Vicomte de Ma fan , grand Ecuyer de France ,
qui a formé la branche de Lorraine - Armagnac.
1 laiffe , pour fuccéder à les titres , un fils âgé
206 MERCURE DE FRANCE.
de dix ans , & en qui l'on voit germer déja toutes
les heureufes qualités du père.
Anne-Adelaide de Harville , épouſe de Meffire
Eufebe -Felix Châpou , Marquis de Verneuil ,
grand Echanfon de France , eft morte en cette
Ville , le 29 , âgé de trente - cinq ans.
EVENEMENS SINGULIERS .
ALLEMAGNE.
De DRESDE , le 17 Juin 1761 .
Ls de ce mois , la petite Ville de Kindelbruck
fut prefqu'entierement réduite en cendres.
De trois cens mailons qu'elle contenoit , à peine
trente ont échapé aux flâmes . Heureufement au
cun des Habitans n'a péri dans l'incendie.
GRANDE - BRETAGNE.
De LONDRES , le 24 Juin.
Il est mort à Weigebury , dans le Comté de
Stafford , M. Jacques Stakfby , âgé de cent neuf
ans ; il n'avoit jamais été incommodé de fa vie .
Miftriff Celia Sims eft morte à Milfordſam , âgée
de 107 ans.
Madame Norton , âgée de cent neuf ans , eſt
morte en Irlande , dans le Comté de Kildare; elle
avoit toujours confervé la gaîté & fa vigueur ;
cinq ans avant la mort , on l'avoit vue mener
une contre-danfe au mariage d'une de fes petitesfilles
, auquel affistoient quarante- deux de fes enfans
& petits- enfans .
Un mendiant , nommé Etienne Switz , qui eft
fans doute l'homme le plus vieux de la grande
Bretagne , & peut-etre de toute l'Europe , demandoit
l'aumône a un Seigneur qui l'interro
JUILLET. 1761 . 207
gea fur l'âge qu'il avoit. Cent quarante ans , répondit
le Mendiant. La chofe parut fort furprenante
à Mylord qui, ayant lû que Switz étoit né
fur la Paroille de Saint Paul , alla fur le champ
compulfer les regiftres de la Paroiffe pour vérifier
un fait auffi extraordinaire . Après des recherches
exactes , on a trouvé l'Extrait baptiftaire de Switz ;
& on a été étonné de voir qu'il rabattoit encore
dix ans de fon âge , & qu'il entroit dans fa cent
cinquantieme année.
Il eſt mort dernierement à Boſton , dans la
nouvelle Angleterre , un Quaker Négociant ,
nommé Edouard Wilks , âgé de cent neuf ans.
On écrit de Sherbone , en Angleterre , que le
Juin , on a fenti un peu avant midi , une fecouffe
de tremblement de terre affez confidérable.
On dit qu'elle a été plus violente à Shaffesbury
, qui en eft à quinze milles. Cette fecouffe
étoit accompagnée d'un bruit fourd & fouterrein.
Extrait d'une Lettre des Barbades , du 18 Avril.
.
Le 31 Mars , vers les quatre beures & demie
après midi , la mer fe retira foudain du rivage
& au bout de trois minutes , y revint à la hauteur
de près de quatre pieds. Ce flux & reflux ceffa vers
les huit heures , ou du moins devint preſque infenfible
; mais fur les dix heures , il reprit pendant
quelque temps , & diminua jufqu'à fix heures
du lendemain matin. Le flux & reflux ne fut
pas toujours régulier. Après les trois premieres
heures , il s'exécutoit quelquefois en trois minuzes,
& d'autres fois en fix . Dans le temps du tremblement
de terre de Lisbonne , en 1755 , on obferva
une agitation femblable dans les eaux
ce qui nous fait craindre que ce Phénomène
m'annonce le retour du même fléau.
203 MERCURE DE FRANCE.
FRANCE.
De PARIS , le 27 Juin.
Le nommé Jean-Pierre Gardien , Tonnelier de
profeflion , mourut à Metz , le 23 du mois dernier
, âgé de cent huit ans . Jufqu'au mois d'Avril
de cette année , n'avoit reflenti aucune des infirmités
de la vieillefe ; d'autant plus heureux à
cet égard , qu'il s'obfervoit peu fur le régime.
Depuis très -long - temps , il buvoit tous les matins
un verre d'eau - le-vie. Il avoit même augmenté
cette doſe , à mesure qu'il approchoit davantage
du terme de fa carrière . On a vérifié que´
pendant fes trois dernieres années , il avoit con-
Tommé plus de quatre cens quatre - vingt pintes
d'une liqueur , dont l'ufage paroît en général , fi
pernicieux.
Le g9 de Juillet , M. de Roquelaure ,
Evêque de Senlis , prononça à Notre-
Dame , Oraifonfunébre de la Reine d'Efpagne.
Ce Difcours a été fort goûté de l'augufte
Affemblée qui formoit l'Auditoire .
L'Orateur y a montré comment la Reine
d'Espagne , 1 ° . par les préfages les plus
heureux : 2 °. par ies progrès les plus marqués
3. par les fruits d'une fageffe confommée
, a vérifié ces paroles du Texte :
Juftorum autemfemita quafi lux fplendens,
procedit & crefcit ufque ad perfectam diem.
» Les traces lumineufes dont eft mar--
quée la route des Juftes , femblables
JUILLET. 1761 . 200
d'abord à l'Aurore , redoublent fans
» ceffe leur éclat jufqu'au grand jour de
"» l'Eternité.
L'abondance & la variété des images ;
les traits frappans & énergiques ; les idées
neuves & fublimes ; les réfléxions judicieuſes
& touchantes , le ftyle noble &
foutenu; le mérite de l'enfemble; les beautés
de détail nous occuperont utilement
dans le compte que nous en rendrons le
mois prochain.
SUPPLÉMENT à l' Article de la Mufique.
M. VENIER , Editeur de divers Ouvrages de
Mufique inftrumentale , avertit le Public qu'il
mettra aujour plufieurs fymphonies di vari autori
( tels que Filts , Vagenfails , Beck , Halle , Holtz-
Toefchi, Caunabick, Riether , Rugge, Bach , Abel,,
Frenc , Iomeli , Galupi , Bodé , Baur , Giulini ,
Martini , & c . ) elles le vendront enſemble ou féparément
, felon la volonté des Amateurs , à qui
cette entrepriſe ne pourra manquer d'être agréa→
ble , attendu que cette espéce d'Ouvrage périodi
que formera une Collection fuivie de toutes les
fymphonies qui paroiffent en France , & dans les
pays étrangers.
On n'abufera pas des noms des habiles Maîtres
que nous venons d'indiquer. Les Baſſes feront réguliérement
chiffrées , les corrections exactement
faites , & la gravure fera belle & lifible . La premiere
fymphonie qui contient 20 Planches, eft du
Seigneur Filts . Prix 2 liv . 8 f. y compris les parries
de Cors de chade , Haut- bois ,Flutes & Ballons,,
210 MERCURE DE FRANCE
ad libitum. Chez M. Venier , à l'entrée de la rue
S. Thomas du Louvre , vis-à- vis le Château d'eau .
La fieur Merchi a déjà fait annoncer dans le
Mercure leGuide des Ecoliers deGuitarre . L'accueil
favorable que le Public a fait à cet Ouvrage , a
déterminé l'Auteur à l'augmenter d'une Inftruction
préliminaire , ou Méthode courte & facile pour ap
prendre la Guitarre . Le fieur Merchi s'eft atttaché à
mettre la clarté dans les préceptes, & à obſerver la
gradation de l'aifé au difficile dans les exemples ,
"de manière qu'un Muficien peut apprendre à jouer
de la Guitarre fans Maître. Ceux qui ont acquis le
Guide des Ecoliers de la Guitarre , font priés de remettre
leur Exemplaire au Marchand de Mufique
où ils l'ont acheté , & on leur en donnera un autre
avec l'Inftruction préliminaire ou Méthode.
AVIS DIVERS.
Par permiffion de M. le Lieutenant Général de
Police, & par l'Approbation de M. le Doyen
de la Faculté de Médecine.
Le Sieur ROUSSEL , donne avis au Public qu'il
a trouvé un fecret très- utile , qu'il vend & débite
avec fuccès : c'eft une Pommade que l'on applique
extérieurement avec une comprelle , & une bande
pardeffus. Cette Pommade guérit les maux de
Gorge , en moins de fix heures ; les Rhumatifmes ,
les Gouttes & les Glandes , en très- peu de temps,
ſuivant les Certificats des Perfonnes qui ont été
guéries de ces différentes maladies.
Le Sieur Rouffel n'exigera de payement pour
les maladies regardées comme incurables , qu'après
la guérifon radicale des Perfonnes qui s'adrefferont
à lui.
JUILLET. 1761 . 217
Noмs & demeures de quelques - unes des Per-
Jonnes qui ont été guéries dans Paris & ailleurs
, par la vertu de ce Remede.
S A VOI R.
MAUX DE GORGE.
M. Théobald , Prêtre , guéri en deux différentes
fois , aux Invalides.
Mrs Tiffelaire & Thiteux , tous deux Etudians
Séminaristes , aux Invalides.
Les Freres Martin & Merlin , tous deux aux .
Invalides .
M. le Page , à la Penfion de Meffieurs les
Prêtres des Invalides.
M. Bionard , Marchand , aux Invalides.
M. Chambrettre , Lecteur , aux Invalides .
M. Gautier , Portier de la Grille du Dôme des
Invalides , guéri en quatre heures.
M. Saint -Remy , Meſureur de Bled des Invalides
.
L'Epoufe du Maître- d'Hôtel de M. de Broglie .
Les Freres Harmant , Berlingat , Bis le jeune ,
Biren , Dauça & Comte , à Saint Lazare.
RHUMATISMES .
M. Cligny , ancien Commis de la Pourvoirie
des Invalides , guéri d'un Rhumatifme qui le
tourmentoit depuis vingt ans , par trois applications
dudit Remede , qui lui furent faites par M.
fon Neveu.
Madame de Gouy , rue de la Planche , Fauxbourg
Saint Germain , à la Bourſe - Royale , gućrie
par une feule application.
La Fille du Sieur Pierre Cordonnet , Blanchiffeur
, à Vamvers , qui avoit les nerfs retirés , ne
pouvant marcher , & qu'on étoit obligé de traîner
par les bras , guérie en deux jours.
212 MERCURE DE FRANCE.
GOUTTES.
M. Robert , Entrepreneur de la Menuiſerie
'des Invalides.
L'Epoufe du Sieur Flechy , Jardinier , vis-à- vis
Saint François de Salles , à Illy.
La Veuve Subert, vis- à- vis l'Eglife de Vamvres.
Madame le Roi , Traiteufe , rue Marivaux , au
Roi Couronné.
Mademoiſelle Potry , rue de la Planche , à la
Bourfe -Royale .
La Veuve le Nain , près Grenelle .
GLANDE S.
Madame le Prince , Fruitiere , au Marché Saine
Germain.
M. Davenne , rue Saint Martin , vis-à-vis Saint
Nicolas des Champs.
Madame Chopin, rue de Varenne , Fauxbourg
Saint Germain , vis - à- vis l'Hôtel de M. de Biron,
guérie en deux jours.
Mademoiselle Flechy , vis à vis Saint François
de Salles , à Ifly.
M : Menard , Prêtre aux Invalides , guéri au
genou droit ; il ne pouvoit faire la genuflexion .
Le même fut guéti , en moins de fept heures ,
d'une attaque d'Apoplexie & attaque de Nerfs.
Madame de Briere Marchande de Poiffon
d'eau-douce rue . Saint Germain l'Auxerrois ,
guérie d'une Enquilos , la fuppuration étant fortie
par les pouces des pieds,
>
>
Le fieurle Grand , rue de Grenelle , Fauxbourg
S. Germain , chez M. le Comte de la Marche ; il
marchoit avec des béquilles.
M. de la Haye , rue de Varenne , vis - à - vis
l'Hôtel de M. Biron , guéri des Hémorroïdes , en
deux jours.
M. Delatre , Bas -Officier des Invalides , guérį
de la
Migraine.
JUILLET. 1761. 213
Le Frere Mouflé , ayant des croiffances de chairs
à la gorge ; on lui avoit fait inutilement beaucoup
de remédes , & appliqué le feu ; mais le mal
étant revenu comme à l'ordinaire , on lui donna
de cette Pommade , & il fut guéri radicalement
en peu de temps , à Saint Lazare.
Meffieurs Goflard , Séminarifte , & Chivri , Sacriſtain
aux Invalides , guéris d'Eréfipelles , en
deux jours.
La Fille du fieur Morel , Tailleur de Meffieurs
les Prêtres des Invalides , ayant les nerfs des
mains retirés , juſqu'à ne pouvoir êtres ouvertes
par quelque perfonne que ce fût , guérie en quatre
heures.
Cette Pommade , qui eft un Topique très-extraordinaire
, eft fi utile pour les Glandes vénérien
nes , que les perfonnes qui en ont été guéries ,
ont été furpriſes de fa grande vertu.
LE ST DUMOUCHEL , Ecuyer, ancien Syndic des
Maîtres en fait d'Armes des Académies de feu M.,
Delagueriniere & de feu M. de Vendeuil , où il
s'eft diftingué par fon attachement & fa capacité,
& s'eft acquis une réputation connue ; donne avis
qu'il va reprendre une Salle d'Académie à la
5. Remy prochain, & qu'il enfeignera en Ville jufqu'à
ce temps -la ; fa demeure eft rue de la Calandre
, à PHôtel Tanchoux , près le Palais à Paris .
A l'Auteur du Mercure.
M. Beaupreau , Maître en Chirurgie , Dentifte ;
rue & vis- à- vis la Comédie Françoife , eft parvenu
, Monfieur , à faire une combinaiſon d'huiles éf
fentielles Balfamiques , qui appaifent les douleurs
des dents carriées les plus aigues , déterge la carie
& rend la dent propre à être plombée , après
quelques jours de fon ufage. Cette effence n'af
214 MERCURE DE FRANCE:
fecte point les dents faines ni n'altère point leur
couleur , comme font les Huiles éffentielles Aro
matiques , de Canelle, Gerofle , &c. L'Auteur a fait
cette expérience fous mes yeux ; il a mis plufieurs
dents faines dans cette effence pendant deux mois ,
leur fubftance & leur couleur ont refté intactes .J'ai
éprouvé l'efficacité de ce Réméde ; un grand nombre
de perfonnes de confidération , à Paris , peuvent
atteſter ce fait d'après eux-mêmes. Je fuis, &c.
On débite chez le fieur RIESTER , Marchand
de vin , rue Poiffonniere , au coin de la rue Bergere
, des Tortues de toutes fortes de groffeurs , à
très-jufte prix . Elles font propres à faire des bouillons
médicinaux qui purifient le fang & fortifient
le tempérament. Les perfonnes qui feront curieufes
d'en avoir dans leurs jardins , en trouveront
de telle groffeur qu'ils defireront : il y en
aura dans toutes les faifons.
ΑΙ
AP PROBATION.
›
'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le Mercure du fecond volume de Juillet 1761
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion.A Paris, ce 14 Juillet 1761. GUÏROY.
TABLE DES ARTICLES:
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE
ARTICLE PREMIER.
EPITRE à Madame ***
J
JUILLET . 1761 . 275
LETTRE à l'Auteur du Mercure .
FABLE , tirée de Platon.
RONDEAU.
II
14
16
BOUQUET à M. P.
DIALOGUE dès Morts.
EGLOGUE , par Madame Champion .
37
18
28
A M. De la Place.
VERS de Madame B *** , à M. Fumée , & c.
31
36
ÉPIGRAMME .
38 IDEE générale du ftyle des Orientaux. 39
ENIGMES. & 43 44
LOGOGRYPHES. 45
CHANSON.
45 ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRE de M. d'Arnaud.
REMARQUES fur quelques Pallages d'Horace,
difficiles à entendre aujourd'hui : par un
Savant de Province.
MÉLANGES de Phyfique & de Morale &c.
LETTRE de M. de Voltaire.
ANNONCES des Livres nouveaux .
59
60
69
81
84 &fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADEMIES.
DISCOURS qui a été préfenté à l'Académie
des Jeux Floraux de Toulouſe & c.
RESOLUTION du Problême propofé par M.
l'Abbé B.... dans le Mercure de Juin & c.
MÉDECINE.
TABLEAU de la Rage. Par M Hoin.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UT LES.
99
118
124
LETTRE , à l'Auteur d are. 145
216 MERCURE DE FRANCE.
CHIRURGIE.
TRAIT des Bandages & appareils , avec
une Description abrégée des brayers ou
bandages & autres machines &c .
LETTRE du Frère Cofme , Feuillant , écrite à
149
M. Mertru , Maître en Chirurgie à Paris . 155 .
ANATOMIE.
LETTRE à la Société des Goutteux.
ASTRONOMIE , OPTIQUE , HORLOGERIE .
DESCRIPTION & Ufage de divers ouvrages
& inventions de M. Paffemant , Ingénieur
du Roi.
ARITHMÉTIQUE.
SUPPLEMENT à l'Article des Sciences &
157
158
161
169
172
Belles- Lettres,
ARTS AGRÉABLES,
GRAVURE. 183
ART. V. SPECTACLE S.
OPERA.
181
COMÉDIE Françoife.
ibid.
COMÉDIE Italienne. 189
OPERA-COMIQUE . 190
ART. VI . Nouvelles Politiques, 191
MORTS. 204
EVENEMENS finguliers, 206
Avis divers. 208
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis- à-vis la Comédie Françoile.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU
ROI .
AO UST. 1761 .
Tiverfité , c'est ma devife . La Fontaine.
Cochin
filius in
PainSculp
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis à - vis la Comédie Fran, oife.
PRAULT, quai de Cont .
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais
Avec Approbation & Privilége du Roi.
1
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure, rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remet
tre , quant à la partie littéraire , à M.
DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols,
imais l'on ne payera d'avance , en s'abonhant
, que 24 livres pour feize volumes
à raifon de 30 fols pièce.
Les perfonnes de province auxquelles on
onverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port .
Celles qui auront des
occafions pour le
faire venir , ou qui prendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raison de 30 fols par volume ,
c'est- à-dire 24 livres d'avance, en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les
Libraires des
provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci- deffus.
A ij
+
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit,
be prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en foit
fait d'avance au Bureau .
Les paquets qui neferont pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pièces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
De la Place , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
AOUST. 1761 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L'EMPIRE DE LA MODE
SUR LES FRANÇOIS.
DISCOURS EN VERS:
Jusqu'a quand fuperbe & frivole ,
Verra- t- on régner parmi nous
La Mode , cette antique idole
Que la France adore à genoux ;
L'affectation puérile,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Et l'imitation fervile
Diriger nos moeurs & nos goûts ;
Et toujours de nouveaux caprices
Confacrer avec dignité
Des ridicules & des vices
La rapide inftabilité ?
Dans les temps de Chevalerie ,
Par un mélange monftrucux ,
Foi , piété , galanterie
Se confondoient chez nos ayeux :
Pour mériter d'une cruelle
Le don d'amoureuſe merci ,
La Mode envoyoit le: Couci
Maffacrer un Peuple infidéle.
*
•
Longtemps d'une noble crapule
Les François dictérent les loix ;
Alors le duel ridicule
Déshonoroit avec fcrupule
Et leur Raifon & leurs exploits.
Au fortir d'une folle orgie ,
Sans ceffer pourtant de s'aimer ,
Martyrs de la Mode en furie ,
Oubliant leur Dieu , leur patrie ,
Ils s'égorgeoient pour s'eftimer.
De tous ces terribles Convives
Enfin les débauches oifives
Ont vu profcrire leurs abus ;
* Nous avons été forcés defaire quelques retranchemens
à cette Piece.
AOUST. 1761 .
FR
Des banquets dignes des Monarques
Bientôt ne raffemblérent plus
Que de triftes Apicius,
Affis comme autant d'Ariftarques ,
Juges fuprêmes de Comus.
Qui le croiroit ? A peine adulte ,
Autrefois l'Amour eut un culte ,
Sans defirs , fans voeux , fans efpoir !
On ne veut qu'adorer & voir ;
La toilette devient un temple ;
L'Amant tremblant & circonfpect
Y fatigue par fon refpect
La Divinité qu'il contemple.
O temps ! ô moeurs ! ô préjugés !
Oh ! combien vous êtes changés !
Nos pères , dans leurs triſtes flammes ,
Se combattoient pour foutenir
L'honneur , la beauté de leurs Dames ;
Aujourd'hui tout vainqueur de femmes
Doit les fubjuguer fans defir.
On les amufe , on les déchire ,
On rougiroit d'un fentiment ;
Et qui les méprife gaîment ,
Eft le plus für de les féduire.
Si deux coeurs ont pu s'enflammer;
De l'hymen la chaîne légère ,
En formant le voeu de s'aimer
Leur ôte le droit de ſe plaire .
Volant de l'un à l'autre excès ,
A iv
* MERCURE DE FRANCE.
Toujours dans l'ivreffe & l'accès
Qui l'entraîne & le défigure ,
Rarement on vit le François
Dans les bornes de la Nature.
Le Dieu qu'hier il adoroit ,
Aujourd'hui fa voix le blafphême :
Les Arts & les Sciences même ,
Semblent lui fervir de hochet.
Au talent qui les fait éclore ,
Avec tranfport il applaudit ;
Au fier Timon , qui les profcrit ,
Le François applaudit encore.
Il admire ces Enchanteurs
Dont l'art , aux vertus , qu'il adore ,
Prêta de fi nobles couleurs ;
Et fon caprice hétérodore
Vante l'aveugle paradoxe ,
Qui les traite de corrupteurs.
Confilérez nos Coriphées ,
Nos Socrates & nos Orphees ,
Métamorphofés tous les ans ;
Les têtes de tous nos Savans ,
Dans un nouveau goût attiffées 3
Et par notre esprit inconl'ant ,
Chaque Mufe a ſon tour traitée ,
Comme une Maîtrelle quittée
Avec un mépris infultant.
L'art de penfer & l'art d'écrire
Fut longtemps ignoble & proſcrit ;
Le François fçut à peine lire ,
AOUST. 1761.
Qu'il devint foudain bel- eſprit :
De fonnets , de madrigaux fades ,
Et d'énigmes & de ballades ,
Toute la France retentit :
Il voulut penfer ; & fes rimes
Ne furent plus que des maximes ;
Tous nos vers furent compaffés :
Bientôt on s'ennuya des Lettres ;
Et l'on vit jufqu'aux Géomètres
Par nos coquettes agacés :
Tant la Mode eft toute puiffante !
Par elle , aujourd'hui triomphante,
Dans plus d'un écrit décifif,
Voyez la Phyficomanie
Sur les plus beaux dons du génie
Répandre un mépris exclufif.
Malheur à qui n'a dans ſon âme
Qu'un feul goût borné qui l'enflâme !
Malgré tous nos Phyficiens ,
Il eft pour l'homme d'autres biens,
Que d'analyſer une tourbe :
Que l'un s'élance jufqu'aux Cieux,
Que l'autre à la Terre ſe courbe ,
Je fais les révérer tous deux.
Tous les Arts ne font-ils pas fréres ?
Agréables , ou néceſſaires ,
Deftinés à fe fecourir ,
Leur concours doit être unanime
Pour s'eftimer , pour le chérir ,
Av
IO MERCURE DE FRANCE.
Et les divifer , eft un crime.
Oh ! qui pourroit jamais nombrer
Tous les préjugés defpotiques ,
Toutes les Modes tyranniques
Que Paris a vû s'illuſtrer ?
Extravagances paffagères ,
Jargon & bon ton éphémères
Tour-à -tour vantés & flétris ,
Des féconds & lourds Scuderis
La galante pédanterie ,
De tant de modernes Écrits
L'impertinente étourderie ,
De Brantome & de Rabelais
La groffière plaifanterie
Depuis délaiffée aux valets ;
Sous le perfifflage fantafque ,
La Sottile , habillée en mafque ,
Affichant les prétentions ,
Les ridicules Mafcarilles ,
Tous bouffis de leurs grands canons ,
Et les déteftables Cléons ,
En cabriolet , en chenilles ,
Allant en petites maifons ;
Les magots & les porcelaines ,
Les colifichets enfantins
Sufpendus à de riches chaînes ,
Les petits foupers clandeftins ,
Et les partis Philofophiques ,
Et les brochures impudiques,
AOUST. 1761 . H
Et les bouffons , & les Pantins
Vainement la Raiſon foupire :
Tour-à-tour mépriſant fa voix ,
Dans ce long cercle de délire ,
Tout ridicule eut notre choix.
Quoi donc ! la France , en fes Chroniques ,
Mit-elle la Mode & fes droits
Au nombre de nos Loix Saliques ?
Qu'un Petit- Maître original
A Paris crée une fottife ;
Un progrès rapide & fatal
En France la naturalife.
Efclaves des opinions ,
Cerveaux légers vuides & minces ,
Vous êtes des Caméléons ,
Les Singes font dans les Provinces.
Dans le tourbillon de nos goûts ,
Il n'en eft point d'héréditaires ;
Nous avons rougi de nos pères ;
Nos enfans rougiront de nous.
Simplicité noble , ingénue ,
Touchante & fublime candeur ,
Serez-vous toujours inconnue
Doux plaifirs de l'âme & du coeur
Vous périffez dans le tumulte
Des faux goûts enfans de l'erreur 3-
Et le germé du vrai bonheur
Parmi nous eft encore inculte..
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Sans doute qu'un plus jufte choix
Auroit fixé notre caprice :
Tant d'inconftance eſt à la fois
Notre crime & notre ſupplice.
O plus fages & plus heureux ,
Ces Peuples fimples & ſévéres ,
Qui , comme un dépôt précieux,
De leurs Ancêtres vertueux ,
Confervent les moeurs tutélaires !
Mais le temps, qui fçut réprouver
Tant d'erreurs , de travers , de Sectes ,
A nos jours voulut réſerver
La plus vile eſpèce d'infectes.
Bons Gaulois , nos dignes ayeux !
Voyez du haut de l'Empirée ,
La Méchanceté confacrée
Dans ce féjour jadis fameux
Par votre bonté révérée ,
Et méconnoiſſez vos neveux.
Chez le Peuple le plus aimable ;
Quel Sage nous dévoilera
Comment ce Monftre s'engendra ?
Vice abfurde , erreur incroyable ,
Des efprits faux , des coeurs ingrats,
Symptôme.impur & mépriſable ,
Vil talent de qui n'en a pas.
Chez nous la Sageffe tranquille
Eft reléguée aux derniers rangs &
AOUST. 1761. 1)
Souvent la Folie indocile ,
Remplit les rôles éclatans
La Mode fait la renommée :
Son choir en dépit du bon fens ,
En Coloffe , érige un Pygmée ;
L'âme n'eft rien : l'efprit eft tout.
Hélas ! Infenfés que , nousfommes ,
Nous avons des grâces , du goût ;
Nos voisins groffiers ont des hommes !
( Non que Cenfeur injurieux ,
Je veuille avec mifantropie ,
Appeſantir fur ma patrie ,
Les traits d'un crayon odieux. )
O peuple brillant & volage ,
Tour-à-tour terrible & charmant !
Nul ne t'égale en agrément ,
Et nul ne te paffe en courage.
Doux, fociable , ingénieux ,
Senfible & toujours généreux ,
Loin de toi l'erreur , l'impofture ,
Qui guidoient tes pas au hazard;
Tes vertus font de la Nature ,
Et tous tes défauts font de l'Art
Les grâces furent ton partage :
Prête à la Raifon leurs attraits!
Rends-la digne de ton hommage...
On adoreroit le François ,
S'il ne rougilloit d'être fage !
12 MERCURE DE FRANCE.
Sans doute qu'un plus jufte choix
Auroit fixé notre caprice :
Tant d'inconſtance eſt à la fois
Notre crime & notre ſupplice.
O plus fages & plus heureux ,
Ces Peuples fimples & févéres ,
Qui , comme un dépôt précieux ,
De leurs Ancêtres vertueux ,
Confervent les moeurs tutélaires !
Mais le temps, qui fçut réprouver
Tant d'erreurs , de travers, de Sectes ,
A nos jours voulut réſerver ·
La plus vile eſpèce d'infectes.
Bons Gaulois , nos dignes ayeux !
Voyez du haut de l'Empirée ,
La Méchanceté confacrée
Dans ce féjour jadis fameux
Par votre bonté révérée ,
Et méconnoiffez vos neveux.
Chez le Peuple le plus aimable ;
Quel Sage nous dévoilera
Comment ce Monftre s'engendra ?
Vice abfurde , erreur incroyable ,
Des efprits faux , des coeurs ingrats,
Symptôme.impur & méprifable ,
Vil talent de qui n'en a pas.
Chez nous la Sageffe tranquille
Eft reléguée aux derniers rangs &
AOUST. 1761 . 1)
Souvent la Folie indocile ,
Remplit les rôles éclatans
La Mode fait la renommée :
Son choix en dépit du bon fens ,
En Coloffe , érige un Pygmée ;
L'âme n'eft rien : l'esprit eſt tout.
Hélas ! Infenfés que nous fommes,
Nous avons des grâces , du goût ;
Nos voisins groffiers ont des hommes !
( Non que Cenfeur injurieux ,
Je veuille avec miſantropie,
Appefantir fur ma patrie ,
Les traits d'un crayon odieux. )
O peuple brillant & volage ,
Tour-à -tour terrible & charmant !
Nul ne t'égale en agrément ,
Et nul ne te paffe en courage.
Doux, fociable , ingénieux ,
Senfible & toujours généreux ,
Loin de toi l'erreur , l'impofture ,
Qui guidoient tes pas au hazard ;
Tes vertus font de la Nature ,
Et tous tes défauts font de l'Art
Les grâces furent ton partage :
Prête à la Raifon leurs attraits
Rends-la digne de ton hommage...
On adoreroit le François ,
S'il ne rougilloit d'être ſage !
12 MERCURE DE FRANCE.
Sans doute qu'un plus jufte choix
Auroit fixé notre caprice :
Tant d'inconftance eſt à la fois
Notre crime & notre fupplice.
O plus fages & plus heureux ,
Ces Peuples fimples & ſévéres ,
Qui , comme un dépôt précieux ,
De leurs Ancêtres vertueux ,
Confervent les moeurs tutélaires !
Mais le temps , qui fçut réprouver
Tant d'erreurs , de travers , de Sectes ,
A nos jours voulut réſerver
La plus vile eſpèce d'infectes.
Bons Gaulois , nos dignes ayeux !
Voyez du haut de l'Empirée ,
La Méchanceté confacrée
Dans ce féjour jadis fameux
Par votre bonté révérée ,
Et méconnoiffez vos neveux .
Chez le Peuple le plus aimable ;
Quel Sage nous dévoilera
Comment ce Monftre s'engendra ?
Vice abfurde , erreur incroyable ,
Des efprits faux , des coeurs ingrats,
Symptôme impur & méprifable ,
Vil talent de qui n'en a pas.
Chez nous la Sageffe tranquille
E reléguée aux demiers rangs
AOUST. 1761.
1
Souvent la Folie indocile ,
Remplit les rôles éclatans
La Mode fait la renommée :
Son choix en dépit du bon ſens ,
En Coloffe , érige un Pygmée;
L'âme n'eft rien : l'eſprit eſt tout.
Hélas ! Infenfés que nous fommes,
Nous avons des grâces , du goût ;
Nos voisins groffiers ont des hommes !
( Non que Cenfeur injurieux ,
Je veuille avec mifantropie ,
Appefantir fur ma patrie ,
Les traits d'un crayon odieux. )
O peuple brillant & volage ,
Tour-à-tour terrible & charmant !
Nul ne t'égale en agrément ,
Et nul ne te paffe en courage.
Doux, fociable , ingénieux ,
Senfible & toujours généreux ,
Loin de toi l'erreur , l'impofture ,
Qui guidoient tes pas au hazard ;
Tes vertus font de la Nature ,
Et tous tes défauts font de l'Art
Les grâces furent ton partage :
Prête à la Raifon leurs attraits
Kends-la digne de ton hommage.
On adoreroit le François ,
S'il ne rougilloit d'être fage !
:
14 MERCURE DE FRANCE.
L'ÉLÉVE DE LA NOUVELLE
HELOISE ,
OU LETTRES de Madame la Marquife
de *** à Mde la Comteffe de **** .
O
AVIS DE L'EDITE U R.
N convient généralement de l'auftérité
des leçons que l'on rencontre dans
le Roman de Julie. Perfonne ne l'a lû
fans fentir la force avec laquelle l'Auteur
attaque des ufages & des moeurs , que
bien des gens ont intérêt de défendre.
Il eft certain, malgré cela, que ce fexe aimable
que les hommes accufent de foibleffe
, & qu'ils prennent tant de peine à
corrompre ; ce fexe naturellement honnête
& fenfible , a mieux faifi qu'eux les
différentes beautés de la nouvelle Hé-
Loïfe . Pour peu qu'on cherche la caufe de
cette vive impreffion , on la trouvera
dans la vérité du ſentiment toujours plus
proche du Génie & de la Raiſon , que les
fubtilités de la critique. Les régles d'après
lefquelles on croit fouvent juger ,
ont été d'abord créées par des efprits vafAOUST.
1761. 15
tes & des âmes fenfibles. Il eft vrai qu'elles
exiſtoient avant eux fans être connues ;
mais ils en ont fait ufage les premiers.
Il faut fans doute fe laiffer aller au
mouvement de la Nature , ou être l'égal
de ces grands Génies , pour juger d'après
ces mêmes régles que tant de circonftances
varient .
L'Éditeur de ce petit ouvrage, dans lequel
on trouvera l'extrait d'une partie
de l'Héloife , a eu les quatre Lettres fui
vantes d'une Dame qui eft intime amie
de celle qui les lui a effectivement écrites.
Elle n'y a changé que quelques lignes ,
par pudeur & par difcrétion . On a imagi
né que le Public y verroit avec p'aifie
l'aveu fimple & vrai de l'impreffion que
doit faire cet ouvrage fur une âme tendre
& vertueuſe.
LETTRE PREMIERE.
SIItôt que le rétabliffement de ma fanté
me l'a permis , j'ai fuivi vos confeils ,
mon aimable amie , j'ai quitté mon appartement
le plutôt qu'il m'a été poffible
; & je commence à jouir des beautés
de la faifon. Cependant on ne me permet
pas encore de faire de longues promena16
MERCURE DE FRANCE.
des : cela m'afflige ; cette diverfion m'a
voit paru propre à diffiper je ne fçais
quelle langueur , dans laquelle je tombe
infenfiblement , furtout depuis ma derniere
maladie.
Je vois que mes efpérances m'avoient
féduite ; ma fille & mon fils , au lieu de
m'amufer , m'excédent tous les jours da
vantage leur gaîté bruyant e mere au
gue au point que je vais les mettre au
Collége & au Couvent . Mon mari me défole
par les leçons éternelles qu'il me
donne fur leur éducation . Il m'en écrit
fans ceffe de fon vieux Château , où fans
doute il n'a rien de mieux à faire . Eft-ce
que l'état de mes enfans n'eft pas décidé
par celui de leur pere ? Leur fortune eft
affurée; que m'importe le refte. Ils feront
comme les autres : je n'ai pas plus d'am- _
bition que cela.
Les principes de mon mari font tout
différens. Il voudroit me perfuader que
je ferois le modéle des femmes de mon
fiécle , fi j'avois le courage de me retirer
dans fon antique Château. A la vérité
nous y vivrions plus abondamment avec
une fortune médiocre ; mais auffi plus de
Spectacles , plus de Bals , plus de Livres
nouveaux , plus de ces Phènoménes du
bel- efprit , que l'on voit avec autant de
AOUST. 1761 . 17
cariofité qu'une chofe extraordinaire. J'au
rois en revanche des avenues fans fin
des bofquets enchantés , des parterres ,
des potagers ; & avec tout cela des Provinciaux
mauffades , & cette uniformité
continuelle que je ne pourrois fupporter.
>
Au refte , ce n'eft point l'amour , ce
premier fentiment de mon coeur qui
m'attache au lieu , où il a pris naiffance :
il me femble que ma paffion s'affoiblit
tous les jours , puifque j'ai pu réſiſter
à la préſence de celui qui me l'avoit inf
pirée ; l'abfence doit en effacer enfin le
Louvenir.
Quoiqu'il en foit , j'attends les lettres
où l'on me parle du Chevalier, avec moins
d'impatience ; & les miennes fout fi froides
& fi réservées , que je n'écris rien que
je ne puiffe dire en public.
Je vois cependant avec peine que la
lecture n'eft pas encore une refource &
un amuſement pour moi . Je me fuis fait
Lire pendant ma maladie trente volumes
de Romans : ils me touchent ; mais ils
m'attriftent , & il ne m'en rete rien .
J'entends parler depuis quelques jours de
la nouvelle Héloïje : envoyez -moi , je vous
prie , cet ouvrage , fur lequel on pronɔnce
fi diverſement . Il partage , à ce qu'on
m'a dit, la Ville & la Cour. J'ai vû ces der18
MERCURE DE FRANCE.
niers jours quelques-uns de ces efprits à
la mode , qui donnent le ton : ils m'ont
confirmée dans cette incertitude. Les uns
élévent aux nues le Livre nouveau ; d'au
tres qui n'approuvent rien , en difent
beaucoup de mal . Ces Meffieurs m'avertiffent
que j'aurai tort de ne pas m'ennuyer
de la longueur des differtations ;
enfuite comme moraliftes , ils font fâchés
de trouver dans un livre de Philofophie
des foibleffes trop excufables & trop
agréablement décrites.
Pour moi je ne connois de Juges fur
un ouvrage de cette nature que le coeur
ou le génie. Le dernier eft bien rare , &
le fecond commence à le devenir. Il y a
cependant longtemps que le Public a appellé
du Defpotifme , auquel les Maîtres
de l'esprit prétendent l'affujettir.
Quoi des milliers de fuffrages s'a
néantiroient devant leurs décifions ? Quoi !
ce jugement , ce cri univerfel d'une multitude
d'âmes fenfibles , cette apologie
univerfelle & involontaire feroient tranfformés
magiquement eft un froid mépris ?
Quoi ! lefel d'une Epigramme éteindroit,
dénatureroit le fentiment même ? C'eſt lui
feul que je veux confulter : jamais ceux
de la partialité de l'envie , de l'orgueil
de je ne fçais quelle inquiétude impérieuAOUST.
1761 ; 19
fe ne feront la regle du plaifir ou du dé
plaifir de mes lectures . S'ils en impoſent
aux efprits foibles , qui n'ont d'avis que
par infpiration , ils révoltent toujours l'équité
du Sage & du Philofophe , qui
fent & qui juge , parce qu'il penfe , fans
avoir befoin qu'on le faffe penfer.
›
Envoyez moi donc au plutót , ma chère
Comteffe cette nouvelle Héloïfe. Quel
plaifir , fi votre rhume étant entiérement
fini , vous pouvez me l'apporter vousmême.
Je vous réponds que je trouverois
le nouveau Roman admirable .
LETTRE DEUX I E ME.
'AVEZ Vous allez réfléchi , mon aima
ble amie , à la terrible nouvelle que vous
m'apprenez , lorfque vous m'avez mandé
que le Chevalier va arriver de Malthe ?
Vous m'écrivez froidement , que graces
aux réfléxions que j'ai eu le temps de faire,
fon retour ne fera pas difficile à fupporter.
En vérité , vous en parlez bien à votre
aiſe . Vous n'avez jamais eu de paffions à
combattre.
Je fuis vos avis , autant que cela eft'
en moi je m'occupe davantage ; je me
20 MERCURE DE FRANCE:
proméne beaucoup ; & j'ai déja lû quelques
lettres de votre nouvelle Héloïfe.
Je me repens bien d'avoir commencé.
cette lecture : je voudrois avoir la force
de la quitter. Comment avez vous eu l'imprudence
de m'envoyer ce maudit Roman
? Ne voyez vous pas que Julie eft
tout au moins auffi vertueufe que votre
amie : elle ne peut aimer davantage ; cependant
elle va bientôt fuccomber . Falloit-
il m'offrir un fi dangereux exemple ?
Que vous avez mal pris votre temps pour
me prêter des livres d'amour ?
Que vais je devenir féparée de mon
amie , éloignée d'un mari eftimable, dont
l'amitié & les procédes ont fouvent rallenti
les progrès de ma paffion ? Il m'impatiente
cependant avec fes perfécutions
éternelles , pour m'engager à me confiner
dans fon hermitage . Pour comble de malheur
, je fuis ici toute feule avec mes enfans
, qui deviennent tous les jours plus
indociles & plus infupportables. J'ai bien
peur qu'ils ne finiffent par être méchans
& ingrats.
Mes voisins , que je fuis forcé de voir
quelquefois,font facilement ennuyeux , &
fe formalifent de tout . Je ne reçois point
de lettres de Paris , qui ne foient remplies
de tracafferies & de méchancetés.On
AOUST. 1761 . 23
ne m'apprend que des Hiftoires fcandaleufes:
tous les gens de ma connoiffance
fe déchirent & fe haiffent. Comment
voulez- vous que je m'accoutume à les aimer?
Quelle confolation une femblable
fociété peut -elle répandre fur ma vie ?
Sans le fentiment dangereux qui foutient
mon coeur , mon exiftence me ſembleroit
d'un poids infupportable. L'amour , le
feul amour nous rend infenfibles à mille
contrariétés : il fait diverfion avec les
fpectacles continuels de l'injuſtice & de la
méchanceté des hommes . Ce n'eft pas que
je me cache à moi - même la honte & la
trifteffe , qui fuivent fouvent fes pas .
Hélas ! ma chere amie , vous favez tou
tes les réfléxions que nous avons faites
cent fois fur les aventures de plufieurs
femmes élevées avec nous . Nous n'avons
prefque jamais vu que des Amans malheureux
ou ennuyés ; cependant, quoique
bien avertis , nous finiffons prefque toujours
par aimer.
Je me perds , je vous l'avoue , dans
mon coeur & dans ma raiſon. O ciel ! eftil
concevable , que quatre lignes écrites
au hazard fur un bruit vague & peu cer
tain , caufent une fi grande révolution
dans un coeur? Non , je ne faurois vous exprimer
le défordre caufé dans tout mon
22 MERCURE DE FRANCE.
être , par ce que vous me dites du Che
valier. Je ne fuis plus la même ; je n'ai
plus les mêmes idées ; mes principes va▾
rient : ce qui me fembloit raisonnable ne
me paroît plus que chimérique & fouvent
ridicule .
Cependant , ma chere amie , je fens
que je tiens encore à ma réputation , à
ma vertu & à l'eftime publique ; je lens
que je dépens plutôt de l'opinion que l'on
a de moi , que de celle que l'on en devroit
avoir. Ce contentement de foi- même
; ce fentiment tout intérieur dont no .
tre vieille parente parle fans ceffe
pourroit-il habiter fur la terre ? N'en déplaife
à toutes ces prudes , comment feront
elles pour nous perfuader que la fidélité
conjugale eft une vertu réelle , &
que l'ennui , dont elle eft fi fouvent accompagnée,
n'eft qu'une chofe arbitraire?
Je fens pourtant . ..je fens
que je tiens encore à quelque chofe d'inexplicable.
Il me feroit échappé aujour
d'hui bien des extravagances, fi je ne m'é-
Cois pas méfiée de ma tête. Elle est dans
un étrange état. Ah ! ma Comteſſe , que
vous avez mal fait de m'envoyer cette
Hiftoire de Julie! pour vous en punir, vous
n'aurez de mes nouvelles que lorsque j'au
rai lû les fix volumes.
AOUST. 1761. 23
LETTRE TROISIEME.
J'ai achevé ce matin , ma chere amie ;
votre nouvelle Heloife . J'ai éte fi occupée
de cette lecture depuis que je l'ai com-
-mencée , qu'il y a plus de vingt- quatre
heures , que je n'ai penſé à toutes les extravagances
qui rempliffent fouvent mes
Lettres.
Je ne faurois vous dire encore toute
l'impreffion que m'a fait cet Ouvrage. Ce
n'eft point feulement un livre de Philofophie
; ce n'eſt point l'hiſtoire d'une Héroine
de Roman ; c'eſt celle du coeur hu- ;
main , vu ſous le plus beau jour , c'eſt- àdire
, au milieu des foibleffes les plus excufables
& des vertus les plus réelles. On
y trouve le développement de la rai on la
plus profonde , avec celui des Sophifmes
qui combattent fous l'ordre des paffions :
la vérité eft fans ceffe à côté de l'erreur :
l'erreur n'eſt jamais honteule ; & la vérité
eſt toujours aimable.
On trouve d'abord dans Julie une fille
charmante & fenfible , attaquée par tous
les traits que l'amour peut lancer ; elle a
contre elle le refpe&t de fon amant , la
violence de fon amour , les preftiges d'une
24 MERCURE DE FRANCE.
imagination vive & brillante , fa candeur ,
fa jeuneſſe , fon coeur & la beauté. Ces
redoutables ennemis triomphent de fon
honneur , fans pouvoir détruire les vertus,
ni même obfcurcir longtems les lumiéres
de fa raiſon. Tout eft grandeur & féduction
dans Julie. Ses fautes ont quelque
chofe qui les éléve ; fes vertus les plus auftères
ont je ne fçai quoi d'intéreffant , fes
confeils, fes remontrances, tout ce qu'elle
dit , tout ce qu'elle peut dire , reçoit l'expreffion
douce & touchante d'un âme tendre
& élevée.
Hélas ! ma Comteffe , que l'on fait volontiers
connoiffance avec cette fille àimable
& paffionnée ! .... Encore attaché
par fes erreurs , dont on trouve auffi la
fource trop attrayante , inſenſiblement on
s'accoutume à aimer celle qui doit bientôt
nous forcer au reſpect.
On trouve enfuite dans cette fille adorabte
un Philofophe & un Moralifte , que
l'on ne peut refufer d'entendre. Ce Philofophe
nous inftruit en même temps par fa
folie & fa raifon , par fes vertus & fes
foibleffes, par les réfléxions & fes remords.
Ce n'eft point par une tranfition fubite
que l'on paffe du goût à l'admiration : on
voit rapidement dans le principe des fau-
Fes
AOUST. 1761 . 23
res de Julie toutes les réflexions qu'elle eſt
au moment de faire .
A chaque page on s'attache plus fortement
à elle. Les événemens de ce Roman
font des événemens ordinaires . Les fituations
font fortes & grandes , mais fi naturelles
que les coeurs de tous les hommes
peuvent facilement les rencontrer. Voilà
d'où reffort la fublimité des idées , & les
traits du génie , auffi aifées à fentir , que
difficiles à imaginer.
Si l'on rencontre des fentimens trop
au- deffus des fiens , ils émeuvent plutôt
qu'ils n'éblouiffent . Ils touchent l'âme qu'ils
élévent. On ſoupire en les admirant on
cherche à fe les approprier. Si l'efprit
quelquefois diftrait du principal intérêt fe
voit forcé à fuivre une differtation longue
& férieufe , elle fe préfente fi naturellement
, & elle paroît fi importante par fon
objet , que l'intérêt perfonnel foutient la
curiofité.
Ne trouvez vous pas , ma chère amie ,
que l'on fe repofe avec une douce fatiffaction
au milieu de ces peintures fimples
& magnifiques , des vertus fociables , des
vraies beautés de l'ordre & de la réalité
des devoirs , qui font de tous les temps &
de tous les lieux ? N'avez-vous pas remarqué
que le bonheur de l'innocence par
-B
26 MERCURE DE FRANCE.
tout exalté , eſt toujours en action & en
vue , pendant que celui qui bleffe les loix
de la pudeur ne marche que d'un pas tremblant
, au milieu de l'incertitude & de la
crainte.
Julie & fon amant ne croient entrevoir
un état doux & tranquille que lorsqu'ils
penſent n'avoir plus de reproche à fe faire.
Ils paroiffent alors moins paffionnés , fans
devenir moins intéreffans. Loin d'avoir
perdu de fa fenfibilité , leur âme , fur- tout
celle de Julie , en fe répandant fur plus
d'objets ne fe montre que plus fenfible .
L'on n'apperçoit cependant que le développement
naturel de fon caractére.Infenfiblement
l'on change avec elle : on paſſe
à des fentimens moins tumultueux & plus
durables. La tendre humanité rencontre
des coeurs déjà gagnés , où les traits chers
& facrés fe gravent plus profondément .
On voit fous un jour nouveau le touchant
plaifir de faire du bien : l'amitié brille d'un
plus vif éclat : elle fe montre au milieu du
contentement de foi-même. Elle eft environnée
du repos & de la paix.
Quel fpectacle , que celui d'une famille
refpectable & heureuſe , confondue avec
de vertueux amis , avec des domeftiques
fortunés & reconnoiffans ; en qui l'attachement
& l'honneur éffacent la honte de
AOUST . 1761. 27
"
la fervitude ! quel tableau , que celui de
plufieurs êtres raffemblés fous un même
point de vue , qui s'eftiment & s'aiment
avec tant de raifons de s'aimer !
Les images grandes & flatteufes font
encore embellies par les charmes d'une vie
champêtre. On reçoit une nouvelle éxiftence
; on fe rapproche de la nature : on
fent renaître dans fon coeur l'efpoir confolant
d'un bonheur plus réel .
Je me fuis apperçu , ma chère amie ,
que ces plaifirs nouveaux , dont je ne m'étois
jamais formé d'idée , fupportent le
coup d'oeil de la Raifon . Ils s'embelliffent :
même , à mesure qu'elle les confidére.
Voilà par quelle route le Philofophe de
Genêve parvient à nous conduire dans des
lieux fi peu connus & fi peu defirés , dont
on ne voudroit plus fortir. Il a l'art de
préparer , fans que l'on s'en doute , tout
ce qui eft néceffaire pour nous rendre capables
d'écouter ces fublimes leçons . Vous
fentez bien , qu'il a dû commencer par
nous plaire : il a fallu nous accoutumer
doucement à la raifon . Voilà fans doute
pourquoi l'Auteur a pris la peine de fuivre
pas à pas nos extravagances & nos foibleffes.
Je vous difois , ce me femble , il y
a quelques jours , que le peu d'utilité de la
plupart des livres de morale naît du ton
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
defpotique de l'Auteur . Il eft vrai que l'on
imagine le voir regarder du haut de fa
raifon nos folies & nos malheurs . Il femble
qu'il fe dife impénétrable aux paffions
humaines. Ces mêmes paffions font elles
feules en action dans la plupart des Romans
ou bien l'on y rencontre au milieu
d'une troupe de fous ,, des perfonnages fi
ennuyeux & fi parfaits : ils font fi continuellement
raifonnables : ils ont fi peu de
rapport avec nous , qu'ils ne peuvent gagher
notre confiance .
Vous me direz peut-être que j'ai mes
raifons pour penfer ainfi. Il eft vrai que je
fais un gré infini au Philofophe Suiffe , d'avoir
fçu nous montrer les refforts qui fervent
à relever une âme bien née . Il a furtout
puiffamment combattu le découragement
des belles âmes , cette fource honteufe
& conftante de la corruption des
plus heureux caractères .
Si je voulois vous rendre compte de
tout ce que j'admire dans l'enſemble de
cet Ouvrage , il me faudroit peut - être
plus de temps pour le détailler , qu'il n'en
a fallu à l'Auteur pour le faire . Je regarde
fon plan comme une machine immenfe ,
cachée fous le voile de la plus noble fimpli
cité .
Je ne finirois pas , fi je me permettois
2.
AOUST. 1761 . 29
de vous dire tout ce que je crois appercevoir.
Il y a bien loin de l'impreffion
que j'ai reçue , à celle que je craignois .
J'ofe à peine penfer à ma derniere Lettre :
j'allois cependant vous en parler ; máis
je m'apperçois heureufement qu'il eft bien
tard. Je compte vous écrire encore après
demain.Adieu, ma chère amie; les obfervations
de votre fociété fur la nouvelleHélo
fe,dont vous me faites part , me paroiffent
petites & injuftes . Je fens que je ferai forcée
de vous en dire mon avis dans ma premiere
Lettre.
LETTRE QUATRIEME.
J'AIAI encore relu, ma chère amie, les trois
derniers tomes de Julie ; & je ne les ai interrompus
que pour écrire deux Lettres
d'affaires ; l'une pour obliger un malheuheureux
de ce Village , qui m'a autrefois
fervie , & l'autre à mon mari. Je le preffe
de profiter de la belle faifon , s'il a toujours
le projet d'aller cette année s'établir
dans fa terre. Je partirois tout de faite.
avec nos deux enfans ; & vous jugez bienque
la nouvelle Héloïfe ne feroit pas ou
bliée.
Je fuis plus indignée que jamais de vos
Bijj
30 MERCURE DE FRANCE.
remarques. Elles attaquent les endroits du
Livre qui me paroiffent les mieux inventés.
En vérité vos gens de goût ne peuvent
critiquer fi févérement cet Ouvrage,
que parce qu'ils ne l'ont pas fait .
Je m'imagine d'ici voir l'air de confiance
& d'autorité , avec lequel ces Meffieurs
perfuadent, après dîner, de jeunes petites,
Dames qui les accréditent . Ils blâment
fur tout avec fuccès les moeurs de Julie
parce que des maximes pernicieuſes ; parce
que des moeurs vraiment corrompues
font vivement attaquées par fa conduite.
Je crois les entendre dire à leur crédule
auditoire , avec un fourire ironique .....
Comment cette fille affez éprife pour
manquer à fon honneur , ne l'a- t - elle pas
affez été pour époufer fon amant ? Pourquoi
refufe- t- elle les offres du généreux
Edouard pourquoi ne quitte-t- elle pas
les parens qu'elle déshonore , pour aller
paffer fa vie avec ce qu'elle aime & l'ami
vertueux , qui leur offre un afyle ? n'a-telle
de l'audace & de la force d'efprit ,
que pour s'impofer des liens illégitimes ?
J'ai bien peur , ma chère amie , que
ceux qui raiſonnent ainfi , ne connoiffent
d'autres vertus que le préjugé , & d'autre
Eonneur que l'orgueil. Comment ne
oyent-ils pas que à Julie a manqué à ce
fi
AOUST. 1761 31
qu'elle ſe devoit à elle -même , vis-à- vis de
la vertu & de la raiſon , elle ne peut expier
les fautes que par fes remords & par
fes larmes doit -elle faire oublier fa foibleffe
par des torts plus graves & plus impardonnables
. Qui peut la condamner ?
fera-ce des Philofophes ou des dévots ?
fera ce des hommes fans principes ou ceux
qui prétendent en avoir ? lequel d'entr'eux
prononcera que le premier des crimes eft
l'amour illicite , & que les premiéres des
vertus ne font pas la reconnoiffance &
l'humanité ?
Julie aime fon amant fans ceffer de
chérir fon père : elle ne veut point fe féparer
d'une mère tendre & adorée. Il lui
en coûte pour s'éloigner d'une amie qu'elle
a toujours aimée. Lifez ces quatre lignes
que l'on trouve dans une Lettre de Claire
à Julie. » Il reste en toi , lui dit Claire ,
» mille adorables qualités , que l'eftime de
» toi-même peut feule conferver , qu'un
» excès de honte & l'aviliffement qui le
fuit détruiroit infailliblement ; & c'eft
"3 fur ce que tu croiras valoir encore , que
» tu vaudras en effet. Gardes - toi donc ,
» de tomber dans un abbattement dangereux
, qui t'aviliroit plus que ta foibleffe
» même . Le véritable amour eft il fait
»
» pour dégrader l'âme ?
·
B iv
32 MERCURE DE FRANCE.
Julie n'eft pas de ces femmes qui per
dent toutes leurs vertus en un jour. Plus
capable de facrifier fon honheur au bonheur
de ce qu'elle aime , que d'immoler
au fien les derniers jours d'un père & dune
mère qui n'exiftent que pour elle ; au
moment de plonger le poignard dans le
fein de ceux qui lui ont donné la vie , elle
regarde la profondeur du précipice , où
elle eft tombée. Le crime barbare , qu'elle
eft fur le point de commnettre , lui donne
de l'horreur pous les engagemens qu'elle
a pris . Enfin n'eft elle pas retenue dans
cette circonftance par fon extrême fenfibibilité
, la fource premiére de toutes les
vertus , & l'unique principe de fes erreurs?
Ne voit on pas ici tous les effets d'une
-même caufe & les conféquences néceffaires
du caractère que l'Auteur a dû donner
à fon Héroïne? Si ce font là des contrariétés
, convenez , ma chere amie , qu'elles
ont heureuſement leur racine dans le coeur
de l'homme.
Avec quel génie cette prétendue inconféquence
eft préparée ! On ne peut fe laffer
de lire la Lettre où Julie raconte la vialence
de fon père , & le charme de la Scène
touchante qui lui fuccéda : c'eſt Julie
qui s'exprime ainfi, page 374 , tome premier.
AOUST. 1761 : 33
"
"
Après le fouper , l'air fe trouva fi froid
que ma mère fit faire du feu dans fa
» chambre .Elle s'affit à l'un des coins de la
» cheminée, & mon père à l'autre. J'allois
» prendre une chaife pour me placer en-
» tr'eux ; quand m'arrêtant par ma robe,
❞ & me tirant à lui fans rien dire , il m'af-
» fit fur fes genoux. Tout cela fe fit fi
" promptement & par une forte de mou-
» vement fi involontaire , qu'il en eut une
efpéce de repentir le moment d'après.
Cependant j'étois fur les genoux : il ne
pouvoit plus s'en dédire ; & ce qu'il y
» avoit de pis pour la contenance , il fal-
» loit me tenir embraffée dans cette gênan
té attitude.Tout celà fe faifoit en filence ;
mais je fentois de tems en tems fes bras
»fe preffer contre mes flancs avec un fou-
» pir affez mal étouffé . Je ne fais quelle
» mauvaife honte empêchoit les bras pa-
» ternels dé fe livrer à ces douces étrein-
» tes . Une certaine gravité qu'on n'oſoit
» quitter ; une certaine confufion qu'on
» n'ofoit vaincre, mettoit entre un père &
fa fille ce charmant embarras que la
pudeur & l'amour donnent aux amans ;
tandis qu'une tendre mère , tranſpor
» tée d'aife , dévoroit en fecret un fi doux
fpectacle. Je voyois , je fentois tout
cela - men - Ange Et ne 'pus tenir plus
By
+
34 MERCURE DE FRANCE.
و د
"
"3
ور
longtemps à l'attendriffement qui me
gagnoit. Je feignis de glifler. Je jettai ,
» pour me retenir, un bras au cou de mon
Fère. Je penchai mon vifage contre fon
vifage vénérable ; & dans un inftant il
» fut couvert de mes baifers & inondé de
» mes larmes. Je fentis , à celles qui cou-
» loient de fes yeux , qu'il étoit lui- même
foulagé d'une grande peine : ma mère
» vint partager nos tranfports . Douce &
paifible innocence , tu manquas feule à
» mon coeur , pour faire de cette fcène
» de la Nature le moment le plus déli-
» cieux de ma vie !
ور
ور
Cette fcène fi naturelle conduit le Lecteur
à approuver ce qui doit fuivre. Qu'il
eft aifé de fe repréfenter qu'après avoir
gémi de la violence de cet homme brulque
& fenfible, fon repentir, fes larmes &
les careffes qui lui échappent doivent
avoir un empire abfolu fur une fille comme
Julie!peut -on s'empêcher de comparer
les douceurs de cet épanchement de la
nature , de ce fentiment fi doux , fi refpectable
, avec le tumulte impétueux d'une
paffion déréglée ? quel contrafte ! quelle
fource de réfléxions !
Peu de temps après , elle voit mourir
fa mère , qui a découvert fon intrigue.
Cette mère charmante ne lui fait aucun
A OUST 1761.
35
fon père qui n'a
reproche : elle expire en faifant des voeux
pour le bonheur de fa fille . Julie fe perfuade
que le chagrin a abrégé fes jours :
elle ne voit plus que des objets lamentatables.
Séparée de fon Amant depuis plufieurs
mois , elle a eu le temps de réfléchir
: elle doit le moins aimer & le hair
peut -être , lorſqu'elle fe retrace fes fautes
& fes malheurs.
Dans cet inftant
plus qu'elle , ce vieillard malheureux ,
dont elle peut adoucir ou empoisonner
la vie , ce père fi haut , fi abſolu ſe jette
à fes genoux , pour la fupplier d'accorder
fa main à un homme vertueux , qui lui
a fauvé la vie . Il la preffe d'acquitter la
parole d'honneur qu'il a donnée à fon
ami . Ah ! ma Comteffe , n'avez-vous pas
remarqué que le mariage devient pour
une perfonne comme Julie une barriére
invincible contre les reftes d'une paffion
terrible & .malheureufe? Elle fe flatte de
rendre à fon père le repos & le bonheur
qu'elle lui a ôtés. Elle fuit les confeils
d'une amie qui a de l'empire fur ſon eſprit.
En réfléchiffant, elle fe regarde comme
une fille coupable & ingrate : elle voit
qu'elle peut devenir une femme vertueufe
& une mère tendre & respectée . Ce
dernier motif la décide . Elle promet &
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
accomplit avec joie fon ferment.
Que pourroit- on oppofer à des raifongfi
preffantes? Seroit - ce les intérêts de l'hon--
nête homme qu'elle époufe , & qui peut
ignorer fa conduite ? De pareilles confidérations
n'éffacent point la peinture que
je viens de faire . Eft-il même bien aifé de
décider fi l'obéiffance d'une fille à fon
père n'eſt pas un des premiers devoirs de
fon état ?
On pourroit enfin convenir tout au
plus , que les raifons fe combattent fans
pouvoir fe détruire; & c'en feroit plus qu'il
n'en faut pourfonder la conduite de Julie fi
bien dans la nature & dans la raiſon.Je vais
plus loin : en fuppofant qu'elle fit une fau
te devenue néceffaire , on pourroit feulement
en conclure , qu'une fois fortis des
limites de l'ordre & du devoir , nous n'avons
plus que le choix des fautes & des
malheurs.
Hélas ! ma chère amie , que cette ré
fléxion eft inftructive ; mais qu'elle eft éffrayante
pour moi ! qu'elle doit me donner
à penser Revenons à Julie.
Il falloit bien qu'elle eût ce dernier tort ::
il falloit qu'elle fût parjure avec fon
amant , pour ne pas devenir plus criminelle.
Cette derniére faute a donné l'éffor
à fesgrandes qualités : elle la rétablit dans
l'état , dont elle étoit déchue . Remar
AOUST. 1761. 37
quez que Julie plus foible que je ne l'ai
étés Julie dans la même fituation que moi ;
Julie , époufe & mère devint fublime &
irréprochable. It femble que fon âme s'agrandiffe
avec fes devoirs . La vertu embellit
fes jours : elle trouve des douceurs
inattendues dans fon nouvel état.
Cependant, ma Comteffe , ces foupirs
tendres & douloureux, qu'elle jette quelquefois
vers le paffé , nous enfeignent
malgré nous , qu'elle eût été plus heureufe
, fi fon coeur ne l'eût jamais égarée.
Que la dévotion de Julie , eft grande
& touchante ! Elle éléve l'âme & la confole.
Elle meurt enfin , lorfqu'on ne peut
plus fe paller de vivre avec elle. Elle gagne
une maladie mortelle , en fe jettant
dans le Lac , pour fauver la vie à un de
fes enfans. Je ne connois rien de fi touchant
que le moment , où l'on améne
à Julie mourante les deux enfans qui lui
font fi chers. M. de Volmar s'exprime
ainfi dans cet endroit de la lettre , où il
raconte la fin attendriffante de fa femme:
2
» Elle alloit me répondre , quand on
» amena les enfans. It ne fut plus quef-
» tion que d'eux ; & vous pouvez juger ,
» fi fe fentant prête à les quitter , fes ca-
» reffes furent tiédes & modérées . J'obfer--
vai même , qu'elle revenoit plus fou
38 MERCURE DE FRANCE .
» vent , & avec des étreintes encore plus
» ardentes à celui qui lui coutoit la vie ;
» comme s'il lui fût devenu plus cher .
Ce qui doit furprendre le Lecteur ; c'eſt
que cette mort , quoique prévue , n'en eft
que plus attendriffante.
>
Il faut que cette fingularité foit caufée
par un intérêt d'une autre nature , que
celui qui foutient la plupart des Romans .
Apparemment que tout eft vrai , fimple
& naturel : cette cataſtrophe n'a pas befoin
d'être imprévue pour attendrir. Apparemment
que les mouvemens que l'on
éprouve , ne tiennent point à des illuſions
paffagéres ; mais aux fentimens plus confrants
& plus intimes , dont l'âme ne fe
laffe jamais.
Je voudrois vous peindre avec des couleurs
affez vives les différents regrets des
différents témoins de ce fpectacle funeſte .
Quelle fermeté touchante dans Julie ,
uniquement occupée de ceux qui l'environnent
? Quel état que celui de Claire ,
fûre de perdre une telle amie , en faifant
de continuels efforts pour lui cacher
La douleur ! Que de larmes différentes fervent
à retracer tous les charmes & toutes
les vertus de cette adorable femme ! Tous
les fentimens , tous les caractéres , toutes
les conditions la pleurent & la refpectent.
AOUST. 1761 . 39
On voit, dans ce terrible inftant, un défefpoir
général ; celui de fes amis , celui
de les domeftiques , celui de tout un peuple
, qu'elle auroit voulu rendre heureux.
On voit avec autant de faififfement que
d'admiration la perplexité de Wolmar , de
cet homme froid par principe & par caractére.
L'incertitude s'élève tout -à- coup
dans le fein d'un Athée , qui tremble de
voir expirer avec Julie , la vertu & l'húmanité.
Le malheureux Wolmar ne peut
croire à l'anéantiſſement d'une âme auffi
tendre & auffi parfaite. Il paffe de l'athéifme
à l'excès de la timidité : il redoute
pour Julie un avenir , qu'il n'eût regardé
pour lui -même , que comme un port certain
, comme un fommeil tranquille . A
peine raffuré par les vertus de ce qu'il
aime , c'eft lui qui l'avertit en frémilfant
, qu'il ne lui refte que peu d'inftants à
vivre.
Il me femble qu'en voilà bien affez ,
pour faire oublier quelques obfervations
auffi faciles à détruire qu'à imaginer . Pour
moi, je vous avouerai, ma chère amie , que
je ne fuis point fâchée de rencontrer avec
des vertus fublimes quelques petiteffes
qui les rapprochent de moi. Au furplus
je ne m'embaraffe guéres de fçavoir fi Julie
a eu tort ou raiſon , de chercher à rafe
1
40 MERCURE DE FRANCE.
furer les regards de ceux qui la voyent finir.
Peut-être, fi vous le voulez , eût -elle mieux
fait de mourir plus férieufement . Je ne
voudrois cependant rien retrancher : tout
me plaît : tout me paroît néceffaire. Je
penfe que ce feroit avec moins de raifon
encore, que l'on s'en prendroit à quelques
inconféquences de Volmar , qui n'eft
point le pivot éffentiel & moral de l'ouvrage.
On trouve mauvais , dites - vous , que
cet homme extraordinaire ait époufé Julie
, fachant fa conduite & fon amour.
Mais en fuppofant même que Volmar ait
eu un tort ; faut- il donc s'étonner , qu'un
Athée , qui par hazard fe trouve bien né ,
tombe dans plufieurs inconféquences ?
Eft-il d'ailleurs bien fingulier , qu'ayant
connoiffance de la paffion de Julie , il
l'épouse , parce qu'elle lui plaît , parce
qu'il croit que fa fociété peut le rendre
heureux ; parce qu'il n'eft pas d'un caractère
jaloux ; parce qu'il fait qu'elle eft vertueufe
& reconnoiffante , & qu'il eſpére
que fes procedés & fes foins pourront enfin
la gagner; parce qu'il voit fon père
décidé à ne pas lui laiffer époufer fon
amant ; & fi l'on veut enfin , parce que
l'intérêt de fon plaifir & de fon bonheur
l'emporte un moment fur toute autre con
fidération ?
AOUST. 1761. 48
*
Ce même Volmar , plein d'amitié & de
refpect pour Julie , qui a eu affez dé bon
ne foi & de candeur pour lui avouer fest
égaremens , fait revenir faint Preux ,
après fix ans d'abfence. Eft - il bien révol
tant qu'il ne voye en lui qu'un ami commun,
& un homme eftimable ? Peut- on ou
blier que Volmar n'eft ni amoureux ni ja
loux , & qu'il ne peut craindre une infidélité
, ni par préjugé , ni par principes ?
D'ailleurs , il compte fur la vertu de Julie
, il l'aime ; il craint d'avoir empoifonné
fa vie ; & à quelque prix que ce
foit , il veut mériter fa confiance , & con
tribuer à fon bonheur.
7
Il faut ne voir dans l'amour que des
fureurs , dans l'honneur que de la férociré
, pour ne pas juger avec indulgence
cette généreufe fingularité.
A propos de cette réfléxion : n'avezvous
jamais pris garde , chère Comteffe ,
à lá pédante hypocrifie de quelques déclamateurs
? Ils ne croyent point à un
Légiflateur éternel . Ils s'amufent à groffir
continuellement de triftes préjugés ,
qui ne feroient que barbares dans leurs
fyftêmes. Il faut que ces préjugés fi gênans
& fi cruels ayent une caufe bien
puiffante , que nous ne pouvons diftinctes
L'Amant de Julie.
42 MERCURE DE FRANCE.
ment connoître . Mais laiffons la Philofophie
& l'amour.
Vous avez pu remarquer , que dans le
compte que je viens de vous rendre de la
nouvelle Héloïfe , je ne me fuis guéres occupée
que des traits qui ont un rapport éf- િ
fentiel à mes devoirs , & avec la fituation
préfente de mon coeur .
Je ne fais fi je me trompe , depuis que
j'ai lu ce Livre , il me femble que je vois
un nouvel ordre de choſes. Ce qui m'arrivera
d'ici à huit jours, peut décider du fort
de toute ma vie. Selon la réponſe de mon
mari , je vous verrai peut- être la femaine
prochaine ; car je pafferai certainement
par Paris , en allant à fa terre de Bretagne.
Ah ! ma chère amie , que j'aurai de
* Ceux qui n'aiment pas le Roman de Julie ,
doivent favoir quelque gré à la perfonne qui
écrit ces Lettres , d'avoir obmis de parler du
charme du ftyle & de la force des raifonnemens
, de leur fageffe , de leur profondeur , des
principes de morale lumineux & utiles que l'on
trouve à chaque page de la defcription du Pays
de Vaux ; des Lettres fur le Suicide , des chofes
ingénieufes que dit l'Auteur fur l'éducation des
enfans ,& fur la manière de former les domeſtiques
honnêtes , & de les rendre heureux. Il n'y
a pas de Lettre , où bien des Auteurs qui penfe
roient , ne trouvaflent dequoi ſe faire une répu
tation & un bon Livre .
AOUST. 1761 . 43
›
plaifir à vous embraffer , & que nous
avons de chofes à nous dire ! Aurai - je le
temps de difputer fur Julie avec vos Marchands
d'Elprit ? Vous m'avez mandé
qu'ils avoient la bonté d'approuver la promenade
fur le Lac , le rêve de Julie , la
réparation d'Edouard. S'ils avoient vû plus
loin , ou avec plus de bonne foi , ils feroient
convenus que ces fublimes beautés
tiennent immédiatement à un magnifique
enfemble , qui ne pourroit fe paſſer
d'aucune de ſes parties.
C'est ainsi que finiffent ces Lettres : il
eût été facile d'en faire un Roman agréable.
Mais l'Editeur n'a ni l'efprit de ce
genre , ni le temps de s'en occuper . Si
quelque efprit léger agréable & oifif
vouloit continuer ces Lettres , il pourroit
les intituler: Le pouvoir d'un bon Livrefur
un bon coeur.
>
44 MERCURE DE FRANCE.
FRAGMENS de Vers , à l'occafion d'un
Payfan Canonier , qui ayant vu fon fils
emporté à une batterie , à l'Ile de Ré ,
dans le mois de Juin,fe tourna vivement
du côté de fon Officier , & lui dit avec un
courage digne d'une naiffance& d'une
condition plus élevée : » Monfieur, Dieu
m'avoit donné ce fils unique , il vient
» de me le retirer ; que cela ne nous emnpêche
pas de continuer notre befogne.
U'I dePhoebus les regards débonnaires,
Daignent tomber fur les humbles valons ;
Roi bienfaifant , de fes feux falutaires ,
II fçait nourrir les timides fillons.
Du chêne altier , vainement l'arrogance
De fes faveurs fe croit l'unique objet ;
De fes préfens l'heureufe préférence ,
Tombe ſouvent fur le timide oeillet.
De la vertu les efforts magnanimes ,
Egalement germent dans tous les coeurs ;
Oui , fous la bure on voit des traits fublimes ,
Qu'on cherche en vain dans le fein des grandeurs
Ah ! loin d'ici le préjugé ftupide ,
Qui calculant le nombre des vertus ,
Par les clochers & les dons de Plutus ,
Dans un Palais , veut trouver un Alcide,
A OUST. 1761 .
45
Les folles loix de l'aveugle hafard
Ne réglent point les dons de l'Empirée ;
Les deux tonneaux s'épanchent ſans égard
Sous le compas de l'équitable Aftrée.
Par le Major du Régiment de Br.....
VERS à Madame D*
, qui habite la
maifon du grand CORNEILLE , qu'elle
a beaucoup augmentée.
Q
U ton réduit , jeune Douairiere ,
Eft refpectable & gracieux !
C'est un Palais que je révère
A l'égal du Temple des Dieux.
Sous toi , ce Louvre des Corneilles
S'illuftre encore & s'embellit :
Sous toi , tout y devient merveilles
Et pour le coeur, & pour l'efprit.
Que ma veine feroit f rtile
Dans ce docte & tendre féjour ?
Des Arts ja fis il fut l'alyle ,
Il l'eft maintenait de l'amour.
Divine ombre du Grand - Alcée ,
Ne regrettes - tu point ces liex,
Depuis qu'is dans ton Ly ée
Fait briller fon goût & les yeux?
MERCURE DE FRANCE
Si malgré d'éternels obftacles ,
Toi- même revoyois ces bords ;
Ta Lyre , féconde en miracles ,
Produiroit de nouveaux accords.
Bientôt de fa gloire nouvelle ,
Ta Mufe étonnant l'univers ,
Feroit dans l'ardeur de fon zéle ,
Oublier fes premiers concerts.
VERS, pour mettre au bas du Portrait
de l'Abbé de CHAULIEU .
Iz féduit l'efprit & le coeur.
L'aimable volupté triomphe fur fes traces.
Qu'on s'enivre ailément d'un poiſon enchanteu
Quand il eft verfé par les Graces !
REPONSE faite fur le champ à Mlle D**
L *** ,qui demandoit d'un ton chagrin,
lorfque l'Auteur partit pour l'Armée 2
Qu'est-ce que la Gloire ?
CHERE HERE Iris , dont l'âme eſt ſi tendre ,
Dont le coeur eft fi généreux ;
Qui cherches en vain à comprendre
Pourquoi la Gloire a tous nos voeux ;
AOUST. 1761. 47
Toi , qui d'une aimable harmonie
Ne refpires que la douceur ,
Tu veux concevoir la manie
Qui nous rend cruels par honneur?
La Gloire eft une enchanterefle
Qu'il faut révérer malgré foi :
Le moindre murmure la bleffe ;
Elle parle , c'eſt une Loi.
On doit n'exifter que pour elle ,
Et n'avoir point d'autre bonheur;
On doit même la trouver belle ,
Quand elle nous perce le coeur.
Par M. DE JUILLY THOMASSIN, g . d. C. d. R
LE TRIOMPHE DE LA FOLIE ,
ODE badine.
АнH ! que mon fort eft glorieux !
Difoit l'Amour à la Folie:
Quoique le plus petit des Dieux ,
On me doit tout , juſqu'à la vie ;
Tout fe conduit par mon canal ;
Je fais la paix ; je fais la guèrre ;
Je fais le bien ; je fais le mal ,
Dans les Cieux comme fur la tèrre.
48 MERCURE DE FRANCE.
J'ai changé Jupiteren or ;
On l'a vû Taureau , Cigne , Aigle , Hommes
J'ai fait , je crois , bien plus encor
J'ai brulé Troye & dompté Rome;
Alcide , Alexandre & Célar ,
Se font honorés de mes chaînes ;
J'ai vu des Mouphtis à mon char ,
A côté des Sages d'Athènes.
Si ces exploitsfont bien fameux ,
Dit l'autre , c'eft ce que j'ignore :
Tu crois tes Héros amoureux ;
Moi je les crois plus fols encore.
T'es-tu jamais paffé de moi ,
Mon pauvre enfant , parle fans feindre?
Non , mais je fais des fols fans toi ,
Et ce font là les moins à plaindre.
JUSTIFICATION DE L'AMOUR ,
MADRIGAL.
D EVENU vieux , fage par impuiſſance ,
Saturne un jour grondoit le Dieu des coeurs :
O pauvre Hymen , dit- il , quelle licence !
Comme on te traite , ô fiécle , ô temps , ô moeurs !
C'eft toi cruel qui fais tous les volages ;
Oui ,
AOUST . 1761 : 49
Oui , dit l'amour , je vais fuivant le temps ,
Créer encor des hommes qui foient fages ;
Et j'en ferai des Amants plus conftants .
L
LE JUGE A LA MODE ,
SUR LES PLUS CÉLÉBRES TRAGIQUES .
Seconde Ode badine.
LE PARTERRE à l'Amour.
Sois le Juge , Cupidon ,
Puifqu'ici ta voix do mine ,
Qui vaut mieux de Crébillon ,
De Corneille , ou de Racine ?
Je ne me trouvai jamais ,
Si grand que lorfque Corneille ,
Par d'inimitables traits ,
Sçut étonner mon oreille.
D'un beau feu Racine épris ,
Quand il a peint la tendreffe ,
A mis plus de coloris ,
Plus de goût , plus de fineſſe .
Après eux vint Crébillon ,
Un feu dévorant l'enflâme , '
C'est un brulant tourbillon
Qui porte l'éffroi dans l'âme :
C
fo MERCURE DE FRANCE
S'il faut que je falſe un choix ,
Si l'on me force à le dire ,
Ils me plaiſent tous les trois ;
Mais ils n'ont pas fait Zaïre.
LEROSSIGNOL ET LE TOURTEREAU ,
MADRIGAL.
QUE l'heureux S. Lambert peint bien le ſenti-
UB
.ment !
Que les tableaux font vrais & que fa touche eftfûre !
Il exprime tes feux , Amour , fi tendrement ,
Qu'on diroit que ta flâme échauffe fa peinture.
Que n'ai-je avec mon coeur fon féduiſant Pinceau ;
J'aurois déjà fléchi l'ingrate Célimene.
11 eft le Roffignol , je fuis le Tourtereau.
Il chante fes plaifirs hélas ! & moi ma peine.
ParM*** Garde du Roi de Pologne , à Lunéville.
PROJET d'une Brochure en général , &
de plufieurs en particulier.
Les grands vices font traités , mais leurs
fubdivifions ne le font pas . Cependant elles
méritent d'autant plus d'être relevées
qu'elles fervent de faux- fuyant & d'excufe
àl'efprit & lui fourniffent des moyens pour
tolérer les vices & les rendre quelquefois
aimables. Les oppofitions rendent les imaAOUST.
1761. fr
ges plus fenfibles . Je commencerois donc
par traiter la Nobleffe & la Vilenie. La
premiere prife dans le fens de la Générofité
, & la derniere confidérée comme une
fubdivifion de l'Avarice.
La générofité regardée par rapport à
l'argent , mérite fans doute des éloges ;
mais elle a befoin d'être conduite . Le
don demande un à propos , fans lequel il
eft profufion . Combien de gens fe font
ruinés fans avoir été , je ne dis pas nobles
, mais étant éffentiellement injuftes
& peut-être même fcélérats ? Par vanité ,
par oftentation ils ont donné , ils ont jetté
ce qu'ils devoient à des malheureux
qu'ils ont réduits à la mifére . Ces Tableaux
font frémir ; on ne peut les décrire avec
trop de force , puifqu'en effet la probité
du monde ne les met point dans le rang
des reproches . En un mot , la générosité
doit être jufte ; & fans opulence , on eft
généreux .
La vilenie d'un autre côté n'eſt qu'une
avarice traitée & prife dans fes petites
parties; elle n'eft jamais avouée. Le vilain,
pour me fervir d'un mot qui n'eft pas noble
, & le feul que la Langue fourniffe
pour cette fubdivifion , le vilain , dis je ,
eft donc un avare honteux & occupé fans
ceffe de petits objets ; il craint les exem-
Cij
12 MERCURE DE FRANCE
ples des actions généreufes , parce qu'il
redoute les applications. Ce n'eft point
par intérêt d'amitié ou de fentiment qu'il
prend le parti d'un homme qui a fait une
vilenie , mais par l'efpérance de fe fauver
à la faveur des autres. Le perfonnel
le détermine ; infenfible au malheur des
autres , non feulement il ne donneroit
pas ce qui pourroit terminer leur malheur
, mais il fatisfait mal au falaire & au
payement de la peine. Le généreux mal
entendu & le vilain dépourvu de fentimens
, ruinent donc également les hommes
que le défaut d'opulence a placés
dans un état inférieur .
Les exemples en action font néceffaires
pour rendre cet Ouvrage utile ; & les
portraits dont une grande Ville abonde ,
ajouteront beaucoup à la morale qui
feule doit en être l'objet .
EPITRE adreffée à l'Académie Françoife ,
par M. l'Abbé AUBERT , en préfentant
la nouvelle Edition de fes FABLES
à cette Compagnie , le 13 Juin 1761 ,
DESEs loix du Goût , Interprêtes fublimes ,
Yous qui comptez parmi cent noms fameux ,
AOUST. 1761 . 53
L'Auteur chéri dont j'oſe dans mes rimes ,
Quoiqu'en tremblant , renouveller les jeux
Qué direz -vous de l'ardeur qui m'anime ?
En vain , tâchant de ravir à l'Eftime
Ce que le Goût pourra me refufer ,
D'inftructions j'ai femé mes Ouvrages ;
En inftruiſant ai - je eu l'art d'amuſer ?
Puis-je , en faveur de quelques leçons fages ,
Après mon Maître efpérer d'être lû ?
Ce ton naïf par lequel il a plâ ,
Cet heureux choix de brillantes images ,
L'ai-je faifi j'ai fait ce que j'ai pû .
Mais cet aveu , bon dans une Préface ,
Ne fauroit faire excufer mon audace.
Un froid Rimeur , qui tour feal s'applaudit ,
Sans fe douter que fa vervé nous glacé ,
A fes Lecteurs a beau demander grace ;
Il ennuira : Boileau l'a déjà dit.
S'il revivoit ce héros du Parnaffe ,
Combien d'Auteurs , de fa foudre frappés ,
Chaffés du Pinde & remis à leur place ,
Verroient flétrir leurs lauriers ufurpés !
Mais vous régnez : Deſpreaux vit encore.
De quelque accueil que le Public honore
Certains Ecrits en naiffant trop loués ;
Ils tomberont , s'ils ne font avoués
D'un Tribunal que le génie éclaire ,
Dont un goût fûr dicte les jugemens ,
C iij
34 MERCURE DE FRANCE.
Guide éprouvé dans l'Art heureux de plaire ,
Par qui la langue aux outrages du temps ,
Malgré la mode , apprend à fe fouftraire.
En vain , flatté d'un frivole fuccès ,
Je pourrai voir , dans ce fiécle facile ,
Quelques Lecteurs fourire à mes effais ;
Ils n'obtiendront qu'une gloire ftérile ,
S'ils n'ont auffi des charmes à vos yeux.
Recevez- en le légitime hommage.
Jamais mon coeur , fi j'ai votre fuffrage ,
N'aura joui d'un bien plus précieux :
Je trouve ici le Parnaffe & les Dieux.
* Les Fables de M. l'Abbé Aubert , fe vendens
chez lui , Place Dauphine , maifon de M. Pitre de
Pape , Jouaillier ; & chez Defaint & Saillant , rue
S. Jean- de- Beauvais , Duchefne , rue S. Jacques ,
& Langlois fils , rue de la Harpe . Prix 40 fols
brochées.
IMITATION d'une Epitaphe du célébre
BEN-JOHNSON , pour une belle Femme
de fon Siècle.
QUEUE rarement le Ciel raffemble
Autant de vertus & d'attraits ,
Qu'en cet objet de nos regrets
La Terre en vit briller enſemble !
Par M, L. B. L. B.
AOUST. 1761. 33
É PIGRAM M E.
HIER Amour me dit , d'un air riant ?
» Bonjour l'ami ! je viens finir ta peine :
>>Vois ces deux traits ; l'un fera pour Climéne
>>L'autre pour toi . Grand- merci , bel Enfant !
>> Mais de deux traits n'eft befoin cependant ,
» Un fuffira : percez -en l'inhumaine.
» Car quant à moi , votre aſſiſtance eſt vaine ,
» Laiffez agir fes beaux yeux feulement.
A Madame de B *** , qui a demandé un
Rondeau rimé en ec & en ême fans
les mots aime & refpect.
RONDE A U.
OUR obéir & n'être pas fufpect
A mon Iris , il faut en ect , en ême ,
O mon efprit , faire un rondeau correct ,
Sans y placer ces mots qu'à fon aſpect
Je ne puis taire en dépit d'elle - même !
Tâchez pourtant , mais d'un ton circonfpect
D'inftruire Iris de mon ardeur extrême.
Prenez alors quelque tour indirect ,
Pour obéir.
Civ
MERCURE DE FRANCE.
Voyez, cherchez, pour vous l'ordre eft fuprême
Vous balancez ? ... Oh , le pauvre intellect
Mettez Revere au lieudu mot en ect ,
Et puis adore ... & voilà votre thême ,
L'Amour par fois ufe de ftratagême,
Pour obéir.
FOUBERT , de S. Germain en Laye.
RÉFLEXIONS SUR LES PRÉJUGÉS ,
RELATIVEMENT AU BONHEUR.
'A M.l'Abbé MAYNEAUD DE VAUX.
EXAXAMINONS
- le bien, mon
cher
ami; nos
préjugés
font
prefque
toujours
les cauſes
de ce que nous
croyons
avoir
à fouffrir
du
refte des hommes.
On fe fait des peines qui n'ont de réalité
que celle qu'on leur donne ; notre
fenfibilité les mefure fur elle même , &
notre fenfibilité dépend ou de notre opinion
ou de nos foibleffes.
Rien donc de plus utile pour notre repos
& notre tranquillité, que d'approfon
dir ces préjugés , que de favoir s'en rendre
maître.
Ne nous arrive- t il pas fouvent de jager
des actions par les perfonnes.
AOUST. 1761 . 57
Il n'eft du moins que trop ordinaire de
tout rapporter à fon amour-propre ; on
exige des égards de tout le monde ; en a - ton
également pour les autres ? eft- il raifonnable
de fe plaindre d'une légère mortification
à laquelle on a pour l'ordinaire
donné lieu ?
im-
Si à l'amour- propre fe joint quelque
mérite , ne nous rend- t - il pas vains ,
périeux ? ne nous imaginons- nous pas que
tout le monde doit le connoître ? C'eſt là
je croi , la véritable pierre de touche de
la médiocrité. Le vrai mérite eft rare ; il
ne fe plaint de rien ; il connoît fes imperfections
, fe connoît lui - même , & fe
fuffit.
Il eft, je l'avoue, des occafions critiques ,
où quelque force d'efprit qu'on ait, à quelque
haut point qu'on porte ce talent fi
rare d'apprécier les chofes leur jufte valeur ;
il eft impoffible de ne pas fouffrir : j'entends
parler de celles où l'on fe trouve néceffairement
forcé de paffer une partie du
temps fi précieux de la jeuneffe , dans ces
fades & infipides fociétés , où le bon ſens ,
le goût , la raifon même n'ont jamais été
connues, dans la fociété de ces hommes à
loupe , qui jugent de tout felon leurs foibles
lumières ; qui d'un ton ftupidement
doctoral vous débitent des maximes ab
Cy
58 MERCURE DE FRANCE..
furdes & révoltantes qu'ils défendent
vec la chaleur ordinaire aux Sots ; qui joigrant
quelquefois à la bêtife , & le liberinage
, & le menſonge , vous accablent
d'une infinité d'équivoques plus fades &
plus infipides les unes que les autres.
On profite cependant dans de pareilles
Sc ciétés , dès que l'on en fent bien tout,
le ridicule ; mais cette utilité ne nous em-
Fêche pas d'en reffentir les peines inféparables
, l'ennui & le dégoût.
Par M. DE MONTROUÏ.
EPITREà Madame de S...
Voouuss mm''avez demandé des Vers :
En voici que je vous deſtine ,
Non tels que le Dieu que je fers ,
En dicte à ceux qu'il illumine ,
Ou qu'à ma charmante coufine ,
Le tendre amour les eût offerts ;
Mais tels qu'un pauvre Solitaire ,
Les enfile au fein de l'ennui ,
Et vous les adreffe aujourd'hui ,
Sans nourrir l'efpoir de vous plaire ,
Ni d'obtenir pour fon falaire ,
Qu'on s'occupe un inftant de lui.
D'abord à vos ordres docile
Jecrus qu'il me feroit facile.
AOUST. 1761 . 19
De peindre dans des Vers riants
Ce verd Bofquet , ce doux aſyle ,
Où loin du fracas de la Ville ,
Des Envieux & des Plaifans ,
Vous jouiffez d'un fort tranquille ;
De là promenant mes efprits
Sur cette plaine magnifique ,
Et fur ces prés toujours fleuris
Qu'arrofe une Fontaine unique ,
Je comptois bien dans mes Ecrits ,
En tracer à vos yeux furpris
Le Tableau le plus poëtique.
J'augurois trop de mes talens.
Quel Peintre eſt aſſez admirable ,
Pour rendre des traits fi brillans ?
Dans le moindre de fes enfans,
La nature eft inimitable .
J'ai vu mes éfforts auffi vains ,
Quand j'ai voulu chanter la vigne
Où croiffent ces arbres divins ,
Dont le gourmand * le plus infigne
Orna le premier fes Jardins ,
Et fur lesquels vos belles mains
Cueillent la griote & la guigne,
J'ai chanté fur le même ton ,
Et dans un goût auffi peu digne
De fixer votre attention
Avec quelle adreffe maligne ,
* Lucullus
C vi
60 MERCURE DE FRANCE.
" Vous croquez le friand poiffon
Que l'appas du trifte hameçon
Attire autour de votre ligne :
Un plus beau fuccès dans ce jour ,
N'a pas couronné mon audace ,
Quand avec les traits de l'amour ,
Je n'ai peint en vous qu'une grâce
En un mot pour parler ici ,
Avec ma franchiſe ordinaire ,
Famais un projet téméraire
N'a tout auffi mal réuffi 5
Et la raison en eft bien claire :
Pour rendre dans un jour exact ,
L'éclat dont brille la nature ,
Il faut un efprit délicat ,
Une éloquence fimple & pures.
Il faut être dans un état ,
D'où l'amour a trop fçu m'exclure..
Le fombre ennui , les noirs chagrins.
Affiégent ma trifte perfonne ,
Tandis que ce Dieu ne vous donne
Que des jours heureux & fereins ;,
Dans votre retraite riante ,
Auprès d'un Epour adoré
Et d'une Famille charmante ,
Et d'un refpectable Curé ,
Vous vivez tranquille & contente..
Pour moi qui toujours déchiré ,
AOUST. 1761
Par quelque paffion naiſſante ,
Traîne d'une âme impatiente ,
L'ennui dont je fuis dévoré
Je tourne mon oeil égaré ,
Vers cette Ville lánguiſſante ,
Où la beauté la plus piquante
M'a de tout temps défefperé.
Si cet aveu chez vous fait naître
Un peu de curiofité ;
Et fi vous cherchez à connoître ,
Le nom de ma fière beauté ;
Epargnez-vous un foin frivole ,
Vous ne la connoîtrez jamais.
Quand l'Amour garde mes fecrets ,
Je ne crains pas qu'on me les vole.
VERS à Madame de V..... tenant furfes
genoux , à un Bal , le fils de Madame
CRES... déguisé en Pierrot .
CONNOISS ONNOISSEZ -VOUS cet Enfant déguiſe,
Que vous accablez de tendreffes ?
Cent belles bouches l'ont baifé……..
J'en frémis .... Redoutez fes trompeufes careffes
Quoi, vous le ferrez dans vos bras !"
Yous le fçavez pourtant , Didon fut trop crédule
A fes malheurs ne vous expofez pas ,
En prenant l'Amour pour Iule.
A Metz
Eneide Livre I ' J
62 MERCURE
DE FRANCE
.
Le mot de la première Enigme du
fecond volume du Mercure de Juillet ,
eft Encre. Celui de la feconde Enigme ,
eft , le Soupir. Le mot du premier Logogryphe
, eft Cavalerie , dans lequel on
trouve Arc ( Jeanne d' ) , ou la Pucelle
d'Orléans , Livre , éclair , ail , Claire ,
Liévre , Alaric , ire , Air , ré , la, & lire.
Celui du fecond , eft , Embrion . On y trouve
Roi , Moine , Robin , boire , robe noire
, mon , bien, rien.
ENIGM E.
Ja fuis un tableau concerté E
D'accident , d'amour , de foibleffe ,
Que méconnoît la Vérité ;
Qu'embellit la Délicateffe
De fon éclat éblouiſſant ;
Que l'art , par de fauffes images ,
Charge d'un fatras éclatant .
Quelquefois , dans mes badinages ,
J'éléve un phantôme brillant ,
Le coeur s'émeut & s'intéreſſe ,
On verfe des pleurs ; à l'inſtant
La Raiſon vient , mon charme ceſſe,
AOUST. 1761 .
63
Ainfi j'égarois les efprits
Dans un Dédale d'avantures ,
Et par mes graves impoſtures ,
J'éveillois les fens afſoupis :
Mais l'homme , en paffant à l'extrême ,
A beaucoup abrégé mes ans ;
Et malgré mes vieux partiſans ,
Moins je fuis long , & plus on m'aime.
Par M. DE RIPERU .
AUTRE.
Si tu defires me connoître ,
Lecteur , regarde à tes côtés
Ces fous courans à pas précipités ,
Ces fous en qui l'on voit paroître
Ces façons & cet enjoument ,
Ces petits airs , cette foupleſſe ,
Qu'à tort tu nommes gentilleſſe :
Je ne différe d'eux , que par l'habillement.
Chez moi c'eft art , & chez eux c'eſt nature ;
Un habit très-léger compofe ma parure ;
Ils font vêtus plus richement que moi.
Quoi , Lecteur , ton efprit balance ?
C'eft fur-tout à Paris que je fais réfidence.
Oui , Lecteur , à Paris : tu t'étonnes , pourquoi !
Je fronde les travers , réprime la licence,
64 MERCURE DE FRANCE.
Enfeigne la fageffe .... on le dit ... je le croi.
J'ai beaucoup d'ennemis , & fur-tout dans l'Eglife .
Contre moi vainement la critique s'épuiſe ,
Et cependant j'échappe à ſa fureur .
Je fuis gai , femillant... me connois- tu , Lecteur
ParM. CORDIER DE LA HOUSSAYE,
DE CALAIS.
LOGOGRYPHE.
Tous les trois ans , Lecteur , je reviens chez
les Moines ;
Dans mon choeur , chaque jour , je reçois les
Chanoines ;
Pour rendre moins confus les ouvrages abſtraits ,
De mes huit pieds on fait un très - fréquent ufage.
De fe fervir de moi les Vieillards ont la rage.
Tu ne me connois point à ces infignes traits :
Que te dirai -je donc ? fais de moi l'analyſe ,
Tu trouveras fans peine , un ornement d'Eglife ,
Et le nom de celui qui le porte en chantant ;
L'endroit où Cynéas ,, ce Confident unique ,
Defiroit que fon Roi vécût paisiblement ;
Un des Poiffons d'eau douce ; une Note en Muſ
que ;
Un attribut d'Eros ; une Ville en Afrique ;
Le fléau des Souris , un Oiſeau grand fripon ;
Ce qui fait réfonner le tendre Violon ;
AOUST. 1761. 68
Le vêtement pieux qu'endoffa Théodofe ;
La Nymphe que les Dieux , par la Métamor
phofe ,
Préſerverent du Phafe ; un Monarque François
Des Orateurs Chrétiens la Tribune divine ;
Le réfultat de l'eau mêlée à la Farine ;
Un adjectif piquant ; un grand Miniſtre Anglois
Un fruit verd & confit excellent en Salade ;
La machine fur quoi les Généraux Romains ,
Après une Victoire , étoient mis en parade ;
L'inftrument dont David tiroit des fons divins
La Mère du Soleil , d'Aurore & de la Lune ;
Le mot père en Latin ; une exclamation ,
Ce qui ternit le corps , la réputation ;
Un des Montres produits par la Terre & Neptune
;
Un crime que les Loix puniffent de la mort ;
Celui dont Apollon fondit les fauffes aîles ';
Un péché capital . Enfin je fuis au port.
M'ignores-tu , Lecteur , relis - moi de plus belles.
Par M. FORESTIER .
ON
AUTRE.
N me trouve prefqu'en tous lieux ,
En temps de paix , en temps de guerre.
Sur mer je fuis très- néceſſaire ;
Je plais aux jeunes ; & les vieux ,
66 MERCURE DE FRANCE.
Le plus fouvent , pour me détruire ,
Se fatiguent ; mais c'eſt en vain ,
Car être dure , eſt mon deſtin .
De moi pourtant il faut t'inſtruire ,
Si tu veux fonder mes refforts ;
Six pieds font toute ma fabrique.
Tu trouveras , fans grands efforts ,
Une ou deux Notes de Mufique ;
Un chemin bordé de Maifons ;
Un hoquet fale en Compagnie ;
Ce que Farceurs , ce qu'Hiftrions
Font fouvent pour gagner leur vie;
Le Théâtre affreux que l'on fait ,
Pour punir la main affaffine ,
Coupable de quelque forfait ;
Ce qu'on dit mufc dans une Fouine;
Un métal chéri des humains ;
Un mot commun dans le carnages
Un Vaiffeau connu des Romains ;
Un Synonyme de rivage ;
Encore un mot , & je finis ,
Ami Lecteur , fans plus m'étendres
Un pofte où tout Clerc peut prétendre ,
Sans être Docteur à Paris.
GOUDEMETZ , de S. POL.
珍冰
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
Si l'homme
en
des fleurs passa
=geres Voit le tableau d'un vrai bon.-
W
-heur: Elles
peignent
nos carac .:
= teres, Chacun de nous est une
fleur
Grave
par Me Charpentie.
Imprimé par Tournelle .
AOUST. 1761 :
67
CHANSON.
Si l'homme , en des fleurs paſſagères ;
Voit le tableau d'un vrai bonheur ;
Elles peignent nos caractères ;
Chacun de nous eft une fleur.
Que me préfente l'immortelle ,
La même en dépit des hyvers ?
L'image de l'ami fidéle ,
Qui m'aime encor dans les revers,
D'un Pavôt la tête orgueilleuſe
Sur l'Eillet regne avec mépris ;
L'air haut, la taille avantageufe
De bien des gens font tout le prix.
Que cette Anémone eſt brillante !
Mais rien n'y fatte l'odorat :
C'eſt une parure galante
Qui fait le mérite d'un Fat.
Dans l'argentine d'un partèrre ,
Plutus ! je vois tes favoris :
Sa tige baffe fur la Tèrre ,
Etale un riche coloris .
68 MERCURE DE FRANCE
De Chloé les humeurs chagrines
Déparent tous les agrémens :
De la Roſe ainfi les Epines
Rendent fes attraits moins charmans.
De fon parfum la Tubéreufe
Remplit l'Air , & trouble les fens :
D'un Courtifan la voix trompeufe
Entête ainfi de fon encens.
Le Muguet jaloux de paroître ,
Nait parmi les plus viles fleurs :
C'eft chez les Sots qu'un Petit- Maître
Va chercher des Admirateurs.
Mais lorsque l'humble Violette
Semble fe cacher ſous mes pas ;
De la vertu fimple & parfaite
Je découvre les vrais appas.
Vil Souci , d'un Atrabilaire ,
Ton trifte éclat nous peint les moeurs !
D'un homme d'efprit qui fait plaire
La Penfée a les traits flatteurs .
La Serpentine me préſente
Les replis de l'Adulateur ;
Un doucereux , c'eſt l'Amarante ;
Et la Senfitive , un Auteur.
Paroles & Mufique de M. F... en Phyfique
au Collège de ....
AOUST. 1761 ,
ج و
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES:
HISTOIRE générale des Conjurations ,
Confpirations & Révolutions célèbres ,
tant anciennes que modernes , par M.
DESORMEAUX , Tomes IX & X.
TROISIEME EXTRAIT.
TOME X. Révolutions de Siam:
UNN Eléphant & le fils d'un Cabaretier
Vénitien ( d'autres difent du Gouverneur
de l'Ile de Zante ( voilà les caufes des
deux plus fanglantes Révolutions qu'ait
éprouvées le Royaume de Siam. Avant
que
d'entrer dans le détail de ces événemens
finguliers , M. Deformeaux fait la
defcription du pays , des moeurs & du
gouvernement
des Siamois. Cette riche
contrée abonde en toutes fortes de pierres
précieuſes & de mines : celles d'or y font
les plus communes , auffi ce métal y eft il
de très bas aloi . La Pagne eft le feal habillement
des Siamois : c'eft une Piéce d'é
70 MERCURE DE FRANCE.
toffe qui leur prend autour des reins &
pend jufques aux genoux aux hommes ,
& aux femmes jufques à la moitié des jambes
; le Roi & les Mandarins portent une
efpéce de chemiſe & de vefte de mouffeline
ou d'étoffe. Autant ce Peuple eft fimple
dans fes vêtemens , autant il eſt magnifique
dans fes Palais & fes Temples ;
ceux-ci fur tout fe font extrêmement enrichis
par la fuperftition qui eft le caractère
dominant des Indiens. La plupart
des Orientaux ont confacré diverfes Langues
aux différens Etats ; les Siamois n'en
ont que deux , l'une deſquelles eft la Langue
favante & ne fert qu'à la Poëfie . Leur
Religion eft un compofé de dogmes plus
abfurdes les uns que les autres : mais fi la
machine eft ridicule , la morale qu'elle
enfeigne eft pure & auftère. Les Talapoins
ou Miniftres de leur culte font les
Moines les plus refpectables & les plus réguliers
de la gentilité ; » ils ne fe lévent que
lorfqu'ils voyent aſſez clair pour diftin-
» guer les veines de leurs mains parce que
» comme il leur eft défendu fpécialement
» d'ôter la vie à aucun être , ils pourroient
» tuer quelque Infecte dans l'obfcurité :
malgré beaucoup d'autres pratiques auſſi
minutieufes , on ne remarque point en eux
le fanatifme des autres Moines de l'O
AOUST. 1761. 7F
»
38
tient. Ils font perfuadés que » l'efprit de
» leur Inftitut eft de racheter par une vie
» pénitente & mortifiée , les péchés des
» morts & des vivans. La Nation des Siamois
peut fe divifer en deux claffes , qui
font celles des hommes libres & des Éfclaves
. Leurs loix à ce fujet font à - peu- près
celles des anciens Romains ; mais à
proprement
parler , les hommes libres ne le
font fix mois de l'année , » les autres
que
» fix mois ils doivent au Prince un fervice
perfonnel qui ne différe pas de l'efcla-
» vage : on les employe à toutes fortes de
» corvées ..... Les femmes , les Talapoins
& les Esclaves des Particuliers font
» les feuls qui foient exempts de cette fer-
» vitude , les autres ne s'en difpenfent
qu'à force d'argent ..... Dans le corps
» des Siamois libres , il y a deux ordres ,
» les nobles & ceux qui ne le font pas. La
» Nobleffevient de la poffe ffio n actuelle
» des dignités & des charges ; celui, que
» le Prince en prive eft relégué dans la
» claffe du Peuple. La Nobleffe cependant
eft en quelque forte héréditaire, parce
que toutes les dignités & les charges le
font ; mais fur le plus léger mécontentement
le Roi en dépouille les poffeffeurs ,
& fait ainfi rentrer la Nobleffe dans une
autre famille. Les fupplices font cruels &
33
2 MERCURE DE FRANCE.
atroces à Siam ; les moindres fautes font
punies rigoureuſement. Les Princes de la
Maiſon Royale font condamnés à mort
comme les autres , quand ils ont commis
quelques crimes ; mais leur fang eft regardé
comme quelque chofe de fi précieux
qu'on ne peut le verfer on les fait mourir
de faim ; on les étouffe dans des draps d'écarlate
, ou on les affomme avec des
morceaux de bois odoriférans . Il n'y a
point de Roi fi defpotique & fi refpecté
que celui des Siamois . » Son nom eſt un
» myſtère pour les Sujets ; on craint qu'ils
» ne le profanent en le prononçant : fon
» Palais eft un lieu facré , & perfonne n'y
» peut entrer fans s'être profterné auparavant.....
Il y régne un filence conti-
» nuel, qui n'eft pas mêmeinterrompu par
», les ordres le Roi donne ; car il ne
parle prèfque jamais que par fignes au
» premier Officier de la Couronne , dont
l'emploi eft d'avoir fans ceffe les yeux
fixés fur le Prince, pour deviner ce qu'il
» defire ; celui- ci explique les volontés du
» Monarque à d'autres Officiers par fi-
و ر
25
95
que
gne..... &c. Il feroit trop long de rapporter
toute l'étiquette de cette Cour,dont
M. Deformeaux fait un détail fort intéreffant
par la fingularité . Paffons àla vénétation
que les Siamois ont pour les Eléphans
AOUST. 1761 . ཧ ༣
phans & particuliérement pour les Eléphans
blancs , qui font très rares , & auxquels
ils rendent les mêmes honneurs que
les Egyptiens décernoient au Dieu Apis .
Nous allons voir combie.. leur attache
ment à cet animal leur coûta chet.
por-
En 1540 les Péguans perdirent leur
Eléphant blanc , le feul qu'ils poffédaffent :
ils en demandérent un au Roi de Siam qui
en avoit deux. Un refus attira à celui - ci
une guerre terrible , où périt un très grand
nombre de Siamois ; & le Roi lui même ,
qui prit le parti de s'empoisonnér pour
échapper au fupplice que lui préparoit le
Vainqueur. Le fils du malheureux Roi
ta à fon tour la guerre chez les Péguans ,
& recouvra le fatal Elephant que ceux - ci
avoient conquis avec tant de peine . Une
paix folide fuivit ces révolutions ; & les
Siamois n'en éprouvérent de nouvelles
que 140 ans après. I.es François y ont eu
trop part , pour qu'on nous fache mauvais
gré de nous étendre un peu fur la malheureufe
hiftoire de Conftance , qui eft celle du
Royaume de Siam pendant le fiècle de
Louis XIV.
Conftantin Phaulkon nâquit en 1647 ,
dans l'ifle de Zante , qui appartient aux
Vénitiens. La mifére de fes parens l'obligea
de chercher au delà des mers une for-
Ꭰ
74 MERCURE DE FRANCE.
#
tune qu'il ne pouvoit efpérer de trouver
dans fon pays : il s'embarqua dès l'âge de
dix ans après plufieurs événemens d'aventurier
obfcur, il fe vit à la tête d'un petit
commerce à Siam ; mais rien ne fembloit
préfager la figure qu'il y devoit faire
un jour. Un naufrage qu'il éffuya fur la
côte de Malabar dans une de fes courfes,
fut le moyen dont la fortune fe fervit
pour l'élever. Un Mandarin Siamois , Ambaffadeur
de fon Roi en Perfe, avoit éprouvé
un femblable malheur dans le même
endroit & y avoit perdu toute fa fuite &
tous les effets. Les deux infortunés fe rencontrérent
& formérent une liaiſon étroi-.
te. Conftantin Phaulkon , que nous n'appellerons
déformais que Conftance , avec
deux mille écus qui lui reftoient, le reconduifit
à Siam où le Barkalon ou premier
Miniftre , à la recommandation du Mandarin,
le préfenta au Roi , dont par fes talens
& fon mérite, il acquit bientôt toute
la confiance. Conftance devint peu- à- peu
entierement maître de l'adminiſtration du
Royaume , & il ne tarda pas à engager le
Roi à attirer les Européens dans fon pays,
où ils tranfporteroient les Arts& les Scien
ces qu'il avoit tant à coeur d'y voir fleurir.
Ces confeils plurent beaucoup au Roi, qui
envoya des Amballadeurs à Louis XI &
AOUST. 1761 . 75
en reçut bientôt. Une correfpondance mutuelle
s'établit entre les deux Nations; on
figna un Traité, par le principal article duquel
on convint que » Louis XIV enverroit
des troupes à Siam , tant pour introdui-
» re la difcipline militaire dans les Armées
» Siamoifes , que pour la fûreté de la per-
» fonne du Monarque Indien & la défen-
» fe de fes Etats. Le Roi de Siam s'enga-
» geoit de fon côté à livrer aux François
» les Places de Bencock & de Mergui ,
» très avantageuſement fituées pour le
»-commerce , & regardées comme les clefs
» du Royaume . Le nombre des François
dans le Royaume de Siam , & la protection
qu'accorda le Roi aux Miffionnaires ,
quoiqu'il ne voulût pas embraffer la Religion
Chrétienne , aigrit contre lui fes propres
fujets & les Mufulmans qui éffayerent
auffi en vain de l'attirer à leur croyance.
La jaloufie s'empara des Anglois & des
Hollandois, qui tâcherent de détruire encore
plus les François dans l'efprit des
Naturels du pays. Les chofes fermenterent
au point qu'il fe forma une confpiration
qui fut découverte & fagement diffipée,
par le Miniftre Conftance . L'arrivée des
François à Siam , où ils débarquerent au
nombre de huit cens fous la conduire de
M, Desfarges, & leur établiſſement dans
Dij
76 MERCURE
DE FRANCE.
les fortereſſes que le Roi leur avoit accor
dées , donna une telle fécurité au Miniftre '
Européen, qu'il vit former fans s'émouvoir
un complot qui lui fut plus funefte. Une
maladie dangereufe dont le Roi fut attaqué
fut l'occafion que faifit Pitracha,Chef
des Conjurés , pour éclater. Le moment que
Conftance avoit déterminé pour fe rendre
maître de la perfonne de Pitracha dont il
commençoit à redouter les intrigues , fuc
celui où le traître accomplit fes funeftes
deffeins. Au milieu de la nuit,il entra fuivi
de fes partifans dans le Palais où il chargea
le Monarque de fers . Conftance eut:
le même fort & fut pris en accourant au
fecours de fon Roi à la tête de foixante
Anglois & Portugais de fa garde, qui tous
l'abandonnèrent
quand il fallut combattre.
Pitracha ,felon la coutume des ufurpateurs
, convoqua enfuite une aflemblée
de Mandarins , ou ayant la force en main
il fut comblé d'éloges par tout le monde,
& proclamé Régent du Royaume . Son
premier foin fut de fe défaire d'un jeune
frere du Roi , le feul pas qu'il eût à franchir
pour arriver au Trône Sitôt qu'il fe
vit la Couronne fur la tête , il ne penfa
plus qu'à fatisfaire la haine qu'il portoit
aux Chrétiens , & particuliérement
aux
François Les prifons en furent bientôn
AOUST. 1761 . 77
templies ; on leur fir toutes fortes d'outrages
, & le malheureux Constance pétit à
l'âge de quarante & un ans de la main du
Bourreau. LeTyran employa enfuite toutes
forres de rufes pour faire fortir les François
des Fortereffes qu'ils occupoient , &
s'en rendre maître . Tous fes ftratagêmes
échouérent contre la prudence & l'habileté
de M. Desfarges qui commandoit à
Bencock ; il fut obligé d'en venir à la force
ouverte & de faire le fiége des deux
Places. M. de Bruant qui commandoit à
Mergui , la moins confidérable des deux ,
trouva le moyen de s'échapper & feéfugia
à Pondichéri après avoir éſſuyé bien
des traverſes , & beaucoup perdu de fon
monde. La fermeté & la bravoure d'un
Officier François , qui feul dans une petite
barque avec un brave Soldat , réfifta à
plufieurs vaiffeaux Siamois , fit comprendre
à ces Peuples, combien ils auroient de
peine à réduire cette Nation . Cette action
mérite d'être ici rapportée d'après M.
·Deformeaux. » Le François , nommé Saint-
» Coy, comprenant qu'il lui étoit impoffi-
» ble de réfifter à la multitude de fes En-
» nemis , fe détermina à périr ; mais il
» voulut envelopper dans fa perte un plus
» grand nombre de Siamois. En confé-
» quence , il difpofe fur le pont une par
D iij
78 MERCURE DE FRANCE:
"
و د
» tie de fes poudres , fes grenades & fes
moufquets chargés ; & fe retire à la por-
" te de fa chambre en attendant l'Enne-
» mi. Les Siamois ne tardérent pas à l'aborder
; ils montérent en foule dans la
barque , croyant trouver un butin faci-
» le. Lorfque Saint- Coy fe fut apperçu
» qu'il y en avoit un grand nombre, il mit
» le feu aux poudres, qui les firent tous fau-
» ter en l'air tués ou bleffés . Le brave Of
» ficier & fon foldat ne reçurent aucun
mal ; mais la barque fut fi maltraitée
» qu'elle échoua.LesSiamois qui croyoient
» les poudres épuifées , accoururent avec
» la même précipitation . Saint- Coy met
" auffitôt le feu à plufieurs barils de pou-
» dre qu'il avoit réfervés . Cette feconde
attaque eut le même fuccès que la premiére
; tous les Siamois qui étoient en-
» trés fur le Vaiffeau fans précaution furent
tués ou bleffés : mais Saint - Coy
» n'eut pas le tems de fe jetter à l'eau com-
» me c'étoit fon deffein , & il périt au mi-
» lieu des Ennemis. Son compagnon gagna
le bord du fleuve, & fondit le fabre
» à la main fur une troupe de Siamois dont
» il tua cinq ou fix ; mais enfin il mourut
» accablé du nombre en combattant , juf-
» ques au dernier foupir. Quelques François
qui arrivérent d'Europe , & pénétré-
**
AOUST. 1761 79
rent les armes à la main au travers des
Siamois jufqu'à la Fortereffe de Bencock ,
firent craindre à Pitracha de ne pouvoir
s'en rendre maître par un fiége qui duroit
déjà depuis longtemps. Il confentit
à un Traité. On étoit prêt à le figner , lorfqu'un
nouvel incident fit échouer la négociation
: Conftance avoit laiffé une veuve..
Soyatan , fils de Pitracha, conçut pour elle
la paffion la plus violente, & mit tout en
oeuvre pour la faire confentir à fes defirs .
La jeune veuve étoit d'une famille Chrétienne
du Japon , & plufieurs de fes ancêtres
avoient obtenu la palme du martyre ;
elle rejetta même l'offre de fa main. Ni les
menaces ni les tourmens ne purent la faire
changer de réfolution ; elle trouva enfin le
moyen de s'échapper & de fe réfugier à
Bencock avec un brave Officier François:
qui vint à bout de tromper la vigilance des
affiégeans. M. Desfarges poufla dans cette
occafion la fermeté juſques à la dureté ..
Voyant l'orage qu'alloit attirer fur lesFrançois
Mde Conftance s'il lui accordoit un afy
le, il la rendit fur le champ auxSiamois malgré
les remontrances & les prieres de toute
la garnifon . Soyatan la voyant retomber
entre fes mains avec les mêmes ſentimens,
prit enfin le parti de renoncer à fa paffion ;;
& Mde Conftance fut condamnée à refter
Div
30 MERCURE DE FRANCE.
oute fa vie dans les cuifines du Palais.
» Cependant la négociation que cette
» avanture avoitfufpendue,fut reprife avec
» chaleur. Le Traité figné , les Siamois
» fournirent aux François des vivres , &
trois Frégates , fur lefquelles s'embarquérent
la garnifon & les Miffionnaires .
Les François arrivérent heureuſement à
» Pondichéri , au mois de Février 1689.
ور
Telle eft à- peu - près la marche de ces
deux volumes. Le fentiment du Public
connoiffeur eft que M. Deformeaux a un
talent décidé pour l'hiftoire ; il a cette noble
fécondité qui n'eft pas le mérite du
hécle il ne court point après l'épigramme;
il ne féme pas des maximes d'irreligion &
d'audace qu'on revêt fouvent du faux nom
de Philofophie, il nous préfente de grands
tableaux & non des portraits racourcis ;
il a fur tout l'art de nous montrer toujours
en action fes perfonnages, ce qui leur prête
la chaleur & l'intérêt du drame. Son morceau
de Thamas Koulikan dévorant , fi l'on
peut le dire , dans fa marche ces contrées
immenfes des Indes , a le pitorèfque & le
fublime d'Annibal marchant à la conquête
de l'Italie : fituation qu'a fi bien fait valoir
Tite Live & après lui le célèbre Rollin.
Nous exhortons feulement notreHiftorien
à referrer un peu davantage ſes tiſſus , à
AOUST. 176 1:
SE
Eviter quelquefois le ftyle oratoire , défaut
cependant préférable à cette féchereffe
penfée , qui gâte aujourd'hui nos Hiftoires
, & les met prefque toutes à côté de
Mémoires & de Differtations , genre bien
différent de l'hiftorique. Ofons le dire :
nous ne concevons plus , nous ne bâtiffons
plus en grand. Que notre Louvre immortel
feroit un beau modéle pour nosArchitectes
& pour nos grands Ecrivains ! Tacite eft un
Auteur admirable; mais il a produit une infinité
de mauvaiſes copies. Que M. Defor~
meauxne fe laiffe donc pas féduire par cette
fureur du bel- efprit , lamaldie de nos Ecrivains.
Nous attendons de lui un nouvel
Ouvrage ; nous lui promettonsd'avance un
fuccès complet , s'il le régle toujours fur
les mêmes principes. Intueri naturam &
fequi ; c'étoit la maxime de Quintilien :
c'eft celle de tout Auteur fenté , & le fecret
de nous donner des productions dignes
de l'immortalité.
DY
82 MERCURE DE FRANCE
DISCOURS fur la Nature & les fondements
du pouvoir politique & fur l'intérêt
que chacun a d'y demeurerfoumis
faifant partie des MELANGES DE
PHYSIQUE ET DE MORALE . * A
Paris , chez H. L. Guerin , &c.
COMOMMMEE il n'eft pas de matière plus
importante que celle- ci , il n'en eft auffi
aucune qui ait autant exercé les eſprits du
premier ordre. Ceux qui l'ont traitée avec
le plus de fuccès n'ont pas cependant , à
beaucoup près ,fatisfait aux grandes difficultés
qui s'y rencontrent. L'analyſe que
le célèbre Locke a faite des premiers
fondemens de la Société civile , en eft
une preuve. L'Auteur de ce difcours doit
être flatté & le Public doit lui favoir gré ,
d'avoir ajouté en quelque forte ce qui
paroiffoit manquer à cet excellent Ouvrage.
Le principe du Philofophe Anglois
eft, que les hommes dans l'état d'égalité &
de liberté n'ont pu céder à qui que ce foit
un droit fur leurs perfonnes & fur leurs
biens , que pour le procurer par -là des
avantages plus confidérables que ceux
* Dont nous avons donné un premier Extrait ,
dans le dernier Mercure.
A OUST. 1761 . 83
dont ils jouiffoient , & fe mettre furtout:
à l'abri des risques qu'ils ne pouvoient
éviter autrement. Le principe eft inconteftable
foit qu'on regarde le pouvoir
des Princes comme émané de Dieu , ou
qu'on penfe avec Locke , que ce pouvoir
n'eft formé que par des conventions entre
le Prince & les Sujets , on ne fauroit
avoir d'autre idée des fins du pouvoir politique.
Cependant Locke ne paroît pas
avoir affez vû qu'en ne le faifant confifter
que dans des conventions réciproques. entre
le Prince & les Peuples , ce pouvoir
demeure inévitablement fujet à une infi
nité de conteftations de la part de ces
Peuples , dans tous les cas où ils croiront
que le Prince remplit mal fes engagemens
Il faut donc recourir néceffairement à un
pouvoir beaucoup mieux affuré pour prévenir
les dangers des féditions auxquelles
un pareil gouvernement feroit toujours
expofé. Le pouvoir des Princes eft émané
de Dieu ; c'est une vérité reconnue pat
tous les Peuples Chrétiens : mais il eft
beaucoup d'efprits foibles dont la for
peut être ébranlée par la hardieffe de certains
efprits forts qui ne refpectent rien
& comme il est très - important que perfonne
dans un état ne fe eroie en droit
de faire des difficultés fur les fondemens
D. vjj
4 MERCURE DE FRANCE:
du pouvoir politique , le fage Auteur de
ce difcours fait voir qu'indépendemment
du titre que les Princes tiennent de Dieu
même , ils ont encore un autre titre qui
feul pourroit fervir de folide fondement
à leur fuprême pouvoir. L'idée de ce titre
fe préfente fi naturellement , elle eſt une
conféquence fi néceffaire du fondement
fur lequel Locke a établi la propriété des
biens , qu'on a lieu d'être étonné qu'il ne
Fait pas apperçue . Ceux qui ont tiré les
hommes de l'état de nature , qui les ont
civilifés & rendus fociables , qui les ont
réunis fous un Gouvernement propre à
allurer & augmenter leurs avantages, ainſi
qu'à les délivrer des dangers inféparables
de leur remier état , ont acquis fur cette
Société un pouvoir politique auffi naturel,
auffi légitime que le droit qu'acquiert chaque
particulier fur les chofes qu'il a tirées.
de l'état de nature par fon travail & par
fon induftrie. Le pouvoir paternel , & enfuite
l'efpéce de Magiftrature établie
dans les premières petites Sociétés, ont dû
être l'occafion , le modéle & en partie le
fondement du pouvoir politique , fans
qu'alors il pût être queftion d'aucune convention.
Ces petits états formés par l'af
femblage des premières petites Sociétés ,
d'abord frêles & ifolés , n'ont pu man
AOUST. 1761. 85
quer, à force d'avoir éprouvé les inconvé
niens de leur foible existence ,. de fentir
le befoin de quelque puiffante protection.
Pour fe la procurer, ils fe font raffemblés
fous des chefs qui avoient mérité leur
confiance : ils durent alors fe foumettre à
des obligations plus confidérables en faveur
des avantages dont ils alloient jouir..
A tout cela il n'y a encore aucune convention
; la foumiffion vouée au Prince
eft l'effet de la confiance des Peuples ,
qui ne pouvoient fe tirer que par -là des
miféres & des dangers auxquels ils étoient
expofés dans leur état ordinaire. De fon
côté le Prince n'a pu tenter , ni même
imaginer , tant pour les intérêts que pour
ceux de l'Etat , d'affujettir ces Peuples à
une forme de Gouvernement contraire à
leur génie & à leur activité . C'eft ainfi
que s'eft formée la feule convention qu'il
y ait eue originairement entre le Prince &
les Sujets. La découverte & l'établiffement
du meilleur gouvernement poſſible,.
& les avantages qui en ont réfulté pour
les Peuples, font tout à la fois le motif de
la foumiffion des Sujets & les Titres primitifs
des Princes . Si ceux qui admettent
le fyftême de Locke demandent où l'on
placera , dans un état monarchique , les
bornes que le Prince doit fe prefcrire dans
86 MERCURE DE FRANCE
l'exercice de fon pouvoir , & quelle fera
la reſſource affurée contre l'abus du pouvoir
politique : L'Auteur du difcours répond
, que c'eft dans le jufte rapport qu'il
eft indifpenfable de maintenir entre la
forme du gouvernement & le génie &
l'activité des Peuples qui y font foumis ,
& dans le danger qu'il y auroit de s'écarter
à un certain point de ce jufte rapport.
L'Auteur, en démontrant par de nouvelles
preuves la jufteffe de la comparaifon
fi ancienne du corps animal avec le
corps politique , fair fentir que le pouvoir
politique n'eft pas moins intéreſſé à
la confervation & à la profpérité du corps
dont il est l'âme , que le principe de l'Economie
animale l'eft à la conſervation du
corps animal . S'il eft à craindre que par
un mauvais gouvernement , un Etat ne
tombe dans un degré de convulfion capable
d'ébranler le pouvoir politique le
mieux établi ; une longue expérience ainfi
que la raifon nous prouve que de pareilles.
révolutions ne peuvent prefque jamais
arriver dans un Etat Monarchique ; & par
cela feul il eſt bien démontré que le Gouvernement
,Monarchique eft le meilleur
de tous les Gouvernemens. Toute l'adminiftration
y eft reglée fuivant les Loix
& des maximes conftantes. Dans les GouAOUST.
1761 .
87
vernemens defpotiques où tout eft arbitraire
, les Peuples affervis ne peuvent
avoir rien de certain ni dans les moeurs &
les ufages , ni pour la fureté de leurs vies
& de leurs biens . Quant aux gouvernemens
mixtes , on trouve qu'il s'en faut
beaucoup que les malheurs que les Peuples
ont cherché à prévenir par cette forme
de gouvernement , puiffent entrer en
comparaison avec ceux où cette forme
-de gouvernement les a fi fouvent plongés.
A bien prendre les principes du gouvernement
Monarchique , ils ne ſe trouvent
être dans le fonds que les regles de l'adminiſtration
la plus propre à faire ſubſiſter
le corps politique felon fa conftitution.
C'eft ce qui fait que lorsqu'un Etat tombe
en décadence , il n'y a pas, comme le dit
Guichardin , de meilleur moyen de le rétablir
, que de le ramener à fa première
inftitution . Nous ne pouvons paffer fous
filence une remarque judicieufe de l'Auteur
& qui eſt ſi conforme à l'expérience :
il obferve en continuant la comparaiſon
du corps animal & du corps politique ,
que files Peuples n'étoient point excités
par les travaux & les foins qui leur font
impofés pour concourir , comme ils le
doivent, à l'intérêt commun , ils s'engourdiroient
& ne travailleroient pas allez
88 MERCURE DE FRANCE:
pour eux -mêmes ; & que pareil inconvénient
arriveroit par l'excès contraire , c'eſtà-
dire , fi on ne les laiffoit pas jouir du
fruit de leurs travaux felon leurs befoins.
Il n'y auroit pas un moindre danger à
laiffer ces befoins s'accroître jufqu'à la
furperfluité ou au luxe. Sans de juftes précautions
contre ces divers excès , il arriveroit
qu'ainfi que l'éprouve un corps
chargé d'embonpoint ou abbatu & defféché
par trop de maigreur , les Peuples
tomberoient dans la moleffe inféparable
d'une vie trop commode , ou dans un
état de foibleffe & de découragement ;
& alors le corps politique languiroit d'autant
plus dangereufement, qu'il feroit plus
généralement affecté . Il résulte de là que
le corps politique n'eſt jamais ſi actif', ſi
puiffant , fi floriffant que lorfque les Peuples
font maintenus dans une telle jouiffance
du fruit de leurs peines & de leurs
foins , qu'ils demeurent à peu - près dans
ce jufte milieu qui fait l'état fain du corps
animal. Dans un Gouvernement Monarchique
les pouvoirs intermédiaires le joi
gnent néceffairement à l'autorité qui les
a établis pour former avec le corps de
l'Etat un commerce d'activité qui les
maintient & les raffure réciproquement.
Tous les membres de cet état , par la rai
AOUST. 1781. 89
fon qu'ils participent à tout inftant aux
avantages qu'il y a de vivre dans un grand
corps de fociétés , fe doivent donc par
leurs talens & leur fortune à l'intérêt
commun & à la puiffance qui les gouverne.
Voilà l'origine de nos premières
obligations envers la fociété. On ne peut
que touer la fageffe de l'Auteur dans
fon attention continuelle à refferrer les
noeuds qui attachent les Sujets à leurs
Princes. Les Ecrivains de Politique & de
Morale les plus eftimés font tous d'accord
avec lui fur ces principes ; mais il
faut avouer qu'ils acquiérent une nouvelle
force par le développement de fon fyftême
de l'Economie animale. Après avoir
confidéré nos obligations envers la Puiffance
qui nous gouverne , comme regle
de nos devoirs , il fait fentir la néceffité
de s'y foumettre à ceux même qui font
moins frappés de ce qui eft honnête que
de ce qui eft utile , en leur expofant le
bien qui en réfulte . It eft en effet le premier
qui fe foit propofé d'examiner ces
obligations comme une des principales
caufes d'un renouvellement d'action indifpenfable
pour le foutien & pour
le
bonheur de la vie . It prouve que les différentes
efpéces d'occupations & de foins.
impofés par les devoirs de l'état qu'on a
90 MERCURE DE FRANCE:
à remplir , forment la vraie fource des
fenfations qui nous font conftament néceffaires
pour déterminer & foutenir comme
il convient notre activité . Ainfi , indépendamment
des obligations qui nous
attachent aux devoirs de notre état ,
il y a encore pour nous un motif trèspreffant
de nous affujettir à ces devoirs
c'eft le befoin de nous affurer
d'une fource conftante de fenfations néceflaires
; & nous ne pouvons mieux nous
en affurer que par les liens & l'intérêt
réel qui nous font tenir à la Société . Dans
la fphère de nos befoins naturels l'efprit
& le fentiment ne font pas encore occupés
autant qu'ils ont befoin de l'être pour
le foutien de notre activité. Il ne refteroit
donc pour fuppléer à ce défaut, qu'à
fe jetter dans le tumulte des paffions , fi
on n'avoit le moyen d'y fuppléer infiniment
mieux par l'émulation qui nous porte
à bien mériter de l'intérêt commun :
moyen certain , même unique , d'affurer
le fentiment de notre exiftence , c'est-àdire
de remplir l'objet fondamental de
tous nos defirs . Il n'eft que trop vrai que
quelques grands biens que l'on poffède ,
les liens qui nous attachent à l'intérêt général
, ne nous en deviennent pas moins
néceffaires pour conferver affez de rapAOUST.
1761.
voyons ce
ports avec les objets qui nous environnent
; furtout avec ceux qui font relatifs
à notre fureté. Or ces rapports , qui font
fans doute les vrais noeuds de la Société ,
ne peuvent s'établir & fe maintenir
qu'autant qu'on a feu fe lier , comme
on le doit , à l'intérêt commun , & qu'on
s'eft d'ailleurs habitué à remplir les devoirs
de fon état avec exactitude . L'idée
d'attacher fon bonheur à s'exempter des
foins & des peines qu'entraîne l'état qu'on
a à remplir dans la Société, eft une penſée
illufoire. Ouvrons les yeux , &
qui fe paffe dans le monde . Quelle eft la
vie de ceux qui fans de juftes raiſons , fans
un fonds affuré de confidération , fouvent
prefque fans aucune reflource d'occupation
, fe féqueftrent de l'intérêt commun
, en abandonnant l'état qui les y attachoit
, dans la vue de fe procurer une
vie libre ? Le befoin continuel de renouvellement
de fenfations , dont il n'cft pas
poffible de s'affranchir , les jette bientôt
dans des excès ou dans des goûts de caprice
auffi paſſagers qu'ils font finguliers
& peu raisonnables ; ils tombent enfin
ayant la plupart ruiné leur fanté & leur
fortune , dans la plus profonde mélanco
lie. Ce n'eft pas le goût qui porte les
hommes à ces excès ridicules : ils ne s'y
92 MERCURE DE FRANCE
livrent que par l'impoffibilité de vivre
fans des objets qui les affectent : tant il eſt
vrai que les fenfations qui nous viennent
des rapports effentiels que nous avons
avec l'intérêt général , produifent un fonds
d'occupation & d'activité , difficile à fuppléer
quand il manque. Ces confidérations
qui femblent d'abord n'avoir rien de
commun avec les obligations qui nous affujettiffent
au pouvoir politique , s'y joignent
pourtant très- naturellement , & ne
peuvent que nous attacher plus étroitemenr
à tous nos devoirs , & par - là à l'intérêt
commun. Car il est très - certain que
retranchant les fenfations qui nous viennent
des objets de nos devoirs , il s'en
faudroit beaucoup que nous en euffions
fuffifamment par les objets de nos befoins
pour déterminer & foutenir , comme il
convient , le fentiment de notre éxiftence.
Il est donc évident que notre intérêt
particulier nous attache encore plus que
notre obligation naturelle à celui de la
Société où nous vivons , & que par conféquent
nous n'avons rien de plus à craindre
que tout ce qui tendroit à ébranler les
fondemens du pouvoir qui maintient la
Société. Nous ne nous arrêterons point à
parler du ftyle d'un difcours qui renferme
plus de chofes que de mots. Il ef
AOUST. 1761 . 25
écrit de maniere à plaire à tous ceux qui
aiment à penfer & à raifonner. Il eſt des
Livres dont il ne faut lire que des morceaux
, d'autres qu'il faut lire tout entiers
, mais en paffant ; & quelques autres
enfin ceux-ci font très - rares ) qu'il faut
lire & relire avec une extrême application .
L'ouvrage dont nous venons de donner
l'extrait eft de ce nombre. C'eſt un de
ceux dont la lecture réfléchie peut le plus
contribuer à former un Citoyen , & ce
qui en eft la ſuite, un homme heureux.
Par M. L* A* B. L* B*
ORAISON FUNEBRE
DE LA REINE D'ESPAGNE ,
Prononcée par Meffire ARMAND DE
ROQUELAURE , Evêque de Senlis
N
EXTRAIT.
ous ne craignons pas de nous tromper
en affurant que ce difcours foûtient à
la lecture , le fuccès qu'il a eu au moment
qu'il fut prononcé . Tout y annonce une
imagination brillante & foumife aux régles
du goût ; un eſprit élevé & naturels
94 MERCURE DE FRANCE .
lement porté au Grand , au Noble , au
Sublime ; une expreffion forte , énergique
& toute en images ; en un mot des
talens propres à nous faire entrevoir les
beaux jours de l'Eloquence Françoiſe.
Nous éfpérons juftifier ces éloges par le
compte exact que nous allons rendre de
ce diſcours .
Pour donner aux hommes la plus grande
idée de fa puiffance fuprême , & pour
faire rendre à fon culte , l'hommage le
plus éclatant , Dieu ſe plaît à placer dans
le rang éminent ceux dont il peut attendre
les plus beaux exemples de vertus .
Cette idée noble & chrétienne améne
l'éloge de la Reine d'Espagne , & le partage
du difcours qui fe trouvoit déja indiqué
dans ces paroles du texte :
Juftorum autemfemita quafi lux fplendens
, procedit & crefcit ufque ad perfectam
diem.
» Les traces lumineufes dont eft marquée
la route des Juftes , femblables d'a-
»bord à l'Aurore redoublent fans ceffe leur
» éclat jufqu'au grand jour de l'Eternité.
Liv. des Prov. Ch. 4. v. 18.
Amélie les a vérifiées 1 ° . par les préfages
les plus heureux : 2 °. par les progrès
les plus marqués : 3 ° . par les fruits d'une
fageffe confommée,
A OUST. 1761. 95
L'Orateur convient que le refpect par
lequel les hommes font naturellement attachés
aux Maîtres qui les gouvernent ,
prévient toujours en faveur des enfans
des Rois , & va même fouvent juſqu'à
métamorphofer tout en prodiges . Mais
comme le bonheur de deux Peuples a
changé en certitude , des préfages qui ne
pouvoient être pris d'abord que pour de
fimples conjectures , il n'étoit pas poffible
de paffer légérement fur les premières
années de la Princeffe de Saxe. L'Orateur
s'y eft attaché en homme de Lettres ; &
fans perdre de vue , fon objet principal ,
il a trouvé le moyen de tracer un plan
d'éducation bien vû , bien penſé , bien
réfléchi & bien propre à former de
grands Princes.
>
Tout le fond de la première partie eft
renfermée dans ce portrait , où l'on a
trouvé un art infini & rendu prefque im
perceptible .
Que l'on remarque dans un enfant ,
un efprit férieux fans trifteffe , vif fans
» emportement ; une imagination brillante
& féconde ; un defir infatiable de
connoître & d'apprendre ; une docilité
Saveugle pour les Maîtres ; l'affection la
$ plus refpectueufe & la plus tendre pour
les Auteurs de fes jours ; des inclina-
7 .
96 MERCURE DE FRANCE.
"
ور
>>
tions douces & bienfaifantes ; enfin
» quelques mouvemens iubits , & impré-
» vus d'une ame noble & élevée : nous
», conclurons fans balancer que cet enfant
» doit faire les délices de fa maifon &
l'honneur de fa patrie. Mais fi des qualités
fi rares fe trouvent dans un Prince
» que la grandeur de fa nallfance femble
» avoir défigné pour occuper un Trône ,
quel préjugé plus certain de la félicité
» des Peuples qui doivent un jour obéir
» à tes Loix ? .... En traçant le portrait
d'un jeune Prince accompli , je fens que
je renouvelle dans tous les coeurs la
plaie vive & profonde que le temps n'a
pû encore fermer ! ... Detournons nos
»regards de cette image douloureuſe , &
» n'augmentons point la fource de nos
>> regrets.
ود
"
"
» Amélie qui avoit reçu de la Nature &c.
L'Orateur qui pouvoit à peine retenir les
larmes, en tira des yeux de fes Auditeurs ;
& l'on crut un moment , affifter à la
Pompe funebre de Monfeigneur le Duc do
Bourgogne.
Les détails qui entrent en preuves de
ces premières propofitions , pourroient
paroître minutieux , & ne tendre qu'à
montrer un enfant bien né; mais fous la
plume de M. l'Evêque de Senlis tout
s'ennoblit
7
AOUST. 1761 . 97
»
s'ennoblit , tout prend l'empreinte de fon
génie , tout devient intéreffant. On peut
en juger par ce trait fur les Arts agréables
, " plus néceffaires qu'on ne penfe ,
pour charmer nos loifirs , pour adoucir
» nos peines , pour nous délaffer de nos
» travaux , & furtout pour nous défendre
» contre l'ennui : cette maladie cruelle ,
» attachée à la condition des Grands , rendroit
dignes de compaffion ces mortels.
qu'on envie , fi l'on voyoit à découvert
» les triftes effets du poifon lent qui les
» confume , & ne leur laiffe que de l'in-
» fenfibilité pour les dons les plus pré-
» cieux de la nature & de la fortune . »
ور
Trois nouvelles fous- divifions naiffent
ici du fond même du Sujet. » L'étude des
» Langues , l'Hiftoire Sacrée & Profane ,
» la Religion furtout connue & appro-
» fondie : voilà les grands objets qu'A-
" mélie crut dignes de fes méditations &
» de fes recherches. ود
L'étude des Langues ne pouvoit être
mieux traitée que dans l'éloge d'une Prin
ceffe qui en poffédoit un fi grand nonabre
, & par un Orateur que nous fçavons
avoir ce même avantage.
L'Histoire eft bien défignée par ce feul
trait : » Faits mémorables que l'hiftoi e
» arrache à l'oubli , en les consignant
גכ
E
93 MERCURE DE FRANCE.
3)
dans fes immortelles archives , pour
» fervir un jour aux hommes , & furtout
» aux Princes , ou de reproche ou de mo-
» déle. Le grand Buffuet l'avoit appellée
dans fon Oraifon Funébre de Henriette
d'Angleterre , Ducheffe d'Orléans : » la
fage Confeillére des Princes ; c'eſt -là
que les plus grands Rois n'ont plus de
» rang que par leurs vertus , & que dé-
" gradés à jamais par les mains de la mort,
» ils viennent fubir fans cour & fans fuite ,
» le jugement de tous les Peuples & de
» tous les fiécles ». Ce n'eft point la prévention
qui nous fait établir cet objet de
comparaifon ; nous pourrions même le
pouffer plus loin , fi les bornes que nous
nous prefcrivons dans nos extraits étoient
moins étroites .
Voici l'impreffion que les traits hiftoriques
laiffoient fur l'efprit de la jeune
Amélie Cette grande Reine que l'Ef-
» pagne conferve encore , faifoit admi-
» rer depuis longtemps ce génie fi fécond
» en projets , fi habile à les concerter , fi
» actif pour les conduire à un heureux
» dénoûment ; fi conftant & fi ferme ,
» qu'elle a dû quelquefois à fon courage ,
» des fuccès qu'elle n'eût pas toujours
» obtenus de la prudence. La Cour de
» Drefde , à l'exemple des autres. Cours
AOUST. 17ti
"
de l'Europe , retentiffoit des louanges
» qu'on accordoit avec plaifir à des qua-
» lités fi éminentes : on racontoit com-
» ment cette Princeffe , fecondant les
» vues de fon augufte époux , avoit dans
l'efpace de peu d'années , rendu la confiftance
& la force à un grand Royau-
» me ébranlé par les plus violentes fecouffes
, & ravagé depuis long- temps
par toutes les horreurs d'une guerre
inteftine on difoit qu'elle avoit ramené
l'abondance dans ces climats défolés
, fait refleurir les Arts , & ranimé
» ces germes précieux d'honneur & de
bravoure dans une nation guerriére ,
» mais que des malheurs continuels fem-
" bloient avoir abbatue: on ajoutoit enfin ,
"
que par cette conduite admirable , elle
» étoit adorée de fes Sujets ; & que les
» Nations jalouſes de fa gloire , redoutoient
fa politique & refpectoient fa
puiffance ... enchantée de ce récit no-
» ble & flatteur , la jeune Amélie qui
comptoit alors fa dixième année , ne
peut plus contenir le mouvement fe-
» cret qui l'entraîne ; elle s'écrie avec
» tranſport : Voilà ce qu'on appelle ré
» gner !
•
*
* Ce trait eft univerfellement connu .
E ij
100 MERCURE DE FRANCE..
"
ور
و ر
que
Ces faillies pourroient devenir funeftes,
» fi elles n'étoient point réprimées par la
Religion : faites paffer pour un moment
l'efprit de notre Loi Sainte dans l'âme
» de ces ambitieux célèbres , dont les paf-.
» fions bouillantes ont inondé la tèrre
» de carnage & de fang ; au lieu de ces
images terribles l'hiftoire nous prés
fente de tant de Villes renversées ou
» fumantes, de Citoyens égorgés fous leurs
» ruines , vous ne verrez plus que des Peu
» ples tranquilles béniffant , dans le fein
» de l'abondance, les Maîtres bienfaifans
» qui préfident à leur bonheur : ou fi quel
quefois le foin d'une jufte défenfe les
arrache à ces paifibles douceurs ; ces ora
" ges paffagers ne ferviront qu'à leur ren-
» dre plus précieufe encore cette aimable
paix qui fait l'objet de leurs defirs .
39
"
و د
Qui peut méconnoître , à ces traits , le
Monarque Bien- Aimé qui préfide au bonheur
de la France , autant en Grand Roi
qu'en Père tendre & généreux? On ne peut
qu'applaudir au talent de louer ainfi , furtout
après avoir lû l'endroit où l'Orateur ,
en finiffant la premiere partie , donne encore
, avec cet art qui lui eft propre , les
louanges les plus juftes & les mieux méritées
.
La feconde partie offre d'abord la jeune
AOUST. 17612 ΤΟΙ
»
Amélie s'arrachant avec douleur des bras
de fon augufte famille pour monter fur le
Trône des Deux- Siciles . C'eft là que l'Orateur
la repréfente développant fon âme
toute entiére & par fon exactitude à
remplir tous les devoirs que le rang fu-
» prême lui impofe ; par fon zéle pour la
Religion ; par la fermeté de fon efprit ;
" par la grandeur de fon courage ; & fur-
" tour par fa piété conftante , préfenter
» aux Souverains les plus fublimes leçons .
ور
""
Un plan fi riche & fi abondant a fourni
des traits qui devoient naturellement répandre
un intérêt plus vif , & donner occafion
à déployer toutes les richeffes de
l'éloquence .
»
Supérieur aux difficultés qui arrêteroient
les efprits ordinaires , l'Orateur ne craint
point de fe demandér à lui -même » fi parmi
tant d'hommes oppofés par le gé-
» nie , les opinions & les moeurs ; dans ces
» premiers momens , où la jeune Reine ,
» pour marcher dans une route fi épineuſe ,
» n'étoit encore guidée par aucune expérience
, il eft bien vrai qu'elle ait pû évi-
» ter toute erreur , & réunir tous les fuffrages
.... Non ; & je ne craindrai point
» que ma voix, confacrée à fon éloge ,
faffe ici un aveu dont fa mémoire puiffe
être offenfée : foit raifon , foit caprice ,
ן כ
و ر
E iij
161 MERCURE DE FRANCE.
"
» il fe rencontra des efprits févères ou bi-
» zarres qui oférent accufer la Reine d'éloigner
par un air trop impofant , des
» coeurs qu'elle devoit penfer à rappro-
» cher par l'amour fans s'arrêter fur ces
plaintes équivoques , ce qui fera pour
elle , la matiére de la louange la plus
rare , c'eft que dans un âge où la moin-
» dre leçon nous aigrit ou nous importu .
» ne , dans un rang où l'on ne veut enten-
» dre que d'agréables menfonges , elle
و ر
">
»
23
33
و د
fouffrit , elle eftima , elle chérit le zéle
» courageux qui ofa porter jufqu'à elle ces
vaines rumeurs ; c'eft qu'elle eut la for-
» ce de douter & de fe condamner en
quelque forte, elle-même, en réformant
fon maintien fur ces reproches ; c'eft
qu'elle réuffit bientôt par l'affabilité la
plus douce à en éffacer jufqu'au plus léger
fouvenir. Heureux les Princes qui
» favent infpirer à un Sujet affez de confance,
pour faire pénétrer la vérité julqu'au
Trône , d'où tant de paffions, tant
" d'intérêts divers femblent l'avoir exilée
pour toujours !
-">
ور
و ر
Le courage de la Reine parut fur- tout
Fendant la Guèrre où elle eut également
à craindre pour le Roi fon Epoux & pour
lle-même. » Cependant infenfible en ap-
» parence à tant de maux , on n'entendit
AOUST. 1761. 105
"3
»
point la Reine s'échapper en plaintes ou
en murmures.... Perfuadée que les Peuples
obfervent leurs deſtinées fur le front
» des Maîtres qui les gouvernent , elle ne
» laiffe appercevoir que de douces inquiétudes,
toujours tempérées par les rayons
» de l'efpérance.... Accourez , jeune Hé-
» ros , venez rendre la vie à une Princeſſe
» magnanime dont la fermeté mérite au-
» tant d'éloges que votre courage ! quelle
» joie pour elle de revoir un Epoux qui
» lui a caufé tant d'allarmes ! quel plaifir
» d'entendre partout raconter que dans
» les champs de Vélétry , fa bravoure , fe-
» condée par un des plus grands Géné-
» raux de notre fiécle , a vaincu l'Ennemi ,
» dont l'heureuſe témérité avoit mis d'a-
» bord en danger la liberté & les jours du
» Monarque ! &c.
Quelle force d'efprit ne fit- elle point
paroître quand » la Ville de Naples vit
tout-à-coup une populace innombrable,
» abufée par de vaines frayeurs , animée
» par le menfonge & l'artifice , éclater
» en murmures , courir aux armes , & c.
» La Cour en fufpens , héſite ſur le parti
"
»
qu'on doit prendre la Reine n'écou-
» tant que les inquiétudes de fa tendreſſe,
alloit conjurer fon Epoux de fe dérober
au danger..... Mais bientôt , rappel
Είν
104 MERCURE DE FRANCE.
» lant fa grande âme , Elle comprit que
» dans ces émotions populaires , montrer
» la crainte , c'eſt infpirer l'audace ; qu'il
» eſt des momens où braver le péril c'eſt
» en triompher ; Elle applaudit aux fen-
» timens généreux du Roi , qui bruloit
déjà d'impatience de montrer fon front
» augufte à cette populace mutinée ; &
par des regards d'indignation , elle ré-
» duit au filence le courtifan lâche ou
» flatteur qui n'eût pas rougi de facrifier
» à fa politique ou à fa crainte , la fûreté
» & l'honneur du Souverain .
و د
La troifiéme Partie qui fe trouve jointe
à la feconde , eft tout à la fois le Triomphe
de la fermeté de la Reine d'Efpagne ,
& de l'Eloquence de l'Orateur .
"
Amélie n'avoit point oublié ces
beaux climats qui l'avoient vû naître .
» L'amour de la Patrie , ce fentiment fi
naturel aux belles âmes , entretenoit
» toujours dans fon coeur l'intérêt le plus
» tendre . Quelle fut donc fa douleur d'ap
"
prendre que ces Champs , autrefois fi
> fortunés , étoient devenus le fanglane
» Théâtre de la guerre & de toutes les
» horreurs ? O Saxe ! tant de fois abreuvée
» du fang des vainqueurs & des vaincus ,
pourrois tu croire qu'une Reine élevée
» dans ton fein , ait vû fans être atten-
و د
AOUST. 1761. 105
drie , ce fein maternel déchiré par des
>>fureurs inouies à tous les âges & réfer-
» vées à notte fiécle ? Pour bien connoître
"les enfans , rappelle - toi leur Illuftre
Mère ! Tandis que ton Roi alloit pré-
» parer des reffources à tes malheurs , tu
»l'as vue , cette Mère intrépide , affronter
tous les périls , ofer attendre l'ennemi
dans les murs de la Capitale ,
» pour en écarter , s'il étoit poffible , les
» crimes de la victoire ! Elle n'a pu furvi-
» vre à ton infortune ; & tu as pleuré fa
mort comme le plus grand de tes maux
» & le comble de tes malheurs !
Nous finiffons par un trait qui a été applaudi
par des larmes , comme il méritoit
bien de l'être .
و و
Quoique frappée avant l'âge où le
S. Roi Ezechias trouvoit fi cruel de
" mourir, la Reine voit arriver fa dernière
heure fans en être ébranlée ; accoutumée
» àà enviſager la mort d'un oeil chrétien ;
» cette mort qui nous glace d'éffroi , a
» perdu pour Elle toute fon horreur. Ani-
" mée par la foi la plus vive , foutenue
par une jufte confiance dans les mifericordes
de fon Dieu , Elle voit s'ou
»vrir devant Elle les portes de l'Eter-
» nité ; la Paix , la férénité brillent encore
fur un front déjà défiguré par les om
EV
108 MERCURE DE FRANCE:
2
bres du Trépas. Elle demande fes enfans
une vue fi chère femble arrêter
fon âme fugitive ; Elle les embraffe ;
Elle tourne les regards mourans fur fon
augufte Epoux ; & fes derniers foupirs.
font encore des voeux pour fes peuples.
>>.
Que le monde fe taife enfin ; ce
monde injufte qui n'exige tant de perfection
dans les vrais Chétiens , que
parce qu'il eſpére ne la rencontrer ja
mais , &c.
Nous nous arrachons à l'envie de citer
les beaux endroits ; & la crainte de trop
groffit cet Extrait nous force de renvoyer
nos Lecteurs au Difcours même , où l'on
#rouve la nobleffe , la grandeur , le pathé
rique de cette éloquence mâle & perfua-
Ave , à qui feule il appartient de réunir
Tous les fuffrages. Le ftyle eft nombreux ,
élégant , naturel , foutenu dans les détails,
comme dans les traits véhémens , qui font
le fruit du génie , & qui prêtent davantage
à l'expreffion. Tout ce qui pouvoit conribuer
à la gloire de la Reine d'Efpagne ,
fe trouve dans ce Difcours , qui fait en
même- temps l'éloge de l'Orateur . Il y pareit
en homme de Lettres , inftruit , formé
par une étude réglée , conftante , réflé
chie, & en Prélar qui , connoiffant les
AOUST. 1761. 107
prérogatives de fa dignité , fçait en tirer
avantage , fans s'en prévaloir.
Ce Difcours éloquent & chrétien ſe
trouve chez Lottin , ľaîné , rue S. Jacques.
La Partie Typographique ne mérite pas
moins d'éloges que MM. Gravelor & le
Mire , dont les talens éclatent dans deux
Gravures , qui achévent de donner toutes
les perfections que l'on pouvoit defirer
dans cet ouvrage
.
LETTRE de l'Avocat CHARLES GOLDONI
à des Bienfaitears , Protecteurs ,
Amis , & aux Amateurs de fes OEuvres
de Théâtre , & de fes Poëfies férieufes &
amufantes.
EN
N l'an 1753 , j'écrivis & publiai de
Florence par voie d'impreffion , une pareille
Lettre à celle- ci, projettant dès ce temsłà
une réimpreffion & un Supplément des
Comédies que j'avois compofées jufqua
ce temps , & dont le nombre alloir à cinquante.
F'invitai le Public à me favorifer
de quelqu'affociation , tant pour m'encou
rager à commencer, que pour avoir les
moyens de continuer une Edition , qui ,,
bien que renfermée feulement en dix va
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
le
lumes & fans aucune eftampe , excédoit
mes forces. Mon entrepriſe fut fi heureuſe,
qu'en très - peu de tems le nombre des
Soufcripteurs abforba entierement mon
Edition ; bien des perfonnes fe font repenties
d'avoir différé à foufcrire ; ceux qui ont
voulu après coup pofféder cette Edition à
quelque prix que ce fût , ont dû payer
double du prix de la Soufcription , n'ayant
ppûû en avoir que par le moyen de ceux qui
avoient fouferit. La vérité de ce que j'avance
fe manifefte aujourd'hui d'une ma
niére bien évidente , puifqu'il eft prefqu'impoffible
de trouver un Exemplaire
de cette Edition de Florence , à laquelle
les preffes de Péfaro , Bologne , Turin &
Naples ont fuppléé . Me voici encore difpofé
à propofer une nouvelle Edition de
mes OEuvres ; non - feulement de celles
comprifes dans les dix volumes de l'Edition
de Florence & dans les autres réimpreffions
, mais encore de celles qui ont
été compofées depuis, & que je compoferai
pendant le cours du tems néceffaire à la
perfection de cette nombreuſe collection
Après avoir préfenté à cet effet mes
très-humbles prières au Séréniffime Prince,
j'ai obtenu un privilége exclufif pour vinge
ans ; ce qui m'engage , pour ne pas me
rendre indigne de tant de bontés à contriAOUST.
1761. 109
buer par mes foins à la réputation des Imprimeries
deVenife dans cette Edition , laquelle
contiendra des ouvrages nés pour
la plus grande partie en cette Séréniffime
Ville , qui par fa bonté & fa clémence at
fû animer un fujet dans la difficile carrière
d'amufer honnêtement le Public.
Avant que de paffer à décrire l'efpéce
de mon nouveau projet , je protefte à tous
ceux qui ont acquis jufqu'à préfent les Editions
de mes. Comédies , auxquelles j'ai
préfidé , que mon intention n'eft pas de
décrier les fufdites Editions , foit comme
imparfaites ou autrement , afin que celle
que j'entreprends aujourd'hui en ait plus
de vogue ; puifque quiconque fe contentera
d'avoir celles de mes Comédies imprimées
comme elles le font aujourd'hui ,
n'aura que faire de fe charger d'une nouvelle
& plus grande dépense .
Mon projet eft de faire une Edition pour
les curieux de Typographie , & qui ne regarderont
point à la dépenfe pour le plaifir
de poffeder quelque chofe de précieux
en ce genré ; ainfi c'eft à eux feuls que j'a
dreffe cette Lettre qui fera divifée en plus
fieurs chapitres pour pouvoir mieux m'ex
pliquer .
1. L'Edition fera complette, & comme
je l'ai déjà dit , j'y comprendrai toutes
108 MERCURE DE FRANCE.
lumes & fans aucune eftampe , excédoir
mes forces . Mon entrepriſe fut fi heureuſe,
qu'en très - peu de tems le nombre des
Soufcripteurs abforba entierement mon
Edition ; bien des perfonnes fe font repenties
d'avoir différé à foufcrire ; ceux qui ont
voulu après coup pofféder cette Edition à
quelque prix que ce fût , ont dû payer le
double du prix de la Soufcription , n'ayant
pû en avoir que par le moyen de ceux qui
avoient fouferit . La vérité de ce que j'avance
fe manifefte aujourd'hui d'une maniére
bien évidente , puifqu'il eft prefqu'impoffible
de trouver un Exemplaire
de cette Edition de Florence , à laquelle
les preffes de Péfaro , Bologne , Turin &
Naples ont fuppléé. Me voici encore difpofé
à propofer une nouvelle Edition de
mes OEuvres ; non - feulement de celles:
comprifes dans les dix volumes de l'Edition
de Florence & dans les autres réimpreffions
, mais encore de celles qui ont
été composées depuis,& que je compoferai
pendant le cours du tems néceffaire à la
perfection de cette nombreuſe collection
Après avoir préfenté à cet effet mes
très-humbles prières au SéréniffimePrince,
j'ai obtenu un privilége exclufif pour vinge
ans ; ce qui m'engage , pour ne pas me
rendre indigne de tant de bontés, à contri
AOUST. 1761. 109
buer par mes foins à la réputation des Im-.
primeries deVenife dans cette Edition , laquelle
contiendra des ouvrages nés pour
la plus grande partie en cette Séréniffime
Ville , qui par fa bonté & fa clémence a
fû animer un fujet dans la difficile carrière
d'amufer honnêtement le Public.
Avant que de paffer à décrire l'efpéce
de mon nouveau projet , je protefte à tous
ceux qui ont acquis jufqu'à préfent les Editions
de mes Comédies , auxquelles j'ai
préfidé , que mon intention n'eſt pas de
décrier les fufdites Editions , foit comme
imparfaites ou autrement , afin que celle
que j'entreprends aujourd'hui en ait plus
de vogue ; puifque quiconque fe contentera
d'avoir celles de mes Comédies imprimées
comme elles le font aujourd'hui ,
n'aura que faire de fe charger d'une nouvelle
& plus grande dépense.
ན་
Mon projet eft de faire une Edition pour
les curieux de Typographie , & qui ne regarderont
point à la dépenfe pour le plaifir
de poffeder quelque chofe de précieux
en ce genre ; ainfi c'eft à eux feuls que j'adreffe
cette Lettre qui fera diviſée en plus
fieurs chapitres pour pouvoir mieux m'ex
pliquer.
I. L'Edition fera complette, & comme
je l'ai déjà dit , j'y comprendrai toutes
110 MERCURE DE FRANCE.
mes OEuvres , lefquelles confiftent en Comédies
, Tragédies , Tragi- comédies , Drames
férieux & bouffons , intermédes , introductions
de Scènes , petits * Poëmes
facrés & profanes , Sérénades , Cantates
Chapitres, Stances , Chanfons , Sonnets &
autres compofitions poëtiques qui font
forties de ma plume & qui en fortiront
jufqu'à la fin de cette Edition , avec le titre
de toutes les OEuvres de l'Avocat Chare
les Goldoni,
II. Chaque Tome comprendra quatre
Comédies ou Tragédies , ou fix Drames
Lyriques férieux ou bouffons ; & les Tomes
qui feront compofés d'ouvrages moins
étendus , contiendront toujours à peu de
chofe près, le même nombre de pages des
autres Tomes .
III. Chaque Comédie , Tragédie , Dra
me , &c, aura fa Préface & fa Lettre Dédicatoire
, ainfi que dans fes précédentes
Editions . Et les pièces qui n'ont point été
imprimées jufqu'à préfent , le feront avec
de femblables additions .
IV. Dans chaque Tome , à commencer
par le premier , il y aura une Comédie
ou une Tragedie qui n'aura point encore
* Efpéce de Paëfie Italienne , appellée dans la
Langue Capitoli , qui ne peut le rendre en Frangois
que par Chapitres.
AOUST. 176г.
été imprimée , la même chofe dans les
Tomes des Drames Lyriques ; & dans ceux
des compofitions mêlées , les nouvelles piéces
feront en plus grand nombre.
V. Tous les Tomes feront décorés de
cinq Estampes deftinées & gravées par les
meilleurs Maîtres , qui font ici en grand
nombre , fans égard à la dépenſe. De ces
cing Eftampes la première fervira de frontifpice
& les quatre autres précéderone
leurs piéces refpectives, & en repréfenteront
dans la meilleure forme,la principale
action.
VI. Le format da Tome fera in- douze
grand papier , de la même façon à- peuprès
que font imprimées les oeuvres de
Théâtre & de plufieurs genres encore, en
France , en Angleterre , en Hollande &
en diverfes autres parties de l'Europe ; les.
Tomes devant être auffi commodes à lire.
qu'à porter dans la poche.
VII Le papier fera de la plus grande
blancheur & de la meilleure confiſtance
qu'il puiffe recevoir dans les meilleures fabriques
; & il fera ſpécialement diſpoſé à
former un bel in - douze grand , proportionné
avec de belles marges , fur le mo
déle des meilleures Editions.
VIII. Le caractère fera neuf , ni trop
112 MERCURE DE FRANCE.
grand ni trop petit , net , diftinct & de la
plus grande facilité à lire.
IX. Comme on defire une Edition qui
foit commode pour les Etrangers qui entendent
le bon Italien , ou qui puiffent facilement
l'entendre à l'aide des Dictionnaires
, mais qui pourroient trouver des
difficultés à entendre le Vénitien ou le
Lombard ; on aura l'attention dans toutes
les Comédies qui font ou en entier ou en
partie feulement Vénitiennes , de mettre
des Notes au bas des pages avec un caractère
différent de celui du texte , où on
donnera quand il fera néceffaire, l'explication
des termes , des façons de parler &
des tournures de phrafes Vénitiennes ou
Lombardes.
X. Quant aux fautes d'impreffion , je
m'engage d'y veiller perfonnellement.
Mais comme l'Auteur d'un Ouvrage ne
peut jamais être un bon Correcteur , les
fautes échappant facilement aux yeux de
celui qui fçait la chofe de mémoire , je
choifirai les plus foigneux ; & en faifant
paffer les feuilles par diverfes mains , j'ofe
me flatter que mon Ouvrage fera très cor
rect .
XI. Les piéces fufdites ne feront pas
confufément placées dans les Tomes ; c'eftà-
dire qu'on n'y mêlera pas les piéces de
A OUST. 1761 . 113
différens genres indifféremment ; maist
elles s'y diviferont en diverfes claffes, en
formant des Tomes de feules Comédies
ou de feuls Drames , ou de Pocfies mêlées.
XII . Je me rappelle d'avoir promis dans
une de mes Préfaces de l'Edition de Florence
, un Dictionnaire comique : je ne
l'ai pas perdu de vue , & j'affure le Public
que je travaille de jour en jour à le
perfectionner ; & à la fin de l'Edition que
j'entreprends à préfent , on donnera encore
cet ouvrage à qui defirera l'avoir.
XIII. Quelques- unes de mes Comédies
font écrites en Vers que nous appellons
Martelliani , & dont abonde furtout mon
nouveau Théâtre comique qui s'imprime
par le fieur François Pittori , & qui fe
continuera jufqu'au dixiéme Tome ; mais,
s'il y a bien des perfonnes qui aiment ces
Vers ; il peut auffi s'en trouver à qui ils ne
plaifent point : c'eft pourquoi, lorfque dans
la préfente Edition je réimprimerai les
Comédies de ce nouveau Théâtre , à
l'exception de quelques - unes auxquelles
cette espèce de Vers eft indifpenfable , je
traduirai pour la plûpart les autres en profe
avec toute l'attention qu'exige un tel
engagement.
XIV. On fe plaint à jufte raifon des
Auteurs vivans , qui dans la réimpreffion
14 MERCURE DE FRANCE.
qu'ils font de leurs ouvrages font toujours
quelque changement, foit en augmentant
ouen améliorant les mêmes chofes ; de façon
qu'on n'eft jamais fûr que l'Edition qu'on
achete foit la plus parfaite: il y a toujours
à craindre qu'il ne vienne à en paroître
une meilleure . On pourra en dire autant
de moi fi je me propofe de corriger, d'augmenter
, & en un mot de donner le dernier
poli au ſtyle, aux termes & aux phrafes
de l'ouvrage qu'on va renouveller ;
mais nonobftant cela, je le dis & l'affirme ;
& je fuis d'autant plus tenu à ne pas
manquer de parole, que j'ambitionne fincérement
de laiffer autant qu'il me fera
poffible après ma mort , ma réputation
fans tache , & ma mémoire précieuſe à
mes Concitoyens , à ma postérité & à
ma nation. Je puis donc bien le promettre
& fur mon honneur je le promets , que
dans le cours de ma vie , cette Edition
ne fera par moi en aucune manière altérée
, & que je ne donnerai ni confentement
ni moyen à qui que ce foit , pour
qu'on puiffe y rien changer. Et fi le fort
me fert au point de pouvoir encore moi
même réimprimer cette Edition , elle fera
déformais toujours la même. D'ailleurs , it
n'eft pas
facile que ni moi ni d'autres la
renouvellent ; puifque la quantité des Vo
AOUST. 1761 . Tr
aifément
lumes , le travail immenfe & la dépenfe
éxceffive que ćela entraîne
décourager.
peut
XV. Jufqu'à préfent je n'ai envifagé
l'ouvrage que du côté du plaifir & de l'agrément
; il eft temps de parler de ce qui
concerne mes intérêts , & des moyens de
conduire à perfection une entrepriſe de
cette nature. Le prix donc de chaque
Tome fera de fix poles
Romains ,
broché. La dépenfe excéde , je le con
feffe le foible mérite de l'ouvrage &
la forme imparfaite du Livre ; mais je me
flatte pourtant qu'elle paroîtra moins corr
fidérable quand on fera attention aux
frais de la Gravure , des caractères & du
papier , ainfi qu'à la peine & aux foins inféparables
d'une telle entrepriſe pour
qu'elle foit auffi bien conditionnée qu'on
ofe fe le promettre . Ceux , comme je l'ai
dit ci -deffus , qui fe contenteront de mes
oeuvres telles qu'elles font préfentement,
feront toujours à même de les avoir de
leurs différens Editeurs. Cette Edition
coutera plus que les précédentes ; mais
comme mes ouvrages ne font pas des
chofes néceffaires à la vie , je ne les propoſe
qu'à ceux qui font en état de facrifier
à leurs plaifirs.
*LePole vaut environ 12 f. monnaie de France.
116 MERCURE DE FRANCE.
XVI. Outre le prix fufdit de fix poles ,
j'invite & fupplie tous ceux à qui cette
préfente Lettre eft adreffée & qui vous
dront bien foufcrire , de me faire l'honneur
de m'envoyer leurs noms dans le
temps & d'avoir la bonté d'avancer les
fix Poles pour le premier Tome , à la li
vraifon duquel ils voudront bien avoir
encore celle de payer fix autres Poles pour
feconde avance , & ainfi de fuite de Tome
en Tome , jufqu'au nombre qui ſera
fixé. Je m'attends qu'on demandera ,
avant que de foufcrire & de faire les
avances qu'on defire , quel avantage je
propofe aux Soufcripteurs & à quel prix
feront les volumes pour ceux qui n'auront
pas foufcrit . Toutes les perfonnes
qui auront quelques notions du Commerce
de la Librairie , fçauront bien que
dans toutes les foufcriptions on propofe
toujours deux prix ; mais qu'il arrive
pourtant quelquefois que qui n'a pas
foufcrit , a le Livre au même prix que celui
qui a foufcrit . A quoi ferviroit- il donc
que je leuraffe d'un avantage idéal , &
qui , bien que réel , pourroit paroître infenfible
? Je n'ai que deux chofes à dire .
pour engager à me faire cette grace : La
premiere eft qu'on me donnera le courage
& le moyen d'entreprendre un ouvrage
AOUST. 1761 : 117
dont le réfultat doit être la fatisfaction &
le plaifir des Curieux & des Connoiffeurs ;
La feconde , que devant me régler pour
le nombre des Exemplaires à- peu- près fur
celui de ceux qui auront ſouſcrit ; il peut
en arriver cornme de mon Edition de Florence
: c'eſt que tel qui aura foufcrit , aura
Pouvrage,& que qui n'aura pas foufcrit en
fera privé : ainfi indépendamment de l'avantage
d'avoir mes oeuvres bien imprimées
, on aura la certitude de les avoir.
XVII, J'offre , par reconnoiffance , à
tous ceux qui me procureront dix Soufcriptions,
un corps complet de l'Ouvrage :
c'est- à- dire , un Tome tous les dix Tomes ;
pourvu qu'ils maintiennent le même nom
bre , & me faffent avoir éxactement les
avances refpectives.
XVIII. Le premier Tome paroîtra dans
le courant du mois d'Août , & enfuite
quatre Tomes par an ; ce qui femblera
peut être un peu long : mais ainſi l'exigent
les Gravures & le parfait fuccès de
toute l'entrepriſe . Tous les Soufcripteurs
peuvent le tenir pour bien affurés , que fi
le Seigneur m'accorde vie & fanté , tous
mes engagemens feront religieufement
obfervés , puifque tous les matériaux font
prêts , & que je me trouve fur les lieux
où tout doit être exécuté , & d'où je ne
F18 MERCURE DE FRANCE,
+
m'abfenterai pas jufqu'à l'accompliſſement
de l'Ouvrage , qui fera plutôt accéléré que
retardé.
XIX. Ceux qui voudront me favorifer
de leurs Soufcriptions & de leurs avances ,
n'auront qu'à s'adreffer à moi directement,
ou au fieur Jean-Baptifte Pafquali , Libraire
à Venife , dont l'habileté & l'inté
grité connues du Public , concourront à
la perfection de l'Edition propofée. De
plus , pour la commodité des Soufcripteurs
, on donnera dans tous les Pays le
nom d'une perfonne chargée de recevoir
les foufcriptions & l'argent , ainfi
que de
remettre les Tomes à mesure qu'ils paroîtront.
J'avertis toutefois que les frais
de port des Livres & des remifes feront
à la charge des Soufcripteurs.
XX. Si quelques-uns de ceux qui auront
foufcrit & débourfé les avances pour le
premier Tome , font mécontens quand
ils l'auront vu , ils feront libres de le laiffer
, & leur argent leur fera rendu .
J'efpére donc être fecondé auffi abondamment
que diligemment . Je ne laifferai
pas, en attendant, de me préparer à une
fi grande entreprife , me flattant d'en recueillir
de l'honneur & du profit; proteftant
que je ne le fais pas comme tant d'autres
plus généreux que moi , pour le bien
du Public feulement , mais encore pour
AOUST. 1781. 179
mes intérêts particuliers ; & c'eft ce qui
fait que je m'abandonne autant à la fortune
qu'à votre protection .
A Venife , le premier Avril 1761 .
-
DESCRIPTION du Catafalque exécuté à
Paris dans l'Eglife de Notre Dame , à
l'occafion du Service qui s'eft fait dans la
même Eglife , le Jeudi 9 Juillet 1761 ,
pour Très -Haute , Très- Puiffante & Très-
Excellente Princeffe MARIE - AMÉLIE DE
SAXE , Reine d'Efpagne & des Indes.
Cette Pompe funébre ordonnée de la
part de SA MAJESTÉ , par M. le Duc de
FLEURY , Pair de France , Premier Gentilhomme
de la Chambre du Roi , a été
conduite par M. DE FONPERTUIS , Intendant
& Contrôleur Général de l'Argenterie
, Menus-Plaifirs & Affaires de la
Chambre de S. M. fur les Deffeins du Sr
Mich. Ang. Slodtz , Déffinateur Ordinaire
de la Chambre & du Cabinet du Ror.
In- 4° . Paris , 1761. De l'Imprimerie de
Chriftophe-Jean- François Ballard.
Cette Deſcription, rédigée par M. Fréron
, le trouvera dans les Nouvelles Politiques.
On nous faura gré fans doute ,
d'en rapporter ici le préambule , dont le
genre, mêlé d'hiftorique & d'éloges trèsmérités,
nous femble heureuſement choifi
120 MERCURE DE FRANCE.
pour ces fortes d'ouvrages , qui par euxmêmes
ne font pas toujours auffi favorables
à l'Ecrivain que celui - ci.
MARIE- AMÉLIE DE SAXE nâquit à
Drefde le 24 Novembre 1724 , de FRÉ-
DERIC - AUGUSTE , alors Prince Royal
de Pologne , Electoral de Saxe , aujourd'hui
Roi de Pologne , & de MARIEJOSEPH
- BÉNÉDICTE D'AUTRICHE ,
fille aînée de l'Empereur JOSEPH . Elle
reçut de la Nature des traits nobles &
majeftueux , une âme élevée , fenfible &
bienfaifante , un efprit vif , pénétrant ,
& capable d'application . L'Hiftoire , la
Géographie , les droits & les prétentions
des Princes , la Mufique , le Deflein , en
un mot , les Etudes férieufes & les Arts
agréables trouverent en elle l'intelligence
la plus prompte & le goût le plus délicat.
On fut particulierement étonné de
fes progrès dans les Langues étrangères.
Le Latin , le François , l'Efpagnol & l'Italien
lui devinrent auffi familiers que
l'Allemand fa Langue naturelle . On ne
fçait ce qu'on doit admirer le plus , ou
l'éducation que reçoivent les Princeffes
de Saxe , ou le fuccès avec lequel elles y
répondent. MADAME LA DAUPHINE, Soeur
cadette de MARIE - AMÉLIE , poflède ellemême
toutes ces Langues.
Le
AOUST. 1761.
Le fort D'AMÉLIE étoit attaché à la
deftinée de l'Europe . Depuis 1504 , les
Deux- Siciles appartenoient à la Monarchie
d'Efpagne. Mais fous le vain prétexte
que PHILIPPE V , Roi d'Espagne ,
Petit-Fils de LOUIS XIV , les avoit cédées
à la France , il s'éleva dans Naples en.
1708 un parti puiffant contre la domination
Espagnole. Cette Ville ouvrit fes
portes aux Impériaux. L'exemple de la
Capitale entraîna tout le Royaume : en
moins de fix femaines , les Deux - Siciles
reconnurent pour Roi l'Empereur JOSEPH .
{
Vers le même temps FRÉDÉRIC AUGUSTE
II , Electeur de Saxe , ayeul de MARIE
AMÉLIE , remontoit fur le Trône de Pologne
, d'où CHARLES XII Roi de Suéde
Pavoit fait defcendre en 1704 pour y placer
STANISLAS LECZINSKI . AUGUSTE tint
ce Sceptre jufqu'à fa mort arrivée le 1 Février
1733. Les Polonois rappellérent
ators fur leur Trône, par l'élection la plus
légitime , leur ancien Roi STANISLAS , fi
digne d'un rang où fon mérite l'avoit déjà
fait monter , autant que les Armes victorieufes
du Héros de la Suéde . Mais la
Ruffie & l'Empereur CHARLES VI , frère
& fucceffeur de JOSEPH , firent élire par
une petite partie de la Nation , FRÉDÉRIC
AUGUSTE III , fils d'AUGUSTE II , & père
F
122 MERCURE DE FRANCE.
de la Princeffe AMÉLIE . LOUIS XV qui
avoit épousé en 1725 la fille unique de
STANISLAS , déclara la guerre à l'Empereur
pour défendre les droits de fon beau- père.
Il figna un Traité de ligue offenfive &
défenfive avec l'Efpagne & la Sardaigne
L'Infant Doм CARLOS , né en 1716
de PHILIPPE V & d'ELISABETH FARNESE fa
feconde femme , réuniffoit fur fa tête dès
1731 , l'héritage des FARNESES & des MEDICIS
, c'eft à dire , les Duchés de Parme
& de Plaiſance où il régnoit déjà , & le
grand Duché de Tofcane qui devoit lui
revenir après la mort de JEAN- GASTON DE
MEDICIS , le dernier mâle de cette illuftre
Mailon. Toutes ces Souverainetés appartenoient
à l'Infant du Chef de fa mère.
Mais il étoit appellé à une plus haute fortune.
Le 29 Mars 1734 , tandis que les Fran
çois combattoient en Italie & en Allemagne
avec autant de fuccès que de var
leur , DOM CARLOS entra dans le Royau- :
me de Naples à la tête de trente mille..
hommes. La révolution fut auffi rapide
qu'en 1708. Le jeune Prince fut reçu
avec des applaudiffemens extraordinai
res. Les Deux Siciles retournèrent aux :
Espagnols 26 ans après qu'ils les avoient
perdues.
AOUST. 1961 : 123
Le Traité de Vienne de 1736 affura ce
Royaume à DOM CARLOS . Il abandonna
pour équivalent à CHARLES VI les Duchés
de Parme & de Plaifance . FRANÇOIS
ETIENNE , Duc de Lorraine & de Bar , aujourd'hui
Empereur , qui venoit d'épouſer
la fille aînée de CHARLES , céda fes deux
Duchés à la France . L'ufufruit en fut
donné à STANISLAS avec le titre de Roi.
FRANÇOIS ETIENNE , en dédommagement
de fon patrimoine , obtint l'expectative
de la Toſcane. Il en prit poffefſion en
1737 après la mort de JEAN GASTON . Enfin
, par ce même Traité de Vienne , la
Couronne de Pologne fut affermie fur le
front d'AUGUSTE III .
MARIE AMÉLIE , tranquille au fein des
vertus & des Arts , étoit loin de foupçonner
la part qu'elle devoit avoir à ces
grandes viciffitudes. Elle ignoroit qu'elle
fût destinée à cimenter le bonheur public
. Mais au milieu des fecouffes violentes
dont l'Europe fut ébranlée par
cette guerre de 1733 , les noeuds les plus
doux fe formoient pour cette Princeffe
dans le fecret impénétrable des jeux de
la Fortune . Un Trône vacant depuis plus
de deux fiécles , ou du moins fur lequel ,
pendant cette longue fuite d'années
ne s'étoit point affis fes Maîtres , l'atten-
1
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
doit pour faire revivre fa fplendeur. Le
nouveau Roi de Naples la demanda en
mariage , & l'époufa le 19 Juin 1738 ;
elle n'avoit pas encore 14 ans . Cette Alliance
fut le fceau de la réconciliation
entre les Maifons de FRANCE , d'ESPAGNE
, d'AUTRICHE & de SAXE.
Les Napolitains , gouvernés depuis fi
longtemps par des Vicerois , plus attentifs
à s'enrichir qu'à les rendre heureux ,
jouiffoient enfin avec tranfport de l'avantage
de voir régner en perfonne , au milieu
d'eux , un Monarque qui joignoit à
la naiffance la plus brillante l'éclat de la
jeuneffe & de la victoire. La préfence de
MARIE- AMÉLIE & fes premiéres démarches
mirent le comble à l'ivreffe de la
nation. La jeune Reine ne paroiffoit jalouſe
que de plaire à fon époux , & de
mériter l'amour des peuples. Doм CARLOS
lui donna toute fa tendrefle & toute fa
confiance. Il voulut qu'elle partageât avec
lui le poids des affaires publiques ; & la
Reine , dans un âge qui ne refpire que
amufemens , fçut rendre par fon génie &
par fes grâces , l'autorité Royale plus refpectable
& plus chère.
les
L'héritière de l'Empereur CHARLES VI ,
MARIE-THÉRÉSE d'AUTRICHE , aujourd'hui
AOUST. 1761. 125
Impératrice Reine de Hongrie & de
Bohême, en fit l'expérience dans la guerre
de 1740. Elle vouloit profiter de la fupériorité
de fes armes en Italie , & conquérir
le Royaume de Naples ; mais , ni l'appro--
che d'un ennemi formidable qu'appuyoit
une Flote Angloife , ni l'efpoir des plus
grandes récompenfes offertes à la défec-..
tion , ne purent ébranler la fidélité d'un
feul des Sujets de DOM CARLOS.
C'eft fur- tout dans ces tems orageux
que MARIE AMÉLIE déploya fes grands
talens pour l'adminiftration. Tandis que
le Roi fon époux fe couvroit de gloire
dans les plaines de Vélétri , elle maintenoit
dans fes Etats , dont il l'avoit décla
rée Régente , l'ordre , l'abondance & la:
tranquillité . Le Royaume de Naples , par
fes lumières , fon application & fa vigilance
, devint la contrée la plus heureuſe
de l'Italie . Les Peuples voifins s'y retiroient
en foule , comme dans l'afyle de la
paix & du bonheur . La Capitale qui ,
avant 1734 , Contenoit à peine trois cens
mille habitans , en compta bientôt cinq
cens mille ; le Commerce & les Arts y
furent en honneur ; la richeſſe de l'Etat
eft doublée depuis cette époque. Mais
c'eft à l'Hiftoire à faire obferver cet accroiffement
de puiffance dû à la fagelle
Fiij.
26 MERCURE DE FRANCE.
d'un Gouvernement dont la Reine étoit
l'âme.
Il ne manquoit au bonheur de cette
Princeffe que de donner des rejettons à la
Branche des BOURBONS tranfplantée à Naples.
Huit ans entiers s'écoulèrent dans
une triſte ſtérilité . Les voeux d'AMÉLIE , de
DOM CARLOS & de la Nation furent enfin
èxaucés . En moins de 13 ans, la Reine
mit au jour fix Princes & deux Princeffes .
Les Peuples célébrérent leur naiffance par
les fêtes les plus magnifiques ; & les liens
qui les attachent à la Maiſon de BOURBON
en font devenus indiffolubles .
Les loins qu'on avoit pris de la Reine
dans fon enfance , l'éclairoient fur l'éducation
qu'il convenoit de donner à fes enfans
, lorfqu'ils feroient en âge d'être inf
truits. Non contente de leur choifir les
Maîtres les plus habiles & les plus vertueux
, elle préfidoit elle - même à leurs
études ; elle prenoit fur les occupations du
trône une heure chaque jour, pour être témoin
de leurs progrès , pour les encourager
par fes careffes , pour les exciter par
fes remontrances , pour les perfuader par
fon exemple.
Les Napolitains qui voyoient croître
avec complaifance ces enfans chéris , ne
s'attendoient pas qu'un d'eux fût à la veilAOUST.
1761 . 127
le de les gouverner . FERDINAND VI
Roi d'Espagne, dernier Fils de PHILIPPE V
& de MARIE- LOUISE-GABRIELLE DE SAVOIE
fa première femme , mourut fans
postérité le 10 Août 1759. Le trône d'Efpagne
apartenoit à Do M CARLOS. Ce
Prince & la Reine fon époufe , avant que
de recueillir cette riche fucceffion , voulurent
affûrer le bonheur de leurs premiers
Sujets . DOM CARLOS fe démit en fa
veur de fon troifiéme fils né en 1751,0 , des
deux Couronnes de Naples & de Sicile. Il
fut proclamé Roi le s Octobre 1759 fous
le nom de FERDINAND IV . C'étoit un motif
de confolation pour les Napolitains ;
mais leurs regrets ne furent pas moins vifs
lorfqu'ils virent partir leurs Maîtres &
leurs Bienfaiteurs.
L'Espagne ne jouit pas longtemps de
la félicité qu'elle s'étoit promife de fa
nouvelle Reine . Une maladie de langueur,
occafionnée , dit- on , par une chûte de
cheval qu'elle avoit faite avant de quitter
Naples , la conduifit au tombeau . Elle
mourut à Madrid le 29 Septembre 1760 ,
âgée de 36 ans moins deux mois. Son
époux , fa famille , les Peuples qui l'ont
vû naître , ceux qui l'ont vû régner , ne
peuvent fe confoler de fa perte. Ils fe rap
Fiv
28 MERCURE DE FRANCE
pellent fans ceffe fa religion , fa piété , fa
juftice , fon affabilité , fon empreffement
à foulager les malheureux , fes grandes
vues de politique , fon attention àrécompenfer
le mérite , fon amour éclairé pour
les Lettres qu'elle faifoit fleurir dans fes
Etats , ainfi que tous les Arts d'utilité &
d'agrément.
Les Connoiffeurs ont généralement
admiré la beauté & l'étendue du génie de
M. Slodtz , dans l'enfemble & dans le
détail des différens Morceaux d'Architecture
& de Sculpture qui compofoient cette
décoration funébre .
La vignette dont M. Cochin le fils a
orné cette deſcription imprimée , eft auffi
digne de fon pinceau , que du Sujet qu'il
a choifi , & fait beaucoup d'honneur au
burin de M. Prévost.
LA VIE de M. Boffuet , Evêque de
Meaux. Par M. de Burigny , de l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles-
Lettres. Vol. in- 12. à Bruxelles , 1761 ;
& fe vend à Paris chez Debure l'aîné ,
quai des Auguftins , à l'Image S. Paul.
Prix , 2 l. 2 f. broché.
CODE MUNICIPAL , ou Analyſe des Ré ;
AOUST. 1761. 129
glemens concernant les Officiers Municipaux.
In- 12 . Paris , 1761. Chez Praule
Père , & Pierre Valat-la- Chapelle , quai
de Gêvres , au Paradis...
"
RECUEIL de Lettres , pour fervir d'é- --
clairciffement à l'Hiftoire Militaire du
Regne de Louis XIV. Tomes 3 & 4 in-
12. La Haye ; & fe trouvent à Paris ,,
chez Antoine Boudet, Imprimeur du Roi,
rue S. Jacques , à la Bible d'Or . Le Pu
blic a accueilli fi favorablement les deux :
premiers volumes de cet Ouvrage , qu'il
en a paru l'an paffé deux Editions. Ceuxci
paroiffent mériter le même faccès.
LA RAISON DU TEMPS , ou la Folie
raifonnée. Par le Baron de Fernetzberg
Allemand francifé. In- 12 . Amfterdam
1761, 2 parties ; & fe trouve à Paris
chez Defpilly , Libraire , rue S. Jacques ,
à la vieille Pofte...
SERENISSIMI Burgundionum Ducis Lau
datio funebris , dicta die 29 Maii, 1761 ,
in regio Ludovici Magni Collegio Socie
tatis Jefu , à Claudio Francifco Willer
me , ejufdem Societatis Sacerdote. Avec.c
la Traduction françoiſe du même Ouvra
ge Volume in-12 , très -bien imprimé , d
FV
135 MERCURE DE FRANCE:
Paris , chez J. Barbou , rue S. Jacques ,
aux Cigognes.
TRAITÉ fur la preuve par comparaiſon
d'écriture , pour fervir de réponſe au
Traité de M. le Vayer fur le même Sujet.
Par M. Vallain , Ecrivain - Juré - Expert.
In- 16 . Paris , 1761. Chez Durand , rue
du Foin ; Veuve Brunet , au Palais ; Def
pilly , rue S. Jacques ; & Lottin , même
rue. On trouve chez les mêmes Libraires
, un autre Ouvrage du même Auteur ,
intitulé: Lettres à M. de *** , fur l'Art
d'écrire , où l'on fait voir les divers inconvéniens
d'une écriture trop négligée , & où
il est traité de plufieurs objets relatifs à
act Art. Petit in- 12. broché , 1 1. 4 f.
>
I
LES AVANTURES de Périphas , defcendant
de Cecrops . Par M. Pujet de S. Pier
re. 2 parties in- 12. A Amfterdam, 1761 ;
& fe trouvent à Paris , chez Dufour ,
Libraire même boutique & fond de
Cuiffart , au milieu du quai de Gêvres , à
l'Ange Gardien . Cet Ouvrage a été préfenté
par l'Auteur à M. le Duc de la
Vauguion , qui l'a remis à Mgr le Duc
DE BERRY , & nous eft parvenu trop
tard pour pouvoir maintenant en rendre
compte.
AOUST. 1761 . izi
LES AMOURS de Mirtil.
.... Nulla viro juranti foemina credat ,
Nulla viri fperet fermones effe fideles.
Catull. Argon, Utic
In- 12. 1761 , avec de jolies Eftampes ,
déffinées par M. Gravelot , & gravées par
M. Legrand. L'on en trouve des Exemplaires
à Paris chez Guillyn , quai
des Auguftins ; & à Dijon , chez Defvenzés
, Libraire . Ils en ont même quelquesuns
en papier d'Hollande , avec les figu
res en Camayeux .
DISCOURS qui a remporté le Prix d'Eloquence
à l'Académie de Montauban, le
25 Août 1760. Par le P. Cerutti , Jésuite .
In - 8°. A Lyon ', chez Aimé de la Roche ,
Imprimeur - Libraire de la Ville & du
Gouvernement, aux halles de la Grenette.
DISCOURS fur cette Queſtion proposée
par l'Académie des Jeux Floraux , pour
l'année 1761 : La lumière des Lettres n'at-
elle pas plus fait contre la fureur des
duels que l'autorité des Loix ? La Haye ,
1761 ; fe trouve chez le même Libraire .
N. B. MM, les Libraires de Province , qui defirent
que leurs Livres foient annoncés dans le
F vi
132 MERCURE DE FRANCE.
Mercure , font priés de nous faire favoir où ces
mêmes Livres fe vendent à Paris.
THEATRE de la Guerre préfente en Allemagne &c .
Tomes III, IV , V & VI
Les deux premiers Volumes de cet Ouvrage
ont paru en 1758 , & ont été an
noncés dans le Trévoux , Janvier 17599 )
II. vol. pag. 362 , & dans le Verdun auffi
Janvier 1759 , pag. 35 .
Alors l'Ouvrage ne contenoit que les
opérations des différentes armées depuis
le commencement de la guerre jufqu'en
1758. On trouve dans les quatre volumes
que l'on donne aujourd'hui au Public ,
ces mêmes opérations continuées jufqu'en
1760.
La Partie Géographique de cet Ouvrage
contient 80 Planches , dont plus de la
moitié font très - grandes ; fçavoir 37 Cartes
Géographiques , 14 Plans de Villes ,
8 Plans de Siéges ou attaques de Places ,
& 21 Plans de Batailles ou Combats.Cette
partie eft traitée avec diftinction ; outre
la beauté de la Gravure , on y trouve
des morceaux rares & qu'on n'a pu fe
procurer qu'à grands frais.
On trouve à la tête du se volume une
Carte générale d'Allemagne où font marqués
tous les campemens des différentes
AOUST. 1761. 133
'Armées avec des numéros qui renvoyent
à une Table qui fe trouve à la fin du 4º
volume ; & cette Table renvoye à l'Article
du Journal qui donne le détail de
l'action dont il s'agit , de forte que l'exa-
Atitude du Journal fe prouve par la Carte
& réciproquement , &c.
Le Journal , outre le détail des faits ,
contient une notice très- étendue de toute
l'Allemagne , & qui pourroit figurer dans
le meilleur Traité de Géographie particuliere
de ce vafte état . Mais comme elle
n'a été faite que fucceffivement & à mefure
que les Armées fe font portées d'un
lieu dans un autre , elle a un défaut confidérable
, c'eft de manquer d'ordre & de
méthode. Pour réparer en quelque forte
ce défaut , on a inféré à la tête du 3
volume une Table générale des Etats
d'Allemagne , où l'on voit 1. fa divifion
en cercles , 2 °. fes principaux Etats , 3º.
les Etats particuliers , 4° . les Villes capitales
& . les Villes principales ; de
forte qu'à l'aide de cette Table on peut
étudier très- méthodiquement toute la
notice.
Cet Ouvrage peut éviter aux perfonnes
qui écrivent l'Hiftoire les méprifes trop
fréquentes des dates , & les erreurs où
font tombés prèfque tous les Ecrivains
134 MERCURE DE FRANCE.
qui fans être militaires ont eu à parler de
Siéges & de Batailles ; les Plans de tou-
*tes les opérations de cette guerre étant
de la derniere exactitude . Les perfonnes
qui ont eu quelque part à toutes ces opé-,
rations y verront avec fatisfaction les
lieux où ils fe font fignalés ; & ceux qui
ne voudront que fuivre les marches de
nos Armées , n'y trouveront rien à defirer.
pour
Sans l'accueil favorable du Public
la premiere partie de cet Ouvrage ,
n'en auroit point entrepris la fuite qui a
occafionné une dépenfe très - considérable .
Il fe vend chez Guillyn , Libraire ,
quai des Auguftins , au Lys d'Or ; Duchefne
, Libraire , rue S. Jacques ,au Temple
du Goût ; & chez le fieur d'Heulland,
rue S. Hyacinthe , près la Porte S. Michel
, vis -à- vis une Penfion.
'AVIS fur l'Edition de l'Etat Militaire
pour l'année 1762.
CETET Ouvrage paroîtra dans le mois de
Décembre prochain . Ceux qui voudront
y faire inférer quelques Articles , ou en
avoir des exemplaires , font priés de sadreffer
avant le 15 Septembre à M. Guil
AOUST. 1761 :
135
Tyn , Libraire à Paris , quai des Auguftins,
feul chargé du débit de cet Ouvrage , &
d'affranchir leurs lettres .
MM . de
Montendre qui voyent avec
fatisfaction que le Public
le Public approuve l'ordre
& le plan qu'ils ont fuivis juſqu'ici , deſirant
parfaire de plus en plus cet Ouvrage ,
auquel ils ont ajouté la Marine , prient
MM. les Militaires de vouloir bien les
feconder.
La difficulté , fans doute , de faire paſſer
le payement des exemplaires précédemment
envoyés aux Régimens , à cauſe du
mouvement continuel des troupes , fait
prendre le parti au Libraire chargé du
recouvrement , de prier MM. les Majors
de lui envoyer une lettre de change fur Pa
ris.Le vuide que lui forment les retards de
payement le force , contre fa façon de
penfer , de propofer cet expédient. Il fe
flatte que ce procédé ne préviendra pas
contre lui, & il offre de donner toutes les
fûretés pour les fonds qui lui feront confiés.
Le prix fera toujours le même sof
broché , & 3 liv. relié.
N. B. MM. de Montendre font abonnés
avec la Ferme des Poftes pour faire
parvenir dans tous les endroits où font les
Troupes Françoifes , l'état militaire , à rai
fon de 10 f. par chaque Exemplaire,
136 MERCURE DE FRANCE.
Comme ils ont appris que des Libraires
de Paris avoient marqué à leurs Correfpondans
, que ce Livre manquoit dès.
le mois de Février, parce qu'ils ne veulent
pas le payer comptant , ils donnent avis
aux Libraires de Province , qu'en s'adreſ- ,
fant directement audit fieur Guillyn , il .
fe contentera de Lettres de Change fur
Paris payables dans fix mois , & ils recevront
dans les derniers jours de Décembre.
ou, premiers de Janvier , les Exemplaires
qu'ils auront demandés.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES
GRAMM AIRE..
MONSIEUR,
VOTRE Differtation fur les noms de
nombre , inférée ci - devant dans le Mercure
, & annoncée fous le nom de M. de-
Marfais , m'a décidé a prendre la liberté .
de vous faire part d'une difficulté fur le
même Sujet , perfuadé que partout où il
s'agira de corriger un mauvais ufage , ou
A OUST. 1761 . 137
d'inftruire , vous ne refuferez point votre
fecours au Public .
Voici dequoi il s'agit.
On afficha ici ces jours derniers le Spectacle
des Danfeurs de Corde ; & fur l'affiche
on lifoit entre autres chofes : On commencera
à cinq heures précifes. Nous en
étions alors de notre converfation , mes
amis & moi , au chapitre de l'Orthographe
Françoife ; ce qui nous fit lire cette affiche
avec attention. Je crus trouver une faute
dans cette façon d'écrire , à cinq heures
précifes , avec des S. à la fin d'heure & de
précile , & prétendis qu'on devoit écrire :
on commencera à cinq heure précife fans
plurier. Comme l'affemblée étoit nombreufe
, les uns prirent parti pour moi ,
les autres contre ; & faute de s'accorder
on convint d'attendre le jugement du Public
, & de vous prier , Monfieur , de vouloir
bien inférer dans votre Mercure les
obfervations fuivantes.
Cette question ne regarde que
les noms
de nombre , dont les uns qu'on appelle
noms de nombre cardinal , portent avec
eux leur nombre qu'ils donnent aux noms
fubftantifs auquel ils font joints. [ Il y a
deux nombres , le fingulier & le plurier. I
Ainfi quand je dis que les noms de nombre
.
138 MERCURE DE FRANCE.
cardinal portent avec eux leur nombre
qu'ils donnent aux noms fubftantifs auxquels
ils font joints , j'entends que le nom
de nombre cardinal un , auquel le nombre
fingulier feul convient , donne toujours le
fingulier au fubftantif auquel il eft joint ;
de même les noms de nombre cardinal deux ,
trois , quatre , cinq , &c , aufquels le nombre
plurier feul convient , donnent toujours
le plurier aux noms fuftantifs auxquels ils
font joints . Mais il faut que ces noms de
nombre foient des noms de nombre cardihal
& employés comme tels. Car il arrive
fouvent , que pour éviter la dureté de la
prononciation ou la longueur , on employe
un nom de nombre cardinal dans une phrafe
où il faudroit un nom de nombre ordinal ,
[ Les noms de nombre ordinal ne portent
point avec eux leur nombre , au contraire
ils le reçoivent des noms fubftantifs aux +
quels ils font joints . ] Comme en cet exem
ple , le neuf , le dix du mois , ou neuf & dix
qui font des noms de nombre cardinal ,
font employés pour neuviéme & dixième
jour du mois , ce qui feroit plus long &
plus dur à l'oreille. Mais cette licence , [ car
c'en eft une ] ne peut rien changer au fens
d'une phrafe , & dans ce cas le nom de
nombre cardinal perd fa nature , & devient
un véritable nom de nombre ordinal , qui
AOUST. 1761. 139
le
du
ne peut donner le plurier à un nom qui
dans le fens de ma queftion n'en fçauroit
avoir , puifqu'on voit clairement que
moment auquel le Spectacle commencera
ne durera pas cinq heures. [ Le propre
nom de nombre cardinal eft de comprendre
ce qu'il exprime , le nom de nombre
ordinal ne fait que le défigner . ] Mais qu'il
arrivera à une heure qu'on appelle cinq ou
cinquiéme heure pour la diftinguer de celles
qui l'ont précédée & de celles qui la fuivront.
Vouloir qu'on écrive à cinq heures
précifes , ou il eft cinq heures précifes avec
des S. qui marquent néceffairement le plutier
, c'eft attaquer un principe qui autoriſe
cette façon d'écrire l'an mil fept cent , & c.
où mil devient un véritable nom de nombre
ordinal de cardinal qu'il eft de fa nature
; où cent refte au fingulier , quoiqu'il
foit précédé du nom de nombre cardinal 7
qui eft certainement au- deffus de l'unité
& qui exigeroit le plurier de cent , s'il confervoit
fa nature de cardinal . C'eſt enfin
vouloir que j'écrive un nom au plurier , &
que je le conçoive au fingulier ; cette expreffion
à cinq heure préciſe ne défignant
qu'une feule heure qui eft feule la cinquiéme
de l'après - midi , & que pour cette
raifon on appelle cinquiénie heure ou
cinq heure. Je pourrois , ainsi que M. du
140 MERCURE DE FRANCE.
"
Marfais, m'appuyer fur l'autorité de toutes
les Langues , dont aucune ne combat mou
opinion . incipient horá quinta , dit le Latin.
Quota hora eft ? Hora quinta. Jamais
quinta n'a été un nom de nombre cardinal.
Quinta ne fçauroit être un nom de nombre
ordinal en Latin , & dans le même fens
cinq , être un nom de nombre cardinal en
François. Quota eft hora ? quelle heure eſtil
Quinta hora , cinq heure. C'est une
même chofe en différentes Langues . Mais
je me contenterai de donner un feul
exemple pour prouver que dans ma queftion
cinq devient un véritable nom de
nombre ordinal , & qu'il y eft employé
pour cinquième. Exemple: Louis QUINZE eft
né à dix heure du matin le 10 Février 1710 .
Il n'y a pas un nom de nombre dans cette
phrafe qui ne donne une époque. C'eft par
tout le même fens. Louis QUINZIÉME du
nom , né à la dixiéme heure du matin , le,
dixieme Février, l'an milliéme fept centiéme
dixiéme. Pourquoi les uns feroient- ils cardinaux
, les autres ordinaux ? Je foutiens
qu'ils font tous cardinaux , mais employés,
dans un fens ordinal & pour . ordinaux ..
C'est pour cela que l'Académie a décidé que,
en mil fept cent foixante , mil ne prendroit
point deux lle & que cent ne prendroit,
point d'f. quoique précédé du mot fept qui
AOUST. 1761. 141
en exigeroit en tout autre cas ; parce , ditelle
, que ces noms de nombre cardinal font
ici employés dans un fens ordinal.
- Pour éviter la longueur & pour ne pas
bleffer l'oreille . Gramm. de Reftaut art.
des noms de nombre , la même chofe arrive
toutes les fois qu'on employe un,
nom de nombre cardinal dans une époque
ou dans une date . Pour achever de convaincre
le Lecteur affez judicieux pour ne
pas condamner une chofe feulement parce
qu'elle lui paroît nouvelle , j'obferverai
que le mot précis ne ſe joint jamais avec
les noms de nombre cardinal employés comme
tels . On ne dit point , il a paffé cinq
nuits préciſes fans dormir, il a bu une bouteille
de vin préciſe fans reprendre haleine ,
quoiqu'il le joigne fi bien avec les noms de
nombre ordinal , même avec les noms de
nombre cardinaux , mais employés comme
ordinaux : car on dit bien , il eft cinq heure
précife , on commencera à cinq heure précife.
La raifon de ceci eft que le mot précis
n'eſt pas fait pour marquer la durée du
temps ni la quantité des chofes , ce qui
convient parfaitement aux noms de nombre
cardinal qui comprennent tout ce
qu'ils expriment , mais pour en défigner
le nec plus nec minus que j'appellerai l'inftant
du temps pour me faire entendre ,
142 MERCURE DE FRANCE.
ce qui eft auffi le propre du nom de nombre
ordinal qui ne fait que défigner la chofe.
D'où je conclus que dans cette phrafe
à cinq heure précise le nom de nombre cardinal
cinq perd fa nature de cardinal &
eft employé pour cinquième , puiſqu'autrement
le mot précis ne pourroit lui être
joint , qu'il ne donne plus fon nombre au
fubftantif auquel il eft joint , qu'il le reçoit
au contraire de lui . Donc à cinq heure
préciſe ne défignant que le moment ou
l'inftant du temps auquel le fpectacle commencera
, qui n'eft certainement pas de
plufieurs heures , on doit écrire ainfi à
cinq heure précise .
Nota. Mes Antagoniſtes s'appuyent fur
l'ufage & ne connoiffent que lui en fait de
Langues. Je fçais que l'ufage eft pour eux.
Mais un ufage dangereux , un ufage prof
crit par le bon fens doit - il prévaloir ? Il
femble que nos Anciens ayent voulu nous
avertir qu'ils n'entendoient pas qu'on employât
le plurier dans ces phraſes en confervant
le fingulier au verbe qui précéde
le nom de nombre. Car comment entendre
autrement , il eft cinq heure ? Il est
ne peut refter au fingulier qu'autant que
cinq heures n'eft point au plurier.. Mais
nos pères ne connoiffoient point une heure
, deux heure , trois heure dans le fens.
AOUST. 1761 145
de ma question. Ils difoient l'heure premiere
, l'heure deuxième , l'heure troifiéme
, &c. Les anciens Livres nous en donnent
des preuves fans nombre. J'avoue
qu'on dit cinq heures font fonnées. Mais
cette expreffion n'eft que figurée. L'heure
ne fonne point , c'eft la cloche . Ainfi quand
il eft cinq heure , la cloche fonne cinq fois ,
pour nous faire comprendre que la cinquiéme
heure eft. Les cinq coups que le marteau
frappe fur la cloche ont donné lieu à
cette expreffion cinq heures font fonnées ;
& ce n'est que pour aider la mémoire qu'on
fait répéter la cloche , puifqu'un feul coup
fuffiroit
pour avertir
l'heure
eft paflée.
que
Je me plains avec tout le monde qu'on ait
fait tant de chofes pour embellir notre
Langue , & qu'on en ait fait fi peu pour
en faciliter l'ufage. On ne peut difconvenir
qu'il n'y ait une différence fenfible entre
ces deux expreffions , il a dormi cinq heures
, il a commencé à dormir à cinq heures.
Si vous les écrivez toutes deux au plurier ,
vous mettrez fous mes yeux un tableau
infidéle qui portera à faux à mon imagination
.Je concevrai plufieurs heures les voyant
écrites au plurier , où il ne s'agit que d'un
moment , qui eft celui où la cinquiéme
heure naît.
Pour faire mieux fentir la différence
144 MERCURE DE FRANCE.
4
qu'il y a entre un nom de nombre cardinal
& un nom de nombre ordinal , je vais
donner un exemple de l'ufage de chacun
d'eux relativement aux nombres . Exemple
dù cardinal qui comprend toujours ce
qu'il exprime . Un , deux , trois , & quatre
font certainement dix . J'exprime 1. Je
comprends 1. J'exprime 2. Je comprends
deux , qui avec un font trois. Tel eft l'effet
du nom de nombre cardinal . Exemple
de l'ordinal qui ne fait que défigner la
chofe . Le premier , le deuxième , le troifiéme
, le quatriéme & le cinquième ne
font que cinq bien certainement . N'eftce
pas là le fens de ma queftion ou une
heure , deux heure , trois heure , quatre
heure & cinq heure ne font que cinq heures
& n'eft-il pas prouvé que cinq y eft
employé pour cinquième , ainfi qu'il fe
pratique dans toutes les époques ? Je méri
te bien le reproche que vous êtes en droit
de me faire, d'avoir abufé de votre patience
. Mais pour l'amour de la vérité , vous
voudrez bien me pardonner & ajouter , s'il
vous plaît , à mes réfléxions .
J'ai l'honneur d'être & c .
B. D'AUBIGNY.
SUPPLEMENT
AOUST. 1761 . 145
SUPPLEMENT à l'Article des Piéces
Fugitives.
EXTRAIT d'une Lettre de Plombieres ;
en date du 8 Juillet 1761 .
Noous fommes partis , comme vous fçavez
, Monfieur , de Marly , le 30 du mois
dernier . Mefdames ont dîné à Germigny
chez M. l'Evêque de Meaux , qui a donné
le repas le plus grand & le plus magnifique.
La Ville de Meaux a fait fon Compliment
& offert fes préfens. Nous avons
trouvé chez M. l'Evêque , M. de Langres
& MM. de Trefmes & de Gefvres qui ont
offert du gibier provenant de leur faifanderie
de Mouffeau.
De Germigny , Meſdames ont été coucher
à Château- Thiery , fuivies d'un Peuple
innombrable , criant Vive le Roi &
Mefdames ! Chaque Communauté a voulu
faire fon Compliment & offrir fes préfens .
Tels qu'ils étoient , les Princeffes les ont
tous reçus, ont répandu beaucoup d'argent ,
ont écouté & répondu à tous les Complimenteurs
, qui , je croi , auroient donné
jufqu'à la dernière goûte de leur fang pour
le Roi. Le peuple fe fervoit de termes qui
G
146 MERCURE DE FRANCE.
prouvent bien , je vous affure, combien il
eft aimé . Mefdames ont été fuivies pendant
plus de deux lieues par la Nobleffe des
environs de la Ferté-fous - Jouare ; elle formoit
un escadron très - bien monté , fort
confidérable & en affez bon ordre . On eft
arrivé à Château - Thiery à neuf heures.
Mefdames ont logé chez des Religieufes ,
fituées dans la grande rue. La Ville a donné
des illuminations & un feu d'artifice .
Le premier de ce mois , Mefdames font
parties de Château-Thiery à neuf heures
du matin , & ont rencontré tout le long
du chemin une foule innombrable ; les
Payfans étoient fous les armes foit en Fufils
, foit en Arbalêtres . Les Villes faifoient
leurs harangues & offroient leurs préfens.
Meldames parloient à tout le monde , &
faifoient diftribuer de l'argent dans les
rues , où l'on s'empreffoit de les voir , de
les admirer & de fe plaindre de ce qu'on
ne pouvoit pas les contempler davantage.
Les Villages & les hameaux parfemoient
de fleurs le devant de leurs maifons ; les
uns jettoient des rofes , les autres couvroient
les murs de branches d'arbres afin
de cacher les fumiers ; & avec les plus
grandes démonftrations de joie & des cris
qui partoient du coeur. L'un venoit faire
fon compliment tel qu'il l'entendoit ; l'au
AOUST . 1761 . 147
tre offroit un petit mouton garni de rubans
; un autre un plat d'écreviffes cuires ,
un autre un panier de pruneaux garni de
fleurs. On ne finiroit point , fi l'on vouloit
raconter tout ce que ce jour a produit.
La Ville de Châlons a préſenté une collation
magnifique dont on n'a pû profiter.
On eft arrivé à Vitri - le- François à fept
heures & demie , après avoir dîné au milieu
du grand chemin , en plein foleil . Notre
entrée dans la Champagne a été célébrée
par plufieurs fontaines de vin que
beaucoup de Villages avoient conftruites
fur la route. Les Communautés avoient
chacune leurs uniformes , & il y en avoit
de très jolis . Il a fallu paffer partout au
très petit pas & s'arrêter pour entendre
les complimens. Il y en a eu partout ,
ainfi que de nombreufes cavalcades , foit
d'hommes , foit de femmes .
Le 2 ,
Mesdames font parties à midi
pour venir coucher à Commercy. Nous
avons rencontré partout le même concours
de Peuples , les mêmes fêtes & les mêmes
acclamations ; & notre entrée en Lorraine
a été fignalée par les marques de la joie la
plus vive & la plus éclatante. M. le Maréchal
de Berchiny eft venu à deux lieues de
Commercy complimenter Meſdames de la
part du ROI DE POLOGNE , & leur annoncer
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
que Sa Majefté les attendoit à la Fontaine
Royale , petite retraite charmante par
la
folitude & par fes eaux . L'entrevue de Sa
Majefté avec fes Petites Filles a été des
plus touchantes. Un quart d'heure après ,
le Roi eft retourné à Commercy pour recevoir
Meldames ; elles y font arrivées à
9 heures. Sa Majefté les a inftalées dans
leurs appartemens , & s'eft enfuite retirée
dans le fien. Mefdames ont foupé avec
leurs Dames ainfi qu'à l'ordinaire . Toutes
les perfonnes de la Suite étoient logées
dans le Château ; le Roi avoit fait déloger
tous les Officiers .
୨
Le lendemain 3 il y eut féjour . Sa Majefté
a dîné avec fes enfans & toutes les
Dames de leur Suite & celles de fa Cour
ce qui compofoit une table de 25 couverts.
M. le Maréchal de Berchiny tenoit celle
des hommes , qui étoit fort confidérable .
Le même foir on a été fouper au Château
de Commercy , qui eft fans contredit la plus.
belle chofe du monde. Il y eut un feu d'artifice
& des illuminations fuperbes . Le bel
effet des illuminations n'a pas duré longtemps
, à cause d'une pluye affreufe qui eft
furvenue tout-à- coup. J'oubliois de vous
dire , Monfieur , que dans cette même
journée , les Princeffes allérent dans les
Carroffes du Roi de Pologne fe promener
AOUST. 161. 149
à la Fontaine- Royale qu'elles n'avoient
eu le temps de bien examiner la veille .
pas
Le 4 , le Roi dîna avec Mefdames , & partit
une heure avant elles pour la Malgran
ge. Toute la route étoit garnie de fêtes , de
feux d'artifice & d'une foule innombrable
de peuples.Nous avons rencontré beaucoup
de cavalcades d'hommes , & même des efcadrons
de femmes habillées en amazones
qui nous fuivoient en pofte. Notre arrivée
à Nancyja été annoncée par le bruit du canon
, par le fon des inftrumens de toute
elpéce , par des pyramides de fleurs & des
infcriptions fur toutes les Maifons . M.
d'Armentieres,à la tête de l'Etat - Major , a
reçu Meldames & les a conduites à la Place
Royale où elles fe font arrêtés pendant une
demie - heure. Tout l'Univers , je crois , s'y
étoit donné rendez vous pour y paroître
dans un brillant furprenant . Meldames y
ont reçu la Députation & les préfens de la
Ville. Sur un char de triomphe garni &
couvert de damas cranicifi & de Panaches
blancs, on voyoit dix Demoifelles charntan
tes, de l'âge de onze ans, habillées de blanc
de la façon la plus galante & ornées de
guirlandes de fleurs. Les unes jettoient des
fleurs , les autres avoient des arrofoirs
remplis de différentes eaux de fenteur &
arrofoient le chemin par où Mefdames de-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
voient paffer. Les rues étoient toutes tendues
de tapifferies & les fenêtres chargées
de monde qui crioit, à tuë tête, ce que leur
amour & leur attachement pour le Roi leur
dictoit. Les Portes de la Ville étoient ofnées
d'infcriptions analogues au paffage des
deux Filles de France . Nous trouvions à cha
que pas des Harangueurs qu'il a fallu néceffairement
écouter . Après toutes ces cérémonies,
on eft defcendu à la Chapelle de N,D.
de Bon Secours pour y entendre le Salut &
faire une prière au bas du tombeau de la Rei
ne de Pologne. Pendant ce temps , le char
dont je viens de parler a été conduit à laMalgrange
oùMefdames font arrivées à 8 heures
& demie , efcortées par plus de 6000 perfonnes.
On y voyoit entr'autres le corps
des Marchands & la Jeuneſſe de Nancy, en
uniforme & à cheval . Le Roi a encore
donné des fêtes ce jour - là , & a prié Mcfdames
de fe laiffer fervir à table par les De
moifelles du Char. Meſdames l'ont bien
voulu ; & cette complaifance de leur part
a fait redoubler les cris d'allégrelle . Les
jardins du Château retentiffoient des danfes
formées par des Païfans & Païfanes. Le
Roi leur a fait donner du vin, & les Princeffes
de l'argent. Enfin je ne finirois pas fi je
voulois détailler la journée entiere ; ce
que je vous en mande , peut faire imaginer
le refte.
AOUST. 1761 .
Le 5 , on eft parti de la Malgrange à huit
heures & demie du matin pour venir coucher
ici , où nous fommes arrivés à huit
heures & demie du foir . Les chemins
étoient remplis de monde , & chacun haranguoit
comme il pouvoit . Voilà , Monficur
, le détail de notre voyage de Marly
à Plombieres . On eft actuellement à fe repaître
des plaifirs paffés depuis quatre
jours . On fe rappelle avec fatisfaction
cette foule innombrable qui crioit aux
Poftillons , arrêtez , que nous voyions nos
Princeffes les Filles de notre bon Roi ! La
chofe m'eft arrivée plufieurs fois à moi - même
, lorfque j'étois à cheval : Le Peuple
s'étant apperçu que j'ordonnois de temps
en temps, venoit me faire fes inftances. Je
me fuis vu entouré plufieurs fois par des
femmes , des filles , des hommes des
enfans , qui à genoux les mains jointes me
crioient , Monfeigneur ! faites arrêter les
Caroffes , que nous les voyions , & que nous
puiffions nous en retourner biens contens
dans nos villages . Mefdames avoient la
bonté de s'arrêter un inftant , & de paffer
au très - petit pas dans les Villes , Bourgs &:
Villages.
,
Les Dames Chanoineſſes de Remiremont
ont été préſentées hier , celles d'Epinal le :
feront demain.
G.iv.
152 MERCURE DE FRANCE.
Nous avons ici Mefdames :
DÈ COGNY ,
DE MONACO ,
DE CUCÉ ,
DE GIMEL ,
DE PUISIEUX ,
DE SURGERES ,
DE BOUFLERS.
DE S. SIMON ,
DE MONTAIGU,
DE CHATEAUMORAND, Et d'autres Dames
de Paris & de Pro-
Nous avons en hommes :
vince.
MM. les Evêques de Meaux , de Toul
& de Verdun.
M. d'Armentieres.
M. l'Intendant de Metz & celui de
Lorraine.
MM. les Commandeurs de Soudeil &
Chevalier de Balincourt.
Beaucoup de Religieux & Particuliers
de Paris & de Province.
J'ai l'honneur d'être , & c.
t
AOUST. 1761 . 153
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE.
LETTRE de M. BEAU PREAU , Maître
en Chirurgie , à Paris , & Dentifte , à
M. DE LA PLACE , Auteur du Mercure
de France.
MONSIEUR ,
Quelques perfonnes qui m'honorent de
leur confiance , ont jugé à propos de
faire inférer dans des Ouvrages périodi
ques l'annonce d'une liqueur , au moyen
de laquelle je les ai délivrées de douleurs
de dents très - violentes. Quoique je ne
puiffe m'empêcher de remercier quiconque
, en le faifant , a cru m'obliger , je
ne puis cependant me difpenfer d'écarter
en même temps les idées de charlatanerie
, que pourroit faire naître une annonce
de cette efpéce. C'eft dans cette
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
vue , Monfieur , que je vous prie de vouloir
bien revêtir de l'autenticité de votre
Journal , la déclaration que j'ai l'honneur
de vous adreffer.
La liqueur que j'employe eft un mêlange
d'huiles éffentielles , balfamiques
rectifiées , unies à l'æther . Je ne me fuis
déterminé à la mettre en ufage qu'après
un grand nombre d'expériences que j'ai
faites , pour conftater les différens degrés
d'action des médicamens fur les dents tirées
de leurs alvéoles , & fur celles qui
y étoient encore contenues. En voici le
réfultat abrégé.
On fçait que les huiles éffentiefles.balfamiques
rectifiées , font plus légères que
les huiles éffentielles aromatiques , par
exemple de canelle , gérofle , gayac & c.
On fçait auffi que plus les huiles font
légéres , moins elles contiennent d'acides
; or c'est du plus ou du moins d'acides
dans ces médicamens, que réfultent leurs
bons ou mauvais effets fur les dents. Il
étoit donc bien intéreffant d'examiner
de plus près l'action des acides .
Les acides foit végétaux , foit minéraux
, concentrés ou étendus , détruifent
les dents totalement ou en partie ;
quelques- uns les ramoliffent ; d'autres
perforent l'émail d'une infinité de petits
AOUST. 1761 . 155
trous , qui à la vérité ne paroiffent pas
au premier coup d'oeil , mais qui font ai
fés à découvrir à la loupe . L'ufage des
acides en qualité de médicament eft d'autant
plus féduifant , qu'il procure aux
dents une blancheur fubite , qui malheu
reufement fait bientôt place à une cou--
leur jaune ou noire,fuite de l'affection &
même de la deftruction de l'émail.Ce vice :
paroît plus promptement vers le col ,,
parce que l'émail diminuant d'épaiffeur ,.
il est plus facilement pénétré , & on s'en
apperçoit pour peu que l'on examine la .
bouche des perfonnes qui employent in--
confidérément les vinaigres , le jus de citron
, d'ofeille , & furtout de l'acide vitriolique
qui paroît affecter l'émail plus
fortement que les autres . D'après ces ob- -
fervations , il n'eft pas difficile de con
clure que les acides peuvent produire :
un effet contraire à celui que l'on attend I
d'eux le plus communément , c'eft à - dire,
de prévenir ou appaifer les douleurs des
dents cariées ; j'en ai des exemples frap--
pans , entr'autres , dans la perfonne de :
feu M. le Comte de *** , Colonel du a
Régiment de Nice , & de M. Chabert ,.
Chirurgien Major de Cavalerie , qui s'étant
fervi d'huile de vitriol , telle que
Dionis la prefcrit dans fon Traité d'opé
-
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
rations , furent bientôt attaqués des douleurs
les plus vives .
Les acides ne font pas feulement nuifi
bles aux dents , étant appliqués avec les
fluides aqueux , ils le font même , étant
unis aux huiles. Les huiles éffentielles aro
matiques de canelle , gérofle gayac , qui
font très - pefantes , puifqu'elles font , fuivant
M. de la Planche, célébre Chymiſte ,
à celle de citron , comme 53 à 32 , &
qui contiennent par conféquent beaucoup
d'acides , font plus nuifibles qu'utiles aux
dents carićes ; car elles ramoliffent la
fubftance offeuſe , augmentent la carie ,
& donnent lieu à la fracture.
Les effences de canelle & de gérofle ,
appaifent , il eft vrai , quelquefois les
douleurs de dents , non pas comme M.
Geofroy l'explique dans fa matière médicale
, en defléchant & brulant le nerf
par leur âcreté cauftique & brulante ;
mais par une vertu tonique qui eft propre
aux huilles éffentielles en général ,
aux liqueurs fpiritueufes , camphrées , &
à l'æther. Cette dernière renferme la
vertu tonique dans un dégré bien plus
éminent que toutes les autres. Les bons
effets qu'elle produit , étant prife intérieurement
, dans les maladies de langueurs
, d'épuisement , de fpafme &c ; la
AOUST. 4761. 157
chaleur douce qu'elle répand jufqu'aux
extrémités du corps les plus éloignées du
centre de la circulation , la force qu'elle
concilie à l'eftomac , & aux principaux
vifcères destinés à la vie , prouvent combien
elle eft puiffante fur les nerfs , &
combien elle peut être utile dans le cas
de leurs affections douloureufes : c'eft fans
doute d'après ces confidérations que M.
Bouvart célébre Médecin de Paris , confeille
d'appliquer fur la dent crcufe du
coton imbibé d'ather , & de placer un
morceau de fucre entre les dents . Ce
moyen a quelquefois réuffi ; mais la
grande volatilité de l'æther , jointe à la
chaleur de la bouche , donne lieu à fon
évaporation fubite , & empêche le plus
fouvent fon effet . Il falloit enchaîner ,
pour ainsi dire , fes molécules , & les maintenir
jufqu'à ce qu'elles euffent produit
l'effet que l'on defire . Or je crois avoir
rempli cette indication dans la combinaifon
que j'ai faite des huiles balfamiques
rectifiées & unies à l'æther , dont il
eft le diffolvant .
L'analogie n'a pas peu fervi à me guider
dans les différens mêlanges que j'ai
faits. J'avois obfervé , par exemple , que
l'huile éffentielle de thérébentine reétifiée
, appliquée fur la dure-mère , après
158 MERCURE DE FRANCE.
l'opération du trépan , détendoit cette
membrane & diminuoit fon irritation ;
que fur les os du crâne , elle facilitoit leur
exfoliation & la régénération des bourgeons
charnus : j'en ai conclu que fi cette
éffence diminuoit l'irritation de la duremère
, elle devoit produire le même effer
à l'égard des nerfs dentaires qui font
enveloppés du prolongement de cette
méninge , & conféquemment appaifer la:
douleur. Dès lors je n'ai plus balancé ; &
j'en ai fait la baze de mon éffence . J'ai
fait enfuite de nouvelles tentatives pour
m'affurer de fon action fur les dents . J'ai
pris deux onces de cette liqueur ; j'y ai
fait macèrer des dents faines , je ne les
ai retirées qu'au bout de deux mois ; cependant
leur couleur & leur fubftance
étoient reftées intactes. J'ai foumis à fon
action des dents cariées & extraites ,
d'autres contenues dans leurs alveoles ;
la carie qui eft communément noire, s'exfolioit
, & le fond reftoit blanc ; j'ai furtout
eu lieu d'être fatisfait de fon éfficacité
pour détruire les douleurs les plus
vives.
Enfin , la combinaifon des ingrédiens
de cette liqueur eft telle , que fon odeur
n'eft point défagréable.
Il eft encore , Monfieur , un autre fruit
AOUST. 1761 . I-59
de mes expériences , c'eft la préparation
de l'acide du citron , au moyen de l'efprit
volatil de cochléaria; on fait combien ces
deux végétaux font utiles dans les maladies
de la bouche. On ne doit cependant
pas ignorer que l'acide du citron partage
avec les autres , la qualité deftructive de
l'émail des dents . J'ai fait différens mêlanges
de ces liqueurs , & j'ai obfervé
que l'émail des dents que j'avois laiffé
pendant huit jours dans partie égale de
l'une & de l'autre , étoit confidérablement
altéré. J'ai répété mes éffais , & je fuis
enfin parvenu à trouver le degré propor
tionnel qui doit exifter entre ces deux ingrédiens
, pour que l'acide ne foit point
nuifible aux dents. Cinq parties d'efprit
de cochlearia fur une de citron fourniffent
un compofé, qui n'altère ni la couleur
du papier bleu , comme font les acides ,
ou les alkalis , ni la fubftance des dents .
J'ai laiffé dans celui - ci des dents pendant
l'efpace de plufieurs mois , fans qu'elles
en ayent reçu la moindre altération . *
J'ai l'honneur d'être &c. BEAUPREau .
*Enfin,il eft, propre à déterger les gencives , rafermir
les dents , & détruire les aphtes ou ulcères ,
qui arrivent à l'intérieur de la bouche,
160 MERCURE DE FRANCE.
S
ARTS AGRÉABLE S.
MUSIQUE.
EI Notturni a due Violinio Pardeffu
di Viola ; del Signor Reufci , da Padoua .
Prix , 1 liv . 10 f. à Paris , aux adreffes ordinaires
de Mufique .
GRAVURE.
La veuve Chereau , rue S. Jacques ,
aux deux piliers d'or , vient de mettre
en vente deux jolies Estampes : l'une, intitulée
Tableau des Portraits à la mode ;
l'autre , la Promenade des Remparts de
Paris , toutes deux gravées par M. P. F.
Courtois , d'après les deffeins de M. Aug.
de S. Aubin .
AOUST. 1761 , 161
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Mufique continue
les Repréſentations
des Indes Galantes
, Ballet héroïque , remis le 14 Juillet
de cette année . On exécute de cet
Opéra , le Turc généreux , les Incas du
Pérou & les Fleurs , le tout précédé du
Prologue.
La célébrité de M. Rameau & celle du
Ballet des Indes galantes en particulier ,
nous difpenfe de tout éloge . Qu'il nous
foit permis feulement de faire remarquer
que cet illuftre Muficien , auquel fon Art
doit tant de, progrès en France , fait de
fon temps ce que l'immortel Lulli a fait
dans le fien ; c'eft- à- dire qu'il a conftitué
un gente de Mufique nationale qui fera
époque . Les chefs- d'oeuvre de ce Muficien
, que l'on admiroit dans leur nouveauté
avec étonnement , & peut - être
avec quelque forte de défiance , font applaudis
aujourd'hui par goût & par une
162 MERCURE DE FRANCE.
teur ,
impreffion unanime de plaifir. L'Opéra ,
actuellement fur le Théâtre , eft conffdéré
comme un des Ouvrages de cet Auoù
régne la variété la plus riche &
la plus abondante des divers caractères
de la Mufique . Il feroit à defirer que les
paroles de ce Poëme euffent pu favorifer
le génie mufical dans le dialogue de
toutes les Scènes , auffi heureufement que
dans l'Entrée des Incas: *
En général , la Reprife de ce Ballet eft
très bien exécutée de la part des Acteurs .
Mlle Lemierre , dont la voix & la fanté
font rétablies , fait valoir très- agréablement
les airs charmans de fes rôles dans
le Prologue & dans l'Acte des Fleurs . On
admire en elle , dans ce Ballet , le talent
fupérieur de Cantatrice , fans oublier les
applaudiffemens qu'on lui a donnés comme
Actrice , dans des Opéra d'un autre
genre. Mlle Chevalier chante le rôle d'Emilie
dans le Turc généreux, le feul Acte
de tout cet Opéra , où le Poëte ait paru
prétendre à quelque fuite de Scènes . Mlle
Dubois , après une maladie très - dangereufe
& très longue , chante avec autant
de voix qu'auparavant , dans l'Acte des
*
V. une Piéce imprimée dans le Mercure de
Février de cette année , intitulée , Queſtion de
goût.
AOUST. 1761 . 163
Incas. M. Gelin remplit dans le même
Acte le principal rôle , fi connu & fi diftingué
par la fublimité des chants que le
Muficien y a placés . M. Pillot chante les
rôles de haute- contre du premier & du
deuxième Acte.
Dans les Ballets , Mlle Allard très- bien
placée en Matelote , danfe des Entrées
dans le caractère
léger & gai de Provençale
; le Public l'applaudit toujours avec
un nouveau plaifir. Au deuxième Acte ,
Mlle Lani , trop fupérieure aux éloges ,
pour les répéter à chaque occafion où
l'on a lieu de l'admirer, danfe dans l'Acte
des Incas , des Airs d'un caractère marqué
& analogue à la prééminence de fes
talens. La Rofe , dans le Ballet des
Fleurs où les pas font des rôles , eft rendue
par Mlle Veftris avec cette expreffion
voluptueufe
, cette intelligence
Pan
tomime , qui diftinguent & caractériſent
le genre de fa danfe. M. Veftris qui repréfente
Borée , fait admirer également
le brillant de fes pas , la jufteffe de fes
pofitions , & le génie pittorefque
de fa
danfe.
Les Directeurs de cette Académie n'ont
rien négligé pour la pompe & pour l'agrément
de ce Spectacle , dans les décor
164 MERCURE DE FRANCE.
rations & dans la dépenfe des habits . On
ne peut leur refufer la juftice de rendre
une forte d'hommage au célébré Muficien
qui a fourni un fonds utile
pource Théâtre
, par les foins qu'ils apportent dans la
remiſe de ſes Ouvrages.
COMEDIE FRANÇOISE .
L E 16 Juillet , Mlle de Nefle débuta fur
le Théâtre de la Comédie Françoife , par
le rôle de Cénie & par celui de Zénéïde .
Elle a continué depuis fon début par le
rôle de Lucinde , dans l'Oracle , par celui
d'Agathe dans les Folies Amoureuses , où
elle a chanté avec fuccès &c. Quelques
Spectateurs trouvent dans cette nouvelle
Actrice , de l'intelligence , de la fineffe &
un jeu raifonné. A l'égard des débuts ,
nous croyons ne pouvoir être trop circonfpects.
Les Jugemens du Public font fi difficiles
à faifir dans ces occafions , qu'il y
auroit de l'imprudence à tout Journaliste
de prétendre les intérprêter. C'eft le temps
qui doit toujours conftater les décifions
à cet égard.
Le Lundi , 20 Juiller, les Comédiens
François dornérent la premiere repréfen
AOUST. 1761 . 168
tation du Financier , Comédie nouvelle
en un Acte , de M. de Saintfoix , précédée
du Rival fuppofé & fuivie de la Colonie
, Comédies remifes , & du même Auteur.
Ces trois Pièces , avec le Prologue
qui les annonçoit , tinrent tout le Spectacle
& furent très - applaudies. On y a
trouvé cette élégance de ftyle , cette vivacité
dans le Dialogue & dans les Portraits,
cette fine plaifanterie , cette morale placée
, fans art & fans apprêt , cette critique
de moeurs toujours agréable & jamais
amère , enfin ce tour ingénieuſement ſimple
& ces idées neuves & naturelles qui
caractérisent tous les Ouvrages de l'Auteur.
La Colonie & le Rival fuppofé font
imprimées ; ainfi nous nous contenterons
de donner , dans le prochain Mercure
un Extrait de la Comédie nouvelle du Financier.
H parut en 1748 , une Collection
en deux Volumes de plufieurs Comédies
de M. de Saintfoix ; n'étant pas à Paris ,
il ne put veiller à cette Edition , où la
plupart des Piéces , furtout celles du fecond
Volume , font abfolument défigurées
& tronquées. Nous apprenons qu'il
paroîtra inceffament une Edition de fon
Théâtre , faite fous les yeux , revue &
166 MERCURE DE FRANCE
corrigée , en 4 Volumes , avec une Préface
à chaque Piéce .
L
COMEDIE ITALIENNE.
ES Comédiens Italiens ont donné le
12 de Juillet la premiére repréſentation
du fils d'Arlequin perdu & retrouvé , Comédie
nouvelle Italienne avec des Divertiffemens.
Cette Piéce qui a eu beaucoup de fuccès
, & que l'on continue encore , eft un
Canevas de M. Goldoni , non imprimé ;
M. Zanuzzi , Acteur du Théâtre Italien
ra arrangé conformément au genre habituel
de la Scène Italienne en France.
Quoique le Sujet foit traité en Canevas, il
ya plufieurs morceaux écrits ; ce qui joint
à la force comique & à l'enchaînement
de l'intrigue , donne à cette piéce la forme
d'une Comédie régulière , en fe prêtant
au goût national de fon célèbre Auteur.
Nous avons crû ne pas déplaire à
plufieurs de nos Lecteurs , en leur en donnant
une Analyfe auffi refferrée que pourra
le permettre l'Imbroglio qui régne dans
cette Comédie.
AOUST. 1761:
767
ANALYSE de la Comédie intitulée le FILS
D'ARLEQUIN PERDU ET RETROUVE'.
PANTALON, Aftrologue, eſt retiré dans la vallée de
Bergame. Il jouit d'un bien confidérable , mais
une très - grande partie de fa fortune ne lui appartient
pas légitimement. Un de fes amis , appellé
Anfelme Ardenti étant venu demeurer avec lui ,
lailla une fille en bas âge , héritière de tous les biens.
Pantalon , pour fe les approprier , fait paffer la
jeune orpheline ( Rofaure ) pour la propre fille.
Elle vient en âge d'être mariée. Scapin , qui fait le
fecret de la fuppofition , favorife les amours fecrets
de fa jeune Maîtrelle avec Celio qui l'aime.
Les deux amans s'époufent fecrettement ; ils ont
un enfant. Arlequin , pauvre Payfan du voisinage ,
mari de Camille , a dans le même temps un fils.
C'eft ici où commence la Piéce .
ACTE PREMIER.
LE Théâtre repréſente la montagne fur laquelle
eft fituée la maifon d'Arlequin. Les avenues en
font illuminées d'une maniére ruftique ; les voifins
danfent & chantent en réjouiſſance du rétabliffement
de fon époufe qui vient de relever de fes couches.
Dans le voifinage de la cabanne d'Arlequin ,
eſt une autre chaumière où Rofaura & Celio , d'intelligence
avec Scapin , ont fait cacher leur enfant
du même âge que celui d'Arlequin , & qu'ils gardent
dans cet endroit en attendant qu'ils ayent
166 MERCURE DE FRANCE.
corrigée , en 4 Volumes , avec une Preface
à chaque Piéce .
L
COMEDIE ITALIENNE.
ES Comédiens Italiens ont donné le
12 de Juillet la premiére repréfentation
du fils d'Arlequin perdu & retrouvé , Comédie
nouvelle Italienne avec des Divertiffemens
.
ľa
Cette Piéce qui a eu beaucoup de fuccès
, & que l'on continue encore , eft un
Canevas de M. Goldoni , non imprimé ;
M. Zanuzzi , Acteur du Théâtre Italien ,
la arrangé conformément au genre habituel
de la Scène Italienne en France:
Quoique le Sujet foit traité en Canevas, il
y a plufieurs morceaux écrits ; ce qui joint
à la force comique & à l'enchaînement
de l'intrigue , donne à cette piéce la forme
d'une Comédie régulière , en ſe prêtant
au goût national de fon célèbre Auteur.
Nous avons crû ne pas déplaire à
plufieurs de nos Lecteurs , en leur en donnant
une Analyſe auffi reflerrée que pourra
le permettre l'Imbroglio qui régne dans
cette Comédie.
AOUST. 1761 167
ANALYSE de la Comédie intitulée le FILS
D'ARLEQUIN PERDU ET RETROUVE'
.
PANTALON
ANTALON,Aftrologue,eft retiré dans la vallée de
Bergame. Il jouit d'un bien confidérable , mais
une très - grande partie de fa fortune ne lui appartient
pas légitimement. Un de fes amis , appellé
Anfelme Ardenti étant venu demeurer avec lui ,
lailla une fille en bas âge , héritière de tous les biens.
Pantalon , pour fe les approprier , fait paffer la
jeune orpheline ( Rofaure ) pour fa propre fiile.
Elle vient en âge d'être mariée. Scapin , qui fait le
fecret de la fuppofition , favorife les amours fecrets
de fa jeune Maîtreffe avec Celio qui l'aime.
Les deux amans s'époufent fecrettement ; ils ont
un enfant. Arlequin , pauvre Paylan du voiſinage ,
mari de Camille , a dans le même temps un fils.
C'est ici où commence la Piéce.
LE
ACTE PREMIER .
E Théâtre repréfente la montagne fur laquelle
eft fituée la maifon d'Arlequin. Les avenues en
font illuminées d'une maniére ruftique ; fes voisins
danfent & chantent en réjouiſſance du rétabliffement
de fon époufe qui vient de relever de fes couches
. Dans le voifinage de la cabanne d'Arlequin ,
eft une autre chaumiére où Rofaura & Celio , d'intelligence
avec Scapin , ont fait cacher leur enfant
du même âge que celui d'Arlequin , & qu'ils gardent
dans cet endroit en attendant qu'ils ayent
166 MERCURE DE FRANCE.
corrigée , en 4 Volumes , avec une Préface
à chaque Piéce.
L
COMEDIE ITALIENNE.
ES Comédiens Italiens ont donné le
12 de Juillet la premiére repréſentation
du fils d'Arlequin perdu & retrouvé , Comédie
nouvelle Italienne avec des Divertiffemens
.
Cette Piéce qui a eu beaucoup de fuccès
, & que l'on continue encore , eft un
Canevas de M. Goldoni , non imprimé ;
M. Zanuzzi , Acteur du Théâtre Italien
l'a arrangé conformément au genre habituel
de la Scène Italienne en France.
Quoique le Sujet foit traité en Canevas, il
y a plufieurs morceaux écrits ; ce qui joint
à la force comique & à l'enchaînement
de l'intrigue , donne à cette piéce la forme
d'une Comédie régulière , en fe prêtant
au goût national de fon célèbre Auteur.
Nous avons crû ne pas déplaire à
plufieurs de nos Lecteurs , en leur en donnant
une Analyſe auffi reflerrée que pourra
le permettre l'Imbroglio qui régne dans
cette Comédie.
AOUST. 1731
167
ANALYSE de la Comédie intitulée le FILS
D'ARLEQUIN PERDU ET RETROUVE'.
PANTALON, Aftrologue, eft retiré dans la vallée de
Bergame. Il jouit d'un bien confidérable , mais
une très - grande partie de fa fortune ne lui appartient
pas légitimement. Un de fes amis , appellé
Anfelme Ardenti étant venu demeurer avec lui ,
lailla une fille en bas âge , héritière de tous les biens.
Pantalon , pour fe les approprier , fait paffer la
jeune orpheline ( Rofaure ) pour la propre fiile.
Elle vient en âge d'être mariée. Scapin , qui fait le
fecret de la fuppofition , favorife les amours fecrets
de fa jeune Maîtrelle avec Celio qui l'aime.
Les deux amans s'épouſent fecrettement ; ils ont
un enfant. Arlequin , pauvre Paylan du voisinage ,
mari de Camille , a dans le même temps un fils.
C'est ici où commence la Piéce.
ACTE PREMIER.
LE Théâtre repréſente la montagne fur laquelle
eft fituée la maison d'Arlequin . Les avenues en
font illuminées d'une maniére ruſtique ; les voisins
danſent & chantent en réjouiſſance du rétabliſſement
de fon époufe qui vient de relever de fes couches.
Dans le voifinage de la cabanne d'Arlequin ,
eft une autre chaumiére où Rofaura & Celio , d'intelligence
avec Scapin , ont fait cacher leur enfant
du même âge que celui d'Arlequin , & qu'ils gardent
dans cet endroit en attendant qu'ils ayent
168 MERCURE DE FRANCE.
trouvé à qui le confier , ou que leur mariage foit
découvert. Rofaura vient avec Scapin pour voir
ce cher enfant. Pendant qu'elle le carelle Panta
talon arrive , elle veut cacher fon fils , Pantalon
veut favoir ce que c'eft ; Scapin imaginant tout
d'un coup de fe fervir de la conformité des circonf
tances & des âges , dit à Pantalon que l'enfant que
tient Rofaura eft le fils d'Arlequin . Pantalon lui
ordonne de le prendre & de le rendre à ton père.
Scapin voudroit le porter en quelque lieu où il fût
en fûreté , mais il eft rencontré de nouveau par
Pantalon qui le remet lui - même à Arlequin .
Scapin , encore plus intrigué , a peur qu'Arlequin
retournant à fa maiſon & trouvant un autre enfant
ne découvre l'intrigue. Que faire ? Pendant
qu'Arlequin s'amufe à badiner avec ſon fils , aflis
par terre , à quelques pas de fa chaumiére , Scapin
y entre fans être apperçu & emporte fon véritable
enfant Camille trouve fon mari occupé à
careffer fon fils ; ce fpectacle l'attendrit & l'enchante;
elle en témoigne fa joie a Arlequin . Celio ,
mari de Rofaura , qui fait l'avanture furvient
& cherche des prétextes pour demander à ces
bonnes gens de lui confier leur fils . Arlequin s'en
défend , en dilant qu'il lui appartient ; Celio lui dit
qu'il pourroit fe tromper , & que l'enfant n'eft
point à lui. Arlequin conçoit des foupçons fur la
vertu de fa femme , elle fe défend & entre en
fureur contre Celio . Pantalon ſurvient ; & Arlequin
qui le connoît pour un homme fçavant, le
prie de tirer l'horoſcope de fon fils pour voir s'il
eft , effectivement bien à lui . Pantalon le lui promet.
1
·
ACTE
AOUST. 17617
189
ACTE SECOND.
SCAPIN découvre à Celio que Roſaura n'eſt point
fille de Pantalon . Celui -ci veut la donner en mas
riage à Filene , qui eft lui- même aimé de Dorinde :
c'elt un Epifode auquel nous ne nous arrêterons
plus , parce qu'il n'a été mis que pour placer la
Cantatrice , que le Public paroît defirer d'entendre
dans toutes les Piéces Italiennes. Arlequin
vient avec Pantalon pour favoir l'horofcope de
fon fils.; voici ce qu'il apprend :
Que celui qu'on croit fils d'Arlequin eſt unfruit
de l'amour qu'on ne connoit pas encore.
On pourroit traduire ainfi l'Italien .
Ce fils que d'Arlequin on avoit toujours cru ,
Eft un fruit de l'Amour qui n'eſt pas bien connu,
Et Arlequin répond en parodiant l'horofcope.
>> Ce fils que d'Arlequin on avoit toujours cru ,
>> Eft un figne évident que l'on m'a fait cocu.
Ses foupçons redoubleut , il s'emporte contre
Camille ; elle le défefpére ; ils fe querellent & fe
quittent brouillés .
ACTE TROISIÈME.
ARLEQUIN , en fureur , fonge aux moyens de
fe venger de fa femme : il fe détermine à l'abandonner
; mais pour lui laiffer des marques de
fon reffentiment & la punir de l'outrage qu'elle
lui fait , il met le feu à la chaumiere ; il ne veur
H
10 MERCURE DE FRANCE.
pas même fauver fon enfant , voulant extermi
ner tout ce qui pourroit être un témoignage de
fon déshonneur . Celio arrive ; & voyant l'embrafement
, s'écrie : Ah ! mon pauvre enfant ! j'ai
trouvé le père , dit Ailequin en s'en allant. Celio
entre dans la chaumiere , prend l'enfant & part .
Scapin furvient , voit l'incendie , ne doute pas
que l enfant de Celio ne foit brulé ; & pour empêcher
le défelpoir de Rofaura , il imagine de lui
fubftituer le fils d'Arlequin qu'il a entre les mains
& de lui faire entendre que c'eft le fien . Camille
affligée du courroux de fon mari , arrive en ſe
plaignant de fon fort ; elle tourne triftement les
yeux vers la chaumiere , en regrettant la paix
dont elle y jouiffoit ; elle la voit confumer par
les flammes & s'abîmer à l'inftant. L'horreur &
l'éffroi la faififfent; elle court au travers des ruines
pour fauver fon enfant , & ne le trouvant pas,
fort en pouffant des cris de défefpoir & de douleur.
Rofaura arrive & demande à Camille la
caufe de fes pleurs & de fes gémillemens. La vue
des affreux reftes de l'embrafement la faifillent
elle-même . Camille , étonnée de l'intérêt qu'elle
prend à fon malheur , en cherche les motifs.
Scapin arrive avec l'enfant d'Arlequin fous fon
manteau . Rofaura s'avance pour lui faire des reproches
; Scapin l'appaife en lui donnant l'enfant
qu'il tient & qu'il lui dit être fon fils . Camille
veut le lui enlever , difant que c'eſt le fren ,
Pantalon furvient , qui oblige Rofaura à le céder
; elle s'évanouit , & Filene accourt à ſon ſecours.
Celio , qui la voit dans fes bras , en con
çoit de la jaloufie,
AOUST. 1761 . 171
•
E
ACTE QUATRIÈME.
Le quatrième Acte commence par une Scène de
dépit , entre Celio & Rofaura ; Scapin les réconcilie.
Arlequin , qui a trouvé l'enfant de Celio entre
les mains d'un Payfan , a cru que c'étoit le
fien , & arrive en le carellant . Camille vient d'un
autre côté avec fon véritable fils que Pantalon
lui a fait rendre. Ils font tous deux étonnés eh
fe rencontrant ; tous deux prétendent avoir entre
les bras l'enfant légitime , & tous deux préten
dent que celui qu'il n'ont pas eft fuppofé ; ce qui
donne lieu a une Scène entre les deux Acteurs.
Celio initruit par le Berger , de l'enlèvement de
fon fils , furvient , & s'approchant d'Arlequin ,
avec promptitude , lui enléve l'enfant qu'il tient.
Scapin arrive d'un autre côté , & enlève de même
à Camille celui qu'elle a dans les bras. Tous
deux fortent pour courir après les ravitieurs . Rofaura
rencontre Filene qui lui parle encore de fon
amour. Scapin leur découvre qu'ils font freres &
foeurs ; ils s'embraffent . Celio furvient : nouveau
fujet de jalousie . Arlequin vient , pendant que celui-
ci s'abandonne à la fureur , & lui demande
fon fils ; il l'impatiente tant que Celio en colére
, le veut battre ; Arlequin le repoulle avec la
tête: » Je te blefferai , dit- il , avec les armes que
>> tu m'as faites .
ACTE CINQUIÈME.
PANTALON voyant que tout eft découvert ,
promet de rendre compte à Rofaura de fon bien ,
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
& lui permet d'époufer Celio . Cependant Arle
quin vient redemander fon fils à Celio , & ' Camille
vient auflì faire la même demande à Scapin.
Tous deux s'en vont fans rien répondre , &
reviennent un moment après avec les deux en
'fans . Le tout eft de fçavoir quel eft celui d'Arlequin.
Scapin , qui eft au fait de toute l'intrigue ,
la développe , en difant que celui que Celio tient
eft le fien , & il remet à Camille & à Arlequin
celui qu'il leur a enlevé . Tout le monde le réjouit
, & la Piéce finit.
OBSERVATIONS.
A l'enchaînement de cette intrigue , à
la clarté dont elle eft pour le Spectateur,
pendant qu'elle devient de plus en plus
impénétrable pour les perfonnages de l'action
, on reconnoît fans peine le talent
du célébre Auteur qui a imaginé ce Sujet
, & qui en a tracé la conduite : mais
on auroit peine à fe former une idée
jufte de ce qu'y ajoûte le jeu vif & naturel
des Acteurs principaux , & particulierement
celui de Mlle Camille. Servic
par les traits heureux d'une phyfionomie
faite pour peindre avec force & fans
équivoque toutes les grandes paffions de
l'âme , cette Actrice nourrie pour ainfi
dire dans le jeu comique , s'élève dans
cette Piéce , à toute l'énergie du plus
grand Pathétique . Le moment, for-tout,
où elle voit fa cabane embrafée , où elle
AOUST. 1761. 173
croit que fon enfant eft dévorée par les
flammes , eft exprimé avec tant de vérité
qu'il arrache des larmes . Malgré l'action
comique d'où fort cette circonftance ,,
Phorreur , le défefpoir & le déchirement:
du coeur d'une mère outrée par le plus :
fenfible des malheurs , font exprimés:
avec tant de force & de naturel , qu'il
eft difficile de réfifter à l'impreffion de
fa douleur. Au refte , ce Pathétique , quoique
lié à un Sujet prefque bouffon , ne
fait point difparate , & touche le coeur
fans répugner à l'efprit , parce qu'il naît
néceffairement du fond de ce même Sujet
, & qu'il ne paroît pas détaché des
Scènes comiques , comme on a lieu de le
reprocher à plufieurs Comédies de notre
Théâtre moderne. Quelques Amateurs
defiteroient que notre Scène profitât de
l'attention avec laquelle le célèbre M.
Goldoni recherche les traces desComiques :
de l'Antiquité. Thalie, felon eux, trop déguifée
de nos jours fous la parure Françoife
, reprendroit fon premier empire , fi
plus d'un Auteur avoit le courage de lui
rendre fes premiers ornemens : la Nation
rira encore au Théâtre , difent ces mêmes
Connoiffeurs , & rira fans honte , quand
Les Auteurs ne rougiront pas de la faire
rire
Hij
174 MERCURE DE FRANCE.
On a donné fur le même Théâtre le 16
Juillet, la premiére repréſentation du Dépit
généreux , Comédie nouvelle en deux
Actes , mêlée d'Ariettes . Cette nouveauté
a été applaudie & continuée ; nous en
donnerons une connoiffance plus détaillée
dans le prochain Mercure . M. Quétant ,
Auteur des Amours Grenadiers , à l'âge de
19 ans , & du Quartier général , Piéces
jouées aux Danfeurs de Corde , nous informe
à l'égard du Dépit généreux , que
M. Anfeaume avoit fait cette Piéce en
Opéra Comique fous le titre de la Vengeance
intéreffée; qu'elle avoit été reçue
aux Italiens fous condition d'être retravaillée
; que M. Anfeaume , diſtrait par
d'autres occupations , n'ayant pu vaquer
à celle- ci , M. Quétant avoit refait cette
Piéce en vers , le Acte fur le plan du
premier Auteur, mais qu'ayant composé lẹ
fecond en entier & changé le dénoûment,
cela avoit occafionné le changement du
Titre. M. Quétant nous engage par une
Lettre , à rendre ce détail public , afin
que l'on ne le foupçonne pas dès l'entrée
d'une carrière où il montre des difpofitions
, d'avoir voulu par un déguifement
de Titre , mafquer un Plagiat , & enlever
à M. Anfeaume la part qu'il doit avoir à
l'honneur de cette Piéce , fi le Public con
AOUST. 1761 . 175 .
tinue de lui être favorable. M. Quétant
eft encore Auteur du Ballet de la Foire,
de Bezons à l'Opéra Comique & de la.
Femme orgueilleufe aux Italiens.
En terminant. l'Article de la Comédie,
Italienne , nous rapporterons en entier
une Lettre de M. Duni fur un fait qui
l'intéreſſe .
A M. D. L. G. Penfionnaire adjoint au
Mercure pour l'Article des Spectacles .
MONSIEUR,
Je ne fais par quel abus tant de petits
écrits périodiques ufurpent impunément
fur le Mercure , l'ufage de rendre comp-
» te des Spectacles. Ce n'eft pas à moi de
réprimer cet abus , mais il doit m'être
» permis de m'en plaindre lorfqu'il tend
à détruire des vérités qui m'intéreffent
» perfonnellement. Je me flatte que vous
ne me refuferez pas la facilité de pu-
» blier les juftes reproches que j'ai à faire
à une de ces efpéces de Gazettes heb-
" domadaires.
و ر
" La feuille de l'Avant- Coureur du
Lundi 1s Juin m'eſt tombée par hazard
H iv
576 MERCURE DE FRANCE. -
» entre les mains ; j'en ai parcouru la par
tie qui concerne les Spectacles ; per-
» mettez - moi de vous communiquer quel
» ques obfervations fur la maniére dont
» on y rend compte de la Bonne Fille.
9)
Après avoir expofé en peu de mots le
» Sujet de la Piéce, l'Avant - Coureur s'exprime
en ces termes : Mlle Piccinelli & le
fieur Cofalto ont été applaudis fans le
fecours de leur rôle ni de leur chant.
» Voudroit on dire par là que quand
» même Mlle Piccinelli & le fieur Cofalto
»n'auroient ni joué ni chanté, ils n'auroient
» pas laiffé d'être applaudis? je vous avoue,
» Monfieur , que je n'entends pas cette
» propofition.
Peut-être qu'il y a de mafaute & que
je ne fuis pas encore affez verfé dans la
» connoiffance de la Langue Françoife ,
» pour faifir tout ce que cette Sentence
» renferme d'ingénieux & de vrai. Les
» Arietes de l'Actrice , pourfuit l'Avant-
» coureur , font dans un genre trop oppo
» fé à celles qu'on lui a entendu chanter..
» mais auroit- il voulu qu'on eût mis dans
» la bouche de Cechina les airs, de Didon
» & de Sémiramis ou d'Artemife ? le mot
» coutume eft Italien , mais il y a long-
» temps qu'il eſt devenu François , & que
la Nation Françoife obferve plus fcrupu
AOUST. 1765. 177'
Teufement qu'aucune autre,la chofe que
» ce mot fignifie. M. l'Avant - coureur
» n'en tiendroit - il nul compte ? Mlle Pic--
» cinelli n'a joué , n'a chanté juſqu'à préfent,
que dans les Tragédies; il faut dé-
» formais qu'elle rende les rôles comi--
» ques : l'on a crû devoir la conduire in-
» fenfiblement à ce genre , & non pas l'y
précipiter ; pour cet effet je lui ai donné
des airs qui ,fans avoir la grandeur &
l'élévation tragique , ne laiffoient pas
de renfermer une expreffion noble &
même pathétique , tel que celui de la
» Pouera Ragazza , morceau qui m'a fait
>> un honneur infini en Italie , & la Scène
"
du Sommeil,laquelle m'a valu les éloges:
» de M. Rameau. Il y a tout lieu de croire
» que les Connoiffeurs dont l'Avant-coureur
recherche & adopte les jugemens ,,
» font dans le préjugé également faux &
" ridicule , que les voix Italiennes ne fa-
» vent & ne doivent chanter que des So
» nates les Opéras même bouffons ren
ferment une infinité d'Epiſodes bien:
» propres , ce me femble , à faire fentir:
combien cette erreur eft groffiére . Las
» derniére Ariéte, ajoute l'Avant-Coureus,,
( il falloit dire le dernier air ) a remis
» Actrice dans fon genre : elle eft du Geur:
Hw
1
178 MERCURE DE FRANCE.
و ر
#
» Junelli. M. l'Avant- coureur , állez un
» peu plus doucement : je fens bien que
» le métier que vous faites ne vous per- .
" met pas de faire des recherches , mais ,
» du moins il faut alors avancer les cho- ,
» fes avec plus de modeftie & de réferve. ,
» Le dernier air n'eft point de M. Junelli,.
» il eft de moi. M. Junelli n'a befoin pour .
» fa gloire que de fes propres Ouvrages ..
» Je fis cet air l'an 1755. M. Manzoli ,
» pour qui je l'avois compofé , l'exécuta ,
» pour la premiere fois fur le Théâ- .
tre de Parme , & fut extrêmement
applaudi : quel fuccès auroit donc eu ,
» ce morceau , s'il avoit été chanté par
» Mile Piccinelli ? car quelque eftime que
» j'aye pour les talens de M. Manzoli
» je fuis forcé d'avouer que Mlle Piccinel-
» li l'a rendu avec beaucoup plus d'intel-.
ligence , de nobleffe & de vérité . Les .
» Connoiffeurs en Mufique Italienne , s'il
» faut en croire l'Avant - coureur , ont ,
» trouvé que la Mufique que j'ai fubftituée
» à celle de M. Picini ne fe fent point du
» tout de la température du climat. Il feroit
fingulier , il feroit inconcevable
qu'étant né en Italie , qu'ayant paffé ma
» vie à étudier & à compofer de la Mufi-,
» que Italienne , mes ouvrages ne fe reffentiffent
point de la température du climat
ور
"
"
"
AOUST. 179 1761,
» Italien . Mais comment peut - on avancer
»de pareilles chofes ?
» Qu'un Avant - Coureur annonce les
» nouvelles modes, les nouveaux onguens ,
>> les nouvelles perruques , & fi l'on veut
" les nouveaux Ouvrages , à la bonne
» heure ; mais je vous l'avoûrai, Monfieur,
» un Avant- Coureur qui juge , me paroît
» la chofe du monde la plus ridicule . En
effet, obligé de gagner de viteffe tous les
» autres Journaliſtes , & n'étant pas en
» état , comme la chofe eft évidente , de
juger par lui - même, il ſe voit dans la néceffité
d'adopter l'opinion du premier
prétenduConnoiffeur qu'il trouve fous fa
» main , d'où doivent naître néceffaire-
» ment des erreurs fans nombre.
"
>>
»
ود
» Ce n'eft pas la premiere fois que j'ai
»vû porter fur l'Art que je cultive & que
»je profeffe , les jugemens les plus rifi-
» bles , & que fi j'avois porté lunette , je
» me ferois infailliblement trouvé dans le
» cas où fe vit un de mes Compatriotes ,
» en lifant les Facéties de Frabaftiano ,
On d'ei ne rife tanto ,
Che il nafo fé due parti degli occhiali .
J'ai l'honneur d'être &c.
DUNI.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VI
NOUVELLES
POLITIQUES..
I
De WARSOVIE , le 19 Juin 1761 ..
Vicomte de Stormont , Envoyé de la Courde
Londres auprès du Roi & de la République ,
prit, avant-hier la route. d'Aufbourg , où il doitremplit
dans le Congrès les fonctions de fecond
Miniftre Plénipotentiaire de Sa Majesté Britanique,
Les Comtes de Flemming & de Rex , premier &
fecond Plénipotentiaires du Roi au même Congrès,
Qnt ordre de s'y rendre inceffamment .
On a reçu avis qu'à l'approche de l'Armée.
Ruffe,le Genéral Werner avoit abandonné Collin ,,
& qu'il s'étoit retiré dans le Camp fortifié de Colberg.
Cependant fes poftes avancés s'étendent
encore jufqu'à Belgart . Les troupes commandées ;
par le Comte de Tottleben ſe font avancées entre
Crange & Polnow .
De VIENNE , le 2-Juillet.
Le Maréchal Comte de Daun a mandé à Leurs
M. jeftés Impériales , que le 16 du mois dernier ,,
Jes Pruiens ont attaqué un Pofte , mais qu'ils ont:
été repoullés .
L'Empereur a nommé le Comte de Pergen fon,
Plénipotentiaire au futur Congrès. Le Miniftre ,
qui y fera chargé des intérêts de l'Impératrice.
AÒUST. 1761 . 180
Reine , fe difpofe à partir pour Aufbourg , ainfi que
d'autres Miniftres étrangers , qui doivent auſſi traș.
vailler à l'important ouvrage de la paix , & qui
font actuellement en cette Cour
On a reçu de Siléfie
les nouvelles
fuivantes
. Le
18 nous
enlevâmes
quelques
Huffards
ennemis.Le
même
jour , on apprit
que le Roi de Prufſe
avoit
fait paffler
un renfort
de trois Régimens
au Géné
ral Goltz
. Le fieur de Knefowitsch
, Colonel
Commandant
du Régiment
de Huffards
de Carlstadt
,
marcha
le 19 , par ordre
du Général
Laudon
avec
deux
cens hommes
de ce Régiment
, pareil
nombre
de celui
de Nadafti
, & quatre
cens Chevauxlégers
de Saint
- Ignon
, pour
attaquer
fix cens
Cavaliers
Pruffiens
, qui étoient
à Hart -Mansdorff
.
Le 20 à quatre
heures
du matin
, notre
détache
ment fe trouva en vue de ce Poſte. Les ennemis (e
défendirent avec beaucoup d'opiniâtreté , mais
enfin ils furent mis en déroute . On leur prit deux:
Lieutenans , cent quatre-vingt- huit Soldats & centquarante
huit Chevaux ,
Pendant que le fieur de Knefowitsch exécutoitfon
attaque , le Général de Laudon avoit fait
avancer vers Schmideberg entre Einfidel & Landshut
deux cens Cavaliers du Régiment de Rodolphe
Palfy & trois cens Croates . Le Colonel Petzinger
, qui étoit à la tête de ce fecond détache-.
ment , fit auffi prifonniers un Capitaine , un Lieutenant
& cinquante & un Soldats des troupes,
battues par le fieur Knefowitsch.
De HAMBOURG , le 4 Juillet .
On commence à fe flatter que la Députation :
envoyée par notre Sénat à Versailles , pour y folliciter
le rétabliffement des priviléges dont notre
commerce jouilloit en France , obtiendra fa des
mande..
182 MERCURE DE FRANCE.
Le Baron de Lantingshaufen , s'étant démis du
Commandement des troupes Suédoiſes , fera remplacé
par le Lieutenant Feld-Maréchal Ehrenschwerd
. Ces troupes n'attendent , pour le mettre
en mouvement que l'arrivée de leur nouveau Gênéral
. Elles font actuellement fous les Ordres du
Général- Major Lubeker.
Il
Suivant les nouvelles reçues de la Pomeranie audela
de l'Oder , le Feld - Maréchal Butturlin arriva
le 13 à Potnan avec l'Etat Major de l'Armée Ruffe .
y trouva la divifion du Knès Gallitzin , qui avoit
déjà patié la Warta . La divifion du Général Fermer
s'étoit rendue quelques jours auparavant dans les
environs de Sirakow . A la date de ces nouvelles ,
le Knès Dolgoroucky & le Comte de Czernichew ,
avec les Corps qu'ils commandent, étoient campés ,
le premier à Ulcie , le fecond à Wroncky. Les
troupes légères de cette Armée pouffent des détachemens
jufqu'à Frauftadt & à Liffa .
1
On mande de Stokholm , qu'on y a vû , dins
toute fon étendue , le Paffage de Vénus fous le
difque du Soleil . Ce phénomène a été observé , en
préfence de la Reine & du Prince Royal de Suéde ,
par les fieurs Wargentin , Klingentierna & Wilke.
Comme le Soleil , au moment de l'entrée de Vénus
étoit fort voifin de l'horiſon , on n'a pû s'afſurer du
premier contact avec la derniere exactitude . On a
cependant jugé qu'il s'eft fait à trois heures ,
vingt- &-une minutes , trente-fept fecondes. Les
Obfervateurs ont unanimement déterminé à trois
heures , trente - neuf minutes , vingt- trois fecondes
l'inftant de l'entrée totale. Suivant le fieur Wargentin
, qui fe fervoit d'une lunette de vingt pieds ,
le contact intérieur eft arrivé à neuf heures
trente minutes , huit fecondes. Le fieur KlingensAOUST.
1761 . 183
tierna , qui obfervoit avec une lunette de dix pieds ,
conftruite felon les principes du lieur Dollond , l'a
vû trois fecondes plus tard . La fortie totale a été
vue par le fieur Wilke avec un télescope Newtonien
de deux pieds , à neuf heures , quarante-fept
minutes , cinquante neuf fecondes ; par le fieur
Klingenfierna , à neuf heures , quarante- huit minutes
, fix à huit fecondes ; par le fieur Wargentin ,
à neuf heures , quarante- huit minutes , neuf fecondes
.
De DRESDE , le 2 Juillet.
Un Courier de Warfovie a rapporté que le Duc
de Courlande étoit prefque rétabli , mais que le
Prince Clément étoit retombé malade.
De RATISBONNE , le 28 Juin .
Le Baron de Plotho , qui doit affifter au prochain
Congrés , en qualité de premier Plénipotentiaire
du Roi de Prule , n'attend que l'arrivée du fieur
Hafeler en cette Ville , pour prendre la route
d'Aufbourg.
De NUREMBERG , le 5 Juillet .
Une partie de la Thuringe eft occupée par le
Corps des troupes Françoifes & Saxones que
commande le Comte de Luface. Ce Prince fit
entrer le 15 du mois dernier , un détachement
dans Eifenach . Le 21 , il alla reconnoître les environs
de Mulhaufen & de Langenfaltza .
Suivant le rapport des Déferteurs Pruffiens ,
je
Commandant de Léipfick a demandé aux Bourgs
& Villages yoifins le reftant des contributions qui
leur ont été impofées. Les habitans qui n'ont
184 MERCURE DE FRANCE.
pas encore acquitté la taxe mife fur les fenêtres
font exécutés militairement.
Le bruit fe répand que vingt- cinq mille Ruffes,
ont pénétré dans la Silésie , entre Brieg & Troppau.
L'Armée de l'Empire continue de s'avancer vers:
Drefde. Elle dirige la marche par Freyberg. Ses .
mouvemens font rallentis par la difficulté des
fubfiftances , les ennemis ayant enlevé ou détruit
celles qui fe trouvoient dans la Thuringe & dans .
le Voigtland. Le Général Navendorffs'eft porté à
Romebourg avec le Corps qu'il commande.
Les nouvelles de Léipfick portent que les Pruf
fiens у conftruifent divers Ouvrages extérieurs.
Le Prince Henri a fait tranſporter une partie de
fes magasins à Wittemberg, Il a détaché le Colo-.
nel Colignon vers Quedlinbourg avec trois cens:
hommes & de l'Artillerie..
De MADRID , le 23 Juin.
On apprend de Lisbonne qu'il n'y a plus aucun
Jéfuite dans les Colonies Portugaifes . Cent qua
rante Prêtres ou Freres Coadjuteurs de, cette So--
ciété qui étoient reftés tant au Bréfil qu'à Goa ,
ayant été embarqués pour être tranfportés en Europe
, feize font morts du Scorbut pendant la
Navigation. La plupart des autres font arrivés en
Portugal , attaqués de la même maladie. Dès qu'iis
feront guéris , on les fera paffer à Civitavecchia.
On a appris depuis , que cinquante- neuf de ces
mêmes Jéfuites font déjà partis fur un Navire Da
mois pour l'Italie ,
De ROME , le 23 Juin
Par ordre de Sa Sainteté , on a commencé des 2.
AOUST. 1761 . 185
prières publiques dans toutes les Eglifes de cette
Ville , pour demander à Dieu la cellation des
pluyes.
"
Regnier Delci , Cardinal Evêque d'Oftie & de
Veletri , Abbé de l'Abbaye de Sainte Sabine , Préfident
de la Congrégation de l'Immunité ,& Doyen
du Sacré College , mourut hier en cette Ville
généralement regretté. Il étoit Nonce à Paris ,
lorfque dans le mois de Décembre 1737 , le Pape
Clément XII. l'honorà de la Pourpre. Ce Cardinal
étoit né à Sienne le 7 Mars 1670. Le Cardinal
Spinelli eft actuellement Doyen du facré Collége..
De LIVOURNE , le 7 Juillet,
Par un Vaiffeau arrivé de l'Archipel , on eft
informé que la Macédoine , depuis deux ans af
fligée tantôt de la pefte & tantôt par d'affreux
tremblemens de terre , fouffre maintenant tou
tes les horreurs de la plus cruelle famine,.
De GENES , le 24 Juin.
Le 15 , le fieur de Neuilly , ci -devant Envoyé
Extraordinaire & Miniftre Plénipotentiaire du Roi
de France auprès de la République , partit pour
retourner en France .
Les Lettres de la Baftie marquent que les Cor
fes rebelles vont mettre en mer deux Galioees
, conftruites l'une à San-Fiorenzo , & l'autre
à Paludella. Chacun de leurs Chefs de familles .
s'eft engagé à contribuer de la trentième partie
de les biens pour mettre Paoli en état de foutenir
la guerre. Ils ont fait pendre cinq perfonnes qu'ils.
Loupçonnoient d'avoir des intelligences avec less
Commiffaires du Sénat,
186 MERCURE DE FRANCE.
De LONDRES , le 4 Juillet.
Le départ de la Flotte deftinée à la feconde.
expédition eſt ſuipendu ; & les Troupes qui devoient
s'embarquer pour l'Allemagne , ont reçu
contre-ordre. Le Peuple continue de fupporter
fort impatieminent la nouvelle taxe mife fur la
bierre . S'étant affemblé ces jours derniers dans
divers quartier s il pilla les caves de quelques
Braileurs & Cabaretiers. On brûla l'éf
figie de la perfonne que l'on fuppofe avoir fuggéré
au Parlement l'idée de cette impofition , &
la Garde de la Tour eut peine à diffiper les mutins
. Cette fermentation n'eft pas bornée à la Capitale
; il y a eu de femblables émeutes en différentes
Villes.
Des lettres dernierement arrivées de la nou
velle Yorck annoncent le départ d'une Elcadre
chargée de quatre mille hommes de débarque
ment. On prétend que ces Troupes vont prendre
poffeffion des Iles neutres. Suivant les mêmes
avis , les Chiroquois commettent toujours beaucoup
d'hoftilités .
Un Aftronome , établi à Saint Neots , dans le
Huntingdonshire , prétend avoir reconnu le Satellite
de Vénus, en obfervant le paffage de cette
planette fur le difque du Soleil . Selon ce favant ,
l'émerfion de Vénus fe fit à huit heures , trente &
une minutes , & le Satellite ne fortit du difque
qu'à neuf heures , neuf minutes , temps moyen.
Le 9 du mois dernier , on fentit à Shaftesbury
& à Sherborn une fecouffe de tremblement de
terie.
De la HAYE , le 3 Juillet.
Le Général Yorck , Envoyé Extraordinaire du
AOUST. 1761 . 187
Roi de la Grande- Bretagne auprès de cette République
, revint de Londres le 20 du mois der-,
nier. Ce Miniftre a conféré le 27 avec le Préfi-,
dent de l'Allemblée des Etats - Généraux . On dit
que fon départ pour Ausbourg fera précédé d'un
nouveau voyage en Angleterre. Le fieur de Kauderbach
, Miniftre du Roi de Pologne , Electeur
de Saxe , près de Leurs Hautes Puillances , & un
des Miniftres Plénipotentiaires de ce Prince au
prochain Congrès , eft fur fon départ , pour s'y
rendre.
FRANCE.
Nouvelle de la Cour , de l'Armée , de
Paris , &c.
De VERSAILLES , le 16 Juillet 1761 .
LERci a nommé le Chevalier de Sainte -Croix
Maréchal de Camp . Cet Officier a été reçu à la
Cour avec toutes les marques d'eftime dues à la
valeur & à l'habileté , avec lefquelles il a défendu
Belle-Ifle .
f
Le 4 de ce mois , Leurs Majeftés & la Famille
Royale fignerent le Contrat de mariage du Mar
quis de Boille & de Demoiſelle de Balompiere.
On a reçu avis que Madame Adelaide & Ma
dame Victoire étoient arrivées à Plombieres .
Le 14 , le Roi tint le Sceau .
Le même jour , l'Abbé de Saint Hubert fur
préfenté à Sa Majesté par le Duc de Choifeul ,
Miniftre & Secrétaire d'Etat , avant le départe
ment des Affaires Etrangeres & de la guerre .
Sa Majefté a élevé au grade de Lieutenant - Gé;
188 MERCURE DE FRANCE.
néral des Armées Navales , le Comte d'Aché ,
Chef d'Efcadre.
Elle a accordé au Comte Dubois de la Mothe
Lieutenant-Général des Armées Navales , Grand-
Croix , furnuméraire de l'Ordre Royal & Mili
taire de S. Louis , une dignité effective de Grand-
Croix de cet Ordre , avec la penſion de fix mille
livres.
Il a été expédié au Chevalier de Perfan , ci -devant
Mestre de Camp Lieutenant du Régiment:
Colonel - Général Cavalerie , des lettres de fervicé
pour l'Armée du Bas-Rhin , en qualité de Mef
tre de Camp. Sa Majesté lui a donné le Commandement
en fecond du Régiment de Cavalezie
de Vogué.
L'Evêque de Senlis a préfenté au Roi , à la Rei-.
ne , & à la Famille Royale , l'Oraiſon Funébre de
La Reine d'Espagne.
Le fieur Buy de Mornas a préſenté auffi à Leurs
Majeftés , ainfi qu'à la Famille Royale la premiere
partie de l'Atlas Méthodique élémentaire de Géographie
& dHiftoire .
De l'Abbaye de HARDEN-HAUSEN , le
29 Juin.
L'Armée du Roi , commandée par le Maréchal
Duc de Broglie , s'eft rendue hier à Brune. Après
une marche de plus de fix lieues , le Vicomte de
Belfance avoit été envoyé le matin fur Warburg
avec fon avant-garde , les ennemis ont détendu
leur Camp à fon approche , ont demeuré fous
les armes toute la journée , & fur le foir ont canonné
affez vivement les Troupes qui avoient
au ordre d'entrer dans les Villages de Wormel &
Jormetté , pour fuivre l'ennemi s'il fe retiroit , ou ,
l'attaquer le lendemain matin , s'il demeuroit
dans fon Camp..
AOUST. 1761. 189
Aujourd'hui , l'Armée s'eft miſe en marche à
cinq heures du matin. Comme le Maréchal de
Broglie alloit monter à cheval , le Vicomte de
Belfunce lui a envoyé dire que les ennemis étoient
partis , & qu'il fe mettoit à leur fuite.
Le Maréchal de Broglie a fait paffer la Dymel
à fon Armée & l'a fait camper à Scherffede. Il
' s'eft avancé enfuite jufqu'à Kleinberg , où il a
trouvé le Vicomte de Belfance , qui venoit d'attaquer
l'arriere- garde des ennemis , & qui avoit
fait deux cens prifonniers , & pris douze piéces
de canon de parc , ou obufiers , prefque tous de
gros calibre. Les ennemis furent fuivis jufqu'au
pied du Village de Willebadem. Tout le Corps
du Général Sporken s'y étoit mis en bataille. On
a appris des deferteurs, qu'il étoit compolé de dix-
´´huit Régimens , dont treize d'Infanterie & cinq
de Cavalerie , fans compter les chaffeurs & les
troupes légères ; ce qui faifoit quatorze à quinze
mille hommes , non- compris le Corps de Luck
ner , qui a repaffé le Wefer , & eft de quatre ou
cinq mille. Sans la fatigue des Troupes & l'exceffive
chaleur qu'il faifoit , on auroit profité davantage
du défordre dans lequel le Corps du
Général Sporcken a été mis par cette attaque.
Sur la fin de la journée , le Maréchal de Broglie
a reçu une lettre du Comte de Chabo , qui
lui mandoit qu'il avoit faivi l'arriere-garde du
Corps de Luckner jufqu'à Beverunge , où il avoit
trouvé les équipages de ce Corps , qui n'avoient
point encore paffé le Wefer. Ils ont tous été pillés
; on a tué ou pris beaucoup de chevaux , & fait
quelques prifonniers. Un autre détachement du
Comte de Chabo , s'eſt auſſi emparé du Château
de Dringelbrock , & a pris trois piéces de canon
dans le vieux Camp.
190 MERCURE DE FRANCE.
Du Camp d'UNNA , le 2 Juillet.
Le 27 du mois dernier , un détachement aux
ordres du Marquis de Voyer marcha pour favorifer
une reconnoidance fur Soeft , & pour couvrir
un fourage que l'avant - garde , commandée par
le Prince de Condé devet faire du côté deVerle.
Ces deux objets ont été parfaitement remplis.
L'un & l'autre exigeoient qu'on s'emparât de
Verle , ou du moins qu'on mafquât ce pofte , qui
étoit défendu par de l'Infanterie Angloife , & par
une partie des Troupes légères des Alliés . Après
qu'on eut repoullé fur Soeft les Troupes légères ,
deux colonnes d'Infanterie & la Cavalerie de notre
détachement ayant dépaflé Verle , le Marquis
de Voyer crut que trois cens hommes d'Infanterie
Angloife , qui y étoient reftés , n'entreprendroient
pas de s'y maintenir .
En conféquence , il ordonna les difpofitions néceflaires
pour attaquer la Ville où on entra effectivement
; mais les Anglois s'étant renfermés dans
le Château , le Marquis de Voyer fe contenta de
les faire fommer , ne jugeant pas à propos de les
y attaquer , vû l'inutilité de l'objet , & l'inutilité
encore plus grande d'engager un combat inégal
, fi l'ennemi, comme il le pouvoit , s'étoit
avancé en force , pour les fecourir.
Nous n'avons eu que deux hommes tués & quatorze
bleflés . A l'activité avec laquelle notre Artillerie
a été fervie , on juge que la perte des ennemis
doit avoir été plus confidérable.
Les Comtes de Melfort & d'Apchon , Maréchaux
de Camp , ont fecondé parfaitement les vues
du Marquis de Voyer.
L'Armée du Prince Ferdinand, qui s'étoit avanceé
au - dela de Verle , s'eft repliée cette nuit fur
Ham. Le Maréchal Prince de Soubile a fait un
AOUST. 1761 .
détachement confidérable , pour fuivre les ennemis
dans leur retraite .
On apprit alors que l'Armée du Maréchal de
Broglie étoit arrivée à Paderborn.
1
De l'Armée aux ordres du Maréchal Prince de Sou
bife , le 8 Juillet 1761 .
Les ennemis , après avoir fait plufieurs reconnoillances
& démonftrations qui paroiloient annoncer
un projet d'attaque , prirent le parti de
décamper la nuit du premier au ſecond de ce
mois Vers les quatre heures du matin , on vit
diftinctement leur armée en marche fur quatre
colonnes . Le brouillard épais , qui s'étoit élevé ,
ne permit pas de fuivre leur direction . Autli-tôt
que le Maréchal de Soubite en fut éclairci , il fit
marcher , aux ordres du Comte d'Apchon , Maréchal
de Camp , un détachement qui côtoya les
colonnes de l'ennemi le long du ruilleau de Sileck
lequel coule de Mainen à Luynen. Les ennemis
avoient quelques troupes dans les maitons endeça
du ruiffeau ; il les fit attaquer , les challa
avec perte de leur part , & leur fit des prifonniers.
Les Volontaires fe porterent au- dela du pont ,
que les ennemis avoient rompu en fe retirant ,
mais ils efiuyerent une décharge à bout portant ,
dont le fieur de Pedemont a été tué ; le fieur de
Clamoufle , bleflé & pris ; & le fieur de Poncet ,
du Régiment de la Couronne , failant les fonctions
de Major , tué. Le malheur de ces Officiers
eft d'autant plus grand , qu'il n'y a pas eu vingt
foldats tués ou bledés.
Le 3 , le Maréchal de Soubife fir marcher l'armée
; elle le mit en mouvement (ur les quatre
heures du foir , & vint camper a Hemerden , où
elle arriva avant la nuit. Le lendemain matin ,
192 MERCURE DE FRANCE.
pendant qu'elle continuoit fa marche fur Werle
le Marquis de Vogué , Lieutenant - Général , qui
commandoit l'arriere-gai de , fut attaqué de trèsbonne
heure par les troupes légères , & fucceff
vement par l'avant- garde de l'armée ennemie.
Il donna le temps à toutes les colonnes de déf
ler ; mais , comme il étoit ferré de près , le Maréchal
, en arrivant dans le voifinage du Moulin
-de Schaffaufen , fit arrêter l'armée , & commença
fa difpofition le long du Landwerd , qui barre la
plaine depuis le bois de Schaffaufen jufqu'au
Village de Buderick à une demie lieue de Verle.
En attendant , les brigades des Gardes , de Vaubecourt
, & de Briqueville , foutinrent l'arrièregarde.
Y ayant à craindre que les ennemis , qui
avoient beaucoup de canons , ne ſe rendiffent les
maîtres de la crête des hauteurs qu'ils cherchoient
-à gagner ; les brigades de Briqueville & de Vaubecourt
y marchérent , pour les prévenir. Le Marquis
de Vaubecourt trouva les ennemis au moulin
& au Château de Schaffaufen, où ils commençoient
-à fe retrancher ; il les fit attaquer par les bataillons
des Grenadiers & Chaffeurs des Régimens de Tourraine
, Gardes- Lorraine , Vaubecourt , Bretagne ,
Briqueville & Enghien . Malgré le canon à cartou
ches & les coups de fufil tirés avec avantage , tout
fut emporté , & l'on chaffa les ennemis jufqu'à la
plaine. On amena une trentaine de prifonniers ,
du nombre defquels étoit le fieur Bauer , Major ,
& Adjudant du Prince Ferdinand.Nous avons perdu
à cette attaque le fieur de Blanville, Lieutenant-
Colonel du Régiment de Bretagne , qui eft fort regretté
, & une trentaine de foldats tant tués que
bleifés. La brigade des Gardes a foutenu le canon
avec toute la fermeté qu'on peut defirer. Tandis
que cette petite action le palloit à notre gauche
l'armée fe mettoit en bataille derriere le Landwerd
AOUST. 1761. 156
Werd, I'lnfanterie en premiere ligne , la Cavaleris
derriere notre droite , & la Maifon du Roi en réferve
au centre de la Cavalerie .
Les , vers les huit heures du matin , l'armée
des ennemis parut en pleine marche , pour venir
nous attaquer: leurs colonnes fe diviferent de droite
& de gauche , & elles entrerent dans les bois de
notre gauche & du centre par différens débouchés.
Notre artillerie tira , & fuivant le rapport des déferteurs,
fit beaucoup d'effet. Sur le midi, les ennemis
femblerent s'arrêter & changer leurs difpo
fitions ; ils firent des marches & des contre - marches
, & finirent par reprendre le même camp à
Hemerden. Dans la matinée du 6 , le Maréchal
de Soubife fit ouvrir des marches du côté de Soeft ,
& détermina le départ de l'armée au coup de retraite.
Au moment qu'elle alloit commencer à s'ébranler
, le Maréchal de Broglie arriva de fa perfonne
au camp. L'armée fe mit en marche à neuf
heures , & elle arriva fur les hauteurs de Rhumen
à la pointe du jour. Dès qu'on a pû diftinguer les
objets , on a découvert l'armée des ennemis , marchant
fur deux colonnes , dont la tête dépaffoit
Werle, & qui paroiffoit fe diriger vers Soeft. Pour
empêcher que les ennemis ne prévinffent à Soeft
l'armée du Roi , le Maréchal de Soubife fit continuer
la marche , & l'armée eft venue camper fur
hauteurs de cette Ville. Les ennemis camperent
de leur côté , la droite près de Werle , & la gauche
dans la direction de leur marche , mais pa
roiffant fe rapprocher de Hame .
Les avant-gardes de l'armée du Maréchal de
Broglie étant arrivées tant à Soeft qu'aux environs,
la jonction des deux armées fe trouve faite.
De PARIS , le 11 Juillet.
Madame Sophie & Madame Louiſe vinrent à
I
194 MERCURE DE FRANCE.
Paris , le 6 de ce mois , pour la premiere fais. Ces
Princeffes , étant arrivées vers midi & demi à l'E¬
glife Métropolitaine , furent reçues à la porte par
l'Archevêque , qui étoit à la tête du Chapitre , &
qui leur préfenta l'eau benite . Après avoir entenda
la Meffe à la Chapelle de la Vierge , elles allerent
faire leur priére à l'Eglife de Ste Geneviève . Elles
fe rendirent enfuite au Château de la Meute , où
elles dînèrent. L'après-midi, elles revinrent fe promener
fur le Boulevard , & le foir , elles retour
nerent à Versailles.
CATAFAL QUE.
On célébra le 9 de ce mois , dans l'Eglife Métropolitaine
de cette Ville , le Service folemnel
que le Roi avoit ordonné pour le repos de l'âme
de Marie- Amélie de Saxe , Reine d'Efpagne.
Le portail de l'Eglife étoit tendu de noir jufqu'au
cordon. Trois lez de velours , chargés de Fleurs de
Lys , de tours , de Grenades & de Larmes , & trois
grands Cartels , chargés des Armes & des Chiffres
de la Reine , ornoient cette tenture .
La Nef, pareillement tendue de noir , étoit décorée
d'Armoiries & de Chiffres dans toute fa lon-
On entroit dans le Choeur par une porte
gueur.
d'Ordonnance Dorique , compofée de quatre colonnes
ifolées fur un grand Socle. L'entablement
étoit couronné d'un Fronton, dont le timpan étoit
occupé par un Cartel en or , orné de Cyprès , au
milieu defquels on lifoit ce Vers d'Horace , Livre
1. Ode 24. MULTIS ILLA QUIDEM FLEBILIS
OCCIDIT . Elle meurt digne des regrets de plufieurs
Nations. L'Acrotere au - dellus du Fronton portoit
un grand Cartel aux Armes d'Espagne , foutenu
par deux Lions , & groupé à des branches de palmiers.
Une Ordonnance Ionique , compofée , dans le
AOUST. 1761 . 195
pourtour, de quinze arcades & de vingt-deux pilaftres
placés fur un grand foubatlement , & couronnés
d'un Attique , formoient la décoration intérieure
du Choeur.Le foubaffement étoit décoré d'un
lez de velours , qui étoit à la hauteur du plafond
des Stalles , & qui portoit par des tréfles un filet
de lumiere . Dans la frife de l'entablement étoit un
autre lez de velours , dont les lumieres , pareillement
en filet , étoient fur la Corniche. Un troifiéme
lez régnoit au - deflus de l'Attique , & étas?
également garni d'un filet de lumiere produit pa
des Fleurs de Lys en or . Les pilaftres étoient en
marbre vert campan , & les chapiteaux en or , de
même que les bafes , fur le devant defquelles é
toient des gaînes d'albatre portant des lumieres en
girandoles. La clef de chaque arcade étoit décorée
d'un Cartel de marbre blanc furmonté de lumieres
, & chaque Cartel contenoit une Tête de Mort
aîlée en or , coëffée d'un voile lacrimatoire en argent.
La Douceur , la Force , la Tempérance , la Piété
, la Prudence & la Charité , veitus caractériſtiques
de la Reine , étoient repréſentées en médaillons
de lapis lazuli. Les quatre premiers ornoient
Fentablement aux deux côtés de l'Autel :.
les deux autres étoient placés fur le même entablement
aux deux angles du Jubé.
Le Catafalque étoit à l'entrée du Choeur fur une
eftrade , dont le plan étoit un quarré long. On y
montoit de chaque côté par fix marches . Les angles
de cette eftrade fervoient de bafes à des Socles
, d'où s'élevoient huit colonnes groupées à
des corps folides. Ils fupportoient enfemble nn
entablement auffi riche que pouvoit le permettre
l'Ordre Ionique dont le Catafalque étoit compofé.
Une Figure de marbre en ronde boffe , repré-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
fentant l'Espagne en pleurs , tenant un fceptre ,
allile fur des drapeaux , appuyée fur une cuiraffe ,
& fur le cafque royal, & accompagnée d'un lion
à demi couché , étoit placée ſur l'eftrade en face
de la porte.
>
Du côté , qui regardoit l'Autel , étoit une autre
figure de femme , auffi en marbre & de femblable
grandeur. Elle étoit vêtue & coeffée à la maniere
des Indiens & elle s'appuyoit fur deux
boucliers , chargés des divers . fymboles qui caractérisent
les Indes Orientales & Occidentales.
Le Lion d'Eſpagne marchoit fur ces boucliers ,
pour indiquer les Provinces que Sa Majeſté Catholique
pofféde dans ces vaftes pays.
Sur l'eftrade , dans le milieu du Catafalque , on
découvroit un Socle , quarré long , en porphire
vert , dont chaque face préfentoit un Cartel renfermant
les Armes & la Couronne de la Reine attachées
par des guirlandes de Cyprès. Ce Socle .
avoit des avant-corps , où pofoient les griffes de
Lyons qui fervoient de fupport au Cenotaphe.
Tout le Catafalque étoit couronné d'un riche
Pavillon furmonté de huit aigrettes & plufieurs autres
ornemens.
L'art avec lequel les lumières étoient diftribuées
dans toutes les parties de cette décoration ;
l'éclat des dorures & des bronzes ; la variété des
couleurs des marbres alliées avec choix & avec
harmonie , formoient un enſemble également
majestueux & bien entendu.
9
Le Roi avoit nommé pour Princeſſes du deuil ,
Madame la Dauphine , Madame Sophie & Mame
Louife , & pour conduire ces Princeſſes , Monfeigneur
le Dauphin , le Duc de Chartres & le
Comte de la Marche. Ces Princes & Princeſſes s'étoient
rendus à l'Archevêché , où le Marquis de
Dreux , Grand-Maître , & le feur Defgranges ,
'
AOUST. 1761. 197
:
Maître des Cérémonies , allerent les prendre.
Madame la Dauphine , & Mefdames , menées
par Mgr le Dauphin , par le Duc de Chartres &
par le Comte de la Marche , entrerent par la
grande porte du Choeur . Ils furent placés dans
les Stalles hautes , Madame la Dauphine & Mefdames
, du côté de l'Epître ; Mgr le Dauphin &
les Princes , du côté de l'Evangile.
>
Lorfque les féances furent prifes , l'Archevêque
de Paris célébra pontificalement la Melle. A l'Offertoire
, & après les faluts ordinaires faits par les Hérauts
d'Armes & par les Officiers de Cérémonies
Madame la Dauphine & Mefdames allerent à
l'offrande. Madame la Dauphine , dont la queue
de la Mante étoit portée par les Comte de Mailly,
de Bethune , & de Civerac , fut menée par Mgr
le Dauphin. Madame Sophie fut menée par le
-Duc de Chartres , la queue de la Mante de la
Princefle étant portée par le Marquis de L'hopital
, par le Comte de Vaulgrenant , & par le
Comte de Saulx. Madame Louiſe fut menée par
le Comte de la Marche , & la queue de la Mante
de la Princeffe fut portée par le Marquis d'Aubeterre
, & par les Comtes de Durfort & de Biron.
Après cette Cérémonie , l'Evêque de Senlis
prononça l'Oraiſon Funébre. Il prit pour texre
ces paroles du Livre des Proverbes , Chap . 4. Verfet
18. JUSTORUM AUTEM SEMITA , QUASI
LUX SPLENDENS , PROCEDIT ET CRESCIT
USQUE AD PERFECTAM DIEM . Les traces
lumineufes , dont eft marquée la route des Juftes ,
femblables d'abord à l'Aurore redoublent fans
ceffe leur éclat , jufqu'au grand jour de l'Eternité.
Profitant de tout l'avantage qu'on pouvoit tirer
de ce texte , l'Orateur a montré » que la Reine
» d'Eſpagne , dès fa plus tendre jeuneſſe , a donné
» les efpérances les plus flatteufes , && qquuee ,, fem
9
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
blable à l'Aurore , elle a annoncé les plus
» beaux jours ; que , lorfqu'elle fut parvenue au
comble des grandeurs humaines , une raiſon
>> mure , des fentimens fermes & élevés , une
» égalité conftante dans les moeurs , juftifiérent
»fes progrès, enfin , qu'au milieu des plus grandes
épreuves elle a fait voir cette abondance de
>> vertus cette plénitude de force & de fageffe ,
» qui forment le caractère dictinctif des Héros
» de la Religion . » La premiere partie du Difcours
offrit un tableau dans lequel les heureufes difpofitions
de la Princeffe de Saxe étoient rendues
avec autant de nobleffe que de variété . Dans la
feconde partie , l'Evêque de Senlis fit une vive
peinture de l'exactitude de la Reine d'Espagne à
remplir tous les devoirs qu'impofe le rang (aprême
; de la fermeté d'efprit & de courage de cette
Princeffe ; de fon zéle pour la Religion ; furtout
de fa piété conftante . La troifiéme Partie fut
une expreflion touchante des afflictions que la
Rene d'Elpagne a éprouvées dans les dernieres
années de fa vie . Le Pathétique de cette derniere
Partie termina dignement un Difcours dans
lequel tout a répondu à la grandeur du Sujet.
Le Clergé , le Parlement , la Chambre des
Compres , la Cour des Aides , l'Univerfité , & le
Corps de Ville , ont affifté à ce Service , y ayant
été invités de la part du Roi par le Marquis de
Dreux , Grand- Maître des Cérémonies.
La pompe funebre a été ordonnée par le Duc
de Fleury , Pair de France , premier Gentilhomme
de la Chambre , & a été conduite par le fieur
de Fonpertuis , Intendant des Menus Plaifirs du
Roi, fur les deffeins du fieur Michel -Ange Slodtz ,
Deflinateur Ordinaire de la Chambre & du Cabinet
de Sa Majesté .
AOUST. 1961 . 199
MORTS.
Meffire Emmanuel de Parthenay, connu dans la
République des Lettres par une Traduction Latine
du difcours du célébre Boffuet fur l'Hiftoire Univerfelle
, mourut à Paris , le 233 Juillet, dans la maifon
des Chanoines Réguliers de Sainte- Croix de la
Bretonnerie , âge de 96 ans . Il avoit été Aumônier
de feue Madame la Ducheffe de Berry .
Dame Charlotte-Louife Dubois de Siennes Olivier
de Leuville , époufe du Marquis de Poyanne ,
Lieutenant-Général des Armées de Sa Majeſté ,
Infpecteur général de la Cavalerie & des Dragons,
& Commandant du Corps des Carabiniers , mourut
à Paris le 10 , âgée de trente trois ans.
Dame Marie- Claire Edmée de Mégrigny d'Aunay
, veuve de Meffire Louis le Pelletier de Roſambo
, Préſident du Parlement , eft morte , le même
jour , au Château de Madrid , près Paris , dans la
quarante- troifiéme année de fon âge.
Meffire Charles- Denis-Jacques de Beaupoil de
Saint- Aulaire , Archidiacre & Vicaire Général de
Poitiers , Abbé de l'Abbaye de la Réole , Ordre de
Saint Benoît , Diocèfe de Tarbes , & un des Aumôniers
du Roi , eft mort à Lucienne le 12 , âgé
de trente- neuf ans.
On a appris que le Comte de Cuftine , Colonel
en fecond de la Légi n Royale , a été tué le 29
du mois de Juin , à l'attaque des Troupes commandées
par le Général Sporcken.
EVENEMENS SINGULIERS.
De RUSSIE , le 4 Juillet 1761 .
Il y eut le mois dernier un grand incendie à Péterbourg.
Malgré la promptitude des fecours
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
qu'on a apportés , fept cens maifons & pluſieurs
Eglifes ont été la proie des flâmes.
D'ALLEMAGNE , le 2 Juillet.
Selon les Lettres de Croatie , plufieurs Pâtres
des environs de Ségna s'étant raffemblés au pied
d'une montagne couverte de bois , firent pour fe
chauffer , un grand feu de branches d'arbres . Malheureufement
il foufloit un vent violent . La flâme
gagna quelques chênes voifins ; & l'incendie fe
communiquant de proche en proche , plus de dix
mille arpens furent réduits en cendres. Un grand
nombre de Loups , chaffés de leurs retraites , fe
font répandus dans les campagnes , où ils caufent
beaucoup de ravages . Les mêmes Lettres marquent:
qu'ils s'eft fait dans un rocher une ouvertute de
is pieds de hauteur fur dix de diaméttre , & qu'il
I en eft forti un torrent de matiére bitumineuse &
partie métallique , qui , s'étant durcie à meſure
qu'elle s'éloignoit de la fource , a formé une maſſe
de huit à neuf cens quintaux,
Les nouvelles de Munich portent que , le du
mois de Juin , on y effuya l'orage le plus terrible
pendant plus de trois quarts d'heure : il tomba
une grêle dont plufieurs grains pefoient jufqu'à
vingt- quatre onces. Le bruit qu'elle faifoit fur les
toits, empêchoit d'entendre le fon des cloches, Les
édifices qui ont le plus fouffert , font le Palais Electoral
, l'Hôtel des Erats , l'Eglife 'des Auguftins ,
& le Collége des Jefuites .
Dans une très -grande étendue de Pays , les campagnes
, entiérement ravagées , n'offrent plus
qu'un fpectacle qui fait frémir.
On mande d'Erfurth, qu'il y eut dans cette Ville,
le 6 du même mois , un grand orage accompa--
gné de tonnerre : la foudre tomba dans le Labo-
Jato re du Fort de Petersbourg , & mit le feu à
AOUST. 1761 . 201
de's artifices , à des grenades chargées & à de la
poudre à canon , dont l'explofion fit fauter une
partie du Bâtiment. Au Village de Sommerda ,
près de cette Ville , le tonnèrre réduifir en cendres
dix Maiſons & d'autres Bâtimens..
GRANDE - BRETAGNE.
De LONDRES , le 18 Juillet. ·
Le 25 Juin , il y eut à Portſmouth le plus vio
lent orage de tonnèrre & de pluie qu'on ait encore
vû de mémoire d'homme . L'abondance extraor
dinaire de la pluie avoit fait monter les eaux,
plus de deux pieds perpendiculairement au-deffus
du niveau des boutiques ; de forte que le bas des
maiſons a été enſeveli dans les eaux pendant plu
fieurs heures ; ce qui a été fuivi d'un dommage :
confidérable.
On écrit de Wolfey , près de Wells , que des.
ouvriers qui travailloient à une carrière au come
mencement de ce mois , découvrirent un fquelette
humain d'une grandeur extraordinaire , qui
étoit enterré à trois pieds de profondeur , & dont
une grande partie tomba en pouffière dès qu'il
fut expofé à l'air . Ce qu'il y a de très- fingulier ,
c'eft que l'os de la machoire s'eft confervé entier ,
auffi- bien que les dents qui font très- grandes &
nullement altérées .
Il y a quelques jours qu'une Juive accoucha de
quatre enfans , deux garçons & deux filles , dons :
elle fut délivrée heureufement dans l'efpace de ::
deux heures.
Un Matelot , qui avoit dépenfé le peu d'argentqu'il
avoit gagné , fe préfenta à une auberge à
Greenfwich , & demanda la permiffion d'y paffer .
la nuit. Comme on refufa de le recevoir , ce male.
heureux alla fe pendre de défefpoir.
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
Le7 du mois d'Avril , M. Boolh , habitant d'Anapolis
à Maryland , ayant laiffé pour quelques
jours fon habitation , un Négre , qu'il avoit acheté
T'année précédente , attaqua une Négreffe qu'il
affomma ; il en voulut faire autant à un jeune
Négre qui s'échappa par la fuite. Le Négre alla
enfuite dans l'appartement de fa Maîtrelle qu'il
mallacra auffi , & il coupa la tête avec une hache
à un enfant de M. Booth , qui n'avoit que trois
ans , & qui dormoit dans fon lit. Après cette fanglante
exécution , ce furieux alla fe pendre luimême
à un arbre. On ne lui fuppofe aucun autre
motif pour s'être porté à ces cruautés horribles ,
que le défefpoir de la fervitude.
De FRANCE , le 11 Juillet.
La nommée Bertrande Dupuy eft morte , le 7
du mois dernier , au Village de Tachoires , Diocèſe
d'Auch , dans la cent neuviéme année de fon
âge.
2
Le z de Juillet , quatre Bâtimens , dont un portoit
Pavillon Anglois , ayant paru dans les Vazes à
une lieue de la Côte , entre celles de Beauvoir &
de l'Ifle de Bouin , quelques Compagnies des Bataillons
Gardes - Côtes de Beauvoir & de Bouin y
marchérent fur trois Corps, la bayonette au bout du
fufil, ayant de l'eau jufqu'au genou, & s'emparérent.
du Bâtiment qui portoit Pavillon Anglois , nommé
le Pitt , monté de 10 pierriers chargé à cartouche
, & de 24 hommes d'équipages. Il avoit
été détaché de la flotte ennemie qui eft à Belle-
Ifle fous le commandement d'un Enfeigne & fecond
Maître du Vailleau be Dragon de 70 canons
de la flotte de Belle - Ifle , & il avoit pris trois
chaffe-marées François qu'on a repris fur lui en
cette occafion , fçavoir la Sainte Barbe de l'IleAOUST.
1761. 203
Dieu , chargée de vins de Bordeaux , la Marie
Magdelaine Capitaine le Cadre de Penerf chargée
de brai & de gaudron , l'aimable Angélique de
PenerfCapitaine Perderel, chargé de vins de Bordeaux
.
Les Officiers prifonniers Anglois ont été conduits
aux Sables par les ordres de M. le Comte de
Carcado , Maréchal de Camp , Commandant du
Poitou.
Meffieurs de Ste Géneviéve étant dans la néceffité
de faire quelques réparations dans leur Bibliothéque,
& voulant pour cela profiter de la belle
faifon ; M. Mercier, Blibliothécaire , avertit les Gens
de Lettres que cette Bibliothéque fera fermée depuis
le Samedi 25 Juillet jufqu'après la Touffaint,
& qu'alors elle fera ouverte à ceux qui voudront
y étudier les Lundis , Mercredis & Vendredis après
midi.
SUPPLEMENT à l'Article des Sciences
& Belles- Lettres.
น HISTOIRE NATURELLE.
LETTRE de M. JAUS SIN, Maitre Apo
ticaire à Paris , & ancien Apoticaire
Major des Armées du Roi , à M. de
B.... ancien Commiſſaire des Guerres.
JEE vois avec plaifir , Monfieur , que les
moyens de vous occuper & de vous amufer
utilement au fond de votre Province
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
ne vous manquent jamais. Parmi toutes
les chofes agréables que vous me marquez
dans votre derniere lettre , il y en a
une furtout qui me flatte infiniment, c'eft
le projet que vous faites de venir paffer
ici toute la belle faifon de l'année prochaine.
Alors , ajoutez - vous , ” j'irai aug-
» menter dans les jardins de M. Royer le
» nombre des Amateurs de la Botanique.
C'est une Science , Monfieur , qui vous est
familière comme plufieurs autres , mais
dont vous ne vous parez point par modeftie
. Au refte , M. Royer que vous ferez
charmé de connoître plus particulierement
, eft un homme infatigable pour tâcher
de fe fignaler dans l'art important &
immenfe qu'il exerce . Ses jardins font
meublés & fe meublent continuellement
des plantes les plus rares . D'ailleurs leur
fituation eft dans un quartier fort riant ,
& où l'on refpire un air très falubre. *
Mais le croiriez-vous , Monfieur , non feulement
des Éléves en Chirurgie , en Pharmacie
& c , fréquentent ces jardins , ils
font encore vifités par de jeunes Dames
& des Demoiselles du premier mérite ,
qui viennent y apprendre à connoître
les plantes & à les étudier férieufement.
Elles ne craignent point d'expofer. la
* Grande rue du Fauxbourg S, Martin , à l'Enfeigne
du Jardin des Plantes.
AOUST. 1761 205
délicateffe & la fraîcheur de leur teint
à l'ardeur du Soleil. Vous fçavez , Monfieur
, que ce Sexe enchanteur qui a
tant d'efprit , eft fait pour illuftrer les
Sciences & les beaux Arts qu'il cultive ,
comme pour orner tous les lieux qu'il honore
de fa préfence . Les Dames ont choifi.
le Mercredi & le Samedi , parce que ces ,
jours- là elles ont la libre jouiffance des
jardins aux heures qu'elles veulent ; on
leur diftribue auffi des Catalogues des
plantes. Au furplus , M. Royer cherche
tellement à fe perfectionner dans la Botanique
, que malgré fes pénibles & continuelles
occupations , il eft de la plus
grande exactitude à fuivre à la campagne
toutes les herboriſations & toutes les
leçons de l'illuftre M. de Juffieu. Il n'en
manque aucune , car il fe fait gloire de le
regarder & de le refpecter comme fon
Maître.
Je paffe maintenant , Monfieur , aux
éclairciffemens que vous me demandez
concernant quelques points de l'Hiftoire
Naturelle de la Corfe , où nous avons demeuré
enſemble fort longtems. J'en parle
amplement dans les Mémoires que je
donnai au Public fur ce Pays , il y a près
de trois ans . Vous les lirez à votre aiſe
*
* Deux volumes in-12 , de plus de 500 pages
206 MERCURE DE FRANCE.
l'hyver prochain que M. de Sainville
prendra la peine de vous les remettre de
ma part.
DETAILS abrégés de quelques parties de
l'Hiftoire Naturelle de la Corfe.
Vous n'ignorez pas , Monfieur , que
cette Ifle abonde en bains chauds admirables
& en fontaines minérales froides
& chaudes. Je vais commencer par vous
rappeller le fouvenir des principaux endroits
où on les trouve , & je parlerai
auffi de leurs propriétés . Cela vous démontrera
fi les Eaux minérales que vous
avez découvertes depuis peu dans votre
Terre , font les mêmes quant aux principes
, que celles dont je vais vous entretenir.
Selon ce que vous m'avez fait l'honneur
de m'en écrire , je pense que les
chofes font prefque égales.
1º. Dans la Province de Fiumorbo , il
ya , au lieu qu'on nomme Millacciaio
des bains merveilleux placés au milieu
2 chaque , dédiés à M. le Comte de Maillebois
Chevalier des Ordres du Roi &c. imprimés, en
1758 à Laufane , chez Boufquet , avec une Carte
Géographique de cette Ile auffi belle qu'exacte.
On les trouve ici chez Defaint & Saillant , Libraires.
AOUST. 1761. 207
de vaftes terres , & que la Providence
divine femble avoir niis là exprès pour
le falut commun de tous les habitans de
cette Ile . Les eaux de ces bains font
fulphureufes. Le même endroit a des eaux
d'une nature femblable qui font bonnes.
à boire.
C'eft le témoignage que lui ont rendu
les plus fameux Médecins de ce Pays
furtout , le Docteur Antonio Frediani qui
y fut très- célébre. Voici comment il s'en
explique ; car c'eft d'après lui que je viens
de parler. Loco dicto Millacciaio in Provincia
di Fiumorbo , in arva aperta adfunt
balnea mirabilia à divina Providentia
pofita , pro communi illarum incolarum
falute. Pariterque in eodemfuu funt
aquæ ejufdem natura fulphurea que ad
bibendum inferviunt.
on 2º. A Vico , pardelà les monts ,
trouve des bains de la même Nature, mais
dont néanmoins les eaux ne font pas fi
chaudes que celles décrites ci - deffus . Balnea
fulphurea , fed non tam calida ut fuprà
, dit encore le Docteur Frediani.
3°. On vante beaucoup dans la Piéve
d'Orezza , les eaux minérales de l'endroit
qu'on appelle Stazzona & qui font acidules
; elles contiennent du fer & du vitriol
, fuivant le Médecin Perfetti , qui
208 MERCURE DE FRANCE.
-
étoit auffi un autre Docteur Corfe fort
habile. Hoc loco , dit - il , fluit aqua repleta
minera vitriolacea atque martis.
de's
4°. Dans la Pieve d'Aleffani , il y a
eaux minérales acidules , dont les principes
font les mêmes que ceux contenus
dans les eaux de Stazzona ci- devant ci
tées.
20
5°. On en trouve auffi de pareilles à
Corte , Ville futuée au centre de l'Ifle . Mais
on y voit une merveille qui furprend
beaucoup , c'eft qu'il y coule une petite
riviere dont l'eau a la propriété de blan
chir le fer & de lui donner un éclat brillant
comme celui de l'argent , fans que
cette couleur s'éfface jamais . Ecoutons làdeffus
le Docteur Frediani : fed quod mirandum
eft ! alia aqua in illo loco fluit ,
quefubito ferrum albefcit , coloremque argenzeum
indelebilem illi præbet.Après avoir médité
fur ce phénomène , je ne doutai- point
que cette eau ne contînt quelques parties
mercurielles qui formoient une espéce
d'amalgamation avec le fer ; quoique ce
métail n'en foit pas beaucoup fufceptible .
Cependant je ne la crois pas impoffible; &
il paroît même que le profond Philofophe
& très-fameux Chymifte Becker en a con
nu les moyens. Au refte cette eau est tous
jours fraîche & excellente à boire,
AOUST. 1761 20.0
6. Les eaux d'Erza dans la Province de
Carpe Corfo font d'une plus légère acidité
que celle de Corte. Minera levioris quoad
aciditatem , obferve le Docteur Perfetti ..
7°. Il coule à Merofaglia des eaux
minérales acidules , femblables à celles
d'Aleffani.
8. Enfin , Monfieur , l'on trouve à
Olmetta une eau qui arrête le crachement :
de fang. Elle participe beaucoup du Bol .
Aqua colofe minera repleta , fuivant le
Docteur Frediani . Vous devez vous reffouvenir
qu'en 1740 un Commis de notre
digne ami M. Simonet , qui pendant plusde
25 ans de fervice , foit dans les Hôpitaux
de Sa Majefté , foit dans les entreprifes
les plus difficiles des armées , s'eft
toujours fignalé par fa probité , fon zéle &
fon activité, pour être utile aux troupes de
notre Maître , vous devez , dis je , vous
rappeller que ce Commis fut radicalement
guéri à Ajaccio d'un violent crachement
de fang dont il périffoit à vue d'oeil , par
l'ufage de cette eau .
Au furplus ,toutes les eaux qu'on connoît
fous le nom d'eaux froides , ou aigrettes ,
ne différent des eaux chaudes , que parce
qu'elles contiennent moins de fel fixe &.
alkalin , & de parties terreftres & fulphu--
reuſes.
210 MERCURE DE FRANCE.
Vous voyez , Monfieur , que tous ces
bains , & toutes ces eaux minérales que
renferme la Corfe , font autant de tréfors
précieux que la main toute-puiffante de
DIEU a prodigués aux habitans de cette
fle pour leur foulagement dans de certaines
maladies , comme les vieilles dyffenteries
, la galle &c. fur- tout quand elles
font prifes à propos . Ainfi , Monfieur ,
après ce que je vous mande là , vous déciderez
bientôt fi celles que vous avez
découvertes chez vous ont le même caractère
des eaux minérales de la Corfe ; je ne
vous parlerai point de la maniére de les
analyfer , car fur cet article , comme fur
beaucoup d'autres , vous me donneriez de
bonnes lecons .
Cette Ifle , Monfieur , peut auffi fe vanter
de n'avoir preſqu'aucun
animal venimeux.
Le Scorpion y eft rare , & n'y eft
pas même dangereux. Il y a cependant
une araignée que j'ai examinée avec foin,
dont la morfure eft redoutable. On l'appelle
en langage Corfe , Marmigato
Marmignato
. Elle eft extrêmement
petite
, peinte & variée par une infinité de
couleurs auffi vives que brillantes. On la
trouve communément
dans les champs ,
où elle mord fouvent les moiffonneurs
.
Son venin eft un poifon froid qui caufe
A OUST. 1761 . 211
la mort , fi on n'eft
tement.
pas fecouru
promp-
C'eſt à - peu près de même que l'ont définie
les Médecins du Pays , & furtout le
Docteur Antonio Frédiani , que j'ai déjà
cité pour fon grand favoir. Il vivoit au fiécle
paffé , & on a de lui quelques ouvrages
fort eftimés compofés en Latin , mais
devenus extrêmement rares . * Voici donc
comme il parle de cette Araignée . Nullum
aliud animal venenofun in Corfica
reperitur quam parvula aranea , variis depicta
coloribus , & quanta minor eft in corpore
, eft maxima in potentia fui veneni ,
quia fi in aliqua parte mordet , fubito perfrigerat
totum corpus patientis , & aliquando
mors fequitur.
Quelques Auteurs , Monfieur , ont avancé
fans fondement que la Tarentule étoit
commune en Corfe , ce qui eft abfolument
faux , car on n'y en vit jamais.
George Baglivi , célébre Médecin Italien
qui avoit voyagé dans tout fon Pays
& dans toutes les Ifles qui dépendent de
l'Italie , n'en dit pas un mot dans fa dif
fertation fur la Tarentule,Chapitre ſecond
du Climat , de la température , & de la
19. De variis morbis Corficanorum . 1666.
29. De fitu Corficæ . 1670 .
3º. De Morbo Comitiali . 1671 .
212 MERCURE DE FRANCE.
fituation des Pays où naît laTarentule: Ca
put fecundum de natura &fitus regionum
in quibus nafcitur Tarentula.
Ces Ecrivains-là , ou n'étoient jamais
venus en Corfe , ou avoient été mal informés.
Quoiqu'il en foit , je foupçonne
qu'affurément ils auront confondu avec la
Tarentule , ou plutôt prife pour elle , une
efpéce de lézard fort gros , & commun
dans cette Ifle qu'on nomme Tarenta ,
qui s'introduit fouvent dans les maiſons
qui court même fur les meubles & fur les
lits , mais qui ne fait point de mal aux
hommes. C'est ce que vous fçavez.
Soyez perfuadé , Monfieur , que je ne
manquerai pas de vous adreffer par la voie
du Mercure prochain , la fuite , des autres
obfervations que vous m'avez demandées ,
J'ai l'honneur d'être &c.
A Paris , ce Is Juillet 1761 ..
A VIS.
La Dame veuve du Médecin Bellofte , ſeule dépofitaire
du fecret de fon mari , pour la compofition
des Pilules , fecret qui avoit été tranſmis à
fon mari par le fieur Auguftin Bellofte , fon père ,
Chirurgien de Madame Royale de Savoye , avertit
le Public qu'elle continue toujours de compofer,
vendre & diftribuer les véritables Pilules de Bel
lofte , qu'elle y eft autorisée pour la France par un
Privilége exclufif , que Sa Majeſté a eu la bonté
de lui accorder,& qu'elle y eft autorisée pour d'au
AOUST. 1761 21
tres Cours Etrangères , par des Priviléges de plufeurs
Souverains . Elle a la fatisfaction de voir
que les Pilules de fa compofition s'accréditent de
jour en jour , par les cures qu'elles font . Il faut
cependant bien prendre garde de ne pas s'adreffer
à quantité de gens qui les contrefont , en vendent
de fauffes , & mêmes qui ont ofé le faire annoncer
dans les Papiers publics , fans craindre la
peine qu'ils devoient attendre pour en uſer ainfi.
La Dame veuve de Bellofte , occupée du foin de
pourfuivre tous ces vendeurs de fauffes Pilules de
Bellofte , fait part au Public de ce qui vient d'arriver
a cette occafion .
La Veuve . Brotonne , Marchande de Mufique ,
grande rue Merciere à Lyon , s'eft fait annoncer
dans les Affiches de Lyon du Mercredi 27 Août
1760 , pour diftribuer les véritables Pilules de Bellofte
, en décriant celles que la Dame Bellofte diftribue
elle -même , en vertu du Privilége exclufif
du Roi , qu'elle a feint d'ignorer. La Veuve Bellofte
l'a traduit à la Prevôté de l'Hôtel du Roi ,
& par Sentence contradictoirement rendue entre
les Parties , il a été ordonné que le Privilége de la
Dame Bellofte feroit exécuté felon fa forme & teneur
; en conféquence il a été fait défenſes à la
Veuve Bretonne & à tous autres de s'immifcer en
aucune façon dans la vente , compofition & diftribution
defdites Pilules de Bellofte , & de faire
inférer dans les annonces & papiers publics aucunes
annonces contraires audit Privilége , & il a été
permis à la Dame Bellofte de faire imprimer ,
lire , publier & afficher ladite Sentence partout
où befoin feroit , & de la faire inférer dans les affiches
& papiers publics . La Dile de Caix ,fille aînée
du feu fieur de Caix , avenues de S. Cloud à Verfailles
, qui eft la niéce de la veuve Brotonne , &
qui 15 jours après l'annonce de fa tante dans l'af
214 MERCURE DE FRANCE.
fiche de Lyon , s'eft fait auff annoncer dans la
Gazette d'Hollande du 12 Septembre 1760 , conjointement
avec fa foeur pour diftribuer de pareilles
pilules de Bellofie , a prétendu être fondée
pour le pourvoir par tierce oppofition contre le jugement
de la Prévôté de l'Hôtel du 27 Juin 1761 ,
a l'effet d'en arreter l'exécution ; en contéquence ,
elle a mis tout en ufage pour y parvenir , a préfentée
Requête au Juge & fait afligner la Dame
Bellofte le 10 Juillet 1761 : mais par Sentence du
lendemain Samedi , onze dudit mois la Dlle de
Caix a été déboutée de ſa demande & condamnée
aux dépens.
La Dame Bellofte eſt toujours demeurante Place
& vis-a-vis S. Sulpice , dans le grand batiment
neuf , elle a ſeulement changé d'appartement &
eft préfentement au premier.
Le prix de fes pilules eſt toujours le même 24 l.
la boète d'une once , 12 l. celle d'une demie - once
& 6 l . celle d'un quart d'once. Ses boëtes font de
noyer uni non coloré , munies de fon cachet. Elle
ne reçoit point de Lettres que les ports ne foient
affranchis.
Le feur ONFRO1 , Diſtillateur du Roi , tenant
le grand Caffé de la Place du Pont S. Michel , con
tinue de débiter avec fuccès l'effence de Caffé , de
fa compofition , que nous avons ci - devant`annoncée.
APPROBATION.
J'Ar lu , par ordre de Monſeigneur le Chancelier, ΑΙ
le Mercure d'Août 1761 , & je n'y ai rien trouvé
qui puiffe en empêcher l'impreffion . A Paris , ce
31 Juillet 1761. GUIROY.
AOUST. 1761 .
215 ..
TABLE DES ARTICLES,
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROse.
ARTICLE PREMIER.
L'EMPIRE ' EMPIRE de la Mode fur les François
Difcours en Vers.
L'ÉLÉV de la nouvelle Héloïfe , & c,
>
Page 5
FRAGMENS de Vers à l'occafion d'un Payſan
Canonier & c .
VERS à Madame D*** , qui habite la maiſon
du grand Corneille.
14/
44
45
46
L ***
ibid.
47
VERS , pour mettre au bas du Portrait de
l'Abbé de Chaulieu .
RÉPONSE faite fur le champ à Mlle D * *
LE TRIOMPHE de la Folie.
JUSTIFICATION de l'Amour.
LE JUGE à la mode.
LE ROSSIGNOL & le Tourtereau , Madrigal.
PROJET d'une Brochure en général & c .
EPITRE adreflée à l'Académie Françoiſe, par
M. l'Abbé Aubert .
IMITATION d'une Epitaphe du célèbre Ben-
Johnfon.
ÉPIGRAMME .
A Madame de B *** , qui avoit demandé
un Rondeau .
48
49
50
ibid.
52
54
55
ibid.
$6
58
61
62 &63
64 & 65
67
REFLEXIONS fur les Préjugés relativement
au bonheur , à M. l'Abbé Mayneaud.
EPITRE à Ma lame S...
VERS a Madame de V..... &c.
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
216 MERCURE DE FRANCE.
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRE S.
HISTOIRE des Conjurations , Confpirations
&c. Par M. Deformeaux. Troifiéme Extrait . 69
DISCOURS fur la Nature & les fondemens du
pouvoir politique & c.
ORAISON Funébre de la REINE D'ESPAGNE ,
Prononcée par Meffire Armand de Roquelaure
, Evêque de Senlis .
LETTRE de l'Avocat Charles Goldoni &c .
ANNONCES des Livres nouveaux.
8-2
93
107
119 &fuiv.
Avis fur l'Edition de l'Etat Militaire. 134
135
145
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
GRAMMAIRE.
SUPPLEMENT à l'Article des Piéces Fugitives,
Extrait d'une Lettre de Plombieres.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE.
LETTRE de M. Beaupreau , Maître en Chirurgie
à Paris , à M. De la Place . 153
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE. 160
ART. V. SPECTACLES.
OPERA . 161
COMÉDIE Françoife.
164
COMÉDIE Italienne. 166
ART. VI . Nouvelles Politiques. 180
MORTS.
199
Belles-Lettres .
EVENEMENS finguliers.
SUPPLEMENT à l'Article des Sciences &
Avis divers.
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis-à-vis la Comédie Françoile.
ibid.
203
212
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
SEPTEMBRE . 1761 .
Diverfité , c'eft ma devife . La Fontaine.
Cochin
SheIn
BrillonSculpe
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis - à-vis la Comédie Françoife:
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais
Avec Approbation & Privilége du Roia
A
VERTISSEMENT
.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure, rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi .
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre
, quant à la partie littéraire , à M.
DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols pièce.
Les perfonnes de province auxquelles on
onverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elies les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir, ou qui prendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume,
c'est-à-dire 24 livres d'avance, en s'abonnant
pour 16 volumes .
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci- deſſus,
A ij
On fupplie les perfonnes des provine
d'envoyer par la pofte , en payant le droit
le prix de leur abonnement , ou de don" :
leurs ordres , afin que le payement en je
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent a
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pièces tirées des
'Mercures & autres Journaux , par M.
De la Place , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure . Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
SEPTEMBRE . 1761 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LES PROGRÉS DE LA PHILOSOPHIE ,
OD E.
DIVINE IVINE & fçavante Uranie ,
Toi qui de ce vafte Univers ,
Découvres l'heureuſe harmonie ,
Et montres les refforts divers ;
Nymphe ſecourable & propice ,
A ma Minerve encor Novice ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE
Daignes dévoiler tes appas.
Je trace tes progrès rapides :
Diriges mes pinceaux timides ,
Joins à ma touche tes compas.
Ciel ! dans quelle contrée aride
Suis-je tout-à-coup tranſporté ?
Quelle Divinité perfide ,
Y foule aux pieds la Vérité ?
La Diſcorde pâle , infléxible ,
Conduit cette Gorgone horrible ,
A la lueur de fes flambeaux ;
Et l'infipide Syllogifme ,
Précédé de l'obſcur Sophiſme ,
Déploie & foutient fes drapeaux.
Quel Peuple d'orgueilleux esclaves
Près de ce Monftre raffemblés ,
Glorieux des triples entraves
Dont fon efprit eft accablé ;
Sans franchir la lice poudreufe
Qu'une Logique pointilleufe
Sçut défigner pour les combats ,
Croyant rechercher la Sagelſe ,
S'abandonne dans fon ivrefle
A d'interminables débars ?
Que vois-je !... l'aveugle Ignorance
Le fceptre de l'Erreur en main ,
Sous le mafque de la Science ,
SEPTEMBRE 1761
Reçoit les voeux du genre humain !
A des mots vuides de penſée ,
La Philofophie éclipſée
Céde & fon pouvoir & fon nom !
Des préjugés vains & frivoles ,
Étayés d'opinions folles ,
Bravent la voix de la Raifon.
Sortant de cette léthargie ,
En vain quelque fameux Mortel ,
Ebranle d'une main hardie ,
Le Temple , l'Idole , & l'Autel.
Avant que d'être terraffée ,
Toujours l'Ignorance oppreffée
Trouve la Force à fon fecours .
*
Quiconque eft à fa voix rebelle ,
Modére l'ardeur de fon zéle ,
Ou touche au terme de fes jours.
Lui-même au fein de fa patrie
Descartes ne peut ſe cacher
A la trop aveugle Furie}
Qui le force à s'en arracher.`
Dans des pays froids & fauvages
Il va recueillir les hommages
Que les talens ont mérité ;
Et tandis qu'à l'Erreur en proie ,
* On fçait la manière indigne dont Galilée & plufieurs
autres grands hommes ont été traités pour avoir eu rais
fon contre tout leur fiécle.
A iv
MERCURE DE
FRANCE
Paris en tréffaille de joie ,
Stokolm chérit la vérité.
Mais déjà tout change de face
De l'Erreur l'empire eft détruit ;
Un jour lumineux prend la place
De la plus ténébreuſe nuit .
A travers cette nuit obfcure ,
Defcartes fondant la Nature ,
Commence à déffiller nos yeux.
Bientôt nous allons voir éclore
La falutaire & douce aurore
D'un jour encor plus radieux,
Je le vois ce puiffant Génie
Conduit par la feule Raifon
Abattre l'idole chérie
De l'aveugle Prévention.
Bientôt fon courage intrépide ,
De ce Simulacre ſtupide
Sappant fans ceffe les autels ,
Déchire les voiles funébres
Qui dans les plus fombres ténébres
Enfeveliffoient les Mortels.
Près de la balance du doute ,
L'humble & timide Vérité
Précéde & défigne fa route
Vers fon Sanctuaire écarté.
il le voit , il entre , il s'avance :
SEPTEMBRE. 1761 .
Son efprit s'anime , s'élance ,
Et jette de brillans éclairs.
Dans fon vol quelquefois il tombe
Mais alors même qu'il fuccombe ,
Sa chûte éclaire l'Univers.
L'éclatante & vive lumière
Qui s'éxhale de les écrits ,
Guide & foutient dans leur carrière
Ces vaftes , ces profonds efprits , }
Qui brulans de ſuivre ſa trace
Par une glorieufe audace
Imitent fes heureux travaux :
Sur fes pas la main de la Gloire
Ouvrant le Temple de Mémoire ,
Les met au rang de ſes rivaux.
Ainfi ces rapides Planetes
Qui dans l'immenfité des Cieux
Paroiffent briller fur nos têtes ,
Quand le jour s'éclipfe à nos yeux ;
Empruntant leur éclat débile
Du Soleil , dont la flamme agile
Diffipe leur obfcurité ,
Réfléchiffent fur notre plage
Une utile & légére image
Des feux briliants de fa clarté
Ce cubique amas de matière
D'où fortirent les Elémens ;
Av
10 MERCURE DE FRANCE,
Cette imperceptible pouſſière
Que produifoient leurs frottemens ;
Ces tourbillons qui fans efpace ,
Se cédant tour-à-tour la place ,
Rouloient l'un fur l'autre entaffés
Et par leur commune harmonie
Donnoient à tout l'être & la vie ,
Sont confondus & renversés.
Mais c'eft fur leurs débris fublimes ,
Que ton compas , fçavant Newton ,
Mefurant les fombres abîmes
Qui nous ont confacré ton nom ;
Par une hardieffe extrême
Sçut élever le vrai ſyſtême
Qui nous dévoile l'Univers.
La Nature à ta voix docile
Sous ton calcul fimple & facile
Régle fes mouvemens divers.
Une pefanteur générale
Preffe & balance tous les corps ,
Et vers une force centrale ,
Pouffe & dirige leurs refforts.
Dans les vaftes déferts du vuide ,
Par cet effort vif & rapide ,
Ils font l'un par l'autre entraînés ;
Tandis qu'une loi dominante
Par fa force encor plus puiffante
Au centre les tient enchaînés.
SEPTEMBRE. 1761 . IL
De chaque rayon de lumière
Sortent fept différens faiſceaux ,
Qui , gardant leur couleur premiere ,
Forment fept rayons principaux.
De ces faifceaux inaltérables
Tous ces rayons invariables
Tirent leur force & leur fplendeur ;
Et fur l'objet qui les raffemble ,
Unis & confondus ensemble ,
Donnent naiffance à la blancheur.
Soutenus par l'expérience ,
C'eft ainfi , fublime Newton ,
Que tes yeux percent la diſtance
Qui confondoit notre Raiſon !
Ta profonde Géométrie ,
D'une utile Philofophie
Avance & foutient les progrèss
Et de la Nature étonnée ,
Malgré l'ignorance obſtinée ,
Arrache & fait voir les fecrets.
La Vérité longtemps cachée
Éclaire & conduit les Mortels :
Enfin à ton char attachée ,
Elle reléve fes autels .
Que d'adorateurs pleins de zéle ;
Vers cerre brillante Immortelle ,
Lévent leurs avides regards ;
Et par de fublimes ouvrages
A vi
22 MERCURE DE FRANCE,
Lui rendant de juftes hommages ,
Triomphent fous les étendarts !
Quel pompeux amas de trophées
Entoure fon Trône éclatant !
L'Erreur , l'Ignorance étouffées.
En cimentent le fondement.
A l'exemple de la Phyſique ,
La Morale , la Politique ,
L'augufte & tendre humanité
Parent fon fceptre & la couronne ,
Et fous l'éclat qui l'environne
Trouvent enfin leur fureté .
O vous , à qui cette Déeſſe
Ouvre les plus riches tréſors ;
Vous dont la vertu , la fageffe
Dirigent les nobles efforts ;
Vous qui pleins d'amour pour les hommes ;
Dans le temps funefte où nous fommes
Ofez faire parler les loix ;
Mortels que l'Univers admire ,
Comme vous que ne puis-je inſtruire
Tous les Peuples & tous les Rois !
Mais content de ſuivre Uranie
Dans de moins pénibles projets¿
Je vais lui confacrer ma vie ,
Et m'occuper d'autres objets.
SEPTEMBRE. 1761 . 13
Sous les plus fortunés aufpices ,
Elle me tend des mains propices ,
Et m'ouvre les nouveaux fentiers .
Sur tes pas , augufte Déeffe ,
J'ofe rechercher la Sageffe :
Couronne -moi de tes lauriers .
Par M. BEAUREGARD , Ch . Reg. de Chancella
de , & Profeffeur dans l'Abbaye de Sablonceaux.
IDYLL E.
Ce n'eft pas fans raiſon , que la Gréce nous,
vante
Les charmes de Tempé , Vallon délicieux ,
Que fouvent à l'Olympe ont préféré les Dieux .
Là fous un Ciel ferein la Terre bienfaiſante ,
Ne fait point acheter les tréſors qu'elle enfante ;
Là de fimples Bergers , affranchis des befoins ,
Vivent égaux entre eux fans travail & fans feins,
L'air que l'on y reſpire invite à la tendreſſe ;
11 entretient les fens dans cette douce ivreffe
Qui calme les foucis , diffipe la langueur ,
Et fixe au ſeul plaifir les ſentimens du coeur.
Heureux Pays où quand on aime ,
On eft fûr d'être aimé de même :
Hé , qui ne voudroit pas habiter ce féjour !
Dans ces lieux enchantés,au Temple de l'Amou
14 MERCURE DE FRANCE
Silvanire un matin fe rendit la première :
Quel fut l'étonnement des Bergers d'alentour !
Aux Autels de ce Dieu jamais avant ce jour
On n'avoit vu cette Beauté fi fière .
Un d'eux voulut pénétrer fon fecret ;
Tout Curieux eft in difcret.
Ilfe place auprès d'elle , il entend fa priére ;
Et fur le champ la retint mots pour mots.
On la lit encor toute entiére
Dans les Annales de Paphos.
>> Amour, tout vit fous ton empire ,
>> Tu rends feul les Mortels heureux !
›› En
exauçant
fes tendres voeux ,
>> Fais le bonheur de Silvanire.
5 Quipourroit, qui voudroit fe fouftraire à ta oi !
>>Le jeune Licidas qui foupire pour moi ,
» De la conftance eft le modéle ;
» Avec tranſport chaque jour je reçoi
»De fa difcrétion quelque preuve nouvelle :
» Si tu l'ordonnes je me rends ;
›› Mais d'un coeur tour à toi la gloire t'intéreſſe .
» Permers encor que quelque temps
Je lui laille ignorer l'excès de la tendreſſe
» Qu'en fecret pour lui je reffens .
>>Par les éfforts que je fais pour lui taire ,
Pour lui cacher le feu dont mon coeur eft épris
» Je ne veux qu'augmenter le prix
« De l'aveu qu'un jour j'en dois faire.
SEPTEMBRE. 1761 . 15
Que de plaifirs vous perdez en aimant ,
Belles qui penfez autrement ,
Et qui hâtez votre défaite !
Vous répondrez qu'un tel rafinement
Eft d'une Bergère coquette ?
Vous vous trompez . En tout état ,'
Le véritable amour fut toujours délicat .
Par M. L* A* L* B*.
ALINE ,
CONTE.
J'érois dans cet âge où un Univers nou- ÉTOIS
veau fe déploie à des organes à peine développés
, où de nouveaux rapports nous
lient aux êtres qui nous environnent , ou
des fens plus attentifs & une imagination
plus ardente nous fait trouver de plus vrais
defirs dans de plus douces illufions : j'avois
quinze ans en un mot , & j'étois loin de
mon Gouverneur , fur un grand cheval
Anglois , à la queue de 20 chiens courans
qui chaffoient un vieux Sanglier ; jugez fi
j'étois heureux !
Au bout de quatre heures , les chiens
* Il a couru différentes copies manuſcrites de
ce petit Ouvrage. On nous aflure que celle-ci eft
la plus fidelle ; & c'eſt avec plaifir que nous en
failons part au Public.
Y MERCURE DE FRANCE.
tomberent en défaut , & moi auffi . Je
perdis la chaffe ; & après avoir longtems
couru à toute bride , comme mon cheval
étoit hors d'haleine , je defcendis , nous
nous roulâmes tous les deux fur l'herbe ,
enfuite il fe mit àbrouter & moi à dormir.
Bientôt je déjeunai avec du pain & une
perdrix froide, dans un vallon riant formé
par deux côteaux couronnés d'arbres
verds ; une échappée de vue offroit à mes
yeux un hameau bâti fur la pente d'une
colline éloignée , dont une vafte plaine
couverte d'une riche moiffon & d'agréables
vergers , me féparoit .
L'air étoit pur , le Ciel ferein , la Terre
encore brillante des perles de la rofée ;
& le Soleil, au tiers de fa courſe , ne lançoit
encore que des feux tempérés , qu'un
doux zéphir modéroit par fon haleine.
Où font- ils ces Amateurs de la Nature
qui fcavent fi bien jouir d'un beau temps
& d'un joli payſage ? c'eft pour eux que je
parle , car pour moi j'étois alors moins occupé
de cet objet , que d'une Payfanne en
corfet & en cotillon blanc que je voyois
venir de loin avec un pot au lait fur la tête.
Je la vis avec un fecret plaifir paffer fur
une planche qui fervoit de pont au ruiffeau
& fuivre un fentier qui devoit con- '
duire les pas auprès de l'endroit où j'étois
SEPTEMBRE. 1781. 11
affis. En m'approchant , elle me parut d'une
grande fraîcheur ; & fans rien concevoir
de ce qui fe paffoit au - dedans de moi , je
me levai pour aller à fa rencontre . Chaque
pas que je faifois l'erbéliffoit à mes
yeux ; & bientôt j'eus regret à tous ceux
que j'aurois pu faire pour la voir plutôt.
La Georgie & la Circaffie ne produiſent
que des monftres en comparaifon de ma
petite Laitière ; & jamais une créature
auffi parfaite n'avoit orné l'Univers. Ne
fachant quel compliment lui faire pour
entrer en converfation , je lui demandai
du lait pour me rafraîchir. Je lui fis enfuite
quelques queftions fur fen village ,
fa famille , l'âge qu'elle avois . Elle me
répondit à tout avec une naïveté & une
grace qui rendoient fes paroles dignes
de fortir de fa bouche.
Je fçus qu'elle étoit du hameau voifin
& qu'elle s'appelloit Aline. Ma chère
Aline , lui dis- je , je voudrois bien être
votre frere ce n'étoit pas cela que je
voulois dire ; ) & moi je voudrois bien
être votre foeur , me répondit- elle . Ah !
je vous aime autant que fi vous l'étiez ,
ajoutai je , en l'embraffant . Aline vouloit
fe défendre de mes careffes : dans les
éfforts qu'elle fit , fon pot tomba , & fon
lait coula à grands flots dans le fentier.
18 MERCURE DE FRANCE.
·
Elle fe mit à pleurer ; & fe dégageant
brufquement de mes bras , elle ramafſoit
fon pot , & menaçoit de fe fauver , lorfqu'elle
apperçut fa mère. » Je fuis perdue !
» s'écria- t- elle , en foupirant. Adieu ;
gardez- vous de me fuivre , car elle me
» battroit... Je reſpectois encore ma mère
dans ce temps là : je n'eus point l'efprit
de la défabuſer du refpect qu'elle avoit
pour la fienne. Je lui donnai le peu d'argent
que j'avois fur moi , & un anneau
d'or que je portois à mon doigt , en la
priant avec ardeur de revenir le lendemain
au même lieu ; & je la vis partir
avec douleur. Je remontai à cheval ; &
après avoir fuivi des yeux , auffi loin que
je pus ma chère Aline , je revins au Château
de mon Père , bien fâché de n'être
point un petit Payfan du hameau ďAline.
J'avois bien réfolu de ne plus aller à
la chaffe ailleurs que dans ce charmant
vallon , & de faire grace en faveur de
la belle Aline à tout le gibier de la Province
; mais ces projets fi chers à mon
coeur , s'évanouirent comme un fonge.
J'appris , en arrivant , que des nouvelles
imprévues forçoient mon père à partir le
lendemain pour Paris ; il m'emmena avec
lui. J'embraffai ma mère en pleurant ;
mais c'étoit Aline que je pleurois.
SEPTEMBRE. 1761 16
Le temps ronge l'acier & l'amour. J'étois
inconfolable en partant ; je fus confolé
en arrivant. A mefure que je m'éloignois
d'Aline , Aline s'éloignoit de mon
efprit ; & la joie d'entrer dans un monde
nouveau , me fit oublier les délices que
je quittois le libertinage & l'ambition
remplacerent l'amour dans mon coeur . Je
fervis fix pénibles campagnes , dans lefquelles
je reçus de grandes bleffures & de
petites récompenfes. Je revins à Paris me
dédommager dans le fervice des Belles , de
tout ce que j'avois fouffert dans le fervice
de l'Etat .
Sortant un jour de l'Opéra , je me trouvai
par hazard à coté d'une jolie femme ,
qui attendoit fon caroffe. Après m'avoir
regardé avec attention , elle me demanda
fi je la reconnoiffois je lui répondis que
j'avois le bonheur de la voir pour la premiere
fois . Regardez- moi bien , dit- elle.
L'ordre n'eft pas bien dur, répondis- je ; &
votre viſage faura bien vous faire obéir :
mais plus je vous regarde , plus je trouve
de différence entre tout ce que j'ai vû juſ
qu'à préfent & ce que je vois à cette heure.
Puifque mes traits ne me rappellent
point , dit- elle , peut-être que mes mains
feront plus heureufes. Alors , ôtant fon
gant , elle me montra l'anneau que j'avois
20 MERCURE DE FRANCE:
jadis donné à la petite Aline. L'étonnement
m'ôta la parole. Son caroffe arriva :
elle me dit d'y monter avec elle ; j'y confentis
; & voici fon hiftoire.
Vous vous fouvenez peut- être encore
de mon pot au lait , de la frayeur que
m'infpira l'apparition de ma mère , & du
regret que j'eus à vous quitter ? ... Hélas !
ma crainte étoit fondée. Je fus enfermée,
rouée de coups ; & après avoir trouvé le
fecret de m'échapper de la maifon , je
m'en allai , demandant l'aumône , à la
Ville voifine , où une Dame entre deux
âges , & touchée de ma figure , me retira.
Elle me fervit de mère , & je lui fervis de
niéce. Elle eut foin de mon éducation ,
de me parer , de m'infpirer des fentimens
au-deffus de ma naiffance ; & deux ans
après elle me mena à Paris , où certain-
Procès l'appelloit. Le Rapporteur , que
nous allâmes voir , vieux débauché , riche,
& d'ailleurs galant homme , cacha trop
peu l'effet qu'avoient produit fur lui mes
charmes. Ma tante en profita. Son Procès
n'étoit pas foutenable : il fut accommodé,
aux dépens du Rapporteur ; qui comptant
trop fur ma reconnoiffance , fe trouva
bientôt affez éloigné de fon but , &
affez vivement épris de votre Aline , pour
lui offrir , fous le voile d'un hymen fecret,
SEPTEMBRE. 1781 .
fa fortune & fa main. Vous le croirez fi
vous voulez , mon cher Comte ! mais
l'image de celui qui avoit caufé mes premiers
malheurs étoit toujours auffi gravée
dans mon âme, que préfente à mes yeux ;
& fans les perfécutions de ma tante ,
l'efpoir que je n'avois jamais perdu de
vous revoir un jour , vous eût confervé
votre Aline. J'époufai donc , d'abord fecrettement
, M. D..... qui , fatisfait de
ma conduite , & toujours plus amant qu'époux,
ne tarda pas à me reconnoître
publiquement
pour fon époufe. Ma tante
venoit de mourir : j'en avois hérité vingt
mille livres de rentes & de beaucoup
d'argent il ne me manquoit plus que
d'être noble ; & pour quelques louis que
je donnai à un Généalogifte , je fus une
fille d'affez bonne maifon. Quelques liaifons
que je formai avec des Gens de Lettres,
me valurent la réputation d'efprit ;
peut- être même un peu d'efprit. Mon
mari , qui s'étoit défait de fa charge pour
être tout entier à moi , & qu'on appelle
aujourd'hui le Comte de Caftelmont , me
rend toute auffi heureuſe qu'il eft poffible
à une femme de l'être avec un vieil époux
que la reconnoiffance l'empêche de tromper.
La pauvre Aline , en un mot , eſt à
préfent pour le Public , la Comteffe de
22 MERCURE DE FRANCE
Caftelmont ; mais pour vous la Comteffe
de Caftelmont , au devoir près , aura toujours
les fentimens d'Aline.
J'eus une véritable joie de retrouver
ma chère Aline. Nous nous embraffâmes
avec les mêmes tranfports que dans ces
temps heureux où nos lévres n'avoient
point encore rencontré d'autres lévres
& où nos coeurs répondoient aux premieres
invitations du fentiment. Nous
arrivâmes chez elle , où nous trouvâmes
du monde. J'y reftai à fouper. Le Comte
de Caftelmont étoit abfent ; je furvêcus
à toute la Compagnie ; & comptois bien
ufer de mes droits , lorfque le caroffe de
Monfieur fe fit entendre. Je fortis en
foupirant , avec l'efpérance d'être moins
malheureux le lendemain. Mais une let
tre du Miniftre , que je trouvai en rentrant
chez moi , & qui me forçoit de
partir pour l'Armée , m'arracha de nouveau
à ma chère Aline. Ah , Ciel ! que
j'y perdis. Jufqu'à quand la trompeuſe
voix de la gloire rendra- t-elle odieux le
repos & les tendres plaifirs ? Juſqu'à
quand préférera-t-on la guerre à l'amour ?
Je ne faifois point encore ces fages réfléxions.
Quand on eft Brigadier , comme
je l'étois , on penfe à devenir Maréchal
de France ; & celui qui y penfe bien, en
SEPTEMBRE. 1761. 25
eft toujours plus près que d'autres. J'entrai
donc dans ma chaife , en fortant de
chez Madame de Caftelmont , & je volai
avec plaifir à de nouveaux ennuis.
Après avoir été quinze ans loin de ma
patrie , après avoir reçu à la fois beaucoup
de coups de fufils en Allemagne ,
& beaucoup d'injuftice ailleurs , je paffai
aux Colonies en qualité de Maréchal de
Camp. Je laiffe aux Poëtes & aux Gafcons
le foin d'éffuyer & de décrire des
tempêtes pour moi j'arrivai fans accident.
Tout étoit calme à mon arrivée
& mon féjour dans les Indes reffembloit
plutôt à un voyage de plaifir qu'à une
commiffion militaire. N'ayant donc rien
à faire , je parcourus les différens Royaumes
qui partagent ces vaftes Pays ; & je
m'arrêtai à Golconde.
:
C'étoit alors le plus floriffant État de
l'Afie. Le Peuple étoit heureux fous l'empire
d'une femme qui gouvernoit le Roi
par fa beauté & le Royaume par fa fageffe.
Les villes , remplies d'édifices fuperbes
, & plus embellies encore par les
délices qui y étoient raffemblés , étoient
pleines d'heureux Citoyens fiers de les habiter.
Les gens de la campagne y étoient
retenus par l'abondance & la liberté qui
y régnoient & par les honneurs que le Gou
24 MERCURE DE FRANCE.
vernement rendoit à l'Agriculture. Les
Grands enfin étoient enchaînés à la Cour
par les beaux yeux de leur Reine. J'arrivai
à cette Cour ; & j'y fus reçu avec
tout l'agrément poffible.J'eus d'abord une
Audience publique du Roi , enfuite une
de la Reine , qui m'ayant apperçu de loin ,
baiffa fun voile , me reçut fort bien ; &
je n'eus à me plaindre que de n'avoir
pas vu fon vifage que je mourois d'envie
de voir , d'abord parce qu'on le difoit
fort beau , enfuite parce que tout ce
qui appartient à une grande Reine eſt
fort curieux .
De retour chez moi , je trouvai un Officier
qui me propofa de me faire voir
le lendemain les jardins & le parc qui
environnoient le Palais. J'acceptai la
partie. Nous nous levâmes avec le Soleil
; & il me mena par de fuperbes allées
dans une efpéce de bois touffu où
les myrthes , les akacias & les orangers
mêloient leurs odeurs & leurs feuillages .
Nous trouvâmes un cheval à un de ces
arbres . Mon guide monta légérement
deffus ; & ayant fonné une fanfare avec
une trompe qu'il portoit fur lui , il s'enfuit
à toute bride . Je fuivis la route ou
j'étois,très-étonné de la conduite de l'Officier
, & ne pouvant concevoir qu'il y
eût
SEPTEMBRE. 1761 2
eat un Pays , où ce fûr l'uſage de mener
perdre les gens au lieu de les mener
promener. Mais quelle fut ma ſurpriſe ,
quand arrivé à la barrière du bois , je me
trouvai dans un lieu parfaitement femblable
à celui où j'avois jadis connu pour
la premiere fois Aline & l'Amour ! C'étoit
la même prairie , les mêmes côteaux
, la même plaine , le même village
, le même ruiffeau , la même planche
, le même fentier ; il n'y manquoit
qu'une petite Laitiere , que je vis bientôt
paroître avec des habits pareils à ceux
d'Aline , & le même pot au lait . Est- ce
un fonge , m'écriai- je , eft ce un enchantement
? Eft-ce une ombre vaine qui fait
illufion à ma vue ? Non , me réponditelle
vous n'êtes ni endormi , ni enfor
celé ; & vous verrez tout-à-l'heure , que
je ne fuis point un phantôme. C'eſt Aline
Aline elle-même , qui vous a reconnu
hier , & qui n'a voulu être reconnue
de vous , que fous la forme ſous laquelle
vous l'avez aimée . Elle vient fe
délaffer avec vous du poids de fa couronne
, en reprenant fon pot au lait . Vous lui
avez rendu l'état de Laitière plus doux
que celui de Reine. J'oubliai la Reine de
Golconde , & je ne vis plus qu'Aline .
Après cette agréable reconnoiffance ,
"
R
26 MERCURE DE FRANCE.
Aline reprit fon habit de Reine qu'une
Efclave de confiance, qui l'avoit fuivie, lui
apporta. Nous rentrâmes dans le Palais ,
où je lui vis recevoir toute fa Cour avec
une grace & une bonté qui charmoit tout
ce qui l'approchoit . Elle regardoit les
uns , parloit aux autres , fourioit à tous ;
en un mot, elle avoit bien l'air d'être maîtreffe
de tout le monde , mais elle ne
paroiffoit la Reine de perſonne.
Après le dîner , pendant lequel tout le
monde mangea avec elle , je la fuivis
dans une Salle féparée , où m'ayant fait
affeoir à côté d'elle , elle me conta ainfi
fes dernières avantures.
Le Comte de Caftelmont mourut envi
ron trois mois après votre départ , & il
laiffa fa veuve défolée avec quarante
mille écus de rentes pour toute confolation
. Une partie de fes biens étoient en
Sicile , & exigeoit , difoit- on , ma préfence.
Je m'embarquai avec joie pour ce
voyage ; mais un vent contraire força ma
Frégate de relâcher fur une Côte éloignée
, où un Vaiffeau encore plus contraire,
la prit & l'emmena . C'étoit un Corfaire
Turc ; il me conduifit à Alger , de là
à Alexandrie , où il fut empalé. Je fus
vendue comme efclave avec tout le refte
de fa maiſon ; & je tombai en partage à
un Marchand Indien , qui me conduifit
SEPTEMBRE . 1761. 27
ici , & me fit apprendre la Langue du
Pays , dans laquelle je fis en peu de temps
de grands progrès. J'avois connu la mifère
, mais point le malheur ; & je ne pus
fupporter l'esclavage . Je me fauvai de
chez mon Maître , fans favoir où j'allois ;
je fus rencontrée par des Eunuques , qui
me trouvant belle, me menérent au Roi.
J'eus beau demander grace pour ma vertu
je fus enfermée dans le Serrail ; &
dès le lendemain, je reçus de tout ce qui
m'entouroit les honneurs de Sultane favorite.
Bientôt là paffion du Roi n'eut
plus de bornes , & mon autorité n'en eut
pas davantage. La Golconde , accoutumée
à obéir aux arrêts que je dictois
du fond du Serrail , me vit fans étonnement
devenir l'époufe de fon Souverain
, qui n'étoit depuis longtemps que
mon premier Sujet . Je me fuis ref
fouvenu,dans mon Palais , de ce petit village
où j'avois confervé mon innocence
& furtout de ce charmant vallon où je
vous vis pour la premiere fois. J'ai voulu
retracer à mes yeux l'image intéreffante
de mes premieres années & de mes premiers
plaifirs . C'est moi qui ai bâti ce
hameau que vous avez vu dans l'enceinte
de mon parc . 11 porte le nom de mon
ancienne patrie ; & tous les habitans font
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
traités comme mes parens & mes amis.
Te marie tous les ans un certain nombre
de filles ; & fouvent j'admets les plus
vieux d'entr'eux à ma table , pour me retracer
le tableau de mon vieux père , &
de ma mère , que j'aimerois à refpecter
fi je les poffédois encore. Les herbes de la
prairie ne font jamais foulées que par des
Dames de ma Cour , de jeunes garçons
& de jeunes filles du hameau. La coignée
respectera , tant que je vivrai , ces arbres
témoins de nos amours ; & mes habits de
Payfanne , confervés avec mes ornemens
royaux , ne ceffent , au milieu de l'éclat
qui m'environne , de me rappeller ma
premiere obfcurité ; ils me forcent à refpecter
une condition dans laquelle j'ai
été plus heureufe que dans toutes celles
aufquelles je me fuis élevée depuis ils
m'apprennent à reconnoître l'humanité
partout ; ils m'inftruiſent à régner.
Oh ! la charmante Princeffe que celle
de Golconde ! Elle étoit tout à la fois
bonne Reine , bon Roi , bonne femme ,
& bon Philofophe : elle étoit encore
plus ; elle étoit bonne amie. Hélas ! je
ne le fçus que pendant quinze jours ; au
bout defquels mes innocentes affiduités
ayant été mal interprétées par le mari ,je
fus obligé de fortir très promptement de
SEPTEMBRE. 1971.
20
Ton Royaume. Je repartis peu de temps
après pour la France , où , après plufieurs
traverſes , je parvins aux plus grandes dignités
, ne méritant ni les unes ni les autres .
J'ai erré depuis , fans fortune & fans eſpérance
, de pays en pays ; enfin je vous ai
rencontrée dans ce défert , où je compte
me fixer , puifque j'y trouve tout à la fois
une folitude & une ſociété.
Mon Lecteur a peut- être cru , jufqu'à
préfent , que c'étoit à lui que je contois
cette hiftoire . Mais comme il ne m'en
avoit pas prié il trouvera bon que ce
récit s'adreffe à une petite vieille vêtue
de feuilles de palmiers , ancienne habitante
du défert où je fuis retiré , & qui
m'avoit demandé de lui conter mes avantures
les plus intéreffantes . Elles ont pu
ennuyer ceux qui les ont lues ; mais elles
furent écoutées de la petite vieille
avec une attention finguliére. Elle n'en
perdit pas une parole ; & quand j'eus fini
, elle me dit : Ce qui me plaît le plus
de votre hiftoire , c'eft qu'il n'y a pas un
mot qui ne foit vrai . Qu'en favez-vous ?
lui dis- je ? Peut - être que je vous ai ment
d'un bout à l'autre. Je fuis bien fûre du
contraire , me dit- elle . Madame fe mêle
donc un peu de magie , repris - je ? Pas
tout-à-fait , repliqua- t- elle ; mais j'ai un
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
anneau qui me fait juger de la vérité de
tout ce que vous m'avez dit . Je ne connois
, lui dis-je , que l'anneau de Salomon
qui puiffe avoir cette vertu. Connoiffez-
vous celui d'Aline , dit- elle , en
fouriant , & en me montrant ſa main ?
Aline , que vous avez fait monter fur le
Trône de Golconde , & que vous en avez
fait defcendre ; qui fugitive & profcrite ,
eft venue chercher dans ces lieux éloignés
un afyle contre la colere de fon mari
, à laquelle vous échappâtes , en fautant
par la fenêtre ? Quoi ! c'eft encore
vous, m'écriai - je ? Je fuis donc bien vieux ;
car , j'ai , fi je m'en fouviens , un an plus
que vous. Qu'importe , dit - elle d'un ton
grave , notre âge & notre figure ? Nous
ois jeunes & jolis ; foyons
fages à préfent , nous ferons plus heureux.
Dans l'âge de l'amour , nous avons
diffipé au lieu de jouir ; nous voici dans
celui de l'amitié , jouiffons au lieu de regretter
: il n'eft que des momens pour le
bonheur. Ce bonheur fi defiré & fi méconnu
, n'eft que le plaifir fixe. L'un reffemble
à la goutte d'eau , & l'autre au
diamant. Tous deux brillent du même
éclat ; mais le moindre fouffle fait évanouir
l'un , & l'autre réfifte aux éfforts
de l'acier. L'un emprunte fon éclat de la
étions antref.:
·
SEPTEMBRE . 1761.
lumière ; l'autre porte fa lumière dans
fon fein , & la répand dans les ténébres.
Ainfi tout diffipe le plaifir , & rien n'altére
le bonheur.
Enfuite , elle me conduific fur une haute
montagne couverte d'arbres fruitiers de
différentes efpéces . Un ruiffeau d'eau vive
& claire defcendoit de la cime en faifant
mille détours , & venoit former un réfervoir
à l'entrée d'une grotte creufée au pied
de la montagne . Voyez , me dit - elle , fi
cela fuffit à votre contentement ? voilà
ma demeure , qui deviendra la vôtre , fi
vous le voulez. Cette terre n'attend qu'une
foible culture pour vous payer abondamment
des foins que vous en aurez pris.
Cette eau tranfparente vous invite à la
puifer. Du haut de cette montagne , vorre
oeil pourra découvrir à la fois plufieurs
Royaumes.Montez- y; vous y refpirerez un
air plus vif & plus fain ; vous y ferez plus
loin de la terre , & plus près des Cieux .
Confidérez de là ce que vous avez perdu ,
& vous me direz après fi vous voulez le
retrouver.
Je tombai aux pieds de la divine Aline ,
pénétré d'admiration pour elle & de mépris
de moi. Nous nous aimâmes plus que
jamais , & nous devînmes l'un & l'autre
motre univers. J'ai déjà paſſé ici pluſieurs
B iv
52 MERCURE DE FRANCE.
années délicieuſes avec cette fage compa
gne . J'ai laiffe toute mes folles paffions &
tous mes préjugés dans le monde que j'ai
quitté. Mes bras font devenus plus laborieux
, mon efprit plus profond , mon
coeur plus fenfible . Aline m'a appris à
trouver des charmes dans un léger travail ,
de douces réfléxions , & de tendres fentimens
; & ce n'eft qu'à la fin de mes jours
que j'ai commencé à vivre
PAR
RÉFLEXION.
AR le plus étonnant génie ,
Voltaire eft de ce monde aujourd'hui le flambeau
Il gouverne à fon gré le compas d'Uranie,
La plume de Clio , le malque de Thalie ,
De Melpomène le pinceau,
Apollon lui prête ſa lyre ;
Ce Dieu qui l'anime & l'inſpire ,
Lui donne chaque jour un triomphe nouveau
Ses Ecrits ouvrent le tombeau
A l'Envie , à la Jaloufie ;
Et de la fauffe Hypocrifie ,
Il a déchiré le bandeau.
Il fert d'organe à la Victoire ;
Les Rois & les Héros font par lui tour-à- tour ,
Conduits au Temple de Mémoire
SEPTEMBRE . 1761. 33
Il s'occupe à chanter la Gloire....
Moi , je ne chante que l'Amour !
Par M. de C ***
BOUQUET
A une Janneton , en lui envoyant un
miroir.
QUAND Merlin fut reçu Sorcier ,
Il lui fallut faire devant le Diable ,
Un tour des plus fins du Métier ;
Quelqu'ouvrage rare , admirable ,
Un chef-d'oeuvre unique & complet.
fe piqua d'honneur ; & bientôt il eut fait
La Boëte fingulière
Que je vous offre pour bouquet.
Peu précieuſe eft la matière :
L'on n'y voit à l'extérieur
Rien de brillant , rien de flatteur ;
Mais ce qui doit la rendre chère
A quiconque en eft poffeffeur ,
C'eft l'art , qui fait que quand on l'ouvre ,,
Si l'on n'eft pas bien franc, & d'efprit & de coeur
Le mafque tombe ; l'on découvre
Et l'impofture & l'impofteur..
La peinture la plus fidelle
montre à chacun fon portrait ,
Bw
34 MERCURE DE FRANCE.
1
Mieux rendu que n'ont jamais fait
Les plus Savans en l'Art d'Apelle.
Mais on s'y méprend aisément ;
Car cette boëte encor, par l'Art du Négromant,
Eft un moule à métamorphofes :
Souvent l'oeil faſciné croit y voir bien des chofes ,
Qui n'y font pas réellement .
Ces jours paffés , une vieille Coquette
En fit l'épreuve & s'y trompa :
Après cinq heures de toilette
Dans la boëte elle regarda :
Elle croyoit y voir les graces ,
La jeunelle avec la fraîcheur ,
L'air enfantin , l'air de pudeur ;
Elle n'y vit que des grimaces ,
De peu féduifantes furfaces ,
Des rides qui perçoient le fard ,
Du Rouge , du Blanc , & de l'Art.
Près d'elle , un jeune Petit-Maître
Crut voir , croyant s'y bien connoître ,
Un homme qu'on `idolâtroit ,
Un homme éffentiel , unique:
Il n'y vit qu'un colifichet ,
Un Sot , un Fat au plus complet ,
Un Fiacre de Cabriolet ,
Un Turlupin fort peu Comique.
Un Confeiller , brillant , éleganté ,
Crut y voir la capacité ,
SEPTEMBRE. 1761. 35
L'air impofant joint à l'accueil affable ,
+
La Science , la gravité :
Il n'y vit que l'air éventé ,
La fuffifance , l'air capable ,
L'ignorance , la vanité.
Un vieux Juge , y crut voir un homme Refpectable
:
Il n'y voyoit hélas , qu'un homme Reſpecté !
Un jour , un homme de Finance
Crut y voir un homme d'Etat ,
Un être de grande importance :
Mais il n'y voyoit qu'un Pied - plat ,
Une monftrueuſe Sanglue
Que le fang du Peuple engraiſſoit ,
Que l'amour-propre bourfoufioit ,
Et que la bonne chère tue.
Un Abbé , Minaudier , Poupin ,
Apeine hors du Séminaire ,
Voulut au fortir de la Chaire ,
Confulter la boëte à Merlin ;
Il y fut pris comme les autres :
Il s'attendoit d'y voir un Orateur
Plus touchant qu'aucun des Apôtres ,
Mais il n'y vit qu'un froid Déclamateur.
Un Dévot , crut y voir un homme de Mérite ,
Dans le chemin du Ciel s'avancant au grand trot
B -vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Mais il n'y vit qu'un Hypocrtite ,
Moins près de Dieu que d'Aftharot.
Un vieux Moine , criblé de coups de difcipline,
S'imaginoit y voir un homme édifiant :
Il n'y vit rien qu'un Cagot éffrayant ,
Dont le diable ſe rit , & que la chair domine..
Un homme en Us , crut y voir un Auteur ,
Un Ecrivain fort cher à fa patrie :
Il n'y vit qu'un Maffon , fans art , fans induftrie ,,
Un ennuyeux Compilateur..
Un vieil époux , bien convaincu
De la fageffe de ſa femme ,
Croyant y voir l'objet de fa pudique flâme ,
N'y trouva jamais qu'un C.....
Qui peut détailler les mépriſes
Les étonnemens , les furpriſes
Que cette boëte tous les jours.
Occafionne par fes tours ,
Ses niches , fes tracafferies
On compteroit plutôt , des modernes amours
Toutes les fourberies.
Moi- même , hier , moi, qui bien la connois
Comme un autre je m'y trompois ;
Et par une mépriſe infigne , impardonnable
Croyant y voir un Verfificateur ,
Au moins médiocre & paffable ;
Je n'y trouvai qu'un froid Rimeurs
SEPTEMBRE . 1761. 27
Ne craignez point , Tonton , l'effet de l'art ma
gique ;
Regardez dans la boëte avec fécurité :
Vous y découvrirez un tableau prèfque unique
Bien digne de piquer la curiofité.
C'eſt un mélange heureux , mais difficile à faire ,
De la beauté fans le defir de plaire ;
Du don de plaire exempt de vanité :
Vous y verrez une femme admirable ,
A qui mille fois on a dit
Qu'elle étoit charmante , adorable ,
Sans lui faire tourner l'eſprit ,
Et fans la rendre moins aimable.
RÉUNION DE DAPHNIS ET DE CHLOÉ
DIALOGUE .
CHLOÉ
DAPHNIS , d'une fi longue abſence-
As -tu partagé les rigueurs ?
DAPHNI S.
Nous n'êtions point abfens : l'Amour , par la
puiffance ,
A toujours réuni nos coeurs.
CHLOÉ.
Hélas ! je confumois , à répandre des larmes ,
Les plus beaux jours de mon printemps.
38 MERCURE DE FRANCE.
DAPHNI S..
Chloé , ne penfons plus qu'à nos plaiſirs préſens ,
Et que le paffé même en redouble les charmes.
ENSEMBLE.
Eternifons nos tranfports enchanteurs ;
Enfin l'Amour , en nous , couronne la conftance !
Nous n'étions point abfens ; l'Amour , par fa
puiffance ,
A toujours réuni nos coeurs.
Enfin l'Amour en nous couronne la conftance ;
Eternifons nos tranfports enchanteurs !
Par M. LE CLERC , de Nangis.
RÉFLEXION SUR HENRI III.
Par Mademoiſelle B* .... des Sables.
CE Prince me paroît mériter une attention
particulière ; & je ne puis me perfuader
, comme le difent la plupart des
Hiftoriens , que le vainqueur de Jarnac &
de Montconiour , qu'un Prince qu'on vit
plus d'une fois dans le fort de la mêlée
combattre main à main avec l'ennemi ,
que celui que la plus brillante réputation
éleva fur le Trône de Pologne à l'âge de
vingt ans , fût le plus efféminé des hommes
, le plus lâche des Princes , le plus
inique des Tyrans . Tel eft le portrait qu'on
* Jeune Demoiſelle.
SEPTEMBRE . 1761 . 39
nous en a donné. Ceux qui ont écrit fous
ce régne,étoient pour la plûpart créatures
des Guifes , ou dévoués au parti de la Ligue
faut- il s'étonner s'ils ont peint des
couleurs les plus noires , un Prince qui ne
me paroit pas mériter tout le mal qu'on
en dit ? qu'on difcute les faits fans prévention
; qu'on confulte moins les autorités
que fa raifon , & je fuis perfuadée qu'on
fera de mon fentiment.
Le malheur d'Henri III, fut de monter
fur un Trône déjà ébranlé par les fecouffes
les plus fortes , & environné d'Ennemis
puiflans,qui , à l'ambition la plus démefurée,
joignoient les qualités les plus brillantes ,
& l'amour des Peuples . Il eft certain que ,
dans des circonftances auffi critiques , la
France avoit befoin d'un de ces génies
élevés & audacieux , faits pour gouverner
les hommes : un génie médiocre ,
une âme douce , de la bonté , de la droiture
devenoient inutiles , où il auroit falu
des lumières , de l'audace , de la fermeté ,
& de la diffimulation . Quelques traits
vont mettre ce Prince dans le point de
vue fous lequel je l'envifage : fes regrets
à la mort de la Princeffe de Condé fa Maîtreffe
; fes complaifances éxceffives pour
fes favoris, qui fans doute en abuſférent ;
les magnifiques Funérailles qu'il fit à quel40
MERCURE DE FRANCE.
ques-uns d'entr'eux ; les larmes fincères
que leur mort lui arracha , prouvent la
bonté de fon coeur . Combien n'aima- t- il
pas fa mère? A fa mort, il ordonna de détendre
tous les Appartemens du Château
de Blois , & les fit peindre en noir femé
de larmes . On peut voir dans les Mémoires
de Nevers , combien il ſe ſignala à l'attaque
du Fauxbourg de Tours par le Duc
de Mayenne. Malgré fa tendreffe pour
Catherine de Medicis , & la haine furieufe
de cette Princeffe pour Henri IV, il rendit
toujours juftice à ce grand Prince ; il
le reconnut hautement pour fon héritier
préfomptif, & fe ligua avec lui après la
mort du Duc de Guife . Il me femble qu'il
y avoit de la grandeur à remettre fon autorité
entre les mains de fon Succeffeur :
il falloit avoir du mérite foi - même , pour
voir fans envie celui d'Henri IV. Philippe
Second en auroit été jaloux ; jamais
T'héritier préfomptif de la Couronne n'eût
commandé les armées. Tibere fit empoifonner
Germanicus ; les qualités brillantes
de ce jeune Prince l'offufquoient. Je ne
prétens pas juftifier Henri III fur bien des!
défauts qu'on lui reproche avec raifon : je
fçais qu'il délibéroit fouvent lorfqu'il fal
loit agir ; qu'il ne mettoit aucun ordre
dans les dépenfes ; qu'il pouffoit la libéra
SEPTEMBRE. 1761. 41
lité jufqu'à la profufion ; qu'avec beaucoup
de valeur naturelle , il n'avoit point
ce courage d'efprit néceffaire à un grand
Roi ; qu'il aimoit trop fes plaifirs . Mais
malgré tous ces défauts ; s'il eût regné
dans des circonftances moins critiques , &
que dans un Royaume floriffant il eût
commandé à des Sujets fidéles , & foumis
; on l'eût peut - être mis au rang des
grands Rois.
TIRCIS ET AMINTHE ,
CANTATE FRANÇOISE.
L'AUROR à peine naiſſante ,
Diffipoit de la nuit les voiles ténébreux ;
Quand Tircis , loin de fon Amante ,
Répétoit aux échos ces accens douloureux .
O toi dont j'adore les charmes !
Viens , trop infenfible beauté
Tarir la fource de mes larmes ,
Ou me rendre ma liberté.
Ceffes d'être fourde à mes plaintes ,
Amollis ton coeur de rocher ;
Fais que par fes douces atteintes ,
L'Amour feul puiffe le toucher !
Mais quel objet frappe ma vue ? ...
Quel air noble & majeftueux ? ...
42 MERCURE DE FRANCE.
Eft- ce vous , Bergère ingénue ,
Qui venez embellir ces lieux ?
Plein d'une vive flâme ,
Tircis à fon afpect ,
Ému par le reſpect ,
Sent palpiter fon âme.
Aminthe l'abordant ,
D'un gracieux fourire ,
Appaifa fon tourment,
Et calma fon martyre.
Tircis , ceffe de t'affliger ,
Dit- elle , d'une voix tremblante ;
Épargne-moi l'aveu d'une flâme innocente }
Et connois mieux mon coeur , trop fidéle Berger !..
Qu'entends-je ? ô fort digne d'envie !
Aminthe ! vous daignez enfin me fecourir ?
C'est à vous que je dois la vie....
C'eſt pour vous que je veux mourir.
Par M. L. P. Molines de Montpellier.
STANCES
A Madame **
VENUS néglige quelquefois
Le foin de fa parure ;
Et fûre de donner des loix
A toute la Nature ,
SEPTEMBRE. 1761 . 43
Elle paroît devant les Dieux
Sans eſcorte & fans fuire ,
Et ne veut éblouir les yeux
Que par fon feul mérite.
C'eft dans cet état qu'Adonis
A Paphos la vifite ;
Et vis- à- vis fes favoris
C'est toujours fa conduite.
Églé , puiſque l'on voit briller .
Chez vous les mêmes graces ,
Songez qu'il faut lui reffembler ,
Et marcher fur les traces .
Cependant , au lieu d'imiter
Un fi parfait modéle ,
Yous croyez qu'on doit s'ajuster
Pour paroître plus belle ;
Et fans fonger que par trop d'art
On gâte un beau vifage ,
Chez vous les mouches & le fard
Sont tous les jours d'uſage.
Que fert l'éclat des diamans
Qui pare votre tête ?
C'eft fur de frêles ornemens
Affurer fa conquête.
Avec les autres voulez -vous
N'être pas confondue;
44 MERCURE DE FRANCE.
Écartez ces voiles jaloux
Qui me bleffent la vue.
Si Vénus n'avoit à Pâris
Montré quefon viſage ,
Elle n'eût jamais eu le prix
Remis à fon fuffrage.
Ce fut à bien d'autres attraits
Qu'elle dut la victoire.
Ne cachez rien ; je vous promers ,
Eglé , la même gloire.
SUITE de la Traduction de quelques Let
tres de SENEQUE .
LETTRE ( 1 )
SUR LA CRAINTE DE LA MORT.
: Vous avez bien commencé : il s'agit de
perfévérer , même de preffer le pas , s'il
eft poffible. Un coeur exempt des fouillures
du vice & du trouble des paffions ,
eft un bien dont on ne fauroit affez longtemps
jouir. Si aujourd'hui que vous travaillez
à l'acquérir , vous ne laiffez pas
d'en goûter la douceur ; que fera - ce ,
( 1 ) Cette Lettre eft la quatrième dans les Edi
tions Latines.
SEPTEMBRE. 1781 です
lorfque vous y ferez parvenu ? Quel plaifir,
quel bonheur que celui d'un coeur fans
taches & fans paffions !
·
Rappellez vous les fentimens que
vous eutes , quand vous quittâtes la robe
de l'enfance , pour prendre celle de l'âge
viril ; quand on vous conduifit pour la
premiere fois à la grande Place parmi
les Citoyens . Elle fera toute autre la
joie que vous reffentirez , lorfqu'une fois
vous aurez fecoué l'efprit même de l'enfance
, & que la fageffe vous aura mis
au nombre , non des citoyens , mais des
hommes .
Notre âge , il eft vrai , n'eft plus celui
de l'enfance ; mais hélas ! nous en confervons
les foibleffes . Le comble du mal ,
eft qu'à l'austérité des vieillards nous joignons
les vices non feulement de la tendre
jeuneffe , mais de la premiere enfance.
Celle - là tremble au moindre fujet
de crainte , celle- ci même fans ſujet .
Un peu de conftance dans la route de
la fageffe vous aura bientôt appris , qu'il
eft des chofes d'autant moins à craindre ,
qu'elles infpirent plus de frayeurs . Ce ne
peut être un grand mal que celui qui
commence & finit tout à la fois. La mort
approche : craignez- la , fi elle peut feule
ment fe faire fentir plus d'un inftant.
46 MERCURE DE FRANCE.
Mais non : ou elle ne vient pas , ou elle
paffe comme un éclair .
Il n'eft pas aifé , direz-vous , de monter
fon coeur au mépris de la mort ? Illufion
! les motifs les plus frivoles ont cent
fois fuffi pour cet effet . L'un va fe pendre
à la porte d'une femme , pour lui
reprocher fes rigueurs ; l'autre fe précipite
du haut d'un toit , pour fermer la
bouche à un Maître irrité qui le gronde ;
un autre fe perce le coeur , de peur d'être
faifi vif dans fa fuite . Ce qu'un excès de
crainte a fait , la vertu ne le fera - t - elle
pas ?
Qu'un de vos premiers foins foit donc
d'apprendre à mourir fans peine. La vie
ne peut être douce pour celui qui fonge
trop à la prolonger , & qui met les années
au nombre des biens dont il fait dépendre
fon bonheur .
Semblables à des malheureux qui fe
noyent , la plupart des hommes n'omertent
rien pour ſe maintenir contre le
torrent des années : ronces , épines , précipices
, ils s'attachent à tout pour s'arracher
au courant qui les emporte . Incertains
entre la mort & la vie , miférables
victimes de la crainte de l'une & des
tourmens de l'autre , ils ne veulent pas
vivre , & ne fçavent point mourir. L'uniSEPTEMBRE
. 1761 .
47.
que moyen , je le répéte , de poffeder
heureuſement la vie , c'eft de ne vous pas
inquiéter pour elle. Le coeur ne poffède
point avec plaifir ce qu'il n'eft pas difpofé
à perdre fans regret. Mais , quoi de
plus facile, que de perdre fans regret ,
ce qu'on ne peut regretter après qu'on
l'a perdu ?
Ayez donc foin de vous encourager ,
de vous endurcir contre toute espéce d'événemens.
Il n'en eft point qui ne menace
les têtes même les plus élevées.
L'arrêt qui fit périr Pompée , fut prononcé
par fon Pupile & par un vil Eunuque.
Un Soldat inhumain , un Parthe infolent
décida de la vie de Craffus. Caïus
Céfar condamne Lepidus à tomber fous
le fer du Tribun Decimus : lui - même
il périra fous celui de Chéreas. Jamais la
Fortune n'éléve fi haut fon plus cher favori
, qu'il n'ait à craindre d'elle plus encore
qu'il n'en a reçu .
Défiez -vous d'un calme trompeur : il
ne faut qu'un inftant pour foulever les
flots & bouleverfer les mers. Le même
jour voit un vaiffeau & voguer & périr.
Voyez le nombre de ceux que la violence
ou la furpriſe ont égorgés au ſein
de leurs familles ; & avouez que la colere
des Rois s'eft peut - être immolé,
48 MERCURE DE FRANCE
moins de victimes que celle des Efclaves.
Ceflez de vous raffurer fur la foibleffe ,
ou de trembler fur la force de votre ennemi
: il n'eft perfonne qui ne puiffe , s'il
le veut , vous porter le coup que vous
craignez.
Que je tombe au pouvoir des ennemis,
par ordre du vainqueur , je ferai conduit
au fupplice. Eh! l'on vous y conduit dès
à préfent depuis longtemps on vous y
méne. Commencez- vous à le comprendre
? Oui , du jour de votre naiſſance , on
vous traîne à la mort.
Ce font ces réfléxions , ou d'autres femblables
, qui feules vous feront attendre
en paix cette derniere heure , dont la
crainte trouble & corrompt toutes les autres.
Je termine ma Lettre , à l'ordinaire,
par la maxime du jour cette fleur ,
quoique cueillie dans un jardin étranger ,
pourra cependant vous plaire autant qu'à
moi. C'est être bien riche , que de fçavoir
être pauvre autant que le veut & le permet
la Nature. Mais les bornes de la рац-
vreté conforme à la Nature, en quoi confiftent-
elles? à n'être expofé ni au tourment
de la faim , ni à celui de la foif , ni à l'intempérie
des Saiſons . Or ,pour raffafier ſa
faim , pour étancher fa foif , il n'eft befoin
que d'aller affiéger l'entrée des Palais
;
SEPTEMBRE . 1761.
49
lais ; ni d'y éffuyer les airs faftueux de
leurs fuperbes Maîtres , ni d'y dévorer
l'opprobre d'un bienfait que mandie la
baffeffe & que l'orgueil accorde.
Ce que la Nature demande , eft aifé à
trouver : elle l'a mis à notre portée . Il
n'y a que le fuperflu qui coûte : c'eft
pour lui feul qu'on s'agite dans les villes
, qu'on vieillit fous les armes , qu'on
affronte des rivages étrangers . Le néceffaire
, nous l'avons fous les mains , &
il fuffit.
LETTRE ( 2 )
SUR LA SOURCE DES VERTUS ,
& fur le caractère diffinitifde l'homme
JE
de bien.
E ne puis vous donner trop d'éloges.
für ce que vous m'apprenez de la conftance
de vos progrès dans la vertu . Chaque
jour vous en reffentirez de plus en
plus les effets falutaires. Mais pourquoi
Vous arrêter à fouhaiter ce que vous pouvez
trouver en vous- même ? Il ne s'agit
( 2 ) Cette Lettre eft la quarante-uniéme dans
les Editions Latines.
C
40 MERCURE DE FRANCE:
pas d'élever les mains au Ciel , ni d'ob
tenir du Prêtre l'entrée du Sanctuaire de
l'Idole. Que vous foyez près ou loin de
fes oreilles , elle n'en entendra , croyezmoi
, ni plus ni moins vos prières. Le
Dieu que vous cherchez , eft auprès de
vous ; il est avec vous , il eft en vousmême.
N'en doutez pas , Lucilius ; un efprit
faint & divin réfide dans nos coeurs : il y
découvre nos vices ; il y foutient nos
vertus : il y régle fa conduite à notre
égard fur la nôtre envers lui. L'homme
de bien ne peut l'être fans Dieu . Dénué
de fon fecours , il ne pourroit s'élever audeffus
de la fortune . C'eft de lui qu'il
tient fa grandeur & fa force. Encore une
fois , un Dieu , ( mais quel eft - il , qui
nous le dira ? ) un Dieu réfide dans le
coeur de l'homme vertueux .
Entrez- vous dans un de nos bois facrés?
l'air antique de fes arbres , leurs branches
entrelacées , la hauteur prodigieufe de
leurs têtes , la folitude & le filence qui
régne fous leur fombre feuillage , une
ombre épaifle & impénétrable aux rayons
de l'Aftre du jour , des rénébres profondes
au milieu d'une campagne éclairée ;
tour vous faifit & vous perfuade de la préfence
d'une Divinité.
SEPTEMBRE. 1761.
Il en eft de même de ces grottes immenfes
taillées par les mains de la Nature
au ſein des montagnes. Votre coeur à
leur afpect frappé d'une crainte religieufe
, rend un hommage fecret au Dieu qui
s'y fait confufément fentir.
La Religion confacre parmi nous la
fource d'un grand fleuve : que fes eaux à
leur fortie de terre s'élancent foudainement
& avec abondance , il lui faut des
autels. Une fontaine d'eaux chaudes eſt
honorée du culte divin. Certains étangs
ont été confacrés par la feule profondeur
extraordinaire de leurs eaux , ou pour
l'épaiffeur de l'ombrage qui les couvroit.
Un homme que les périls ne peuvent
ébranler , que les paffions n'ont jamais
fouillé , que l'adverfité n'empêche pas
d'être heureux , qui jouit du calme au
milieu des tempêtes , qui s'élève au def
fus des hommes , qui marche de pair avec
les Dieux ; un tel homme vous femblet-
il ne rien avoir qui mérite auffi vos
hommages ? Non , il ne fe peut que le
principe de tant de grandeur & d'élévation
ait rien de commun avec la foible .
boue qu'il anime. Tant de vertu n'a pu
venir que d'enhaut . La puiffance divine
eft feule capable de réformer & de fou
tenir un efprit fi élevé , un coeur fi mai-
}
+
Cij
52 MERCURE DE FRANCE
tre de lui- même , un homme fi fupérieur
à ce qui nous frappe ici - bas , que s'il y
jette les yeux , c'eft pour y rire des objets
de nos craintes & de nos defirs : tant
de grandeur a befoin de la main d'un
Dieu pour le foutenir.
La meilleure partie de lui-même eft
donc encore au lieu de fon origine. Les
rayons de la lumiere tiennent encore au
Soleil , quoique répandus fur la terre. Il
en eft ainfi d'un efprit qui tire fa grandeur
d'enhaut. Envoyé parmi nous pour remplacer
les objets céleftes trop éloignés
de nos yeux , il converſe avec nous , il
n'en eft pas moins inféparablement uni à
fon principe. C'eft de lui qu'il reçoit tout
fon mouvement , à lui que s'adreffent
tous fes regards, vers lui que tendent tous
fes defirs. S'il refte parmi nous , c'eft
nous fervir de modele .
pour
Où le trouver cet homme Divin ? c'eſt
celui qui ne fonde fon mérite , & qui n'ap
puie fon bonheur que fur des biens qui
foient réellement à lui. C'eft fottife , c'eft
folie d'eftimer & d'admirer un homme
pour des chofes qui lui font étrangères ;
qui dans un inftant peut - être vont lui
échapper & paffer en d'autres mains.
L'or du frein peut orner un cheval ;
mais il ne le rend pas meilleur. Quelle
SEPTEMBRE. 1761. 53
différence entre un lion abandonné à luimême
, fans autres parures que celles de
la nature , & du courage qu'il en a reçu ;
& cet autre dont la criniere couverte d'or
cache mal la foibleffe qu'il a contractée
fous la main de fon Maître? Qui préférera
jamais la langueur & l'attirail pompeux
de celui- ci , à l'impétueule vivacité de
l'autre , à ce regard farouche , à cet air
horrible qui fait fa beauté , parce qu'il le
tient de la nature ? Ce qui n'eft pas à nous ,
ne peut être pour nous le fondement du
mérite.
Nous aimons à voir une vigne fe charger
de raifins , & faire plier les appuis
qu'on lui a donnés pour l'aider à en foutenir
le fardeau. Perfonne ne trouve à redire
,,
qu'elle ne foit pas couverte de grapes
& de pampres d'or . Qu'elle foit féconde
en vin , c'eft la feule chofe qu'on lui
demande : jugeons ainfi de l'homme par
ce qui eft & doit être en lui .
Qu'il ait une famille floriffante , une
demeure agréable & fomptueufe , des
fommes confidérables prêtées à ufure , de
vaftes & fertiles campagnes : rien de tout
cela n'eft dans lui- même : tout eft autour
de lui . Louez-le des feuls biens qu'il ne
peut ni perdre ni recevoir, parce que
feuls
ils font les biens propres de l'homme,
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
Louez-le d'avoir l'efprit & le coeur à un
degré de perfection conforme à fa nature.
· Le caractère diftinctif de l'homme ,
c'eſt la Raiſon. Or , que lui prefcrit - elle ,
pour venir à fa fin , pour être heureux ?
Rien que de très aifé : de vivre conformément
à fa nature . Mais l'aveuglement
général l'a rendu difficile. Nous nous
pouffons les uns les autres dans l'abîme :
& ce qui rend notre perte inévitable ,
c'eft que perfonne ne nous retient, tandis
que la foule nous entraîne .
Par M. l'Abbé D.... d'Arras.
EPITRE ,
A M. RAYOLE , d'Apt en Provence , en
réponse à celle qu'il m'a adreſſée , & par.
laquelle il me demande des confeils.
Pour moi , Damon , vous hauffez trop la
note .
Votre main me fecoue , au lieu de me bercer :
Vous avez beau vous exercer ,
A flatter finement un Vieillard qui radote ;
Dans mes foibles talens je trouve l'antidote
Du poifon qu'à mon coeur on veut faire fucer.
SEPTEMBRE. 1961 .
J'ai toujours redouté qui voulût m'amorcer :
Je reconnois l'ami dans mon compatriote ,
Lorſque fincère , & loin de m'encenſer ,
Sur le ton d'Ariftarque il daigne s'énoncer .
Dans votre Epître , il régne un aimable mêlange
D'efprit , de goût & de raiſon ;
Avec tant d'art vous cachez l'ameçon ,
Que fans m'examiner , j'allois prendre le changes
( Tant avec unflatteur l'amour -propre s'arrange ! )
Mais j'ai vu que l'éloge étoit une leçon .
Les prémices de votre verve ,
Sont trop brillans pour
des éffais.
Vous rimez au gré de Minerve ;
Par vos veilles , Damon , méritez les fuccès
Que le Dieu des Vers vous réſerve .
Mais Phébus a les loix : il veut qu'on les obferve.
Quand vous voudrez cueillir les fleurs
Qu'arrofent les eaux du Permeffe ,
Que jamais le temps ne vous prelle .
Pour mieux affortir les couleurs ,
Choififfez à loifir ; variez -en l'efpéce ;
Ne moiffonnez jamais dans le Champ des Auteurs,
S'ils ne font point de Rome ou de la Gréce ;
Le Geai de la Fontaine a trop d'imitateurs.
Méfiez-vous de l'abondance ,
Qu'éprouve un génie emporté ;
Trop de traits d'un objet chargent la reffemblance;
Cette richeffe eft pauvreté.
Le Geai paré des plumes du Paon. Fables de la Fonti
Civ
56 MERCURE DE FRANCE:
Plus d'un chemin méne au Parnafle:
Le plus frayé peut conduire au bourbier ;
Cherchez le moins battu : ce fut par ce fentier
Que Racine & Boileau , l'un Elève d'Horace,
Et l'autre d'Euripide élégant héritier ,
Sur le Sommet trouvérent place.
Pour guide prenez le dernier.
Qui mieux que lui des Vers enfeigna le métier ?
Puifque j'éprouve en vous des oreilles dociles ,
Je foutiens le ton que j'ai pris ;
Et dûffiez - vous trouver mes leçons inciviles ,
Vos pinceaux , cher Damon , au travail trop
faciles ,
A côté d'un beau coloris ,
Placent des teintes inutiles ,
Qui du Tableau baiffent le prix.
Un objet qui demande une forte peinture ,
Ici votre crayon me l'efquiffe en petit ;
Et là , quand il faudroit le peindre en miniature,
Il s'égaye & s'appefautit.
Sacrifiez à l'harmonie ;
Sans elle il n'eft point de bons Vers :
Si la Rime fouvent met la Raifon aux fers ,
Plus fouvent elle tourne au profit du génie :
Rouffau lui doit fes plus nobles concerts,
Fuyez l'ennuyeux rempliſſage ;
Soyez court fans obfcurité ;
Mêlez la force à la clarté ;
Et de la Poëfie empruntant le langage ,
SEPTEMBRE . 1761. 57
Des grâces de l'Antiquité
Décorez vos écrits avec dextérité.
Que dans vos Vers tout falſe image.
De la Fable faites uſage ,
Elle embellit la Vérité.
Mais je donne ici des Préceptes !
Pour former de jeunes Adeptes ,
Ne faut- il donc que des confeils ?
Par l'exemple encor mieux on inftruit vos pareils
Mais je fuis ce Curé qui critique & fermone ,
Et ne fait pas ce qu'il ordonne.
Malgré mes propos entallés ,
Pour mon coeur , c'eft trop peu ; pour ma main
c'eſt affez ,
Je finis donc mon verbiage ,
Damon : J'ai foixante ans paffés :
Les longs difcours font de mon âge .
ParM. l'Abbé CLEMENT , Chanoine de
S. Louis du Louvre.
VERS à Madame DUB.... Actrice de la
Comédie de Metz , en lui envoyant un
Bouquet , la veille d'une Repréfentation
d'Eglé.
QUAUAND il s'agit de vos fuccès ,
Je prononce avant le Parterre ,
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
Et je ne me trompe jamais :
Vous charmerez demain ce Juge fi févère.
Des vrais talens admirateur zélé ,
Il vous couronnera ; mais , je veux , la premiere
Donner des fleurs au triomphe d'Eglé.
Par Madame Dau....
A Madame la P. de * , fur un Bal où
elle fut reconnuе.
QUE les Ris & les Jeux , l'Amour & la Folie
Pallent la nuit au bal , & danſent juſqu'au jour z
Que Terpficore & l'aimable Thalie
En foient les reines tour- à - tour ;
Je le conçois , & c'eft chofe ordinaire.
Mais qu'on y voye,en domino ,
Non Melpomene , Uranie ou Clio ,
( Ce font Prudes qui veulent plaire ; )
Mais la Sageffe , un maſque ſur le front ,
Et dépouillant fon air auftère ;
Voilà ce qui m'étonne & ce qui me confond.
C'eſt bien auffi ce qui m'enchante ;
Dieux ! que je la trouvai charmante ,
Dans le dernier Bal où j'étois !
Que d'enjoûment , que d'efprit & de grâces
Que de bons mots , fi je les racontois !
Les Ris , les Jeux voltigeoient ſur ſes traces
SEPTEMBRE. 1761 . $9
L'Amour n'ofoit en approcher ,
Et la lorgnoit avec envie :
Pour lui plaire & pour la toucher ,
Je crois qu'il eût donné la vie.
Quoi ! l'Amour lui - même être épris
De la beauté des traits de la Sagefſe ?
Ma foi , je n'en fuis point furpris :
C'est que la prudente Déeffe ,
Pour l'emporter fur les Jeux & les Ris ;
De .... dans ce Bal avoit pris
Tout l'agrément & toute la fineffe ,
Au point qu'on s'y feroit mépris ,
C. D. L. P. D. M.
* COUPLETS chantés à la Ferté - fous-
Jouate , à MESDAMES DE FRANCE,
allant à Plombières.
Sur l'Air : Ton humeur eft , Catherine &c .
MESDEMOISELLES ESDEMOISELLES DE FRANCE ,
J'ofons vous faire la cour ;
Vous préfenter en cadence
Nos refpects & notre amour.
Ah ! que vous êtes gentilles!
* Ces Couplets où les fentimens fi naturels au Frand
çois , pour Paugufte fang de fes Maîtres , font fi naïvement
exprimés méritent d'être autfi connus qu'applaudis.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE
1
Que vous avez l'air courtois !
On voit que vous êtes Filles
Du meilleur de tous les Rois.
Si je dilons qu'on vous aime
N'en ayez point de fouci ;
Je le difons à Dieu même ,
Comme à votre Père auffi .
De nos coeurs le pur hommage,
Leur agrée à tous les deux ;
J'espérons cet avantage
De vous , tout ainſi que d'eux.
Le Monde dit qu'à Plombières,
Vous allez boire des eaux .
C'eſt une pauvre ouvriére
Que l'eau pour guérir les maux.
Tenez...le moindre ordinaire ,
Du vin de notre canton
Eft cent fois plus falutaire
Que ces eaux de grand renom.
Je comptions vous faire offrande
De nos plus fameux flacons ;
Mais le bel-air nous commande
De vous donner des bons- bons :
Douze boëtes à chacune ,
C'eft faire au mieux les honneurs
Gardez - en pourtant quelqu'une
Pour vos deux charmantes foeurs
SEPTEMBRE. 1761 : 61
Puifque c'eft auffi l'uſage ,
J'offrons le paffe- partout ;
Car toujours notre Village
Eft ouvert de bout en bout.
Pour vous je les ons fait braves,
En rubans & falbalas :
Ce font les clefs de nos caves ;
Foin !.... ne les emportez pas,
Car ce foir , en nos familles ,
Je voulons boire à Louis ,
Sa Femme , la Bru , fes Filles ,
Ses Fils & fes Petits - Fils.
Que de tout mal Dieu préſerve
Tous ces très- honnêtes gens ;
Que longs jours il leur conferve ,
Pour nous rendre heureux longtemps !
Mefdemoiſelles DE FRANCE ,
Pardon fi j'en ons tant dit ;
C'est qu'on a de l'éloquence ,
Lorſque le coeur y fournit.
Vous aurez , dans ce voyage,
De plus fubtils complimens:
Le nôtre aura l'avantage
Des vrais & pursfentimens
Fait à la Ferté-fous-Jouare
Par Monfieur notre Pasteur,
62 MERCURE DE FRANCE:
Homme d'un mérite rare ,
Car il fait lire par coeur.
En quoi furtout il excelle ,
C'eft en amour pour fon Roi :
Je le prenons pour modéle
Son exemple eft notre loi.
A Mademoiselle DANGEVILLE , fur un
Diamant dont le Roi lui afait préfent
le 3 Juillet 1761 .
GRANDS & petits Faiſeurs de vers ,
Qui pour illuftrer Dangeville ,
En avez remplil'Univers !
A votre ardeur il s'offre un champ fertile .
Le Roi vienten ce jour de lui faire préſent
D'un Diamant .
Ce bienfait fignalé va produire un volume.
Mais Rimailleurs , ou Beaux - Eſprits ,
Croyez- moi , quittez votre plume ,
Il en dit plus que vos écrits .
SEPTEMBRE. 1761 .
VERS fur l'Abrégé Chronologique de
l'Hiftoire de France , de M. le Préfident
HE'NAULT.
LE
C E Livre , fait pour exercer
L'efprit autant que la mémoire ,
Dans un fimple Abrégé d'Hiſtoire ,
Contient le grand Aft de penſer.
E mot de la première Enigme du
mois d'Août , eft Roman . Celui de la feconde
, eft Arlequin . Celui du premier
Logogryphe , eft chapitre , dans lequel on
trouve chape , chapier , Epire , carpe, re ,
arc , Caire , chat , pie , archet , haire, Ea,
Capet , chaire , pate , acre , pith , capre ,
char , harpe , thia , pater , ah , tache, harpic
, rapt , icare ire. Celui du fecond ,
eft , Croute , dans lequel on trouve re, ut,
rue Tot , tour , roue , crote , or , tue , outre
, côte , & cure .
"
ENIGM E.
Dx ma puiffance on n'a que trop de preuvesà
MERCURE DE FRANCE.
Je tombe partout fous les fens.
Il n'eft fans moi ruiffeaux ni fleuves ,
Je fuis le vrai père des vents.
Les Rois , fans mon fecours , n'affemblent point
d'Armées ;
Je régle le cours des années ;
Je vais , je viens , & ne chomme jamais.
L'Art , vrai finge de la Nature ,
Voudroit m'atteindre en ceci : mais ,
En vain il met à la torture
Ses régles , fes jeux , les refforts ;
Il a fait jufqu'ici d'inutiles éfforts.
AUTRE.
SANS rien changer , fous divers ſens ,
Mon nom t'offre , Lecteur , trois êtres différens.
D'abord je fuis un corps , mais un corps peu folide .
Change le fens , je ne fuis plus qu'un ſon :
Change encor , je ſuis un pronom .
Sous le premier afpect , tout bon friand décide
Que l'on me doit féparer de ma foeur ;
Mais fuivant le fort qui me guide ,
Je ſuis ou ne fuis pas pour lui de non-valeur.
Car fi , fubtilement , je me métamorphofe
Dans le quadrupède & l'oifeau ;
Si je viens quelquefois , fous un air tout nouveau
Le régaler : comment fe fait la choſe ?
SEPTEMBRE. 17617 હેતુ
Oh ! par ma foi , je n'en dis rien:
Mais le friand s'en trouve bien.
LOGOGRYPHE.
Iz n'est point pour moi de myſtere ; L
Je lis dans les fiécles paflés :
J'établis la Nobleffe, & fais qu'on la révére :
Les honneurs tels qu'ils font , par mes foins font
tracés.
Lecteur , veux tu bien me connoître ;
Je marche fur dix pieds ; décompoſes mon être ?
Tu trouveras dans moi ce Troyen généreux
Qui ravit à la flâme & fon père & les Dieux ;
Ce qui commande aux Rois , quoique leur propre
ouvrage ;
Un Prophéte fameux objet de notre hommage ;
Un fleuve en Egypte vanté ;
Le plus grand ennemi de la fincérité ;
Une fille d'Atlas , & deux fils de Neptune ;
Ce qu'Ovide employa pour peindre l'infortune ;
Un Athlete célébre ; un Météore aqueux ;
Deux mots latins ; une heſpéride ;
Deux animaux ; l'un fier , l'autre ſtupide
Un frimat trifte & rigoureux ;
Enfin j'offre un Pays en yvoire fertile :
Déja tu tiens mon nom ; rien de moins difficile
66 MERCURE DE FRANCE.
AUTR E.
à Mlle D✶✶✶ à Paris.
VIF , languiffant , tendre , doux ou févere ;
Ꮩ
Charmant en vous , en d'autres éffronté ,
J'ufe de mes droits fans myſtère.
Cependant il en fait quelquefois la beauté ;
Mais belle Iris , je hais l'obſcurité,
Et ces droits ne font beaux qu'au jour , qu'à la
lumiere.
De mes fix pieds , avec facilité ,
On pourra , fi l'on veut , extraire
Pour les Vaiffeaux un lieu de fureté ;
Un cri quelquefois falutaire
A l'homme ivre , au Badaut dans la rue arrêté ;
Contre toute furpriſe un poſte néceſſaire ;
Cet espace de Temps qui , dans la primauté ,
Des plaifirs , des amours , des jeux eft le repaire ,
Et qui dans fon hyver , languiffant , rebuté ,
De bien des maux devient le tributaire ;
Le premier Fondateur d'an Ordre refpecté
Religieux & Militaire ;
Du Languedoc une Cité ;
Un autre de Bohême ; un excès de colere ,
Ou ce mal furieux , terrible & fanguinaire
Partout justement redouté.
Iris , après ce trait il eft temps de me taire;
Je ne me fuis que trop manifefté.
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
2
Dieux ! Thémire est plus belle Au
jourd'hui
que ja mais! Le titre d'infi...
- delle Prete donc des at traits ? A
mour si de son
+
•
crime Tu ne les point
van
-ge; Dois -je être ta victi me Moi
qui suis outrage. ?
Grave
par Me Charpentie.
Imprimé par Tournelle .
SEPTEMBRE . 1761 .
67
ENVÓ I.
A Imable Iris , je n'en fais pas myſtere :
Animé par l'efprit , les graces , la beauté ,
Ce mot a tant d'attraits & tant d'autorité ,
Qu'un feul de votre part eft tout ce que j'eſpére
Je l'attens de votre bonté ;
Jugez s'il doit me fatisfaire !
Par lui l'Auteur fera flatté' ,
Et l'Ouvrage , affuré de plaire.
Par M. DES MARAIS du CHAMBON, en Limousin
LE BERGER TRAHI ,
PARODIE.
Sur l'Air : L'Aurore vient de naître &c.
DIEUX ! IEUX ! Thémire eft plus belle
Aujourd'hui que jamais ;
Le titre d'infidelle
Prête donc des attraits ?
Amour ! fi de fon crime
Tu ne t'es point vangé ;
Dois-je être ta victime ,
Moi , qui fuis outragé ?
68 MERCURE DE FRANCE.
Ses yeux ont plus de charmes
Depuis qu'ils font trompeurs :
Les miens n'ont que des larmes
Pour pleurer mes douleurs .
Amour ! & c.
Son teint , près de Lindore ,
A de nouveaux appas :
Moi , l'ennui me dévore ,
Quand je ne la vois pas.
Amour ! & c .
Lindore a de Thémire
Les foupirs les plus doux
Et moi , fi je foupire ,
Amour , c'eſt de tes coups.
Amour ! & c .
Mais voici l'infidelle ....
Ah , Dieux qu'elle a d'attraits !
Elle eft cent fois plus belle ,
Aujourd'hui que jamais .
Amour ! fais qu'elle m'aime ,
Tu feras mieux vangé :
J'oublie à l'inftant même
Que j'en fus outragé.
Par M. DU M
SEPTEMBRE, 1761 .
ة و
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE à M. ROUSSEAU , Citoyen
de Genève , par un Bourgeois d'Eftavaïe
, Ville du Pays de Vaud en Suiffe.
MONSIEU ONSIEUR ,
Vous êtes trop bon Citoyen pour ne
pas recevoir favorablement la Lettre que
j'ai l'honneur de vous adreffer : elle eſt
d'un Bourgeois d'Eftavaïé , Ville du Pays
de Vaud , affiffe fur la Rive Orientale du
Lac de Neufchatel, dans le canton de Fribourg.
Le hazard m'a fait ouvrir chez un ami
le premier volume de votre nouvelle Héloife
, dont la lecture n'eft pas de mon
état. A l'ouverture de ce Volume je fuis
tombé fur une apoftille capable de faire
de la peine à tous les Bourgeois du Pays
de Vaud elle eft au bas de la page 360 ,
& la voci.
» Le Pays de Vaud n'a jamais fait par-
» tie de la Suiffe : c'eft une conquête des
76 MERCURE DE FRANCE.
» Bernois , & fes Habitans ne font ni Ci-
» toyens , ni libres , mais fujets .
"
»
Je dois maintenir , autant qu'il eft en
moi , l'honneur & les prérogatives de
mon Pays : le Pays de Vaud n'a jamais
» fait partie de la Suiffe » ! Seroit - ce de
l'ancienne Suiffe, de l'Helvétie ? Céfar n'eſt
point de cet avis : ce Conquérant nous
apprend dans fes Commentaires , que » la
» derniere Ville des Allobroges , & la
plus prochaine des bornes de l'Helvé–
» tie , c'étoit Genêye ; que le Pont de cet-
» te Ville portoit par une de fes extrémi-
» tés fur l'Helvétie . ( a ) Or la partie de
l'Helvétie , qui avoifinoit Genève, & qui
s'étendoit jufqu'au Pont de cette Ville ,
c'eft la Province , qui depuis le huitiéme
fiécle fe nomme le Pays de Vaud. Il eſt
donc évident par ce premier trait des
Commentaires, que le Pays de Vaud a fait
partie de l'Helvétie , ou de l'ancienne
Suiffe dans le temps de la conquête des
Gaules.
De plus , l'Helvétie étoit partagée en
quatre Pays ou cantons dans ces mêmes
( a ) Extremum Oppidum Allobrogum eft, proximumque
Helvetiorum finibus Geneva : ex eo
Oppido Pons ad Helvetios pertinet. Cefar , Comin .
Lib 1.chap 5.
SEPTEMBRÉ. 1761 . 71
temps : (b ) deux des quatre occupoient
la Province , qu'on a appellée depuis le
Pays de Vaud. Avenche , Capitale du principal
canton , & même de la Nation
Helvétique au rapport de Tacite : ( c ) la
Ville d'Orbe ( d ) Capitale du canton de
fon nom font celle- ci au centre , l'autre
au Nord de cette Province.
Tous les critiques font d'accord au fujet
d'Avenche : les Inferiptions , les Médailles
, & les autres monumens que l'on
trouve encore fréquemment dans cette
Ville , & dans fes environs ; Tacite , qui
nous apprend , que l'Armée de Vitellius ,
après avoir faccagé ( e ) le Pays Helvétique
, marcha droit à cette Ville , Capitale
du Pays ; fon Siége Epifcopal établi dès
les premiers fiécles de l'Eglife , transferé
à Laufanne au commencement du feptićme
fiécle par Saint Maire , Auteur de la
Chronique de fon nom ; (f) les fignatures
de fes Evêques aux Conciles Nationaux
du premier Royaume de Bourgogne, leurs
Droits Seigneuriaux fur cette Ville , tout
( b ) Omnis civitas Helvetia in quatuor Pagos
divifa eft Caf. Comm . lib . 1. cap. 10. ( c ) Aventi
cum gentis caput Tacit. lib. 1. n°. 68 ( d ) Pagus
Urbigenus ou Verbigenus . Caf. ) ( e Tacit. ibid.
(f)Marius Aventicenfis : Il a figné au fecond
Concile de Châlon en Bourgogne Marius Epifcopus
Ecclefiæ Aventicæ.
72 MERCURE DE FRANCE.
a perpétué la mémoire de la fituation ď
venche & de fon canton. Cette Ville n'eſt
point la dernière du Pays de Vaud vers le
Nord : la Ville de Morat & plufieurs autres
lieux reculent encore plus loin les
bornes Septentrionales de cette Province.
( g )
Lecanton d'Orbe étoit également dans
le Pays de Vaud. ( h ) Je fçais que M. de
(g ) Wattev . hift . de la Confédération Helvétique
, Tom . 1. liv . 2. pag . 65 .
( h ) Le canton appellé Pagus Urbigenus ou
Verbigenus ne peut convenir qu'aux environs de
la rivière & de la Ville d'Orbe : ce mot latinifé de
Céfar, eft un compofé de deux mots Celtiques. *
Gen ou Gent fignifioit habitation dans cette langue
, comine Mag , qui fert de terminaifon à tant
de Villes, paroît fignifier un grand lieu , une Ville :
Ourb ou Querb paroît un nom de lieu ou
de rivière : Il n'y a dans toute la Suiffe aucun lieu ,
ni aucune rivière , qui approche de ce nom , que
la rivière & la Ville d'Orbe . Cette Ville étoit encore
confidérable fous la deuxième race des Rois
de France ; puifque Charlemagne y avoit un Château
de Plaifance ** On fçait d'ailleurs , que les
noms des principales rivières n'ont changé que par
la terminaifon latine.
Quant au mot Gen , plufieurs endroits de la
Celtique & du voifinage portent cette fyllabe, furtout
ceux qui font fitués fur des eaux , comme
* L'Abbé Lebeuf , Hift. du Dioc. de Paris , au mot
Gentilli.
** Delices de la Suiffe, Wattevil. ibid.
Bochat
SEPTEMBRE . 1761 . ཧརྟ
Bochat a transporté le canton appellé Urbigenus
Pagus, dans l'Argeu , ou l' Argou .
contrée arrolée par la rivière d'Aare :
mais la critique ne commet aucune injuftice
contre le Pays de Vaud ; à ce canton
elle fubftitue le canton nomnić Pagus Antuaticus
, qui occupoit faivant lui tout le
territoire depuis l'ancienne Abbaye d'Agaune
, ou de Saint Maurice fur les confins
du Vallais , jufqu'au pont de Genève
en tournant par Laufanne , & les rives
Juranes du Lac Léman . Quoiqu'il en foit
Genève , Geneva , Orléans , Genabum , tous les
Nogens , Gène , Genua dans la Gaule Citérieure
ou Cifalpine &c. Ce mot étoit probablement adoptif
dans la langue Celtique Les mots grecs
γένος & γίνομαι pouvoient y avoir donné lieu depuis
la defcente des Phocéens Céfar nous dit ,
qu'après la déroute des Helvétiens au paffage de
la Sône on trouva dans leur Camp le dénombrement
de leur Arnée en Lettres grecques :
Ces caractères étoient en ufage dans toutes les
Gaules .
*
Je me rappelle à ce propos que les étymologies
de Genève , refurées par M. Spon, Hiftoriographe
de cette Ville , font en effet toutes ridicules . Geneve
parcit venir le deux noms Celtiques Gen &
Eve on Ive , ou Abe comme dans les Villes citées
plus haut ce qui les a fouvent fait confondre dans
les fiécles du moyen âge : Ces dernières fyllabes
* Tabule Litteris Græcis confe& æ.
D
74
MERCURE DE FRANCE.
"
des fçavantes recherches de M. Bochat ;
( i ) Il fuffit à mon objet que cet habile
en différentes dialectes Celtiques paroiffent fignifier
de l'eau les mots grecs ev , mouiller ,
ag de l'eau en approchent beaucoup * : Dans
lequel cas le mot Genève fignifieroit en Celtique
habitation fur l'eau, comme Urbigenum, habitation
fur l'Orbe : Ivoire , Ivodorum , Eviam , Eviomagus
fur le Lac de Genève , & Iverdun , Ebrodunum ,
Ivonans , Ivonenfis Vicus fur le Lac de Neufchatet
, & ailleurs Lodève , Luteva fur la Lergues
& c. auroient la même fignification modifiée différemment.
Quant au Pays d'Argeu , ainfi nommé , parce
qu'il eft traversé par la rivière d'Aare jufqu'au
Rhin , c'eft un nom Germanique , bien poftérieur
au temps de Céfar. Cette contrée renferme une
partie des cantons d'Avenche , de Zurich ** des
Rauraciens , des Nantuates voifins des Alpes & du
Rhin : Auffi l'Argeu eft-il de trois Diocèfes , de
celui d'Avenche , transferé à Laufanne , de celui
d'Augft , Capitale des Rauraciens , *** transféré à
Bafle , de celui de Vindiſch , **** transféré à Conftance
: On fçait que les Diocèles ont confervé les
anciennes divifions des Pays : mais après avoir
trouvé la place de trois ou quatre peuples dans
l'Argeu , comment y placer le Pays Urbigenus Pa
gus ? L'Argeu n'eft pas affez confidérable. L'Antuaticus
feroit mieux rapporté aux cantons de Zug
***** Switz & environs .
( i ) Mémoire crit tique fur la Suiffe , Tom . I.
* Le mot Celtique Adour , qui s'eft confervé dans le
bas Breton , fignifie auffi de l'eau.
***
Pagus Tigurinus. Cef.
Augufta Rauracorum .
**** Vindoniffa on Vindiciæ Helvetim.
***** Tugium.
SEPTEMBRE. 1761 . 75
critique ait reconnu dans le pays de Vaud
deux cantons des quatre mentionnés par
Jules -Céfar : C'en eft affez pour conclure
que cette Province a toujours été une des
grandes parties de l'Helvétie.
Enfin pour comble d'évidence , César
nous apprend que les limites des Helvé
tiens fembloient avoir été tracées par la
nature même ( k ) : le Rhin les féparoit
» des Germains , le Mont Jura des Séqua-
» niens , le Lac de Genève & le Rhône de
la Province Romaine » : Si le Pays de
Vaud eft renfermé dans cette enceinte ;
il eft hors de doute , qu'il a fait partie de
l'ancien Pays des Suiffes : Or il n'eft rien
de plus évident : le Pays de Vaud eft borné
au couchant par le Mont-Jura , qui le
fépare des Séquaniens , ( 4 ) au midi par le
Lac Léman & le Rhône , qui le féparent
des anciens Véragres , Séduniens , & Allobroges
appellés notre Province par Céfar
,(m ) au Nord par le Pays d'Argeu , qui
( k Undique loci natura Helvetii continentur :
unâ ex parte flumine Rhono latiffimo atque altif
-fimo , qui agrum Helvetium à Germanis dividit :
alterâ ex parte monte jurâ altiffimo , qui eft inter
Sequanos & Helvetios : tertiâ lacu Lemano &
flumine Rhodano , qui Provinciam noftram ab
Helvetiis dividit Caf. comm . lib. 1. cap . 2.
(1 ) La Franche Comté .
(m ) Le haut & le bas Valais , la Savoye,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
conduit les rivières du Pays de Vaud dans
le Rhin , enfin au Levant par les Alpes :
L'infpection de la Carte rend la chofe
palpable.
"
Que fignifie donc cette propofition ?
» Le Pays de Vaud n'a jamais fait partie
de la Suiffe » : Quel fens peut - on lui
donner ? Si on entend par la Suiffe l'ancienne
Helvétie , elle eft évidemment
fauffe.
La propofition ne gagne rien , s'il eft
queftion de la Suiffe moderne : depuis le
premier cri de la liberté à la fin de 1315 ,
le Corps Helvétique n'a pris fa confiftance
actuelle , que dans l'efpace de deux cent
vingt ans Fribourg & Soleure ne fe font
cantonnés qu'en 1481 , Bafle & Schaffhouſe
en 1501 , Appenfel en 15 13 , enfin
le Pays de Vaud s'eft réunis aux cantons
de Berne , & de Fribourg en 1535 ,
& 36 , c'eft-à-dire , 3 ; ans après l'union
de Bafle & de Schaffhoufe au Corps Helvérique
, & 23 ans après celle d'Appen
fel. Parce que Fribourg & Soleure n'ont
fait corps avec les autres cantons que cent
foixante fix ans après la première Confédération
Helvétique , Bafle , Schaffhouſe &
Appentel prefque deux cent ans après cette
même époque ; dira- t - on , que ces cantons
n'ont jamais fait partie de la Suiffe
SEPTEMBRE. 1761. 77
:
moderne ? Parce que la Guienne , la Normandie
, & d'autres Provinces ont été
long - temps poffédées par les Rois d'Angleterre
dira-t - on , que ces Provinces
n'ont jamais fait partie du Royaume de
France ? De quel il regarderiez -vous de
emblables raifonnemens Il y a deux cent
quarante huit ans , qu'Appenfel fait partie
de la Suiffe moderne : il y en a deux
cent vingt -cinq , que le Pays de Vaud en
fait une bien plus grande partie : c'eſt une
différence de 23 ans : mais dans l'efpace
de plufieurs fiécles , & lorfqu'une Républi
que s'établit , cet intervalle ne doit faire
aucune fenfation . En bonne Phyfique , les
grands corps ne fçauroient prendre toutleurs
affiétes : Concluons donc ,
Monfieur , que le Pays de Vaud a toujours
fait partie de la Suiffe . Cette propofition
eft l'antipode de la vôtre : Auffi faut-il
avouer que l'Apoftille pafferoit pour romanefque
, fi elle étoit dans le texte , &
fi l'intérêt du Roman l'éxigeoit .
à coup
Mais , dira t- on , les Sénats Souverains
de Berne & de Fribourg font tirés des
Bourgeois de ces deux Capitales , & non
pas du Pays de Vaud : donc le Pays de
Vaud n'a jamais fait partie de la Suiffe .
Si cette conféquence eft bonne ; j'ai droit
de tirer celle- ci : Donc tout ce qui n'eft
D iij
78 MERCURE DE FRANCE:
point Bourgeois de Berne , de Fribourg &
des autres Capitales des grands cantons ,
n'a jamais fait partie de la Suiffe. Ce Pays
feroit étonné d'être réduit à une fi petite
étendue Cette dernière conféquence eft
ridicule la premiere l'eft auffi .
Le Pays de Vaud , » ajoute l'Apoftille ,
» eft une conquête des Bernois » C'est-àdire
, fans doute , les Bernois fe font emparés
de ce Pays par la force des Armes.
» Ses Habitans ne font point Citoyens : "
les Bernois les ont donc privés du droit de
Bourgeoisie , ( car le mot de Citoyen n'eſt
pas connu en Suiffe ) » Ils ne font point
libres , mais fujets , » ou bien ils font fujets
fans être libres , c'est - à dire , efclaves.
Ne diroit-on pas que quelque Conquérant
Afiatique a mis le Pays de Vaud dans les
fers ? Dans un tableau fi peu reſſemblant
qui pourra jamais reconnoître la fageffe
du Gouvernement Helvétique , & le caractère
dominant de la Nation ? Le terme
de conquête n'a pas la même fignification
en Suiffe & ailleurs : Les conquê
tes des Suiffes ne font qu'une extenfion de
la liberté . Bellinzone , Lugan , & Locarne
, conquête des Suiffes fur la Duché de
Milan , fentirent trop bien le prix de la
liberté , pour ne pas s'attacher inviolableSEPTEMBRE.
1761 . 79
ment à leurs nouveaux Maîtres ( n ) .
Les Bernois porterent à la vérité leurs
armes dans le Pays de Vaud en 1535 :
Deux raifons importantes empêchoient
ce Pays de concourir à faire renaître l'ancienne
Helvétie telle , qu'elle avoit exiſté
au fiècle de Jules - Céfar.
La première étoit que cette Province
jouiffoit d'une parfaite liberté fous la fouveraineté
du Duc de Savoye , de l'Evêque
de Laufanne , & de quelques autres Maifons
confidérables ( o ) . Telle a été &
telle eft encore la liberté de la Comté de
Neufchatel fous la fouveraineté de fes
Princes , & en dernier lieu des Rois de
Pruffe. Pendant que les Tell , les Stauffach
, les Furft , les Melchtal , ces braves
Auteurs de la liberté , voyoient avec larmes
leurs Concitoyens gémir fous le poids
de la tyrannie dans la Partie Septentrio
nale de la Suiffe ; la Partie Méridionale
qui eft le Pays de Vaud , refpiroit un air
bien différent.
Le Domaine des Princes étoit partout
diftingué du patrimoine des Sujets : ceux-
>
(n Mezerai à l'année 1515. Wattev : hift. de
la Confédération Helvet. à l'année 1500.
( o ) La Maiſon de Châlon en plufieurs Seigneuries
celle de Hochberg dans la Comté de Neufchatel.
Div
78 MERCURE DE FRANCE:
point Bourgeois de Berne , de Fribourg &
des autres Capitales des grands cantons ,
n'a jamais fait partie de la Suiffe . Ce Pays
feroit étonné d'être réduit à une fi petite
étendue Cette dernière conféquence eft
ridicule la premiere l'eft auffi .
Le Pays de Vaud , » ajoute l'Apoſtille ,
» eft une conquête des Bernois » : C'est- àdire
, fans doute , les Bernois ſe ſont emparés
de ce Pays par la force des Armes.
» Ses Habitans ne font point Citoyens : »
les Bernois les ont donc privés du droit de
Bourgeoisie , ( car le mot de Citoyen n'eſt
pas connu en Suiffe ) " Ils ne font point
libres , mais fujets , » ou bien ils font fujets
fans être libres , c'eft - à dire , efclaves.
Ne diroit-on pas que quelque Conquérant
Afiatique a mis le Pays de Vaud dans les
fers Dans un tableau fi peu reffemblant
qui pourra jamais reconnoître la ſageſſe
du Gouvernement Helvétique , & le caractère
dominant de la Nation ? Le terme
de conquête n'a pas la même fignification
en Suiffe & ailleurs : Les conquê
tes des Suiffes ne font qu'une extenfion de
la liberté. Bellinzone , Lugan , & Locarne
, conquête des Suiffes fur la Duché de
Milan , fentirent trop bien le prix de la
liberté , pour ne pas s'attacher inviolableSEPTEMBRE.
1761 . 79
ment à leurs nouveaux Maîtres ( n ) .
Les Bernois porterent à la vérité leurs
armes dans le Pays de Vaud en 1535 :
Deux raifons importantes empêchoient
ce Pays de concourir à faire renaître l'ancienne
Helvétie telle , qu'elle avoit exifté
au fiècle de Jules -Céfar.
La première étoit que cette Province
jouiffoit d'une parfaite liberté fous la fouveraineté
du Duc de Savoye , de l'Evêque
de Laufanne , & de quelques autres Maifons
confidérables ( o ) . Telle a été &
telle eft encore la liberté de la Comté de
Neufchatel fous la fouveraineté de fes
Princes , & en dernier lieu des Rois de
Pruffe . Pendant que les Tell , les Stauffach
, les Furft , les Melchtal , ces braves
Auteurs de la liberté , voyoient avec larmes
leurs Concitoyens gémir fous le poids
de la tyrannie dans la Partie Septentrio
nale de la Suiffe ; la Partie Méridionale ,
qui eft le Pays de Vaud , refpiroit un air
bien différent.
Le Domaine des Princes étoit partout
diftingué du patrimoine des Sujets ceux-
(n` Mezerai à l'année 1515. Wattev : hift. de
la Confédération Helvet. à l'année 1500.
( o ) La Maiſon de Châlon en plufieurs Seigneu
ries : celle de Hochberg dans la Comté de Neufchatel,
1
Div
78 MERCURE DE FRANCE:
point Bourgeois de Berne , de Fribourg &
des autres Capitales des grands cantons ,
n'a jamais fait partie de la Suiffe . Ce Pays
feroit étonné d'être réduit à une fi petite
étendue Cette dernière conféquence eft
ridicule la premiere l'eft auffi .
Le Pays de Vaud , » ajoute l'Apoftille ,
» eft une conquête des Bernois » : C'est-àdire
, fans doute , les Bernois fe font emparés
de ce Pays par la force des Armes.
» Ses Habitans ne font point Citoyens : "
les Bernois les ont donc privés du droit de
Bourgeoifie , ( car le mot de Citoyen n'eſt
pas connu en Suiffe ) Ils ne font point
libres , mais fujets , » ou bien ils font fujets
fans être libres , c'eſt - à dire , efclaves .
Ne diroit- on pas que quelque Conquérant
Afiatique a mis le Pays de Vaud dans les
fers ? Dans un tableau fi peu reſſemblant
qui pourra jamais reconnoître la fageffe
du Gouvernement Helvétique , & le caractère
dominant de la Nation ? Le terme
de conquête n'a pas la même fignification
en Suiffe & ailleurs : Les conquê
tes des Suiffes ne font qu'une extenfion de
la liberté. Bellinzone , Lugan , & Locarne
, conquête des Suiffes fur la Duché de
Milan , fentirent trop bien le prix de la
liberté , pour ne pas s'attacher inviolableSEPTEMBRE.
1761 . 79
ment à leurs nouveaux Maîtres ( n ).
Les Bernois porterent à la vérité leurs
armes dans le Pays de Vaud en 1535 :
Deux raifons importantes empêchoient
ce Pays de concourir à faire renaître l'ancienne
Helvétie telle , qu'elle avoit exifté
au fiècle de Jules -Céfar.
La première étoit que cette Province
jouiffoit d'une parfaite liberté fous la fouveraineté
du Duc de Savoye , de l'Evêque
de Laufanne , & de quelques autres Maifons
confidérables ( o ) . Telle a été &
telle eft encore la liberté de la Comté de
Neufchatel fous la fouveraineté de fes
Princes , & en dernier lieu des Rois de
Pruffe. Pendant que les Tell , les Stauffach
, les Furft , les Melchtal , ces braves
Auteurs de la liberté , voyoient avec larmes
leurs Concitoyens gémir fous le poids
de la tyrannie dans la Partie Septentrio
nale de la Suiffe ; la Partie Méridionale
qui eft le Pays de Vaud , refpiroit un air
bien différent.
Le Domaine des Princes étoit partout
diftingué du patrimoine des Sujets ceux-
(n Mezerai à l'année 1515. Wattev : hift. de
la Confédération Helvet. à l'année 1500.
>
( o ) La Maiſon de Châlon en plufieurs Seigneuries
: celle de Hochberg dans la Comté de Neufchatel.
Div
78 MERCURE DE FRANCE:
point Bourgeois de Berne , de Fribourg &
des autres Capitales des grands cantons ,
n'a jamais fait partie de la Suiffe . Ce Pays
feroit étonné d'être réduit à une fi petite
étendue Cette dernière conféquence eft
ridicule la premiere l'eft auffi.
Le Pays de Vaud , » ajoute l'Apoftille ,
» eft une conquête des Bernois » : C'eſt-àdire
, fans doute , les Bernois fe font emparés
de ce Pays par la force des Armes .
Ses Habitans ne font point Citoyens : »
les Bernois les ont donc privés du droit de
Bourgeoisie , ( car le mot de Citoyen n'eft
pas connu en Suiffe ) » Ils ne font point
libres , mais fujets , » ou bien ils font fujets
fans être libres , c'eft -à dire , efclaves .
Ne diroit- on pas que quelque Conquérant
Afiatique a mis le Pays de Vaud dans les
fers ? Dans un tableau fi peu reffemblant
qui pourra jamais reconnoître la ſageſſe
du Gouvernement Helvétique , & le caractère
dominant de la Nation ? Le terme
de conquête n'a pas la même fignifi
cation en Suiffe & ailleurs : Les conquêtes
des Suiffes ne font qu'une extenfion de
la liberté. Bellinzone , Lugan , & Locarne
, conquête des Suiffes fur la Duché de
Milan , fentirent trop bien le prix de la
liberté , pour ne pas s'attacher inviolableSEPTEMBRE.
1761. 79
ment à leurs nouveaux Maîtres ( n ).
Les Bernois porterent à la vérité leurs
armes dans le Pays de Vaud en 1535 :
Deux raifons importantes empêchoient
ce Pays de concourir à faire renaître l'ancienne
Helvétie telle , qu'elle avoit exiſté
au fiècle de Jules - Céfar.
La première étoit que cette Province
jouiffoit d'une parfaite liberté fous la fouveraineté
du Duc de Savoye , de l'Evêque
de Laufanne , & de quelques autres Maifons
confidérables (o ). Telle a été &
telle eft encore la liberté de la Comté de
Neufchatel fous la fouveraineté de fes
Princes , & en dernier lieu des Rois de
Pruffe . Pendant que les Tell , les Stauffach
, les Furft , les Melchtal , ces braves
Auteurs de la liberté , voyoient avec larmes
leurs Concitoyens gémir fous le poids
de la tyrannie dans la Partie Septentrionale
de la Suiffe ; la Partie Méridionale
qui eft le Pays de Vaud , refpiroit un air
bien différent .
Le Domaine des Princes étoit partout
diftingué du patrimoine des Sujets ceux-
>
(n Mezerai à l'année 1515. Wattev : hift . de
la Confédération Helvet. à l'année 1500.
( o ) La Maiſon de Châlon en plufieurs Seigneuries
: celle de Hochberg dans la Comté de Neufchatel.
Div
So MERCURE DE FRANCE .
ci nommoient leurs Magiftrats àla pluralité
des fuffrages , comme cela fe pratique
encore ; leurs affaires à décider ne fortoient
point du Pays ; les plus importantes
fe difcutoient , fe terminoient à l'affemblée
générale de la Province, qui pour
le reffort du Duc de Savoye ,, fe tenoit à
Moudon ( p ) , Ville au centre du Pays de
Vaud ; point de troupes étrangères à leur
folde ; leurs propres armes étoient leur
défenfe ; point de Gouverneurs impérieux
& tyranniques ; leur coûtume étoit leur
Loi fondamentale ; que manquoit- il à leur
liberté Ils en jouiffoient avant que leur
voifins & leurs frères opprimés euffent fecoué
le joug. A cette heureufe fituation
joignez le penchant , qui porte naturellement
à aimer fon Souverain : c'en eft affez
pour réfifter à de nouvelles entrepriſes .
Mais le Zuinglianiſme , qui s'établiſfoit
partout à l'abri des Etendarts Bernois
, & au bruit du canon , achevoit d'aliéner
les efprits ; & liberté pour liberté ,
ils aimoient mieux conferver leur Religion.
De -là vient que les Fribourgeois attachés
au Chriftianifme , tel qu'on l'avoit
toujours profeffé , n'éprouvérent pas la
(p ) Ruchat , hift. de la Réform.
SEPTEMBRE . 1761. 81
même réſiſtance dans la partie du Pays de
Vaud , qui eft de leur canton : fans coup
férir, ils s'accrurent des Comtés de Gruieres
& de Romont , des Seigneuries d'Eſtavaïé
, de Bulle , de Rue , de Vaulru, de
Chatel Saint Denis &c . La voie de négociation
fit tous les frais de la conquête de
ces derniers .
L'Apoftille décide , que les Habitans
» du Pays de Vaud ne font pas Citoyens.
Ils ne font pas , il eft vrai , Bourgeois de
Berne & de Fribourg ; mais réciproquement
les Bourgeois de ces deux Villes
n'ont pas le droit de Bourgeoisie dans le
Pays de Vaud : Un membre même des Sénats
Souverains de Berne & de Fribourg
quelque qualifié qu'il foit , eft fujet à la liberté
des fuffrages de ceux du Pays de
Vaud , dont il recherche la Combourgeoi
fie.
"
?
Enfin les Habitans du Pays de Vaud
» ne font pas libres , mais fujets. » Ils
font fujets , & ils s'en félicitent : donc ils
ne font pas libres. L'induction paroît toutà-
fait fingulière. Ne trouveriez - vous la li
berté que dans l'Anarchie ? Les Suiffes
même l'abjuteroient à cette condition :
j'oſe me perfuader , que vous l'abjureriez
vous -même comme une fource de licences.
En effet l'amour filial, le dévoûment ,
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
le refpect , dont vous donnez des marques
au Sénat Souverain de Genève dans un de
vos écrits , vous annoncent comme un des
meilleurs Sujets de cette République .
Mais pourquoi mettez - vous en oppofition
la liberté & la fujettion ? C'est un
paradoxe qu'un Bourgeois d'Eftavaïé ne
fçauroit demêler ; fa Philofophie ne va
pas jufques - là.
Je m'en tiens à foutenir avec évidence
'de caufe , qu'en Suiffe , comme à Genève ,
tous les individus font fujets ; que les deux
cent, qui compofent le Confeil Souverain
d'un grand canton , poffédent en corps
la
Souveraineté ; que les Bourgeois du Pays
de Vaud font dans leur Pays, comme tous
les autres Sujets des treize cantons ; qu'ils
ont la même liberté ; que la fageffe , qui
régle la liberté, réfide , il eft vrai , principalement
dans le Sénat : mais que le Pays
de Vaud eft un des bras les plus puiffans
de la Suiffe pour la foutenir , pour la dé
fendre , & pour la venger.
J'ai l'honneur d'être &c .
A. J. G. Bourgeois d'ESTAVAIE
SEPTEMBRE. 1761 . 83
HISTOIRE DE FRANCE depuis l'Etabliffement
de la Monarchie , jusqu'au
régne de Louis XIV. Tomes IX & X.
O
par
Na rehdu compte des premiers volumes
de cette hiftoire , commencée
M. l'Abbé Velly. Le Public appréhendoit
que la mort imprévue de cet eftimable
Ecrivain n'arrêtât le cours d'un Ouvrage
fi intéreffant pour la Nation : le préjugé
peut -être injufte , mais malheureuſement
établi contre les Continuateurs , fembloit
juftifier cette crainte. Nous ne pouyons
choifir de voie plus fimple pour
mettre nos Lecteurs à portée de fe former
une idée de la continuation entreprife
par M. de Villaret , qu'en le préfentant
lui - même , c'eſt- à- dire, en rapportant
quelques paffages tirés de ces deux
volumes , capables de faire connoître fi
l'Auteur a fçu réunir les genres différens
qui caractérisent l'éloquence hiftorique .
M. de Villaret , dans l'Avant - propos
qui eft imprimé au commencement
du
IX volume , paroît avoir faifi le plan
de fon prédéceffeur . C'eft , dit- il , l'hif
toire de nos loix , de nos moeurs , de nos
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
ufages , de nos découvertes , plus ou moins
rapides dans les Arts & dans les Sciences
& des divers établiffemens qui en
ont été les fruits . Tous ces objets incorporés
à l'hiftoire générale , doivent marcher
d'un pas égal avec les événemens
afin que le Lecteur puiffe à chaque inf
tant comparer les François avec eux - mêmes
, en rapprochant les changemens
furvenus dans la légiſlation , dans le gé
nie des Peuples , dans leur caractère
dans la forme du Gouvernement ; variations
qu'on ne peut juftement apprécier
, fans remonter aux principes d'ou
elles émanent. Tel eft l'objet de cette
nouvelle Hiftoire de France.
Les deux volumes qui paroiffent aujourd'hui
, dans l'efpace de trente années
embraffent le règne de Jean II , &
la plus grande partie de celui de Charles
V. La France fous ces deux Monarques
s'offre dans des fituations bien différentes.
L'imprudence de Jean produit les
plus funeftes revers : la foibleffe des Princes
, l'ambition des Grands , le mécontentement
des Peuples , le déréglement
& l'infolence des gens de guerre , bouleverfent
le Royaume , qui fe trouve fur
le penchant de fa ruine ; une feule bataille
perdue produit ces triftes effets ;
ג
SEPTEMBRE . 1761. 85
il femble que l'État n'a plus de reffources
après la journée de Poitiers . Charles
Dauphin rétablit par fa fageffe les défordres
publics ; il répare les fautes de fon
père. La conduite de ces deux Princes
offre le contrafte le plus frappant. Voici
le portrait que M. de Villaret trace du
caractère & du génie des deux Rois .
» Jean étoit âgé de 45 ans lorfqu'il mou-
» rut. On ne peut trop fortement repré-
» fenter aux Rois , que celui qui peut tout
» ce qu'il veut, ne doit jamais vouloir fe
» venger : récompenfer ou punir , voilà
» fes droits , dont il ne peut abufer qu'à
» fa honte & pour le malheur du genre
» humain. Jean fe laiffa dominer par la
» colére : cette paffion offufqua les lu-
" mières de fon efprit. Formé pour tout
» autre rang que celui qu'il occupa, il eût
» été peut être un grand homme , il ne
»fut pas un grand Roi. Généreux , fin-
» cère , libéral , amateur des Lettres , de
و د
و ر
la juftice , de la piété , fidéle à fa pa-
» role , brave juſqu'à l'héroïſme , conf-
» tant dans l'amitié, mais implacable dans
»fa haine , facrifiant tout à fa vengean-
» ce , toujours entraîné par les accès de
» fon impétuofité , il commit des fautes
» irréparables. L'adverfité fit en lui un
» changement furprenant. Il ne fut plus
و د
86 MERCURE DE FRANCE.
"
"
» le même Prince depuis que vaincu &
»fait prifonnier , il lutta feul contre la
" fortune qui l'accabloit . Toute la dureté
» de fon caractère diſparut : il ne lui reſta
plus de cette infléxibilité d'âme , qu'un
» courage invincible éprouvé par les re-
» vers. Il fçut alors pardonner : on le
»vit lorfque Paris rentra fous fon obéif-
»fance , écrire aux habitans avec la bon-
» té d'un père qui excufe fes enfans. Il
» défendit qu'on ufât de rigueur. L'hu-
» manité avoit repris fes droits fur un
» coeur aveuglé par la flatterie . Il recon-
» nut fes erreurs ; & par une efpéce de
prodige , il fe concilia dans le malheur
»l'amour de fes Peuples , l'eftime & le
refpect de ſes ennemis. Au refte, il faut
» convenir que l'indocilité de fes Sujets
» contribua autant que fon imprudence
» aux calamités publiques. Ils avoient
» beſoin auffi bien que leur Souverain ,
» d'être inftruits par l'infortune. Jean
"
39.
aima les Lettres & les cultiva lui-mê-
» me. Il anima les Sçavans par la pro-
» tection & les récompenfes qu'il leur
» accorda. Il avoit fait traduire en Fran-
» çois une grande partie de la Bible &
plufieurs autres Ouvrages de piété. Son
goût pour les bons Auteurs Latins lui
fir defirer d'avoir leurs productions en
"
SEPTEMBRE . 1761 . 87
notre Langue . On lui doit la plus an-
» cienne Traduction que nous connoif-
» fions des Décades de Tite- Live , que
Pierre Bercheure Prieur de S. Eloi en-
» treprit par fes ordres. Cette Traduction
» fut fuivie de celle de Sallufte , de Lu-
» cain , des Commentaires de Céfar. Les
" Poëtes & les Orateurs de l'ancienne
» Rome devenus plus communs , excité-
» rent notre émulation , & préparérent la
» renaiſſance des Lettres négligée en
» France depuis longtemps.
Le commencement du dixième Volume
prépare le Lecteur aux heureux changemens
opérés par la prudence du nouveau
Monarque. » La France , dit - il ,
"
paroiffoit réduite au dernier degré d'a-
» baiffement. Il y avoit peu d'apparence
» qu'elle pût fe relever fitôt de tant de
» pertes ; mais il eft dans tous les états ,
» & furtout dans le nôtre , des reffources.
» qui n'attendent pour ſe manifefter , que
» les lumières d'un génie actif , qui fça-
»che faire jouer à propos ces refforts in-
» connus au vulgaire. Un Prince éclairé
» peut tout , lorſqu'attentif à profiter des
circonftances , il fçait allier la ſageſſe à
» la vigilance. Charles , d'une fanté déli-.
cate , peu propre aux expéditions militaires
, monta fur le Trône dans un
88 MERCURE DE FRANCE.
» temps où la conjoncture préfente fem-
» bloit exiger un Prince guerrier , dont
» la valeur fût capable de repouffer un
» ennemi devenu trop puiffant , & de ré-
» tablir les limites de l'Empire . Ce Roi
» du fond de fon cabinet exécuta fans ti-
>
rer l'épée, ce qu'on auroit à peine ofé
»fe promettre du plus grand Capitaine .
» Le régne de ce Monarque , malheu-
» reufement d'une trop courte durée , va
» prouver combien la fupériorité des lu-
» mières l'emporte fur l'excès du coura-
" ge on fe formera une juſte idée des
» vertus les plus éffentielles dans un Sou-
» verain. Charles V. peut apprendre à
" tous les Monarques la route qu'ils doi-
» vent fuivre pour fe couvrir de gloire
» rendre leur État floriffant , & affurer la
» félicité des Peuples que la Providence
» leur a foumis . Il portoit dans un corps
» débile une âme forte , intelligente &
courageufe , qualités dont la droiture
» de fon coeur ne lui permit jamais d'a-
" bufer. Il montra que la faine politique
» & la probité font inféparables : incapa-
» ble de tromper , il ne fe laiffa jamais
furprendre. Il foutint avec vigueur fes
» demandes autorifées par la juftice.
Eprouvé par les contradictions , il fe
forma une habitude de conftance que
و د
و د
ود
SEPTEMBRE. 1761 . 89
» rien n'étoit capable d'ébranler : enfin
» il enchaîna la fortune par les liens les
plus folides & " les plus honorables , la
ور
fageffe & la probité. Il acquit la con-
" noiffance des hommes , connoiffance fi
» néceffaire à ceux qui font chargés de les
» conduire ; il mit en ufage leurs bonnes
» qualités pour le bien du gouvernement .
"
"
"
Il fit plus , il tira même quelque utilité
» de leurs défauts : la prudence préfidoit
à toutes les actions . Sa bonté tempéra
» la févérité de la juftice : il défendit fes
Sujets , i les foulagea , il anima les
» Sciences & les Arts par fon exemple &
» par les récompenfes dont il les honora :
il fut généreux avec oeconomie , égale-
» ment éloigné de l'avarice & de la prodigalité
: exact à remplir les obligations
» facrées de la Religion , il fut pieux par
goût autant que par devoir. Quoiqu'il
» fût la meilleure tête de fon Confeil , il
» écoutoit tous les avis , & ne rougiffoit
pas de réformer le fien. L'État reprit
» une nouvelle face fous la domination
» de ce grand Prince : la Nation recouvra
»fon ancien luftre. Il travailla toute fa
» vie pour le bonheur de fes Sujets , il les
» aima , il en fut aimé , il mérita leur
» plus tendre attachement : c'est le plus
» beau trait dont on puiffe couronner fon
éloge.
"
"
و د
"
o MERCURE DE FRANCE.
Un exemple fuffira pour faire connoître
la maniere dont M. de Villaret peint
les évenemens . Nous choififfons l'inftant
où Paris rentre fous l'obéiffance de fon
Souverain par la mort des Factieux . » Le
» Roi de Navarre , tranquille fpecta-
» teur de ces défaftres , voyoit avec une
» fatisfaction fecrette les Parifiens punis
au gré de fon reffentiment. Il efpéroit
» d'ailleurs que les incommodités qu'ils
»fouffroient , les amèneroient à fe livrer
» eux- mêmes entierement à fa difcrétion.
» La confufion étoit pouffée trop loin
» pour fubfifter encore long- temps dans
» cet état : il falloit que cette criſe vio-
» lente fe terminât par une réfolution dé-
» cifive . Marcel n'efperant plus obtenir
» du regret une grace , dont fes crimes
» l'avoient rendu indigne , détefté de la
» plus grande partie du Peuple , dont il
» avoit été l'idole , en horreur à tous les
» bons Citoyens , n'avoit plus rien à mé-
» nager. Le feul parti qu'il avoit à pren-
» dre étoit , ou de s'enfevelir fous les rui-
» nes de fa faction , ou de s'abandonner
"
"
fans réferve au Roi de Navarre qui le
» méprifoit , & qui ne le regardoit que
» comme un vil inftrument de fes mé-
» chancetés. Il l'alla trouver fecrettement
» & dreffa de concert avec lui un projet
SEPTEMBRE. 1761 : or
33
» bien digne de la noirceur de ces deux
» âmes cruelles . Le fimple récit fait fré-
» mir. Le Prévôt des Marchands convint
» de livrer la Ville aux Navarrois . Ses
Troupes , jointes aux rebelles , devoient
» s'emparer de la Baftille S. Antoine &
» des principales portes , fe répandre
» enfuite dans la Ville , & maffacrer
» tous les Partifans du Régent , dont
» les maiſons étoient déjà marquées pour
» cette horrible exécution, après laquelle
» on auroit couronné Charles le Mauvais ,
Roi de France. C'étoit l'Evêque de Laon
qui étoit chargé de cette cérémonie . Le
» nouveau Monarque eût cédé à Edouard
les Provinces qui fe feroient trouvées
» à fa bienséance , & lui eût fait hom-
» mage du refte du Royaume.
ور
» Le Prévôt des Marchands ayant pris
toutes les mesures qu'il croyoit nécef-
» faires pour l'exécution de fon projet , fit
» avertir le Roi de Navarre de s'appro-
» cher avec des Troupes : il devoit lui
» ouvrir les portes à un fignal convenu .
» Pour cet effet, pendant la nuit qui pré-
» céda le premier Août , il vint à la por-
» te S. Antoine , l'une de celles qu'il avoit
» promis de livrer : ayant renvoyé une
» partie des Bourgeois commis à la garde
» de cette porte , & leur ayant fubftitué
92 MERCURE DE FRANCE.
"
» des gens à fa dévotion , il prit les clefs
» des mains de l'Officier qui en étoit dépofitaire.
Jufques - là il n'avoit rencon-
» tré aucun obftacle à fa trahison : la
» Ville alloit devenir la proie du Navar-
» rois , lorfqu'un fidéle & généreux Citoyen
, furvenant avec une troupe de
» fes amis , arrêta les fureurs de Marcel,
» & fauva ſa patrie . Ce Bourgeois , digne
» d'être immortalifé dans les annales de
» fa Nation , fe nommoit Jean Maillard :
» il étoit Capitaine d'un des quartiers de
Paris . Attaché conftamment à fon Prin-
» ce légitime , il n'attendoit que le mo-.
» ment de faire éclater fon zèle : les in-
» trigues de Marcel n'avoient pu être fi
» fecrettes , qu'il ne les eût pénetrées .
» Il arrive au moment que ce perfide al-
» loit confommer fon crime : il l'aborde :
» Etienne , lui dit - il , que faites- vous ici à
» cette heure? Jean , répondit le Prévôt ,
» à vous qu'en monte ( qu'importe ) de le
» fçavoir ? Je fuis ici pour prendre garde
» à la Ville dont j'ai le gouvernement.
Par Dieu ! reprit Maillard , il n'en va
» mie ainfi ains n'êtes ici à cette heure
» pour nul bien , & je vous montrerai ,
continue-t il en s'adreffant à ceux qui
» étoient auprès de lui , comme il tient les
» clefs de la porte enfes mains pour trahir
SEPTEMBRE. 1761. 9
33
la Ville. Jean , vous mentez , repliqua
le Prévôt : mais vous Etienne , mentez ,
s'écria Maillard tranfporté de fureur.
En même temps il léve fa hache d'ar-
» mes Marcel veut fair ; il le joint , le
frappe à la tête ; & quoiqu'il fût armé
» de fon bacinet, il le renverfe à fes pieds,
» Ses compagnons fe jettent fur les gens
» du Prévôt ; ils en maffacrent une partie ,
& s'affurent des autres. Maillard mar-
» che vers la porte S. Honoré , par laquelle
les Navarrois devoient auffi être
introduits . En traverfant la Ville , ils
éveillent le Peuple , l'appellent à la dé-
» fenfe de la fureté commune ils racontent
ce qu'ils venoient de faire ; ils
arrivent à la porte , font main- baffe fur
tous ceux qui veulent fe mettre en défenſe
arrêtent ceux qui ne refiftent
point , & les conduifent en prifon , ainfi
» que la plupart des autres complices de
» Marcel, qui furent faifis cette même
nuit dans leurs lits.
» Le Peuple , excité par les cris de
Monjoie Saint Denis , mêles avec les
» noms du Roi & du Régent , s'affemble
tumultuairement . Les rues (e remplif
fent d'une foule d'habitans en armes :
tous les Factieux qui le préfentent font
malfacrés. En vain les autres fe réfugient
94 MERCURE DE FRANCE.
dans leurs maifons ; il n'eft plus pour
eux d'afyle contre l'emportement d'une
» multitude irritée . On enfonce les por
tes , on les charge de fers , on les traîne
en prifon . Un des principaux auteurs
des troubles a feul le bonheur d'échap
» per à la vengeance publique . L'Evêque
» de Laon , ce Prélat coupable de tant
d'attentats , trouve le moyen de fe fau-
» ver , tandis que le corps de fon complice
» Marcel eft traîné dans les rues par la
» Populace , qui croit , par mille outrages
»
fur un cadavre infenfible , fe venger
» du Traître qui l'a porté à la révolte.
» Tel , par un ordre de la Providence , eft
» ordinairement le fort des Chefs de Sé-
» dition , que la faveur populaire n'éléve
» que pour les précipiter avec plus d'eclat.
» On ne peut s'empêcher de remarquer
» comme un effet de la Juftice divine
» qu'après leur mort , Marcel & quatre
» de fes plus criminels Complices , qui
» avoient trempé dans le meurtre des deux
» Maréchaux , furent portés couverts de
» fange , fanglans & déchirés , à Ste Ca-
» therine du Val des Ecoliers , & jettés
fur la tombe de ces deux Seigneurs , où
» ils demeurérent expofés , ainfi que des
» victimes expiatrices.
39
Les bornes d'un Extrait ne nous per
SEPTEMBRE. 1761. 95
39
mettent pas de rapporter l'expofition que
l'Auteur fait des moeurs , des ufages , de
la légiflation ; ces objets font trop étendus
& trop multipliés ; il faut les lire dans
'Hiftoire même. Cependant, pour en donner
une légère idée , on en citera ici un
feul exemple , que fa brièveté permet
d'inférer. Il s'agifloit de réformer le nombre
des Procureurs duChâtelet.» On a fou-
» vent éffayé en France , dit M. Villaret, de
» rendre aux hommes une partie de leur
tranquillité , en abrégeant la longueur
» des procédures ; mais l'hydre fans ceffe
» renaiffante de la chicane fçait par mille
» détours , éluder la prévoyance des plus
» habiles Légiflateurs en forte que le
projet de la détruire , facile dans la
fpéculation , a toujours paru imprati-
» cable , lorfqu'on a voulu l'exécuter. Ce
» que l'on peut
de mieux , eft d'appli-
» quer de temps en temps quelques re-
" medes palliatifs à cette maladie incu-
" rable. Depuis que l'ancienne forme de
» nos jugemens , fi commode par fa fim-
» plicité , avoit été remplacée par une
Jurifprudence nouvelle , l'embarras de
" concilier les coutumes & les loix dif-
» férentes , s'étoit accru au point qu'un
» malheureux plaideur égaré dans un labyrinthe
de formalités, étoit obligé, pour
"
"
"
MERCURE DE FRANCE.
"
33
"
"
fa défenſe , de recourir à des interprétes
» mieux verfés dans un langage devenu
étranger pour lui . Ce trifte befoin avoit
» engendré une infinité de Miniftres fubaternes
, plus intéreffés à obfcurcir les -
droits des Citoyens qu'à les défendre.
» Paris & les autres Villes du Royaume
» étoient inondées d'un déluge de Solliciteurs.
Ces armées de Praticiens répan-
» dues dans les différentes Jurifdictions ,
affiégeoient les Tribunaux, étourdiffoient
» les Juges fous prétexte de les inftruire ,
» & trouvoient l'art , à force de verbiage
» & d'écritures , d'éternifer l'iniquité . La
Jurifdition du Châtelet entraînoit une
multiplicité prodigieufe de ces athlétes ,
toujours prêts d'entrer en lice pour
» foutenir la cauſe bonne ou mauvaiſe du
» premier venu. On crut attaquer le mal
» dans fon principe , en retranchant du
" nombre exceffifdes Procureurs ceux que
» leur infuffifance rendoir incapables de
» cet emploi. Le foin de veiller à cette
» réforme fut confié au Parlement , au
» Prévôt de Paris , & aux Confeillers du
» Châtelet. Ils choifirent parmi la multi-
» tude , quarante des plus loyaux , & re-
»jetterent les autres , par lefquels le Peu-
» ple étoit moule grévé , & ' en plufieurs
32 manieres opprimé induement . Tels font
"
و ر
les
SEPTEMBRE. 1761 . 97
les termes employés dans cette falutai-
» re Ordonnance .
Lorfqu'il s'agit de faire connoître par
un récit rapide des événemens étrangers ,
qui cependant fe trouvent liés à l'Hiftoire
principale , voici comme l'Auteur les préfente:
» Ces hôtes incommodes , dit- il ,
en parlant de nos Compagnies d'aventuriers
, qui fous la conduite de du Guefelin
renverferent Pedre le cruel du Trône de
Caftille , » étoient attendus en Eſpagne
avec autant d'impatience qu'on en avoit
en France pour leur fortie . Du Guef-
» clin , après avoir traverfé rapidement
le Languedoc & le refte de la France
Méridionale , entra dans l'Arragon . A
l'arrivée de ces Troupes , les Places
prifes fur l'Arragonois par le Roi de
Caftille , furent emportées. Henry de
» Tranftamare vint joindre du Guefclin ,
avec lequel il entra en Caftille. Jamais
révolution ne fut fi prompte : ce fut
plutôt une courfe qu'une conquête :
Henry le préfenta devant Calahore
» qui lui ouvrit fes portes . Ce fut en cette
Ville, qu'à la perfuafion de du Guefclin ,
de Hue de Caurelée , & du Comte de.
Ribagorce, il fe fit pour la premiere fois
proclamer Roi de Caftille. Sans perdre
-de temps , il marche vers Burgos où
E
8 MERCURE DE FRANCE.
9
» Dom Pedre intimidé n'ofe l'attendre:
Rien n'eft capable de calmer l'effroi du
» Tyran. En vain les principaux Habitans,
les Seigneurs , & fes Généraux le pref-
» fent de marcher à l'ennemi , le conju
rent de ne pas douter de leur zèle & de
» leur fidélité ; convaincu par les remords
» dont il est déchiré , qu'il n'a mérité
» l'attachement d'aucun de fes Sujets , il
fe retire avec précipitation à Séville ,
» dans le deffein d'enlever de cette Ville
33
fa famille & fes tréfors. Tout plie fous
» le nouveau Roi ; victorieux fans avoir
» combattu , il foumet en paffant Nava-
» rette ; il arrive à Burgos, s'y fait procla-
» mer pour la feconde fois : fans s'arrêter
» il fe remet à la pourfuite de fon frère :
» à peine la Ville de Tolede ofe - t- elle
» réfilter un moment. Maître abſolu de la
» nouvelle Caftille , il paffe en Andalou-
» fie. Les Habitans de Cordoue le reçoi-
» vent ; il entre à Séville , il y trouve un
» tréfor immenfe , que la précipitation.
» avec laquelle Pedre avoit abandonné
» cette Ville, ne lui avoit pas permis d'em-
» porter. Il pénétre enfuite dans la Gali-
» ce , qu'il foumet en partie , & revient
» tenir les Etats à Burgos.
.
" Le barbare & malheureux Dom Pe
dre en partant de Séville avoit envoyé
SEPTEMBRE. 1761. 99
93
"
Béatrix fa fille avec une partie de fes tré-
»fors au Roi de Portugal fon Allié , dont
» le fils devoit époufer la Princeffe . Les
» circonftances ne décident que trop fou-
» vent de l'amitié des Souverains . Pedre
» étoit détrôné , fugitif. Le Roi de Portugal
lui renvoya Beatrix & les tréſors , en
» lui faifant fignifier de ne pas entrer plus
» avant dans fes Etats. Le Roi de Caftille
privé de la feule retraite fur laquelle il
» comptoit , fut obligé de fuir dans la
» Galice . Arrivé dans cette Province , le
» mauvais état de fes affaires , loin d'a-
» doucir la férocité de fon âme , parut
» n'avoir fervi qu'à l'irriter : il laiffoit en
» tous lieux des traces de fa cruauté. La
» mort de l'Archevêque de S. Jacques
» maffacré à la porte de l'Eglife , & celle
» du Doyen de cette Cathédrale immolé
» au pied des Autels , en préfence même
» de ce Prince inhumain , furent les derniers
effets de fa fureur. Sa crainte
» redoublant fans ceffe , il fut bientôt
» obligé de s'embarquer à la Corogne
» pour aller en France implorer le feco irs
» d'Edouard: heureux dans la difgrace
» de trouver dans la générofité de ce
» Prince un afyle & des fecours dont il
» étoit fi peu digne.
"
Eft-il queftion d'anecdotes particuliè
E ij
700 MERCURE DE FRANCE.
23
">
ود
res , le Lecteur pourra juger par ce feul
trait de l'intérêt que M. de Villaret élfaye
d'y répandre. » La néceffité des cir-
» conftances oblige quelquefois ceux qui
font à la tête du Gouvernement de fe
porter à des démarches qu'on ne peut
juftifier aux yeux du Public. La difgra-
» ce du Comte de S. Paul fur les dernie-
» res années du régne de Charles V , eft
de ce genre . La conduite du Roi à l'égard
de ce Seigneur auroit toujours été
foupçonnée d'une protection injufte , fi
» les Actes d'Angleterre ne nous révéloient
pas un fecret qu'on ne pouvoit alors
rendre public , fans découvrir en même
temps par quel canal on étoit inftruit
» des mystères de la Cour de Londres .
» Depuis longtemps le jeune Walerand
» Comte de S. Paul , de la Maifon Impé-
» riale de Luxembourg , étoit prifonnier
» en Angleterre. On avoit offert plufieurs
fois de le relâcher , à condition que le
Captal de Buch feroit remis en liberté ,
échange auquel le Roi ne voulut jamais
confentir. L'amour fit ce que la
politique avoit refufé : il délivra le
» Comte , il paya même une partie de fa
» rançon. Walerand étoit traité avec la
ور
و ر
9
confidération due à fa naiffance . Pri-
» fonnier fur la parole , il étoit de toutes
SEPTEMBRE. 1761. 107
les fêtes qui fe donnoient à la Cour.
» Ce fut là qu'il vit Mahaud de Courte-
» nai , fille du premier mariage de la
» Princeffe de Galles avec Thomas de
» Holland. Cette jeune Princeſſe fem-
» bloit avoir hérité des charmes de fa
33
mère : on ne l'appelloit que la belle
» Mahaud. Le jeune S. Paul & cette Beau-
» té naiffante s'enamourerent loyaument
» l'un de l'autre : ils étoient toujours enfemble
aux danfes & ébatemens , tant
» qu'on s'en apperçut : Mahaud elle - même
ne fit pas difficulté d'avouer fon
» penchant à fa mère. Le mariage fut
arrêté. L'élargiffement du Comte de-
" voit être néceffairement un des pre-
» miers articles . Il devenoit par cette al-
» liance beau-fière du Roi d'Angleterre ,
"
"
auquel il fit hommage - lige envers &
» contre tous , & promit de tenoncer à
» la qualité de Vaffal du Roi de France .
» Pour fureté de fa parole , il s'engagea
» de livrer aux Anglois fes châteaux de
» Bohain & de Guife dans le Vermandois .
» Il repaffa en France pour exécuter fa
" promeffe ; mais la nouvelle de fon pro-
» chain mariage l'avoit précédé . Le Roi
» qui avoit à Londres des efpions fidé-
» les , avoit fait faifir fes Places . Walerand
» lui- même auroit été arrêté , s'il avoit
E iij
202 MERCURE DE FRANCE.
» paru à la Cour. Il repaffa promptement
en Angleterre , où l'amour le confola
» de cette difgrace. Il ne revint en Fran-
» ce que fous le régne ſuivant.
Nous bornerons ici nos citations , qui
pouvent donner à nos Lecteurs une léfère
idée du ftyle de l'Hiftorien. Il eſt
pur , châtić , & égal partout ; fa narration
eft fimple & naturelle , fans manquer
ni de force ni de chaleur . Les faits
y font amenés avec ordre & tiennent les
Ens aux autres , accompagnés de réfléxions
courtes , judicieuſes & tonjours tiiées
du fond du Sujet & des circonftances.
Ces deux volumes qui renferment
des événemens curieux , ont le mérite
des hiftoires les plus intéreffantes , &
l'Auteur augmente encore cet intérêt ,
par la manière dont il les rend.
SEPTEMBRE . 1761 , 103
NOUVEAU CHOIX DE PIECES tirées
des anciens Mercures & des autres Journaux
; par M. DE LA PLACE ; à Paris
, chez Chaubert , rue du Hurepoix
Piffot , quai de Conti , Lambert, à côté
de la Comédie Françoife , & Cellot
grande rue du Palais ; in - 12 .
NOUS ous avons placé dans le Tome 61 de
ce Recueil un Avertiffement que nous
rappellons ici , pour inftruire nos Lecteurs
des nouveaux foins qu'on s'eft donnés
afin de rendre cette Collection toujours
plus amulante & plus inftructive .
AVERTISSEMENT.
La rédaction du Mercure demandant
feule tous les foins & toute l'application
des Auteurs qui en ont été chargés jusqu'à
préfent , ils ont été obligés de confier
prèfqu'en entier , celle du Choix à différens
Ecrivains , qui peut-être n'ont pas tous
également faifi le véritable objet de cette
Collection , & le point le plus favorable
pour l'agrément & l'utilité qu'on peut en
retirer.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
Tel eft prèfque toujours le fort des nou >
veaux Effais de Littérature. L'incertitude
du fuccès de la part du Public , fait chanceler
fouvent les Editeurs fur les moyens
de les perfectionner. Aujourd'hui que ce
Choix des Journaux paroît de plus en
plus s'accréditer par le feul avantage, du
genre ; on a pris de nouvelles mesures
pour le rendre encore plus intéreffant ,
la manière de le rédiger.
par
On s'eft aidé pour cela des foins & des
lumières des Littérateurs , auxquels le Public
a plus de confiance ; & après avoir
bien étudié fon goût fur ce qui doit faire
la matiére de cette Collection , on ſuivra
déformais le plan que l'on expofe ici.
Les Mercures & les autres Ouvrages
périodiques , tant François qu'Étrangers ,
contiennent ordinairement des Piéces fugitives
, des Morceaux de Littérature &
d'Hiftoire , des Extraits d'Ouvrages , des
Avis concernant les Sciences & les Arts ,
des relations détaillées & raifonnées des
Spectacles du temps , & enfin des Nouvelles
Politiques . De tous ces différens articles
, on a cru devoir écarter les Extraits
de Livres , les Nouvelles Politiques & les
Articles de Théâtre ; les uns & les autres
n'intéreffent que dans la nouveauté . Ces
fortes d'Articles n'occuperont donc plus
SEPTEMBRE. 1761 . 105
dans ce Recueil , une place qui fera beaucoup
mieux remplie par d'autres Morceaux
curieux & intéreffans que fourniffent les
autres genres. On trouve de temps en
temps , quand on parcourt les anciens
Journaux , des Piéces excellentes perdues.
pour le Public , & même pour les Particuliers
qui poffédent ces Journaux , mais
qui n'ont ni le loifir , ni le courage de les
y déterrer. Nous connoiffons plus de dix
mille volumes d'Ouvrages périodiques ,'
dans lefquels nous avons trouvé un nombre
infini de Piéces très - rares , dont les
Lecteurs les plus inftruits ne foupçonnent
pas même l'existence . Voilà ce qui fera
déformais le fond de cette Collection ,
que nous espérons de rendre auffi précieuſe
que variée. Parmi ces différentes productions
, les unes font hiftoriques , les autres
morales , d'autres phyfiques , métaphyfiques
, politiques & c. Il en eft encore de
littérature , d'érudition , & de difcuffions
fur des objets de goût. On choifira dans.
tous ces genres celles que tout Lecteur
éclairé voudroit conferver foi -même en les
lifant dans les Journaux & autres Recueils
Périodiques , où fouvent elles fe
trouvent confondues en très mauvaife'
compagnie. Les Articles qui concernent
les Sciences & les Arts , ne feront pas
Ev
c6 MERCURE DE FRANCE:
négligés , lorfqu'ils préfenteront des faits
ou des connoiffances qu'il eft utile de
configner , pour ainfi dire , dans un dépôt
public & facile à parcourir , en faveur
des Lecteurs actuels & de ceux de
la Poftérité. C'est pourquoi les Mémoires
& les Differtations qui auront pour objet
la perfection des Sciences & des Arts , feront
recueillis avec foin ; & l'on ne laiffera
de cette partie , que ce qui pourroit
ne former qu'un intérêt de curiofité momentanée.
On ne négligera point les relations de
cérémonial & de pompes publiques , qui
indépendemment de l'amufement qu'elles
procurent , fervent encore à conftater
une partie fouvent obfcure & incertaine
dans l'Hiftoire. On y pourra faire
entrer auffi quelques événemens finguliers
, bien conftatés .
On en ufera de même à l'égard du
Thêâtre , lorfque l'on rencontrera des
Differtations ou des Obfervations qui regardent
la perfection de la Poëfie en général
ou de quelqu'une de fes parties .
En fuivant exactement cette méthode,
on a droit de ſe flatter que cette Collection
fera celle qu'on fe procurera de préférence,
foit que l'on confidére la lecture
du côté de l'utilité , foit que l'on ne l'enSEPTEMBRE
. 1761. 107
vifage que du côté de l'amufement. Par
le choix des Piéces qui entreront dans ce
Recueil , il n'eft aucun genre d'étude
pour lequel il ne préfente des moyens
d'inftruction échappés fouvent aux Savans
qui n'ont ni le temps , ni quelquefois les
facultés convenables pour acquérir les
Ouvrages Périodiques. D'un autre côté ,
il ne fera aucune forte de lecture amufante
que l'on puiffe rencontrer auffi facilement
fans éprouver les dégoûts &
l'ennui du choix.
Ce Recueil affez abondant , & qui cha
que année le deviendra davantage , fera
donc une eſpèce de Bibliothèque d'autant
plus commode , qu'à l'ouverture de quelque
volume qui tombe fous la main , on
fera fûr d'y trouver dequoi remplir le
temps deſtiné à fa lecture , par quelque
goût que l'on foit déterminé. On y joindra
bientôt une Table générale par ordre
de matières , qui indiquera aifément au
premier coup d'oeil , ce que renferme
toute la Collection , & le morceau dont
on aura befoin ,
E vi
108 MERCURE DE FRANCE:
, 9
CÉRÉMONIES & Coutumes Religieufes
de tous les Peuples du Monde , ornées
de 254 Planches deffinées & gravées par
Bernard Picart , 9 volumes in -folio, & Superftitions
anciennes & modernes , 2 volumes
in- folio , avec figures ; propofées par
Soufcription. Dans le Profpectus , inféré
dans le fecond volume du Mercure de
Juillet , on a obmis de dire que l'on ſoufcrivoit
auffi pour cet Ouvrage chez Claude
Jean - Baptifte Bauche , Libraire , quai des
Auguftins.
PRINCIPES & Méthodes du Chrétien ,
qui rend les actions, mêmes les plus communes
, dignes d'une éternelle récompenfe
, Volume in-12 ; à Paris , 1761 , chez
Didot l'aîné , Libraire - Imprimeur , rue
Pavée, près du quai des Auguftins, à la Bible
d'Or.
LETTRES inftructives & curieufes fut
l'Éducation de la Jeuneffe . Ouvrage utile
aux Pères de famille , & néceffaire aux
Précepteurs . Par L. R. G. M. à L. D. M.
A. de l'A. d'A.
Placendo docere.
In-12 . Paris , 1761 , chez Mufier Pères
Libraire , quai des Auguftins , près la rue
Pavée , à l'Olivier .
SEPTEMBRE. 1761 . 109
L'HYPOTHÉSE des petits Tourbillons
juftifiée par fes ufages ; où l'on fait voir
que la Phyfique , qui doit fon commencement
aux Tourbillons , ne peut mieux
être perfectionnée qu'en pouffant le prin- /
cipe qui l'a fait naître. Par M. de Keranflech.
In- 12. Rennes , 1761 , chez Vatar
père , & Vatarfils , Libraires ; & fe trouve
à Paris , chez Savoye , rue S. Jacques.
L'ARITHMETIQUE de la Nobleffe commerçante
, ou Entretien d'un Négociant
& d'un jeune Gentilhomme fur l'Arithmétique
, appliquée aux affaires de Com
merce , de Banque & de Finance . Par M.
d'Autrepe , ancien Syndic des Experts-
Jurés - Ecrivains. Second Entretien . Des
Propofitions. In - 8 ° . Paris , chez Durand
Libraire , rue du Foin , la première Porte
cochère à droite , en entrant par la rue
S. Jacques.
RÉFLEXIONS fur le Systême des nou
veaux Philofophes.
L'homme eft de glace aux vérités ;
Il eft de feu pour les menfonges.
La Fontaine , Liv. 9. Fab . VI .
In- 12. Francfort , 1761. On en trouve
des Exemplaires à Paris , chez Lottin le
110 MERCURE DE FRANCE.
jeune , rue Saint Jacques , au coin de
celle de la Parcheminerie ; & à Falaife ,
chez Piftel Préfontaine , vis-à - vis la belle
Croix.
ESSAI fur l'Inftitution des Avocats &
Procureurs des Pauvres , ou Mémoire
tendant au renouvellement des difpofitions
anciennes , dont l'effet feroit d'abord
de faire rendre aux Pauvres la même
juftice que celle
les riches peuvent
fe
que
procurer ; enfuite , de mettre ceux
que l'on peut appeller pauvres ou riches
fictifs , à l'abri de ce qui achève le plus
de les ruiner moyen , par degrés , do
diminuer le nombre des mauvais Procès ,
& par là , de ramener autant qu'il fe peut ,
l'adminiſtration de la Juftice à fa première
origine &c. Par **** Procureur au
Parlement de Paris , d'après feu M. Antoine
de Laujorrois , Confeiller au Parlement
de Toulouſe.In- 12. Paris , 1761 ,
chez Praule Père , quai de Gêvres.
LA SCIENCE DU GOUVERNEMENT ;
Ouvrage de Morale , de Droit , & de
Politique. Le premier Tome renferme un
Difcours préliminaire fur l'importance de
l'éducation des Princes que nous avons
SEPTEMBRE. 1761 1
inféré dans le Mercure du mois de Décembre
dernier , traite de la formation
& des avantages des Sociétés civiles , des
anciens Législateurs, & des anciens Gouvernemens
; des diverfes formes de Gouvernemens
qu'il y a préfentement dans
le monde , confidérées en général ; du
Gouvernement actuel de chaque Peuple
de l'Afie , de l'Afrique & de l'Amérique ,
confidérés en particulier.
Le fecond Tome contient le Gouvernement
de France , la Conftitution relativement
aux Traités jufqu'au dernier
d'Aix-la - Chapelle inclufivement , l'étendue
, les moeurs , les forces , le nombre
des Habitans , les revenus , les loix de
chaque Etat de l'Europe , confidérés en
particulier. Au commencement de ce
Volume eft la Tête du Roi, très - bien gra
vée.
Le troifiéme Tome traite du Droit naturel
; de l'Empire de la Raiſon ; de l'a
mour de Dieu ; de l'amour de foi - même;
de l'amour du prochain ; de l'ordre &
de la fubordination , des Devoirs ; dédié
au Roi de Pologne , Duc de Lorraine &
de Bar, avec le Portrait de Sa Majesté.
Le fixieme Tome , qui a paru le premier
à cauſe des circonftances où le troug
112 MERCURE DE FRANCE.
voit l'Europe fur les intérêts des Princes
qui en partagent la domination , traite de
la Politique par rapport au dedans & au
dehors de l'Etat & des moyens d'en concilier
les intérêts . Par M. de Real, Grand
Sénéchal de Forcalquier. Avec approbation
& privilége du Roi . Chez Defaint &
Saillant, rue Saint Jean de Beauvais , de
Bure l'aîné, quai des Auguſtins , Simon ,
Imprimeur du Parlement.
Les autres Tomes paroîtront fucceffivement
; nous en avons donné le Texte
dans le Mercure de Janvier.
THEORIE & pratique des Sacremens ,
des Cenfures , des Monitoires , & des Irrégularités
, in - 12 , 3 Volumes , prix 7
liv. 10 f. Nouvelle Edition corrigée. To
me premier , contenant , les Sacremens
en général , le Baptême, la Confirmation ,
l'Euchariftie , & un Traité de l'obligation
des Fidéles par rapport à la Meffe. Tome
fecond, le Sacrement de Pénitence , avec
un Traité des Indulgences , & le Sacrement
de l'Extrême - Onction . Tome
III. Le Sacrement de l'Ordre , les Traités
du Bréviaire , ou Heures Canoniales ,
des Cenfures en général, des Cenfures en
particulier , des Monitoires , des Irrégu
SEPTEMBRE . 1761 11
larités , & le Sacrement de Mariage, avec
la Table Générale des Matières.
THEOLOGIE Morale , ou Réſolutions de
Cas de Confcience fur la Vertu de Juftice
& d'Equité , in-douze , 4 vol . prix , 12
liv . reliés. Nouvelle édition , mife dans un
meilleur ordre. Tome premier , contenant ,'
les Titres par lefquels on a droit à une
chofe. Du Domaine . De la Prefcription
Des Contrats en général . De la Promeffe.
De la Donation . Des dernieres volontés
. Tome II. Des Contrats de Vente &
d'Achat , de celui des Rentes . Du Contrat
de Change , de celui de Louage , de
celui de Société , de celui d'Affurance ,
& c. Du Jeu , des Gageures , des Loteries,
du Dépôt , du Commodat , &c. De l'Ufure
, Tome III. La fuite du Traité de l'Ufure.
De l'Injuftice de l'Homicide , de
l'Injustice du Larcin & de la Rapine , de
'Injustice fur la Réparation . De l'Injuf
tice dans les Jugemens publics , de l'In
juftice de l'acception des perfonnes , de la
réparation de l'Injuftice par la Reftitu
tion .
THÉOLOGIE Morale , in- douze , 6 Vol .
18 liv. reliés . Tome I. contenant , les Ver
tus Théologales ; la Foi , l'Espérance , la
Charité qui eft due à Dieu . Tome II. La
114 MERCURE DE FRANCE
fuite des Vertus Théologales . De la Cha
rité
que l'homme fe doit à foi même , de
celle due au Prochain , de l'Aumône , de
la Correction Fraternelle, des Péchés oppofés
aux Vertus Théologales . Tome III.
La Vertu de Religion . 1 °. Le Traité de la
Priere , 2 °. de l'Oraifon mentale , 3 °. de
l'Oraifon Dominicale . Des Voeux fimples
& folemnels , du Jurement & d₁ Serment.
Tome IV. De la Vertu de Religion,
& des Vertus qui y font annéxées . 1 ° . De
l'Abjuration , 2 ° . de la Malédiction , 3 ° .
de la Sanctification des Dimanches & des
Fêtes , 4°. des devoirs des Enfans envers
leurs Peres & Meres , & des devoirs des
Peres & Meres envers leurs Enfans , 5 °.
de la Vérité & du Menfonge , 6°. des Bénéfices
. Tome V. La fuite des Vertus annéxées
à la Vertu de Religion , & des Vices
qui y font oppofés. 1 ° . Suite du Traité
des Bénéfices 2º. des Superftitions ,
3º. de la Simonie . Tome VI. La fuite des
Vices oppofés à la Vertu de Religion. 1º.
Suite du Traité de la Simonie . 2 ° . Les
Péchés capitaux . 3 ° . La Table Générale
des matières , tant des Réſolutions des
Cas de Confcience fur la Vertu de Juftisice
& d'Equité , que des fix Volumes
énoncés ci deffus.
"
Ces trois Ouvrages fe trouvent à Paris,
SEPTEMBRE . 1761. 119
chez Jean Thomas- Heriffant , Libraire ,
rue S. Jacques , à S. Paul & à S Hilaire ;
Savoye, Libraire, rue S. Jacques à l'Eſpérance
; Ganeau , Libraire, rue S. Severin ,
aux Armes de Dombes. Avec Approbation
& Privilége du Roi 1761 .
AVIS des Libraires Affociés , à Meffieurs
les Curés , Confeffeurs , Prédicateurs
, & autres Miniftres de l'Eglife .
Si les deux Ouvrages de la Théorie &
Pratique des Sacremens , & des Réſolutions
de Cas de Confcience fur la Vertu de Juftice
& d'Equité , que nous venous tout récemment
de réimprimer , ont réuni les fuffrages
des différentes Ecoles de Théologie
: fi quantité de Fidéles , voulant profiter
d'Inftructions écrites dans leur Langue
, fe font pourvus avec empreffement
de ces excellens Livres ; nous espérons
qu'un troifiéme Ouvrage , qui leur reffemble
, & par l'importance des matières , &
par la manière dont elles font traitées ,
aura un femblable fuccès.
Un Docteur de Sorbonne , auffi généra
lement eftimé que profondément fçavant ,
a lu le manufcrit , & l'a regardé comme
un tréfor , qu'il ne falloit plus différer de
préfenter , tant à ceux qui par état font
obligés d'inftruire les autres , qu'à ceux
114 MERCURE DE FRANCE:
fuite des Vertus Théologales. De la Charité
que l'homme fe doit à foi même , de
celle due au Prochain , de l'Aumône , de
la Correction Fraternelle, des Péchés op
pofés aux Vertus Théologales. Tome III.
La Vertu de Religion . 1 °. Le Traité de la
Priere , 2 °. de l'Oraifon mentale , 3 ° . de
l'Oraifon Dominicale . Des Voeux fimples
& folemnels , du Jurement & du Serment.
Tome IV. De la Vertu de Religion,
& des Vertus qui y font annéxées . 1 ° . De
l'Abjuration , 2 ° . de la Malédiction , 3 ° .
de la Sanctification des Dimanches & des
Fêtes , 4°. des devoirs des Enfans envers
leurs Peres & Meres , & des devoirs des
Peres & Meres envers leurs Enfans , s'
de la Vérité & du Menfonge , 6°. des Bénéfices
. Tome V. La fuite des Vertus annéxées
à la Vertu de Religion , & des Vices
qui y font oppofés. 1 ° . Suite du Traité
des Bénéfices , 2 °. des Superftitions ,
3º. de la Simonie . Tome VI. La fuite des
Vices oppofés à la Vertu de Religion . 1º.
Suite du Traité de la Simonie . 2 ° . Les
Péchés capitaux . 3 ° . La Table Générale
des matières , tant des Réfolutions des
Cas de Confcience fur la Vertu de Juftisice
& d'Equité , que des fix Volumes
énoncés ci deffus.
Ces trois Ouvrages fe trouvent à Paris,
SEPTEMBRE, 1761 119
chez Jean Thomas Heriffant , Libraire ,
rue S. Jacques , à S. Paul & à S Hilaire ;
Savoye, Libraire, rue S. Jacques à l'Efpérance
; Ganeau , Libraire, rue S. Severin ,
aux Armes de Dombes . Avec Approbation
& Privilége du Roi 1761 .
AVIS des Libraires Affociés , à Meffieurs
les Curés , Confeffeurs , Prédicateurs
, & autres Miniftres de l'Eglife.
Si les deux Ouvrages de la Théorie &
Pratique des Sacremens , & des Réfolutions
de Cas de Confcience fur la Vertu de Juftice
& d'Equité , que nous venous tout récemment
de réimprimer , ont réuni les fuffrages
des différentes Ecoles de Théologie
fi quantité de Fidéles , voulant profiter
d'Inftructions écrites dans leur Langue
, fe font pourvus avec empreffement
de ces excellens Livres ; nous espérons
qu'un troifiéme Ouvrage , qui leur reffemble
, & par l'importance des matières , &
par la manière dont elles font traitées ,
aura un femblable fuccès.
Un Docteur de Sorbonne , auffi généralement
eftimé que profondément fçavant ,
a lu le manufcrit , & l'a regardé comme
un tréfor , qu'il ne falloit plus différer de
préfenter , tant à ceux qui par état font
obligés d'inftruire les autres , qu'à ceux
114 MERCURE DE FRANCE.
fuite des Vertus Théologales . De la Charité
que l'homme fe doit à foi même , de
celle due au Prochain , de l'Aumône , de
la Correction Fraternelle, des Péchés op:
pofés aux Vertus Théologales. Tome Iit.
La Vertu de Religion . 1 °. Le Traité de la
Priere , 2 °. de l'Oraifon mentale , 3 ° . de
l'Oraifon Dominicale . Des Voeux fimples
& folemnels , du Jurement & d₁ Serment.
Tome IV. De la Vertu de Religion,
& des Vertus qui y font annéxées . 1º . De
l'Abjuration , 2 ° . de la Malédiction , 3 ° .
de la Sanctification des Dimanches & des
Fêtes , 4°. des devoirs des Enfans envers
leurs Peres & Meres , & des devoirs des
Peres & Meres envers leurs Enfans , 5
de la Vérité & du Menfonge , 6°. des Bénéfices
. Tome V. La fuite des Vertus annéxées
à la Vertu de Religion , & des Vices
qui y font oppofés. 1 °. Suite du Traité
des Bénéfices , 2 °. des Superftitions ,
3°. de la Simonie . Tome VI. La fuite des
Vices oppofés à la Vertu de Religion. 1º.
Suite du Traité de la Simonie . 2º . Les
Péchés capitaux . 3 ° . La Table Générale
des matières , tant des Réſolutions des
Cas de Confcience fur la Vertu de Juftisice
& d'Equité , que des fix Volumes.
énoncés ci deffus.
Ces trois Ouvrages fe trouvent à Paris,
SEPTEMBRE, 1761.
chez Jean Thomas Heriffant , Libraire ,
rue S. Jacques , à S. Paul & à S Hilaire ;
Savoye, Libraire, rue S. Jacques à l'Efpérance
; Ganeau , Libraire, rue S. Severin ,
aux Armes de Dombes. Avec Approbation
& Privilége du Roi 1761 .
AVIS des Libraires Affociés , à Meffieurs
les Curés , Confeffeurs , Prédicateurs
, & autres Miniftres de l'Eglife.
Si les deux Ouvrages de la Théorie &
Pratique des Sacremens , & des Réſolutions
de Cas de Confcience fur la Vertu de Juftice
& d'Equité , que nous venous tout récemment
de réimprimer , ont réuni les fuf
frages des différentes Ecoles de Théologie
: fi quantité de Fidéles , voulant profiter
d'Inftructions écrites dans leur Langue
, fe font pourvus avec empreffement
de ces excellens Livres ; nous espérons
qu'un troifiéme Ouvrage , qui leur reffemble
, & par l'importance des matières , &
par la manière dont elles font traitées
aura un femblable ſuccès .
Un Docteur de Sorbonne , auffi généra
lement eftimé que profondément fçavant ,
a lu le manufcrit , & l'a regardé comme
un tréfor , qu'il ne falloit plus différer de
préfenter , tant à ceux qui par état font
obligés d'inftruire les autres , qu'à ceux
114 MERCURE DE FRANCE:
fuite des Vertus Théologales. De la Cha
rité
que
l'homme fe doit à foi même , de
celle due au Prochain , de l'Aumône , de
la Correction Fraternelle, des Péchés op
pofés aux Vertus Théologales . Tome III.
La Vertu de Religion . 1 °. Le Traité de la
Priere , 2 °. de l'Oraifon mentale , 3 ° . de
l'Oraifon Dominicale. Des Voeux fimples
& folemnels , du Jurement & d" Serment.
Tome IV. De la Vertu de Religion,
& des Vertus qui y font annéxées . 1 ° . De
l'Abjuration , 2 °. de la Malédiction , 3 °.
de la Sanctification des Dimanches & des
Fêtes , 4°. des devoirs des Enfans envers
leurs Peres & Meres , & des devoirs des
Peres & Meres envers leurs Enfans , °.
de la Vérité & du Menfonge , 6º. des Bénéfices
. Tome V. La fuite des Vertus annéxées
à la Vertu de Religion , & des Vices
qui y font oppofés. 1 °. Suite du Traité
des Bénéfices , 2 °. des Superftitions ,
3°. de la Simonie. Tome VI. La fuite des
Vices oppofés à la Vertu de Religion. 1º.
Suite du Traité de la Simonie . 2 ° . Les
Péchés capitaux . 3 ° . La Table Générale
des matières , tant des Réfolutions des
Cas de Confcience fur la Vertu de Juftisice
& d'Equité , que des fix Volumes
énoncés ci deffus.
Ces trois Ouvrages fe trouvent à Paris,
SEPTEMBRE, 1761.114
chez Jean Thomas Heriffant , Libraire ,
rue S. Jacques , à S. Paul & à S Hilaire ;
Savoye, Libraire, rue S. Jacques à l'Eſpérance
; Ganeau , Libraire, rue S. Severin ,
aux Armes de Dombes . Avec Approbation
& Privilége du Roi 1761 .
AVIS des Libraires Affociés , à Meffieurs
les Curés , Confeffeurs , Prédicateurs
, & autres Miniftres de l'Eglife .
Si les deux Ouvrages de la Théorie &
Pratique des Sacremens , & des Réfolutions
de Cas de Confcience fur la Vertu de Juftice
& d'Equité , que nous venous tout récemment
de réimprimer , ont réuni les fuffrages
des différentes Ecoles de Théologie
: fi quantité de Fidéles , voulant profiter
d'Inftructions écrites dans leur Langue
, fe font pourvus avec empreffement
de ces excellens Livres ; nous espérons
qu'un troifiéme Ouvrage , qui leur reffemble
, & par l'importance des matières , &
par la manière dont elles font traitées
aura un femblable ſuccès.
Un Docteur de Sorbonne , auffi généra
lement eftimé que profondément fçavant ,
a lu le manufcrit , & l'a regardé comme
un tréfor , qu'il ne falloit plus différer de
préfenter , tant à ceux qui par état font
obligés d'inftruire les autres , qu'à ceux
114 MERCURE DE FRANCE:
fuite des Vertus Théologales. De la Charité
que l'homme fe doit à foi même , de
celle due au Prochain , de l'Aumône , de
la Correction Fraternelle, des Péchés op
pofés aux Vertus Théologales . Tome III.
La Vertu de Religion . 1 °. Le Traité de la
Priere , 2 °. de l'Oraifon mentale , 3 ° . de
l'Oraifon Dominicale . Des Voeux fimples
& folemnels , du Jurement & d₁ Serment.
Tome IV. De la Vertu de Religion,
& des Vertus qui y font annéxées . 1 ° . De
l'Abjuration , 2 ° . de la Malédiction , 3 ° .
de la Sanctification des Dimanches & des
Fêtes , 4° . des devoirs des Enfans envers
leurs Peres & Meres , & des devoirs des
Peres & Meres envers leurs Enfans , s °.
de la Vérité & du Menfonge , 6°. des Bénéfices
. Tome V. La fuite des Vertus annéxées
à la Vertu de Religion , & des Vices
qui y font oppófés. 1 °. Suite du Traité
des Bénéfices , 2 °. des Superftitions ,
3 °. de la Simonie. Tome VI. La fuite des
Vices oppofés à la Vertu de Religion . 1º.
Suite du Traité de la Simonie . 2º . Les
Péchés capitaux . 3 °. La Table Générale
des matières , tant des Réfolutions des
Cas de Confcience fur la Vertu de Juftisice
& d'Equité , que des fix Volumes.
énoncés ci deffus.
Ces trois Ouvrages fe trouvent à Paris,
SEPTEMBRE. 1761 119
chez Jean Thomas- Heriffant , Libraire ,
rue S. Jacques , à S. Paul & à S Hilaire ;
Savoye, Libraire, rue S. Jacques à l'Eſpérance
; Ganeau , Libraire, rue S. Severin ,
aux Armes de Dombes. Avec Approbation
& Privilége du Roi 1761 .
AVIS des Libraires Affociés , à Meffieurs
les Curés , Confefleurs , Prédicateurs
, & autres Miniftres de l'Eglife.
Si les deux Ouvrages de la Théorie &
Pratique des Sacremens , & des Réſolutions
de Cas de Confcience fur la Vertu de Juftice
& d'Equité , que nous venous tout récemment
de réimprimer , ont réuni les fuffrages
des différentes Ecoles de Théologie
: fi quantité de Fidéles , voulant profiter
d'Inftructions écrites dans leur Langue
, fe font pourvus avec empreffement
de ces excellens Livres ; nous espérons
qu'un troifiéme Ouvrage , qui leur reffemble
, & par l'importance des matières , &
par la manière dont elles font traitées
aura un femblable fuccès.
Un Docteur de Sorbonne , auffi généra
lement eftimé que profondément fçavant ,
a lu le manufcrit , & l'a regardé comme
un tréfor , qu'il ne falloit plus différer de
préfenter , tant à ceux qui par état font
obligés d'inftruire les autres , qu'à ceux
16 MERCURE DE FRANCE.
qui fçavent trouver le loifir de s'inftruire
eux-mêmes. Tel eft le jugement que ce
grand connoiffeur a porté de la Théologie
Morale que nous annonçons . Elle eft par
Demandes & par Réponfes , & forme fix
volumes in-douze.
Elle eft de la même main que les trois
volumes de la Théorie & Pratique , & que
les quatre volumes des Réfolutions de Cas
de Confcience. Nous n'avons aucune raifon
de le laiffer ignorer : il feroit même
inutile d'en faire un mystère , que le premier
coup d'oeil dévoileroit au Lecteur le
moins attentif. L'Avertiffement indique
en détail les Traités compris dans les fix
Volumes. Nous dirons feulement ici ,
qu'ils renferment d'amples inftructions
fur les Vertus Théologales , & fur les Péchés
qui y font oppofés ; fur la Vertu de
Religion , fur celles qui en font une ſuite
& fur les Vices contraires ; fur la Véri
té & le Menfonge , fur les Péchés capitaux
, & enfin fur les Bénéfices & fur la
Simonie.
Cette courte énumération fuffit pour
faire voir que les fix Volumes , joints aux
fept qui ont précédé , peuvent paffer pour
un Corps de Théologie Morale , auffi complet
qu'il eft intéreffant. La marche de
l'Auteur eft aifée à diftinguer : on la rez
SEPTEMBRE . 1761 17
·
Connoîtra partout. On y trouvera cet efprit
méthodique , cette folidité de principes
, cette force de raifonnement , cette
clarté de ſtyle , qui caractérfent fes Ouvrages
, fur tout cette attention à s'étayer
, dans les matières délicates , des
plus refpectables autorités. L'abondance
des objets exigeoit néceffairement une
Table générale & raiſonnée ; on en trouvera
une très - ample , & faite avec la
plus grande exactitude. Elle termine le
fixiéme Volume ; & elle fervira également
pour la Théologie Morale , & pour
les Refolutions de Cas de Confcience.
AVERTISSEMENT.
Nous annonçons , avec plaifir , un Ouvrage
qui peut être très -utile aux jeunes
Médecins , ainfi qu'aux Chirurgiens & aux
Sages - Femmes . C'est une Collection d'obfervations
fur différens cas finguliers , relatifs
à la Médecine - Pratique , à la Chirurgie
, aux Accouchemens & Maladies
Vénériennes , par M. de Fléchy , ancien
Médecin des Hôpitaux des Armées du Roi,
ci- devant Médecin & Chirurgien- Major
en chef des Troupes de S. A. S. Electorale
Palatine , Infpecteur de fes Hôpitaux
, Profeffeur en Chirurgie , & Démonftrateur
d'Anatomie & c.
18 MERCURE DE FRANCE.
Cet Ouvrage renferme la Pratique des
plus habiles Maîtres en Médecine & en
Chirurgie , tant anciens que modernes.
L'Auteur y a joint quelques réfléxions en
faveur des Etudians. C'eft le fruit d'une
pratique & d'une expérience de trente
années, acquifes dans les Hôpitaux & dans
les Pays Etrangers. La méthode que l'Auteur
indique eft courte , fûre , & facile
pour le traitement des plaies , la guériſon
des maladies , & pour faire les Accouchemens
les plus difficiles , avec les inftructions
néceffaires pour bien conduire les
maladies des femmes en couches. Cet
Ouvrage a été écrit dans la plus grande
fimplicité ; on a même évité de fe fervir
autant qu'il a été poffible des termes de
l'Art , afin de le rendre utile à toutes fortes
de perfonnes. On y trouvera des éclairciffemens
fur diverfes indifpofitions avec
la manière d'y remédier par foi -même ,
ou de les prévenir , & particulierement
l'apoplexie .
L'Auteur ayant vû qu'il manquoit encore
quelque
chofe d'intéreffant
dans fon
Ouvrage
, s'eft attaché à doaner une méthode
très fure pour le traitement
& la
parfaite
guérison
des maladies
vénériennes
, en faiſant ufage des frictions
mercurielles
par extinction
& en évitant
la
SEPTEMBRE. 1761 11g
falivation. Cette méthode qui eft connue
de quelques habiles Médecins & Chirurgiens
, paroît néanmoins avoir été fort
négligée jufqu'à préfent. Et pourquoi ?
c'est ce qu'on ignore . Cependant l'Auteur
ne la propofe qu'après l'avoir mife
en pratique , & en avoir vû les effets merveilleux
, tant dans ces fortes de maladies
les plus invétérées , que dans d'autres ou
l'application du Mercure lui a paru néceffaire.
Les fréquentes expériences qu'il
en a faites , font donc une preuve fuffifante
, que cette méthode mérite à tous
égards la préférence fur toute autre , &
qu'infenfiblement on la mettra en prati
que , comme plus fure , plus efficace ,
moins incommode , moins fuivie d'accidens
, plus douce pour le traitement , &
beaucoup plus avantageufe au malade.
Ce Livre fe vend , & eft imprimé à Paris,
chez Lambert , Imprimeur Libraire
rue & à côté de la Comédie Françoiſe , au
Parnaffe.
PHARMACOPÉE du Collège Royal des
Médecins de Londres , traduite de l'Anglois
fur la feconde Edition donnée avec
des Remarques par le Docteur H. Pemberton
, Profeffeur en Médecine au Col-
Lége de Gresham : augmentée de plufieurs
720 MERCURE DE FRANCE.
Notes & Obfervations , & d'un grand
nombre de Procédés intéreffans , avec les
vertus & les doíes des Médicamens , première
Partie. Volume in 4° . 10 liv . 10 f.
relié . A Paris , chez Jean- Th . Hériffant ,
rue S. Jacques , à S. Paul & à S Hilaire ,
1761. Avec Approbation & Privilége du
Roi.
TRAITÉ des Servitudes réelles , à l'uſage
de tous les Parlemens & Siéges du Royaume
, foit Pays de Droit écrit , foir Pays
Coutumier , & auſſi à l'uſage de la Flang
dre Impériale , & d'une partie de l'Allemagne
dans lequel font raffemblés les
Principes de la Matière , les difpofitions
des différentes Coutumes , & les Ufages
de chaque Province , conformément à la
Jurifprudence des Cours Souveraines. On
y a joint une Compilation & une Tradu
ction des Loix Romaines qui ont rapport
aux Servitudes réelles , au nombre de plus
de mille Loix ou Paragraphes . Par M.
Lalaure , Avocat au Parlement . Volume
in- 4° . 12 liv. relié . A Paris , chez Jean-
Th. Hériffant , rue S. Jacques , à S. Paul
& à S. Hilaire , 1761. Avec Approbation
& Privilége du Roi.
L'AGRONOMIE & l'Induftrie , ou les Principes
de l'Agriculture , du Commerce &
des
SEPTEMBRE. 1761. 121
i
des Arts , réduits en pratique. * Par une
Société d'Agriculteurs , de Commerçans
& d'Artiftes .
Fortunatos nimium , fua fi bona norint !
Virg. Georg. Lib . I.
A Paris , chez Defpilly , Libraire , rue
S. Jacques , à la vieille Pofte , 1761. Avec
Approbation & Privilége du Roi.
PROSPECTUS.
L'Agriculture eft la baſe de la puiffance
Téelle & intrinféque d'un Etat , comme
le Commerce & les Arts en font les foutiens
, quant à fes relations extérieures.
Cette vérité , à laquelle on commence
depuis peu à rendre un hommage prèſque
univerfel , avoit été fentie par les Citoyens
Philofophes qui avoient confacré
leurs veilles à concourir , autant qu'il
étoit en eux , aux progrès de ces trois
branches éffentielles de l'adminiſtration ;
mais cette même vérité ne pouvoit avoir
des influences réellement utiles & capables
de produire le bien genéral , qu'autant
que le Gouvernement la protége-
* On a fait en Angleterre un Ouvrage ' à-peuprès
femblable à celui -ci , fous le titre de Compleat
Body of Husbandry, in-falio . London, 1750-8
c'est-à- dire , Corps complet d'Agriculture.
122 MERCURE
DE FRANCE
.
roit. C'est ce que nous voyons avec plai
fir arriver aujourd'hui par l'établiſſement
des fociétés d'Agriculture
, de Commerce
& des Arts qui fe multiplient à l'envi
dans les différentes Provinces du Royaume.
Ce feront autant de fources de lumière
, dont les rayons doivent enfin
éclairer jufqu'au plus ignorant & au plus
opiniâtre laboureur.
En effet , fi les préjugés barbares
qui
avoient fait regarder parmi nous l'agriculture
comme un art ignoble , ont nui à
fes progrès ; ce qui retarde encore fon
avancement
, c'est l'attachement
inconcevable
qu'a le payfan pour fes ancien
nes coutumes ; il y eft uni d'une inhérence
fi intime , fi l'on peut s'exprimer
ainfi ,
, que ce n'eft qu'à force de leçons de
pratique & d'exemples
de fuccès conftans
, qu'on peut le ramener aux ufages
que la faine Phyfique confeille & que la
Raifon approuve
.
A l'égard du Commerçant
& de l'Artiſte, il eft moins difficile de leur faire entendre
raifon ; il fuffit de leur expofer les inconvéniens
de tel ou tel procédé , & de leur
montrer les avantages
de tel ou tel autre,
pour qu'ils adoptent celui- ci fans héfiter.
Un ouvrage
dans lequel , en embraf
fant , dans fa plus grande étendue
, ce qui
SEPTEMBRE. 1961. FIN
a rapport à ces trois objets , on s'attacheroit
plus à donner des leçons de pratique
fondées fur une faine théorie , qu'à des
fpéculations peut- être utiles , mais d'une
utilité moins préfente ; un ouvrage dans
lequel on trouveroit raffemblées & réunies
, fous le même point de vue , toutės
les obfervations des Philofophes qui ont
écrit fur ces matières , toutes les expériences
qui ont été faites dans les divers Pays
où l'agriculture eft en honneur , avec leur
application aux différens terreins , fuivant
la nature du fol ; un ouvrage où la
pratique marcheroit d'un pas égal avec la
théorie , & qui pourroit feul tenir lieu de
l'immenfe & volumineufe collection des
livres qui ont été faits fur ce fujet , parce
que ce qu'ils contiennent d'utile s'y trouveroit
en fubftance , & feroit joint aux
nouvelles vues que l'expérience & la réflexion
ont ouvertes depuis ; un ouvrage ,
en un mot , où l'on trouveroit des détails
fur le Commerce & fur les Arts qui pourroient
éclairer & inftruire le Négociant ,
rectifier les idées,diriger la main de l'Artif
te : un tel ouvrage pourroit- il ne pas être
accueilli dans un fiècle qui paroît abandonner
enfin le frivole pour s'attacher au
folide?
124 MERCURE DE FRANCE.
C'eft l'objet qu'on fe propoſe dans ce
lui dont on publie le Prospectus.
ne
Pour cet effet , quant à ce qui concerl'agriculture
, on y raffemblera les principes
des divers Pays , qui ont déjà été
foumis à l'expérience , & ceux même qui
auroient befoin de l'être , pour que leur
bonté fût conftatée , afin d'en tirer des
conféquences & des préceptes pour l'amélioration
des terres , &c , à l'effet de procurer
de plus abondantes recoltes , &c.
On aura foin de rapporter & de traduire
les termes ufités dans les différens lieux ,
afin qu'il ne reste aucun obftacle à l'inelligence
des régles que l'on pourra
préfcrire , pour parvenir :
En premier lieu , à inftruire le Cultiva
teur des méthodes les plus efficaces & les
plus fûres pour défricher , engraiffer ,
améliorer , femer & cultiver fructueuſe
ment les terres fertiles , & tirer le meil
leur parti des mauvaiſes , relativement à
l'expofition & à la température du cli
mat , ainfi qu'à la nature du fol . On
* Nous ne prétendons pas dire que les préceptes
découverts , ou à découvrir , puiffent être
utiles à tous les cantons fans exception. Cette
prétention feroit chimérique . Mais nous voulons
dire qu'au moyen des modifications prefcrites
par la nature de chaque terrein , il n'eſt aucun
SEPTEMBRE. 1761 125
indiquera pareillement la meilleure façon
de faire , de préparer & de conferver les
récoltes , ce qui amènera des préceptes
pour connoître : 1 ° . chaque nature de
terre, fa qualité , & quel est le parti qu'on
en peut tirer ; 2°. chaque méthode de
deffécher & défricher , la plus analogue
à telle ou telle qualité de fol ; 3 ° . chaque
efpéce de labour , d'engrais , de femence
propre à tel ou tel terrein , & le
choix qu'il faudroit faire des diverfes méthodes
connues ou indiquées pour améliorer
un terroir & en augmenter la vertu
productrice ; 4° . les époques marquées &
reçues comme les plus favorables pour
exécuter avec fruit & employer avec fuccès
ces défléchemens , ces défrichemens ,
ces labours , ces engrais , ces femences ,
&c. so. La meilleure manière de préparer
les engrais & les femences ; 6º. enfití.
le nombre des labours , la quantité d'engrais
, & la qualité des femences qu'il
précepte qui ne puiffe être utile jufqu'à un certain
point ; & la manière dont on préfentera ces
précéptes , par l'application qu'on aura foin d'en
faire à chaque efpéce de terrein , pourra être
avantageufe dans tous les pays , en ce que le laboureur
y trouvera des leçons analogues à la
nature du fol qu'il aura à cultiver.
Fiij
726 MERCURE DE FRANCE.
faudroit employer , relativement à la nature
du fol qu'on cultive.
En fecond lieu , la manière d'élever, de
nourrir & d'engraiffer les beftiaux , volailles
& infectes utiles , la méthode & le
temps convenables pour recueillir , préparer
& conferver leurs productions , feront
l'objet d'une partie de cet article.
En troifiéme lieu , on indiquera ce qu'il
faut obferver & pratiquer , ce qu'on a
éprouvé être le plus expédient pour fenter,
élever , planter , enter , cultiver les arbres
fruitiers & autres. Les vendanges , le cidre
, & c , fuivront néceffairement cet article.
Enfin on décrira la forme & la conf
truction des uftenciles & inftrumens les
plus néceffaires à la cultivation , &
afin que rien ne gêne dans l'intelligence
du détail qu'on en donneroit , on tâchera
d'en rendre les noms dans l'idiome *
* Pour faciliter cette connoiffance au laboureur
, on fe flatte qu'il fe trouveroit toujours dans
les principales Paroiffes quelque citoyen zélé qui
voudroit bien fe donner la peine d'extraire de notre
ouvrage ce qui , quant à l'agriculture , pourroit
concerner la nature du terrein du canton
qu'il habiteroit , & le traduire dans l'idiome de
ce canton , afin que le Pay fan pût s'inftruire, que
le jeune Agriculteur pût y puifer des leçons , &
l'ancien Cultivateur des lumières pour éclairer
ceux qui font à fa charge. Un petit manuel de
SEPTEMBRE. 1761 127
de chaque Province , & même de chaque
canton , s'il étoit poffible . Et fi l'on découvre
, dans un inftrument quelconque ,
un vice de conformation , on indiquera
la manière de le rectifier , en obfervant
pourtant de s'éloigner , le moins qu'il
feroit poffible , de la forme déjà adoptée.
A l'égard du Commerce , on fera un
choix dans les moyens connus , fans négliger
les nouveaux que la réfléxion pourra
découvrir , pour inftruire le Négociant :
1 °. des objets de commerce d'exportation
& d'importation , relativement à fa pofition
, & c . 2 ° . de la nature & de la qualité
des matières premières , & des modifications
& changemens que l'induftrie y apporte
: 3. des lieux d'où ces différens
objets de commerce doivent être tirés
préférablement , & de ceux où la confommation
en peut être la plus avantageuſe.
Pour cet effet , on traitera avec ordre ,
& dans le plus grand détail , de la nature
du Commerce général de chaque Royaume
, de chaque Etat , c'eft- à -dire , de la
nature de leurs productions de terre ou de
cette donne- forte que les Curés , Vicaires & c ,
roient a lire à leurs Payfans , produiroit néceffairement
le plus grand bien . Cette coutume qui
eft établie en Angleterre , y a eu les plus grands
faccès,
F iy
128 MERCURE DE FRANCE .
mer , de celles de leurs Fabriques & Manufactures
, des Marchandifes des autres
Pays qui s'y débitent , de leurs coûtumes
dans les ventes , achats , affaires de banques
& c ; de leurs foires , de leur durée
& de leur date , de leurs marchés publics
& des denrées qui s'y confomment , & c.
De là on paffera au commerce particu
lier de chaque Province & de chaque
Ville ; on fera mention des Manufac
tures qu'on y trouve ; & on aura foin
de marquer quel avantage elles produifent.
On indiquera les voies les plus commodes
& les moins couteufes pour le
tranfport des marchandiſes , tant natio
nales qu'étrangères , ce qui amènera à
traiter des droits de péages , traites foraines
, octrois , & c , exigibles fur chaque
nature de marchandifes , des droits d'entrée
& de fortie , des droits de fret &
d'ancrage , de la commiffion , des affurances
, des changes , efcomptes ordinai
res , & c. Pour ne rien omettre , on donnera
un tableau des poids & mefures , &
des monnoies réelles & idéales , avec les
moyens de les réduire à la valeur de ceux
du pays où l'on fe trouve . Enfin on annoncera
les nouvelles découvertes ; on
expofera les plans & projets de commerce
qui pourroient ſe faire , &c. &c.
SEPTEMBRE. 1761. 129
•
Les Arts feront envifagés dans le même
ordre & le même point de vue . On inſtruira
l'Artiſte de la nature de la matière fur
laquelle il travaille , & des moyens de la
mettre en oeuvre avec le plus de profit
poffible; & pour que cette partie de l'ouvrage
,qui eft indifpenfablement liée avec
les deux autres , foit traitée avec le même
foin , on ſe propofe de préfenter d'abord
en peu de mots les ftatuts & réglemens
concernant chaque corps de métier, d'expofer
les régles qu'ils prefcrivent , & de
marquer quels font les talens néceſſaires
pour réuffir dans tel ou tel Art . On recherchera
foigneufement quelles font les
nouvelles préparations des matières premières
, ce qu'on a découvert concernant
les étoffes & autres objets de fabrication
, s'il y a quelque nouveau moyen de
leur donner un plus beau teint ou un plus
bel oeil ; en un mot , rien de ce qui pourra
éclairer l'Artifte & faciliter fes progrès
ne fera omis .
Tel eft en général le plan de cet ouvrage
. Voici quelle eft la forme qu'on fe propofe
de lui donner.
DIVISION DE L'OUVRAGE.
Chaque volume fera divifé en quatre
F v
30 MERCURE DE FRANCE.
parties . Dans la premiere , qui traitera de
l'agriculture, on entrera dans tous les détails
néceffaires pour le développement:
des principes & des préceptes , & on aura:
foin de citer les ouvrages dont on s'aidera ..
On joindra à la fin de cette partie les figures
en taille -douce , des outils & inftrumens
dont on aura eu occafion de parler ,
& qui feront les plus commodes pour le
Cultivateur.
Dans la feconde partie , qui aura pour
objet le Commerce, & on procédera dans
le même ordre , & on entrera dans les ;
mêmes détails..
Dans la troifiéme , qui regarde les Arts ,
on ne fe contentera pas de décrire en:
gros chaque art ou - métier , mais on en
détaillera les parties lorfqu'elles offriront
quelque chofe d'intéreffant , & l'on donnera
tous les moyens poffibles pour hâter
les progrès de l'art dont il fera queſtion ,,
Qu pour en augmenter l'utilité..
Et pour ne laiffer rien à defirer fur la to
talité de cet ouvrage , la quatrième partie
fera compofée d'un corps d'obfervations :
générales & d'une fuite d'expériences, de
plans , de projets, & c , relatifs aux trois;
autres parties , mais d'un rapport affez
éloigné avec la matière dont on auroit:
maité dans ce même volume , pour qu'on
SEPTEMBRE. 1761. 131
2
n'ait pas crû devoir les inférer fous le titre
refpectif qui leur eût convenu. Ces obfervations
embrafferont en général toutes
les découvertes des fociétés d'agriculture ,
tant de France que des pays étrangers
qu'on préfentera le plus fuccinctement
qu'il fera poffible , & feulement pour les
configner dans un ouvrage qui n'a pour
but , que d'éclairer le Cultivateur, le Négociant
& l'Artiſte.
PRIX DES VOLUME S..
On donnera chaque année , juſqu'à l'ai
confection entiere de l'ouvrage , fix volunes
in - 8° . de même caractère & de
même format que le Profpectus. Chaque
volume fera de vingt feuilles , c'eſt- àdire
320 pages ou environ. Le premier
paroîtra au mois de Septembre prochain ,.
& le deuxième au premier de Novembre
fuivant , & ainfi des autres fucceffivement
'de deux en deux mois.
Mais comme chaque volume formeroit
un trop gros paquet pour les perſonnes
de Province qui defireroient recevoir cet
Ouvrage par la Pofte , & qu'il eft bon de
fatisfaire promptement ceux qui voudront
jouir du fruit de nos recherches &
de nos travaux , nous nous propofons de
"divifer chaque volume en deux parties ,
Fvi
132 MERCURE DE FRANCE.
chacune de dix feuilles , dont il en pa
roîtra une chaque mois.
Le prix de chaque volume fera de trois
livres , en forte que les fix volumes de
l'année reviendront à 18 liv.
Les perfonnes de Province qui voudront
les recevoir par la Pofte , payeront
de plus pour le port 16 fols par volume ,
c'est - à- dire 8 fols par chaque partie , ce
qui reviendra , pour le port des fix volu
mes , à 4 liv. 16 f. par an.
Cet Ouvrage fe diftribuera chez Defpilly
, Libraire , rue S. Jacques , à la
vieille Pofte ; on en trouvera auffi des
Exemplaires chez les Libraires des principales
Villes du Royaume.
P. S. Nous recevrons tous les mémoires &
paquets que l'on voudra nous adreffer concernant
notre ouvrage , & nous aurons beaucoup
de reconnoiffance pour les perfonnes qui voudront
concourir avec nous à lui donner toute la
perfection poffible. Les obfervations des Cultivateurs
, les mémoires des Négocians & Artiſtes ſeront
reçus avec plaifir dans telle langue qu'ils
foient écrits ; nous nous ferons un devoir d'in
férer les experiences & les projets utiles qui y
feront contenus , & nous en rendrons hommage
à leurs Auteurs s'ils paroiffent le defirer . Nous
prions feulement les perfonnes qui voudront nous
envoyer quelques paquets , de les remettre à notre
adrelle chez quelque Libraire connu de Province
, qui les feroir parvenir , pour être remis ag
SEPTEMBRE. 1761.
155
fieur Defpilly, Libraire , à Paris , rue Saint- Jacques.
On trouve chez le même Libraire , le Patriote
Artéfien , ou les Moyens de ranimer l' Agriculture ,
le Commerce & les Arts , & tous les Livres concernant
cette matière .
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADEMIES.
EXTRAIT des Mémoires de l'Académie
Royale des Inferiptions & Belles - Lettres.
TOME X X V.
1
SUR l'Origine de la Fable de l'OLYMPE.
De l'Imprimerie Royale . 1761 .
CEE MÉMOIRE a pour titre : Conjectu
res fur l'Origine de la Fable de l'Olympe,
en explication & confirmation de ce qui a
été dit , dans l'un des Eclairciffemens
ajoutés au Traité Phyfique & hiftorique de
l'Aurore Boréale.
Dans un court Avertiffement , qui eft à
la tête , il eft dit que l'ufage de l'Acadé
154 MERCURE DE FRANCE.
mie des Belles- Lettres eft de ne faire
imprimer entre fes Mémoires , que ceux
des Académiciens ; que cependant elle a
cru que le Mémoire fuivant méritoit une
exception. Il eft de M. de Mairan , qui a
fçu joindre à l'étude des hautes Sciences
les agrémens de la Littérature. L'Académie
des Sciences dont il est un des
Membres les plus diftingués , eft unie à
celle des Belles - Lettres par une corref
pondance mutuelle.
La diftinction particuliere que cette
favante Académie a cru devoir à ce Mémoire
, fuffit pour en prouver le mérite
& exciter la curiofité du Public . M. de
Mairan dans fon célèbre Traité de l'Aurore
Boréale , où l'érudition ne devoit venir
qu'en fecond à l'appui du Phyſique,
Cavoit renfermé dans une demie page ce
qu'il difcute aujourd'hui plus au long dans
cet excellent Mémoire de Mythologie.
Son idée étoit très - ingénieufe ; & elle fe
trouve à préfent auffi folidement établie
qu'elle peut l'être , par la difcuffion des
preuves qu'il avoit fupprimées.
C'est donc , felon lui , l'Aurore Boréale
qui a donné lieu à la Fable dont il s'agit
, & qui a fait imaginer Jupiter & les
Dieux affemblés fur l'Olympe. Il montre
la liaifon que les différens afpects de l'Au
SEPTEMBRE. 1761. 135
Tore Boréale peuvent avoir avec les vifions
chimériques qu'elle a fait naître felon la
latitude des lieux où elle eft vue , & felon
que fes apparitions y font plus ou moins
completres , plus ou moins fréquentes .
Après avoir parlé des différens effets de
P'Aurore Boréale fur les habitans du Nord
& fur ceux des pays de moyenne latitude ,
M. de Mairan remarque , que dans les
pays meridionaux où l'Aurore Boréale a été
quelquefois des fiécles entiers fans paroître
& où elle n'a paru enfuite que par intervalles
, baffe & communément tranquille
, on n'a fait de l'Aurore Boréale
qu'un fpectacle riant , beau à voir & admirable
, comme les Chinois s'expriment
encore aujourd'hui ; que dans les fiécles.
paffés où la Féérie & les enchantemens:
s'étoient emparés des efprits , les habirants
de Reggio & du fond de la Calabre,
y ont reconnu leur Fée Morgane , qui fe
préfentoit à eux dans fes Palais brillans
de criftal ; & qu'enfin , ſi ſa conjecture
ne le trompe , les anciens Grecs n'ont vû
dans l'Aurore Boréale que Jupiter & les
Dieux tenant leur confeil fur l'Olympe ;
fable qui étoit en crédit du tems d'Homére
& d'Héfiode , & qui peut remonter
jufqu'à l'antiquité la plus reculée.
» L'Olympe dont il s'agit ici , car il Y
136 MERCURE DE FRANCE.
» en a plus d'un dans la Gréce , confifte
» dans une chaîne de Montagnes , qui
» bordent la Theffalie vers le Midi , & qui
33
font par conféquent au Nord déclinant
» vers l'Ouest de l'Achaïe & de la Phoci-
» de , & de tout ce qui formoit la Gréce
" proprement dite , HELLAS l'ancienne
» Gréce , Pays fertile en idées poëtiques &
» fabuleufes. L'Aurore Boréale qui n'eft ja-
» mais guéres élevée à de femblables lati-
» tudes & qui décline le plus fouvent vers
» l'Ouest , y aura donc paru immédiate-
» ment au-deffus de ces Montagnes &
» comme adhérente à leur fommet. De
» là le Lymbe , ce ceintre lumineux &
» rayonnant du Phénomène , n'aura été
» pour le Spectateur étonné , qu'un figne
non équivoque de la préſence des Dieux ;
» le fegment obfcur qu'il y aura quelques-
» fois vû au deffous , qu'un nuage refpec-
» table qui cachoit ces Immortels aux
» yeux prophanes. Et les jets de lumiére
» couleur de feu qui s'en élançoient
» qu'auroient- ils pu être qu'autant de foudres
qui partoient de la main deJupiterè
» Plus le Phénomène aura été rare , plus
» il aura été merveilleux , & plus la tra-
» dition , comme tel , aura da s'en con-
» ferver long- temps fans atteinte.
* Traité de l'Aurore Boréale , page 462,
SEPTEMBRE. 1761. 137
Les bornes d'un Extrait ne nous permettent
pas de fuivre l'Auteur dans le détail
des preuves multipliées qu'il donne
de fon idée fur la Fable de l'Olympe ;
inais ce qui lui fait le plus d'honneur &
ce que nous ne pouvons paffer fous filence
, eft qu'elle fe trouve juftifiée par des
pierres antiques , des médailles & des basreliefs
qu'on ne peut expliquer raiſonnablement,
qu'en admettant le fentiment de
M. de Mairan. C'eſt- ainſi qu'en a jugé M.
le Comte de C ** pour qui l'Antiquité n'a
point de voiles impénétrables, & dont l'au
torité, refpectable en tout, a plus que toute
autre raifon déterminé ce fcavant Phyficien
à enrichir les Mémoires de l'Académie
des Belles - Lettres de cet Ouvrage
auffi curieux qu'intéreffant pour toute la
Littérature. M. de Mairan termine ce Mémoire
par la defcription d'une de ces
Pierres qui eft dans le Cabinet du Roi ,
dont il donne l'Eftampe d'après le deffein
qui s'en trouve dans l'excellent Livre de
M. Mariette fur les Pierres gravées .
Par M. L. A. L. B.
138 MERCURE DE FRANCE.
EXTRAIT de la Séance publique de l'Académie
des Sciences & Belles- Lettres de
Dijon , du 11 Janvier 1760 .
L'OUV 'OUVERTURE de l'Académie s'eft faite
par un difcours de M. le Président de
Ruffey , fur la Prévention . Il recherche
d'abord la fource de cette dangereuſe
maladie de l'eſprit ; il en fuit la marche ;
il en développe les effets les plus nuifibles
à la Société ; il indique enfin les
moyens les plus efficaces pour s'en garantir
ou pour s'en guérir.
Cette matière , quoique traitée par la
plupart des Moraliftes modernes, acquiert
un air de nouveauté fous la plume de
l'Auteur , qui a fçu joindre à fes réfléxions
, des anecdotes intéreffantes , des
portraits vivement coloriés , un ftyle
concis, une chaleur d'expreffion qui don-'
ne de la force & de la vie à cet Ouvrage
Académique.
Le caractère de l'Egoifte , furtout , a
paru nouveau ; M. de Ruffey met au jour
les ridicules de ces Narciffes modernes
qui fe croyent le centre de la Société, qui
ne vivent pour perfonne , & qui s'imagi
SEPTEMBRE. 1761 : 139
nent tous les êtres créés pour eux .
Il n'a pas oublié la prévention des Anglois
contre les François , d'autant plus
injufte qu'elle n'eft pas réciproque it
décrit les bifarres événemens de la guerre
que le Peuple de Londres à faire aux
Comédiens François, guerre fanglante où
plufieurs Anglois ont péri victimes de la
prévention.
Il finit fon difcours , en confidérant
combien il y a peu de gens qui penfent
& agiffent par principes ; il déplore l'ignorance
de la plupart des perfonnes.
avec lesquelles on eft obligé de vivre , qui
font de très - bonne foi des injuftices & des
baffeffes ; fauffement perfuadées qu'elles
ne doivent s'abftenir que des feules actions
qui reclament la vengeance publique.
Il applaudit à l'avis de ce Philofophe
moderne qui defire qu'on travaille à
compofer un Catéchifme de Morale , où
les principes de l'honneur & de la vertu
foient mis à la portée des enfans. Ces
femences , dit M. de Ruffey , germées.
dans de jeunes coeurs , produiroient des
fruits précieux ; formeroient à l'Etat des
fujets , à la Société des Citoyens , qui fe-
Foient la gloire & le bonheur de la Nas
tion,
40 MERCURE DE FRANCE.
M. Gelot lut enfuite un Difcours fur la
néceffité de conferver l'équilibre des conditions.
M. Hoin termina la Séance
bleau de la Rage.
*
par un Ta-
Dans la féance publique du 10 Août
1760 , M. l'Abbé Richard lat un Mémoire
fur le fujet du prix qui avoit été propofé
cette année , fçavoir : Si les Arts utiles
& les premiers cultivés ont été portés à
une plus grande perfection ? M. Michault ,
Académicien Honoraire , continua par la
lecture d'une Defcription Hiftorique &
Phyfique des Phénomènes ignés . M. Barberet
lat enfuite un Difcours fur l'effet
de l'Electricité dans les maladies.
La féance publique du 9 Janvier 1761 ,
s'ouvrit par un Difcours de M. l'Abbé Richard
contenant l'Eloge de feu M. Leaulté
, Académicien Honoraire. Cet Eloge fut
fuivi de la lecture d'un Mémoire de M.
le Président de Ruffey fur le fiége de Di
jon par les Suiffes , en 1513 .
Ce morceau d'Hiftoire particulière éxigeoit
les détails où l'Auteur eft entré ; &
cet événement , un des plus mémorables
& des plus intéreffans pour la Bourgogne,
méritoit d'être célébré dans l'Académie
* Cettè Piéce eft imprimée dans le Mercure du
mois de Juillet dernier , II. vol . page 124.
SEPTEMBRE. 1761. •
140
de fa Capitale. Les recherches de M. de
Ruffey fur cet objet , font d'autant plus
précieufes pour elle , que les Hiftoriens
généraux les plus exacts & les plus efti
més , n'en donnent que de légères & de
fauffes idées .
L'Auteur débute par des notions préliminaires
fur les Suiffes , anciennement
nommés Helvétiens . Il remonte à leur
origine , & rapporte fommairement ce
que l'Histoire nous a tranfmis de plus in
téreffant fur cette Nation belliqueufe .
Leur premier exploit fut la défaite du
Conful Lucius Caffius , dont ils firent paffer
l'Armée fous le joug , l'an de Rome
543,
Céfar vengea les Romains quelque
temps après par l'entière défaite de l'Armée
Helvétienne , compofée de plus de
300 mille hommes .
M. de Ruffey parcourt les différens.
Etats de cette Nation fous les Romains ,
les Rois de Bourgogne , les Empereurs ;
remarque que, fous ces différens Maîtres ,
les Helvétiens confervérent toujours l'om
bre de leur ancienne liberté : la fimplicité
de leurs moeurs , la pauvreté de leur
Pays fortifié par la Nature , les mirent à
l'abri du defpotifme.
Profitant des troubles de l'Empire &
142 MERCURE DE FRANCE:
de la foibleffe des Empereurs , ils recou
vrèrent entièrement leur liberté ; mais la
Nobleſſe que les richeffes rendoient audacieufe
& eutreprenante , exerça fur
eux l'autorité la plus tyrannique. Pour s'y
fouftraire , ils eurent recours aux Empereurs
leurs anciens Maîtres. La cruauté
des Gouverneurs établis par l'Empereur
Albert , donna lieu à la fameufe révolution
qui devint en 1308 , le fondement
de leur République. Ils prirent alors le
nom de Suiffes , qu'ils emprunterent d'un
de leurs cantons .
Des guerres foutenues pendant deux
fiécles , rendirent les Suites infiniment
redoutables ; on vit fans étonnement, les
plus grands Princes rechercher leur alliance
; la France même ne la négligea
point ; elle s'en fervit utilement fous plufieurs
de fes Rois . Mais Louis XII mécontent
des augmentations des foldes
qu'ils lui demandoient , les irrita par des
paroles outrageantes , & s'en fit des ennemis
irréconciliables .
Animés par les voifins de la France
excités par leur reffentiment & par leur
intérêt particulier , ils formèrent le projet
de fe venger en pillant & ravageant
les plus belles Provinces de ce Royaume.
Accompagnés de quelque Cavalerie
SEPTEMBRE. 1761. 143
que leur fournit l'Empereur Maximilien ,
ils entrèrent en Bourgogne au nombre de
25000 hommes & en inveftirent la Capi
tale le 7 Septembre 1513 .
M. de Ruffey fait un détail circonftancié
du mauvais état où fe trouvoit alors
la Ville de Dijon , des travaux & des préparatifs
que firent fes Habitans pour leur
défenſe : il parle des Troupes envoyées
par le Roi à leur fecours , enfin des précautions
prifes & des ordres donnés par
la Tremoille , Gouverneur de Bourgogne,
pour fauver la Capitale de fon Gouvernement.
Les Suiffes commencèrent le fiége par
l'établiſſement de deux batteries , l'une à
l'Orient , l'autre à l'Occident : leur grand
effet jetta la confternation dans la Ville.
La Tremoille, redoutant l'événement d'un
affaut , eut recours à la négociation ;
ce ne fut qu'à la troifiéme conférence
qu'il vint habilement à bout de fauver du
pillage la Bourgogne , & le Royaume
qui étoit entièrement ouvert à l'invaſion
de ces dangereux ennemis . Les Suiffes fe
contentérent de 25000 livres à compte
de quatre cent mille écus qui leur furent
promis , & pour lefquels ils emmenérent
en ôtages deux Seigneurs & quatre Bourgeois
: ils levérent le fiége le 13 Septem
bre.
44 MERCURE DE FRANCE.
L'Académicien n'oublie rien de tour
ce qui fe paſſa pendant le fiége , de tour
ce qui regarde les conférences & les Articles
du Traité. Il en prend occafion de
relever l'erreur des meilleurs Hiftoriens
François fur la durée de ce fiége. Du Bel-
Jay & Mezeray écrivent qu'il dura fix ſemaines
; Beaucaire & le Père Daniel , un
mois. Ces Hiftoriens varient auffi fur les
fommes pronnfes & payées comptant aux
Suiffes ; mais M. de Ruffey a vérifié par
les Registres de l'Hôtel de Ville de Dijon,
qu'elles n'excédérent point celles qu'il a
énoncées , & que cette Ville ne fut affiégée
que pendant fix jours.
Il paffe enfuite aux mefures qui furent
prifes pour garantir la Bourgogne d'une
nouvelle invafion.
Le Duc de Bourbon , depuis Connétable
, y fut envoyé pour fortifier Dijon &
les Villes frontières , ce qui fut exécuté.
en peu de temps par le zèle & l'activité
des Magiftrats. M. de Ruffey parle auſſi
des graces & des priviléges que le Roi
accorda aux Habitans de Dijon pour les
dédommager des pertes occafionnées par
le fiége , & enfin de la proceffion folemnelle
fondée par les Habitans , en mémoire
de l'heureufe délivrance de leur
Ville .
Cec
SEPTEMBRE . 1761. 145
Cet Effai Hiftorique eft terminé par le
récit de tout ce qui fut fait pour fauver
les ôtages que les Suiffes , piqués de l'inéxécution
du Traité de Dijon , avoient
condamnés à mort. Humbert de Villeneuve
, premier Préfident du Parlement
de Bourgogne , étoit allé en Suiffe pour
traiter de leur rançon ; mais il foc luimême
arrêté à fon retour , & expofé au
reffentiment d'une Nation irritée : l'intérêt
fut heureuſement le plus fort fur l'efprit
des Suiffes ; il fufpendit leur vengeance
.
Les Etats de Bourgogne fauvèrent les
ôtages ; on leur laiffa , au moyen de groffes
fommes fecrettement payées , la li
berté de s'évader par les cheminées des
chambres où ils étoient détenus .
Enfin en 1516 , François I voulant
s'attacher les Suiffes , après les avoir défait
à la Bataille de Marignan , leur paya
toutes les fommes promifes par le Traité
de Dijon il conclut avec eux une alliance
qui a duré jufqu'à nos jours avec autant
de franchiſe que de fidélité.
La féance fut terminée par un Difcours
de M. Perret fur les différens effets des
paffions.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
SEANCE publique de la Société Littéraire
d'Arras.
PRESENT qu'elle a reçu de Mgr L'ELECTEUR
PALATIN ,
CEtte féance fe tint le 14 Avril dernier
; & M. de Ruzé de Jouy , Receveur
& Agent de l'Ordre de S. Louis , Directeur
de la Société , en fit l'ouverture par
un Difcours fur les abus qui fe font introduits
dans l'éloquence. M. Durand fils
Docteur en Médecine de l'Univerfité de
Montpellier , Médecin des Hôpitaux du
Roi en furvivance, donna des Réflexions
fur le mauvais ufage que la plupart des
hommes font de leur fanté . Enfuite M.
Harduin , Avocat , Secrétaire perpétuel ,
lut un Mémoire pour fervir à l'Hiftoire
de la Ville d'Arras depuis 1493 jufqu'en
1499. Le P. Lucas Jéfuite, Affocié honoraire
, fit la lecture d'un Traité fur la
Tourbe d'Artois. M. l'Abbé de Lys , protonotaire
Apoftolique , Avocat , & Bénéficier
de la Cathédrale , termina la féance
par un Mémoire Hiftorique fur ce qui
fe paffa , lors de la féparation de l'Evê
che d'Arras d'avec celui de Cambray
SEPTEMBRE. 1761. 147
après la mort de Gérard , depuis l'élection
de Lambert jufqu'à fa confécration faite
à Rome par le Pape Urbain II.
La Société Littéraire , à qui L. A. S.
Electorales Palatines avoient eu la bonté
de donner l'année derniere une Médaille
d'or , qui repréfente ces généreux
Souverains , vient d'être honorée par
Mgr. l'Electeur d'une nouvelle marqué
de fon affection . C'eft une fuite de Médaillons
d'argent , qui portent fon éffigie
& celles de vingt - neuf autres Princes de
fa Maifon , dont le premier eft Louis
Duc de Bavière , créé en 1215 , Comte
Palatin du Rhin , & père d'Otton l'Illuf
tre , qui époufa en 1228 Agnès de Saxe,
héritière du bas Palatinat. Sur le Cordon
du Médaillon de Mgr l'Electeur fe trouve
gravée cette Infcription.
Atrebatum Mufis meque meofque dedi . 1761 .
La Société a remercié S. A. E. par
Lettre qui fuit.
» MONSEIGNEUR ,
la
C'étoit affez du premier bienfait de
"VOTRE ALTESSE SERENISSIME ELECTORA-
» LE , pour imprimer dans nos coeurs une
»reconnoiffance également vive & durable
; & nous ne trouvons plus de ter
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
» mes qui puiffent dépeindre celle que.
nous infpire , MONSEIGNEUR , la magnifique
Collection dont vous daignez encore
nous gratifier . Quelque parfaits
» que foient ces Médaillons , où l'excel-
» lence de l'Art répond partout à la
» Nobleffe du Sujet ; ce qui en fait à nos
» nos yeux le plus haut prix , eft qu'ils
font , MONSEIGNEUR , une preuve écla-
» tante , un gage immortel de vos bontés
» pour nous. La vue des traits de vos auguftes
Précéceffeurs redoublera l'intérêt
» que nous prenions déja à leurs belles
actions ; & ce fera toujours avec une
joie nouvelle, qu'en comparant tant de
grands Princes à V. A. E. nous verrons
» réunir en elle les plus louables qualités
» qui caractérisent & diftinguent chacun
de ces illuftres Souverains.
"
و د
"
Que de gloire nous promet , MoN-
» SEIGNEUR , la bienveillance dont nous
honore V. A. S. Si notre Société ne peut
» fe flatter d'acquérir un nom brillant par
» fes travaux , vos faveurs fuffiront pour
» la rendre à jamais célébre.
» Nous fommes avec le plus profond
» refpect , & c.
SEPTEMBRE. 1761. 149
HISTOIRE NATURELLE.
SECONDE Lettre de M. JAUSSIN , ancien
Apothicaire Major des Camps & Ari
mées du Roi , Maître Apoticaire à Patis
, à M. de B .... ancien Commiffaire
des Guerres .
SUITE des Obfervations fur quelques parties
de l'Hiftoire Naturelle de la
Il
Corfe , & c.
L faut avouer , Monfieur , que les Corfes
habitent un beau Pays. Diodore de
Sicile l'avoit déja vanté . Il rapporte qu'il
étoit fécond non feulement en ce qui eft
néceffaire à la vie humaine , mais encore
dans ce qui en fait les délices, Seneque
pourtant ne tient point ce langage : peutêtre
auffi que le chagrin d'y avoir été
éxilé par Néron remua fa bile contre cette
Ifle , car il en parle ainfi :
Barbara perruptis inclufa eft Corfica Saxis ,
La Corfe fauvage & Barbare eft renfermée
dans des rochers efcarpés .
Quoiqu'il en foit , on ne trouve point
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
cette définition jufte ; il eft vrai cependant
qu'on eft d'accord avec lui fur le
point des rochers qui font le long des
Côtes de la partie du Cap Corfe & jufqu'au
Nord Oueft , depuis Baftia jufques
aux bouches de Bonifacio , ce qui fait la
côte du Levant . Prèfque toutes ces côtes
font d'un terrein de fable & avec fi peu
d'eau , qu'un bâtiment qui en tire plus de
deux pieds court rifque d'y échouer. Depuis
le Golphe de Sagonne jufqu'à Ajaccio
qui eft la côte de l'Oueft, c'eft à peu près
de même.
Les montagnes de Corfe , Monfieur ,
font en plufieurs endroits prèfqu'auffi
hautes que les Alpes , avec cette différence
que celles - là font fort arides . Ce
ne font que des rochers enfevelis fous les
neiges . Les Vallées placées dans l'intervalle
de ces Montagnes ne font pas fort
étendues , mais elles font affez fertiles en
vins & en blés ; on n'y fume jamais les
terres , & malgré cela elles rendent cinquante
pour un .
Les plages le long des côtes font encore
plus fécondes ; le terrein qu'elles
occupent prè que dans tout le pourtour
de l'Ifle, a communément un diamètre de
cinq , fix,à fept milles , depuis le pied de
la montagne jufqu'à la Mer . Il est admiSEPTEMBRE.
1761
table & s'il étoit bien cultivé , il fourniroit
toutes fortes de productions, & pourroit
nourrir fix fois plus de monde que la
Corfe n'en contient ; mais des détails particuliers
vous feront mieux connoître ce
Pays que j'ai eu le temps d'examiner à
mon aife. Au refte , Monfieur , vous vous
reffouvenez fans doute qu'on entend en
Corfe par le mot de Pieve , un affemblage
de plufieurs lieux fous la même régie ,
quoiqu'ils dépendent de diverſes Paroiffes
qui compofent chaque Jurifdiction .
Ce mot vient de l'Italien Pievano & fignifie
Curé principal. Je vais commencer
maintenant les détails en queftion.
Dans la partie de delà les Monts , on
trouve par exemple , la Jurifdiction d'Ajaccio
; c'eft une des plus belles de l'Ifle ;
& quoiqu'étendue de terrein , elle n'eft
compofée que de huit piéves. Celle d'Ajaccio
eft abondante en vins rouges qu'on
envoie en terre ferme ; il n'y a point
d'huile. Les Habitans en font venir de la
Balagne , d'Olmetto & d'Ornano ; les
grains & la viande y font affez communs ;
& il y a plus de gros bétail qu'il n'en faut
pour les Peuples . On y trouve de beaux
pâturages & peu de châtaignes.
La Piéve la plus voifine de celle d'A .
jaccio eft la Mezzana. Son terrein pro
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
duit plus de grains & de vin que les Ha
bitans n'en peuvent confommer , affez
d'huile & rien de plus.
Celle de Cinarca , quoique fuffifamment
cultivée , ne produit du grain que
pour fon néceffaire ; elle fournit plus de
vin & d'huile qu'elle n'en a befoin pour
fa confommation ; elle a quelques Hameaux
très -abondans en châtaigners ;
vous obferverez , Monfieur , qu'on appelle
en Corfe châtaignes blanches , celles
qui font nettes & prêtes à mettre au
moulin.
La piéve de Celavo au pied des montagnes,
a un terrein plus étendu que celle
de la Mezzana , mais inculte en plufieurs
endroits; on y recueille peu de vin, d'huile
& de châtaignes ; en revanche il y a
beaucoup de beftiaux , du lait defquels on
fait d'excellens fromages ; les Habitans
vont labourer au loin dans la plaine qui
leur produit affez de grains pour leur fubfiftance.
La petite piéve appellée Cappella di
peri , qu'on confond ordinairement fous
la domination de celle de Celavo , eft
fituée en pleine dans un bon terrein qui
rapporte aux Habitans de trois Villages
& de deux Hameaux dont elle eft compofée
, plus de grains & de châtaignes
SEPTEMBRE. 1761. 153
Y
qu'ils n'en peuvent confommer ; ils ont
quelques beftiaux, & ils manquent de vin
& d'huile . Le meilleur grain de la Province
d'Ajaccio eft celui de la Piéve de
Cauro . Elle eſt abondante en toutes fortes
de vivres , de façon que non feulement
tous les Villages , dont quelquesuns
font ftériles , en font pourvûs , mais
les Peuples en vendent encore hors de la
Piéve. Proche le Village de Baftelica qui
en eft le Chef-lieu , il y a des espéces
d'Etangs formés par des ruiffeaux dans
lefquels on pêche des Truites exquifes . A
la réserve de quelques Hameaux qui ont
auprès d'eux un terrein fertile , prèfque
tous les Payfans de la Piéve vont travailler
aux terres à vingt milles de leurs Villages
.
La Piéve la plus nombreuſe en Villages
eft celle d'Ornano. Son territoire eft
bien cultivé. Il produit en abondance le
néceffaire de la vie. La qualité des pâtu-.
rages & l'étendue du terrein donnent aux
Habitans la facilité d'élever toutes les efpéces
de beftiaux , principalement des
porcs dont ils ont un grand débit , ainſi
que du furplus de leur huile qu'ils vendent
à Ajaccio.
La Pieve de Talavo eft différente de
celle d'Ornano ; elle a peu de Villages &
G V
154 MERCURE DE FRANCE.
beaucoup d'Habitans ; elle eft plus peu
plée qu'aucune autre de cette Jurifdiction .
Les Habitans font fitués au pied des
montagnes dans un terrein prèfqu'inculte
qui ne produit pas le néceffaire aux Payfans.
La quantité de pâturages ne fuffiſant
pas pour le nombre de beftiaux qu'ils élévent
, ils les menent paître au loin . Soit
ftérilité du Pays , foit faute d'adreſſe des
Peuples , ils font prefque tous Bergers.
Zicavo,Village de cette Piéve, eft le lieu
le plus peuplé de l'Ile après les principales
Villes.
La Jurifdiction & Fief d'Iftria ne compofent
qu'une Piéve placée aux confins
de la Jurifdiction de Sartenne , vers le Levant
, & de celle d'Ajaccio au couchant.
Son étendue eft d'environ vingt- cinq milles
de circuit. On y remarque furtout Olmetto
qui eft bâti dans un amas de rochers
, proche le Golphe de Valinco à
trois milles du bord de la Mer: il fait face
au levant. Cet endroit a de bons terroirs
& bien cultivés qui produifent beaucoup
de grains , furtout de l'orge du côté da
Santenne. Il vient fouvent des bâtimens
pour en transporter dans d'autres lieux
de l'Ife & même en terre ferme. Il
y a
beaucoup de terrein propre aux Oliviers.
C'eſt faute d'induſtrie & par pareffe , fi
SEPTEMBRE . 1761 159
l'on n'y recueille pas une grande quantité
d'huile. Les Habitans de ces cantons
ont peu de vin , & ils ne manquent d'au
cune forte de beftiaux .
Je fuis , Monfieur , votre &c .
Lafuite , au Mercure prochain.
A Paris ce 6 Août 1751 .
P. S. Il paroît , Monfieur , par votre
dernière lettre , que vous allez travailler
inceffamment à analyſer les Eaux Minéra←
les que vous avez découvertes chez vous.
Je me flatte que vous voudrez bien m'en
apprendre les réfultats .
Vous m'avez mandé auffi , Monfieur ,
qu'un de vos amis vouloit fçavoir de M.
Royer , ce que c'eft véritablement qu'une
fubftance qu'on appelle Pelotte de Mer
Pilla Marina , & dont les bords de l'Ocean
qui baigne les côtes de votre Province
font pleins . M. Royer qui tâchera
toujours de fe garantir du vice ridicule &
mauffade d'ofer parler de ce qu'il ne fait
point , ou de fe parer impudemment du
favoir d'autrui fans découvrir les fources
où il l'a pris , avoue de bonne foi qu'il
a été fort long temps à ignorer rotalement
ce que c'étoit quoiqu'il en eût
beaucoup va fur les bords de la mer en
Bretagne , ou du moins i penfoit avec
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
une infinité d'autres perfonnes , que tou
tes les impuretés de la Mer formoient
cette matière , que quelque liqueur glutincufe
lioit enfemble ; mais il eft forti
de fon erreur depuis qu'il a appris de plufieurs
fameux Naturaliftes & Botanistes
& furtout de M. Klein dont il faut adop
ter le fentiment, que cette fubftance n'eſt
compofée que d'une forte de bourre qui
eft au bas des tiges d'une efpéce de Cyperus
dont les bords de la Mer font pref
que remplis partout , & qui eft l'Alga vitreorum
de M. de Juffieu . M. Klein l'a prouvé
d'une façon invincible . Ainfi voilà la
réponse de M. Royer à M. votre ami.
Je trouve votre petit Neveu fort
heureux , Monfieur , d'avoir un Mentor
comme vous. J'apprends que vous préfidez
à fon éducation & qu'il répond parfaitement
à vos foins . Que de lumières
que de talens utiles , néceffaires , agréables
& amufans il va acquérir fous vos
aufpices !
Quant au prix de la liqueur pour Ia
guérifon des Gonorrhées , & de celle contre
les fleurs blanches de feu M. Dalibour
ancien Chirurgien Major de la Gendarmerie
& c , mon grand père maternel ,
qu'on defire fçavoir dans votre Province ,
il eft invariable , fixe & égal pour le
SEPTEMBRE. 1761. 157
monde: cela fignifie que ces deux liqueurs
valent chacune cinq livres la pinte. On en
trouve toujours dans mon Laboratoire.
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS UTILE S.
AGRICULTURE .
LETTRE de M. DE MASSAC , Receveur
Général des Fermes du Roi , Abonné
au Mercure , à M. DE LA PLACE.
MONSIEUR,
Il fut fait mention dans le temps par
l'Auteur du Mercure de France , de l'Etabliffement
d'une Société d'Agriculture
dans la Province de Bretagne . Je penfai
dès - lors qu'une pareille Société feroit
auffi très - avantageufe dans le Limouſin ,
où la plupart des terres font incultes ou
très-mal cultivées . Je communiquai mon
idée à M. Gaye , Lieutenant Général à
l'Election de cette Ville , homme de beaucoup
d'efprit , connu pour tel M. l'Inpar
18 MERCURE DE FRANCE.
tendant de cette Province , qui a lû avec
plaifir plufieurs de fes mémoires * , tous
relatifs au bien de fa patrie. M. Gaye , à
ma follicitation , compofa un nouveau
Mémoire en 1759 , dans lequel il démontra
l'utilité de notre projet . Ce Mémoire
fut goûté par M. Pajot de Marcheval, qui
s'eft donné depuis tous les foins néceffaires
, de concert avec M. de Puymaretz ,
citoyen refpectable de cette Ville , trèszélé
pour le bien public , pour obtenir
de Sa Majesté un Arrêt du Confeil d'Etat
, portant Etabliffement d'une Société
Royale d'Agriculture dansla Généralité de
Limoges. Cet Arrêt , dont les difpofitions
font à- peu- près les mêmes que celles des
Arrêts des 24 Février & premier Mars ,
dont vous faites mention dans votre Mercure
de Juillet , page 121 & fuiv. parut
le 12 Mai dernier. En conféquence il a
été établi trois Bureaux compoſant la
Société d'Agriculture de ladite Généralité
, fçavoir , le premier à Limoges , le
fecond à Angoulême , & le troifiéme à
Brive. M. l'Abbé d'Aubuſſon eſt Préfident
du Bureau de cette Ville , & M. Gaye en
Le premier , fur les Tailles.
Le fecond , fur les Milices.
Le troifiéme, fur la dépopulation de la Vicona
de Turenne.
SEPTEMBRE. 1761 159
fa
eft le Secrétaire perpétuel. Il a cru que
place l'obligeoit à compoſer un difcours ,
qu'il fe propofe de prononcer dans la premiere
féance qui doit fe tenir inceffamment.
Il a bien voulu me communiquer
d'avance cet ouvrage , en me permettant
d'en extraire ce que je jugerois à propos
pour vous prier de l'inférer dans le prochain
Mercure , fi vous le trouviez digne
d'y occuper une place.
L'Auteur , après avoir payé le tribut
d'éloges qu'il devoit naturellement à
ceux qui cnt cu part à l'Etabliſſement
d'une pareille Société ; après avoir félicité
fes confrères du choix flatteur qu'on
avoit fait de leur ville par préférence à
toutes les autres du pays , & les avoir
excités à correfpondre à ce choix par leur
vigilance & leur activité à remplir les
vues de l'Arrêt du Confeil ; après avoir
démontré que l'Agriculture eft le plus
noble & le plus utile des Arts , après
avoir dépeint l'état actuel de la culture
de la Province , avoir fait fentir les ob-
Atacles qui s'oppoferoient à l'amélioration
de cette culture , & avoir donné les
moyens de vaincre ces obftacles ; après
être entré dans le détail de toutes les efpéces
de terres connues dans le bas Limoufin
; après avoir mis en queftion fi les
labours faits avec des chevaux font préj
160 MERCURE DE FRANCE.
férables à ceux qu'on fait avec des boeufs ;
après avoir fait fentir les avantages de
la clôture des poffeffions & biens- fonds
de chaque Particulier ; l'Auteur , dis - je ,
s'exprime ainfi :
ود
» Ne pourrions- nous pas trouver en-
» core une fource de la médiocrité de nos
" récoltes dans nos inftrumens de labour?
J'ai fait éflayer dans deux métairies
» une charrue à oreille ; j'en ai fait les
» frais pour éprouver moins de résistance
» de la part de mes métayers ; le fuccès
» a répondu à mes vues : cependant ces
» métayers , obstinés dans leurs mauvai-
» fes habitudes , m'ont menacé de quit-
» ter ces métairies , fi je ne leur permettois
de quitter ces charrues.
Attendons nous donc , ajoûte M.
Gaye , à trouver des routines à chan-
" ger ; des préjugés , de l'obftination mê¬
» me à vaincre , mais que les difficultés
» ne nous rebutent point. , Forçons nos
Payfans à être heureux ; faifons les
» frais de nos expériences ; dédomma-
» geons - les même en cas de mauvais
» fuccès ; rendons leur fenfible ce qu'ils
" ne peuvent comprendre. Nos fiers voifins
, cette Nation Infulaire & notre ennemie
, a trouvé fans doute les mêmes
» obſtacles , & les a furmontés . Elle a
cherché la fource des véritables richefSEPTEMBRE.
1761 161
» fes dans l'agriculture ; elle eft parvenue
» à fe les procurer par un travail opi-
» niâtre.
» Nos meilleurs Auteurs ne s'occupent
» aujourd'hui qu'à des ouvrages oecono-
. miques on n'a jamais tant écrit en ce
" genre ; profitons de leurs leçons ; ils
» nous applaniffent la route ; empreffons-
» nous à la fuivre : toutes les Provinces
» de ce Royaume s'appliquent à l'envi à
» améliorer leur culture ; imitons - les ;
» rendons nous propre ce que leurs lu-
» mières & leur travail pourront nous
» rendre utile ; plus les befoins de l'État
» fe multiplient , plus nous avons intérêt
d'augmenter nos revenus pour pouvoir
acquitter nos charges , fans rien pren-
» dre fur nos befoins.
>>
ور
» Il eft parmi nous , Meffieurs , deux
" refpectables Confréres , qui , avec tous
" les talens naturels , avec des lumières
"
و د
acquifes & avec l'eftimable émulation
» de fe rendre utiles au Public , fentent
déjà les avantages d'une culture faite à
leurs frais & fous leurs yeux. Les éffais
» qu'ils ont faits en prairies artificielles
» ont réuffi au- delà de leur efpérance. On
» peut même dire que l'un d'eux * a paffé
* M. de Maledent , Seigneur de la Cabane.
162 MERCURE DE FRANCE.
ه د
"
"
♡
» fes modéles , puifqu'aucun de nos Au-
» teurs n'a enſeigné à tranſplanter la lu-
» zerne & le tréfle , & qu'il a conftaté
» par une heureuſe expérience , plufieurs
» fois répétée , que cette méthode eſt
préférable à celle de la fimple femence.
» Ils ont éprouvé l'une & l'autre qu'une
mefure quelconque de terre médiocre ,
employée à cette nature de produit , le
» donne triple de celui que rendroit la
» même étendue femée en froment. La
multiplicité des récoltes a confidéra-
» blement augmenté leurs fourrages ; leurs
» beftiaux fe font multipliés en propor-
» tion ; une plus grande quantité d'en-
" grais & de labours ont donné une nou-
» velle fertilité à leurs terres. Ils ont
» porté leurs foins fur de nouveaux ob-
»jets ; ils ont défriché des fonds qui pa-
» roiffoient ftériles & qui n'étoient que
négligés. Leurs voifins étonnés ont vu
»fortir des récoltes abondantes en grains
» & en vins , des lieux où ils n'avoient
» jamais apperçu que des joncs & de la
bruyere. Des inftructions de cette eſpé-
» ce opérent bien plus d'effet que les
préceptes les plus lumineux. Un Ap-
» prentif, qui voit operer un Artifte, imi-
» te avec bien plus de fuccès que celui
qui ne travaille que fur des régles ap
»prifes.
"3
"
»
SEPTEMBRE. 1781 . 163
"
Enfin M. Gaye termine fon difcours
par l'expofition des principaux objets qui
doivent être agités ,tour à- tour dans les
affemblées de la Société. » Le bien public
, dit- il , eft fi étroitement uni au
particulier en fait d'agriculture , que
» nous ne fçautions nous procurer des
» avantages que tout le monde ne puiffe
» partager; & c'eft en cela que cette étu
de eft la plus noble des occupations.
» Combien n'eft- on pas flatté , quand on
peut enrichir la Société d'une décou-
»verte généralement utile ? Chacun de
» vous , Meffieurs, peut done choisir un
»Sujet à traiter le plus analogue à fes
» idées fur la culture d'une nature de
fonds quelconque , fur le temps le plus
» propre aux labours , aux femences * >
fur les efpéces de grains les plus pro-
» pres aux qualités des terres de tel ou
» tel canton , fur la quantité plus ou
» moins grande de femence à répandre
» dans une meſure de terre , fur les diverles
efpéces d'engrais , fur les moyens
qu'on peut avoir de fuppléer aux engrais
ordinaires par de nouvelles ma-
» ticres , par les mêlanges des terres , du
"
"
"
* L'Auteur auroit dû parler encore de la culture
des mûriers , qui réuffiffent affez bien dans
de bas Limousin & de l'éducation des vers à foye
64 MERCURE DE FRANCE.
» fable , des gazons ; fur les moyens d'é-
» lever une plus grande quantité de bef
» tiaux ; de reléver l'efpèce de nos bê-
» tes à laine , qui s'anéantit pour ainfi
» dire infenfiblement , & de multiplier
» les ruches à miel qui font trop négli
gées ; enfin , Meffieurs , la matière eft
inépuifable & fi variće que chacun peut
» y trouver de quoi fatisfaire fon goût en
» fe rendant utile à fa patrie & à l'Etat
» même & c . & c . & c.
23
ود
ود
Peut -être trouverez - vous , Monfieur ,
que je me fuis trop étendu fur cet excellent
difcours , dans lequel je defirerois à
la vérité un peu plus de méthode , un ſtylemieux
foutenu , & un meilleur choix d'expreffions
. Si vous daignez cependant faire
imprimer en entier l'extrait que je viens
d'en faire , vous confondrez par là , je
penfe , les raifonnemens pitoyables de
certaines gens qui ofent avancer que l'é
tabliffement de la Société dont il s'agit ,
ne peut produire rien de bon dans cette
Province, & qu'il tombera bientôt de luimême.
Cette pré liction auroit lieu fans
doute , fi la Société n'étoit compofée que
de membres femblables à ces frondeurs
indifcrets , ennemis de tout bien public .
Mais le choix judicieux des Affociés fait
par M. Pajet de Marcheval notre Inten
SEPTEMBRE. 1761. 169
dant , me fait concevoir les plus grandes
efpérances de leurs travaux , qui ne contribueront
pas moins à leur bonheur qu'à
leur gloire.
J'ai l'honneur d'être & c.
O
A Brive , le 20 Juillet 1761.
GÉOGRAPHIE.
I
N trouve à Paris chez Mondhare &
Denis, tue S. Jacques, à l'Hôtel de Saumur
& à limage S. Jacques , fept Cartes de
France , qui font la fuite de l'ouvrage qui
a pour titre la Géohraphie détaillée dans
tous fes points , donc on a l'introduction
en vingt Cartes ; ces fept Cartes font la
France en général. 1 la France Eccléfiafti
que 2 la France par Gouvernement 3 par
Parlement 4 par Généralités la France
commerçante 6 & Minéralogique 7 ; il y
a de plus le Royaume d'Efpagne , en z
parties , le Portugal, l'Italie & l'Angleterre.
On avertit le Public qu'on a corrigé les
fautes d'impreffion , qui s'étoient gliffées
dans les Cartes de l'introduction . L'accueil
favorable que le Public a fait à cet Ouvrage
a engagé les Entrepreneurs à faire la
dépenfe d'un ornement en gravure qui
termine très - bien chaque Carte. On comp
166 MERCURE DE FRANCE.
te ne rien négliger pour la perfection de
cette Géographie.
CHYMI E.
LETTRE , à l'Auteur du MERCURE .
A Paris le 6 Août 1761 .
L'A'AMMOOUUR du bien public , Monfieur,
m'a fait publier un Mémoire fur les opérations
Chymiques concernant les Effais
des matières d'or & d'argent. La place
que j'occupe, le motif qui me guidoit &
furtout les principes que j'établis devoient
m'affurer le fuffrage des gens inftruits de
cet objet mais je n'ai pas été médiocrement
furpris de voir paroître un Libelle
contre cet écrit . L'Auteur obſcur de cette
production injurieufe ignore les premiers
principes de la matière qu'il veut difcuter.
Il m'eft indifférent que cet Anonyme de
mauvaiſe foi fe trompe ; mais il importe
à ma réputation d'apprendre au Public
que j'avoue le Mémoire qui porte mon
nom ; que ce Mémoire n'a rien de commun
avec la difcuffion qui s'eft élevée à la
Cour des Monnoies fur un Lingot différemment
apprêté par l'Effayeur particulier
& par moi ; & que je ne l'ai publié
SEPTEMBRE. 1761 167
que pour perfectionner les opérations ,
concernant ces fortes d'eflais . Vous me
ferez plaifir fi vous voulez bien inférer
mna lettre dans votre prochain Mercure .
J'ai l'honneur d'être & c.
QUEVANNE , Effayeur Général des Monnoies
de France.
CHIRURGIE. ·
HOPITAL
DE M. LE MARECHAL DUC DE BIRON.
Vingt-fept & vingt- huitième Traitement
confécutif depuis fon Etabliſſement .
Les nommés
ASSY ,
S. Omer ,
Compagnies
Colonelle
Mathan .
Duclos ,
Guyot ,
Lannoy.
Deſpiez
Desbêches ,
'd'Hallor.
Laurent ,
Baudouin
Filizy , Marfay.
Siré ,
Nolivos.
Lefebvre ,
d'Offranville.
Julien 2
Lannoy
168 MERCURE DE FRANCE.
Villeneuve ,
Jigard ,
d'Offranville.
Villers.
Dupont ,
Mingot,
Lannoy .
Marfay.
Foulquier, Marfay.
Querot ,
Mathan.
Du Rafoir ,
Mathan.
Dupré ,
Viennay.
S. Flour , Rochegude.
Gougé , Rafilly.
Mathan .
Baudouin.
Baudouin .
Colonelle.
Lariviere ,
Laréjouiffance ,
S. Afpais ,
Sambeuf ,
Berté ,
Nolivos.
Ces 25 Soldats ont été radicalement
guéris dans l'espace de fix femaines , &
fervent dans les armées dès le lendemain
de leurs traitemens.Ce font toujours MM.
Bourbelain & Dieuzayde Maîtres en
Chirurgie, qui préfident aux examens pendant
l'abfence de M. Guérin , dans l'adminiſtration
que M. Keyfer fait de fon reméde
, de la fupériorité duquel M. Keyfer
n'a rien à ajouter de plus fort ni de
plus authentique que les lettres & certifi-,
cats
SEPTEMBRE. 1761 . 169
cats ci - deſſous , & que nous croions que
le Public voudra bien lire avec quelque
attention. Ils ne lui paroîtront pas fufpects
de la part des perfonnes refpectables
qui les ont donnés.
LETTRE de M. LE MAITRE , Tréforier
Général de l'Artillerie & du Génie , à
M.KEYSER, en date du 8 Août 1761 .
J
E vous envoye , Monfieur, avec une trèsgrande
fatisfaction & en date d'aujour
d'hui , le certificat le plus authentique de
M. de la Motte , Docteur - Régent de
la Faculté de Médécine de Paris , fur la
maladie , les traitemens , & la parfaite
guérifon du nommé Dubois mon Valet
de Chambre .
M. Delafaye, Chirurgien très - connu en
qui j'ai toute confiance , l'avoit traité chez
moi pendant prèfque toute l'année 1758;
& je fuis perfuadé que c'eft un des plus habiles
Chirurgiens que nous ayons ; fes
foins ont néanmoins été auffi infructueux
qu'affidus ; & cependant M. Morand, qui
m'avoit fait l'amitié de venir chez moi
voir le malade à plufieurs reprifes , nonfeulement
avoit été content de la façon
H
170 MERCURE DE FRANCE.
"
dont il étoit traité , mais il l'avoit jugé
guéri . Tous les fymptomes de la maladie
ont reparu avec la plus grande violence ;
& M. de la Motte a entrepris la guérison
du malade au commencement de 1759 :
& comme il l'a fuivi avec exactitude , &
traité pendant près de quatorze mois fous
les yeux de M. de la Faye , perfonne ne
peut rendre un meilleur compte de cette
Cure M. de la Motte. Il avoit entreque
pris la guérifon de Dubois dans le temps
qu'il étoit fans aucun efpoir de guérifon ;
& je dois rendre juftice à l'humanité dont
il a été animé , de même qu'à l'affiduité de
fes foins ; mais ils fe font trouvés infructueux
au bout de quatorze mois ; & je dois
attefter qu'au fortir de fes mains , l'état
du malade étoit auffi défefperé , que lorfqu'il
l'avoit entrepris . Vous l'avez entrepris
alors , Monfieur , c'étoit au premier
Mars 1760 ; il s'eft trouvé guéri au bout
de quatre mois , c'eft à dire dès la fin de
Juin 1760 ; & voilà le troifiéme mois
écoulé depuis fa parfaite guérifon . Je me
fais un plaifir & un devoir de le publier
hautement ; & vous pouvez faire tel ufage
qu'il vous plaira de ma préfente lettre ,
de même que du certificat de M. de la
Motte que je vous envoye. Le malade n'a
pas forti de chez moi pendant tous les
SEPTEMBRE. 1761. 171
traitemens qu'il a ſubis ; j'ai été le témoin
oculaire de fon état déplorable & déſeſperé
; je l'ai vû rappellé en peu de temps
de la mort à la vie par l'efficacité de votre
reméde admirable : je crois donc
ne pouvoir attefter trop publiquement ,
qu'il jouit actuellement de la fanté la plus
parfaite , & la plus vigoureuſe ; qu'il ne
reffent aucunes douleurs de poitrine ni
d'eftomach , dont il fouffroit beaucoup
lorfque vous l'avez entrepris , & qu'au
contraire il digére très- parfaitement ,
mange & boit de tout , dort très - bien, &
eft dans un embonpoint admirable ; enfin
qu'il eft prêt à fe montrer à tous les gens
de l'Art , pour diffiper tous les doutes qui
pourroient s'élever fur fon état .
Ne fachez pas mauvais gré ni à M. de
la Motte , ni à moi , fi nous avons tant
tardé à nous exprimer publiquement fur
un événement fi intéreffant ; la longueur
du temps qui s'eft écoulé depuis les premiers
jours de la guériſon jufqu'aujour
d'hui , eft une nouvelle preuve de la folidité
de cette cure admirable , & ne peut que
donner plus de poids à notre témoignage
que nous n'avons retardé , que pour le
pouvoir donner plus fûrement . Vous me
trouverez toujours prêt à le réitérer &
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
confirmer , & à vous marquer mon admiration
& ma reconnoiffance.
Puiffe l'humanité entiere, trop fouvent
affligée de maux pareils à celui dont il s'agit
ici,être plus à portée de profiter du reméde
adinirable que vosmains habiles ont
fçu former;je ferois jaloux qu'une Puiffance
Étrangère nous enlevât la gloire de
rendre ce fecret public, en vous faifant un
fort convenable ; & je fais les voeux les
plus fincéres pour que notre Gouverné
ment la prévienne.
J'ai l'honneur d'être &c.
Signé , LE MAITRE.
CERTIFICAT de M. DE LA MOTTE ;
Docteur en Médecine , fur la Cure done
il eft queftion dans la Lettre de M. LE
MAITRE,
Je fouffigné Docteur- Régent de la Faculté
de Médecine en l'Univerfité de Paris
, attefte avoir été appellé le neuviéme
Janvier 1759, par M. le Maître , Trélorier
Général de l'Artillerie & du Génie ,
pour visiter & examiner le nommé Dubois
fon principal domeftique ; & avoir
trouvé ce malade avec le coronal exoftofé
dans toute fa partie fupérieure , toutes les
SEPTEMBRE. 1761 . 173
,
articulations des extrémités fupérieures
anchilofées & immobiles , l'articulation
du poignet avec l'os de l'avant- bras environnée
d'une tumeur monstrueule par
fa groffeur & tellement dépravée que la
main étoit courbée en devant , & les
doigts touchoient les os de l'avant- bras ;
tous les doigts de cette main exoftofés
les phalanges anchilofées , & le bras maigre
& décharné une exoftofe au bras
droit occupant prefque toute la longueur
du cubitus ; un autre exoftofe fur toute
la longueur du tibia , & deux ulcéres avec
carie profonde dans la jambe gauche ; la
partie fupérieure du tibia de la jambe
droite exoftofée ; des douleurs les plus aigues
dans toutes les parties du corps , la
fiévre lente , la toux , les crachats purulents
, l'infomnie , le dégoût invincible
le marafme , & le dernier degré d'épui
fement.
Je déclare que tous ces funeftes effets
ayant été inconteftablement reconnus
pour être la fuite du virus vénérien par
M. Delafaye & M. Morand , Chirurgiens
qui avoient vu le malade avant moi , M.
Delafaye avoit employé le Mercure en
friction ; il l'avoit adminiftré avec toute
la fagacité que lui donne l'habitude qu'il
a de manier ce reméde , & qu'il l'avoit
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
adminiftré à une dofe plus que fuffifante
pour guérir trois maladies de ce genre qui
euffent été fufceptibles de guérifon par ce
moyen.
Je rends témoignage que convaincu de
l'infuffifance des frictions dans le cas grave
& fingulier dont il s'agiffoit , je crus
devoir l'attaquer par les préparations
mercurielles purgatives , & plus actives ,
que j'employai fucceffivement le turbith
minéral , le fublimé corrofif donné d'abord
avec de l'eau , puis dans un véhicule
fpiritueux , & fecondé de l'effence
des bois , le précipité blanc dont Riviere
fe fervoit fi utilement dans de pareilles
circonftances , & l'arcane corallin ; que
la premiere préparation réuffit au point
de faire difparoître le plus grand nombre
des accidens , mais qu'il ne put en détruire
parfaitement le germe ; que les
trois autres remédes eurent encore moins
de fuccès : & que les anti - fcorbutiques, à
l'ufage defquels il fut déterminé par la
couleur violette & bleuâtre des tumeurs
des jambes furent également infructueux
; qu'enfin les préparations mercurielles
purgatives auxquelles je revins ,
n'eurent pas plus de fuccès qu'auparavant
; que tous les fymptômes que j'ai
décrits ci- deffus reparurent , & furent
portés au plus haut degré , & que je
SEPTEMBRE. 1761. 175
jugeai ne pouvoir efpérer de guérir le malade.
J'attefte de plus que je confeillai au
malade de recourir aux dragées de M.
Keyfer , reméde fi célébre , & dont
l'efficacité m'étoit connue par le rapport
de plufieurs malades qui s'en étoient
fervi utilement ; que ce ne fut qu'environ
deux ou trois mois après la ceffation
de tous remédes internes , qu'on
fe détermina à employer celui de M.
Keyfer , & que les fymptomes s'étoient
tellement accrus pendant cet intervalle ,
que le malade fe trouvoit à - peu- près
dans le même état où je m'en étois chargé
; que M. Keyfer qui a adminiftré fon
reméde lui - même au malade nommé Dubois
, l'a commencé au premier Mars
1760 ; que le malade ayant ufé pendant
un mois de ce reméde qui lui procuroit
conftamment la liberté du ventre , je
trouvai prèfque tous les fymptômes éffacés
; que j'efpérai dès-lors une guériſon
parfaite ; qu'elle me parut telle au mois
de Juin fuivant , mais que je me remis à
affeoir un jugement déterminé , après
qu'il fe feroit écoulé un affez long temps
pour confirmer la cure ; que j'ai revu depuis
le malade qui m'a paru jouir de la
meilleure fanté ; que je l'ai interrogé très-
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
fcrupuleufement fur tout ce qui pouvoit
concerner fon état , & que j'ai vu avec
la plus grande fatisfaction qu'on pouvoit
affirmer qu'il étoit entierement guéri ,
puifque nous voilà au mois d'Août 1761 ;
& que depuis le mois de Juillet de l'année
1760 , il ne lui eft furvenu aucun
fymptôme qui puiffe donner le moindre
doute fur fa guérifon .
je
D'après cette déclaration détaillée ,
conclus en faveur du reméde qui a produit
des effets , manqués par toutes les
préparations mercurielles les plus propres
à les produire , & je penfe qu'on ne
fçauroit trop accréditer un moyen dont
le fuccès a été auffi authentique , & qui a
fuppléé auffi éfficacement à toutes les autres
compofitions anti - vénériennes . A Paris
, ce 8 Août 1761. Signé , DE LA
MOTTE.
CERTIFICAT de M. LECAT , Secrétaire
perpétuel de l'Académie des Sciences &
Belles Lettres de Rouen , à M. KEYSER
, en date du 27 Avril , fur une
cure extraordinaire dont il a été témoin .
Nous fouffigné Docteur en Médecine
& Chirurgien en chef de l'Hôtel- Dieu de
Rouen , Profeffeur, Demonftrateur Royal
SEPTEMBRE. 1761.177
en Anatomie & Chirurgie des Académies
Royales de Paris , I.ondres , Madrid, Ber-.
lin , Lyon ; de l'Inftitut de Bologne ; des
Académies Imperiales des Curieux de la
Nature & de S. Petersbourg , Secrétaire
perpétuel de celle de Rouen, certifions que
M. Signard notre ancien ami affligé d'étourdiffement
, & d'un grand nombre de
boutons au vifage depuis plus de 25 ans,
avoit été en outre attaqué depuis environ
fept ans d'une tumeur confidérable au genou
qui s'étendoit jufques vers le milieu
de la cuiffe , laquelle tumeur ayant percé
par plufieurs endroits , a fait des ulcéres
fiftuleux de la plus grande conféquence.
Enfin l'Automne dernier,M.Signard ayant
paffé chez nous une quinzaine, nous trouvâmes
fon genou, fa cuiffe & leurs ulcères
en plus mauvais état que jamais ; les tiffus
cellulaires engorgés formant des bourbillons
d'une groffeur & d'une longueur confidérables
, l'appétit perdu , les forces fi
confternées , qu'il falloit porter le malade
dans un fauteuil partout où on vouloit
l'avoir; ce tranfport même lui étoit fi nuifible
, que fouvent on étoit forcé de le
laiffer à fa chambre & dans fon lit. Cette
trifte fituation me fit défefpérer du falut
de mon ancien ami ; je crus fa maladie à
fon dernier période ; & perfuadé qu'il y
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
fuccomberoit dans peu, j'en fis la confidence
à Madame fon époule. En même
temps connoiffant depuis grand nombre
d'années , l'excellence de fon tempérament
, & perfuadé auffi par plufieurs expériences
, de la bonté du remé de de M.
Keyfer, je crus que mon ami étoit dans le
cas d'en éprouver les bons effets , & je le
lui confeillai fortement comme fon unique
reffource. Sa confiance ſe régla fur
la mienne ; il en fit ufage ; en moins de
huit jours il en éprouva les plus heureux
effets. Enfin étant allé à Paris loger chez
cet ami , ce mois de Mars , je trouvai fon
genou totalement guéri , fon appétit
parfaitement rétabli , faiſant par jour fes
trois repas complets ; les boutons du vifage
prefque tous diffipés , mon ami entierement
rendu à la Société & dans l'état
le plus fain où je l'aie vû depuis quinze
ans. M. Signard ayant defiré d'avoir notre
témoignage furtous ces faits dont l'évidence
eft notoire,nous le lui avons accor
dé avec le plaifir qui accompagne toujours
l'hommage rendu à la vérité , & avec celui
qu'y ajoute la guérison d'un ami qui
nous eft cher. Donné à Rouen ce 27 Avril
1761. Signé , LECAT.
Nous fouffigné certifions avoir vifé &
SEPTEMBRE. 1781. 179.
examiné plufieurs fois Monfieur Signard
pendant le traitement de la maladie dont
il est fait mention ci- deffus ; nous avons vu
avec étonnement les bons effets des dragées
de M. Keyfer , & la parfaite guérifon
de mondit fieur Signard. D'ailleurs
nous ne pouvons diffimuler que nous
nous fommes fervi de ces dragées avec
beaucoup de fuccès dans plufieurs maladies
, non - feulement dans celles produites
par le virus vénérien , mais dans d'autres
incommodités qui avoient une autre caufe.
A Paris, ce 25 Mars 176 1.Signé, PETIT,
premier Médecin de S. A. S. Mgr le Duc
d'Orléans .
ARTS AGRÉABLES
MUSIQUE.
PIECES de Clavecin dans tous les genres
avec & fans accompagnement de
»violon , par M. S. Simon , Maître de
Clavecin , dé liées à Madame la Marquife
de la Mézangère. Prix en blanc,
sa F2 liv .
Ces Piéces fe trouvent chez l'Auteur
• rie & entrée du Fauxbourg Montmartre ,
près les Boulevarts , à l'Hôtel de Madame
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
la Marquife de la Mézangère , & aux
adreffes ordinaires.
Il ne nous appartient pas de prévenir
le jugement du Public fur ce livre de
Clavecin , & nous ne devons pas être
moins réservés que l'Auteur dans le judicieux
& modefte Avertiffement qu'il a
mis à la tête de cette OEuvre. Mais s'il
nous eft permis de rapporter ce que penfent
les Amateurs éclairés ; nous pouvons
dire que ce qu'il appelle fon coup
d'éfai , annonce autant de talens que de
goût & de connoiffance du vrai caractère
de l'Inftrument pour lequel il a compofé
cet Ouvrage . Parmi plufieurs agréables
morceaux de Mélodie & d'Harmonie
qui formenr ce Recueil, les Connoiffeuts
eftiment particuliérement la Piéce qui
commence la Ve Suite ; elle porte le
nom de la Corée & eft en Mi bé mol ,
tierce mineure. L'Auteur , très - jeune encore
, réunit au talent de compoſer avec
/ goût , le talent peu commun d'enſeigner
avec beaucoup d'intelligence.
IL EST A PROPOS de répéter au Public
que la Mufique de M. de Mondonville ne
fe vend actuellement que chez l'Auteur ,
rue des Vieux Auguftins , la feconde porte
cochère à gauche en entrant par la
་
SEPTEMBRE . 1761 .
181
rue
Coquillière , près la Place des Victoires.
SCAVOIR :
Le premier Livre de Sonates à violon
feul .
Les Trios.
Les 2 livres de Piéces de
Clavecin avec
accompagnement
de violon.
Les Sons
harmoniques ,
Sonates à violon
feul.
Les
Opéras ,
D'Isbé.
Du
Carnaval , du
Parnaffe.
De Titon &
l'Aurore .
De Daphnis &
Alcimadure ,
Paftorale
Languedocienne.
Des
Fêtes de
Paphos ,
comprenant les
Actes de Vénus & Adonis , de
Bacchus &
Erigone , de
l'Amour & Pfyché. On s'adreffera
au Portier de la
maiſon.
Nota.
L'Auteur ayant fçu qu'on avoit
féparé &
contrefait
plufieurs
morceaux
de fes
ouvrages , qui n'ont point
l'exactitude
des
originaux , & qu'on faifoit cou-,
rir le faux bruit que les
planches de fes
ouvrages
étoient ufées & caffées , s'eſt déterminé
à ne plus faire
vendre fa
Mufique
que chez lui , pour
prévenir un abus qui
ne fert qu'à
tromper le Public,
182 MERCURE DE FRANCE.
A MM. les Académiciens de Peinture
de Sculpture , Artiftes , & Amateurs .
LES embelliffemens qui , depuis quelques
années ont été faits dans l'Eglife de
S. Merry , faifoient defirer qu'on fupprimât
l'ancienne Chaire qui y figuroit trèsmal,
& qu'on en conftruisît une nouvelle
qui répondit , finon par la magnificence ,
du moins par le bon goût , à la Décoration
du Choeur , & tel eft l'objet que
l'on s'eft propofé . La nouvelle Chaire eft
déjà en place , mais il reste encore quelque
chofe à y faire ; & comme l'on fouhaiteroit
beaucoup de rendre ce Morceau
de Sculpture autant parfait qu'il peut être
dans ce qu'il eft , avant que de l'achever ,
on a recours à vous , Meffieurs , comme
Juges nés des Beaux- Arts , & les feuls
guides qu'on doive fuivre dans les Ouvrages
de génie & de goût ; & on vous invite
très inftamment à vouloir bien prendre
la peine de voir cette Chaire , examiner
avec foin les changemens , fuppreffions
& augmentations dont l'Ouvrage peut
être fufceptible , & à donner enfuite vos
avis,
?
SEPTEMBRE . 1761. 183
On croit qu'il eft à propos de prévenir
que le Projet qui avoit été arrêté pour
cette Chaire , n'a pas été exécuté en fon
entier : l'Artifte qui s'en étoit chargé étant
décédé dans le temps que l'Ouvrage ne
faifoit que d'être commencé , celui qui
Jui a fuccédé , & dont les talens fuperieurs
font univerfellement connus ,
n'ayant pas travaillé d'après fon propre
fond , n'a pas cru devoir remplir dans
toutes fes parties le projet , & s'eft d'autant
plus volontiers attaché à le fimplifier,
que la Fabrique, déjà épuisée par des dépenfes
confidérables , paroiffoit defirer un peu
plus d'oeconomie dans l'exécution ; cependant
fans avoir intention de donner dans
un excès de dépenfe , elle ne veut pas non
plus , pour , pour atteindre à fon but , qui n'eft
autre que la perfection , ou le mieux de
de la chofe , y regarder de trop près.
Dans le Projet dont il s'agit, la figure de
la Religion, qui eft au- deffus de l'abat- voix,
ne devoit pas être comme elle eft la feule
figure de l'ouvrage ; deux autres figures
repréfentant le Paganifme & l'Héréfie
terraffés , avec leurs attributs caractériſtiques
, devoient terminer la partie
inférieure au- deffous du vafe de la Chaire
, & fervir ainfi de triomphe à la Religion.
Quoique cette idée ne foit pas neuve
, peut être feroit elle un plus bel effet ,
184 MERCURE DE FRANCE.
que l'empatement fimple en Menuiferie ;
auquel il fembleroit qu'on ait voulu fe
borner.
Au refte ce que l'on dit ici de ce projet,
n'eft pas pour fixer , ou déterminer , &
moins encore pour géner MM . les Artiſtes
& Amateurs dans leurs avis , mais uniquement
pour rendre compte de ce que dans
le principe on a eu intention d'exécuter .
Ainfi fans trop s'arrêter à ce qu'on a voulu
faire, il faut voir, par ce qu'il y a de fait ,
ce qu'il convient de faire encore pour
achever l'Ouvrage . Cette partie inférieure
préfente un vuide , & elle est trop
platte , trop nue , & trop meſquine . Que
faut il y ajouter pour remplir ce vuide ,
& pour l'orner ? c'eft particuliérement là
le point qui eft à réfoudre ; une certaine
richeffe dans l'ornement de cette partie
paroîtroit feier d'autant plus , que l'on
fe propofe d'y faire une enceinte qui doit
faire le pendant à l'oeuvre qui eft placé
vis-à -vis.
On ne parle point ici de l'efcalier fervant
à monter dans la Chaire , on s'appercevra
aifément qu'il n'eft pas fans dé
faut.
Les dorures qui ne font peut-être que
trop répétées dans le Choeur , demanderoient
-elles que l'on dorât certaines parties
SEPTEMBRE . 1761. 185
de cette Chaire , ou doit- on la laiffer
toute entière en couleur de bois , en y
faifant fimplement appliquer deffus un
verni ?
Comme il fans doute
y a
peu d'Artistes
& d'Amateurs qui ne fe faffent un plaifir
de lire le Mercure, on a crû ne pouvoir pas
fe fervir d'une voie qui leur foit plus agréa
ble, pour leur faire parvenir ce Mémoire,
& on les prie d'y répondre par la même
voie ; on fe fera un devoir de remercier
& de confulter plus particulierement enfuite
ceux qui fe feront connoître ; à l'égard
de ceux qui ne le jugeront pas- à-propos
, on ne fera pas moins ufage de leurs
avis.
>
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
L'ACADE
OPERA.
ACADEMIE Royale de Mufique a remis
au Théâtre le Mardi 18 Août les
Sauvages , Entrée ajoutée aux Indes Galantes
, en fupprimant celle du Turc généreux.
La Mufique de cet A&te eft trop
186 MERCURE DE FRANCE.
avantageuſement connue pour en faire
un nouvel éloge. L'effet que cet Acte produit
fur le Public , à cette remiſe , doit
raffurer les Amateurs de la véritable Mufique
en France. Ils avoient lieu de craindre
depuis quelque temps , que le goût
des fublimes beautés de cet Art ne fe
perdît entierement . Mais la fenfibilité des
Spectateurs modernes pour les airs admirables
des Sauvages , femble promettre
l'anéantiffement prochain d'un petit genre
monotone & ftérile en tout fens , qui n'a
dû fa faveur qu'à l'attrait des nouveautés
& à la vanité des demi- Connoiffeurs.
Mlle Lemierre déjà très - applaudie
dans les autres Actes des Indes Galantes ,
où elle chantoit , excite dans celui- ci une
efpéce d'enthoufiafme ; cet enthoufiafme
eft une juftice rendue à l'agrément de fa
voix & au charme de fon talent.
Le Ballet participe de l'élévation de génie
& des graces qui regnent dans toute
la Mufique de M. Rameau. Mlle Allard
danfe feule fur l'Air des Sauvages , &
quelques couplets de la Chacone en pas
de deux avec M. Veftris. Prèfque tout le
monde ayant l'idée de ce morceau on
pourra s'en faire une de la manière dont
elle l'exécute. Non feulement cette Danfeuſe
trace , pour ainfi dire , aux yeux ,
>
SEPTEMBRE. 1761 . 187
par
fes pas , toutes les notes dans leurs
différentes valeurs , mais elle fait encore
avec les pieds , ce qu'on entend faire
quelquefois avec la voix par d'habiles
Chanteurs , c'eft-à-dire , qu'elle travaille
fur le fujet mufical & l'enrichit encore.
Dans la Chacone où M. Veftris eft admiré
avec tant de juftice , Mlle Allard , qui
a beaucoup d'expreffion dans la figure ,
forme avec lui un tableau très - agréable
& qui fait le plus grand plaifir.
On doit reconnoître & applaudir les
foins que l'on a pris pour rendre le Spectacle
de cet Acte digne de l'excellence de
la Mufique . Les habits des Sauvages font
du meilleur goût , dans un genre vrai
ment pittoresque ; le tableau qu'ils compofent
eft auffi agréable qu'on puiffe le
defirer , fans en être moins exactement
conforme à l'idée que l'on a des Perfonnages
qu'ils caractérisent . C'eft un dédommagement
de ceux des Incas qui ne
produifent pas un auffi heureux effet . On
prépare à ce Théâtre la remife de Camille
, Tragédie, avec quelques changemens
& des additions dans le Poëme &
dans la Mufique .
* Le Poëme eft de Danchet , & la Muſique de
Campra.
188 MERCURE DE FRANCE.
COMEDIE FRANÇOISE.
L
"
Es trois Comédies de M. de Saint-
Foix , dont nous avons parlé dans le Volume
précédent , rempliffant avec le Prologue
, tout le temps d'un Spectacle, ont
été repréſentées enfemble plufieurs fois ;
& toujours avec de nouveaux fuccès à
mesure qu'elles étoient plus connues.
Le fujet du Prologue auffi fimple
qu'ingénieux , eft une fcène de la Cabale ,
avec l'Auteur qu'elle vient trouver dans
fon cabinet ; n'en étant pas connue , elle
eft obligée de s'annoncer & de faire valoir
l'avantage des fervices qu'elle lui offre.
Il les refufe avec dédain ; pour le
venger, la Cabale fort en menaçant d'aller
fe placer au Parterre. Oh palfembleu
vous n'irez pas , lui dit- il , je vous en empécherai
bien. L'Auteur , ou plus exactement
, l'Acteur qui le repréfente , ne
pouvant retenir la Cabale , revient précipitament
fur le bord du Théâtre dire aux
Spectateurs. Au moins , Meffieurs , je
vous crois trop bonne compagnie pour la
recevoir parmi vous.
Chacune de ces Piéces a été repréſentée
enfuite féparément , avec des Tragé
SEPTEMBRE . 1761 . 189
dies. Nous avons annoncé que nous ne
rendrions compte ni du Rivalfuppofé ni
de la Colonie, parce que ces Piéces font
imprimées . Nous acquittons notre engagement
en donnant l'Extrait fuivant de
celle des trois Piéces qui eft entierement
nouvelle & non imprimée,
LE FINANCIER ,
COMEDIE en Profe , en un Acte par M.
DE SAINTFOIX , repréfentée pour la
première fois le 20 Juillet 1761.
PERSONNAGES. ACTEURS.
M. Belcourt.
LE MARQUIS ,
LE CHEVALIER , M. Grandval.
ALCIMON , Financier. M. Préville.
FRONTIN , Valet du Marq . M. Duranci.
HENRIETTE , fille de
Géronte.
GERONTE , Vieillard
malheureux.
Mlle Gauffin ,
M. Brizard.
La Scène eft dans le Château d'Alaimon.
Alcimon, riche Financier , occupe pendant
la belle faifon un magnifique Châ190
MERCURE DE FRANCE.
teau qu'il a acheté depuis fix mois . Dans
le voisinage de ce Château , le Chevalier ,
homme de condition d'un mérite éprouvé
& d'une probité févère , poffède une
petite Terre d'environ trois ou quatre
mille livres de revenu . Il fe rencontre
chez le Financier avec un Marquis de fa
connoiffance , Courtifan décidé qui réunit
tous les défauts imputés à cet état ,
lefquels , dans un coeur corrompu , deviennent
facilement des vices. Celui- ci
reproche d'abord au Chevalier de ne pas
profiter affez , des agrémens que pourroit
lui procurer un voifin opulent & qui
aime la dépenfe. Le Chevalier répond ,
qu ' Alcimon l'a indigné. Après avoir rappellé
à ce Marquis les politeffes & toutes
les attentions d'un intérêt affecté , dont
l'a accablé le Financier, à l'occafion d'un
affez léger accident , il ajoute : » Mais
» hier au foir , à la nuit , un Carroffe de
» voiture verfa au même endroit où l'ef--
fieu de votre chaife avoit rompu le
» matin ; ( au bout de l'avenue du Cha-
» teau ) on vient le lui dire , & qu'on en
» a tiré un Vieillard fi foulé , fi incommo
» dé de fa chûte , qu'à chaque inftant il
perd connoiffance. Quelle efpéce d'hom-
» me eft -ce , demanda -t - il ? Vous fçavez
» que je lui répondis qu'il ne s'agiffoit
"
»
SEPTEMBRE . 1761 . Igr
pas de fçavoir quelle efpéce d'homme
" c'étoit , mais que c'étoit un homme.
Il continue en difant que ce Vieillard auroit
été porté au Village prochain , mais
qu'il a fait rougir l'âme du Financier; que
celui-ci l'a fait mettre dans une chambre
du Château ; qu'il n'a feulement pas envoyé
fçavoir comment il fe trouvoit »
» S'intéreffe -t- on ,dit le Chevalier, à la fan-
» té d'un homme qui n'a pas une certaine
» apparence ? » Cela marque felon lui
une âme naturellement dure , & que
l'orgueil de l'opulence endurcit encore..
A quoi le Marquis répond: » Eh , que t'im-
" porte fon âme ? Vit - on avec l'âme des
» gens ? Un homme eft en place , un au-
» tre tient une bonne maifon ; c'eft avec
» la place , c'eſt avec la bonne maiſon
» que l'on vit.
و د
Dans cette feule Scène , l'Auteur peint
d'une manière vive & concife , trois caractères
faits pour bien contrafter enfemble
; & ces caractères font tels que la Société
les préfente & les voit journellement.
Il établit en même temps la baſe
de toute fa Piéce.
Henriette paroît ; le Marquis par fes
foupçons , continue d'établir fon caractè
re ; le Chevalier, détruit fes malignes conjectures
, en lui apprenant que cette jeune
192 MERCURE DE FRANCE.
perfonne eft la fille du Vieillard dont il
a parlé. Elle vient remercier le Chevalier
de fes foins obligeans pour fon
père; ils font d'une Province éloignée ; ils
alloient à Paris pour implorer la pitié
d'Alcimon. Henriette a appris que précitément
ils fe trouvent chez lui ; comme fon
pere & elle font inconnus , elle prie le
Chevalier de les préfenter . Il s'en défend,
par la répugnance qu'il dit avoir de paroître
demander la moindre choſe à ce
Financier . Elle ne fe rebute pas ; elle lui
donne même un Mémoire , pour Alcimon;
le Chevalier le lit ; il connoît par ce Mémoire
, que le Vieillard , après plufieurs
revers , en dernieu lieu réduit àla recette
d'un petit Bureau , des voleurs entrés de
nuit chez lui , ont emporté deux mille
écus qui étoient dans la caiffe. Il demande
du temps pour les remplacer , & furtout
qu'on ne le prive pas de l'emploi .
Le Chevalier eft pénétré du fort de ces
infortunés ; croyant les mieux fervir par
le crédit du Marquis , il l'engage à fe
charger du Ménoire. La jeune Henriette
remercie d'avance le Marquis , du ton le
plus naïf & par les expreffions les plus
intéreffantes . Celui-ci promet de s'employer
, mais avec le ton d'un Petit - Maî--
tre plus poli qu'obligeant , & plus fenfble
SEPTEMBRE . 1761 . 193
ble aux charmes de la Cliente qu'affecté
de l'objet de fa demande.
Refté feul , le Marquis fe dévoile Il
fe propofe de facrifier , avant huit jours,
l'innocence de cette jeune fille à fes plaifirs
, & encore plus à la vanité qu'il prétend
tirer dans le monde de l'éclat de fes charmes
& de leur nouveauté . Frontin vient
lui apprendre que fa chaife eft racommodée
; le Marquis lui ordonne d'en louer
une à deux places , pour conduire Henriette
& fon père à Paris. Il ne veut pas
les laiffer voir à Alcimon . A propos de cet
Alcimon, le Valet , après plufieurs petites
repliques d'un Comique gai , quoique moral
, fe reffouvient d'avoir connu le Financier
, il y a trois ou quatre ans , fans
pouvoir le reffouvenir du nom qu'il por
toit alors ; il eft affuré feulement qu'il
ne fe nommoit pas Alcimon. Le Marquis
répond à fon Valet, qu'en achetant la ter
re & le Château il y a fix mois , le Financier,
apparemment , en a pris le nom qui
valoit mieux que le fien . Cette circonf
tance eft très néceffaire pour l'intrigue
de la Piéce , Le Marquis , après avoir impofé
filence à Frontin , finit par cette
obfervation » Depuis quelques années
» tout le monde eft Philofophe , & jubi
» qu'aux Valets moralifent. Enfuite il ap
I
194 MERCURE DE FRANCE.
·
perçoit Alcimon; ilprojette de s'amufer à le
mortifier, pour prix de la bonne chère qu'il
lui a faite & des politeffes qu'il en a reçues ;
il fe propofe furtout de le piquer contre le
Chevalier, afin qu'ils ne fe voyent pas avant
d'avoir terminé fa coupable entrepriſe
fur Henriette. Il exécute une partie de fes
vues dans la Scène qu'il a avec Alcimon ,
Scène , dont un Extrait ne peut rendre
tout l'art & tout l'agrément . Il confie d'abord
, en badinant , au Financier , qu'il a
fait une découverte charmante , un objet
tout neuf & qui vient de Province ;
mais il ne le nomme ni ne le défigne à
Alcimon , que par des comparaifons les
plus galantes & les plus agréables : c'eſt
une des colombes de Vénus; il l'a détournée
dans l'inftant qu'elle alloit tomber
dans les griffes d'un grosEpervier. Alcimon
croit que c'eft un de fes confreres , en rit
beaucoup & applaudit au projet. Le Marquis
tombe enfuite fur la caufticité du
Chevalier. Il en rapporte même quelques
propos durs contre le Financier . Il lui
parle enfin de l'affaire du Vieillard , de
manière à le dégoûter de le voir & de
l'entendre par l'importunité que cela lui
occafionneroit , & le rifque de ce qu'il lui
en couteroit , pour réparer fon malheur .
Il laiffe entendre que certaines vues du
SEPTEMBRE. 1761. 195
Chevalier fur la jeune fille, font le principe
de l'intérêt qu'il prend pour le père . Alcimon
répond que ce ne fera pas à fes dépens
, & fe promet bien de ne pas laiffer
pénétrer leChevalier , de toute la journée ,
dans fon cabinet, où il va s'enfermer pour
ne le point voir . Le Marquis le quitte ,
en lui donnant rendez- vous à Paris où il
fe propoſe , dit- il , de le revoir.
Le Chevalier , qui a entendu cette converfation
dont il eft indigné , reparoît ; il
voit approcher le Marquis avec Henriette ;
il fe cache encore pour fçavoir quel fera
le fuccès de cet entretien. C'est ici particulierement,
que le talent de l'Auteur pour
bien filer des Scènes , eft employé avec
une adreſſe admirable.
L'ingénuité d'Henriette , la candeur &
l'honnêteté de fon âme forment un inté
rêt qui croît à proportion de ce que le
Marquis excite d'indignation . M.de Saint-
Foix montre ici une connoiffance fine &
jufte du langage de la Cour , par celui qu'il
prête au Marquis ; il l'a orné de toutes les
grâces perfides d'une feduction d'autant
plus dangereufe, qu'elle a cet air de facilité
& de
défintéreffement , qui annonce
la pure
bienfaifance
.
Cependant le peu
d'ufage & de connoiffance des vices d'un
monde qu'elle ignore , laiffant croire à
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
""
cette jeune perfonne, que les propofitions
du Marquis tendent à une union légitime
, elle le contraint par- là à develop
per les véritables deffeins . » Eh que fair ,
lui dit- il , cette inégalité de naiffance ?
Empêche-t- elle que vous ne foyez trèsjolie
; qu'étant très -jolie je ne vous ai
» me, & que nous aimant, nous ne puiffions
faire la félicité l'un de l'autre. Je
veux que dès demain vous foyez logée ,
» meublée , habillée comme une Reine.
J'ai hérité une petite Maifon d'un
vieux Commandeur mon Oncle ; elle
» eft dans un quartier peu fréquenté ; on
»diroit d'un petit Temple pour les doru
» res, les glaces, les peintures, il n'y manquoit
qu'une divinité ; c'eft - là qu'à vos
» genoux » ... Henriette l'interrompt
par fes pleurs & le quitte en diſant » Vo-
39
"
"
tre profufion vous trahit . Je vous ai crû
» généreux ; vous n'êtes pas digne de l'ê-
» tre. L'infortune eft bien affreufe quand
» elle nous expofe à des affronts . » Cette
réponse qui fait également honneur à
l'âme de l'Auteur & à fon efprit , en a
fait le moins autant à ceux des Spec- pour
tateurs qui l'ont vivement applaudie.
Le Marquis , confolé d'avoir manqué fa
proie , fe difpofe à partir feul pour Paris ,
où d'autres foins l'appellent. Le Chevalier
SEPTEMBRE. 1761. 197
paroît , l'arrête , & l'attaque l'épée à la
main. Nous rapporterons cette fcène ,
très - courte , prèfqu'en entier , pour en
mieux préfenter l'intérêt & le tableau ...
LE CHEVALIER ( au Marquis , &
mettant l'épée à la main. )
Défendez-vous .
LE MARQUIS.
» Mais , Monfeu , comment done ?
Queſt- ce ? Quelle raiſon ? ....
LE CHEVALIER.
» Défendez- vous , vous dis - je, ou je ....
LE MARQUIS ( mettant aufi l'épée à
la main. )
» Oh parbleu , puiſque vous le voulez
» abfolument ....
(Ils fe battent ; l'épée du Marquis tombe . )
LE CHEVALIER.
» Vous êtes le plus indigne de tous les
» hommes.
""
LE
MARQUIS.
Songez , Monfeu , que je fuis dé-
» farmé.
LE CHEVALIER.
» Vous ne le ferez pas longtems ; vous
m'aviez promis de vous intéreffer pour
I iij
498 MERCURE DE FRANCE.
"
ور
» un père & une fille dans le malheur .
» Loin de tenir votre promeffe, vous n'a-
» vez parlé à Alcimon , que pour le pré-
» venir contr'eux. Eh , pourquoi avez-
» vous commis cette noirceur ? Parce que
» cette fille vous a paru jolie ; Parce que
» vous l'avez regardée comme une proie
qui s'offroit à vos defirs. Son air annon-
» çoit l'honnêteté de fon âme ; mais
» quelle âme , avez - vous dit en vous- mê-
" me , ne fe laiffe pas flétrir par l'amer-
» tume ? Achevons de l'accabler , de la
» défoler , de la déchirer ; ôtons à cette
» infortunée tout espoir , toute reſſour-
» ce ; montrons -lui fon père prèt à être
» traîné dans une prifon ; profitons , fer-
» vons- nous de fa mifère pour triom-
» pher de fa vertu : votre action eft auffi
» lâche que celle d'un infâme raviffeur
qui , le poignard fur la gorge , auroit
» tenté de la déshonorer. J'ai dit ; re-
»prenez votre épée.
ور
Lorfque le Marquis a ramaffé fon épée ,
Alcimon furvient & fe met entr'eux ; le
Marquis rend compte , d'un ton badin ,
du fujet de la querelle , fe retire & offre
de la finir à Paris , fi le Chevalier juge à
propos de l'y venir trouver .
Alcimon prévenu , impute au Chevalier
l'efclandre arrivé chez lui ; cette Scène, qu
SEPTEMBRE. 1761 . 199
pour l'un reproche la facilité à s'intéreffer
les malheureux ; & l'autre, la dureté qu'il
ya à ne les pas foulager , eſt un dernier
coup de crayon qui perfectionne
deux des principaux caractéres de la Piéce.
Henriette paroît. Malgré fes réfolutions
, Alcimon eft contraint de l'entendre.
Le récit qu'elle fait & qui eft adroitement
achevé par le Chevalier , conduit,
à un dénoûment qu'elle -même ne pouvoit
prévoir ; le changement de nom du
Financier en ayant dû écarter tout foupçon.
Cette Henriette fe trouve être la
foeur d'Alcimon dont ce même Vieillard
eft le père. Tout imprévu qu'eft ce dénoûment
, il eft fuffisamment éclairci ; il
faut le voir dans la Piéce même . Géronte
Père d'Henriette & d'Alcimon paroît ; la
préſence de ce vénérable Vieillard touche
le coeur du Financier qui n'étoit
qu'accidentellement endurci , & fi on
peut le dire, par efprit de corps. Après avoir
témoigné tout ce que la tendreffe & la
foumiffion d'un fils bien né doivent infpirer
pour un père refpectable, Alcimon,
rendu aux moeurs & à l'honnêteté , s'acquitte
envers le Chevalier , en lui offrant
Henriette fa foeur avec la moitié de fon
bien.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE:
REMARQUES.
SUR la Comédie du FINANCIER .
L'ART Dramatique, independemment du plaifir
qu'il procure , a été dans tous les temps honorable
aux Nations qui l'ont cultivé avec le plus de
fuccès , parce qu'on peut apprécier le génie national
fur le plus ou le moins de perfection dans
le goût , dont cet art eft le témoignage le plus
apparent. Ceux qui s'intéreffent encore à la gloire
patriotiqu ,fçauront donc toujours gré aux Auteurs
qui comme M. de Saint- Foix, employeront
en faveur des moeurs & du fentiment d'humanité,
les grâces du Coloris leplus attrayant . C'eſt par des
Peintures ben frappées, que le Poete Dramatique
peut réformer en amufant ; mais il s'en flateroit
en vain sil ne fait pas les nuances du temps.
1 ans la Piée font nous venons de donner l'extrait,
l'Auteur a choifi 1. scaractères qui , par le jeu
des contrafte, s'aident mutuellement a fe developper
Par le caractère du Marquis on ne paroit
pas avoir voulu généralifer tous les Courtifans.
Dans l'affect tous lequel on préfente celui- ci ,
l'Autou temble n'avoir eu pour but , que de
faire lentir l'excès ou peut conduire le dédain
trop ordinaire dans les conditions élevées , pour
le fort & même pour l'honneur des gens obfcurs.
Placé trop hut , an foupçonne tout au plus
: Pexiftence animale des êtres inférieurs ; fans fe
croire bien coupable , ne fe permet- t- on pas d'écrafer
ce qui tampe à fes pieds ? C'eſt donc pour
garantir la grandeur même d'une erreur fi funefe,
qu'il eft utile que le Théâtre en préſente des
images allez fortes, pour arrêter ceux qui feroient
prêts à s'y livrer . Le perfonnage du Financier
SEPTEMBRE. 1761.
201
nous paroît , fous un autre point de vue , tendre
à la même fin. L'opulence de celui - ci l'écarte de
l'indingent qui fouffre , & mer en lui pour le
malheur le fentiment du mépris à la place de celui
de la compaffion. La dureté d'Alcimon n'eft
point une difpofition naturelle de fon âme ; tout
ce qu'il dit , tout ce qu'il fait le prouve ; ce n'eft,
comme nous l'avons remarqué dans l'Extrait,
qu'une conduite de fyftême , qu'il croit de bonne
foi juftifiée par fon état. Le Financier de M. de
Saint- Foix , n'eft en aucun fens celui qu'on a
peint dans Turcaret , parce que Turcaret ne reffemble
plus depuis long-temps aux gens même
les moins eftimés dans cet état. Voilà ce que gagne
la Comédie , quand elle eft traitée par des
Auteurs faits pour vivre dans le monde avec une
certaine confidération qui les met à portée de
fuivre les changemens que le temps & les circonftances
introduifent dans les moeurs & dans
les ufages de la Société . Le caractère du Chevalier
, eſt un peu auftère , comme doit l'être celui
de tout homme vertueux que la retraita a rendu
plus fenfible aux travers & aux vices de la Société.
Mais l'Auteur a fagement modifié ce caractère
, en forte que le fruit de fa morale n'eft point
détruit par fa caufticité . En lifant les reproches
que nous avons rapportés dans la Scène du combat,
les plus aigres cenfeurs des jeux de Melpomene
& de Thalie , conviendront intérieurement
qu'ils auroient peine à fervir aufli efficacement
une vertu d'autant plus attaquée , que la corrup
tion des moeurs en a fait un ridicule. Henriette
n'eſt point de ces jeunes innocentes que le défaut
d'éducation avilit à nos yeux & nous rend malgré
nous préfque complices des attentats que l'on
métite contre leur honneur. L'ingénuité d'Henriette
eft noble & décente . Elle a l'éloquence da
1 v
20 MERCURE DE FRANCE.
malheur ; & cette éloquence donne à fes expreffions
un certain tour , qui fans la moindre affec
tation,les rend plus pathétiques & par conféquent
elle-même plus intéreffante .
Nous nous fommes arrêtés à faire connoître
le ton de chaque perfonnage , pour donner au
moins une idée du Coloris général de la Piéce.
L'Extrait qui en trace l'action , peut fuffire à faire
voir que les Scènes naiffent naturellement les
unes des autres , & que l'intrigue fe noue ainfi
qu'elle fe dénoue fans effort , mais par les fentimens
& les intérêts oppofés de chacun des Acteurs.
Ce dénoûment , dans lequel on fent bien
qu'il faut néceffairement expliquer des chofes
antérieures, eft menagé avec aflez d'art pour foutenir
l'attention du Spectateur. Si l'on n'y trouve
pas le même agrément de détails que dans les
Scènes qui le précédent , c'eft que ces fortes de
Narrations doivent être les plus fimples & les
plus rapides qu'il fe peut ; tout ornement y feroit
déplacé. On rend compte dans ce dénoûment,
de tout ce qui a fondé l'intrigue ; & l'événement
qui le termine, fatisfait l'intérêt qu'on a pris
aux perfonnages qu'il rend heureux.
Le 30 Juillet M. Dancour a débuté par le Rôle
de Sofie dans Amphitrion, & par celui de Crifpin
dans les Folies Amoureuſes. Il a joué depuis dans
Démocrite le Rôle de Strabon , celui de Pourceau
gnac dans la Piéce de ce nom . L'Intimé dans les
Plaideurs, Crifpin dans le Légataire ; & il a continué
fon début par plufieurs autres Rôles de ce
qu'on appelle l'emploi des Crifpins. On trouve à
cet Acteur un maique avantageux pour la Caricature
Comique & beaucoup de chofes qui lai
font favorables dans un affez grand nombre de
Rôles , lefquels ont des genres particuliers , quoiqu'ils
foient du même emploi.
SEPTEMBRE. 1761 . 203
Le Lundi 17 Août , on donna la première repréſentation
des Fauffes Apparences , Comédie en un
Acte , en Profe , par M. Belcourt.
Cette Piéce fut applaudie & a été continuée.
Nous allons éffayer de mettre les Lecteurs en état
de préfumer fur quoi ces applaudiffemens font
fondés , par l'Extrait fuivant.
EXTRAIT de la Comédie intitulée LES
FAUSSES APPARENCES , en un Acte
& en Profe.
PERSONNAGES.
LISIMON , Oncle
d'Angélique.
ANGÉLIQUE ,
LISETTE , Suivante
d'Angélique ,
ACTEURS.
M. Bonneval,
Mlle Gauffin.
Mlle Dangeville:
d'Angélique ,
M. Grandval.
VALÉRE , deſtiné à
Angélique.
M. Molé,
ERASTE , Amant
CRISPIN , Valet d'Erafte , M. Préville.
La Scène eft dans la maifon d'Angélique.
Erafte & Angélique amoureux l'un de
l'autre, le font brouillés. Crifpin , Valet
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
d'Erafte , informe Lifette que fon Maître
prend pour des preuves d'infidélité les politeffes
qu'Angélique fait à Valére . Lifette
à fon tour , dit que fa Maîtreffe ne veut
plus revoir Erafie , parce qu'elle le croit
amoureux de Lucinde. Cela produit une
Scène fort plaifante entre le Valet & la
Soubrette ; dans laquelle celle- ci prend
le parti des femmes contre Criſpin. L'on
& l'autre débitent des Epigrammes comiquement
fatyriques , fans bleffer la bienféance
, ils finiffent par fe quereller .Crif
pin qui vient d'accufer les hommes d'une
foibleffe impardonnable , demande pardon
lui- même; ils fe raccommodent . Alors
Lifette confie à Crifpin , qu'Angélique n'a
fait amitié à Valére , que par complaifance
pour fon oncle , qui veut la forcer
à époufer ce Valére , fous peine de la
priver d'une forte fucceffion. Le Valet
inftruit Lifette à fon tour , qu'Erafte n'a
rendu quelques foins apparens à Lucinde,
que pour amufer une tante qu'il devoit
ménager , laquelle heureuſement vient
de le faire interdire à force de radoter.
Le Valet & la Soubrette fe propofent d'éclairer
Angélique & Erafte fur les fauffes
apparences qui les ont brouillés. Lifette
recommande à Crifpin d'engager fon
Maître à revenir ; elle promet de diſpoż
SEPTEMBRE. 1761. 205
fer fa Maîtreffe à le bien recevoir . Angé
lique qui entre lorfque Crifpin quitte Lifette
, demande fi elle lui a bien déclaré
qu'elle ne veut plus revoir Erafte ? Lifette
répond que fes ordres font exécutés . Elle
veut paroître enchantée du parti qu'elle
a pris , cependant elle s'informe encore
fi Crifpin n'étoit chargé de rien pour elle
de la part d'Erafte ; Lifette répond que
non , & fait à cette occafion un tableau
des avantages de l'indifférence & de tous
les agrémens dont Angélique va jouir en
fe détachant d'Erafte . Comme elle s'apperçoit
que cette idée, qu'elle n'a préfentée
à fa Maîtreffe que pour pénétrer le
fecret de fon coeur , lui caufe de la trif
teffe , elle faifit ce moment pour lui faire
avouer qu'elle aime toujours Erafie. Sur
quoi Lifette l'informe du motif qui engageoit
fon Amant à feindre des foins
pour Lucinde. Dans le moment qu'Angélique
fe livre au plaifir d'être détrompée,
arrive fon oncle , Lifimon , avec Valére ,
qu'il amène pour terminer le mariage
projetté. Il fe plaint à fa niéce des retardemens
qu'elle apporte à l'exécution de
fes volontés. Il exige que tout foit figné
dans le jour. En même temps il querelle
Valére fur la froideur de fon filence ; mais
il prend fon embarras & celui de ſa niéce
206 MERCURE DE FRANCE.
pour de la tendreffe ; & fans vouloir rien
approfondir , il fort pour aller chez fon
Notaire , en croyant faire à l'un & à l'autre
le plus grand plaisir. Angélique &
Valére reftés enſemble , ſe parlent trèsfroidement
de l'union qu'on leur propofé.
Lifette , qui foupçonne Valére d'avoir
d'autres engagemens , le preffe de s'expliquer
naturellement . S'appercevant de
fon côté du chagrin d'Angélique , il convient
qu'il aime Lucinde ; qu'il a écrit
à fon père pour en avoir l'agrément , &
qu'il attend la réponſe à chaque inftant.
Apprenant de Lifette qu'Angélique aime
Erafte , libres l'un avec l'autre fur leurs
fentimens , ils fe promettent la plus vive
amitié au défaut de l'amour , & prennent
des meſures conjointement pour éluder
leur mariage. Erafte , qui eft revenu chez
Angélique , fur ce que Crispin lui a dit ,
fe trouve à portée d'écouter la fin de cet
entretien. Il entend les promeffes d'attachement
que fa Maîtreffe fait à Valére ;
il le voit lui baiſer la main avec tranfport
en la quittant. Il est tout naturel
que fur cette apparence il fe croye plus
que jamais trahi . En vain Angélique veut
fe juftifier ; il est trop ému pour la laiffer
parler ; il l'interrompt fans ceffe par les
reproches les plus aigres , A la fin , An-
!
SEPTEMBRE. 1761 207
gélique irritée d'une défiance qu'elle
croit déplacée , lui défend de jamais
reparoître devant elle. Comme il veut
fortir , Lifette impatientée court après
lui pour l'arrêter & lui prouver fon injuftice
; mais au moment qu'elle commence
à l'informer du motif des tranſports de
fon prétendu Rival , l'oncle revient avec
le contrat. Il craint , dit- il , d'avoir été
trop long- temps. Cette impatience qu'il
fuppofe dans fa niéce , rend encore l'apparence
plus illufoire pour Valére ; & ce
qui achève de rendre la fituation des deux
Amans plus piquante , c'eſt qu'appercevant
Erafte, il lui demande de bonne foi,
s'il ne vient pas féliciter Angélique ſur
fon mariage avec Valére que , felon lui ,
elle aime à la fureur. Erafte , au défefpoir,
balbutie quelques mots entrecoupés,
pour l'affurer de l'intérêt qu'il prend à cet
hymen , & fort fubitement , pénetré de
douleur & de dépit. Lifimon étonné, croit
que Valére fe trouve mal ; fa niéce faifit
le même prétexte pour fortir. Lifette veut
fuivre la maîtreffe , mais l'oncle obftiné
l'oblige de demeurer , pour l'inftruire .
Crispin , qui étoit refté pour quereller Lifette
, trouvant l'occafion de fe venger, dir
à l'oncle qu'il peut l'informer de tout.
Lifette le fait paffer pour fou ; mais lui ,
2c8 MERCURE DE FRANCE.
qui veut prouver le contraire , fe preffe
davantage fur ce qu'il veut dire ; ce qui
produit un galimatias dans lequel il mêle
l'amour de fon maître , Angélique, Lucinde
& Valére ; en forte que Lifimon, qui
n'y peut rien comprendre, en prend néanmoins
quelques foupçons qui le font entrer
chez Angélique pour les eclaircir.
Crifpin , feul avec Lifette , lui reproche
les fauffes affurances de fidélité que fur fa
parole, il a donné à fon Maître. Il fe paffe
entr'eux une fcène d'obftination réciproque,
qui fufpend le développement de l'in
trigue. Lifette, allarmée pour fa Maîtreffe
de la jaloufie d'Erafte, menace d'agir contre
lui & apprend feulement à Criſpin que
le mariage va fe conclure avec Valére.
Fâché d'avoir indifpofé Lifette contre lui ,
Crispin veut aller retrouver fon Maître ;
mais Lifimon , qui n'a pu rien apprendre
ni d'Angélique ni de Lifette qu'il preffe
encore en vain de parler , n'ayant plus
de reffource que dans l'indifcrétion de ce
Valer , le menace de coups de bâton, s'il
ne veut le mettre au fait de ce qu'il lui a
déja laiffé entrevoir. Lifette veut l'engager
à recevoir les coups & à fe taire . Crif
pin, qui n'eſt pas du même avis , apprend
enfin à Liſimon , que fon Maître aime ſa
niéce & a cru en être aimé ; il expofe les
SEPTEMBRE . 1761. 200
grands biens d'Erafte comme un motif
qui doit déterminer l'oncle à le rendre
heureux . Lifimon au contraire , devient
furieux; il affure qu'il n'y confentira jamais;
il menace Lifette de la punir d'avoir favorifé
cette intrigue & les renvoye . Rendu
à lui-même , il fe calme; & fon entêtement
pour fes idées , eft un peu combattu
par la réflexion qu'il fait fur les grands
biens d'Erafte ; cependant il veut découvrir
fes fentimens pour fa niéce. Erafte
qui venoit chercher Valére pour le battre,
eft rencontré par Lifimon auquel il ne répond
qu'avec trouble , d'autant qu'il s'apperçoit
bien que l'oncle veut pénétrer fes
vues. Crifpin revenu fur la Scène pour
chercher fon Maître , donne occafion à
l'oncle de déclarer les foupçons qu'il lui a
fait naître & la certitude qu'il en a eue enfuire.
Craignant que ce ne foit pour lui
nuire, Erafle l'affure qu'au contraire c'eſt
de Lucinde qu'il eft amoureux. Par ce
moyen très -naturel, l'Imbroglio fe renoue
dans le temps & par les circonftances
même qui en pourroient opérer le développement
, car Angélique qui étoit venue
pour avouer à fon oncle fes vrais fentimens
& tâcher de le toucher , ayant entendu
cet aveu d'Erafte, devient furieufe ;
& dans un dépit , très légitime par les ap210
MERCURE DE FRANCE.
parences , elle preffe fon oncle au contraire,
de terminer promptement avec Valére.
Celui - ci y confent de bon coeur . Erafte
de fon côté , qui ne doit pas avoir moins
de reffentiment,dit que Lifimon , par - là , ne
' fait aucune violence au coeur d'Angélique;
l'oncle prétend cependant avoir eu befoin
d'autorité pour la déterminer , mais
elle interrompt l'éclairciffement qui pourroit
réfulter , pour faire des reproches à
Erafte. L'oncle eft irrité de cette Scène
qui décéle la défobéiſſance de fa niéce à
fes volontés ; cependant celle -ci , pour fa
réputation dit- elle , exige de fon oncle,
le témoignage des oppofitions quelle a
apportées à fes intentions. La Soubrettefert
encore dans cette occafion , à expliquer
la fauffeté des apparences. Lifimon
toujours plus opiniâtre , par la réſiſtance ,
veut que le mariage foit conclu avec Valére.
Mais celui-ci apporte une lettre du
Père qui rend à Lifimon fa parole & permet
à fonfils dépoufer Lucinde. Cette lettre
défabule Erafte , contrarie l'oncle qui
balance encore, mais il fe détermine enfin
par la fortune d'Erafte , à lui donner fa
niéce. Crifpin , promettant de n'être plus
foupçonneux, obtient à cette condition
l'aveu de Lifette. Elle finit la Piéce en lui
difant, fois donc mon mari , & fouviens
SEPTEMBRE. 1761 217
toi que prèfque toujours les apparences font
trompeufes , & qu'il faut douter même de
ce qu'on voit.
REMARQUES
SUR LES FAUSSES APPARENCES .
CETTE ETTEComédiè eft d'un genre qui demande que
l'on en courage ceux qui font des efforts pour le
rétablir fur notre Théâtre. L'intrigue de cette Piéce
eſt conſtruite avec art'; elle produit les fituations ;
& les fituations fervent à foutenir l'intrigue , en
en renouvellant l'imbroglio , dont l'obfcurité n'exifte
que pour les Acteurs. Peut- être que par là , elle
eft refferrée dans un trop petit eſpace pour laiffer
lieu à ce comique faillant & découpé , qui divertit
fans occuper l'efprit après les grandes Piéces. Nos
Lecteurs doivent fuppléer par l'imagination , à ce
que la néceffité de fupprimer les rempliffages
laiffe de féchereffe dans les Extraits de ces fortes
de Piéces. On doit la juftice , & tout le Public fe
réunit à la rendre , à la manière dont les Scènes
font enchaînées , au Dialogue jufte , précis , &
conforme à ce que doivent fe dire les Acteurs relativement
aux fituations où ils fe trouvent , &
aux fentimens qu'ils éprouvent. Les entrées & les
forties , en un mot tout ce qu'on appelle la marche
théâtrale, eft bien ménagé & fpirituellement
obfervé. C'est ce qui particulièrement doit faire.
honneur à M. Belcourt. On ne peut refuſer de
convenir qu'il a étudié avec fruit les bons modéles
, & que de la pratique de fon talent pour la
repréſentation , il s'eft formé une théorie heu
212 MERCURE DE FRANCE.
reufe pour la compofition. Le Public a lieu d'at
tendre un double avantage du zéle d'un Acteur ,
dans lequel ces deux Arts réunis peuvent le perfectionner
toujours l'un par l'autre .
COMEDIE ITALIENNE.
ONN n'a donné depuis un mois d'autres
nouveautés fur ce Théâtre, que la remife
des Indes danfantes , Parodie des Indes
Galantes. Cette Parodie eft ornée d'un
Ballet des fleurs , par M. Felicini , qui
eft fort applaudi ; l'idée en eft ingénieufe
, & les tableaux très agréables.
On revu toujours avec un plaifir qui
ne paroiffoit pas s'épuifer , lefils d'Arlequin
perdu & retrouvé , Comédie Italienne ,
de laquelle nous avons donné le plan
dans fa nouveauté.
Il s'étoit répandu un bruit que l'on engageroit
M. Goldoni , Auteur de cette
Comédie , à venir paffer quelque temps"
en France , pour y. connoître par luimême
les modifications convenables à
notre Scène Italienne , & l'enrichir d'un
nouveau fonds , foit par des productions
nouvelles , foit en y adaptant plufieurs
des drames qui l'ont rendu fi célébre , &
fi cher à l'Italie. Il feroit à defirer pour
SEPTEMBRE. 1761, 213
l'intérêt du goût , que ce projet le réalifât
. Cet Aureur , qui a le génie de la
vraie Comédie , a fait aimer & goûter
parmi fes compatriotes , un frein qu'ils
croyoient ennemi de leurs plaifirs . Le Public
, Souverain des Arts & des Talens ,
l'eft particulierement des Mules Dramatiques.
Leur goût fe forme fur le fien ; &
elles facrifient fouvent jufqu'à leur fentiment
intérieur , pour parvenir à un
moment de fa faveur. Si donc le Public
de Paris , attiré fouvent au Théâtre Italien
, où peut être il n'a que trop fouvent
contracté de la foibleffe pour d'agréables
frivolités , y retrouvoit au contraire cer
attrait pour le genre propre à Thalie ,
par lequel s'étoient formés d'après les anciens
, les grands hommes qui ont fait
tant d'honneur à notre Théâtre ; que
n'auroit - on pas lieu d'en attendre pour le
rétabliffement du goût , qui combat encore
par les feules forces de la vérité &
par les efforts de quelques Auteurs cé¹ébres
? Ce pourroit être un motif de plus
d'émulation & d'encouragement pour la
Scène Françoife ; ce qui contribueroit à
lui procurer de nouvelles richeffes , & à
rajeunir fes anciennes . Si ce projet éxifte ,
fon exécution fera honneur aux Ama-
Steurs du Théâtre qui y auront concouru .
214 MERCURE DE FRANCE.
OPERA - COMIQUE.
LE 13 on donna le Tribunal de la Chicanne
ou l'Huître & les Plaideurs, Piéce de
M. Sedaine avec quelques Ariettes de M.
Philidor. C'eft le même Opéra Comique,
qui avoit été repréſenté le 17 Septembre
1759 il avoit paru alors fort gai , mais
trop court. L'Auteur y a ajouté quelques
Scènes font vives & pleines d'action ; &
le Muficien quelques airs , & particulierement
un Vaudeville , dont le refrein fe
reprend en choeur & fait un très -bon
effet.
Le 28 Juillet , on repréfenta pour la
premiere fois Georget & Georgette en un
Acte en Profe ; les paroles font de M.
Harny & la mufique de M. Alexandre.
Le fond du fujet de cette Piéce eft puiſé
dans le Conte des Oyes de Frère Philippe
& dans celui de Joconde ; quelques Epifodes
font tirées d'une Comédie Angloife
intitulée The Tempeft , dont on a la traduction
dans le Volume de Fragmens de
M. Nericault des Touches. Ce petit Ouvrage
eft naïvement écrit ; il y a de l'intérêt
, ce qui dédommage des Saillies &
des Epigrammes néceffaires pour en faiSEPTEMBRE.
1761. 213
re valoir d'autres . La mufique n'eft pas
de ce qu'on appelle aujourd'hui de la
grande force , expreffion fouvent équivoque
avec le grand bruit ; mais cette mufique
eft chantante & affez analogue au
caractère général du Sujet.
M. Allard & Mlle Menaffier ont continué
à danfer & ont été applaudis dans
les Fêtes Circaffiennes, le Remouleur & la
Fête des Savetiers .
Le 22 Aoûr, on donna la première repréſentation
du Maréchal,Opera Comique
en un Acte , mêlé d'Ariettes. M. Quetant
eft Auteur des paroles , & M. Philidor
de la mufique. Le Sujet eft tiré des
Contes de Bocace & plus connu fous le
titre du Revenant.
Quoiqu'il y ait dans cette Piéce quel .
ques parties de Spectacle funèbres &
confequement très-étrangères au genre
ordinaire de ce Théâtre , elle a le plus.
grand fuccès ; & depuis long- temps il n'y
avoit eu de nouveautés fuivies avec autant
de concours. La mufique eft la principale
caufe de cet empreffement. Elle
eft nouvelle & pleine d'harmonie ; quelques
Ariettes d'imitation , telles que celles
du Cocher , celle du bruit des Cloches,
& d'autres qui ne font pas moins de plai
fir , contribuent particuliérement à cette
216 MERCURE DE FRANCE .
réuffire. Tel fera toujours l'avantage de
quelque genre que ce foit , lorfqu'il fera
placé & employé avec juſteſſe . Celui des
Ariettes eft bien plus propre à peindre
qu'à exprimer ; les répétitions multipliées
font plus fupportables , & même concourent
fouvent à la vérité des images . D'ailleurs
les objets que la Mufique peint dans
cet Opéra Comique , font de l'efpéce qui
amufera toujours à ce Spectacle..
CONCERT SPIRITUEL.
CELUI ELUI de l'Affomption a commencé
par une Symphonie de M. Guillemain ,
ordinaire de la Mufique du Roi . Cette
Symphonie eft variée & d'un chant agréable
; elle fut fuivie de Venite exultemus ,
Motet à grand choeur de M. Dareme. La
Signora Piccinelli a chanté deux Airs Italiens
; M. Piffet a joué une Sonate de fa
compofition , & le Concert a fini par
Exultate Jufti , Motet à grand choeur
de M. Mondonville , qui a reçu le tribut
ordinaire d'un applaudiſſement univerſel .
SUPPLEMENT
SEPTEMBRE. 1761. 217
SUPPLEMENT à l'Article de la Comédie
LE
Françoife.
E Théâtre François vient de perdre
Mlle Camouche , morte le 22 Août , à
l'âge de 19 ans & quelques mois . Elle
avoit débuté dans le Tragique le 29 Janvier
1759. Une figure noble , agréable ,
quoiqu'un peu forte , l'organe de la voix
fonore & foutenu , de l'âme & du jeu
dans les traits du vifage ; tous ces avantages
avoient donné lieu d'attendre d'elle
de très grands progrès auxquels ne paroiffoit
s'oppofer qu'une habitude défectueufe
, quelquefois dans le debit des
vers , qui fe feroit facilement réformée.
La néceffité des conjonctures lui avoie
fait donner dans le Comique l'emploi
de ce qu'on appelle les Caractères , c'està-
dire , les rôles de Mères & de quelques
Vieilles ridicules ; ce qui avoit fufpendu
fon fuccès dans le
genre.tragique. Quoi- ,
que d'un âge & d'une figure qui contraf
toient avec ces fortes rôles comiques
elle y faifoit fouvent plaifir par le naturel
avec lequel elle les jouoit ; & elle
étoit devenue très- néceffaire . On ne peut
K
218 MERCURE DE FRANCE.
fervir avec plus de zéle & de docilité
qu'a fait cette jeune Actrice depuis qu'elle
étoit au Théâtre. Elle avoit à la ville ,
un caractère de bonté & de franchiſe que
fon coeur ne démentoit jamais. Des Sociétés
refpectables , dont elle étoit connue
& protégée par eftime , ont été auffi
fenfibles à cette perte , que le font
fes camarades , qui la regrettent tous ,
bien moins encore par l'utilité dont elle
leur étoit , que par l'attachement & l'amitié
qu'elle méritoit de leur part , &
qu'elle s'étoit généralement concilié.
LETTRE à M. DE LA GARDE , Penfionnaire
adjoint au Privilége du Mer
cure , pour la partie des Spectacles.
Il y a déjà longtemps , Monfieur , que
l'on m'accufe de faire l'Article des Spectacles
dans l'Ayant- coureur ; ce qui me
fufcite un grand nombre d'ennemis fecrets.
C'eft affurément bien peu me connoître,
que de me croire capable de faire
clandeftinement le métier de louer ou
de décrier les talens ; & je ne vois pas en
quoi j'ai mérité que l'on prenne plaifir à
m'imputer toutes les erreurs dont on dit
SEPTEMBRE. 1761.
219
que cette espéce de Journal abonde.
D'ailleurs , mon attachement pour M. De
la Place ne fauroit permettre que j'employaffe
ainfi ma plume à la compofition
d'un Ouvrage qui ufurpe impunément les
droits exclufifs du Mercure. Ce feroit un
moyen fûr.de me rendre indigne de fon
amitié , qui me fera toujours trop précieuſe
, pour que je puiffe m'expofer au
rifque de la perdre par aucune fupercherie
littéraire .
Je vous prie donc , Monfieur , de vouloir
bien fouffrir que je me ſerve de la
voie du Mercuré pour déclarer , fur la
vérité , que je n'ai aucune part , ni directe
ni indirecte , à tout ce qui fe fait dans
l'Avant- coureur ; que je laiffe à fes Auteurs
, qui gardent fi bien l'incognito ,
toutes les inconféquences dont il eft
chargé que je ne connois ni ceux qui
le font , ni celui qui l'imprime , ni ceux
qui le vendent ; & que fi perfonne ne le
lifoit plus que moi , je n'en entendrois
jamais parler.
J'ai l'honneur d'être & c.
A Paris , ce 16 Août 1761 .
BRUNET.
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VI.
NOUVELLES
POLITIQUES .
E
De WARSOVIE , le 4 Juillet 1761 .
LB Prince Clément de Saxe commence à fe rétablir
, & il partira dans quelques jours pour aller
prendre les eaux d'Oacker .
De VIENNE , le 29 Juillet.
Le Comte de Pergen , que l'Empereur a nommé
fon Plénipotentiaire au futur Congrès , eft
arrivé ici pour recevoir les inftructions .
Le Comte de Keyterling , que l'Impératrice de
Ruffie a nommé fon premier Plénipotentiaire au
même Congrès , fe prépare à y paroître avec un
grand éclat.
On a reçu avis que deux mille Fourageurs de
l'Armée Pruffienne ont été furpris par les Ruffes
qui les ont tous tués ou faits prifonniers. On
a appris auffi qu'il y a eu près d'Auras une vive
efcarmouche , entre les Corps du Comte de Czernichew
& du Général Ziethen ; ce dernier y a perdu
beaucoup de monde. On affure que depuis
plufieurs jours il s'eft replié vers l'Oder.
On apprend auffi que la divifion aux ordres du
Comte de Romanzoff, le prépare à former le Siége
de Colberg , tandis que la Flotte Ruffe , compofée
de dix Vaiffeaux de ligne & de plufieurs Galiotes
a bombes , attaquera cette Place du côté de
la Mer . Cette Flotte elt commandée par l'Amiral
Polanskoy,
Le Comte du Châtelet , Miniftre Plénipoten
SEPTEMBRE. 1461. 221
tiaire du Roi de France auprès de Leurs Majeftés
Impériales arriva de Paris le 5.Pendant l'abfence
du Comte de Keyfer ing, le jeune Comte de Voronzow
fera chargé ici des affaires de la Cour de
Rufie.
De HAMBOURG , le i Août.
Nous avons appris de la Pomeranie Ultérieure,
que les Ruffes fe font emparés , le 3 du mois dernier
, de la ville de Stargard . Les Pruffiens , chargés
de la défense de cette Province , campent en
deux divifions , l'une fous Colberg , l'autre en
avant de cette Ville.
On attend ici de Coppenhague le Comte de
Saint Germain , qui , ayant pallé du Service de
France à celui de Dannemark , vient d'être déclaré
Feld - Maréchal des troupes de Sa Majesté
Danoife.
Les nouvelles de l'Armée Ruffe portent que le
Comte de Tottleben , accufé d'entretenir des intelligences
avec les Pruffiens , a été arrêté à Bernftem
, & conduit à Konisberg . Les troupes , qui
étoient à fes ordres , font actuellement commandées
par le fieur Ingerleben.
On vient d'apprendre que les Suédois , dont
l'armée et actuellement commandée par le Général
Ehrenfchwerdt , fe font rendus maîtres de
Demin & d'Anclam. Deux mille cinq cens hommes
d'infanterie , & quinze cens de cavalerie , de
leur armée , font entrés dans le Meklenbourg .
Les troupes Ruffes , aux ordres du Général
Comte de Romanzoff , n'attendent pour commencer
le fiege de Colberg , que l'arrivée de
l'Escadre qui doit feconder leurs opérations . Dès
le 15 du mois dernier , elle a remis à la voile de la
rade de Dantzick où elle avoit relâché ; mais depuis
elle a eu prèfque toujours les vents contraires.
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
•
De RO STOCK , le 14 Juillet.
Elifabeth- Albertine de Saxe - Hildburshauſen ,
veuve de Charles - Louis Frederic , Duc de Mecklenbourg-
Strelitz , mourut à Strelitz , le 24 du
mois dernier , âgée de quarante-fept ans . Les enfans
qu'elle laifle de fon Mariage , font Adolphe
Frederic IV , Duc de Mecklenbourg Strelitz ; le
Prince Charles Frederic , qui fert dans les troupes
Hanovriennes ; le Prince Erneft-Gottlob Albert ;
la Princeffe Chriftiane - Sophie Albertine , & la
Princefle Sophie Caroline , dont la main eſt
deftinée au Roi de la Grande - Bretagne.
De COLOGNE , le 23 Juillet.
>.
Suivant les avis reçus de l'Armée commandée
par le Maréchal de Broglie, ce Général informé par
des lettres du Comte de Luface, que le Général Luckner
gardoit toujours fa pofition fous Neuhauff ,
fit partir, le 18 de mois, la divifion du Baron de Clofen
& celle du Comte de Rotke , pour ſe rendre à
Saltzkotten. Il ordonna en même temps aupremier
de pouiler de forts détachemens fur le chemin &
en avant de Paderbon , & à tous les deux de joindre
le Comte de Luface foit avec toutes leurs
Troupes , foit avec une partie feulement , felou
que ce Prince leur marqueroit en en avoir befoin.
Les Troupes du Comte de Luface , réunies avec
celles du Comte de Rothe & du Baron de Cloſen ,
marcherent le 19 à Neufshauff fur trois colonnes
; mais le Général Luckner n'a pas jugé àpropos
de les attendre , & fes derniers poftes furent
repliés dès neuf heures du matin . Il s'eft retiré
à Rittberg. Le Comte de Chabo , qui l'a pourfuivi
, n'a pu l'atteindre qu'au Village de Sande ,
cù il lui a fait plufieurs prifonniers.
De LONDRES , le 1 Août.
Dans un grand confeil tenu le 8 du mois de
SEPTEMBRE. 1761 . 223
nier , le Roi a déclaré qu'il avoit résolu d'épouſer
la Princeffe Charlotte de Mecklenbourg- Strelitz .
Le Comte d'Harcourt eft chargé d'aller faire la
demande de cette Princefle & de la conduire en
Angleterre.
Le Roi a fixé au 22 Septembre la folemnité de
fon couronnement , le mariage de Sa Mojeſté devoit
être célébré le 22 de ce mois , mais il fera
differé de quelques femaines a caule de la mort
de la Duchelle de Mecklenbourg - Strelitz .
Le 22 du mois dernier , le Roi fe trouva indifpofé
, & la nuit fuivante , on s'apperçut qu'il
étoit attaqué d'une petite vérole volante , l'éruption
s'en eft faite heureufement , & la fanté de Sa
Majefté eft entierement rétablie.
le 15
Le 20, le Gouvernement fut informé
que
Janvier dernier , la Ville de Pontichery , qui étoit
bloquée par mer depuis neuf mois , & par terre
depuis le mois de Novembre , s'étoit enfin rendue
faute de fubfiftance. Les Troupes du Roi ont pris
poffeffion le 16 de la porte de Willenour , & le
17 de celle du fort Saint Louis. Il ne reftoit de la
garnifon que quatre-vingt trois Canoniers , trois
cent vingt -fept hommes du Régiment de Lorrai
ne , deux cens -trente de celui de Lally , deux cens
quatre-vingt quinze de la Marine , & cinq cens
hommes des troupes de la Compagnie des Indes .
Tous ont été faits prifonniers. On a trouvé dans
la Place quatre-vingt-un canon de bronze, quatre
cens trente-fix de fer , quinze obuziers , quatrevingt-
neuf mortiers , & beaucoup d'autres munitions.
Le Baron de Landon , qui commande en Siléfie
les Troupes de l'Impératrice Reine , a obtenu des
Patentes , qui le déclarent illu d'une branche cadette
de l'ancienne famille de Laudon établie
dans le Comté d'Air,
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
De la HAYE, le 31 Juillet.
Le Général Yorck , l'un des Plénipotentiaires
du Roi de la Grande- Bretagne au futur Congrès ,
fe difpofe à partir pour Aufbourg .
On a reçu avis qu'il y avoit eu une action trèsvive
entre un Corps de Hannovriens & une partie
des Troupes Françoifes qui font aux ordres du
Prince de Croy . Voici les principales particularités
qu'on en a pu apprendre. Le 3 de ce mois , le
Général Scheiter , à la tète de quatre cens tant
Grenadiers que Chaffeurs, & de cinq cens Cavaliers,
attaqua le Pont de Veftoven , que gardoient deux
piquets du Régiment de Vierfet. Après une demiheure
de réfittance , ces deux piquets furent contraints
de céder au nombre , & les Hannovriens
pailerent le pont . Trois piquets de Cavalerie ,
poltés à quelque diftance , chargerent la Cavalerie
Hannovrienne , & la mirent en déroute . Cependant
le Général Scheiter feroit demeuré maître
du pont, & peut - être auroit enlevé un Convoi
qui palloit à Hagen , fi cent foixante hommes
du fecond bataillon de Bouillon ne fuffent accou
rus au bruit de la moufqueterie . Le Prince de
Croy les fit marcher la bayonnette au bout du fufil
, fans tirer un feul coup ; & par leur air d'intrépidié
ils en impoferent fifort à leurs ennemis,
que l'Infanterie Hannovrienne repala précipitamment
le pont , tandis que la Cavalerie regagnoit
les devans en défordre. Une Compagnie de
Grenadiers & une de Challeurs des Troupes
Françoifes pourfuivit l'Infanterie , & pendant ce
temps , le Prince de Croy fit couper le pont . Les
Hannovriens ont fait une perte confidérable. Outre
les morts & les bleflés qu'ils ont laillés fur e
champ de bataille , on a trouvé un grand nombre
de leurs bleffés dans les bois.
On ne fauroit trop louer la fermeté & l'acti
SEPTEMBRE. 1761. 225
vité avec lesquelles le Prince de Croy a fait face
partout aux Troupes qu'il avoit en tête . Le Prince
de Solre , fon fils unique , a trouvé , par la préfence
d'efprit & par fa valeur , le moyen d'échapper
à quinze ou feize Cavaliers qui l'avoient enveloppé.
Le fieur de la Morliere , qui commandoit
fous le Prince de Croy , a chargé deux fois
l'épée à la main. Plufieurs Oficiers des Troupes.
Françoiles ; entr'autres , le fieur de Fafé , Capitaine
dans le Régiment de Cavalerie du Roi ; le Baron
de Saint-Mard , le Comte de Gourcy & le
fieur Duchambge , du Régiment de Bouillan , fe
font extrêmement diftingués. Le fieur d'Auffrerin ,
Aide de Camp du fieur de la Morliere, a été ble:fé,
à fes côtés , de cinq coups de fabre fur la têce , &
d'un coup de fufil au bras .
On apprend que le Prince Henry de Brunswick
eft mort du coup de feu , qu'il reçut le 20 de ce
mois , en reconnoiffant un pofte avancé:
I.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée, de
Paris , &c.
De VERSAILLES , le 13 Août 1761 .
E 19 du mois dernier , Leurs Majeftés figne
rent le contrat de mariage du Marquis des Kches-
Herpin & de Dlle Rouvroy de Saint-Simon .
Le fieur de la Robolle de Mrveille a obtenu
la furvivance de la Charge d'Avocat Général de la
Reine , place dont et titulaire le fieur Tartaria.
Le Marquis de Grimaldi , Ambafladeur de la
Cour de Madrid , a remis au Roi , de la por. du
Roi d'Elpagne, les Marques de l'Ordre de l‹ Toifon
d'Or , dont Sa Majesté a revêtu Mgr le Duc
de Berry.
Κι
226 MERCURE DE FRANCE.
Le 28 le Roi tint le Sceau .
Le Duc de Fleury , au nom du Marquis de
Cfires , préfenta le meme jour , au Roi l'Oraifor
Funébre du Maréchal de Belle Ifle, par le Pere
de Neufville.
Le Roi à donné aufieur Pajot de Marcheval ,
Intendant de Limoges , l'Intendance de Grenoble
, qui vaquoit par la démiffion du fieur de la
Por e.
Sa Majesté a accordé la place de Colonel-Commandant
du Régiment Royal- Suedois , vacante
par la démiffion du Baron de Bulow , au fieur de
Mais , Lieutenant - Colonel du Régiment d'Infanterie
Allemande de la Marck ; & la place de Co--
lonel Commandant en troifiéme de la Légion
Royale, vacante par la mort du Vicomte de Cultine
, au Comte d'Ollone , Capitaine , avec rang
de Mestre de Camp , dans le Régiment de Schonberg.
Le 31 , le Prince de Ghiftelles , Grand d'Eſpagne
de la premiere Claffe , fut préfenté en cette
qualité au Roi par le Duc de Fleury , premier
Gentilhomme de la Chambre. La Princefle de
Ghiftelles , Marquile de Richebourg , de la maifon
de Melun , & la derniere de ce nom , fut préfentée
le 2 de ce mois à Leurs Majeftés . Elle a pris
le Tabouret en qualité de Grande d'Espagne de la
premiere Claffe ; Titre que Sa Majefté Catholique
a reconnu être perfonnel à la Princeffe de Ghif
telles , & que le feu Roi Philippe V. avoit accordé
a Guillaume de Melun , Marquis de Richebourg
, mort Chevalier de l'Ordre de la Toifon
d'Or , Lieutenant-Général des Armées d'Elpagne,
& Viceroi en Catalogne.
Le Roi a nommé à l'Intendance de Limoges ,
vacante par la nomination du fieur Fajor de Marcheval
à celle de Grenoble , le fieur Targot ,
Maître des Requêtes.
SEPTEMBRE. 1761 . 227
Le 10 , le Roi tint le Sceau.
Le Prince de Lambefc , fils du feu Comte de
Brionne , prêta ferment le 11 entre les mains de
S. M. pour la Charge de Grand Ecuyer de France
, dont le Comte de Brionne étoit pourvû. La
Marquife de la Farre a été préfentée le 9 à Leurs
Majeftés , ainfi qu'à la Famille Royale , par la
Marquile de Saffenage.
De PARIS , le 15 Août.
Le 21 du mois dernier , le Parlement , qui avoit
reçu les Ordres du Roi par le Marquis de Dreux,
Grand- Maître des Cérémonies , s'allembla pour
le Lit de Juftice , que Sa Majefté avoit réſolu de
tenir.
Vers les dix heures du matin , le Roi arriva ,
ayant dans fon carroffe , Mgr le Dauphin. Sa Majefté
étoit accompagnée d'un nombreux détachement
de les Gardes du Corps , de cinquante Gendarmes
de la Garde , de cinquante Chevaux - Légers
, & d'un pareil nombre de Moufquetaires de
chacune des deux Compagnies. Devant le Carrole
de Sa Majefté étoit le Vol du Cabinet. Elle
defcendit à la Sainte -Chapelle , où le Chancelier
s'étoit rendu , accompagné du nombre ordinaire
de Confeillers d'État & de Maîtres des Requêtes ,
& où s'étaient affemblés les Maréchaux de France,
les Chevaliers des Ordres , les Gouverneurs ,&
Lieutenans- Généraux des Provinces . Le Duc d'Or
léans , le Duc de Chartres , le Prince de Conti &
le Comte de la Marche y avoient auffi devancé
Sa Majesté . Précédée de la Cour , du Roi d'Armes
& des Hérauts , Elle monta les degrés au
fon des trompettes , hautbois , fifres & tambours
de l'Écurie & de la Chambre. Deux Huilliers de
la Chambre portoient leurs malles devant le Roi.
K vj
228 MERCURE DE FRANCE,
#
Lorfque le Roi eut entendu la Melle , qui fut
célébrée parar l'Abbé Barc , un de fes Chapelains , 1
quatre Piéfidens & tix Confeillers , députés par
le Parlement , vinrent recevoir Sa Majesté & la
conduifirent à la Grand' - Chambre . Le Roi s'étant
aflis fur fon Trône , & les féances ayant été prifes
, Sa Majefté fit enregistrer un Édit par lequel
Elle crée neuf-cens mille livres de rentes héréditaires
fur les deniers provenant du droit des Cuirs,
& une Déclaration portant prorogation de l'Élir
du mois de Février 1760. Le Roi fortit entaite
dans le même ordre qu'il étoit entré.
Sa Majefté trouva , ainfi qu'a fon arrivée , les
Gardes Françoifes & Suiffes , qui formoient une
double haie dans les rues , fur le Pont- Neuf, &
fur les Quais , depuis le Palais jufqu'à l'extrémité
du Quai des Tuileries.
Les Pairs , qui ont affifté à ce Lit de Juſtice ,font
lesDucs de Luynes , de Briffac , de Rohan , de
Luxembourg , de Gramont , de Villeroi , de Saint-
Aignan , de Trefimes , de Noailles , de S. Cloud,
de Villars Brancas , de Biron , de la Valliere , de
Fleuri , de la Vauguyon & de Choifeut . Les Maréchaux
de Duras , de Clermont-Tonnerre , de
Lautrec , d'Estrées & de Contades , y ont eu féande
, étant entrés avec le Roi.
Le Prince de Montauban , nommé pour réprêfenter
en cette occafion le Grand - Ecuyer de France
, a porté l'Epée Royale:
Le 31 , le Duc d'Orléans fe rendit à la Chambre
des Comptes , étant accompagné du Maréchal
de Clermont -Tonnerre , ainfi que des fieurs
de Brou & de Bernage , Confeillers d'Etat ordinaires
, & il y fit enregistrer, felon les Ordres du
Roi , l'E lit & la Déclaration enregistrés au Lit de
Juftice.
SEPTEMBRE. 1761. 229
Le même jour, le Comte de la Marche, accom
pagné du Maréchal de Lautrec , & des feurs d'Ageelleau
& de Frelnes . Confeillers d'Etat ordinaires
, fit autfi enregistrer , par ordre du Roi
cet Edit & cette Déclaration à la Cour des Aydes.
Le tirage de faveur de la troifiéme Loterie Royale,
établie par Arrêt du Confeil du 11 Novembre
1755 , s'étant fait le 25 Mai & les jours fuivans
dans l'Hôel de Ville , avec les formalités accoutumées
; le lot de cent vingt mille livres eft échû
au numéro 3 : 469 , & celu . de cinquante niille au
numéro 38154.
Le tirage de la feptiéme Loterie de la Ville de
- Paris fe fit le 16 dù mois dernier , dans l'Hôtelde-
Ville , avec les formalités ordinaires . Le premier
lot , qui étoit de socco livres , eft échu au
- numéro 11762 ; celui de 20000 , au numéro
-18421. Les deux lots de 10000 font échus aux
numéros 1350 & 1072.
Le 17 , on a fait dans l'Hôtel - de - Ville , en la
maniere accoutumée , le tirage de la Loterie de
'Ecole Royale Militaire.Les Numeros fortis de la
roue de fortune , font , 59 , 5 , 45 , 44 , 89 .
Deux Frégates commandées par le fieur Do
gué Lambert , Enfeigne de Vailleaux ont enlevé ,
en allant de la Martinique à Saint Doingue
cinq Navires Anglois richement chargés pour la
Jarmaïque. On allure que les Capitaines de ces
Batiniens ont offert, pour les racheter jufqu'à deux
millions , monnoye de France.,.
MARIAGE.
Meffire Charles- Emmanuel - Vincent Ferrero
'de Pallas , Piémontois , & fils du Marquis d'Ormea
, a épousé depuis peu , dans la Ville d'Avignon
, Dile Marie-Jeanne- Candi dede Brancas ,
230 MERCURE DE FRANCE.
fille unique du Comte de Brancas Laudun , & de
Dame Marie-Virginie de Balbis dé Crillon .
MORTS.
Mefire Jacques , Comte de Brancion , le dernier
male de cette Mailon qui ait pris alliance ,
eft mort à Lons- le - Saunier , âgé de foixante- trois
ans.
Meffire Louis Colbert , Marquis de Lignieres ,
Maréchal des Camps & Armées du Roi , mourut
à Paris le 24 du mois dernier , dans la 52° année
de fon âge.
Meffire François-Benigne du Trouffet d'Héricourt
, Abbè des Abbayes de S. Michel & de Molème
, Ordre de S. Benoît , Diocèle de Langres
& de S. Germain d'Auxerre , même Ordre, mourut
le r de ce mois , près de Genève , dans la cinquante
feptiéme année de fon âge . Il étoit Confeiller-
Clerc de la Grand' . Chambre du Parle
ment.
La Marquife de Scorraille , Veuve du Marquis
de ce nom , Maréchal des Camps & Armées du
Roi , eft morte à Besançon , les , âgée de quatre-
vingt-fept ans.
Journal des Armées aux ordres des Maréchaux de
Soubize & de Broglie.
Du 10.
La jonction du Général Sporken avec le Prince
Ferdinand a déterminé le Maréchal de Broglie ,
à faire les mouvemens fuivans.
Le Comte de Guerchy eft parti du camp de
Neuhauls avec l'Infanterie qui y reſtoit , à la sé-
Lerve de la premiere divifion , & il eft venu cam-
اه
SEPTEMBRE. 1761. 23 F
per à Gefeke. Il marchera demain à Erweté , où.
il joindra le Comte de Rothe.
Le Chevalier du Muy eſt resté à Paderborn
avec la premiere divifion de l'Infanterie, & avec la
Cavalerie de l'aîle droite.
La réſerve du Comte de Luface vient camper à
Neuhaufs fur la rive droite de la Lippe . Le Comte
de Waldner eft envoyé avec la brigade d'Yenner
& un Régiment de Dragons àHoxter , où il joindra
celui des Volontaires de Hainaut.
Le Maréchal de Broglie ayant voulu faire une
reconnoiffance entre l'Aeft & la Lippe , s'eft porté
d'abord au Village d'Oettinghaufen , où il s'eft
fait joindre par une partie de l'avant- garde du Baron
de Clofen. Les troupes ennemies , qui étoient
derriere ce Village, fe font repliées fucceffivement
à l'approche des nôtres , & fe font retirées par le
grand chemin de Ham . Lorſque les ennemis ont
eu dépaffé Ultrop , ils fe font mis en bataille dans
une affez grande bruyere fermée de haies , qui fe
trouve au- delà du Village . Les Volontaires d'Auf
trafie s'étant porté vivement fur eux pendant qu'ils
faifoient leur retraite , & les ayant ferrés d'un peu
près ; la Cavalerie ennemie , qui étoit foutenue , &
beaucoup plus nombreuſe, les a chargés & pouffés
jufqu'aux haies du Village , où ils ont été reçus par
les Volontaires de Saint - Victor , poftés dans les
haies . Ceux d'Auftrafie ont eu à cette charge une
foixantaine d'hommes tués , bleffés ou pris, & fix
Officiers de bleffés .
Le II , on a rompu le pont d'Owerhagen , &
l'on ya conftruit une redoute , pour maſquer le
débou ché de Lippstadt.
Du 12.
Le Maréchal de Broglie a fait une reconnoiffance
entre l'Aeft & la Lippe. Il a pouffé les ennemis
232 MERCURE DE FRANCE.
julqu'au Village de Landfcron , auprès duquel il y
a eu une fufilla de affez longue entre eux & les
Volontaires de Saint Victor . On a pris quelques
Montagnards Ecoflois . Lorfque le Maréchal s'eft
retiré, le Price Ferdinand venoit d'amenèr , pour
foutenir les troupes , quatorze bataillons , & de
la Cavalerie , fur les hauteurs qui font en arriere
de Landicron .
Du 13.
?
Le Comte de Chabo commandant l'avantgarle
de la réserve du Comte de Lulace , a été
attaqué au Village de San le par le Corps de Luckner
Dès que le Comte de Luface en a été averti ,
il a fait marcher deux bataillons pour le foutenir.
Les troupes du Comte de Chabo fe font rafemblées
& formées avec tant de célérité , & elles
ont chargé avec tant de vigueur , que le fieur de
Luckner a été forcé de fe retirer , quoique tout
fon corps compofé de près de cinq mille hommes
fût en entier à cette action , & que le Comte de
Chabo n'eût qu'environ douze cens hommes à
caufe des détachemens de fon avant- garde , qui
font fur le Wefer.
Les Dragons du Roi , de Berchény , & des Vo .
lontaires de Flandre , ont chargé auf valeureufement
qu'à propos , & le Comite de Luface donne
les plus grands éloges au Comte de Chabo &
à tous les Chefs des Corps. Le fieur de Nanthiat,
Major du . Régiment du Roi , a été bleffé. On a
fair une vingtaine de prifonniers fur les ennemis .
Le fieur de Luckner s'eft retiré fur Stukembruck
.
Du Quartier Général de l'Armée du Bas-Rhin ,
le 18 Juillet 1761.
Depuis la réu nion des deux armées , le Prin
SEPTEMBRE. 1761. 233
ce Ferdinand étant refté dans le camp qu'il avoit
pris le 7 à portée de Ham fur les hauteurs de
Wambel & de Rinderen , & portant la gauche
au - delà de la riviere d'Afs jufqu'à la Lippe , les
Maréchaux de Soubife & de Broglie réfolurent de
s'approcher de l'armée des ennemi , & de chercher
a les dépofter, foit par des manoeuvres combinées
, foit en les combattant , fi leur poſition
étoit jugée attaquable.
Le Maréchal de Broglie, dont l'armée étoit encore
campée , partie à Erveté , partie à Paterborn , fit
marcher le is quarante fix bataillons , trente efcadrons
, fes Volontaires , & une partie de les troupes
légères , fur Oftinghaufen. Le Maréchal de
Soubile marcha le même jour de fon camp près
Soeft , & campa avec toute fon armée à environ
une lieue des ennemis , ayant à fa droite le Corps
du Prince de Condé , compoſé de dix - neuf batail-
Ions & de dix -huit efcadrons , qui étoit deſtiné à
renforcer le Maréchal de Broglie . En arrivant , il
travailla a établir fur l'Afs les ponts de communication
nécellai es . Le Marquis Daniefnil , commandant
la gauche de l'armée , devoit embraffer
la droite des ennemis du côté de Werle & de Buderick
, & le Marquis de Voyer , avec un Corps
détaché , fut porté vers Unna , pour prendre les
derrieres de leur droite . L'armée , en arrivant dans
fa pofition , replia tous les poftes que les ennemis
avoient en avant du ruiffeau de Scheidingen , &
l'on reconnut ce qui étoit affuré par les prifonniers
& déferteurs , que l'armée du Prince Ferdinand
n'avoit point changé fa pofition , & que feu
lement quinze bataillons Anglois & quelque Cavalerie
étoient à la rive droite de la riviere d'Afs .
Suivant les difpofitions qui avoient été faites , le
Maréchal de Broglie devoit s'emparer du Château
234 MERCURE DE FRANCE.
de Nagel , néceffaire pour affurer les ponts de
communication fur l'Afs , & pour ſe mettre en
état de reconnoître la pofition des ennemis , & s'il
feroit praticable de les attaquer. Ce Château fur
emporté le 15 au foir par le Comte de Stainville ,
Lieutenant Général , avec perte de la part des
ennemis. Peu après les troupes du Maréchal de
Broglie attaquerent le Village de Landſcron ;
l'action fur vive , les ennemis perdirent du terrein
; & la nuit mettant fin au combat , les troupes
refterent de part & d'autre dans la pofition
où elles fe trouvoient.
A minuit , la nuit du 15 au 16 , le Maréchal
de Broglie donna ordre au Corps du Prince de
Condé de paller la rivière d'Afs , & de le joindre au
point du jour.Le Maréchal de Soubile renforça aufitôt
le Prince de Condé d'une Brigade d'Infanterie,
& la fit fuivre par celle des Gardes pour être placée
intermédiairement.
Pendant ces mouvemens , le Maréchal de Soubile
fit chaffer les ennemis des poftes de Neumuhl
& de Kortmuhl fur le ruiffeau de Scheidingen .
A huit heures du matin , les Volontaires de
Soubife , foutenus des brigades de Piémont & de
Limofin , des Irlandois , & du bataillon des Grenadiers
& Chaffeurs des Gardes , aux ordres des
Comtes de Mailly & de Vogué , & du Chevalier
de Levis , Lieutenans - Généraux ; du Marquis de
Roquepine & du Lord Drumont , Maréchaux de
Camp , s'approcherent du Village de Scheidingen .
Les Volontaires pafferent le ruiffeau , ayant de
l'eau jufques fous les bras . Malgré le feu de la
redoute & du Village , l'un & l'autre furent emportés
. On alloit jetter des ponts, pour faire paffer
les brigades d'infanterie , & pour fuivre les premiers
fuccès , lorfque le Maréchal de Soubife reSEPTEMBRE.
1761. 235
çut avis du Maréchal de Broglie , que les ennemis
l'avoient attaqué à la pointe du jour avec des
forces très fupérieures , & qu'il prenoit le parti
de fe retirer , l'en prévenant , afin qu'il ne s'engageât
pas .
Le Maréchal Prince de Soubiſe de fon côté ordonna
la retraite de fon armée. Les troupes qui
occupoient le ruiffeau , & l'artillerie , firent la leur
fous le feu des ennemis avec le plus grand ordre ,
& route l'armée ſe replia , fans être fuivie , au
Camp de Paradeïs.
Quelques brigades de l'armée du Maréchal de
Broglie ont fouffert , ainfi que l'artillerie que le
Maréchal de Soubife lui avoit envoyée. On ne
peut encore fçavoir à quoi ſe monte la perte qui
a été faite.
Les Gazettes étrangères & nos ennemis ont
publié avec emphafe cet avantage du 16. Ce qu'il
y a de certain , c'est que le is les ennemis ont
été forcés dans le Village de Filinkaufen : que le
16 , ils ont repris ce Village : que la perte des
deux armées a été pour le moins égale , & que
les armées Françoiſes le font trouvées le lende
main où elles étoient la veille . Voilà la vérité
exacte de cette affaire , qui ne peut être confidéque
par rapport à la perte des hommes qu'elle a
occafionnée de part & d'autre , & au retardement
de quelques jours des opérations des armées Françoiles.
Le Prince de Brunſwick a été bleſſé dangereufement
d'un coup de feu .
SUITE DU JOURNAL.
En conféquence des projets formés par les deux
Généraux des armées du Roi en Allemagne , &
fuivant les arrangemens convenus entre eux , les
226 MERCURE DE FRANCE.
troupes , que le Maréchal de Soubife a jugé à propos
de faire paller a l'armée du Maréchal de Brogile
pour la renforcer , la joignirent le 25.
Le 26 , les deux armées le mirent en marche à
la pointe du jour . Celle du Maréchal de Soubife
partant de Barlinkaufen , pafla la riviere de Moën
fur plufieurs colonnes, & campa a Herdringen fur
le Roer , a quelque diſtance d'Arensberg . Celle du
Maréchal de Broglie décampa des environs d'Erveté
, & marcha le même jour à Salzkotten . Elle
alla le 27 à Paderborn . Le même jour , le Comte
de Luface alla camper à Nienheimb , le Comte
de Chabo à Stienheipb , le Baron de Clofen à Lipfprinck
, & le Prince de Beauvau a Nienhaufs. Le
Comte de Stainville campa à la gauche de l'armée
près de Vevern. Lº 29 , l'armée a marché à Diborg
& à Dringenberg. L'armée du Prince Fordinand
a aut fait un mouvement général le 27. Elle
s'eft avancée entre Oftinghaufen & Soelt.
Le 28 au point du jour , ils y furent attaqués
par des forces très fupérieures ; mais les ennemis
furent repouliés avec perte . Le Prince de Condé
s'y étant porté avec le Baron de Wurmfer, Maréchal
de Camp , chargé de cette partie ; le Prince
Héréditaire de Brun(wick , après de vives eſcarmouches
, déboucha fur trois colonnes ayant àleur
tre du gros canon , & s'empara des hauteurs . Le
Baron de Wurmfer fit avancer le Régiment de
Soubife & les Volontaires de l'armée. On attaqua
les ennemis , qui s'étoient poftés dans le bois ; &
ils furent forcés de fe retirer jufqu'à la Chapelle
d'Hoingen , ce qu'ils firent fort en défordre. Le
Prince de Condé , qui s'étoit avancé à la t´te
des Grenadiers & Chaleurs , les fit attaquer de nouveau
avec tant de vivacité , qu'à peine ils eurent le
temps de retirer , à force de bras , leur canon . Ils
abandonnerent leurs chevaux, leurs outils , & beauSEPTEMBRE.
1761 237
coup d'armes , dont le Régiment de Soubife s'empara
.
Suivant les nouvelles reçues d'Allemagne , le
Prince Ferdinand de Bruntwick alla le 30 occuper
le camp de Baren , & porta fes poftes avancés vers
les débouchés de la Dymel du côté de Statberg.
Le quartier général du Maréchal de Broglie a été
transféré de Driborg à Villebadeilen . L'armée eft
reftce a -ped-pres dans la même poſition ; l'on a
renforcé les troupes aux or tres du Comte de
Stainville qui occupent la Dymel. L'armée commandée
par le Maréchal Prince de Soubile , a fair
de 4 de ce mois un mouvement général. Elle a
quitté lon camp près de Herdringen , & par une
marche très prompte , elle s'eft portée à Swiert.
Ayant prévenu les ennemis , elle y a pafféle Roer.
Le Prince de Condé , chargé de miifquer cette
marche , eft demeuré pendant une partie de la
journée dans ton camp près de Nehem , afin d'attirer
de ce côté l'attention du Prince Héréditaire
de Brun/wick , toujours campé fur les hauteurs
de Rhune. Il y a eu far celles de Hoingen plufieurs
efcarmouches très-vives.
Les , l'armée s'eft avancée fur les hauteurs de
Dortmund . Le Marquis de Voyer avoit été déta
ché la veille , pour prévenir les ennemis à Durfeld,
ce qui a été exécuté . Il fit enfuite l'arriere - garde
de l'armée , & couvrit la marche du Corps commandé
par le Prince de Condé. Pendant ces dif→
férens mouvemens , il ne s'eft rien pallé d'intéreffant
de la part des ennemis . Les Volontaires de
Clermont & de Cambefort ont ramené quelques
prifonniers du Corps de Scheiter & de la Légion
Britannique.
G
Le 6 du mois d'Août , le Parlement , préfent ,
' Univerfité a fait la diftribution générale de tes
238 MERCURE DE FRANCE.
Prix. Elle a adjugé les deux Prix d'Eloquence La
tine à M. Pierre-Mathias Charbonnet , de Troyes ,
Sous-Maître au College Mazarin. Celui de 1760
remis à la préfente année , dont le Sujet étoit an
Diariorum lectio , eorumque librorum quibusfcientiarum
objecta in breve contrahunturfatis fit ad
eruditionem , & celui de 1761 fur ce Sujet, quantum
& litteris , & fibi ipfis mutuis odiis noceant
viri litterati .
AVIS.
M. BOURDET , Chirurgien Dentiſte de la Reine
, qui logeoit ci -devant rue de l'Arbre- Sec, loge
actuellement rue de la Croix des Petits - Champs ,
proche la Place des Victoires , la premiere porte
cochère après la rue Coquilliere , à côté du Caffé
de la Marine , en face de la rue de la Vrilliere &
de l'Hôtel de Toulouſe.
AP PROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monſeigneur le Chancelier, 'AI
le Mercure de Septembre 1761 , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , ce 31 Août 1761. GUIROY,
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
LES
Es progrès de la Philofophie , Ode. Pag. 1
IDYLLE.
ALINE , Conte.
RAFLEXION.
13
IS
32
SEPTEMBRE . 1761 . 239
BOUQUET.
RÉUNION de Daphnis & de Chloé , Dialogue.
REFLEXIONS fur Henri III . Par Mlle B * ....
des Sables.
TIRCIS & Aminthe , Cantate Françoife .
STANCES à Madame **
SUITE de la Traduction de quelques Lettres
LETTRE fur la fource des vertus & c.
de Sénéque .
EPITRE à M. Rayolle.
VERS à Madame Dub.... Actrice de la Comédie
de Metz & c .
A Madame la P. de * .
A Mile Dangeville , fur un Diamant dont
le Roi lui a fait préfent.
VERS fur l'Abrégé Chrologique de l'Hiſtoire
de France.
ENIGMES.
LOGOGRYPHES .
ENVOI .
LE Berger trahi , Parodie.
33
37
38
41
42
44
49
ss
57
59
63
63 & 64
65 & 66
67
ibid.
ART. II . NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRE à M. Rouffeau , Citoyen de Genève. 69
HISTOIRE de France depuis l'Etabliſſement de la
Monarchie , jufqu'au régne de Louis XV. 83
NOUVEAU Choix de Piéces tirées des anciens
Mercures & des autres Journaux •
par M. De la Place.
ANNONCES des Livres nouveaux.
103
108 &fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADEMIES.
EXTRAIT des Mémoires de l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles Lettres . 133
EXTRAIT de la Séance publique de l'Aca240
MERCURE DE FRANCE.
dèmie des Sciences & Belles-Lettres de Dijon . 138
SEANCE publique de la Société Littéraire
d Arras.
HISTOIRE NATURELLE.
SECONDE Lettre de M. Jauffin &c.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES .
AGRICULTURE.
LETTRE de M. de Maffac , Receveur Général
des Fermes du Roi , Abonné au Mercure
, à M. De la Place.
GEOGRAPHIE .
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
CHYMIE.
CHIRURGIE .
146
149
157
165
166
HÔPITAL de M. le Maréchal Duc de Biron. 167
LETTRE de M. le Maître , Tréforier Général
de l'Artillerie , à M. Keyfer. 169
•
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE. 179
A MM: les Académiciens de Peinture , Sculpture
& c. 182
ART. V. SPECTACLE S..
OPERA . 185
COMÉDIE Françoife.
188
COMEDIE Italienne. 212
OPERA COMIQUE.
214
CONCERT Spirituel .
216
SUPPLEMENT à l'Article de la Com . Franç . 217
LETTRE a M. de la Garde.
ART. VI. Nouvelles Politiques.
MARIAGE.
MORTS.
AVIS.
218
220
230
ibid.
238
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY .
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
JUILLET. 1761 .
PREMIER VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine
Shus
Papillon Seuly.
Certain
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis- a-vis la Comédie Françoife.
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Augultins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilige du Roi.
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
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ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure, rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch, à côté du Sellier du Roi .
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remet
tre , quant à la partie littéraire , à M.
DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols piéce .
Les perfonnés de province auxquelles on
onverra le Mercure par la pofte , payerone
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir,ou qui prendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume,
c'est-à-dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci- deffus.
A jj
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement enfoit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pièces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
De la Place , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
噪
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET. 1761 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L
EPITAPHE
De M. DE MONTCALM.
ES Troupes Françoifes qui ont défendu
le Canada avec tant de courage pendant
cinq années , defirant d'élever un
Monument à la gloire de M. le Marquis
de Montcalm leur Général , M. de Bougainville
, Colonel d'Infanterie employé
I. Vol.
A iij
MERCURE DE FRANCE.
en Canada , & frère de M. de Bougain
ville de l'Académie Françoife , a écrit à
'Académie des Belles- Lettres pour lui
demander une Epitaphe qui pût être pofée
à Québec dans l'iglife où M. de Montcalm
eft enterré.
LETTRE de M. DE BOUGAINVILLE ,
à l'Académie Royale des Infcriptions
& Belles-Lettres.
MESSIEURS ,
La Gréce & P'Italie étoient pleines de
monumens décernés par la voix publique
aux défenfeurs de l'État : gages immortels
& précieux de la reconnoiffance nationale
, & qui furent , vous le favez ,
une des caufes de cet héroïsme , dont
l'hiftoire ancienne nous offre des traits fi
fréquens. L'envie de les mériter , l'espoir
de les obtenir avoient fait du defir de la
véritable gloire & de l'amour de la patrie,
des vertus communes dans les beaux jours
d'Athènes & de Rome. Si ces monumens
font un des premiers objets de vos études
, la plus noble de vos prérogatives eft
le droit que vous avez , Meffieurs , d'en
confacrer de pareils à ceux de nos concitoyens,
que des qualités rares , des ſervices
JUILLET. 1761. 7
importans , de grandes actions produites
par de grands motifs , ont rendus chers à
la France. La Nation fe repofe fur vous
d'un foin que d'anciennes Républiques
prenoient elles- mêmes : c'eft à vous qu'il
appartient d'acquitter ce qu'elle croit
devoir aux hommes illuftres qu'elle a
perdus , mais qui fe font immortalifés en
la fervant. Le Marquis de Montcalm mé
rite de vous, cet honneur. Il a vêcu trop
peu pour fa patrie ,
patrie , affez pour fa propre
gloire , puifqu'il n'eft mort qu'après avoir
eu le temps & les occafions de manifefter
à nos yeux fes talens , un courage , une
vertu que des épreuves décifives & de
plus d'un genre ont mis dans tout leur
jour. Nos ennemis , en même tems qu'ils
prodiguoient les témoignages éclatans de
la plus haute eftime à leur Chef tué dans
la même affaire , ont , comme nous,pleuré
notre Général. Les habitans de leurs
Provinces , dont le nom de Montcalm fut
la terreur , ont mêlé leurs regrêts aux
farmes des Soldats dont il étoit le père
& l'exemple. Les Anglois, maîtres aujourd'hui
des lieux où les cendres repoſent ,
veulent bien nous y laiffer le droit d'y
rendre un hommage public à la mémoire
d'un homme qu'ils honorent autant que
A iv
S MERCURE DE FRANCE.
nous le regrettons. Le corps du Marquis
de Montcalm eft dépofé dans l'Eglife des
Urfulines à Québec : une Infcription
manque à fa tombe. Prêtez , Meffieurs ,
votre voix à la jufte douleur des troupes
qu'il commandoit , aux regrêts amers des
Canadiens qu'il a défendus , & aux fentimens
que lui doit à jamais fa Nation. Je
fuis , Meffieurs & c. DE BOUGAINVILLE.
L'Académie des Belles- Lettres , pour
remplir les defirs des Troupes Françoiles,
& nous pouvons dire , les voeux de la Nation
, a compofé l'Epitaphe fuivante :
HIC JACET
Utroque in orbe æternum victurus
Ludovicus Jofephus de MONTCALM GÖZON
Marchio fancti Verani , Baro Gabriaci
Ordinis fancti Ludovici Commendator
Legatus Generalis Exercituum Gallicorum
Egregius & Civis & Miles
Nullius rei appetens præterquam veræ laudis
Ingenio felici & litteris exculto
Omnes Militiæ gradus per continua decora
emenfus
Omnium Belli Artium , temporum , difcriminum
gnarus
In Italia , in Bohemia , in Germania
Dux induftrius
JUILLET. 1761 . 9
Mandata fibi ita femper gerens ut majoribus
par haberetur
Jam clarus periculis
Ad tutandam Canadenfem Provinciam miffus
Parva militum manu Hoftium copias non femet
repulit
Propugnacula cepit viris armifque inſtructiſſima
Algoris , inediæ , vigiliarum , laboris patiens
Sais unicè profpiciens , immemor ſuî
Hoftis acer , Victor manfuetus
Fortunam virtute , virium inopiam peritiâ &
celeritate compenſavit
Imminens Coloniæ fatum & confilio & manu per.
quadriennium fuftinuit
Tandem ingentem Exercitum Duce ſtrenuo &
audaci
Claffemque omni bellorum mole gravem
Multiplici prudentiâ diu ludificatus
Vi pertractus ad dimicandum
In primâ acie , in primo conflictu vulneratus
Relligioni quam femper coluerat innitens
Magno fuorum defiderio nec fine hoftium mærore
Extinctus eft
Die XIV Septemb. A. D. MDCCLIX . ætatis XLVIII
Mortales optimi ducis exuvias in excavatâ humo
Quam globus bellicus decidens diffilienfque
defoderat
Galli lugentes depofuerunt ,
Er generofæ hoftium fidei commendarunte
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
M. DE BOUGAINVILLE a envoyé
cette Epitaphe à M. PITT , & y a
joint la Lettre fuivante.
MONSIEUR ONSIEUR ,
Les hommages rendus fous votre miniftère,
à la mémoire de M. Wolf, me font un
garant, que vous ne défapprouverez point
les éfforts fait la reconnoiffance des que
Troupes Françoifes, pour perpétuer le fouvenir
du Marquis de Montcalm . Le corps
de ce Général , honoré par les regrets de
votre Nation , eft inhumé à Québec . J'ai
l'honneur de vous envoyer une Epitaphe
quel'Académie des Infcriptions a faite pour
lui . Je vous prie , Monfieur , de vouloir
bien l'examiner ; & , s'il n'y a point d'inconvénient
, de me faire obtenir la permiffion
de l'envoyer à Québec , gravée fur
un marbre qui foit pofé fur la tombe du
Marquis de Montcalm . En cas que cette
permiffion nous foit accordée , oferois - je
vous fupplier , Monfieur , d'avoir la bonté
de me le faire favoir , & de m'envoyer en
même temps un paffeport , pour que le
marbre gravé foit reçu à bord d'un vaiffeau
Anglois , & que M. Murray , Gouverneur
de Québec , permette qu'il yfoit
JUILLET. 1761. Ir
placé dans l'Eglife des Urfulines ? Je vous
demande pardon , Monfieur , de vous détourner
pour un objet étranger à vos importantes
occupations ; mais c'eſt vous
rendre hommage , que de chercher à immortalifer
les hommes illuftres & less
grands Citoyens.
Je fuis avec refpect &c..
DE BOUGAINVILL
A Paris, ce 24 Mars 1761 .
REPONSE de M. PITT à M. de Bou
MONS
GAINVILLE..
ONSIEUR,
Ce m'eſt une vraie fatisfaction de pous
voir vous envoyer l'agrément du Roi fur
un Sujet auffi intéreffant qu'eft l'Epitaphe,
qui eft d'une beauté achevée , que l'Académie
des Infcriptions de Paris a faite pour
M. le Marquis de Montcalm , & qu'on
defire d'envoyer à Québec , gravée fur une
marbre , qui doit être pofé fur la tombe
de cet illuftre Militaire . On ne peut qu'applaudir
à la nobleffe des fentimens dess
Troupes Françoiſes , qui ont fervi en Canada
, en voulant rendre un pareil tribuz
à la mémoire de leur Général , qu'elless
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
ont vu mourir à leur tête d'une manière
digne d'elles & de lui - même.
Je me ferai un plaifir , Monfieur , de
faciliter en toutes chofes, des intentions fi
refpectables ; & d'abord qu'on me fera
favoir les arrangemens qu'on aura pris
pour faire embarquer ce marbre , je ne
manquerai pas de vous faire parvenir auffitôt
le paffeport que vous defirez, & d'envoyer
au Gouverneur de Québec , les ordres
pour fa réception.
Au refte , Monfieur , je vous fupplie
d'être perfuadé de ma jufte fenfibilité
fur ce qu'il y a de fi obligeant à mon
fujet dans la Lettre dont vous m'avez honoré
, & de croire que je faifis comme un
bonheur, l'occafion de vous témoigner les
fentimens d'eftime & de confidération
diftinguée , avec lefquels j'ai l'honneur
d'être & c. W. PITT.
A Londres , ce 10 Avril 1761 .
A M. FAV ART , fur fa Comédie de
SOLIMAN SECOND.
TOI , qui fais embellir la raiſon ,
Par les attraits d'une fage folie ;
Répandre dans les ris & les jeux de Thalie
Un précepte fublime , une utile leçon ;
Louant nos bons ayeux , & leur vieille méthode ,
JUILLET. 1761 . 13 .
Cenfurer avec art dans un couplet faillant ,
L'étiquette du jour , & les airs à la mode ,
Poëte ingénieux , Philofophe amuſant ,
Favart , tu vois tes lauriers & ta gloire ,
Fleurir & croître tous les jours :
Ta Muſe vole au Temple de Mémoire
Sur le char léger des Amours.
Quelle beauté nouvelle,orne ton nouveau drame !
Le père du plaifir , l'intérêt en eft l'âme ;
De ce joli roman , dans tes mains animé
Un fil imperceptible enchaîne les parties :
Sous fon coloris propre on voit tout exprimé.
Le génie étincelle à travers les faillies.
Quelle douce langueur , & quelle volupté
Dans les foupirs de la tendreſſe !
Dans l'effor de la liberté ,
Quelle grandeur ! quelle mâle nobleffe !
Dans le propos léger de la frivolité ,
Quel fourire malin , quelle délicateffe !
Les Muſes , les Vertus , les Grâces & l'Amour ,
T'ont remis leur pinceau , l'ont guidé tour-à-tour.
Que j'aime à voir ce Defpote fuprême ,
Le Vainqueur de l'Afie , un Sultan orgueilleux
Dépofer du Croiffant le faſte ambitieux ;
Ce fier tyran des coeurs , reconnoître lui-même
Le prix du fentiment , & de l'égalité i
Et chercher la félicité
14 MERCURE DE FRANCE.
Dans les plaifirs de l'innocence ,
Et non dans la brutalité
D'une groffière jouiffance ;
Au milieu d'un Serrail , Temple de la licence ,
Des ennuis dévorans triſte & ſombre féjour
Qui raffemble un troupeau de Belles ,
Auffi peu tendres que cruelles
Et qui ne vit jamais les Autels de l'Amour..
Fière Espagnole , aimable Elmire
Tes attraits touchans , ta fraîcheur ,
Et ton langage féducteur ,
Sur une âme fenfible , ont un puiffant empire..
Dans tes fers , Soliman foupire
Aux yeux de l'Amant plein d'ardeur ,
Déjà l'Amante eft fans égale.......
Mais je vois fa rivale.
La jeune Roxelane , en fa vive gaîté ,
Légère avec raiſon , frivole avec ſageſſe ,
Eſclave avec grandeur , & fière avec tendreſſe
Aimant par fentiment , & non par vanité ,
Plaît d'abord , intéreffe ;
Et bientôt fubjuguant l'Empire & l'Empereur ,,
Fair pancher la balance ,
Et du Prince incertain fixe enfin l'inconftance ,
Sur fon Trône avec elle en plaçant le bonheur...
Du beau Sexe François la Sultane eft la gloire ;
Et vous avez fenu , Belles , votre victoire.
JUILLET. 1761 . 15
Et de là ce concours , ces applaudiffemens
Donnés avec tranſport à la Muſe adorable
Dont l'art inimitable
De fon heureux époux feconde les talens ,
Et fait prêter encor de nouveaux agrémens
A. fon efprit aimable..
Pouvoit- elle manquer de mettre dans fon jeu
Du vrai , du naturel , & de l'âme & du feu ?
Dans Roxelane elle voit fon image ;
Son caractère & tendre & généreux ;
Son efprit délicat , fon léger badinage ,
Sa franchiſe furtout & fon coeur vertueux..
Le Poëte avec avantage
Se prépare un fuccès flatteur ,
Lorfque fes écrits font l'ouvrage
Moins de l'art que du coeur ;
Qu'il trace fes portraits fur l'objet de ſa flâme ;;
Ou qu'il peint dans les vers les vertus & ſon âme,
Favart , ainfi ton triomphe eft complet.
En vain ta noble modeſtie
Veut renvoyer tout l'honneur du Sujet
A l'Auteur qui le dut à ſon fécond génie.
Marmontel eft trop grand pour vouloir l'accepter,
Pour ôter un rameau , d'une main envieuſe ,
Au laurier qu'a cueilli ta Muſe ingénieuſe.
Qui paffe fon modéle auroit pû l'inventer.
Tel ce Peintre divin ?, cet Artifte fublime
17 MERCURE DE FRANCE
Le célébre Vanloo , s'il voit un beau deſſein
Qui décéle à fes yeux le crayon du Pouffin ;
Son génie échauffé le faifit & l'anime :
D'un brillant coloris & d'un hardi pinceau
Déployant auffitôt la force & la magie ;
Sa main fait lui donner une nouvelle vie ;
Il devient créateur ; c'eft à lui le tableau.
Cos ***
A Madame SEGUIER , Marquise de
Remigny , étant dans fon Château de
S. Franchis en Nivernois.
J'Ar différé longtemps , vertueuſe Seguier , AI
A venir ici vous payer
Le tribut de mon jufte hommage.
Le ton de hauteur , de fierté ,
Par malheur pour l'humanité ,
Dans les Maiſons des Grands un peu trop en uſage,
Prêt d'entreprendre le voyage ,
M'avoit conftamment arrêté.
Inftruit du naufrage
Que fur cette plage
Fertile en rochers ,
Ont fait maints nochers ,
Pleins d'art , de courage ;
De peur de luter
Contre quelqu'orage ,
JUILLET. 1761 .
Je n'ofois quitter
Les bords du rivage .
J'errois , à cet air de bonté ,.
De douceur , d'affabilité ,
Qui régle tout ici , façons , humeur , langage
Bien mieux encor à ce ton de gaîté ,
De faillie , & de badinage ,
Dont l'attrait flatte , excite, engage ,
Et fait régner partout l'efprit de liberté.
Je fens combien j'eus tort d'avoir tant hésité ;
Et je condamne en moi le fentiment fauvage
D'une fotte timidité
Qu'un rien étonne & décourage.
Mais lorsque d'un autre côté ,
Occupée à l'écart , à broder quelqu'ouvrage ,
Je vous vois , écoutant avec tranquillité ,
Peſant tout au poids fûr d'un goût fin ,juſtë & fage,
Sentir dans le propos , ce qui n'eft qu'étalage ,
Apparence , frivolité ,
Et n'accorder votre fuffrage ,
Qu'au bon fens , qu'à la vérité ;
'Ah ! je pardonne alors à ma rufticité 3
Et je fens que , par vanité ,
J'aurois dû tarder davantage .
Par un Curé du Nivernois.
Le Mars 1761 .
18 MERCURE DE FRANCE.
EPITRE à Mlle de P ......
I E volage & tendre Zéphire
Chaffe la faifon des frimats ;
Le Printemps traîne für fes pas
Le Plaifir , par qui tout refpire ,
Et déjà fon naiffant empire
Séme les jeux & les appas.
Bientôt la Nature riante ,
Plus active , & plus diligente ,
Va faire éclore mille fleurs ;;
Et déjà Thémire plus belle
Sur une conquête nouvelle
Lance des traits toujours vainqueurs.
En vain ce Spectacle agréable
↓
S'apprête à briller à mes yeux ,
Du cruel ennui qui m'accable ,
J'aime le poifon odieux.
Par quelle fatale puiſſance
Vois-je donc flétrir mes beaux jours 2
Une léthargique indolence
S'armant contre mon exiſtence ,
Va-t-elle en abréger le cours ?
Un trouble , une langueur extrême-
Dans les bras du fommeil lui-même
M'arrache de fombres regrets.
Abreuvé de fiel & de larmes,
JUILLET. 1761 . 19
Ne pourrai je donc déformais
Retrouver ces jours pleins de charmes
Que donnent le calme & la paix ?
Tout me laffe , tout m'importune ,
Mon coeur en ce triſte ſéjour ,
Peu touché des feux de l'amour ,
Et des grâces de la fortune ,
Les cherche & les fuit tour- à-tour.
Depuis qu'une étoile maudite
Vous a fait quitter nos climats ,
Cette terre ingrate & profcrite
Ne me préfente plus d'appas;
C'est vous dont les grâces touchantes
Sur ces demeures peu charmantes
Fixoient mille agrémens divers.
Oui , c'eft votre image chérie ,
Qui dans ma tranquille patrie
Me faifoit trouver l'Univers.
Il n'eft plus d'erreur agréable
Qui puiffe régner fur mes fens ;
La Sageffe peu fecourable ,
M'offre en vain fes foins impuiffans
L'ardeur , la flâme la plus vive ,
Ne paroît à mes yeux diſtraits ,
Qu'une illufion fugitive ,
Qui le détruit par fes progrès.
Une tendreſſe paffagère
Ne remplit jamais le defir ;
La Raiſon grondeuſe & ſévère ;
20 MERCURE DE FRANCE
Loin de moi bannit le plaifir.
Une lente mélancolie ,
Seule arbitre de mes deſtins ,
De la Sageffe à la Folie
Proméne mes voeux incertains.
Moi-même , auteur de mon fupplice ,
Voltigeant au gré du caprice ,
Et d'un coeur toujours agité ,
Dans les accès de mon délire ,
J'aime & je détefte l'empire
Du Faux & de la Vérité.
Que fais-je ? & quel charme m'abuſe
Pourquoi ces tragiques accens ?
Eft-ce donc pour vous que ma Muſe
Doit former des fons languiffans ?
Ah ! puiffent les plaiſirs en foule ,
Du temps rapide qui s'écoule ,
Remplir vos inftans fortunés !
Mais , s'il le peut , malgré l'abfence ,
Qu'aux dépens de votre conftance
Vos voeux ne foient point couronnés.
Par M. AUD... Juge Royal de Barjals en
Provence,
JUILLET. 1781. 27
LETTRE à Madame *** ,
A LA réſerve des lettres de complimens
qui font trop frivoles , & des lettres d'affaires
qui font trop ennuyeufes , toutes
les autres ont pour objet de fatisfaire un
fentiment. Celui qui me conduit aujourd'hui
, Madame , & dont je fuis occupé
depuis longtemps, c'eft la vénération. Ôn
ne me croiroit pas dans mon bon ſens , fi
l'on avoit que j'adreffe cette vérité à une
veuve de vingt- deux ans , charmante pour
la figure & l'efprit . Vous êtes peut- être
étonnée vous- même de cette façon de s'exprimer.
Mais pour vous prouver que
le
terme eft convenable , & que je ne fuis
aveuglé par aucune illufion , je vais vous
préfenter votre portrait , ou plutôt vous
rappeller ce qui vous eft arrivé. La candeur
de votre âme & la fimplicité de vos
procédés me perfuadent que vous ne vous
voyez point telle que vous êtes ; & plufieurs
détails de votre propre conduite vous
ont non feulement échappé , mais ne vous
ont laiffé aucune impreffion.
Permettez moi de vous rappeller que
vos charmes & tout ce que vous promettiez
à l'esprit d'un homme fage & éclairé ,
21 MERCURE DE FRANCE
engagérent il y a quelques années mon
ami à vous époufer : quoique fa condition
fût fortable , il parut faire votre fortune
aux yeux du monde groffier , tandis qu'il
vous a dû le bonheur complet des dernieres
années de fa vie. Vous avez vécu avec
lui fans amour , mais avec une fatisfaction
& une égalité parfaite. Votre coeur étoit
rempli d'un fentiment dont votre conduite
étoit la peinture ; agréable pour fes
amis , aimable pour lui . toujours égale ,
attentive avec efprit , animée d'une reconnoiffance
intérieure , rien ne vous a
coûté pour lui plaire ; vous n'avez jamais
paru fentir le devoir ; il a toujours pris
l'apparence du plaifir.Enfin vous avez perdu
un ami ; les larmes & les cris n'ont
point exprimé vos regrets ; ils ont été renfermés
. Touchée dans le filence , fenfible
avec verité, vous avez porté tous vos fentimens
fur le fils qu'il vous a laiffé ; & pour
le mettre plus en état de foutenir le nom
de fon père , vous vous êtes reléguée fans
aucun éclat , dans une terre éloignée de
vos parens & de vos connoiffances ; vous
y vivez fans autre objet que l'éducation
d'un enfant de deux ans , qui même n'avoit
point été nourri chez vous; la reconnoiſſance
feule & le fouvenir d'un ami tel que
fon père , vous ont déterminée. Vous réuJUILLET.
1781 . 23
niffez donc les deux qualités rares de fem
me charmante , & d'honnête homme ;
vous méritez par conféquent la vénération
de ceux qui vous connoiſſent.
Voilà le foulagement que je n'ai pu
me refuſer , en exécutant la prière que
Vous venez de me faire , de vous écrire
quelquefois ; je la regarde comme un ordre
: combien de gens la regarderoient
comme une faveur ? Pour moi , qui viens
de vous prouver combien vos fentimens
& votre caractère me font connus ; je vois
dans la préférence dont vous m'honorez .
le defir raifonnable de ne point rompre
tout commerce avec les vivans , & le
projet fenfé d'admettre des idées nouvelles
dans une folitude qui ne peut être
toujours occupée . J'approuve d'autant
plus ce parti, que non feulement à un âge
comme le vôtre , mais à tous les âges , il
ne faut fe livrer à aucun excès , & que celui
de la retraite eft le plus dangereux ,
fur- tout pour une ame fenfible . Mon expérience
& vos bontés me permettent de
vous parler avec fincérité : votre coeur eft
né tendre ; il ne s'eft encore livré qu'à l'amitié
, le moment de l'amour n'a point
encore paru ; peu de gens fe font vantés
de l'avoir évité ; craignez vous fur ce
point ;je puis vous affurer que vous aime
24 MERCURE DE FRANCE
riez peut - être
être trop bien pour le ton qui
régne dans le monde ; & ce ton me feroit
defirer que vous en fuffiez témoin au
moins une partie de l'année. Il eft fi peu
dans la nature ce ton pervers , qu'il eſt
aifé d'en perdre la mémoire ; enfin cette
raifon eft la plus forte de celles qui me
font craindre votre folitude. Je fais que
vous avez toujours lû les Romans ; j'ai
même appris avec plaifir , qu'on vous envoyoit
les nouveautés qui paroiffent en
ce genre. Née fage , & capable de réfléxion
, leur lecture peut vous fervir à éviter
le danger de l'expreffion des fentimens
; mais vous avez à redouter l'impreffion
d'une figure nouvelle , toujours
plus forte , quand le coeur & l'efprit ont
été longtemps fans être diffipés ; malgré
la rareté de ce qu'on appelle un coup de
foudre , cette révolution n'eft pas fans
exemple.
Je ne vous fais pas d'excufe fur le ton
qui régne dans cette lettre . J'ai l'honneur.
d'être connu de vous ; en m'ordonnant de
vous écrire , vous avez prévu que je fuivrois
mon caractère : j'avoue cependant
que votre lettre m'a pris au dépourvû ; je
fuis peu curieux , & j'ignore dans ce moment
les nouveautés amufantes , mais je
les faurai dans la fuite ; & mes lettres
feront
JUILLET. 1761 . 25
feront moins dogmatiques. Pour vous
prouver cependant le defir que j'ai de
répondre à vos bontés , je vais vous rapporter
une expreffion de conftance & d'amour.
Elle m'a paru plus vive & plus délicate
que celles des Romans ordinaires.
En cherchant il y a quelques jours une
bagatelle dans les voyages de la Hontan,
le hazard me préfenta le récit qu'il fait
d'un Officier François qui s'exprimoit
dans les termes les plus paffionnés pour
toucher une femme fauvage qu'il trouvoit
fort à fon gré . Cette femme après
l'avoir écouté fans l'interrompre , lui dit
avec douceur & naïveté , l'ami qui eft devant
mes yeux m'empêche de te voir.
Il feroit auffi ridicule que déplacé de
s'étendre avec vous , Madame , fur les
graces & la fingularité d'une réponſe dictée
par la feule vérité du fentiment. Je
finis cette longue lettre en vous affurant
combien je fuis touché & flatté du ſouvenir
dont vous m'avez honoré.
1. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de Madame la Marquise de la'
G... à M. D. R... Confeiller au Par
lement de Toulouse.
J'AI AI reçu votre lettre , Monfieur ; je n'y
répondrai pas , il faudroit avoir un ſtyle
auffi brillant, auffi agréable que le vôtre ;
contentez - vous de quelques réflexions
qui m'échappent , & qui font pour vous
feul. Je compte fur votre indulgence &
fur votre amitié.
La bonté du coeur ſemble un mérite inutile ,
R.... de nos jours , elle n'eſt d'aucun prix :
On peut être mordant , envieux & futile ,
Perfiffler l'Univers , voir tout avec mépris ,
Végérer fans talens , penfer en imbécille ,
Pourvu qu'on foit joueur ; c'eft la commune loi.
A mes fages confeils deviens un peu docile ,
Ne vante plus le goût , & ce je ne fai quoi ,
Qu'à la beauté jadis on crut fi néceſſaire ;
Les aveugles mortels en font trop peu de cas ,
Pour être fûr de féduire & de plaire ,
› Il ne faut que des airs , des mines , du fracas.
Un Commerce flatteur d'égards & de tendreſſe ,
Fut de mode autrefois dans la fociété ,
Le plaifir s'y rendoit guidé par la fagelſe ;
Il n'en eft plus de même & la caufticité
JUILLET. 1761 : 27
De nos cercles brillans , bannit la politeffe ;
L'Ennui s'atfied ſouvent près de la dignité ,
On vous déchire enfin , alors qu'on vous careffe.
Hélas ! on paffe tout à la frivolité !
Oui,l'homme du bon ton , qui trompe fa maîtreffe
Qui manque à fes amis, n'eft pas moins refpecté.
Sur ces travers s'il m'échappe un murmure,
Si j'ofe me placer au nombre des Cenfeurs ,
Du monde entier pourtantce n'est pas la peinture.
Je connois des vertus , je fai qu'il eft des moeurs ;
Aux plus fertiles champs qu'on laiffe fans culture ,
Il naît également des chardons & des fleurs ,
Et l'art doit quelquefois corriger la Nature.
Le Ciel te prodigua les plus grandes faveurs ,
Le plus heureux génie , un caractére affable :
De ces rares préfens , ne cache pas les fruits ;
Célèbre dans tes vers quelque orgie agréable ;
Eclaire-nous toujours par de doctes Ecrits :
Mais fouviens - toi que loin de tes amis ,
Il eſt trop dangereux de fe montrer aimable.
Je ne me charge pas , Monfieur , de faire
vos commiffions près de tous ceux qui vous
aiment, ce feroit trop d'ouvrage en un jour ;
revenez auplutôt .Je fuis perfuadée que je
partagerai avec bien des gens le plaifir de
vous voir & c.
Touloufe, ce 24 Mars 1761.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
LETTRES de MISS HENRIETTE
BUTTLEY , fur différens Sujets & à
différentes Perfonnes . Traduites de
l'Anglois.
AVERTISSEMENT.
Cenom E nom d'Henriette Buttley, fous lequel
on fait paroître ces lettres , eft le nom de
la fille d'une des femmes de la meilleure
Compagnie & des plus eftimées de l'Angleterre.
Il paroît par le tour de fon génie
, & même par celui de fon ftyle, qu'elle
a voyagé en France , & qu'elle y a fair
d'affez longues réfidences. On croit que
le mêlange du caractère national & de
celui qu'elle a pu emprunter de nos Françoifes
, doit piquer la curiofité du Public.
Nous ne donnerons pour éffai qu'une
de ces lettres . Nous avons choisi pour
cela ,celle où elle traite d'une façon trèsneuve
, un point de morale fociale qui
tient à la galanterie. On a pû fuppofer
qu'il feroit affez intéreffant de connoître
fous quel afpect fe préfentent de telles
matières dans une tête femelle Angloiſe
& francifée.
JUILLET. 1761. 29
Pour laiffer toute l'impreffion de l'Original
, on n'a rien changé au texte de
ces lettres en les traduifant . Peut - être
quelques idées paroîtront- elles fingulières
& hardies ; il faudra fe rappeller que
c'eſt une Angloiſe qui écrit. Peut - être
trouvera-t- on ridicule ce que nous appellons
en France , affectation de mots phi
lofophiques ; on fe prêtera alors au ftyle
d'une Angloife Philofophe ; & l'on voudra
bien fe dire qu'un Ridicule à Paris
peut fort bien être un Mérite à Londres.
On a rendu par des équivalens quelques
expreffions qui auroient été baffes dans
notre langue ; d'autres au contraire exagérées.
Ces équivalens pourront encore
paroître à quelques Cenfeurs légers , les
uns trop familiers , les autres trop bourfouflés
on fe reffouviendra que ces lettres
font d'une femme. Enfin on ne jugera
pas définitivement un Recueil , fur
une feule lettre. C'eft ce qui nous engagera
peut-être à en hazarder quelques autres.
A MILEDI CLA **.
EH BIEN ! ma chère Miledi , vous vous
croyez outragée ? Vous voilà furieuſe !
Votre amant vous a écrit d'un con qui
bleffe le refpect dû au beau fexe ? Vous
dénoncez le coupable , vous demandez
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
vengeance & vous préparez , dites - vous ,
les plus rigoureux châtimens ! Je fçais
mieux que vous - même toute cette grande
affaire ; je l'ai examinée comme votre
amie , mais je prononcerai comme votre
Juge. J'ai vu Lord Kerw ... Je fuis certaine
qu'il ne m'en aura pas impofé. Ses
paffions font trop hautes & trop entiéres
pour le cacher dans les petits détours
du menfonge. Je n'héfite donc point à
vous rappeller des faits que vous ne démentirez
pas.
Après une de ces tracafferies que l'Amour
a fi fouvent fait naître entre vous
& le Lord ( fans vous rendre moins chers
l'un à l'autre , ni moins aimables pour
ceux qui vous connoiffent ) il étoit convenu
de s'abftenir le lendemain de vous
voir chez vous. Le prétexte ou la cauſe
de cet exil , étoit l'humeur de votre vieux
oncle , qui n'apperçoit jamais les choſes ,
que quand il ne faut plus les voir. Le
Lord paffe près de votre logis ; il reconnoît
vos porteurs ; vous rentrez chez
vous il y vole. Il avoit fans doute quelque
chofe à vous dire ; car lorfqu'on aime
comme ce Lord , & que l'on eft aimée
comme Miledi Clar ... , l'un des deux
n'a -t- il pas toujours mille chofes à dire ,
& l'autre peut - il refufer de les enten-
:
7
JUILLET. 1761 . 31'
dre Votre porte , qui n'avoit jamais
été fermée pour ce Lord , lui laiffe d'abord
un libre paffage ; mais prêt de pénétrer
jufqu'à votre appartement
, la fimple
& ingénue Charlotte
l'arrête
en balbutiant
que vous n'êtes pas rentrée. Les regards
perçans du Lord, & encore plus, la
vérité que cette fille trahit , l'intimident
& lui font confier qu'elle a ordre de
céler fa maîtreffe
précisément
pour Lord
Kerw ... Celui -ci infifte & dit cependant
qu'il ne veut point violer une configne
qu'il refpecte ; mais fans entrer , il demande
que vous veniez l'écouter
un moment.
L'imprudente
Négociatrice
, étourdie
de tant de nouveautés
, & glacée par
tant de craintes
oppofées
, feint , felon.
vous , d'aller faire le meffage du Lord ; &
pour fe débarraffer
, retourne
fans vous
avoir avertie , lui dire que vous perfitez
à n'y être pas pour lui. Pendant
cette
ridicule
ambaffade
le poftulant
étoit
demeuré
enfermé
entre deux portes.
Quelle fituation , Miledi , pour qui connoît
comme vous Lord Kerw .. ! J'avoue
que le récit m'en a fait frémir pour lui ,
& que j'ai été tentée de vous haïr ; je le
ferois encore aujourd'hui
, fans ce preſtige
inconnu
qui vous attache des amans , &
qui vous conferve
des amis , malgré tou-
,
B iv
92 MERCURE DE FRANCE.
res les mefures que vous prenez pour en
perdre.
C'eft en fortant de cette étrange fcène ,
que tout brulant encore d'amour, de dépit
& de fureur ,vous êtes étonnée que le Lord
Vous écrive une lettre pleine des termes
les plus forts , mais les plus éloignés de
la baffe invective ! Ce font ces termes ,
que j'ai lus , qui vous ont tourné la tête
jufqu'à leur appliquer les plus groffières
interprétations , & jufqu'à vous abaiffer à
confier contre lui votre reffentiment à des
gens que vous auriez dû facrifier au fien.
Qu'avez vous fait , Miledi , de la dignité
que je vous connoiffois dans l'efprit , lorf
que votre coeur l'avoit affocié à celui du
plus galant homme de l'Angleterre ? Depuis
que des circonftances contrariantes
m'ont obligée à vous perdre de vue , j'ignore
un peu l'état de votre Société . Mais
prenez-y garde , Miledi ; le commerce de
certaines perfonnes , & fur-tout de gens
communs par l'efprit , eft comme cest
alimens qui changent le tempérament
avec lenteur , fans que ceux qui en ufent
s'apperçoivent eux-mêmes de l'effet qu'ils
éprouvent. Vous avez voulu humilier
l'homme du monde qui tient de plus près
à votre amour-propre , l'ami de tous les
momens , & l'amant de tout votre êtres
JUILLET. 1761 . $3
c'est vous , Miledi , que vous avez avilie
aux yeux de confidentes capables de
compter de vos foibleffes au profit de leur
vanité. Quoi , vous voilà réduite à reclamer
le ſtupide formulaire de la Bourgeoifie
Françoife , & vous en êtes enfin au refpect
pour les Dames ! on diroit, à vous entendre,
que vous auriez paffé une partie de
vos jours à Paris dans les Sociétés de la
rue S. Denis , ou dans le quartier du Palais,
avec les petites maîtreffes de la baffe robe.
Où pourriez-vous ailleurs avoir puifé des
idées fi folles & fi petites , du refpect que
notre féxe doit exiger des hommes ? n'avez-
vous jamais réfléchi férieuſement fur
le principe de cet ufage , qui met quel
quefois à nos pieds ceux qui fe croyent
toujours nos Maîtres. Ces Maîtres , fort
impérieux dans la réalité,feignent en apparence
de fervir en nous leurs Eſclaves. Jeu
perfide ! qui fait tomber notre pauvre
amour-propre dans tant de piéges , & ne
fert qu'à rendre notre fervitude plus évidente
! vous connoiffez fans doute la Fête
des Rois ? Hélas ! nous ne ſommes en ce
monde , ma chère amie , que les Reines
de la féve. Les Sots & les gens fenfés s'amufent
de cette fiction : mais avec cette
différence qué les premiers , ftrictement
attachés aux régles du jeu , ne ceffent de
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
crier la Reine boit, dès que nous portons la
main au verre , quoique d'ailleurs ils commettent
& difent cent impertinences à
notre égard ; au lieu que les autres oublient
cette formule pour nous entretenir
plus honnêtement . Ceci eft l'image de ce
que je vais éffayer de vous développer.
Les hommes ont en général une idée
de fupériorité fur nous , que rien ne pourra
détruire. Cette idée produit un fentiment
qui, quoiqu'éffentiellement le même
parmi eux , fe modifie différemment , &
diftingue les hommes d'une inftitution
fupérieure d'avec ceux qui , dans quelque
pofition que les ait placés la fortune, traînent
toujours quelques lambeaux de leur
premiere baffeffe . Les premiers regardent
ces maximes & ces pratiques d'hommage
extérieur envers nous , comme une convention
néceffaire à leurs plaifirs , & propre
d'ailleurs à maintenir une certaine Police
dans la Société. En ſe prêtant à cette
convention , mais en ne fe courbant pas
fous fon joug , ils nous admettent par là ,
plus folidement que les autres, à partager
véritablement les droits de cette même
fociété , puifqu'ils ne nous croyent pas incapables
d'en partager les charges . C'eft
ainfi qu'ils nous dérobent la vue des diftances
que le préjugé a établies entre eux
& nous. Si vous aviez bien calculé le fyf
JUILLET. 1761 35
tême d'orgueil des hommes , vous fauriez
que c'eft beaucoup faire pour eux, que de
nous croire quelquefois dignes de les offenfer.
Le reffentiment vif n'eft point une
injure ; il eft au contraire le fupplice de
l'amour - propre pour celui qui l'éprouve.
C'eft dépendre , que d'être irrité par l'action
d'autrui ; & c'eft avouer cette dépendance
, que de s'en plaindre avec aigreur.
Votre Lord n'a donc fait que vous
confirmer une tendreffe mille fois plus
affurée & plus eftimable , par les vérités
dures dont il vous accable , que ne feroient
toutes les fades déclarations d'un
Amant du bas ordre . A quoi fervent, entre
nous , les miférables fineffes dans lefquelles
s'enveloppe la colére , finon à
rendre fes effets moins pardonnables , &
à faire paroître plus petit celui qui la
reffent ? Les gens médiocres découvrent
de cette paffion les plus honteufes parties
, en voulant la couvrir fous le voile
déchiré d'un mépris affecté. Les ames nobles
s'irritent à vifage découvert ; & le
dépit parle en elles fon véritable langage.
Pourquoi, Miledy, nous humilierionsnous
auprès des hommes , jufqu'à vouloir
qu'ils nous difpenfaffent des égards &
même des grands principes de la fociété ?
S'il ne nous convient pas d'en être dif
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
penſées ; fi nous ne pouvons fans rougir
accepter une telle prérogative , quand
nous fentons à quel titre on nous l'accorderoit
; répondez- moi , Miledi , de
quel droit prétendrez- vous qu'un homme
ne vous rappelle pas à ces mêmes devoirs
, à ces mêmes égards , ainfi qu'il en
vferoit avec un de fes pareils , avec un
homme enfin qu'il auroit lieu de croire
lui avoir manqué ? Le beau privilége à
exercer que celui de violer impunément
les loix honnêtes de la politeffe , & les
devoirs facrés de l'amitié ! Quand l'autorité
en ufe , de ce chimérique privilége ,
elle s'abîme dans la baffeffe de la tyrannie.
Que fera- ce donc quand des femmes
auront cette honteuſe prétention ? Elles
iront alors puiſer dans l'ignominie du
néant dequoi alimenter leur extravagant
orgueil. Que ce foit erreur ou raifon , juftice
ou ufurpation , la fupériorité des
hommes exifte & s'exerce réellement fur
nous ; elle n'eſt un problême que pour
quelques femmelettes qui n'ont jamais
fongé à rien. Or un de ces hommes , un
de ces êtres fi fiers , traite au pair avec
vous : & vous en êtes offenfée ! Il vous
éléve jufqu'à lui , jufqu'à fes égaux , par
fes reproches : c'eft alors que vous criez
qu'il vous manque de refpect ! Votre
JUILLET. 1761. 37
'Amant vous avertit , que fans renoncer à
tout ce qu'il connoiffoit en vous de bien
& d'honnête , vous ne pouvez commettre
envers lui une action injurieufe : voilà
ce que vous traitez d'infulte infoutenable
! voilà ce qui vous précipite dans le
défeſpoir le plus indécent ! Par pitié
pour vous - même , Miledy , confidérez les
odieufes conféquences d'une telle façon
d'agir ; & voyez avec éffroi l'abaiffement
où elle vous plongeroit , fi vous y perfiltiez.
Mais je connois Miledi Clar... ; ce
n'eft en elle qu'un fentiment emprunté
de quelqu'ame avilie , adopté fans réfléxion
, & qui n'aura agité qu'un inftant la
fuperficie de la fienne.
Vous trouveriez - vous plus honorée ,
ma trop délicate amie , par cet appas groffier
de douceur & de ménagement , que
certains hommes employent prèfqu'indif
tinctement avec les femmes qu'ils defirent
, comme avec les animaux domeſtiques
qu'ils veulent s'attacher. Convenez
que c'eft une vanité bien fotte , de mettre
de la gloire à fe croire impuniffable ,
parce qu'on nous croit au deffous de la
vengeance. Telle eft cependant cette confidération
des hommes populaires pour
notre fexe. Il n'y a qu'une femme auffi
commune que fes plats adulateurs , qui
38 MERCURE DE FRANCE.
·
puiffe fe méprendre fur la ridicule étiquette
du refpect pour les Dames. Une ame de
la trempe de celle du Lord vous querelle ,
comme ce Lord querelleroit un ami qu'il
craindroit de trouver perfide ou prêt à fe
déshonorer. Il n'a pas befoin pour plaire
de ces bas artifices que les Caillettes appellent
le grand favoir vivre avec les
femmes. Il ne lui faut pas non plus , pour
prendre quelque confidération de lui - même
, s'échafauder fur la diftinction de fon
féxe , il trouve dans fon efprit & dans fon
coeur , des titres bien moins équivoques.
Une femme comme Miledi Cla ... eft
pour un tel homme, une ame de la même
efpéce que la fienne; il en exige les mêmes
fentimens, parce qu'il penfe qu'elle a droit
aux mêmes vertus. Voilà pourtant ce que
Miledi regarde comme une injure ! ces
hommes vils & abjects, ces amans à courbettes
, dont on vous a vanté fi haut les
impudentes politeffes , font au contraire
de petits géans qui ne peuvent établir
leur chimérique grandeur que fur leur
matérielle virilité. Plus ils rampent, & plus
ils nous infultent. Quand ils s'abaiffent
devant nous , ils s'imaginent ne faire que
fe prêter à notre petiteffe. Ces fuperbes
atômes fouflés croiroient nous accabler
du poids de leur exiftence , s'ils fe heurJUILLET.
1761 . 39
toient contre la nôtre. J'ai obfervé foigneufement
les manoeuvres de cette fourmilière
mafculine , je les ai bien étudiés.
Je vous garantis que la feule idée de notre
foibleffe les fait paroître infenfibles à nos
offenſes , & nous établit parmi eux une
efpéce de fauve- garde contre leur vengeance.
Voilà , je vous jure , l'unique motif
de toutes ces foupleffes de leur part ,
de ces foumiffions fi lourdement affectées
, enfin de ces maximes d'un refpect
aveugle & fans bornes pour les femmes ;
ce qui , traduit dans le langage de la vérité
, ne fignifie que la plus complette
négligence pour tout ce que peut produire
notre fexe d'actions ou de fentimens.
Cette découverte eft dure , ma
chère amie ! mais il en faut profiter, pour
ne pas être les dupes de l'efpéce d'hommes
élevés & entretenus dans ces principes
. Ce mépris pour notre fexe , déguifé
en refpect , eft un des caractères auquel
on peut reconnoître l'efprit populaire
fous le fafte impofant de l'opulence . Gardons-
nous de nous en laiffer impofer. Le
Peuple est toujours Peuple , fous quelque
forme qu'il paroiffe , & partout il eft la
fource des fauffes idées & le centre des
inconféquences.
Remontez vers vous-même , Miledi ,
40 MERCURE DE FRANCE.
& vous retrouverez Lord Kerw ... auffi
digne de vous qu'il ait jamais été. N'ou
bliez pas furtout , que pour une femme
honnête , avoir un Amant n'eft point une
action indifférente dans la fociété raiſonnable
. Elle commence par être confidérée
comme une foibleffe . Une femme
fait- elle la foutenir avec une certaine
conftance on s'y accoutume , on la tolére.
Prolonge- t- elle cette conftance audelà
du terme des galanteries ? on va plus
loin , on la refpecte. Vous en êtes précifément
à ce point délicat ; prenez- y garde
: de ce haut point , il n'y a pas de
demi- chûtes. La premiere précipite fans
retour dans le gouffre du mépris ; & je
ne crois pas que ce foit une retraite fort
agréable pour notre vieilleffe. Adieu .
Miledy , vous ferez toujours la plus chère
& la plus tendre de mes amies ; je
defire & je compte fort que vous ne cefferez
jamais d'être la plus refpectable.
Avant deux jours vous me prierez d'engager
Lord Kerw... à me donner la main
pour aller prendre le Thé chez vous.
JUILLET. 1761. 41
VERS à Mile DUBOIS l'aînée , Actrice
de la Comédie Françoife , à l'occafion de
Jon Portrait , peint par l'Auteur.
POUR OUR peindre de tes traits l'affemblage charmant
,
Jenne Dubois , il falloit un Apelle .
Il n'en eft plus ! beauté , grâce , enjoûment ,
Vivacité , nobleſſe , ſentiment ,
Tour eût brillé fous fon pinceau fidéle .
Mais puiſqu'enfin , contente de mon zèle ,
A mes crayons , tu daignes applaudir ;
Par leur fuccès , fe lailfant enhardir ,
Ma Mufe veut du moins achever la Peinture.
Elle ne connoît point la flatteuſe impoſture.
Sur nous les paffions agiffent à ton gré .
A nos regards fur la fcène animée ,
Tout fuit les mouvemens où ton coeur est livré :
Es- tu Didon abandonnée ;
On accuſe avec toi l'impitoyable Enée.
Quand fous tes traits Alzire, Hypermnestre, Idamé,
Sont en bute à de noires trames ,
Le Spectateur émû , pâlit , eft allarmé.
Il ne voit que toi feule , il partage tes flâmes ,
Tes périls , ton effroi , tes foupirs , tes douleurs.
Par d'heureux changemens ramenée à la vie ,
42 MERCURE DE FRANCE.
Voyons- nous triompher la vertu pourſuivie ?
Quelle férénité fuccéde à nos terreurs !
Puiffante illufion ! foit plaifir ou triſteſſe ,
Tu nous fais chérir tes erreurs ;
Mais nous ne te devons , dans cette douce ivreffe
Qu'à l'objet qui nous intéreffe .
De la Melpomène du jour
Sois donc , belle Dubois , l'éléve & la rivale.
Dans l'art , qu'elle ennoblit , perfonne ne l'égale .
Du Théâtre à l'envi foyez l'âme & l'amour.
Suis ces principes vrais qu'inſpire la Nature.
Au triomphe qu'elle t'affure ,
Tu joins encor le charme de la voix ;
Ce talent fut fon premier choix ;
Et c'eft le comble à la Volupté pure
De t'y voir briller quelquefois .
Par un Peintre .
A M. BOUT AUD , au fujet de la
furvivance qu'il a obtenue de la Charge
de Fourier des Logis de la Maiſon du
Roi , dont un defes parens eft pourvu .
DE
MADRIGAL.
E LOUIS , cher Boutaud, la faveur aujourd'hui
Par un titre nouveau t'attache encore à lui.
Honoré d'un bienfait que ton zéle mérite
JUILLET. 1761 43
Permets que par ces Vers ma voix te félicite.
Mais puifque déformais tu marques les logis ,
Tu dois à mes defirs accorder une grâce :
Au rang de tes plus vrais amis
Dans ton coeur marque-moi ma place.
Par M. GUÉRIN DE FRÉMICOURT .
Du 15 Février 1761 .
TRADUCTION libre du Monologue de
SIGISMONDE , tiré de la Tragédie
Angloife intitulée TANCREDE , Acte
V. Scène V.
NFIN te voilà feule , ô femme infortunée !
A d'éternels remords par l'amour condamnée !
De tous les malheureux qu'éveille la douleur ,
Qu'elle agite & pourſuit au milieu des ténébres ,
Quide mon fort cruel, peut atteindre l'horreur ?....
Sigifmonde, entends - tu ces cris fourds & funébres,
Ces fons entrecoupés qui s'élèvent vers toi ,
De tes fermens trahis qui réclament ta foi ?...
De ces vaines terreurs je me croyois exempte ;
La raiſon m'éclairoit & raffuroit mes pas ....
Hélas ! c'eſt de mon coeur que naît mon épouvante
;
* Voyez le Mercurede Février 1761. pag. 38.
44 MERCURE DE FRANCE.
Si Tancréde m'aimoit , je ne frémirois pas.
Je crains... Eh, que crains- tu , victime déplorable ?
Quand l'espoir nous foutient , la crainte eft par
donnable ;
Mais moi j'ai tout perdu, je ne dois plus trembler:
Les larmes & la mort voilà ce qui me reſte....
Toi, qui de ces chagrins faits pour nous accabler ,
Modéres fans efforts l'activité funefte ,
Et fufpens dans l'oubli confolant des malheurs
Jufqu'aux tourmens affreux des Amantes trompées
,
Sommeil je n'attends pas tes paifibles douceurs }
Que faire en ce Palais arrofé de mes pleurs ?
Où fuir ? ... D'un bruit confus mes oreilles frappées....
Je m'abufois.... On vient... Ciel ! quel eft mon
effroi ? ...
Fuyons... Mais quel objet ? ...Je me meurs, c'eſt
le Roi!
ÉPITRE à un jeune Prince. Par M.
DE BOULMIERS.
PRINCE,en qui la raifon n'a point attendu l'âges
A vos jeunes vertus , j'offre un utile hommage s
Pardonnez les confeils que j'ofe vous donner ;
Le zéle les dicta , peut on les condamner ?
Je ne vous trace point des leçons de courage •
JUILLET. 1761. 45
La valeur eſt chez vous le premier héritage ;
Le fang dont vous fortez eſt un gui le certain ;
Le lion n'engendra jamais le foible dain.
Du bonheur de nosjours le premier pas décide s
Prenez l'honneur pour maître & la vertu pour
guide ;
L'honneur & la vertu... de leurs auguſtes mains ,
Les Dieux gravent ces mots dans le coeur des hu
mains ;
Maisde nos paffions les fougueufes chimères ,
En effacent bientôt les facrés caractères .
L'amour vient le premier , par les fauffes douceurs
Nous offrir des regrets ,fous le nom de faveurs.
Bercépar le plaifir dans une douce yvreſſe ,
On s'endort aifément au ſein de la moleſſe ;
Ony boit à longs traits l'oubli de fon devoir ,
Mais le réveil fouvent n'eft qu'un long défeſpoir
Avez- vous fecoué cette honteuſe chaîne ,
Une autre paffion auffitôt vous entraîne.
La gloire vient offrir à vos defirs trop vains ,
Le criminel honneur d'égorger les humains;
Bientôt on vous apprend le grand art dela guerre,
Et comment , par méthode , on ravage la terre.
Puifque l'ambition , l'erreur , la vanité ,
Font de cet art affreux une néceffité 3
Moiffonnez des lauriers au milieu des allarmes ,
Mais qu'ils foient arrofés , moins de fang que de
larmes.
46 MERCURE DE FRANCE:
La victoire au Guerrier doit arracher des pleurs ;
Qui ne plaint les vaincus, mérite leurs malheurs ;
Du titre de vainqueur , en vain il ſe renomme,
Il fe croit un Héros , il n'eft pas même un homine.
Mais s'il daigne effuyer les pleurs des malheureux,
Sa feule humanité le met au rang des Dieux.
De ces Rois bienfaiſans , il en eſt un encore ,
L'Univers le refpecte , & fon Peuple l'adore ;
Du bien de fes Sujets , ce Monarque animé ,
Préfére au nom de Grand , celui de Bien- Aimé.
Mais ces Rois , direz -vous , enfans de la Victoire ,
Dont les noms font gravés au Temple de Mémoire,
Sur cent Peuples foumis , leur bras victorieux ,
Rend leur régne tranquille autant que glorieux ?
L'apparence vous jerte en une erreur profonde ;
Il n'eft point de repos pour ces Tyrans du monde
Et la garde qui veille autour de leurs Palais ,
Aux foucis dévorans n'en ferme point l'accès.
Sous leurs lambris dorés les ennuis , la triſteſſe ,
Même au fein des plaifirs , les accable fans ceffe.
La crainte , les terreurs , l'effroi , le noir chagrin ,
Se font jour à travers de leurs portes d'airain ;
Une fecrette horreur qui les fuit fur le Trône ,
Leur montre un Dieu vengeur qui briſe leur Couronne
;
Les Filles de l'enfer augmentent leurs tranſports ,
Et verfent dans leur fein le poiſon des remords.
JUILLET. 1761. 47
A leurs coeurs déchirés par les mains des Furies
Les douceurs de la paix , pour jamais font ravies ;
De ces fiers Conquérans , tel eft le fort affreux ,
Tel eft l'état cruel , s'ils ne font vertueux;
En vain par vos travaux feriez-vous un Alcide ,
Si dans tous vos exploits , la vertu ne vous guide.
Mais les devoirs des Grands ſont donc bien rigoureux
?
Le moindre écart les perd ; le Peuple eſt plus heu-
1 reux.
Quoi,dans l'erreur toujours l'apparence vous jette !
De la Thiarre au Froc , du Sceptre à la Houlette ,
Le mortel mécontent trompé par fes deſirs ,
Ne voit en lui que peine , en autrui que plaifirs.
Prince, foyez content du fort qui vous fit naître,
Il ne vous fit pas Roi , foyez digne de l'être ;
L'ambition jamais ne conduit au bonheur ;
Il n'eft point fous le dais , il eft dans notre coeur.
Chacun peut le trouver dans ce qui l'environne.
La fortune le montre & la vertu le donne,
Par les divers befoins que l'homme éprouve en
lui ,
Elle enfeigne à fon coeur à foulager autrui ;
C'eſt
pour
nous entr'aider
que
le Ciel nous fit naf
tre ;
Qui ne fait des heureux, n'eft pas digne de l'être.
Mais que l'art d'obliger , eft un art délicat !
Un bienfait mal-adr oit , ne produit qu'un ingrat
48 MERCURE DE FRANCE
En répandant les dons , une ame vertueufe
Sait cacher avec foin une main généreuſe.
D'un coeur névraiment grand , c'eſt la premiere
loi.
La vertu pour témoin , n'a beſoin que de fois
Et fans s'inquiéter de la reconnoiffance ,
Le plaifir du bienfait devient fa récompenſe.
Enfin par fes confeils éclairant nos deſirs ,
La vertu fait pour nous le choix de nos plaiſirs ?
Des folles paffions , elle détruit les charmes ,
Et pour en triompher , elle donne des armes.
Elle tient lieu de tout , c'eſt un préfent des Cieux ,
C'eſt le tréfor du Sage : en l'accordant , les Dieux
Scurent nous enfeigner par leur bonté ſuprême ,
Le moyen d'être heureux,fans fortir de foi-même.
EN VOI.
Efclave de ton rang ma Muſe intéreſſée ,
PRINCE , ne t'offre point un encens impoſteur ;
Le plaifir de t'inftruire a féduit ma pensée ,
Quand celui de t'aimer eft entré dans mon coeur,
JUILLET.
1761 .
49
A M. le
Marquis de
Bussy , fur fon
mariage avec
Mlle DE
CHOISEUL.
VOUS ous avez fû fervir votre Prince , & ce Roi
Qui tient dans l'Inde fous fa loi
Les plus beaux
diamans du
monde.
Vous
fouliez près de lui ces
Aftres fous vos pas ;
Mais tous les
trésors de
Golconde
Ne vous
récompenferoient pas.
La Beauté que
l'hymen a remiſe en vos bras ,
Étoit le vrai tréfor , étoit le prix infigne
Dont le
courage & le zéle étoient dignes.
Par la
MUSE
LIMONADIERE.
L'AMOUR
DÉGUISÉ ,
FABLE.
QUAND
Cupidon veut jouer
quelque tour ,
C'eſt à coup sûr un tour de
maître ;
Je le
rencontrai
l'autre jour :
Où ne
trouve-t-on pas
l'Amour?
Heureux qui peut le fuir dès qu'il le voit
paroitre !
Il s'étoit cette fois
tellement
déguiſé ,
Que fans fon air fin & rufé ,
Je n'aurois pu le
reconnoître,
I. Vol.
C
fo MERCURE DE FRANCE.
A petit bruit , en tapinois ,
Il cheminoit fans are & fans carquois ,
Sans les traits pour lancer aux Belles ;
Je l'examine & j'apperçois
Qu'avec foin il cachoit fes aîles.
Au lieu d'avoir les yeux couverts de fon bandeau,
Sa tête étoit de roſes couronnée ;
Dans fes perfides mains il tenoit un flambeau
Qu'on auroit pris pour celui d'hyménée.
Il vous tendra quelque piége nouveau ,
Philis , méfiez-vous de ce faux étalage :
Telle en effet a longtemps été fage ,
Qui donne enfin dans le panneau ,
Par l'efpoir feul du mariage.
Par M. L. A. L. B.
EPITRE , par M. P ***.
Oui , Damis , la Philoſophie
UI ,
A pour moi de puiffans attraits :
Heureux qui peut paffer la vie ,
A l'étude de fes fecrets.
Mais fans parler de la morale ,
Qui dans fes principes conftans ,
Fut & fera toujours égale
Pour tous les lieux , pour tous les temps ;
Sans parler de l'art ſophiſtique ,
JUILLET. 1761 : S
Mis enoeuvre par la Logique ;
Art par la raiſon inventé ,
Qui la féduifant elle-même,
Soutient à l'appui d'un dilême ,
L'erreur comme la vérité ;
Laiffant cette Science obſcure ,
Où le Métaphyficien
Se met l'efprit à la torture ,
Raifonne , écrit à l'aventure ,
Et prouve enfin qu'il ne voit rien ;
Les divers objets où s'attache
La Phyfique , dont l'oeil
perçant ,
Va toujours approfondiſſant
Ce que la Nature nous cache ,
N'ont pas pour moi le même prix ;
Et je ne fus jamais épris
D'une découverte futile ,
Fruit de la curiofité ;
Je veux que tout méne à l'utile ,
Et ferve à la fociété.
Il eſt beau , merveilleux fans doute ,
De tracer , d'indiquer la route
Que les Aftres tiennent entr'eux ;
Quels mouvemens fait fur fon axe
Notre petit globe terreux ;
De connoître la parallaxe
Par des calculs profonds , certains ,
De ces Cométes vagabondes ,
Cij
SE MERCURE DE FRANCE.
Qui vont parcourant tous ces mondes
Inconnus aux yeux des humains !
J'admire ces grands interprètes
De l'Algébre , idiome obfcur ;
Qui fixent dans un degré fûr ,
Des orbes les forcesfecrettes ,
Centrifuges ou centripetes ,
Des corps la gravitation ,
Et déterminent des Planetes
La réciproque attraction .
Par des calculs prèſqu'incroyables
Que feuls ils ont l'art de chiffrer ,
Ils favent enfin meſurer
Les grandeurs incommenfurables,
Quels mortels plus audacieux ,
Lalffant à leurs favans confrères
L'honneur de s'élever aux Cieux ,
D'en parcourir toutes les fphères
Ofent d'un regard curieux ,
Que guide un imprudent génie ,
Percer jufqu'aux premiers momens
Dù l'on vit naître l'harmonie
Qui régne entre les Elémens .
Tout exifte , de tous les temps,
Dit l'un , la matiére incréée ,
Eft d'une éternelle durée.
L'autre débrouillant le cahos ,
Voit tout s'arranger & tout naître ,
JUILLET. 1781 .
Il affigne , il donne à chaque être ,
Le mouvement & le repos .
Et bientôt nouveaux Encélades ,
Ils vont au Ciel , livrant affaut ,
Sapper le Trône du Très- Haut.
Ainfi , d'inviſibles Monades ,
L'un veut remplir tout l'Univers;
L'autre tient , dans fa folle idée ,
La Divinité comme aux fers ,
Dans la matière enveloppée.
L'ordre , l'arrangement & l'art ,
L'Univers , ce qui le compoſe ,
A leurs yeux ne font autre chofe ,
Qu'un pur ouvrage du hazard.
Par leurs fyftêmes facriléges ,
Dégradé de fes priviléges ,
L'homme , au néant eft deſtiné ,
Ce qui fent en lui , ce qui penſe ,
Ceffe d'être un foufle émané
D'une fuprême intelligence.
Son âme doit fubir le fort
De la matière périffable ;
Et devient fitôt qu'il eſt mort
Auffi vile qu'un grain de fable.
Ainfi dans l'homme , tout finit ;
Si l'on admet l'ame immortelle ,
Ce n'eft qu'autant qu'elle s'unit
A cette maffe univerfelle ,
Ciij
34 MERCURE DE FRANCE.
D'Efprits , qui partout répandus ,
Mêlés fans être confondus ,
Sont les germes de toutes chofes ,
Et par qui l'on voit reproduits ,
Sous diverfes métamorphofes ,
Les Etres par le temps détruits.
D'Empedocles , d'Anaximenes ,
Des Savans de Gréce & d'Athènes ,
On rappelle les vifions ;
La Vérité femble éclipfée
Par de vieilles opinions ,
Qui fortent d'un nouveau Licée.
Plus ils prolongent leurs détours ,
Et plus les fleuves s'élargiffent ;
Єent ruiffeaux qui s'y réuniffent ,
En enflent fans ceffe le cours.
Ainfi les erreurs s'accréditent
Par la longue fuite des ans ;
Philofophes , demi- Savans ,
Succeffivement les méditent ;
En vain leur efprit s'y confonds
C'eſt pour eux un germe fécond ,
D'où chaque jour ils font éclore
Des erreurs que leur vanité
Nous rend plus funeſtes encore
Que celles de l'Antiquité.
Quelles conféquences impies
Naiffent de leurs principes vains !
JUILLET. 1761 . 55
Ainfi ces fublimes génies
Sément l'erreur chez les humains,
Par eux les vertus & le vice
Sont placés au même degré ;
De précipice en précipice
Ils courent d'un pas afſuré.
Tel pendant une nuit obfcure ,
Au milieu d'un vafte defert ,
Un voyageur marche & fe perd ,
Cherchant fa route à l'aventure :
Moins il fuit les fentiers battus ,
Plus il s'égare fans reſſource ,
Et tombe à la fin de fa courfe ,
Dans des abîmes inconnus.
Voilà de nos prétendus Sages ,
Le vrai , mais effrayant Tableau ;
Envain parmi d'épais nuages ,
L'efprit leur tient lieu de flambeau;
Sa foible & trompeuſe lumiére ,
Commence par les offufquer ,
Et par degrés , fçait leur maſquer ,
Dieu , l'homme & la Nature entiére.
Philofophes trop indiſcrets ,
De tout ils nous rendent la cauſe ,
Sans voir quelle eſpace interpoſe
Entr'eux , & fes divers fecrets ,
Ce Créateur , ce Dieu fuprême ,
Qui fait feul tout ce qu'il a fait ,
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Et ne rend compte qu'à lui-même ,
Du principe & de fon effet.
Pourquoi vouloir percer la nue
Qu'oppose à vos débiles yeux ,
Le Souverain Maître des Cieux ?
Sur vous-même fixez la vue ,
Philofophes ambitieux !
Cherchez plutôt à vous connoître ;
Définiffez-nous , s'il ſe peut ,
Ce compofé , qui fait votre Etre ;
Ce qui dans vous , penfe & fe meut;
D'où naît ce merveilleux mêlange ,
Qui tient de la brute , & de l'Ange ;
Comment les nerfs font les refforts
Par qui l'une & l'autre fubftance ,
La matière , avec ce qui penfe ,
S'aident par de communs efforts .
Si vous pénétréz ces mystères;
Alors , fans être téméraires ,
Vous pourrez porter vos regards
Sur les objets que la Nature
Vous préfente de toutes parts ;
Avec une lumière pure ,
Vous découvrirez les erreurs
De vorre incertaine Phyfique ,
Et fonderez les profondeurs
De l'abftraite Métaphyfique.
Mais quand vos yeux toujours couverts ,
JUILLET. 1761. 57
Ne verront point ce microſcôme ,
L'homme , ce point , ou cet atôme ,
En raison de tout l'Univers ;
C'eſt le comble de la folie ,
De vouloir embraſſer un tout ,
Dont on ne peut venir à bout
De faifir la moindre partie.
Tel le Roitelet orgueilleux
Franchiffant les monts fourcilleux ,
Voudroit comme l'Aigle hardie ,
Dédaignant la terre & les mers ,
Planer dans le vague des airs ,
Et de fon vol fendant les nues ,
S'y tracer un libre chemin ,
Au-deffus de l'effort humain ,
Pour des régions inconnues.
Gardons-nous enfin d'adopter
Les principes à rejetter
De ces efprits du premier ordre ,
Dès qu'il n'en fauroit réfulter ,
Et qu'anarchie , & que défordre ;
Leur favoir profond & vanté ,
Aux yeux du vrai Sage qui penfe ,
Pour le bien de l'humanité ,
Ne vaut pas une humble ignorance.
Combien follement curieux ,
I'homme fuit de routes frivoles !
Tout eft , pour d'illuftres Ecoles ,
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
L'objet d'un travail férieux .
Là , par un feu de reverbère ,
Un vieux Chymifte atrabilaire ,
De la marcaffite extrait l'or ,
Ou diſtile par l'Athanor
Un élixir imaginaire.
Ici , par ordre étiqueté ,
Dans le coton empaqueté ,
Sont des amas de coquillages ,
D'arbustes marins , de coraux ,
De foffiles & de cryftaux ,
Tirés des plus lointains rivages.
Non loin , fufpendus au plafond ,
D'un cabinet vafte & profond ,
De Scorpions , de Crocodiles ,
De monftres divers , de Reptiles ,
Sont les fquellettes empaillés ,
Dont l'aspect encor intimide ,
Et glace le plus intrépide.
Voyons ces livres émaillés
D'aîles de papillons , de mouches ;
Ils femblent former des cartouches ,
Où brillent autant de couleurs ,
Que le zéphire avec l'aurore
En font éclater fur les fleurs ,
Quand le Printemps les fait éclore.
Suivons , & ne nous laffons pas ,
Damis, portons ici nos pas.
JUILLET. 1761 ; 59
Examinons cet aſſemblage
De bronzes à demi rongés ,
Qui diftribués par étage ,
Sont par fymétrie arrangés.
C'eſt là , que maint Auteur travaille
A conftater la vérité ,
Par l'exergue d'une Médaille
D'un point d'hiſtoire conteſté.
Que fait dans la falle voifine
Ce Commentateur appliqué
Sur une Grammaire Latine ?
Il éclaircit & détermine
Un paffage obfcur , ou tronqué ,
De quelqu'ignorant Cronologue ,
Qui place au régne des Conftans
Des événemens importans
Paffés fous les Paléologue.
Arrêtons encor nos regards
Sur tous ces volumes épars.
Là , pour remplir les intervalles
D'un régne à l'autre interrompu ;
L'un par un travail aſſidu ,
Du Monde parcourt les annales ;
Tandis qu'une Carte à la main ,
L'autre fuit d'un oeil incertain ,
Du Tygre impétueux la rive ,
Pour chercher les murs de Ninive 3
Ou ceux qu'au rivage Africain ,
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Pour , un jour , au Peuple Romain ,
Servir d'un immortel trophée ,
Bâtit la foeur infortunée
De l'avare Pigmalion ;
Ou parcourt les bords du Scamandre ,
Pour y découvrir fous la cendre ,
Quelques vieux restes d'llion .
Ces recherches peu néceffaires ,
Ces découvertes Littéraires ,
Qu'offrent-elles plus à nos yeux ,
Que la mince & frivole gloire ,
D'orner , de charger fa mémoire ,
De faits fimplementcurieux ?
S'il faut enfin que je m'explique ;
Cette obfcure & haute Physique ,
Eft bien peu digne de nos foins.
A quoi fert le plus beau ſyſtême ,
Quand il ne garantit pas même ,
Du plus léger de nos befoins ?
De Newton , ce Mortel fublime ,
Qui femble en fes écrits divers ,
Avoir pénétré dans l'abîme
Du globe entier de l'Univers ,
Le profond & vafte génie ,
Eclaira la Philofophie :
Par lui nous furent dévoilés ,
Dans les découvertes certaines ,
Des orbes les plus reculés
JUILLET. 1761.
61
Tous les merveilleux phénomènes .
Mais autant j'admire Newton ,
J'aime ce Sujet d'Angleterre ,
Qui le premier dans ſon canton ,
Féconda fa ftérile terre .
Pratiquant les fimples leçons ,
Et l'art heureux de Triptolême ,
Il enrichit par les moiffons ,
Ses concitoyens & lui- même .
Si fon nom obfcur , peu vanté ,
Ne peut , par d'affez brillans titres ,
Mériter l'immortalité ,
Qu'y perd-t-il rien ; l'humanité ,
Le gravera fur les regîtres.
Confultons , fans plus diſcourir ,
Les hommes tous d'accord , vont dire ,
Qu'il eft moins beau de les inftruire ,
Qu'important de les fecourir.
LiE mot de la première Enigme du
Mercure de Juin , eft , un Lit. Čeļui de
la feconde , eſt , les cinq voyelles , a , e, i ,
o , u. Le mot du premier Logogryphe ,
eft , Libraire. On y trouve Arbre. Sans
Arbre point d'avenue. Lyre , c'étoit l'inftrument
d'Apollon. Braire , rire . Le
Voyageur fe repofe à l'ombre des arbres .
Bile , elle donne la mort quand elle
62 MERCURE DE FRANCE.
abonde. La grande Salle du Palais eft
remplie de Libraires. Celui du fecond
Logogryphe , eft , Soupir . On y trouve
ris , ours , oui , fi , firop , pur.
S
ENIGM E.
ÉPOUILLE d'un Maçon d'efpéce fingulière ,
J'ai voyagé fur l'eau , j'ai marché ſur la terre :
Mais j'ai changé depuis ; & l'air préſentement
D'ordinaire eft mon élément.
On m'y proméne en plus d'une manière ;
Tantôt folidement affis ;
Tantôt droit comme une bannière ;
Surtout quand brille au Ciel cet Aftre dont le fils
Dans le Pô baigna fon derrière.
Tu penfes me tenir , Lecteur ; mais point du tout.
Du derrière au lieu que j'occupe,
La différence eft grande : écoute jufqu'au bout.
Souvent à qui porte une juppe
Je donne un air vif & piquant ,
Et fais faire un Berger charmant
D'ane aimable & jeune Bergère.
Plat , rond , pointu , noir , rouge ou gris
La néceffité fut ma mère ;
Mais l'ufage m'ôte mon prix :
Tantôt larges , enflés , tantôt maigres , petits ,
Mes femblables exelus de leur place ordinaire
JUILLET. 1761 . 63
Sont fi ridiculement mis ,
Qu'ils font hauffer l'épaule au Philofophe auſtère.
Ceux qui par une humeur groffière
Ne me déplaceroient jamais ,
Apprêteroient encor bien autrement à rire .
Si dans ma taille il entre de l'excès ,
Et que par un exemple on veuille la décrire ,
Celui d'un Saint fert de comparaiſon.
A gens allant de compagnie
On donne quelquefois mon nom.
Je fers à maint Enfant auffi noir qu'un démon ,
Pour couvrir certaine partie ,
Qui chez eux & chez les Dévots
A befoin d'être garantie.
D'autres , foit par maintien , foit par coquetterie ,
Ou pour fourire à de malins propos,
Ne me laiffent aucun repos.
Tel qui m'obtient , peut d'un très-grand Empire
Devenir Roi , fans être appellé Sire ;
Et jufqu'en Amérique il aura des Sujets.
Devine qui je fuis , Lecteur , à tous ces traits :
Si tu me tiens , je n'ai plus rien à dire.
AUTRE.
LICTIUR, quoique tortue, on me barre le corps ;
Sans cela je ferois aux vivans comme aux morts.
64 MERCURE DE FRANCE.
. Ce n'eft point encor tout: pour forger monfupplice,
On me met dans les fers . Juge de l'injuſtice !
Compagne pour jamais de la félicité ,
Je fers également à l'infidélité.
J'excite la fureur , je fais tomber la foudre ,
Je frémis , je friffonne & je fuis toute en feu.
Tu peux , je crois , par- là me deviner dans peu ;
Mais de dire mon nom , je ne puis m'y réfoudre.
Par M. de V.
LOGOGRYPHE.
E gagerois que la Camille ,
Que l'on voit courir dans Virgile ,
Quoiqu'elle n'eût pas ma groffeur
Ni ma coloffale épaiffeur ,
Près de moi n'eſt qu'une tortue :
Ma maffe informe & faugrenue ,
Lui céde en taille & lui céde en beauté ;
Mais halre-là pour la légéreté.
Lecteur , veux- tu de compagnie ,
Entreprendre quelque partie ?
Veux-tu danfer? je donne bal ...
Fi donc , je m'en tirerois mal ;
Au fecond pas je ferois hors d'haleine ,
Et ne ferois plus bonne à rien ;
La raiſon eft que ma bedaine
JUILLET. 1761 . 65
M'empêche de fauter comme je voudrois bien.
Faifons plutôt quelque voyage.
En moins de rien je te ferai paffer
Et le Nil & l'Elbe à la nage.
Tu pourras même encor fans te laffer
Voir Albe & puis Albi par la même voiture.
Serois-tu curieux de voir encor Jeu a?
Je t'y débarquerai de bon coeur , je te jure 3
J'irai t'attendre enfuite au bord de la Sala.
AUTRE.
De huit pieds , cher Lecteur , eft compofé mon
être ,
Que l'on voit chaque jour , au Théâtre paroître.
Sans me décompofer , d'abord on trouve en moi
Le nom de certaine meſure ,
Dont nous fait préſent la Nature ,
Et que chacun porte avec foi :
J'offre dans le reſtant du corps cette partie ,
Par qui jadis , le Troyen fut vengé ,
D'un fameux Roi de Theffalie ,
Au Styx par fa mere plongé.
36 MERCURE DE FRANCE.
Aux boi
AUTR E.
ux bois , comme à la Ville , on m'entend fort
fouvent.
Dépouillé de mon chef, je rends l'homme puiffants
Remis dans mon entier , prenez-moi par derriere ,
Je fuis exactement , auffi dur que la pierre.
De BORDE A U X.
CHANSON.
Du charmant Berger qui m'engage ,
Amour , daigne m'offrir les traits !
Mes tranfports feront mon hommage ,
Si les foupirs font tes bienfaits.
Si je puis régner dans ſon âme ;
S'il vient me parler fans détour ;
Le fincère aveu de ma flâme ,
Sera le prix de fon retour.
OW
Du charm berger qui mengage Am daigne moffrir
6
3
3
traits: Mes transports seront mon hommage
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ЖӨ-
Si ses soupirs sont tes bienfaits.Mes transports se
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3
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ront mon hommage Si ses soupirs sont les bienfaits
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σ
7
5 4
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ABTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
JUILLET. 1761 .
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
HISTOIRE des Conſpirations , Conjurations
& Révolutions célèbres tant anciennes
que modernes . Par M. DESOR;
MEAUX. Tomes IX. & X. 1760 .
SECOND EXTRAIT.
Tome X. Suite des Révolutions des
No
Indes.
ous avons laiffé dans le volume précédent
, l'Empire Mogol dans fon plus
haut point de gloire , confidérablement
étendu par la valeur d'Oramgzeb, défendu
par des troupes bien difciplinées & formées
à l'école de ce grand Empereur ,
tranquille dans l'intérieur & au dehors
mais prêt à voir fe ranimer ces guerres
civiles dont il avoit tant de fois été le
théâtre fanglant. Oramgzeb par fon teſtament
avoit laiffé l'Empire à Cha- Halam ,
l'aîné de ſes trois fils . Il en avoit démembré
le Décan & le Guzurate , en faveur
d'Azamcha , fon fecond fils , le Golcon
68 MERCURE DE FRANCE.
de & le Vifapour , fes principales conque
tes , formoient l'appanage de Kambach ,
le plus jeune de tous : ce dernier , content
de fon partage , faifoit fes délices
de l'amour de fes Sujets , & d'une paix
qu'il fe flatroit que fon peu d'ambition lui
conferveroit ; Azamcha ne penfoit pas
ainfi : le fang de les ancêtres bouillonnoit
dans fes veines ; caché dans le camp
d'Orangzeb malgré fes ordres , il attendoit
fa mort pour profiter de l'affection
des troupes pendant l'abfence de Cha-
Halam: il arrêta les courriers qui alloient
annoncer à fes frères la mort de leur
père . Cha- Halam occupé à une expédition
dont Orangzeb l'avoit chargé , & Kam
bach dans fon gouvernement étoient dang
la plus parfaite tranquillité , tandis qu'Aqamcha
faifoit les funérailles de leur père ;
il s'étoit déja fait reconnoître Roi du
Pays qu'Oramgzeb lui avoit laiffé par fon
teftament , & il le préparoit à fe faire
proclamer Empereur de tout le Mogol.
Cha- Halam le prévint ; il ſe rendit à Dehly
& y reçut les voeux & les fermens d'un
Peuple qui admiroit en lui des qualités
qui le rendoient fi différent de fes prédéceffeurs
il fongea enfuite à réprimer
l'ambition de fon frère . Celui- ci mit inutilement
en oeuvre toutes les rufes dont
JUILLET. 1761 69
Les ancêtres s'étoient fi heureuſement fervis
: Azamudime fils de Cha- Halam eut la
gloire d'affurer l'Empire à fonpère par
une glorieufe victoire ; elle le rendit maître
des Etats & de la vie d'Azamcha ;
la fortune ne paroiffoit pas encore décidée
pour Azamudine ; un expédient dont
il fe fervit la lui rendit entiérement favorable.
Par l'ordre de ce Prince on raf-
» fembla pendant la nuit tous les cha-
» meaux de l'Armée , au nombre de plus
» de soo , & on leur chargea fur le dos ,
» dans l'endroit où les deux boffes laiſſent
» un intervalle , une petite piéce de cam-
" pagne ; on donna à chacun de ces nou-
» veaux combattans deux conducteurs &
» trois Canoniers , & on les rangea fur une
» feule ligne à la tête de l'Armée ; Azam-
» cha dès le point du jour s'avança avec
»fon armée pour combattre ; on le laiſſa
" approcher , & quand on le vit à portée
» de l'artillerie , les conducteurs firent
préfenter le côté aux chameaux ; & les
» Canonniers fervirent avec tant de rapi
» dité & de fuccès , que le défordre , le
» trouble & la terreur fe répandirent dans
» l'Armée ennemie qui refta immobile . »
Azamudine déjà à demi vainqueur , l'enveloppa
avec fes troupes & rendit fa victoire
complette ; » Azamcha , après s'être
70
MERCURE DE
FRANCE
» battu jufques à la derniere
extrémité
avec l'élite de fes braves , & avoir fait
» des efforts plus
qu'humains , épuiſé ,
bleffé &
craignant furtout de tomber
entre les mains de l'ennemi , fe plongea
lui-même le poignard dans le fein , dédaignant
de mourir d'une main moins
» noble que la fienne.
»
•
Cha- Halam
jufqu'alors Prince jufte &
religieux avoit
refpecté les États de Kam
bach ; il
Y étoit engagé par la foi des
fermens , mais enfin cédant aux
confeils
ambitieux de fes enfans il
ordonna
qu'on marchât à la conquête du Golconde
& du
Vifapour. » On
remarque , ajoute
» M.
Deformeaux , qu'il ne donna cet
» ordre injufte , qu'après avoir vifité le
» tombeau
d'Oramgzeb , comme fi l'avi-
» dité dont ce Prince avoit donné tant
de marques pendant fa vie , eût réveillé
celle de fon fils.
Kambach périt
miférablement en
défendant fes Etats ,
& laiffa Cha-Halam feul
poffeffeur de
l'ancien & du
nouveau
Domaine conquis
par les pères. Ce fut la feule tache
qui ternit la gloire de ce Prince vertueux
; mais il ne jouit pas
longtemps
du fruit de fon crime ; il
mourut après
avoir régné avec moins d'éclat & plus
de
bonheur
qu'Oramgzeb ; à ſa mort on
JUILLET. 1781.
vit de nouveau le fang Mogol s'élever
contre lui-même ; fes fils fe difputérent
la Couronne avec acharnement ; le Sultan
Mogedin triompha de fes frères , & les fit
tous périr ; la même année il fut déthrôné
par fon neveu Ferrushier ; celui- ci périt
de la main de deux frères qu'il avoit élevés
de la lie du Peuple au faîte des grandeurs
ces deux frères appellés les Seids
mirent à fa place fon coufin Reffiedned
jat, qu'ils maflacrérent auffi bientôt après,
Reffiendelet fon frère reçut la couronné
de leurs mains ; après un régne fort
court il'la laiffa à fon coufin Muhammedcha
en faveur de qui les Seids plus puif
fans que les Princes & les Grands en difpoférent.
La lâcheté & la foibleffe de
Muhammed mirent l'Empire Mogol en
proie aux guerres les plus fanglantes. » Il
jugea de tous les hommes , dit notre
» Hiſtorien, par ceux qui l'environnoient;
» & il les crut tous avares , diffimulés
hypocrites , flatteurs & voluptueux.
» Peut-être ne crut-il pas cette race mé-
» priſable digne de fes foins , & que c'eſt
pour la punir qu'il en abandonna la
» conduite à des Miniftres corrompus.
Un de ces Miniftres , nommé Nizam-el-
Molouck , lui rendit les Seids fufpects , &
les poignarda par fon ordre avec leurs
72 MERCURE DE FRANCE.
partifans. Victime de la jaloufie de Kans
devron , nouveau favori de Muhammed
Nizam, deux fois , fut exilé , & deux fois
les befoins de l'Etat le firer c rappeller
A l'âge de plus de quatre - vingts ans
prié , & pour ainfi dire conjuré par l'Empereur
de revenir pour appaifer les Patanes
& les Marattes que ce perfide Mogol
avoit lui- même foulevés en fecret
pour le rendre néceffaire , il fut reçu par
le politique Kan- devran avec les démonftrations
d'amitié les plus marquées . Nizam
ayant pacifié tous les troubles , devint à
la Cour un homme inutile , & fut bientôt
l'objet des rifées des Courtifans &
du Favori lui- même . » Un jour qu'il en-
» tra chez l'Empereur , Kan- devran s'échappa
jufqu'à dire tout haut : Voici le
Maimoundi ( ce mot fignifie un Charla-
» tan qui fait danſer les Singes . ) Oui, re-
» prit le Miniftre furieux , & qui te fera
» bientôt danfer . Nizam ne refpirant que
vengeance , médita l'horrible projet de
perdre tous les ennemis , & d'envelopper
l'Empereur même dans leur ruine , s'il
s'obtinoit à les protéger ; il s'affocia un
grand Général Mogol nommé Scader-
Kan. Nous allons voir ces deux fameux
Traîtres bouleverfer l'Empire & mettre
"3
le
JUILLET. 1761 . 73
le Sceptre Mogol à la veille de paller
dans des mains étrangères .
Tandis que l'Empire Mogol gémiffoit
de ces divifions , la Perfe étoit en proie
aux plus grands malheurs ; la pefte & la
famine fe joignirent aux guerres inteftines
, qui duroient depuis vingt ans , &
emportoient plus d'un million de fes habitans.
Ce fut au milieu de ces fléaux qui
la défoloient , que , de la qualité de fimple
Citoyen , Nadir- Koul s'éleva au Trône .
A la tête d'une troupe de Brigands , il ravageoit
les Campagnes & pilloit les Villes ,
quand il tomba entre les mains de Schah-
Thamas , le feul des fils du Sophy nouvellement
détrôné , qui eût échappé au naufrage
de fa famille . » Le Prince , auquel
» on avoit vanté le courage & les talens
» de Nadir- Koul , voulut le voir. Pourquoi
, lui dit- il , avec de la valeur , de la
naiſſance & des talens , as tu embraffe
l'infáme métier de Brigand ? Voyant , lui
répondit Nadir- Koul , mon Roi détró-
» né , ma Patrie fubjuguée , mes biens en-
» vahis , mes fervices fans récompenfe , j'ai
» été obligé d'avoir recours au brigandage
» pour fubfifter. Le Prince trouva d'abord
la réponſe infolente , & ordonna qu'on
» le fit périr fous le bâton . Quelques mo-
» mens après , fe rappellant les paroles du
I. Vol.
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و د
>>
D 1
74
MERCURE
DE FRANCE .
38
» Criminel , il y vit plus de grandeur d'a
» me que d'arrogance ; il révoqua l'ordre
» & fit grace à Nadir- Koul ; mais l'exé-
» cation étoit déjà fort avancée à peine
» lui trouva-t- on quelques reftes de cha-
» leur & de vie. On le fit revenir à force
» de foins , & on parvint même avec le
» temps,à le guérir de fes bleffures. Nadir
Koul paffa de l'échafaut à la tête des Armées
du Prince ; il lui reconquit la Perfe ;
& pour lui marquer fon dévouement, prit
le nom de Thamas- Koulikan , fous lequel
il eft connu le plus ordinairement , & qui
fignifie en langue Perfanne l'Esclave de
Thamas. Il ne feignoit cet attachement
à fon Souverain , que pour mieux voiler
fes vues criminelles ; elles éclatérent bientôt.
Un jour il envoya prendre le nouveau
Roi dans fon Palais, le fit amener dans la
Place publique d'Ifpahan ; là, en préfence
de l'Armée & du Peuple qu'il avoit aſſemblés
, il lui reprocha dans les termes les
plus outrageans , des crimes vrais ou fuppofés
: il fit enfuite une longue harangue
au Peuple , qui fur le champ fait retentir
l'air de mille imprécations contre Schah
Thamas , demande à grands cris qu'il foit
déposé , proclame fon fils Roi à fa place ,
& défére la Régence à Thamas- Koulikan.
Celui- ci après avoir remporté un
JUILLET. 1761.
75
grand nombre de victoires fur les ennemis
de l'État; après avoir joint à la Perſe de
nouvelles conquêtes, convoque les Grands
de la Nation & leur déclare » qu'ayant
» vieilli dans les travaux de la guerre , fa
» fanté ne lui permet plus de foutenir le
» fardeau des affaires & qu'il abdique la
» Régence. L'Affemblée , gagnée ou inti-
» midée , comprit l'intention du Régent
» & le proclama Roi. Thamas Kouli -kan
reprit fur le champ fon ancien nom de
Nadir , auquel il ajouta celui de Schah &
s'adonna entiérement aux foins de faire
fleurir fon nouveau Royaume.
Nous avons été obligés de fuivre l'Auteur
dans cette petite digreffion , & nous
efpérons qu'on nous faura gré de nous
être un peu étendus fur un perfonnage auffi
fameux & fur des événemens de notre fiécle.
Ce fut Schah- nadir que Nizam & Seadet-
Kan choiſirent pour l'inftrument de
leur vengeance & de leur ambition. Ils
l'attirerent à la conquête de l'Indoftan par
des lettres entierement féduifantes, & corrompirent
les Gouverneurs des frontieres
qui pouvoient s'oppofer à fon paffage. Le
Roi de Perfe avoit déjà envahi le Tabulif
tan avant que le lâche Muhammed ſçût
qu'il avoit un pareil ennemi fur les bras
fitôt qu'il l'eut appris , il convoqua un
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Dorban , où par la perfidie ou le défaut
de lumières des Omhras, les avis des traîtres
prévalurent toujours . Pendant que les
chofes traînoient en longueur , Schah- nadir
avançoit avec une rapidité furprenante
; il avoit déjà conquis toutes les Provinces
en deçà de l'Indus , quand on fongea
à lui oppofer une armée de trois
cent mille hommes. Cet habile Ufurpateur
, dans lequel on voyoit renaître les
plus célébres Conquérans de l'Antiqui
té , paffa le fleuve à la vue de l'armée
ennemie. Les Mogols , felon l'avis des
perfides , évitérent une bataille , &
laifférent l'ennemi s'amufer , difoient- ils ,
à prendre des Villes : ils efpéroient l'envelopper
& le détruire par la famine ;
mais eux- mêmes furent bientôt en proie
à ce cruel fléau. Ils alloient enfin fuccomber
fous le vainqueur , lorfque Seadet
Kan attendri des malheurs de fa patrie ,
repouffa quelques détachemens Perfans
qui dévaftoient déjà le camp des Mogols
, eut bientôt affaire au gros de l'armée
, & après avoir réfifté longtemps ,
tomba lui- même entre les mains de l'ennemi.
Les Perfans mirent en déroute l'armée
Mogole , qui à la fin avoit ofé les
combattre. Schah- nadir obligea Muhammed
à lui accorder une entrevue , où ,
JUILLET. 1761 .
après avoir juré fur l'Alcoran de n'attenter
ni à la vie ni à fa couronne , il le
condamna à ( a ) quarante Kourours de
dédommagement & à ( 6 ) dix de tribut
annuel. Il fit enfuite arrêter l'infortuné
Mogol , & le lendemain envoya dans fon
camp un détachement de cavalerie , qui
au milieu de trois cent mille hommes
qui compofoient encore l'Armée Indienne
, enleva tranquillement les femmes
les enfans , les tréfors & les équipages
de l'Empereur & des principaux Omhras
; il fit enfuite publier dans tous les
quartiers , que tous les Officiers , Soldats ,
Vivandiers , & généralement tous les
Mogols eaflent à fe retirer avec leurs
bagages dans le cours de la journée fous
peine de la vie . Ces ordres qui furent
ponctuellement exécutés , le rendirent
maître abfolu de la Perfonne de l'Empereur.
Un crime facile lui auroit affuré
l'Empire ; mais il fe contenta de le rendre
tributaire. Il marcha droit à Dehly
précédé des deux traîtres Nizam & Seadet
Kan qui répandoient dans toutes les
Villes par où il devoit paffer , que les
deux Souverains étoient dans la plus parfaite
intelligence . Il traînoit avec lui
( a ) Environ neuf cens foixante millions.
(b) Environ deux cens trente- huit millions .
D iij
78 MERCURË DE FRANCE.
8
Muhammed , fes femmes & fes Miniftres
dans des litieres & des palanquins où ils
étoient couchés fur le dos .Arrivé à Dehly,
Muhammed , la veille du triomphe que
Schah-Nadir devoit célébrer dans cette
Ville , de crainte que cette fête ne fût
troublée par fes Sujets , leur défendit de
paroître le lendemain ni dans les rues ,
ni fur les toits des maiſons. Nizam devint
bientôt le feul favori du Conquérant
; il lui dépeignit la légèreté de Seadet-
Kan avec des couleurs fi vives , que
Schah- Nadir en conçut beaucoup de défance.
Quand cet Omhra vint le Caluer
au Palais qu'il s'étoit choifi , le Roi de
Perfe voyant qu'au lieu de préfens il ne
lui préfentoit qu'une fatale lifte des
grands Mogols & de leurs biens , il ne
lui répondit que par un regard furieux
qu'il accompagna de ces paroles menaçantes
: Qu'eft devenue , traître , la parole
que tu m'as donnée de me livrer tous
les trésors de l'Empire ? Où eft le riche
préfent que tu m'avois deftiné ? Réfous toi
à mourir demain ou à remplir tes promef
fes. Ces paroles furent un coup de foudre
pour Seadet- kan ; il s'en retourna chez
lui le poignard dans le coeur , & prit un
Foifon violent dont il expira en peu de
temps.
JUILLET. 1761 . 79
Les Mogols remplis d'indignation &
de fureur fouffrirent impatiemment le
joug qui les opprimoit, quand deux omhras
firent courir le bruit de la mort de
Schah-Nadir ; à la tête d'un grand nombre
d'habitans de Dehly , ils firent un carnage
horrible de Perfans ; mais accablés
par le nombre ils furent bientôt difperfés.
Cette confpiration ranima la cruauté de
Schah- Nadir ; il donna ordre à fes troupes
de fe répandre dans la ville , de mettre
tout à feu & à fang & de s'enrichir
de fon pillage. Le barbare Conquérant
jouiffoit de cet affreux ſpectacle du haut
du minaret de la mofquée du Palais . A
peine fa vengeance fut- elle affouvie , que
les Mogols éprouverent un autre fleau ;
les rues par les ordres du Tyran furent
nettoyées en vingt- quatre heures : mais
on n'eut pas le temps d'enlever les cadavres
des maiſons , l'infection qu'ils répandirent
produifit bientôt une peſte
horrible. Cependant le vainqueur s'étoit
emparé des tréfors de la Couronne & de
ceux d'un grand nombre de Seigneurs
de la Cour : il fit enfuite bloquer la ville
pour empêcher les habitans d'en fortir
& de fouftraire leurs richeffes à fon avarice
; la famine fuivit bientôt cet ordre
barbare ; à la fin il réfolut de quitter
Div
So MERCURE DE FRANCE.
l'Indoftan , d'y laiffer Muhammed fur le
Thrône comme fon vaffal , & de fe réferver
feulement les Provinces en deçà de
l'Indus , qu'il joignit à la Perfe. Il ordonna
à l'Empereur Mogol de s'affocier
Nizam qu'il déclara premier Miniftre ,
Régent de l'Empire & Tuteur de l'Empereur.
Le Conquérant ne voulut pas quitter
Dehly fans faire un nouvel acte de fa
cruauté & de fon avarice : il exigea une
contribution exorbitante des habitans de
cette malheureufe Ville , & il n'y eut pas
de violence qu'on n'employât pour l'extorquer.
Nadir-Koul enfin taffafié , & emportant
avec lui d'immenfes richeffes ,
donna à fon armée le fignal du départ.
Sur la route il tira encore de Lahor une
forte fomme. La crue extraordinaire de
Indus Pattêta longtemps , & penfa le
faire périr avec fon armée , donnant aux
Aghuans le temps de lui tomber fur les
bras ; l'efpérance d'un riche butin avoit
raffemblé ces Peuples aguerris au brigandage
, au nombre de plus de cent
nille : un peu d'argent répandu entre les
Chefs diffipa bientôt cette troupe avide..
Ayant paffé le fleuve , le Roi de Perſe détruifit
facilement de nouveaux ennemis
qui s'oppofoient à fon paffage . Après
avoir tenté vainement de rentrer dans
JUILLET. 1761 .
81
l'Indoftan , où il fe repentoit d'avoir
épargné Agra , il retourna à Ifpahan ,
exila fon fils aîné qui avoit formé le
deffein de lui ôter la Couronne , ravagea
la Tartarie , fit de vains projets pour
envahir la Turquie , furchargea fes Sujets
d'impôts , inonda de leur fang des
Provinces rebelles , fit périr fon fils dans
les fupplices , détruifit un grand nombre
de confpirations, & périt enfin de la main
de fon propre neveu.
Tandis que Schah- Nadir éprouvoit ces
diverfes révolutions , la foibleffe de Muhammed
avoit infpiré aux Grands de foa
Empire des idées d'indépendance qu'ils
effectuoient peu -à peu . Les Rajas & les
Nababs refufoient de payer le tribut . Le
vieux Nizam même à l'âge de cent ans ,
ofa porter fes vues jufques fur leThrône de
Tamerlan . Devenu fufpect à l'Empereur, il
vit bientôt rappeller à la Cour & revêtir
des premiers emplois ceux que fes confeils
avoient fait exiler peu auparavant .
Ces nouveaux favoris ne refpiroient que
vengeance contre leur ancien ennemi ;
ils engagerent Muhammed à gagner en ſecret
les Marates , peuple avide de butin ,
& qui entra bientôt les armes à la main
dans le Décan . Nizam , voyant fon Gouvernement
attaqué par ces Barbares , &
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
s'appercevant du pouvoir de fes ennemis
fur l'efprit de l'Empereur , fe joignit au
Grand Vifir ; & raffemblant une petite Armée
, ces deux Seigneurs difgraciés campérent
à peu de diſtance de Dehly . L'Empereur
effrayé les rappella bientôt , & les
combla d'honneurs. Cependant Badgira
à la tête des Marattes avoit déjà envahi la
Nababie d'Arcatte , voifine du Décan ;
la famille du Nabab échappée au vainqueur,
avoit trouvé à Pondichéri, auprès de
M. Dumas qui en étoit Gouverneur , un
afyle qui attira bientôt fur les François
les armes des Marattes. Pondichéri invefti
entierement & affiégé par une Armée de
trois cens mille hommes, auroit peut-être
eu peine à réfifter longtemps , lorfqu'un
léger préfent de quelques bouteilles de
liqueurs que M. Dumas fit à un Envoyé
de Badgira , diffipa la tempête qui les menaçoit
la Maîtreffe du Roi des Marattes
paffionnée pour les liqueurs , preffa avec
inftance fon amant d'en demander de femblables
à M. Dumas ; la générofité avec laquelle
celui- ci lui en envoya fur le champ,
toucha le coeur du barbare. Il fit préfent à
fon tour au Gouverneur d'un Serpau * ma-
Habit fort ample d'étoffe de foie & or. Ce
préfent eft la faveur la plus fignalée qu'on puiſſe
recevoir de l'Empereur , des Rois & dés Généraux
Indiens,
JUILLET. 1761 .
83
&
gnifique , lui demanda fon amitié ,
abandonnant Pondicheri, fe mit en marche
pour le Dekan. Nizam frappé de la
conduite des François dans des circonftances
auffi difficiles , reconnoiſſant d'ailleurs
de l'accueil qu'ils avoient fait à la
famille du Nabab d'Arcatte , fon vaffal
& fon ami , écrivit à M. Dumas pour le
féliciter , & le fit créer par l'Empereur ,
Mafoubdar ou Commandant de quatre
mille cinq cens chevaux entretenus aux
dépens du Tréfor Royal : dignité éminente
qui donne à ceux qui en font revêtus, le
même rang qu'aux Nababs &aux Généraux
Mogols ; elle eft aujourd'hui héréditaire
aux Gouverneurs de Pondicheri. Quelques
préfens & une lettre artificieufe de
Nizam firent bientôt renoncer Badgira à
la conquête du Decan , dont il fe promettoit
un riche butin .
Un bruit fourd qui fe répandit que les
Marattes n'avoient marché à cette expédition,
que par l'inftigation de Muhammed,
indifpofa tous les efprits contre lui . Les
Nababs profitérent du déchaînement univerfel
pour s'affermir dans l'indépendance
dont ils avoient jetté les fondemens ; une
révolution infenfible rendit l'Empire Mogol
, en quelque forte, ſemblable au Corps
Germanique. Nizam devint encore plus
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
odieux à l'Empereur qui lui attribuoit cette
décadence. La mort de Schah- Nadir
fortifia la haine de Muhammed ; il ofa la
faire paroître ; Nizam effrayé fe retira
dans fon Gouvernement. Mais après avoir
tramé avec un grand nombre des principaux
Ombras qui lui étoient tous dévoués ,
le complot le plus affreux que ce climat
fi fertile en crimes , ait jamais vu naître.
Pour venir à bout de fes deffeins , le Miniftre
difgracié engagea de nouveau les
Barbares à fondre fur l'Indoftan . Les Conjurés
exciterent le peuple à demander que
l'Empereur fe mît lui- même avec fon fils
à la tête des troupes ; le projet de ces félerats
étoit de les faire périr tous deux dans
un combat l'evénement les obligea de
changer leurs difpofitions .Amet - Schah , fils
de Muhammed,âgé de dix - huit ans , partit
feul pour commander l'armée . La troupe -
des Conjurés fe fépara ; une partie le fuivit,
après s'être engagée par les plus hortibles
fermens,à le maffacrer dans un temps
marqué ; les autres réfterent à la Cour , devant
étrangler Muhammed à- peu- près dans
le même temps . Une conjuration fi bien
concertée auroit certainement entraîné la
ruine de la Maifon Impériale & mis le
Sceptre dans la main de Nizam , fi quelques
Omhras touchés des qualités brilJUILLET.
1761 . 85
lantes qui diftinguoient le jeune Amet-
Schah , ne lui euffent découvert tout le
complot. Amet Schah triomphant de fes af
faffins & peu après des ennemis , retourna
couvert de gloire à la Capitale . Mais
quelle fut fa douleur , lorfqu'il apprit que
fon père ne vivoit plus ; ceux des Conjurés
qui étoient restés à la Cour , croyant
leurs ordres exécutés à l'armée, avoient répandu
le bruit de la mort d'Amet- Schah ,
avoient étouffé & jetté par la fenêtre
l'Empereur , & avoient publié qu'ayant appris
la mort de fon fils , fon défefpoir l'avoit
porté à attenter fur fes jours.
Le jeune Prince connut bientôt tous les
complices ; ils étoient au nombre de vingtdeux.
Il craignit de fuccomber s'il agiffoit
à force ouverte ; il prit l'habit d'un
Faquir & feignit de renoncer au Trône ;
il affembla tous les Grands & leur déclara
cette réſolution. Que celui de vous
dit- il , que j'enverrai chercher cette nuit
fe tienne prêt à recevoir de mes mains
le fçeau de l'Empire & à regner fous mon
nom. Amet- Schah profitant de leur fécurité,
apofta dans vingt - deux Chambres qu'il
deftinoit pour les lieux de fa vengeance ,
deux bourreaux avec ordre d'étrangler
l'Omhra qui y entroit pendant la nuit. Les
vingt-deux affaffins conduits chacun fépa
86 MERCURE DE FRANCE.
rément dans une de ces Chambres , y
trouverent un jufte fupplice au lieu de la
Couronne qu'ils y attendoient. Le jeune
Prince convoqua le lendemain une affemblée
générale dans laquelle il découvrit la
confpiration à fes Sujets , & fut proclamé
Empereur au milieu des acclamations les
plus flatteufes. Nizam reçut bientôt ordre
de fe rendre à la Cour. Mais il prevint la
mort honteuse qui l'attendoit ; on prétend
qu'à l'âge de cent fept ans il termina fes
jours avec du poifon qu'il tenoit prêt depuis
bien des années. Des guerres fanglantes
troublerent encore l'Indoftan pour
fa fucceffion : Mouza- Ferzingue un de fes
petits- fils, eut la protection d'Amet-Schah&t
des François. Le fecours de ceux- ci alloit
lui affurer laCouronne,quand il périt dans
un combat. Les Généraux - Majors allerent
fur le champ trouver Salabetzingue ,
un des fils de Nizam, & le proclamerent
Roi. Mais il déclara qu'il ne monteroit
fur le Trône qu'avec l'agrément des François
: car , s'écria- t - il , je ne veux vivre &
Tegner qu'avec l'appui de cette nation invincible.
Quand il fut affuré de la protection
de Meffieurs Dupleix & de Buffy
Commandans des François , il aecepta la
Couronne & fe déclara vaffal du Roi de
France. Amet - Schah fut détrôné & conJUILLET.
1761
87
damné à une prifon perpétuelle par un
Prince de fon fang qui lui fuccéda fous le
nom d'Alemguir ou Oramgzeb II. Le nouvel
Empereur ne fçut pas porter ce nom ,
& il ne fut comme Muhammed qu'un vain
fantôme de Roi .
M. Deformeaux termine ici l'Hiſtoire
des révolutions des Indes. Celle de Siam
occupe le refte du dixiéme Volume. Nous
en rendrons compte dans le Mercure du
mois prochain.
MEMOIRES pour fervir à l'Hiftoire de la
vie & des Ouvrages de M. l'Abbé LENGLET
DU FRESNOY . A Paris chez
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques
2761.
A La Préface , qui eft très - judicieuſe , annonce
le plan que l'Auteur de ces Mémoires
s'eft propofé de fuivre ; & ce plan
fe réduit à un fimple abrégé de la vie civile
& littéraire d'un homme plus fameux
par fes aventures que parfes Ouvrages , qui
a écrit avec plus d'imagination que d'exactitude
; mais qui, foit par la fingularité de
fes idées , foit par la fertilité de fa plume ,
88 MERCURE DE FRANCE. ·
s'eft acquis une affez grande réputation
dans le monde Littéraire. *
Le même efprit de fageffe & le même
amour pour la vérité régnent & dans la
vie & dans les autres parties qui compofent
ces Mémoires . C'eft avec raifon que
l'Auteur s'eft crû en droit , en parlant de la
perfonne & des Ouvrages de M. l'Abbé
Lenglet , d'ufer de la même franchiſe & de
la même liberté qu'il fe permettoit avec tant
d'autres.
On n'a pourtant point imité fa licence :
on peint , fans le flatter , le Savant dont
on écrit la vie , qui n'a pas été à beaucoup
près auffi décente que variée . Ceux même
qui feroient d'avis que , foit par l'importance
de fes Ouvrages, foit par la manière
dont il a vécu , il n'a pas mérité un pareil
honneur , ne pourront s'empêcher du
moins , de favoir gré à fon Hiftorien des
critiques utiles & des recherches curieufes
dont il a enrichi ces Mémoires .
On ne peut nier qu'il ne fût à fouhaiter
pour la gloire des Lettres , que l'on pût enfevelir
dans l'oubli tant de faits qui ont
avili quelques-uns de ceux qui les ont cultivées
avec le plus de fuccès. Combien de
Philofophes ne l'ont été que dans leurs
* Préface.
JUILLET. 1761 . 89
Ecrits
,
On voit avec douleur dans la viedu
célébre Bacon , Chancelier d'Angleterre
, que la juftice fe vendoit au Tribunal
de celui qui en étoit le Chef. Dans la
vie de M. l'Abbé Lenglet , on voit un Ecrivain
fans moeurs qui , admis dans une Bibliothèque
renommée, eft accusé d'en avoir
diftrait les meilleurs livres ; qui fe fait
payerfort cher une fuite de Mémoires qu'on
n'ajamais pú tirer de fes mains , fous prétexte
qu'ils avoient étéfaifis par ordre du
Miniftère ; qui , par l'adreffe & la rufe qu'il
employoit dans le commerce de fes Manufcrits
, s'étoit rendu fi redoutable , que le
plus fin Libraire ne traitoit jamais avec lui
qu'en tremblant... ; qui rioit fouvent tout
le premier , & s'applaudiffoit même des
avantages qu'il avoit fur les Cenfeurs &
les Libraires , & de la manière dont il les
dappoit tour-à-tour ; qui ayant toujours
paflé pour un Intriguant foit à Paris , foit
dans les Pays étrangers , employé par nos
Miniftres & en liaison avec ceux de nos
ennemis , fouvent fufpect aux uns & aux
autres, d'abord craint, puis protégé par le
Prince Eugène , ne paroît que trop par
l'efpéce de fervice qu'on tiroit de lui ,
avoir exercé partout le plus périlleux &
le plus méprifable de tous les métiers .
Qu'est - ce qu'un Ecrivain licentieux &
90 MERCURE DE FRANCE.
inconféquent , que les récompenfes n'ont
point touché , que les punitions n'ont jamais
pu corriger , qui facrifiant ſa fortune
à fon amour pour la liberté , s'expofoit
fans ceffe à la perdre ; & qui en effet
a été fi fouvent mis à la Baſtille , qu'il en
avoit en quelque forte contracté l'habitude
? A ce fujet , fon Hiftorien rapporte
qu'un Exempt , appellé Tapin , étoit celui
qui fe tranfportoit ordinairement chez
lui pour lui fignifier les Ordres du Roi.
Quand M. l'Abbé Lenglet le voyoit
» entrer , à peine lui donnoit- il le temps
» d'expliquer fa commiffion ; & prenant
» auffitôt la parole. Ah bonjour , M. Tapin
! allons vite , difoit- il à fa Gouver-
» nante , mon petit paquet , du linge &
» mon tabac &c. & il alloit gaîment à la
Baftille avec M. Tapin.
Quoiqu'il en pût arriver , l'Abbé Lenglet
vouloit penſer , écrire , agir & vivre
librement. Il dépendit de lui de s'attacher
au Prince Eugène qui l'emmena à Vienne;
ou au Cardinal Paffionei , qui auroit defiré
de l'attirer à Rome ; ou , ce qui auroit
été plus raiſonnable , à M. le Blanc , Miniftre
de la Guerre , qui dans plufieurs
occafions s'étoit fervi de lui . Il refuſa
tous les partis qui lui furent proposés :
fon amour pour l'indépendance étouffa
JUILLET. 1761 93
dans fon coeur la voix de l'ambition. Ce
ne font , comme le remarque très - bien à
ce fujet l'Hiftorien de fa vie , ni l'efprit
ni les talens , ni le favoir , ni le génie ,
ni la vertu même qui nous avancent dans
le monde ; c'eft uniquement le caractère
d'esprit
une certaine foupleffe dans les
refforts de l'âme , un longfervice auprès
des Grands , une conftance , une affiduité
qui ne fe rebute ni des lenteurs , ni des refus
, ni des duretés : difons plus , fouvent
auffi ce font les caprices de la protection &
de la fortune.
Un des grands défauts de l'Abbé Len
glet, étoit la fureur de juger ; il s'étoit érigé
un tribunal où il citoit anciens & modernes
, & les faifoit comparoître à fon
gré. Malheureusement , ajoute fon Hiſtorien
, il a laiffe des fucceffeurs , gens qui
fans miffion comme fans autorité, exercent
en defpotes la fouveraine Magiftrature du
Parnaffe. L'Abbé Lenglet éprouva plus
d'une fois combien il eft dangereux de fe
charger de la Police Littéraire.
Ce Savant fi laborieux, fur la fin de fes
jours , s'appliqua à la Chymie ; & comme
fon travail ne l'avoit pas rendu riche , il
eut la folie de chercher la pierre philofophale.
Il voulut auffi être lui- même
fon Médecin. La confiance qu'il avoit
2 MERCURE DE FRANCE.
aux drogues de fa compofition penfa lui
couter la vie : il fe donna d'abord une efpèce
d'hydropifie , dont il ne guérit qu'en
fe rendant prefque étique. Après avoir eu
le bonheur d'échapper à fes remédes par
la force de fon tempérament , parvenu
à l'âge de quatre - vingt - deux ans , il périt
d'une manière funefte au mois de Janvier
1755. En rentrant chez lui ,fur les fix heures
du foir , il prit un Livre nouveau qu'on
lui avoit envoyé. C'étoit .
Il en lut quelques Pages , s'en .
dormit,& tomba dans le feu. Ses voifins accoururent
trop tard pour le fecourir ; il
avoit la tête prefque brulée lorsqu'on le retira
du feu. *
La Liſte prodigieufe des Ouvrages qu'il
a compofés ou publiés , n'eft pas moins fingulière
que fa vie . Avec le Nouveau Teftament
en Latin , le Diurnal Romain en
François , l'Imitation de Jefus Chrift en
forme de Prières , peut- on n'être pas fcandalife
d'y trouver le Roman de la Rofe ,
les Arrêts d'Amour , le Traité de l'Ufage
des Romans ? Ecrivain pour & contre
, comme font tous ceux qui cherchent
moins à fe faire eftimer dans les Lettres
qu'à en vivre , à peine l'Abbé Lenglet eat-
Abrégé de la vie & c .
*
JUILLET. 1761 93
il fait paroître ce dernier Ouvrage fi répréhensible
, & qu'on a appellé avec raifon
l'Ecole de l'Epicuréifme le plus groffier
, que pour éviter la punition que méritoit
cette production cynique , il la critiqua
lui même dans un autre Livre intitulé
l'Hiftoire juftifiée contre les Romans .
Sa Réfutation de Spinoza n'eft rien moins
que ce que promet le Titre. C'est au contraire
une pernicieufe Compilation de
tous les Argumens des plus fameux Spinofiftes.
En parcourant le Catalogue de
fes Ouvrages , on voit que la Théologie ,
l'Hiftoire , la Littérature , la Politique
la Galanterie , la Satyre , en un mot le
Sacré & le Prophane ont tour - à - tour , &
peut - être avec la même indifférence ,
exercé la plume de cet Ecrivain licentieux.
La feule de fes Productions qui lui
faffe véritablement honneur , eft fa Méthode
pour étudier l'Hiftoire , dont il a donné
tant d'Editions , & qui eft en effet un des
meilleurs Livres que nous ayons en ce
genre . Nous croyons devoir , pour tous
les autres Ouvrages qu'il a compofés ou
dont il a été l'Editeur , renvoyer nos Lecteurs
au Catalogue dont nous venons de
parler . On trouvera dans les favantes recherches
de celui qui l'a publié , une pro
fonde érudition , une faine Critique & af94
MERCURE DE FRANCE.
fûrément plus de goût que n'en avoit M.
l'Abbé Lenglet. Son Hiftorien n'eft pas
fimplement un Bibliographe très - inf
truit , c'eſt un Philofophe éclairé qui fait
apprécier les connoiffances & l'ufage des
talens. A ces traits caractériſtiques , nous
pourrions reconnoître l'Auteur eſtimable
de différens morceaux Hiftoriques qui ont
été accueillis du Public : mais quelques
raifons qu'ait un Ecrivain de garder l'Anonyme,
nous croyons qu'on doit toujours
refpecter le voile dont il a voulu fe cou
vrir. » Un Auteur qui renonce ainfi à la
» gloire que tout Ecrivain croit toujours
≫ pouvoir retirer de fon Ouvrage , mérite
» bien du moins , pour récompenſe de ſa
» modeftie , ou de la juftice qu'il fe rend .
» qu'on ne tire pas le voile derrière lequel
» il fe dérobe aux yeux du monde , fût- ce
» pour l'honorer ». L'Abbé de S. Réal de
la Critique , chap. 1.
JUILLET. 1761 95
LETTREfur la Defcription du MAUSOLES
de Mgr le Duc DE BOURGOGNE,
A M. D. L. P.
ONSIEUR ,
Je ne crois pas que le terme de Maufolée
employé dans la defcription imprimée
de la Pompe funébre pour Monſeigneur
le Duc de Bourgogne , foit le mot
propre ; il me femble au contraire trèsoppofé
à l'idée que l'on doit donner &
que l'on a en effet, de ces fortes de décorations.
L'etymologie du mot de Maufolée eſt
naturellement dans fon origine Hiftorique
, perfonne ne l'ignore. Le nom de
Maufole a produit celui de Maufolée ; &
ce Monument , compté au nombre des
merveilles de l'Art, étoit deftiné à contenir
& à garantir des ravages du temps , les
cendres du Prince pour lequel il avoit été .
érigé. L'idée que l'on a dans notre langue
de ce terme , eft exactement conforme à
cette origine. Jamais on n'a entendu &
l'on n'entendra autre chofe par la quali
6 MERCURE DE FRANCE.
fication de Maufolée, qu'un monument durable
, compofé des matières les plus folides
, & élevé fur le tombeau de quelqu'un
dont on veut perpétuer la mémoire. Qu'y
a- t-il de plus oppofé à cela , qu'une décoration
mobile , deftinée à orner pendant
une Cérémonie de trois ou quatre heures ,
la place où l'on dépofe un cercueil , pour
le lever de cet endroit & l'inhumer enfuite
dans le lieu deftiné à cet ufage ? Après
quoi toute la décoration difparoît & il
n'en reste aucun veftige fur le corps du
Prince défunt , ni aux environs. Je penfe
donc, que c'eft le terme de Catafalque qui
convient en cette occafion . Mais je crois
entrevoir ce qui aura fair tomber dans
l'erreur les Artiftes , ou tels autres qui auront
rédigé cette defcription. Les Cata
falques font plus ordinairement conftruits.
pour des fervices ou commémorations, que
pour des Obféques ; d'où ils auront inféré
que pour cette derniere cérémonie , le
terme étoit impropre. Il n'eft donc pas
inutile , pour l'exactitude de notre langue,
de faire obferver que le mot de Catafalque
eft un mot générique qui fignifie toute
décoration funébre ; & que par l'ufage , on
l'a appliqué aux décorations mobiles &
paffagères .Il y a un mot particulier pour fi
gnifier les répréfentations où il n'y a poine
de
JUILLET. 1961 . 97
de corps déposé, ce mot eft Cenotaphe, par
lequel on entend un tombeau vuide .
Ce qui me confirme dans l'opinion que
Catafalque eft le feul terme que l'on dûc
employer en cette occafion , eft l'étymologie
que j'en ai recherchée : ce mot nous
vient de l'Italien ; mais les Italiens l'ont
probablement pris dans leGrec.Nous trou
vons dans ce mot celui de Kara ,prépofition
qui fignifie de , infuper , in , fecundum ,
verfus , propter &c ; & le verbe alo ,
in lucem edo , oftendo , indico , praluceo ;
d'où eft compofé le verbe Karapaiva , declaro
, affirmo , oftendo. L'analogie eft
fenfible avec l'ufage de nos Catafalques :
J'annonce , j'indique fur quelque chofe ;
& pour fe faire nieux entendre , ofons
nous fervir d'un expreffion triviale , je
fers d'enfeigne. Telle eft la fignification
naturelle du verbe Grec. On fent avec
quelle jufteffe il fe rapporte à l'uſage des
Carafalques. Si l'on aime mieux faire dériver
ce mot d'un autre verbe Grec Kataparrála
, le fens fe trouvera encore plus
relatif. Ce verbe , qui fignifie faire paroître,
rendre les chofes préfentes par des images ,
femble convenir particulierement aux Catafalques.
Ainfi , foit que ces fortes de décorations
couvrent ou ne couvrent pas
pour quelques momens , un cercueil , elles
I. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
n'en font pas moins des repréſentations
d'attributs de chiffres ou d'allégories , qui
indiquent les titres , les dignités & les
vertus de la perfonne pour laquelle eft
deftinée la Pompe Funébre ; conféquemment
il n'y a que ce nom quifoit applicable
à ces fortes de décorations . Celui de Maufolée
produit une erreur trop groffière ,
puifqu'il fignifie précisément toute autre
choſe que celle dont on donne la defcription.
Je fuis perfuadé que vous aurez eu la
même idée ; je ne fais que vous prévenir,
dans la crainte que cette Obfervation
n'échappât dans le nombre des Pièces que
vous êtes obligé de voir. Vous fçavez
comme moi , que le Mercure a fait autorité
& le fait encore journellement en différentes
occafions. Il n'eft donc pas convenable
d'y laiffer inférer des méprifes de
cette nature fans les relever .
J'ai l'honneur d'être , Monfieur & cher
Confrère, avec tous les fentimens , & c.
D. L. G. Penfionnaire Adjoint au Mercure.
JUILLET. 1761 . ୨୨
LETTRE de M. DE CAMPIGNEULLES
des Académies Royales d'Angers , de
Villefranche , de Caën , & de la Société
Littéraire- Militaire , Tréforier de France
en la Généralité de Lyon , à M. DE LA
PLACE , Auteur du Mercure.
AYAYANT appris , Monfieur , que plufieurs
perfonnes, tant àParis qu'en Province, m'attribuaient
un Livre nouveau intitulé Candide,
feconde partie, j'ai cru devoir défavouer
cet ouvrage de la manière la plus précise , la
plus propre à me concilier la bienveillancedes
gens vertueux que j'honore , & dans
l'efprit defquels mon filence auroit pu produire
un effet fâcheux. Je les prie inftamment
d'être bien convaincus que je n'ai jamais
rien écrit de contraire à la décence
aux principes de la morale & de la vraie
religion; que la fuite de Candide n'eft point
de moi ; que je défapprouve la licence qui
y regne & l'efpéce de Philofophie qu'on y
trouve à chaque page ; qu'enfin de toutes
les brochures qu'on a mifes fur mon compte
, je n'ai véritablement compofé que de
foibles effais fur divers fujets , imprimés
E ij
636312
100 MERCURE DE FRANCE.
avec beaucoup de fautes en 1758 , & .des
Anecdotes fur la fatuité, fuivies de recher
ches & de réflexions fur les Petits- Maîtres
anciens & modernes . Si cet ouvrage a
joui d'un affez grand fuccès , je ne doute
pas que le genre d'utilité qu'il comporte
n'en foit la premiere caufe. LeFrançois porte
tout à l'extrême : L'Enthouſiaſme pour
le fervice de Cérès lui fait abandonner le
culte des Muſes . Les Poëtes , les Littérateurs
font confidérablement tombés. Un
faifeur de Madrigaux , pour être quelque
chofe , eft obligé de bâtir un petit traité ſur
l'Agriculture.On feroit tenté de croire que
toutes nos terres vont être en valeur &
nos efprits en friche. Après tout , cet entoufiafme
paffager pourra faire un grand
bien à la Nation ; je ne cherche point à le
ralentir mais je m'applaudis feulement
que mon ouvrage ait paru dans un tems où
l'on croyoit encore qu'il étoit utile & glorieux
de déraciner les vices , & de faire la
guèrre à des ridicules infupportables dans
la Société. J'en reviens à la fuite de Candide.
Quoique quelques gens de Lettres
l'ayent trouvée affez bien écrite pour parer
qu'elle étoit d'un homme très- célébre
en Europe ; encore un coup , Monfieur , je
la défavoue abfolument; & je vous prie inf
JUILLET. 1761. IOI
tamment dè rendre cette Lettre publique.
J'ai l'honneur d'être , & c.
THOREL DE CAMPIGNEULLES.
A Lyon , ce 28 Mai 1761 .
P. S. C'est particuliérement dans le pays
que j'habite, que , foit par ignorance ou par
mauvaiſe foi , on fe plaît à m'attribuer je
ne fais combien de petites brochures , parmi
lefquelles il s'en trouve qui feroient un
tort ſenſible à mon coeur & à mon efprit .
Il eft bon que les gens qui ne me connaiffent
pas apprennent que je ne fais guères
de petites brochures . Ceux qui me connaiſfent
me rendent juftice.
. DE LA VIE & des Maurs des Chanoines
; par Denis Rikel , Chartreux ; Ouvrage
également utile à tous les Eccléfiaftiques
. Traduit du Latin, par M. l'Abbé
de Mery , Prêtre & Licentié en Théologie
. In- 12 . Louvain , 1761 ; & le trouve
à Paris , chez Guillaume Defprez, Libraire
, rue S. Jacques.
ANALYSE de l'Ouvrage du Pape Benoit
XIV. (ur les Béatifications & Canonifations
, approuvée par lui-même & dédiée
au Roi. Volume in 12. Paris , 1761 , chez
E iij
702 MERCURE DE FRANCE.
Lottin le jeune , rue S. Jacques , au coin
de la rue de la Parcheminerie . On trouve
chez le même Libraire , qui vient
d'acquérir le fonds du fieur Hardy , les
ELEMENS des Sciences & des Arts Littéraires
, traduits de l'Anglois de Benjamin
Martin , 3 vol. in- 12.7 1. 10 f.
Le premier Volume traite de la Théologie
, Grammaire & Rhétorique &c. Le
II de la Logique , Métaphyfique , Géographie
ancienne & moderne , de l'Hiftoire
& Phyfiologie & c. Le III de la
Botanique , Anatomie , Pharmacie , Médecine,
Politique & Economie , de la Jurifprudence
& du Blafon &c.
I.E SPECTACLE des Beaux- Arts, ou Confidérations
touchant leur nature , leurs objets
, leurs effets & leurs régles principales
; avec des obfervations fur la manière
de les envifager ; fur les difpofitions néceffaires
pour les cultiver , & fur les
moyens propres pour les étendre & perfectionner
, vol . in- 12 . 2 1. 10 f.
Cet Ouvrage qui fert de Suite au Spectacle
de la Nature de M. PLUCHE , traite
des Beaux- Arts en général ; de leur naiffance
, de leur progrès , & de leur décadence
; des différens âges & pays où ils
JUILLET. 1761 . 103
ont fleuri ; de la Verfification Françoife ;
de la Poëfie & de fes différens genres ; de
la Langue Françoife par rapport à la Poëfie
& à la Mufique ; de la Mufique & de
fes différens genres &c.
MANUEL de l'Homme du Monde , ou
connoiffance générale des principaux états
de la Société , & de toutes les matières
qui font le fujet des converfations ordinai
res. Ce qui a pour objet les diverſes dignités
, charges , commiffions , dans le Civil ,
le Militaire , la Finance , le Commerce ;
les Maifons Souveraines de l'Europe , le
droit de chaque Souverain &c. Les notions
éffentielles fur les affaires civiles &
fur les engagemens que l'on contracte ; les
parties principales des Belles- Lettres , &
les hommes célébres en tous les genres ;
les chofes remarquables qui concernent
particulièrement la Ville de Paris , comme
les Compagnies de Juſtice, les diversCorps
établis pour le progrès des Sciences & des
Arts , les Spectacles , les Monumens publics
, & tout ce qui mérite l'attention
des Patriotes & des Etrangers. Par ordre
alphabétique. Gros in- 8 ° . Paris , 1761 ..
chez Guillyn , quai des Auguſtins , près
du Pont S. Michel , au Lys d'Or . Cet
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
Ouvrage nous paroît auffi utile que
fait.
bien
LA VIE & l'Efprit de S. Charles Borromée
, Cardinal de Ste Praxede , Archevêque
de Milan . Par le R. Père Antoine
Touron , de l'Ordre des Frères Prêcheurs .
Grand in - 12 . 3 vol. A Paris , chez Butard
, Libraire, rue S. Jacques, à la Vérité.
ÉLÉMENS d'Arithmétique , d'Algèbre ,
& de Géométrie , avec une Inftruction
aux Sections coniques : Ouvrage utile,
pour difpofer à l'étude de la Phyfique &
des Sciences Phyfico - Mathématiques.
Par J. M. Mazéas , Profeffeur de Philofophie
en l'Univerfité de Paris , au Collège
Royal de Navarre . Seconde Edition , revue
, corrigée & augmentée par l'Auteur.
In- 8°. Paris , 1761 , chez P. G. Le Mercier
, Libraire , rue S. Jacques , au Livre
d'Or.
HISTOIRE UNIVERSELLE Sacrée & Profane
, compofée par ordre de Mefdames
de France , par M. Hardion , de l'Acadé->
mie Françoife , de celle des Infcriptions
& Belles- Lettres , Garde des Livres du
Cabinet du Roi. In- 12 , Tomes 13 & 14.
Paris , 1761 , chez Guillaume Desprez ,
JUILLET. 1761. 105
rue S. Jacques , à S. Profper & aux trois
Vertus. Nous nous propofons de rendre
bientôt compte de ces deux nouveaux
volumes , qui ne démentent point ceux
qui les ont précédés. Le prix des deux volumes
eft de liv . reliés . S
FABLES NOUVELLES divifées en 6 Livres
, avec des notes & un difcours fur la
manière de lire les Fables , ou de les réciter.
Nouvelle Edition revue , corrigée
& confidérablement augmentée . Par M.
l'Abbé Aubert, Volume in - 16 , ſoigneufement
imprimé ; qui fe vend à Paris
chez l'Auteur , Place Dauphine ; chez
Defaint & Saillant , rue S. Jean de Beauvais
; Duchesne , rue S. Jacques ; & chez
Langloisfils, au bas de la rue de la Harpe .
Deux Parties réunies en un vol . Prix, a 1.
Nous rendrons compte de cet Ouvrage ,
qui ne peut que faire beaucoup d'honneur
à fon Auteur.
LA VIE de Laurent de MEDICIS , furnommé
le Grand , & le Père des Lettres ,
Chef de la République de Florence ;
adreffée au Pape Leon X : traduite du
Latin de Nicolas Valori , fon contemporain.
Avec des notes & quelques Piéces
anciennes qui ont rapport au même Su-
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
jet. In- 12 . Paris , 1761. Chez Nyon , Libraire
, quai des Auguftins , à l'Occafion .
Prix , 1 liv. 16 f.
RÉFLEXIONS fur les Principes de la Juftice
, Brochure in - 12 , de 150 pages.
Paris , 1761 , chez Leclerc , Libraire au
Palais ; par l'Auteur de l'Inftruction facile
Jur les Conventions : Ouvrage où il a krouvé
la vérité de l'Epigraphe qu'il a placée
au Frontifpice de celui ci.
Onpourroit recueillir dans un très -petit
volume , toute la fubftance de ces Principes
généraux , quifont dictés par la Loi
naturelle & qui influent fur toutes les
décifions des Juges .
M. le Chancelier d'AGUESSEAU , dans
fon Inftruction fur l'Etude du Droit.
EUVRES diverfes de Grécourt, nouvelle
Edition , foigneufement corrigée , & augmentée
d'un grand nombre de Piéces qui
n'avoient jamais été imprimées . in- 16 ,
Luxembourg , 1761 ; 4 Volumes , avec le
Portrait de l'Auteur. On en trouve des
Exemplaires chez Duchefne , rue S. Jacques.
HISTOIRE de l'Univerfité de Paris , depuis
fon origine jufqu'en l'année 1600 .
JUILLET. 1761 . 107
Par M. Crevier , Profeffeur Emérite de
Rhétorique , en l'Univerfité de Paris , au
College de Beauvais. in- 12 , 7 Volumes ;
Paris , 1761 , chez Defaint & Saillant ,
rue S. Jean de Beauvais , vis- à - vis le Col
lége. Les 7 Volumes reliés , 21 liv .
LES COMPTES FAITS de Barême , où l'on
trouve les fupputations qui fe font par
les Multiplications , pour la valeur de
quelque chofe que l'on puiffe imaginer ,
& à telle fomme qu'elles puiffent monter.
Ouvrage très - utile à tous Tréforiers , Officiers
, Entrepreneurs , Négocians , & même
à ceux qui ne ne favent pas l'Arithmétique
; jolie Edition , in- 24 , par conféquent
très-portative . Paris , 1761 , chez
Nyon , Quai des Auguſtins , à l'Occafion.
TRAITÉ de la défenſe intérieure & extérieure
des redoutes , avec cinq grandes
Planches. Par M. De Touzac, Lieutenant
réformé du Régiment de Poitou , & Ingénieur-
Géographe du Roi . Volume in-
8°. gravé par M. Chambon , de la Société
Littéraire & Militaire. A Paris , chez
Claude Hériffant , Imprimeur Libraire ,
rue Notre - Dane , à la Croix d'Or. 1761 .
Programme de l'Auteur.
Monintention,en préſentant ce Traité,
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
"
1
eft d'être utile à tous les Officiers , & T
à tous ceux qui fe deftinent à l'Art Militaire.
Les différentes pofitions des terreins
m'ont fait reconnoître , après plufieurs
Campagnes de Bohême , d'Italie , des Alpes
& d'Allemagne ; la néceffité où tous
les Officiers font de fçavoir tirer avantage
des terreins pour la conftruction des Re- .
doutes , qui peuvent leur convenir. Ce
que je préfente , n'eft que le fruit de mes
travaux pendant plus de vingt ans de fervice.
Je ne me fuis déterminé à préfenter cet
Ouvrage , qu'après l'avoir communiqué à
des perfonnes diftinguées : leur fuffrage
augmente ma confiance & mon zéle. Si le
Public en juge auffi favorablement, & que
ce petit Traité puiffe être utile, cela m'engagera
à publier d'autres Ouvrages théoriques
& pratiques fur l'Art Militaire.
Conditions.
Le prix de chaque Exemplaire eft de
liv. 10 f. broché.
On ne fera reçu à foufcrire que jufqu'au
mois d'Août 1761 : paffé ce temps , chaque
Exemplaire fe vendra 7 liv. 10 f. fans
pouvoir efpérer aucune diminution.
Nota. Les perfonnes qui voudront s'afJUILLET.
1761 . 109
farer de la beauté de la Gravure , & de
l'exactitude des Plans , s'adrefferont à M.
Chambon , Graveur de la Société Littéraire
& Militaire , rue S. Jacques , près
ļa rue Galande , au Papillon .
ABRÉGÉ DE L'HISTOIRE des Plantes
Ufuelles dans lequel on donne leurs
noms différens , tant François que Latins ;
la manière de s'en fervir ; la dofe , & les
principales compofitions de Pharmacie ,
dans lesquelles on les emploie. Par feu
Pierre-Jean- Baptifte Chomel , Docteur-
Régent , & ancien Doyen de la Faculté de
Médecine de Paris , Confeiller- Médecin
ordinaire du Roi , Affocié vétéran de
l'Académie Royale des Sciences . Nouvelle
Edition , revue , corrigée & aug
mentée. Paris , 1761 , 3 Volumes in- 12 .
Se vendent chez la Veuve Didot , Nyon ,
la Veuve Damonneville Leclerc , &
Guillyn , Libraires Quai des Auguftins
; chez Cavelier , rue S. Jacques ,
d'Houry , rue de la Bouclerie, & Durand,
rue du Foin .
>
"
AVIS aux Soufcripteurs du Cours d'Hif
toire & de Géographie univerfelle.
- MESSIEURS LES SOUSCRIPTEURS ,
mé110
MERCURE DE FRANCE.
contens à fi jufte titre , d'attendre depuis
huit mois la fuite du COURS D'HISTOIRE
UNIVERSELLE , font trop équitables pour
imputer à l'Auteur les obftacles qui l'ont
arrêté jufqu'à préfent . Perfonne n'avoit un.
intérêt plus fenfible à la continuation
d'un Ouvrage qu'ils avoient honoré d'un
accueil favorable. Animé dans fon travail
par un encouragement
fi flatteur , on ne
peut le foupçonner
d'en avoir lui -même
fufpendu le cours. Il s'y eft vû malheureufement
forcé par une cauſe tout - à- fait
étrangère.
Il croiroit devoir rougir s'il étoit obligé
de fe juftifier fur l'emploi des fonds. Les
perfonnes qui ont foufcrit n'ignorent
pas que la remife de ces fonds a été faite
à l'Imprimeur , qui en eft encore actuellement
dépofitaire . Quoique cet Imprimeur
fût chargé des frais de l'Edition , cette
difficulté n'auroit pas empêché l'Auteur
de continuer à remplir fes engagemens
vis -à- vis du Public ; mais retenu à chaque
inftant par des procédures multipliées , il
n'a pû fuivre ce projet fans y être autorifé.
C'eft uniquement dans cette vue , dégagée
de tout autre motif que celui de répondre
aux bontés du Public, en réparant
un délai trop long, mais involontaire , qu'il
prie MESSIEURS LES SOUSJUILLET.
1761. Fri
CRIPTEURS de vouloir bien lui faire
parvenir à l'adreffe qu'il a l'honneur de
leur communiquer , des copies collationnées
, des Quittances de Soufcription , qui
leur ont été données : & comme il auroit
arriver que par inadvertance ou quelqu'autre
raison, plufieurs perfonnes euffent
foufcrit fans recevoir des quittances , on invite
ceux qui font dans ce cas, de marquer
la datte du jour qu'ils auront foufcrit , &
le nombre des feuilles qu'on leur a fournies
; la connoiffance exacte des Soufcripteurs
étant abfolument néceffaire pour
prévenir toute négligence.
* A MONSIEUR L'ABBE' LUNEAU
DE BOISJERMAIN , rue & à côté de la
Comédie Françoife.
Avis aux Soufcripteurs du Dictionnaire
Univerfel des Sciences Eccléfiaftiques.
LE fieur Jombert , Libraire du Roi ,
vient de mettre au jour les 3. & 4°. Volumes
du DictionnaireUniverfel des Sciences
Eccléfiaftiques : le temps & les circonftances
ne lui ont pas permis de tenir
l'engagement qu'il avoit contracté avec
le Public , de donner cet important Ouvrage
en deux livrains feulement, mais
112 MERCURE DE FRANCE.
le fetard de la livraifon du s . vol . ne
fera prolongé que jufqu'au courant de
Décembre prochain . MM. les Soufcripteurs
font priés d'envoyer le coupon de
la reconnoiffance de Soufcription qui
leur refte en faifant retirer ces deux volumes
: le fieur Jombert leur donnera une
nouvelle reconnoiffance pour retirer gratis
le 5. volume.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES,
ACADÉMIE S.
EXTRAIT du Difcours prononcé au Collége
Royal de France , le 5 Mai. Par
M. DELALANDE , de l'Académie
Royale des Sciences.
UN ufage ancien & toujours obſervé
par MM. les Profeſſeurs Royaux , eſt de
prononcer lors de leur réception un Difcours
Latin fur la Science qu'ils doivent
profeffer ; ce ne font point ici de vaines
cérémonies , mais prèfque toujours des
Differtations importantes , qui fervent à
JUILLET. 1761 .
éclaircir des queftions , ou à préfenter fous
des traits plus intéreffans, ce qu'il importe
aux hommes de connoître ; tel fut furtout
le difcours de M. Delalande : l'utilité
des Mathématiqués dans l'ufage de la vie ,
le fecours qu'elles procurent aux hommes,
leur application immédiate à nos befoins ,
lui fourniffoient une matière qu'il auroit
su peine à ébaucher, s'il n'avoit fçû fe borner
aux chofes les plus éffentielles & en
même temps le moins connues .
Les hommes jouiffent à tous momens
des avantages que les Sciences leur ont
procurés , fans en apperçevoir le progrès,
les difficultés , l'importance. Parmi les
ravaux de l'Académie des Sciences , on
rouve fur- tout une infinité de chofes dont
'application eft auffi utile , que l'invenion
en eft ingénieufe. La découverte des¹
Télescopes , la conftruction des Miroirs
rdens , les Pompes , les Syphons , les
Fortifications , l'Artillerie , la Navigation ,
la conftruction & la manoeuvre des Vaiffeaux,
la Perſpective, l'Architecture, l'Hydraulique
, la Gnomonique , l'Horlogerie ;
que de chofes où l'humanité puife fans
ceffe des fecours, & dont la perfection intéreffe
par conféquent tous les hommes !
La fondation du Collège Royal de
France par François I , fut un des premiers
114 MERCURE DE FRANCE.
traits par lesquels ce Monarque Reſtaura
teur des Lettres , fignala ſa protection &
fon amour pour les Sciences ; mais cet établiſſement
fameux & qui conferve encore
tout fon éclat, eft furtout utile à la France
pour ce qui concerne les Mathématiques;
c'eſt le feul endroit ou l'on puiffe apprendre
ce qu'elles ont de fublime & de relevé
, où l'on puiffe trouver chaque jour
des Mathématiciens prêts à éclaircir toutes
les difficultés , & à procurer tous les
fecours que des perfonnes ftudieufes peuvent
fouhaiter.
L'éloge de ce Monarque , Fondateur
eft devenu auffi indifpenfable dans les difcours
du College Royal , que celui du Cardinal
de Richelieu dans les complimens
de l'Académie Françoiſe . M. Delalande
tira le fien principalement du nombre des
grands hommes que François I. fut favorifer
& raffembler ; qui illuftrérent fon regne
, & formérent la révolution de l'efprit
humain . De là venoit affez naturellement
l'éloge des premiers Profeffeurs
Royaux qui jouirent tous dans ce tempslà
, de la plus haute réputation , mais qui
n'ont point dégéneré fous les regnes fuivans
; tout ce qu'il y a eu de plus fameux
dans les Lettres , pour les Langues Orientales
, les Mathématiques , la Philofophie,
JUILLET. 1761 .
le Droit Canon, la Medecine, l'Eloquence ,
fe voit dans l'Hiftoire de ce bel établiffement
donné par M. l'Abbé Goujet en 3
vol . in-12. M. Delalande ne dit rien de
trop, en affurant qu'on auroit peine à citer
un des Profeffeurs Royaux qui n'ait pas
été un homme illuftre dans quelqu'une
des parties qu'on y enfeigne : Vatable
Danez, Gaffendi , Roberval , Lahire, Varignon
, d'Herbelot , Rolin , Patin , Tournefort
, Geoffroy , Baluze furent des gens
uniques de leur temps & dans leurs genres
, qui illuftrérent furtout cet établiffement
, & lui donnérent la réputation dont
il jouit encore en Europe.
L'éloge du Roi regnant fourniffoit à
l'Orateur une vafte carrière,fans fortir de
fon Sujet , je veux dire des Sciences Phyfiques
& Mathématiques ; on fait que ce
Prince, dont le Gouvernement a pour caractère
diſtinctif la modération & la douceur
, donne aux Sciences toute l'activité
imaginable , les cultive , les protége d'une
manière efficace , & ne leur refufe aucun
des fecours que les Savans lui demandent .
Combien l'Académie des Sciences furtout
ne lui doit- elle pas de reconnoiſſance &
d'éloges ? Des voyages en Laponie , & en
Amérique , nous ont appris la figure de la
Tèrre ; les voyages en Afrique & en Al116
MERCURE DE FRANCE.
lemagne nous ont appris les diftances de
la Lune à la Tèrre , & nous ont procuré
un Catalogue de dix - mille Etoiles qu'on
ne voit pas fur notre horifon ; actuellement
même l'Académie vient d'envoyer
avec les fecours de l'Etat , aux Indes , en
Afrique , en Sibérie des Obfervateurs pour
le paffage de Vénus fur le Soleil qui doit
faire connoître la diftance du Soleil & de
toutes les Planetes entr'elles & par raport
à la Tèrre .
M. le Comte de S. FLORENTIN , qui affiftoit
à la cérémonie , devoit entrer naturellement
pour quelque chofe dans l'é--
loge de la protection que reçoivent aujourd'hui
les Sciences ; lui qui eft actuellement
le Miniftre , chargé du Département
des Académies , qui depuis plus de
vingt ans remplie une place d'Honoraire
dans celle des Sciences , & n'a jamais rien
oublié de ce qui pouvoit fignaler fon amour
pour les connoiffances qu'on y cultive . Le
College Royal en particulier a été l'un
des objets de fa protection & de fon zéle ;
la guerre feule a empêché qu'il ne lui
donnât une nouvelle face , en logeant d'une
manière plus décente ce nouveau Lycée ,
& en augmentant les fecours qu'on lui accorde
chaque année ſur le Tréfor Royal.
Parmi les chofes importantes qu'un État
JUILLET. 1761. 117
doit à la culture des Sciences , le progrès
de la Navigation eft certainement une
des plus confidérables ; la découverte des
Longitudes qui a été cherchée & defirée
fi long-temps , eft comme faite aujourd'hui
par le travail des Aftronomes ; les mouvemens
de la Lune étant obfervés chaque
jour fur un Vaiffeau , l'on en conclut fans
peine la Longitude à quelques lieues près ;
& l'on eft à portée de rectifier l'eſtime
des Pilotes , qui fans cela s'écarte fouvent
de deux cent lieues & davantage. Le célébre
Morin , l'un des Profeffeurs Royaux
fous Louis XIII , fut l'inventeur de cette
belle méthode , à laquelle on n'a prèſque
ajoûté que l'exactitude des calculs & la
précifion des inftrumens ; & c'eft pour
fervir à cette recherche des Longitudes
fur Mer, que l'Académie des Sciences pu
blie chaque année un Catalogue des lieux
de la Lune à midi & à minuit de tous les
jours ; ce travail fait partie de la connoiffance
des mouvemens céleftes que M. Dela
lande lui- même compofe depuis plufieurs
années.
Quelle haute idée ne doit- on pas fe former
, dit M. Delalande , de l'importance
de ces recherches , en voyant un prix de
cinq cents mille livres , qu'avoit propofé
pour la découverte des Longitudes , cette
718 MERCURE DE FRANCE.
Nation indomptée, qui par fa Marine femvouloir
envahir notre commerce , nos
Colonies , nos Côtes , notre liberté même ?
Les Anglois ont appris de Cromwel ce
qu'apprit Themiftocle aux Athéniens , Pompée
aux Romains , Colbert à Louis XIV ;
que quiconque eft maître de la Mer , devient
bientôt maître de tout le refte.
Si les befoins de la fanté nous paroiffent
encore plus immédiats que ceux de la
Splendeur & de la Puiflance de l'Etat ,
nous trouvons dans les Mathématiques
une application à la Medecine fur laquelle
M. Delalande infifta beaucoup dans fon
difcours , parce qu'elle eft peu connue.
.
L'Aftrologie infecta pendant plufieurs
fiécles la Médecine. On parloit alors des
conjonctions féches ou humides , de planetes
froides , malignes , bienfaifantes ,
d'aſpects , de maifons , d'horofcope . On a
banni avec raifon ces rêveries ; mais il eſt
une influence de corps céleftes , auffi réelle
que les autres étoient chimériques , appuiée
fur des faits & fur des raifonnemens
naturels , dont on n'a pas encore ofé s'occuper
, de peur de paroître revenir à l'ancienne
fuperftition.
Cependant on connoît aujourd'hui l'attraction
générale & réciproque de tous
les Corps qui exiftent dans la nature ; on
JUILLET. 1761 . 119
fait que le Soleil & la Lune en particulier
font capables de faire monter toutes
les eaux de la Mer , de balancer l'axe du
monde , de produire dans la Mer pacifique
un vent alifé & conftant qui ne ceffe
jamais. Une force fi puiffante , qui ſe manifefte
dans le Ciel , fur la Tèrre , fur la
Mer , & fur la maffe de l'Air qui nous environne
, pourroit- elle n'avoir aucun effet
fur nos corps ? Voyons ce qu'en ont obfervé
les Médecins les plus célébres , ceux
même qui ont écrit depuis que l'Aftrologie
eft oubliée , ils ne parlent tous que de
nombre fepténaires , de crifes régulières ,
de mortalités arrivées au moment de certaines
Eclipfes ; on y voit des maladies
dont les Paroxifmes fuivoient à la minute
le flux & le reflux de la Mer , d'autres
dont les retours s'accordent avec les Phafes
de la Lune , d'autres enfin qui ont un
rapport vifible avec l'Apogée & le Perigée
de la Lune , ou avec fes paffages par l'Equateur.
"On fait par les calculs de l'Attraction
. que toutes ces circonftances doivent
en effet y entrer , & influer plus ou
moins fuivant l'état du Ciel au commencement
de la maladie;il eft vrai que les Médecins
ne favent ce que c'eſt qu'Apogée ,
Périgée, ou Equateur ; maispourquoi n'en
croiroient- ils pas un Mathématicien qui
120 MERCURE DE FRANCE.
paroît avoir cultivé la Medecine , & qui
leur annonce des connoiffances nouvelles
qu'ils peuvent ailément acquérir en joi
gnant un peu l'étude des Mathématiques
å celle de la Medecine ? Pour y contribuer
autant qu'il eft en fon pouvoir , M. Delan
"Lande a annoncé que les leçons qu'il donnera
cette année trois fois la femaine au
College Royal , auront pour objet l'attraction
générale & réciproque des corps céleftes
, la preuve de cette loi & les effets
qui en résultent .
200
HISTOIRE NATURELLE.
AVIS aux Amateurs d'Ornithologie .
Li■ P. Fourcault , Religieux Minime
& Naturalifte , qui depuis vingt ans eft
connu de tous les Savans , & a reçu de
l'Académie des Sciences les témoignages
les plus honorables de confidération , excelle
furtout dans l'art de préparer & de
conferver les oifeaux , de leur donner les
attitudes , la vivacité , & pour ainfi dire
la vie ; enfin de les défendre des Infectes
qui les détruifent ; il en a fait à Mâcon
qui eft le lieu de fa réfidence , une collection
auffi complette & auffi rare qu'on
en puiffe voir dans le Royaume ( excepté
le
JUILLET. 1761 . 121
le Cabinet du Roi ) . Il y a joint les nids
& les oeufs de la plupart de ces oifeaux ;
enfin il a enrichi fon cabinet de plufieurs
quadrupedes rares & étrangers.
Cette précieufe collection , dont le P.
Fourcaule eft obligé de fe défaire , à quelque
prix que ce foit , au plus tard dans le
mois de Novembre prochain , en détail
ou en maffe , fera pour les Curieux une
occafion bien précieuſe & bien rare de
s'enrichir dans ce genre- là. On pourra
traiter avec le P. Fourcault par lettres ,
en affranchiffant le port.
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS UTILE S.
AGRICULTURE.
M. LE CONTRÔLEUR GÉNÉRAL , qui s'oc
cupe beaucoup de l'augmentation de l'Agriculture
, fource des richeffes de l'État ,
ayant repréſenté au Roi, que rien ne contribueroit
davantage à la rendre floriflante
, que d'établir dans toutes les Généra
lités du Royaume , des Sociétés compo-
I. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
fées d'un certain nombre de perfonnes
poffédant , ou cultivant des terres , éclai
rées par une pratique conftante , & diftinguées
dans leur état , qui s'occuperoient
uniquement de cet objet éffentiel ; il aété
rendu le 24 Février dernier un Arrêt
du Confeil d'État du Roi , qui ordonne
l'Établiffement d'une Société d'Agricul
ture dans la Généralité de Tours . Cette
Société eft compofée de trois Bureaux ,
dont l'un tient fes féances à Tours , l'autre
à Angers , & le trojfiéme au Mans :
cependant tous les Membres de la Société
ne forment qu'un feul Corps , ils ont
féance & voix délibérative dans les trois
Bureaux , lorsqu'ils fe trouvent dans le
lieu de leur établiſſement. Chacun de
ces trois Bureaux eft compofé de vingt
perfonnes dont les noms fe lifent à la
fuite de l'Arrêt . Les Affemblées ordinaires
de chaque Bureau fe tiennent une
fois par femaine ; les Délibérations de la
Société fur tous les objets de l'Agriculture
, & les Mémoires relatifs aux mêmes
objets doivent être adreffés au Contrôleur
Général des Finances , pour y être pourvu
par
le Roi. Les fieurs Verrier , Négociant
à Tours , Dubois , Profeffeur de Droic
en l'Univerſité d'Angers , & Duverger
JUILLET. 1761. 127
Négociant au Mans , qui font partie des
foixante Membres de cette Société , fone
nommés Secrétaires perpétuels des Bu
reaux établis dans les Villes de leur réfidence.
On doit un établiſſement auffi utile
au travail , aux foins & aux démarches
de M. le Marquis de Turbilly , Auteur de
l'excellent Ouvrage fur les défrichemens,
qui de concert avec M. l'Escalopier , Intendant
de la Généralité de Tours , s'eft
donné tous les mouvemens néceffaires
pour le former & le faire réuffir. Il a paru
dépuis un autre Arrêt du Confeil d'Etat
du Roi , rendu le premier Mars dernier ,
qui ordonne également l'Établiſſement
d'une Société d'Agriculture dans la Généralité
de Paris. Les difpofitions de cet
Arrêt font les mêmes que celles du précédent
, à l'exception que cette Société
eft compofée de quatre Bureaux , dont le
premier tient les féances à Paris , le fecond
à Meaux , le troifiéme à Beauvais ,
& le quatrième à Sens. Le Bureau de Paris
eft compofé de vingt perfonnes dont
les noms fe lifent à la fuite de l'Arrêt ,
& chacun des trois autres Bureaux, de dix
perfonnes qui doivent être défignées. M.
Palerne , Tréforier de Mgr le Duc d'Or
léans , l'un des vingt Membres du Bureau
de Paris, eft nommé Secrétaire perpétuel
Fij
724 MERCURE DE FRANCE.
de la Société . M. de Sauvigny , Confeiller
d'Etat & Intendant de la Généralité
de Paris, a formé cet établiſſement, d'autant
plus important pour le Royaume ,
que l'exemple de la Capitale produira le
meilleur effet dans les Provinces. Il a été
fecondé , dans cette opération , par M. le
Marquis de Turbilly.
CHIRURGIE,
Maitre ès LETTRE de M. FERRAND
Arts en l'Univerfité de Paris , Correfpondant
de l'Académie Royale des Sciences,
Belles-Lettres & Arts de Rouen , & Chirurgien
de l'Hôtel Royal des Invalides
à M. LAMI , Théologien de Sa Majefté.
Impériale , Profeffeur public d'Hiftoire
Sacrée de l'Univerfité de Florence ,
Membre de plufieurs Académies de
l'Europe &c ; fur la fenfibilité des parties
du corps animal , en réponſe à une
Lettre d'un Chirurgien de Turin , infe
rée dans le Mercure de France , Août
1769
MON
ONSIEUR,
Sile Chirurgien , Penfionnaire du Roi
JUILLET 1961. 121
de Sardaigne eût lû ma lettre ( a ) avec
attention , fans préjugés , & avec l'équité
qui doit toujours régler les jugemens que
nous portons fur les autres , il n'y auroit
point trouvé que je cherche à détruire la
réputation de l'illuftre Baron de Haller.
S'il eût été plus au fait de la queftion , il
fe feroit épargné les frais de fes réflexions
inutiles , qui , à travers le mafque de la
vérité dont il fe pare , laiffent entrevoir
une envie démesurée de critiquer plutôt
celle d'écrire fagement ; & il ne fe
feroit point avifé de vouloir défendre la
Doctrine de M. Haller , en produifant des
objections trop foibles pour éffrayer les
Partifans du Docteur Whytt.
que
Je n'ai prononcé le nom de M. Haller
qu'avec les égards & le refpect qui lui font
dûs. Tout le monde le connoît , comme
un Savant très - eftimable par différentes
découvertes auffi ingénieufes qu'utiles.On
ne peut difconvenir qu'il ne foit de tous.
les Phyficiens Modernes celui qui s'eft le
plus occupé de la Phyfique du corps humain
, & que perfonne n'a travaillé avec
tant d'ardeur à tirer la Phyfiologie des
ténébres de l'erreur où elle a été fi longtemps
enfevelie.Il est donc bien jufte de lui
(a ) Lettre à M. Vandermonde , Mercure d'Avril
,Tome II . 1760.
Fiij
16 MERCURE DE FRANCE:
décerner les honneurs dûs aux Savans
qui fervent l'humanité par leurs talens ,
qui l'éclairent par leurs lumières , & qui
l'ornent par leurs vertus . La reconnoiffance
nous fait un devoirfacré de ce tribut
d'éloges envers les grands hommes . L'intérêt
même du genre humain exige & reclame
ces hommages ( b )
Un témoignage auffi authentique de
refpect & de vénération , doit fans doute
me laver aux yeux du Public, de l'imputation
odieufe du Chirurgien de Turin , qui
péche par excès de zéle . Si j'ai pris la li
berté de propofer M. Haller pour exem
ple à ceux qui interrogent la Nature par
T'expérience , ç'a été pour leur faire voit
combien ils doivent fe tenir en garde contre
l'erreur ; puifqu'il y a apparence qu'un
grand homme s'eft lui- même trompé.
Vous le favez , Monfieur , on ne fau
roit apporter trop de précautions dans la
recherche de la vérité ; on ne fauroit
trop épier la Nature , pour me fervir de
l'expreffion du grand Fontenelle ; il faut
plus examiner , dit- il , que décider , fuivre
attentivement fa marche par des obfervations
exactes , & non pas la prévenir par
( b ) M. Thomas. Éloge de Maurice , Comte
de Saxe , qui a remporté le Prix de l'Académie
Françoiſe.
JUILLET. 1761 : 127
des jugemens précipités . Rien ne fied mieux
à notre raison que des conclufions un peu
timides , & même quand elle a le droit de
décider , elle feroit bien de relâcher quelque
chofe. ( e ) Voilà, Monfieur, quelles étoient
mes vues , lorfque j'ai avancé qu'il y auroit
du danger à bâtir fur des obſervations
mal faites. J'ai cité l'exemple de M. Haller
, pour avertir que le nom d'un grand
homme ne doit pas éblouir au point de
faire foufcrire aveuglément à tout ce qu'il
avance ; principalement lorfqu'il s'agit
d'une matière intéreſſante. Sans cela , un
homme en réputation , un homme décoré
de titres Littéraires , un Savant même
pourroit protéger le faux , l'accréditer , &
faire paffer à la poſtérité des erreurs dangereuses.
Il eft donc permis d'examiner
pour découvrir finon le défaut des expériences
, au moins le vice des conclufions
qui en émanent. Encore une fois la vérité
eft la fouveraine du Sage ; elle feule doit
attirer les regards , & mériter fon attention
; c'eſt à elle feule qu'il doit facrifier
fans ajoûter foi par une lâche complaifance
à ce qui pourroit lui porter atteinte .
Nullius additus jurare in verba magiftri.
Horace.
(c) Euvres de Fontenelle , Tome V. Éloge de
M. Dodart , p. 199 & 200.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
On ne peut me faire un crime de ne
point croire au fyftême de M. Haller.
Quoique je fois pénétré de refpect pour
ce Savant , je ne faurois adopter les conclufions
fur lesquelles porte fa Doctrine.
La raifon m'entraîne vers un fyftême oppofe
. Depuis que les tourbillons ne gouvernent
plus le monde , l'être Géoméerique
a prévalu ; il eft prèfque feul refpecté
aujourd'hui ; on veut tout expliquer
par l'attraction & le méchaniſme de fes
loix cependant Defcartes , l'immortel
Defcartes, ce Père de la faine Philofophie,
n'en eft pas moins l'objet de notre vénération
& de nos hommages . Ceux qui ne
font point partifans de l'hypothèſe de ce
grand Philofophe , conviendront toujours
qu'il a paru dans la nuit obfcure de la
Phylique , & qu'il l'a diffipée . Sans lui ,
il n'y auroit peut être jamais eu de Newton.
Affurément M. Haller ne s'offenfera
pas de la comparaifon ; & le Chirur
gien de Turin accordera qu'on peut embraffer
un autre fyftême que celui de fon
Héros. Mais venons au fait.
Pour vous retracer l'état de la queftion,
je vais avoir l'honneur , Monfieur , de
vous mettre fous les yeux le Précis de la
Doctrine de M. Haller fur la fimplicité
des partis du corps animal , vous expofer
JUILLET. 1761 129
fommairement les principes généraux
dont M. Whytt fe fert pour la combattre ;
puis je defcendrai dans les détails nécefréfuter
les objections de mon faires
pour
adverfaire.
PREMIÉREMENT. La Doctrine de M.Haller
roule fur trois Chefs .
1° Il réfulte de fes expériences que les
tendons , les ligamens , les capfules articulaires,
la dure-mère , la plévte & les au
tres membranes font infenfibles.
2º. De l'infenfibilité de ces parties &
du témoignage négatif de l'Anatomie qui
n'y découvre aucun nerf,il en conclut contre
l'exiſtence des nerfs dans ces parties ;
c'eft pourquoi il leur refufe le fentiment.
3.Puifque ces parties font abfolument
infenfibles , c'est à tort qu'on les a regardées
comme le fiége de pluſieurs maladies
douloureuſes . Ainfi , fuivant ce troifiéme
Chef, qui eft le corollaire des deux premiers
, la douleur , l'enflure , l'inflammation
qui fuivent quelquefois la faignée du
bras , ne doivent point être attribuées à
la piqure des tendons ou des aponevroſes.
La phrénéfie & la migraine ne logeront
jamais dans la dure- mère . Les douleurs aigués
de la goute ne doivent être rappor
tées.ni aux ligamens , ni aux capfules des
articulations. La douleur dans la pleurélie,
Fv
30 MERCURE DE FRANCE.
ne vient point de l'inflammation de la
plèvre qui eft privée de fentiment.
ner
Vous voyez , Monfieur , par ce fimple
expofé, que le fyftême de M. Haller tend à
mettre la réforme dans l'Art de guérir ;
car fi ces conclufions ſont juſtes , il eſt évident
qu'elles doivent renverfer les idées
reçues & produire des innovations confidérables
dans la Théorie , & la Pratique
de la Médecine . En effet, des Chirurgiens
ou des Médecins qui s'y fieroient , feroient
obligés de fuivre une nouvelle méthode
dans le traitement des maladies.
Il étoit donc bien important d'examifcrupuleuſement
fi ce grand homme
ne s'eft pas trompé , fi l'erreur n'étoit pas
cachée dans les conféquences fur lefquelles
il étayoit fon fyftême. Auffi ces nouveautés
intéreffantes devinrent- elles bientôt
l'objet de l'attention & de la curiofité
de quantité de perfonnes éclairées . Vous
favez , Monfieur , qu'on s'occupa à vérifier
fes expériences dans les principales
Villes de l'Europe. ( d) Mais foit que plukeurs
ayent été féduits par la haute ré-
Futation de M. Haller , foit qu'ils n'ayent
pas apporté affez d'attention , foit enfin
qu'ils n'ayent pas bien vu faute de tour-
( d ) Paris , Rouen , Floren.e , Bologne , Rome
JUILLET. 1761 : 13-1
ner l'objet de tous les fens , ils n'ont pû
parvenir à découvrir la vérité. Cet honneur
étoit réservé à l'illuftre M. le Cat (e),
qui eft de tous les adverſaires du Docteur
Haller, celui qui a le premier & le mieux
écrit. Les célébres Bianchi & Laghi (f) ,
MM. Fabbrini & Nannoni , Profeffeurs à
Florence , fe font mis après lui fur les
rangs , & ils ont eu la gloire de renverser
de concert ce dangereux fyftême. Comme
la plupart de leurs Mémoires font
encore déposés dans les Faftes de plufieurs
Académies loin des yeux du vulgai
re , & qu'on a beaucoup de peine à fe
procurer les autres ; il eft permis d'ignorer
leur doctrine , jufqu'à ce qu'elle foit
publiée ou devenue moins rare , & de
(e) Ce favant Chirurgien, en donnant un Mémoire
qui a remporté le prix de Berlin à l'Académie
de cette Ville , y en joignit un autre auffi
long que le premier fur la fenfibilité de la dure
& pie merc , tendons , membranes &c. Deux ans
après , cette Differtation lui a été demandée par
M. Bianchi , qui n'a travaillé qu'après lui fur ce
fujet. Elle a été imprimée à côté d'un Recueil far
cette matière donné par l'Inſtitur de Bologne qui
à cette occafion , a reçu M. le Cat au nombre de
fes Affociés , de la façon la plus honorable , à ce
que lui a écrit M. Bianchi.
(ƒ) Differt. imprimée en Latin , à Bologne , done
il est fait mention dans vos Nouvelles Litteraires.
F.vj
132 MERCURE DE FRANCE.
puifer des objections contre les nouvelles
idées de M. Haller , dans des Ouvrages
plus connus. Le Docteur Whytt , favant
Profeffeur d'Edimbourg, qui eft auffi
entré en lice , a publié un Ouvrage ( g )
très fagement écrit qui détruit ces nouveautés
, & qui fappe directement les
fondemens du fyftême de fon Adverfaire.
SECONDEMENT.Voici les principes généraux
fur lefquels il appuye fa doctrine .
4
1. M. Wyhut obferve contre le premier
chef , que M. Haller ne peut tirer
aucun parti de fes expériences , parce
que les animaux qui en ont été le ſujet ,
étoient par l'expérience même , dans un
état qui affectoit trop vivement les autres
parties , pour qu'ils paruffent fenfibles
à des affections plus foibles qu'on
occafionnoit dans celles dont on vouloit
éprouver la fenfibilité. Ainfi il y a grande
apparence qu'il s'eft mépris pour n'avoir
pas fait attention qu'une douleur plus
(g ) Effais Phyfiologiques contenant des obfervations
fur la fenfibilité & fur l'irritabilité des
parties du corps animal , à l'occaſion du Mémoire
de M. Haller fur ce fujet , traduits de l'Anglois
par M. Thébault , Docteur en Médecine & Profelleur
de l'École de Mathématiques établie à
Rennes. A Paris , chez les Frères Étienne. 2 rue
S. Jacques , à la Vertu .
JUILLET. 1761 . 133
forte & plus aigue détruit en grande par
tie le fentiment d'une moins forte & moins
aigue. Duobus doloribus fimul eumdem
locum infeftantibus , vehementior obfcurat
alterum. ( h ) Il n'a donc fait que vérifier
' cet aphorifme d'Hyppocrate fans prouver
fa thèfe . Les animaux fur lefquels il faifoit
des épreuves , ne fe plaignoient point ,
lorfqu'après avoir bleffé leurs parties les
plus fenfibles, on irritoit des parties moins
fenfibles . Cela eft- il étonnant ? demande
·M. Whytt. On peut piquer le coeur d'un
animal à qui on a ouvert la poitrine , fans
que la douleur paroiffe augmenter . Efton
en droit d'en conclure que le coeur
: n'eft pas fenfible ? Tout ce qu'on peut en
inférer , c'eft que cette piquure ne fait
aucune impreffion fur un animal moutant
, que l'excès des tourmens a déjà
pour ainfi dire , privé de fentiment. M.
Whytt tire un grand avantage de cet
argument qu'il applique à plufieurs autres
expériences faites par fon Adverfaire
; & il s'en fert pour s'oppoſer aux
conclufions dont ce Médecin compofe
fon ſyſtême.
2º. M. Whytt foutient que de l'infenfi-
: bilité des parties & du témoignage néga-
(4 ) Hyppocratis aphor . Lib. 11. N°. XŁYI,
134 MERCURE DE FRANCE.
tif de l'Anatomie , M. Haller a tort de
conclure qu'elles n'ont effectivement aucun
nerf, & par conféquent aucune fenfibilité.
Il combat fort le vice de cette
conclufion , & il étend dans la trame organique
des parties nommées dans le
premier chef des filamens nerveux d'une
exilité indéfinie , qui , à la vérité , échap
pent à notre fagacité , & fe refuſent aux
recherches anatomiques ; mais dont l'exiſtence
eſt démontrée par la fenfibilité
plus ou moins grande qui fe fait appercevoir
lorfqu'il furvient à ces parties
quelque tenfion, ou quelqu'inflammation.
Il diftingue donc deux temps, la fanté & la
maladie. Dans le premier état , plufieurs
parties ne font douées que d'un fentiment
très-foible , & en cela , nous devons admirer
la bonté de l'Auteur de la Nature ,
qui prévient par cette fage précaution les
maux auxquels nous ferions en proie ,
même dans les exercices ordinaires de la
vie , fi elles étoient très fenfibles. On
peut donc agacer impunément ces parties
dans l'état de fanté ; fi on caufe de
la douleur , elle fera très- légère. Mais
furvient il une inflammation ? Les filamens
trop tendus excitent une fenfibilité
très-vive , dont le cri eft la voix de la Nasure
qui demande les fecours dont elle a
-
JUILLET. 1761 . 135
befoin. L'inftinct devance la réflexion ,
trop lente pour nous obliger à chercher le
reméde. Ainfi , la fenfibilité muette dans
l'état de fanté , eft l'organe , l'interprête
de la Nature dans la maladie .
C'eft avec ces fages principes , que M.
Whytt répond au deuxième Chef de fon
Adverfaire ; il les tranfporte à toutes les
expériences où la fenfibilité a femblé fuir
devant M. Haller. Il fait voir que les os
mêmes , & la toile cellulaire de la duremère
, infenfibles dans l'état naturel , font
pourvus de filets nerveux , quoique M.
Haller faffe militer l'Anatomie contre
leur exiſtence dans ces parties. Il prouve
enfin , par quantité d'exemples , les différens
degrés de la ſenſibilité qui croît toujours
dans nos parties en raifon composée
des nerfs qui les traverſent , & des différens
aiguillons qui la mettent en jeu ; il
prétend qu'elle vit plus ou moins dans les
différentes pièces de notre machine ; mais
qu'elle n'eft morte dans aucun de nos organes
. Voilà , Monfieur , les argumens
qu'il oppofe aux conclufions de M. Haller.
3°. Il rappelle les maladies dans les
endroits d'où fon adverfaire les avoit exilées
pour toujours ; & il oppofe à fes raifonnemens
les inflammations du périofte
& des glandes, & les mouvemens doulou136
MERCURE DE FRANCE.
reux des articulations dans les Rhuma
tifmes. Enfuite il réfute les articles particuliers
fur lefquels le Docteur Haller infifte,
& que je pourrois fuivre , fi je ne craignois
de paffer les bornes d'une Lettre.
"
Telles font , Monfieur, les raifons qu'employe
M.Whytt pour reftituer le fentiment
aux Parties que fon adverfaire en dépouilloit
; c'eft ainfi que reffufcitant l'ancienne
harmonie fympathique , il rétablit les maladies
dans le même fiége où les Médecins
les avoient jufqu'ici unanimement placées
; quoiqu'en dife le Chirurgien de
Turin .
Spiritus intùs alit , totamque infufa per artàs
Mens agitat molem.....!
Virgil.
J'aurois pú expofer auffi les fentimens
de ces deux célébres Médecins fur l'irritabilité
; mais , outre que cela m'auroit
mené trop loin , mon adverfaire n'a point
entamé cette queftion . Je me contenterai
de lui annoncer que je fuis anti - Hallerien
fur cet article.
TROISIEMEMENT. Il me refte à paffer en
revue les difficultés que me propofe le
Chirurgien de Turin. Elles roulent fur fept
obfervations.
Les tendons coupés& découverts troyJUILLET.
1761. 137
vés fans fenfibilité , font le fujet des trois
premières .
La dure- mère déchirée fans douleur
l'aponévrole du fafeia lata , le périofte du
tibia & le fac herniaire trouvés infenfibles,
font la matière des quatre fuivantes.
J'accorde au Chirurgien de Turin qu'elles
font toutes vraies & bienfaites ; mais
je l'arrête aux conclufions pour l'envoyer
s'inftruire à l'école du Médecin Anglois.
M. Whytt lui apprendra que les conféquences
font téméraires & abfurdes . Ces
obfervations ne prouvant rien , je pourrois
me difpenfer de toute autre réponſe ;
mais , pour ne pas fâcher mon adverfaire,
je vais donner des nerfs & de la fenfibilité
:
1º. aux tendons. Le Chirurgien de Turin
, doit favoir , que les fibrilles qui en .
trent dans leur compofition , ne font que
des continuations des fibres mufculaires.
Tendo autem mufculi ritè examinatus , dit
Boerhaave , difcerpitur in tot fibrillas in
quot mufculus , &c. ( i ) Il n'ignore peutêtre
pas non plus que dans le foetus & les
enfans nouveaux nés, les parties qui par la
fuite doivent être des tendons , font muf
culaires en tout , ou en partie , & que le
rapport des parties tendineufes aux muf-
( i ) Boerh. inftitut . medic. § . 399.
138 MERCURE DE FRANCE.
culeuſes croît en raifon directe de l'âge
des animaux. Or de l'aveu même de M.
Haller , les muſcles font fournis de nerfs ;
que mon adverfaire tire la conféquence.
Il y a plus , le même M. Haller rapporte ,
en commentant l'aphorifme ci deffus, que
M. Boerhaave a vu dans un tendon préparé
par Ruifch , des artères rouges & de
petites cellules à l'entour. (k ) Il y a donc
auffi des nerfs ; puifque le microſcope
nous apprend qu'ils accompagnent les
vaiffeaux par tout.
L'infpection Anatomique vient à l'appui
de ces preuves. M. Grima , Chirur
gien penfionnaire de l'Ordre de Malthe ,
examinant avec un Profeffeur en Médecine
de Florence le mufcle biceps, ytrouva plufieurs
filamens nerveux qui s'étendoient
dans toute la ſubſtance . Ils étoient accompagnés
de vaiſſeaux très- déliés ; & en
conduifant ſes recherches juſqu'au tendon ,
il a vû que les nerfs y entroient : ce qu'il
ne diftinguoit , dit- il , qu'avec peine , parce
que les fibres tendineufes font de la
même nature & de même couleur. Cette
démonftration a été répétée en préſence
de plufieurs autres Profeffeurs & Démonf
trateurs de Florence.
( k) In tendine à Ruifchio præparato ,, vidit
Boerhavius arterias rubras , & circumpofitamfabri
cam cellulofam.
JUILLET. 1761 . 139
›
"Une autre expérience tentée le 22 Avril
1756 , complera les preuves. Il détacha
d'un cadavre differens muſcles avec leurs
tendons , leurs vaiffeaux , leurs nerfs &
les parties des os auxquels ils s'attachent.
Il les fit macérer dans l'eau ; & par ce procédé
, il remarqua entre la gaîne , & le
tendon du muſcle biceps, une grolle branche
de nerf qui s'étendoit le long du tendon
, perçoit fa gaîne vers la tubérofité du
rayon , & fortant de là, reproduifoit plufieurs
branches. Il vit pofitivement que
cette branche de nerf venant du muſcle ,
alloit fe perdre dans le tendon . M. le
Comte Félici , Profeffeur en Médecine da
Collége Florentin étoit préfent.
Voici des autorités . Etienne Riviere ,
dans fon Traité d'Anatomie , publié en
1545. par Charles Etienne, dit en parlant
des tendons : pars eft nervo & ligamento
compofita à mufculo nafcens ; & un peu
plus bas quapropter fenfus eft particeps
minùs quidem quàm nervus , magis autem
quàm ligamentum . Jean Tagaut , au Chapitre
des plaies, des nerfs & des ligamens,
s'exprime ainfi : » les tendons étant d'une
» fubftance compofée de nerfs , tirent à
» cet égard leur origine du cerveau : cependant
leurs bleffures attirent moins la
» convulfion que celles des nerfs . François
95
140 MERCURE DE FRANCE.
Peccetti au Chap. 45 parlant des plaies ,
des tendons & des ligamens , dit expreffément
que les tendons ont des nerfs.
Confultons actuellement l'état de maladie
pour y trouver leur fenfibilité. Le
panaris de la troifiéme eſpéce ne caufe de
fi vives douleurs , qu'à caufe de l'extrême
fenfibilité du tendon. C'eft ainfi que Mun
nicks & beaucoup d'autres les expliquent
Genga rapporte d'après Fabrice de Hil
den , qu'un jeune homme de vingt- quatre
ans fut attaqué de fphacéle à la fuite
d'une piquute de tendon au doigt, & qu'on
fut obligé de faire l'amputation entre l'avant-
bras & l'humerus ; & il dit , un peu
plus bas » On raconte d'Archange Mer
cenario , Profeffeur de Padoue , qu'ayant
été bleffé au tendon dans une faignée ,
» il mourut en convulfion . » M. Wanfwieten
, dans fon Commentaire fur les aphorifmes
de Boerhaave au §. 20. des plaies
en général , cite l'exemple d'un Gentilhomme
, qui tomba en convulfion avec
un furieux grincement de dents , auffitór
que le Chirurgien eut faifi avec une pincé
un tendon proche de la malléole interne ,
penfant que c'étoit une portion de la tunique
celluleufe . Hyppocrate dit le
même Auteur , nous fournit auffi une ter-
2
JUILLET. 1761 141
tible Hiftoire fur cet article : ( 1 ) Thrinon .
fils de Damon , avoit un ulcére proche la
cheville du pied ; on y mit un médicament
corrofif. Il fut faifi de l'opifthotonos &
mourut. Il eft vraisemblable , dit , M.
Wanfwieten , que par le nerfpur , Hypocrate
a entendu un tendon dépouillé de fa
gaine , parce qu'alors il eft tout blanc. On
trouve encore dans M. Whytt ( m ) un
exemple effrayant . » Il y a quelques an-
» nées , dit-il , qu'une perfonne mourut
» dans cette Ville ( à Edimbourg ) d'une
» fiévre occafionnée par la douleur , l'en-
» flure & l'inflammation qui furvinrent
après l'ouverture de la veine médiane
» du bras droit . Le tendon du biceps
» étoit enflé , & avoit prèfque dix fois
»fon volume naturel.
L'état de maladie en a dit affez fur la
fenfibilité des tendons . Invoquons encore
en fa faveur le cémoignage de l'expérience.
M. Grima en rapporte plufieurs
dans un excellent Mémoire ( n ) lû à l'Académie
des Apathyftes,
( 1 ) Epid. Liv. s . Chartier, Tome 9. p. 348,
(m ) Ellais Phyfiolog. obferv. fur la fenfibilité ,
P. 172 .
r ( n ) Mémoire fur la ſenſibilité des tendons ,
prononcé en Italien à l'Académie des Apathyftes
par M. Grima , Membre de ceue Académie de
T42 MERCURE DE FRANCE.
Le 27 du mois de Mai 1756 , il fic a
Florence dans l'Hôpital de Sainte Marieneuve
une incifion à la patte poſtérieure
d'une chienne fuivant toute la longueur
du tendon d'achille ; l'ayant féparé des
parties voisines , il piqua légérement fa
gaîne feule. La chienne fe plaignit & retira
la patte. Elle fe plaignit plus fort ,
lorfqu'il toucha la furface de fa gaîne.
avec l'eau forte , & quand l'efcarre fut
tombée , il excita une fenfibilité trèsgrande
en touchant feulement avec le
bout du doigt le tendon d'achille décou
vert. Cette expérience a été faite en préfence
de MM. Barbette , Profeſſeur en
Médecine , & Fabbrini , Anatomifte.
Le 12 Juin fuivant , à la follicitation
de M. Buonaparte , Profeffeur de l'Univerfité
de Pife , il répéta cette expérience
devant plufieurs perfonnes éclairées. Il
fépara les trois tendons , qui par leur
réunion forment le tendon d'achille.
Quand la douleur caufée par cette opéra
tion fut calmée , il piqua le tendon avec
une aiguille. Le mouvement que fit le
chien en retirant la patte , prouva qu'il
avoit fouffert. L'ayant laiffé quelque
celle de Cortone &c. Ce Mémoire a été traduit en
François , dédié à M. le Bailli de Froulai , & infaré
dans le Journal Etranger.
*
JUILLET. 1761. 149
temps en repos , il paffa une aiguille à
travers ce tendon , & le chien le plaignit
de même. Peu après , il toucha la même
partie avec de l'eau forte l'animal fe
débattit alors avec beaucoup de violence.
Le 21 du même mois , l'ingénieux M.
Grima éprouva encore la fenfibilité des
tendons en préfence de plufieurs Savans
fur deux agneaux & fur un chien. Lorfqu'il
piqua le tendon des agneaux , ces
paifibles animaux ne firent que retirer la
patte , ils remuoient les lévres & faifoient
quelques légers mouvemens ; mais le chien
plus vif, & moins patient trembloit , s'agitoit
, crioit & faifoit des éfforts pour
rompre fes liens. M. Guadagni piqua luimême
le tendon & le trouva fenfible ;
obfervant néanmoins qu'il l'étoit plus au
commencement qu'au milieu & vers la
fin où il fe confond avec la fubftance de
l'os. Après plus d'un quart d'heure de
repos , on appliqua fur le tendon un peu
de beurre d'antimoine , l'animal , dans
le moment même parut à peine en être
averti ; mais quelques inftans après il fit
connoître par les cris & fes agitations, qu'il
étoit très-fenfible au mal qu'on lui faifoit.
Il tournoit fa rage vers ceux qui en étoient
les Auteurs , & cherchoit à les mordre
avec plus de raiſon que les chiens du trou144
MERCURE DE FRANCE.
peau d'Ulyffe ( o ) . Je ne crois pas que
l'apparition de Minerve l'eût appaifé.
Je finis l'article des expériences par
l'Hiftoire de M. Bicci , qui a été lui - même
victime de la fenfibilité des tendons. Ce
Profeffeur en Chirurgie de Florence , eut ,
au rapport de M. Grima , plufieurs tendons
des muſcles extenfeurs & fléchiffeurs
du gros orteil découverts à la fuite d'une
maladie . M. Valentin Del Turco toucha
le milieu de ces tendons , avec une pince ,
fans en toucher la gaîne ; M. Bicci y pa-
Lut fenfible.On appliqua une autre fois fur
le tendon un plumeau trempé dans l'eaude-
vie ; la douleur fut très - aigue , & le
fentiment insupportable . Je crois que M.
Grima a raifon d'avancer qu'on en peut
conclure que les tendons font toujours
fenfibles dans l'état fain.
S'ils ont paru infenfibles à quelquesuns
, & en particulier au Chirurgien de
Turin , c'eft que 1. la perfonne qui fait
le fujet de fa première obfervation , fouffroit
déjà beaucoup de la fection de la
peau , & cette douleur diminuoit le ſentiment
de celle qu'il caufoit en touchant
les tendons , ou bien les filamens nerveux
qui fe diftribuent à ces parties, avoient été
coupés par le coup de fabre. 2 °. Dans
( 0 ) Odyſſ. Lib. 14. & 16.
les
JUILLET. 1761 . 145
les deux obfervations fuivantes , les tendons
étoient découverts , féparés de leur
gaîne , & par conféquent dépouillés de
leurs petits vaiffeaux , & de leurs dépendances
néceffaires; il n'eft donc pas étonnant
qu'ils ayent paru infenfibles . Cette
infenfibilité ne vient pas de la nature du
tendon , mais d'une caufe accidentelle
ou extérieure. L'air , par exemple , peut
avoir défléché leurs filamens nerveux , &
en ce cas le fluide animal n'aura pû couler
jufqu'aux extrémités des fibres qu'il a à
parcourir , pour y porter le fentiment &
la vie. La fenfibilité étant éffentiellement
foumise à l'action des nerfs , il est évident
que les fibrilles nerveufes doivent avoir
toutes les conditions , toutes les convenances
néceffaires pour la libre influence
de l'efprit animal . Sans cela , point de fentiment.
Le Chirurgien de Turin eft fans doute
fubjugué par tant de preuves , de démonf
trations , d'autorités , d'expériences & de
raifonnemens , qui affûrent inconteftablement
aux tendons des nerfs la fenfibilité
qu'il ofoit leur refuſer fans connoiffance
de caufe . Ses quatre autres obfervations
ne prouvent rien : j'y réponds
en deux mots .
2º. La dure mére a des nerfs : le témoi-
I, Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
gnage de M. Winflow me fuffit ; elle eft
fenfible , fufceptible d'inflammation , de
fuppuration ; un demi- Chirurgien fçait ces
chofes -là. L'ouverture des cadavres & les
maladies qui arrivent à cette membrane
le prouvent abondamment. Je ne ferai
point d'autres frais contre ce deuxième
Chef. Je conviens que dans l'état fain
elle eft prèfqu'infenfible ; mais il faudroit
n'avoir ni logique , ni bon fens , pour
conclure de l'infenfibilité apparente à l'infenfibilité
abfolue.
3. L'Aponévrofe dufafcia lata eft auffi
fenfible. Combien de fois n'a- t - elle pas
été le fiége des plus cruelles douleurs ?
Combien de fois ne l'a- t- on pas vu irritée
, enflammée & c.
4. Le périofte jouit malheureufement
du même privilége. Il feroit bien à fouhaiter
qu'il fût infenfible. Les malades
affligés du panaris de la quatriéme efpéce
n'auroient pas à fouffrir ces énormes douleurs
qui les défeſpérent.
5°. Quand j'accorderois à mon Adver
faire , que dans l'opération de la hernie
les malades fouffrent l'ouverture du fac
fans rien dire , je le défierois d'en rien
conclure en faveur du fyftême qu'il protége.
D'ailleurs , s'il a panfé des plaies
faites par cette opération , il a dû remarJUILLET.
1781. 147
quer que , lorfque la fuppuration fe forme
, le fac eft enflammé & fort douloureux.
Je fupprime toute autre preuve contre
ces derniers chefs qui ne fignifient rien ,
pour éviter une prolixité inutile & ennuyeufe.
Le Chirurgien de Turin convient fans
doute du néant de fes futiles objections ,
qu'il n'auroit jamais dû produire par refpect
pour la caufe de M. Haller. L'amour
de la vérité qui lui a mis la plume à la
main , auroit dû lui infpirer de s'inftruire,
& de fe mettre au fait de ce qui ſe paſſe
dans le monde favant , plutôt que celle
de critiquer & de fe conftituer Juge d'une
difpute dont il ne doit être que fimple
fpectateur. Il s'imaginoit avoir la gloire
de donner le démenti aux anti- Hallériens ,
& de raffurer le Public furfa terreur panique
; mais il s'eft fait illufion . Il falloit
plus de connoiffance , plus de fineffe &
de logique pour foutenir un fyftême qui
s'écroule de toutes parts fous une foule
d'objections aufquelles il eft impoffible
de répondre.
Qu'il ne dife pas que je fuis poffédé
de l'ambition d'entrer en lice avec les
grands hommes. Non tali me dignor honore.
Virgil. Je mettrois bas les armes de-
G ij
948 MERCURE DE FRANCE.
vant M. Haller. Je fçais trop dans quel
rapport peut être un petit Plébéïen de la
République des Lettres avec un Savant
de cet ordre , pour ofer joûter contre lui,
Je ne lute qu'avec mes égaux.
Ainfi quand le Chirurgien de Turin
voudra m'honorer de quelques objections,
je me ferai un devoir d'y répondre avec
refpe &t pour les Savans & avec beaucoup
de politeffe pour lui ; quand ce ne feroit
que pour lui en donner l'exemple & le
faire rougir d'avoir employé fi groffiérement
la comparaifon odieufe & triviale
d'un infâme incendiaire de l'antiquité
avec un homme qui ne cherche en tout
que la vérité , le plaifir de s'inftruire , &
celui de contribuer au bien général de la
Société .
La protection que vous accordez à ceux
qui ont envie de bien faire , me donne
lieu d'efpérer , Monfieur , que vous excuferez
la liberté que je prends de vous
adreffer cette petite Differtation . Puiffet
- elle attirer vos regards & mériter vos
faveurs le Public recevra toujours favo
rablement un Ouvrage qui paroît fous les
aufpices d'un Sayant fi counu & fi reveré
dans le monde .
J'ai l'honneur d'être avec vénération &c.
Le 4 Septembre 1769.
FERRAND,
JUILLET
. 1781 .
149
OPTIQUE.
LE fieur Paſſemant , Ingénieur du Roi
au Louvre, eut l'honneur le 5 Mai , de préfenter
à Sa Majefté , au Château de Bellevue
, une nouvelle lunette de trois pieds
de longueur, qu'il avoit conftruite fuivant
les principes de M. Dollond , après avoir
dévoilé la feconde partie de fon mémoite
( quoique très - obſcure ) donné dans les
Tranfactions Philofophiques de la Société
Royale de l'année 1758. L'objectif de
cette lunette fouffre 14 lignes d'ouverture
, au lieu de fept lignes qu'on donne
ordinairement à une lunette de cette
longueur ; c'eft même toute l'ouverture
que fouffriroit une lunette de 15 pieds
de longueur par conféquent cette nouvelle
lunette a quatre fois plus de lumière
, & groffit ou rapproche beaucoup
plus les objets . Elle a un champ trèsgrand
; & elle eft fi claire , qu'après le foleil
couché , lorsqu'on ne voit plus les objets
éloignés avec une lunette ordinaire
de 3 pieds , on les voit diftinctement avec
celle - ci : cette forte de lunette fera d'une
grande utilité foit fur terre , foit fur mer.
Sa Majesté en a été très-fatisfaite.
G iij
150 MERCURE DE FRANCE
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
SUITE de la Réponse de M. RAMEAU à
la Lettre que M. d'ALEMBERT lui a
adreffée dans le 2º Mercure d'Avril dernier.
PARDONNEZ - M ARDONNEZ- MOI , Monfieur , fi je reviens
Encore à votre Lettre. L'empreffement
avec lequel j'y ai répondu m'a fait paffer
fous filence certains articles , fur lefquels
je crois devoir faire aujourd'hui quelques
réflexions .
Vous dites en débutant : je nefuis guère
dans l'ufage de répondre à ce qu'on écrit
contre moi : & à la fin : puifque vous l'exigez,
je répondrai ( uniquement par égard
pour vous ) à tous les articles de votre Lettre
, qui paroiffent le mériter tant foit peu .
Vous prenez le change , Monfieur , ou vous
voulez le faire prendre aux autres . C'eſt
vous qui avez écrit contre moi , & ma
Lettre ( a ) n'est qu'une réponse à ce que
vous avez avancé pour affoiblir , autant
qu'il étoit poffible , ce que vous aviez approuvé
avec l'Académie des Sciences .Vous
( a ) A la fin du Code de Muſique .
JUILLET. 1761. 15r
fuppofez que j'y exige une réponse de votre
part ; mais loin de l'exiger , je doutois
que vous écriviffiez encore fur ce fujet.
C'est ce qu'auroient dû vous faire fentir
ces paroles de la fin : Si vous revenez à la
charge , j'espère du moins que vous n'oublierez
plus ce que vous avez figné. Remarquez
, s'il vous plaît , que je ne dis
point : Si vous me répondez , mais que je
dis : Si vous revenez à la charge ; car
c'eft à moi à me défendre , & c'eſt vous
qui êtes l'aggreffeur. En prétendant me
répondre , vous déclarez que vous le faites
uniquement par égard pour moi. Je
fuis flatté du compliment : je crois néanmoins
que vous le faites uniquement par
égard pour vous : c'est- à- dire , pour juftifier
aux yeux des Connoiffeurs un changement
qui doit les étonner. Vous me donnez
des louanges , lorfque vous m'adreffez
la parole : je vous en remercie ; mais comment
les accorder avec les efforts que
vous faites pour rabaiffer mes ouvrages ?
Vous me direz peut- être qu'alors vous ne
me nommez pas je laiffe à juger fi cette
raiſon eft bonne vous promettez de répondre
à tous les articles de ma lettre
qui vous paroiffent le mériter tant foit
peu, & vous me demandez grace fur les
deux principaux.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
Vous ne fauriez vous réfoudre ( ce font
vos termes ) à prouver férieufement que,
la Géométrie n'eft pas fondée fur la Mufique.
La Géométrie n'eft- elle pas fondée
fur le calcul ; & le calcul n'eft-il pas fondé
fur les proportions ? Apeine un corps.
fonore réfonne , que l'oreille eft frappée.
d'une proportion enchantereffe. Bientôt
après on y découvre les proportions fur
lefquelles feules toute la Géométrie eſt
fondée : & le compas à la main on y reconnoît
les rapports qui les conftituent.
Ajoutons à cela que chacune de ces proportions
eft compofée de trois termes , &
que dans la Gamme même réfide le moyen
d'y en joindre un quatrième . Se trouve - t - il
dans la Nature un Phénomène qui préſente
feulement l'ombre de tant de vérités reconnues
en Géométrie , & dont aucun fens
foit affecté de même ? U eft donc naturel
de croire que les hommes doivent ces connoiffances
à la réfonnance du corps fonore :
que la Géométrie fondée fur ces mêmes
connoiffances , doit fon origine à la fcience
des fons qu'il a fallu commencer par
être Muficien avant que de devenir Géomètre
; ( b ) & par conféquent que la Géométrie
ne peut , fans injuftice , contefter à
la Mufique une primauté , en faveur de la-
( b) Ibidem. p. 236.
JUILLET. 1761 . 153
quelle la Nature dépofe d'une maniére fi
évidente.
Quant à l'autre Article , je ne fçais fi la
manière dont vous l'expofez n'eft pas une
plaifanterie . Il eft néanmoins notre condamnation
à tous , comme je vais le prouver
.
Pythagore dit que le nombre fept eft
parfait par Nature. Quelle raifon a pu
lui faire avancer cette propofition : Nul autre
objet que la Mufique ne nous offre néceffairement
ce nombre : il penfoit donc à
la Mufique. La Gamme n'a que fept notes
: ( c ) il connoiffoit ces fept notes par
les Tetracordes qui ont précédé fon fyftême
; il en a conclu que le nombre fept
eft parfait par nature ; mais lorsqu'il en a
tiré cette conféquence , il avoit cherché
les rapports de ces notes , & les avoit trouvés
dans une progreffion triple : ce qui lui
avoit fait attribuer au nombre trois la
toute - puiffance fur la Mufique , & plus
encore fur la Géométrie. Pourquoi donc
donne- t- il au nombre fept une perfection
fingulière , & ne la donne-t-il pas plutôt
an nombre trois ? Il envifageoit apparemment
l'ordre des fept notes fans penfer à
( c) C'eft en fous- entendant l'octave du premier
fon , qui lui eft identique , qu'on fuppofe huit no
tes , ou fons dans la Gamme.
'GY
454 MERCURE DE FRANCE.
la quinte qui en eft la fource , comme elle
l'eft primitivement du nombre 3. ( d ) Navons
nous pas fait comme lui N'avonsnous
pas formé tous nos fyftêmes de Mufique
des fept mêmes notes dont il a formé
le fien ? L'ordre de la Gamme eft fi naturel
qu'il s'empare en même temps des
oreilles & de la voix de quiconque veut
chanter. L'origine de cet ordre eft due à
la quinte , & nous avons donné cet ordre
pour principe , fans penfer à fon origine.
Voilà notre erreur , la vôtre comme la
mienne vous pouviez donc vous difpenfer
de rappeller ma réfléxion fur ce fujet.
Je viens de relire une lettre , où vous
Fouvez bien avoir eu part , & où l'on plaifante
un peu fur le nombre 3 : voyez cependant
fi Pythagore n'étoit pas bien
fondé en lui attribuant la toute puillance
fur la Mufique ?
Un feul corps fonore , un objet unique,
produit trois confonnances , la quinte , la
tierce & la fixte majeures , en produifant
en même temps ces trois nombres premiers
, 2. 3. & 5 : là fe découvrent les
trois feules proportions qui exiftent , cha-
(d) Pour qu'on ne me chicane point fur l'origine
des nombres , difons du moins que les confonnances,
en les reproduifant décident du plus ou
du moins de perfection entre les rapports qu'elles
y déterminent.
JUILLET. 1761. 155
cune composée de trois termes , où la Géométrique
fe triple , favoir la double , la
triple & la quintuple , & d'où fe tirent
toutes les connoiffances néceffaires en Mufique
, tant pour la théorie que pour la
pratique le nombre 3 , c'est - à - dire ,
la quinte , y devient l'arbitre de l'harmonie
& de fa fucceffion naturelle , fucceffion
qui fe développe dans une proportion
triple , d'où naiffent les fept Notes
de la Gamme , le Mode : Notes dont
tous les rapports qui en déterminent
l'ordre , confiftent uniquement dans ces
trois diffonances , le ton majeur , le mineur
, & le demi ton majeur puis trois
Modes majeurs , & autant de mineurs ,
feuls naturellement rélatifs entr'eux : enfin
trois genres d'harmonie & de Mélodie , en
y affociant la proportion quintuple , favoir
, le Diatonique , le Chromatique &
l'Enharmonique. Refpectez donc, du moins
en cela , les idées d'un grand Philofophe
qui n'auroit guères pû les porter plus loin
qu'il l'a fait , quand même il en eût connu
la fource , qui le repro luit en dix circonftances
différentes , toutes naturellement
inſpirées. J'oubliois qu'un Tempérament
proportionne , & beancoup plus fatisfai
fant dans toutes les variétés poſſibles ,
qu'aucun qu'on ait imaginé , fe puife en
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
core dans une progreffion triple. ( e )
Je finirai , Monfieur , par l'examen de
deux de vos propofitions. L'Académie des
Sciences , dites- vous , n'a point été compromife
, en approuvant , d'après mon rapport
, ce qu'ily a réellement d'utile , de
neuf & d'excellent dans vos recherches fur
la Mufique . (f) Ces paroles fignifient clairement
que l'Académie des Sciences n'a
approuvé qu'une partie de ma Démonftration
, qu'elle y a trouvé des chofes utiles ,
neuves , bonnes , & d'autres inutiles &
mauvaiſes . L'Académie néanmoins , d'après
vous , a tout approuvé fans aucune
réferve ! oferai- je vous dire que ceux qui
ont lû l'approbation , doivent trouver peu
de fincérité dans la manière dont vous en
parlez ?
D'un autre côté vous condamnez certains
Muficiens qui ont la fureur de donner
à leurs productions un faux air fcientifique
qui n'en impofe qu'aux ( g ) igno
(e ) Chap. VII. de ma Génération harmonique,
P. 75.
(f) Ces recherches font ma Démonſtration ,
que vous & toute l'Académie des Sciences avez
approuvée fous ce titre . Je ne fais que penfer de
ce que vous fuppofez dans l'Encyclopédie fur ce
fujet , non plus que du tour que vous prenez ici
pour déguifer la vérité.
(g) Au mot Fondamental de l'Encyclopédie ,
JUILLET. 1761 . 157
·
rans. Vous ne me nommez pas ; mais
avouez- le de bonne foi , ceci me regarde
uniquement. Depuis environ 150 ans , je
veux dire , depuis Zarlino & plufieurs autres
qui n'ont rien ajouté de neuf à fes
découvertes , je fuis le feul qui ait écrit
fcientifiquement , bien ou mal , de la Mufique
, excepté quelques Sectateurs de mes
Principes . C'eft donc moi qui , felon vous ,
ai la fureur de donner à mes productions
un air fcientifique , air que vous appellez
faux , & qui n'en impofe qu'aux Ignorans :
c'eft donc vous auffi qui êtes l'ignorant à
qui j'en ai impofé comme à toute l'Académie
des Sciences . Voyez , Monfieur , combien
vous vous égarez; car perfonne ne doutera
que vous n'ayez voulu me défigner; &
fi vous me defignez , voyez quel honneur
vous vous faites ,à vous & à toute l'Académie
! Seroit-ce pour autorifer les erreurs de
votre Collégue fur la Mufique , que vous
vous êtes appliqué à déprifer ainfi ce que
vous aviez autorifé précédemment par votre
propre fignature ? Il avoit pris lui- même
, le meilleur parti . C'étoit de les faire
oublier , en promettant , dès le VI Tome
de l'Encyclopédie , de les juftifier dans un
Dictionaire . Mais au lieu de ce Dictionaire,
il a fait unRoman; où , s'il s'agit de Mufique,
ce n'eft plus que pour jetter au feu toute
158 MERCURE DE FRANCE:
la Mufique Françoife , & fans doute tout
ce qu'il en a écrit ; car il n'en excepte pas
même un des jolis Actes qui ayent paru fur
notre Scène lyrique , & qui ne peut être
dû qu'à une paffion dominante pour l'art.
Se peut-il que loin d'être encouragé par
le plus brillant fuccès , à fuivre une carrière
auffi heureuſement commencée , il ait
précisément choifi les premiers inftans de
ce fuccès,pour le déchaîner contre la Mufique
Françoife , dont cet Acte fait partie
& qu'enfin défefpéré du peu de fruit de fes
déclamations , quoique fecondées par cer➡
tains particuliers , qui comptent beaucoup
fur leurs opinions , & fur la manière de les
faire valoir , il ait condamné le tout aux
flâmes ? Il faut qu'un manque de quelques
fecours néceffaires l'ait porté à cette extré
mité : n'en doutons pas.
Je reviens à nous , Monfieur ; difcutons
à l'avenir de fang froid , & que nul motif
ne nous faffe tomber dans des égaremens &
dans des contradictions dont il eft impoffi
ble qu'on ne s'apperçoive.
JUILLET. 1761. 159
LETTRE , fur la façon de déflécher
E
les fleurs.
N lifant le fecond Volume du Mercure
de Janvier 1761 , j'ai trouvé , Monfieur ,
à la page 1 So , un procédé pour déflécher
les fleurs en confervant leur forme & leur
couleur naturelle. On y lit , que des perfonnes
ayant trouvé , après bien des tentatives
, le procédé en queſtion , refuſérent
de le publier ; que ce refus détermina
un Citoyen zélé pour le bien Public , à le
faire imprimer. Comme on ne fait remonter
cette découverte qu'à un Académicien
de Boulogne , appellé Jofeph Monti , &
que l'on doit la vérité au Public , je vais
indiquer les Ouvrages qui en font mention.
Je commencerai par ceux qui en ont
parlé depuis M. Monti , enfuite j'indiquerai
ceux qui lui font antérieurs.
Parmi ces Ouvrages , le plus récent eft
un Traité fur la connoiffance & la culture
des Jacinthes par l'Auteurdu Traité des
Renoncules, imprimé à Avignon en 1759,
chez Chambeau. On trouve à la page 136
un Chapitre fur la maniére de déflécher
les fleurs de Jacinthe en confervant leur
160 MERCURE DE FRANCE.
forme & leur couleur naturelle . L'Auteur
dit formellement que fa méthode peut
fervit pour toute forte de fleurs . On trou
ve dans ce même Chapitre , des notes où
font quelques-unes des citations dont je
ferai ufage.
M. Linnæus a très- bien détaillé ce procédé
dans un Ouvrage qui a pour titre
Amanitates Academica , imprimé à Amſterdam
en 1756 .
Quant à M. Monti , il eft vrai qu'ayant
communiqué en 1745 à l'Inftitut de Bologne
la méthode en queftion, il a paffé pour
l'Auteur de la découverte. Le Journal
Littéraire d'Italie imprimé à Amſterdam
en 1749 page 638 , & le Journal Economique
de Décembre 1755 lui en font
effectivement honneur ; mais les faits que
je vais citer , & que je garantis , prouvent
qu'il n'en eft pas l'Auteur.
La manière de déflécher les fleurs , pour
en faire d'agréables momies , eft décrite
dans un Livre intitulé Ecole d'Economie
& de Campagne . Cet Ouvrage imprimé
à Nuremberg en 1678 , eft de M. Boeckler,
Profeffeur de Strasbourg .
Le Pere Jean- Baptifte Ferrari , Jéfuitea
donné le même procédé dans fon excel
lent Traité de la culture des fleurs , pu
blié en Latin à Rome en 1623 , & à Am
JUILLET. 1761. 161
fterdam en 1646 ; & dans le 4º Livre de
cet Ouvrage , ( je parle de l'Édition
d'Amfterdam ) chapitre 2 , p . 433 , il
avoue tenir ce fecret de Jean- Rodolphe
Camerarius . Mais qui fçait fi en recherchant
plus loin , on ne trouveroit pas
que Camerarius le tenoit d'un autre ?
Quoiqu'il en foit , ce procédé eft décrit
en très- beau Latin & fort détaillé dans
Ferrari. En voici une traduction trèsbien
faite tirée des affiches des Provinces
du Mercredi 11 Février ; elle a été faite
par M. de Querlon d'après les indications
que j'ai données dans l'affiche précédente.
و د
Rempliffez jufqu'à moitié feulement
" un vafe de terre , de cuivre ou de bois,
» de fable paffé au tamis ; verſez enfuite
jufqu'aux bords du même vafe de l'eau
» bien pure & bien claire que vous re-
» muerez & mêlerez bien avec un mor-
33
و د
ceau de bois dans le fable , pour en dé-
» tacher les particules de terre graffe ou
» de fumier qui pourroient y être reflées .
» Le fable étant repofé , vous ôterez
» l'eau trouble du vafe , en la verfant
par inclination , & vous continuerez
» de laver ce fable juſqu'à ce que toute
» l'eau qui le couvre foit limpide & fans
» nuage. Quand le fable eft ainfi bien
و د
33
162 MERCURE DE FRANCE.
:
nettoyé , on l'expofe au foleil tout le
» temps qu'il faut pour déflécher entié-
» rement fon humidité. On prépare en-
»fuite pour chaque fleur un vaiffeau d'un
» volume convenable de terre ou de fer
» blanc ; on choifit les fleurs les plus bel-
» les , les plus parfaites & les plus fé-
» ches , en obfervant de leur laiffer une
» tige d'une longueur fuffifante d'une
» main on les pofe délicatement dans le
» vafe , de manière qu'elles foient enfoncées
de deux ou trois doigts au- deffus
» des bords , & qu'elle ne touche point
» le vaſe , de l'autre main on verfe peuà-
peu le fable jufqu'à ce que toute la
» tige ou la queue des fleurs foit couver-
» te , puis on en couvre légèrement la
» fleur même en écartant un peu fes feuil-
» les. La Tulippe exige de plus une petite
❞ opération : il faut couper la fommité
triangulaire qui s'élève au milieu de
» fon calice , & par là les feuilles de la
» fleur refteront mieux attachées à la
tige . Lorsqu'on aura rempli les vaſes ,
» on les laiffera pendant un mois ou deux
" expofé au Soleil , & l'on en tirera les
» fleurs peu différentes , quoique défféchées
, des fleurs fraîchement écloſes ,
» mais fans odeur .
»
"
39
Mais fans avoir lû le Livre du Profef
JUILLET. 1761. 163
Teur Boeckler ni celui du Pere Ferrari , les
perfonnes qui viennent de faire un fi
grand nombre d'expériences pour parvenir
à découvrir cet ancien procédé , auroient
dû trouver leur befogne à moitié faite
dans prèfque toutes les Pharmacopées de
l'Europe. On trouve dans tous ces Ouvrages
des formules relatives à la défficcation
& à la confervation des racines , des plantes
, de leur tige, de leurs feuilles , de leur
fleurs &c. On peut confulter les Ouvrages
de Schroder , d'Offman , la Bibliothèque
Pharmaceutique de Manget , les Pharmacopées
de Brandebourg , d'Auxbourg , de
Strasbourg , de Vienne , de Wirtemberg ,
d'Amfterdam &c. On voit dans les Préfaces
de la plupart de ces Ouvrages & furtout
dans le corps de la Pharmacopée de
Schroder tout ce qu'il y a d'intéreffant à
favoir pour la defficcation des plantes.
Ces principes y font à la vérité noyés
dans des chofes qui leur font en quelque
forte étrangères , mais on y rencontre
ce principe général & connu de tout le
monde , que pour déffécher les plantes
d'une manière à les bien conferver
, il faut les expofer au Soleil & à un
courant d'air rapide . Il y a apparence
que c'eft dans ces excellentes fources
que M. Rouelle a puifé ce principe dont
164 MERCURE DE FRANCE .
ilf ait ufage dans les leçons qu'il donné
fur la Pharmacie , ainfi que l'annonce
l'Auteur de la Defcription du procédé
imprimé dans le Mercure dont j'ai parlé
plus haut.
J'indiquerois volontièrs tous les endroits
des ouvrages que je viens de citer ,
où l'on traite de la defficcation des plantes
, fi je n'avois point de bornes à me
preferire ; mais vous pouvez voir , Monfieur
, d'après tout ce que j'ai dit , que la
prétendue découverte qui fait aujourd'hui
tant de bruit , n'eft rien moins que nouvelle
. Il eft fâcheux que les Naturaliftes
ayent attendu fi tard à faire de belles
momies de plantes . Quel progrès n'eût pas
fait la Botanique , fi depuis Camerarius
ou feulement depuis le Pere Ferrari , on
eût pratiqué cette méthode pour conferver
les plantes étrangères , qui ne s'ac
commodent point de nos climats ? On auroit
des collections de ces plantes dans les
cabinets , comme on en a de coquillages ,
d'Infectes & c.
Au refte ce fecret fera de peu d'utilité
pour les fleurs qui font l'ornement des
jardins. Il n'y a prèfque point de Fleuriftes
qui ne fachent faire venir , dans les
hyvers les plus rigoureux , des oeillets ,
des anémones , des femi- doubles & beauJUILLET.
1761 . 165
coup d'autres fleurs que l'on préférera
toujours à celles qui font défféchées.
J'ai l'honneur d'être & c .
N
RIGAULT de S. Quentin.
GRAVURE .
ous avons prévenu le Public que le
feur BEAUVARLEZ avoit entrepris quatre
grands Morceaux , d'après le célèbre Luc
Jordans , furnommé Faprefto . Il vient
d'en finir un dont le fujet eft l'enlèvement
d'Europe. Quoiqu'il fe fût promis de ne
les mettre au jour que deux à deux , il
n'a pû fe refufer aux folicitations de ceux
qui , dans l'impatience d'en jouir , l'ont
preffé de rendre public ce premier Morceau
.La force & la vigueur avec lefquelles
il eft rendu , étonnent & frappent du
premier coup d'oeil ; le Graveur a fçû faire
paffer dans l'Eftampe toute l'impreffion &
la magie du Tableau. Enfin , plus on l'examine
en détail , plus on en trouve le trag
vail
pur , favant & gracieux.
Le même Artifte , pour ne point trop
s'appefantir fur le grand Morceau que
nous venons d'annoncer , a gravé , dans
fes heures de relâche , une autre Eftampe ,
qu'il vient de mettre au jour , intitulée
166 MERCURE DE FRANCE.
Tancréde fecouru par Herminie , d'après
un Tableau de M. de la Grenée. L'Eftampe
peut tenir place chez les Curieux ; elle
eft très-bien rendue.
LA Vie des Peintres Flamands , Alle
mands & Hollandois , avec des Portraits
gravés en taille- douce , une indication de
leurs principaux ouvrages , & des réflexions
fur leurs différentes manières ; par
M. J. B. Defcamps , Peintre , Membre
de l'Académie Impériale , Francifcienne ,
de celle des Sciences , Belles-Lettres &
Arts de Rouen , & Profeffeur de l'Ecole
du Deffein de la même Ville , Tome troifiéme.
Ce livre , fi attendu par les Artiſtes
& par les Amateurs , a fait le même plaifir
aux Gens de Lettres , nous ofons affûrer
qu'il aura le même fuccès que les deux
Volumes , déjà dans les mains du Public .
On le trouve à Paris chez Defaini & Sail
lant, rue S. Jean de Beauvais , chez Piffor ,
Quai de Conti , chez Durand , rue du
Foin , & chez l'Auteur , à Rouen . Le prix
eft de huit livres le volume broché.
CARTE Topographique de l'Ifle de Belle-
Ifle , fes Ports , rades , mouillages , vigies
& autres détails Hydrographiques ,
avec un Plan particulier de la Citadelle &
JUILLET. 1761. 167
Bourg de Palais , par le fieur de Beaurin ,
fils de M. le Chevalier de Beaurain , Géographe
du Roi.
Cette Carte aparu le Jeudi 28 Mai ;
& fe trouve chez l'Auteur & chez Mérigot
, Libraire , quai de Conti , au bas
du Pont-neuf , au coin de la rue Guénégaud
, à Paris. On avoit négligé jufques
à préfent, de donner aucun détail de
cette Ifle ; mais les circonftances préfentes
ont engagé le fieur de Beaurain fils , de
faire des recherches ; il eft parvenu à détailler
cette Carte autant qu'elle en eft
fufceptible pour fatisfaire les Curieux : il
a ajouté auffi les mouvemens de l'Efcadre
Angloiſe le 8 Avril , & leur deſcente
du 23 du même mois.
LA CHAIRE de la Paroiffe de S. Roch,'
inventée
par Simon Challes , Sculpteur
ordinaire du Roi ; gravée par Etienne
Feffard , Graveur du Roi , de fa Bibliothèque
& de l'Académie Royale de Parme,
fous la conduite de M. Jean Maduel,
Curé de ladite Paroiffe. A Paris , chez
l'Auteur , à la Bibliothèque du Roi , rue
de Richelieu , la veuve Chereau , rue S.
Jacques , & Joullain , quai de la Mé
gifferie.
168 MERCURE DE FRANCE.
CATALOGUE des Eftampes de feu Ge
rard Audran , qui fe trouvent chez Michel
Audran , fon petit neveu , Entrepreneur
des Tapifferies pour le Roi à la
Manufacture Royale des Gobelins , feul
poffeffeur des Planches .
OEUVRES DE POUSSIN.
Le Portrait de N. Pouffin , tiré par
lui même , & gravé par J. Pefne . 1 1. 1of.
Les fept Sacremens , en grand, de deux
feuilles , gravé par J. Pefne. 24 1.
Les fept Sacremens , en petit , gravés
par Benoit Audran . 12 liv .
Le Baptême des Pharifiens , de deux
feuilles & en peit , gravé par Gérard Audran.
3 1. 10 f.
Pyrrhus , en deux feuilles . 3 1. 10 f.
Coriolan , en deux feuilles. 3 1. 10 f.
La Femme Adultère . 2 1. 10 f.
La Vérité enlevée par le Temps. 2 liv.
Le Maître d'École. 1 1. 15 f.
I
Le Mariage de la Vierge , en petit, 12 ſ.
Renaud & Armide. 2 1.
Sainte Françoile , Romaine . 15 f.
Hercule & Omphale. 10 f.
Apollon & Daphné. 10 f.
La Charité Romaine. 10 .
Métamorphofe de Narciffe . 1 1..
Le ravillement de S. Paul. 1 1.
Moïfe
JUILLET. 1761 . 169
Moife expofé fur les eaux. 1 1. 10 f; en
grand. 3 1. 10 f.
Moife fauvé des eaux . rl . rof.
Moife frappant le Rocher , en petit 1 l.
to f; en grand. 6 1 .
La Manne , en petit. i 1. 10 f.
La Galatée , de J. Pefne. 1 1. 10 f.
Le Teftament d'Eudamidas. 2.1.
L'Empire de Flore , par G. Audran ,
1 l. 15 f.
Travaux d'Hercule , gravés par
Les
19
J.
Pefne
. s 1.
Un Livre à deffiner , de 13 feuilles ,
par le même. 2 l . 10 f.
1
Le Crucifix en grand, s ; & en petit.1 l.
of
OEUVRES DE LE BRUN.
Les grandes Batailles d'Alexandre ,
gravées par G. Audran, 200 1.32
La grande & la petite Defcente de
Croix , gravées par B. Audran . 3 :1; en
petit 12 f.
La Préſentation de Jesus au Temple ,
en grand 3 I. & en petit , par B. Audran
. 12 f.
La Defcente du S. Efprit, en grand & en
petit par G. Audran. 3 1. en petit 12 f
Le Moife qui frappe les Bergers , & le
Mariage de Moïfe , en grand & en petic ,
par B. Audran. 3 1. 10 f..
I.Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
Le Plafond de la Chapelle de Sceaux ,
par G. Audran, 10 l.
Le Plafond du Pavillon de l'Aurore de
Sceaux. 8 1.
La Préfentation de la Vierge, au Tem
ple , en petit. 12 l.
ſ.
Le Martyre de S. Etienne , en grand &
en petit,par G. Audran . 3 I. en petit 15
L'Affomption de la Sainte Vierge , de
Duflos , en petit . 12 f.
t
Le Mallacre des Innocens , en petit.
1 l. 10 f.
Le Chrift au Jardin des Oliviers , en
petit. 12 f.
Le Crucifix , en petit. 12 f.
Ste Geneviève , en petit . 12 f.
Notre Dame de Pitié , en petit 10 f
CUVRES DE MIGNARD.
Sainte Cécile . liv.
3
Le Plafond du Val - de - Grace , en 6
feuilles , par G. Audran , 12 liv.
Le Portement de Croix, par G. Audran,
5 liv. & en petit 1 liv. to f.. S
La Copie du Portement de Croix , par
B. Audran. 3 liv. io f.
Le grand & le petit Baptême de Jelus-
Chrift , par S.Jean . 2 liv. en petit rzf.
Les deux deffus de porte de S. Cloud ,
qui font la Jaloufie & les Plaiſirs des jardins
, gravés par B. Audran, 1 liv. 1of.
JUILLET. 1761. 175
Le Marquis de Beringhen . 1 liv .
Louis de Beringhen . 1 liv.
La Pefte , par G. Audran . 4 liv. & en
petit liv. to f.
Lully. I liv
OEUVRES DE LE SUEUR.
Saint Laurent en petit , gravé par B.
Audran. 3 liv. en grand 15 f, en petit.
Saint Gervais.& S. Protais Martyrs ,
gravé par G. Audran , 15 l.
L'Aurore , gravé par G. Audran.
OEUVRES DE RAPHAEL, 1
Saint Paul , en petit , battu par les déf.
mons. If
Un Livre de 14 Enfans dans les angles.
2 liv.
13 Figures Hyéroglyphiques... & 10
Bas-reliefs. 4 liv.
Saint Paul & S. Barnabé. z liv. ro f.
La mort d'Annanie . 3 liv. 10 f.
Moife au Buiffon ardent. ; liv. 10 f. 3
Ulyffe découvre Achille. 1 liv. 10 f.
La Transfiguration . 2 liv. 10 f.
OEUVRES DE CARACHE.
Le Trépas de S. François .
I liv. 10 f.
Le S. Jérôme. 1 liv. I
Le S. Antoine. 15 f.
La Samaritaine. en petit
15 f.
Gravés par
G.Audran
Hi
17 MERCURE DE FRANCE
OEUVRES DU DOMINIQUAIN.
Jefus au Jardin des Olives , par J. Aug
dran, liv . IS ር.
Le Rofaire par G. Audran. 3 liv.
L'Annonciation de Daflos. 3 liv. ;
I Le S. Jérôme , par B. Audran. 1 l . 15 f.
Quatre Ovals , par G. Audran . 2 liv.
OEUVRES DE CHARMETON.
Un Livre de fix feuilles de Plafonds ;
par G. Audran. 1 liv. 10 f.
Deux Livres de Corniches , de 30 feuilles
, par G. Audran , 2 liv,
Cinq Livres de 30 feuilles'
d'Ornemens de Montans.
Un Livre de feuilles de
Vales .
Un Livre de 6 feuiles de
Panneaux.
Un Livre de 6 feuilles , Culs
de lampes.
Quatre Livres de 6 feuilles
chacun , de Mafques
Un Livre de Cartouches .
PORTRAIȚ §.
à trois f
la feuille,
Le Portrait du Roi , de M. Perfon. i
-Liv. 15 f.
Cinq Portraits de M. Rigaud. 1 liv . 15 f.
JUILLET. 1761. 171
Un Portrait , de Largilliere . 12 f.
Deux Portraits , de Nanteuil. 10 f.
Plufieurs autres petits Portraits. 6 f.
FLEURS.
"
Deux Livres de Robert , de 12 feuilles
chacun. 1 liv. 10 f.
Un Livre de 16 feuilles . 2 liv.
Deux Livres de 12 feuilles chacun , d'Oifeaux
de Robert , gravés d'après les Oifeaux
de la Ménagerie de Verfailles. 3 liv.
10 f.
PAYSAGES DE VAN - DER - KABEL ,
& autres Auteurs.
Un Livre de 4 grandes feuilles, & trois
autres différens . s f. la feuille. S
: Cinq petits Livres. 3 f. la feuille .
Un grand Livre des vues d'Italie , de
Faucus , par 6. Audran , 6 f. la feuille.
Un Livre de 6 feuilles , de Gafpe ; &
plufieurs autres Payfages des meilleurs
Maîtres , par G. Audran. 5 f. la feuille.
OEUVRES mêlées de plufieurs Auteurs.
Le Jugement de Salomon , de Coypel,
gravé par G. Audran. 3 1. 10f.
Renaud & Armide , par J. Audran.
2 1. 10 f.
H jij
174 MERCURE DE FRANCE.
La Vierge de Villequain
I l. 10 f.
> par Pitaw
.
La Fuite en Egypte , de Verdier , par
G. Audran , 24.
La Samaritaine de Villequain , par
Baudet. 1 1. 10 f.
La Samaritaine d'après Champagne.
12 f.
Saint Pierre , du Lanfranc , par G.
Audran, 15 f.
Un Livre de 30 feuilles de Proportions
du corps humain, mefurées fur l'Antique .
31106
Un Livre de 4 feuilles de Frifes , de la
Fage , par G. Audran , 1 l . 10 f.
Les 4 Rommanelles Poetiques , "par
G. Audran, 2 1.
Un Plafond de feuilles , de Piettre
de Cortone , par G. Audran, 1L 1of.
Le Chandelier de S. Pierre de Rome ,
du Bernin , par G. Audran, 10 f.:
L'Invocation & l'Imitation des Saints
pour tous les jours de l'année , avec un
xtrait de leurs vies , des prières & des
Réfléxions , gravés par Sebaftien le Clerc.
On peut le relier en petits volumes . 4
1of.
1.
Le Frontifpice des Métamorphofes
d'Ovide en Rondeaux , par le Clerc. 10 f.
La Vie & les moeurs de Ste Catherine
JUILLET. 1761. 175
de Sienne , en 12 f. par Vanius , 2 1. 10 f.
L'alliance & la Paix , Figure allégorique
de Louis XIV. 6 f.
Le Tems découvre la vérité de la Peinture
, par Teftelin. 15 f.
La Multiplication des Pains, de Claude
Audran , pat J. Audran ,
La Peinture , de Claude Audran , par
B. Audran, 12 f.
Les huit Figures du Tombeau du Préfident
Séguier , en 2 feuilles. 1 1 .
Le Paffage de la Mer Rouge , de Verdier
', par G. Audran . 3 §.
Les fept OEuvres de Miféricorde , de
Bourdon par L. Audran, 9 l ,
Les 4 Élémens de l'Albane , en petit ,
par B : Audran, 61.
La Miffion des Apôtres , par G. Au-
'dran, of.
La Sainte Famille , du Carle- Maratte. 12 f.
Sainte Marie Egyptienne , par Bongin .
32 f..
L'Adoration des Pafteurs , du Guide.
12 f
Les Pelerins d'Emaüs , du Titien. 12 £
Sainte Maranne & Sainte Cire . 12 f.
Sainte -Geneviève , du Mellan. 12 f
Le Trépas de la Sainte Vierge. If
La Communion de la Vierge. 12 £
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
La Madelaine , du Guide. 1 1.5 f.
Le S. André , du Guide , par J. Audian.
3 1. 10 f.
La Pénitence , d'après Licherie , par
Bazin. 1 1. 15 f.
L'Annonciation , de l'Albane , 12 f.
La Madelaine , du même , par Scotin.
.12 f.
€
La Scène , d'après C. Audran . 3 1.
Le Baptême , d'après Licherie. 2 1.
La Similitude des Enfans.
L'Incrédulité de S. Thomas. 1 l . § f.
La Communion de S. Denis . 12 f.
Ganiméde, du Titien , par G. Audran,
12 f
Le Bombardement de Gènes. 2 1.
Le Profil de la Ville de Rome. 1 1. 10 f.
Le Temps triomphe de l'Envie. 6 f.
Judith qui tranche la tête à Holopher- ne. 3 f.
Bacchus & Apollon , par G. Audrani
10 f.
S. Jérôme , de Licherie. 1 1. 10 f.
S. Hyacinthe , du Guerchin. 12 f
S. Bruno , de C. Audran . 10 f.
Le Baptême , de l'Albane , 31. 10 L
La Charité Romaine. 10 f.
Le Cadavre , de Houaffe . 11. 10 f
La Cananée. 12 f.
Saint Michel. 12 f
JUILLET. 1761. 177
Saint Mathieu . 4 f.
Saint André. 6 f.
Sainte Théreſe. 12 f.
Plufieurs petits Cartouches . 4 f.
Defcription de l'Eglife des Invalides ;
avec le Plan général de l'Hôtel & l'Explication
des Tableaux in - folio. 15 1.
Idem abrégée. 6 1 .
Idem in- 12. 1 1. 4 f.
MECHANIQUE.
MEMOIRE fur les rectifications convenables
à faire aux Machines , concernant
la conftruction des Edifices , tant pour
tranfporter les fardeaux , que pour les
élever.
ON fe fert , depuis 17 à 18 cens ans ,
de Machines qu'on nomme angins , chevres,
grues , grueaux & chariots , à l'ufage
des Edifices , pour tranfporter & élever les
pierres , moilons , briques , charpentes &
autres corps , fervant à leur conftruction .
Quoique ces Machines foient en ufage
depuis fi longtemps , on eft en état de
prouverqu'elles font encore fort éloignées
de leur perfection, puifqu'en les rectifiant
on pourroit , par leur moyen , procurer
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
deux avantages confidérables ; l'un de ga
guer près de moitié du temps fur la conftruction
des Edifices , l'autre d'épargner
au moins deux tiers de dépenfe fur la main
d'oeuvre.
Par exemple : un Edifice quelconque „
que l'on eftimeroit pouvoir bâtir en trois
années , dont les journées d'Ouvriers employés
aux tranſports & élévations des
pierres &c, monteroient à trois cens mille
livres , par l'ufage des Machines d'aujourd'hui
, pourroit le faire avec cent mille
livres , en moins de deux années , par le
moyen des Machines rectifiées que l'on
propofe.
2 Si fur un Edifice tel que celui propofé ,
on peut gagner une année de temps , &
economifer deux cens mille livres , combien
y auroit- il de temps à gagner fur la
conftruction d'une Ville entiére , & d'oeconomie
à faire , lorfqu'outre les maiſons
Bourgeoises, on a à y édifier des Temples,
des Monaftères & des Palais ?
Le fieur Pinfon , Architecte- Méchanicien
& Inspecteur des Bâtimens du Roi ,
Auteur de ces rectifications , connu par
différens Projets, annoncés dans les Journaux
, penfe que ces moyens pourroient
être utiles à tous Porentats , Princes & c .
qui auroient des Edifices de conféquence
JUILLET. 1761.
179
à faire de telle nature & conftruction
qu'elles puiffent être , comme Villes de
Guerre , Châteaux , Fortereffes , Ports
Digues , Eclufes , Risbans , levées ou jettées
dans la Mer & c , murs de Quays , Ponts
fur les Rivieres & c.
Il eft en état de donner, en préſence de
toutes les Puiffances qui voudroient l'honorer
de leur confiance & de celle de telle
perfonne qu'elles choifiront , la preuve dé
ce qu'il avance d'une manière invincible
& plufieurs autres avantages qui en réfulteroient
, même à fes propres frais &
dépens , s'ils le defirent fous le bon
plaifir du Miniſtère François , en faifant ,
au préalablé avec lui , des conditions
convenables.
>
L'Auteur de ce Mémoire eft parvenu à
la perfection de l'Hydraulique , par des
machines fimples , durables & peu cou
teuſes en conſtruction & entretien , par
le moyen defquelles on peut procurer
des eaux abondamment , dans telle poftion
que ce foit , pour faire des Fontaines
dans les Villes , dans les Jardins ,
ainfi qu'expulfer celles qui nuifent. Ces
machines pouvent être mues , par le
moyen des courans des vents , des hommes
, des chevaux & c.
On peut voir fon projet pour fourniz
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
d'eau la Ville de Paris , dans le Journal
du mois d'Avril 1739.
Celui de la perfection des Moulins à
Eaux & à Vents , dans le Journal d'Octobre
1746 , & beaucoup d'autres qu'il n'a
point annoncés , comme ceux des rectifi
cations des Machines de Marly , du Pont
Notre- Dame , à Paris , & de la Pompe du
Pont-Neuf, qui en feroient très -fufceptibles.
On pourroit , par le moyen de la nouvelle
grue propofée dans ce Mémoire ,
pour élever les fardeaux , charger & dé-"
charger lesVaiffeaux avec moins de temps
& de dépense qu'ils coutent aujourd'hui.
Il a auffi découvert des moyens trèsfupérieurs
à ceux dont on s'eft fervi juf
qu'ici , pour retirer les Vaiffeaux & Batteaux
fubmergés avec leurs charges , de
telle nature & pefanteur qu'elles puiffent
être , même les plus gros Vaiffeaux de
Guèrre , chargés de toute leur Artillerie ,
à telle profondeur que les cables puiffent
les atteindre.
Le fieur Pinfor demeure à Verfailles
près le Jeu de Paulme , & à Paris , chez
M. Deperthes , Avocat au Parlement , rue
Mazarine , Cour de Munfter.
JUILLET. 1761 180
SUPPLEMENT à l'Article de Mufique .
SIX SONATES pour le Clavecin , dédiées
à Mgr le Prince LOUIS DE ROHAN , Coadjuteur
de l'Evêché de Strasbourg , compofées
par M. Leonzi Honaver , Livre
Premier. In-folio ; prix , en blanc , 9 liv.
A Paris , chez l'Auteur , à l'Hôtel de Soubife,
vieille rue du Temple, & aux adreffes
ordinaires.
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Mufique continue
de repréfenter Zaïs. Les parties qui
avoient déterminé lefuccès de cet Opéra,
favoir la Mufique & le Ballet , l'ont foutenu
avantageufement , pour la gloire da
célébre Auteur de cette Mufique & pour
les recettes de ce Spectacle. Cette dernière
circonftance ne doit s'entendre néanmoins
que des jours , où la mode de certaine
promenade & de quelques petits
182 MERCURE DE FRANCE.
Spectacles qui s'y trouvent , a laiffé au
Public la liberté de fréquenter les grands
Théâtres de la Ville...
Le Vendredi 12 Juin , M. d'Auberval ,
Danfeur , a debuté dans les Airs de M.
Lyonnois au deuxième Acte : il continue
fon début. Le Dimanche 14 , Mlle Pélin
a débuté dans les Airs de Mlle Lani.
Pour rendre compte des talens de ces deux
Sujets, nous attendrons que le Public les
ait décidément appréciés. Le Vendredi
19 , Mlle Allard a débuté dans le troifiéme
Acte par deux Airs ajoutés , l'un noble
& gracieux , l'autre plus vif ; & au
quatriéme Acte , dans la Pantomime que
danfoit Mlle Lyonnois.
On defiroit voir à l'Opéra Mlle Allard.
Cette Danfeufe , quoique fort jeune encore
, étoit applaudie depuis longtemps
fur un Théâtre , ( a ) où la danfe prèfque
toujours ifolée du Spectacle principal ,
n'en fait pas même l'acceffoire , & n'eft
prèfque toujours que le moindre objet
d'attention pour les Spectateurs. Chaque
Théâtre fait des mêmes perfonnes , des juges
différens. Quoiqu'intimidée par là ' ,
Mlle Allard dès la fin de fon premier Air,
fut applaudie à titre de juftice au moins
La Comédie Françoiſe,
JUILLET. 1761. 18%
autant qu'elle l'avoit été à titre d'encouragement
lorfqu'elle parut. Une grande
jufteffe d'oreille , de la précifion dans les
pas, une exécution brillante & égale dans
les deux jambes , font des qualités que le
Public voit avec plaifir fe trouver réunies
dans ce Sujet. Il eft en tout un ftyle local,
fi on peut le dire, que Mlle Allard acquérera
fans doute en très- peu de temps . On
ne paroît rien defirer dans la Pantomime
dont elle poffède les graces , & pour laquelle
ceflyle local de l'Opéra eft moins:
néceffaire qu'ailleurs.
Ce début a été une des occafions remarquables,
ou le Public fait quelquefois éclater
la jufteffe de fon goût & l'équité de fes
fuffrages . En donnant à Mlle Allard , par
fes applaudiffemens ,.la fatisfaction la plus
flatteufe , il les redoubla pour Mile Lani,
de manière à déclarer diftin &tement qu'il
ne connoiffoit aucune rivalité poffible avec
la première Danfeufe de l'Europe , qualifiée
& reconnue pour telle , non - feulement
par les Spectateurs François ; mais
par tous les Etrangers qui ont vu l'Opéra
de Paris.
184 MERCURE DE FRANCE
COMEDIE FRANÇOISE .
LE 24 Mai , on repréfenta la Métromanie.
Quoiqu'il ne foit pas d'ufage de
faire mention des Ouvrages qui font perpétuellement
au Théâtre , celui- ci peut
avoir des prérogatives particulières. Il eſt
intéreffant de conftater par des expériences
réïterées, qu'il y a des Chefs-d'oeuvre de
Génie, qui, à l'abri des erreurs du goût, n'éprouvent
aucune des viciffitudes de la
mode , & que le Public renouvellé pour
toute autre chofe , paroît être toujours le
même pour cette Piéce. D'ailleurs , l'Auteur
( M. Piron ) qui a affifté à cette repréfentation,
& qui ne connoiffoit point
les Acteurs les plus modernes , témoigna
tant de fatisfaction de leur jeu , que ce leroit
leur faire tort , de taire un témoignage
fi flatteur pour eux,& fi recommandable
auprès du Public.
On a repris fur le même Théâtre Iphigénie
en Tauride, Tragédie de feu M. de la
Touche. Lamémoire du fuccès prodigieux
de cette Piéce lorsqu'on la mit au Théâtre
pour la première fois , eft encore récente.
L'impreffion qu'elle a faite à cette reprife
, doit redoubler nos regrets fur la perte
JUILLET. 1761. 185
de ce jeune Poëte. Les trois Acteurs
principaux de cette Tragédie , fçavoir
Mlle Clairon , MM. le Kain & Bellecour
en ont rendu les rôles au gré des
Connoiffeurs , fupérieurement même au
temps de fa nouveauté fur le Théâtre ;
quoiqu'ils ayent eu dès- lors une trèsgrande
part à fon extrême fuccès . Mais
Mlle Clairon nous apprend tous les jours,
qu'il eft des progrès poffibles dans fon
Art , quoique parvenue au plus haut degré
d'excellence.
On a remis enfuite ( le 8 Juin) le Bour
geois Gentilhomme , Comédie de Moliére
avec tous les agrémens . Cette Piéce a été
en général auffi bien rendue qu'elle puiffe
l'être en aucun temps ; de l'aveu même
des Anciens , contempteurs par état , des
talens actuels . M. Préville a fait du rôle
de M. Jourdain, tout ce qu'il eft poffible
d'en faire , pour entrer dans les vues du
célébre Génie qui l'a compofé : & fans
doute que ce même Auteur n'eût pas defiré
un Sujet plus naturellement difpofé
à bien rendre le rôle de Nicole que Mad
Bellecour. La gaîté de fon air eft fi vraie
au Théâtre , qu'elle entraîne néceffairement
tous les Spectateurs, Le comique,
de cette Scène a été fuffifant plus d'une
fois, pour attirer la foule à cette Piéce ;
186 MERCURE DE FRANCE.
mais dans les temps , il eft vrai , où l'on
permettoit encore à la nature de contribuer
à la récréation de l'efprit . On ne
peut diffimuler que le talent reconnu des
Acteurs dans cette reprife , n'a pas été
récompensé par l'emprellement du Public,
autant que l'intérêt du bon goûr devoit
le faire defirer. Combien les Nations
Etrangères doivent- elles être étonnées ,
quand elles apprennent que Moliére
remis avec foin & avec art fur fon Théâ
tre natal , eft négligé , & furtout facrifié
à de frivoles gentilleffes , où le Public fe
porte en foule , longtemps après même
qu'il a été laffé de les entendre . Tel , qui
pour fuir les repréſentations des Piéces
de Moliére , fe fonde fur l'ennui d'une
choſe trop connue , n'a quelquefois pas
la mémoire de la Comédie que l'on joue,
ou plus fouvent encore ne l'aura jamais
vu repréfenter. C'eſt donc moins un fentiment
naturel de curiofité qui ſoutient
l'affluence aux nouvelles frivolités , qu'un
faux air , excité par le defir d'être vû , où
P'on préfume que l'on verra tout le mon
de. Le Goût & la Raifon n'ont pas d'ennemis
plus dangereux que les faux airs.
JUILLET. 1761 .
187
COMEDIE ITALIENNE.
LE 7 Juin , on donna pour la dernière
fois , Soliman Second ou les Sultanes.
Cette Piéce a eu 27 Repréfentations plei
nes & fans interruption. A ne confulter
que le nombre des Spectateurs & leurs
applaudiffemens , elle auroit pû en avoir
encore davantage. Le Public doit être
informé que les airs nouveaux , qu'il a
applaudis dans cette Piéce , font de M.
Gibert , Auteur de la Mufique de la Fortune
au Village. Les Airs de ce Muficien,
dans Soliman , font , celui que chantoit
Mile Defgland , & un autre , chanté par
M. Cailleau , dans le Divertiffement Turc ,.
fur ces Paroles : Mahomet , prendsfoin des
deftinées & c.
Le 8 du même mois , on repréfenta ,
pour la première fois , la Bonne Fille
Comédie nouvelle Italienne , mêlée d'Ariettes
, tirée de Goldoni , Mufique de
M. Duni.
Les Ouvrages de M. Goldoni offrent
fans doute un champ très-fertile pour en
richir tous les Théâtres de l'Europe , fans
en excepter le nôtre. La jolie Comédie des
Caquets l'a bien prouvé mais tous ces
188 MERCURE DE FRANCE.
fruits tranfplantés ne réuffiffent pas également.
La Bonne Fille , telle qu'elle a parus
même après toutes les réformes , n'empêchera
pas de regarder cette Comédie des
Caquets, comme l'unique tentative heureufe
, jufqu'à préfent , fur le tranfport des
richeffes du nouveau Théâtre Italien , en
France.
Il y a eu cependant beaucoup de monde
aux premières Repréſentations de cette
Comédie ; mais on doit attribuer cette
affluence au defir d'entendre Mlle Piccinelli
, qui avoit beaucoup d'Airs à chanter.
Le plaifir que fait cette nouvelle Cantatrice
, eft établi fur un talent trop agréable
& trop réel , pour s'affoiblir. On doit
croire , au contraire , que ce plaifir devien
dra encore plus vif, lorfque Mlle Piccinelli
, plus familiariſée avec un Public tout
nouveau pour elle , animera un peu davantage
l'exacte adreffe de fon chant & les g s graces
naturelles de fon jeu. Tout excès , s'il féduit
d'abord, finit par devenir défagréable.
Cette jeune Actrice n'a point à craindre
de tomber dans celui d'une action trop déréglée
, mais fes plus ardens admirateurs
defirent qu'elle évite celui de la froideur
qui eft quelquefois l'écueil du talent le
mieux raifonné ; & la beauté même ne s'en
garantit pas toujours ,
JUILLET. 1761 ;. 189
. Une autre caufe du nombre des Specta
teurs qui ont honoré le peu de repréſentations
de la Bonne Fille, a été le Ballet des
Pierrots par M. Felicini.
En convenant de toutes les fimilitudes
de ce Ballet avec d'autres à- peu- près du
même genre , il eft certain que c'eſt une
collection des plus riches , des plus abondantes
& des plus variées de tous les exercices
Pantomimes imaginables. Son excelfive
longueur eft non feulement fuppor
tée , mais devient prèfqu'irréprochable ,
par l'immenfe variété des figures qu'il préfente.
Ces figures font d'autant plus d'éffet
, qu'elles fe fuccédent rapidement &
forment des Tableaux diftinctement déf
finés. Mile Camille & M. Francini raniment
finguliérement le jeu de cette Pantomime
, dans tous les endroits où ils y
paroiffent. Ce Ballet a furvêcu avec fuccès
à la Piéce à laquelle il étoit joint.
On a remis fur le Théâtre de la Comédie
Italienne , la Gouvernante , Comédie
Françoife , en vers & en trois Actes , par
feu M. Aviffe , repréfentée pour la premiere
fois en 1737 , fans avoir été reprife
depuis le temps de fa nouveauté.
Cette Comédie cependant , eft un des
Ouvrages modernes , où peut- être on air
le plus approché du comique de Moliére,
go MERCURE DE FRANCE:
même , s'il eft poffible , de la juftelle.de
fon Dialogue. La mort a enlevé ce jeune
Auteur dès les premiers pas qu'il avoit faits
fur le Théâtre. Il femble qu'une fatalité
particulière s'applique à nous ravir tout ce
qui pourroit faire revivre les grands Modéles
du Dramatique François . La mort récente
de M. Defmahis en eft une nouvelle
preuve. La Troupedes Italiens eft plus difpofée
aujourd'hui à pouvoir hazarder de véritables
Comédies , & les Amateurs de ce
Théâtre defireroient avec raifon qu'on y
encourageât les Acteurs. Mlle Boiyoni a
joué la Gouvernante avec le talent de
Comédienne , & de Comédienne Françoife
, qu'elle poffède au moins auffi réguliérement
que d'autres qui avoient autrefois
fon même emploi dans les Piéces
Françoifes de ce Théâtre. On connoît le
caractère original & fpirituel du jeu de
M. De Heffe chargé du rôle de Frontin
qu'il avoit déja joué en 1737. Mlle Lafont
chargée du rôle de Célie , a mérité
des encouragemens , & doit faire defirer
que plus d'exercice dans la vraie Comédie
, rempliffe l'efpoir que l'on eft porté
à concevoir en fa faveur par les grâces
de fa figure.
Cette Piéce , qui avoit eu beaucoup de
fuccès dans fa nouveauté , vient d'être
encore applaudie , dans la repriſe.
JUILLET. 1981 ; for
OPERA - COMIQUE.
L'OPÉRA - COMIQUE , a fait l'ouverture de
fon Théâtre le 27 Juin, à la Foire S. Laurent.
On y a repréfenté un petit Prologue
intitulé le Compliment fans Compliment
, nouveau ; le Ral Bourgeois, Opéra-
Comique de M. Favart ; & le Cady Dupé.
Le Compliment fans Compliment eft de la
plus grande gaîté , & a fait le plus grand
plaifir. Le Spectacle en général a été trouvé
très agréable ; & a attiré jufqu'à préfent
un grand nombre de Spectateurs.
ARTICLE V I.
NOUVELLES POLITIQUES:
V₁
De WARSOVIE , le 29 Mai 1761 .
INGT mille Ruffes , fous les ordres du Comte
de Czernichew , font entrés le 19 dans le Palatinat
de Pofnanie , & ont paffé la Wartha Ils feront
inceflamment fuivis du refte des troupes
commandées par le Feld Maréchal de Butturlin .
Le Général de Tottleben continue de fe maintenir
près de Stolpe , où il attend des renforts confidérables.
La fufpenfion d'armes , dont il eft convedu
avec le Baron de Werner , eft fur le point
d'expirer.
192 MERCURE DE FRANCE.
On mande de Pétersbourg , qu'on y célébra , le
2 de ce mois , l'anniverfaire de la naiffance de la
Grande Ducheffe . Suivant les mêmes avis , l'Impératrice
de Ruffie a nommé le Comte de Keyferling
& le Comtede Czernichew , pour affifter
de la part au Congrès d'Ausbourg.
La fanté du Prince Clément de Saxe n'étant
pas encore parfaitement rétablie , il ne fera point
la campagne prochaine. On compte qu'il pallera,
ainfi que le Duc de Courlande , tour l'été dans
cette Cour.
On apprend de Conftantinople que la feconde
Sultane eft accouchée le 19 de ce mois d'une
Princeffe. On fera , pour cet événement , les mêmes
réjouiffances qui ont été faites à la naiſſance
de la premiere Fille du Grand - Seigneur.
Suivant les mêmes avis , on commence à croire
que l'expédition , aux préparatifs de laquelle on
travaille depuis fi longtemps , fe réduira à une
croifiére de quelques Efcadres Ottomanes dans
l'Archipel & dans la Méditerranée. On affure du
moins que la vivacité de ces préparatifs eſt fort
rallentie. Aucune des attaques formées autrefois
contre Malthe n'ayant réulli , les troupes témoignent
peu d'empreffement pour une entrepriſe
dont elles n'attendent pas plus de fuccès.
De DANTZICK , le 1. Juin,
L'Armée Ruffe eft en pleine marche pour con
mencer les opérations de la Campagne. Elle fe
porte de Marienbourg à Pofnan , par Dirſchau ;
Mewe , Munckenwald , Neubourg , Nakeln &
Wengrowetz. Le Maréchal Comte de Butturlin
la commande én Chef. Des trois diviſions qui la
compofent , la premiere eft aux ordres du Général
Comte de Fermer ; le Knès Gallitzin conduit
la feconde ; & la troifiéme eft commandée par
le
JUILLET. 1761 . 193
>
le Lieutenant- Général Romanzow . Le Comte de
Czernichew eft à la tête d'un Camp volant . On
affure qu'une divifion attaquera la Silésie ,pendant
que les autres pénétreront dans la Pomeranie &
dans le Brandebourg.
De COPPENHAGUE , le 14 Mai..
Suivant les avis de Stockholm , les Miniftres
qui font fur les rangs pour affifter en qualité de
Plénipotentiaires du Roi de Suéde au prochain
Congrès , font le Comte de Barck , Envoyé Extraordinaire
de Sa Majefté Suédoiſe à la Cour de
Vienne , & les Barons de Scheffer & de Hopken ,
le premier , Miniftre du même Prince auprès du
Roi de France , le fecond , Envoyé à Warfovie.
On mande de Pétersbourg que le 19 du mois
dernier , le Kan de Georgie eut audience de l'Impératrice
de Ruffie , & qu'il lui a fait préfent d'un
diamant eftimé cent mille livres , Monnoie de
France .
De VIENNE , le Juin.
Le Marquis de L'hopital , ci- devant Ambaffa
deur Extraordinaire de Sa Majefté Très- Chrétienne
auprès de l'Impératrice de Ruffie eft arrivé ici de
Pétersbourg. Il continuera bientôt la route pour
Paris. Le Comte d'Hamilton , Evêque , Prince
d'Olmutz , recevra dans peu l'inveftiture de cette
dignité .
Le Comte de Choifeul , Ambaffadeur du Roi
de France auprès de Leurs Majeftés Impériales ,
partit le 19 de ce mois pour Paris , d'où il ira à
Ausbourg , en qualité de Miniftre Plénipotentiaire
de Sa Majesté Très- Chrétienne. Il fera remplacé
ici pendant le temps du Congrès , par le
Comte du Châtelet- Lomont , qui fera revêtu du
caractère de Miniftre Plénipotentiaire.
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
Selon les nouvelles les plus récentes de Silésie ,
le Général Baron de Laudon avoit encore , le 24
du mois dernier , fon quartier général à Haupt
mandorff. Il a renforcé la garniſon de Glatz par
cinq bataillons & par le Régiment de Hullards
de Nadafty. Les Généraux Sincere & Odonel
campent auprès de Zittau , d'où ils peuvent en
quelques marches joindre le Général Laudon . ~
Le Roi de Pruffe n'a fait aucun mouvement de
puis fon arrivée dans les environs de Schweidnitz
Son quartier général eft à Kuntzendorff.
On a vu avec ſurpriſe dans quelques papiers
publics, que le Grand- Seigneur failoit avancer
une armée vers la Ruffie , & que la Cour de Pétersbourg
rappelloit une partie des troupes Ruffes
deftinées a agir contre les Prufſiens . Ces bruits
font deftitués de tout fondement.
Du Quartier Général de l'Armée aux ordres du Baron
de Laudon , à Hauptmansdorff, le 31 Mai.
Les Troupes détachées de l'Armée du Maréchal
Comte de Daun , & commandées par le Lieutenant-
Général d'Argenteau , arrivérent le 18 de ce
mois à Trautenau. On reçut avis le jour ſuivant
que l'Infanterie amenée de Saxe , par le Roi de
Pruffe , étoit entrée dans le Camp qu'occupoit le
Général Goltz , & que la Cavalerie ennemie avoit
pris des Quartiers de Cantonnement , dans les environs
de Schweidnitz . Selon le rapport des Déferteurs
, l'Armée de Sa Majefté Pruffienne a été
jointe par tous les Corps détachés , & elle eft prête
à fe mettre en mouvement.. Il lui eft arrivé de
Schweidnitz un train confidérable d'Artillerie .
De HAMBOURG , le 29 Mai.
Quinze mille hommes de Troupes Danoiſes
JUILLET. 1761. 1
campent actuellement à fix lieues de cette Ville
Un Corps d'égale force eft affèmblé dans le Holf
tein. Les Troupes de la Maiſon du Roi de Danne
marck s'y rendront au premier jour . Selon les
Lettres de Coppenhague , l'Eſcadre Danoife n'at
tend que les derniers ordres pour mettre à la voile.
Le Prince Eugene de Wirtemberg a fait tracer
près de Laage un Camp pour les troupes qu'il
commande dans le Meklenbourg . La Ville de
Guftrow n'ayant pu acquitter une nouvelle contribution
de deux cens mille-écus , à été exécutée
militairement , ainfi que celle de Schwerin .
a
Suivant les Lettres de Stockholm , le Baron
de Lantingshaufen s'eft démis du commandement
de l'armée Suédoife . Le Général Ehrens werdt a
été nommé pour le remplacer.
•
De DRESDE , le 25 Mai.
L'Armée Autrichienne forme actuellement
plufieurs Camps , & le Feld Maréchal Comte de
Daun a tranféré fon quartier général de Nettnitz
en cette Ville.
On mande de Warfovie que le Roi , notre
Electeur , a nommé les Comtes de Flemming &
de Rex les Miniftres Plénipotentiaires au Congrès
d'Ausbourg.
Selon les nouvelles que nous recevons du Camp
Pruffien , l'Armée qui a pris dernierement la route
de la Siléfie , confifte en trente deux bataillons
, foixante trois elcadrons & quelques Corps
de Chaffeurs. Celle que le Prince Henri commande
dans le Camp de Schlettau , eft compofée
de quarante-fix bataillons & de quatre- vingttrois
efcadrons. Ce Prince a fous lui les Lieutemans-
Généraux Hulfen , Canitz , Seydlitz &
Krockow. Le Général Seydlitz doit commander
un Corps détaché , qui fera poſté près de Luben,
Iij
196 MERCURE DE FRANCE.
pour entretenir la communication entre l'Armée
de Sa Majefté Pruffienne & celle du Prince Henri.
Les Pruffiens , en évacuant (une partie de cet
Electorat , ont réduit les habitans à une telle difette
, qu'on les voit arriver ici par troupes , pour
chercher leur fubfiftance.
•
Nous apprenons de Berlin , que Sa Majesté
Fruffienne a ordonné d'en tranfporter les magafins
dans des lieux plus fûrs. La Famille Royale
de Pruffe eft partie pour Magdebourg.
Le Prince Albert de Saxe eft de retour à l'Armée
Autrichienne . Il commandera cette année
une brigade de Cavalerie , compofée de deux régimens
de Cuiraffiers , de quatre de Dragons , &
de quelques Compagnies de Ulans . L'Armée du
Prince Henri n'eft pas encore raffemblée .
De LEIPSICK , le 30 Mai.
Le Roi de Pruffe a fait publier une déclaration
par laquelle il promet route fureté aux Marchands
qui fe rendront à la prochaine Foire de
Naumbourg. Notre garniſon eft à préſent trèsfoible.
Les Partis de l'Armée de l'Empire vienment
jufqu'à nos portes. Un d'eux enleva derniérement
près d'ici vingt Cavaliers Pruffiens avec
leur Commandant. Le directoire de Guerre du
Roi de Pruffe n'a pas jugé à propos de continuer
fa réfidence dans cette Ville.
De BAMBERG , le 14 Mai.
Les Pruffiens fe font entierement retirés du
Voigtland & du Cercle des Montagnes. Le 29
du mois dernier , la garnifon de Zwickau prit la
route de Chemnitz. Jéna fut évacué le même
jour. Le lendemain le Général Schenkendorff
ayant abandonné Gera , joignit le Général Syebourg
, & ils fe replierent à Borna , d'où le preJUILLET.
1961 .
197
mier s'eft porté avec l'infanterie fous Lomatfch,
pendant que la Cavalerie a marché à Torgau.
Le Corps qui occupoit Freyberg , en partit la
nuit du 4 aus de ce mois pour le rendre au camp
de Meiffen. Les troupes de l'Empire font rentrées
dans Zeitz . Le Maréchal Comte de Serbelloni a
établi fon quartier à Cronach . Le Colonel Tor
rok a repris poffeffion de Chemnitz . La Thurin
ge eft encore occupée par les Pruffiens,
De RATISBONNE , le 22 Mai.
Le Prince Ferdinand de Brunſwick , Général de
l'Armée combinée d'Angleterre & de Hanovre ,
avoit déclaré aux Chanoines de Munſter , quefon
deffein n'étoit point de porter aucune atteinte à
leurs droits , ni de s'immifcer dans l'élection de
leur futur Evêque.
En conféquence , on s'attendoit à les voir bientôt
, ainfi que ceux d'Hildesheim , de Paderborn
& d'Ofnabruck , donner à leurs Eglifes des Chefs
dignès de les régir . Contre une efpérance fi bien
fondée , on a appris que le Prince Ferdinand nonfeulement
avoit refufé au Baron de Reifchach ,
nommé Commiffaire Impérial pour affifter aux
élections de Munſter & de Paderborn , l'entrée de
ces Evêchés , mais encore qu'il avoit défendu aux
Chapitres des deux Cathédrales , ainfi qu'à celui
de la Cathédrale d'Ofnabruck , de procéder à
l'élection de nouveaux Evêques , juſqu'à ce qu'il
fût arrivé des ordres du Roi de la Grande-Bretagne.
De plus , on a fçu que la Régence de Hanovre
avoit fait fignifier au Chapitre d'Ofnabruck ,
qu'elle étoit dans l'intention de lui ôter la jouiffance
des revenus de la Manfe Epifcopale , malgré
les priviléges accordés par les Empereurs , &
malgré l'efprit de la capitulation perpétuelle.
Dans un Décret adreffé à la Diete , l'Empereur
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
fait voir combien de tels procédés font contraires
au Traité de Weftphalie , fuivant lequel les
Chapitres immédiats des Archevêchés & Évêchés
de l'Empire font obligés , après la mort de leurs
Archevêques ou Evêques , de procéder inceffamment
à l'élection d'un nouveau Prélat & Régent
du Pays.
» Il eſt notoire , dit Sa Majefté Impériale ;
» qu'en vertu des Concordats arrêtés en 1448
>> entre le Saint Siége & le Corps Germanique ,
ב כ
les Chapitres doivent toujours procéder à une
> nouvelle élection dans le terme de trois mois,
a compter du jour de la vacance du Siége , &
5 qu'après l'expiration de ce terme, le Siége Apoftolique
a droit de leur donner un nouveau
Chef. Perfonne n'ignore non plus , qu'en qualité
de Chef de l'Empire , nous ne pouvons refufer
notre protection aux Membres du Corps
Germanique , qui fe trouvent lézés dans quelques-
uns de leurs droits , & que nous avons
ɔɔjuré , dans notre capitulation , de maintenir les
Chapitres dans leurs priviléges , ftatuts & ufa-
» ges .
» Les Chapitres de Munſter & de Paderborn
» ajoute l'Empereur , ont fuivi exactement ce que
les. Conftitutions de l'Empire préfcrivent. Au
» contraire , les troupes , qui occupent ces Evê-
>> chés , ont renverfé les loix fondamentales de
l'Allemagne.Elles attaquent même directement
>> les droits de l'autorité Impériale , & elles ofent
entreprendre d'en arrêter l'exercice , d'une ma
>> nière dont on n'a point vu d'exemple dans les
plus grands troubles.
Sa Majefté Impériale termine fon Décret , en
invitant la Diete à prendre en confidération des
événemens fi peu attendus . Elle témoigne atten
dre du zéle des Membres de cette Affemblée pour
JUILLET. 1761 . 199
le foutien de la Conftitution Germanique , qu'ils
chercheront férieufement les moyens convenables,
pour réprimer ces entrepriſes dangereuſes ; pour
maintenir dans leur intégrité les libertés & prérogatives
des Etats tant Eccléfiaftiques que Séculiers
, & pour venger la Majefté Sacrée du Chef
Supreme de l'Empire , ainfi que fes droits & ſon
indépendance.
De ROME , le 24 Mai.
Les difficultés , énoncées dans l'article de Ratisbonne
, s'étant oppofées à l'élection d'un nouvel
Evêque d'Hildesheim , le Pape a prorogé le terme
auquel elle devoit fe faire , fuivant le Concordat
de 1448. On ne doute pas que les Chapitres dè
Münfter & de Paderborn n'obtiennent une fembla
ble prorogation . Sa Sainteté a accordé au Car
dinal de Bavière , un Bref d'éligibilité pour l'un
ou l'autre de ces Evêchés , à condition que ce
Prince , s'il eft élu à l'un des deux , le démettra
d'un de ceux qu'il pofféde.
:
De LONDRES , le 31 Mai.
La Cérémonie du Couronnement de Sa Majesté
eft fixée au 6 d'Octobre. Un Vaiffeau venant
des Iſles Canaries a rapporté que le tremblement
de tèrre du 31 Mars dernier s'y étoit fait fentir
avec affez de violence. Suivant des Lettres de Lisbonne
, on continue d'y éffuyer plufieurs fecoufles
légères. Elles entretiennent la frayeur du Peuple
que les ordonnances févères du Roi de Portugal
peuvent à peine empêcher d'abandonner la Ville.
La nouvelle de la priſe du Comptoir & du Fort
de Bencoule s'eft confirmée ; mais on a fçu que
f'on étoit rentré dans cet établiffement , & que
l'on travailloit à le mettre déformais à l'abri de
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
toute furpriſe. On a reçu , par la voie de Baffora ,
des Lettres qui affûrent que les François ont un
Camp fous les Murs de Pondichéri , & qu'on ne
peut continuer le Siége de cette Place , fi l'on ne
reçoit de nouveaux renforts d'hommes , de Munitions
& d'Artillerie .
L'arrivée du fieur de Buffy , Miniftre de Sa Majefté
Très-Chrétienne , a fait ici beaucoup de plaifir.
Le Peuple a témoigné par des démonftrations
de joie , combien il defire que la négocia
tion de ce Miniftre ait un heureux fuccès.
La feconde flotte équipée à Portſmouth , eft
entiérement approvifionnée. Elle fera commandée
par les Amiraux Hawke & Pocok ; & l'on
compte qu'elle mettra bientôt à la voile. Le Lord
Howe fera , dit on , chargé du commandement
des troupes qu'elle a à bord , & qui font defti
nées pour une feconde expédition.
De BRUXELLES , le 6 Juin.
Le 2 , le Chapitre de l'Eglife Métropolitaine de
Cologne s'étant affembié , la dignité de Grand
Doyen fut conférée unanimement au Comte de
Zell , Grand Écolâtre du même Chapitre , Chanoine
de l'Églife de Strasbourg, & Doyen de celle
de S. Géreon .
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c;
De MARLY , le 18 Juin 1761 .
LⓇ
E 22 du mois dernier , le Roi figna le contra
de mariage du fieur Hubert de Sercy , Capitais
JUILLET. 1761. 201
ne- Chef de la Grande Fauconnerie de France ,
& de Demoiſelle Henriette- Rofe de la Chaize .
Le 27 , la Cour quitta le deuil qu'elle avoit
pris le 27 Mars pour la mort de Mgr le Duc de
BOURGOGNE .
Le Roi a accordé le Gouvernement de Thionville
, vacant par la mort du Comte de Courtomer
, au Comte de Vaux , Lieutenant - Général ,
qui avoit obtenu celui de l'Ile d'Oleron ; le Gouvernement
de l'Ile d'Oleron , au Vicomte de Bel
funce , Maréchal de Camp ; & le Commandement
des Ville & Citadelle de Nancy , qu'avoit
le feu fieur de Torcy , au fieur de Montefquiou ,
Sous-Directeur de l'Artillerie d'une partie du département
des trois Evêchés , avec rang de Colonel.
Sa Majesté a difpofé du Gouvernement de la
Baftille en faveur du Comte de Jumilhac
Cubjac.
Le 29 , le Roi tint le Sceau.
Le 31 , Leurs Majeftés & la Famille Royale
fignérent le contrat de mariage du Comte de la
Chapelle & de Demoiſelle de Romance ; & celui
du fieur de Pomereu , Avocat Général du Grand-
Confeil , avec Demoiſelle le Gendre , fille du
Geur le Gendre , Préfident de la Chambre des
Comptes.
La Place de Confeiller d'Etat ordinaire , vacante
par la mort du fieur de Creil de Bournezeau
, a été accordée au fieur le Pelletier de
Beaupré ; & celle de Confeiller d'Etat de fémeftre
, qu'avoit le fieur de Beaupré , eſt remplie par
le fieur Bourgeois de Boynes , ci - devant Intendant
de Franche- Comté , & Premier Préſident du
Parlement de Belançon .
Le Roi a donné l'Abbaye de Genlis , Ordre de
Prémontré , Diocèfe de Noyon , à l'Abbé Brulare
Iv
102 MERCURE DE FRANCE.
de Genlis ; & celles de Villancourt , Ordre de
Citeaux , Diocéfe d'Amiens à la Dame Feydeau ,
-Religieufe Bernardine de l'Abbaye de Pont- aux-
Dames , Diocèſe de Meaux .
Le Marquis d'Armentieres a pris congé de Sa
Majefté , dans les premiers jours de Juin , pour
aller prendre le Commandement dans le Pays
Meffin.
"
Il a paru dans des Gazettes étrangères une déclaration
prétendue de la France à la Couronne
de Suéde . On n'imagine pas d'où provient cette
piéce controuvée & défavouée quant au fond &
à la forme par le Ministère de France.
Le 13 Juin , le Roi tint le Sceau .
Sa Majesté a nommé le fieur de Fleffelles pour
remplacer le fieur de Gourgues parmi les Maîtres
des Requêtes qui préfident au Grand- Confeil par
commillion.
De l'Armée aux ordres du Maréchal Prince de
Soubize , le 6 Juin .
On apprend de Wefel , que le Maréchal Prince
de Soubize doit y établir au premier jour fon
qu riier général. La garnifon de cette Place vient
d'être renforcée par quatre bataillons. Les François
ne tarderont pas à entrer en campagne. Plufeurs
détachemens de troupes légères ont déjà
fait des courfes jufques fur le territoire d'Eberfeldt.
Les Lettres de Weftphalie portent que le Prince
Ferdinand de Brun wick a toujours fon quartier
à Neuhaufs près de Paderborn . Celui du Prince
Héréditaire de Brunfwick eft à Nottelen près de
Manfter. Les Alliés continuent de fortifier Munt
ter & Lippstadt.
JUILLET. 1761 ) 203
De BELLE-ISLE , le Juin .
On a appris que la Citadelle de Belle- Ifle s'eft
rendue le 7. Voici les articles de la Capitulation.
ARTICLE PRELIMINAIRE .
Le Chevalier de Sainte-Croix , Brigadier des
Armées du Roi , & Commandant de la Place >
demande qu'elle ne fe rende que le 12 , afin d'at↓
tendre fi jufqu'à ce temps il ne lui arrivera point
de fecours que cependant il ne fe faffe nul travail
de part ni d'autre , & qu'il n'y ait nul acte d'hoftilité
, ni aucune communication des Alliégeans
avec les Alliégés. Refufe.
ARTICLE I. Toute la Garnifon fortira avec les
honneurs de la Guerre , par la bréche , tambour
battant , drapeaux déployés , méches allumées , &
trois piéces de canon avec douze coups à tirer
chacune. Chaque foldat aura dans fa cartouche
quinze coups à tirer. Tous les Officiers , Sergens',
Soldats & Habitans , pourront emporter tous leurs
équipages & bagages , & les femmes fuivront
leurs maris:
Accordé , en faveur de la belle défenſe que la Ci
tadelle afaite , fous les ordres du Chevalier de Sain
te-Croix.
ART. II. Il fera fourni deux chariots couverts ,
dont les effets feront déposés dans deux Chaloupes
couvertes , qui ne pourront être vifitées.
Les chariots couvertsfont refufés , mais on aura
foin de faire tranſporter tous les bagages, en grande
tèrre , par le plus court chemin .
ART . III . Il fera fourni des Bâtimens, pour tranf
porter les troupes Françoifes par le plus court
chemin dans les Ports de France les plus voilins
de Belle-Ifle , & l'on profitera du premier vens
favorable. Accordé.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
ART. IV. Il fera fourni aux troupes Françoifes ,
qui feront embarquées , les vivres néceffaires pour
le trajet , fur le même pied qu'il en eſt fourni aux
troupes de Sa Majefté Britannique , & il ne fera
mis fur les Bâtimens que le même nombre d'Officiers
& de Soldats qu'on a coutume d'y en mettre
des troupes Angloifes. Accordé.
ART. V. Il fera donné un Bâtiment , lorſque
les troupes feront embarquées , aux fieurs Chevalier
de Sainte- Croix , Brigadier des Armées du
Roi ; de la Ville , Lieutenant de Roi ; de la Garrigue
, Colonel d'Infanterie avec brevet de Commandant
au défaut du Chevalier de Sainte- Croix ;
les Officiers de l'Etat Major , & ceux de l'Artillerie
& du Génie , compris , ainfi que les trois piéces de
canon & les Soldats du Corps Royal de l'Artillerie ,
pour être tranfportés à Nantes avec leurs femmes,
& avec les domeftiques & équipages qu'ils ont
dans la Citadelle , fans qu'il foit permis de les vifiter.
Il leur fera fourni des vivres du Bâtiment
comme l'on en donneroit aux Officiers Anglois de
pareils grades.
On aura foin que tous ceux qui font nommés
dans cet article foient tranfportés au plutôt à Nantes
avec leurs bagages & effets , de même que les
trois piéces de canon accordées par le premier ar
ticle.
ART. VI. Après l'expiration du terme porté par
l'article préliminaire , il fera livré une porte de la
Citadelle aux Troupes de Sa Majefté Britannique ,
à laquelle porte il y aura une garde Françoiſe de
pareil nombre , jufqu'au moment que les Troupes
du Roi fortiront pour s'embarquer ; & il fera con-
. figné aux deux gardes , de ne laiffer entrer aucun
foldat Anglois ni fortir aucun foldat François ,
fans permiffion de leurs Généraux.
JUILLET. 1761. 205
Une porte fera livrée aux troupes de Sa Majesté
Britannique , dès le moment que la Capitulation
fera fignée , & un nombre égal de troupes Françoifes
occupera la même porte .
ART. VII . Il fera accordé aux Commiffaires
des Guerres & Tréforiers un Bâtiment , où ils
pourront emporter tous leurs équipages , & emmener
leurs Secrétaires , Commis & Domeftiques,
fans qu'il leur foit fait aucun tort ni vifite . Ils feront
conduits , ainfi que les troupes , au Port le
plus voifin. Accordé.
ART. VIII. Les fieurs de Taille , Capitaine
Général de la Garde- Côte , Lamy , Major , deux
Lieutenans de Canonniers , &
quatre- vingt- dix
Canonniers Gardes- Côtes foldés par le Roi , feront
les maîtres de refter dans Belle- Ifle , ainfi
que tous les Habitans , fans qu'il leur foit porté
aucun préjudice dans leurs perfonnes , ni dans
leurs biens ; & s'ils ont envie de vendre leurs
biens , meubles & immeubles , barques & filets ,
pendant l'intervalle de fix mois , & de paffer en
grande terre , il ne leur fera fait aucun empêchement
, mais au contraire tous les fecours &
paffeports néceffaires leur feront fournis .
Ils refteront dans l'Ifle fous la protection du Roi
de la Grande-Bretagne , comme les autres habitans
, ouferont tranfportés en grande terre avec la
garnifon à leur choix .
ART. IX. Le fieur Savignon , Commis du Tréforier
des troupes Françoifes , pourra refter à
Belle-Ifle avec fa famille , ou venir en grande
terre avec les mêmes prérogatives , ainfi que
l'Asmurier,
les Canonniers bourgeois , les Gardes- Magafins
, & tous les Ouvriers attachés à l'Artillerie
& au Génie.
Accordé pour refter dans l'Ifle fur le pied des au
tres habitans , ou bien être transportés en grande
serre à leur choix.
1
206 MERCURE DE FRANCE.
ART. X. La Religion Catholique , Apoſtolique
& Romaine , fera exercée dans l'Ifle avec la même
liberté que fous la domination Françoile , & les
Eglifes feront confervées avec leurs Recteurs , Curés
& autres Prêtres , qui feront maintenus dans
leurs priviléges , fonctions , immunités & revenus ,
I'E- & qui , en cas de mort , feront remplacés par
vêque de Vannes.
On accorde àtous les habitans fans diftinction ,
Bexercice libre de leur Religion . L'autrepartie de
eet article doit néceffairement dépendre du bonplai
fir de Sa Majefté Britannique.
ART. XI . Les Officiers & Soldats , qui font aux
Hôpitaux de la Ville & de la Citadelle , jouiront
des mêmes traitemens que la garniſon ; & après
leur guériſon , il leur fera donné les Bâtimens néceffaires
, pour être tranfportés en France. En at
tendant , il leur fera fourni les fubfiftances & remedes
jufqu'à leur départ , fuivant les états qu'en
préfenteront les Contrôleur & Chirurgien , & qui
feront vifés par le Commiffaire François qui reftera
à Belle -Ifle . Accordé.
ART. XII. Il fera donné des ordres pour que
les Commiffaires , tant d'Artillerie & du Génie ,
que des Vivres , viennent faire l'inventaire de ce
qui fe trouvera dans les magaſins du Roi , defquels
Sfera fourni en pain , vin & viande , la ſubſiſtance
aux troupes Françoifes , jufqu'au moment de leur
départ , fur le même pied qu'ils l'ont actuellement.
On fournira jufqu'à leur départ toutes lesfubfiftances
néceffaires fur le même pied que pour les troupes
de Sa Majesté Britannique.
ART XIII. Le fieur de Khraffwrt , Général Major
, ainfi que tous les Officiers & Soldats Anglois
qui ont été faits prifonniers depuis le 8 Avril
1761 inclufivement , feront mis en liberté après.
JUILLET. 1761 . 207
la fignature de la Capitulation , & dégagés des paroles
qu'ils ont données jufqu'à ce jour , de même
que les Officiers François des différens grades , Vo
lontaires , Sergens & Soldats , qui ont été faits
auffi prifonniers depuis le 8 Avril.
Les Officiers & Soldats Anglois , prifonniers de
guerre à la Citadelle , font libres dès le moment de
la fignature de la Capitulation . Les Officiers &
Soldats François prifonniers de guerre feront échan
gés fuivant le cartel de l'Eclufe.
Tous les articles ci - deffus feront exécutés de
bonne foi de part & d'autre ; les interprétations
de ceux qui pourroient être douteux feront traitées
à l'amiable.
Il fera envoyé après la fignature des otages de
part & d'autre , pour la fûreté des articles de la
Capitulation.
༣
Les archives , regiftres , papiers publics , & écrits
qui peuvent regarder le gouvernement de l'Ifle , feront
remis de bonnefoi à un Commiffaire du Roi de
la Grande-Bretagne.
Trois jours feront accordés pour l'évacuation de
ta Citadelle , & toutes les chofes néceffaires pour
Vembarquement feront prêtes pour recevoir la gar
nifon & fes effets.
Un Officier François fera chargé de livrer à un
Commiffaire Anglois toutes les munitions de guerre
& de bouche , & généralement tout ce qui appartient
au Roi Très- Chrétien ; & il fera ordonné à un
Officier de montrer les mines & les fouterrains de la
Place.
Fait & arrêté triple , le 7 Juin 1761 .
Signé J. HODGSON. LE CHEVALIER DE SAINTECROIX.
KHEPPEL .
Le
De PARIS, le 20 Juin 1761 .
de ce mois, le Prince Louis- René-Edouard
de Rohan Guémené, Evêque de Canope ou Bo208
MERCURE DE FRANCE.
chir en Egypte, & Coadjuteur de l'Evêché de Strafbourg
, élu par l'Académie Françoile pour , remplir
la place vacante par la mort de l'Abbé Seguy,
prit Séance dans cette Compagnie , & prononça
fon difcours de remerciment. Le Duc de Nivernois
lui répondit en qualité de Directeur.
On a appris que le Cardinal Cavalchini , Abbé
de l'Abbaye de S. Michel de la Clufe en Piémont,
de laquelle dépend la Collation d'un très-grand
nombre de Bénéfices dans le Royaume de France ,
a nommé Vicaire- Général de cette Abbaye , à la
place du feu Abbé de Canillac , Comte de Lyon ,
Auditeur de Rote , Commandeur des Ordres du
Roi , l'Abbé de Pingon , auffi Comte de Lyon , &
Vicaire-Général du Diocèfe de Vienne.
Le tirage de la cinquiéme Loterie de la Ville
de Paris, fe fit le 18 dans l'Hôtel de Ville avec
les formalités ordinaires . Le premier Lot , qui étoit
de soooo livres , eft échu au numéro 4904 , & celui
de 20000 , au numéro 15705. Les deux Lots
de dix mille font échus aux numéros 5244 &
18967. >
Le tirage de la Loterie de l'Ecole Royale Mili
taire , s'eft fait en la manière accoutumée , dans
l'Hôtel de Ville , le 22. Les numéros fortis de la
roue de fortune , font 21 , 36 , 63 , 39 & 9. Le
prochain tirage fe fera le 19 du mois de Juin.
MARIAGES.
Le Comte de Starhemberg , Membre du Confeil
Aulique , Chambellan de l'Empereur , & Am
baffadeur de Leurs Majeftés Impériales auprès du
Roi , époufa le 1 Juin , à Anvers , la Princeffe
Françoiſe de Salm - Salm. Le Prince Charles de
Lorraine , a honoré de la préſence les fêtes qui ont
été données à cette occafion.
Leg Juin , le Comte de la Chapelle , Sous-
Lieutenant au Régiment des Gardes Françoiles , a
JUILLET. 1761. 202
époufé Demoiſelle Marie-Elifabeth de Romance
fille du Marquis de Romance , Ecuyer ordinaire
du Roi , Commandant en la Grande Ecurie. La
Bénédiction Nuptiale , leur a été donnée , en l'Eglife
Paroiffiale de Saint Laurent , & leur Contrat
de Mariage avoit été figné , le 31 Mai par
Leurs Majeftés , & par la Famille Royale.
MORTS.
Anne-François de Montmorency- Luxembourg,
Duc de Montmorency , Brigadier d'Infanterie , &
Colonel du Régiment de Tourraine , eft mort le
22 Mai , à l'armée du Bas-Rhin , dans la vingtfixième
année de fon âge.
Louis- Charles de Conflans , fecond fils du Mar
quis d'Armentieres, mourut à Paris, le 26 , âgé de
vingt- trois ans. Il étoit Lieutenant de Vaiffeau , &
Aide-Major de la Marine.
Mellire Jean- Baptifte - Charles de Pouffemotte
de l'Etoile , Comte de Graville , Cornette dans le
Régiment de Cavalerie de Talleyrand , eft mort
le 22 , à l'armée du Bas- Rhin , dans la vingt &
aniéme année de fon âge.
Frere Jean de Souza de Caillaris , Portugais ,
Chevalier Grand'Croix de l'Ordre de Saint Jean
de Jérufalem , mourut à Paris , le 4 Juin , dans la
cinquante & uniéme année de fon âge.
Mathieu-Fréderic de Montmorency - Luxembourg
, fils unique du feu Duc de Montmorency ,
mourut à Montmorency , le 17 , dans la cinquième
année de fon âge.
Dame Catherine , Comteffe de Bielynska , veuve
de Meffire Jean- Victor de Befenval , Baron de
Brunftat , Lieutenant- Général des Armées du Roi,
& Colonel du Régiment des Gardes Suiffes , eft
morte le même jour à Paris , âgée de foixantedix-
fept ans.
210 MERCURE DE FRANCE .
EVENEMENS SINGULIERS .
ITALI E.
De ROME , le 24 Mai 1751 .
En creufant dans le Jardin des Religieufes de
Saint Ambroife on a découvert une partie du
Cirque Flaminien . Une voute parfaitement confervée
, & dont les Peintures n'ont prèſque point
fouffert d'altération , mérite d'être comptée au
nombre des plus précieux reftes de ce monument.
On a trouvé , en fouillant près de la Porte Latine ,
deux falles fouterraines , dans lesquelles étoient
quatre tombeaux avec des Urnes de Marbre , ornées
de fculpture.
GRANDE-BRETAGNE , du 16 Juin 1761 .
On lit avec ſurpriſe dans nos papiers publics
que dans l'efpace de quinze jours on a arrêté un
homme accufé d'avoir égorgé fa fille ; qu'un Couvreur
, de Cork , nommé Mulowney , a étranglé
fa femme; & qu'un Intendant' , nommé Me. Carly,
a coupé la fienne par morceaux .
Un Botaniste de Fulham , a apporté d'Amérique
une efpéce de Melon qui pete cinquante livres .
Il a quatre pieds de circonférence , & trente - deux
pouces de long. Le corps eft canelé comme une
colonne , & entre les canelures , il y a un nombre
régulier de pointes auffi aigues que des épines ,
& d'une forme femblable à celle des Molettes
d'éperon. Ces pointes ont un pouce de longueur ,
& à l'extremité de leur tête , on voit quatre
croiffances rondes de fubftance folide , couvertes
de filets rougeâtres , durs & épais comme une
broffe.
a
ex-
Il y a quelques jours qu'une pièce d'eau dans un
jardin que pofléde un Gentilhomme à Southgate
JUILLET. 1761 .
218
"
s'éleva , tout-à-coup , à une hauteur extraordi
naire , & on la vit bouillir pendant quelques minutes
, précisément comme de l'eau qui bout dans
un pot. Quelques meubles de la Maiſon fe trouverent
renversés , environ dans le mêine temps.
1 Plufieurs pièces d'eau éprouverent les mêmes mouvemens
dans quelques endroits de ce Royaume,
particuliérement à Cranbroock & à Tenterden ,
dans le Comté de Kent , à Godalmin , dans le
Comté de Surrey &c. lors du tremblement de
Tèrre de Lisbonne , en 175 , fans qu'on eût fenri
la moindre fecoulle dans ces endroits-là .
Des Lettres de Venife , annoncent la mort du
Sénateur Dom Jean Divédo , âgé de cent quatre
ans.
FRANCE.
Du 20 Juin 1761.
Le 1s du mois dernier , le feu prit après midi
dans la Paroille de Gouffainville près de Goneffe ,
& aidé par le vent impétueux qui fouffloit , il s'étendit
avec tant de rapidité , qu'il confumia en peu
d'heures quarante-fix maifons. Plus de cent perfonnes
ont abfolument perdu tous leurs effets .
L'activité du Curé de cette Paroifle a beaucoup
contribué a'arrêter les progrès de l'incendie , qui
auroit réduit tout le Village en cendres , s'il étoit
arrivé la nuit .
La nuit du 26 au 27 du même mois , un orage
violent caufa beaucoup de dommage à Vaux &
dans les environs . Les portes du clos du Château
& la Vieille Tour , ont été renversées , ainfi qu'une
partie des murs de Clôture. La pluie a été fi abondante
, que l'eau a fait fur le chemin neuf une
excavation de huit à dix pieds de profondeur , &
qu'elle a inondé plufieurs Maifons , d'où les habitans
ont été obligés de fe fauver par les fenêtres .
Oer Orage étoit accompagné d'un tonnerre des
2T2 MERCURE DE FRANCE:
plus éffrayans , & d'une grêlé dont la plûpart
des grains étoient de la grolleur d'une noix .
A Châteauroux , près d'Embrun , eſt un enfant
âgé d'environ treize ans , nommé Guillaume Gay,
qu'on prétend n'avoir bu ni mangé depuis le 14
Avril 1760. Le Prieur Fournier , Curé de Châteautour
, après l'avoir gardé un mois entier chez lui ,
affure s'être convaincu par lui-même de la vérité
d'un fait ſi extraordinaire.
La nommée Marie Maffou eft morte, le 26 du
mois dernier, à Paris , fur la Paroiffe de Sainte
Marguerite , dans la cent deuxième année de fon
âge. Elle feroit parvenue vraisemblablement à une
vieilleffe plus avancée , fans un Cancer dont elle
étoit attaquée depuis huit ans.
Il eſt mort à Etampes une autre fille , nommée
Marie David , & âgée de cent cinq ans . On
affure que , malgré l'extrême mifére dans laquelle
elle avoit paffé toure fa vie , elle n'avoir jamais
été malade.
LETTRE de M. le Comte de CARCADO ,
à l'Auteur du Mercure.
Aux Sables en Poitou , le 4 Juin 1761 .
J'ai reçu , Monfieur , par la Pofte , un Mémoire
imprimé chez Etienne Chenault , rue de la Vieille-
Draperie , intitulé , Mémoire fignifié pour le fieur
Mathieu du Mets de la Broffe , Demandeur ; contre
la Demoiſelle Jeanne de Cotte , ſe diſant veuve
tantôt du fieur Alexis de Gotte , Officier dans les
Gardes Walonnes , & tantôt de Meſlire Vincent
Marie Anne , Chevalier , Seigneur de Thorigny
& de Kercado , auffi Officier des les Gardes Wa
lonnes.
Il y a dans cet intitulé deux points , qui doivent
paroître intéreffans à tout le monde ; l'un
de prendre un nom , l'autre la manière de le porter
; & comme le mien paroît avoir été employé
JUILLET. 1761 213
en Efpagne , où il eft dangereux ainfi que dans les
autres Pays Etrangers d'autorifer par fon filence
ceux qui y prennent des noms & qualités qui ne
leur appartiennent point, & que fouvent ils n'honorent
pas ; j'ai cru devoir par toutes ces conſidérations
, vous prier de configner dans votre Ouvrage
Périodique , la préſente & la proteſtation ci-jointe.
Je fuis très parfaitement , Monfieur , votre
très-humble &c.
CARCADO.
Je fouffigné , Comte de Carcado , Maréchal de
Camp , Employé , Commandant dans le Poitou ,
certifie que la Terre & Seigneurie de Kercado .
n'a jamais été poffédée que par ceux du Sang &
du nom le Sénéchal Kercado , & qu'aucun de
ceux des trois branches dudit nom , n'a été marié
à la Dame Jeanne de Cotte , qui dans un Mémoire
imprimé & public , prend la qualité de veuve de
Meffire Vincent - Marie-Anne, Chevalier, Seigneur
de Thorigny & de Kercado , Officier aux Gardes
Walonnes en Eſpagne. Fait aux Sables le 4 Juin
CARCADO. 1761.
Le nom de Kercado & de Carcado , a toujours
été le même dans les anciens Titres. Voyez les
Généalogiftes.
LETTRE DE M. MARMONTEL ,
à l'Auteur du Mercure.
Il fe répand , Monfieur , plufieurs Editions furtives
du Recueil de mes Contes Moraux.Commeje
vais en donner une nouvelle avec des corrections
& des additions confidérables , je crois devoir en
prévenir le Public , afin qu'il attende la collection
complette . Ceux qui ont acheté ma première Edition
, que l'on reconnoît à une vignette delfinée
par le célébré M. Cochin , ceux - la dis je , auront le
fupplément à part , du même format & du même214
MERCURE DE FRANCE.
caractère ; ceux qui auroient acheté les Editions
défectueufes qu'on a faites fans mon aveu , n'auroient
pas le même avantage ; & c'eſt pour éviter
tout reproche & toute furprife que je vous prie
Monfieur, de vouloir bien publier cet avis . J'ai
l'honneur d'être & c.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le Mercure du premier volume de Juillet 1761
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion. A Paris , ce 30 Juin 1761. GUIROY .
4
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
EPITAPHE de M. de Montcalm. Pages
LETTRE de M. de Bougainville , à l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles-
Lettres.
LETTRE de M. de Bougainville à M. Pitt.
RÉPONSE de M. Pitt , a M. de Bougainville .
VERS à M. Favart , fur la Comédie de Soliman
II.
A Madame Seguier, Marquife de Remigny,
& c.
EPITRE à Mlle de P...
LETTRE à Madame ***
LETTRE de Madame la Marquife de la G...
à M. D. R... Confeiller au Parlement de
Toulouſe.
LETTRES de Mifs Henriette Buttley , fur
différens Sujets & a différentes perfonnes.
5
JO
ΤΙ
12
16
18
21
26
JUILLET. 1761. 215
Traduites de l'Anglois.
VERS à Mlle Dubois l'ainée , Actrice de la
Comédie Françoile , &c.
A M. Boutaud , Madrigal.
TRADUCTION libre du Monologue de Sigimonde
, tiré de la Tragédie Angloile
intitulée Tancréde.
EPITKE a un jeune Pince. Par M. des Boul
miers.
A M. le Marquis de Buffy , fur fon mariage
avec Mlle de Choiseul."
L'AMOUR déguilé , Fable.
EPITRE , par M. P ***.
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
28
41
4&
43
49.
ibid.
jo
82 &63
64& 65
66
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
HISTOIRE des Confpirations , Conjurations
&c. Par M. Deformeaux . Second Extrait.
MÉMOIRES pour fervir à l'Hiftoire de la vie
& des ouvrages de M. l'Abbé Lenglet du
Frefnoy.
LETTRE fur la Defcription du Mauſolée de
Mgr le DUC DE BOURGOGNE .
67.
87
95
LETTRE de M. de Campigneules , des Académies
Royales d'Angers , de Villefranche , de
Caen &c.
ANNONCES des Livres nouveaux.
99
101.&fuiv.
ART. III . SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADEMIES.
EXTRAIT du Difcours prononcé au Collége
Royal de France . Par M. Delalande.
HISTOIRE NATURILLE.
112
Avis aux Amateurs d'Ornithologie. 139
216 MERCURE DE FRANCE.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
AGRICULTURE.
CHIRURGIE,
LETTRE de M. Ferrand , Maître ès Arts en
l'Univerfité de Paris à M. Lami &c.
OPTIQUE.
ARTS AGRÉABLES .
MUSIQUE.
SUITE de la Réponſe de M. Rameau à la
Lettre que M. d'Alembert lui a adreflée
121
124
149
dans le fecond Mercure d'Avril dernier. 150
LETTRE , fur la façon de déflécher les fleurs . 159
GRAVURE.
MECHANIQUE.
MÉMOIRE fur les rectifications convenables
à faire aux Machines concernant la conftruction
des Edifices & c.
SUPPLEMENT à l'Article de Mufique.
OPÉRA.
ART. V. SPECTACLES.
COMÉDIE Françoiſe.
165
177
ibid.
181
184
COMÉDIE Italienne . 187
OPERA- COMIQUE .
191
ART. VI . Nouvelles Politiques. ibid.
MARIAGES .
208
MORTS. 209
EVENEMENS finguliers. 2 :0
LETTRE de M. le Comte de Carcado & c. 212
LETTRE de M. Marmontel &c.
213
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis-à-vis la Comédie Françoile .
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
JUILLET. 1761 .
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine .
Cachia
Simaime
PlowSculpe
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis-à-vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais
Avec Approbation & Privilège du Roi.
需
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi .
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remet
tre , quant à la partie littéraire , à M.
DE LA PLACE Auteur du Mercure.
,
Le prix de chaque volume eft de 36 fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province auxquelles on
onverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir,ou qui prendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume,
c'est-à-dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe c - deſſus.
A ij .
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en foit
fait d'avance au Bureau .
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pièces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
De la Place , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET. 1761 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE à Madame *
E H quoi ! de mes égaremens
Il faut vous faire la peinture ?
Honteux de mes amuſemens
Je redoute votre cenfure ,
Et voudrois , dans la nuit des temps ,'
Cacher des erreurs que j'abjure.
Efclave du plaifir , dès mes plus jeunes ans ,
A ij
6 MERCURE DE FRANCE.
Et difciple outré d'Epicure ,
J'ai proſtitué mon encens ;
Et fouvent dupe de mes fens ,
L'excès fut toujours la meſure
Que je mis à mes fentimens.
Après un tel aveu , Julie ,
Comment pourrez - vous recevoir
Un coeur ufé jufqu'à la lie ,
Qui , loin de fon midi , voit les ombres du foir ?
Mais fi jamais ce coeur fe plie
Sous les fages loix du devoir ;
S'il prend une nouvelle vie ,
Dans le noeud charmant qui le lie,
Je n'ai pas perdu tout espoir.
Vous plaire eft mon unique envie ;
Vous obéir eft mon fçavoir :
Et plus le paffé m'humilie ,
Plus vous lentez votre pouvoir.
A vos genoux il faut donc faire
De mes péchés confeffion ?
Le plus grand , feroit de metaire:
Ainfi , grace à l'intention
D'un Amant , qui craint de déplaire
A l'objet de fa paflion ;
Bien moins heureux , que téméraite ,
Dans tous mes voyages galans ,
J'éprouvai le deftin contraire ,
Et je luttai contre les vents.
JUILLET. 1761 . 7
א
Le prix de mes voeux inconſtans
Fut un plaifir imaginaire
Et des maux réels & cuifans .
Pour commencer l'apprentiſſage
Du joli métier de l'amour ,
Je me rangeai fous l'eſclavage
D'une Belle fur le retour :
La vivacité de l'hommage
La rendit fenfible à fon tour.
A feize ans , bon Dieu , le bel âge !
L'on aime bien plus en un jour ,
L'on aime cent fois davantage ,
Que lorfque par un long détour ,
La Raiſon plus froide & plus fage ,
Nous a démontré l'avantage
Du très -métaphysique amour.
Il est vrai que mon coeur volage
Brila bientôt fes premiers noeuds ;
A peine échappé de l'orage ,
Il s'enflamma de nouveaux feux:
Un Ciel ferein & fans nuage ,
M'annonça des jours plus heureux.
Aulitôt aimé qu'amoureux ,
J'aimai , je brulai pour un Ange
Cent fois plus beau que la Beauté.
Jamais les Dieux , dans leur bonté ,
N'ont fait un plus heureux mêlange
De grâces , de vivacité,
A iv
3 MERCURE DE FRANCE.
De tendreffe & de volupté .
Pourquoi , par un caprice étrange ,
Y joindre la légèreté !
Jans foupçons d'infidélité ,
Pendant
quatre ans je fçus m'en rendre maître
Étois- je aimé? Je croyois l'être :
C'est même chofe , ou peu s'en faut :
Souvent en amour le bon lot
Eft pour celui qui dit peut-être..
Qui veat trop voir & trop connoître ,
Au dénoûment fe trouve fot.
Croire fans voir eft le balot ,
Et le vrai bonheur de notre être.
O vous , Barbons léxagénaires
Achetant à force d'écus
Quelques tendreſſes mercenaires ,
Et que l'on trompe tant & plus ;
Vous voulez croire qu'on vous aime !
J'y confens pour l'honneur de vos triſtes appas :
Mais pourquoi ne voulez-vous pas
Qu'à vingt ans on penfe de même ?
On me trompa ; mon trop crédule coeur
Fut la dupe de fa tendreſſe ,
Et les tranfports de ma maîtreffe
N'étoient qu'un fonge féducteur.
On me fit entrer en partage
Avec un rival ténébreux :
Défefpéré de cet outrage ,
JUILLET. 1761.
Par les fermens les plus affreux ,
Je bannis de mon coeur l'image
De ce Dieu perfide & volage
Qui venoit de trahir mes voeux.
Vains fermens , promeffe frivole !
En vain j'eus recours à Bacchus :
Je m'enivrois à ſon école ,
Et rougiffois de fes abus.
Peu content de ce nouveau maître ,
J'abandonnai fes étendarts.
Cruel amour , aimable traître !
Tu vins encor t'offrir à mes regards
Mille fois plus beau que ta mère.
Tu raffemblas dans mon vainqueur
Les grâces , la beauté , l'efprit , le caractère.
Il eft trop vrai que le bonheur
N'eft qu'une brillante chimère ;
Mon fort avoit trop de douceur ;
Ce fut une fleur paſſagère :
La Parque ravit à mon coeur
Celle qui m'aimoit tant & qui me fut fi chère.
Je crus que les Dieux en colère
Portoient fur moi leur bras vengeur.
En vain , pour unique faveur ,
Je les priai de finir ma carrière s
Infenfibles à ma prière ,
Ils fauvérent mes jours pour combler leur furau,
Le Temps , ce grand confolateur ,
A y
10 MERCURE DE FRANCE,
Adoucit un peu ma milère :
Je trouvai le calme enchanteur ,
Au milieu de l'étude auftère
De plus d'un ennuyeux Auteur ,
Et de fon froid Commentateur.
Le Devoir , dont le poids m'avoit paru lévère , .
Fut le charme de ma douleur ;
Et j'étouffai ma plainte amère
Sous les vains lauriers de l'honneur.
Laiffez moi garder le filence ,
Sur mille engagemens divers ,
Enfans obfcurs de l'Indécence ,
De la Mode & de fes travers ;
Des voeux reçus prèíqu'aufitôt qu'offerts ,
Sont les feuls bien qu'Amour diſpenſe ,
Four prix de ces indignes fers.
En peu de mots voilà l'hiſtoire
De mes ridicules amours.
Bercé par une fauffe gloire ,
Les plaifirs ont paffé plus vite que le jour ;
Et les regrets , fixés dans ma mémoire ,
En ont empoisonné le cours .
Vous feule avez fçu dans mon âme ,
Ranimer une vive flâme , ง
Que le malheur éteignit à moitié.
Des biens que j'ai perdus , vous retraçant les cher
mes ,
J'ai vu fouvent couler vos larmes
JUILLET. 1761 .
IL
L'Infortune eut toujours des droits fur la Pitié.
Sous le voile de l'Amitié ,
J'ai fait parler l'Amour fincère ;
Sous ce mafque , il a fçu vous plaire ;
Enfin il eft digne de vous.
Que monfort feroit de jaloux ,
Si , fous les aîles du Myſtère ,
Je ne cachois un bien fi doux !
Cet amour , fi pur & fi tendre ,
Ne doit jamais vous allarmer .
Si mon coeur n'a pû ſe defendre ,
S'il fut trop prompt à s'enflâmer ;
Ce n'étoit que pour mieux apprendre
Comment il devoit vous aimer.
LETTRE , à l'Auteur du MERCURE.
Ily a long- tems qu'on a dit , Monfieur
que les actions intéreffantes pour l'humanité
méritoient d'étre confervées dans les
dépôts publics des différentes Nations ; c'eſt
l'obligation la plus grande que la poſtérité
puiffe avoir aux âges qui la précédent. Les
mêmes Tableaux peuvent être utiles aux
âmes foibles & aux âmes généreufes ; ils
fervent de reproche aux unes & de modéle
aux autres .
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
D'après l'étude que vous avez faite des
Ouvrages Anglois , je ne doute pas , Monfieur
, que le fait dont je veux vous entretenir
ne vous foit connu : il fe trouve dans
le premier Volume d'un des ouvrages de
M. Steele . Cette anecdote donna lieu à
une queſtion intéreffante l'Écrivain
propofe lui- même , & que je ferois bienaife
de voir réfoudre par la voie de votre
Mercure .
que
Pendant le fiége de Namur, que les Puiffances
alliées contre la France firent au
commencement de ce fiécle , il fe trouvoit
dans le Régiment du Colonel Hamil-
10n un bas Officier qu'on appelloit Union ,
& un fimple Soldat , nommé Valentin.
Ces deux hommes étoient rivaux , & les
querelles particuliéres que leur amour
avoit fait naître les rendirent ennemis
irréconciliables.
Union , qui fe trouvoit l'Officier de Valentin
, faififfoit toutes les occafions poffibles
de le tourmenter & de faire éclater
fon reffentiment. Le Soldat fouffroit tout
fans réfiftance ; mais il difoit quelquefois
qu'il donneroit la vie pour être vengé de
ce Tyran.
Plufieurs mois s'étoient paffés dans cet
état , lorfq'un jour ils furent comman
* The Tatler.
JUILLET. 1761 . 13
dés l'un & l'autre pour l'attaque du châreau.
Les François firent une fortie , où
l'Officier Union reçut un coup de feu
dans la cuiffe . Il tomba ; & comme les
François preffoient de toutes parts les
troupes alliées , il s'attendoit à être foulé
aux pieds. Dans ce moment il eut recours
à fon ennemi . Ah ! Valentin , s'écria - t - il,
peux- tu m'abandonner ? Valentin , à fa
voix , courut précipitamment à lui ; & au
milieu du feu des François , il mit l'Officier
fur fes épaules , & l'enleva courageufement
à travers les dangers jufqu'à
la hauteur de l'Abbaye de Salfine. Dans
cet endroit un boulet de canon l'emporta
lui - même , fans toucher à l'Officier.
Valentin tomba fous le corps de fon ennemi
, qu'il venoit de fauver. Celui - ci oubliant
alors fa bleffure , fe releva en s'arrachant
les cheveux ; & fe rejettant auffitôt
fur ce corps défiguré , il s'écria : Ah !
Valentin , eft- ce pour moi que tu meurs ?
Pour moi , qui te traitois avec tant de
barbarie ? Je ne pourrai pas te furvivre.,
Je ne le veux pas... Non ! ..
Il fut impoffible de féparer Union
'du cadavre fanglant de Valentin , malgré
les efforts qu'on fit pour l'en arracher.
Enfin on l'enleva , tenant toujours em
braffé le corps de fon bienfaiteur ; &
14 MERCURE DE FRANCE.
pendant qu'on les portoit ainfi l'un & l'autre
dans les rangs , tous leurs camarades ,
qui connoiffoient leur inimitié, pleuroient
à la fois de douleur & d'admiration .
Lorfque Union fut ramené dans fa
tente , on panfa de force la bleffure qu'il
avoit reçue ; mais le jour fuivant , ce
malheureux , appellant toujours Valentin
, mourut au milieu des remords & du
défefpoir.
C'est une queftion qui peut s'élever entre
les âmes nobles , favoir lequel de ces deux
infortunés fit paroître plus de générosité ,
ou celui qui expofa fa vie pour fon ennemi
, ou celui qui ne voulut pas furvivre
à fon bienfaiteur ?
Si vous vous rappellez , Monfieur , le
fait que je viens de rapporter, vous verrez
que je l'ai traduit affez littéralement .
J'ai l'honneur d'être & c.
FABLE , tirée de PLATON.
PLUTUS ET PÉNIE.
UN jour Plutus en voyage
Rencontra la Pauvreté .
Bien différent étoit leur équipage !
Le Dieu voluptueux , volage ,
JULLLET. 1761 . 15
Et piqué par la Nouveauté ,
Par caprice en fut entêté .
Quoique, maigre , & fort mal vêtue ,
Cette Déefle avoit ne fais quoi de charmant:
Des traits fias , la taille menue ,
Un grand fond de douceur , un air de retenue ,
De probité , de candeur ingénue ;
Tout cela pouvoit plaire , & plut réellement .
Plutus , pour abréger , fait offre d'un talent :
Dieu fait comme on rejette & l'amant & la
fomme !
Lui , fans fe rebuter , en offre dix , vingt , cent ;
A cent on parlemente . En fomme ,
Pour mille on fe rendit. La faim eft trop fouvent
Mauvaiſe confeillère.... ô charme de l'argent !
Platon , qui conte l'avanture ,
Prétend qu'il en nâquit l'Amour ;
Et prouve qu'en effet l'Amour tient fa nature
De ces Dieux dont il tient le jour.
De fon Père il reçut la grandeur de courage ,
La prodigalité , qui femble fon partage ,
L'air fuffifant , le coeur volage ,
Un goût très- vif pour les plaifirs ,
La haute opinion qu'il conçoit de lui - même ,
Enfin la confiance extrême.
Mais auffi de fa Mère il tient des qualités
Qui font directement contraires ;
16 MERCURE DE FRANCE.
Principes des diverfités
Qu'il répand dans les caractères.
Eh, ne fent-on pas bien que c'eſt la pauvreté
Dont il reçut cette indigence ,
Ce befoin d'un autre fubftance ,
Vers laquelle fans ceffe avec flamme il s'élance ?
Ne s'exprimant pourtant qu'avec timidité ;
Tantôt n'ofant fortir d'un modefte Gilence ;
Et tantôt demandant avec vivacité ,
Et jufqu'à l'importunité ?
N'eft-ce pas d'elle encor qu'il tient cette aptitude
Qu'il apporte à la fervitude ?
Cette pudeur craintive , & cette humilité ,
Cette peur d'être réjetté ,
Ces foupçons , cette inquiétude ,
Dont , même fans fujer , fon coeur eft agité ?
Platon connoiffoit bien l'amour , en vérité !
RONDE A U.
ACythère , dans fon jeune âge ,
Chaque Mortel fait un voyages
Au Dieu de ce riant féjour ,
Et grands & petits , tour- à- tour,
Vont rendre un légitime hommage,
Advint qu'avec Cloris , un jour,
Non fans provifion d'amour ,
JUILLET. 1761 .
17
J'entrepris mon Pélerinage
A Cythère.
Vénus qui vit ce beau viſage ,
Ces yeux fins , ce fein , ce corfage
S'oppofant à notre retour ,
La retint pour orner la Cour ;
Et moi , pour lui fervir de Page ,
A Cythère .
Dis
BOUQUET.
A M. P.....
Es Grâces à Cythère on célébroit la fête,
Portes-leur un bouquet , me dit le tendre amour.
Je partois , je volois ; quand l'amitié m'arrête ,
Pour vous d'un même foin me chargeant à fon
tour .
C'eſt votre fête autfi , dit- elle.
Elle veut qu'en fon non je vous offre des fleurs :
Mais je n'ai qu'un bouquet ; que ma peine eſt
cruelle !
A l'amitié paroîtrai - je infidelle ?
Ou le ſerai- je au Dieu des coeurs ?
Que faire ?... Un feul bouquet! ... Ah je vous le
préſente :
Acceptez -le p **** ma peine finira,
L'amitié fera très-contente ;
Et l'amour me remercîra.
18 MERCURE DE FRANCE.
DIALOGUE DES MORTS.
E
PLATON , DIOGENE.
DIOGENE.
EFECTIVEMENT , un Philofophe ne laiffoit
pas de bien figurer à la Cour corrompue
de Denis !
*
PLATON.
Je vous répéte qu'il y figuroit mieux
que dans une folitude , mieux que chez
un Peuple de Sages : c'eft Hipocrate qui
quitte un air falubre, pour s'enfermer dans
une Ville peftiférée . Ne vous défabuferezvous
point , ô Diogene ! de cette faulle
Philofophie , qui rapportant tout à l'intérêt
perfonnel , foule aux pieds les droits
de l'humanité , ces devoirs facrés qui nous
obligent à nous oublier nous - mêmes ,
pour nous confacrer tout entiers à l'amour
du genre humain ? Eroit- ce une entrepriſe
indigne du Sage , que de facrifier fon averfion
pour la fervitude , au feul efpoir de
faire le bonheur d'un grand Peuple , en
formant fon Prince à la vertu ? Tous les
malheurs , que j'avois prévus , & que j'ai
bravés , ne m'empêcheroient pas de ten-
* Le
Tyran.
JUILLET. 1761 . 19
ter encore un fi grand bien , au péril de
mon repos , de ma liberté , de ma vie.
DIO GENE.
Etoit- ce bien là ce qu'en penfoient les
Athéniens ? Ce fafte féducteur des Cours ,
ce defir de briller fur un grand Théâtre ,
cette vanité de revenir à Athènes étaler
un luxe plus grand encore que celui de vos
tapis ; tout cela fembloit affez naturellement
le motif de vos complaifances : tout
cela rendoit le Philofophe affez fufpect ,
& pouvoit avilir même la Philofophie.
PLATON.
J'avois un deffein bon en foi ; je me
jugeois ; le Ciel & ma confcience me juftifioient
; que me falloit- il de plus ? Jamais
je ne fus intérieurement plus fatif
fait , que quand je me voyois mépriſer
pour une bonne action : j'étois fûr alors
des récompenfes de la Divinité . Elles font
bien préférables à toute eftime humaine.
DIOGENE.
Pour moi , j'ai cru fervir les hommes ,
en leur donnant la leçon héroïque de méprifer
tous les biens de la fortune , tous
ces biens étrangers , ou plutôt ces phantômes
de biens , qui font autres que la
vertu. J'ai voulu les ramener par mon
exemple à l'état de nature.
20 MERCURE DE FRANCE.
PLATON.
Entendons- nous . Définiffez - moi l'état
'de nature felon vos principes.
DIOGEN E.
Ah Plason ! que , pour le bien concevoir,
il faudroit le défaire des préjugés , de
ces préjugés qui font ceux des Philofophes
eux- mêmes , & qui nous perfuadent que
nous formons entre tous les animaux une
efpéce privilégiée. Notre feule Secte a mis
de la bonne foi , où toutes les autres ne
mettent que de l'orgueil. Pour nous apprécier
avec jufteffe,commençons par defcendre
de la fupériorité où nous a porté
notre prévention,& par nous remettre au
niveau de tous ces êtres, en qui la nature
reconnoît comme en nous fes Enfans , au
niveau des bêtes enfin . Je vois déjà votre
amour- propre frémir ; mais , nous autres
Cyniques , nous favons contre nous - même
rendre témoignage à la vérité . L'homme
, dans l'état de nature , eft placé ſur
la tèrre par le Créateur , comme tous les
autres animaux , foible , nud , imbécille ,
doué de fens pour ſe conſerver , & d'un
certain inftinct pour fe conduire : il eft réduit
à renouveller fa fubftance par la nourriture
, & à réparer fes forces par le fommeil
; enfin à remplir toutes les fonctions
animales pour foutenir fon individu , &
JUILLET. 1761. 21
pour multiplier fon efpéce. Regardez
l'homme fauvage , vous aurez vu l'homme
dans fon état naturel. Les hommes n'ont
point été dans l'origine placés dans une
Ville bâtie pour leur ufage par les Dieux ,
afin qu'ils y vécuffent en Société , au milieu
des Arts & des Sciences ; mais ils ont
été créés , ainſi que les autres animaux ,
hôtes des forêts , pour s'y nourrir en commun
des fruits des arbres , des racines &
des herbes de la tèrre. Nous avons reçu
des piés & des mains , des dents & des
ongles , pour fournir à ces befoins effentiels
, & pour nous défendre foit par la
force , foit par l'adreffe , foit par la fuite.
Tel eft l'état de nature , oorrddoonnnnéé par l'Auteur
même de la nature ; état en effet plus
heureux , plus afforti à nos vrais befoins
que l'état forcé où nous a mis l'abus
de notre Raifon, & dans lequel nous
fommes devenus la proie de mille befoins
imaginaires , coupables de tous les vices.
que la Société a introduits , & eſclaves
enfin de nos femblables , qui ont profité
de ces vices & de ces befoins honteux ,
pour affervir la multitude au caprice d'un
feul. Oui , les maux de cette vie factice en
furpaffent tellement les biens , que rien
aujourd'hui ne peut mieux dédommager
un homme du malheur d'être né , que la
22 MERCURE DE FRANCE.
reffource de ne pouvoir pas réfléchir fur
fa condition . Vous nous avez appellés Cyniques
, du nom d'un animal très - fidéle ,
qu'il vous plaît de trouver plus vil que
l'homme ; mais ce nom , que nous ne refufons
pas , nous rappelle à notre inftitution
primitive , que vous font malheureufement
oublier les titres de Rois , de Sujets
, de Maîtres , d'Eſclaves , ou même de
Citoyens. Pour moi je ne reconnois pour
Patrie que la tèrre entière , dont le Domaine
m'étoit indivis avec les autres animaux
, Bipedes ou Quadrupedes , rampans
ou aîlés , tous mes Concitoyens , tous mes
égaux , ainsi que vous , ainfi qu'Alexandre.
PLATON.
Voudriez-vous à préſent me donner la
définition de l'homme ?
DIOGENE.
L'homme eft un animal à deux pieds
fans plumes . Vous-même l'avez défini tel ;
& vous vous fouvenez bien que j'en lâchai
un dans votre Académie .
*
PLATON.
Ceffons de raifonner , ou ceffez de plaifanter.
Vous venez de cenfurer l'abus de
notre Raiſon ; vous convenez donc que
l'homme eft un animal raisonnable ?
*
Il y lâcha plaifament un Coq plumé , difant
voilà l'homme de Platon. :
JUILLET. 1761 ; 23'
DIOGEN E.
Je fuis de bonne foi , oui , j'en conviendrai
, mais avec quelques reftrictions . Je
fens bien que pour raiſonner comme nous
faifions là-haut , il faut avoir quelque Raifon
; mais je voudrois que les hommes ,
dans la prifon des corps, n'ufaffent de ce
préfent , que pour le bien-être de leurs
corps : la Raifon feule alors regneroit dans
ces bas-lieux , où , dégagée de fes entraves
charnelles, elle eft rendue à toute fa fublimité.
PLATON.
Enfin vous convenez que l'homme a
quelque chofe de plus que le fens & l'inf
tinct ; de plus que les bêtes , qu'il a la raifon?
J'en conclus que le Ciel n'opère
rien en vain , n'accorde cette raifon aux
hommes , qu'afin qu'ils en faffent le meilleur
ufage poffible . Auffi cette raifon étant
la prérogative effentielle qui les diftingue
de la Brute , ils doivent , pour fe montrer
des hommes parfaits , faire ufage de cette
fubftance divine , qui leur affure la fupériorité.
L'homme , en naiffant , n'eſt point
un homme parfait , non plus que l'oifeau
qui ne peut voler en naiffant ; il faut que
l'âge donne les ailes à l'oifeau , & la raifon
à l'homme. L'homme Sauvage . n'eft
pas non plus un homme parfait : autant
24 MERCURE DE FRANCE :
que les hommes corrompus dans la Société
font au-delà de l'état de nature , autant
ce Sauvage abruti eft demeuré au- deſſous
de ce même état : l'un en eft forti ; l'autre
n'y eft jamais parvenu. Faute d'ufage &
de jeu , les fibres de fon cerveau groffier
fe font épaiflies , & n'ont plus eu leur reffort
libre. C'eft fa pareffe & fon engourdiffement
ftupide qui l'ont dégradé , & réduit
effectivement au rang des bêtes , à
l'empire defquelles la nature l'avoit appellé.
Auffi ceux qui ont fenti leur Nobleffe
fe font tirés de cette odieuſe reffemblance
, fi contraire aux vues de la Providence
: ils fe font mis hors de pair par
la parole & par la raifon. Convenez que
l'ufage feul de la parole , inutile au Sauvage
ifolé , & donné aux hommes pour
les unir , annonce qu'ils font faits pour
la Société ; & que le don de la raiſon
prouve qu'ils doivent vivre fuivant des
Loix raifonnables. Auffi bientôt ils fe font
unis par les vertus , dont ils étoient feuls
capables ; & ils ont découvert dans le fond
de leur coeur , ces Loix eternelles
que la
Divinité Y avoit gravées. Entourés de
fes bienfaits , ils n'ont pu méconnoître
fon exiſtence : leurs réflexions fur euxmêmes
, & fur les objets de la nature , leur
ont fait imaginer des Arts adaptés à leurs
befoins
JUILLET. 1761 . 25
4
befoins , & que l'expérience a perfectionnés
une fuite d'obfervations communiquées
, ont infenfiblement produit ces
Sciences , dont la vertu fait tirer les plus
grands avantages . Qu'étoit- il befoin qu'un
Dieu fe plaçât dans une Ville bâtie miraculeufement
? Ce Dieu n'opéroit - il pas le
même bienfait , en leur donnant une imagination
capable d'y fuppléer , avec le feul
fecours de leurs mains ? Auffi leur reconnoiffance
a-t- elle bâti des Temples à la Divinité
, auffitôt que des Villes pour euxmêmes.
Que dis- je ? Dès les temps où ils
fe contentoient d'habiter des cabanes , ils
avoient élevé déjà des Autels de gazon ;
& partout où il y eut des hommes réunis ,
le culte Divin fut le premier des établiffémens.
Voilà l'état digne de l'homme , voilà
l'état de nature ; dans ce jufte milieu , entre
la ftupidité & la folie. Voilà quels feroient
les hommes , dans une Ville habitée
feulement par des Philofophes , c'eſtà-
dire par des Savans qui fuffent vertueux ,
ou par des gens vertueux quand même ils
ne feroient pas Savans , tels enfin
que dans
ma République . Tel fut conftamment So-
Crate , tel vous futes vous - mêmes, par raport
à l'innocence des moeurs ; & tels feront
par tout pays, ceux qui fuivront fidé-
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
lement les confeils de la Raifon , ces principes
éternels de morale , dont font naturellement
pénétrés tous les coeurs des humains
. Ainfi l'état de nature eft vraiment
l'état du Sage ; & l'homme vicieux ſeul eſt
un animal dépravé.
DIOGENE.
Mais que pouvois-je faire de mieux pour
m'arracher au vice ! J'allois à la fource ; &
coupant toutes les paffions dans leur germe
, je n'avois plus rien à craindre de
leurs progrès. Le pain & l'eau étoient ma
nourriture ; un tonneau faifoit ma maiſon
& mon lit ; j'allois prèfque nud ; & après
que j'eus réformé ma taffe , un bâton me
refta pour tout mobilier. Ne vous en déplaife
, vous philofophiez bien plus commodément.
PLATON.
Il est vrai que parmi les plaifirs dont le
Ciel tempère les mifères de la condition
humaine , je ne m'en refufai , par fyftême ,
aucun qui fût licite . Je ne mettois pas la
fageffe dans la privation abfolue, mais dans
Pufage bien réglé : perfuadé que tout excès
eft vicieux , je voulois en tout de la modération,
jufques dans la tempérance . Tandis
que vous vous refufiez prèfque le néceffaire
au coin d'une rue , & qu'Ariftippe
fe plongeoit dans les voluptés à la Cour
JUILLET. 1761 . 27
des Rois ; je vivois à la table de Denis
avec autant de ſobriété que j'euſſe fait à
celle de Socrate ; & cent fois , j'ai eu le
bonheur de contenir le Prince , & conféquemment
tous les convives . O Diogène !
que penfer d'une fageffe inutile au Public,
faute de pouvoir être imitée ? Quand ce
Public vous admireroit , quel falaire pour
un homme de bien ! Sa vraie, fa feule récompenfe
eft de rendre fon exemple utile ,
en formant les autres hommes à des vertus
de pratique . Pour vous chercher à votre
tonneau , il falloit une vaine curiofité ,
ou un génie outré conforme au vôtre , tel
que celui d'Alexandre ; on alloit vous voir ,
mais on ne s'attachoit point à vous . Tandis
que la politeffe de mes manières , un
certain goût qui flattoit la délicateffe des
Athéniens , & ces tapis même dont vous
me reprochiez le luxe, attiroit à mon école
une jeuneſſe brillante , qui arrivoit plus
curieuſe de décence que de fageffe , & que
je renvoyois enfin préférant la fageffe aux
faux plaifirs , à la fortune , à la vie même .
Ainfi je me faifois un devoir d'attirer le
commun des hommes , en profitant de tout
& même de leurs foibleffes , pour les gaguer
à la vertu . Je corrigeai mon Neveu ,
par le feul fpectacle de l'égalité de mes
mours ; j'en ai ramené mille autres par ma
Bij
728 MERCURE DE FRANCE.
douceur & ma modération foutenue. O
Diogène ! La vie du Sage n'a de mérite
qu'autant qu'elle eſt active , & que cette
activité tourne au profit de la Patrie & de
l'humanité .
M. LE CLERC , de Nangis.
EGLOGUE, par Madame CHAMPION.
LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ.
L'AURORE à fon retour éclipfoit les Etoiles
Et contraignait la Nuit de replier fes voiles ;
Les rofeaux agités s'inclinoient fur les Eaux;
Déja l'on entendoit le concert des Oiseaux.
Au pied d'une Golline , un vallon folitaire
Etoit le rendez - vous d'une jeune Bergère.
Soleil , s'écrioit- elle , embellis nos forêts ,
Viens dorer nos Côteaux & blanchir nos guérêts !
Le parfum renfermé fous le duvet des plantes
Va bientôt s'exhaler en vapeurs odorantes.
J'entends avec plaifir murmurer ce Ruiffeau ,
Tout eft divin pour moi fur ce charmant Côteau.
Amour , tendre artifan de mes premières
chaînes ,
Raméne mon Amant dans ces riantes plaines !
Oui , fa préſence encore embellira ces lieux ! ...
Mon coeur à s'allarmer eft-il ingénieux
Il juroit par l'Amour & par fon exiſtence
JUILLET. 1761 . 29
Qu'il fouffroit plus que moi des rigueurs de l'ab.
fence.
Si jamais fon tourment peut égaler le mien ,
Je redoute a la fois , mon amour & le fien……….
Et vous , Arbres touffus referrez vos feuillages ,
Abaillez vos rameaux , découvrez ces rivages ;
J'y verrai mon Amant précipiter les pas ;
Me chercher , me trouver & voler dans mes bras.
Chantez , tendres Oiseaux , prenez part à ma joie ,
Des rigueurs de l'Amour , je ne fuis plus la proie..
Flore , étale à mes yeux tes tréfors renaiffans ;
J'entends de mon Berger les champètres accens :
C'eſt dans ce lieu charmant que fa flamme conf
tante
Va couronner les voeux de fa fidelle Amante...
Mais , je me flatte en vain , & ma brûlante ardeur
Fait fuccéder la crainte au repos de mon coeur..
Du plaifir au chagrin que la pente eſt rapide !
Je ne vois plus ici qu'une campagne aride ;
Zéphire difparoît , & les froids Aquilons
Gémiffent avec moi dans ces triſtes vallons.
Je fens de la douleur les plus vives atteintes ;
J'entends déja l'Echo multiplier mes plaintes :
En vain pour te revoir j'invoque ici les Dieux ;
Cruel , tu ne viens point ! mon coeur féduit mes
yeux ;
Et ce coeur agité d'un foupçon qui le bleffe ,
Pour la première fois gémit de la foibleſſe.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Perfide , je t'aimois ! je paffois d'heureux jours.
Ciel! qui peut de tes feux interrompre le cours ?
Quel charme te préfente une flamme étrangère ?
Est-ce pour ajoûter à ma douleur amère ?
La droiture en mon ame & la fimplicité ·
A-t- elle donc perdu fon luftre & la beauté?
De mes charmes fans art tu vantois la puiffance ;
Tu goûtois le plaifir au fein de la conftance ;
L'incarnat de mon teint te prouvoit ma pudeur ,
Et toujours fur mon front tu voyois la candeur.
Sous les loix d'un Amant féducteur & volage
J'ai donc fait de l'Amour le doux apprentiffage !
Ah , Barbare ! Et c'eft toiqui caules mes douleurs ?
C'eft toi qui fans pitié me fais verfer des pleurs ?
Objet de mille voeux , te fuis- je moins fidelle ?
Quand j'ai tout fait pour toi , me trouve- tu moins
belle ?
Le bonheur , de l'amour émouffe- t- il les traits ?
Pour toi , le changement eft pourtant fans at
traits ....
Mais fi l'ingrat jouit de l'erreur qui m'abuſe :
Si pent trahir fa foi , lorfque mon coeur l'excufe;
Que toute la Nature , ardente à me venger ,
S'arme contre un cruel qui ne fait qu'outrager ;
Qu'il pélle ! .... Ah ! que dis- je ! une Amante
égarée
A d'injufles fureurs eft fans ceffe livrée...
Qu'il vive , le cruel ! mais que fon coeur pervers
JUILLET. 1781 . 31
Eprouve déformais les plus fâcheux revers!
Amour , entends ma voix , daigne m'être propice :
Tu connois mon injure & tu lui dois juftice.
Redoutable vengeur des fidéles Amans ,
Change fes jours fereins en des jours de tourmens
;
Qu'à fon forfait enfin la peine foit égale.
Qu'avili fans eſpoir aux pieds de ma Rivale ,
Au char de l'inhumaine en Efclave enchaîné,
A d'éternels mépris fon coeur foit condamné !
J
A M. DE LA PLACE.
E viens , Monfieur , de recevoir une
lettre anonyme à laquelle vous voudrez
bien me permettre de répondre par la
voie du Mercure , efpérant que l'Auteur
aura la bonté de me mettre une autre
fois à même de lui répondre directement.
•
A P... en Nivernois , le 8 Juin 1761 .
J'ai reçu à P... , Monfieur , la lettre
obligeante que vous m'avez adreſſée à
mon ancienne Cure de S. Maurice , où
vous me croyez encore , mais où le Ciel
ne m'a laiffé que le temps qu'il falloit
pour apprendre ,
A l'école de la mifére ,
A régler infenfiblement
Mes befoins fur le néceſſaire ;
Biv
32 MERCURE DE FRANCE
Et dans un état plus proſpère ,
A jouir indifféremment
Des biens qu'il daigneroit me faire.
Je fuis infiniment fenfible à vos louanges
je les dois à l'amour patriotique ; &
je vous en remercie , comme fi elles m'étoient
dues à des titres plus flatteurs . Par
reconnoiffance je veux vous tirer d'une
erreur où vous êtes à mon égard . Vous
croyez reconnoître les originaux que j'ai
crayonnés dans ma pénultiéme lettre à
M. De la Place ; mais je vous jure que
je ne les connois pas moi- même, & qu'ils
n'exiftent que dans mon imagination. Au
efte , dans le fiécle où nous fommes ,
La ridicule eft h commun ,
Qu'il peut très ailément le faire ,
Qu'entre maint portrait arbitraire ,
Qu'au hazard , fans deffein aucun ,
On trace d'une main légére ,
Il s'en trouve par fois quelqu'un ,
Qui nous préſente un importun
Dont l'aspect a pu nous déplaire.
Je fuis comme vous , Monfieur , originaire
de C.... ; mais je ne le connois pas
affez, pour me flatter d'en faire le tableau
hiftorico-critiqué . Je vous avouerai même
que je ne me fuis guères appliqué à
JUILLET. 1761. 33
I
l'étudier , depuis les grands changemens
qu'ont produits dans les moeurs générales
de nos Concitoyens , les petites révolutions
furvenues dans la fortune de quelques
Particuliers. Oui , mon cher Compa
triote ,
Depuis que , de notre Cité,
La franchife , la bonhomie ,
La fimplicité s'eft enfuie ,
Sur les pas de l'égalité :
Depuis qu'en remontant l'Yonne ,
Nos flotteurs nous ont apporté
Les trésors , & la vanité ,
Dont la Capitale foifonne :
Depuis qu'en nos humbles réduits
Se font fiérement introduits
L'or , les parquets , l'enluminure 3
Depuis que la Magiftrature ( a)
En habit long , vafte fourure ,
Monte le matin au Barreau ,
Et le foir galoppe en chapeau
Et furtout ( b) brillant de dorure;
Depuis que l'hyver , en fabot ( c)
(a ) Il y a peu de temps que les Officiers deJuftice
vontplaider enrobe. On doit à M. N. cet établiffement
qui les fait refpecter.
7b C terme eftfubjiantif.
( c , Cette chauffure jaine , quoique gênante au
commencement , a été longtemps en ufage chez les
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
L'Artifan feul foule la boue ,
Et feul , l'été , fur le Charlot ( d )
Batifolle , boit , chante , & joue ;
Depuis que le jeune Marmot
Que fon père imprudent avoue ,
Craignant moins le bras de B... ( e ).
Le brave à fes yeux , & s'en joue ;
Depuis qu'en beau cabriollet
On voit rouler femme & fillette ,
Dont la grand- mère ne rouloit
Tout ou plus jadis qu'en charette ;
Depuis que l'altière Grizette
Porte fontange & mantelet ;
Le C..... fous fa Jacquette ,
Caleçon , & bas violet ,
Et l'Abbé , cheveux en vergette ,
Fine dentelle à fa manchete ,
Et ruban rouge à fon collet ;
Enfin depuis que la Richeſſe
A tout gâté, tout ſabverti ,
Et , pour ménager ſa moleſſe ,
Fondé des Mefles à midi ,
Premiers d'un Peuple qui ne cherchoit en tout que
fon utilité.
( d ) Boulingrin fort élevé où la Populace vafe
divertir le Dimanche.
( e ) M. B... excellent Grammairien ; fameux
dans le canton à plus d'un titre ; mais qu'on ne
fait plus affez refpecterpar la jeuneſſe qui n'y gagne
pas.
JUILLET. 1761 . 35
Où , guidé par fa folle ivreffe ,
A deux genoux maint Etourdi.
Va fur fon amoureux fouci
Differter avec la maîtreffe :
Je vous avoue , dis-je , que depuis
toutes ces belles chofes - là , j'ai peu fait
ma cour à la patrie. Mais laiffons cette
bonne mère commune , qui tombe en
enfance , & revenons à votre lettre. La
botte légère que j'ai portée à la Gent
domeftique vous fait préfumer que j'ai
de l'argent , & que je crains les voleurs.
Vous me faites beaucoup plus d'honneur
que je n'en mérite. Juger un homme riche
ou fimplement aifé , c'eft le plus bel
éloge qu'on en puiffe faire , dans ce temsci
furtout. Mais je ne veux tromper perfonne.
Voici la déclaration vraie & précife
de ma fortune paffée , préfente &
future , s'il plaît à Dieu , & à mes héritiers
.
J'eus cent écus à S. Maurice ;
J'en vêcus , je m'en contentai .
Au fortir de ce bénéfice ,
J'eus plus du double à S. S...
1
J'y mourois de faim , je quittai ,
Au bout de dix ans de fupplice.
Le Ciel à mes voeux plus propice ,
B vj
6 MERCURE DE FRANCE
M'a donné le quintuple ici.
Je fuis content , & Dieu merci ,
Tout auffi gueux qu'à S. Maurice !
Arrangez cela , Monfieur , avec le goût
de modération que je vous difois avoir
contracté dans ma premiere ſtation . Rien
de plus vrai cependant . Il me feroit facile
de vous montrer l'accord de cette
prétendue contrariété ; mais fa chofe n'en
mérite pas la peine.
J'ai l'honneur d'être & c.
N... Curé dans le Nivernois.
MADAME de B *** à M. FUME'E,
Medecin de S. A. S. Mgr. le PRINCE
DE CONTI , qui a guéri Madame de
C *** ,fa foeur , d'une grande maladie.
EPITR E.
Nx crois pas qu'en ce jour un fade complimient
Se mêle , cher Fumée , au zéle qui m'inſpire :
Je trouve le plaifir plus facile , plus grand ,
A bien fentir qu'à bien écrire;
De ma reconnoiffance, écoute les accens
Daigne recevoir fon encens.
Je te dois une foeur tendre , aimable , chérie :
Ofouvenir touchant , pour mon âme attendrie !
JUILLET. 1761.
37
Dans l'aurore des ans elle expiroit fans toi;
Le glaive de la mort étoit levé fur elle ;
Nos cris , nos larmes , notre effroi
Ne pouvoient défarmer la Parque trop cruelle .
Mille maux compliqués nous ôtoient tout espoir ;
Tes fecours affidus adouciffoient nos peines.
Mais comment ofer entrevoir
Que tu faurois par des routes certaines ,
La ramener des bords du ténébreux ſéjour !
Chaque inftant dans nos coeurs éteignoit l'efpérance
;
Et nous ne voyons plus , hélas ! dans ta préſence
Qu'une preuve de ton amour.
Ta bonté s'efforcoit encore
De cacher l'excès du danger;
Et tu fongeois à menager
Et le Père & la Mère , & l'Epoux qui l'adore.
Rien ne peut échapper à des coeurs bienfaifans &
Ton oeil fûr & hardi veilloit fur la mourante;
Ton air ferme & ferein confoloit fes parens ;
Tu la fauvas enfin : tu paffes notre attente ;
Tu nous rends un objet ſi cher à tous les coeurs 3
Et fans prétention , fans fonger à ta gloire ,
Quand ta voix nous apprend la fin de nos malheurs
,
Tu ne dis rien de ta victoire :
Ton unique defir eft d'éffuier nos pleurs.
Ah ! ces traits généreux gravés dans ma mémoire
38 MERCURE DE FRANCE.
Jamais ne pourront s'éffacer !
Ils font toujours préfens , j'aime à m'en retracer
La tendre & confolante hiftoire .
Utile & cher ami , comment puis- je exprimer
Ce vif fentiment qui m'enflâme ?
Par des traits de feu dans mon âme
Tes vertus ont fçu l'imprimer.
Si la bonté , fila Science ,
Si l'activité , la prudence ,
La modeftie & la douceur
Menent au fentier du bonheur ;
A de plus juftes droits qui pourroit y prétendre ?
Par autant de bienfaits tu comptes tes momens.
Puiffent tes jours heureux fe prolonger longtemps !
Puiffes-tu les paffer près de l'épouſe tendre
Qui partage avec toi ton noble ſentiment !
Des Dieux juftes & bons , ton coeur doit tout attendre
,
Si c'eſt les imiter , que d'être bienfaiſant.
É PIGRAM ME.
DAMON , AMON , fans égard , fans fcrupule ,
Raille avec un air méprisant.
Il fe pique d'être plaifant :
.
Et n'eft que ridicule .
D. S. D.
JUILLET. 1761 .
39
IDE'E générale du ftyle des Orientaux.
TOUTES les Nations ont une forte d'eſprit
qui leur eft propre , & qui a toujours beaucoup
d'influence fur la langue qu'elles parlent.
Les Orientaux , par exemple , joignent
à une imagination libre & fertile , un efprit
jufte & une fageffe profonde. Auffi
trouve-t-on dans leurs ouvrages , des figures
hardies , des définitions courtes &
vives , des maximes excellentes Ces traits ,
quoique privés dans une traduction de l'énergie
qu'ils ont dans l'original , font
néanmoins l'expreffion la plus fenfible du
génie de ces Peuples . J'ai l'honneur , Monfieur,
de vous en envoyer un petit nombre
d'exemples.Les uns contiennent des vérités
de tous les lieux & de tous les temps ; les
autres renferment des images que nous
profcrivons aujourd'hui, que nous aurions
pardonnées autrefois , & qui font généreufement
adoptées fur la moitié de notre
globe. Il eft fans doute bien fâcheux
que les Orientaux fe plaifent à des métaphores
que les Occidentaux défaprouvent.
Mais ils ont tant d'autres torts à notre
égard ! Ils ont des habits & des ufages fi
différents des nôtres ! Par exemple :
40 MERCURE DE FRANCE.
Mes voeux pour vous font femblables à
des pierres précieuſes & à des fleurs bien
arrangées.
Deux frères ayant trouvé un tréfor , le
partagerent ; l'un négocia dans la Ville &
l'autre alla voyager & commercer dans
l'Inde. A fon retour , frappé des belles maifons
que fon frère avoit fait bâtir dans la
Ville , il en voulut conftruire une qui les
furpaffât & qui pût le faire admirer de tout
le monde. Pour cet effet , il la bâtit fur
un Vaiſſeau qui périt au milieu du Port ; &
toutes fes richeles furent englouties.
Regardez - vous dans le miroir d'un autre
.
L'Écritoire eft un étang, du milieu duquel
il fort des fources de fcience , & du bord
duquel s'élevent des nuages d'éloquence.
Les Plumes font les Ambaffadeurs de la
parole , & 'Écriture eft la langue de la main.
C'eft un livre dont le parfum & les bonmes
odeurs récréent l'odorat de l'àme.
Le feu de la colere du bon a beau s'allumer,
il reffemble à la fumée du bois d'aloës
qui ne fait jamais de fuye .
Sois aveugle en entrant chez les Rois , &
muet en fortant .
L'humanité confifte à s'humilier lorfqu'on
eft grand , à pardonner lorsqu'on
a du pouvoir , & à donner fans prétendre
à la reconnoillance.
JUILLET. 1761. 4.7
L'obéiffance eft la richeffe des pauvres
Le fort le plus malheureux eft celui
'd'un homme d'efprit fous les ordres d'un
ignorant .
Le vin eft entré , le fecret va fortir.
A quoi fert le mérite , s'il n'eft accompagné
de bonheur ? Un bouton de fleur
peut-il s'ouvrir , s'il n'eft aidé par le vent
du matin ?
Deux amis étant brouillés , le Santon
dit à l'un des deux : Dieu a créé deux efpéces
d'hommes , l'une pefante & lourde
comme la terre , & l'autre légére & coulante
comme l'eau ; quand un ruiffeau le
mêle avec la terre , elle produit les fleurs
& les fruits imitez cette eau par votre
douceur & votre patience ; vous ramenerez
votre ami.
Que la douceur de vos paroles réjouiffe
le goût de mon âme.
Il convient aux gens d'efprit d'éteindre
le feu de leur colère avec de l'eau
puifée dans la fontaine de patience , &
non d'embrafer le feu de la colère avec
le bois de l'impatience.
C'est avec le lait qu'on fait fortir les
Serpents de leurs trous.
La honte fit paroître fur fon viſage une
tulippe d'une couleur incomparable.
Il demanda à l'Empereur , en prenant
42 MERCURE DE FRANCE .
congé de lui , comment il vouloit qu'il
traitât les féditieux ? Fais , lui dit - il ,
comme fi tu voulois démêler une corde
nouée ; & prends garde de l'embaraffer
d'avantage , en la ferrant trop.
Il lui fit donner cinquante coups de
bâton & lui dit enfuite : c'eft pour te faire
comprendre que tu ne dois pas te mêler
de ce qui ne te regarde pas . Hélas ! dit - il ,
je l'aurois compris dès le premier coup ,
fi vous vous fuffiez expliqué plutôt !
Gelaladdin Rumi, conte dans fes Vers,
qu'un Chameau qui étoit monté fur un
Minaret , s'écria : je fuis ici caché, ne découvrez
pas le lieu de ma retraite .
LEE mot de la première Enigme du
premier volume du Mercure de Juiller
eft , Chapeau , qui fe fait ordinairement
de peau de Caftor , animal amphibie qui
fe bâtit des maifons . On compare un
grand chapeau à celui de S. Roch. On
appelle Frère Chapeau , un Religieux qui
accompagne partout fon confrère. Les
Ramonneurs fe font des genouillères
avec la forme d'un chapeau. Celui de la
feconde Enigme , e ft la lettre F. Le mot
du premier Logogryphe , eft , Baleine ,
dans lequel on trouve Bal, le Nil, l'Elbe,
JUILLET. 1761 . 43
Albe , Albi , & Jena . Celui du ſecond ,
eſt , Pantalon , où l'on trouve pan , mefure
qui fe fait par l'extenfion du pouce ,
& des doigts oppofés , & talon , partie
du corps où Achille fut bleflé . Celui du
troifiéme , eft cor , où l'on trouve or &
TOC.
ENIGM E.
Jx fuis liquide , utile & fouvent néceſſairę ; E
Mais , Lecteur , je faurois peu plaire
Sans un certain affortiment.
Unie indiffolublement
A tel qui paroît inon contraire
A-pèü-près comme blanc à noir ;
C'eſt alors qu'il nous fait beau voir
Prenant cent formes différentes ,
Faire cent chofes furprenantes.
Le résultat de notre tout ,
Au gré du caprice & du goût ,
Flate , étonne , inftruit , plaît , irrite ,
Confole , afflige , calme , agite ,
Fait naître la haine & l'amour ,
Porte les ordres de la Cour ,
Met un Laquais dans la Finance ,
D'un mince Clerc fait un Prélat ,
D'un Commis un homme d'Etat ;
44 MERCURE DE FRANCE,
En un mot régle tout en France .
Que dis - je ? en France ! c'eft trop peu :
Si l'on fait bien nous mettre en jeu ,
Nous volons au bout de la tèrre ,
Portant ou la Paix ou la Guerre ,
Nous fufpendons , nous donnons le trépas 3.
Dans ce bas monde enfin que ne faiſons- nous pas
Pour le bien & le mal , l'agréable & l'utile ?
Devine donc , Lecteur , il n'eft pas difficile.
Par M. S.... des environs de Brive.
AUTRE.
D'UN Labyrinte obfcur , où regnent les alarmes
Je fors , fans être vû , pour expirer ſoudain ;
Dans les lieux que j'habite on chercheroit en vain
De la tranquillité la douceur & les charmes.
Sans être ni Bandeau , ni Fléche , ni Carquois ,
Je vole fur les pas du Dieu de la tendreſſe.
De l'excès du plaifir , du fein de la trifteffe
Je nais chez les Bergers , ainfi que chez les Rois.
Une foule d'Amans , adorable Thémire ,
Me firent mille fois paroître à votre Cour,
Au nom de vos beaux yeux payez- les de retour,
Aimez.... & vous allez étendre mon Empire .
JUILLET. 1761 .
LOGOGRYPHE.
UTILE,
41
1 , aux Champs de Mars : jamais fans ma
valeur ,
Suréna de Craffus n'eût été le vainqueur.
Neuflettres font mon nom : ami Lecteur , com
bine,
Tu pourras y trouver celle de l'Héroïne ,
Dont les faits merveilleux , fecondés par Dunois
Rendirent la ſplendeur au Trône de nos Rois ;
Pour devenir Savant , ce qu'on met en uſage ;
Ce qu'on voit annoncer le Tonnèrre & l'Orage ;
Un légume , une Sainte , un timide animal ;
Un Roi , vainqueur de Rome ; un péché capital;
Un des quatre Elémens ; deux notes de Mufique ;
Un Verbe , en me cherchant , qu'il faut mettre en
pratique.
Je pourrois , cher Lecteur , en dire beaucoup plus
Mais , je fuis ennemi des détails ſuperflus.
Par M. LANEVERE , ancien Mousquetaire du
Roi , à Dax, le 9 Mai 1761.
COMME
AUTRE.
OMMENT puis-je me définir ?
J'exifte fans voir la lumière ;
Et le préfent autant que l'avenir
46 MERCURE DE FRANCE.
... Eft pour moi cahos & myſtère.
A
Que fuis-je donc ? Lecteur , c'eſt ton affaire :
peu de frais tu peux me deviner ;
Et fi tu prends plaifir à combiner,
Mes fept pieds vont te fatisfaire.
Je deviens Roi , Moine , Robin ;
Partout où je fuis je fais boire ;
Et par un bizare deftin ,
Je porte toujours robe noire ;
A qui le veut j'offre mon bien ;
Mais c'est toujours fans conféquence ,
Car on peut me réduire à rien
Sans me réduire à l'indigence.
Par M. DESMARAIS DU CHAMBON.
CHANSON à boire , dont on peut faire
un Duo.
VERSEZ -moi de cejus divin ;
Buvons , chers camarades :
Chantons & revenons fans fin
Des Chanfons aux rafades.
Mettons- nous tous à l'uniffon :
Qu'importe qu'on en gloſe ?
Si le vin ôte la Raifon ,
Il ôte peu de choſe.
JUILLET. 17617 47.
ARTICLE II
NOUVELLES LITTERAIRES.
ESSAIS HISTORIQUES fur l'ANGLETERRE
, Brochure in- 12 . A Paris,
chez les Frères Etienne , rue S. Jacques,
à la Vertu.
L'A'AUUTTEEUURR de cet Ouvrage nous apprend
que fon but eft de faire connoître ,
par les faits, l'hiftoire du Royaume d'Angleterre
, fes conftitutions , les fources de
fa puiffance , les moeurs de fes Peuples ,
leurs ufages , & même leur Littérature .
Comme il faut préfenter les objets de
manière , que l'efprit en faififfe ailément
tous les rapports , on a divifé ce Livre
en trois parties. La premiere n'offre que
les événemens & les traits qui peuvent
dépendre des moeurs & de l'humanité ;
c'est -àdire, qu'elle a principalement pour
objet l'étude de l'efprit & du coeur Anglois
. La feconde raHemble les faits qui
ont rapport à l'Hiftoire , aux Loix , aux
Finances & aux Armes. La troifiéme ,tout
46 MERCURE DE FRANCE.
.. Eft pour moi cahos & mystère.
A
Que fuis- je donc ? Lecteur , c'eſt ton affaire :
peu de frais tu peux me deviner ;
Et fi tu prends plaifir à combiner ,
Mes fept pieds vont te fatisfaire.
Je deviens Roi , Moine , Robin ;
Partout où je fuis je fais boire ;
Et par un bizare deſtin ,
Je porte toujours robe noire ;
A qui le veut j'offre mon bien ;
Mais c'est toujours fans conféquence ,
Car on peut me réduire à rien
Sans me réduire à l'indigence.
Par M. DESMARAIS DU CHAMBON.
CHANSON à boire , dont on peut faire
V
un Duo.
ERSEZ - moi de ce jus divin ;
Buvons , chers camarades :
Chantons & revenons ſans fin
Des Chanfons aux rafades.
Mettons-nous tous à l'uniffon:
Qu'importe qu'on en glofe ?
Si le vin ôte la Raifon ,
Il ôte peur de choſe.
F
I
JUILLET. 17617
47
.
ARTICLE ILI.
NOUVELLES LITTERAIRES:
ESSAIS HISTORIQUES fur l'ANGLETERRE
, Brochure in- 12 . A Paris,
chez les Frères Etienne , rue s . Jacques ,
à la Vertu .
L'AUT ' AUTEUR de cet Ouvrage nous apprend
que
fon but eft de faire connoître .
par les faits, l'hiftoire du Royaume d'Angleterre
, fes conftitutions , les fources de
fa puiffance , les moeurs de fes Peuples ,
leurs ufages , & même leur Littérature .
Comme il faut préfenter les objets de
manière , que l'efprit en faififfe aifément
tous les rapports , on a divifé ce Livre
en trois parties. La premiere n'offre que
les événemens & les traits qui peuvent
dépendre des moeurs & de l'humanité ;
c'eft -àdire , qu'elle a principalement pour
objet l'étude de l'efprit & du coeur Anglois.
La feconde ralemble les faits qui
ont rapport à l'Hiftoire , aux Loix , aug
Finances & aux Armes . La troifiéme, tour
48 MERCURE DE FRANCE.
ce qui concerne le commerce , l'Agricul
ture & les Arts . Nous choifirons dans
chaque partie , ce que nous croirons de
plus propre à piquer la curiofité de nos
Lecteurs .
Un ufage très - incommode en Angleterre
, eft celui de diftribuer de l'argent
aux domestiques des maifons où l'on eft
invité à dîner . On a fait des écrits fort
férieux pour & contre une coutume qui
n'eft pratiquée par aucune autre Nation ;
qui attire aux Anglois , des railleries de
la part des autres Peuples ; qui gêne la
communication entre les amis , en les affujettiffant
à un impôt fouvent très- onéreux.
Un homme de grande confidération
ayant appris qu'il fe formoit une ligue
pour retrancher aux domestiques ces fortes
de profits , a dit d'un ton très - animé,
en préſence d'une affemblée nombreuſe,
que s'il s'en trouvoit un qui refufat de
recevoir une générofité de fa main , il
regarderoit ce refus comme une infulte
que le Maître auroit cherché à lui faire ,
& qu'il cefferoit de le voir.
La curiofité eft une paffion très forte
chez les Anglois ; ils ne regrettent rien
pour la fatisfaire. Lorfque Théodore , Roi
de Corfe , fut parti de Londres pour fon
expédition , le Particulier chez qui il avoit
logé ,
JUILLET. 1761. 49
logé , tourmenté par l'affluence du monde
qu'amenoit chez lui la curiofité de voir
la chambre de ce prétendu Monarque ,
imagina de ne la montrer que pour de
l'argent. Il ſe borna à un sheling par perfonne
, & il entaffa des fommes confidérables.
Un Officier de la maiſon du feu
Roi vient de tirer du Peuple trois ou quatre
cens livres fterling , en faifant voir
auffi pour un sheling , la Salle du Palais
de S. James , où le Roi avoit été déposé,
avant que d'être porté à Westminster.
La paffion des paris eft fi forte en Angleterre
, qu'il a fallu des loix pour la réprimer.
Toute gageure qui excéde la
fomme de vingt- trois ou vingt- quatre
piftoles , eft déclarée nulle. Malgré cette
loi , on y fait toujours les paris les plus
confidérables , fur les chofes les plus frivoles
: ce fera de faire traîner pendant
un certain temps , une voiture par des
chiens ; de faire foutenir à des oies une
marche fuivie de plufieurs lieues ; de faire
faire à un cochon une lieue & demie par
heure. Il n'y a pas longtemps qu'un homme
de condition paria une très - groffe
fomme , qu'il feroit un mille de chemin.
en marchant fur les pieds & les mains , &
qu'il arriveroit plutôt au but , qu'un cheval
qu'on feroit aller à reculons.
II. Vol. C
So MERCURE DE FRANCE:
Il vient de fe paffer à Dublin une fcene
affez comique , mais qui montre combien
l'on y eft exact à obferver le Dimanche.
Voici , à peu près , comme on la raconte.
Une Joueufe célébre fut arrêtée
dans fa chaife par la populace , lorf
qu'elle alloit entrer un jour de Dimanche
dans une maifon où l'on donne à
jouer. L'éffroi la faifit ; elle demande ce
qu'on lui veut. On la prie de fortir de fa
chaife. Elle fait d'abord quelque difficulté
; on infifte ; elle obéït. Celui qui portoit
la parole , lui dit : » Madame , nous
"
fçavons que vous menez une vie peu
» édifiante ; votre paffion pour le jeu vous
fait oublier ce que vous devez au jour
» du Seigneur ; c'eft l'intérêt que l'on
» prend à votre âme , qui vous attire cet-
"
te petite remontrance de notre part,
En même temps on lui préfente une
Bible , & on la fait jurer fur les faintes
Ecritures , de renoncer au jeu pour
toujours . On eut beaucoup de peine à lui
arracher ce ferment ; mais il fallut obéir,
On lui dicte les paroles l'une après l'autre
; elle les répéte d'une voix intelligible
, & on l'oblige à baifer le livre
fur lequel elle vient de jurer. Elle
croit en être quitte , & veut rentrer dans
fa chaife ; on l'en empêche encore en
JUILLET. 1761 . si
»
"
lui difant : » Vous fçavez , Madame, que
l'humilité eft une vertu agréable à
» Dieu ; vous n'aurez jamais eu une plus
belle occafion de la pratiquer. Nous
» allons vous eſcorter ; contentez- vous
» de vous faire fuivre par vos porteurs ;
» vous retournerez à pied au milieu de
» nous jufqu'à votre logis . Elle fut ainfi
reconduite en grande pompe ; & quand
elle fut rentrée dans fa maiſon , la foule
ſe diſperſa.
Pendant la derniere faifon des eaux
de Bath , il y eut deux foufcriptions ouvertes
dans cette ville, l'une pour des exercices
fpirituels , l'autre pour une affemblée
de jeu. Le nombre des Soufcripteurs de
la premiere ne paffa pas douze ; la feconde
en eut foixante - fept . Quelqu'un a dit
à ce fujet, qu'il y avoit en Angleterre foixante-
fept contre douze à parier pour l'Enfer
contre le Ciel .
Voici un exemple peu commun d'une
détermination prife par le Peuple , pour
fermer au vice une porte que le Gouvernement
veut lui ouvrir. Les habitans du
bourg de Leadhills en Ecoffe , fcandalifés
des défordres que l'ufage des boiffons fortes
introduisent dans un Etat, ont figné une
réfolution par laquelle ils fe promettent
mutuellement de ne jamais boire d'eau-
Cij
12 MERCURE DE FRANCE.
de-vie faite avec les grains du pays , &
de ne fréquenter aucun caffé ni cabaret
qui en débiteroient. Ils invitent leurs
compatriotes à fe joindre à eux , & ont
fait répandre cet Acte dans les trois
Royaumes par les papiers publics .
y
La plupart des voleurs Anglois fe piquent
de faire leur métier avec diftinction.
Un Banquier de Londres reçut , il
a peu de temps , la vifite d'un de ces
honorables Coquins , qui fe préfenta dans
fa chambre le piftolet à la main , & lui
demanda fon argent ou les clefs de fon
bureau. Le Banquier donna les clefs , &
le voleur fit fon coup. Il revint , remit
les clefs au Banquier , & lui dit : » Vous
» aurez , Monfieur , la bonté d'obferver
» que je n'ai pris que l'argent qui étoit
» dans votre tiroir ; vous trouverez vos
» bijoux & votre montre où vous les avez
» laiffés.
Voici encore un trait remarquable d'un
autre voleur. Un riche Négociant revenoit
de la campagne avec la famille ,
lorfque deux brigands fe préfentent à ſa
voiture. Un d'eux , le piftolet à la main ,
crie au cocher de s'arrêter ; l'autre adref
fant la parole aux perfonnes qui étoient
dans la voiture , les prie très- poliment de
jetter dans fon chapeau tout l'argent qu'elJUILLET.
1761.
"
les pouvoient avoir. On en jette ; il ne
trouve pas la fomme affez forte ; il infifte
pour avoir davantage. » C'eft manquer
» d'honneur , leur dit- il , que de ne pas
répondre à la politeffe de mon procé-
» dé. Il n'eft pas vraisemblable qu'avec
» un train pareil , on ait fi peu d'argent.
» C'eft qu'apparemment vous voulez me
» tromper ; mais je vous ferai l'affront
» de vous fouiller ; je n'en viens à cette
» extrémité qu'avec les coquins. Le Négociant
lui jetta une bourfe qui contenoir
douze guinées , & le pria de fe retirer.
» Monfieur , repliqua le voleur , je
» fuis bien aiſe de vous faire voir que j'ai
l'ufage du monde ; je vous fouhaite un
» bon voyage. Il partit auffitôt avec fon
» camarade , & on les eut bientôt perdu
» de vue.
"
Un Anglois vient de metre au jour un
Projet de Soufcription pour former un
fond en faveur des enfans & des veuves
des Jurifconfultes , qui meurent fans
laiffer de bien pour le foutien de leur
famille. Les Journalistes qui annoncent
ce Projet , en ont pris occafion
de propofer au Public les idées fuivantes.
» Si un établiffement de cette nature eft
jugé néceffaire , nous croyons qu'il fau-
» droit lui donner une plus grande éten-
"
G iij
54 MERCURE DE FRANCE.
ور
due & y faire participer tous les Citoyens
qui éclairent leurs Compatriotes par
leurs Ecrits. Il eft certain que la plûpart
» des gens qui vivent du produit de leur
Plume , font condamnés au Célibat ,
» par l'impoffibilité d'affurer un douaire
convenable aux femmes qu'ils pourroient
époufer. C'eft un inconvénient
» très - fâcheux pour l'Etat , du côté de la
population , puifqu'il augmente le nom-
» bre des Célibataires qui le font par néceffité
; & que ce nombre eſt toujours
trop grand. Mais on y trouvera encore
» un autre préjudice pour les moeurs de
» la Nation , fi l'on confidére que les gens
qui trouvent tant de difficultés à fe ma-
» rier , font précisément ceux qui , par
»
99
un effet néceffaire de la bonne éduca-
» tion qu'ils ont reçue , méneroient la
» vie la plus convenable & la plus décente
dans l'état du mariage , & par le
pouvoir de l'exemple , foutenu de la ré-
» putation de l'efprit , feroient rentrer
l'Hymen dans tous les droits , que cer-
» taines fauffes vertus de Société ont ufur-
» pés fur lui. Nous ajouterons une troi-
و د
"
fiéme confidération ; c'eft que ces mê-
" mes gens de Lettres , qui privent l'Etat
» de leur poftérité , le privent auffi des
» effets d'une bonne éducation , qu'ils feJUILLET.
1961 . 55
» roient en état de donner à leurs enfans ,
» & des lumières de toute efpéce qu'ils
» pourroient leur tranſmettre.
La célèbre Actrice , Mlle Oldfield ;
morte en 1730 , fut enterrée dans l'Abbaye
de Weftminfter . Elle avoit été expofée
pendant deux jours fur un magnifique
lit de parade . Ses obfèques fe firent
avec autant de pompe & de décence , que
fi pendant fa vie elle eût été une de ces
auguftes perfonnes qu'elle n'avoit fait que
repréſenter. Le drap mortuaire qui couvroit
fon cercueil , fut porté par fix perfonnes
de la plus grande diftinction . Le
Doyen du Chapitre de Weftminſter officia
à la Cérémonie .
Le Théâtre Anglois a perdu depuis peu
Mlle Woffington , Actrice excellente dans
le tragique. C'est à elle que l'Armée Britannique
, actuellement en Allemagne ,
eft redevable de la Soufcription volontai
re , établie à Londres & dans plufieurs
Villes du Royaume , pour lui procurer des
foulagemens. Elle en a donné la première
idée . Les Troupes Angloifes ont été fournies
, fur le produit de cette Soufcription,
d'un nombre fuffifant de gillets & de fouliers
, & s'en font bien trouvées pendant
l'hyver de 1760 , qui a été rigoureux . Cette
même Comédienne a laiffé tout fon bien
à un Officier Général. Cy
56 MERCURE DE FRANCE:
La feconde partie, qui a pour titre Frag
mens hiftoriques , commence par différens
traits de la vie de Henri , Prince de Galles
, fils aîné de Jacques 1. On demanda
un jour à ce jeune Prince , s'il aimoit la
chaffe du Cerf? » Je conviens qu'elle m'a- `
» mufe , répondit - il ; mais il ya une autre
» chaffe que je lui préférerois encore ; c'eft
» celle des Rebelles , & des voleurs de l'E-
» tat , & je le ferois avec une meute de
braves gens. Henri aimoit beaucoup fon
jeune frère le Duc d'York , qui monta
fur le Trône fous le nom de Charles I ;
mais il prenoit un plaifir fingulier à le
faire pleurer , en lui difant qu'il feroit
d'Eglife . Un jour il lui mit par force fur
la tête le chapeau d'un Archevêque , en
Ini difant que s'il apprenoit bien , il le
feroit Archevêque de Cantorbery. Le
jerne Prince outré de cette propofition ,
jetta à terre le chapeau , & le foula aux
pieds.
Le jugement & l'exécution du Lord
Conte de Ferrers , qui fut pendu à Londres
l'année derniere , donnent lieu à
de fort longs détails. Mais toutes les gazettes
ont inftruit l'Europe des particularités
de fon crime & de fon fupplice.
Nous fubftituerons à ce morceau peu intéreffant
, des circonftances plus curieuſes
JUILLET. 1781. '57.
du couronnement des Rois d'Angleterre .
Le Seigneur de Bardolf, dans le Comté
de Surry , reclame le droit de faire
apprêter au Roi un plat de gruau , & de
le fervir lui-même fur la table. Il eſt d'ufage
que le Roi , pour le récompenfer de
ce fervice , le faffe Chevalier. C'eſt le
Seigneur de Scoulton , dans le Comté de
Norfolk, qui eft Lardeur en chef ; & tout
le lard qui reste après la cuifine faite , lui
appartient. Le Seigneur de Wirkfap,dans
le Comté de Nottingham , a le droit de
fournir au Roi le gant qu'il met à fa
main droite. Il n'y a que le Seigneur de
Lyfton qui puiffe faire les gauffres pour
le Roi , & les lui fervir. Les autres prétentions
, dont la lifte eft fort longue
font relatives à tout ce qui fe pratique le
jour du couronnement. Il appartient au
Lord , grand Chambellan , pour avoir
préſenté la chemiſe au Roi , près de trente
aulnes de velours cramoifi , le lit du
Roi , & tout le meuble où il a couché
ainfi que tous fes habillemens de nuit.
Le Champion du Roi garde le cheval fur
lequel il eſt monté ; & il a de plus une
coupe & un couvert d'or. Il en revient
autant au Lord Maire de Londres , qui
verſe du vin au Roi après le dîner. Toute
la vaiffelle d'argent appartient au Grand
Ecuyer , &c.
›
C vj
•
18 MERCURE DE FRANCE.
C'eft une chofe finguliere , que les op
pofitions marquées de quelques événemens
, dont la grande Salle de Weſtminſ
ter a été le théâtre : c'eft le premier endroit
où les Rois d'Angleterre fe placent
fur le Trône . Ce fut celui où Richard II
fut déposé. Plufieurs Rois y ont tenu des
banquets royaux , où ils ont traité avec
fplendeur les plus grands Princes de l'Europe.
Henri III , y ayant raffemblé fix
mille pauvres , en avoit fait auparavant
un Hôpital. Dans le temps que le Parlement
y tenoit fes féances , un débordement
des eaux arriva , & on la traverſoit
en bateau. Les jours de couronnement , le
Champion d'Angleterre , armé de toutes
pieces , y entre à cheval , jette fon gant à
terre , & fait un défi à quiconque ofera
conteſter le droit du nouveau Souverain .
Qn vit en 13 : 6 , une femme vêtue en
Courtilanne , montée fur un cheval , entrer
dans cette Salle , tandis que le Roi
y donnoit un feftin à fa Cour , le promeper
autour des tables , jetter devant le
Roi un écrit où il étoit accufé d'injuftice ,
tourner la bride , faluer les affiftans , &
s'en aller.
On a remarqué que le feu Roi étoit le
feul des Souverains d'Angleterre , féconds
de leur nom , qui ait régné heureuſement
JUILLET. 1761 . 59
dans ce Royaume. Guillaume II , furnommé
le Roux , fut tué à la chaffe.
Henri II, fut malheureux pendant toute
la premiere partie de fon regne , par
les
affaires que lui fufcita l'Archevêque de
Cantorbery. Il le fit affaffiner ; & le repentir
qu'il en eut , empoifonna le refte
de fa vie. Edouard II , fut détrôné par
fon fils , & affaffiné. Richard II fut dépofé;
& l'on a prétendu que la mort de Charles
II n'étoit point naturelle. Enfin Jacques
II , après avoir perdu fa Couronne ,
eft mort en exil .
La troifiéme partie préfente des détails
de commerce & d'agriculture qui ne font
guères fufceptibles d'un extrait . Nous y
renvoyons nos Lecteurs ; & nous invitons
l'Auteur de cette Brochure à continuer
fes recherches & à nous en faire part.
LETTRE de M. d'ARNAUD à M. DE
LA PLACE , Auteur du Mercure.
Ce 28 Juin 1761 .
MONSIEUR ONSIEUR ,
Mes amis viennent de m'apprendre
que dans un libelle on m'affocie aux travaux
d'un Journalfte ; je ne travaille à
G vj
To MERCURE DE FRANCE
aucun Journal , & je mépriſe les libelles.
A l'égard de mes vers , je les abandonne
au Jugement du Public. Il n'ignore pas
que les trois volumes de Poëfies qui ont
paru fous mon nom , ne font qu'une édi
tion informe , où ce qui peut m'appartenir
eft entièrement défiguré. J'ai l'honneur
d'être & c.
REMARQUES fur quelques Paffages
d'HORACE, difficiles à entendre aujour
d'hui : par un Savant de Province.
Licet fub paupere tecto
Reges & regum vitâpræcurrere amicos.
ON s'imagine qu'Horace a voulu dire
que fous un toit couvert de chaume , on
poffédoit plus de richeffes que fur le Trône
; qu'on étoit plus refpecté dans une
fimple cabane que fous des lambris dorés ;
qu'un Pauvre avoit de plus riches habits
qu'un grand Seigneur ; qu'une Payfane
avoit plus d'adorateurs qu'une femme de
la Cour. On s'imagine cela, & l'on dit tout
de fuite : Horace n'a pas raifon. Mais qu'on
y prenne bien garde ; ce n'eft pas de tout
cela qu'Horace a parlé , c'eſt du bonheur.
Dulce & decorum eft pro patria mori.
Ce Paſſage eſt un de ceux que j'ai eu le
JUILLET. 1761 .
6I
plus de peine à faire entendre à quelques
jeunes Militaires , que j'ai eu occafion de
voir. Ils ne trouvoient de douceur qu'à
vivre au gré de leurs defirs , de gloire qu'à
féduire une femme , & ils n'avoient pas
même l'idée attachée au mot de Patrie.
Un certain fentiment foible & confus leur
faifoit aimer à revoir les lieux de leur
naiſſance ; un refte de politeffe & d'égard
leur faifoit refpecter ceux dont ils tenoient
le jour ; mais ces mots fi doux & fi énergiques
de Concitoyens & de Patrie , ces
mots qui font naître une efpéce d'enthoufiafme
dans les âmes qui penfent , ils n'y
comprenoient rien du tout.
Outre le luxe & les paffions , qui toutes
vont à rapprocher l'homme de luimême
& à l'éloigner des autres ; ce qui
a contribué à faire perdre de vue l'acception
du mot Pairie , c'eft cette maxime
que quelques Philofophes prennent
tant de foin d'étaler : l'Univers eft la Patrie
du Sage.Ce principe eft très - beau; & il feroit
à fouhaiter que tous les hommes fe
regardaffent comme ne faifant qu'une
même famille, & vécuffent en frères ; voilà
ce qui eft vrai. Mais la multitude qui
répéte , fans y penfer , ce que le Philofophe
ne dit qu'après l'avoir bien médité ,
ne faifit jamais une vérité dans toute fon
62 MERCURE DE FRANCE.
étendue , & ne la prend que du côté qui
flatte le plus fes préjugés. Elle s'eft donc
imaginée que la patrie de l'homme étant
l'Univers , on ne devoit pas plus à ceuxau
milieu defquels on vit fous le même
gouvernement , qu'aux Chinois & aux
Hottentots : ce qui eft évidemment faux.
Je reviens au Paffage en queſtion.
Pour le faire entendre aux jeunes gens ,
il faut bien leur apprendre que la vraie
douceur , la vraie fatisfaction ne confiftent
pas à pouvoir s'enivrer de liqueurs
fe ruiner au jeu , s'abbrutir dans la débauche
, & anéantir fon âme dans le tu
multe des paffions ; que la gloire n'eft
pas le privilége de porter un plumet , de
fe qualifier de Marquis ou de Comte , de
méprifer le Bourgeois , & d'avoir la tête
coupée au lieu d'être pendu comme la
canaille ; il faut fur tout leur bien faire
fentir que la patrie eft quelque chofe ; &
au lieu de raifons , dont ils ne font pas
toujours capables , frapper leurs oreilles
de ces grands noms qui vivront dans la
mémoire des hommes auffi longtemps
qu'ils conferveront l'idée de la vertu : leur
montrer un Turenne , le premier des
Héros dans l'art de mener les hommes au
combat , expofant généreufement fa vie
pour le falut de la France , & ménageant
JUILLET. 1781 . 63
le fang de fes foldats parce qu'ils étoient
fes concitoyens : leur peindre un Montcalm
expirant dans des climats éloignés , loin
de fes amis & de fa famille ; mais fous les
yeux de fa patrie , dont l'image échauffoir
fon courage au milieu des hazards , & c.
En Erudit profond j'aurois dû citer les
Codrus , les Decius , les Scipions , & cette
foule d'hommes que nous appellons
des héros moins fur la foi de leurs hiftoriens
, que fur la parole des Pédans qui
en étourdiffent notre enfance ; mais ( malgré
le mauvais exemple de quelques -uns
de mes confrères ) pour être fçavant , je
ne m'en fouviens pas moins que je fuis
François.
O Cives , Cives , quærenda pecunia primum ,
Virtus poft nummos.
J'ai vu un riche Financier qui ne favoit
de Latin que ce paffage, encore le croyoitil
d'un S. Père , tant il y trouvoit de bon
fens . Je n'eus pas de peine à le faire convenir
qu'il étoit d'Horace ; mais il me fut
impoffible de lui en faire appercevoir le
fens ironique : car enfin, me diloit- il tou
jours , avec de l'argent n'a- t- on pas aujourd'hui
tout autant de vertu qu'on en
veut ? On achète l'équité des Magiſtrats ,
l'honneur des femmes , la conlcience des
64 MERCURE DE FRANCE
dévots . Allez , allez , quiconque eft riche
eft tout.
Une petite réfléxion philofophique en
paffant.
Contre une paffion puiſſante ,
Cette raifon que l'on nous vante
Ne fait qu'un inutile effort :
En vain fa voix eſt touchante ;
Dès que le coeur argumente ,
La Raiſon a toujours tort.
1
Sit mihi prima fides.
Ce n'eft pas moi qui le dis , mais je l'entends
répéter tous les jours : le Dauphinois
aime à tromper ; le Normand eft habile
dans l'art de mentir ; le Gafcon fe
plaît à en impoſer. Voilà déjà trois grandes
Provinces de France d'où la bonne
foi eft bannie. D'un autre côté on ne
ceffe de dire qu'on la perd en devenant
courtifan ; que celle du grand monde eft
bien foible ; que les femmes en ont trèspeu
, & que le Petit-Maître n'en a point
du tout. Peut-être s'eft- elle retirée parmi
le Peuple ? Mais on ne convient pas généralement
qu'il foit compofé d'hommes.
Faut- il être furpris après cela, qu'on trouve
aujourd'hui tant d'obfcurité dans ce
paffage ? Mon commentaire le feroit en
core plus ; ainſi je le ſupprime.
JUILLET. 17616 35
Non tu corpus eras fine pectore.
Pour l'intelligence de ceci , il faut favoir
que la Philofophie au temps d'Horace
n'étoit pas , à beaucoup près , au point
de perfection où elle eft parmi nous . On
croyoit alors qu'il y avoit dans l'homme,
outre le corps & la matière , une fubftance
totalement différente , capable de fentir
& de penfer. C'étoit donc un compliment
qu' Horace faiſoit à ſon ami, quand
il lui difoit vous n'êtes point un corps
fans âme pour traduire le texte mot à
mot. C'eſt comme s'il lui eût dit : vous ne
vous bornez pas à exifter , vous aimez à
vivre , à exercer votre âme par la penſée,
à l'aggrandir par les connoiffances , à
l'ennoblir par les fentimens ; en un mot ,
pour parler le langage de nos Orateurs
à antithèſes , vous avez , avec les agrémens
du corps , toutes les qualités de l'ef
prit & du coeur .
Ce fyftême qui fait l'homme compoſe
d'un corps & d'une âme , me paroît favorable
à la belle Poëfie . Si quelques Philofophes
cherchent à le détruire , je voudrois
que les Faifeurs de vers le confervaffent
toujours dans leur code poëtique
, ne fût- ce qu'au même titre qu'ils y
confervent les belles fables d'Homère,
66 MERCURE DE FRANCE.
Virtus eft vitium fugere,
Quelle eft. l'idée de votre Horace dans
ce paffage , me difoit un jour un jeune
homme à la mode ? Eft- ce que la vertu
& le vice font quelque chofe de réel ?
Est- ce que toutes ces mifères à qui le
Peuple donne des noms impofans , font
autre chofe que les effets du tempérament
ou de l'éducation ? Votre Poëte
avoit de l'efprit , mais on voit bien qu'il
n'étoit pas grand Philofophe. Allez, mon
bon ami ; l'honneur , la probité , le vice ,
la vertu , grands mots que tout cela. Je
voulus répondre ; je voulus par un argument
ad hominem ( pour parler le langage
de la Logique , car il faut bien
qu'on s'apperçoive à quelque chofe que
je fuis favant ; ) je voulus le faire defcendre
dans fon âme , & là lui faire lire ces
principes de moeurs que la main du premier
Etre a gravés dans tous les coeurs ,
& qui ne dépendent ni de l'éducation ni
des préjugés. Il fit une pirouette , éclata
de rire , & toutes les femmes dirent : il
a raiſon.
Ineptus paftilles Rufillus olet.
Il y a deux chofes à remarquer ici . La
premiere c'eſt que le nom de Ruffillus eft
tout feul , & qu'il n'eft pas au pluriel , comme
nous diſons quelquefois les Mécenes
les Pradons pour défigner les Protecteurs
JUILLET. 1761 67
des Lettres , ou les mauvais Ecrivains.
Cela prouve qu'au temps d'Horace on ne
connoiffoit pas cette espéce d'êtres que
nous connoiffons tant nous autres & que
nous diftinguons à leurs talons rouges , &
à l'élégance de leur coëffure.
Ce point de Chronologie eft plus important
qu'on ne penfe , & je me propoſe
de le développer davantage dans un petit
ouvrage que je publierai inceffamment &
qui aura pour titre : Hiftoire naturelle d'un
infecte appellé Petit- Maitre avec les moyens
de s'en préferver.
Ce que je remarque en fecond lieu , c'eſt
l'épithète d'Ineptus. On ne comprend pas
à préfent qu'elle puiffe convenir à un galant
homme tel que Rufillus eft défigné
par ce mot : Paftillos olet. Tout au contraire
, nos petites Maîtreffes & nos Agréables
ne manqueroient pas d'en qualifier
tout homme affez peu élégant pour
pas parfumé de la tête aux pieds.
n'être
Il faut donc fe fouvenir que les moeurs
de ce temps- là étoient bien différentes des
nôtres , & conféquemment moins eftimables.
Ne vivons -nous pas au dix- huitiéme
fiécle , où l'on est enchanté de tout , où
tout eft du dernierparfait, du dernier goût
du dernier beau & c ?
Quidfaciam ? Præfcri • Quiefcas.
68 MERCURE DE FRANCE
Il y a en France trois ou quatre mille
Faifeurs de Romans , de Gazettes , de Profe,
de Vers , à qui le goût & le Public , ce qui
eft prèfque la même chofe , répétent tous
les jours ce mot d'Horace : Quiefcas ; &
il n'en eft aucun qui le comprenne. Les
gens de ma Province ont fur cela un Proverbe
admirable. Il n'y a point de plus
mauvaisfourd que ceux qui ne veulent pas
entendre.
Moi , qui ne fuis pas fourd & qui veux
entendre , je me tais. Je trouve que j'ai
bien affez parlé . Plût à Dieu que le Public
ne trouve pas que j'aye parlé trop !
A Lyon, L. P.
JUILLET. 1761
MÉLANGES DE
PHYSIQUE,
ET DE MORALE ,
Contenant l'Extrait de l'Homme Phyfique
& Moral , des Réfléxions fur le Bonheur
, un Difcours fur la nature & le.
fondement du Pouvoir Politique , & un
Mémoirefur le Principe Phyfique de la
Régénération des Etres. A Paris , chez
H. L. Guérin & L. F. Delatour.1761.
Avec Approbation & Privilége du Roi,
POUR OUR faire connoître au Public l'Ou
vrage que nous lui annonçons , nous nous
fervirons des propres termes de l'Editeur ;
Voici comme il s'exprime aù commencement
de fa Préface. » L'Auteur des diffé-
» rens traités que je publie, eft un Méde-
» cin célébre , qui a longtemps exercé fa
profeffion . & qui l'a illuftrée par plus
d'un excellent Ouvrage . Les idées neu-
» ves & utiles qu'il préfente ici , les pré-
» ceptes importans qu'il donne , ne font
» que le développement naturel & l'application
heureufe des principes généraux
qu'il a pofés pour fondement de fon
39
39
29
70 MERCURE DE FRANCE.
se
»nouveau plan de l'Economie Animale .
» Telle eft la force & la fécondité de ces
Principes , qu'ils fe plient avec la même
» aifance au Phyfique & au Moral des ac-
» tions humaines , qu'ils embraffent auffi
» naturellement leurs divers Phénomènes ,
& qu'ils manifeftent clairement leur
» cauſe commune , leurs dépendances
» mutuelles & leurs rapports récipro-
» ques.
Les Obfervations dont la découverte
de ces Principes & le réfultat , les preuves
qui les conftatent, les principales conféquences
qui en réfultent, fe trouvent détaillées
dans deux Ouvrages de l'Auteur
qui ont précédé celui - ci , l'un écrit en Latin
: Inftitutiones Medica ex novo Medicina
confpectu , l'autre en François : IDÉE DE
L'HOMME PHYSIQUE ET MORAL. Ces Prin
cipes appliqués aux fonctions , donnent
à la Médecine une Théorie générale qui
lui manquoit. Mais comme les différens
Journaux ont fait connoître dans le temps
ces deux Ouvrages fi utiles , nous nous
bornerons à parler ici des Réflexions fur
Le Bonheur & du Difcours fur le Pouvoir
Politique , qui paroiffent pour la première
fois , & qui d'ailleurs font plus à la
portée du plus grand nombre de nos Lecteurs
.
JUILLET. 1761 : 75
RÉFLEXIONS SUR LE BONHEUR.
L'objet qu'il nous importe le plus de
connoître & de bien approfondir , c'eft
l'Art de fe rendre heureux autant qu'on
peur fe propofer de l'être ; cet Art eft cependant
fi ignoré , qu'à peine convient- on
qu'il existe : les feules fources où il eft poffible
de le puifer, font les liaiſons du Moral
avec le Phyfique . Hippocrate & Socrate
ne les ont pas ignorées ; mais quant au
méchaniſme de ces rapports , & à l'aſpect
fous lequel il falloit confidérer ce méchanifme
, ni eux , ni leurs Sectateurs n'en
ont eu aucune jufte idée. Vanhelmont a
plutôt écrit en vifionnaire qu'en Médecin .
L'Auteur de ces Mélanges eft le premier
qui ait découvert les vraies Loix de l'Economie
Animale. Il part d'un principe
qu'on ne peut lui contefter: c'eft que l'Art
de fe rendre heureux tient effentiellement à
l'Art de vivre & d'employer à propos tous
les moyens de foutenir la vie . Selon lui, le
Bonheur ne paroît une chimère, que parce
qu'il a été jufqu'ici mal défini . En ne le
confidérant que relativement à l'influence
néceffaire de l'exercice plus ou moins libre
des fonctions du corps fur les affections
de l'âme , c'est l'Art d'acquérir & de
conferver le meilleur fentiment poffible de
72 MERCURE DE FRANCE.
notre existence. le Bonheur n'eft donc que
la jouillance de tout ce qu'on fait à propos
phyfiquement & moralement pour le
foutien de la vie ; ainfi il ne peut être le
partage de ceux qui ne vivent qu'à l'aventure
& qui ne font pas affez éclairés pour
favoir vivre autrement.
On voit par là combien il eft éffentiel
d'avoir une bonne méthode : les hommes
fe portent par leur nature à ce qu'ils
voyent clairement devoir faire leurs avantages,
& fuyent ce qu'ils favent devoir leur
nuire. Il n'auroit donc fallu qu'une expérience
fouvent répétée de ces avantages
& de ces inconvéniens, pour que les hommes
, quels que foient les effets réels des
divers climats & des diverfes complexions
, fuffent très -différens de ce qu'ils
font ; mais jufqu'à préfent cette condition
fi éffentielle d'une expérience bien éclairée
étoit impoffible à remplir, parce qu'on
manquoit des connoiffances néceffaires à
la jufte évaluation de nos rapports avec
les divers objets de nos befoins . L'Auteur
rappelle ici en peu de mots , la manière
dont eft expofé le jeu de l'Economie Aninale
dans l'Homme Phyfique & Moral. Il
établit qu'aucune fenfation faite dans le
cerveau ne peut devenir un fentiment ,
qu'autant que ces vibrations fe font éten
dues
JUILLET. 1761 . 73
dues jufqu'au centre diaphragmatique ;
d'où il conclut que c'eft principalement de
l'état plus ou du moins libre du jeu du Dia.
phragme que dépend l'effet des fenfations,
& par conféquent le fentiment plus ou
moins favorable de notre exiftence . Les
obſtacles les plus communs à l'action de la
tête , fi néceffaire pour contrebalancer la
réaction de l'eftomac & des inteftins , font
l'ennui , les craintes , les trop fortes conténtions
d'efprit.
L'ennui eft une véritable diminution de
vie , un état dans lequel la tête manque
d'un effet fuffifant des caufes qui déterminent
fon action ..... Lorfque l'ame eft
frappée de quelque danger , l'action de
la tête eft d'abord fufpendue & par conféquent
celle du diaphragme.... L'état
de profonde réflexion eft femblable à peuprès
à celui de la crainte , lorfqu'il n'y eft
point queftion de faire emploi des forces
mufculaires , il n'en différe que par le degré.
Amefure que la contention devient
exceffive elle doit porter des obftacles au
jeu de l'Economie Animale. Ainfi l'état
de crainte & de réflexion doit prendre fur
l'activité du corps à proportion qu'il dérange
l'économie de fes principaux organes
; or s'il eft vrai , comme on n'en peut
raifonnablement douter , que notre bon-
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
heur ne foit que le meilleur fentiment poffible
de notre exiftence , ou le fentiment le
plus complet de notre activité , l'Auteur
par les défordres de l'Economie Animalę
qu'il expofe , fait voir combien un état
habituel de crainte , & de réflexion doit Y
être nuifible. L'état de délire par ivreſſe
ou par maladie , les rêves , les divers jugemens
que felon les diverfes difpofitions
de notre corps nous portons fur les mê
mes objets , tout nous prouve à quel point
la plupart des acquiefcemens de l'ame dépendent
de la difpofition des Organes.
L'Auteur remarque encore que l'état habituel
de crainte & de réflexion n'eſt pas
la feule caufe qui faffe perdre aux orga
nes de la région diaphragmatique la foupleffe
qui leur eft néceffaire , & que tous
les défauts de régime , à les prendre la
plupart dès l'enfance , même dès le ber
ceau , doivent à la longue produire.leş
mêmes effets . L'efpèce d'irritation fourde
& de vicieufe fenfibilité que le défaut de
foupleffe de ces organes ne peut manquer
de produire , devient dans une infinité de
perlonnes , qui ne s'en doutent feulement
pas , la caufe d'un fond habituel d'inquiétude
fans aucun fujet , de ces goûts auffi
vifs que paffagers , enfin de toute forte
de paffions ou de fâcheufes illufions....
JUILLET. 1761 . 75
Lorfque ces objets manquent ou qu'on
eft ufé pour eux , ou qu'on croit devoir fel
les interdire , c'eft un hypocondriaciſme
infurmontable , formé par le doute perpétuel
où les perfonnes font de leur exiftence,
à cauſe du peu de fentiment qu'elles
éprouvent de leur activité. Les moindres
effets de cet état hypocondriaque , font
une vie timide , & par conféquent en proie
à toutes les illufions & à toutes les craintes,
parce que l'ame eft affectée comme fi les
objets étoient réels. Nous fommes fàchés
que les bornes d'un extrait nous empêchent
de luivre Auteur dans tous
ces détails fi intéreffans pour l'humanité.
C'est ici que ce favant Medecin
prouve qu'il ne connoît pas moins bien la
caufe , & les effets des maladies de l'ame
que de celles du corps
& que les premières
ne font peut être pas moins dangerenfes
que les autres. Cette expérience
ne fe peut prendre que dans le grand
monde où ces maladies , ignorées du peu
ple qui travaille , font les fuites de l'oifiveté
& des autres vices qui accompagnent
les richefles. Pour les foutiens convenables
de cette activité fi éffentielle à la vie ,
nous devons tendre fans ceffe ou d'iiéé
ou d'action à quelque objet qui nous intéreffe.
Nous lommes portés à dot.r de
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
notre exiſtence felon que nous manquons
de la difpofition ou d'objets qui nous la
font éprouver favorablement. C'eſt à ce
fujet que l'Auteur fait voir clairement l'utilité
morale des Sciences & des beaux
Arts, & par conféquent l'importance dont
il eft , principalement pour les bonnes
moeurs , que le goût des belles connoiffances
foit répandu. Ainfi fans fe l'être,
propofé , cet Auteur fi eftimable fait ſentir
par l'évidence de fes principes tout le
faux , & tout le ridicule de ces Paradoxes
bizarres qu'ont avancé contre les Sciences
l'orgueil d'une fauffe Philofophie , l'envie
de faire du bruit & l'efprit de fingularité..
Nous vivons au moins autant de defirs &
d'occupations que du pain que nous mangeons
& de l'air que nous refpirons : fans
les fenfations qui nous viennent continuellement
des objets de nos befoins &
de nos defirs , la tête n'auroit pas à beaucoup
près le reffort néceffaire pour entretenir
, & contrebalancer comme il convient
, le reffort & l'action de tous les autres
organes . C'eſt une vérité que l'on expofe
ici dans tout fon jour & qui juſqu'à
préfent n'avoit été que fuperficiélement
apperçue. Les hommes en général courent
au plaifir , comme à l'état le plus favorable
de leur éxiftence ; ils favent néanmoins
que
leurs plaifirs ne font dans le
JUILLET. 1761 : 77
1
fonds que les enfans de leurs befoins :
mais , fi le bonheur n'eft que l'Art de s'affurer
du meilleur fentiment poffible de notre
exiftence, les plaifirs ne peuvent être
confidérés que comme un ingrédient du
Bonheur , comme une des caufes éffentielles
au foutien de la vie. Cette caufe
produiroit même un effet contraire à fa
nature à proportion que l'ufage en feroit
éxceffif ou mal placé. Le plaifir n'eft produit
que par un plus parfait accord du
jeu de l'Economie Animale , c'eft une efpéce
d'uniffon d'autant moins durable
qu'il eft extrême, parce qu'il fufpend prèfqu'entiérement
l'action propre de tous les
organes. Cela feul prouve , indépendemment
de l'expérience , que les plaifirs vifs
deviennent pernicieux felon qu'ils font fréquens.
L'ambition elle - même eft un des
plus grands obftacles au bonheur. L'homme
eft naturellement dans un état craintif
parce qu'il ne renferme point en lui les
caufes de fon éxiſtence ; ſa ſubſiſtance l'inquiéte
, de là il fait des efforts continuels
pour tout envahir s'il eft poffible . Ainfi
l'ambition dans fon principe n'eft qu'un
fentiment d'inquiétude , qui le plus fouvent
ne fe forme que par les fuites de nos
préjugés fur les caufes du bonheur. L'am◄
bitieux ne s'apperçoit pas qu'avec ce tu-
Diij'
78 MERCURE DE FRANCE.
multe de defirs & de crainte dont il eft .
toujours agité , il ne fait dans le fond que
donner pâture à fon inquiétude , fous le
prétexte d'augmenter ou d'étayer fon éxiftence.
Au contraire, un homme d'un fens
droit & bien éclairé connoît fes devoirs
& les remplit avec un fuccès & un plaifir
qui ne peuvent manquer de s'augmenter
l'un par l'autre : de là un fonds de fatisfaction
qui flatte à remplir bien autrement
que les plus agréables fenfations de
toute autre efpéce. Il n'eft point en peine
de l'emploi & du renouvellement de fon
activité, chofe fi embaraffante pour la plûpart
des hommes.... La modération eft une
efpéce de théorie, qui fans ſpécifier les raifons,
forme à peu près l'art de vivre, commel'art
de vivre parvient à fon tour à donner
cette modération à ceux qui ne l'ont
pas par caractère.... L'Art d'être heureux
ne fauroit donc être que l'efprit de modération
& l'attention éclairée qui nous
fait ufer à propos des caufes de la durée
de la vie , & entretenir par là cet ordre
d'action & de réaction . Cette attention
foutenue & éclairée à remplir fes devoirs
de toute espéce , eft la fource la plus féconde
& la caufe la plus affurée de fenfations
, & de mouvemens propres à faJUILLET.
1761 .
79
vorifer l'harmoniephyfique
du corps . L'effet
de toutes ces fenfations agréables , réduit
à fa valeur phyfique , n'eft qu'un or
dre plus parfait du jeu réciproque du Dia
phragme & de la maffe inteftinale , puifque
le bonheur confidéré , comme il doit
Pêtre , n'eft qu'un fentiment favorable de
notre éxiftence , toujours produit & renouvellé
par une harmonie de fenfations qui
réfulte de l'ufage bien réglé des cauſes de
la vie.
Nous avions déjà de deux de nos Philofophes
François , des plus célébres , des
Traités fur le Bonheur. M. de Fontenelle ,
qui eft le premier , a fi bien pratiqué ce
qu'il a enfeigné aux autres , que par le cours
d'une vie réglée & tranquille il eft parvenu
à la plus grande vieilleffe fans en
avoir prèfque connu les infirmités . A la
modération , cette efpéce de théorie dont
nous avons parlé & qui faifoit fon caractère
, il a joint toutes les lumières de la
Philofophie : mais quelque poids qu'une
fi heureuſe expérience ajoute à fes réflexions
, il en convient lui - même dans
će qu'il a écrit : C'est la Sageffe qui prêche
dans le défert une petite troupe d' Auditeurs
qu'elle a choifis , parce qu'ils favoient déjà
une bonne partie de ce qu'elle peut leur
apprendre,
Div
So MERCURE DE FRANCE.
M. de Maupertuis , né moins heureufement
que M. de Fontenelle , &
& que fes
amis ( car il méritoit d'en avoir ) ont fouvent
plaint dans le temps que fes ennemis
l'ont le plus envié, M. de Maupertuis,
eft le fecond qui a entrepris de traiter du
Ponheur. Comment pouvoit - il l'enfeigner
? il ne l'a jamais connu . Il ne paroît
pas par fes calculs qu'il foit donné a la
Géométrie de le trouver. Nous enfeignera-
t- on l'Art d'être heureux en nous prouvant
que perfonne ne peut l'être ? le trifte
emploi pour la Philofophie que celui d'affliger
toujours l'humanité en pure perte !
L'Auteur des Réflexions Nouvelles eft
plus confolant , & que M. de Maupertuis
& que M. de Fontenelle lui - même. Ce
n'eft pas à un petit nombre de Sages qu'il
s'adreffe , c'eft à tous les Etres capables
de penfer & de réflechir. D'ailleurs il a
fur l'un & l'autre l'avantage de nous apprendre
des chofes que nous ne favions.
pas , & qu'il nous importe à tous de connoître.
On a vu que c'eft un Phyficien qui
démontre la néceffité de ce que tant de
Philofophes ont entrepris inutilement de
nous perfuader. On peut trouver la Morale
arbitraire , mais on ne peut fe refufer
à l'évidence des principes Phyfiques.
Nous favions bien tous que les fources de
JUILLET. 1761 .
81
' notre bonheur font au - dedans de nousmêmes
; ce Médecin Philofophe nous en
découvre le principal canal en éclairant
du flambeau de l'Anatomie , tout le jeu
de l'Economie Animale. Il nous fait voir
que pour vivre heureux ( & l'honnête
homme feul peut l'être ) rien n'eft fi éffentiel
que d'entretenir dans un jufte équilibre
le jeu refpectif du principal centre de
notre activité ; & il nous en indique les
moyens bien autrement préfentés & évalués
qu'ils ne l'avoient été jufqu'à préfent.
Il étoit réſervé à la faine Philofophie
de ce Siécle de tirer des connoiffances
Phyfiques , les inftructions les plus
propres à faire germer & fructifier les
Préceptes de la Morale.
Nous donnerons au prochain Mercure
l'Extrait du Difcours fur la nature & le
fondement du pouvoir Politique.
LETTRE de M. DE VOLTAIRE.
SIC YOS
IC vos non vobis. Dans le nombre
immenfe de Tragédies , Comédies, Opéra-
Comiques , Difcours Moraux & Facéties
au nombre d'environ cinq cent mille qui
-font l'honneur éternel de la France , on
vient d'imprimer une Tragédie fous mon
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
nom , intitulée Zulime ; la Scène est en
Afrique. Il eft bien vrai qu'autrefois
ayant été avec Alzire en Amérique ; je
fis un petit tour en Afrique avec Zulime
avant d'aller voir Idamé à la Chine :
mais mon voyage d'Afrique ne me réuffit
point. Prèfque perfonne dans le Parterre
ne connoiffoit la ville d'Arfénie qui étoit
be lieu de la Scène ; c'eft pourtant une Colonie
Romaine nommée Arfenaria , &
c'eft encore par cette raiſon- là qu'on ne
la connoiffoit pas.
Trémizène eſt un nom bien fonore, c'eſt
un joli petit Royaume, mais on n'en avoit
aucune idée ; la Piéce ne donna nulle envie
de s'informer du giffement de ces Côtes.
Je retirai prudemment ma flotte ; &
que defperat tractata nitefcere poffe relinquit.
Des Corfaires fe font enfin faifis de
la Pićce & l'ont fait imprimer ; mais par
droit de conquête ils ont fupprimé deux
ou trois cent vers de ma façon & en ont
mis autant de la leur : je crois qu'ils ont
très -bien fait ; je ne veux point leur voler
leur gloire , comme ils m'ont volé mon
ouvrage. J'avoue que le dénoûment leur
appartient , & qu'il eft auffi mauvais que
l'étoit le mien : les Rieurs auront beau
jeu , car au lien d'avoir une Piéce à fiffler
, ils en auront deux.
JUILLET. 1761. 83
Il eft vrai que les Rieurs feront en petit
nombre , car peu de gens pourraient
lire les deux Piéces ; je fuis de ce nombre ;
& de tous ceux qui prifent ces bagatelles
ce qu'elles valent , je fuis peut- être celui .
qui y met le plus bas prix. Enchanté des
chefs d'oeuvres du fiécle paffé autant que
dégoûté du fatras prodigieux de nos médiocrités
, je vais expier les miennes en
me faifant le Commentateur de Pierre
Corneille. L'Académie a agréé ce travail ;
je me flatte que le Public le fecondera ,
en faveur des héritiers de ce grand nom.
Il vaut mieux commenter Heraclius
que de faire Tancréde , on rifque bien
moins. Le premier jour que l'on joua ce
Tancréde , beaucoup de Spectateurs étoient
venus armés d'un manufcrit qui couroit
le monde , & qu'on affuroit être mon ouvrage
; il reffembloit à cette Zulime.
C'eft ainfi qu'un honnête Libraire "
nommé Goffe , s'avifa d'imprimer une
histoire générale qu'il affuroit être de
moi, & il me le foutenoit à moi-même :
il n'y a pas grand mal à tout cela :
quand on véxe un pauvre Auteur , les
dix-neuf vingtiémes du Monde l'ignorent
, le reste en rit , & moi auffi . Il y a
trente à quarante ans que je prenois férieufement
la chofe. J'étois bien fot !
Adieu , je vous embraffe . D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
COLLECTION de différentes Piéces, concernant
la Chirurgie , l'Anatomie , & la
Médeciné Pratique , extraites principalement
des Ouvrages étrangers. Tome
Premier. In- 12 . Paris , 1761. Chez le
Beton , Imprimeur ordinaire du Roi, rue
de la Harpe.
DUCHESNE , Libraire à Paris , rue faint
Jacques , au Temple du Goût , met en
vente trois volumes de Supplément au
DICTIONNAIRE GÉNÉALOGIQUE de toutes
les Maifons de France & des principales.
des Pays Étrangers , Contenant de nouveaux
Mémoires avec les corrections , additions
& augmentations néceſſaires aux
trois premiers publiés en 1757. Ces trois
nouveaux volumes fe vendent 13 i . 10 f.
brochés.
Le même Libraire donnera tous les
ans , & à commencer au mois de Janvier
1762 , dans un petit volume portatif , le
Calendrier des Princes & de la Nobleffe ,
ne contenant que l'état actuel des familles
nobles de France . Elles font priées
de lui donner avis ( franc de port ) des
changmens qui arriveront chaque année
, fçavoir , mariages , naiffances &
morts,
JUILLET. 1761. 8,
. Avis des Libraires affociés , touchant
la Soufcription propofée pour la Collection
des OEuvres de M. le Chancelier d'AGUESSEAU
, en plufieurs volumes in- 4 ° .
Le nom feul de l'illuftre Magiftrat ,
fçavant en tout genre de Littérature , qui
eft à la tête de cette Collection , fait l'éloge
de l'Ouvrage entier ; & l'on ne craint
pas d'ajouter , que les différentes Piéces
dont elle fera compofée , à en juger par
le premier Volume que nous préfentons
au Public , font autant de Chefs - d'oeuvres
qui peuvent faire regarder leur Auteur
comme le Démosthène & le Cicéron de la
France. Les Maîtres d'Eloquence & les
Jurifconfultes y trouveront partout des
modéles , & fouvent d'utiles leçons . On
y verra le portrait du grand Homme
tracé , pour ainfi dire , d'après nature ,
foit pour le coeur , foit pour l'efprit &
pour les connoiffances. Enfin , les gens
de Lettres de tout état , trouveront l'agréable
qui flatte , le fublime qui tranfporte
, & l'utile qui inſtruit .
Il ne nous eft pas poffible de déterminer
, quant à préfent , le nombre des Volumes
que contiendra cette Collection .
Quoiqu'il en foit , chaque Volume aura
au moins Quatre-vingt feuilles d'impreffion
, des mêmes Caractères & Papier que
86 MERCURE DE FRANCE..
ce premier Volume ; & l'on peut promettre
la plus grande exactitude , & la correction
la mieux entendue .
Ceux qui voudront foufcrire , en recevant
le premier Volume payeront , tant
pour ledit Volume que pour le fuivant
la fomme de Dix- huit livres , qui eſt à
raifon de Neuf livres chaque Tome en
feuilles pour les Soufcripteurs. En retirant
le fecond , il fera payé Neuf livres pour le
troifiéme, & ainfi fucceffivement ; & l'on
n'aura rien à payer pour retirer le dernier
Volume.
Nous avertiffons que l'on ne recevra
des Soufcriptions que jufqu'à la livraiſon
du fecond Volume .
Le premier Volume fe diftribue maintenant.
Le fecond fe délivrera aux Soufcripteurs
le premier Septembre prochain ;
le troifiéme au premier Mars 1762 ; &
les fuivans s'imprimeront confécutivement
fans interruption.
Les perfonnes qui voudront foufcrire ,
pourront s'adreffer à Paris chez Defaint &
Saillant , rue S. Jean de Beauvais , Jean-
Thomas Hériffant , rue S. Jacques , Savoye
, rue S. Jacques , Simon , Imprimeur ·
du Parlement , rue de la Harpe, Durand,
fue du Foin Saint Jacques. 1761 .
JUILLET. 1761 .
87
BIBLIOTHEQUE choifie de Médecine
tirée des Ouvrages périodiques , tant
François qu'Etrangers , avec plufieurs Pićces
rares , & des Remarques utiles & curieufes.
Avec un très- grand nombre de
Figures gravées en Taille - doce. Par M.
Planque , Docteur en Médecine.
L'objet de l'Auteur , en formant ce
Corps d'Ouvrage , a été de raffembler les
plus excellens morceaux qui regardent
toutes les parties de la Médecine. Les
fources où il a puifé font les Journaux
& les Recueils que publient chaque années
les Sociétés fçavantes de l'Europe. Il
a fait revivre un grand nombre de pièces
intéreffantes , qui noyées dans une infinité
d'autres piéces de différens genres, étoient
inconnues & perdues pour la Médecine.
Ce ne font point des productions mifes
au jour pour fonder le goût du Public ; ce
font des Obfervations rares & fingulières,
qui font le fruit des veilles & de l'expérience
des Génies les plus confommés
dans la Science de la Médecine & de la
Phyfique : Ce font des Differtations fçavantes
, qui n'ayant point affez d'étendue
peur former un Volume , ont pris place
dans la récolte précieufe des Journaux.
La feconde fource où l'Auteur a puifé ,
n'eft pas moins précieufe ; ce font les cé
88 MERCURE DE FRANCE.
lébres Académies qui ont répandu dans
l'Europe des tréfors ineftimables. Les Mémoires
qui en fortent , font d'autant plus
parfaits, que les Auteurs font très - éclairés
& très- verfés dans les matières qu'ils
traitent ; car chaque Membre de ces Académies
ont pour objet de leur application
, une des parties de la Médecine ,
comme l'Anatomie, la Chirurgie , la Chymie
, la Botanique , & c . D'ailleurs, les fecours
qu'ils empruntent de leurs Collégues
, ne contribuent pas peu à perfectionner
leur Ouvrage ; car les Sciences
Le prêtent mutuellement la main , & ont
entr'elles une liaifon réciproque Par
exemple , fans la Phyfique & la Méchanique
, l'Anatomie feroit peu utile dans
l'Art de guérir. Qu'apprend-t- on en difféquant
un cadavre ? On voit des os , des
tendons , des mufcles , des glandes , du
fang, des poumons & un coeur ? Mais un
Anatomifte , avec les yeux d'un Méchanicien
, apperçoit des colonnes , des cordages
, des coins , des leviers , des poulies,
des foufflets , des tuyaux, des liqueurs
qui y coulent , & un pifton qui les pouffe.
En admirant les phénomènes qu'il voic
dans la machine vivante , il reconnoît
qu'ils n'ont d'autres principes , que le jeu
l'activité de fes refforts ; parce qu'il ſair
JUILLET. 1761 89
que tout étant vivant , tout y doit être en
action ; que la moindre fibrile a fon reffort
, que la moindre particule a fon mouvement
; & que c'eft de ces mouvemens
réunis , que procéde ce concert d'actions ,
cet équilibre , cette harmonie qui conftitue
l'intégrité de l'économie animale . En
effet , fans ces connoiffances on ne fauroit
faire des progrès dans l'Art de guérir ;
on ne peut rétablir ce qui eft défectueux
dans l'homme , fans connoître les fecrets
refforts de la machine vivante , fans appercevoir
leur rapport & leur liaifon .
Lorſqu'on eft éclairé par la Phyfique ,
& par les Mathématiques , dont plufieurs
parties font néceffaires au progrès de la
Médecine , comme la Géométrie , la Méchanique
, l'Hydroftatique , l'Hydraulique,
l'Optique ; lorfqu'on connoît la ftructure
du corps , la forme , la fituation , l'ufage
& les fonctions des parties par rapport à
la vie & à la fanté ; ces lumières conduifent
à la connoiffance du dérangement de
la machine ; on eft en état de juger de la
grandeur des défordres qui s'y font , &
l'on fe trouve à portée de proportionner
les moyens de les détruire. Mais la méthode
générale , fans le fecours des expériences
& des obfervations , ne peut faire
un Praticien parfait. L'hiftoire exacte des
gó MERCURE DE FRANCE.
maladies fait découvrir les fecrets de la
nature , fait connoître la force , la vertu
& l'ufage des remédes , & guide dans la
façon de les adminiftrer , & de les dif
penfer ; auffi n'y a- t-il pas d'ouvrage plus
utile en Médecine que les Obfervations .
Mais combien de talens , combien de
connoiffances ne faut- il pas pofféder , pour
donner des Obfervations exactes & folides
Ce n'est que des Sociétés fçavantes
, qui réuniffent dans leurs Membres
toutes ces connoiffances , ou de quelques
Particuliers qui ont fait une étude conftante
& fuivie de certains points de la
Médecine , qu'on peut attendre de pareilles
productions ; & ce qui achève de
prouver la folidité des Mémoires des Académiciens
, c'eft que quoiqu'on puiffe
compter fur la vigilance & l'exactitude
de chaque Membre en particulier, il n'en
fort point de pièce , qu'elle n'ait été lue
& examinée dans leurs Affemblées , & que
la Compagnie n'air donné fon confentement
pour l'impreffion . Peut- il échapper
tien de défectueux à des yeux fi clair-
Voyans ?
Ce font ces Matériaux précieux qui for
ment le Corps de la Bibliothéque choifie
de Médecine. La plupart des piéces font
fuivies de Remarques curieufes qu'on a tiJUILLET.
1761 . ១ ៛
rées des meilleurs Praticiens , & qui com
battant & confirmant le fentiment de l'Auteur,
ne fervent pas peu à l'éclairciffement
de la matière.
On peut donc dire avec affurance , que
la Bibliothéque choifie de Médecine n'a
pas besoin d'autre éloge , pour en faire
connoître l'avantage & même la néceffité
, que d'annoncer les deux fources d'où
on l'a tirée ; que ce font des morceaux
rares , recherchés , intéreffans , enfantés
par les plus grands génies de leur fiécle ;
que ce font des Mémoires nés aux acclamations
de tout le monde fçavant ; que
cette Collection épargne le temps fi précieux
à ceux qui s'appliquent aux Scien
ces ; qu'elle ménage la peine des recher
-ches que cchhaaccuunn nn''aa pas occafion de faifurtout
dans les Provinces ; & que
l'acquifition en eft facile. Ne peut - on
pas fe flatter que cet Ouvrage paroiffant
au jour muni dé fi excellentes & de fi
fûres prérogatives , fera reçu favorablement
?
A
On l'a terminé par deux Tables ; une
- des Titres des Piéces , dans le même ordre
qu'elles font dans les originaux , avec
le chiffre à la marge , qui indique la page
où elles font placées dans la Bibliothéque
choifie ; l'autre eft une Table raiſon96
MERCURE DE FRANCE.
nature ,
maladies fait découvrir les fecrets de la
fait connoître la force , la vertu
& l'ufage des remédes , & guide dans la
façon de les adminiftrer , & de les dif
penfer ; auffi n'y a- t-il pas d'ouvrage plus
utile en Médecine que les Obfervations .
Mais combien de talens , combien de
connoiffances ne faut- il pas pofféder,pour
donner des Obfervations exactes & folides
? Ce n'est que des Sociétés fçavantes
, qui réuniffent dans leurs Membres
toutes ces connoiffances , ou de quelques
Particuliers qui ont fait une étude conf
tante & fuivie de certains points de la
Médecine , qu'on peut attendre de pareilles
productions ; & ce qui achève de
prouver la folidité des Mémoires des Académiciens
, c'eft que quoiqu'on puiſſe
compter fur la vigilance & l'exactitude
de chaque Membre en particulier, il n'en
fort point de pièce , qu'elle n'ait été lue
& examinée dans leurs Affemblées , & que
la Compagnie n'ait donné fon confentement
pour l'impreffion . Peut- il échapper
rien de défectueux à des yeux fi clairvoyans
?
- Ce font ces Matériaux précieux qui for
ment le Corps de la Bibliothéque choifie
de Médecine. La plupart des piéces font
fuivies de Remarques curieufes qu'on a tiJUILLET.
1761. ១ ៖
rées des meilleurs Praticiens , & qui com
battant & confirmant le fentiment de l'Adteur,
ne fervent pas peu à l'éclairciffement
de la matière .
On peut donc dire avec affurance , que
la Bibliothéque choifie de Médecine n'a
pas besoin d'autre éloge , pour en faire
connoître l'avantage & même la néceffité
, que d'annoncer les deux fources d'où
on l'a tirée ; que ce font des morceaux
rares , recherchés , intéreffans , enfantés
par les plus grands génies de leur fiécle ;
que ce font des Mémoires nés aux acclamations
de tout le monde fçavant ; que
cette Collection épargne le temps fi pré
cieux à ceux qui s'appliquent aux Scien
ces; qu'elle ménage la peine des recher
-ches que chacun n'a pas occafion de fai-
-re , furtout dans les Provinces ; & .que
J'acquifition en eft facile. Ne peut - on
pas fe flatter que cet Ouvrage paroiffant
au jour muni de fi excellentes & de fi
fûres prérogatives , fera reçu favorablement
?
On l'a terminé par deux Tables ; une
des Titres des Piéces , dans le même ordre
qu'elles font dans les originaux , avec
le chiffre à la marge , qui indique la page
où elles font placées dans la Bibliothéque
choifie ; l'autre eft une Table raiſon90
MERCURE DE FRANCE.
maladies fait découvrir les fecrets de la
nature , fait connoître la force , la vertu
& l'ufage des remédes , & guide dans la
façon de les adminiftrer , & de les dif
penfer ; auffi n'y a- t- il pas d'ouvrage plus
utile en Médecine que les Obfervations.
Mais combien de talens , combien de
connoiffances ne faut- il pas pofféder, pour
donner des Obfervations exactes & folides
Ce n'eft que des Sociétés fçavantes
, qui réuniffent dans leurs Membres
toutes ces connoiffances , ou de quelques
Particuliers qui ont fait une étude conf
tante & fuivie de certains points de la
Médecine , qu'on peut attendre de pareilles
productions ; & ce qui achève de
prouver la folidité des Mémoires des Académiciens
, c'est que quoiqu'on puiffe
compter fur la vigilance & l'exactitude
de chaque Membre en particulier, il n'en
fort point de pièce , qu'elle n'ait été lue
& examinée dans leurs Affemblées , & que
la Compagnie n'air donné fon confentement
pour l'impreffion . Peut- il échapper
rien de défectueux à des yeux fi clairvoyans
!
Ce font ces Matériaux précieux qui for
ment le Corps de la Bibliothéque choifie
de Médecine. La plupart des piéces font
fuivies de Remarques curieufes qu'on a ti
JUILLET. 1761 : 97
rées des meilleurs Praticiens , & qui com
battant & confirmant le fentiment de l'Adteur,
ne fervent pas peu à l'éclairciffement
de la matière.
On peut donc dire avec affurance , que
la Bibliothéque choifie de Médecine n'a
pas besoin d'autre éloge , pour en faire
connoître l'avantage & même la néceffité
, que d'annoncer les deux fources d'où
on l'a tirée ; que ce font des morceaux
rares , recherchés , intéreffans , enfantés
par les plus grands génies de leur fécle ;
que ce font des Mémoires nés aux acclamations
de tout le monde fçavant ; que
cette Collection épargne le temps fi précieux
à ceux qui s'appliquent aux Scien
ces ; qu'elle ménage la peine des recher
-ches que chacun n'a pas occafion de faire
, furtout dans les Provinces ; & .que
J'acquifition en eft facile. Ne peut - on
pas fe flatter que cet Ouvrage paroiffant
au jour muni de fi excellentes & de fi
fûres prérogatives , fera reçu favorablement
?
On l'a terminé par deux Tables ; une
des Titres des Piéces , dans le même ordre
qu'elles font dans les originaux, avec
le chiffre à la marge , qui indique la page
où elles font placées dans la Bibliothéque
choifie ; l'autre eſt une Table raiſon32
MERCURE DE FRANCE.
née des matières qui font contenues dans
cette Collection .
On a confulté la commodité du Publié
en imprimant cet Ouvrage fous deux for
mes in-4° . & in - 12 . On a cru auffi le
rendre plus commode en rangeant les
matières du Corps de l'Ouvrage par or
dre alphabétique
.
Il y a au jour fix Volumes in- 4 ° . le
feptiéme fous preffe ; & dix - huit Volu
mes in- 1 2. le dix-neuviéme & les fuivans
font fous preffe .
Ce Livre s'imprime & ſe vend à Paris
chez la Veuve d'Houry , Imprimeur-Libraire
de Mgr le Duc d'ORLÉANS , rue
S. Severin , près la rue S. Jacques.
CÉRÉMONIES & Coutumes Religieuſes
de tous les Peuples du monde , ornées de
254 Planches déffinées & gravées par
Bernard Picard , neuf Volumes in-folio ,
& Superftitions anciennes & modernes :
Préjugés vulgaires qui ont induit les Peuples
à des ufages & à des pratiques contraires
à la Religion , deux Volumes infolio
, avec des Figures qui repréfentent
ces pratiques . Onze Vol. in - fol. propofés
par foufcription.
L'Hiftoire générale des Cérémonies ,
Mours &CoutumesReligieufes eft un fujet
JUILLET. 1761 . 93
auffi vafte qu'intéreffant , & qui dans l'éxécution
ne pouvoit manquer de devenir
infiniment amufant & inftructif. Il ne fe
borne pas à certain Peuple en particulier ;
il embraffe tous les divers fyftêmes de Religion
qui partagent les différentes Nations
de la terre . L'Indien & l'Européen ,
le Négre du Congo , comme le Sauvage
du Canada , le Juif & le Mahométan , le
Chrétien & l'Idolâtre , le Catholique &
le Proteftant entrent néceffairement dans
ce plan , & doivent y paffer fucceffivement
en revue. Aucun Peuple connu , aucune
Secte , quelque obfcure qu'elle foit ,
n'y eft oubliée . On y expofe la doctrine de
chacune en particulier , on difcute fon
origine & fes progrès , on repréfente fa
difcipline & fon gouvernement, on décrit
fes pratiques & fes cérémonies . Enfin , en
donnant ainfi une idée des ufages que les
différens Peuples obfervent dans leurs
actes de Religion , on faitenfquelque forte
l'Hiftoire générale des moeurs & des inclinations
de toutes les Nations du monde ;
parce que le génie de chacune d'elles fe
caractériſe dans le culte qu'elles rendent
à l'objet de leur vénération .
Nous ne nous étendrons pas davantage
fur le mérite & l'utilité de cet Ouvrage ;
il eft connu , & la réputation eft faite de94
MERCURE DE FRANCE.
puis plus de quarante ans. Nous propofons
aujourd'hui par Soufcription le petit nom
bre d'Exemplaires qui en teftoit en Hollande
, & que nous avons acquis avec les
Planches originales de Picard. Ces Planches
ont été gravées avec tant d'art &
tant de foin , qu'elles paroiflent auffi fraî
ches & auffi belles que fi elles n'avoient
pas encore fervi. C'eſt une vérité dont on
pourra fe convaincre en prenant la peine
d'en venir, voir les dernieres épreuves tirées
, chez le fieur Tilliard , Libraire
quai des Auguftins , l'un des Affociés.
Sujets traités dans les différens volumes
des Cérémonies Religieufes.
TOMES I. & II.
Differtation préliminaire fur le Culte
religieux , Cérémonies & Coutumes qui
s'oblervent parmi les Juifs ; Cérémonies
de l'Eglife Catholique , Mémoires hiftoriques
concernant les Inquifitions , & c. & c .
TOME III.
Cérémonies & Ufages des Grecs & des
Proteftans , avec une Differtation fur les
premieres révolutions de Religion au
commencement du XVI . fiécle .
TOME IV.
Les Anglicans & leurs Ulages , avec
·JUILLET. 1761 .
95
quelques Diflertations fur les Sees des
Anabaptiftes , des Quaquers &c . & c.
TOME V.
Le
Mahométiſme & tout ce qui le concerne
.
TOME VI. & VII.
Les Idolâtres de l'Amérique & des Indes
Orientales , contenant la Théologie
des Banians , la Difcipline des Bramines
de la Côte de
Coromandel , les Cérémonies
Religieufes des Peuples de la Tartarie
, de la Chine, du Japon , de l'Afrique,
de l'Amérique , & c. &c.
TOME VIII.
Differtations hiftoriques fur la Difcipline
& les Rits de l'Eglife Catholique ,
fur les Ordres Militaires , fur le Sacre &
le
Couronnement des Rois , & c. & c.
TOME IX.
Paralléle hiftorique des Cérémonies
Religieufes de tous les Peuples du monde.
Conditions de la
Soufcription .
On pourra fouferire jufqu'au premier
Mars de l'année 1762 .
On obfervera que du 1
Novembre
1761 , au 1 * Mars 1762 , l'exemplaire de
vra être retiré entier & payé en un feul
payement.
On aura la liberté de prendre enfem96
MERCURE DE FRANCE.
ble ou féparément les Cérémonies Reli
gieufes , & les Superftitions en petit papier.
Prix en Feuille.
Les Cérémonies Religieufes & les Superftitions
, onze Volumes in-folio, grand
papier.
450
liv.
On payera
en foufcrivant
, 96 liv. en
recevant
les s premiers
Vol. au 1 Août
1761
, 177
liv. en recevant
les 6 derniers
Vol
. au
Nov.
fuiv
. 177
l . Total
, 450
l .
Les
Cérémonies
Religieufes
& les Superftitions
, onze
Volumes
in folio
, petit
papier
.
220 liv.
On payera en foufcrivant
, 48 liv. en
recevant les s premiers Vol . au 1 ' Août
1761 , 86 liv. en recevant les 4 derniers
Vol. au 1 Nov. fuiv. 66 1. Total , 220 1.
Les Cérémonies Religieuſes feules , neuf
Volumes in-folio , petit papier , 180 liv.
On payera en foufcrivant , 48 liv. en
recevant les s premiers Vol. au 1 ' Août
1761 , 66 liv. en recevant les 4 dern. Vol.
au 1 Nov. fuiv. 66 liv. Total , 180 liv.
Les Superftitions , deux Volumes in-folio
, petit papier , féparément. 60 liv.
Chacun des fix premiers Volumes des
Cérémonies , en grand papier à
Les mêmes en petit papier à
45
liv.
30
liv.
Les
JUILLET. 1761 . 97
Les Tomes huit & neuf, grand papier
feulement enfemble , 81 liv .
Ceux qui voudront jouir plus promptement
de l'Ouvrage, auront la liberté de
retirer l'Exemplaire complet à la fin du
mois d'Août , en faifant les trois payemens
en un feul.
Après l'expiration du terme fixé pour
foufcrire , les Cérémonies Religieufes &
les Superftitions , onze Volumes in -folio ,
grand papier,feront vendus 600 liv . & en
petit papier 300 liv.
Les perfonnes qui voudront fouferire
pourront s'adreffer à Paris , chez David ,
Libraire , rue des Mathurins ; Durand ,
Libraire , rue du Foin ; Tilliard , Libraire
quai des Auguſtins ; Davitz, Libraire , quai
des Auguftins , & Debure le jeune , Libraire
, quai des Auguftins.
La magnifique PLANCHE deffinée & gravée
par Bernard Picard , & qui fert de
frontispice aux Cérémonies Religieufes
&c. fe vend féparément ; elle fe trouve à
Paris , chez le fieur Tilliard , Libraire ,
quai des Auguftins , auquel elle appartient
particuliérement. Les épreuves font trèsbelles
, & tirées avec beaucoup de foin
par une main habile , fur du beau & grand
papier d'Hollande. Le prix eft de 9 livres,
II. Vole
E
8 MERCURE DE FRANCE.
BIBLIOTHEQUE portative des Peres de
'Eglife ; qui renferme I. l'Hiftoire abrégée
de leur vie ; II. l'Analyfe de leurs principaux
Ouvrages ; III. les endroits les plus
remarquables de leur Doctrine fur le
Dogme , la Morale & la Diſcipline ; I V.
les plus belles Sentences fpirituelles contenues
en leurs Ecrits : Ouvrage utile à
MM. les Eccléfiaftiques , & même à tous
les Fidéles qui defirent s'inftruire à fonds
de leur Religion. Par M. *** Tome V I.
Contenant Théodoret , S. Léon , Pape , S.
Céfaire d'Arles & S. Grégoire , Pape , Vol.
in-8°. 4 1. en feuilles , & s 1. relié. Pour
fervir de fuite au Dictionnaire Apoftolique.
A Paris , chez Auguftin- Martin Lotin
, l'aîné, Libraire & Imprimeur de Mgr
le Duc de BERRY , rue S. Jacques , près S.
Yves au Coq. 1761. Avec Approbation &
Privilége du Roi. Le feptiéme Volume eft
fous- Preffe .
S
JUILLET. 1761. 99
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIES.
DISCOURS qui a été préſenté à l'Académie
des Jeux Floraux de Toulouse ,
pour concourir au Prix affigné pour
l'année 1761 , fur ces paroles : La lumière
des Lettres n'a- t- elle pas plus fait
contre la fureur des duels, que l'autorité
des Loix ?
NOUS ous apprenons des monumens de
T'Hiftoire, que la Poefie & l'Eloquence ont
été le lien principal des plus paifibles fociétés.
La droiture du coeur qu'elles infpirent,
l'élévation des fentimens , la politeffe
& l'humanité , fi naturelles aux Cultivateurs
des Beaux - Arts , ont profcrit du
Commerce du monde ces maximes fangninaires
, que le préjugé de plufieurs fiécles
y avoit confacrées fous le nom de
l'Honneur.
Le duel, ce fleau de la Société, ce monf-
E ii
Too MERCURE DE FRANCE.
•
Tre odieux , qui ne refpire que les homici
des & qui les exécute , qui fait couler des
larmes & qui s'y baigne , qui verfe le fang
& qui s'en nourrit : le duel fous le mafque
de la Bravoure , faifoit autrefois impunément
les plus triftes ravages , & fe portoit
à des excès qui font l'opprobre de l'humanité.
Les Loix , par leur févérité , tentérent
vainement d'étonner ce crime , de remertre
la valeur dans un ufage légitime , & de
ramener nos Gladiateurs à une fage modération
mais elles éprouverent toujours
leur impuiflance. Comme elles ne font ces
Loix, qu'une régle fuperficielle qui dirige
l'action fans lui donner l'âme , un frein qui
affujettit le dehors , fans le confentement
de la volonté , elles ne firent que brifer
les premiers flots de la colère , ôter pour
un tems le glaive de la main , fans défarmer
le coeur.
Il n'étoit réfervé qu'à la lumière des Lettres
, dont l'Empire paifible fonde l'autorité
des loix fur la douceur des moeurs ,
de produire ces effets ; fon afcendant fur
l'efprit & fur le coeur , eft d'autant plus
puiffant, qu'il le fait moins fentir.L'homme
indocile le révolte toujours contre l'autorité
des loix ; mais il fe trouve agréablement
forcé de fe rendre aux charmes féJUILLET.
1761 . lar .
duifans de la lumière des Lettres .
Le Corps Politique d'un Etat doit plutôt
fa fûreté à la politeffe qui régne parmi les
Membres qui le compoſent , qu'à la fageffe
des Loix qui le dirigent, & à l'attention .
foutenue du Légiflateur . Que feroit - ce en
effet que tout cet amas de Peuples , deVilles
, & de Provinces enveloppées fous une
même légiflation, qu'une confufion de Puiffance
, embarraffante pour le Prince , onéreufe
aux fujets , principalement fi la lumiè
re des Lettres, qui eft le fruit de la Raiſon
la plus épurée , ne méloit pas fes douceurs
aux amertumes d'une foumiffion forcée ?
Ne cherchons pas loin de nous la preuve
de cette vérité. La France qui depuis
plufieurs fiécles , avoit des loix fixes , des
maximes certaines , une conduite fuivie
n'eft parvenue à bannir de fon fein la
fureur du duel , qu'après que la lumière
des Lettres a diffipé le préjugé du faux
point d'honneur , & réveillé dans le coeur
des Cultivateurs des Arts , les fentimens
de l'humanité . C'eft alors que les moeurs
fe font adoucies , que cet air dur & farouche
, que l'exercice des armes y avoit
entretenu , & que les loix n'avoient pú
détruire , s'eft diffipé ; que la Nation enfin
eft parvenue à ce haut point de fupériorité,
qui la fait regarder comme la
E. iij
102 MERCURE DE FRANCE
premiere Monarchie du Monde.
Mais pour prouver avec ordre , comment
la lumière des Lettres a plus contribué
que l'autorité des loix, à diffiper le
faux préjugé du point d'honneur , jettons
rapidement les yeux fur les Faftes de
la France , & remontons à ces temps
malheureux , où un déluge des Barbares
fortis des régions fauvages du Nord , tel
qu'un fleuve qui fe déborde , inondérent
fucceffivement nos Provinces , ne laiffant
après eux que les traces fanglantes de
leur paffage, renverfant avec un brutal emportement
les Monumens les plus précieux
de l'Antiquité , & l'amas de ce que les
Sciences & les Arts y avoient produit de
plus exquis pendant plufieurs fiècles.
Les Francs , Peuples fiers & belliqueux,
après avoir envahi l'Empire Romain , & fait
la conquête des Gaules , y introduisirent
avec leurs moeurs , une efpéce de férocité
inféparable d'une Nation noarrie depuis
longtemps dans le fracas des armes ,
& dans la licence des combats . L'ignorance
, triſte fruit de la diffipation de la
guerre ; les leçons qu'ils donnoient aux
jeunes gens qu'ils ( a ) émancipoient ;
( a )Tunc in ipfo Concilio vel principum aliquis
, vel pater vel propinquus fcuto frameâque
juvenem ornat.... Hic primus juvenis honos . Ante
hoc domus pars , mox Reipublicæ. Tacit. de morib,
Germanorum .
JUILLET. 1781 103
leurs Loix , qui fembloient ne connoître ,
comme dans l'ancienne Lacédémone
d'autres vertus que les vertus militaires ,
d'autres crimes que la lâcheté (b) ; tout
cela avoit répandu fur l'efprit de la Nation
je ne fçai quel air de licence , toujours
fatal á la politeffe , & éffacé jufques
au fouvenir de ce gouvernement fage
, dirigé par la prudence , & de ces loix
dictées par le bon fens qui avoient fi longtemps
foutenu l'Empire Romain .
Le préjugé du point d'honneur , qu'ils
regardoient comme un devoir d'Etat & de
Religion , les portoit aux plus noirs deffeins
de la vengeance . l'Epée qui éft la défenſe
des Sujets , devenoit entre les mains des
Sujets même , l'inftrument de leur propre
ruine. Le meurtre étoit confondu avec le
devoir. L'injure feule avoit le droit de réparer
l'injure (c) ; l'intérét le plus léger (d)
( b ) Si par défaut de courage, quelqu'un fe défiftoit
du combat , il étoit privé du droit de fucceffion
, & devenoit comme étranger à fa propre
famille en punition de fon peu de courage. Loi
Salique , tit. 63.
( c ) Les Francs n'avoient pas de Magiftrats pendant
la paix. De ce defaut d'autorité dans le chef,
& de cette indépendance dans les Membres , nailfoit
la coutume de le faire juſtice à foi- même.
Tacit de moribus German.
( d) Le combat étoit en ufage pour toute forte
E iv
104 MERCURE DE FRANCE:
une parole peu réfléchie , un fimple gel
te , un figne de mépris devenoit le fignal
de la révolte . Ni les égards de l'amitié , ni
les liens de la chair & du fang , ni l'amour
de la vie , rien n'étoit capable de tempé
rer la chaleur de ces efprits accoutumés à
une politique toute guerriére , qui ne connoifloit
d'autre Loi que celle du plus fort .
Les amis révoltés s'armoient contre les
amis ; les parens prenoient les armes contre
les parens ; tels que ces enfans de la
terre , qui avoient refpiré la mort dès le
berceau, ils couroient tous à la vengeance;
& plus les mains étoient fouillées , plus la
victime étoit précieuſe .
Les Loix Civiles qui auroient dû reprimer
ces abus , ne fervirent qu'à les perpétuer
& à leur donner plus de cours. The
mis ne pefoit plus les différends à la balance
; elle ne les décidoit qu'à la pointe
de l'épée. La foibleffe ou la mort d'un
Gladiateur étoit regardée comme la
preuve juridique de l'innocence de l'autre
( e) ; & fouvent pour fe venger d'un
de demandes ; il fuffifoit que la valeur fût de
douze deniers . Beaumanoir , ch . 63. p. 315.
. ( e ) Les Francs prenoient toujours l'événement
du combat pour un Arrêt de la Providence , toujours
attentive à punir le Criminel. Efprit des
Loix , T. 3. p. 305.
JUILLET. 1761. 105
coupable , on faifoit périr mille innocens.
Je parle felon l'exacte vérité ; le fang
étoit répandu comme l'eau ; un meurtre
étoit bientôt fuivi d'un nouveau meurtre.
Le Vainqueur fe voyoit obligé de préter
le flanc à de nouveaux aggreffeurs : femblable
à ces athlètes , où celui qui quittoir
la lice , donnoit fon flambeau à fon fucceffeur
(f) , le fils prenoit la place du père
bleffé ; le frère fuccédoit au frère vaincu ;
le parent fouffroit pour le parent déjà
mort ; (g) la trace du fang de l'un n'étoit
éffacée que par les flots de celui de l'autre
; & rarement une victime fuffifoit
pour éteindre une querelle.
Ombres plaintives de nos athlètes , &
vous mânes facrés des plus généreux défenfeurs
de l'État , ceffez d'environner le
trône , de reclamer en votre faveur l'autorité
de nos Rois & la rigueur de leurs
Edits! La fureur du duel eft montée à fon
comble ; le mal eft fans reméde ; les loix
ne peuvent qu'envenimer la plaie biem
loin de la guérir ..:
(f) C'étoit une courſe qui ſe faifoit à Athènes
trois fois chaque année, & qu'on nommoit la Courfe
aux flambeaux , parce qu'on couroit avec u
flambeau allumé à la main. Plutarque . Ariftoph.
(g ) On ne pouvoit demander le combat que
pour foi ou pour quelqu'un de fon lignage. Des
fontaines , ch. 22. art. 4.
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
En vain nos Rois font- ils gronder leur
tonnèrre , affemblent- ils les plus noires
tempêtes fur la tête des contempteurs de
leurs Edits : Rien n'eft capable de ramener
aux Loix de la modération ces hommes
qui veulent qu'une injure foit une
plaie qui ne peut être lavée que dans le
fang de celui qui l'a faite.
En vain établiffent- ils des peines contre
les vainqueurs , & contre les vaincus ; peines
d'autant plus févéres , qu'elle s'étendent
fur les vivans & fur les morts ; d'au
tant plus griéves qu'elles font jointes avec
l'infamie ; d'autant plus inévitables que leur
terrible & facré ferment ôte au coupable
toure espérance de pardon. Les plus fages
en fe foumettant à des loix fi judicieuſes ,
craindront de ſe dégrader . Ils entendront
fouffler les vents , gronder le tonnèrre, crever
la nue fans en être étonnés . Les exem
ples mémorables de févérité qu'on exerce
fur tant d'illuftres têtes , ne ferviront qu'à
leur faire imaginer un nouveau genre de
point d'honneur dans le mépris même des
fupplices.
Ce n'eft pas que les loix ne puiffent fer
vir de frein à l'emportement fougueux de
nos paffions , mettre de juftes bornes à
la fureur de ceux qui font foumis à leur
autorité ; & que l'envie de nuire ne foit
JUILLET. 1761 , 107
fouvent arrêtée par la crainte de ne pas
le faire impunément ( car telle eft la
fin pour laquelle elles font établies. )
Mais hors de là que produifent - elles ,
que plus de circonfpection dans le crime,
plus d'espoir dans les actions ? elles empêchent
les hommes d'être des réfractaires
publics ; mais elles n'en font point d'excellens
citoyens : ces efclaves fubjugués
mordent en frémiffant les liens qu'ils n'ont
pas la force de rompre ; toute leur attention
confifte à fe dérober aux yeux du Public
, fans en être moins difpofés à ſe porter
aux feènes les plus fanglantes, & les plus.
tragiques , lorfqu'ils peuvent prendre des
mefures affez juftes , pour n'avoir rien à
craindre de la part des hommes . On doit
tout appréhender d'un homme qui dévore
fon chagrin dans le fecret. Le feu mal
éteint produit toujours des fuites funeftes :
La nue fombre qui renferme de noires
vapeurs dans fon ſein , vomit bientôt des
foudres & des tonnerres. L'autorité des
Loix en un mot arrête la main , mais elle
ne change pas le coeur ; & la paix n'eſt
affurée que lorfque le coeur eft défarmé.
Pour changer le coeur de nos Gladiateurs
, il falloit des refforts qui fuffent en
état d'agir éfficacement fur leur volonté ;
il falloit réformer leur façon de penfer ,
E vi
108 MERCURE DE FRANCE.
adoucir leurs moeurs fauvages , leur donner
pour ainfi dire un Etre nouveau, & une
feconde nature.
La lumière des Lettres pouvoit feule
produire ces heureux changemens . Elle fait
fur les efprits des impreffions fi fortes ,
que rien ne peut les éffacer , elle grave
dans les coeurs des maximes fi fûres & fi
fatisfaifantes , qu'elles lui fervent de régle
dans toutes les actions de la vie : elle
donne enfin à toutes nos démarches une
certaine politeffe qui fait le plus doux lien
de la Société .
Telle est la différence qu'il y a entre
l'autorité des Loix & la lumière des Lettres
les unes réglent les actions du Citoyen
, les autres dirigent les actions de
l'homme. Celles- là font établies , celles- ci
nous font comme infpirées. Les unes commandent
à l'efprit , les autres n'agiſſent
que fur les coeurs ; on plie par force fous
le joug des premieres , on obéit volontiers
aux fecondes, parce qu'on ne fait alors que
céder à fes propres mouvemens.
I'homme veut être libre dans quelque
pofition qu'il le trouve : il ne veut devoir
fa perfuafion qu'à lui même. L'autorité
des Loix bleffe fa liberté ; ce n'eft qu'en
paroiffant la refpecter qu'on le tourne
qu'on le méne , qu'on le fait rentrer dans
JUILLET. 1761 . 109
fon devoir , quand il s'en eft écarté : tour
dépend de favoir intéreffer fon amourpropre;
le piége eft infaillible.
Tel que ces torrens rapides qui inondent
les campagnes , rendent inutiles les
pénibles travaux du Laboureur ; fi tout- àcoup
vous leur oppofez une forte digue ,
pour arrêter le progrès de leur courſe,loin
d'en ralentir la fureur, vous l'augmentez.
Mais fi une main adroite détourne avec
art le cours de ces eaux ; fi avec précaution
& ménagement elle en change la
pente , vous les voyez redevenir tranquilles
, rentrer dans leur lit naturel ,
& reprendre fans peine leur cours ordinaire.
Il en eft de même de ces hommes qu'anime
la brutale fureur du duel . Leur oppofez-
vous des loix ? Loin de les appailer,
vous les irritez . Mais fi une main habile ,
déchirant avec art le voile prophane du
faux point d'honneur dont ils fe couvrent,
les ramène avec douceur aux fages intentions
du Légiflateur , & leur laiffe entrevoir
que la maxime du point d'honneur
une fois établie , étant libre à un chacun
de s'approprier le droit du glaive, de repouffer
la force par la force , la fociété
ne feroit plus qu'un amas monftrueux
de furieux armés les uns contre les au
110 MERCURE DE FRANCE.
tres ; cette multitude d'hommes qui la
compofent , qu'un affemblage confus d'êtres
déplacés , & défunis qui s'entrechoqueroient
conftamment , & qui loin de
nous faire apprécier le bonheur d'être venus
au monde , nous feroient regarder le
néant, tout affreux qu'il eft, comme mille
fois préférable à la vie : alors vous les
voyez ces efprits entichés de ces fauffes
maximes, revenir de leurs préjugés, avouer
leur méprife , plier avec plaifir fous le
joug de l'autorité des Loix , les aimer ,
les chérir , les refpecter , & par l'aveu de
leur erreur & de leur crime , préparer
le chemin au triomphe de la vertu .
Ces exemples font des exemples de
tous les âges ; ainfi la Thrace ne fut plus
fauvage , quand elle eut entendu la voix
d'Orphée ; celle d'Amphion raffembla les
Thébains c'est ce qui a donné lieu aux
anciens Poëtes de feindre ingénieuſement
que le fils d'Apollon attiroit à lui par les
fons harmonieux de fa lyre , les rochers
les plus durs & les animaux les moins
dociles , pour nous apprendre que rien
ne résiste aux charmes féduifans de la
Poëfie & de l'Eloquence ; que c'eſt à l'éclat
de cette lumière , que les Peuples ont
paffé de la barbarie à la politeffe , de la férocité
cruelle à l'amour de la vertu.
JUILLET. 1781. ilf
N'eft- ce pas de la lumière des Lettres ,
que Rome , la Maîtreffe du Monde , la
Mere des Sciences & des Arts tenoit
l'empire du bon goût , de la parole & de
la politeffe ? Auffi jamais Peuple ne fut fi
fage , fi ennemi de la cruauté , fi éclairé
fur la connoiffance de la véritable gloire.
On ne vit jamais parmi eux , le Citoyen
s'armer contre le Citoyen , pour venger
fa propre caufe. Ils laiffoient à leurs Efclaves
, l'art funefte de nos Gladiateurs ;
ils ne favoient difputer entre eux , que
de gloire & de vertu ( h ) ; auffi eft il
inoui que pendant une longue fuite des
fiécles , il y ait eu parmi eux un feul exemple
du combat fingulier ( i ) .
Mais fans aller chercher loin de nous
l'époque précife de l'abolition des duels
fixons nos regards fur ce Prince à jamais
mémorable dans nos hiftoires , qui après
avoir dompté la rebellion , défarmé l'hérélie
, augmenté l'autorité Royale , abbatu
l'orgueil des Souverains , & enfin par
la force d'une digue infurmontable , préſcrit
des bornes à la mer irritée , & retenu
la fureur des vagues de ce fier élément ,
entreprit de reprimer la trop bouillante
(4) Jurgia fimultatis cum hoftibus exercebants
Gives cum civibus de virtute pugnabant. Saluſte.
f ) M. Rolin , Traité des Erudes.
712 MERCURE DE FRANCE.
impétuofité de fes Sujets , de réunir la
force à la politeffe , & de remettre l'honneur
dans fon premier éclat. ( k )
Son oeil perçant , qui lui fait entrevoir
que la manie du duel ne s'eft introduite
parmi nous qu'à la faveur des ténébres.
de l'ignorance , lui découvre en même
temps toutes les reffources qu'il peut trouver
dans une Nation capable des plus
grandes chofes, lorfqu'on fait donner l'impulfion
à fes talens & à fes vertus par l'émulation
, le puiffant reffort de nos âmes.
Il favoit que la culture des Lettres ,
eft le plus folide fondement d'un Etat ;
que la gloire d'une Nation confifte moins
à fe faire craindre par la force des armes ,
qu'à fe faire refpecter par les charmes
de la parole ; que pour rendre les hommes
heureux il faut commencer par
les rendre meilleurs ; que l'harmonie de
la Société est toujours proportionée au
degré de lumière qui éclaire chaque Citoyen
fur les devoirs ; que les Loix ont
peu d'autorité fur les moeurs ; que le Prince
ne trouve jamais plus de docilité & de
foumiffion, que parmi les efprits les plus
éclairés & les plus folides ; qu'en faiſant
fleurir les Sciences , en réveillant le génie
endormi depuis longtems dans les téné
(A) LOUIS XIII.
JUILLET. 1761 . 173
bres de l'ignorance , il affermiffoit les
fonderens de l'Etat , & lui ouvroit le che
min de la gloire.
Aidé des fages conſeils d'un illuftre favori
des Mufes ( 1), il ofe tenter ce que firent
les premiers Héros qui perfuadérent
aux hommes de quitter leur vie aggrèfte
& folitaire , pour établir de douces &
utiles fociétés , dont le but étoit de rendre
les hommes en quelque manière plus humains
; il arrête la barbarie dans fa courfe
; il ramène parmi nous les arts fugitifs
& perfécutés ; il raffemble les Mufes difperfées
; il les engage à fe réunir , pour
former ces concerts divins , dont l'har
monie doit fe répandre dans tout l'Univers
( m ) ; il rétablit des Ecoles publiques
deftinées à conferver le dépôt des connoiffances
les plus néceffaires au maintien
de la Société , où un éffain de jeunes
nourriffons vient puifer l'amour de la Religion
& du Gouvernement , l'attachement
inviolable à fes Souverains , & le
goût de la politeffe la plus épurée , qui
fait le plus doux lien des coeurs . ( n )
La révolution qui fe fait dans les ef
( 1) Le Cardinal de Richelieu .
(m ) L'Etablillement de l'Académie Françoiſe.
( n ) La Sorbonne rétablie.
114 MERCURE DE FRANCE.
prits eft encore plus forte qu'on n'auroit
ofé l'efpérer.Le flambeau des Arts prèſque
éteint fe rallume ; la rouille qui couvroit
l'efprit des Peuples commence à tomber.
Les differentes branches du corps de la
Littérature, en fe réuniffant , prennent une
nouvelle vigueur ; & comme la terre oifive
& pareffeufe , attend pour produire qu'elle
feit remuée ; comme le caillou froid &
immobile ne devient une fource de lumière
qu'autant qu'il eft heurté ; les Sciences
cultivées jettent de toute part des
étincelles plus vives & plus fréquentes ;
la lumière fe répand dans tous les Etats.
Semblables à ces fleuves célébres, qui par
leurs cours officieux ne ceffent jamais
d'arrofer , d'engraiffer & d'enrichir les
Provinces , en portant partout avec la
fertilité une heureuſe abondance , il ſe
fait une circulation de goût de Littérature
de la Capitale aux Provinces ; la pureté
du langage fait couler infenfiblement dans
les efprits la délicateffe du fentiment ; les
coeurs fe réuniffent à proportion que les
penfées fe communiquent ; des hommes
illuftres en tour genre de Littérature ſe
multiplient ; les Sophocles , les Démosthènes
les Cicérons , les Thucydides , les
Xénophons , les Polybes reparoiffent au
milieu de nous , & forment pour la gloire
JUILLET. 17610 115
de la Nation , les Scipions , les Lucullus ,
les Céfars , dont les mains triomphantes
ont fi vaillament foutenu le Trône dans
les jours les plus nébuleux.
Que dis-je ?fous les aufpices des Clémences
Ifaures, (o) les Sapho & les Corynes (p),
le féxe qui femble n'être pas fait pour les
Lettres , s'élève d'un vol rapide jufques au
faîte du Parnaffe ; il fe diftingue même
parmi les juges de nos Académies ( 9 ) , &
nous force de convenir que ce genre de
mérite , dont nous avions fait notre principal
appanage , eft de tout fexe ; & que
fi le defir de lui plaire fit autrefois tant de
vaillans & de braves ( r ) , celui de les
imiter dans leurs combats Litteraires, nous
donne aujourd'hui des Poëtes divins &
des Orateurs éloquents.
:
L'efprit & le coeur ainfi réglés , tour
rentre dans l'ordre les dernieres étincelles
d'une flamme qui avoit déjà volé
dans toute l'Europe ), commencent à s'éteindre
; les ténébres fufpendues fur l'abîme
fe diffipent ; la France , comme un au
(0 ) La Fondatrice des Jeux Floraux.
(p ) Femmes Grecques célébres par leur efprit
& par leurs Poëfies .
(9 ) Mlle Catalan , Madame Montegut & Madame
la Marquife de la Gorce.
(r)La Chevalerie.
1
TIG MERCURE DE FRANCE.
tre cahos , fe développe peu- à- peu ; les
hommes rougiffent de leurs premieres erreurs
; & à mesure qu'ils deviennent plus
éclairés , ils font plus doux , plus modérés
& plus traitables ; nos champs ne
fament plus du fang de mille victimes ;
le glaive eft remis dans fon fourreau ; le
fer ne décide plus les querelles particuliéres
; la cruauté & l'injuftice , déguisées
fous le nom de bravoure , n'infultent plus
à l'autorité des Loix ; la politeffe & les
égards réglent les devoirs de la vie civile.
Nos plus vaillans Guerriers , devenus
avares de leur fang , fans avoir rien perdu
de la délicateffe de leurs fentimens, fe refufent
à ces fauffes preuves de valeur qui
les faifoient courir à la mort par la crainte
d'un opprobre imaginaire : ils font vaillans
fans brutalité , magnanimes fans injuftice
; la victoire a beau les appeller , le
devoir les retient & enchaîne leur courage.
Ils fe font une loi de refpecter le
Prince ,jufques dans la perfonne même du
Sujet,ils conviennent que les voies de fair
entre Particuliers , bleffent directement
les lumières de la Raifon , les droits de
l'humanité , & le reſpect dû au Souverain
qui les gouverne.
Telle est la révolution qui s'eft faite
dans les moeurs , dans le gouvernement
JUILLET. 1761. 117
*
& dans les Arts , qui a donné à la France
un éclar , une fupériorité qu'elle n'avoir
jamais eu depuis l'établiffement de la Monarchie
, & qui a été la brillante époque
de ce tiffu de glorieux événemens qui
illuftrent l'hiftoire de notre fiécle.
Siécle à jamais mémorable , tant par
les productions de l'efprit que par les prodiges
de la valeur ; auffi fertile en célébres
Ecrivains qu'en Guerriers magnanimes .
Ne foyons donc plus furpris , fi ſous
un régne fi poli & fi éclairé , on eft parvenu
fi promptement à fixer la véritable
idée du point d'honneur , à décrier , à
rendre même odieufe & méprifable la
brutale fureur du duel , contre laquelle
l'autorité des Loix a fait tant d'inutiles
éfforts ; fi l'on a renfermé la bouillante
ardeur de la Nobleffe Françoife , dans
les légitimes bornes de cette belle émulation
, qui ne trouve de gloire que dans
les occafions de prodiguer fon fang pour
la gloire de l'Etat , & pour le fervice du
Prince qui le gouverne.
Jouillez , ô Roi bienfaiſant , au ſein de
votre Empire , du doux fruit de vos paternelles
attentions ! Le titre facré & immortel
de BIEN - AIMÉ que vous a déféré le cri
de la Nation , plus précieux que les monumens
de bronze & de marbre , que la
118 MERCURE DE FRANCE.
tendreffe & le devoir de vos Peuples vous
ont élevé de toutes parts , vous répond de
leurs coeurs , & va vous placer dans les
Faftes du monde , à côté des Princes magnanimes
qui ont le plus favorifé les
Arts, travaillé à guérir les maux qui défofoient
l'humanité , & à affurer le repos &
la tranquillité des régnes à venir.
Arcum conteret & confringet arma , fcuta comburet
igni. Pfal. 45.
Par A. B. R. G. C. , Abonné au Mercure.
A Narbonne , ce 18 Mai 1761 .
RESOLUTION du Problême proposé par
M. l'Abbé B.... dans le Mercure de
Juin , exemte des caractéres & fignes ,
dégagemens & fubftitutions de l'Algé
bre ; & dont chaque pas eft motivé à
l'avance.
ENONCE'
"
NONCE . » Trouver quatre nombres ,
dont le 1 , & le des trois autres faf-
៖
» fent une fomme égale au 2º, & au des
» trois autres ; égale au 3 ° , & au des
» trois autres ; égale au 4° , & au des
» trois autres.
e
Premiere Opération. L'égalité mutuelle
JUILLET. 1761 .
ل ا و
des quatre fommes ne fourniffant que
trois égalités diftin &tes , pour déterminer
quatre Inconnues : je complette le nombre
de ces égalités , en introduifant une
nouvelle Connue indéterminée pour un
temps , à laquelle je compare ces quatre
fommes féparément : ce qui a donné au
Problême une feconde forme.
Seconde Opération . Pour voir plus clairément
ce que je dois faire , je fais dif
paroître les fractions ; en multipliant
chacune des quatre égalités , par le dénominateur
de la fraction qu'elle renferme
: ce qui leur donne la forme fuivante.
Troifiéme forme. Le fextuple de la
premiere Inconnue , joint aux trois autres
Inconnues , eſt égal au ſextuple d'une
certaine quantité cenſée Connue . Le
quintuple de la feconde Inconnue , joint
aux trois autres , eft égal au quintuple de
cette même Connue Le quadruple de la
troifiéme Inconnue , joint aux trois autres
, égale le quadruple de la Connue ; &
le triple de la quatrième Inconnue , joint
aux trois autres , vaut le triple de la
Connue.
Refléxion. A préfent je vois clairement
que pour avoir féparément la valeur de
chaque Inconnue , en obtenant d'abord
120 MERCURE DE FRANCE.
celle d'un de fes multiples , fçavoir le
quintuple de la premiere , le quadruple
de la feconde , le triple de la troifiéme ,
& le double de la quatrième ; je n'aurois
qu'à retrancher de chacune des dernieres
égalités , la fomme des quatre Inconnues
d'une part , & la valeur de cette fomme
de l'autre part ; & que pour avoir la valeur
de cette fimple fomme , en obtenant
la valeur d'un de fes multiples ; je n'ai
qu'à préparer nos quatre égalités , de telle
façon qu'étant toutes ajoutées enſemble ,
la fomme totale des premiers membres ,
contienne un même nombre de fois chaque
Inconnue. Je vois enfuite que j'obtiendrai
toujours pour cette fomme totale
, la forme que je defire ; quel que foir
le nombre par lequel je multiplierai avant
l'Addition , cette partie de chaque égalité
qui renferme une fois feulement les quatre
Inconnues ; mais qu'il n'en eft pas de
même des Multiples excédans que renferment
ces mêmes égalités ( le quintuple
de la premiere Inconnue &c. ) de forte
que , c'eft uniquement , à rendre ces
Multiples divers , des Equimultiples , que
doit tendre le choix de mes multiplicateurs.
Or , pour qu'un quintuple , un quadruple
, un triple & un double deviennent
des Equimultiples , il faut chercher quel
at
JUILLET. 1761 .
121
*
Go
eft le plus petit nombre divifible par si
4,3 & 2 ; & prendre les Quotiens pour
Multiplicateurs ; c'eft- à- dire , qu'il faut
multiplier le quintuple par , ou 12 ; le
quadruple , par , ou 15 ; le triple , par
, ou 20 ; & le double , par , ou 30.
Troifiéme Opération . Je multiplie donc
les quatre égalités , fous leur troifiéme
forme , par les nombres 12 , 15 , 20 &
30 , refpectivement . Sous cette quatrième
forme , je les additionne ; ce qui me donne
, 137 fois la fomme des quatre Inconnues,
égale à 317 fois la Connue indéterminée.
Enfin , je divife le tout par 137 ;
ce qui m'apprend que la fimple fomme
des quatre Inconnues , eft les de la
Connue .
Seconde Réflexion . Si l'on veut que la
fomme des quatre Inconnues , foit un
nombre entier , & le plus petit des nombres
entiers poffibles ; comme il paroît
que ç'a été l'intention de M. l'Abbé B...
il faut prendre , pour déterminer la Connue
, le plus petit nombre dont les 7 ,
foient un nombre entier. Or : 317 &
137 , n'ayant aucun divifeur commun , ce
lus petit nombre , eft 137 ; & fes 317
font 3 17.
Cinquiéme forme. Par conféquent , les
feconds membres des quatre égalités pri-
II. Vol. F
1379
122 MERCURE DE FRANCE.
fes fous leur troifiéme forme , font , 6 fois
137,5 fois 137 , 4 fois 137 & 3 fois 137 ;
c'est -à- dire , 822,685 , 548 & 411 : pendant
que la fimple fomme des quatre Inconnues
, eft 317.
Quatrième opération. De chacune des
égalités fous cette cinquiéme forme ; je
retranche féparément , la fimple fomme
des Inconnues d'une part , & la valeur de
cette fomme de l'autre part , comme je
me l'étois propofé dès le commencement .
Sixième forme. Donc le quintuple de
la premiere Inconnue , eſt égal à 8 2 2 moins
317 , c'est à dire , à sos ; le quadruple de
la feconde Inconnue , eſt égal à 685 moins
317 , c'eſt- à- dire à 368 ; le triple de la
troifiéme Inconnue , eft égal à 548 moins
317 , c'est- à - dire à 231 ; & le double de
de la quatrième Inconnue , eft égal à 411
moins 317 , c'est à dire à 94:
Cinquiéme opération. Je divife les deux
membres des égalités , revêtues de cette
dernière forme , refpectivement par 5 , 4 ,
3 & 2 .
Solution. Donc , la première Inconnue ,
vaut 101 ; la feconde , vaut 92 ; la troifiéme
, vaut 77 ; & la quatrième , vaut 47.
Troifiéme Réfléxion . Cette réfolution
doit être nommée Algébrique plutôt qu'Arithmétique
: puifqu'elle opére fur les InJUILLET.
1761. 123
connues même. Car , ce n'eft pas la briéveté
des expreffions, par lesquelles on défigne
, tant les Inconnues & les indéterminées
, que les opérations indiquées , ou
les rapports d'égalité & c ; ce n'eft pas
même un choix & un ordre d'opérations
différens de ce qui eft d'ufage dans le
Commerce , qui conftituent la différence
éffentielle de l'Algèbre d'avec l'Arithmétique
commune. Veut - on l'exemple d'un
Problême quelque peu difficile , réfolu par
la feule Arithmétique vulgaire , c'est- àdire
, en n'opérant que fur des quantités
connues on le trouvera dans la façon
dont M. Newton réfout lui - même le neuviéme
Problême de fon Arithmétique
univerfelle. Dans ce fens , l'Arithmétique
pure , eft une Logique pratique ; tout au
moins auffi propre que l'Algèbre ou la
Géométrie , à perfectionner nos facultés
intellectuelles ; ce qui eft le but que doivent
principalement fe propofer dans l'Etude
des Mathématiques pures , ceux qui
ne veulent ou ne peuvent pas afpirer à les
appliquer à la Phyfique.
Le SAGE, Correfpondant de l'Académie Royale
des Sciences.
A Genève, ce 29 Juin 1761,
Fij
124 MERCURE DE FRANCE:
MÉDECINE.
*
TABLEAU de la Rage, Par M, HOIN
L E fujet d'un Mémoire que je lus il y a
quelque temps à une des Séances publiques
de cette Académie , me parut fixer
affez votre attention , Meffieurs , pour me
faire efpérer que je ne la fatiguerai point
aujourd'hui , en vous préfentant encore le
même objet fous une autre face ,
J'examinai alors s'il y avoit un fpécifique
contre la Rage ; & je prouvai par le
précis d'un grand nombre d'obſervations,
dont plufieurs m'étoient particulières, que
le Mercure pouvoit être regardé comme
le principal préfervatif connu de cette affreufe
maladie.Son effrayant tableau peint
d'après nature & fur le deffein crayonné
par Boerhaave , que j'ofe mettre fous vos
yeux , eft bien propre à vous convaincre
que , fi le Mercure prévient effectivement
les accès de la Rage , c'eft une des
plus importantes découvertes de notre
fiécle.
Lorsqu'un homme a été mordu par un
Animal enragé, & que le venin qu'il a reçu
commence à fe dévélopper , il fe réveille
* Cet Ecrit a été lû à l'Académie de Dijon , dans
une de tes Alfemblées publiques ,
JUILLET. 1961. izs
prèfque toujours dans fes playes ou dans
les cicatrices une fenfation douloureufe
que l'Art ou le temps avoit déjà fait ceffer:
mais pour cette fois elle ne fe bornè
point à la bleffure , elle s'étend de proche
en proche jufqu'à l'arrière bouche , & même
, ce qui eft plus rare , jufqu'aux párties
intérieures de la tête, où elle parvient
dans l'efpace de trois ou quatre jours , &
occafionne un vertige , que Salius Diverfus
regarde comme un figne infaillible
d'une Rage prochaine . ( a ) Quelquefois
cette maladie fe manifefte avant que la
douleur des cicatrices ou des playes ne
l'annonce d'autres fois la douleur s'évanouit
pour un temps , renaît enfuite &
détruit par là l'efpérance fondée trop tôt
fur un calme trompeur.
:
Pendant que cette douleur fourde , ou
même purgative , toujours locale à fon
principe, fait plus ou moins promptement
des progrès ,les bords des plaies rougiffent,
s'élévent , deviennent fanguinolens , frangés
; leur centre fournit une fuppuration
fanieufe ; les cicatrices déjà formées prennent
une couleur livide , fe gonflent , fe
durciffent ; d'autres douleurs vagues , inftantanées
fe font fentir par élancemens en
( a ) De Affect . Particul. cap. 19. p . 364. Ex
Vaniwieten in Boerhaav . T. 3 .
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
différentes parties du corps : les entrailles
font émues ; le ventre fe reffèrre ; le
cours du fang eft ralenti , celui des urines
fufpendu ; ou lorfque les urines coulent
encore aisément , elles font épaiffes , laiteufes
, quelquefois noires ; des friffons ,
des chaleurs , des ardeurs fuccédent à différentes
repriſes ; une laffitude & une pefanteur
dans tous les membres caractérifent
la diminution des forces mufculaires .
La Paralyfie qui affecta cinq jours avant
la Rage , le bras d'un malade mordu à la
main , a démontré une fois que ce poifon
pouvoit détruire en quelque partie l'action
des muſcles qu'il engourdit d'abord
dans les autres ( b ).
Que l'homme dans cet abattement entrevoie
ou non le danger dont il eft menacé;
le refferrement & la pâleur de fon vifage
, fon air fombre , fon regard inquiet ,
le frémiffement , le tremblement de fon
corps décélent la peur qu'il voudroit quelquefois
cacher ou qu'il ne diftingue pas
lui-même. On l'a vu plufieurs fois , pour
avoir oublié fa bleffure , ou ne s'en être
pas défié , montrer les apparences d'une
crainte fans objet .
Alors ennuyé de tout , plongé dans la
mélancolie , accablé de trifteffe , il cher-
(b ) Tranf. Phil , ex eod . L. c.
JUILLET. 1761 : 127
che à fuir le commerce des hommes ; il
bâille , il foupire dans la folitude qu'il a
trouvée ; il va , vient , retourne , s'affied ,
fe leve , fe couche , n'eft bien nulle - part
& dans aucune fituation ; il fe plaint , murmure
& gronde à demi- voix ; il eſpére
encore le repos que le fommeil procure :
mais à peine eft-il endormi que des rêves
affreux le tourmentent : tantôt il voit des
étangs profonds où l'on s'apprête à l'engloutir
; tantôt il eft entouré d'animaux
de même efpéce que celui dont la dent
meurtrière a frayé la route au venin ;
fpectateur inquiet de leur acharnement
les uns contre les autres , il ne tarde
pas à fe croire affailli par fon premier
vainqueur , & forcé d'entrer en lice :
le defefpoir à beau lui tenir lieu de courage
, par des cris réels il annonce autant
fon effroi que fon combat avec le phan
tôme qu'un vain fonge lui préfente ; il s'agite
, il s'éveille en furfaut & le preſtige
n'eft pas encore diffipé . En racontant même
qu'il s'eft crû aux prifes avec l'animal
qui l'a mordu , en difant qu'il a lutté de
nouveau contre ce dangereux adverſaire ,
il fe perfuade de le voir , de l'entendre ;
il s'écrie épouvanté qu'on dérobe à fes
regards un fi funefte objet , qu'on le délivre
des angoiffes dont il eft accablé par
ée fpectacle. Fiv
28 MERCURE DE FRANCE.
En effet il ne refpire qu'avec peine ; fa
poitrine refferrée ne joue qu'imparfaitement
; on la voit rejetter avec lenteur l'air
qu'elle a paru forcée de recevoir : la foibleffe
du corps , un frémiffement général ,
le refferrement du pouls , l'affaiffement
du vifage, les yeux égarés , la voix tremblante
de cet infortuné , tout avoue l'augmentation
du trouble de fon âme.
Cependant la fermeté manque , le cou- ,
tage eft abbatu lorfqu'il refte beaucoup
d'affauts à foutenir. Le malade a foif: &
d'abord étonné de fa répugnance à regarder
la boiffon qu'on lui préfente , il s'éfforce
de la furmonter ; fa furpriſe accroît
par la difficulté qu'il éprouve en buvant ,
pas la douleur quelquefois pungitive, fou-.
vent indéterminée , qu'il reffent au gofier
Torfqu'il avale , par les fuffocations qui
fuccédent , par le tremblement convulfif
qui les accompagne : il attribue ces accidens
à un embarras fingulier dans la gorge;
il penfé que la route eft fermée aux alimens
folides : quel étonnement pour lui
de fentir qu'ils ne rencontrent point d'obftacle
, que la déglutition du pain , de la
foupe même eft facile tandis que celle du
bouillon , de l'eau , du vin , ne fe peut
faire qu'avec douleur.
Alois il prend les liquides en averfion
il fe propofe de fupporter patiemment la
JUILLET. 1761 . 129
foif : mais enfin il oublie fa répugnance &
fes projets ; la foif eft devenue brûlante ;
il demande avec ardeur l'eau qui pourroit
l'appaifer on le voit s'élancer avec joie
fur le vafe qui la contient , tréffaillir à fon
afpect , frémir en l'approchant des lévres
& le rejetter avec éffroi lorfque l'eau les
touche.
L'eftomac s'enfle , la poitrine & le gofier
fe refferrent , le jeu de la refpiration
eft prèfque etouffé , les membres fe roidiffent
: bientôt toutes ces parties fe foulévent
; & l'Hydrophobe agité d'affreules
convulfions , le vifage rouge de colère ,
l'oeil furieux , crie d'une voix entrecoupée
qu'on ôte de fes yeux la nouvelle boiffon
qu'on lui prépare , qu'elle eft pour lui le
plus cruel fupplice . » Pourquoi , difoit Eli-
» fabeth Bryant guérie de la Rage ; pour-
» quoi fe donner la peine d'étouffer entre
» deux lits les malheureux que l'horreur
» de la boiffon tourmente? Il ne falloit que
» tenir de l'eau devant moi , certainement
» l'ouvrage eût été fini en très peu de
» temps ( c ).
Néanmoins elle n'avoit pas apperçu
dans l'eau la gueule béante d'un chien prêt
à la dévorer . En vain Baccius attribue - t- il
l'averfion pour les liquides à ce prétendu
( c ) Nugent , Ellai fur l'Hydrophobie . p . 14.
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
fimulacre , dont il dit que les yeux de
quelques Hydropobes ont été fafcinés en
fa préfence ( d ) De tous ceux que Salius
Diverfus a vûs ( e ) , de tous ceux que j'ai
vûs moi - même , aucun n'a autorifé la
croyance publique à ce fujer : tous au
contraire m'ont affuré qu'un liquide, trouble
ou transparent , de quelque eſpéce
qu'il fût , ne leur paroiffoit que ce même
liquide ; mais qu'ils ignoroient pourquoi ,
ils ne pouvoient point en fupporter la
vue. Je ferois tenté de placer le rapport
de Baccius avec le Conte d'Avicenne (f)
qui fait trouver des figures de petits chiens
dans l'urine des hydrophobes , fi je n'avois
pas été témoin que Pierre Hévon , regardant
un jour l'eau qu'on lui préfentoit,
s'écria , la repouffant avec horreur , qu'il
y voyoit fon Père & fa Mère , alors abtens.
Un délire paffager abufera donc quelquefois
; mais n'attribuons pas au feul afpect
de la boiffon toute l'horreur qu'elle
infpire. Comment pourroit elle être excitée
lorsqu'on renferme le liquide dans
un vaiffeau couvert ( g ) , lorfque le ma
d) De venenis . p . 76. ex Vanfwieten . L. c .
( e De febr peftilent . p . 444. ex eod.
(f) Lib. 4. F 6. Tract . 4. cap. 7.
( g) Aftrue. Dill. de hydrophobiâ, p. 16.
JUILLET. 1761 . izr
lade l'en retire à l'aide d'un chalumeau ?
Cependant il n'a pas plutôt touché les lévres
& la langue , que les mêmes phénomènes
reparoiffent. On a vu juſqu'à l'enfant
reculer à la première goutte de lait
que fa bouche & fes mains exprimoient
du fein de fa Nourrice (h ).
D'ailleurs , il eft des hydrophobes qui
confidérent attentivement & fans peine
l'eau qu'ils defirent : flattés de l'efpérance
de l'avaler , ils ne fe rebutent pas de leurs
premières tentatives inutiles, & rarement
fe fuccès récompenfe leurs éfforts : ou fi
quelques-uns d'entr'eux parviennent à furmonter
leur répugnance , on diftingue
par leurs geftes les tourmens qu'ils endu
rent & le courage qui les leur fait fupporter
; mais il faut une foif étonnanté
pour les mettré plufieurs fois à la même
épreuve. J'ai vu Pierre Hévon, moins heureux
que le Philofophe dont parle Aetius,
qui par la force de la raifon vainquit fon
hydrophobie , bût & guérit ( i ,; je l'ai vu ,
dis je, en même état boire un verre d'eau
fans frémillement ; il m'avoua bientôt
qu'il avoit beaucoup fouffert , & que s'if
(h) Celius Aurelianus ex Sorano Dict . de Med .
de James . T.
3. p. 360.
( iy Differt: fur la Rage. Par M. de Sauvages.
P. 39..
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
n'en avoit rien témoigné , c'étoit de peur
que je ne le fiffe boire par force, ce qui le
fatiguoit davantage que quand il cédoit
de bonne heure à mes inftances .
Combien ne s'eft il pas trouvé d'hydrophobes
en qui la feule propofition de
boire , le feul nom d'un li uide prononcé
en leur préfence a réveillé des mouvemens
convulfifs interrompus par un calme
d'une certaine durée ; tandis que d'autres
foupiroient après les boiffons , la demandoient
& ne pouvoient pas en ufer.
Tout eft fingulier dans cette affreufe maladie
, jufqu'à la variété de ce fymptôme.
Le même hydrophobe qui voit couler fon
fang avec tranquillité,frémit à lavue d'une
compreffe mouillée dont on va couvrir fa
plaie ; à celle des mains humides. du Chirurgien
qui vient de les laver à l'écart
(k ) : un autre ne peut fans éffroi regarder
fon fang , ni même l'entendre tomber
dans le vafe préparé pour le recevoir
; la faignée ne feroit point affez abondante
& l'on n'empêchoit pas le jet du fang
de réfonner dans fa chûte : celui - ci eft
agité de convulfions lorfqu'il avale fa falive
feule ; mais il neft point ému quảnf
(k ) J'en ai été témoin à l'occafion d'une fai
gnée faite à Pierre Hevon pendant fon Hydrophobie
JUILLET. 1761 . 133
elle paffe avec le bol alimentaire qu'elle
a confidérablement
amolli : celui -là fait
encore ufage du vin & du bouillon , lorfque
fa maladie le force à refuſer de l'eau
ou de la ptifane ( 7 ) . Il y en a même qui
témoignent autant d'horreur pour les alimens
folides que pour les liquides ( m ) ;
tandis que d'autres avalent précipitamment
les premiers qu'ils ne mâchent point , de
peur que la falive ne les pénétre . Quelquefois
l'hydrophobie ceffe entiérement, &
d'autres fymptómes lui fuccédent : d'autres
fois elle fubfifte avec de nouveaux accidens;
elle augmente même jufqu'à jetter
le malade dans la fureur la plus violente.
Alors l'éclat du jour le bleffe ; les couleurs
vives le fatiguent ; les objets refplendiffans
l'éblouiflent ; il ferme fes à
yeux
la lumière , qu'ils ne peuvent plus fupporter
; il les couvre de fes mains ; il voudroit
que fon oreille ne fût frappée d'aucun
fon ; le bruit le plus léger l'effraye ;
laboyement des chiens l'agite ; la converfation
de fes amis l'afflige ; leur marche ,
leur haleine même l'incommodent ; quelquefois
le moindre attouchement le fait
friffonner ; l'air qu'il réſpire Ini eſt à charge
; les portes & les fenêtres ne lui paroiſ-
( 1 ) La Differt . citée de M. de Sauvages . p . 12.
J'ai aufli vê ces faits .
(m) Aftruc, Diff. de l'Hydrophobie . p. 17
134 MERCURE DE FRANCE.
fent jamais affez fermées , furtout lorſque
le vent foufle . Etienne Euguenit le cachoit
fous fa couverture , & ne vouloit répondre
à aucune queftion . Pierre Hévon cria
jufqu'à ce qu'on eût ôté de fa préfence
des objets de couleur rouge. Elifabeth
Bruyant trembloit aux hurlemens des
chiens (z ). Une Hydrophobe de Meynes
fit éteindre les cierges pendant la Communion
; un autre ne put fouffrir l'Extrême-
Onction que fur un pied ; le Clerc de
l'Abbaye d'Alais prie les affiftans de détourner
de lui leur haleine & de fermer
tout accès à l'air dans fa chambre ( o ) ;
le Médecin, dont Calius Aurelianus raconte
l'hiſtoire , fupplie la larme à l'oeil , fes
amis de ne pas l'approcher ; il fent une de
fes larmes tomber fur lui , la fureur le
transporte & lui fait déchirer les vêtemens.
(p)
La fiévre qui s'allume prèfque toujours
dans le corps d'un hydrophobe ; une infomnie
continuelle ; l'éjection fréquente
des urines que l'ardeur accompagne ; la
chaleur qu'il reffent dans les entrailles &
même dans les membres ( q ) ; l'âcreté dé
( n ) Nugent , Effai fur l'Hydrophobie. p . 34 .
( 0 ) Aftruc , L. C. p. 11. & 13 .
(p ) Diff. de M. de Sauvages . p . 12.
(9 ) James , Diet, de Medec. 1.
4
JUILLET. 1761. 135
la bile porracée & des matiéres glutineufes
qu'il rejette quelquefois par un vomiffement
précédé de naufées & fouvent fuivi
de cardialgie , de fyncope ; la foetidité
de l'humeur muqueufe fournie par les
glandes du gofier ; l'aridité de la bouche ;
la féchereffe de la langue, contribuent enaugmenter
fa foif; mais la fenfibi
lité de fes nerfs l'empêche toujours de l'appaifer
.
core à
C'eft alors qu'il crie aux Affiftans de le
fuir , qu'il eft prêt à les déchirer , qu'il ne
fe pofféde plus d'horribles convulfions
l'agitent ; d'un oeil étincelant & furieux il
cherche , il choifit une victime ; il menace
de mordre ; il mord la main même qui lui
tend des fecours.
Que par des liens on mette un frein à
fa fureur : il jure ; il grince les dents ; elles
heurtent avec grand bruit les unes
contres les autres ; il les porte fur tous
les corps qu'il peut atteindre ; il s'efforce
de les tourner fur lui. La violence de fes
mouvemens convulfifs ; l'écume qui blanchit
fes lévres , qu'il tâche de pouffer avec
vigueur fur ceux qui l'environnent & dont
il voudroit les couvrir ; fes cris élancés
d'une voix fes hurlemens affreux
rauque ;
ne prouvent que trop , qu'il fent encore
redoubler fa rage , faute de l'affouvir fur
136 MERCURE DE FRANCE.
lui- même , à l'exemple du Cavalier , dont
parle Bauhin , qui fe déchira les bras
dans un de les accès . ( r )
Malheur à ceux qui n'ont pas eu la précaution
d'attacher l'Hydrophobe lorfque
les frémiffemens de fon corps , la rougeur
de fon vifage & l'immobilité de fes yeux
ont annoncé l'approche du paroxisme de
fa maladie ! Malheur à ceux qu'il n'a pas
prévenus lui- même , comme il le fait
prèfque toujours , quand il s'apperçoit que
la rage eft prête à le faifir ! Malheur à ce
lui qui porte l'audace jufqu'à négiiger l'avis
falutaire qu'il en reçoit , jufqu'à ne pas
redouter les effets d'un tranfport que rien
n'arrête ! L'Hydrophobe s'élance bientôt
fur le téméraire , le punit par une morfure
, dangereufe en proportion du degré
de fureur qui l'a produite , de la qualité
du venin qu'elle a tranfmis , de la nature
du déchirement de la partie bleffée . Il eft
vrai que Mongin m'a déclaré qu'il n'avoit
jamais été dans le cas de faire le plus léger
éffort pour s'empêcher de mordre , même
lorfque je lui faifois la plus grande violence
pour le forcer à boire ; mais il en
eft. peu qui puiffent l'avouer comme lui :
prèfque tous reffemblent au Clerc d'Alais
(7) Aftruc , L. C. p. 16.
JUILLET. 1761 . 137 '
qui , menaçant tout le monde & ne refpectant
que fon Père , mordit le doigt du
Prêtre qui lui faifoit une onction fur les
lévres ( s ) ; à Jean de Bielle qui , retenu
dans des entraves dont il ne pouvoit fe
dégager me juroit de porter loin fa
vengeance , s'il venoit à bout de rompre
les liens qui le fufpendoient en augmen
tant la fureur ; au Payfan dont M. Haguenot
prit foin , qui l'afſuroit en grinçant les
dents, qu'il dévoreroit une armée ( 1 ) . On
en a vû ſe jetter fur des chiens & les déchirer.
Mais comme fi le defir de perpétuer
par des morfures , cette affreufe maladie.
ne fuffifoit pas pour tourmenter l'hydrophobe
, il s'en éveille un autre peut - être
plus cruel , celui de perpétuer fon efpéce
lorfqu'on gémit de la voir expofée à
cette horrible fituation . Quel tems choifit :
la Nature pour exciter , au rapport d'Amatus
, l'éroticomanie dans une femme
>
hydrophobe ( u ) ; pour caractériſer le bel
âge dans le feptuagenaire dont parle Ri
valier , qui fait confentir fa femme à
éteindre des feux longtems étouffés , mais,
( s ) Dans Schenckius . Obf. Med . p . 848 .
(t) Dans M. de Sauvages , L. C. p. 12.
( ) Ibid. p. 37.
138 MERCURE DE FRANCE.
renaiffans alors plus ardens que jamais (x) !
Quel abus de prodigalité ne montre - t- elle
point envers le Porte-faix d'Hernandez !
quel moyen choifit- elle pour terminer fa
vie ? Après l'avoir fait paffer trois jours
dans une jouiffance auffi fauffe qu'involontaire
, elle lui fait rendre l'âme avec
le principe du corps , » involuntariis ac
perpetuis pollutionibus afflictus femen &
animam fimul efflavit (y ). »
Ne blâmons pas ici la Nature , tandis
qu'elle épargne à ce malheureux le plus
grand des fupplices de l'hydrophobe : celui
de rentrer tout- à- coup dans le calme pour
connoître toute l'horreur de fon état ,
pour diftinguer quel funefte poifon roule
dans fes veines , pour gémir fur fes fureurs
paffées , pour craindre celles qui doivent
fe rallumer , enfin pour attendrir les affif
tans par fes plaintes , fes remords , fest
priéres & fes frayeurs.
C'est là le fpectacle où le fentiment
anéantit les autres facultés de l'âme , où
l'efprit n'eft rien & le coeur eft tout , où
(x ) Amatus Lufitanus , Curat. Med . Cent. 7
Cur. 41. Ex Vanfwieten. L. C.
(y) Bonet , Sepulchr. Acant. T. 1. p. 2 16.
( ).Hernandez Rerum Mexican. Medit. The
faur. P. 493. & Recchius ad Animalia nov. Hilpan.
in Lifteri Exercit . de Hydroph. p . 108., &
Wanfwieten, L. G,
JUILLET. 1761 .
139
l'homme éprouve que penfer & fentir ne
font pas la même chofe. Ah ! comment
F'hydrophobe n'attendriroit- il pas , puifque
le phrénétique, moins à plaindre , arrache
nos gémiſſemens ? cependant nous voyons
que le délire perpétuel de ce furieux ne lui
permet pas de réfléchir fur fes violences ,
d'entrevoir le précipice dont il touche le
bord: nous voyons au contraire qu'il le porte
à des excès dont il n'eft plus en état de mefurer
l'étendue; qu'il éfface le caractère de
l'homme & ne fait paroître fous les traits
de la figure humaine, qu'un animal farou
che & redoutable : nous voyons que ce
malade rentré dans fes droits , lorſque la
phrénéfie ceffe , ne conferve pas le fouvenir
affligeant des actions irrégulières , des
difcours vagues , impies , indécens , injurieux
s'ils pouvoient l'être , qu'a produits
une tête bouleverfée par le mouvement
impétueux des humeurs , & la grande rigidité
des fibres .
Mais quand l'Hydrophobe nous dit
qu'il a connu dans l'accès même , toute
la force de fa rage ; qu'il s'eft occupé fans
relâche à réprimer le defir de mordre ;
qu'il a diftingué quelquefois l'inutilite
de fes éfforts ; qu'il a redoublé fes maux
en fe révoltant contre le peu d'empire de
fon âme fur un corps en proie à la puif140
MERCURE DE FRANCE .
fance d'un venin cruel ; qu'il meurt autant
du regret d'avoir bleffé que du poifon
dont il n'a pû réprimer la violence :
quand il demande au Ciel de l'écrafer fubitement
, s'il n'eft que ce moyen de borner
les fureurs dont il prévoit le retour ;
quand il implore le bras des fiens pour
hâter le coup fufpendu par le Ciel ; quand
il s'écrie : ah ! plutôt , plutôt la mort que
de la caufer ! quand ému à la vue de ſes
enfans défolés, il les appelle avec tendreffe
& les repouffe auffi - tôt par un redoublement
d'amour paternel qui lui fait craindre
de les infecter ; eft- il un coeur affez
dur pour ne point compâtir ? Jamais je
n'ai vû de Spectateur que l'on dût envoyer
à la forêt vivre avec fes femblables .
C'est alors qu'on voudroit au moins
que l'hydrophobe eût le délire du Phrénétique
mais il fe rencontre rarement avec
la rage ; ou s'il en affoiblit quelquefois
l'horreur , c'eft pour quelques inftans.
Tel fut celui de Bielle , qui dans un accès
accompagné d'une fiévre à fon plus haut
point , ayant pouffé des hurlemens & des
cris affreux, nous dit dans le calme , qu'ils
avoient été occafionnés par la préſence
d'un loup contre lequel on avoit dû le voir
fe défendre avec courage : tel fut celui de
Boulée qui demanda fon couteau pour ther
JUILLET. 1761. 147
Le même loup dont le fimulacre l'éffrayoit
quoiqu'éveillé .
L'intervalle des paroxismes n'eft pas
toujours auffi cruel . J'ai vû Mongin montrer
une fermeté d'âme que la Religion
feule peut donner : il édifioit par fes prićres
ferventes , par fes difcours pathéti
ques dans leur fimplicité ; il remercioit
le Seigneur de ce que la maladie dont il
le rendoit la victime , ne l'avoit jamais
excité à mordre ; il lui demandoit la grâce
de mourir fans nuire à perfonne ; il confidéroit
avec une joie tranquille , fi j'ofe le
dire , les approches de la mort qu'il aɛtendoit
fans la demander ni la craindre.
Boulée , non moins Philofophe que Chré
tien , s'en occupoit , en parloit paifiblement
, confoloit fa famille , nous remercioit
des foins , quoiqu'infructueux , que
nous lui avions prodigués , invitoit les
autres bleffés par le même loup à ne point
s'effrayer de fon état,à fe tranquillifer plutôt
far ce que la force de leur tempérament
avoit permis qu'ils priffent plus
de remédes que la délicateffe du fien n'avoit
laiffé la liberté de lui en préfcrire.
Mais pour ces exemples rares , combien
n'en a - t- on pas qui nous retracent l'hydrophobe
fortant d'un accès , gémiffant
fur la rigueur de fon fort , & retombant
142 MERCURE DE FRANCE:
bientôt dans un autre qui lui prépare de
nouvelles douleurs ? Les paroxifmes de
Bielle n'eurent prèfque point d'intervalle
pendant deux jours : Denis Hévan paffa
un pareil terme dans l'alternative des convullions
& du repos qui fe fuccédoient à
chaque demie heure : fon frère furvêquic
quatre jours à fes premiers accidens ; &
fa foeur ne fut pas deux jours hydrophobe.
Ces atteintes réïtérées enflamment de
plus en plus le malade : le feu qui le dévore
a dans les yeux,un éclat d'autant plus
vif , qu'il eft prêt à s'éteindre ; il fe fait ,
jour à travers les larmes , & la chaffie
qui couvre les paupières ; la langue en eft
déjà brûlée ; la bouche ouverte eft hideufe
par les flots d'écure qui la bordent ,
par le grincement de dents continuel, par
les mouvemens convulfifs des lévres . Ces
mouvemens paffent à tout le corps ; ils
élévent & les membres de l'hydrophobe
couverts d'une fueur froide , vifqueufe, &
le lit où des liens l'ont fixé , il femble que
le (palme du bas - ventre aille repouffer fes
vifcères dans la poitrine ( a ) : les gémiffémens
profonds , les fanglots, les cris étouf
fés fuccédent aux clameurs , aux hurle-
( a ) Bruce , de hydrophobiâ in difp . Med. Pract
Haller, T. 1. p. 603.
JUILLET. 1761. 143
mens , aux aboyemens mêmes ; ils partent
d'une poitrine opprimée qui s'affaiffanc
tout - à- coup , fuffoque le malheureux
dont les tourmens horribles ont fait croire
qu'il y auroit de l'humanité à prévenir
l'inftant auquel la Nature les termine.
S'il eft encore de ces hommes abufés
& rendus féroces par une fauffe tendreſſe,
qu'ils ne fe chargent plus d'un crime ! Le
Ciel n'a- t- il donc pas attaché fes grâces
à la patience qu'il met à l'épreuve , aux
douleurs qu'il envoie , aux fentimens qu'il
excite ? D'ailleurs la Médecine n'eft pas
oifive ; elle a guéri des hydrophobes (6) : la
Nature n'eft pas toujours marâtre envers
fes enfans qu'elle afflige ; elle ne les laiffe
pas tous périr dans un état auffi affreux. .
Ce même Bielle , que j'ai dit avoir été
furieux pendant deux jours , je l'ai vû
perdre par degré fon horreur pour la
boiffon ; j'ai vû fes defirs effrénés s'éteindre
; j'ai vû fes forces épuifées par les affauts
qu'il avoit foutenus ; en un mot , je
l'ai vu devenir peu-à- peu paralytique de
tous fes membres, refter deux autres jours
dans cet état de foibleffe extrême fans fe
plaindre d'aucune douleur , montrant un
vifage où , quoiqu'il fût prèfque éffacé ,
(b ) Nugent , Effai fur l'Hydrophobie. Hift. de
l'Acad . Royale des Sciences. 1699. &c . &c .
144 MERCURE DE FRANCE.
on lifoit encore la tranquillité de fon âme
que l'on entretenoit par de pieufes confolations
, & mourir en paix après quelques
heures d'agonie. Les derniers accidens
d'Etienne Euguenit furent à - peu- près
les mêmes ; & les Tranfactions Philofophique
nous en avoient déjà fourni un exemple
( c) .
Cependant il eft des lieux , & peutêtre
ne font- ils pas éloignés , où ces malades
qui fe font endormis chrétiennement
dans les bras du Seigneur, auroient
trouvé des Chretiens animés d'un faux
zéle & touchés d'une compaffion mal entendue
qui, croyant les facrifier à la fûreté
publique , les auroient immolés à leurs
propres craintes , tandis que la Rage les
rendoit dangereux , & que les liens fuffifoient
pour prévenir les effets d'un mal
qui ne prend point fa fource dans la corruption
du coeur. Jufqu'à quand l'homme
oubliera- t- il que la vie eft entre fes mains
pour la conferver , la donner même ; &
non pour la ravir à l'innocent , quelque
malheureux qu'il ſoit ?
( c) Vanfwieten . L. C. l'hiftoire des Hydrophobes
que j'ai vûs , & dont j'ai parlé dans cet écrit ,
fera peut être publiée dans la fuite.
ARTICLE
JUILLET. 1761. 145
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS UTILE S.
LETTRE , à l'Auteur du MERCURE.
LAA
Cloche du Plongeur eft une de ces
machines plus propre à orner le Cabinet
d'un Phyficien , & à fatisfaire la curiofité
d'un Amateur , qu'utile dans la réalité
foit pour étendre le commerce , foit pour
enrichir l'Hiftoire Naturelle , foit pour
nourrir , accroître ou embellir notre luxe .
Cet objet feroit- il à négliger dans le fiécle
où nous vivons ? Après avoir lû &
médité ce qu'on vous a adreffé fur cette
matière , non- feulement j'ai été frappé
des obftacles qui s'oppofent à la perfection
de cette machine , mais encore convaincu
de fon impoffibilité.
Le même zéle , c'est- à- dire , l'amour
de l'humanité qui a dirigé les Auteurs qui
en ont parlé , eft auffi le motif qui m'engage
à fournir des preuves de mon affertion
, dès que j'en établis une fois la vérité
, on tournera fes vues vers des objets
II. Vol. G
144 MERCURE DE FRANCE.
on lifoit encore la tranquillité de fon âme
que l'on entretenoit par de pieuſes confolations
, & mourir en paix après quelques
heures d'agonie. Les derniers accidens
d'Etienne Euguenit furent à - peu- près
les mêrnes ; & les Tranfactions Philofophique
nous en avoient déjà fourni un exemple
( c ) .
Cependant il eft des lieux , & peutêtre
ne font- ils pas éloignés , où ces malades
qui fe font endormis chrétiennement
dans les bras du Seigneur, auroient
trouvé des Chretiens animés d'un faux
zéle & touchés d'une compaffion mal entendue
qui , croyant les facrifier à la fûreté
publique , les auroient immolés à leurs
propres craintes , tandis que la Rage les
rendoit dangereux , & que les liens fuffifoient
pour prévenir les effets d'un mal
qui ne prend point fa fource dans la corruption
du coeur. Jufqu'à quand l'homme
oubliera - t- il que la vie eft entre fes mains
pour la conferver , la donner même ; &
non pour la ravir à l'innocent , quelque
malheureux qu'il foit ?
( c) Vanfwieten . L. C. l'hiftoire des Hydrophobes
que j'ai vûs , & dont j'ai parlé dans cet écrit ,
fera peut être publiée dans la fuite.
ARTICLE
JUILLET. 1761. 145
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS UTILES.
LETTRE , à l'Auteur du MERCURE.
LA Cloche du Plongeur eſt une de ces
machines plus propre à orner le Cabinet
d'un Phyficien , & à fatisfaire la curiofité
d'un Amateur , qu'utile dans la réalité ,
foit pour étendre le commerce , foit pour
enrichir l'Hiftoire Naturelle , foit pour
nourrir , accroître ou embellir notre luxe.
Cet objet feroit-il à négliger dans le fiécle
où nous vivons ? Après avoir lû &
médité ce qu'on vous a adreffé fur cette
matière , non- feulement j'ai été frappé
des obftacles qui s'opposent à la perfection
de cette machine , mais encore convaincu
de fon impoffibilité.
Le même zéle , c'est- à- dire , l'amour
de l'humanité qui a dirigé les Auteurs qui
en ont parlé , eft auffi le motif qui m'engage
à fournir des preuves de mon affertion
, dès que j'en établis une fois la vérité
, on tournera fes vues vers des objets
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
plus aifés à faifir & à traiter , & l'on ne
craindra point que l'expérience détruife
l'édifice que l'imagination feule avoit conftruit
, fans prévoir que les élémens s'y
oppoferoient .
L'air , renfermé dans la Cloche , s'échauffe
, & fe falit par la tranfpiration ,
fe condenſe par la preffion de l'eau qui
fait éffort pour entrer. ( * ) Ces deux confidérations
ne permettent pas qu'on fe
propofe jamais de perfectionner cette
machine. Confultons l'expérience , & nous
verrons quel dérangement cauſe à l'oeconomie
animale une trop grande preffion .
Le fang incompreffible, comme toutes les
autres liqueurs , s'extravafe bientôt lorfque
les vaiffeaux qui le contiennent ſe
rétréciffent. Auffi lorfqu'on voulut fe fervir
de cette Cloche pour defcendre un
homme dans des profondeurs confidérables
, quel fut l'étonnement de ceux qui
le retirerent à demi mort , tout couvert
de fang , & qui ne donnoit pour toute
marque de vie , que de terribles convulfons
! S'il fut trop téméraire , ceux qui
l'emploierent furent trop ignorans .
Il s'agit ici d'une profondeur confidérable :
car quoique la fimple cloche fuffife pour une profondeur
médiocre , nos Plongeurs y defcendent
fans ces précautions,
JUILLET. 1761. 147
Il femble , Monfieur , que l'Auteur de
la machine que vous avez fait graver dans
votre Mercure de Mars , n'ait point fait
attention à cet inconvénient , felon moi ,
le plus dangereux & le plus difficile à
éviter. Sa machine n'eft , à proprement
parler,qu'un ventilateur . Il renouvelle l'air
de la Cloche, mais diminue- t -il la preffion
qui ſe fait autour du plongeur? bien plus,
je crois qu'il l'augmente : car pour renouveller
l'air de la Cloche , il en introduit
du nouveau afin de forcer l'eau à
defcendre. L'effet que produit l'air comprimé
agit avec autant de force autour de
l'homme , qu'il le fait fur la furface de
l'eau à moins de renoncer aux loix de la
faine Phyfique , je ne vois pas ce qui pourroit
l'en empêcher. De forte que s'il faut
une force de fix cent livres pour faire
baiffer l'eau qui fert de baze à la Cloche,
l'homme éprouvera de toute part une
preffion égale à fix cent livres . Un homme
dans cet état feroit - il fort à fon aiſe , &
le reméde vaudroit- il mieux que le mal
D'ailleurs quelle fûreté à faire ufage
d'une Cloche où il fe trouve deux foupapes
qui peuvent s'ouvrir tout-à - coup , ou
ne point retenir l'air affez conftamment ,
& par conféquent expofer le plongeur à
être étouffé par l'eau. Ceux qui font ufage
Gij
148 MERCURE DE FRANCE:
des machines, favent que de pareils incon
véniens n'arrivent que trop fouvent.
Jufqu'ici j'ai fuppofé qu'il feroit facile
d'introduire un nouvel air dans la Cloche,
mais un peu d'examen m'y fait trouver .
une extrême difficulté. Pour y réuffir , il
faut pouffer avec la pompe un air qui
puiffe faire lever la foupape ; alors , ou
l'on fera defcendre le pifton fort bas , ou
l'on y fuppléera par quelque autre moyen :
le premier eft fimple , mais long & trèsfatiguant
; le fecond feroit compliqué &
couteux donc d'un ufage peu commun .
Je pourrois encore demander de quelle
matière feront faits les tuyaux montans ?
Celui qui contient la pompe doit être
capable d'une très- grande réfiftance , &
feroit- il affez fort , s'il n'étoit de métal ?
Mais la force qu'il acquerera , ce fera aux
dépens de fa légéreté ; quel embarras
Sur-tout , lorsqu'il s'agira de plonger ou
de retirer cette machine perpendiculairement
. D'ailleurs la longueur des tuyaux
une fois donnée , la Cloche ne pourra
fervir qu'à une profondeur qui leur fera
égale , il faudra par conféquent les ralonger
ou les racourcir fuivant la plus ou
moins grande profondeur des eaux nouvelle
difficulté !
Vous voyez , Monfieur , que la Cloche
JUILLET. 1761 . 149
du plongeur , malgré les foins qu'on s'eft
donnés, ne peut être d'aucune utilité . J'en
fuis fâché , fur tout pour ceux qui livrent
leur fortune à l'inconftance des flots .
J'ai l'honneur d'être , & c.
L'Abbé BACON , d'Arras .
CHIRURGIE.
TRAITE' des Bandages & appareils ,
avec une Defcription abrégée des brayers
ou bandages , & de plufieurs machines
propres à différentes maladies . Par M.
SUE , Profeffeur & Démonftrateur en
Anatomie aux Ecoles Royales de Chirurgie
, de l'Académie Royale de Peinture
& Sculpture , Cenfeur Royal , &
Confeiller du Comité de l'Académie
Royale de Chirurgie , & de la Société
Royale de Londres . Seconde Edition.
A Paris , chez Guillaume Cavelier, rue
S. Jacques , au Lys d'Or ; & chez l'Auteur
, rue des Foffes S. Germain l'Auxerrois
1761. Avec Approbation & Přivilége
du Roi,
G iij
750 MERCURE DE FRANCE.
CETETTTEE feconde Édition étoit due à
l'accueil favorable que le Public a fait à
la premiere , comme le dit l'Auteur. Elle
eft augmentée de plufieurs bandages &
appareils que l'Auteur a éprouvés ou inventés,
d'un petit Traité des bandages ou
brayers , & de plufieurs machines propres
à différentes maladies , d'après un choix
très - févère de ceux que M. Sue a jugés les
meilleurs , aufquels il en a ajouté plufieurs
de fon invention.
La Science des bandages & appareils
eft d'autant plus importante dans la pratique
de l'art de guérir , pour les maladies
externes , que celle de bien opérer.
C'eft ainfi qu'en jugeoient les Anciens ,
'comme il eft dit dans la Préface de ce
Livre M. Sue ne craint pas d'avancer
que fans la fcience de cette partie de la
Chirurgie , la pratique des autres eft abfolument
défectueufe & même dangereufe.
Le malade qui s'eſt foumis à des panfemens
douloureux , voit avec confolation
l'appareil mis fur fa plaie contenu
fous un bandage qui le garantit d'acci
dens funeftes. La confiance dans la perfonne
du Chirurgien n'eft affurée, que lorfque
le bandage bienfait , affure lui- même
le fuccès de l'opération.
JUILLET. 1761. 151
L'utilité de ce Traité confifte principalement
dans cette fimplicité fi néceffaire
aux livres qui traitent des Arts , où il faut
avant toutes chofes beaucoup de netteté;
il n'y a que le véritable Citoyen qui fache
dans un Ecrit , rejetter les ornemens
qui ne font que pour lui- même , & ne
s'attacher qu'à l'utile , parce qu'il met
toute la gloire dans la recherche du bien
*public.
Ce Livre eft un de ceux qui , fait patticuliérement
pour les Eléves , n'eft pas
d'un moindre ſervice pour les Sçavans ,
à caufe des principes qu'il renferme fous
des définitions , defcriptions exactes ou
l'on fçait qu'un mot omis ou déplacé
caufe un défordre dans la mémoire , qui
les fait oublier infenfiblement , même
aux perfonnes de l'Art.
Il
>
y a d'ailleurs dans cet Ouvrage beaucoup
de difcuffion & deréformes de bandages
, d'appareils & de machines déjà en
ufage ; & une augmentation confidérable`
de beaucoup d'autres qui n'avoient point
encore été imaginés . Ce Traité eft divifé
en trois Parties ; dans la première on expofe
les bandages & appareils en général
; dans la feconde , on les décrit tous
en particulier , & on indique en même
temps la longueur , & la largeur que
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
doivent avoir les bandes , & les piéces de
linges qui doivent être employées ; &
dans la troifiéme Partie , il eft fait mention
de différens bandages ou brayers avec
la manière de les conftruire , ainfi que de
plufieurs machines , dont l'ufage des unes
eft relative à certaines fractures , & celui
des autres eft pour redreffer les os des
Rachitiques ; d'autres enfin peuvent être
employées dans certaines maladies parti
culiéres.
La premiere partie a trois chapitres :
dans le premier on traite des bandages.
en général , de leurs noms , définitions ,
differences , & des ufages qui ont rapport
aux différentes parties ; on y trouve auffi
les divifions & fousdivifions des bandages
, & les différentes claffes fous lefquelles
on peut les ranger. Le fecond
Chapitre traite de la bande & de fes conditions
felon la méthode du Chapitre précédent
, de la façon de la commenter &
de l'appliquer , & de fituer la partie bleffée
, la bonne façon de faire un bandage
& d'en connoître les défauts , & l'attention
que doit y apporter le Chirurgien
en quoi M. Sue témoigne beaucoup d'affection
& de tendreffe pour les malades ;
chofes fi néceffaires , qu'elles ne contribuent
pas peu à leur guérifon par l'état
JUILLET. 1761 . 153
de tranquillité que leur procurent les témoignages
extérieurs de bonté & de fenfibilité
d'un Chirurgien compâtiffant. Le
troifiéme Chapitre employe le même ordre
fur la matière des appareils , ce qui
forme comme un Traité préliminaire des
bandages & appareils en général .
La feconde partie eft des bandages en
particulier. Elle commence par avertir
que la lecture des meilleurs Traités ne
fuffit pas pour acquérir fur cette matière
une parfaite connoiffance ; les leçons font
néceffaires , parce que ceci eft de la nature
des chofes qu'il faut voir opérer pour
les bien apprendre ; à quoi M. Sue ajoute
qu'il faut répéter enfuite foi même l'application
, comme on l'a vû faire , pour
s'en faire une habitude fûre lorfqu'il s'a
gira de paffer à la pratique.
Cette Partie renferme quatre Chapitres
; car il s'eft gliffe après l'errata une
faute pour le nombre de ces Chapitres ; ce
qui eft de peu d'importance. ) Le premier
Chapitre préfente trois bandages & appareils
pour la tête & les parties qui lui
partiennent & l'avoifinent de plus près.
Le fecond Chapitre eft des bandages &
appareils du tronc depuis le trente -un jufqu'au
quarante - fept inclufivement : le
troifiéme Chapitre ici nommé , le quatre,
Gy
ap154
MERCURE DE FRANCE.
· ·
traire des bandages & appareils , qui fervent
aux extrémités fupérieures depuis le
quarante fept jufqu'au foixante - fept inclufivement
. Enfin le quatrième Chapitre
ici nommé le cinq , comprend les bandages
& appareils pour les extrémités inférieures
, depuis le foixante fept juſqu'au
foixante dix fept inclufivement. A ces
quatre Chapitres M. Sue a joint quatre
appareils irréguliers C. A. D. qui ne peuvent
fe rapporter aux bandages régulièrs
par la qualité de leur matière ou de leur
forme , à caufe de certaines efpéces de
maladies , ou des circonftances particulières
dans lesquelles on ne fauroit affigner
d'appareil fixe , qui puiffe être réduit
aux principes. Il faut ici une grande connoiffance
de l'Art avec un génie de reffource.
Dans la defcription du tout , on ſent à
la première vue quelle clarté répand fur
chaque objet , l'union du bandage & de
l'appareil décrits enfemble , & le choix
fcrupuleux des termes les plus propres.
Le traité qui vient à la fuite de celui -ci
eft des bandages ou brayers & des machines
propres à contenir quelques parties ;
il eft divifé en quatre parties qui font
tre Chapitres où prefque tout eft neuf &
ne fe trouve pas ailleurs ; la méthode eft
la même que dans le premier Traité,
quaJUILLET.
1761. ISS
Les perfonnes de l'Art rendront à cet
Ouvrage une juftice que méritent les récherches
, la connoiffance de l'Art , la
fûreté & l'univerfalité de pratique qui
étoient néceffaires pour compofer quelque
chofe de méthodique fur des matières
qui ne fe trouveroient qu'éparſes, dénuées
des principes , des notions générales , &
d'une Science d'application qui compofent
cependant tous le fond d'un Art . De
forte qu'on peut dire que M. Sue a fait un
Art de ce qui ne l'étoit point encore.
LETTRE du Frère COSME , Feuillant ,
écrite le 3 Juin 1761 , à M. MERtru,
Maître en Chirurgie à Paris , Démonf
trateur de Chirurgie aux Ecoles de Médecine
de la même Ville.
MONSIEUR,
Il m'eft revenu comme un fait certain ,
qu'en démontrant les opérations de Chirurgie
cette année aux Ecoles de Médecine
, vous y avez avancé publiquement
en parlant de la taille , que je n'avois pas
donné dans les liftes que j'avois publiées
en différentes fois , le nombre des morts
auffi exactement que celui des vivans ou
guéris. G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
Comme pareille avanture fe répandoit
fourdement dans le Public en 1793 , je
pris le parti de donner un défi public de
prouver cette calomnie dans le Journal
des Savans , Janvier 1754 , page 155 fous
le titre , Lettre du Frère Cofme à MM. les
Auteurs du Journal des Savans . Vous
pouvez vous en affurer . Depuis cette Epoque
je n'ai rien publié en lifte.
Quoique je fois très - difficile à croire
l'impofture , on m'a fi fort affuré que vous
aviez avancé ce fait , que je m'adreffe à
vous même pour favoir ce qui en eft , &
'j'efpére que vous ne ferez aucune difficulté
de me répondre le oui , ou le non
fans biais , fuivant l'opinion que vous
m'avez donnée de votre probité , lorfque
j'ai eu occafion de vous fréquenter chez
M. le Marquis Dupont Duchâteau , auprès
duquel je vous ai rendu la juftice qu'il
me paroi oit que vous méritiez .
Si l'allégation dont je me plains fe bornoit
uniquement à ma réputation perfonnelle
, je fuis bien éloigné d'en tirer raifon
; mais vous favez mieux que moi le
danger des fauffetés qu'un Profeffeur public
peat avancer à la multitude d'Élèves
de toute espéce qui vont l'écouter , &
dont le plus grand nombre fuivent les impreffions
comme une loi , & c.
J'efpére donc que votre réponſe me
1 157
JUILLET. 1961.
mettra en état de démentir les rapporteurs
qui fe difent témoins du fait , ou
qu'elle pourra fe publier comme un antidote
dans les écrits publics , pour détromper
les gens de l'Art fur les conféquences
qu'ils auroient tirées d'un enfeignement ,
où ils auroient pris le change contre vos
intentions.
Je fouhaite de tout mon coeur que fe
rapport foit faux , & que rien ne puiffe
diminuer l'eftime que j'ai conçue de votre
probité , ni celle que le Public a lieu d'avoir
de votre capacité . & c .
J'ai l'honneur d'être & c.
Si je ne reçois aucune réponſe dans la
huitaine , je n'y compterai plus .
Cette Lettre n'a été envoyée au Mercure
que le 25 du même mois , 22 jours
après fa date , au défaut d'une réponſe.
ANATOMIE.
LE Volume des Mémoires de l'Acadédémie
Royale des Sciences de 1744 , en
contient un d'Anatomie fur la ftructure
des reins , par M. Bertin , avec quatre
Planches très curieufes . L'explication de
ces Planches eft très chargée , & l'on ne
fcait point comment ce volume a paru
avec les planches , fans les lettres qui ont
158 MERCURE DE FRANCE.
rapport à l'explication . Comme cela faifoit
pour ceux qui ont la collection , un
volume imparfait, M. Morand a été chargé
de l'impofition des lettres & des chiffres
en grand nombre , & l'Académie
vient de publier ces Planches avec les lertres
qui manquoient . Il faut s'adreſſer à
I'Imprimerie Royale .
MORAND.
LETTRE à la Société des Gouteux.
L Es progrès de ma poudre balfamique
ou ptifane pour le foulagement de la
goutte , devenant tous les jours plus intéreffans
, & la réputation de ce reméde
s'établiffant folidement , je dois inftruire
le Public des moyens que j'ai employés
pour y parvenir. Après les premieres années
d'expériences , je me fuis adreffé aux
Chefs de l'Art,à qui j'ai confié la compofition
de cette découverte ; tels font MM.
de Sénac & de la Saône , premiers Médécins
du Roi & de la Reine , M. Bory &
M. de Bordeux , Docteurs Médecins de
Paris , M. Morand , célèbre Chirurgien de
Paris, & c ; qui non feulement l'ont regardé
comme un remède doux & incapable
de produire des effets contraires ; mais en
JUILLET. 1761.
159
1
ont fait l'éloge en le confeillant aux malades
goutteux . Ses différens fuccès ont diffipé
le préjugé de quelques - uns & excité
toute l'attention de ceux qui étoient les
plus incrédules. Les peines & les traverfes
que j'ai éffuyées dans l'exécution d'un projet
fi difficile, n'ont fait qu'exciter mon zéle
& augmenter mon émulation ;toujours appliqué
à la pratique de cette terrible maladie
, j'ai fait les obfervations les plus
utiles pour foulager tous les Goutteux ,
quoique d'un tempérament différent ; je
preferis aux uns ma ptifane naturelle , &
à d'autres , je l'ordonne coupée avec un
quart de petit lait clarifié , ou de lait pur
chez ceux qui n'en font point incommodés
; j'en foutiens les effets par de doux
purgatifs quand ils font indiqués ; j'ai même
formé un purgatif particulier en poudre
dont l'on forme des bols , pour ceux
qu'une répugnance infurmontable ne peut
affujettir à l'ufage des liquides. Mon nouveau
traité fur la goutte , qui eft imprimé
& fe vend chez M. Lambert , rue de la
Comédie Françoiſe à Paris , eft un Ouvrage
qui intéreffe très - particuliérement tous
les Goutteux , leur confeillant de le lire
& le relire encore ; ils y trouveront toutes
les reffources que peuvent leur procurer
la théorie & la pratique : ils y verront
160 MERCURE DE FRANCE.
auffi des faits opérés par mon reméde &
les fuites des effets contraires de ceux que
l'on a mis en ufage . Plus flatté d'une réputation
qui s'établit peu à peu , que de
celle qui s'éclipfe à l'inftant qu'elle s'annonce
, je prouverai à la Société que [es
intérêts me font précieux , & ne négligerai
aucun moyen de mériter fon eftime &
fa confiance . J'ai fixé le prix de mon reméde
à vingt- quatre fols la prife pour la
bouteille ; je n'ai pas crû devoir me refufer
à de fages confeils & à l'humanité :
j'aurai des correfpondances dans toutes les
Capitales du Royaume & les principales
Villes de l'Europe , pour la plus grande
commodité du Public qui n'eft pas toujours
dans le cas d'attendre : mon ordonnance
eft à la fin de l'Ouvrage , & tous les
moyens d'ufer du reméde y font indiqués.
Il faut avoir le foin d'affranchir les Lettres
que l'on m'écrit , de même que celles de
mes correfpondans. Je fuis logé chez M.
de la Font, petite rue S. Roch , quartier
Montmartre à Paris. MM . les Libraires
qui voudront avoir mon Ouvrage pour lediftribuer
dans leurs Provinces , s'adrefferont
à M. Lambert à Paris.
CHERVY DE MONGERBET . D, M.
JUILLET. 1761. 161
ASTRONOMIE , OPTIQUE ,
HORLOGERIE.
DESCRIPTION & Ufage de divers Ouvrages
& inventions de M. PASSEMANT
, Ingénieur du Ro1 : fuite de
l'Extrait inféré dans le Mercure du
mois de Mai dernier.
E NTRE toutes les merveilles dont cette
Brochure donne une notice , & que nous
fommes obligés de fupprimer dans un Extrait
, on ne peut fe difpenfer d'indiquer
le grand Miroir de glace , * de 45 pouces
de diamètre , préfenté au Roi en 1757.
Ce Miroir , expofé au foleil , en réunit
tellement les rayons , qu'un morceau d'argent
, placé au foyer , eft fondu en trois
fecondes . La matiére fondue tombe de
fept pieds de hauteur dans un vaſe
d'eau , & elle s'étend fous l'eau comme
une toile d'araignée ; la chaleur étant fi
forte , que ni l'air , ni l'eau ne peuvent la
mettre en grenailles. Les minéraux & les
pierres les plus dures ne réfiftent point à
fon effet. Ce Miroir joint à cette faculté ,
* Grand Miroir de 45 pouces de diamètre.
162 MERCURE DE FRANCE.
celle de faire paroître de grandeur natu
relle des Payfages , des Bâtimens , des
Ports de Mer , peints fur des Tableaux
de fix pieds de grandeur , en forte qu'on
les voit comme dans leur véritable étar ,
& qu'un deffein d'Architecture fait l'effet
d'un Bâtiment élévé dans fes vraies
proportions , & tel qu'il fera dans fa conftruction
réelle. Il eft facile de fentir quel
avantage il en doit réfulter pour juger &
rectifier les défauts , qui dans les Edifices
les plus confidérables ne s'apperçoivent
qu'après la conftruction . L'Auteur s'engage
dans cette Brochure à fournir aux
curieux , de ces fortes de Miroirs de la
grandeur qu'ils fouhaiteront.
M. Paffemant avoit donné au Public en
1737 , un Traité fur la conſtruction des
Télescopes , qu'il fe propofe d'augmenter
d'un nombre confidérable de recherches
qu'il a faites depuis , fur ce Méchaniſme .
Les Mathématiques lui doivent encore
une excellente méthode pour divifer un
quart de cercle , avec tant d'exactitude
qu'on eft fûr d'une feconde ; & il a ajouté
à cette méthode , la manière de conftruire
cet inftrument d'une façon que l'Obfervateur
foit affuré de la même précifion dans
l'uſage qu'il en peut faire. Quel motif
pour engager tous ceux qui opérent dans
JUILLET. 1761 .
163
quelque partie que ce foit des Mathémaiques
, à fe fervir des inftramens que dirige
la fagacité d'un tel Artifte .
BAROMETRES .
La plus grande perfection des Barometres
& des Thermometres a été auffi un
des objets du travail de M. Paffemant.
Paffons le détail des différens Barometres
d'une conftruction toute nouvelle , &
d'une fenfibilité très-fupérieure à tous les
autres , pour rendre à notre Savant Méchanicien
le tribut d'éloges & de reconnoiffance
que l'on doit à fon Barometre
de Mer.
BAROMETRE de Mer , dont feu M.
THUROT afait ufage.
L'extrême avantage de prévoir les variations
du temps fur Mer , étoit trop fenfible
& trop intéreffant , pour n'avoir pas
été defiré; mais cet éffort, jufqu'à préfent,
avoit paru au- deffus des plus hautes prétentions
de l'induftrie humaine . La vacillation
continuelle de la colonne de Mèrcure
rendoit impraticable l'ufage des Barometres
. Notre Auteur , qui a furmonté
cet obftacle par un des moyens les plus
fimples , nous apprend qu'il eut l'honneur
le 12 Août 1759 , de faire au Roi la def
164 MERCURE DE FRANCE
cription du Barometre de Mer.On s'eft fervi
de ce précieux inftrument fur quelquesuns
de nos vaiffeaux , dans les dernières
campagnes de Mer , notamment fur ceux
du feu Capitaine Thurot , nom trop cher
encore à tout bon Patriote , & trop refpectable
dans la Navigation , pour que
fon choix & fes expériences n'aflurent
pas le mérite & l'utilité d'une invention
de cette importance.
HORLOGERIE.
Les defcriptions contenues dans cette
Brochure , des divers Chefs - d'oeuvre d'Horlogerie
dont M. Paffemant a enrichi cet
Art , font fi peu chargées de ce qui fait
valoir des chofes très - inférieures , que les
extraire feroit les copier en entier ; il feroit
à craindre même de prévenir le plaifir
qu'elles feroient au Lecteur dans l'ouvrage
même : nous ne pouvons cependant
refuſer un moment d'attention aux dernières
Montres à répétition de l'Auteur, la
première defquelles il a eu l'honneur de
préfenter au Roi l'année dernière.
MONTRE où l'on voit le Mécha
nifme de la Répétition .
Quelque peu fenfible que puiffe être quelqu'un
au Méchanifme admirable d'une
JUILLET. 1761. 165
•
Montre à Répétition , il ne pourra dif
convenir de l'agrément qu'il y auroit à
voir , en s'en fervant, tout le jeu des piéces
qui la compofent. M. Paffemani eſt
parvenu à mettre à découvert , fous un
criftal , qui fait le fond de la boëte , toutes
les piéces de la cadrature ; en forte
qu'en faifant frapper l'heure , on voit le
jeu de toutes ces piéces ; obfervation que
l'on répéte autant de fois que l'on veut ,
fans détériorer la montre. Lorfque l'on
confidére tous les changemens qu'il a
fallu faire dans la difpofition des rouages
; qu'il falloit de plus , que toutes les
piéces de la cadrature fujettes à tourner
fiffent cette opération dans un fens contraire
; que d'ailleurs il étoit indifpenfable
de rendre fans jeu le renvoi de l'aiguille
des minutes au limaçon des quarts ,
& qu'en mettant l'aiguille des minutes
fur l'heure , ce limaçon fe plaçât auffi
exactement que s'il étoit fous le cadran ;
fi l'on confidére donc toutes ces difficultés
, on reconnoîtra qu'elles demandoient
des recherches infinies ; & l'on ne nous
foupçonnera pas de prodiguer indiftinctement
une puérile admiration à toutes les
découvertes que nous annonçons au Public .
166 MERCURE DE FRANCE:
T
1
HORLOGERIE ASTRONOMIQUE.
Les Ouvrages finguliers en Horlogerie
Aftronomique du même Auteur , & qui
avoient précédé ce dernier , étant d'un
plus grand apparat , ont été vus d'un plus
grand nombre de curieux.
Une Pendule couronnée d'une fphère
mouvante , préfentée au Roi en 1759 , &
placée dans fon cabinet à Verſailles . Une
autre finie en 1754 , qui a été envoyée
aux Indes , deſtinée pour le Roi de Golconde
; une Pendule Aftronomique faite
pour le Grand- Seigneur , en 1749 ; propre
à être miſe fur un Bureau; des pendules
à fecondes réduites dans une boëte
ou dans un cartel de grandeur à être attachées
à une muraille. Les mêmes pendules
font à équation , en forte qu'elles
indiquent le temps vrai & le temps
moyen , avantage que le même Auteur a
trouvé auffi le fecret de donner à des
montres.
MACHINE PARALLECTIQUE
MOUVANTE.
On ne voit pas fans étonnement une
Machine parallectique, rendue mouvante,
& préfentée au Ror en 1757 , dans la
boëte de laquelle eft renfermé un mouJUILLET.
1761 ; 167
yement qui fait tourner un télescope
garni d'un micrométre . Cet inftrument
fuit le Ciel toute la nuit , en forte cependant
que l'on peut accélérer ou ralentir
fon mouvement
, fuivant celui de
la Planette qu'on obferve. Les favans Obfervateurs
doivent être particulierement
fenfibles à l'utilité prodigieufe de cette
Machine.
GLOBES MOUVAN S.
Les Temps & les Empires qui ont eu
des Mécènes , ont eu feuls la gloire de
produire & de développer des génies qui
les ont illuftrés. Notre Auteur finit en
1759 pour M. le Marquis de Marigny ,
Directeur des Bâtimens du Roi , deux
globes qui ont été placés depuis dans
une Maiſon Royale .
Le Globe Célefte tourne fur lui-même
en 23 heures 56 minutes 4 fecondes
temps de la révolution des Etoiles fixes ;
en forte que l'on voit toutes les Etoiles qui
fe lévent & qui fe couchent , & toutes
celles qui paffent au méridien . Un Soleil
fait le tour de ce Globe en parcourant
en une année l'écliptique , fans que l'on
voie comment il communique avec le
rouage. Au Pole arctique eft placé un cadran
d'Email , où l'heure & la minute font
marquées.
68 MERCURE DE FRANCE:
Le Globe Terreftre tourne fur lui- mê
me en 24 heures . Au Zénith eſt placé un
Soleil qui femble éclairer le Globe : l'horifon
fert à féparer la partie éclairée de la
partie obfcure . Toutes les Villes qui atteignent
le bord de l'horifon entrent dans
la lumière ; celles qui paffent fous le Soleil
ont midi ; celles qui atteignent le bord oppofé
de l'horifon , entrent dans la nuit.
Les poles de ce Globe s'élevent de 23 degrés
& demi en été , & s'abaiffent de 23
degrés & demi en hyver , fuivant la déclinaifon
du Soleil . Par ce mouvement les
jours croiffent & décroiffent réguliérement
; & on voit les Pays qui ont fix mois
de jour & fix mois de nuit , & les faifons
fe fuccédent régulièrement .
Toute la Méchanique qui fait mouvoir
ces deux Globes , eft cachée ; & ils n'ont
befoin d'être montés que toutes les femaines.
Depuis l'impreffion de cette Brochure ,
l'Auteur a terminé d'autres Ouvrages qui
ne méritent ni moins de curiofité
moins d'admiration .
ni
M. PASSEMANT , eft logé au Louvre
au- deffus de M. BOUCHER , Peintre du
Roi.
ARITHMÉTIQUE.
JUILLET. 1761. 169
ARITHMÉTIQUE.
M. DUFOUR , Ingénieur en Chef de la
Compagnie d'Agriculture , qui a mis au
jour l'année derniere uneTable Géométrique
Françoife ou Allemande , gravée en
4 Planches , non compris le Titre Allemand
, à l'effet de faire trouver au premier
afpect les produits de tous les nombres
intermédiaires entre 1 & 100 , ayant
été requis de diminuer le prix de cetteTable
, dont la compofition a été approuvée
& l'utilité reconnue , donne avis au Public
qu'il en fournira les Exemplaires fous
les différens formats , aux prix ci - deffous :
SÇAVOIR;
Les 4 Planches en feuilles féparées &
tirées fur grand Nom de Jefus , & le Titre
Allemand fur papier fimple à liv. 10 f.
Les mêmes 4 Planches réunies & collées
enfemble ,
£ 1 liv. 14 f
Réunies & collées fur toile avec bor
dure en foye bleue ,
Reliées in-4 . en bazane ,
Et reliées in -4°. en veau ,
4
liv. 12 f.
31.6 f
3 liv. 18 f
Les anciens prix de ces Tables étoient
de 2 liv. 8. f. en feuilles ; de : 2. liv. 12 :
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
réunies & collées enſemble ; de S5 l. 10 f.
réunies & collées fur toile avec bordure en
foye bleue; de 4 liv.4 f.reliée in-4° . bazane
& de 4 liv. 16 f. reliée in-4° . en veau.
L'Auteur a prévû & levé les difficultés
qu'auroient produites les raccordemens
lors des collures pour l'affemblage des 4
feuilles de cette Table , en une ſeule ; en
mettant en tête & à gauche des 1 , 2 , 3 &
4 planches , les nombres générateurs intermédiaires
entre 1 & 100 qui fe fervent
réciproquement de multiplicande & de
multiplicateurs , & fucceffivement d'une
Planche à l'autre , ainfi on peut ( chaque
feuille reftant féparée) faire par le moyen
de ces nombres générateurs , toutes les
multiplications poffibles entre 1 & 100.-
Ufage de cette Table , les quatre feuilles
reftant séparées.
En tête de la premiere Planche , on
donne deux exemples pour trouver les
produits nommés rectangles , en ce que
les nombres ou racines de ces produits
font inégaux.
Cette premiere Planche renferme 1225
produits rectangulaires des nombres entre
& so , l'un par l'autre , & so produits
nommés quarrés des mêmes nombres
depuis 1 jufqu'à so inclufivement .
JUILLET. 1761. 171
Dans la feconde Planche , on donne
deux exemples pour trouver dans cette
Table les produits quarrés contenus dans
les Diagonales AD & F D des premiere
& quatrième Planches .
Ces quatre exemples font plus que fuffifans
pour connoître à fond la manière
de trouver dans les quatre Planches de
cette Table les produits à volonté entre
1 & 10000 .
La troifiéme Planche renferme 2500
produits ( nommés rectangles ) de tous
les nombres , depuis 51 jufqu'à 100, multipliés
par les nombres intermédiaires entre
& so inclufivement , qui font en
tête de cette troifiéme Planche.
Enfin la quatriéme Planche contient
1º.le long de la diagonale F D , les so
produits quarrés de tous les nombres depuis
51 juſqu'à 100 inclufivement. 2 °.
1225 produits rectangulaires entre 51 &
100.
"Outre que cette Table a été pouffée
jufqu'à 100 , elle a l'avantage fur celle
de Pythagore ( qui ne l'avoit donnée que
depuis jufqu'à 10 ) de préfenter dans fa
diagonale les quartés des 100 nombres
générateurs qu'elle contient, mais encore.
celui d'être dépouillée de 4950 produits
qui feroient en double emploi , fi Pytha
Hij
172 MERCURE DE FRANCE,
gore eût de même pouffé fa Table juf
qu'à 100 .
Les Perfonnes de Province qui defireront
fe procurer ces Tables peuvent ( en
affranchiflant le port de leurs lettres &
celui de l'argent , felon le format qu'el,
les voudront ) s'adreffer à Paris à M. Dufour
, rue S. Honoré , vis- à- vis de la rue
de la Sourdiére , maifon de M. Dangard,
Notaire ; elles recevront l'ordinaire d'après
leur demande , & par la voie qu'elleş
indiqueront , ces Tables Géométriques.
Nota. Les Exemplaires in - 4° . ont été
faits exprès pour les Bureaux & les Cabinets
dans lefquels les Tables collées fur
toile font auffi très- utiles .
SUPPLEMENT à l'Article des Sciences
& Belles- Lettres.
Application du calcul des probabilités à
l'inoculation de la petite vérole.
OnN peut réfoudre çes fortes de queftions
de deux façons : la premiere en trouvant
qu'il y a au plus , ou au moins , tant en
faveur d'un parti , plutôt que de l'autre ;
la feconde en déterminant au jufte , l'avantage
ou le défavantage d'un parti an
JUILLET. 1765 173
deffus de l'autre . Celle - ci eft fans contredit
la plus parfaite ; mais la premiere fufpour
le déterminer dans l'ufage de la fit
vie.
PROBLEME.
Déterminer quel est le défavantage d'attendre
la petite vérole naturelle , relativement
à celui de fe la faire donner par
inoculation. "
Je cherche d'abord le défavantage de
fe faire donner la petite vérole par inoculation
, & je fuppofe qu'on inocule un
enfant de 4 ans, & que de 300 Inoculés
il en meurt un ;je fuppofe encore que la
vie ordinaire de l'homme eft de 64 ans :
fi cet enfant rifquoit les 60 années qu'il
doit vivre , contre un autre qui en rifqueroit
un pareil nombre , & qu'il pût
gagner les années de cet autre, nommant
A les années qu'il doit vivre , fon * fort
s'exprimeroit par 299+ A ++ & ſon
avantage feroit
70 1970
J
2
300
I
38A , mais comme cet
On entend par le fort d'un Joueur ce qu'il a
dans l'enjeu , qui eft comme les hazards qui font
en fa faveurs s'il a plus de la moitié des hazards
en fa faveur , outre fa mife , il a une portion
dans la mife de l'autre , & cette portion eft ce
qu'on appelle fon avantage. i
Hij
74 MERCURE DE FRANCE.
enfant rifque les années futures de ſa vie,
fans efpérance d'en gagner d'autres , &
feulement pour fauver fes années futures
d'un plus grand danger , fon fort fera
222+A++ o, & aulieu d'avoir de l'a-
1
360
vantage , il aura le défavantage réel de
A. Cherchons maintenant fon défavantage
, s'il eût attendu la petite vérole
naturelle. De huit perfonnes qui en font attaquées
il en fuccombe une; fon fort feroit
donc 7 +B +1 +o fon défavantage B , 198
-
8
je nomme ici les années B , parce que le
nombre n'en eft plus le même , le défavantage
de la petite vérole Inoculée
étant A , & celui de la petite vérole 1380
naturelle B , le défavantage de la petite
vérole fera à celui de l'Inoculée , comme
300 B à 8 A. Pour donner une valeur
à B. je fuppofe que le germe de la petite
vérole fe manifefte également chaque
année de la vie , ayant déterminé la vie
de l'homme à foixante - quatre ans , il
faudra prendre le terme moyen entre 4 &
64, & on aura 30 pour la valeur de B, &
l'on trouvera que le défavantage de la
petite vérole naturelle fera 300 + celui
de l'Inoculée 16 ou 18 → 1 .
Il y en a qui ont eftimé le défavantage
JUILLET. 1761. 175
de la petite vérole naturelle , fans avoir
égard aux nombres des années qu'on rifque,
& de celui de la petite vérole Inoculée
+ ; de là ils ont conclu que le défavantage
de la petite vérole naturelle étoit
à celui de l'Inoculée comme 300 à 8 ; en
quoi ils fe font trompés ; ils auroient dû
voir, que le défavantage de la petite vérole
naturelle eft un défavantage de la petite
vérole Inoculée en raifon compofée de
300 à 8+ du nombre des années qu'on
rifque , c'est- à- dire , en raifon compofée
de ces deux raports 300 8 & B A , qui eft
300 Bà 8 A , comme nous venons de le
trouver. Le défavantage d'attendre la petite
vérole naturelle eft donc à celui de
l'Inoculée au moins comme 18 à 1 .
J'ai fait une fuppofition à trop défavantageufe
à l'Inoculation , en fuppofant
que dans celui qui attend la petite vérole
naturelle , fon germe ne fe manifeſtera
qu'au milieu de fa carrière : il n'en eſt prefque
point où il attende fi tard à fe manifefter.
Pour fuivre un calcul plus approchant
de l'exactitude , ou qui l'atteigne
peut-être , je diftribuerois la manifeftation
du germe de cette façon : depuis quatre
ans jufqu'à quatorze , la moitié du
monde a la petite vérole , depuis quatorze
jufqu'à vingt- quatre,, depuis vingt-
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
,
quatre jufqu'à trente quatre , depuis
trente- quatre jufqu'à quarante- quatre
depuis quarante - quatre jufqu'à cinquantequatre
, depuis cinquante- quatre jufqu'à
foixante- quatre un autre réduifant
ces fractions en entier , on a 32 , 16 , 8 , 4,
2, 2. Pour trouver le défavantage de celui
qui attendroit la petite vérole naturelle &
chez qui elle devoit fe déclarer dans les
10 premières années , relativement au
défavantage qu'il auroit eu en fe faifant
inoculer à quatre ans la petite vérole
pouvant fe manifefter dans les premières
ou dans les dernières années des dix ans ,
il faut prendre un terme moyen entre dix
qui eft cinq , de forte que l'enfant aura
la petite vérole à neuf ans , & courra rifque
de perdre cinquante - cinq ans ; on
aura donc pour ces termes des rapports
dont il faut chercher la raifon compofée.
(300 , 8 , 55 , 60 , & cette raifon fera
16500 , 480 ou 341 , 1. On trouvera de
même , que le défavantage d'attendre la
petite vérole , fi le germe doit fe manifef
ter dans la feconde dixaine de la vie de
l'enfant, fera 28 & s'il fe manifefte dans
la troifiéme dixaine , il fera 21 , s'il fe
manifefte dans la quatriéme dixaine , il
fera 15 , s'il fe manifefte dans la cinquiéme
dixaine il fera 9 , s'il fe manifefte
dans la fixiéme dixaine, il fera 3 j. Si
JUILLET. 1761. 177
la petite vérole doit fe déclarer dans la
première dixaine, le défavantage eft 345 ,
fi elle doit fe déclarer dans la deuxième
dixaine , le défavantage eft 28 ; mais
comme elle a trente- deux perfonnes à attaquer
dans la première dixaine , contre
ſeize dans la deuxième , ou ce qui eft la
-même chofe , qu'il y a trente- deux contre
feize qu'elle fe déclarera plutôt dáns la
première dixaine que dans la feconde , je
multiplie 34 % par trente-deux & 28 par
feize , & j'ai 1100 pour le défavantage
de la première dixaine & 450 pour celui
de la feconde. Multipliant de même 21 %
par 8 15 par 4 , 9 par 2 & 3 auffi par
2. On aura pour les défavantages de ces
quatre dixaines 173 , 62 , 18 & 6 , les défavantages
des fix dixaines feront.
Et le Total des défavantages
1824 , divifant cette ..
•
fomme par 64 on aura 28 de
forte que le..
défavantage exact d'attendre la petite
vérole dans les impofitions..
que nous avons faite, à celui de so
la faire donner.
par Inoculation eft de 28
C. Q. F. B....
·
à I.
ilob
450
175
62/2
18
6
Total , 1812 .
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
Nous avons fuppofé la vie ordinaire de
l'homme de 64 ans , ce qui peut être
trop : mais qu'on faffe le dernier calcul
que nous venons de donner fuivant une
autre fuppofition qu'on croye approcher
plus du vrai , cela ne diminuera ni n'augmentera
pas beaucoup l'avantage de l'Inoculation;
nous ne voulions que montrer
qu'on peut foumettre cette queftion au
calcul des probabilités, le Public jugera fi
nous y avons réuffi . Si dans la fuite on fait
des Obfervations plus exactes , il fera auffi
facile de calculer fuivant ces obfervations
que fuivant les fuppofitions que nous
avons faites.
Nous avons mis au nombre des défavantages
de l'Inoculation, les riſques que
court l'Inoculé de perdre les années qui
s'écoulent depuis 4 ans jufqu'à l'âge fait ;
ce n'eft point un inconvénient pour le
Fere qui fait inoculer fon enfant , il lui eft
auffi fenfible de le perdre à 20 ans qu'à 4 ;
cet inconvénient n'en eft pas un non plus
pour l'état , qui n'a pas plus tiré de fervice
d'un adolefcent qui meurt à 17 ou 14
ans , que d'un enfant de 4 ans ; mais il
eft inutile de relever des avantages auffi
minutieux en faveur d'une opération , ou
quand ils feroient quatre fois & huit fois
moindres, il feroit toujours dans les régles
JUILLET. 1761 179
de la prudence de la mettre en ufage.
Je ne pafferai pas cependant fous filence
le double avantage que le beau fexe tire
de l'Inoculation , en mettant ſa beauté ,
qui eft une feconde vie à ménager , à couvert
du danger ; mais je ne reléverai point
les autres avantages de cette opération :
ils l'ont été affez en beaucoup d'ouvrages,
& fur-tout dans les Differtations & dans
les Lettres de M. de la Condamine. Que le
fort de cet illuftre Académicien eſt à envier
jamais Savant n'a fait une application
plus utile à l'humanité de ſon ſavoir.
Qu'il eft beau qu'un Royaume entier reconnoiffe,
que s'il a adopté cette naturelle
méthode , il en a l'obligation à fes fortes
& éloquentes Differtations, & que tous les
Citoyens qu'elle arrachera à une mort prématurée
lui devront leur vie.
*
J'attens avec impatience que la Differtation
de M. d'Alembert fur cette queftion
me parvienne , pour voir fi les difficul
tés qu'il croit inacceffibles au talent me
le paroîtront autant. Celles qui font rapportées
dans l'Extrait que M. de Vandermonde
a donné de cette Differtation , ne
m'ont pas paru apporter d'obftacles à
* Cette Differtation eft imprimée en entier dans
PObfervateur Litteraire de M. l'Abbé de la Porte ,
Tome V de l'Année 1766.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
mes calculs , ni en diminuer la certitude. ,
excepté une , fur laquelle je ne puis rien
dire , parce que je ne l'ai pas entendue.
Quoiqu'il en foit, l'autorité d'un auffi grand
-Géométre & Philofophe , ne me laiffe pas
fans inquiétude fur le fort des folutions
que j'ai données . Aux Sables , le 2 Mars
1761 .
MASSÉ DE LA RUDELIERE ..
ARTS. AGRÉABLE S.
M.
GRAVURE.
MOYREAU , Graveur du Ror , rue
des Mathurins , vient de donner deux
nouvelles Eftampes , d'après J. Paul Panini
, Romain. L'une repréfente un Maurfolée
antique , l'autre , les ruines d'un :
Aqueduc Elles font dignes de la curiofité:
des Amateurs .
JUILLET. 1761. 191
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Mufique a préparé
pour le Mardi 14 de ce mois , la premiere
Repréſentation
de la Remife des
Indes Galantes , Ballet dont les Paroles
font de feu M. Fuzelier , & la Mufique
de M. Rameau..
Ce Ballet fut donné pour la premiere
fois en 1735 repris en 1743 & en 1751 .
On rendra compte des détails de l'exécution
& du fuccés de la remife de cet
Opéra dans le Volume du mois prochain .
COMEDIE FRANÇOISE.
LESES Comédiens François ont remis au
Théâtre le Samedi 4 de ce mois , la Com--
reffe d'Orgueil, Comédie en Vers & en 5
Actes de Thomas Corneille , jouée pour la
premiere fois en 1670 .
Quoique cette Comédie fût reſtée au
Théâtre, il y avoit fi longtems qu'elle
182 MERCURE DE FRANCE.
n'y avoit reparu , que la Repréfentation
en étoit nouvelle pour la plus grande
partie du Public. La différence des
ufages du temps où cette Piéce a été compofée,
& encore plus la diftance du genre
comique qui exiftoit alors, jufqu'à la perfection
à laquelle notre Théâtre eft parvenu
depuis , doit nous rendre ces fortes
d'Ouvrages un peu étrangers aujourd'hui.
Ajoutons le tour forcé des intrigues , réfultant
des caractères outrés qui amuſoient
lesSpectateurs; des expreffions dans le Dialogue
qui n'étoient que familieres , & qui
font devenues triviales ; la licence des
équivoques toujours moins tolérées lorfque
cette licence régne le plus dans les
moeurs ; tout fembloit réuni contre la
Comteffe d'Orgueil. Cependant la gaîté de
cette Piéce & la manière dont elle a été
rendue par M. Préville & Mlle Dangeville
, pour lefquels les deux principaux
rôles comiques paroiffoient avoit été faits ,
ont attiré des applaudiffemens. Le plaifir
de rire l'a emporté fur la vaine oftentation
de critiquer. Les repréfentations de
cette Comédie ont été affez fuivies pour
ne pas décourager fur le projet de faire revivre
de temps en temps , plufieurs Piéces
de notre ancien Théâtre, trop légèrement
abandonnées .
JUILLET. 1761 . 183
Le 8 , on remit Orefte , Tragédie de M.
de Voltaire, qui avoit été repréſentée pour
la premiere fois au commencement de
l'année 1750 .
Les Acteurs à cette repriſe étoient :
ORESTE ,
ELECTRE ,
IPHISE ,
CLITEMNESTRE ,
EGISTE ,
PILADE ,
M. le Kain.
Mlle Clairon.
Mlle Huffe.
Mlle Dumefnil.
M. Paulin .
PAMMENE ,
M. Molet.
M. Brizard.
Les applaudiffemens avec lefquels les
repréfentations de cette Tragédie viennent
d'être reçues, ne nous laiffent rien à
ajouter pour la gloire de fon illuftre Auteur
; le plaifir & l'admiration du Public
en font des garans plus fûrs & bien plus
Aatteurs que nos éloges. Tout parallèle
que l'on feroit de cette Piéce avec l'admirable
Electre de M. Crébillon , manqueroit
de jufteffe. Quoique le Sujet foit le
même , la manière de le faifir & de le
traiter, fait de ces Tragédies deux Piéces
différentes. Chacune ayant des genres de
beautés particuliers , le mérite de l'une ne
* V. le Mercure de Février 1750.
184 MERCURE DE FRANCE.
peut détruire celui de l'autre . Ce n'eft point
à l'efprit à adjuger la préférence , c'eſt au
coeur à fe laiffer entraîner fuivant ce qu'il
trouve dans l'une ou dans l'autre de ces
deux Tragédies , de plus propre à l'érouvoir
; & c'eft avoir remporté un prix glorieux
dans la carrière dramatique, que d'avoir
donné lieu à cette efpéce de difcuffion ,
après les fuccès éclatans & toujours foute
nus de la Tragédie d'Electre.. L'Auteur
d'Orefte n'a rien changé dans la conduite
générale de fa Piéce , ni dans le fil des
Scènes ; il a feulement ajouté ou changé
quelques vers dans certaines parties du
Dialogue ; ce qui procure de nouvelles
beautés dans les détails . Entre ce peu de
vers nouveaux qui ne fe trouvent pas imprimés
dans les différentes Editions d'Orefte
, nous en avons remarqué quelquesuns
que nos Lecteurs ne nous défapprouveront
peut- être pas
de
rapporter.
Dans la premiere Scène du troifiéme
Ate , Orefle raconté ainfi à Piladé la rencontre
qu'il a faite de fa mère qu'il ne
connoît pas encore.
و ر » J'étois dans ce tombeau, lorfqueton oeil fidèle
» Veilloit fur ces dépôts confiés à ton zèle ;
» J'appellois en fecret ces mânes indignés ;
>>Je leur offrois mes dons de mes larmes baignés..
JUILLET. 1761. 185
Une femme vers moi courant déſeſpérée ,
» Avec des cris affreux , dans la tombe eft entrée ,
» Comme fi dans ces lieux qu'habite la terreur,
» Elle eût fui fous les coups de quelque Dieu ven-
» geur.
» Elle a jetté fur moi fa vue épouvantée ;
» Elle a parlé , j'ai vû les Filles de l'Enfer ,
» Sortir entre elle & moi de l'abîme entr'ouvert
» Leurs ferpens , leurs flambeaux , leur voix fom .
» bre & terrible ,
M'infpiroient un tranfport inconcevable , horri
» ble ;
>>Une fureur atroce ; & je fentois ma main ·
Se lever malgré moi , prête à percer fon fein.
» Ma raifon s'enfuyoit de monâme éperdue ;
» Cette femme en tremblant s'eft fouftraite à ma
>> vue ,
> Sans s'adreffer aux Dieux , & fans les honorer
» Elle fembloit les craindre , & non les adorer ..
>> Plus loin & c.
*
Ces derniers vers particuliérement ont
une force de pinceau à laquelle l'énergie
fimple & noble de l'expreffion donne le
caractère du fublime. On fent avec quel
art , dans les vers qui précédent , l'Auteur
prépare & juftifie en quelque forte le parri
cide qui doit faire la catastrophe .
Dans la deuxième Scène du même Acte.
486 MERCURE DE FRANCE
Orefte fe plaint à Pammene de la défenſe
lui font les Dieux de fe découvrir à
Eledre.
que
» Pourquoi nous impofer par des loix inhumaines
» Et des devoirs nouveaux , & de nouvelles peines !
» Les Mortels malheureux n'en ont-ils pas affez ?
>> Sous des fardeaux fans nombre ils vivent terraf-
» fés.
» A quel prix , Dieux puiſſants , avons- nous reçu
>> l'être ?
N'importe , eft- ce à l'Eſclave à condamner fon
Maître ?
» Obéiffons , Pammene , & c .
A la deuxième Scène du quatrième Acte,
Electre trompée par de faux bruits , &
méconnoiffant fon frere dans Orefte qu'elle
croit le meurtrier d'Orefte même , malgré
toute la piété que fait paroître ce jeune
Etranger pour les Mânes d'Agamemnon
dit à Iphife.
• · Ainfi donc les Mortels
>>Se baignent dans le fang, & tremblent aux Au-
» tels ;
» Ils paffent fans rougir du crime ' au facrifice.
» Eſt- ce ainfi que des Dieux on trompe la juſtice !
La fin de la Piéce a été jouée telle que l'Auteur
l'avoit d'abord defiré ; c'eſt - à - dire que
JUILLET. 1761. 187
Clitemeneftre y eft tuée prefque fur le Théátre
, ainfi que dans Sophocle. La confufion
des Spectateurs avec les Acteurs fur la
Scène , n'ayant plus lieu , on a rétabli ce
que cette abfurde coutume avoit obligé
de fupprimer dans la cataſtrophe.
On n'avancera rien qui ne confirme le
témoignage de tous les Spectateurs , en
affurant qu'Oreste a été en général rendu
très-fupérieurement à ce qu'il l'avoit été
dans fa nouveauté . Onze ans d'exercice
raifonné portent à la perfection des talens
déja difpofés pour entraîner tous les
fuffrages. Mile Dumefnil a été admirable
& très- applaudie dans le peu de traits dont
le perfonnage de Clitemneftre eft fufceptible
, action de cette Tragédie ne permettant
pas que ce rôle foit auffi intéreffant
que ceux d'Orefte & d'Electre.
à ex- M. le Kain , dont le jeu toujours applaudi
eft particulierement propre
primer les fentimens les plus forts , a
trouvé dans le caractère d'Orefte dequoi
developper tout ce que l'art & l'intelligence
ajoutent dans un Acteur , à la fenfibilité
naturelle de fon âme.
Mile Huffe a montré du feu & de l'intelligence
dans le rôle d'Iphife. Le Public
a reconnu par fes applaudiffemens , ce que
gagnent ces feconds rôles lorfqu'ils font
188 MERCURE DE FRANCE.
remplis par des Actrices auxquelles les
grâces de la figure ne font pas négliger l'étude
& les foins qu'exige leur talent . M.
Molet a été vû favorablement dans le
rôle de Pilade.
Nous étions tentés de ne rien dire de
Mlle Clairon. Il eft fi embarraffant d'avoir
à rendre compte des nouveaux prodiges
de cette Actrice , toutes les fois
qu'elle joue un nouveau rôle ou qu'elle
en reprend un ancien , que la vérité ceffe
de devenir vraisemblable. Ceux qui auront
été témoins des repréfentations d'Orefle
, nous trouveront fans doute beaucoup
trop au - deffous des impreffions , out
plutôt de l'enchantement qu'Electre leur
a fait éprouver ; ceux que leur abfence
aura empêché de jouir de ce plaifir nous
accuferont d'exagération. Cependant ce
n'eft ni le penchant à encherir , lorfqu'on
a à parler plufieurs fois du même Sujet ,
ni l'illufion d'une impreffion récente , qui
nous fait affurer que Mile Clairon a étonné
dans ce rôle par des traits d'un fublime
& d'une force de vérité qui ont paru tout
nouveaux. Le caractère & le fentiment
perpetuel d'Electre n'étant qu'une fureur
enflamée contre fon Tyran , d'où fuit undefir
effréné de vengeance; il eft inconcevable
ce que l'art de cette inimitable '
JUILLET. 1761. 189
Actrice y a placé de nuances , toutes plus
frappantes les unes que les autres . D'un
fentiment unique , elle a trouvé le merveilleux
fecret d'en faire naître tous les
genres démotion qui peuveut enlever
Pâme du Spectateur .
N. B. Pour prévenir quelques cenfures
peu refléchies , nous ne pouvons trop répéter
qu'en rendant compte des Spectacles ,
nous avons toujours en vue ceux de nos Lecteurs
que l'abfence ou d'autres circonstances
empêchent d'en étre témoins, & d'en juger
par eux-mêmes.
COMEDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens , ont donné
fur leur Théâtre la Serva Padrona , dans laquelle
Mlle Piccinelli a exécuté avec fuccès
le principal Rôle .
Le Samedi 11 , on repréfenta pour la
première fois , le Fils d'Arlequin perdu &
retrouvé , Comédie nouvelle Italienne .
Elle fut très - bien reçue du Public , ainfi
que le Ballet Pantomime dont elle eft fuivie,
de la compofition de M. Felicini, Intitulé
le Jardin Anglois : on rendra un
190 MERCURE DE FRANCE.
compte plus détaillé de ce Spectacle dans
le prochain Mercure.
On a mis , par erreur , dans le Volume
précédent le nom de M. Francini ; c'eſt
M. Bertelaure qui danfoit avec Mlle Camille
dans le Ballet des Pierrots , que le
Public a vu tant de fois avec plaifir.
O
OPERA - COMIQUE .
N a continué avec fuccés les Repréfentations
du Jardinier & fon Seigneur ,
ainfi que celles du Cadi dupé , deux Piéces
mêlées d'Ariettes , dont les genres font
différens & plaifent également au Public .
Le 3 de ce mois , on donna pour la première
fois la Fauffe Turque , Opéra Comique
nouveau , que les Auteurs ont retiré.
Le Ballet intitulé le Bouquet, a eu un fort
plus heureux ; Mlle Menaffier y a été entr'autres
fort applaudie. Le genre de Danſe
de M. Allard , quoique jugé par quelques
Amateurs un peu forcé, a des Partifans , &
conféquemment des applaudiffemens.
*
JUILLET . 1761. 191
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES:
De VIENNE , le 20 Juin 1761.
Ls de ce mois , l'Archiducheſſe Amelie ſe
trouva indiſpoſée , & le 6 , fa petite vérole ſe manifelta.
L'éruption n'ayant été accompagnée d'aucun
accident , cette Princeffe eft actuellement hors
de danger . Selon les lettres reçues de la Siléfie
notre armée garde ſa même poſition , & le Baron
de Laudon a toujours fon quartier général à
Hauptmansdorff. Les Pruffiens n'ont fait encore
aucun mouvement . Six mille hommes de leurs
troupes occupent le Zeiskenberg . Divers partis des
troupes du Lieutenant- Général Beck , qui campe
fur les frontieres de la Luface & de la Baffe- Silefie ,
ont déjà pénétré dans cette derniere Province , &
y ont levé des contributions .
Nous apprenons de Warfovie, que le Prince Cle
ment de Saxe vient d'embraffer l'Etat Eccléfiaftique
, & qu'il a reçu la tonfure des mains du Comte
Visconti , Nonce du Pape .
Plufieurs Aftronomes ont fait ici l'obſervation du
paffage de Vénus fur le difque du Soleil . Le temps
fut d'abord peu favorable ; mais il permit du moins
de déterminer le moment de la phaſe laplus éffentielle
; fçavoir , celui de la fortie de la Planete. Le
fieur Caffini , de l'Académie Royale des Sciences
de Paris , obſerva ce Phénomène en préſence de
l'Archiduc Jofeph , qui étoit venu exprès de La
19 MERCURE DE FRANCE.
xembourg. Entre toutes les Tables Aftronomiques ,
fuivant lefquelles on a calculé ce pallage , celles
du fieur Caffini père ont donné les déterminations
les plus conformes à l'événement.
Les nouvelles de Conftantinople portent que
les réjouillances pour la naiffance de la feconde
fille du Grand- Seigneur , ont duré fept jours. On
n'y a pas perdu l'efpérance de voir naître un béritier
de la Couronne Ottomane . Deux Sultanes
font encore enceintes, & Sa Hauteffe a fait donner
part de cet événement aux Miniftres Etrangers. En
même temps , Elle les a fait prier de défendre aux
Maîtres de Navires de leurs Nations , de tirer le
canon , lorfqu'ils pafferont devant le Serrail. Au
départ de ces nouvelles , l'Efcadre Ottomane n'attendoit
qu'un vent favorable pour mettre à la
voile. Elle eft feulement compofée de douze Vaiffeaux
; & l'on ne croit pas qu'elle ait d'autre deftination
, que d'aller recueillir le tribut annuel des
Iles de l'Archipel. La pefte qui régnoit à Smyrne ,
a ceflé , mais elle fait encore du ravage dans diverfes
Provinces de la domination du Grand- Seigneur.
On apprend encore de Conftantinople que le
Prince Héraclius , un des Prétendans à la Couronne
de Perfe , a remporté depuis peu des avantages
confidérables fur fes Compétiteurs . Ces avantages
ont été fuivis de la réduction des deux places
d'Hendfchi & d'Erivan . La premiere a été emportée
d'affaut ; la derniere s'eft ſoumise au Vainqueur
, qui s'eft contenté de lui impofer une contribution
de dix mille fequins. Aflad- Kan & fa
famille font venus fe rendre à ce Prince ; & il les
a envoyés , fous une sûre garde , au Château de
Tefflis . Une grande partie de la Province de Karabah
s'eft rangée fous l'obéiffance du même Prince .
Ces troupes alliégeoient , au départ de ces nouvelles
,
JUILLET. 1761 , 193
les , les Villes de Berda & de Suchfa , qui doivent
être maintenant en fa puiffance.
De HAMBOURG , le 20 Juin.
On a reçu avis de Pomeranie , que les troupes ,
aux ordres du Prince Eugene de Wirtemberg ,
avoient paflé l'Oder , & qu'elles avoient joint le
Général Werner . Elles doivent former un cordon
depuis Colberg jufqu'à la Nouvelle - Marche . Selon
les mêmes avis , les Ruffes le renforcent confidérablement
dans la Poméranie .
Les Suédois fe préparent à entrer en campagne.
On croit qu'ils marcheront d'abord vers le Mecklenbourg
. La Flotte Suédoife a mis à la voile de
l'Ile de Rugen , & elle doit établir la croifiere devant
l'embouchure de l'Oder.
Suivant les lettres de Coppenhague , on y a fait ,
le de ce mois , l'oblervation du paffage de Vénus
fur le difque du Soleil. Par un bonheur inef
péré , le temps , quoiqu'ayant été prefque toujours
couvert , a néanmoins permis d'obferver l'entrée
& la fortie de Vénus . L'émerfion totale eft arrivée
à neufheures vingt - trois minutes du matin .
On écrit de Stockholm , que le Baron de Lutzow
, Envoyé Extraordinaire de la Cour de Schwerin
, eft arrivé dans cette Capitale , I eft chargé de
folliciter la médiation de la Couronne de Suede ,
au fujet des indemnités que le Duc de Mecklenbourg
fe propofe de demander à Sa Majesté Pruffienne.
Ce Miniftre ira enfuite s'acquitter d'une
femblable commiflion auprès de l'Impératrice de
Ruffie,
De MAGDEBOURG , le 20 Juin .
Suivant les avis reçus de la Poméranie , la fufpenfion
d'armes , dont les Généraux Werner &
Tottleben étoient convenus , expira le 6 de ce mois .
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE
Le lendemain , le Comte de Tottleben s'avança
avec un Corps de troupes , pour s'emparer de Belgart
qu'il fit fommer. Le Général Werner y marcha
avec huit bataillons & quelques efcadrons.
Ces deux Corps fe canonnerent le 8 pendant toute
la journée. Enfin les Ruffes renoncerent à leur entreprife
& fe retirerent. Les Pruffiens allerent
enfuite reprendre à Corlin leur premiere pofition.
·De DRESDE , le 10 Juin.
Le 29 du mois dernier , les Pruffiens formerent
une entrepriſe contre les poftes Autrichiens , établis
à Kellelfdorff & dans les Villages voisins. Quatre
bataillons , foutenus d'un Corps de Cavalerie.
fortirent , le 28 au foir , du camp de Meiffen , &
marcherent , pendant la nuit , fur ces poftes qu'ils
attaquerent le lendemain matin . Mais le Général
Ried repoufla l'ennemi , qui ſe retira avec perte
d'environ deux cens hommes tant tués que pri
fonniers.
Le Maréchal Comte de Daun eft parti pour la
Siléfie avec un détachement de fon armée . Il a
laiffé au Général Haddick le commandement des
troupes , qui campent dans les environs de cette
Capitale.
On apprend de Léipfick , que les Pruffiens en
ont retiré leurs Hôpitaux & la plus grande partie
de leurs magafins. Leurs prifonniers de guerre
ont été transférés à Magdebourg.
Suivant les nouvelles de la Baffe - Luface , le
Corps aux ordres du Général Goltz arriva , le 20
dans les environs de Groſs - Glogau , & entra dans
le camp que le Prince Henri avoit occupé l'année
derniere. Ce Général a porté quelques Corps en
avant du côté de Zullickau , pour obſerver les
Ruffes qui marchent vers la Siléfie. Les habitans
JUILLET. 1961 . 195
des lieux fitués au- delà de l'Oder ſe retirent endeçà
de ce fleuve avec leurs meilleurs effets .
De NUREMBERG , le 12 Juin.
Le Maréchal Comte de Serbelloni a , depuis
quelques jours fon quartier général à Hoff. L'armée
de l'Empire s'eft mife en mouvement le 4
de ce mois , & elle eft actuellement dans les environs
de Plaven , d'où elle marchera inceffamment
vers la Saxe. Ses poſtes avancés s'étendent juſqu'à
Chemnitz & Jena fur la Saala.
De ROME , le 6 Tuin.
L'Evêque Duc de Laon , Ambaffadeur de France ,
fe rendit, il y a quelques jours , en grand cortége
au Palais du Quirinal , où il eut audience du Pape.
On prend toujours à Malthe les précautions né→
ceffaires pour éviter l'invafion des Turcs. On
mande de cette Ifle que le Grand-Maître , quoiqu'âgé
de plus de quatre-vingts ans , y anime tous
les travaux par la préſence. Le Bailli d'Anciot a
été nommé Général en chef des troupes de la Religion.
Elles commencent à camper , & on leur a
déjà affigné les poftes qu'elles doivent occuper en
cas d'attaque.
De la BASTIA , le Juin.
Les Commiffaires nommés par le Sénat de Gênes
, pour inviter à la foumiffion les habitans de
cette Ifle , ont fait publier une Déclaration à cet
effet ; mais les avis qui nous viennent de l'inté
rieur de l'Ifle , portent que plufieurs des Mécontens
ne paroiffent plus difpofés à écouter des pro-,
fitions de paix, & que quelques- uns des Chefs s'efforcent
d'entretenir le feu de la révolte. Le Colonel
Martinetti , ayant donné retraite à des perfonnes
chargées de difpofer les efprits à la conci-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE
liation , a été inveſti dans fa maiſon , & il ne s'eſt
fauvé qu'avec peine des mains des Rebelles . Deux
autres Officiers Corfes , accufés d'incliner pour la
paix , ont été enfermés dans d'étroites prifons
De LONDRES , le 21 Juin.
Le fieur de Buffy , Miniftre de France , a déjà
eu plufieurs conférences avec les Miniftres de Sa
Majefté .
On fe propofe d'embarquer dix mille hommes
de troupes réglées fur la Flotte que doit comman
der l'Amiral Hawke.
Sa Majesté a donné le Gouvernement de Belle
Ile au Major- Général Crawford.
Le Monument que le Roi a réfolu de faire élever
dans l'Abbaye de Weſtminſter , à la mémoire dų
célebre Etienne Hales , fera exécuté fur les def
eins du fieur Wilton.
De la HAYE , le 26 Juin .
Un de nos Vaiffeaux , arrivé depuis peu de
l'Inde , a rapporté que le Nabab Jaffier Alikan ,
s'étant rendu odieux par fa tyrannie , avoit été
dépofé . Les marques d'affection que les Anglois
reçoivent du nouveau Nabab , donnent lieu de
croire qu'ils ont eu beaucoup de part à cette révo
lution.
De BRUXELLES , le 20 Juin.
L'élection du Prince Charles de Lorraine à la di
gnité de Grand-Maître de l'Ordre Teutonique, ne
permettant point à ce Prince de porter les marques
d'autres Ordres de Chevalerie , il a quitté
celles de la Toifon d'Or.
Le quartier général du Roi de Pruffe eft tou
jours à Kuntzendorff. Ses troupes ont fait dernierement
un mouvement , par lequel elles fe
JUILLET. 1761 : 197
font approchées de Franckenftein . Le Baron de
Laudon a fait occuper les défilés de la Bohême
par le Général d'Argenteau , & ceux de Wartha
par le Comte de Draskowitz . Le Comte de Bethlem
, qui eft poſté du côté de Cunnersdorff &
de Neuftadt , obferve les Pruffiens . Il fe faifit detnierement
de vingt Bateaux chargés de grains &
de fourages , dont on détruifit ce qu'on ne pouvoit
emporter.
On apprend de l'armée Ruffe , que la Divifion
aux ordres du Prince de Gallitzin eft arrivée le
à Pofuan , & que les autres continuent leur marche
vers la même Ville avec diligence. Le Corps du
Lieutenant - Général Romanzow , qui eft de vingtdeux
mille hommes , fe porte fur la Poméranie.
Suivant les mêines nouvelles , le Maréchal de Butturlin
partit le 30 du mois dernier de Munſterwald
, & arriva le 3 de ce mois à Goronowo .
On a des avis certains que toute l'armée , aux
ordres du Baron de Goltz , Général Pruffien , eſt
arrivée le 3 & le 14 de ce mois à Pofnan , d'où
elle continuera fa marche , après quelques jours de
repos .
FRANCE
.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée }
de Paris , &c.
De MARLY , le 25 Juin 1761 .
L18 de ce mois , le Coadjuteur de Strasbourg
préfenta à Leurs Majeſtés le Diſcours qu'il a prononcé
, lejour de fa réception , à l'Académie Fran
soife.
198 MERCURE DE FRANCE.
Le 21 , la Comteffe de Starhemberg , épouse
de l'Ambaffadeur de Leurs Majeftés Impériales
fut préfentée au Roi , à la Reine & à la Famille
Royale.
Le même jour , Leurs Majeftés fignerent le contrat
de mariage du Comte de Chavagnac & de
Demoifelle des Efcotais de Chantilly.
Le Roi vient d'accorder les entrées de fa chambre
au Marquis de l'Hopital , Chevalier de fes Ordres ,
premier Ecuyer de Madame Adelaide , & ci - devant
Ambaffadeur Extraordinaire de Sa Majeſté ,
auprès de l'Impératrice de Ruffie,
Sa Majesté a difpofé du Régiment d'Infanterie
de Touraine , vacant par la mort du Duc de
Montmorency , en faveur du Comte de Montmorency-
Logny , Colonel d'un Régiment d'Infanterie
de fon nom ; & du Régiment d'Infanterie
de Montmorency , en faveur du Marquis de Royan
, Colonel dans le Régiment des Grenadiers
de France , employé en qualité de Colonel en fecond
du Régiment des Grenadiers Royaux de la
Trefne.
Elle a nommé le Chevalier de Rofnyvinen de
Piré , Enſeigne de Vaiffeau au Guidon que la mort
du fieur de Rofnyvinen de Piré , fon frère , a fait
vaquer dans la Gendarmerie .
De VERSAILLES , le 2 Juillet .
Le 29 du mois dernier , le Roi tint le Sceau à
Marly.
Leurs Majeftés & la Famille Royale revinrent
ici le 30.
Le même jour , Madame Adelaïde & Madame
Victoire partirent , pour aller prendre les eaux
de Plombieres . Madame la Dauphine & Meſdames
Sophie & Louife ont accompagné ces Prin
colles juſqu'à Paris.
JUILLET. 1761 . 199
Le Roi a accordé le rang de Meftre de Camp
au fieur de Bouffanelle , Capitaine de Cavalerie
dans le régiment de Beauvilliers.
De BORDEAUX , le 7 Juin..
Le 4 de ce mois , le Chapitre de Saint Seurin ,
de cette Ville , célébra un Service folemnel pour
le repos de l'âme de feu Monfeigneur le Duc de
Bourgogne. On avoit dreſſé trois Autels à la porte
du Choeur du côté de la Nef , au milieu de laquelle
on avoit élevé un magnifique Catafalque..
La Meffe fut chantée en mulique , & l'Abbé de
Larramiere , Chanoine du Chapitre , prononça
l'Oraiſon Funébre. Il prit pour texte ces paroles.
chapitre 31 de Jérémie , verfet 15. Voxin Rama,
audita eft lamentationis & fletûs Rachel plorantis,
filios fuos , & nolentis confolari , quia non funt.
Le Maréchal Duc de Richelieu , accompagné de
la Nobleſſe , aſſiſta à cette cérémonie.
Après le fervice , le Chapitre fit diftribuer des
aumônes à tous les pauvres qui s'étoient rendus
à la porte de l'Eglife.
Journal de l'Armée aux ordres du Maréchal Prin
ce de Soubife , depuis le 9 Juin.
Ce jour le Maréchal Prince de Soubife , ayant
décidé fon mouvement en avant , fit partir le refte
de l'Artillerie , qui étoit à Neufs , pour Keyſervert
, où fe raffemblerent le 10 , fous les ordres,
du fieur de Chevert , les Troupes qui formoient
le Camp de Duffeldorff. Plufieurs jours aupara
vant , une partie de l'Artillerie avoit marché à
Wefel. Lejo , une partie de la Maiſon du Roi ,
qui s'étoit avancée le 9 fur la rive gauche du
Rhin à portée du Pont de Wefel y palla ce
Яeuve. On ouvrit des marches entre la riviere de
>
I iv
206 MERCURE DE FRANCE.
Roer & celle d'Emfer , ainſi qu'entre cette der
niere & la Lippe , dans le double objet de réunir
l'Armée fur la rive droite de la Lippe ou fur
celle du Roer : ce qui a été éxécuté avec la plus
grande activité & toute l'intelligence poffibles , &
n'a pas peu contribué à donner le change à l'ennemi
. Le Maréchal & le quartier général arrive
rent le 10 à Wefel . Le 1 , les Troupes commandées
par le fieur de Chevert , fe porterent à Bruck
fur la rive gauche du Roer. La Maiſon du Roi
acheva , le même jour , de paffer le Rhin & de
fe réunir aux troupes du Camp à Wefel . Le Camp
de Rées ,commandé par le Marquis de Voyer, ayant
paffé aufli le Rhin , campa fur la rive droite de
ce fleuve . Il s'avança le lendemain près de Liffel
, d'où il vint fe pofter en avant du Camp
de Wefel près de Drevenick. Le mouvement général
de l'Armée fe fit le 13 à cinq heures du matin
. Le Camp de Wefel paffa la Lippe fur quatre
colonnes. Celle de la gauche , que formoit le
corps aux ordres du Marquis de Voyer , augmenté
de deux régimens de Dragons , des Volontaires
de Clermont , & du refte de ceux de
Infanterie , ne s'ébranla que la derniere . Elle
fut deftinée non - feulement à affurer le déblai du
Camp , mais encore à couvrir la gauche de l'Armée
, qui alla le même jour camper à Hoff. Le
corps du Marquis de Voyer fut porté en avant
de l'armée & fervit d'avant-garde. Le même jour,
le fieur de Chevert paffa le Roer fur deux colonnes
& vint camper à Ellen . Le Prince de
Croy eft refté fur la rive gauche du Roer avec
un Corps de troupes , afin de couvrir la communication.
Le fieur de Chevert s'avança le 14 à
Steil , & l'armée ayant paffé l'Emfer , établit fon
Camp à Effen ; laiffant la Maiſon du Roi 3 quarts
de lieue en arriere. Le Marquis de Voyer qui , avec.
,
JUILLET. 1761. 201
fon Corps , joignit le Prince de Soubife , longea
avec deux régimens de Dragons , les Volontaires
de Clermont , les Huffards & les Volontaires
de l'Infanterie , la riviere d'Emfer par fa rive
gauche , en la montant , pour couvrir le flanc
gauche de l'armée . Le 15 , le Corps du fieur de
Chevert campa en avant de Bockum , où le Maréchal
de Soubife établit fon quartier général , &
l'armée féjourna à Effen . On fit occuper les Villages
de Luke - Dortmund & de Gaftorps par ies
Volontaires de Dauphiné , quatre cent Volontaires
d'Infanterie , & deux régimens de Dragons
L'armée marcha le 25 d'Eden à Vattenfcheid ,
où elle campa fur deux lignes entre ce Village
& Bockum ; & la Maifon du Roi fe porta en
avant d'Elfen . Les Volontaires de Conflans prirent
pofte à Dortmund . Le 17 , le Corps du fieur
de Chevert fe porta fur Luxe-Dortmund , l'ar
mée en avant de Bockum , & la Maiſon du Roi
à Vattenfcheid . Toute l'armée le réunit le 18 en
ordre de bataille entre Luke - Dortmund & Dortmund.
On a formé une avant-garde de plufieurs
brigades d'Infanterie & de Cavalerie , de tous
les Dragons , les Haffards , des Volontaires de
l'Infanterie , & de ceux de Clermont , de Dau
phiné & de Conflans , aux ordres du Prince de
Condé. Ce Prince a fous Ini le Marquis de Voyer.
Le Prince de Soubife établit fon quartier général
à Matten. Malgré les pluies continuelles , qur
Ont entierement gâté les chemins , toutes les
marches fe font faites dans le plus grand ordre ,
& les troupes font arrivées , fans lanfer de traf
neurs. Le 19 , un détachement de Huffards' de
Chamborant rencontra les chaffeurs ennemis ,
dont douze furent tués , & huit furent pris avec
leurs chevaux. Les Volontaires de Conflans firent
aufli le même jour quelques prifonniers . Le 20
1-y
202 MERCURE DE FRANCE.
le 21 , l'armée
ſe repola
pour
le remettre
des fatigues
qu'elle avoit éffuyées , & pour donner aux
convois , à l'Artillerie & aux équipages , le temps
de la joindre. Le 22 elle marcha à Brackel , où
le Maréchal Prince de Soubife établit fon quartier
général . Ce même jour , vers les trois heures
du matin , on attaqua les poftes de Luynen , de
Kamen & d'Unna , que les ennemis continuoient
d'occuper.
Le Comte de Turpin , Maréchal de Camp
avec les Volontaires de l'Infanterie & ceux de
Clermont , foutenus par la brigade de Talaru ,
forma l'attaque de Luynen. Les troupes , qui dé •
fendoient ce pofte , l'abandonnerent après une
légere réfiftance , & elles pafferent de l'autre côté
de la Lippe , nous laiffant deux piéces de canon .
On a fait dans cette attaque près de trois cens
prifonniers aux ennemis. Ils y ont eu auſſi un
grand nombre d'hommes bleffés ou tués. Entre
les derniers eft le feur de Lindau , Colonel des
chaffeurs .
A Kamen , dont le Marquis de Bréhant, Maréchal
de Camp , à dirigé l'attaque , les ennemis,
avertis par le bruit qu'ils entendoient à Luynen ,
fe font tenus fur leurs gardes , & ont commencé
leur retraite en bon ordre. Cependant , quoique
le paffage de la riviere de Sifeke , dont les ponts
étoient rompus , ait retardé nos troupes , le fieur
de Viomenil , Colonel des Volontaires de Dau
phiné , a joint l'arriere-garde des ennemis , l'a
chargée vigoureufement , & lui a enlevé qua,
rante pritonniers prefque tous à cheval.
Trois cens Hullards , qui étoient à Unna , le
font contentés de fufiller quelque temps avec
nos avant-gardes , & fe font retirés prefqu'aullitôt.
Tous les détachemens étoient aux ordres du
Marquis de Voyer , Lieutenant Général.
JUILLET. 1761 . 203
Aujourd'hui 23 , le quartier général a été tranfféré
à Unna , & l'armée campe en avant dans une
pofition avantageufe.
De FRANC FORT , le 12 Juin.
On vient d'envoyer à toutes les troupes les ordres
pour fortir de leurs quartiers , & fe raffembler
fur différens points à portée de commencer
les opérations. Le Maréchal de Broglie fe difpofe
à fe rendre inceffainment à Caffel. Le Chevalier
du Muy , Lieutenant-Général , eſt allé prendre ,
en attendant , le commandement des troupes qui
s'y affembleront.
On a nouvelle que le Général Sporcken s'eft
avancé fur la Dymel avec un Corps d'environ
vingt mille hommes , & qu'il eft campé entre
Varbourg & Liebenau.
De PARIS, le 4 Juillet.
On procédera , le 3 du mois prochain , dans
l'Hôtel du Duc de Penthiévre , Amiral de France,
à la vente des diamans de la prife Angloife l'Ajax
, faite par le Vaiffeau du Roi le Prothée , fous
le commandement du fieur Cornic . Des lettres
de change à deux ufances , duement acceptées ,
feront prifes en payement pour argent comp
tant.
L'Ordre du Saint-Elprit ayant par une délibération
prife au chapitre du ro Mai dernier , offert
au Roi un fecours de deux millions de livres
à titre de prêt, Sa Majefté a autorifé ledit Ordre
à emprunter cette fomme , favoir un million de
livres à conftitution de rentes héréditaires fur le
pied du denier vingt,& un million à conſtitution de
rentes viageres, à tous âges indiftinctement, fur le
pied de dix pour cent. Afin de pourvoir au payement
des rentiers. Le Roi a crée au profit dudit
Ordre deux cens mille livres de rentes, exemtes de
Ivj
204 MERCURE DE FRANCE.
>
toute retenue des dixième , vingtiémes , deux fols
pour livre d'iceux , & autres impofitions, à pren
dre fur le produit de la ferme générale des Poftes .
De ces deux cens mille livres , l'Ordre en employera
cinquante mille au payement des arrérages
des rentes héréditaires , cent mille au paye--
ment des arrérages des rentes viageres & les
cinquante mille de furplus , avec le montant des
arrérages des rentes qui s'amortiront , au remboursement
du capital des cinquante mille livres
de rentes héréditaires , jufqu'à leur entier rembourfement.
Lorfqu'elles feront totalement rembourfées
, Sa Majeſté ſera acquittée envers l'Ordre
du fufdit prêt de deux millions , & ne devra
plus que ce qui fubfiftera encore des rentes
viageres.
Le tirage de la loterie de la Ville de Paris fe
fit le 18 dans l'Hôtel de -Ville avec les formali .
tés ordinaires. Le premier lot , qui étoit de cinquante
mille livres , eft échû au numéro 7414 ;
celui de vingt mille , au numéro 12397. Les deux
lots de dix. mille font échûs aux numéros 9724
& 107 38.
On a fait le 19 dans l'Hôtel - de -Ville , en la maniere
accoutumée , le tirage de la Loterie Royale
militaire. Les numéros fortis de la roue de fortu
tune font , 51 , 89 , 17 , 34 , 4. Le prochain tira--
ge fe fera le 17 du mois de Juillet . Dans quelques
exemplaires d'une des gazettes dernieres , il .
faut lire 36 au lieu de 33 pour le fecond numé
ro forti à l'avant derniet tirage ..
M. ORTS..
Frere Gabriel de Briqueville de la Luzerner,'
Chevalier de l'Ordre de Saint Jean de Jérufalem
& Commandeur de. Sours & Arville,, Brigadier :
JUILLET. 1761. ΣΟΥ
de Cavalerie , mourut à Paris le 12 Juin âgé de
foixante & un ans . Dame Marie Deniſe - Elifabeth
Pucelle , époufe de Melire Louis - François
Marquis de Galiffet , eft morte en cette Ville , le
14, dans la cinquante- deuxième année de fon
âge.
On a appris de Wefel que Meffire Marc- Antoine
Front de Beaupoil de Saint Aulaire , Marquis
de Lanmari , Guidon de Gendarmerie , y
étoit mort le 16 de la petite vérole , dans fa vingtdeuxième
année.
LOUIS CHARLES DE LORRAINE, Comte de Brionne
, grand Ecuyer de France , Chevalier des Ordres
du Roi , & Gouverneur de la Province d'Anjou
, Maréchal des Camps & Armées de Sa Majeſté
, mourut à Paris le 28 , dans la trente-fixiéme
année de fon âge.
Ce Prince , qu'un caractère affable & toujours:
égal , une âme ſenſible & bienfaisante , rendoient
fi cher à l'humanité , aimé de fon Roi autant qu'il·
lui étoit attaché , & digne de connoître les vrais
amis , enlevé de ce monde après une maladie
auffi cruelle que longue , emporte les regrets de
ceux mêmes qui n'avoient jamais eu le bonheur
d'en approcher . Doué dès l'enfance dé toutes les
vertus Morales & Chrétiennes , l'âge n'avoit fait .
que les augmenter en lui ; époux fidéle , père
tendre , protecteur ardent , plus charitable que
faftueux ; on peut dire que dans la perfonne de ce
Prince la mort vient de ravir à la fois , à la patrie
, un Citoyen , aux Arts , un ami ; aux pauvres
, un pere , & aux grands , un modéle.
Il étoit arriere-petit- fils de Louis de Lorraine ,
Comte d'Armagnac , de Brionne & de Charny ,
Vicomte de Ma fan , grand Ecuyer de France ,
qui a formé la branche de Lorraine - Armagnac.
1 laiffe , pour fuccéder à les titres , un fils âgé
206 MERCURE DE FRANCE.
de dix ans , & en qui l'on voit germer déja toutes
les heureufes qualités du père.
Anne-Adelaide de Harville , épouſe de Meffire
Eufebe -Felix Châpou , Marquis de Verneuil ,
grand Echanfon de France , eft morte en cette
Ville , le 29 , âgé de trente - cinq ans.
EVENEMENS SINGULIERS .
ALLEMAGNE.
De DRESDE , le 17 Juin 1761 .
Ls de ce mois , la petite Ville de Kindelbruck
fut prefqu'entierement réduite en cendres.
De trois cens mailons qu'elle contenoit , à peine
trente ont échapé aux flâmes . Heureufement au
cun des Habitans n'a péri dans l'incendie.
GRANDE - BRETAGNE.
De LONDRES , le 24 Juin.
Il est mort à Weigebury , dans le Comté de
Stafford , M. Jacques Stakfby , âgé de cent neuf
ans ; il n'avoit jamais été incommodé de fa vie .
Miftriff Celia Sims eft morte à Milfordſam , âgée
de 107 ans.
Madame Norton , âgée de cent neuf ans , eſt
morte en Irlande , dans le Comté de Kildare; elle
avoit toujours confervé la gaîté & fa vigueur ;
cinq ans avant la mort , on l'avoit vue mener
une contre-danfe au mariage d'une de fes petitesfilles
, auquel affistoient quarante- deux de fes enfans
& petits- enfans .
Un mendiant , nommé Etienne Switz , qui eft
fans doute l'homme le plus vieux de la grande
Bretagne , & peut-etre de toute l'Europe , demandoit
l'aumône a un Seigneur qui l'interro
JUILLET. 1761 . 207
gea fur l'âge qu'il avoit. Cent quarante ans , répondit
le Mendiant. La chofe parut fort furprenante
à Mylord qui, ayant lû que Switz étoit né
fur la Paroille de Saint Paul , alla fur le champ
compulfer les regiftres de la Paroiffe pour vérifier
un fait auffi extraordinaire . Après des recherches
exactes , on a trouvé l'Extrait baptiftaire de Switz ;
& on a été étonné de voir qu'il rabattoit encore
dix ans de fon âge , & qu'il entroit dans fa cent
cinquantieme année.
Il eſt mort dernierement à Boſton , dans la
nouvelle Angleterre , un Quaker Négociant ,
nommé Edouard Wilks , âgé de cent neuf ans.
On écrit de Sherbone , en Angleterre , que le
Juin , on a fenti un peu avant midi , une fecouffe
de tremblement de terre affez confidérable.
On dit qu'elle a été plus violente à Shaffesbury
, qui en eft à quinze milles. Cette fecouffe
étoit accompagnée d'un bruit fourd & fouterrein.
Extrait d'une Lettre des Barbades , du 18 Avril.
.
Le 31 Mars , vers les quatre beures & demie
après midi , la mer fe retira foudain du rivage
& au bout de trois minutes , y revint à la hauteur
de près de quatre pieds. Ce flux & reflux ceffa vers
les huit heures , ou du moins devint preſque infenfible
; mais fur les dix heures , il reprit pendant
quelque temps , & diminua jufqu'à fix heures
du lendemain matin. Le flux & reflux ne fut
pas toujours régulier. Après les trois premieres
heures , il s'exécutoit quelquefois en trois minuzes,
& d'autres fois en fix . Dans le temps du tremblement
de terre de Lisbonne , en 1755 , on obferva
une agitation femblable dans les eaux
ce qui nous fait craindre que ce Phénomène
m'annonce le retour du même fléau.
203 MERCURE DE FRANCE.
FRANCE.
De PARIS , le 27 Juin.
Le nommé Jean-Pierre Gardien , Tonnelier de
profeflion , mourut à Metz , le 23 du mois dernier
, âgé de cent huit ans . Jufqu'au mois d'Avril
de cette année , n'avoit reflenti aucune des infirmités
de la vieillefe ; d'autant plus heureux à
cet égard , qu'il s'obfervoit peu fur le régime.
Depuis très -long - temps , il buvoit tous les matins
un verre d'eau - le-vie. Il avoit même augmenté
cette doſe , à mesure qu'il approchoit davantage
du terme de fa carrière . On a vérifié que´
pendant fes trois dernieres années , il avoit con-
Tommé plus de quatre cens quatre - vingt pintes
d'une liqueur , dont l'ufage paroît en général , fi
pernicieux.
Le g9 de Juillet , M. de Roquelaure ,
Evêque de Senlis , prononça à Notre-
Dame , Oraifonfunébre de la Reine d'Efpagne.
Ce Difcours a été fort goûté de l'augufte
Affemblée qui formoit l'Auditoire .
L'Orateur y a montré comment la Reine
d'Espagne , 1 ° . par les préfages les plus
heureux : 2 °. par ies progrès les plus marqués
3. par les fruits d'une fageffe confommée
, a vérifié ces paroles du Texte :
Juftorum autemfemita quafi lux fplendens,
procedit & crefcit ufque ad perfectam diem.
» Les traces lumineufes dont eft mar--
quée la route des Juftes , femblables
JUILLET. 1761 . 200
d'abord à l'Aurore , redoublent fans
» ceffe leur éclat jufqu'au grand jour de
"» l'Eternité.
L'abondance & la variété des images ;
les traits frappans & énergiques ; les idées
neuves & fublimes ; les réfléxions judicieuſes
& touchantes , le ftyle noble &
foutenu; le mérite de l'enfemble; les beautés
de détail nous occuperont utilement
dans le compte que nous en rendrons le
mois prochain.
SUPPLÉMENT à l' Article de la Mufique.
M. VENIER , Editeur de divers Ouvrages de
Mufique inftrumentale , avertit le Public qu'il
mettra aujour plufieurs fymphonies di vari autori
( tels que Filts , Vagenfails , Beck , Halle , Holtz-
Toefchi, Caunabick, Riether , Rugge, Bach , Abel,,
Frenc , Iomeli , Galupi , Bodé , Baur , Giulini ,
Martini , & c . ) elles le vendront enſemble ou féparément
, felon la volonté des Amateurs , à qui
cette entrepriſe ne pourra manquer d'être agréa→
ble , attendu que cette espéce d'Ouvrage périodi
que formera une Collection fuivie de toutes les
fymphonies qui paroiffent en France , & dans les
pays étrangers.
On n'abufera pas des noms des habiles Maîtres
que nous venons d'indiquer. Les Baſſes feront réguliérement
chiffrées , les corrections exactement
faites , & la gravure fera belle & lifible . La premiere
fymphonie qui contient 20 Planches, eft du
Seigneur Filts . Prix 2 liv . 8 f. y compris les parries
de Cors de chade , Haut- bois ,Flutes & Ballons,,
210 MERCURE DE FRANCE
ad libitum. Chez M. Venier , à l'entrée de la rue
S. Thomas du Louvre , vis-à- vis le Château d'eau .
La fieur Merchi a déjà fait annoncer dans le
Mercure leGuide des Ecoliers deGuitarre . L'accueil
favorable que le Public a fait à cet Ouvrage , a
déterminé l'Auteur à l'augmenter d'une Inftruction
préliminaire , ou Méthode courte & facile pour ap
prendre la Guitarre . Le fieur Merchi s'eft atttaché à
mettre la clarté dans les préceptes, & à obſerver la
gradation de l'aifé au difficile dans les exemples ,
"de manière qu'un Muficien peut apprendre à jouer
de la Guitarre fans Maître. Ceux qui ont acquis le
Guide des Ecoliers de la Guitarre , font priés de remettre
leur Exemplaire au Marchand de Mufique
où ils l'ont acheté , & on leur en donnera un autre
avec l'Inftruction préliminaire ou Méthode.
AVIS DIVERS.
Par permiffion de M. le Lieutenant Général de
Police, & par l'Approbation de M. le Doyen
de la Faculté de Médecine.
Le Sieur ROUSSEL , donne avis au Public qu'il
a trouvé un fecret très- utile , qu'il vend & débite
avec fuccès : c'eft une Pommade que l'on applique
extérieurement avec une comprelle , & une bande
pardeffus. Cette Pommade guérit les maux de
Gorge , en moins de fix heures ; les Rhumatifmes ,
les Gouttes & les Glandes , en très- peu de temps,
ſuivant les Certificats des Perfonnes qui ont été
guéries de ces différentes maladies.
Le Sieur Rouffel n'exigera de payement pour
les maladies regardées comme incurables , qu'après
la guérifon radicale des Perfonnes qui s'adrefferont
à lui.
JUILLET. 1761 . 217
Noмs & demeures de quelques - unes des Per-
Jonnes qui ont été guéries dans Paris & ailleurs
, par la vertu de ce Remede.
S A VOI R.
MAUX DE GORGE.
M. Théobald , Prêtre , guéri en deux différentes
fois , aux Invalides.
Mrs Tiffelaire & Thiteux , tous deux Etudians
Séminaristes , aux Invalides.
Les Freres Martin & Merlin , tous deux aux .
Invalides .
M. le Page , à la Penfion de Meffieurs les
Prêtres des Invalides.
M. Bionard , Marchand , aux Invalides.
M. Chambrettre , Lecteur , aux Invalides .
M. Gautier , Portier de la Grille du Dôme des
Invalides , guéri en quatre heures.
M. Saint -Remy , Meſureur de Bled des Invalides
.
L'Epoufe du Maître- d'Hôtel de M. de Broglie .
Les Freres Harmant , Berlingat , Bis le jeune ,
Biren , Dauça & Comte , à Saint Lazare.
RHUMATISMES .
M. Cligny , ancien Commis de la Pourvoirie
des Invalides , guéri d'un Rhumatifme qui le
tourmentoit depuis vingt ans , par trois applications
dudit Remede , qui lui furent faites par M.
fon Neveu.
Madame de Gouy , rue de la Planche , Fauxbourg
Saint Germain , à la Bourſe - Royale , gućrie
par une feule application.
La Fille du Sieur Pierre Cordonnet , Blanchiffeur
, à Vamvers , qui avoit les nerfs retirés , ne
pouvant marcher , & qu'on étoit obligé de traîner
par les bras , guérie en deux jours.
212 MERCURE DE FRANCE.
GOUTTES.
M. Robert , Entrepreneur de la Menuiſerie
'des Invalides.
L'Epoufe du Sieur Flechy , Jardinier , vis-à- vis
Saint François de Salles , à Illy.
La Veuve Subert, vis- à- vis l'Eglife de Vamvres.
Madame le Roi , Traiteufe , rue Marivaux , au
Roi Couronné.
Mademoiſelle Potry , rue de la Planche , à la
Bourfe -Royale .
La Veuve le Nain , près Grenelle .
GLANDE S.
Madame le Prince , Fruitiere , au Marché Saine
Germain.
M. Davenne , rue Saint Martin , vis-à-vis Saint
Nicolas des Champs.
Madame Chopin, rue de Varenne , Fauxbourg
Saint Germain , vis - à- vis l'Hôtel de M. de Biron,
guérie en deux jours.
Mademoiselle Flechy , vis à vis Saint François
de Salles , à Ifly.
M : Menard , Prêtre aux Invalides , guéri au
genou droit ; il ne pouvoit faire la genuflexion .
Le même fut guéti , en moins de fept heures ,
d'une attaque d'Apoplexie & attaque de Nerfs.
Madame de Briere Marchande de Poiffon
d'eau-douce rue . Saint Germain l'Auxerrois ,
guérie d'une Enquilos , la fuppuration étant fortie
par les pouces des pieds,
>
>
Le fieurle Grand , rue de Grenelle , Fauxbourg
S. Germain , chez M. le Comte de la Marche ; il
marchoit avec des béquilles.
M. de la Haye , rue de Varenne , vis - à - vis
l'Hôtel de M. Biron , guéri des Hémorroïdes , en
deux jours.
M. Delatre , Bas -Officier des Invalides , guérį
de la
Migraine.
JUILLET. 1761. 213
Le Frere Mouflé , ayant des croiffances de chairs
à la gorge ; on lui avoit fait inutilement beaucoup
de remédes , & appliqué le feu ; mais le mal
étant revenu comme à l'ordinaire , on lui donna
de cette Pommade , & il fut guéri radicalement
en peu de temps , à Saint Lazare.
Meffieurs Goflard , Séminarifte , & Chivri , Sacriſtain
aux Invalides , guéris d'Eréfipelles , en
deux jours.
La Fille du fieur Morel , Tailleur de Meffieurs
les Prêtres des Invalides , ayant les nerfs des
mains retirés , juſqu'à ne pouvoir êtres ouvertes
par quelque perfonne que ce fût , guérie en quatre
heures.
Cette Pommade , qui eft un Topique très-extraordinaire
, eft fi utile pour les Glandes vénérien
nes , que les perfonnes qui en ont été guéries ,
ont été furpriſes de fa grande vertu.
LE ST DUMOUCHEL , Ecuyer, ancien Syndic des
Maîtres en fait d'Armes des Académies de feu M.,
Delagueriniere & de feu M. de Vendeuil , où il
s'eft diftingué par fon attachement & fa capacité,
& s'eft acquis une réputation connue ; donne avis
qu'il va reprendre une Salle d'Académie à la
5. Remy prochain, & qu'il enfeignera en Ville jufqu'à
ce temps -la ; fa demeure eft rue de la Calandre
, à PHôtel Tanchoux , près le Palais à Paris .
A l'Auteur du Mercure.
M. Beaupreau , Maître en Chirurgie , Dentifte ;
rue & vis- à- vis la Comédie Françoife , eft parvenu
, Monfieur , à faire une combinaiſon d'huiles éf
fentielles Balfamiques , qui appaifent les douleurs
des dents carriées les plus aigues , déterge la carie
& rend la dent propre à être plombée , après
quelques jours de fon ufage. Cette effence n'af
214 MERCURE DE FRANCE:
fecte point les dents faines ni n'altère point leur
couleur , comme font les Huiles éffentielles Aro
matiques , de Canelle, Gerofle , &c. L'Auteur a fait
cette expérience fous mes yeux ; il a mis plufieurs
dents faines dans cette effence pendant deux mois ,
leur fubftance & leur couleur ont refté intactes .J'ai
éprouvé l'efficacité de ce Réméde ; un grand nombre
de perfonnes de confidération , à Paris , peuvent
atteſter ce fait d'après eux-mêmes. Je fuis, &c.
On débite chez le fieur RIESTER , Marchand
de vin , rue Poiffonniere , au coin de la rue Bergere
, des Tortues de toutes fortes de groffeurs , à
très-jufte prix . Elles font propres à faire des bouillons
médicinaux qui purifient le fang & fortifient
le tempérament. Les perfonnes qui feront curieufes
d'en avoir dans leurs jardins , en trouveront
de telle groffeur qu'ils defireront : il y en
aura dans toutes les faifons.
ΑΙ
AP PROBATION.
›
'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le Mercure du fecond volume de Juillet 1761
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion.A Paris, ce 14 Juillet 1761. GUÏROY.
TABLE DES ARTICLES:
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE
ARTICLE PREMIER.
EPITRE à Madame ***
J
JUILLET . 1761 . 275
LETTRE à l'Auteur du Mercure .
FABLE , tirée de Platon.
RONDEAU.
II
14
16
BOUQUET à M. P.
DIALOGUE dès Morts.
EGLOGUE , par Madame Champion .
37
18
28
A M. De la Place.
VERS de Madame B *** , à M. Fumée , & c.
31
36
ÉPIGRAMME .
38 IDEE générale du ftyle des Orientaux. 39
ENIGMES. & 43 44
LOGOGRYPHES. 45
CHANSON.
45 ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRE de M. d'Arnaud.
REMARQUES fur quelques Pallages d'Horace,
difficiles à entendre aujourd'hui : par un
Savant de Province.
MÉLANGES de Phyfique & de Morale &c.
LETTRE de M. de Voltaire.
ANNONCES des Livres nouveaux .
59
60
69
81
84 &fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADEMIES.
DISCOURS qui a été préfenté à l'Académie
des Jeux Floraux de Toulouſe & c.
RESOLUTION du Problême propofé par M.
l'Abbé B.... dans le Mercure de Juin & c.
MÉDECINE.
TABLEAU de la Rage. Par M Hoin.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UT LES.
99
118
124
LETTRE , à l'Auteur d are. 145
216 MERCURE DE FRANCE.
CHIRURGIE.
TRAIT des Bandages & appareils , avec
une Description abrégée des brayers ou
bandages & autres machines &c .
LETTRE du Frère Cofme , Feuillant , écrite à
149
M. Mertru , Maître en Chirurgie à Paris . 155 .
ANATOMIE.
LETTRE à la Société des Goutteux.
ASTRONOMIE , OPTIQUE , HORLOGERIE .
DESCRIPTION & Ufage de divers ouvrages
& inventions de M. Paffemant , Ingénieur
du Roi.
ARITHMÉTIQUE.
SUPPLEMENT à l'Article des Sciences &
157
158
161
169
172
Belles- Lettres,
ARTS AGRÉABLES,
GRAVURE. 183
ART. V. SPECTACLE S.
OPERA.
181
COMÉDIE Françoife.
ibid.
COMÉDIE Italienne. 189
OPERA-COMIQUE . 190
ART. VI . Nouvelles Politiques, 191
MORTS. 204
EVENEMENS finguliers, 206
Avis divers. 208
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis- à-vis la Comédie Françoile.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU
ROI .
AO UST. 1761 .
Tiverfité , c'est ma devife . La Fontaine.
Cochin
filius in
PainSculp
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis à - vis la Comédie Fran, oife.
PRAULT, quai de Cont .
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais
Avec Approbation & Privilége du Roi.
1
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure, rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remet
tre , quant à la partie littéraire , à M.
DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols,
imais l'on ne payera d'avance , en s'abonhant
, que 24 livres pour feize volumes
à raifon de 30 fols pièce.
Les perfonnes de province auxquelles on
onverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port .
Celles qui auront des
occafions pour le
faire venir , ou qui prendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raison de 30 fols par volume ,
c'est- à-dire 24 livres d'avance, en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les
Libraires des
provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci- deffus.
A ij
+
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit,
be prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en foit
fait d'avance au Bureau .
Les paquets qui neferont pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pièces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
De la Place , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
AOUST. 1761 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L'EMPIRE DE LA MODE
SUR LES FRANÇOIS.
DISCOURS EN VERS:
Jusqu'a quand fuperbe & frivole ,
Verra- t- on régner parmi nous
La Mode , cette antique idole
Que la France adore à genoux ;
L'affectation puérile,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Et l'imitation fervile
Diriger nos moeurs & nos goûts ;
Et toujours de nouveaux caprices
Confacrer avec dignité
Des ridicules & des vices
La rapide inftabilité ?
Dans les temps de Chevalerie ,
Par un mélange monftrucux ,
Foi , piété , galanterie
Se confondoient chez nos ayeux :
Pour mériter d'une cruelle
Le don d'amoureuſe merci ,
La Mode envoyoit le: Couci
Maffacrer un Peuple infidéle.
*
•
Longtemps d'une noble crapule
Les François dictérent les loix ;
Alors le duel ridicule
Déshonoroit avec fcrupule
Et leur Raifon & leurs exploits.
Au fortir d'une folle orgie ,
Sans ceffer pourtant de s'aimer ,
Martyrs de la Mode en furie ,
Oubliant leur Dieu , leur patrie ,
Ils s'égorgeoient pour s'eftimer.
De tous ces terribles Convives
Enfin les débauches oifives
Ont vu profcrire leurs abus ;
* Nous avons été forcés defaire quelques retranchemens
à cette Piece.
AOUST. 1761 .
FR
Des banquets dignes des Monarques
Bientôt ne raffemblérent plus
Que de triftes Apicius,
Affis comme autant d'Ariftarques ,
Juges fuprêmes de Comus.
Qui le croiroit ? A peine adulte ,
Autrefois l'Amour eut un culte ,
Sans defirs , fans voeux , fans efpoir !
On ne veut qu'adorer & voir ;
La toilette devient un temple ;
L'Amant tremblant & circonfpect
Y fatigue par fon refpect
La Divinité qu'il contemple.
O temps ! ô moeurs ! ô préjugés !
Oh ! combien vous êtes changés !
Nos pères , dans leurs triſtes flammes ,
Se combattoient pour foutenir
L'honneur , la beauté de leurs Dames ;
Aujourd'hui tout vainqueur de femmes
Doit les fubjuguer fans defir.
On les amufe , on les déchire ,
On rougiroit d'un fentiment ;
Et qui les méprife gaîment ,
Eft le plus für de les féduire.
Si deux coeurs ont pu s'enflammer;
De l'hymen la chaîne légère ,
En formant le voeu de s'aimer
Leur ôte le droit de ſe plaire .
Volant de l'un à l'autre excès ,
A iv
* MERCURE DE FRANCE.
Toujours dans l'ivreffe & l'accès
Qui l'entraîne & le défigure ,
Rarement on vit le François
Dans les bornes de la Nature.
Le Dieu qu'hier il adoroit ,
Aujourd'hui fa voix le blafphême :
Les Arts & les Sciences même ,
Semblent lui fervir de hochet.
Au talent qui les fait éclore ,
Avec tranfport il applaudit ;
Au fier Timon , qui les profcrit ,
Le François applaudit encore.
Il admire ces Enchanteurs
Dont l'art , aux vertus , qu'il adore ,
Prêta de fi nobles couleurs ;
Et fon caprice hétérodore
Vante l'aveugle paradoxe ,
Qui les traite de corrupteurs.
Confilérez nos Coriphées ,
Nos Socrates & nos Orphees ,
Métamorphofés tous les ans ;
Les têtes de tous nos Savans ,
Dans un nouveau goût attiffées 3
Et par notre esprit inconl'ant ,
Chaque Mufe a ſon tour traitée ,
Comme une Maîtrelle quittée
Avec un mépris infultant.
L'art de penfer & l'art d'écrire
Fut longtemps ignoble & proſcrit ;
Le François fçut à peine lire ,
AOUST. 1761.
Qu'il devint foudain bel- eſprit :
De fonnets , de madrigaux fades ,
Et d'énigmes & de ballades ,
Toute la France retentit :
Il voulut penfer ; & fes rimes
Ne furent plus que des maximes ;
Tous nos vers furent compaffés :
Bientôt on s'ennuya des Lettres ;
Et l'on vit jufqu'aux Géomètres
Par nos coquettes agacés :
Tant la Mode eft toute puiffante !
Par elle , aujourd'hui triomphante,
Dans plus d'un écrit décifif,
Voyez la Phyficomanie
Sur les plus beaux dons du génie
Répandre un mépris exclufif.
Malheur à qui n'a dans ſon âme
Qu'un feul goût borné qui l'enflâme !
Malgré tous nos Phyficiens ,
Il eft pour l'homme d'autres biens,
Que d'analyſer une tourbe :
Que l'un s'élance jufqu'aux Cieux,
Que l'autre à la Terre ſe courbe ,
Je fais les révérer tous deux.
Tous les Arts ne font-ils pas fréres ?
Agréables , ou néceſſaires ,
Deftinés à fe fecourir ,
Leur concours doit être unanime
Pour s'eftimer , pour le chérir ,
Av
IO MERCURE DE FRANCE.
Et les divifer , eft un crime.
Oh ! qui pourroit jamais nombrer
Tous les préjugés defpotiques ,
Toutes les Modes tyranniques
Que Paris a vû s'illuſtrer ?
Extravagances paffagères ,
Jargon & bon ton éphémères
Tour-à -tour vantés & flétris ,
Des féconds & lourds Scuderis
La galante pédanterie ,
De tant de modernes Écrits
L'impertinente étourderie ,
De Brantome & de Rabelais
La groffière plaifanterie
Depuis délaiffée aux valets ;
Sous le perfifflage fantafque ,
La Sottile , habillée en mafque ,
Affichant les prétentions ,
Les ridicules Mafcarilles ,
Tous bouffis de leurs grands canons ,
Et les déteftables Cléons ,
En cabriolet , en chenilles ,
Allant en petites maifons ;
Les magots & les porcelaines ,
Les colifichets enfantins
Sufpendus à de riches chaînes ,
Les petits foupers clandeftins ,
Et les partis Philofophiques ,
Et les brochures impudiques,
AOUST. 1761 . H
Et les bouffons , & les Pantins
Vainement la Raiſon foupire :
Tour-à-tour mépriſant fa voix ,
Dans ce long cercle de délire ,
Tout ridicule eut notre choix.
Quoi donc ! la France , en fes Chroniques ,
Mit-elle la Mode & fes droits
Au nombre de nos Loix Saliques ?
Qu'un Petit- Maître original
A Paris crée une fottife ;
Un progrès rapide & fatal
En France la naturalife.
Efclaves des opinions ,
Cerveaux légers vuides & minces ,
Vous êtes des Caméléons ,
Les Singes font dans les Provinces.
Dans le tourbillon de nos goûts ,
Il n'en eft point d'héréditaires ;
Nous avons rougi de nos pères ;
Nos enfans rougiront de nous.
Simplicité noble , ingénue ,
Touchante & fublime candeur ,
Serez-vous toujours inconnue
Doux plaifirs de l'âme & du coeur
Vous périffez dans le tumulte
Des faux goûts enfans de l'erreur 3-
Et le germé du vrai bonheur
Parmi nous eft encore inculte..
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Sans doute qu'un plus jufte choix
Auroit fixé notre caprice :
Tant d'inconftance eſt à la fois
Notre crime & notre ſupplice.
O plus fages & plus heureux ,
Ces Peuples fimples & ſévéres ,
Qui , comme un dépôt précieux,
De leurs Ancêtres vertueux ,
Confervent les moeurs tutélaires !
Mais le temps, qui fçut réprouver
Tant d'erreurs , de travers , de Sectes ,
A nos jours voulut réſerver
La plus vile eſpèce d'infectes.
Bons Gaulois , nos dignes ayeux !
Voyez du haut de l'Empirée ,
La Méchanceté confacrée
Dans ce féjour jadis fameux
Par votre bonté révérée ,
Et méconnoiſſez vos neveux.
Chez le Peuple le plus aimable ;
Quel Sage nous dévoilera
Comment ce Monftre s'engendra ?
Vice abfurde , erreur incroyable ,
Des efprits faux , des coeurs ingrats,
Symptôme.impur & mépriſable ,
Vil talent de qui n'en a pas.
Chez nous la Sageffe tranquille
Eft reléguée aux derniers rangs &
AOUST. 1761. 1)
Souvent la Folie indocile ,
Remplit les rôles éclatans
La Mode fait la renommée :
Son choir en dépit du bon fens ,
En Coloffe , érige un Pygmée ;
L'âme n'eft rien : l'efprit eft tout.
Hélas ! Infenfés que , nousfommes ,
Nous avons des grâces , du goût ;
Nos voisins groffiers ont des hommes !
( Non que Cenfeur injurieux ,
Je veuille avec mifantropie ,
Appeſantir fur ma patrie ,
Les traits d'un crayon odieux. )
O peuple brillant & volage ,
Tour-à-tour terrible & charmant !
Nul ne t'égale en agrément ,
Et nul ne te paffe en courage.
Doux, fociable , ingénieux ,
Senfible & toujours généreux ,
Loin de toi l'erreur , l'impofture ,
Qui guidoient tes pas au hazard;
Tes vertus font de la Nature ,
Et tous tes défauts font de l'Art
Les grâces furent ton partage :
Prête à la Raifon leurs attraits!
Rends-la digne de ton hommage...
On adoreroit le François ,
S'il ne rougilloit d'être fage !
12 MERCURE DE FRANCE.
Sans doute qu'un plus jufte choix
Auroit fixé notre caprice :
Tant d'inconſtance eſt à la fois
Notre crime & notre ſupplice.
O plus fages & plus heureux ,
Ces Peuples fimples & févéres ,
Qui , comme un dépôt précieux ,
De leurs Ancêtres vertueux ,
Confervent les moeurs tutélaires !
Mais le temps, qui fçut réprouver
Tant d'erreurs , de travers, de Sectes ,
A nos jours voulut réſerver ·
La plus vile eſpèce d'infectes.
Bons Gaulois , nos dignes ayeux !
Voyez du haut de l'Empirée ,
La Méchanceté confacrée
Dans ce féjour jadis fameux
Par votre bonté révérée ,
Et méconnoiffez vos neveux.
Chez le Peuple le plus aimable ;
Quel Sage nous dévoilera
Comment ce Monftre s'engendra ?
Vice abfurde , erreur incroyable ,
Des efprits faux , des coeurs ingrats,
Symptôme.impur & méprifable ,
Vil talent de qui n'en a pas.
Chez nous la Sageffe tranquille
Eft reléguée aux derniers rangs &
AOUST. 1761 . 1)
Souvent la Folie indocile ,
Remplit les rôles éclatans
La Mode fait la renommée :
Son choix en dépit du bon fens ,
En Coloffe , érige un Pygmée ;
L'âme n'eft rien : l'esprit eſt tout.
Hélas ! Infenfés que nous fommes,
Nous avons des grâces , du goût ;
Nos voisins groffiers ont des hommes !
( Non que Cenfeur injurieux ,
Je veuille avec miſantropie,
Appefantir fur ma patrie ,
Les traits d'un crayon odieux. )
O peuple brillant & volage ,
Tour-à -tour terrible & charmant !
Nul ne t'égale en agrément ,
Et nul ne te paffe en courage.
Doux, fociable , ingénieux ,
Senfible & toujours généreux ,
Loin de toi l'erreur , l'impofture ,
Qui guidoient tes pas au hazard ;
Tes vertus font de la Nature ,
Et tous tes défauts font de l'Art
Les grâces furent ton partage :
Prête à la Raifon leurs attraits
Rends-la digne de ton hommage...
On adoreroit le François ,
S'il ne rougilloit d'être ſage !
12 MERCURE DE FRANCE.
Sans doute qu'un plus jufte choix
Auroit fixé notre caprice :
Tant d'inconftance eſt à la fois
Notre crime & notre fupplice.
O plus fages & plus heureux ,
Ces Peuples fimples & ſévéres ,
Qui , comme un dépôt précieux ,
De leurs Ancêtres vertueux ,
Confervent les moeurs tutélaires !
Mais le temps , qui fçut réprouver
Tant d'erreurs , de travers , de Sectes ,
A nos jours voulut réſerver
La plus vile eſpèce d'infectes.
Bons Gaulois , nos dignes ayeux !
Voyez du haut de l'Empirée ,
La Méchanceté confacrée
Dans ce féjour jadis fameux
Par votre bonté révérée ,
Et méconnoiffez vos neveux .
Chez le Peuple le plus aimable ;
Quel Sage nous dévoilera
Comment ce Monftre s'engendra ?
Vice abfurde , erreur incroyable ,
Des efprits faux , des coeurs ingrats,
Symptôme impur & méprifable ,
Vil talent de qui n'en a pas.
Chez nous la Sageffe tranquille
E reléguée aux demiers rangs
AOUST. 1761.
1
Souvent la Folie indocile ,
Remplit les rôles éclatans
La Mode fait la renommée :
Son choix en dépit du bon ſens ,
En Coloffe , érige un Pygmée;
L'âme n'eft rien : l'eſprit eſt tout.
Hélas ! Infenfés que nous fommes,
Nous avons des grâces , du goût ;
Nos voisins groffiers ont des hommes !
( Non que Cenfeur injurieux ,
Je veuille avec mifantropie ,
Appefantir fur ma patrie ,
Les traits d'un crayon odieux. )
O peuple brillant & volage ,
Tour-à-tour terrible & charmant !
Nul ne t'égale en agrément ,
Et nul ne te paffe en courage.
Doux, fociable , ingénieux ,
Senfible & toujours généreux ,
Loin de toi l'erreur , l'impofture ,
Qui guidoient tes pas au hazard ;
Tes vertus font de la Nature ,
Et tous tes défauts font de l'Art
Les grâces furent ton partage :
Prête à la Raifon leurs attraits
Kends-la digne de ton hommage.
On adoreroit le François ,
S'il ne rougilloit d'être fage !
:
14 MERCURE DE FRANCE.
L'ÉLÉVE DE LA NOUVELLE
HELOISE ,
OU LETTRES de Madame la Marquife
de *** à Mde la Comteffe de **** .
O
AVIS DE L'EDITE U R.
N convient généralement de l'auftérité
des leçons que l'on rencontre dans
le Roman de Julie. Perfonne ne l'a lû
fans fentir la force avec laquelle l'Auteur
attaque des ufages & des moeurs , que
bien des gens ont intérêt de défendre.
Il eft certain, malgré cela, que ce fexe aimable
que les hommes accufent de foibleffe
, & qu'ils prennent tant de peine à
corrompre ; ce fexe naturellement honnête
& fenfible , a mieux faifi qu'eux les
différentes beautés de la nouvelle Hé-
Loïfe . Pour peu qu'on cherche la caufe de
cette vive impreffion , on la trouvera
dans la vérité du ſentiment toujours plus
proche du Génie & de la Raiſon , que les
fubtilités de la critique. Les régles d'après
lefquelles on croit fouvent juger ,
ont été d'abord créées par des efprits vafAOUST.
1761. 15
tes & des âmes fenfibles. Il eft vrai qu'elles
exiſtoient avant eux fans être connues ;
mais ils en ont fait ufage les premiers.
Il faut fans doute fe laiffer aller au
mouvement de la Nature , ou être l'égal
de ces grands Génies , pour juger d'après
ces mêmes régles que tant de circonftances
varient .
L'Éditeur de ce petit ouvrage, dans lequel
on trouvera l'extrait d'une partie
de l'Héloife , a eu les quatre Lettres fui
vantes d'une Dame qui eft intime amie
de celle qui les lui a effectivement écrites.
Elle n'y a changé que quelques lignes ,
par pudeur & par difcrétion . On a imagi
né que le Public y verroit avec p'aifie
l'aveu fimple & vrai de l'impreffion que
doit faire cet ouvrage fur une âme tendre
& vertueuſe.
LETTRE PREMIERE.
SIItôt que le rétabliffement de ma fanté
me l'a permis , j'ai fuivi vos confeils ,
mon aimable amie , j'ai quitté mon appartement
le plutôt qu'il m'a été poffible
; & je commence à jouir des beautés
de la faifon. Cependant on ne me permet
pas encore de faire de longues promena16
MERCURE DE FRANCE.
des : cela m'afflige ; cette diverfion m'a
voit paru propre à diffiper je ne fçais
quelle langueur , dans laquelle je tombe
infenfiblement , furtout depuis ma derniere
maladie.
Je vois que mes efpérances m'avoient
féduite ; ma fille & mon fils , au lieu de
m'amufer , m'excédent tous les jours da
vantage leur gaîté bruyant e mere au
gue au point que je vais les mettre au
Collége & au Couvent . Mon mari me défole
par les leçons éternelles qu'il me
donne fur leur éducation . Il m'en écrit
fans ceffe de fon vieux Château , où fans
doute il n'a rien de mieux à faire . Eft-ce
que l'état de mes enfans n'eft pas décidé
par celui de leur pere ? Leur fortune eft
affurée; que m'importe le refte. Ils feront
comme les autres : je n'ai pas plus d'am- _
bition que cela.
Les principes de mon mari font tout
différens. Il voudroit me perfuader que
je ferois le modéle des femmes de mon
fiécle , fi j'avois le courage de me retirer
dans fon antique Château. A la vérité
nous y vivrions plus abondamment avec
une fortune médiocre ; mais auffi plus de
Spectacles , plus de Bals , plus de Livres
nouveaux , plus de ces Phènoménes du
bel- efprit , que l'on voit avec autant de
AOUST. 1761 . 17
cariofité qu'une chofe extraordinaire. J'au
rois en revanche des avenues fans fin
des bofquets enchantés , des parterres ,
des potagers ; & avec tout cela des Provinciaux
mauffades , & cette uniformité
continuelle que je ne pourrois fupporter.
>
Au refte , ce n'eft point l'amour , ce
premier fentiment de mon coeur qui
m'attache au lieu , où il a pris naiffance :
il me femble que ma paffion s'affoiblit
tous les jours , puifque j'ai pu réſiſter
à la préſence de celui qui me l'avoit inf
pirée ; l'abfence doit en effacer enfin le
Louvenir.
Quoiqu'il en foit , j'attends les lettres
où l'on me parle du Chevalier, avec moins
d'impatience ; & les miennes fout fi froides
& fi réservées , que je n'écris rien que
je ne puiffe dire en public.
Je vois cependant avec peine que la
lecture n'eft pas encore une refource &
un amuſement pour moi . Je me fuis fait
Lire pendant ma maladie trente volumes
de Romans : ils me touchent ; mais ils
m'attriftent , & il ne m'en rete rien .
J'entends parler depuis quelques jours de
la nouvelle Héloïje : envoyez -moi , je vous
prie , cet ouvrage , fur lequel on pronɔnce
fi diverſement . Il partage , à ce qu'on
m'a dit, la Ville & la Cour. J'ai vû ces der18
MERCURE DE FRANCE.
niers jours quelques-uns de ces efprits à
la mode , qui donnent le ton : ils m'ont
confirmée dans cette incertitude. Les uns
élévent aux nues le Livre nouveau ; d'au
tres qui n'approuvent rien , en difent
beaucoup de mal . Ces Meffieurs m'avertiffent
que j'aurai tort de ne pas m'ennuyer
de la longueur des differtations ;
enfuite comme moraliftes , ils font fâchés
de trouver dans un livre de Philofophie
des foibleffes trop excufables & trop
agréablement décrites.
Pour moi je ne connois de Juges fur
un ouvrage de cette nature que le coeur
ou le génie. Le dernier eft bien rare , &
le fecond commence à le devenir. Il y a
cependant longtemps que le Public a appellé
du Defpotifme , auquel les Maîtres
de l'esprit prétendent l'affujettir.
Quoi des milliers de fuffrages s'a
néantiroient devant leurs décifions ? Quoi !
ce jugement , ce cri univerfel d'une multitude
d'âmes fenfibles , cette apologie
univerfelle & involontaire feroient tranfformés
magiquement eft un froid mépris ?
Quoi ! lefel d'une Epigramme éteindroit,
dénatureroit le fentiment même ? C'eſt lui
feul que je veux confulter : jamais ceux
de la partialité de l'envie , de l'orgueil
de je ne fçais quelle inquiétude impérieuAOUST.
1761 ; 19
fe ne feront la regle du plaifir ou du dé
plaifir de mes lectures . S'ils en impoſent
aux efprits foibles , qui n'ont d'avis que
par infpiration , ils révoltent toujours l'équité
du Sage & du Philofophe , qui
fent & qui juge , parce qu'il penfe , fans
avoir befoin qu'on le faffe penfer.
›
Envoyez moi donc au plutót , ma chère
Comteffe cette nouvelle Héloïfe. Quel
plaifir , fi votre rhume étant entiérement
fini , vous pouvez me l'apporter vousmême.
Je vous réponds que je trouverois
le nouveau Roman admirable .
LETTRE DEUX I E ME.
'AVEZ Vous allez réfléchi , mon aima
ble amie , à la terrible nouvelle que vous
m'apprenez , lorfque vous m'avez mandé
que le Chevalier va arriver de Malthe ?
Vous m'écrivez froidement , que graces
aux réfléxions que j'ai eu le temps de faire,
fon retour ne fera pas difficile à fupporter.
En vérité , vous en parlez bien à votre
aiſe . Vous n'avez jamais eu de paffions à
combattre.
Je fuis vos avis , autant que cela eft'
en moi je m'occupe davantage ; je me
20 MERCURE DE FRANCE:
proméne beaucoup ; & j'ai déja lû quelques
lettres de votre nouvelle Héloïfe.
Je me repens bien d'avoir commencé.
cette lecture : je voudrois avoir la force
de la quitter. Comment avez vous eu l'imprudence
de m'envoyer ce maudit Roman
? Ne voyez vous pas que Julie eft
tout au moins auffi vertueufe que votre
amie : elle ne peut aimer davantage ; cependant
elle va bientôt fuccomber . Falloit-
il m'offrir un fi dangereux exemple ?
Que vous avez mal pris votre temps pour
me prêter des livres d'amour ?
Que vais je devenir féparée de mon
amie , éloignée d'un mari eftimable, dont
l'amitié & les procédes ont fouvent rallenti
les progrès de ma paffion ? Il m'impatiente
cependant avec fes perfécutions
éternelles , pour m'engager à me confiner
dans fon hermitage . Pour comble de malheur
, je fuis ici toute feule avec mes enfans
, qui deviennent tous les jours plus
indociles & plus infupportables. J'ai bien
peur qu'ils ne finiffent par être méchans
& ingrats.
Mes voisins , que je fuis forcé de voir
quelquefois,font facilement ennuyeux , &
fe formalifent de tout . Je ne reçois point
de lettres de Paris , qui ne foient remplies
de tracafferies & de méchancetés.On
AOUST. 1761 . 23
ne m'apprend que des Hiftoires fcandaleufes:
tous les gens de ma connoiffance
fe déchirent & fe haiffent. Comment
voulez- vous que je m'accoutume à les aimer?
Quelle confolation une femblable
fociété peut -elle répandre fur ma vie ?
Sans le fentiment dangereux qui foutient
mon coeur , mon exiftence me ſembleroit
d'un poids infupportable. L'amour , le
feul amour nous rend infenfibles à mille
contrariétés : il fait diverfion avec les
fpectacles continuels de l'injuſtice & de la
méchanceté des hommes . Ce n'eft pas que
je me cache à moi - même la honte & la
trifteffe , qui fuivent fouvent fes pas .
Hélas ! ma chere amie , vous favez tou
tes les réfléxions que nous avons faites
cent fois fur les aventures de plufieurs
femmes élevées avec nous . Nous n'avons
prefque jamais vu que des Amans malheureux
ou ennuyés ; cependant, quoique
bien avertis , nous finiffons prefque toujours
par aimer.
Je me perds , je vous l'avoue , dans
mon coeur & dans ma raiſon. O ciel ! eftil
concevable , que quatre lignes écrites
au hazard fur un bruit vague & peu cer
tain , caufent une fi grande révolution
dans un coeur? Non , je ne faurois vous exprimer
le défordre caufé dans tout mon
22 MERCURE DE FRANCE.
être , par ce que vous me dites du Che
valier. Je ne fuis plus la même ; je n'ai
plus les mêmes idées ; mes principes va▾
rient : ce qui me fembloit raisonnable ne
me paroît plus que chimérique & fouvent
ridicule .
Cependant , ma chere amie , je fens
que je tiens encore à ma réputation , à
ma vertu & à l'eftime publique ; je lens
que je dépens plutôt de l'opinion que l'on
a de moi , que de celle que l'on en devroit
avoir. Ce contentement de foi- même
; ce fentiment tout intérieur dont no .
tre vieille parente parle fans ceffe
pourroit-il habiter fur la terre ? N'en déplaife
à toutes ces prudes , comment feront
elles pour nous perfuader que la fidélité
conjugale eft une vertu réelle , &
que l'ennui , dont elle eft fi fouvent accompagnée,
n'eft qu'une chofe arbitraire?
Je fens pourtant . ..je fens
que je tiens encore à quelque chofe d'inexplicable.
Il me feroit échappé aujour
d'hui bien des extravagances, fi je ne m'é-
Cois pas méfiée de ma tête. Elle est dans
un étrange état. Ah ! ma Comteſſe , que
vous avez mal fait de m'envoyer cette
Hiftoire de Julie! pour vous en punir, vous
n'aurez de mes nouvelles que lorsque j'au
rai lû les fix volumes.
AOUST. 1761. 23
LETTRE TROISIEME.
J'ai achevé ce matin , ma chere amie ;
votre nouvelle Heloife . J'ai éte fi occupée
de cette lecture depuis que je l'ai com-
-mencée , qu'il y a plus de vingt- quatre
heures , que je n'ai penſé à toutes les extravagances
qui rempliffent fouvent mes
Lettres.
Je ne faurois vous dire encore toute
l'impreffion que m'a fait cet Ouvrage. Ce
n'eft point feulement un livre de Philofophie
; ce n'eſt point l'hiſtoire d'une Héroine
de Roman ; c'eſt celle du coeur hu- ;
main , vu ſous le plus beau jour , c'eſt- àdire
, au milieu des foibleffes les plus excufables
& des vertus les plus réelles. On
y trouve le développement de la rai on la
plus profonde , avec celui des Sophifmes
qui combattent fous l'ordre des paffions :
la vérité eft fans ceffe à côté de l'erreur :
l'erreur n'eſt jamais honteule ; & la vérité
eſt toujours aimable.
On trouve d'abord dans Julie une fille
charmante & fenfible , attaquée par tous
les traits que l'amour peut lancer ; elle a
contre elle le refpe&t de fon amant , la
violence de fon amour , les preftiges d'une
24 MERCURE DE FRANCE.
imagination vive & brillante , fa candeur ,
fa jeuneſſe , fon coeur & la beauté. Ces
redoutables ennemis triomphent de fon
honneur , fans pouvoir détruire les vertus,
ni même obfcurcir longtems les lumiéres
de fa raiſon. Tout eft grandeur & féduction
dans Julie. Ses fautes ont quelque
chofe qui les éléve ; fes vertus les plus auftères
ont je ne fçai quoi d'intéreffant , fes
confeils, fes remontrances, tout ce qu'elle
dit , tout ce qu'elle peut dire , reçoit l'expreffion
douce & touchante d'un âme tendre
& élevée.
Hélas ! ma Comteffe , que l'on fait volontiers
connoiffance avec cette fille àimable
& paffionnée ! .... Encore attaché
par fes erreurs , dont on trouve auffi la
fource trop attrayante , inſenſiblement on
s'accoutume à aimer celle qui doit bientôt
nous forcer au reſpect.
On trouve enfuite dans cette fille adorabte
un Philofophe & un Moralifte , que
l'on ne peut refufer d'entendre. Ce Philofophe
nous inftruit en même temps par fa
folie & fa raifon , par fes vertus & fes
foibleffes, par les réfléxions & fes remords.
Ce n'eft point par une tranfition fubite
que l'on paffe du goût à l'admiration : on
voit rapidement dans le principe des fau-
Fes
AOUST. 1761 . 23
res de Julie toutes les réflexions qu'elle eſt
au moment de faire .
A chaque page on s'attache plus fortement
à elle. Les événemens de ce Roman
font des événemens ordinaires . Les fituations
font fortes & grandes , mais fi naturelles
que les coeurs de tous les hommes
peuvent facilement les rencontrer. Voilà
d'où reffort la fublimité des idées , & les
traits du génie , auffi aifées à fentir , que
difficiles à imaginer.
Si l'on rencontre des fentimens trop
au- deffus des fiens , ils émeuvent plutôt
qu'ils n'éblouiffent . Ils touchent l'âme qu'ils
élévent. On ſoupire en les admirant on
cherche à fe les approprier. Si l'efprit
quelquefois diftrait du principal intérêt fe
voit forcé à fuivre une differtation longue
& férieufe , elle fe préfente fi naturellement
, & elle paroît fi importante par fon
objet , que l'intérêt perfonnel foutient la
curiofité.
Ne trouvez vous pas , ma chère amie ,
que l'on fe repofe avec une douce fatiffaction
au milieu de ces peintures fimples
& magnifiques , des vertus fociables , des
vraies beautés de l'ordre & de la réalité
des devoirs , qui font de tous les temps &
de tous les lieux ? N'avez-vous pas remarqué
que le bonheur de l'innocence par
-B
26 MERCURE DE FRANCE.
tout exalté , eſt toujours en action & en
vue , pendant que celui qui bleffe les loix
de la pudeur ne marche que d'un pas tremblant
, au milieu de l'incertitude & de la
crainte.
Julie & fon amant ne croient entrevoir
un état doux & tranquille que lorsqu'ils
penſent n'avoir plus de reproche à fe faire.
Ils paroiffent alors moins paffionnés , fans
devenir moins intéreffans. Loin d'avoir
perdu de fa fenfibilité , leur âme , fur- tout
celle de Julie , en fe répandant fur plus
d'objets ne fe montre que plus fenfible .
L'on n'apperçoit cependant que le développement
naturel de fon caractére.Infenfiblement
l'on change avec elle : on paſſe
à des fentimens moins tumultueux & plus
durables. La tendre humanité rencontre
des coeurs déjà gagnés , où les traits chers
& facrés fe gravent plus profondément .
On voit fous un jour nouveau le touchant
plaifir de faire du bien : l'amitié brille d'un
plus vif éclat : elle fe montre au milieu du
contentement de foi-même. Elle eft environnée
du repos & de la paix.
Quel fpectacle , que celui d'une famille
refpectable & heureuſe , confondue avec
de vertueux amis , avec des domeftiques
fortunés & reconnoiffans ; en qui l'attachement
& l'honneur éffacent la honte de
AOUST . 1761. 27
"
la fervitude ! quel tableau , que celui de
plufieurs êtres raffemblés fous un même
point de vue , qui s'eftiment & s'aiment
avec tant de raifons de s'aimer !
Les images grandes & flatteufes font
encore embellies par les charmes d'une vie
champêtre. On reçoit une nouvelle éxiftence
; on fe rapproche de la nature : on
fent renaître dans fon coeur l'efpoir confolant
d'un bonheur plus réel .
Je me fuis apperçu , ma chère amie ,
que ces plaifirs nouveaux , dont je ne m'étois
jamais formé d'idée , fupportent le
coup d'oeil de la Raifon . Ils s'embelliffent :
même , à mesure qu'elle les confidére.
Voilà par quelle route le Philofophe de
Genêve parvient à nous conduire dans des
lieux fi peu connus & fi peu defirés , dont
on ne voudroit plus fortir. Il a l'art de
préparer , fans que l'on s'en doute , tout
ce qui eft néceffaire pour nous rendre capables
d'écouter ces fublimes leçons . Vous
fentez bien , qu'il a dû commencer par
nous plaire : il a fallu nous accoutumer
doucement à la raifon . Voilà fans doute
pourquoi l'Auteur a pris la peine de fuivre
pas à pas nos extravagances & nos foibleffes.
Je vous difois , ce me femble , il y
a quelques jours , que le peu d'utilité de la
plupart des livres de morale naît du ton
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
defpotique de l'Auteur . Il eft vrai que l'on
imagine le voir regarder du haut de fa
raifon nos folies & nos malheurs . Il femble
qu'il fe dife impénétrable aux paffions
humaines. Ces mêmes paffions font elles
feules en action dans la plupart des Romans
ou bien l'on y rencontre au milieu
d'une troupe de fous ,, des perfonnages fi
ennuyeux & fi parfaits : ils font fi continuellement
raifonnables : ils ont fi peu de
rapport avec nous , qu'ils ne peuvent gagher
notre confiance .
Vous me direz peut-être que j'ai mes
raifons pour penfer ainfi. Il eft vrai que je
fais un gré infini au Philofophe Suiffe , d'avoir
fçu nous montrer les refforts qui fervent
à relever une âme bien née . Il a furtout
puiffamment combattu le découragement
des belles âmes , cette fource honteufe
& conftante de la corruption des
plus heureux caractères .
Si je voulois vous rendre compte de
tout ce que j'admire dans l'enſemble de
cet Ouvrage , il me faudroit peut - être
plus de temps pour le détailler , qu'il n'en
a fallu à l'Auteur pour le faire . Je regarde
fon plan comme une machine immenfe ,
cachée fous le voile de la plus noble fimpli
cité .
Je ne finirois pas , fi je me permettois
2.
AOUST. 1761 . 29
de vous dire tout ce que je crois appercevoir.
Il y a bien loin de l'impreffion
que j'ai reçue , à celle que je craignois .
J'ofe à peine penfer à ma derniere Lettre :
j'allois cependant vous en parler ; máis
je m'apperçois heureufement qu'il eft bien
tard. Je compte vous écrire encore après
demain.Adieu, ma chère amie; les obfervations
de votre fociété fur la nouvelleHélo
fe,dont vous me faites part , me paroiffent
petites & injuftes . Je fens que je ferai forcée
de vous en dire mon avis dans ma premiere
Lettre.
LETTRE QUATRIEME.
J'AIAI encore relu, ma chère amie, les trois
derniers tomes de Julie ; & je ne les ai interrompus
que pour écrire deux Lettres
d'affaires ; l'une pour obliger un malheuheureux
de ce Village , qui m'a autrefois
fervie , & l'autre à mon mari. Je le preffe
de profiter de la belle faifon , s'il a toujours
le projet d'aller cette année s'établir
dans fa terre. Je partirois tout de faite.
avec nos deux enfans ; & vous jugez bienque
la nouvelle Héloïfe ne feroit pas ou
bliée.
Je fuis plus indignée que jamais de vos
Bijj
30 MERCURE DE FRANCE.
remarques. Elles attaquent les endroits du
Livre qui me paroiffent les mieux inventés.
En vérité vos gens de goût ne peuvent
critiquer fi févérement cet Ouvrage,
que parce qu'ils ne l'ont pas fait .
Je m'imagine d'ici voir l'air de confiance
& d'autorité , avec lequel ces Meffieurs
perfuadent, après dîner, de jeunes petites,
Dames qui les accréditent . Ils blâment
fur tout avec fuccès les moeurs de Julie
parce que des maximes pernicieuſes ; parce
que des moeurs vraiment corrompues
font vivement attaquées par fa conduite.
Je crois les entendre dire à leur crédule
auditoire , avec un fourire ironique .....
Comment cette fille affez éprife pour
manquer à fon honneur , ne l'a- t - elle pas
affez été pour époufer fon amant ? Pourquoi
refufe- t- elle les offres du généreux
Edouard pourquoi ne quitte-t- elle pas
les parens qu'elle déshonore , pour aller
paffer fa vie avec ce qu'elle aime & l'ami
vertueux , qui leur offre un afyle ? n'a-telle
de l'audace & de la force d'efprit ,
que pour s'impofer des liens illégitimes ?
J'ai bien peur , ma chère amie , que
ceux qui raiſonnent ainfi , ne connoiffent
d'autres vertus que le préjugé , & d'autre
Eonneur que l'orgueil. Comment ne
oyent-ils pas que à Julie a manqué à ce
fi
AOUST. 1761 31
qu'elle ſe devoit à elle -même , vis-à- vis de
la vertu & de la raiſon , elle ne peut expier
les fautes que par fes remords & par
fes larmes doit -elle faire oublier fa foibleffe
par des torts plus graves & plus impardonnables
. Qui peut la condamner ?
fera-ce des Philofophes ou des dévots ?
fera ce des hommes fans principes ou ceux
qui prétendent en avoir ? lequel d'entr'eux
prononcera que le premier des crimes eft
l'amour illicite , & que les premiéres des
vertus ne font pas la reconnoiffance &
l'humanité ?
Julie aime fon amant fans ceffer de
chérir fon père : elle ne veut point fe féparer
d'une mère tendre & adorée. Il lui
en coûte pour s'éloigner d'une amie qu'elle
a toujours aimée. Lifez ces quatre lignes
que l'on trouve dans une Lettre de Claire
à Julie. » Il reste en toi , lui dit Claire ,
» mille adorables qualités , que l'eftime de
» toi-même peut feule conferver , qu'un
» excès de honte & l'aviliffement qui le
fuit détruiroit infailliblement ; & c'eft
"3 fur ce que tu croiras valoir encore , que
» tu vaudras en effet. Gardes - toi donc ,
» de tomber dans un abbattement dangereux
, qui t'aviliroit plus que ta foibleffe
» même . Le véritable amour eft il fait
»
» pour dégrader l'âme ?
·
B iv
32 MERCURE DE FRANCE.
Julie n'eft pas de ces femmes qui per
dent toutes leurs vertus en un jour. Plus
capable de facrifier fon honheur au bonheur
de ce qu'elle aime , que d'immoler
au fien les derniers jours d'un père & dune
mère qui n'exiftent que pour elle ; au
moment de plonger le poignard dans le
fein de ceux qui lui ont donné la vie , elle
regarde la profondeur du précipice , où
elle eft tombée. Le crime barbare , qu'elle
eft fur le point de commnettre , lui donne
de l'horreur pous les engagemens qu'elle
a pris . Enfin n'eft elle pas retenue dans
cette circonftance par fon extrême fenfibibilité
, la fource premiére de toutes les
vertus , & l'unique principe de fes erreurs?
Ne voit on pas ici tous les effets d'une
-même caufe & les conféquences néceffaires
du caractère que l'Auteur a dû donner
à fon Héroïne? Si ce font là des contrariétés
, convenez , ma chere amie , qu'elles
ont heureuſement leur racine dans le coeur
de l'homme.
Avec quel génie cette prétendue inconféquence
eft préparée ! On ne peut fe laffer
de lire la Lettre où Julie raconte la vialence
de fon père , & le charme de la Scène
touchante qui lui fuccéda : c'eſt Julie
qui s'exprime ainfi, page 374 , tome premier.
AOUST. 1761 : 33
"
"
Après le fouper , l'air fe trouva fi froid
que ma mère fit faire du feu dans fa
» chambre .Elle s'affit à l'un des coins de la
» cheminée, & mon père à l'autre. J'allois
» prendre une chaife pour me placer en-
» tr'eux ; quand m'arrêtant par ma robe,
❞ & me tirant à lui fans rien dire , il m'af-
» fit fur fes genoux. Tout cela fe fit fi
" promptement & par une forte de mou-
» vement fi involontaire , qu'il en eut une
efpéce de repentir le moment d'après.
Cependant j'étois fur les genoux : il ne
pouvoit plus s'en dédire ; & ce qu'il y
» avoit de pis pour la contenance , il fal-
» loit me tenir embraffée dans cette gênan
té attitude.Tout celà fe faifoit en filence ;
mais je fentois de tems en tems fes bras
»fe preffer contre mes flancs avec un fou-
» pir affez mal étouffé . Je ne fais quelle
» mauvaife honte empêchoit les bras pa-
» ternels dé fe livrer à ces douces étrein-
» tes . Une certaine gravité qu'on n'oſoit
» quitter ; une certaine confufion qu'on
» n'ofoit vaincre, mettoit entre un père &
fa fille ce charmant embarras que la
pudeur & l'amour donnent aux amans ;
tandis qu'une tendre mère , tranſpor
» tée d'aife , dévoroit en fecret un fi doux
fpectacle. Je voyois , je fentois tout
cela - men - Ange Et ne 'pus tenir plus
By
+
34 MERCURE DE FRANCE.
و د
"
"3
ور
longtemps à l'attendriffement qui me
gagnoit. Je feignis de glifler. Je jettai ,
» pour me retenir, un bras au cou de mon
Fère. Je penchai mon vifage contre fon
vifage vénérable ; & dans un inftant il
» fut couvert de mes baifers & inondé de
» mes larmes. Je fentis , à celles qui cou-
» loient de fes yeux , qu'il étoit lui- même
foulagé d'une grande peine : ma mère
» vint partager nos tranfports . Douce &
paifible innocence , tu manquas feule à
» mon coeur , pour faire de cette fcène
» de la Nature le moment le plus déli-
» cieux de ma vie !
ور
ور
Cette fcène fi naturelle conduit le Lecteur
à approuver ce qui doit fuivre. Qu'il
eft aifé de fe repréfenter qu'après avoir
gémi de la violence de cet homme brulque
& fenfible, fon repentir, fes larmes &
les careffes qui lui échappent doivent
avoir un empire abfolu fur une fille comme
Julie!peut -on s'empêcher de comparer
les douceurs de cet épanchement de la
nature , de ce fentiment fi doux , fi refpectable
, avec le tumulte impétueux d'une
paffion déréglée ? quel contrafte ! quelle
fource de réfléxions !
Peu de temps après , elle voit mourir
fa mère , qui a découvert fon intrigue.
Cette mère charmante ne lui fait aucun
A OUST 1761.
35
fon père qui n'a
reproche : elle expire en faifant des voeux
pour le bonheur de fa fille . Julie fe perfuade
que le chagrin a abrégé fes jours :
elle ne voit plus que des objets lamentatables.
Séparée de fon Amant depuis plufieurs
mois , elle a eu le temps de réfléchir
: elle doit le moins aimer & le hair
peut -être , lorſqu'elle fe retrace fes fautes
& fes malheurs.
Dans cet inftant
plus qu'elle , ce vieillard malheureux ,
dont elle peut adoucir ou empoisonner
la vie , ce père fi haut , fi abſolu ſe jette
à fes genoux , pour la fupplier d'accorder
fa main à un homme vertueux , qui lui
a fauvé la vie . Il la preffe d'acquitter la
parole d'honneur qu'il a donnée à fon
ami . Ah ! ma Comteffe , n'avez-vous pas
remarqué que le mariage devient pour
une perfonne comme Julie une barriére
invincible contre les reftes d'une paffion
terrible & .malheureufe? Elle fe flatte de
rendre à fon père le repos & le bonheur
qu'elle lui a ôtés. Elle fuit les confeils
d'une amie qui a de l'empire fur ſon eſprit.
En réfléchiffant, elle fe regarde comme
une fille coupable & ingrate : elle voit
qu'elle peut devenir une femme vertueufe
& une mère tendre & respectée . Ce
dernier motif la décide . Elle promet &
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
accomplit avec joie fon ferment.
Que pourroit- on oppofer à des raifongfi
preffantes? Seroit - ce les intérêts de l'hon--
nête homme qu'elle époufe , & qui peut
ignorer fa conduite ? De pareilles confidérations
n'éffacent point la peinture que
je viens de faire . Eft-il même bien aifé de
décider fi l'obéiffance d'une fille à fon
père n'eſt pas un des premiers devoirs de
fon état ?
On pourroit enfin convenir tout au
plus , que les raifons fe combattent fans
pouvoir fe détruire; & c'en feroit plus qu'il
n'en faut pourfonder la conduite de Julie fi
bien dans la nature & dans la raiſon.Je vais
plus loin : en fuppofant qu'elle fit une fau
te devenue néceffaire , on pourroit feulement
en conclure , qu'une fois fortis des
limites de l'ordre & du devoir , nous n'avons
plus que le choix des fautes & des
malheurs.
Hélas ! ma chère amie , que cette ré
fléxion eft inftructive ; mais qu'elle eft éffrayante
pour moi ! qu'elle doit me donner
à penser Revenons à Julie.
Il falloit bien qu'elle eût ce dernier tort ::
il falloit qu'elle fût parjure avec fon
amant , pour ne pas devenir plus criminelle.
Cette derniére faute a donné l'éffor
à fesgrandes qualités : elle la rétablit dans
l'état , dont elle étoit déchue . Remar
AOUST. 1761. 37
quez que Julie plus foible que je ne l'ai
étés Julie dans la même fituation que moi ;
Julie , époufe & mère devint fublime &
irréprochable. It femble que fon âme s'agrandiffe
avec fes devoirs . La vertu embellit
fes jours : elle trouve des douceurs
inattendues dans fon nouvel état.
Cependant, ma Comteffe , ces foupirs
tendres & douloureux, qu'elle jette quelquefois
vers le paffé , nous enfeignent
malgré nous , qu'elle eût été plus heureufe
, fi fon coeur ne l'eût jamais égarée.
Que la dévotion de Julie , eft grande
& touchante ! Elle éléve l'âme & la confole.
Elle meurt enfin , lorfqu'on ne peut
plus fe paller de vivre avec elle. Elle gagne
une maladie mortelle , en fe jettant
dans le Lac , pour fauver la vie à un de
fes enfans. Je ne connois rien de fi touchant
que le moment , où l'on améne
à Julie mourante les deux enfans qui lui
font fi chers. M. de Volmar s'exprime
ainfi dans cet endroit de la lettre , où il
raconte la fin attendriffante de fa femme:
2
» Elle alloit me répondre , quand on
» amena les enfans. It ne fut plus quef-
» tion que d'eux ; & vous pouvez juger ,
» fi fe fentant prête à les quitter , fes ca-
» reffes furent tiédes & modérées . J'obfer--
vai même , qu'elle revenoit plus fou
38 MERCURE DE FRANCE .
» vent , & avec des étreintes encore plus
» ardentes à celui qui lui coutoit la vie ;
» comme s'il lui fût devenu plus cher .
Ce qui doit furprendre le Lecteur ; c'eſt
que cette mort , quoique prévue , n'en eft
que plus attendriffante.
>
Il faut que cette fingularité foit caufée
par un intérêt d'une autre nature , que
celui qui foutient la plupart des Romans .
Apparemment que tout eft vrai , fimple
& naturel : cette cataſtrophe n'a pas befoin
d'être imprévue pour attendrir. Apparemment
que les mouvemens que l'on
éprouve , ne tiennent point à des illuſions
paffagéres ; mais aux fentimens plus confrants
& plus intimes , dont l'âme ne fe
laffe jamais.
Je voudrois vous peindre avec des couleurs
affez vives les différents regrets des
différents témoins de ce fpectacle funeſte .
Quelle fermeté touchante dans Julie ,
uniquement occupée de ceux qui l'environnent
? Quel état que celui de Claire ,
fûre de perdre une telle amie , en faifant
de continuels efforts pour lui cacher
La douleur ! Que de larmes différentes fervent
à retracer tous les charmes & toutes
les vertus de cette adorable femme ! Tous
les fentimens , tous les caractéres , toutes
les conditions la pleurent & la refpectent.
AOUST. 1761 . 39
On voit, dans ce terrible inftant, un défefpoir
général ; celui de fes amis , celui
de les domeftiques , celui de tout un peuple
, qu'elle auroit voulu rendre heureux.
On voit avec autant de faififfement que
d'admiration la perplexité de Wolmar , de
cet homme froid par principe & par caractére.
L'incertitude s'élève tout -à- coup
dans le fein d'un Athée , qui tremble de
voir expirer avec Julie , la vertu & l'húmanité.
Le malheureux Wolmar ne peut
croire à l'anéantiſſement d'une âme auffi
tendre & auffi parfaite. Il paffe de l'athéifme
à l'excès de la timidité : il redoute
pour Julie un avenir , qu'il n'eût regardé
pour lui -même , que comme un port certain
, comme un fommeil tranquille . A
peine raffuré par les vertus de ce qu'il
aime , c'eft lui qui l'avertit en frémilfant
, qu'il ne lui refte que peu d'inftants à
vivre.
Il me femble qu'en voilà bien affez ,
pour faire oublier quelques obfervations
auffi faciles à détruire qu'à imaginer . Pour
moi, je vous avouerai, ma chère amie , que
je ne fuis point fâchée de rencontrer avec
des vertus fublimes quelques petiteffes
qui les rapprochent de moi. Au furplus
je ne m'embaraffe guéres de fçavoir fi Julie
a eu tort ou raiſon , de chercher à rafe
1
40 MERCURE DE FRANCE.
furer les regards de ceux qui la voyent finir.
Peut-être, fi vous le voulez , eût -elle mieux
fait de mourir plus férieufement . Je ne
voudrois cependant rien retrancher : tout
me plaît : tout me paroît néceffaire. Je
penfe que ce feroit avec moins de raifon
encore, que l'on s'en prendroit à quelques
inconféquences de Volmar , qui n'eft
point le pivot éffentiel & moral de l'ouvrage.
On trouve mauvais , dites - vous , que
cet homme extraordinaire ait époufé Julie
, fachant fa conduite & fon amour.
Mais en fuppofant même que Volmar ait
eu un tort ; faut- il donc s'étonner , qu'un
Athée , qui par hazard fe trouve bien né ,
tombe dans plufieurs inconféquences ?
Eft-il d'ailleurs bien fingulier , qu'ayant
connoiffance de la paffion de Julie , il
l'épouse , parce qu'elle lui plaît , parce
qu'il croit que fa fociété peut le rendre
heureux ; parce qu'il n'eft pas d'un caractère
jaloux ; parce qu'il fait qu'elle eft vertueufe
& reconnoiffante , & qu'il eſpére
que fes procedés & fes foins pourront enfin
la gagner; parce qu'il voit fon père
décidé à ne pas lui laiffer époufer fon
amant ; & fi l'on veut enfin , parce que
l'intérêt de fon plaifir & de fon bonheur
l'emporte un moment fur toute autre con
fidération ?
AOUST. 1761. 48
*
Ce même Volmar , plein d'amitié & de
refpect pour Julie , qui a eu affez dé bon
ne foi & de candeur pour lui avouer fest
égaremens , fait revenir faint Preux ,
après fix ans d'abfence. Eft - il bien révol
tant qu'il ne voye en lui qu'un ami commun,
& un homme eftimable ? Peut- on ou
blier que Volmar n'eft ni amoureux ni ja
loux , & qu'il ne peut craindre une infidélité
, ni par préjugé , ni par principes ?
D'ailleurs , il compte fur la vertu de Julie
, il l'aime ; il craint d'avoir empoifonné
fa vie ; & à quelque prix que ce
foit , il veut mériter fa confiance , & con
tribuer à fon bonheur.
7
Il faut ne voir dans l'amour que des
fureurs , dans l'honneur que de la férociré
, pour ne pas juger avec indulgence
cette généreufe fingularité.
A propos de cette réfléxion : n'avezvous
jamais pris garde , chère Comteffe ,
à lá pédante hypocrifie de quelques déclamateurs
? Ils ne croyent point à un
Légiflateur éternel . Ils s'amufent à groffir
continuellement de triftes préjugés ,
qui ne feroient que barbares dans leurs
fyftêmes. Il faut que ces préjugés fi gênans
& fi cruels ayent une caufe bien
puiffante , que nous ne pouvons diftinctes
L'Amant de Julie.
42 MERCURE DE FRANCE.
ment connoître . Mais laiffons la Philofophie
& l'amour.
Vous avez pu remarquer , que dans le
compte que je viens de vous rendre de la
nouvelle Héloïfe , je ne me fuis guéres occupée
que des traits qui ont un rapport éf- િ
fentiel à mes devoirs , & avec la fituation
préfente de mon coeur .
Je ne fais fi je me trompe , depuis que
j'ai lu ce Livre , il me femble que je vois
un nouvel ordre de choſes. Ce qui m'arrivera
d'ici à huit jours, peut décider du fort
de toute ma vie. Selon la réponſe de mon
mari , je vous verrai peut- être la femaine
prochaine ; car je pafferai certainement
par Paris , en allant à fa terre de Bretagne.
Ah ! ma chère amie , que j'aurai de
* Ceux qui n'aiment pas le Roman de Julie ,
doivent favoir quelque gré à la perfonne qui
écrit ces Lettres , d'avoir obmis de parler du
charme du ftyle & de la force des raifonnemens
, de leur fageffe , de leur profondeur , des
principes de morale lumineux & utiles que l'on
trouve à chaque page de la defcription du Pays
de Vaux ; des Lettres fur le Suicide , des chofes
ingénieufes que dit l'Auteur fur l'éducation des
enfans ,& fur la manière de former les domeſtiques
honnêtes , & de les rendre heureux. Il n'y
a pas de Lettre , où bien des Auteurs qui penfe
roient , ne trouvaflent dequoi ſe faire une répu
tation & un bon Livre .
AOUST. 1761 . 43
›
plaifir à vous embraffer , & que nous
avons de chofes à nous dire ! Aurai - je le
temps de difputer fur Julie avec vos Marchands
d'Elprit ? Vous m'avez mandé
qu'ils avoient la bonté d'approuver la promenade
fur le Lac , le rêve de Julie , la
réparation d'Edouard. S'ils avoient vû plus
loin , ou avec plus de bonne foi , ils feroient
convenus que ces fublimes beautés
tiennent immédiatement à un magnifique
enfemble , qui ne pourroit fe paſſer
d'aucune de ſes parties.
C'est ainsi que finiffent ces Lettres : il
eût été facile d'en faire un Roman agréable.
Mais l'Editeur n'a ni l'efprit de ce
genre , ni le temps de s'en occuper . Si
quelque efprit léger agréable & oifif
vouloit continuer ces Lettres , il pourroit
les intituler: Le pouvoir d'un bon Livrefur
un bon coeur.
>
44 MERCURE DE FRANCE.
FRAGMENS de Vers , à l'occafion d'un
Payfan Canonier , qui ayant vu fon fils
emporté à une batterie , à l'Ile de Ré ,
dans le mois de Juin,fe tourna vivement
du côté de fon Officier , & lui dit avec un
courage digne d'une naiffance& d'une
condition plus élevée : » Monfieur, Dieu
m'avoit donné ce fils unique , il vient
» de me le retirer ; que cela ne nous emnpêche
pas de continuer notre befogne.
U'I dePhoebus les regards débonnaires,
Daignent tomber fur les humbles valons ;
Roi bienfaifant , de fes feux falutaires ,
II fçait nourrir les timides fillons.
Du chêne altier , vainement l'arrogance
De fes faveurs fe croit l'unique objet ;
De fes préfens l'heureufe préférence ,
Tombe ſouvent fur le timide oeillet.
De la vertu les efforts magnanimes ,
Egalement germent dans tous les coeurs ;
Oui , fous la bure on voit des traits fublimes ,
Qu'on cherche en vain dans le fein des grandeurs
Ah ! loin d'ici le préjugé ftupide ,
Qui calculant le nombre des vertus ,
Par les clochers & les dons de Plutus ,
Dans un Palais , veut trouver un Alcide,
A OUST. 1761 .
45
Les folles loix de l'aveugle hafard
Ne réglent point les dons de l'Empirée ;
Les deux tonneaux s'épanchent ſans égard
Sous le compas de l'équitable Aftrée.
Par le Major du Régiment de Br.....
VERS à Madame D*
, qui habite la
maifon du grand CORNEILLE , qu'elle
a beaucoup augmentée.
Q
U ton réduit , jeune Douairiere ,
Eft refpectable & gracieux !
C'est un Palais que je révère
A l'égal du Temple des Dieux.
Sous toi , ce Louvre des Corneilles
S'illuftre encore & s'embellit :
Sous toi , tout y devient merveilles
Et pour le coeur, & pour l'efprit.
Que ma veine feroit f rtile
Dans ce docte & tendre féjour ?
Des Arts ja fis il fut l'alyle ,
Il l'eft maintenait de l'amour.
Divine ombre du Grand - Alcée ,
Ne regrettes - tu point ces liex,
Depuis qu'is dans ton Ly ée
Fait briller fon goût & les yeux?
MERCURE DE FRANCE
Si malgré d'éternels obftacles ,
Toi- même revoyois ces bords ;
Ta Lyre , féconde en miracles ,
Produiroit de nouveaux accords.
Bientôt de fa gloire nouvelle ,
Ta Mufe étonnant l'univers ,
Feroit dans l'ardeur de fon zéle ,
Oublier fes premiers concerts.
VERS, pour mettre au bas du Portrait
de l'Abbé de CHAULIEU .
Iz féduit l'efprit & le coeur.
L'aimable volupté triomphe fur fes traces.
Qu'on s'enivre ailément d'un poiſon enchanteu
Quand il eft verfé par les Graces !
REPONSE faite fur le champ à Mlle D**
L *** ,qui demandoit d'un ton chagrin,
lorfque l'Auteur partit pour l'Armée 2
Qu'est-ce que la Gloire ?
CHERE HERE Iris , dont l'âme eſt ſi tendre ,
Dont le coeur eft fi généreux ;
Qui cherches en vain à comprendre
Pourquoi la Gloire a tous nos voeux ;
AOUST. 1761. 47
Toi , qui d'une aimable harmonie
Ne refpires que la douceur ,
Tu veux concevoir la manie
Qui nous rend cruels par honneur?
La Gloire eft une enchanterefle
Qu'il faut révérer malgré foi :
Le moindre murmure la bleffe ;
Elle parle , c'eſt une Loi.
On doit n'exifter que pour elle ,
Et n'avoir point d'autre bonheur;
On doit même la trouver belle ,
Quand elle nous perce le coeur.
Par M. DE JUILLY THOMASSIN, g . d. C. d. R
LE TRIOMPHE DE LA FOLIE ,
ODE badine.
АнH ! que mon fort eft glorieux !
Difoit l'Amour à la Folie:
Quoique le plus petit des Dieux ,
On me doit tout , juſqu'à la vie ;
Tout fe conduit par mon canal ;
Je fais la paix ; je fais la guèrre ;
Je fais le bien ; je fais le mal ,
Dans les Cieux comme fur la tèrre.
48 MERCURE DE FRANCE.
J'ai changé Jupiteren or ;
On l'a vû Taureau , Cigne , Aigle , Hommes
J'ai fait , je crois , bien plus encor
J'ai brulé Troye & dompté Rome;
Alcide , Alexandre & Célar ,
Se font honorés de mes chaînes ;
J'ai vu des Mouphtis à mon char ,
A côté des Sages d'Athènes.
Si ces exploitsfont bien fameux ,
Dit l'autre , c'eft ce que j'ignore :
Tu crois tes Héros amoureux ;
Moi je les crois plus fols encore.
T'es-tu jamais paffé de moi ,
Mon pauvre enfant , parle fans feindre?
Non , mais je fais des fols fans toi ,
Et ce font là les moins à plaindre.
JUSTIFICATION DE L'AMOUR ,
MADRIGAL.
D EVENU vieux , fage par impuiſſance ,
Saturne un jour grondoit le Dieu des coeurs :
O pauvre Hymen , dit- il , quelle licence !
Comme on te traite , ô fiécle , ô temps , ô moeurs !
C'eft toi cruel qui fais tous les volages ;
Oui ,
AOUST . 1761 : 49
Oui , dit l'amour , je vais fuivant le temps ,
Créer encor des hommes qui foient fages ;
Et j'en ferai des Amants plus conftants .
L
LE JUGE A LA MODE ,
SUR LES PLUS CÉLÉBRES TRAGIQUES .
Seconde Ode badine.
LE PARTERRE à l'Amour.
Sois le Juge , Cupidon ,
Puifqu'ici ta voix do mine ,
Qui vaut mieux de Crébillon ,
De Corneille , ou de Racine ?
Je ne me trouvai jamais ,
Si grand que lorfque Corneille ,
Par d'inimitables traits ,
Sçut étonner mon oreille.
D'un beau feu Racine épris ,
Quand il a peint la tendreffe ,
A mis plus de coloris ,
Plus de goût , plus de fineſſe .
Après eux vint Crébillon ,
Un feu dévorant l'enflâme , '
C'est un brulant tourbillon
Qui porte l'éffroi dans l'âme :
C
fo MERCURE DE FRANCE
S'il faut que je falſe un choix ,
Si l'on me force à le dire ,
Ils me plaiſent tous les trois ;
Mais ils n'ont pas fait Zaïre.
LEROSSIGNOL ET LE TOURTEREAU ,
MADRIGAL.
QUE l'heureux S. Lambert peint bien le ſenti-
UB
.ment !
Que les tableaux font vrais & que fa touche eftfûre !
Il exprime tes feux , Amour , fi tendrement ,
Qu'on diroit que ta flâme échauffe fa peinture.
Que n'ai-je avec mon coeur fon féduiſant Pinceau ;
J'aurois déjà fléchi l'ingrate Célimene.
11 eft le Roffignol , je fuis le Tourtereau.
Il chante fes plaifirs hélas ! & moi ma peine.
ParM*** Garde du Roi de Pologne , à Lunéville.
PROJET d'une Brochure en général , &
de plufieurs en particulier.
Les grands vices font traités , mais leurs
fubdivifions ne le font pas . Cependant elles
méritent d'autant plus d'être relevées
qu'elles fervent de faux- fuyant & d'excufe
àl'efprit & lui fourniffent des moyens pour
tolérer les vices & les rendre quelquefois
aimables. Les oppofitions rendent les imaAOUST.
1761. fr
ges plus fenfibles . Je commencerois donc
par traiter la Nobleffe & la Vilenie. La
premiere prife dans le fens de la Générofité
, & la derniere confidérée comme une
fubdivifion de l'Avarice.
La générofité regardée par rapport à
l'argent , mérite fans doute des éloges ;
mais elle a befoin d'être conduite . Le
don demande un à propos , fans lequel il
eft profufion . Combien de gens fe font
ruinés fans avoir été , je ne dis pas nobles
, mais étant éffentiellement injuftes
& peut-être même fcélérats ? Par vanité ,
par oftentation ils ont donné , ils ont jetté
ce qu'ils devoient à des malheureux
qu'ils ont réduits à la mifére . Ces Tableaux
font frémir ; on ne peut les décrire avec
trop de force , puifqu'en effet la probité
du monde ne les met point dans le rang
des reproches . En un mot , la générosité
doit être jufte ; & fans opulence , on eft
généreux .
La vilenie d'un autre côté n'eſt qu'une
avarice traitée & prife dans fes petites
parties; elle n'eft jamais avouée. Le vilain,
pour me fervir d'un mot qui n'eft pas noble
, & le feul que la Langue fourniffe
pour cette fubdivifion , le vilain , dis je ,
eft donc un avare honteux & occupé fans
ceffe de petits objets ; il craint les exem-
Cij
12 MERCURE DE FRANCE
ples des actions généreufes , parce qu'il
redoute les applications. Ce n'eft point
par intérêt d'amitié ou de fentiment qu'il
prend le parti d'un homme qui a fait une
vilenie , mais par l'efpérance de fe fauver
à la faveur des autres. Le perfonnel
le détermine ; infenfible au malheur des
autres , non feulement il ne donneroit
pas ce qui pourroit terminer leur malheur
, mais il fatisfait mal au falaire & au
payement de la peine. Le généreux mal
entendu & le vilain dépourvu de fentimens
, ruinent donc également les hommes
que le défaut d'opulence a placés
dans un état inférieur .
Les exemples en action font néceffaires
pour rendre cet Ouvrage utile ; & les
portraits dont une grande Ville abonde ,
ajouteront beaucoup à la morale qui
feule doit en être l'objet .
EPITRE adreffée à l'Académie Françoife ,
par M. l'Abbé AUBERT , en préfentant
la nouvelle Edition de fes FABLES
à cette Compagnie , le 13 Juin 1761 ,
DESEs loix du Goût , Interprêtes fublimes ,
Yous qui comptez parmi cent noms fameux ,
AOUST. 1761 . 53
L'Auteur chéri dont j'oſe dans mes rimes ,
Quoiqu'en tremblant , renouveller les jeux
Qué direz -vous de l'ardeur qui m'anime ?
En vain , tâchant de ravir à l'Eftime
Ce que le Goût pourra me refufer ,
D'inftructions j'ai femé mes Ouvrages ;
En inftruiſant ai - je eu l'art d'amuſer ?
Puis-je , en faveur de quelques leçons fages ,
Après mon Maître efpérer d'être lû ?
Ce ton naïf par lequel il a plâ ,
Cet heureux choix de brillantes images ,
L'ai-je faifi j'ai fait ce que j'ai pû .
Mais cet aveu , bon dans une Préface ,
Ne fauroit faire excufer mon audace.
Un froid Rimeur , qui tour feal s'applaudit ,
Sans fe douter que fa vervé nous glacé ,
A fes Lecteurs a beau demander grace ;
Il ennuira : Boileau l'a déjà dit.
S'il revivoit ce héros du Parnaffe ,
Combien d'Auteurs , de fa foudre frappés ,
Chaffés du Pinde & remis à leur place ,
Verroient flétrir leurs lauriers ufurpés !
Mais vous régnez : Deſpreaux vit encore.
De quelque accueil que le Public honore
Certains Ecrits en naiffant trop loués ;
Ils tomberont , s'ils ne font avoués
D'un Tribunal que le génie éclaire ,
Dont un goût fûr dicte les jugemens ,
C iij
34 MERCURE DE FRANCE.
Guide éprouvé dans l'Art heureux de plaire ,
Par qui la langue aux outrages du temps ,
Malgré la mode , apprend à fe fouftraire.
En vain , flatté d'un frivole fuccès ,
Je pourrai voir , dans ce fiécle facile ,
Quelques Lecteurs fourire à mes effais ;
Ils n'obtiendront qu'une gloire ftérile ,
S'ils n'ont auffi des charmes à vos yeux.
Recevez- en le légitime hommage.
Jamais mon coeur , fi j'ai votre fuffrage ,
N'aura joui d'un bien plus précieux :
Je trouve ici le Parnaffe & les Dieux.
* Les Fables de M. l'Abbé Aubert , fe vendens
chez lui , Place Dauphine , maifon de M. Pitre de
Pape , Jouaillier ; & chez Defaint & Saillant , rue
S. Jean- de- Beauvais , Duchefne , rue S. Jacques ,
& Langlois fils , rue de la Harpe . Prix 40 fols
brochées.
IMITATION d'une Epitaphe du célébre
BEN-JOHNSON , pour une belle Femme
de fon Siècle.
QUEUE rarement le Ciel raffemble
Autant de vertus & d'attraits ,
Qu'en cet objet de nos regrets
La Terre en vit briller enſemble !
Par M, L. B. L. B.
AOUST. 1761. 33
É PIGRAM M E.
HIER Amour me dit , d'un air riant ?
» Bonjour l'ami ! je viens finir ta peine :
>>Vois ces deux traits ; l'un fera pour Climéne
>>L'autre pour toi . Grand- merci , bel Enfant !
>> Mais de deux traits n'eft befoin cependant ,
» Un fuffira : percez -en l'inhumaine.
» Car quant à moi , votre aſſiſtance eſt vaine ,
» Laiffez agir fes beaux yeux feulement.
A Madame de B *** , qui a demandé un
Rondeau rimé en ec & en ême fans
les mots aime & refpect.
RONDE A U.
OUR obéir & n'être pas fufpect
A mon Iris , il faut en ect , en ême ,
O mon efprit , faire un rondeau correct ,
Sans y placer ces mots qu'à fon aſpect
Je ne puis taire en dépit d'elle - même !
Tâchez pourtant , mais d'un ton circonfpect
D'inftruire Iris de mon ardeur extrême.
Prenez alors quelque tour indirect ,
Pour obéir.
Civ
MERCURE DE FRANCE.
Voyez, cherchez, pour vous l'ordre eft fuprême
Vous balancez ? ... Oh , le pauvre intellect
Mettez Revere au lieudu mot en ect ,
Et puis adore ... & voilà votre thême ,
L'Amour par fois ufe de ftratagême,
Pour obéir.
FOUBERT , de S. Germain en Laye.
RÉFLEXIONS SUR LES PRÉJUGÉS ,
RELATIVEMENT AU BONHEUR.
'A M.l'Abbé MAYNEAUD DE VAUX.
EXAXAMINONS
- le bien, mon
cher
ami; nos
préjugés
font
prefque
toujours
les cauſes
de ce que nous
croyons
avoir
à fouffrir
du
refte des hommes.
On fe fait des peines qui n'ont de réalité
que celle qu'on leur donne ; notre
fenfibilité les mefure fur elle même , &
notre fenfibilité dépend ou de notre opinion
ou de nos foibleffes.
Rien donc de plus utile pour notre repos
& notre tranquillité, que d'approfon
dir ces préjugés , que de favoir s'en rendre
maître.
Ne nous arrive- t il pas fouvent de jager
des actions par les perfonnes.
AOUST. 1761 . 57
Il n'eft du moins que trop ordinaire de
tout rapporter à fon amour-propre ; on
exige des égards de tout le monde ; en a - ton
également pour les autres ? eft- il raifonnable
de fe plaindre d'une légère mortification
à laquelle on a pour l'ordinaire
donné lieu ?
im-
Si à l'amour- propre fe joint quelque
mérite , ne nous rend- t - il pas vains ,
périeux ? ne nous imaginons- nous pas que
tout le monde doit le connoître ? C'eſt là
je croi , la véritable pierre de touche de
la médiocrité. Le vrai mérite eft rare ; il
ne fe plaint de rien ; il connoît fes imperfections
, fe connoît lui - même , & fe
fuffit.
Il eft, je l'avoue, des occafions critiques ,
où quelque force d'efprit qu'on ait, à quelque
haut point qu'on porte ce talent fi
rare d'apprécier les chofes leur jufte valeur ;
il eft impoffible de ne pas fouffrir : j'entends
parler de celles où l'on fe trouve néceffairement
forcé de paffer une partie du
temps fi précieux de la jeuneffe , dans ces
fades & infipides fociétés , où le bon ſens ,
le goût , la raifon même n'ont jamais été
connues, dans la fociété de ces hommes à
loupe , qui jugent de tout felon leurs foibles
lumières ; qui d'un ton ftupidement
doctoral vous débitent des maximes ab
Cy
58 MERCURE DE FRANCE..
furdes & révoltantes qu'ils défendent
vec la chaleur ordinaire aux Sots ; qui joigrant
quelquefois à la bêtife , & le liberinage
, & le menſonge , vous accablent
d'une infinité d'équivoques plus fades &
plus infipides les unes que les autres.
On profite cependant dans de pareilles
Sc ciétés , dès que l'on en fent bien tout,
le ridicule ; mais cette utilité ne nous em-
Fêche pas d'en reffentir les peines inféparables
, l'ennui & le dégoût.
Par M. DE MONTROUÏ.
EPITREà Madame de S...
Voouuss mm''avez demandé des Vers :
En voici que je vous deſtine ,
Non tels que le Dieu que je fers ,
En dicte à ceux qu'il illumine ,
Ou qu'à ma charmante coufine ,
Le tendre amour les eût offerts ;
Mais tels qu'un pauvre Solitaire ,
Les enfile au fein de l'ennui ,
Et vous les adreffe aujourd'hui ,
Sans nourrir l'efpoir de vous plaire ,
Ni d'obtenir pour fon falaire ,
Qu'on s'occupe un inftant de lui.
D'abord à vos ordres docile
Jecrus qu'il me feroit facile.
AOUST. 1761 . 19
De peindre dans des Vers riants
Ce verd Bofquet , ce doux aſyle ,
Où loin du fracas de la Ville ,
Des Envieux & des Plaifans ,
Vous jouiffez d'un fort tranquille ;
De là promenant mes efprits
Sur cette plaine magnifique ,
Et fur ces prés toujours fleuris
Qu'arrofe une Fontaine unique ,
Je comptois bien dans mes Ecrits ,
En tracer à vos yeux furpris
Le Tableau le plus poëtique.
J'augurois trop de mes talens.
Quel Peintre eſt aſſez admirable ,
Pour rendre des traits fi brillans ?
Dans le moindre de fes enfans,
La nature eft inimitable .
J'ai vu mes éfforts auffi vains ,
Quand j'ai voulu chanter la vigne
Où croiffent ces arbres divins ,
Dont le gourmand * le plus infigne
Orna le premier fes Jardins ,
Et fur lesquels vos belles mains
Cueillent la griote & la guigne,
J'ai chanté fur le même ton ,
Et dans un goût auffi peu digne
De fixer votre attention
Avec quelle adreffe maligne ,
* Lucullus
C vi
60 MERCURE DE FRANCE.
" Vous croquez le friand poiffon
Que l'appas du trifte hameçon
Attire autour de votre ligne :
Un plus beau fuccès dans ce jour ,
N'a pas couronné mon audace ,
Quand avec les traits de l'amour ,
Je n'ai peint en vous qu'une grâce
En un mot pour parler ici ,
Avec ma franchiſe ordinaire ,
Famais un projet téméraire
N'a tout auffi mal réuffi 5
Et la raison en eft bien claire :
Pour rendre dans un jour exact ,
L'éclat dont brille la nature ,
Il faut un efprit délicat ,
Une éloquence fimple & pures.
Il faut être dans un état ,
D'où l'amour a trop fçu m'exclure..
Le fombre ennui , les noirs chagrins.
Affiégent ma trifte perfonne ,
Tandis que ce Dieu ne vous donne
Que des jours heureux & fereins ;,
Dans votre retraite riante ,
Auprès d'un Epour adoré
Et d'une Famille charmante ,
Et d'un refpectable Curé ,
Vous vivez tranquille & contente..
Pour moi qui toujours déchiré ,
AOUST. 1761
Par quelque paffion naiſſante ,
Traîne d'une âme impatiente ,
L'ennui dont je fuis dévoré
Je tourne mon oeil égaré ,
Vers cette Ville lánguiſſante ,
Où la beauté la plus piquante
M'a de tout temps défefperé.
Si cet aveu chez vous fait naître
Un peu de curiofité ;
Et fi vous cherchez à connoître ,
Le nom de ma fière beauté ;
Epargnez-vous un foin frivole ,
Vous ne la connoîtrez jamais.
Quand l'Amour garde mes fecrets ,
Je ne crains pas qu'on me les vole.
VERS à Madame de V..... tenant furfes
genoux , à un Bal , le fils de Madame
CRES... déguisé en Pierrot .
CONNOISS ONNOISSEZ -VOUS cet Enfant déguiſe,
Que vous accablez de tendreffes ?
Cent belles bouches l'ont baifé……..
J'en frémis .... Redoutez fes trompeufes careffes
Quoi, vous le ferrez dans vos bras !"
Yous le fçavez pourtant , Didon fut trop crédule
A fes malheurs ne vous expofez pas ,
En prenant l'Amour pour Iule.
A Metz
Eneide Livre I ' J
62 MERCURE
DE FRANCE
.
Le mot de la première Enigme du
fecond volume du Mercure de Juillet ,
eft Encre. Celui de la feconde Enigme ,
eft , le Soupir. Le mot du premier Logogryphe
, eft Cavalerie , dans lequel on
trouve Arc ( Jeanne d' ) , ou la Pucelle
d'Orléans , Livre , éclair , ail , Claire ,
Liévre , Alaric , ire , Air , ré , la, & lire.
Celui du fecond , eft , Embrion . On y trouve
Roi , Moine , Robin , boire , robe noire
, mon , bien, rien.
ENIGM E.
Ja fuis un tableau concerté E
D'accident , d'amour , de foibleffe ,
Que méconnoît la Vérité ;
Qu'embellit la Délicateffe
De fon éclat éblouiſſant ;
Que l'art , par de fauffes images ,
Charge d'un fatras éclatant .
Quelquefois , dans mes badinages ,
J'éléve un phantôme brillant ,
Le coeur s'émeut & s'intéreſſe ,
On verfe des pleurs ; à l'inſtant
La Raiſon vient , mon charme ceſſe,
AOUST. 1761 .
63
Ainfi j'égarois les efprits
Dans un Dédale d'avantures ,
Et par mes graves impoſtures ,
J'éveillois les fens afſoupis :
Mais l'homme , en paffant à l'extrême ,
A beaucoup abrégé mes ans ;
Et malgré mes vieux partiſans ,
Moins je fuis long , & plus on m'aime.
Par M. DE RIPERU .
AUTRE.
Si tu defires me connoître ,
Lecteur , regarde à tes côtés
Ces fous courans à pas précipités ,
Ces fous en qui l'on voit paroître
Ces façons & cet enjoument ,
Ces petits airs , cette foupleſſe ,
Qu'à tort tu nommes gentilleſſe :
Je ne différe d'eux , que par l'habillement.
Chez moi c'eft art , & chez eux c'eſt nature ;
Un habit très-léger compofe ma parure ;
Ils font vêtus plus richement que moi.
Quoi , Lecteur , ton efprit balance ?
C'eft fur-tout à Paris que je fais réfidence.
Oui , Lecteur , à Paris : tu t'étonnes , pourquoi !
Je fronde les travers , réprime la licence,
64 MERCURE DE FRANCE.
Enfeigne la fageffe .... on le dit ... je le croi.
J'ai beaucoup d'ennemis , & fur-tout dans l'Eglife .
Contre moi vainement la critique s'épuiſe ,
Et cependant j'échappe à ſa fureur .
Je fuis gai , femillant... me connois- tu , Lecteur
ParM. CORDIER DE LA HOUSSAYE,
DE CALAIS.
LOGOGRYPHE.
Tous les trois ans , Lecteur , je reviens chez
les Moines ;
Dans mon choeur , chaque jour , je reçois les
Chanoines ;
Pour rendre moins confus les ouvrages abſtraits ,
De mes huit pieds on fait un très - fréquent ufage.
De fe fervir de moi les Vieillards ont la rage.
Tu ne me connois point à ces infignes traits :
Que te dirai -je donc ? fais de moi l'analyſe ,
Tu trouveras fans peine , un ornement d'Eglife ,
Et le nom de celui qui le porte en chantant ;
L'endroit où Cynéas ,, ce Confident unique ,
Defiroit que fon Roi vécût paisiblement ;
Un des Poiffons d'eau douce ; une Note en Muſ
que ;
Un attribut d'Eros ; une Ville en Afrique ;
Le fléau des Souris , un Oiſeau grand fripon ;
Ce qui fait réfonner le tendre Violon ;
AOUST. 1761. 68
Le vêtement pieux qu'endoffa Théodofe ;
La Nymphe que les Dieux , par la Métamor
phofe ,
Préſerverent du Phafe ; un Monarque François
Des Orateurs Chrétiens la Tribune divine ;
Le réfultat de l'eau mêlée à la Farine ;
Un adjectif piquant ; un grand Miniſtre Anglois
Un fruit verd & confit excellent en Salade ;
La machine fur quoi les Généraux Romains ,
Après une Victoire , étoient mis en parade ;
L'inftrument dont David tiroit des fons divins
La Mère du Soleil , d'Aurore & de la Lune ;
Le mot père en Latin ; une exclamation ,
Ce qui ternit le corps , la réputation ;
Un des Montres produits par la Terre & Neptune
;
Un crime que les Loix puniffent de la mort ;
Celui dont Apollon fondit les fauffes aîles ';
Un péché capital . Enfin je fuis au port.
M'ignores-tu , Lecteur , relis - moi de plus belles.
Par M. FORESTIER .
ON
AUTRE.
N me trouve prefqu'en tous lieux ,
En temps de paix , en temps de guerre.
Sur mer je fuis très- néceſſaire ;
Je plais aux jeunes ; & les vieux ,
66 MERCURE DE FRANCE.
Le plus fouvent , pour me détruire ,
Se fatiguent ; mais c'eſt en vain ,
Car être dure , eſt mon deſtin .
De moi pourtant il faut t'inſtruire ,
Si tu veux fonder mes refforts ;
Six pieds font toute ma fabrique.
Tu trouveras , fans grands efforts ,
Une ou deux Notes de Mufique ;
Un chemin bordé de Maifons ;
Un hoquet fale en Compagnie ;
Ce que Farceurs , ce qu'Hiftrions
Font fouvent pour gagner leur vie;
Le Théâtre affreux que l'on fait ,
Pour punir la main affaffine ,
Coupable de quelque forfait ;
Ce qu'on dit mufc dans une Fouine;
Un métal chéri des humains ;
Un mot commun dans le carnages
Un Vaiffeau connu des Romains ;
Un Synonyme de rivage ;
Encore un mot , & je finis ,
Ami Lecteur , fans plus m'étendres
Un pofte où tout Clerc peut prétendre ,
Sans être Docteur à Paris.
GOUDEMETZ , de S. POL.
珍冰
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
Si l'homme
en
des fleurs passa
=geres Voit le tableau d'un vrai bon.-
W
-heur: Elles
peignent
nos carac .:
= teres, Chacun de nous est une
fleur
Grave
par Me Charpentie.
Imprimé par Tournelle .
AOUST. 1761 :
67
CHANSON.
Si l'homme , en des fleurs paſſagères ;
Voit le tableau d'un vrai bonheur ;
Elles peignent nos caractères ;
Chacun de nous eft une fleur.
Que me préfente l'immortelle ,
La même en dépit des hyvers ?
L'image de l'ami fidéle ,
Qui m'aime encor dans les revers,
D'un Pavôt la tête orgueilleuſe
Sur l'Eillet regne avec mépris ;
L'air haut, la taille avantageufe
De bien des gens font tout le prix.
Que cette Anémone eſt brillante !
Mais rien n'y fatte l'odorat :
C'eſt une parure galante
Qui fait le mérite d'un Fat.
Dans l'argentine d'un partèrre ,
Plutus ! je vois tes favoris :
Sa tige baffe fur la Tèrre ,
Etale un riche coloris .
68 MERCURE DE FRANCE
De Chloé les humeurs chagrines
Déparent tous les agrémens :
De la Roſe ainfi les Epines
Rendent fes attraits moins charmans.
De fon parfum la Tubéreufe
Remplit l'Air , & trouble les fens :
D'un Courtifan la voix trompeufe
Entête ainfi de fon encens.
Le Muguet jaloux de paroître ,
Nait parmi les plus viles fleurs :
C'eft chez les Sots qu'un Petit- Maître
Va chercher des Admirateurs.
Mais lorsque l'humble Violette
Semble fe cacher ſous mes pas ;
De la vertu fimple & parfaite
Je découvre les vrais appas.
Vil Souci , d'un Atrabilaire ,
Ton trifte éclat nous peint les moeurs !
D'un homme d'efprit qui fait plaire
La Penfée a les traits flatteurs .
La Serpentine me préſente
Les replis de l'Adulateur ;
Un doucereux , c'eſt l'Amarante ;
Et la Senfitive , un Auteur.
Paroles & Mufique de M. F... en Phyfique
au Collège de ....
AOUST. 1761 ,
ج و
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES:
HISTOIRE générale des Conjurations ,
Confpirations & Révolutions célèbres ,
tant anciennes que modernes , par M.
DESORMEAUX , Tomes IX & X.
TROISIEME EXTRAIT.
TOME X. Révolutions de Siam:
UNN Eléphant & le fils d'un Cabaretier
Vénitien ( d'autres difent du Gouverneur
de l'Ile de Zante ( voilà les caufes des
deux plus fanglantes Révolutions qu'ait
éprouvées le Royaume de Siam. Avant
que
d'entrer dans le détail de ces événemens
finguliers , M. Deformeaux fait la
defcription du pays , des moeurs & du
gouvernement
des Siamois. Cette riche
contrée abonde en toutes fortes de pierres
précieuſes & de mines : celles d'or y font
les plus communes , auffi ce métal y eft il
de très bas aloi . La Pagne eft le feal habillement
des Siamois : c'eft une Piéce d'é
70 MERCURE DE FRANCE.
toffe qui leur prend autour des reins &
pend jufques aux genoux aux hommes ,
& aux femmes jufques à la moitié des jambes
; le Roi & les Mandarins portent une
efpéce de chemiſe & de vefte de mouffeline
ou d'étoffe. Autant ce Peuple eft fimple
dans fes vêtemens , autant il eſt magnifique
dans fes Palais & fes Temples ;
ceux-ci fur tout fe font extrêmement enrichis
par la fuperftition qui eft le caractère
dominant des Indiens. La plupart
des Orientaux ont confacré diverfes Langues
aux différens Etats ; les Siamois n'en
ont que deux , l'une deſquelles eft la Langue
favante & ne fert qu'à la Poëfie . Leur
Religion eft un compofé de dogmes plus
abfurdes les uns que les autres : mais fi la
machine eft ridicule , la morale qu'elle
enfeigne eft pure & auftère. Les Talapoins
ou Miniftres de leur culte font les
Moines les plus refpectables & les plus réguliers
de la gentilité ; » ils ne fe lévent que
lorfqu'ils voyent aſſez clair pour diftin-
» guer les veines de leurs mains parce que
» comme il leur eft défendu fpécialement
» d'ôter la vie à aucun être , ils pourroient
» tuer quelque Infecte dans l'obfcurité :
malgré beaucoup d'autres pratiques auſſi
minutieufes , on ne remarque point en eux
le fanatifme des autres Moines de l'O
AOUST. 1761. 7F
»
38
tient. Ils font perfuadés que » l'efprit de
» leur Inftitut eft de racheter par une vie
» pénitente & mortifiée , les péchés des
» morts & des vivans. La Nation des Siamois
peut fe divifer en deux claffes , qui
font celles des hommes libres & des Éfclaves
. Leurs loix à ce fujet font à - peu- près
celles des anciens Romains ; mais à
proprement
parler , les hommes libres ne le
font fix mois de l'année , » les autres
que
» fix mois ils doivent au Prince un fervice
perfonnel qui ne différe pas de l'efcla-
» vage : on les employe à toutes fortes de
» corvées ..... Les femmes , les Talapoins
& les Esclaves des Particuliers font
» les feuls qui foient exempts de cette fer-
» vitude , les autres ne s'en difpenfent
qu'à force d'argent ..... Dans le corps
» des Siamois libres , il y a deux ordres ,
» les nobles & ceux qui ne le font pas. La
» Nobleffevient de la poffe ffio n actuelle
» des dignités & des charges ; celui, que
» le Prince en prive eft relégué dans la
» claffe du Peuple. La Nobleffe cependant
eft en quelque forte héréditaire, parce
que toutes les dignités & les charges le
font ; mais fur le plus léger mécontentement
le Roi en dépouille les poffeffeurs ,
& fait ainfi rentrer la Nobleffe dans une
autre famille. Les fupplices font cruels &
33
2 MERCURE DE FRANCE.
atroces à Siam ; les moindres fautes font
punies rigoureuſement. Les Princes de la
Maiſon Royale font condamnés à mort
comme les autres , quand ils ont commis
quelques crimes ; mais leur fang eft regardé
comme quelque chofe de fi précieux
qu'on ne peut le verfer on les fait mourir
de faim ; on les étouffe dans des draps d'écarlate
, ou on les affomme avec des
morceaux de bois odoriférans . Il n'y a
point de Roi fi defpotique & fi refpecté
que celui des Siamois . » Son nom eſt un
» myſtère pour les Sujets ; on craint qu'ils
» ne le profanent en le prononçant : fon
» Palais eft un lieu facré , & perfonne n'y
» peut entrer fans s'être profterné auparavant.....
Il y régne un filence conti-
» nuel, qui n'eft pas mêmeinterrompu par
», les ordres le Roi donne ; car il ne
parle prèfque jamais que par fignes au
» premier Officier de la Couronne , dont
l'emploi eft d'avoir fans ceffe les yeux
fixés fur le Prince, pour deviner ce qu'il
» defire ; celui- ci explique les volontés du
» Monarque à d'autres Officiers par fi-
و ر
25
95
que
gne..... &c. Il feroit trop long de rapporter
toute l'étiquette de cette Cour,dont
M. Deformeaux fait un détail fort intéreffant
par la fingularité . Paffons àla vénétation
que les Siamois ont pour les Eléphans
AOUST. 1761 . ཧ ༣
phans & particuliérement pour les Eléphans
blancs , qui font très rares , & auxquels
ils rendent les mêmes honneurs que
les Egyptiens décernoient au Dieu Apis .
Nous allons voir combie.. leur attache
ment à cet animal leur coûta chet.
por-
En 1540 les Péguans perdirent leur
Eléphant blanc , le feul qu'ils poffédaffent :
ils en demandérent un au Roi de Siam qui
en avoit deux. Un refus attira à celui - ci
une guerre terrible , où périt un très grand
nombre de Siamois ; & le Roi lui même ,
qui prit le parti de s'empoisonnér pour
échapper au fupplice que lui préparoit le
Vainqueur. Le fils du malheureux Roi
ta à fon tour la guerre chez les Péguans ,
& recouvra le fatal Elephant que ceux - ci
avoient conquis avec tant de peine . Une
paix folide fuivit ces révolutions ; & les
Siamois n'en éprouvérent de nouvelles
que 140 ans après. I.es François y ont eu
trop part , pour qu'on nous fache mauvais
gré de nous étendre un peu fur la malheureufe
hiftoire de Conftance , qui eft celle du
Royaume de Siam pendant le fiècle de
Louis XIV.
Conftantin Phaulkon nâquit en 1647 ,
dans l'ifle de Zante , qui appartient aux
Vénitiens. La mifére de fes parens l'obligea
de chercher au delà des mers une for-
Ꭰ
74 MERCURE DE FRANCE.
#
tune qu'il ne pouvoit efpérer de trouver
dans fon pays : il s'embarqua dès l'âge de
dix ans après plufieurs événemens d'aventurier
obfcur, il fe vit à la tête d'un petit
commerce à Siam ; mais rien ne fembloit
préfager la figure qu'il y devoit faire
un jour. Un naufrage qu'il éffuya fur la
côte de Malabar dans une de fes courfes,
fut le moyen dont la fortune fe fervit
pour l'élever. Un Mandarin Siamois , Ambaffadeur
de fon Roi en Perfe, avoit éprouvé
un femblable malheur dans le même
endroit & y avoit perdu toute fa fuite &
tous les effets. Les deux infortunés fe rencontrérent
& formérent une liaiſon étroi-.
te. Conftantin Phaulkon , que nous n'appellerons
déformais que Conftance , avec
deux mille écus qui lui reftoient, le reconduifit
à Siam où le Barkalon ou premier
Miniftre , à la recommandation du Mandarin,
le préfenta au Roi , dont par fes talens
& fon mérite, il acquit bientôt toute
la confiance. Conftance devint peu- à- peu
entierement maître de l'adminiſtration du
Royaume , & il ne tarda pas à engager le
Roi à attirer les Européens dans fon pays,
où ils tranfporteroient les Arts& les Scien
ces qu'il avoit tant à coeur d'y voir fleurir.
Ces confeils plurent beaucoup au Roi, qui
envoya des Amballadeurs à Louis XI &
AOUST. 1761 . 75
en reçut bientôt. Une correfpondance mutuelle
s'établit entre les deux Nations; on
figna un Traité, par le principal article duquel
on convint que » Louis XIV enverroit
des troupes à Siam , tant pour introdui-
» re la difcipline militaire dans les Armées
» Siamoifes , que pour la fûreté de la per-
» fonne du Monarque Indien & la défen-
» fe de fes Etats. Le Roi de Siam s'enga-
» geoit de fon côté à livrer aux François
» les Places de Bencock & de Mergui ,
» très avantageuſement fituées pour le
»-commerce , & regardées comme les clefs
» du Royaume . Le nombre des François
dans le Royaume de Siam , & la protection
qu'accorda le Roi aux Miffionnaires ,
quoiqu'il ne voulût pas embraffer la Religion
Chrétienne , aigrit contre lui fes propres
fujets & les Mufulmans qui éffayerent
auffi en vain de l'attirer à leur croyance.
La jaloufie s'empara des Anglois & des
Hollandois, qui tâcherent de détruire encore
plus les François dans l'efprit des
Naturels du pays. Les chofes fermenterent
au point qu'il fe forma une confpiration
qui fut découverte & fagement diffipée,
par le Miniftre Conftance . L'arrivée des
François à Siam , où ils débarquerent au
nombre de huit cens fous la conduire de
M, Desfarges, & leur établiſſement dans
Dij
76 MERCURE
DE FRANCE.
les fortereſſes que le Roi leur avoit accor
dées , donna une telle fécurité au Miniftre '
Européen, qu'il vit former fans s'émouvoir
un complot qui lui fut plus funefte. Une
maladie dangereufe dont le Roi fut attaqué
fut l'occafion que faifit Pitracha,Chef
des Conjurés , pour éclater. Le moment que
Conftance avoit déterminé pour fe rendre
maître de la perfonne de Pitracha dont il
commençoit à redouter les intrigues , fuc
celui où le traître accomplit fes funeftes
deffeins. Au milieu de la nuit,il entra fuivi
de fes partifans dans le Palais où il chargea
le Monarque de fers . Conftance eut:
le même fort & fut pris en accourant au
fecours de fon Roi à la tête de foixante
Anglois & Portugais de fa garde, qui tous
l'abandonnèrent
quand il fallut combattre.
Pitracha ,felon la coutume des ufurpateurs
, convoqua enfuite une aflemblée
de Mandarins , ou ayant la force en main
il fut comblé d'éloges par tout le monde,
& proclamé Régent du Royaume . Son
premier foin fut de fe défaire d'un jeune
frere du Roi , le feul pas qu'il eût à franchir
pour arriver au Trône Sitôt qu'il fe
vit la Couronne fur la tête , il ne penfa
plus qu'à fatisfaire la haine qu'il portoit
aux Chrétiens , & particuliérement
aux
François Les prifons en furent bientôn
AOUST. 1761 . 77
templies ; on leur fir toutes fortes d'outrages
, & le malheureux Constance pétit à
l'âge de quarante & un ans de la main du
Bourreau. LeTyran employa enfuite toutes
forres de rufes pour faire fortir les François
des Fortereffes qu'ils occupoient , &
s'en rendre maître . Tous fes ftratagêmes
échouérent contre la prudence & l'habileté
de M. Desfarges qui commandoit à
Bencock ; il fut obligé d'en venir à la force
ouverte & de faire le fiége des deux
Places. M. de Bruant qui commandoit à
Mergui , la moins confidérable des deux ,
trouva le moyen de s'échapper & feéfugia
à Pondichéri après avoir éſſuyé bien
des traverſes , & beaucoup perdu de fon
monde. La fermeté & la bravoure d'un
Officier François , qui feul dans une petite
barque avec un brave Soldat , réfifta à
plufieurs vaiffeaux Siamois , fit comprendre
à ces Peuples, combien ils auroient de
peine à réduire cette Nation . Cette action
mérite d'être ici rapportée d'après M.
·Deformeaux. » Le François , nommé Saint-
» Coy, comprenant qu'il lui étoit impoffi-
» ble de réfifter à la multitude de fes En-
» nemis , fe détermina à périr ; mais il
» voulut envelopper dans fa perte un plus
» grand nombre de Siamois. En confé-
» quence , il difpofe fur le pont une par
D iij
78 MERCURE DE FRANCE:
"
و د
» tie de fes poudres , fes grenades & fes
moufquets chargés ; & fe retire à la por-
" te de fa chambre en attendant l'Enne-
» mi. Les Siamois ne tardérent pas à l'aborder
; ils montérent en foule dans la
barque , croyant trouver un butin faci-
» le. Lorfque Saint- Coy fe fut apperçu
» qu'il y en avoit un grand nombre, il mit
» le feu aux poudres, qui les firent tous fau-
» ter en l'air tués ou bleffés . Le brave Of
» ficier & fon foldat ne reçurent aucun
mal ; mais la barque fut fi maltraitée
» qu'elle échoua.LesSiamois qui croyoient
» les poudres épuifées , accoururent avec
» la même précipitation . Saint- Coy met
" auffitôt le feu à plufieurs barils de pou-
» dre qu'il avoit réfervés . Cette feconde
attaque eut le même fuccès que la premiére
; tous les Siamois qui étoient en-
» trés fur le Vaiffeau fans précaution furent
tués ou bleffés : mais Saint - Coy
» n'eut pas le tems de fe jetter à l'eau com-
» me c'étoit fon deffein , & il périt au mi-
» lieu des Ennemis. Son compagnon gagna
le bord du fleuve, & fondit le fabre
» à la main fur une troupe de Siamois dont
» il tua cinq ou fix ; mais enfin il mourut
» accablé du nombre en combattant , juf-
» ques au dernier foupir. Quelques François
qui arrivérent d'Europe , & pénétré-
**
AOUST. 1761 79
rent les armes à la main au travers des
Siamois jufqu'à la Fortereffe de Bencock ,
firent craindre à Pitracha de ne pouvoir
s'en rendre maître par un fiége qui duroit
déjà depuis longtemps. Il confentit
à un Traité. On étoit prêt à le figner , lorfqu'un
nouvel incident fit échouer la négociation
: Conftance avoit laiffé une veuve..
Soyatan , fils de Pitracha, conçut pour elle
la paffion la plus violente, & mit tout en
oeuvre pour la faire confentir à fes defirs .
La jeune veuve étoit d'une famille Chrétienne
du Japon , & plufieurs de fes ancêtres
avoient obtenu la palme du martyre ;
elle rejetta même l'offre de fa main. Ni les
menaces ni les tourmens ne purent la faire
changer de réfolution ; elle trouva enfin le
moyen de s'échapper & de fe réfugier à
Bencock avec un brave Officier François:
qui vint à bout de tromper la vigilance des
affiégeans. M. Desfarges poufla dans cette
occafion la fermeté juſques à la dureté ..
Voyant l'orage qu'alloit attirer fur lesFrançois
Mde Conftance s'il lui accordoit un afy
le, il la rendit fur le champ auxSiamois malgré
les remontrances & les prieres de toute
la garnifon . Soyatan la voyant retomber
entre fes mains avec les mêmes ſentimens,
prit enfin le parti de renoncer à fa paffion ;;
& Mde Conftance fut condamnée à refter
Div
30 MERCURE DE FRANCE.
oute fa vie dans les cuifines du Palais.
» Cependant la négociation que cette
» avanture avoitfufpendue,fut reprife avec
» chaleur. Le Traité figné , les Siamois
» fournirent aux François des vivres , &
trois Frégates , fur lefquelles s'embarquérent
la garnifon & les Miffionnaires .
Les François arrivérent heureuſement à
» Pondichéri , au mois de Février 1689.
ور
Telle eft à- peu - près la marche de ces
deux volumes. Le fentiment du Public
connoiffeur eft que M. Deformeaux a un
talent décidé pour l'hiftoire ; il a cette noble
fécondité qui n'eft pas le mérite du
hécle il ne court point après l'épigramme;
il ne féme pas des maximes d'irreligion &
d'audace qu'on revêt fouvent du faux nom
de Philofophie, il nous préfente de grands
tableaux & non des portraits racourcis ;
il a fur tout l'art de nous montrer toujours
en action fes perfonnages, ce qui leur prête
la chaleur & l'intérêt du drame. Son morceau
de Thamas Koulikan dévorant , fi l'on
peut le dire , dans fa marche ces contrées
immenfes des Indes , a le pitorèfque & le
fublime d'Annibal marchant à la conquête
de l'Italie : fituation qu'a fi bien fait valoir
Tite Live & après lui le célèbre Rollin.
Nous exhortons feulement notreHiftorien
à referrer un peu davantage ſes tiſſus , à
AOUST. 176 1:
SE
Eviter quelquefois le ftyle oratoire , défaut
cependant préférable à cette féchereffe
penfée , qui gâte aujourd'hui nos Hiftoires
, & les met prefque toutes à côté de
Mémoires & de Differtations , genre bien
différent de l'hiftorique. Ofons le dire :
nous ne concevons plus , nous ne bâtiffons
plus en grand. Que notre Louvre immortel
feroit un beau modéle pour nosArchitectes
& pour nos grands Ecrivains ! Tacite eft un
Auteur admirable; mais il a produit une infinité
de mauvaiſes copies. Que M. Defor~
meauxne fe laiffe donc pas féduire par cette
fureur du bel- efprit , lamaldie de nos Ecrivains.
Nous attendons de lui un nouvel
Ouvrage ; nous lui promettonsd'avance un
fuccès complet , s'il le régle toujours fur
les mêmes principes. Intueri naturam &
fequi ; c'étoit la maxime de Quintilien :
c'eft celle de tout Auteur fenté , & le fecret
de nous donner des productions dignes
de l'immortalité.
DY
82 MERCURE DE FRANCE
DISCOURS fur la Nature & les fondements
du pouvoir politique & fur l'intérêt
que chacun a d'y demeurerfoumis
faifant partie des MELANGES DE
PHYSIQUE ET DE MORALE . * A
Paris , chez H. L. Guerin , &c.
COMOMMMEE il n'eft pas de matière plus
importante que celle- ci , il n'en eft auffi
aucune qui ait autant exercé les eſprits du
premier ordre. Ceux qui l'ont traitée avec
le plus de fuccès n'ont pas cependant , à
beaucoup près ,fatisfait aux grandes difficultés
qui s'y rencontrent. L'analyſe que
le célèbre Locke a faite des premiers
fondemens de la Société civile , en eft
une preuve. L'Auteur de ce difcours doit
être flatté & le Public doit lui favoir gré ,
d'avoir ajouté en quelque forte ce qui
paroiffoit manquer à cet excellent Ouvrage.
Le principe du Philofophe Anglois
eft, que les hommes dans l'état d'égalité &
de liberté n'ont pu céder à qui que ce foit
un droit fur leurs perfonnes & fur leurs
biens , que pour le procurer par -là des
avantages plus confidérables que ceux
* Dont nous avons donné un premier Extrait ,
dans le dernier Mercure.
A OUST. 1761 . 83
dont ils jouiffoient , & fe mettre furtout:
à l'abri des risques qu'ils ne pouvoient
éviter autrement. Le principe eft inconteftable
foit qu'on regarde le pouvoir
des Princes comme émané de Dieu , ou
qu'on penfe avec Locke , que ce pouvoir
n'eft formé que par des conventions entre
le Prince & les Sujets , on ne fauroit
avoir d'autre idée des fins du pouvoir politique.
Cependant Locke ne paroît pas
avoir affez vû qu'en ne le faifant confifter
que dans des conventions réciproques. entre
le Prince & les Peuples , ce pouvoir
demeure inévitablement fujet à une infi
nité de conteftations de la part de ces
Peuples , dans tous les cas où ils croiront
que le Prince remplit mal fes engagemens
Il faut donc recourir néceffairement à un
pouvoir beaucoup mieux affuré pour prévenir
les dangers des féditions auxquelles
un pareil gouvernement feroit toujours
expofé. Le pouvoir des Princes eft émané
de Dieu ; c'est une vérité reconnue pat
tous les Peuples Chrétiens : mais il eft
beaucoup d'efprits foibles dont la for
peut être ébranlée par la hardieffe de certains
efprits forts qui ne refpectent rien
& comme il est très - important que perfonne
dans un état ne fe eroie en droit
de faire des difficultés fur les fondemens
D. vjj
4 MERCURE DE FRANCE:
du pouvoir politique , le fage Auteur de
ce difcours fait voir qu'indépendemment
du titre que les Princes tiennent de Dieu
même , ils ont encore un autre titre qui
feul pourroit fervir de folide fondement
à leur fuprême pouvoir. L'idée de ce titre
fe préfente fi naturellement , elle eſt une
conféquence fi néceffaire du fondement
fur lequel Locke a établi la propriété des
biens , qu'on a lieu d'être étonné qu'il ne
Fait pas apperçue . Ceux qui ont tiré les
hommes de l'état de nature , qui les ont
civilifés & rendus fociables , qui les ont
réunis fous un Gouvernement propre à
allurer & augmenter leurs avantages, ainſi
qu'à les délivrer des dangers inféparables
de leur remier état , ont acquis fur cette
Société un pouvoir politique auffi naturel,
auffi légitime que le droit qu'acquiert chaque
particulier fur les chofes qu'il a tirées.
de l'état de nature par fon travail & par
fon induftrie. Le pouvoir paternel , & enfuite
l'efpéce de Magiftrature établie
dans les premières petites Sociétés, ont dû
être l'occafion , le modéle & en partie le
fondement du pouvoir politique , fans
qu'alors il pût être queftion d'aucune convention.
Ces petits états formés par l'af
femblage des premières petites Sociétés ,
d'abord frêles & ifolés , n'ont pu man
AOUST. 1761. 85
quer, à force d'avoir éprouvé les inconvé
niens de leur foible existence ,. de fentir
le befoin de quelque puiffante protection.
Pour fe la procurer, ils fe font raffemblés
fous des chefs qui avoient mérité leur
confiance : ils durent alors fe foumettre à
des obligations plus confidérables en faveur
des avantages dont ils alloient jouir..
A tout cela il n'y a encore aucune convention
; la foumiffion vouée au Prince
eft l'effet de la confiance des Peuples ,
qui ne pouvoient fe tirer que par -là des
miféres & des dangers auxquels ils étoient
expofés dans leur état ordinaire. De fon
côté le Prince n'a pu tenter , ni même
imaginer , tant pour les intérêts que pour
ceux de l'Etat , d'affujettir ces Peuples à
une forme de Gouvernement contraire à
leur génie & à leur activité . C'eft ainfi
que s'eft formée la feule convention qu'il
y ait eue originairement entre le Prince &
les Sujets. La découverte & l'établiffement
du meilleur gouvernement poſſible,.
& les avantages qui en ont réfulté pour
les Peuples, font tout à la fois le motif de
la foumiffion des Sujets & les Titres primitifs
des Princes . Si ceux qui admettent
le fyftême de Locke demandent où l'on
placera , dans un état monarchique , les
bornes que le Prince doit fe prefcrire dans
86 MERCURE DE FRANCE
l'exercice de fon pouvoir , & quelle fera
la reſſource affurée contre l'abus du pouvoir
politique : L'Auteur du difcours répond
, que c'eft dans le jufte rapport qu'il
eft indifpenfable de maintenir entre la
forme du gouvernement & le génie &
l'activité des Peuples qui y font foumis ,
& dans le danger qu'il y auroit de s'écarter
à un certain point de ce jufte rapport.
L'Auteur, en démontrant par de nouvelles
preuves la jufteffe de la comparaifon
fi ancienne du corps animal avec le
corps politique , fair fentir que le pouvoir
politique n'eft pas moins intéreſſé à
la confervation & à la profpérité du corps
dont il est l'âme , que le principe de l'Economie
animale l'eft à la conſervation du
corps animal . S'il eft à craindre que par
un mauvais gouvernement , un Etat ne
tombe dans un degré de convulfion capable
d'ébranler le pouvoir politique le
mieux établi ; une longue expérience ainfi
que la raifon nous prouve que de pareilles.
révolutions ne peuvent prefque jamais
arriver dans un Etat Monarchique ; & par
cela feul il eſt bien démontré que le Gouvernement
,Monarchique eft le meilleur
de tous les Gouvernemens. Toute l'adminiftration
y eft reglée fuivant les Loix
& des maximes conftantes. Dans les GouAOUST.
1761 .
87
vernemens defpotiques où tout eft arbitraire
, les Peuples affervis ne peuvent
avoir rien de certain ni dans les moeurs &
les ufages , ni pour la fureté de leurs vies
& de leurs biens . Quant aux gouvernemens
mixtes , on trouve qu'il s'en faut
beaucoup que les malheurs que les Peuples
ont cherché à prévenir par cette forme
de gouvernement , puiffent entrer en
comparaison avec ceux où cette forme
-de gouvernement les a fi fouvent plongés.
A bien prendre les principes du gouvernement
Monarchique , ils ne ſe trouvent
être dans le fonds que les regles de l'adminiſtration
la plus propre à faire ſubſiſter
le corps politique felon fa conftitution.
C'eft ce qui fait que lorsqu'un Etat tombe
en décadence , il n'y a pas, comme le dit
Guichardin , de meilleur moyen de le rétablir
, que de le ramener à fa première
inftitution . Nous ne pouvons paffer fous
filence une remarque judicieufe de l'Auteur
& qui eſt ſi conforme à l'expérience :
il obferve en continuant la comparaiſon
du corps animal & du corps politique ,
que files Peuples n'étoient point excités
par les travaux & les foins qui leur font
impofés pour concourir , comme ils le
doivent, à l'intérêt commun , ils s'engourdiroient
& ne travailleroient pas allez
88 MERCURE DE FRANCE:
pour eux -mêmes ; & que pareil inconvénient
arriveroit par l'excès contraire , c'eſtà-
dire , fi on ne les laiffoit pas jouir du
fruit de leurs travaux felon leurs befoins.
Il n'y auroit pas un moindre danger à
laiffer ces befoins s'accroître jufqu'à la
furperfluité ou au luxe. Sans de juftes précautions
contre ces divers excès , il arriveroit
qu'ainfi que l'éprouve un corps
chargé d'embonpoint ou abbatu & defféché
par trop de maigreur , les Peuples
tomberoient dans la moleffe inféparable
d'une vie trop commode , ou dans un
état de foibleffe & de découragement ;
& alors le corps politique languiroit d'autant
plus dangereufement, qu'il feroit plus
généralement affecté . Il résulte de là que
le corps politique n'eſt jamais ſi actif', ſi
puiffant , fi floriffant que lorfque les Peuples
font maintenus dans une telle jouiffance
du fruit de leurs peines & de leurs
foins , qu'ils demeurent à peu - près dans
ce jufte milieu qui fait l'état fain du corps
animal. Dans un Gouvernement Monarchique
les pouvoirs intermédiaires le joi
gnent néceffairement à l'autorité qui les
a établis pour former avec le corps de
l'Etat un commerce d'activité qui les
maintient & les raffure réciproquement.
Tous les membres de cet état , par la rai
AOUST. 1781. 89
fon qu'ils participent à tout inftant aux
avantages qu'il y a de vivre dans un grand
corps de fociétés , fe doivent donc par
leurs talens & leur fortune à l'intérêt
commun & à la puiffance qui les gouverne.
Voilà l'origine de nos premières
obligations envers la fociété. On ne peut
que touer la fageffe de l'Auteur dans
fon attention continuelle à refferrer les
noeuds qui attachent les Sujets à leurs
Princes. Les Ecrivains de Politique & de
Morale les plus eftimés font tous d'accord
avec lui fur ces principes ; mais il
faut avouer qu'ils acquiérent une nouvelle
force par le développement de fon fyftême
de l'Economie animale. Après avoir
confidéré nos obligations envers la Puiffance
qui nous gouverne , comme regle
de nos devoirs , il fait fentir la néceffité
de s'y foumettre à ceux même qui font
moins frappés de ce qui eft honnête que
de ce qui eft utile , en leur expofant le
bien qui en réfulte . It eft en effet le premier
qui fe foit propofé d'examiner ces
obligations comme une des principales
caufes d'un renouvellement d'action indifpenfable
pour le foutien & pour
le
bonheur de la vie . It prouve que les différentes
efpéces d'occupations & de foins.
impofés par les devoirs de l'état qu'on a
90 MERCURE DE FRANCE:
à remplir , forment la vraie fource des
fenfations qui nous font conftament néceffaires
pour déterminer & foutenir comme
il convient notre activité . Ainfi , indépendamment
des obligations qui nous
attachent aux devoirs de notre état ,
il y a encore pour nous un motif trèspreffant
de nous affujettir à ces devoirs
c'eft le befoin de nous affurer
d'une fource conftante de fenfations néceflaires
; & nous ne pouvons mieux nous
en affurer que par les liens & l'intérêt
réel qui nous font tenir à la Société . Dans
la fphère de nos befoins naturels l'efprit
& le fentiment ne font pas encore occupés
autant qu'ils ont befoin de l'être pour
le foutien de notre activité. Il ne refteroit
donc pour fuppléer à ce défaut, qu'à
fe jetter dans le tumulte des paffions , fi
on n'avoit le moyen d'y fuppléer infiniment
mieux par l'émulation qui nous porte
à bien mériter de l'intérêt commun :
moyen certain , même unique , d'affurer
le fentiment de notre exiftence , c'est-àdire
de remplir l'objet fondamental de
tous nos defirs . Il n'eft que trop vrai que
quelques grands biens que l'on poffède ,
les liens qui nous attachent à l'intérêt général
, ne nous en deviennent pas moins
néceffaires pour conferver affez de rapAOUST.
1761.
voyons ce
ports avec les objets qui nous environnent
; furtout avec ceux qui font relatifs
à notre fureté. Or ces rapports , qui font
fans doute les vrais noeuds de la Société ,
ne peuvent s'établir & fe maintenir
qu'autant qu'on a feu fe lier , comme
on le doit , à l'intérêt commun , & qu'on
s'eft d'ailleurs habitué à remplir les devoirs
de fon état avec exactitude . L'idée
d'attacher fon bonheur à s'exempter des
foins & des peines qu'entraîne l'état qu'on
a à remplir dans la Société, eft une penſée
illufoire. Ouvrons les yeux , &
qui fe paffe dans le monde . Quelle eft la
vie de ceux qui fans de juftes raiſons , fans
un fonds affuré de confidération , fouvent
prefque fans aucune reflource d'occupation
, fe féqueftrent de l'intérêt commun
, en abandonnant l'état qui les y attachoit
, dans la vue de fe procurer une
vie libre ? Le befoin continuel de renouvellement
de fenfations , dont il n'cft pas
poffible de s'affranchir , les jette bientôt
dans des excès ou dans des goûts de caprice
auffi paſſagers qu'ils font finguliers
& peu raisonnables ; ils tombent enfin
ayant la plupart ruiné leur fanté & leur
fortune , dans la plus profonde mélanco
lie. Ce n'eft pas le goût qui porte les
hommes à ces excès ridicules : ils ne s'y
92 MERCURE DE FRANCE
livrent que par l'impoffibilité de vivre
fans des objets qui les affectent : tant il eſt
vrai que les fenfations qui nous viennent
des rapports effentiels que nous avons
avec l'intérêt général , produifent un fonds
d'occupation & d'activité , difficile à fuppléer
quand il manque. Ces confidérations
qui femblent d'abord n'avoir rien de
commun avec les obligations qui nous affujettiffent
au pouvoir politique , s'y joignent
pourtant très- naturellement , & ne
peuvent que nous attacher plus étroitemenr
à tous nos devoirs , & par - là à l'intérêt
commun. Car il est très - certain que
retranchant les fenfations qui nous viennent
des objets de nos devoirs , il s'en
faudroit beaucoup que nous en euffions
fuffifamment par les objets de nos befoins
pour déterminer & foutenir , comme il
convient , le fentiment de notre éxiftence.
Il est donc évident que notre intérêt
particulier nous attache encore plus que
notre obligation naturelle à celui de la
Société où nous vivons , & que par conféquent
nous n'avons rien de plus à craindre
que tout ce qui tendroit à ébranler les
fondemens du pouvoir qui maintient la
Société. Nous ne nous arrêterons point à
parler du ftyle d'un difcours qui renferme
plus de chofes que de mots. Il ef
AOUST. 1761 . 25
écrit de maniere à plaire à tous ceux qui
aiment à penfer & à raifonner. Il eſt des
Livres dont il ne faut lire que des morceaux
, d'autres qu'il faut lire tout entiers
, mais en paffant ; & quelques autres
enfin ceux-ci font très - rares ) qu'il faut
lire & relire avec une extrême application .
L'ouvrage dont nous venons de donner
l'extrait eft de ce nombre. C'eſt un de
ceux dont la lecture réfléchie peut le plus
contribuer à former un Citoyen , & ce
qui en eft la ſuite, un homme heureux.
Par M. L* A* B. L* B*
ORAISON FUNEBRE
DE LA REINE D'ESPAGNE ,
Prononcée par Meffire ARMAND DE
ROQUELAURE , Evêque de Senlis
N
EXTRAIT.
ous ne craignons pas de nous tromper
en affurant que ce difcours foûtient à
la lecture , le fuccès qu'il a eu au moment
qu'il fut prononcé . Tout y annonce une
imagination brillante & foumife aux régles
du goût ; un eſprit élevé & naturels
94 MERCURE DE FRANCE .
lement porté au Grand , au Noble , au
Sublime ; une expreffion forte , énergique
& toute en images ; en un mot des
talens propres à nous faire entrevoir les
beaux jours de l'Eloquence Françoiſe.
Nous éfpérons juftifier ces éloges par le
compte exact que nous allons rendre de
ce diſcours .
Pour donner aux hommes la plus grande
idée de fa puiffance fuprême , & pour
faire rendre à fon culte , l'hommage le
plus éclatant , Dieu ſe plaît à placer dans
le rang éminent ceux dont il peut attendre
les plus beaux exemples de vertus .
Cette idée noble & chrétienne améne
l'éloge de la Reine d'Espagne , & le partage
du difcours qui fe trouvoit déja indiqué
dans ces paroles du texte :
Juftorum autemfemita quafi lux fplendens
, procedit & crefcit ufque ad perfectam
diem.
» Les traces lumineufes dont eft marquée
la route des Juftes , femblables d'a-
»bord à l'Aurore redoublent fans ceffe leur
» éclat jufqu'au grand jour de l'Eternité.
Liv. des Prov. Ch. 4. v. 18.
Amélie les a vérifiées 1 ° . par les préfages
les plus heureux : 2 °. par les progrès
les plus marqués : 3 ° . par les fruits d'une
fageffe confommée,
A OUST. 1761. 95
L'Orateur convient que le refpect par
lequel les hommes font naturellement attachés
aux Maîtres qui les gouvernent ,
prévient toujours en faveur des enfans
des Rois , & va même fouvent juſqu'à
métamorphofer tout en prodiges . Mais
comme le bonheur de deux Peuples a
changé en certitude , des préfages qui ne
pouvoient être pris d'abord que pour de
fimples conjectures , il n'étoit pas poffible
de paffer légérement fur les premières
années de la Princeffe de Saxe. L'Orateur
s'y eft attaché en homme de Lettres ; &
fans perdre de vue , fon objet principal ,
il a trouvé le moyen de tracer un plan
d'éducation bien vû , bien penſé , bien
réfléchi & bien propre à former de
grands Princes.
>
Tout le fond de la première partie eft
renfermée dans ce portrait , où l'on a
trouvé un art infini & rendu prefque im
perceptible .
Que l'on remarque dans un enfant ,
un efprit férieux fans trifteffe , vif fans
» emportement ; une imagination brillante
& féconde ; un defir infatiable de
connoître & d'apprendre ; une docilité
Saveugle pour les Maîtres ; l'affection la
$ plus refpectueufe & la plus tendre pour
les Auteurs de fes jours ; des inclina-
7 .
96 MERCURE DE FRANCE.
"
ور
>>
tions douces & bienfaifantes ; enfin
» quelques mouvemens iubits , & impré-
» vus d'une ame noble & élevée : nous
», conclurons fans balancer que cet enfant
» doit faire les délices de fa maifon &
l'honneur de fa patrie. Mais fi des qualités
fi rares fe trouvent dans un Prince
» que la grandeur de fa nallfance femble
» avoir défigné pour occuper un Trône ,
quel préjugé plus certain de la félicité
» des Peuples qui doivent un jour obéir
» à tes Loix ? .... En traçant le portrait
d'un jeune Prince accompli , je fens que
je renouvelle dans tous les coeurs la
plaie vive & profonde que le temps n'a
pû encore fermer ! ... Detournons nos
»regards de cette image douloureuſe , &
» n'augmentons point la fource de nos
>> regrets.
ود
"
"
» Amélie qui avoit reçu de la Nature &c.
L'Orateur qui pouvoit à peine retenir les
larmes, en tira des yeux de fes Auditeurs ;
& l'on crut un moment , affifter à la
Pompe funebre de Monfeigneur le Duc do
Bourgogne.
Les détails qui entrent en preuves de
ces premières propofitions , pourroient
paroître minutieux , & ne tendre qu'à
montrer un enfant bien né; mais fous la
plume de M. l'Evêque de Senlis tout
s'ennoblit
7
AOUST. 1761 . 97
»
s'ennoblit , tout prend l'empreinte de fon
génie , tout devient intéreffant. On peut
en juger par ce trait fur les Arts agréables
, " plus néceffaires qu'on ne penfe ,
pour charmer nos loifirs , pour adoucir
» nos peines , pour nous délaffer de nos
» travaux , & furtout pour nous défendre
» contre l'ennui : cette maladie cruelle ,
» attachée à la condition des Grands , rendroit
dignes de compaffion ces mortels.
qu'on envie , fi l'on voyoit à découvert
» les triftes effets du poifon lent qui les
» confume , & ne leur laiffe que de l'in-
» fenfibilité pour les dons les plus pré-
» cieux de la nature & de la fortune . »
ور
Trois nouvelles fous- divifions naiffent
ici du fond même du Sujet. » L'étude des
» Langues , l'Hiftoire Sacrée & Profane ,
» la Religion furtout connue & appro-
» fondie : voilà les grands objets qu'A-
" mélie crut dignes de fes méditations &
» de fes recherches. ود
L'étude des Langues ne pouvoit être
mieux traitée que dans l'éloge d'une Prin
ceffe qui en poffédoit un fi grand nonabre
, & par un Orateur que nous fçavons
avoir ce même avantage.
L'Histoire eft bien défignée par ce feul
trait : » Faits mémorables que l'hiftoi e
» arrache à l'oubli , en les consignant
גכ
E
93 MERCURE DE FRANCE.
3)
dans fes immortelles archives , pour
» fervir un jour aux hommes , & furtout
» aux Princes , ou de reproche ou de mo-
» déle. Le grand Buffuet l'avoit appellée
dans fon Oraifon Funébre de Henriette
d'Angleterre , Ducheffe d'Orléans : » la
fage Confeillére des Princes ; c'eſt -là
que les plus grands Rois n'ont plus de
» rang que par leurs vertus , & que dé-
" gradés à jamais par les mains de la mort,
» ils viennent fubir fans cour & fans fuite ,
» le jugement de tous les Peuples & de
» tous les fiécles ». Ce n'eft point la prévention
qui nous fait établir cet objet de
comparaifon ; nous pourrions même le
pouffer plus loin , fi les bornes que nous
nous prefcrivons dans nos extraits étoient
moins étroites .
Voici l'impreffion que les traits hiftoriques
laiffoient fur l'efprit de la jeune
Amélie Cette grande Reine que l'Ef-
» pagne conferve encore , faifoit admi-
» rer depuis longtemps ce génie fi fécond
» en projets , fi habile à les concerter , fi
» actif pour les conduire à un heureux
» dénoûment ; fi conftant & fi ferme ,
» qu'elle a dû quelquefois à fon courage ,
» des fuccès qu'elle n'eût pas toujours
» obtenus de la prudence. La Cour de
» Drefde , à l'exemple des autres. Cours
AOUST. 17ti
"
de l'Europe , retentiffoit des louanges
» qu'on accordoit avec plaifir à des qua-
» lités fi éminentes : on racontoit com-
» ment cette Princeffe , fecondant les
» vues de fon augufte époux , avoit dans
l'efpace de peu d'années , rendu la confiftance
& la force à un grand Royau-
» me ébranlé par les plus violentes fecouffes
, & ravagé depuis long- temps
par toutes les horreurs d'une guerre
inteftine on difoit qu'elle avoit ramené
l'abondance dans ces climats défolés
, fait refleurir les Arts , & ranimé
» ces germes précieux d'honneur & de
bravoure dans une nation guerriére ,
» mais que des malheurs continuels fem-
" bloient avoir abbatue: on ajoutoit enfin ,
"
que par cette conduite admirable , elle
» étoit adorée de fes Sujets ; & que les
» Nations jalouſes de fa gloire , redoutoient
fa politique & refpectoient fa
puiffance ... enchantée de ce récit no-
» ble & flatteur , la jeune Amélie qui
comptoit alors fa dixième année , ne
peut plus contenir le mouvement fe-
» cret qui l'entraîne ; elle s'écrie avec
» tranſport : Voilà ce qu'on appelle ré
» gner !
•
*
* Ce trait eft univerfellement connu .
E ij
100 MERCURE DE FRANCE..
"
ور
و ر
que
Ces faillies pourroient devenir funeftes,
» fi elles n'étoient point réprimées par la
Religion : faites paffer pour un moment
l'efprit de notre Loi Sainte dans l'âme
» de ces ambitieux célèbres , dont les paf-.
» fions bouillantes ont inondé la tèrre
» de carnage & de fang ; au lieu de ces
images terribles l'hiftoire nous prés
fente de tant de Villes renversées ou
» fumantes, de Citoyens égorgés fous leurs
» ruines , vous ne verrez plus que des Peu
» ples tranquilles béniffant , dans le fein
» de l'abondance, les Maîtres bienfaifans
» qui préfident à leur bonheur : ou fi quel
quefois le foin d'une jufte défenfe les
arrache à ces paifibles douceurs ; ces ora
" ges paffagers ne ferviront qu'à leur ren-
» dre plus précieufe encore cette aimable
paix qui fait l'objet de leurs defirs .
39
"
و د
Qui peut méconnoître , à ces traits , le
Monarque Bien- Aimé qui préfide au bonheur
de la France , autant en Grand Roi
qu'en Père tendre & généreux? On ne peut
qu'applaudir au talent de louer ainfi , furtout
après avoir lû l'endroit où l'Orateur ,
en finiffant la premiere partie , donne encore
, avec cet art qui lui eft propre , les
louanges les plus juftes & les mieux méritées
.
La feconde partie offre d'abord la jeune
AOUST. 17612 ΤΟΙ
»
Amélie s'arrachant avec douleur des bras
de fon augufte famille pour monter fur le
Trône des Deux- Siciles . C'eft là que l'Orateur
la repréfente développant fon âme
toute entiére & par fon exactitude à
remplir tous les devoirs que le rang fu-
» prême lui impofe ; par fon zéle pour la
Religion ; par la fermeté de fon efprit ;
" par la grandeur de fon courage ; & fur-
" tour par fa piété conftante , préfenter
» aux Souverains les plus fublimes leçons .
ور
""
Un plan fi riche & fi abondant a fourni
des traits qui devoient naturellement répandre
un intérêt plus vif , & donner occafion
à déployer toutes les richeffes de
l'éloquence .
»
Supérieur aux difficultés qui arrêteroient
les efprits ordinaires , l'Orateur ne craint
point de fe demandér à lui -même » fi parmi
tant d'hommes oppofés par le gé-
» nie , les opinions & les moeurs ; dans ces
» premiers momens , où la jeune Reine ,
» pour marcher dans une route fi épineuſe ,
» n'étoit encore guidée par aucune expérience
, il eft bien vrai qu'elle ait pû évi-
» ter toute erreur , & réunir tous les fuffrages
.... Non ; & je ne craindrai point
» que ma voix, confacrée à fon éloge ,
faffe ici un aveu dont fa mémoire puiffe
être offenfée : foit raifon , foit caprice ,
ן כ
و ر
E iij
161 MERCURE DE FRANCE.
"
» il fe rencontra des efprits févères ou bi-
» zarres qui oférent accufer la Reine d'éloigner
par un air trop impofant , des
» coeurs qu'elle devoit penfer à rappro-
» cher par l'amour fans s'arrêter fur ces
plaintes équivoques , ce qui fera pour
elle , la matiére de la louange la plus
rare , c'eft que dans un âge où la moin-
» dre leçon nous aigrit ou nous importu .
» ne , dans un rang où l'on ne veut enten-
» dre que d'agréables menfonges , elle
و ر
">
»
23
33
و د
fouffrit , elle eftima , elle chérit le zéle
» courageux qui ofa porter jufqu'à elle ces
vaines rumeurs ; c'eft qu'elle eut la for-
» ce de douter & de fe condamner en
quelque forte, elle-même, en réformant
fon maintien fur ces reproches ; c'eft
qu'elle réuffit bientôt par l'affabilité la
plus douce à en éffacer jufqu'au plus léger
fouvenir. Heureux les Princes qui
» favent infpirer à un Sujet affez de confance,
pour faire pénétrer la vérité julqu'au
Trône , d'où tant de paffions, tant
" d'intérêts divers femblent l'avoir exilée
pour toujours !
-">
ور
و ر
Le courage de la Reine parut fur- tout
Fendant la Guèrre où elle eut également
à craindre pour le Roi fon Epoux & pour
lle-même. » Cependant infenfible en ap-
» parence à tant de maux , on n'entendit
AOUST. 1761. 105
"3
»
point la Reine s'échapper en plaintes ou
en murmures.... Perfuadée que les Peuples
obfervent leurs deſtinées fur le front
» des Maîtres qui les gouvernent , elle ne
» laiffe appercevoir que de douces inquiétudes,
toujours tempérées par les rayons
» de l'efpérance.... Accourez , jeune Hé-
» ros , venez rendre la vie à une Princeſſe
» magnanime dont la fermeté mérite au-
» tant d'éloges que votre courage ! quelle
» joie pour elle de revoir un Epoux qui
» lui a caufé tant d'allarmes ! quel plaifir
» d'entendre partout raconter que dans
» les champs de Vélétry , fa bravoure , fe-
» condée par un des plus grands Géné-
» raux de notre fiécle , a vaincu l'Ennemi ,
» dont l'heureuſe témérité avoit mis d'a-
» bord en danger la liberté & les jours du
» Monarque ! &c.
Quelle force d'efprit ne fit- elle point
paroître quand » la Ville de Naples vit
tout-à-coup une populace innombrable,
» abufée par de vaines frayeurs , animée
» par le menfonge & l'artifice , éclater
» en murmures , courir aux armes , & c.
» La Cour en fufpens , héſite ſur le parti
"
»
qu'on doit prendre la Reine n'écou-
» tant que les inquiétudes de fa tendreſſe,
alloit conjurer fon Epoux de fe dérober
au danger..... Mais bientôt , rappel
Είν
104 MERCURE DE FRANCE.
» lant fa grande âme , Elle comprit que
» dans ces émotions populaires , montrer
» la crainte , c'eſt infpirer l'audace ; qu'il
» eſt des momens où braver le péril c'eſt
» en triompher ; Elle applaudit aux fen-
» timens généreux du Roi , qui bruloit
déjà d'impatience de montrer fon front
» augufte à cette populace mutinée ; &
par des regards d'indignation , elle ré-
» duit au filence le courtifan lâche ou
» flatteur qui n'eût pas rougi de facrifier
» à fa politique ou à fa crainte , la fûreté
» & l'honneur du Souverain .
و د
La troifiéme Partie qui fe trouve jointe
à la feconde , eft tout à la fois le Triomphe
de la fermeté de la Reine d'Efpagne ,
& de l'Eloquence de l'Orateur .
"
Amélie n'avoit point oublié ces
beaux climats qui l'avoient vû naître .
» L'amour de la Patrie , ce fentiment fi
naturel aux belles âmes , entretenoit
» toujours dans fon coeur l'intérêt le plus
» tendre . Quelle fut donc fa douleur d'ap
"
prendre que ces Champs , autrefois fi
> fortunés , étoient devenus le fanglane
» Théâtre de la guerre & de toutes les
» horreurs ? O Saxe ! tant de fois abreuvée
» du fang des vainqueurs & des vaincus ,
pourrois tu croire qu'une Reine élevée
» dans ton fein , ait vû fans être atten-
و د
AOUST. 1761. 105
drie , ce fein maternel déchiré par des
>>fureurs inouies à tous les âges & réfer-
» vées à notte fiécle ? Pour bien connoître
"les enfans , rappelle - toi leur Illuftre
Mère ! Tandis que ton Roi alloit pré-
» parer des reffources à tes malheurs , tu
»l'as vue , cette Mère intrépide , affronter
tous les périls , ofer attendre l'ennemi
dans les murs de la Capitale ,
» pour en écarter , s'il étoit poffible , les
» crimes de la victoire ! Elle n'a pu furvi-
» vre à ton infortune ; & tu as pleuré fa
mort comme le plus grand de tes maux
» & le comble de tes malheurs !
Nous finiffons par un trait qui a été applaudi
par des larmes , comme il méritoit
bien de l'être .
و و
Quoique frappée avant l'âge où le
S. Roi Ezechias trouvoit fi cruel de
" mourir, la Reine voit arriver fa dernière
heure fans en être ébranlée ; accoutumée
» àà enviſager la mort d'un oeil chrétien ;
» cette mort qui nous glace d'éffroi , a
» perdu pour Elle toute fon horreur. Ani-
" mée par la foi la plus vive , foutenue
par une jufte confiance dans les mifericordes
de fon Dieu , Elle voit s'ou
»vrir devant Elle les portes de l'Eter-
» nité ; la Paix , la férénité brillent encore
fur un front déjà défiguré par les om
EV
108 MERCURE DE FRANCE:
2
bres du Trépas. Elle demande fes enfans
une vue fi chère femble arrêter
fon âme fugitive ; Elle les embraffe ;
Elle tourne les regards mourans fur fon
augufte Epoux ; & fes derniers foupirs.
font encore des voeux pour fes peuples.
>>.
Que le monde fe taife enfin ; ce
monde injufte qui n'exige tant de perfection
dans les vrais Chétiens , que
parce qu'il eſpére ne la rencontrer ja
mais , &c.
Nous nous arrachons à l'envie de citer
les beaux endroits ; & la crainte de trop
groffit cet Extrait nous force de renvoyer
nos Lecteurs au Difcours même , où l'on
#rouve la nobleffe , la grandeur , le pathé
rique de cette éloquence mâle & perfua-
Ave , à qui feule il appartient de réunir
Tous les fuffrages. Le ftyle eft nombreux ,
élégant , naturel , foutenu dans les détails,
comme dans les traits véhémens , qui font
le fruit du génie , & qui prêtent davantage
à l'expreffion. Tout ce qui pouvoit conribuer
à la gloire de la Reine d'Efpagne ,
fe trouve dans ce Difcours , qui fait en
même- temps l'éloge de l'Orateur . Il y pareit
en homme de Lettres , inftruit , formé
par une étude réglée , conftante , réflé
chie, & en Prélar qui , connoiffant les
AOUST. 1761. 107
prérogatives de fa dignité , fçait en tirer
avantage , fans s'en prévaloir.
Ce Difcours éloquent & chrétien ſe
trouve chez Lottin , ľaîné , rue S. Jacques.
La Partie Typographique ne mérite pas
moins d'éloges que MM. Gravelor & le
Mire , dont les talens éclatent dans deux
Gravures , qui achévent de donner toutes
les perfections que l'on pouvoit defirer
dans cet ouvrage
.
LETTRE de l'Avocat CHARLES GOLDONI
à des Bienfaitears , Protecteurs ,
Amis , & aux Amateurs de fes OEuvres
de Théâtre , & de fes Poëfies férieufes &
amufantes.
EN
N l'an 1753 , j'écrivis & publiai de
Florence par voie d'impreffion , une pareille
Lettre à celle- ci, projettant dès ce temsłà
une réimpreffion & un Supplément des
Comédies que j'avois compofées jufqua
ce temps , & dont le nombre alloir à cinquante.
F'invitai le Public à me favorifer
de quelqu'affociation , tant pour m'encou
rager à commencer, que pour avoir les
moyens de continuer une Edition , qui ,,
bien que renfermée feulement en dix va
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
le
lumes & fans aucune eftampe , excédoit
mes forces. Mon entrepriſe fut fi heureuſe,
qu'en très - peu de tems le nombre des
Soufcripteurs abforba entierement mon
Edition ; bien des perfonnes fe font repenties
d'avoir différé à foufcrire ; ceux qui ont
voulu après coup pofféder cette Edition à
quelque prix que ce fût , ont dû payer
double du prix de la Soufcription , n'ayant
ppûû en avoir que par le moyen de ceux qui
avoient fouferit. La vérité de ce que j'avance
fe manifefte aujourd'hui d'une ma
niére bien évidente , puifqu'il eft prefqu'impoffible
de trouver un Exemplaire
de cette Edition de Florence , à laquelle
les preffes de Péfaro , Bologne , Turin &
Naples ont fuppléé . Me voici encore difpofé
à propofer une nouvelle Edition de
mes OEuvres ; non - feulement de celles
comprifes dans les dix volumes de l'Edition
de Florence & dans les autres réimpreffions
, mais encore de celles qui ont
été compofées depuis, & que je compoferai
pendant le cours du tems néceffaire à la
perfection de cette nombreuſe collection
Après avoir préfenté à cet effet mes
très-humbles prières au Séréniffime Prince,
j'ai obtenu un privilége exclufif pour vinge
ans ; ce qui m'engage , pour ne pas me
rendre indigne de tant de bontés à contriAOUST.
1761. 109
buer par mes foins à la réputation des Imprimeries
deVenife dans cette Edition , laquelle
contiendra des ouvrages nés pour
la plus grande partie en cette Séréniffime
Ville , qui par fa bonté & fa clémence at
fû animer un fujet dans la difficile carrière
d'amufer honnêtement le Public.
Avant que de paffer à décrire l'efpéce
de mon nouveau projet , je protefte à tous
ceux qui ont acquis jufqu'à préfent les Editions
de mes. Comédies , auxquelles j'ai
préfidé , que mon intention n'eft pas de
décrier les fufdites Editions , foit comme
imparfaites ou autrement , afin que celle
que j'entreprends aujourd'hui en ait plus
de vogue ; puifque quiconque fe contentera
d'avoir celles de mes Comédies imprimées
comme elles le font aujourd'hui ,
n'aura que faire de fe charger d'une nouvelle
& plus grande dépense .
Mon projet eft de faire une Edition pour
les curieux de Typographie , & qui ne regarderont
point à la dépenfe pour le plaifir
de poffeder quelque chofe de précieux
en ce genré ; ainfi c'eft à eux feuls que j'a
dreffe cette Lettre qui fera divifée en plus
fieurs chapitres pour pouvoir mieux m'ex
pliquer .
1. L'Edition fera complette, & comme
je l'ai déjà dit , j'y comprendrai toutes
108 MERCURE DE FRANCE.
lumes & fans aucune eftampe , excédoir
mes forces . Mon entrepriſe fut fi heureuſe,
qu'en très - peu de tems le nombre des
Soufcripteurs abforba entierement mon
Edition ; bien des perfonnes fe font repenties
d'avoir différé à foufcrire ; ceux qui ont
voulu après coup pofféder cette Edition à
quelque prix que ce fût , ont dû payer le
double du prix de la Soufcription , n'ayant
pû en avoir que par le moyen de ceux qui
avoient fouferit . La vérité de ce que j'avance
fe manifefte aujourd'hui d'une maniére
bien évidente , puifqu'il eft prefqu'impoffible
de trouver un Exemplaire
de cette Edition de Florence , à laquelle
les preffes de Péfaro , Bologne , Turin &
Naples ont fuppléé. Me voici encore difpofé
à propofer une nouvelle Edition de
mes OEuvres ; non - feulement de celles:
comprifes dans les dix volumes de l'Edition
de Florence & dans les autres réimpreffions
, mais encore de celles qui ont
été composées depuis,& que je compoferai
pendant le cours du tems néceffaire à la
perfection de cette nombreuſe collection
Après avoir préfenté à cet effet mes
très-humbles prières au SéréniffimePrince,
j'ai obtenu un privilége exclufif pour vinge
ans ; ce qui m'engage , pour ne pas me
rendre indigne de tant de bontés, à contri
AOUST. 1761. 109
buer par mes foins à la réputation des Im-.
primeries deVenife dans cette Edition , laquelle
contiendra des ouvrages nés pour
la plus grande partie en cette Séréniffime
Ville , qui par fa bonté & fa clémence a
fû animer un fujet dans la difficile carrière
d'amufer honnêtement le Public.
Avant que de paffer à décrire l'efpéce
de mon nouveau projet , je protefte à tous
ceux qui ont acquis jufqu'à préfent les Editions
de mes Comédies , auxquelles j'ai
préfidé , que mon intention n'eſt pas de
décrier les fufdites Editions , foit comme
imparfaites ou autrement , afin que celle
que j'entreprends aujourd'hui en ait plus
de vogue ; puifque quiconque fe contentera
d'avoir celles de mes Comédies imprimées
comme elles le font aujourd'hui ,
n'aura que faire de fe charger d'une nouvelle
& plus grande dépense.
ན་
Mon projet eft de faire une Edition pour
les curieux de Typographie , & qui ne regarderont
point à la dépenfe pour le plaifir
de poffeder quelque chofe de précieux
en ce genre ; ainfi c'eft à eux feuls que j'adreffe
cette Lettre qui fera diviſée en plus
fieurs chapitres pour pouvoir mieux m'ex
pliquer.
I. L'Edition fera complette, & comme
je l'ai déjà dit , j'y comprendrai toutes
110 MERCURE DE FRANCE.
mes OEuvres , lefquelles confiftent en Comédies
, Tragédies , Tragi- comédies , Drames
férieux & bouffons , intermédes , introductions
de Scènes , petits * Poëmes
facrés & profanes , Sérénades , Cantates
Chapitres, Stances , Chanfons , Sonnets &
autres compofitions poëtiques qui font
forties de ma plume & qui en fortiront
jufqu'à la fin de cette Edition , avec le titre
de toutes les OEuvres de l'Avocat Chare
les Goldoni,
II. Chaque Tome comprendra quatre
Comédies ou Tragédies , ou fix Drames
Lyriques férieux ou bouffons ; & les Tomes
qui feront compofés d'ouvrages moins
étendus , contiendront toujours à peu de
chofe près, le même nombre de pages des
autres Tomes .
III. Chaque Comédie , Tragédie , Dra
me , &c, aura fa Préface & fa Lettre Dédicatoire
, ainfi que dans fes précédentes
Editions . Et les pièces qui n'ont point été
imprimées jufqu'à préfent , le feront avec
de femblables additions .
IV. Dans chaque Tome , à commencer
par le premier , il y aura une Comédie
ou une Tragedie qui n'aura point encore
* Efpéce de Paëfie Italienne , appellée dans la
Langue Capitoli , qui ne peut le rendre en Frangois
que par Chapitres.
AOUST. 176г.
été imprimée , la même chofe dans les
Tomes des Drames Lyriques ; & dans ceux
des compofitions mêlées , les nouvelles piéces
feront en plus grand nombre.
V. Tous les Tomes feront décorés de
cinq Estampes deftinées & gravées par les
meilleurs Maîtres , qui font ici en grand
nombre , fans égard à la dépenſe. De ces
cing Eftampes la première fervira de frontifpice
& les quatre autres précéderone
leurs piéces refpectives, & en repréfenteront
dans la meilleure forme,la principale
action.
VI. Le format da Tome fera in- douze
grand papier , de la même façon à- peuprès
que font imprimées les oeuvres de
Théâtre & de plufieurs genres encore, en
France , en Angleterre , en Hollande &
en diverfes autres parties de l'Europe ; les.
Tomes devant être auffi commodes à lire.
qu'à porter dans la poche.
VII Le papier fera de la plus grande
blancheur & de la meilleure confiſtance
qu'il puiffe recevoir dans les meilleures fabriques
; & il fera ſpécialement diſpoſé à
former un bel in - douze grand , proportionné
avec de belles marges , fur le mo
déle des meilleures Editions.
VIII. Le caractère fera neuf , ni trop
112 MERCURE DE FRANCE.
grand ni trop petit , net , diftinct & de la
plus grande facilité à lire.
IX. Comme on defire une Edition qui
foit commode pour les Etrangers qui entendent
le bon Italien , ou qui puiffent facilement
l'entendre à l'aide des Dictionnaires
, mais qui pourroient trouver des
difficultés à entendre le Vénitien ou le
Lombard ; on aura l'attention dans toutes
les Comédies qui font ou en entier ou en
partie feulement Vénitiennes , de mettre
des Notes au bas des pages avec un caractère
différent de celui du texte , où on
donnera quand il fera néceffaire, l'explication
des termes , des façons de parler &
des tournures de phrafes Vénitiennes ou
Lombardes.
X. Quant aux fautes d'impreffion , je
m'engage d'y veiller perfonnellement.
Mais comme l'Auteur d'un Ouvrage ne
peut jamais être un bon Correcteur , les
fautes échappant facilement aux yeux de
celui qui fçait la chofe de mémoire , je
choifirai les plus foigneux ; & en faifant
paffer les feuilles par diverfes mains , j'ofe
me flatter que mon Ouvrage fera très cor
rect .
XI. Les piéces fufdites ne feront pas
confufément placées dans les Tomes ; c'eftà-
dire qu'on n'y mêlera pas les piéces de
A OUST. 1761 . 113
différens genres indifféremment ; maist
elles s'y diviferont en diverfes claffes, en
formant des Tomes de feules Comédies
ou de feuls Drames , ou de Pocfies mêlées.
XII . Je me rappelle d'avoir promis dans
une de mes Préfaces de l'Edition de Florence
, un Dictionnaire comique : je ne
l'ai pas perdu de vue , & j'affure le Public
que je travaille de jour en jour à le
perfectionner ; & à la fin de l'Edition que
j'entreprends à préfent , on donnera encore
cet ouvrage à qui defirera l'avoir.
XIII. Quelques- unes de mes Comédies
font écrites en Vers que nous appellons
Martelliani , & dont abonde furtout mon
nouveau Théâtre comique qui s'imprime
par le fieur François Pittori , & qui fe
continuera jufqu'au dixiéme Tome ; mais,
s'il y a bien des perfonnes qui aiment ces
Vers ; il peut auffi s'en trouver à qui ils ne
plaifent point : c'eft pourquoi, lorfque dans
la préfente Edition je réimprimerai les
Comédies de ce nouveau Théâtre , à
l'exception de quelques - unes auxquelles
cette espèce de Vers eft indifpenfable , je
traduirai pour la plûpart les autres en profe
avec toute l'attention qu'exige un tel
engagement.
XIV. On fe plaint à jufte raifon des
Auteurs vivans , qui dans la réimpreffion
14 MERCURE DE FRANCE.
qu'ils font de leurs ouvrages font toujours
quelque changement, foit en augmentant
ouen améliorant les mêmes chofes ; de façon
qu'on n'eft jamais fûr que l'Edition qu'on
achete foit la plus parfaite: il y a toujours
à craindre qu'il ne vienne à en paroître
une meilleure . On pourra en dire autant
de moi fi je me propofe de corriger, d'augmenter
, & en un mot de donner le dernier
poli au ſtyle, aux termes & aux phrafes
de l'ouvrage qu'on va renouveller ;
mais nonobftant cela, je le dis & l'affirme ;
& je fuis d'autant plus tenu à ne pas
manquer de parole, que j'ambitionne fincérement
de laiffer autant qu'il me fera
poffible après ma mort , ma réputation
fans tache , & ma mémoire précieuſe à
mes Concitoyens , à ma postérité & à
ma nation. Je puis donc bien le promettre
& fur mon honneur je le promets , que
dans le cours de ma vie , cette Edition
ne fera par moi en aucune manière altérée
, & que je ne donnerai ni confentement
ni moyen à qui que ce foit , pour
qu'on puiffe y rien changer. Et fi le fort
me fert au point de pouvoir encore moi
même réimprimer cette Edition , elle fera
déformais toujours la même. D'ailleurs , it
n'eft pas
facile que ni moi ni d'autres la
renouvellent ; puifque la quantité des Vo
AOUST. 1761 . Tr
aifément
lumes , le travail immenfe & la dépenfe
éxceffive que ćela entraîne
décourager.
peut
XV. Jufqu'à préfent je n'ai envifagé
l'ouvrage que du côté du plaifir & de l'agrément
; il eft temps de parler de ce qui
concerne mes intérêts , & des moyens de
conduire à perfection une entrepriſe de
cette nature. Le prix donc de chaque
Tome fera de fix poles
Romains ,
broché. La dépenfe excéde , je le con
feffe le foible mérite de l'ouvrage &
la forme imparfaite du Livre ; mais je me
flatte pourtant qu'elle paroîtra moins corr
fidérable quand on fera attention aux
frais de la Gravure , des caractères & du
papier , ainfi qu'à la peine & aux foins inféparables
d'une telle entrepriſe pour
qu'elle foit auffi bien conditionnée qu'on
ofe fe le promettre . Ceux , comme je l'ai
dit ci -deffus , qui fe contenteront de mes
oeuvres telles qu'elles font préfentement,
feront toujours à même de les avoir de
leurs différens Editeurs. Cette Edition
coutera plus que les précédentes ; mais
comme mes ouvrages ne font pas des
chofes néceffaires à la vie , je ne les propoſe
qu'à ceux qui font en état de facrifier
à leurs plaifirs.
*LePole vaut environ 12 f. monnaie de France.
116 MERCURE DE FRANCE.
XVI. Outre le prix fufdit de fix poles ,
j'invite & fupplie tous ceux à qui cette
préfente Lettre eft adreffée & qui vous
dront bien foufcrire , de me faire l'honneur
de m'envoyer leurs noms dans le
temps & d'avoir la bonté d'avancer les
fix Poles pour le premier Tome , à la li
vraifon duquel ils voudront bien avoir
encore celle de payer fix autres Poles pour
feconde avance , & ainfi de fuite de Tome
en Tome , jufqu'au nombre qui ſera
fixé. Je m'attends qu'on demandera ,
avant que de foufcrire & de faire les
avances qu'on defire , quel avantage je
propofe aux Soufcripteurs & à quel prix
feront les volumes pour ceux qui n'auront
pas foufcrit . Toutes les perfonnes
qui auront quelques notions du Commerce
de la Librairie , fçauront bien que
dans toutes les foufcriptions on propofe
toujours deux prix ; mais qu'il arrive
pourtant quelquefois que qui n'a pas
foufcrit , a le Livre au même prix que celui
qui a foufcrit . A quoi ferviroit- il donc
que je leuraffe d'un avantage idéal , &
qui , bien que réel , pourroit paroître infenfible
? Je n'ai que deux chofes à dire .
pour engager à me faire cette grace : La
premiere eft qu'on me donnera le courage
& le moyen d'entreprendre un ouvrage
AOUST. 1761 : 117
dont le réfultat doit être la fatisfaction &
le plaifir des Curieux & des Connoiffeurs ;
La feconde , que devant me régler pour
le nombre des Exemplaires à- peu- près fur
celui de ceux qui auront ſouſcrit ; il peut
en arriver cornme de mon Edition de Florence
: c'eſt que tel qui aura foufcrit , aura
Pouvrage,& que qui n'aura pas foufcrit en
fera privé : ainfi indépendamment de l'avantage
d'avoir mes oeuvres bien imprimées
, on aura la certitude de les avoir.
XVII, J'offre , par reconnoiffance , à
tous ceux qui me procureront dix Soufcriptions,
un corps complet de l'Ouvrage :
c'est- à- dire , un Tome tous les dix Tomes ;
pourvu qu'ils maintiennent le même nom
bre , & me faffent avoir éxactement les
avances refpectives.
XVIII. Le premier Tome paroîtra dans
le courant du mois d'Août , & enfuite
quatre Tomes par an ; ce qui femblera
peut être un peu long : mais ainſi l'exigent
les Gravures & le parfait fuccès de
toute l'entrepriſe . Tous les Soufcripteurs
peuvent le tenir pour bien affurés , que fi
le Seigneur m'accorde vie & fanté , tous
mes engagemens feront religieufement
obfervés , puifque tous les matériaux font
prêts , & que je me trouve fur les lieux
où tout doit être exécuté , & d'où je ne
F18 MERCURE DE FRANCE,
+
m'abfenterai pas jufqu'à l'accompliſſement
de l'Ouvrage , qui fera plutôt accéléré que
retardé.
XIX. Ceux qui voudront me favorifer
de leurs Soufcriptions & de leurs avances ,
n'auront qu'à s'adreffer à moi directement,
ou au fieur Jean-Baptifte Pafquali , Libraire
à Venife , dont l'habileté & l'inté
grité connues du Public , concourront à
la perfection de l'Edition propofée. De
plus , pour la commodité des Soufcripteurs
, on donnera dans tous les Pays le
nom d'une perfonne chargée de recevoir
les foufcriptions & l'argent , ainfi
que de
remettre les Tomes à mesure qu'ils paroîtront.
J'avertis toutefois que les frais
de port des Livres & des remifes feront
à la charge des Soufcripteurs.
XX. Si quelques-uns de ceux qui auront
foufcrit & débourfé les avances pour le
premier Tome , font mécontens quand
ils l'auront vu , ils feront libres de le laiffer
, & leur argent leur fera rendu .
J'efpére donc être fecondé auffi abondamment
que diligemment . Je ne laifferai
pas, en attendant, de me préparer à une
fi grande entreprife , me flattant d'en recueillir
de l'honneur & du profit; proteftant
que je ne le fais pas comme tant d'autres
plus généreux que moi , pour le bien
du Public feulement , mais encore pour
AOUST. 1781. 179
mes intérêts particuliers ; & c'eft ce qui
fait que je m'abandonne autant à la fortune
qu'à votre protection .
A Venife , le premier Avril 1761 .
-
DESCRIPTION du Catafalque exécuté à
Paris dans l'Eglife de Notre Dame , à
l'occafion du Service qui s'eft fait dans la
même Eglife , le Jeudi 9 Juillet 1761 ,
pour Très -Haute , Très- Puiffante & Très-
Excellente Princeffe MARIE - AMÉLIE DE
SAXE , Reine d'Efpagne & des Indes.
Cette Pompe funébre ordonnée de la
part de SA MAJESTÉ , par M. le Duc de
FLEURY , Pair de France , Premier Gentilhomme
de la Chambre du Roi , a été
conduite par M. DE FONPERTUIS , Intendant
& Contrôleur Général de l'Argenterie
, Menus-Plaifirs & Affaires de la
Chambre de S. M. fur les Deffeins du Sr
Mich. Ang. Slodtz , Déffinateur Ordinaire
de la Chambre & du Cabinet du Ror.
In- 4° . Paris , 1761. De l'Imprimerie de
Chriftophe-Jean- François Ballard.
Cette Deſcription, rédigée par M. Fréron
, le trouvera dans les Nouvelles Politiques.
On nous faura gré fans doute ,
d'en rapporter ici le préambule , dont le
genre, mêlé d'hiftorique & d'éloges trèsmérités,
nous femble heureuſement choifi
120 MERCURE DE FRANCE.
pour ces fortes d'ouvrages , qui par euxmêmes
ne font pas toujours auffi favorables
à l'Ecrivain que celui - ci.
MARIE- AMÉLIE DE SAXE nâquit à
Drefde le 24 Novembre 1724 , de FRÉ-
DERIC - AUGUSTE , alors Prince Royal
de Pologne , Electoral de Saxe , aujourd'hui
Roi de Pologne , & de MARIEJOSEPH
- BÉNÉDICTE D'AUTRICHE ,
fille aînée de l'Empereur JOSEPH . Elle
reçut de la Nature des traits nobles &
majeftueux , une âme élevée , fenfible &
bienfaifante , un efprit vif , pénétrant ,
& capable d'application . L'Hiftoire , la
Géographie , les droits & les prétentions
des Princes , la Mufique , le Deflein , en
un mot , les Etudes férieufes & les Arts
agréables trouverent en elle l'intelligence
la plus prompte & le goût le plus délicat.
On fut particulierement étonné de
fes progrès dans les Langues étrangères.
Le Latin , le François , l'Efpagnol & l'Italien
lui devinrent auffi familiers que
l'Allemand fa Langue naturelle . On ne
fçait ce qu'on doit admirer le plus , ou
l'éducation que reçoivent les Princeffes
de Saxe , ou le fuccès avec lequel elles y
répondent. MADAME LA DAUPHINE, Soeur
cadette de MARIE - AMÉLIE , poflède ellemême
toutes ces Langues.
Le
AOUST. 1761.
Le fort D'AMÉLIE étoit attaché à la
deftinée de l'Europe . Depuis 1504 , les
Deux- Siciles appartenoient à la Monarchie
d'Efpagne. Mais fous le vain prétexte
que PHILIPPE V , Roi d'Espagne ,
Petit-Fils de LOUIS XIV , les avoit cédées
à la France , il s'éleva dans Naples en.
1708 un parti puiffant contre la domination
Espagnole. Cette Ville ouvrit fes
portes aux Impériaux. L'exemple de la
Capitale entraîna tout le Royaume : en
moins de fix femaines , les Deux - Siciles
reconnurent pour Roi l'Empereur JOSEPH .
{
Vers le même temps FRÉDÉRIC AUGUSTE
II , Electeur de Saxe , ayeul de MARIE
AMÉLIE , remontoit fur le Trône de Pologne
, d'où CHARLES XII Roi de Suéde
Pavoit fait defcendre en 1704 pour y placer
STANISLAS LECZINSKI . AUGUSTE tint
ce Sceptre jufqu'à fa mort arrivée le 1 Février
1733. Les Polonois rappellérent
ators fur leur Trône, par l'élection la plus
légitime , leur ancien Roi STANISLAS , fi
digne d'un rang où fon mérite l'avoit déjà
fait monter , autant que les Armes victorieufes
du Héros de la Suéde . Mais la
Ruffie & l'Empereur CHARLES VI , frère
& fucceffeur de JOSEPH , firent élire par
une petite partie de la Nation , FRÉDÉRIC
AUGUSTE III , fils d'AUGUSTE II , & père
F
122 MERCURE DE FRANCE.
de la Princeffe AMÉLIE . LOUIS XV qui
avoit épousé en 1725 la fille unique de
STANISLAS , déclara la guerre à l'Empereur
pour défendre les droits de fon beau- père.
Il figna un Traité de ligue offenfive &
défenfive avec l'Efpagne & la Sardaigne
L'Infant Doм CARLOS , né en 1716
de PHILIPPE V & d'ELISABETH FARNESE fa
feconde femme , réuniffoit fur fa tête dès
1731 , l'héritage des FARNESES & des MEDICIS
, c'eft à dire , les Duchés de Parme
& de Plaiſance où il régnoit déjà , & le
grand Duché de Tofcane qui devoit lui
revenir après la mort de JEAN- GASTON DE
MEDICIS , le dernier mâle de cette illuftre
Mailon. Toutes ces Souverainetés appartenoient
à l'Infant du Chef de fa mère.
Mais il étoit appellé à une plus haute fortune.
Le 29 Mars 1734 , tandis que les Fran
çois combattoient en Italie & en Allemagne
avec autant de fuccès que de var
leur , DOM CARLOS entra dans le Royau- :
me de Naples à la tête de trente mille..
hommes. La révolution fut auffi rapide
qu'en 1708. Le jeune Prince fut reçu
avec des applaudiffemens extraordinai
res. Les Deux Siciles retournèrent aux :
Espagnols 26 ans après qu'ils les avoient
perdues.
AOUST. 1961 : 123
Le Traité de Vienne de 1736 affura ce
Royaume à DOM CARLOS . Il abandonna
pour équivalent à CHARLES VI les Duchés
de Parme & de Plaifance . FRANÇOIS
ETIENNE , Duc de Lorraine & de Bar , aujourd'hui
Empereur , qui venoit d'épouſer
la fille aînée de CHARLES , céda fes deux
Duchés à la France . L'ufufruit en fut
donné à STANISLAS avec le titre de Roi.
FRANÇOIS ETIENNE , en dédommagement
de fon patrimoine , obtint l'expectative
de la Toſcane. Il en prit poffefſion en
1737 après la mort de JEAN GASTON . Enfin
, par ce même Traité de Vienne , la
Couronne de Pologne fut affermie fur le
front d'AUGUSTE III .
MARIE AMÉLIE , tranquille au fein des
vertus & des Arts , étoit loin de foupçonner
la part qu'elle devoit avoir à ces
grandes viciffitudes. Elle ignoroit qu'elle
fût destinée à cimenter le bonheur public
. Mais au milieu des fecouffes violentes
dont l'Europe fut ébranlée par
cette guerre de 1733 , les noeuds les plus
doux fe formoient pour cette Princeffe
dans le fecret impénétrable des jeux de
la Fortune . Un Trône vacant depuis plus
de deux fiécles , ou du moins fur lequel ,
pendant cette longue fuite d'années
ne s'étoit point affis fes Maîtres , l'atten-
1
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
doit pour faire revivre fa fplendeur. Le
nouveau Roi de Naples la demanda en
mariage , & l'époufa le 19 Juin 1738 ;
elle n'avoit pas encore 14 ans . Cette Alliance
fut le fceau de la réconciliation
entre les Maifons de FRANCE , d'ESPAGNE
, d'AUTRICHE & de SAXE.
Les Napolitains , gouvernés depuis fi
longtemps par des Vicerois , plus attentifs
à s'enrichir qu'à les rendre heureux ,
jouiffoient enfin avec tranfport de l'avantage
de voir régner en perfonne , au milieu
d'eux , un Monarque qui joignoit à
la naiffance la plus brillante l'éclat de la
jeuneffe & de la victoire. La préfence de
MARIE- AMÉLIE & fes premiéres démarches
mirent le comble à l'ivreffe de la
nation. La jeune Reine ne paroiffoit jalouſe
que de plaire à fon époux , & de
mériter l'amour des peuples. Doм CARLOS
lui donna toute fa tendrefle & toute fa
confiance. Il voulut qu'elle partageât avec
lui le poids des affaires publiques ; & la
Reine , dans un âge qui ne refpire que
amufemens , fçut rendre par fon génie &
par fes grâces , l'autorité Royale plus refpectable
& plus chère.
les
L'héritière de l'Empereur CHARLES VI ,
MARIE-THÉRÉSE d'AUTRICHE , aujourd'hui
AOUST. 1761. 125
Impératrice Reine de Hongrie & de
Bohême, en fit l'expérience dans la guerre
de 1740. Elle vouloit profiter de la fupériorité
de fes armes en Italie , & conquérir
le Royaume de Naples ; mais , ni l'appro--
che d'un ennemi formidable qu'appuyoit
une Flote Angloife , ni l'efpoir des plus
grandes récompenfes offertes à la défec-..
tion , ne purent ébranler la fidélité d'un
feul des Sujets de DOM CARLOS.
C'eft fur- tout dans ces tems orageux
que MARIE AMÉLIE déploya fes grands
talens pour l'adminiftration. Tandis que
le Roi fon époux fe couvroit de gloire
dans les plaines de Vélétri , elle maintenoit
dans fes Etats , dont il l'avoit décla
rée Régente , l'ordre , l'abondance & la:
tranquillité . Le Royaume de Naples , par
fes lumières , fon application & fa vigilance
, devint la contrée la plus heureuſe
de l'Italie . Les Peuples voifins s'y retiroient
en foule , comme dans l'afyle de la
paix & du bonheur . La Capitale qui ,
avant 1734 , Contenoit à peine trois cens
mille habitans , en compta bientôt cinq
cens mille ; le Commerce & les Arts y
furent en honneur ; la richeſſe de l'Etat
eft doublée depuis cette époque. Mais
c'eft à l'Hiftoire à faire obferver cet accroiffement
de puiffance dû à la fagelle
Fiij.
26 MERCURE DE FRANCE.
d'un Gouvernement dont la Reine étoit
l'âme.
Il ne manquoit au bonheur de cette
Princeffe que de donner des rejettons à la
Branche des BOURBONS tranfplantée à Naples.
Huit ans entiers s'écoulèrent dans
une triſte ſtérilité . Les voeux d'AMÉLIE , de
DOM CARLOS & de la Nation furent enfin
èxaucés . En moins de 13 ans, la Reine
mit au jour fix Princes & deux Princeffes .
Les Peuples célébrérent leur naiffance par
les fêtes les plus magnifiques ; & les liens
qui les attachent à la Maiſon de BOURBON
en font devenus indiffolubles .
Les loins qu'on avoit pris de la Reine
dans fon enfance , l'éclairoient fur l'éducation
qu'il convenoit de donner à fes enfans
, lorfqu'ils feroient en âge d'être inf
truits. Non contente de leur choifir les
Maîtres les plus habiles & les plus vertueux
, elle préfidoit elle - même à leurs
études ; elle prenoit fur les occupations du
trône une heure chaque jour, pour être témoin
de leurs progrès , pour les encourager
par fes careffes , pour les exciter par
fes remontrances , pour les perfuader par
fon exemple.
Les Napolitains qui voyoient croître
avec complaifance ces enfans chéris , ne
s'attendoient pas qu'un d'eux fût à la veilAOUST.
1761 . 127
le de les gouverner . FERDINAND VI
Roi d'Espagne, dernier Fils de PHILIPPE V
& de MARIE- LOUISE-GABRIELLE DE SAVOIE
fa première femme , mourut fans
postérité le 10 Août 1759. Le trône d'Efpagne
apartenoit à Do M CARLOS. Ce
Prince & la Reine fon époufe , avant que
de recueillir cette riche fucceffion , voulurent
affûrer le bonheur de leurs premiers
Sujets . DOM CARLOS fe démit en fa
veur de fon troifiéme fils né en 1751,0 , des
deux Couronnes de Naples & de Sicile. Il
fut proclamé Roi le s Octobre 1759 fous
le nom de FERDINAND IV . C'étoit un motif
de confolation pour les Napolitains ;
mais leurs regrets ne furent pas moins vifs
lorfqu'ils virent partir leurs Maîtres &
leurs Bienfaiteurs.
L'Espagne ne jouit pas longtemps de
la félicité qu'elle s'étoit promife de fa
nouvelle Reine . Une maladie de langueur,
occafionnée , dit- on , par une chûte de
cheval qu'elle avoit faite avant de quitter
Naples , la conduifit au tombeau . Elle
mourut à Madrid le 29 Septembre 1760 ,
âgée de 36 ans moins deux mois. Son
époux , fa famille , les Peuples qui l'ont
vû naître , ceux qui l'ont vû régner , ne
peuvent fe confoler de fa perte. Ils fe rap
Fiv
28 MERCURE DE FRANCE
pellent fans ceffe fa religion , fa piété , fa
juftice , fon affabilité , fon empreffement
à foulager les malheureux , fes grandes
vues de politique , fon attention àrécompenfer
le mérite , fon amour éclairé pour
les Lettres qu'elle faifoit fleurir dans fes
Etats , ainfi que tous les Arts d'utilité &
d'agrément.
Les Connoiffeurs ont généralement
admiré la beauté & l'étendue du génie de
M. Slodtz , dans l'enfemble & dans le
détail des différens Morceaux d'Architecture
& de Sculpture qui compofoient cette
décoration funébre .
La vignette dont M. Cochin le fils a
orné cette deſcription imprimée , eft auffi
digne de fon pinceau , que du Sujet qu'il
a choifi , & fait beaucoup d'honneur au
burin de M. Prévost.
LA VIE de M. Boffuet , Evêque de
Meaux. Par M. de Burigny , de l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles-
Lettres. Vol. in- 12. à Bruxelles , 1761 ;
& fe vend à Paris chez Debure l'aîné ,
quai des Auguftins , à l'Image S. Paul.
Prix , 2 l. 2 f. broché.
CODE MUNICIPAL , ou Analyſe des Ré ;
AOUST. 1761. 129
glemens concernant les Officiers Municipaux.
In- 12 . Paris , 1761. Chez Praule
Père , & Pierre Valat-la- Chapelle , quai
de Gêvres , au Paradis...
"
RECUEIL de Lettres , pour fervir d'é- --
clairciffement à l'Hiftoire Militaire du
Regne de Louis XIV. Tomes 3 & 4 in-
12. La Haye ; & fe trouvent à Paris ,,
chez Antoine Boudet, Imprimeur du Roi,
rue S. Jacques , à la Bible d'Or . Le Pu
blic a accueilli fi favorablement les deux :
premiers volumes de cet Ouvrage , qu'il
en a paru l'an paffé deux Editions. Ceuxci
paroiffent mériter le même faccès.
LA RAISON DU TEMPS , ou la Folie
raifonnée. Par le Baron de Fernetzberg
Allemand francifé. In- 12 . Amfterdam
1761, 2 parties ; & fe trouve à Paris
chez Defpilly , Libraire , rue S. Jacques ,
à la vieille Pofte...
SERENISSIMI Burgundionum Ducis Lau
datio funebris , dicta die 29 Maii, 1761 ,
in regio Ludovici Magni Collegio Socie
tatis Jefu , à Claudio Francifco Willer
me , ejufdem Societatis Sacerdote. Avec.c
la Traduction françoiſe du même Ouvra
ge Volume in-12 , très -bien imprimé , d
FV
135 MERCURE DE FRANCE:
Paris , chez J. Barbou , rue S. Jacques ,
aux Cigognes.
TRAITÉ fur la preuve par comparaiſon
d'écriture , pour fervir de réponſe au
Traité de M. le Vayer fur le même Sujet.
Par M. Vallain , Ecrivain - Juré - Expert.
In- 16 . Paris , 1761. Chez Durand , rue
du Foin ; Veuve Brunet , au Palais ; Def
pilly , rue S. Jacques ; & Lottin , même
rue. On trouve chez les mêmes Libraires
, un autre Ouvrage du même Auteur ,
intitulé: Lettres à M. de *** , fur l'Art
d'écrire , où l'on fait voir les divers inconvéniens
d'une écriture trop négligée , & où
il est traité de plufieurs objets relatifs à
act Art. Petit in- 12. broché , 1 1. 4 f.
>
I
LES AVANTURES de Périphas , defcendant
de Cecrops . Par M. Pujet de S. Pier
re. 2 parties in- 12. A Amfterdam, 1761 ;
& fe trouvent à Paris , chez Dufour ,
Libraire même boutique & fond de
Cuiffart , au milieu du quai de Gêvres , à
l'Ange Gardien . Cet Ouvrage a été préfenté
par l'Auteur à M. le Duc de la
Vauguion , qui l'a remis à Mgr le Duc
DE BERRY , & nous eft parvenu trop
tard pour pouvoir maintenant en rendre
compte.
AOUST. 1761 . izi
LES AMOURS de Mirtil.
.... Nulla viro juranti foemina credat ,
Nulla viri fperet fermones effe fideles.
Catull. Argon, Utic
In- 12. 1761 , avec de jolies Eftampes ,
déffinées par M. Gravelot , & gravées par
M. Legrand. L'on en trouve des Exemplaires
à Paris chez Guillyn , quai
des Auguftins ; & à Dijon , chez Defvenzés
, Libraire . Ils en ont même quelquesuns
en papier d'Hollande , avec les figu
res en Camayeux .
DISCOURS qui a remporté le Prix d'Eloquence
à l'Académie de Montauban, le
25 Août 1760. Par le P. Cerutti , Jésuite .
In - 8°. A Lyon ', chez Aimé de la Roche ,
Imprimeur - Libraire de la Ville & du
Gouvernement, aux halles de la Grenette.
DISCOURS fur cette Queſtion proposée
par l'Académie des Jeux Floraux , pour
l'année 1761 : La lumière des Lettres n'at-
elle pas plus fait contre la fureur des
duels que l'autorité des Loix ? La Haye ,
1761 ; fe trouve chez le même Libraire .
N. B. MM, les Libraires de Province , qui defirent
que leurs Livres foient annoncés dans le
F vi
132 MERCURE DE FRANCE.
Mercure , font priés de nous faire favoir où ces
mêmes Livres fe vendent à Paris.
THEATRE de la Guerre préfente en Allemagne &c .
Tomes III, IV , V & VI
Les deux premiers Volumes de cet Ouvrage
ont paru en 1758 , & ont été an
noncés dans le Trévoux , Janvier 17599 )
II. vol. pag. 362 , & dans le Verdun auffi
Janvier 1759 , pag. 35 .
Alors l'Ouvrage ne contenoit que les
opérations des différentes armées depuis
le commencement de la guerre jufqu'en
1758. On trouve dans les quatre volumes
que l'on donne aujourd'hui au Public ,
ces mêmes opérations continuées jufqu'en
1760.
La Partie Géographique de cet Ouvrage
contient 80 Planches , dont plus de la
moitié font très - grandes ; fçavoir 37 Cartes
Géographiques , 14 Plans de Villes ,
8 Plans de Siéges ou attaques de Places ,
& 21 Plans de Batailles ou Combats.Cette
partie eft traitée avec diftinction ; outre
la beauté de la Gravure , on y trouve
des morceaux rares & qu'on n'a pu fe
procurer qu'à grands frais.
On trouve à la tête du se volume une
Carte générale d'Allemagne où font marqués
tous les campemens des différentes
AOUST. 1761. 133
'Armées avec des numéros qui renvoyent
à une Table qui fe trouve à la fin du 4º
volume ; & cette Table renvoye à l'Article
du Journal qui donne le détail de
l'action dont il s'agit , de forte que l'exa-
Atitude du Journal fe prouve par la Carte
& réciproquement , &c.
Le Journal , outre le détail des faits ,
contient une notice très- étendue de toute
l'Allemagne , & qui pourroit figurer dans
le meilleur Traité de Géographie particuliere
de ce vafte état . Mais comme elle
n'a été faite que fucceffivement & à mefure
que les Armées fe font portées d'un
lieu dans un autre , elle a un défaut confidérable
, c'eft de manquer d'ordre & de
méthode. Pour réparer en quelque forte
ce défaut , on a inféré à la tête du 3
volume une Table générale des Etats
d'Allemagne , où l'on voit 1. fa divifion
en cercles , 2 °. fes principaux Etats , 3º.
les Etats particuliers , 4° . les Villes capitales
& . les Villes principales ; de
forte qu'à l'aide de cette Table on peut
étudier très- méthodiquement toute la
notice.
Cet Ouvrage peut éviter aux perfonnes
qui écrivent l'Hiftoire les méprifes trop
fréquentes des dates , & les erreurs où
font tombés prèfque tous les Ecrivains
134 MERCURE DE FRANCE.
qui fans être militaires ont eu à parler de
Siéges & de Batailles ; les Plans de tou-
*tes les opérations de cette guerre étant
de la derniere exactitude . Les perfonnes
qui ont eu quelque part à toutes ces opé-,
rations y verront avec fatisfaction les
lieux où ils fe font fignalés ; & ceux qui
ne voudront que fuivre les marches de
nos Armées , n'y trouveront rien à defirer.
pour
Sans l'accueil favorable du Public
la premiere partie de cet Ouvrage ,
n'en auroit point entrepris la fuite qui a
occafionné une dépenfe très - considérable .
Il fe vend chez Guillyn , Libraire ,
quai des Auguftins , au Lys d'Or ; Duchefne
, Libraire , rue S. Jacques ,au Temple
du Goût ; & chez le fieur d'Heulland,
rue S. Hyacinthe , près la Porte S. Michel
, vis -à- vis une Penfion.
'AVIS fur l'Edition de l'Etat Militaire
pour l'année 1762.
CETET Ouvrage paroîtra dans le mois de
Décembre prochain . Ceux qui voudront
y faire inférer quelques Articles , ou en
avoir des exemplaires , font priés de sadreffer
avant le 15 Septembre à M. Guil
AOUST. 1761 :
135
Tyn , Libraire à Paris , quai des Auguftins,
feul chargé du débit de cet Ouvrage , &
d'affranchir leurs lettres .
MM . de
Montendre qui voyent avec
fatisfaction que le Public
le Public approuve l'ordre
& le plan qu'ils ont fuivis juſqu'ici , deſirant
parfaire de plus en plus cet Ouvrage ,
auquel ils ont ajouté la Marine , prient
MM. les Militaires de vouloir bien les
feconder.
La difficulté , fans doute , de faire paſſer
le payement des exemplaires précédemment
envoyés aux Régimens , à cauſe du
mouvement continuel des troupes , fait
prendre le parti au Libraire chargé du
recouvrement , de prier MM. les Majors
de lui envoyer une lettre de change fur Pa
ris.Le vuide que lui forment les retards de
payement le force , contre fa façon de
penfer , de propofer cet expédient. Il fe
flatte que ce procédé ne préviendra pas
contre lui, & il offre de donner toutes les
fûretés pour les fonds qui lui feront confiés.
Le prix fera toujours le même sof
broché , & 3 liv. relié.
N. B. MM. de Montendre font abonnés
avec la Ferme des Poftes pour faire
parvenir dans tous les endroits où font les
Troupes Françoifes , l'état militaire , à rai
fon de 10 f. par chaque Exemplaire,
136 MERCURE DE FRANCE.
Comme ils ont appris que des Libraires
de Paris avoient marqué à leurs Correfpondans
, que ce Livre manquoit dès.
le mois de Février, parce qu'ils ne veulent
pas le payer comptant , ils donnent avis
aux Libraires de Province , qu'en s'adreſ- ,
fant directement audit fieur Guillyn , il .
fe contentera de Lettres de Change fur
Paris payables dans fix mois , & ils recevront
dans les derniers jours de Décembre.
ou, premiers de Janvier , les Exemplaires
qu'ils auront demandés.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES
GRAMM AIRE..
MONSIEUR,
VOTRE Differtation fur les noms de
nombre , inférée ci - devant dans le Mercure
, & annoncée fous le nom de M. de-
Marfais , m'a décidé a prendre la liberté .
de vous faire part d'une difficulté fur le
même Sujet , perfuadé que partout où il
s'agira de corriger un mauvais ufage , ou
A OUST. 1761 . 137
d'inftruire , vous ne refuferez point votre
fecours au Public .
Voici dequoi il s'agit.
On afficha ici ces jours derniers le Spectacle
des Danfeurs de Corde ; & fur l'affiche
on lifoit entre autres chofes : On commencera
à cinq heures précifes. Nous en
étions alors de notre converfation , mes
amis & moi , au chapitre de l'Orthographe
Françoife ; ce qui nous fit lire cette affiche
avec attention. Je crus trouver une faute
dans cette façon d'écrire , à cinq heures
précifes , avec des S. à la fin d'heure & de
précile , & prétendis qu'on devoit écrire :
on commencera à cinq heure précife fans
plurier. Comme l'affemblée étoit nombreufe
, les uns prirent parti pour moi ,
les autres contre ; & faute de s'accorder
on convint d'attendre le jugement du Public
, & de vous prier , Monfieur , de vouloir
bien inférer dans votre Mercure les
obfervations fuivantes.
Cette question ne regarde que
les noms
de nombre , dont les uns qu'on appelle
noms de nombre cardinal , portent avec
eux leur nombre qu'ils donnent aux noms
fubftantifs auquel ils font joints. [ Il y a
deux nombres , le fingulier & le plurier. I
Ainfi quand je dis que les noms de nombre
.
138 MERCURE DE FRANCE.
cardinal portent avec eux leur nombre
qu'ils donnent aux noms fubftantifs auxquels
ils font joints , j'entends que le nom
de nombre cardinal un , auquel le nombre
fingulier feul convient , donne toujours le
fingulier au fubftantif auquel il eft joint ;
de même les noms de nombre cardinal deux ,
trois , quatre , cinq , &c , aufquels le nombre
plurier feul convient , donnent toujours
le plurier aux noms fuftantifs auxquels ils
font joints . Mais il faut que ces noms de
nombre foient des noms de nombre cardihal
& employés comme tels. Car il arrive
fouvent , que pour éviter la dureté de la
prononciation ou la longueur , on employe
un nom de nombre cardinal dans une phrafe
où il faudroit un nom de nombre ordinal ,
[ Les noms de nombre ordinal ne portent
point avec eux leur nombre , au contraire
ils le reçoivent des noms fubftantifs aux +
quels ils font joints . ] Comme en cet exem
ple , le neuf , le dix du mois , ou neuf & dix
qui font des noms de nombre cardinal ,
font employés pour neuviéme & dixième
jour du mois , ce qui feroit plus long &
plus dur à l'oreille. Mais cette licence , [ car
c'en eft une ] ne peut rien changer au fens
d'une phrafe , & dans ce cas le nom de
nombre cardinal perd fa nature , & devient
un véritable nom de nombre ordinal , qui
AOUST. 1761. 139
le
du
ne peut donner le plurier à un nom qui
dans le fens de ma queftion n'en fçauroit
avoir , puifqu'on voit clairement que
moment auquel le Spectacle commencera
ne durera pas cinq heures. [ Le propre
nom de nombre cardinal eft de comprendre
ce qu'il exprime , le nom de nombre
ordinal ne fait que le défigner . ] Mais qu'il
arrivera à une heure qu'on appelle cinq ou
cinquiéme heure pour la diftinguer de celles
qui l'ont précédée & de celles qui la fuivront.
Vouloir qu'on écrive à cinq heures
précifes , ou il eft cinq heures précifes avec
des S. qui marquent néceffairement le plutier
, c'eft attaquer un principe qui autoriſe
cette façon d'écrire l'an mil fept cent , & c.
où mil devient un véritable nom de nombre
ordinal de cardinal qu'il eft de fa nature
; où cent refte au fingulier , quoiqu'il
foit précédé du nom de nombre cardinal 7
qui eft certainement au- deffus de l'unité
& qui exigeroit le plurier de cent , s'il confervoit
fa nature de cardinal . C'eſt enfin
vouloir que j'écrive un nom au plurier , &
que je le conçoive au fingulier ; cette expreffion
à cinq heure préciſe ne défignant
qu'une feule heure qui eft feule la cinquiéme
de l'après - midi , & que pour cette
raifon on appelle cinquiénie heure ou
cinq heure. Je pourrois , ainsi que M. du
140 MERCURE DE FRANCE.
"
Marfais, m'appuyer fur l'autorité de toutes
les Langues , dont aucune ne combat mou
opinion . incipient horá quinta , dit le Latin.
Quota hora eft ? Hora quinta. Jamais
quinta n'a été un nom de nombre cardinal.
Quinta ne fçauroit être un nom de nombre
ordinal en Latin , & dans le même fens
cinq , être un nom de nombre cardinal en
François. Quota eft hora ? quelle heure eſtil
Quinta hora , cinq heure. C'est une
même chofe en différentes Langues . Mais
je me contenterai de donner un feul
exemple pour prouver que dans ma queftion
cinq devient un véritable nom de
nombre ordinal , & qu'il y eft employé
pour cinquième. Exemple: Louis QUINZE eft
né à dix heure du matin le 10 Février 1710 .
Il n'y a pas un nom de nombre dans cette
phrafe qui ne donne une époque. C'eft par
tout le même fens. Louis QUINZIÉME du
nom , né à la dixiéme heure du matin , le,
dixieme Février, l'an milliéme fept centiéme
dixiéme. Pourquoi les uns feroient- ils cardinaux
, les autres ordinaux ? Je foutiens
qu'ils font tous cardinaux , mais employés,
dans un fens ordinal & pour . ordinaux ..
C'est pour cela que l'Académie a décidé que,
en mil fept cent foixante , mil ne prendroit
point deux lle & que cent ne prendroit,
point d'f. quoique précédé du mot fept qui
AOUST. 1761. 141
en exigeroit en tout autre cas ; parce , ditelle
, que ces noms de nombre cardinal font
ici employés dans un fens ordinal.
- Pour éviter la longueur & pour ne pas
bleffer l'oreille . Gramm. de Reftaut art.
des noms de nombre , la même chofe arrive
toutes les fois qu'on employe un,
nom de nombre cardinal dans une époque
ou dans une date . Pour achever de convaincre
le Lecteur affez judicieux pour ne
pas condamner une chofe feulement parce
qu'elle lui paroît nouvelle , j'obferverai
que le mot précis ne ſe joint jamais avec
les noms de nombre cardinal employés comme
tels . On ne dit point , il a paffé cinq
nuits préciſes fans dormir, il a bu une bouteille
de vin préciſe fans reprendre haleine ,
quoiqu'il le joigne fi bien avec les noms de
nombre ordinal , même avec les noms de
nombre cardinaux , mais employés comme
ordinaux : car on dit bien , il eft cinq heure
précife , on commencera à cinq heure précife.
La raifon de ceci eft que le mot précis
n'eſt pas fait pour marquer la durée du
temps ni la quantité des chofes , ce qui
convient parfaitement aux noms de nombre
cardinal qui comprennent tout ce
qu'ils expriment , mais pour en défigner
le nec plus nec minus que j'appellerai l'inftant
du temps pour me faire entendre ,
142 MERCURE DE FRANCE.
ce qui eft auffi le propre du nom de nombre
ordinal qui ne fait que défigner la chofe.
D'où je conclus que dans cette phrafe
à cinq heure précise le nom de nombre cardinal
cinq perd fa nature de cardinal &
eft employé pour cinquième , puiſqu'autrement
le mot précis ne pourroit lui être
joint , qu'il ne donne plus fon nombre au
fubftantif auquel il eft joint , qu'il le reçoit
au contraire de lui . Donc à cinq heure
préciſe ne défignant que le moment ou
l'inftant du temps auquel le fpectacle commencera
, qui n'eft certainement pas de
plufieurs heures , on doit écrire ainfi à
cinq heure précise .
Nota. Mes Antagoniſtes s'appuyent fur
l'ufage & ne connoiffent que lui en fait de
Langues. Je fçais que l'ufage eft pour eux.
Mais un ufage dangereux , un ufage prof
crit par le bon fens doit - il prévaloir ? Il
femble que nos Anciens ayent voulu nous
avertir qu'ils n'entendoient pas qu'on employât
le plurier dans ces phraſes en confervant
le fingulier au verbe qui précéde
le nom de nombre. Car comment entendre
autrement , il eft cinq heure ? Il est
ne peut refter au fingulier qu'autant que
cinq heures n'eft point au plurier.. Mais
nos pères ne connoiffoient point une heure
, deux heure , trois heure dans le fens.
AOUST. 1761 145
de ma question. Ils difoient l'heure premiere
, l'heure deuxième , l'heure troifiéme
, &c. Les anciens Livres nous en donnent
des preuves fans nombre. J'avoue
qu'on dit cinq heures font fonnées. Mais
cette expreffion n'eft que figurée. L'heure
ne fonne point , c'eft la cloche . Ainfi quand
il eft cinq heure , la cloche fonne cinq fois ,
pour nous faire comprendre que la cinquiéme
heure eft. Les cinq coups que le marteau
frappe fur la cloche ont donné lieu à
cette expreffion cinq heures font fonnées ;
& ce n'est que pour aider la mémoire qu'on
fait répéter la cloche , puifqu'un feul coup
fuffiroit
pour avertir
l'heure
eft paflée.
que
Je me plains avec tout le monde qu'on ait
fait tant de chofes pour embellir notre
Langue , & qu'on en ait fait fi peu pour
en faciliter l'ufage. On ne peut difconvenir
qu'il n'y ait une différence fenfible entre
ces deux expreffions , il a dormi cinq heures
, il a commencé à dormir à cinq heures.
Si vous les écrivez toutes deux au plurier ,
vous mettrez fous mes yeux un tableau
infidéle qui portera à faux à mon imagination
.Je concevrai plufieurs heures les voyant
écrites au plurier , où il ne s'agit que d'un
moment , qui eft celui où la cinquiéme
heure naît.
Pour faire mieux fentir la différence
144 MERCURE DE FRANCE.
4
qu'il y a entre un nom de nombre cardinal
& un nom de nombre ordinal , je vais
donner un exemple de l'ufage de chacun
d'eux relativement aux nombres . Exemple
dù cardinal qui comprend toujours ce
qu'il exprime . Un , deux , trois , & quatre
font certainement dix . J'exprime 1. Je
comprends 1. J'exprime 2. Je comprends
deux , qui avec un font trois. Tel eft l'effet
du nom de nombre cardinal . Exemple
de l'ordinal qui ne fait que défigner la
chofe . Le premier , le deuxième , le troifiéme
, le quatriéme & le cinquième ne
font que cinq bien certainement . N'eftce
pas là le fens de ma queftion ou une
heure , deux heure , trois heure , quatre
heure & cinq heure ne font que cinq heures
& n'eft-il pas prouvé que cinq y eft
employé pour cinquième , ainfi qu'il fe
pratique dans toutes les époques ? Je méri
te bien le reproche que vous êtes en droit
de me faire, d'avoir abufé de votre patience
. Mais pour l'amour de la vérité , vous
voudrez bien me pardonner & ajouter , s'il
vous plaît , à mes réfléxions .
J'ai l'honneur d'être & c .
B. D'AUBIGNY.
SUPPLEMENT
AOUST. 1761 . 145
SUPPLEMENT à l'Article des Piéces
Fugitives.
EXTRAIT d'une Lettre de Plombieres ;
en date du 8 Juillet 1761 .
Noous fommes partis , comme vous fçavez
, Monfieur , de Marly , le 30 du mois
dernier . Mefdames ont dîné à Germigny
chez M. l'Evêque de Meaux , qui a donné
le repas le plus grand & le plus magnifique.
La Ville de Meaux a fait fon Compliment
& offert fes préfens. Nous avons
trouvé chez M. l'Evêque , M. de Langres
& MM. de Trefmes & de Gefvres qui ont
offert du gibier provenant de leur faifanderie
de Mouffeau.
De Germigny , Meſdames ont été coucher
à Château- Thiery , fuivies d'un Peuple
innombrable , criant Vive le Roi &
Mefdames ! Chaque Communauté a voulu
faire fon Compliment & offrir fes préfens .
Tels qu'ils étoient , les Princeffes les ont
tous reçus, ont répandu beaucoup d'argent ,
ont écouté & répondu à tous les Complimenteurs
, qui , je croi , auroient donné
jufqu'à la dernière goûte de leur fang pour
le Roi. Le peuple fe fervoit de termes qui
G
146 MERCURE DE FRANCE.
prouvent bien , je vous affure, combien il
eft aimé . Mefdames ont été fuivies pendant
plus de deux lieues par la Nobleffe des
environs de la Ferté-fous - Jouare ; elle formoit
un escadron très - bien monté , fort
confidérable & en affez bon ordre . On eft
arrivé à Château - Thiery à neuf heures.
Mefdames ont logé chez des Religieufes ,
fituées dans la grande rue. La Ville a donné
des illuminations & un feu d'artifice .
Le premier de ce mois , Mefdames font
parties de Château-Thiery à neuf heures
du matin , & ont rencontré tout le long
du chemin une foule innombrable ; les
Payfans étoient fous les armes foit en Fufils
, foit en Arbalêtres . Les Villes faifoient
leurs harangues & offroient leurs préfens.
Meldames parloient à tout le monde , &
faifoient diftribuer de l'argent dans les
rues , où l'on s'empreffoit de les voir , de
les admirer & de fe plaindre de ce qu'on
ne pouvoit pas les contempler davantage.
Les Villages & les hameaux parfemoient
de fleurs le devant de leurs maifons ; les
uns jettoient des rofes , les autres couvroient
les murs de branches d'arbres afin
de cacher les fumiers ; & avec les plus
grandes démonftrations de joie & des cris
qui partoient du coeur. L'un venoit faire
fon compliment tel qu'il l'entendoit ; l'au
AOUST . 1761 . 147
tre offroit un petit mouton garni de rubans
; un autre un plat d'écreviffes cuires ,
un autre un panier de pruneaux garni de
fleurs. On ne finiroit point , fi l'on vouloit
raconter tout ce que ce jour a produit.
La Ville de Châlons a préſenté une collation
magnifique dont on n'a pû profiter.
On eft arrivé à Vitri - le- François à fept
heures & demie , après avoir dîné au milieu
du grand chemin , en plein foleil . Notre
entrée dans la Champagne a été célébrée
par plufieurs fontaines de vin que
beaucoup de Villages avoient conftruites
fur la route. Les Communautés avoient
chacune leurs uniformes , & il y en avoit
de très jolis . Il a fallu paffer partout au
très petit pas & s'arrêter pour entendre
les complimens. Il y en a eu partout ,
ainfi que de nombreufes cavalcades , foit
d'hommes , foit de femmes .
Le 2 ,
Mesdames font parties à midi
pour venir coucher à Commercy. Nous
avons rencontré partout le même concours
de Peuples , les mêmes fêtes & les mêmes
acclamations ; & notre entrée en Lorraine
a été fignalée par les marques de la joie la
plus vive & la plus éclatante. M. le Maréchal
de Berchiny eft venu à deux lieues de
Commercy complimenter Meſdames de la
part du ROI DE POLOGNE , & leur annoncer
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
que Sa Majefté les attendoit à la Fontaine
Royale , petite retraite charmante par
la
folitude & par fes eaux . L'entrevue de Sa
Majefté avec fes Petites Filles a été des
plus touchantes. Un quart d'heure après ,
le Roi eft retourné à Commercy pour recevoir
Meldames ; elles y font arrivées à
9 heures. Sa Majefté les a inftalées dans
leurs appartemens , & s'eft enfuite retirée
dans le fien. Mefdames ont foupé avec
leurs Dames ainfi qu'à l'ordinaire . Toutes
les perfonnes de la Suite étoient logées
dans le Château ; le Roi avoit fait déloger
tous les Officiers .
୨
Le lendemain 3 il y eut féjour . Sa Majefté
a dîné avec fes enfans & toutes les
Dames de leur Suite & celles de fa Cour
ce qui compofoit une table de 25 couverts.
M. le Maréchal de Berchiny tenoit celle
des hommes , qui étoit fort confidérable .
Le même foir on a été fouper au Château
de Commercy , qui eft fans contredit la plus.
belle chofe du monde. Il y eut un feu d'artifice
& des illuminations fuperbes . Le bel
effet des illuminations n'a pas duré longtemps
, à cause d'une pluye affreufe qui eft
furvenue tout-à- coup. J'oubliois de vous
dire , Monfieur , que dans cette même
journée , les Princeffes allérent dans les
Carroffes du Roi de Pologne fe promener
AOUST. 161. 149
à la Fontaine- Royale qu'elles n'avoient
eu le temps de bien examiner la veille .
pas
Le 4 , le Roi dîna avec Mefdames , & partit
une heure avant elles pour la Malgran
ge. Toute la route étoit garnie de fêtes , de
feux d'artifice & d'une foule innombrable
de peuples.Nous avons rencontré beaucoup
de cavalcades d'hommes , & même des efcadrons
de femmes habillées en amazones
qui nous fuivoient en pofte. Notre arrivée
à Nancyja été annoncée par le bruit du canon
, par le fon des inftrumens de toute
elpéce , par des pyramides de fleurs & des
infcriptions fur toutes les Maifons . M.
d'Armentieres,à la tête de l'Etat - Major , a
reçu Meldames & les a conduites à la Place
Royale où elles fe font arrêtés pendant une
demie - heure. Tout l'Univers , je crois , s'y
étoit donné rendez vous pour y paroître
dans un brillant furprenant . Meldames y
ont reçu la Députation & les préfens de la
Ville. Sur un char de triomphe garni &
couvert de damas cranicifi & de Panaches
blancs, on voyoit dix Demoifelles charntan
tes, de l'âge de onze ans, habillées de blanc
de la façon la plus galante & ornées de
guirlandes de fleurs. Les unes jettoient des
fleurs , les autres avoient des arrofoirs
remplis de différentes eaux de fenteur &
arrofoient le chemin par où Mefdames de-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
voient paffer. Les rues étoient toutes tendues
de tapifferies & les fenêtres chargées
de monde qui crioit, à tuë tête, ce que leur
amour & leur attachement pour le Roi leur
dictoit. Les Portes de la Ville étoient ofnées
d'infcriptions analogues au paffage des
deux Filles de France . Nous trouvions à cha
que pas des Harangueurs qu'il a fallu néceffairement
écouter . Après toutes ces cérémonies,
on eft defcendu à la Chapelle de N,D.
de Bon Secours pour y entendre le Salut &
faire une prière au bas du tombeau de la Rei
ne de Pologne. Pendant ce temps , le char
dont je viens de parler a été conduit à laMalgrange
oùMefdames font arrivées à 8 heures
& demie , efcortées par plus de 6000 perfonnes.
On y voyoit entr'autres le corps
des Marchands & la Jeuneſſe de Nancy, en
uniforme & à cheval . Le Roi a encore
donné des fêtes ce jour - là , & a prié Mcfdames
de fe laiffer fervir à table par les De
moifelles du Char. Meſdames l'ont bien
voulu ; & cette complaifance de leur part
a fait redoubler les cris d'allégrelle . Les
jardins du Château retentiffoient des danfes
formées par des Païfans & Païfanes. Le
Roi leur a fait donner du vin, & les Princeffes
de l'argent. Enfin je ne finirois pas fi je
voulois détailler la journée entiere ; ce
que je vous en mande , peut faire imaginer
le refte.
AOUST. 1761 .
Le 5 , on eft parti de la Malgrange à huit
heures & demie du matin pour venir coucher
ici , où nous fommes arrivés à huit
heures & demie du foir . Les chemins
étoient remplis de monde , & chacun haranguoit
comme il pouvoit . Voilà , Monficur
, le détail de notre voyage de Marly
à Plombieres . On eft actuellement à fe repaître
des plaifirs paffés depuis quatre
jours . On fe rappelle avec fatisfaction
cette foule innombrable qui crioit aux
Poftillons , arrêtez , que nous voyions nos
Princeffes les Filles de notre bon Roi ! La
chofe m'eft arrivée plufieurs fois à moi - même
, lorfque j'étois à cheval : Le Peuple
s'étant apperçu que j'ordonnois de temps
en temps, venoit me faire fes inftances. Je
me fuis vu entouré plufieurs fois par des
femmes , des filles , des hommes des
enfans , qui à genoux les mains jointes me
crioient , Monfeigneur ! faites arrêter les
Caroffes , que nous les voyions , & que nous
puiffions nous en retourner biens contens
dans nos villages . Mefdames avoient la
bonté de s'arrêter un inftant , & de paffer
au très - petit pas dans les Villes , Bourgs &:
Villages.
,
Les Dames Chanoineſſes de Remiremont
ont été préſentées hier , celles d'Epinal le :
feront demain.
G.iv.
152 MERCURE DE FRANCE.
Nous avons ici Mefdames :
DÈ COGNY ,
DE MONACO ,
DE CUCÉ ,
DE GIMEL ,
DE PUISIEUX ,
DE SURGERES ,
DE BOUFLERS.
DE S. SIMON ,
DE MONTAIGU,
DE CHATEAUMORAND, Et d'autres Dames
de Paris & de Pro-
Nous avons en hommes :
vince.
MM. les Evêques de Meaux , de Toul
& de Verdun.
M. d'Armentieres.
M. l'Intendant de Metz & celui de
Lorraine.
MM. les Commandeurs de Soudeil &
Chevalier de Balincourt.
Beaucoup de Religieux & Particuliers
de Paris & de Province.
J'ai l'honneur d'être , & c.
t
AOUST. 1761 . 153
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE.
LETTRE de M. BEAU PREAU , Maître
en Chirurgie , à Paris , & Dentifte , à
M. DE LA PLACE , Auteur du Mercure
de France.
MONSIEUR ,
Quelques perfonnes qui m'honorent de
leur confiance , ont jugé à propos de
faire inférer dans des Ouvrages périodi
ques l'annonce d'une liqueur , au moyen
de laquelle je les ai délivrées de douleurs
de dents très - violentes. Quoique je ne
puiffe m'empêcher de remercier quiconque
, en le faifant , a cru m'obliger , je
ne puis cependant me difpenfer d'écarter
en même temps les idées de charlatanerie
, que pourroit faire naître une annonce
de cette efpéce. C'eft dans cette
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
vue , Monfieur , que je vous prie de vouloir
bien revêtir de l'autenticité de votre
Journal , la déclaration que j'ai l'honneur
de vous adreffer.
La liqueur que j'employe eft un mêlange
d'huiles éffentielles , balfamiques
rectifiées , unies à l'æther . Je ne me fuis
déterminé à la mettre en ufage qu'après
un grand nombre d'expériences que j'ai
faites , pour conftater les différens degrés
d'action des médicamens fur les dents tirées
de leurs alvéoles , & fur celles qui
y étoient encore contenues. En voici le
réfultat abrégé.
On fçait que les huiles éffentiefles.balfamiques
rectifiées , font plus légères que
les huiles éffentielles aromatiques , par
exemple de canelle , gérofle , gayac & c.
On fçait auffi que plus les huiles font
légéres , moins elles contiennent d'acides
; or c'est du plus ou du moins d'acides
dans ces médicamens, que réfultent leurs
bons ou mauvais effets fur les dents. Il
étoit donc bien intéreffant d'examiner
de plus près l'action des acides .
Les acides foit végétaux , foit minéraux
, concentrés ou étendus , détruifent
les dents totalement ou en partie ;
quelques- uns les ramoliffent ; d'autres
perforent l'émail d'une infinité de petits
AOUST. 1761 . 155
trous , qui à la vérité ne paroiffent pas
au premier coup d'oeil , mais qui font ai
fés à découvrir à la loupe . L'ufage des
acides en qualité de médicament eft d'autant
plus féduifant , qu'il procure aux
dents une blancheur fubite , qui malheu
reufement fait bientôt place à une cou--
leur jaune ou noire,fuite de l'affection &
même de la deftruction de l'émail.Ce vice :
paroît plus promptement vers le col ,,
parce que l'émail diminuant d'épaiffeur ,.
il est plus facilement pénétré , & on s'en
apperçoit pour peu que l'on examine la .
bouche des perfonnes qui employent in--
confidérément les vinaigres , le jus de citron
, d'ofeille , & furtout de l'acide vitriolique
qui paroît affecter l'émail plus
fortement que les autres . D'après ces ob- -
fervations , il n'eft pas difficile de con
clure que les acides peuvent produire :
un effet contraire à celui que l'on attend I
d'eux le plus communément , c'eft à - dire,
de prévenir ou appaifer les douleurs des
dents cariées ; j'en ai des exemples frap--
pans , entr'autres , dans la perfonne de :
feu M. le Comte de *** , Colonel du a
Régiment de Nice , & de M. Chabert ,.
Chirurgien Major de Cavalerie , qui s'étant
fervi d'huile de vitriol , telle que
Dionis la prefcrit dans fon Traité d'opé
-
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
rations , furent bientôt attaqués des douleurs
les plus vives .
Les acides ne font pas feulement nuifi
bles aux dents , étant appliqués avec les
fluides aqueux , ils le font même , étant
unis aux huiles. Les huiles éffentielles aro
matiques de canelle , gérofle gayac , qui
font très - pefantes , puifqu'elles font , fuivant
M. de la Planche, célébre Chymiſte ,
à celle de citron , comme 53 à 32 , &
qui contiennent par conféquent beaucoup
d'acides , font plus nuifibles qu'utiles aux
dents carićes ; car elles ramoliffent la
fubftance offeuſe , augmentent la carie ,
& donnent lieu à la fracture.
Les effences de canelle & de gérofle ,
appaifent , il eft vrai , quelquefois les
douleurs de dents , non pas comme M.
Geofroy l'explique dans fa matière médicale
, en defléchant & brulant le nerf
par leur âcreté cauftique & brulante ;
mais par une vertu tonique qui eft propre
aux huilles éffentielles en général ,
aux liqueurs fpiritueufes , camphrées , &
à l'æther. Cette dernière renferme la
vertu tonique dans un dégré bien plus
éminent que toutes les autres. Les bons
effets qu'elle produit , étant prife intérieurement
, dans les maladies de langueurs
, d'épuisement , de fpafme &c ; la
AOUST. 4761. 157
chaleur douce qu'elle répand jufqu'aux
extrémités du corps les plus éloignées du
centre de la circulation , la force qu'elle
concilie à l'eftomac , & aux principaux
vifcères destinés à la vie , prouvent combien
elle eft puiffante fur les nerfs , &
combien elle peut être utile dans le cas
de leurs affections douloureufes : c'eft fans
doute d'après ces confidérations que M.
Bouvart célébre Médecin de Paris , confeille
d'appliquer fur la dent crcufe du
coton imbibé d'ather , & de placer un
morceau de fucre entre les dents . Ce
moyen a quelquefois réuffi ; mais la
grande volatilité de l'æther , jointe à la
chaleur de la bouche , donne lieu à fon
évaporation fubite , & empêche le plus
fouvent fon effet . Il falloit enchaîner ,
pour ainsi dire , fes molécules , & les maintenir
jufqu'à ce qu'elles euffent produit
l'effet que l'on defire . Or je crois avoir
rempli cette indication dans la combinaifon
que j'ai faite des huiles balfamiques
rectifiées & unies à l'æther , dont il
eft le diffolvant .
L'analogie n'a pas peu fervi à me guider
dans les différens mêlanges que j'ai
faits. J'avois obfervé , par exemple , que
l'huile éffentielle de thérébentine reétifiée
, appliquée fur la dure-mère , après
158 MERCURE DE FRANCE.
l'opération du trépan , détendoit cette
membrane & diminuoit fon irritation ;
que fur les os du crâne , elle facilitoit leur
exfoliation & la régénération des bourgeons
charnus : j'en ai conclu que fi cette
éffence diminuoit l'irritation de la duremère
, elle devoit produire le même effer
à l'égard des nerfs dentaires qui font
enveloppés du prolongement de cette
méninge , & conféquemment appaifer la:
douleur. Dès lors je n'ai plus balancé ; &
j'en ai fait la baze de mon éffence . J'ai
fait enfuite de nouvelles tentatives pour
m'affurer de fon action fur les dents . J'ai
pris deux onces de cette liqueur ; j'y ai
fait macèrer des dents faines , je ne les
ai retirées qu'au bout de deux mois ; cependant
leur couleur & leur fubftance
étoient reftées intactes. J'ai foumis à fon
action des dents cariées & extraites ,
d'autres contenues dans leurs alveoles ;
la carie qui eft communément noire, s'exfolioit
, & le fond reftoit blanc ; j'ai furtout
eu lieu d'être fatisfait de fon éfficacité
pour détruire les douleurs les plus
vives.
Enfin , la combinaifon des ingrédiens
de cette liqueur eft telle , que fon odeur
n'eft point défagréable.
Il eft encore , Monfieur , un autre fruit
AOUST. 1761 . I-59
de mes expériences , c'eft la préparation
de l'acide du citron , au moyen de l'efprit
volatil de cochléaria; on fait combien ces
deux végétaux font utiles dans les maladies
de la bouche. On ne doit cependant
pas ignorer que l'acide du citron partage
avec les autres , la qualité deftructive de
l'émail des dents . J'ai fait différens mêlanges
de ces liqueurs , & j'ai obfervé
que l'émail des dents que j'avois laiffé
pendant huit jours dans partie égale de
l'une & de l'autre , étoit confidérablement
altéré. J'ai répété mes éffais , & je fuis
enfin parvenu à trouver le degré propor
tionnel qui doit exifter entre ces deux ingrédiens
, pour que l'acide ne foit point
nuifible aux dents. Cinq parties d'efprit
de cochlearia fur une de citron fourniffent
un compofé, qui n'altère ni la couleur
du papier bleu , comme font les acides ,
ou les alkalis , ni la fubftance des dents .
J'ai laiffé dans celui - ci des dents pendant
l'efpace de plufieurs mois , fans qu'elles
en ayent reçu la moindre altération . *
J'ai l'honneur d'être &c. BEAUPREau .
*Enfin,il eft, propre à déterger les gencives , rafermir
les dents , & détruire les aphtes ou ulcères ,
qui arrivent à l'intérieur de la bouche,
160 MERCURE DE FRANCE.
S
ARTS AGRÉABLE S.
MUSIQUE.
EI Notturni a due Violinio Pardeffu
di Viola ; del Signor Reufci , da Padoua .
Prix , 1 liv . 10 f. à Paris , aux adreffes ordinaires
de Mufique .
GRAVURE.
La veuve Chereau , rue S. Jacques ,
aux deux piliers d'or , vient de mettre
en vente deux jolies Estampes : l'une, intitulée
Tableau des Portraits à la mode ;
l'autre , la Promenade des Remparts de
Paris , toutes deux gravées par M. P. F.
Courtois , d'après les deffeins de M. Aug.
de S. Aubin .
AOUST. 1761 , 161
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Mufique continue
les Repréſentations
des Indes Galantes
, Ballet héroïque , remis le 14 Juillet
de cette année . On exécute de cet
Opéra , le Turc généreux , les Incas du
Pérou & les Fleurs , le tout précédé du
Prologue.
La célébrité de M. Rameau & celle du
Ballet des Indes galantes en particulier ,
nous difpenfe de tout éloge . Qu'il nous
foit permis feulement de faire remarquer
que cet illuftre Muficien , auquel fon Art
doit tant de, progrès en France , fait de
fon temps ce que l'immortel Lulli a fait
dans le fien ; c'eft- à- dire qu'il a conftitué
un gente de Mufique nationale qui fera
époque . Les chefs- d'oeuvre de ce Muficien
, que l'on admiroit dans leur nouveauté
avec étonnement , & peut - être
avec quelque forte de défiance , font applaudis
aujourd'hui par goût & par une
162 MERCURE DE FRANCE.
teur ,
impreffion unanime de plaifir. L'Opéra ,
actuellement fur le Théâtre , eft conffdéré
comme un des Ouvrages de cet Auoù
régne la variété la plus riche &
la plus abondante des divers caractères
de la Mufique . Il feroit à defirer que les
paroles de ce Poëme euffent pu favorifer
le génie mufical dans le dialogue de
toutes les Scènes , auffi heureufement que
dans l'Entrée des Incas: *
En général , la Reprife de ce Ballet eft
très bien exécutée de la part des Acteurs .
Mlle Lemierre , dont la voix & la fanté
font rétablies , fait valoir très- agréablement
les airs charmans de fes rôles dans
le Prologue & dans l'Acte des Fleurs . On
admire en elle , dans ce Ballet , le talent
fupérieur de Cantatrice , fans oublier les
applaudiffemens qu'on lui a donnés comme
Actrice , dans des Opéra d'un autre
genre. Mlle Chevalier chante le rôle d'Emilie
dans le Turc généreux, le feul Acte
de tout cet Opéra , où le Poëte ait paru
prétendre à quelque fuite de Scènes . Mlle
Dubois , après une maladie très - dangereufe
& très longue , chante avec autant
de voix qu'auparavant , dans l'Acte des
*
V. une Piéce imprimée dans le Mercure de
Février de cette année , intitulée , Queſtion de
goût.
AOUST. 1761 . 163
Incas. M. Gelin remplit dans le même
Acte le principal rôle , fi connu & fi diftingué
par la fublimité des chants que le
Muficien y a placés . M. Pillot chante les
rôles de haute- contre du premier & du
deuxième Acte.
Dans les Ballets , Mlle Allard très- bien
placée en Matelote , danfe des Entrées
dans le caractère
léger & gai de Provençale
; le Public l'applaudit toujours avec
un nouveau plaifir. Au deuxième Acte ,
Mlle Lani , trop fupérieure aux éloges ,
pour les répéter à chaque occafion où
l'on a lieu de l'admirer, danfe dans l'Acte
des Incas , des Airs d'un caractère marqué
& analogue à la prééminence de fes
talens. La Rofe , dans le Ballet des
Fleurs où les pas font des rôles , eft rendue
par Mlle Veftris avec cette expreffion
voluptueufe
, cette intelligence
Pan
tomime , qui diftinguent & caractériſent
le genre de fa danfe. M. Veftris qui repréfente
Borée , fait admirer également
le brillant de fes pas , la jufteffe de fes
pofitions , & le génie pittorefque
de fa
danfe.
Les Directeurs de cette Académie n'ont
rien négligé pour la pompe & pour l'agrément
de ce Spectacle , dans les décor
164 MERCURE DE FRANCE.
rations & dans la dépenfe des habits . On
ne peut leur refufer la juftice de rendre
une forte d'hommage au célébré Muficien
qui a fourni un fonds utile
pource Théâtre
, par les foins qu'ils apportent dans la
remiſe de ſes Ouvrages.
COMEDIE FRANÇOISE .
L E 16 Juillet , Mlle de Nefle débuta fur
le Théâtre de la Comédie Françoife , par
le rôle de Cénie & par celui de Zénéïde .
Elle a continué depuis fon début par le
rôle de Lucinde , dans l'Oracle , par celui
d'Agathe dans les Folies Amoureuses , où
elle a chanté avec fuccès &c. Quelques
Spectateurs trouvent dans cette nouvelle
Actrice , de l'intelligence , de la fineffe &
un jeu raifonné. A l'égard des débuts ,
nous croyons ne pouvoir être trop circonfpects.
Les Jugemens du Public font fi difficiles
à faifir dans ces occafions , qu'il y
auroit de l'imprudence à tout Journaliste
de prétendre les intérprêter. C'eft le temps
qui doit toujours conftater les décifions
à cet égard.
Le Lundi , 20 Juiller, les Comédiens
François dornérent la premiere repréfen
AOUST. 1761 . 168
tation du Financier , Comédie nouvelle
en un Acte , de M. de Saintfoix , précédée
du Rival fuppofé & fuivie de la Colonie
, Comédies remifes , & du même Auteur.
Ces trois Pièces , avec le Prologue
qui les annonçoit , tinrent tout le Spectacle
& furent très - applaudies. On y a
trouvé cette élégance de ftyle , cette vivacité
dans le Dialogue & dans les Portraits,
cette fine plaifanterie , cette morale placée
, fans art & fans apprêt , cette critique
de moeurs toujours agréable & jamais
amère , enfin ce tour ingénieuſement ſimple
& ces idées neuves & naturelles qui
caractérisent tous les Ouvrages de l'Auteur.
La Colonie & le Rival fuppofé font
imprimées ; ainfi nous nous contenterons
de donner , dans le prochain Mercure
un Extrait de la Comédie nouvelle du Financier.
H parut en 1748 , une Collection
en deux Volumes de plufieurs Comédies
de M. de Saintfoix ; n'étant pas à Paris ,
il ne put veiller à cette Edition , où la
plupart des Piéces , furtout celles du fecond
Volume , font abfolument défigurées
& tronquées. Nous apprenons qu'il
paroîtra inceffament une Edition de fon
Théâtre , faite fous les yeux , revue &
166 MERCURE DE FRANCE
corrigée , en 4 Volumes , avec une Préface
à chaque Piéce .
L
COMEDIE ITALIENNE.
ES Comédiens Italiens ont donné le
12 de Juillet la premiére repréſentation
du fils d'Arlequin perdu & retrouvé , Comédie
nouvelle Italienne avec des Divertiffemens.
Cette Piéce qui a eu beaucoup de fuccès
, & que l'on continue encore , eft un
Canevas de M. Goldoni , non imprimé ;
M. Zanuzzi , Acteur du Théâtre Italien
ra arrangé conformément au genre habituel
de la Scène Italienne en France.
Quoique le Sujet foit traité en Canevas, il
ya plufieurs morceaux écrits ; ce qui joint
à la force comique & à l'enchaînement
de l'intrigue , donne à cette piéce la forme
d'une Comédie régulière , en fe prêtant
au goût national de fon célèbre Auteur.
Nous avons crû ne pas déplaire à
plufieurs de nos Lecteurs , en leur en donnant
une Analyfe auffi refferrée que pourra
le permettre l'Imbroglio qui régne dans
cette Comédie.
AOUST. 1761:
767
ANALYSE de la Comédie intitulée le FILS
D'ARLEQUIN PERDU ET RETROUVE'.
PANTALON, Aftrologue, eſt retiré dans la vallée de
Bergame. Il jouit d'un bien confidérable , mais
une très - grande partie de fa fortune ne lui appartient
pas légitimement. Un de fes amis , appellé
Anfelme Ardenti étant venu demeurer avec lui ,
lailla une fille en bas âge , héritière de tous les biens.
Pantalon , pour fe les approprier , fait paffer la
jeune orpheline ( Rofaure ) pour la propre fille.
Elle vient en âge d'être mariée. Scapin , qui fait le
fecret de la fuppofition , favorife les amours fecrets
de fa jeune Maîtrelle avec Celio qui l'aime.
Les deux amans s'époufent fecrettement ; ils ont
un enfant. Arlequin , pauvre Payfan du voisinage ,
mari de Camille , a dans le même temps un fils.
C'eft ici où commence la Piéce .
ACTE PREMIER.
LE Théâtre repréſente la montagne fur laquelle
eft fituée la maifon d'Arlequin. Les avenues en
font illuminées d'une maniére ruftique ; les voifins
danfent & chantent en réjouiſſance du rétabliffement
de fon époufe qui vient de relever de fes couches.
Dans le voifinage de la cabanne d'Arlequin ,
eſt une autre chaumière où Rofaura & Celio , d'intelligence
avec Scapin , ont fait cacher leur enfant
du même âge que celui d'Arlequin , & qu'ils gardent
dans cet endroit en attendant qu'ils ayent
166 MERCURE DE FRANCE.
corrigée , en 4 Volumes , avec une Preface
à chaque Piéce .
L
COMEDIE ITALIENNE.
ES Comédiens Italiens ont donné le
12 de Juillet la premiére repréfentation
du fils d'Arlequin perdu & retrouvé , Comédie
nouvelle Italienne avec des Divertiffemens
.
ľa
Cette Piéce qui a eu beaucoup de fuccès
, & que l'on continue encore , eft un
Canevas de M. Goldoni , non imprimé ;
M. Zanuzzi , Acteur du Théâtre Italien ,
la arrangé conformément au genre habituel
de la Scène Italienne en France:
Quoique le Sujet foit traité en Canevas, il
y a plufieurs morceaux écrits ; ce qui joint
à la force comique & à l'enchaînement
de l'intrigue , donne à cette piéce la forme
d'une Comédie régulière , en ſe prêtant
au goût national de fon célèbre Auteur.
Nous avons crû ne pas déplaire à
plufieurs de nos Lecteurs , en leur en donnant
une Analyſe auffi reflerrée que pourra
le permettre l'Imbroglio qui régne dans
cette Comédie.
AOUST. 1761 167
ANALYSE de la Comédie intitulée le FILS
D'ARLEQUIN PERDU ET RETROUVE'
.
PANTALON
ANTALON,Aftrologue,eft retiré dans la vallée de
Bergame. Il jouit d'un bien confidérable , mais
une très - grande partie de fa fortune ne lui appartient
pas légitimement. Un de fes amis , appellé
Anfelme Ardenti étant venu demeurer avec lui ,
lailla une fille en bas âge , héritière de tous les biens.
Pantalon , pour fe les approprier , fait paffer la
jeune orpheline ( Rofaure ) pour fa propre fiile.
Elle vient en âge d'être mariée. Scapin , qui fait le
fecret de la fuppofition , favorife les amours fecrets
de fa jeune Maîtreffe avec Celio qui l'aime.
Les deux amans s'époufent fecrettement ; ils ont
un enfant. Arlequin , pauvre Paylan du voiſinage ,
mari de Camille , a dans le même temps un fils.
C'est ici où commence la Piéce.
LE
ACTE PREMIER .
E Théâtre repréfente la montagne fur laquelle
eft fituée la maifon d'Arlequin. Les avenues en
font illuminées d'une maniére ruftique ; fes voisins
danfent & chantent en réjouiſſance du rétabliffement
de fon époufe qui vient de relever de fes couches
. Dans le voifinage de la cabanne d'Arlequin ,
eft une autre chaumiére où Rofaura & Celio , d'intelligence
avec Scapin , ont fait cacher leur enfant
du même âge que celui d'Arlequin , & qu'ils gardent
dans cet endroit en attendant qu'ils ayent
166 MERCURE DE FRANCE.
corrigée , en 4 Volumes , avec une Préface
à chaque Piéce.
L
COMEDIE ITALIENNE.
ES Comédiens Italiens ont donné le
12 de Juillet la premiére repréſentation
du fils d'Arlequin perdu & retrouvé , Comédie
nouvelle Italienne avec des Divertiffemens
.
Cette Piéce qui a eu beaucoup de fuccès
, & que l'on continue encore , eft un
Canevas de M. Goldoni , non imprimé ;
M. Zanuzzi , Acteur du Théâtre Italien
l'a arrangé conformément au genre habituel
de la Scène Italienne en France.
Quoique le Sujet foit traité en Canevas, il
y a plufieurs morceaux écrits ; ce qui joint
à la force comique & à l'enchaînement
de l'intrigue , donne à cette piéce la forme
d'une Comédie régulière , en fe prêtant
au goût national de fon célèbre Auteur.
Nous avons crû ne pas déplaire à
plufieurs de nos Lecteurs , en leur en donnant
une Analyſe auffi reflerrée que pourra
le permettre l'Imbroglio qui régne dans
cette Comédie.
AOUST. 1731
167
ANALYSE de la Comédie intitulée le FILS
D'ARLEQUIN PERDU ET RETROUVE'.
PANTALON, Aftrologue, eft retiré dans la vallée de
Bergame. Il jouit d'un bien confidérable , mais
une très - grande partie de fa fortune ne lui appartient
pas légitimement. Un de fes amis , appellé
Anfelme Ardenti étant venu demeurer avec lui ,
lailla une fille en bas âge , héritière de tous les biens.
Pantalon , pour fe les approprier , fait paffer la
jeune orpheline ( Rofaure ) pour la propre fiile.
Elle vient en âge d'être mariée. Scapin , qui fait le
fecret de la fuppofition , favorife les amours fecrets
de fa jeune Maîtrelle avec Celio qui l'aime.
Les deux amans s'épouſent fecrettement ; ils ont
un enfant. Arlequin , pauvre Paylan du voisinage ,
mari de Camille , a dans le même temps un fils.
C'est ici où commence la Piéce.
ACTE PREMIER.
LE Théâtre repréſente la montagne fur laquelle
eft fituée la maison d'Arlequin . Les avenues en
font illuminées d'une maniére ruſtique ; les voisins
danſent & chantent en réjouiſſance du rétabliſſement
de fon époufe qui vient de relever de fes couches.
Dans le voifinage de la cabanne d'Arlequin ,
eft une autre chaumiére où Rofaura & Celio , d'intelligence
avec Scapin , ont fait cacher leur enfant
du même âge que celui d'Arlequin , & qu'ils gardent
dans cet endroit en attendant qu'ils ayent
168 MERCURE DE FRANCE.
trouvé à qui le confier , ou que leur mariage foit
découvert. Rofaura vient avec Scapin pour voir
ce cher enfant. Pendant qu'elle le carelle Panta
talon arrive , elle veut cacher fon fils , Pantalon
veut favoir ce que c'eft ; Scapin imaginant tout
d'un coup de fe fervir de la conformité des circonf
tances & des âges , dit à Pantalon que l'enfant que
tient Rofaura eft le fils d'Arlequin . Pantalon lui
ordonne de le prendre & de le rendre à ton père.
Scapin voudroit le porter en quelque lieu où il fût
en fûreté , mais il eft rencontré de nouveau par
Pantalon qui le remet lui - même à Arlequin .
Scapin , encore plus intrigué , a peur qu'Arlequin
retournant à fa maiſon & trouvant un autre enfant
ne découvre l'intrigue. Que faire ? Pendant
qu'Arlequin s'amufe à badiner avec ſon fils , aflis
par terre , à quelques pas de fa chaumiére , Scapin
y entre fans être apperçu & emporte fon véritable
enfant Camille trouve fon mari occupé à
careffer fon fils ; ce fpectacle l'attendrit & l'enchante;
elle en témoigne fa joie a Arlequin . Celio ,
mari de Rofaura , qui fait l'avanture furvient
& cherche des prétextes pour demander à ces
bonnes gens de lui confier leur fils . Arlequin s'en
défend , en dilant qu'il lui appartient ; Celio lui dit
qu'il pourroit fe tromper , & que l'enfant n'eft
point à lui. Arlequin conçoit des foupçons fur la
vertu de fa femme , elle fe défend & entre en
fureur contre Celio . Pantalon ſurvient ; & Arlequin
qui le connoît pour un homme fçavant, le
prie de tirer l'horoſcope de fon fils pour voir s'il
eft , effectivement bien à lui . Pantalon le lui promet.
1
·
ACTE
AOUST. 17617
189
ACTE SECOND.
SCAPIN découvre à Celio que Roſaura n'eſt point
fille de Pantalon . Celui -ci veut la donner en mas
riage à Filene , qui eft lui- même aimé de Dorinde :
c'elt un Epifode auquel nous ne nous arrêterons
plus , parce qu'il n'a été mis que pour placer la
Cantatrice , que le Public paroît defirer d'entendre
dans toutes les Piéces Italiennes. Arlequin
vient avec Pantalon pour favoir l'horofcope de
fon fils.; voici ce qu'il apprend :
Que celui qu'on croit fils d'Arlequin eſt unfruit
de l'amour qu'on ne connoit pas encore.
On pourroit traduire ainfi l'Italien .
Ce fils que d'Arlequin on avoit toujours cru ,
Eft un fruit de l'Amour qui n'eſt pas bien connu,
Et Arlequin répond en parodiant l'horofcope.
>> Ce fils que d'Arlequin on avoit toujours cru ,
>> Eft un figne évident que l'on m'a fait cocu.
Ses foupçons redoubleut , il s'emporte contre
Camille ; elle le défefpére ; ils fe querellent & fe
quittent brouillés .
ACTE TROISIÈME.
ARLEQUIN , en fureur , fonge aux moyens de
fe venger de fa femme : il fe détermine à l'abandonner
; mais pour lui laiffer des marques de
fon reffentiment & la punir de l'outrage qu'elle
lui fait , il met le feu à la chaumiere ; il ne veur
H
10 MERCURE DE FRANCE.
pas même fauver fon enfant , voulant extermi
ner tout ce qui pourroit être un témoignage de
fon déshonneur . Celio arrive ; & voyant l'embrafement
, s'écrie : Ah ! mon pauvre enfant ! j'ai
trouvé le père , dit Ailequin en s'en allant. Celio
entre dans la chaumiere , prend l'enfant & part .
Scapin furvient , voit l'incendie , ne doute pas
que l enfant de Celio ne foit brulé ; & pour empêcher
le défelpoir de Rofaura , il imagine de lui
fubftituer le fils d'Arlequin qu'il a entre les mains
& de lui faire entendre que c'eft le fien . Camille
affligée du courroux de fon mari , arrive en ſe
plaignant de fon fort ; elle tourne triftement les
yeux vers la chaumiere , en regrettant la paix
dont elle y jouiffoit ; elle la voit confumer par
les flammes & s'abîmer à l'inftant. L'horreur &
l'éffroi la faififfent; elle court au travers des ruines
pour fauver fon enfant , & ne le trouvant pas,
fort en pouffant des cris de défefpoir & de douleur.
Rofaura arrive & demande à Camille la
caufe de fes pleurs & de fes gémillemens. La vue
des affreux reftes de l'embrafement la faifillent
elle-même . Camille , étonnée de l'intérêt qu'elle
prend à fon malheur , en cherche les motifs.
Scapin arrive avec l'enfant d'Arlequin fous fon
manteau . Rofaura s'avance pour lui faire des reproches
; Scapin l'appaife en lui donnant l'enfant
qu'il tient & qu'il lui dit être fon fils . Camille
veut le lui enlever , difant que c'eſt le fren ,
Pantalon furvient , qui oblige Rofaura à le céder
; elle s'évanouit , & Filene accourt à ſon ſecours.
Celio , qui la voit dans fes bras , en con
çoit de la jaloufie,
AOUST. 1761 . 171
•
E
ACTE QUATRIÈME.
Le quatrième Acte commence par une Scène de
dépit , entre Celio & Rofaura ; Scapin les réconcilie.
Arlequin , qui a trouvé l'enfant de Celio entre
les mains d'un Payfan , a cru que c'étoit le
fien , & arrive en le carellant . Camille vient d'un
autre côté avec fon véritable fils que Pantalon
lui a fait rendre. Ils font tous deux étonnés eh
fe rencontrant ; tous deux prétendent avoir entre
les bras l'enfant légitime , & tous deux préten
dent que celui qu'il n'ont pas eft fuppofé ; ce qui
donne lieu a une Scène entre les deux Acteurs.
Celio initruit par le Berger , de l'enlèvement de
fon fils , furvient , & s'approchant d'Arlequin ,
avec promptitude , lui enléve l'enfant qu'il tient.
Scapin arrive d'un autre côté , & enlève de même
à Camille celui qu'elle a dans les bras. Tous
deux fortent pour courir après les ravitieurs . Rofaura
rencontre Filene qui lui parle encore de fon
amour. Scapin leur découvre qu'ils font freres &
foeurs ; ils s'embraffent . Celio furvient : nouveau
fujet de jalousie . Arlequin vient , pendant que celui-
ci s'abandonne à la fureur , & lui demande
fon fils ; il l'impatiente tant que Celio en colére
, le veut battre ; Arlequin le repoulle avec la
tête: » Je te blefferai , dit- il , avec les armes que
>> tu m'as faites .
ACTE CINQUIÈME.
PANTALON voyant que tout eft découvert ,
promet de rendre compte à Rofaura de fon bien ,
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
& lui permet d'époufer Celio . Cependant Arle
quin vient redemander fon fils à Celio , & ' Camille
vient auflì faire la même demande à Scapin.
Tous deux s'en vont fans rien répondre , &
reviennent un moment après avec les deux en
'fans . Le tout eft de fçavoir quel eft celui d'Arlequin.
Scapin , qui eft au fait de toute l'intrigue ,
la développe , en difant que celui que Celio tient
eft le fien , & il remet à Camille & à Arlequin
celui qu'il leur a enlevé . Tout le monde le réjouit
, & la Piéce finit.
OBSERVATIONS.
A l'enchaînement de cette intrigue , à
la clarté dont elle eft pour le Spectateur,
pendant qu'elle devient de plus en plus
impénétrable pour les perfonnages de l'action
, on reconnoît fans peine le talent
du célébre Auteur qui a imaginé ce Sujet
, & qui en a tracé la conduite : mais
on auroit peine à fe former une idée
jufte de ce qu'y ajoûte le jeu vif & naturel
des Acteurs principaux , & particulierement
celui de Mlle Camille. Servic
par les traits heureux d'une phyfionomie
faite pour peindre avec force & fans
équivoque toutes les grandes paffions de
l'âme , cette Actrice nourrie pour ainfi
dire dans le jeu comique , s'élève dans
cette Piéce , à toute l'énergie du plus
grand Pathétique . Le moment, for-tout,
où elle voit fa cabane embrafée , où elle
AOUST. 1761. 173
croit que fon enfant eft dévorée par les
flammes , eft exprimé avec tant de vérité
qu'il arrache des larmes . Malgré l'action
comique d'où fort cette circonftance ,,
Phorreur , le défefpoir & le déchirement:
du coeur d'une mère outrée par le plus :
fenfible des malheurs , font exprimés:
avec tant de force & de naturel , qu'il
eft difficile de réfifter à l'impreffion de
fa douleur. Au refte , ce Pathétique , quoique
lié à un Sujet prefque bouffon , ne
fait point difparate , & touche le coeur
fans répugner à l'efprit , parce qu'il naît
néceffairement du fond de ce même Sujet
, & qu'il ne paroît pas détaché des
Scènes comiques , comme on a lieu de le
reprocher à plufieurs Comédies de notre
Théâtre moderne. Quelques Amateurs
defiteroient que notre Scène profitât de
l'attention avec laquelle le célèbre M.
Goldoni recherche les traces desComiques :
de l'Antiquité. Thalie, felon eux, trop déguifée
de nos jours fous la parure Françoife
, reprendroit fon premier empire , fi
plus d'un Auteur avoit le courage de lui
rendre fes premiers ornemens : la Nation
rira encore au Théâtre , difent ces mêmes
Connoiffeurs , & rira fans honte , quand
Les Auteurs ne rougiront pas de la faire
rire
Hij
174 MERCURE DE FRANCE.
On a donné fur le même Théâtre le 16
Juillet, la premiére repréſentation du Dépit
généreux , Comédie nouvelle en deux
Actes , mêlée d'Ariettes . Cette nouveauté
a été applaudie & continuée ; nous en
donnerons une connoiffance plus détaillée
dans le prochain Mercure . M. Quétant ,
Auteur des Amours Grenadiers , à l'âge de
19 ans , & du Quartier général , Piéces
jouées aux Danfeurs de Corde , nous informe
à l'égard du Dépit généreux , que
M. Anfeaume avoit fait cette Piéce en
Opéra Comique fous le titre de la Vengeance
intéreffée; qu'elle avoit été reçue
aux Italiens fous condition d'être retravaillée
; que M. Anfeaume , diſtrait par
d'autres occupations , n'ayant pu vaquer
à celle- ci , M. Quétant avoit refait cette
Piéce en vers , le Acte fur le plan du
premier Auteur, mais qu'ayant composé lẹ
fecond en entier & changé le dénoûment,
cela avoit occafionné le changement du
Titre. M. Quétant nous engage par une
Lettre , à rendre ce détail public , afin
que l'on ne le foupçonne pas dès l'entrée
d'une carrière où il montre des difpofitions
, d'avoir voulu par un déguifement
de Titre , mafquer un Plagiat , & enlever
à M. Anfeaume la part qu'il doit avoir à
l'honneur de cette Piéce , fi le Public con
AOUST. 1761 . 175 .
tinue de lui être favorable. M. Quétant
eft encore Auteur du Ballet de la Foire,
de Bezons à l'Opéra Comique & de la.
Femme orgueilleufe aux Italiens.
En terminant. l'Article de la Comédie,
Italienne , nous rapporterons en entier
une Lettre de M. Duni fur un fait qui
l'intéreſſe .
A M. D. L. G. Penfionnaire adjoint au
Mercure pour l'Article des Spectacles .
MONSIEUR,
Je ne fais par quel abus tant de petits
écrits périodiques ufurpent impunément
fur le Mercure , l'ufage de rendre comp-
» te des Spectacles. Ce n'eft pas à moi de
réprimer cet abus , mais il doit m'être
» permis de m'en plaindre lorfqu'il tend
à détruire des vérités qui m'intéreffent
» perfonnellement. Je me flatte que vous
ne me refuferez pas la facilité de pu-
» blier les juftes reproches que j'ai à faire
à une de ces efpéces de Gazettes heb-
" domadaires.
و ر
" La feuille de l'Avant- Coureur du
Lundi 1s Juin m'eſt tombée par hazard
H iv
576 MERCURE DE FRANCE. -
» entre les mains ; j'en ai parcouru la par
tie qui concerne les Spectacles ; per-
» mettez - moi de vous communiquer quel
» ques obfervations fur la maniére dont
» on y rend compte de la Bonne Fille.
9)
Après avoir expofé en peu de mots le
» Sujet de la Piéce, l'Avant - Coureur s'exprime
en ces termes : Mlle Piccinelli & le
fieur Cofalto ont été applaudis fans le
fecours de leur rôle ni de leur chant.
» Voudroit on dire par là que quand
» même Mlle Piccinelli & le fieur Cofalto
»n'auroient ni joué ni chanté, ils n'auroient
» pas laiffé d'être applaudis? je vous avoue,
» Monfieur , que je n'entends pas cette
» propofition.
Peut-être qu'il y a de mafaute & que
je ne fuis pas encore affez verfé dans la
» connoiffance de la Langue Françoife ,
» pour faifir tout ce que cette Sentence
» renferme d'ingénieux & de vrai. Les
» Arietes de l'Actrice , pourfuit l'Avant-
» coureur , font dans un genre trop oppo
» fé à celles qu'on lui a entendu chanter..
» mais auroit- il voulu qu'on eût mis dans
» la bouche de Cechina les airs, de Didon
» & de Sémiramis ou d'Artemife ? le mot
» coutume eft Italien , mais il y a long-
» temps qu'il eſt devenu François , & que
la Nation Françoife obferve plus fcrupu
AOUST. 1765. 177'
Teufement qu'aucune autre,la chofe que
» ce mot fignifie. M. l'Avant - coureur
» n'en tiendroit - il nul compte ? Mlle Pic--
» cinelli n'a joué , n'a chanté juſqu'à préfent,
que dans les Tragédies; il faut dé-
» formais qu'elle rende les rôles comi--
» ques : l'on a crû devoir la conduire in-
» fenfiblement à ce genre , & non pas l'y
précipiter ; pour cet effet je lui ai donné
des airs qui ,fans avoir la grandeur &
l'élévation tragique , ne laiffoient pas
de renfermer une expreffion noble &
même pathétique , tel que celui de la
» Pouera Ragazza , morceau qui m'a fait
>> un honneur infini en Italie , & la Scène
"
du Sommeil,laquelle m'a valu les éloges:
» de M. Rameau. Il y a tout lieu de croire
» que les Connoiffeurs dont l'Avant-coureur
recherche & adopte les jugemens ,,
» font dans le préjugé également faux &
" ridicule , que les voix Italiennes ne fa-
» vent & ne doivent chanter que des So
» nates les Opéras même bouffons ren
ferment une infinité d'Epiſodes bien:
» propres , ce me femble , à faire fentir:
combien cette erreur eft groffiére . Las
» derniére Ariéte, ajoute l'Avant-Coureus,,
( il falloit dire le dernier air ) a remis
» Actrice dans fon genre : elle eft du Geur:
Hw
1
178 MERCURE DE FRANCE.
و ر
#
» Junelli. M. l'Avant- coureur , állez un
» peu plus doucement : je fens bien que
» le métier que vous faites ne vous per- .
" met pas de faire des recherches , mais ,
» du moins il faut alors avancer les cho- ,
» fes avec plus de modeftie & de réferve. ,
» Le dernier air n'eft point de M. Junelli,.
» il eft de moi. M. Junelli n'a befoin pour .
» fa gloire que de fes propres Ouvrages ..
» Je fis cet air l'an 1755. M. Manzoli ,
» pour qui je l'avois compofé , l'exécuta ,
» pour la premiere fois fur le Théâ- .
tre de Parme , & fut extrêmement
applaudi : quel fuccès auroit donc eu ,
» ce morceau , s'il avoit été chanté par
» Mile Piccinelli ? car quelque eftime que
» j'aye pour les talens de M. Manzoli
» je fuis forcé d'avouer que Mlle Piccinel-
» li l'a rendu avec beaucoup plus d'intel-.
ligence , de nobleffe & de vérité . Les .
» Connoiffeurs en Mufique Italienne , s'il
» faut en croire l'Avant - coureur , ont ,
» trouvé que la Mufique que j'ai fubftituée
» à celle de M. Picini ne fe fent point du
» tout de la température du climat. Il feroit
fingulier , il feroit inconcevable
qu'étant né en Italie , qu'ayant paffé ma
» vie à étudier & à compofer de la Mufi-,
» que Italienne , mes ouvrages ne fe reffentiffent
point de la température du climat
ور
"
"
"
AOUST. 179 1761,
» Italien . Mais comment peut - on avancer
»de pareilles chofes ?
» Qu'un Avant - Coureur annonce les
» nouvelles modes, les nouveaux onguens ,
>> les nouvelles perruques , & fi l'on veut
" les nouveaux Ouvrages , à la bonne
» heure ; mais je vous l'avoûrai, Monfieur,
» un Avant- Coureur qui juge , me paroît
» la chofe du monde la plus ridicule . En
effet, obligé de gagner de viteffe tous les
» autres Journaliſtes , & n'étant pas en
» état , comme la chofe eft évidente , de
juger par lui - même, il ſe voit dans la néceffité
d'adopter l'opinion du premier
prétenduConnoiffeur qu'il trouve fous fa
» main , d'où doivent naître néceffaire-
» ment des erreurs fans nombre.
"
>>
»
ود
» Ce n'eft pas la premiere fois que j'ai
»vû porter fur l'Art que je cultive & que
»je profeffe , les jugemens les plus rifi-
» bles , & que fi j'avois porté lunette , je
» me ferois infailliblement trouvé dans le
» cas où fe vit un de mes Compatriotes ,
» en lifant les Facéties de Frabaftiano ,
On d'ei ne rife tanto ,
Che il nafo fé due parti degli occhiali .
J'ai l'honneur d'être &c.
DUNI.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VI
NOUVELLES
POLITIQUES..
I
De WARSOVIE , le 19 Juin 1761 ..
Vicomte de Stormont , Envoyé de la Courde
Londres auprès du Roi & de la République ,
prit, avant-hier la route. d'Aufbourg , où il doitremplit
dans le Congrès les fonctions de fecond
Miniftre Plénipotentiaire de Sa Majesté Britanique,
Les Comtes de Flemming & de Rex , premier &
fecond Plénipotentiaires du Roi au même Congrès,
Qnt ordre de s'y rendre inceffamment .
On a reçu avis qu'à l'approche de l'Armée.
Ruffe,le Genéral Werner avoit abandonné Collin ,,
& qu'il s'étoit retiré dans le Camp fortifié de Colberg.
Cependant fes poftes avancés s'étendent
encore jufqu'à Belgart . Les troupes commandées ;
par le Comte de Tottleben ſe font avancées entre
Crange & Polnow .
De VIENNE , le 2-Juillet.
Le Maréchal Comte de Daun a mandé à Leurs
M. jeftés Impériales , que le 16 du mois dernier ,,
Jes Pruiens ont attaqué un Pofte , mais qu'ils ont:
été repoullés .
L'Empereur a nommé le Comte de Pergen fon,
Plénipotentiaire au futur Congrès. Le Miniftre ,
qui y fera chargé des intérêts de l'Impératrice.
AÒUST. 1761 . 180
Reine , fe difpofe à partir pour Aufbourg , ainfi que
d'autres Miniftres étrangers , qui doivent auſſi traș.
vailler à l'important ouvrage de la paix , & qui
font actuellement en cette Cour
On a reçu de Siléfie
les nouvelles
fuivantes
. Le
18 nous
enlevâmes
quelques
Huffards
ennemis.Le
même
jour , on apprit
que le Roi de Prufſe
avoit
fait paffler
un renfort
de trois Régimens
au Géné
ral Goltz
. Le fieur de Knefowitsch
, Colonel
Commandant
du Régiment
de Huffards
de Carlstadt
,
marcha
le 19 , par ordre
du Général
Laudon
avec
deux
cens hommes
de ce Régiment
, pareil
nombre
de celui
de Nadafti
, & quatre
cens Chevauxlégers
de Saint
- Ignon
, pour
attaquer
fix cens
Cavaliers
Pruffiens
, qui étoient
à Hart -Mansdorff
.
Le 20 à quatre
heures
du matin
, notre
détache
ment fe trouva en vue de ce Poſte. Les ennemis (e
défendirent avec beaucoup d'opiniâtreté , mais
enfin ils furent mis en déroute . On leur prit deux:
Lieutenans , cent quatre-vingt- huit Soldats & centquarante
huit Chevaux ,
Pendant que le fieur de Knefowitsch exécutoitfon
attaque , le Général de Laudon avoit fait
avancer vers Schmideberg entre Einfidel & Landshut
deux cens Cavaliers du Régiment de Rodolphe
Palfy & trois cens Croates . Le Colonel Petzinger
, qui étoit à la tête de ce fecond détache-.
ment , fit auffi prifonniers un Capitaine , un Lieutenant
& cinquante & un Soldats des troupes,
battues par le fieur Knefowitsch.
De HAMBOURG , le 4 Juillet .
On commence à fe flatter que la Députation :
envoyée par notre Sénat à Versailles , pour y folliciter
le rétabliffement des priviléges dont notre
commerce jouilloit en France , obtiendra fa des
mande..
182 MERCURE DE FRANCE.
Le Baron de Lantingshaufen , s'étant démis du
Commandement des troupes Suédoiſes , fera remplacé
par le Lieutenant Feld-Maréchal Ehrenschwerd
. Ces troupes n'attendent , pour le mettre
en mouvement que l'arrivée de leur nouveau Gênéral
. Elles font actuellement fous les Ordres du
Général- Major Lubeker.
Il
Suivant les nouvelles reçues de la Pomeranie audela
de l'Oder , le Feld - Maréchal Butturlin arriva
le 13 à Potnan avec l'Etat Major de l'Armée Ruffe .
y trouva la divifion du Knès Gallitzin , qui avoit
déjà patié la Warta . La divifion du Général Fermer
s'étoit rendue quelques jours auparavant dans les
environs de Sirakow . A la date de ces nouvelles ,
le Knès Dolgoroucky & le Comte de Czernichew ,
avec les Corps qu'ils commandent, étoient campés ,
le premier à Ulcie , le fecond à Wroncky. Les
troupes légères de cette Armée pouffent des détachemens
jufqu'à Frauftadt & à Liffa .
1
On mande de Stokholm , qu'on y a vû , dins
toute fon étendue , le Paffage de Vénus fous le
difque du Soleil . Ce phénomène a été observé , en
préfence de la Reine & du Prince Royal de Suéde ,
par les fieurs Wargentin , Klingentierna & Wilke.
Comme le Soleil , au moment de l'entrée de Vénus
étoit fort voifin de l'horiſon , on n'a pû s'afſurer du
premier contact avec la derniere exactitude . On a
cependant jugé qu'il s'eft fait à trois heures ,
vingt- &-une minutes , trente-fept fecondes. Les
Obfervateurs ont unanimement déterminé à trois
heures , trente - neuf minutes , vingt- trois fecondes
l'inftant de l'entrée totale. Suivant le fieur Wargentin
, qui fe fervoit d'une lunette de vingt pieds ,
le contact intérieur eft arrivé à neuf heures
trente minutes , huit fecondes. Le fieur KlingensAOUST.
1761 . 183
tierna , qui obfervoit avec une lunette de dix pieds ,
conftruite felon les principes du lieur Dollond , l'a
vû trois fecondes plus tard . La fortie totale a été
vue par le fieur Wilke avec un télescope Newtonien
de deux pieds , à neuf heures , quarante-fept
minutes , cinquante neuf fecondes ; par le fieur
Klingenfierna , à neuf heures , quarante- huit minutes
, fix à huit fecondes ; par le fieur Wargentin ,
à neuf heures , quarante- huit minutes , neuf fecondes
.
De DRESDE , le 2 Juillet.
Un Courier de Warfovie a rapporté que le Duc
de Courlande étoit prefque rétabli , mais que le
Prince Clément étoit retombé malade.
De RATISBONNE , le 28 Juin .
Le Baron de Plotho , qui doit affifter au prochain
Congrés , en qualité de premier Plénipotentiaire
du Roi de Prule , n'attend que l'arrivée du fieur
Hafeler en cette Ville , pour prendre la route
d'Aufbourg.
De NUREMBERG , le 5 Juillet .
Une partie de la Thuringe eft occupée par le
Corps des troupes Françoifes & Saxones que
commande le Comte de Luface. Ce Prince fit
entrer le 15 du mois dernier , un détachement
dans Eifenach . Le 21 , il alla reconnoître les environs
de Mulhaufen & de Langenfaltza .
Suivant le rapport des Déferteurs Pruffiens ,
je
Commandant de Léipfick a demandé aux Bourgs
& Villages yoifins le reftant des contributions qui
leur ont été impofées. Les habitans qui n'ont
184 MERCURE DE FRANCE.
pas encore acquitté la taxe mife fur les fenêtres
font exécutés militairement.
Le bruit fe répand que vingt- cinq mille Ruffes,
ont pénétré dans la Silésie , entre Brieg & Troppau.
L'Armée de l'Empire continue de s'avancer vers:
Drefde. Elle dirige la marche par Freyberg. Ses .
mouvemens font rallentis par la difficulté des
fubfiftances , les ennemis ayant enlevé ou détruit
celles qui fe trouvoient dans la Thuringe & dans .
le Voigtland. Le Général Navendorffs'eft porté à
Romebourg avec le Corps qu'il commande.
Les nouvelles de Léipfick portent que les Pruf
fiens у conftruifent divers Ouvrages extérieurs.
Le Prince Henri a fait tranſporter une partie de
fes magasins à Wittemberg, Il a détaché le Colo-.
nel Colignon vers Quedlinbourg avec trois cens:
hommes & de l'Artillerie..
De MADRID , le 23 Juin.
On apprend de Lisbonne qu'il n'y a plus aucun
Jéfuite dans les Colonies Portugaifes . Cent qua
rante Prêtres ou Freres Coadjuteurs de, cette So--
ciété qui étoient reftés tant au Bréfil qu'à Goa ,
ayant été embarqués pour être tranfportés en Europe
, feize font morts du Scorbut pendant la
Navigation. La plupart des autres font arrivés en
Portugal , attaqués de la même maladie. Dès qu'iis
feront guéris , on les fera paffer à Civitavecchia.
On a appris depuis , que cinquante- neuf de ces
mêmes Jéfuites font déjà partis fur un Navire Da
mois pour l'Italie ,
De ROME , le 23 Juin
Par ordre de Sa Sainteté , on a commencé des 2.
AOUST. 1761 . 185
prières publiques dans toutes les Eglifes de cette
Ville , pour demander à Dieu la cellation des
pluyes.
"
Regnier Delci , Cardinal Evêque d'Oftie & de
Veletri , Abbé de l'Abbaye de Sainte Sabine , Préfident
de la Congrégation de l'Immunité ,& Doyen
du Sacré College , mourut hier en cette Ville
généralement regretté. Il étoit Nonce à Paris ,
lorfque dans le mois de Décembre 1737 , le Pape
Clément XII. l'honorà de la Pourpre. Ce Cardinal
étoit né à Sienne le 7 Mars 1670. Le Cardinal
Spinelli eft actuellement Doyen du facré Collége..
De LIVOURNE , le 7 Juillet,
Par un Vaiffeau arrivé de l'Archipel , on eft
informé que la Macédoine , depuis deux ans af
fligée tantôt de la pefte & tantôt par d'affreux
tremblemens de terre , fouffre maintenant tou
tes les horreurs de la plus cruelle famine,.
De GENES , le 24 Juin.
Le 15 , le fieur de Neuilly , ci -devant Envoyé
Extraordinaire & Miniftre Plénipotentiaire du Roi
de France auprès de la République , partit pour
retourner en France .
Les Lettres de la Baftie marquent que les Cor
fes rebelles vont mettre en mer deux Galioees
, conftruites l'une à San-Fiorenzo , & l'autre
à Paludella. Chacun de leurs Chefs de familles .
s'eft engagé à contribuer de la trentième partie
de les biens pour mettre Paoli en état de foutenir
la guerre. Ils ont fait pendre cinq perfonnes qu'ils.
Loupçonnoient d'avoir des intelligences avec less
Commiffaires du Sénat,
186 MERCURE DE FRANCE.
De LONDRES , le 4 Juillet.
Le départ de la Flotte deftinée à la feconde.
expédition eſt ſuipendu ; & les Troupes qui devoient
s'embarquer pour l'Allemagne , ont reçu
contre-ordre. Le Peuple continue de fupporter
fort impatieminent la nouvelle taxe mife fur la
bierre . S'étant affemblé ces jours derniers dans
divers quartier s il pilla les caves de quelques
Braileurs & Cabaretiers. On brûla l'éf
figie de la perfonne que l'on fuppofe avoir fuggéré
au Parlement l'idée de cette impofition , &
la Garde de la Tour eut peine à diffiper les mutins
. Cette fermentation n'eft pas bornée à la Capitale
; il y a eu de femblables émeutes en différentes
Villes.
Des lettres dernierement arrivées de la nou
velle Yorck annoncent le départ d'une Elcadre
chargée de quatre mille hommes de débarque
ment. On prétend que ces Troupes vont prendre
poffeffion des Iles neutres. Suivant les mêmes
avis , les Chiroquois commettent toujours beaucoup
d'hoftilités .
Un Aftronome , établi à Saint Neots , dans le
Huntingdonshire , prétend avoir reconnu le Satellite
de Vénus, en obfervant le paffage de cette
planette fur le difque du Soleil . Selon ce favant ,
l'émerfion de Vénus fe fit à huit heures , trente &
une minutes , & le Satellite ne fortit du difque
qu'à neuf heures , neuf minutes , temps moyen.
Le 9 du mois dernier , on fentit à Shaftesbury
& à Sherborn une fecouffe de tremblement de
terie.
De la HAYE , le 3 Juillet.
Le Général Yorck , Envoyé Extraordinaire du
AOUST. 1761 . 187
Roi de la Grande- Bretagne auprès de cette République
, revint de Londres le 20 du mois der-,
nier. Ce Miniftre a conféré le 27 avec le Préfi-,
dent de l'Allemblée des Etats - Généraux . On dit
que fon départ pour Ausbourg fera précédé d'un
nouveau voyage en Angleterre. Le fieur de Kauderbach
, Miniftre du Roi de Pologne , Electeur
de Saxe , près de Leurs Hautes Puillances , & un
des Miniftres Plénipotentiaires de ce Prince au
prochain Congrès , eft fur fon départ , pour s'y
rendre.
FRANCE.
Nouvelle de la Cour , de l'Armée , de
Paris , &c.
De VERSAILLES , le 16 Juillet 1761 .
LERci a nommé le Chevalier de Sainte -Croix
Maréchal de Camp . Cet Officier a été reçu à la
Cour avec toutes les marques d'eftime dues à la
valeur & à l'habileté , avec lefquelles il a défendu
Belle-Ifle .
f
Le 4 de ce mois , Leurs Majeftés & la Famille
Royale fignerent le Contrat de mariage du Mar
quis de Boille & de Demoiſelle de Balompiere.
On a reçu avis que Madame Adelaide & Ma
dame Victoire étoient arrivées à Plombieres .
Le 14 , le Roi tint le Sceau .
Le même jour , l'Abbé de Saint Hubert fur
préfenté à Sa Majesté par le Duc de Choifeul ,
Miniftre & Secrétaire d'Etat , avant le départe
ment des Affaires Etrangeres & de la guerre .
Sa Majefté a élevé au grade de Lieutenant - Gé;
188 MERCURE DE FRANCE.
néral des Armées Navales , le Comte d'Aché ,
Chef d'Efcadre.
Elle a accordé au Comte Dubois de la Mothe
Lieutenant-Général des Armées Navales , Grand-
Croix , furnuméraire de l'Ordre Royal & Mili
taire de S. Louis , une dignité effective de Grand-
Croix de cet Ordre , avec la penſion de fix mille
livres.
Il a été expédié au Chevalier de Perfan , ci -devant
Mestre de Camp Lieutenant du Régiment:
Colonel - Général Cavalerie , des lettres de fervicé
pour l'Armée du Bas-Rhin , en qualité de Mef
tre de Camp. Sa Majesté lui a donné le Commandement
en fecond du Régiment de Cavalezie
de Vogué.
L'Evêque de Senlis a préfenté au Roi , à la Rei-.
ne , & à la Famille Royale , l'Oraiſon Funébre de
La Reine d'Espagne.
Le fieur Buy de Mornas a préſenté auffi à Leurs
Majeftés , ainfi qu'à la Famille Royale la premiere
partie de l'Atlas Méthodique élémentaire de Géographie
& dHiftoire .
De l'Abbaye de HARDEN-HAUSEN , le
29 Juin.
L'Armée du Roi , commandée par le Maréchal
Duc de Broglie , s'eft rendue hier à Brune. Après
une marche de plus de fix lieues , le Vicomte de
Belfance avoit été envoyé le matin fur Warburg
avec fon avant-garde , les ennemis ont détendu
leur Camp à fon approche , ont demeuré fous
les armes toute la journée , & fur le foir ont canonné
affez vivement les Troupes qui avoient
au ordre d'entrer dans les Villages de Wormel &
Jormetté , pour fuivre l'ennemi s'il fe retiroit , ou ,
l'attaquer le lendemain matin , s'il demeuroit
dans fon Camp..
AOUST. 1761. 189
Aujourd'hui , l'Armée s'eft miſe en marche à
cinq heures du matin. Comme le Maréchal de
Broglie alloit monter à cheval , le Vicomte de
Belfunce lui a envoyé dire que les ennemis étoient
partis , & qu'il fe mettoit à leur fuite.
Le Maréchal de Broglie a fait paffer la Dymel
à fon Armée & l'a fait camper à Scherffede. Il
' s'eft avancé enfuite jufqu'à Kleinberg , où il a
trouvé le Vicomte de Belfance , qui venoit d'attaquer
l'arriere- garde des ennemis , & qui avoit
fait deux cens prifonniers , & pris douze piéces
de canon de parc , ou obufiers , prefque tous de
gros calibre. Les ennemis furent fuivis jufqu'au
pied du Village de Willebadem. Tout le Corps
du Général Sporken s'y étoit mis en bataille. On
a appris des deferteurs, qu'il étoit compolé de dix-
´´huit Régimens , dont treize d'Infanterie & cinq
de Cavalerie , fans compter les chaffeurs & les
troupes légères ; ce qui faifoit quatorze à quinze
mille hommes , non- compris le Corps de Luck
ner , qui a repaffé le Wefer , & eft de quatre ou
cinq mille. Sans la fatigue des Troupes & l'exceffive
chaleur qu'il faifoit , on auroit profité davantage
du défordre dans lequel le Corps du
Général Sporcken a été mis par cette attaque.
Sur la fin de la journée , le Maréchal de Broglie
a reçu une lettre du Comte de Chabo , qui
lui mandoit qu'il avoit faivi l'arriere-garde du
Corps de Luckner jufqu'à Beverunge , où il avoit
trouvé les équipages de ce Corps , qui n'avoient
point encore paffé le Wefer. Ils ont tous été pillés
; on a tué ou pris beaucoup de chevaux , & fait
quelques prifonniers. Un autre détachement du
Comte de Chabo , s'eſt auſſi emparé du Château
de Dringelbrock , & a pris trois piéces de canon
dans le vieux Camp.
190 MERCURE DE FRANCE.
Du Camp d'UNNA , le 2 Juillet.
Le 27 du mois dernier , un détachement aux
ordres du Marquis de Voyer marcha pour favorifer
une reconnoidance fur Soeft , & pour couvrir
un fourage que l'avant - garde , commandée par
le Prince de Condé devet faire du côté deVerle.
Ces deux objets ont été parfaitement remplis.
L'un & l'autre exigeoient qu'on s'emparât de
Verle , ou du moins qu'on mafquât ce pofte , qui
étoit défendu par de l'Infanterie Angloife , & par
une partie des Troupes légères des Alliés . Après
qu'on eut repoullé fur Soeft les Troupes légères ,
deux colonnes d'Infanterie & la Cavalerie de notre
détachement ayant dépaflé Verle , le Marquis
de Voyer crut que trois cens hommes d'Infanterie
Angloife , qui y étoient reftés , n'entreprendroient
pas de s'y maintenir .
En conféquence , il ordonna les difpofitions néceflaires
pour attaquer la Ville où on entra effectivement
; mais les Anglois s'étant renfermés dans
le Château , le Marquis de Voyer fe contenta de
les faire fommer , ne jugeant pas à propos de les
y attaquer , vû l'inutilité de l'objet , & l'inutilité
encore plus grande d'engager un combat inégal
, fi l'ennemi, comme il le pouvoit , s'étoit
avancé en force , pour les fecourir.
Nous n'avons eu que deux hommes tués & quatorze
bleflés . A l'activité avec laquelle notre Artillerie
a été fervie , on juge que la perte des ennemis
doit avoir été plus confidérable.
Les Comtes de Melfort & d'Apchon , Maréchaux
de Camp , ont fecondé parfaitement les vues
du Marquis de Voyer.
L'Armée du Prince Ferdinand, qui s'étoit avanceé
au - dela de Verle , s'eft repliée cette nuit fur
Ham. Le Maréchal Prince de Soubile a fait un
AOUST. 1761 .
détachement confidérable , pour fuivre les ennemis
dans leur retraite .
On apprit alors que l'Armée du Maréchal de
Broglie étoit arrivée à Paderborn.
1
De l'Armée aux ordres du Maréchal Prince de Sou
bife , le 8 Juillet 1761 .
Les ennemis , après avoir fait plufieurs reconnoillances
& démonftrations qui paroiloient annoncer
un projet d'attaque , prirent le parti de
décamper la nuit du premier au ſecond de ce
mois Vers les quatre heures du matin , on vit
diftinctement leur armée en marche fur quatre
colonnes . Le brouillard épais , qui s'étoit élevé ,
ne permit pas de fuivre leur direction . Autli-tôt
que le Maréchal de Soubite en fut éclairci , il fit
marcher , aux ordres du Comte d'Apchon , Maréchal
de Camp , un détachement qui côtoya les
colonnes de l'ennemi le long du ruilleau de Sileck
lequel coule de Mainen à Luynen. Les ennemis
avoient quelques troupes dans les maitons endeça
du ruiffeau ; il les fit attaquer , les challa
avec perte de leur part , & leur fit des prifonniers.
Les Volontaires fe porterent au- dela du pont ,
que les ennemis avoient rompu en fe retirant ,
mais ils efiuyerent une décharge à bout portant ,
dont le fieur de Pedemont a été tué ; le fieur de
Clamoufle , bleflé & pris ; & le fieur de Poncet ,
du Régiment de la Couronne , failant les fonctions
de Major , tué. Le malheur de ces Officiers
eft d'autant plus grand , qu'il n'y a pas eu vingt
foldats tués ou bledés.
Le 3 , le Maréchal de Soubife fir marcher l'armée
; elle le mit en mouvement (ur les quatre
heures du foir , & vint camper a Hemerden , où
elle arriva avant la nuit. Le lendemain matin ,
192 MERCURE DE FRANCE.
pendant qu'elle continuoit fa marche fur Werle
le Marquis de Vogué , Lieutenant - Général , qui
commandoit l'arriere-gai de , fut attaqué de trèsbonne
heure par les troupes légères , & fucceff
vement par l'avant- garde de l'armée ennemie.
Il donna le temps à toutes les colonnes de déf
ler ; mais , comme il étoit ferré de près , le Maréchal
, en arrivant dans le voifinage du Moulin
-de Schaffaufen , fit arrêter l'armée , & commença
fa difpofition le long du Landwerd , qui barre la
plaine depuis le bois de Schaffaufen jufqu'au
Village de Buderick à une demie lieue de Verle.
En attendant , les brigades des Gardes , de Vaubecourt
, & de Briqueville , foutinrent l'arrièregarde.
Y ayant à craindre que les ennemis , qui
avoient beaucoup de canons , ne ſe rendiffent les
maîtres de la crête des hauteurs qu'ils cherchoient
-à gagner ; les brigades de Briqueville & de Vaubecourt
y marchérent , pour les prévenir. Le Marquis
de Vaubecourt trouva les ennemis au moulin
& au Château de Schaffaufen, où ils commençoient
-à fe retrancher ; il les fit attaquer par les bataillons
des Grenadiers & Chaffeurs des Régimens de Tourraine
, Gardes- Lorraine , Vaubecourt , Bretagne ,
Briqueville & Enghien . Malgré le canon à cartou
ches & les coups de fufil tirés avec avantage , tout
fut emporté , & l'on chaffa les ennemis jufqu'à la
plaine. On amena une trentaine de prifonniers ,
du nombre defquels étoit le fieur Bauer , Major ,
& Adjudant du Prince Ferdinand.Nous avons perdu
à cette attaque le fieur de Blanville, Lieutenant-
Colonel du Régiment de Bretagne , qui eft fort regretté
, & une trentaine de foldats tant tués que
bleifés. La brigade des Gardes a foutenu le canon
avec toute la fermeté qu'on peut defirer. Tandis
que cette petite action le palloit à notre gauche
l'armée fe mettoit en bataille derriere le Landwerd
AOUST. 1761. 156
Werd, I'lnfanterie en premiere ligne , la Cavaleris
derriere notre droite , & la Maifon du Roi en réferve
au centre de la Cavalerie .
Les , vers les huit heures du matin , l'armée
des ennemis parut en pleine marche , pour venir
nous attaquer: leurs colonnes fe diviferent de droite
& de gauche , & elles entrerent dans les bois de
notre gauche & du centre par différens débouchés.
Notre artillerie tira , & fuivant le rapport des déferteurs,
fit beaucoup d'effet. Sur le midi, les ennemis
femblerent s'arrêter & changer leurs difpo
fitions ; ils firent des marches & des contre - marches
, & finirent par reprendre le même camp à
Hemerden. Dans la matinée du 6 , le Maréchal
de Soubife fit ouvrir des marches du côté de Soeft ,
& détermina le départ de l'armée au coup de retraite.
Au moment qu'elle alloit commencer à s'ébranler
, le Maréchal de Broglie arriva de fa perfonne
au camp. L'armée fe mit en marche à neuf
heures , & elle arriva fur les hauteurs de Rhumen
à la pointe du jour. Dès qu'on a pû diftinguer les
objets , on a découvert l'armée des ennemis , marchant
fur deux colonnes , dont la tête dépaffoit
Werle, & qui paroiffoit fe diriger vers Soeft. Pour
empêcher que les ennemis ne prévinffent à Soeft
l'armée du Roi , le Maréchal de Soubife fit continuer
la marche , & l'armée eft venue camper fur
hauteurs de cette Ville. Les ennemis camperent
de leur côté , la droite près de Werle , & la gauche
dans la direction de leur marche , mais pa
roiffant fe rapprocher de Hame .
Les avant-gardes de l'armée du Maréchal de
Broglie étant arrivées tant à Soeft qu'aux environs,
la jonction des deux armées fe trouve faite.
De PARIS , le 11 Juillet.
Madame Sophie & Madame Louiſe vinrent à
I
194 MERCURE DE FRANCE.
Paris , le 6 de ce mois , pour la premiere fais. Ces
Princeffes , étant arrivées vers midi & demi à l'E¬
glife Métropolitaine , furent reçues à la porte par
l'Archevêque , qui étoit à la tête du Chapitre , &
qui leur préfenta l'eau benite . Après avoir entenda
la Meffe à la Chapelle de la Vierge , elles allerent
faire leur priére à l'Eglife de Ste Geneviève . Elles
fe rendirent enfuite au Château de la Meute , où
elles dînèrent. L'après-midi, elles revinrent fe promener
fur le Boulevard , & le foir , elles retour
nerent à Versailles.
CATAFAL QUE.
On célébra le 9 de ce mois , dans l'Eglife Métropolitaine
de cette Ville , le Service folemnel
que le Roi avoit ordonné pour le repos de l'âme
de Marie- Amélie de Saxe , Reine d'Efpagne.
Le portail de l'Eglife étoit tendu de noir jufqu'au
cordon. Trois lez de velours , chargés de Fleurs de
Lys , de tours , de Grenades & de Larmes , & trois
grands Cartels , chargés des Armes & des Chiffres
de la Reine , ornoient cette tenture .
La Nef, pareillement tendue de noir , étoit décorée
d'Armoiries & de Chiffres dans toute fa lon-
On entroit dans le Choeur par une porte
gueur.
d'Ordonnance Dorique , compofée de quatre colonnes
ifolées fur un grand Socle. L'entablement
étoit couronné d'un Fronton, dont le timpan étoit
occupé par un Cartel en or , orné de Cyprès , au
milieu defquels on lifoit ce Vers d'Horace , Livre
1. Ode 24. MULTIS ILLA QUIDEM FLEBILIS
OCCIDIT . Elle meurt digne des regrets de plufieurs
Nations. L'Acrotere au - dellus du Fronton portoit
un grand Cartel aux Armes d'Espagne , foutenu
par deux Lions , & groupé à des branches de palmiers.
Une Ordonnance Ionique , compofée , dans le
AOUST. 1761 . 195
pourtour, de quinze arcades & de vingt-deux pilaftres
placés fur un grand foubatlement , & couronnés
d'un Attique , formoient la décoration intérieure
du Choeur.Le foubaffement étoit décoré d'un
lez de velours , qui étoit à la hauteur du plafond
des Stalles , & qui portoit par des tréfles un filet
de lumiere . Dans la frife de l'entablement étoit un
autre lez de velours , dont les lumieres , pareillement
en filet , étoient fur la Corniche. Un troifiéme
lez régnoit au - deflus de l'Attique , & étas?
également garni d'un filet de lumiere produit pa
des Fleurs de Lys en or . Les pilaftres étoient en
marbre vert campan , & les chapiteaux en or , de
même que les bafes , fur le devant defquelles é
toient des gaînes d'albatre portant des lumieres en
girandoles. La clef de chaque arcade étoit décorée
d'un Cartel de marbre blanc furmonté de lumieres
, & chaque Cartel contenoit une Tête de Mort
aîlée en or , coëffée d'un voile lacrimatoire en argent.
La Douceur , la Force , la Tempérance , la Piété
, la Prudence & la Charité , veitus caractériſtiques
de la Reine , étoient repréſentées en médaillons
de lapis lazuli. Les quatre premiers ornoient
Fentablement aux deux côtés de l'Autel :.
les deux autres étoient placés fur le même entablement
aux deux angles du Jubé.
Le Catafalque étoit à l'entrée du Choeur fur une
eftrade , dont le plan étoit un quarré long. On y
montoit de chaque côté par fix marches . Les angles
de cette eftrade fervoient de bafes à des Socles
, d'où s'élevoient huit colonnes groupées à
des corps folides. Ils fupportoient enfemble nn
entablement auffi riche que pouvoit le permettre
l'Ordre Ionique dont le Catafalque étoit compofé.
Une Figure de marbre en ronde boffe , repré-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
fentant l'Espagne en pleurs , tenant un fceptre ,
allile fur des drapeaux , appuyée fur une cuiraffe ,
& fur le cafque royal, & accompagnée d'un lion
à demi couché , étoit placée ſur l'eftrade en face
de la porte.
>
Du côté , qui regardoit l'Autel , étoit une autre
figure de femme , auffi en marbre & de femblable
grandeur. Elle étoit vêtue & coeffée à la maniere
des Indiens & elle s'appuyoit fur deux
boucliers , chargés des divers . fymboles qui caractérisent
les Indes Orientales & Occidentales.
Le Lion d'Eſpagne marchoit fur ces boucliers ,
pour indiquer les Provinces que Sa Majeſté Catholique
pofféde dans ces vaftes pays.
Sur l'eftrade , dans le milieu du Catafalque , on
découvroit un Socle , quarré long , en porphire
vert , dont chaque face préfentoit un Cartel renfermant
les Armes & la Couronne de la Reine attachées
par des guirlandes de Cyprès. Ce Socle .
avoit des avant-corps , où pofoient les griffes de
Lyons qui fervoient de fupport au Cenotaphe.
Tout le Catafalque étoit couronné d'un riche
Pavillon furmonté de huit aigrettes & plufieurs autres
ornemens.
L'art avec lequel les lumières étoient diftribuées
dans toutes les parties de cette décoration ;
l'éclat des dorures & des bronzes ; la variété des
couleurs des marbres alliées avec choix & avec
harmonie , formoient un enſemble également
majestueux & bien entendu.
9
Le Roi avoit nommé pour Princeſſes du deuil ,
Madame la Dauphine , Madame Sophie & Mame
Louife , & pour conduire ces Princeſſes , Monfeigneur
le Dauphin , le Duc de Chartres & le
Comte de la Marche. Ces Princes & Princeſſes s'étoient
rendus à l'Archevêché , où le Marquis de
Dreux , Grand-Maître , & le feur Defgranges ,
'
AOUST. 1761. 197
:
Maître des Cérémonies , allerent les prendre.
Madame la Dauphine , & Mefdames , menées
par Mgr le Dauphin , par le Duc de Chartres &
par le Comte de la Marche , entrerent par la
grande porte du Choeur . Ils furent placés dans
les Stalles hautes , Madame la Dauphine & Mefdames
, du côté de l'Epître ; Mgr le Dauphin &
les Princes , du côté de l'Evangile.
>
Lorfque les féances furent prifes , l'Archevêque
de Paris célébra pontificalement la Melle. A l'Offertoire
, & après les faluts ordinaires faits par les Hérauts
d'Armes & par les Officiers de Cérémonies
Madame la Dauphine & Mefdames allerent à
l'offrande. Madame la Dauphine , dont la queue
de la Mante étoit portée par les Comte de Mailly,
de Bethune , & de Civerac , fut menée par Mgr
le Dauphin. Madame Sophie fut menée par le
-Duc de Chartres , la queue de la Mante de la
Princefle étant portée par le Marquis de L'hopital
, par le Comte de Vaulgrenant , & par le
Comte de Saulx. Madame Louiſe fut menée par
le Comte de la Marche , & la queue de la Mante
de la Princeffe fut portée par le Marquis d'Aubeterre
, & par les Comtes de Durfort & de Biron.
Après cette Cérémonie , l'Evêque de Senlis
prononça l'Oraiſon Funébre. Il prit pour texre
ces paroles du Livre des Proverbes , Chap . 4. Verfet
18. JUSTORUM AUTEM SEMITA , QUASI
LUX SPLENDENS , PROCEDIT ET CRESCIT
USQUE AD PERFECTAM DIEM . Les traces
lumineufes , dont eft marquée la route des Juftes ,
femblables d'abord à l'Aurore redoublent fans
ceffe leur éclat , jufqu'au grand jour de l'Eternité.
Profitant de tout l'avantage qu'on pouvoit tirer
de ce texte , l'Orateur a montré » que la Reine
» d'Eſpagne , dès fa plus tendre jeuneſſe , a donné
» les efpérances les plus flatteufes , && qquuee ,, fem
9
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
blable à l'Aurore , elle a annoncé les plus
» beaux jours ; que , lorfqu'elle fut parvenue au
comble des grandeurs humaines , une raiſon
>> mure , des fentimens fermes & élevés , une
» égalité conftante dans les moeurs , juftifiérent
»fes progrès, enfin , qu'au milieu des plus grandes
épreuves elle a fait voir cette abondance de
>> vertus cette plénitude de force & de fageffe ,
» qui forment le caractère dictinctif des Héros
» de la Religion . » La premiere partie du Difcours
offrit un tableau dans lequel les heureufes difpofitions
de la Princeffe de Saxe étoient rendues
avec autant de nobleffe que de variété . Dans la
feconde partie , l'Evêque de Senlis fit une vive
peinture de l'exactitude de la Reine d'Espagne à
remplir tous les devoirs qu'impofe le rang (aprême
; de la fermeté d'efprit & de courage de cette
Princeffe ; de fon zéle pour la Religion ; furtout
de fa piété conftante . La troifiéme Partie fut
une expreflion touchante des afflictions que la
Rene d'Elpagne a éprouvées dans les dernieres
années de fa vie . Le Pathétique de cette derniere
Partie termina dignement un Difcours dans
lequel tout a répondu à la grandeur du Sujet.
Le Clergé , le Parlement , la Chambre des
Compres , la Cour des Aides , l'Univerfité , & le
Corps de Ville , ont affifté à ce Service , y ayant
été invités de la part du Roi par le Marquis de
Dreux , Grand- Maître des Cérémonies.
La pompe funebre a été ordonnée par le Duc
de Fleury , Pair de France , premier Gentilhomme
de la Chambre , & a été conduite par le fieur
de Fonpertuis , Intendant des Menus Plaifirs du
Roi, fur les deffeins du fieur Michel -Ange Slodtz ,
Deflinateur Ordinaire de la Chambre & du Cabinet
de Sa Majesté .
AOUST. 1961 . 199
MORTS.
Meffire Emmanuel de Parthenay, connu dans la
République des Lettres par une Traduction Latine
du difcours du célébre Boffuet fur l'Hiftoire Univerfelle
, mourut à Paris , le 233 Juillet, dans la maifon
des Chanoines Réguliers de Sainte- Croix de la
Bretonnerie , âge de 96 ans . Il avoit été Aumônier
de feue Madame la Ducheffe de Berry .
Dame Charlotte-Louife Dubois de Siennes Olivier
de Leuville , époufe du Marquis de Poyanne ,
Lieutenant-Général des Armées de Sa Majeſté ,
Infpecteur général de la Cavalerie & des Dragons,
& Commandant du Corps des Carabiniers , mourut
à Paris le 10 , âgée de trente trois ans.
Dame Marie- Claire Edmée de Mégrigny d'Aunay
, veuve de Meffire Louis le Pelletier de Roſambo
, Préſident du Parlement , eft morte , le même
jour , au Château de Madrid , près Paris , dans la
quarante- troifiéme année de fon âge.
Meffire Charles- Denis-Jacques de Beaupoil de
Saint- Aulaire , Archidiacre & Vicaire Général de
Poitiers , Abbé de l'Abbaye de la Réole , Ordre de
Saint Benoît , Diocèfe de Tarbes , & un des Aumôniers
du Roi , eft mort à Lucienne le 12 , âgé
de trente- neuf ans.
On a appris que le Comte de Cuftine , Colonel
en fecond de la Légi n Royale , a été tué le 29
du mois de Juin , à l'attaque des Troupes commandées
par le Général Sporcken.
EVENEMENS SINGULIERS.
De RUSSIE , le 4 Juillet 1761 .
Il y eut le mois dernier un grand incendie à Péterbourg.
Malgré la promptitude des fecours
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
qu'on a apportés , fept cens maifons & pluſieurs
Eglifes ont été la proie des flâmes.
D'ALLEMAGNE , le 2 Juillet.
Selon les Lettres de Croatie , plufieurs Pâtres
des environs de Ségna s'étant raffemblés au pied
d'une montagne couverte de bois , firent pour fe
chauffer , un grand feu de branches d'arbres . Malheureufement
il foufloit un vent violent . La flâme
gagna quelques chênes voifins ; & l'incendie fe
communiquant de proche en proche , plus de dix
mille arpens furent réduits en cendres. Un grand
nombre de Loups , chaffés de leurs retraites , fe
font répandus dans les campagnes , où ils caufent
beaucoup de ravages . Les mêmes Lettres marquent:
qu'ils s'eft fait dans un rocher une ouvertute de
is pieds de hauteur fur dix de diaméttre , & qu'il
I en eft forti un torrent de matiére bitumineuse &
partie métallique , qui , s'étant durcie à meſure
qu'elle s'éloignoit de la fource , a formé une maſſe
de huit à neuf cens quintaux,
Les nouvelles de Munich portent que , le du
mois de Juin , on y effuya l'orage le plus terrible
pendant plus de trois quarts d'heure : il tomba
une grêle dont plufieurs grains pefoient jufqu'à
vingt- quatre onces. Le bruit qu'elle faifoit fur les
toits, empêchoit d'entendre le fon des cloches, Les
édifices qui ont le plus fouffert , font le Palais Electoral
, l'Hôtel des Erats , l'Eglife 'des Auguftins ,
& le Collége des Jefuites .
Dans une très -grande étendue de Pays , les campagnes
, entiérement ravagées , n'offrent plus
qu'un fpectacle qui fait frémir.
On mande d'Erfurth, qu'il y eut dans cette Ville,
le 6 du même mois , un grand orage accompa--
gné de tonnerre : la foudre tomba dans le Labo-
Jato re du Fort de Petersbourg , & mit le feu à
AOUST. 1761 . 201
de's artifices , à des grenades chargées & à de la
poudre à canon , dont l'explofion fit fauter une
partie du Bâtiment. Au Village de Sommerda ,
près de cette Ville , le tonnèrre réduifir en cendres
dix Maiſons & d'autres Bâtimens..
GRANDE - BRETAGNE.
De LONDRES , le 18 Juillet. ·
Le 25 Juin , il y eut à Portſmouth le plus vio
lent orage de tonnèrre & de pluie qu'on ait encore
vû de mémoire d'homme . L'abondance extraor
dinaire de la pluie avoit fait monter les eaux,
plus de deux pieds perpendiculairement au-deffus
du niveau des boutiques ; de forte que le bas des
maiſons a été enſeveli dans les eaux pendant plu
fieurs heures ; ce qui a été fuivi d'un dommage :
confidérable.
On écrit de Wolfey , près de Wells , que des.
ouvriers qui travailloient à une carrière au come
mencement de ce mois , découvrirent un fquelette
humain d'une grandeur extraordinaire , qui
étoit enterré à trois pieds de profondeur , & dont
une grande partie tomba en pouffière dès qu'il
fut expofé à l'air . Ce qu'il y a de très- fingulier ,
c'eft que l'os de la machoire s'eft confervé entier ,
auffi- bien que les dents qui font très- grandes &
nullement altérées .
Il y a quelques jours qu'une Juive accoucha de
quatre enfans , deux garçons & deux filles , dons :
elle fut délivrée heureufement dans l'efpace de ::
deux heures.
Un Matelot , qui avoit dépenfé le peu d'argentqu'il
avoit gagné , fe préfenta à une auberge à
Greenfwich , & demanda la permiffion d'y paffer .
la nuit. Comme on refufa de le recevoir , ce male.
heureux alla fe pendre de défefpoir.
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
Le7 du mois d'Avril , M. Boolh , habitant d'Anapolis
à Maryland , ayant laiffé pour quelques
jours fon habitation , un Négre , qu'il avoit acheté
T'année précédente , attaqua une Négreffe qu'il
affomma ; il en voulut faire autant à un jeune
Négre qui s'échappa par la fuite. Le Négre alla
enfuite dans l'appartement de fa Maîtrelle qu'il
mallacra auffi , & il coupa la tête avec une hache
à un enfant de M. Booth , qui n'avoit que trois
ans , & qui dormoit dans fon lit. Après cette fanglante
exécution , ce furieux alla fe pendre luimême
à un arbre. On ne lui fuppofe aucun autre
motif pour s'être porté à ces cruautés horribles ,
que le défefpoir de la fervitude.
De FRANCE , le 11 Juillet.
La nommée Bertrande Dupuy eft morte , le 7
du mois dernier , au Village de Tachoires , Diocèſe
d'Auch , dans la cent neuviéme année de fon
âge.
2
Le z de Juillet , quatre Bâtimens , dont un portoit
Pavillon Anglois , ayant paru dans les Vazes à
une lieue de la Côte , entre celles de Beauvoir &
de l'Ifle de Bouin , quelques Compagnies des Bataillons
Gardes - Côtes de Beauvoir & de Bouin y
marchérent fur trois Corps, la bayonette au bout du
fufil, ayant de l'eau jufqu'au genou, & s'emparérent.
du Bâtiment qui portoit Pavillon Anglois , nommé
le Pitt , monté de 10 pierriers chargé à cartouche
, & de 24 hommes d'équipages. Il avoit
été détaché de la flotte ennemie qui eft à Belle-
Ifle fous le commandement d'un Enfeigne & fecond
Maître du Vailleau be Dragon de 70 canons
de la flotte de Belle - Ifle , & il avoit pris trois
chaffe-marées François qu'on a repris fur lui en
cette occafion , fçavoir la Sainte Barbe de l'IleAOUST.
1761. 203
Dieu , chargée de vins de Bordeaux , la Marie
Magdelaine Capitaine le Cadre de Penerf chargée
de brai & de gaudron , l'aimable Angélique de
PenerfCapitaine Perderel, chargé de vins de Bordeaux
.
Les Officiers prifonniers Anglois ont été conduits
aux Sables par les ordres de M. le Comte de
Carcado , Maréchal de Camp , Commandant du
Poitou.
Meffieurs de Ste Géneviéve étant dans la néceffité
de faire quelques réparations dans leur Bibliothéque,
& voulant pour cela profiter de la belle
faifon ; M. Mercier, Blibliothécaire , avertit les Gens
de Lettres que cette Bibliothéque fera fermée depuis
le Samedi 25 Juillet jufqu'après la Touffaint,
& qu'alors elle fera ouverte à ceux qui voudront
y étudier les Lundis , Mercredis & Vendredis après
midi.
SUPPLEMENT à l'Article des Sciences
& Belles- Lettres.
น HISTOIRE NATURELLE.
LETTRE de M. JAUS SIN, Maitre Apo
ticaire à Paris , & ancien Apoticaire
Major des Armées du Roi , à M. de
B.... ancien Commiſſaire des Guerres.
JEE vois avec plaifir , Monfieur , que les
moyens de vous occuper & de vous amufer
utilement au fond de votre Province
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
ne vous manquent jamais. Parmi toutes
les chofes agréables que vous me marquez
dans votre derniere lettre , il y en a
une furtout qui me flatte infiniment, c'eft
le projet que vous faites de venir paffer
ici toute la belle faifon de l'année prochaine.
Alors , ajoutez - vous , ” j'irai aug-
» menter dans les jardins de M. Royer le
» nombre des Amateurs de la Botanique.
C'est une Science , Monfieur , qui vous est
familière comme plufieurs autres , mais
dont vous ne vous parez point par modeftie
. Au refte , M. Royer que vous ferez
charmé de connoître plus particulierement
, eft un homme infatigable pour tâcher
de fe fignaler dans l'art important &
immenfe qu'il exerce . Ses jardins font
meublés & fe meublent continuellement
des plantes les plus rares . D'ailleurs leur
fituation eft dans un quartier fort riant ,
& où l'on refpire un air très falubre. *
Mais le croiriez-vous , Monfieur , non feulement
des Éléves en Chirurgie , en Pharmacie
& c , fréquentent ces jardins , ils
font encore vifités par de jeunes Dames
& des Demoiselles du premier mérite ,
qui viennent y apprendre à connoître
les plantes & à les étudier férieufement.
Elles ne craignent point d'expofer. la
* Grande rue du Fauxbourg S, Martin , à l'Enfeigne
du Jardin des Plantes.
AOUST. 1761 205
délicateffe & la fraîcheur de leur teint
à l'ardeur du Soleil. Vous fçavez , Monfieur
, que ce Sexe enchanteur qui a
tant d'efprit , eft fait pour illuftrer les
Sciences & les beaux Arts qu'il cultive ,
comme pour orner tous les lieux qu'il honore
de fa préfence . Les Dames ont choifi.
le Mercredi & le Samedi , parce que ces ,
jours- là elles ont la libre jouiffance des
jardins aux heures qu'elles veulent ; on
leur diftribue auffi des Catalogues des
plantes. Au furplus , M. Royer cherche
tellement à fe perfectionner dans la Botanique
, que malgré fes pénibles & continuelles
occupations , il eft de la plus
grande exactitude à fuivre à la campagne
toutes les herboriſations & toutes les
leçons de l'illuftre M. de Juffieu. Il n'en
manque aucune , car il fe fait gloire de le
regarder & de le refpecter comme fon
Maître.
Je paffe maintenant , Monfieur , aux
éclairciffemens que vous me demandez
concernant quelques points de l'Hiftoire
Naturelle de la Corfe , où nous avons demeuré
enſemble fort longtems. J'en parle
amplement dans les Mémoires que je
donnai au Public fur ce Pays , il y a près
de trois ans . Vous les lirez à votre aiſe
*
* Deux volumes in-12 , de plus de 500 pages
206 MERCURE DE FRANCE.
l'hyver prochain que M. de Sainville
prendra la peine de vous les remettre de
ma part.
DETAILS abrégés de quelques parties de
l'Hiftoire Naturelle de la Corfe.
Vous n'ignorez pas , Monfieur , que
cette Ifle abonde en bains chauds admirables
& en fontaines minérales froides
& chaudes. Je vais commencer par vous
rappeller le fouvenir des principaux endroits
où on les trouve , & je parlerai
auffi de leurs propriétés . Cela vous démontrera
fi les Eaux minérales que vous
avez découvertes depuis peu dans votre
Terre , font les mêmes quant aux principes
, que celles dont je vais vous entretenir.
Selon ce que vous m'avez fait l'honneur
de m'en écrire , je pense que les
chofes font prefque égales.
1º. Dans la Province de Fiumorbo , il
ya , au lieu qu'on nomme Millacciaio
des bains merveilleux placés au milieu
2 chaque , dédiés à M. le Comte de Maillebois
Chevalier des Ordres du Roi &c. imprimés, en
1758 à Laufane , chez Boufquet , avec une Carte
Géographique de cette Ile auffi belle qu'exacte.
On les trouve ici chez Defaint & Saillant , Libraires.
AOUST. 1761. 207
de vaftes terres , & que la Providence
divine femble avoir niis là exprès pour
le falut commun de tous les habitans de
cette Ile . Les eaux de ces bains font
fulphureufes. Le même endroit a des eaux
d'une nature femblable qui font bonnes.
à boire.
C'eft le témoignage que lui ont rendu
les plus fameux Médecins de ce Pays
furtout , le Docteur Antonio Frediani qui
y fut très- célébre. Voici comment il s'en
explique ; car c'eft d'après lui que je viens
de parler. Loco dicto Millacciaio in Provincia
di Fiumorbo , in arva aperta adfunt
balnea mirabilia à divina Providentia
pofita , pro communi illarum incolarum
falute. Pariterque in eodemfuu funt
aquæ ejufdem natura fulphurea que ad
bibendum inferviunt.
on 2º. A Vico , pardelà les monts ,
trouve des bains de la même Nature, mais
dont néanmoins les eaux ne font pas fi
chaudes que celles décrites ci - deffus . Balnea
fulphurea , fed non tam calida ut fuprà
, dit encore le Docteur Frediani.
3°. On vante beaucoup dans la Piéve
d'Orezza , les eaux minérales de l'endroit
qu'on appelle Stazzona & qui font acidules
; elles contiennent du fer & du vitriol
, fuivant le Médecin Perfetti , qui
208 MERCURE DE FRANCE.
-
étoit auffi un autre Docteur Corfe fort
habile. Hoc loco , dit - il , fluit aqua repleta
minera vitriolacea atque martis.
de's
4°. Dans la Pieve d'Aleffani , il y a
eaux minérales acidules , dont les principes
font les mêmes que ceux contenus
dans les eaux de Stazzona ci- devant ci
tées.
20
5°. On en trouve auffi de pareilles à
Corte , Ville futuée au centre de l'Ifle . Mais
on y voit une merveille qui furprend
beaucoup , c'eft qu'il y coule une petite
riviere dont l'eau a la propriété de blan
chir le fer & de lui donner un éclat brillant
comme celui de l'argent , fans que
cette couleur s'éfface jamais . Ecoutons làdeffus
le Docteur Frediani : fed quod mirandum
eft ! alia aqua in illo loco fluit ,
quefubito ferrum albefcit , coloremque argenzeum
indelebilem illi præbet.Après avoir médité
fur ce phénomène , je ne doutai- point
que cette eau ne contînt quelques parties
mercurielles qui formoient une espéce
d'amalgamation avec le fer ; quoique ce
métail n'en foit pas beaucoup fufceptible .
Cependant je ne la crois pas impoffible; &
il paroît même que le profond Philofophe
& très-fameux Chymifte Becker en a con
nu les moyens. Au refte cette eau est tous
jours fraîche & excellente à boire,
AOUST. 1761 20.0
6. Les eaux d'Erza dans la Province de
Carpe Corfo font d'une plus légère acidité
que celle de Corte. Minera levioris quoad
aciditatem , obferve le Docteur Perfetti ..
7°. Il coule à Merofaglia des eaux
minérales acidules , femblables à celles
d'Aleffani.
8. Enfin , Monfieur , l'on trouve à
Olmetta une eau qui arrête le crachement :
de fang. Elle participe beaucoup du Bol .
Aqua colofe minera repleta , fuivant le
Docteur Frediani . Vous devez vous reffouvenir
qu'en 1740 un Commis de notre
digne ami M. Simonet , qui pendant plusde
25 ans de fervice , foit dans les Hôpitaux
de Sa Majefté , foit dans les entreprifes
les plus difficiles des armées , s'eft
toujours fignalé par fa probité , fon zéle &
fon activité, pour être utile aux troupes de
notre Maître , vous devez , dis je , vous
rappeller que ce Commis fut radicalement
guéri à Ajaccio d'un violent crachement
de fang dont il périffoit à vue d'oeil , par
l'ufage de cette eau .
Au furplus ,toutes les eaux qu'on connoît
fous le nom d'eaux froides , ou aigrettes ,
ne différent des eaux chaudes , que parce
qu'elles contiennent moins de fel fixe &.
alkalin , & de parties terreftres & fulphu--
reuſes.
210 MERCURE DE FRANCE.
Vous voyez , Monfieur , que tous ces
bains , & toutes ces eaux minérales que
renferme la Corfe , font autant de tréfors
précieux que la main toute-puiffante de
DIEU a prodigués aux habitans de cette
fle pour leur foulagement dans de certaines
maladies , comme les vieilles dyffenteries
, la galle &c. fur- tout quand elles
font prifes à propos . Ainfi , Monfieur ,
après ce que je vous mande là , vous déciderez
bientôt fi celles que vous avez
découvertes chez vous ont le même caractère
des eaux minérales de la Corfe ; je ne
vous parlerai point de la maniére de les
analyfer , car fur cet article , comme fur
beaucoup d'autres , vous me donneriez de
bonnes lecons .
Cette Ifle , Monfieur , peut auffi fe vanter
de n'avoir preſqu'aucun
animal venimeux.
Le Scorpion y eft rare , & n'y eft
pas même dangereux. Il y a cependant
une araignée que j'ai examinée avec foin,
dont la morfure eft redoutable. On l'appelle
en langage Corfe , Marmigato
Marmignato
. Elle eft extrêmement
petite
, peinte & variée par une infinité de
couleurs auffi vives que brillantes. On la
trouve communément
dans les champs ,
où elle mord fouvent les moiffonneurs
.
Son venin eft un poifon froid qui caufe
A OUST. 1761 . 211
la mort , fi on n'eft
tement.
pas fecouru
promp-
C'eſt à - peu près de même que l'ont définie
les Médecins du Pays , & furtout le
Docteur Antonio Frédiani , que j'ai déjà
cité pour fon grand favoir. Il vivoit au fiécle
paffé , & on a de lui quelques ouvrages
fort eftimés compofés en Latin , mais
devenus extrêmement rares . * Voici donc
comme il parle de cette Araignée . Nullum
aliud animal venenofun in Corfica
reperitur quam parvula aranea , variis depicta
coloribus , & quanta minor eft in corpore
, eft maxima in potentia fui veneni ,
quia fi in aliqua parte mordet , fubito perfrigerat
totum corpus patientis , & aliquando
mors fequitur.
Quelques Auteurs , Monfieur , ont avancé
fans fondement que la Tarentule étoit
commune en Corfe , ce qui eft abfolument
faux , car on n'y en vit jamais.
George Baglivi , célébre Médecin Italien
qui avoit voyagé dans tout fon Pays
& dans toutes les Ifles qui dépendent de
l'Italie , n'en dit pas un mot dans fa dif
fertation fur la Tarentule,Chapitre ſecond
du Climat , de la température , & de la
19. De variis morbis Corficanorum . 1666.
29. De fitu Corficæ . 1670 .
3º. De Morbo Comitiali . 1671 .
212 MERCURE DE FRANCE.
fituation des Pays où naît laTarentule: Ca
put fecundum de natura &fitus regionum
in quibus nafcitur Tarentula.
Ces Ecrivains-là , ou n'étoient jamais
venus en Corfe , ou avoient été mal informés.
Quoiqu'il en foit , je foupçonne
qu'affurément ils auront confondu avec la
Tarentule , ou plutôt prife pour elle , une
efpéce de lézard fort gros , & commun
dans cette Ifle qu'on nomme Tarenta ,
qui s'introduit fouvent dans les maiſons
qui court même fur les meubles & fur les
lits , mais qui ne fait point de mal aux
hommes. C'est ce que vous fçavez.
Soyez perfuadé , Monfieur , que je ne
manquerai pas de vous adreffer par la voie
du Mercure prochain , la fuite , des autres
obfervations que vous m'avez demandées ,
J'ai l'honneur d'être &c.
A Paris , ce Is Juillet 1761 ..
A VIS.
La Dame veuve du Médecin Bellofte , ſeule dépofitaire
du fecret de fon mari , pour la compofition
des Pilules , fecret qui avoit été tranſmis à
fon mari par le fieur Auguftin Bellofte , fon père ,
Chirurgien de Madame Royale de Savoye , avertit
le Public qu'elle continue toujours de compofer,
vendre & diftribuer les véritables Pilules de Bel
lofte , qu'elle y eft autorisée pour la France par un
Privilége exclufif , que Sa Majeſté a eu la bonté
de lui accorder,& qu'elle y eft autorisée pour d'au
AOUST. 1761 21
tres Cours Etrangères , par des Priviléges de plufeurs
Souverains . Elle a la fatisfaction de voir
que les Pilules de fa compofition s'accréditent de
jour en jour , par les cures qu'elles font . Il faut
cependant bien prendre garde de ne pas s'adreffer
à quantité de gens qui les contrefont , en vendent
de fauffes , & mêmes qui ont ofé le faire annoncer
dans les Papiers publics , fans craindre la
peine qu'ils devoient attendre pour en uſer ainfi.
La Dame veuve de Bellofte , occupée du foin de
pourfuivre tous ces vendeurs de fauffes Pilules de
Bellofte , fait part au Public de ce qui vient d'arriver
a cette occafion .
La Veuve . Brotonne , Marchande de Mufique ,
grande rue Merciere à Lyon , s'eft fait annoncer
dans les Affiches de Lyon du Mercredi 27 Août
1760 , pour diftribuer les véritables Pilules de Bellofte
, en décriant celles que la Dame Bellofte diftribue
elle -même , en vertu du Privilége exclufif
du Roi , qu'elle a feint d'ignorer. La Veuve Bellofte
l'a traduit à la Prevôté de l'Hôtel du Roi ,
& par Sentence contradictoirement rendue entre
les Parties , il a été ordonné que le Privilége de la
Dame Bellofte feroit exécuté felon fa forme & teneur
; en conféquence il a été fait défenſes à la
Veuve Bretonne & à tous autres de s'immifcer en
aucune façon dans la vente , compofition & diftribution
defdites Pilules de Bellofte , & de faire
inférer dans les annonces & papiers publics aucunes
annonces contraires audit Privilége , & il a été
permis à la Dame Bellofte de faire imprimer ,
lire , publier & afficher ladite Sentence partout
où befoin feroit , & de la faire inférer dans les affiches
& papiers publics . La Dile de Caix ,fille aînée
du feu fieur de Caix , avenues de S. Cloud à Verfailles
, qui eft la niéce de la veuve Brotonne , &
qui 15 jours après l'annonce de fa tante dans l'af
214 MERCURE DE FRANCE.
fiche de Lyon , s'eft fait auff annoncer dans la
Gazette d'Hollande du 12 Septembre 1760 , conjointement
avec fa foeur pour diftribuer de pareilles
pilules de Bellofie , a prétendu être fondée
pour le pourvoir par tierce oppofition contre le jugement
de la Prévôté de l'Hôtel du 27 Juin 1761 ,
a l'effet d'en arreter l'exécution ; en contéquence ,
elle a mis tout en ufage pour y parvenir , a préfentée
Requête au Juge & fait afligner la Dame
Bellofte le 10 Juillet 1761 : mais par Sentence du
lendemain Samedi , onze dudit mois la Dlle de
Caix a été déboutée de ſa demande & condamnée
aux dépens.
La Dame Bellofte eſt toujours demeurante Place
& vis-a-vis S. Sulpice , dans le grand batiment
neuf , elle a ſeulement changé d'appartement &
eft préfentement au premier.
Le prix de fes pilules eſt toujours le même 24 l.
la boète d'une once , 12 l. celle d'une demie - once
& 6 l . celle d'un quart d'once. Ses boëtes font de
noyer uni non coloré , munies de fon cachet. Elle
ne reçoit point de Lettres que les ports ne foient
affranchis.
Le feur ONFRO1 , Diſtillateur du Roi , tenant
le grand Caffé de la Place du Pont S. Michel , con
tinue de débiter avec fuccès l'effence de Caffé , de
fa compofition , que nous avons ci - devant`annoncée.
APPROBATION.
J'Ar lu , par ordre de Monſeigneur le Chancelier, ΑΙ
le Mercure d'Août 1761 , & je n'y ai rien trouvé
qui puiffe en empêcher l'impreffion . A Paris , ce
31 Juillet 1761. GUIROY.
AOUST. 1761 .
215 ..
TABLE DES ARTICLES,
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROse.
ARTICLE PREMIER.
L'EMPIRE ' EMPIRE de la Mode fur les François
Difcours en Vers.
L'ÉLÉV de la nouvelle Héloïfe , & c,
>
Page 5
FRAGMENS de Vers à l'occafion d'un Payſan
Canonier & c .
VERS à Madame D*** , qui habite la maiſon
du grand Corneille.
14/
44
45
46
L ***
ibid.
47
VERS , pour mettre au bas du Portrait de
l'Abbé de Chaulieu .
RÉPONSE faite fur le champ à Mlle D * *
LE TRIOMPHE de la Folie.
JUSTIFICATION de l'Amour.
LE JUGE à la mode.
LE ROSSIGNOL & le Tourtereau , Madrigal.
PROJET d'une Brochure en général & c .
EPITRE adreflée à l'Académie Françoiſe, par
M. l'Abbé Aubert .
IMITATION d'une Epitaphe du célèbre Ben-
Johnfon.
ÉPIGRAMME .
A Madame de B *** , qui avoit demandé
un Rondeau .
48
49
50
ibid.
52
54
55
ibid.
$6
58
61
62 &63
64 & 65
67
REFLEXIONS fur les Préjugés relativement
au bonheur , à M. l'Abbé Mayneaud.
EPITRE à Ma lame S...
VERS a Madame de V..... &c.
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
216 MERCURE DE FRANCE.
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRE S.
HISTOIRE des Conjurations , Confpirations
&c. Par M. Deformeaux. Troifiéme Extrait . 69
DISCOURS fur la Nature & les fondemens du
pouvoir politique & c.
ORAISON Funébre de la REINE D'ESPAGNE ,
Prononcée par Meffire Armand de Roquelaure
, Evêque de Senlis .
LETTRE de l'Avocat Charles Goldoni &c .
ANNONCES des Livres nouveaux.
8-2
93
107
119 &fuiv.
Avis fur l'Edition de l'Etat Militaire. 134
135
145
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
GRAMMAIRE.
SUPPLEMENT à l'Article des Piéces Fugitives,
Extrait d'une Lettre de Plombieres.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE.
LETTRE de M. Beaupreau , Maître en Chirurgie
à Paris , à M. De la Place . 153
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE. 160
ART. V. SPECTACLES.
OPERA . 161
COMÉDIE Françoife.
164
COMÉDIE Italienne. 166
ART. VI . Nouvelles Politiques. 180
MORTS.
199
Belles-Lettres .
EVENEMENS finguliers.
SUPPLEMENT à l'Article des Sciences &
Avis divers.
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis-à-vis la Comédie Françoile.
ibid.
203
212
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
SEPTEMBRE . 1761 .
Diverfité , c'eft ma devife . La Fontaine.
Cochin
SheIn
BrillonSculpe
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis - à-vis la Comédie Françoife:
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais
Avec Approbation & Privilége du Roia
A
VERTISSEMENT
.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure, rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi .
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre
, quant à la partie littéraire , à M.
DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols pièce.
Les perfonnes de province auxquelles on
onverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elies les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir, ou qui prendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume,
c'est-à-dire 24 livres d'avance, en s'abonnant
pour 16 volumes .
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci- deſſus,
A ij
On fupplie les perfonnes des provine
d'envoyer par la pofte , en payant le droit
le prix de leur abonnement , ou de don" :
leurs ordres , afin que le payement en je
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent a
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pièces tirées des
'Mercures & autres Journaux , par M.
De la Place , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure . Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
SEPTEMBRE . 1761 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LES PROGRÉS DE LA PHILOSOPHIE ,
OD E.
DIVINE IVINE & fçavante Uranie ,
Toi qui de ce vafte Univers ,
Découvres l'heureuſe harmonie ,
Et montres les refforts divers ;
Nymphe ſecourable & propice ,
A ma Minerve encor Novice ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE
Daignes dévoiler tes appas.
Je trace tes progrès rapides :
Diriges mes pinceaux timides ,
Joins à ma touche tes compas.
Ciel ! dans quelle contrée aride
Suis-je tout-à-coup tranſporté ?
Quelle Divinité perfide ,
Y foule aux pieds la Vérité ?
La Diſcorde pâle , infléxible ,
Conduit cette Gorgone horrible ,
A la lueur de fes flambeaux ;
Et l'infipide Syllogifme ,
Précédé de l'obſcur Sophiſme ,
Déploie & foutient fes drapeaux.
Quel Peuple d'orgueilleux esclaves
Près de ce Monftre raffemblés ,
Glorieux des triples entraves
Dont fon efprit eft accablé ;
Sans franchir la lice poudreufe
Qu'une Logique pointilleufe
Sçut défigner pour les combats ,
Croyant rechercher la Sagelſe ,
S'abandonne dans fon ivrefle
A d'interminables débars ?
Que vois-je !... l'aveugle Ignorance
Le fceptre de l'Erreur en main ,
Sous le mafque de la Science ,
SEPTEMBRE 1761
Reçoit les voeux du genre humain !
A des mots vuides de penſée ,
La Philofophie éclipſée
Céde & fon pouvoir & fon nom !
Des préjugés vains & frivoles ,
Étayés d'opinions folles ,
Bravent la voix de la Raifon.
Sortant de cette léthargie ,
En vain quelque fameux Mortel ,
Ebranle d'une main hardie ,
Le Temple , l'Idole , & l'Autel.
Avant que d'être terraffée ,
Toujours l'Ignorance oppreffée
Trouve la Force à fon fecours .
*
Quiconque eft à fa voix rebelle ,
Modére l'ardeur de fon zéle ,
Ou touche au terme de fes jours.
Lui-même au fein de fa patrie
Descartes ne peut ſe cacher
A la trop aveugle Furie}
Qui le force à s'en arracher.`
Dans des pays froids & fauvages
Il va recueillir les hommages
Que les talens ont mérité ;
Et tandis qu'à l'Erreur en proie ,
* On fçait la manière indigne dont Galilée & plufieurs
autres grands hommes ont été traités pour avoir eu rais
fon contre tout leur fiécle.
A iv
MERCURE DE
FRANCE
Paris en tréffaille de joie ,
Stokolm chérit la vérité.
Mais déjà tout change de face
De l'Erreur l'empire eft détruit ;
Un jour lumineux prend la place
De la plus ténébreuſe nuit .
A travers cette nuit obfcure ,
Defcartes fondant la Nature ,
Commence à déffiller nos yeux.
Bientôt nous allons voir éclore
La falutaire & douce aurore
D'un jour encor plus radieux,
Je le vois ce puiffant Génie
Conduit par la feule Raifon
Abattre l'idole chérie
De l'aveugle Prévention.
Bientôt fon courage intrépide ,
De ce Simulacre ſtupide
Sappant fans ceffe les autels ,
Déchire les voiles funébres
Qui dans les plus fombres ténébres
Enfeveliffoient les Mortels.
Près de la balance du doute ,
L'humble & timide Vérité
Précéde & défigne fa route
Vers fon Sanctuaire écarté.
il le voit , il entre , il s'avance :
SEPTEMBRE. 1761 .
Son efprit s'anime , s'élance ,
Et jette de brillans éclairs.
Dans fon vol quelquefois il tombe
Mais alors même qu'il fuccombe ,
Sa chûte éclaire l'Univers.
L'éclatante & vive lumière
Qui s'éxhale de les écrits ,
Guide & foutient dans leur carrière
Ces vaftes , ces profonds efprits , }
Qui brulans de ſuivre ſa trace
Par une glorieufe audace
Imitent fes heureux travaux :
Sur fes pas la main de la Gloire
Ouvrant le Temple de Mémoire ,
Les met au rang de ſes rivaux.
Ainfi ces rapides Planetes
Qui dans l'immenfité des Cieux
Paroiffent briller fur nos têtes ,
Quand le jour s'éclipfe à nos yeux ;
Empruntant leur éclat débile
Du Soleil , dont la flamme agile
Diffipe leur obfcurité ,
Réfléchiffent fur notre plage
Une utile & légére image
Des feux briliants de fa clarté
Ce cubique amas de matière
D'où fortirent les Elémens ;
Av
10 MERCURE DE FRANCE,
Cette imperceptible pouſſière
Que produifoient leurs frottemens ;
Ces tourbillons qui fans efpace ,
Se cédant tour-à-tour la place ,
Rouloient l'un fur l'autre entaffés
Et par leur commune harmonie
Donnoient à tout l'être & la vie ,
Sont confondus & renversés.
Mais c'eft fur leurs débris fublimes ,
Que ton compas , fçavant Newton ,
Mefurant les fombres abîmes
Qui nous ont confacré ton nom ;
Par une hardieffe extrême
Sçut élever le vrai ſyſtême
Qui nous dévoile l'Univers.
La Nature à ta voix docile
Sous ton calcul fimple & facile
Régle fes mouvemens divers.
Une pefanteur générale
Preffe & balance tous les corps ,
Et vers une force centrale ,
Pouffe & dirige leurs refforts.
Dans les vaftes déferts du vuide ,
Par cet effort vif & rapide ,
Ils font l'un par l'autre entraînés ;
Tandis qu'une loi dominante
Par fa force encor plus puiffante
Au centre les tient enchaînés.
SEPTEMBRE. 1761 . IL
De chaque rayon de lumière
Sortent fept différens faiſceaux ,
Qui , gardant leur couleur premiere ,
Forment fept rayons principaux.
De ces faifceaux inaltérables
Tous ces rayons invariables
Tirent leur force & leur fplendeur ;
Et fur l'objet qui les raffemble ,
Unis & confondus ensemble ,
Donnent naiffance à la blancheur.
Soutenus par l'expérience ,
C'eft ainfi , fublime Newton ,
Que tes yeux percent la diſtance
Qui confondoit notre Raiſon !
Ta profonde Géométrie ,
D'une utile Philofophie
Avance & foutient les progrèss
Et de la Nature étonnée ,
Malgré l'ignorance obſtinée ,
Arrache & fait voir les fecrets.
La Vérité longtemps cachée
Éclaire & conduit les Mortels :
Enfin à ton char attachée ,
Elle reléve fes autels .
Que d'adorateurs pleins de zéle ;
Vers cerre brillante Immortelle ,
Lévent leurs avides regards ;
Et par de fublimes ouvrages
A vi
22 MERCURE DE FRANCE,
Lui rendant de juftes hommages ,
Triomphent fous les étendarts !
Quel pompeux amas de trophées
Entoure fon Trône éclatant !
L'Erreur , l'Ignorance étouffées.
En cimentent le fondement.
A l'exemple de la Phyſique ,
La Morale , la Politique ,
L'augufte & tendre humanité
Parent fon fceptre & la couronne ,
Et fous l'éclat qui l'environne
Trouvent enfin leur fureté .
O vous , à qui cette Déeſſe
Ouvre les plus riches tréſors ;
Vous dont la vertu , la fageffe
Dirigent les nobles efforts ;
Vous qui pleins d'amour pour les hommes ;
Dans le temps funefte où nous fommes
Ofez faire parler les loix ;
Mortels que l'Univers admire ,
Comme vous que ne puis-je inſtruire
Tous les Peuples & tous les Rois !
Mais content de ſuivre Uranie
Dans de moins pénibles projets¿
Je vais lui confacrer ma vie ,
Et m'occuper d'autres objets.
SEPTEMBRE. 1761 . 13
Sous les plus fortunés aufpices ,
Elle me tend des mains propices ,
Et m'ouvre les nouveaux fentiers .
Sur tes pas , augufte Déeffe ,
J'ofe rechercher la Sageffe :
Couronne -moi de tes lauriers .
Par M. BEAUREGARD , Ch . Reg. de Chancella
de , & Profeffeur dans l'Abbaye de Sablonceaux.
IDYLL E.
Ce n'eft pas fans raiſon , que la Gréce nous,
vante
Les charmes de Tempé , Vallon délicieux ,
Que fouvent à l'Olympe ont préféré les Dieux .
Là fous un Ciel ferein la Terre bienfaiſante ,
Ne fait point acheter les tréſors qu'elle enfante ;
Là de fimples Bergers , affranchis des befoins ,
Vivent égaux entre eux fans travail & fans feins,
L'air que l'on y reſpire invite à la tendreſſe ;
11 entretient les fens dans cette douce ivreffe
Qui calme les foucis , diffipe la langueur ,
Et fixe au ſeul plaifir les ſentimens du coeur.
Heureux Pays où quand on aime ,
On eft fûr d'être aimé de même :
Hé , qui ne voudroit pas habiter ce féjour !
Dans ces lieux enchantés,au Temple de l'Amou
14 MERCURE DE FRANCE
Silvanire un matin fe rendit la première :
Quel fut l'étonnement des Bergers d'alentour !
Aux Autels de ce Dieu jamais avant ce jour
On n'avoit vu cette Beauté fi fière .
Un d'eux voulut pénétrer fon fecret ;
Tout Curieux eft in difcret.
Ilfe place auprès d'elle , il entend fa priére ;
Et fur le champ la retint mots pour mots.
On la lit encor toute entiére
Dans les Annales de Paphos.
>> Amour, tout vit fous ton empire ,
>> Tu rends feul les Mortels heureux !
›› En
exauçant
fes tendres voeux ,
>> Fais le bonheur de Silvanire.
5 Quipourroit, qui voudroit fe fouftraire à ta oi !
>>Le jeune Licidas qui foupire pour moi ,
» De la conftance eft le modéle ;
» Avec tranſport chaque jour je reçoi
»De fa difcrétion quelque preuve nouvelle :
» Si tu l'ordonnes je me rends ;
›› Mais d'un coeur tour à toi la gloire t'intéreſſe .
» Permers encor que quelque temps
Je lui laille ignorer l'excès de la tendreſſe
» Qu'en fecret pour lui je reffens .
>>Par les éfforts que je fais pour lui taire ,
Pour lui cacher le feu dont mon coeur eft épris
» Je ne veux qu'augmenter le prix
« De l'aveu qu'un jour j'en dois faire.
SEPTEMBRE. 1761 . 15
Que de plaifirs vous perdez en aimant ,
Belles qui penfez autrement ,
Et qui hâtez votre défaite !
Vous répondrez qu'un tel rafinement
Eft d'une Bergère coquette ?
Vous vous trompez . En tout état ,'
Le véritable amour fut toujours délicat .
Par M. L* A* L* B*.
ALINE ,
CONTE.
J'érois dans cet âge où un Univers nou- ÉTOIS
veau fe déploie à des organes à peine développés
, où de nouveaux rapports nous
lient aux êtres qui nous environnent , ou
des fens plus attentifs & une imagination
plus ardente nous fait trouver de plus vrais
defirs dans de plus douces illufions : j'avois
quinze ans en un mot , & j'étois loin de
mon Gouverneur , fur un grand cheval
Anglois , à la queue de 20 chiens courans
qui chaffoient un vieux Sanglier ; jugez fi
j'étois heureux !
Au bout de quatre heures , les chiens
* Il a couru différentes copies manuſcrites de
ce petit Ouvrage. On nous aflure que celle-ci eft
la plus fidelle ; & c'eſt avec plaifir que nous en
failons part au Public.
Y MERCURE DE FRANCE.
tomberent en défaut , & moi auffi . Je
perdis la chaffe ; & après avoir longtems
couru à toute bride , comme mon cheval
étoit hors d'haleine , je defcendis , nous
nous roulâmes tous les deux fur l'herbe ,
enfuite il fe mit àbrouter & moi à dormir.
Bientôt je déjeunai avec du pain & une
perdrix froide, dans un vallon riant formé
par deux côteaux couronnés d'arbres
verds ; une échappée de vue offroit à mes
yeux un hameau bâti fur la pente d'une
colline éloignée , dont une vafte plaine
couverte d'une riche moiffon & d'agréables
vergers , me féparoit .
L'air étoit pur , le Ciel ferein , la Terre
encore brillante des perles de la rofée ;
& le Soleil, au tiers de fa courſe , ne lançoit
encore que des feux tempérés , qu'un
doux zéphir modéroit par fon haleine.
Où font- ils ces Amateurs de la Nature
qui fcavent fi bien jouir d'un beau temps
& d'un joli payſage ? c'eft pour eux que je
parle , car pour moi j'étois alors moins occupé
de cet objet , que d'une Payfanne en
corfet & en cotillon blanc que je voyois
venir de loin avec un pot au lait fur la tête.
Je la vis avec un fecret plaifir paffer fur
une planche qui fervoit de pont au ruiffeau
& fuivre un fentier qui devoit con- '
duire les pas auprès de l'endroit où j'étois
SEPTEMBRE. 1781. 11
affis. En m'approchant , elle me parut d'une
grande fraîcheur ; & fans rien concevoir
de ce qui fe paffoit au - dedans de moi , je
me levai pour aller à fa rencontre . Chaque
pas que je faifois l'erbéliffoit à mes
yeux ; & bientôt j'eus regret à tous ceux
que j'aurois pu faire pour la voir plutôt.
La Georgie & la Circaffie ne produiſent
que des monftres en comparaifon de ma
petite Laitière ; & jamais une créature
auffi parfaite n'avoit orné l'Univers. Ne
fachant quel compliment lui faire pour
entrer en converfation , je lui demandai
du lait pour me rafraîchir. Je lui fis enfuite
quelques queftions fur fen village ,
fa famille , l'âge qu'elle avois . Elle me
répondit à tout avec une naïveté & une
grace qui rendoient fes paroles dignes
de fortir de fa bouche.
Je fçus qu'elle étoit du hameau voifin
& qu'elle s'appelloit Aline. Ma chère
Aline , lui dis- je , je voudrois bien être
votre frere ce n'étoit pas cela que je
voulois dire ; ) & moi je voudrois bien
être votre foeur , me répondit- elle . Ah !
je vous aime autant que fi vous l'étiez ,
ajoutai je , en l'embraffant . Aline vouloit
fe défendre de mes careffes : dans les
éfforts qu'elle fit , fon pot tomba , & fon
lait coula à grands flots dans le fentier.
18 MERCURE DE FRANCE.
·
Elle fe mit à pleurer ; & fe dégageant
brufquement de mes bras , elle ramafſoit
fon pot , & menaçoit de fe fauver , lorfqu'elle
apperçut fa mère. » Je fuis perdue !
» s'écria- t- elle , en foupirant. Adieu ;
gardez- vous de me fuivre , car elle me
» battroit... Je reſpectois encore ma mère
dans ce temps là : je n'eus point l'efprit
de la défabuſer du refpect qu'elle avoit
pour la fienne. Je lui donnai le peu d'argent
que j'avois fur moi , & un anneau
d'or que je portois à mon doigt , en la
priant avec ardeur de revenir le lendemain
au même lieu ; & je la vis partir
avec douleur. Je remontai à cheval ; &
après avoir fuivi des yeux , auffi loin que
je pus ma chère Aline , je revins au Château
de mon Père , bien fâché de n'être
point un petit Payfan du hameau ďAline.
J'avois bien réfolu de ne plus aller à
la chaffe ailleurs que dans ce charmant
vallon , & de faire grace en faveur de
la belle Aline à tout le gibier de la Province
; mais ces projets fi chers à mon
coeur , s'évanouirent comme un fonge.
J'appris , en arrivant , que des nouvelles
imprévues forçoient mon père à partir le
lendemain pour Paris ; il m'emmena avec
lui. J'embraffai ma mère en pleurant ;
mais c'étoit Aline que je pleurois.
SEPTEMBRE. 1761 16
Le temps ronge l'acier & l'amour. J'étois
inconfolable en partant ; je fus confolé
en arrivant. A mefure que je m'éloignois
d'Aline , Aline s'éloignoit de mon
efprit ; & la joie d'entrer dans un monde
nouveau , me fit oublier les délices que
je quittois le libertinage & l'ambition
remplacerent l'amour dans mon coeur . Je
fervis fix pénibles campagnes , dans lefquelles
je reçus de grandes bleffures & de
petites récompenfes. Je revins à Paris me
dédommager dans le fervice des Belles , de
tout ce que j'avois fouffert dans le fervice
de l'Etat .
Sortant un jour de l'Opéra , je me trouvai
par hazard à coté d'une jolie femme ,
qui attendoit fon caroffe. Après m'avoir
regardé avec attention , elle me demanda
fi je la reconnoiffois je lui répondis que
j'avois le bonheur de la voir pour la premiere
fois . Regardez- moi bien , dit- elle.
L'ordre n'eft pas bien dur, répondis- je ; &
votre viſage faura bien vous faire obéir :
mais plus je vous regarde , plus je trouve
de différence entre tout ce que j'ai vû juſ
qu'à préfent & ce que je vois à cette heure.
Puifque mes traits ne me rappellent
point , dit- elle , peut-être que mes mains
feront plus heureufes. Alors , ôtant fon
gant , elle me montra l'anneau que j'avois
20 MERCURE DE FRANCE:
jadis donné à la petite Aline. L'étonnement
m'ôta la parole. Son caroffe arriva :
elle me dit d'y monter avec elle ; j'y confentis
; & voici fon hiftoire.
Vous vous fouvenez peut- être encore
de mon pot au lait , de la frayeur que
m'infpira l'apparition de ma mère , & du
regret que j'eus à vous quitter ? ... Hélas !
ma crainte étoit fondée. Je fus enfermée,
rouée de coups ; & après avoir trouvé le
fecret de m'échapper de la maifon , je
m'en allai , demandant l'aumône , à la
Ville voifine , où une Dame entre deux
âges , & touchée de ma figure , me retira.
Elle me fervit de mère , & je lui fervis de
niéce. Elle eut foin de mon éducation ,
de me parer , de m'infpirer des fentimens
au-deffus de ma naiffance ; & deux ans
après elle me mena à Paris , où certain-
Procès l'appelloit. Le Rapporteur , que
nous allâmes voir , vieux débauché , riche,
& d'ailleurs galant homme , cacha trop
peu l'effet qu'avoient produit fur lui mes
charmes. Ma tante en profita. Son Procès
n'étoit pas foutenable : il fut accommodé,
aux dépens du Rapporteur ; qui comptant
trop fur ma reconnoiffance , fe trouva
bientôt affez éloigné de fon but , &
affez vivement épris de votre Aline , pour
lui offrir , fous le voile d'un hymen fecret,
SEPTEMBRE. 1781 .
fa fortune & fa main. Vous le croirez fi
vous voulez , mon cher Comte ! mais
l'image de celui qui avoit caufé mes premiers
malheurs étoit toujours auffi gravée
dans mon âme, que préfente à mes yeux ;
& fans les perfécutions de ma tante ,
l'efpoir que je n'avois jamais perdu de
vous revoir un jour , vous eût confervé
votre Aline. J'époufai donc , d'abord fecrettement
, M. D..... qui , fatisfait de
ma conduite , & toujours plus amant qu'époux,
ne tarda pas à me reconnoître
publiquement
pour fon époufe. Ma tante
venoit de mourir : j'en avois hérité vingt
mille livres de rentes & de beaucoup
d'argent il ne me manquoit plus que
d'être noble ; & pour quelques louis que
je donnai à un Généalogifte , je fus une
fille d'affez bonne maifon. Quelques liaifons
que je formai avec des Gens de Lettres,
me valurent la réputation d'efprit ;
peut- être même un peu d'efprit. Mon
mari , qui s'étoit défait de fa charge pour
être tout entier à moi , & qu'on appelle
aujourd'hui le Comte de Caftelmont , me
rend toute auffi heureuſe qu'il eft poffible
à une femme de l'être avec un vieil époux
que la reconnoiffance l'empêche de tromper.
La pauvre Aline , en un mot , eſt à
préfent pour le Public , la Comteffe de
22 MERCURE DE FRANCE
Caftelmont ; mais pour vous la Comteffe
de Caftelmont , au devoir près , aura toujours
les fentimens d'Aline.
J'eus une véritable joie de retrouver
ma chère Aline. Nous nous embraffâmes
avec les mêmes tranfports que dans ces
temps heureux où nos lévres n'avoient
point encore rencontré d'autres lévres
& où nos coeurs répondoient aux premieres
invitations du fentiment. Nous
arrivâmes chez elle , où nous trouvâmes
du monde. J'y reftai à fouper. Le Comte
de Caftelmont étoit abfent ; je furvêcus
à toute la Compagnie ; & comptois bien
ufer de mes droits , lorfque le caroffe de
Monfieur fe fit entendre. Je fortis en
foupirant , avec l'efpérance d'être moins
malheureux le lendemain. Mais une let
tre du Miniftre , que je trouvai en rentrant
chez moi , & qui me forçoit de
partir pour l'Armée , m'arracha de nouveau
à ma chère Aline. Ah , Ciel ! que
j'y perdis. Jufqu'à quand la trompeuſe
voix de la gloire rendra- t-elle odieux le
repos & les tendres plaifirs ? Juſqu'à
quand préférera-t-on la guerre à l'amour ?
Je ne faifois point encore ces fages réfléxions.
Quand on eft Brigadier , comme
je l'étois , on penfe à devenir Maréchal
de France ; & celui qui y penfe bien, en
SEPTEMBRE. 1761. 25
eft toujours plus près que d'autres. J'entrai
donc dans ma chaife , en fortant de
chez Madame de Caftelmont , & je volai
avec plaifir à de nouveaux ennuis.
Après avoir été quinze ans loin de ma
patrie , après avoir reçu à la fois beaucoup
de coups de fufils en Allemagne ,
& beaucoup d'injuftice ailleurs , je paffai
aux Colonies en qualité de Maréchal de
Camp. Je laiffe aux Poëtes & aux Gafcons
le foin d'éffuyer & de décrire des
tempêtes pour moi j'arrivai fans accident.
Tout étoit calme à mon arrivée
& mon féjour dans les Indes reffembloit
plutôt à un voyage de plaifir qu'à une
commiffion militaire. N'ayant donc rien
à faire , je parcourus les différens Royaumes
qui partagent ces vaftes Pays ; & je
m'arrêtai à Golconde.
:
C'étoit alors le plus floriffant État de
l'Afie. Le Peuple étoit heureux fous l'empire
d'une femme qui gouvernoit le Roi
par fa beauté & le Royaume par fa fageffe.
Les villes , remplies d'édifices fuperbes
, & plus embellies encore par les
délices qui y étoient raffemblés , étoient
pleines d'heureux Citoyens fiers de les habiter.
Les gens de la campagne y étoient
retenus par l'abondance & la liberté qui
y régnoient & par les honneurs que le Gou
24 MERCURE DE FRANCE.
vernement rendoit à l'Agriculture. Les
Grands enfin étoient enchaînés à la Cour
par les beaux yeux de leur Reine. J'arrivai
à cette Cour ; & j'y fus reçu avec
tout l'agrément poffible.J'eus d'abord une
Audience publique du Roi , enfuite une
de la Reine , qui m'ayant apperçu de loin ,
baiffa fun voile , me reçut fort bien ; &
je n'eus à me plaindre que de n'avoir
pas vu fon vifage que je mourois d'envie
de voir , d'abord parce qu'on le difoit
fort beau , enfuite parce que tout ce
qui appartient à une grande Reine eſt
fort curieux .
De retour chez moi , je trouvai un Officier
qui me propofa de me faire voir
le lendemain les jardins & le parc qui
environnoient le Palais. J'acceptai la
partie. Nous nous levâmes avec le Soleil
; & il me mena par de fuperbes allées
dans une efpéce de bois touffu où
les myrthes , les akacias & les orangers
mêloient leurs odeurs & leurs feuillages .
Nous trouvâmes un cheval à un de ces
arbres . Mon guide monta légérement
deffus ; & ayant fonné une fanfare avec
une trompe qu'il portoit fur lui , il s'enfuit
à toute bride . Je fuivis la route ou
j'étois,très-étonné de la conduite de l'Officier
, & ne pouvant concevoir qu'il y
eût
SEPTEMBRE. 1761 2
eat un Pays , où ce fûr l'uſage de mener
perdre les gens au lieu de les mener
promener. Mais quelle fut ma ſurpriſe ,
quand arrivé à la barrière du bois , je me
trouvai dans un lieu parfaitement femblable
à celui où j'avois jadis connu pour
la premiere fois Aline & l'Amour ! C'étoit
la même prairie , les mêmes côteaux
, la même plaine , le même village
, le même ruiffeau , la même planche
, le même fentier ; il n'y manquoit
qu'une petite Laitiere , que je vis bientôt
paroître avec des habits pareils à ceux
d'Aline , & le même pot au lait . Est- ce
un fonge , m'écriai- je , eft ce un enchantement
? Eft-ce une ombre vaine qui fait
illufion à ma vue ? Non , me réponditelle
vous n'êtes ni endormi , ni enfor
celé ; & vous verrez tout-à-l'heure , que
je ne fuis point un phantôme. C'eſt Aline
Aline elle-même , qui vous a reconnu
hier , & qui n'a voulu être reconnue
de vous , que fous la forme ſous laquelle
vous l'avez aimée . Elle vient fe
délaffer avec vous du poids de fa couronne
, en reprenant fon pot au lait . Vous lui
avez rendu l'état de Laitière plus doux
que celui de Reine. J'oubliai la Reine de
Golconde , & je ne vis plus qu'Aline .
Après cette agréable reconnoiffance ,
"
R
26 MERCURE DE FRANCE.
Aline reprit fon habit de Reine qu'une
Efclave de confiance, qui l'avoit fuivie, lui
apporta. Nous rentrâmes dans le Palais ,
où je lui vis recevoir toute fa Cour avec
une grace & une bonté qui charmoit tout
ce qui l'approchoit . Elle regardoit les
uns , parloit aux autres , fourioit à tous ;
en un mot, elle avoit bien l'air d'être maîtreffe
de tout le monde , mais elle ne
paroiffoit la Reine de perſonne.
Après le dîner , pendant lequel tout le
monde mangea avec elle , je la fuivis
dans une Salle féparée , où m'ayant fait
affeoir à côté d'elle , elle me conta ainfi
fes dernières avantures.
Le Comte de Caftelmont mourut envi
ron trois mois après votre départ , & il
laiffa fa veuve défolée avec quarante
mille écus de rentes pour toute confolation
. Une partie de fes biens étoient en
Sicile , & exigeoit , difoit- on , ma préfence.
Je m'embarquai avec joie pour ce
voyage ; mais un vent contraire força ma
Frégate de relâcher fur une Côte éloignée
, où un Vaiffeau encore plus contraire,
la prit & l'emmena . C'étoit un Corfaire
Turc ; il me conduifit à Alger , de là
à Alexandrie , où il fut empalé. Je fus
vendue comme efclave avec tout le refte
de fa maiſon ; & je tombai en partage à
un Marchand Indien , qui me conduifit
SEPTEMBRE . 1761. 27
ici , & me fit apprendre la Langue du
Pays , dans laquelle je fis en peu de temps
de grands progrès. J'avois connu la mifère
, mais point le malheur ; & je ne pus
fupporter l'esclavage . Je me fauvai de
chez mon Maître , fans favoir où j'allois ;
je fus rencontrée par des Eunuques , qui
me trouvant belle, me menérent au Roi.
J'eus beau demander grace pour ma vertu
je fus enfermée dans le Serrail ; &
dès le lendemain, je reçus de tout ce qui
m'entouroit les honneurs de Sultane favorite.
Bientôt là paffion du Roi n'eut
plus de bornes , & mon autorité n'en eut
pas davantage. La Golconde , accoutumée
à obéir aux arrêts que je dictois
du fond du Serrail , me vit fans étonnement
devenir l'époufe de fon Souverain
, qui n'étoit depuis longtemps que
mon premier Sujet . Je me fuis ref
fouvenu,dans mon Palais , de ce petit village
où j'avois confervé mon innocence
& furtout de ce charmant vallon où je
vous vis pour la premiere fois. J'ai voulu
retracer à mes yeux l'image intéreffante
de mes premieres années & de mes premiers
plaifirs . C'est moi qui ai bâti ce
hameau que vous avez vu dans l'enceinte
de mon parc . 11 porte le nom de mon
ancienne patrie ; & tous les habitans font
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
traités comme mes parens & mes amis.
Te marie tous les ans un certain nombre
de filles ; & fouvent j'admets les plus
vieux d'entr'eux à ma table , pour me retracer
le tableau de mon vieux père , &
de ma mère , que j'aimerois à refpecter
fi je les poffédois encore. Les herbes de la
prairie ne font jamais foulées que par des
Dames de ma Cour , de jeunes garçons
& de jeunes filles du hameau. La coignée
respectera , tant que je vivrai , ces arbres
témoins de nos amours ; & mes habits de
Payfanne , confervés avec mes ornemens
royaux , ne ceffent , au milieu de l'éclat
qui m'environne , de me rappeller ma
premiere obfcurité ; ils me forcent à refpecter
une condition dans laquelle j'ai
été plus heureufe que dans toutes celles
aufquelles je me fuis élevée depuis ils
m'apprennent à reconnoître l'humanité
partout ; ils m'inftruiſent à régner.
Oh ! la charmante Princeffe que celle
de Golconde ! Elle étoit tout à la fois
bonne Reine , bon Roi , bonne femme ,
& bon Philofophe : elle étoit encore
plus ; elle étoit bonne amie. Hélas ! je
ne le fçus que pendant quinze jours ; au
bout defquels mes innocentes affiduités
ayant été mal interprétées par le mari ,je
fus obligé de fortir très promptement de
SEPTEMBRE. 1971.
20
Ton Royaume. Je repartis peu de temps
après pour la France , où , après plufieurs
traverſes , je parvins aux plus grandes dignités
, ne méritant ni les unes ni les autres .
J'ai erré depuis , fans fortune & fans eſpérance
, de pays en pays ; enfin je vous ai
rencontrée dans ce défert , où je compte
me fixer , puifque j'y trouve tout à la fois
une folitude & une ſociété.
Mon Lecteur a peut- être cru , jufqu'à
préfent , que c'étoit à lui que je contois
cette hiftoire . Mais comme il ne m'en
avoit pas prié il trouvera bon que ce
récit s'adreffe à une petite vieille vêtue
de feuilles de palmiers , ancienne habitante
du défert où je fuis retiré , & qui
m'avoit demandé de lui conter mes avantures
les plus intéreffantes . Elles ont pu
ennuyer ceux qui les ont lues ; mais elles
furent écoutées de la petite vieille
avec une attention finguliére. Elle n'en
perdit pas une parole ; & quand j'eus fini
, elle me dit : Ce qui me plaît le plus
de votre hiftoire , c'eft qu'il n'y a pas un
mot qui ne foit vrai . Qu'en favez-vous ?
lui dis- je ? Peut - être que je vous ai ment
d'un bout à l'autre. Je fuis bien fûre du
contraire , me dit- elle . Madame fe mêle
donc un peu de magie , repris - je ? Pas
tout-à-fait , repliqua- t- elle ; mais j'ai un
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
anneau qui me fait juger de la vérité de
tout ce que vous m'avez dit . Je ne connois
, lui dis-je , que l'anneau de Salomon
qui puiffe avoir cette vertu. Connoiffez-
vous celui d'Aline , dit- elle , en
fouriant , & en me montrant ſa main ?
Aline , que vous avez fait monter fur le
Trône de Golconde , & que vous en avez
fait defcendre ; qui fugitive & profcrite ,
eft venue chercher dans ces lieux éloignés
un afyle contre la colere de fon mari
, à laquelle vous échappâtes , en fautant
par la fenêtre ? Quoi ! c'eft encore
vous, m'écriai - je ? Je fuis donc bien vieux ;
car , j'ai , fi je m'en fouviens , un an plus
que vous. Qu'importe , dit - elle d'un ton
grave , notre âge & notre figure ? Nous
ois jeunes & jolis ; foyons
fages à préfent , nous ferons plus heureux.
Dans l'âge de l'amour , nous avons
diffipé au lieu de jouir ; nous voici dans
celui de l'amitié , jouiffons au lieu de regretter
: il n'eft que des momens pour le
bonheur. Ce bonheur fi defiré & fi méconnu
, n'eft que le plaifir fixe. L'un reffemble
à la goutte d'eau , & l'autre au
diamant. Tous deux brillent du même
éclat ; mais le moindre fouffle fait évanouir
l'un , & l'autre réfifte aux éfforts
de l'acier. L'un emprunte fon éclat de la
étions antref.:
·
SEPTEMBRE . 1761.
lumière ; l'autre porte fa lumière dans
fon fein , & la répand dans les ténébres.
Ainfi tout diffipe le plaifir , & rien n'altére
le bonheur.
Enfuite , elle me conduific fur une haute
montagne couverte d'arbres fruitiers de
différentes efpéces . Un ruiffeau d'eau vive
& claire defcendoit de la cime en faifant
mille détours , & venoit former un réfervoir
à l'entrée d'une grotte creufée au pied
de la montagne . Voyez , me dit - elle , fi
cela fuffit à votre contentement ? voilà
ma demeure , qui deviendra la vôtre , fi
vous le voulez. Cette terre n'attend qu'une
foible culture pour vous payer abondamment
des foins que vous en aurez pris.
Cette eau tranfparente vous invite à la
puifer. Du haut de cette montagne , vorre
oeil pourra découvrir à la fois plufieurs
Royaumes.Montez- y; vous y refpirerez un
air plus vif & plus fain ; vous y ferez plus
loin de la terre , & plus près des Cieux .
Confidérez de là ce que vous avez perdu ,
& vous me direz après fi vous voulez le
retrouver.
Je tombai aux pieds de la divine Aline ,
pénétré d'admiration pour elle & de mépris
de moi. Nous nous aimâmes plus que
jamais , & nous devînmes l'un & l'autre
motre univers. J'ai déjà paſſé ici pluſieurs
B iv
52 MERCURE DE FRANCE.
années délicieuſes avec cette fage compa
gne . J'ai laiffe toute mes folles paffions &
tous mes préjugés dans le monde que j'ai
quitté. Mes bras font devenus plus laborieux
, mon efprit plus profond , mon
coeur plus fenfible . Aline m'a appris à
trouver des charmes dans un léger travail ,
de douces réfléxions , & de tendres fentimens
; & ce n'eft qu'à la fin de mes jours
que j'ai commencé à vivre
PAR
RÉFLEXION.
AR le plus étonnant génie ,
Voltaire eft de ce monde aujourd'hui le flambeau
Il gouverne à fon gré le compas d'Uranie,
La plume de Clio , le malque de Thalie ,
De Melpomène le pinceau,
Apollon lui prête ſa lyre ;
Ce Dieu qui l'anime & l'inſpire ,
Lui donne chaque jour un triomphe nouveau
Ses Ecrits ouvrent le tombeau
A l'Envie , à la Jaloufie ;
Et de la fauffe Hypocrifie ,
Il a déchiré le bandeau.
Il fert d'organe à la Victoire ;
Les Rois & les Héros font par lui tour-à- tour ,
Conduits au Temple de Mémoire
SEPTEMBRE . 1761. 33
Il s'occupe à chanter la Gloire....
Moi , je ne chante que l'Amour !
Par M. de C ***
BOUQUET
A une Janneton , en lui envoyant un
miroir.
QUAND Merlin fut reçu Sorcier ,
Il lui fallut faire devant le Diable ,
Un tour des plus fins du Métier ;
Quelqu'ouvrage rare , admirable ,
Un chef-d'oeuvre unique & complet.
fe piqua d'honneur ; & bientôt il eut fait
La Boëte fingulière
Que je vous offre pour bouquet.
Peu précieuſe eft la matière :
L'on n'y voit à l'extérieur
Rien de brillant , rien de flatteur ;
Mais ce qui doit la rendre chère
A quiconque en eft poffeffeur ,
C'eft l'art , qui fait que quand on l'ouvre ,,
Si l'on n'eft pas bien franc, & d'efprit & de coeur
Le mafque tombe ; l'on découvre
Et l'impofture & l'impofteur..
La peinture la plus fidelle
montre à chacun fon portrait ,
Bw
34 MERCURE DE FRANCE.
1
Mieux rendu que n'ont jamais fait
Les plus Savans en l'Art d'Apelle.
Mais on s'y méprend aisément ;
Car cette boëte encor, par l'Art du Négromant,
Eft un moule à métamorphofes :
Souvent l'oeil faſciné croit y voir bien des chofes ,
Qui n'y font pas réellement .
Ces jours paffés , une vieille Coquette
En fit l'épreuve & s'y trompa :
Après cinq heures de toilette
Dans la boëte elle regarda :
Elle croyoit y voir les graces ,
La jeunelle avec la fraîcheur ,
L'air enfantin , l'air de pudeur ;
Elle n'y vit que des grimaces ,
De peu féduifantes furfaces ,
Des rides qui perçoient le fard ,
Du Rouge , du Blanc , & de l'Art.
Près d'elle , un jeune Petit-Maître
Crut voir , croyant s'y bien connoître ,
Un homme qu'on `idolâtroit ,
Un homme éffentiel , unique:
Il n'y vit qu'un colifichet ,
Un Sot , un Fat au plus complet ,
Un Fiacre de Cabriolet ,
Un Turlupin fort peu Comique.
Un Confeiller , brillant , éleganté ,
Crut y voir la capacité ,
SEPTEMBRE. 1761. 35
L'air impofant joint à l'accueil affable ,
+
La Science , la gravité :
Il n'y vit que l'air éventé ,
La fuffifance , l'air capable ,
L'ignorance , la vanité.
Un vieux Juge , y crut voir un homme Refpectable
:
Il n'y voyoit hélas , qu'un homme Reſpecté !
Un jour , un homme de Finance
Crut y voir un homme d'Etat ,
Un être de grande importance :
Mais il n'y voyoit qu'un Pied - plat ,
Une monftrueuſe Sanglue
Que le fang du Peuple engraiſſoit ,
Que l'amour-propre bourfoufioit ,
Et que la bonne chère tue.
Un Abbé , Minaudier , Poupin ,
Apeine hors du Séminaire ,
Voulut au fortir de la Chaire ,
Confulter la boëte à Merlin ;
Il y fut pris comme les autres :
Il s'attendoit d'y voir un Orateur
Plus touchant qu'aucun des Apôtres ,
Mais il n'y vit qu'un froid Déclamateur.
Un Dévot , crut y voir un homme de Mérite ,
Dans le chemin du Ciel s'avancant au grand trot
B -vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Mais il n'y vit qu'un Hypocrtite ,
Moins près de Dieu que d'Aftharot.
Un vieux Moine , criblé de coups de difcipline,
S'imaginoit y voir un homme édifiant :
Il n'y vit rien qu'un Cagot éffrayant ,
Dont le diable ſe rit , & que la chair domine..
Un homme en Us , crut y voir un Auteur ,
Un Ecrivain fort cher à fa patrie :
Il n'y vit qu'un Maffon , fans art , fans induftrie ,,
Un ennuyeux Compilateur..
Un vieil époux , bien convaincu
De la fageffe de ſa femme ,
Croyant y voir l'objet de fa pudique flâme ,
N'y trouva jamais qu'un C.....
Qui peut détailler les mépriſes
Les étonnemens , les furpriſes
Que cette boëte tous les jours.
Occafionne par fes tours ,
Ses niches , fes tracafferies
On compteroit plutôt , des modernes amours
Toutes les fourberies.
Moi- même , hier , moi, qui bien la connois
Comme un autre je m'y trompois ;
Et par une mépriſe infigne , impardonnable
Croyant y voir un Verfificateur ,
Au moins médiocre & paffable ;
Je n'y trouvai qu'un froid Rimeurs
SEPTEMBRE . 1761. 27
Ne craignez point , Tonton , l'effet de l'art ma
gique ;
Regardez dans la boëte avec fécurité :
Vous y découvrirez un tableau prèfque unique
Bien digne de piquer la curiofité.
C'eſt un mélange heureux , mais difficile à faire ,
De la beauté fans le defir de plaire ;
Du don de plaire exempt de vanité :
Vous y verrez une femme admirable ,
A qui mille fois on a dit
Qu'elle étoit charmante , adorable ,
Sans lui faire tourner l'eſprit ,
Et fans la rendre moins aimable.
RÉUNION DE DAPHNIS ET DE CHLOÉ
DIALOGUE .
CHLOÉ
DAPHNIS , d'une fi longue abſence-
As -tu partagé les rigueurs ?
DAPHNI S.
Nous n'êtions point abfens : l'Amour , par la
puiffance ,
A toujours réuni nos coeurs.
CHLOÉ.
Hélas ! je confumois , à répandre des larmes ,
Les plus beaux jours de mon printemps.
38 MERCURE DE FRANCE.
DAPHNI S..
Chloé , ne penfons plus qu'à nos plaiſirs préſens ,
Et que le paffé même en redouble les charmes.
ENSEMBLE.
Eternifons nos tranfports enchanteurs ;
Enfin l'Amour , en nous , couronne la conftance !
Nous n'étions point abfens ; l'Amour , par fa
puiffance ,
A toujours réuni nos coeurs.
Enfin l'Amour en nous couronne la conftance ;
Eternifons nos tranfports enchanteurs !
Par M. LE CLERC , de Nangis.
RÉFLEXION SUR HENRI III.
Par Mademoiſelle B* .... des Sables.
CE Prince me paroît mériter une attention
particulière ; & je ne puis me perfuader
, comme le difent la plupart des
Hiftoriens , que le vainqueur de Jarnac &
de Montconiour , qu'un Prince qu'on vit
plus d'une fois dans le fort de la mêlée
combattre main à main avec l'ennemi ,
que celui que la plus brillante réputation
éleva fur le Trône de Pologne à l'âge de
vingt ans , fût le plus efféminé des hommes
, le plus lâche des Princes , le plus
inique des Tyrans . Tel eft le portrait qu'on
* Jeune Demoiſelle.
SEPTEMBRE . 1761 . 39
nous en a donné. Ceux qui ont écrit fous
ce régne,étoient pour la plûpart créatures
des Guifes , ou dévoués au parti de la Ligue
faut- il s'étonner s'ils ont peint des
couleurs les plus noires , un Prince qui ne
me paroit pas mériter tout le mal qu'on
en dit ? qu'on difcute les faits fans prévention
; qu'on confulte moins les autorités
que fa raifon , & je fuis perfuadée qu'on
fera de mon fentiment.
Le malheur d'Henri III, fut de monter
fur un Trône déjà ébranlé par les fecouffes
les plus fortes , & environné d'Ennemis
puiflans,qui , à l'ambition la plus démefurée,
joignoient les qualités les plus brillantes ,
& l'amour des Peuples . Il eft certain que ,
dans des circonftances auffi critiques , la
France avoit befoin d'un de ces génies
élevés & audacieux , faits pour gouverner
les hommes : un génie médiocre ,
une âme douce , de la bonté , de la droiture
devenoient inutiles , où il auroit falu
des lumières , de l'audace , de la fermeté ,
& de la diffimulation . Quelques traits
vont mettre ce Prince dans le point de
vue fous lequel je l'envifage : fes regrets
à la mort de la Princeffe de Condé fa Maîtreffe
; fes complaifances éxceffives pour
fes favoris, qui fans doute en abuſférent ;
les magnifiques Funérailles qu'il fit à quel40
MERCURE DE FRANCE.
ques-uns d'entr'eux ; les larmes fincères
que leur mort lui arracha , prouvent la
bonté de fon coeur . Combien n'aima- t- il
pas fa mère? A fa mort, il ordonna de détendre
tous les Appartemens du Château
de Blois , & les fit peindre en noir femé
de larmes . On peut voir dans les Mémoires
de Nevers , combien il ſe ſignala à l'attaque
du Fauxbourg de Tours par le Duc
de Mayenne. Malgré fa tendreffe pour
Catherine de Medicis , & la haine furieufe
de cette Princeffe pour Henri IV, il rendit
toujours juftice à ce grand Prince ; il
le reconnut hautement pour fon héritier
préfomptif, & fe ligua avec lui après la
mort du Duc de Guife . Il me femble qu'il
y avoit de la grandeur à remettre fon autorité
entre les mains de fon Succeffeur :
il falloit avoir du mérite foi - même , pour
voir fans envie celui d'Henri IV. Philippe
Second en auroit été jaloux ; jamais
T'héritier préfomptif de la Couronne n'eût
commandé les armées. Tibere fit empoifonner
Germanicus ; les qualités brillantes
de ce jeune Prince l'offufquoient. Je ne
prétens pas juftifier Henri III fur bien des!
défauts qu'on lui reproche avec raifon : je
fçais qu'il délibéroit fouvent lorfqu'il fal
loit agir ; qu'il ne mettoit aucun ordre
dans les dépenfes ; qu'il pouffoit la libéra
SEPTEMBRE. 1761. 41
lité jufqu'à la profufion ; qu'avec beaucoup
de valeur naturelle , il n'avoit point
ce courage d'efprit néceffaire à un grand
Roi ; qu'il aimoit trop fes plaifirs . Mais
malgré tous ces défauts ; s'il eût regné
dans des circonftances moins critiques , &
que dans un Royaume floriffant il eût
commandé à des Sujets fidéles , & foumis
; on l'eût peut - être mis au rang des
grands Rois.
TIRCIS ET AMINTHE ,
CANTATE FRANÇOISE.
L'AUROR à peine naiſſante ,
Diffipoit de la nuit les voiles ténébreux ;
Quand Tircis , loin de fon Amante ,
Répétoit aux échos ces accens douloureux .
O toi dont j'adore les charmes !
Viens , trop infenfible beauté
Tarir la fource de mes larmes ,
Ou me rendre ma liberté.
Ceffes d'être fourde à mes plaintes ,
Amollis ton coeur de rocher ;
Fais que par fes douces atteintes ,
L'Amour feul puiffe le toucher !
Mais quel objet frappe ma vue ? ...
Quel air noble & majeftueux ? ...
42 MERCURE DE FRANCE.
Eft- ce vous , Bergère ingénue ,
Qui venez embellir ces lieux ?
Plein d'une vive flâme ,
Tircis à fon afpect ,
Ému par le reſpect ,
Sent palpiter fon âme.
Aminthe l'abordant ,
D'un gracieux fourire ,
Appaifa fon tourment,
Et calma fon martyre.
Tircis , ceffe de t'affliger ,
Dit- elle , d'une voix tremblante ;
Épargne-moi l'aveu d'une flâme innocente }
Et connois mieux mon coeur , trop fidéle Berger !..
Qu'entends-je ? ô fort digne d'envie !
Aminthe ! vous daignez enfin me fecourir ?
C'est à vous que je dois la vie....
C'eſt pour vous que je veux mourir.
Par M. L. P. Molines de Montpellier.
STANCES
A Madame **
VENUS néglige quelquefois
Le foin de fa parure ;
Et fûre de donner des loix
A toute la Nature ,
SEPTEMBRE. 1761 . 43
Elle paroît devant les Dieux
Sans eſcorte & fans fuire ,
Et ne veut éblouir les yeux
Que par fon feul mérite.
C'eft dans cet état qu'Adonis
A Paphos la vifite ;
Et vis- à- vis fes favoris
C'est toujours fa conduite.
Églé , puiſque l'on voit briller .
Chez vous les mêmes graces ,
Songez qu'il faut lui reffembler ,
Et marcher fur les traces .
Cependant , au lieu d'imiter
Un fi parfait modéle ,
Yous croyez qu'on doit s'ajuster
Pour paroître plus belle ;
Et fans fonger que par trop d'art
On gâte un beau vifage ,
Chez vous les mouches & le fard
Sont tous les jours d'uſage.
Que fert l'éclat des diamans
Qui pare votre tête ?
C'eft fur de frêles ornemens
Affurer fa conquête.
Avec les autres voulez -vous
N'être pas confondue;
44 MERCURE DE FRANCE.
Écartez ces voiles jaloux
Qui me bleffent la vue.
Si Vénus n'avoit à Pâris
Montré quefon viſage ,
Elle n'eût jamais eu le prix
Remis à fon fuffrage.
Ce fut à bien d'autres attraits
Qu'elle dut la victoire.
Ne cachez rien ; je vous promers ,
Eglé , la même gloire.
SUITE de la Traduction de quelques Let
tres de SENEQUE .
LETTRE ( 1 )
SUR LA CRAINTE DE LA MORT.
: Vous avez bien commencé : il s'agit de
perfévérer , même de preffer le pas , s'il
eft poffible. Un coeur exempt des fouillures
du vice & du trouble des paffions ,
eft un bien dont on ne fauroit affez longtemps
jouir. Si aujourd'hui que vous travaillez
à l'acquérir , vous ne laiffez pas
d'en goûter la douceur ; que fera - ce ,
( 1 ) Cette Lettre eft la quatrième dans les Edi
tions Latines.
SEPTEMBRE. 1781 です
lorfque vous y ferez parvenu ? Quel plaifir,
quel bonheur que celui d'un coeur fans
taches & fans paffions !
·
Rappellez vous les fentimens que
vous eutes , quand vous quittâtes la robe
de l'enfance , pour prendre celle de l'âge
viril ; quand on vous conduifit pour la
premiere fois à la grande Place parmi
les Citoyens . Elle fera toute autre la
joie que vous reffentirez , lorfqu'une fois
vous aurez fecoué l'efprit même de l'enfance
, & que la fageffe vous aura mis
au nombre , non des citoyens , mais des
hommes .
Notre âge , il eft vrai , n'eft plus celui
de l'enfance ; mais hélas ! nous en confervons
les foibleffes . Le comble du mal ,
eft qu'à l'austérité des vieillards nous joignons
les vices non feulement de la tendre
jeuneffe , mais de la premiere enfance.
Celle - là tremble au moindre fujet
de crainte , celle- ci même fans ſujet .
Un peu de conftance dans la route de
la fageffe vous aura bientôt appris , qu'il
eft des chofes d'autant moins à craindre ,
qu'elles infpirent plus de frayeurs . Ce ne
peut être un grand mal que celui qui
commence & finit tout à la fois. La mort
approche : craignez- la , fi elle peut feule
ment fe faire fentir plus d'un inftant.
46 MERCURE DE FRANCE.
Mais non : ou elle ne vient pas , ou elle
paffe comme un éclair .
Il n'eft pas aifé , direz-vous , de monter
fon coeur au mépris de la mort ? Illufion
! les motifs les plus frivoles ont cent
fois fuffi pour cet effet . L'un va fe pendre
à la porte d'une femme , pour lui
reprocher fes rigueurs ; l'autre fe précipite
du haut d'un toit , pour fermer la
bouche à un Maître irrité qui le gronde ;
un autre fe perce le coeur , de peur d'être
faifi vif dans fa fuite . Ce qu'un excès de
crainte a fait , la vertu ne le fera - t - elle
pas ?
Qu'un de vos premiers foins foit donc
d'apprendre à mourir fans peine. La vie
ne peut être douce pour celui qui fonge
trop à la prolonger , & qui met les années
au nombre des biens dont il fait dépendre
fon bonheur .
Semblables à des malheureux qui fe
noyent , la plupart des hommes n'omertent
rien pour ſe maintenir contre le
torrent des années : ronces , épines , précipices
, ils s'attachent à tout pour s'arracher
au courant qui les emporte . Incertains
entre la mort & la vie , miférables
victimes de la crainte de l'une & des
tourmens de l'autre , ils ne veulent pas
vivre , & ne fçavent point mourir. L'uniSEPTEMBRE
. 1761 .
47.
que moyen , je le répéte , de poffeder
heureuſement la vie , c'eft de ne vous pas
inquiéter pour elle. Le coeur ne poffède
point avec plaifir ce qu'il n'eft pas difpofé
à perdre fans regret. Mais , quoi de
plus facile, que de perdre fans regret ,
ce qu'on ne peut regretter après qu'on
l'a perdu ?
Ayez donc foin de vous encourager ,
de vous endurcir contre toute espéce d'événemens.
Il n'en eft point qui ne menace
les têtes même les plus élevées.
L'arrêt qui fit périr Pompée , fut prononcé
par fon Pupile & par un vil Eunuque.
Un Soldat inhumain , un Parthe infolent
décida de la vie de Craffus. Caïus
Céfar condamne Lepidus à tomber fous
le fer du Tribun Decimus : lui - même
il périra fous celui de Chéreas. Jamais la
Fortune n'éléve fi haut fon plus cher favori
, qu'il n'ait à craindre d'elle plus encore
qu'il n'en a reçu .
Défiez -vous d'un calme trompeur : il
ne faut qu'un inftant pour foulever les
flots & bouleverfer les mers. Le même
jour voit un vaiffeau & voguer & périr.
Voyez le nombre de ceux que la violence
ou la furpriſe ont égorgés au ſein
de leurs familles ; & avouez que la colere
des Rois s'eft peut - être immolé,
48 MERCURE DE FRANCE
moins de victimes que celle des Efclaves.
Ceflez de vous raffurer fur la foibleffe ,
ou de trembler fur la force de votre ennemi
: il n'eft perfonne qui ne puiffe , s'il
le veut , vous porter le coup que vous
craignez.
Que je tombe au pouvoir des ennemis,
par ordre du vainqueur , je ferai conduit
au fupplice. Eh! l'on vous y conduit dès
à préfent depuis longtemps on vous y
méne. Commencez- vous à le comprendre
? Oui , du jour de votre naiſſance , on
vous traîne à la mort.
Ce font ces réfléxions , ou d'autres femblables
, qui feules vous feront attendre
en paix cette derniere heure , dont la
crainte trouble & corrompt toutes les autres.
Je termine ma Lettre , à l'ordinaire,
par la maxime du jour cette fleur ,
quoique cueillie dans un jardin étranger ,
pourra cependant vous plaire autant qu'à
moi. C'est être bien riche , que de fçavoir
être pauvre autant que le veut & le permet
la Nature. Mais les bornes de la рац-
vreté conforme à la Nature, en quoi confiftent-
elles? à n'être expofé ni au tourment
de la faim , ni à celui de la foif , ni à l'intempérie
des Saiſons . Or ,pour raffafier ſa
faim , pour étancher fa foif , il n'eft befoin
que d'aller affiéger l'entrée des Palais
;
SEPTEMBRE . 1761.
49
lais ; ni d'y éffuyer les airs faftueux de
leurs fuperbes Maîtres , ni d'y dévorer
l'opprobre d'un bienfait que mandie la
baffeffe & que l'orgueil accorde.
Ce que la Nature demande , eft aifé à
trouver : elle l'a mis à notre portée . Il
n'y a que le fuperflu qui coûte : c'eft
pour lui feul qu'on s'agite dans les villes
, qu'on vieillit fous les armes , qu'on
affronte des rivages étrangers . Le néceffaire
, nous l'avons fous les mains , &
il fuffit.
LETTRE ( 2 )
SUR LA SOURCE DES VERTUS ,
& fur le caractère diffinitifde l'homme
JE
de bien.
E ne puis vous donner trop d'éloges.
für ce que vous m'apprenez de la conftance
de vos progrès dans la vertu . Chaque
jour vous en reffentirez de plus en
plus les effets falutaires. Mais pourquoi
Vous arrêter à fouhaiter ce que vous pouvez
trouver en vous- même ? Il ne s'agit
( 2 ) Cette Lettre eft la quarante-uniéme dans
les Editions Latines.
C
40 MERCURE DE FRANCE:
pas d'élever les mains au Ciel , ni d'ob
tenir du Prêtre l'entrée du Sanctuaire de
l'Idole. Que vous foyez près ou loin de
fes oreilles , elle n'en entendra , croyezmoi
, ni plus ni moins vos prières. Le
Dieu que vous cherchez , eft auprès de
vous ; il est avec vous , il eft en vousmême.
N'en doutez pas , Lucilius ; un efprit
faint & divin réfide dans nos coeurs : il y
découvre nos vices ; il y foutient nos
vertus : il y régle fa conduite à notre
égard fur la nôtre envers lui. L'homme
de bien ne peut l'être fans Dieu . Dénué
de fon fecours , il ne pourroit s'élever audeffus
de la fortune . C'eft de lui qu'il
tient fa grandeur & fa force. Encore une
fois , un Dieu , ( mais quel eft - il , qui
nous le dira ? ) un Dieu réfide dans le
coeur de l'homme vertueux .
Entrez- vous dans un de nos bois facrés?
l'air antique de fes arbres , leurs branches
entrelacées , la hauteur prodigieufe de
leurs têtes , la folitude & le filence qui
régne fous leur fombre feuillage , une
ombre épaifle & impénétrable aux rayons
de l'Aftre du jour , des rénébres profondes
au milieu d'une campagne éclairée ;
tour vous faifit & vous perfuade de la préfence
d'une Divinité.
SEPTEMBRE. 1761.
Il en eft de même de ces grottes immenfes
taillées par les mains de la Nature
au ſein des montagnes. Votre coeur à
leur afpect frappé d'une crainte religieufe
, rend un hommage fecret au Dieu qui
s'y fait confufément fentir.
La Religion confacre parmi nous la
fource d'un grand fleuve : que fes eaux à
leur fortie de terre s'élancent foudainement
& avec abondance , il lui faut des
autels. Une fontaine d'eaux chaudes eſt
honorée du culte divin. Certains étangs
ont été confacrés par la feule profondeur
extraordinaire de leurs eaux , ou pour
l'épaiffeur de l'ombrage qui les couvroit.
Un homme que les périls ne peuvent
ébranler , que les paffions n'ont jamais
fouillé , que l'adverfité n'empêche pas
d'être heureux , qui jouit du calme au
milieu des tempêtes , qui s'élève au def
fus des hommes , qui marche de pair avec
les Dieux ; un tel homme vous femblet-
il ne rien avoir qui mérite auffi vos
hommages ? Non , il ne fe peut que le
principe de tant de grandeur & d'élévation
ait rien de commun avec la foible .
boue qu'il anime. Tant de vertu n'a pu
venir que d'enhaut . La puiffance divine
eft feule capable de réformer & de fou
tenir un efprit fi élevé , un coeur fi mai-
}
+
Cij
52 MERCURE DE FRANCE
tre de lui- même , un homme fi fupérieur
à ce qui nous frappe ici - bas , que s'il y
jette les yeux , c'eft pour y rire des objets
de nos craintes & de nos defirs : tant
de grandeur a befoin de la main d'un
Dieu pour le foutenir.
La meilleure partie de lui-même eft
donc encore au lieu de fon origine. Les
rayons de la lumiere tiennent encore au
Soleil , quoique répandus fur la terre. Il
en eft ainfi d'un efprit qui tire fa grandeur
d'enhaut. Envoyé parmi nous pour remplacer
les objets céleftes trop éloignés
de nos yeux , il converſe avec nous , il
n'en eft pas moins inféparablement uni à
fon principe. C'eft de lui qu'il reçoit tout
fon mouvement , à lui que s'adreffent
tous fes regards, vers lui que tendent tous
fes defirs. S'il refte parmi nous , c'eft
nous fervir de modele .
pour
Où le trouver cet homme Divin ? c'eſt
celui qui ne fonde fon mérite , & qui n'ap
puie fon bonheur que fur des biens qui
foient réellement à lui. C'eft fottife , c'eft
folie d'eftimer & d'admirer un homme
pour des chofes qui lui font étrangères ;
qui dans un inftant peut - être vont lui
échapper & paffer en d'autres mains.
L'or du frein peut orner un cheval ;
mais il ne le rend pas meilleur. Quelle
SEPTEMBRE. 1761. 53
différence entre un lion abandonné à luimême
, fans autres parures que celles de
la nature , & du courage qu'il en a reçu ;
& cet autre dont la criniere couverte d'or
cache mal la foibleffe qu'il a contractée
fous la main de fon Maître? Qui préférera
jamais la langueur & l'attirail pompeux
de celui- ci , à l'impétueule vivacité de
l'autre , à ce regard farouche , à cet air
horrible qui fait fa beauté , parce qu'il le
tient de la nature ? Ce qui n'eft pas à nous ,
ne peut être pour nous le fondement du
mérite.
Nous aimons à voir une vigne fe charger
de raifins , & faire plier les appuis
qu'on lui a donnés pour l'aider à en foutenir
le fardeau. Perfonne ne trouve à redire
,,
qu'elle ne foit pas couverte de grapes
& de pampres d'or . Qu'elle foit féconde
en vin , c'eft la feule chofe qu'on lui
demande : jugeons ainfi de l'homme par
ce qui eft & doit être en lui .
Qu'il ait une famille floriffante , une
demeure agréable & fomptueufe , des
fommes confidérables prêtées à ufure , de
vaftes & fertiles campagnes : rien de tout
cela n'eft dans lui- même : tout eft autour
de lui . Louez-le des feuls biens qu'il ne
peut ni perdre ni recevoir, parce que
feuls
ils font les biens propres de l'homme,
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
Louez-le d'avoir l'efprit & le coeur à un
degré de perfection conforme à fa nature.
· Le caractère diftinctif de l'homme ,
c'eſt la Raiſon. Or , que lui prefcrit - elle ,
pour venir à fa fin , pour être heureux ?
Rien que de très aifé : de vivre conformément
à fa nature . Mais l'aveuglement
général l'a rendu difficile. Nous nous
pouffons les uns les autres dans l'abîme :
& ce qui rend notre perte inévitable ,
c'eft que perfonne ne nous retient, tandis
que la foule nous entraîne .
Par M. l'Abbé D.... d'Arras.
EPITRE ,
A M. RAYOLE , d'Apt en Provence , en
réponse à celle qu'il m'a adreſſée , & par.
laquelle il me demande des confeils.
Pour moi , Damon , vous hauffez trop la
note .
Votre main me fecoue , au lieu de me bercer :
Vous avez beau vous exercer ,
A flatter finement un Vieillard qui radote ;
Dans mes foibles talens je trouve l'antidote
Du poifon qu'à mon coeur on veut faire fucer.
SEPTEMBRE. 1961 .
J'ai toujours redouté qui voulût m'amorcer :
Je reconnois l'ami dans mon compatriote ,
Lorſque fincère , & loin de m'encenſer ,
Sur le ton d'Ariftarque il daigne s'énoncer .
Dans votre Epître , il régne un aimable mêlange
D'efprit , de goût & de raiſon ;
Avec tant d'art vous cachez l'ameçon ,
Que fans m'examiner , j'allois prendre le changes
( Tant avec unflatteur l'amour -propre s'arrange ! )
Mais j'ai vu que l'éloge étoit une leçon .
Les prémices de votre verve ,
Sont trop brillans pour
des éffais.
Vous rimez au gré de Minerve ;
Par vos veilles , Damon , méritez les fuccès
Que le Dieu des Vers vous réſerve .
Mais Phébus a les loix : il veut qu'on les obferve.
Quand vous voudrez cueillir les fleurs
Qu'arrofent les eaux du Permeffe ,
Que jamais le temps ne vous prelle .
Pour mieux affortir les couleurs ,
Choififfez à loifir ; variez -en l'efpéce ;
Ne moiffonnez jamais dans le Champ des Auteurs,
S'ils ne font point de Rome ou de la Gréce ;
Le Geai de la Fontaine a trop d'imitateurs.
Méfiez-vous de l'abondance ,
Qu'éprouve un génie emporté ;
Trop de traits d'un objet chargent la reffemblance;
Cette richeffe eft pauvreté.
Le Geai paré des plumes du Paon. Fables de la Fonti
Civ
56 MERCURE DE FRANCE:
Plus d'un chemin méne au Parnafle:
Le plus frayé peut conduire au bourbier ;
Cherchez le moins battu : ce fut par ce fentier
Que Racine & Boileau , l'un Elève d'Horace,
Et l'autre d'Euripide élégant héritier ,
Sur le Sommet trouvérent place.
Pour guide prenez le dernier.
Qui mieux que lui des Vers enfeigna le métier ?
Puifque j'éprouve en vous des oreilles dociles ,
Je foutiens le ton que j'ai pris ;
Et dûffiez - vous trouver mes leçons inciviles ,
Vos pinceaux , cher Damon , au travail trop
faciles ,
A côté d'un beau coloris ,
Placent des teintes inutiles ,
Qui du Tableau baiffent le prix.
Un objet qui demande une forte peinture ,
Ici votre crayon me l'efquiffe en petit ;
Et là , quand il faudroit le peindre en miniature,
Il s'égaye & s'appefautit.
Sacrifiez à l'harmonie ;
Sans elle il n'eft point de bons Vers :
Si la Rime fouvent met la Raifon aux fers ,
Plus fouvent elle tourne au profit du génie :
Rouffau lui doit fes plus nobles concerts,
Fuyez l'ennuyeux rempliſſage ;
Soyez court fans obfcurité ;
Mêlez la force à la clarté ;
Et de la Poëfie empruntant le langage ,
SEPTEMBRE . 1761. 57
Des grâces de l'Antiquité
Décorez vos écrits avec dextérité.
Que dans vos Vers tout falſe image.
De la Fable faites uſage ,
Elle embellit la Vérité.
Mais je donne ici des Préceptes !
Pour former de jeunes Adeptes ,
Ne faut- il donc que des confeils ?
Par l'exemple encor mieux on inftruit vos pareils
Mais je fuis ce Curé qui critique & fermone ,
Et ne fait pas ce qu'il ordonne.
Malgré mes propos entallés ,
Pour mon coeur , c'eft trop peu ; pour ma main
c'eſt affez ,
Je finis donc mon verbiage ,
Damon : J'ai foixante ans paffés :
Les longs difcours font de mon âge .
ParM. l'Abbé CLEMENT , Chanoine de
S. Louis du Louvre.
VERS à Madame DUB.... Actrice de la
Comédie de Metz , en lui envoyant un
Bouquet , la veille d'une Repréfentation
d'Eglé.
QUAUAND il s'agit de vos fuccès ,
Je prononce avant le Parterre ,
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
Et je ne me trompe jamais :
Vous charmerez demain ce Juge fi févère.
Des vrais talens admirateur zélé ,
Il vous couronnera ; mais , je veux , la premiere
Donner des fleurs au triomphe d'Eglé.
Par Madame Dau....
A Madame la P. de * , fur un Bal où
elle fut reconnuе.
QUE les Ris & les Jeux , l'Amour & la Folie
Pallent la nuit au bal , & danſent juſqu'au jour z
Que Terpficore & l'aimable Thalie
En foient les reines tour- à - tour ;
Je le conçois , & c'eft chofe ordinaire.
Mais qu'on y voye,en domino ,
Non Melpomene , Uranie ou Clio ,
( Ce font Prudes qui veulent plaire ; )
Mais la Sageffe , un maſque ſur le front ,
Et dépouillant fon air auftère ;
Voilà ce qui m'étonne & ce qui me confond.
C'eſt bien auffi ce qui m'enchante ;
Dieux ! que je la trouvai charmante ,
Dans le dernier Bal où j'étois !
Que d'enjoûment , que d'efprit & de grâces
Que de bons mots , fi je les racontois !
Les Ris , les Jeux voltigeoient ſur ſes traces
SEPTEMBRE. 1761 . $9
L'Amour n'ofoit en approcher ,
Et la lorgnoit avec envie :
Pour lui plaire & pour la toucher ,
Je crois qu'il eût donné la vie.
Quoi ! l'Amour lui - même être épris
De la beauté des traits de la Sagefſe ?
Ma foi , je n'en fuis point furpris :
C'est que la prudente Déeffe ,
Pour l'emporter fur les Jeux & les Ris ;
De .... dans ce Bal avoit pris
Tout l'agrément & toute la fineffe ,
Au point qu'on s'y feroit mépris ,
C. D. L. P. D. M.
* COUPLETS chantés à la Ferté - fous-
Jouate , à MESDAMES DE FRANCE,
allant à Plombières.
Sur l'Air : Ton humeur eft , Catherine &c .
MESDEMOISELLES ESDEMOISELLES DE FRANCE ,
J'ofons vous faire la cour ;
Vous préfenter en cadence
Nos refpects & notre amour.
Ah ! que vous êtes gentilles!
* Ces Couplets où les fentimens fi naturels au Frand
çois , pour Paugufte fang de fes Maîtres , font fi naïvement
exprimés méritent d'être autfi connus qu'applaudis.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE
1
Que vous avez l'air courtois !
On voit que vous êtes Filles
Du meilleur de tous les Rois.
Si je dilons qu'on vous aime
N'en ayez point de fouci ;
Je le difons à Dieu même ,
Comme à votre Père auffi .
De nos coeurs le pur hommage,
Leur agrée à tous les deux ;
J'espérons cet avantage
De vous , tout ainſi que d'eux.
Le Monde dit qu'à Plombières,
Vous allez boire des eaux .
C'eſt une pauvre ouvriére
Que l'eau pour guérir les maux.
Tenez...le moindre ordinaire ,
Du vin de notre canton
Eft cent fois plus falutaire
Que ces eaux de grand renom.
Je comptions vous faire offrande
De nos plus fameux flacons ;
Mais le bel-air nous commande
De vous donner des bons- bons :
Douze boëtes à chacune ,
C'eft faire au mieux les honneurs
Gardez - en pourtant quelqu'une
Pour vos deux charmantes foeurs
SEPTEMBRE. 1761 : 61
Puifque c'eft auffi l'uſage ,
J'offrons le paffe- partout ;
Car toujours notre Village
Eft ouvert de bout en bout.
Pour vous je les ons fait braves,
En rubans & falbalas :
Ce font les clefs de nos caves ;
Foin !.... ne les emportez pas,
Car ce foir , en nos familles ,
Je voulons boire à Louis ,
Sa Femme , la Bru , fes Filles ,
Ses Fils & fes Petits - Fils.
Que de tout mal Dieu préſerve
Tous ces très- honnêtes gens ;
Que longs jours il leur conferve ,
Pour nous rendre heureux longtemps !
Mefdemoiſelles DE FRANCE ,
Pardon fi j'en ons tant dit ;
C'est qu'on a de l'éloquence ,
Lorſque le coeur y fournit.
Vous aurez , dans ce voyage,
De plus fubtils complimens:
Le nôtre aura l'avantage
Des vrais & pursfentimens
Fait à la Ferté-fous-Jouare
Par Monfieur notre Pasteur,
62 MERCURE DE FRANCE:
Homme d'un mérite rare ,
Car il fait lire par coeur.
En quoi furtout il excelle ,
C'eft en amour pour fon Roi :
Je le prenons pour modéle
Son exemple eft notre loi.
A Mademoiselle DANGEVILLE , fur un
Diamant dont le Roi lui afait préfent
le 3 Juillet 1761 .
GRANDS & petits Faiſeurs de vers ,
Qui pour illuftrer Dangeville ,
En avez remplil'Univers !
A votre ardeur il s'offre un champ fertile .
Le Roi vienten ce jour de lui faire préſent
D'un Diamant .
Ce bienfait fignalé va produire un volume.
Mais Rimailleurs , ou Beaux - Eſprits ,
Croyez- moi , quittez votre plume ,
Il en dit plus que vos écrits .
SEPTEMBRE. 1761 .
VERS fur l'Abrégé Chronologique de
l'Hiftoire de France , de M. le Préfident
HE'NAULT.
LE
C E Livre , fait pour exercer
L'efprit autant que la mémoire ,
Dans un fimple Abrégé d'Hiſtoire ,
Contient le grand Aft de penſer.
E mot de la première Enigme du
mois d'Août , eft Roman . Celui de la feconde
, eft Arlequin . Celui du premier
Logogryphe , eft chapitre , dans lequel on
trouve chape , chapier , Epire , carpe, re ,
arc , Caire , chat , pie , archet , haire, Ea,
Capet , chaire , pate , acre , pith , capre ,
char , harpe , thia , pater , ah , tache, harpic
, rapt , icare ire. Celui du fecond ,
eft , Croute , dans lequel on trouve re, ut,
rue Tot , tour , roue , crote , or , tue , outre
, côte , & cure .
"
ENIGM E.
Dx ma puiffance on n'a que trop de preuvesà
MERCURE DE FRANCE.
Je tombe partout fous les fens.
Il n'eft fans moi ruiffeaux ni fleuves ,
Je fuis le vrai père des vents.
Les Rois , fans mon fecours , n'affemblent point
d'Armées ;
Je régle le cours des années ;
Je vais , je viens , & ne chomme jamais.
L'Art , vrai finge de la Nature ,
Voudroit m'atteindre en ceci : mais ,
En vain il met à la torture
Ses régles , fes jeux , les refforts ;
Il a fait jufqu'ici d'inutiles éfforts.
AUTRE.
SANS rien changer , fous divers ſens ,
Mon nom t'offre , Lecteur , trois êtres différens.
D'abord je fuis un corps , mais un corps peu folide .
Change le fens , je ne fuis plus qu'un ſon :
Change encor , je ſuis un pronom .
Sous le premier afpect , tout bon friand décide
Que l'on me doit féparer de ma foeur ;
Mais fuivant le fort qui me guide ,
Je ſuis ou ne fuis pas pour lui de non-valeur.
Car fi , fubtilement , je me métamorphofe
Dans le quadrupède & l'oifeau ;
Si je viens quelquefois , fous un air tout nouveau
Le régaler : comment fe fait la choſe ?
SEPTEMBRE. 17617 હેતુ
Oh ! par ma foi , je n'en dis rien:
Mais le friand s'en trouve bien.
LOGOGRYPHE.
Iz n'est point pour moi de myſtere ; L
Je lis dans les fiécles paflés :
J'établis la Nobleffe, & fais qu'on la révére :
Les honneurs tels qu'ils font , par mes foins font
tracés.
Lecteur , veux tu bien me connoître ;
Je marche fur dix pieds ; décompoſes mon être ?
Tu trouveras dans moi ce Troyen généreux
Qui ravit à la flâme & fon père & les Dieux ;
Ce qui commande aux Rois , quoique leur propre
ouvrage ;
Un Prophéte fameux objet de notre hommage ;
Un fleuve en Egypte vanté ;
Le plus grand ennemi de la fincérité ;
Une fille d'Atlas , & deux fils de Neptune ;
Ce qu'Ovide employa pour peindre l'infortune ;
Un Athlete célébre ; un Météore aqueux ;
Deux mots latins ; une heſpéride ;
Deux animaux ; l'un fier , l'autre ſtupide
Un frimat trifte & rigoureux ;
Enfin j'offre un Pays en yvoire fertile :
Déja tu tiens mon nom ; rien de moins difficile
66 MERCURE DE FRANCE.
AUTR E.
à Mlle D✶✶✶ à Paris.
VIF , languiffant , tendre , doux ou févere ;
Ꮩ
Charmant en vous , en d'autres éffronté ,
J'ufe de mes droits fans myſtère.
Cependant il en fait quelquefois la beauté ;
Mais belle Iris , je hais l'obſcurité,
Et ces droits ne font beaux qu'au jour , qu'à la
lumiere.
De mes fix pieds , avec facilité ,
On pourra , fi l'on veut , extraire
Pour les Vaiffeaux un lieu de fureté ;
Un cri quelquefois falutaire
A l'homme ivre , au Badaut dans la rue arrêté ;
Contre toute furpriſe un poſte néceſſaire ;
Cet espace de Temps qui , dans la primauté ,
Des plaifirs , des amours , des jeux eft le repaire ,
Et qui dans fon hyver , languiffant , rebuté ,
De bien des maux devient le tributaire ;
Le premier Fondateur d'an Ordre refpecté
Religieux & Militaire ;
Du Languedoc une Cité ;
Un autre de Bohême ; un excès de colere ,
Ou ce mal furieux , terrible & fanguinaire
Partout justement redouté.
Iris , après ce trait il eft temps de me taire;
Je ne me fuis que trop manifefté.
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
2
Dieux ! Thémire est plus belle Au
jourd'hui
que ja mais! Le titre d'infi...
- delle Prete donc des at traits ? A
mour si de son
+
•
crime Tu ne les point
van
-ge; Dois -je être ta victi me Moi
qui suis outrage. ?
Grave
par Me Charpentie.
Imprimé par Tournelle .
SEPTEMBRE . 1761 .
67
ENVÓ I.
A Imable Iris , je n'en fais pas myſtere :
Animé par l'efprit , les graces , la beauté ,
Ce mot a tant d'attraits & tant d'autorité ,
Qu'un feul de votre part eft tout ce que j'eſpére
Je l'attens de votre bonté ;
Jugez s'il doit me fatisfaire !
Par lui l'Auteur fera flatté' ,
Et l'Ouvrage , affuré de plaire.
Par M. DES MARAIS du CHAMBON, en Limousin
LE BERGER TRAHI ,
PARODIE.
Sur l'Air : L'Aurore vient de naître &c.
DIEUX ! IEUX ! Thémire eft plus belle
Aujourd'hui que jamais ;
Le titre d'infidelle
Prête donc des attraits ?
Amour ! fi de fon crime
Tu ne t'es point vangé ;
Dois-je être ta victime ,
Moi , qui fuis outragé ?
68 MERCURE DE FRANCE.
Ses yeux ont plus de charmes
Depuis qu'ils font trompeurs :
Les miens n'ont que des larmes
Pour pleurer mes douleurs .
Amour ! & c.
Son teint , près de Lindore ,
A de nouveaux appas :
Moi , l'ennui me dévore ,
Quand je ne la vois pas.
Amour ! & c .
Lindore a de Thémire
Les foupirs les plus doux
Et moi , fi je foupire ,
Amour , c'eſt de tes coups.
Amour ! & c .
Mais voici l'infidelle ....
Ah , Dieux qu'elle a d'attraits !
Elle eft cent fois plus belle ,
Aujourd'hui que jamais .
Amour ! fais qu'elle m'aime ,
Tu feras mieux vangé :
J'oublie à l'inftant même
Que j'en fus outragé.
Par M. DU M
SEPTEMBRE, 1761 .
ة و
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE à M. ROUSSEAU , Citoyen
de Genève , par un Bourgeois d'Eftavaïe
, Ville du Pays de Vaud en Suiffe.
MONSIEU ONSIEUR ,
Vous êtes trop bon Citoyen pour ne
pas recevoir favorablement la Lettre que
j'ai l'honneur de vous adreffer : elle eſt
d'un Bourgeois d'Eftavaïé , Ville du Pays
de Vaud , affiffe fur la Rive Orientale du
Lac de Neufchatel, dans le canton de Fribourg.
Le hazard m'a fait ouvrir chez un ami
le premier volume de votre nouvelle Héloife
, dont la lecture n'eft pas de mon
état. A l'ouverture de ce Volume je fuis
tombé fur une apoftille capable de faire
de la peine à tous les Bourgeois du Pays
de Vaud elle eft au bas de la page 360 ,
& la voci.
» Le Pays de Vaud n'a jamais fait par-
» tie de la Suiffe : c'eft une conquête des
76 MERCURE DE FRANCE.
» Bernois , & fes Habitans ne font ni Ci-
» toyens , ni libres , mais fujets .
"
»
Je dois maintenir , autant qu'il eft en
moi , l'honneur & les prérogatives de
mon Pays : le Pays de Vaud n'a jamais
» fait partie de la Suiffe » ! Seroit - ce de
l'ancienne Suiffe, de l'Helvétie ? Céfar n'eſt
point de cet avis : ce Conquérant nous
apprend dans fes Commentaires , que » la
» derniere Ville des Allobroges , & la
plus prochaine des bornes de l'Helvé–
» tie , c'étoit Genêye ; que le Pont de cet-
» te Ville portoit par une de fes extrémi-
» tés fur l'Helvétie . ( a ) Or la partie de
l'Helvétie , qui avoifinoit Genève, & qui
s'étendoit jufqu'au Pont de cette Ville ,
c'eft la Province , qui depuis le huitiéme
fiécle fe nomme le Pays de Vaud. Il eſt
donc évident par ce premier trait des
Commentaires, que le Pays de Vaud a fait
partie de l'Helvétie , ou de l'ancienne
Suiffe dans le temps de la conquête des
Gaules.
De plus , l'Helvétie étoit partagée en
quatre Pays ou cantons dans ces mêmes
( a ) Extremum Oppidum Allobrogum eft, proximumque
Helvetiorum finibus Geneva : ex eo
Oppido Pons ad Helvetios pertinet. Cefar , Comin .
Lib 1.chap 5.
SEPTEMBRÉ. 1761 . 71
temps : (b ) deux des quatre occupoient
la Province , qu'on a appellée depuis le
Pays de Vaud. Avenche , Capitale du principal
canton , & même de la Nation
Helvétique au rapport de Tacite : ( c ) la
Ville d'Orbe ( d ) Capitale du canton de
fon nom font celle- ci au centre , l'autre
au Nord de cette Province.
Tous les critiques font d'accord au fujet
d'Avenche : les Inferiptions , les Médailles
, & les autres monumens que l'on
trouve encore fréquemment dans cette
Ville , & dans fes environs ; Tacite , qui
nous apprend , que l'Armée de Vitellius ,
après avoir faccagé ( e ) le Pays Helvétique
, marcha droit à cette Ville , Capitale
du Pays ; fon Siége Epifcopal établi dès
les premiers fiécles de l'Eglife , transferé
à Laufanne au commencement du feptićme
fiécle par Saint Maire , Auteur de la
Chronique de fon nom ; (f) les fignatures
de fes Evêques aux Conciles Nationaux
du premier Royaume de Bourgogne, leurs
Droits Seigneuriaux fur cette Ville , tout
( b ) Omnis civitas Helvetia in quatuor Pagos
divifa eft Caf. Comm . lib . 1. cap. 10. ( c ) Aventi
cum gentis caput Tacit. lib. 1. n°. 68 ( d ) Pagus
Urbigenus ou Verbigenus . Caf. ) ( e Tacit. ibid.
(f)Marius Aventicenfis : Il a figné au fecond
Concile de Châlon en Bourgogne Marius Epifcopus
Ecclefiæ Aventicæ.
72 MERCURE DE FRANCE.
a perpétué la mémoire de la fituation ď
venche & de fon canton. Cette Ville n'eſt
point la dernière du Pays de Vaud vers le
Nord : la Ville de Morat & plufieurs autres
lieux reculent encore plus loin les
bornes Septentrionales de cette Province.
( g )
Lecanton d'Orbe étoit également dans
le Pays de Vaud. ( h ) Je fçais que M. de
(g ) Wattev . hift . de la Confédération Helvétique
, Tom . 1. liv . 2. pag . 65 .
( h ) Le canton appellé Pagus Urbigenus ou
Verbigenus ne peut convenir qu'aux environs de
la rivière & de la Ville d'Orbe : ce mot latinifé de
Céfar, eft un compofé de deux mots Celtiques. *
Gen ou Gent fignifioit habitation dans cette langue
, comine Mag , qui fert de terminaifon à tant
de Villes, paroît fignifier un grand lieu , une Ville :
Ourb ou Querb paroît un nom de lieu ou
de rivière : Il n'y a dans toute la Suiffe aucun lieu ,
ni aucune rivière , qui approche de ce nom , que
la rivière & la Ville d'Orbe . Cette Ville étoit encore
confidérable fous la deuxième race des Rois
de France ; puifque Charlemagne y avoit un Château
de Plaifance ** On fçait d'ailleurs , que les
noms des principales rivières n'ont changé que par
la terminaifon latine.
Quant au mot Gen , plufieurs endroits de la
Celtique & du voifinage portent cette fyllabe, furtout
ceux qui font fitués fur des eaux , comme
* L'Abbé Lebeuf , Hift. du Dioc. de Paris , au mot
Gentilli.
** Delices de la Suiffe, Wattevil. ibid.
Bochat
SEPTEMBRE . 1761 . ཧརྟ
Bochat a transporté le canton appellé Urbigenus
Pagus, dans l'Argeu , ou l' Argou .
contrée arrolée par la rivière d'Aare :
mais la critique ne commet aucune injuftice
contre le Pays de Vaud ; à ce canton
elle fubftitue le canton nomnić Pagus Antuaticus
, qui occupoit faivant lui tout le
territoire depuis l'ancienne Abbaye d'Agaune
, ou de Saint Maurice fur les confins
du Vallais , jufqu'au pont de Genève
en tournant par Laufanne , & les rives
Juranes du Lac Léman . Quoiqu'il en foit
Genève , Geneva , Orléans , Genabum , tous les
Nogens , Gène , Genua dans la Gaule Citérieure
ou Cifalpine &c. Ce mot étoit probablement adoptif
dans la langue Celtique Les mots grecs
γένος & γίνομαι pouvoient y avoir donné lieu depuis
la defcente des Phocéens Céfar nous dit ,
qu'après la déroute des Helvétiens au paffage de
la Sône on trouva dans leur Camp le dénombrement
de leur Arnée en Lettres grecques :
Ces caractères étoient en ufage dans toutes les
Gaules .
*
Je me rappelle à ce propos que les étymologies
de Genève , refurées par M. Spon, Hiftoriographe
de cette Ville , font en effet toutes ridicules . Geneve
parcit venir le deux noms Celtiques Gen &
Eve on Ive , ou Abe comme dans les Villes citées
plus haut ce qui les a fouvent fait confondre dans
les fiécles du moyen âge : Ces dernières fyllabes
* Tabule Litteris Græcis confe& æ.
D
74
MERCURE DE FRANCE.
"
des fçavantes recherches de M. Bochat ;
( i ) Il fuffit à mon objet que cet habile
en différentes dialectes Celtiques paroiffent fignifier
de l'eau les mots grecs ev , mouiller ,
ag de l'eau en approchent beaucoup * : Dans
lequel cas le mot Genève fignifieroit en Celtique
habitation fur l'eau, comme Urbigenum, habitation
fur l'Orbe : Ivoire , Ivodorum , Eviam , Eviomagus
fur le Lac de Genève , & Iverdun , Ebrodunum ,
Ivonans , Ivonenfis Vicus fur le Lac de Neufchatet
, & ailleurs Lodève , Luteva fur la Lergues
& c. auroient la même fignification modifiée différemment.
Quant au Pays d'Argeu , ainfi nommé , parce
qu'il eft traversé par la rivière d'Aare jufqu'au
Rhin , c'eft un nom Germanique , bien poftérieur
au temps de Céfar. Cette contrée renferme une
partie des cantons d'Avenche , de Zurich ** des
Rauraciens , des Nantuates voifins des Alpes & du
Rhin : Auffi l'Argeu eft-il de trois Diocèfes , de
celui d'Avenche , transferé à Laufanne , de celui
d'Augft , Capitale des Rauraciens , *** transféré à
Bafle , de celui de Vindiſch , **** transféré à Conftance
: On fçait que les Diocèles ont confervé les
anciennes divifions des Pays : mais après avoir
trouvé la place de trois ou quatre peuples dans
l'Argeu , comment y placer le Pays Urbigenus Pa
gus ? L'Argeu n'eft pas affez confidérable. L'Antuaticus
feroit mieux rapporté aux cantons de Zug
***** Switz & environs .
( i ) Mémoire crit tique fur la Suiffe , Tom . I.
* Le mot Celtique Adour , qui s'eft confervé dans le
bas Breton , fignifie auffi de l'eau.
***
Pagus Tigurinus. Cef.
Augufta Rauracorum .
**** Vindoniffa on Vindiciæ Helvetim.
***** Tugium.
SEPTEMBRE. 1761 . 75
critique ait reconnu dans le pays de Vaud
deux cantons des quatre mentionnés par
Jules -Céfar : C'en eft affez pour conclure
que cette Province a toujours été une des
grandes parties de l'Helvétie.
Enfin pour comble d'évidence , César
nous apprend que les limites des Helvé
tiens fembloient avoir été tracées par la
nature même ( k ) : le Rhin les féparoit
» des Germains , le Mont Jura des Séqua-
» niens , le Lac de Genève & le Rhône de
la Province Romaine » : Si le Pays de
Vaud eft renfermé dans cette enceinte ;
il eft hors de doute , qu'il a fait partie de
l'ancien Pays des Suiffes : Or il n'eft rien
de plus évident : le Pays de Vaud eft borné
au couchant par le Mont-Jura , qui le
fépare des Séquaniens , ( 4 ) au midi par le
Lac Léman & le Rhône , qui le féparent
des anciens Véragres , Séduniens , & Allobroges
appellés notre Province par Céfar
,(m ) au Nord par le Pays d'Argeu , qui
( k Undique loci natura Helvetii continentur :
unâ ex parte flumine Rhono latiffimo atque altif
-fimo , qui agrum Helvetium à Germanis dividit :
alterâ ex parte monte jurâ altiffimo , qui eft inter
Sequanos & Helvetios : tertiâ lacu Lemano &
flumine Rhodano , qui Provinciam noftram ab
Helvetiis dividit Caf. comm . lib. 1. cap . 2.
(1 ) La Franche Comté .
(m ) Le haut & le bas Valais , la Savoye,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
conduit les rivières du Pays de Vaud dans
le Rhin , enfin au Levant par les Alpes :
L'infpection de la Carte rend la chofe
palpable.
"
Que fignifie donc cette propofition ?
» Le Pays de Vaud n'a jamais fait partie
de la Suiffe » : Quel fens peut - on lui
donner ? Si on entend par la Suiffe l'ancienne
Helvétie , elle eft évidemment
fauffe.
La propofition ne gagne rien , s'il eft
queftion de la Suiffe moderne : depuis le
premier cri de la liberté à la fin de 1315 ,
le Corps Helvétique n'a pris fa confiftance
actuelle , que dans l'efpace de deux cent
vingt ans Fribourg & Soleure ne fe font
cantonnés qu'en 1481 , Bafle & Schaffhouſe
en 1501 , Appenfel en 15 13 , enfin
le Pays de Vaud s'eft réunis aux cantons
de Berne , & de Fribourg en 1535 ,
& 36 , c'eft-à-dire , 3 ; ans après l'union
de Bafle & de Schaffhoufe au Corps Helvérique
, & 23 ans après celle d'Appen
fel. Parce que Fribourg & Soleure n'ont
fait corps avec les autres cantons que cent
foixante fix ans après la première Confédération
Helvétique , Bafle , Schaffhouſe &
Appentel prefque deux cent ans après cette
même époque ; dira- t - on , que ces cantons
n'ont jamais fait partie de la Suiffe
SEPTEMBRE. 1761. 77
:
moderne ? Parce que la Guienne , la Normandie
, & d'autres Provinces ont été
long - temps poffédées par les Rois d'Angleterre
dira-t - on , que ces Provinces
n'ont jamais fait partie du Royaume de
France ? De quel il regarderiez -vous de
emblables raifonnemens Il y a deux cent
quarante huit ans , qu'Appenfel fait partie
de la Suiffe moderne : il y en a deux
cent vingt -cinq , que le Pays de Vaud en
fait une bien plus grande partie : c'eſt une
différence de 23 ans : mais dans l'efpace
de plufieurs fiécles , & lorfqu'une Républi
que s'établit , cet intervalle ne doit faire
aucune fenfation . En bonne Phyfique , les
grands corps ne fçauroient prendre toutleurs
affiétes : Concluons donc ,
Monfieur , que le Pays de Vaud a toujours
fait partie de la Suiffe . Cette propofition
eft l'antipode de la vôtre : Auffi faut-il
avouer que l'Apoftille pafferoit pour romanefque
, fi elle étoit dans le texte , &
fi l'intérêt du Roman l'éxigeoit .
à coup
Mais , dira t- on , les Sénats Souverains
de Berne & de Fribourg font tirés des
Bourgeois de ces deux Capitales , & non
pas du Pays de Vaud : donc le Pays de
Vaud n'a jamais fait partie de la Suiffe .
Si cette conféquence eft bonne ; j'ai droit
de tirer celle- ci : Donc tout ce qui n'eft
D iij
78 MERCURE DE FRANCE:
point Bourgeois de Berne , de Fribourg &
des autres Capitales des grands cantons ,
n'a jamais fait partie de la Suiffe. Ce Pays
feroit étonné d'être réduit à une fi petite
étendue Cette dernière conféquence eft
ridicule la premiere l'eft auffi .
Le Pays de Vaud , » ajoute l'Apoftille ,
» eft une conquête des Bernois » C'est-àdire
, fans doute , les Bernois fe font emparés
de ce Pays par la force des Armes.
» Ses Habitans ne font point Citoyens : "
les Bernois les ont donc privés du droit de
Bourgeoisie , ( car le mot de Citoyen n'eſt
pas connu en Suiffe ) » Ils ne font point
libres , mais fujets , » ou bien ils font fujets
fans être libres , c'est - à dire , efclaves.
Ne diroit-on pas que quelque Conquérant
Afiatique a mis le Pays de Vaud dans les
fers ? Dans un tableau fi peu reſſemblant
qui pourra jamais reconnoître la fageffe
du Gouvernement Helvétique , & le caractère
dominant de la Nation ? Le terme
de conquête n'a pas la même fignification
en Suiffe & ailleurs : Les conquê
tes des Suiffes ne font qu'une extenfion de
la liberté . Bellinzone , Lugan , & Locarne
, conquête des Suiffes fur la Duché de
Milan , fentirent trop bien le prix de la
liberté , pour ne pas s'attacher inviolableSEPTEMBRE.
1761 . 79
ment à leurs nouveaux Maîtres ( n ) .
Les Bernois porterent à la vérité leurs
armes dans le Pays de Vaud en 1535 :
Deux raifons importantes empêchoient
ce Pays de concourir à faire renaître l'ancienne
Helvétie telle , qu'elle avoit exiſté
au fiècle de Jules - Céfar.
La première étoit que cette Province
jouiffoit d'une parfaite liberté fous la fouveraineté
du Duc de Savoye , de l'Evêque
de Laufanne , & de quelques autres Maifons
confidérables ( o ) . Telle a été &
telle eft encore la liberté de la Comté de
Neufchatel fous la fouveraineté de fes
Princes , & en dernier lieu des Rois de
Pruffe. Pendant que les Tell , les Stauffach
, les Furft , les Melchtal , ces braves
Auteurs de la liberté , voyoient avec larmes
leurs Concitoyens gémir fous le poids
de la tyrannie dans la Partie Septentrio
nale de la Suiffe ; la Partie Méridionale
qui eft le Pays de Vaud , refpiroit un air
bien différent.
Le Domaine des Princes étoit partout
diftingué du patrimoine des Sujets : ceux-
>
(n Mezerai à l'année 1515. Wattev : hift. de
la Confédération Helvet. à l'année 1500.
( o ) La Maiſon de Châlon en plufieurs Seigneuries
celle de Hochberg dans la Comté de Neufchatel.
Div
78 MERCURE DE FRANCE:
point Bourgeois de Berne , de Fribourg &
des autres Capitales des grands cantons ,
n'a jamais fait partie de la Suiffe . Ce Pays
feroit étonné d'être réduit à une fi petite
étendue Cette dernière conféquence eft
ridicule la premiere l'eft auffi .
Le Pays de Vaud , » ajoute l'Apoſtille ,
» eft une conquête des Bernois » : C'est- àdire
, fans doute , les Bernois ſe ſont emparés
de ce Pays par la force des Armes.
» Ses Habitans ne font point Citoyens : »
les Bernois les ont donc privés du droit de
Bourgeoisie , ( car le mot de Citoyen n'eſt
pas connu en Suiffe ) " Ils ne font point
libres , mais fujets , » ou bien ils font fujets
fans être libres , c'eft - à dire , efclaves.
Ne diroit-on pas que quelque Conquérant
Afiatique a mis le Pays de Vaud dans les
fers Dans un tableau fi peu reffemblant
qui pourra jamais reconnoître la ſageſſe
du Gouvernement Helvétique , & le caractère
dominant de la Nation ? Le terme
de conquête n'a pas la même fignification
en Suiffe & ailleurs : Les conquê
tes des Suiffes ne font qu'une extenfion de
la liberté. Bellinzone , Lugan , & Locarne
, conquête des Suiffes fur la Duché de
Milan , fentirent trop bien le prix de la
liberté , pour ne pas s'attacher inviolableSEPTEMBRE.
1761 . 79
ment à leurs nouveaux Maîtres ( n ) .
Les Bernois porterent à la vérité leurs
armes dans le Pays de Vaud en 1535 :
Deux raifons importantes empêchoient
ce Pays de concourir à faire renaître l'ancienne
Helvétie telle , qu'elle avoit exifté
au fiècle de Jules -Céfar.
La première étoit que cette Province
jouiffoit d'une parfaite liberté fous la fouveraineté
du Duc de Savoye , de l'Evêque
de Laufanne , & de quelques autres Maifons
confidérables ( o ) . Telle a été &
telle eft encore la liberté de la Comté de
Neufchatel fous la fouveraineté de fes
Princes , & en dernier lieu des Rois de
Pruffe . Pendant que les Tell , les Stauffach
, les Furft , les Melchtal , ces braves
Auteurs de la liberté , voyoient avec larmes
leurs Concitoyens gémir fous le poids
de la tyrannie dans la Partie Septentrio
nale de la Suiffe ; la Partie Méridionale ,
qui eft le Pays de Vaud , refpiroit un air
bien différent.
Le Domaine des Princes étoit partout
diftingué du patrimoine des Sujets ceux-
(n` Mezerai à l'année 1515. Wattev : hift. de
la Confédération Helvet. à l'année 1500.
( o ) La Maiſon de Châlon en plufieurs Seigneu
ries : celle de Hochberg dans la Comté de Neufchatel,
1
Div
78 MERCURE DE FRANCE:
point Bourgeois de Berne , de Fribourg &
des autres Capitales des grands cantons ,
n'a jamais fait partie de la Suiffe . Ce Pays
feroit étonné d'être réduit à une fi petite
étendue Cette dernière conféquence eft
ridicule la premiere l'eft auffi .
Le Pays de Vaud , » ajoute l'Apoftille ,
» eft une conquête des Bernois » : C'est-àdire
, fans doute , les Bernois fe font emparés
de ce Pays par la force des Armes.
» Ses Habitans ne font point Citoyens : "
les Bernois les ont donc privés du droit de
Bourgeoifie , ( car le mot de Citoyen n'eſt
pas connu en Suiffe ) Ils ne font point
libres , mais fujets , » ou bien ils font fujets
fans être libres , c'eſt - à dire , efclaves .
Ne diroit- on pas que quelque Conquérant
Afiatique a mis le Pays de Vaud dans les
fers ? Dans un tableau fi peu reſſemblant
qui pourra jamais reconnoître la fageffe
du Gouvernement Helvétique , & le caractère
dominant de la Nation ? Le terme
de conquête n'a pas la même fignification
en Suiffe & ailleurs : Les conquê
tes des Suiffes ne font qu'une extenfion de
la liberté. Bellinzone , Lugan , & Locarne
, conquête des Suiffes fur la Duché de
Milan , fentirent trop bien le prix de la
liberté , pour ne pas s'attacher inviolableSEPTEMBRE.
1761 . 79
ment à leurs nouveaux Maîtres ( n ).
Les Bernois porterent à la vérité leurs
armes dans le Pays de Vaud en 1535 :
Deux raifons importantes empêchoient
ce Pays de concourir à faire renaître l'ancienne
Helvétie telle , qu'elle avoit exifté
au fiècle de Jules -Céfar.
La première étoit que cette Province
jouiffoit d'une parfaite liberté fous la fouveraineté
du Duc de Savoye , de l'Evêque
de Laufanne , & de quelques autres Maifons
confidérables ( o ) . Telle a été &
telle eft encore la liberté de la Comté de
Neufchatel fous la fouveraineté de fes
Princes , & en dernier lieu des Rois de
Pruffe. Pendant que les Tell , les Stauffach
, les Furft , les Melchtal , ces braves
Auteurs de la liberté , voyoient avec larmes
leurs Concitoyens gémir fous le poids
de la tyrannie dans la Partie Septentrio
nale de la Suiffe ; la Partie Méridionale
qui eft le Pays de Vaud , refpiroit un air
bien différent.
Le Domaine des Princes étoit partout
diftingué du patrimoine des Sujets ceux-
(n Mezerai à l'année 1515. Wattev : hift. de
la Confédération Helvet. à l'année 1500.
>
( o ) La Maiſon de Châlon en plufieurs Seigneuries
: celle de Hochberg dans la Comté de Neufchatel.
Div
78 MERCURE DE FRANCE:
point Bourgeois de Berne , de Fribourg &
des autres Capitales des grands cantons ,
n'a jamais fait partie de la Suiffe . Ce Pays
feroit étonné d'être réduit à une fi petite
étendue Cette dernière conféquence eft
ridicule la premiere l'eft auffi.
Le Pays de Vaud , » ajoute l'Apoftille ,
» eft une conquête des Bernois » : C'eſt-àdire
, fans doute , les Bernois fe font emparés
de ce Pays par la force des Armes .
Ses Habitans ne font point Citoyens : »
les Bernois les ont donc privés du droit de
Bourgeoisie , ( car le mot de Citoyen n'eft
pas connu en Suiffe ) » Ils ne font point
libres , mais fujets , » ou bien ils font fujets
fans être libres , c'eft -à dire , efclaves .
Ne diroit- on pas que quelque Conquérant
Afiatique a mis le Pays de Vaud dans les
fers ? Dans un tableau fi peu reffemblant
qui pourra jamais reconnoître la ſageſſe
du Gouvernement Helvétique , & le caractère
dominant de la Nation ? Le terme
de conquête n'a pas la même fignifi
cation en Suiffe & ailleurs : Les conquêtes
des Suiffes ne font qu'une extenfion de
la liberté. Bellinzone , Lugan , & Locarne
, conquête des Suiffes fur la Duché de
Milan , fentirent trop bien le prix de la
liberté , pour ne pas s'attacher inviolableSEPTEMBRE.
1761. 79
ment à leurs nouveaux Maîtres ( n ).
Les Bernois porterent à la vérité leurs
armes dans le Pays de Vaud en 1535 :
Deux raifons importantes empêchoient
ce Pays de concourir à faire renaître l'ancienne
Helvétie telle , qu'elle avoit exiſté
au fiècle de Jules - Céfar.
La première étoit que cette Province
jouiffoit d'une parfaite liberté fous la fouveraineté
du Duc de Savoye , de l'Evêque
de Laufanne , & de quelques autres Maifons
confidérables (o ). Telle a été &
telle eft encore la liberté de la Comté de
Neufchatel fous la fouveraineté de fes
Princes , & en dernier lieu des Rois de
Pruffe . Pendant que les Tell , les Stauffach
, les Furft , les Melchtal , ces braves
Auteurs de la liberté , voyoient avec larmes
leurs Concitoyens gémir fous le poids
de la tyrannie dans la Partie Septentrionale
de la Suiffe ; la Partie Méridionale
qui eft le Pays de Vaud , refpiroit un air
bien différent .
Le Domaine des Princes étoit partout
diftingué du patrimoine des Sujets ceux-
>
(n Mezerai à l'année 1515. Wattev : hift . de
la Confédération Helvet. à l'année 1500.
( o ) La Maiſon de Châlon en plufieurs Seigneuries
: celle de Hochberg dans la Comté de Neufchatel.
Div
So MERCURE DE FRANCE .
ci nommoient leurs Magiftrats àla pluralité
des fuffrages , comme cela fe pratique
encore ; leurs affaires à décider ne fortoient
point du Pays ; les plus importantes
fe difcutoient , fe terminoient à l'affemblée
générale de la Province, qui pour
le reffort du Duc de Savoye ,, fe tenoit à
Moudon ( p ) , Ville au centre du Pays de
Vaud ; point de troupes étrangères à leur
folde ; leurs propres armes étoient leur
défenfe ; point de Gouverneurs impérieux
& tyranniques ; leur coûtume étoit leur
Loi fondamentale ; que manquoit- il à leur
liberté Ils en jouiffoient avant que leur
voifins & leurs frères opprimés euffent fecoué
le joug. A cette heureufe fituation
joignez le penchant , qui porte naturellement
à aimer fon Souverain : c'en eft affez
pour réfifter à de nouvelles entrepriſes .
Mais le Zuinglianiſme , qui s'établiſfoit
partout à l'abri des Etendarts Bernois
, & au bruit du canon , achevoit d'aliéner
les efprits ; & liberté pour liberté ,
ils aimoient mieux conferver leur Religion.
De -là vient que les Fribourgeois attachés
au Chriftianifme , tel qu'on l'avoit
toujours profeffé , n'éprouvérent pas la
(p ) Ruchat , hift. de la Réform.
SEPTEMBRE . 1761. 81
même réſiſtance dans la partie du Pays de
Vaud , qui eft de leur canton : fans coup
férir, ils s'accrurent des Comtés de Gruieres
& de Romont , des Seigneuries d'Eſtavaïé
, de Bulle , de Rue , de Vaulru, de
Chatel Saint Denis &c . La voie de négociation
fit tous les frais de la conquête de
ces derniers .
L'Apoftille décide , que les Habitans
» du Pays de Vaud ne font pas Citoyens.
Ils ne font pas , il eft vrai , Bourgeois de
Berne & de Fribourg ; mais réciproquement
les Bourgeois de ces deux Villes
n'ont pas le droit de Bourgeoisie dans le
Pays de Vaud : Un membre même des Sénats
Souverains de Berne & de Fribourg
quelque qualifié qu'il foit , eft fujet à la liberté
des fuffrages de ceux du Pays de
Vaud , dont il recherche la Combourgeoi
fie.
"
?
Enfin les Habitans du Pays de Vaud
» ne font pas libres , mais fujets. » Ils
font fujets , & ils s'en félicitent : donc ils
ne font pas libres. L'induction paroît toutà-
fait fingulière. Ne trouveriez - vous la li
berté que dans l'Anarchie ? Les Suiffes
même l'abjuteroient à cette condition :
j'oſe me perfuader , que vous l'abjureriez
vous -même comme une fource de licences.
En effet l'amour filial, le dévoûment ,
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
le refpect , dont vous donnez des marques
au Sénat Souverain de Genève dans un de
vos écrits , vous annoncent comme un des
meilleurs Sujets de cette République .
Mais pourquoi mettez - vous en oppofition
la liberté & la fujettion ? C'est un
paradoxe qu'un Bourgeois d'Eftavaïé ne
fçauroit demêler ; fa Philofophie ne va
pas jufques - là.
Je m'en tiens à foutenir avec évidence
'de caufe , qu'en Suiffe , comme à Genève ,
tous les individus font fujets ; que les deux
cent, qui compofent le Confeil Souverain
d'un grand canton , poffédent en corps
la
Souveraineté ; que les Bourgeois du Pays
de Vaud font dans leur Pays, comme tous
les autres Sujets des treize cantons ; qu'ils
ont la même liberté ; que la fageffe , qui
régle la liberté, réfide , il eft vrai , principalement
dans le Sénat : mais que le Pays
de Vaud eft un des bras les plus puiffans
de la Suiffe pour la foutenir , pour la dé
fendre , & pour la venger.
J'ai l'honneur d'être &c .
A. J. G. Bourgeois d'ESTAVAIE
SEPTEMBRE. 1761 . 83
HISTOIRE DE FRANCE depuis l'Etabliffement
de la Monarchie , jusqu'au
régne de Louis XIV. Tomes IX & X.
O
par
Na rehdu compte des premiers volumes
de cette hiftoire , commencée
M. l'Abbé Velly. Le Public appréhendoit
que la mort imprévue de cet eftimable
Ecrivain n'arrêtât le cours d'un Ouvrage
fi intéreffant pour la Nation : le préjugé
peut -être injufte , mais malheureuſement
établi contre les Continuateurs , fembloit
juftifier cette crainte. Nous ne pouyons
choifir de voie plus fimple pour
mettre nos Lecteurs à portée de fe former
une idée de la continuation entreprife
par M. de Villaret , qu'en le préfentant
lui - même , c'eſt- à- dire, en rapportant
quelques paffages tirés de ces deux
volumes , capables de faire connoître fi
l'Auteur a fçu réunir les genres différens
qui caractérisent l'éloquence hiftorique .
M. de Villaret , dans l'Avant - propos
qui eft imprimé au commencement
du
IX volume , paroît avoir faifi le plan
de fon prédéceffeur . C'eft , dit- il , l'hif
toire de nos loix , de nos moeurs , de nos
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
ufages , de nos découvertes , plus ou moins
rapides dans les Arts & dans les Sciences
& des divers établiffemens qui en
ont été les fruits . Tous ces objets incorporés
à l'hiftoire générale , doivent marcher
d'un pas égal avec les événemens
afin que le Lecteur puiffe à chaque inf
tant comparer les François avec eux - mêmes
, en rapprochant les changemens
furvenus dans la légiſlation , dans le gé
nie des Peuples , dans leur caractère
dans la forme du Gouvernement ; variations
qu'on ne peut juftement apprécier
, fans remonter aux principes d'ou
elles émanent. Tel eft l'objet de cette
nouvelle Hiftoire de France.
Les deux volumes qui paroiffent aujourd'hui
, dans l'efpace de trente années
embraffent le règne de Jean II , &
la plus grande partie de celui de Charles
V. La France fous ces deux Monarques
s'offre dans des fituations bien différentes.
L'imprudence de Jean produit les
plus funeftes revers : la foibleffe des Princes
, l'ambition des Grands , le mécontentement
des Peuples , le déréglement
& l'infolence des gens de guerre , bouleverfent
le Royaume , qui fe trouve fur
le penchant de fa ruine ; une feule bataille
perdue produit ces triftes effets ;
ג
SEPTEMBRE . 1761. 85
il femble que l'État n'a plus de reffources
après la journée de Poitiers . Charles
Dauphin rétablit par fa fageffe les défordres
publics ; il répare les fautes de fon
père. La conduite de ces deux Princes
offre le contrafte le plus frappant. Voici
le portrait que M. de Villaret trace du
caractère & du génie des deux Rois .
» Jean étoit âgé de 45 ans lorfqu'il mou-
» rut. On ne peut trop fortement repré-
» fenter aux Rois , que celui qui peut tout
» ce qu'il veut, ne doit jamais vouloir fe
» venger : récompenfer ou punir , voilà
» fes droits , dont il ne peut abufer qu'à
» fa honte & pour le malheur du genre
» humain. Jean fe laiffa dominer par la
» colére : cette paffion offufqua les lu-
" mières de fon efprit. Formé pour tout
» autre rang que celui qu'il occupa, il eût
» été peut être un grand homme , il ne
»fut pas un grand Roi. Généreux , fin-
» cère , libéral , amateur des Lettres , de
و د
و ر
la juftice , de la piété , fidéle à fa pa-
» role , brave juſqu'à l'héroïſme , conf-
» tant dans l'amitié, mais implacable dans
»fa haine , facrifiant tout à fa vengean-
» ce , toujours entraîné par les accès de
» fon impétuofité , il commit des fautes
» irréparables. L'adverfité fit en lui un
» changement furprenant. Il ne fut plus
و د
86 MERCURE DE FRANCE.
"
"
» le même Prince depuis que vaincu &
»fait prifonnier , il lutta feul contre la
" fortune qui l'accabloit . Toute la dureté
» de fon caractère diſparut : il ne lui reſta
plus de cette infléxibilité d'âme , qu'un
» courage invincible éprouvé par les re-
» vers. Il fçut alors pardonner : on le
»vit lorfque Paris rentra fous fon obéif-
»fance , écrire aux habitans avec la bon-
» té d'un père qui excufe fes enfans. Il
» défendit qu'on ufât de rigueur. L'hu-
» manité avoit repris fes droits fur un
» coeur aveuglé par la flatterie . Il recon-
» nut fes erreurs ; & par une efpéce de
prodige , il fe concilia dans le malheur
»l'amour de fes Peuples , l'eftime & le
refpect de ſes ennemis. Au refte, il faut
» convenir que l'indocilité de fes Sujets
» contribua autant que fon imprudence
» aux calamités publiques. Ils avoient
» beſoin auffi bien que leur Souverain ,
» d'être inftruits par l'infortune. Jean
"
39.
aima les Lettres & les cultiva lui-mê-
» me. Il anima les Sçavans par la pro-
» tection & les récompenfes qu'il leur
» accorda. Il avoit fait traduire en Fran-
» çois une grande partie de la Bible &
plufieurs autres Ouvrages de piété. Son
goût pour les bons Auteurs Latins lui
fir defirer d'avoir leurs productions en
"
SEPTEMBRE . 1761 . 87
notre Langue . On lui doit la plus an-
» cienne Traduction que nous connoif-
» fions des Décades de Tite- Live , que
Pierre Bercheure Prieur de S. Eloi en-
» treprit par fes ordres. Cette Traduction
» fut fuivie de celle de Sallufte , de Lu-
» cain , des Commentaires de Céfar. Les
" Poëtes & les Orateurs de l'ancienne
» Rome devenus plus communs , excité-
» rent notre émulation , & préparérent la
» renaiſſance des Lettres négligée en
» France depuis longtemps.
Le commencement du dixième Volume
prépare le Lecteur aux heureux changemens
opérés par la prudence du nouveau
Monarque. » La France , dit - il ,
"
paroiffoit réduite au dernier degré d'a-
» baiffement. Il y avoit peu d'apparence
» qu'elle pût fe relever fitôt de tant de
» pertes ; mais il eft dans tous les états ,
» & furtout dans le nôtre , des reffources.
» qui n'attendent pour ſe manifefter , que
» les lumières d'un génie actif , qui fça-
»che faire jouer à propos ces refforts in-
» connus au vulgaire. Un Prince éclairé
» peut tout , lorſqu'attentif à profiter des
circonftances , il fçait allier la ſageſſe à
» la vigilance. Charles , d'une fanté déli-.
cate , peu propre aux expéditions militaires
, monta fur le Trône dans un
88 MERCURE DE FRANCE.
» temps où la conjoncture préfente fem-
» bloit exiger un Prince guerrier , dont
» la valeur fût capable de repouffer un
» ennemi devenu trop puiffant , & de ré-
» tablir les limites de l'Empire . Ce Roi
» du fond de fon cabinet exécuta fans ti-
>
rer l'épée, ce qu'on auroit à peine ofé
»fe promettre du plus grand Capitaine .
» Le régne de ce Monarque , malheu-
» reufement d'une trop courte durée , va
» prouver combien la fupériorité des lu-
» mières l'emporte fur l'excès du coura-
" ge on fe formera une juſte idée des
» vertus les plus éffentielles dans un Sou-
» verain. Charles V. peut apprendre à
" tous les Monarques la route qu'ils doi-
» vent fuivre pour fe couvrir de gloire
» rendre leur État floriffant , & affurer la
» félicité des Peuples que la Providence
» leur a foumis . Il portoit dans un corps
» débile une âme forte , intelligente &
courageufe , qualités dont la droiture
» de fon coeur ne lui permit jamais d'a-
" bufer. Il montra que la faine politique
» & la probité font inféparables : incapa-
» ble de tromper , il ne fe laiffa jamais
furprendre. Il foutint avec vigueur fes
» demandes autorifées par la juftice.
Eprouvé par les contradictions , il fe
forma une habitude de conftance que
و د
و د
ود
SEPTEMBRE. 1761 . 89
» rien n'étoit capable d'ébranler : enfin
» il enchaîna la fortune par les liens les
plus folides & " les plus honorables , la
ور
fageffe & la probité. Il acquit la con-
" noiffance des hommes , connoiffance fi
» néceffaire à ceux qui font chargés de les
» conduire ; il mit en ufage leurs bonnes
» qualités pour le bien du gouvernement .
"
"
"
Il fit plus , il tira même quelque utilité
» de leurs défauts : la prudence préfidoit
à toutes les actions . Sa bonté tempéra
» la févérité de la juftice : il défendit fes
Sujets , i les foulagea , il anima les
» Sciences & les Arts par fon exemple &
» par les récompenfes dont il les honora :
il fut généreux avec oeconomie , égale-
» ment éloigné de l'avarice & de la prodigalité
: exact à remplir les obligations
» facrées de la Religion , il fut pieux par
goût autant que par devoir. Quoiqu'il
» fût la meilleure tête de fon Confeil , il
» écoutoit tous les avis , & ne rougiffoit
pas de réformer le fien. L'État reprit
» une nouvelle face fous la domination
» de ce grand Prince : la Nation recouvra
»fon ancien luftre. Il travailla toute fa
» vie pour le bonheur de fes Sujets , il les
» aima , il en fut aimé , il mérita leur
» plus tendre attachement : c'est le plus
» beau trait dont on puiffe couronner fon
éloge.
"
"
و د
"
o MERCURE DE FRANCE.
Un exemple fuffira pour faire connoître
la maniere dont M. de Villaret peint
les évenemens . Nous choififfons l'inftant
où Paris rentre fous l'obéiffance de fon
Souverain par la mort des Factieux . » Le
» Roi de Navarre , tranquille fpecta-
» teur de ces défaftres , voyoit avec une
» fatisfaction fecrette les Parifiens punis
au gré de fon reffentiment. Il efpéroit
» d'ailleurs que les incommodités qu'ils
»fouffroient , les amèneroient à fe livrer
» eux- mêmes entierement à fa difcrétion.
» La confufion étoit pouffée trop loin
» pour fubfifter encore long- temps dans
» cet état : il falloit que cette criſe vio-
» lente fe terminât par une réfolution dé-
» cifive . Marcel n'efperant plus obtenir
» du regret une grace , dont fes crimes
» l'avoient rendu indigne , détefté de la
» plus grande partie du Peuple , dont il
» avoit été l'idole , en horreur à tous les
» bons Citoyens , n'avoit plus rien à mé-
» nager. Le feul parti qu'il avoit à pren-
» dre étoit , ou de s'enfevelir fous les rui-
» nes de fa faction , ou de s'abandonner
"
"
fans réferve au Roi de Navarre qui le
» méprifoit , & qui ne le regardoit que
» comme un vil inftrument de fes mé-
» chancetés. Il l'alla trouver fecrettement
» & dreffa de concert avec lui un projet
SEPTEMBRE. 1761 : or
33
» bien digne de la noirceur de ces deux
» âmes cruelles . Le fimple récit fait fré-
» mir. Le Prévôt des Marchands convint
» de livrer la Ville aux Navarrois . Ses
Troupes , jointes aux rebelles , devoient
» s'emparer de la Baftille S. Antoine &
» des principales portes , fe répandre
» enfuite dans la Ville , & maffacrer
» tous les Partifans du Régent , dont
» les maiſons étoient déjà marquées pour
» cette horrible exécution, après laquelle
» on auroit couronné Charles le Mauvais ,
Roi de France. C'étoit l'Evêque de Laon
qui étoit chargé de cette cérémonie . Le
» nouveau Monarque eût cédé à Edouard
les Provinces qui fe feroient trouvées
» à fa bienséance , & lui eût fait hom-
» mage du refte du Royaume.
ور
» Le Prévôt des Marchands ayant pris
toutes les mesures qu'il croyoit nécef-
» faires pour l'exécution de fon projet , fit
» avertir le Roi de Navarre de s'appro-
» cher avec des Troupes : il devoit lui
» ouvrir les portes à un fignal convenu .
» Pour cet effet, pendant la nuit qui pré-
» céda le premier Août , il vint à la por-
» te S. Antoine , l'une de celles qu'il avoit
» promis de livrer : ayant renvoyé une
» partie des Bourgeois commis à la garde
» de cette porte , & leur ayant fubftitué
92 MERCURE DE FRANCE.
"
» des gens à fa dévotion , il prit les clefs
» des mains de l'Officier qui en étoit dépofitaire.
Jufques - là il n'avoit rencon-
» tré aucun obftacle à fa trahison : la
» Ville alloit devenir la proie du Navar-
» rois , lorfqu'un fidéle & généreux Citoyen
, furvenant avec une troupe de
» fes amis , arrêta les fureurs de Marcel,
» & fauva ſa patrie . Ce Bourgeois , digne
» d'être immortalifé dans les annales de
» fa Nation , fe nommoit Jean Maillard :
» il étoit Capitaine d'un des quartiers de
Paris . Attaché conftamment à fon Prin-
» ce légitime , il n'attendoit que le mo-.
» ment de faire éclater fon zèle : les in-
» trigues de Marcel n'avoient pu être fi
» fecrettes , qu'il ne les eût pénetrées .
» Il arrive au moment que ce perfide al-
» loit confommer fon crime : il l'aborde :
» Etienne , lui dit - il , que faites- vous ici à
» cette heure? Jean , répondit le Prévôt ,
» à vous qu'en monte ( qu'importe ) de le
» fçavoir ? Je fuis ici pour prendre garde
» à la Ville dont j'ai le gouvernement.
Par Dieu ! reprit Maillard , il n'en va
» mie ainfi ains n'êtes ici à cette heure
» pour nul bien , & je vous montrerai ,
continue-t il en s'adreffant à ceux qui
» étoient auprès de lui , comme il tient les
» clefs de la porte enfes mains pour trahir
SEPTEMBRE. 1761. 9
33
la Ville. Jean , vous mentez , repliqua
le Prévôt : mais vous Etienne , mentez ,
s'écria Maillard tranfporté de fureur.
En même temps il léve fa hache d'ar-
» mes Marcel veut fair ; il le joint , le
frappe à la tête ; & quoiqu'il fût armé
» de fon bacinet, il le renverfe à fes pieds,
» Ses compagnons fe jettent fur les gens
» du Prévôt ; ils en maffacrent une partie ,
& s'affurent des autres. Maillard mar-
» che vers la porte S. Honoré , par laquelle
les Navarrois devoient auffi être
introduits . En traverfant la Ville , ils
éveillent le Peuple , l'appellent à la dé-
» fenfe de la fureté commune ils racontent
ce qu'ils venoient de faire ; ils
arrivent à la porte , font main- baffe fur
tous ceux qui veulent fe mettre en défenſe
arrêtent ceux qui ne refiftent
point , & les conduifent en prifon , ainfi
» que la plupart des autres complices de
» Marcel, qui furent faifis cette même
nuit dans leurs lits.
» Le Peuple , excité par les cris de
Monjoie Saint Denis , mêles avec les
» noms du Roi & du Régent , s'affemble
tumultuairement . Les rues (e remplif
fent d'une foule d'habitans en armes :
tous les Factieux qui le préfentent font
malfacrés. En vain les autres fe réfugient
94 MERCURE DE FRANCE.
dans leurs maifons ; il n'eft plus pour
eux d'afyle contre l'emportement d'une
» multitude irritée . On enfonce les por
tes , on les charge de fers , on les traîne
en prifon . Un des principaux auteurs
des troubles a feul le bonheur d'échap
» per à la vengeance publique . L'Evêque
» de Laon , ce Prélat coupable de tant
d'attentats , trouve le moyen de fe fau-
» ver , tandis que le corps de fon complice
» Marcel eft traîné dans les rues par la
» Populace , qui croit , par mille outrages
»
fur un cadavre infenfible , fe venger
» du Traître qui l'a porté à la révolte.
» Tel , par un ordre de la Providence , eft
» ordinairement le fort des Chefs de Sé-
» dition , que la faveur populaire n'éléve
» que pour les précipiter avec plus d'eclat.
» On ne peut s'empêcher de remarquer
» comme un effet de la Juftice divine
» qu'après leur mort , Marcel & quatre
» de fes plus criminels Complices , qui
» avoient trempé dans le meurtre des deux
» Maréchaux , furent portés couverts de
» fange , fanglans & déchirés , à Ste Ca-
» therine du Val des Ecoliers , & jettés
fur la tombe de ces deux Seigneurs , où
» ils demeurérent expofés , ainfi que des
» victimes expiatrices.
39
Les bornes d'un Extrait ne nous per
SEPTEMBRE. 1761. 95
39
mettent pas de rapporter l'expofition que
l'Auteur fait des moeurs , des ufages , de
la légiflation ; ces objets font trop étendus
& trop multipliés ; il faut les lire dans
'Hiftoire même. Cependant, pour en donner
une légère idée , on en citera ici un
feul exemple , que fa brièveté permet
d'inférer. Il s'agifloit de réformer le nombre
des Procureurs duChâtelet.» On a fou-
» vent éffayé en France , dit M. Villaret, de
» rendre aux hommes une partie de leur
tranquillité , en abrégeant la longueur
» des procédures ; mais l'hydre fans ceffe
» renaiffante de la chicane fçait par mille
» détours , éluder la prévoyance des plus
» habiles Légiflateurs en forte que le
projet de la détruire , facile dans la
fpéculation , a toujours paru imprati-
» cable , lorfqu'on a voulu l'exécuter. Ce
» que l'on peut
de mieux , eft d'appli-
» quer de temps en temps quelques re-
" medes palliatifs à cette maladie incu-
" rable. Depuis que l'ancienne forme de
» nos jugemens , fi commode par fa fim-
» plicité , avoit été remplacée par une
Jurifprudence nouvelle , l'embarras de
" concilier les coutumes & les loix dif-
» férentes , s'étoit accru au point qu'un
» malheureux plaideur égaré dans un labyrinthe
de formalités, étoit obligé, pour
"
"
"
MERCURE DE FRANCE.
"
33
"
"
fa défenſe , de recourir à des interprétes
» mieux verfés dans un langage devenu
étranger pour lui . Ce trifte befoin avoit
» engendré une infinité de Miniftres fubaternes
, plus intéreffés à obfcurcir les -
droits des Citoyens qu'à les défendre.
» Paris & les autres Villes du Royaume
» étoient inondées d'un déluge de Solliciteurs.
Ces armées de Praticiens répan-
» dues dans les différentes Jurifdictions ,
affiégeoient les Tribunaux, étourdiffoient
» les Juges fous prétexte de les inftruire ,
» & trouvoient l'art , à force de verbiage
» & d'écritures , d'éternifer l'iniquité . La
Jurifdition du Châtelet entraînoit une
multiplicité prodigieufe de ces athlétes ,
toujours prêts d'entrer en lice pour
» foutenir la cauſe bonne ou mauvaiſe du
» premier venu. On crut attaquer le mal
» dans fon principe , en retranchant du
" nombre exceffifdes Procureurs ceux que
» leur infuffifance rendoir incapables de
» cet emploi. Le foin de veiller à cette
» réforme fut confié au Parlement , au
» Prévôt de Paris , & aux Confeillers du
» Châtelet. Ils choifirent parmi la multi-
» tude , quarante des plus loyaux , & re-
»jetterent les autres , par lefquels le Peu-
» ple étoit moule grévé , & ' en plufieurs
32 manieres opprimé induement . Tels font
"
و ر
les
SEPTEMBRE. 1761 . 97
les termes employés dans cette falutai-
» re Ordonnance .
Lorfqu'il s'agit de faire connoître par
un récit rapide des événemens étrangers ,
qui cependant fe trouvent liés à l'Hiftoire
principale , voici comme l'Auteur les préfente:
» Ces hôtes incommodes , dit- il ,
en parlant de nos Compagnies d'aventuriers
, qui fous la conduite de du Guefelin
renverferent Pedre le cruel du Trône de
Caftille , » étoient attendus en Eſpagne
avec autant d'impatience qu'on en avoit
en France pour leur fortie . Du Guef-
» clin , après avoir traverfé rapidement
le Languedoc & le refte de la France
Méridionale , entra dans l'Arragon . A
l'arrivée de ces Troupes , les Places
prifes fur l'Arragonois par le Roi de
Caftille , furent emportées. Henry de
» Tranftamare vint joindre du Guefclin ,
avec lequel il entra en Caftille. Jamais
révolution ne fut fi prompte : ce fut
plutôt une courfe qu'une conquête :
Henry le préfenta devant Calahore
» qui lui ouvrit fes portes . Ce fut en cette
Ville, qu'à la perfuafion de du Guefclin ,
de Hue de Caurelée , & du Comte de.
Ribagorce, il fe fit pour la premiere fois
proclamer Roi de Caftille. Sans perdre
-de temps , il marche vers Burgos où
E
8 MERCURE DE FRANCE.
9
» Dom Pedre intimidé n'ofe l'attendre:
Rien n'eft capable de calmer l'effroi du
» Tyran. En vain les principaux Habitans,
les Seigneurs , & fes Généraux le pref-
» fent de marcher à l'ennemi , le conju
rent de ne pas douter de leur zèle & de
» leur fidélité ; convaincu par les remords
» dont il est déchiré , qu'il n'a mérité
» l'attachement d'aucun de fes Sujets , il
fe retire avec précipitation à Séville ,
» dans le deffein d'enlever de cette Ville
33
fa famille & fes tréfors. Tout plie fous
» le nouveau Roi ; victorieux fans avoir
» combattu , il foumet en paffant Nava-
» rette ; il arrive à Burgos, s'y fait procla-
» mer pour la feconde fois : fans s'arrêter
» il fe remet à la pourfuite de fon frère :
» à peine la Ville de Tolede ofe - t- elle
» réfilter un moment. Maître abſolu de la
» nouvelle Caftille , il paffe en Andalou-
» fie. Les Habitans de Cordoue le reçoi-
» vent ; il entre à Séville , il y trouve un
» tréfor immenfe , que la précipitation.
» avec laquelle Pedre avoit abandonné
» cette Ville, ne lui avoit pas permis d'em-
» porter. Il pénétre enfuite dans la Gali-
» ce , qu'il foumet en partie , & revient
» tenir les Etats à Burgos.
.
" Le barbare & malheureux Dom Pe
dre en partant de Séville avoit envoyé
SEPTEMBRE. 1761. 99
93
"
Béatrix fa fille avec une partie de fes tré-
»fors au Roi de Portugal fon Allié , dont
» le fils devoit époufer la Princeffe . Les
» circonftances ne décident que trop fou-
» vent de l'amitié des Souverains . Pedre
» étoit détrôné , fugitif. Le Roi de Portugal
lui renvoya Beatrix & les tréſors , en
» lui faifant fignifier de ne pas entrer plus
» avant dans fes Etats. Le Roi de Caftille
privé de la feule retraite fur laquelle il
» comptoit , fut obligé de fuir dans la
» Galice . Arrivé dans cette Province , le
» mauvais état de fes affaires , loin d'a-
» doucir la férocité de fon âme , parut
» n'avoir fervi qu'à l'irriter : il laiffoit en
» tous lieux des traces de fa cruauté. La
» mort de l'Archevêque de S. Jacques
» maffacré à la porte de l'Eglife , & celle
» du Doyen de cette Cathédrale immolé
» au pied des Autels , en préfence même
» de ce Prince inhumain , furent les derniers
effets de fa fureur. Sa crainte
» redoublant fans ceffe , il fut bientôt
» obligé de s'embarquer à la Corogne
» pour aller en France implorer le feco irs
» d'Edouard: heureux dans la difgrace
» de trouver dans la générofité de ce
» Prince un afyle & des fecours dont il
» étoit fi peu digne.
"
Eft-il queftion d'anecdotes particuliè
E ij
700 MERCURE DE FRANCE.
23
">
ود
res , le Lecteur pourra juger par ce feul
trait de l'intérêt que M. de Villaret élfaye
d'y répandre. » La néceffité des cir-
» conftances oblige quelquefois ceux qui
font à la tête du Gouvernement de fe
porter à des démarches qu'on ne peut
juftifier aux yeux du Public. La difgra-
» ce du Comte de S. Paul fur les dernie-
» res années du régne de Charles V , eft
de ce genre . La conduite du Roi à l'égard
de ce Seigneur auroit toujours été
foupçonnée d'une protection injufte , fi
» les Actes d'Angleterre ne nous révéloient
pas un fecret qu'on ne pouvoit alors
rendre public , fans découvrir en même
temps par quel canal on étoit inftruit
» des mystères de la Cour de Londres .
» Depuis longtemps le jeune Walerand
» Comte de S. Paul , de la Maifon Impé-
» riale de Luxembourg , étoit prifonnier
» en Angleterre. On avoit offert plufieurs
fois de le relâcher , à condition que le
Captal de Buch feroit remis en liberté ,
échange auquel le Roi ne voulut jamais
confentir. L'amour fit ce que la
politique avoit refufé : il délivra le
» Comte , il paya même une partie de fa
» rançon. Walerand étoit traité avec la
ور
و ر
9
confidération due à fa naiffance . Pri-
» fonnier fur la parole , il étoit de toutes
SEPTEMBRE. 1761. 107
les fêtes qui fe donnoient à la Cour.
» Ce fut là qu'il vit Mahaud de Courte-
» nai , fille du premier mariage de la
» Princeffe de Galles avec Thomas de
» Holland. Cette jeune Princeſſe fem-
» bloit avoir hérité des charmes de fa
33
mère : on ne l'appelloit que la belle
» Mahaud. Le jeune S. Paul & cette Beau-
» té naiffante s'enamourerent loyaument
» l'un de l'autre : ils étoient toujours enfemble
aux danfes & ébatemens , tant
» qu'on s'en apperçut : Mahaud elle - même
ne fit pas difficulté d'avouer fon
» penchant à fa mère. Le mariage fut
arrêté. L'élargiffement du Comte de-
" voit être néceffairement un des pre-
» miers articles . Il devenoit par cette al-
» liance beau-fière du Roi d'Angleterre ,
"
"
auquel il fit hommage - lige envers &
» contre tous , & promit de tenoncer à
» la qualité de Vaffal du Roi de France .
» Pour fureté de fa parole , il s'engagea
» de livrer aux Anglois fes châteaux de
» Bohain & de Guife dans le Vermandois .
» Il repaffa en France pour exécuter fa
" promeffe ; mais la nouvelle de fon pro-
» chain mariage l'avoit précédé . Le Roi
» qui avoit à Londres des efpions fidé-
» les , avoit fait faifir fes Places . Walerand
» lui- même auroit été arrêté , s'il avoit
E iij
202 MERCURE DE FRANCE.
» paru à la Cour. Il repaffa promptement
en Angleterre , où l'amour le confola
» de cette difgrace. Il ne revint en Fran-
» ce que fous le régne ſuivant.
Nous bornerons ici nos citations , qui
pouvent donner à nos Lecteurs une léfère
idée du ftyle de l'Hiftorien. Il eſt
pur , châtić , & égal partout ; fa narration
eft fimple & naturelle , fans manquer
ni de force ni de chaleur . Les faits
y font amenés avec ordre & tiennent les
Ens aux autres , accompagnés de réfléxions
courtes , judicieuſes & tonjours tiiées
du fond du Sujet & des circonftances.
Ces deux volumes qui renferment
des événemens curieux , ont le mérite
des hiftoires les plus intéreffantes , &
l'Auteur augmente encore cet intérêt ,
par la manière dont il les rend.
SEPTEMBRE . 1761 , 103
NOUVEAU CHOIX DE PIECES tirées
des anciens Mercures & des autres Journaux
; par M. DE LA PLACE ; à Paris
, chez Chaubert , rue du Hurepoix
Piffot , quai de Conti , Lambert, à côté
de la Comédie Françoife , & Cellot
grande rue du Palais ; in - 12 .
NOUS ous avons placé dans le Tome 61 de
ce Recueil un Avertiffement que nous
rappellons ici , pour inftruire nos Lecteurs
des nouveaux foins qu'on s'eft donnés
afin de rendre cette Collection toujours
plus amulante & plus inftructive .
AVERTISSEMENT.
La rédaction du Mercure demandant
feule tous les foins & toute l'application
des Auteurs qui en ont été chargés jusqu'à
préfent , ils ont été obligés de confier
prèfqu'en entier , celle du Choix à différens
Ecrivains , qui peut-être n'ont pas tous
également faifi le véritable objet de cette
Collection , & le point le plus favorable
pour l'agrément & l'utilité qu'on peut en
retirer.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
Tel eft prèfque toujours le fort des nou >
veaux Effais de Littérature. L'incertitude
du fuccès de la part du Public , fait chanceler
fouvent les Editeurs fur les moyens
de les perfectionner. Aujourd'hui que ce
Choix des Journaux paroît de plus en
plus s'accréditer par le feul avantage, du
genre ; on a pris de nouvelles mesures
pour le rendre encore plus intéreffant ,
la manière de le rédiger.
par
On s'eft aidé pour cela des foins & des
lumières des Littérateurs , auxquels le Public
a plus de confiance ; & après avoir
bien étudié fon goût fur ce qui doit faire
la matiére de cette Collection , on ſuivra
déformais le plan que l'on expofe ici.
Les Mercures & les autres Ouvrages
périodiques , tant François qu'Étrangers ,
contiennent ordinairement des Piéces fugitives
, des Morceaux de Littérature &
d'Hiftoire , des Extraits d'Ouvrages , des
Avis concernant les Sciences & les Arts ,
des relations détaillées & raifonnées des
Spectacles du temps , & enfin des Nouvelles
Politiques . De tous ces différens articles
, on a cru devoir écarter les Extraits
de Livres , les Nouvelles Politiques & les
Articles de Théâtre ; les uns & les autres
n'intéreffent que dans la nouveauté . Ces
fortes d'Articles n'occuperont donc plus
SEPTEMBRE. 1761 . 105
dans ce Recueil , une place qui fera beaucoup
mieux remplie par d'autres Morceaux
curieux & intéreffans que fourniffent les
autres genres. On trouve de temps en
temps , quand on parcourt les anciens
Journaux , des Piéces excellentes perdues.
pour le Public , & même pour les Particuliers
qui poffédent ces Journaux , mais
qui n'ont ni le loifir , ni le courage de les
y déterrer. Nous connoiffons plus de dix
mille volumes d'Ouvrages périodiques ,'
dans lefquels nous avons trouvé un nombre
infini de Piéces très - rares , dont les
Lecteurs les plus inftruits ne foupçonnent
pas même l'existence . Voilà ce qui fera
déformais le fond de cette Collection ,
que nous espérons de rendre auffi précieuſe
que variée. Parmi ces différentes productions
, les unes font hiftoriques , les autres
morales , d'autres phyfiques , métaphyfiques
, politiques & c. Il en eft encore de
littérature , d'érudition , & de difcuffions
fur des objets de goût. On choifira dans.
tous ces genres celles que tout Lecteur
éclairé voudroit conferver foi -même en les
lifant dans les Journaux & autres Recueils
Périodiques , où fouvent elles fe
trouvent confondues en très mauvaife'
compagnie. Les Articles qui concernent
les Sciences & les Arts , ne feront pas
Ev
c6 MERCURE DE FRANCE:
négligés , lorfqu'ils préfenteront des faits
ou des connoiffances qu'il eft utile de
configner , pour ainfi dire , dans un dépôt
public & facile à parcourir , en faveur
des Lecteurs actuels & de ceux de
la Poftérité. C'est pourquoi les Mémoires
& les Differtations qui auront pour objet
la perfection des Sciences & des Arts , feront
recueillis avec foin ; & l'on ne laiffera
de cette partie , que ce qui pourroit
ne former qu'un intérêt de curiofité momentanée.
On ne négligera point les relations de
cérémonial & de pompes publiques , qui
indépendemment de l'amufement qu'elles
procurent , fervent encore à conftater
une partie fouvent obfcure & incertaine
dans l'Hiftoire. On y pourra faire
entrer auffi quelques événemens finguliers
, bien conftatés .
On en ufera de même à l'égard du
Thêâtre , lorfque l'on rencontrera des
Differtations ou des Obfervations qui regardent
la perfection de la Poëfie en général
ou de quelqu'une de fes parties .
En fuivant exactement cette méthode,
on a droit de ſe flatter que cette Collection
fera celle qu'on fe procurera de préférence,
foit que l'on confidére la lecture
du côté de l'utilité , foit que l'on ne l'enSEPTEMBRE
. 1761. 107
vifage que du côté de l'amufement. Par
le choix des Piéces qui entreront dans ce
Recueil , il n'eft aucun genre d'étude
pour lequel il ne préfente des moyens
d'inftruction échappés fouvent aux Savans
qui n'ont ni le temps , ni quelquefois les
facultés convenables pour acquérir les
Ouvrages Périodiques. D'un autre côté ,
il ne fera aucune forte de lecture amufante
que l'on puiffe rencontrer auffi facilement
fans éprouver les dégoûts &
l'ennui du choix.
Ce Recueil affez abondant , & qui cha
que année le deviendra davantage , fera
donc une eſpèce de Bibliothèque d'autant
plus commode , qu'à l'ouverture de quelque
volume qui tombe fous la main , on
fera fûr d'y trouver dequoi remplir le
temps deſtiné à fa lecture , par quelque
goût que l'on foit déterminé. On y joindra
bientôt une Table générale par ordre
de matières , qui indiquera aifément au
premier coup d'oeil , ce que renferme
toute la Collection , & le morceau dont
on aura befoin ,
E vi
108 MERCURE DE FRANCE:
, 9
CÉRÉMONIES & Coutumes Religieufes
de tous les Peuples du Monde , ornées
de 254 Planches deffinées & gravées par
Bernard Picart , 9 volumes in -folio, & Superftitions
anciennes & modernes , 2 volumes
in- folio , avec figures ; propofées par
Soufcription. Dans le Profpectus , inféré
dans le fecond volume du Mercure de
Juillet , on a obmis de dire que l'on ſoufcrivoit
auffi pour cet Ouvrage chez Claude
Jean - Baptifte Bauche , Libraire , quai des
Auguftins.
PRINCIPES & Méthodes du Chrétien ,
qui rend les actions, mêmes les plus communes
, dignes d'une éternelle récompenfe
, Volume in-12 ; à Paris , 1761 , chez
Didot l'aîné , Libraire - Imprimeur , rue
Pavée, près du quai des Auguftins, à la Bible
d'Or.
LETTRES inftructives & curieufes fut
l'Éducation de la Jeuneffe . Ouvrage utile
aux Pères de famille , & néceffaire aux
Précepteurs . Par L. R. G. M. à L. D. M.
A. de l'A. d'A.
Placendo docere.
In-12 . Paris , 1761 , chez Mufier Pères
Libraire , quai des Auguftins , près la rue
Pavée , à l'Olivier .
SEPTEMBRE. 1761 . 109
L'HYPOTHÉSE des petits Tourbillons
juftifiée par fes ufages ; où l'on fait voir
que la Phyfique , qui doit fon commencement
aux Tourbillons , ne peut mieux
être perfectionnée qu'en pouffant le prin- /
cipe qui l'a fait naître. Par M. de Keranflech.
In- 12. Rennes , 1761 , chez Vatar
père , & Vatarfils , Libraires ; & fe trouve
à Paris , chez Savoye , rue S. Jacques.
L'ARITHMETIQUE de la Nobleffe commerçante
, ou Entretien d'un Négociant
& d'un jeune Gentilhomme fur l'Arithmétique
, appliquée aux affaires de Com
merce , de Banque & de Finance . Par M.
d'Autrepe , ancien Syndic des Experts-
Jurés - Ecrivains. Second Entretien . Des
Propofitions. In - 8 ° . Paris , chez Durand
Libraire , rue du Foin , la première Porte
cochère à droite , en entrant par la rue
S. Jacques.
RÉFLEXIONS fur le Systême des nou
veaux Philofophes.
L'homme eft de glace aux vérités ;
Il eft de feu pour les menfonges.
La Fontaine , Liv. 9. Fab . VI .
In- 12. Francfort , 1761. On en trouve
des Exemplaires à Paris , chez Lottin le
110 MERCURE DE FRANCE.
jeune , rue Saint Jacques , au coin de
celle de la Parcheminerie ; & à Falaife ,
chez Piftel Préfontaine , vis-à - vis la belle
Croix.
ESSAI fur l'Inftitution des Avocats &
Procureurs des Pauvres , ou Mémoire
tendant au renouvellement des difpofitions
anciennes , dont l'effet feroit d'abord
de faire rendre aux Pauvres la même
juftice que celle
les riches peuvent
fe
que
procurer ; enfuite , de mettre ceux
que l'on peut appeller pauvres ou riches
fictifs , à l'abri de ce qui achève le plus
de les ruiner moyen , par degrés , do
diminuer le nombre des mauvais Procès ,
& par là , de ramener autant qu'il fe peut ,
l'adminiſtration de la Juftice à fa première
origine &c. Par **** Procureur au
Parlement de Paris , d'après feu M. Antoine
de Laujorrois , Confeiller au Parlement
de Toulouſe.In- 12. Paris , 1761 ,
chez Praule Père , quai de Gêvres.
LA SCIENCE DU GOUVERNEMENT ;
Ouvrage de Morale , de Droit , & de
Politique. Le premier Tome renferme un
Difcours préliminaire fur l'importance de
l'éducation des Princes que nous avons
SEPTEMBRE. 1761 1
inféré dans le Mercure du mois de Décembre
dernier , traite de la formation
& des avantages des Sociétés civiles , des
anciens Législateurs, & des anciens Gouvernemens
; des diverfes formes de Gouvernemens
qu'il y a préfentement dans
le monde , confidérées en général ; du
Gouvernement actuel de chaque Peuple
de l'Afie , de l'Afrique & de l'Amérique ,
confidérés en particulier.
Le fecond Tome contient le Gouvernement
de France , la Conftitution relativement
aux Traités jufqu'au dernier
d'Aix-la - Chapelle inclufivement , l'étendue
, les moeurs , les forces , le nombre
des Habitans , les revenus , les loix de
chaque Etat de l'Europe , confidérés en
particulier. Au commencement de ce
Volume eft la Tête du Roi, très - bien gra
vée.
Le troifiéme Tome traite du Droit naturel
; de l'Empire de la Raiſon ; de l'a
mour de Dieu ; de l'amour de foi - même;
de l'amour du prochain ; de l'ordre &
de la fubordination , des Devoirs ; dédié
au Roi de Pologne , Duc de Lorraine &
de Bar, avec le Portrait de Sa Majesté.
Le fixieme Tome , qui a paru le premier
à cauſe des circonftances où le troug
112 MERCURE DE FRANCE.
voit l'Europe fur les intérêts des Princes
qui en partagent la domination , traite de
la Politique par rapport au dedans & au
dehors de l'Etat & des moyens d'en concilier
les intérêts . Par M. de Real, Grand
Sénéchal de Forcalquier. Avec approbation
& privilége du Roi . Chez Defaint &
Saillant, rue Saint Jean de Beauvais , de
Bure l'aîné, quai des Auguſtins , Simon ,
Imprimeur du Parlement.
Les autres Tomes paroîtront fucceffivement
; nous en avons donné le Texte
dans le Mercure de Janvier.
THEORIE & pratique des Sacremens ,
des Cenfures , des Monitoires , & des Irrégularités
, in - 12 , 3 Volumes , prix 7
liv. 10 f. Nouvelle Edition corrigée. To
me premier , contenant , les Sacremens
en général , le Baptême, la Confirmation ,
l'Euchariftie , & un Traité de l'obligation
des Fidéles par rapport à la Meffe. Tome
fecond, le Sacrement de Pénitence , avec
un Traité des Indulgences , & le Sacrement
de l'Extrême - Onction . Tome
III. Le Sacrement de l'Ordre , les Traités
du Bréviaire , ou Heures Canoniales ,
des Cenfures en général, des Cenfures en
particulier , des Monitoires , des Irrégu
SEPTEMBRE . 1761 11
larités , & le Sacrement de Mariage, avec
la Table Générale des Matières.
THEOLOGIE Morale , ou Réſolutions de
Cas de Confcience fur la Vertu de Juftice
& d'Equité , in-douze , 4 vol . prix , 12
liv . reliés. Nouvelle édition , mife dans un
meilleur ordre. Tome premier , contenant ,'
les Titres par lefquels on a droit à une
chofe. Du Domaine . De la Prefcription
Des Contrats en général . De la Promeffe.
De la Donation . Des dernieres volontés
. Tome II. Des Contrats de Vente &
d'Achat , de celui des Rentes . Du Contrat
de Change , de celui de Louage , de
celui de Société , de celui d'Affurance ,
& c. Du Jeu , des Gageures , des Loteries,
du Dépôt , du Commodat , &c. De l'Ufure
, Tome III. La fuite du Traité de l'Ufure.
De l'Injuftice de l'Homicide , de
l'Injustice du Larcin & de la Rapine , de
'Injustice fur la Réparation . De l'Injuf
tice dans les Jugemens publics , de l'In
juftice de l'acception des perfonnes , de la
réparation de l'Injuftice par la Reftitu
tion .
THÉOLOGIE Morale , in- douze , 6 Vol .
18 liv. reliés . Tome I. contenant , les Ver
tus Théologales ; la Foi , l'Espérance , la
Charité qui eft due à Dieu . Tome II. La
114 MERCURE DE FRANCE
fuite des Vertus Théologales . De la Cha
rité
que l'homme fe doit à foi même , de
celle due au Prochain , de l'Aumône , de
la Correction Fraternelle, des Péchés oppofés
aux Vertus Théologales . Tome III.
La Vertu de Religion . 1 °. Le Traité de la
Priere , 2 °. de l'Oraifon mentale , 3 °. de
l'Oraifon Dominicale . Des Voeux fimples
& folemnels , du Jurement & d₁ Serment.
Tome IV. De la Vertu de Religion,
& des Vertus qui y font annéxées . 1 ° . De
l'Abjuration , 2 ° . de la Malédiction , 3 ° .
de la Sanctification des Dimanches & des
Fêtes , 4°. des devoirs des Enfans envers
leurs Peres & Meres , & des devoirs des
Peres & Meres envers leurs Enfans , 5 °.
de la Vérité & du Menfonge , 6°. des Bénéfices
. Tome V. La fuite des Vertus annéxées
à la Vertu de Religion , & des Vices
qui y font oppofés. 1 ° . Suite du Traité
des Bénéfices 2º. des Superftitions ,
3º. de la Simonie . Tome VI. La fuite des
Vices oppofés à la Vertu de Religion. 1º.
Suite du Traité de la Simonie . 2 ° . Les
Péchés capitaux . 3 ° . La Table Générale
des matières , tant des Réſolutions des
Cas de Confcience fur la Vertu de Juftisice
& d'Equité , que des fix Volumes
énoncés ci deffus.
"
Ces trois Ouvrages fe trouvent à Paris,
SEPTEMBRE . 1761. 119
chez Jean Thomas- Heriffant , Libraire ,
rue S. Jacques , à S. Paul & à S Hilaire ;
Savoye, Libraire, rue S. Jacques à l'Eſpérance
; Ganeau , Libraire, rue S. Severin ,
aux Armes de Dombes. Avec Approbation
& Privilége du Roi 1761 .
AVIS des Libraires Affociés , à Meffieurs
les Curés , Confeffeurs , Prédicateurs
, & autres Miniftres de l'Eglife .
Si les deux Ouvrages de la Théorie &
Pratique des Sacremens , & des Réſolutions
de Cas de Confcience fur la Vertu de Juftice
& d'Equité , que nous venous tout récemment
de réimprimer , ont réuni les fuffrages
des différentes Ecoles de Théologie
: fi quantité de Fidéles , voulant profiter
d'Inftructions écrites dans leur Langue
, fe font pourvus avec empreffement
de ces excellens Livres ; nous espérons
qu'un troifiéme Ouvrage , qui leur reffemble
, & par l'importance des matières , &
par la manière dont elles font traitées ,
aura un femblable fuccès.
Un Docteur de Sorbonne , auffi généra
lement eftimé que profondément fçavant ,
a lu le manufcrit , & l'a regardé comme
un tréfor , qu'il ne falloit plus différer de
préfenter , tant à ceux qui par état font
obligés d'inftruire les autres , qu'à ceux
114 MERCURE DE FRANCE:
fuite des Vertus Théologales. De la Charité
que l'homme fe doit à foi même , de
celle due au Prochain , de l'Aumône , de
la Correction Fraternelle, des Péchés op
pofés aux Vertus Théologales. Tome III.
La Vertu de Religion . 1 °. Le Traité de la
Priere , 2 °. de l'Oraifon mentale , 3 ° . de
l'Oraifon Dominicale . Des Voeux fimples
& folemnels , du Jurement & du Serment.
Tome IV. De la Vertu de Religion,
& des Vertus qui y font annéxées . 1 ° . De
l'Abjuration , 2 ° . de la Malédiction , 3 ° .
de la Sanctification des Dimanches & des
Fêtes , 4°. des devoirs des Enfans envers
leurs Peres & Meres , & des devoirs des
Peres & Meres envers leurs Enfans , s'
de la Vérité & du Menfonge , 6°. des Bénéfices
. Tome V. La fuite des Vertus annéxées
à la Vertu de Religion , & des Vices
qui y font oppofés. 1 ° . Suite du Traité
des Bénéfices , 2 °. des Superftitions ,
3º. de la Simonie . Tome VI. La fuite des
Vices oppofés à la Vertu de Religion . 1º.
Suite du Traité de la Simonie . 2 ° . Les
Péchés capitaux . 3 ° . La Table Générale
des matières , tant des Réfolutions des
Cas de Confcience fur la Vertu de Juftisice
& d'Equité , que des fix Volumes
énoncés ci deffus.
Ces trois Ouvrages fe trouvent à Paris,
SEPTEMBRE, 1761 119
chez Jean Thomas Heriffant , Libraire ,
rue S. Jacques , à S. Paul & à S Hilaire ;
Savoye, Libraire, rue S. Jacques à l'Efpérance
; Ganeau , Libraire, rue S. Severin ,
aux Armes de Dombes . Avec Approbation
& Privilége du Roi 1761 .
AVIS des Libraires Affociés , à Meffieurs
les Curés , Confeffeurs , Prédicateurs
, & autres Miniftres de l'Eglife.
Si les deux Ouvrages de la Théorie &
Pratique des Sacremens , & des Réfolutions
de Cas de Confcience fur la Vertu de Juftice
& d'Equité , que nous venous tout récemment
de réimprimer , ont réuni les fuffrages
des différentes Ecoles de Théologie
fi quantité de Fidéles , voulant profiter
d'Inftructions écrites dans leur Langue
, fe font pourvus avec empreffement
de ces excellens Livres ; nous espérons
qu'un troifiéme Ouvrage , qui leur reffemble
, & par l'importance des matières , &
par la manière dont elles font traitées ,
aura un femblable fuccès.
Un Docteur de Sorbonne , auffi généralement
eftimé que profondément fçavant ,
a lu le manufcrit , & l'a regardé comme
un tréfor , qu'il ne falloit plus différer de
préfenter , tant à ceux qui par état font
obligés d'inftruire les autres , qu'à ceux
114 MERCURE DE FRANCE.
fuite des Vertus Théologales . De la Charité
que l'homme fe doit à foi même , de
celle due au Prochain , de l'Aumône , de
la Correction Fraternelle, des Péchés op:
pofés aux Vertus Théologales. Tome Iit.
La Vertu de Religion . 1 °. Le Traité de la
Priere , 2 °. de l'Oraifon mentale , 3 ° . de
l'Oraifon Dominicale . Des Voeux fimples
& folemnels , du Jurement & d₁ Serment.
Tome IV. De la Vertu de Religion,
& des Vertus qui y font annéxées . 1º . De
l'Abjuration , 2 ° . de la Malédiction , 3 ° .
de la Sanctification des Dimanches & des
Fêtes , 4°. des devoirs des Enfans envers
leurs Peres & Meres , & des devoirs des
Peres & Meres envers leurs Enfans , 5
de la Vérité & du Menfonge , 6°. des Bénéfices
. Tome V. La fuite des Vertus annéxées
à la Vertu de Religion , & des Vices
qui y font oppofés. 1 °. Suite du Traité
des Bénéfices , 2 °. des Superftitions ,
3°. de la Simonie . Tome VI. La fuite des
Vices oppofés à la Vertu de Religion. 1º.
Suite du Traité de la Simonie . 2º . Les
Péchés capitaux . 3 ° . La Table Générale
des matières , tant des Réſolutions des
Cas de Confcience fur la Vertu de Juftisice
& d'Equité , que des fix Volumes.
énoncés ci deffus.
Ces trois Ouvrages fe trouvent à Paris,
SEPTEMBRE, 1761.
chez Jean Thomas Heriffant , Libraire ,
rue S. Jacques , à S. Paul & à S Hilaire ;
Savoye, Libraire, rue S. Jacques à l'Efpérance
; Ganeau , Libraire, rue S. Severin ,
aux Armes de Dombes. Avec Approbation
& Privilége du Roi 1761 .
AVIS des Libraires Affociés , à Meffieurs
les Curés , Confeffeurs , Prédicateurs
, & autres Miniftres de l'Eglife.
Si les deux Ouvrages de la Théorie &
Pratique des Sacremens , & des Réſolutions
de Cas de Confcience fur la Vertu de Juftice
& d'Equité , que nous venous tout récemment
de réimprimer , ont réuni les fuf
frages des différentes Ecoles de Théologie
: fi quantité de Fidéles , voulant profiter
d'Inftructions écrites dans leur Langue
, fe font pourvus avec empreffement
de ces excellens Livres ; nous espérons
qu'un troifiéme Ouvrage , qui leur reffemble
, & par l'importance des matières , &
par la manière dont elles font traitées
aura un femblable ſuccès .
Un Docteur de Sorbonne , auffi généra
lement eftimé que profondément fçavant ,
a lu le manufcrit , & l'a regardé comme
un tréfor , qu'il ne falloit plus différer de
préfenter , tant à ceux qui par état font
obligés d'inftruire les autres , qu'à ceux
114 MERCURE DE FRANCE:
fuite des Vertus Théologales. De la Cha
rité
que
l'homme fe doit à foi même , de
celle due au Prochain , de l'Aumône , de
la Correction Fraternelle, des Péchés op
pofés aux Vertus Théologales . Tome III.
La Vertu de Religion . 1 °. Le Traité de la
Priere , 2 °. de l'Oraifon mentale , 3 ° . de
l'Oraifon Dominicale. Des Voeux fimples
& folemnels , du Jurement & d" Serment.
Tome IV. De la Vertu de Religion,
& des Vertus qui y font annéxées . 1 ° . De
l'Abjuration , 2 °. de la Malédiction , 3 °.
de la Sanctification des Dimanches & des
Fêtes , 4°. des devoirs des Enfans envers
leurs Peres & Meres , & des devoirs des
Peres & Meres envers leurs Enfans , °.
de la Vérité & du Menfonge , 6º. des Bénéfices
. Tome V. La fuite des Vertus annéxées
à la Vertu de Religion , & des Vices
qui y font oppofés. 1 °. Suite du Traité
des Bénéfices , 2 °. des Superftitions ,
3°. de la Simonie. Tome VI. La fuite des
Vices oppofés à la Vertu de Religion. 1º.
Suite du Traité de la Simonie . 2 ° . Les
Péchés capitaux . 3 ° . La Table Générale
des matières , tant des Réfolutions des
Cas de Confcience fur la Vertu de Juftisice
& d'Equité , que des fix Volumes
énoncés ci deffus.
Ces trois Ouvrages fe trouvent à Paris,
SEPTEMBRE, 1761.114
chez Jean Thomas Heriffant , Libraire ,
rue S. Jacques , à S. Paul & à S Hilaire ;
Savoye, Libraire, rue S. Jacques à l'Eſpérance
; Ganeau , Libraire, rue S. Severin ,
aux Armes de Dombes . Avec Approbation
& Privilége du Roi 1761 .
AVIS des Libraires Affociés , à Meffieurs
les Curés , Confeffeurs , Prédicateurs
, & autres Miniftres de l'Eglife .
Si les deux Ouvrages de la Théorie &
Pratique des Sacremens , & des Réfolutions
de Cas de Confcience fur la Vertu de Juftice
& d'Equité , que nous venous tout récemment
de réimprimer , ont réuni les fuffrages
des différentes Ecoles de Théologie
: fi quantité de Fidéles , voulant profiter
d'Inftructions écrites dans leur Langue
, fe font pourvus avec empreffement
de ces excellens Livres ; nous espérons
qu'un troifiéme Ouvrage , qui leur reffemble
, & par l'importance des matières , &
par la manière dont elles font traitées
aura un femblable ſuccès.
Un Docteur de Sorbonne , auffi généra
lement eftimé que profondément fçavant ,
a lu le manufcrit , & l'a regardé comme
un tréfor , qu'il ne falloit plus différer de
préfenter , tant à ceux qui par état font
obligés d'inftruire les autres , qu'à ceux
114 MERCURE DE FRANCE:
fuite des Vertus Théologales. De la Charité
que l'homme fe doit à foi même , de
celle due au Prochain , de l'Aumône , de
la Correction Fraternelle, des Péchés op
pofés aux Vertus Théologales . Tome III.
La Vertu de Religion . 1 °. Le Traité de la
Priere , 2 °. de l'Oraifon mentale , 3 ° . de
l'Oraifon Dominicale . Des Voeux fimples
& folemnels , du Jurement & d₁ Serment.
Tome IV. De la Vertu de Religion,
& des Vertus qui y font annéxées . 1 ° . De
l'Abjuration , 2 ° . de la Malédiction , 3 ° .
de la Sanctification des Dimanches & des
Fêtes , 4° . des devoirs des Enfans envers
leurs Peres & Meres , & des devoirs des
Peres & Meres envers leurs Enfans , s °.
de la Vérité & du Menfonge , 6°. des Bénéfices
. Tome V. La fuite des Vertus annéxées
à la Vertu de Religion , & des Vices
qui y font oppófés. 1 °. Suite du Traité
des Bénéfices , 2 °. des Superftitions ,
3 °. de la Simonie. Tome VI. La fuite des
Vices oppofés à la Vertu de Religion . 1º.
Suite du Traité de la Simonie . 2º . Les
Péchés capitaux . 3 °. La Table Générale
des matières , tant des Réfolutions des
Cas de Confcience fur la Vertu de Juftisice
& d'Equité , que des fix Volumes.
énoncés ci deffus.
Ces trois Ouvrages fe trouvent à Paris,
SEPTEMBRE. 1761 119
chez Jean Thomas- Heriffant , Libraire ,
rue S. Jacques , à S. Paul & à S Hilaire ;
Savoye, Libraire, rue S. Jacques à l'Eſpérance
; Ganeau , Libraire, rue S. Severin ,
aux Armes de Dombes. Avec Approbation
& Privilége du Roi 1761 .
AVIS des Libraires Affociés , à Meffieurs
les Curés , Confefleurs , Prédicateurs
, & autres Miniftres de l'Eglife.
Si les deux Ouvrages de la Théorie &
Pratique des Sacremens , & des Réſolutions
de Cas de Confcience fur la Vertu de Juftice
& d'Equité , que nous venous tout récemment
de réimprimer , ont réuni les fuffrages
des différentes Ecoles de Théologie
: fi quantité de Fidéles , voulant profiter
d'Inftructions écrites dans leur Langue
, fe font pourvus avec empreffement
de ces excellens Livres ; nous espérons
qu'un troifiéme Ouvrage , qui leur reffemble
, & par l'importance des matières , &
par la manière dont elles font traitées
aura un femblable fuccès.
Un Docteur de Sorbonne , auffi généra
lement eftimé que profondément fçavant ,
a lu le manufcrit , & l'a regardé comme
un tréfor , qu'il ne falloit plus différer de
préfenter , tant à ceux qui par état font
obligés d'inftruire les autres , qu'à ceux
16 MERCURE DE FRANCE.
qui fçavent trouver le loifir de s'inftruire
eux-mêmes. Tel eft le jugement que ce
grand connoiffeur a porté de la Théologie
Morale que nous annonçons . Elle eft par
Demandes & par Réponfes , & forme fix
volumes in-douze.
Elle eft de la même main que les trois
volumes de la Théorie & Pratique , & que
les quatre volumes des Réfolutions de Cas
de Confcience. Nous n'avons aucune raifon
de le laiffer ignorer : il feroit même
inutile d'en faire un mystère , que le premier
coup d'oeil dévoileroit au Lecteur le
moins attentif. L'Avertiffement indique
en détail les Traités compris dans les fix
Volumes. Nous dirons feulement ici ,
qu'ils renferment d'amples inftructions
fur les Vertus Théologales , & fur les Péchés
qui y font oppofés ; fur la Vertu de
Religion , fur celles qui en font une ſuite
& fur les Vices contraires ; fur la Véri
té & le Menfonge , fur les Péchés capitaux
, & enfin fur les Bénéfices & fur la
Simonie.
Cette courte énumération fuffit pour
faire voir que les fix Volumes , joints aux
fept qui ont précédé , peuvent paffer pour
un Corps de Théologie Morale , auffi complet
qu'il eft intéreffant. La marche de
l'Auteur eft aifée à diftinguer : on la rez
SEPTEMBRE . 1761 17
·
Connoîtra partout. On y trouvera cet efprit
méthodique , cette folidité de principes
, cette force de raifonnement , cette
clarté de ſtyle , qui caractérfent fes Ouvrages
, fur tout cette attention à s'étayer
, dans les matières délicates , des
plus refpectables autorités. L'abondance
des objets exigeoit néceffairement une
Table générale & raiſonnée ; on en trouvera
une très - ample , & faite avec la
plus grande exactitude. Elle termine le
fixiéme Volume ; & elle fervira également
pour la Théologie Morale , & pour
les Refolutions de Cas de Confcience.
AVERTISSEMENT.
Nous annonçons , avec plaifir , un Ouvrage
qui peut être très -utile aux jeunes
Médecins , ainfi qu'aux Chirurgiens & aux
Sages - Femmes . C'est une Collection d'obfervations
fur différens cas finguliers , relatifs
à la Médecine - Pratique , à la Chirurgie
, aux Accouchemens & Maladies
Vénériennes , par M. de Fléchy , ancien
Médecin des Hôpitaux des Armées du Roi,
ci- devant Médecin & Chirurgien- Major
en chef des Troupes de S. A. S. Electorale
Palatine , Infpecteur de fes Hôpitaux
, Profeffeur en Chirurgie , & Démonftrateur
d'Anatomie & c.
18 MERCURE DE FRANCE.
Cet Ouvrage renferme la Pratique des
plus habiles Maîtres en Médecine & en
Chirurgie , tant anciens que modernes.
L'Auteur y a joint quelques réfléxions en
faveur des Etudians. C'eft le fruit d'une
pratique & d'une expérience de trente
années, acquifes dans les Hôpitaux & dans
les Pays Etrangers. La méthode que l'Auteur
indique eft courte , fûre , & facile
pour le traitement des plaies , la guériſon
des maladies , & pour faire les Accouchemens
les plus difficiles , avec les inftructions
néceffaires pour bien conduire les
maladies des femmes en couches. Cet
Ouvrage a été écrit dans la plus grande
fimplicité ; on a même évité de fe fervir
autant qu'il a été poffible des termes de
l'Art , afin de le rendre utile à toutes fortes
de perfonnes. On y trouvera des éclairciffemens
fur diverfes indifpofitions avec
la manière d'y remédier par foi -même ,
ou de les prévenir , & particulierement
l'apoplexie .
L'Auteur ayant vû qu'il manquoit encore
quelque
chofe d'intéreffant
dans fon
Ouvrage
, s'eft attaché à doaner une méthode
très fure pour le traitement
& la
parfaite
guérison
des maladies
vénériennes
, en faiſant ufage des frictions
mercurielles
par extinction
& en évitant
la
SEPTEMBRE. 1761 11g
falivation. Cette méthode qui eft connue
de quelques habiles Médecins & Chirurgiens
, paroît néanmoins avoir été fort
négligée jufqu'à préfent. Et pourquoi ?
c'est ce qu'on ignore . Cependant l'Auteur
ne la propofe qu'après l'avoir mife
en pratique , & en avoir vû les effets merveilleux
, tant dans ces fortes de maladies
les plus invétérées , que dans d'autres ou
l'application du Mercure lui a paru néceffaire.
Les fréquentes expériences qu'il
en a faites , font donc une preuve fuffifante
, que cette méthode mérite à tous
égards la préférence fur toute autre , &
qu'infenfiblement on la mettra en prati
que , comme plus fure , plus efficace ,
moins incommode , moins fuivie d'accidens
, plus douce pour le traitement , &
beaucoup plus avantageufe au malade.
Ce Livre fe vend , & eft imprimé à Paris,
chez Lambert , Imprimeur Libraire
rue & à côté de la Comédie Françoiſe , au
Parnaffe.
PHARMACOPÉE du Collège Royal des
Médecins de Londres , traduite de l'Anglois
fur la feconde Edition donnée avec
des Remarques par le Docteur H. Pemberton
, Profeffeur en Médecine au Col-
Lége de Gresham : augmentée de plufieurs
720 MERCURE DE FRANCE.
Notes & Obfervations , & d'un grand
nombre de Procédés intéreffans , avec les
vertus & les doíes des Médicamens , première
Partie. Volume in 4° . 10 liv . 10 f.
relié . A Paris , chez Jean- Th . Hériffant ,
rue S. Jacques , à S. Paul & à S Hilaire ,
1761. Avec Approbation & Privilége du
Roi.
TRAITÉ des Servitudes réelles , à l'uſage
de tous les Parlemens & Siéges du Royaume
, foit Pays de Droit écrit , foir Pays
Coutumier , & auſſi à l'uſage de la Flang
dre Impériale , & d'une partie de l'Allemagne
dans lequel font raffemblés les
Principes de la Matière , les difpofitions
des différentes Coutumes , & les Ufages
de chaque Province , conformément à la
Jurifprudence des Cours Souveraines. On
y a joint une Compilation & une Tradu
ction des Loix Romaines qui ont rapport
aux Servitudes réelles , au nombre de plus
de mille Loix ou Paragraphes . Par M.
Lalaure , Avocat au Parlement . Volume
in- 4° . 12 liv. relié . A Paris , chez Jean-
Th. Hériffant , rue S. Jacques , à S. Paul
& à S. Hilaire , 1761. Avec Approbation
& Privilége du Roi.
L'AGRONOMIE & l'Induftrie , ou les Principes
de l'Agriculture , du Commerce &
des
SEPTEMBRE. 1761. 121
i
des Arts , réduits en pratique. * Par une
Société d'Agriculteurs , de Commerçans
& d'Artiftes .
Fortunatos nimium , fua fi bona norint !
Virg. Georg. Lib . I.
A Paris , chez Defpilly , Libraire , rue
S. Jacques , à la vieille Pofte , 1761. Avec
Approbation & Privilége du Roi.
PROSPECTUS.
L'Agriculture eft la baſe de la puiffance
Téelle & intrinféque d'un Etat , comme
le Commerce & les Arts en font les foutiens
, quant à fes relations extérieures.
Cette vérité , à laquelle on commence
depuis peu à rendre un hommage prèſque
univerfel , avoit été fentie par les Citoyens
Philofophes qui avoient confacré
leurs veilles à concourir , autant qu'il
étoit en eux , aux progrès de ces trois
branches éffentielles de l'adminiſtration ;
mais cette même vérité ne pouvoit avoir
des influences réellement utiles & capables
de produire le bien genéral , qu'autant
que le Gouvernement la protége-
* On a fait en Angleterre un Ouvrage ' à-peuprès
femblable à celui -ci , fous le titre de Compleat
Body of Husbandry, in-falio . London, 1750-8
c'est-à- dire , Corps complet d'Agriculture.
122 MERCURE
DE FRANCE
.
roit. C'est ce que nous voyons avec plai
fir arriver aujourd'hui par l'établiſſement
des fociétés d'Agriculture
, de Commerce
& des Arts qui fe multiplient à l'envi
dans les différentes Provinces du Royaume.
Ce feront autant de fources de lumière
, dont les rayons doivent enfin
éclairer jufqu'au plus ignorant & au plus
opiniâtre laboureur.
En effet , fi les préjugés barbares
qui
avoient fait regarder parmi nous l'agriculture
comme un art ignoble , ont nui à
fes progrès ; ce qui retarde encore fon
avancement
, c'est l'attachement
inconcevable
qu'a le payfan pour fes ancien
nes coutumes ; il y eft uni d'une inhérence
fi intime , fi l'on peut s'exprimer
ainfi ,
, que ce n'eft qu'à force de leçons de
pratique & d'exemples
de fuccès conftans
, qu'on peut le ramener aux ufages
que la faine Phyfique confeille & que la
Raifon approuve
.
A l'égard du Commerçant
& de l'Artiſte, il eft moins difficile de leur faire entendre
raifon ; il fuffit de leur expofer les inconvéniens
de tel ou tel procédé , & de leur
montrer les avantages
de tel ou tel autre,
pour qu'ils adoptent celui- ci fans héfiter.
Un ouvrage
dans lequel , en embraf
fant , dans fa plus grande étendue
, ce qui
SEPTEMBRE. 1961. FIN
a rapport à ces trois objets , on s'attacheroit
plus à donner des leçons de pratique
fondées fur une faine théorie , qu'à des
fpéculations peut- être utiles , mais d'une
utilité moins préfente ; un ouvrage dans
lequel on trouveroit raffemblées & réunies
, fous le même point de vue , toutės
les obfervations des Philofophes qui ont
écrit fur ces matières , toutes les expériences
qui ont été faites dans les divers Pays
où l'agriculture eft en honneur , avec leur
application aux différens terreins , fuivant
la nature du fol ; un ouvrage où la
pratique marcheroit d'un pas égal avec la
théorie , & qui pourroit feul tenir lieu de
l'immenfe & volumineufe collection des
livres qui ont été faits fur ce fujet , parce
que ce qu'ils contiennent d'utile s'y trouveroit
en fubftance , & feroit joint aux
nouvelles vues que l'expérience & la réflexion
ont ouvertes depuis ; un ouvrage ,
en un mot , où l'on trouveroit des détails
fur le Commerce & fur les Arts qui pourroient
éclairer & inftruire le Négociant ,
rectifier les idées,diriger la main de l'Artif
te : un tel ouvrage pourroit- il ne pas être
accueilli dans un fiècle qui paroît abandonner
enfin le frivole pour s'attacher au
folide?
124 MERCURE DE FRANCE.
C'eft l'objet qu'on fe propoſe dans ce
lui dont on publie le Prospectus.
ne
Pour cet effet , quant à ce qui concerl'agriculture
, on y raffemblera les principes
des divers Pays , qui ont déjà été
foumis à l'expérience , & ceux même qui
auroient befoin de l'être , pour que leur
bonté fût conftatée , afin d'en tirer des
conféquences & des préceptes pour l'amélioration
des terres , &c , à l'effet de procurer
de plus abondantes recoltes , &c.
On aura foin de rapporter & de traduire
les termes ufités dans les différens lieux ,
afin qu'il ne reste aucun obftacle à l'inelligence
des régles que l'on pourra
préfcrire , pour parvenir :
En premier lieu , à inftruire le Cultiva
teur des méthodes les plus efficaces & les
plus fûres pour défricher , engraiffer ,
améliorer , femer & cultiver fructueuſe
ment les terres fertiles , & tirer le meil
leur parti des mauvaiſes , relativement à
l'expofition & à la température du cli
mat , ainfi qu'à la nature du fol . On
* Nous ne prétendons pas dire que les préceptes
découverts , ou à découvrir , puiffent être
utiles à tous les cantons fans exception. Cette
prétention feroit chimérique . Mais nous voulons
dire qu'au moyen des modifications prefcrites
par la nature de chaque terrein , il n'eſt aucun
SEPTEMBRE. 1761 125
indiquera pareillement la meilleure façon
de faire , de préparer & de conferver les
récoltes , ce qui amènera des préceptes
pour connoître : 1 ° . chaque nature de
terre, fa qualité , & quel est le parti qu'on
en peut tirer ; 2°. chaque méthode de
deffécher & défricher , la plus analogue
à telle ou telle qualité de fol ; 3 ° . chaque
efpéce de labour , d'engrais , de femence
propre à tel ou tel terrein , & le
choix qu'il faudroit faire des diverfes méthodes
connues ou indiquées pour améliorer
un terroir & en augmenter la vertu
productrice ; 4° . les époques marquées &
reçues comme les plus favorables pour
exécuter avec fruit & employer avec fuccès
ces défléchemens , ces défrichemens ,
ces labours , ces engrais , ces femences ,
&c. so. La meilleure manière de préparer
les engrais & les femences ; 6º. enfití.
le nombre des labours , la quantité d'engrais
, & la qualité des femences qu'il
précepte qui ne puiffe être utile jufqu'à un certain
point ; & la manière dont on préfentera ces
précéptes , par l'application qu'on aura foin d'en
faire à chaque efpéce de terrein , pourra être
avantageufe dans tous les pays , en ce que le laboureur
y trouvera des leçons analogues à la
nature du fol qu'il aura à cultiver.
Fiij
726 MERCURE DE FRANCE.
faudroit employer , relativement à la nature
du fol qu'on cultive.
En fecond lieu , la manière d'élever, de
nourrir & d'engraiffer les beftiaux , volailles
& infectes utiles , la méthode & le
temps convenables pour recueillir , préparer
& conferver leurs productions , feront
l'objet d'une partie de cet article.
En troifiéme lieu , on indiquera ce qu'il
faut obferver & pratiquer , ce qu'on a
éprouvé être le plus expédient pour fenter,
élever , planter , enter , cultiver les arbres
fruitiers & autres. Les vendanges , le cidre
, & c , fuivront néceffairement cet article.
Enfin on décrira la forme & la conf
truction des uftenciles & inftrumens les
plus néceffaires à la cultivation , &
afin que rien ne gêne dans l'intelligence
du détail qu'on en donneroit , on tâchera
d'en rendre les noms dans l'idiome *
* Pour faciliter cette connoiffance au laboureur
, on fe flatte qu'il fe trouveroit toujours dans
les principales Paroiffes quelque citoyen zélé qui
voudroit bien fe donner la peine d'extraire de notre
ouvrage ce qui , quant à l'agriculture , pourroit
concerner la nature du terrein du canton
qu'il habiteroit , & le traduire dans l'idiome de
ce canton , afin que le Pay fan pût s'inftruire, que
le jeune Agriculteur pût y puifer des leçons , &
l'ancien Cultivateur des lumières pour éclairer
ceux qui font à fa charge. Un petit manuel de
SEPTEMBRE. 1761 127
de chaque Province , & même de chaque
canton , s'il étoit poffible . Et fi l'on découvre
, dans un inftrument quelconque ,
un vice de conformation , on indiquera
la manière de le rectifier , en obfervant
pourtant de s'éloigner , le moins qu'il
feroit poffible , de la forme déjà adoptée.
A l'égard du Commerce , on fera un
choix dans les moyens connus , fans négliger
les nouveaux que la réfléxion pourra
découvrir , pour inftruire le Négociant :
1 °. des objets de commerce d'exportation
& d'importation , relativement à fa pofition
, & c . 2 ° . de la nature & de la qualité
des matières premières , & des modifications
& changemens que l'induftrie y apporte
: 3. des lieux d'où ces différens
objets de commerce doivent être tirés
préférablement , & de ceux où la confommation
en peut être la plus avantageuſe.
Pour cet effet , on traitera avec ordre ,
& dans le plus grand détail , de la nature
du Commerce général de chaque Royaume
, de chaque Etat , c'eft- à -dire , de la
nature de leurs productions de terre ou de
cette donne- forte que les Curés , Vicaires & c ,
roient a lire à leurs Payfans , produiroit néceffairement
le plus grand bien . Cette coutume qui
eft établie en Angleterre , y a eu les plus grands
faccès,
F iy
128 MERCURE DE FRANCE .
mer , de celles de leurs Fabriques & Manufactures
, des Marchandifes des autres
Pays qui s'y débitent , de leurs coûtumes
dans les ventes , achats , affaires de banques
& c ; de leurs foires , de leur durée
& de leur date , de leurs marchés publics
& des denrées qui s'y confomment , & c.
De là on paffera au commerce particu
lier de chaque Province & de chaque
Ville ; on fera mention des Manufac
tures qu'on y trouve ; & on aura foin
de marquer quel avantage elles produifent.
On indiquera les voies les plus commodes
& les moins couteufes pour le
tranfport des marchandiſes , tant natio
nales qu'étrangères , ce qui amènera à
traiter des droits de péages , traites foraines
, octrois , & c , exigibles fur chaque
nature de marchandifes , des droits d'entrée
& de fortie , des droits de fret &
d'ancrage , de la commiffion , des affurances
, des changes , efcomptes ordinai
res , & c. Pour ne rien omettre , on donnera
un tableau des poids & mefures , &
des monnoies réelles & idéales , avec les
moyens de les réduire à la valeur de ceux
du pays où l'on fe trouve . Enfin on annoncera
les nouvelles découvertes ; on
expofera les plans & projets de commerce
qui pourroient ſe faire , &c. &c.
SEPTEMBRE. 1761. 129
•
Les Arts feront envifagés dans le même
ordre & le même point de vue . On inſtruira
l'Artiſte de la nature de la matière fur
laquelle il travaille , & des moyens de la
mettre en oeuvre avec le plus de profit
poffible; & pour que cette partie de l'ouvrage
,qui eft indifpenfablement liée avec
les deux autres , foit traitée avec le même
foin , on ſe propofe de préfenter d'abord
en peu de mots les ftatuts & réglemens
concernant chaque corps de métier, d'expofer
les régles qu'ils prefcrivent , & de
marquer quels font les talens néceſſaires
pour réuffir dans tel ou tel Art . On recherchera
foigneufement quelles font les
nouvelles préparations des matières premières
, ce qu'on a découvert concernant
les étoffes & autres objets de fabrication
, s'il y a quelque nouveau moyen de
leur donner un plus beau teint ou un plus
bel oeil ; en un mot , rien de ce qui pourra
éclairer l'Artifte & faciliter fes progrès
ne fera omis .
Tel eft en général le plan de cet ouvrage
. Voici quelle eft la forme qu'on fe propofe
de lui donner.
DIVISION DE L'OUVRAGE.
Chaque volume fera divifé en quatre
F v
30 MERCURE DE FRANCE.
parties . Dans la premiere , qui traitera de
l'agriculture, on entrera dans tous les détails
néceffaires pour le développement:
des principes & des préceptes , & on aura:
foin de citer les ouvrages dont on s'aidera ..
On joindra à la fin de cette partie les figures
en taille -douce , des outils & inftrumens
dont on aura eu occafion de parler ,
& qui feront les plus commodes pour le
Cultivateur.
Dans la feconde partie , qui aura pour
objet le Commerce, & on procédera dans
le même ordre , & on entrera dans les ;
mêmes détails..
Dans la troifiéme , qui regarde les Arts ,
on ne fe contentera pas de décrire en:
gros chaque art ou - métier , mais on en
détaillera les parties lorfqu'elles offriront
quelque chofe d'intéreffant , & l'on donnera
tous les moyens poffibles pour hâter
les progrès de l'art dont il fera queſtion ,,
Qu pour en augmenter l'utilité..
Et pour ne laiffer rien à defirer fur la to
talité de cet ouvrage , la quatrième partie
fera compofée d'un corps d'obfervations :
générales & d'une fuite d'expériences, de
plans , de projets, & c , relatifs aux trois;
autres parties , mais d'un rapport affez
éloigné avec la matière dont on auroit:
maité dans ce même volume , pour qu'on
SEPTEMBRE. 1761. 131
2
n'ait pas crû devoir les inférer fous le titre
refpectif qui leur eût convenu. Ces obfervations
embrafferont en général toutes
les découvertes des fociétés d'agriculture ,
tant de France que des pays étrangers
qu'on préfentera le plus fuccinctement
qu'il fera poffible , & feulement pour les
configner dans un ouvrage qui n'a pour
but , que d'éclairer le Cultivateur, le Négociant
& l'Artiſte.
PRIX DES VOLUME S..
On donnera chaque année , juſqu'à l'ai
confection entiere de l'ouvrage , fix volunes
in - 8° . de même caractère & de
même format que le Profpectus. Chaque
volume fera de vingt feuilles , c'eſt- àdire
320 pages ou environ. Le premier
paroîtra au mois de Septembre prochain ,.
& le deuxième au premier de Novembre
fuivant , & ainfi des autres fucceffivement
'de deux en deux mois.
Mais comme chaque volume formeroit
un trop gros paquet pour les perſonnes
de Province qui defireroient recevoir cet
Ouvrage par la Pofte , & qu'il eft bon de
fatisfaire promptement ceux qui voudront
jouir du fruit de nos recherches &
de nos travaux , nous nous propofons de
"divifer chaque volume en deux parties ,
Fvi
132 MERCURE DE FRANCE.
chacune de dix feuilles , dont il en pa
roîtra une chaque mois.
Le prix de chaque volume fera de trois
livres , en forte que les fix volumes de
l'année reviendront à 18 liv.
Les perfonnes de Province qui voudront
les recevoir par la Pofte , payeront
de plus pour le port 16 fols par volume ,
c'est - à- dire 8 fols par chaque partie , ce
qui reviendra , pour le port des fix volu
mes , à 4 liv. 16 f. par an.
Cet Ouvrage fe diftribuera chez Defpilly
, Libraire , rue S. Jacques , à la
vieille Pofte ; on en trouvera auffi des
Exemplaires chez les Libraires des principales
Villes du Royaume.
P. S. Nous recevrons tous les mémoires &
paquets que l'on voudra nous adreffer concernant
notre ouvrage , & nous aurons beaucoup
de reconnoiffance pour les perfonnes qui voudront
concourir avec nous à lui donner toute la
perfection poffible. Les obfervations des Cultivateurs
, les mémoires des Négocians & Artiſtes ſeront
reçus avec plaifir dans telle langue qu'ils
foient écrits ; nous nous ferons un devoir d'in
férer les experiences & les projets utiles qui y
feront contenus , & nous en rendrons hommage
à leurs Auteurs s'ils paroiffent le defirer . Nous
prions feulement les perfonnes qui voudront nous
envoyer quelques paquets , de les remettre à notre
adrelle chez quelque Libraire connu de Province
, qui les feroir parvenir , pour être remis ag
SEPTEMBRE. 1761.
155
fieur Defpilly, Libraire , à Paris , rue Saint- Jacques.
On trouve chez le même Libraire , le Patriote
Artéfien , ou les Moyens de ranimer l' Agriculture ,
le Commerce & les Arts , & tous les Livres concernant
cette matière .
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADEMIES.
EXTRAIT des Mémoires de l'Académie
Royale des Inferiptions & Belles - Lettres.
TOME X X V.
1
SUR l'Origine de la Fable de l'OLYMPE.
De l'Imprimerie Royale . 1761 .
CEE MÉMOIRE a pour titre : Conjectu
res fur l'Origine de la Fable de l'Olympe,
en explication & confirmation de ce qui a
été dit , dans l'un des Eclairciffemens
ajoutés au Traité Phyfique & hiftorique de
l'Aurore Boréale.
Dans un court Avertiffement , qui eft à
la tête , il eft dit que l'ufage de l'Acadé
154 MERCURE DE FRANCE.
mie des Belles- Lettres eft de ne faire
imprimer entre fes Mémoires , que ceux
des Académiciens ; que cependant elle a
cru que le Mémoire fuivant méritoit une
exception. Il eft de M. de Mairan , qui a
fçu joindre à l'étude des hautes Sciences
les agrémens de la Littérature. L'Académie
des Sciences dont il est un des
Membres les plus diftingués , eft unie à
celle des Belles - Lettres par une corref
pondance mutuelle.
La diftinction particuliere que cette
favante Académie a cru devoir à ce Mémoire
, fuffit pour en prouver le mérite
& exciter la curiofité du Public . M. de
Mairan dans fon célèbre Traité de l'Aurore
Boréale , où l'érudition ne devoit venir
qu'en fecond à l'appui du Phyſique,
Cavoit renfermé dans une demie page ce
qu'il difcute aujourd'hui plus au long dans
cet excellent Mémoire de Mythologie.
Son idée étoit très - ingénieufe ; & elle fe
trouve à préfent auffi folidement établie
qu'elle peut l'être , par la difcuffion des
preuves qu'il avoit fupprimées.
C'est donc , felon lui , l'Aurore Boréale
qui a donné lieu à la Fable dont il s'agit
, & qui a fait imaginer Jupiter & les
Dieux affemblés fur l'Olympe. Il montre
la liaifon que les différens afpects de l'Au
SEPTEMBRE. 1761. 135
Tore Boréale peuvent avoir avec les vifions
chimériques qu'elle a fait naître felon la
latitude des lieux où elle eft vue , & felon
que fes apparitions y font plus ou moins
completres , plus ou moins fréquentes .
Après avoir parlé des différens effets de
P'Aurore Boréale fur les habitans du Nord
& fur ceux des pays de moyenne latitude ,
M. de Mairan remarque , que dans les
pays meridionaux où l'Aurore Boréale a été
quelquefois des fiécles entiers fans paroître
& où elle n'a paru enfuite que par intervalles
, baffe & communément tranquille
, on n'a fait de l'Aurore Boréale
qu'un fpectacle riant , beau à voir & admirable
, comme les Chinois s'expriment
encore aujourd'hui ; que dans les fiécles.
paffés où la Féérie & les enchantemens:
s'étoient emparés des efprits , les habirants
de Reggio & du fond de la Calabre,
y ont reconnu leur Fée Morgane , qui fe
préfentoit à eux dans fes Palais brillans
de criftal ; & qu'enfin , ſi ſa conjecture
ne le trompe , les anciens Grecs n'ont vû
dans l'Aurore Boréale que Jupiter & les
Dieux tenant leur confeil fur l'Olympe ;
fable qui étoit en crédit du tems d'Homére
& d'Héfiode , & qui peut remonter
jufqu'à l'antiquité la plus reculée.
» L'Olympe dont il s'agit ici , car il Y
136 MERCURE DE FRANCE.
» en a plus d'un dans la Gréce , confifte
» dans une chaîne de Montagnes , qui
» bordent la Theffalie vers le Midi , & qui
33
font par conféquent au Nord déclinant
» vers l'Ouest de l'Achaïe & de la Phoci-
» de , & de tout ce qui formoit la Gréce
" proprement dite , HELLAS l'ancienne
» Gréce , Pays fertile en idées poëtiques &
» fabuleufes. L'Aurore Boréale qui n'eft ja-
» mais guéres élevée à de femblables lati-
» tudes & qui décline le plus fouvent vers
» l'Ouest , y aura donc paru immédiate-
» ment au-deffus de ces Montagnes &
» comme adhérente à leur fommet. De
» là le Lymbe , ce ceintre lumineux &
» rayonnant du Phénomène , n'aura été
» pour le Spectateur étonné , qu'un figne
non équivoque de la préſence des Dieux ;
» le fegment obfcur qu'il y aura quelques-
» fois vû au deffous , qu'un nuage refpec-
» table qui cachoit ces Immortels aux
» yeux prophanes. Et les jets de lumiére
» couleur de feu qui s'en élançoient
» qu'auroient- ils pu être qu'autant de foudres
qui partoient de la main deJupiterè
» Plus le Phénomène aura été rare , plus
» il aura été merveilleux , & plus la tra-
» dition , comme tel , aura da s'en con-
» ferver long- temps fans atteinte.
* Traité de l'Aurore Boréale , page 462,
SEPTEMBRE. 1761. 137
Les bornes d'un Extrait ne nous permettent
pas de fuivre l'Auteur dans le détail
des preuves multipliées qu'il donne
de fon idée fur la Fable de l'Olympe ;
inais ce qui lui fait le plus d'honneur &
ce que nous ne pouvons paffer fous filence
, eft qu'elle fe trouve juftifiée par des
pierres antiques , des médailles & des basreliefs
qu'on ne peut expliquer raiſonnablement,
qu'en admettant le fentiment de
M. de Mairan. C'eſt- ainſi qu'en a jugé M.
le Comte de C ** pour qui l'Antiquité n'a
point de voiles impénétrables, & dont l'au
torité, refpectable en tout, a plus que toute
autre raifon déterminé ce fcavant Phyficien
à enrichir les Mémoires de l'Académie
des Belles - Lettres de cet Ouvrage
auffi curieux qu'intéreffant pour toute la
Littérature. M. de Mairan termine ce Mémoire
par la defcription d'une de ces
Pierres qui eft dans le Cabinet du Roi ,
dont il donne l'Eftampe d'après le deffein
qui s'en trouve dans l'excellent Livre de
M. Mariette fur les Pierres gravées .
Par M. L. A. L. B.
138 MERCURE DE FRANCE.
EXTRAIT de la Séance publique de l'Académie
des Sciences & Belles- Lettres de
Dijon , du 11 Janvier 1760 .
L'OUV 'OUVERTURE de l'Académie s'eft faite
par un difcours de M. le Président de
Ruffey , fur la Prévention . Il recherche
d'abord la fource de cette dangereuſe
maladie de l'eſprit ; il en fuit la marche ;
il en développe les effets les plus nuifibles
à la Société ; il indique enfin les
moyens les plus efficaces pour s'en garantir
ou pour s'en guérir.
Cette matière , quoique traitée par la
plupart des Moraliftes modernes, acquiert
un air de nouveauté fous la plume de
l'Auteur , qui a fçu joindre à fes réfléxions
, des anecdotes intéreffantes , des
portraits vivement coloriés , un ftyle
concis, une chaleur d'expreffion qui don-'
ne de la force & de la vie à cet Ouvrage
Académique.
Le caractère de l'Egoifte , furtout , a
paru nouveau ; M. de Ruffey met au jour
les ridicules de ces Narciffes modernes
qui fe croyent le centre de la Société, qui
ne vivent pour perfonne , & qui s'imagi
SEPTEMBRE. 1761 : 139
nent tous les êtres créés pour eux .
Il n'a pas oublié la prévention des Anglois
contre les François , d'autant plus
injufte qu'elle n'eft pas réciproque it
décrit les bifarres événemens de la guerre
que le Peuple de Londres à faire aux
Comédiens François, guerre fanglante où
plufieurs Anglois ont péri victimes de la
prévention.
Il finit fon difcours , en confidérant
combien il y a peu de gens qui penfent
& agiffent par principes ; il déplore l'ignorance
de la plupart des perfonnes.
avec lesquelles on eft obligé de vivre , qui
font de très - bonne foi des injuftices & des
baffeffes ; fauffement perfuadées qu'elles
ne doivent s'abftenir que des feules actions
qui reclament la vengeance publique.
Il applaudit à l'avis de ce Philofophe
moderne qui defire qu'on travaille à
compofer un Catéchifme de Morale , où
les principes de l'honneur & de la vertu
foient mis à la portée des enfans. Ces
femences , dit M. de Ruffey , germées.
dans de jeunes coeurs , produiroient des
fruits précieux ; formeroient à l'Etat des
fujets , à la Société des Citoyens , qui fe-
Foient la gloire & le bonheur de la Nas
tion,
40 MERCURE DE FRANCE.
M. Gelot lut enfuite un Difcours fur la
néceffité de conferver l'équilibre des conditions.
M. Hoin termina la Séance
bleau de la Rage.
*
par un Ta-
Dans la féance publique du 10 Août
1760 , M. l'Abbé Richard lat un Mémoire
fur le fujet du prix qui avoit été propofé
cette année , fçavoir : Si les Arts utiles
& les premiers cultivés ont été portés à
une plus grande perfection ? M. Michault ,
Académicien Honoraire , continua par la
lecture d'une Defcription Hiftorique &
Phyfique des Phénomènes ignés . M. Barberet
lat enfuite un Difcours fur l'effet
de l'Electricité dans les maladies.
La féance publique du 9 Janvier 1761 ,
s'ouvrit par un Difcours de M. l'Abbé Richard
contenant l'Eloge de feu M. Leaulté
, Académicien Honoraire. Cet Eloge fut
fuivi de la lecture d'un Mémoire de M.
le Président de Ruffey fur le fiége de Di
jon par les Suiffes , en 1513 .
Ce morceau d'Hiftoire particulière éxigeoit
les détails où l'Auteur eft entré ; &
cet événement , un des plus mémorables
& des plus intéreffans pour la Bourgogne,
méritoit d'être célébré dans l'Académie
* Cettè Piéce eft imprimée dans le Mercure du
mois de Juillet dernier , II. vol . page 124.
SEPTEMBRE. 1761. •
140
de fa Capitale. Les recherches de M. de
Ruffey fur cet objet , font d'autant plus
précieufes pour elle , que les Hiftoriens
généraux les plus exacts & les plus efti
més , n'en donnent que de légères & de
fauffes idées .
L'Auteur débute par des notions préliminaires
fur les Suiffes , anciennement
nommés Helvétiens . Il remonte à leur
origine , & rapporte fommairement ce
que l'Histoire nous a tranfmis de plus in
téreffant fur cette Nation belliqueufe .
Leur premier exploit fut la défaite du
Conful Lucius Caffius , dont ils firent paffer
l'Armée fous le joug , l'an de Rome
543,
Céfar vengea les Romains quelque
temps après par l'entière défaite de l'Armée
Helvétienne , compofée de plus de
300 mille hommes .
M. de Ruffey parcourt les différens.
Etats de cette Nation fous les Romains ,
les Rois de Bourgogne , les Empereurs ;
remarque que, fous ces différens Maîtres ,
les Helvétiens confervérent toujours l'om
bre de leur ancienne liberté : la fimplicité
de leurs moeurs , la pauvreté de leur
Pays fortifié par la Nature , les mirent à
l'abri du defpotifme.
Profitant des troubles de l'Empire &
142 MERCURE DE FRANCE:
de la foibleffe des Empereurs , ils recou
vrèrent entièrement leur liberté ; mais la
Nobleſſe que les richeffes rendoient audacieufe
& eutreprenante , exerça fur
eux l'autorité la plus tyrannique. Pour s'y
fouftraire , ils eurent recours aux Empereurs
leurs anciens Maîtres. La cruauté
des Gouverneurs établis par l'Empereur
Albert , donna lieu à la fameufe révolution
qui devint en 1308 , le fondement
de leur République. Ils prirent alors le
nom de Suiffes , qu'ils emprunterent d'un
de leurs cantons .
Des guerres foutenues pendant deux
fiécles , rendirent les Suites infiniment
redoutables ; on vit fans étonnement, les
plus grands Princes rechercher leur alliance
; la France même ne la négligea
point ; elle s'en fervit utilement fous plufieurs
de fes Rois . Mais Louis XII mécontent
des augmentations des foldes
qu'ils lui demandoient , les irrita par des
paroles outrageantes , & s'en fit des ennemis
irréconciliables .
Animés par les voifins de la France
excités par leur reffentiment & par leur
intérêt particulier , ils formèrent le projet
de fe venger en pillant & ravageant
les plus belles Provinces de ce Royaume.
Accompagnés de quelque Cavalerie
SEPTEMBRE. 1761. 143
que leur fournit l'Empereur Maximilien ,
ils entrèrent en Bourgogne au nombre de
25000 hommes & en inveftirent la Capi
tale le 7 Septembre 1513 .
M. de Ruffey fait un détail circonftancié
du mauvais état où fe trouvoit alors
la Ville de Dijon , des travaux & des préparatifs
que firent fes Habitans pour leur
défenſe : il parle des Troupes envoyées
par le Roi à leur fecours , enfin des précautions
prifes & des ordres donnés par
la Tremoille , Gouverneur de Bourgogne,
pour fauver la Capitale de fon Gouvernement.
Les Suiffes commencèrent le fiége par
l'établiſſement de deux batteries , l'une à
l'Orient , l'autre à l'Occident : leur grand
effet jetta la confternation dans la Ville.
La Tremoille, redoutant l'événement d'un
affaut , eut recours à la négociation ;
ce ne fut qu'à la troifiéme conférence
qu'il vint habilement à bout de fauver du
pillage la Bourgogne , & le Royaume
qui étoit entièrement ouvert à l'invaſion
de ces dangereux ennemis . Les Suiffes fe
contentérent de 25000 livres à compte
de quatre cent mille écus qui leur furent
promis , & pour lefquels ils emmenérent
en ôtages deux Seigneurs & quatre Bourgeois
: ils levérent le fiége le 13 Septem
bre.
44 MERCURE DE FRANCE.
L'Académicien n'oublie rien de tour
ce qui fe paſſa pendant le fiége , de tour
ce qui regarde les conférences & les Articles
du Traité. Il en prend occafion de
relever l'erreur des meilleurs Hiftoriens
François fur la durée de ce fiége. Du Bel-
Jay & Mezeray écrivent qu'il dura fix ſemaines
; Beaucaire & le Père Daniel , un
mois. Ces Hiftoriens varient auffi fur les
fommes pronnfes & payées comptant aux
Suiffes ; mais M. de Ruffey a vérifié par
les Registres de l'Hôtel de Ville de Dijon,
qu'elles n'excédérent point celles qu'il a
énoncées , & que cette Ville ne fut affiégée
que pendant fix jours.
Il paffe enfuite aux mefures qui furent
prifes pour garantir la Bourgogne d'une
nouvelle invafion.
Le Duc de Bourbon , depuis Connétable
, y fut envoyé pour fortifier Dijon &
les Villes frontières , ce qui fut exécuté.
en peu de temps par le zèle & l'activité
des Magiftrats. M. de Ruffey parle auſſi
des graces & des priviléges que le Roi
accorda aux Habitans de Dijon pour les
dédommager des pertes occafionnées par
le fiége , & enfin de la proceffion folemnelle
fondée par les Habitans , en mémoire
de l'heureufe délivrance de leur
Ville .
Cec
SEPTEMBRE . 1761. 145
Cet Effai Hiftorique eft terminé par le
récit de tout ce qui fut fait pour fauver
les ôtages que les Suiffes , piqués de l'inéxécution
du Traité de Dijon , avoient
condamnés à mort. Humbert de Villeneuve
, premier Préfident du Parlement
de Bourgogne , étoit allé en Suiffe pour
traiter de leur rançon ; mais il foc luimême
arrêté à fon retour , & expofé au
reffentiment d'une Nation irritée : l'intérêt
fut heureuſement le plus fort fur l'efprit
des Suiffes ; il fufpendit leur vengeance
.
Les Etats de Bourgogne fauvèrent les
ôtages ; on leur laiffa , au moyen de groffes
fommes fecrettement payées , la li
berté de s'évader par les cheminées des
chambres où ils étoient détenus .
Enfin en 1516 , François I voulant
s'attacher les Suiffes , après les avoir défait
à la Bataille de Marignan , leur paya
toutes les fommes promifes par le Traité
de Dijon il conclut avec eux une alliance
qui a duré jufqu'à nos jours avec autant
de franchiſe que de fidélité.
La féance fut terminée par un Difcours
de M. Perret fur les différens effets des
paffions.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
SEANCE publique de la Société Littéraire
d'Arras.
PRESENT qu'elle a reçu de Mgr L'ELECTEUR
PALATIN ,
CEtte féance fe tint le 14 Avril dernier
; & M. de Ruzé de Jouy , Receveur
& Agent de l'Ordre de S. Louis , Directeur
de la Société , en fit l'ouverture par
un Difcours fur les abus qui fe font introduits
dans l'éloquence. M. Durand fils
Docteur en Médecine de l'Univerfité de
Montpellier , Médecin des Hôpitaux du
Roi en furvivance, donna des Réflexions
fur le mauvais ufage que la plupart des
hommes font de leur fanté . Enfuite M.
Harduin , Avocat , Secrétaire perpétuel ,
lut un Mémoire pour fervir à l'Hiftoire
de la Ville d'Arras depuis 1493 jufqu'en
1499. Le P. Lucas Jéfuite, Affocié honoraire
, fit la lecture d'un Traité fur la
Tourbe d'Artois. M. l'Abbé de Lys , protonotaire
Apoftolique , Avocat , & Bénéficier
de la Cathédrale , termina la féance
par un Mémoire Hiftorique fur ce qui
fe paffa , lors de la féparation de l'Evê
che d'Arras d'avec celui de Cambray
SEPTEMBRE. 1761. 147
après la mort de Gérard , depuis l'élection
de Lambert jufqu'à fa confécration faite
à Rome par le Pape Urbain II.
La Société Littéraire , à qui L. A. S.
Electorales Palatines avoient eu la bonté
de donner l'année derniere une Médaille
d'or , qui repréfente ces généreux
Souverains , vient d'être honorée par
Mgr. l'Electeur d'une nouvelle marqué
de fon affection . C'eft une fuite de Médaillons
d'argent , qui portent fon éffigie
& celles de vingt - neuf autres Princes de
fa Maifon , dont le premier eft Louis
Duc de Bavière , créé en 1215 , Comte
Palatin du Rhin , & père d'Otton l'Illuf
tre , qui époufa en 1228 Agnès de Saxe,
héritière du bas Palatinat. Sur le Cordon
du Médaillon de Mgr l'Electeur fe trouve
gravée cette Infcription.
Atrebatum Mufis meque meofque dedi . 1761 .
La Société a remercié S. A. E. par
Lettre qui fuit.
» MONSEIGNEUR ,
la
C'étoit affez du premier bienfait de
"VOTRE ALTESSE SERENISSIME ELECTORA-
» LE , pour imprimer dans nos coeurs une
»reconnoiffance également vive & durable
; & nous ne trouvons plus de ter
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
» mes qui puiffent dépeindre celle que.
nous infpire , MONSEIGNEUR , la magnifique
Collection dont vous daignez encore
nous gratifier . Quelque parfaits
» que foient ces Médaillons , où l'excel-
» lence de l'Art répond partout à la
» Nobleffe du Sujet ; ce qui en fait à nos
» nos yeux le plus haut prix , eft qu'ils
font , MONSEIGNEUR , une preuve écla-
» tante , un gage immortel de vos bontés
» pour nous. La vue des traits de vos auguftes
Précéceffeurs redoublera l'intérêt
» que nous prenions déja à leurs belles
actions ; & ce fera toujours avec une
joie nouvelle, qu'en comparant tant de
grands Princes à V. A. E. nous verrons
» réunir en elle les plus louables qualités
» qui caractérisent & diftinguent chacun
de ces illuftres Souverains.
"
و د
"
Que de gloire nous promet , MoN-
» SEIGNEUR , la bienveillance dont nous
honore V. A. S. Si notre Société ne peut
» fe flatter d'acquérir un nom brillant par
» fes travaux , vos faveurs fuffiront pour
» la rendre à jamais célébre.
» Nous fommes avec le plus profond
» refpect , & c.
SEPTEMBRE. 1761. 149
HISTOIRE NATURELLE.
SECONDE Lettre de M. JAUSSIN , ancien
Apothicaire Major des Camps & Ari
mées du Roi , Maître Apoticaire à Patis
, à M. de B .... ancien Commiffaire
des Guerres .
SUITE des Obfervations fur quelques parties
de l'Hiftoire Naturelle de la
Il
Corfe , & c.
L faut avouer , Monfieur , que les Corfes
habitent un beau Pays. Diodore de
Sicile l'avoit déja vanté . Il rapporte qu'il
étoit fécond non feulement en ce qui eft
néceffaire à la vie humaine , mais encore
dans ce qui en fait les délices, Seneque
pourtant ne tient point ce langage : peutêtre
auffi que le chagrin d'y avoir été
éxilé par Néron remua fa bile contre cette
Ifle , car il en parle ainfi :
Barbara perruptis inclufa eft Corfica Saxis ,
La Corfe fauvage & Barbare eft renfermée
dans des rochers efcarpés .
Quoiqu'il en foit , on ne trouve point
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
cette définition jufte ; il eft vrai cependant
qu'on eft d'accord avec lui fur le
point des rochers qui font le long des
Côtes de la partie du Cap Corfe & jufqu'au
Nord Oueft , depuis Baftia jufques
aux bouches de Bonifacio , ce qui fait la
côte du Levant . Prèfque toutes ces côtes
font d'un terrein de fable & avec fi peu
d'eau , qu'un bâtiment qui en tire plus de
deux pieds court rifque d'y échouer. Depuis
le Golphe de Sagonne jufqu'à Ajaccio
qui eft la côte de l'Oueft, c'eft à peu près
de même.
Les montagnes de Corfe , Monfieur ,
font en plufieurs endroits prèfqu'auffi
hautes que les Alpes , avec cette différence
que celles - là font fort arides . Ce
ne font que des rochers enfevelis fous les
neiges . Les Vallées placées dans l'intervalle
de ces Montagnes ne font pas fort
étendues , mais elles font affez fertiles en
vins & en blés ; on n'y fume jamais les
terres , & malgré cela elles rendent cinquante
pour un .
Les plages le long des côtes font encore
plus fécondes ; le terrein qu'elles
occupent prè que dans tout le pourtour
de l'Ifle, a communément un diamètre de
cinq , fix,à fept milles , depuis le pied de
la montagne jufqu'à la Mer . Il est admiSEPTEMBRE.
1761
table & s'il étoit bien cultivé , il fourniroit
toutes fortes de productions, & pourroit
nourrir fix fois plus de monde que la
Corfe n'en contient ; mais des détails particuliers
vous feront mieux connoître ce
Pays que j'ai eu le temps d'examiner à
mon aife. Au refte , Monfieur , vous vous
reffouvenez fans doute qu'on entend en
Corfe par le mot de Pieve , un affemblage
de plufieurs lieux fous la même régie ,
quoiqu'ils dépendent de diverſes Paroiffes
qui compofent chaque Jurifdiction .
Ce mot vient de l'Italien Pievano & fignifie
Curé principal. Je vais commencer
maintenant les détails en queftion.
Dans la partie de delà les Monts , on
trouve par exemple , la Jurifdiction d'Ajaccio
; c'eft une des plus belles de l'Ifle ;
& quoiqu'étendue de terrein , elle n'eft
compofée que de huit piéves. Celle d'Ajaccio
eft abondante en vins rouges qu'on
envoie en terre ferme ; il n'y a point
d'huile. Les Habitans en font venir de la
Balagne , d'Olmetto & d'Ornano ; les
grains & la viande y font affez communs ;
& il y a plus de gros bétail qu'il n'en faut
pour les Peuples . On y trouve de beaux
pâturages & peu de châtaignes.
La Piéve la plus voifine de celle d'A .
jaccio eft la Mezzana. Son terrein pro
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
duit plus de grains & de vin que les Ha
bitans n'en peuvent confommer , affez
d'huile & rien de plus.
Celle de Cinarca , quoique fuffifamment
cultivée , ne produit du grain que
pour fon néceffaire ; elle fournit plus de
vin & d'huile qu'elle n'en a befoin pour
fa confommation ; elle a quelques Hameaux
très -abondans en châtaigners ;
vous obferverez , Monfieur , qu'on appelle
en Corfe châtaignes blanches , celles
qui font nettes & prêtes à mettre au
moulin.
La piéve de Celavo au pied des montagnes,
a un terrein plus étendu que celle
de la Mezzana , mais inculte en plufieurs
endroits; on y recueille peu de vin, d'huile
& de châtaignes ; en revanche il y a
beaucoup de beftiaux , du lait defquels on
fait d'excellens fromages ; les Habitans
vont labourer au loin dans la plaine qui
leur produit affez de grains pour leur fubfiftance.
La petite piéve appellée Cappella di
peri , qu'on confond ordinairement fous
la domination de celle de Celavo , eft
fituée en pleine dans un bon terrein qui
rapporte aux Habitans de trois Villages
& de deux Hameaux dont elle eft compofée
, plus de grains & de châtaignes
SEPTEMBRE. 1761. 153
Y
qu'ils n'en peuvent confommer ; ils ont
quelques beftiaux, & ils manquent de vin
& d'huile . Le meilleur grain de la Province
d'Ajaccio eft celui de la Piéve de
Cauro . Elle eſt abondante en toutes fortes
de vivres , de façon que non feulement
tous les Villages , dont quelquesuns
font ftériles , en font pourvûs , mais
les Peuples en vendent encore hors de la
Piéve. Proche le Village de Baftelica qui
en eft le Chef-lieu , il y a des espéces
d'Etangs formés par des ruiffeaux dans
lefquels on pêche des Truites exquifes . A
la réserve de quelques Hameaux qui ont
auprès d'eux un terrein fertile , prèfque
tous les Payfans de la Piéve vont travailler
aux terres à vingt milles de leurs Villages
.
La Piéve la plus nombreuſe en Villages
eft celle d'Ornano. Son territoire eft
bien cultivé. Il produit en abondance le
néceffaire de la vie. La qualité des pâtu-.
rages & l'étendue du terrein donnent aux
Habitans la facilité d'élever toutes les efpéces
de beftiaux , principalement des
porcs dont ils ont un grand débit , ainſi
que du furplus de leur huile qu'ils vendent
à Ajaccio.
La Pieve de Talavo eft différente de
celle d'Ornano ; elle a peu de Villages &
G V
154 MERCURE DE FRANCE.
beaucoup d'Habitans ; elle eft plus peu
plée qu'aucune autre de cette Jurifdiction .
Les Habitans font fitués au pied des
montagnes dans un terrein prèfqu'inculte
qui ne produit pas le néceffaire aux Payfans.
La quantité de pâturages ne fuffiſant
pas pour le nombre de beftiaux qu'ils élévent
, ils les menent paître au loin . Soit
ftérilité du Pays , foit faute d'adreſſe des
Peuples , ils font prefque tous Bergers.
Zicavo,Village de cette Piéve, eft le lieu
le plus peuplé de l'Ile après les principales
Villes.
La Jurifdiction & Fief d'Iftria ne compofent
qu'une Piéve placée aux confins
de la Jurifdiction de Sartenne , vers le Levant
, & de celle d'Ajaccio au couchant.
Son étendue eft d'environ vingt- cinq milles
de circuit. On y remarque furtout Olmetto
qui eft bâti dans un amas de rochers
, proche le Golphe de Valinco à
trois milles du bord de la Mer: il fait face
au levant. Cet endroit a de bons terroirs
& bien cultivés qui produifent beaucoup
de grains , furtout de l'orge du côté da
Santenne. Il vient fouvent des bâtimens
pour en transporter dans d'autres lieux
de l'Ife & même en terre ferme. Il
y a
beaucoup de terrein propre aux Oliviers.
C'eſt faute d'induſtrie & par pareffe , fi
SEPTEMBRE . 1761 159
l'on n'y recueille pas une grande quantité
d'huile. Les Habitans de ces cantons
ont peu de vin , & ils ne manquent d'au
cune forte de beftiaux .
Je fuis , Monfieur , votre &c .
Lafuite , au Mercure prochain.
A Paris ce 6 Août 1751 .
P. S. Il paroît , Monfieur , par votre
dernière lettre , que vous allez travailler
inceffamment à analyſer les Eaux Minéra←
les que vous avez découvertes chez vous.
Je me flatte que vous voudrez bien m'en
apprendre les réfultats .
Vous m'avez mandé auffi , Monfieur ,
qu'un de vos amis vouloit fçavoir de M.
Royer , ce que c'eft véritablement qu'une
fubftance qu'on appelle Pelotte de Mer
Pilla Marina , & dont les bords de l'Ocean
qui baigne les côtes de votre Province
font pleins . M. Royer qui tâchera
toujours de fe garantir du vice ridicule &
mauffade d'ofer parler de ce qu'il ne fait
point , ou de fe parer impudemment du
favoir d'autrui fans découvrir les fources
où il l'a pris , avoue de bonne foi qu'il
a été fort long temps à ignorer rotalement
ce que c'étoit quoiqu'il en eût
beaucoup va fur les bords de la mer en
Bretagne , ou du moins i penfoit avec
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
une infinité d'autres perfonnes , que tou
tes les impuretés de la Mer formoient
cette matière , que quelque liqueur glutincufe
lioit enfemble ; mais il eft forti
de fon erreur depuis qu'il a appris de plufieurs
fameux Naturaliftes & Botanistes
& furtout de M. Klein dont il faut adop
ter le fentiment, que cette fubftance n'eſt
compofée que d'une forte de bourre qui
eft au bas des tiges d'une efpéce de Cyperus
dont les bords de la Mer font pref
que remplis partout , & qui eft l'Alga vitreorum
de M. de Juffieu . M. Klein l'a prouvé
d'une façon invincible . Ainfi voilà la
réponse de M. Royer à M. votre ami.
Je trouve votre petit Neveu fort
heureux , Monfieur , d'avoir un Mentor
comme vous. J'apprends que vous préfidez
à fon éducation & qu'il répond parfaitement
à vos foins . Que de lumières
que de talens utiles , néceffaires , agréables
& amufans il va acquérir fous vos
aufpices !
Quant au prix de la liqueur pour Ia
guérifon des Gonorrhées , & de celle contre
les fleurs blanches de feu M. Dalibour
ancien Chirurgien Major de la Gendarmerie
& c , mon grand père maternel ,
qu'on defire fçavoir dans votre Province ,
il eft invariable , fixe & égal pour le
SEPTEMBRE. 1761. 157
monde: cela fignifie que ces deux liqueurs
valent chacune cinq livres la pinte. On en
trouve toujours dans mon Laboratoire.
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS UTILE S.
AGRICULTURE .
LETTRE de M. DE MASSAC , Receveur
Général des Fermes du Roi , Abonné
au Mercure , à M. DE LA PLACE.
MONSIEUR,
Il fut fait mention dans le temps par
l'Auteur du Mercure de France , de l'Etabliffement
d'une Société d'Agriculture
dans la Province de Bretagne . Je penfai
dès - lors qu'une pareille Société feroit
auffi très - avantageufe dans le Limouſin ,
où la plupart des terres font incultes ou
très-mal cultivées . Je communiquai mon
idée à M. Gaye , Lieutenant Général à
l'Election de cette Ville , homme de beaucoup
d'efprit , connu pour tel M. l'Inpar
18 MERCURE DE FRANCE.
tendant de cette Province , qui a lû avec
plaifir plufieurs de fes mémoires * , tous
relatifs au bien de fa patrie. M. Gaye , à
ma follicitation , compofa un nouveau
Mémoire en 1759 , dans lequel il démontra
l'utilité de notre projet . Ce Mémoire
fut goûté par M. Pajot de Marcheval, qui
s'eft donné depuis tous les foins néceffaires
, de concert avec M. de Puymaretz ,
citoyen refpectable de cette Ville , trèszélé
pour le bien public , pour obtenir
de Sa Majesté un Arrêt du Confeil d'Etat
, portant Etabliffement d'une Société
Royale d'Agriculture dansla Généralité de
Limoges. Cet Arrêt , dont les difpofitions
font à- peu- près les mêmes que celles des
Arrêts des 24 Février & premier Mars ,
dont vous faites mention dans votre Mercure
de Juillet , page 121 & fuiv. parut
le 12 Mai dernier. En conféquence il a
été établi trois Bureaux compoſant la
Société d'Agriculture de ladite Généralité
, fçavoir , le premier à Limoges , le
fecond à Angoulême , & le troifiéme à
Brive. M. l'Abbé d'Aubuſſon eſt Préfident
du Bureau de cette Ville , & M. Gaye en
Le premier , fur les Tailles.
Le fecond , fur les Milices.
Le troifiéme, fur la dépopulation de la Vicona
de Turenne.
SEPTEMBRE. 1761 159
fa
eft le Secrétaire perpétuel. Il a cru que
place l'obligeoit à compoſer un difcours ,
qu'il fe propofe de prononcer dans la premiere
féance qui doit fe tenir inceffamment.
Il a bien voulu me communiquer
d'avance cet ouvrage , en me permettant
d'en extraire ce que je jugerois à propos
pour vous prier de l'inférer dans le prochain
Mercure , fi vous le trouviez digne
d'y occuper une place.
L'Auteur , après avoir payé le tribut
d'éloges qu'il devoit naturellement à
ceux qui cnt cu part à l'Etabliſſement
d'une pareille Société ; après avoir félicité
fes confrères du choix flatteur qu'on
avoit fait de leur ville par préférence à
toutes les autres du pays , & les avoir
excités à correfpondre à ce choix par leur
vigilance & leur activité à remplir les
vues de l'Arrêt du Confeil ; après avoir
démontré que l'Agriculture eft le plus
noble & le plus utile des Arts , après
avoir dépeint l'état actuel de la culture
de la Province , avoir fait fentir les ob-
Atacles qui s'oppoferoient à l'amélioration
de cette culture , & avoir donné les
moyens de vaincre ces obftacles ; après
être entré dans le détail de toutes les efpéces
de terres connues dans le bas Limoufin
; après avoir mis en queftion fi les
labours faits avec des chevaux font préj
160 MERCURE DE FRANCE.
férables à ceux qu'on fait avec des boeufs ;
après avoir fait fentir les avantages de
la clôture des poffeffions & biens- fonds
de chaque Particulier ; l'Auteur , dis - je ,
s'exprime ainfi :
ود
» Ne pourrions- nous pas trouver en-
» core une fource de la médiocrité de nos
" récoltes dans nos inftrumens de labour?
J'ai fait éflayer dans deux métairies
» une charrue à oreille ; j'en ai fait les
» frais pour éprouver moins de résistance
» de la part de mes métayers ; le fuccès
» a répondu à mes vues : cependant ces
» métayers , obstinés dans leurs mauvai-
» fes habitudes , m'ont menacé de quit-
» ter ces métairies , fi je ne leur permettois
de quitter ces charrues.
Attendons nous donc , ajoûte M.
Gaye , à trouver des routines à chan-
" ger ; des préjugés , de l'obftination mê¬
» me à vaincre , mais que les difficultés
» ne nous rebutent point. , Forçons nos
Payfans à être heureux ; faifons les
» frais de nos expériences ; dédomma-
» geons - les même en cas de mauvais
» fuccès ; rendons leur fenfible ce qu'ils
" ne peuvent comprendre. Nos fiers voifins
, cette Nation Infulaire & notre ennemie
, a trouvé fans doute les mêmes
» obſtacles , & les a furmontés . Elle a
cherché la fource des véritables richefSEPTEMBRE.
1761 161
» fes dans l'agriculture ; elle eft parvenue
» à fe les procurer par un travail opi-
» niâtre.
» Nos meilleurs Auteurs ne s'occupent
» aujourd'hui qu'à des ouvrages oecono-
. miques on n'a jamais tant écrit en ce
" genre ; profitons de leurs leçons ; ils
» nous applaniffent la route ; empreffons-
» nous à la fuivre : toutes les Provinces
» de ce Royaume s'appliquent à l'envi à
» améliorer leur culture ; imitons - les ;
» rendons nous propre ce que leurs lu-
» mières & leur travail pourront nous
» rendre utile ; plus les befoins de l'État
» fe multiplient , plus nous avons intérêt
d'augmenter nos revenus pour pouvoir
acquitter nos charges , fans rien pren-
» dre fur nos befoins.
>>
ور
» Il eft parmi nous , Meffieurs , deux
" refpectables Confréres , qui , avec tous
" les talens naturels , avec des lumières
"
و د
acquifes & avec l'eftimable émulation
» de fe rendre utiles au Public , fentent
déjà les avantages d'une culture faite à
leurs frais & fous leurs yeux. Les éffais
» qu'ils ont faits en prairies artificielles
» ont réuffi au- delà de leur efpérance. On
» peut même dire que l'un d'eux * a paffé
* M. de Maledent , Seigneur de la Cabane.
162 MERCURE DE FRANCE.
ه د
"
"
♡
» fes modéles , puifqu'aucun de nos Au-
» teurs n'a enſeigné à tranſplanter la lu-
» zerne & le tréfle , & qu'il a conftaté
» par une heureuſe expérience , plufieurs
» fois répétée , que cette méthode eſt
préférable à celle de la fimple femence.
» Ils ont éprouvé l'une & l'autre qu'une
mefure quelconque de terre médiocre ,
employée à cette nature de produit , le
» donne triple de celui que rendroit la
» même étendue femée en froment. La
multiplicité des récoltes a confidéra-
» blement augmenté leurs fourrages ; leurs
» beftiaux fe font multipliés en propor-
» tion ; une plus grande quantité d'en-
" grais & de labours ont donné une nou-
» velle fertilité à leurs terres. Ils ont
» porté leurs foins fur de nouveaux ob-
»jets ; ils ont défriché des fonds qui pa-
» roiffoient ftériles & qui n'étoient que
négligés. Leurs voifins étonnés ont vu
»fortir des récoltes abondantes en grains
» & en vins , des lieux où ils n'avoient
» jamais apperçu que des joncs & de la
bruyere. Des inftructions de cette eſpé-
» ce opérent bien plus d'effet que les
préceptes les plus lumineux. Un Ap-
» prentif, qui voit operer un Artifte, imi-
» te avec bien plus de fuccès que celui
qui ne travaille que fur des régles ap
»prifes.
"3
"
»
SEPTEMBRE. 1781 . 163
"
Enfin M. Gaye termine fon difcours
par l'expofition des principaux objets qui
doivent être agités ,tour à- tour dans les
affemblées de la Société. » Le bien public
, dit- il , eft fi étroitement uni au
particulier en fait d'agriculture , que
» nous ne fçautions nous procurer des
» avantages que tout le monde ne puiffe
» partager; & c'eft en cela que cette étu
de eft la plus noble des occupations.
» Combien n'eft- on pas flatté , quand on
peut enrichir la Société d'une décou-
»verte généralement utile ? Chacun de
» vous , Meffieurs, peut done choisir un
»Sujet à traiter le plus analogue à fes
» idées fur la culture d'une nature de
fonds quelconque , fur le temps le plus
» propre aux labours , aux femences * >
fur les efpéces de grains les plus pro-
» pres aux qualités des terres de tel ou
» tel canton , fur la quantité plus ou
» moins grande de femence à répandre
» dans une meſure de terre , fur les diverles
efpéces d'engrais , fur les moyens
qu'on peut avoir de fuppléer aux engrais
ordinaires par de nouvelles ma-
» ticres , par les mêlanges des terres , du
"
"
"
* L'Auteur auroit dû parler encore de la culture
des mûriers , qui réuffiffent affez bien dans
de bas Limousin & de l'éducation des vers à foye
64 MERCURE DE FRANCE.
» fable , des gazons ; fur les moyens d'é-
» lever une plus grande quantité de bef
» tiaux ; de reléver l'efpèce de nos bê-
» tes à laine , qui s'anéantit pour ainfi
» dire infenfiblement , & de multiplier
» les ruches à miel qui font trop négli
gées ; enfin , Meffieurs , la matière eft
inépuifable & fi variće que chacun peut
» y trouver de quoi fatisfaire fon goût en
» fe rendant utile à fa patrie & à l'Etat
» même & c . & c . & c.
23
ود
ود
Peut -être trouverez - vous , Monfieur ,
que je me fuis trop étendu fur cet excellent
difcours , dans lequel je defirerois à
la vérité un peu plus de méthode , un ſtylemieux
foutenu , & un meilleur choix d'expreffions
. Si vous daignez cependant faire
imprimer en entier l'extrait que je viens
d'en faire , vous confondrez par là , je
penfe , les raifonnemens pitoyables de
certaines gens qui ofent avancer que l'é
tabliffement de la Société dont il s'agit ,
ne peut produire rien de bon dans cette
Province, & qu'il tombera bientôt de luimême.
Cette pré liction auroit lieu fans
doute , fi la Société n'étoit compofée que
de membres femblables à ces frondeurs
indifcrets , ennemis de tout bien public .
Mais le choix judicieux des Affociés fait
par M. Pajet de Marcheval notre Inten
SEPTEMBRE. 1761. 169
dant , me fait concevoir les plus grandes
efpérances de leurs travaux , qui ne contribueront
pas moins à leur bonheur qu'à
leur gloire.
J'ai l'honneur d'être & c.
O
A Brive , le 20 Juillet 1761.
GÉOGRAPHIE.
I
N trouve à Paris chez Mondhare &
Denis, tue S. Jacques, à l'Hôtel de Saumur
& à limage S. Jacques , fept Cartes de
France , qui font la fuite de l'ouvrage qui
a pour titre la Géohraphie détaillée dans
tous fes points , donc on a l'introduction
en vingt Cartes ; ces fept Cartes font la
France en général. 1 la France Eccléfiafti
que 2 la France par Gouvernement 3 par
Parlement 4 par Généralités la France
commerçante 6 & Minéralogique 7 ; il y
a de plus le Royaume d'Efpagne , en z
parties , le Portugal, l'Italie & l'Angleterre.
On avertit le Public qu'on a corrigé les
fautes d'impreffion , qui s'étoient gliffées
dans les Cartes de l'introduction . L'accueil
favorable que le Public a fait à cet Ouvrage
a engagé les Entrepreneurs à faire la
dépenfe d'un ornement en gravure qui
termine très - bien chaque Carte. On comp
166 MERCURE DE FRANCE.
te ne rien négliger pour la perfection de
cette Géographie.
CHYMI E.
LETTRE , à l'Auteur du MERCURE .
A Paris le 6 Août 1761 .
L'A'AMMOOUUR du bien public , Monfieur,
m'a fait publier un Mémoire fur les opérations
Chymiques concernant les Effais
des matières d'or & d'argent. La place
que j'occupe, le motif qui me guidoit &
furtout les principes que j'établis devoient
m'affurer le fuffrage des gens inftruits de
cet objet mais je n'ai pas été médiocrement
furpris de voir paroître un Libelle
contre cet écrit . L'Auteur obſcur de cette
production injurieufe ignore les premiers
principes de la matière qu'il veut difcuter.
Il m'eft indifférent que cet Anonyme de
mauvaiſe foi fe trompe ; mais il importe
à ma réputation d'apprendre au Public
que j'avoue le Mémoire qui porte mon
nom ; que ce Mémoire n'a rien de commun
avec la difcuffion qui s'eft élevée à la
Cour des Monnoies fur un Lingot différemment
apprêté par l'Effayeur particulier
& par moi ; & que je ne l'ai publié
SEPTEMBRE. 1761 167
que pour perfectionner les opérations ,
concernant ces fortes d'eflais . Vous me
ferez plaifir fi vous voulez bien inférer
mna lettre dans votre prochain Mercure .
J'ai l'honneur d'être & c.
QUEVANNE , Effayeur Général des Monnoies
de France.
CHIRURGIE. ·
HOPITAL
DE M. LE MARECHAL DUC DE BIRON.
Vingt-fept & vingt- huitième Traitement
confécutif depuis fon Etabliſſement .
Les nommés
ASSY ,
S. Omer ,
Compagnies
Colonelle
Mathan .
Duclos ,
Guyot ,
Lannoy.
Deſpiez
Desbêches ,
'd'Hallor.
Laurent ,
Baudouin
Filizy , Marfay.
Siré ,
Nolivos.
Lefebvre ,
d'Offranville.
Julien 2
Lannoy
168 MERCURE DE FRANCE.
Villeneuve ,
Jigard ,
d'Offranville.
Villers.
Dupont ,
Mingot,
Lannoy .
Marfay.
Foulquier, Marfay.
Querot ,
Mathan.
Du Rafoir ,
Mathan.
Dupré ,
Viennay.
S. Flour , Rochegude.
Gougé , Rafilly.
Mathan .
Baudouin.
Baudouin .
Colonelle.
Lariviere ,
Laréjouiffance ,
S. Afpais ,
Sambeuf ,
Berté ,
Nolivos.
Ces 25 Soldats ont été radicalement
guéris dans l'espace de fix femaines , &
fervent dans les armées dès le lendemain
de leurs traitemens.Ce font toujours MM.
Bourbelain & Dieuzayde Maîtres en
Chirurgie, qui préfident aux examens pendant
l'abfence de M. Guérin , dans l'adminiſtration
que M. Keyfer fait de fon reméde
, de la fupériorité duquel M. Keyfer
n'a rien à ajouter de plus fort ni de
plus authentique que les lettres & certifi-,
cats
SEPTEMBRE. 1761 . 169
cats ci - deſſous , & que nous croions que
le Public voudra bien lire avec quelque
attention. Ils ne lui paroîtront pas fufpects
de la part des perfonnes refpectables
qui les ont donnés.
LETTRE de M. LE MAITRE , Tréforier
Général de l'Artillerie & du Génie , à
M.KEYSER, en date du 8 Août 1761 .
J
E vous envoye , Monfieur, avec une trèsgrande
fatisfaction & en date d'aujour
d'hui , le certificat le plus authentique de
M. de la Motte , Docteur - Régent de
la Faculté de Médécine de Paris , fur la
maladie , les traitemens , & la parfaite
guérifon du nommé Dubois mon Valet
de Chambre .
M. Delafaye, Chirurgien très - connu en
qui j'ai toute confiance , l'avoit traité chez
moi pendant prèfque toute l'année 1758;
& je fuis perfuadé que c'eft un des plus habiles
Chirurgiens que nous ayons ; fes
foins ont néanmoins été auffi infructueux
qu'affidus ; & cependant M. Morand, qui
m'avoit fait l'amitié de venir chez moi
voir le malade à plufieurs reprifes , nonfeulement
avoit été content de la façon
H
170 MERCURE DE FRANCE.
"
dont il étoit traité , mais il l'avoit jugé
guéri . Tous les fymptomes de la maladie
ont reparu avec la plus grande violence ;
& M. de la Motte a entrepris la guérison
du malade au commencement de 1759 :
& comme il l'a fuivi avec exactitude , &
traité pendant près de quatorze mois fous
les yeux de M. de la Faye , perfonne ne
peut rendre un meilleur compte de cette
Cure M. de la Motte. Il avoit entreque
pris la guérifon de Dubois dans le temps
qu'il étoit fans aucun efpoir de guérifon ;
& je dois rendre juftice à l'humanité dont
il a été animé , de même qu'à l'affiduité de
fes foins ; mais ils fe font trouvés infructueux
au bout de quatorze mois ; & je dois
attefter qu'au fortir de fes mains , l'état
du malade étoit auffi défefperé , que lorfqu'il
l'avoit entrepris . Vous l'avez entrepris
alors , Monfieur , c'étoit au premier
Mars 1760 ; il s'eft trouvé guéri au bout
de quatre mois , c'eft à dire dès la fin de
Juin 1760 ; & voilà le troifiéme mois
écoulé depuis fa parfaite guérifon . Je me
fais un plaifir & un devoir de le publier
hautement ; & vous pouvez faire tel ufage
qu'il vous plaira de ma préfente lettre ,
de même que du certificat de M. de la
Motte que je vous envoye. Le malade n'a
pas forti de chez moi pendant tous les
SEPTEMBRE. 1761. 171
traitemens qu'il a ſubis ; j'ai été le témoin
oculaire de fon état déplorable & déſeſperé
; je l'ai vû rappellé en peu de temps
de la mort à la vie par l'efficacité de votre
reméde admirable : je crois donc
ne pouvoir attefter trop publiquement ,
qu'il jouit actuellement de la fanté la plus
parfaite , & la plus vigoureuſe ; qu'il ne
reffent aucunes douleurs de poitrine ni
d'eftomach , dont il fouffroit beaucoup
lorfque vous l'avez entrepris , & qu'au
contraire il digére très- parfaitement ,
mange & boit de tout , dort très - bien, &
eft dans un embonpoint admirable ; enfin
qu'il eft prêt à fe montrer à tous les gens
de l'Art , pour diffiper tous les doutes qui
pourroient s'élever fur fon état .
Ne fachez pas mauvais gré ni à M. de
la Motte , ni à moi , fi nous avons tant
tardé à nous exprimer publiquement fur
un événement fi intéreffant ; la longueur
du temps qui s'eft écoulé depuis les premiers
jours de la guériſon jufqu'aujour
d'hui , eft une nouvelle preuve de la folidité
de cette cure admirable , & ne peut que
donner plus de poids à notre témoignage
que nous n'avons retardé , que pour le
pouvoir donner plus fûrement . Vous me
trouverez toujours prêt à le réitérer &
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
confirmer , & à vous marquer mon admiration
& ma reconnoiffance.
Puiffe l'humanité entiere, trop fouvent
affligée de maux pareils à celui dont il s'agit
ici,être plus à portée de profiter du reméde
adinirable que vosmains habiles ont
fçu former;je ferois jaloux qu'une Puiffance
Étrangère nous enlevât la gloire de
rendre ce fecret public, en vous faifant un
fort convenable ; & je fais les voeux les
plus fincéres pour que notre Gouverné
ment la prévienne.
J'ai l'honneur d'être &c.
Signé , LE MAITRE.
CERTIFICAT de M. DE LA MOTTE ;
Docteur en Médecine , fur la Cure done
il eft queftion dans la Lettre de M. LE
MAITRE,
Je fouffigné Docteur- Régent de la Faculté
de Médecine en l'Univerfité de Paris
, attefte avoir été appellé le neuviéme
Janvier 1759, par M. le Maître , Trélorier
Général de l'Artillerie & du Génie ,
pour visiter & examiner le nommé Dubois
fon principal domeftique ; & avoir
trouvé ce malade avec le coronal exoftofé
dans toute fa partie fupérieure , toutes les
SEPTEMBRE. 1761 . 173
,
articulations des extrémités fupérieures
anchilofées & immobiles , l'articulation
du poignet avec l'os de l'avant- bras environnée
d'une tumeur monstrueule par
fa groffeur & tellement dépravée que la
main étoit courbée en devant , & les
doigts touchoient les os de l'avant- bras ;
tous les doigts de cette main exoftofés
les phalanges anchilofées , & le bras maigre
& décharné une exoftofe au bras
droit occupant prefque toute la longueur
du cubitus ; un autre exoftofe fur toute
la longueur du tibia , & deux ulcéres avec
carie profonde dans la jambe gauche ; la
partie fupérieure du tibia de la jambe
droite exoftofée ; des douleurs les plus aigues
dans toutes les parties du corps , la
fiévre lente , la toux , les crachats purulents
, l'infomnie , le dégoût invincible
le marafme , & le dernier degré d'épui
fement.
Je déclare que tous ces funeftes effets
ayant été inconteftablement reconnus
pour être la fuite du virus vénérien par
M. Delafaye & M. Morand , Chirurgiens
qui avoient vu le malade avant moi , M.
Delafaye avoit employé le Mercure en
friction ; il l'avoit adminiftré avec toute
la fagacité que lui donne l'habitude qu'il
a de manier ce reméde , & qu'il l'avoit
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
adminiftré à une dofe plus que fuffifante
pour guérir trois maladies de ce genre qui
euffent été fufceptibles de guérifon par ce
moyen.
Je rends témoignage que convaincu de
l'infuffifance des frictions dans le cas grave
& fingulier dont il s'agiffoit , je crus
devoir l'attaquer par les préparations
mercurielles purgatives , & plus actives ,
que j'employai fucceffivement le turbith
minéral , le fublimé corrofif donné d'abord
avec de l'eau , puis dans un véhicule
fpiritueux , & fecondé de l'effence
des bois , le précipité blanc dont Riviere
fe fervoit fi utilement dans de pareilles
circonftances , & l'arcane corallin ; que
la premiere préparation réuffit au point
de faire difparoître le plus grand nombre
des accidens , mais qu'il ne put en détruire
parfaitement le germe ; que les
trois autres remédes eurent encore moins
de fuccès : & que les anti - fcorbutiques, à
l'ufage defquels il fut déterminé par la
couleur violette & bleuâtre des tumeurs
des jambes furent également infructueux
; qu'enfin les préparations mercurielles
purgatives auxquelles je revins ,
n'eurent pas plus de fuccès qu'auparavant
; que tous les fymptômes que j'ai
décrits ci- deffus reparurent , & furent
portés au plus haut degré , & que je
SEPTEMBRE. 1761. 175
jugeai ne pouvoir efpérer de guérir le malade.
J'attefte de plus que je confeillai au
malade de recourir aux dragées de M.
Keyfer , reméde fi célébre , & dont
l'efficacité m'étoit connue par le rapport
de plufieurs malades qui s'en étoient
fervi utilement ; que ce ne fut qu'environ
deux ou trois mois après la ceffation
de tous remédes internes , qu'on
fe détermina à employer celui de M.
Keyfer , & que les fymptomes s'étoient
tellement accrus pendant cet intervalle ,
que le malade fe trouvoit à - peu- près
dans le même état où je m'en étois chargé
; que M. Keyfer qui a adminiftré fon
reméde lui - même au malade nommé Dubois
, l'a commencé au premier Mars
1760 ; que le malade ayant ufé pendant
un mois de ce reméde qui lui procuroit
conftamment la liberté du ventre , je
trouvai prèfque tous les fymptômes éffacés
; que j'efpérai dès-lors une guériſon
parfaite ; qu'elle me parut telle au mois
de Juin fuivant , mais que je me remis à
affeoir un jugement déterminé , après
qu'il fe feroit écoulé un affez long temps
pour confirmer la cure ; que j'ai revu depuis
le malade qui m'a paru jouir de la
meilleure fanté ; que je l'ai interrogé très-
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
fcrupuleufement fur tout ce qui pouvoit
concerner fon état , & que j'ai vu avec
la plus grande fatisfaction qu'on pouvoit
affirmer qu'il étoit entierement guéri ,
puifque nous voilà au mois d'Août 1761 ;
& que depuis le mois de Juillet de l'année
1760 , il ne lui eft furvenu aucun
fymptôme qui puiffe donner le moindre
doute fur fa guérifon .
je
D'après cette déclaration détaillée ,
conclus en faveur du reméde qui a produit
des effets , manqués par toutes les
préparations mercurielles les plus propres
à les produire , & je penfe qu'on ne
fçauroit trop accréditer un moyen dont
le fuccès a été auffi authentique , & qui a
fuppléé auffi éfficacement à toutes les autres
compofitions anti - vénériennes . A Paris
, ce 8 Août 1761. Signé , DE LA
MOTTE.
CERTIFICAT de M. LECAT , Secrétaire
perpétuel de l'Académie des Sciences &
Belles Lettres de Rouen , à M. KEYSER
, en date du 27 Avril , fur une
cure extraordinaire dont il a été témoin .
Nous fouffigné Docteur en Médecine
& Chirurgien en chef de l'Hôtel- Dieu de
Rouen , Profeffeur, Demonftrateur Royal
SEPTEMBRE. 1761.177
en Anatomie & Chirurgie des Académies
Royales de Paris , I.ondres , Madrid, Ber-.
lin , Lyon ; de l'Inftitut de Bologne ; des
Académies Imperiales des Curieux de la
Nature & de S. Petersbourg , Secrétaire
perpétuel de celle de Rouen, certifions que
M. Signard notre ancien ami affligé d'étourdiffement
, & d'un grand nombre de
boutons au vifage depuis plus de 25 ans,
avoit été en outre attaqué depuis environ
fept ans d'une tumeur confidérable au genou
qui s'étendoit jufques vers le milieu
de la cuiffe , laquelle tumeur ayant percé
par plufieurs endroits , a fait des ulcéres
fiftuleux de la plus grande conféquence.
Enfin l'Automne dernier,M.Signard ayant
paffé chez nous une quinzaine, nous trouvâmes
fon genou, fa cuiffe & leurs ulcères
en plus mauvais état que jamais ; les tiffus
cellulaires engorgés formant des bourbillons
d'une groffeur & d'une longueur confidérables
, l'appétit perdu , les forces fi
confternées , qu'il falloit porter le malade
dans un fauteuil partout où on vouloit
l'avoir; ce tranfport même lui étoit fi nuifible
, que fouvent on étoit forcé de le
laiffer à fa chambre & dans fon lit. Cette
trifte fituation me fit défefpérer du falut
de mon ancien ami ; je crus fa maladie à
fon dernier période ; & perfuadé qu'il y
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
fuccomberoit dans peu, j'en fis la confidence
à Madame fon époule. En même
temps connoiffant depuis grand nombre
d'années , l'excellence de fon tempérament
, & perfuadé auffi par plufieurs expériences
, de la bonté du remé de de M.
Keyfer, je crus que mon ami étoit dans le
cas d'en éprouver les bons effets , & je le
lui confeillai fortement comme fon unique
reffource. Sa confiance ſe régla fur
la mienne ; il en fit ufage ; en moins de
huit jours il en éprouva les plus heureux
effets. Enfin étant allé à Paris loger chez
cet ami , ce mois de Mars , je trouvai fon
genou totalement guéri , fon appétit
parfaitement rétabli , faiſant par jour fes
trois repas complets ; les boutons du vifage
prefque tous diffipés , mon ami entierement
rendu à la Société & dans l'état
le plus fain où je l'aie vû depuis quinze
ans. M. Signard ayant defiré d'avoir notre
témoignage furtous ces faits dont l'évidence
eft notoire,nous le lui avons accor
dé avec le plaifir qui accompagne toujours
l'hommage rendu à la vérité , & avec celui
qu'y ajoute la guérison d'un ami qui
nous eft cher. Donné à Rouen ce 27 Avril
1761. Signé , LECAT.
Nous fouffigné certifions avoir vifé &
SEPTEMBRE. 1781. 179.
examiné plufieurs fois Monfieur Signard
pendant le traitement de la maladie dont
il est fait mention ci- deffus ; nous avons vu
avec étonnement les bons effets des dragées
de M. Keyfer , & la parfaite guérifon
de mondit fieur Signard. D'ailleurs
nous ne pouvons diffimuler que nous
nous fommes fervi de ces dragées avec
beaucoup de fuccès dans plufieurs maladies
, non - feulement dans celles produites
par le virus vénérien , mais dans d'autres
incommodités qui avoient une autre caufe.
A Paris, ce 25 Mars 176 1.Signé, PETIT,
premier Médecin de S. A. S. Mgr le Duc
d'Orléans .
ARTS AGRÉABLES
MUSIQUE.
PIECES de Clavecin dans tous les genres
avec & fans accompagnement de
»violon , par M. S. Simon , Maître de
Clavecin , dé liées à Madame la Marquife
de la Mézangère. Prix en blanc,
sa F2 liv .
Ces Piéces fe trouvent chez l'Auteur
• rie & entrée du Fauxbourg Montmartre ,
près les Boulevarts , à l'Hôtel de Madame
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
la Marquife de la Mézangère , & aux
adreffes ordinaires.
Il ne nous appartient pas de prévenir
le jugement du Public fur ce livre de
Clavecin , & nous ne devons pas être
moins réservés que l'Auteur dans le judicieux
& modefte Avertiffement qu'il a
mis à la tête de cette OEuvre. Mais s'il
nous eft permis de rapporter ce que penfent
les Amateurs éclairés ; nous pouvons
dire que ce qu'il appelle fon coup
d'éfai , annonce autant de talens que de
goût & de connoiffance du vrai caractère
de l'Inftrument pour lequel il a compofé
cet Ouvrage . Parmi plufieurs agréables
morceaux de Mélodie & d'Harmonie
qui formenr ce Recueil, les Connoiffeuts
eftiment particuliérement la Piéce qui
commence la Ve Suite ; elle porte le
nom de la Corée & eft en Mi bé mol ,
tierce mineure. L'Auteur , très - jeune encore
, réunit au talent de compoſer avec
/ goût , le talent peu commun d'enſeigner
avec beaucoup d'intelligence.
IL EST A PROPOS de répéter au Public
que la Mufique de M. de Mondonville ne
fe vend actuellement que chez l'Auteur ,
rue des Vieux Auguftins , la feconde porte
cochère à gauche en entrant par la
་
SEPTEMBRE . 1761 .
181
rue
Coquillière , près la Place des Victoires.
SCAVOIR :
Le premier Livre de Sonates à violon
feul .
Les Trios.
Les 2 livres de Piéces de
Clavecin avec
accompagnement
de violon.
Les Sons
harmoniques ,
Sonates à violon
feul.
Les
Opéras ,
D'Isbé.
Du
Carnaval , du
Parnaffe.
De Titon &
l'Aurore .
De Daphnis &
Alcimadure ,
Paftorale
Languedocienne.
Des
Fêtes de
Paphos ,
comprenant les
Actes de Vénus & Adonis , de
Bacchus &
Erigone , de
l'Amour & Pfyché. On s'adreffera
au Portier de la
maiſon.
Nota.
L'Auteur ayant fçu qu'on avoit
féparé &
contrefait
plufieurs
morceaux
de fes
ouvrages , qui n'ont point
l'exactitude
des
originaux , & qu'on faifoit cou-,
rir le faux bruit que les
planches de fes
ouvrages
étoient ufées & caffées , s'eſt déterminé
à ne plus faire
vendre fa
Mufique
que chez lui , pour
prévenir un abus qui
ne fert qu'à
tromper le Public,
182 MERCURE DE FRANCE.
A MM. les Académiciens de Peinture
de Sculpture , Artiftes , & Amateurs .
LES embelliffemens qui , depuis quelques
années ont été faits dans l'Eglife de
S. Merry , faifoient defirer qu'on fupprimât
l'ancienne Chaire qui y figuroit trèsmal,
& qu'on en conftruisît une nouvelle
qui répondit , finon par la magnificence ,
du moins par le bon goût , à la Décoration
du Choeur , & tel eft l'objet que
l'on s'eft propofé . La nouvelle Chaire eft
déjà en place , mais il reste encore quelque
chofe à y faire ; & comme l'on fouhaiteroit
beaucoup de rendre ce Morceau
de Sculpture autant parfait qu'il peut être
dans ce qu'il eft , avant que de l'achever ,
on a recours à vous , Meffieurs , comme
Juges nés des Beaux- Arts , & les feuls
guides qu'on doive fuivre dans les Ouvrages
de génie & de goût ; & on vous invite
très inftamment à vouloir bien prendre
la peine de voir cette Chaire , examiner
avec foin les changemens , fuppreffions
& augmentations dont l'Ouvrage peut
être fufceptible , & à donner enfuite vos
avis,
?
SEPTEMBRE . 1761. 183
On croit qu'il eft à propos de prévenir
que le Projet qui avoit été arrêté pour
cette Chaire , n'a pas été exécuté en fon
entier : l'Artifte qui s'en étoit chargé étant
décédé dans le temps que l'Ouvrage ne
faifoit que d'être commencé , celui qui
Jui a fuccédé , & dont les talens fuperieurs
font univerfellement connus ,
n'ayant pas travaillé d'après fon propre
fond , n'a pas cru devoir remplir dans
toutes fes parties le projet , & s'eft d'autant
plus volontiers attaché à le fimplifier,
que la Fabrique, déjà épuisée par des dépenfes
confidérables , paroiffoit defirer un peu
plus d'oeconomie dans l'exécution ; cependant
fans avoir intention de donner dans
un excès de dépenfe , elle ne veut pas non
plus , pour , pour atteindre à fon but , qui n'eft
autre que la perfection , ou le mieux de
de la chofe , y regarder de trop près.
Dans le Projet dont il s'agit, la figure de
la Religion, qui eft au- deffus de l'abat- voix,
ne devoit pas être comme elle eft la feule
figure de l'ouvrage ; deux autres figures
repréfentant le Paganifme & l'Héréfie
terraffés , avec leurs attributs caractériſtiques
, devoient terminer la partie
inférieure au- deffous du vafe de la Chaire
, & fervir ainfi de triomphe à la Religion.
Quoique cette idée ne foit pas neuve
, peut être feroit elle un plus bel effet ,
184 MERCURE DE FRANCE.
que l'empatement fimple en Menuiferie ;
auquel il fembleroit qu'on ait voulu fe
borner.
Au refte ce que l'on dit ici de ce projet,
n'eft pas pour fixer , ou déterminer , &
moins encore pour géner MM . les Artiſtes
& Amateurs dans leurs avis , mais uniquement
pour rendre compte de ce que dans
le principe on a eu intention d'exécuter .
Ainfi fans trop s'arrêter à ce qu'on a voulu
faire, il faut voir, par ce qu'il y a de fait ,
ce qu'il convient de faire encore pour
achever l'Ouvrage . Cette partie inférieure
préfente un vuide , & elle est trop
platte , trop nue , & trop meſquine . Que
faut il y ajouter pour remplir ce vuide ,
& pour l'orner ? c'eft particuliérement là
le point qui eft à réfoudre ; une certaine
richeffe dans l'ornement de cette partie
paroîtroit feier d'autant plus , que l'on
fe propofe d'y faire une enceinte qui doit
faire le pendant à l'oeuvre qui eft placé
vis-à -vis.
On ne parle point ici de l'efcalier fervant
à monter dans la Chaire , on s'appercevra
aifément qu'il n'eft pas fans dé
faut.
Les dorures qui ne font peut-être que
trop répétées dans le Choeur , demanderoient
-elles que l'on dorât certaines parties
SEPTEMBRE . 1761. 185
de cette Chaire , ou doit- on la laiffer
toute entière en couleur de bois , en y
faifant fimplement appliquer deffus un
verni ?
Comme il fans doute
y a
peu d'Artistes
& d'Amateurs qui ne fe faffent un plaifir
de lire le Mercure, on a crû ne pouvoir pas
fe fervir d'une voie qui leur foit plus agréa
ble, pour leur faire parvenir ce Mémoire,
& on les prie d'y répondre par la même
voie ; on fe fera un devoir de remercier
& de confulter plus particulierement enfuite
ceux qui fe feront connoître ; à l'égard
de ceux qui ne le jugeront pas- à-propos
, on ne fera pas moins ufage de leurs
avis.
>
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
L'ACADE
OPERA.
ACADEMIE Royale de Mufique a remis
au Théâtre le Mardi 18 Août les
Sauvages , Entrée ajoutée aux Indes Galantes
, en fupprimant celle du Turc généreux.
La Mufique de cet A&te eft trop
186 MERCURE DE FRANCE.
avantageuſement connue pour en faire
un nouvel éloge. L'effet que cet Acte produit
fur le Public , à cette remiſe , doit
raffurer les Amateurs de la véritable Mufique
en France. Ils avoient lieu de craindre
depuis quelque temps , que le goût
des fublimes beautés de cet Art ne fe
perdît entierement . Mais la fenfibilité des
Spectateurs modernes pour les airs admirables
des Sauvages , femble promettre
l'anéantiffement prochain d'un petit genre
monotone & ftérile en tout fens , qui n'a
dû fa faveur qu'à l'attrait des nouveautés
& à la vanité des demi- Connoiffeurs.
Mlle Lemierre déjà très - applaudie
dans les autres Actes des Indes Galantes ,
où elle chantoit , excite dans celui- ci une
efpéce d'enthoufiafme ; cet enthoufiafme
eft une juftice rendue à l'agrément de fa
voix & au charme de fon talent.
Le Ballet participe de l'élévation de génie
& des graces qui regnent dans toute
la Mufique de M. Rameau. Mlle Allard
danfe feule fur l'Air des Sauvages , &
quelques couplets de la Chacone en pas
de deux avec M. Veftris. Prèfque tout le
monde ayant l'idée de ce morceau on
pourra s'en faire une de la manière dont
elle l'exécute. Non feulement cette Danfeuſe
trace , pour ainfi dire , aux yeux ,
>
SEPTEMBRE. 1761 . 187
par
fes pas , toutes les notes dans leurs
différentes valeurs , mais elle fait encore
avec les pieds , ce qu'on entend faire
quelquefois avec la voix par d'habiles
Chanteurs , c'eft-à-dire , qu'elle travaille
fur le fujet mufical & l'enrichit encore.
Dans la Chacone où M. Veftris eft admiré
avec tant de juftice , Mlle Allard , qui
a beaucoup d'expreffion dans la figure ,
forme avec lui un tableau très - agréable
& qui fait le plus grand plaifir.
On doit reconnoître & applaudir les
foins que l'on a pris pour rendre le Spectacle
de cet Acte digne de l'excellence de
la Mufique . Les habits des Sauvages font
du meilleur goût , dans un genre vrai
ment pittoresque ; le tableau qu'ils compofent
eft auffi agréable qu'on puiffe le
defirer , fans en être moins exactement
conforme à l'idée que l'on a des Perfonnages
qu'ils caractérisent . C'eft un dédommagement
de ceux des Incas qui ne
produifent pas un auffi heureux effet . On
prépare à ce Théâtre la remife de Camille
, Tragédie, avec quelques changemens
& des additions dans le Poëme &
dans la Mufique .
* Le Poëme eft de Danchet , & la Muſique de
Campra.
188 MERCURE DE FRANCE.
COMEDIE FRANÇOISE.
L
"
Es trois Comédies de M. de Saint-
Foix , dont nous avons parlé dans le Volume
précédent , rempliffant avec le Prologue
, tout le temps d'un Spectacle, ont
été repréſentées enfemble plufieurs fois ;
& toujours avec de nouveaux fuccès à
mesure qu'elles étoient plus connues.
Le fujet du Prologue auffi fimple
qu'ingénieux , eft une fcène de la Cabale ,
avec l'Auteur qu'elle vient trouver dans
fon cabinet ; n'en étant pas connue , elle
eft obligée de s'annoncer & de faire valoir
l'avantage des fervices qu'elle lui offre.
Il les refufe avec dédain ; pour le
venger, la Cabale fort en menaçant d'aller
fe placer au Parterre. Oh palfembleu
vous n'irez pas , lui dit- il , je vous en empécherai
bien. L'Auteur , ou plus exactement
, l'Acteur qui le repréfente , ne
pouvant retenir la Cabale , revient précipitament
fur le bord du Théâtre dire aux
Spectateurs. Au moins , Meffieurs , je
vous crois trop bonne compagnie pour la
recevoir parmi vous.
Chacune de ces Piéces a été repréſentée
enfuite féparément , avec des Tragé
SEPTEMBRE . 1761 . 189
dies. Nous avons annoncé que nous ne
rendrions compte ni du Rivalfuppofé ni
de la Colonie, parce que ces Piéces font
imprimées . Nous acquittons notre engagement
en donnant l'Extrait fuivant de
celle des trois Piéces qui eft entierement
nouvelle & non imprimée,
LE FINANCIER ,
COMEDIE en Profe , en un Acte par M.
DE SAINTFOIX , repréfentée pour la
première fois le 20 Juillet 1761.
PERSONNAGES. ACTEURS.
M. Belcourt.
LE MARQUIS ,
LE CHEVALIER , M. Grandval.
ALCIMON , Financier. M. Préville.
FRONTIN , Valet du Marq . M. Duranci.
HENRIETTE , fille de
Géronte.
GERONTE , Vieillard
malheureux.
Mlle Gauffin ,
M. Brizard.
La Scène eft dans le Château d'Alaimon.
Alcimon, riche Financier , occupe pendant
la belle faifon un magnifique Châ190
MERCURE DE FRANCE.
teau qu'il a acheté depuis fix mois . Dans
le voisinage de ce Château , le Chevalier ,
homme de condition d'un mérite éprouvé
& d'une probité févère , poffède une
petite Terre d'environ trois ou quatre
mille livres de revenu . Il fe rencontre
chez le Financier avec un Marquis de fa
connoiffance , Courtifan décidé qui réunit
tous les défauts imputés à cet état ,
lefquels , dans un coeur corrompu , deviennent
facilement des vices. Celui- ci
reproche d'abord au Chevalier de ne pas
profiter affez , des agrémens que pourroit
lui procurer un voifin opulent & qui
aime la dépenfe. Le Chevalier répond ,
qu ' Alcimon l'a indigné. Après avoir rappellé
à ce Marquis les politeffes & toutes
les attentions d'un intérêt affecté , dont
l'a accablé le Financier, à l'occafion d'un
affez léger accident , il ajoute : » Mais
» hier au foir , à la nuit , un Carroffe de
» voiture verfa au même endroit où l'ef--
fieu de votre chaife avoit rompu le
» matin ; ( au bout de l'avenue du Cha-
» teau ) on vient le lui dire , & qu'on en
» a tiré un Vieillard fi foulé , fi incommo
» dé de fa chûte , qu'à chaque inftant il
perd connoiffance. Quelle efpéce d'hom-
» me eft -ce , demanda -t - il ? Vous fçavez
» que je lui répondis qu'il ne s'agiffoit
"
»
SEPTEMBRE . 1761 . Igr
pas de fçavoir quelle efpéce d'homme
" c'étoit , mais que c'étoit un homme.
Il continue en difant que ce Vieillard auroit
été porté au Village prochain , mais
qu'il a fait rougir l'âme du Financier; que
celui-ci l'a fait mettre dans une chambre
du Château ; qu'il n'a feulement pas envoyé
fçavoir comment il fe trouvoit »
» S'intéreffe -t- on ,dit le Chevalier, à la fan-
» té d'un homme qui n'a pas une certaine
» apparence ? » Cela marque felon lui
une âme naturellement dure , & que
l'orgueil de l'opulence endurcit encore..
A quoi le Marquis répond: » Eh , que t'im-
" porte fon âme ? Vit - on avec l'âme des
» gens ? Un homme eft en place , un au-
» tre tient une bonne maifon ; c'eft avec
» la place , c'eſt avec la bonne maiſon
» que l'on vit.
و د
Dans cette feule Scène , l'Auteur peint
d'une manière vive & concife , trois caractères
faits pour bien contrafter enfemble
; & ces caractères font tels que la Société
les préfente & les voit journellement.
Il établit en même temps la baſe
de toute fa Piéce.
Henriette paroît ; le Marquis par fes
foupçons , continue d'établir fon caractè
re ; le Chevalier, détruit fes malignes conjectures
, en lui apprenant que cette jeune
192 MERCURE DE FRANCE.
perfonne eft la fille du Vieillard dont il
a parlé. Elle vient remercier le Chevalier
de fes foins obligeans pour fon
père; ils font d'une Province éloignée ; ils
alloient à Paris pour implorer la pitié
d'Alcimon. Henriette a appris que précitément
ils fe trouvent chez lui ; comme fon
pere & elle font inconnus , elle prie le
Chevalier de les préfenter . Il s'en défend,
par la répugnance qu'il dit avoir de paroître
demander la moindre choſe à ce
Financier . Elle ne fe rebute pas ; elle lui
donne même un Mémoire , pour Alcimon;
le Chevalier le lit ; il connoît par ce Mémoire
, que le Vieillard , après plufieurs
revers , en dernieu lieu réduit àla recette
d'un petit Bureau , des voleurs entrés de
nuit chez lui , ont emporté deux mille
écus qui étoient dans la caiffe. Il demande
du temps pour les remplacer , & furtout
qu'on ne le prive pas de l'emploi .
Le Chevalier eft pénétré du fort de ces
infortunés ; croyant les mieux fervir par
le crédit du Marquis , il l'engage à fe
charger du Ménoire. La jeune Henriette
remercie d'avance le Marquis , du ton le
plus naïf & par les expreffions les plus
intéreffantes . Celui-ci promet de s'employer
, mais avec le ton d'un Petit - Maî--
tre plus poli qu'obligeant , & plus fenfble
SEPTEMBRE . 1761 . 193
ble aux charmes de la Cliente qu'affecté
de l'objet de fa demande.
Refté feul , le Marquis fe dévoile Il
fe propofe de facrifier , avant huit jours,
l'innocence de cette jeune fille à fes plaifirs
, & encore plus à la vanité qu'il prétend
tirer dans le monde de l'éclat de fes charmes
& de leur nouveauté . Frontin vient
lui apprendre que fa chaife eft racommodée
; le Marquis lui ordonne d'en louer
une à deux places , pour conduire Henriette
& fon père à Paris. Il ne veut pas
les laiffer voir à Alcimon . A propos de cet
Alcimon, le Valet , après plufieurs petites
repliques d'un Comique gai , quoique moral
, fe reffouvient d'avoir connu le Financier
, il y a trois ou quatre ans , fans
pouvoir le reffouvenir du nom qu'il por
toit alors ; il eft affuré feulement qu'il
ne fe nommoit pas Alcimon. Le Marquis
répond à fon Valet, qu'en achetant la ter
re & le Château il y a fix mois , le Financier,
apparemment , en a pris le nom qui
valoit mieux que le fien . Cette circonf
tance eft très néceffaire pour l'intrigue
de la Piéce , Le Marquis , après avoir impofé
filence à Frontin , finit par cette
obfervation » Depuis quelques années
» tout le monde eft Philofophe , & jubi
» qu'aux Valets moralifent. Enfuite il ap
I
194 MERCURE DE FRANCE.
·
perçoit Alcimon; ilprojette de s'amufer à le
mortifier, pour prix de la bonne chère qu'il
lui a faite & des politeffes qu'il en a reçues ;
il fe propofe furtout de le piquer contre le
Chevalier, afin qu'ils ne fe voyent pas avant
d'avoir terminé fa coupable entrepriſe
fur Henriette. Il exécute une partie de fes
vues dans la Scène qu'il a avec Alcimon ,
Scène , dont un Extrait ne peut rendre
tout l'art & tout l'agrément . Il confie d'abord
, en badinant , au Financier , qu'il a
fait une découverte charmante , un objet
tout neuf & qui vient de Province ;
mais il ne le nomme ni ne le défigne à
Alcimon , que par des comparaifons les
plus galantes & les plus agréables : c'eſt
une des colombes de Vénus; il l'a détournée
dans l'inftant qu'elle alloit tomber
dans les griffes d'un grosEpervier. Alcimon
croit que c'eft un de fes confreres , en rit
beaucoup & applaudit au projet. Le Marquis
tombe enfuite fur la caufticité du
Chevalier. Il en rapporte même quelques
propos durs contre le Financier . Il lui
parle enfin de l'affaire du Vieillard , de
manière à le dégoûter de le voir & de
l'entendre par l'importunité que cela lui
occafionneroit , & le rifque de ce qu'il lui
en couteroit , pour réparer fon malheur .
Il laiffe entendre que certaines vues du
SEPTEMBRE. 1761. 195
Chevalier fur la jeune fille, font le principe
de l'intérêt qu'il prend pour le père . Alcimon
répond que ce ne fera pas à fes dépens
, & fe promet bien de ne pas laiffer
pénétrer leChevalier , de toute la journée ,
dans fon cabinet, où il va s'enfermer pour
ne le point voir . Le Marquis le quitte ,
en lui donnant rendez- vous à Paris où il
fe propoſe , dit- il , de le revoir.
Le Chevalier , qui a entendu cette converfation
dont il eft indigné , reparoît ; il
voit approcher le Marquis avec Henriette ;
il fe cache encore pour fçavoir quel fera
le fuccès de cet entretien. C'est ici particulierement,
que le talent de l'Auteur pour
bien filer des Scènes , eft employé avec
une adreſſe admirable.
L'ingénuité d'Henriette , la candeur &
l'honnêteté de fon âme forment un inté
rêt qui croît à proportion de ce que le
Marquis excite d'indignation . M.de Saint-
Foix montre ici une connoiffance fine &
jufte du langage de la Cour , par celui qu'il
prête au Marquis ; il l'a orné de toutes les
grâces perfides d'une feduction d'autant
plus dangereufe, qu'elle a cet air de facilité
& de
défintéreffement , qui annonce
la pure
bienfaifance
.
Cependant le peu
d'ufage & de connoiffance des vices d'un
monde qu'elle ignore , laiffant croire à
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
""
cette jeune perfonne, que les propofitions
du Marquis tendent à une union légitime
, elle le contraint par- là à develop
per les véritables deffeins . » Eh que fair ,
lui dit- il , cette inégalité de naiffance ?
Empêche-t- elle que vous ne foyez trèsjolie
; qu'étant très -jolie je ne vous ai
» me, & que nous aimant, nous ne puiffions
faire la félicité l'un de l'autre. Je
veux que dès demain vous foyez logée ,
» meublée , habillée comme une Reine.
J'ai hérité une petite Maifon d'un
vieux Commandeur mon Oncle ; elle
» eft dans un quartier peu fréquenté ; on
»diroit d'un petit Temple pour les doru
» res, les glaces, les peintures, il n'y manquoit
qu'une divinité ; c'eft - là qu'à vos
» genoux » ... Henriette l'interrompt
par fes pleurs & le quitte en diſant » Vo-
39
"
"
tre profufion vous trahit . Je vous ai crû
» généreux ; vous n'êtes pas digne de l'ê-
» tre. L'infortune eft bien affreufe quand
» elle nous expofe à des affronts . » Cette
réponse qui fait également honneur à
l'âme de l'Auteur & à fon efprit , en a
fait le moins autant à ceux des Spec- pour
tateurs qui l'ont vivement applaudie.
Le Marquis , confolé d'avoir manqué fa
proie , fe difpofe à partir feul pour Paris ,
où d'autres foins l'appellent. Le Chevalier
SEPTEMBRE. 1761. 197
paroît , l'arrête , & l'attaque l'épée à la
main. Nous rapporterons cette fcène ,
très - courte , prèfqu'en entier , pour en
mieux préfenter l'intérêt & le tableau ...
LE CHEVALIER ( au Marquis , &
mettant l'épée à la main. )
Défendez-vous .
LE MARQUIS.
» Mais , Monfeu , comment done ?
Queſt- ce ? Quelle raiſon ? ....
LE CHEVALIER.
» Défendez- vous , vous dis - je, ou je ....
LE MARQUIS ( mettant aufi l'épée à
la main. )
» Oh parbleu , puiſque vous le voulez
» abfolument ....
(Ils fe battent ; l'épée du Marquis tombe . )
LE CHEVALIER.
» Vous êtes le plus indigne de tous les
» hommes.
""
LE
MARQUIS.
Songez , Monfeu , que je fuis dé-
» farmé.
LE CHEVALIER.
» Vous ne le ferez pas longtems ; vous
m'aviez promis de vous intéreffer pour
I iij
498 MERCURE DE FRANCE.
"
ور
» un père & une fille dans le malheur .
» Loin de tenir votre promeffe, vous n'a-
» vez parlé à Alcimon , que pour le pré-
» venir contr'eux. Eh , pourquoi avez-
» vous commis cette noirceur ? Parce que
» cette fille vous a paru jolie ; Parce que
» vous l'avez regardée comme une proie
qui s'offroit à vos defirs. Son air annon-
» çoit l'honnêteté de fon âme ; mais
» quelle âme , avez - vous dit en vous- mê-
" me , ne fe laiffe pas flétrir par l'amer-
» tume ? Achevons de l'accabler , de la
» défoler , de la déchirer ; ôtons à cette
» infortunée tout espoir , toute reſſour-
» ce ; montrons -lui fon père prèt à être
» traîné dans une prifon ; profitons , fer-
» vons- nous de fa mifère pour triom-
» pher de fa vertu : votre action eft auffi
» lâche que celle d'un infâme raviffeur
qui , le poignard fur la gorge , auroit
» tenté de la déshonorer. J'ai dit ; re-
»prenez votre épée.
ور
Lorfque le Marquis a ramaffé fon épée ,
Alcimon furvient & fe met entr'eux ; le
Marquis rend compte , d'un ton badin ,
du fujet de la querelle , fe retire & offre
de la finir à Paris , fi le Chevalier juge à
propos de l'y venir trouver .
Alcimon prévenu , impute au Chevalier
l'efclandre arrivé chez lui ; cette Scène, qu
SEPTEMBRE. 1761 . 199
pour l'un reproche la facilité à s'intéreffer
les malheureux ; & l'autre, la dureté qu'il
ya à ne les pas foulager , eſt un dernier
coup de crayon qui perfectionne
deux des principaux caractéres de la Piéce.
Henriette paroît. Malgré fes réfolutions
, Alcimon eft contraint de l'entendre.
Le récit qu'elle fait & qui eft adroitement
achevé par le Chevalier , conduit,
à un dénoûment qu'elle -même ne pouvoit
prévoir ; le changement de nom du
Financier en ayant dû écarter tout foupçon.
Cette Henriette fe trouve être la
foeur d'Alcimon dont ce même Vieillard
eft le père. Tout imprévu qu'eft ce dénoûment
, il eft fuffisamment éclairci ; il
faut le voir dans la Piéce même . Géronte
Père d'Henriette & d'Alcimon paroît ; la
préſence de ce vénérable Vieillard touche
le coeur du Financier qui n'étoit
qu'accidentellement endurci , & fi on
peut le dire, par efprit de corps. Après avoir
témoigné tout ce que la tendreffe & la
foumiffion d'un fils bien né doivent infpirer
pour un père refpectable, Alcimon,
rendu aux moeurs & à l'honnêteté , s'acquitte
envers le Chevalier , en lui offrant
Henriette fa foeur avec la moitié de fon
bien.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE:
REMARQUES.
SUR la Comédie du FINANCIER .
L'ART Dramatique, independemment du plaifir
qu'il procure , a été dans tous les temps honorable
aux Nations qui l'ont cultivé avec le plus de
fuccès , parce qu'on peut apprécier le génie national
fur le plus ou le moins de perfection dans
le goût , dont cet art eft le témoignage le plus
apparent. Ceux qui s'intéreffent encore à la gloire
patriotiqu ,fçauront donc toujours gré aux Auteurs
qui comme M. de Saint- Foix, employeront
en faveur des moeurs & du fentiment d'humanité,
les grâces du Coloris leplus attrayant . C'eſt par des
Peintures ben frappées, que le Poete Dramatique
peut réformer en amufant ; mais il s'en flateroit
en vain sil ne fait pas les nuances du temps.
1 ans la Piée font nous venons de donner l'extrait,
l'Auteur a choifi 1. scaractères qui , par le jeu
des contrafte, s'aident mutuellement a fe developper
Par le caractère du Marquis on ne paroit
pas avoir voulu généralifer tous les Courtifans.
Dans l'affect tous lequel on préfente celui- ci ,
l'Autou temble n'avoir eu pour but , que de
faire lentir l'excès ou peut conduire le dédain
trop ordinaire dans les conditions élevées , pour
le fort & même pour l'honneur des gens obfcurs.
Placé trop hut , an foupçonne tout au plus
: Pexiftence animale des êtres inférieurs ; fans fe
croire bien coupable , ne fe permet- t- on pas d'écrafer
ce qui tampe à fes pieds ? C'eſt donc pour
garantir la grandeur même d'une erreur fi funefe,
qu'il eft utile que le Théâtre en préſente des
images allez fortes, pour arrêter ceux qui feroient
prêts à s'y livrer . Le perfonnage du Financier
SEPTEMBRE. 1761.
201
nous paroît , fous un autre point de vue , tendre
à la même fin. L'opulence de celui - ci l'écarte de
l'indingent qui fouffre , & mer en lui pour le
malheur le fentiment du mépris à la place de celui
de la compaffion. La dureté d'Alcimon n'eft
point une difpofition naturelle de fon âme ; tout
ce qu'il dit , tout ce qu'il fait le prouve ; ce n'eft,
comme nous l'avons remarqué dans l'Extrait,
qu'une conduite de fyftême , qu'il croit de bonne
foi juftifiée par fon état. Le Financier de M. de
Saint- Foix , n'eft en aucun fens celui qu'on a
peint dans Turcaret , parce que Turcaret ne reffemble
plus depuis long-temps aux gens même
les moins eftimés dans cet état. Voilà ce que gagne
la Comédie , quand elle eft traitée par des
Auteurs faits pour vivre dans le monde avec une
certaine confidération qui les met à portée de
fuivre les changemens que le temps & les circonftances
introduifent dans les moeurs & dans
les ufages de la Société . Le caractère du Chevalier
, eſt un peu auftère , comme doit l'être celui
de tout homme vertueux que la retraita a rendu
plus fenfible aux travers & aux vices de la Société.
Mais l'Auteur a fagement modifié ce caractère
, en forte que le fruit de fa morale n'eft point
détruit par fa caufticité . En lifant les reproches
que nous avons rapportés dans la Scène du combat,
les plus aigres cenfeurs des jeux de Melpomene
& de Thalie , conviendront intérieurement
qu'ils auroient peine à fervir aufli efficacement
une vertu d'autant plus attaquée , que la corrup
tion des moeurs en a fait un ridicule. Henriette
n'eſt point de ces jeunes innocentes que le défaut
d'éducation avilit à nos yeux & nous rend malgré
nous préfque complices des attentats que l'on
métite contre leur honneur. L'ingénuité d'Henriette
eft noble & décente . Elle a l'éloquence da
1 v
20 MERCURE DE FRANCE.
malheur ; & cette éloquence donne à fes expreffions
un certain tour , qui fans la moindre affec
tation,les rend plus pathétiques & par conféquent
elle-même plus intéreffante .
Nous nous fommes arrêtés à faire connoître
le ton de chaque perfonnage , pour donner au
moins une idée du Coloris général de la Piéce.
L'Extrait qui en trace l'action , peut fuffire à faire
voir que les Scènes naiffent naturellement les
unes des autres , & que l'intrigue fe noue ainfi
qu'elle fe dénoue fans effort , mais par les fentimens
& les intérêts oppofés de chacun des Acteurs.
Ce dénoûment , dans lequel on fent bien
qu'il faut néceffairement expliquer des chofes
antérieures, eft menagé avec aflez d'art pour foutenir
l'attention du Spectateur. Si l'on n'y trouve
pas le même agrément de détails que dans les
Scènes qui le précédent , c'eft que ces fortes de
Narrations doivent être les plus fimples & les
plus rapides qu'il fe peut ; tout ornement y feroit
déplacé. On rend compte dans ce dénoûment,
de tout ce qui a fondé l'intrigue ; & l'événement
qui le termine, fatisfait l'intérêt qu'on a pris
aux perfonnages qu'il rend heureux.
Le 30 Juillet M. Dancour a débuté par le Rôle
de Sofie dans Amphitrion, & par celui de Crifpin
dans les Folies Amoureuſes. Il a joué depuis dans
Démocrite le Rôle de Strabon , celui de Pourceau
gnac dans la Piéce de ce nom . L'Intimé dans les
Plaideurs, Crifpin dans le Légataire ; & il a continué
fon début par plufieurs autres Rôles de ce
qu'on appelle l'emploi des Crifpins. On trouve à
cet Acteur un maique avantageux pour la Caricature
Comique & beaucoup de chofes qui lai
font favorables dans un affez grand nombre de
Rôles , lefquels ont des genres particuliers , quoiqu'ils
foient du même emploi.
SEPTEMBRE. 1761 . 203
Le Lundi 17 Août , on donna la première repréſentation
des Fauffes Apparences , Comédie en un
Acte , en Profe , par M. Belcourt.
Cette Piéce fut applaudie & a été continuée.
Nous allons éffayer de mettre les Lecteurs en état
de préfumer fur quoi ces applaudiffemens font
fondés , par l'Extrait fuivant.
EXTRAIT de la Comédie intitulée LES
FAUSSES APPARENCES , en un Acte
& en Profe.
PERSONNAGES.
LISIMON , Oncle
d'Angélique.
ANGÉLIQUE ,
LISETTE , Suivante
d'Angélique ,
ACTEURS.
M. Bonneval,
Mlle Gauffin.
Mlle Dangeville:
d'Angélique ,
M. Grandval.
VALÉRE , deſtiné à
Angélique.
M. Molé,
ERASTE , Amant
CRISPIN , Valet d'Erafte , M. Préville.
La Scène eft dans la maifon d'Angélique.
Erafte & Angélique amoureux l'un de
l'autre, le font brouillés. Crifpin , Valet
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
d'Erafte , informe Lifette que fon Maître
prend pour des preuves d'infidélité les politeffes
qu'Angélique fait à Valére . Lifette
à fon tour , dit que fa Maîtreffe ne veut
plus revoir Erafie , parce qu'elle le croit
amoureux de Lucinde. Cela produit une
Scène fort plaifante entre le Valet & la
Soubrette ; dans laquelle celle- ci prend
le parti des femmes contre Criſpin. L'on
& l'autre débitent des Epigrammes comiquement
fatyriques , fans bleffer la bienféance
, ils finiffent par fe quereller .Crif
pin qui vient d'accufer les hommes d'une
foibleffe impardonnable , demande pardon
lui- même; ils fe raccommodent . Alors
Lifette confie à Crifpin , qu'Angélique n'a
fait amitié à Valére , que par complaifance
pour fon oncle , qui veut la forcer
à époufer ce Valére , fous peine de la
priver d'une forte fucceffion. Le Valet
inftruit Lifette à fon tour , qu'Erafte n'a
rendu quelques foins apparens à Lucinde,
que pour amufer une tante qu'il devoit
ménager , laquelle heureuſement vient
de le faire interdire à force de radoter.
Le Valet & la Soubrette fe propofent d'éclairer
Angélique & Erafte fur les fauffes
apparences qui les ont brouillés. Lifette
recommande à Crifpin d'engager fon
Maître à revenir ; elle promet de diſpoż
SEPTEMBRE. 1761. 205
fer fa Maîtreffe à le bien recevoir . Angé
lique qui entre lorfque Crifpin quitte Lifette
, demande fi elle lui a bien déclaré
qu'elle ne veut plus revoir Erafte ? Lifette
répond que fes ordres font exécutés . Elle
veut paroître enchantée du parti qu'elle
a pris , cependant elle s'informe encore
fi Crifpin n'étoit chargé de rien pour elle
de la part d'Erafte ; Lifette répond que
non , & fait à cette occafion un tableau
des avantages de l'indifférence & de tous
les agrémens dont Angélique va jouir en
fe détachant d'Erafte . Comme elle s'apperçoit
que cette idée, qu'elle n'a préfentée
à fa Maîtreffe que pour pénétrer le
fecret de fon coeur , lui caufe de la trif
teffe , elle faifit ce moment pour lui faire
avouer qu'elle aime toujours Erafie. Sur
quoi Lifette l'informe du motif qui engageoit
fon Amant à feindre des foins
pour Lucinde. Dans le moment qu'Angélique
fe livre au plaifir d'être détrompée,
arrive fon oncle , Lifimon , avec Valére ,
qu'il amène pour terminer le mariage
projetté. Il fe plaint à fa niéce des retardemens
qu'elle apporte à l'exécution de
fes volontés. Il exige que tout foit figné
dans le jour. En même temps il querelle
Valére fur la froideur de fon filence ; mais
il prend fon embarras & celui de ſa niéce
206 MERCURE DE FRANCE.
pour de la tendreffe ; & fans vouloir rien
approfondir , il fort pour aller chez fon
Notaire , en croyant faire à l'un & à l'autre
le plus grand plaisir. Angélique &
Valére reftés enſemble , ſe parlent trèsfroidement
de l'union qu'on leur propofé.
Lifette , qui foupçonne Valére d'avoir
d'autres engagemens , le preffe de s'expliquer
naturellement . S'appercevant de
fon côté du chagrin d'Angélique , il convient
qu'il aime Lucinde ; qu'il a écrit
à fon père pour en avoir l'agrément , &
qu'il attend la réponſe à chaque inftant.
Apprenant de Lifette qu'Angélique aime
Erafte , libres l'un avec l'autre fur leurs
fentimens , ils fe promettent la plus vive
amitié au défaut de l'amour , & prennent
des meſures conjointement pour éluder
leur mariage. Erafte , qui eft revenu chez
Angélique , fur ce que Crispin lui a dit ,
fe trouve à portée d'écouter la fin de cet
entretien. Il entend les promeffes d'attachement
que fa Maîtreffe fait à Valére ;
il le voit lui baiſer la main avec tranfport
en la quittant. Il est tout naturel
que fur cette apparence il fe croye plus
que jamais trahi . En vain Angélique veut
fe juftifier ; il est trop ému pour la laiffer
parler ; il l'interrompt fans ceffe par les
reproches les plus aigres , A la fin , An-
!
SEPTEMBRE. 1761 207
gélique irritée d'une défiance qu'elle
croit déplacée , lui défend de jamais
reparoître devant elle. Comme il veut
fortir , Lifette impatientée court après
lui pour l'arrêter & lui prouver fon injuftice
; mais au moment qu'elle commence
à l'informer du motif des tranſports de
fon prétendu Rival , l'oncle revient avec
le contrat. Il craint , dit- il , d'avoir été
trop long- temps. Cette impatience qu'il
fuppofe dans fa niéce , rend encore l'apparence
plus illufoire pour Valére ; & ce
qui achève de rendre la fituation des deux
Amans plus piquante , c'eſt qu'appercevant
Erafte, il lui demande de bonne foi,
s'il ne vient pas féliciter Angélique ſur
fon mariage avec Valére que , felon lui ,
elle aime à la fureur. Erafte , au défefpoir,
balbutie quelques mots entrecoupés,
pour l'affurer de l'intérêt qu'il prend à cet
hymen , & fort fubitement , pénetré de
douleur & de dépit. Lifimon étonné, croit
que Valére fe trouve mal ; fa niéce faifit
le même prétexte pour fortir. Lifette veut
fuivre la maîtreffe , mais l'oncle obftiné
l'oblige de demeurer , pour l'inftruire .
Crispin , qui étoit refté pour quereller Lifette
, trouvant l'occafion de fe venger, dir
à l'oncle qu'il peut l'informer de tout.
Lifette le fait paffer pour fou ; mais lui ,
2c8 MERCURE DE FRANCE.
qui veut prouver le contraire , fe preffe
davantage fur ce qu'il veut dire ; ce qui
produit un galimatias dans lequel il mêle
l'amour de fon maître , Angélique, Lucinde
& Valére ; en forte que Lifimon, qui
n'y peut rien comprendre, en prend néanmoins
quelques foupçons qui le font entrer
chez Angélique pour les eclaircir.
Crifpin , feul avec Lifette , lui reproche
les fauffes affurances de fidélité que fur fa
parole, il a donné à fon Maître. Il fe paffe
entr'eux une fcène d'obftination réciproque,
qui fufpend le développement de l'in
trigue. Lifette, allarmée pour fa Maîtreffe
de la jaloufie d'Erafte, menace d'agir contre
lui & apprend feulement à Criſpin que
le mariage va fe conclure avec Valére.
Fâché d'avoir indifpofé Lifette contre lui ,
Crispin veut aller retrouver fon Maître ;
mais Lifimon , qui n'a pu rien apprendre
ni d'Angélique ni de Lifette qu'il preffe
encore en vain de parler , n'ayant plus
de reffource que dans l'indifcrétion de ce
Valer , le menace de coups de bâton, s'il
ne veut le mettre au fait de ce qu'il lui a
déja laiffé entrevoir. Lifette veut l'engager
à recevoir les coups & à fe taire . Crif
pin, qui n'eſt pas du même avis , apprend
enfin à Liſimon , que fon Maître aime ſa
niéce & a cru en être aimé ; il expofe les
SEPTEMBRE . 1761. 200
grands biens d'Erafte comme un motif
qui doit déterminer l'oncle à le rendre
heureux . Lifimon au contraire , devient
furieux; il affure qu'il n'y confentira jamais;
il menace Lifette de la punir d'avoir favorifé
cette intrigue & les renvoye . Rendu
à lui-même , il fe calme; & fon entêtement
pour fes idées , eft un peu combattu
par la réflexion qu'il fait fur les grands
biens d'Erafte ; cependant il veut découvrir
fes fentimens pour fa niéce. Erafte
qui venoit chercher Valére pour le battre,
eft rencontré par Lifimon auquel il ne répond
qu'avec trouble , d'autant qu'il s'apperçoit
bien que l'oncle veut pénétrer fes
vues. Crifpin revenu fur la Scène pour
chercher fon Maître , donne occafion à
l'oncle de déclarer les foupçons qu'il lui a
fait naître & la certitude qu'il en a eue enfuire.
Craignant que ce ne foit pour lui
nuire, Erafle l'affure qu'au contraire c'eſt
de Lucinde qu'il eft amoureux. Par ce
moyen très -naturel, l'Imbroglio fe renoue
dans le temps & par les circonftances
même qui en pourroient opérer le développement
, car Angélique qui étoit venue
pour avouer à fon oncle fes vrais fentimens
& tâcher de le toucher , ayant entendu
cet aveu d'Erafte, devient furieufe ;
& dans un dépit , très légitime par les ap210
MERCURE DE FRANCE.
parences , elle preffe fon oncle au contraire,
de terminer promptement avec Valére.
Celui - ci y confent de bon coeur . Erafte
de fon côté , qui ne doit pas avoir moins
de reffentiment,dit que Lifimon , par - là , ne
' fait aucune violence au coeur d'Angélique;
l'oncle prétend cependant avoir eu befoin
d'autorité pour la déterminer , mais
elle interrompt l'éclairciffement qui pourroit
réfulter , pour faire des reproches à
Erafte. L'oncle eft irrité de cette Scène
qui décéle la défobéiſſance de fa niéce à
fes volontés ; cependant celle -ci , pour fa
réputation dit- elle , exige de fon oncle,
le témoignage des oppofitions quelle a
apportées à fes intentions. La Soubrettefert
encore dans cette occafion , à expliquer
la fauffeté des apparences. Lifimon
toujours plus opiniâtre , par la réſiſtance ,
veut que le mariage foit conclu avec Valére.
Mais celui-ci apporte une lettre du
Père qui rend à Lifimon fa parole & permet
à fonfils dépoufer Lucinde. Cette lettre
défabule Erafte , contrarie l'oncle qui
balance encore, mais il fe détermine enfin
par la fortune d'Erafte , à lui donner fa
niéce. Crifpin , promettant de n'être plus
foupçonneux, obtient à cette condition
l'aveu de Lifette. Elle finit la Piéce en lui
difant, fois donc mon mari , & fouviens
SEPTEMBRE. 1761 217
toi que prèfque toujours les apparences font
trompeufes , & qu'il faut douter même de
ce qu'on voit.
REMARQUES
SUR LES FAUSSES APPARENCES .
CETTE ETTEComédiè eft d'un genre qui demande que
l'on en courage ceux qui font des efforts pour le
rétablir fur notre Théâtre. L'intrigue de cette Piéce
eſt conſtruite avec art'; elle produit les fituations ;
& les fituations fervent à foutenir l'intrigue , en
en renouvellant l'imbroglio , dont l'obfcurité n'exifte
que pour les Acteurs. Peut- être que par là , elle
eft refferrée dans un trop petit eſpace pour laiffer
lieu à ce comique faillant & découpé , qui divertit
fans occuper l'efprit après les grandes Piéces. Nos
Lecteurs doivent fuppléer par l'imagination , à ce
que la néceffité de fupprimer les rempliffages
laiffe de féchereffe dans les Extraits de ces fortes
de Piéces. On doit la juftice , & tout le Public fe
réunit à la rendre , à la manière dont les Scènes
font enchaînées , au Dialogue jufte , précis , &
conforme à ce que doivent fe dire les Acteurs relativement
aux fituations où ils fe trouvent , &
aux fentimens qu'ils éprouvent. Les entrées & les
forties , en un mot tout ce qu'on appelle la marche
théâtrale, eft bien ménagé & fpirituellement
obfervé. C'est ce qui particulièrement doit faire.
honneur à M. Belcourt. On ne peut refuſer de
convenir qu'il a étudié avec fruit les bons modéles
, & que de la pratique de fon talent pour la
repréſentation , il s'eft formé une théorie heu
212 MERCURE DE FRANCE.
reufe pour la compofition. Le Public a lieu d'at
tendre un double avantage du zéle d'un Acteur ,
dans lequel ces deux Arts réunis peuvent le perfectionner
toujours l'un par l'autre .
COMEDIE ITALIENNE.
ONN n'a donné depuis un mois d'autres
nouveautés fur ce Théâtre, que la remife
des Indes danfantes , Parodie des Indes
Galantes. Cette Parodie eft ornée d'un
Ballet des fleurs , par M. Felicini , qui
eft fort applaudi ; l'idée en eft ingénieufe
, & les tableaux très agréables.
On revu toujours avec un plaifir qui
ne paroiffoit pas s'épuifer , lefils d'Arlequin
perdu & retrouvé , Comédie Italienne ,
de laquelle nous avons donné le plan
dans fa nouveauté.
Il s'étoit répandu un bruit que l'on engageroit
M. Goldoni , Auteur de cette
Comédie , à venir paffer quelque temps"
en France , pour y. connoître par luimême
les modifications convenables à
notre Scène Italienne , & l'enrichir d'un
nouveau fonds , foit par des productions
nouvelles , foit en y adaptant plufieurs
des drames qui l'ont rendu fi célébre , &
fi cher à l'Italie. Il feroit à defirer pour
SEPTEMBRE. 1761, 213
l'intérêt du goût , que ce projet le réalifât
. Cet Aureur , qui a le génie de la
vraie Comédie , a fait aimer & goûter
parmi fes compatriotes , un frein qu'ils
croyoient ennemi de leurs plaifirs . Le Public
, Souverain des Arts & des Talens ,
l'eft particulierement des Mules Dramatiques.
Leur goût fe forme fur le fien ; &
elles facrifient fouvent jufqu'à leur fentiment
intérieur , pour parvenir à un
moment de fa faveur. Si donc le Public
de Paris , attiré fouvent au Théâtre Italien
, où peut être il n'a que trop fouvent
contracté de la foibleffe pour d'agréables
frivolités , y retrouvoit au contraire cer
attrait pour le genre propre à Thalie ,
par lequel s'étoient formés d'après les anciens
, les grands hommes qui ont fait
tant d'honneur à notre Théâtre ; que
n'auroit - on pas lieu d'en attendre pour le
rétabliffement du goût , qui combat encore
par les feules forces de la vérité &
par les efforts de quelques Auteurs cé¹ébres
? Ce pourroit être un motif de plus
d'émulation & d'encouragement pour la
Scène Françoife ; ce qui contribueroit à
lui procurer de nouvelles richeffes , & à
rajeunir fes anciennes . Si ce projet éxifte ,
fon exécution fera honneur aux Ama-
Steurs du Théâtre qui y auront concouru .
214 MERCURE DE FRANCE.
OPERA - COMIQUE.
LE 13 on donna le Tribunal de la Chicanne
ou l'Huître & les Plaideurs, Piéce de
M. Sedaine avec quelques Ariettes de M.
Philidor. C'eft le même Opéra Comique,
qui avoit été repréſenté le 17 Septembre
1759 il avoit paru alors fort gai , mais
trop court. L'Auteur y a ajouté quelques
Scènes font vives & pleines d'action ; &
le Muficien quelques airs , & particulierement
un Vaudeville , dont le refrein fe
reprend en choeur & fait un très -bon
effet.
Le 28 Juillet , on repréfenta pour la
premiere fois Georget & Georgette en un
Acte en Profe ; les paroles font de M.
Harny & la mufique de M. Alexandre.
Le fond du fujet de cette Piéce eft puiſé
dans le Conte des Oyes de Frère Philippe
& dans celui de Joconde ; quelques Epifodes
font tirées d'une Comédie Angloife
intitulée The Tempeft , dont on a la traduction
dans le Volume de Fragmens de
M. Nericault des Touches. Ce petit Ouvrage
eft naïvement écrit ; il y a de l'intérêt
, ce qui dédommage des Saillies &
des Epigrammes néceffaires pour en faiSEPTEMBRE.
1761. 213
re valoir d'autres . La mufique n'eft pas
de ce qu'on appelle aujourd'hui de la
grande force , expreffion fouvent équivoque
avec le grand bruit ; mais cette mufique
eft chantante & affez analogue au
caractère général du Sujet.
M. Allard & Mlle Menaffier ont continué
à danfer & ont été applaudis dans
les Fêtes Circaffiennes, le Remouleur & la
Fête des Savetiers .
Le 22 Aoûr, on donna la première repréſentation
du Maréchal,Opera Comique
en un Acte , mêlé d'Ariettes. M. Quetant
eft Auteur des paroles , & M. Philidor
de la mufique. Le Sujet eft tiré des
Contes de Bocace & plus connu fous le
titre du Revenant.
Quoiqu'il y ait dans cette Piéce quel .
ques parties de Spectacle funèbres &
confequement très-étrangères au genre
ordinaire de ce Théâtre , elle a le plus.
grand fuccès ; & depuis long- temps il n'y
avoit eu de nouveautés fuivies avec autant
de concours. La mufique eft la principale
caufe de cet empreffement. Elle
eft nouvelle & pleine d'harmonie ; quelques
Ariettes d'imitation , telles que celles
du Cocher , celle du bruit des Cloches,
& d'autres qui ne font pas moins de plai
fir , contribuent particuliérement à cette
216 MERCURE DE FRANCE .
réuffire. Tel fera toujours l'avantage de
quelque genre que ce foit , lorfqu'il fera
placé & employé avec juſteſſe . Celui des
Ariettes eft bien plus propre à peindre
qu'à exprimer ; les répétitions multipliées
font plus fupportables , & même concourent
fouvent à la vérité des images . D'ailleurs
les objets que la Mufique peint dans
cet Opéra Comique , font de l'efpéce qui
amufera toujours à ce Spectacle..
CONCERT SPIRITUEL.
CELUI ELUI de l'Affomption a commencé
par une Symphonie de M. Guillemain ,
ordinaire de la Mufique du Roi . Cette
Symphonie eft variée & d'un chant agréable
; elle fut fuivie de Venite exultemus ,
Motet à grand choeur de M. Dareme. La
Signora Piccinelli a chanté deux Airs Italiens
; M. Piffet a joué une Sonate de fa
compofition , & le Concert a fini par
Exultate Jufti , Motet à grand choeur
de M. Mondonville , qui a reçu le tribut
ordinaire d'un applaudiſſement univerſel .
SUPPLEMENT
SEPTEMBRE. 1761. 217
SUPPLEMENT à l'Article de la Comédie
LE
Françoife.
E Théâtre François vient de perdre
Mlle Camouche , morte le 22 Août , à
l'âge de 19 ans & quelques mois . Elle
avoit débuté dans le Tragique le 29 Janvier
1759. Une figure noble , agréable ,
quoiqu'un peu forte , l'organe de la voix
fonore & foutenu , de l'âme & du jeu
dans les traits du vifage ; tous ces avantages
avoient donné lieu d'attendre d'elle
de très grands progrès auxquels ne paroiffoit
s'oppofer qu'une habitude défectueufe
, quelquefois dans le debit des
vers , qui fe feroit facilement réformée.
La néceffité des conjonctures lui avoie
fait donner dans le Comique l'emploi
de ce qu'on appelle les Caractères , c'està-
dire , les rôles de Mères & de quelques
Vieilles ridicules ; ce qui avoit fufpendu
fon fuccès dans le
genre.tragique. Quoi- ,
que d'un âge & d'une figure qui contraf
toient avec ces fortes rôles comiques
elle y faifoit fouvent plaifir par le naturel
avec lequel elle les jouoit ; & elle
étoit devenue très- néceffaire . On ne peut
K
218 MERCURE DE FRANCE.
fervir avec plus de zéle & de docilité
qu'a fait cette jeune Actrice depuis qu'elle
étoit au Théâtre. Elle avoit à la ville ,
un caractère de bonté & de franchiſe que
fon coeur ne démentoit jamais. Des Sociétés
refpectables , dont elle étoit connue
& protégée par eftime , ont été auffi
fenfibles à cette perte , que le font
fes camarades , qui la regrettent tous ,
bien moins encore par l'utilité dont elle
leur étoit , que par l'attachement & l'amitié
qu'elle méritoit de leur part , &
qu'elle s'étoit généralement concilié.
LETTRE à M. DE LA GARDE , Penfionnaire
adjoint au Privilége du Mer
cure , pour la partie des Spectacles.
Il y a déjà longtemps , Monfieur , que
l'on m'accufe de faire l'Article des Spectacles
dans l'Ayant- coureur ; ce qui me
fufcite un grand nombre d'ennemis fecrets.
C'eft affurément bien peu me connoître,
que de me croire capable de faire
clandeftinement le métier de louer ou
de décrier les talens ; & je ne vois pas en
quoi j'ai mérité que l'on prenne plaifir à
m'imputer toutes les erreurs dont on dit
SEPTEMBRE. 1761.
219
que cette espéce de Journal abonde.
D'ailleurs , mon attachement pour M. De
la Place ne fauroit permettre que j'employaffe
ainfi ma plume à la compofition
d'un Ouvrage qui ufurpe impunément les
droits exclufifs du Mercure. Ce feroit un
moyen fûr.de me rendre indigne de fon
amitié , qui me fera toujours trop précieuſe
, pour que je puiffe m'expofer au
rifque de la perdre par aucune fupercherie
littéraire .
Je vous prie donc , Monfieur , de vouloir
bien fouffrir que je me ſerve de la
voie du Mercuré pour déclarer , fur la
vérité , que je n'ai aucune part , ni directe
ni indirecte , à tout ce qui fe fait dans
l'Avant- coureur ; que je laiffe à fes Auteurs
, qui gardent fi bien l'incognito ,
toutes les inconféquences dont il eft
chargé que je ne connois ni ceux qui
le font , ni celui qui l'imprime , ni ceux
qui le vendent ; & que fi perfonne ne le
lifoit plus que moi , je n'en entendrois
jamais parler.
J'ai l'honneur d'être & c.
A Paris , ce 16 Août 1761 .
BRUNET.
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VI.
NOUVELLES
POLITIQUES .
E
De WARSOVIE , le 4 Juillet 1761 .
LB Prince Clément de Saxe commence à fe rétablir
, & il partira dans quelques jours pour aller
prendre les eaux d'Oacker .
De VIENNE , le 29 Juillet.
Le Comte de Pergen , que l'Empereur a nommé
fon Plénipotentiaire au futur Congrès , eft
arrivé ici pour recevoir les inftructions .
Le Comte de Keyterling , que l'Impératrice de
Ruffie a nommé fon premier Plénipotentiaire au
même Congrès , fe prépare à y paroître avec un
grand éclat.
On a reçu avis que deux mille Fourageurs de
l'Armée Pruffienne ont été furpris par les Ruffes
qui les ont tous tués ou faits prifonniers. On
a appris auffi qu'il y a eu près d'Auras une vive
efcarmouche , entre les Corps du Comte de Czernichew
& du Général Ziethen ; ce dernier y a perdu
beaucoup de monde. On affure que depuis
plufieurs jours il s'eft replié vers l'Oder.
On apprend auffi que la divifion aux ordres du
Comte de Romanzoff, le prépare à former le Siége
de Colberg , tandis que la Flotte Ruffe , compofée
de dix Vaiffeaux de ligne & de plufieurs Galiotes
a bombes , attaquera cette Place du côté de
la Mer . Cette Flotte elt commandée par l'Amiral
Polanskoy,
Le Comte du Châtelet , Miniftre Plénipoten
SEPTEMBRE. 1461. 221
tiaire du Roi de France auprès de Leurs Majeftés
Impériales arriva de Paris le 5.Pendant l'abfence
du Comte de Keyfer ing, le jeune Comte de Voronzow
fera chargé ici des affaires de la Cour de
Rufie.
De HAMBOURG , le i Août.
Nous avons appris de la Pomeranie Ultérieure,
que les Ruffes fe font emparés , le 3 du mois dernier
, de la ville de Stargard . Les Pruffiens , chargés
de la défense de cette Province , campent en
deux divifions , l'une fous Colberg , l'autre en
avant de cette Ville.
On attend ici de Coppenhague le Comte de
Saint Germain , qui , ayant pallé du Service de
France à celui de Dannemark , vient d'être déclaré
Feld - Maréchal des troupes de Sa Majesté
Danoife.
Les nouvelles de l'Armée Ruffe portent que le
Comte de Tottleben , accufé d'entretenir des intelligences
avec les Pruffiens , a été arrêté à Bernftem
, & conduit à Konisberg . Les troupes , qui
étoient à fes ordres , font actuellement commandées
par le fieur Ingerleben.
On vient d'apprendre que les Suédois , dont
l'armée et actuellement commandée par le Général
Ehrenfchwerdt , fe font rendus maîtres de
Demin & d'Anclam. Deux mille cinq cens hommes
d'infanterie , & quinze cens de cavalerie , de
leur armée , font entrés dans le Meklenbourg .
Les troupes Ruffes , aux ordres du Général
Comte de Romanzoff , n'attendent pour commencer
le fiege de Colberg , que l'arrivée de
l'Escadre qui doit feconder leurs opérations . Dès
le 15 du mois dernier , elle a remis à la voile de la
rade de Dantzick où elle avoit relâché ; mais depuis
elle a eu prèfque toujours les vents contraires.
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
•
De RO STOCK , le 14 Juillet.
Elifabeth- Albertine de Saxe - Hildburshauſen ,
veuve de Charles - Louis Frederic , Duc de Mecklenbourg-
Strelitz , mourut à Strelitz , le 24 du
mois dernier , âgée de quarante-fept ans . Les enfans
qu'elle laifle de fon Mariage , font Adolphe
Frederic IV , Duc de Mecklenbourg Strelitz ; le
Prince Charles Frederic , qui fert dans les troupes
Hanovriennes ; le Prince Erneft-Gottlob Albert ;
la Princeffe Chriftiane - Sophie Albertine , & la
Princefle Sophie Caroline , dont la main eſt
deftinée au Roi de la Grande - Bretagne.
De COLOGNE , le 23 Juillet.
>.
Suivant les avis reçus de l'Armée commandée
par le Maréchal de Broglie, ce Général informé par
des lettres du Comte de Luface, que le Général Luckner
gardoit toujours fa pofition fous Neuhauff ,
fit partir, le 18 de mois, la divifion du Baron de Clofen
& celle du Comte de Rotke , pour ſe rendre à
Saltzkotten. Il ordonna en même temps aupremier
de pouiler de forts détachemens fur le chemin &
en avant de Paderbon , & à tous les deux de joindre
le Comte de Luface foit avec toutes leurs
Troupes , foit avec une partie feulement , felou
que ce Prince leur marqueroit en en avoir befoin.
Les Troupes du Comte de Luface , réunies avec
celles du Comte de Rothe & du Baron de Cloſen ,
marcherent le 19 à Neufshauff fur trois colonnes
; mais le Général Luckner n'a pas jugé àpropos
de les attendre , & fes derniers poftes furent
repliés dès neuf heures du matin . Il s'eft retiré
à Rittberg. Le Comte de Chabo , qui l'a pourfuivi
, n'a pu l'atteindre qu'au Village de Sande ,
cù il lui a fait plufieurs prifonniers.
De LONDRES , le 1 Août.
Dans un grand confeil tenu le 8 du mois de
SEPTEMBRE. 1761 . 223
nier , le Roi a déclaré qu'il avoit résolu d'épouſer
la Princeffe Charlotte de Mecklenbourg- Strelitz .
Le Comte d'Harcourt eft chargé d'aller faire la
demande de cette Princefle & de la conduire en
Angleterre.
Le Roi a fixé au 22 Septembre la folemnité de
fon couronnement , le mariage de Sa Mojeſté devoit
être célébré le 22 de ce mois , mais il fera
differé de quelques femaines a caule de la mort
de la Duchelle de Mecklenbourg - Strelitz .
Le 22 du mois dernier , le Roi fe trouva indifpofé
, & la nuit fuivante , on s'apperçut qu'il
étoit attaqué d'une petite vérole volante , l'éruption
s'en eft faite heureufement , & la fanté de Sa
Majefté eft entierement rétablie.
le 15
Le 20, le Gouvernement fut informé
que
Janvier dernier , la Ville de Pontichery , qui étoit
bloquée par mer depuis neuf mois , & par terre
depuis le mois de Novembre , s'étoit enfin rendue
faute de fubfiftance. Les Troupes du Roi ont pris
poffeffion le 16 de la porte de Willenour , & le
17 de celle du fort Saint Louis. Il ne reftoit de la
garnifon que quatre-vingt trois Canoniers , trois
cent vingt -fept hommes du Régiment de Lorrai
ne , deux cens -trente de celui de Lally , deux cens
quatre-vingt quinze de la Marine , & cinq cens
hommes des troupes de la Compagnie des Indes .
Tous ont été faits prifonniers. On a trouvé dans
la Place quatre-vingt-un canon de bronze, quatre
cens trente-fix de fer , quinze obuziers , quatrevingt-
neuf mortiers , & beaucoup d'autres munitions.
Le Baron de Landon , qui commande en Siléfie
les Troupes de l'Impératrice Reine , a obtenu des
Patentes , qui le déclarent illu d'une branche cadette
de l'ancienne famille de Laudon établie
dans le Comté d'Air,
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
De la HAYE, le 31 Juillet.
Le Général Yorck , l'un des Plénipotentiaires
du Roi de la Grande- Bretagne au futur Congrès ,
fe difpofe à partir pour Aufbourg .
On a reçu avis qu'il y avoit eu une action trèsvive
entre un Corps de Hannovriens & une partie
des Troupes Françoifes qui font aux ordres du
Prince de Croy . Voici les principales particularités
qu'on en a pu apprendre. Le 3 de ce mois , le
Général Scheiter , à la tète de quatre cens tant
Grenadiers que Chaffeurs, & de cinq cens Cavaliers,
attaqua le Pont de Veftoven , que gardoient deux
piquets du Régiment de Vierfet. Après une demiheure
de réfittance , ces deux piquets furent contraints
de céder au nombre , & les Hannovriens
pailerent le pont . Trois piquets de Cavalerie ,
poltés à quelque diftance , chargerent la Cavalerie
Hannovrienne , & la mirent en déroute . Cependant
le Général Scheiter feroit demeuré maître
du pont, & peut - être auroit enlevé un Convoi
qui palloit à Hagen , fi cent foixante hommes
du fecond bataillon de Bouillon ne fuffent accou
rus au bruit de la moufqueterie . Le Prince de
Croy les fit marcher la bayonnette au bout du fufil
, fans tirer un feul coup ; & par leur air d'intrépidié
ils en impoferent fifort à leurs ennemis,
que l'Infanterie Hannovrienne repala précipitamment
le pont , tandis que la Cavalerie regagnoit
les devans en défordre. Une Compagnie de
Grenadiers & une de Challeurs des Troupes
Françoifes pourfuivit l'Infanterie , & pendant ce
temps , le Prince de Croy fit couper le pont . Les
Hannovriens ont fait une perte confidérable. Outre
les morts & les bleflés qu'ils ont laillés fur e
champ de bataille , on a trouvé un grand nombre
de leurs bleffés dans les bois.
On ne fauroit trop louer la fermeté & l'acti
SEPTEMBRE. 1761. 225
vité avec lesquelles le Prince de Croy a fait face
partout aux Troupes qu'il avoit en tête . Le Prince
de Solre , fon fils unique , a trouvé , par la préfence
d'efprit & par fa valeur , le moyen d'échapper
à quinze ou feize Cavaliers qui l'avoient enveloppé.
Le fieur de la Morliere , qui commandoit
fous le Prince de Croy , a chargé deux fois
l'épée à la main. Plufieurs Oficiers des Troupes.
Françoiles ; entr'autres , le fieur de Fafé , Capitaine
dans le Régiment de Cavalerie du Roi ; le Baron
de Saint-Mard , le Comte de Gourcy & le
fieur Duchambge , du Régiment de Bouillan , fe
font extrêmement diftingués. Le fieur d'Auffrerin ,
Aide de Camp du fieur de la Morliere, a été ble:fé,
à fes côtés , de cinq coups de fabre fur la têce , &
d'un coup de fufil au bras .
On apprend que le Prince Henry de Brunswick
eft mort du coup de feu , qu'il reçut le 20 de ce
mois , en reconnoiffant un pofte avancé:
I.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée, de
Paris , &c.
De VERSAILLES , le 13 Août 1761 .
E 19 du mois dernier , Leurs Majeftés figne
rent le contrat de mariage du Marquis des Kches-
Herpin & de Dlle Rouvroy de Saint-Simon .
Le fieur de la Robolle de Mrveille a obtenu
la furvivance de la Charge d'Avocat Général de la
Reine , place dont et titulaire le fieur Tartaria.
Le Marquis de Grimaldi , Ambafladeur de la
Cour de Madrid , a remis au Roi , de la por. du
Roi d'Elpagne, les Marques de l'Ordre de l‹ Toifon
d'Or , dont Sa Majesté a revêtu Mgr le Duc
de Berry.
Κι
226 MERCURE DE FRANCE.
Le 28 le Roi tint le Sceau .
Le Duc de Fleury , au nom du Marquis de
Cfires , préfenta le meme jour , au Roi l'Oraifor
Funébre du Maréchal de Belle Ifle, par le Pere
de Neufville.
Le Roi à donné aufieur Pajot de Marcheval ,
Intendant de Limoges , l'Intendance de Grenoble
, qui vaquoit par la démiffion du fieur de la
Por e.
Sa Majesté a accordé la place de Colonel-Commandant
du Régiment Royal- Suedois , vacante
par la démiffion du Baron de Bulow , au fieur de
Mais , Lieutenant - Colonel du Régiment d'Infanterie
Allemande de la Marck ; & la place de Co--
lonel Commandant en troifiéme de la Légion
Royale, vacante par la mort du Vicomte de Cultine
, au Comte d'Ollone , Capitaine , avec rang
de Mestre de Camp , dans le Régiment de Schonberg.
Le 31 , le Prince de Ghiftelles , Grand d'Eſpagne
de la premiere Claffe , fut préfenté en cette
qualité au Roi par le Duc de Fleury , premier
Gentilhomme de la Chambre. La Princefle de
Ghiftelles , Marquile de Richebourg , de la maifon
de Melun , & la derniere de ce nom , fut préfentée
le 2 de ce mois à Leurs Majeftés . Elle a pris
le Tabouret en qualité de Grande d'Espagne de la
premiere Claffe ; Titre que Sa Majefté Catholique
a reconnu être perfonnel à la Princeffe de Ghif
telles , & que le feu Roi Philippe V. avoit accordé
a Guillaume de Melun , Marquis de Richebourg
, mort Chevalier de l'Ordre de la Toifon
d'Or , Lieutenant-Général des Armées d'Elpagne,
& Viceroi en Catalogne.
Le Roi a nommé à l'Intendance de Limoges ,
vacante par la nomination du fieur Fajor de Marcheval
à celle de Grenoble , le fieur Targot ,
Maître des Requêtes.
SEPTEMBRE. 1761 . 227
Le 10 , le Roi tint le Sceau.
Le Prince de Lambefc , fils du feu Comte de
Brionne , prêta ferment le 11 entre les mains de
S. M. pour la Charge de Grand Ecuyer de France
, dont le Comte de Brionne étoit pourvû. La
Marquife de la Farre a été préfentée le 9 à Leurs
Majeftés , ainfi qu'à la Famille Royale , par la
Marquile de Saffenage.
De PARIS , le 15 Août.
Le 21 du mois dernier , le Parlement , qui avoit
reçu les Ordres du Roi par le Marquis de Dreux,
Grand- Maître des Cérémonies , s'allembla pour
le Lit de Juftice , que Sa Majefté avoit réſolu de
tenir.
Vers les dix heures du matin , le Roi arriva ,
ayant dans fon carroffe , Mgr le Dauphin. Sa Majefté
étoit accompagnée d'un nombreux détachement
de les Gardes du Corps , de cinquante Gendarmes
de la Garde , de cinquante Chevaux - Légers
, & d'un pareil nombre de Moufquetaires de
chacune des deux Compagnies. Devant le Carrole
de Sa Majefté étoit le Vol du Cabinet. Elle
defcendit à la Sainte -Chapelle , où le Chancelier
s'étoit rendu , accompagné du nombre ordinaire
de Confeillers d'État & de Maîtres des Requêtes ,
& où s'étaient affemblés les Maréchaux de France,
les Chevaliers des Ordres , les Gouverneurs ,&
Lieutenans- Généraux des Provinces . Le Duc d'Or
léans , le Duc de Chartres , le Prince de Conti &
le Comte de la Marche y avoient auffi devancé
Sa Majesté . Précédée de la Cour , du Roi d'Armes
& des Hérauts , Elle monta les degrés au
fon des trompettes , hautbois , fifres & tambours
de l'Écurie & de la Chambre. Deux Huilliers de
la Chambre portoient leurs malles devant le Roi.
K vj
228 MERCURE DE FRANCE,
#
Lorfque le Roi eut entendu la Melle , qui fut
célébrée parar l'Abbé Barc , un de fes Chapelains , 1
quatre Piéfidens & tix Confeillers , députés par
le Parlement , vinrent recevoir Sa Majesté & la
conduifirent à la Grand' - Chambre . Le Roi s'étant
aflis fur fon Trône , & les féances ayant été prifes
, Sa Majefté fit enregistrer un Édit par lequel
Elle crée neuf-cens mille livres de rentes héréditaires
fur les deniers provenant du droit des Cuirs,
& une Déclaration portant prorogation de l'Élir
du mois de Février 1760. Le Roi fortit entaite
dans le même ordre qu'il étoit entré.
Sa Majefté trouva , ainfi qu'a fon arrivée , les
Gardes Françoifes & Suiffes , qui formoient une
double haie dans les rues , fur le Pont- Neuf, &
fur les Quais , depuis le Palais jufqu'à l'extrémité
du Quai des Tuileries.
Les Pairs , qui ont affifté à ce Lit de Juſtice ,font
lesDucs de Luynes , de Briffac , de Rohan , de
Luxembourg , de Gramont , de Villeroi , de Saint-
Aignan , de Trefimes , de Noailles , de S. Cloud,
de Villars Brancas , de Biron , de la Valliere , de
Fleuri , de la Vauguyon & de Choifeut . Les Maréchaux
de Duras , de Clermont-Tonnerre , de
Lautrec , d'Estrées & de Contades , y ont eu féande
, étant entrés avec le Roi.
Le Prince de Montauban , nommé pour réprêfenter
en cette occafion le Grand - Ecuyer de France
, a porté l'Epée Royale:
Le 31 , le Duc d'Orléans fe rendit à la Chambre
des Comptes , étant accompagné du Maréchal
de Clermont -Tonnerre , ainfi que des fieurs
de Brou & de Bernage , Confeillers d'Etat ordinaires
, & il y fit enregistrer, felon les Ordres du
Roi , l'E lit & la Déclaration enregistrés au Lit de
Juftice.
SEPTEMBRE. 1761. 229
Le même jour, le Comte de la Marche, accom
pagné du Maréchal de Lautrec , & des feurs d'Ageelleau
& de Frelnes . Confeillers d'Etat ordinaires
, fit autfi enregistrer , par ordre du Roi
cet Edit & cette Déclaration à la Cour des Aydes.
Le tirage de faveur de la troifiéme Loterie Royale,
établie par Arrêt du Confeil du 11 Novembre
1755 , s'étant fait le 25 Mai & les jours fuivans
dans l'Hôel de Ville , avec les formalités accoutumées
; le lot de cent vingt mille livres eft échû
au numéro 3 : 469 , & celu . de cinquante niille au
numéro 38154.
Le tirage de la feptiéme Loterie de la Ville de
- Paris fe fit le 16 dù mois dernier , dans l'Hôtelde-
Ville , avec les formalités ordinaires . Le premier
lot , qui étoit de socco livres , eft échu au
- numéro 11762 ; celui de 20000 , au numéro
-18421. Les deux lots de 10000 font échus aux
numéros 1350 & 1072.
Le 17 , on a fait dans l'Hôtel - de - Ville , en la
maniere accoutumée , le tirage de la Loterie de
'Ecole Royale Militaire.Les Numeros fortis de la
roue de fortune , font , 59 , 5 , 45 , 44 , 89 .
Deux Frégates commandées par le fieur Do
gué Lambert , Enfeigne de Vailleaux ont enlevé ,
en allant de la Martinique à Saint Doingue
cinq Navires Anglois richement chargés pour la
Jarmaïque. On allure que les Capitaines de ces
Batiniens ont offert, pour les racheter jufqu'à deux
millions , monnoye de France.,.
MARIAGE.
Meffire Charles- Emmanuel - Vincent Ferrero
'de Pallas , Piémontois , & fils du Marquis d'Ormea
, a épousé depuis peu , dans la Ville d'Avignon
, Dile Marie-Jeanne- Candi dede Brancas ,
230 MERCURE DE FRANCE.
fille unique du Comte de Brancas Laudun , & de
Dame Marie-Virginie de Balbis dé Crillon .
MORTS.
Mefire Jacques , Comte de Brancion , le dernier
male de cette Mailon qui ait pris alliance ,
eft mort à Lons- le - Saunier , âgé de foixante- trois
ans.
Meffire Louis Colbert , Marquis de Lignieres ,
Maréchal des Camps & Armées du Roi , mourut
à Paris le 24 du mois dernier , dans la 52° année
de fon âge.
Meffire François-Benigne du Trouffet d'Héricourt
, Abbè des Abbayes de S. Michel & de Molème
, Ordre de S. Benoît , Diocèle de Langres
& de S. Germain d'Auxerre , même Ordre, mourut
le r de ce mois , près de Genève , dans la cinquante
feptiéme année de fon âge . Il étoit Confeiller-
Clerc de la Grand' . Chambre du Parle
ment.
La Marquife de Scorraille , Veuve du Marquis
de ce nom , Maréchal des Camps & Armées du
Roi , eft morte à Besançon , les , âgée de quatre-
vingt-fept ans.
Journal des Armées aux ordres des Maréchaux de
Soubize & de Broglie.
Du 10.
La jonction du Général Sporken avec le Prince
Ferdinand a déterminé le Maréchal de Broglie ,
à faire les mouvemens fuivans.
Le Comte de Guerchy eft parti du camp de
Neuhauls avec l'Infanterie qui y reſtoit , à la sé-
Lerve de la premiere divifion , & il eft venu cam-
اه
SEPTEMBRE. 1761. 23 F
per à Gefeke. Il marchera demain à Erweté , où.
il joindra le Comte de Rothe.
Le Chevalier du Muy eſt resté à Paderborn
avec la premiere divifion de l'Infanterie, & avec la
Cavalerie de l'aîle droite.
La réſerve du Comte de Luface vient camper à
Neuhaufs fur la rive droite de la Lippe . Le Comte
de Waldner eft envoyé avec la brigade d'Yenner
& un Régiment de Dragons àHoxter , où il joindra
celui des Volontaires de Hainaut.
Le Maréchal de Broglie ayant voulu faire une
reconnoiffance entre l'Aeft & la Lippe , s'eft porté
d'abord au Village d'Oettinghaufen , où il s'eft
fait joindre par une partie de l'avant- garde du Baron
de Clofen. Les troupes ennemies , qui étoient
derriere ce Village, fe font repliées fucceffivement
à l'approche des nôtres , & fe font retirées par le
grand chemin de Ham . Lorſque les ennemis ont
eu dépaffé Ultrop , ils fe font mis en bataille dans
une affez grande bruyere fermée de haies , qui fe
trouve au- delà du Village . Les Volontaires d'Auf
trafie s'étant porté vivement fur eux pendant qu'ils
faifoient leur retraite , & les ayant ferrés d'un peu
près ; la Cavalerie ennemie , qui étoit foutenue , &
beaucoup plus nombreuſe, les a chargés & pouffés
jufqu'aux haies du Village , où ils ont été reçus par
les Volontaires de Saint - Victor , poftés dans les
haies . Ceux d'Auftrafie ont eu à cette charge une
foixantaine d'hommes tués , bleffés ou pris, & fix
Officiers de bleffés .
Le II , on a rompu le pont d'Owerhagen , &
l'on ya conftruit une redoute , pour maſquer le
débou ché de Lippstadt.
Du 12.
Le Maréchal de Broglie a fait une reconnoiffance
entre l'Aeft & la Lippe. Il a pouffé les ennemis
232 MERCURE DE FRANCE.
julqu'au Village de Landfcron , auprès duquel il y
a eu une fufilla de affez longue entre eux & les
Volontaires de Saint Victor . On a pris quelques
Montagnards Ecoflois . Lorfque le Maréchal s'eft
retiré, le Price Ferdinand venoit d'amenèr , pour
foutenir les troupes , quatorze bataillons , & de
la Cavalerie , fur les hauteurs qui font en arriere
de Landicron .
Du 13.
?
Le Comte de Chabo commandant l'avantgarle
de la réserve du Comte de Lulace , a été
attaqué au Village de San le par le Corps de Luckner
Dès que le Comte de Luface en a été averti ,
il a fait marcher deux bataillons pour le foutenir.
Les troupes du Comte de Chabo fe font rafemblées
& formées avec tant de célérité , & elles
ont chargé avec tant de vigueur , que le fieur de
Luckner a été forcé de fe retirer , quoique tout
fon corps compofé de près de cinq mille hommes
fût en entier à cette action , & que le Comte de
Chabo n'eût qu'environ douze cens hommes à
caufe des détachemens de fon avant- garde , qui
font fur le Wefer.
Les Dragons du Roi , de Berchény , & des Vo .
lontaires de Flandre , ont chargé auf valeureufement
qu'à propos , & le Comite de Luface donne
les plus grands éloges au Comte de Chabo &
à tous les Chefs des Corps. Le fieur de Nanthiat,
Major du . Régiment du Roi , a été bleffé. On a
fair une vingtaine de prifonniers fur les ennemis .
Le fieur de Luckner s'eft retiré fur Stukembruck
.
Du Quartier Général de l'Armée du Bas-Rhin ,
le 18 Juillet 1761.
Depuis la réu nion des deux armées , le Prin
SEPTEMBRE. 1761. 233
ce Ferdinand étant refté dans le camp qu'il avoit
pris le 7 à portée de Ham fur les hauteurs de
Wambel & de Rinderen , & portant la gauche
au - delà de la riviere d'Afs jufqu'à la Lippe , les
Maréchaux de Soubife & de Broglie réfolurent de
s'approcher de l'armée des ennemi , & de chercher
a les dépofter, foit par des manoeuvres combinées
, foit en les combattant , fi leur poſition
étoit jugée attaquable.
Le Maréchal de Broglie, dont l'armée étoit encore
campée , partie à Erveté , partie à Paterborn , fit
marcher le is quarante fix bataillons , trente efcadrons
, fes Volontaires , & une partie de les troupes
légères , fur Oftinghaufen. Le Maréchal de
Soubile marcha le même jour de fon camp près
Soeft , & campa avec toute fon armée à environ
une lieue des ennemis , ayant à fa droite le Corps
du Prince de Condé , compoſé de dix - neuf batail-
Ions & de dix -huit efcadrons , qui étoit deſtiné à
renforcer le Maréchal de Broglie . En arrivant , il
travailla a établir fur l'Afs les ponts de communication
nécellai es . Le Marquis Daniefnil , commandant
la gauche de l'armée , devoit embraffer
la droite des ennemis du côté de Werle & de Buderick
, & le Marquis de Voyer , avec un Corps
détaché , fut porté vers Unna , pour prendre les
derrieres de leur droite . L'armée , en arrivant dans
fa pofition , replia tous les poftes que les ennemis
avoient en avant du ruiffeau de Scheidingen , &
l'on reconnut ce qui étoit affuré par les prifonniers
& déferteurs , que l'armée du Prince Ferdinand
n'avoit point changé fa pofition , & que feu
lement quinze bataillons Anglois & quelque Cavalerie
étoient à la rive droite de la riviere d'Afs .
Suivant les difpofitions qui avoient été faites , le
Maréchal de Broglie devoit s'emparer du Château
234 MERCURE DE FRANCE.
de Nagel , néceffaire pour affurer les ponts de
communication fur l'Afs , & pour ſe mettre en
état de reconnoître la pofition des ennemis , & s'il
feroit praticable de les attaquer. Ce Château fur
emporté le 15 au foir par le Comte de Stainville ,
Lieutenant Général , avec perte de la part des
ennemis. Peu après les troupes du Maréchal de
Broglie attaquerent le Village de Landſcron ;
l'action fur vive , les ennemis perdirent du terrein
; & la nuit mettant fin au combat , les troupes
refterent de part & d'autre dans la pofition
où elles fe trouvoient.
A minuit , la nuit du 15 au 16 , le Maréchal
de Broglie donna ordre au Corps du Prince de
Condé de paller la rivière d'Afs , & de le joindre au
point du jour.Le Maréchal de Soubile renforça aufitôt
le Prince de Condé d'une Brigade d'Infanterie,
& la fit fuivre par celle des Gardes pour être placée
intermédiairement.
Pendant ces mouvemens , le Maréchal de Soubile
fit chaffer les ennemis des poftes de Neumuhl
& de Kortmuhl fur le ruiffeau de Scheidingen .
A huit heures du matin , les Volontaires de
Soubife , foutenus des brigades de Piémont & de
Limofin , des Irlandois , & du bataillon des Grenadiers
& Chaffeurs des Gardes , aux ordres des
Comtes de Mailly & de Vogué , & du Chevalier
de Levis , Lieutenans - Généraux ; du Marquis de
Roquepine & du Lord Drumont , Maréchaux de
Camp , s'approcherent du Village de Scheidingen .
Les Volontaires pafferent le ruiffeau , ayant de
l'eau jufques fous les bras . Malgré le feu de la
redoute & du Village , l'un & l'autre furent emportés
. On alloit jetter des ponts, pour faire paffer
les brigades d'infanterie , & pour fuivre les premiers
fuccès , lorfque le Maréchal de Soubife reSEPTEMBRE.
1761. 235
çut avis du Maréchal de Broglie , que les ennemis
l'avoient attaqué à la pointe du jour avec des
forces très fupérieures , & qu'il prenoit le parti
de fe retirer , l'en prévenant , afin qu'il ne s'engageât
pas .
Le Maréchal Prince de Soubiſe de fon côté ordonna
la retraite de fon armée. Les troupes qui
occupoient le ruiffeau , & l'artillerie , firent la leur
fous le feu des ennemis avec le plus grand ordre ,
& route l'armée ſe replia , fans être fuivie , au
Camp de Paradeïs.
Quelques brigades de l'armée du Maréchal de
Broglie ont fouffert , ainfi que l'artillerie que le
Maréchal de Soubife lui avoit envoyée. On ne
peut encore fçavoir à quoi ſe monte la perte qui
a été faite.
Les Gazettes étrangères & nos ennemis ont
publié avec emphafe cet avantage du 16. Ce qu'il
y a de certain , c'est que le is les ennemis ont
été forcés dans le Village de Filinkaufen : que le
16 , ils ont repris ce Village : que la perte des
deux armées a été pour le moins égale , & que
les armées Françoiſes le font trouvées le lende
main où elles étoient la veille . Voilà la vérité
exacte de cette affaire , qui ne peut être confidéque
par rapport à la perte des hommes qu'elle a
occafionnée de part & d'autre , & au retardement
de quelques jours des opérations des armées Françoiles.
Le Prince de Brunſwick a été bleſſé dangereufement
d'un coup de feu .
SUITE DU JOURNAL.
En conféquence des projets formés par les deux
Généraux des armées du Roi en Allemagne , &
fuivant les arrangemens convenus entre eux , les
226 MERCURE DE FRANCE.
troupes , que le Maréchal de Soubife a jugé à propos
de faire paller a l'armée du Maréchal de Brogile
pour la renforcer , la joignirent le 25.
Le 26 , les deux armées le mirent en marche à
la pointe du jour . Celle du Maréchal de Soubife
partant de Barlinkaufen , pafla la riviere de Moën
fur plufieurs colonnes, & campa a Herdringen fur
le Roer , a quelque diſtance d'Arensberg . Celle du
Maréchal de Broglie décampa des environs d'Erveté
, & marcha le même jour à Salzkotten . Elle
alla le 27 à Paderborn . Le même jour , le Comte
de Luface alla camper à Nienheimb , le Comte
de Chabo à Stienheipb , le Baron de Clofen à Lipfprinck
, & le Prince de Beauvau a Nienhaufs. Le
Comte de Stainville campa à la gauche de l'armée
près de Vevern. Lº 29 , l'armée a marché à Diborg
& à Dringenberg. L'armée du Prince Fordinand
a aut fait un mouvement général le 27. Elle
s'eft avancée entre Oftinghaufen & Soelt.
Le 28 au point du jour , ils y furent attaqués
par des forces très fupérieures ; mais les ennemis
furent repouliés avec perte . Le Prince de Condé
s'y étant porté avec le Baron de Wurmfer, Maréchal
de Camp , chargé de cette partie ; le Prince
Héréditaire de Brun(wick , après de vives eſcarmouches
, déboucha fur trois colonnes ayant àleur
tre du gros canon , & s'empara des hauteurs . Le
Baron de Wurmfer fit avancer le Régiment de
Soubife & les Volontaires de l'armée. On attaqua
les ennemis , qui s'étoient poftés dans le bois ; &
ils furent forcés de fe retirer jufqu'à la Chapelle
d'Hoingen , ce qu'ils firent fort en défordre. Le
Prince de Condé , qui s'étoit avancé à la t´te
des Grenadiers & Chaleurs , les fit attaquer de nouveau
avec tant de vivacité , qu'à peine ils eurent le
temps de retirer , à force de bras , leur canon . Ils
abandonnerent leurs chevaux, leurs outils , & beauSEPTEMBRE.
1761 237
coup d'armes , dont le Régiment de Soubife s'empara
.
Suivant les nouvelles reçues d'Allemagne , le
Prince Ferdinand de Bruntwick alla le 30 occuper
le camp de Baren , & porta fes poftes avancés vers
les débouchés de la Dymel du côté de Statberg.
Le quartier général du Maréchal de Broglie a été
transféré de Driborg à Villebadeilen . L'armée eft
reftce a -ped-pres dans la même poſition ; l'on a
renforcé les troupes aux or tres du Comte de
Stainville qui occupent la Dymel. L'armée commandée
par le Maréchal Prince de Soubile , a fair
de 4 de ce mois un mouvement général. Elle a
quitté lon camp près de Herdringen , & par une
marche très prompte , elle s'eft portée à Swiert.
Ayant prévenu les ennemis , elle y a pafféle Roer.
Le Prince de Condé , chargé de miifquer cette
marche , eft demeuré pendant une partie de la
journée dans ton camp près de Nehem , afin d'attirer
de ce côté l'attention du Prince Héréditaire
de Brun/wick , toujours campé fur les hauteurs
de Rhune. Il y a eu far celles de Hoingen plufieurs
efcarmouches très-vives.
Les , l'armée s'eft avancée fur les hauteurs de
Dortmund . Le Marquis de Voyer avoit été déta
ché la veille , pour prévenir les ennemis à Durfeld,
ce qui a été exécuté . Il fit enfuite l'arriere - garde
de l'armée , & couvrit la marche du Corps commandé
par le Prince de Condé. Pendant ces dif→
férens mouvemens , il ne s'eft rien pallé d'intéreffant
de la part des ennemis . Les Volontaires de
Clermont & de Cambefort ont ramené quelques
prifonniers du Corps de Scheiter & de la Légion
Britannique.
G
Le 6 du mois d'Août , le Parlement , préfent ,
' Univerfité a fait la diftribution générale de tes
238 MERCURE DE FRANCE.
Prix. Elle a adjugé les deux Prix d'Eloquence La
tine à M. Pierre-Mathias Charbonnet , de Troyes ,
Sous-Maître au College Mazarin. Celui de 1760
remis à la préfente année , dont le Sujet étoit an
Diariorum lectio , eorumque librorum quibusfcientiarum
objecta in breve contrahunturfatis fit ad
eruditionem , & celui de 1761 fur ce Sujet, quantum
& litteris , & fibi ipfis mutuis odiis noceant
viri litterati .
AVIS.
M. BOURDET , Chirurgien Dentiſte de la Reine
, qui logeoit ci -devant rue de l'Arbre- Sec, loge
actuellement rue de la Croix des Petits - Champs ,
proche la Place des Victoires , la premiere porte
cochère après la rue Coquilliere , à côté du Caffé
de la Marine , en face de la rue de la Vrilliere &
de l'Hôtel de Toulouſe.
AP PROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monſeigneur le Chancelier, 'AI
le Mercure de Septembre 1761 , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , ce 31 Août 1761. GUIROY,
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
LES
Es progrès de la Philofophie , Ode. Pag. 1
IDYLLE.
ALINE , Conte.
RAFLEXION.
13
IS
32
SEPTEMBRE . 1761 . 239
BOUQUET.
RÉUNION de Daphnis & de Chloé , Dialogue.
REFLEXIONS fur Henri III . Par Mlle B * ....
des Sables.
TIRCIS & Aminthe , Cantate Françoife .
STANCES à Madame **
SUITE de la Traduction de quelques Lettres
LETTRE fur la fource des vertus & c.
de Sénéque .
EPITRE à M. Rayolle.
VERS à Madame Dub.... Actrice de la Comédie
de Metz & c .
A Madame la P. de * .
A Mile Dangeville , fur un Diamant dont
le Roi lui a fait préfent.
VERS fur l'Abrégé Chrologique de l'Hiſtoire
de France.
ENIGMES.
LOGOGRYPHES .
ENVOI .
LE Berger trahi , Parodie.
33
37
38
41
42
44
49
ss
57
59
63
63 & 64
65 & 66
67
ibid.
ART. II . NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRE à M. Rouffeau , Citoyen de Genève. 69
HISTOIRE de France depuis l'Etabliſſement de la
Monarchie , jufqu'au régne de Louis XV. 83
NOUVEAU Choix de Piéces tirées des anciens
Mercures & des autres Journaux •
par M. De la Place.
ANNONCES des Livres nouveaux.
103
108 &fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADEMIES.
EXTRAIT des Mémoires de l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles Lettres . 133
EXTRAIT de la Séance publique de l'Aca240
MERCURE DE FRANCE.
dèmie des Sciences & Belles-Lettres de Dijon . 138
SEANCE publique de la Société Littéraire
d Arras.
HISTOIRE NATURELLE.
SECONDE Lettre de M. Jauffin &c.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES .
AGRICULTURE.
LETTRE de M. de Maffac , Receveur Général
des Fermes du Roi , Abonné au Mercure
, à M. De la Place.
GEOGRAPHIE .
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
CHYMIE.
CHIRURGIE .
146
149
157
165
166
HÔPITAL de M. le Maréchal Duc de Biron. 167
LETTRE de M. le Maître , Tréforier Général
de l'Artillerie , à M. Keyfer. 169
•
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE. 179
A MM: les Académiciens de Peinture , Sculpture
& c. 182
ART. V. SPECTACLE S..
OPERA . 185
COMÉDIE Françoife.
188
COMEDIE Italienne. 212
OPERA COMIQUE.
214
CONCERT Spirituel .
216
SUPPLEMENT à l'Article de la Com . Franç . 217
LETTRE a M. de la Garde.
ART. VI. Nouvelles Politiques.
MARIAGE.
MORTS.
AVIS.
218
220
230
ibid.
238
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY .
Qualité de la reconnaissance optique de caractères