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Nom du fichier
1761, 04, vol. 1-2, 05-06
Taille
35.10 Mo
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982
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Texte
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
AVRIL. 1761 .
PREMIER VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
Cechin
Filiusinv
PapilionSculp 1715.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à-vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
Chez
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Kai,
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
335311
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1005
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Rai.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
'de port , les paquets & lettres , pour remettre
, quant à la partie littéraire , à
M. DE LA PLACE Auteur du
Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols pièce .
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir,ou quiprendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
c'est-à- dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci- deſſus.
A ij
Onfupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement enfoit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncet
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pièces tirées des
Mercures & autres. Journaux , par M.
DE LA PLACE , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure . Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL. 1761 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LE MIROIR DE LA VÉRITÉ ,
UN
CONTE.
N jour , à Quimper , en un temps ,
Dù , dans la ville , & par les champs ,
De Veaux il étoit belle année ,
Une Baffe-Brête vêla ;
Et contente de fa journée ,
Remercioit la deftinée
De cette maternité- là.
Elle fe croyoit fortunée ;
Lorfque tout-à-coup dévala
Par un tuyau de cheminée ,
Jambe deçà , jambe delà ,
I. Vol. A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Sur un manche- à -balai , la Fée
Que , dans un cas pareil , on craints
Que vieille & boffue on nous peint ,
En Dame d'Enfer attifée ;
Pour mammelle , ayant fauciffons s
De ferpens galament coeffées
Et gromelant des maudifons.
Dame Carabole on la nomme,
Veuve execrable d'un vieux Gnome ,
Digne en naillant qu'on l'étranglât ş
Puifque tout fon plaifir en fomme ,
Seroit de faire , de chaque homme,
Un Diable qui lui reflemblât .
L'implacable & fourde Mégère ,
De fes deux griffes de Panthère ,
Empoignant le petit garçon ,
Déjà le douë à ſa façon .
Il n'y fallut pas grand myſtère :.
C'étoit un petit Bas- Breton ,
Dont un tour de main pouvoit faire
Le fecond Tôme d'Erychten .
Auffi fut-il ; auffi fit- on.
La Fée , en un coup de baguette ,.
Fit , du Magot à la bavette ,
Un Magot des plus accomplis..
Nez épaté , roufle crinière ,
Du Nain jaune le coloris ,
Boffe devant , bolle derrière,
AVRIL. 1761. 7
Borgne , Boiteux , Torticolis ,
Eil érâillé , quart de prunelles
Auprès de lui , Polichinelle
Eût paffé pour un Adonis.
Bref , la vieille Sempiternelle ,
Du Tartare , digne ſuppôt ,
Vous le fagota de manière ,
Apouvoir , une Foire entière ,
Peint fur le devant du Tripot ,
Par un Peintre d'enſeigne à bière ,
Attirer la foule & les ris ;
Et faire déferter Molière
A tous les Badauts de París.
Paffant du corps enfuite à l'âme ,
Afin que tout fût de niveau ,
Et qu'on ne dît pas que la lame
Affortiffoit mal au fourreau ;
De fa maudite main , l'infâme
Y verfa belle portion
De cette bonne opinion ,
Quifait que l'on fe diffimule
Tout ce qu'on a de rebutant ;
Et que plus on eft ridicule ,
Plús de Soi- même on eft content ;
Qui fait non feulement qu'on s'aime ,
Et qu'on va tout haût s'admirant ;
Mais , fans miféricorde même ,
Que , fur autrui , l'on va tirant.
Sur l'oeil unique du Bélitre ,
A iv
MERCURE DE FRANCE.
De Mère * Philautie exprès ,
Et de Soeur Jalousie , après ,
Elle étendit la double vitre ;
Puis , la Belle aux yeux de cochon ,
Rejuchée , à califourchon ,
Sur la monture faugrenuë ,
Part avec les mêmes honneurs ;
Et s'en va , comme elle eft venue ,
Par le chemin des Ramoneurs.
Le Maronier d'inde eft fuperbe ,
Que l'Orme n'eft qu'à peine éclos :
Nos Guérets font pleins de pavots :
Toujours , dit- on , croît mauvaiſe herbes
Et c'eft , je penfe , le proverbe
De nos proverbes le moins faux.
L'Enfant crût avec fes défauts.
A quinze ans , l'Animal immonde ,
Moyenant gracieux maintien ,
Et chevelure plus que blonde ,
Se croyant extrêmement bien ,
Le front haut , entre dans le Monde ;
Examine tout à la ronde ;
Cherche fon Pair ; & ne voit rien ,
Qu'il ne déprime , & qu'il ne fronde.
Pour ouvrir même , à ce qu'on dit ,
Un champ vafte à ſes râilleries ,
C'est lui qui le premier s'affic
Sur une chaife , aux Thuileries.
* L'amour-propre .
AVRIL 1761 .
Gai , docte , & cher Abbé C ****
Dont elles font les galeries ,
Toi , qui ris de mes rêveries ,
Sans les pefer au trébuchèt ;
Philofophe , qui , des folies
Impertinentes ou jolies ,
Fais ton profit , où ton hochèt !
Que n'eus-tu , par fois , l'avantage
De te trouver , ainfi que moi ,
Affis auprès du Perſonage ?
Le beau pâſſe- temps pour un Sage !
Quel plaifir eût-ce été pour Toi ,
L'âme d'étonnement ravie ,
D'entendre fiffler les ferpens
De l'impuiffante & folle Envie ;
Et de voir , un jour , en ta vie ,
Le Hibou bafouer les Paons !
Devant lui , s'il pâffe une Belle
Digne de fixer le regard ;
Il feroit volontiers querelle
A qui la loue ; & le Gaillard
Dit qu'il auroit le teint comme Elle
Si , comme Elle , il avoit du fard.
Vient un Abbé de bonne mine ,
La perle des Petits- Collèts ,
Et le plus beau des Preſtolèts :
On admire fa jambe fine,
Qu'il étale à pas de ballets.
Moi , dit la Langue ferpentine ,
A
30 MERCURE DE FRANCE.
Sous ces deux beaux bas violèts ,,
Je n'admire que deux mollès,.
Tels que je me les imagine ,
Ajuftés fur deux fageolèts.
1 Voyant la roide contenance
De Nolfeigneurs à cheveux longs ,
Qui n'ont point de rouge aux talons ,,
Et pourtant , d'un air d'Eminence,
Avançent à pas d'Ordonance ,.
Guindés , & droits comme des joncs ::
Tel que je fuis , dit-il , je gage
Que je fuis , malgré les Râilleurs ,
Plus à l'aiſe dans mon corſage ,
Que ces Meffieurs- là , dans les leurs..
Un joli jeune homme à lorgnette ,.
De huit ou dix pas , la braquant
Sur cette Efpéce contrefaite ;
Celui- ci rit , en remarquant :
Sa badauderie indifcrette ;.
Mais , loin d'y rien voir de choquant
Il croit plaire au Sot qui le lorgne ;
Et dit tout bas, fe requinquant ,
C'est bien dommage qu'il foit borgne !!
Quelqu'un vient , qui plus férieux ,,
( Encore que , fous cape , il rie , ) .
Jette légèrement les yeux..
Sur la Bamboche rabougrie ,
Et les baille avec modeftie ,
Pour le relpect qu'on doit à Ceux
AVRIL 1761 .
Que la Nature difgracie .
Ne penfez pas qu'il s'en foucie ,
Ni qu'il én foit moins glorieux:
Cet homme trop peu curieux
Dans fat cervelle rétrécie ,
Paffe pout un fat , envieux
De voir fa préfence obfcurcie
Et fa fauffé inattention ,
Effet de la compaffion ,
Pour véritable jaloufie.
Jolis efprits à dévidoir ,
( Ceci foit dit par parenthèſe )
Oh qu'ici vous feriez à l'aîfe !
Combien de ſcènes à tiroir !
Et qu'il feroit beau vous y voir !
Auffi notre homme , à ronde échine ,
Y fit-il très bien fon devoir :
Tout paffe par fon étamine.
Sur ce Tourbillon femillant ,
Où tout le bel- air ſe déploie ,
Il ne jette l'oeil qu'en râillant ,
S'admire feul ; & quoiqu'il voye ,
Ne voit rien dont il ne fe croye
Le Contrafte heureux & brillant
Jufqu'à ce que certain GENIE
D'un don du Ciel favorifé ,
Depuis longtemps fcandalifé
De l'infapportable manie
De ce petit Monftre abufé ,
A vi
12 MERCURE DE FRANCE;
Devant lui s'arrête & fe plante ,
En beau Cavalier déguiſé ,
Dont la figure étoit charmante.
Comme le refte it eft traité.
Alors , d'une main bienfaiſante ,
Au malheureux Enfant gâté ,
Charitablement il préfente
LE MIROIR DE LA VÉRITÉ.
A cette fatale clarté ,
La double vitre ne pur faire
Que le Narciffe imaginaire ,
De fon aveugle vanité
N'apperçût pas l'affreux mécompte ,
Et toute fa difformité.
Lors , de la fuite la plus prompte
Il fentit la néceffité ;
Et de foi-même épouvanté ,
Courut dans un antre écarté ,
Cacher fa milére & fa honte.
MORALISONS ; & fans éfforts
Revenons un peu fur nos traces,
Il en eft , en fait de difgraces ,
Des Efprits , ainfi que des Corps.
On en voit fans nombre & fans ceffe ,
Des Tortus que rien ne redreſſe ;
Machines à mauvais reſſorts ,
Sans jeu , meſure , ni juſteſſe ;
Efprits n'ayant brides ni mords
Avec audace & maladreffe
AVRIL 1761 : 23
Heurtant les Foibles & les Forts ,
Qui faux Aigles , & vrais Butors ;
S'imaginent dans leur yvreffe ,
Plâner fur les eaux du Permeffe ,
Dont ils n'ont jamais vû les bords.
O le plus rare des tréſors ,
MIROIR le feul de ton eſpéce ,
Où tant de Sots avantageux ,
Voyant toute leur petiteffe ,
Se connoîtroient , en dépit d'Eux !
MIROIR DE LA VÉRITÉ , fors
Du Puids où le tient la Déeffe !
Glace fidelle & vengereſſe ,
Que , pieds nuds , comme un Francifcain
( Si j'avois certitude pleine ,
De ne pas y perdre ma peine )
J'irois chercher jufqu'à Pékin !
Encor une fcène amuſante :
Reviens de grâce ; & défenchante
Maint Fat , maint Sot & maint Faquin
Reparois , dis-je , & te préſente
A N .... N .... & N ....
Par M. DE L'EMPYRÉE , de Dijon
4 MERCURE DE FRAN.CE.
LA PROVINCIALE.
COMEDIE , EN UN ACTE:
CETTE ETTE Piéce n'a été deftinée pour aucun
Théâtre , & n'a jamais été jouée
qu'à la campagne ; elle eft pourtant d'un
Auteur connu par plufieurs Piéces juftement
applaudies ; & nous avons cru ne
pas déplaire au Public , en l'inférant dans
notre Recueil.
SCENE PREMIERE.
Mde LEPINE , LE CHEVALIER ,
LA RAMÉE. Ils entrent enfe parlant.
Mde LEPINE.
'AH ! vraiment , il eft bien
H! vraiment , il eft bien temps de venir:
je n'ai plus le loifir de vous entretenir
; il
Y a une heure que je vous attends ,
& que vous devriez être ici .
LE CHEVALIER.
C'eft la faute de ce coquin-là , qui m'a
éveillée trop tard.
AVRIL 1961.
LARAMÉ E.
Ma foi, c'eft que je ne me fuis pas éveil.
lé plutôt. Quand on dort , on ne fe reflouvient
pas de fe lever.
Mde LEPINE.
Mde la Thibaudiere eft prèſque habillée :
elle ou Lifette peut defcendre dans cette
Salle- ci , & il faut être plus exact.
LE CHEVALIER.
Ne vous fâchez pas . Dequoi s'agit- il ?.
mettez-moi au fait, en deux mots: qu'eftce
que c'est d'abord , que Mde la Thibau
diere ?
Mde LEPINE.
Une femme de Province , qui n'eft ici
que depuis huit jours ; qui eft venue occaper
un très-grand appartement , préciſément
dans l'Hôtel où je fuis logée ; avec
qui j'ai lié connoiffance le furlendemain '
de fon arrivée ; qui eft veuve depuis un
an ; qui a prèſque toujours demeuré à la
campagne ; qui jamais n'a vu Paris , ni'
itté la Province ; qui , depuis fix mois ,
a hérité d'un oncle , qui la laiffe prodigieu .
fement riche ; & qui , le jour même où je
la connus , reçut un remboursement de :
plus de cent mille livres , qu'elle a encore.
LE CHEVALIER.
Qu'elle a encore ?.
4 MERCURE DE FRAN.CE.
LA PROVINCIALE .
COMEDIE , EN UN ACTE
CETTE Piéce n'a été deſtinée pour aucun
Théâtre , & n'a jamais été jouée
qu'à la campagne ; elle eft pourtant d'un
Auteur connu par plufieurs Piéces juftement
applaudies ; & nous avons cru ne
pas déplaire au Public , en l'inférant dans
notre Recueil .
SCENE PREMIERE.
Mde LEPINE , LE CHEVALIER ,
LA RAMÉE. Ils entrent enfe parlant .
Mde LEPINE.
AH ! vraiment , il eft bien temps de venir:
je n'ai plus le loifir de vous entretenir
; il y a une heure que je vous attends ,
& que vous devriez être ici .
LE CHEVALIER.
C'eft la faute de ce coquin- là , qui m'a
éveillée trop tard.
AVRIL. 1761.
LARAMÉ E.
Ma foi, c'eft que je ne me fuis pas éveil .
le plutôt . Quand on dort , on ne fe reffouvient
pas de fe lever.
Mde LEPINE.
Mde la Thibaudiere eft prèſque habillée :
elle ou Lifette peut defcendre dans cette
Salle -ci , & il faut être plus exact.
LE CHEVALIER.
Ne vous fachez pas. Dequoi s'agit- il ?:
mettez-moi au fait , en deux mots : qu'estce
que c'est d'abord , que Mde la Thibaudiere
?
Mde LEPINE.
Une femme de Province , qui n'eſt ici
que depuis huit jours ; qui eft venue occuper
un très- grand appartement , préciſément
dans l'Hôtel où je fuis logée ; avec
qui j'ai lié connoiffance le furlendemain
de fon arrivée ; qui eft veuve depuis un
an ; qui a prèfque toujours demeuré à la
campagne ; qui jamais n'a vu Paris , ni'
itté la Province ; qui , depuis fix mois
a hérité d'un oncle , qui la laiffe prodigieufement
riche ; & qui , le jour même où je
la connus , reçut un remboursement de :
plus de cent mille livres , qu'elle a encore.
LE CHEVALIER.
Qu'elle a encore ? .
16 MERCURE DE FRANCE.
LARAMÉ E.
Qu'elle a encore ? .... cela eft beau !
LE CHEVALIER.
Et c'eft cette femme-là , fans doute ,
avec qui je vous rencontrai avanthier à
midi , dans la boutique de ce Marchand ,
où j'étois moi- même avec ces deux Dames?
Mde LEPINE.
Elle-même. Vous comprenez , à préfent,
pourquoi j'affectai tant de vous connoître
, & de vous faluer ; pourquoi je vous
gliffai à l'oreille de la lorgner beaucoup ,
& de vous trouver le même jour au Luxembourg
, où je ferois avec elle , & d'y continuer
vos lorgneries.
LE CHEVALIER.
Oui , je commence a être au fait.
LARAMÉ E.
Parbleu , cela n'eft pas difficile ! le rembourſement
rend cela plus clair que le jour.
LE CHEVALIER.
Vous me dites auffi d'envoyer La Ra
mée le lendemain à votre Hôtel , à l'heure
de votre dîné , fous prétexte de fçavoir à
quelle heure je pourrois vous voir aujour
d'hui. Quelle étoit votre idée , Mde Lég
pine ?
Mde LE PIN E.
Que La Ramée entrât dans la falle
où nous dînions , Mde la Thibaudiere &
moi ; qu'elle le reconnût pour l'avoir vû
AVRIL. 1761. 17
la veille avec vous ; & qu'elle fe doutât
que vous ne vouliez venir me parler , que
pour tâcher de la voir encore , comme en
effet elle s'en eft doutée.
LA RAME E.
J'entends quelqu'un .
Mde LEPINE.
Je vous le difois bien : c'eft elle -même !
& je ne vous ai pas dit la moitié de ce qu'il
faut que vous fçâchiez. Mais heureuſement
je pense qu'elle va fortir pour quelque
achat , qu'elle doit faire ce matin. Contentez-
vous à préfent de la faluer en homme
qui ne vient voir que moi.
LE CHEVALIER.
Ne vous inquiétez point.
SCENE I I.
Mde LEPINE , LE CHEVALIER , LA
RAMÉE , Mde LA THIBAUDIERE
CATHOS , fuivante.
J₂
Mde LA THIBAUDIERE.
E vous cherchois , Mde Lépine , pour
vous emmener avec moi. Mais vous avez
compagnie , & je ne veux point vous déranger.
Tous les Acteursfe faluent.
18 MERCURE DE FRANCE.
LE CHEVALIER.
Déranger , Madame ? quant à moi , je
ne fcache rien qui m'arrange tant que le
plaifir de vous voir.
Mde LA THIBAUDIERE.
Cela eft fort galant , Monfieur , mais
Vous pouvez avoir quelque chofe à vous
dire ; je fuis preffée , & je crois devoir
vous laiffer en liberté. Adieu , Mde Lepine
je ne ferai pas longtemps abfente , &
nous nous reverrons bientôt.
( La Ramée falue Cathos , avec affectation .)
SCENE III.
LE CHEVALIER , Mde LEPINE ,,
LA RAMÉE.
LE CHEVALIER.
OHH oui , Mde Lepine : à vue de pays ,
nous viendrons à bout de cette femme-là.
Elle a des façons qui nous le promettent;
& je prévois que nous la fubjuguerons ,
en la flattant d'avoir de bons'airs.
Mde LEPINE.
Je n'en doute pas , moi qui la connois.
LE CHEVALIER , tirant une lettre.
Elle me paroît faite pour la lettre que
AVRIL. 1761. 19
je lui ai écrite , en fuppofant que je ne la
viffe pas chez vous ; & qu'elle ne refuſera
pas de prendre de votre main..
Mde LEPINE la reçoit.
Oui , mais elle va revenir, & je ne veux
pas qu'elle vous retrouve. Laiffez - moi
feulement la Ramée , que je vais inftruire
de ce qu'il eft bon que vous fçachiez . Il
ira vous rejoindre , & vous reviendrez ens
femble.
LE CHEVA LIER.
Soit. ( à la Ramée. ) Je vais donc t'attendre
chez moi.
LA RAMÉE.
Oui , Monfieur.
Mde LEPINE , rappellant le Chevalier.
Chevalier , un mot ... fouvenez - vous de
nos conventions après le fuccès de cette
avanture- ci , au moins ?
LE CHEVALIER.
Pouvez-vous vous méfier de moi?
( il part. )
LA RAMÉE , le rappellant.
Monfieur , Monfieur , un autre petit
mor , s'il vous plaît.
LE CHEVALIER , revenant.
Que me veux-tu ? :
LA RAMÉE.
Vous oubliez un réglement pour moi ,
20 MERCURE DE FRANCE.
LE CHEVALIER.
Qu'appelles- tu un réglement ? tu nous
parles comme à des fripons.
LA RAMÉ E.
Non pas , mais comme à des efpiégles
dont j'ai l'honneur d'être affocié. Vous
allez attaquer un coeur novice dont vous
aurez le pillage ; vous ferez les chefs de
l'action regardez- moi comme un Soldar
qui demande fa paye.
LE CHEVALIER.
Affurément.
Mde LEPINE.
Oui , il a raiſon. Allons , la Rámée , on
récompenfera bien tes fervices ; je te le
promets .
LA RAME E.
Grand - merci , mon Capitaine . Et votre
Lieutenant, quelle eft fa penſée un peu au
net?
Il
adieu.
LE CHEVALIER.
y aura cinquante piftoles pour toi :
AVRIL. 1761. 21
SCENE I V.
Mde LEPINE , LA RAMÉ E.
Mde
LA RAMÉE .
de Lepine , il s'agit ici d'une espéce
de parti -bleu honnête contre une caffette
; & par ma foi , cinquante piſtoles , ce
n'eſt pas affez. Si je défertois chez l'Ennemi
, ma déſertion me vaudroit davantage.
Mde LEPINE.
Déferter ! garde - t- en bien , la Ramée:
LA RAMÉE.
Oh , ne craignez rien : ce n'eft qu'une
petite réflexion dont je vous aviſe.
Mde LEPINE.
Tu feras content du Chevalier & de
moi ; je te le garantis : ton payement fera
le premier levé .
LA RAMÉE.
Tant mieux.
Mde LEPINE.
Dis -moi : cette lettre qu'il m'a laiffée ,
eft- elle dans le goût que j'ai demandé ?
LA RAMÉE.
Comptez fur le billet doux le plus cavalier
, le plus lefte , le plus dégagé... vous
22 MERCURE DE FRANCE.
verrez , vous verrez ! ce n'eft pas pour me
vanter ; mais j'y ai quelque part. Il n'a
pas plus de fept ou huit lignes; & en honneur
, c'eft un chef- d'oeuvre d'impertinence.
Soyez fûre qu'une femme fensée ,
en pareil cas , en feroit jetter l'Auteur
par les fenêtres.
Mde LEPINE.
Et voilà précisément comme il nous le
faut avec notre Provinciale, préparée comme
elle l'eft c'est cette impertinence - là,
qui en fera le mérite auprès d'elle .
LA RAMÉ E.
Il eft parfait , vous dis-je ; il eft écrit
fous ma dictée : bien entendu que ladite
Marquife foit affez folle pour le foutenir .
Le fuccès dépend de l'état où vous avez
mis fa tête.
Mde LEPINE.
Oh! rien n'y manque.
LARAMÉ E.
Et puis , c'est une tête de femme , ce
qui prête beaucoup. Et le Chevalier , à
propos , l'avez - vous fait de grande maison,
tout fils de Bourgeois qu'il eft ?
Mde LEPINE.
Oh , c'eſt un de nos galants du bel - air,
& des plus répandus , que j'aie jamais connu
chez tout ce qu'il y a de plus diftingué.
AVRIL 1761 . 23

LARAMÉE.
Et en quelle qualité êtes- vous avec elle?
ne feroit-il pas néceffaire de le fçavoir ?
Mde LEPINE.
Mon enfant , dans une qualité affez
équivoque ; & j'allois te le dire . Je ne fuis
ni fon égale , ni fon inférieure.
LA RAMÉ E.
On peut vous appeller un ambigu.
Mde LEPINE.
Elle a voulu que je demeuraffe avec elle.
Elle me loge , me nourrit , m'a déjà fait
quelques petits préfens , que j'ai d'abord
refufés par décence, & que j'ai acceptés par
amitié.Voici mon hiftoire:je fuis une jeune
Dame veuve , qui étoit à fon aife , mais
qui a de la peine à préfent à foutenir Nobleffe
, à caufe de la perte d'un grand procès
, qui me force à vivre retirée . Avant
mon mariage , j'ai paffé quelques années
avec des Ducheffes & même des Princeffes
, dont j'avois l'honneur d'être la compagne
gagée , & qui me menoient partout
ce qui m'a acquis une expérience
confammée fur les ufages du beau monde
, en vertu de laquelle je gouverne notre
Provinciale.
LARAMEE.
Le joli roman !
#4 MERCURE DE FRANCE.
Mde LEPINE.
Mais comme, d'un autre côté, la fortune
lui donne de grands avantages fur une
Dame ruinée ; j'ai la modeftie de négliger
les cérémonies avec la Marquife de la Thibaudiere,
de lui céder les honneurs du pas,
& de laiffer , entre elle & moi , une petite
diftance qui me gagne fa vanité , & qui ne
me coûte que des égards & quelques flatteries
, de façon que je fuis tour-à- tour ,
& fa complaifante , & fon oracle.
LARAMÉ E.
Quel génie fupérieur ! ah , Mde Lépine,
avec un pareil don du Ciel , le patrimoine
du prochain fera toujours le vôtre !
Mde LEPINE.
Votre Marquife , au refte , n'a encore
reçu de vifite , que d'un de fes parens ,
homme de Province affez âgé ; & qui ,
pour terminer une grande affaire qu'elle
a ici , vient la marier avec un homme de
confidération , qu'il doit lui amener incel
famment, & qui la fixeroit à Paris . Entends-
tu ?
LARAMÉ E.
Malepefte ! voilà un mariage qu'il faut
gagner de viteffe , de peur que le rembour
fement ne change de place , & ne ſoit ſtipulé
dans le contrat. Mais Mde Lepine ,
au lieu de nous en tenir à ces petits bénéfices
AVRIL. 1761 . 25
néfices de paffage ; fi nous époufions la
future ; fi nous tâchions de faifir le gros de
l'arbre , au lieu des branches.
Mde LEPINE .
Cela feroit trop difficile , & puis j'irois
directement contre mes préceptes : je lui
ai déjà dit que pour le bon air , il étoit indécent
d'aimer fon mari ; & qu'il ne falloit
garder l'amour que pour la galanterie
, & non pas pour le mariage : ainfi il
n'y a pas moyen . Adieu , va - t- en , tout eft
dit.
LA RAMÉE.
Je fors donc , fongez à mes intérêts.
Mde LEPINE.
Tu peux t'en fier à moi ; pars ( & puis
elle le rappelle , ) St. St. la Ramée ? je rêve
que nous aurions befoin d'une femme
qui fur le pied d'amante de ton Maître ,
& d'amante jaloufe , fe douteroit de fon
intrigue avec la Marquife , & viendroit
hardiment ici , ou pour l'y chercher , ou
pour examiner fa rivale , & lui diroit en
même tems de le fuivre chez un Notaire ,
afin d'y achever le payement d'un Régiment
qu'il acheteroit.
LA RAMEE , riant.
D'un Régiment fabuleux , de votre invention
?
1. Vol.
B
16 MERCURE DE FRANCE.
Mde LEPINE.
Oui , que je lui donne , & qu'on fuppofera.
LA RAMÉE , rêvant .
Je ferai votre affaire . Il s'agit d'une
virtuofe , & nous en connoiffons tant... je
vous en fournirai une , moi .... elle ne fera
pas de votre force, Mde Lepine ; mais elle
ne fera pas mal . Sont-ce là tous les outils
qu'il vous faut ? .... quand voulez- vous celui-
là :
Mde LEPINE.
Tantôt,quand le Chevalier fera revenu
LA RAMEE.
Vous ferez fervie.
Mde LEPINE.
Adieu donc.
LA RAMÉE , feignant de s'en aller,
Adieu ; ( & puis fe retournant ) n'avezvous
plus rien à me dire ?
Mde LEPINE
Non.
I ARAMÉ E.
Je ne fuis pas de même.... je rêve auffi,
moi.
Parle.
Mde LEPINE,
LA RAMÉ E.
Vous avez une lettre du Chevalier à
rendre à la Marquife... oferois-je , en toutė
AVRIL 1761. 17
humilité , vous en confier une pour mon
petit compte ?
Mde LEPINE.
Qu'est-ce que c'eft qu'une pour toi ?
eft- ce que tu écris auffi à la Marquife ?
LA RAMÉ E.
Non, c'est une porte plus bas ; c'est à Cathos
dont je ne fçais le nom que de toutà-
l'heure , à ce petit minois de femme de
chambre, qui étoit avec vous chez ce Mar÷
chand , qui me parut niaife , mais jolie ;
& avec qui , par infpiration ,j'ébauchai une
petite converfation de regards , où elle
joua affez bien fa partie ; & hier , quand
le Chevalier m'envoya chez vous , en redefcendant,
je la trouvai fur la porte d'un
entrefol , où je repris le fil du diſcours
par un votre valet très- humble , Mademoifelle
, & par une ou deux révérences ,
auffi bien trouffées , foutenues d'un déhanchement
auffi parfait! ...je fentis, en vérité,
que cela lui alloit au coeur. Nous venons
encore de nous entre-faluer ici ; &
à l'exemple de mon maître , dont vous
rendrez le billet , voici un petit bout de
papier que j'ai écrit , & que je vous fupplierai
de lui remettre par la même commodité
.
Mde LEPINE.
Par la même commodité ! ... Mons de
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
la Ramée , vous me manquez de reffect.
LARAM É E.
Oh! vous êtes fi fort au- deffus de cette
puérile délicateſſe- là ; vous êtes fi ferviable....
Mde LEPINE.
Mais à quoi vous conduira cet amour- la
LARAMÉ E.
Hélas ! à ce qu'il pourra . Je ne m'attends
pas qu'on ait rien remboursé à Cathos
; mais fi vous vouliez , chemin faifant
, la mettre un peu en goût d'être du
bel- air avec moi , je n'aurai point de Régiment
à acheter , mais j'aurai quelque
payement à faire , & tout m'eft bon ; je
glanerai ; ce qui viendra , je le prendrai .
Mde LEPINE.
Soit ; je glifferai à tout hazard quelques
mots en votre faveur. A l'égard de votre
papier , faites- lui votre commiffion vousmême
, puifque la voilà qui vient ; & puis
partez pour rejoindre votre Maître.
LARAM É E.
Vous allez voir mon aifance.
AVRIL 1961 . 29
SCENE V.
Mde LEPINE , LA RAMÉE , CATHOS,
CATHOS.
Nous fommes revenues ; & Mde la
Marquife s'eft arrêtée dans le jardin .Vous
avez donc encore du monde ?
Mde LEPINE.
Oui , c'eft M. de la Ramée qui m'appor
te un billet que M. le Chevalier avoit oublié
de me donner.
LA RAMË Ë , faluant Cathos .
Et il m'en refte encore un dont l'objet
de mes foupirs , aura , s'il vous plaît
bonté de me défaire.
CATHOS ,faluant.
Eft- ce moi que Monfieur veut dire ?
LA RAMÉ E.
་ la
Eh qui donc , divine Brunette ? vous
n'ignorez pas l'objet que j'aime ?
CATHOS , riant niaifement:
Je me doute qui c'eft par- ci , par - là.
Mde LEPINE , riant.
Ha , ha , ha , courage ! ... Mons de la
Ramée eft un illuftre au moins, un garçon
très- couru.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
LA RAMÉE , à Cathos.
E
Et ce garçon couru , c'est vous qui
l'avez attrapé !
CATHOS.
Je ne cours pourtant pas trop fort ; &
vous me contez des fleurettes , Monfieur.
LA RAMÉ E.
Oh palfambleu , beauté fans pair , vous
avez lû dans mes yeux que je vous adore,
& je requiers de pouvoir en lire autant
dans les vôtres.
CATHOS.
Ah dame ! il faut le temps de faire réponfe.
LA RAME E.
Vous m'avez promis dans un regard ou
deux que je n'attendois pas , & je fuis impatient.
C'est ce que vous verrez dans cette
petite épître qui vous entretiendra de moi
jufqu'à mon retour , & que je n'ai pû
qu'adreffer à Mile Mile , en blanc , faute
d'être inftruit de votre nom . Comment
Vous appelle - t- on , mes amours ? afin que
je l'écrive .
CATHOS , faluant.
Il n'y a qu'à mettre Cathos , pour vous
fervir , fi j'en fuis capable.
LA RAMÉE , tirant un crayon.
Très - capable ! extrêmement capable !
( il écrit. ) Mde Lepine , je vous demande
Pardon de la liberté que je prends devant
AVRIL. 161 .
vous , mais ce petit minois m'étourdit ; il
eft célefte , il m'égare , il s'agit d'amour ,
& cela paffe partout .... n'est- ce pas Cathos
que vous dites , charme de ma vie ?
CATHOS.
Oui , Monfieur.
LARAMEE , écrivant.
Ce' nom -là m'eft familier : je connois
une des plus belles pies du monde , qui
s'appelle de même.
CATHOS.
Oh mais ! je m'appelle auffi Charloète.
LA RAMEE , lui donnant fa lettre.
La pie n'a pas cet honneur- là , & tous
vos noms font des enchantemens, Prenez ,
Charlotte , ( en lui préfentant la lettre . )
Prenez cette lettre , & fouvenez - vous
que c'eft Charlot de la Ramée qui vous la
préfente , & qui brûle d'en avoir réponfe
. Adieu , bel ail ; adieu , figure triomphante
; adieu , bijou tout neuf !
Mde LEPINE.
Je penfe comme toi , la Ramée.
LARAMÉ È.
Madame , votre approbation met le
comble à fon éloge. ( & puis à Cathos . )
A propos! j'oubliois votre main... donnez
moi , que je la baife.
CATHOS , retirant fa main.
Ma main eh mais , c'eft de bonne
heure.
Biv
12 MERCURE DE FRANCE.
SCENE VI.
M. LORMEAU, les Acteurs précédens.
LA RAMÉE , fans le voir , & à Cathos .
Hi bien , je vous fais crédit juſqu'à
tantôt.
M. LORMEAU , qui a entendu.
Qu'est ce que c'eft que cet homme- là ,
Cathos ( & à la Ramée. ) à qui donc parlez
- vous de faire crédit ici ?
LA RAMÉE , en s'en allant.
A la merveilleufe Cathos , fuivante de
Mde la Marquife , Monfieur .
M. LORMEAU.
(Ilpart. )
Ce drôle- la a l'air d'un fripon , Mde
Lepine ; que fignifie ce crédit & cette
Marquife ?
CATHOS.
Bon , du crédit ! c'eft qu'il raille ; c'eft
ma main qu'il vouloit baifer , & qu'il ne
baifera que tantôt ?
M. LORMEAU.
Qu'il ne baifera que tantôt , qu'est- ce
que cela fignifie ?
AVRIL. 1761 . $3
CATHOS .
Oui , l'affaire eft remife. A l'égard du
garçon , c'est l'homme de Chambre d'un
jeune Chevalier de nos amis ; & la Marquife
, c'eft Madame . voilà tout.
M. LOR MEAU.
Quelle Madame ? ma parente ?
CATHOS.
Elle-même.
M. LORMEAU.
Eh , depuis quand , eft - elle Marquiſe ?
de quelle promotion l'eft- elle ?
CATHOS.
D'avant hier matin : cela fe conclut
une heure après fon dîné.
M. LORMEAU , à Mde Lepine.
Madame , ne m'apprendrez-vous pas
ce que c'est que ce Marquifat ?
Mde LEPINE.
Mđe la Thibaudiere m'a dit qu'elle avoit
une Terre qui portoit ce titre ; & elle l'a
pris elle- même , ce qui eft affez d'uſage.
CATHOS.
Pardi ! on fe fert de ce qu'on a.
M. LOR MEAU.
Elle n'y fonge pas ; eft- elle folle ? je ne
Pappellerai jamais que Mde Riquer : c'eft
fon nom ; & non pas la Thibaudieres
BV
34 MERCURE DE FRANCE.
CATHOS.
Bon ! Mde Riquer, pendant qu'on a un
un château de qualité.
M. LOR MEAU.
Fort bien en voilà une à qui la tête a
tourné auffi . Mde Lepine , voulez - vous
que je vous dife , je crois que vous me gâ
tez la Maîtreffe & la Servante..
Mde LEPINE.
Je les gâte , Monfieur ? je les gâte ?... ·
vous ne mefürez pas vos difcours ; & ces
termes là ne conviennent pas à une femme.
comme moi.
CATHOS.
Madame fçait les belles compagnies ,
fur le bout de fon doigt ; elle nous apprend
toutes les pratiques galantes , & la
coutume des Marquifes , Comteffes &
Ducheffes : voyez fi cela peut gâter le monde.
M. LORMEAU.
Vous êtes en de bonnes mains , à ce qui
me femble , & vous me paroiffez déjà fort
avancée. Au furplus , Mde Riquet eft. fa
maîtrelle. Ou eft- elle ? peut - on la voir ?
n'y aura-t-il point quelque coûtume galante
qui m'en empêche ?
CATHOS.
Tenez , la voilà qui vient.
AVRIL. 1761 . 35
SCENE VII.
Mde LA THIBAUDIÈRE , les Acteurs
BON
précédens.
M. LOR MEAU.
ON jour , ma coufine.
Mde LA THIBAUDIERE.
Ah ! bon jour , Monfieur , & non pas
mon coufin.
M. LORMEAU. Les premiers mois à part.
Autre pratique galante! ... (& à Mde la
Thibaudiere ) d'où vient donc ?
Mde LA THIBAUDIERE.
C'eſt qu'on n'a ni couſin , ni couſine à
Paris , mon très - cher .... à cela près , que
me voulez- vous?
M. LORMEAU.
Eft- il vrai que vous avez changé de'
nom ?
Mde LA THIBAUDIERE.
Point du tout .... de qui tenez - vous cela ??
M. LORMEAU.
De Cathos , qui m'a voulu faire accroire
que vous avez pris le nom de Marquife
de la Thibaudiere.
B vj
35 MERCURE DE FRANCE.
Mde LA THIBAUDIERE.
Il est vrai ; mais ce n'eft pas là changer
de nom : c'eft prendre celui de fa Tèrre.
Mde LEPINE.
Il n'y a rien de fi commun.
Mde LA THIBAUDIERE.
Cui , mais M. Lormeau ne fçait point
cela , il faut l'en inftruire ; il eft dans les
fimplicités de Province . Allez , Monfieur,
raflurez vous , nous n'en ferons pas moins
tens parens... à propos , vous vis- je hier ?
Comment vous portez- vous aujourd'hui ?
M. LORMEAU.
Vous voyez affez bien , Dieu merci ....
mais , ma coufine , encore un petit mot.
Feu M. Riquet...
Mde LA THIBAUDIERE , ( à Mde Lepine
à part. )
Ce bon-homme,avec fa coufine & fon
Riquet. ( Mde Lepine , fourit . )
CATHOS , riant tout haut.
Ha , ha , ha ! ...
Mee LA THIBAUDIERE , riant auffi.
Eh bien , que fouhaite le coufin de la
confine ?
M LORMEAU , Levant les épaules.
Madame, ou Marquife... Lequel aimez
vous le mieux ?
AVRIL 1761.
37
Mde LA THIBAUDIERE.
Madame eft bon , Marquiſe auffi , toujours
l'un ou l'autre; c'eft la régle: achevez.
M. LOR MEAU..
Feu votre mari s'appelloit M. Riquet,
n'eft il pas vrai ? il s'enfuit donc, que vous
êtes la veuve Riquet .
Mde LA THIBAUDIERE avec dédain.
Prenez donc garde ! veuve Riquet &
Marquife, n'ont jamais été enſemble . Veuve
Riquet fe dit de la Marchande du coin.
Mon mari au refte , s'appelloit
M. Riquet,
j'en conviens ; mais depuis fa mort j'ai
hérité du Marquifat
de la Thibaudiere
, &
j'en prends le nom comme de fon vivant,
il l'auroit pris lui- même , s'il avoit été raifonnable
. Allons,n'en parlons plus ... Que
devenez- vous aujourd'hui
? avez - vous des
nouvelles de mon affaire ?
M. LORMEAU.
Oui , Marquiſe ; & e venois vous dire
que je vous amènerai tantôt la perfonne
avec qui je travaille à vous marier , pour
vous éviter le procès que vous auriez enfemble
touchant votre fucceffion ; c'eft
un homme de diftinction qui vous donnera
un affez beau rang . Mais , de grâce ,
ne changez rien aux manières que vous
aviez , il n'y a pas plus de huit jours ; &
laillez la les pratiques galantes , & la cour
38 MERCURE DE FRANCE.
tume des Comteffes , Marquifes & Du→
cheffes .... adieu , coufine.
Mde LA THIBAUDIERE.
Salut , au coufin .
SCENE VIII.
Mde LA THIBAUDIERE , Mde LEPINE,
CATHOS .
L
Mde LA THIBAUDIERE.
Es pratiques galantes , & la coutume
des Comteffes , Marquifes & Ducheffes :
les plaifantes expreffions ! .... c'eft que nos
manières font de l'Arabe pour lui.
la
CATHOS.
C'eft moi qui lui ai enfeigné cet Arabe
, pour rire.
Mde LEPINE.
Ha ! que ce gentilhomme eft groffier ,
Marquife ! que M. votre coufin eft campagnard
!
Mde LA THIBAUDIERE.
Ha ! d'un campagnard, d'un ruftique....
CATHOS.
D'un lourd ! d'un mal appris !
Mde LEPINE.
Sçavez- vous bien au refte , que vous
venez de m'étonner , Marquiſe ?
AVRIL. 1761. 39
Mde LA THIBAUDIERE.
Comment ?
Mde LEPINË.
Oui , m'étonner ! je vous admire ! vous
avez eu tout- à- l'heure des façons de parler
auffi diftinguées , d'un auffi bon ton , des
tours d'une fineffe & d'une ironie d'un
auffi bon goût qu'il y en ait à la Cour.
Vous excellerez,Marquife,vous excellerez.
Mde LA THIBAUDIERE.
Eft- il poffible ? c'eftà vous à qui j'en ar
l'obligation.
CATHOS.
J'avance aufſi , moi , n'eft- ce pas ? je
me polis.
Mde LEPINE.
Pas mal , Cathos , pas mal.
Mde LA THIBAUDIERE.
Mde Lepine , fi Cathos changeoit de
nom. Cathos me déplaît , ai -je tort ?
Mde LEPINE.
Vous me charmez ! il faut que je vous
embraffe , Marquife , je n'y fçaurois tenir
; voilà un dégoût qui part du ſentiment
le plus exquis , & que vous avez
fans le fecours de perfonne , ce qui eft
particulier ... oui , vous avez raifon: Cathos
ne vaut rien , il rappelle fon ménage de
Province.
40 MERCURE DE FRANCE.
Mde LA THIBAUDIERE.
Juftement. Allons , plus de Cathos ;
entendez - vous? Cathos ,je vous fais Lifete.
Mde LEPINE.
Fort bien .
CATHOS.
Quel plaifir ! je ferai Lifette par- ci , Li-
Jette par là .... Ce nom ne dégourdit.
Mde LA THIBAUDIERE.
Vous croyez donc , Mde Lepine , que je
puis à préfent me produire ?
Mde LEPINE.
Au moment où nous parlons , vous faites
peut-être plus de bruit que vous ne
penfez.
Mde LA THIRAUDIERE.
Moi, du bruit ? férieufement ! du bruit ?
Mde LEPINE.
Je fçais un Cavalier des plus aimables ,
qui vous donne actuellement la préférence
fur nombre de femmes, qui en font bien
piquées. Voyez- vous cette Lettre - là qu'on
eft venu tantôt à genoux me prier de vous
rendre ?
Mde LATHIBAUDIERE.
A genoux ! voilà qui eft paffionné.
CATHO S.
En voyez-vous une qu'on m'a donnée
feulement debout mais avec des civi
lités &
AVRIL. 1761 . 41
Mde LA THIBAUDIERE.
Quoi , déjà deux Lettres ?
CATHOS.
Oui , Marquife , chacune la nôtre.
Mde LA THIBAUDIERE.
Celle- ci eft du Chevalier , qui , fans
contredit , eft l'homme de France le plus
à la mode.
Mde LA THIBAUDIERE.
Ah ! joli homme il a je ne fçais quelle
étourderie fi agréable ; mais je l'ai donc
frappé je le foupçonnois , Mde Lépine ;
c'eft ici où j'ai besoin d'un peu d'inftruction
. Comment traiterai je avec lui ?
quoiqu'il en dife , dans le fond , notre liaifon
n'eft prèfque rien; cependant il m'écrit,
& me parle d'amour apparemment ? dans
mon Pays, cela me paroîtroit impertinent ;
ici , ce n'est peut- être qu'une liberté de
fçavoir vivre . Mais recevrai- je fon billet ?
Je crois que non .
Mde LEPINE.
Ne pas le recevoir ? je ferois curieufe de
fçavoir fur quoi vous fondez cette opinion
- là
Mde LA THIBAUDIERE.
C'est- à-dire, que ma difficulté eft encore
un refte de barbarie ? ah ! maudite éducation
de Province , qu'on a de peine à fe
défaire de toi ! Scâchez donc , que parmi
42 MERCURE DE FRANCE.
nous , on ne peut recevoir un billet doux
du premier venu , fans blèffer les bonnés
moeurs.
CATHOS.
Dame ! oui , voilà ce que la verta de
-chez nous en penſe.
Mde LEPIN E.
La plaifante fuperftition ! quel rapport
y a-t- il d'une demie feuille de papier à de
la vertu ?
GATHOS.
Quand ce feroit une feuille toute entière
?
Mde LA THIBAUDIERE.
Que voulez - vous ; j'arrive , à peine
fuis- je débarquée , & je fors du pays de
l'ignorance craffe.
Mde LEPINE.
Renvoyer un billet ! vous feriez perdue
; il n'y auroit plus de réputation à efpérer
pour vous. A Paris , manquez- vous
de moeurs ? on en rit , & on vous le pardonne.
Manquez-vous d'ufage ? vous n'en
revenez point , vous êtes noyée.
CATHOS.
Et cela , pour un chiffon de papier.
Mde LA THIBAUDIERE.
Oh, j'y mettrai bon ordre ! m'écrive à
préfent qui voudra , je prends tout, je reçois
tout , je lis tout.
AVRIL. 1761 43
CATHOS.
Oh , pardi ! pour moi je n'ai pas fait la
bégueule .
Mde LEPINE , lai préfentant la lettre.
Allons , Marquife , femme de qualité ,
ouvrez le billet , & lifez ferme.
Mde LA THIBAUDIERE, ouvrant vite.
Tenez , voilà comme j'hélite. Ai- je la
main timide ?
Mde LEPINE.
Non , pourvû que vous répondiez auffi
hardiment , tout ira bien.
Mde LA THIBAUDIERE.
Répondre ... cela eft violent.
Mde LEPINE.
Quoi ?
Mde LA THIBAUDIERE.
Je dis violent , en Province.
Mde LEPINE.
Je vous ai cru étonnée , j'ai craint une
rechûte.
Mde LA THIBAUDIERE.
Etonnée pour une réponſe : fi vous me
piquez , j'en ferai deux .
Mde LEPINE.
Une fuffira.
CATHOS , ouvrantfa Lettre .
Allons, voilà la mienne ouverte ; & fi je
ne la lis , ni ne réponds , je vous prends à
témoin que c'eft que je ne fçais ni lire ni
écrire.
44 MERCURE DE FRANCE.
Mde LEPINE.
Garde-la , je te la lirai.
CATHOS.
Grand-merci ! il faudra bien , afin de
fauver ma réputation.
Mde LEPINE.
Eh bien , Marquife , êtes - vous contente
du ftyle du Chevalier ?
Mde LA THIBAUDIERE, riant.
Il eſt charmant , je dis charmant ! mais
bien m'en prend d'être avertie : quinze
jours plutôt , j'aurois pris cette lettre- là
pour une infulte , Mde Lepine , pour une
infulte ! car elle eft hardie , familière . On
diroit qu'il y a dix ans qu'il me connoît.
Mde LEPINE.
Je le crois . Le Chevalier qui fçait fon
monde , vous traite en femme inftruite.
Mde LA THIBAUDIERE.
Vraiment , je ne m'en plains pas ; il
me fait honneur .... tenez , lifez le.
CATHOS.
Je crois auffi que celle de mon galant
aura bien des charmes ; car il va fi vite
dans le propos ; il me confidére fi peu ,
que c'eft un plaifir , le petit folichon qu'il
eft .
Mde LEPINE lit haut celle de la Marquife .
Etes- vous comme moi , Marquife ? je n'ai
fait que vous voir , & je me meurs ; je ne
AVRIL. 1761. 45
"
fçaurois plus vivre ; dites , ma Reine , en
quel état êtes- vous ? à peu-près de même ,
n'est- ce pas ? je m'en doute bien ; mon coeur
ne feroit pas parti fi víte , fi le vôtre avoit
dú vous refter. C'est ici une affaire de fympathie
; notre étoile étoit de nous aimer:
hátons - nous de la remplir ; j'ai besoin
de vous voir ; vous m'attendez fans doute.
A quelle heure viendrai - je ! Le tendre
& refpectueux Chevalier de LA TRIGAUDIERE.
Mde LEPINE , après avoir lû , &froidement.
C'eſt affez d'une pareille lettre, pour illuftrer
toute la vie d'une femme .
CATHOS.
Quel Tréfor !
Mde LA THIBAUDIERE , riant,
Que dites-vous de cette étoile qui veut
que je l'aime
Mde LEPINE.
Et qui ne met rien fur le compte de
fon mérite remarquez la modeftie....
Mde LA THIBAUDIERE.
Et cet endroit où il dit que je l'attens ;
le joli mot ! je l'attends ! de forte que je
n'aurai pas la peine de lui dire , venez .
Que cette tournure - là met une femme à
fon aife !
46 MERCURE DE FRANCE.
CATHOS.
Elle trouve tout fait : il n'y a plus qu'à
aller.
Mde LEPINE.
Point de fot reſpect.
Mde LA THIBAUDIERE.
Sinon qu'à la fin , de peur qu'il ne gêne
le corps de la lettre.... mais je pense que
quelqu'un vient ? Mde Lepine, puifque ce
billet-là m'eft fi honorable , il n'eft pas
néceffaire que je le cache.
Mde LEPINE. *
Gardez-vous- en bien ! qu'on le voye fi
on veut ; la difcrétion là- deffus feroit d'une
platitude ignoble.
SCENE I X.
Les Acteurs précédens , M. LORMEAU
M
M. DERVAL.
M. LOR MEAU.
ADAME , Voici M. Derval que je
vous préfente . On ne peut rien ajouter à
l'empreffement qu'il avoit de vous voir .
M. DERVAL.
Je fens bien que j'en aurai encore davantage.
AVRIL. 1761. 47
Mde LA THIBAUDIERE,
Vousêtes bien galant , Monfieur .... des
fiéges à ces Meffieurs.
M. DERVAL.
Mais , Madame , ne prenons-nous pas
mal notre temps ? je vois que vous tenez
une Lettre , qui demande peut-être une
réponſe prompte.
Mde LA THIBAUDIERE,
J'avoue, que j'allois écrire.
M. DERVA L
Nous ne voulons point vous gêner , Ma
dame. (à M. Lormeau) Sortons, Monfieur;
nous reviendrons.
M. LOR MEAU.
S'il s'agit de répondre à des nouvelle
de Province , le Courier ne part que demain.
Mde LATHIBAUDIERE.
Non, c'eft un billet doux, que je viens de
recevoir , mais qui eft extrêmement léger
& joli ; & Monfieur , qui eft de Paris , fçait
bien qu'il faut y répondre.
M. LORMEAU.
Un biller doux , Madame ! vous plaifantez
; vous ne vous en vanteriez pas .
Mde LA THIBAUDIERE , riant.
Hé , hé , hé.... vous voilà donc bien
épouvanté , notre cher parent ? je ne le
dis
point pour
m'en
vanter
non
plus
: je
48 MERCURE DE FRANCE.
le dis comme une avanture toute ſimple ,
& dontune femme du monde ne fait point
mystère ; demandez à Monfieur. ( elle rit. }
hé , hé , hé....
( Mde Lepine , rit à part. )
CATHOS , rit haut.
Hé , hé , hé……….
M. DERVAL.
Madame eft la maîtreffe de fes actions.
Mde LA THIBAUDIERE.
Oh ! je vous avertis que M. Lormeau
n'entend point raillerie là- deffus,
M. I.ORMEAU.
Dès qu'il ne s'agit que d'en badiner , à
la bonne heure ! mais je craignois que ce
ne fût quelque jeune étourdi qui eût eu
l'impertinence de vous écrire .
Mde LA THIBAUDIERE.
Ah ! s'il vous faut un Caton , ce n'en eft
pas un. C'est un étourdi , j'en conviens ;
& s'il ne l'étoit pas , qu'en feroit- on
M. LOR MEAU.
Vous ne fongez pas , Madame , que ce
billet doux peut inquiéter M. Derval.
Mde LA THIBAUDIERE , riant.
Hé , hé , hé ! de quelle inquiétude provinciale
nous parlez - vous- là ? Tâchez
donc de n'être plus fi neuf. Monfieur en
veut à ma main , & le Chevalier ne pour
fuit que mon coeur , ce font deux chofes
différentes ,
AVRIL. 1761 . 49
différentes , & qui n'ont point de rapport.
M. DERVA L.
Je me trouverois cependant fort à
plaindre, fi le coeur ne fuivoit pas la main.
Mde LA THIBAUDIERE .
Vraîment , il faudra bien qu'il le fuive ;
il n'y manquera pas : mais je penfe entre
nous que ce n'eft pas là le plus grand de
vos foucis, Monfieur, & que nous ne nous
chicanerons pas là - deffus ; nous fçavons
bien que le coeur eft une espéce de horsd'oeuvre
dans le mariage.
M. LORMEAU , à part .
Que veut- elle dire avec fon hors -d'oeuvre
? (fe levant. )
Ce ne feroit pas trop là mon fentiment ,
mais nous retenons Madame qui veut
écrire , Monfieur ; & nous aurons l'honneur
de la revoir.
Mde LA THIBAUDIERE .
Quand il vous plaira , Monfieur.
M. DERVAL à M. Lormeau , à part.
Quelqu'un abufe de la crédulité de votre
parente.
M. LOR MEAU , à part à Mde la Thibaudiere.
On vous a renversé l'eſprit , coufine.
(Ils s'en vont.)
I. Vol. C
o MERCURE DE FRANCE.
Mde LA THIBAUDIERE riant , & àpart
à M. Lormeau qui fort.
Croyez-vous , hé , hé , hé.... ( & quand
ils font partis ) M. Lormeau n'en revient
point !
Lafuite , au Mercure prochain.
VERS à Madame de C .... en lui ens
voyant TANCREDE , Tragédie de M
DE VOLTAIRE.
Vous , qui confervez encor
La candeur & la foi , vertus des premiers temps
Yous relirez les fentimens
Qui pénétrent votre âme , & que la mienne adore,
Dans ces rôles intéreſſans
Que Voltaire anime & colore
Par la chaleur des vers les plus touchans,
Je blâme cependant ce héros intrépide ,
Dont la devife annonce & l'Amour, & l'honneur;
Il y manque , en croyant fon amante perfide ;
Le pouvoit il ? il connoiffoit fon coeur,
Si j'euffe été Tancréde , & vous Aménaïde ;
Toujours votre amant , votre appui ,
Sans jamais vous croire infidelle ›
J'aurois été plus délicat que lui ,
Et vous bien plus heureuſe qu'elles
AVRIL 1761. ft
VERS de M. St. A ** , Peintre , à M.
l'Abbé A ** qui va bientôt prendre perruque.
TRÉS- cher Abbé , je te fais compliments
Tu vas donc arborer la divine perruque ?
Pour plus d'une raifon , c'eft agir fagement.
D'abord , en te couvrant la nuque ,
Tu la garantiras fous cet abris pompeux ,
De mille événemens fâcheux ,
De fluxions , catarres , rhumatifmes ,
Dont tu crains la malignité ,
Et de tous autres foléciſmes ,
Contre le rudiment de l'exacte fanté.
Autre motif ; à ta toilette ,
Pour arranger quatre cheveux ,
( Quoique hâtant le peigne ) ami chacun regrette
Ces momens que tu perds , momens ſi précieux ,
Que ton efprit emploîroit mieux ,
A faire babiller le Pinçon , la Fauvette.
Je pourrois ajouter encor ,
Qu'une perruque a le rare avantage
De donner le maintien d'un grave perfonnage ,
Et qu'un jeune Ecrivain , qui déjà prend l'eflor ,
( Dans ce fiécle qui n'eſt pas d'or )
Aux yeux des Sots par elle acquiert plus de génie.
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
Mais tu n'as pas befoin d'une telle magie :
Tu plais , Abbé , fans cet air emprunté ;
Et dans tes vers où la gaîté ,
Régne avec la Philofophie,
Ta jeuneſſe n'a rien gâté.
Pardonne , cependant ; il faudra que je rie ,
Quand je verrait tête enfevelie
Dans une forêt de cheveux ,
Porter un air majestueux.
Plus d'un de même en rira, j'imagine.
Pour moi j'irois de la Mecque à Médine ,
Et de Saint Petersbourg à Toul ,
Pour voir , cher Abbé , fur ta mine ,
La gravité d'un Capitoul .
REPONSE de M. l'Abbé A ** à la Piéce
précédente.
Oui , cher ami , ris , fi tu veux ,
UI ,
De cette commune avanture ;
Grâce à Neuhaus , * de faux cheveux
Vont garantir de toute injure
Mon crâne pelé , catarreux .
La dépouille de quelque gueux ,
Réparant en moi la nature ,
* Habile Perruquier de la Place Dauphine , à
Paris,
AVRIL. 1761 . 93
Va , par un artifice heureux ,
Ombrager ma maigre figure.
Mais , fous cet accoûtrement- là ,
Ami , tu me fais peu de grace ,
D'imaginer qu'on me prendra
Pour un Echevin du Parnaffe.
A cet Auteur qui fit parler
*
Le loup , le coq , le porc immonde ,
Jufqu'au peuple muet de l'onde ,
J'aime cent fois mieux reffembler ,
Qu'à tous les Echevins du monde.
Auffi fimple que fes Acteurs ,
Et rejettant toute parure ,
Ses habits , fes écrits , fes moeurs ,
Tout annonçoit une âme pure ,
Sans amour- propre , fans enflure ,
Sans eftime pour les grandeurs.
Ami , lorfque tu peins les Grâces ,
Tu les furprens en négligé :
Tu n'aimes point un teint chargé
De blanc , de rouge & de grimaces.
Tu hais ces charmes empruntés ,
Attirail des Beautés vulgaires :
Le corfet blanc de nos Bergères ,
Vaut tout l'or que dans les Cités
Portent ces belles douairiéres
* La Fontaine.
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
Qui fardent leurs appas gâtés.
La Nature , ami , la Nature !
Voilà l'objet de tous mes voeux.
Mais en parlant de faux cheveux ,
Des vers la magique impoſture
A conduit bien loin mes crayons.
Je reviens donc à tes ſoupçons
Sur ma ridicule encolure ,
Et fur la gravité future
Dont mon vifage s'armera ,
Et fur les ris que produira
Cette grotesque chevelure :
Ami , j'ai prévu tout cela.
Mais dût- on rire d'âge en âge ,
De ma gravité de Bedeau }
Je ferai toujours affez beau ,
Si tu veux peindre mon image
Dans cet affublement nouveau.
Par M. PAbbé AUBERT.
Ovid. Heroid. 20 & 21 .
ACCOONNCCEE, jeune homme d'une beauté
finguliére , vint à Délos pour y facrifier :
il vit Cydippe & l'aima fans réferve ; fon
amour ne fut point écouté, & bientôt l'efpérance
de l'époufer lui fut ôtée. Réduir
AVRIL. 1961;
au défefpoir , il invoque les Dieux ; &
l'amour lui infpira d'écrire ces mots fur
une boule: Je jure par Diane , Aconce , de
n'être jamais qu'à vous. Cette boule, adroi
tement jettée, fut ramaffée par Cydippe ;
& fans aucune réflexion , elle lut & pro
nonça les mots écrits . Diane les entendit.
Plufieurs partis fe propoférent , plufieurs
furent acceptés : mais foit hazard ou pré
vention ; toutes les fois qu'elle étoit prête
à célébrer les nôces , elle étoit attaquée
d'une fiévre violente. Frappée de la ven
geance de Diane, qui la traitoit en parju
re , & de la protection fenfible que la
Déeffe accordoit à Aconce ; elle époufa
ce jeune homme.
On commence par être frappé de ces
deux vers de la Fontaine.
Que , plût à Dieu qu'en certaine rencontre
D'un pareil cas je me fuffe avifé !
La Font. Richard.
On eft convaincu de la fatisfaction
d'Aconce dans le premier moment : on
finit par fe demander ; Aconce fut- il vrai,
ment & long- tems heureux ?
༤འི་
Civ
MERCURE DE FRANCE.
V
LETTRE
CONSEIL , fur une Paffion.
ous aimez , dites- vous ; vous fentez
que l'on ne vous aime plus; vous craignez
l'explication ,› parce que vous imaginez
qu'elle ne peut vous être avantageufe
& que vous avez un rival préféré ? Le
fens froid avec lequel vous voyez un pa→
reil évenement , me fait croire que vous
étes en état de ſuivre le confeil que vous
me demandez , & que je vais vous donner.
D'ailleurs , après un certain nombre
d'années , après les procédés que vous
avez eus pour la perfonne intéreffée , &
les importunités que fa vivacité vous a
caufées, je crois qu'il n'y a plus dans votre
coeur que la révolte d'un amour -propre
qui fouffre toujours , quand on eft quitté ;
& que vous éprouvez une habitude plus
mécanique que de fentiment, qui vous fait
fouhaiter de vivre autant dans les mêmes
liaiſons qu'avec la même perfonne. Sur
ce principe , étant auffi maître de vous
que je vous crois capable de l'être , je vous
confeille d'éviter l'explication avec un foin
extrême;ce qui vous fera d'autant plus aifé
AVRIL. 1761. $7
,
qu'une femme dans ces circonftances en
redoute toujours les momens : elle craint
d'avouer un nouveau goût à celui qui connoît
les replis de fon coeur , & qui a vû
tant de fois fon âme à decouvert . Redoutez
donc le tête- à- tête ; & quand vous y
ferez expofé , livrez- vous à tout ce qui
vous viendra dans l'efprit prêtez- vous
à la premiere chofe qu'elle vous dira . Si
elle vous aime encore, ce procédé peut la
piquer;fi elle ne vous aime plus , il vous
met en état de vous vanger avec douceur,
& de chaffer peut- être votre rival . Ce procédé
tient un peu de ceux de la rancune,
j'en conviens; mais quoique la vangeance
ne foit pas d'une belle âme , elle eft permife
en amour, furtout quand elle eft de la
nature de celle que je vais continuer de
vous propofer. Songez , d'ailleurs , que je
fuis femme , & que mon fexe connoît le
détail des fentimens. Vous avez trop vécu
avec Me. pour n'avoir pas confervé
une grande liberté dans fa maiſon . Par
procédé même , jamais elle n'en viendra
au point de vous fermer fa porte ; vous
connoiffez les goûts , fes heures , & vous
n'ignorez aucune de ſes habitudes : il vous
eft par conféquent facile de prévoir les
rendez-vous qu'elle peut donner à votre
rival : trouvez moyen de les interrompre
***
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
1
ou de les prévenir fans ceffe ; comblez
alors votre rival de politeffe & d'honnêteté
, mais fans aucune affectation & fans
témoigner le moindre foupçon; demeurez
à fouper & ne fortez de la maiſon qu'avec
lui. En attendant le dénoûment d'une
telle avanture , jouiffez du trouble intérieur
des converfations traînantes , des
mouvemens d'impatience , & de quelques
geftes échappés que l'on croira vous déro
ber : la peine des autres fera votre confolation.
Vous avez trop vécu, pour que le
confeil que je vous donne foit plus étendu.
Mais je fuis fort trompée , ou vous fe
rez dans peu maître du champ de bataille
. Au reste quel que foit l'événement,
fongez que le récit m'en eft dû : mon
amitié pour vous n'eft pas le motif qui
vous doit le moins déterminer à cette
confiance.
A DORIS.
SAN s borne , à la conſtance , & la fidélité ,
Devons-nous confier notre félicité ?
Ces fentimens ( jadis leçon trop impofante ,
Que legalant d'Urfé fçut rendre intéreſſante ')
Ne font plus fentimens , s'ils ne font qu'ane lof ,
Et deviennent l'abus du don de notrefoi ';
AVRIL. 1761: 59
Don conditionnel toujours dans la nature ,
Qui réſerve ſes droits fur l'âme la plus pure ;
Et loi que l'on enfreint , dès que pour l'obferver's
Le coeur de nouveaux feux cherche à fe préſerver .
Oppofée au penchant , conftance infructueufe
Tuchanges de doux nou is,en chaîne rigoureuſe
S'en tenir à l'objet qui ne ſçait plus charmer ,
C'est être fcrupuleux , mais ce n'eft pas aimer:
L'amant qui s'y contraint fubftitue une idée
Aux fentimens qu'il eut, & l'amante eft trompée :
Conftance , changement , larcin , fidélité ;
Tout fyftême , en amour , n'eft que frivolité.
Dociles aux plaiſirs , & fans nous rien preſcrire ,
Laiffons - nous aux vrais biens ,fur leurs traces conduire
;
Libres , n'obéiffons qu'au charme de leurs voix ;
Ils indiquent la route , & ne font point de loix .
Empreffés de jouir , quand l'amour nous feconde ,
Fourniffons de nos jours la courſe vagabonde :
Tant que le même feu, rend notre fort charmant,
Le fouverain bonbeur eft d'aimer conſtamment.
Que Philis me délaiffe, ou qu'une ardeur nouvelle,
M'enflamme pour Doris; au plaifir qui m'appelle,
Je vole , j'obéis : léger avec candeur ,
Doris va déſormais diſpoſer de mon coeur .....
J'en ai donc fait l'aveu ! ... Je n'en fuis plus
le maître:
Comment taire des feux que vous avez fait naître
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Doris , d'un coeur léger , qui ne l'eft que par vous,
Duffiez- vous me punir , mon fort fera plus doux,
En aimant fans elpoir , qu'à feindre un autre
hommage.
Ma bouche ne fçait point un perfide langage ;
Et loin de le prêter à ce lâche détour ,
Elle ne peut fuffire aux voeux de mon amour.
Cet Enfant dans mon fein, même fans efpérance ,
Comme un maître abfolu regne dès fa naiſſance :
Dans mon âme , à mes yeux , il a tout effacé ;
Et par vous feule enfin , il a tout remplacé.
IRIS ET LE ROSSIGNOL ,
FABLE.
La jeune Iris , feule en un bois ,
Rêvoit à fon amant qui la faifoit attendre ;
Quand des Roffignols le plus tendre
Se mit à préluder . Ah ! la charmante voix !
Dit-elle ; approchons-nous , afin de mieux l'entendre.
Chut ! c'eſt un Roffignol ... fi Clitandre venoit ,
Peut-être il me l'attraperoit.
Mon Roffignol entame un morceau de Muſique ;
Le morceau le plus doux & le plus pathétique :
Iris craignoit d'en voir la fin.
Quelle roulade harmonieuſe !
S'écrioit-elle ; il eft divin ,
AVRIL. 1761.^
63
Ce petit oifeau - là ! terme de Précieuſe :
La Belle auffi l'étoit. Cadence gracieuſe ,
Coulés , caprices , tout tenoit fon coeur ravi.
Sur quel arbre eft - il donc ? qu'il doit être joli ! ....
Le chantre aîlé paroît : quoi ! c'eſt là ſon plumage?
( Chacun fçait qu'il n'eft pas brillant. )
Iris ne voulut plus , dès - lors , le mettre en cage.
Tel , parmi nous, l'habit fert ou nuit au talent !
Par M. GUICHARD .
Le mot de la premiere Enigme du
mois de Mars , eft la Bombe . Celui de la
ſeconde , eft , la couleur, verte. Celui du
premier Logogryphe , eft , Apothicaire ,
dans lequel on trouve or , air , écho, roi ,
roc , chaire , caire , harpe , thiare , io ,pó,
port , arc , cor , ire . Celui du fecond , eft
Tapifferie , où l'on trouve Air , Tapiffier,
Patiffier , Patifferie , Sire , Apis , Pie ,
rapt , Apt , Paris , payer , perte , Paris ,
zaffe , étape , pis , pareffe , pefte , Perfe ,
Pirate , ré ,fi , Spa , Pater , Pere , Pire
ris , Efther , Ipres.
62 MERCURE DE FRANCE.
A Madame de B **.
ENIGM E.
J fuis né prifonnier , petit & miſérable ;
Je fuis père d'enfans , prifonniers comme moi ;
Souvent de ma priſon , on me délivre à table ;
Et je porte le nom d'un Roi.
Sans être le Dieu de Cythère ,
J'habite pourtant dans les coeurs .
Ici , Mortels , verfez des pleurs ;
Ma prifon tua votre mère ,
Et vous caufa bien des malheurs.
(
AUTRE.
Iz le faut avouer , mon deſtin eſt bien rude !
Tous ceux que j'aide à s'élever
Pour la plus baffe fervitude
S'obſtinent à me réſerver.
De m'opprimer fans ceffe , ils ont pris l'habitude.
Cependant les plus grands, dans leur haute -fplen
deur ,
Ne me peuvent dier fans quelque ingratitude',
Que je ne ferve à leur grandeur.
Des injures du temps je préferve une plante ,
AVRIL. 1761 . 5
Qui dans tous les Climats eft affez abondante ,
Et dont l'ufage eſt fouverain s
Quoique l'odeur n'en foit charmante ,
Elle fe fait prifer par la vertu puiffante ,
Qui ſoutient tout le genre humain .
Pour fuivre des François les manières changeantes,
Sous mille formes différentes ,
Il a fallu chez eux fort fouvent me ranger;
Quoique par une loi , qui paroît éternelle ,
J'aie une regle naturelle ,
Qui devroit pour toujours m'empêcher de changer.
Il faut être bien four fans doute , ou bien auftère ,
Pour croire que fans moi l'on put couler les jours ;
Pourtant, fi Plutarque eft fincère ,
Des Sages , des Héros ont eu cette chimere ,
De refuſer mon utile fecours.
Cette belle manière eſt maintenant ceffée ;
Et tout Homme aujourd'hui, par la commune loij
Pafferoit pour avoir la cervelle bleffée ,
S'il vouloit fe paffer de moi.
LOGOGRYPHE.
Srje fuis dans un tems le rebut des humains ,
Dans un autre je fuis un tréfor en leurs mains.
Aux Peuples comme aux Rois mon être néceffaire
Eft desplus grands fecrets fouvent dépofitaire
64 MERCURE DE FRANCE.
On m'aime , on me chérit , on m'abhorre , on me
craint ;
De mes déciſions l'on rit , & l'on ſe plaint :
Lecteur , me connois - tu ? dis- le - moi , je te prie.r
Non. Pour y parvenir , vois mon Anatomie :
Elle préfente aux yeux auffitôt qu'à l'eſpric
Celui qui dans l'Eglife a le plus de crédit ;
Un meuble très- commun & fur-tout à l'Armée ,
Où , tout ce qu'on y met , eft réduit an fumée;
Un péché capital , un pontife , un oiſeau ,
Un inftrument à poudre à purger le cerveau
La place où de Cérès les préfents l'on égraine ,
Un des quatre Eléments , un nid de fouveraine ,
Un ..... Mais pourquoi d'ailleurs de fi longs entretiens
?
C'en eft affez , Lecteur , je le vois , tu me tiens.
AUTRE .
J'AI du fang froid , dit- on ; auſſi , je plonge , &
´nage ,
Sans me troubler , même au milieu des mers.
De moi, le plus fimple partage
Fournit deux alimens divers ,
Dont l'un peut le tirer de l'autre.
L'un , peut être un morceau friand ;
L'autre , à l'animal qui fe veautre ,
Se donne tout comme le gland .
Gracieusem
Pour mon amant ma flame est eter
nelle, Il est bouru, bizare et
W
quelque fois fougueux . Mais il est tou
WW
jours fidelle , Et sur toutfort amoure
ureux.
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR, LENDS AND
TILDEN FOUNDATIONS.
THE NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR, LENOX AND
TIEDEN
FOUNDATIONS
Pour mon amant maflame est éternelle
+
Il est bouru , bizare et quelque fois fou
gueux : Mais il est toujours fi delle
Et sur tout fort
amoureux .
Grave par M Charpentie.
Imprimépar rimé par Tournelle .
AVRIL 1761 65
COUPLETS du fecond Volume du
.
Mercure de Janvier 1761 , mis en Mufique
pardeux Dames de différentes Provinces.
POOUURR mon amant , ma flâme eft éternelle ;
Il eft bourru , bizarre , & quelquefois fougueux.
Mais il eft toujours fidéle ;
Et fur-tout , fort amoureux.
Souvent , d'un rien , il fait une querelle ;
Quelquefois indifcret , & fouvent ombrageux .
Mais il est toujours fidéle ;
Et fur-tout , fort amoureux,
Son maintien plaît , fa taille eft noble & belle ;
Il joint à la figure , à des talens heureux ,
Un coeur tendre & fidéle ;
Et fur-tout , fort amoureux.
66 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
JULIE OU LA NOUVELLE HELOISE;
LETTRES de deux Amans habitans d'une
petite ville au pied des Alpes , re
cueillies & publiées par J. J. Rovs.
SEAU. Amfterdam , chez Marc- Michel
Rey , 1761 , fix volumes in- 12 . Le
ptix eft de 15 liv. fans les Eftampes
qui fe vendent féparément 3 liv. chez
Duchefne , rue S. Jacques , au Temple
du Goût.
N.ous ne rendrons compte aujourd'hui
que des trois premiers volumes de cet
ouvrage intéreffant par les fituations que
l'Auteur a fçu y ménager , & utile par les
traits de morale qu'il y répand à chaque
page. Nous avons fait connoître dans le
Mercure précédent , en annonçant la Pré
face , les principaux Perfonnages qui agiffent
dans ce Roman . Leurs différens ca-
* Admirablement déffinées par M. Gravelot
AVRIL. 1761. 67
ractéres fe peindront encore mieux dans
le récit de leurs avantures .
S. Preux , jeune Suiffe , âgé de vingt
ans , étoit entré chez le Baron d'Etange ,
père de Julie , fur l'invitation de la Baronne.
Il avoit cultivé quelques talens
agréables. La mere de Julie crut qu'ils ne
feroient pas inutiles dans un lieu dépourvu
de maîtres , à l'éducation d'une fille qu'elle
adoroit . Le Maître & l'Ecoliere s'aimérent
à la premiere vue , & fe cachérent
leur amour. S. Preux parla le premier, ou
plutôt il écrivit à Julie , que des fentimens
trop tendres l'obligeoient à fe féparer
d'elle . Le filence de Julie ne découragea
point fon amant ; il écrivit
une feconde lettre , & une troifiéme enfin
, qui fut fuivie d'une réponſe telle àpeu
près qu'il pouvoit le defirer d'une
amante vertueufe. Dès ce moment , leurs
coeurs s'ouvrirent l'un à l'autre ; Julie
avoua fa défaite , mais elle efpéra que
S. Preux n'auroit pas le coeur affez lâche
, pour abufer de fon égarement .
-
Cette jeune perfonne avoit une parene
de fon âge , appellée Claire , à qui elle
faifoit part de fes plus fecrettes penfées .
Elle étoit fa compagne & fon amie ; elle
fut bientôt la confidente de fes fentimens
Pour S. Preux. Ces fentimens parurent
68 MERCURE DE FRANCE
honnêtes jufqu'à l'avanture du bofquet .
On étoit à la campagne ; le foleil commençoit
à baiffer ; on fe gliffa dans un
bois ; Claire s'approche de S. Preux , &
d'un air plaifamment fuppliant , elle lui
demande un baifer . Toute aimable , toute
piquante qu'eft la jeune Claire , ce baifer
ne fait fur le coeur du jeune homme , aucune
forte d'impreffion . Mais quand il
s'approche de Julie , quand il fent fa
bouche pofée fur la fienne... Il faut lire ,
dans l'ouvrage même , avec quelle chaleur
M. Rouffeau nous peint ce fecond.
baifer , qu'il appelle le premier baifer de
l'amour.
Alors Julie s'apperçoit que la fuite eft
le feul reméde à un danger auffi preffant..
Elle écrit à S. Preux que le moment de
leur féparation eft arrivé ; & elle lui or
donne de partir pour le Valais , où il doit
faire un voyage. » Je fçais , lui dit- elle ,
» que vous avez peu de fortune , & que
» vous ne faites que la déranger ici , où
» vous ne refteriez pas fans moi ; je puis
donc fuppofer qu'une partie de votre
» bourſe eft dans la mienne ; je vous en-
» voye un léger à compte. Elle lui envoyoit
de l'argent que S. Preux ne voulut
point recevoir. Il crut fon honneur
outragé par ce don ; & remit l'argent au
AVRIL
69
1 . 1761 :
"
porteur de la lettre. » J'offenfe donc vo-
» tre honneur , lui dit Julie dans fa réponſe
, j'offenfe donc votre honneur ,
»pour lequel je donnerois mille vies ?
" J'offenfe ton honneur , ingrat, qui m'as
»vu prête à t'abandonner le mien. Ou
» eft- il donc , cet honneur que j'offenſe ?
» Dis - le- moi , coeur rampant , âme fans
» délicateffe . Ah ! que tu es méprifable , ſi
» tu n'as qu'un honneur que Julie ne
»connoifle pas ! Quoi , ceux qui veulent
" partager leur fort ,
n'oferoient partager
»leurs biens ; & celui qui fait profeffion
» d'être à moi , fe trouve outragé de mes
dons ! Et depuis quand eft- il vil de re-
» cevoir de ce qu'on aime ? Depuis quand
» ce que le coeur donne , déshonore- t - il
» le coeur qui l'accepte ? Mais on mépriſe
" un homme qui reçoit d'un autre ? On
» mépriſe celui dont les befoins paſſent
» la fortune ? Et qui le méprife? Des âmes
abjectes , qui mettent l'honneur dans la
" richeffe , & pefent les vertus au poids
» de l'or. Eft- ce dans ces baffes maximes,
qu'un homme de bien met fon hon-
" neur? Et le préjugé même de la Raifon
" n'eft-il pas en faveur du plus pauvre ?
» Sans doute , il eft des dons vils qu'un
» honnête homme ne peut accepter; mais
وو
apprenez qu'ils ne déshonorent pas
70 MERCURE DE FRANCE.
» moins la main qui les offre ; & qu'un
don honnête à faire , eſt toujours hon-
» nête à recevoir . Or fûrement mon coeur
» ne me reproche pas celui- ci ; il s'en
» glorifie. Je ne fache rien de plus mé-
» prifable , qu'un homme dont on achete
»le coeur & les foins , fi ce n'eft la fem-
» me qui les paye . Mais entre deux coeurs
» unis , la communauté des biens eft
» une juftice & un devoir ; & fi je me
» trouve encore en arrière de ce qui me
» refte de plus qu'à vous , j'accepte fans
25
fcrupule ce que je réferve , & je vous
» dois ce que je ne vous ai pas donné.
» Ah ! fi les dons de l'amour font à char-
» ge , quel coeur jamais peut être recon-
» noiffant ?
S. Preux reçoit les dons de Julie ; il
part fans la voir , comme elle l'avoit ordonné.
Pendant fon abfence il parcourt le
Valais, dont il fait une charmante defcription
. C'eft encore là une des beautés de
l'ouvrage , dont il n'eft pas poffible de
donner un extrait ; il faut lire tout le mor
ceau , & on le relit plus d'une fois avec
plaifir.
L'abſence de fon amant caufe à Julie
une langueur mortelle. Elle tombe dans
Jes accès d'une fiévre ardente qui augmen
te fans ceffe , & Claire eft obligée de rap
AVRIL 1761 . 75'
propeller
S. Preux , pour rendre la coufine à
la vie. De fon côté cet amant infortuné
faifoit retentir la forêt de Meillerie , de fes
gémiflemens. C'étoit parmi ces rochers
déferts , qu'il étoit allé pleurer l'abfence
forcée , où le contraignoit fa maîtreffe . Il
arrive , il voit Julie ; elle eft guérie ; & il
eft heureux. Mais , que de remords ſuivent
cette faute ! Julie eſpére en tirer un
moyen de la réparer . Elle forme le
jet de contraindre fon père à l'unir à S.
Preux. Elle connoît l'extrême délicateffe
du Baron , qui ne confentira jamais à donner
fa fille à un roturier ; & c'eft pour l'y
forcer , qu'elle s'expofe à une groffeffe qui
lui procurera au fon amant ou la mort.
Le premier fruit de leur amour devoit en
ferrer les noeuds ; Julie le demandoit au
Ciel , comme le gage de fon retour à la
vertu. Sitôt qu'elle auroit porté des marques
fenfibles de fon état , elle avoit réfolu
d'en faire , en préſence de toute fa famille
, une déclaration publique au Paf
teur du lieu mais une chûte fit difparoître
toutes ces espérances ; & Julie ne put
expier fa faute, même aux dépens de fa ré
putation . Le Baron d'Etange avoit promis
fa fille à un gentilhomme Mofcovite appellé
M. de Wolmar, ancien ami du Baron ,
& qu'une liaiſon de vingt ans lui rendoit
72 MERCURE DE FRANCE.
extrêmement cher. Il avoit déclaré fes vo
lontés à Julie , en lui ordonnant , d'un ton
qui ne fouffroit point de replique , de ſe
difpofer à recevoir fa main , à fon retour
de Ruffie.
C'eſt dans ces circonstances qu'arrivà
l'avanture de Saint Preux avec Milord
Edouard Bomfton , qui étoit alors dans
le Pays de Vaud. Il avoit contracté une
amitié étroite avec l'amant de Julie ; &
un foir qu'ils s'étoient enivrés l'un & l'autre
à boire du punch, il fit entendre à S.Preux,
que la vertu de Julie n'étoit pas à l'épreuve
de l'amour. Le jeune homme s'emporta
contre Edouard. Les propos devinrent
offenfans ; on fauta aux épées : mais l'Anglois
fe donna une entorfe qui le mit hors
d'état de combattre. L'affaire n'eût été
différée que jufqu'au rétabliſſement de Milord
, fi la prudence de Julie ne lui eût
fuggéré le moyen de la calmer entiérement.
Elle fçavoit qu'elle avoit été la première
caufe de cette querelle ; elle écrivit
à Edouard : » Puiſque vous m'outragez,
» il faut bien que j'aie avec vous des torts
» que j'ignore. Comment concevoir qu'un
» honnête homme voulût déshonorer fans
fujet une famille eſtimable ? Conten-
» tez donc votre vengeance , fi vous la
croyez légitime. Cette Lettre vous don
"
ne
AVRLI. 1761 . 73
33
"
23
ne un moyen facile de perdre une malheureuſe
fille , qui ne fe confolera ja-
» mais de vous avoir offenfé , & qui met
» à votre difcrétion l'honneur que vous
» voulez lui ôter. Oui , Milord , vos imputations
étoient juftes ; j'ai un amant
a aimé; il eft maître de mon coeur & de ma
perfonne ; la mort ſeule pourra brifer un
» noeud fi doux. Cet amant eft celui même
" que vous honoriez de votre amitié ; il
" en eft digne , puifqu'il vous aime & qu'il
eft vertueux. Cependant il va périr de
votre main. Je fçais qu'il faut du fang à
» P'honneur outragé ; je fçais que fa valeur
" même le perdra .... Jouiffez d'avance
» du plaifir que vous aurez de percer le
fein de votre ami ; mais fçâchez , homme
barbare , qu'au moins vous n'aurez
pas celui de jouir de mes larmes , & de
contempler mon déſeſpoir. Non , j'en
"jure par l'amour qui gémit au fond de
mon coeur ; je ne furvivrai pas d'un jour
à celui pour qui je refpire ; & vous aurez
la gloire de mettre au tombeau d'un feul
coup , deux amans infortunés qui n'eurent
point envers vous de tort volontaire
, & qui fe plaifoient à vous ho-
" norer.On dit que vous avez l'âme belle
» & le coeur fenfible ; puiffent ils , quand
je ne ferai plus , vous infpirer quel
33
33
I. Vol.
D
74 MERCURE
DE FRANCE .
" ques foins pour un père & une mère in-
» confolables , que la perte du feul enfant
qui leur refte , va livrer à d'éternelles
» douleurs.
"
Avant que d'envoyer, cette Lettre à
Edouard , Julie en avoit écrite.une à S.
Preux , pour le détourner de fe battre.
Tout ce qu'on peut dire de plus fort contre
le duel , eft employé inutilement . S.
Preux n'entreprend
point de réfuter les
raifons de fa maîtreffe , dont voici la fubftance
. Les plus vaillans hommes de l'antiquité
ne fongérent jamais à venger leurs
injures perfonnelles , par des combats finguliers.
Cefar n'envoya point un Cartel à
Caton , ni Pompée à Céfar ; & le plus
grand Capitaine de la Gréce ne fut point
déshonoré, pour s'être laiffé menacer du
bâton. Le véritable honneur ne dépend ni
des tems , ni des lieux , ni des préjugés ; il
a fa fource éternelle dans le coeur de
l'homme jufte. Si les plus vertueux de la
terre n'ont point connu le duel , il faut
qu'il ne foit pas une inftitution de l'honneur
. » Me direz - vous qu'un duel témoi
» gne qu'on a du coeur , & que cela fuff
» pour éffacer la honte ou le reproche da
» tous les autres vices ? je vous demande
» rai quel honneur peut dicter une pa
" reille décifion ? à ce compte , un fripon
AVRIL. 1761. 75.
» n'a qu'à fe battre pour ceffer d'être un
» fripon. Les difcours d'un menteur de-
» viennent des vérités , fr- tôt qu'ils font
»foutenus à la pointe de l'épée ; & fi
» l'on vous accufoit d'avoir tué un homme,
» vous en iriez tuer un fecond, pour prou-
" ver que cela n'eft pas vrai, Ainfi , ver-
➜tu , vice , honneur , infamie , vérité ,
» menfonge , tout peut tirer fon être de
l'événement d'un combat . Une falle
» d'arme eft le fiége de toute juftice. Il
» n'y a d'autre droit que la force , d'autre
» raifon que le meurtre. Toute la répara-
» tion due à ceux qu'on outrage , eft de
» les tuer , & toute offenfe eft également
» bien lavée dans lesfang de l'offenfeur
nou de l'offenfé. Dites , fi les loups fça-
" voient raifonner , auroient- ils d'autres.
>> maximes ?
Toutes ces raifons , & d'autres plus fortes
encore n'euffent fait aucun effet fur
l'efprit de S. Preux , fans : la lettre de
Julie à Milord Bomfton . Celui- ci fut frappé
de la démarche admirable de la fille
du Baron d'Etange . A peine fut- il en état
de fortir , qu'il fe fit conduire chez l'a
mant de Julie , & accompagner par trois
de ſes amis. Là , les genoux en terre , il
dit à S. Preux devant ces trois témoins :
» je viens , Monfieur , rétracter haute-
Dij
6 MERCURE DE FRANCE.
ment les difcours injurieux que l'ivreffe
m'a fait tenir en votre préfence. Leur
> injuſtice les rend plus offenfans pour
" moi que pour vous , & je m'en dois l'authentique
défaveu. Je me foumets à
toute la punition que vous voudrez
» m'impofer ; & je ne croirai mon honneur
retabli , que quand ma faute fera
réparée. A quelque prix que ce foit ,
» accordez-moi le pardon que je vous
demande. Se tournant en faite du côté
des fpectateurs : Meffieurs , leur dit- il ,
» de braves gens comme vous , fentent
» que celui qui répare ainfi ſes toris , n'en
fçait endurer de perfonne. Vous pou
vez publier ce que vous avez vũ. »
Tel fut l'effet que produifit la lettre de
Julie ; & dès ce moment Milord Edouard
jura à S. Preux une amitié éternelle &
inviolable. Il voulut d'abord lui en donner
une preuve , en propofant au Baron
d'Etange le mariage de fa fille avec S.
Breux. Cette propofition fut reçue avec
une hauteur qui dégénéra en offenſe ; &
le mécontentement du Baron retomba
fur fa ferme , qui avoit introduit le jeune
homme dans fa maiſon , & fur Julie qui
parut prendre trop d'intérêt à la défenfe.
Alors la féparation de Julie & de S. Preux
devins néceflaire ; il n'étoit plus poffible
AVRIL 1461 . 97
que les deux amans fe viffent dans la mai
fon du Baion. Edouard propofa à Julie
de partir pour l'Angleterre ; il lui offrit
une terre d'un revenu plus que fuffifant ,
pour y vivre avec S. Preux dans les liens
du mariage qu'il lui feroit , facile de contracter
dans un pays de liberté. Le refus
de Julie eft accompagné des plus nobles
fentimens de vertus. L'amour ne lui fait
point oublier ce qu'elle doit à fa famille ,
ce qu'elle doit à elle -même : elle eſpère
que le temps & des circonftances plus favorables
la réuniront à fon amant fans
fe déshonorer . S. Preux part pour la
France avec Milord Bompon . Cet Anglois
le met en état , par une penfion qu'il le
force d'accepter , de vivre à Paris d'une
manière diftinguée . Le féjour qu'il fait
dans cette Capitale , lui donne lieu d'en
examiner les moeurs & les ufages , les
fpectacles & les plaifirs. Ces différens
articles font la matière de plufieurs lettres,
dans lesquelles M. Rouffeau ne donne pas
une idée bien avantageufe de notre mus
fique , de notre opera , de nos comédies ,
des fociétés de Paris & des femmes . Il eft
vrai que le mal qu'il en dit , eft toujours
mêlé de quelque bien. » Paris eft l'aima
ble fource des lumiéres & de l'inftruc
tion ; & l'on eft d'abord enchanté du
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
fçavoir & de la raiſon qu'on trouve dans
» les entretiens , non feulement des Sca-
» vans & des Gens de Lettres , mais des
» hommes de tous les états , & même des
» femmes. Le ton de la converſation y
» eft coulant & naturel ; il n'eft ni pefant
ni frivole. Il eft fçavant fans pé-
» danterie , gai fans tumulte , poli fans
affectation , galant fans fadeur , badin'
»fans équivoques. Ce ne font ni des dif-
" fertations ni des épigrammes ; on y
» raiſonne fans argumenter ; on y plai-
»fante fans jeux de mots ; on y affocie
» avec art , l'efprit & la raiſon , les maxi-
» mes & les faillies ; la, fatyre aigue , l'a-
» droite flatterie & la morale auftère . On
y parle de tout , pour que chacun ait
» quelque chofe à dire ; on n'approfondic
» point les queſtions de peur d'ennuier,on
» les propofe comme en paffant ; on les
" traite avec rapidité ; la préciſion méne
» à l'élégance ; chacun dit fon avis , &
l'appuie en peu de mots ; nul n'attaque
» avec chaleur celui d'autrui ; nul ne dé-
» fend opiniatrément le fien ; on difcute ,
» pour s'éclairer ; on s'arrête avant la dif-
» pute , chacun s'inftruit ; chacun s'amu-
» fe ; tous s'en vont contens ; & le fage
» même peut rapporter de ces entretiens
" des fujets dignes d'être médités en fi .
» lence . »
n
">
AVRIL. 1761 . 79
S. Preux fait part à Julie de fes amufemens
à Paris. Il lui apprend qu'il a été
entraîné , fans le fçavoir , dans un lieu de
débauche ; & que dans l'ivreffe il s'eft
livré aux plaifirs que l'on goûte dans ces
fortes de maifons. Julie trouve moins de
tort dans cette faute , que de mérite à la
confeffer. Elle juge qu'un coeur auffi fincère
eft incapable d'une infidélité cachée .
Il y avoit peu de mois que S. Preux
avoit quitté la Suiffe , lorfque la parente
de Julie , la jeune Claire , époufa M.
d'Orbe. C'est un gentilhomme du pays
de Vaud , qui joue un rôle peu important
dans le roman ; auffi M. Rouffeau le fait il
mourir prèſque auffi ; tôt qu'il a rendu fon
époufe mere d'une fille . Il fe défait auffi
de la mere de Julie ; mais il veut qu'elle
foit inftruite auparavant des amours & de
la faute de l'amante de S. Preux , dont
elle furprend toutes les lettres ; la douleur
qu'elle en conçoit , jointe à une maladie
de langueur , qui la confumoit infenfiblement
la conduit enfin au tombeau.
Sur ces entrefaites , on reçoit une
lettre de M. de Wolmar , qui annonce fon
arrivée prochaine. Le Baron d'Etange
rappelle à Julie la parole qu'il á donnée
à fon ami , & lui ordonne de fe préparer
à recevoir fa main. Pour la premiere fois
>
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
de fa vie, cette fille reſpectueuſe oſa refifter
en face à fon pere. Elle protefta que jamais
M. de Wolmar ne lui feroit rien; qu'el
le étoit déterminée à mourir fille; que fon
pere étoit maître de fa vie , mais non pas
de fon coeur ; & que rien ne la feroit
changer de volonté. Le Baron voyant qu'il
ne gagneroit rien par autorité , fe jette '
à fes pieds , attendri & fondant en larmes.
Elle avoit eu des armes contre les menaces
; elle n'en eut point contre fes pleurs.
Le feul moyen qui lui reftoit encore , fur
de déclarer fans détour , l'engagement
qu'elle avoit avec S. Preux , à qui elle
avoit promis de n'en jamais époufer d'au
tre que lui , fans fon confentement . Il
faut donc le demander ce confentement
fi néceffaire , dit le Baron ; & fur le champ
il obligea fa fille d'écrire à S. Preux , pour
le prier de la dégager de fa parole. Avec
quelle agitation elle attendit fa réponſe 2
Combien elle fit de voeux pour trouver
dans fon amant moins de délicateffe qu'il
n'en devoit avoir ! mais elle le connoiffoit
trop , pour douter de fon obéiffance ; &
elle fçavoit que plus le facrifice exigé ſeroit
pénible , plus S. Preux feroit prompt
à fe l'impofer. Cette réponſe arriva enfin ;
& elle étoit conçue en ces termes : >> je
» rends à Julie d'Etange , le droit de difAVRIL
1961, 84
pofer d'elle - même , & de donner fa
main fans confulter fon coeur. Il ne
reftoit donc aucun prétexte à Julie pour
refufer celle de M. de Wolmar ; mais le
chagrin que lui cauferent tous fes revers ,
affaiblirent tellement fa fanté , qu'en fe
mettant au lit , elle eſpéra ne s'en plus
telever. Son mal étoit la petite vérale,
S. Preux apprend cette nouvelle à Paris
il prend la pofte , & dans trois jours il
arrive dans la maiſon de Madame d'Orbe.
Il obtient d'elle , quoiqu'avec beaucoup
depeine , qu'il verra Julie la nuit fuivante:
mais à condition qu'il ne lui parlera pas,,
& qu'il repartira dans l'inftant. Arrivé auprès
du lit de Julie , il apperçoit une de
fes mains ; il s'en failt ; il la baile avec
ardeur ; & comme il n'avoit point eu luimême
la petite vérole , illa gagne par ce
baifer. Il ne pouvoit être plus mal préparés
dit M. Rouleau ; mais c'étoit l'inoculation
de l'amour ; elle fut heureufe .
+
Les baifers de feu que S. Preux avoir
appliqué fur la main de Julie , réveillerent
Ja malade. Madame d'Orbe s'en apperçut,
& malgré la réfiftance & les plaintes de
fet amant défefpéré , elle l'arracha de la
chambre , & l'obligea de partir. Julie crus
n'avoir fait qu'un rêve , ce ne fut qu'après
fa guérison , qu'on lui apprit la réalité de
Cette entrevue
80 MERCURE DE FRANCE.
de fa vie, cette fille refpectueufe ofa refifter
en face à fon pere. Elle protefta que jamais
M. de Wolmar ne lui feroit rien ; qu'el
le étoit déterminée à mourir fille ; que fon
pere étoit maître de fa vie , mais non pas
de fon coeur ; & que rien ne la feroit
changer de volonté. Le Baron voyant qu'il
ne gagneroit rien par autorité , fe jette'
à fes pieds , attendri & fondant en larmes.
Elle avoit eu des armes contre fes menaces
; elle n'en eut point contre fes pleurs.
Le feul moyen qui lui reftoit encore , fut
de déclarer fans détour , l'engagement
qu'elle avoit avec S. Preux , à qui elle
avoit promis de n'en jamais époufer d'au
tre que lui , fans fon confentement . Il
faut donc le demander ce confentement
fi néceffaire , dit le Baron ; & fur le champ
il obligea fa fille d'écrire à S. Preux , pour
le prier de la dégager de fa parole . Avec
quelle agitation elle attendit fa réponſe
Combien elle fit de voeux pour trouver
dans fon amant moins de délicateffe qu'il
n'en devoit avoir ! mais elle le connoiffoit
trop , pour douter de fon obéiffance ; &
elle fçavoit que plus le facrifice exigé feroit
pénible , plus S. Preux feroit prompt
à fe l'impofer. Cette réponſe arriva enfin ;
& elle étoit conçue en ces termes : » je
rends à Julie d'Etange , le droit de dif
AVRIL 161 184
3
pofer d'elle - même , & de donner fa
main fans confulter fon coeur. Il ne
reftoit donc aucun prétexte à Julie pour
refufer celle de M. de Wolmar ; mais le
chagrin que lui cauferent tous les revers ,
affaiblirent tellement fa fanté , qu'en fe
mettant au lit , elle efpéra ne s'en plus
telever. Son mal étoit la petite vérale,
S. Preux apprend cette nouvelle à Paris
il prend la pofte , & dans trois jours il
arrive dans la maifon de Madame d'Orbe.
Il obtient d'elle , quoiqu'avec beaucoup
depeine , qu'il verra Julie la nuit fuivante;
mais à condition qu'il ne lui parlera pas ,,
& qu'il repartira dans l'inftant. Arrivé auprès
du lit de Julie , il apperçoit une de
fes mains ; il s'en faift ; il la baile avec
ardeur ; & comme il n'avoit point eu luimême
la petite vérole , illa gagne par ce
baifer. Il ne pouvoit être plus mal préparés
dit M. Rouleau ; mais c'étoit l'inoculation
de l'amour ; elle fut heureufe .
Les baifers de feu que S. Preux avoir
appliqué fur la main de Julie , réveillerent
Ja malade. Madame d'Orbe s'en apperçut
& malgré la réfiftance & les plaintes the
çet amant défefpéré , elle l'arracha de la
chambre , & l'obligea de partir . Julie crut
n'avoir fait qu'un rêve ce ne fut qu'après
fa guérifon , qu'on lui apprit la réalité de
Cette entrevue.
82 MERCURE DE FRANCE.
La fille du Baron d'Etange eſt enfirr
contrainte d'époufer M. de Wolmar. Plus
elle approchoit du moment fatal , moins
elle pouvoit déraciner de fon coeur fes
premieres affections. » Dans l'inftant même
, dit elle , où j'étois prête à jurer à
» un autre une éternelle fidélité , mon
» coeur juroit à mon amant un amour
» éternel. Je fus menée au Temple com-
» me une victime impure , qui fouille le
» facrifice où l'on va l'immoler . Arrivée
» à l'Eglife , je fentis en entrant, une forte
» d'émotion que je n'avois jamais éprou
» vée. Je ne fçais quelle terreur vint fai-
» fir mon âme dans ce lieu fimple & augufte.
Une frayeur foudaine me fit frif-
» fonner... Loin de me remettre , je fen-
» tis mon trouble augmenter durant la
» cérémonie ... Le jour fombre de l'édifi-
» ce , le profond filence des fpectateurs ,
» leur maintien modefte & recueilli , le
» cortège de tous mes parens , l'impofant
afpect de mon vénéré père , tout donnoit
à ce qui s'alloit paffer , un air de
» folemnité qui m'eût fait frémir à la
» feule idée d'un parjure . Je crus voir l'or-
» gane de la Providence , & entendre la
"
voix de Dieu dans le Miniftre pronon-
» çant gravement la fainte liturgie . La
» pureté , la dignité , la fainteté du maAVRIL
1761.
"
4
riage , fes chaftes & fublimes devoirs }
» tout cela me fit une telle inipreffion ,
que je crus fentir intérieurement une
révolution fubite. Une puiffance incon-
» nue fembla cortiger tout-à- coup le défordre
de mes affections , & les rétablie
» felon la loi du devoir & de la nature.
Ceft ainfi que M. Rouffeau prépare le
miracle qui s'opére au mariage . de Julie.
Quand le Pafteur me demanda , ajoutet-
elle , fi je promettois obéiffance & fidélité
parfaite à celui que j'acceptois pour
époux , ma bouche & mon coeur le promirent
; je le tiendrai jufqu'à la mort.
S. Preux ayant perda l'efpérance de
poffeder ce qu'il avoit de plus cher , a
befoin de toute fa lageffe & des confeils
d'Edouard pour ne pas attentet à fes
jours. C'est ici que commence cette grave
controverfe fur le Suicide , où l'on difcute
de part & d'autre , les raifons qu'on
peut avoir de fe donner la mort , & lés
motifs qui doivent nous en détourner.
» Tu t'ennuies de vivre , dit Milard à fon
ami ; & tu dis , la vie éft un mal : Toe
» ou tard tu feras confolé , & tu diras :
la vie eft un bien. Tu diras plus vrai ,
fans mieux raifonner ; car rien n'aura
changé que toi. Change donc dès au
» jour d'hui ; & puiſqué c'eft dans la niau-
"
Dv
84 MERCURE DE FRANCE.
"
» vaife difpofition de ton âme, qu'eft tout
» le mal , corrige tes affections déréglées
, & ne brule pas ta maifon , pour
» n'avoir pas la ppeeiinnee ddee llaa ranger.....
"
»

Та
parles des devoirs du Magiftrat & du
» Père de famille ? & parce qu'ils ne te
» font pas impofés , tu te crois affranchi
de tout ; & la fociété à qui tu dois ta
» confervation , tes talens , tes lumières ;
la patrie à qui tu appartiens , les mal-
» heureux qui ont befoin de toi , ne leur
dois- tu rien ? O l'exact dénombrement
que tu fais ! Parmi les devoirs que tu
comptes, tu n'oublies que ceux de l'hom-
» me & du citoyen ... Socrate innocent ,
" par refpect pour les loix ne voulut pas
» fortir de prifon ; tu ne balances point à
» les violer injuſtement pour fortir de la
» vie; & tu demandes, quel mal fais- je ? .. Il
te fied bien d'ofer parler de mourir, tandis
que tu dois l'uſage de tá vie à tes femblables
! apprends qu'une mort , telle
» que tu la médites , eft honteufe & furtive.
C'est un vol fait au genre humain :
avant de le quitter , rends - lui ce qu'il a
>> fait pour toi.
Convaincu par les raifons du Milord ,
S. Preux prend la réfolution de vivre.
Mais cominent fupporter l'idee d'une féparation
éternelle 2 Edouard perfuade à
AVRIL. 1761
fon ami de quitter l'Europe , & de chercher
dans un autre hémisphère , la paix
dont il n'a pu jouir fur celui- ci . Il le fait
embarquer fur le navire de l'Amiral Anfon
,en qualité d'ingénieur ; & c'eft par cer
événement que M. Rouffeau termine le
troifiéme volume de cette hiftoire . Levoyage
de S. Preux autour du monde , fon retour
en Suiffe , la réception que lui fait M.
de Wolmar , la vie qu'il mène dans cette
maiſon , la mort de Julie , feront la matiére
des volumes fuivans , dont nous rendrons
compte dans le prochain Mercure
NOUVELLES RÉFLEXIONS fur le
Principe Sonore , à la fuite du Code de
Mufique &c. par M. RAMEAU.
LE
SECOND EXTRA IT.
E Principe de tout est un : c'est une vérité
dont tous les hommes qui ont fait ufage
de la pensée, ont eu le fentiment , & done
perfonne n'a eu la connoiffance, Convaincus
de la néceffiré de ce Principe univerfel , les
premiers Philofophes le chercherent dans la
Musique.
Tel eft le début de l'introduction des
nouvelles Réflexions de M. Rameau,
Après avoir établi toutes les raifons qui
$6 MERCURE DE FRANCE.
conduisent naturellement aux idées qu'on
doit fe former de ce Principe , raifons que
l'Auteur rappelle dans la circonftance préfente
; il fait voir p . 212 , & les fuivantes
que pour donner une idée de l'infini , le
Principe fe place au centre de fes aliquotes
& aliquantes ( a ) qu'il fait également frémir,&
qué pour prouver qu'il contient tout
fans pouvoir être contenu , il force fes aliquantes
à fe divifer en fes uniffons , nous
privant cependant , par là , d'une variété
qui fe fait defirer naturellement de ce côté
, comme de l'autré ; mais , ce dont il né
peut nous gratifier en ce cas fans perdre
fes droits , il en céde le privilége aux trois
premieres confonnances qu'il engendre :
fçavoir : fon octave , fa 12 ° & fa 17 , en
même temps que ces trois nombres premiers
,, (b) qui fervent à les indiquer ,
& dont la réfonnance fe borne au pour
nos oreilles ; fans doute pour nous dire
(a ) Aliquote , oufous-multiple fignifie une par
tie du corps , comme la moitié , fon tiers fon
quart &c. & Aliquante ou Multiplé , fignifie fon
44
double 2 , fon triple 3 &c.
(b) Si toute la théorie & la pratique de la Mufique
font fondées fur ces trois premieres confonnances
, que n'en doit - on pas conclure en faveur
des trois gammes annoncées à la tête du Code dé
Mofique, pour l'intelligence de tout ce qui concerne
cet Art ?
AVRIL. 1761 . 87
qu'on doit s'y borner auffi , du moins en
Mufique. P. 204 , 221 , & ailleurs : il les
établir dès-lors pour ordonner de toute
fa génération , p. 202 , dernier alinea , ou
la preuve , qui fe trouve dans des inftrumens
artificiels , va ſe confirmer de plus en
plus .
Les découvertes de M. Rameau fur ce
fujet , font d'autant plus curieufes , qu'elles
ont échappé aux plus grands Philoſophes
& Mathématiciens , lorfque cependant
il paroit que leurs fpéculations n'ont
pu s'épuifer que dans les idées qu'ils en
ont reçues.
Le corps fonore, repréſenté par quelque
nombre que ce foit , & fur- tout ici par l'unité
, produit un effet fi charmant avec
fon & fon , qu'il fait entendre lorsqu'il
réfonne , qu'on a cru ne pouvoir lui donner
qu'un titre , dont on peut fe fervir.
dans toutes les circonftances oùle trouveroient
les plus parfaits rapports entre pluhieurs
corps exiftans réellement , ou en
idée ; bientôt après pour l'appliquer aux
autres Sciences , on y a affocié celui de
Proportion , comme l'a fait Eudoxe ( c ) en
qui certainement une pareille idée n'a pû
fe former que fur l'effet enchanteur qu'il
a éprouvé de cette harmonie. Mais ce
(c ) Du temps de Platon.
$8 MERCURE DE FRANCE.
I I

qu'il y a de fingulier , c'eft d'entendre avec
ce corps fonore réfonner fes moindres parties,
pendant qu'on n'y diftingue point
les plus grandes , : ce qui doit d'abord
furprendre , en ce que, dans tout autre cas
du moins , les plus grandes parties , les
plus grands corps font ceux qu'on apperçoit,
qu'on diftingue le plus promptement
& le plus facilement; au lieu qu'ici la Nature
nous apprend que plus il y a d'analogie
entre les termes, moins leur différence
fe diftingue. Auffi le & le indiquentis
les octaves du corps fonore , qui pour
lors fe confondent tellement avec lui qu'il
y paroît unique : ce qui confirme leur iden
tité , déjà reconnue dans la Pratique , d'une
manière à n'en pouvoir plus douter. (4)
Cette même analogie fe reconnoît encore
entre la 12. repréfentée par le , & la 17.
repréfentée par le : quoique cette dermière
partie foit la moindre , fa réfonnance
fe diftingue néanmoins prèfque toujours
Ja première ; & dès- lors il eft rare qu'on
puiffe y démêler enfuite celle du . Si les
octaves s'y diftinguoient , on fentiroit l'effet
de la quinte , entre & , & celui de
la 10. entre ce & , plus encore celui
de la tierce majeure , entre le & ce s
Arierce qui cependant ne fe diftingue ja
1
AVRIL 1761 . 89
mais , en pareil cas , que comme 17° , pendant
que nous ne l'apprécions que comme
tierce, même quand nous voulons l'entonner.
Admirons les loix de la Nature , qui ,
pour le prêter aux bornes de nos facultés ,
(e ) a précisément occafionné cette identité
des octaves ! mais elle y a porté les
vues plus loin , fi l'on peut s'exprimer de
la forte ; & ne croyons pas que la ſeule
Mufique y ait part : ne fe feroit-elle occupée
que de nos amuſemens , fans avoir
égard à nos befoins ; & l'homme feroit-il
affez ingrat pour croire devoir ſes ſpéculations
à d'autres idées qu'à celles qui ont
pú naître en lui des effets dont la fenfibilité
l'emporte fur ceux de tout autre objet ,
au point même d'exciter fa curiofité pour
en tirer des inftructions favorables ? L'hif
toire que l'Auteur a imaginée fur le compte
du premier homme , p. 215 , tend à ce
but , & tient du moins beaucoup de la
vraisemblance ; dès qu'on ne peut autrement
prouver les faits.
Comment fe peut- il que depuis que fa
proportion harmonique eft reconnue entre
ces trois termes , 1 , on n'ait fait
aucune attention à ceux- ci , cependant
trois termes de chaque côté , où les
fenfibles & les infenfibles femblent être
(e) Ibideme
go MERCURE DE FRANCE..
II
expreflément entrelacés avec des diffé
fences oppofées aux premières idées qui
peuvent s'y préfenter , pour attirer notre
attention : reconnoître les moindres parties
pour une proportion , & garder le filence
fur les plus grandes , parce qu'elles
femblent apparemment le garder de leur
côté , quoiqu'elles réfonnent : cela ne ré
pond guéres à Fopinion qu'on doit avoir
d'un vrai Philofophe. Ne voir encore ,
dans la proportion harmonique , qu'un
renversement de l'Arithmétique reçue ,
pendant que la géométrique faute aux
yeux dans 1 , qui d'ailleurs fe trouve la
même dans fon renverfement 1 , 2 , 4 ,
c'est ce qu'on ne conçoit pas excepté que
la loi de l'analyfe , fondée fur les grandeurs
, n'ait fait perdre de vue la plus
grande évidence. Mais que penfer de
ce nombre innombrable de fpeculateurs
en Mufique , qui , à commencer par le
premier de tous , ont d'abord été fenfibles
à cet ordre de fons , at , ré , mi, fa ,
&c . où il ne s'agit que d'une fucceffion ,
( chacun des deux fons à la fuite l'un de
l'autre ne pouvant réfonner enſemble fans
choquer l'oreille ) pendant qu'il n'y a pás
moyen d'en trouver la moindre tracé dans
la proportion harmonique ? qu'en penſer ,
dis-je loin de s'occuper à chercher quelle
AVRIL. 1761 . 91
peut être l'analogie néceffaire entre la
proportion & cette fucceffion , on ne s'eft
amufé qu'à découvrir les vrais rapports
d'un fon à l'autre de cette même fucceffion
. Qu'on les ait trouvés ou non , en efton
plus avancé ? (ƒ) Que deviendra donc
l'harmonie? faudra- t- il s'en tenir aux trois
fons qui la forment , comme on le remar
que dans la Lettre à M. d'Alembert , p. 2 ?
où puifer la marche de cette harmonie ?
comment la faire accorder avec cette mélodie
qui nous eft déjà familière ? n'y a- til
aucun rapport entre elles ? laquelle a
produit l'autre ? voilà bien des raisons qui
paroiffent avoir échappé à de grands hommes.
Si la raiſon n'a pû ſe défendre de donner
le titre de proportion à l'harmonie ,
on ne voit pas qu'elle ait pû percer de même
jufqu'à l'origine de ces moindres degrés
naturels , ut, ré, mi ,fa, & c, qui forment
tous diffonance de l'un à l'autre : de forte
qu'en attribuant à l'art , le principe de la
diffonance , comme on le fait dans l'Encyclopédie,
n'eft -ce pas y comprendre ces
(f) La Mufique des Chinois ne fubfifte encore
qu'en Unillons , comme le rapporte le R. P. Amiot
dans le Manufcrit cité à la p. 189 des nouvelles
réfléxions : quoiqu'ils aient puifé leur fyftême dans
la progreffion triple , aufli bien que Pythagore.
92 MERCURE DE FRANCE.
moindres degrés même ? On écoute cependant
encore ceux qui n'ont fondé leur
fyftême que fur ces moindres degrés , furtout
les anciens dont les vagues raifonnenens
établis fur de fimples hypothèſes
nous ont tous éblouis , par une fi forte
prévention en leur faveur , qu'aucun ne
s'eft encore avifé d'appeller la raiſon à
fon fecours. Le temps de déffiller les
fur cet article eft enfin arrivé.
yeux
Que voyons nous dabord dans l'identité
des octaves qui donne une proportion
géométrique , appellée double ? ( g ) nous
voyons le nombre premier 2. devenir
le dénominateur de la progreffion dont il
eft fufceptible ; en conféquence de la qualité
de double ou fous - double que lui donne
fon principe , & qui lui fournit enfuite
fon double dans fon octave 4 c'est donc
pour lors 2. qui ordonne , & nullement le
principe? par-là 2. reçoit l'avantage que ce
principe n'a pu fe procurer fans fe dénaturerlui-
même , puifque ce 2. trouve d'un
(g) Double & fous -double font ce qu'on entend
par aliquante ou multiple , & par aliquote ou
fous- multiple , puis encore par antécédent & confequent.
Or le principe ne petit avoir d'antécédent
, puifque cet antécédent feroit en même tems
fon multiple , plus grand que lui , & qu'il force
pour lors à fe divifer en fes uniflons , comme on
J'a déjà.dir.
AVRIL. 1761 . 93
côté fon double , & de l'autre fon fousdouble
, qui peuvent fe perpétuer autant
qu'on le voudra ; ce qui s'appelle progreffion
ou fucceffion . C'est donc bien le produit
qui ordonne en ce cas , & nullement
le principe , qui fe contente d'engendrer
des ordonnateurs dans autant de nombres
premiers qu'on le voudra . L'unité n'eſt
pas un nombre , elle en eft feulement le
principe : de même auffi le principe n'eſt
pasu ne confonnance ; c'eft fon produit qui
la forme cepen dant conjointement avec
lui ; mais bientôt oubliant le générateur ,
on ne s'occupe plus que du produit , comme
s'il étoit la premiere caufe : on table
uniquement fur l'octave , fur la quinte
&c. Auffi, dès qu'on mettra la proportion
double en progreffion , c'eft 2 , c'est l'octave
qui ordonnera de côté & d'autre ; of
pour lors on ne trouvera partout que
des
octaves , & par conféquent les mêmes fons
pour leur harmonie, tout y étant également
identique. Mais ce modéle ne fuffit- il pas
pour qu'il foit libre de l'imiter avec tel autre
nombre premier qu'on voudra ? Il ne
faut pas être grand philofophe pour imaginer
une pareille imitation; ce feroit fe rebuter
bien mal à propos ,lorfqu'on voit encore
dans l'harmonie donnée , deux nombres
premiers ; fçavoir, 3 & 5 , fufceptibles
94 MERCURE DE FRANCE.
de la même loi , pag. 195 & 196. Cette
idée ne le préfente pas plûtôt , que revenant
fur les pas , on voit la quinte conftituer
l'harmonie : la tierce n'y étant ap
pellée que pour former cette quinte , en
fe joignant à une autre tierce , où pour
lors ces deux tierces changeant d'ordre ,
fans que la quinte change , il en naît une
nouvelle variété , qui produit en même
temps le renversement de la proportion
harmonique en celle de l'Arithmétique
pag. 199 & 200. Voilà déja quelque cho
fe. Mais comment faire ufage de ces deux
harmonies , fi je ne trouve pas le moyen
de les mettre en marche , de leur donner
une progreffion , une fucceffion ? Ce que
l'expérience peut me faire fentir fur ce
fujet , ne fatisfait pas la raifon je nel
fçais pas même pourquoi l'ordre diatonique
, ut, ré, mi, fa , &c. m'eft naturellement
infpiré , ni d'où naiffent les rap
ports qu'exige la fucceffion des fons dont
fe forme cet ordre , excepté que je ne
veuille m'en tenir aux confonnances que
j'ai foumises à des calculs pour cet effet.
Hé bien ! c'est donc à ces confonnances
que je dois avoir recours ? Je me rappelle
en conféquence les nombres 1 , 2 , 4 ,
donnés par la réfonance du corps fonore,
& la fucceffion que j'ai pû y fuppofer
AVRI L. 1761. 95
20
Ι
Cette mais n'y ayant trouvé partout que la mêes
me harmonie ; ce tout y étant identique :
je conçois dès lors qu'il naîtra néceffairement
une variété des nombres 3 & s , en
imitant avec eux une proportion, pareille
à celle que m'ont donné 1 , 2 , 4 par conféquent
fi j'ai d'abord doublé , je triplerai
ainfi 1,3,9 , & je quintuplerai de même
1 , 5. 2 , 5. Enfuite , voyant 3 engendré
le premier après 2 ; & le voyant , de plus ,
conftituer l'harmonie ; je le mets en marche
, & je n'ai pas plûtôt fait fuccéder
deux fons à la quinte l'un de l'autre , chacun
me donnant fon harmonie particulière
, que je trouve dans les différentes
combinaiſons entre les fons de chacune
des deux harmonies qui fe fuccédent , tout
ce qu'il y a de plus naturel en mufique ,
tel qu'il nous a été fuggéré dans tous les
tems , tel furtout qu'il nous a dabord été
offert dans ce Tétracorde, fi , ut , ré, mi , &
par conféquént mi , ré, ut, fi, dont on peut
attribuer l'invention au premier homme
, du moins à l'un de ceux qui ont précédé
Pythagore , & dont depuis celui - ci
jufqu'à Zarlino , les rapports ont toujours
été falfifiés , même encore après ce dernier
, pour les raifons rapportées dans l'introduction.
S'agit- il enfuite de toutes les
6 MERCURE DE FRANCE.
variétés que peut fouffrir ce premier or
dre ; on en trouve l'origine dans la proportion
quintuple : fi bien que de ces trois
feules proportions géométriques , naiſſent
non feulement tout ce que la Mufique a
de plus compliqué, dans fa théorie & dans
fa pratique ; mais encore tous les premiers
principes de géométrie , en y fous - entendant
l'harmonique , dont l'Arithmétique ,'
qui en eft renverfée , peut tenir lieu . Les
produits des proportions qui repréfentent
celles que le corps fonore établit fur chacune
de fes confonnances , font expliqués
dans les articles qui leur font particuliers .
Le Code de Mufique , & les nouvelles
réflexions , jufqu'à la lettre à M. d'Alembert
, font de furs garans de tout ce qu'on
avance ici , quoiqu'un homme intelligent
doive y reconnoître déja de grandes vérités.
Mais les bornes d'un Extrait ne permettent
guéres qu'on s'étende davantage
fur une matiére , où l'on préfére volon
tiers les fleurs aux fruits.
EPITRE
AVRIL. 1761 . 97
EPITRE AU PEU PLE . Ouvrage préfenté
à l'Académie Françoife , en 1760. Par
M. THOMAS , Profeffeur en l'Univerfité
de Paris , au Collège de Beauvais.
Tor , qu'un injufte orgueil condamne à la baſfelle
,
Toi , qui né fans ayeux & vivant fans molleffe ,
Portes feul dans l'État le fardeau de la loi ,
Et fers par tes travaux ta patrie & ton Roi ,
D'utiles Citoyens refpectable affemblage ,
Que dé laignent les Cours, mais qu'eftime le Sage;
PEUPLE , j'oſe braver cet infolent mépris :
D'autres flattent les Grands ; c'est à toi que j'écris.
A l'afpect de ces Grands , dont l'éclat t'impor
tune ,
Je t'entends de tes cris fatiguer la fortune ,
Accufer ta mifére , envier leur fplendeur ;
Apprends à t'eftimer , & connois ta grandeur.
C'est toi qui des États foutenant la puiffance ,
Répands fur ces grands corps la gloire & l'abondance.
En tous lieux , en tous temps , foit qu'un Monarque
heureux
Gouverne par l'honneur un Peuple belliqueux ;
Soit que le Citoyen , libre & digne de l'etre ,
I. Voh
E
98 MER CURE DE FRANCE.
Vive foumis aux loix , fans eſclave & fans maître ;
Soit que le defpotifme , entouré de bourreaux ,
Sous les pieds d'un feul homme enchaîne ſes égaux}
Tes bras , tes mouvemens , ta féconde induſtrie ,
Multipliant partout les germes de la vie ,
Par des travaux actifs animent l'univers :
Cent Rois aux Nations n'ont donné que des fers.
Le Conquérant détruit ; tu conferves le monde.
Il ravage la tèrre , & tu la rends féconde.
La trifte humanité ne doit qu'à tes ſecours
Ces puiffans végétaux , les foutiens de nos jours.
Cet Art , dit- on , eft vil : oferoit- on le croire ?
Bienfaiteur des humains, quel titre pour la gloire !
Ta bêche & ta charrue , utiles inftrumens ,
Brillent plus à mes yeux que ces fiers ornemens ,
Ces clefs d'or , ces toifons , ces mortiers , ces couronnes
,
Monumens des grandeurs , femés autour des Trônes.
Cet Art eft le premier ; il nourrit les mortels .
Dans l'enfance du monde il obtint des autels .
De ces champs fortunés que ta main rend fertiles
,
Pour t'admirer encor , je paffe dans les villes.
La tèrre avec orgueil les porte fur fon ſein.
Là dans tout fon éclat brille le genre humain.
Là tous les Arts unis , & ceux que nos miféres
A l'humaine foibleffe ont rendu néceffaires;
AVRIL. 1761 . 99
Erceux qu'on luxe utile , enfant des doux loiſirs ,
Fit naître pour charmer le befoin des plaifirs,
Aux réglés: du génie affer viffant l'adreffe',
Font par mille canaux circuler la richeffe.
Ces Arts font ton ouvrage , & reproduits cent fois,
Pour le bonheur du monde ils naiffent à ta voix .
Dompté fous tes marteaur , le fer devient docile .
Tu façonnes le bois , & tu paîtris l'argile ;
Par tes fçavantes mains , la toiſon des ' brebis ,
Le lin , la foye & l'or , font tiffas en habits .
La fange des métaux , fous tes doigts épurée ,
Brille , aux befoins publics noblement confacrée ,
Et le marbre póli s'élève jufqu'aux cieux ,
Pour les Palais des Rois ou les Temples des Dieux.
Tu ne te bornes pas au bien de ta patrie.
Le monde entier jouit de ta noble induſtrie .
Par les noeuds du commerce embraſſant l'univers,
Tes mains forment un pont fur l'abîme des mers .
Si les Princes armés fe difputent la tèrre ,
Tu fais par ta valeur les deftins de la guèrre.
Tes corps font les remparts des Etats défolés ;
C'est toi qui raffermis les Trônes ébranlés.
Que je méprife un Grand qui , fier de fa Nobleffe
,
Dort inutile au monde , au fein de la molleffe 3
Un ftupide Craffus , énervé de langueur >
Qui fatigue mes yeux d'un luxe fans pudeur !
Eij
386311
100 MERCURE DE FRANCE.
Nous admirons l'éclat; vains juges que nousfommes
!
Le véritable honneur eft d'être utile aux hommes,
En vain les préjugés ont ofé t'avilir ,
1
Peuple pour ton pays , tu fçais vivre & mourir.
Il eft , il eſt encore un plus rare avantage.
La tranquille innocence eft ton heureux partage.
Les Rois ont des états ,les Grands ont des honneurs,
Le Riche a des tréfors , & le Peuple a des moeurs.
Ce fiécle malheureux foule aux pieds la nature.
Les noms de Fils , d'Epoux feroient- ils une injure?
La dignité barbare , au coeur dur , à l'oeil fier,
En prononçant ces noms croiroit s'humiljer.
C'est vous, qui de vos coeurs leur prêtez la baffeffe,
Ingrats , & la nature a toujours fa nobleffe.
Peuple , ces noms pour toi n'ont rien que de facré ;
Et tu n'as point l'orgueil d'être dénaturé.
Fatigués de plaifirs , idolâtres d'eux- mêmes ,
Les Courtifans altiers , dans leurs grandeurs fu
prêmes ,
D'un oeil indifférent verront des malheureux.
Le Pauvre est né ſenſible ; il s'attendrit ſur eux ,
Il foulage leurs maux , il reffent leurs allarmes ,
Il goûte le plaifir de répandre des larmes."
n'a point cette grâce & ces dehors flateurs ,
Des Marquis de nos jours , avantages trompeurs ;
Et jamais fon efprit , façonné par l'ufage ,
N'a , d'un brillant vernis , coloré fon langage,
AVRIL. 161 . 10%
D'an,mafque féduifant , il n'eft pas revêtu ;
Ce mafque eft la décence , & non pas la vertu
L'élégance des moeurs annoncé leur ruine.
Ces Courtisans polis , que l'intérêt domine ,
En plongeant un poignard vantent l'humanité :
S'ils ont l'éclat du marbre , ils ont fa dureté.
que j'aime bien mieux la ruftique droiture
Du Laboureur conduit par la fimple nature !
Sous des dehors groffiers ſon coeur est généreux ;
C'eſt l'or enseveli fous un terrein fangeux.
Que de coupables mains s'élevant juſqu'aux
Trônes ;
Sur les têtes des Rois , ébranlent leur Couronnes ?
Penple , tu ne fçais point par de grands attentats
Epouvanter la tèrre , & changer les Etats :
Ou , des complots fameux inftrument & victime ,
Si ta main quelquefois a fecondé le crime ,
C'eſt le fouffle des Grands qui pouffe tes vaiſſeaux
Dans la nuit de l'orage , égarés fur les eaux .
Les Tigres , les Lions , ardens à ſe détruire ,
Pour régner dans les bois , déſolent leur empire :
Dans ces bois teints de lang, contente de fon grain,
La Fourmi creuse en paix fon féjour fouterrein.
Je te rends grâce, ô Ciel , dont la bonté propice,
M'écarta de ces rangs qui font un précipice !
Je n'ai point en naiffant reçu de mes ayeux ,
De l'or , des dignités , l'éclat d'un nom fameux,
Mais fi j'ai des vertus , fi mon mâle
courage
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
A toujours dédaigné l'intrigue & l'esclavage ,
Si mon coeur eft ſenſible aux traits de la pitié ,
S'il éprouve les feux de la tendre amitié ,
Et fi l'horreur du vice & m'anime & m'enflamme,
Mon fort eft trop heureux ; j'ai la grandeur de
l'âme.
Groit- on que le bonheur habite les palais ,
Soit traîné dans un char , ou porté fous le dais ?
Ces biens , ces dignités & ces fuperbes tables
Ne font que trop fouvent d'illuftres misérables.
Le germe des douleurs infecte leur repas ,
Et dans des coupes d'or , ils boivent le trépas.
Un poifon plus fateur , & plus cruel encore ,
Vient flétrir leurs beaux jours , obfcurcis dès l'aurore.
Vois ces fpectres dorés , s'avancer à pas lents ,
Traîner d'un corps ufé , les reftes chancelans
Et fur un front jauni , qu'à ridé la molleffe ,
Etaler à trente ans leur précoce vieilleffe :
C'eft la main du plaifir qui creufe leur tombeau ,
Et bienfaiteur du monde , il devient leur bourreau,
Le chagrin les pourſuit ; le Démon de l'intrigue ,
De fes foins éternels , les trouble & les fatigue .
Pour eux l'Ambition a des feux dévorans >
La Haine a des poignards , l'envie a des ferpens.
Sous l'or & fous la pourpre , ils font chargés d'entraves.
On les adore en Dieux ; ils fouffrent en efclaves.
AVRIL. 1761. 103
Peuple , les paffions ne brûlent pas ton coeur .
Le travail entretient ta robufte vigueur.
Hélas, fans la fanté, que m'importe un Royaume !
On veille dans les Cours , & tu dors fous le chaume.
Tu conferves des fens : chez toi le doux plaiſir
S'aiguiſe par la peine , & vit par le defir ;
Le fouris d'une époule , un fils qui te careffe ,
Des fêtes d'un hameau la ruftique allégrefle ,
Les rayons d'un beau jour,la fraîcheur d'un matin,
Te font bénir le Ciel , & charment ton delin .
Tes plaifirs font puifés dans une fource pure.
Ce n'est plus que pour toi , qu'exifte la´ nature .
Qui vécut fans remords , doit mourir fans tourment.
Tu ne regrettes rien , dans cet affreux moment.
Plus on far élevé , plus la mort eſt terrible ;
Et du Trône au Cercueil le paffage eſt horrible.
Sur l'Univers entier , la mort étend fes droits :
Tout périt , les Héros , les Miniftres , les Rois.
Rien ne furnagera fur l'abîme des âges.
Ce globe eſt une mer , couverte de naufrages.
Qu'importe , lorfqu'on dort dans la nuit du tombeau
,
D'avoir porté le fceptre , ou traîné le rateau ?
L'on n'y diftingue point l'orgueil du diadême ;
De l'Esclave & du Roi la pouffière eft la même.
Peuple , d'un oeil ferein , enviſage ton fort.
N'accufe point la vie , & méprife la mort.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
La vie eft un éclair ; la mort eſt un aſy le.
Ton fort eſt d'être heureux ; ta gloire eſt d'être
utile .
Le vice feul eft bas ; la vertu fait le rang s
Et l'homme le plus jufte eft auffi le plus grand.
Cet Ouvrage , qui a concouru pour
le
Prix,& qui a balancé les fuffrages de l'Académie
Françoife , fait à la fois l'éloge du
coeur & de l'efprit de fon Auteur . Il fe vend
chez Hériffant , Libraire , rue S. Jacques.
CODE DES TERRIERS , ou Principes fur
les matiéres féodales , avec le Recueil des
Réglemens fur cette matière. Ouvrage
utile à tous Seigneurs de Fiefs, Notaires ,
Commiffaires à terriers , & Commis des
Domaines. In 12. Paris , 1761. Chez
Prault père, & Valat- la - Chapelle, quai de
Gêvres , au Paradis . Avec Approbation &
Privilége du Roi .
-
DE L'AIR , de la Tèrre , & des Eaux de
Boulogne-fur - mer & des environs ; nouvelle
Edition corrigée & confidérablement
augmentée ; à laquelle on a joint Conftitution
Epidémique , obfervée fuivant les
Principes d'Hippocrate , à Boulogne- furmer
, en l'année . 1759 ; avec des differtaAVRIL.
1761 IOS
tions fur la maladie noire , les Faux du
Mont- Lambert , & l'origine des Fontaines
en général. Par M. Defmars , Médecin-
Penfionnaire de la Ville. In- 1 2. Paris
, 1761. Chez la veuve de Denis- Ancoine
Pierres , Libraire , rue S. Jacques
à S. Ambroife.
LES PRINCIPES de l'Agriculture & de
la végétation : Ouvrage traduit de l'Anglois
de M. François Home , Docteur en
Médecine , & l'un des Membres du Collége
des Médecins d'Edimbourg ; auquel
on a joint deux Mémoires nouveaux fur
la manière de préserver le froment de la
corruption , & de le conferver. In- 12 .
Paris , 1761. Chez Prault père , quai de
Gêvres. Avec Approbation & Privilége.
QUELQUES LETTRES d'une jeune Veuve
au Chevalier de Luzeincour. Brochure in-
12. 1761. Elles font fort agréables ; &
f'on en trouve quelques Exemplaires chez
Piffor , quai de Conti.
L'ARITHMÉTIQUE méthodique & dé
montrée , avec un Traité des Changes
étrangers & arbitrages opérés par la Règle
conjointe. Par J. Cl. Ouvrier de Lil
4 , Expert- Juté Ecrivain à Paris . Dédié à
Ev
106 MER CURE DE FRANCE.
M. de Sartine , Lieutenant de Police & c.
Volume in - 8° . Paris , 1761. Chez Defaint
& Saillant , rue S. Jean de Beauvais , Def
pilly , & Lottin , rue S. Jacques , & Durand
, rue du Foin.
MÉMOIRE fur les Aimants artificiels
qui a remporté le prix de Phyfique de
l'Académie Impériale des Sciences de S.
Petersbourg , le 6 Septembre 1760. Par
M. Antheaulme , Confeiller du Roi, Syndic
des Tontines. Brochure in- 12 . Paris ,
1760. Chez Butard , Libraire, rue S. Jacques
, à la Vérité. Prix , 15 f.
RÉFLEXIONS fur la Sculpture, lues à l'Académie
Royale de Peinture & de Sculp
ture, le 7 Juin 1760. Par M. Etienne Fal
conet. Brochure in- 12 . Amfterdam , 1761 .
Et fe trouve à Paris , chez Prault, petit - fils,
Libraire , quai des Auguftins , près la rue
Git-le- coeur , à l'Immortalité. Les vues
auffi juftes que difertement exprimées
de ce célébre Artifte , ne fçauroient être
trop fouées.
EXTRAIT du nouveau Systême général
de Phyfique & d'Aftronomie , ou du Syftême
électrique de l'Univers , de M, de la
Perriere de Roiffé , pour fervir d'éclairciffement
aux deux premiers volumes , imAVRIL
1765 107
primés en 1756 , & qui fe vendent chez
Paul- Denis Brocas , rue S. Jacques , &
d'introduction à la fuite que l'Auteur donnera
inceffamment au Public .
Dulcique animos novitate tenebe.
Ovid.
In- 12. Paris , 1761. Chez Debure l'aîné ,
quai des Auguftins , à l'Image S. Paul.
L'AMI DES ARTS , ou Lettre critique
d'un vieux Comédien , fur l'état préfent
de la Poëfie , & fur les Tragédies modernes
, données depuis 1757 jufqu'à ce
jour. Brochure in - 8° . Genève , 1760. On
en trouve des Exemplaires chez Robin , &
la Marche , Cours du Palais Royal.
LE CADI DUPÉ , Opéra - Comique en un
Acte , par l'Auteur du Maître en Droit ,
in- 8°. Paris , 1761. Chez Duchesne , rue
S. Jacques , au Temple du Goût. Prix ,
favec les Ariettes & Airs notés.
24
CALISTHENE , ou le Philofophe Amoureux
, Tragédie , Par M. **** A Genève,
chez les frères Cramer, 1761. Et fe trouve
à Paris , chez Robin , au Palais Royal.
ATLAS GÉOGRAPHIQUE & Militaire, ou
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
Théâtre de la Guètre préfente en Allemagne
, où font marqués les marches &
campemens des Armées , depuis l'entrée
des Troupes Pruffiennes en Saxe , en Août
1736 , juſqu'au commencement de 1761 .
Par M. Rizzi Zannoni , de la Société
Cofmographique de Gottingue, Profeffeur
de Géographie. in- 16 . Paris , 1761. Chez
Ballard, Imprimeur du Roi, rue S.Jean de
Beauvais; Laftré, Graveur, rue S.Jacques,au
coin de celle de la Parcheminerie , à la
Ville de Bordeaux. Rien de fi intéreffant,
dans les circonftances préfentes , ni de
mieux exécuté que ce petit Atlas .
LES PLAISIRS DE LA SOCIÉTÉ , ou nouveau
choix de Chanfons, avec les airs norés.
Un Recueil de Chanfons dont la pudeur
ne foit point allarmée , eft une entrepriſe
qui peut être ne fera point défagréable
au Public . Le Chanfonnier François
pouvoit facilement remplir cet objet
; & alors il eût fuffi.
Nous espérons que la Collection que
nous offrons au Public fera de ce côté- là
à l'abri d'une jufte critique. Du moins
aurons nous un foin particulier de ne laiffer
échapper aucune chanfon capable de
bleffer les oreilles délicates.
Une chanfon, pour être dépouillée d'un
AVRIL. 1761. 109
fel groffier , d'une fale équivoque , n'en
eft pas moins agréable.
Nous éviterons également de répéter
dans cette Collection les mêmes chanfons
qui auront été données dans les volumes
précédens. Attention que l'on n'a
point eue dans les derniers volumes du
Chanfonnier François .
Varier les amuſemens d'une Nation &
la fervir fuivant fon goût , c'eft en quelque
forte lui être utile , lorfqu'on y fair
régner la décence , & que l'avidité du
gain ne met point à un prix exorbitant
les plaifirs qu'on lui offre.
Les fix volumes que nous donnerons
cette année , contiendront deux feuilles
de plus que le Chanfonnier François.
Afin de fatisfaire avec plus de promp
titude l'empreffement du Public toujours
impatient de jouir ; nous partagerons ces
fix volumes en vingt-quatre cahiers de
foixante- douze pages, non compris la Mufique
à la fin de chaque cahier , qui feront
diftribués tous les quinze jours.
;
Le Libraire fe charge de les faire tenir
à fes frais chez les perfonnes de Paris qui
voudront s'abonner , moyennant neuf li
vres par année , & onze livres pour la
Province.
!
Les perfonnes qui prendront les cahiers
110 MERCURE DE FRANCE.
féparément , les payeronr douze fols.
Le premier paroîtra le quinze Mars , &
le fecond au premier Avril.
De tems en tems on en donnera deux ,
afin de completter les fix volumes dans le
courant de l'année.
On s'abonnera chez Dufour , Libraire,
au milieu du Quai de Gêvres , à l'Ange
Gardien , même Boutique & fonds de
Cuiffart.
BIBLIOTHEQUE ASCÉTIQUE , ou Sentiment
des SS. Pères , & des Auteurs Eccléfiaftiques,
fur les plus importans Sujets de
la Morale Chrétienne. Ouvrage où l'on
fe propofe de ramener le régne de la piété.
L'on y écarte l'éloquence & la difpute.
Tout y eft ramené au fentiment & au
langage de la piété. On y préfente les vérités
dans toute la force , que leur ont prê
tée les SS. Pères & les Auteurs Eccléfiaf
tiques. Les oracles de l'Ecriture y parlent
pour établir , ou confirmer les points qu'on
examine. Chaque Sujet y eft terminé par
une méditation deſtinée à affurer le fruit
de la lecture qu'on aura faite. On a débu
té , dans cet ouvrage , par les Sacremens ,
comme les plus importans objets de la Religion
. Les Sacremens de Baptême & de
Confirmation , forment le premier valuAVRIL.
1761 . III
me que l'on préfente au Public ; les autres
paroîtront fucceffivement , pris & traités
de la même manière que les deux
miers.
pre-
Par le P. Jérome , Procureur Général de
la Congrégation des Auguftins Réformés
de France. Se vendra à Paris , chez G.Def
prez , Imprimeur du Roi & du Clergé de
France , rue S. Jacques , & chez l'Auteur,
dans le Couvent des Auguftins Réformés
de la Place des Victoires.
ARTICLE III.
SCIENCES et belleS-LETTRES.
ACADÉMIE S.
SEANCE publique de la Société Littéraire
de Châlons-fur- Marne.
LE Mercredi de la premiere ſemaine de
Carême , 11 Février, la Société Littéraire
de Châlons-fur- Marne a tenu fa premiere
féance publique de cette année . M. Fradet
en qualité de Directeur , en a fait l'ouverture
, par la lecture d'un difcours , dans
lequel il annonce que l'intention de M.
112 MERCURE DE FRANCE:
le Contrôleur général étant que l'on cher
che les moyens de mettre en valeur les
terres incultes qui ne font que trop communes
en France , & particuliérement en
Champagne ; la Société fe propofe de ſe
livrer avec plus d'application que par le
paffé , à la partie de l'agriculture , le plus
néceffaire de tous les arts ; fans cependant
négliger fes autres occupations , &
il invite tous les cultivateurs à faire part
à la Société des découvertes utiles qu'ils
pourront faire.
Cette lecture a été fuivie de celle de
deux mémoires fur cet objet intéreffant ,
l'un de M. Leblanc du Pleffis , & l'autre
de M. Billet de la Pagerie.
Le premier contient des réflexions générales
fur l'agriculture , & fur les moyens
de la perfectionner. La trop grande divifion
des terres eft un des plus grands obftacles
qui arrêtent fes progrès ; la culture
d'une multitude de petites piéces de terre
éloignées , les unes des autres occafionne
des dépenfes confidérables & la perte d'un
temps précieux on remédieroit à ce double
inconvénient, en réuniflant les poffeffions
; c'eft par des échanges que l'on peut
y parvenir , mais il feroit néceffaire qu'ils
fuffent ordonnés , comme en Angleterre ,
par une loi pour lever les refus de caprice
AVRIL 1761 .
113
& d'entêtement ; c'eft là l'époque des progrès
de l'agriculture dans ce Royaume.
• Le fecond mémoire concerne une efpéce
de grain , dont if feroit à fouhaitér
que
l'on étendît la culture ; on le nomme
orge nud , ou orge fromentée , parce qu'il
reffemble beaucoup au froment ; il fe feme
dans les mêmes terres & dans le même
temps que l'orge ordinaire , il produit
confidérablement ; le pain que l'on en
fait n'eft pas fiblanc que le pain de feigle;
mais il eft d'un meilleur goût , & plus
nourriffant.
On a lû en faite une Ode de M. Frame
fur la Providence , & une fable de M. Ga
neau , intitulé l'Ours danfeur.
M. Vannier , Docteur Médecin à Vitri
- le- François , a communiqué les obfervations
qu'il a faites à Soulaines , Tremilli
& Neuilli , trois paroiffes de l'Election
de Bar- fur- Aube. Soulaines eft furtout
recommandable par une belle fontaine
, qui fait tourner deux moulins à
fa fource : les terres de cette paroiffe , &
de celle de Tremilli font remplies d'une
infinité de corps marins pétrifiés & non
pétrifiés , tels que des huitres , lames
boucardes , tellines , pouffepieds &c. On
trouve à Neuilli une mine abondante de
crayon rouge , propre à deffiner , & à
d'autres ufages.
114 MERCURE DE FRANCE.
-
M. Rouffel , Curé de S. Germain , l'une
des paroiffes de la ville de Châlons , a
auffi fait lecture de la fuite de fes réflexions
fur les caufes du rétréciffement de
l'efprit humain. Ce qui retarde principalement
le progrès de nos connoiffances ,
c'eft que l'on néglige fouvent fes véritables
talens pour courir après ceux que
l'on n'a pas . M. Rouffel en avoit fait le
fujet d'un premier difcours. Il démontre
dans celui - ci que le défaut d'application
n'eft pas moins nuifible ; & que fans le
travail on ne tire pas de fes talens tout le
fruit que l'on en devroit attendre.
"
·
La féance a été terminée par M. Gelée,
Docteur Médecin à Châlons . Il a fait
lecture de la continuation de fon ouvrage
fur les caufes de la dépopulation. Le défaut
de propreté fur nous , & dans ce
qui nous environne, eft la fource d'une infinité
de maladies très- contraires à la population.
Nous ne nous baignons plus
comme nos pères ; cependant les bains font
très- falutaires ; ils ouvrentles pores de la
peau , & facilitent la tranfpiration. Les
femmes bouchent ces pores par les couleurs
dont elles fe peignent ; & le peu d'at
tention que l'on donne à la propreté des
rues de nos villes , y laiffe croupir des immondices
qui y répandent des exhalaifons
AVRIL. 1761. TIS
pernicieufes. Voilà , en peu de mots , quel
a été l'objet de ce dernier morceau , que
l'Auteur a traité avec la même folidité , &
la même légèreté de ftyle que les précédens.
EXTRAIT des Ouvrages lus à l'Affemblée
publique de la Société des Sciences , Lettres
& Arts , de Clermont en Auvergne,
le 25 Août 1760.
M. DE FELIGONDE , Secrétaire de la
Société , ouvrit la Séance par un difcours
fur cette queftion ( de l'étude de l'homme
ou de celle de la nature, quelle eft la plus
utile à la Société ? )
L'Auteur ne s'eft pas propofé de difcuter
laquelle eft la plus noble , la plus brillante
, la plus épineufe de ces études ; leur
utilité dans le monde phyfique , a été fon
feul objet. Loin d'adopter, dans aucune de
fes parties , le fyftême de l'inutilité des
Sciences , il leur rend un hommage fincére
, & il en reconnoît les avantages précieux
; il annonce même en débutant , que
la préférence que la nature d'un fujet problématique
, l'oblige à donner à une de
116 MERCURE DE FRANCE.
fes parties , n'altére en rien l'eftime & la.
vénération qu'il a pour l'autre .
L'Auteur s'applique d'abord à déterminer
le caractére de chaque étude ; &
commençant par celle de l'homme , il la
réduit à connoître l'homme en lui - même,
dans la fociété , & dans l'état politique.
Gelle de la nature fe confidére de deux
manières , dans fes principes & dans fes
effets.
L'utilité de ces deux études , eft le fecond
rapport fur lequel portent les réfléxions
de l'Auteur. L'empire fur les fens ,
l'éloignement du préjugé , l'amour dur
bien , la connoiffance exacte des mouvemens
de fon coeur , font le fruit ordinaire
de l'étude de l'homme en lui - même.
L'étude de la Société apprend à fuir le
monde , à fe tenir en garde contre fes
amorces & fes duplicités ;à en abhorrer les
vices , à en connoître les caractéres , à fe
procurer quelquefois une vie plus douce ,
& moins agitée.
Enfin l'art de gouverner les Peuples ,
de les polir , de les civilifer , appartient
à celui qui connoît l'homme politique.
D'autre part , l'étude de la nature dans
fes principes , exerce l'efprit , éléve les
penfées , intéreffe par la nouveauté des
objets ; elle éblouit par de brillantes déAVRIL.
1761 117
couvertes , qui cependant fe réduifent
quelquefois à de fimples fyftêmes.
Dans les effets , elle donne la vie aux
citoyens ; elle les foulage dans leurs travaux
; elle les défend de leurs plus mortels
ennemis ; elle fait enfin fervir toute
la nature aux befoins de l'humanité .
Après une comparaifon raifonnée de
ces différens degrés d'utilité , l'Auteur
conclut en faveur de l'étude de la nature
dans fes effets .
Je regarde , dit - il , cette occupation
comme la plus utile à la fociété , pourvu
que l'Obfervateur ne néglige jamais la
connoiffance de lui- même ; j'ajoute cette
qualité , comme effentielle aux Sçavans ,
& comme inféparable de celui qui veut à
jufte titre le parer du nom de Philofophe.
fe
M. l'Abbé Cortigier lut enfuite un Mémoire
fur la vie & les oeuvres de Génébrard
, Archevêque d'Aix ,
Gilbert Génébrard naquit à Riom en
Auvergne en 1534 ; il embraffa de bonne
heure l'état Religieux dans l'Abbaye de
Maurac ; il commença à s'appliquer à l'étude
de la langue hébraïque , dans lẹ féjour
qu'il fit à S. Allive de Clermont , &
pourfuivit cette étude avec plus d'éclat à
Paris fous les premiers Profeffeurs établis
par la munificence de François Premier
118 MERCURE DE FRANCE.
La jufte réputation que lui acquirent
en peu de temps fes talens & fon érudition
, le firent fucceffivement aggréger à
la Maiſon de Navarre , nommer Profeffeur
Royal & Interprête de la Langue
Hébraïque , & pourvoir du Prieuré de S.,
Denys de la Chartre.
M. Cortigierrepréfente Génébrard comme
un Sçavant du premier ordre, qui pof- ,
fédoit toutes les Langues fçavantes , parloit
l'Hébreu auffi facilement que fi c'eût
été la langue naturelle ; & avoit composé
une infinité d'ouvrages , dont il indique ,
les textes ; avec les éloges que lui ont
donné les perfonnages les plus illuftres
& les plus éclairés de fon temps , & même
les Auteurs modernes qui ont parlé
de lui .
Les faftes de la vie de Génébrard font
ternis par des écarts malheureux qu'il eft
bien difficile d'excufer..
M. Cortigier , le fuit à regret dans fes
démarches féditieufes ; il décrit avec douleur
les malheurs trop connus de ces tems
d'orage , où la vérité étoit au moins couverte
d'un voile obfcur. Il avoue que
Génébrard a été ligueur ; & fans vouloir
le juftifier , il cherche à pallier fes torts ,
`en attribuant à une imagination échauffée
par les difputes littéraires & théolo
AVRIL 1761. 119
giques , à la haine contre les Novateurs ,
à fon attachement à la foi orthodoxe , fon
opiniâtreté à foutenir un parti qui paroiffoit
n'avoir d'autre but que d'empêcher
la déſertion de la foi & le triomphe
de l'héréfie .
Il dit enfin que Génébrard obligé de
vivre dans la folitude à Avignon , reconnut
fes erreurs , qu'il donna des marques >
de fa foumiffion , revint en France , participa
aux faveurs du nouveau Monarque ,
& fe retira enfuite dans fon Prieuré de
Semur en Auxois , où il mourut en 1599.
M. de Beauvefeix lut un Mémoire fur
quelques Anecdotes de la vie d'Hecditius.
Hecdicius étoit fils de l'Empereur Avitus
; il vivoit dans le cinquiéme fiécle ;
il étoit beau- frère de Sidoine Apollinaire ;
& c'eft d'après cet Auteur contemporain
que
M. de B ** lui a donné le nom d'Hecdicius
au lieu d'Editius , ou même, Decius,
que lui ont donné des Auteurs plus ré-.
cents.
Le fils d'Avitus fe fignala par le courage
& le zèle avec lefquels il défendit
après la mort de fon père , l'Auvergne fa
patrie , contre les entreprifes d'Eurie ,
Roi des Vifigoths.
Ce jeune Héros , à la tête de dix -huit
braves Auvergnats , pour fecourir fa capi20
MERCURE DE FRANCE.
tale , preffée vivement par les Vifigoths
qui l'affiégeoient , fe fit jour à travers les
ennemis , entra dans la ville , & fit une
fortie fi vigoureufe , que les ennemis
honteux de leur défaite , ſe déterminerent
à couper la tête de ceux des
leurs qui avoient été tués , de peur que
leur longue chevelure ne fit connoître de
quelle nation ils étoient. Hecdicius , dans
cette affaire , ne perdit que trois hommes.
des fiens s'il fut forcé dans la fuite de
fuccomber. M. de B** attribue cet événement
aux conventions fecrettes que Julius
Nepos avoit faites avec le Roi des
Vifigoths, plutôt qu'au malheur des armes
d'Hecdicius , qui avoit dejà une réputation
établie , & la confiance de fes compatriotes
.
En récompenfe de fes fervices & pour
le dédommager de fes malheurs , l'Empereur
l'éleva à la dignité de Patrice , qui
lui avoit été déjà promiſe par Anthemius ,
prédéceffeur de Julius Nepos.
Le courage & la valeur ne furent pas
les feules qualités d'Hecdicius ; il avoit ,
dit Gregoire de Tours , une agilité furprenante.
Sidoine Apollinaire rapporte ,
qu'il avoit du goût pour les beaux Arts ; &
que les foins qu'il prit pour civilifer &
polir l'efprit & les coeurs des Auvergnats
Les
AVRIL. 1761 . 121
fes compatriotes , ne furent pas inutiles .
M. de Beauvefeix rapporte après Greg.
de Tours , un trait de générofité , qui feul
mérite d'immortalifer Hecdicius . Une famine
cruelle , ayant défolé la Bourgogne ,
fes habitans chercherent dans les provin
ces voisines , du foulagement à leur mifé »
re. Hecdicius informé qu'un grand nom
bre de ces malheureux s'étoit retiré en
Auvergne , donna ordre à fes Officiers de
les accueillir partout , & de lui amener
tous ceux qu'on trouveroit : on lui en préfenta
jufques à quatre mille, qu'il renvoya
comblés de fes bienfaits & pourvus de vivres
pour long- tems.
M. de Beauvefeix , n'entreprend pas
de difcuter fi la deuxième & la troifiéme
race des Rois de France , defcendent directement
d'Hecdicius ; il fe contente
d'indiquer les deux fentimens qui ont partagé
les Auteurs fur cette queftion . Il regarde
comme certain qu'ils en defcendent
ou en ligne directe , ou au moins en ligne
collaterale.
M. Devernines le père , termina la féance
par la lecture d'une differtation apologétique
en faveur du fyftême de M. Audigier
für la généalogie des Rois de Fran
ce , de la deuxième & troifiéme race .
M. Audigier , Auteur Auvergnat , né à
1. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
Clermont , avoit avancé dans fon traité
de l'origine des François , imprimé à Paris
en 1671 , & dédié au Roi : que la feconde
& la troifiéme race des Rois de
France , defcendent en ligne directe &
mafculine de l'Empereur Avitus.
M. le Gendre dans fon traité des Antiquités
de la Maifon de France , avoit cru
détruire ce fyftême ; mais l'Auteur de la
differtation , prétend que fon triomphe eſt
imaginaire ; & pour étayer de preuves
fuffifantes , une opinion auffi avantageufe
à fa patrie , M. Devernines a formé la généalogie
qui appuie fon fyftême, dans l'ordre
qui fuit .
AVITUS ,
HECDICIUS ,
FERREOL ,
ARISBERT ,
ARNOALD
ARNOULX ,
ANCHIS ,
PEPIN HERISTEL.
CHARLES MARTEL , CHILDEBRAND.
PEPIN LE BREF ,
CHARLEMAGNE ,
NEBELON.
THIERBERT ,
ROBERT II.dit le Fort.
HUGUES LE GRAND,
HUGUES CAPET.
AVRIL 1761 . 123
De tous ces degrés généalogiques , le
feul qui foit contefté , c'eft la defcendance
directe d'Hecdicius à Ferreol ; ainfifuppri
mant pour abréger les preuves des autres
filiations , M. Devernines s'attache dans
fon mémoire , à la preuve du fait conteſté.
Sidoine Apollinaire étoit gendre d'A
vitus , il étoit beau-frère d'Hecdicius , il
étoit oncle par alliance de Ferreol ; donc
Ferreol étoit fils d'Hecdicius.
Cette propofition eft la bafe des preuves
de M. Devernines , fur lefquelles on
ne peut s'étendre davantage de peur d'être
trop long. On ne peut pas avancer
qu'elles foient toutes inconteftables ; mais
elles font fufceptibles d'une grande probabilité.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE IV .
BEAUX- ARTS.
PEINTURE.
LETTRE à un Amateur , au sujet des
Tableaux de M. BACHELIER , repré
fentant les quatre Parties du Monde,
J
2
OCCASION DE CETTE LETTRE.
E vous félicite , Monfieur , d'avoir un
fils , qui dès fa tendre jeuneffe annonce
un digne Cultivateur des Sciences & des
Arts. Il a choifi dans la Peinture le
genre
le plus analogue à l'Hiftoire Naturelle ,
dont vous lui avez infpiré le goût . Quelle
efpérance ne devez - vous pas concevoir
de fes progrès , aidé , comme il l'eft , par
les fecours de mille raretés que votre cas
binet lui offre , & par les ouvrages des
habiles Peintres que vous avez l'attention
de lui communiquer ? Oui, Monfieur,
je ne doute point que la defcription que
vous me demandez ne lui foit utile , fi je
réuffis à préfenter les objets fous le point
de vue que vous m'avez fuggéré, La voiçi
A V R I L. 1761 .
telle que j'imagine que vous la fouhaitez .
Elle renferme , moins des détails convenables
au Naturalifte , que des principes
inftructifs pour le Peintre , furtout dans
cette portion du Costume général que nous
avons en vue : j'entends cette partie qui
traite des objets répandus dans différent
climat , & qui le caractérifent. Cette analyfe
pittorefque , fecondera vos projets
toujours attentifs à la perfection des talens
du jeune Eléve de Réaumur ( a ) &
d'Oudri. (b)
Les Tableaux que vous voulez connoître
d'une manière particulière , ont été ordonnés
par M. le Marquis de Marigni ,
pour décorer le Salon du petit Château de
Choify. Vous fçavez que le zèle de notre
Mécène , fon amour pour les Arts , & l'artention
qu'il a d'employer les Artiftes relativement
à leur génie, font applaudis de
tous les Connoiffeurs ; préjugés bien favo
fables à l'ouvrage que je vais décrire , &
qui , j'ofe le dire, les juftifie en tout point.
(a ) Seavant Naturalife.
(b ) Peintre du Roi. Il a excellé dans les Ta
bleaux de Payfages & & Animaux.
(c) M. Bachelier , de l'Académie Royale de
Peinture & de Sculpture.
Fiij
116 MERCURE DE FRANCE.
IDE'E GENERALE DES QUATRE
TABLEAUX .
Le Peintre a caractérisé les quatre continens
par la repréſentation des oifeaux
des arbres , des plantes & des ciels qui
leur font propres. Il a défigné l'Europe
par le Coq , l'Outarde , le Héron blanc
le Coq Failand & par des Canards .
Tous ces animaux font grouppés , &
compofent avec plufieurs arbres , répandus
fur les divers plans du tableau , chêne ,
pin , cyprès , touffe de roſes de haye &c.
Differens fruits , pommes , poires , cerifes
у font réunies avec les arbuftes qui
croiffent en Europe . Un Ciel modérément
beau , entrecoupé de vapeurs & de nuages
, indique le Nord , où ce continent eft
fitué relativement aux deux autres de
notre hémisphère.
L'Afie eft défignée , non feulement par
le Faifand de la Chine , le Paon , le Cazour
, l'Oifeau Royal , l'Oiseau de Paradis
& le Hupé de l'Ile de Banda ; mais encore
par la Canne de fucre , le Bambouc
le Canacorus , le Palmier chou , & le Bananier,
végétaux affociés dans cette feconde
compofition aux Oifeaux Afiatiques.La
Pêche , l'Abricot , fruits originaires d'Afie
, une dent d'Eléphant & un tronc du
AVRIL. 1461. 127
bois des Indes , nous retracent cette contrée
orientale que l'Artifte a dorée des
tendres rayons
d'une aurore naiffante.
Des Pintades , des Demoiselles de Nu
midie , le Geai d'Angola & l'òifeau nom .
mé la Palette , font grouppés dans le troifiéme
tableau avec l'Arbre Pourpier, l'Ar
bre Jombarde , le Philao , l'Opontia, l'Aloës
Perroquet & le Phicoïde. La Grenade
s'y trouve enrichie de fes feuilles & de
fa fleur . Le fol eft recouvert d'un fable
brulant, dont plufieurs lames font élevées
dans les airs par un de ces ouragans G
communs en Afrique . C'eft par ces objets
qu'elle est défignée d'une façon caractétiftique
.
Enfin l'Amérique retrace, dans une quatriéme
peinture, l'oifeau furnommé le Roi
des Couroumoux , l'Ara ( d ) , le Katacoi
( e ) , la Bluette , le Toucan , le Courli
rouge & le Coq de roche . A ces volatiles
font réunis ici , l'Arbre de fer qu'entoure
la vigne d'Amérique , l'Arbre dit Cierge
( d ) C'est ainsi que les Naturaliftes ortographient
le nom de cet Oifeau . ( Voyez l'ORNITHOLOGIE
DE M. BRISSON , quoique l'usage foir
en-France de le nommer LE HARA.
( e ) Nom confacré par l'ufage . Les Naturalifies
appellent cette espéce de Perroquet KAKATOES ,
& Latin CACATUA . Voy, l'ORNITHOLOGIE
ci defus citie .
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
du Pérou , le Palmier Evantail & le Gouillavier.
L'Echino- melo- cactus & le Melo-
cactus font la plante & le fruit qui décorent
la repréfentation du Nouveau
Monde. Il eft particuliérement indiqué
par une portion de la chaîne de montagnes
la Cordeliere ) les plus hautes de
PUnivers habité.
Pour donner une légére idée de la manière
dont ces compofitions font rendues ,
il faut, Monfieur , rappeller les principales
couleurs des objets finguliers qui y font
peints. Quand même votre curiofité ne
s'amuferoit point de ces détails , qui ne
vous font point inconnus , le cher Eléve
que nous avons en vue y dévoilera des
cffets pittoresques , & il apprendra à tirer
parti des bifarreries que la Nature a
jetrées dans le plumage des oifeaux des
divers continens. Qu'il feroit à fouhaiter
qu'une heureufe circonftance engageât
l'Auteur de ces Peintures à caractériſer
les quatre Parties du Monde par les principaux
Quadrupedes , qui y vivent , &
par les Arbres qui y croiffent . Cette porrien
du Coſtume trop peu connue & trop
difficile à acquérir feroit parfaitement
éclaircie à l'avantage de nos Arts.
AVRIL. 1761. 129
TABLEAU DE L'EUROPE.
Le Coq préfente dans le Tableau de
P'Europe , cet air noble & fier qui lui eft
propre. Le contrafte agaçant des couleurs
dont il eft peint , la lumière piquante qui
Féclaire , le fire avancé fur lequel il eft ,
enfin tout ce qui l'environne le rend également
remarquable & faillant . Sa tête eft
couronnée d'une hupe volumineufe , fous
laquelle fa crête eft cachée . Le devant de
fon eftomac & le duvet de fes cuiffes font
noirs. Une efpéce de mantille d'un jaune
paillé lui couvre le dos , & vient fe terminer
au noir de fa poitrine. Ses aîles , fa
queue & la couleur générale de fon plumage
font d'un noir glacé de violet . Il
forme avec l'outarde la baze d'une compofition
pyramidale , dont le Héron termine
le fommet.
L'Outarde a fourni à l'Artiſte une variété
de tons , non moins intéreffante. Elle
eft de couleur cendrée par la tête ; fon dos
eft châtain , marbré de taches noires ; fes
aîles font blanches en deffous , d'un jaune
doré en deffus & parfemées d'écailles brunes
; fa queue eft rouffeâtre , marquetée`
de noir. La partie inférieure de fon bec
eft ornée de deux barbes faites de petites
plumes en forme d'aigrette. Sa couleur
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
générale concourt à la maffe de lumière ;
elle eft néanmoins fubordonnée à celle
du Coq mais l'une & l'autre quoiqueclaires
& foutenues de larges demi- teintes
, cédent au lumineux du Héron blanc:
qui eft afocié à ces deux oifeaux pour
lier la lumière & l'élever pyramidalement.
Uniforme dans fes nuances , celui- ci eft.
enrichi de beaux reflets , d'ombres ragoutantes
& de toutes les dégradations
convenables au ton général dont il eft
peint. Il offre un heureux contrafte aux
couleurs variées des autres animaux dont
il couronne le grouppe. Sa groffeur eft eſt
celle d'un Coq ; mais il eft plus menu ,
plus maigre & plus léger . Le derrière de
fa tête produit une aigrette , qui tombe:
jufqu'au milieu de fon col , lequel est trèslong
, ainfi que fes jambes. Elles portent
fur des pattes , dont trois doigts font:
armés d'ongles pointus & font contenus:
par une épaiffe membrane. Un quatriéme
( l'ergot ) détaché des autres , armé de
même & placé derrière , lui fert de talon..
des Hérons noirs , cendrés ou rou- y a
geâtres ; mais ils ont tous la même forme,
le bec long , gros & pointu . Celui qui eft
peint ici , eft proprement le Héron de
Malthe.
י
Le grouppe de ces trois oifeaux eſt
contrafté par le Coq Faifand & par des
AVRIL. 1761 .. 13-11
Canards , lefquels
fubordonnés
tant par
la forme & la couleur , que par le faire ,
relévent
la nobleffe
, l'éclat , la valeur des
objets
principaux
.
Le Coq Faifand offre un plumage agréa--
ble par fes taches , noirâtres & rougeâtres
, qui reffemblent à de petites écailles ..
Sa tête eft nuancée de couleurs changeantes,
& les plumes qui font autour de
fes yeux font rouges. Il a le bec court , le
col affez long , la tête ornée de petites:
touffes de plumes , beauté qui manque à
la femelle. Cet oifeau ne forme ici qu'un
acceffoire , mais il y devient extrêmement:
néceffaire. Il foutient & termine la chaîne:
de la compofition. Il eft d'ailleurs artiſte
ment frappé d'une échapée de lumière:
fur la tête & fur le haut de l'aîle , qui fixe:
en fa place le Coq avec lequel il eft miss
en oppofition .
Trois Canards , dont deux font accroupis
& le troifiéme eft debout , grouppent
ici avec l'Outarde , & fe liant avec:
le Faifand , par la médiation des fruits:
qui enrichiffent ce tableau , contribuent:
à former de tous les objets qui y font
peints , un enchaînement auffi ingénieux:
que pittorefque. Le plumage de ces Canards
eft en général blanc fous le ventre:
& châtain brun fur le dos . Lear têre 8 :
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
une portion de leur col font d'un beau
verd bleuatre ; leur bec eft large & noir .
Leurs ailes & leurs queues font mêlées de
plumes noires , blanches & bleues . Leurs
pattes qui font rouges , ont la forme de
nageoires , ainfi que les ont tous les oifeaux
aquatiques . C'eft par les diverfes
teintes de ces animaux que l'Artiste a ménagé
les liaiſons & les paffages de couleurs
& de lumières , d'où réfultent l'harmonie
, l'effet & le ragoût de cette ordonnance
pittorefque ..
TABLEAU DE L'ASIE.
Une feconde compofition , qui caracté
rife l'Afie , renferme des beautés à bien
des égards plus fingulières & plus piquantes
que celles qu'offrent les oifeaux de
notre continent . Le Faifand de la Chine ,
par exemple , étonne dans cette peinture.
par la vivacité de fes couleurs. Il a la tête
d'un jaune doré , accompagnée d'une ef
péce de fraife , rayée de douze bandes
noires qu'il arbore , dit - on , lorfqu'il eft
en chaleur. Son col , à l'endroit où commence
le dos , eft verd d'émeraude par
écailles. Le deffus de fon corps eft d'un
jaune ardent , & le deffous d'un rouge:
de feu. Sa queue de même couleur eft recouverte
d'une très longue. plume d'un
AVRIL. 1761. 135
gris caillouté par petits points . L'aile ,
qui dans fa partie fupérieure eft d'un violet
changeant jufqu'au bleu , fe termine
en châtain. C'eſt le plus bel oifeau de l'Afie
; auffi joue- t- il le rôle effentiel fur le
premier plan du tableau. Sa couleur propre
& les ombres qui lui font affociées ,
l'y fixent , & renvoyent fur des fites recu--
lés , tout ce qui ne l'environne que pour
en relever l'éclat.
Le Cazoar, placé derriere lui, eft un ob--
jet d'oppofition bien pittorefque. Quel
contrafte ne produit pas la fingularité
de fa parure ? Au lieu de plumes , il a des
foyes plus groffes que celles du fanglier ;
elles font noires , mal arrangées , & couvrent
groffiérement fon corps . Il porte
fur la tête une efpéce de cafque formé
par une éminence rouffeâtre , tachetée de
noir. Sa groffeur eft celle d'une oye. Seul
il balance fon volume le grouppe qui
forme l'autre partie de cette compofition.
Le Paon & le Huppé de l'ifle de Banda
, y font réunis pour fervir de baze à ce
grouppe. Ils font repréfentés tournant.
leurs regards vers l'Oifeau Royal , qui
femble s'élever dans les airs.
par
Le Paon accroupi fur une dent d'Eléphant
, attribut fymbolique de l'Afie, étaplumage
généralement bleu foncé ,,
114 MERCURE DE FRANCE.
à l'exception de quelques plaques jaunâ
tres , écaillées de noir , qu'il a à la partie
fupérieure des aîles , dont le fouet eft de
couleur rouffe. Sa têre eft petite, oblongue,
couronnée d'un bouquet de plumes délées.
Elle porte fur un col fort long. Les
plumes du Paon , furtout celles de fa queue
font , pour l'ordinaire , amples , éclatantes
de mille belles nuances & remplies de
plufieurs marques qui ont la figure d'yeux.
L'Artifte auroit pû le repréfenter ici perché
fur des jambes fort hautes , terminées
par des pieds groffiers , tels que la Nature
les lui a donnés , épanouiffant fa queue &
faifant la roue pour s'y mirer aux rayons
du Soleil; mais ces particuliarités auroient
nui à la richeffe du tout enfemble . Elles
auroient voilé une partie des autres oifeaux
qui caractériſent ſpécialement l'Afe
& qu'un goût judicieux a fuggéré à l'Artifte
de préférer pour la grâce de fa compotion.
Quel agréable afpeft ne préfente point
le Huppé de l'Ile de Banda ? fa couleur
violette eft harmonieufement affortie au
rouge amarante de fes aîles , dont le fouet eft
blanc. La crête de cet animal , qui eft de la
groffeur d'une Poule d'Inde, eft une espéce
de ramification compofée de filamens . It
femble fe prêter avec le Paon au triomAVRIL.
1761 . 135
phe de l'Oiseau de Paradis qui domine
pittorefquement ce grouppe.
Le plumage de l'Oifeau Royal eft
nuancé de couleurs extrêmement aimamables.
Il porte une couronne de plumes:
grifâtres , uniformes de ton avec le refte
de fon corps. Son front eft couvert d'une
hupe veloutée & noire . Deux crêtes blan--
ches , qui , au dire des Naturaliftes , deviennent
rouges lorfque l'animal vieillit ,
font appliquées à l'endroit de fes oreilles.
Il a , comme le Coq , une barbe rouge.
Le bout de fes aîles eft blanc . L'Oi
feau Royal eft , par fa forme , une espéce
de Cigogne ; il n'en différe prèfque que
parce qu'il a le bec plus court. Ici cet
animal reçoit la lumière d'une façon fi
vive , que les deux oifeaux avec lesquels
il eft grouppé , quoique lumineux à bien
des égards , ne paroiffent être que d'une
demi teinte fuave.
L'Oiseau de Paradis , élancé dans les
cieux & vaguement voilé d'une vapeur
aerienne , prête à ce grouppe , toute la folidité
& le piquant dont il eft fufceptible..
Cet animal , qui n'eft pas plus gros qu'un
pigeonneau , a la queue d'une longueur
prodigieufe , le deffous du col d'un verd
orienté , le déffus de la tête d'un jaune citron
, ainfi que le refte de fon plumage ,
136 MERCURE DE FRANCE.
au ventre près , qui eft d'une teinte de
marron clair. La valeur que cet oifeau
prête aux objets avec lefquels il forme
contrafte , il la reçoit lui -même par comparaifon
à un plus petit oifeau avec lequel
il eft en oppofition . Heureux ftratagême ,
qui feul peut tout réduire au taux de la
Nature !
Ce qui rend cette compofition délicieufe
aux regards, c'eft l'agrément qu'elle
reçoit du ton fuave & frais de l'aurore
naillante dont le Ciel eft embelli . Cette
nuance vermeille , communiquée à tous
les objets , lie les couleurs les moins fympathiques
& les ramène , comme font les
glacis , à une harmonie générale , fans altérer
en rien le vrai ton de la couleur pro
pre.
TABLEAU DE L'AFRIQUE.
On dévoile un effet tout différent dans
le troifiéme tableau. Des lames de fable ,
élevées dans les airs par la violence d'un
ouragan , produifent un brouillard enflammé
, qui fait contrafte de tons avec
le gris prèfque général dont eft nuancé le
plumage de la plupart des oifeaux de l'Afrique
. Vous fçavez , Monfieur , que les
Pintades , les Demoiselles de Numidie , le
Gray d'Angola & l'Oifeau dit la Palette- „
AVRIL. 1761 . 137
paroiffent, à peu de chofe près, de ce ton ;
mais par combien de variétés tous ces
gris ne différent-ils pas entre eux , à l'oeil
connoiffeur ?
Les Pintades , efpéces de groffes poules,
ont le corps d'un gris noirâtre , régulierement
tacheté de blanc. Leur tête aft
de couleur rouffeâtre & furmontée d'une
forte de cafque , qui leur tient lieu de
crête. Elles ont des appendices bleus ,
Touges ou blancs à la mâchoire fupérieure
, avec un duvet gris autour du col.
Leurs pieds font en forme de nageoires.
L'émail de ces Oifeaux eft adroitement.
oppofé au liffe du duvet des Demoiselles
de Numidie . L'Auteur attentif à tirer,
parti de tout , n'a pas manqué de les
groupper fur le fite le plus avancé pour
les faire valoir l'un par l'autre.
A cette attention , il a joint celle de
mettre en contrafte le gris noirâtre des
Pintades , avec le gris perlé & cendré des
Demoiselles de Numidie . Le col de celles-,
ci eft couvert d'une espèce de cravate
noire , qui leur deſcend jufqu'au milieu
du poitrail , & dont les reluifans font
verdâtres . Leur tête , d'un gris fuave , eft
ornée de deux houppes blanches , qui partent
du coin de l'oeil. Leur bec & leurs
yeux font rouges , leurs pattes rouges &
138 MERCURE DE FRANCE.
noires , & leur corps de la groffeur d'un
jeune poulet d'Inde. La maniére , dont
ces animaux grouppés avec l'oifeau , dit
la Palette , reçoivent la lumière , rend
leur gris très - éclatant : le jour les frappe
à plomb , au lieu qu'il ne fait que gliffer
fur le plumage des Pintades. Elles ne font
en effet éclairées que fur les extrémités ,
& par des échapées,qui laiffant leur totalité
dans une large maffe de demi teinte
les forcent de contribuer à l'éclat de leurs
rivales.
On reconnoît l'oifeau furnommé la Pa
letre , à la largeur confidérable de fon bec
applati ; fon plumage eft tout gris , fi l'on
excepte quelques plumes rouges , mêlées
d'autres plumes couleur de rofe , dont le
haut de fes aîles eft tacheté , auffi bien
que le deffus de fon col . Par fa ftructure
& par fa groffeur , cet animal reffemble
affez à un Canard.
Si l'on examine les divers gris de ces
oifeaux avec des yeux d'Artifte , on dévoilera
fans peine par quels principes l'Au
teur les a mis en jeu les uns par les autres.
Les diverfes nuances , dont ils font fuf
ceptibles ; car ils peuvent être plus ou
moins gris ; les variations dans le ton du
jour qui les éclaire , dans les demi teintes
qu'on leur affocie , dans les ombres don
AVRIL. 1761. 139
on les relève , dans les reflets dont on les
mbellit; enfin le voifinage des objets qu'on
eur oppofe, font autant de moyens victofieux
dont le Peintre fait ufage pour combattre
l'ennui, & pour élader la monotoie
qu'une nuance trop répétée produit
fouvent dans les tableaux.
Dans celui-ci , le Geay d'Angola , par
agrément de fes couleurs , réveille le
tis du ciel où il plane. Sa tête eft jaune ,
nêlée de verd ; fon bec noir , ainfi que fes
gorge couleur de rofe foncé ;
attes ; fa
è deffous
des aîles d'un beau
verd & la
ointe d'un riche violet. Sa queue
eft terninée
des deux côtés
par deux
plumes
folées auffi longues
que tout fon corps
left de la groffeur
d'un Geay
ordinaire
.
Artifte
a parfaitement
ménagé
dans la
ouleur
locale
qu'il a prêtée
à cet animal
,
outes les beautés
du ton propre
dont la
ature l'a enrichi
. Trouvez
bon, Monfieur
,
qu'à ce propos
, je reléve
ici l'erreur
ou
ombent
fouvent
dé jeunes
Artiftes
, en
onfondant
le ton propre
avec la couleur
ocale. La moindre
attention
leur fera
ifément
fentir
la différence
de l'un & de
'autre. Le ton propre
eft la nuance
caactériſtique
que la nature
donne
aux obets
; la couleur
locale
eft la modification
que l'art leur prête , relativement à la
440 MERCURE DE FRANCE.
perfpective aerienne à laquelle ils font
foumis . Le premier eft le ton vrai ; l'autre
le ton d'emprunt qui l'imite.
TABLEAU DE L'AMERIQUE.
Les Oiseaux que produit le Nouvéar
Monde , vont s'offrir fous un genre d'uniformité
différent du gris , prefque géné
Fal des oifeaux de l'Afrique . Ici la plûpart
ont une couleur uniforme en ellemême
; mais tous ont leurs nuances par
ticuliéres & différentes.
On voit le Roi des Couroumoux étaler
un plumage entiérement lifla ; le Kataco
en arborer un tout blanc ; le Courli un
Fouge fans aucun mêlange ; la Poule-ful
sane , un tout bleu , & le Coq de roches
éblouir par l'aurore uniforme qui le cou
vre. Loin de nuire au coloris , ces unifor
mités font d'une grande reffource , pui
qu'on eſt toujours fûr de réuſſir , quand on
attire les regards par de grandes males
de couleur , ainsi que par des maffes de
lumières & d'ombres .
A l'avantage qu'ont les oifeaux de l'A
mérique , la Nature a joint des bizarreries
, qui en augmentent le prix. Le Ro
des Couroumoux, eſpèce de poulet d'Inde,
préfente une couleur très douce , relevée
par le noir du collier , dont il eft paré , &
AVRIL. 1761 .
14!
bar le même noir dont fes aîles & fa
font terminées.
queue
1
Le Katacoi & Ara , perchés fur une
branche de l'arbre de fer , relèvent par
ne double oppofition les nuances du Roi
des Couroumoux. L'un par l'éclat de fon
blanc le colore , l'autre par fa couleur
' un jaune brun en fait briller le duyer
umineux. Ces fortes de Perroquets font.
flez fouvent de plufieurs nuances ; ceuxfont
prèfque généralement du même
on . L'Ara n'a pour toute variété dans
n plumage que le verd du deffus de la
te & des ailes. Le Catacoi a fa hupe
êlée de plumes rouges. L'un des plus
eaux oifeaux de cette espèce que nous
annoiflions, & d'après lequel celui - ci eft
gint , appartient à Madame la Marquife
Pompadour , qu'un goût conftamment
élicat , met en poffeffion de ce qu'il y a
plus rare en tout genre.
Le Courli rouge , au bec long , mince
courbé , & d'ailleurs fi reffemblant à la
rue , fait , tout à la fois dans un groupoù
il domine , contrafte & liaison avec
urore du Coq de roche , le bleu de la
oule-fuliane & les couleurs piquantes du
oucan. .
Quelque informe que foit ce dernier
feau , puifque fon bec eft de la groffeur
42 MERCURE DE FRANCE
de fon corps, la variété de fes nuancas
tire & fixe agréablement les regards.
eft partie de couleur marron. Le de
de la tête est d'un jaune paillé ; fa go
de même couleur eft terminée par une
pèce de hauffe- col , d'un rouge , cou
de feu.
Tout intéreſſe , tout charme dans c
peinture. La Poule-fultane , perchée
l'arbre nomméle Cierge du Perou, & qu'
femble becqueter , préfente une attit
animée. La moitié de fon corps eft d
bleu lumineux , tirant fur le violet &
reſte d'un verd foncé. Le rouge de
pattes & de fon bec eft rappellé fur
efpéce de calotte , dont le derriere d
tête eft recouvert. Sa couleur indique
vrai nom ( la Bluette ) ; nos Amériqua
l'appellent Poule-fultane.
Enfin le Coq de Roche y brille pat
rore uniforme de fon plumage . Placé d
le tournant du grouppe , il ne tire
éclat que de l'oppofition des montag
bleuâtres , qui lui fervent de fond &
plantes verdâtres , qui le retiennent d
fon plan. Il porte une large crête bor
de noir , qui s'ouvre en rond fur fa te
comme des ailes de papillon . Cet oil
fingulier eft de la groffeur d'un petit c
Il a été copié d'après un original défléc
AVRIL. 1761 . 143
qui fe trouve dans le cabinet de M. Aubri,
Curé de S. Louis dans l'lfle ; & c'eft le
feul animal de cette efpéce qui foit en
Europe. Il est parfaitement confervé.
Tous les autres oifeaux ont été peints d'après
ceux qu'on admire dans le cabiner
du Roi , & qui y font entretenus par les
foins d'un Naturaliſte profond (f) & ſous
les yeux d'un de ces hommes rares , ( g )
qui joignent aux Belles - Lettres & aux
Sciences , une connoiffance complette de
toutes les fingularités de la Nature.
Les riches variétés de couleurs que tant
d'oifeaux offrent dans ces quatre peintures
, récréent les yeux & charment par les
attraits du beau - vifuel ; il y a plus , elles
intéreffent l'efprit , parlent à l'imagination
, la proménent , pour ainfi dire , d'un
continent à l'autre , & par des rapports
très -fimples la ramènent aux idées les
plus variées.
J'ajoute , Monfieur, en faveur de votre
éléve cheri , que fi la forme des toiles eût
permis à l'Auteur de retracer , dans une
grandeur raiſonnable , les arbres qu'il a aſ-
( f ) M. d'Aubanton , de l'Acad. Royale des
Sciences , Garde & Démonftrateur du Cabinet d'Hiftoire
Naturelle.
(g ) M. de Buffon , Intendant du Jardin Royal
des Plantes , de l'Acad. Royale des Sciences &c.
144 MERCURE DE FRANCE.
fociés aux oifeaux , nous aurions joui de
plufieurs curiofités intéreffantes , que l'intelligence
de fon art l'a réduit à voiler
dans les vapeurs des lointains .
ARBRES ET PLANTES DES DIVERS
CONTINENS.
Nous aurions vu dans le Tableau de
l'Europe , le Chêne orgueilleux répandre
au large fes immenfes rameaux ; le Pin
étaler en roue (h) les fiens au haut d'un
tronc , grand , droit , mais nud par le bas ;
le Sapin , les étendre en aîles & en forme
de croix , garnis de feuilles oblongues ,
qui naiſſent le long de leurs côtes , & le
Cyprès , toujours verd , élever au- deffus
du fommet de tous ces arbres , le faîte de
fa pyramide.
L'Art & le fçavoir du Peintre nous auroient
dévoilé fur d'autres toiles les deux
efpéces de Palmiers . Nous aurions fenti la
différence du Palmier chou , dont les feuilles
longues , pointues , roides , font rangées
l'une vis - à-vis des autres , le long
d'une branche pliée en arc , d'avec le Palmier
évantail dont les feuilles reffemblent
à ce dont il porte le nom. Nous aurions
fenfiblement diftingué la forme fingulière
(h) Dift. de Lemery.
du
AVRIL. 1761 : 145
du Bananier
& proportionnellement ,
l'immenfe grandeur des cinq feuilles qui
le terminent , dont une feule eft affez
grande pour envelopper un homme.
Oui , Monfieur , je le dis à regret , ces
particularités curieufes font un peu trop
affoiblies dans le brouillard des fonds ;
l'oeil ne fçauroit en jouir. Rendons cependant
juſtice à l'Artifte ; il a tiré de
cette gêne difgracieufe un avantage pour
l'effet de fes tableaux. Ces vapeurs où
plufieurs beautés de détail font , pour
ainfi dire , noyées , donnent plus de grandeur
, plus de faillant , plus de vivacité
aux oifeaux qui font les héros de fes compofitions
.
Tous les acceffoires, dont elles font enrichies
, n'ont pas été néanmoins facrifiés
à l'effet pittorefque des autres objets . On
voit fur des plans avancés une portion
de l'Arbre de fer ( i ) qu'entrelaffent les
feuilles de la Vigne d'Amérique , comme
le lierre & nos pampres embraffent le
Chêne & l'Ormeau ; l'Arbre furnommé
le Cierge du Pérou , y paroît rampant de
la manière qu'il croît , & recouvert d'une
écorce brune & verdâtre ; le Gouillavier ,
avec les feuilles rouges en leurs extrémi-
(i ) Ainfi nommé , parce que les Sauvages
font leurs fléches de ce bois , qui eft très dur.
1. Vol.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
tés ; les arbres Pourpier & Jombarde , ornés
des mêmes feuilles que les plantes ,
dont ils empruntent les noms , s'y découvrent
diftinctement , ainfi que le Philao ,
affez reffemblant au Cyprès par la forme
& par fa couleur.
Diverfes plantes font artiftement diftribuées
fur des fites très- apparens. J'y apperçois
le Bambouc avec fes feuilles larges
& longues , dont une feule s'élève en
pointe , tandis que toutes les autres retombent
vers le fol ; celles du Canacorus
y déroulent , en grandiffant , les cornets
qu'elles forment dans leur naiffance . L'Aloës
y étale fes longues feuilles , épaiffes,
reffemblantes à de grands becs de perroquets
& enjambées les unes dans les autres.
La Phicoïde arbore fes efpéces de cornichons
; je les vois auffi tranfparens que le
raifin. L'Orthie de la Chine préfente fes
feuilles blanchâtres en deffous & en deffus
du plus beau verd d'éméraude ; la
Canne defucre , les rofeaux qui l'enveloppent
& qui retombent aux noeuds qui
terminent chaque tuyau de fa tige verte.
Enfin on y diftingue le Melo cactus avec fa
plante , auffi fenfiblement que la pêche ,
l'abricot , les pommes , les cerifes & les
grenades , qui font peintes fur les premieres
lignes des Tableaux. Ces fruits , ces
AVRIL 1761. 147
plantes , ces arbustes , fervent de noeuds ,
de chaînes aux grouppes ; de fonds , de
contraftes aux objets particuliers ; de paffages
& de liaiſons , aux effets du tout enfemble.
Telle est l'oeconomie que M. Bachelier
a répandue dans ces quatre morceaux. Le
bien qu'on vous en a dit , Monfieur , n'eſt
pas feulement fondé,fur les recherches curieufes
dont l'Auteur a fait ufage , relativement
au caractère de fes compoficions ;
l'art avec lequel elles font rendues entre
pour beaucoup dans les éloges qu'elles lui
ont mérités. Un deffein fpirituel , un coloris
lumineux , une intelligence raiſonnée
y font affeciés avec une jufteffe de
tons , une variété de travaux , une facilité
de touches , qui expriment le liffe de la
plume , le moëlleux du duvet & la légéteté
même des objets. Les principes des
tons propres , les effets de la couleur locale
, la magie des oppofitions , & l'artifice
de l'harmonie , m'y paroiffent combinés
avec tant d'intelligence , que tout dans
ces peintures prend à mes yeux le ton de
la vérité.
Je ne doute pas que M. votre fils ne
profite des inftructions que cette analyſe
fuccinte peut lui offrir, s'il les médite avec
attention; & fur tout s'il eft fidéle & fou-
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
mis à vos confeils lumineux. Vous ſupplée
rez en fa faveur aux traits que j'ai été contraint
d'abréger , & à ceux même que j'ai
fupprimés pour me renfermer dans les
bornes d'une Lettre .
J'ai l'honneur d'être &c.
GRAVURE .
D. B.
LETTRE à l'Auteur du Mercure:
LEE Continuateur de l'Europe illuftrée
vient de faire paroître une nouvelle Ef
tampe du feu Bailli de Chambray , d'après
un deffein en forme de médaillon, envoyé
de Malthe à M. le Chevalier Turgot
Le Bailli de Chambray qui lui en avoir
fait préfent, étoit pour lors âgé de 68 ans.
Je faifis avec empreffement cette occafion
de rappeller à votre fouvenir , quelques
circonftances de la vie d'un des plus
grands hommes de mer , qu'ait eu l'Ordre
de Malthe.
Jacques - François Bailli de Chambray
naquit à Evreux en Normandie , de Nicolas
, Baron de Chambray , Capitaine des
Armées navales , & d'Anne le Doulx de
Melleville , le 15 Mars 1687. Il étoit iffu
d'une race Danoife. Turulphe , le premier
de fes Auteurs qui foit connu , fut en 912
un des Conquérans de la Neuflrie , fous
la conduite de Rollen , premier Duc de
AVRIL. 1761.
149
Normandie , qui ayant fait le partage des
terres, entre les nobles de fon armée, lui
donna celle de la Ferté. Radulphe fon fils,
& Guillaume , fon petit- fils , furnommé
Fresnel, la poflédoient à la fin du dixième
& au commencement du onzième éclé.
Les defcendans de Turulphe en adoptérent
le nom , parce qu'ils y avoient bâti
un Château fort , & que les noms étant
devenus héréditaires dans le onzième fiécle
, les nobles prirent celui de leur principale
Seigneurie ou de leur habitation ,
auquel on ajoûta fouvent le fobriquet de
celui qui poffédoit , lorfque cet ufage s'établit
; ce qui a donné lieu à la Ferté
Frefnel, la Ferté Macé , la Ferté Imbault ,
le Gerrier Arnauld &c.
Sur la fin du douzième fiécle , Richard
de la Ferté Frefnel , & Enmeline de l'Aigle
fa femme ayant eu deux fils , Guillaumne
& Simon ; Guillaume l'aîné eut la
tèrre de la Ferté Frefnel au Bailliage d'Evreux
, & Simon celle de Chambray fur
Ytou , même Bailliage, qui fe trouva dans
la fucceffion de leur père. Il y bâtit un
Château ; il en porta le nom ; & fa poftérité
qui a poffédé cette tèrre fans interruption
jufques à préfent , la tint en parage
par lignage des Sires de la Ferté
Frefnel fes aînés.Ce parage a duré jufques
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
en 1528 , pendant fept degrés de génération
, conformément à l'ancien uſage de
la Normandie. Le Bailli de Chambray defcendoit
de ce Simon de la Ferté Freſnel ,
Seigneur de Chambray par 12 degrés confécutifs.
Le Bailli de Chambray fut d'abord Page
du Grand- Maître en 1699. Il revint en
France en 1702 , & fut Lieutenant au
Régiment de Picardie en 1703 ; mais fon
attrait pour le ſervice de l'Ordre , le rappella
bientôt à Malthe , où il fut fait Enfeigne
des Vaiffeaux de la Religion en
1705.
L'an 1707 , le Roi d'Efpagne ayant
demandé au Grand- Maître le fecours de
l'Efcadre Maltoife contre les Maures qui
affiégeoient la ville d'Oran , le Comte
de Chambray fut du détachement ; &
étant entré dans la place , une balle lui
perça la gorge de part en part , & effleura
le gofier. Il défendoit alors un ouvrage.
extérieur , d'où il fut rapporté dans la
ville. Ce fut un bonheur pour lui , car
cet ouvrage ayant été forcé peu après, les
Chevaliers qui étoient reftés à la défendre
, furent faits prifonniers , & refterent
longtemps en captivité.
Le Chevalier de Chambray paffa par
tous les grades des vaiſſeaux , & fut fair
Major de l'Eſcadre en 1720 .
AVRIL. 1761 .
A la fin de l'an 1722 , il fut Capitaine
des Vaiffeaux de la Religion , & comman
da le St. Vincent. L'année fuivante 1723 ,
il attaqua vers les côtes de Barbarie , un
gros Vaiffeau , portant pavillon de Vice-
Amiral , nommé la Patrone de Tripoli .
Ce Vaiffeau avoit été donné , en 1721 ,
à la Régence de Tripoli ; par le Grand-
Seigneur. Il incommodoit extrêmement
le Commerce que les Puiffances de l'Europe
font dans le Levant. Le Chevalier
de Chambray le prit après un rude combat
, & l'ayant conduit dans le Port de
Malthe , y reçut les complimens du
Grand Maître. Il fit promptement radouberfon
Vaiffeau , qui avoit beaucoup
fouffert dans l'action, & retourna en mer,
chercher une frégate qui fervoit de conferve
à la Patrone de Tripoli , il fut affez
heureux pour la joindre , la combattre &
la prendre . On le vit entrer dans le Port
de Malthe , avec cette nouvelle prife , le
14 de Juin . La commanderie de Virecourt
en Lorraine , fut la récompenfe de ces
deux actions.
·
Le 14 Août de la même année 1723 ,
Il prit encore un Vaiffeau Algérien , &
toutes les années fuivantes jufqu'en 1731
furent marquées par la prife ou la deftruction
de dix Bâtimens Barbarefques.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
Ce fut cette année qu'il fut fait Lieutenant-
Général Commandant des Vaiffeaux
de la Religion, & Grand-Croix de fon Ordre.
Le Bailli de Chambray cherchant à
donner de nouvelles preuves de fon zéle
& de fa valeur , fut informé que le Général
Haly, contre- Amiral du Grand- Seigneur
, s'étoit éloigné de fon Efcadre , &
avoit fait voile vers Damiette. Il l'y fuivit
, l'attaqua & le prit, le 20 Août 1732,
après douze heures du combat le plus
opiniâtre. Ce Général s'étoit rendu recommandable
à la Porte par 16 différens
combats contre les Vénitiens.Le principal
Pavillon de ce Vaiffeau fut préfenté à la
Reine par
le Marquis de Chambray fon
frere , & placé dans l'Eglife des Dames
Religieufes de S. Cyr avec une infcription.
L'année fuivante 1733 , le Bailli de
Chambray eut ordre du Grand- Maître de
joindre fon Efcadre aux Vaiffeaux du Roi
'Espagne , pour croifer contre les Algériens
mais comme il étoit fubordonné
au Général Efpagnol , il manqua les plus
belles occafions d'attaquer l'Efcadre Algérienne
qui étoit compofée de huit Vaiffeaux.
Le 9 Décembre 1735 , il quitta le commandement
des Vaiffeaux de la Religion,
AVRIL 1761 . 153
& le 31 Octobre 1738 , il fut nommé
Commandant général des troupes & fortifications
de l'Ifle de Malthe . Cette nouvelle
dignité le mit à portée d'exécuter
sun projet digne d'un Souverain , projet
qui marquoit bien fon amour extrême
pour fon Ordre , & plus encore pour l'humanité
, ce fut de bâtir à fes frais dans
l'Ifle du Goze une fortereffe qui mît à l'avenir
cette Ifle à l'abri des defcentes des
Ennemis de la Religion . Plufieurs motifs
avoient concouru à le déterminer à cette
entrepriſe ; & comme c'est un événement
rare dans la fociété des hommes , on en
va donner le détail.
3
En l'année 1708 , au Printemps , on
apprit à Malthe que le Grand - Seigneur
faifoit armer une Efcadre qui étoit deftinée
à naviger dans le canal de Malthe.
L'Ile de Malthe étoit trop bien fortifiée
pour craindre une defcente ; mais celle du
Goze n'avoit pas la même fécurité . Elle
eft entourée de rochers efcarpés prèfque
de toutes parts ; mais elle étoit ouverte à
la rade de Migiarro ; & il n'y avoit au
cunes fortifications pour en défendre
l'entrée. On fit done pafler au Goze fle
Bailli Jofeph de Langon , Commandant
les Vailleaux de la Religion , avec les Capitaines
, Officiers & Equipages de fon
154 MERCURE DE FRANCE.
Eſcadre . Le Chevalier de Chambray étoit
du nombre des Officiers. L'armement
Turc n'ayant point paru , les troupes fe
retirérent du Goze.
Au Printemps de 1722 , on eut à Malthe
la nouvelle d'un pareil armement de
la part du Grand - Seigneur. On tint la
même conduite ; & le Bailli Adrien de
Langon, Commandant alors l'Eſcadre , fut
chargé du commandement des troupes qui
paflerent au Goze. Le Chevalier de Chambray
étoit Major , & fut nommé Major
Général des Ifles de Goze & du Cumin.
Cinq Sultanes , vaiffeaux du Grand- Seigneur,
parurent devant le Port de Malthe:
on ignoroit s'il n'en paroîtroit pa's davantage.
Ce qui obligea le Bailli de Langon ,
d'ordonner au Chevalier de Chambray de
faire paffer fans perdre de tems , à l'Ifile
de Malthe , les perfonnes inutiles , hommes
, femmes & enfans , au nombre
d'environ fix mille. Quelque précaution
qu'il pût prendre , ce tranfport fe
fit avec tant de précipitation , qu'il y
eut beaucoup de perfonnes noyées , d'enfans
étouffés ; ce n'étoit que cris & pleurs
de la part du peuple. Ce fpectacle attendrit
beaucoup le Chevalier de Chambray
qui fentit dès lors combien une place
forte étoit néceffaire pour la fureté de cette
Ifle , & la tranquillité de fes habitans.
-
2
AVRIL. 1761. 155
Le lendemain, les cinq Sultanes parurent
devant les Plages acceffibles du Goze ; &
les ayant vû couvertes de troupes , ce à
quoi elles ne s'attendoient pas , elles refterent
en préfence quelques jours ; puis firent
route pour Tunis & Tripoly , où elles
furent faire payer le carache , tribut
annuel du Grand- Seigneur.
En 1749, Muftapha, Bacha de Rhodes ,
qui étoit prifonnier à Malthe , ayant formé
une confpiration contre l'Ordre , qui fut
découverte le 6 Juin de cette année , &
cet événement ayant conduit à des fupplices
affreux beaucoup des habitans de
cette Ifle , le Bailli de Chambray fit réflexion
que fi celle du Goze avoit été fortifiée
& munie d'une bonne garnifon ,
cette confpiration n'auroit pas eu lieu ,
par la difficulté de la correfpondance , ou
du moins qu'elle auroit fervi de retraite
aux Chevaliers qui auroient échappé au
maffacre projetté . Cette idée lui fit prendre
la réfolution de demander au Grand-
Maître , & au vénérable Confeil de guerre
, la permiffion de bâtir à fes frais une
ville forte au - deffus du Port Migiarro ,
dont le canon croifant avec celui de l'Ifle
du Camin , fermeroit totalement l'entrée
du Goze. Ce projet fut généralement applaudi
, & le Bailli de Chambray jetta les
G vj
156 MERCURE DE FRANCE .
fondemens de fa nouvelle fortereffe en
la même année 1739. Il y travailla avec
une activité infinie pendant fix années
confécutives ; & cet ouvrage qui porte le
nom de Cité neuve de Chambray, étoit prèf
que à fa perfection , lorfque la mort
l'enleva le 8 Avril 1756. Il avoit fait un
Teftament par lequel il fupplioit le Grand-
Maître d'employer à fa perfection le produit
de fes effets mobiliers , qui ont monté
à cent mille livres. Son Alteffe Eminentiffime
a eu la bonté de fuivre fes intentions
, & lui a fait élever un fuperbe
Maufolée dans l'Eglife de S.Jean à Malthe,
avec cette infcription.
D. O. M.
+9
Fr. Jac. Fran. de Chambray , Ordinis
Hierolimi , Baillivus de Sta . Vaubourg
de Virecourt , Magiſtratifq. Commda .Metenfis
Commendatarius.
Mari
Etatis fuo nulli.fecundus
Fudit Turcas
Terra
Arce propriis impenfis extructa
Tutavit cives .
*Leplandeoeew Git neure , de Chambray,
AVRIL. 1761. 357
En reconnoiffance des fervices du Bailli
de Chambray , le Grand- Maître a donné
au Marquis de Chambray , Cornette des
Chevaux- légers , fon petit neveu , la
per
miffion de porter la Croix de l'Ordre.
LE PORTRAIT du Frere Cofme , Religieux
Feuillant , gravé par M ..... Se trouve
à Paris chez la Veuve Cherreau , rue S.
Jacques , aux 2 piliers d'or & chez
Bulder , rue de Gêvres , au Grand- Coeur.
ANNONCER des gravures d'après M.Boucher
, Peintre ordinaire du Roi , c'eſt pour
ainfi dire en faire l'éloge ; tout le monde
connoît le mérite de ce grand Peintre.
Si la gravure pouvoit rendre les couleurs,
que ne gagneroit - elle pas ?
Les deux Eftampes que j'annonce , ont
été caufe de ce préambule. La première
eft la Nativité, fous le titre de la lumière
du monde , peinte par M. Boucher,
Peintre ordinaire duRoi, dédiée à Madame
été publié par M. de Palmus , Ingénieur - Géogra
phe de S. A. S. Mgr. le Prince de Conti , & dédié
a ce Prince. Il fe vend chez l'Auteur , rue Tiquetonne
, maifon de M. Aufonne, Avocat au Confeil ,
où l'on trouve auffi une Carre générale des Ifles de
Malthe du Goze , d'une feuille & denie de
grand aigle , très - belle & bien gravée , & un Plan
de la Ville Capitale , en une feuille de grand aigle
158 MERCURE DE FRANCE.
la Marquise de Pompadour , Dame du
Palais de laReine , gravée & préfentée par
Etienne Feffard, Graveur du Roi , de fa
Bibliothèque & de l'Académie Royale
de Parme ; l'autre eft l'Amour défarmé ,
exécutée par les mêmes. Nous espérons
que les amateurs & les curieux ne défapprouveront
pas que nous cherchions à encourager
un Artifte , dont on voit que les
vues tendent à mériter leurs fuffrages.
Il paroît auffi chez lui quatre autres
Eftampes , dont deux d'après M. Natier
& M. Boucher qui font des études que les
Artiſtes appellent communément études
pour peindre.
Six autres gravures de la Place Royale
de Bordeaux exécutées & fculptées par
MM. Francin & Vandervort , tous deux
Sculpteurs du Roi.
On y trouve auffi la Chapelle des Enfans-
Trouvés, peinte par Natier, Peintre ordinaire
du Roi .
Toutes ces gravures font exécutées par
M. Feffard.
AVRIL 1761 . 159
.

ARTICLE V.
SPECTACLE S.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Mufique a continué
les repréſentations
de Jephté , &
celles des Fragmens , les jours ordinaires
de fon fpectacle .
Le Samedi 7 Mars ( jour de la Clôture
des Théâtres de Paris ) elle donna
la derniére des 3 repréſentations extraordinaires
, deſtinées au bénéfice des Acteurs
, pour lequel on avoit choifi Pirame
& Thisbé . *
1
Les rôles de Zoraïde & de Thisbé ,
l'un par Mlle Chevalier , & l'autre par
Mlle Arnould , ont été rendus fupérieurement,
chacun felon le différent genre de
talents de ces deux Actrices . On a remarqué,
de la part de Mlle Arnould , à la derniére
repréſentation , une perfection foutenue
dans toutes les parties de fon rôle ;
ce qui prouve que l'exactitude d'attention
* Tragédie , paroles de M. de la Serre , MuGque
de MM . Rebel & Francoeur.
160 MERCURE DE FRANCE.
m'eft pas incompatible avec les infpira
tions momentanées du fentiment ; & que
fi les grands traits font quelquefois excufer
les négligences , ils ne doivent pas
toujours les juftifier . M. Larrivée a faifi le
rôle de Pirame , avec plus de juſteſſe dans
T'expreffion & dans l'action , qu'à la précédente
repriſe de cet Opéra , quoiqu'il
y eût mérité des applaudiffemens. Le rô
le de Zoroastre a paru chanté & joué
par M. Gelin , de manière à faire fentir
ce qui peut réfulter de l'exercice des
grands rôles , pour les progrès du talent
théâtral. M. Pilot , a mérité & obtenu
des applaudiffemens ,par l'intelligence &
par la chaleur qu'il a montré dans le rôle
de Ninus . Enfin il femble que tout
ait concouru à la fatisfaction du Public ,
-dans ces repréfentations deftinées a faire
éclater le zéle des Acteurs. Mlle Lani
y a danſé conftamment & avec un nouvel
éclat , malgré les ménagemens qu'exigeoit
le rétabliffement de fa fanté.
L'ouverture de ce Théâtre devoit fe
faire le 31 Mars par une repréſentation de
Jephté. L'Opéra nouveau, intitulé Hercule
mourant, * n'ayant pû être répété pendant
Paroles de M. Marmontel , Mufique de
'Auvergne.
AVRIL. 1761. 161
les Fêtes , a été remis au Vendredi 3 du
préfent mois. On en rendra compte dans
le vol. prochain.
E
AVIS.
Le Public eft averti qu'il faut maintenant
s'adreffer , pour louer des Loges à
L'OPERA , chez Madame DELAPORTE,
Marchande Parfumeufe , rue S. Honoré ,
vis à-vis le Caffè de DUPUIS , entre la
rue de Richelieu & le Palais Royal.
COMEDIE FRANÇOISE .
OnNa continué le Pere de Famille , dont
les repréfentarions ont fucceffivement fait
décider le fuccès ; preuve fenfible , que
malgré la corruption de moeurs , repro
chée à notre fiécle , ainfi qu'on la reprochoit
aux fiécles précédens , & qu'on la
reprochera aux fiécles futurs , les images
de la vertu , relevées par la force du fentiment
, auront toujours fur le coeur des
hommes un pouvoir fort fupérieur aux
petites querelles de la critique .
La clôture du Théâtre s'eft faite , le 7
Mars, par une Repréſentation de Tancré162
MERCURE DE FRANCE.
de , qui a produit une des plus fortes Recettes
de l'année , & où Mlle Clairon
jouiffant d'une meilleure fanté , a foutenu
la réputation de l'ouvrage , & celle
d'une fupériorité de talent que l'on admire
toujours en elle , avec un nouvel étonnement.
Après la Tragédie , M. Bernau prononça
le Compliment ſuivant .
MESSIEU ESSIEURS ,
Quelle année fera plus mémorable & plus fingulière
que celle - ci , dans l'Hiftoire du Théâtre
François Les différens ouvrages que nous avons
eu l'honneur de vous préfenter , la nouveauté de
leur genre , leur variété , leur mérite , tout s'eft
réuni pour contribuer à vos plaifirs .
L'Auteur célébre , dont les productions enrichiffent
notre Scène depuis près d'un demi fiécle
, après vous avoir fait admirer dans l'Ecofſoiſe,
la manière dont il a peint les moeurs Angloifes ,
vient d'ajouter , dans la Tragédie de Tancréde , à
la force & à la beauté du coloris , au pathétique
& à la chaleur de fon dialogue , la pompe & l'appareil
du Spectacle , defirés depuis longtemps, &
qui manquoient aux chefs -d'oeuvres de Corneille
& de Racine. Nous n'ofons , Meffieurs , confon
dre nos foibles éloges avec les applaudiſſemens &
les acclamations dont vous accueillez les ouvrages
de M. de Voltaire : que pourrions- nous dire
de cet Écrivain fublime,que vous n'en euffiez penfé
, & qui ne rentrât dans les juftes fentimens
d'eftime & d'admiration qu'il vous inſpire ?
AVRIL 1761 . 163
Si vous couronnez le mérite reconnu , vous encouragez
auffi les talens dans leur naiffance.Vous
avez applaudi dans Califte , l'élégance de la Poëhe
, & l'adrelle avec laquelle l'Auteur a couvert ,
par les charmes du ftyle , les vices d'un Sujet
auffi hazardé que difficile.
Nous ne pouvons nous diffimuler que l'une de
nos nouveautés nous attira quelques reproches.
Cependant , Meffieurs ,pouvons-nous parler de la
Comédie des Philofophes , fans vous rappeller fa
réuffite ? nous ne pouvons donner l'exclufion à
aucun genre : vous feuls avez le droit d'admettre
ou de proferire ; & fi cet ouvrage parat hardi ,
Auteur en fut abfous par fon fuccès.
La petite Piéce des Maurs du Temps, a réuni vos
fuffrages ; vous avez loué en elle l'aifance & la netteté
de la diction , la peinture & la connoiffance
du monde , qui caractériſent tous les traits de cet
gréable tableau.
L'art d'émouvoir votre fenfibilité eft un des plus
fürs
moyens de réuffir . Les événemens domeſtiques
, les fcènes communes de la vie , les inquiétudes
d'un Père tendre , les paffions d'un fils révolté;
tes images fimples & vraies vous ont intéreffé dans
le Père de famille ; & ce Drame a confervé au
Théâtre les fuffrages qu'il avoit obtenus à la lecture.
Telle a été , Meffieurs , la carrière que nous terminon's
aujourd'hui . L'interruption de nos travaux ,
point d'intervalle à notre zéle , toujours
chauffé , roujours foutenu par le fentiment de la
reconnoillance . Nous employerons le peu de jours
de notre repos , a étudier , à chercher , avec une
attention plus particuliere , les moyens de vous procurer
de nouveaux amuſemens , & de mériter par
nos foins & notre reſpect , le bonheur de vous
plaire.
ine
mettra
1
164 MERCURE DE FRANCE.
COMEDIE ITALIENNE.
EXTRAIT des CAQUETS , Comédie
trois Actes en Profe , repréfentée pour
premiere fois , le Mercredi 4 Févr
2761.
Noms des Perfonnages . Noms des Alteurs.
ADRIEN , Patron de Barque ,
BABET, qui paffe pour la Fille ,
M. Caille
MlleCatin
Mde GRIFFON , Procureuſe , Mile Bogni
MANETTE , fa Parente ,
Mlle Placi
DUBOIS , Prétendu de Babet ,
M. leJeu
MAROTTE , Coufine d'ADRIEN ,
Revendeuſe à la Toilette , M. Champvil
CATHERINE , autre Couline &
Revendeuſe ,
ANGÉLIQUE , Couturiere ,
Mlle Desglani
Mlle Fava
M. BELHOMME ,Ami de la Famille, M.Dehe
M. RENAUD , Pere de BABET ,
Négociant ,
MENACHEM , Juif Anglois ,
M. Desbroe
M. Ballett
AVRIL. 1761. 165
Is Ier Acte fe paffe dans la Mailon d'Adrienn
Madame Griffon , Mlle Manette , & M. Belhom
me font chez lui pour figner le contrat de mariage
de Babet , qui paffe pour fa fille ; Marotte , & Catherine
, Revendeufes à la Toilette , & Coufines
Adrien , y font auffi . Tous ces perfonnages , affis
en cercle , cauſent en attendant l'arrivée du Père
& du Marié. Les Revendeufes trouvent que Dubois
ne montre pas affez d'empreffement pour la Prétendue
, & fur- tout le blâment de n'avoir pas encore
apporté les préfens de Nôce. Madame Grif
fon en prend le parti , & trouve mauvais qu'on
parle mal d'un garçon qu'elle protége , & qui eft
le filleul de fon mari. Les Revendeules répondent
par des traits peu mefurés. Madame Griffon le fâche
& elle eft fur le point de s'en aller , lorfque
Adrien & Dubois arrivent . D'abord ils font honnêteté
à Madame Griffon & à la Compagnie ; ce
dont les Revendeufes font fort choquées , prétendant
que dans une affemblée de cette nature ,
les Parens font les premiers auxquels on doit faire
attention . Elles fe fâchent encore davantage
quand on les prie de fe reculer un peu , afin que
Dubois trouve place auprès de Babet . Elles veu
lent refter à leur place , & prétendent qu'on faffe
reculer les autres. On a beau leur repréſenter que
Madame la Procureufe mérite des égards & du
refpect ; elles n'en veulent rien croire . Madame
Griffon les trouve fort impertinentes. Marotte lui
répond avec vivacité & en termes fi offenfans .
que Madame Griffon prend le parti de s'en aller
abfolument , & emméne avec elle Mlle Manette.
On fait tout ce qu'on peut pour les retenir , mais
inutilement ; & tout le monde les fuit pour lés
J
"
reconduire & les appaifer.
166 MERCURE DE FRANCE .
:
Marotte & Catherine demeurent feules & fon
contentes d'avoir eu l'avantage , puifque le champ
de bataille leur eft demeuré; lorfque Angélique
arrive pour éllayer la Robe de Nôce. On la voit
on la trouve trop riche ; Angélique leur dit qu'ell
a fait cet ouvrage avec bien du chagrin ; on lu
en demande la raiſon ; elle avoue qu'elle aime
Dubois qui auroit été ſon mari,fi elle avoit en du
bien , & qui ne l'a quittée pour Babet , que parce
qu'il trouve chez celle- ci deux mille écus en mariage.
Marotte eft révoltée d'apprendre qu'Adrien
donne une pareille ſomme à un enfant qui ne
lui appartient pas , tandis qu'il a des Parens à
qui fon héritage doit aller naturellement . On la
prie de s'expliquer là- deſſus après s'être un peu
defendue , elle confie à Catherine & à Angelique
qu'Adrien n'avoit jamais eu qu'une fille qui étoit
morte à Rouen , d'où il étoit revenu avec Babet ,
qu'il a toujours fait paffer pour fa fille quoiqu'elle
ne le foit pas. Comme on refufe de la croire , elle
montre l'extrait mortuaire de la petite fille ,
qu'elle a fait venir , pour être plus affùrée de la
verité de ce fait , qui lui avoit été autrefois confié
par fa mere. Lorſqu'on lui demande qui
peut être Babet , elle avoue qu'elle ne fait pas
où Adrien l'a prife , mais que ce n'eſt pas la fille.
Angélique , à cette nouvelle , conçoit quelqu'el
pérance que fi l'on vient à le favoir , le mariage
de Babet pourra le rompre, & que Dubois lui'reviendra.
Elle part pour aller chez Madame Grif
fon achever une Robe , & toutes les trois fe quirtent
, Marotte leur difant de ſe taire fur ce qu'el
les viennent d'apprendre , & les deux autres aſſu
rant qu'elles n'en parleront jamais .
LE SECOND ACTE le paffe dans la rue, devant la
Maiſon de Madame Griffon . Elle fort de chez-elle
en racontant à Dubois , ce qu'elle vient d'ap
AVRIL. 1761. 167
prendre au fujet de Babet. Elle lui fait concevoir
qu'on ne doit plus penfer à une fille , dont on ne
fait pas l'état. Dubois défefperé lui demande
d'où elle fait cette nouvelle ? Madame Griffon refuſe
de trahir la confiance de ceux qui l'ont inftruite
, & fe retire fort piquée des queftions de
Dubois. Elle lui dit qu'elle a déjà écrit à fon Père
que les affaires font changées , & qu'elle ne fera
aucun ufage du confentement qu'il avoit envoyé
pour le mariage de fon fils.
Dubois , au défelpoir , voit revenir Babet , qui
l'aborde d'un air content , & à qui il n'ofe dire ce
qu'il vient d'apprendre. Babet s'apperçoit de fon
air trifte & embaraffé ; elle le prelle de lui en apprendre
la caufe ; Dubois lui déclare en tremblant,
que l'on affure qu'Adrien n'eft pas fon père. Babet
l'écoute en riant, parce qu'elle ne peut pas s'imaginer
qu'il y ait aucun doute fur la naiffance ; mais
elle veut fçavoir d'où eft partie cette nouvelle. Dubois
, en la conjurant de n'en point parler , lui fait
entendre qu'il l'a apprife de Madame Griffon . Babet
, furieuſe, veut aller fur le champ demander à
Madame Griffon l'explication d'un femblable dif
Cours. Dubois fait tous les efforts pour l'en diffuader
, mais inutilement . Enfin , il la prie de ne pas
dire qu'elle tient de lui cette nouvelle ; ce que
Babet
promet. Dubois ſe retire , voyant arriver Madame
Griffon. Babet , dès le premier mot , dit que
Dubois lui a appris ce qu'elle a dit d'elle. Madame
Griffon en convient , déclarant fçavoir tout cela
d'Angélique ; celle- ci ,qu'on appelle , avoue l'avoir
entendu dire à Marotte ; laquelle , arrivant dans
le moment avec Catherine , fur les reproches que lui
fait Babet, reproche elle-même à Angélique d'avoir
divulgué ce fecret , pour faire rompre le mariage
de Dubois , dont elle eft amoureufe. Le jeu de cette
168 MERCURE DE FRANCE.
difpute perd dans le récit, & ne peut être bien fenti
que fur la Scène. Toutes les femmes fe retirent chacune
de leur côté , fort piquées les unes contre les
autres , d'avoir été mêlées dans ce caquet. Marotte
reſte avec Babet , à qui elle fait une espéce d'excufe
, à ſa manière , de ce qu'elle a dit d'elle , fans
cependant le dédire. Babet , fort chagrine , dit à
Dubois , qui arrive avec M. Belhomme , que le fait
eft éclairci , & qu'elle voit bien qu'Adrien n'eft pas
fon père. M. Belhomme fe rappelle quelques difcours
d'Adrien , qui le confirment dans cette idée.
Marottefait envifager à Babet , que les parens d'Adrien
feront leurs ettorts pour que fon héritage ne
palle pas dans les mains de Babet . M. Belhomme,
voyant les deux Amans dans l'affliction , propoſe
un accommodement à l'égard de la dot. Il promet
de faire Babet fon héritière , & de lui affurer
fa fucceffion par contrat de mariage . I dit
que fon revenu monte à cinq mille livres ; ce qui
eft beaucoup plus confidérable que le bien d'Adrien.
Les Amans reprennent quelqu'efpérance ,
lorfqu'Adrien arrive. Celui-ci , fur les queftions
qu'on lui fait , convient que Babet n'eft pas fa
fille , mais que fon Père eft un riche Négociant de
l'Inde , duquel il n'avoit reçu aucune nouvelle depuis
plus de dix ans , & qu'il avoit cru mort ; mais
qu'il venoit d'apprendre que ce Négociant étoit
arrivé à Paris , & le cherchoit partout. Marotte
écoute cette nouvelle avec plaifir & fort pour l'aller
dire à tout le monde. Dubois & Babet fentent
renaître leur joie ; & tous rentrent chez Adrien ,
pour avoir une entiére explication de ce fait.
LE TROISIEME ACTE fe pafle fur un pont de la
Seine , d'où partent les Bateaux pour Rouen . M.
Renaud, fuivi de Menachemt , avec lequel il eft venu
à Paris ordonne à unValet qui le fuit, de s'informer
dans le quartier où peut être la demeure d'Adrien .
Menachem
A VRL I. 1761.. 169
Menachem lui demande la raifon pour laquelle il
montre tant d'empreffement de trouver cet homme.
M. Renaud lui répond , qu'ayant été obligé
de partir pour l'Inde , il y a douze ans , fa femme,
qu'il a perdue depuis , l'avoit accompagné ,
mais que n'ofant expofer fa fille en bas âge , au
mouvement de la mer , il l'avoit laiffée en garde à
cet Adrien qui demeuroit alors à Rouen , & qui
depuis eft venu demeurer à Paris. Pendant cette
converfation , ils voyent Marotte qui fort de fa
maifon & M. Renaud lui demande fi elle ne
pourroit pas lui apprendre la demeure d'Adrien.
Marotte lui répond qu'elle eft fort en état de l'en
inftruire , puifqu'elle eft fa confine germaine ,
mais qu'Adrien eft actuellement dans l'embarras
que lui caufe le mariage de fa fille. M. Renaud
demande quelle eft cette fille ? Marotte lui raconte
qu'Adrien l'a fait longtems regarder comme
telle, mais qu'elle ne l'eft point ; que la famille
d'Adrien , informée de cela , n'avoit pas voulu
laiffer aller la chofe plus loin ; & enfin , fon caractére
médifant lui fait tenir des difcours capables
de jetter dans l'efprit de M. Renaud , de violens
foupçons fur la vertu de fa fille. Elle s'apperçoit de
fon trouble , & lui demande s'il ne connoîtroit pas
ce richeNégociant qu'on dit être le Pere de Babet.
M. Renaud convient qu'il le connoît ; mais preflé
par Maroite , qui foupçonne que ce pourroit être
lui même , il s'en défend ; & pour ſe debarraſſer
des queftions qu'on lui fait, il dit qu'elle eft la fille
de fon compagnon de voyage. Marotte reconnoît
ce dernier pour ce Juif qu'elle a vu dans les Caffés
vendre des Lunettes d'Angleterre. M. Renaud fe
retire fort trouble ; Menachem le fuit ; & Marotte
refte feule , riant de ce qu'elle vient d'apprendre.
Catherine & Angélique furviennent & lui demandent
la cauſe de fa gaîté . Marotte leur conte ,
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
en étouffant de rire, qu'elle a vu le Pere de Babet
On refufe d'abord de la croire ; mais elle allure
qu'elle dit la vérité ; qu'elle a parlé au Pere de Babet;
que c'eft ce Juif , que c'eft lui-même , & qu'il
en eft convenu. MM. Belhomme & Dubois arrivant
, les Revendeufes leur font des plaifanteries
équivoques fur le Pere de Babet, qu'elles croyent
connoître. Enfin Angélique explique à Dubois,qui
eft ce Pere , & fort en lui difant combien elle eft
affligée des difcours que cette aventure va produi
re. Marotte & Catherine s'en vont en plaifantant
fur les bonnes Lunettes , dont Dubois fera pourvu
à l'avenir. Dubois refte interdit ; & M. Belhomme ,
perfuadé par les difcours que ces trois femmes
viennent de tenir , lai dit que le mariage eſt à
préfent infaiſable de toutes façons . Babet arrive
d'un air content & fort impatiente de voir fon
Pere ; elle est étonnée de la trifteffe où Dubois
paroît plongésil voudroit lui en expliquer la caufe,
& ne peut proférer que des mots entrecoupés. Enfin
M. Belhomme explique a Babet, que fon pere
eft de cette Nation qui ne peut s'allier avec la nô
tre. Les deux Amans marquent leur défeſpoir.
Lorfqu'Adrien arrive avecM Renaud &Menachem.
M. Belhomme montre le Juif à Babet,en lui difant
que c'eft fon Pere. Babet confondue , s'enfuit fans
ofer le regarder. Cette fuite étonne Adrien & M
Renaud , qui rappellent inutilement Babet. Ils en
demandent la raiſon . Dubois, & M. Belhomme
leur expliquent la caufe de fon chagrin . La chofe
s'éclaircit peu- à-peu . Dubois apprenant enfin
que Babet eft fille de M. Renaud, entre en courant
chez Adrien, Marotte & Catherine furviennent
avec Angélique les deux premières font compliment
a Menachem de la jolie enfant qu'il a retrouvée.
Angélique les blâme de rire du malheur de
Babet , dont elle paroît touchée. Dubois revient ,
AVRIL. 1761. 171
conduifant Babet , à qui il dit , tranſporté de joie ,
d'embraffer fon Pere . Lequel eft ce ? demande
naïvement Babet . M. Renaud l'embraffe ; elle reçoit
avec reſpect & beaucoup de joie les marques
de tendreffe de fon Pere ; elle montre de la rancune
contre les Revendeufes : Angélique l'affure
en pleurant , qu'elle eft charmée de fon bonheur.
M. Belhomme propofe de l'époufer ,pour la confoler
de la perte de Dubois ; & M. Renaud confent
au mariage de fa fille.
Tout l'agrément de cette Piéce confifte
dans un continuel mouvement théâtral ,
& dans la vivacité du Dialogue ; ce que
l'on ne peut jamais rendre dans un Extrait.
Nous renvoyons à ce que nous avons
dit de cette Comédie, dans le Mercure de
Mars . Le Public a confirmé la juftice que
nous avons crû devoir au mérite de l'Ouvrage
& de fes Auteurs .
Le 26 Février , on repréſenta pour la
premiere fois , fur le même Théâtre , la
Nouvelle Ecole des Maris , Comédie en
trois Actes , en profe , par M. de Moiffy ,
dont les repréſentations n'ont été interrompues
que par la clôture. Le fuccès de
cette Piéce , quoique moins vif & moins
brillant en apparence que celui de la Nouvelle
Ecole des Femmes , doit faire peutêtre
encore plus d'honneur au génie dramatique
de M. de Moiffy , Auteur de l'une
& de l'autre . Tout ouvrage de Théâ-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
tre a, pour ainsi dire, un corps & une âme.
L'âme d'une vraie Comédie eft dans le
fond d'intrigue , dans la filiation naturelle
des Scènes , dans l'action dramatique , &
dans le bien qui en doit réfulter pour les
moeurs fociales: l'agrément du jeu théâtral
, le brillant du Sujet , les fituations
plus ou moins piquantes , & fur- tout les
faillies qu'elles peuvent occafionner dans
la diction , doivent en être confidérées
comme le corps. Avec autant de mérite, au
moins, les avantages de l'âme font des impreffions
plus lentes que ceux du corps .
Ce font les premiers que paroît avoir eu
en vue l'Auteur dans ce nouvel Ouvrage.
On en fera perfuadé , en lifant le plan détaillé
de la Piéce , dans l'Extrait qu'avec
regret , nous remettons au Volume prochain
, trop refferrés dans celui - ci , par les
bornes qu'impofe à l'Article des Spectacles
l'abondance des autres matières .
On a exécuté fur ce même Théâtre , un
Ballet intitulé les Iroquois . On ne ſçait ce
qui donne lieu à ce titre , puifque le tableau
& le caractére de danfe des Perfonnages
annoncent des Allemands ou des
Flamands ;mais l'effet en étoit agréable &
foutenu d'une gaîté très-vive. Le principal
Danfeur , Compofiteur du Ballet , fecondé
des talens qu'a Mlle Camille pour le
AVRIL 1761 . 173
gente Pantomime, a fait plaifir dans l'exécution
de ce Ballet .
On a fermé le Théâtre par une repréſentation
de Samfon , qui avoit toujours
attiré beaucoup de Spectateurs , & qui a
terminé cette carrière théâtrale par une
très-forte recette.
M. Balletti prononça le Compliment
de clôture.Le peu d'efpace qui nous refte,
ne nous permet pas de le rapporter.
OPERA - COMIQUE.
Les du mois de Mars , on donna fur ce
Théâtre , la premiere repréſentation des
Bons Amis. La Mufique eft du mêine Auteur
de celle de Gilles , Garçon Peintre.
Cette Mufique a été plus admirée que fuivie
, dans la Piéce des Bons Amis . Plufieurs
morceaux ont éte jugés d'un grand
mérite , entre autres un Crefcendo dans
Paccompagnement d'un Monologue , a
paru du plus grand effet ; mais ces effets
étoient peut- être trop fupérieurs au genre
de Spectacle, auquel ils étoient appliqués
, & à l'efpéce de plaifir que le Public
va chercher à ce Théâtre. Cette Piéce
a eu quelques repréſentations.
Le 10 du même mois , on repréfenta
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
ne ,
une Parade intitulée le Père Caffandre
Parodie du Père de Famille . Deux raifons
s'oppofoient au fuccès de cette nouveauté.
La première , l'éloignement où l'on
eft depuis quelque temps , fur cette Scèdu
genre de gaîté bouffonne , à plus
forte raiſon , de la gaîté forcée qui conftitue
la Parade. La feconde , la négligence
avec laquelle on travaille ordinairement
ces fortes d'ouvrages , fruits précipités de
la plaifanterie d'une Société , qui prend
quelquefois l'impromptu pour la faillie ,
& qui dédaigne le genre que l'on fe propofe
de préfenter au Public : fentiment
que le Public rend toujours avec ufure ,
dès qu'il s'en apperçoit.
Le 14 , on fit la clôture de ce Théâ
tre , en ajoutant à l'une des Piéces que
l'on y repréfentoit , quelques couplets
qui furent écoutés favorablement du Public
, toujours reconnoiffant des hommages
qui lui font adreſſés.
CONCERT SPIRITUEL.
Il y a eu Concert le Dimanche & le L
Vendredi de la femaine de la Paffion , ainfi
que tous les jours de la Semaine Sainte ,
jufqu'au Samedi Saint inclufivement . Les
AVRIL 1761. 175
Concerts ont été interrompus , le lendemain
, par le trifte événement de la mort
de Mgr le DuC DE BOURGOGNE , qui
a été transporté aux Thuilleries , le foir
du jour de Pâques , pour y être expofé &
y recevoir les honneurs prefcrits par le
cérémonial , au milieu des regrets fincères
de tous les habitans de la Capitale .
Dans le nombre des Concerts que l'on
a donnés , on y a exécuté des Motets
anciens , dont le mérite & la réputation
font établis. Il fuffira de parcourir le peu
de nouveautés qu'a permis d'offrir au Public
une carrière ainfi abrégée. Parmi ces
nouveautés , la plus fingulière a été les
Titans ?
annoncés la premiere fois fous
le titre de Motet François ; la feconde ,
fous celui de Poëme nouveau François :
& la troifiéme , Nouveau Poëme François
mis en Mufique par M. MONDONVILLE,
lequel eft , dit- on , en même temps Auteur
des paroles. Il n'eft pas difficile de
croire qu'il devoit y avoir de grandes
beautés muficales dans cet ouvrage, quand
on confidérera les talens & la réputation
de l'Auteur ; il ne l'eft pas davantage d'i
maginer combien la diſparate du Sujet
avec le temps , le lieu & le genre confacré
à ces Concerts , a dû difpofer les efsprits
à la critique . On a foupçonné le
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
Poëte de réminifcences un peu fortes dans
la compofition de ce Poëme. Ce n'eft
point à nous à faire ces fortes de recherches
, ni à entrer dans cette difcuffion .
La Signora Sartori , Cantatrice Italienne
, a chanté deux fois .
Le jeune M. Duport a joué différens
jours , plufieurs Sonates de Violoncelle ,
avec une jufteffe , une précifion & un fini
dans les agrémens,qui lui ont valu des applaudiffemens
univerfels. On les lui a accordés
avec d'autant plus de plaifir , qu'il
tire de cet Inftrument les fons les plus
flatteurs & les plus touchans.
On a exécuté deux fois un Motet nouveau
, de la compofition de M. l'Abbé
Staldero , Aumônier de S. A. S. Mgr le
Prince de CONTI.
Miles Rofé & Villette , ont chanté feules
avec applaudiffement.
Mile Duval , jeune débutante , qui n'avoit
point encore chanté en Public, a paru
dans un petit Motet de M. Mouret , avec
des difpofitions très- heureufes pour l'expreffion
du fentiment. Malgré l'extrême
timidité dont elle étoit faifie , fa voix , qui
n'eft peut- être pas d'un grand volume , &
dont à peine elle jouiffoit, a été jugée d'une
qualité aimable , douce & fléxible. Elle
chante de fort bon goût ,& fes talens pour:
ront être agréables .
AVRIL 1761. 177
Un enfant de neuf ans & demi , nommé
Bertheaume , neveu & élève de M. le
Miere, a exécuté le Samedi Saint , une Sonate
Del Signor Jardino , qui contient
plufieurs des grandes difficultés du Violon
L'exécution en a été plus parfaite qu'on ne
devroit eſpérer de cet âge , où les talens
font volontiers admirés , mais qu'on devroit
peut-être expofer un peu moins ,
qu'on n'a fait depuis quelque tems , à l'étonnement
du Public, dont on ufe d'avance
l'admiration.
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
De PETERSBOURG , le 15 Février 1961 .
ON fait ici de grands préparatifs pour mettre
notre armée en état d'agir avec vigueur pendant
la campagne prochaine. Les ordres ont été expédiés
pour l'augmenter de vingt- cinq à trente mille
hommes. Plufieurs Corps font en mouvement
pour s'y rendre , malgré la mauvaise faifon. On a
reçu auffi les affurances de la Cour de Stokholm ,
que l'Armée Suédoiſe rentrera dans la Pomeranie
Pruffienne , auffi-tôt que la faifon le
permettra.
De VIENNE , le 4 Mars,
Le Prince Clément de Saxe eft actuellement
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
convalefcent , & on compte qu'il paroîtra bientôt
à la Cour.
Le Feld-Maréchal , Comte de Daun a repris
des forces fuffifantes pour être en état de monter
à cheval. Ce Général doit prendre inceffamment
congé de leurs Majeftés Impériales , & il fe rendra
à Drefde dans le courant de ce mois . Le Général
Baron de Laudon eft auffi fur le point de
partir pour la Silésie .
On apprend de la Siléfie que le Général Comte
de Draskowitz a furpris près de Franckenſtein , un
poſte Pruffien , & qu'il a fait plufieurs priſonniers.
De BERLIN , le 20 Février.
Le Roi continue fon féjour à Leipfick. Tout eft
encore tranquille dans nos quarters , à l'exception
du corps qui s'eft porté dans la Thuringes
mais on allure que les opérations de la Campagne
recommenceront inceffament. Le Roi a été h
fatisfait de la Légion formée par le Colonel deGuichard
, fur les principes de la Tactique des Romains
, qu'il a ordonné d'en former trois autres
fur les mêmes principes. Ces quatre Corps formeront
douze mille hommes.
Les nouvelles de la Pomeranie portent , que
le Prince de Bevern ayant envoyé de puiffans renforts
au Général de Werner , ce Général s'eft mis
en marche de Stargard . Les Ruffes ont abandonné
, à fon approche , les environs de Corfin & de
Collin , & ils ont repris leur ancienne pofition , à
Stolpe , où le Comte de Tottleben a fon Quartier
Général. Le Prince de Bevern commandera , diton
, cette année , les troupes que le Roi oppoſera
aux Suédois. On prétend qu'elles monteront à
plusde vingt mille hommes.
I
AVRIL 1761. 879
De HAMBOURG , le s Mars. 5
Le Mecklembourg continue d'effuyer de la parr
des Pruffiens , les traitemens les plus rigoureux.
Les Revenus des Domaines du Duc , ont été mis
en fequeftre à Schwerin.
On inande de Weiffenfels,qu'un Battalion franc
de troupes Pruffiennes , étant entré vers la fin du
moisdernier dans Hubertsbourg , Maison de chaf
fe de l'Electeur de Saxe , en a emporté tous les
meubles & les effets .
Suivant les nouvelles de Coppenhague , le Rof
de Danemarck eft parfaitement guéri , & il ne
tardera pas de paroître en Public.
De COLOGNE , le 24 Février
Le Chapitre de l'Eglife Métropolitaine de cette
Ville , s'affembla le 13 de ce mois , à l'occafion de
la mort de l'Electeur . Le jour de l'affemblée générale
du Chapitre pour nommer le nouvel Elec
teur fut fixé au 6 d'Avril.
Le Corps de l'Electeur , ayantété expofé à Bond
far un lit de parade jufqu'au 21 de ce mois , fat
mis dans un cercueil , pour être tranfporté dans
cette Ville. On fait en diligence les préparatifs
néceflaires pour fes funérailles, dont le jour eft fire
au 31 du mois de Mars.
Le Chapitre de l'Eglife Cathédrale de Munſter
a fixé au 7 du mois d'Avril prochain , l'Election dé
fon nouvel Evêque.
Le fieur de Chevert , Lieutenant Général des
Armées de Sa Majesté Très- Chrétienne , chargé
jufqu'à l'arrivé du Maréchal Prince de Soubile ,,
du Commandement des troupes qui doivent com
pofer l'Armée deſtinée à agir fur le Bas-Rhin,,
vient defe rendre à Duffeldorp.
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
1
De RATISBONNE , le 10 Mars.
On écrit de Munich, que la Princeſſe Electorale
de Saxe y eft heureuſement accouchée , le 28 du
mois dernier , d'une Princeffe , qui a été tenue ſur
les Fonds de Baptême , par l'Electrice de Baviere ,
au nom de Sa Majefté Impériale & Royale. Elle
a été nommée Thérefe-Marie - Jofephine-Anne-
Antoinette- Walburge- Ignace-Magdeleine-Xaviere-
Auguftine- Louife- Fortunée.
Le Chapitre de l'Eglife Cathédrale de Paderborn,
a fixé au 14 du mois prochain , l'élection de fon
nouvel Evèque. Celui d'Ofnabruck s'affemblera
le même jour pour élire fon nouveau Prince. L'Evêque
d'Hildesheim fera nommé le s de Mai. On
croit que la place de Grand - Maître de l'Ordre
Teutonique fera conférée au Prince Charles de
Lorraine.
De MADRID , le 10 Février.
On travaille avec vivacité dans les trois départemens
de la Marine à l'Armement ordonné par
Sa Majesté. Ceux de Cadix & du Ferrol doivent
fournir chacun treize Vaiffeaux de Ligne , & celui
de Carthagène neuf. Chacun de ces départemens
doit auffi fournir quatre Frégates.
Le 17 du mois dernier , le Roi fit la cérémonie
de donner le Collier de l'Ordre du Saint Eſprit à
l'Infant Don Gabriel , nommé Chevalier de cet
Ordre dans le Chapitre tenu le 2 à Verſailles .
De ROME , le 16 Février.
Le dommage caufé par la derniere éruption du
Véfuve , eft beaucoup plus grand qu'on ne l'avoit
d'abord eftimé . On fait monter à un million de
ducats la valeur des maiſons de plaiſance renverAVRIL.
1761 .
181
fées , & des champs abîmés ou couverts par la
lave & par la cendre. Ces matiéres forment fur la
plupart de ces champs une couche fi épaifſe & fi
dure que les Propriétaires ont renoncé a l'entrepriſe
de les remettre en valeur .
*Suivant les nouvelles arrivées depuis peu de
Conftantinople , le Grand- Seigneur , dans la vue
de fe procurer la reftitution du Vaiffeau enlevé
par les Efclaves Chrétiens , & conduit à Malthe ,
fait équiper une Flote pour attaquer cette Ifle. On
ajoute que ce projet fera fecondé par les forces
réunies de Tunis & d'Alger.
De LONDRES , le 7 Mars.
On fe difpofe à prendre poffeffion de l'Evêché
d'Ofnabruck , qui doit être alternativement poffédé
par un Prince Catholique , & par un Prince
de la Maifon d'Hanovre. Suivant le bruit public ,
Sa Majesté le deftine au Duc d'Yorck , ou au Prinçe
Guillaume , le fecond de fes freres.
Les renforts deftinés pour notre Armée de Veſtphalie
s'embarquent actuellement dans divers
Ports du Royaume. Les Bâtimens de tranſport
mettront inceffamment à la voile pour l'embouchure
du Vefer.
La Flote qu'on équipe à Plimouth , & dont l'Amiral
Keppel va prendre le Commandement ,
fera compofée de douze Vaiffeaux de Ligne & de
cinq Frégates. On y joindra trois Galiotes à bombes
& quelques brulots. Le nombre des Bâtimens
de transport qu'elle eſcortera , fera de cent . Elle
fera approvifionnée pour huit mois . L'objet de cet
armement eft toujours fort fecret .
82 MERCURE DE FRANCE.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée
de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 19 Mars 1761.
LE 22 du mois dernier , Leurs Majeftés & la
Famille Royale fignérent le Contrat de mariage
du Comte d'Argouges avec Demoiselle de Pezé.
Et celui du Comte d'Epié avec Demoiſelle de
Gaillon .
4.
.
Le 3 de ce mois , celui du Prince de Robecqavec
Emilie-Alexandrine de la Rochefoucauld- d'E
tillac.
Leza du mois dernier , la Comteffe de Poli
gnac fut préfentée au Roi , à la Reine , & à la
Famille Royale, par la Marquise de Polignac.
Le 23 , le Comte de Lulace partit pour l'Ar
mée.
Le 3 de ce mois , le Roi tint le Sceau.
Le même jour , le Comte Van Eyck , Envoyễ
extraordinaire de l'Electeur de Baviere , eut en
long manteau de deuil une audience particuliere
du Roi, dans laquelle il notifia à Sa Majesté , ha
mort de l'Electeur de Cologne , Oncle de l'Electeur
fon Maître .
Il fut conduit à cette audience par le fieur Dufort
, Introducteur des Ambaſſadeurs.
Le 6 , l'Académie Royale des Sciences eut l'honneur
de préfenter à leurs Majeſtés & à la Famille
Royale , le volume de fes mémoires pour l'année
8755.
Le 9 , l'Evêque de Lifieux prêta ferment entre
les mains de Sa Majesté.
AVRIL. 1761 18%
Le 18 , le Roi tint Sceau.
Le Roi a donné l'Abbaye de Fefcamps , Ordre
de Saint Benoît , Diocèle de Rouen , à l'Archevê
que de Narbonne , grand Aumônier de France.
Celle de Cercamp , Ordre de Citeaux , Diocèle
d'Amiens , au Cardinal Colonna di Sciarra , Protecteur
des Eglifes de France à Rome.
Celle de Montmajour , Ordre de Saint Benoît ,
Diocèfe d'Arles , au Prince Louis de Rohan , Coadjuteur
de l'Evêque de Strasbourg.
Celle de Sainte Croix de Bordeaux , même
Ordre , à l'Evêque d'Alais .
Celle de Coulomb , Ordre de Saint Benoît ,
Diocèse de Chartres , à l'Abbé d'Elpagnac , Confeiller
Clerc de la Grand'Chambre du Parlement ,
& Chefdu Confeil du Comte de la Marche.
Celle de Sorde , même Ofdre , Diocèle d'Acqs,
à l'Abbé de Cayrol , nomme Evêque de Sarepte ,
Suffragant de l'Archevêché de Narbonne.
Et celle de Sainte Croix , Ordre de Citeaux ,
Diocèfe & Ville d'Apt , à la Dame de Vercel , Religieufe
& Prieure de la même Abbaye.
'
la La place d'Aumônier du Roi , vacante par
nomination de l'Abbé de Barral , à l'Evêché de
Troyes , a été donnée par Sa Majesté a l'Abbé de
Talleyran , Grand Vicaire du Diocèle de Verdun.
Sa Majefté a donné le Commandement du
Regiment des Grenadiers de France , vacant par
la mort du Marquis de Saint Pern , & l'infpection
générale d'Infanterie , attachée à ce Commandement
, ан Comte de Stainville , Lieutenant - Génëral
des Armées du Roi.
Journal de l'ARMÉE , depuis le 21 Février.
Les différens mouvemens des ennemis fur l'Eder
& fur la Haute- Verra , ayant fait juger a
184 MER CURE DE FRANCE.
Maréchal de Broglie , que leur deffein étoit de ſe
porter fur Hirfcfeld , il Y raſſembla une partie
des troupes qui étoient dans la Helle. Il envoya
ordre au Marquis de Saint Pern & au Corps de
Saxons , d'abandonner la Haute - Verra , & de fe
replier vers Hirschfeld. Le Comte de Stainville
reçut en mêmetems ordre de fe porter fur Vacha .
Ce dernier fut attaqué dans la retraite par un
Corps fort fupérieur ; mais il fit faire , par le Régiment
de la Ferronnaye , une charge & vigoureule
, qu'il força les ennemis de fe retirer avec
perte d'un de leurs Généraux & d'un Etendard .
Trois Bataillons Saxons , ayant auffi été attaqués
par le Corps entier , aux ordres du Général Sporken
, furent obligés , après une longue défenſe ,
de fe rendre prifonniers de guerre. Pendant ce
tems un autre Corps des ennemis formoit une
attaque fur Marbur ; mais le Marquis de Rouge
s'y défendit avec tant de fuccès qu'ils furent forcés
de fe retirer avec perte.
Le Prince Ferdinand ayant paſſé l'Eder dans les
environs de Felsberg avec toute fon Armée , &
le Corps du Général Sporken s'étant avancé en
deça de la Verra , ils ont continué leur marche ,
chacun de leur côté , fur Hirschfeld . Lé Maréchal
de Broglie , n'y ayant pas des forces fuffifantes
, s'eft replié fur Fulde Les troupes qu'il avoir
à Hirschfeld , & celles du Marquis de Saint Pern
& du Comte de Stainville fe font raflemblées
dans les environs de cette Ville , & les gardes
avancées des ennemis parurent dans ceux d'Hirſchfeld.
Le 26 , le Maréchal de Broglie établit ſon
Quartier Général à Budingen. Le Corps commandé
par le Comte de Stainville & celui des
Saxons , fe font repliés par la Vallée de la Kintſch.
Une partie des troupes du Bas-Rhin ſe mit en
AVRIL. 1761. 185
marche aux ordres du Chevalier du Muy , Lieu
tenant Général , & des Marquis de Roquepine &
de Cuffay , Maréchaux de Camp . On laiffa de
bonnes garnifons dans Marburg & dans Gieffen .
Les Troupes légères des Ennemis fe firent voir
dans la Vallée de la Kintſch , & l'on apprit qu'un
Corps avoit paflé la Riviere d'Ohm dans les environs
de Kirchayn & de Hombourg.
Le 2 du mois de Mars , toutes les troupes furent
cantonnées à Vilbel , de forte qu'elles pouvoient
occuper le Camp de Bergen , i les circonftances
l'exigevient. Le Comte de Stainville fut
à Ober-Ufingen , & le Marquis de Rougé à Fridberg
& à Butzbach. Il y eut quelques elcarmouthes
entre les Troupes légères des ennemis & nos
poftes avancés. Celui de Hungen , où commandoit
le fieur de Vignolles , ayant été attaqué le 3
par des forces fupérieures , fe replia fur Echzel.
On eut avis que la gauche de l'Armée des Ennemis
s'étoit portée du côté de Birſtein ; leurs troupes
légeres s'avancerent jufqu'à Budingen . On ap
prit auffi que les troupes du Bas-Rhin aux ordres
du Chevalier du Muy étoit à deux journées des environs
de Limbourg , & qu'elles pouvoient arriver
en deux marches , fi celà étoit néceſſaire.
Le 6 , un Corps des Ennemis , commandé par
le Général Kilmanleg , partit de Hungen , &
paffa l'Horloff à Echzel le Détachement qui
gardoit ce pofte fut obligé de fe replier . Les Ennemis
s'avancerentjufqu'au Village de Wichtades
mais le fieur de Vignolles les ayant attaqués , il
leur a fait 65 prifonniers , dont quinze à cheval ,
& les a forcés d'abandonner ce pofte. Le fieur de
Gontaur , Capitaine au Régiment du Roi , Dragons
, attaqua auffi les , par ordre du Comte de
Stainville , un Détachement Ennemi au Village
de Markobel; il leur fit quelques priſonniers & les
186 MERCURE DE FRANCE.
força de fe retirer jufqu'au -delà de Marienborn .
Le 13 , les Ennemis occupant encore les poftes
de Lich & de Hungen , le Maréchal de Broglie
donna ordre aux Corps commandés par le Comte
de Stainville & par le Baron de Clofen de mar
cher fur ces deux poftes , qui furent abandonnés
à leur approche. Le Corps du Prince Héréditaire
fe retira de Lich fur Lubach.
Le 14 l'Armée fit an mouvement général , &
s'avança à Butzbach où eft le Quartier Général.
Elle a été cantonnée dans les Villages aux environs
de cette Ville , & du côté de Gieffen.
On apprend de Caffel , que la Garniſon a fait
le 7 une fortie , commandée par le Marquis de
Rochechouard , Maréchal de Camp , & qu'elle a
eu tout le fuccès qu'on en pouvoit attendre. On a
comblé la parallèle que les Ennemis avoient établies
on a pénétré juſqu'à un de leurs Camps qui
a été brûlé . Les troupes Ennemies ont été chaſſées
avec beaucoup de perte de leur part. On s'eft emparé
de quatre Obus , & on a encloué fix piéces
de Canon qu'on n'a pu emmener. On a brûlé
toutes les Munitions & brifé les Affuts . On compte
que les Ennemis ont eu fix cens hommes tués ou
bleflés. On a fait priſonniers deux Officiers & deux
cens un Soldats. Nous avons eu cent cinquante
hommes tués ou bleffés.
De GOTTINGEN , le 7 Mars.
Le 17 du moit dernier , les fieurs de Verteuil &
de Montfort entrérent dans la Place .
Le 18 , on enleva trois cens quatorze foldats &
deux Officiers ennemis , à Hardegfen .
Le 19 , on prit dans Northeim un Maréchal des
Logis Pruffien , un Sergent & deux Officiers,
avec des ôtages pour la fûreté des contributions
impolées.
AVRIL. 1781 . 187.
Le 23 , le Vicomte de Bellunce , qui étoit forti
la veille avec sro chevaux , 14 piquets , deux cens
Volontaires à pied , des Charpentiers , du canon
& un pétard , s'empara de Duderstadt. Il y pric
dix Officiers & 348 foldars . Nous n'y avons eu
que fix hommes tués & trente-deux bleſſés . Le
canon & un Obufier n'ayant pû enfoncer les portes
, le fieur de Launay , Officier au Régiment de
Champagne , fit attacher le pétard , qui les enfonça
. Le Vicomte de Bellunce donne de grands
éloges à cet Officier.
Le 24, les piquets , les Charpentiers de la Marck
& l'Artillerie rentrérent dans la Place avec les prifonniers
; les bleflés furent amenés le lendemain .
Le 25 , le Vicomte de Bellance fe porta à Quatlimbourg,
d'où il détacha le fieur de Larre avec
quelques troupes légères . Cet Officier prit à Hertzberg
dix- huit chevaux d'Artillerie , il fit rompre
trois mille fufils , & il en envoya deux cens foixante
& dix à Gottingen avec neuf prifonniers . On
enleva des ôtages pour la contribution en grains
qui fut impofée à cette Ville.
Le 27 , le Vicomte de Bellance fe porta à Eimbeck
, où il prit trois Officiers & fix foldats . Il emmena
cinq des Notables, pour répondre de la contribution
qu'il impoſa.
Le premier de ce mois , le fieur de Maugeau a
amené de Mohringen , un des principaux habitans
pour traiter des contributions . Le fieur de Larre
fils , à la tête de vingt- cinq Dragons Volontaires ,
a attaqué à Saltzderhelden quarante Huffards de
Brunſwick , dont plufieurs ont été tués , & onze
fait prifonniers.
De PARIS, le 2 Mars.
Leyde ce mois , l'Académie Françoife élut l'Ab188
MERCURE DE FRANCE.
bé Trublet , Chanoine & Archidiacre de S. Malo ,
Membre de l'Académie des Sciences & Belles- Lettres
de Berlin , pour remplir la place vacante ,
par la mort du Maréchal Duc de Belle- Iſle .
Le 1e , le Roi fit dans la Plaine des Sablons ,
la Revue des Régimens des Gardes- Françoiles &
des Gardes - Suilles . Ces deux Régimens , après
avoir fait l'Exercice , défilerent devant Sa Majefté.
Monfeigneur le Dauphin , Madame la Dauphine
, Madame Adélaïde , & Meſdames Victoire
, Sophie & Louiſe affiftérent à cette Revue.
de
Le feur Cornic , Lieutenant de Frégate, commandant
le Vaiffeau de Sa Majeſté , le Prothée ,
de foixante Canons , armé en courſe pour le
compte de divers particuliers , eſt rentré à Breſt
le 8 de ce mois , emmenant avec lui le Vailleau
de la Compagnie des Indes Angloiſe l'Ajax ,
fept cent cinquante tonneaux , de vingt- fix Canons
& de cent hommes d'équipage . Ce Vaiſſeau
venoit de Madraff avec un chargement très riche
en Diamans , en Mouſſelines , en Mouchoirs & en
Salpêtre. Le fieur Cornic s'en étoit emparé le
fur les Sorlingues ; & il a pris le 6 , un Navire de
transport Anglois , qui portoit de Cork à Portfmouth
cent cinquante Soldats qu'il a envoyés à
Treguier. Dans une précédente forcie , le fieur
Cornic avoit déja fait trois priſes.
Le fieur de Bully , Brigadier des Arméesdu Roi,
qui s'eft fi fort diftingué dans l'Inde , deux Colo
nels & plufieurs autres Officiers François , qui
étoient prifonniers fur l'Ajax , ont été délivrés.
Le tirage de l'Ecole Royale Militaire s'eft fait ,
en la manière accoutumée , dans l'Hôtel de Ville',
le 18. Les numeros qui font fortis de la Roue
de Fortune , font , 53 , 7 , 76 , 70 , 30. Le pro
chain tirage fe fera le 21 du mois d'Avril.
Le tirage de la troifiéme Loterie de la Ville de
AVRIL. 1761. 189
Paris fe fit , le 11 , dans l'Hôtel de Ville , avec
les formalités accoutumées. Le premier lot , qui
étoit de cinquante mille livres , eft échu au numero
17620 , & celui de vingt mille, au numero 12090,
les deux de dix mille font échus aux numerosi 2455
& 15695.
La Cour a pris , le 13 , le deuil , pour quinze
jours , à l'occafion de la mort de l'Electeur de
Cologne.
PROMOTION D'OFFICIERS GENERAUX
ET DE BRIGADIERS , du 15 Février 1761.
Lieutenant- Général.
Le fieur Pelletier , Inſpecteur- Général du Corps
Royal de l'Artillerie.
Maréchaux de Camp.
RÉGIMENT DES GARDES FRANÇOISES.
Les fieurs de Tourville , de la Roque & de Rochegude
, Capitaines.
RÉGIMENT DES GARDES SUISSES .
Abraham , Baron d'Erlach , Capitaine
INFANTERIE.
Les fieurs , Baron de Wangen , Colonel-Commandant
du régiment d'Alface ; de Rivray , Colonel-
Lieutenant du régiment Royal Lorraine ;
Comte Louis Drummond de Melfort , Colonel-
Lieutenant du régiment Royal - Ecoffois ; Marquis
de Talaru , Colonel d'un régiment ; Comte de la
Roche Aymon , Colonel d'un régiment ; Comte
de Valence , Colonel du régiment de Bourbonnois
; Marquis de Brehant , Colonel du régiment
de Picardie ; Marquis de Rochechouart , Colonel
du régiment d'Aquitaine ; Comte de Lanjamet ,
Commandant en fecond du régiment des Grenddiers
de France ; Prince de Rohan - Rochefort , Colonel
d'un régiment ; Comte de Rochambeau ,
190 MERCURE DE FRANCE.
Colonel du régiment d'Auvergne ; Comte d'Ef
taing , Brigadier , employé avec le corps de troupes
qui eft aux Indes ; Comte de Chastelet- Lomont
, Colonel du régiment de Navarre ; Baron
de Scheffer , Colonel Réformé à la fuite du régiment
Royal- Suédois ; Marquis de la Tour- du-
Pin , Colonel d'un régiment ; Baron de Cloſen ,
Colonel Lieutenant du régiment Royal - Deux-
Fonts ; Comte de Diesbach de Belleroche , Colonel
en fecond du régiment Suiffe de Diesbach
Vicomte de Belfunce , Colonel d'un régiment,
TROUPES LÉGIRES.
Le Comte de Melfort , Colonel- Commandant
de la Légion- Royale .
GRENADIERS ROYAUX.
Les fieurs , Chevalier de Modene , Colonel d'un
régiment , & de Coincy , Colonel d'un régiment.
CORPS ROYAL DE L'ARTILLERIE .
Les fieurs , Anfart de Mouy , Commandant
d'une brigade , & d'Invilliers , Commandant
d'une brigade.
LIEUTENANS- COLONELS D'INFANTERIE .
Les fieurs , de la Fargue , du régiment Royal
des Vaiffeaux ; de Meyronnet , du régiment du
Roi ; de Chastelard , du régiment des Gardes de
Lorraine ; de Bordenave , du régiment de Bourbonnois.
MAISON DUROL
Les fieurs , de Boifdenemets , Aide- Major de
la compagnie de Beauvau avec brevet d'Enſeigne;
de Blangis , Exempt dans la compagnie de Villeroi
avec brevet d'Enfeigne de Pujol , Enfeigne
dans la compagnie de Noailles ; Marquis de Scepeaux
, Enfeigne dans la compagnie de Villeroi .
GENDARMES DE LA GARDE.
Le Comte de Valbelle , Enfeigne.
AVRIL. 1761 .
197
4
CHEVAUX - LÉGERS DE LA GARDE.
Le Marquis de Montalembert , Enfeigne.
GENDARMERIE.
Les feurs , Comte de Lannoy , Capitaine - Lieu
tenant des Gendarmes Anglois ; Comte d'Argouges
, Capitaine Lieutenant des Gendarmes de
Bourgogne; Marquis d'Olun , Capitaine- Lieutenant
des Chevaux- Légers de la Reine ; Kouillé ,
Marquis de Coudray , Capitaine-Lieutenant des
Gendarmes Dauphins ; de Boiffe , Capitaine- Lieutenant
des Gendarmes d'Orléans .
CAVALER I B.
Les fieurs , Vicomte d'Elcars , ci - devant Mestre
de Camp d'un régiment ; Chevalier de Fleury ,
Meftre de Camp d'un régiment; Marquis de Cambis
, Meſtre de Camp Lieutenant du régiment de
Bourbon ; Comte de Turpin , Meſtre de Camp
d'un régiment de Huffards ; de Corfac , Meftre
de Camp Réformé à la fuite du régiment de Ray;
Comte de Perigord , Meftre de Camp- Lieutenant
du régiment Dauphin ; Marquis de Caulincourt ,
Meftre de Camp Réformé à la fuite du régimentde
Berry Comte de Lameth , Meftre de Camp
Réformé à la fuite du régiment de Ray; Marquis
de Beuvron , Commiffaire Général.
LIEUTENANT - COLONEL.
Le fieur du Plouy , du régiment de Bourgogne,
DRAGON S
Duc de Fronfac , ci- devant Meftre de Camp du
régiment de Septimanie ; Duc de Coigny , Meftrede
Camp Général Marquis de Caraman , Meftre
de Camp d'un régiment ; Vicomte de Thianges ,
Meftre de Camp d'un régiment ; Chevalier d'Aubigné
, Meftre de Camp d'un régiment ; Comte
de Scey , Mettre de Camp du régiment du Roi ;
Comte d'Apchon, Meftre de Camp d'un régimenty
192 MERCURE DE FRANCE.
Marquis de Montchenu, Meftre de Camp Réformé
à la fuite du régiment de la Reine .
Brigadiers d'Infanterie.
REGIMENT DES GARDES FRANÇOISES.
Les fieurs de Coettrieux , de Pronĺeroy , Chevalier
de Hallot , & de Mathan , Capitaines.
RÉGIMENT DES GARDES SUISSES.
Le fieur de Surbeck , Capitaine-Commandant
une compagnie.
COLONEL 3.
Les fieurs , la Merville , Colonel - Lieutenant du
régiment d'Enghien ; Marquis de Vaſtan , Colonel
d'un régiment ; Marquis de Molac , Colonel
du régiment de Périgord; Marquis de Timbrune,
Colonel du régiment de Vermandois ; Marquis
de Boufflers , Colonel - Lieutenant du régiment de
Monfeigneut le Dauphin.
TROUPES LÉGERES.
Les fieurs , de Grandmaifon , Colonel du régiment
des Volontaires du Hainaut ; Comte de
Narbonne , Colonel d'un régiment de Grenadiers
Royaux .
LIEUTENANS-COLON BLS.
Les fieurs de Laugen , du régiment Royal-Suédois
; de Pedemont , du régiment du Comte de
la Marche , Prince du Sang ; de la Borde , du régiment
de Condé ; de Verdun d'Abzac , du régi-"
ment des Grenadiers de France ; du Rozel de
Beaumanoir, du régiment de Saintonge ; de Saint-
Waft , du régiment de laCouronne ; de Saint- Victor
, du régiment de Navarre ; Guibert , ci - devant
Major du régiment d'Auvergne , avec rang de
Lieutenant- Colonel.
CORPS DU GENIE.
Le fieur Larcher , Lieutenant Colonel , Ingénieur
en chef.
Brigadiers
AVRIL 1761. 193
Brigadiers de Cavalerie.
MAISON DU ROI.
GARDES DU CORPS.
Les fieurs , Marquis de Moneftay , Exempt dans
la compagnie de Beauvau avec brevet d'Enfeigne;
Marquis de Laubefpin , Exempt dans la compagnie
de Luxembourg.
CHEVAUX- LÉGERS DE LA Garde .
Le Comte de Luberfac , premier Sous- Lieutenant.
GENDARMERIE.
Les feurs , Marquis de Tracy , Capitaine- Lieutenant
des Gendarmes de Flandre ; Marquis de
Torcy , Capitaine-Lieutenant des Chevaux- Légers
de Bourgogne ; Comte de Jaucourt , Sous-
Lieutenant des Gendarmes de Berry .
MESTRES DE CAMP.
Les fieurs , Dumetz , Meftre de Camp Réformé
à la fuite du régiment de Mouftier ; Marquis de
Clermont- Tonnerre , Meftre de Camp- Commandant
du régiment Meftre de Camp Général; Comte
de Gacé , Meftre de Camp-Lieutenant du régiment
du Roi ; Comte d'Archiac , Meſtre de Camp
d'un régiment ; Marquis de Chabrillant , Meftre
de Camp d'un régiment ; Comte de Schonberg ,
Meftre de Camp d'un régiment de Volontaires ;
Marquis de Noé, Meftre de Camp d'un régiment;
Chevalier Dadvifar de Saint- Giron , Meftre de
Camp-Commandant d'une brigade du régiment
des Carabiniers de Monfeigneur le Comte de Provence
; Marquis d'Ambly , Meftre de Camp- Commandant
du régiment du Commillaire Général.
LIEUTENANS - COLONELS.
Les fieurs , Barons Wurmfer , du Régiment
Royal-Naffau avec rang de Meftre- de - Camp ; le
Chevalier de Sarsfield , Meftre de Camp Réformé
à la fuite du Régiment de Filtz -James ; Baron de.
1. Vol.
I
194 MERCURE DE FRANCE.
Goulet , du Régiment de Chartres ; Dumolard
Capitaine Réformé à la fuite du Régiment de
Mouftier avec rang de Lieutenant- Colonel ; de
Saint- Aftier , du régiment de Bourbon .
BRIGADIERS DE DRAGONS.
Les fleurs , Comte de la Ferronays , Meftre- de-
Camp d'un Régiment ; & Charpentier d'Ennery,
Meftre-de-Camp Réformé a la fuite du Régiment
d'Aubigné.
Difpofition des Régimens vacans .
INFANTERIE .
Picardie , aa Comte Durfort , Colonel d'un Ré
giment ; Durfort , au Comte de Laftic , Colonel
dans le Régiment des Grenadiers de France ; Navarre
, au Comte de Guines de Souaftre , Colonel
dans le Régiment des Grenadiers de France ; la
Tour-du-Pin , au Comte de Boifgelin , Colonel
du Régiment de Saintonge ; Saintonge , au Comte
du Roure , Colonel dans le Régiment des Grenadiers
de France ; Bourbonnois , au Marquis de Miran
, Colonel du régiment de Limofin ; Limofin ,
au Marquis de Morbecq , Colonel du régiment de
l'Ile de France ; Ifle de France , au Marquis de
Seignelay, Capitaine dans le régiment de Dragons
de Caraman ; Auvergne , au Marquis de Champagne,
Colonel du régiment de Rouergue ; Rouergue
, au Comte d'Hautefeuille , Capitaine au régiment
du Roi , Infanterie ; Belfunce , au Comte
de Rougé , Colonel du régiment de Foix ; Foix ,
au Marquis de Damas de Crux , Capitaine dans
le régiment de Dragons de Flamarens ; la Roche-
Aimon , au Comte de Montmorency- Logny , Meftre
de Camp Réformé à la fuite du régiment de
Cavalerie Allemande de Naffau- Ufingen; Rohan-
Rochefort , au Chevalier de Saint- Mauris , Capitaine
dans la brigade de Saint George du régiment
des Carabiniers de Monfeigneur le Comte
AVRIL. 1761 . 195
de Provence ; Tournaifis , au Marquis de Gontaut
de Saint-Geniez , Capitaine dans le régiment de
Dragons du Roi ; Breffe au Marquis de Soran ,
Capitaine au régiment du Roi , Infanterie ; celui
de Nice , vacant par la démiffion du Vicomte de
la Tournelle , au Chevalier de la Tour-du- Pin ,
Capitaine Réformé à la fuite du régiment , à préfent
Boifgelin ; le Commandement de la Légion
Royale qu'avoit le Comte de Melfort , au Chevalier
de Valiere , Commandant en troifiéme de ce
Corps, le Commandement en fecond du régiment
des Grenadiers de France qu'avoit le Comte de
Lanjamet , au fieur de la Borde , Brigadier , Lieutenant-
Colonel du régiment d'Infanterie de Condé
; un régiment de Grenadiers Royaux , au fieur
de Cambis , major du régiment de Rouergue ; &
un régiment des mêmes Grenadiers , au Chevalier
de Puyfegur , Capitaine Réformé à la fuite
du régiment Royal- Comtois .
CAVALERIE.
Fleury , au Comte de Touloufe de Lautrec ,
Capitaine dans la brigade de Montaigu du régiment
de Carabiniers de Mgr le Comte de Provence
; la place de Metre de Camp , fecond du
régiment de Hullards de Turpin , au Comte d'Ef
terhazy , Capitaine dans celui de Bercheny.
DRAGONS .
Régiment du Roi , au Marquis de Crequi , Capitaine
dans ce régiment ; Aubigné , au Comte
de Choifeul- la- Baume , Sous- Lieutenant des Gendarmes
Ecoflois ; Caraman , au Marquis d'Autichamp
, Capitaine Réformé à la fuite du régiment
de Cavalerie de Ray ; Thianges , au Chevalier de
Chapt de Raftignac , Capitaine dans ce régiment ;
Apchon , au Marquis de Nicolay - Dolny , Capitaine
dans ce régiment .
Le Roi a accordé des commiffions de Colonel
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
d'Infanterie aux fieurs Baudouin , Aide- Maréchal
Général des Logis de l'armée ; & de Ganville ,
Aide-Major-Général de l'Infanterie ; une commiffion
de Lieutenant - Colonel d'Infanterie , au Baron
de Nifpen , Aide- Maréchal- Général des Logis
, Surnuméraire de l'armée ; des commiffions
de Mestre de Camp de Dragons , au Baron de
Bon , Aide- Maréchal- Général des Logis , Surnuméraire
; & au Chevalier de Monteil , Aide - Maréchal
- Général des Logis de Cavalerie.
Sa Majefté a accordé des Cordons rouges Surpuméraires
dans l'Ordre de Saint Louis , au Marquis
Dauvet , Lieutenant - Général ; au Baron de
Bezenwald , Maréchal de Camp; au Comte d'Archioc
, Brigadier , Meftre de Camp d'un régiment.
de Cavalerie ; & au Comte de Narbonne , Brigadier,
Colonel d'un régiment de GrenadiersRoyaux .
Le Roi a difpofé desGuidons vacans dans laGendarmerie,
par la promotion des fieurs , Comte de
Lannoy ; Marquis d'Offun ; Rouillé , Marquis du
Coudray ; Comte d'Argouges & Marquis de Boiffi,
Capitaines - Lieutenans , au grade de Maréchal de
Camp ; par la nomination du Comte de Choifeul
la Baume , Sous - Lieutenant des Gendarmes Ecoffois
, à un régiment de Dragons , & par la démiſfion
du Marquis de Raray , premier Cornette des
Chevaux- Légers de la Reine , en faveur des fieurs ,
Marquis de Panille , Sous- Lieutenant au régiment
des Gardes Françoifes ; de Pimodan , Lieutenant
au même régiment ; Marquis de Ludres , Capitaine
au régiment de Dragons de Marboeuf ; Marquis
de Savifnes , Lieutenant au régiment du Roi ,
Infanterie ; Comte de Sades , Capitaine au régiment
de Bourgogne, Cavalerie ; Marquis de Froulay
, Capitaine au régiment Royal des Cravattes ,
& Comte de Lons , Capitaine au régiment du Colonel-
Général des Dragons,
AVRIL. 1761. 197
Le Roi a accordé une penfion de trois mille li
vres fur le Tréfor Royal au Marquis de Perutle
Brigadier , Colonel du régiment de Normandie ,
qui en avoit déjà une de deux mille ; une de deux
mille livres auffi fur le Tréfor Royal au Marquis
de Briqueville , Colonel d'un régiment d'Infanterie
; & une augmentation de mille livres à la penfion
de fix cens que le Marquis de Saint Sauveur ,
Brigadier , Aide- Maréchal- Général des Logis de
la Čavalerie de l'armée , a fur le même fonds.
Madame la Marquise de Chaffincour- Tilli , fat
préfentée le premier de ce mois à Leurs Majeftés
& à la Famille Royale , par Madame la Maréchale
de Duras ; il y avoit à fa préſentation, de
fon côté, Mefdames les Ducheffes & Marquifes de:
Duras & Madame la Comteffe de Durfort , &*
du côté de fon mari , Madame la Princeffe de
Beauffremont.
LE DIMANCHE , Is Février , Madame la Mar
quife de Villefort , & Madame la Marquife de
Courtaumer , ont été préſentées à Leurs Majeſtés
& à la Famille Royale.
LOUIS FRANÇOIS ALEXANDRE DE LOMBELON ,
Marquis des Ellars , Chef du nom & armes , âgé
de 48 ans , & Dame , Clotilde Jehannot de Bar
tillat , fon Epoufe âgée de près de 50 ans , font
morts de la petite vérole , dans leur Château des
Effars , près de Conches en Normandie , le 4 Mars
à deux heures l'un de l'autre.
Cette maiſon fubfifte depuis l'an 1100 ; & ,
chofe affez rare , pofléde encore le même patrimoine.
Ses principales alliances , font celles de:
Dammartin , Dreux , Montmorenci , Mailly , Boufers
, Harcourt , d'Eftain , Vieux- Pont , Sailly ,
I iij.
198 MERCURE DE FRANCE.
Stainville , Brunaulieu , Tilly , d'Efparbés , la
Riviere , Saint-Aignan , &c.
MARIAGE.
Jean - Baptiste-François , Marquis de Montmo
rin , Lieutenant Général des Armées du Roi , Gouverneur
de la Ville & du Château de Fontainebleau ,
époufa , le 17 , Catherine - Marguerite , fille de
Nicolas - Jofeph Maurin de Banneville , Chevalier ,
& Dame Marie- Louife Armande de Heudey de
Pommainville . La Famille de Banneville eft iffue
de Geofroy -Maurin du Trouchet , qui épouſa , en
1298 , Alix de Loudon , dont les Ancêtres font
dénommés dans le Catalogue des Nobles , qui
accompagnerent Guillaume , Duc de Nor nandie
, à la conquête du Royaume d'Angleterre.
MORTS.
Metüre Jofeph - David de Sade , Maréchal des
Camps & Armées du Roi , commandant pour Sa.
Ma efté dans la Ville d'Antibes , y mourut le 29
du mois de Janvier , dans fa foixante-dix-feptiéme
année.
Meffire Jean François du Refnel , Abbé Commendataire
de l'Abbaye Royale de Sept Fontaines,
Ordre de Prémontré , Diocèle de Rheims , Prieur
de Saint Pierre le Bregy , Confeiller-Commillaire
député de la Chambre du Clergé , l'un des Quarante
de l'Académie Françoife , Membre de l'Académie
des Infcr.ptions & Belles - Lettres , eft
mort le 25 du mois de Février , âgé de 68 ans.
Frère Jean- Gabriel de Fournel , Chevalier , Profès
de l'Ordre de Saint Jean de Jérufalem , &
Commandeur de l'ancien Temple d'Angers , eft
mort, le 3 de Mars , à Angers , dans fa soc année.
AVRIL 1961: 199
Meffire René-Louis de Saint Hermine , Abbé
de l'Abbaye Royale de Monbenoit , Ordre de S.
Auguftin , Diocèle de Befançon , ci - devant Aumônier
de la Reine , mourut en cette Ville , le 4
du même mois , âgé de 77 ans.
Le Marquis de S. Pern , Lieutenant Général
des Armées du Roi , Infpecteur , commandant le
Régiment de Grenadiers de France , Comman.
deur de l'Ordre Royal & Militaire de Saint Louis ,
mourut a Francfort , le 8 , âgé de 77 ans. Ses obféques
furent faites le lendemain dans l'Eglife de
Saint Barthelemi. Le Maréchal de Broglie vint de
fon Quartier Général pour y affifter.
J
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
E vous prie , Monfieur , de vouloir bien inférer
dans le prochain Mercure que c'eft le Marquis de
Gantès , Maréchal de Camp , qui a fait la fortie de
Marburg, lorfqu'un Corps Hanovrien eft venu
pour attaquer cette Ville. Il l'a repouffé vigoureu
lement à la tête de la Brigade Irlandoife . Après
deux heures de combat opiniâtre , les ennemis ont
été obligés de ſe retirer en abandonnant trois piéces
de de canon. La perte des Hanovriens fut de
douze cens hommes. Le Lieutenant- Général Breintenbach
, qui les cominandoit , & deux Généraux-
Majors ont été tués. Ce combat a commencé le 14
Février , à la pointe du jour. Le Marquis de Gantès,
quoique malade , a toujours été dans l'action. C'épour
la premiere fois qu'il fortoit de fa chambre,
depuis deux mois.
toit
M. le Maréchal de Broglie lui a donné , le 23
le commandement de la Ville de Gieffen , où il a
deux mille trois cens hommes de garnifon pour la
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
défenſe de cette Place , qu'il a bien fait approvi
fionner & fortifier .
Dans les Gazettes , il n'eft fait aucune mention de
M. de Gantès . Il eft cependant le feul Officier-
Général qui ait été à l'action . C'eſt une chofe connue
de toute l'Armée , & qui n'eft point ignorée
de la Cour , puifque , le jour que le Courier arriva ,
Sa Majefté fit des éloges de M. de Gantès .
Le même jour , M. le Duc de Choifeuil me dit
à fon Audience , que M. de Gantès avoit repouffé
& battu les ennemis à Marburg ; ce font fes propres
termes , & ils me furent dits en préſence d'un grand
nombre de perfonnes .
Connoiffant l'amitié , que vous aviez pour le
Marquis de Gantès , lorfqu'il étoit à Arras , en
qualité de Capitaine au Régiment de Provence , je
fuis perfuadé que vous prendrez part à fon fuccès ,
& que vous ne refuferez pas de le dédommager du
filence des Gazettes.
J'ai l'honneur d'être &c..
Le Chevalier de GANTES.
EVENEMENS SINGULIERS.
On écrit de Winborough , dans le Comté de
Dorfer qu'on y apperçut le 6 de Février au folr ,
un météore dont la lumière étoit fi vive qu'elle
éclairoit , juſqu'à quatre milles à la ronde , au point
de diftinguer les plus petits objets . Ce Phénomène
dura environ une minute.
On a mandé de Boſton la nouvelle d'un incendie
confidérable, arrivé dans cette Ville . Un grand
nombre de maifons remplies de Marchandiles &
l'Hôtel de Ville ont été réduits en cendres. On
regrette beaucoup ce dernier bâtiment qui étoit
AVRIL. 1761 . 201
très-beau , & qui n'étoit conftruit que depuis vingr
ans.
On a exécuté au commencement de Février , à?
Londres , des fauffaires , dont l'un étoit Lieutenant
de Milice . Ce malheureux a fait la plaifanterie d'envoyer
des cartes à plufieurs Officiers de la Milice?
de Middlefex , avec cette adreffe : » le Lieutenant
» Cambell fait bien des complimens à M. *** , il
»l'invite à venir prendre une talle de chocolat
» chez lui demain matin , & à lui faire l'honneur:
» de l'accompagner , à pied , jufqu'à Tiburn , pour
aflifter à la cérémonie de fon exécution.
AVIS DIVERS.
SACHETS APOPLECTIQUES .
LETTRE de M. de MONTH AS , Curé de S. Hilaire
de Villard , près Nérac , du 15 Septembre
1760 , écrite à M. ARNOULT cu à fon Voifin..
Dans la trifte fituation où jefuis , fouffrez que
L'aye l'honneur , & que je prenne la liberté de vous :
adreffer ma lettre, & vous prier, n'ayant point de
connoiffance dans votre Ville , éloigné de 150.
lieues d'ici , d'avoir la bonté de faire tenir cette
Lettre à M. Arnoult , je préfume qu'il a changé de
quartier, & qu'il ne reçoit pas mes Lettres , ou s'il
eft mort , donnez -vous la peine par charité , de ·
me dire le nom & l'adreffe de fon héritier.
Je fuis & c . Signé , Curé de S. Hilaire .
97
Madame la Comtelle du Hautoy de Chatenay
par la Lettre du 20 Novembre 760 , de Nancy ,
marque qu'elle fe trouve au mieux de l'ufage dess
Sachets.
Monfieur L. Emmelius , Confeiller Ecclefiafti
LW
1
202 MERCURE DE FRANCE
que dans le Comté de Wied à Rounckel près de
Limbourg en Allemagne , par fa Lettre du 10
Septembre 1760 , attefte que Madame la Comtelle
de Linange Granftait , âgée de 84 ans , tombée
en apoplexie , a été guérie par le ſpécifique
du fieur Arnoult.
M. l'Abbé Moiffon , Curé de Milhac près Thiviers
, route de Limoges , par fa Lettre du 7 Septembre
1750 , certifie que M. fon frère s'eft fort
bien trouvé de l'afage du Sachet ; ce qui augmen
te fon defir pour en avoir un & qu'au refte ce
qui lui donne une vraie confiance dans le reméde ,
tout furprenant qu'il foit , c'eft qu'il a long- temps
vêcu avec le fieur Hauperier , Curé de la Magdelaine
de Bergerac , paralitique à la fuite d'apoplexie
depuis dix- huit ans , guéri au bout de huit
jours d'ufage du Sachet , que l'on peut même
ajouter que cet Eccléfiaftique , outre qu'il eft
parvenu a une extreme vieillefle , qu'il n'eſt point
mort d'apoplexie , & qu'il a toujours confervé
une préfence d'efprit peu commune à gens attaqués
d'apoplexie.
M. la Chapelle , Médecin de l'Hôpital Militai
re à Mahon , par fa Lettre du 22 Août 1760 ,
attefte qu'une perfonne pour qui il a fait venir
un Sachet , s'en eft fort bien trouvée pour une
apoplexie & paralyfie.
LETTRE de M. le Comte de ROSSIÉRES
D'EUV ESIN , à Nancy le 2 Août 1960 .
JE fuis fi content , Monfieur , de l'effet de vos
Sach ts , que je vous prie de m'en envoyer une
dom douzaine ; Madame d'Euvélin étoit fujette
a des étourdillemens très- fréquents , & fi confdérables
qu'un jour elle tomba du haut d'un el
calier en bas , je me déterminai alors à faire venic
AVRIL. 1761 . 203
de vos Sachets , & à lui en confeiller l'ufage ; depuis
deux ans qu'elle s'en fert , elle n'a pas eu un
feul étourdiffement , & s'eft toujours très bien
portée ; c'est un témoignage que je fuis charmé
de rendre à la vérité & a la vertu de vos Sachets.
Je fuis , & c . Signé , le Comte de Roffieres d'Euvefin
-
LETTRE de M. BELLAIL , Curé de Monteuil,
près Coutances , du 7 Juillet 1760 .
APRES avoir fait heureufement pour moi l'épreuve
de votre Sachet , qui m'a entiérement
gueri d'une paralyfie qui me prit dans le côté droit
& après dans le gauche , de la tête , qui me ren
doit la bouche torfe & l'oeil du même côté immobile
, après avoir paffé par toutes les épreuves de
la médecine , faignées , vefficatoires , cauteres ,
fudorifiques , frictions & bains ; le tout inutile-
„ment , un de mes amis me vanta votre Sacher ; &
pour me convaincre de ſa vertu , il me fit tenir
votre differtation qui étoit entre les mains d'une
Dame de Coutances ; je n'eus pas fitôt lû quelques
pages , que je pris la réfolution de vous en faire
demander un , se que me fit mon ami , qui vou
Jut bien fe charger de cette commiffion , vous
me l'envoyâtes aux approches de la Pentecôte :
il y a un an , fous le nom de M. Baudet avec
votre differtation , je l'attendois avec impatience ,
fouffrant de façon que je ne repofois ni nuit ni jours;
quand mon habit auroit été tilfu d'épines les plus
aigues , je n'aurois pas plus fouffert que je faifois
de long du côté affligé , je ne l'eus pas fitôt porté
¿que j'ai commencé a repofer , ma bouche a repris
fon affiette , mon oil fon mouvement , & les douleurs
de côté fe font peu - à-peu appailées , quant à
préfent je me porte très- bien , fouffrez Monfieur
que je vous falle l'hiftoire de ma maladie qui
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
doit l'obligation de fa guérifon à votre Sachet ,
auffi a- t-il fait grand bruit dans le canton où il
étoit inconnu des Médecins , qui même n'y veulent
ajouter aucune foi encore aujourd'hui ; je
vous prie donc , Monfieur , de m'en envoyer deux:
par le porteur , un pour moi & l'autre pour un
ami , le mien n'étant plus que de l'épaiffeur de
deux écus ; vous obligerez celui qui a l'honneur
d'être avec la plus vive reconnoiffance . Votre , & Co.
Signé , Bellail , Curé de Monteuil , près Coutances
.
AV LS AU PUBLIC.
Le fieur POITEVIN, Baigneur , donne avis qu'ila
obtenu de Sa Majefté , le privilége exclufif d'établir
des bains chauds fur la riviére aux deux extré--
mités où la Seine roule , fes eaux pures & fans mê--
langes , & à la Rapée , & vis - à-vis les Thuilleries.
Le privilége contefté par la Communauté des Baigneurs
, a prévalu auprès d'une Cour toujours at
tentive à l'utilité publique , auprès de la Courdus
Parlement. Le fieur Poitevin ne négligera rien
pour conduire l'ouvrage à ſa perfection . Les premiers
bains feront établis vis-à- vis les Thuilleries ,
& feront en état de recevoir ceux qui voudront en
faire ufage vers le milieu du mois d'Avril de la
préfente année . Tout s'y paffera en faveur de la :
décence & de l'utilité publique. On peut lire fur
ces articles , ce qu'en a dit le Journal de Méde
cine , au mois de Février dernier.
AVRIL. 1761 ..
205
LAMPES ECONOMIQUES , SIMPLES ET DOUBLES
, en forme de Bougies , montées fur un
Chandelier de Métail blanc ., de l'invention du
fieur MESSIER , propres à l'ufage des Bureaux ,
Tables & Comptoirs des Marchands.
Ces Lampes ne confomment qu'une once d'huile
en fix heures. Le prix des Simples eft de 6 liv. &.
7 liv . 10 fols , avec le Garde - vue. Celui des Doubles
de 10 liv. &. 12 liv., 10. f. avec le Garde-vue
qui fert de reverbère . On les vendra à l'épreuve ,
& on donnera l'inftruction du fervice de ces Lam--
pes aux perfonnes qui feront l'honneur d'en acheter.
Les perfonnes de Province qui defireront avoir
de ces Lampes , on leur en enverra à leur adreſſe,
en affranchillant le port des Lettres.
Ellesfe vendent chez le fieur CHENIÉ , Marchand,
Quai de la Megifferie , dit de la Féraille ,
du côté du Pont Neuf, aux trois Croiſſans , & à
côté du Cigne blanc. A Paris..
Inftruction pour le fervice dés nouvelles Lampes
Economiques .
LAMPES SIMPLE S.
Il faut couper une Mêche de coton fin , de la
longueur de la Bougie , enlever le deffus de la
Bougie , le petit tuyau qui s'appelle Porte- mêche ,
paffer dedans la Mêche , là renfoncer dans la
Bougie , enlever enfuite la Bougie avec le Binet :
de deflus le Chandelier , & remplir le fond du
Chandelier d'huile , jufqu'à ce que l'huile refte au
bas de la Bobéche. Pour faire monter l'huile du
fond du Chandelier dans la Bougie , il faut ap-
Buyer fur ledit Binet autant qu'il pourra s'enfon
206 MERCURE DE FRANCE:
cer, & le laiffer remonter tout feul en continuant
jufqu'à ce que l'huile paroifle au haut de la Bougie.
La premiere fois , il faut donner douze ou quinze
coups de pompes ; lorfque la Bougie eft pleine ,
elle éclaire deux heures de fuite fans moucher; &
quand la lumiére diminue , il faut pomper rrois
ou quatre fois , jufqu'à ce que l'huile paroifle au
haut de la Bougie .
LAMPES DOUBLES.
Il faut paffer une Mêche de coton fin dans les
Porte mêches , & la renfoncer dans les Bougies
fans les ôter des Bobéches ; il faut enfuite enlever
le bonnet qui eft dans le milieu des deux Bougies
pour y verfer l'huile , le remettre quand le Chandelier
eft plein , & appuyer deffus le bonnet , &
le lailler remonter de lui- même jusqu'à ce que
A'huile paroifle au haut des Bougies.
Pour que la lumiere foit belle , il faut fe fervir
de coton fin & très -blanc & de bonne huile , la
lumiere en eft plus nette , & la conſommation
moins grande. Pour avoir une belle lumiere &
Foujours égale , il faut que la Mêche n'excéde du
Porte-mêche que d'environ quatre lignes , qu'elle
foit coupée nette avec des Cifeaux ou Mouchettes,
& non avec des Pincés.
Il fe confomme une once d'huile en fix heures;
Je Chandelier contient huit à dix onces d'huile : il
faut par conféquent ne l'emplir qu'une fois tous
les huit jours. On peut pancher lefdites Lampes
fans crainte d'aucune effufion d'huile à l'extérieur.
LE SIEUR ROCHEFORT , le fils , fuccède à fon
Pere & continue de monter les perruques-nouées ,
des Bonners , des Perruques à bourfe , & d'Abbé
fur les têtes artificielles qui font à préfent portées
a la plus haute perfection , dont la propriété eftde
AVRIL 1761 .. 207
coller fi parfaitement que les cheveux femblent
y avoir pris racine fans y mettre aucun rellort ,
ni que les têtes quelque difficiles quelles foient fe
trouventgênées, on avertit qu'ellesferont faites avec
plus de précifion , & dans le goûtplus nouveau que
celles qui ont été faites jufqu'à préfent . Enfin il ſe
fatte d'être en état maintenant de pouvoir fatiffaire
tous ceux qui voudront lui faire l'honneur de
l'employer. On ne répétera point l'éloge , & l'approbation
des Officiers de fa Communauté dans
le certificat en bonne forme qu'ils ont accordé. On
donne avis aux Perfonnes qui demeurent en Province
, & même hors du Royaume , qui voudront
avoir des Perruques de fa façon , de lui écrire , il
lear enverra un modèle de meſure très -facileàpren .
dre , & tel qu'il le faut pour pouvoir y rapporter
exactement les proportions , enforte que les Perfonnes
pourront le faire prendre la mefure de leur
tête aifément par qui bon leur femblera , elles font .
priées d'affranchir leurs Lettres . Le fieur Ro-
CHEFORT , le fils , demeure toujours à Paris , rue
de la Verrerie, proche celle des Billettes.
A LA TOILETTE ,
Rue Saint Denis , près la rue des Lombards , a
côté de Sainte Catherine.
FAGONDE , Marchand , vend toutes fortes
d'Eaux de Senteurs , Poudres , Pommades pour
les cheveux & à différens uſages , Savonnettes
marbrées de Provence & de Paris , de différentes
odeurs , Elfences & Quintellences fines , Sachets ,
Sultans , Potpourris de Montpellier , Pommade
d'Ours au Noyer , Graiſſe d'Ours véritable , qu'il
tire d'Hollande , très beau Rouge en pot , en
tafle & en poudre , Carmin très- fin , Etuits &
Brolles à Rouge , Boetes de Bergamotte , Paftilles
208 MERCURE DE FRANCE.
de parfums à brûler , Boules d'acier de Nancy
Opiat liquide & en poudre du meilleur Dentiſte.
de Montpellier , & généralement tout ce qui concerne
les plus agréables Parfums qu'il tire de Provence
, de Rome & de Montpellier.
Il tient auffi la Marchandiſe de Modes afforties ,
en Mantelets , Taffetas , Gazes , Blondes & Dentelles
de toutes fortes , & généralement tout ce
qui concerne ledit Commerce , en gros & en détail
. Le tout à jufte prix & en confcience.
PATE DE GUZELLIK,
OU EKMECQ TURCQ ,
Pour la Propreté , à l'ufage du Serrail.
La propriété de cette Pâte eft de nettoyer, blan
chir , adoucir , rafermir & parfumer la peau.
La façon dont on s'en fert en Afie , eft de la
tremper un inftant dans de l'eau , de s'en frotter
à volonté , & de fe laver enfuite avec la même
eau : fi elle eft tiéde , l'effet en fera plus prompt
On ne s'étend point fur la vertu & les bons effers
de cette Pâte , pour le bien & la propreté de la peau:
l'afage le fera affez connoître .
Le prix de chaque Pain et de 24 fols , & dure
au moins trois mois , lorfque l'on ne s'en fert que
pour les mains. Cette Pâte le tranfporte par-tout,
& ne fe corrompt ja mais.
La vogue qu'a eu cette Pâte , a excité la cupidité
de quelques Particuliers , qui ont tâché , mais
inutilement , de l'imiter : ils ont même eu la
mal-adrefle de copier les imprimés du Sieur Fagonde
, mot pour mot , à fon nom & fa demeure
près.
Il croit , pour le bien général & pour fon interêt
particulier , qu'il eft à propos d'avertir de nou
AVRIL. 1761. 209
veau que la véritable Pâte de Guzellik ne fe trouvera
que chez lui , à Paris , rue S. Denis , près
celle des Lombards , à la Toilette ; à la Boutique
de la Foire S. Germain , au Magafin des Parfums ,
au bout de la grande rue , entre les deux Caffés ;
& à Versailles , pour la commodité de la Cour ,
chez M. Jodof, Apoticaire , rue du vieux Verfailles.
On trouve chez le Sieur Fagonde tout ce qui
concerne les Parfums , à un prix fort raiſon
nable.
AVIS IMPORTANT AU PUBLIC.
Cuirs de la Chine fans pareils.
Le fieur Coué fait & vend de nouveaux Cuirs à
repaffer les Rafoirs , Canifs , Lancettes , & c . d'une
qualité fupérieure de tous ceux qui ont paru depuis
que le Rafoir eft inventé ; la pierre devenant:
inutile avec ledit Cuir. La compofition des Cuirs
eft à l'huile , ce qui leur fert d'entretien & de
nourriture , le contraire de tous les autres Cuirs ,
le tranchant du Rafoir coupant de plus près &
avec une douceur non pareille , & un Rafoir fi
gros qu'il foit , en le travaillant fur ledit Cuir , ik
le rend en état de fervir , ce qui eft étonnant aux
perfonnes connoiffeurs en Rafoirs & Cuirs.
Ilfait auffi des Cuirs pour repafler & entretenir
les Couteaux de Table & autres , qui donnent
le tranchant auffi doux à proportion que le Rafoir.
Le Sieur Coué donne avis au Public , qu'il demeure
préfentement rue de la Tabletterie , visà-
vis la Place du Cloître Sainte Opportune , chez
le Marchand Epicier , au fecond , où pend pour
Enfeigne, la Bonne Foy. A Paris..
210 MERCURE DE FRANCE.
POMMADE D'OURS . LA VAULT demeuranta
l'entrée de la rue des Cordeliers , chez M. Cabot ,
Horloger .
Les Perfonnes qui voudront s'en fervir en mettront
dans la racine des Cheveux feulement .
LE SIEUR LA VAULT , garantit ſa Pommade
quand bien même les Cheveux tomberoient par
maladie , petite verole ou autrement.
Il fuffira pour l'entretien des Cheveux d'en
mettre une fois ou deux par femaine.
MADAME GARNIER , Garde Malade, fait le François
; l'Anglois , l'Italien , l'Eſpagnol , & le Portugais
; elle peut fervir d'interprête dans toutes ces
Langues.
Elle demeure rue des SS . Peres , Fauxbourg S.
Germain , proche la rue de l'Univerfité , chez M.
Bata , Maitre Bourelier.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure .
Je prends la liberté de vous adreffer la préfen
te , pour vous prier de vouloir faire mettre dans
le Mercure la découverte d'un réméde très-intéreflant
pour le Public ,
Le feur PEYROUx , Marchand Droguite à
Nantes , & qui a exercé cet Art ainfi que la Phar
macie dans les Hôpitaux Royaux d'Alface & de
Flandre , a fait la découverte d'un reméde ſpéci
fique pour guérir l'hydropifie , même après la
ponction. M. le Duc d'Eguillon a fait examiner
ledit reméde par M. Buffon , Docteur Régent de
la Faculté de Médecine de Paris , Infpecteur général
des Hôpitaux de Bretagne . Sur le rapport
avantageux que M. Buon en a fait par écrit , &
fur les preuves autentiques des guérifons qu'il a
opérées , M. le Duc d'Eguillon a fait délivrer audit
Peyroux une permiffion de vendre & débiter ledit
reméde dans toute la Province de Bretagne , fans
AVRIL 1761. 211
qu'il lui foit fait aucun trouble & empêchement.
Le prix du reméde eft de 36 liv. pris chez ledit
Peyroux ; il donne avec un imprimé de la ma
niere d'en ufer ; il en donne aufli pour dix - huit
livres , ce qui fuffit pour guérir un hydropiques
fon adreffe eft à M. Peyroux , Marchand Dro
guifte , ancien Chirurgien , Place du Pilori , à
Nantes. On aura foin d'affranchir les lettres , fans
quoi elles reſteront à la Pofte. Il faut également
payer le port de l'argent .
AVIS IMPORTANT pour l'Engrais des Terres &c.
Quoique depuisfept ans on ait publié dans cette Saifon
les propriétés des Cendres de TOURBE , pour
fumer les terres ; les terres ; le tems & la maniére
de les répandre ; les terreins & graines auxquels
elles conviennent davantage ; néanmoins on croit
devoir encore donner cet avis , non-feulement à
caufe des changemens effentiels que l'expérience
a appris & a donné lieu d'y faire ; mais encore
pour en inftruire les perfonnes qui peuvent n'en
avoirpas eu connoiffance , & le remettre fous les
yeux de ceux qui , ou par défaut de confiance , ou
par oubli , ontpeut-être négligé d'en faire ufage .
I'établiſſement de la Tourbe dans la Généralité
de Paris , où on l'employe avec fuccès , tant
pour la cuiffon du plâtre , de la chaux , de la
brique , thuile , &c. que dans les Fourneaux de reverbere
, & ceux de Teinture , Chapelerie , Buanderie
& autres , préfente un moyen sûr & facile
de fertilifer les terres ; en fe fervant de Cendres
de Tourbe, Ce moyen eſt fi bien éprouvé , fi avantageux
, & de fi peu de dépenſe , en comparaifon
de celle qu'exige nt les Engrais ordinaires , qu'on
fe perfuade que les perfonnes qui font occupées de
l'amélioration de leurs terres , apprendront ici
avec plaifir le tems & la maniére de faire ufage
212 MERCURE DE FRANCE.
de ces Cendres , & les effets qu'elles produifent
Avant que d'entrer dans ce détail, il eft à propos
d'obferver qu'il y a plus de quarante ans qu'on
connoît la propriété de ces Cendres pour la culture,
& que c'eft feulement de cette époque que les Pays
hauts de la Picardie & des Provinces voisines jouiffent
de différentes efpéces de fourrages qui leur
manquoient auparavant.
Ces Cendres fe fement fur toutes les terres de
bonne , de médiocre , & de mauvaiſe qualité. Elles
font particuliérement propres à la production des
fourrages , tels que le Sainfoin , le Treffle , la Luzerne
, la Vefce , le Lentillon , les Pois gris , ou
autres Bifailles. Elles font auffi effentielles pour les
Prairies.
Ily a des Cantons de la Picardie où on s'en fert
auffi pour les grains ; & où elles produifent un
très-bon effet ; en voici un exemple.
Un Fermier d'Auteuil près Beauvais, qui le foar.
nit de Cendres de Tourbe à Paris , en fema vers
la fin de Mars 1755 , fur une terre feche , caillouteufe
, & inclinée d'une pente douce , dont l'expofition
est au midi. Cette terre étoit femée en bled
& produifoit très - peu pour l'ordinaire ; ce Fermier
penfa qu'il ne rifquoit rien d'y répandre un feptier
de Cendres par arpent : il le fit en effet ; la
pointe de l'herbe avoit alors environ deux pouces
de hauteur. Il ne fut pas longtems fans s'appercevoir
du fuccès de fon épreuve , & il recueillit
pour la premiere fois fur cette terre ingrate une
bonne moiffon ordinaire , & du bled de la meilleure
efpéce. On ne leva fur les terres voisines , en
tout femblables à celle - ci , & femées du même
bled , qu'une récolte très - maigre & très- médiocre.
Ce Fermier continue tous les ans cette méthode
.
On cite ce fait à cauſe de fon importance , &
AVRIL 1761. 213
on fe fera un plaifir & un devoir de le juftifier visà-
visles perfonnes qui defireront l'approfondir.
On jette les Cendres de Tourbe depuis le mois
de Février jufques dans le courant de Mai , fuivant
que la faifon eft plus ou moins humide ; on
a eu avis qu'il étoit encore mieux , pour les terreins
chauds , de les jetter dans le courant de
Décembre , Janvier & Février jufqu'à la fin de
Mars fur les Prairies , Luzernes , Treffles & Sainfoin
; & l'on attend pour les femer fur les terres
enfemencées de pois gris , Lentillon , Velces &
autres Bifailles , que ces graines ayent germé &
pouffé leur verd.
Le tems humide eft le plus propre au jet des
Cendres , parce qu'il procure plus sûrement le développement
& le mêlange de leurs fels.
Plufieurs perfonnes qui font ufage avec fuccès
toutes les années de Cendres de Tourbe , nous
ont avertis qu'un feptier de Cendres ou quinze
boiffeaux , r'étoient pas fuffifans pour faire profiter
un terrein humide , il en faut trois feptiers &
même quatre , file terrein eft extrêmement humide
; on ne rifque qu'une abondante récolte . Ces
mêmes Perfonnes nous ont auffi certifié que ces
Cendres détruifoient dans les Prairies & Luzernes
la mouffe , la teigne & autres mauvaiſes herbes.
Il est encore alluré que dans les terres fabloneufes
& légéres on peut fans rien rifquer , en faire
jetter un feptier & demi & même deux , fuivant
comme la terre eft plus ou moins chaude , pour
ce qui regarde les Prairies , Luzernes , Sainfoin ,
& autres fourrages .
On donne encore avis que plufieurs Particuliers
ont fait une expérience avantageufe pour ce qui
regarde la Vefce & autres Bifailles , les faire tremper
une couple d'heures & plus , les reffuyer avec
de la Cendre de Tourbe , femer cette graine accompagnée
de Cendre , cette méthode produit une
214 MER CURE DE FRANCE.
abondante récolte , la réuffite en eft fûre.
On compte , & il eft encore bien éprouvé , qu'un
arpent de terre , qui a reçu des Cendres de Tourbe
, produit le double d'un autre arpent de terre
de niême qualité , & femé de mêmes graines , fur
lequel on n'a pas jetté de ces Cendres. Plufieurs
perfonnes qui fe fervent annuellement de cette
cendre font venus nous affurer en être très- contents
, & qu'ils trouvoient fouvent leur recoltes
doublées.
On trouvera des Cendres de Fourbe aux endroits ,
ci-après nommés.
ON S'ADRESSERA :
ACorbeil , au fieur Defcoutures , Chaufournier.
A Roifly près Corbeil , au fieur Bocquer , Régilleur
de la Ferme de Roilly.
A Echarcon , près Villeroy , au fieur Dehen ,
employé aux travaux des Tourbes.
A Meaux en Brie , au fieur Vanard , Entrepreneur
& Chaufournier .
A la Ferté-Milon , au fieur Labateux , employé
aux travaux des Tourbes.
A Bourneville , près la Ferté-Milon , au même ,
& au fieur Vanard fils , Chaufournier.
A Beaumont fur l'Oife , au fieur Bignon , Marchand
Epicier.
A Paris , au Port de la Grève. Le Commis prépofé
à la vente de la Tourbe & du Charbon de
Tourbe , fe chargera d'y faire arriver des Cendres
de Tourbe , pour les perfonnes qui fouhaiteront
y en faire prendre. Il indiquera auffi l'adrefle
de ceux qui ont de ces Cendres à vendre , foit dans
Paris , foit dans les environs.
On s'adreffera encore dans Paris au fieur Bocquet
, Commis & Garde du Chantier de la Tourbe
, fis Faubourg Saint - Antoine , rue de la Contre
Eſcarpe , le long des Follés de l'Arſenal , au
coin de la rue de Bercy.
AVRIL. 1761. 215
AP PROBATION.
AT lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
lepremier volume du Mercure de Mars 1761 , &
je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'im
preffion . A Paris , ce 31 Mars 1761. GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
LEE Miroir de la Vérité , Conte . Pages
LA PROVINCIALE , Comédie en un Acte
VERS à Madame de C .... en lui envoyant
Tancréde , Tragédie de M de Voltaire.
VERS de M.S. A ** , Peintre , à M. l'Abbé
A ** qui va bientôt prendre perruque.
RÉPONSE de M. l'Abbé A ** à la Piéce précédente.
OVID. Héroïd . 20 & 21 .
LETTRE. Confeil fur une Paſſion .
A DORIS.
58
14
10
SE
$ 2
54
$6
IRIS & le Roflignol , Fable.
ENIGMES.
LOGOGRYPHIS .
60
62
63 & 64
65
COUPLETS du fecond Volume du Mercure
de Janvier 1761. & c .
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
JULIE , on la nouvelle Héloïfe ; Lettres de
deux Amans habitans d'une petite ville au
pied des Alpes , recueillies & publiées par
J. J. Rouffeau.
66
216 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES Réfléxions fur le Principe fonore
, à la fuite du Code de Mufique &c .
par M. Rameau . Second Extrait. 85
ERITRE au Peuple. Ouvrage préfenté à l'Académie
Françoife , en 1750 , par M. Thomas
, Profeffeur , &c .
ANNONCES des Livres nouveaux . 104 &fuiv
ART. III. SCIENCES
ET BELLES-LETTRES.
ACADEMIES
.
SEANCE publique de la Société Littéraire de
Châlons-fur - Marne. III
EXTRAIT des Ouvrages lus à l'Affemblée
publique de la Société des Sciences , Let.
tres & Arts , de Clermont en Auvergne . 115
ART. IV. BEAUX - ARTS.
PEINTURE.
LETTRE à un Amateur , au fujet des Tableaux
de M. Bachelier , représentant les
quatre Parties du Monde .
GRAVURE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure , fur feu M.
le Bailli de Chambray.
OPERA .
ART. V. SPECTACLES.
COMÉDIE Françoiſe .
COMÉDIE Italienne. Les Caquets , Extrait.
OPERA- COMIQUE .
CONCERT Spirituel .
ART. VI . Nouvelles Politiques.
Avis divers.
Avis important , fur l'Engrais des Terres .
124
148
159
161
164
173
174
177
201
21[
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis - à-vis la Comédie Françoiſe.
MERCURE MER
DE
FRANCE,
DÉDIÉ DE DIE AU A U ROI .
AVRIL. 1761 .
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'eft ma devife. La Fontaine .
Chez
Cochin
Sitius inve
PapilionsScrip. 1758.
A PARIS ,
( CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à -vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
( CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi.

AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
Recouvrement du Mercure, rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch, à côté du Sellier du Roi.
'C'eft à lui que l'on prie d'adreffer ,francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre
, quant à la partie littéraire , à
M. DE LA PLACE
Mercure.
> Auteur du
Le prix de chaque volume eft de 36fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols piéce .
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir, ou qui prendront les frais du port
ur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
eft -à- dire 24 livres d'avance , en s'abonant
pour
16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
trangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci- deffus.
A ij
Onfupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par là pofte , en payant le droit,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en foit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis,
refteront au rebut..
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pièces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
DE LA PLACE , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
3
MERCURE
DE FRANCE.
A VRIL. 1761 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A M. DE LA PLACE , Auteur du
Mercure
MONSIEUR ,
Un de mes Confréres , que je m'étois
áffocié ces années dernières pour faire venir
le Mercure , trouvoit mauvais que vos
Prédéceffeurs au lieu des jolis contes
qu'ils y mettoient quelquefois , n'y inſéraffent
pas quelques bonnes differtations
"
11. Vol. A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
fir des points de Morale ou de Scholaftique
, & vouloit en porter fes plaintes au
Cenfeur de cet Ouvrage , je Pen empechai
, non fans beaucoup de peine. Mais
rebuté à la fin de n'y voir toujours que
des productions agréables qu'il ne goû
toit pas , ou d'utiles dont il fe foucioit encore
moins , il fe dépita tout de bon , &
me laiffa lire tout feul.
Bien narri d'avoir dépenfé , ・
Pendant deux ou trois ans , quelques gerbes.de,
dîme ,
A.Templette , à fon gré , la moins digne d'eftime.
Que pût faire un homme feníé.
Comme tout le monde ne penfe pas
de la même façon , je ne me fuis jamais
plaint de ne pas trouver dans votre col
lection périodique des réfolutions de cas
de confcience , ou de problêmes théologi
ques . Nous ne manquons pas de livres for
ces fortes de matières d'ailleurs toute
connoiffance un peu approfondie à cet
égard, nous eft affez inutile en campagne ,
Où l'on fe damne , à- peu -près comme on vit
Tout uniment , fans peiner fon eſprit
A chercher , comme on fait en ville ,
Dans les biens que pour nous Dieu fit
D'un ufage fimple & facilè ,
D'autres goûts que ceux qu'il y mit.
AVRIL. 1761 . 7
De forte , Monfieur , qu'à vous parler
ici fans détour , duffent s'en formalifer
les lecteurs trop fcrupuleux , je n'ai jamais
regretté moi, dans les Mercures, que
dés Extraits plus fréquens & plus étendust
de bonnès Piéces de Théâtre . Graces à
vos foins , je n'ai plus rien à defirer à cet
égard ; & il ne me refte que d'amples remercimens
à vous faire de la part de tous
mes Confréres provinciaux. Mais pour revenir
à vos Extraits, vous ne fçauriez croire'
l'étonnement où m'avoit jetté la lecture
des premiers . Je croyois bonnement que
les hommes devoient être tout autrement
faits dans les grandes villes , qu'ils ne
font au village ; mais me voilà bien détrompé.
Si j'en crois vos Auteurs dramatiques
,
Au fond , la différence et mince :
Ét je vois , d'un oil moins furpris ,
Qu'un ridicule de Paris ,
Depuis le Manant jufqu'au Prince ,
N'eft , dépouillé de fon vernis ,
Qu'un ridicule de Province.
Dans la Comédie des Meurs, par exem
ple , dont vous venez de nous donner l'analyſe
, Piéce à mon goût des plus légéres
& des plus fpirituelles que j'aye lues
depuis longtemps , je remarque mille
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
traits finguliers dont les environs de ma
Paroiffe m'offrent une efpéce de reffemblance
affez jufte . Nous n'avons point de
Financier millionnaire, qui, par le mariage
de fa fille avec un grand Seigneur,prépare
à cette infortunée bien des chagrins , &
fe prépare à lui- même bien des mépris :
mais nous avons
Plus d'un Curé riche & coffu ,
Qui reclus dans fon Prefbytére ,
Se refufe le nécellaire ,
Et cumule écu fur écu ,
Pour grofir la dot d'une niéce ;
Qui tous les jours , fans fe laffer
Le fert , l'amufe , le careffe ,
Tant qu'encor loin de la vieilleſſe ,
Elle voit le Bonhomme en état d'amaffer.
Nous n'avons point de Comteffe impérieufe
, qui traînant partout l'orgueil d'une
nobleffe d'emprunt, & ne la foutenant
que par une forte fierté , s'attire autant
de mépris de la part dés gens fenfés ,
qu'ils accordent de vénération au nom
refpectable qu'elle porte:mais nous avons
Des Dames de Paroiffe , auffi pauvres que vaines ,
Qui fans ceffe à la bouche ayant les faits pompeux
De quelque Capitaine heureux ,
Dont le fang languit dans leurs veines ;
AVRIL 1767
Et regardant avec dédain ,
Tout travail comme attentatoire
A la fplendeur de fa mémoire ,
Sâvent , d'un ceil fec & ferein ,
Mourir dans les bras de la gloire ,
D'ennui , de parelle & de faim.
Nous n'avons point de Marquis enderté
jufqu'aux oreilles , qui cherchant dans
un roturier riche & affez fot pour lui donner
fa fille , une espéce d'Intendant , plutôt
qu'un beau - père qu'il puiffe envoyer
occuper à l'Hôpital la place qu'il s'étoit
préparée à lui -même par fes folles dépen
fes : mais nous avons
Maint petit Seigneur de village ,
Qui , d'un ample bien qu'en partage
Lui laifférent les foins d'un père habile & fage ,,
Pouvant avec fplendeur vivre dans fon Pays
Tout- à- coup quitte fon ménage ;
Prend le coche ; cingle à Paris ;
Et là, fous le nom de Marquis ,
Donnant dans le travers , le fafte , l'étalage ,,
En deux ans , tout au plus , d'un vil libertinage
Vend la Tèrre , & le voit réduit ,
Au faîte d'un cinquiéme , auprès de fa Lingère ,
A vivre du léger produit
D'une penfion viagère.
Nous n'avons point de Soubrettes fines
& déliées , qui , tout en fervant leur maî
AV
JO MERCURE DE FRANCE.
tre , fe mocquent de lui , & le tournent
en ridicule à fes yeux , fans qu'il ait :
l'efprit de s'en appercevoir , ou le coura
ge de s'en vanger : mais nous avons
Maint domestique avide & traître ,
Non moins difficile à connoître ,
Qu'infatiable à contenter ,
Donnant gratis le fecret de fon maître
Quand on ne veut pas l'acheter ;
Et fouvent , à qui veut tenter .
De le voler ou l'infulter ,
Sçachant ouvrir la porte ou la fenêtre .
Pour de Dorante , de ces hommes vrais,
fincères , bons , généreux , que rien n'aigrit
ni ne fcandalife, parce qu'ils connoiffent
la nature humaine ; qui cherchent la
vérité partout , fans s'étonner de ne trouver
quelquefois que le menfönge dans
leur chemin ; qui déteftent le vice , mais
plaignent les vicieux , & ne fe mêlent deles
reprendre que par leurs bons exemples;
Cette race d'hommes choifis ,
Dont tout coeur droit eft idolâtre,.
Et rare dans ces lieux comme elle eft à Paris ;;
Où je crois , fi j'ofois dire ici mon avis ,
Qu'on n'en voit guères qu'au Théâtre..
Jefuis: & c..
Bar un Cure du Nivernoise
AVRIL 1761 . 11
MORCEAUX IMITE'S D'AN ACREON.
PREMIER MORCEAU.
Le Temps fe plaignoit au Deſtin , E
Du Dieu qu'on adore à Cythère.
Oui , difoit-il , l'enfant mutin ,
Sitôt que je parois , fuit d'une aîle légére.
Il affecte de m'éviter ,
Il femble craindre ma préfence ;
Et quoi que je puiffe inventer ,
Nous ne fommes jamais en bonne intelligence.
Hélas ! dit l'Enfant féducteur ;
A quitter les lieux que j'habite',
Tu ne montres pas moins d'ardeur.
Qhand l'Amour eft préfent ,le temps palle bien vite!
SECOND MORCEAU.
L'HYVER , loin de cette contrée
Languiffamment traîne fes pas ;
Le Temps qui l'obligea de quitter nos climats ,
Le plonge malgré lui dans l'antre de Borée ;
Un feu céleste & pur fe répand dans les airs ,
Le jour devient plus beau , l'auroré eft plus ver
meille ,
Le fouflé de la vie a rempli l'Univers ,
Ala-voix du Printemps la Tèrré fe réveille
6
1
Avji.
12 MERCURE DE FRANCE
Ainfi , fans s'épuifer jamais
Dans les glaces de la vieilleſſe ,
La Nature , de la jeuneffe
Reprend la force & les attraits.
Pour nous , malheureux que nous fommes,
Quand nous avons paffé le Printems de nos jours,
Nous ne retrouvons plus la faifon des amours :
Avec la jeune Hébé le plaifir fuit les hommes.
Quoi ! je perdrai dans deux momens
Ces tranfports enchanteurs où mon âme fe livre?
Mon Iris , nous perdrons ces doux raviflemens
Où l'on meurt fans ceffer de vivre ?
Ah ! fi les Dieux , jaloux de l'Immortalité ,
Comptent les jours de notre vie ;
Viens par notre félicité,
Obligeons- les du moins à nous porter envie.
REPONSE de M. DE VOLTAIRE à la
feconde Lettre de M. DEODATI.
ETALEZ moins votre abondance ,
Votre origine & vos honneurs ;
Il ne fied pas aux grands Seigneurs
De fe vanter de leur naiflance.
L'Italie inftruifit la France ;
Mais par un reproche indifcret,
Nous ferions forcés à regret
A manquer de reconnoillance.
AVRIL 1761 . 13
Dès longtemps fortis de l'enfance ,
Nous avons quitté les genoux
D'une Nourrice en décadence ,
Dont le lait n'eft plus fait pour nous.
Nous pourrions devenir jaloux
Quand vous parlez notre langage .
Puifqu'il eft embelli par vous ,
Ceffez donc de lui faire outrage.
L'égalité contente un Sage ;
Terminons ainfi le procès.
Quand on est égal aux François ,
Ce n'eft pas un mauvais partage.
REPONSE de M. l'Abbé L B **** à l'Epi•
tre de M. du Lon**** , inférée au Mercure
du mois de Février dernier.
Je voudrois mériter le titre E
Qui me procure une fi belle Epître.
Comment pouvez- vous l'avouer ?
Vous entendez l'art de louer ,
Beaucoup mieux que celui de peindre :
L'un ne fait qu'imiter, l'autre a le droit de feindre
Quand on veut , comme vous , embellir chaque
trait ;
En le flattant , on détruit le portrait.
14 MERCURE DE FRANCE.
Ce n'eft qu'à vous que j'en appelle .
L'eftime a , je le vois , crayonné le tableau ;
Mais vous avez , par un excès de zéle ,
A l'Amitié , remis votre pinceau.
Il falloit vous défier d'elle ;
E.le voit & peint tout en beau:
SUITE de la PROVINCIALE , Comédie
en un- Acte.
SCENE X.
Mde LA THIBAUDIERE , Mde LEPINE,
CATHOS.
Mde LA THIBAUDIERE , continuant.
MAIS , AIS , qu'en dites- vous , Mde Lepine ?
je trouve que mon Prétendu a affez bonne
façon.
Mde LEPINE.
Eh bien , qu'importe ; avez - vous envie
de l'aimer, d'être amoureufe de votre mari?
prenez -y garde.
Mde LA THIBAUDIERE..
Ah doucement ! je ne mériterai jamais
Votre raillerie . Mais je l'aimerois encore:
mieux que le Chevalier , fi c'étoit l'uſage.-
AVRIL. 1761. 15
CATHOS.
Oui , mais en cas d'Epoux , cela eft dé
fendu .
Mde LEPINE.
Il n'eft pas même queſtion d'aimer avec
le Chevalier , il ne faut en avoir que l'air ;;
on ne vous demande que cela . Eft ce que
les femmes du monde ont befoin d'un
amour réel , en fait de galanterie ? Non ,.
Marquife : quand il y en a , on le prend ;;
quand il n'y en a point, on en contrefait,.
& quelquefois il en vient.
Mde LATHIBAUDIERE , riant..
L'entens.-
Mde LEPINE.
On s'étourdit de fentimens imaginai
res . Je crois vous l'avoir déjà dit.
Mde LATHIBAUDIERE..
C'eff juftement à quoi j'en fuis avec le
Chevalier ; quoiqu'il ne m'ait pas fort
touchée , je me figure que je l'aime : je
me. le fais accroire , pour m'aider à foutenir
la chofe avec les airs convenables..
Oh ! je fçais m'étourdir auffi .
Me LEPINE.
Tout ceci n'eft fait que pour votre ré
( un Valet entre. ) , putation.
16 MERCURE DE FRANCE.
SCENE X I.
Les Acteurs précédens , LE VALET.
LE VALET.
MARQUISE B
1
ARQUISE , il y a là - bas un Monfieur...
Mde LEPINE , l'interrompant .
Attendez.... ce garçon- ci fait une faute
dont il eft important de le corriger ( au
Valet. ) Mon enfant , quand vous parlez à
votre maîtreffe , ce n'eft pas à vous à l'appeller
Marquife tout court ; c'eft un manque
de refpect . Dites- lui , Madame ; entendez
-vous ?
LE VALE T.
Ah ! pardi , c'eft pourtant ce nom - là
qu'on nous a ordonné l'autre jour.
Mde LEPINE.
C'est-à- dire que c'eft fous ce nom- là
que vous devez la fervir , & que les Etrangers
doivent la demander .
CATHOS.
Comprends - tu bien ce qu'on te dit - là ,
Colin ?
LE VALE T.
Out , Cathos .
CATHOS.
Cathos ! avec ta Cathos : ilt'appartient
AVRIL. 1761 . 17
bien de parler de la manière . Mde Lepine
, le refpect ne veut - il
pas que la Livrée
m'appelle Mademoiſelle, tout court ?
Mde LEPINE .
Sans difficulté , comment donc ! la fuivante
de Madame ?
Mde LA THIBAUDIERE.
Eh bien , qu'on donne ordre là- bas que
tous mes gens vous appellent Mademoifelle.
Je vous en charge , Colin.
COLIN.
Oui , notre Maîtreffe... non , non ; oui ,
Marquife... hé , je veux dire Madame.
Le benêt !
CATHOS.
Mde LEPINE.
Otez-lui auffi le nom de Colin , qui
fonne mal , & qui eft campagnard.
Mde LA THIBAUDIERE.
J'y penfois. (à Colin. ) Et vous au lieu de
Colin , foyez Jaſmin , petit garçon ; & ache.
vez ce que vous veniez me dire.
LE VALET ou COLIN.
C'eft qu'il y a là- bas un beau Monfieur,
bien mis , qui eft jeune , qui fe carre , &
qui eft venu, difant ; Mde la Marquife y eftelle
? moi je lui ai dit qu'oui ; & là-deffus
il vouloit entrer fans façon ; mais moi je
l'ai repouffé . Bellement, Monfieur ! lui aije
fait ; je vais voir fi c'eft fa volonté que
TS MERCURE DE FRANCE.
vous entriez. Qui êtes- vous d'abord ?..Va,
butor , a -t- il fait , va lui dire que c'eft
moi dont elle a reçu un billet ce matini
par Mde Lepine.
Mde LA THIBAUDIERE.
Ah ! Madame , c'eft fans doute le Chevalier
! & il eft là- bas , depuis que tu nous
parles.
COLIN.
Eh pardi oui , droit fur fes jambes, dans
le jardin , où il fe promène.
Mde LEPINE.
Tant pis la réception lui aura paru
étrange.
Mde LA THIBAUDIERE.
Ah ! jufte- ciel , que va- t- il penfer ? un
homme de qualité repouffé à ma porte !
miférable que tu es , fçais - tu bien que ta
rufticité me deshonore ? il faut que je
charge tous mes gens. Mde Lepine : fi
Lifette alloit le recevoir , & lui faire ex-
Gufe ?
M'de LEPINE.
Je voulois vous le confeiller.
Mde LA THIBAUDIERE.
Allez , Lifette ; allez , courez vîte.
CATHO S :
Oh ! laiffez - moi faire ; je m'entens à préfent
à la civilité. (Gathos & Colin fortent.)
AVRIL 1761 . I
SCENE XII.
Mde LA THIBAUDIERE , Mde LEPINE.
Mde LA THIBAUDIERE.
VOILA qui eft défolant ! une réception
brutale , un billet qui eft encore fans réponfe.
Il va me prendre pour la plus fotte ,
pour la plus pécore de toutes les femmes.-
Mde LEPINE.
Tranquillifez - vous : un moment de con
verfation raccommodera tout. A l'égard
du billet , vous y répondrez..
Mde LA THIBAUDIERE.
Vous me ferez témoin que j'ai eu def
fein d'y répondre, fans qu'il m'en ait coûtéle
moindre fcrupule.... vous m'en ferez té
moin.
Mde LEPINE
Je le certifierai .
Me LA THIBAUDIERE.
Ne puis-je pas auffi lui dire , que je vais
dans mon Cabinet pour cette réponſe ?
Mde LEPINE.
Qui-da ! il reviendra . Auffi bien ai - je
encore quelques préparations effentielles
à vous donner,
20 MERCURE DE FRANCE.
Mde LA THIBAUDIERE.
Eh! voilà ce que c'eft. Je ne fuis pas encore
affez forte pour rifquer un long en
tretien avec lui. Le refpect qu'on a ici
avec les femmes , & qui eft à la mode , je
ne le connois pas ; & je crains toujours ma
vertu de Province.
Mde LEPINE.
Eh bien , congédiez votre foupirant
après les premiers complimens .
Mde LEPINE.
C'est- à-dire , deux ou trois mots folatres....
Et puis , je fuis votre fervante .
SCENE XIII.
Mde LEPINE , Mde LA THIBAUDIERE,
CATHOS , LE CHEVALIER ,
LA RAMÉ E.
ENF
LE CHEVALIER.
NFIN ! Vous voici donc , Marquife ?
mon amour a bien de la peine à percer
jufqu'à vos charmes : il y a longtems qu'il
attend à votre porte . Eh ! depuis quand
l'amour eft - il fi mal venu chez fa mere?
Cathos & la Ramée ſe font du gefté &
des yeux , beaucoup d'amitié.
AVRIL. 1761 ' 27
Mãe LA THIBAUDIERE.
Pardon , Chevalier , pardon ! la mere
de l'amour eft très-fâchée de votre accident
; & va donner de fi bons ordres , que
l'amour n'attendra plus.
LE CHEVALIER.
Ne me difputez pas l'entrée de votre
coeur , & je pardonne à ceux qui m'ont
difputé l'entrée de votre chambre.
Mde LA THIBAUDIERE.
Oh ! pour moi je n'aime pas à difputer .
LE CHEVALIER.
A propos de coeur , Marquiſe ; j'ai à vous
quereller....Je fuis mécontent .
Mde LA THIBAUDIERE.
Quoi , vous me boudez déjà , Chevalier?
LE CHEVALIER.
Oui, je gronde. Mde Lepine a fans doute
eu la bonté de vous remettre certain Billet
preffant ; & cependant vous êtes en arriére
; il ne m'eft pas venu de revanche.
D'où vient cela , je vous prie c'eſt la
Marquife de France la plus aimable &
la plus dégagée , que j'attaque ce matin,
& qui laiffe paffer deux mortelles heures ,
fans donner figne de vie !
Mde LA THIBAUDIERE.
Deux mortelles heures , Mde Lepine !
deux heures ! ..fur quel cadran fe règlet-
il donc ?
22 MERCURE DE FRANCE.
LE CHEVALIER.
Deux heures , vous dis-je ! l'amour fait
compter. Qu'est- ce que ce donc que cette
pareffe dans les devoirs les plus indifpenfables
de galanterie ? & d'un air ironique.
) Seroit ce que vous me tenez rigueur?
& qu'une femme de qualité recule ?
Mde LA THIBAUDIERE.
Moi reculer ! moi tenir rigueur !
LE CHEVALIER .
Il n'eft pas croyable que mon billet ait
été pour vous un fujet de fcandale ; votre
fagelle fait vivre apparemment & n'est
ni bourgeoife ni farouche.
Mde LA THIBAUDIERE.
Ah Ciel ! eh mais , Chevalier, vous allez
jufqu'à l'injure. Attendez donc qu'on
s'explique. Parlez- lui , M de Lepine, partez.
Mde LEPINE.
Non, Chevalier , Madame n'a point de
tort.
Oh !
CATHOS.
pour cela non : il n'y a pas de fageffe
à cela ; pas un brin.
Mde LEPINE.
C'eſt que Mde la Marquise a toujours
été en affaire , & n'a pas eu le tems
d'écrire.
Mde LA THIBAUDIERE.
Abfolument pas le tems ! mais au furAVRIL
17612 . 23
plus , le billet eft charmant , il m'a réjoui
, il m'a plu , vous me plaifez- vousmême
plus que vous ne méritez dans ce
moment-ci , petit mutin que vous êtes !
& pour vous punir de vos mauvais propas
, notre entretien ne fera pas long.
Je vous quitte tout-à-l'heure pour aller
vous répondre.... Voyez , je vous prie, ce
qu'il veut dire avec fa femme de qualité
qui recule ?
LE CHEVALIER.
Pardon , Marquife! pardon à mon tour ;
votre conduite eft d'une aifance inconteftable
; on ne sçauroit moins difputer le
terrain que vous le faites , ni fe préſenter
de meilleure grace à une affaire de coeur ;
& je vais , en réparation de mes foupçons,
annoncer à la Ville & aux Fauxbourgs
que vous êtes la Beauté de l'Europe la
plus acceffible & la plus légére de fcrupu
lę & de modeftie populaire.
Mde LA THIBAUDIERE.
Vous medevez cette justice- là, au moins.
Mde LEPINE.
Et le témoignage du Chevalier fera fans
appel.
LE CHEVALIER.
On en fait quelque cas dans le monde,'
Adieu, Reine : je m'éloigne pour un quart
24 MERCURE DE FRANCE.
d'heure: je reviendrai prendre votre billet
moi-même ; & je m'attens à n'y pas trouver
plus de réſerve que dans vos façons .
Mde LA THIBAUDIERE.
Je n'y ferai que trop bonne.
`( Elle fort. )
SCENE XIV.
Mde LEPINE , LE CHEVALIER ,
CATHOS , LA RAM É É.
LE CHEVALIER.
NE m'oubliez pas , ma chère Mde Lepine
, & fervez- moi auprès de la Marqui
fe , car mon coeur eft preffe.... Jufqu'au révoir
, notre chère amie.
Mdé LEPINE
a
Un moment.... L'affaire de votre régiment
eft- elle terminée , M. le Chevalier?
LE CHEVALIER.
Il ne me fant plus que dix mille écus ;
& je vais voir fi mon Notaire me les a
trouvés.
(Il fort. )
LA RAMÉ E.
C'eft une bagatelle , & nous les aurons
tantôt. ( à Cathos . )
SCENE
AVRIL. 1761 .
25
SCENE X V.
LA RAMÉE , CATHOS. Mde LEPINE.
LA RAMÉE , continuant à Cathos.
JE laiffe partir M. le Chevalier, pour avoir
une petite explication avec mes amours.
Soubrette de mon âme! je boude auffi, moi.
Mde LEPINE riant.
Ha , ha , ha ! ... Encore un boudeur.
CATHOS.
Et à caufe de quoi donc ?
LA RAME E. ..N
Ne fuis - je pas en avance avec vous
d'un certain poulet?
CATHOS.
Un poulet ? je n'ai point vu de poulet.
LARAMÉ E.
J'entends certain billet..
CATHOS .
Ah , cela s'appelle un poulet ! oh , je
le fçais bien mais laiffez faire. Ce n'eft
pas la modeftie qui me tient ; je ne recule
pas plus qu'une Marquife : mais il faut du
tems; & vous n'avez qu'à vous en-aller dn
peu , vous aurez votre affaire toute griffonnée.
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE:
LA RAMÉE.
Griffonnez , brunette ; je vous donne
vingt minutes pour m'exprimer vos tranfports.
Je vais , eir attendant', haranguër
certainCabaretier, à quije dois vingt écus,
& qui a comme envie de manquet de
patience avec moi . S'il m'honoroit d'une
affignation , il faudroit encore la payer;
j'aime mieux la boire. Mais il n'y a que
vingt écus. Eft ce trop , Mde Lepine Ce
n'eft pas tant que dix mille.
Mde LEPINE.
Hélas , mon enfant , je ſouhaite que
non,
LA RAMÉE , à Cathos.
Et mon ange, qu'en penfe- t- il ? Chacun
a fon régiment : voilà le mien.
CATHOS.
Bon, vingt écus ! avec foixante francs de
monnoye , vous en ferez quitte.
LARAMÉ E.
Eh oui , c'eft de la mitraille ! j'aime à
vous voir méprifer cette fomme- là : cela
fent fa Soubrette de Cour, qui ne s'effraye
de rien. (& en s'écriant) . La belle âme que
Çathos !
CATHOS.
Eh dame , on eft belle äme tout com
me une autre..
AVRIL 1761 . 27
LARAMÉ E.
Je fuis fi content de votre façon de penfer
, que je me repens de n'avoir pas bû
davantage. Adieu, mes yeux noirs ! je vous
rejoins inceffamment. Mde Lepine , protégez-
moi toujours auprès de ce grand
coeur,qui regarde vingt écus comme de la
monnoye.
Mde LEPINE.
Va , va , elle ſçait ce que tu vaux.
SCENE XVI.
Mäe LE PINE , CATHOS.
A
CATHOS.
н ça , notre chère Dame ; pendant
que nous fommes feules, ouvrons le billet.
Vous fçavez bien que vous m'avez promis
de le lire ?
Mde LEPINE..
Volontiers , Lifetre:
CATHOS.
Voyons ce qu'il chante .
Mde LEPINE lit.
Vantez- vous-en mignonne : le minois que
vous portez , eft le plus fubtil filou queje
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
connoiffe ; il lui a fuffi dejouer un inftant
de la prunelle , pour éfcamoter mon coeur.
CATHOS , riant, unp
Qu'il eft gentil avec cette prunelle qui
le filoute il me filoutera auffi moi.
Mde LEPINE , riant.
C'est bien fon intention. Mais contihuons
: ( Elle lit ).
Il lui a fuffi de jouer un inftant de la pru
nelle,pour éfcamoter mon coeur . Ce fontpingt
nymphes de compie fait qui en mourront
de douleur : quelles s'accommodent. Mais,
à propos de coeur ; fi vous avez perdu le
vôtre , n'en foyez point en peine ; c'est moi
qui l'ai trouvé , ma mie Cathos. Je vous
l'ai foufflé pendant que vous me raffliez le
mien. Ainfi ilfaudra que nous nous ajuf
tions là deffus.

CATHO S
Cet effronté ! favez- vous qu'il ne ment
pas d'un mot, Mde . Lepine ?
t
Mde LEPINE
Comment ?
CATHOS.
Oui , je pense qu'il eft mon fouffleur.
Or ça, la réponse; vous me la ferez donc ?
Mde LEPINE.
Cela ne vau droit rien , Lifette. Mais
voilà la Marquife.Attends ; je te dirai comment
tu t'en tireras .
AVRIL 1761. 29
SCENE XVII.
Mde LEPINE , Mde LA THIBAUDIERE,
A
CATHOS..
Mde LEPINE.
VEZ-Vous écrit , Marquife ?
Mde LA THIBAUDIERE.
Oui , j'ai brouillé bien du papier , &
n'ai rien fini ; je ne fuis pas affez fûre du
ton' fur lequel il faut que je le prenne , &
je vous prie de me donner,quelques avislàdeffus
. Quel papier tenez-vous là , Cathos ?
CATHOS , riant.
C'est mon poulet à mol; où il eft dir que
moh minois eft, un larron , & que ma prunelle
éfcamotte le coeur du monde.
Mde LA THIBAUDIERE , riants
Ha ha , je t'en félicite , Lifette ! tu deviendras
fameufe. Mais revenons à ce qui
m'améne , & réglons d'abord ma réponſe .
Doit- elle être ferieuſe, on badine, ou folle ?
SiVM LEPINE.
13
Folle , très - folle , Marquife : de l'étourdi
, il n'y a pas a opter. C'est une preu
ve d'ufage , & d'expériences
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Mde LA THIBAUDIERE.
Je m'en fuis doutée . J'avois d'abord
mis du tendre ; maisj'ai eu peur que cela
ne fentît fa femme novice qui fait trop
de façon avec l'amour .
Mde LEPINE.
Et dont le coeur n'eft pas affez déniaifé .
La réflexion eft bonne.Le tendre a quelque
chofe d'écolier , à moins qu'il ne ſoit
emporté. L'emportement le corrige.
Mde LA THIBAUDIERE.
Et il n'eft pas tems que je m'emporte :
nous ne fommes encore qu'au premier bil-
Jet.
CATHOS.
Cela viendra au fecond . On ne perd
pas l'efprit tout d'un coup.
Mde LA THIBAUDIERE.
Je m'en tiendrai donc d'abord au fimple
étourdi ; & fur ce pied- là , mon billet
eft tout fait.
Vayons.
Mde LEPINE.
Mde LATHIBAUDIERE.
Il n'est que dans ma tête, & le voiĉi àpeu
près. Il me dit qu'il fe meurt . Vivez ,
Chevalier , vivez ( lui dirai - je ) vous me
faites peur, mon cher enfant; je vous défends
de mourir : il faut m'aimer. Votre
AVRIL 1761 . 3:1
étoile le veut. Si la mienne entend que
je vous le rende ; eh bien , qu'à cela ne
rienne , on vous le rendra , Monfieur , on
vous le rendra ; & deux étoiles n'en
auront pas le démenti. ( à Mae Lepine. )
Qu'en dites vous ?
Mde LEPINE.
Admirablement"' !
ཏི
·CATHOS, répétant les derniers mots.
On vous le rendra , Monfieur , on vous
le rendra. Les jolies paroles ! 'Elles font
toutes en l'air.
Mde LA THIBAUDIERE.
On croiroit que je l'aime ; & cependant
il n'en eft rien : je ne fais qu'imiter.
Mde LE PINE.
Eh oui ! il ne s'agit que d'être fur la
lifte des jolies femmes qui ont occupé
le Chevalier. Il n'y a rien de fi brillant, en
fait de réputation, que d'avoir été fur fon
P.compte . Oh ! vous jouez de bonheur.
Mde LA THIBAUDIERE.
Oui , fi on fçavoit qu'il m'aime ; mais il
n'aura garde de s'en vanter ;à caufe de mes
rivales.
Mde LEPINE.
Lui fe taire? oh !foyez en repos là- deffus ;
tout le monde fçaura qu'il vous aime , &
qui plus eft , que vous l'aimez.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
Mde LA THIBAUDIERE.
Que je l'aime, moi ? eft - ce qu'il le dira?
ferai - je jufques- là dans fes caquets ;
Mde LEPINE.
Si vous y ferez ? oui certes , vous prés
ferve le Ciel de n'y être pas ! eh , s'il n'étoit
pas indifcret , je ne vous l'aurois pas
donné. C'eft fon beureufe indiferétion qui
vous fera connoître ; qui vous mettra en
fpectacle. Votre célébrité dépend de là.
Mde LATHIBAUDIERE
Je n'y fuis plus ! "
CATHOS.
Il y a une fineffe là deffous.
Mde LEPINE,
Vous n'y êtes plus ? eh mais , ce qui caractériſe
une femme à la mode , & du
bel- air , c'eft de foutenir audacieufement
le bruit qui fe repand d'elle ; c'eft de le
répandre elle- même . On fçait bien qu'une
Provinciale , ou qu'une petite Bourgeoife
ne s'en accommoderoit pas ; & vous n'avez
qu'à voir fi vous voulez qu'on dife que
vous fuyez le Chevalier ; qu'une intrigue
vous fait peur ; que vous vous en faites un
monftre vous n'avez qu'à voir.
Mde LA THIBAUDIERE...
Ah ! jufte- ciel , tout eft vu. Vous me
f
AVRIL. 1761.0 133
faites trembler ! vous avez raiſon
j'étois ftupide !
CATHOS.
...
que
Voyez, je vous prie ! fi on ne dit pas que
vous êtes amoureufe , c'eft tant pis pour
Votre honneur .... ce que c'eft que l'igno
rance !
Mde LA THIBAUDIERE.
Mais , êtes-vous bien fûre qu'il fe vantera
de fon amour ? car pour moi , je le
dirai à qui voudra l'entendre.
Mde LEPINE.
Il n'eft pas capable d'y manquer : c'eft
la régle.
Mde LA THIBAUDIERE.
Vous me raffurez. Hé! dites- moi , Mde
Lepine ; dans la converfation , faut il üh
peu de folies auffi ?
Mde LEPINE.
En deux mots , voici un modèle que
veus fuivrez. Suppofez que je fuis le Chevalier.
J'arrive ; je vous falue ; je m'arrête...
mais Marquife , je n'y comprens rien !
vous êtes encore plus belle que vous ne
l'étiez il y a une heure ; un coeur ne fçait
que devenir avec vous ; vous ne le ménagez
pas ; vous l'excédez; il en faudroit une
douzaine pour y fuffire. ( à Mde la Thib! )
Répondez.
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
Mde LEPINE..
Que je réponde ? ... eft il vrai , Chevalier
? ne me trompez- vous point ? êtes- vous
de bonne foi ? m'aimez- vous autant que
vous le dites ? ( & puis fe reprenant ) fais
je bien ?
Mde LEPINE.
A merveille !
CATHOS.
Comme un charme !
Mde LEPINE.
Je reprens.... moi ! vous aimer , Marquife
? vous n'y fongez pas . Qu'est- ce que
c'eft qu'aimer ? eft - ce qu'on vous aime
ah ! que cela feroit mince ... Eh non, ma
Reine ; on vous idolâtre. Elle lui prend
la main : Mde la Thibaudiere la retire.

Mde LEPINE , s'interrompt.
Doucement , vous n'y êtes plus . Il ne
pas retirer la main . #faut
Mde LA THIBAUDIERE , avanganiv
la main.
Oh ! tenez qu'il prenne.
Mde LEPINE .
* Ce n'est qu'une main , après tout.
Mde :LA THIBAUDIERE.
Oui mais je fors d'un pays où l'on a
les mains frétives froides ! On va tour
¡jours les retirant.
AVRIL. 1761 . 35.
:
CATHOS.
Jour de Dieu ! des mains chez nous ,
ce n'eft pas des prunes.
Mde LA THIBAUDIERE
.
Je n'ai plus qu'à fçavoir , en cas que je
trouve quelqu'une de mes rivales , comment
je traiterai avec elle.
Mde LEPINE.
Avec une politeffe aifée , tranquille &
riante , qui ravalera fes charmes , qui marquera
le peu de fouci que vous en avez ,
& la fupériorité des vôtres.
Mde LA THIBAUDIERE
.
" Oh ! je fçais des manières - là de tout
temps. Mais fi on vouloit m'enlever le
Chevalier , & qu'il chancelât ; je ne ferai
donc pas jaloufe ?
Mde LEPINE.
Comme un démon jalouſe avec éclat ;
jufqu'à faire des fcènes.
Mde LA THIBAUDIERE
.
Oui mais cet orgueil de ma beauté ?
Mde "LE PINE.

-Oh ! cet orgueil alors va comme il peut
chez les femmes il ne raifonne point.
Jaloufe avec fracas , vous dis-je : point de
moleffe là - deffus. Rien , en pareil cas , ne
fait aller une réputation fi vite... Coft la
le fin de votre état.
B.vi
36 MERCURE DE FRANCE.
Mde LA THIBAUDIERE.
Laiffez moi faire.
CATHOS.
Morbleu! que les bégueules ne s'y frottent
pas avec Madame : elle vous les
revireroit .....
Mde LEPINE .
Il y a une chofe que j'omettois , &
qui vous mettroit tout d'un coup au pair
de tour ce qu'il y a de plus diftingué en
fait de femmes à la mode , & qui eſt même
néceffaire , qui met le fceau à la bonne
renommée .... ne plaignez-vous pas
l'argent
Mde LA THIBAUDIERE..
C'eft felon. J'aime à le dépenfer à
propos
Mde LEPINE ,
Vous ne le dépenferez pas : on vous le
rendra prèfque de la main à la main. Je
fçais qu'il manque encore une foname au
Chevalier , pour achever de payer un régiment
dont il eft en marché. La circonftance
eft heureufe pour rendre votre nom
fameux . Prêtez lui la ſomme qu'il lui fant ,
pourvu qu'il y confente ; car il faudra l'y
forcer . D'ailleurs , ces fortes d'emprunts
font facrés.
AVRIL 1761, 37
Mde LA THIBAUDIERE.
De tous les moyens de briller , voilà, à
mon gré, le plus difficile.
Mde LEPINE..
Eh bien , prenez que je n'ai rien dit.
C'eft une voie que je vous ouvrois pour
abréger. Le Chevalier ne fera pas en peine
; & il y a vingt femmes , qui ne manqueront
pas ce coup- là .
Mde LA THIBAUDIERE..
Il y a toujours quelque rabat- joie dans
les chofes !
Mde LEPINE
J N'en parlons plus , vous dis je. Puifque
la grande diftinction ne vous tente pas ; il
n'y a qu'à aller plus terre à térre.
CATHOS .
Allons , courage , Madame ! on n'a rien
pour rien. It n'y a qu'à avoir un bon billet
pardevant Notaire ..
Mde LEPINE
Non pas, s'il vous plaît , Lifette ; on a
mieux que cela . Le Noraire, ici, c'eftl'honneur
; & le billet , c'eft la parole du débiteur.
Voilà ce qu'on appelle des fûretés.
Il n'y a rien de fi fort, 5
Mde LA THIBAUDIERE.
S'il ne falloit pas une fi grande fomme...
36 MERCURE DE FRANCE.
Mde LA THIBAUDIERE.
Laiffez moi faire.
CATHOS.
Morbleu! que les bégueules ne s'y frottent
pas avec Madame : elle vous les
revireroit..... Mace
Mde LEPINE.
Il y a une chofe que j'omettois , &
qui vous mettroit tout d'un coup au pair
de tour ce qu'il y a de plus diftingué en
fait de femmes à la mode , & qui eſt même
néceffaire, qui met le fceau à la bonne
renommée .... ne plaignez- vous pas
l'argent
Mde LA THIBAUDIERE.
C'eft felon. J'aime à le dépenfer
propos
Mde LE PINE ,
Vous ne le dépenferez pas : on vous le
rendra prèfque de la main à la main. Je
fçais qu'il manque encore une forme au
Chevalier , pour achever de payer un régiment
dont il eft en marché. La circonftance
eft heureuſe pour rendre votre nom
fameux . Prêtez lui la fommé qu'il lui fant,
pourvu qu'il y confente ; car il faudra l'y
forcer. D'ailleurs , ces fortes d'emprunts
font facrés.
AVRIL 1761 , 37
Mde LATHIBAUDIERE.
De tous les moyens de briller , voilà , à
mon gré, le plus difficile .
› Mde LEPINE.
Eh bien',' prenez que je n'ai rien dit.
C'est une voie que je vous ouvrois pour
abréger. Le Chevalier ne fera pas en peine
; & il y a vingt femmes , qui ne manqueront
pas ce coup- là.
Mde LA THIBAUDIERE.
Il y a toujours quelque rabat - joie dans
les chofes !
Mde LE PINE
il
N'en parlons plus , vous dis je . Puifque
la grande diftinction ne vous tenté pas ;
n'y a qu'à aller plus terre à terre.
CATHOS.
Allons , courage , Madame ! on n'a rien
pour rien. Il n'y a qu'à avoir un bon billet
pardevant Notaire .
Mde LEPINE
Non pas, s'il vous plaît , Lifette ; on a
mieux que cela . Le Noraire, ici, c'eft l'honneur
; & le billet , c'eft la parole du débiteur.
Voilà ce qu'on appelle des lûretés.
Il n'y a rien de fi fort,
'I
Mde LA THIBAUDIERE.
S'il ne falloit pas une fi grande fomme...
36 MERCURE DE FRANCE.
Mde LA THIBAUDIERE.
Laiffez moi faire.
CATHOS
Morbleu! que les bégueules ne s'y frottent
pas avec Madame : elle vous les
revireroit.....
Mde LEPINE.
Il y a une chofe que j'omettois , &
qui vous mettroit tout d'un coup au pair
de tour ce qu'il y a de plus diftingué en
fait de femmes à la mode , & qui eſt même
néceffaire , qui met le fceau à la bonne
renommée .... ne plaignez-vous pas
l'argent
Mde LA THIBAUDIERE..
C'eft felon. J'aime à le dépenser à
propos
Mde LEPINE ,
Vous ne le dépenférez pas : on vous le
rendra prèfque de la main à la main. Je
fçais qu'il manque encore une fomme au
Chevalier , pour achever de payer un régimentdont
il eft en marché. La circonftance
eft heureuſe pour rendre votre nom
fameux . Prêtez lui la fommé qu'il lui fant,
pourvu qu'il y confente ; car il faudra l'y
forcet. D'ailleurs , ces fortes d'emprunts
font facrés. 124
AVRIL. 1761, 37
Mde LATHIBAUDIERE.
De tous les moyens de briller , voilà, à
mon gré, le plus difficile .
Mde LEPINE.
Eh bien , prenez que je n'ai rien dit.
C'est une voie que je vous ouvrois pour
abréger. Le Chevalier ne fera pas en peine
; & il y a vingt femmes , qui ne manqueront
pas ce coup- là .
Mde LA THIBAUDIERE.
Il y a toujours quelque rabat-joie dans
les chofes !
Mde LEPINE.
ر ذ
N'en parlons plus , vous dis je . Puifque
la grande diftinction ne vous tente pas ; il
n'y a qu'à aller plus terre à terre .
CATHOS.
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Allons , courage , Madame ! on n'a rien
pour rien. Il n'y a qu'à avoir un bon billet
pardevant Notaire .
Mde LEPINE
OE
Non pas, s'il vous plaît , Lifette ; on a
mieux que cela . Le Notaire, ici, c'estl'honneur
; & le billet, c'eft la parole du débiteur.
Voilà ce qu'on appelle des fûretés.
Il n'y a rien de fi fort...
Mde LA THIBAUDIERE.
S'il ne falloit pas une fi grande fomme...
38 MERCURE DE FRANCE .
Mde LEPINE.
Petite ou grande , n'importe , dès que
c'eft l'honneur qui engage ; & puis , ce
n'eft point précisément par befoin qu'un
Cavalier emprunte en pareil cas ; c'eſt par
galanterie ; pour faire briller une femmes
c'est un fervice qu'il lui rend. Mais laiffons
ce que cela répand d'éclat ; ( contentons-
nous d'une célébrité médiocre : vous
ferez au ſecond rang , parmi les fubal
ternes.
1
Mde LA THIBAUDIERE.
Nous verrons ; je me confulterai. Je vais
toujours écrire ma Lettre; & à tout hafard,
je mettrai fur moi des billets de plufieurs
femmes.
#Mde LEPINE.
Comme vous voudrez , Marquife : j'ai
fait l'acquit de ma confcience.
P
SCENE XVIII.
CATHOS , Mde LEPINE .
CATHOS.
ARDI , allez voilà une belle place
que le fecond rang ! fi j'étois auffi riche
qu'elle, je ferois bientôt au premier étage.
AVRTL. 1761. 39
Mde LA THIBAUDIERE.
Il ne tient qu'à toi de t'y placer parmi
celles de ton état.
CATHOS.,
Oui ! tout ce que vous avez dit pour
elle , eft donc auffi pour moi ?
Mode : LEPINE.
C'eft la même chofe, proportion gardée .
Adieu Je fuis d'avis d'aller lui aider à faire
fa Lettre...
CATHOS.
Ah ! mais , la mienne ?
Mde LEPINE
"Dis à la Ramée qué tu'écris fi mal , qu'il
n'auroit pû lire ton écriture.
MACATHOSTA
Attendez donc , Mde Lepine ? vous dites
que tous vos enfeignemens à Madame ,
me regardent auffi. Quoi , la politeffe glo
rieufe avec mes rivales , la folie des paroles.
en devifant, & les mains qu'on baife ?
Mde ELVE PINE
Sans doute pea
CATHOS.
Et l'argent auffi ?
Mde LEPINE.'
Oui , fuivant tes moyens.
CATHOS
Et l'honneur dela Raméepour Notaire
MERCURE DE FRANCE.
Mde LEPINE.
Il n'y a nulle différence : finon qu'ilte
fèra permis d'être jatoufe , juſqu'à décocffer
tes rivales .
CATHOS
Ha ! les marques... je vous les dérignon
nerai ....
Mde LEPINE.
Er que tu obferveras de tutayet la Bamée
, comme il de tutoyera lui- même
c'est l'ufage. Adieu , le voilà qui vient : je
te laiffe. 203T0
198J
Lap SCENE XIX q
5 no: sail by gioza't
CATHOSILARA MÉE.
LARAME E , en l'abordant.
12UMENTS 49 20V 2001 Sup 391 ;
MON Epitre , & point de quartier,
glind not CA THO Sandlivsb as ani
Oh Dame ! paflez-vous en , mon cher
homme; je ne fçais faire que des pieds de
mouche ; & j'aime mieux vous donner
mon écriture en paroles , il n'y a pas tant
de façon. Votre billet eft bien trouffe , il
m'a été fort agréable ; c'eſt bien fait de
me l'avoir mandé. Il dit que ma mine
vous a flouté , j'en fuis bien- aife' ; c'eſt
AVRIL. 1761, 41
queuci , queumi. Vous demandez la jouiffance
de mon coeur , & vous l'aurez . Estu
content , mon mignon ?
LARAMÉ E.
Comblé , ma mie ! je vois bien que
tu m'aimes , ma petite merveille. 1
CATHOS.
Si je t'aime pour qui me prends - tu
donc eft- ce que tu crois que l'amour me
fait peur ? oh que nenni ! je t'aime com
me une étourdie , je ne fçais à qui le dire .
LARAMÉ E.
Je me reconnois au défordre de ta tête
: il eft digne de mon mérite ; & tu
me ravis .... Tu vaux ron pefant d'or
CATHOS , lui tendant la main .
Quand tu voudras baifer ma main ,
qe t'en fais point faute . Eft - ce la droite ?
eft- ce la gauche ? prends on fait bien que
ce n'eft que des mains.
LA RAMÉE.
Tu me les donnes à fi bon inarché , que
je les prendrai toutes deux.
CATHOS lui donnant les deux mains.
Tiens ! je ne barguigne point, car je fais
vivre.
LA RAME E.
Oh ! Il y paroît , malepefte ! il eft rare
de trouver une honnête fille qui pouffe
42 MERCURE DE FRANCE.
la civilité auffi loin que toi. Tu es une
originale , ma Cathos.
CATHOS.
Fort peu de Cathos. C'eſt à préſent
Lifette.
LARAMÉ E.
C'est bien fait : tu es taillée pour la
dig nité de ce nom-là . Mais j'en reviens à
ton coeur...compte - moi un peu ce qui s'y
paſſe.
CATHOS.
Je t'aime d'abord par inclination . Céla
eft bon ceta ?
LA RAMΕΕ.
Délicieux !
CATHOS .
Et puis par belles maniéres .
LARAMÉ E.
Tu me remues , tu m'attendris (& puis
à part ) Quel dommage d'être un fourbe
avec elle !
CATHOS.
Ecoute je prétens que mon amour
foit connu d'un chacun . N'en fais pas un
fecret au moins : ne me joue point ce
tour- là .
LARAMÉ E.
Non , ma Brebis : je te ferai afficher.
CATHOS.
Ai je bien des rivales ?
AVRIL . 161 .
·43
LA RAMÉ E.
On ne sçauroit les compter : Paris en
fourmille.
CATHOS.
Montrez m'en quelqu'une , afin que je :
la méprife poliment , ou bien que je la
décoëffe.
LARAMEE .
Va , ma,petite cervelle , tu en verras
tant que tu voudras. Hélas ! il ne tient qu'à
moi de les ruiner toutes.
CATHOS.
Oh merci de ma vie! c'eſt moi qui veux
être ruinée toute feule, en attendant reftitution.
LARAMÉ E.
Ma poule , je t'accorde la préférence .
Quant à la reſtitution , je te la garantis ſur
mon honneur .
CATHOS.
MAHAI
Son honneur ! ... voilà le Notaire. Astu
fini avec ton Cabaretier ?
LARAMEE.
Pas encore parce qu'il y a une certaine
Marthon , plus opiniâtre qu'un démon.
qui veut à toute force que j'accepte fa
monnoye pour payer le vin que j'ai bû.
a
CATHOS.
Elle est bien ofée. ( elle tire une bague de
44 MERCURE DE FRANCE.
fon doigt. ) Allons ; prens cette bague qui
m'a couté trente bons francs.
LA RAMÉE , la prenant.
Ta bague à mon Cabaretier ? le Coquin
n'a pas , à fes deux pattes , un feul doigt .
qui ne foir plus gros que ta main.
CATHOS.
Eh bien, attends - moi, je vais te chercher
quelques louis d'or que j'ai dans mon coffre....
en prendra- t-il ?
LARAMÉ E.
Oh oui ! il eft homme à s'en accommoder.
CATHOS.
Je vais revenir: prens toujours la bague,
SCENE X X.
LA RAMÉE , LE CHEVALIER.
PAOLA LA R'AMÉ Egod so?
V.
prosva iraut
ous voilà déjà , Monfieur?
LE CHEVALIER.
Oui. Sçais tu fi nos affaires font avan
dées ?
550414
LA RAMEE , lui montrant la bague.
Ma foi , je crois que nous fommes au
jour de l'échéance. La Soubrette vient
d'entrer en payement avec moi ; & j'atAVRIL.
1761 . 41
tends un peu d'or qu'elle va m'apporter
: encore.
LE CHEVALIER.
Tout de bon ?
LARAMÉE.
Oh ! la débacle arrive , Monfieut . Vous
êtes-vous fait annoncer ?
LE CHEVALIER.
Qui on eft allé avertir la Marquife ,
avec qui je n'aurai pas une longue converfation
; car , à te dire vrai , cette follelà
m'ennuye ; & j'arrive avec la perſonne
que ru fçais , que j'ai laiffée dans un facre
là - bas , & qui doit entrer quelques inftans
après moi.
LA RAM É E.
Doucement ! je vois la Marquife ,
SCENE X X I.
LE CHEVALIER , LA RAMÉE ,
Mde LA THIBAUDIERE , Mde LEPINE.
Mãe LA THIBAUDIERE , tenant
une Lettre.
EH bien , Chevalier ? la voici enfin ,
cette réponſe ditez - vous encore qu'on
vous tient rigueur ?
1 44
MERCURE DE FRANCE.
<
LE CHEVALIER.
Eh mais , que fçait on ? cela dépend des
termes du billet. Y verrai - je que vous
m'aimez ? que vous n'aimez que moi ?
Mde LEPINE.
Lifez, lifez, M. le méfiant.... vous y ver.
rez vos questions réfolues.
Le Chevalier , lit.
Mde LEPINE , pendant qu'il lit.
Il y a apparence qu'il ne fe plaindra pas,
car il rit.
LE CHEVALIER , baifant la Lettre,
Vous me tranfportez , Marquife ! vous
me pénétrez ! quel feu d'expreffions ! je
veux les apprendre à tout l'Univers ; afin
que tout l'Univers me porte envie . C'eſt
L'Amour même qui vous les a dictées ;
c'eft lui qui vous a tenu la main . Que cette
main m'eft chère me fera til permis ? ...
Pendant qu'il achève ces mots , la Marquife
avance tout doucement la main , comme
voulant là lui donner..
Mde LA THIBAUDIERE. I
On vous le permet , remerciez-la.
LE CHEVALIER
Donnez !que mille baiſers lui marquent
mes tranſports.
S
AVRIL. 1761. 47
SCENE XXII.
CATHOS,furnommée Lifette , UNE DAME
inconnue, MARTHON , Suivante
de la DAME , les Acteurs précédens
V
LISETTE , au Chevalier.
OICI une Dame qui demande M. le
Chevalier.
Mde LA THIBAUDIERE.
Quoi , jufques chez moi ?
L'INCONNUE , au Chevalier , regardant
la Marquife.
Ha ! je vous y prends , Monfieur .... voilà
donc pour qui vous me nég ligez ? ( & à la
Marquife. ) Comptez- vous fur fon coeur ,
Madame?
Mde LA THIBAUDIERE , d'un air
mocqueur & riant.
Vous êtes fi dangereufe , que je ne fçais
plus qu'en penfer.
L'INCONNUE.
Je vous.avertis que j'ai fur lui des droits ;
qui me paroiffent un peu meilleurs que
les vôtres .
M e LA THIBAUDIERE , ironiquement:
Meilleurs
que
les miens ! & c'eft yous
48 MERCURE DE FRANCE.
qui êtes obligée de le venir enlever de chez
moi , le petit fuyard ! comptez - nous la fûreté
de vos droits ; je compâtis beaucoup
à la fatigue qu'ils vous caufent. (elle appelle.
) un fauteuil.... Prenez la peine de
vous affeoir , Madame ; vous en gronderez
plus à votre aife , & nous en écouterons
plus poliment
la trifte hiſtoire de
vos droits.
L'INCONNUE.
Eh non , Madame ; je n'ai pas deffein de
vous rendre vifite . Allons , Chevalier . On
eft venu chez moi pour une affaire de la
derniere conféquence qui vous regarde ,
& qui doit abfolument finir aujourd'hui .
C'eft de votre régiment dont il eft queftion
; un autre preffe pour l'acheter : fon
argent est tout prêt , m'a - t -on dit ; on différe
, par amitié pour vous , de conclure
avec lui jufqu'à ce foir ; c'eft notre ami
le Marquis qui eft venu m'en informer.
Vous avez encore dix ou douze mille écus
à donner ; & je les ai chez mon Notaire,
où l'on nous attend pour terminer le
marché.... partons .
Mde LA THIBAUDIERE.
Queft- ce que cela fignifie, partons? fçavez-
vous bien que je me fâcherai à la fin?
MARTHON , Suivante de l'Inconnue.
Un inftant de patience , Madame ; que
je
AVRIL. 1761 . 49
je parle à mon tour . ( à la Ramée. ) Et
vous, Mons de la Ramée, qui vous amuſez
ici à tourner la tête de ce petit Oiſon de
Chambriere ; qu'on détale , & qu'on
marche devant moi tout-à- l'heure , pour
aller payer ce Marchand de vin avec l'argent
que je porte , & qu'un huiffier vous
demande.
CATHOS, dite Lifete.
Avec l'argent que vous portez , Bavarde:
ha , votre cornette vous peſe ! & vous
voulez qu'on vous détignonne....( Elle
veut aller à Marthon.)
L'INCONNUE.
Comment , des violences !
Mde LA THIBAUDIERE.
Je fuis dans une fureur ! ... Chevalier ,
congédiez cette femme- là , je vous prie.
Vous avez befoin de dix mille écus , m'at-
on dit, & non pas de douze, comme elle
le prétend ? Ne vous inquiétez pas , nous
tâcherons de vous les faire.
L'INCONNUE.
Elle tâchera , dit- elle : elle tâchera !
& on les demande ce foir , fans remife.
Eh bien , je ne tâche point moi ; il n'eſt
pas queſtion qu'on tâche , il faut de l'expédition
, & j'ai la fomme toute comptée.
LE CHEVALIER.
Eh ! Mefdames , vous me mortifiez,
II. Vol.
C
رقو
MERCURE DE FRANCE :
Gardez votre argent , je vous conjure. Je
n'en veux point : ma fomme eft trouvée.
Mde LA THIBAUDIERE.
Ha! cela étant , il n'y a plus à ſe débattre.
Qu'elle s'en aille.
LE CHEVALIER.
Quand je dis trouvée ; du moins m'a
t-on comme affuré qu'on me la donneroit
peut- être ce foir
L'INCONNUE.
Peut -être ! votre régiment dépend- t - il
d'un peut-être? il ne fera plus tems demain,
LE CHEVALIER.
D'accord.
L'INCONNUE.
Partons , vous dis - je ?
Mde LA THIBAUDIERE.
Attendez .... puifqu'on me met le poignard
fur la gorge , & que j'ai affaire à la
jaloufe la plus incommode, & la plus haïffable
; oui , la plus haïſſable....
L'INCONNUE.
S'il hélite encore , je ne le verrai de
ma vie.
Mde LA THIBAUDIERE.
Retirez vous .... N'eft- ce pas dix mille
écus?...fi on avoit le temps de marchander,
& qu'on ne fût point prife comme cela
au pied levé; car enfin tout fe marchande,
& on tireroit peut- être meilleur parti .....
AVRIL. 1761 . S.X.
LE CHEVALIER..
Eh , laiffez donc , Marquife ! ... & vous ,
n'infiftez point , Comteffe.
L'INCONNUE:
N'êtes- vous pas honteux de me mettre
en parallèle avec une femme, qui parle de
marchander un régiment, comme on marchande
une pièce de toile vous n'avez
guères de coeur.
LE CHEVALIER.
Oh ! votre emportement décide : vous.
infultez Madame ; & pour la vanger ,
j'avouerai que je l'aime , & c'eſt ſon argent
que j'accepte. Donnez , Marquife :
donnez tout-à- l'heure , afin que la préférence
foit éclatante . Sont ce des billets
que vous avez dans le porte- feuille ?
Mde LA THIBAUDIERE..
Oui , Chevalier ( en ouvrant le porte-.
feuille.) Attendez que je les tire. Ily en a
de différentes fommes , & plus qu'il n'en.
faut.
LARAMÉ E.
Allons , Cathos , améne .... je te vange
auffi , moi. Et toi Marthon , va te cacher..
MARTHON.
Double Coquin !
L'INCONNUE , pendant que
Mde la Thibaudiere cherche.
Perfide !
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
CATHOS , fautant de joie.
Les laides , avec leur pied de nez !
L'INCONNUE.
Je fuis défefpérée.
SCENE DERNIERE .
Tous les Acteurs précédens ,
M. DERVAL , M. LORMEAU,
DEUX DAMES.
M. LORMEAU , à la Marquife.
MA Coufine , voici les foeurs de M.
Derval qu'il vous améne , & qui ont voulu
vous prévenir .... Mais , à qui en a cette
Dame-là , qui paroît fi emportée ?
Mde LA THIBAUDIERE , falue
les deux Dames.
M. LOR ME A U , continuant.
Et que faites-vous de ce porte- feuille ?
Mde LA THIBAUDIERE.
Voilà qui va être fait. Pardonnez , Mefdames
: j'arrange pour dix mille écus de
billets que cette dame fi déſeſpérée vouloit
fournir à M. le Chevalier , pour achever
de payer un régiment qu'il achète.
AVRIL 1761 . 53
fl me donne la préférence fur elle... & je
la paye affez cher !
M. DERVA L, montrant le Chevalier.
Qui ? Monfieur lui, un Régiment ? lui,
Chevalier ?
Mde LA THIBAUDIERE.
Lui-même .... le connoiffez -vous ?
M. DERVAL.
Si je le connois c'eft le fils de mon
Procureur.
Mde LA THIBAUDIERE.
De votre Procureur ? Ha ! .... je fuis
jouée.
Tout s'enfuit , l'Inconnue , Mde Lepine ,
la Suivante Marthon , & la Ramée,
Cathos arrête.
que
CATHOS.
Doucement ! arrête- là.
LA RAME E.
Tiens , reprens ta bague : je n'ai pas reçu
d'autre à compte.
LE CHEVALIER , en s'en allanı.
Le prend- t- on fur ce ton- là ? ... je ne
m'en foucie guères.
M. LORMEAU , à la Ramée
tient toujours.
Fripons que vous êtes !
» que Cathos
C iij
14 MERCURE DE FRANCE.
LARAM E E.
Non , Monfieur , nous ne fommes que
des fourbes ; je vous le jure !
M. DER VA L.
Eh , pourquoi tirer dix mille écus de Madame
?
LA RAM É E.
Pour la mettre en vogue ; pour lui donner
de belles manières,
UNE DES DAMES , fouriant .
L'avanture eft curieufe.
LARAMEE.
Oh ! tout-à- fait jolie. C'eſt dommage
qu'elle ait manqué. La réputation de
Madame y perd.
CATHOS.
Quels miférables , avec leur réputation!
M. LOR MEAU.
Renvoyons ce maraud là , & qu'il ne
foit plus parlé de cette malheureufe affaire.
(La Ramée s'enfuit . )
Mde LA THIBAUDIERE , à M.
Derval.
Soyez vous- même notre arbitre , dans
les difcuffions que nous avons enſemble ,
Monfieur .... Adieu , je vais me cacher dans
le fond de ma Province !
AVRIL. 1761 . S
SUR la mort de Monfeigneur le DUC DE
BOURGOGNE.
APPRENDRE, avec Nollet , à pénétrer des choſes
Les principes cachés , les caufes ;
Avec Rollin , les moeurs , les loix des Nations;
Avec Vauban , l'art de prendre une Ville ;
Dans Fénelon , l'art pļus utile
De triompher des paffions ;
Fils de Héros , fçavoir que partout on renomme
La valeur & l'activité ,
Mais encor plus la probité ,
Et né Roi , fentir qu'on eft homme ;
Dans l'ordre & la beauté de tant d'êtres divers ,
Dans leur merveilleux aſſemblage ,
Apprendre à révérer l'Auteur de l'Univers :
Eft-ce là le tableau d'un Monarque ou d'un Sage?
FRANCE , C'eſt le Portait du Prince que tu perds!
Civ
3 MERCURE DE FRANCE
EPITAPHE D'UN ANGLOIS.
Paffant , cy git Jean Rosbif, Ecuyer ,
Qui fe pendit pour ſe déſennuyer.
LETTRE de Mlle *** , à Mde ďAR. ***
Tour le monde , Madame , eſt à la
guèrre ; malgré , difoit- on , l'impoffibilité
d'y aller faute d'argent. Il faut que le cou
rage tienne lieu de reffource à nos Militaires
, ou qu'il leur vienne des finances
de je ne fçais où ; puifqu'un jour d'action
il ne manque pas un feul Officier dans nos
Armées. J'admire toujours ce génie qui
fçait répandre tant d'ardeur dans l'âme du
François , malgré tous nos défaftres ; mais
je ne fuis pas moins furpriſe de voir routes
les Nations de l'Europe , fans fe haïr , ſe
donner toutes les années rendez - vous pour
s'égorger. Votre petit coufia vous prie de
lui laiffer faire fon métier , fans vous allarmer;
& en cas qu'il lui arrive malheur ,
de vous fouvenir qu'une fois mort , il en a
pour une éternité à ne plus mourir. On
me dit à l'inftant , qu'il vient d'arriver un
Courier de l'Armée , & qu'il apporte des
AVRIL 1761 ST
Drapeaux. Des Drapeaux remplacent - ils
des hommes ? Si je fçais quelques détails ,
avant que la Pofte parte, je vous les écrirai.
·NOUVEAU DIALOGUE DES MORTS.
M. D'ORBE , Mde DE VOLMAR .
M. D'ORBE.
NON, ON , mon aimable coufme , non , je
ne m'étonne plus de voir s'évanouir devant
vous tout le preftige des brillantes
réputations. Le Dieu qui apprécie le vrai
mérite , vous a placée un peu au - deffus de
Socrate , dont la belle âme , uniquement
fenfible à la perfection de la vertu , applaudit
à ce jugement augufte. Il écoute
avec tranſport l'hiftoire fimple d'une mort
héroïque , dont jamais la Philofophie feule
n'eût donné l'exemple : elle n'appartenoit
qu'à la Religion .
Mde DE VOLMAR..
J'étois convaincue de l'immortalité de
l'âme voilà toute ma fcience ; voilà le
principe heureux de tous les fentimens
droits , de toutes les bonnes actions de ma
vie. Environnée de Philofophes , qui ho
norent l'humanité par leurs lumières , ja
* Pour bien goûter ce Dialogue,il eft néceffaire
d'avoir lû les Lettres de la nouvelle Héloïfe
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
vois plus recueilli de vraie fageffe dans la
méditation d'un coeur fimple , qu'ils n'en
moiffonnérent jamais dans le vaſte champ
des connoiffances humaines. Ils étoient
Phyficiens , MMaatthhéémmaattiicciieennss ,, Moraliſtes ,
Métaphyficiens ; j'étois fille , épouſe , mère
,

amie.
M. D'OR BE.
Effectivement , comme l'obéiffance filiale
vous avoit facrifiée au devoir conjugal , il
vous étoit réſervé de périr victime de l'amour
maternel . Mais de toutes vos vertus
aucune peut- être n'a fait plus d'honneur
à votre fexe , que cette parfaite amitić ,
dont on ne le croyoit pas capable . O cou-
-ple unique O Fulie ! O Claire ! Chère
Claire , autrefois les feules délices , aujourd'hui
le feul regret de mon âme ! la
• Raifon , le devoir déterminoit tous les fenstimens.
J'étois pénérré dé la fupériorité
de fon génie. Pour prix de mon amour &
des plus tendres foins , je n'attendois d'elle
que des égards & de la vertu ; & j'avois
trouvé le retour le plus fincère , la tendreffe
la plus fatisfaifante. Oh ! combien
-elle doit chérit le précieux gage de notre
hymen Ah , chère coufine , n'eft- il pas
vrai que je vis encore dans fa mémoire?
que fon coeur porte au- delà du trépas , la
conftance & la fidélité ?
AVR- I. L. 1761.
5.9
Mde DE VOLMAR.
Hélas ! elle n'a que trop bien rempli
votre éfpoir.... Mais quoi ! ces foibleffes de
T'humanité , cet amour- propre envieux &
tyrannique nous pourfuivroit- il donc jufques
dans ce féjour de lumière & de paix ?
oferai-je à préfent vous avouer que j'ai
trop inutilement tenté d'arracher votre
époufe aux ennuis de la folitude , pour
attacher à fon fort le feul homme qui fût
digne , peut-être, de vous remplacer ?
M. D'ORBE.
Ah ! parlez , nommez- moi ce vertueux
mortel ; & s'il eft digne en effet du coeur
de Claire , vous verrez la joie la plus pure
fuccéder à l'inquiétude d'une âme plus
délicate que jaloufe. Je ne vois que le généreux
Edouard ; ce Héros eft le feul.....
Mde D E. VOL MAR.
Non , ce n'étoit point Edouard ; mais
c'étoit l'ami d'Edouard , le votre , l'ami
de Volmar , plus que tout cela....
M. D'OR BE.
Seroit ce ! ... O Julie , j'attends tout
de votre grande âme.... Quoi vous auriez
été capable d'un tel effort ?...
Mde DE VOLMAR.
Qui , c'étoit S. Preux , plus que mon
ami, plus que mon amant .... S. Preux ..
Otoi ! par qui je vis encore , tandis que
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
toi- même tu ne vis plus tout entier ! le
vrai jour de notre mort commune , mort
affreufe & prématurée , fut ce jour qui vit
défunir , ou plûtôt déchirer ces deux moitiés
du même être , cette ſubſtance androgyne
, qui vivifoit une feule âme ! Je
puis donc fous ce ciel pur , où le préjugé
n'étend plus fes nuages , libre de tout ref
pect humain , dégagée de cette fervitude
où la vertu gémit entre deux devoirs contraires
, rendue à moi - même , & à l'innocence
d'un penchant involontaire , je puisfans
honte m'entretenir de mon amant
& jouir enfin de mon amour !
M. D'OR BE.
Eh quoi , Julie ! cette eftime , cette
tendreffe même que je vous ai connue pour
un époux....
Mle DE VOLMAR.
Tout étoit fincère fans doute . Je devois
eftimer , chérir & rendre heureux le meilleur
des hommes ; je me prêtois fans effort
à ces devoirs . Mais que le ciel vous
donna de beaux jours, à.vous, qui ne regardâtes
jamais l'hymen comme un devoir
& qui ne connûtes la verta que fous les
traits de la volupté ! tandis que la malheureufe
Julie , dans un continuel état de
guèrre avec elle- même , forte contre le
AVRIL. 176r. 6r
crime , mais foible contre fon penchant ,
n'ayant reçu de la nature qu'une raifon trop
impuiffante , à oppofer aux fens révoltés ,
fe privoit de toutes les confolations de
l'amour , fans obtenir le calme de la vertu
Eh ! fans les fecours furnaturels d'une force
toute divine , aurois- je pu , dans une
chair auffi fragile , comprimer , arrêter
fans ceffe l'exploſion du falpêtre enflammé
qui pétilloit dans mes veines ? Reconnoiffons
qu'en couronnant mes victoires , Dieu
n'a couronné que fes propres dons .
M. D'ORBE .
Oui , pourvu que vous reconnoiffiez
que votre coeur épuré , quoique fenfible ,
éprouvoit un nouveau genre de paffion ,
fi fublime , fi inoui fur la tèrre , que les
vulgaires humains ne lui ont point encore
trouvé de nom propre.
Mde DE VOLMAR.
En effet, ce penchant, toujours captive,
n'étoit prèfque plus un amour terreftre ;
mais toujours rebelle , il n'étoit point encore
un amour Platonique...
M. D'OR BE.
Ah , pour avoir fouffert cette fépara-
* Nous fommes forcés de fupprimer ici queb
ques lignes.
162 MERCURE DE FRANCE.
tion fans vous fuivre, il faut que S. Preus
fe foit bien perfectionné dans la fageſſe.
Puiffe ce digne Amant, puiffe- t- il un jour,
pour l'intérêt de la vertu , fe rendre lui-
-même l'hiftorien , le Platon d'une fi belle
vie ! O Julie , j'ai cru aimer , je ne connoiffois
pas l'amour.
Mde DE VOLMAR.
Et je ne le connoiffois non pas plus ,
quand j'ai fuppofé que mon amant ne me
perdroit pas toute entière , fi je pouvois
l'unir à mon Infeparable . Tout m'engageoit
à former ces noeuds : le bonheur.de
ce couple vertueux , ma fûreté parfaite ,
la parfaite tranquillité de Volmar , furtout
les intérêts de notre Henriette . Eh,
qui pourroit apprécier l'avantage d'avoir
S. Preux pour maître , pour ami , pour
un fecond père ?
M. D'OR BE.
Et vous avez laiflé imparfait ce chefd'oeuvre
de votre amitié ?
Mde DE VOLMAR.
De plus , je prévois qu'il ne s'effectuera
jamais. Tel eft le coeur humain, que pour
être fortement quelque chofe , il le faut
AV RIL. 1761 . 63
être avec paffion , ou plutôt avec excès :
& cette règle s'étend jufqu'aux coeurs
qui mettent leur volupté à être vertueux.
Cette idée de perfection eft le feul obſtacle
que je n'aie pu détruire dans l'efprit
de mon amie ; & je connois trop S. Preux
pour lui fuppofer plus de modération dans
fes principes. Tous les deux ils outreront
la vertu ; & à force d'héroïſme , ils réfifteront
aux invitations de la fageffe qui les
voudroit unir. Mais après tout , ils vivront
en fociété ; & leur union pour être
moins tendre, n'en fera peut- être ni moins
douce ni moins utile à tous les membres.
Vous & moi , nous pouvons regarder S.
Preux comme l'Ange tutélaire de nos enfans.
"DORB-E .
Quelles obligations ne vous ai -je pas !
Mais quelle fource intariffable de peines
eft ouverte aux malheureux qui vous ont
furvécu Stoïque Volmar , la fermeté te
fuffira t -elle ? Eft-il donc une Philofophie
capable.... Ah , cruel fouvenir ! ... Pardonnez,
chère coufine : une chofe me confond
dans le récit que vous m'avez fait de votre
mort : c'eft que connoiffant l'aveuglement
du malheureux Volmar , la pieufe
Julie n'ait pas profité de tout l'afcendant
que lui donnoit , en cet inftant terrible ,
64 MERCURE DE FRANCE.
fa tendreffe d'un époux ébranlé par le choc
des paffions les plus vives . Je crois qu'une
démonſtration , dans cette bouche adorée,
que le trépas alloit fermer pour jamais
eût tiré fa principale force de la circonfrance.
C'est là ce qu'on eût pu vraiment
appeller le chant du cigne , ou plutôt l'expreffion
invincible de l'oracle de la vérité
Mde DE VOLMAR.
Sûre de vaincre tôt ou tard les coeurs
droits par fa feule force , la Vérité dédar
gne d'y employer la féduction: ce honteux
fecours ne convient qu'aux oracles du
menfonge. Il eft des efprits finguliers ,
auprès defquels on ne réuffit pas par les
voies ordinaires . Tout raifonneur devient
néceffairement Sophifte : s'il ne peut . répondre
, il diffimule fa défaite , & croit
que fon efprit l'a mal fervi pour le moment.
Jamais mon époux ne manqua de
fubterfuges pour éluder les argumens les
plus preffans de l'infinuant S. Preux , &
du pathétique Edouard. Si je m'étois mife
à l'argumenter une dernière fois , je
n'aurois pu que répéter ce que je lui en
tendis fouvent expofer fans fuccès : &
quand j'aurois pu l'étonner alors, l'illufion
n'eût pas été longue ; & le fens froid, peur
Etre , eût bientôt détruit les effets de l'enthoufiafme.
AVRIL. 1761 .
D' ORBE.
Peut- être auffi défefpériez-vous trop du
coeur humain ; & j'aurois voulu du moins
lui livrer un dernier affaut.
Mde DE VOLMAR.
» O cecità de le terrene menti ! *
» In qual profunda notte ,
» In qual fofca caligine d'errore
» Són le noftr'alme immerfe ,
» Quando tu non le illuftri , ô fommofole !
Convaincue que toutes les démonſtrations
ne valent pas un fentiment , & que
c'eft au coeur principalement que Dieu aime
à fe manifefter, c'eft auffi par la partie
fenfible que j'ai cru devoir attaquer l'incrédule.
Le mal phyfique & moral étoit le véritable
fujet de fon erreur ; auffi eft- ce par
le fpectacle touchant d'une mort religieufe,
que j'ai effayé de l'ébranler. Je lui ai
démontré , que même dans cette épreuve
cruelle , il n'y avoit rien que de confolant
pour une âme réfignée , qui la regardoit
comme un heureux paffage à l'immortalité
& à la gloire. Croyez- vous que je n'aie
rien fait pour lui , en le rendant témoin
de la vive eſpérance de la joie céleste qui
m'animoit ? Dépofitaire de mes foupirs
ilen a fort bien conçu le langage. Je le fui
* Il Paftor fido. Atto s . Sc. 6.
46 MERCURE DE FRANCE.
1
F
vois dans tous fes mouvemens : j'ai vu
fon efprit , hors de lui , entraîné déjà
doin de fes principes , & inquiet du fort
qui pouvoit m'attendre moi -même. C'eſt
qu'alors le coeur de l'homme , naturellement
adorateur d'un Dieu , s'élevoit avec
force contre fon efprit rebelle. J'ai vu nạitre
ce trouble falutaire , l'enfant du doute
, & le père du repentir. J'ai jetté dans
fon âme la femence de la vérité ; fes réflexions
, fa tendreffe , fa droiture , tout
va faire éclore ce germe heureux ; & Dien
fans doute lui donnera l'accroiffement ,
que lui feul peut donner. Je l'attends de
fa bonté ; je n'en doute plus ; je jouis déja
de mon efpérance.
'D'ORBE.
Gélefte Julie ! je découvre la caufe de
votre mort prématurée : la terre n'étoit
pas digne de vous pofféder plus longtems
Mde DE VOLMAR.
Ah , j'étois encore loin de cette perfec
tion.... Mais que vois - je ô cher Coufin
! .... Seroit- ce ! Oui , c'eft elle....
Chère ombre ! Mere adorée ! .... Je vole
- réunir mon éffence à la fienne. C'eft dans
le fein de Dieu que je la vois .... je m'y
plonge.
Par M. LECLERC , à Nangii.
AVRIL 1761 .
67
LiE mot de la premiere Enigme du premier
volume d'Avril eft Pepin . Celui de
la feconde , eft Soulier. Celui du premier
Logogryphe , .eft Papier , où l'on trouve
Pape , pipe , ire , Pie Pontife , Pie oifeau
, rape , aire , où l'on égraine le bled ,
air , aire , nid de l'Aigle. Čelui du ſecond
eft , Poiffon ; l'on y trouve pois , & fon.
Le fon peat fe tirer des pois fecs qu'on
rédait en purée , ou qu'on met dans le
pain ; & l'on fait affez que les pois verds
font recherchés , furtout en cette faifon .
ENIGM E.
QUELQUE baffe que foit ma première origine,
Je puis dire pourtant que ma ſource eſt divine .
Je fuis fouple & foumis , quoiqu'inventeur des loix.
Lorsqu'un rang trop obſcur ſemble avilir mon êtrę,
Il n'en eft pas moins grand , & mes égaux font
Rois .
Je ne fuis pas toujours ce que je veux paroître.
Traftre , indigne , cruel , je fçais l'art impofteur
De cacher , mes défauts fous un dehors flatteur.
De contraſtes je fuis un horrible aſſemblage ,
A la fois haur , rampant , & conftant , & volage.
68 MERCURE DE FRANCE.
Souvent bon par hafard , toujours méchant par
goût.
Et , pour en peu de mots enfin te dire tout ,
Chef-d'oeuvre merveilleux du plus habile Maître ,
Je fais également , & le mal , & le bien.
Je te vois étonné de ne me pas pas connoître ;
Cher Lecteur ! connois -toi , l'Enigme n'eſt plus rien.
PASQUIER.
A UTR E.
Ox m'élève au -deffus du plus grand perfonnage:
Auffi quand je parois , je fais grand étalage' ;
Je fers un Maître ingrat , qui pour remerciment ,
Me brife chaque membre impitoyablement ,
Et divifant mon corps , en priſon me renferme.
S'il dépendoit de lui , j'y ferois un long terme.
Qui le croiroit , Lecteur ! contre toute raiſon ,
Quand il fait un beau tems , je reste à la maiſon
Par M. GISLAIN.
LOGO GRYPHE.
Prés du Temple de la Fuſtice ,
On a jetté mon fondement ;
Et pour maintenir la Police,.
AVRIL 1761:
De près je garde les méchans.
Ami , j'ai douze pieds , couds-les avec adreſſe ;
Tu trouveras d'abord , ce qui fert à la Meffe;
Deux Saints; un grain ; un poids ; un Général
Troyen ,
Qui porta fur fon dos le refte de fon bien ;
Le père de Théfée , une Nymphe fameufe ;
Un magafin à bled ; plus , une empoisonneufe;
Un inftrument de chaffe ; un petit animal ;
Un Orateur célèbre ; un précieux métals
Un météore blanc ; un genre de furie ;
De plus , un Dieu Marin ; un Comté d'Italie ;
Un Pays en Europe ; une fille à Cadmus ;
Celle enfin que garda le vigilant Argus.
Par M. P... de Châteauchinon , en Nivernois.
CINQ
AUTRE.
INQ lettres compofent mon être,
A leur arrangement ne change rien , Lecteur
Sous tes yeux tu verras paroître
Un ancien Roi , Juge , & Légiflateur.
Si tu veux changer ma ftructure ,
C'est ce que je laiffe à tes ſoins ,
Tu trouveras , retournant ma figure ,
Qu'en Latinje fuis tout , qu'en François je fuis
moins,
70 MERCURE DE FRANCE.
Autre combinaifon t'offre un des douze Apôtress
Une autre , un nom commun aux Ottomans
Si je voulois t'en donner d'autres ,
Je t'occuperois plus longtemps.
1
COURBETS SUR LA CHASSE
à mettre en Mufique .
QU'ENTE NS-JE? & quel bruit m'éveille !
Du Cor les charmans concerts
Ont enchanté mon oreille ,
Et fait retentir les airs.
Partons : L'Aurore nouvelle ,
Et la fraîcheur des Zéphirs ,
Tout nous rit , tout nous appelle ,
Tout nous invite aux plaifirs.
Que la Chaffe offre fans ceffe
De vrais & puillans appas !.
L'ennui , la fombre trifteffe
N'y peuvent fuivre nos pas.
Quand d'une courſe rapide
Nous traverſons les Forêts ;
Le plaifir toujours nous guide ,
Et ne nous quitte jamais,
J'aime un Courier magnanime
Qui , fier d'un fi noble emploi ,
AVRIL 1761 75
Part au fon du Cor , s'anime ,
Vole & chaffe autant que moi,
Dans cet exercice aimable,
Quand on a paffé le jour ,
Que le repos & la table
Ont de charmes au retour!
Que pour briller dans l'hiftoire
L'un falle tous les efforts ;
Qu'un autre laille la gloire
Et coure après les trésors ;
Nulle erreur , nulle foibleffe
Ne peut troubler mon repos ;
Je ne cours , je ne m'empreſſe
Qu'après des plaifirs nouveaux.
Le plus grand plaifir ennuie ,
Sitôt qu'on n'en change pas:
Nous envions l'ambroifie ; "
Les Immortels en font las .
Loin du féjour du tonnèrre
Souvent Diane aime mieux
Venir chaffer fur la tèrre ,
Que de refter dans les Cieux.
Les fept Sages de la Gréce
Me condamnent follement;
Je préfère à leur fagefle ,
La Raifon , le Sentiment
72 MERCURE DE FRANCE.
La vie eft longue & fâcheufe ,
Pour qui n'en fçait pas jouir :
Voulons-nous la rendre heureufe ?
Courons après le Plaifir.
Les Chaffes de toute eſpèce,
Demandent que le Chaffeur
Réuniffe en lui l'adrèffe,
Et la conftance à l'ardeur.
Vainement le plaifir paffe ,
Et s'enfuit commme le vent:
Quand on le fuit à la trace ,
On le retrouve fouvent.
Par M. L. L B ****.
ARTICLE
AVRIL 1761. 73
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE de M. MARMONTEL , à M.
DE LA PLACE , Auteur du Mercure ,
en lui envoyant un Effai de Traduction
du Poëme de LUCAIN.
O N ne me pardonne pas , Monfieur , le
bien que j'ai dit de Lucain . Il femble que
je l'aye mis au - deffus de Virgile ; on croit
avoir befoin de m'apprendre que l'Eneide
eft un plus beau Poëme que la Pharfale.
Oui fans doute , comme un Tableau de
Raphaël eft plus beau qu'un tableau du
Tintoret ; mais le Tintoret a une chaleur
que n'a pas Raphael ; Lucain à une véhémence
que n'a pas Virgile. On peut
faire la balance des Poëtes , comme on a
fait celle des Peintres . L'inégalité femble
être le caractére du génie ; un ouvrage
plein de génie peut donc être fort inégal
Lucain eft mort jeune , & la jeuneffe
eft l'âge où l'imagination nefait point
fe régler , l'âge où l'on fait de grandes
fautes , & où l'on produit de grandes
beautés . Voilà précisément ce que l'or
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE :
woit dans la Pharfale. Pour apprécier ce
Poëme, il faut le lire dans l'original ; mais
l'original a des longueurs , des négligences
qui rebutent. Comme il n'eft pas affez
châtié pour être mis au nombre des Livres
Claffiques, & qu'on ne lit guères dans
le monde que ceux des Auteurs anciens
que l'on a vus dans les Colléges , celui- ci
eft très - peu connu . On croit pouvoir en
juger par la traduction de Brébeuflaquel
le avec de beaux vers , eft infoutenable
à la lecture. On y trouve à chaque inf
tant des jeux de mots , des amplifications
puériles,des hyperboles qui choquent éga
lement le bon goût & le bon fens. On
ne doute pas que tout cela ne foit dans
l'original ; hé bien , Monfieur, le croirezvous
le plus fouvent il n'y en a pas un
mot , & je fuis en état , fi l'on veut ,
donner des preuves fans nombre. Cependant
l'on ne manque pas d'attribuer à Lu
cain toute l'enflure de Brébeuf; & le jugement
de Despréaux , qui n'avoit peutêtre
en vue que cette mauvaiſe copie , a
établi contre le Poëme Latin une prévention
générale. Telle eft la difpofition
où j'ai trouvé les efprits , lorfque j'ai eu la
franchife & le courage de le louer. C'étoit
donner beau jeu à la critique ; auffi m'a
t- elle bien reproché mon enthouſiaſme
pour Lucain. Il m'étoit facile de répondre
d'en
AVRIL 1761 . 75
par une longue differtation, que l'on n'au
roit pas lue ,ou qui n'auroit convaincu perfonne.
Au lieu de ce travail inutile, je me
fuis impofé celui d'une traduction libre ,
en profe, & dans le ſtyle poëtique.Le beau
moyen, me direz-vous , de juftifier l'éloge
que j'ai fait d'un Poëme, que de le préfenter
dépouillé de fes plus beaux ornemens !
l'harmonie, le coloris , la précifion , l'éner
gie , font perdus pour nous. Oui , Monheur,
mais le fonds ne l'eft pas. Il me reſte
encore les fentimens , les penfées , les
caractéres,& l'ordonnance des Tableaux,:
tout cela eft très- affoibli dans ma profe ,
je l'avoue, & cependant j'oſe croire qu'on
ne lira pas fans émotion les beaux endroits
que j'ai traduits : je fuis d'ailleurs foutenu
par un génie plein de feu & par le plus grand
fujet qu'on ait traité en poëfie. Enfin vous
le dirai-je ? en traduifant ce Poëme , j'ai
voulu éffayer, felon mes facultés , quelles
pouvoient être les reffources de notre
profe du côté de l'harmonie , & ceux qui
daigneront me lire avec attention , s'appercevront
du foin que j'ai pris , de choisir
des nombres analogues aux mouvemens
que j'avois à peindre .
2
Dans l'impoffibilité de rendre toutes
les beautés du Poëme de Lucain , je tâche
de me dédommager, en évitant du moins
Dij
76 MERCURE DE FRANCE
quelques- uns de fes défauts. On dira que
ce n'eft pas être traducteur fidèle ; je répondrai
qu'il n'y a que les belles chofes
qui méritent d'être traduites , & que le
défauts ne font bons à rien. Quand ou
veut connoître le fort & le foible d'ra
Auteur,il faut le lire dans fa langue. * Mon
deffein à moi feroit d'enrichir la nôtre
d'un bon ouvrage , reffemblant ou non as
Poëme de Lucain. Il y a deux façons de
copier un Tableau : ou celle de rendre
fervilement les beaux traits que l'on affoir
blit toujours, & les traits défectueux qu'on
exagére encore ; ou celle d'imiter les
beautés d'auffi près qu'il eft poffible , & de
s'éloigner le plus que l'on peut des défauts
de l'original. La première eft peut - être
du goût du plus grand nombre ; mais j'ai
cru devoir préférer celle- ci . Du refte je n'ai
pas eu la vanité de prétendre ajouter aux
beautés de Lucain ; & fi j'ai ofé toucher
quelquefois à mon modéle, ce n'a été que
pour en retrancher des morceaux foibles ou
fuperflus, à peu près comme on coupe d'un
arbre vigoureux quelques branches furabondantes.
Voici , Monfieur , un éffai de
mon travail : fi vous jugez qu'il mérite
* C'est ce que le Traducteur du Théâtre Angloïs
eût pû répondre à une Critique de quelques Piéces
de Shakespeare , que l'on met fous le nom de M.
de Voltaire . Cette note eft de l'Auteur du Mercure.
AVRIL. 19617
d'être préſenté au Public , je ferai flatté de
le voir inferé dans le Mercure , au fuccès
duquel je voudrois de bon coeur pouvoir
contribuer. J'ai l'honneur d'être &c.
LA PHARSALE.
LIVRE 1.
JE
E chanté cette guèrre , dont la Theffalie
fut le théâtre guèrre facrilege , qui
mit les loix aux pieds du crime; où l'on vit
un peuple puiffant tourner les mains victo
rieufes contre les entrailles , l'aigle s'avancer
contre l'aigle, deux camps unis par les
liens du fang divifer l'empire, & fe difputer
le coupable honneur de hâter fa ruine,
avec toutes les forcès du monde ébranlé.
O Citoyens , quelle fureur ! quel excès
de licence & de rage ! eft ce à vous d'af
fouvir la haine des Nations dans le fang
de votre Patrie? la fuperbe Babylone s'enorgueillit
de vos dépouilles ; l'ombre errante
de Craffus demande vangeance ; &
vous cherchez des combats , qui n'auront
jamais de triomphes ! quelles conquêtes
ne feriez -vous pas au prix du fang que
Vous allez verfer ? des régions où naît
le jour jufqu'aux bords où la nuit s'enfe
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
velit avec les étoiles , des climats brûlans
du Midijufqu'aux rivages glacés du Nord ,
Le Scythe , l'Arménien , les Peuples , s'il
en eſt , qui voyent naître le Nil , tout ſeroit
dompté. Alors , fi telle eft ton ardeur
pour une guèrre déteftable , ô Rome,
tourne tes mains contre toi- même. Mais
as-tu manqué d'ennemis ? Tes Villes d'Italie
s'écroulent fous leurs toits brifés ;
leurs murailles ruinées ne font plus que
des débris épars ; l'habitant folitaire eft
errant dans leur vafte enceinte ; l'Helpérie
dès longtemps inculte eft couverte de
ronces; les mains du Laboureur manquent
aux champs qui les demandent.
Ce n'eſt pas toi , farouche Pyrrus , ce
n'eft pas toi , fier Annibal , qui nous as
caufé tant de maux : le fer étranger ne
nous fit jamais de fi profondes plaies ;
ces coups partent d'une main domeftique.
Remontons à la fource de nos malheurs
c'eft m'ouvrir une carrière immenfe
.
Quelle eft la cauſe qui entraîne ce peuple
aux combats , & qui chaffe la paix de
la tèrre ? L'envieufe fatalité , l'arrêt porté
par les Deftins , que rien d'élevé ne foit
ftable , la chute qu'entraîne un trop pefant
fardeau , Rome que fa grandeur ac
cable.

AVRIL. 1761. 79
Ainfi lorfque les fiécles accumulés amé
neront l'inftant de la diffolution du Mon
de , tous les refforts de la Nature ſe briferont
, tout rentrera dans l'ancien cahos
: les Aftres confondus fe heurteront
avec les Aftres , la mer engloutira les
étoiles ; la terre refufera d'embraffer la
mer & la chaffera de fon lit ; l'ébranlement
univerfel de la machine en détruirà
l'ordre & l'accord,
L'exceffive grandeur s'écroule fur elles
même : c'eft le terme que les Dieux ont
mis à nos profpérités . La fortune n'a
voulur confier à aucune Nation du Monde
le foin de fa haine contre les Romains ;
c'eft toi , Rome , c'eft roi qu'elle a rendue
fous trois Tyrans l'inftrument de ta
ruine ; c'eft leur concorde impie & fatale
qui t'a perdue. Laiffez- nous- la , cruels ,
cette paix qui nous a rant couté. Pourquoi
la troubler ? Pourquoi courir aux armes
, & vous arracher les dépouilles de
l'Univers en bute à vos coups ?

Non , tant que la rerre portera les
caux , que l'air balancera la tèrre , que
les Aftres accompliront leurs révolutions
pénibles , il n'y aura jamais de fûreté en
tre affociés au pouvoir fuprême. L'autorité
ne veut point de compagne. N'emm
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
cherchons pas les exemples loin de nous ;
le Fondateur de ces murs les fouilla du
fang de fon frère ; & ce n'étoit pas l'empire
du monde qu'on fe difputoit avec
tant de fureur un hameau divifa fes
Maîtres.
On vit quelque temps régner entre
Pompée & Céfar , une paix orageuſe &
contrainte. Craffus , au milieu de ces deux
rivaux , tenoit la guèrre comme en fufpens.
Tel un Ifthme étroit foutient le choc des
deux mers qu'il fépare ; mais fi la tèrre fe
retire , les mers fe heurtent & fé confondent.
Ainfi la défaite & la mort déplorable
de Craffus en Affyrie, nous ont livrés à
nos propres fureurs. La victoire des Parthes
a déchaîné nos haines . Heureux Arfacides !
dans cette journée vos fuccès ont paffé
votre attente : vous avez donné la guèrre
civile aux vaincus.
L'Empire eft partagé par le fer , & la
fortune d'un Peuple puiffant , cette fortune
qui embraffe la tèrre , les mers , le
monde entier , ne peut contenir l'ambition
de deux hommes.
O Julie ! ô toi , que les cruelles Parques
ont enlevée au monde ; fi le deftin t'eût
laiflé vivre , tu aurois pû , à l'exemple des
Sabines , te précipiter entre ton pere
&
AVRIL 1761. 81
ton époux , les retenir, les défarmer , joindre
leurs mains dans tes mains pacifiques.
Seul gage de leur alliance , tu n'es plus !
les flambeaux de ton hymen , allumés fous
le plus noir aufpice , fe font éteints dans
le tombeau. Ta mort affranchit Pompée &
Céfar des liens de la foi jurée . Rien ne
s'oppofe plus à cette jaloufie impatiente
à cette émulation de gloire , qui les preſſe
de fes aiguillons.
Toi , Pompée , tu crains que l'éclat de
tes anciens travaux ne foit obfcurci par de
nouveaux exploits, & que la conquête des
Gaules n'efface tes triomphes d'Afie : cette
longue fuite de profpérités & d'hon
neurs te remplit l'âme d'un noble orgueil,
& ta fortune ne peut fe réfoudre à partager
le premier rang. César ne veut rien
qui le domine , Pompée ne veut rien qui
l'égale. Lequel des deux partis fut le plus
jufte ? Il n'eft pas permis de le fçavoir. Les
Dieux fe déclarent pour le vainqueur ,
mais Caton s'attache au vaincu . Du refte ,
l'on deux avoit trop d'avantage.
Pompée fur le déclin des ans ,amolli par
Le long ufage des dignités pacifiques , avoit
onblié la guerre au fein du repos ; tout
occupé de fa renommée , foigneux de
plaire à la multitude , pouffé par le vent
de la faveur populaire, & flatré de recueil
Dy
82 MERCURE DE FRANCE,
lir les applaudiffemens de fon Théâtre , il·
fe repofoit fur fon ancienne fortune fans
fe préparer des forces nouvelles. Il lui
reftoit l'ombre d'un grand nom.
Tel'au milieu d'une campagne fertile ,
on voit un chêne antique & fuperbe, chargé
des dépouilles des Peuples , & des trophées
des Guerriers. Il ne tient à la tèrre
que par de foibles racines ; fon poids feul
l'y attache encore . Il n'étend plus dans les
airs que des branches dépouillées : c'eſt
de fon bois , non de fon feuillage qu'il
couvre les lieux d'alentour . Mais quoiqu'il
foit prêt à tomber fous le premier
effort des vents , quoiqu'il s'élève autour
de lui des forêts d'arbres verdoyans &
robuftes, c'eſt encore lui feul qu'on révére.
Au nom , à la gloire d'un grand Capiraine
, Céfar joignoit une valeur qui ne
fouffroit ni repos , ni relâche , & qui ne
voyoit de honte qu'à ne pas vaincre dans
les combats. Plus la réfiftance eft opiniâtre
, plus il s'obftine à la forcer. On l'ambition,
ou le reffentiment l'appelle, c'eſt là
qu'il vole le fer à la main. Jamais le fang
ne lui coûte à répandre. Hârer fes fuccès
, les pourfuivre , faifir & preffer la
fortune qui le feconde , abattre tout ce
qui s'oppose à fon élévation , & s'applau
dir de s'être ouvert un chemin à trave
AVRIL. 1761 )- 833
des ruines ; telle étoit l'âme de Céfar.
Ainfi la foudre que le choc des vents
fait jaillit des nuages , brille & remplit:
l'air qu'elle preffe d'un bruit qui faittrem
bler le monde. Elle éclipfe le jour , répand
la terreur au fein des Peuples pâliffans
que les fillons de fa flamme éblouif
fent , frappe & détruit fes propres tem
ples , perce à travers les corps les plus
durs , marque fa chute & fon retour par
un vafte & foudain ravage , & raffemble :
fes feux difperfés.
Aux intérêts cachés de ces deux rivaux,.
fe joignoient les femences publiques de
difcorde qui ont toujours perdu les Etats
floriflans. Dès que Rome triomphante fe
fut enrichie des dépouilles du Monde ,,
que la profpérité eut corrompu les moeurs ,,
& que le brigandage eut amené le luxe ,,
la fomptuofité de nos Palais fut fans
bornes : notre goût dédaigna la frugalité
de nos pères : les hommes difputérent
aux femmes l'élégance de la parure : la
pauvreté , la mère des héros , fe vit reburée
& bannie ; fatale époque de la ruine
des Nations ! Ce fut à qui érendroit le
plus loin les limites de fes domaines on
vit les champs autrefois fillonnés par la
charrue des Camiles , les champs que la
bêche antique des Curius avoit défrichés,
D v
84 MERCURE DE FRANCE.
s'unir & former de vaftes campagnes fous
des poffeffeurs inconnus.
Ce Peuple n'étoit pas affez vertueux
pour goûter une paix innocente & fe repofer
fur fes armes victorieuſes dans le
fein de la liberté. De la corruption des
moeurs, on vit naître les haines promptes
à s'allumer. Le crime ne couta plus rien ,
follicité par l'indigence ; on mit l'honneur
fuprême à fe rendre plus puiffant que fa
patrie , fût- ce même le fer à la main .
De là le droit mefuré fur la force , les
Loix du Sénat & du Peuple violées , les
Tribuns rivaux des Confuls , les faiſceaux
enlevés à prix d'argent , le Peuple achetant
la faveur du Peuple , la brigue, cette
pefte publique , renouvellant tous les
ans dans le champ de Mars, l'enchère des
dignités vénales , l'ufure vorace & les
pactes ruineux , enfin la bonne foi chancelante
dans tous les coeurs , & la guèrre
civile devenue un befoin pour une foule
d'hommes perdus .
Déjà Céfar avoit franchi le fommet des
Alpes , l'efprit violemment agité , le coeur
plein de la guèrre future. A peine fut- il
arrivé au bord du Rubicon ; un fantôme
lumineux , & d'une grandeux effrayante ,
Jui apparut pendant la nuit : c'étoit l'ima
ge de la paisie. Elle étoit tremblante &
AVRIL. 1761. 85
confternée. De fon front couronné de
tours , les débris de fes cheveux blancs
tomboient épars fur fes membres dépouil
lés. Immobile devant lui , elle prononce
ces paroles entrecoupées de fanglots . » Out
» allez -vous , Romains ? où portez -vous
» mes enfeignes ? fi vous êtes juftes & ci-
» toyens, arrêtez : un pas de plus feroit un
crime. Elle dit : le coeur de Céfar eft faili
d'une foudaine horreur ; fes cheveux fe
dreffent fur la tête ; & la langueur dont
il eft abbattu enchaîne fes pas au rivage.
Mais bientôt rappellant fes efprits. » O
»Jupiter! (s'écria - t- il )O toi que mes ayeux,
» ont adoré dans Albe naiffante , toi qui
» du haut du Capitole , veilles aujourd'hui
» fur la Reine du monde ; Penates des
Phrygiens qu'Enée apporta dans l'Aufo-
"nie ; myftères faints de Romulus ; few
»facré du Temple de Vefta ; & toi , ma
» Divinité fuprême , ô Rome , fois favorable
à mes deffeins. Ne crois pas voir
Céfar te pourfuivre armé du flambeau
» des Furies ; vainqueur fur la tèrre &
fur les mers , il eft encore à toi ,
» le veux ; il eſt ton foldat , il le fera par-
» tout. Celui-là feul fera criminel qui
» fera de Céfar l'ennemi de Rome. A ces
mots , fans plus différer , il fit paler le
23
fleuve à fes troupes.
36 MERCURE DE FRANCE.
Tel dans les déferts de l'ardente Lybie
un Lion , dès qu'il apperçoit le chaffeur ,
s'arrête & femble héfiter . Mais c'eft alors
qu'il s'anime & qu'il rafflemble toute fa
fureur. Sitôt qu'il s'eft battu les flancs du
fouet meurtrier de fa queue , qu'il a dreffé
fa criniere ondoyante , & que le bruit
fourd du rugiffement a retenti dans fa
gueule profonde foit que le Maure lé ;'
ger lui darde fa lance ou l'enveloppe de
fes filets , il s'échappe en fe précipitant
fur le fer qui va le percer , réfolu d'en
recevoir l'atteinte.
Le Rubicon , foible dans fa fource ,
roule à peine fes eaux défaillantes fous
les fignes brûlans de l'été ; il ferpente au
fond des vallées , & fépare les champs de
la Gaule des campagnes de l'Italie . Mais
Thyver lui donnoit des forces : trois mois
de pluie avoient groffi fes ondes , & lest
neiges des Alpes fondues par l'humide
haleine du vent du Midi , l'enfloient en
core de leurs torrents.
la
Pour foutenir le poids des eaux ,
cavalerie s'élance la premiére, & dans fon
oblique paffage elle oppofe une digue a
leur cours. L'impétuofité du fleuve alors
fufpendue, permet aux bataillons de s'ou
vrir un chemin facile à travers les on
des obéiffantes. Déjà Céfar a franchi le
AVRIL 1761 . 8-7
fleuve ; il touche à la rive oppofée , &
dès qu'il a mis un pied rebelle dans l'Italie
interdite à fes voeux. » C'est ici , (dit-
» il ) c'est ici que je laiffe la paix & les loix
» déjà violées . Fortune , je m'abandonne
à toi. Plus de lien qui me retienne ;
" j'ai pris pour arbitre le fort , & la guèrre
»fera mon juge. A l'inftant , fon ardeur
infatigable preffe les pas de fes guerriers
à travers les ombres de la nuit , & le foleil
à peine avoit éffacé les étoiles , lorfque
Cefar entra menaçant dans les murailles
d'Ariminum . *
Le jour le léve , ce trifte jour qui doir
éclairer les premiers troubles de la guèrre.
Mais foit que les dieux ou les vents euffent
affemblé les nuages , leur voile funé
bre obfeurcit les airs , & déroba la lumiére
au monde.
Cependant les Soldats de Céfar s'étant
emparés de la place publique , il ordonne
que fes Etendarts y foient arborés ; &
àl'inftant le bruyant Clairon.la Trompet
te éclatante donnent le fignal d'une guèrreimpie
. Le Peuple s'éveille à ce bruit éffrayant
; les jeunes Citoyens arrachés au
fommeil, fe faififfent des armes fufpendues
autour de leurs Dieux domestiques , des
boucliers rompus , des lances émouffées ,
Rimini.
88 MERCURE DE FRANCE.
des glaives dévorés par la rouille , tels que
Les offre une longue paix.
Mais lorsqu'ils reconnoiffent les aigles
romaines , & qu'ils apperçoivent César au
milieu de fes légions , la frayeur enchaîne
leurs membres glacés , & ce n'eft qu'au
fond de leurs coeurs qu'une douleur muet.
te ofe former ces plaintes.
31
"
" O murs trop voifins des Gaulois , ร
combien de maux ( difoient - ils ) votre
» fituation nous condamne ! tous les Peu- .
ples jouiffent d'une profonde paix ; &
" nous , fi des furieux courent aux armes ,
» nous fommes leur premiére proie ', cette
» enceinte eft leur premier camp . Pour-
» quoi le fort ne nous a - t- il pas fait habiter
» des cabanes errantes fous le char brûlant
» du foleil , fous les aftres glacés de l'Our-
» fe, plutôt que de nous donner à garder
les Barriéres de l'Italie ? Que les Sén ons
"y pénétrent , que les Cimbres s'y répan
» dent , que les Carthaginois fondent du
» haut des Alpes , que les courfes & les
fureurs des Teutons défolent ces bords ,
» c'eſt par nous qu'ils commencent ; &
toutes les fois que la fortune , infulte
» Rome dans fes murs , c'est ici le chemin
de la guèrre.
"
32
Tels font les gémiffemens étouffés de
ce peuple. La crainte même n'ofe parer
AVRIL 1761. 89
tre & la douleur n'a point de voix, Le filence
de ces murs eft égal au filence des
Forêts, quand les oifeaux friffonnent tranfis
par les glaçons , & à celui de la pleine
mer quand le calme enchaîne les ondes .
La lumière du jour avoit diffipé les froides
ombres de la nuit , & Céfar balançoit
encore ; mais bientôt la Diſcorde , armée
de nouveaux feux, vient irriter fes reffentimens
, & le délivrer du frein de la honte .
Il femble que la fortune elle - même travaille
à juftifier fes projets & à fonder le
droit de fes armes.
Rome incertaine entre l'obéiffance &
la révolte, a vu le Sénat enhardi par l'impunité
du meurtre desGracques, chaffer les
Tribuns , au mépris des loix. Les Tribuns
fe réfugient fous les drapeaux de Céfar ,
& Curion les accompagne , Curion dont
l'éloquence vénale & hardie fut autrefois
l'organe du Peuple & de la liberté , Carion
qui ofa foulever ce Peuple contre l'autorité
menaçante des grands. Il trouve Cé-
Jar roulant dans fa penfée les foins divers
dont il eft occupé : il l'aborde & lui parle
en ces mots.
Си-
» Tant qu'on a permis à ma voix de
» s'élever en ta faveur , Céfar , nous avons
prolongé en dépit du Sénat le comman-
» dement qu'il t'envie. Alors j'avois le
1-
go MERCURE DE FRANCE.
droit de paroître dans la Tribune &
» d'entraîner vers toi les efprits d'une
» multitude flotante . Mais depuis que
la
» force a fait taire les loix , on nous chaf-
» fe du fein de nos Dieux , & pour nous
» l'exil n'a rien de pénible. C'eſt à toi ,
» c'eft à la victoire de rendre à Rome fes
» Citoyens. Hâre- toi , Céfar ; tout chan-
»
cele. Les partis oppofés au tien n'ont
» ni fermeté ni vigueur. Quand tour est
» prêt , pourquoi différer les délais ne
» peuvent que nuire. Les dangers qui te
»menacent ne font- ils pas les mêmes que
» tu as bravés tant de fois & combien
plus grand en eft le prix ? La Gaule , un
» coin de la tèrre, t'a couté dix ans d'une
» guèrre pénible ; ofe livrer quelques
» combats dont le fuccès eft facile & fûr ,
» Rome eft à toi & le monde avec elle.
» Ne crois pas que ton retour foit décoré
» des honneurs du triomphe : le Capitole
» n'attend pas tes lauriers. La noire envie,
» qui ronge fes coeurs , te refufe tout ; à
peine te pardonnera- t elle d'avoir dompté
les Nations ; le gendre a réſolu
d'éloigner le beau- Père du Trône . Tu ne
peux partager le monde ; mais tu peux
le pofféder feul.
و د
"
Tel qu'on voit un courfier impatient de
quitter la barrière , où tête baiffée il agi
AVRIL 1761 . or
te fon frein , devenir plus fougueux encore
dès qu'il entend le fignal ; tel , à la voix
de Curion , Cefar qui déjà refpiroit la guèrre
, s'enflamme d'une nouvelle ardeur. Il
commande , & fes Soldats armés accourent
en foule aux Drapeaux;il appaiſe d'un
regard leurs mouvemens tumultueax , &
de la main leur impofant filence : » Com-
"pagnons de mes travaux ( leur dit- il )
» Vous qui depuis dix ans n'avez ceffé de
vaincre avec moi , expofés à des périls
» fans nombre, voilà donc le prix de notre
» fang, de nos bleffures , de la mort de nos
» amis & des hyvers rigoureux que nous
» avons paffés fous les Alpes ? fi Annibal
» les traverfoit , cauferoit- il plus de trou-
» bles dans Rome ? on court aux armes
» on groffit les cohortes de nouveaux Sol-
» dats , les Forêts tombent des monta-
» gnes & le courbeut en vaiſſeaux ; l'or-
» dre eft donné de poursuivre César fur
s la tèrre & fur les mers. Que feroit- ce
» donc , fi vaincu moi même j'avois laiffé
le champ de bataille couvert de mes
» Drapeaux ? li je fuyois devant les Gau-
» lois s'ils me chaffoient le glaive à la
» main ? Lors même que la fortuneme ſeconde
, que les Dieux m'appellent au
» comble de la gloire , on ofe me défier !
35
qu'il vienne , ce Chef amolli par les dé92
MERCURE DE FRANCE.
lices de la paix , qu'il vienne avec les
» Soldats faits à la hâte , avec ces graves
patriciens , ce Marcellus qui harangue
fans ceffe , & ces Catons eux- mêmes ,
» noms impofans & vains ; qu'il vienne ,
» &voyons de quel droit des clients à
gage
» le raffafient depuis tant d'années d'une
autorité fans bornes , de quel droit il
a triomphé avant l'âge prefcrit par les
» loix , de quel droit il prétend ne dépo-.
» fer jamais les dignités une fois ufurpées.
» Vous dirai- je à quel excès il a porté l'a- .
» bus du pouvoir ? & qui de vous ignore.
» qu'il a tari pour nous, d'un bout du mon-
» de à l'autre , toutes les fources de l'abondance,
& appellé la famine à Rome
» pour fervir fon ambition ? n'avons- nous,
pas vû fes cohortes répandre l'éffroi
» dans le barreau ? une enceinte de glai-
» ves menaçans , appareil inconnu juſ
"
qu'alors , inveftir le Tribunal des loix
» & faire pâlir leurs Miniftres ? les Sol-
» dats s'ouvrir un paffage à travers l'affem .
blée des Juges? & les Satellites de Pompée
environner Milon avant qu'il fût ju-
» gé ? à préfent pour ne pas languir dans
>> une obfcure vieilleffe, il nous fufcite une
guèrre coupable , accoutumé qu'il eſt à
≫ porter les armes contre fon pays. Sylla
fon Maître l'inftruifit au crime ; il ira 39
AVRIL. 1761
>>
"
plus loin que Sylla . Dès que lesTigres ,
>> fur les pas de leurs mères , ont bu , dans
» les Forêts d'Hircanie le fang des trou-
» peaux égorgés, ils ne dépouillent jamais
» leur fureur . Toi Pompée , accoutumé au
» fang dont dégouttoit le glaive deSylla,
la même foif te tourmente encore ; &
depuis que tes lévres ont goûté ce breu-
» vage affreux , ton coeur en eft infatia-
» ble. Cependant quel fera le terme de ta
» puiflance & de tes forfaits? que du moins
» l'exemple deSylla t'apprenne à te laffer
» d'être un tyran . Après avoir defait les
» brigands de Cilicie , après avoir réduît
» Mithridate à joindre le fer au poifon ,
pour fe délivrer du fardeau d'une guèrre
qui l'accabloit , veux-tu couronner tes
» exploits par la ruine de Céfar ? & quel
>> eft fon crime? de n'avoir pas obéi quand
» tu lui ordonnois de dépofer les Aigles !
» mais fi tu me refufes le prix de mes tra-
» vaux , récompenfe du moins ces guer-
» riers blanchis fous les armes : ils ont
» longtemps combattu fans moi ; qu'ils
» triomphent fans moi , j'y confens , &
» qu'un autre paroiffe à leur tête. Où trat
» neront- ils , après la guèrre, les reftes d'u-
" ne vie languiffante ? où fera la retraite.
» des émerites ? l'apanage des vétérans ?
l'afylendes vieillards ô Pompée ', lear
94 MERCURE DE FRANCE.
و ر
préféres-tu des colonies de Pirates?
C'en eft trop , mes amis ; levez ces
» étendarts dès longtems victorieux,marchons
& fervons-nous des forces que
» nous ne devons qu'à nous- mêmes. A
celui qui fe préfente les armes à la
» main , refuſer ce qui lui eft dû , c'eſt
accorder tout ce qui lui eft poffible. Et
ne craignez pas que les Dieux nous
» manquent : ce n'eft point au pillage que
je vous méne , ni à l'Empire que je
» cours ; nous allons chaffer de Rome
les Maîtres fuperbes qu'elle eft prête à
» fervir.
Dès qu'il eut ceffé de parler,un long mur
mure, un frémiffement fourd répandu dans
la foule , exprima les mouvemens divers ,
dont les efprits étoient combattus.La piété
, l'amour du pays ne laiffoient pas que
d'attendrir ces âmes endurcies au carna
ge , & aveuglées par les fuccès ; mais leur
ardeur pour les combats , leur refpect pour
Céfar les entraîne.
Alors le Centurion Lélius , décoré de
tous les honneurs d'un brave émérite ,

lius couronné du chêne qui atteſte qu'on
a fauvé un citoyen dans les combats ,
fe
fait entendre , & dit à Céfar: » Arbitre
fuprême des deftins de Rome , s'il eſt
» permis à la verité de te parler par ma
"
AVRIL. 1761. 915
voix,nous nous plaignons que ta patien-
» ce ait fi long-tems enchaîné nos mains.
» As-tu ceffé de compter fur nous? quoi tandis
que le fang qui coule dans nos veines
» échauffe encore notre courage ,
& que
» nos bras robuftes font en état de lancer
» le javelot , tu ſouffriras l'aviliffement &
» la tyrannie du Sénat! eft- ce donc un malheur
fi grand que de vaincre fa patrie en
» combattant pour elle ? méne- moi chez
" les Scythes barbares ,fur les bords in-
» habités des Sirtes , dans les fables brû-
» lans de la Lybie ; je te fuivrai partout.
» Cette main, pour laiffer après toi l'Uni-
» vers fubjugué , n'a- t - elle pas fait blan-
» chir fous la rame les vagues irritées de
» l'Océan ? n'a- t- elle pas dompté le Rhin
fougueux , & fendu les tourbillons de
» fes eaux écumantes ? dès que tu com-
» mandes , rien ne m'arrête ; je dois pou-
» voir tout ce que tu veux, Celui que tes
" trompettes m'annoncent pour ennemi ,
n'eft plus un citoyen pour moi. Je le ju-
" re par ces drapeaux qu'ont fignalé dix
» ans de victoires ; je le jure par tous les
triomphes que tu, as remportés fur les
" Nations : tu m'ordonnes de plonger
mon épée dans le fein de mon frère ,
» dans la gorge de mon père , dans les
ונ
"
»
>> flancs de mon épouſe , au terme de l'en96
MERCURE DE FRANCE.
»fantement ; je frémirai , mais j'obéirai.
» Faut il dépouiller les autels , embrafer
» les temples ? j'y porterai la flâme. Veux-
» tu camper fur les bords du Tibre ? j'irai
» moi- même y tracer ton camp. Nomme
» les murs que tu veux rafer ; cette Ville
» fût- elle Rome , mes bras vont pouffer
» le bélier qui en difperfera les débris .
"
A ce difcours , toutes les cohortes applaudirent
, & leurs mains élevées s'offrirent
à Céfar, quoi qu'il falût exécuter. Le
bruit de l'acclamation fut égal au bruit
des forêts de la Thrace , lorfque l'impétueux
Borée le précipite & mugit contre
les rochers du mont Offa , & que les chênes
courbés jufqu'à leurs racines , relévent
leurs branches fracaffées , avec un long gemiſſement.
Dès que Céfar voit fes Soldats embraf
fer avec joie le parti de la guèrre où les
deftins fembloient l'appeller ; pour ne pas
laiffer ralentir fa fortune, il fe hâte de raffembler
les cohortes répandues dans les
campagnes de la Gaule , & d'inveftir Rome
de toutes parts.
Alors , s'avancent vers l'Italie celles de
fes Troupes qui campoient au bord du
Léman ; celles qui du haut des Voges contenoient
les Peuples de Langres ; celle
* Le Lac de Genève.
q+
AVRIL 1761, 97
qui occupoient la côte de Ligurie , où le
Port -hercule refferre la mer dans une enceinte
de rochers.
* Le Var , devenu par nos conquêtes
la limite de l'Italie , l'Ifére qui après de
longs détours fe perd dans un fleuve plus
renommé , le Rhône qui porte à la mer la
Saone enveloppée dans fes flots rapides ,
l'Aude tranquille , la Cinga vagabonde
l'Adour qui voit les deux rives s'étendre
& fe courber pour recevoir l'Océan , tous
ces fleuves s'applaudiffent de n'être plus
chargés des barques Romaines.
La même joie le répandit fur ce rivage ;
que la terre & la mer femblent fe difputer
quand le vafte Océan l'inonde & l'abandonne
tour-à - tour. Eft- ce l'Océan lui- même
qui de l'extrémité de l'Axe roule fes
vagues & les raméne ? eft- ce le retour périodique
de l'aftre de la nuit qui les foule
fur fon paffage ? eft - ce le foleil qui les attire
pour alimenter fes flâmes ? eft - ce lui
qui pompe la mer , & qui l'éleve jufqu'aux
cieux ? fondez ce myftere , vous qu'agite
le foin d'obferver le travail du monde.
Pour moi , à qui les Dieux t'ont cachée ,
Dans ce morceau j'ai tâché de rétablir l'ordre
géographique qui eft renversé dans l'original
, & je me fuis fervi des noms connus pour
épargner aux Lecteurs une recherche fatigante.
II. Vol.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
Caufe puiffante de ces grands mouvemens
je veux bien t'ignorer toujours .
Les Campagnes de Nîmes, celles du Médoc,
celles du Rouergue & de la Xaintonge,
font enfin délivrées du long féjour des
vainqueurs.Les Peuples, qui fur l'aride fom
met des Cévénes,habitent des rochers fufpendus
& menaçants , ceux de l'Auvergne,
qui, comme nous fe difent defcendans des
Troyens, ceux de Bourges & de Soiffons
agiles au combat de la lance , ceux de
Toul & de Rheims , connus par leur adreffe
à darder le javelot ; les Bourguignons ,.
célébres dans l'art de rendre les courfiers:
dociles ; & le Belge excellent Pilote , &
ceux du Hainaut , Peuple rebelle , & ceux
de Tréves , & ceux de Mayence , vêtus à
la manière des Scythes, & les Bataves fanguinaires
, dont la valeur s'eft animée au
fon perçant de l'airain tortueux ; tous le
félicitent de voir la guèrre paffer des Gaules
en Italie.
Vous refpirez en liberté , Peuples qui
verfez le fang humain fur les Autels de
Teutates , de Taranis & d'Héfus , Divinités
plus cruelles que la Diane de Tauride.
Vous recommencez vos chants , Bardes ,
qui confacrez par des louanges immortelles
, la mémoire des hommes vaillans qui
périffent dans les combats . Et vous , Drui
AVRIL. 1761.
୨୭
7.
des , vous reprenez vos rites barbares &
vos fanglants facrifices , que la guèrre
avoit abolis . Vous feuls fans doute avez
connu les Dieux , ou vous ſeuls les avez
méconnus. Vous célébrez vos mystères
dans des forêts ténébreufes ; vous prétendez
que les ombres ne vont point
peupler les demeures tranquilles de l'Étébe
, les fombres royaumes de Pluton ;
mais que nos efprits dans un monde nouveau
vont animer de nouveaux corps
La mort , à vous en croire , n'est que le
milieu d'une longue vie . Mais cette opinion
, fût - elle une erreur , heureux les
Peuples qu'elle confole ! Ils ne font point
tourmentés par la crainte du trépas , la
plus cruelle de toutes les craintes . De là
cette ardeur qui brave le fer , ce courage
qui embraffe la mort , cette honte atta
chée aux foins d'une vie que l'on ne perd
que pour un inſtant.
Ainfi la Gaule a vû les aigles Romaines
fe retirer vers l'Italie : les légions mêmes
deftinées à fermer aux Germains la barrière
de l'Empire , abandonnent les bords
du Rhin , & laiffent le monde en proie
aux Nations .
Les forces immenfes de Céfar taffemblées
autour de lui , l'ayant mis en état
de tout entreprendre , il fe répand dan
E ij
98 MERCURE DE FRANCE.
Caufe puiffante de ces grands mouvemens
je veux bien t'ignorer toujours.
Les Campagnes de Nîmes,celles du Médoc,
celles du Rouergue & de la Xaintonge,
font enfin délivrées du long féjour des
vainqueurs.Les Peuples, qui fur l'aride fom
met des Cévénes, habitent des rochers fufpendus
& menaçants , ceux de l'Auvergne,
qui, comme nous fe difent defcendans des
Troyens , ceux de Bourges & de Soiffons
agiles au combat de la lance , ceux de
Toul & de Rheims, connus par leur adreffe
à darder le javelot ; les Bourguignons ,.
célébres dans l'art de rendre les courfiers:
dociles ; & le Belge excellent Pilote , &
ceux du Hainaut , Peuple rebelle , & ceux
de Tréves , & ceux de Mayence , vêtus à
la manière des Scythes, & les Bataves fanguinaires
, dont la valeur s'eft animée au
fon perçant de l'airain tortueux ; tous fe
félicitent de voir la guèrre paffer des Gaules
en Italie .
Vous refpirez en liberté , Peuples qui
verfez le fang humain fur les Autels de
Teutatès , de Taranis & d'Héfus , Divinités
plus cruelles que la Diane de Tauride.
Vous recommencez vos chants , Bardes ,
qui confacrez par des louanges immortelles
, la mémoire des hommes vaillans qui
périffent dans les combats. Et vous , Drui
AVRIL. 1761.
99
des , vous reprenez vos rites barbares &
vos fanglants facrifices , que la guèrre
le
avoit abolis . Vous feuls fans doute avez
connu les Dieux , ou vous feuls les avez
méconnus. Vous célébrez vos mystères
dans des forêts ténébreufes ; vous prétendez
que les ombres ne vont point
= peupler les demeures tranquilles de l'Érébe
, les fombres royaumes de Pluton ;
mais que nos efprits dans un monde nouveau
vont animer de nouveaux corps
La mort , à vous en croire , n'eft que
milieu d'une longue vie. Mais cette opinion
, fût- elle une erreur , heureux les
Peuples qu'elle confole ! Ils ne font point
tourmentés par la crainte du trépas , la
plus cruelle de toutes les craintes . De là
cette ardeur qui brave le fer , ce courage
qui embraffe la mort , cette honte attachée
aux foins d'une vie que l'on ne perd
que pour un inſtant.
Ainfi la Gaule a vû les aigles Romaines
fe retirer vers l'Italie : les légions mêmes
deftinées à fermer aux Germains la barrière
de l'Empire , abandonnent les bords
du Rhin , & laiffent le monde en proie
aux Nations.
Les forces immenfes de Céfar taffemblées
autour de lui , l'ayant mis en état
de tout entreprendre , il fe répand dana
E ij
98 MERCURE DE FRANCE.
Caufe puiffante de ces grands mouvemens,
je veux bien t'ignorer toujours .
Les Campagnes de Nîmes , celles du Médoc,
celles du Rouergue & de la Xaintonge
, font enfin délivrées du long féjour des
vainqueurs.Les Peuples,qui fur l'aride ſom
met des Cévénes ,habitent des rochers fufpendus
& menaçants , ceux de l'Auvergne,
qui, comme nous fe diſent deſcendans des
Troyens , ceux de Bourges & de Soiffons
agiles au combat de la lance , ceux de
Toul & de Rheims, connus par leur adreffe
à darder le javelot ; les Bourguignons ,
célébres dans l'art de rendre les courfiers
dociles ; & le Belge excellent Pilote , &
ceux du Hainaut , Peuple rebelle , & ceux
de Tréves , & ceux de Mayence , vêtus à
la manière des Scythes, & les Bataves fanguinaires
, dont la valeur s'eft animée au
fon perçant de l'airain tortueux ; tous fe
félicitent de voir la guèrre paffer des Gaules
en Italie.
Vous refpirez en liberté , Peuples qui
verfez le fang humain fur les Autels de
Teutatès , de Taranis & d'Héfus , Divinités
plus cruelles que la Diane de Tauride.
Vous recommencez vos chants , Bardes
qui confacrez par des louanges immortelles
, la mémoire des hommes vaillans qui
périffent dans les combats . Et vous , Drui
?
AVRIL. 1761. 99
des , vous reprenez vos rites barbares &
vos fanglants facrifices , que la guèrre
avoit abolis . Vous feuls fans doute avez
connu les Dieux , ou vous ſeuls les avez
méconnus. Vous célébrez vos mystères
dans des forêts ténébreuſes ; vous prétendez
que les ombres ne vont point
peupler les demeures tranquilles de l'Érébe
, les fombres royaumes de Pluton ;
mais que nos efprits dans un monde nouveau
vont animer de nouveaux corps
La mort , à vous en croire , n'eft que le
milieu d'une longue vie. Mais cette opinion
, fût-elle une erreur , heureux les
Peuples qu'elle confole ! Ils ne font point
tourmentés par la crainte du trépas , la
plus cruelle de toutes les craintes . De là
cette ardeur qui brave le fer , ce courage
qui embraſſe la mort , cette honte attachée
aux foins d'une vie l'on
que ne perd
que pour un inftant.
Ainfi la Gaule a vû les aigles Romaines
fe retirer vers l'Italie : les légions mêmes
deftinées à fermer aux Germains la barrière
de l'Empire , abandonnent les bords
du Rhin , & laiffent le monde en proie
aux Nations.
Les forces immenfes de Céfar raffemblées
autour de lui , l'ayant mis en état
de tout entreprendre , il fe répand dana
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
I'Italie , & s'empare des Villes voifines de
Rome . Au jufte éffroi que fon approche
inſpire , la renommée ajoute fes rumeurs.
Elle annonce au peuple leur ruine infaillible
, & devançant la guèrre qui s'approche
à grands pas , fes voix innombrables
font occupées à femer l'épouvante . On dit
que des corps détachés ravagent Les fertiles
campagnes de l'Ombrie ; qu'une aîle
de l'Armée s'étend jufqu'aux bords où le
Nar coule dans le Tibre ; que Céfar luimême
à la tête de fes épais bataillons ,
s'avance fur plufieurs colonnes , environné
de toutes les aigles . On croit le voir , non
tel qu'autrefois,mais grand,terrible & plus
féroce que les barbares qu'il a domptés .
On croit le voir traînant après lui tous
ces Peuples répandus entre les Alpes &
le Rhin , qui arrachés du fein de leur patrie
, viennent aux yeux des Romains immobiles,
faccager Rome & venger Céfar.
Ainfi chacun par fa frayeur groffit le
bruit de l'allarme publique ; & fans cher
cher de preuve à leurs maux , ils craignent
tous ceux qu'ils imaginent.
Ce n'eft pas feulement le vulgaire , qui
fe fent frappé d'une aveugle terreur , le
Sénat , les Pères de la Patrie cherchent
leur falut dans la fuite , & par un decret
ils chargent les Confuls de veiller au foin
AVRIL 1761 . 101
de la guèrre. Alors ne fçachant de quel
côté la retraite eft la plus fûre , ou le danger
le plus preffant , ils vont où la frayeur
les emporte ; ils fe jettent au milieu d'une
multitude éperdue , & rompent ces longues
colonnes de fugitifs, dont le tumulte
retarde les pas. Il femble que la flamme
ait gagné leurs toits, ou que leurs maiſons
chancelantes menacent de s'écrouler fur
eux. C'eft ainfi qu'une foule égarée traverfe
Rome à pas précipités, comme fi l'unique
efpoir qui refte à ces malheureux
étoit de quitter leur patrie.
Tels,quand l'impétueux Aufter repouffe
la mer écumante loin des écueils de la
Lybie , & qu'on entend les mâts gémiffans
fe brifer fous l'éffort des voiles , le
Pilote & le Nocher s'élancent dans les
flors du haut de la poupe qu'ils abandonnent
, & fans attendre que le vaiffeau
foit entr'ouvert , chacun fe fait à lui- même
un naufrage. Tels les Romains abandonnant
leurs murs fuyoient au-devant
de la guèrre .
Aucun d'eux n'eft retenu ni par les
gémiffemens d'un père accablé de vieilleffe
, ni par les larmes d'une époufe défolée
, ni par fes Lares qu'il embraffe , &
qu'il appelle au fecours de fes jours menacés
; aucun ne s'arrête fur le feuil de
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
fa demeure ; aucun n'ofe attacher ſes regards
fur cette ville fi chérie , qu'il voit.
peut-être pour la dernière fois. L'irrévocable
torrent de la populace a pris fon
cours.
O qu'aifément les Dieux nous élévent
au comble du bonheur ! que malaifément
ils nous y foutiennent ! Cette ville habitée
par un Peuple innombrable , où fe
rendoient en foule les Nations vaincues.
& qui fembloit pouvoir contenir le genre
humain s'il étoit affemblé , des mains
lâches & tremblantes la laiffent en proie
à Céfar , l'abandonnent à fon approche !
Que fur des bords étrangers le Soldat
Romain foit invefti par un Ennemi qui le
preffe , un fimple foffe le met à couvert
des furprifes de la nuit ; un léger rempart
de gazon, fait à la bâte , lui affure fous la
toile un fommeil paisible ; & toi Rome ,
au premier bruit de la guèrre , te voilà
déferte : on n'ofe confier une nuit à tes
murs . Pardonnons - leur ces frayeurs mortelles
: Pompée fuyoit, qui n'eût pas tremblé
? Pour ne laiffer même aux efprits
confternés aucun éſpoir dans l'avenir ,
le
fort manifefta fa colére par les plus terribles
préfages . Les Dieux firent éclater
au Ciel , fur la terre & fur les mers mille
prodiges éffrayans.
AVRIL 1761 . 103
Cet aftre qui change la face des empires
, la Cométe déploya fa formidable chevelure
. Au milieu d'une férénité trompeuſe
, on vit les éclairs fe fuccéder rapidement
& fous mille formes diverſes ,
tantôt femblables à un javelot , tantôt à la
lumiére éparfe d'une lampe. La foudre
fans nuage & fans bruit , partit des régions
du Nord , & tomba fur le Capitole ; la
Lune , dont le difque arrondi réfléchiffoit
alors la pleine image du Soleil , pâlit toutà-
coup , frappée de l'ombre de la tèrre.
Le Soleil lui - même au plus haut de fa
courfe, s'enveloppant d'une noire vapeur,
plongea le monde dans les ténébres .
L'Ethna vomit des feux , mais fans les
lancer dans les airs : il inclina fa cime
béante , & répandit fon bitume enflammé
du côté de l'Italie. Caribde roula une mer
de fang. Les chiens de Sylla poufférent
des hurlemens lamentables. Cependant
le feu de Vefta s'échappe des Aurels &
fe partage en s'élevant , comme la flamme
du bucher des implacables enfans
d'Edipe. La Terre s'ébranle fur fes pôles
, & du fommet chancelant des Alpes
s'écroulent des monceaux de neige qu'avoient
entaffés les hyvers . Les Statues des
Héros verfent des larmes , celles des Lazes
expriment par leur fueur l'état péni-
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
ble où Rome eft réduite. Les femmes engendrent
des monftres , & la mére eſt
épouvantée de l'enfant qu'elle a mis au
jour. Les Miniftres facrés de Bellone &
de Cybelle , errans & furieux , les membres
déchirés , les cheveux épars, glacent
les Peuples par leurs cris lugubres. Les
urnes funéraires gémiffent ; un bruit horrible
d'armes & de voix fe fait entendre
dans les forêts ; les Peuples voisins de
Rome abandonnent les campagnes : l'effroyable
Erinnis couroit autour des murs
fecouant fa torche allumée , & fa chévelure
de ferpens. Au milieu des ténébres
& du filence de la nuit , on entendit le
fon des trompettes & un bruit égal aux
clameurs des combattans dans la fureur
de la mêlée ; l'ombre de Sylla fortit de
la tèrre & rendit d'effrayans Oracles ;
les Laboureurs épouvantés virent , au
bord de l'Anio, Marius brifer fa tombe &
lever fa tête du fein des morts.
On crut devoir , felon l'antique ufage ,
avoir recours aux devins d'Etrurie . Arons ,
le plus âgé d'entre eux , retiré dans les
murs folitaires de Lune , lifoit l'avenir
dans les directions de la foudre , dans le
vol des oifeaux , dans les entrailles des
victimes . D'abord il demande que l'on
jette dans les flâmes l'un de ces fruits mon
AVRIL. 1761. 105
ftrueux,que la nature égarée a formés dans
le fein de ce quadrupede , qu'elle condamne
à la ftérilité. Il ordonne aux Citoyens
tremblants d'environner les murs de Rome
& de les purifier par des luftrations ,
tandis que les Sacrificateurs en parcourent
les dehors , accompagnés de l'ordre inférieur
des Miniftres des Autels .Après eux
marche, à la tête desVeftales , le front ceint
des Bandelettes facrées , la Prêtreffe qui
feule a droit de voir le Palladium. Sur
leurs pas s'avancent les dépofitaires des
oracles & des livres de Sybilles , qui tous
les ans vont laver la Statue de Cibelle
dans les foibles eaux de l'Almon.Enfuite
venoient les Augures ,gardiens des oiſeaux
facrés & les chefs qui préfident dans les
Fêtes aux facrifices des feftins ; & les Prêtres
d'Apollon , & ceux de Mars qui portoient
en danfant les boucliers myftérieux ;
& le Grand- Prêtre de Jupiter , qu'on diſtinguoit
au voile attaché ſur fa tête majeftueufe.
Tandis qu'ils fuivent à pas lents les vaftes
détours de l'enceinte de Rome , Arons
ramaffe les feux de la foudre , & la tèrre
les reçoit dans fon fein avec un trifte &
profond murmure. Il confacre le lieu où
il les a cachés ; il fait améner au pied des
Autels un Taureau fuperbe, & commence
Ev
1:06 MERCURE DE FRANCE.
les libations. La victime impatiente fe dé
bat longtems pour le dérober au facrifice
; mais les Prêtres fe jettant fur fes
cornes menaçantes , lui font plier le genou
& préfentent fa gorge au couteau.Cependant,
au lieu d'un fang vermeil,un noir
poifon coule de fa plaie : Arons lui- même
en pâlit d'horreur . Il obferve la colère des
Dieux dans les entrailles de la victime; & la
couleur l'en épouvante. Il les voit couvertes
de taches livides & fouillées d'un fang
corrompu. Le foie nage dans cette liqueur
impure ; le poumon eft flétri , le coeur
abattu , l'enveloppe des inteftins déchirée
& fanglante ; & , ce qu'on ne vit jamais
impunément dans les flancs des animaux,
du côté funefte les fibres enflées palpitent
fur les veines ; du côté propice elles font
lâches & fans vigueur.
Dès qu'Arons a reconnu à ces marques
les préfages de nos calamités , il s'écrie :
» O Dieux ! dois- je révéler au monde tout
>> ce quervous me laiſſez voir ? Non , Jupiter,
ce n'eft pas a toi que je viens de
facrifier ; j'ai trouvé l'Enfer dans les
flanes de ce taureau. Nous craignons
d'horribles malheurs , mais nos malheurs
pafferont nos craintes. Fafle le ciel que
» ces lignes nous foient favorables , que
l'art de lire au fein des victimes foit
AVRIL. 1761 . 107
و ر
ز و د
trompeur, & que Tagès qui l'inventa nous
en ait impofé lui- même.
C'est ainsi que le vieillard étrufque envelopa
fes prédictons d'un nuage mystérieux.
Mais Figulus qu'une longue étude avoit ,
admis aux fecrets des Dieux , à qui les fages
de Memphis l'auroient cédé , dans la
connoiffance des étoiles & dans celle des
nombres qui réglent les mouvemens céleftes,
Figulus éleva fa voix : » Ou le monde
( dit-il) fe meut au hazard & les afres
vagabonds errent au ciel fans régle &
fans guide ; ou file deftin préfide à leurs
cours, l'Univers eft menacé d'un fléau
As terrible.La terre va -t- elle ouvrir fes abîmes
les cités feront - elles englouties ?
» verrons- nous les campagnes fteriles ? les
airs infectés ? les eaux empoisonnées?
» quelle playe, grands Dieux , quelle dé-
» folation nous prépare votre colére ? les
» jours malheureux répandus dans tous
» les âges fe font raffemblés en un feul.
» Si l'étoile de Saturne dominoit au Ciel,
» l'urne célefte inonderoit la tèrre d'un
déluge femblable à celui de Deucalion .
» Si le foleil frappoit leLion de la lumière ,
c'est d'un incendie univerfel que la tèrre
feroit menacée; l'air lui- même s'enflame-
» roit fousile char du Dieu du jour . Ni l'un
»» ni l'autre n'eſt à craindre. Mais toi, qui
Evj
08 MERCURE DE FRANCE.
» embrafes le Scorpion , terrible Mars,que
» nous réſerves- tu ? l'étoile de Jupiter eft
» à fon couchant , celle de Vénus luit à
» peine , le rapide fils de Maya languit
» & panche vers fon déclin . Mars , c'eſt
»toi feul qui occupes le Ciel . La rage des
» combats va s'allumer: le glaive confond
» tous les droits; des crimes qui devroient
» être inconnus à la tèrré , obtiennent le
» nom de vertus. Cette fureur fera de lon-
» gue durée. Hélas ! & pourquoi demander
>> aux Dieux qu'elle ceffe :la paix nous amé
» ne un tyran. Prolonge tes malheurs ,
» Rome ! traîne- toi d'âge en âge a travers
» des ruines: c'eft le feul moyen d'échaper
» au joug. Il n'y a plus de liberté
qu'au fein de la guèrre civile.
» pour
toi
JULIE , OU LA NOUVELLE HELOISE,
SECOND EXTRAIT.
N ous avons vû S. Preux partir avec
PAmiral Anfon. Son voyage dura quatre
ans , pendant lefquels il parcourut toutes
les Nations de la tèrre. On ne peut qu'applaudir
aux divers tableaux qu'il nous préfente
à fon retour , & aux peintures qu'il
nous retrace de ces différens Peuples.
AVRIL. 1761 109
و ر
"
J'ai vû dabord l'Amérique méridionale,
ce vafte continent, que le manque
» de fer a foumis aux Européens , & dont
» ils ont faitun defert pour s'en affurer
l'empire. J'ai vû les côtes du Bréfil , où
» Lisbonne & Londres puifent leurs tréfors
, & dont les Peuples miférables fou-
» lent aux pieds l'or & les diamans , fans
" ofer y porter la main.... J'ai vû fur les
» rives du Méxique & du Pérou , le même
fpectacle que dans le Bréfil ; j'en ai vû les
>> rares & infortunés habitans , triftes ref-
» tes de deux puiffans Peuples , accablés
» de fers , d'opprobres & de miſére , au
> milieu de leurs riches métaux , repro-
>> cher au Ciel en pleurant , les tréfors
» qu'il leur a prodigués ..... J'ai côtoyé
" prèfque toute la partie occidentale de
» l'Amérique , non fans être frappé d'ad-
» miration , en voyant quinze cens lieues
» de côtes ›
& la plus grande Mer du
» Monde , fous l'empire d'une feule Puif-
» fance , qui tient , pour ainfi dire , en fa
>> main , les clefs d'un hémisphère du
» globe.... J'ai vû la plus nombreuſe & la
>> plus illuftre Nation de l'Univers , fou-
» mife à une poignée de brigands ; j'ai
» vû de près ce Peuple célébre , & n'ai
plus été furpris de le trouver efclave.
"
"
» Autant de fois conquis qu'attaqué , il
110 MERCURE DE FRANCE.
99
fut toujours en proie au premier vena,
& le fera jufqu'à la fin des fiécles. Je
» l'ai trouvé digne de fon fort , n'ayant
>> pas même le courage d'en gémir. Lettré
, lâche , hypocrite & charlatan , par
"
"

»
lant beaucoup fans rien dire; plein d'ef
» prit fans aucun génie ; abondant en fignes
, & ftérile en idées ; complimenteur
, adroit , fourbe & fripon ; qui met
tous les devoirs en étiquettes , toute
» la morale en fimagrées , & ne connoît
» d'autre humanité , que les falutations
& les révérences..... J'ai vu l'Europe
tramportée à l'extrémité de l'Afrique ,
par les foins de ce Peuple avare, patient
& laborieux , qui a vaincu par le tems
» & la conftance , des difficultés que l'hé
roïfme des autres Peuples n'a jamais
pû furmonter. J'ai vû ces vaftes & malheureufes
contrées , qui ne femblent
» deſtinées qu'à couvrir la tèrre de trou
peaux d'efclaves. A leur vil afpect , j'ai
» détourné les yeux de dêdain , d'horreur
» & de pitié, & voyant la quatrième par
tie de mes femblables , changée en bêtes
pour le fervice des autres , j'ai gémi
d'être homme.
C'eft ainfi qu'à fon retour , S. Preuse
rend compte à Madame d'Orbe des détails
de fon voyage. Pendant fan abſence, Ma
AVRIL. 1761 : T14
dame de Wolmar avoit ouvert fon coeur à
fon mari , & ne lui avoit rien caché de
fes amours . Cette marque d'une confiance
extrême , ne fit que lui rendre fon
épouſe plus chère ; & il n'en conçut que
plus d'eftime pour S. Preux. Il l'invite à
venir demeurer avec lui ; & dès ce moment
il lui jure une amitié inviolable.
Nous ne décrirons point ici , d'après M.
Rouffeau , tout ce qui fe paffe dans le
coeur de S. Preux & de Julie , lorfque
ces deux Amans fe trouvent enſemble
après une fi longue abfence. Ce font là)
de ces détails qu'il faut lire dans le Livre
même. Il faut y voir également la
réception que fait à S. Preux M. de Wol
mar, la vie que le premier méne dans cette
maifon , la manière dont il fe comporte
avec le mari , la femme, les enfans. M. de
Wolmar le laiffe feul durant huit jours,
avec Julie;& pendant fon abfence il écrit,
à Madame d'Orbe :»De vous dire que mes
jeunes gens font plus amoureux que ja◄
mais , ce n'eft pas fans doute une merveille
à vous apprendre. De vous affurer
au contraire qu'ils font parfaitement
guéris , vous fçavez ce que peuvent la
» Raifon , la Vertu ; ce n'eſt pas là non
» plus leur plus grand miracle ; mais que
299
ces deux oppofés foient vrais en même
112 MERCURE DE FRANCE.
35
» temps ; qu'ils brûlent plus ardemment
» que jamais l'un pour l'autre , & qu'il ne
régne plus entre eux qu'un honnête at-
» tachement ; qu'ils foient toujoursamans,
» & ne foient plus qu'amis , c'eft, je pen-
» fe , ce à quoi vous vous attendez moins ,
» ce que vous aurez plus de peine à comprendre
, & ce qui eft felon
pourtant
» l'exacte vérité. Telle eft l'énigme que
» forment les contradictions fréquentes
» que vous avez dû remarquer en eux ,
» foit dans leurs difcours , foit dans leurs
» lettres.... Quand je dis eux , c'eft fur-
» tout le jeune homme que j'entens . Car
» pour Julie , on n'en peut parler que
و د
par conjecture ; un voile de fageffe &
» d'honnêteté fait tant de replis autour
» de fon coeur , qu'il n'eft plus poffible à
» l'oeil humain d'y pénétrer ; pas même
» au fien propre .... Pour votre ami , je
» lui vois encore tous les fentimens qu'il
» eut dans fa premiere jeuneffe ; mais
je les vois fans avoir droit de m'en offenfer.
Ce n'eft pas de Julie de Wolmar
» qu'il eft amoureux ; c'eft de Julie d'E-
» tange ; il ne me hait point comme le
poffeffeur de la perfonne qu'il aime ,
» mais comme le raviffeur de celle qu'il
» a aimée. La femme d'un autre n'eft
point fa maîtreffe ; la mére de deux en
AVRIL. 1761. 117
"
fans n'eft point fon ancienne écolière.
» Il eft vrai qu'elle lui reffemble beau-
" coup , & qu'elle lui en rappelle fouvent
» le fouvenir ; il l'aima dans le temps paf-
"fé ; voilà le vrai mot de l'énigme ; ôtez-
» lui la mémoire , il n'aura plus d'amour...
» Le tems où le féparérent ces deux amans ,
» fut celui où leur paffion étoit au plus
» haut point de véhémence . Peut - être
» s'ils fuffent reftés plus longtems enfemble
, fe feroient- ils peu-à- peu refroidis;
» mais leur imagination vivement émue ,
» les a fans ceffe offerts l'un à l'autre ,
» tels qu'ils étoient à l'inftant de leur fé-
» paration. Le jeune homme ne voyant
point dans fa maîtreffe les changemens
» qu'y faifoit le progrès du temps , l'ai-
» moit telle qu'il l'avoit vue , &non pas
» telle qu'elle étoit . Pour le rendre heu-
» reux , il n'étoit pas queftion feulement
» de la lui donner , mais de la lui rendre
» au même âge , & dans les mêmes cir-
» conftances où elle s'étoit trouvée au
» temps de leurs premieres amours . La
"
moindre altération à tout cela , étoit
» autant d'ôté du bonheur qu'il s'étoit
promis . Elle eft devenue plus belle ;
» mais elle a changé ; ce qu'elle a gagné ,
tourne en ce fens à fon préjudice ; car
» c'eſt de l'ancienne & non pas d'une au
714 MERCURE DE FRANCE.
tre , qu'il eſt amoureux . Nous avons cité
ce grand morceau , parce qu'il nous a
paru contenir des idées très fubtiles, trèsneuves
, & en même temps très- vraies.
Nous ne rapportons rien de plufieurs lettres
très- longues fur la maniere de faire
valoir les biens de campagne , de gouverner
les domeftiques , fur la façon de traiter
les mendians & d'élever les enfans .
Ce font autant de Traités trop étendus
pour être cités en entier , & qu'on affoibliroit
en voulant les analyfer.
L'abfence de Wolmar penfa couter cher
à Julie. Sa maifon n'étoit pas éloignée du
lac,& Madame de Wolmar aimoit les promenades
fur l'eau . Elle y invita S. Preux,
& le vent pouffa le bateau vers les rochers
de Meillerie. C'étoit dans ce défert que
S. Preux étoit allé pleurer dix ans auparavant
, fes premieres peines caufées par
l'amour. C'est là qu'il avoit paffé des jours
fi triftes & fi délicieux , uniquement occupé
de la maîtreffe , dont il avoit été obligé
de fe féparer. Il avoit toujours defiré de
revoir cette retraite ; l'occafion de vifiter
ce lieu fi chéri , avec celle dont l'image
l'habitoit autrefois avec lui , fut le motif
de fa promenade . Il fe faifoit un plaifir de
montrer à Julie d'anciens monumens d'ume
paffion fi conftante & fi malheureuſe.
AVRIL. 1761 . If
"
Il n'eut pas de peine à l'y conduire . Il la
mena vers les rochers où fon chiffre étoit
gravé dans mille endroits ; en les voyant
il éprouva combien la préfence des objets
peut ranimer les fentimens violens dont on
fut agité.Ses diſcours fe reffentent de cette
véhémence : » & Julie , lui dit- il , voici les
lieux où foupira jadis pour toi , le plus
" fidéle amant du monde. Voici le féjour
» où ta chère image faifoit fon bonheur! ...
» fille conftamment aimée , ô toi , pour
qui j'étois né , faut-il me retrouver avec
" toi dans les mêmes lieux , & regretter le
»tems que j'y paffois à gémir de ton ab-
» fence ? » il alloit continuer ; mais Julie
lui prit la main , la ferta fans mot dire
& le regarda avec tendreffe, retenant avec
peine un foupir ; puis tout-à- coup détournant
la vue , & le tirant par le bras :
" allons-nous- en , mon ami , lui dit-elle ,
» d'une voix émue ; l'air de ce lieu n'eft
» pas bon pour moi. » Ils partirent en gémiffant
, mais fans fe parler ; & S. Preux
quitta ce trifte réduit , comme il auroit .
quitté Julie elle- même. Ils rentrérent dans
le bateau ; & là cet amant défefpéré rouloit
dans fon efprit des projets funeftes : fe
trouver auprès de Julie , la voir , la toucher
, lui parler , l'aimer , l'adorer , tout
cela lejettoit dans des accès de fureur &
TIG MERCURE DE FRANCE.
de rage, qui l'agitoient par degrés jufqu'au
défefpoir.Dans fon tranfport il fut violemment
tenté de la précipiter avec lui dans
les flots , & d'y finir dans fes bras fa vie &
fes tourmens. Cette horrible tentation devint
à la fin fi forte , qu'il fut obligé de
quitter brufquement la main de Julie ,
pour paffer à la pointe du bateau. Là fes
vives agitations commencérent à prendre
un autre cours ; un fentiment plus doux
s'infinua peu- à- peu dans fon âme ; il fe mit
à verfer des torrens de larmes , & l'attendriffement
furmonta le défeſpoir.
Le retour de M. de Wolmar rétablit
le calme dans le coeur des deux Amans.
Les foins domeftiques furent pour Julie
une diſtraction néceffaire ; & les converfations
entre M. de Wolmar , fa femme
& S. Preux fur des matieres de morale ,
éloignoient toutes les idées de l'amour.
Une de ces converfations roule fur l'éducation.
C'eft un Traité complet, où l'Auteur
expoſe fon fyftême fur un fujet auffi
important. Mais un point plus intéreffant
encore occupoit le coeur de Julie . Son
époux , qui ne négligeoit rien pour la
rendre la plus heureufe de toutes les femmes
, étoit la caufe d'un chagrin qui la
dévoroit . Cet homme fi fage , fi raifonnable
, fi loin de toute efpéce de vice , ne
AVRIL 1761 TI
croyoit rien de ce qui donne un prix aux
vertus ; & dans l'innocence d'une vie irréprochable
, il portoit au fond de fon
coeur l'affreufe paix des méchans. La réfléxion
qui naît de ce contrafte augmente
la douleur de Julie. Quel tourment pour
une tendre époufe , de vivre avec celui
qui partage fon exiſtence , & de ne pas
partager l'espoir qui la lui rend chère !
de fonger que le bonheur de celui qui
fait le fien , doit finir avec fa vie , & de
ne voir qu'un réprouvé , dans le pére de
fes enfans ! Un jour que l'entretien étoit
tombé fur des matiéres de religion
s'apperçut que Julie avoit difparu.
» De-
» vinez où elle eft , dit M. de Wolmar ?
» Sans doute , répondit S. Preux , elle eſt
» allée donner quelque ordre dans le
ménage. Non , reprit le mari , fuivez-
" moi , & vous verrez fi j'ai bien deviné.
On fe mit à marcher doucement ; on arriva
à la porte du cabinet de Madame de
Wolmar ; elle étoit fermée . On l'ouvrie
brufquement ; quel fpectacle ! on vit Julie
"
à
3 on
genoux , les mains jointes & toute en
larmes. Elle fe léve avec précipitation ,
s'éffuyant les yeux , fe cachant le vifage ,
& cherchant à s'échapper. Son mari ne
lui laiffa pas le temps de fuir. Il courut
à elle avec une efpéce de tranſport
,
18 MERCURE DE FRANCE.
» Chère époufe! lui dit-il en l'embraffant,
» l'ardeur même de tes voeux trahit ta
', caufe ; que leur manque
-t-il pour être
» éfficaces ? Va , s'ils étoient entendus
» ils feroient bientôt exaucés. Ils le feront
, lui dit-elle d'un ton ferme &
perfuadé . J'en ignore l'heure & l'occafion.
Puiffé-je l'acheter aux dépens de
» ma vie. Mon dernier jour feroit le mieux
> employé .
ود
Cette lettre très touchante eft fuivie de
plufieurs autres qui ne contiennent que
des détails domeftiques,jufqu'au départ de
S. Preux pour fuivre Milord Edouard en
Italie. Un rêve effrayant qu'il fait le premier
jour pendant la route , remplit fon
âme des idées les plus funeftes . Il croit voir
Julie au lit de la mort , le vifage couvert
d'un voile qu'il s'efforce en vain d'écarter.
Il s'éveille , fe rendort une feconde & une
troifiéme fois , & toujours ce fpectacle lugubre,
toujours ce même appareil de mort.
Sa frayeur eft fi forte , qu'il ne peut la
vaincré étant éveillé. Croyant avoir vu
Julie pour la derniére fois , il revient fur
fes pas , pour s'affurer qu'elle vit encore ;
il s'approche de la maifon de Madame de
Wolmar; il marche le long des murs du
jardin ; il l'entend parler avec Madame
Orbe ; il diftingue fa voix ; & il s'en reAVRIL.
1961: 113
tourne honteux de fon illufion . Il continue
fon voyage jufqu'à Rome avec Milord
Edouard qui avoit eu la complaifance de
fe prêter à fa foibleffe , pour diffiper le
frayeurs qui l'agitoient. Pendant fon abfence
, Julie propofe à Madame d'Orbe ,
qui avoit perdu fon mari , de fe remarier
avec S. Preux. Elle fait la même propofition
à ce dernier , qui lui répond : » ce
» n'eft pas affez que votre adorable coufine-
" foit aimée ; elle doit l'être comme vous.
>> Le fera- t- elle ? le peut- elle être , & dé-
" pend- il de moi de lui rendre fur ce point
» ce qui lui eft dû ? Ah ! fi vous vouliez
" m'unir avec elle , que ne me laiffiez - vous
» un coeur auquel elle infpirât des ſenti-
» mens nouveaux , dont il lui pût offrir
les prémices ! .... D'un ami tendre &
» reconnoiffant , elle auroit fait un mari
vulgaire ; gagneroit elle à cet échange ?
" Elle y perdroit doublement ; fon coeur
délicat & fenfible fentiroit trop cette
perte; & moi, comment fupporterois je
le fpectacle continuel d'une trifteffe dont
je ferois la caufe, & dont je ne pourrois
la guérir. Hélas ! j'en mourrois de dou-
» leur avant elle . Non , Julie , e ne ferai
point mon bonheur aux dépens du fien;
» je l'aime trop pour l'époufer . Mon bon-
2)
"
33
heur ! non ; ferois-je heureux , en ne la
A20 MERCURE DE FRANCE
"
» rendant pas heureufe ? L'un des deux
» peut-il fe faire un fort exclufif dans le
» ménage les biens , les maux n'y font-
" ils pas communs , malgré qu'on en ait ;
» & les chagrins qu'on fe donne l'un à l'au-
»tre , ne retombent - ils pas toujours fur
» celui qui les caufe? je ferois malheureux
» par les peines, fans être heureux par fes
>> bienfaits .
Tandis que Julie projettoit le mariage
de S. Preux & de Madame d'Orbe , M.
de Wolmar avoit d'autres vues fur ce jeune
homme. Son intention étoit de l'attirer
dans fa maiſon, de l'y fixer, & de lui confier
l'éducation de les enfans. Madame
d'Orbe devoit auffi y établir la demeure ;
& Milord Edouard avoit promis de venir
augmenter cette petite fociété ; mais la
mort de Julie , cette mort trop prévue
par le rêve de fon amant , vint déranger
tous ces projets . Dans une partie de
campagne, où Madame de Wolmar s'étoit
rendue avec toute fa famille , un de fes
enfans fit un faux pas, & tomba dans l'eau.
Julie qui l'apperçut , partit comme un
trait , & s'élança après lui . Elle fe débattit
en le ferrant entre fes bras. Il fallut du
tems pour les retirer. Le faififfement , la
chûte , l'état où elle étoit , tout concou
roit à faire craindre pour fa vie. Tous les
fecours
AVRIL. 1761. 121
fecours furent inutiles ; & le récit de fa
mort arrache des larmes. C'eft le fujet.
d'une lettre très - longue , mais très - touchante
que M. deWolmar écrit à S. Preux.
Julie laiffa en mourant une lettre pour ce
dernier , cette lettre n'étoit point cachetée
; elle avoit prié fon mari de la lire.
& de l'envoyer à S. Preux, s'il le jugeoit à
propos.En la rapportant ici , on verra dans .
quelle difpofition cette tendre Julie avoit
toujours été à l'égard de fon amant .
» Tout eft changé , lui dit elle : fouffions
>> ce changement fans murmure ; il vient
" d'une main plus fage que nous. Nous ne
fongions qu'à nous réunir ; cette réunion
" n'étoit pas bonne . C'eft un bienfait du
"Cielde l'avoir prévenue. Je me fuis long-
" tems fait illufion . Cette illufion me fut
» falutaire ; elle fe détruit au moment que
» je n'en ai plus befoin. Vous m'avez cru
"guérie, & j'ai cru l'être . Rendons grace
» à celui qui fit durer cette erreur autant
qu'il étoit utile'; qui fait fi me voyant fi
» près de l'abîme , la tête ne m'eût point
» tourné. Oui , j'eus beau vouloir étouf-
» fer le premier fentiment qui m'a fait
"
"
"3
vivre ; il s'eft concentrédans mon coeur ;
" il s'y réveille au moment qu'il n'eft plus
" à craindre il me foutient quand mes
" forces m'abandonnert ; il me ranime
II . Vol.
F
122 MERCURE DE FRANCE.
"
quand je me meurs. Je fais cet aveu
» fans honte ; ce fentiment refté malgré
» moi fut involontaire ; il n'a rien coûté à
» mon innocence : tout ce qui dépend de
» ma volonté fut pour mon devoir ; fi le
» coeur qui n'en dépend ppaass,,ffuutt pour vous,
» ce fut mon tourment , & non pas mon
» crime. J'ai fait ce que j'ai dû faire ; la
» vertu me refte fans tache , & l'amour
» m'eſt reſté fans remords. J'ofe m'ho-
» norėt du paffé ; mais qui m'eût répondu
» de l'avenir ? Un jour de plus , peut-être ,
» & j'étois coupable ! ... Toutes les épreu-
» ves ont été faites ; mais elles pouvoient
» trop revenir.... Je pars au moment fa-
" vorable , contente de vous & de moi....
Après tant de facrifices , je compte pour
» peu celui qui me refte à faire. Ce n'eft
» que mourir une fois de plus .... Adieu ,
» adieu... Hélas ! j'achève de vivre comme
j'ai commencé ; j'en dis trop peut- être
» en cemoment où le coeur ne déguiſe plus
» rien . Eh pourquoi craindrois- je d'expri-
» primer tout ce que je fens? Ce n'eft plus
» moi qui te parle ; je fuis déjà dans les
» bras de la mort ; quand tu verras cette
» lettre , les vers rongeront le vifage de
» ton amante & fon coeur , où tu ne feras
plus. Mais mon âme exiſteroit- elle fans
» toi ? Sans toi quelle félicité goûterois - je?
>>
>>
8
39
AVRIL. 1761. 123
Non je ne te quitte pas ; je vais t'atten-
» dre. La vertu qui nous fépare fur la ter-
» re , nous unira dans le féjour éternel . Je
» meurs dans cette douce attente ; trop
» heureuſe d'acheter au prix de ma vie ,
» le droit de t'aimer toujours fans crime ,
» & de te le dire encore une fois !
Dans cette même lettre Julie parloit
encore à S.Preux de fon mariage avec Madame
d'Orbe. Celle- ci invite cet amant défolé
à venir prendre foin de l'éducation
des enfans de Madame de Wolmar ; c'eft
un devoir que leur mere lui a impoſé
avant que de mourir : mais à l'égard du
mariage propofé , voici ce que Madame
d'Orbe dit a S. Preux? » Je fuis ingénue &
franche ;je ne veux rien diffimuler. J'ai
eu de l'amour pour vous , je l'avoue :
peut-être en ai - je encore. Peut- être en
» aurai-je toujours ; je ne le fçais ni ne
veux le fçavoir ; mais voici ce que j'ai
» à vous dire : c'eft qu'un homme qui fut
» aimé de Julie , & qui pourroit fe réfou-
» dre à en aimer une autre , n'eſt à mes
yeux qu'un indigne & un lâche , que je
» tiendrois à déshonneur d'avoir pour
ami. Et quant à moi , je vous déclare
que tout homme , quel qu'il puiffe être,
qui déformais m'ofera parler d'amour
ne m'en reparlera de fa vie. C'est par
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
cette lettre que finit le Roman de M,
Rouffeau , qui joint l'utilité de la morale ,
à l'intérêt des fituations .
LETTRE de M. d'ALEM BERT ,
M. RAMEA Y.
Vous m'avez fait l'honneur , Monfieur,
de m'adreffer une longue Lettre par la
voie de l'impreffion ; fouffrez que je me
ferve de la même voie pour vous adreffer
ma réponſe , ou plutôt mon récépiffe . Je
ne fuis guères dans l'ufage de répondre à
ce qu'on écrir contre moi , fi ce n'est pour
donner de tems en tems , & feulement
en matiere grave , des démentis très -laconiques
à des hommes fans conféquence
, qui ne méritent pas qu'on leur replique
autrement. Vous êtes fait , Monfieur ,
pour être diftingué à tous égards de cette
efpéce de gens- là , qui fe mêlent pourtant
de vous louer , apparemment pour avoir
quelquefois rajfon . La grande & jufte réputation
dont vous jouiffez , & l'eftime
incére que j'ai pour vous , m'engagent à
ne pas demeurer dans le filence à votre
égard. Mais comme ce font , je vous l'avoue,
les feuls motifs qui me déterminent
une réponse , trouvez bon que je la dif
AVRIL 1961 .
fére de quelques mois . Il s'eft paffé trois'
ans entre la publication du feptiéme volume
de l'Encyclopédie , & la critique'
que vous venez de faire de quelques articles
de Mufique que j'ai inférés dans ce
volumé ; permettez qu'engagé dans d'autres
occupations , je mette quelque intervalle
entre vos objections & ma replique .
Elle paroîtra, je l'efpére, bien avant la fin
de cette année , dans une nouvelle édition
que je prépare de mes élémens de Mufique
fuivant vos principes. Vous y verrez ,
Monfieur , que l'Académie des Sciences
n'a point été compromife , en approuvant
d'après mon rapport , ce qu'il y a réellement
d'utile , de neuf & d'excellent dans
vos recherches für la Mufique ; vous y
verrez que cette approbation très méritée
ne l'engageoit point , ni moi non plus ,
à adopter des opinions plus que finguliéres
que vous avez hazardées depuis , & auxquelles
elle n'a point donné & ne donnera
jamais fon fuffrage. Enfin , Monfieur ,
puifque vous l'exigez , je répondrai ( uniquement
par égard pour vous ) à tous les
articles de votre Lettre qui me paroiffent
le mériter tant foit peu ; car il en eft quelques-
uns für lefquels je demeurerai opiniâtrément
muet, malgré toutes vos inftances.
Je ne pourrai jamais me réfoudre , par
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
exemple , à vous prouver férieufement que
la Géométrie n'eft pas fondée fur la Mufi
que ; encore moins à examiner avec vous,
fi Pythagore a dû intéreffer la nature en faveur
du nombre 7 plutôt qu'en faveur du
nombre 3. &c. &c. Voilà , Monfieur , des
queftions fur lesquelles je vous demande ,
ou plutôt au Public , la permiffion de garder
le filence ; & je me flatte que le Public
au moins me l'accordera. Je ferai de
mon mieux pour vous fatisfaire fur les autres
points; mais ce fera, Monfieur , contre
vous ſeul, & non contre des Ecrivains que
vous devriez engager à fe taire , que j'aurai
l'honneur de combattre . On vient de
de me dire qu'un Journaliste qui n'a pas
la plus légère teinture de ces matiéres &
de beaucoup d'autres , & qui ignore , je
ne dis pas la Mufique & la Géometrie
mais l'Arithmétique & la Gamme , s’aviſe
de prononcer entre - nous . Cela n'eft
rifible . J'ai l'honneur d'être , &c.
que
AVRIL 1761 . 127
REPONSE de M. RAMEAU à la Lettre de
M. D'ALEM BERT , qu'on vient de ·
lire.
N₁I vous , Monfieur , ni votre Académie ,
ne pouvez être compromis , dans ce que j'ai
publié depuis ma Démonftration du principe
de l'harmonie . Mais comment vous juf
tifierez vous , auprès d'elle , d'avoir fappé
dans le feptiéme volume de l'Encyclopédie ,
jufqu'aux fondemens de cette démonftration
, où elle reconnoît , fur votre rapport,
& fur votre fignature, que le principe , que
j'y propofe, eft puifé dans la nature même,
que la Science , qui en découle , eft plus
géométrique &c. & que les principes mathé
matiques peuvent s'y appliquer ? vous êtes
auffi laconique fur vos torts que diffus dans
vos critiques.Pouvez- vous me reprocher la
longueur d'une Lettre qui répond à deux
articles qui paffent les bornes d'un Tome
entier ? Il n'y a point d'articles dans cette
Lettre fur lefquels vous ne deviez vous juſtifier.
Vous vous condamnez d'avance , en
difant que vous ne pouvez vous réfoudre à
prouverférieufement que la Géométrie n'eft
pas fondée fur la Mufique. C'est justement
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.

là où tous les Géomètres ont pris le change
avec Pythagore . Ont- ils pû rien décourvrir
dans la Mufique par leurs calculs , qui
ne foit plein d'erreurs , comme la fuite
le prouvera mieux encore que je ne l'ai fait,
lorfque par la Mufique , j'ai découvert les
vrais principes de la Géométrie eſt- ce le
nombre qui fai divifer le Corps fonore ? ce
nombre n'eft qu'un fimple figne pour indi
quer la divifion ; où telle confonnance eft
engendrée : ne cherchez donc pas à tourner
en ridicule ce qui pourroit tourner à la honte
du Géomètre. Je croyois la difpute aſſou
pie fur la Mufique ; je vous cédois volontiers
le champ de bataille fur des opinions
répandues , par ci par - là , qui ne peuvent
faite imp effion que fur des oreilles peu
formées à l'harmonie : & fi l'on ne m'eût
poin averti , fur la lecture de mes nouvelles
Reflexions &c que je trouverois
beaucoup à décompter dans votre Encyclopédie,
je l'ignorerois encore . Mais quelle a
été ma ſurpriſe , quand l'ai vû que vousmême
, vous aviez fcellé votre propre condamnation
contre votre propre fignature !
Je vous ai plaint Monfieur ; mais l'amitié
que j'eus toujours pour vous , & dont je
vous ai donnné des preuves , ne s'en eft que
d'autant plus réchauffée : elle me perfuade
même que vous ne tarderez pas à ouvrir les
AVRIL. 1761 . 129
yeux fur une pareille contradiction avec
vous même. Voyez ce que j'entreprens fur
le champ , dans cette espérance. Quand on
eft plein de fa matiére , on ne remet pas
au lendemain.
SOURCE où , vraisemblablement , on a dû
puifer la premiere idée des Proportions ,
de leur nombre , auffi bien que du nombre
des termes dont elles font composées ,
par conféquent des Progreffions qui en
font une fuite , & furtout du plus ou
moins de perfection dans les différens
fapports.
S'IL 'IL ne peut naître en nous d'idées que des
objets qui frappent nos fens , on ne peut
guéres difconvenir que de tous les objets
que nous offre la Nature , le Corps fonore
ne foit l'unique où l'idée d'une proportion
puiffe fe présenter au moment que ce corps
réfonne . Les trois fons différens qu'on y
diftingue prennent un tel empire fur l'oreille
, qu'on a cru ne pouvoit leur donner
d'abord , pour preuve des charmes qu'ont
én éprouvé , un titre plus éminent que celui
d'harmonie . Bientôt après , réfléchif
FW
130 MERCURE DE FRANCE.
I I
fant for ce que les rapports qu'ont entre
eux les fons d'une pareille harmonie , devoient
naturellement conduire à d'autres
connoiffances , on affocia au titre d'harmo
nie celui de Proportion . Elle donne en effet
, par fon renversement , la proportion
arithmétique , favoir 1. d'un côté , &
5. 3. 1. de l'autre , fans qu'on puiffe attribuer
à celle- ci le droit que la premiere a
fur elle , eût- elle été découverte la premiere.
(a) On aura beau prêcher en faveur
de l'analyſe , où la plus grande grandeur eft
regardee comme principe. Ce principe s'y
perd de vue , non feulement dans 5. 3. 1.
ou bien 1.3.5 . fi l'on veut , où l'harmonie,
( baze de tout ce qui eft réputé dans la
plus grande perfection ) eft renversée ; &
l'ordre des tierces , qui compofent ce
qui conftitue cette harmonie même , eft
changé , mais encore par les millions &
milliards aufquels on cft fouvent obligé de
po : ter ce principe . Le principe de tout eft
un; ( b) rien ne s'offre à nos fens qui n'en
foit émané : tous les produits font autant
de conféquences qui peuvent nous faire
pénétrer par la fimple voie de la fynthèfe ,
fans qu'il en coûte aucun éffort d'imaginaeſt
( a ) Queſtion décifive p.228 . dans les nouvelles
réfléxions &c . à la fuite du Code de Mufique- pratique.
( ~ ) Ibidem. Introduction . p. 189.
AVRIL. 1761. F3
pas
tion , dans les fecrets les plus compliqués.(c)
C'eft grand dommage qu'on ne fe foit
fervi d'une voie auffi fimple pour nous inftruire
combien de gens à talens ne s'y feroient-
ils pas livrés , lorfque rebutés par
les difficultés de l'analyfe , à peine s'en
trouve - t - il un entre mille Géomètres ?
Sans toucher , néanmoins , à la gloire de
Ceux qui favent fe diftinguer de la foule :
autre chofe eft d'inventer ou de fuivre des
régles données .
Avec ces deux proportions qu'on vient
de reconnoître dans la réfonnance du
Corps fonore , l'harmonique , dont le renverfement
produit l'Arithmétique , remarquons
le foin qu'a pris la Nature pour en
faire diftinguer la Géométrique : cet entrelacement
des moindres termes dont l'effet
fenfible , avec les plus grands , condamnez
en apparence au filence, pour nous prévenir
fur leur identité ; ( d ) ne croiroit- on pas
( c ) Ibidem. p . 214. Je ne tiens que de ce prin-
'cipe des lumiéres qui ont cependant échappé aux
plus grands Géomètres. Ce qui me reste à dire
prouvera bien que fi ces grands hommes euffent
eu de meilleurs yeux , ils ne fe feroient point éga
rés dans la multitude des produits , dont la fource
eft l'unité égarement qui les a fait prononcer
enfin d'une maniere dont ils auront peine a fe
juftifier. Ibidem. p. 229. & 230...
(d) Ibidem. Développement &c. p. 193. ju
qu'à 197.
F vi
132 MERCURE DE FRANCE.
volontiers que cela dût paffer notre intelligence
, puifque nul ne s'en eft encore ap-
´perçu jufqu'à ces derniers jours : de plus ,
ces mêmes termes , ou nombres , produits
par des confonnances , dans le même ordre
de perfection où l'on en conçoit de
moins en moins les rapports : (e ) voir ces
mêmes confonnances établir toutes les proportions
, en déterminer le nombre qui ſe
réduit à trois , y compris l'Arithmétique ,
provenant du renversement de l'Harmonique
, & déterminer en même tems le nombre
des termes qui les compofent , & qui
fe réduit également à trois , tant par l'en
trelacement annoncé , que par la réfonnance
des Aliquotes du Corps fonore , qu'il
borne à fon voir , d'un autre côté , les
Chinois fonder leur fyftême de Mufique
fur la progreffion triple , qu'ils difent avoir
connue 2277 ans avant Jefus Chrift : voir
enfuite Pythagore former le fien de différens
rapports trés de cette même progref
Gion : voir enfin les Tétracordes conjoints ,
antérieurs au fyftême de ce Philofophe ,
émaner directement d'une proportion tri-
´ple... où trouver des moyens qui appro
chent de ceux- ci , pour faire naître en nous
ces idées dont la péculation ait pû tirer
:
( e ) Ibidem. Dans là Lettre à M. d'Alembert..
P..3..
AVRIL. 1761. 13
quelques avantages ? On l'a bien fenti , on
n'a rien négligé pour découvrir dans la Mu
fique cette fource de vérités tant defirée ,
qu'on n'appercevoit encore nulle part;mais
on s'y eft mal pris : & pour s'en difculper ,
on a cru devoir en attribuer la faute à la
choſe même , après avoir trouvé , par de
fréquens & longs tâtonnemens , de quoi
remplacer, en partie , ce tout , cette unité
même dont ces parties font produites . La
fuite va vous jetter , Monfieur , dans la
plus grande furprife fur l'aveuglement , fur
les contradictions même où font tombés
tous les Auteurs qui ont traité de la Mufique
jufqu'à ce dernier moment , faris
qu'on doive m'en excepter ; quoique dans
ma Démonftration , comme auffi dans mes
Nouvelles Réfléxions , j'entame la queſtion
affez heureusement en ma faveur..
Lafuite , au Mercure prochain.
1
AVI S.
L'AUTE 'AUTEUR de l'ouvrage intitulé let
Monde , étant forcé de l'abandonner après
le fecond Volume , avertit les perfonnes
qui lui avoient fait l'honneur de foufcrire ,
qu'on leur remettra ce qu'il leur revient
134 MERCURE DE FRANCE.
de l'argentqu'elles ont donné, en renvoyant
feur quittance à fon Bureau ; chez M. Rollin
, Quai des Auguftins , où l'on trouvera
les huit Vol. du Nouveau Spectateur , & les
quatre du Monde comme il eft , & du Monde
, à raifon de 40 f. brochés en les prenant
tous douze à la fois , ou de so f. fi on les
prend féparément.
Les raifons de M. de Baftide, en abandonnant
fon Ouvrage , font de celles que
le Public ne peut jamais refufer de prendre
pour excufe : il lui a été défendu de
fe fervir plus longtemps des fecours qu'il
lui avoit été d'abord permis de fe procurer.
M. de Baftide n'a pas voulu tromper le Public,
en continuant feul un ouvrage auquel
des hommes célèbres devoient travailler ,
& dont il ne devoit être que l'Editeur . Il
efpére que fon exactitude lévére le juftifiera
aux yeux de ceux qui lui avoient fait
l'honneur de foufcrire.
EXTRAIT du Projet de Paix perpétuelle
de M. l'Abbé de S. Pierre , par J. J.
Rouffeau , Citoyen de Genève , in-12
avec une Eftampe de M. Cochin . Prix ,
1 liv. 4 f. broché . Se trouve à Paris , chez
Bauche , Quai des Auguftins , Duchefne ,
rue S. Jacques , & Lambert , rue de la Comédie.
1761.
AVRIL. 1761 . 135.
OBSERVATIONS & Réfléxions fur la colique
de Poitou , ou des Peintres ; où l'on
examine & l'on tâche d'éclaircir l'Hiftoire ,
la théorie , & le traitement de cette maladie
. Premiere Partie , contenant l'histoire
& l'explication d'une colique métallique
& fingulière . Par M. Combalufier , Docteur-
Régent & ancien Profeffeur de Pharmacie
de la Faculté de Médecine en l'Univerfité
de Paris, & Médecin de celle de
Montpellier. Volume in- 12. Paris, 1761 .
Chez Debure l'aîné , quai des Auguftins ,
du côté du Pont S. Michel , à S. Paul .
Avec Approbation & Privilége du Roi .
,
JOURNAL HISTORIQUE de la campagne
de Dantzick , en 1734. Par M *** alors
Officier dans le Régiment du Blaifois . in-
12. Amfterdam , 1761. Et le trouve à Paris
, chez P. Al. le Prieur Imprimeur-
Libraire ordinaire du Roi,rue S. Jacques ,
àl'Olivier.
L'AMI DES FILLES , in - 12 . Paris , 1761 .
chez Dufour , Libraire , au milieu du
quai de Gêvres , à l'Ange gardien , à l'ancien
fond de Cuiffatt.
DOUTES propofés à l'Auteur de la théo
136 MERCURE DE FRANCE.
rie de l'Impôt , par M. Peffelier . in- 12 . &
in -4° . Paris , 1761. Chez Bauche , Libraire
, quai des Auguftins .
Le même Libraire vient auffi de mettre
en vente un Ouvrage intitulé Flora Galto-
Provincialis , avec figures. C'eft un
gros in 8° . qui paroît bien fait.
BIBLIOTHEQUE ASCÉTIQUE , ou Sentimens
des SS. Peres & des Auteurs Eccléfiaftiques
fur les plus importans Sujets de
la Morale Chrétienne. Par le R.P.Jérôme,
Procureur - Général de la Congrégation
des Auguftins Réformés de France . Tome
Premier,contenant le Baptême & la Confirmation
, in- 12 . Paris , 1761. Chez Guil
Laume Defprez , Imprimeur du Roi & du
Clergé de France , rue S. Jacques , à S.
Profper & aux trois Vertus ; & chez l'Auteur
, Place des Victoires . Prix , 2-1. 10 f
relié.
RÉFLEXIONS & Avis fur les défauts &
les Ridicules à la mode , pour fervir de
fuite aux confeils à une Amie. Par Mde de
Puifieux. In- 12. Paris , 1761. Chez la
veuve Brunet , Imprimeur - Libraire de
l'Académie Françoife , grand falle du Palais.
L'HUMANITÉ , ou le Tableau de l'Indi
AVRIL. 1761 . 137
gence , trifte Drame , par un Aveugle Tartare.
In 8 ° . 1761. Se trouve à Paris , chez
Prault -petit -fils , Libraire , Quai des Auguſtins
, à l'Immortalité.
OBSERVATIONS fur les vertus des différentes
espéces de Solanum , qui croiffent
en Angleterre , avec des remarques fur
l'ufage de la Salle pareille , du Mercure
& de fes préparations. Par M. Bromfeld
Pere , Premier Chirurgien de S. A R. la
Princefle Douariere de Galles , & des Hôpitaux
de S. George & de Lock. Ouvrage
traduit de l'Anglois , par M. Bromfeld le
fils , Docteur en Médecine de l'Univerfité
de Padoue , & Membre de la Société Britannique
de Florence . In - 1 2. Paris, 176 t,
Chez P. Alex. Le Prieur , Imprimeur Libraire
ordinaire du Roi , de l'Académie
Royale & du Collège de Chirurgie , rue
S. Jacques , à l'Olivier.
To
138 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES et belles-lettres.
ACADÉMIES.
LETTRE à l'Auteur du MERCURE
DE FRANCE.
Dijon , 23 Mars 1761.
DEPUIS EPUIS longtemps , Monfieur , la Ville
de Dijon eft en poffeffion de fournir aux
différentes Académies de Paris , des Philofophes
& des Sçavans d'un mérite diftingué.
En parcourant les Faftes de l'Académie
Françoife, j'y vois avec plaifir qu'elle
a tiré du fein de ma patrie un Demofthè
ne , deux Varrons , un Sophocle & un
Ariftote à ces traits caractériſtiques ,
vous reconnoiffez , fans- doute , le grand
Boffuet , M. de la Monnoye , le célébre
préfident Bouhier , M. de Crébillon & M.
de Buffon. Mais tous mes Compatriotes
font touchés , je vous l'avoue , Monfieur ,
de ce que cette illuftre Compagnie , en
réparant les pertes qu'elle vient de faire ,
n'a pas encore adopté M. l'Abbé Leblanc ,
dont les lumiéres & les talens font affez
AVRIL. 1761 . 139
J
*
connus dans la République des Lettres .
Sa Tragédie d'Aben- Said a paru & reparoîtra
toujours avec fuccès fur le Théâtre
François les éditions multipliées & les
diverfes traductions de fes Lettres , où
il met en parallèle , d'une maniére fi ingénieufe
& fi intéreffante , les François avec
les Anglois , prouvent évidemment l'accueil
favorable que le Public a fait à fon
ouvrage. Si les éloges du plus fincère ami
n'étoient pas toujours fufpects , je pourrois
encore produire d'autres témoignages
en fa faveur ; mais je me borne aux
* Lettres d'un François &c. LA HAIB ( Paris ,chez .
Jacques Barois , ) 1745. La feconde Edition a été
imprimée à LONDRES chez Vaillant , 1747. La
troifiéme , à AMSTERDAM , aux dépens de la Compagnie,
1749 , fous ce nouveau titre , Lettres de M.
Abbé le Blanc , fur le Gouvernement , la Politique
&c. La quatriéme à AMSTERDAM ( à Paris
chez Prault ) 1751. La cinquième avec des changemens
& des additions confidérables qui ne ſe
trouvent dans aucune des Editions précédentes à
Lyon chez Aimé de la Roche , 1758. Avec Approbation
& Privilége du Roi.
On connoît deux Traductions de ces Lettres ,
l'une en Anglois , Letters on the English and French
Nations ; by Mons : l'Abbé le Blanc , two yol
in 80. LONDON , Printed for Brindley &c. 1748 ,
l'autre en Italien : Lettere Critiche del fignor Abbate
le Blanc & c . In PARIGI ( à Venife. ) A fpefen
dé Remondini di Veneſia 1753 .
140 MERCURE DE FRANCE.
fuffrages mêmes de l'Académie Françoife
dont le partage , dans l'un des derniers
concours , tint fi longtemps l'élection en
balance entre lui & fon concurrent. D'ail
leurs , M. l'Abbé Leblanc , ayant été ad
mis dans la plupart des Sociétés Académiques
d'Italie , & furtout dans celle de
la Crufca , dont les travaux ont tant de
rapport avec ceux de l'Académie Françoife
; n'a- t- il pas acquis le droit de préten
dre dans la Capitale du Royaume , aux
mêmes honneurs qu'il a reçus des Sçavans
étrangers un homme de Lettres eftimé
& recherché par unSouverain qui honore
& cultive lui- même les Sciences , qui encourage
& récompenfe les talens , qui
connoît & protége le vrai- mérite , peut
bien , ce me femble , fur un titre auffi
glorieux , fe flatter d'une jufte confidération
dans fon propre pays. Je me fouviens
Monfieur , d'avoir vu autrefois dans un
Journal politique , une Lettre de M.
de Maupertuis , où il propofoit de la part
du Roi de Pruffe à M. l'Abbé Leblanc ,
d'aller fixer fon féjour à Berlin , avec l'af-.
fûrance d'y être comblé des bienfaits de
"
*
* Voyez l'Avocat pour & contre , No. VII , mois
de Décembre 1746. Ces Feuilles périodiques , qui
S'imprimoient pendant la derniere guèrre à Amf
Berdam , étoient compofées par M. Rouffel
AVRIL. 1761 . 140
Sa Majesté. La Képonſe à cette invitation
m'ayant paru auffi fage que refpectueuſe ;
j'ofe, par l'intérêt que je prends à la réputation
de mon compatriote& de mon ami ,
vous prier , Monfieur , d'inférer ces deux
Lettres dans le prochain Mercure . J'ai
l'honneur d'être avec une refpectueufe
eftime , Monfieur , votre très - humble &
très obéiflant ferviteur MICHAULT , Se-.
crétaire de l'Académie des Sciences &
Belles - Lettres de Dijon .
-
LETTRE de M. de MAUPERTUIS ,
Président de la Société Royale de Berlin,
à M. l'Abbé LE BLANC.
V
Berlin , 15 Février 1746.
ous m'avez entierement oublié , mon
cher Abbé ; pour moi , je penſe toujours
à mes amis . Un grand & très grand Roi ,
voudroit avoir auprès de lui un honnête
homme 1 °. 2 °, un homme d'efprit & de
talens , 3. un homme de bonne compagnie
. M'ayant fait l'honneur de s'adreffer
à moi pour lui trouver ces trois hommes ,
je lui ai dit que vous les étiez . Voyez
maintenant fi vous les voulez être à Berlin?
je ne vous dis rien de ce féjour,parce que
142 MERCURE DE FRANCE.
j'aurois l'air d'un enjolleur ; je ne vous dis
rien du Prince, parce que j'aurois l'air d'un
exagérateur , quand je ne vous dirois que
la plus exacte vérité ; je ne vous dis rien
du plaifir que j'aurois de vous y voir
parce que je crois que vous le favez.
Faites y vos réfléxions ; dites - moi quelle
penfion vous demanderiez , & quelles
conditions pour votre voyage.N'obmettez
pas que le Roi a une grande multitude dé
Bénéfices Catholiques ; & que vous feriez
le feul Eccléfiaftique Romain qui fût à fa
Cour.
Réponſe prompte , pofitive , & que je
puifle faire voir au Roi. Votre &c. Mau
pertuis.
REPONSE.
Paris , ro Mars 1746.
Ai reçu , Monfieur , avec toute la reconnoiffance
poffible laLettre que vous m'avez
fait la grace de m'écrire , Lettre auffi
flatteufe pour l'amour propre, que capable
de tenter un homme fans fortune; & je vous
ai l'obligation de l'événement le plus glorieux
de ma vie. Un grand Prince me fait.
l'honneur de m'appeller à fa Cour ; mais
c'eft fur les idées trop avantageufes que
vous lui avez données de moi , & j'aurois
peine à les foutenir .
AVRIL 1761. 14)
Moi , qui ai été exprès en Angleterre
pour chercher des hommes ; avec quel
plaifir n'irois- je pas voir & admirer un
Roi Philofophe , le Protecteur des Lettres
& des Arts & que l'on peut nommer à
jufte titre le Salomon du Nord ? mais vous
connoiffez depuis longtemps ma façon de
penſer ; je tiens à ma patrie , & je n'ai de
regrets que de ne lui pas être plus utile
que je le fuis. Je fens toute la perte que
nous avons faite en vous , & je vous regarde
comme une conquête que ce fage
Monarque a faite fur la France , & qui
augmente l'éclat de fes conquêtes militaires
. Pour moi , Monfieur , en oppofant,
autant que je le puis , le courage à l'infortune
, je fuffis à un état qui ne fuffiroit
pas à d'autres , & fans être heureux ,
je fuis content.
Je fuis François , comme je l'ai fait
voir par les trois volumes de Lettres
que je viens de donner au Public ; & ce
qui me le rend encore plus , c'eft l'avantage
de vivre fous un Prince l'amour dé
fes Peuples , qui égale la douceur de fa
domination à l'étendue de fa puiffance ,
& dont le règne fait tout à la fois la gloire
& le bonheur de la Nation Françoife.
Votre &c. l'Abbé LEBLANC.
144 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
AGRICULTURE.
ECLAIRCISSEMENS fur les Défrichemens
, Par M. le Marquis de
TURBILLY.
LE nombre de ceux qui travaillent à
mettre en valeur dés tèrres incultes , & le
goût pour ces fortes d'entreprifes , augmentant
tous les jours ; on m'a demandé
plufieurs éclairciffemens à ce fujet : je me
fuis fait un devoir de les donner , autant
qu'il a dépendu de moi. J'ai pensé qu'il
étoit à propos de rapporter ceux qui m'ont
paru les plus intéreffans , à la fuite de la
troifiéme Edition de ma Pratique des Défrichemens.
Ceséclairciffemens contiennent de nouveaux
détails :
Sur la maniére de placer les gazons, pour
qu'ils féchent aifément .
Sur la façon d'écobuer , ou de peler les
terreins
AVRIL 1961 ;
743
terreins enfriche , dans lesquels on rencontre
defortes productions fauvages , entremê
lées d'autres moins confidérables .
Sur les précautions à prendre , quand on
fait brûler un défrichement , fitué dans le
voifinage d'un bois , ou de quelqu'autre endroit
combustible.
Et fur les attentions qu'on doit avoir ;
lorfqu'onfe fert tant de la Sonde , que de
L'Ecobue.
Je vais traiter fucceffivement , chacun
de ces articles , dans l'ordre ci- deſſus .
Manière de placer les Gazons , pour qu'ils
féchent aisément.
Lorfque les Journaliers employés à écobuer
, lévent les gazons , comme je l'ai
marqué dans mon Ouvrage , ils ont foin
de les pofer de façon qu'ils portent d'un
bout les uns deffus les autres ; mais s'ils
craignent qu'ils ne féchent pas affez vîte
dans cette pofition , ainſi qu'il arrive fouvent
, ils doivent en ce cas , les mettre
d'un feul tems avec leurs Ecobuës , par petits
tas de trois , quatre ou cinq l'un fur
l'autre , fuivant leurs divers degrés d'épaiffeur
, & la quantité de matiére combuftible
ou végétale qu'ils contiennent.
L'air paffant entre ces gazons , qu'on
place soujours la chevelure en deffus , les
II. Vola
G
146 MERCURE DE FRANCE.
pénétre & les féche bientôt , principale
ment s'il fait du hâle ; il ne faut cependant
point attendre qu'ils foient trop fecs , pour
les mettre en fourneaux , & y allumer le
feu , parce qu'il brûleroienr trop , & trop
vite , ils ne produiroient pas alors autant
de cendre , ni d'une auffi bonne qualité ,
que quand les gazons brûlent lentement.Il
eft une jufte proportion à cet égard, qu'on
apprendra facilement par la pratique.
Quelquefois on arrange les gazons fur
bout , deux à deux , appuyés l'un contre
l'autre , enforte qu'ils forment une espéce
de toît , avec du vuide deffous , & leur
chevelure par- deffus ; mais cet arrangement
allonge l'ouvrage & coûte davanta
ge. Il n'eft bon que pour les marais ou les
prairies qu'on défriche , & qui confervent
encore de l'humidité.
Façon d'écobuer , ou de peler les terreins en
friche , dans lefquels on rencontre de
fortes productions fauvages , entremêlées
d'autres moins confidérables.
Quand j'ai dit dans l'Ouvrage déjà cité ,
qu'avant de défricher un terrein , il falloit
fe délivrer des groffes racines , je n'ai entendu
parler , comme je l'ai obfervé , que
de celles qui empêchoient l'effet de l'Ecobue
, & nullement des autres , que cet
AVRIL. 161 . 147
outil tranchant pouvoit couper on l'aiguiſe
même de tems en tems fur la pierre ,
quand il en eft beſoin , pour cet effet. Les
ajoncs de la petite eſpèce , la lande &
bruyere ordinaire , le petit houx , les jeunes
pieds d'épine & de geniévre
ronce , le genêr , & généralement toutes
les productions fauvages point trop fortes ,
doivent partir avec les gazons qu'emporte
l'Ecobue , ainfi que je l'ai marqué .
la
A l'égard des ajoncs de la grande efpéce
, des grandes bruyeres , appellées en
Anjou Bray males , des gros pieds d'épine ,
de geniévre & de houx , des différentes
productions fauvages & arbriffeaux auffi
forts , ou plus confidérables , dont l'Ecobue
ne fçauroit couper les racines , ils
reftent fur le terrein , fans cependant empêcher
de lever les gazons , que l'on
coupe entre ces grandes plantes , & forts
arbriffeaux , de l'épaiffeur convenable.De
tels gazons fe trouvent à la vérité fouvent
d'une forme très- irréguliére , pour
la longueur & la largeur ; mais ils n'en
font pas moins bons , ayant l'avantage
d'étre compofés de beaucoup de matiere
végétale.
A mefure qu'on écobue , il faut avoir
foin de mettre ces gazons par petits tas ,
comme je l'ai ci- devant expliqué , & de
G ij
148 MERCURE DE FRANCE.
9
les placer dans les intervalles où le fonds
eft pelé , il s'y trouve fuffisamment de
vuide de cette façon les grandes productions
fauvages , & forts arbriſſeaux
ne font point engagés parmi les gazons ,
& on a la liberté de les arracher enſuite ,
à coups de tranche , de pioche , ou de
pelle , quand on veut , fans déranger ces
gazons . Il fuffit que cela foit fini au tems
où l'on feme les bleds dans le Pays .
Les uns font cette opération avant le
brûlis des gazons , & les autres après , fuivant
leur commodité ; dans ce dernier
cas, on doit cependant toujours l'exécuter
préalablement , dans les places , où l'on a
deffein de mettre les fourneaux , parce
qu'il eft important de ne point remuer les
monceaux de cendres qui en proviennent,
qu'au moment de la femaille.
Auparavant d'emblaver le terrein , on
recomble les trous , & on unit la terre qui
a été remuée pour arracher les grandes
productions fauvages, & forts arbriffeaux,
dont il s'agit ; on les enléve enfuite avec
leurs racines ; on les laiffe fécher à l'air
quelque tems ; après quoi ils fervent au
chauffage principalement pour la cuifine.
L'on tire ainfi partie de ces racines , qui
dédommagent en beaucoup d'endroits ,
de ce qu'elles ont coûté. Dans les Pays où,
AVRIL 1761. 149
le bois eft compté prèfque pour rien , on
ne prendra point la peine de les voiturer,
& on les fera brûler avec les gazons des
fourneaux , elles augmenteront le volume
& le dégré de bonté des cendres.
Plus un terrein fe trouvera garni de fortes
productions fauvages , & mieux le
fonds vaudra. S'il coûte davantage qu'un
autre à défricher , & mettre en valeur , il
produira de bien meilleures récoltes , qui
dédommageront amplement des avances
que l'on aura faites.
Les ajoncs n'étant point généralement
connus fous le même nom , plufieurs perfonnes
de différens Pays m'ont demandé
ce que c'étoit.Je vais en donner ici la defcription.
L'ajonc eft une eſpèce d'arbriſſeau toujours
verd , comme le fapin , & rempli de
pointes très- piquantes ; il porte des fleurs
jaunes , qu'il conferve toute l'année . Il y
en a de deux fortes , le grand & le petit :
à la hauteur près , ils fe reffemblent tous
deux. En pilant les pointes qui leur tiennent
lieu de feuilles , dans le même goût
qu'au fapin , elles font très- bonnes pour
les chevaux , & leur valent mieux que de
la paille hachée. Les boeufs , les vaches
ainfi que la plupart des autres beftiaux ,
s'en nourriffent auffi fort bien, quand elles
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
font brifées de cette façon , & les ânes
les broutent même fur pied. On peut être
fûr que le bled réuffira , partout où l'on
rencontrera des ajoncs.
Précautions à prendre , quand on fait brutler
un Défrichement , fitué dans le voifinage
d'un bois , ou de quelqu'autre endroit
combustible.
Les malheurs qu'occafionne le feu , font
fi fort à craindre, qu'on ne fauroit fe donner
trop de foins pour s'en garantir. Pour
peu que le défrichement qu'on a écobué ,
fe trouve dans une fituation dangereuse à
cet égard , on doit attendre un tems calme
, pour en allumer les fourneaux ; &
ne point s'y hazarder , quand il fait du
vent , parce qu'on ne feroit peut - être
pas le maître , alors, d'empêcher l'incendie
de s'étendre dans les environs , ou
quelquefois on ne pourroit plus l'arrêter ,
qu'après avoir caufé de grands ravages.
Si ce défrichement joint de tous côtés
à des bois , bruyeres, landes, & autres endroits
faciles à incendier, on commencera
dans ce cas , par faire une rangée de fourneaux
tout autour on les éloignera de
vingt cinq ou trente pieds des terres
voifines , & de dix pieds au moins des autres
fourneaux , qui feront conftruits ens
A V R Í L. 1961 .
fuite , dans l'intérieur du Défrichement ,
où l'on rejettera les gazons que l'on aura
de refte. On obfervera après cela de quel
côté vient le vent, car il en fouffle toujours
un peu , quelque calme que foit le tems ,
& on mettra le feu dans la rangée des
fourneaux du circuit de ce Défrichement
qui fe trouvera la plus au - deffous du vent.
Plufieurs hommes garderont cesfourneaux
pendant qu'ils brûleront , ils jetteront def
fus de la terre avec des pelles , en cas
qu'ils foient fort garnis de bruyeres , ou
autres matieres combuftibles , & qu'ils
pouffent des flammes trop violentes.
Cette terre amortira les flammes , &
contiendra le feu , de forte que les four
neaux ſe conſumeront peu-à- pen , fans
caufer aucun dommage à l'extérieur du
Défrichement , non plus que dans fon intérieur
, où ce feu pourroit faire tort de
deux manieres la premiere s'il pénétroit
dans les gazons épars , & les brûloit , parce
que la cendre répandue fur la ſurface
du terrein, fans être emmoncelée s'évapo
reroit : la feconde s'il prenoit dans les autres
fourneaux , en cas qu'on les eût tots
faits auparavant , parce que alors l'incendie
devenant trop confidérable , il ne feroit
plus poffible de l'arrêter , & de l'empêcher
de gagner le voisinage ..
Giv
15 MERCURE DE FRANCE.
La rangée des fourneaux la plus au
deffous du vent étant confumée , l'on
fera brûler fucceffivement de la même fa
çon , chacune des autres rangées , qui for
meront le circuit de ce Défrichement ;
après quoi l'on reviendra à celle qui joindra
cette premiere , on y fera une femblable
opération , & l'on continuera de
même , en prenant l'une après l'autre ,
toutes les rangées qui fe trouveront le
plus au- deffous du vent , jufqu'à ce que la
totalité des fourneaux foit brûlée.
On aura l'attention de ne jamais allumer
tous ces fourneaux que le matin , attendu
qu'on eft beaucoup plus en état de
les gouverner
,
& de remédier au défordre
qui peut arriver , lors de la premiere
violence du feu , pendant la journée,
que durant la nuit , à l'entrée de laquelle
on ne manquera pas de laiffer un
certain nombre d'hommes, proportionné
à la grandeur de l'entreprife , pour garder
les fourneaux . Ces hommes les attiferont,
& veilleront jufqu'au retour des journaliers
le lendemain , à ce que l'incendie ne
s'étende point ailleurs . Ils ferviront encore
, à empêcher les incendiaires , de venir
prendre du feu dans ces fourneaux , pour
embrafer pendant les ténébres , le voifi-.
nage ; crime dont il eft malheureuſement
AVRIL. 1761. 153
arrivé plufieurs exemples , & que ces miférables
peuvent en quelque forte , commettre
alors impunément , fi tout le monde
s'en va , parce qu'on fe perfuade enfuite
aifément , que cet accident eſt arrivé
de lui-même par le feu , qui a gagné
nuitamment les environs.
En ne négligeant aucune de ces précau
tions , qui ne font pas toutes également
néceffaires , dans les cantons où le feu
ne sçauroit cauſer de ravage extérieurement
, on évitera tout inconvénient.
J'ai fait brûler ainfi devant moi , plufieurs
fois , encore en dernier lieu , l'Eté
paffé , des Défrichemens affez confidérables
, enclavés au milieu de différens bois
taillis , dans lesquels il fe trouvoit beaucoup
de bruyères , & autres matieres
combuſtibles , fans qu'il foit arrivé le
moindre accident : fi quelqu'un en effuye
dans une pareille occafion , ce fera certainement
fa faute.
Sur les attentions qu'on doit avoir , lorf
qu'on fe fert , tant de la Sonde , que de
l'Ecobue.
L'on aura foin de tourner toujours la
Sonde à droite , en l'enfonçant dans le
terrein , & en la retirant , attendu que fa
on la tournoit à gauche , on dévifferoit la
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
pointe & les barres , qui fe fépareroient
les unes des autres. En cas qu'une barre
vienne à fe fauffer par quelque accident ,
il ne faut pas la remettre en terre , fans
l'avoir auparavant redreffée , en la faifant
rougir dans l'endroit courbé , autrement
elle empêcheroit l'effet de la Sonde , &
la feroit caffer ; l'infpection des barres ,
eft donc un préalable néceffaire , quand
on veut fe fervir d'une Sonde.
Ceux qui trouvent les Ecobues de dix
à douze livres , & même celles de huit à
dix livres, trop lourdes , peuvent en faire
faire de moins pefantes , fi les hommes.
qu'ils employent font trop foibles , ou fi
la terre qu'ils défrichent eft fort légére ,
& peu garnie de productions fauvages ;
mais j'avertis qu'en général l'ouvrage vaut
mieux, lorfqu'il eft fait avec de forts outils ;
qu'on ne doit point s'en rapporter entiéremment
à ce fujet , aux Journaliers : la
plupart d'entr'eux cherchent les Ecobues
les plus légères , pour s'éviter de la fari
gue. Il eft cependant néceffaire qu'ils en
ayent de convenables à leurs forces &
au terrein. Ils s'y accoutument au bout
de quelques jours , ainſi que je l'ai éprou
vé dans mes Défrichemens .
Il arrive fouvent , que le travail qu'on
a fait d'abord , pour rechercher & ôter les
AVRIL 1761. 155
pierres affez groffes pour nuire , n'a pas
été fuffisamment exact , & qu'il en refte
de telles , qui ne paroiffent point , fur la
fuperficie de la terre ; comme elles arrêteroient
l'Ecobue , & l'endommageroient ,
on aura la précaution de faire marcher
devant les Ecobueurs , un Journalier , lequel
fondera de nouveau le terrein partout
, environ fix pouces avant , foit avec
la premiere barre de la Sonde , garnie
de fa pointe , foit avec un picperrier
outil dont on fe fert , dans les carrieres.
Quand ce Journalier rencontrera quelque
pierre , de l'efpéce dont il s'agit, on la fera
arracher auffi - tôt avec le même outil ,
ou bien à coups de tranche .
Après le brûlis du Défrichement , il
fera à propos de faire fonder encore ce
terrein de la même façon , à deux pieds de
profondeur , entre les monceaux de cendres
, afin de trouver , & d'enlever les
pierres, contre lefquelles la charrue pourroit
fe brifer : lorfqu'on régalera les cendres
, on fera une femblable opération
fous ces monceaux , avant d'enfemencer
la terre.
J'ai fait imprimer ces éclairciffemens
fur un cahier féparé : on le diftribuera gratis
, d'ici à trois mois chez le Libraire , à
tous les porteurs d'exemplaires de la pres
G vj
156 MERCURE DE FRANCE .
miere , & de la feconde édition , tant de
mon Mémoire fur les Défrichemens , que
de la Pratique ; & l'on en fera note fur
ces exemplaires , comme il en a été ufé
pour les obfervations fur la Sonde & l'Ecobue
. On aura foin auffi d'envoyer fuffifamment
de ces cahiers , dans les Provinces
, aux Libraires qui ont vendu cet
ouvrage , afin qu'ils les diftribuent également.
Je defire qu'ils puiffent être utiles
à tous ceux qui défrichent des terres.
incultes .
GÉOGRAPHIE.
LA GÉOGRAPHIE détaillée dans tous ſes
points , ouvrage utile pour tous ceux qui
veulent apprendre certe fcience & s'y perfectionner
fans le fecours d'un Maître. On
y trouve jufqu'aux notions les plus fimples
dont on a facilité l'intelligence par
des Figures , pour le mettre à la portée
de tout le monde. Chaque Carte a fur les
marges l'explication de ce qu'elle renferme.
La méthode qu'on y fuit a pour objet
de développer les connoiffances qui
tiennent à l'hiftoire , & qui rendent l'étude
de la Géographie fi intéreffante, confidérée
fous ce point de vue. Les Cartes
AVRIL. 1761 .
157
font gravées d'après les meilleurs modéles
& l'on a tâché le plus qu'il a été poffible
de fe conformer au réſultat des opérations
de MM . de l'Académie.
Se vend à Paris , chez Mondhard , rue
S. Jacques , à l'Hôtel Saumur ; & chez
Louis Denis , même rue , entre le Collége
du Pleffis & celui des Jéfuites , à côté de
la Veuve Bordelet , Libraire. Prix , 8. L
la feuille .
ARTS AGRÉABLE S.
MUSIQUE.
PREMIER Recueil de Chanfons , avec
accompagnement
de Guitarre , par M. Le
Patowart , Ordinaire de la Chambre du
Roi. in-4°. à Paris , chez l'Auteur , Quai
des Célestins , à l'Hôtel de Fiebec , & aux
adreſſes ordinaires de Mufique . Prix , 3 liv.
DEUXIÈME Recueil d'Airs nouveaux ,
avec accompagnement
de Guitarre &
Baffe. Prix 3 liv.
SIX SONATES à Violoncelle & Baffe continue.
La feconde Sonate en trio pour
deux Violoncelles & une Contre-Balfe.Se
conde oeuvre. Prix 6 liv .
Ces trois Ouvrages fe vendent auffi à
Paris, chez l'Auteur, quai des Célestins , à
158 MERCURE DE FRANCE.
'Hôtel de Fiebec & aux adreffes ordinai
res. Ils font gravés par M. Moria.
VER'S pour mettre au bas du Portrait
de l'Auteur, Maître de Violoncelle, def
finé par Mlle Françoife DESCHAMPS.
'Apollon enchanté du goût de Patouart.
Lui dit tu réunis tous : les charmes de l'Art.
Délicat & fini , tu fçais toucher , furprendre :
Qui t'entend unefois ,voudroit toujours t'entendre.
Par M. F***
Six SONATES , pour le Clavecin , avec
accompagnement de Violon , par M. Ferdinando
Pellegrino. Prix 6 liv. In - folio à
Paris , aux adreffes ordinaires ; & vis - à - vis
le Palais Royal , rue S. Honoré , à la Mu
fique moderne.
RECUEIL D'AIRS , avec accompagnement
de Guitarre , par Mufique & Tablature .
Par M. Merchi. Quatrième liv. de Guitarre.
Oeuvre 6º. In - 4° . Prix 7 liv. 4 f. à Pa
ris , chez l'Auteur , rue du Rempart S.
Honoré , près des Quinze - vingts , chez un
Tapiffier , & aux adreffes ordinaires.
AVRIL. 1761 .
159
SUPPLEMENT à l'Article des Piéces
fugitives.
EPITRE à M. le Maréchal Duc de
BROGLIO.
HEROS aimable , Héros terrible ,
Dont la bravoure , dont les moeurs ,
L'efprit vafte , & l'âme fenfible ,
Enchaînent la gloire & les coeurs !
Par quelle Science profonde ,
Par quels talens toujours nouveaux ,
Dépêchez- vous pour l'autre monde:
Tant de milliers de nos rivaux ?
Des François , vives interprétes ,
Les Mufes vont fe ran mer
Au brillant fracas que vous faites .
O! que nous devons vous aimer !
Vous nous faites vaincre & rimer :
L'Ennemi pleure ſes défaites ,
Et nous nous chantons vos lauriers
>
Vous êtes le Mars des guerriers ,
Et l'Apollon de nos Poëtes.
Grands & petits , à l'uniffon
Je les vois rajufter leur lyre ::
De l'Ode jufqu'à la Chanfon,
160 MERCURE DE FRANCE
Dans notre poëtique empire ,
Tout va répéter votre nom.
L'un rappellera la mémoire
De tant de héros vos ayeux ,
De qui vous furpaſſez la gloire ,
Et qui vivront dans notre hiſtoire
Parmi les noms les plus fameux .
L'autre , d'un pinceau moins timide ,
Peindra ce front plein de grandeur ,
Où de Mars la fierté réfide :
La FRANCE y verra fon Alcide,
Et l'Hanovrien fon vainqueur.
Dieux ! que ne puis- je en traits de flâme,
Immortels , comme vos exploits ,
Peindre à mon tour votre grande âme ,
Si noble & fi tendre à la fois !
Cette âme incapable de feindre ,
Senfible au milieu des combats ,
Auffi chère à tous vos foldats ,
Qu'aux Ennemis elle eſt à craindre ! }
Oui , c'eſt ainfi , qu'il faudroit peindre
L'homme adoré , le Conquérant.
Mais quels éfforts peuvent atteindre
A faire un Tableau reffemblant ?
Héros qu'en tous lieux on renomme ,
Le zéle n'eft pas le talent :
Pour bien célébrer un grand homme ,
Il faut être prèfque auffi grand,
AVRIL. 1761 . 161
Mais que fait à votre victoire
Que nous rimions tout de travers ,
Quand vous combattez avec gloire ?
Ces cris élancés dans les airs ,
Ces chants & ces tranſports divers
Où l'on bénit votre mémoire ,
Vous peignent mieux à l'Univers,
Ah ! dépitez toujours de même
Nos rimeurs & nos ennemis :
Vengez-nous & vengez Louis .
Sa gloire , notre bien ſuprême ,
C'eſt qu'en vos mains il ait remis
L'intérêt d'un Peuple qu'il aime.
A Lyon , L. P.
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
OPERA.
LA Pompe funebre du tranſport de
3
Mgr LE DUC DE BOURGOGNE à S. Denys ,
ayant retardé la rentrée des Spectacles ,
l'Académie Royale de Mufique n'a fair
l'ouverture de fon Théâtre , que le Vendredi
3 de ce mois , par la Tragédie
162 MERCURE DE FRANCE.
d'Hercule mourant . Les paroles font de M.
Marmontel, la Mufique de M. d'Auvergne.
Le plan du Poëme eft à- peu- près celui
de Sophocle. On fçait que Déjanire exilée
avec les enfans de la cour de fon pere
Eneus , s'étoit réfugiée à Trachine, ville
de Theffalie , au pied du mont Oeta. C'eſt
là qu'elle attend le retour d'Hercule . L'efpérance
de le revoir eft mêlée de craintes
mortelles.
Je crois le voir environné
Des monftres de Némée & de ceux d'Erimante ;
J'entends les fifflemens de l'Hydre menaçante ;
J'entends les cris affreux de Cerbère enchaîné ,
Et mon époux fans ceffe à mes yeux fe préfente ,
Luttant contre le Sort à le perdre obſtiné.
Hilus , fon fils , qu'elle a envoyé au-devant
d'Alcide , vient lui annoncer le retour
de ce Héros . Parmi les captifs qui
le devancent , & qui arrivent fur les pas
d'Hilus, eft une jeune Inconnue, dont ce
Prince eft vivement épris. Il implore pour
elle les bontés de fa mere.
Tout en elle intéreffe , enchante ;
Avec elle on gémit de fa captivité.
Ah ! que la douleur eft touchante
Lorfqu'elle afflige la beauté ! ·
f
AVRIL 1761 .
162
Le Peuple vient féliciter Déjanire ; &
après cette fête, Junon , l'implacable ennemie
du fils d'Alcméne , voyant la joie
des Héraclides , defcend du Ciel pour la
troubler. Elle eft pourfuivie par la Jaloufie
, qui traverſe les airs avec elle , & femble
planer fur fon char. » Hé quoi ( lui
dit l'époufe de Jupiter. )
N'es -tu qu'à moi ſeule fatale?
Ne fçais-tu tourmenter que le coeur de Junon?
Vois la gloire d'Alcide & l'éclat de ſon nom :
Vois le triomphe heureux que ce rivage étale .
N'es-tu qu'à moi ſeule fatale ?
Ne fçais - tu tourmenter que le coeur de Junon ?
LA JALOUSIE .
Non , non , dans la Nature entière ,
Tous les heureux font mes rivaux :
Je voudrois du Soleil obfcurcir la lumière.
D'Alcide , en frémillant , j'admire les travaux ,
Le bonheur de Déjanire,
Me révolte , me déchire .
Je voudrois l'en punir par des tourmens nouveaux,
Junon l'excite à fervir fa haine ; & le
complot qu'elles trament enſemble , termine
l'Acte par un Duo.
Dans le fecond Acte paroît la Captive
qu'Hilus vient d'annoncer à fa mere . Elle
eft furpriſe d'aimer l'efclavage & d'y ou
blier les malheurs.
164 MER
CURE
DE FRANCE
:
Quelle voix fufpend mes allarmes ?
Quel Dieu vient adoucir la rigueur de mes fers ?
Hilus vient lui apprendre qu'on a pénétré
le fecret de fa naiffance , qu'il n'eft
plus tems de la cacher. Il laiffe éclater
fon amour pour elle ; mais peut- elle aimer
le fils de celui, qui dans un combat vient
d'immoler fon Pere ?
IOLE.
Laiffez gémir votre victime ,
Nos coeurs font- ils faits pour l'amour ?
Et puis -je pardonner au fang qui vous anime,
Sans révolter celui qui me donna le jour ?
Un obftacle plus grand au bonheur d'Hilus
eft l'amour d'Hercule pour Iole ; &
c'eſt elle- même qui l'en inftruit.
Fille de Palenor , j'ai vu la flâme errante
Répandre dans nos murs fa fureur dévorante,
J'ai vu le vainqueur inhumain ,
Dans les fers me traîner mourante ,
Et je l'ai vû m'offrir la main ,
Qui du fang de mon père étoit encor fumante
Elle ajoute qu'Alcide vient l'époufer
& répudier Déjanire.
De nous yoir & de nous entendre ,
AVRIL. 1761 168
Fuyons , s'il fe peut , le danger.
Un regard , un foupir eft facile à furprendre ,
Le mystère , en amour , eft un voile léger ,
Et tout peut trahir un coeur tendre.
On voit qu'il y a peu de fituations
plus touchantes , que celle de ces deux
amants : ils fe féparent accablés de douleur.
Déjanire enchantée des honneurs
qu'Alcide lui fait rendre , vient recevoir
les tributs des Captifs & leur hommage ;
ce qui forme la Fête. Iole fe préſente à
fon tour. Déjanire qui ne foupçonne point
en elle une rivale , la reçoit avec bonté.
La Jeune captive la conjure en vain de
permettre qu'elle s'éloigne. Déjanire s'y
oppofe; mais à peine Jole s'eft- elle retirée,
que Dircé confidente de Déjanire , Dirce
que la Furie a prife pour organe , met le
déſeſpoir dans l'âme de cette tendre épou
fe , en lui annonçant qu'Alcide eft infidéle
, & que la captive qu'elle retient, eſt
la rivale qu'il lui préfére. Déjanire hors
d'elle-même , céde au confeil que Dirce
lui donne, d'employer, pour ramener Alcide,
le philtre amoureux que lui a laiſſé le
Centaure Neffus en mourant.On fçait que
ce philtre, ou plutôt ce poiſon , eft le fang
même de Neffus envenimé les fléches
par
d'Hercule.
64 MERCURE DE FRANCE:
Quelle voix fufpend mes allarmes ?
Quel Dieu vient adoucir la rigueur de mes fers?
Hilus vient lui apprendre qu'on a pénétré
le fecret de fa naiffance , qu'il n'eft
plus tems de la cacher. Il laiffe éclater
fon amour pour elle; mais peut- elle aimer
le fils de celui , qui dans un combat vient
d'immoler fon Pere ?
IOLE.
Laiffez gémir votre victime ,
Nos coeurs font-ils faits pour l'amour?
Et puis -je pardonner au fang qui vous anime,
Sans révolter celui qui me donna le jour ?
Un obftacle plus grand au bonheur d'Hilus
eft l'amour d'Hercule pour Iole ; &
c'eft elle-même qui l'en inftruit.
Fille de Palenor , j'ai vu la flâme errante
Répandre dans nos murs fa fureur dévorante,
J'ai vu le vainqueur inhumain ,
Dans les fers me traîner mourante ,
Et je l'ai vû m'offrir la main ,
Qui du fang de mon père étoit encor fumante.
Elle ajoute qu'Alcide vient l'époufer
& répudier Déjanire.
De nous yoir & de nous entendre >
AVRIL. 1761
Fuyons , s'il fe peut , le danger.
Un regard , un foupir eft facile à ſurprendre ,
Le mystère , en amour , eft un voile léger ,
Et tout peut trahir un coeur tendre.
On voit qu'il y a peu de fituations
plus touchantes , que celle de ces deux
amants : ils fe féparent accablés de douleur.
Déjanire enchantée des honneurs
qu'Alcide lui fait rendre , vient recevoir
Les tributs des Captifs & leur hommage ;
ce qui forme la Fête. Iole fe préfente à
fon tour. Déjanire qui ne foupçonne point
en elle une rivale , la reçoit avec bonté.
La Jeune captive la conjure en vain de
permettre qu'elle s'éloigne. Déjanire s'y
oppofe; mais à peine Iole s'eft- elle retirée,
que Dircé confidente de Déjanire , Dircé
que la Furie a prife pour organe , met le
déſeſpoir dans l'âme de cette tendre épou
fe , en lui annonçant qu'Alcide eft infidéle
, & que la captive qu'elle retient, eft
eſt
la rivale qu'il lui préfére. Déjanire hors
d'elle-même , céde au confeil que Dirce
lui donne, d'employer, pour ramener Alcide,
le philtre amoureux que lui a laiffé la
Centaure Neffus en mourant.On fçait que
ce philtre, ou plutôt ce poifon , eft le fang
même de Neffus envenimé par les fléches
d'Hercule.
64 MER CURE DE FRANCE
Quelle voix fufpend mes allarmes ?
Quel Dieu vient adoucir la rigueur de mes fers ?
Hilus vient lui apprendre qu'on a pénétré
le fecret de fa naiffance , qu'il n'eſt
plus tems de la cacher. Il laiffe éclater
fon amour pour elle; mais peut-elle aimer
le fils de celui, qui dans un combat vient
d'immoler fon Pere ?
I OLE.
Laiffez gémir votre victime ,
Nos coeurs font-ils faits pour l'amour ?
Et puis -je pardonner au fang qui vous anime,
Sans révolter celui qui me donna le jour ?
Un obftacle plus grand au bonheur d'Hilus
eft l'amour d'Hercule pour Iole ; &
c'eft elle-même qui l'en inftruit.
Fille de Palenor , j'ai vu la flâme errante
Répandre dans nos murs fa fureur dévorante,
J'ai vu le vainqueur inhumain ,
Dans les fers me traîner mourante,
Et je l'ai vu m'offrir ſa main ,
Qui du fang de mon père étoit encor fumante,
Elle ajoute qu'Alcide vient l'épouſer
& répudier Déjanire.
De nous yoir & de nous entendre ,
AVRIL 1761. 168 ev
Fuyons , s'il fe peut , le danger.
Un regard , un foupir eſt facile à ſurprendre ,
Le mystère , en amour , eft un voile léger ,
Et tout peut trahir un coeur tendre.
On voit qu'il y a peu de fituations
plus touchantes , que celle de ces deux
amants : ils fe féparent accablés de douleur.
Déjanire enchantée des honneurs
qu'Alcide lui fait rendre , vient recevoir
Les tributs des Captifs & leur hommage ;
ce qui forme la Fête. Iole fe préſente à
fon tour. Déjanire qui ne foupçonne point
en elle une rivale , la reçoit avec bonté.
La Jeune captive la conjure en vain de
permettre qu'elle s'éloigne . Déjanire s'y
oppofe; mais à peine Iole s'eft- elle retirée,
que Dircé confidente de Déjanire , Dirce
que la Furie a prife pour organe , met le
déſeſpoir dans l'âme de cette tendre épou
fe , en lui annonçant qu'Alcide eft infidéle
, & que la captive qu'elle retient, eft
la rivale qu'il lui préfére. Déjanire hors
d'elle-même , céde au conſeil que
lui donne, d'employer, pour ramener Alcide,
le philtre amoureux que lui a laiffé le
Centaure Neffus en mourant. On fçait que
ce philtre, ou plutôt ce poiſon , eft le fang
même de Neſſus envenimé par les fléches
Dirce
d'Hercule.
64 MERCURE DE FRANCE:
Quelle voix fufpend mes allarmes ?
Quel Dieu vient adoucir la rigueur de mes fers ?
Hilus vient lui apprendre qu'on a pénétré
le fecret de fa naiffance , qu'il n'eft
plus tems de la cacher. Il laiffe éclater
fon amour pour elle; mais peut- elle aimer
le fils de celui, qui dans un combat vient
d'immoler fon Pere ?
I OLE.
Laiffez gémir votre victime ,
Nos coeurs font-ils faits pour l'amour ?
Et puis-je pardonner au fang qui vous anime,
Sans révolter celui qui me donna le jour ?
Un obftacle plus grand au bonheur d'Hilus
eft l'amour d'Hercule pour Iole ; &
c'eft elle-même qui l'en inftruit.
Fille de Palenor , j'ai vu la flâme errante
Répandre dans nos murs fa fureur dévorante,
J'ai vu le vainqueur inhumain ,
Dans les fers me traîner mourante ,
Et je l'ai vu m'offrir la main ,
Qui du fang de mon père étoit encor fumante,
Elle ajoute qu'Alcide vient l'époufer
& répudier Déjanire.
De nous yoir & de nous entendre ,
AVRIL. 1761 . abg
Fuyons , s'il fe peut , le danger.
Un regard , un foupir eft facile à ſurprendre
Le mystère , en amour , eft un voile léger ,
Et tout peut trahir un coeur tendre.
On voit qu'il y a peu de fituations
plus touchantes , que celle de ces deux
amants : ils fe féparent accablés de douleur.
Déjanire enchantée des honneurs
qu'Alcide lui fait rendre , vient recevoir
Les tributs des Captifs & leur hommage ;
ce qui forme la Fête. Iole fe préſente à
fon tour. Déjanire qui ne foupçonne point
en elle une rivale , la reçoit avec bonté.
La Jeune captive la conjure en vain de
permettre qu'elle s'éloigne. Déjanire s'y
oppofe; mais à peine Iole s'eft- elle retirée,
que Dircé confidente de Déjanire , Dirce
que la Furie a prife pour organe , met le
défefpoir dans l'âme de cette tendre épou
fe , en lui annonçant qu'Alcide eft infidéle
, & que la captive qu'elle retient, eſt
la rivale qu'il lui préfére. Déjanire hors
d'elle-même , céde au confeil que Dircé
lui donne, d'employer, pour ramener Alcide,
le philtre amoureux que lui a laiffé le
Centaure Neffus en mourant.On fçait que
ce philtre, ou plutôt ce poifon , eft le fang
même de Neffus envenimé les fléches
par
d'Hercule.
166 MERCURE DE FRANCE.
DEJANIRE.
Je ne me connois plus , je tremble , jefriffonne ;
Au trouble de mes fens , la raifon m'abandonne ;
Je le vois préparer , cet hymen odieux ;
Je périrai moi-même , avant qu'il s'accompliffe :
Viens , à la perfidie oppofons l'artifice ;
C'eſt le dernier efpoir que nous laiffent les Dieux.
Le premier Acte s'eft paffé dans le Palais
d'Hercule ; le fecond dans les Jardins
de ce même Palais ; le troifiéme change
de lieu ; & le Poëte y a profité de la licence
accordée à ce Théâtre. Sophocle ne
fuppofe Hercule qu'au Promontoire de
Cénée ; M. Marmontel éloigne encore
plus le lieu de la Scène , fans doute parce
qu'il a préféré l'inftitution des jeux
Olympiques à celle des Jeux Cénéens.
C'est donc au pied du mont Olympe ,
qu'Hercule inftitue des Jeux en action de
grace à Jupiter , & cette fête eft magnifique.
Hilus vient l'y trouver , & lui préfente,
avec les voeux de Déjanire , une robe
qu'elle lui envoie , & qui eft arrofée du
fang de Nefus. Ce qui rend ce moment
très intéreflant , c'eft le facrifice que fait
Hercule de fon amour à fon devoir. Ce
facrifice eft préparé dè le commencement
du troifiéme Acte par les repro
ches que Philoctete fait à Hercule fon ami
AVRIL. 1761 167
& par ceux que fe fait Hercule à lui - même.
Leur Scène eft vive & bien dialo
guée .
HERCUL E.
Je ne t'ai point caché ma nouvelle foibleffe ;
La beauté fut toujours l'écueil de ma vertu.
PHILOCTETE.
On fuccombé ailément au danger que l'on aime .
Ton coeur ne connoît pas ce qu'il peut ſur lui- mê
me.
Il eût vaincu l'Amour , s'il l'avoit combattu.
Vois Déjanire dans les larmes ;
Vois du plus tendre hymen les fruits abandonnés.
A la honte , à l'oubli les as -tu condamnés !
Rompras-tu fans remords des noeuds fipleins de
charmes?
HERCULE .
Trop indigne des noms & de pere & d'époux ,
Je veux bien t'avouer la fureur qui m'anime.
J'immolerois mon fils pour premiere victime ,
Si je m'abandonnois à mes tranſports jaloux,
PHILOCTETE.
Hilus!
HERCULE.
Il a fçu plaire à l'objet qui m'enflâme,
La Haine & la Pitié , la Nature & l'Amour ,
Partagent tour-à-tour ,
Et déchirent mon âme .
PHILOCTETE.
Tous les monftres encor ne font pas terraflés.
168 MERCURE DE FRANCE
HERCUL E.
L'Amour eft dans mon coeur une hydre renaïffante.
PHILOCTETE.
Ranime contre lui ta force languiſſante.
HERCULE.
Je le veux , mais en vain .
PHILOCTETE.
Tule veux, c'eft affez;
La Scène eft interrompue par les Jeux
qu'on vient célébrer ; mais elle reprend
à la fin de l'Acte. Hilus a peint vivement
à Hercule la tendreffe de Déjanire
, & l'impatience où elle eft de le
revoir . Alors Philoctete prenant Hercule
par la main , lui dit :
Entre un coupable amour & la plus belle flâme
Alcide , à quoi te réfous-tu ?
Le crime & la vertu fe difputent ton âme ;
Vas-tu céder au crime & trahir la vertu ?
HERCULE.
Je le vaincrai , ce coeur , trop longtems combattu¸
Hercule fe réfoud donc à céder Iole à
fon fils .
PHILOCTETE.
Enfin je reconnois Alcide.
HERCULA
AVRIL. 1761 . 169
HERCULE .
La vertu dans mon coeur te devra fon retour ;
Et fans l'amitié qui me guide ,
Je me laiffois encore égarer par l'Amour.
Alcide va terminer la célébration des
Jeux Olympiques par un facrifice à Jupiter
& fe revêtir,pour cette cérémonie augufte,
de la robe que vient de lui envoyer Déjanire
; enforte que le moment où Alcide
eft le plus vertueux , eft celui où il va tomber
dans le piége affreux que lui a tendu
Neffus, par les mains de Déjanire, & celleci,
fans le favoir,par l'entremise de fon fils.
L'art avec lequel M. Marmontel a ménagé
cette fituation , eft une beauté qu'il a ajoutée
à Sophocle. Elle a reçu les éloges
qu'elle méritoit.
L'action du quatrième Acte fe paffe
dans le veſtibule du Temple de Jupiter à
Trachine. Déjanire y arrive éperdue . Elle
a vú s'enflâmer & s'exhaler dans l'air le
refte du fang dont la Robe fatale eft arrofée.
Ce préfage eft confirmé par le triomphe
de la Furie qui traverfe les airs fur
un dragon & qui annonce le danger qui
menace les jours d'Hercule. Déjanire appelle
Jupiter au fecours de fon fils Her
cule : le Temple s'ouvre ; les Prêtres paroiffent
; les femmes de Déjanire accou-
II. Vol.. H
170 MERCURE DE FRANCE.
1
rent à fes cris ; la Fête eft un facrifice à
Jupiter , que les femmes de Déjanire implorent
dans leur danfe. Cette action eft
prife dans les ufages des Anciens , dans▾
leurs cérémonies religieufes; & les airs fur
lefquels ces femmes fuppliantes expriment
leurs voeux font du caractère le plus touchant.
Au moment du facrifice le tonnèr- .
re gronde ; le Temple eſt ébranlé ; les Prêtres
y rentrent en foule & en ferment l'entrée
à Déjanire . Seule , errante fur le veftibule
, elle voit arriver Hilus au défefpoir
, qui vient lui reprocher fon crime.
HILU S.
Alcide expire , conſumé
Du feu que dans ſon ſein vous avez allumé,
Couvert de la robe fatale ,
Il marchoit à l'Autel ; une flâme infernale
Tout- à- coup pénétre les fens .
Il veut de la douleur étouffer les accens ;
Mais il n'en peut dompter l'horrible violence ;
Et par les cris les plus perçans ,
Il rompt ce farouche filence,
Son corps fumant exhale une noire vapeur :
A les fiancs embrafés le voile affreux s'attache.
Il le déchire avec fureur ;
Mais en lambeaux fanglans, c'eft en vain qu'il l'are
rache ,
Et le poifon rapide a coulé dans fon coeur.
tombe , il ſe débat en mordant la pouſſière ;
AVRIL. 1761 . f71
Des pleurs mêlés de fang inondent fa paupière :
Il fe reléve avec éffort ,
Il embraffe l'Autel , il implore la mort.
Tout frémit : la terreur l'environne & nous glace .
Il me voit , il m'appelle , & j'approche éperdu.
Malheureux , m'a - t- il dit , ton erreur m'a perdu ;
Mais elle eft innocente , & ta douleur l'efface .
Traîne-moi loin de ces Autels ,
Que ma foibleffe déshonore ,
Fuyons , puifque je vis encore ,
Et ceffons d'exciter la pitié des mortels ,
Vous l'allez voir:
Déjanire fort réfolue à prévenir , par fa
mort , l'arrivée de fon époux.
DEJANIRE.
La rage des Enfers , la colére célefte ,
Rien n'excufe l'erreur de mon coeur égaré.
Qu'Alcide en mourant me détefte ;
Que de tout l'Univers , mon nom foit abhorré.
Mais enfermant les yeux de ton malheureux père ,
Peins-lui le défeſpoir de ta coupable mère ;
Et dis-lai que mon coeur l'a toujours adoré.
Dans le cinquiéme Acte on voit les
guerriers compagnons d'Hercule errans
& confternés fur le fommet du mont Oeta
, autour d'un bucher qu'ils viennent
d'élever , & fur lequel fe traîne Hercule
Hij
172 MERCURE DE FRANCE:
épuifé de douleur. Il demande la mort
Philoctete fon ami , qui l'encourage
fouffrir la vie. Hercule le croit empoi
fonné par la trahifon volontaire de Dé
janire. Hilus vient juftifier fa mere , & à
l'inftant les femmes de Déjanire , Iole
à leur tête , viennent apprendre à Hera
cule que fon époufe s'eft donné la mort.
Hercule fait un éffort fur lui - même , &
emploie fes derniers momens à unir fon
fils avec Iole ; il fe croit à fon dernier
foupir ; il appelle fon fils , il lui tend les
bras mais tout -à- coup faifant réfléxion
que fon approche lui feroit mortelle , il
recule épouvanté.
Que dis- je ? arrête , éloigne toi !
Ah crains de refpirer le feu qui me confume .
Avec plus de fureur , je fens qu'il fe rallume.
Ce dernier accès le met au défefpoir ;
il conjure fon ami , fon fils , fes compa
gnons de finir fes tourmens.
Au défaut de mes mains tremblantes ,
Hâtez-vous de me fecourir .
Je fouffre mille morts , & je ne puis mourir.
Déchirez , difperfez mes dépouilles fanglantes,
Arrachez de mon fein , mes entrailles brûlantes .
Lâches , vous frémiffez , vous m'abandonnez tous,
Qù font- ils ces brigands dont j'ai purgé la tèrre ?
Ils feroient mains cruels que vous,
Pjeux accordez-moi le tonnèrre,
AVRIL. 1961. 173
il tombe fur fon bucher , il fe reléve ,
& comme dans Sophocle il exige de fon
fils le ferment d'accomplir la volonté
derniere. Hilus jure fans balancer.
HERCULE.
Viens délivrer mon âme
De fon infernale priſon.
Au bucher de ton père ôfe porter la flâme.
Moi !
HILUS , épouvanté .
HERCULE.
Frémis du parjure & de la trahiſon .
HILUS.
Vous voulez que je fois l'horreur de la Nature !
Les Dieux me puniroient , fi je n'étois parjure.
Obéis , tu le dois.
HERCULE.
HILUS.
Je ne puis.
HERCULE.
Je le veux.
La foudre tombe , embrafe le bucher.
Hercule fe précipite dans les flammes , en
rendant grace à Jupiter fon Père , & dans
l'inftant il paroît confumé . Alors Jupiter
defcend des Cieux environné de la Cour
cclefte ; le bucher fe change en un char
où Hercule paroît triomphant , & qui l'és
H iij
174 MERCURE DE FRANCE:
léve jufqu'an pied du Trône de fon Pere;
où il fe place au rang des Dieux. La fête
eft fon apothéose.
REMARQUES fur le Poëme , fur la Mufique
, & fur les parties d'exécution de
L'Opéra nouveau.
L'EFFET
POEME.
' EFFET au Théâtre eft fupérieur à la defcripa
tion qui termine l'Extrait du Poëme . C'eſt un tableau
du plus grand genre ; tableau auquel le
Poëte a donné l'âme , l'ordonnance & les touches
les plus fortes ; & auquel auffi toutes les
parties de l'exécution ſe font admirablement prêtées.
Quand il y auroit dans ce Poëme , ainfi que dans
toute production humaine , des reproches à faire ,
qu'un Auteur éclairé ne fe diffimule pas à luimême
, il refteroit toujours à M. Marmontel l'honneur
d'avoir étendu le genre de nos drames lyriques
, par conféquent indiqué les moyens d'en
multiplier les efpéces . Il aura ofé le premier par le
fond du fujet & par la maniére de le traiter, rapprocher
notre Opéra des grands Spectacles de la réce,
defquels peut- être il étoit déjà une copie dans
quelques parties . Il aura prouvé par la plus forte
des preuves , je veux dire par le fentiment, que ce
Théâtre , qu'on a crû longtems confacré à la molleffe
des petites paffions galantes ou à la douleur
élégiaque , eft fufceptible des grands refforts tragiques
; & que la terreur , la pitié & le fublime de
T'héroïlme moral & phyfique , auroient autant de
AVRIL 1761. 175
pouvoir & plus de fecours accelloires fur cette
Scène que fur toute autre . On ne peut refuſer au
même Poëte , d'avoir très- heureuſement accordé ,
dans les détails , le coloris & la touche du ſtyle à
la force du Sujet . Nouvelle confirmation contre
le préjugé où l'on a été longtemps , que la foible
combinaiſon d'un certain nombre de mots doucereux
conftituoit la verfification lyrique. On eſt
en état de juger par l'Extrait que nous venons de
citer , de la juftelle de cette obfervation ; on le
fentira mieux encore par la lecture entiere du
Poëme. Dès qu'Hercule paroît au troifiéme Acte ,
le ton du Poëte s'élève & retrace l'idée qu'on doit
avoir du Perſonnage principal . La Scène entre ce
Héros & Philoctete eft , fi l'on peut emprunter ce
terme , de la plus belle & de la plus grande maniere
. C'eſt une âme mâle & dignement franche ,
qui ne fe cache ni fes foibleffes , ni ce qu'il lui
en coûte pour les furmonter. La fin de cette Scène
par Philoctete . Tu le veux , c'eft affez , eft un
de ces traits remarquables , dont la fublimité du
fens & l'énergie d'une expreffion concife ne
manquent jamais leur effet fur les Spectateurs. La
priere qu'Hercule adreffe à Jupiter fon Pere , eft
auffi grandement énoncée. On trouve dans le ré--
cit qu'Hilus fait à Déjanire , au quatriéme Acte ,,
la Poëfie la plus forte d'images & un genre de
verfification , qui foutiendroit la fimple déclama--
tion , en lui fourniffant par les vers mêmes les
moyens de frapper & d'émouvoir. Tout le Morceau
d'Hercule au cinquiéme Acte eft du ton le
plus énergique. La diction variée , femble y fuivre
les différens degrés des accès de douleur du
Héros , ainfi que les divers fentimens dont fon
âme eft affectée. L'efpéce d'horreur qu'infpire cette
cataſtrophe , fupportée feulement par des Spectateurs
François , fuffiroit pour prouver le mérite
Hiy
176 MERCURE DE FRANCE.

du Poëte. Cette cataſtrophe écoutée avec émotion
, applaudie & couronnée du fuccès , eft un
éloge fort au - dellus de ceux que nous ajouterions
, & celui qui doit le plus fatisfaire les defirs
de M. Marmontel.
MUSIQUE.
Une beauté remarquable dans cet Opéra , &
qui doit procurer à M. d' Auvergne les éloges des.
Connoiffeurs éclairés , c'eft le génie avec lequel il
a particulierement adapté le genre de fa Mufique
à celui du Poëme , & monté, pour ainfi dire , le ſtyle
lyrique au ton du ftyle poëtique de ce drame. Un
caractère mâle , peut - être un peu fombre , mais
noble & touchant , domine dans toute cette Mufque,
& par des cordes fingulières , femble fe conformer
au caractére général du fujet . C'eſt ce qui
probablement a dû retarder les fuffrages de ceux
qui , faifis par le papillotage des découpures , font
infenfibles au mérite d'un bel enfemble . Les
Amateurs du chant raiſonné , ont trouvé dans la
vocale de cet Opéra un mérite fenfible de la part
du Muficien , auquel le Poëme a prêté une occafion
de développer fes talens à cet égard . Le récitatif
en général eft bien fenti , fcandé & déclamé
conformément au fens des paroles . La Scène
du deuxième Acte entre Hilus & Iole eft d'un
chant tendre & fenfible ; celle du troifiéme Afte
entre Hercule & Philoftete eft particuliérement
du plus grand & du meilleur genre de récitatif.
L'invocation d'Hercule à Jupiter eft du chant le
plus majestueux & le plus expreffif ; auffi ce morceau
excite- t- il toujours des applaudiffemens univerfels
, ainsi que le récit des fouffrances d'Alcide
par Hilus au quatriéme Acte. L'étendue & le défail
de déclamation de ce récit joints à la force
AVRIL. 1761 177
e

de poëfie qui paroîtroit laiffer peu à ajouter par
la Mufique , formoient pour le Muficien une des
plus grandes difficultés du Récitatif. On peut
fans prévention regarder comme un chef- d'oeuvre
en ce genre d'avoir furmonté , avec tant de
fuccès , un obftacle qui auroit embarrallé les Mu
ficiens les plus habitués au chant déclamatoire ,
furtout dans un temps où le trop facile fuccès
de l'Ariette pourroit décourager les Muficiens de
génie , confondus avec les plus médiocres Compilateurs
de notes . Enfin tout le cinquiéme Acte
occupé prèfqu'en entier par Hercule , & celui qui
a déterminé le fuccès de l'Opéra , eft du chant'
le plus pathétique ; le détail en eft aufli ingénieux
que fenfible ; & les nuances fortes d'un même
fentiment de douleur font exprimées par la
Mufique de maniere à forcer l'intérêt & les applaudiffemens
des Spectateurs. Tous les Choeurs
font d'un grand effet , fans fortir du genre propre
au chant dramatique , & fans le fecours des
tournures bizarres . Celui entr'autres du troifiéme
Acte , Chantons Alcide & fes combats , est trèsbrillant,
d'un travail net & heureux , fçavamment
combiné & très -analogue à la circonftance . Parmi
les airs de fymphonie , celui qui annonce les
Jeux Olympiques , a toute la nobleffe & l'éclat
convenables à cette grande fête. Une très-bel e
Loure fait partie du divertitlement des mêm si
Jeux , & rien de fi agréable & de plus danfant
que l'air fur lequel Mile Lani eft couronnée. Les
autres divertiffemens font , dans divers genres ,
compofés d'Airs convenables ; ceux fur lefquels
les femmes de Déjanire exécutent des danses ™
religieufes font intéreflans & peignent , quoique
voluptueufement , le motif attendriffant qui les
occafionne. Mais la fymphonie du cinquiéme Acte
qui précéde & qui fejoint enfuite aux plaintes
Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
des Suivans d'Alcide eft une de ces productions
tranfcendantes que le fentiment feul peut infpirer,
& dont l'éloge peut être bien mieux fenti
qu'exprimé. Il eft peu de chofes à comparer au
pathétique de ce Morceau , qui peut être confidéré
comme un tableau pour l'âme de la plus
grande expreffion & de la plus originale . Ceux
qui fe rappelleront le Choeur qui termine l'Acte
de Coronis. Emportons ces deux Amans dans le même
tombeau &c. pourront quant à l'effet de celui- ci ſe
faire l'idée de l'exécution en grand d'une belle ef
quiffe , non qu'il y ait aucune efpéce de reflemblance
entre ces deux morceaux , mais feulement
pour le degré d'impreffion dont affectent la Symphonie
& les Choeurs qui annoncent la mort
prochaine d'Hercule . La Mufique qui peint & feconde
, pour ainfi dire , le ſpectacle du bucher embrafé
, mérite d'être remarquée . Elle eſt très- bien
adaptée à ce moment d'une horreur tumultueufe
& bruyante . Le dernier divertiffement eft terminé
par une belle Chaconne & d'un fort beau
genre.
BALLETS , HABITS , MACHINES
ET DECORATION S.
Les Ballets font variés , nombreux & agréables,
Mile Carville , dans la dane de laquelle on retrou
ve , comme un dépôt précieux , le genre de danfe
du célébre Dupré , joint aux grâces naturelles au
fexe , a eu occafion d'être avantageufement placée
dans cer Opéra , & par conféquent celle d'obtenir
du Public les applaudiflemens dûs à fon talent.
On laille à juger du mérite de l'àpropos , dans l'imagination
de faire remporter le prix de la danfe
par Mlle Lani , & en même tems des fuffrages du
Public. Peu de Couronnes décernées publiquement
AVRIL 1761 . 179
font autant méritées & moins fufpectes de partialité.
M. Gardela fuppléé avec agrément à l'abience
de M. Veftris , qu'un accident a empêché de
danfer aux premières repréſentations.
L'attention des Directeurs de ce Spectacle , pour
le fuccès des Ouvrages mis au Théâtre , a fingulièrement
éclaté dans celui - ci . Les habits font prèsque
tous riches & très - brillans. Les décorations
font en général d'un très- bon effet ; il y en a deux
nouvelles . L'une repréfente un Cirque & l'autre le
veftibule d'un Temple de Jupiter. La premiere.
doit faire honneur au Peintre par l'harmonie des :
tons. La feconde eft d'un très - beau genre d'Architecture
, les ornemens fages, & exécutés avec la plus
grande précifion ; les plafonds furtout font un effet
admirable , & cette décoration pourroit paffer
pour une des plus agréables de ce Théâtre , fi la
couleur du marbre blanc , étoit rendue avec plusde
vérité.
La machine du bucher , la difpofition des bois
& la fubftitution des dévantures , qui , à l'aide de
feux réels , le font paroître embrafé ; la métamor
phofe de ce Bucher en un Char qui enléve Hercules
au Ciel, font autant d'effets qui pro luifent l'illufion
la plus complette & le spectacle le plus frappant.
Les Rôles font rendus conformément à ce degré
de progrès , vers la perfection que depuis quelque
temps on apperçoit parmi les principaux Acteurs
de ce Théâtre. L'éloge qu'ils méritent dans cer
Opéra demande des détails que nous remertons
au Volume prochain.-
On a remis Jeudi , neuf de ce mois ,
Jephté , que l'on continuera les Jeudi fui
vans jufqu'à l'Afcenfion . Ces repréfenta
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
tions doivent intéreffer les amateurs de ce
Théâtre, en ce qu'elles femblent deftinées
à exercer des talens auxquels la pratique
eft utile , & que fans néceffité on n'ofe
pas fouvent faire paroître ; crainte d'indifpofer
le Public , & de rifquer le fort des
Ouvrages.
COMEDIE FRANÇOISE.
LEE Jeudi 2 de ce mois les Comédiens
François ont fait l'onverture de leur Théâtre
par Tancréde & le Magnifique. Ils continuent
la repriſe de Tancréde. Cette Tragédie
eft fuivie , comme elle l'avoit été
dans fa nouveauté on y découvre chaque
jour de nouvelles beautés , & chaque
repréſentation femble ajouter à la
gloire de M. de Voltaire & à celle de Mlle
Clairon .
M. Bernaud qui avoit prononcéle com
pliment de clôture , prononça celui qui
fuit , à l'ouverture du Théâtre..
ME
ESSIEURS , SSIEU
Ce Théâtre , dont tant d'illuftres Auteurs ont
porté fi loin l'éclat & la célébrité , fembloit depuis
plufieurs années n'avoir plus rien à fouhaiter pour
A. V RI L. 1761% 1811
fa gloire que de fe reffembler toujours à lui- même.
Il trouvoit dans la beauté des Ouvrages qui l'enrichiffent
, l'aflurance des fuffrages de la postérité . Il
croyoit avoir tout fait pour vos efprits ; mais il fen
toit qu'il devoit encore à vos coeurs cette illufion
durable , qui vous ravit à vous- mêmes , & qui , en
tranfportant vos âmes au milieu des Héros , vous
fait fucceflivement partager leurs pallions , leurs
combats , leurs plaifirs & leurs larmes . Vous en
jouiffez aujourd'hui , Meffieurs , & vous n'avez plus ·
rien à envier aux Théâtres d'Athènes & de Rome.
Quel triomphe pour la Nation quelle brillante
carrière pour les jeunes Auteurs ! quelle fatisfac--
tion pour leur modéle, ce génie immortel qui dans
fes premiers effais , traça les changemens heureux **
dont il va vous faire fentir les effets dans la
Tragédie que nous repréfentons aujourd'hui !
Mais fi l'état actuel de la Scène Françoife vous
procure , Meffieurs , une fenfation plus vive &
plus continue , n'avons nous pas bien plus à craindre
pour nous-mêmes, en nous préfentant devant
vous fur un champ plus vafte & plus étendu , où
rien ne peut plus vous dérober le moindre de
nos défauts.
Le Théâtre d'aujourd'hui donnant à nos Piéces
plus de vérité & de majefté dáns la repréfentation
, demande auffi que l'action foit plus exacte;
plus frappante & plus affurée .
Nous ne pouvons conferver toujours les dignes
Emules des Baron , Dufrefne & le Couvreur ; ces
Acteurs que vous honorez tous les jours d'une
bienveillance particuliére , & dont l'art fçait vous
1
* M. de Voltaire ,par la pompe de la Tragédie
Edipe , a fait voir qu'il defiroit déjà que la Scene
Françoife für débarraffée des gothiques obftacles .
dont elle a été ft longtemps chargée..
182 MERCURE DE FRANCE.
faire admirer jufqu'à leur filence , comment leur
trouver des Succefleurs , fi vous ne fongez à vous
les préparer vous- mêmes ? Daignez donc , Melfieurs
, lorfque les Acteurs nouveaux qui afpirent
à les remplacer , ont plus befoin de votre faveur
& de vos encouragemens leur en accorder auffi
davantage ; les grands talens forcent vos applaudiffemens
; les talens fecondaires , foibles & timides
doivent forcer votre indulgence. La crainte
d'un mauvais accueil contraint le maintien d'un
Acteur qui fe préfente , intercepte fa voix , &
refferre toutes les facultés de fon âme ; la confiance
au contraire avance , échauffe & fait éclore
des difpofitions que la timidité auroit ou retardé
ou étouffé pour jamais. Vous feuls enfin ,
Melfieurs
, pouvez développer les talens dans des
Acteurs qui fans vos bontés s'ignoreront toujours
eux- mêmes ; par là vous donnerez au premier
Théâtre de l'Europe l'efpérance d'une gloire toujours
renaiffante , & vous travaillerez vous- mêmes
à vous former des plaifirs d'autant plus chers
à vos coeurs , qu'ils auront été votre propre ou
vrage.

Le Vendredi 3 , on donna une repréfentation
de la Coquette & de Crispin Médecin.
M. Romainville , Acteur de Provin
ce , aa débuté par le rôle de Pafquin dans
la première Piece , & par celui de Crifpin
dans la feconde. Il a dû être encouragé
par le Public dont il a été bien reçu. On
defireroit dans cet Acteur moins de char
ge, & conféquemment plus de vérité dans
fon jeu & plus de ces grâces propres au
AVRIL 1761. 183
genre de fon emploi . Mais on fçait,
que dans un début l'Acteur ne jouit pas
de lui-même ; & que la timidité , qui détruit
les talens naturels , porte à aller audelà
du but , par la crainte même de ne
pas y atteindre . Il feroit dur de le juger
précipitamment , tout jugement de cette
efpéce étant fujet à erreur. Cet Acteur
continue fon début.
Mlle Beaumenard , actuellement Mllet
Bellecour ayant épousé l'Acteur de ce
nom ) eft rentrée à ce Théâtre après cinq
ans d'abfence. Elle joua , pour la pre-,
mière fois , le Mardi 7 de ce mois , dans
le Légataire le rôle de Lifette, & celui de
la Fauffe Comteffe dans l'épreuve réciproque.
Elle a eu lieu d'être fatisfaite du parti
qu'elle a pris , par les applaudiffemens du
Public . Elle doit être encore plus encouragée
par le fentiment impartial des vrais
Connoiffeurs , qui ont retrouvé en elle la
même fineffe d'intelligence , le même tact
de gaîté maligne qui fait le piquant des
Soubrettes ; mais avec plus d'ordre dans
le débit , beaucoup plus d'enſemble & de
rondeur dans le Jeu , qu'elle n'en avoit
lorfqu'elle a quitté le Théâtre. Son action'
plus liée qu'elle n'étoit , avec autant de
feu naturel , ne laiffe plus échapper brufquement
les faillies qui font tort aux grâ
E 82 MERCURE DE FRANCE.
faire admirer jufqu'à leur filence , comment leur
trouver des Succefleurs , fi vous ne fongez à vous
les préparer vous- mêmes ? Daignez donc , Melfieurs
, lorfque les Acteurs nouveaux qui afpirent
à les remplacer , ont plus befoin de votre faveur
& de vos encouragemens leur en accorder auffi
davantage ; les grands talens forcent vos applaudiffemens
; les talens fecondaires , foibles & timides
doivent forcer votre indulgence. La crainte
d'un mauvais accueil contraint le maintien d'un
Acteur qui fe préfente , intercepte fa voix , &
refferre toutes les facultés de fon âme ; la confiance
au contraire avance , échauffe & fait éclore
des difpofitions que la timidité auroit ou retardé
ou étouffé pour jamais. Vous feuls enfin , Meffieurs
, pouvez développer les talens dans des
Acteurs qui fans vos bontés s'ignoreront toujours
eux- mêmes ; par là vous donnerez au premier
Théâtre de l'Europe l'efpérance d'une gloire toujours
renaiffante , & vous travaillerez vous- mêmes
à vous former des plaifirs d'autant plus chers
à vos coeurs , qu'ils auront été votre propre ou
vrage.
Le Vendredi 3 , on donna une repréfentation
de la Coquette & de Crispin Médecin
. M. Romainville , Acteur de Province
, a débuté
par le rôle de Pafquin dans
la première Piéce , & par celui de Crifpin
dans la feconde. Il a dû être encouragé
par le Public dont il a été bien reçu. On
defireroit dans cet Acteur moins de charge,
& conféquemment plus de vérité dans
fon jeu & plus de ces grâces propres au
AVRIL. 1761 . 183
genre de fon emploi . Mais on fçait,
que dans un début l'Acteur ne jouit pas
de lui-même ; & que la timidité , qui détruit
les talens naturels , porte à aller audelà
du but , par la crainte même de ne
pas y atteindre. Il feroit dur de le juger
précipitamment , tout jugement de cette
efpéce étant fujet à erreur. Cet Acteur
continue fon début .
Mlle Beaumenard , actuellement Mlle
Bellecour ayant épousé l'Acteur de ce
nom ) eft rentrée à ce Théâtre après cinq
ans d'abſence. Elle joua , pour la pre-.
mière fois , le Mardi 7 de ce mois , dans
le Légataire le rôle de Lifette, & celui de
la Fauffe Comteffe dans l'épreuve réciproque
. Elle a eu lieu d'être fatisfaite du parti
qu'elle a pris , par les applaudiffemens du
Public . Elle doit être encore plus encouragée
par le fentiment impartial des vrais
Connoiffeurs , qui ont retrouvé en elle la
même fineffe d'intelligence , le même tact
de gaîté maligne qui fait le piquant des
Soubrettes ; mais avec plus d'ordre dans
le débit , beaucoup plus d'enſemble & de
rondeur dans le jeu , qu'elle n'en avoit
lorfqu'elle a quitté le Théâtre. Son action'
plus liée qu'elle n'étoit , avec autant de
feu naturel , ne laiffe plus échapper brufquement
les faillies qui font tort aux grâ
184 MERCURE DE FRANCE.
ces de la Nature ou qui les font briller'
felon la manière de les produiré. Elle paroifloit
, malgré l'embarras inféparable
d'une rentrée au Théâtre , avoir perdu
plus de petites habitudes que de l'ufage
néceffaire. On doit préfumer de fes progrès
par les difpofitions naturelles qu'on
lui connoiffoit déjà , par l'emploi qu'elle
paroît avoir fait de fa retraite , au profit
de fon talent , & furtout par les connoiffances
& la pratique qu'elle eft à portée
d'acquérir aujourd'hui , avec un mari auquel
on ne peut réfuſer une intelligence
réfléchie des vrais principes de l'Art Théâ
tral , confirmée par la pratique la plus af
fidue depuis plufieurs années .
COMEDIE ITALIENNE.
L'OUVERTURE de ce Théâtre s'eft faite
le Jeudi 2 de ce mois . M. Balleti pronon
ça le compliment
d'ufage . On y a continué
avec fuccès l'agréable Comédie des
Gaquets , & la nouvelle Ecole des Maris.
Le Samedi 4 , on donna la première repréfentation
de Quand parlera - t - elle ?
Parodie de Tancréde , en vers en deux
Actes.Ceux qui attachent une fatalité aux
noms , pourroient l'étendre juſqu'aux tiAVRIL.
1761. 185
tres des Pièces , en fe rappellant le fort de
Quand eft- ce qu'on me marie ?
Cette Parodie de Tancréde eft une critique
fuivie de la conduite & des détails
de la Tragédie de ce nom , fous le même
fond de fujet, fur le même lieu de la Scène
, fous les mêmes qualités , & prèfque
fous les mêmes noms des perfonnages à
quelques traveftiffemens près de ces noms;,
plaifanterie plus faillante autrefois qu'au
jourd'hui. On ne doit pas refufer à cette
critique des connoiffances & des vues trèsjudicieufes
fur les régles dramatiques :
mais comme on ne s'avife jamais de tout,
on n'a pas penfé qu'il y a toujours du
rifque à vouloir déchirer le voile d'une
illufion intéreffante , à moins qu'on ne lui
en ſubſtitue un autre , qui en préfentant
les objets dans un fens contraire , produife
un effet fi heureux , qu'on nous procure
un different genre de plaifir équivalent
au premier.
On repréfenta , pour la premiere fois
fur ce même Théâtre , le Jeudi 9 de ce
mojs , Soliman ou les Sultanes , Comédie
en vers libres en trois Actes. Cette Piéce
de M. Favart rappelle avantageufement
pour lui , le fouvenir de l'efprit , de l'agrément
& de la délicateffe , qui ont été
& qui font encore fi applaudis dans la
186 MERCURE DE FRANCE.
Chercheufe d'Esprit , le Cocq du Village, &
beaucoup d'autres auxquels ou ne defiroit
qu'un cadre plus honorable , tel que celui
où fe trouve ce nouvel Ouvrage de Théâtre.
C'eft le premier que l'on connoiffe
de cet Auteur , privé ou plutôt épuré du
fard libertin des chants bouffons & du
ftyle de couplets.
Nous ne fommes pas encore en état de
rendre un compte bien détaillé de cette
nouveauté. Le fujet eft celui d'un des Conres
Moraux de M. Marmontèl. Il paroît
que l'Auteur dramatique a enrichi le fond
qu'il a choifi , par beaucoup de faillies ingénieufes
& brillantes , & par un mouvement
très- agréable. On conçoit que nous
avons principalement en vue le Rôle de
Roxelane , original fur le Théâtre , dont
l'aimable féduction opére fur le Public
avec autant de charme que fur le Sultan.
Le fuccès de la premiere repréfentation
a dû faire augurer très - favorablement dès
autres . Nous fommes perfuadés qu'auparavant
que nos obfervations paroiffent ,
l'Auteur aura, de lui-même,fupprimé quelques
traits qui rompoient l'unité de ton ,
unité auffi éffentielle au moins pour unRôle
, que celles qui font prefcrites de rigueur
. L'efprit & le goût qui ont infpiré
Roxelane, n'auront pas foufferts plus longAVRIL.
1761 187
temps , qu'une femme charmante qui donne
aux Maîtres du Monde , des leçons de
bonheur , d'humanité & même de gouvernement
, place à côté de la plus délicate
éloquence de l'âme , quelques penfées &
quelques dictions triviales,que l'éducation
qu'on lui doit fuppofer ne lui a pas même
permis de connoître . Il Y a lieu de croire
que l'Actrice chargée de ce Rôle , n'étant
plus entraînée par ces petites difparates ,
aura fait rentrer fon jeu dans un enſemble
convenable . La certitude des applaudiffemens
du plus grand nombre ne l'aura pas
féduite au point de négliger les fuffrages
des Connoiffeurs , d'autant plus délicats
fur fon talent qu'ils en fentent mieux le
prix. La figure & les grâces intéreffantes
de Mlle Foulquier relevées par l'habillement
riche & vrai de Sultane , fi avantageux
pour des tailles telles que la fienne ,
fecondent très -bien la forte d'intérêt que
l'Auteur a voulu donner au rôle d'Elmire ,
Sultane Efpagnole . Mlle d'Efgland, dans
le rôle de la Sultane Orientale , dont le
principal ornement eft le chant , contribue
avec fuccès à l'agrément de la Piéce.
Il eft à préfumer que l'on aura confidérablement
abrégé le très- long Ballet qui
fuivoit la Comédie .
On a peu vû de fpectacles , fur nos
Théâtres , où la richeffe , la galanterie &
88 MERCURE DE FRANCE.
la fingularité fuffent auffi bien afforties
que dans celui- ci . On doit furtout un élogeparticulier
à l'attention exacte & fidelle
fur le Coſtume , dans les habits , dans
la décoration & dans les moindres par
ties acceſſoires de cette repréſentation .
Des conjonctures imprévues & auxquelles
on n'a pûfe refufer , nous forcent
encore de remettre l'Extrait annoncé de la
nouvelle Ecole des Maris . L'étendue in'-
difpenfable de cet Extrait ne permettant pas
de l'ajouter à celle de cet article , il paroi
tra fans aucun autre délai le premier du
mois prochain.
ARTICLE V I.
NOUVELLES POLITIQUES.
De CONSTANTINOPLE , le 11 Février 1761 .
On ne fçait point encore N quelles pourront être
les fuites du reffentiment de la Porte contre les
Maltois ; mais le Chevalier de Vergennes , Ambal
fadeur de France en cette Cour , paroît fe donner
quelques mouvemens pour les prévenir . Cependant
on travaille à l'Armement ordonné par le
Grand- Seigneur. Ceux qui croyent en pénétrer le
véritable objet prétendent qu'il eft destiné à mettre
à la raifon le Pacha d'Egypte , révolté depuis plus
d'un an contre la Porte:
AVRIL. 1761 . 139
De PETERBOURG , le 3 Mars.
Douze mille Colaques font en route pour fe
rendre à l'Armée du MaréchalComte deButturlin,
qu'aucun Officier Général n'a eu la permiffion dé
quitter.
L'Abbé de Chappe eft arrivé dans cette Ville ;
& il fe difpofe à partirinceffamment pour Tobolsk
Capitale de la Sibérie, où il doit obferver le paffage
de Vénus par le difque du foleil.
De COPPENHAGUE , le 2 Mars.
Le Roi , quoique parfaitement rétabli , continue
de réfider à Jagersbourg ; mais il a recommencé
depuis quelque tems à donner aux affaires ſon application
ordinaire. L'Amirauté a reçu ordre d'équiper
une Eſcadre de quatorze Vailleaux de Ligne
ou Frégates , pour croifer dans la mer Baltique
; elle fera commandée par l'Amiral de Fontenai
, & elle doit être prête au mois d'Avril ,
De VIENNE , le 12 Mars.
Le Chapitre de l'Eglife Cathédrale d'Olmurz
a élu , le 4 , pour fon Prince Evêque , le Comte
Maximilien d'Hamilton , Membre du même Chapitre
, & Vicaire-Général de ce Diocèfe ; ce choix
a été approuvé de la Cour.
Le Prince de Deux- Ponts s'étant démis du Commandement
de l'armée de l'Empire , Sa Majefté
Impériale en a revêtu le feld Maréchal Comte der
Serbelloni. Le Général Baron de Haddik , qui
commande actuellement cette armée , ira rempla,
cer dans celle de Saxe le Comte de Buccow à qui
l'Impératrice Reine a conféré le Gouvernement de
Tranfilvanie .
Le départ du Maréchal Comte de Daun eft fixé
Après le 13 , jour Anniverfaire de la naiflance de
90 MERCURE DE FRANCE.
l'Archiduc Jofeph. Le Général Baron de Laudon
eft partile 10 pour aller reprendre le Commandement
de l'armée de Silefie.
L'Empereur a chargé le Baron de Reischach ,
Miniftre Plénipotentiaire de cette Cour auprès des
Etats-Généraux d'affifter , en qualité de Commiffaire
Impérial , à l'élection prochaine du Prince
Evêque de Munfter. Le Comte de Pergen , Chambellan
de leurs Majeftés Impériales , & leur Miniftre
Plénipotentiaire près de plufieurs cercles de
l'Empire , a eté nommé pour affifter , au nom de
1'Empereur , à celle de l'Electeur de Cologne .
De HAMBOURG , le 12 Mars.
Le Roi de Pruffe eft encore dans Léïpfick d'où
il doit partir inceffamment pour commencer les
opérations de la Campagne.
Les rivières ont été debordées pendant quelque
tems dans l'Electorat d'Hanovre au point qu'on
ne fe fouvenoit pas de les avoir vues fi hautes ;
mais elles font actuellement dans leurs lits. Le
dommage qu'elles ont caufé dans les Campagnes
eft confidérable. Le Wefer a fait de grands dégats
du côté de la Mer . L'Elbe a auffi inondé une grande
étendue de pays ; il a rompu plufieurs digues ,
& un grand nombre de perfonnes ont été noyées.
De FRANCFORT , le 26 Mars.
Il arrive abondamment ici de jour en jour des
vivres & des fourages pour l'armée Françoiſe.
Les avis de la Thuringe confirment que le corps
de troupes Pruffiennes , commandé par le Général
de Sybourg , après fa féparation d'avec l'armée
du Prince Ferdinand, s'eft porté ſur la Sala ,
qu'il a enlevé toute la Jeuneffe des Villes & du
Pays par où il a paffé , & qu'il n'y a laiſſé ni chevaux
ni grains ni fourages. Il eft cependant obfers
AVRIL 1761 19:1
vé par les troupes de l'Empire , qui s'étendent depuis
Cronach jufqu'à Salfeld , Rudelſtadt & Neuftadt.
On apprend de Manheim que la groffeffe de
l'Electrice Palatine y a été déclarée le 24 de ce
mois.
De MALTHE , le Mars.
Tous les Esclaves Chrétiens qui étoient à bord
du Vailleau la Couronne Ottomane emmené
eux à Malthe , ont eté mis en liberté .
par
On écrit de cette Hle que , fur les nouvelles de
l'Armement conſidérable qui ſe fait à Conftantinople
, la Religion prend toutes les meſures convenables
pour le mettre en état de s'oppofer vigoureuſement
aux entrepriſes du Turc , & que
tous les Chevaliers de la Langue Italienne ont or
dre de fe tenir prêts pour le rendre à Malthe.
D'AMSTERDAM , le 19 Mars.
Quelques-unes des dernières Lettres de l'Inde
marquent que le Vaiffeau François le Condé , de
l'efcadre du fieur d'Apché a enlevé le Comptoir
Anglois de Bencouli à Sumatra , & que cinq navires
Hollandois frétés à Batavia doivent en tranf
porter toutes les marchandiſes en France . On dit
que le butin monte à plus de fix millions.
On apprend d'Angleterre que cinq cens hommes
détachés du régiment des Gardes - Angloifes ,
vont s'embarquer pour compléter les trois bataillons
de ce corps qui fervent en Weftphalie , & que
l'on tirera vingt-deux hommes de chaqueCompagnie
du troifiéme régiment des Gardes à pied pour
les envoyer en Allemagne. Les Nègres rebelles
de la Jamaïque continuent leurs ravages dans cetve
Ifle , ainfi que les Chiroquois fur les frontieres
des deux Carolines.
102 MERCURE DE FRANCE.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée
de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 2 Avril 1761 .
Le Jeudi Saint, l'Archevêque d'Auſch ayant fait
l'abfoute , & le Roi ayant entendu le Sermon qui
fut prêché par l'Abbé Leclerc , Chanoine de l'Eglife
de Verdun , Sa Majeſté lava les pieds à douze
pauvres & les fervit a table . Le Prince de Condé
, Grand- Maitre de la Maiſon du Roi , étoit à
la tête des Maîtres d'Hôtel , & précédoit le fervice.
Les plats étoient portés par Monſeigneur le
Dauphin , par le Duc d'Orléans , par le Duc de
Chartres , le Prince de Conty , le Comte de la
Marche , le Comte d'Eu , le Duc de Penthievre ,
& par les principaux Officiers de Sa Majesté .
L'après-midi , la Reine entendit le Sermon de
la Cène de l'Abbé de Beauvais . L'Archevêque
d'Aufch fit enfuite l'abfoute , après laquelle Sa
Majefté lava les pieds à douze pauvres filles & les
fervit à table. Le Marquis de Chalmazel , premier
Maître d'Hôtel de la Reine , procédoit le fervice ,
dont les plats étoient portés par Madame la Dau
phine, Madame Adélaide , Meſdames Victoire Sophie
& Louife , par la Comteffe de la Marche ,
par les Dames du Palais , & par plufieurs autres
Dames de la Cour.
Monfeigneur le Duc de Berry eft parfaitement
rétabli de l'indifpofition qu'il a eue.
Le
AVRIL. 1761. 192
Le 24 du mois dernier , leurs Majeftés & la Famille
Royale , fignerent le contrat de Mariage du
Comte de Stainville , Lieutenant- Genéral des Armée,
duRoi , avec Thomaſline-Thérefé de Clermont
Renel.
Et celui du Marquis de Guercheville avec Demoiſelle
de Nollent.
Le 29 , le Comte & l'Abbé de la Noue eurent
l'honneur de préfenter au Roi & à Monfeigneur un
livre intitulé : nouvelles Conflitutions Militaires, &
principes de Tactique , ouvrage pofthume du Comte
de Vair , leur Frére , Lieutenant- Colonel d'Infanterie
, tué le 25 Juillet 1760 , à la tête des Vo
lontaires de l'armée aux ordres du Maréchal de
Broglie.
Le même jour , le Comte de Sades prêta ferment
entre les mains de Sa Majesté pour la Lientenance
Générale du Pays de Brelle , ainsi que le
fieur de Montagnac pour la Lieutenance Générale
du Berry.
Le Roi a donné l'Abbaye de Mont Benoît , Ordre
de Saint - Benoît , Diocèfe de Besançon , à l'Abbé
de fainte Hermine , Aumônier de la Reine .
L'Abbaye régulière d'Abbecourt, Ordre de Prémontré,
Diocèle de Chartres, à Dom de Serclae's
de Tilly, sep vir
Et celle de Valfauve , Ordre de Citeaux , fituće
à Bagnols , Diocèfe d'Ulez , à la Dame Dupuy de
Montbrun,Religieufe & Prieure de la mêmeAbbaye.
Le Roi a accordé le brevet de Meltre de Camp
au Comte de Bouillé , Capitaine dars le régiment
de la Ferronnays , Dragons , qui a apporté à Sa
Majefié la nouvelle de l'avantage que les troupes
du Roi ont eu le 21 du mois dernier.
Sa Majesté a donné un pareil brevet de Meftre
de Camp au Chevalier de la Ferronnays , Major
du régiment de ce nom , qui a apporté au Roi dix-
#
F
IL. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
neuf Drapeaux & un Etendard pris dans cette occafion
fur les ennemis. Ces deux Officiers s'étoient
fort diftingués à cette affaire.
Le fieur de Cely , Aide de Camp du Maréchal
de Broglie , a auffi apporté au Roi les Drapeat .
pris par les troupes aux ordres du Marquis de
Montchenu & du fieur de Vignolles , le 25 , à l'at
taque de l'arriere-garde des ennemis.
Le Marquis de Lambert , parti le 29 de l'armée
du Maréchal de Broglie , & arrivé ici le premier
de ce mois , a depuis apporté à Sa Majefté la nouvelle
que les ennemis ont levé le fiége de Caffel , &
que le Maréchal de Broglie étoit attendu , le même
jour 29 , dans cette Ville.
DE L'ARMÉE QUX ordres du Maréchal de Broglie,
le 27 Mars.
Le 21 , nos troupes remporterent un avantage
fur le Corps aux ordres du Prince héréditaire de
Brunswick , dans les environs de Grunberg près
la riviere d'Ohm. Le Maréchal de Broglie étoi
en perfonne à cette affaire , & les troupes qui on
agi étoient commandées par le Comte de Stain
ville , Lieutenant Général , le Comte de Scey , le
Baron de Diesbach & le Baron de Clofen , Maré
chaux de Camp. Ce dernier, ainfi que les dragons
les troupes légères & les Volontaires , ont eu la
principale part aux faccès de cetteaction . On a pris
aux ennemis treize piéces de canon , dix neuf dra
peaux & un étendard , & plus de deux mille hom
mes , parmi lesquels fe trouvent deux bataillon
des Gardes de Brunſwick . Notre perte ne s'eft pa
montée à plus de cinquante hommes tués ou ble
fés. Le Maréchal de Broglie dépêcha le Marqui
de Bouillé pour porter cette nouvelle au Roi. Cet
affaire ayant décidé les ennemis à abandonner
riviere d'Ohm , dès le 22 au foir leur mouvemen
AVRIL. 1761 .
commença , & ils retirerent leurs troupes légéres
de l'autre côté de cette rivjere. On apprit , le 24.
qu'ils fe dirigeoient fur Neuftadt. Le Maréchal de
Broglie fit aufli tôt les difpofitions, pour les fuivre
vivement dans leur retraite . Le Comte de Rocham.
beau & le Marquis de Montchenu , Maréchaux de
Camp , à la tête des deux avant-gardes , & foutenus
du Marquis de Poyanne , Lieutenant Général,
marcherent le 25 fur Siegenheim & Treyza. Tous
les Poftes des ennemis furent pliés . Le Marquis
de Montchenu les chaffa du village de Leinsfeldt
où ils s'étoient raffemblés , & le fieur de Vignolles
attaqua fi vivement, avec fes Volontaires foutenus
de Dragons , une Colonne d'Infanterie qui fe retiroit
en bon ordre au- delà de ce Village , que s'étant
jetté , lui fixiéme , au milieu des bataillons de
cette Colonne , il y prit un drapeau. Cette attaque
mit un fi grand défordre parmi les ennemis , qu'ils
perdirent deux autres drapeaux & deux piéces de
canon . On fit prifonniers deux Généraux - Majors ,
douze Officiers & plus de trois cens Soldats . Le
Maréchal de Broglie arriva dans ce moment &
al paffa la nuit à Siegenheim. Il trouva cette place
, qui appartient au Landgrave de Heffe , prèf
qu'entiérement ruinée par les bombes des ennemis.
Il y fut reçu par le Baron de Zugmantel , Brigadier
, Commandant dans cette place , & à la
fermeté duquel on ne peut trop donner d'éloges ,
ainfi qu'à la bravoure de fa garnifon .
Le 26 , à la pointe du jour , on vit encore quelques
troupes des ennemis fur les hauteurs de Treiza
près du Village de Diedershaufen ; c'étoit l'arriere-
garde du corps du Prince Héréditaire de
Brunswick. Le Marquis de Poyanne fit attaquer
ce qui étoit devant lui par les fieurs Schwartz &
de Saint Victor , qui, après avoir culbuté ce Corps :
percerent jufqu'à l'Infanterie des ennemis , pri-
1 ij
196 MERCURE DE FRANCE

:
rent un Colonel , Aide de Camp du Prince Hé
réditaire , & le fieur Janneret , Commandant les
Huffards de Malakoski, firent environ foixante pri
fonniers , & s'emparerent de quatre piéces de ca
non.
D'un autre côté , le Maréchal de Broglie déboucha
de Siegenheim avec les troupes aux ordres
du Marquis de Montchenu. Le corps de Luckner
, qui couvroit celui du Général Zaftrow & qui
étoit près du Village de Siebertenroht, fut forcé de
T'abandonner & de repaffer avec précipitation la
Schwalm près de Nider- Jugelback, d'où les troupes
, ayant gagné l'Eder avec la plus grande viteffe
, le paflerent près de Fritzlar. Le Prince Hé.
réditaire , qui avoit fait mine de fe retirer fur Vil
dungen , fe replia auffi fur Fritzlar , & y paffa la
riviere. Le Maréchal de Broglie fit fuivre les ennemis
jufqu'au pont , où il y eut un feu de mouf
queterie allez vif ; après quoi il fit revenir fes dé
rachemens derrière la Schwalm , & ſe rendit à
Siegenheim . Tous les prifonniers & les déferteurs
aflurent que les ennemis couchent au Bivouac
depuis quinze jours , fans entrer dans les Villages ,
& qu'ils fouffrent beaucoup. Le Maréchal de Broglie
, au contraire , en rempliffant avec autant
de célérité que de vigueur tous fes projets , a mé
nagé l'armée du Roi avec une telle attention ,
que chaque jour elle a été cantonnée.
Nous apprenons de Gottingen que le Comte de
Vaux ayant envoyé un détachement de fa garni
fon à Northaufen, on y a pris trente chevaux,
quatre Officiers Pruffiens , quatorze Seldats , &
détruit cinq mille facs de grains . Le 13 , le Vicomte
de Bellunce a attaqué les poftes du Cololonel
de Költemberg fur la rive gauche de la Leinesly
a fait prifonniers fix Officiers & cent quarante-
huit Soldats , & tué une centaine d'homs
mes
AVRIL. 1761 . 197
De PARIS , le 4 Avril .
La vacance du Parlement ayant obligé de rémettre
la Proceffion qui fe fait tous les ans le 22
Mars , en mémoire de la réduction de cette Capitale
fous l'obéiffance de Henri IV , elle fe fit hier,
3 de ce mois , en la maniere accoutumée . Le Corps
de Ville y affifta fuivant l'ufage.,
Les quatre bataillons des Gardes Françoiſes
qui doivent fe rendre à l'armée du Bas- Rhin , font
partis d'ici les 23 , 25 , 27 , & 29. Les deux bataillons
des Gardes - Suiffes font partis fucceffivement.
Le 12 du mois dernier , les Religieufes de l'Abbaye
Royale du Val-de-Grâce firent célébrer dans
leur Eglife un Service folemnel pour le repos de
l'ame de la Ducheffe de Modene . La Comteffe de
la Marche , le Duc de Penthiévre & le Prince de
Lamballe y affiftèrent. Le Pere François Etienne
prononça Í'Oraifon funébre de cette Princeffe , &
y peignit avec éloquence les vertus dont elle étoit
douée.
Le 27 , la Cour prit pour deux mois le deuil de
Mgr le Duc DE BOURGOGNE.
L'Electeur Palatin vient de nommer Grand-
Maître de fa Maifon , M. le Marquis Galean-des-
Iffarts.
MARIAGES.
Jacques de Choifeul , Comte de Stainville , B1-
ron de Domanges - aux-Eaux , Lieutenant- Général
des armées du Roi , Colonel -Commandant le
régiment des Grenadiers de France , a épousé le
35 dans la Chapelle de l'Hôtel des Fermes , Thomaffine
-Thérele de Clermont- d'Ainboife , fille de
fen Jacques Louis- George de Ciermont d'Amboi ...
fe , Marquis de Renel , & de Dame Henriette- Ra
cine du Jonquòy, La bénédiction nuptiale leur a
I j
198 MERCURE DE- FRANCE .
été donnée par l'Evêque de Soiflons . Le Comte de
Stainville eft fils de François- Jofeph de Choifeat,
Marquis de Stainville , en Barrois , Chevalier
de l'Ordre de la Toifon d'or , Chef des noms
&armes de Choifeul , ci- devant Miniſtre de l'Empereur
près de Sa Majeſté , & de Françoife-Loutfe
de Balompierre.
Vers préfentés à Mademoiſelle de Rénel , fur for
Mariage avec M. le Comte de CHOISEUL
SUR les aîles de la victoire ,
Quel eft ce modefte vainqueur ,
Qui vient tout rayonnant de gloiré
Vous donner fa main & fon coeur ?
C'eft fans doute un nouvel Alcide :
A la jeune Hébé , comme lui ,
Les Dieux uniflent aujourd'hul
Le Héros le plus intrépide .
MORTS.
Du L
Mgr le DUC DE BOURGOGNE mourut au
Château de Versailles le 22 Mars à deux heures I
Trois quarts du matin . Son Corps fut tranfporté le
foirdu même jour au Palais des Thuilleries. Le len
demain 23 , il fut expofé à vifage découvert fur un
lit de parade jufqu'à dix heures du matin. Il far
ouvert le même jour , embaumé & mis dans ler
cercueil , qui fut placé , avec les cérémonies ordinaires
, fur un lit de parade , couvert d'un grand
poële de fatin blanc avec une croix de moire d'ar
gent. Les falles qui conduifoient au dépôt étoient
tendues de blanc, ainfi que la façade du veftibule
du Palais & la porte de la principale Cour.
Les Prêtres de l'Eglife Royale & Paroiffiale de
AVRIL. 1761, 199
Saint Germain- l'Auxerrois & les Feuillans ont ré
cité jour & nuit des Priéres auprès du Corps , qui
a été ainfi expofé jufqu'au 27 que l'on commença
la Pompe funebre.
Le 28 , les Princes du Sang s'affemblerent au
Château des Thuilleries pour jetter de l'eau benite
à Mgr le DUC DE BOURGOGNE , LeMarquis de
Dreux , Grand- Maître , & le feur de Nantouillet
Maître des Cérémonies , précédés des hérauts &
du Roi d'Armes , conduifirent les Princes à la Chapelle
ardente. Le même jour , le Comte de Star
henberg , Ambaffadeur de l'Empereur & de l'Impératrice
Reine de Hongrie & de Bohême , le Bailli
de Solar , Ambaffadeur du Roi de Sardaigne ,
& le Bailli de Froullay , Aniballadeur de la Religion
de Malthe, s'étant rendus au Palais desThuilleries,
furent reçus par le fieur Dufort Introducteur
des Amballadeurs. Ces Miniftres , en grand manteaui
de deuil,furent conduits par le Sr Dufort à l'appartement
ou étoit le Corps de Merle Duc DE BOUR
GOGNE . Ils furent reçus par le Grand- Maître &
le Maître des Cérémonies . Ils firent leurs priéres
fur des carréaux , tandis que le Clergé chanta le
le de profundis , après quoi les trois Ambaffadeurs
fçavoir , celui de l'Empereur le premier , & enfuite
l'Ambafladeur de Sardaigne & celui de Malthe, jetterent
de l'eau-benite fur le Corps du Prince, Ces
Ambaffadeurs furent reconduits de la même ma
niere qu'ils avoient été reçus. Peu de tems après, le
Marquis de Grimaldi , Ambaffadeur Extraordinaire
du Roi d'Espagne , & le Comte de Catillana ,
Ambaladeur Extraordinaire du Roi de Naples ,
vinrent auffi jetter de l'eau-benite fur le Corps de
Mgr le Duc DE BOURGOGNE . Ces Ambaffadeurs
furent reçus & reconduits avec le même cérémonial
que les trois premiers .
Le mêmejour 28 , l'Archevêque de Paris & une
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
députation du Chapitre de l'Eglife Métropolitaine
allerent rendre leurs derniers devoirs au Prince.
Le Parlement , la Chambre des Comptes , la Cour
des Aides , la Cour des Monnoies & le Corps de
Ville y allerent le 31 , ainfi que l'Univerfité , le
Châtelet & les Tréforiers de France .
Le 30 , le Coeur de Mgr le Duc DE BOURGOGNE
fut porté, avec un très grand Cortége , à l'Abbaye
Royale du Val- de-Grâce; & l'Evêque d'Autun
premier Aumônier du Roi , le préfenta à l'Abbelfe.
Le Duc de Chartres , accompagné des Ducs de
Briffac & de la Vauguyon , affifta à cette cérémonie
, à laquelle fe trouverent auffi le Marquis de
Dreux & le fieur de Nantouillet.
Le premier Avril , tous les honneurs funébres -
ayant été rendus à Mgr le Duc DE BOURGOGNE ,
l'Evêque d'Autun , premier Aumônier du Roi , fit
à fix heures du foir, la cérémonie de lever le Corps,
qui fut placé dans le Char deftiné à le porter
l'Abbaye Royale de S. Denis . Le Convoi , précédé
de foixante Cavaliers du Guet , fe mit peu après en
marche dans l'ordre fuivant : deux Gardes du
Corps ; foixante Pauvres , marchans deux- à- deux
& portans des flambeaux ; les caroffes des perfonnes
qui compofoient le deuil ; cinquante Moufquetaires
de la feconde Compagnie des Gardes do
Koi; un pareil nombre de Moufquetaires de la premiere
Compagnie ; cinquante Chevaux - Légers dè
la Garde de Sa Majefté ; un Caroffe du Roi , occupé
par les G. ntilshommes de la Manche de Mgr
le DUC DE BOURGOGNE ; le Caroffe de Sa Majefté
dans lequel étoient le Prince de Condé , le Duc
de la Vauguyon & d'autres Seigneurs ; un autre
Carolle du Roi , où étoient l'Evêque d'Autun avec
un Aumônier de Sa Majefté , le Confeffeur de Mgr
le DUC DE BOURGOGNE & le Curé de l'Eglife
Royale & Paroifliale de S. Germain - l'Auxerrois;
Я
AVRIL. 1761. 201
douze Pages de Madame la Dauphine , douze Pages
de la Reine , vingt- quatre Pages du Roi ; pluficurs
Ecuyers de Leurs Majeftés ; quatreTrompettes
de la Chambre , les Hérauts d'Armes marchants
deux -à -deux ; le Roi d'Armés ; le fieur de
Nantouillet , Maître des cérémonies en furvivance
du fieur Defgranges ; le Marquis de Dreux ,
Grand-Maître des Cérémonies ; quatre Chevauxlégers
de la Garde ; le Char funèbre, des deux côtés
duquel marchoient quarante des cent Suiffes
du Roi , & qui étoit entouré d'un grand nombre
de Valets de pied de Leurs Majeftés & de Madame
la Dauphine ; quatre Aumôniers du Roi portoient
quatre coins du Poele dont le Chár étoit couvert.
Ce Poele & les caparaçons des chevaux qui
traînoient le Char étoient blancs avec des croix de
moire d'argent & des armoiries en broderie.
les
Le Comte de Gaucourt , Commandant le détachement
des Gendarmes , le Marquis d'Efquelbeck,
Commandant le détachement de la premié
re Compagnie des Moufquetaires , & le Marquis
de Varenne - Nagu , Commandant le détachement
de la feconde , marchoient près des roues. Le
Marquis de Rancherolles , Lieutenant des Gardes
du Corps , fuivoit immédiatement le Char à la tête
de fon détachement , après lequel venoient cinquante
Gendarmes de la Garde . Toutes les troupes
de Sa Majefté , ainſi que les Pages & les Valets
de pied, portoient des flambeaux &/marchoient
deux-à- deux. La marche étoit fermée par la livrée
des perfonnes qui compofoient le deuil .
Vers les onze heures & demie du foir , le Convoi
arriva à S. Denis. Les Religieux de l'Abbaye
reçurent le Corps de Mgr le Duc DE BOURGOGNE
à la porte de l'Eglife , & l'Evêque d'Autun le préfenta
au Prieur de l'Abbaye , qui répondit au dif
cours du Prélat. Le cercueil fur porté dans le
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Choeur ; on chanta les prières ordinaires ; enſuite
le Prince de Condé & toutes les perfonnes qui s'étoient
trouvées au Convoi , fe retirerent . Le Corps.
de Mgr le Duc DE BOURGOGNE a été mis dans la
haute Chapelle de l'Eglife, où il demeurera en dépôt
jufqu'au jour de l'inhumation . Il eft gardé par
un Détachement des Gardes du Corps du Roi &
des cent Suiffes de la Garde ordinaire de Sa Majefté.
On célébre tous les matins une Grande- Melfe
dans certe Chapelle. Les principaux Officiers du
Roi , qui étoient de fervice auprès de ce Prince ,
continuent d'y exercer leurs fonctions , fuivant le
cérémonial obfervé pour les Princes de la Famille.
Royale,
Mgr le Duc DE BOURGOGNEfe nommoit
Louis- Jofeph Xavier. Il étois âgé de neuf ans , fix
mois & neufjours.
Ce Prince , à peine forti de l'enfance , réuniffoit
dans fa Perfonne toutes les qualités qui forment
les plus grands & les meilleurs Rois. Attaqué d'une
longue & douloureufe maladie , il s'eſt vũ mourir,&
il eft mort avec la foi & la patience des martyrs
, & avec unefermeté plus qu'héroïque , parce
qu'elle étoit confacrée par les plus grands princi
pes de la religion & par la piété la plus touchante.
La douleur d'une grande perte eft univerfelle.
L'affliction de Leurs Majeftés, de Mgr le Dauphin,
de Madame la Dauphine , & de toute la Famille
Royale , ne trouve d'adouciffement que dans les
grandes efpérances que l'on a conçues de Mgr le
Duc de Berry , & qui fe fortifient tous les jours.
L'Abbé Segui , Abbé de l'Abbaye Royale de
Genlis , Ordre de Prémontré , Diocèle de Noyon,
l'un des Quarante de l'Académie Françoife, mourut
à Meaux le 19 Mars âgé de 72 ans.
Meffire N. Hardouin , Doyen des Prédicateurs
du Roi , Abbé de l'Abbaye Royale de Sandras ,
AVRIL 1761.. 203
Ordre de S. Benoît , Diocèfe d'Alais , eft mort en
cette Ville le 21 , même mois , dans la quatrevingt-
uniéme année de fon âge .
C
EVENEMENS SINGULIERS .
D'ANGLETERRE.
Extrait d'une Lettre d'Oxford , du 23 Mars.
On a exécuté ce matin un célébre Voleur de
grand chenin , connu fous le nom de Darkin ou
de Dumas. Il a entendu fa condamnation avec la
plus grande intrépidité. Lorſqu'on l'a conduit au
Giber , il a monté à l'échelle avec l'air le plus libre
& le plus tranquille. Il avoit demandé qu'on atta--
chât la corde à la potence avant qu'il arrivât ; ill
la paffa lui-même autour de fon col , l'ajufta froidement
, le couvrir les yeux & le vifage de fon
mouchoir , & fe précipita fans dire un feul mot.,
On vint chercher le corps pour le porter à l'amphithéâtre
des Chirurgiens , où il devoit être diffé--
qué mais comme ce malheureux avoit déclaré
qu'il ne fe foucioit pas de mourir , mais qu'il ne
pouvoit pas foutenir l'idée d'être difféqué après fat
mort ,une troupe de Bateliers , apparemment tou
chés de fon grand courage , s'ameutérent , enle--
vérent le corps , le portérent en triomphe dansuhe
Eglife voifine ; & tandis que les uns battoient le
tambour en figne de joie , d'autres remplirent le
cadavre de chaux vive , jufqu'à ce qu'il fût confumé.
'.
Le 15 Mars , il eft mort à Gravefend un ouvrier
, nommé Guillaume Béale . Sa mort a été
caufée par la joie fubite qu'il reffentit à la nouvelle
de la mort d'un parent, quilui lailfoit une fortune
confidérable.
Les du même mois , la femme de Jean Pref
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
cot , Laboureur dans la Paroiffe de Northon Saint
Philippe, près de Bath , accoucha heureufement detrois
filles à la fois , qui font routes les trois en
bonne fanté.
Le 9 , on enterra à Bewdley la veuve Anne Teyler.
Elle étoit âgée de cent onze ans : elle avoit
confervé fon efprit & ſa vigueur juſqu'à ſa mort ,
& l'on ne voyoit pas une ride fur fon vilage.
Il mourut , dans le même temps , fur la Paroiſſe
de Bitton , dans le Sommershire , une nom→
mée Jeanne Fudge , âgée de cent deux ans : elle
laiſſe un mari qui en a plus de cent , & qui jouit
de la meilleure fanté ..
DE FRANCE.
La Dame Jeanne Philipeaux , veuve du fieur
Bailli ,Notaire , eft morte en cette Ville le 25 Mars
âgée de quatre- vingt - dix- neuf ans , cinq mois ,
onze jours. Elle étoit la derniére furvivante de la
dixiéme divifion dè la neuviéme Claffe de la troifiéme
Tontine créée en 1709 , & elle jouffoit de
huit mille trois cens livres de rente pour deux actions
de deux cens livres chacune.
Le nommé Jacques Benerteau , Maçon , eft
mort le 3. dans la Paroiffe des Herbiers , Diocèle
dé Luçon , âgé de cent quatre ans , deux mois &
cinq jours. Cet homme n'avoit jamais eu d'autre
maladie que celle dont il eft mort , & il ne fe
reflentoit d'aucune des infirmités de la vieilleffe..
Son pere avoir vécu jufqu'à l'âge de cent fept ans..
AVRIL. 1761 : 205
AVIS DIVERS.
M. DEJEAN , Maître en Chirurgie , rue S. Ger
main de l'Auxerrois, près l'Arche- Marion , à Paris,
s'étant attaché particuliérement depuis plufieurs
années , au traitement des Defcentes & des maladies
de la Veffie , defire que les Pauvres profitent
des connoiffances qu'il a acquifes fur ces maladies.
Pour ne pas les en priver plus longtems , il leur
donne avis que non-feulement il les traite chezeux
gratuitement, lorfqu'ils font attaqués de Defcentes
avec accident , ou d'une pierre dans la
Veffie; mais qu'il prend auffi chez lui ceux qui
n'ont pas les commodités chez eux pour y être
traités convenablement ; ils y font couchés , alimentés
& traités avec toute l'exactitude poffible
ils y font tous reçus & en tout tems fans aucune
recommandation ni connoiffance auprès de lui ;
ilfe tranfporte aux environs de Paris pour donner
fes foins à ceux qui font dans les accidens des
Defcentes , & qui ne pourroient pas être tranf
portés chez lui. 11 leur donne auffi des Bandages
gratis , fur les Certificats de leur Curé..
PAR PERMISSION DU ROI,
De l'Aveu & Approbation de Monfieur le Doyen
de la Faculté Royale de Médecine , figné le 13
Janvier 1761.
La Demoiselle LE MAISTREavertit le Public ,
qu'elle tient d'an Médecin Italien le fecret d'un
CERAT de beauté & de fanté blanc comme neige
, qui a les propriétés d'embellir , blanchir
affiner , adoucir & unir le teint & la peau . Il fait
tenir le rouge , & empêche qu'il ne ride . Il en206
MERCURE DE FRANCE.
léve les rougeurs , préferve & remplit les marques
de la petite vérole . Ce Cérat , rafraîchiffant, ami de
la peau , la guérit de toutes infections , tels que
boutons , chaleurs , demangeaiſons , dartres fari
neufes , en telle partie du corps qu'elles fe trou
vent , fans qu'il foit beſoin de faignées ni purgations
, & fans craindre qu'elles rentrent ; car tant
que le mal n'eft qu'entre cuir & chair , il l'adoucit
, l'aide à fortir pour jetter fon humeu
qu'il féche & fait tomber de la peau. Si on l'ap
plique fur le champ fur les brûlures , il en éteint
T'ardeur , & empêche qu'elles ne s'entament, ainfi
que les hémorroïdes qu'il adoucit , défenflamme,
appaife les douleurs , les flétrit & défléche. On
donnera la maniere de s'en fervir felon l'ufage
que l'on en voudra faire . Ce Cérat fe tranſporte
partout fans fe gàter. Les pots font de crystal , le
papier qui les couvre eft imprimé & cacheté. Il
y en a de 6 & de 3 liv. Les Dames qui aimeront
mieux pour le teint celui qui s'effaye à l'éponge,
s'expliquerent : il est très - beau pour le pa
rer. Il y en a pour ôter le rouge , qui de même
rafraîchit , conferve & repofe le teint la nuit. La
Dile LEMAISTRE eft de bonne compofition avec
les perfonnes de médiocre fortune qui auront les
incommodités ci- deffus,
La Dile LEMAISTRE demeure rue du Bacq , la
Porte cochere vis - à- vis le Couvent des Dames Ste
Marie , Fauxbourg S. Germain à Paris . Le feul
endroit où elle confiera de fes pots pour la com
modité des perfonnes éloignées , eft chez Mademoifelle
TOURMENIE , rue des vieilles Etuves , chez
le deuxième Perruquier à main gauche en entrant
par la rue S. Honoré , au fond de la Cour.
AVERTISSEMENT
AVRIL 176C 213
AVERTISSEMENT du fieur FAGONDE ,
Marchand, à Paris , rue S. Denis , près celle des
Lombards , à côté de Sainte Catherine , à la Toilette
, pour tout ce qui concerne les Parfums .
Il y a environ deux ans que le fieur FAGONDE
annonça au Public une pâte , fous le nom de Gu
zellik ou Ekmecq turc , pour la propreté , à l'uſage
du Sérail , dont la propriété eft de nettoyer , blan
chir , adoucir , raffermir , & parfumer la peau ,
Il donna , dans le temps , un Imprimé qui a éte
inféré dans différens Journaux , où eft expliquée la
façon dont on s'en fert en Afie , qui eft de la tremper
un inftant dans l'eau , de s'en frotter à volonté,
& de fe laver enfuite avec la même eau , qui
étant tiéde , en rend l'effet plus prompt ; on y annonçoit
que l'on ne trouvoit cette pâte que chez
lui, en forme de pain , fur lefquels font empreints
les attributs du Pays ; qu'ils duroient au moins trois
mois , lorfqu'on ne s'en fervoit que pour les mains ,
& que le prix de chaque pain étoit de 1 1. 4 f.
La vogue qu'a eu cette pâte , a été par degré ,
& à mesure que l'on a reconnu la vérité du bien
qu'elle produit , cette vogue a excité la cupidité
de quelques Particuliers , qui ont tâché , mais
inutilement , de l'imiter ; il y en a même qui ont
eu la mal - adreſſe de copier les imprimés dù fieur
Fagonde mot pour mot, excepté fon nom & fa
demeure; mais comme l'ufage de la Pâte faire
par ces imitateurs , pourroit infenfiblement décréditer
la véritable , il croit pour le bien général
& pour fon intérêt particulier , qu'il eft à propos
d'avertir de nouveau , que ce n'eft que chez lui à
Paris que l'on trouve cette Pâte & à Versailles ou
il a établi un Bureau , pour la commodité de la
Cour , chez M. Jodot , Apothicaire , rue du vieux
Verfilles.
214 MERCURE DE FRANCE
CUIRS de la Chine fans pareils.
Le Geur Coué fait & vend de nouveaux cuirs à
repaffer les rafoirs , canifs , lancettes , &c. d'une
qualité fupérieure à tous ceux qui ont paru depuis
que le rafoir eft inventé , la pierre devenant
inutile avec ledit cuir. La compofition des cuirs
eft à l'huile , ce qui leur fert d'entretien & de nourriture
, le contraire de tous les autres cuirs , le tranchant
du rafoir coupant de plus près & avec une
douceur nonpareille ; & un rafoir, fi gros qu'il foit,
en le travaillant fur ledit cuir , il le rend en état
de fervir, ce qui eft étonnant aux perſonnes connoilleurs
en rafoirs & cuirs.
Il fait auffi des cuirs pour repaffer & entretenir
les couteaux de table & autres , qui donnent le
tranchant auſſi doux à proportion que le rafoir.
Le fieur Coué donne avis au Public , qu'il demeu
re préfentement rue de la Tabletterie , vis-à-vis
la Place du Cloître Sainte Opportune , chez le
Marchand Epicier , au fecond , où pend . pour en
feigne , la Bonne foi . A Paris.
AP PROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier, ΑΙ
le fecond volume du Mercure d'Avril 1761 , &
je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'im
preflion. A Paris , ce 14 Avril 1761. GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE
ARTICLE PREMIER.
AM. DE LA PLACE , Auteur du Mercure. p.
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROI
M A I. 1761 .
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
Cerliin
Sains love
Chez
A PARIS ,
CCHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à - vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi.

AVERTISSEMENT.
Le Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure, rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch, à côté du Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre
, quant à la partie littéraire , à
M. DE LA PLACE , Auteur du
Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on nepayera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes
à raifon de 30 fols pièce.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payerone
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
port.
de
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir, ou quiprendront les frais du port
Jur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
c'est- à- dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci- deffus .
A ij
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en foit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
'Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
en marquer le prix,
Le Nouveau Choix de Pièces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
DE LA PLACE , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
MA I. 1761 .
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ASSISES D'APOLLON ,
SONGÉ .
A Madame. ··
HÉ quoi ! faut-il d'un pédanteſque ſonge
Vous retracer le bizarre tableau ?
Heureux encor fi d'un plus doux menfonge ,
Morphée avoit enivré mon cerveau !
Quoi donc ? fans ceffe offrir à votre vue
Et les neuf Soeurs , & le docte Apollon ,
A iij
7 MERCURE DE FRANCE.
Et des Auteurs , la bruyante cohue ?
Vous ennuyer dans le facré Vallon !
Ah, les accès d'une tendre manie
Dans ce récit feroient plus de faiſon ;
Mais, près de vous , trop lévére Uranie
Même en rêvant , il faut parler raiſon.
Hé bien , raifonnons , Madame ; ou plu
tôt ne raiſonnons pas. C'eft un fonge que
je vais décrire : je ne fuis garant de rien ;
& fi mes vifions ne s'accordent pas avec
vos idées , ce fera une nouvelle preuve
qu'un fonge n'eft jamais qu'une erreur.
Fatigué du vain bruit des difputes Littéraires
, & des folles manoeuvres de certaines
cabales , j'écoutois fans bien entendre
; je regardois fans bien voir ; je difois :
Pourquoi tant de fiel dans ces critiques ?
Pourquoi tant de partialité dans ces éloges
? pourquoi deux partis oppofés fontils
du même homme un Géant & un Pigmée
? N'eft-il donc point de mérite réel ?
Un grand homme n'eft- il qu'un être chimérique
? N'en doutons point , l'homme
fage , l'homme heureux eft celui qui vit
paifible & ignoré .
Il ne craint pas que fur un mot
Quelque Cenfeur le tympanife ;
Et pour une foible mépriſe ,
L'immole , fans fcrupule , aux vains plaifirs d'an
Sot,
MAI . 1761 .
Dès-lors je renonçois & à toute ambition
d'écrire , & à tout defir d'être applaudi,
même de ceux qui n'écrivent pas .
Déjà les nuits devenoient pour moi des
nuits , & le fommeil un temps de repos.
Le génie des beaux Arts m'apparut en
fonge Suis-moi , dit- il , & ton incertitude
va être fixée . Je tiens aujourd'hui ma
cour pléniere fur les rives de la Seine.
J'ai vu chaque fiécle cette Affemblée ſe
renouveller , & je l'ai vue plus ou moins
nombreuſe , plus ou moins éclatante.
Qu'elle fut brillante il y a cent ans , &
que je crains de la voir décliner !
Je fuivis le Génie , & tout-à coup je
me crus tranfporté dans un Palais , dont la
majefté annonçoit l'étendue , & dont la
magnificence égaloit la majefté. Perrault
en avoit conftruit la principale façade . Les
deux Manfards s'étoient réunis pour achever
le monument. Goujon , Girardon , le
Pujet , Couftou , Coiffevox , l'avoient orné
de toutes les richeffes de la Sculpture. Le
Brun , le Sueur , le Pouffin , Jouvenet &
le Moine , y avoient épuifé les trésors de
leur art. Quelques productions des Bourdon
, des Mignard , des Boulongne , des
Coypel , étoient reléguées dans des lieux
moins apparents ; mais un affez grand
nombre de Connoiffeurs alloient les y
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
chercher. Ce Palais , au furplus , étoit ,
comme je l'ai déjà dit , d'une étendue immenfe
. Chaque Mufe pouvoir l'habiter
féparément , & raffembler autour d'elle
tous ceux qui s'étoient voués à fon culte .
On voyoit dans l'intérieur de ce Monu
ment les ftatues de nos plus grands Ecrivains
dans tous les genres, c'eft - à- dire , de
ceux qui ne vivent plus que dans leurs
ouvrages. Quelques Auteurs moins célébres
, mais toujours très eftimables , n'étoient
repréfentés qu'en bufte ; d'autres
n'obtenoient qu'un fimple médaillon ;
plufieurs même n'étoient que peints , &
qui plus eft , en paſtel.
Dans unfombre coin du Portique
Etoient fufpendus les Portraits
Des Villons & des Saint- Gelais ,.
Des Desportes & des Bellais ,.
Troupe fertile en virelais ,
Rondeaux , Ballades , Triolets ,.
Ou telle autre oeuvre fantaſtique.
Du tems les éfforts deftructeurs ,
Ont peu respecté les couleurs
Qui paroient l'effigie antique ,
De ces très- caduques Auteurs ,,
Patriarches & fondateurs
De notre Parnaffe gothique.
MAI. 1761. 9
Le Portrait de Marot s'étoit mieux
confervé ; celui de Malherbe avoit une
fraîcheur qui laiffoit diftinguer tous les
traits . Il étoit placé de manière qu'on ne
pouvoit entrer dans le Temple fans l'appercevoir.
Introduit par mon Guide , je
parvins d'abord au Sanctuaire de Melpomène.
Il me fut aifé de la reconnoître à la
magnificence de ſes ornemens, à la dignité
de la démarche , à la pompe de fes difcours
. Elle avoit à fes côtés les Statues de
Corneille & de Racine.
Là le Bronze animé retrace à nos regards
Ces deux fameux rivaux , de tant d'autres l'exem
ple ;
Tous deux font immortels , & le Temple des Arts
Semble être devenu leur Temple.
La Mufe recevoit l'hommage du célèbre
Auteur de Rhadamifte , & Electre & de
quelques autres productions de la même
force.Elle le félicitoit d'avoir fçû fe frayer
une route nouvelle dans une carrière où
Corneille & Racine l'avoient devancé.
De l'implacable Atrée , épuifant la fureur ,
Le mâle Crébillon ravit notre fuffrage.
Tyran impérieux , prodigue de carnage , ›
Ilnous foumet par la terreur.”
10 MERCURE DE FRANCE.
Melpomène accueilloit avec la même diftinction
un autre favori , que fes faveurs
n'avoient pû , toutefois , captiver entiérement.
Illuftre mille travaux ,
par
Voltaire , dans fa noble audace ,
Difputoit à chacun , fes lauriers & fa place .
Il inftruifoit les Rois , il chantoit les Héros.
Calliope , Clio , Melpomène , Thalie ,
Partageoient ſon hommage , & ne le fixoient pas.
Jufques dans les mains d'Uranie ,
Il ofoit ravir le compas.
La Mufe adreffoit à l'éloquent Auteur
des Troyennes , & de Philoctete un éloge
qu'il eft rare de vouloir mériter aujourd'hui
. C'eft de n'avoir facrifié qu'à des
beautés réelles & fufceptibles d'examen .
Quelques Poëtes très- bien accueillis de
Melpomene venoient lui rendre hommage
& paffoient fans s'arrêter. Je diftinguai ,
furtout parmi eux les Auteurs de Guftave
& de Didon.
Un Ecrivain qui a beaucoup traduit, &
fouvent imaginé, parut à ſon tour . C'étoit
le Traducteur du Théâtre Anglois....
N. B. Attendu que cet article me regarde,
je ne puis qu'en rendre de très -humbles graces
à l'Auteur de ce Songe.
MA I. 1761 .
Venoit enfuite un Auteur dont le Public
avoit fait d'abord fon Idole & bientôt
après fa victime . Il étoit rare d'avoir
éprouvé, dans un âge auffi peu avancé , des
fuccès & des revers auffi frappans . Melpomène
le confola , & l'exhorta à profiter
de fes chûres pour mériter de nouveaux
triomphes. Il me fembla qu'elle y ajoutoit
ce confeil :
Ofe rentrer dans la carrière
Où j'ai conduit tes premiers pas.
Mais fuis des faux brillans la lueur éphémère ;
Ne confulte que ma lumière ;
Elle éclaire & n'éblouit pas .
Cet Auteur qui avoit éffayé de plus
d'un genre , & le plus fouvent avec fuccès
, s'éloigna pour aller rendre hommage
à deux autres Muſes .
Après lui parurent quelques jeunesgens
, qui fans avoir cueilli d'amples
moiffons de lauriers , avoient cependant
fait preuve de talent . La Mufe n'en rebuta
aucun; elle favoit qu'il n'eft que trop facile
de s'égarer dans un chemin environné
de fauffes routes & que l'on parcourt pour
la première fois . A leur âge , Corneille &
Racine n'étoient pas encore de grands
hommes. Deux de ces jeunes rivaux ef
A vj
12 MERCURE DE FRANCE..
péroient arriver au même but par dess
voies différentes.
L'un brille par le coloris :
L'autre oppofe à cet avantage.
Des plans artiftement faifis .
Tous deux contens de leur partage ;
Tous deux plus fürs d'être applaudis ,
Si , pour hâter notre fuffrage ,
Leurs talens étoient réunis...
L'Auteur d'une Tragédie , tombée à là:
première répréfenration , offroit à Melpomène
la critique qu'il avoit fait lui- même
de fon propre ouvrage. Il en fut loué ;
mais la Mufe l'exhorta à s'y prendre une
autre fois moins tard , & à ne plus choifir
le Public pour fon premier Cenfeur . Elle
préſcrivit , en général à fes jeunes Eléves
de réunir l'action au dialogue ; de préférer
les moeurs aux détails brillans , le fen
timent à la morale. Surtout , ajouta Mel
pomène ::
Loin ces vains argumens ,loin ces froides maximes
Qui fouvent d'un Héros font un Déclamateur.
Par des traits touchans , ou fublimes ,
Tranfportez les efprits , ou captivez le coeur .
De Mérope éperdue exprimez les allarmes
Ariane trompée imitezla douleur
ΜΑΙ. 1761 . 15
Pleurez avec Didon , peignez Zaïre en larmes ,
Monime au défeſpoir , & Camille en fureur ; »
Que Phédre exhale avec horreur
Le feu fecret qui la dévore ;
Et que Rhadamifte aime encore,
Pour mieux exciter la terreur.
Plus loin étoit le petit nombre des Au--
teurs qui avoient brillé fur la Scène Comi
que. Thalie fe plaça entre les ftatues de?
Moliere & de Renard , ayant fous les yeux
le bufte de Deftouches & les médaillons
de Dancourt , de Dufresny , de Brueis
de la Chauffée , de Boiffi ... Elle exhortoit
l'Auteur du Méchant à rentrer dans une
carrière , où la première courfe avoit été
un triomphe. Ce n'étoit pas , au furplus ,
le feul genre où il avoit triomphé.
D'une main légère & badine ,
L'ingénieux , le féduifant Greffet
Figuroit à nos yeux l'immortel Perroquer
De la troupe Vifitandine ,
Ses erreurs , fa faine doctrine ,
Són jargon militaire & fon dévot caquet..
A cet élégant badinage ,
Succéde le riant tableau
De fon pédantefque hermitage;
Les Grâces , les Talens conduifent fon pinceau
2
Enfin , d'un crayon plus févère ,.
1 14 MERCURE DE FRANCE.
Il trace du Méchant le mordant caractère ,
Ses menfonges adroits , fes comiques noirceurs.
Mais d'un fomineil épidémique
Il n'eft point garanti par fes fuccès Aatteurs ;
Il s'endort , couronné de lauriers & de fleurs ,
Dans un fauteuil Académique.
La Mufe fourioit aux bons mots de
l'ingénieux Piron .
Armé de pointes & de traits ,
Sous les yeux de Thalie , achevant ſes Portraits ,
Il nous trace du Métromanė
Les projets infenfés , les bifarres accès.
De là fur la tragique Scène ,
Reproduifant du Nord le fugitif altier ,
Fils tendre , amant fidèle , intrépide guèrrier ;
De Thalie & de Melpomène
II obtient le double laurier.
Alors parut le féduifant Auteur de l'Ora
cle, des Graces , du Sylphe, & des Hommes,
& c.
ouvrages
d'un genre neuf & qui fera
difficilement imité. Thalie admiroit avec
quel art il avoit fçu l'offrir aux yeux
fous
une forme fi nouvelle , & fans avoir déguifé
aucun de fes traits.
Facile , varié , maître dans l'art de plaire ,
Habile à réunir un double caractère ,
MA I. 1761 . 15
Il joignit l'énergie au plus vif agrément .
Sa plume délicate & fure ,
Eft le pinceau de la Nature ,.
Et l'organe du fentiment.
Je le vis bientôt après s'éloigner. Il
avoit plus d'un talent , & par cette raison
plus d'un hommage à rendre.
Thalie acceptoit celui de l'Auteur des
Philofophes .Elle l'exhorta en même temps
à mettre déformais dans fes Comédies
moins de farcafme & plus d'action .
Elle raffuroit l'Auteur du Jaloux qui ,
avec des talens , pouvoit être découragé
par une chute ; elle faifoit promettre à
celui des Meurs du tems de ne pas fe borner
à un premier fuccès .
Prèfque tous les jeun es Eléves de Thalie
fe plaignoient à elle de l'épuiſement
des fujets propres à fon genre. La Mufe
les raffura, en leur prouvant que le ridicule
étoit inépuifable.
Il triomphoit chez vos ayeux ,
Chez vous il régne encor en maître ,
Et gouvernera vos neveux.
Mais c'est trop peu de le connaître ,
Scachez le préfenter aux yeux.
D'un travers déjà peint, fouvent l'heureux modèle,
Peut enfanter d'autres tableaux :
16 MERCURE DE FRANCE.
Il prend avec le temps , une forme nouvelle ,
Et pour le peindre alors il faut des traits nouveauxí
Des Précieuses , dont Moliére
Diffama l'infenfé jargon ,
La petite Maîtreffe altiére
Change les airs & prend le ton.
D'un Marquis autrefois la fcience fuprême"
Fut de vanter avec excès
Sés chiens , fa maîtreffe & lui-même ,
Ses triomphes à table & fes galans fuccès :
Plus fobre de nos jours , & non moins incommode,
Il réforme , ou prévient la mode ,
Contre un fexe charmant épuife tous les traits ,
Dirige fes chevaux , vante fes équipages ,
Adopte un plat Auteur , fiffle les bons ouvrages ,
Et trop fouvent en produit de mauvais.
Dans un lefte équipage orgueilleux de paraître ,
Le Médecin renonce a fes grands mots latins.
Sa phrafe eft élégante & fes chevaux font fins ;
Ce n'eft plus un Pédant, mais c'eft un petit- maître,
Au bon vieux temps un mari fur jaloux !
C'étoit l'uſage ; autre temps , autre mode '; ·
Et maintenant qui dit époux ,
Dit un Mortel affez commode.
If eft peu de lourds Vadius ; ?
Grâce au goût , leur gloire eit paffée?·
MA I. 1961. 17
On méprife un Sçavant en us ,
Mais l'ignorance eft encensée .
Thalie recevoit avec la plus grande
diftinction l'Auteur de la furpriſe de l'amour.
Vous avez , lui difoit- elle , étendu
les limites de mon Empire ; je ne crains
que les écarts de vos fucceffeurs . N'imitez
pas ces conquérans qui , après avoir ſubjugué
certaines Nations , fe font eaxmêmes
foumis à leurs Loix .
Une feule ftatue décoroit le fanctuaire
de Calliope ; c'étoit celle de l'immortel
Rouffeau. Au côté droit de la Mufe étoit
un piédeftal qu'elle craignoit de voir trop
tôt employé. Le grand homme qui étoit
l'objet de cette crainte , lui préfenta unt
Poëme qu'elle reçut comme Poëme épique
en dépit de quelques frondeurs . Elle
acheva de leur impofer filence en couronnant
le Poëte du même laurier qui décoroit
le front d'Homére , de Virgile & du
Taffe. Un autre objet vint enfuite attirer
fes regards.
De grâces , de talens , digne & rare affemblage ,.
Captivant , à la fois , l'efprit , le coeur , les yeux ,
Sous un attirail belliqueux ,
Je vis paroître du Boccage ;
Elle qu dédaignant de vulgaires travaux,
18 MERCURE DE FRANCE.
Emboucha de Milton la trompette éclatante ,
Et dans fa carrière brillante
Ne voit point de rivale & voit peu de rivaux.
Elle parut recevoir encore un nouveau
luftre des lauriers dont la couronna Callio .
pe. La Mufe l'encouragea à démentir toujours
par des productions nobles & utiles
la frivolité attachée à fon fexe , tandis
qu'un fexe né pour les travaux folides ne
fe livroit que trop fouvent au frivole.
Un affez grand nombre de lyriques
offroient à la Mufe quelques odes couronnées
dans différentes Académies. Ils attendoient
, avec confiance , qu'elle mit le
fceau à leurs décifions. Je n'ai nulle régle
à vous tracer , leur difoit elle; fuivez l'im
pulfion de votre génie ; mais facrifiez la
Métaphyfique aux Images , les idées ingénieufes
aux penſées fortes ; élevez , plus
ou moins , votre vol , & furtout ne rampez
jamais.
Tel , fuyant ce bas hémisphère ,
L'intrépide oifeau du tonnèrre
S'élève & plâne au hant des Cieur ;
Et , toujours loin de notre vue ,
Sur un rocher qui fend la nue ,
Sufpend fon vol audacieux.
MA I. 1761 . 19
La Mufe qui infpiroit autrefois les Lafarre
, les Chapelle & les Chaulieu , jettoit
de tems en tems les yeux fur leurs Portraits
, & s'occupoit à former des courounes
de fleurs . Tout refpiroit autour d'elle
l'aifance & la pareffe. Elle regrettoit un
de fes plus chers favoris qu'elle n'efpéroit
plus revoir. Elle fourioit à Bernard , prêtoit
l'oreille aux impromptus de l'Attaignant
, relifoit des ftances de d'Arnaud
& conjuroit fes Eléves de ne pas préférer
l'honneur d'inftruire à Pavantage
de plaire. Quelques- uns d'entre eux , affis
très- commodément , travailloient en méditant
fur un fouper ; mais les hommages
qu'ils rendoient à la Mufe n'étoient que
paffagers : infenfiblement fa Cour devenoit
déferte ... ..
La fuite au Mercure prochain .
"
A Madame la Marquife de V** en lui
envoyant l'Almanach de Liége de 1761 .
Le vieux LANSBERG , pour lire au Firma- E
ment,
A de la peine à braquer fes lunettes ;
Je fuis fon Clerc ; les miennes font très- nettes ,
Et je le puis remplacer ailément.
Son Almanach demande un Supplément ..
20 MERCURE DE FRANCE.
Le bon Liégeois nous conte des fornettes ,'
Et ne dit rien du grand événement
Qu'il nous pouvoit annoncer hardiment.
Vous qui portez foit chapeaux,foircornettes ,
Riez , chantez : Joie & contentement
Vont fignaler cette nouvelle année .
De fes fureurs , de fon égarement ,
Je vois l'Europe elle-même étonnée.
Fille du Ciel, profite du moment ,
O fainte Paix ! viens , defcends promptement
Viens par CHOISEUL , de gloire couronnée ,
L'Olive en main , triompher hautement
Des vains efforts de Bellone enchaînée.
L'ordre renaît. La Licence éffrénée
Ne léve plus la tête impunément.
Ce n'eft pas tout ; le Dieu de l'Hyménée
Que mainte fille imploròit vainement ,
De fon diſtrict va faire la tournée.
Comme ilparcourt le rivage Normand !
Au feul afpect de votre fille aînée ,
Je vois le Dieu frappé d'étonnement ;
Il ſe rappelle , avec raviſſement ,
Que par lui-même à V ** amenée ,
Vous étiez telle , alors qu'un noeud charmant
Formé par lui fit votre destinée.
Cerre beauté me touche doublement ;
Amour & moi devons conjointement ,
rac Dieu, a rendre fortunée ,
MAI. 1761. 21
Autant qu'elle eft belle & fage & bien née.
Dans la Province on trouve rarement ,
Autant d'efprit , de talent , d'agrément.
De tous ces dons Nature libérale
Avoit comblé la mère également ,
Nous en avons privé la Capitale ;
Nous lui devons un dédommagement :
La fille en tout deviendra fon égale ,
Que de Paris elle foit l'ornement.
Par M. L. L. B.
EPITRE à M. RAYOLLE D'APT , en
Provence. Par M. l'Abbé CLEMENT ,
Chanoine de S. Louis du Louvre,
Pour moi , Damon , vous hauffez trop la
note :
Votre main me fecoue , au lieu de me bercer.
Vous avez beau vous exercer
A fatter finement un vieillard qui radote :
Dans mes foibles talens , je trouve l'antidote
Du poifon qu'à mon coeur on veut faire fucer,
Taitoujours redouté qui voulut m'amorcer.
e reconnois l'ami dans mon Compatriote ,
Lorfque fincére , & loin de m'encenfer ,
Sur le ton d'Ariftarque il daigne s'énoncer.
ens votre Epitre il régne un aimable mêlange ;
22 MERCURE DE FRANCE
D'efprit , de goût & de railon :
Avec tant d'art vous cachez l'hameçon ,
Que fans m'examiner j'allois prendre le change :
Tant avec un flatteur l'amour-propre s'arrange !
Mais j'ai vu que l'éloge étoit une leçon .
Les prémices de votre verve
Sont trop brillans pour des éffais ;
Vous rimez au gré de Minerve ;
Par vos veilles , Damon , méritez les fuccès
Que le Dieu des vers vous réſerve .
Mais Phébus a ſes loix ; il veut qu'on les obſerve
Quand vous voudrez cueillir les fleurs
Qu'arrofent les eaux du Permeſſe ,
Que jamais le temps ne vous preſſe !
Pour mieux affortir les couleurs ,
Choififfez à loifir , variez en l'efpéce :
Ne moiffonnez jamais dans le champ des Auteurs
S'ils ne font point de Rome ou de la Gréce.
Le Geai * de la Fontaine a trop d'imitate urs.
Méfiez-vous de l'abondance
Qu'éprouve un génie excité :
Trop de traits,de l'objet , chargent la reffemblance
Cette richeffe eft pauvreté.
Plus d'un chemin mène au Parnaffe ;
L'erreur peut conduire au bourbier :
Cherchez le moins battu : ce fut par ce fentier
* Le Geaiparé des plumes du Paon , Fable de
La Fontaine.
MA I. 1761 27
Que Racine & Boileau , chers éléves d'Horace,
Sur le fommet troqvérent place :
Pour guide prenez le premier.
Qui mieux que lui , des Vers entendit le métier ?
Puis-je avec vous riſquer des leçons inciviles ?
Vos pinceaux , cher Damon , au travail trop faci
les ,
A côté d'un beau coloris ,
Mêlent des teintes inutiles >
Qui du Tableau baiffent le prix.
Sacrifiez à l'harmonie :
Sans elle il n'eft point de bons Vers .
Si la rime fouvent met la raifon aux fers ,
Plus fouvent elle tourne au profit du génie :
Rouffeau lui doit fes plus nobles concerts .
'uyez en écrivant l'ennuyeux rempliffage.
Soyez court fans obſcurité :
Mêlez la force à la clarté :
Et de la Poëfie empruntant le langage ;
Des grâces de l'antiquité
Décorez vos écrits avec dexterité.
Que dans vos Vers tout fafle Image.
De la Fable faites ufage ;
Elle embellit la vérité.
Je vous donne ici des préceptes.
Pour former de jeunes Adeptes ,
Ne faut-il donc que des confeils ?
Par l'exemple encor mieux on inftruit vos pa
reils.
24
MERCURE
DE
FRANCE
.
Ma je fuis c Curé qu icritique & fermone,
Et ne fait pas ce qu'il ordonne
Malgré ces propos entaffés.
Pour mon coeur , c'eft trop peu ; pour ma main
c'eft affez :
Je finis donc mon verbiage ,
Damon ; j'ai foixante ans paffés :
Les longs difcours font de mon âge.
LETTRE de M. C ** à ** .
Vous m'avez paru defirer , Madame,
quelques éclairciffemens fur l'hiftoire de
ma vie ; j'avoue que je m'en fouviens à
peine , & j'ai tant vêcu que je craindrois
de m'attribuer plufieurs avantures arrivées
à quelques- uns de mes amis & qui m'ont
été racontées.
Je puis vous dire avec plus de certitude,
que les Auteurs d'un pays civilifé font ton
jours utiles à leur Nation ; ils peuvent
faire tort à certains efprits , & les rendre
faux ou pédans : mais ils rendent meilleurs
& perfectionnent ceux dont le caractère
a du moins un rapport général avec le
leur. Vous ferez donc moins étonnée de
l'aveu que je vais vous faire , en vous
apprenant que la Fontaine occupe une
place
MA I. 1761. 25
place confidérable dans l'hiftoire de ma
vie.
Ce grand homme paroît dans fes ouvrages
avec de l'efprit fans pédanterie
de la fageffe fans auftérité , du goût fans ,
recherche , de l'amour- propre fans humeur
, des chagrins domèstiques fans aucun
fiel , en un mot maître en l'art de
dormir. Il en a fait fon unique étude &
m'en a donné des leçons ; ainfi depuis un
grand nombre d'années , je puis me vanter
de fçavoir dormir, & de connoître le vrai
dormir , pour me fervir de l'expreffion de
mon Maître .Je vous préfente ce mot dans
une très-grande étendue, en vous affûrant,
Madame, que fa fignification prife au propre,
eft inféparable du figuré. L'obligation
que j'ai à la Fontaine , étant un peu plus
détaillée , vous fera fentir encore mieux
quelle peut être l'étendue de ce beau mot
dormir ; mais fi je vous parle de moi , fongez
que vous m'avez demandé ma propre
hiftoire.
".
La Fontaine a perfectionné l'indifférence
que j'avois reçue de la Nature ; non
feulement il l'a épurée , mais il a banni
toutes les efpéces d'humeur que les circonftances
de la vie peuvent occafionner.
Les idées douces & riantes , dont il occupoit
fon loifir avec tant d'agrément , ont
B
26 MERCURE DE FRANCE.
redoublé mon goût pour la retraite , ces
idées ont germé dans moi- même ; ma mémoire
s'eft chargée fans peine des traits
de fes ouvrages , fondés en général ſur la
nature fimple : fans ceffe elle me retrace
une foule d'Images agréables établies fur
le goût , la facilité , le fous -entendu ,
la
naïvété, la délicateffe ; ces parties rares de
l'efprit ont été mille fois les fleurs dont
il a parfumé ma retraite & mon lit : enfin
chaque jour je vois avec la Fontaine
l'extrême raifon de l'homme qu'il a décrit,
de cet homme enfeveli dans un profond
fommeil , & dont la fortune n'abandonne
point la porte.
pour
Voilà, Madame , toute ma Philofophie..
Elle eft douce & fimple ; elle fuit l'éclat
& le bruit , parce qu'ils empoifonnent le
bonheur; & fi elle fort de fon fommeil
tracer le petit Tableau que j'ai l'honneur
de vous envoyer , ce n'eft que pour s'y
replonger , avec un nouveau plaifir . J'ai
l'honneur d'être & c.
PORTRAIT D'HOMERE.
LESEs premiers cris d'Homère , dit Angé
Politien , appaifoient la fureur des flots
& attendriffoient les bêtes les plus féroM
A 1. 1761 : 27
cês, ce fublime enfant, ajoute- t- il , fe traînoit
fur les bords du fleuve où il étoit né;
une Nayade fe plaifoit à l'enlever de tems
en tems ; elle le prenoit dans fes bras ,
T'emportoit fous les eaux , le montroit à
fon Pere , & venoit le remettre fur le rivage
où elle le couronnoit de fleurs . Dès
que fa langue put former & articuler des
fons , il s'éffaya fur des chalumeaux , &
ces chalumeaux rendoient des fons fiers
& terribles : les Faunes & les Satyres des
campagnes voifines en furent étonnés ; ils
accouroient en foule, & fe rangeoient refpectueufement
autour de lui ; les arbres
courboient leurs rameaux pour l'entendre;
THerme&le Pactole fufpendirent le cours
de leurs flots, & les cignes abandonnerent
Pune & l'autre rive du Méandre, pour ve
nir l'écouter : devenu plus grand & plus
vigoureux , il médite des Vers. Grands
Dieux, quels Vers ! s'écrie Politien ; la terre
, les mers , l'univers entier en retentiront
éternellement. Ils briferont les loix
de l'inflexible Averne ; ils défarmeront la
droite menaçante de Jupiter &c. Un feu
divin & involontaire s'allume dans la
moëlle du jeune Homère. Achille s'offre à
fon imagination , fon âme s'élance con
tinuellement vers Achille, il vent le voir;
il veut le connoître ; dans la violence de
Bij
28 MERCURE DE FRANCE
fes tranfports , il interroge fes Mânes au
fond de fon tombeau , il appelle à grands
cris l'ombre terrible de ce guerrier ; les
rochers voisins, ébranlés jufques dans leurs
fondemens , tombent avec fracas dans la
profondeur de la mer ; les rivages pouffent
au loin des longs gémiffemens ; le
mont Ida s'ouvre, & fait jaillir mille torrens
de fon fein; le Xanthe éffrayé cache
fa chevelure dans le creux de fon antre
cependant Achille apparoît à Homère tour
couvert de fes armes , & tel qu'il fe montra,
lorfque dans fa colére il jertoit l'épouvante
& la terreur dans le Camp des
Troyens ; fon armure eft étincelante ,
fon regard eft terrible ; il tient dans une
main fa pique qui s'éleve jufqu'aux nues ,
& qu'il enfonce une feconde fois dans le
fein du malheureux Hector ; de l'autre if
préfente fon immenfe bouclier , où font
répréfentés & le ciel , & la terre & la
mer , & le foleil & fa foeur , & le choeur
des aftres qui roulent dans le filence de la
nuit, Homère fixe ces terribles objers ; &
pendant que fes regards intrépides les
parcourent avec ayidité , les ombres de
la nuit defcendent fur fa paupière , la nuit
frappe fes yeux & c.
Ange Politien , Florentin , homme de
beaucoup d'efprit & de fçavoir , terraffa
M A 1. 1,761 . 29
les Grecs que Médicis avoit attiré à Flotence
, & qui ne regardoient Homère que
comme Grammairien. Politien , dis - je ,
fentit & connut ce grand homme, du côté
de toutes les grandeurs,& pouffa peut -être
l'enthoufiafme trop loin ; mais tel eft le
produit de la lecture profonde de ce fublime
Poëte. Politien , en établiffant de
grandes idées ne préfente que desImages .
On ne peut célébrer Homère qu'en le
donnant lui - même
pour exemple,
A Monfieur *** , fur le mariage de Mile
DE RENE L avec M. le Comte de
STAINVILLE,
CONGÉ DE MARS.
Au François triomphant , que l'Europe con
temple ,
Je dois de les verras le fecours & -l'exemple :
Une victoire encor , Stainville partira.
Mars s'éloigne à ces mots , de l'Hymen qui pleura:
La Victoire entendit , & dit: féche tes larmes ,
Hymen , il eft à toi ! viens , vole , prends lesarmes,
Dit- elle à ce Héros , qui reconnut fa voix .
Il marche à l'Ennemi , con bartu tant de fois ,
Et BROGLIE dans les mains ayant mis fon ton
nèrre
Bilj
30 MERCURE DE FRANCE.
De morts & de mourants , fon bras jonche la tèrre.
C'en eft affez, dit Mars , laiffe à d'autres Guerriers
La noble liberté de cueillir mes Lauriers.
Que le myrthe avec eux pare & ceigne ta tête.
RENEL t'attend ; l'Hymen en a fait ra conquête.
Il me faut des Hérosi je connois fes ayeux ;
Je fuis fûr de ton fang ... ils naîtront de vos feux.
'L. S. D. L.
LETTRE à l'Auteur du MERCURE.
A R. en B... 12 Mars 1761 .
J'A1 longtems héfité , Monfieur , à vous
envoyer la petite Piéce de vers ci-jointe.
Il me fembloit que parler à une femme de
Village une langue confacrée à chanter
les Dieux & les Héros , étoit une eſpéce
de facrilége poëtique impardonnable dans
nos moeurs . Dans ce fiécle fuperbe où tout
fuit l'impreffion du fafte & de la vanité ;
Les plus grands Chantres du Permeſſe ,
Ont prèfque tous monté leurs lyres fur un ton,
Qu'il faut être du moins ou Marquife ou Come
teſſe ,
Pour tirer d'eux une chanſon.
Si par fois , en faveur d'une femme ordinaire ,
Quelqu'un ofe riſquer une rime légère,
Il faut que pour remplir le voeu du décorum ,
M A I. 1761 . 31
Sur l'état du fujet , il garde le filence ,
Et lui parle toujours fous le fuperbe nom
Dé quelque Dame d'importance.
Je me raffurois néanmoins quelquefois,
en penfant que plufieurs Auteurs , anciens
& modernes, n'ont pas craint de chanter,
les uns un oifeau , les autres un animal
domeſtique. Une femme , difois-je , quelle
qu'elle puiffe être , vaut bien fans doute
un Perroquet , un Singe ou quelqu'autre
bête femblable ? Mais un moment de réflexion
fur nos moeurs me replongeoit
dans mes premieres inquiétudes . L'uſage,
reprenois je alors , à part moi :
L'ufage, ce tyran orgueilleux , intraitable ,
Qui dirige à fon gré , nos talens , nos travaux ,
Peut fort bien trouver bon qu'on chante des
moineaux ,
Des chiens, ou quelque bête encor plus méprifa
ble,
Sans donner pour cela la licence aux rimeurs ,
De célébrer une femme eftimable,
Qui n'a pardeversfot , pour tout titre honorable ,
Que de l'efprit , des vertus , & des moeurs.
Les hommes en général n'eftiment jamais
les chofes fuivant leur valeur intrinféque
, mais felon le rapport qu'elles
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
ont avec leur intérêt , leur plaifir. De là
naît cette fingularité de goût, qu'on remar
que quelquefois même à ceux qui penſent
le plus délicatement.De là vient que dans
la plupart des maifons opulentes , où l'on
Te pique d'une fineffe de fentiment fort
au- deffus du commun on fait cent fois
plus de cas d'un bon gros matou , ou d'un
vilain barbet, que du Curé de la Paroiffe ,
& de tous les manans qui la compofent.
Dans une maison de cette efpéce , où j'étois
allé rendre une vifite de nouvelle année,
و
L'autre jour une femme infirme , languiſſante ,
Mal mife , cependant d'un honnête maintien ,
Entra d'un air tremblant , requit une Servante,
La larme à l'oeil , de vouloir bien
Prier Madame de defcendre ,
Et prêter à la peine un moment d'entretien.
Mais Madame ne put l'entendre :
Elle étoit occupée à voir danfer fon chien.
que ,
Mais , Monfieur , pour ne pas vous te
nir plus longtems , ce qui m'a déterminé
à vous envoyer ma Piéce , c'eft malgré
l'abus que font la plupart de mes
Confréres du talent gracieux de la Pocfie,
en confactant uniquement leur voix à flatter
l'opulence & la grandeur qui ne font
MA I. 1781. 33
déjà que trop gâtées par les hommages en
tout genre qu'on leur rend ; c'eft , dis-je ,
que par de bonnes informations faites fur
les lieux , j'ai reconnu
Qu'au Parnaffe où des premiers âges
On fuit les loix & les ufages ,
La fplendeur de l'or & du fang ,
L'éclat même d'une couronne
Ne prête aucun luftre à perfonne
Et que le feul mérite y donne
Le prix , la grandeur , & le rang.
J'ai l'honneur d'être &c.
Par un Abonné au Mercure.
EPITRE à Madame P. R. Exfermiere
de la Terre de.... en Bourgogne..
SAGI Ifmène , vos voeux ont pénétré les airs ,
Et porté juſqu'aux Dieux vos prieres plaintives
Les vertus.ne font plus captives ,
Le tems vient de brifer leurs fers.
Cette mâſure décorée
J -A
D'un nqm ** qui lui fait trop d'honneur
Retraite affreufe & délabrée ,
Lexpiration du Bail.
101
*** Le Château de
JB W
34 MERCURE DE FRANCE.
De quelque vieux foldat ligueur ,
L'appui d'abord , * puis la terreur,
Et le fléau de la contrée ;
Ces tours où fi longtems gémirent la gaîté ,
Les attraits , la jeuneſſe & l'éffain agréable,
De jeux , de ris , d'amour qui xole à leur côté ,
Ouvrant enfin leur flanc épouvantable ,
* Les châteaux étoient autrefois le boulevard &
la maison de falut de tout leur canton . Comme le
monde moral tourne à-peu-près comme le mondephy
fique , il eft arrivé , par une fuite naturelle du
mouvement de rotation , que les châteaux font aujourd'hui
précisément tout le contraire. & l'opposé de
ce qu'ils étoient anciennement : auffi
Le pauvre habitant de village ,
..´Sans défenfe , fans protecteur ,
Craint aujourd'hui plus un Seigneur ,
Que vingt loups de fon voisinage.
Un loup lui prend-il un agneau ?
Il s'en confole , il a la mére.
Mais , par hazard , le pauvre hère)
A-t-il le malheur de déplaire ,
Seulement à l'Agent d'affaire ,
Au premier valet du château ;
On lui fait vendre fan troupean,
Et l'on l'éxpulfe de la Terre.
Il faut avouer cependant que la régle n'eft pas
général; mais l'exception eft petite
M -A I. 1761 . 35.
Viennent de rendre à cette troupe aimable
Son éffor & fa liberté.
Vous ne verrez donc plus , jeune & timide Ifmone,
Ce maître impérieux , implacable , inhumain ,
Dont vous régiffiez le domaine ,
Tous les ans , à la S. Martin ,
Devant vous , tel qu'un ſpectre , apparoître foudain
;
Et fuivi de la défiance ,
Des menaces , de la vengeance ,
Venir mêler l'horreur de la préfence
Aux malheurs de votre deſtin ?
Vous ne le verrez plus toujours fombre , chagrin ,
Et contre fon Fermier , plein d'envie & de haine ,
Lui reprocher , comme un larcin ,
Qu'après trente ans de travail & de peine,
Il lui refte un morceau de pain ?
Dans un réduit fimple & commode ,
Le but de tous vos voeux , l'ouvrage de vos foins ,
Où ,,fans fuivre les loix du fafte & de la mode ,
Vous n'avez pris confeil que de vos feuls beſoins ,
- Libre à jamais de toute inquiétude ,
Dans les bras du repos & de la folitude ,
Vous allez oublier les foucis dévorans
Dont votre coeur pendant quatre ans
Reffentit l'atteinte funefte.
Là , fous cette cafe modefte ,
Loin des fades propos , des fots , & des jaloux ,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
(
!
Satisfaite des biens de la fimple nature,
Méprifant la fortune , à l'abri de fes coups
Dans le fein d'une paix inaltérable & pure ,
Vous jouirez enfin de vous !
Vous jouírez de ce coeur jufte & fage ,
Qui fur les feuls devoirs mefurant ſes defirs ,
*Sans nul goût naturel pour les foins du ménage,
Leur donne néanmoins le choix dans les loisirs ,
Qui plus eft.même , l'avantage
Et le pas fur tous fes plaifirs .
De cet efprit , où la juſteſſe
S'allié à la vivacité ,
La force à la délicateffe ,
Le bon fens à la gentilleffe,,"
Et la décence à la gaîté';
De cette âme virile & ferme
Qui fçachiant s'arracher aux vains amuſemens ,,
Où le fexe confume & perd tous fes momens ,
Fait accueil aux beaux Arts , les goûte & les renferme
Dans la claffe de fes befoins::
*Sage Ifmène , voilà la ferme ,
La feule digne de vos ſoins!
MAI 1761. 37
EPITRE à Mlle ... qui avoit approuvé
des Vers, fur une matière philofophique.
E
H quoi ,jeune Aglaé , vos yeux ouverts à peine
A la clarté du flambeau de l'Amour,
Qui vous promet une aurore certaine ,
Se détournent d'un fibeau jour !
Je les vois s'attacher fur une fombre image,
Sur des Vers , triftes fruits de la réflexion ,
Trop fidéles tableaux du malheureux partage
De l'humaine.condition !
Eh ! depuis quand les Grâces moins riantes T
Ont-elles cherché l'ombre & l'horreur des tom
beaux ?
Allez , volez fous ces berceaux.,
Ombragés de rofes naiſſantes ,
Où vous portent des jeux les aîles careffantes ;
Où , des Amours, le voltigeant effain ,
Avec des tranfports d'allégreffe ,
Des couronnes de fleurs & l'encens à la main,
Vous attend comme la Déeffe ,
Qui doit fixer leur hommage incertain.
I
I
3. 3 JJ
Aglaé , ce n'eft point à Florer on i..
IDe regarder l'hyver & fes , glaçons affreux
On ne voit point la jeune Aurorenbro
38 MERCURE DE FRANCE.
Sur la nuit tourner fesbeaux yeux :
Jouiffez de l'heureux preſtige
Qui flatte vos goûts innocens.
Tout prend pour vous les attraits du prodige .
Vous nevoyez que jeux , grâces , enchantemens
Des Cieux toujours fereins , un éternel Printerips +
L'Amour est un enfant aimable ,
Qui vous place avec lui fur un trône de lyss
La moindre fleur répand un parfum agréable,
Et s'embellie d'un riche coloris ;
Le moindre oiſeau vous ſemble le Phénix ,
Il a du Roffignol le gofier admirable :
Que dis-je ? un papillon emporte vos defirs
Tour l'Univers entier confpire à vos plaifirs !
Vous avez lu ces brillantes féeries ,
De l'efprit qui s'amuſe , aimables rêveries ?
Vous riez , Aglaé ? ces contes enfantins
Sont l'hiftoire de nos deftins.
La Nature eft la bonne Fée ,
Qui fur votre route enchantée
Répand fes diamans , fon or à pleines mains,
Vous bâtit des palais , vous orne des jardins ;
La malfaifanté Fée eft la Raiſon cruelle;
C'eſt elle qui viendra détruire ce bonheur
Qui ne vous laiffera pour ce ciel enchanteur ,
Pour cesbois, ces palais qu'en vain l'âme rappelle,
Chére & délicieufe erreur !
MA I. 1761. 39 .
Qu'un immenfe défert que parcourt la douleur.
Aglaé , croyez-moi , d'une main complaifante ,
Vous-même ,fur vos yeux abaiffez le bandean
Qu'un doux menfonge vous préfente ;
Du Sentiment fuivez le magique flambeau;
Laiffez-vous entraîner à fa facile pentes.
La Nature conduit les traits de fon pinceau
A votre jeuneffe brillante
Il n'offre qu'un riant tableau .
N'écoutez point cette Raifon avare
Qui ſe plaît à nous appauvrir."
Le Sentiment quelquefois nous égares
Mais toujours i méne au plaifir.
Entretenez fa douce ivrelſe ; .
Et dans la glace enchantereffe ,
L'ouvrage même des Amours ,
Dans ce miroir flatteur qu'à vous fervir fi léles
Ces Dieux , de fleurs , embelliffent toujours ,
Et vous apportent fur leurs ailes ,
'Aglaé , ne voyez que vos graces nouvelles ,
E le régne de vos beaux jours.
Repouffez cet écrit où la Raifon, noircie
Des plusfombres vapeurs de la mélancolie ,
Vante Caton & fon ftoïque éffort.
Qui comme vous fçait faire aimer la vie ,
Doit rejetter l'éloge de la mort.
Lifez ces vers que l'Amour grave encore
o MERCURE DE FRANCE.
Sur des myrthes facrés vainqueurs des temps jaloux
;
Rempliffez votre coeur de ces accens fi doux ,
De Pétrarque, du Taffe : ils vous parlent de Laure,
De la divine Armide , ils vous parlent de vous,
Éloigné de vos yeux , ces aftres de ma vie,
De la Mort entouré , pleurant fur un cercueil,
J'emprunte à la plaintive & lugubre Élégie,
Sa lyre gémifante & fon funébre deuil.
Mais lorfque d'Aglaé l'âme toute remplie
A fes genoux je puis être un inftant;
D'Ovide j'ai le luth galant ,
Et vous avez les charmes de Julie. ·
Par M. d'ARNAUD , Confeiller d'Ambaſſade du
ROI DE POLOGNE , Electeur de Saxe.
REVERIES D'UN FUMEUR.
QUEL eft con charme , agréable fumée ,
Divin Tabac , préfent des Immortels !
Le doux parfum d'une pipe allumée
Eſt un encens digne de leurs Aurels .
Je ne crains pas qu'une fombre triftelle
Puiffe jamais altérer,mon, humeur ;
De mes efprits tu foutiens l'allégreffe::
L'ennuine peut s'emparer d'an Fumeur.
MAI. 1761.
Moi qui tranquille , & fans que rien me
touche ,
Vis loin du monde où tout va de travers ,
Dès qu'une foisj'ai la pipe à la bouche ,
Je prends fur moi le foin de l'Univers ;
Que d'une fage & faine politique
L'Europe même eft éloignée encor ,
Lorfqu'elle fait la guèrre en Amérique ,
Et qu'au Mogol elle porte ſon or !
De vingt projets pour enrichir la France ,
Un feul bientôt va me mettre en crédit :
De par le Roi , j'abolis la Finance :
Tout eft prévu , tout diſcuté , tout dit.
N'efpére pas , orgueilleufe Angleterre ,
A tes voisins donner jamais le ton !
Tes trésors font épuifés par la guèrre.
Crains pour Madras autant que pour Boſton.
J'entreprends tout tant que dure ma pipe ,
Et ne vois rien qui tienne contre moi ;
Auffi hardi que le fils de Philippe ,
Au Monde entier j'impoſerois la loi.
De Conquérant je deviens Pacifique ;
Puiffe l'Europe adopter mes projets !
Je la transforme en vafte République ,,
Et pour toujours j'y fais régner la paix.
42 MERCURE DE FRANC E.
Thémis triomphe , elle enchaîne Bellone ;
Les Souverains font affez généreux
Pour difputer les droits de leur couronne ,
Au tribunal qui doit juger entre eux.
Efpérez tout d'une telle Alliance ,
Peuples Chrétiens , vous voilà réunis.
Allez chaffer le Tyran de Bylance ,
Et détruiſez les Brigands de Thunis.
En poursuivant des chiméres pareilles ,
Qu'obtient de plus l'Ambitieux ? Du bruit.
Que de Sçavans ont confumé leurs veilles ,
Sans en avoir retiré d'autre fruit !
Dans un efprit qu'un vain Fantôme égare ,
L'ombre tient lieu de la réalité ;
Que font les noms dont notre orgueil ſe pare !
Tout n'eft-il pas fumée & vanité ?
ParM. L* LB*.
au
TRADUCTION d'une Lettre du Perfan
MOLACK à fon ami KURZIM
fujet de l'Hiftoire de SADI , envoyée à
M. DE VOLTAIRE.
Tunu ne fcaurois croire , Kurzim , combien
j'ai été furpris de lire dans un des pa
M A I. 1761. 43
piers publics du Royaume que j'habite
aujourd'hui , le portrait que l'on y faifoit
de notre fameux Poëte, Sadi, ce génie rare,
qui éclaira la Perfe pendant tant d'années
, & qui fut avec raifon regardé comme
un des premiers hommes de notre
Empire. Ce Poëte illuftre , ce rival du
Pere de notre Théâtre , le feul de fes
Concitoyens qui ofa marcher fur les traces
d'Homère & de Virgile , & qui felon
le jugement des connoiffeurs Perfans , ne
s'illuftra pas moins que ces grands hommes
, eft mis au dernier rang des Poëtes
épiques , & n'eft point compté au nombre
de ceux qui ont été vraiment infpirés
par le Dieu de la Poëfie. L'Hiftorien ne le
regarde que comme un verfificateur , dont
l'habileté confiftoit à revêtir agréablement
des idées empruntées : c'eft le feul talent
qu'il lui accorde. Après lui avoir refufé
le titre de Poëte , lui à qui la Perfe accorde
une des premiéres places fur le Parnaffe
, il lui refufe encore celui de Philofophe,
d'Hiſtorien . En un mot,felon cet injufte
& partial étranger , notre Sadi n'eſt
qu'un de ces efprits fuperficiels , qui s'attribuant
impunément les penſées de ceux
qui les ont précédés , les font revivre par
l'éclat du coloris qu'ils fçavent leur donner.
Ses drames ne font remarquables
MERCURE DE FRANCE.
qué par des tirades heureufes , qui lui firent
donner des applaudiffemens qu'il n'a-
Voit pas mérités. SesHiftoires ne plaifent
que par quelques traits de fatyre que l'Auteur
y a répandus. C'eft , dit-il , un amas
informe d'Anecdotes fauffes ou fufpectes;
fon ftyle, qui excite chez nous l'admiration
& le tranfport , n'eft pas même celui de
T'hiftoire . Aurois - tu imaginé , Kurzim ,
qu'un jour la mémoire de Sadi feroit attaquée
fi cruellement , & que fes ouvrages
dont nous connoillons heureufement
les beautés , feroient en but aux traits
d'une baffe jaloufie ? Que diroient nos illuftres
Perfans, s'ils favoient qu'un de ceux
qui a fait le plus d'honneur à la Perfe , eft
déchiré dans un ouvrage public? Que pen
feroient- ils de la Nation, dont cet Hifto
rien fait partie , s'ils étoient aſſez injuftes
pour en juger par- là ils feroient tentés
de la croire dans les ténébres de l'ignorance
, ou ils imagineroient que les beaux
Arts y font encore au berceau. Mais je
veux croire que cet Hiftorien, qui a voulu
peindre Sadi, n'a jamais lu fes ouvrages ;
al ne le connoît fans doute que par le jugement
qu'en porterent quelques Perfans
jaloux de fa gloire & de fa réputation.
Car je ne diffimulerai pas que Sadi n'eût
dans fan tems des ennemis cruels à qui
MA I. 1761 45
Fenvie faifoir verfer des larmes , lorsqu'il
mettoit au jour quelque ouvrage qui lui
méritoit les applaudiffemens du Public.
Il faut que cet étranger foit bien pea
inftruit de ce qui fe paffe en Perfe , pour
écrire que la mémoire de Sadi y eft enfevelie
dans le plus profond oubli . Nous
ne comptons chez nous aucun Savant qui
ne poffède les ouvrages de ce grand Poëte;
chacun même le fait honneur d'en apprendre
par coeur les plus beaux endroits.
Ses drames font prèfque toujours repréfentés
fur notre Théâtre ; l'affluence des
Perfans qui rempliffent la falle des fpectacles
, les larmes qu'ils répandent, prouvent
bien que le nom de Sadi volera de
bouche en bouche jufqu'à la postérité la
plus reculée . Ses Ouvrages ne rendent en
effet qu'à rendre les hommes plus doux
& plus humains , les amis plus fincères &
plus conftans, les ( ujets plus fideles & plus
foumis : il ne chercha qu'à rendre l'homme
meilleur. Eût il pû faire une peinture fi
touchante des vertus fociales , s'il n'eût été
lui-même infpiré par l'amour de ces vertus
? mais Sadi étoit homme ; comme tel ,
il ne pouvoit atteindre à la perfection.
Auffi me garderai - je bien d'affûrer qu'il
fût fans défaut ; il en eut fans doute : mais
n'étoient - ils pas effacés par ſes bonnes
46 MERCURE DE FRANCE
qualités Ses défauts même contribuerent
peut - être aux progrès des connoiffances
humaines,en le portant au travail . Si le celebreSadi
eft maltraité par un étranger qui g
n'eft point fans doute approuvé de fa Nation
, l'Hiftorien n'a pas été mieux inftruit
de la fin de Sadi il lui prête des fentimens
indignes d'un homme, qui avoit des idées
juftes & fenlées de l'Etre fuprême. Il prope
tend qu'il mourut dans un habit de der
viche , lui qui avoit fi longtems enfeigne
auxPerfans que la Divinité,fans avoir égard
à la différence des vêtemens, ne confidé
roit que la pureté du coeur , & la condui
te de la vie. Il auroit mieux valu dire que
Sadi perdit à la fin d'une longue carrière,
la raiton dont il avoit fait jufqu'alors une
Snoble ufage : alors il n'eûr point été furry
prenant que ce grand homme, qui n'étoit to
plus lui- même , donnât dans des travers
qu'on ne devoit imputer qu'au poids de
Innées.Mais il eft vrai qu'il mourut dan
fa retraite avec une entière confiance dan
fon Dieu , dont il avoit tant de fois célé
bré la clémence. Nous ignorons cher
nous que Sadi ait demandé à être porte
après la mort dans lafepulture de no
Rois.
Semblable à ce
Philofophe dela Gre
ce que l'Oracle avoit déclaré le plus
ge , it
regardoir comme un objet méprife
fa
MA I. 1761 , 47.
1
ble , cet amas de pouffiére qui l'environnoit
; il fçavoit qu'une place dans le tombeau
des Rois , ne pouvoit rien ajoûter à
fa gloire. Mais fuppofons avec l'Hiftorien
que Sadi eût defiré cet honneur , il n'autoit
fouhaité que ce qui fe pratiquoit chez
une nation voifine , qui fe glorifioir de
connoître le mérite & de l'honorer. Chez
ce peuple les talens étoient mis beaucoup
au-deffus de la naiffance, dont on n'eft redevable
qu'au hazard , & les Héros en
tout genre étoient confondus , après leur
mort, comme ils avoient été pendant leur
vie. Voilà, Kurzim , ce que la vérité exige
en faveur de notre illuftre Compatriote.
Il feroit à fouhaiter que la Perfe produisit
fouvent des hommes femblables ; elle
pourroit alors fe vanter d'être la première
de toutes les Nations. Je fuis &c.
Par un Abonné au Mercure.
48 MERCURE DE FRANCE
VERS , pour mettre au bas du Portrait
de la jeune Religieufe , qui a traduit en
Vers François l'Ode d'HORACE, inféréa
dans le volume du Mercure de Mars
de l'année dernière.
+
Di ce Ice Portrait , dans la Nature ,
Rien pourroit-il furpaffer la valeur ,'
Si l'on pouvoit peindre avec ta figure ,
Félicité , ton efprit & ton coeur ?
LE
&
E mot de la première Enigme du fecond
Mercure d'Avril , eft , l'Homme. Cefui
de la feconde eft , le Parapluye. Le
mot du premier Logogryphe , eft , Conciergerie
, où l'on trouve Cierge , Irénée ,
cire , orge , once , Enée , Egée , Egerie ,
Circé , cor , ciron , Cicéron , or , neige
ire , Nérée , Nice , Gréce , Ino & Io. Celui
du fecond, eſt Minos, Omnis , moins ,
Simon , Ofmin.
ENIGME.
MA I. 1761. 49
LECTE
E N G M E.
ECTEUR , me confiois- tu ? dans le fiécle où nous
ſommes ,
De la tranquillité , je fuis le vrai chemin ;
Je ne m'attache qu'à des hommes ,
Je fais de genre.féminin ;
D'un cercle j'ai la figure ;
Qui me porte ne me voit pass
Je ne fuis point une parure ,
Cependant j'ai beaucoup d'appas ;
Carje puis , avec afſurance ,
Me vanter que tous les ans ,
Je nourris dans la feule France ,
Sans grand travail , plus d'un millier de gens.
RETOUT , Etudiant on Droit à Caën.
AUTRE.
Nous fommes plufieurs frères ,
Qui nous livrons des inteftines guèrres ,
Aux dépens des foibles humains ;
Leur fort eft en nos mains.
A chaque inftant du jour , fur tout ce qui refpire
Dans ce vafte Univers ,
Chacun de nous exerce fan empire ,
Et par nos mouvemens & nos combats divers ,
C
so MERCURE DE FRANCE.
Mortel, tu nais , croîs , meurs , & tombes en ruine.
Lecteur , fi tu le peux ,. devine.
RABELLEAU, Abonné au Mercure.
AUTRE.
an
Vo1 , Lecteur , fi je fuis l'ami de la ſageſſe.
Juges , finos gourmets peuvent me trouver bon.
Si ma moitié premiére obfcurcit la raïlon ;
L'autre , du goût , révolte la finefle .
LOGOGRYPHE.
PRIS par derrière , ou par devant ,
J'offre , Lecteur , également ,
L'une des Soeurs , que chaque année
On voit paroître exactement ,
Des vieillards furtout defirée,
Et favorable au tendre Amant ,
A qui je procure fouvent
L'occafion de voir fa bien aimée.
De Bordeaux . Par ROSALIE DUMO....
AUTR E.
J fuis, Lecteur , prèfque partout ,
Dans les Villes & les Villages ;
Mais c'eft en Champagne , furtout,
Que des vrais connoiffeurs , j'attire les fuffrages.
Vous croyez déja me tenir ;
Soit ; je veux bien encor vous donner plus d'aifance.
3
THE NEW YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
42 MERCURE DE FRANC E.
Thémis triomphe , elle enchaîne Bellone ;
Les Souverains font affez généreux
Pour difputer les droits de leur couronne ,
Au tribunal qui doit juger entre eux.
Efpérez tout d'une telle Alliance ,
Peuples Chrétiens , vous voilà réunis.
Allez chaffer le Tyran de Byfance ,
Et détruiſez les Brigands de Thunis.
En poursuivant des chiméres pareilles ,
Qu'obtient de plus l'Ambitieux ? Du bruit.
Que de Sçavans ont confumé leurs veilles ,
Sans en avoir retiré d'autre fruit !
Dans un efprit qu'un vain Fantôme égare ,
L'ombre tient lieu de la réalité ;
Que font les noms dont notre orgueil fe pate !
Tout n'eft- il pas fumée & vanité ?
Par M. L * LB*.
au
TRADUCTION d'une Lettre du Perfan
MOLACK à fon ami KURZIM ,
fujet de l'Hiftoire de SADI , envoyée à
M. DE VOLTAIRE,
Tuune fcaurois croire , Kurzim , combien
j'ai été furpris de lire dans un des paMA
I. 1761. 43
piers publics du Royaume que j'habite
aujourd'hui , le portrait que l'on y faifoit
de notre fameux Poëte, Sadi, ce génie rare,
qui éclaira la Perfe pendant tant d'années
, & qui fut avec raifon regardé comme
un des premiers hommes de notre
Empire . Ce Poëte illuftre , ce rival du
Pere de notre Théâtre , le feul de fes
Concitoyens qui ofa marcher fur les traces
d'Homère & de Virgile , & qui ſelon
le jugement des connoiffeurs Perfans , ne
s'illuftra pas moins que ces grands hommes
, eft mis au dernier rang des Poëtes
épiques , & n'eft point compté au nom.
bre de ceux qui ont été vraiment infpirés
par le Dieu de la Poëfie. L'Hiftorien ne le
regarde que comme un verfificateur, dont
l'habileté confiftoit à revêtir agréablement
des idées empruntées : c'eft le feul talent
qu'il lui accorde. Après lui avoir refuſé
le titre de Poëte , lui à qui la Perfe accorde
une des premiéres places fur le Parnaffe
, il lui refufe encore celui de Philofophe,
d'Historien . En un mot, felon cet injufte
& partial étranger , notre Sadi n'eft
qu'un de ces efprits fuperficiels , qui s'attribuant
impunément les penfées de ceux
qui les ont précédés , les font revivre par
l'éclat du coloris qu'ils fçavent leur donner.
Ses drames ne font remarquables
44 MERCURE DE FRANCE.
1'Auqué
par des tirades heureufes , qui lui fi
rent donner des applaudiffemens qu'il n'a-
Voit pas mérités . SesHiftoires ne plaiſent
que par quelques traits de fatyre que
teur y a répandus. C'eft , dit-il , un amas
informe d'Anecdotes fauffes ou fufpectes;
fon ftyle, qui excite chez nousl'admiration
& le tranfport , n'eft pas même celui de
T'hiftoire. Aurois- tu imaginé , Kurzim ,
qu'un jour la mémoire de Sadi feroit attaquée
fi cruellement , & que fes ouvra
ges dont nous connoillons heureufement
les beautés , feroient en but aux traits
d'une baffe jaloufie ? Que difoient nos illuftres
Perfans , s'ils favoient qu'un de ceux
qui a fait le plus d'honneur à la Perſe, eſt
déchiré dans un ouvrage public? Que pen .
feroient- ils de la Nation , dont cet Hiftorien
fait partie , s'ils étoient affez injuftes
pour en juger par- là ils feroient tentés
de la croire dans les ténébres de l'ignorance
, ou ils imagineroient que les beaux
Arts y font encore au berceau . Mais je
veux croire que cet Hiftorien, qui a voulu
peindre Sadi, n'a jamais lu fes ouvrages ;
il ne le connoît fans doute que par le jugement
qu'en porterent quelques Perfans
jaloux de fa gloire & de fa réputation.
Car je ne diffimulerai pas que Sadi n'eût
dans fan tems des ennemis cruels à qui
MAI 1761. 45
Tenvie faifoir verfer des larmes , lorfqu'il
mettoit au jour quelque ouvrage qui lui
méritoit les applaudiffemens du Public.
Il faut que cet étranger foit bien pea
inftruit de ce qui fe paffe en Perfe , pour
écrire que la mémoire de Sadi y eft enfevelie
dans le plus profond oubli. Nous
ne comptons chez nous aucun Savant qui
ne poffède les ouvrages de ce grand Poëte; ..
chacun même fe fait honneur d'en apprendre
par coeur les plus beaux endroits.
Ses drames font prèfque toujours repréfentés
fur notre Théâtre ; l'affluence des
Perfans qui rempliffent la falle des fpecacles
, les larmes qu'ils répandent, prouvent
bien que le nom de Şadi volera de
bouche en bouche jufqu'à la postérité la
plus reculée . Ses Ouvrages ne tendent en
effet qu'à rendre les hommes plus doux
& plus humains , les amis plus fincères &
plus conftans, les fujets plus fideles & plus
foumis : il ne chercha qu'à rendre l'homme
meilleur. Eût il pû faire une peinture fi
touchante des vertus fociales , s'il n'eût été
lui-même infpiré par l'amour de ces vertus
? mais Sadi étoit homme ; comme tel ,
ne pouvoit atteindre à la perfection .
Auffi me garderai - je bien d'affûrer qu'il
fut fans défaut , il en eut fans doute : mais
n'étoient ils pas effacés par fes bonnes
46 MERCURE DE FRANCE
qualités ? Ses défauts même contribuerent
peut - être aux progrès des connoiffances
humaines, en le portant au travail.Si le cé
lébreSadi eft maltraité par un étranger qui
n'eft point fans doute approuvé de ſa Nation
, l'Hiftorien n'a pas été mieux inftruit
de la fin de Sadi;il lui prête des fentimens
indignes d'un homme, qui avoit des idées
juftes & fenfées de l'Etre fuprême. Il pré
tend qu'il mourut dans un habit de dera
viche , lui qui avoit fi longtems enfeigné
auxPerfans, que la Divinité,fans avoir égard
à la différence des vêtemens , ne confidéroit
que la pureté du coeur , & là condui
te de la vie. Il auroit mieux valu dire que e
Sadi perdit,à la fin d'une longue carrière,
la raifon dont il avoit fait jufqu'alors un
fi noble uſage : alors il n'eût point été fur- po
prenant que ce grand homme, qui n'étoit
plus lui- même , donnât dans des travers
qu'on ne devoit imputer qu'au poids des
années . Mais il eft vrai qu'il mourut dans
fa retraite avec une entiére confiance dans
fon Dieu , dont il avoit tant de fois célé
bré la clémence. Nous ignorons chez
nous que Sadi ait demandé à être porté
après la mort dans la fépulture de nos
Rois.Semblable à ce Philofophe de la Grè
ce que l'Oracle avoit déclaré le plus fa
ge , il regardoit comme un objet méprifa
· M A I. 1761, 47
ble , cet amas de pouffiére qui l'environnoit
; il fçavoit qu'une place dans le tombeau
des Rois , ne pouvoit rien ajoûter à
fa gloire. Mais fuppofons avec l'Hiftorien
que Sadi eût defiré cet honneur , il n'auroit
fouhaité que ce qui fe pratiquoit chez
une nation voifine , qui fe glorifioit de
connoître le mérite & de l'honorer. Chez
ce peuple les talens étoient mis beaucoup
au- deffus de la naiffance,dont on n'eft redevable
qu'au hazard , & les Héros en
tout genre étoient confondus , après leur
mort , comme ils avoient été pendant leur
vie . Voilà, Kurzim , ce que la vérité exige
en faveur de notre illuftre Compatriote.
Il feroit à fouhaiter que la Perfe produisit
fouvent des hommes femblables ; elle
pourroit alors fe vanter d'être la première
de toutes les Nations. Je fuis &c.
Par un Abonné au Mercure.
48 MERCURE DE FRANCE
VERS , pour mettre au bas du Portrait
de la jeune Religieufe , qui a traduit en
Vers François l'Ode d'HORACE, inférée
dans le volume du Mercure de Mars ,
de l'année dernière.
D.Ice Portrait , dans la Nature ,
Rien pourroit-il furpaſſer la valeur ,
Si l'on pouvoit peindre avec ta figure ,
Félicité , ton efprit &ton coeur ?
Le mot Emot de la première Enigme du fecond
Mercure d'Avril , eft , l'Homme. Ce
fui de la feconde eft , le Parapluye. Le
mot du premier Logogryphe , eft , Conciergerie
, où l'on trouve Cierge , Irénée ,
cire , orge , once , Enée , Egée , Egerie ,
Circé , cor , ciron , Cicéron , or , neige ,
ire , Nérée , Nice , Gréce , Ino & Io. Celui
du fecond, eſt Minos, Omnis , moins ,
Simon , Ofmin.
ENIGME.
MA I. 1761. 49
LECTEUR
EN KG M E.
ECTEUR , me confiois- tu ? dans le fiécle où nous
fommes ,
De la tranquillité , je fuis le vrai chemin ;
Je ne m'attache qu'à des hommes ,
Je fuis de genre féminin ;
D'un cercle j'ai la figure ;
Qui me porte ne me voit pass
Je ne fuis point une parure ,
Cependant j'ai beaucoup d'appas ;
Car je puis , avec afurance ,
Me vanter que tous les ans ,
Je nourris dans la feule France ,
Sans grand travail , plus d'un millier de gens.
RETOUT , Etudiant en Droit à Caën.
AUTRE .
Nous fommes plufieurs frères ,
Qui nous livrons des inteftines guèrres ,
Aux dépens des foibles humains ;
Leur fort eft en nos mains.
A chaque inftant du jour , fur tout ce qui refpire
Dans ce vafte Univers ,
Chacun de nous exerce fan empire ,
Et par nos mouvemens & nos combats divers ,
C
so MERCURE DE FRANCE.
Mortel, tu nais , croîs , meurs , & tombes en ruine.
Lecteur , fi tu le peux , devine,
RABELLEAU , Abonné au Mercure.
AUTRE.
Vo 1 , Lecteur , fi je fuis l'ami de la ſageſſe.
Juges , finos gourmets peuvent me trouver bon.
Si ma moitié premiére obfcurcit la railon ;
L'autre , du goût , révolte la finefle.
LOGO GRYPHE .
PRRIS par derrière , ou par devant ,
J'offre , Lecteur , également ,
L'une des Soeurs , que chaque année
On voit paroître exactement ,
Des vieillards furtout defirée,
Et favorable au tendre Amant
A qui je procure ſouvent
L'occafion de voir fa bien aimée.
De Bordeaux. Par ROSALIE DUMO...
JE
AUTRE.
fuis , Lecteur , prèſque partout ,
Dans les Villes & les Villages ;
Mais c'eft en Champagne , furtout ,
Que des vrais connoiffeurs , j'attire les fuffrages.
Vous croyez déja me tenir ;
Soit ; je veux bien encor vous donner plus d'aifance.
I
43
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS,
1
Pastoralle.
Reviens aimable Themire, Reviens
+
habiter ces lieux, Tout notre hameau
=pire D'etre éloigné de tes yeux : Hel
Si nos bergers trouventLoin de toi quelques
+
-mens, Les allarmes qu'ils é-- prouve
Cedent aux maux que je sens.
La Musiquepar Me Papavoine,
Les Parolles de Melle B**
Gravée par M Charpentie Imprune p
MA I. 1761. SF
Vous plaît-il de nous défunir ?
Vous trouverez ma tête à Caſal , à Plaifance ;
Jointe à mon petit corps , du terrible ouragan
Souvent elle préſerve une flotte allarmée ;
Et mes pieds font du fobre Paylan
Une nourriture eſtimée ;
A rebours 7,6 , 5 , offrent le nom fameux
De cette laide Soeur , dont l'hymen frauduleux.
Jadis à fon coulin n'apprêta point à rire 3
Enfin 4 , 3 , ... mais... n'eft-ce pas trop vous dire
Par unjeune Elève du Collège de Pont-le-Roi.
R
CHANSON.
EVIENS , aimable Thémire ,
Reviens habiter ces lieux :
Tout notre hameau foupire
D'être éloigné de tes yeux.
Hélas ! fi nos bergers trouvent .
Loin de toi quelques tourmens ,
Les allarmes qu'ils éprouvent
Cédent aux maux que je fens.
Nos Prés jadis pleins de charmes ,
Ont perdu de leur gaîté ;
Mes yeux obfcurcis de larmes ,
M'en dérobent la beauté.
Leurs auraits , fans diſparoître ,
C ij
52 MERCURE DE FRANCE:
!
N'ont plus de quoi me flatter ;
Les plaifirs ceffent de l'être ,
Pour qui ne les peut goûter.
Mes moutons d'un pas timide ,
Dans la plaine difperfés ,
Y cherchent en vain leur guide,
Et des loups font menacés.
Je traîne en vain ma diſgrace;
Mon chien erre ainfi que moi ;
Et veutfuivre encor la trace
Qui me conduifoit vers toi,
En vain , la Nature entiére
S'offre fous les plus beaux traits ;
Rien n'a le droit de me plaire ,
Qu'embelli de tes attraits.
Les lieux les plus triftes même ,
Changent fi je t'apperçois ;
Quand je vois celle que j'aime ,
J'aime tout ce que je vois .
Mais quel bruit fe fait entendre
Ton nom femble retentir.
Quoi tu reviens pour furprendre
L'amant que tu fais languir
D'une faveur fi prochaine
Mon âme fe fent faifir ;
J'ai pû fupporter ma peine :
Succomberai-je au plaisir à
M A I. 1761 .
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES
HISTOIRE DE PHILIPPE & d'ALE
XANDRE - LE - GRAND , dédiée au
Roi de DANNEMARC. Par le Sieur
DE BURY.
L'AUTEUR annonce dans fa préface
qu'il a cru faire plaifir au Public , s'il réuniffoit
, dans un feul ouvrage , les principaux
traits que les Ecrivains de l'hiftoire
de Philippe & d'Alexandre nous ont tranf
mis. Ceux dont nous faifons le plus d'ufage
aujourd'hui font Plutarque & Q. Curce,
dont les traductions ont vieilli ; mais ils
n'ont pas rapporté tous les faits : ils ont
choifi ceux qui fuivant leur goût particu
lier leur paroiffoient intéreffans. On remarque
cette différence , non-feulement dans
Plutarque & dans Q. Curce , mais encore
dans Arrian & dans les autres Hiftoriens.
M. de Bury a penfé que c'étoit aux gens
de Lettres à puifer dans les fources , afin
d'offrir aux perfonnes qui veulent s'ipf-
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
truire , mais à qui leurs occupations ne
permettent pas de confulter les originaux,
des ouvrages , qui en leur épargnant le
défagrément des recherches , puiffent les
inftruire & leur plaire . On ne s'avife pas
aujourd'hui de lire Arrian ni d'aller feuilleter
les Oraifons de Démosthène & d'Ef
chine.
""
י נ כ
Quoique l'hiftoire d'Alexandre ( ditil)
paroife avoir plus de brillant & d'éclat
que celle de Céfar , la premiére eſt
» pourtant moins abondante en faits in-.
» téreffans. On voit dans Céfar un fimple
» Particulier , né dans une République
qui cherche à s'élever au- deffus de fes
égaux, & à fe rendre maître d'un Empire
le plus puiffant qui fût alors . Il eft obli-
" gé de faire ufage de tous les refforts de
» la politique & de mettre en jeu les vertus
, les vices, & toutes les paffions . Les
rapines , la prodigalité , l'amour , la fé-
» duction , le courage , la difcipline mili-
» taire , la prudence , l'éloquence , l'ami-
" tié , la haine , il met tout en oeuvre pour
ور
arriver à fon but. Que de réflexions ,
» de ſoins , de mouvemens, pour profiter
» des événemens heureux & rémedier à
» ceux qui lui font contraires ! il employe
" trente- huit , années d'un travail .conti-
>> nuel , qui l'élève à une puiffance , dont
MA I. 1761.
7
وو
»
que
"
» ne jouit que très - peu de tems .
Alexandre,au contraire, eft un Prince
la fortune conduit pour ainfi dire
» par la main. Il fe trouve à l'âge de 21
ans , maître d'un puiffant Royaume . Il
» eft à la tête d'une puiffante armée la
» plus aguerrie , & la mieux difciplinée .
» Il déclare la guèrre au plus grand & au
plus puiffant Roi du monde ; mais dont
les Soldats connoiffent à peine les premiers
élémens de l'Art Militaire. Deux
batailles décident du fort de l'Empire
» des Perfes : Alexandre s'en rend le
» maître . Il court de conquêtes en conquêtes
, fans que rien puiffe lui réſiſter :
» ainfi l'hiftoire de fa vie n'eft que celle
des Nations , qui fe rangent fous fon
» obéiffance, ou de celles qui réfiftent foiblement
à la force de fes armes.
و د
و د
Le premier livre de la vie de Philippe
contient une courte defcription de la Macédoine
, avec un abrégé de l'hiftoire de
fes Rois , jufqu'au Père de Philippe. On
y voit ce Prince le puîné de trois enfans ,
conduit par Pélopidas en ôtage dans la
Ville de Thèbes , pour lui procurer une
éducation digne de fa naiffance . Il eſt mis
fous la conduite d'Epaminondas , le plus
grand homme que la Gréce ait produit , &
dont M. de B. nous a tracé le portrait qu'il
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
faut lire pour connoître cet illuftre Citoyen
.
»
"J
Philippe,après avoir paffe environ dix
» années fous les yeux d'Epaminondas ,
» dans les exercices de l'Art Militaire >
de la Philofophie , & de l'éloquence ,
» parcourut toutes les Républiques de la
" Gréce pour s'inftruire des maximes de
leurs gouvernemens , de la différence
» de leurs moeurs , de leurs génies , & de
» leurs intérêts particuliers. Il s'attacha à
» connoître les hommes qui avoient le
"
plus de part aux affaires , à démêler leurs
» caractéres , leurs bonnes & leurs mauvaifes
qualités , & les vues qui les faifoient
agir. Il eut des liaifons & des
» conférences avec leurs Généraux , leurs
» Orateurs , leurs Philofophes , leurs Poë-
» tes ; enfin il ne négligea aucun des
" moyens capables , non feulement de l'in-
» firuire , mais de s'orner l'efprit.
Sur ces entrefaites Amyntas , frere de
Philippe , eft tué dans un combat contre
Bardillus Roi d'Illyrie , laiffant pour hé
ritier de fa Couronne un enfant en bas
âge , dont le Royaume en proye aux divifions
inteftines , eft ravagé par les Illyriens
, les Athéniens , les Pooniens & les
Thraces. Sur cette nouvelle , Philippe le
rend en Macédoine . Auffi- tôt qu'il eft arrivé
, il est élu tuteur de fon Neveu. Il raMAI
1761. 57
1
maffe les débris de la défaite de fon frere;
il affemble la Nobleffe Macédoniène , reftée
fidèle à fon Prince. Il lui parle avec
cette éloquence , dans laquelle il s'étoit ·
formé pendant fon féjour à Thébes ; il
confole les Officiers & lesSoldats de leurs
difgraces ; il leur fait voir qu'elles font
moins l'effet de leur défaut de courage ,
que de leur manque d'expérience en l'Art
Militaire ; il rétablit la difcipline ; il forme
cette fameufePhalange, qui fur fi longtemps
redoutable à ceux contre lefquels
elle fut employée ; il attaque enfuite les
différens Corps , qui ravageoient la Macédoine
; ils les bat les uns après les autres,
& les diffipe . Il lui reftoit encore à fe vanger
du plus redoutable de fes ennemis ,
ceBardillus , qui avoit défait & tuéAmyntas.
Les armées en viennent aux mains ;
la victoire eft longtems incertaine ; enfin
elle fe déclaré pour Philippe , & le rend
paifible poffeffeur de fon Royaume . Philippe
n'ayant plus d'ennemis au dehors ,
mit fes foins à rendre fes Etats floriflans
par le Commerce . Sa puiffance devint fi
grande qu'elle excita la jaloufie de toute
la Gréce. Comme il ne bornoit pas fon
ambition à la fimple poffeffion de fon
Royaume , il avoit formé le deffein de la
.
1
Cy
18 MERCURE DE FRANCE.
fubjuguer ; mais il n'était pas encore affez
puiffant,furtout fi les Républiques, qui
la compofoient , demeuroient unies entre
elles. Philippe trouva le fecret de les
défunir. Il avoit dans leurs Confeils des
Partifans gagnés par les largeffes : ils ar
rêtoient l'activité des délibérations contraires
à fes intérêts, & en faifoient pren
dre qui lui étoient favorables.
Cependant les Grecs,qui avoient péné
tré les ambitieufes vues de Philippe , lui
fufcitoient en fecret des ennemis, auxquels
ils fourniffoient des fecours.Les Athéniens,
furtout, s'oppofoient à fes deffeins, & il·les .
trouvoit de tous côtés armés contre lui,
Son plus grand ennemi , & celui qui lui
caufa le plus d'embatas , fut Démosthène ;
mais heureuſemeut pour Philippe, les Athé
niens ne fentirent jamais affez vivement
fes difcours .
M. de B. rend juftice à l'éloquence de
ce fameux Orateur. Je renverrai les Lecteurs
au portrait qu'il en a tracé : mais il
n'eft pas du fentiment de ceux qui le font
laiffés éblouir par la beauté de fon éloquence
.
Il ne feroit pas difficile , dit M. de B » de
" prouver que cer Orateur a manqué de
» prudence , dans les principales actions
MA I. 1761 . 59.
»
de fa vie , & qu'il s'eft laiffé fouvent
aveugler par fa haine particulière contre
Philippe. Sans entrer dans le détail
des occafions , où fon éloquence a été
funefte à fa Patrie & à lui- même , il fuffit
de citer celle dans laquelle il arma, contre
Philippe, la plus grande partie de la Grèce ,
& dont le fruit fut la perte de la bataille.
de Chéronée , qui priva les Grecs de leur
berté.
i Dans le fecond Livre , M. D. B. parle
de la prife de la Ville d'Olynthe , par
Philippe , & de la conquête qu'il fit de
cette République , malgré la véhémence
des difcours de Démosthène & les fecours
des Athéniens , qu'il rendit inutiles par
fon courage & par la féduction , ayant
corrompu par les préfens les Chefs de
la Cavalerie Olynthienne. Si Philippe détruifit
cette République , de tout temps
fon ennemie , & qui avoit donné retraite
à fes affaffins , il tempéra cette rigueur
par des actions de générosité, qui font con
noître la bonté de fon caractère . Auffi
dit M. D. B. » la libéralité , qui n'eſt que
diffipation dans la plupart des hommes ,
étoit chez Philippe une vertu réglée
33 par le difcernement. Jamais il ne donna.
en vain ; & il trouva le fecret fi rare de
"s
4
C vj
Go MERCURE DE FRANCE.
"
» ne point faire des ingrats . Philippe avoit
» une affabilité naturelle , à laquelle il joi
gnoit tant de grâces , furtout lorfqu'il
» vouloit gagner la confiance de quel-
" qu'un , qu'il étoit impoffible de réfifter
» à fes manières infinuantes. Il fçut bien
les employer pour engager les Athéniens ,
avec lesquels il ne vouloit pas encore entrer
en guèrre , à faire la paix avec lui . La
façon dont il reçut leurs Ambaffadeurs ,
& la petite difgreffion fur les Comédiens
Grecs,fera fans doute plaifir aux Lecteurs.
C'est ce qu'on trouvera page 73 .:
Nous n'entrerons point dans le détail
de la premiere guèrre facrée contre les
Phocéens , que Philippe entreprit , à la
follicitation du confeil des Amphictyons ,
pour venger les outrages faits à l'Oracle
de Delphes. Il fuffit de dire que les avantages
qu'il remporta, augmentérent fa puiffance
au point qu'il fe vit bientôt en état
de donner des loix à la Gréce . Mais il ne
fe preffa pas , il voulut s'affermir avant de
courir à de nouvelles conquêtes. Les Athé
niens étoient les Rois de la mer , il réfolut
de leur ôter cette fupériorité. Il s'étoit
emparé dans les premieres années de fon
régne de la Ville de Crénide , fur les confins
de la Thrace ; il y avoit envoyé une
Μ΄ Α Ι. 1761 .
617
Colonie, & enfuire il avoit fait ouvrir des
mines d'or , qui étoient dans le voisinage ,
d'où il tiroit toutes les années environ
trois millions , fomme alors très-confidérable.
Comme il n'y avoit point de Prince qui
fçût faire un meilleur ufage de fes finances,
il en employa une partie à faire conſtruire
des Flottes , pour s'opposer aux Athéniens
& faire fleurir le Commerce.
L'occupation que donnoit à Philippe
l'adminiftration de fes Etats , ne l'empê
choit pas de donner fes foins à l'éducation
de fon fils Alexandre:
Comme je penſe , dit M. D. B. » qu'on'
» doit mettre au rang des belles actions
» des Princes , l'éducation qu'ils procurent
» à leurs enfans , parce que c'eft de là que
dépendent leur gloire & le bonheur de
» leurs Sujets , il entre dans le détail de
celle que Philippe fit donner à ſon fils
» par Ariftote , le plus grand Philofophe
qui ait exifté.
ود
و د
"
» Avant d'inftruire fon Eléve des hautes
» Sciences , comme les jeunes gens font
» naturellement fenfibles à la narration
» des faits, Ariftote lui fit étudier l'Histoire.
» C'est la véritable fcience des Princes.
» Outre que les élémens en font agréables
62 MERCURE DE FRANCE.
"
» & amufans , elle eft pour eux un fond
inépuifable d'inftructions, par les exem
ples qu'elle met devant leurs yeux , &c
» en leur faifant connoître les effets utiles
» ou pernicieux, qui ont fuivi les vertus ou
» les vices de ceux dont ils lifent les ac-
» tions.
Alexandre avoit environ treize ans ,
lorfqu'Ariftote s'attacha à lui former le
coeur & l'efprit,par des connoiffances plus
relevées. Il lui enfeigna la Logique , cet
art fi néceffaire pour raifonner folidement.
Il lui fit connoître l'utilité de cetteScience
qui a tant d'influence fur la conduite des
hommes , & fur - tout fur celles des Princes
, dont les actions inconféquentes peuvent
donner lieu à beaucoup de fautes ,
furtout dans les confeils & dans l'admi
niſtration de la juftice. De là paſſant à la
Phyſique,il lui en enfeigna ce qu'un Prince
en doit fçavoir , fans entrer dans des détails
fuperflus , mais feulement pour le
porter à protéger & encourager ceux qui
fe livrent à cette Science , dans le deffein
d'être utiles à la Société.
Mais la principale attention d'Ariftote
fut pour la morale . Il fit connoître à Aléxandre
que la véritable félicité , qui doit
être la derniere fin de l'homme , ne peut
6'acquérir que par la vertu ; que la vertu
MAI. 1761 . 6-3
eft une habitude au bien qui confifte dans
le milieu , entre les deux extrémités du
vice ; & il lui fit le détail des différentes
vertus dont un Prince doit être inftruit
tant pour les pratiquer lui - même , que
pour les connoître, & pour les récompenfer
dans les Sujets. Il lui expliqua ce que
c'eft que la juftice , la prudence & la politique.
Il lui parla des Royaumes , des Républiques
, des Villes , des Communautés,
des Loix , de l'autorité , de la paix , de la
guèrre , des finances , du Commerce &
des Arts. Il lui enfeigna l'ufage qu'un Prince
fage doit faire de toutes ces connoiffances.
Le Traité de Morale qu'Ariftote
nous a laiffé , & qu'il avoit composé pour
l'éducation d'Alexandre, eft un ouvrage,,
au fentiment de tous les Sçavans , de la
plus grande pénétration , & du jugement
le plus exquis.
Il feroit inutile d'entrer dans le détail
des expéditions militaires de Philippe : il
fuffit de dire qu'il étendit confidérablement,
par fes conquêtes , les limites de fes
Etats , qu'il fortit toujours victorieux des
combats qu'il donna,& qu'il réuffit dans
toutes les entrepriſes. Il ne manqua que
celle qu'il avoit formée contreBylance &
les Villes de la Propontide , dont il fut
obligé de lever les Siéges , parce qu'elles
64 MERCURE DE FRANCE.
و ر
و ر
»
35
furent fecoutues, par des Troupes infini
ment fupérieures aux fiennes & par le Roi
de Perfe. C'eft à cette occafion que l'Auteur
rapporte un trait fingulier , qui fait
bien connoître le caractère des Athé
niens. Il dit que les Byzantins leur ayant
» envoyé en ambaffade pour demander
» du fecours ; Léon , l'un de leurs plus
diftingués Citoyens , & grand Orateur ;
lorfqu'il parut à la Tribune pour parler ,
» fa figure comique ( car il étoit petit ,
très- gros , & avoit les jambes fort courtes
) excita de grands éclats de riré
» dans l'affemblée d'un Peuple accoutu
» mé à relever jufqu'aux moindres ridicules.
Léon ne fe déconcerta point , il
» attendit tranquillement que le bruit fût
appaifé ; & alors , élevant fa voix : vous
» ririez bien davantage , dit - il , fi vous
» voyiez ma femme ; elle eft, une fois plus
» petite que moi : cependant quand nous
» ne fommes pas d'accord , la Ville de By-
»fance eft trop petite pour nous contenir.
» Les Athéniens charmés de la préſence
» d'efprit, avec laquelle il les avoit rame
» nés à fon fujet , lui prêterent une gran
» de attention' , & lui accorderent le fe
» cours qu'il demandoit. Après la levée
du fiége de Byfance , Philippé alla faire
la guèrre aux Scythes qui l'avoient in
H
MAI 17617 65
>
falté. Il remporta de grands avantages
fur eux ; mais en revenant de cette expédition,
avec fon armée chargée de butin ,
il fut attaqué dans des défilés par les
Triballes , Peuple barbare , qui lui en enleverent
une partie. Philippe fut porté
par terre & dangereufement bleffé ; &
fans la bravoure de fon fils Alexandre
il y auroit péri. A peine étoit- il rentré
dans fes États , qu'il reçut une députa-;
tion du Confeil général des Grecs , qui ,
lui apportoit un décret, par lequel ils imploroient
fon fecours en faveur d'Apollon
contre les Locriens d'Amphiffe , qui.
avoient profané la Majefté du Dieu & de
fon Temple, & le choififoient pour le
Généraliffime de leurs troupes. Philippe ,.
charmé de trouver l'occafion d'augmenter
fa gloire & fa puiffance , reçut le dé- ,
cret, fe mit à la tête de fon armée, & vint
ravager les tèrres des Locriens . Les Athéniens
furent les feuls ,à la follicitation de
Démosthène , qui s'oppoferent au décret.
Ils envoyerent du fecours aux Locriens ;
mais Philippe ayant livré bataille , les mit,
en déroute , diffipa leur armée , & s'em-.
para de toutes les villes de la Locride :
qu'il fit démanteler.
pas Cependant Philippe , qui ne s'étoit
encore mefuré avec toutes les forces de
64 MERCURE DE FRANCE.
furent fecoutues, par des Troupes infini
ment fupérieures aux fiennes & par le Roi
de Perfe. C'eſt à cette occafion que l'Auteur
rapporte un trait fingulier , qui fait
bien connoître le caractère des Athé
niens. Il dit » que les Byzantins leur ayant
» envoyé en ambaffade pour demander
» du fecours ; Léon , l'un de leurs plus
diftingués Citoyens , & grand Orateur ,
» lorfqu'il parut à la Tribune pour parler ,
fa figure comique ( car il étoit petit ,
très - gros , & avoit les jambes fort courtes
) excita de grands éclats de rire
» dans l'affemblée d'un Peuple accoutu
» mé à relever jufqu'aux moindres ridi
33
»
cules. Léon ne fe déconcerta point , il
» atténdit tranquillement que le bruit fût
➡appaiſé ; & alors , élevant fa voix : vous
» ririez bien davantage , dit- il , fi vous
» voyiez ma femme ; elle eft, une fois plus
» petite que moi : cependant quand nous
» ne fommes pas d'accord , la Ville de By-
»fance eft trop petite pour nous contenir.
» Les Athéniens charmés de la préfencé
d'efprit,avec laquelle il les avoit rame
» nés à fon fujet , lui prêterent une gran
» de attention' , & lui accorderent le fe-
» cours qu'il demandoit . Après la levée
du fiége de Byfance , Philippé alla fairė
la guèrre aux Scythes qui l'avoient in
ور
MAI 17617 65
falté. Il remporta de grands avantages
fur eux ; mais en revenant de cette expédition,
avec fon armée chargée de butin ,
il fut attaqué dans des défilés par les
Triballes , Peuple barbare , qui lui en enleverent
une partie . Philippe fut porté
par tèrre & dangereufement bleffé ; &
fans la bravoure de fon fils Alexandre ,
il y auroit péri. A peine étoit- il rentré
dans fes Etats , qu'il reçut une députation
du Confeil général des Grecs , qui ,
lui apportoit un décret, par lequel ils imploroient
fon fecours en faveur d'Apol
lon contre les Locriens d'Amphiffe , qui.
avoient profané la Majefté du Dieu & de
fon Temple, & le choififoient pour le
Généraliffime de leurs troupes Philippe ,
charmé de trouver l'occafion d'augmen-.
ter fa gloire & fa puiffance , reçut le décret,
ſe mit à la tête de fon armée , & vint
ravager les tèrres des Locriens . Les Athéniens
furent les feuls ,à la follicitation de
Démosthène , qui s'oppoferent au décret.
Ils envoyerent du fecours aux Locriens ;
mais Philippe ayant livré bataille , les mit ,
en déroute , diffipa leur armée , & s'empara
de toutes les villes de la Locride :
qu'il fit démanteler.
Cependant Philippe , qui ne s'étoit pas
encore mefuré avec toutes les forces de
64 MERCURE DE FRANCE.
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si
35
furent fecourues, par des Troupes infini
ment fupérieures aux fiennes & par le Roi
de Perfe. C'eſt à cette occafion que l'Auteur
rapporte un trait fingulier , qui fait
bien connoître le caractère des Athéniens.
Il dit que les Byzantins leur ayant
» envoyé en ambaffade pour demander
» du fecours ; Léon , l'un de leurs plus
diftingués Citoyens , & grand Orateur ,
lorfqu'il parut à la Tribune pour parler ,
fa figure comique ( car il étoit petit ,
très- gros , & avoit les jambes fort courtes
) excita de grands éclats de riré
» dans l'affemblée d'un Peuple accoutu
» mé à relever jufqu'aux moindres ridi
cules. Léon ne fe déconcerta point , il
» attendit tranquillement que le bruit fût
appaifé ; & alors , élevant fa voix : vous
ririez bien davantage , dit- il , fi vous
» voyiez ma femme ; elle eft une fois plus
» petite que moi : cependant quand nous
» ne fommes pas d'accord , la Ville de By
fance eft trop petite pour nous contenir.
» Les Athéniens charmés de la préfencé
d'efprit, avec laquelle il les avoit rame
» nés à ſon ſujet , lui prêterent une gran
» de attention' , & lui accorderent le fe-
» cours qu'il demandoit. Après la levée
du fiége de Byfance , Philippé alla faire
la guèrre aux Scythes qui l'avoient in
""
ور
MAI 1761. 65
falté. Il remporta de grands avantages
fur eux ; mais en revenant de cette expédition
, avec fon armée chargée de butin ,
il fut attaqué dans des défilés par les
Triballes , Peuple barbare , qui lui en enleverent
une partie. Philippe fut porté
par terre & dangereufement bleffé ; &
fans la bravoure de fon fils Alexandre ,
il y auroit péri. A peine étoit- il rentré
dans fes Etats , qu'il reçut une députa-;
tion du Confeil général des Grecs , qui ,
lui apportoit un décret, par lequel ils imploroient
fon fecours en faveur d'Apol
lon contre les Locriens d'Amphiffe , qui.
avoient profané la Majefté du Dieu & de
fon Temple, & le choififoient pour le
Généraliffime de leurs troupes. Philippe ,
charmé de trouver l'occafion d'augmenter
fa gloire & fa puiffance , reçut le décret,
fe mit à la tête de fon armée, & vint
ravager les tèrres des Locriens . Les Athéniens
furent les feuls ,à la follicitation de
Démosthène , qui s'oppoferent au décret.
Ils envoyerent du fecours aux Locriens ;:
mais Philippe ayant livré bataille , les mit
en déroute , diffipa leur armée , & s'empara
de toutes les villes de la Locride :
qu'il fit démanteler .
Cependant Philippe , qui ne s'étoit pas
encore mefuré avec toutes les forces de
64 MERCURE DE FRANCE.
ور
35
furent fecourues , par des Troupes infini
ment fupérieures aux fiennes & par le Roi
de Perfe. C'eft à cette occafion que l'Auteur
rapporte un trait fingulier , qui fait
bien connoître le caractère des Athé
niens. Il dit que les Byzantins leur ayant
envoyé en ambaffade pour demander
» du fecours ; Léon , l'un de leurs plus
diftingués Citoyens , & grand Orateur ;
lorfqu'il parut à la Tribune pour parler ,
fa figure comique ( car il étoit petit ,
» très - gros , & avoit les jambes fort cour-
» tes ) excita de grands éclats de riré
» dans l'affemblée d'un Peuple accoutu
» mé à relever jufqu'aux moindres ridi
» cules. Léon ne fe déconcerta point , il
» attendit tranquillement que le bruit fût
appaifé ; & alors , élevant fa voix : vous
» ririez bien davantage , dit- il , fi vous
voyiez ma femme ; elle eft une fois plus
» petite que moi : cependant quand nous
» ne fommes pas d'accord , la Ville de By
fance eft trop petite pour nous contenir.
» Les Athéniens charmés de la préſence
d'efprit , avec laquelle il les avoit rame
» nés à ſon ſujet , lui prêterent une gran
» de attention , & lui accorderent le fe
» cours qu'il demandoit. Après la levée
du fiége de Byfance , Philippé alla fairė
la guèrre aux Scythes qui l'avoient in
"
و ر
MAI 17617 65
falté. Il remporta de grands avantages
fur eux ; mais en revenant de cette expédition,
avec fon armée chargée de butin ,
il fut attaqué dans des défilés par les
Triballes , Peuple barbare , qui lui en enleverent
une partie. Philippe fut porté
par terre & dangereufement bleffé ; &
fans la bravoure de fon fils Alexandre ,
il y auroit péri. A peine étoit- il rentré
dans fes États , qu'il reçut une députa-;
tion du Confeil général des Grecs , qui ,
lui apportoit un décret, par lequel ils imploroient
fon fecours en faveur d'Apol
lon contre les Locriens d'Amphiffe , qui.
avoient profané la Majefté du Dieu & de
fon Temple, & le choififfoient pour le
Généraliffime de leurs troupes. Philippe ,
charmé de trouver l'occafion d'augmenter
fa gloire & fa puiffance , reçut le décret,
fe mit à la tête de fon armée, & vint
ravager les tèrres des Locriens. Les Athéniens
furent les feuls ,à la follicitation de
Démosthène , qui s'oppoferent au décret.
Ils envoyerent du fecours aux Locriens ;:
mais Philippe ayant livré bataille, les mit ,
en déroute , diffipa leur armée , & s'em-.
para de toutes les villes de la Locride :
qu'il fit démanteler..
Cependant Philippe , qui ne s'étoit pas
encore mefuré avec toutes les forces de
86 MERCURE DE FRANCE.
la Gréce , craignant que s'il pourſuivoit
les Athéniens , les autres Républiques
ne fe réuniffent avec eux , ne fe preffoit
pas de profiter de fa victoire , étant
informé qu'ils avoient envoyé des députés
dans les villes qui lui étoient affidées ,
& furtout à Thébes, pour les détacher de
fon parti. Il avoit accordé une tréve aux
Athéniens , & il attendoit qu'ils fe déterminaffent
à la paix qu'il leur avoit
offerte ; mais voyant qu'ils ne prenoient
aucunes réfolutions, il s'empara de la ville
d'Elatée , qui lui ouvroit le chemin pour
porter la guèrre chez celui des deux Peuples
de Thèbes ou d'Athènes , qui refuſeroit
de lui donner fatisfaction. Cette
nouvelle jetta la confternation dans Athè
nes. Le feul Démosthène ne perdit point
courage ; il fit déclarer la guèrre à Philippe.
Il fit nommer des Ambaffadeurs , à
la tête defquels il fe mit pour aller folliciter
les Thébains de s'unir avec les
Athéniens . Arrivé à Thébes , il y trouva
les Ambaffadeurs de Philippe avec ceux
des Villes fes alliées. Python Orateur fameux
exhorta les Thébains à préférer
l'alliance de Philippe à celle de leurs anciens
ennemis , dont l'ambition , l'indoci
lité & la foibleffe cauferoient infaflliblement
la ruine de Thébes. Démosthène
M. A I. 1761. 67
au lieu de répondre au difcours de Python
, lança contre Philippe les invectives
les plus outrageantes . Cependant l'éloquence
de Démosthène étoit fur le point
d'échouer contre celle de Python ; & les
Thébains étoient encore dans l'incertitude
, lorfque l'Orateur les fixa par un nouveau
trait de fon art. Je vous demande au
moins un paffage , leur dit- il , au nom
des Athéniens , qui brûlent d'aller combattre
& de périr feuls , s'il le faut , pour
la liberté de la Grèce. Ces paroles prononcées,
avec la véhémence qui faifoit le
principal caractére de l'éloquence de Démofthène
, infpira aux Thébains une f
vive ardeur , que dans l'inftant & d'une
voix prèfque unanime , ils déclarerent la
guèrre à Philippe.
Ce Prince qui ne s'attendoit pas à cer
effet de l'éloquence de Demosthène , craignant
de commettre au hazaad d'une feule
journée le fruit de tous fes travaux ,
envoya des Ambaffadeurs à Athènes , pour
faire des propofitions de paix ; mais les
Athéniens la refuferent fuivant le carac
tère ordinaire de tout ce qui eft peuple ,
qui croit, lorfqu'on le recherche, que c'eft
l'effet de la crainte qu'il a infpirée . Il
fallut donc fe réfoudre à la guèrre. Les
armées , à-peu- près égales en forces , car
68 MERCURE DE FRANCE.
celle de Philippe étoit de trente- deux mille
combattans & celle des Alliés à-peu- près
du même nombre ,fe rendirent dans la plai .
ne de Chéronée. La journée qui devoit dé
cider de l'Empire de la Gréce,étoit arrivée;
les Généraux rangerent leurs troupes en
bataille. Philippe confia le commandement
de fon aîle gauche à fon Fils Alexandre ,
alors âgé de 19 ans , & lui donna pour
le
foutenir les plus braves & les plus expérimentés
de fes Officiers. Les armées fe
chargerent avec beaucoup de réfolution
& de courage ; le combat fe foutint longtems
de part & d'autre, avec un égal avantage
; mais Alexandre ayant fait un nouvel
éffort avec la jeune Nobleffe qu'il
commandoit , & ayant attaqué le batail-
Jon facré des Thébains , le mit en dérou
te , le tailla en piéces , & détermina la
victoire , tandis que Philippe mit en fuite
le corps des Athéniens. Il y eut de la
part des Thébains , des Athéniens & de
leurs Alliés, environ douze mille hommes
de tués ou prifonniers . Démosthène , auffi
mauvais guerrier que grand orateur, n'attendit
pas la fin du combat . On prétend
même , qu'en fuyant , après avoir jetté
fon bouclier & fon épée , il demanda la
vie à un buiffon cù fon habit s'étoit ac
croché.
MA I. 1761: 69
Une victoire auffi brillante
remportée ,
fur des Peuples , qui avoient la réputation
d'être les plus braves & les plus aguerris
de l'Univers , mit le comble à la gloire de
Philippe , & détruifit en même temps la
puiffance de la Gréce , qui ne put jamais
fe relever. Philippe en témoigna la joie
par les
démonftrations les plus vives . Il
fe livra avec fes principaux
Officiers au
plaifir de la bonne chère dans un grand
repas qui fut pouffé jufqu'au lever du foleil
. Les efprits étant échauffés par le vin,
on propofa d'aller vifiter le champ de bataille.
Philippe s'y tranfporta fuivi des
convives
couronnés de fleurs ; & à la vue
des Athéniens dont la terre étoit couverte
, il eut la foibleffe de danfer en chans
tant les premiéres paroles du décret qu'avoit
dreffé
Démosthène pour lui faire déclarer
la guerre. L'Orateur Démades, fon
prifonnier, & qui étoit préfent à cette fcène
, lui dit d'un ton digne d'un vrai Républicain
: pourquoi faire le rôle de Therfue
, quand la fortune vous offre celui d'Aga
memnon? Ces paroles
frappérent
Philippe:
iljetta la Couronne qu'il avoit fur la tê- :
te ; il rendit la liberté à Démades , lui
accorda fon eftime & ne penfa plus
qu'aux dangers ou l'éloquence d'un feul

homme venoit de l'expofer .
Quelqu'un
70 MERCURE DE FRANCE...
alors lui ayant propofé pour le venger des
Athéniens , d'aller mettre le fiége devant
leur Ville : aux Dieux ne plaife , répondit-
il , que je détruife le Théâtre de ma
gloire après avoir tant fait pour elle !
Le plus grand avantage que Philippe
recueillit de cette victoire , fut de fe faire
nommer, dans une affemblée des députés
de toutes les Républiques de la Gréce, tenue
à Corinthe , Capitaine général des
Grecs pour la guèrre qu'il méditoit contre
les Perfes , & dans laquelle on régla le
contingent que chaque Peuple devoit
fournir.
Si quelqu'un étoit capable de faire réuffir
ce projet , c'étoit fans doute Philippe ;
tout concouroit à le rendre le plus grand
& le plus puiffant Prince de l'Univers : il
étoit aimé de ſes Sujets , adoré de fes Soldats
, révéré dans la Grèce , craint & eftimé
par les Etrangers . Heurex ! s'il eût
pû s'exempter des chagrins domeftiques ,
qu'il eût peut-être évités , s'il avoit eu
moins d'attachement pour les femmes.
Ils furent fi grands qu'ils l'arrêterent au
milieu de fes profpérités & cauferent ſa
perte.
Sa femme Olympias , dit l'Auteur, étoit
» fi haute , fi fiere & fi impérieufe , elle
fouffroit avec tant d'impatience les in
MA I. 1761. Z
fidélités paffagéres de fon mari , qu'elle
» ne pouvoit s'empêcher de les lui reprocher
continuellement , avec toute l'ai-
" greur & l'amertume que lui infpiroit
» la plus violente jaloufie . Philippe étoit
» doux , affable , complaifant ; il avoit le
coeur tendre ; il avoit époufé Olympias,
» par inclination ; fon ancienne paffion
fe renouvelloit fouvent, il revenoit à elleavec
ces fentimens qu'infpire toujours
2 à un honnête homme , la vertu d'une
» femme qu'il aime & qu'il refpecte.
Mais Philippe ne put jamais calmer les
emportemens d'Olympias ; elle lui caufa
des chagrins fi vifs & fi cuifans qu'il pric
la réfolution de la répudier. Il époufa
Cléopatre, niéce d'Attale un de fes Géné
Laux. Ce mariage ne fit qu'augmenter les
divifions qui regnoient dans la famille.
Royale. Une querelle furvenue à l'occafion
de ce mariage entre Alexandre & Attale,
obligea le Prince de quitter la Cour,
& il emmena fa mere Olympias avec lui.
Mais quelque tems après , un des plus illuftres
Citoyens de Corinthe , nommé Démaratus
, s'étant rendu en Macédoine
pour voir Philippe dont il étoit ami , ce
Prince le reçut avec les plus grandes marques
d'affection ; & lui ayant demandé des.
nouvelles de laGréce& fi lesVilles étoient
en bonne intelligence : Quoi , Seigneur ,luï
MERCURE DE FRANCE.
répondit Démaratus : pouvez- vous vous
inquiéter fi l'union regne entre les Villes
de la Grèce , pendant que votre maison eft
pleine de troubles & de diffenfions ? Philippe
charmé de la franchiſe de fon ami lui
avoua le plaifir qu'il lui feroit , s'il lui aidoit
à rétablir la paix dans fa famille.
Démaratus lui promit fes bons offices ,
partit auffi- tôt pour aller trouver Alexandre,&
le ramena avec fa mere Olympias.
Quelque temps après , Attale fier de l'alliance
de fa Niéce avec le Roi , & de ce
que l'infulte qu'il avoit faite à Alexandre
étoit reftée impunie, traita de la maniére la
plus indigne & la plus cruelle, Paufanias,
jeune Seigneur Macédonien , du nombre
de ceux que les Rois de Macédoine faifoient
élever à leur Cour. Celui- ci fè plaignit
au Roi d'un fanglant affront & lui
en demanda juftice avec chaleur. Philippe,
qui ne pouvoit fe réfoudre à punir l'oncle
de fa nouvelle époufe , fit d'inutiles efforts
pour adoucir l'amertume du coeur de ce
jeune homme.Paufanias infenfible aux remontrances
& aux faveurs que le Roi lui
fit à cette occafion , outré de n'en point
obtenir juftice , tourna toute la fureur
contre lui , & facrifià à fon reffentiment
celui qui refufoit de s'y prêter. Il poignarda
Philippe au milieu de fa Cour ,
dans
MA I. 1761 . 73
dans le temps , où il ne penfoit qu'à jouir
des fêtes qu'on célébroit pour le mariage
de fa fille. Telle fut la fin malheureufe
de Philippe , & dont fon fecond mariage
fut la feule caufe.
L'hiftoire de Philippe eft terminée par
le portrait que M. D. B. fait de ce Prince.
11 s'eft principalement attaché à le
difculper des vices & des défauts que
MM . de Toureil & Rollin lui imputent ,
pour avoir fuivi avec trop d'attachement
Démosthène , qui doit au moins être fufpect
, à caufe de la haine implacable qu'il
portoit à Philippe . Le Lecteur intelligent
reconnoîtra par lui - même , en confultant
l'original , M. D. B. a réuffi. Tout ce
qu'il dit à ce fujet nous a paru fondé , judicieufement
penfé , & un Extrait ne
pourroit que l'affoiblir.
Nous donnerons, dans le Mercure prochain
, l'Extrait de la vie d'Alexandre.
རྩྭ་འི་
D
74 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de l'Auteur du Mercure à Ma
dame la C.... D....
ONN vous a dit la vérité , Madame ; la
Brochure , intitulée Effai de quelques gen
res divers de Poëfies , par M. De *****
contient beaucoup de Poëfie , & bien des
morceaux véritablement eftimables . En
attendant que je puiffe vous envoyer ce
Recueil , je me hâte de vous en tranfcrire
quelques fragmens .
L'Ode , fur la Paffion du jeu , offre plus
d'une ftrophe digne de remarque . En voici
deux , qui vous plairont fans doute ; &
il eft affez inutile de vous dire que c'eſt
à la Fortune que celle- ci s'adreffe .
Quel est ce nouveau facrifice
Que l'on prépare à tes autels ?
Tu triomphes : c'est l'Avarice
Qui t'offre les voeux des mortels.
Plus de rang , de ſéxe , de titre :
Ils ne veulent point d'autre arbitre
Qu'un cube autour d'eux agité ;
Et ces forcenés , dans leur rage ,
Semblent chérir encor l'image
De leur premiére égalité.
MAL. 176 . 75
Quel fubit & profond filence !
Des monceaux d'or font entallés.
Le fignal fe donne , on commence ;
Des monceaux d'or font difperfés.
L'inquiétude au tein livide ,
A l'oeil louche , au regard avide ,
Se peint fur leur front pâliffant :
Bientôt le défeſpoir farouche ,
L'écume & le fiel à la bouche ,
Vomit la plainte en rugiffant.
Dans l'Ode dont le titre eft , les grands .
hommes n'ont rien à craindre de leurs rivaux
, vous lirez avec plaifir ces deux autres
ftrophes.
Injuftes & vains que nous fonimes !
Craignons nous de voir emporter
Les applaudiffemens des hommes ?
Ofons plutôt les mériteri
Ah! la gloire n'eft obfcurcie
Que par la baffe jalouſie ,
Non par l'éclat de nos rivaux.
Condé , fans éclipfer Turenne ,
Villars , fans éffacer Eugène ,
Se font mis au rang des Héros.
Pyrrhus , fur les pas de fon Père ,
Fit encor admir er fon nom .
Le laurier qui ceignit Homère
Dij
76. MERCURE DE FRANCE
Ceint auffi le Taffe & Milton.
Ainfi , plus cher à notre oreille ,
Racine à côté de Corneille ,
Se maintient dans un rang égal.
Voltaire a partagé leur gloire ;
Et Broglie , enfant de la Victoire ,
Nous rend Maurice & Lowendal.
Ces Vers , i dignes d'être applaudis par
tous les bons François,font fuivis de quelques
Epitaphes heureufement tournées.
Je ne vous citerai pourtant que celle du
Maréchal de Lowendal.
Maurice eut un ami qu'il fçut nous rendre utile
La Mort , par le talon , le faifit aujourd'hui.
Lowendal périt comme Achille :
Il avoit vêcu comme lui.
Vient enfuite une Traduction de la 7 :
Elégie d'Ovide , que je vous laiffe à lire
toute entiere. Je vous tranfcrirai feulement
la Réponse de M. de Voltaire , lorf
qu'elle lui fut envoyée par l'Auteur.
Les Perfonnes qui ont l'honneur de vous
connaître , Monfieur , vous rendront lajufrice
d'avouer que vous êtes plus faits pour
traduire les amours fortunés d'Guide , que
fes amours malheureux . Si d'ailleurs quelque
Beauté avait afe plaindre de
de youss elle
MA I. 1761 ༡ཧ
ferait diferette ; & vous pourriez vous van
ter de vós exploits fans lui déplaire. Ily a
de très-galans- hommes qui ont perdu partie
, revanche & le tout , fans en rien dire.
Vous n'êtes pas de ces gens - là ; & je vous
crois très- heureux au jeu. Pour moi qui ne
joue point , je vous fouhaite d'auffi bonnes
parties que vous avez fait de bons Vers."
Goûter les plaifirs , & chanter- les .
3
J'ai l'honneur d'être & c.
Ce Recueil enfin , que vous trouvérez
trop court , quoiqu'il contienne plufieurs
autres Piéces , finit par une autre Réponfe
de M. de Voltaire, que je ne fçaurois trop
tor vous faire connoître .
REPONSE DE M. DE VOLTAIRE.
Vous flattez trop ma vanité :
Cet art fi fé luifant vous était inutile,
L'art des Vers fuffifait ; & votre aimable ftyle "
M'a lui feul affez enchanté.
Votre âge quelquefois hazarde fes prémices ,
En efprit ainsi qu'en amour :
Le temps ouvre les yeux , & l'on condamne un
jour
De fes goûts paffagers les premiers facrifices.
A la moins aimable Beauté ,
Dans fon befoin d'aimer on prodigue fon âmes
Dij
78 MERCURE DE FRANCE.
-On prête des appas à l'objet de fa flâme ;
Et c'eft ainfi que vous m'avez traité.
Ah! ne me quittez point, féducteur que vous êtes ,
Ma Muſe a reçu vos fermens.
Je fens qu'elle eft au rang de ces vieilles coquettes,
Qui penfent fixer leurs amans .
J'ai l'honneur d'être &c .
PLAIDOYERS & MÉMOIRES , contenant
des Queſtions intéreffantes tant en matiéres
civiles , canoniques & criminelles ,
que de Police , & de Commerce , avec
les jugemens , & leurs motifs fommai
res , & plufieurs difcours fur différentes
matieres, foit de Droit public, foit d'Hif
toire . Par M. Mannory , ancien Avocat
au Parlement. Tome 6 ° . in- 12 . Paris ,
1760. Chez Claude Hériffant , Libraire-
Imprimeur , rue Neuve Notre - Dame , à
la Croix d'or.
>
les Ce nouveau volume ainfi , que
cinq premiers , contient des Cauſes extrêmement
intéreffantes traitées à la
Grand Chambre. On y verra , dans toutes
, les injuſtices les plus marquées , les
excès les plus violens , des mauvais pe
res , des maris injuftes , des fils indociles ,
des femmes méchantes , des amis infidéMA
I. 1761 . 79
les , des parens cruels . Il femble que ce
foit une collection faire à la honte de
l'humanité : mais des arrêts favorables
aux perfécutés , ont vangé la Nature of
fenfée , & l'ont rétablie dans fes droits .
On compte pouvoir donner le feptiéme
volume , vers la Pentecôte. Il fera formé
de Queſtions canoniques , ainfi qu'on l'a
promis. On reprendra , pour le 8 , des
Caufes Criminelles .
L'Auteur ne fçauroit trop tôt tenir fes
promelles.
HISTOIRE DU CARDINAL DE GRANVELLE,
Archevêque de Befançon , Viceroi de
Naples , Miniftre de l'Empereur Charles-
Quint , & de Philippe Second . Roi d'Efpagne
. in- 12 . Paris , 1761. Chez Duchefne
, Libraire, rue S. Jacques, au Temple
du Goût. Prix , 2 liv. 10 f. broché.
DICTIONNAIRE DU CITOYEN , ou Abrégé
hiftorique, théorique & pratique du Commerce.
Contenant fes principes ; le droit
public de l'Europe , relativement au Négoce
; les productions , foit de la nature ,
foit de l'induftrie , qui forment des branches
de Commerce ; la notice des fabriques
nouvellement établies ; l'explication
des principaux termes qui ont rapport au
trafic & au change ; le nom des Villes ,
Div
So MERCURE DE FRANCE.
Provinces & Royaumes commerçans ,
avec les détails de leur Négoce , & la
defcription de leurs Colonies ; les Compagnies
de Commerce Françoifes & Etrangères
qui méritent d'être connues ;
les Banques , Chambres d'affurance ,
Comptoirs , & autres Établiffemens formés
pour la fureté du Négoce ; les principales
Foires de l'Europe ; l'évaluation
précife des espéces d'or & d'argent la
;
maniére, dont on tient les écritures dans
les différentes Places ; leurs ufages pour
le payement des Lettres de Change ; diverfes
obfervations au fujet de leurs
poids , mefures , monnoie , change & c.
2 gros volumes in 8 ° . Paris , 1761. Chez
Grange , Imprimeur Libraire , rue de la
Parcheminerie ; & chez Cl . J. Baptifte
Bauche , Libraire , quai des Auguftins , à
l'Image Ste Géneviève , & à S. Jean dans
le Défert. Cet Ouvrage nous a paru
auffi
vraiment utile que bien fait .
HISTOIRE de la République de Venife;
depuis fa fondation jufqu'à préfent . Par
M. l'Abbé L * * * Tomes 4 & 5 , in - 12 .
Paris , 1760. Chez Duchefne , rue S. Jacques
, au Temple du Goût . Prix , s live
les 2 vol. brochés. Ces deux volumes ,
plus intéreЛlans encore que les premiers ,
MAI. 1761.
81
& dont nous rendrons compte avec plaifir
, pouffent l'hiftoire de Veniſe juſqu'à
la mort de Thomas Mocenigo, 64° Doge,
en 1423.
· MÉMOIRES pour fervir à l'hiftoire de
la Vie & des Ouvrages de M. de Fontenelle
, tirés du Mercure de France 1756 ,
1757 , & 1758. Par M. l'Abbé Trublet
feconde édition , corrigée & augmentée.
in-12. Amfterdam , chez Marc - Michel
Rey , 1759. Et le trouvent à Paris , chez
Defaint & Saillant, Libraires,rue S. Jean
de Beauvais .
ROMANS traduits de l'Anglois , in - 12
Amfterdam , 1761. Prix , 2 liv . broché.
Les deux premiers font tirés des Lettres
Perfannes Angloifes de M. Littleton ; &
le dernier fait partie d'un Recueil de
Romans de Madame Behn , Auteur de
l'hiftoire d'Oronoko. Ils font intéreffans ,
& bien écrits.
PLANTATION & culture du Mûrier " , "
Brochure in-4°. Au Mans , chez Charles
Monnoyer , Imprimeur du Roi , à l'entrée
da Pont- Neuf. 1760. C'eft l'Ouvrage d'un
Membre de la Société Royale d'Agricul
ture de la Généralité de Tours , du Bu
reau du Mans , & dont on trouve des
1
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
Exemplaires à Paris chez la veuve d'Hou
i, rue S. Severin.
TABLE ALPHABÉTIQUE des noms des
Auteurs , & des Ouvrages fans nom d'Auteurs
, contenus dans le Catalogue des
Livres de la Bibliothèque de feu Mgr le
Maréchal Duc d'Eftrées. in- 8 ° . Paris ,
1760. Chez Prexoft , Libraire , quai &
près la rue des Grands Auguftins. Ce Ca
talogue , dont on a donné ici la Table ,
a été imprimé en 1740 , & dirigé par feu
M. Boudor ; & l'Ouvrage qu'à entrepris
M. Prevost , pour remplir les engagemens
contractés par feu fon Confrère , ne peut
être que bien reçu par les vrais Littéra
teurs.
GAZETTE D'EPIDAURE , ou recueil Hebr
domadaire de nouvelles de Médecine ,
avec des réfléxions pour fimplifier la théor
tie , & éclairer la pratique .
AVERTISSEMENT.
La Gazeite d'Epidaure fe vend à Paris ,
chez GRANGE , Imprimeur- Libraire , rue
de la Parcheminerie.
Le prix eft de 2 fols , chaque Ordinaire ,
compofe de 8 pages in- 8 °. conformémens
au modéle.
Les perfonnes qui defiteṛant, s'abonner à
MA I. 1761.
payeront d'avance 12 livres pour l'année
entiere , ou 6 livres pour la demi - année
& au moyen de cet abonnement , la Gazette
leur fera diftribuée deux fois par femaine
, portfranc , non feulement à Paris ,
mais même dans les Provinces . A l'égard
des pays étrangers , le port fera affranchi
jufqu'aux frontières du Royaume-
Les premiéresfeuilles étoient prêtes àparoître
au premier Janvier . Mais des raiſons
particulières en ayant fait différer la publicasion
jufqu'à ce jour , on fuppléera à
ce retardement en donnant trois Ordinaires
par semaine , tant qu'il fera néceffaire ,
pour que les Soufcripteurs ayent l'année
complette.
On ne fera qu'un feul & même envor
dans les Provinces pour les deux Ordinaires
de chaque femaine.
Le Bureau d'adreffe eft chez M.MIGNOT,
Commis au recouvrement de la Gazette d'Epidaure
, rue du Petit- Bourbon , vis à vis
du Louvre , entre le Quai de l'Ecole & le
Paffage de S. Germain de l'Auxerrois .
On aura la bonté de lui adreffer , frames
de port , les paquets & les lettres , & le
prix des abonnemens .
Tous les paquets qui ne feront pas af
franchis de port , refteront au rebut. -
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
On aura foin d'écrire bien diftinctement:
les noms & les adreffes..
Lorfqu'il paroîtra néceffaire de donner
quelques planches , ou figures gravées ,
pour plus grand éclairciffement de certains
articles , on le fera gratuitement , & fans
rien exiger au- delà du prix fixe des abon
nemens .
Quiconque aura fourni le moindre arti
cle à la Gazette d'Epidaure , pourra recevoir
gratis une demi- douzaine , ou une
douzaine d'exemplaires de la feuille où
fon article aura été inféré. S'il defire d'en
avoir un plus grand nombre , il s'adreffera
à l'Imprimeur , pourvû qu'il ait foin d'a
vertir , avant que la planche foit rompue..
MAI. 1761.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADÉMIE S
EXTRAIT d'une Lettre de *** à MM.
les Membres de l'Académie Royale &
Littéraire de la Ville de Caën , fur lè
Difcours couronné lé Jeudi 6e Décembre
1759 , dont le Sujet eft , S'il
eft plus nuifible qu'avantageux de planter
en Normandie des Pommiers dans
les bonnes terres propres au labour:

A UTANT que je puis me fouvenir
de ce que je recueillis de la lecture de
l'Ouvrage qui fait le fujet de celui - ci ,'
fans entrer dans l'épineux examen des
Principes de la Chymie , contre lefquels !
bien du monde prétend que l'Auteur a
manqué , ce que je laiffe à plus fçavant
que moi à fcruter & approfondir ; je me
remets en mémoire, qu'en général & fans
exception, ila prétendu cet Auteur 1º.que
le Plant ne vient point dans les bonnes
86 MERCURE DE FRANCE.
tèrres propres au labour , & que les Cidres
qui en proviennent ne font point de
bonne qualité. 2 ° . Que les mauvaiſes tèrres
ne font point propres non plus à produire
de bons Cidres ; que les Pommiers qui y
croiffent les produifent & les font maigres
, clairs , fans couleur ni bonté. 3 °.
Que les terres mixtes & de moyenne qualité
, furtout celles qui font glaifeufes , &
nullement les argilleufes , font les ſeules
qu'on peut & qu'on doit planter , tant
pour la réuffite du Plant que pour la bonne
qualité des Cidres à en efpérer .
Si je ne me trompe , Meffieurs , voilà
les trois principes d'où dérivent les conféquences
de celui avec lequel j'entre en
concurrence,avec tous les ménagemens &
les égards que méritent d'un côté fon fçavoir
, & de l'autre fa perfonne & fon caractére
.
Sans avoir combiné , calculé , ni établi
la perte ou le profit à attendre de la plantation
des Pommiers dans les bonnes tèrres
propres au labour ; fans examen fuffifant
& précis de leur aptitude ou non à
être plantées ; & fans conftater , en ſuppofant
qu'on les plante , quel en fera le
préjudice & le défavantage , M. Menuet
conclud & décide tout de fuite , que le
Plant n'y vient pas bien , & que le Cidre
MA I. 1761 . $7
n'en eft pas bon , que conféquemment on
ne les doit point planter, & qu'iln'ya que
les tèrres glaifeufes & de moyenne qualité
qui doivent l'être. Si l'Auteur eût
prouvé ce qu'il a avancé par l'expérience ,
il faudroit avec raifon en convenir & y
acquiefcer , nulle repriſe ne lui en feroit
faire ; mais il ne l'a fait à aucun égard :
pas mieux ni plus conféquemment que
je difois, qu'il ne faut planter aucuns arbres
fruitiers dans un jardin potager, fur le prétexte
fpécieux que les légumes & les herbes
potagères de ce jardin en fouffriroient
un défavantage & un préjudice qui ne
pourroit à beaucoup près être réparé par
le bénéfice à retirer de la plantation de
ces arbres ; & qu'outre cet inconvé
nient les arbres fruitiers ne viennent pas
bien dans les jardins potagers , & que les
fruits n'en font pas bons : en devrois -je être
crû pour le dire, fans le prouver par l'expérience
? Non fans doute , & par cette
même expérience contre laquelle tous les
raifonnemens poffibles & les argumens
les plus forts ne peuvent prévaloir , on
feroit tomber tous ceux dont j'aurois pu
me fervir, pour perfuader de la vérité d'un
fyftême révoquée & détruite par des faits ,
qui prouveroient le contraire ; puifque tout
le monde fçait , fans qu'il foir beſoin d'en
88 MERCURE DE FRANCE.
donner des preuves , que les arbres frut
tiers plantés dans les Jardins Potagers à
diftance raifonnée , n'empêchent point les
cultivateurs de bénéficier & recueillir un
produit certain & avantageux de leurs
herbes & légumes , & que les fruits excellents
de ces arbres les indemnifent bien
au- delà du peù de préjudice qu'ils y ont
caufé, ( car il faut convenir qu'ils y en caufent
toujours un peu. ) Je penfe donc
qu'on doit décider de même desPommiers
plantés dans les bonnes tèrres propres au
labour à diftance convenable. Pour le
prouver fans replique , je vais établir fur
une expérience certaine, reconnue telle ,
que les Pommiers viennent au mieux dans
ces tèrres propres au labour que M. Menuet
eftime inaptes pour la Plantation ;
je vais également conftater par des réfultats
de faits , que les arbres qui y croiffent
donnent d'excellens Cidres . Je ferai
plus , je vais démontrer auffi & toujours
par l'expérience , que les tèrres argilleufes
, les pierreufes & de la moindre qualité
pour le labour, peuvent être plantées avec
fuccès, que les Pommiers y viennent bien,
& que les Cidres en font fort bons.
M. Menuet, fans fe promener toujours
far les bords de cette riviére qu'il a fi
fouvent citées qui arrofe cette mauvaiſe
M A 1. 1761 . 89
contrée de Pays dont il a été parlé , que
ne s'approchoit-il plutôt des environs de
l'Orme, où de toute part , en y faifant les
obfervations & les recherches convenables
, il y auroit appris , il y auroit vû dans
les meilleures tèrres propres au labour
de très beaux Pommiers chargés de fruits;
& au- deffous de très belles & bonnes
levées de grains de toute efpéce ; il fe fe
foit certifié du goût exquis & de la qualité
fupérieure que donnent les arbres plantés
dans ces tèrres , ainfi que de leur fertilité.
L'ignorance où l'Auteur paroît être de
ces faits, qu'il me paffe le terme, puifqu'il
ne tend nullement à l'offenfer , prouve
affez qu'il n'a traité fa matiere que trèsfuperficiellement,
& que de l'examen d'uẻ
ne parcelle , il a porté un jugement décifif
d'un tour: Si au contraire il eût par partie
fait fes obfervations , il auroit pû pronon
cer conféquemment fur chacune d'elles ;
&par la même raifon fur le tout.Il lui étoit
aifé, en venant de S. Lo à Caen , de remar
quer que depuis Juvigny & Fontenay les
tèrres font pour la plupart excellentes ; que
les Pommiers qui y font plantés en affez
bonne quantité, font beaux ,grands & fertiles.
En s'informant de la qualité des Ci
dres de ces Pommiers , tout le monde luit
auroit dit qu'il n'en fut jamais de meil
go MERCURE DE FRANCE.
leurs. Cheux , Criftot , le Mefnil Patry ,
Broué , Norey , S. Manvieu , Marcelet
&c. Paroiffes qui font fur cette route , en
produifent de tels , qu'il n'en entre pas de
meilleurs dans Caen , où l'on peut dire
que l'on boit l'élite des cidres de toute la
Normandie.
A l'égard de ce qui a été avancé par
M. Menuet , que les tèrres argilleufes ne
conviennent point au plant ; je me contente
, pour preuve du contraire , de lui
demander pourquoi à Breteville- l'Orgueilleufe
, fur le chemin de Bayeux , mot cor
rompu , que l'on prétend avoir été origi
nairement , l'Argilleufe , à caufe que cette
Paroiffe & fes environs font d'un terroir
tout-à- fait argilleux ; je lui demande , dis
je , pourquoi donc on y voit de fi beau
plant, & que les cidres en font fi eftimés !
S'il étoit befoin fur cet article d'autres
exemples , pour conftater l'erreur de M.
Menuet , de prétendre que les Pommiers
ne viennent point bien dans les tèrres ar
gilleufes , je pourrois en fournir une infinité
d'autres ; mais celui- ci , à la connoif
fance de tout le monde , me femble fuffire,
d'autant plus que le terroir des Paroiffes
citées & de quantité d'autres où le plant
vient également bien, & où le cidre en eft
bon , abondent en argille en bien des
endroits.
M -A I. 1761 .
91
Revenons aux bonnes tèrres propres au
labour , fans examiner fi elles font ou non
argilleufes, & fans parler de celles du côté
de la mer , comme Mathieu , Crefferons ,
Lion , Hermanville , Périers , Beuville ,
Bieville , Blainville & quantité d'autres ,
dont le terroir eft excellent pour le labour
& pour le bon cidre , dont le défaut
feul du côté de la plantation vient
de ce que trop proche de la mer les
pommiers & toute forte d'arbres n'y croiffent
pas promptement , & que les fleurs
de ces premiers font fujettes à manquer
par les vents de nord qui leur font contraires
& les font couler,fans que ces deux
inconvéniens procédent de l'inaptitude de
ces tèrres pour la plantation.Raprochonsnous
, dis- je , & examinons file terroir
feul des environs de Caën le plus proche
ne détruit pas fans replique le fyftême de
M. Menuet. En effet, il n'en eft point de
meilleur que celui d'Ardeine , S. Louet ,
Outie , Buron , la Follie , S. Conteſt ,
Couvrechef &c. Quiconque a conſidéré
ces tèrres & les récoltes qu'elles donnent,
ne peut difconvenir de leur aptitude pour
le labour ; quiconque a vû les pommiers
qui y croiffent , ne peut difconvenir qu'-
elles ne foient très- convenables au plant;
de même que quiconque eu a bû du cidre
92 MERCURE DE FRANCE.
loyalement braffé , ne peut non plus difconvenir
de fa fupériorité & de fon excellence
, tant pour fon goût fuave & délicat
que pour fa couleur d'ambre & clarifiée
, qui plaît à l'oeil dans le verre &
le difpute au vin le plus pétillant ; quoique
cependant tour ce terroir en général
abonde en argille , au point que la
Follie , quelque bonne terre à labour &
pour le plant qu'elle foit, en fournit pour
la Maçonnerie de toute la Ville & de la
plupart de fes environs : nouvelle preuve
de l'infuffifance des raifonnemens de M.
Menuet , quand il a dit que les tèrres argilleufes
font contraires au plant.
Une derniére obfervation qu'il me reſte
à faire , eft d'examiner fi M. Menuet ne
s'eft point auffi trompé, quand il a avancé
que les tèrres mauvaifes & pierreufes font
le cidre clair, maigre & de peu de qualité.
Pour démontrer évidemment qu'il s'eft
encore trompé dans le raifonnement qu'il
a fait , il me fuffit , fans en rechercher les
caufes Phyfiques , de lui dire , ainfi que
l'expérience m'en eft un fur garant , qu'il
n'eft point de meilleure qualité de cidre
que ceux qui croiffent dans ces fortes de
tèrres;que même fuivant une façon de par
ler ordinaire , il n'en eft point de plus
grands que ceux du crû dé quantité de PaMA
I. 1764. 93
Toiffes, dont le terrein & le fol pour la plûpart
eft maigre, pierreux, & dans quelques
endroits tout-à -fait mauvais , comme la
Quaine , Sainte Honorinne du Fay , Montigny
, Vacogne , Curcy , Tournay , Parfourû
, Villy, Mons ; j'entends Mons à 4
Heues de Caen , & non celui dont M. Menuet
eft Curé que je ne connois point , &
une infinité d'autres femblables . Si l'Aureur
ne veut pas m'en croire , il peut
s'en certifier par le témoignage public, qui
ui apprendra que ce que j'avance eſt vrai
à la lettre . A l'égard du prétendu déſavantage
de la plantation dans les bonnes
erres propres au labour , où il haſarde de
dire que les Pommiers ne viennent pas
bien , & produifent un cidre de peu de
qualité , fans parler de celles ci - devant
avancées, & d'une infinité d'autres, dont je
pourrois encore faire ufage , une feule
preuve de fait & d'expérience femble au
contraire démontrer à la fois la néceffité
& l'utilité de la plantation de ces mêmes'
tèrres , fçavoir que celles qui font plantées
font toujours affermées beaucoup plus,
cher que celles fur lefquelles il n'y a point
de plant la même obfervation par même
conféquence décide naturellement auffi
en faveur de la bonté des cidres du crû de
ges tèrres,
94 MERCURE DE FRANCE .
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE,
MEMOIRE fur une Queftion Chirurgica
le relative à la Jurifprudence. Par M.
LOUIS , Profeffeur & Cenfeur Royal
de Chirurgie , Chirurgien- Major - Adjoint
de l'Hôpital de la Charité de
Paris.
Le traitement des Maladies qui font du
reffort de la Chirurgie n'eft pas le feul objet
de cet art les connoiffances qu'il exige
fervent à conftater l'état du corps humain,
en fanté, en maladie, & même après
la mort. Les jugemens qu'on porte fur ces
différens états , peuvent éclairer les Magiftrats
qui furveillent à l'ordre public par
la manutention des Loix : ils leur dictent
fouvent les décifions qui les rendent les
arbitres dela vie ,de la fortune & de l'état
des Citoyens. S'il pouvoit y avoir un objer
MA I. 1761. 95
plus noble que la confervation
de la vie
& de la fanté des hommes , je n'hésiterois
pas à regarder l'avantage que nous avons
de faire des rapports en juſtice , comme la
plus belle prérogative
de notre profeffion :
c'en eft du moins une partie très- intéreffante
, qui fuppofe autant de lumiéres que
de probité & de défintéreffement
. Elle demande
une application difficile des principes
de l'art , & des connoiffances
fans
bornes , qui , dans beaucoup de cas , dépendent
moins de l'étude & de l'expérience
que de la jufteffe de l'efprit . Il faut en
effet de la fagacité pour difcerner , à travers
une infinité d'incidens , qui jettent
de l'obfcurité fur un fait , les vérités qui
en établiſſent
la certitude Phyfique , fur
laquelle nous devons principalement
prononcer.
L'obligation d'établir les principes , qui
font la bafe des jugemens que les Magif
trats doivent porter , nous affocie, en quelque
forte, à leurs fonctions. Il n'eft pas
inutile de le remarquer , pour rappeller
par la dignité de ces fonctions , l'idée des
devoirs qu'elles préfcrivent , & pour y
puifer les motifs qui nous excitent à les
remplir . Ces confidérations doivent nous
inſpirer l'amour de la juftice & de la vérité
, & nous tenir continuellement en
L
96 MERCURE DE FRANCE.
garde contre tout ce qui pourrait y don
ner la plus légère atteinte . Les obftacles
au bien font en plus grand nombre que
les moyens de le faire. L'ignorance fera
la fource des erreurs les plus préjudiciables
; l'inattention aura des fuites qui ne
feront pas moins funeftes ; la prévention
des fauffes doctrines nous égarera dans
nos affertions ; l'on pofera les fondemens
de l'injuftice , par une condefcendance
dangereufe , quife déguiſe fous l'apparence
louable du defir d'obliger. Le dirai je
enfin , l'appas d'une récompenfe.confidérable
, l'efpoir affuré d'une puiffante protection
, & tant d'autres motifs , ébranleront
un homme , dont la probité eft mal
affermie , & qui ne fçait pas préférer le
témoignage d'une bonne confcience , aux
biens & aux avantages de la vie.On verra
dans le récit du cas particulier , qui eft le
fujet de ce Mémoire , à quel degré il eſt
important de joindre aux principes les
plus lumineux de notre art , l'attention
aux moindres détails , & la prudence
dans l'examen des divers incidens ; avec
quelle juftelle il faut que les inductions
en foient tirées ; & combien on doit apporter
de circonfpection , dans les conféquences
qu'on préfente pour les fondemens
d'une Queſtion de Chirurgie légale .
Il
MA I. 1761. 97
Il n'y a peut-être jamais eu de caufes
où les rapports , les avis & confultations
contradictoires de Médecins & de Chirurgiens
ayent été auffi multipliés , que
dans celle que le Parlement de Bourgogne
a jugée les Mars de l'année 1757 :
nous en donnerons le précis , parce qu'elle
eft intéreffante, & que le rapport desMembres
de l'Académie Royale de Chirurgie ,
confultés à ce sujet , n'a pas peu contribué
à déterminer l'Arrêt qui a fait droit fur
une conteſtation fort longue & très - difpendieufe
; qu'un premier rapport fait
avec plus d'attention , auroit certaine
ment évitée.
Deux jeunes Avocats de la Ville d'Autun
fe promenant , fans armes ni bâtons ,
le 6 Septembre 1755 , à 9 heures du foir ,
fur une place publique , un jeune homme
ci-devant Moufquetaire du Roi , mit
l'épée à la main contre eux ; ils le défarmerent
, & l'obligerent à remettre l'épée
dans fon fourreau. Quelques momens
après , ce jeune homme retira fon épée ,
pour en frapper l'un des Avocats , qui
détourna heureufement le coup qu'on lui
portoit , & faifit fon adverfaire : ils tomberent
tous deux ; l'épée fut prife & jettée
dans un Jardin voifin par deffus le mur.
Le jeune homme défarmé appella du
E
8 MERCURE DE FRANCE
fecours ; la Garde vint avec plufieurs témoins
: il leur dit qu'en pourfuivant quelqu'un
, il avoit fait un faux pas , & étoit
tombé dans la boue , il ne fe plaignit
d'aucun mauvais traitement. Depuis ce
temps il parut tous les jours & à toute
heure , aux promenades , dans les cercles ,
aux fpectacles , avec les apparences de la
meilleure fanté , jufqu'au 21 Septembre ,
qu'il fut attaqué , dit- on , d'une petite
vérole maligne , dont il mourut le même
jour à 10 heures du foir.
Son père attribua la mort à ce qui
s'étoit paffé 16 jours auparavant . D'après
cette idée , il intenta un procès criminel
contre les deux Avocats , & les pourfuivit
comme coupables de l'affaffinat prémédité
de fon fils. Quelques difficultés furvenues
pour le Tribunal qui connoîtroit
de cette conteftation en premiere inftance
, retarderent la vifite du corps , qui ne
fut exhumé que le 28 Octobre , 37 jours
après la mort. Le délit ne pouvoit être
établi que par le rapport des Médecins
& des Chirurgiens , nommés par ordonnance
du Juge. Ils certifierent avoir trouvé
à la tête plufieurs contufions avec
échymofe , & que la plus confidérable ,
fituée à la partie poftérieure, contenoit un
fang noir, en partie fluide. Le crâne étoit
MA 1. 1761 : 99
fans fracture ni enfoncement ; & il n'y
avoit d'autre altération au cerveau & à
fes membranes que la corruption , effet
naturel du temps qui s'étoit écoulé depuis
la mort. La poitrine étoit en bon état.
On cite auffi des contufions aux hypocondres
& aux cuiffes , qu'on dit avoir
été faites par un inftrument contondant ,
comme bâtons , pierres , & autres . On
déclare en outre qu'il a été impoffible de
reconnoître l'effet des contufions fur les
vifcères qui fe font trouvés pourris , ce
qui a mis dans l'impuiffance de décider ,fi
fes contufions font la caufe de la mort ,'
quoiqu'elles foient très- confidérables .
Les accufés ne manquerent pas d'attaquer
ce rapport pour le faire déclarer
irrégulier & nul , dans la forme & dans
le fonds. On leur avoit fermé la voie
d'un fecond rapport , en affectant de faire
paroître à l'ouverture du corps tous les
Médecins & les Chirurgiens de la Ville ;
on avoit fait , fuivant l'ordonnance , prêter
ferment à ceux qui n'étoient pas Jurés
pour les rapports . Les Médecins & le
Chirurgien ordinaires du défunt fignerent
le Procès-verbal , eux qui avoient été
appellés pour lui donner des foins , aux
premiers fignes de fa maladie , & qui
fçavoient par divers exemples que la
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
petite vérole avoit été très- funefte cette
année-là à Autun , au point que plufieurs
perfonnes en étoient mortes , auffi
promptement que leur malade . Le rapport
ne fait pas mention de la petite
vérole ; cette omiffion n'a pû être réparée
par la déclaration que ces mêmes
Médecins & Chirurgien ont faite depuis ,
en dépofant chacun en particulier , comme
témoins , que le défunt avoit eu la
petite vérole. Il ne reftoit donc d'abord
d'autre reffource aux accufés , que d'obtenir
des confultations contraires au rapport
des Médecins & des Chirurgiens de
fa Ville d'Autun, La caufe de la mort n'y
étoit pas décidée ; mais l'ambiguité avec
laquelle il s'exprimoit fur cette queſtion
capitale , permettoit affez la pourfuite de
la procédure criminelle. Ce rapport fut
envoyé avec un Mémoire inftructif à
Paris , à Montpellier & à Nifmes . La
Faculté de Médecine de Paris décida ,
1° . Qu'en confidérant le cas du côté le
moins favorable , c'eft- à dire , en fuppofant
que les contufions euffent été l'effet
de coups reçus , elles auroient formé du
pus dans l'intervalle des 15 jours qui ſę
font écoulés entre la vie & la mort ; &
que
d'ailleurs on ne peut pas l'imputer
aux contufions de la tête , puifque l'on
MA I. 1761 . 1st
n'avoit trouvé dans le crâne , ni abfcès ,
ni épanchement , ni aucune marque dé
rupture de vailfeaux . 2°. Que les contufions
paroiffent bien plutôt l'effet de la
diffolution des humeurs & de leur diſpofition
à la pourriture , ce qui eft ordinaire
dans les petites véroles épidémiques &
malignes. 3 ° . Qu'on ne peut raiſonnablement
attribuer la mort à d'autre caufe
qu'à la malignité de la petite vérole , &
que les coups qu'on prétend avoir écé
reçus par le défunt , n'y ont aucune part.
Dans une feconde confultation envoyée
douze jours après , comme par
fupplément , les mêmes Médecins qui
ont figné la premiere , jugerent que les
termes de contufions & d'échymofe ,
employés dans le rapport & dans leur
confultation , font impropres ; & qu'il
n'eft pas étonnant de trouver à un cadavre
, 37 jours après l'inhumation , des
parties plus dégénérées de la couleur &
de la confiftance naturelle que d'autres
par l'effet de la corruption qui s'empare
plus promptement de celles qui auroient
été froiffées en laiffant tomber le corps
par terre , fans ménagement , ou en le
clouant dans la bière.
Les Médecins de la Faculté de Montpellier
fentirent d'abord l'équivoque que
E inj
G02 MERCURE DE FRANCE.
·
pouvoient porter les termes de meurtriffures
& d'échymofe. Ils difent que les
prétendues contufions , ou lividités obfervées
à l'ouverture du corps , viennent
de la diffolution putride du fang , comme
il arrive dans les amphithéâtres anatomiques
aux cadavres qui y ont féjourné
plufieurs jours , & fur- tout à ceux que
des fiévres malignes ou des petites véroles
rentrées , ont enlevés ; & qu'il n'y
avoit aucune raifon d'attribuer les lividités
à des coups reçus avant la mort .
Les Médecins de Nifmes , plus attentifs
à quelques omiffions , auroient ſouhaité
qu'on eût rapporté avec quelque
détail dans le Mémoire qu'on leur a
communiqué , quels fymptômes avoient
précédé & accompagné une mort auffi
prompte. Ils blâment la légéreté avec
laquelle on a décidé dans le rapport , que
les lividités apperçues fur le corps étoient
de véritables contufions & échymofes
caufées par des inftrumens contondans ,
puifque ceux qui font morts de maladies
inflammatoires fe trouvent couverts en
plufieurs endroits du corps , de taches
livides qui fe manifeftent plutôt ou plus
tard , fuivant les circonftances des faifons
& la difpofition des fujets. On regarde la
putréfaction , comme la caufe des liviMA
I. 1761 . 103
dités qu'on a remarquées , & l'on ajoûte
que cela eft d'autant plus probable ,
qu'elles ont paru à des parties preffées ,
ou rudement froiffées par les parois du
cercueil , qu'elles touchoient immédiatement.
Quelque fpécieux que paroiffent ces
divers raifonnemens , on ne peut les admettre
que comme des conjectures , ine
capables de détruire un fait bien obfervé ,
certifié par des gens de l'Art , témoins
oculaires , & d'une capacité reconnue. Je
ne prétends pas juftifier le rapport des
Médecins & des Chirurgiens d'Autun : il
eft évident qu'ils n'ont pas été occupés
des vrais principes qui pouvoient décider
la question, & prévenir les difficultés fans
nombre auxquelles leur rapport a donné
lieu. Mais ce qu'on y a oppofé n'a pas
porter la conviction dans l'efprit des
Juges ; ces confultations ont été faites à
la follicitation & d'après le Mémoire
d'une des Parties : & ne fçait- on pas que
dans ces fortes d'inftructions , l'on épouſe
partialement les intérêts de ceux qu'on
défend , & que l'on a grand foin de ne
préfenter les raiſons de la Partie adverſe ,
que de la façon qui permet , ou de les
éluder , ou de les combattre avec avantage.
On voit que les Confultans ont

E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
adopté le fyftême qui leur a été préfenté :
ils n'ont pas témoigné le moindre doute
fur la vérité de l'expofition. Le pour & le
contre de la queftion ne font point ba
lancés ; on ne donne aucune valeur aux
faits mentionnés dans le rapport : il femble
cependant que l'objet étoit affez important
pour chercher à éclaircir la quefrion
avant que de la décider. N'auroit - on
pas dû ramener les auteurs même du
rapport à des principes inconteftables ,
en les priant de s'expliquer fur les points
ambigus & indéterminés de leur rapport ,
& fur l'idée qu'ils attachoient à quelques
termes équivoques dont ils fe font fervis?
En prenant ainfi la voie de la difcuffion
& de l'examen , le cahos fe feroit débrouillé
, & l'on auroit évité les longueurs
d'une procédure qui s'eft compliquée
de plus en plus à chaque nouvelle
production des Parties , par les dits &
contredits qui fomentoient les difficultés.
Au lieu de pofer en fait que les lividités
venoient de la putréfaction , il eût été
convenable de préfenter d'une maniere
claire & précife les connoiffances pofitives
par lesquelles on pouvoit prononcer
fur l'état de la conteftation . Il y a des
marques certaines qui fervent à diftinguer
les contufions faites à un homme vivant,,
MA I. 1761 . 105
des taches livides qui fe forment peu de
temps après la mort , & de la corruption
qui en eft un effet plus tardif : ce font ces
caractères qu'il falloit expofer , la raiſon
& l'expérience pouvoient être réunies
utilement pour diffiper toute eſpèce de
doute fur ce point.
Les taches qui arrivent après la mort
à la fuite des fièvres malignes , font fort
étendues & fuperficielles ; elles font d'une
couleur rouge foncée , purpurine , ou
violettes & noirâtres ; elles occupent
principalement le dos & les felles ; la
face , les bras & les cuiffes en font quel
quefois couvertes . Elles font l'effet de la
chaleur putréfiante qui augmente après
la mort , & qui pouffe les humeurs à la
furface du corps . Ces taches ne forment
point un engorgement circonfcript avec
tumeur , accompagnée de dilaċération
& de meurtriffure fubcutanée , avec du
fang coagulé, ou en partie fluide , principalement
vers le centre de la tumeur ,
comme on le remarque dans toutes les
contufions , où il y a effentiellement
rupture de vaiffeaux. La pourriture s'empare
des parties fans en rompre le tiflu ;
elle fe manifefte par des fignes particuliers
en differens endroits . Le bas - ventre
qui eft la partie la plus difpofée à la
Ey
106 MERCURE DE FRANCE.
putréfaction , paroît d'abord d'une couleur
bleue ; on difféque beaucoup de
fujets dans les Ecoles anatomiques , qui
font dans ce cas : les mufcles de l'abdomen
font verdâtres ; & l'on ne croit pas
que le changement de couleur que ces
parties contractent leur faffe perdre leur
continuité , & permette jamais qu'on
confonde la lividité putride , avec une
contufion qui feroit pareillement atteinte
de pourriture. Toutes les parties qui en
font affectées perdent leur conſiſtance
naturelle , elles noirciffent , exhalent une
ødeur færide , elles laiffent échapper une
férofité brune ; mais dans tous les cas ,
où la pourriture ne fera pas portée à un
point qui rende toute eſpèce d'examen
inutile , celui qui fera fait avec attention
montrera & fera diftinguer , fi la continuité
des parties a été détruite primiti
vement par une contufion , dont l'effet
fur les corps vivans eft de former une
avec engorgement de fang
épaiffi , dans toute fon étendue. Voilà des
principes certains qui n'induiront point
en erreur des obfervateurs éclairés &
circonfpects. Zacchias avoit connu la
vérité de ces principes . Il dit d'après Fortunatus
Fidelis , que les taches noires &
les lividités font des marques incertaines
tumeur
t
MA I. 1761 : 107
de contufions dans le cas dont il s'agit ;
il préfume qu'il doit y avoir des fignes
diftinctifs pour ne s'y pas méprendre ; il
les indique en général , & les propofe
comme de fimples conjectures ; parce
que l'expérience , à qui feule il appartient
de mettre le fceau de la certitude
aux spéculations qui ont le plus de vraifemblance
, ne lui avoit pas fourni les
occafions d'établir les préceptes que nous
venons d'avancer. Le rapport d'Autum
ne fuppofe point ces diftinctions ; mais
quoiqu'il ne foit pas motivé de façon à
faire penfer qu'il foit l'effet d'un examen
réfléchi ; les Confultans ne paroiffent pas
avoir eu des motifs fuffifans pour établir
auffi déciſivement qu'ils l'ont fait , le
contraire de ce qui eſt énoncé dans ce
rapport.
Le fait qui y eft expofé préfente une
circonftance bien remarquable , & qui fait
voir , jufqu'à quel point it importe de
porter l'attention , pour que la variété
prèfque infinie des incidens ne faffe pas
illufion. Les Auteurs du rapport difent
avoir reconnu à la partie poftérieure de
la tête une contufion avec échymofe qui
contenoit un fang noir & en partie liqui
de : cela ne reffemble point du tout aux
taches & aux lividités qui furviennent
1
E vi
108 MERCURE DE FRANCE.
après la mort , & dont la préfence ne
peut former aucun indice de violence extérieure
faite fur le Vivant : nos principes
parcîtroient donc favorifer le rapport . S'il
étoit permis de fubftituer des conjectures
à la citation pure & fimple d'un fait ,
nous nous fervirions , pour l'infirmer , de
l'autorité de Felix Platerus qui donne expreflément
pour le figne diftinctif des contufions
& meurtriffures , d'avec les taches
livides des cadavres , que celles là ne fe
remarquent que fur les parties qui ont été
froiffées des: caufes externes ; & que
par
ces taches livides viennent indifféremment
dans toutes les parties du corps , &
même fous les cheveux : mais cette autorité
dont Zacchias fait mention , n'eft
point applicable au cas préfent , puiſque
la tête n'a rû être exceptée du nombre
des parties lé ées . Les connoiffances anatomiques
rendroient raifon de l'éffufion
du fang qui s'eft faite par l'incifion de la
partie poftérieure de la tête . Ceux qui ont
fait beaucoup d'ouvertures de cadavres
fçavent par expérience , que la même chofe
s'obferve dans tous les cas où il y a plenitude
dans les vaiffeaux . On fçait que dans
les derniers inftans de la vie le fang paffe
des artères dans les veines , & perfonne
n'ignore la communication que les veines
Μ Α Ι. 1761 . 109
occipitales ont avec les finus latéraux ,
dans lefquels tout le fang qui a été porté
au cerveau fe décharge. Ainfi l'ouverture
des veines occipitales peut rendre beaucoup
de fang , & en impofer par un épanchement
ou collection de ce fluide dans
une partie contufe : l'utilité que Riviere ,
& Zacutus Lufitanus attribuent aux ventoufes
fcarifiées dans le cas d'appoplexiest
fanguines très -violentes , eft l'effet du dégorgement
éfficace que ces fcarifications:
opérent . C'est une remarque très - utile
pour la pratique , que M. Verdier n'a
point oubliée , en parlant du cervean en
général dans fon traité d'Anatomie.Qu'on
juge , par ces réfléxions , combien eft dif
ficile la découverte de la vérité dans certaines
occafions Les doutes qu'on auroit
élevés contre le rapport , d'après ce que
nous venons de dire , auroient bien eu
autant de poids , que l'impoffibilité prétendue
que ces échymoles euffent fubfifté
pendant quinze jours fans qu'il s'y
formât du pus. Cette doctrine n'eft point
conforme à l'expérience : le fang épanché
fe corrompt à la longue ; il excite
la pourriture de la partie ; mais il ne forme
jamais de pus. J'ai ouvert des contufions
faites depuis plus de quinze jours ,
& j'en ai tiré du fang, fans la moindre
110 MERCURE DE FRANCE
altération. Quoiqu'il en foit de la contafion
vraie ou fuppofée à l'occipital , elle
n'a pu être la caufe de la mort , puifque
le crâne & les parties qu'il renferme ne
préfentoient aucun vice qu'on pût attribuer
à la percuffion de la tête. C'est ce
qu'il falloit énoncer de la maniére la
moins équivoque , & par cette affertion
claire & préciſe , la pourfuite criminelle
ceffoit , puifque le corps du délit n'auroit
point exifté.
Quoique les confultations , dont nous
avons donné le précis fuffent tout- à - fait
favorables à la caufe des deux Avocats ,
ils ne négligerent aucun des moyens que
l'art de fe défendre au Bateau peut fuggérer.
Ils alléguérent entre autres chofes ,
une exhumation fecrette & frauduleuſe
du cadavre dont l'objet auroit été de faire
des meurtriffures fur le corps. Quatre
Chirurgiens de la Ville d'Autun préfens à
J'ouverture juridique du corps, & qui n'avaient
pas figné le rapport , furent affignés
comme témoins : les queſtions qu'on
leur fit & les réponfes qu'on leur impute
font imprimées dans un Mémoire extrajudiciaire,
dans lequel on ne prendroit
pas une bonne opinion de leurs lumiéres
en Anatomie & en Chirurgie. Les Accufés
oppoferent au rapport , des obfervaMA
I. 1761.
tions critiques , dont le réſultat eft qu'il
auroit dû fe trouver du pus dans les endroits
contus , fi les contufions euffent
été faites quinze jours avant la mort ;
& que ce qu'on a dit être des contufions,
n'étoit qu'une putréfaction déterminée
localement par des coups donnés fur le
cadavre avant l'exhumation juridique.
Malgré tous les éfforts des parties intéreffées
à foutenir le fait de l'exhumation
clandeftine , elle n'a pu être prouvée.
Le Médecin des Hôpitaux de Châlonsfur-
Saône , qui réunit à fa qualité de Docteur
en Médecine de la Faculté de Montpellier
, celle d'Avocat au Parlement de
Dijon , entreprit de réfuter les confultations
des Médecins de Paris , de Montpellier
& de Nifmes . Il fe propoſe, dans la
réponſe qu'il a produite , de faire voir que
les coups reçus ont été la feule cauſe de la
mort ; que le défunt n'a point eu la petite
vérole ; & que les différens exercices auxquels
il a vaqué depuis le jour de la querelle,
jufqu'à celui de lamort, n'empêchent
pas qu'il n'ait reçu des contufions mortelles .
On trouve la preuve de la premiere propofition
dans les expreffions même du rapport
qui font formelles fur l'exiſtence des
contufions ; & à l'occafion de celles qu'on
a trouvées à la tête , on cite différens textes
112 MERCURE DE FRANCE.
d'Hipocrate, deMunicks , & des obfervations:
fur le danger des plaies & des contufions
à la tête , qui font les plus fimples en apparence.
On prétend en fecond lieu qu'il
n'y a point eu de petite vérole , puiſque
les Médecins & Chirurgiens , qui ont vu
le malade avant la mort , ne font aucune
mention de cette maladie , à laquelle on
l'attribue . 3º . Enfin l'Auteur de cette ré
ponfe foutient que le bleffé a pú paroître
dans le monde & faire tous les exercices
d'une perfonne en fanté , quoique les
contufions qui lui ont été faites , faffent
mortelles . Il a cru prouver ce paradoxe
en fuppofant l'infenfibilité des parties
contufes par la mortification qui s'en étoit
emparé. Il cite à ce fajet un paffage du
Dictionnaire de Médecine , où il eft dit
que lorfqu'en conféquence d'une con-
و ر
tufion très violente , tous les vaiffeaux
» font prèſque détruits , on ne fent point
» du tout de douleur ; mais un engour
» diflement , une pefanteur dans la partie
" affectée , qui dénote que les nerfs font
» détruits , ou tellement comprimés par
» les humeurs extravafées , qu'ils devien
» nent incapables de fentiment:
L'Auteur n'a pas cratat de faire pa
roître les Médecins de Moliere dans fa
Differtation . S'il étoit permis de puifer
MA I. 17617 FIF
des raifons dans une pareille fource fur
une affaire auffi férieufe , on auroit pu
faire voir à M. de Loify , le ridicule de
l'application préméditée des principes
généraux de l'art à des queftions de faits
particuliers ; dans le rôle d'un Perfonnage
Médecin qui foutient opiniâtrément
qu'un homme enterré n'eft pas mort ,
parce qu'Hippocrate dit que ces fortes de
maladies ne fe terminent qu'au 14 ou au
21 , & qu'il n'y a que fix jours que cet homme
eft tombé malade. La réponse que je
viens d'analyfer, eft du 2 Septemb . 1756.
Trois jours après, on fit fignifier une replique
à cette Differtation médicinale , qui
paroît néanmoins avoir beaucoup influé
fur le Jugement qu'on prononça le ro du
même mois la Sentence condamne l'un
des Avocats à un baniffement de deux ans,
à l'amende envers le Roi , en dix mille livres
de dommages intérêts & aux dépens. L'autre
Avocat impliqué dans l'affaire pour
avoir été témoin de la Rixe , & n'avoir
pas empêché les voies de fait , fut condanné
en deux mille livres de domma--
ges & intérêts & aux dépens , avec injonction
de s'abfenter, pendant cinq ans,,
des affemblées & compagnies où fe trouvera
le pere du défunt .
La fuite , au prochain Mercure.
14 MERCURE DE FRANCE.
SCULPTURE.
ANALYSE des Réfléxions de M. FAL
CONET fur la Sculpture , lues à l'Académie
Royale de Peinture & de Sculpture
, le 7 Juin 1760 , imprimées
depuis peu , & annoncées dans un des
Mercures précédens.
A La clarté & la jufteffe , avec leſquelles ,
l'Auteur a adapté des principes généraux
aux principes & à la pratique , particulierement
propres à fon art , rendent fes réfléxions
auffi intéreffantes pour toutes for
tes de Lecteurs qu'elles peuvent être utiles
aux Artiſtes.
M. Falconet , enviſageant d'abord fon
art du côté moral , le préfente comme af
focié à l'hiftoire pour être le dépôt le plus
durable des vertus des hommes & de leurs
foibleffes. Il penfe qu'il peut exciter par
la à l'imitation des grands hommes dans
ce qu'ils ont de louable , à l'abri des nuages
dont l'envie obfcurcit les actions des
contemporains. » Nous avons , dit-il , le
" portrait de Socrate, & nous le vénérons.
» Qui fçait fi nous aurions le courage
MA I. 1761. 115
d'aimer Socrate vivant parmi nous ?
Il confidére la Sculpture dans les fujets
de pure décoration , comme propre à porter
l'âme au bien & au mal , felon que
ces fujets font honnêtes ou licentieux.
On ne conteſtera pas ces effets accidentellement
poffibles à l'art de M. Falconet.
On pourroit ajouter un avantage plus évident.
C'eſt cette eſpèce d'immortalité remporelle,
qui de même qu'à l'Architecture ,
lui fait partager avec les lettres la refpectable
prérogative non - feulement d'honorer
une nation momentanément , mais
d'être garant de fa gloire auprès de la pofrérité.
M. Falconet paffe promptement à l'objet
éffentiel de fa matiére , & il développe
des préceptes dont il fournit lui -même les
plus grands exemples. Le principal but de
ce célèbre Artifte paroît être de rappeller
la Sculpture à fes vrais principes , qui font
ceux de tous les Arts de génie & d'imitation
.
On conçoit , quoiqu'il ne l'énonce pas
expreffément dans fes réflexions ; qu'il
diftingue le méchaniſme des Arts , d'avec
ce qui en fait l'âme ; & qu'il tend à faire
fentir toute l'importance de cette diftinction
. Bien différent en cela , de certains
Artiſtes Ecrivains , que le feul mot de mé116
MERCURE DE FRANCE.-
chanifme a paru révolter ; & qui en confondant
ces deux parties , ont attribué au
matériel d'un Art le droit d'en conftituer
le fublime.
Conféquemment à cette diftinction , il
établit que la froide vérité dans l'imitation.
d'un corps privé du foufle vivifiant , ne
doit exciter qu'une louange auffi froide,
qu'eft cette forte de reffemblance . Il ne
s'offenferoit donc pas , comme ces autres
Artiftes , d'entendre prononcer & d'admettre
le terme de métier dans quelques
parties de chaque art , puifqu'il indique
ici lui- même qu'il pourroit y avoir des
Ouvriers en ſtatues , lefquels pour cela
ne mériteroient pas le titre de Sculpteurs ..
Il s'en offenferoit d'autant moins fans
doute , qu'il paroît voir que c'eft par ces
diftinctions feules que l'on peut rendre
fenfible le véritable point de fublimité
dans un Art.
Il veut que le Sculpteur , ne fe bornant
pas à ce méchanifme , dont il doit s'être
rendu maître , faffe une étude , animée
par le génie , de tout ce qui eft pour lui
objet d'imitation . Il ne voit que l'ouvrier
dans ce qui ne fatisfait que l'oeil qui compaffe
; il reconnoît l'Artifte , dans ce qui
fait mouvoir les refforts de l'âme , ou dans
ce qui fournit des idées à l'efprit. Mais il
MA I. 1761. 117
faut pour cela que le Sculpteur foit Peintre ,
Poëte , Orateur , en un mot , tout ce qui
peut procurer les grands moyens de donner
une vie fictive à la matiére. Quelque
étendue que paroiffe la condition , M. Fal
conet a prouvé par fes ouvrages qu'il eft en
droit de l'exiger des autres.
Il compare les moyens que la Peinture
& la Sculpture ont chacune pour
arriver au même but. Il difcute dans les
uns & dans les autres , ce qu'il y a de
commun aux deux Arts , & ce qui leur
eft propre ou exclufif à chacun . Il ne fe
diffimule pas , dans cette comparaifon ,
les avantages de la Peinture fur la Sculpture.
Ce charme magique de la couleur ,
cette difpofition des jours & leur fixation
, & c. L'oeil le moins connoiffeur apperçoit
d'abord que s'il voit mal un Tableau
, cela provient de fa pofition. Au
lieu que la figure ou les groupes du
*
Les Ouvrages de M. Falconet , portent particuliérement
ce caractère d'expreſſion , qui anime
& qui fait parler la Sculpture. Avantage que les
Artiftes modernes peuvent hardiment difputer
aux Sculpteurs les plus célébres de l'Antiquité.
L'indication de tous les Ouvrages de M. Falconet
excéderoit les bornes d'une note. Un feal Amour
placé dans les Jardins de l'Hôtel de Pompadour à
Paris , peut être regardé comme un phénomène
En cette partie,
118 MERCURE DE FRANCE.
Sculpteur manquent fouvent leur effet:
fur celui qui les regarde , fans qu'il fe
doute que la façon dont l'objet eft éclairé
en puiffe être la caufe . On prend occafion
de là d'exhorter le Sculpteur à étudier
avec d'autant plus de foin l'Art de
toucher , qu'il a bien moins de moyens
que le Peintre pour y parvenir. Ainfi par
des obfervations , dont la jufteffe eft évi
dente , M. Falconet démontre , que la
Sculpture tenant à un méchanifme fatiguant
, défagréable , & conféquemment
propre à émouffer le génie , celui du
Sculpteur doit avoir une qualité , que
l'on pourroit nommer Ténacité.
Notre Auteur touche légèrement la
queftion de fçavoir , fi le fecours des couleurs
mariées & appliquées avec beaucoup
d'art à la Sculpture , peut en perfectionner
les effets. Sans écarter entierement
cet espoir , il ſe détermine néanmoins
à laiffer à la Sculpture la fimplicité
& l'unité de fes matiéres ; réſervant
les richeffes de la dorure & l'agrément
des couleurs pour les ornemens dont elle
eft quelquefois environnée.
La fimplicité des moyens pour parvenir
aux grands effets , eft donc ce qu'en
général recommande le plus l'Auteur des
Réflexions. Il profcrit ces attitudes forM
A I. 1761.
ifg
cées que la Nature défavoue ; ces amas
fuperflus de plis , avec leurs bizarres
arrangemens ; ces contraftes trop recherchés
dans la compofition , ainfi que dans
la diftribution des ombres & des lumiéres.
Il fait remarquer que c'eft par cette
fimplicité de moyens , que les chefsd'oeuvres
de la Gréce & de Rome ont été
créés comme pour fervir de modéle aux
Artiftes. A l'égard de ces Statues antiques
dont il parle , comme on voit , avec la
vénération qu'infpirent toujours des connoiffances
fupérieures ; il obferve qu'elles
ne doivent pas être adorées aveuglément,
parce que fi dans quelques- unes on rencontre
le fublime le plus décidé , on trouve
dans d'autres le méchanifme le plus
ftupide , & fouvent même le plus abfurde.
Les mêmes réfléxions développent d'une
manière affez claire , ce que c'eft que
le Beau réel & le Beau idéal. Comment
le Beau réel eft épars dans la Nature , &
comment de fes parties on compoſe le
Beau idéal , auquel on donne par là une
réalité factice , dont l'intégrité naturelle
ne fe rencontre prèfque jamais.
On infinue partout , dans cette efpéce
de Poëtique pour la Sculpture , que dans
les Arts , ainfi que dans les Ouvrages Lit120
MERCURE DE FRANCE.
téraires , le clinquant de l'eſprit qui en
impofe à quelques yeux , doit céder au
génie , dès que celui- ci paroît , & même
être foumis aux loix du jugement. Le
raifonnable fans l'ingénieux , rend les
productions des Arts infipides ; mais à fon
tour , le génie fans ordre produit l'extravagance.
Voilà la baze de tout le fyftême
dogmatique de l'Auteur .
&
Il réfume enfin tout ce fyftême fur les
Statues ; en récapitulant , il y ajoûte une
obfervation dictée par un goût éclairé ,
d'autant plus utile aux Artiftes , qu'il les
avertit d'être en garde contre les préventions
que donnent les connoiffances particulières
d'un Art.

Comme la Sculpture ne s'exécute pas
feulement pour ceux qui l'exercent , ou
qui peuvent avoir des connoiffances
particulières , il en infére judicieuſement ,
que le Sculpteur doit avoir un talent fupérieur
aux autres études néceffaires à fon
Art. Ce talent , fi éffentiel & fi rare
quoiqu'il femble à la portée de tous les
Artiftes , c'eft ( ſelon lui ) le Sentiment.
Il prononce à cet égard , comme fur l'accord
du génie avec la raifon. » Exprimer
» les formes des corps , & n'y pas joindre
» le fentiment , c'eft ne remplir fon objet
» qu'à demi. Vouloir le répandre par- tout
» fans
M A I. 1768: 121
» fans égard pour la préciſion , c'eft ne
» faire que des efquiffes & ne produire
» que des rêves , dont l'impreffion fe
diffipe en ne voyant plus l'ouvrage ,
» même en le regardant trop longtemps.
Joindre ces deux parties , ( mais quelle
» difficulté ! ) c'eſt le fublime de la Sculp-
ور
»
>> ture .
M. Falconet paffe enfuite aux basreliefs
. Il en diftingue deux fortes ; le
bas-relief doux , & le bas- relief faillant.
Il détermine avec beaucoup de fagacité
leurs ufages , & il prouve que l'un &
l'autre doivent être admis également ,
felon les circonftances. Geft toujours fur
Pair de vérité que doit avoir toute imitation
de la nature qu'il fe décide , & ce
principe eft celui de toutes les régles qu'il
propofe. C'eft principalement dans fa
partie des bas - reliefs qu'il retrouve &
qu'il fait remarquer une analogie certaine.
entre la Peinture & la Sculpture.
Notre artiſte Auteur prononce hardiment
contre les bas - reliefs antiques ,
quant à la partie pittorefque . Il regarde
leur autorité comme très - peu confidérable
, & même comme dangereufe. Il ne
balance pas à donner la préférence aux
Modernes à cet égard , & il fonde cette
préférence fur des productions connues ,
F
12 MERCURE DE FRANCE.
dont il indique les Auteurs. Cette forte
de preuve , en matière de goût & de perfection
dans les Arts , ne peut-elle pas
être regardée comme démonftration ? Il
exhorte donc vivement nos Artiſtes à
continuer d'étendre , par leur génie , le
cercle trop étroit que les Anciens ont
tracé dans leurs bas- reliefs. Nous qui
avons porté notre Peinture au- delà de
celle des Anciens , pour l'intelligence du
clair obfcur , n'oferions- nous , demande
M. Falconet , prendre le même effor dans
la Sculpture ?
Pour ne laiffer aucune équivoque fur
le jugement que porte l'Auteur des bas
reliefs antiques , il déclare que quant à la
compofition de chaque objet particulier ,
il retrouve ce qu'il admire dans les belles
Statues antiques ; mais nulle forte d'illufion
relative au Tableau , & c'eſt à quoi il
affujettit le bas - relief. Les ouvrages en ce
genre , que nous a laiffés l'antiquité ,
n'offrent que des figures découpées & une
planche fur laquelle elles font collées.
Art divin de percer la Toile ( s'écrie
» avec chaleur notre Artifte , ) ne fran-
» chiras- tu jamais cette barriére infipide ,
qui ne doit fes admirateurs qu'à ſon
33
"
>> ancienneté ?
Après avoir détaillé & expofé trèsMA
I. 1761 .
123
nettement les loix du bas - relief , il les
identifie toutes à celles de la Peinture. If
propofe à ceux qui douteroient de cette
identité de principes , de choisir un Tableau
du Pouffin ou de le Sueur , & de
faire faire d'après ces originaux un modéle
par un bon Sculpteur. On verra
alors , dit -il , fi l'on n'aura pas un beau
bas- relief. Enfin , cette feconde Partie
des réflexions eft terminée par conclure.
d'après toutes les raifons qui y condui-
! fent , qu'à la couleur près , un bas- relief
faillant eft un Tableau difficile.
La troifiéme Partie traite des Draperies.
Il nous a paru qu'à cet égard M. Falconet
avoit eu pour objet principal , non de
déprimer la maniére , ou , comme il s'exprime
lui- même , le Style le plus ufité par
les Sculpteurs antiques ; mais de faire
obferver les cauſes qui leur avoient fait
adopter ce ſtyle , & qui leur avoient dérobé
prèfque la connoiffance de celui qu'il
préfére. Il s'agit ici d'une part , des draperies
défignées & connues par draperies
mouillées , & quelquefois collées fur la
peau ; ce font les draperies antiques les
plus ordinaires d'autre part , des draperies
larges & jettées de grande maniere
; ce font celles dont les grands
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Sculpteurs modernes ont fair tfage le
plus communément .
M. Falconet attribue le grand uſage des
premiéres par les Sculpteurs antiques ,
aux étoffes fines & déliées qu'ils avoient
fous les yeux ; parce que la nature du
climat n'en avoit guéres introduit d'autres
pour l'ufage des Peuples , parmi lefquels
vivoient ces Sculpteurs. Il reconnoît
d'ailleurs tous les avantages qu'ont
ces fortes de draperies , pour faire fentir
lés, proportions & les beautés du Nud ,
defquelles les anciens Artiftes femblent
avoir été fpécialement affectés. Il conjécture
que fi ces mêmes Anciens avoient
bien connu tout l'effet & le mérite des
draperies larges , ils en auroient profité
comme les Modernes. Les draperies vol.
tigeantes font de tous les genres , celui
que notre Auteur femble le moins favori
fer , quoiqu'il l'admette , & même le confeille
dans les fujets , où les actions des
figures femblent devoir naturellement
rendre les draperies voltigeantes comme
lés vols , les chûtes , les courfes , & c. En
un mot , l'Auteur en frondant l'attachement
exclufif à chaque fyftême, les adopte
tous , conditionnellement aux moyens
qu'ils peuvent procurer pour parvenir au
MA I. 1766 175
vrai ; & c'est l'à - propos qu'il indique
comme la Bouffole qui doit toujours
guider l'Artifte , dans le choix de tous les
-fyftêmes & de toutes les pratiques déjà
inventées. Il eft bien éloigné même de
détourner de la carrière des inventions
nouvelles , puifqu'il termine toutes les
réflexions par ce paffage de Tacitè : ce qui
nous fert maintenant d'exemple , a été autrefois
fans exemple ; & ce que nous faifons
fans exemple , en pourrafervir un jour.
On pourroit regretter que M. Falconet;
én traitant des Draperies , n'ait pas exa
miné , d'après fes loix fi judicieufes de l'àpropos
, quelles circonftances toléroient
ou devoient profcrire le coftume des Komains
& des Grecs , dans les Statues qui
repréfentent des Héros modernes. Son
autorité auroit peut - être contribué à réprimer
à cet égard l'abus dönt fe plaignent
depuis longtemps les amateurs de
la vérité hiftorique : ce qui peut être
' très- illufoire pour la poftérité , à laquelle
cet ufagé conftant de nos Artiftes pourroit
faire penfer que notre Nation n'avoit
aucuns vêtemens auguftes & invariablement
confacrés à la Majefté de nos Souverains
. Cette poftérité fera fans doute
affez fondée à méprifer le ridicule de nos
habillemens de mode , pour ne lui pas
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
laiffer un motif de plus de mépriſer notre
goût.
Quant aux foupçons qu'expofe M. Falconet
fur la partie Littéraire & Grammaticale
de fon Ouvrage , & l'aveu qu'il
femble faire d'avance de fes fautes , dans
un petit Avertiſſement qui précéde ſes
Réflexions imprimées ; s'il les a relues.
avec attention , quelque défiance qu'on
doive avoir de foi- même , il a pû s'aſſurer
que chaque Lecteur donnera un démenti
formel à tout ce que fa modeftie lui a fait
dire à cet égard.
Par M. D. L. G. Penfionnaire adjoint au
Mercure .
M. le Moine , Sculpteur du Roi , auquel
M. Falconet rapporte principalement
les lumiéres qu'il a répandues dans fes réfléxions
, a terminé depuis peu un Buſte
en marbre blanc d'après Madame la Marquife
de Pompadour.
Le cifeau de ce célèbre Artiſte a fait du
marbre une pâte , dans laquelle on voit ,
comme dans la Nature , jouer les Grâces
pour orner & animer les traits de la beauté,
fans en faire papilloter les grands traits.
Ce portrait eft un des plus reffemblans qu'il
foit poffible d'exécuter en Sculpture : Il
parle & fe vivifie aux yeux du Spectateur.
MA I. 1761 . 127
On doit juger par- là fi M. le Moine y a
atteint le grand Art de toucher.
Des temps plus favorables aux Arts
avoient vû naître & former les premiéres
ébauches de ce Morceau . Sa parfaite exécution
eft due à la complaifance généreufe
d'une Protectrice , attentive à concourir
au foutien de ces mêmes Arts .
C'est en même temps l'effet du zéle le
plus louable dans M. le Moine , jaloux
de faire voir jufqu'à quelle fublimité de
talent une protection éclairée & bienfaifante
peut élever les Artiſtes de France :
ARTS AGRÉABLE S.
GRAVURE.
La nouvelle & magnifique Edition de A
Bocace , tant en Italien qu'en Francois ,
chacune en s volumes 'S in-8° , & dont nous
avons donné le Profpectus dans le Mercure
du mois de Février dernier , a rempli
les voeux de tous les connoiffeurs , & fe:
débite avec fuccès. Elle eft ornée de 116.
grandes planches , fçavoir 100 pour les
100 Nouvelles , 10 pour les ro Prologues.
des journées , s pour les Frontifpices des
cinq volumes , & d'une pour le Portrait
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
M.
de l'Auteur. Ces 110 Planches font accompagnées
de 100 titres gravés dans
des bordures pareilles à celles des Planches
, & les Nouvelles ainfi que les Prologues
, font terminés par 100 culs - delampes
en figures de différentes grandeurs :
ce qui compofe environ 330 Planches ,
qui ont été deffinées & gravées par les
plus célèbres Artiftes . Six des grands Sujets
traités par M. Foucher , offrent à l'oeil ce
gracieux qui lui eft propre , & qu'on retrouve
toujours avec tant de plaifir dans
fes ouvrages : fix autres compofés par
Cochin , fe font remarquer par la bonne
manière fi connue de fon deffein . M. Eifen
en a compofé II , dans, lefquels on apperçoit
fa facilité ordinaire. Tous les autres
, au nombre de 93 , y compris les s
titres , ainsi que tous les culs- de- lampes ,
font de M. Gravelot , qui non feulement
a cherché , dans les grands , à rendre fi
délement le Sujet choifi ; mais encore à
tenfermer dans chacun des petits , foit une
allégorie ingénieufe relative au Conte ,
foit un trait particulier ou intéreffant qui
lui appartînt ; & fa réuffite eft avouée de
tous les Connoiffeurs.
Le prix dess volumes , foit en François ,
foit en Italien , eft de 100 liv . en papier
d'Hollande . Quant à l'Edition Françoife ,
MA I. 1761. 129
tirée fur de beau papier d'Auvergne , grand
raifin , le prix eft de 84 liv. Ils fe vendent
à Paris , chez N. Tilliard, Durand,
& Prault fils.
ASTRONOMIE , OPTIQUE ,
HORLOGERIE.
DESCRIPTION & ufage de divers Ou
vrages & inventions de M. PASSE
MANT , Ingénieur du Roi.
CETTE Brochure in- 11 , arrachée à
la modeftie d'un des plus fçavans Artiftes
de l'Europe , ne contient pas , comme la
plupart des Livres de ce genre , un Catalogue
illufoire , dreffé par la charlatanerie,
pour en impofer au Public. C'eſt une inftruction
très- utile à tous ceux qui profitent, '
pour leur amuſement , des moyens que
procurent les inftrumens merveilleux que
l'on a inventés ou perfectionnés depuis
quelques années , & par lefquels on a
dévoilé des myſtères de la Nature impénétrables
aux Anciens. Cette defcription
configne encore , pour ainfi dire , les progrès
miraculeux de notre fiècle dans l'Horfogérie
, par l'expofition des Ouvrages que
F
128 MERCURE DE FRANCE.
<
de l'Auteur. Ces 110 Planches font accompagnées
de 100 titres gravés dans
des bordures pareilles à celles des Planches
, & les Nouvelles ainfi que les Prologues
, font terminés par 100 culs - delampes
en figures de différentes grandeurs :
ce qui compofe environ 330 Planches ,
qui ont été deffinées & gravées par les
plus célèbres Artiftes. Six des grands Sujets
traités par M. Foucher , offrent à l'oeil ce
gracieux qui lui eft propre , & qu'on retrouve
toujours avec tant de plaifir dans
fes ouvrages : fix autres compofés par M.
Cochin , le font remarquer par la bonne
manière fi connue de fon deffein . M. Eïſen
en a compofé II , dans, lefquels on apperçoit
fa facilité ordinaire. Tous les autres
, au nombre de 93 , y compris les 5
titres , ainsi que tous les culs- de- lampes ,
font de M. Gravelot , qui non feulement
a cherché , dans les grands , à rendre fidélement
le Sujet choifi ; mais encore à
renfermer dans chacun des petits ,foit une
allégorie ingénieufe relative au Conte ,
foit un trait particulier ou intéreffant qui
lui appartînt ; & fa réuffite eft avouée de
tous les Connoiffeurs.
Le prix des 5 volumes , foit en François,
foit en Italien , eft de 100 liv. en papier
d'Hollande. Quant à l'Édition Françoife ,
M A I. 1761 .
129
tirée fur de beau papier d'Auvergne,grand
raifin , le prix eft de 84 liv. Ils fe vendent
à Paris , chez N. Tilliard, Durand,
& Prault fils.
ASTRONOMIE , OPTIQUE ,
HORLOGERIE.
DESCRIPTION & ufage de divers Ou
vrages & inventions de M. PASSEMANT
, Ingénieur du Roi.
CETTE
ETTE Brochure in- 11 , arrachée à
la modeftie d'un des plus fçavans Artiftes
de l'Europe , ne contient pas , comme la
plupart des Livres de ce genre , un Cara-`
logue illufoire , dreffé par la charlatanerie,
pour en impofer au Public. C'eft une inftruction
très -utile à tous ceux qui profitent, '
pour leur amuſement , des moyens que
procurent les inftrumens merveilleux que
l'on a inventés ou perfectionnés depuis
quelques années , & par lefquels on a'
dévoilé des myſtères de la Nature impénétrables
aux Anciens . Cette defcription
configne encore , pour ainsi dire , les progrès
miraculeux de notre fiècle dans l'Horfogérie
, parl'expofition des Ouvrages que
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
de l'Auteur. Ces 110 Planches font accompagnées
de 100 titres gravés dans
des bordures pareilles à celles des Planches
, & les Nouvelles ainfi que les Prologues
, font terminés par 100 culs - delampes
en figures de différentes grandeurs :
ce qui compofe environ 330 Planches ,
qui ont été deffinées & gravées par les
plus célèbres Artiftes. Six des grands Sujets
traités par M. Roucher , offrent à l'oeil ce
gracieux qui lui eft propre , & qu'on retrouve
toujours avec tant de plaifir dans
fes ouvrages : fix autres compofés par M,
Cochin , fe font remarquer par la bonne
manière fi connue de fon deffein . M. Eïfen
en a compofé II , dans, lefquels on apperçoit
fa facilité ordinaire. Tous les autres
, au nombre de 93 , y compris les 5
titres , ainsi que tous les culs- de - lampes ,
font de M. Gravelot , qui non feulement
a cherché , dans les grands , à rendre fidélement
le Sujet choifi ; mais encore à
renfermer dans chacun des petits , foit une
allégorie ingénieufe relative au Conte ,
foit un trait particulier ou intéreffant qui
lui appartînt ; & fa réuffice eft avouée de
tous les Connoiffeurs .
Le prix des 5 volumes,foit en François, S
foit en Italien , eft de 100 liv. en papier
d'Hollande . Quant à l'Édition Françoife ,
MA I. 1761 .
129
tirée fur de beau papier d'Auvergne, grand
raifin , le prix eft de 84 liv . Ils fe vendent
à Paris , chez N. Tilliard, Durand,
& Prault fils .
ASTRONOMIE , OPTIQUE ,
HORLOGERIE.
DESCRIPTION & ufage de divers Ou
vrages & inventions de M. PASSEMANT
, Ingénieur du Roi.
CETTE ETTE Brochure in- 12 , arrachée à
la modeftie d'un des plus fçavans Artiſtes
de l'Europe , ne contient pas , comme la
plupart des Livres de ce genre , un Caralogue
illufoire , dreffé par la charlatanèrie ,
pour en impofer au Public. C'eſt une inftruction
très-utile à tous ceux qui profitent, '
pour leur amuſement , des moyens que'
procurent les inftrumens merveilleux que '
l'on a inventés ou perfectionnés depuis
quelques années , & par lefquels on a
dévoilé des mystères de la Nature impénétrables
aux Anciens. Cette defcription
configne encore , pour ainfi dire , les progrès
miraculeux de notre fiècle dans l'Hor
fogérie , par l'expofition des Ouvrages que
F
128 MERCURE DE FRANCE.
de l'Auteur. Ces 110 Planches font accompagnées
de 100 titres gravés dans
des bordures pareilles à celles des Planches
, & les Nouvelles ainfi que les Prologues
, font terminés par 100 culs - detampes
en figures de différentes grandeurs:
ce qui compofe environ 330 Planches ,
qui ont été deffinées & gravées par les
plus célèbres Artiftes. Six des grands Sujets
traités par M. Roucher , offrent à l'oeil ce
gracieux qui lui eft propre , & qu'on retrouve
toujours avec tant de plaifir dans
fes ouvrages : fix autres compofés par M,
Cochin , le font remarquer par la bonne
manière fi connue de fon deffein . M. Eïfen
en a compofé II , dans, lefquels on apperçoit
fa facilité ordinaire . Tous les autres
, au nombre de 93 , y compris les 5
titres , ainsi que tous les culs- de- lampes ,
font de M. Gravelot , qui non feulement
a cherché , dans les grands , à rendre fi
délement le Sujet choifi ; mais encore à
tenfermer dans chacun des petits , foit une
allégorie ingénieufe relative au Conte ,
folt un trait particulier ou intéreffant qui
lui appartînt ; & fa réuffite eft avouée de
tous les Connoiffeurs .
Le prix dess volumes,foit en François ,
foit en Italien , eft de 100 liv. en papier
d'Hollande . Quant à l'Edition Françoife. ,.
MA I. 1761 . 129
tirée fur de beau papier d'Auvergne , grand
raifin , le prix eft de 84 liv. Ils fe vendent
à Paris , chez N. Tilliard, Durand,
& Prault fils .
ASTRONOMIE , OPTIQUE ,
HORLOGERIE.
DESCRIPTION & ufage de divers Ou
vrages & inventions de M. PASSEMANT
, Ingénieur du Roi.
CETTE ETTE Brochure in - 11 , arrachée à
la modeftie d'un des plus fçavans Artiftes
de l'Europe , ne contient pas , comme la
plupart des Livres de ce genre , un Cara -`
logue illufoire , dreffé par la charlatanerie ,
pour en impofer au Public. C'eſt une inftruction
très- utile à tous ceux qui profitent, '
pour leur amuſement , des moyens que
procurent les inftrumens merveilleux que
l'on a inventés ou perfectionnés depuis
quelques années , & par lefquels on a
dévoilé des mystères de la Nature impénétrables
aux Anciens . Cette defcription
configne encore , pour ainfi dire , les progrès
miraculeux de notre fiècle dans l'Hor
fogérie , par l'expofition des Ouvrages que-
F
128 MERCURE DE FRANCE.
7
de l'Auteur. Ces 110 Planches font accompagnées
de 100 titres gravés dans
des bordures pareilles à celles des Planches
, & les Nouvelles ainfi que les Prologues
, font terminés par 100 culs - delampes
en figures de différentes grandeurs :
ce qui compofe environ 330 Planches ,
qui ont été deffinées & gravées par les
plus célèbres Artiſtes . Six des grands Sujets
traités par M. Foucher , offrent à l'oeil ce
gracieux qui lui eft propre , & qu'on retrouve
toujours avec tant de plaifir dans
fes ouvrages : fix autres composés par M,
Cochin , le font remarquer par la bonne
fe
manière fi connue de fon deffein . M. Eïfen
en a compofé II , dans, lefquels on apperçoit
fa facilité ordinaire. Tous les autres
, au nombre de 93 , y compris les 5
titres , ainsi que tous les culs- de-lampes ,
font de M. Gravelot , qui non feulement
a cherché , dans les grands , à rendre fidélement
le Sujet choifi ; mais encore à
renfermer dans chacun des petits , foit une
allégorie ingénieufe relative au Conte ,
foit un trait particulier ou intéreffant qui
lui appartînt ; & fa réuffice eft avouée de
tous les Connoiffeurs .
Le prix dess volumes , foit en François,
foit en Italien , eft de 100 liv . en papier
d'Hollande . Quant à l'Édition Françoife ,.
MA I. 1761 . 129
tirée fur de beau papier d'Auvergne, grand
raifin , le prix eft de 84 liv . Ils fe vendent
à Paris , chez N. Tilliard, Durand,
& Prault fils .
ASTRONOMIE , OPTIQUE ,
HORLOGERIE.
DESCRIPTION & ufage de divers Ou
vrages & inventions de M. PASSE
MANT , Ingénieur du Roi.
ETTE Brochure in- 11 , arrachée à
la modeftie d'un des plus fçavans Artiftes
de l'Europe , ne contient pas , comme la
plupart des Livres de ce genre , un Cara-`
logue illufoire , dreffé par la charlatanerie ,
pour en impofer au Public . C'eſt une inftruction
très- utile à tous ceux qui profitent, '
pour leur amuſement , des moyens que
procurent les inftrumens merveilleux que
l'on a inventés ou perfectionnés depuis
quelques années , & par lefquels on a
dévoilé des myſtères de la Nature impénétrables
aux Anciens . Cette defcription
configne encore , pour ainfi dire , les progrès
miraculeux de notre fiècle dans l'Hor
fogérie , par l'expofition des Ouvrages que
F
128 MERCURE DE FRANCE.
<
de l'Auteur. Ces 110 Planches font accompagnées
de 100 titres gravés dans
des bordures pareilles à celles des Planches
, & les Nouvelles ainfi que les Prologues
, font terminés par 100 culs - delampes
en figures de différentes grandeurs :
ce qui compofe environ 330 Planches ,
qui ont été deffinées & gravées par les
plus célèbres Artiftes. Six des grands Sujets
traités par M. Foucher , offrent à l'oeil ce
gracieux qui lui eft propre , & qu'on retrouve
toujours avec tant de plaifir dans
fes ouvrages : fix autres compofés par M,
Cochin , fe font remarquer par la bonne
manière ficonnue de fon deffein . M. Eifen
en a compofé II , dans, lefquels on apperçoit
fa facilité ordinaire. Tous les autres
, au nombre de 93 , y compris les 5
titres , ainfi que tous les culs- de- lampes ,
font de M. Gravelot , qui non feulement
a cherché , dans les grands , à rendre fidélement
le Sujet choifi ; mais encore à
renfermer dans chacun des petits , foit une
allégorie ingénieufe relative au Conte ,
folt un trait particulier ou intéreffant qui
lui appartint ; & fa réuffice eft avouée de
tous les Connoiffeurs .
Le prix dess volumes ,foit en François,
foit en Italien , eft de 100 liv . en papier
d'Hollande. Quant à l'Édition Françoife ,
MA I. 1761. 129
tirée fur de beau papier d'Auvergne, grand
raifin , le prix eft de 84 liv. Ils fe vendent
à Paris , chez N. Tilliard, Durand,
& Prault fils.
ASTRONOMIE , OPTIQUE ,
HORLOGERIE.
DESCRIPTION & ufage de divers Ou
vrages & inventions de M. PASSEMANT
, Ingénieur du Roi.
CETTE ETTE Brochure in- 11 , arrachée à
la modeftie d'un des plus fçavans Artiftes
de l'Europe , ne contient pas , comme la
plupart des Livres de ce genre , un Cata-`
logue illufoire , dreffé par la charlatanerie ,
pour en impofer au Public . C'eft une inf
truction très- utile à tous ceux qui profitent, '
pour leur amuſement , des moyens que
procurent les inftrumens merveilleux que
l'on a inventés ou perfectionnés depuis
quelques années , & par lefquels on a
dévoilé des myſtères de la Nature impénétrables
aux Anciens. Cette defcription
configne encore , pour ainfi dire , les progrès
miraculeux de notre fiècle dans l'Horfogérie
, par l'expofition des Ouvrages que
FyV
130 MERCURE - DE FRANCE.
le Roi juf-
M. Paffemant a exécutés pour
qu'à préfent .
PRATIQUE DES TELESCOPES DE
REFLECTION.
Après avoir fait fentir l'utilité des Télefcopes
de réflection , qui donnent, dans
un inftrument beaucoup plus court que
les lunettes , des effets très-fupérieurs ;
l'Auteur explique & détaille la pratique
néceffaire pour l'ufage de ces inftrumens ;
le pied à vis , le micrométre , appliqué
par M. Paffemant aux Télefcopes , par le
moyen duquel on prend directement le
diamétre des Planettes , font autant d'objets
curieux pour le commun du Public ,
& intéreffant pour les Obfervateurs.
La comparaifon d'effet des Télefcopes de
réflection , qui fe trouvent chez l'Auteur,
à des lunettes anciennes & ordinaires ,
paroîtroit exagérée , fi l'on ne fçavoit à
quel degré de précifion ces fortes de calculs
font conftatés. En ne prenant que
les termes extrêmes , depuis le plus court
de ces Télescopes jufqu'au plus long , le
Télefcope de quatre pouces produit l'effet
d'une lunette de dix-huit à vingt pouces
; le champ en eft fort grand & d'une
clarté très- pure. Dans une Eftampe ou un
Tableau bien éclairé , vû à travers ce
MAI. 1761 .
Téleſcope , à la diftance de fept à huit
pieds , les figures paroiffent de grandeur
naturelle. Les Télescopes de cinq pieds
font l'effet des lunettes de cent pieds de
longueur. Le fuccès du Télefcope de quatre
pouces , à bec de corbin, fur une canne
, que l'Auteur a fait pour le Roi ,l'a
encouragé à en faire de pareils que l'on
trouve chez lui ; les uns en or , les autres:
en vernis de différentes façons. L'ufage
facile & commode que l'on peut faire de
ce Télescope , en fe promenant, lui donne:
un avantage confidérable fur ceux qu'il
faut établir dans un lieu fixe.
TELESCOPE DE MER..
L'invention du Télefcope de Mer , due
aux recherches & à la fagacité de M. Paf
femant , eft une de ces inventions , dont
l'extrême avantage , joint au mérite des
connoiffances qui en ont dirigé l'exécu
tion , auroit acquis à fon Auteur les honneurs
les plus éclatans dans la Républi
que Romaine ou dans celle de la Gréce
Cet inftrument , dont on fe fert auffi facilement
à la main que d'une lunette de 3
pieds , donne un bien plus grand champ
& rapproche confidérablement les objets
en forte que l'on découvre un Vaiffeau en
nemi longtemps avant qu'on en puiffe être
"
I vj
132 " MERCURE DE FRANCE.
vû , que l'on eft en état de le reconnoître ,
de compter fes canons , de juger de fa for--
ce , & par conféquent de fe difpofer à l'attaque
, à la défenſe , ou à la fuite , fuivant
les circonstances de la fituation où l'on fe
trouve. Nous devons fans doute un hommage
public à tout Sçavant , à tout Artifte
, qui applique ainfi fes lumiéres & for
travail à des objets auffi importans pour
fa Patrie . Quels fruits n'auroit- elle pas lieu
d'attendre . de . l'établiffement de tant de
Sociétés nombreufes & célèbres , qui fe
font formées depuis un demi fiécle dans
la plupart des grandes Villes de. France !.
MICROSCOPE SOLAIRE.
Une autre espéce d'Univers fe découvre
à nos yeux , par le moyen des Microſco
pes. Il faut lire dans l'Ouvrage même la
defcription de ceux qu'a conftruits M.
Paffemant , pour en fentir toute la per→
fection . Ceux qui ne connoiffent encore
que fuperficiellement l'ufage & les prodigieux
effets de ces fortes d'inftrumens ,
feront étonnés de s'être privés d'un fpectacle
fi intéresant , particuliérement de
celui du Microſcope Solaire , par le moyen.
duquel on peut pénétrer jufques dans l'in
térieur des objets , pour peu qu'ils foient
tranſparens ; en forte que la Nature , furMA
I. 1761. 133
prife dans fes retraites les plus cachées ,
eft forcée de nous laiffer voir le méchanif
me de fes productions , malgré toute la
difproportion des organes de notre vue.
MICROSCOPE DE POCHE.
Le defir que marqua une des Dames
de France d'avoir un microſcope d'un
grand effet , & qui pût néanmoins fe
porter dans la poche , a donné lieu à M.
Paffemant d'en imaginer un de cette forte
, qui doit exciter la curiofité d'un plus
grand nombre de perfonnes , par la com
modité de fon ufage. En lifant le détail
de cet ingénieux inftrument , on douteroit
de fa perfection & des avantages
qu'il réunit , fi le caractére naïf & peu
confiant de l'Auteur pouvoit le permets
tre , & fi de plus on n'étoit à portée
tous les jours de s'en convaincre par foimême.-
Une quatrième forte de microfcope
qui porte deux lentilles , defquelles on
fe fert relativement à la groffeur dont
on veut voir un objet , procure encore
Pavantage de voir l'objet très- éclairé ,
quoique fort près de la lentille ; au lieu
que fans l'interpofition du miroir , que
Auteur a trouvé le moyen d'y placer, on
ne verroit que les contours de ce même
ubjet..
134 MERCURE DE FRANCE.
MICROMETRES.
L'Auteur , en guidant fur l'ufage de
ces curieux inftrumens , nous apprend
quelles corrections il a faites aux défauts
qui avoient échappé à leurs premiers
conftructeurs. Il donne enfuite différentes
méthodes pour appliquer les Micrometres à
toutes les fortes de Microſcopes ci - deffus .
» S'il eft bien fatisfaiſant , dit- il , de dé-
» couvrir une infinité d'objets qui échap
» pent à nos yeux , il n'eft pas moins inté
» reffant d'en connoître la grandeur , &
» en même temps , combien ils font amplifiés
par le Microſcope. C'eft ce degré
» de précision que l'on n'auroit ofé eſpérer
que l'on va cependant trouver porté
» à la démonftration la plus évidente , par
l'application du Micrométre.
"
»
Il donne enfuite plufieurs Tables calculées
, tant pour fçavoir de combien
un microfcope augmente le diamètre de
l'objet en raison de la force de chaque
lentille , que pour déterminer combien
le microſcope groffit , à quelle partie
d'une ligne répond la grandeur d'un objet
infenfible à la vue fimple , &c. L'ufage
de ces fortes de micrométres , ainfi méthodiquement
appliqués , eft d'autant plus
intéreffant , que par ce moyen , on peut
MA I. 1761 . ~13.5
mefurer les objets mêmes qui feroient
dans un mouvement continuel . M. Paffemant
a le mérite d'avoir rendu cet ufage
fi fimple & fi facile , que tout le monde
peut en recueillir le même fruit, & faire
les mêmes obfervations que ceux qui en
ont fait une étude particulière. Ce qui
reftraint fans doute l'empreffement pour
des amuſemens auffi précieux & auffi
honnêtes , eft la difficulté que les gens du
monde éprouvent à fe fervir des inftrumens
qui n'étoient autrefois que dans les.
mains des Sçavans de profeffion . On ne
peut donc fçavoir trop de gré à M. Paffemant
d'avoir écarté ces obftacles .
LUNETTES
ORDINAIRES ,
ET LUNETTES DE MER.
De quelque utilité que foient toutes les
efpèces de lunettes détaillées dans cet
ouvrage , à deux , à quatre , à fix verres ,
& à deux objectifs ; toutes les loupes pour
les divers ufages d'utilité & de curiofité ;
Lunettes pour lire , objet très - intéreffant ,
puifque la confervation de la vue en dépend:
on n'infiftera ici que fur l'important
ufage des lunettes de mer & de celles de
nuit. C'eft en cela que fans un puérile
136 MERCURE DE FRANCE.
enthoufiafme , on peut fe féliciter d'avoir
vu l'Art reculer les bornes que la Nature
avoit impofées aux facultés humaines.
Faire percer la vue jufques à des diftances
éloignées , à travers les brouillards & les
vapeurs de la mer , vaincre l'obſcurité
des ténébres de la nuit fur ce même élément
& fur la terre , font des miracles
fur lefquels la postérité croiroit qu'on lui
en auroit impofe , s'il étoit poffible qu'au
degré où font aujourd'hui les Sciences &
les Arts en Europe , la chaîne des connoiffances
& des inventions actuelles fe
rompît encore dans la révolution des
temps . M. Paffemant avertit qu'il a dè
ces lunettes réduites à la moitié de leur
grandeur , & qui font le même effet.
BOETES D'OPTIQUE ET CHAMBRES
OBSCURES.
و
En dirigeant les recherches vers l'utile
les Arts fcientifiques procurent auffi des
amuſemens , entre lefquels deux des plus
agréables font les boetes d'optique & les
chambres obfcures. La Phyfique expérimentale
, naturalifée depuis quelque
temps dans le monde le plus frivole , a
fait connoître ces deux fources de richeffes
, dont on peut varier le produit
à tout moment. Les boctes d'optique
MA I. 1761. 137
font des Théâtres portatifs , fur lefquels
on jouit du plaifir de voir les lieux célébres
, les monumens les plus intéreffans ,
prèfqu'auffi exactement qu'en voyageant.
Mais la perfection des verres eft importante
pour rendre cet amufement digne
de notre curiofité. Ce qui n'eft pas moins
éffentiel pour l'effet des chambres obfcures.
Ces derniéres ne fervoient ordinairement
qu'à deffiner des objets éloignés
comme des bâtimens , un port de mer ,
des payfages , & c. Au lieu que l'Auteur
en a porté l'effet , on pourroit dire , la
magie , jufqu'à la faire fervir à deffiner ,
de grandeur naturelle , non-feulement let
portrait d'une feule perfonne , mais encore
de plufieurs fur un même Tableau ;-
propriété qu'il donne auffi aux boëtes
d'optique , lorfqu'on les lui demande.
Par le moyen de cet agréable méchanifme,
on peut non- feulement prendre le
trait , mais auffi peindre avec d'autant
plus de facilité que les images font plus
frappantes ; & les têtes y paroiffant avec
leurs couleurs naturelles , prêtent à l'imitation
une facilité prodigieufe. Il eft
étonnant que dans le defir général qu'on
a de donner ou de conferver fes portraits ,
on ait négligé ce moyen infaillible , pour
138 MERCURE DE FRANCE.
avoir recours aux éfforts d'un Art , dont
les effets font toujours douteux entre les
mains des plus célébres Maîtres.
LA
La fuite au Mercure prochain.
MUSIQUE.
A Mufique de M. Mondonville ne fe
vend actuellement que chez l'Auteur , rue
des Vieux Auguftins , la 2 ° . porte cochére
à gauche en entrant par la rue coquillère,
près la Place des Victoires .
SCAVOIR.
Le premier livre de Sonates à Violon
feul.
Les Trios .
Les 2 livres de pièces de Clavecin avec
accompagnement de Violon.
Les fons harmoniques , Sonates à Violon
feul.
Les Opéras ,
D'Isbé.
Du Carnaval , du Parnaſſe .
De Titon & l'Aurore.
De Daphnis & Alcimadure , Paftorale
Languedocienne.
Des Fêtes de Paphos , comprenant les
MA I. 1761. 13.9
'Actes de Vénus & Adonis , de Bacchus &
Erigone , de l'Amour & Pfiché.
On s'adreffera au Portier de la Maiſon.
&
Nota. L'Auteur ayant fçû qu'on avoit ſéparé &
contrefait plufieurs morceaux de fes Ouvrages ,
qui n'ont point l'exactitude des originaux
qu'on faifoit courir le faux bruit que les planches
de fes ouvrages étoient uſées & cafiées , s'eft déterminé
à ne plus faire vendre fa mufique que chez
lui , pour prévenir un abus qui ne fert qu'à tromper
le Public.
ARCHITECTURE.
LETTRE fur les Salles de Spectacle.
SI un Amateur , homme de Lettres , a
fait des réfléxions fur l'Architecture des
Théâtres , dont on a judicieufement parlé
dans une feuille périodique du mɔis
de Décembre de l'année derniere ; ne
pourrai- je pas en qualité d'Artifte prendre
la liberté de fuivre la même route ?
Permettez donc , Monfieur , que je vous
faffe part de mes réfléxions , pour ne pas
dire de mes études fur ce fujet.
Je puis vous avancer qu'il n'y a guéres
de projet qui m'ait plus affecté que
celui d'une Salle de Spectacles ; & malgré
toutes les études que j'ai faites pour
140 MERCURE DE FRANCE.
:
trouver une forme avantageufe à tous
égards , tant dans la partie des Plans , que
dans celles des coupes & élévations intérieures,
qui font les effentielles, quoique les
extérieures demandent un caractère diſtin-
&tif qui les annonce, foit par des portiques
ou périftiles où l'on doit trouver tous les
abris convenables & toutes les iffues pour
le concours des amateurs de Spectacles ;
je peux vous affurer que fans fortir du
procenium , l'on peut dire avec jufte raifon
que la critique eft aifée , mais l'art difficile..
L'Architecte de la Salle de Lyon a parcouru
deux fois l'Italie , toujours avec la
même ardeur & le même amour qui l'anime
pour perfectionner fon talent. S'il
n'a pas exactement réuffi dans quelques
parties de cette Salle , je doute fort que
celle des Italiens réparée à Paris , nous eût
fait trouver plus de perfections dans ce
genre d'Architecture , fi elle eût été reconftruite
à neuf. Celui qui vient de nous
la rajufter eft un homme d'expérience,qui
doit connoître cette partie, de préférence
à quelques autres , par rapport à fa place
& aux études particulières dont il a été
chargé en levant une bonne partie des
Théâtres d'Italie. Un connoiffeur dans
cette partie nous a donné une forte de
MA I. 1761 . 141
programe d'après la plus jufte idée qu'il
s'eft formée , ainfi que vous , Monfieur ,
fur le fameux Théâtre de Palladio , rien de
mieux dit & de mieux appuyé que fon programe
. J'ai eu l'avantage de voir auffi ce
Théâtre , & prèfque tous ceux des autres
Villes d'Italie , j'ai même mefuré en partie
les charpentes d'un des plus vaftes de Rome;
les plus ftudieux qui ont vû ce pays
des Arts en ont fait autant , afin de s'appuyer
fur de bons modéles , d'après lef
quels ils peuvent moins érrer que de jeu
nes afpirans, auxquels vous defireriez voir
donner en concours un projet de Salles de
Spectacles . J'imagine donc , Monfieur
qu'au lieu de donner ce projet à traiter à
de jeunes & bons Déffinateurs ; fi l'on en
chargeoit tous ceux qui pourroient prétendre
à remplir des places d'Architecte
du Roi & de Membre de fon Académie
l'on pourroit parvenir à trouver ce rout
heureux & fi judicieufement defiré. Pour
moi , Monfieur , d'accord avec les deux
Anonymes qui ont donné deux petites Lettres
fur l'Architecture , dans les Mercures
de Juillet & Novembre de l'année derniére
, je defirerois voir des concours & des
expofitions de monumens publics .
L'Académie Royale de Peinture & de
Sculpture nous donne un fi bel exemple
142 MERCURE DE FRANCE.
tous les deux ans ! les Architectes ne feront
ils jamais excités & autorisés d'en
faire de même ? Ce n'eft pas affez , Monfieur
, de bien décrire un projet d'Architecture
, il faut faire des deffeins d'une
certaine grandeur , bien détaillés , tant en
géométral qu'en perſpective bien rendue
; ils perfuaderoient les vrais Connoiffeurs
tant en théorie qu'en pratique. Le
Concourant fe tiendroit fur fes gardes ;
il n'expoferoit , en homme prudent , que
des projets réfléchis ; le fupérieur en ce
genre fe verroit récompenfé par la place
à laquelle il aspireroit ; la protection refteroit
pour les plus foibles qui dans
d'autres concours de projets plus analogues
à leur ftyle , fe diftingueroient . Ils
exerceroient la fertilité de leur génie à
remplir les intentions variées dont l'Architecture
eft fufceptible. Vous connoiffez,
Monfieur , la Salle des François : elle
porte 36 pieds dans oeuvre entre les nuds
de mur du fond des Loges ou Balcons &
3 pieds d'ouverture pour l'avant-Scène.
Depuis que les Banquettes font détruites
fur ce Théâtre , il me paroît que les Acteurs
y font fuffifamment à leur aife , &
que les décorations font affez grandes
pour remplir l'effet d'un beau tableau.
d'hiftoire. Je penſe que , fi l'avant-Scène
,
MA I. 1761. 143
étoit beaucoup plus large & plus haute ,
relativement à cette grande ouverture ,
les chaffis deviendroient beaucoup plus
grands & plus difficiles à manoeuvrer; l'Ac
teur par comparaifon beaucoup plus petit.
L'on ne pourroit donc , fi je ne me
trompe , que tiercer tout au plus toutes
ces mefures ; encore ne feroit -ce que
pour une Salle d'Opéra , où les décorations
font une grande partie du plaifir
que l'on reffent à ce Spectacle. Les Ballets
demandent beaucoup de place , & la voix
de l'Acteur ou de l'Actrice s'arrangera de
fon mieux , fi fa partie ne le demande pas
fur l'avant- Scène : autrement il faudroit
découper ou divifer l'avant- Scène en trois
parties comme au Théâtre de Vicence ;
de la réuffite duquel vous me permettrez
de douter. Si l'on veut donner à la Salle
la forme d'un demi cercle, ou d'une dèmie
éllipfe prife fur fon petit diamétre , qui
font à la vérité les meilleures à tous égards,
& que les diamètres foient beaucoup plus
grands que l'ouverture de l'avant - Scène ,
afin de contenir plus de Spectateurs ; combien
les Loges voifines de l'avant- Scène
perdroient- elles pour la vue des décorations
& des coups de Théâtre ? De plus ,
en raison du diamétre , quelle hauteur
ne faudroit-il
pas
donner à la voute ou
144 MERCURE DE FRANCE.
plafond de cette Salle ? En outre , qui affurera
que le Peuple François fe plairoit au
pêle mêle des conditions qui pourroient
Le rencontrer , pour leur argent , confondues
dans un Amphitéâtre immenſe , à
moins que d'y former des fubdivifions
pour différens états ? Je conçois très - bien
que de l'Orqueftre & du Parquet le coup
d'oeil feroit admirable ; je pourrois même
démontrer que , par cette forme , l'on
trouveroit beaucoup plus de place , & que
rien ne feroit plus avantageux pour produire
une recette abondante. Quant à
l'exécution , rien de plus facile d'après
ceux d'Italie. La Salle du Théâtre d'Argentine
à Rome a daus oeuvre 76 pieds ,
elle eft converte en charpente , laquelle
charpente fe pourroit également exécuter
en France , en apportant les mêmes foins
& les mêmes attentions d'exécution. Il
ne s'agiroit donc plus , Monfieur , que
de la place & des ordres de projetter
avec émulation ; & l'on verroit , à la gloire
des Artistes François , des projets allez
bien réfléchis , pour être dignes de l'exécution
la plus fcrupuleufe & de vos éloges
les plus mérités .
J'ai l'honneur d'être , &c.
LETTRE
MA I. 1761. 145
LETTRE de M. LEPAUTE , Horloger
du Roi , à M. DE LA PLACE.
L'USAGE qui s'établit dans les Académies
de confacrer un éloge à la mémoire
de ceux qui ont contribué aux travaux
communs , a été une fource d'émulation
dans les Sciences . Les Arts , auffi utiles à
l'humanité , auroient befoin d'un pareil
encouragement ; mais de qui les Artiftes
oferoient ils l'attendre ? La vie retirée
qu'ils ont menée , femble ne fournir rien
d'intéreffant pour le Public , & promet
peu de gloire à celui qui prendroit le
foin de remplir ce devoir . Le bien public
demande néanmoins que tout homme
qui s'eft diftingué , & qui a bien mérité
de la patrie , foit tiré de l'oubli , & propofé
pour exemple à ceux qui le fuivront.
Vous voulutes bien , Monfieur , recevoir
de moi , & publier quelques traits à la
gloire de M. Julien le Roi , que l'Horlogerie
perdit le 20 Septembre 1759. Je
rendrai aujourd'hui un femblable tribut à
M. Jodin ; il le mérite d'autant plus que
ce n'eft point aux circonftances , à la
fortune , au préjugé , au comm rce , qu'il
G
146 MERCURE DE FRANCE.
dut fa réputation, mais au feul talent qu'il
poffedoit , & que les gens de l'Art étoient
forcés de reconnoître & d'admirer.
4
M. Jodin avoit quitté de bonne heure
Genève, fa patrie, pour travailler à Paris ;
il y acquit la réputation du plus habite
Finiffeur en montres , c'est- à- dire, dans la
partie la plus délicate de l'Horlogerie ;
on le regardoit abfolument , parmi fes
Confréres , comme le premier dans fon
genre mais c'eft du Public , & non pas
de fes Confréres qu'un Artifte peut eſpérer
fa fortune & le prix de la réputation.
M. Baillon , pour qui il travailloit depuis
longtemps , lui donna la direction d'un
nombre confidérable d'ouvriers qu'il occu
poit à S. Germain en Laye ; cette efpèce de
Manufacture ne pouvoit être confiée à des
mains plus habiles ; il en fut l'âme & le ref
fort principal. Des montres en bagues , des
montres à quatre parties , des échappemens
à cylindre perfectionnés & exécutés
d'une maniére fupérieure , enfin tout
ce qu'on voyoit de plus difficile & de
plus beau dans l'Horlogerie venoit de
M.Jodin , ou fe faifoit par fes foins , & cela
dura pendant plufieurs années . Mais enfin
laffé de cette folitude,M. Jodin revint
à Paris en 1754 , dans l'efpérance de travailler
pour fon propre compte , & de
MA I. 1761 . T47
recueillir le fruit de l'eftime qu'il s'étoit
acquife par fes ouvrages . Ce fut alors que
mettant à profit les connoiffances, que lui
avoit données l'expérience fur la partie
délicate de fon Art , il compofa fon Traité
des Echappemens , volume in - 12 . imprimé
à Paris chez Jombert en 1754 .
M.Jodin ne s'occupa point dans fon ouvrage
à décrire les différentes fortes d'échappemens;
il alla directement au but; &
choififfant l'échappement de Graham , qui
lui fembla le plus parfait , avec l'échappement
à roue de rencontre, qui eft le plus
-commun , il les compara , les examina en
détail , en montra les avantages , les défauts
& les difficultés d'exécution ; il
prouva combien l'échappement à repos a
d'avantages fur l'échappement à recul ;
combien celui de Graham en particulier
l'emportoit fur ceux qui l'avoient précédé,&
combien en même temps il exigeoit
de précautions , pour pouvoir conferver
dans l'ufage, la prééminence qu'il a dans
le principe.
"
Quelques années après , M. Jodin fit
une montre allant un mois fans être remontée
, qui étoit un chef- d'oeuvre ; il
falloit toute la perfection de l'Art , pour
faire réuffir ce genre d'ouvrages jufqueslà
décrié , à caufe de la difficulté d'exé-
Gij
148 MERCURE DE FRANCE:
cution, qui le rend prèfque toujours mauvais
. Ce tour de force lui fit autant d'honneur
que fon livre , & lui valut la protection
de plufieurs perfonnes diftinguées.
Il étoit naturel que la Communauté
des Horlogers de Paris , réveillée à ce
bruit , profitât de fon droit pour acquérir
M. Jodin ; & il fe fit recevoir en 1758.
Il commença dès - lors à obtenir , dans le
Public & à la Cour , l'eftime qu'il avoit
trouvée a longtemps parmi les gens de
l'Art . Mais ce grand Artifte jouiffoit à
peine de ces nouveaux avantages, lorsqu'il
a été attaqué d'un mal de jambe qui s'étant
tourné en gangrène , vient de l'enlever
le 6 Mars , prèfqu'à la fleur de fon
âge , au grand regrer de tous ceux qui aiment
l'Horlogerie. Je fuis &c. LEPAUTE.
A Paris , le 12 Mars 1761 ,
MECHANIQUE.
2 ETTRE à l'Auteur du Mercure , fur
les moyens de refpirer fous l'eau.
MALGRÉ la répugnance que je me fens ,
Monfieur , à expofer aux yeux du Publis
foible éffai de mes réfléxions fur les
un
M A 1. 1761 . 146
moyens de refpirer fous l'eau , les circonftances
m'y obligent en quelque façon.
M. Pomier, Ingénieur, fe plaint par la voie
de votre Mercure , qu'un de mes amis a
été trop ardent à vous écrire ; qu'il auroit
dû attendre que j'euffe mis moi - même
la derniere main à mon ouvrage ; ce font
fes
propres termes . Je crois , premierement,
ne pouvoir être refponfable de l'empreffement
qu'a eu cet ami de faire part au
Public, d'expériences qui le font faites en
préſence de tout le monde. Mais , ſi j'ai
bien entendu , M. Pomier defire fans doute
que je m'explique , & que j'entre dans
les détails néceffaires pour bien faire com
prendre tout le méchanifme de mon invention
. Je tâcherai donc de fatisfaire fa
curiofité , autant qu'on le peut dans une
Lettre ; & cela d'autant plus volontiers ,
qu'étant lui - même inventeur , il faifica
mieux que perfonne , fans l'aide du deffein
ni du modéle , en quoi confifte l'éffentiel
de ma machine,
Avant d'entrer en matière , il me femble
à propos de faire fçavoir ici les circonftances
, qui l'ont fait parvenir à la
connoiffance du Public. Retiré dans une
étude philofophique , où j'occupois la
tranquillité de mon âme des objets &
des points de vue qui me fembloient de-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
voir être les plus utiles à l'humanité en
général, & à ma patrie en particulier ; où,
malgré la variété des alimens propres
nourrir l'inquiétude naturelle à l'efprit
ceux que m'offroient les Sciences exac-.
tes me paroiffoient toujours les plus folides
: mais , me difois - je fouvent à moimême
, la vérité fi belle par fa nature , fi
digne d'être aimée pour elle - même, manque
néanmoins fon objet , fi l'on ne trouve
pas le moyen de la rendre utile aux
befoins renaiffans de la Société ? Defcendons
donc de la fublime théorie , qui a
pour objet les loix de la pefanteur mutuelle
des corps , & qui fçait affervir au
calcul la marche même des Cométes . La
Méchanique offrit alors fon vafte champ
à mes généreux defirs , me fit voir fes
rapides progrès , depuis qu'on cultive la
Phyfique expérimentale , me montra fes
proportions & fes démarches, réglées par
le génie de l'analyfe, guide éffentiel dont
elle ne pourra jamais le féparer , fans s'éloigner
de plus en plus de la perfection .
Que de tèrres à défricher dans mon empire
, me dit- elle, que d'éffais infructueux
l'on eût fait réuffir , fi l'on s'y étoit mieux
pris, & qu'on eût eu furtout plus de courage
& d'opiniâtreté ! Combien de bon
nes inventions prêtes à éclore , que la
MAI, 1761 . 151
à mon
mort a plongées dans un même tombeau
avec leurs inventeurs ! Il me reste encore
l'efpérance de les voir un jour renaître de
leurs cendres . Circonfcris - toi dans de juftes
bornes , & choifis les fujets les plus
utiles ; fonge qu'il en a moins coûté pour
la découverte immortelle du pendule ,
que pour un automate , qui dans le fonds
ne peut fervir à rien . Je choifis en conféquence
plufieurs objets de mes études ,
parmi lesquels fe trouva celui qui a pour
but , l'art de refpirer fous l'eau. Je relus
dans les anciens Journaux des Sçavans ,
Ouvrage fi digne de porter un tel nom ,
Lout ce qui pouvoit avoir rapport
Sujet. Il ne me fut pas difficile d'appercevoir
les inconvéniens , qui avoient contribué
à rendre inutiles des inventions
d'ailleurs ingénieufes . Je vis qu'il étoit
impoffible de les rectifier ; & m'abandonnai
à l'efprit de combinaiſon bien plus
général , bien plus inventif que celui de
l'analyfe , je fentois que le plus grand degré
de perfection confiftoit à faire defcendre
au fond de l'eau un homme tout
nud , fans aucun attirail ; qui pût quitter
la machine & remonter à fa volonté fans
courir aucun rifque pour fa vie . Il falloit
pour cela que l'air eût un libre accès
dans la trachée artére , & qu'en même.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
temps le paffage fût exactement fermé.
au liquide élément. Après avoir beaucoup
rêvécar tout inventeur eft fujet à cette
maladie ) j'imaginai à la fin une embou-"
chure d'ivoire , faite de façon que les lévres
en s'y adaptant extérieurement, fermoient
exactement le paffage à l'eau ,
tandis qu'elle recevoit l'air par un cánal
pratiqué intérieurement . A l'égard du
nez , il ne me fut pas difficile à dompter ;
un reffort en comprimant les deux narines
m'en débarrafa . J'adaptai enfuite à
mon embouchure deux tuyaux de fer
blanc , foudés l'un à côté de l'autre , qui
communiquoient enfemble , par un petit
réfervoir pratiqué pour recevoit la pituite
, qui devient très - incommode quand
on eft obligé de refpirer fous l'eau , ainfi
que ma propre expérience me l'a appris.
A peine une machine eft elle finie , que
l'on defire d'en faire l'expérience . Je la
fis en eau douce ; & tout imparfait que
fut cet éffai , il réuffit au delà de mon
attente . Tranquille fur cet article , je ne
fus pas peu furpris de recevoir un mois
après une lettre du Miniftre de la Marine ,
par laquelle il me faifoit l'honneur de
me mander qu'il fçavoit que j'avois inventé
une machine pour refpirer fous
l'eau , & qu'il defiroit qu'on en fit l'éllai
M A I. 1761. 153
à l'occafion des canons de bronze du Soleil
royal , qu'il s'agiffoit de retirer du
fond de la mer . Voilà , m'écriai- je avec
tranfport , un de ces traits qui caractérifoient
le ministère du grand Colbert , &
qu'il eût lui- même applaudi ! Mais par
quel hafard ai - je pû être ainfi découvert ?
Je n'eus rien de plus preffé que de partir
trop charmé de faire un voyage dont let
but étoit d'être utile à l'Etat. Arrivé fur
les lieux , je fis dans l'onde amére l'expé--
rience qui avoit déjà été faite en eau
douce ; l'on en parut fatisfait , & l'on fit
travailler en conféquence à la conftruction
d'une machine dont les tuyaux feroient
plus élevés que ceux qui avoient
fervi à la premiére épreuve. La vue du
local , & les nouvelles réfléxions qu'elle
me fuggéra , me firent naître l'idée d'une
machine beaucoup plus parfaite & fort'
différente de celle que j'apportois. Je
propofai de la faire exécuter en fa place ,
fans cependant rien communiquer de fa
conftruction. L'on me répondit qu'on s'en
tenoit à la premiére . J'infiftai & j'offris
de la faire faire à mes frais , tant je
m'en tenois fûr. Je reçus pour réponſe ce
paradoxe très -poli. » Monfieur, votre pre-
» miére invention eft fi fimple & fi bönne
qu'il n'y a pas d'apparence qu'on en puiffe
Gw
154 MERCURE DE FRANCE .
» trouver une meilleure. Tout homme qui
n'eût eu pour objet que les intérêts de fa vanité
eût été fatisfait. Mais je ne fçai point ,
à l'exemple d'Ixion , embraffer une nue
en place de la réalité. Je renfermai dèslors
mon idée en moi-même , la réfervant
pour une autre occafion . Il eft temps de
revenir à ce qui fait le fujet de cette Lettre.
Avant de répondre à la premiére objection
de M. Pomier , concernant l'éffort
que fait la preffion de la colonne d'eau
fur la poitrine , j'avertis ici que les deux
tuyaux avec leur embouchure forment
une machine à part , qui fait fon effet indépendemment
de la cloche , & qui n'a
rien de commun avec elle , fi ce n'eft de
tendre au même but. Ainfi quand je parle
rai dans la fuite de l'adaptation de ces
deux tuyaux à la cloche ; il faudra faire
attention que ce n'eft que pour perfectionner
cette ancienne invention , dont ils
peuvent très- bien fe paffer.
Examinons d'abord le jeu des poumons
dans un air libre . Dans l'infpiration , les
côtes en commençant à s'élever , forment
une eſpèce de vuide dans la capacité de
la poitrine , ou du moins raréfient l'air qui
y étoit contenu. L'air extérieur , pour fe
mettre en équilibre , entre par la trachée
MAJ. 1761. 155
artère , fe diftribue de là dans les poumons
, facilite par cet équilibre l'effort
que font les mufcles pour élever les côtes ,
en rempliffant de plus en plus les bronches
pulmonaires . Evaluons maintenant
la furface extérieure, qui eft foumife à ce
mouvement d'élévation & d'abaiſſement ;
l'on trouvera que toutes les côtes y participent.
Ainfi , en évaluant à deux pieds
quarrés cette furface , l'on verra que la
force totale néceffaire pour l'infpiration ,
équivaudroit à la pefanteur d'une colonne
d'eau de trente- deux pieds , qui auroit
pour baze deux pieds de furface ; ainfi
l'effort feroit de plus de quatre mille
livres , file vuide fe faifoit auffi exacte-:
ment dans la poitrine , comme dans la
machine pneumatique.Cette prodigieufe
force des mufcles ne furprendra point
ceux qui auront étudié la Miologie en:
méchaniciens , ou qui auront lu le Livre ›
d'Alphonfe Borelli , de motu animalium.
Perfonne n'ignore que les mufcles font
capables d'éfforts bien plus grands que
ceux qui leur font néceffaires pour les
actions naturelles de la machine humaine.
Par exemple , qu'un homme monte
à une échelle , fes mafcles font un éffort
relatif à la pefanteur de fon corps ;
mais fi l'on vient à le charger d'un far-
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
deau , il faudra qu'il falle en outre un
nouvel éffort proportionnel au poids du
fardeau. Si l'on met une enclume fur la
poitrine d'un homme , tour de force qui
n'eft pas rare parmi les Batteleurs , il faut
alors que les muſcles de fa poitrine faffent
des éfforts bien au - deffus de l'état
naturel , lorſqu'il veut refpirer. Il ne devroit
done nullement paroître furprenant
qu'un homme plongé dans l'eau fût capable
d'un éffort double de l'état naturel
pour faire agir fes poumons ; dans ce cas ,
il pourroit refpirer à trente ou trentedeux
pieds fous l'eau . Confidérons à préfent
nos deux tuyaux , comme un fimple
prolongement de la trachée artère ; ( car
le méchanifme dont il s'agit ici eft fait
pour fe lier exactement à la Nature ) , il
' eft pas douteux qu'il fentira une réſiſtance
d'autant plus grande à refpirer ,.
qu'il fera plongé plus avant dans l'eau.
Mais en adaptant un foufflet à l'un des
tuyaux , l'air nouveau s'infinuera de luimême
dans les poumons , & fera dès - lors
équilibre. J'en ai fait l'expérience. Je fen--
tois qu'il me falloit faire de violens éfforts:
lorfque le foufflet ceffoit d'agir : il me
fembloit même que j'avois du feu dans la
poitrine , parce que l'air de l'expiration
n'étant point chaflé en dehors du tuyaus .
MA I. 1761. 157.
revenoit de nouveau . Le foufflet recommençoit-
il fon mouvement , l'on fe feroit
prèſque paffé de l'élévation des côtes , dur
moins étoit- elle très - peu fenfible . Mais je
fens que je m'engagerois infenfiblement
dans une differtation Phyfico - anatomique
, ce qui n'eft pas mon but : Il me
fuffit de rapporter une expérience que j'ai
faite moi même , & d'en donner une explication
abrégée. Je remarquerai encore
que l'élévation de la poitrine forme un
très - petit volume , par rapport à celui des
lobes du poumon ; que la conftruction de
celle des oifeaux leur permet très - peu : de
dilatation; & qu'enfin les tortues de mer,
& de terre refpirent très -bien , quoique
leur conformation ne puiffe leur permet
tre ce jeu d'élévation & d'abaiffement!
1.
Je crois devoir faire obferver un avan
tage confidérable , qu'a l'embouchure de
ma machine : c'eft que le plongeur étant
au fon de l'eau , peut la quitter & la
reprendre à volonté. Il ne s'agit que de
tourner un robinet qui intercepte le paſ
fage à l'eau , qui ne manqueroit pas de
venir auffi-tôt remplir les tuyaux. Lorf
qu'il veut enfuite la reprendre , il commence
par adapter fes lèvres fur l'embou
chure , Renfonce enfuite doucement dans
fa bouche , en la ferrant toujours forte
158 MERCURE DE FRANCE.
ment avec les lévres . De cette façon ,
l'eau ne peut y pénétrer. Il ouvre le robinet
& refpire de nouveau. Cependant
il ne laiffe pas d'y avoir des inconvéniens
dans la manoeuvre de cette machine , tant
à caufe de la vague que des courans ; mais
čela n'empêche pas que ces deux tuyaux ,
dans lefquels l'air circule librement &
continuellement , ne foient un point fi
éffentiel dans toutes les machines , qui
ont pour but l'art de plonger , que je les
regarde comme un degré néceffaire pour
arriver à la perfection . Je dois ici rendre
la juftice à M. Pomier , d'en avoir faili
d'abord tout l'avantage. Paffons mainte
nant à la cloche à plonger.
"
"
»
T
Dans le douziéme Journal des Sçavans
dol'année 1678 , M. Panthot , Docteur
en Médecine , & Profeffeur au Collège de
Lyon , rapporte qu'il a vu pêcher des
piaftres en dehors du Port de Capdaques
en Espagne , avec une cloche
» faite de bois , de 13 à 14 pieds de haut
» fur 9 de large. Elle étoit entourée de
plufieurs cercles de fer , dont le dernier
portoit plufieurs anneaux , auxquels
étoient attachés des boulets de 60 ou
» 80 livres. Deux Maures ( dont il fait
» l'éloge , comme des deux plus grands
» nageurs qu'on pût voir ) y deſcendoient
99
"
M A I. 1761 . 159.
ود
39
» alternativement. Il y en avoit un qui
demeuroit pour le moins deux heures
» fous la cloche , ou à plonger dans les
" vaiffeaux , & l'autre n'y pouvoit refter ,
qu'une heure , fe fentant échauffé par ,
» la chaleur de l'air : ce qui fait bien voir
" que la compreffion de l'air n'eft pas la
» feule caufe de la difficulté de refpirer
» en pareil cas ; mais plus particuliére-
» ment la difpofition naturelle des
» mons , in are non difflato , & c.
J
pou-
Cette expérience prouve deux chofes ;
la premiere , qu'on peut refpirer dans un
air comprimé ce qui réfute fuffifamment
l'objection que l'on m'a faite au fujet de
la cloche. La feconde , que l'air échauffé
après avoir été refpiré un certain nombre
de fois , & dépouillé de ce qui pouvoit
fervir à entretenir en nous le principe de
la vie , devient dès-lors inutile & même
mortel , comme le remarque Boyle.
Sturmius qui avoit réfléchi à cet inconvénient
, propofe pour y remédier ,
de
faire defcendre le long de la cloche des
bouteilles pleines d'air , que le plongeur
caffe quand il a befoin de le renouveller.
Mais il faut avouer que c'eft un trèsfoible
reméde , vû la capacité de la cloche.
D'ailleurs,l'on ne peut pas empêcher
que ce nouvel air ne fe mêle avec l'an160
MERCURE DE FRANCE.
ré ,
cien . En adaptant mes deux tuyaux à la
cloche , je trouve donc le moyen de faire
toujours refpirer un air nouveau au plongeur
lorfqu'il veut quitter l'embouchu- "
il ne fait que tourner le robinet. Il
faut néanmoins convenir que la cloche ,
malgré ce degré de perfection , a encore
un défaut effentiel , c'eft que le plongeur
eft toujours obligé pour faire fes opérations
de fe plonger entierement dans
l'eau ; car il en entre d'autant plus fous
la cloche , que l'air qui s'y trouve renfermé
eft preffé par une plus haute colonne
d'eau. Sans entrer ici dans la proportion
de la diminution du volume d'air , attendu
que fon reffort oppofe d'autant plus
de réfiftance qu'il eft plus comprimé , je
fuppoferai tout fimplement fix pieds d'eau
fous une cloche haute de quatorze pieds ;
je la placerai à trois pieds de diftance du
fond , puifque fi elle y touchoit , la lu- '
mière n'y entreroit plus , & par conféquent
il feroir impoffible de diftinguer
aucun ob'et. Il faudra que le plongeur
parcoure neuf pieds d'eau en allant , &
aurant pour revenir refpirer , au bout de
trois , ou tout au plus de quatre minutes :
il n'épargne que la longueur du chemin
depuis la ferface de la mer jufqu'à la
cloche. Si d'ailleurs il doit faire quelque
MA I. 1761: 168
opération qui demande la moindre force ,
il lui faut néceffairement un point d'appui
; puifque l'on fçait que le corps humain
plongé dans l'eau eft prèfque em
équilibre , & qu'il perd par conféquent
cette ftabilité que lui donnoit fa pefanteur
, au moyen de laquelle il pouvoit fe
fervir avantageufement de fes forces
mouvantes. L'artifice que nous venons
de décrire ne lui donne donc pas plus
d'avantage à cet égard , que s'il plongeoit
naturellement. Le grand attirail , la dépenfe
& l'embarras de la manoeuvre de
la cloche , joints à d'autres inconvéniens ,
comme l'exemple de quelques perfonnes
qui font morts peu de temps après y être
defcendus , font qu'on ne s'en fert plus ,
ou du moins très - rarement.
A l'égard d'une autre objection ; fçavoir
, que l'air peut s'échapper en bulles
par-deffous la cloche : je ne pense pas
que la chofe puiffe arriver , fi la cloche,
refte toujours dans la ligne verticale ; car
l'air comprimé tend à fortir par en haut.
Il s'enfuivroit même de- là qu'en defcendant
la cloche au- delà d'une certaine profondeur
, l'air s'échapperoit par- deffous ;
obfervation que je n'ai jamais lû nulle- part.
Pour ce qui regarde les petites rernarques.
fur des détails de conftruction , je n'ai
162 MERCURE DE FRANCE.
jamais entendu que l'on mît des tuyaux
de cuivre , fans les étamer ou les couvrir
d'une lame de plomb en dedans . Pour les
ftors, on peut les garnir tout autour d'une
petite ficelle gaudronnée. Je me paſſerai ,
dans ma nouvelle machine , de tuyaux de
cuir ; car l'expérience , cette fouveraine
de la Méchanique , m'en a fait voir les
inconvéniens. Premiérement , par rapport
au danger des voies d'eau ; fecondement
, parce que l'air qui a paffé au
travers de ces tuyaux eft très - défagréable
à refpirer , & même nuifible ; & l'on ne
fçauroit prendre trop de précautions pour
lui conferver toute la pureté.
M. Pomier appelle un grand objet , le
but qui tend à découvrir une bonne invention
pour refpirer fous l'eau . L'épithéte
m'a d'abord parue un peu forte ;
mais plus j'y réfléchis , moins je la trouve
déplacée. Ecoutons là- deffus le Journal
des Sçavans , dans une efpéce de Préface
mife à la tête de la defcription d'une
Machine auffi ingénieufe qu'impraticable
, inventée par Alphonfe Borelli.
» L'art de refpirer fous l'eau étant
» d'une néceffité abfolue pour découvrir
» ce que la Nature produit de fingulier
» dans le fein de la mer , & pour retirer
» de fes abîmes ce que les écueils & les
MA I. 1761 . 163 .
3
tempêtes y font perdre ; c'eft donner
» au Public un fecours très- conſidérable ,.
» que de trouver une invention fi impor-
» tante. Plufieurs perfonnes y ont tra-,
» vaillé ; & nous avons expliqué au long
» dans deux de nos Journaux de l'année
» 1678 , l'invention de la cloche , dont
» on s'eft fouvent fervi pour ce fujet .
» Celle- ci est encore mieux imaginée ,
» & des perfonnes intelligentes qui l'ont
» examinée mûrement , prétendent mê-
» me qu'il fera bien difficile d'en trouver
» à l'avenir de plus parfaites. C'eft au
fçavant Jean Alphonfe Borelli que nous.
» fommes redevables de cette découver-
» te. Comme fon érudition & fes écrits
» lui ont acquis un rang glorieux entre
» les Sçavans , ce feroit dérober quelque
» chofe de fa gloire que de lui refufer dans
» le Journal l'éloge qu'il mérite ; mais
» comme la deſcription de cette Machine
» nous méne allez loin dans celui - ci ,
» nous la réſervons pour un de nos pre-
» miers Journaux.
و و
>>
Des Sçavans qui n'ont aucune connoiffance
de la mer, ni de la difficulté de manoeuvrer
dans fes flots , ne voient guéres,
du fond de leur cabinet , tous les inconvéniens
de pratique , qui rendent inutiles.
les projets les plus fubtilement imaginés .
164 MERCURE DE FRANCE.
J'ofe cependant les affurer ici que ce qui
m'a donné le plus de peine dans ma derniere
Machine , ç'a été fans contredit de
trouver la maniére de faire manoeuvrer'
le plongeur avec aifance & facilité , en
Jai fourniffant toujours un point d'appart
dans tous les différens mouvemens! Si
quelque jour j'en donne la defcription au
Public , il verra que je ne lui ai dit que
vérité.
la
J'ai obfervé , qu'en Eté , la mer étoit
fouvent beaucoup plus calme la nuit que
le jour & comme ce temps eft le plus
propre pour les travaux dont il s'agit ici ,
je crois avoir de bonnes raifons pour ne
pas regarder comme impoffible d'éclairer
un objet à quarante pieds fous l'eau. En
cherchant les moyens d'y parvenir , cela
m'occafionna les réfléxions fuivantes , fur
la maniére dont les poiffons peuvent voir
la nuit au fond de la mer. Premiérement ,'
ils n'ont point , comme nos animaux nocturnes
, ce diaphragme animé qui fe dilate'
& fe rétrécit fuivant que la lumiere eft
plus ou moins vive ; d'ailleurs la mer doit
encore être beaucoup plus obfcure que
l'air . Secondement , tous les poiffons de
mer font en général plus ou moins phofphoriques
, & l'onde amère , dans de cerrains
temps , étincelle au moindre choc :
MA I. 1761. 165
la rame qu'on y plonge paroît toure en
feu. Mais d'où lui peut venir cette qualité
lumineufe , foumife à de certaines
périodes irrégulières ? Voici comment je
le conçois. Dans les temps que les maquereaux
, les harangs , les fardines , &c.
viennent fur nos côtes ; fi les pêcheurs
apperçoivent, fur la furface de la mer, de
grandes taches huileufes , ce leur eſt un
für préfage qu'il y a grande abondance
de ces poiffons , car c'eft d'eux qu'elles
émanent. Or , ces taches paroiffent la
nuit toutes phofphoriques ; ainfi l'on en
peut inférer que l'huile d'une fi grande
quantité de poiffons , fe mêlant de plus
en plus , par leur long féjour , avec l'eau
de la mer , celle- ci doit acquérir par- là
la même vertu . J'en reviens maintenant
à l'ufage que peuvent faire les poiſſons de
leur qualité phofphorique ; c'eft qu'elle
jette une affez grande lumiére pour les
éclairer pendant la nuit , puifque fon éclat
redouble à proportion de l'obſcurité.
Il n'eft pas douteux que les differens.
naufrages qui fe font fur les Côtes de la
mer , ne fourniffent que trop fouvent les
occafions de fe fervir utilement d'une invention
propre à retirer des effets fouvent
précieux , & à arracher à la mer avare
les richeffes qu'elle tenoit déjà englouties
166 MERCURE DE FRANCE.
' dans fon fein , afin de les faire rentrer
dans le Commerce de la Société . Etre
auffi perfuadé que je le fuis , d'avoir en
ma poffeffion une telle invention , & ne
la pas offrir à tous ceux qui en peuvent
avoir befoin , ne feroit- ce pas fe rendre
indigne de porter le nom d'homme ? L'amour
du bien public , cette paffion vertueufe
, qui a le rare avantage de ne pouvoir
jamais tomber dans l'excès , eft le
feul motifqui m'engage aujourd'hui à déclarer
ici , que malgré le profit que je
pourrois tirer de cette invention pour la
pêche du corail, marchandiſe fi utile pour
la traite des Négres , en formant une petite
fociété , vû le peu d'avances qu'on
auroit à faire ; je fuis néanmoins toujours
prêt à rendre ma machine publique , fi le
Miniftére en avoit befoin ; facrifiant fans
regret mes intérêts particuliers à des intérêts
d'Etat , & regardant l'argent com.
me indigne d'être mis en parallèle avec
les vertus qui forment le Citoyen . Si vous
trouvez cette réponſe digne d'avoir place
dans votre Mercure , je vous prie de l'y
inférer. J'ai l'honneur d'être &c.
DE VILLENEUVE ,
15 Février 1761 .
MAL 1761 . 767
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Muſique continue
les repréſentations d'Hercule mourant
, Tragédie.
M. Gelin a développé des talens pour
l'action théâtrale , qui lui procurent chaque
jour de nouveaux applaudiffemens. Il
chante tout le rôle d'Hercule avec la nobleffe
& la force dont il eft fufceptible ;
il n'y employe que la beauté naturelle
de fa voix , bien plus eftimable que celle
qu'on veut fe donner par la bouffiffure
des fons ; défaut affez fréquent dans la
plupart des Chanteurs , & même dans
quelques Acteurs Tragédiens , pour faire
remarquer favorablement les occafions
où l'on n'y tombe pas.
Le rôle d'Hilus a mérité de la juſtice
du Public des fuffrages unanimes à M.
Pillot ils étoient légitimement dûs aux
détails d'intelligence & de fentiment avec
:
lefquels il a exécuté ce rôle. Un rhume
168 MERCURE DE FRANCE.
violent l'a forcé d'interrompre l'exercice
de fes talens dans cet Opéra. L'abfence
de ce Sujet ne peut être que préjudicia
ble en cette circonftance ; la difficulté
de tendre auffi théâtralement un récit
très étendu & d'une grande déclamation
au 4 Acte , devant y caufet un effet défavantageux.
L'équité exige cependant
de convenir qu'en général les doubles à
T'Opéra , en détériorent moins que jamais
les repréfentations .
Un accident pareil a privé cet ouvrage
, dès la haitiéme repréſentation , des
fecours que lui prêtoient le talent de Mlle
Chevalier. Elle mettoit dans le rôle de
-Déjanire un intérêt vif & fenfible , foutenu
de la force & de l'éclat de fa voix :
mérite auquel elle ajoûte depuis quelque
temps , ainfi que les principaux Acteurs
de ce Théâtre , celui d'une action plus
dramatique , que n'admettoit autrefois
l'ufage , ou , fi l'on ofoit dire , l'antique
routine de la Scène lyrique.
Mile Rofet , jeune fujet plein de feu , de
fentiment & d'action , en attendant le
frein du raifonnement & l'ordre du goût ,
a remplacé précipitamment Mile Chevalier.
Le volume de fa voix & une volonté
'évidente d'acquérir des talens , qu'elle ne
peut encore pofféder , ont obtenu du Public
MA I. 1761 . 169
blic les applaudiffemens qu'il refufe rarement
en ces occafions.
En annonçant que , pour les derniers
Jeudis d'après Pâques , les repréfentations
de Jephté étoient principalement deſtinées
à exercer quelques Sujets de ce Spectacle ,
c'étoit en quelque forte s'engager à rendre
compte du fuccès de ce projet;nous allons
éffayer d'y fatisfaire.
- On a entendu Mlle Davaux dans le
Rôle d'Almafie , avec la même admiration
qu'ont toujours mérité le volume & l'étendue
de fa voix , & avec les mêmes regrets
fur les talens qu'elle n'a pas encore
acquis dans l'Art du Chant , ni dans celui
de l'expreffion & du jeu . Nul obftacle
naturel ne paroît s'oppofer cependant aux
progrès que l'on defire depuis longtemps
en ce Sujet. Ainfi les encouragemens
qu'arrache au Public la beauté de la voix,
doivent l'exciter à de nouveaux éfforts ,
& à chercher de nouveaux moyens , pour
remplir enfin un éfpoir fi avantageux pour
ce Spectacle & fi flatteur pour elle- même.
: Mlle Saint - Hilaire a chanté le Rôle
d'Iphife : une figure & une taille avantageufe
pour le Théâtre , des difpofitions
favorables à l'intelligence , à l'expreffion
& à la nobleffe du jeu , follicitent les encouragemens
du Public pour cette Actrice.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
Il
y auroit de la rigueur à prononcer au
jourd'hui fur le volume de fa voix ; une
timidité , qui quoiqu'exceffive , n'eft pas
fans exemple , intercepte encore fouvent
en elle les facultés de l'organe ; & cette
caufe d'un peu de foibleffe , eft trop évidente
pour s'y méprendre fans injuftice.
Des Connoiffeurs , en affez grand nombre,
très- capables de juger impartialement
fur de telles matiéres , rendent journellement
les témoignages les plus favora
bles , non-feulement au volume , mais
à des qualités agréables de la voix de
Mlle Saint- Hilaire, après l'avoir entendue.
hors du Théâtre , dans des lieux auffi .
vaftes ,& encore moins capables d'en farder
les défauts.
Cette même Actrice a chanté le Rôle
d'Iole dans Hercule , en ſuppléant à Mlle
Arnould , qui avoit joué fans interruption
pendant neuf Repréfentations. Plus
d'affurance dans les fons a déjà mieux fait
connoître la qualité fléxible & intéref.
fante de cette voix. Les difpofitions naturelles
, l'étude & le travail fourniffent des
fonds infructueux , fi le fréquent exercice
& l'habitude journaliere du Théâtre ne les
mettent en oeuvre .
M. Muguet , dans le Rôle d'Ammon ,
a fait entendre & applaudir des éclats
MA I. 1761. 171
de voix très-agréables & très- propres à
rendre un Concert fort brillant.
M. Jaubert , Baffe-Taille employée depuis
quelque temps dans les Rôles acceffoires
& dans les doubles , paroît faire
tous les jours de nouveaux progrès dans
la manière de chanter, & dans un très-bon
genre d'ufage théâtral. On remarque en
lui une certaine facilité franche & dégagée
de ce qu'on appelle maniéres , qui
annonce du naturel , & qui garantit
affez sûrement des fuccès prochains .
On ne parle point de la façon , dont
M.Larrivé a rendu le Rôle de Jephté pendant
le cours de ces Repréſentations . Il
eft dans le cas de ceux qui font en poſſeſfion
de tous les fuffrages du Public ; nous
n'avions deſtiné ce détail que pour ceux
qui afpirent à les mériter.
L'Opéra qui fuivra immédiatement
Hercule mourant , fera Zaïs , Ballet Héroïque
, qui a déjà été repréſenté il y a
quelques années . Paroles de feu M. Cahu
jac , Mufique de M. Rameau .
COMEDIE FRANÇOISE.
Le talent fublime de Mlle Clairon , &
le mérite de l'Ouvrage , donnent toujours
Hij
174 MERCURE DE FRANCE .
celui de la nouveauté, aux-repréſentations
de Tancrede continuées pendant le mois
dernier , avec le plus grand fuccès & prèfque
le même concours de Spectateurs.
Mlle Bellecour , ci- devant Mlle Beau
menard , a joué les jours de Comédie. Le
Public paroît de plus en plus confirmé
dans l'opinion , que nous avons déjà rapportée
fur les progrès de cette Actrice
Entr'autres rôles , un très- difficile , dans
lequel elle a fait beaucoup de plaifir , eft
celui de Zerbinette , dans les Fourberies de
Scapin . La gaîté la plus foutenue & la plus
agréable , un rire vrai & auquel il étoit
impoffible de fe refufer , en excitoient
dans les Spectateurs les plus flegmatiques.
Le Rôle de Nerine dans le Joueur , a été
fort applaudi , & joué avec beaucoup de
fuccès. On ne peut mettre plus de feu ,
de finefle & de vérité ,qu'elle en a fait paroître
dans le Rôle d'Agathe , des Folies
amoureufes. Le Public femble généralement
accorder fes fuffrages aux nouveaux
fforts que fait Mlle Bellecour pour les
mériter.
M Á Ï. 1761 . 17}
COMEDIE ITALIENNE.
* On lira à la fin de cet Article , l'Extrait de
la Comédie nouvelle , intitulée Soliman II , ou
les Sultanes.
PLAN détaillé de la Nouvelle Ecole des
Maris , Comédie en trois Actes , en Profe.
Par M. de Moissy , repréſentée pour
la premiére fois fur le Théâtre de la Comédie
Italienne , le 26 Février 17615
& continuée après l'Ouverture :
CRISANT RISANTE & Fontaubin ont épousé
dans le même -temps , il y a environ fix
mois , deux Demoifelles qui étoient élevées
dans le même Couvent , & fort
amies enſemble ; ce double mariage a
formé une espèce de liaiſon entre ces
deux maris , dont il ne réfulte pourtant
que la liberté de fe reprocher leurs ridicules
oppofés . Crifanie fombre & jaloux
fans amour , a pour principe qu'une femme
doit dépenfer chez elle, tout ce qu'elle
veut , difpofer du revenu de fa dot comme
elle l'entend , pourvu qu'elle garde exactement
fa maifon ,& ne voie que les perfonnes
qui conviennent à fon mari . Fone
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
2
taubin au contraire , homme d'affez bonne
humeur , & qui aime le plaifir jufqu'à
déranger fa fortune , prétend qu'un mari
ne doit point gêner la liberté d'une femme
, d'ailleurs eftimable , pourvu qu'elle
ne puiffe difpofer que de cette médiocre
penfion , que la mode a fçu fixer à là
femme la plus riche. Crifante pour fuivre
fon préjugé, confie la garde de fa femme
à Orphife fa parente , qu'il croit trèsvertueufe
, mais qui n'eft qu'une fauffe
prude. Fontaubin de fon côté , donne à
Geralde fon parent toute la confiance
qu'il refufe à fa femme ; ce Geralde eft
un petit - maître rufé , dont la probité
n'eft pas à l'abri des vices du tems,
Mde Crifante, d'un caractère affez doux ,
s'eft prêtée fans murmurer, à la retraite à
laquelle fon mari l'a condamnée ; depuis
le même- temps Mde Fontaubin , d'ailleurs
fort vive & fort diffipée , s'eft auffi
comportée au goût de fon mari , en fe
paffant de l'argent qu'il devroit raiſonnablement
lui donner à dépenſer.
C'est d'après l'expofition de ces fix caractéres
différens , qui font développés
dès la premiere Scène , affez courte , que
commence l'intrigue de la Piéce .
M A I. 1761 . 175
Noms des Perfonnages.
FONTAUBIN ,
CRISANTE ,
Mde FONTAUBIN ,
Mde
CRISANTE ,
GERALDE ,
ORPHISE ,
Noms des Acteurs .
M. de Helle.
M. Rochard.
Mlle Boiyony.
Mlle Foulquier.
M. le Jeune.
Mlle Favart.
ACTE PREMIER.
GEERALDE qui a vu par hazard Mde Crifante
avec Orphiſe , & qui en eft devenu
fubitement amoureux , projette de feindre
d'aimer Orphife , pour être plus à
portée de voir Mde Crifante , dont cependant
il ne fe flatte pas de fe faire
aimer ; il fait confidence de fon projet
amoureux à Fontaubin , qui par fa façon
de penfer , toute différente que celle de
Crifante, n'eft pas fâché que Crifante foit
dans le cas de fe repentir , de ne pas vou
loir fuivre fes avis.
Orphiſe devant Crifante , fe laiffe perfuader
par les propos adroits de Geralde ,
qui déterminent ce mari lui-même à croire
que Geralde aime fa parente à la folie ,
tandis qu'intérieurement Geralde n'en
veut qu'à Mde Crifante ; cette femme
Hiv
175 MERCURE DE FRANCE.
même eft quelques inftans la dupe d'une
déclaration à double fens que Geralde
rifque devant elle & Orphife , & que
cette fauffe prude prend pour elle ; mais
bientôt Mde Crifante s'apperçoit que c'eft
à elle à qui cette déclaration s'adreffe ,
& en eft indignée , ainfi que de la fauffe
vertu de Mde Orphife , qui fe flattant toujours
que c'est elle que Geralde aime ,
prend un ton plus doux avec Mde. Crifanie,&
tâche de l'engager à monter chez
elle , pour , en faveur de Geralde , cimerter
tous trois cette nouvelle amitié qui
va leur rendre la vie plus douce & plus
agréable. Mde Crifante qui a toujours fes
devoirs préfens à l'efprit , & qui eft inftruite
de l'offenfant amour que Geralde à
pour elle , refufe cet arrangement , & fe
retire feule chez elle . Geralde qui voit
qu'Orphife lui refte fans Mde Crifante ,
prend auffi fon parti , fous prétexte d'aller
auffi réfléchir à toutes fes bontés ; ce qui
met la fauffe prude dans la dure néceffité
de fe retirer feule , & fort piquée contre
l'une & l'autre.
MA I. 1761. 177
ACTE I I.
ANS l'entre - acte, Mde Fontaubin a
fçu le penchant de Geralde pour Mde Crifante
, par , par le moyen de Fontaubin fon
mari ; elle tire de Geralde même l'aveu
de cet amour ; après quoi elle lui demande
des nouvelles de la fucceffion
d'Orgon fon oncle défunt , qui étoit auffi
celui de Geralde , qu'elle foupçonne
que ce petit parent s'eft appropriée , en
s'en faifant nommer légataire univerfel .
Dans le deffein qu'elle a , de n'en être pas
la dupe , elle fait croire à Geralde , que
pour mieux réuffir auprès de Mde Crifante
, il feroit bien de la tranquillifer Car
l'inquiétude où elle eft , de trouver une
fomme affez confidérable , qu'elle a enipruntée
au coffre- fort de fon mari, par la
facilité qu'elle a d'en difpofer ; mais dont
elle craint que fon mari ne s'apperçoive.
Geralde trouve ce moyen affez bon ; mais
pour obliger Mde Crifante , fans fe déranger
, il projette feul d'y employer 20000
écus , qu'Orgon lui a laiffé pår fideicommis
én billets au porteur, pour remettre à
Mde Fontaubin , à l'inſçu de ſon mari , &
dont il n'a encore parlé à perfonne, én
déclarant qu'il n'a point envie d'en fruf
Hv
178 MERCURE , DE FRANCE.
trer Mde Fontaubin , mais qu'elle n'aura
qu'a s'en faire payer de Mde Crifante.
Mde Fontaubin & Mde Crifante , qui
ne fe font pas vues depuis longtemps , ont
une converfation d'amitié fur toutes leurs
petites affaires , & fur la différente façon
dont leurs maris prétendent qu'elles fe
gouvernent . Dans cette converfation Mde
Crifante prie Mde Fontaubin de ne pas s'en
aller , fans voir un habit d'homme qu'elle
s'eft fait faire , & qui eft dans un cabinet
qu'elle lui montre ; Mde Fontaubin veut
finir cet entretien par prévenir fon amie
fur le projet qu'elle a d'engager Geralde à
prêter à elle , Mde Crifante , une fomme
à- peu-près pareille à celle qu'elle , Mde
Fontaubin , fe flatte que fon oncle lui a
dû laiffer par fideicommis ou autrement ;
mais avant que cette confidence foit entiérement
faite , Mde Crifante entend venir
fon mari , qui ne veut pas qu'elle voye
Md: Fontaubin ; cet ordre a été donné
Far Crifante à Orphife , dans le premier
Acte , & rendu par Orphiſe à Mde Crifandans
l'entre- Acte .
Mde Fontaubin , après quelque réfiftance
, fe prête , pour obliger Mde Crifante ,
à fe cacher dans le cabinet dont on a parlé.
Crifante arrive avec un garçon Marchand
, qui porte des emplettes d'étoffes
MA I. 1761. 179
& de dentelles , qu'il vient de faire pour
Mde Crifante ; elle n'eſt pas fort touchée
de ces attentions , attendu que fon mari
ne les a , que pour lui ôter les occafions de
fortir , que ces fortes d'emplettes fourni
fent; reproches depart & d'autre: de la part
de Mde Crifante fur ce qu'elle n'a pas la
liberté de fortir ni même de voir Mde Fontaubin
, la feule amie qu'elle ait ; & de la
part du mari , de ce qu'elle defire de voir
une femme trop vive & trop diffipée, pour
a'être par dangereufe compagnie.
Après cette querelle maritale pouffée
fort loin , il prend fantaisie à Crifante de
paffer les étoffes dans le Cabinet ; Mde
Crifante s'y oppoſe , ce qui jette des foupçons
dans l'efprit de fon mari ; il finit par
youloir y entrer abfolument , & dans le
moment qu'il en ouvre la porte , Mde
Fontaubin en fort habillée en homme
avec cet habit de campagne dont Mde
Crifanie lui avoit parlé. Sous cet habit
Mde Fontaubin , d'un ton affez réfolu
cherche d'abord à détruire dans l'efprit
de Crifante la prévention qu'il a contre
elle même fans la connoître ; elle le dit
parent de Fontaubin , fous le nom du
ChevalierDorimont, & intimement ami de
fa femme.Enſuite elle plaide vivement la
caufe des femmes en critiquant en géné
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
ral la conduite mal entendue des maris
Fontaubins , & des maris Crifantes , ce
qui le rend furieux, & prêt à faire un éclat,
qu'il a pourtant la prudence de ne pas rifquer
, fur- tout en voyant Orphife à qui ,
pendant fon abfence , il recommande de
ne point quitter fa femme de vue . Madame
Fontaubin qui eft inftruite de la fauffe
pruderie d'Orphife , faifit l'occafion de
fon déguiſement pour tâcher de lui plaire,
& dévoiler fon hypocrite vertu ; elle fait
part de fon deffein à Madame Crifante qui
s'y prête , & Geralde qui arrive & qui reconnoît
fa coufine fous cet habit d'homme,
entre auffi dans le projet formé contre Orphife,
dans l'efpérance d'en être débarraffé
& d'être plus à portée de faire fa cour à
Madame Crifanie ; dans cette difpofition,
ils montent tous quatre chez Madame
Crifante , à qui Madame Fontaubin fait
entendre qu'il faut punir ces deux perfon
nages de leur forte prévention .
Mde
ACTE II L
de Fontaubin toujours en homme
prépare Mde Crifante à profiter de l'heureufe
difpofition où l'amour de Géralde le
conduit , de lui prêter une fomme affez:
ΜΑΙ. 1761 . 181
confidérable ; fon deffein eft de mettre cet
argent à l'abri de la mauvaiſe foi de Gé-
Talde. Pour la déterminer à lui rendre ce
fervice , Mde Fontaubin lui montre une
Lettre d'Orgon , que fon Notaire lui a en
voyée , par laquelle cet onele défunt lui
déclare qu'il a laiffé à Géralde un fidéicom
mis de 20000 écus pour elle. Quand Mde
Crifante voit qu'il ne s'agit que de décou¹
vrir un fourbe , elle fe prête à l'idée de
Mde Fontaubin , & adroitement elle tire
de Géralde, à titre d'emprunt, les 20000
écus en billets au porteur , & va tour de
fuite les remettre à Mde Fontaubin. Fontaubin,
à quiGéralde confie toute l'hiftoire,
eft charmé de croire que Mde Crifante n'a
emprunté cette fomine, que parce qu'elle
a abufé de la confiance de fon mari , qui
fur cela n'a pas voulu écouter fes avis ;
Crifante de fon côté , qui vienr de chercher
Fontaubin partout , le trouve enfin ,
& lui apprend qu'un certain Chevalier
Dorimont eft le bon- ami de fa femme ,
& lui reproche à fon tour , d'avoir laiffé
trop de liberté à Mde Fontaubin , qui en
abuſe avec ce Chevalier ; ce que Fontau
bin a raifon de révoquer en doute ,
chant que le véritable Dorimont fonrent,
eft à plus de 200 lieues. Dans le mo
pa
ment qu'ils difputent enfemble fur cela,
182 MERCURE DE FRANCE.
Mde Fontaubin , toujours fous l'habit
d'homme & fous le nom du Chevalier
Dorimont , defcend de chez Mde Crifante
avec elle & Orphife. Les maris & Geralde
fe retirent à l'écart , pour apprendre, fans
être apperçus , à qui en veut au vrai le pe
tit Chevalier. Orphiſe , qui ne les voit
point , déclare qu'elle eft enchantée du
Chevalier , fe démafque elle- même en engageant
Mde Crifante à lui paffer cet
amour-là , qu'elle de fon côté lui pafferá
Geralde , & qu'étant ainfi toutes deux de
bon accord , fon jaloux fera bien adroit
fi elle ne trouve pas le moyen d'échapper
à fes foupçons. Mde Crifante , qui ne ſçait
pas non plus qu'elle eſt écoutée par fon
mari , répond à Orphiſe en femme vertueufe
, qui connoît fes devoirs , & incapable
de s'en écarter jamais. Crifante
enchanté d'une réponſe fi tranquillifante
dans une fituation fi critique pour un
mari , approche , en remercie fa femme ,
& fait à Orphife les reproches qu'elle
mérite , en lui défendant ſa maiſon ; ce
qui la force à fe retirer confuſe & punie.
Il reste à Crifante dé développer ce que
c'est que cet emprunt de fa femme , dont
Fontaubin l'a inftruit ; Mde Fontaubin ,
pour l'expliquer , montre la Lettre d'Or
• gon , que Fontaubin lit tout haut , qui
}
M. A I. 1761 . 183
fert de leçon à Fontaubin lui- même , &
qui conftate la vérité du fidei- commis
confié à Geralde , pour être remis à Mde
Fontaubin à l'infçu de fon mari. Geralde
voyant fa rufe découverte , prend cette
Lettre pour fa quittance , & fe retire
honteux d'avoir compromis fa délicateſſe
fans en recueillir le fruit. Par toute cette
intrigue Mde Crifante a donné à fon
mari une preuve fûre qu'elle n'a pas befoin
d'Argus pour tre bien gardée ; &
Mde Fontaubin qui pourroit s'approprier
les 20000 écus que fon Oncle n'a laiffé
qu'à elle , & pour elle , fe fait un plaifir
de les remettre à fon mári pour arranger
Les affaires , & lui prouve ainfi , qu'elle eft
digne de la confiance qu'il lui a refufée
jufqu'alors ; ces maris enchantés tous deux
des bons procédés & de la fage conduite
de leurs femmes , fe promettent de les
rendre heureuſes , & de ne les plus chagriner
par une méfiance mal- entendue ;
& enfin ils conviennent d'un commun ac✶
cord , qu'une femme eſtimable eſt le plus
tendre & le plus folide ami qu'un mari
puiffe avoir.
MOISSY.
Les Comédiens Italiens continuent les
Repréſentations de Soliman II , ou les
184 MERCURE DE FRANCE.
Sultanes. Le nombre de ces Repréfentations
, jufqu'à préfent , n'a diminué ni
l'affluence ni l'empreffement des Spectateurs.
L'augare que nous avions annoncé
de cette Piéce dans le précédent Mercure
a été confirmé & même furpaflé
par le faccès . Nous croyons ne pouvoir
rien faire de plus agréable pour nos
Lecteurs , que de nous hâter d'en donner
l'Extrait.

EXTRAIT de SOLIMAN II , où LES
SULTANES , Comédie en vers libres
en trois Actes , par M. FAV ART. Repréfentée
pour la premierefois le 9 Avril
1761 fur le Théâtre des Comédiens Italiens
ordinaires du Roi.
Perfonnages
SOLIMAN ,
OSMIN ,
ELMIRE ,
Acteurs..
M. Rochart.
M. Champville.
Mile Foulquier
ROXELANE Sultanes. Mlle Favart.
DELIA , MileDefgland's
ACTE PREMIER.
Le Théâtre repréfente une Salle des ag
M A I. 1761 . 185
partemens intérieurs du Serrail , où le coftume
des Turcs eft. exactement obfervé.
Soliman ouvre la Scène avec Ofmin , for
Kiflar aga ou chef des Eunuques & Inten,
dant du Serrail . Ik eft fur le point de voir
partir Elmire qu'il aime , ou plutôt qu'il
croit aimer , & il fait part à Ofmin du chagrin
que va lui caufer cette féparation . Il
avoit le droit de la retenir dans fon Serrail
; mais il a été affez généreux pour la
laiffer maîtreffe de fon fort , dans l'efpérance
de n'obtenir fon coeur que d'ellemême.
Ofmin fait entrevoir au Sultan que
rien n'eft défefpéré , & qu'Elmire craint
peut-être fon départ autant que lui- même.
Soliman s'écrie avec vivacité : Tu lui fais
tort. Ce mot en établiffant le caractére du
Sultan , fait fentir qu'il eft moins entraîné
par l'amour, qu'irrité par Pobftacle.Cependant
il demande à Ofmin.ce. qui peut le
faire foupçonner qu'il foit aimé d'Elmire.
SOLIMA N.
Sur quoi le juges - tu ?
OSMIN.
Sur ce qu'elle eft femme...
Sur des diſtractions avec art ménagées ;
Des négligences arrangées ,
Un hazard préparé , qu'on place heureuſement ;
Et de petites maladreſſes ,
Faites le plus adroitement &c.
186 MERCURE DE FRANCE.
Vous n'eſtimez un bien que parce qu'il vous coûte;
Qu'une jeune beauté céde enfin à vos yoeux ,
Vous vous en détachez ; & qu'elle ſoit ſévère ,
- Vous gémiſſez , cela vous défefpère ,
On ne fait trop comment vous rendre heureux.
SOLIMAN.
Il eſt vrai que mon caractère
Me rend à plaindre....
Ofmin paffe enfuite aux difficultés que
lui donne le foin de contenir le grand
nombre des femmes du Serrail.
Entr'autres nous avons une jeune Françoiſe ,
Vive , étourdie , altiere , & qui fe rit de tout.
Elle vit fans contrainte , & n'eft jamais plus aiſe
Que quand elle me pouſſe à bout.

Quand je la gronde , elle chante , elle danfe ,
Me contrefait , vous contrefait auſſi ,
C'eſt celle- là qui n'a pointde fouci ,
Qui ne cherche point à vous plaire .
C'est ainsi que fans affectation on a
trouvé l'art d'annoncer Roxelane .
Elmire paroît,fes adieux font tendres.Il
étoit dangéreux de la rendre trop intéreſfante
L'Auteur qui vouloit que tout l'inté
MA I. 1761 . 187
rêt portât fur Roxelane , a eu l'adreſſe de
mettre dans la bouche d'Elmire des à
parte , qui font voir que cette Efpagnole
joue le fentiment , & qu'elle a au moins
autant de vanité que d'amour. Après une
Scène filée heureufement , où elle fe croit
enfin fûre du coeur de Soliman , elle confent
à refter & accepte fes préfens . Fière
de fon triomphe , elle ne balance plus à
épancher dans le fein de fon amant , les
fentimens dont elle eft pénétrée pour lui ,
& elle le quitte pour contre-mander les
apprêts de fon départ.
OS MIN, après qu'elle s'eft retirée..
Seigneur , je vous fais compliment ,
Vous êtes , je le vois , dans un raviſement...
SOLIMAN.
Non , je n'aurois jamais pû croire
Qu'elle eût cédé fi promptement.
Je fuis aimé d'Elmire , & tout obftacle ceffe.
Ah ! que fon coeur encor ne s'eſt- il déguiſé !
Ou véritable ou feinte , à préſent ſa tendreſſe
Ne m'offre qu'un triomphe aifé ,
Qui n'a rien de piquant pour ma délicateffe....
Elmire revient avec un habit plus
galant ; c'eft un des préfens de Soliman ,
& elle s'en eft parée pour lui plaire . Le
488 MERCURE
DE FRANCE .
Sultan , fatigué de l'excès de tendreſſe &
des louanges fades que lui prodigue lå
fenfible Efpagnole , ordonne à Ofmin de
faire venir Délia , célébre Cantatrice de
Circaffie , & depuis peu arrivée au Serrail .
C'eft fous le prétexte d'amufer Elmire
mais en effet pour fe dérober lui- même
à l'ennui . Ofmin introduit Délia ; elle
chante , & Soliman paroît enchanté de fa
voix . Il lui donne beaucoup d'éloges.
L'Espagnole
outrée de dépit , quitte la
Scène.
Ofmin vient dire qu'il ne tient plus à
l'indocilité de la petite Efclave Françoife .
Le Sultan l'envoie chercher. Elle paroît.
Cette Scène a fait le plus grand plaifir...
ROXELANE
.
Ah ! voici , grâce au Ciel , une figure humaine .
Vous êtes donc cé fublime Sultan ,
De qui je fuis efclave ? hé bien , prenez la peine
Mon cher Seigneur , de chaffer à l'inftant
Cet oifeau de mauvais augure.

SOLIMAN.
Vous n'êtes pas en France :
Ayez l'efprit plus-liant & plus doux ;
Et croyez-moi , ſoumettez - vous.
On punit au Serrail le caprice & l'audace,
MA I. 1761 . 189
ROXELANE.
Ce difcours a fort bonne grace.
Qu'un Empereur Turc eft galant !
Prenez-vous ce ton- là , pour être aimé des femmes ?
Vous devez enchanter leurs âmes ;
En vérité , c'eft avoir du talent ;
Mais , mais , je vous trouve excellent.
Et de vos volontés , voilà donc le Miniftre ?
Refpectons ce Magor avec fon air finiftre ;
Aveuglément nous devons obéir ;
Il a vraiment de brillants avantages .
Ah ! fi vous le payez pour vous faire haïr ,
Il ne vous vole pas fes gages.
Le refte de la Scène eft écrit avec la
même légéreté & le même enjoûment .
L'étendue d'un Extrait ne nous permet
pas de la rapporter toute entiére , d'autant
plus que l'Auteur convient lui- même
que dans cette Scène ,il n'a fait que rimer
la Profe du Conte de M. Marmontel , &
qu'il ne pouvoit mieux faire que de copier
fon modéle. Il faut cependant en excepter
ces deux Vers :
Que du Serrail les portes foient opvertes ,
Et que le bonheur feul empêche d'en fortir ,
qui ont été généralement applaudis , &
dont la penſée appartient à M. Favart ,
ainfi que l'expreffion heureuſe du prétendu
190 MERCURE
DE FRANCE .
Monfieur , en parlant du Chef des Eunuques.
Roxelane retirée , Ofmin demande à
Soliman ce qu'il doit ordonner d'une
Efclave rebelle .
SOLIMAN.
C'eft un enfant , une petite folle.
Il faut l'excufer.
OSMIN.
Cet enfant ,
Pourroit bien envoyer le Sultan à l'école.
S
ACTE I I.
OLIMAN entre , fuivi de plufieurs Efclaves
, Officiers de fa Perfonne. Il s'affied
fur un fopha , on lui préfente une pipe
allumée , il la reçoit , & fait figne à toute.
fa fuite de fe retirer. Soliman feul fait
quelques réfléxions fur le caractère fingulier
de Roxelane , qu'il oppofe à celui.
d'Elmire , fi tendre , fi refpectueufe . Ce
Prince qui a fait inviter Roxelane à venir
prendre du forbet avec lui , apprend
par Ofmin , qu'elle refufe cet honneur.
Elle entre fans fe faire annoncer. Le
Sultan en eft furpris ; mais il l'excufe . Il
continue de fumer ; elle lui demande fa
pipe , il la lui préfente , elle la jette .
Le premier mouvement du Sultan eft de
D
MA I. 1761: 119
s'offenfer de ce manque de refpe &t . Il
finit par en rire. Mais , lui dit- il , il faut
qu'on me reſpecte.
T
ROXELANE.
Et comment voulez-vous , Monfieur , qu'on vous
corrige ?
SOLIMAN.
Me corriger ! dequoi donc s'il vous plaît ?
ROXELANE.
Dequoi ! dequoi ! Ces Sultans me font rire ;
Ils penfent que fur eux , nous n'avons rien à dire.
Je prends à vous quelqu'intérêt.
Croyez- moi , banniffons la gêne.
L'amitié me conduit ; quand ce feroit la haine,
Vous pourriez y gagner encor.
La haine eft franche , elle vaut un tréſor ,
Nous devons lui prêter l'oreille.
Un ami , par pitié , foiblement nous confeille.
Notre ennemi connoît tous nos défauts.
D'une gloire ufurpée , il diftingue le faux .
L'amitié dort , la haine veille.
Confultez- la , vous qui voulez régner.
L'orgueil nous trompe, eh ! faut-il l'épargner 2
Non.
SOLIMAN , à part,
Cette femme eſt étonnante !
Il l'interrompt d'un ton impofant.
Quoique ces Vers aient été goûtés de
190 MERCURE DE FRANCE.
Monfieur , en parlant du Chef des Eunu
ques.
Roxelane retirée , Ofmin demande à
Soliman ce qu'il doit ordonner d'une
Efclave rebelle.
SOLIMAN.
C'eſt un enfant , une petite folle.
Il faut l'excufer.
OSMIN.
Cet enfant ,
Pourroit bien envoyer le Sultan à l'école.
SOLIN
ACTE I I.
OLIMAN entre , fuivi de plufieurs Efcla-.
ves , Officiers de fa Perfonne. Il s'affied
fur un fopha , on lui préfente une pipe
allumée , il la reçoit , & fait figne à toute
fa fuite de fe retirer . Soliman feul fait
quelques réfléxions fur le caractère fingulier
de Roxelane , qu'il oppofe à celui
d'Elmire , fi tendre , fi refpectueuſe. Ce
Prince qui a fait inviter Roxelane à venir
prendre du forbet avec lui , apprend
par Ofmin , qu'elle refufe cet honneur.
Elle entre fans fe faire annoncer. Le
Sultan en eft furpris ; mais il l'excufe. Il
continue de fumer ; elle lui demande fa
pipe , il la lui préfente , elle la jette.
Le premier mouvement du Sultan eft de
MA I. 1761: 119
il s'offenfer de ce manque de refpect . Il
finit par en rire. Mais , lui dit -il , il faut
qu'on me refpecte.
ROXELANE.
Et comment voulez- vous , Monfieur , qu'on vous
corrige ?
SOLIMAN.
Me corriger ! dequoi donc s'il vous plaît ?
ROXELANE.
Dequoi ! dequoi ! Ces Sultans me font rire ;
Ils penfent que fur eux , nous n'avons rien à dire.
Je prends à vous quelqu'intérêt.
Croyez-moi , banniffons la gêne.
L'amitié me conduit ; quand ce feroit la haine,
Vous pourriez y gagner encor.
La haine eft franche , elle vaut un tréſor ,
Nous devons lui prêter l'oreille .
Un ami , par pitié , foiblement nous confeille.
Notre ennemi connoît tous nos défauts .
D'une gloire ufurpée , il diftingue le faux .
L'amitié dort , la haine veille.
Confultez-la , vous qui voulez régner.
L'orgueil nous trompe, eh ! faut-il l'épargner 2
Non.
SOLIMAN , à part,
Cette femme eſt étonnante !
Il l'interrompt d'un ton impofant.
Quoique ces Vers aient été goûtés de
190 MERCURE DE FRANCE.
Monfieur , en parlant du Chef des Eunuques.
Roxelane retirée , Ofmin demande à
Soliman ce qu'il doit ordonner d'une
Efclave rebelle.
SOLIMAN.
C'eſt un enfant , une petite folle.
Il faut l'excufer.
OSMIN.
Cet enfant ,
Pourroit bien envoyer le Sultan à l'école.
ACTE I I.
SOLIMA
OLIMAN entre , fuivi de plufieurs Efclaves
, Officiers de fa Perfonne. Il s'affied
fur un fopha , on lui préfente une pipe
allumée , il la reçoit , & fait figne à toute
fa fuite de fe retirer. Soliman feul fait
quelques réfléxions fur le caractère fingulier
de Roxelane , qu'il oppofe à celui
d'Elmire , fi tendre , fi refpectueuſe. Ce
Prince qui a fait inviter Roxelane à venir
prendre du forbet avec lui , apprend
par Ofmin , qu'elle refufe cet honneur.
Elle entre fans fe faire annoncer. Le
Sultan en eft furpris ; mais il l'excufe . Il
continue de fumer ; elle lui demande ſa
pipe , il la lui préfente , elle la jette.
Le premier mouvement du Sultan eft de
MA I. 1761: 119
s'offenfer de ce manque de refpect . Il
finit par en rire. Mais , lui dit-il , il faut
qu'on me refpecte .
ROXELANE.
Et comment voulez- vous , Monfieur , qu'onvous
corrige ?
SOLIMAN.
Me corriger ! dequoi donc s'il vous plaît ?
ROXELANE.
Dequoi ! dequoi ! Ces Sultans me font rire ;
Ils penfent que fur eux , nous n'avons rien à dire."
Je prends à vous quelqu'intérêt.
Croyez- moi , banniſſons la gêne.
L'amitié me conduit ; quand ce feroit la haine,
Vous pourriez y gagner encor.
La haine eft franche , elle vaut un tréfor ,
Nous devons lui prêter l'oreille.
Un ami , par pitié , foiblement nous confeille.
Notre ennemi connoît tous nos défauts.
D'une gloire ufurpée , il diftingue le faux.
L'amitié dort , la haine veille.
Confultez-la , vous qui voulez régner.
L'orgueil nous trompe, eh ! faut-il l'épargner 2
Non.
SOLIMAN , àpart,
Cette femme eft étonnante !
Il l'interrompt d'un ton impofant.
Quoique ces Vers aient été goûtés de
190 MERCURE DE FRANCE.
Monfieur , en parlant du Chef des Eunu
ques .
Roxelane retirée , Ofmin demande à
Soliman ce qu'il doit ordonner d'une
Esclave rebelle.
SOLIMAN.
C'eſt un enfant , une petite folle.
Il faut l'excufer.
OSMIN.
Cet enfant ,
Pourroit bien envoyer le Sultan à l'école .
ACTE I I.
SOLIMAN OLIMAN entre , fuivi de plufieurs Efcla-.
ves , Officiers de fa Perfonne. Il s'affied
fur un fopha , on lui préfente une pipe
allumée , il la reçoit , & fait figne à toute
fa fuite de fe retirer . Soliman feul fait
quelques réfléxions fur le caractère fingulier
de Roxelane , qu'il oppofe à celui
d'Elmire , fi tendre , fi refpectueuſe . Ce
Prince qui a fait inviter Roxelane à venir
prendre du forbet avec lui , apprend
par Ofmin , qu'elle refufe cet honneur.
Elle entre fans fe faire annoncer. Le
Sultan en eft furpris ; mais il l'excufe . Il
continue de fumer ; elle lui demande fa
pipe , il la lui préfente , elle la jette .
Le premier mouvement du Sultan eft de
MA I. 1761;
119
s'offenfer de ce manque de refpect . Il
finit par en rire. Mais , lui dit-il , il faut
qu'on me refpecte.
ROXELANE.
Et comment voulez- vous , Monfieur , qu'on vous
corrige ?
SOLIMA N.
Me corriger ! dequoi donc s'il vous plaît ?
ROXELANE .
Dequoi ! dequoi ! Ces Sultans me font rire ;
Ils penfent que fur eux , nous n'avons rien à dire.
Je prends à vous quelqu'intérêt.
Croyez- moi , banniffons la gêne.
L'amitié me conduit ; quand ce feroit la haine,
Vous pourriez y gagner encor.
La haine eft franche , elle vaut un tréfor ,
Nous devons lui prêter l'oreille .
Un ami , par pitié , foiblement nous confeille.
Notre ennemi connoît tous nos défauts.
D'une gloire ufurpée , il diftingue le faux.
L'amitié dort , la haine veille.
Confultez-la , vous qui voulez régner.
L'orgueil nous trompe, eh ! faut-il l'épargner 2
Non.
SOLIMAN , à part,
Cette femme eft étonnante !
Il l'interrompt d'un ton impofant.
Quoique ces Vers aient été goûtés de
192 MERCURE DE FRANCE.
tout le monde à la Repréſentation , ils
paroîtront peut-être déplacés , & avoir
de la prétention au ftyle ; cependant ils
étoient néceffaires pour préparer à ce ton
moral , qui va s'unir dans le reste de la
Piéce à la gaîté de Roxelane .
Lé Sultan lui propofe à fouper , elle le
refufe ; mais elle lui offre elle - même
à dîner. Il l'accepte. En conféquence elle
donne fes ordres à Ofmin d'un ton d'autorité
, qui l'étonne. Il fort pour les exécuter.
La Sultane congédie enfuite Soliman,
Allez vaquer aux foins de votre Empire ;
Vous reviendrez , lorſque tout fera prêt.
Elle envoie chercher auffi-tôt Elmire &
Délia pour être du dîner , & leur fait dire
que c'eft de la part du Sultan. Des Efclaves
viennent faire les aprêts d'un repas à
la Tutque. Roxelane renverfe tout , &
ordonne qu'on ferve à la Françoife.
Elle fort pour faire elle - même ces
árrangemens. Elmire entre. Dans la per
fuafion où elle eft , que Soliman l'invite à
diner ; elle eft au comble de la joie. Elle
a une fcène avec Ofmin , dans laquelle
elle le prie de lui être favorable. Roxe
lane furvient , écoute fans être apperçue
leur
MA I. 1761. 493
leur converfation , & plaifante fa rivale .
Délia arrive. Cette Scène développe à
merveille le caractère de ces trois femmes.
Délia qui penfe en vile Eſclave du
Serrail , dit :
Qu'on doit devant ſon Maître
Refter toujours dans la foumiffion ,
Le filence , l'attention .
La Nature a borné notre être ;
Pour un amant le Ciel nous a fait naître.
Qu'ilfoit Sujet , ou Souverain :
Il a les mêmes droits ; enfin nous devons être ,
Par l'arrêt de notre deſtin ,
Efclaves ,
ELMIRE.
Compagnes,
ROXELANE.
Maîtreffes . &c. &c.
ELMIRE , à part.
Son infolence me raffure ;
Elle en fera punie , & je ne crains plus rien.
Ces deux derniers Vers font très-adroitement
amenés. Il étoit
indiſpenſable.
qu'Elmire en ce moment, ne fe livrât pas
afa jaloufie ; ce qui auroit jetté du trouble
& de la trifteffe dans un repas , dont
la gaîté devoit être l'âme.
I
194 MERCURE DE FRANCE.
Soliman qui entre , eft furpris de voir
Elmire & Délia , s'attendant à un tête-àtête
avec Roxelane. Cette Françoiſe le
fait placer à table entre l'Eſpagnole & la
Circaffienne. Délia chante pendant le repas
; Roxelane chante à fon tour en s'accompagnant
fur une harpe . Le Sultan
hors de lui - même fe léve , s'approche
d'elle , & lui témoigne le plaifir qu'il
éprouve à l'entendre.
ROXELANE.
Oh ! vous auriez encor plus de contentement ,
Si vous voyiez danler Elmire.
Elmire danfe , pendant que Roxelane
continue à jouer de la harpe , & qu'elle
chante un duo avec Délia. Ce moment
fait un tableau voluptueux & théâtral.
Soliman , qui ne voit , qui n'entend plus
que Roxelane , regarde s'il n'eft pas apperçu
d'Elmire ; il prend un mouchoir de
foie qui pend à fa ceinture , & le donne
en cachette à Roxelane ; elle reçoit le
mouchoir & le met entre les mains de
Délia.
SOLIMAN.
Quel mépris !
DELIA.
Quel bonheur !
MA I. 1761 . 195
ELMIRE.
J'expire.
Soliman , après un moment de filence;
arrache le mouchoir de la main de Délia ,
& le préfente à Elmire.
ELMIRE.
Ah ! je renais .
C'eft
SOLIMAN , à Roxelane.
Ote-toi de mes yeux ,
trop fouffrir. Ingrate , tu me braves !
Qu'elle foit mife au rang des plus viles Efclaves.
Elle fort en regardant le Sultan d'un
air ironique. La Piéce finiroit en cet endroit
, & même avec indécence , fi Soliman
fuivoit les pas d'Elmire. Mais par les
derniers mots qu'il dit en quittant la
Scène , on voit qu'il veut éviter l'Efpagnole
, & qu'il eft dans un trouble , qui
lui laiffe ignorer s'il détefte ou s'il aime
encore Roxelane.
ACTE I.I I.
E LMIRE Commence
le troifiéme
Acte.
Elle fe plaint de ce qu'elle ne voit pas
Soliman. Elle craint que la Françaiſe ne
l'emporte
fur elle . Elle projette de la
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
perdre ; cependant elle condamne ce fentiment
de vengeance. Soliman entre agité
& inquiet. Il adreffe la parole tantôt à
Elmire , tantôt à Ofmin. Ses difcours qui
n'ont pas de fuite, annoncent l'état d'une
âme entraînée par une paffion violente ,
qui l'agite d'autant plus , qu'il fait tous
fes éfforts pour la vaincre. En jurant à
Elmire l'amour le plus tendre , il ne ceffe
de parler de Roxelane. Eh ! laiffons Roxelane
, lui dit l'Espagnole.
SOLIMAN.
Il eft vrai , je m'égare
N'y penfons plus... qu'elle compare
Votre fplendeur & cet abbaiffement.
• ·
On est moins affecté des peines qu'on éprouve,
Que des biens que l'on a manqués ,
Pour raffurer Elmire , il lui donne
Roxelane pour Efclave , & la laiffe maîtreffe
de fon fort. Elmire , qui l'accepte
avec joie , dit :
Je ne veux point fur elle abaiffer un regard;
Je veux....
SOLIMAN.
Que voulez -vous ?®
Il fait cette derniére interrogation
MA I. 17617 197
d'un ton à faire fentir , combien il s'intéreffe
encore pour elle. Cependant il
l'envoie chercher pour l'accabler de reproches
, & l'humilier , en la rendant
témoin de fon amour pour Elmire. Roxe
lane arrive en habit d'Efclave , & le cachant
le vifage. Soliman la croit pénétrée
de douleur. Pour l'accabler davantage ,
il affecte pour Elmire des tranfports encore
plus ardens . Mais quelle eft fa furprife
, lorfque tout-à- coup il voit rire
Roxelane. Outré de colére contr'elle , il
fait retirer Elmire , pour ne pas laiffer
éclater en fa préſence,toute l'indignation
qu'il conçoit contre cette Efclave fuperbe.
Roxelane foutient les reproches du Sultan
avec une fermeté & une dignité qui
l'étonne. Sans démentir fa gaîté natu
relle , elle lui dit les chofes les plus fortes.
Soliman frappé de voir tant de foli
dité , dans l'efprit d'une femme qu'il ne
croyoit que frivole, en devient plus épris ,
& la preffe de faire fon bonheur . Roxelane,
fans lui rien promettre, lui laiffe entrevoir
cependant quelqu'efpérance. Oubliez
, lui dit-elle ,
Oubliez votre autorité ,
Obtenez un coeur de lui-même.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE
Vous croiriez qu'en cédant à l'ardeur la plus pure
J'aimerois par orgueil ou par
timidité.
Je dois m'épargner cette injure ,
L'Amour devient fufpect , s'il n'a fa-liberté.
Soliman la lui donne fur le champ.
Roxelane touchée de la générofité du
Sultan , paroît émue , & lui demande la
permiffion de fe retirer , en lui difant ;
Ofmin vous apprendra
Ce que n'ofe dire ma bouche.
Le Sultan qui fe flatre d'avoir enfin
foumis le coeur de cette Françoife , fe
livre au plus doux éfpoir. On lui apporte
une Lettre d'Elmire , il lit :
Sultan, ta parole eft facrée.
» Roxelane eſt à moi ; je puis en difpofer.
» Je venge ton pouvoir , qu'on ofe mépriser.
5. Une faïque préparée ,
» Pour jamais à l'inftant éloigne de ces lieux ,
» L'eſclave que tu m'as livrée . ?
» Tu ne reverras plús un objet odieux ;
» Et je t'épargne ſes adieux.
Soliman ne fe connoît plus. Il s'écrie :
Noirs , Muets , Boſtangis , il y va de la tête ;
Qu'on cherche Roxelane , allez & qu'on l'arrête.
Les ordres du Sultan font exécutés.
M A I. 1761. 199
On ramène Roxelane. Elle commence
par excufer fa rivale aux yeux de fon
Amant. Elle lui avoue enfin qu'il a fçu
toucher fon âme , & lui fait cer aveu avec
une efpéce de dépit contre elle - même.
Plufieurs perfonnes ont prétendu que
Roxelane auroit dû faire cet aveu d'un
ton plus tendre ; mais on ne fonge pas
qu'elle feroit fortie de fon caractére , &
qu'elle auroit reffemblé à la déclaration
d'Elmire. Soliman enchanté fe croit déjà
certain de fon bonheur . Arrêtez , lui dit
Roxelane :
L'Amour aime la liberté ;
Il veut encor l'égalité .
Votre pouvoir emporte la balance.
Mon très augufte Souverain
Me prendroit aujourd'hui pour me quitter demain,
Et je dois m'affurer contre fon inconſtance.
Il ne m'obtiendra point, fans être mon époux.
SOLIMAN.
Quoi ! Roxelane , y penſez- vous ?
ROXELANE.
Si mon Amant n'avoit qu'une chaumiére ,
Je voudrois partager la chaumière avec lui.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE:
Mais mon amant poffède un Trône ,
Si je ne le partage , il n'eft pas mon amant.
Mais un Sultan
SOLIMAN.
ROXELANE.
Peut tout.
SOLIMAN,
Mais nos loix.
ROXELANE.
Je m'en moque.
SOLIMAN.
Le Muphty , le Vifir , l'Aga .
ROXELANE.
Qu'on les révoque.
La plupart de ces penfées appartiennent
à M. Marmontel ; ce qui fuit eft à M. Favart.
Mon peuple.
SOLIMAN.
ROXELANE.
A-t-il le droit de gêner votre coeur ?
Vous le rendez heureux , il vous défend de l'être :
Eft ce à lui de borner les defirs de fon Maître ,
De lui marquer les degrés du bonheur ?
Epoufe d'un Sultan , une femme eſtimable ,
Qui fait affeoir la tendre humanité
MA I. 1761.
201
A côté de la Majeſté ,
Qui tend à l'infortune une main fecourable ,
Adoucit la rigueur des loix ,
Protége l'innocence , & lui prête fa voix ,
Aux yeux de fes Sujets le rend- elle coupable e
Sans ceffe avec activité
Elle étudie , elle remarque
Ce qui nuit , ce qui fert à votre autorité ,
Vous préfente la vérité ,
Le premier befoin d'un Monarque ;
En la montrant dans tout fon jour ,
Elle fçait l'embellir des rofes de l'Amous
Et quel autre auroit le courage
D'en offrir ſeulement l'image ?
Eft-ce un courtisan toujours faux ,
Qui ne trouve fon avantage
Qu'à vous tromper , qu'à flatter vos défauts
Une compagne qui vous aime ,
A vous rendre parfait fait confifter le fien.
Les vertus d'un époux deviennent notre bien ;
Et fa gloire eft la nôtre même..
On vient apprendre à Soliman qu'Elmire
, défefpérée du triomphe de fa rivale
, fe difpofe à partir. Le Sultan ne
répond que par ces mots :
Je la plains.
Et il ordonne qu'on la comble de fes
Iv
202 MER CURE DE FRANCE:
.
bienfaits. Il s'adreffe enfuite à Ofmin ;
pour qu'il déclare à tous les Ordres de
l'Empire , qu'il eft déterminé à époufer
Roxelane , malgré l'obſtacle de la Loi &
des ufages.
( à Roxelane. )
Ils vivront fous vos loix , ils feront trop heureux.
Vous m'enſeignez la douceur , la clémence ;
Et d'une équitable puiflance
Ce n'eft que d'aujourd'hui que je fuis revêtu
D'un Souverain , le règne ne commENCE
Que du moment qu'il connoît la vertu.
Le dénoûment de cette Piéce eft trop
heureux , pour ne pas l'expofer en entier
aux yeux du Lecteur.
ROXELANE.
Sultan , j'ai pénétré ton âme ,
J'en ai démêlé les refforts :
Elle eft grande , elle eft fiére , & la gloire l'en
flamme.
Tant de vertus excitent mes tranſports.
A ton tour tu vas me connoître .
Je t'aime Soliman , mais tu l'as mérité.
Reprens tes droits , reprens ma liberté
Sois mon Sultan , mon héros &´mon maîtres
Tu me foupçonnerois d'injufte vanité ;
L.
Va , ne fais rien que ta loi n'autorife ;
V Σ
M A I. 1761 . 203
Il eft des préjugés qu'on ne doit point trahir
Et je veux un amant qui n'ait point à rougir.
Tu vois dans Roxelane une Efclave foumife.
SOLIMA N.
Par de tels fentimens le Trône vous est dû.
Il ordonne enfuite la pompe de fon
hyménée.
On a ajoûté à cette Piéce , depuis la
premiére Repréſentation , un Ballet moins
long que le premier , & qui tient davan
tage à la cérémonie du mariage de Roxelane
avec Soliman . Il eft ingénieux ; il
préfente dans la Décoration , dans les
Perfonnages & dans les Jeux , un Spectacle
magnifique , étranger & nouveau fur
notre Scène , par l'exacte imitation des
ufages Nationaux , & par cette vérité
locale , qui fe fait fentir agréablement
aux Spectateurs les moins inftruits ; ainfi
que certains Portraits, dont on préjuge la
reffemblance avant que d'avoir vu les
originaux .
Remarques fur la Comédie de SOLIMAN.
LE Conte ingénieux de M. Marmonteľ,
d'où M. Favart a tiré fa Piéce , fourniffoir
1 vj
204 MERCURE DE FRANCE.
de grandes reffources. Les traits fins &
faillans dont il eft rempli , la fingularité
du Sujet , la variété des caractéres , le
contrafte des Perfonnages , la nouveauté
du Spectacle , tout cela fembloit devoir
en affurer le fuccès ; mais avec ces avantages
, il falloit encore celui du talent
propre
à en faire une bonne Comédie.
Pour réuffir au Théâtre , ce n'eft pas affez
de choifir heureufement fon Sujet ; l'Art
de mettre en oeuvre les richeffes qu'on y
trouve , eft ce qui décide du fort de l'Ouvrage
& de la gloire de l'Auteur. Si
M. Favart eût fuivi exactement la marche
du Conte , il en auroit fait trois Piéces ,
parce que , dans ce Conte , il y a trois
actions féparées , & entiérement détachées.
Il a fenti ce qu'il gagneroit en
oppofant les trois Sultanes l'une à l'autre
fur la Scène ; il a fuivi cette idée ; l'action
en devient plus vive , la marche plus rapide
, les caractéres mieux développés ,
& le dénoûment . plus intéreffant. On
rend ici à M. Marmontel la justice qui lui
eft bien due , en répétant d'après tout le
Public , que fon Conte des trois Sultanes
eft une des chofes les plus ingénieuſes
qui aient été écrites en ce genre. On doit
encore lui fçavoir gré d'avoir donné lieu
à une Comédie très- agréable, fur laquelle
MA I. 1761. 205
if a des droits inconteftables. Cependant
le mérite du Conte ne doit rien ôter à
l'honneur du fuccès qu'a eu la Piéce nouvelle
de M. Favart. Le Magnifique , une
de nos plus jolies Comédies , n'eft - elle
pas calquée , mot pour mot , d'après le
Conte charmant de la Fontaine ? Combien
de chofes nos Grands - Maîtres du
Théâtre n'ont - ils pas imitées ou priſes
chez les Anciens , même chez les Etrangers
contemporains ? En font - ils moins
l'objet de notre admiration ? Dans quelque
fource que puife un Auteur Dramatique
, s'il a fait un bon Ouvrage , il y
auroit de l'injuftice à vouloir diminuer fa
gloire.
ARTICLE V I.
NOUVELLES POLITIQUES.
De CONSTANTINOPLE , le 9 Mars 1761 .
Noous apprenons d'Andrinople que la populace
, foulevée contre l'Aga des Janitfaires , a mis
le feu aux quatre coins de cette Ville , & qu'elle
auroit été réduite en cendres , fans la fermété du
Pacha, qui a fçu réprimer les mutins. Cependant
le dommage eft conſidérable.
206 MERCURE DE FRANCE.
La Porte eft dans l'agréable attente d'un héri
tier direct de l'Empire ; l'efpérance qu'on fonde
ici fur la groffeffe d'une desSultanes, dont l'accouchement
n'eft pas éloigné , répand d'avance une
joie fenfible dans le ferrail , & parmi le peuple.
L'Armement ordonné par le Grand- Seigneur
fe continue avec toute la diligence poffible. Ce
Prince va prèfque tous les jours vifiter lui même,
fon Arfenal. Trois des principaux Officiers chargés
de conduire les travaux de la Marine , ont eu
la tête tranchée pour ne les avoir pas fait avancer
au gré de fa Hauteffe.
DE WARSOVIE , le 19 Mars 1761 .
On a reçu , le 7 de ce mois , la nouvelle que la
Princeffe Electorale de Saxe étoit accouchée d'une
Princeſſe à Munich . Sa Majesté fut complimentée
le 8 , à cette occafion , par toute la Cour . Le Prince
Albert , arrivé de Vienne , eft ici depuis le 3.
Des Lettres de Petersbourg , marquent que le
Marquis de l'Hopital , Ambaffadeur du Roi Très-
Chrétien , en eft parti le 19 pour ſe rendre en
France , & qu'il doit paffer par cette Ville ,
Il s'eft répandu dans le grand Duché de Lithuanie
des troupes de Brigands qui pillent les Monaftères
& les Eglifes . Ils ont déjà commis beaucoup
de violences & de meurtres. Nous apprenons que
les Haidamaques ravagent auffi la petite Ruflie.
DE DANTZICK , le 26 Mars.
On publie ici que l'Armistice convenu entre les
Ruffes & les Pruffiens , qui font dans la Poméranie
, a été prolongé jufqu'au 15 de Juillet prochain.
DE STOCKHOLM , le 22 Mars.
Le Jempterland ( petite Contrée qui confine d
MA I. 1761. 2.07
la Laponie ) a éffuyé un des plus rigoureux hy vers
dont on ait confervé l'idée depuis un tems immémorial.
Jamais furtout il n'y est tombé tant de
neige. Quantité d'Elans ont péri , faute de trouver
fur la terre la moindre fubfiftance , & ceux
qu'on a pris étoient fi exténués qu'ils font tous
morts en chemin.
Nous apprenons d'Angermanie que , le 24 Jan.
vier dernier , environ à lept heures du matin , on
a reffenti à Hernofan , Capitale de cette Provin
ce , des fecouffes de tremblement de terre , ac²
compagnées d'un brait fouterrain fort inquiétant.
Elles avoient été précédées d'un ouragan furieux
du côté de l'Oueft , qui dura juſqu'à dix heures du
matin. Il s'éleva le lendemain as , au Nord-Ouest,
un autre ouragan qui continua toute la nuit. On
a obfervé dans le même tems une aurore boréale
d'une très-grande étendue ; & depuis plufieurs
années , on remarque que ces fortes de Phénomè
nes paroiffent ordinairement à la faite des tempêtes
& des tremblemens de terre.
DE COPPENHAGUE , le 7 Avril. "
Le Prince héréditaire d'Anhalt Bernbourg eft
entré au ſervice de cette Couronne avec le grade
de Major - Général . Le Roi lui a donné le régiment
de Bornholm , infanterie.
L'anniverfaire de la naillance du Roi , qui en
troit le 31 du mois dernier dans la trente- neuviél
me année de fon âge , fur le même jour , célébrée
au Palais. Sa Majesté parur en public pour la pre
miére fois depuis fa chute , & l'on ne vit pas fans
peine qu'elle s'aidoit encore d'une canne.
DE ROSTOCK , les Avril.
La nouvelle que les Pruffiens affiégeoient Domitz
étoit prématurée. Cette Ville eft inacceflible,
208 MERCURE DE FRANCE
<
parce que le Commandant de la Place en a inondé
les environs ; & l'ennemi n'a point encore de
groffe artillerie.
DE VIENNE , le 3 Avril.
Le Prince Clément de Saxe eſt bien rétabli , &
il fe difpofe à partir inceffamment pour ſe rendre à
Warfovie.
3 On croit que le Prince Charles de Lorraine ,
qui eft attendu à Mergentheim , partira vers la
fin du mois pour cette Ville . L'objet de fon voyage
eft , fans doute , de donner plus d'activité à l'élection
d'un Grand- Maître de l'OrdreTeutonique,
dont le choix pourroit le regarder.
Le Comte de Lafcy , Général d'Infanterie , aura
cette année , le commandement du Corps de
réſerve de l'armée de Saxe , Cette réſerve fera , diton
, composée de feize bataillons , de tous les Grenadiers
de l'armée , de tous les Carabiniers & Grenadiers
de Cavalerie , & de toute la Cavalerie
Saxone qui eft à la folde de l'Impératrice- Reine.
DE GLATZ , le 1 Avril.
L'armée du Baron de Laudon , qui eſt actuellement
campée , eft d'environ quarante- fix mille
hommes. Les mouvemens que ce Général a faits
ont obligé les Pruffiens d'abandonner les environs
de Cofel & d'Oppeln , & ils ont repaffé la Neiff à
Rothauff.
Nous avons appris de Trautenau en Bohême
qu'il s'y eſt fait, il y a huit jours, une exécution de
vingt Croates qui ont tué leur Commandant :
huit des plus coupables ont été rompus vifs, & les
douze autres pendus.
DE DRESDE , le 9 Avril.
Tout eft en mouvement dans les deux armées
MA I. 1761 .
209
qui nous environnent. Le Maréchal de Daun a tellement
difpofé la fienne & rapproché les quartiers
, qu'elle peur fe former en trois ou quatre
heures. Les troupes Pruffiennes ſe raſſemblent entre
Freyberg & Meiffen à quatre milles de cette
Capitale . Le Roi de Prufſe , eſt toujours à Meiſſen .
Quelques déferteurs ont affuré que fon armée
étoit plus nombreuſe que l'année dernière.
Nous avons appris qu'un Corps Autrichien ,
compofé de deux régimens , avoit enlevé , il y a
quelques jours, un détachement des Cuiraffiers du
Prince de Pruffe , & que l'action a été vive , mais
qu'aucun Pruffien n'eft échappé.
Les eaux de l'Elbe , dont la crue , depuis le 24
du mois dernier à excédé d'environ fix pouces l'i
nondation de 17 36 , ont rempli Prefth , Torgau ,
Wittemberg & Meiffen. Une grande partie de
cette dernière Ville a même été entiérement ſubmergée
; ce qui a fait beaucoup fouffrir les habitans
& les Pruffiens. Le paffage de la Mulda ,
près de Wurtzen , n'eft plus praticable ; les eaux
y ont entraîné deux Ponts.
DE NEUSTADT , les Avril.
L'expédition faite par le Baron de Weczai dans
la Thuringe , contre les Pruffiens , ſe réduit au
détail fuivant. Le Lieutenant Général de Roſenfeld
, ayant reçu ordre du Général Haddick de fe
porter fur Saalfeld avec le corps de troupes qu'il
commande , pour donner la chaffe aux Pruffiens
qui pilloient & défoloient ce Pays , marcha le 9
du mois dernier ; il poulfa en avant fon avantgarde
, compofée de Cavalerie & de Huffards ,
aux ordres du Baron de Weczai . Le 10 au matin
ce Baron rencontra , entre Brefneck & Neustadt
fur l'Orla , un gros détachement de Huffards de
Zićthen , & le fit attaquer. On les culbuta , on en
208 MERCURE DE FRANCE
parce que le Commandant de la Placé en a inondé
les environs ; & l'ennemi n'a point encore de
groffe artillerie.
DE VIENNE , le 3 Avril .
Le Prince Clément de Saxe eft bien rétabli , &
il fe difpofe à partir inceffamment pour ſe rendre à
Warfovie.
On croit que le Prince Charles de Lorraine ,
qui eft attendu à Mergentheim , partita vers la
fin du mois pour cette Ville. L'objet de fon voyage
eft , fans doute , de donner plus d'activité à l'élection
d'un Grand- Maître de l'OrdreTeutonique,
dont le choix pourroit le regarder.
Le Comte de Lafcy , Général d'Infanterie , aura
cette année , le commandement du Corps de
réſerve de l'armée de Saxe, Cette réſerve fera , diton
, composée de feize bataillons , de tous les Grenadiers
de l'armée , de tous les Carabiniers & Grenadiers
de Cavalerie , & de toute la Cavalerie
Saxone qui eft à la folde de l'Impératrice - Reine.
DE GLATZ , le 1 Avril.
"
L'armée du Baron de Laudon , qui eft actuellement
campée , eft d'environ quarante -fix mille
hommes. Les mouvemens que ce Général a faits
ont obligé les Pruffiens d'abandonner les environs
de Cofel & d'Oppeln , & ils ont repaſſé la Neiff à
Rothauff.
Nous avons appris de Trautenau en Bohême
qu'il s'y eft fait, il y a huit jours, une exécution de
vingt Croates qui ont tué leur Commandant :
huit des plus coupables ont été rompus vifs, & les
douze autres pendus.
DE DRESDE , le 9 Avril.
Tout eft en mouvement dans les deux armées
MA I. 1761. 209
qui nous environnent. Le Maréchal de Daun a tellement
difpofé la fienne & rapproché fes quartiers
, qu'elle peut fe former en trois ou quatre
heures. Les troupes Pruffiennes fe raffemblent entre
Freyberg & Meiffen à quatre milles de cette
Gapitale. Le Roi de Pruffe , eft toujours à Meiffen .
Quelques déferteurs ont affuré que fon armée
étoit plus nombreuſe que l'année dernière.
Nous avons appris qu'un Corps Autrichien ,
composé de deux régimens , avoit enlevé , il y a
quelquesjours, un détachement des Cuiraffiers du
Prince de Pruffe , & que l'action a été vive , mais
qu'aucun Pruffien n'eft échappé.
Les eaux de l'Elbe , dont la crue , depuis le 24
du mois dernier à excédé d'environ fix pouces l'i
nondation de 17 36 , ont rempli Prefth , Torgau ,
Wittemberg & Meiffen. Une grande partie de
cette dernière Ville a même été entiérement fubmergée
; ce qui a fait beaucoup ſouffrir les habitans
& les Pruffiens. Le paffage de la Mulda ,
près de Wurtzen , n'eft plus praticable ; les eaux
y ont entraîné deux Ponts.
DE NEUSTADT , les Avril.
L'expédition faite par le Baron de Weczai dans
la Thuringe , contre les Pruffiens , fe réduit au
détail fuivant. Le Lieutenant Général de Rofenfeld
, ayant reçu ordre du Général Haddick de fe
porter fur Saalfeld avec le corps de troupes qu'il
commande , pour donner la chaffe aux Pruffiens
qui pilloient & défoloient ce Pays , marcha le 9
du mois dernier ; il poulla en avant fon avantgarde
, compofée de Cavalerie & de Huffards ,
aux ordres du Baron de Weczai . Le 10 au matin
ce Baron rencontra , entre Brefneck & Neuftadt
fur l'Orla , un gros détachement de Huffards de
Zićthen , & le fit attaquer . On les culbuta , on en
210 MERCURE DE FRANCE.
tua beaucoup, on fit des prifonniers , & l'on pour
fuivit les fuyards jufqu'aux portes de cette Ville.
Un bataillon de Huderitz , qui s'étoit rangé en
bataille fur une hauteur à l'entrée du bois de
Schefenbourg , les recueillit ; mais il fut áttaqué
fur le champ. Après un combat affez long & trèsvivement
foutenu , les Pruffiens plierent & furent
mis enfuite. Toute leur Arrière- Garde a été taillée
en piéces . Le Baron de Chaumontel , leur
Commandant , a été fait priſonnier avec cinquan
te Soldats : cette action n'a couté au Baron de
Weczai qu'un Lieutenant de Huffards qui a été´
tué , fix hommes bleffés & quelques chevaux. Les
troupes du Général Haddick occupent préfentement
cette place , & ce pays eft délivré des Pruffiens
; mais on dit qu'ils occupent Weimar.

de
L'affaire du 2 de ce mois , qui s'eft pallée près
de Saalfeld entre un Corps des troupes de l'En
pire & un Corps Pruffien , eft rapportée de cette
maniére par les perfonnes les mieux inftruites. Le
fieur de Schenckendorff , Major-Général au fervice
de Pruffe , ayant été joint le premier près de
cette Ville par le Corps du Général Sybourg , il
fe porta le lendemain fur Saalfeld . Les troupes
l'Empire commandées par le fieur de Kleift ,
Major-
Général , étoient retranchées fur les hauteurs
derrière le Village de Gornsdorff. Auffi-tôt qu'on
eut apperçu l'Avant - Garde des ennemis , qui
étoient compofée du régiment de Ziethen , Huffards
, aux ordres du Major de Hundt , elle fur
vivement canonnée. Ce dernier , malgré le feu
continuel du canon , qui tiroit à cartouches , def
cendit la hauteur avec deux efcadrons de fa trou
pe, & fe jetta , le fabre à la main , fur le flanc droit
des Impériaux , tandis que les trois autres eſcadrons
s'avançoient par Saalfeld . Cette manoeuvre
lui réaffit ; il'enleva aux Impériaux quatre canons
MAI 1760 $2FI
de douze livres de balle , deur drapeaux , vingt
Officiers , & fit prifonniers huit cens hommes.
L'Avant-Garde du Général Sybourg., commandée
par le Major de Prittwitz , avoit marché par
Rudelftadt. Elle rencontra près du Village de
Schwartze deux bataillons des troupes de l'Empire
qui faifoient bonne contenance. Le bataillon
des Grenadiers de Loffew , & la Compagniefranche
de Luderitz , pour leur faire abandonner ce
pofte , poftèrent leur canon fur une hauteur audelà
du Village , & commencerent à tirer . Les
Impériaux incommodés de leur feu , faifoient
quelque mouvement pour fe replier , quand le
fieur de Prittwitz , ayant paffé le ruiffeau de Schwartze
avec fes Hullards , tomba brufquement
fur ces troupes , & les mit en défordre. La perte
que les Impériaux ont faite dans les deux attaques
eft en tout de fept canons , cinq drapeaux , cinq
chariots de poudre , quelques bagages , trentedeux
Officiers & onze cens homines. Ils fe font
retirés par le Défilé à Greiffenthal .
I
DE COLOGNE , le 11 Avril.
Les obféques de l'Electeur de Cologne ont été
faites le de ce mois avec une magnificence &
un éclat qui ont attiré dans cetteVille un concours
prodigieux de fpectateurs de tour Pays. Son corps
revêtu de toutes les marques d'honneurs qui caractérifoient
fa naiffance augufte , fes différentes
fouverainetés , & fes dignités éminentes , après
avoir été porté devant la Chapelle des trois Rois ,
a été déposé dans le Caveau qui lui avoit été préparé.
Le cercueil , qui eft d'étain , pèſe deux mil
le quatre cens livres.
Le 6 de ce mois , le Chapitre de Cologne s'affembla
pour procéder à l'élection d'un Electeur de
Cologne. Les deux principaux Candidats étoient
212 MERCURE DE FRANCE.
·
le Cardinal de Bavière , Evêque de Liége , & le
Comte de Konigleg , Grand- Doyen de ce Chapitre.
Le premier paroiffoit avoir le plus grand
nombre de voix ; mais n'ayant pas de bref d'éligibilité
, tous les fuffrages fe font réunis en fa.
veur du Comte de Konigleg , qui a été unanimement
élu , proclamé & intronifé le même jour.
Le foir , on fit les réjouiffances. Le nouvel Electeur
eft fils d'Albert-Eufebe , Comte de Konigseg
Rothenfels, & de Claire- Philippine- Marie- Félicité,
fille deValentin-Erneft, Comte de Manderfcheid-
Blanckenheim : il est né en cette Ville le 13 Mai
1708. Il étoit déjà Comte immédiat de l'Empire
& il réuniffoit à la dignité de Grand- Doyen de ce
Chapitre , celles de Capitulaire & de Camerier de
la Cathédrale de Strasbourg , & de Coadjuteur de
la Prévôté du Chapitre de Saint Gereon . Ces citres
ont cédé à ceux d'Archevêque & Electeur de
Cologne , d'Archi- Chancelier du Saint Empire
Romain en Italie , de Légat né du Saint Siége
Apoftolique , de Duc de Weftphalie & d'Angarie.
DE HAMBOURG , le17 Mars .
Les députés que cette Régence envoie à Sa Majefté
Très Chrétienne, font les fieurs Faber & Cramer
; ils doivent avoir paffé la Hollande , & être
prêts d'entrer en France.
DE WESEL , le 16 Avril.
Au commencement de ce mois, le fieur de Cambefort
enleva près de Bentheim huit chariots de
farine , huit chevaux de remonte & deux Officiers
Pruffiens de Volontaires d'Ooft- Frife. Le 9 , il a
encore enlevé vingt-deuxDragons de Buckebourg
avecleurs chevaux.Ces prifes font entrées ici le 11.
DE FRANCFORT , le 6 Avril.
La plus grande partie de l'armée de l'Empire.
MA I. 1761 213
renforcée de quelques régimens Autrichiens , occupe
actuellement les hauteurs des environs de
Saalfeld , avec du canon , & s'y fortifie.
Un détachement du corps des Chaſſeurs de
l'Empire , commandé par le Capitaine Otto , enleva
, le 29 du mois dernier , près de Langenfalza
, deux Poftes des Pruffiens . Ayant enfuite environné
cette Ville pendant la nuit , il tomba fur
des Cuiraffiers Pruffiens qui gardoient les portes ,
& fit prifonniers un Major , un Lieutenant , un
Cornette , un Commiffaire & foixante hommes.
Les prifonniers François & Saxons qui s'y trouverent
furent mis en liberté. De là les Chaffeurs Impériaux
prirent la route de Groffenbehringen avec
leur butin & leurs prifonniers , & ils y enlevèrent
encore le fieur de Bulou , Capitaine de Chaffeurs
Hannovriens.
Le Comte de Luface eft ici depuis le 4 de ce
mois.
DE MADRID , le 7 Avril.
La Cour a pris le deuil pour trois ſemaines , à
l'occafion de la mort de Mgr le DUC DE BOURGOGNE.
Le 31 du mois dernier , à douze heures & demie
, on a reffenti dans cette Capitale , ainſi qu'à
Aranjuez , une fecouffe de tremblement de terre
qui a duré près de trois minutes ; mais jufqu'à préfent
, on n'a point appris qu'elle ait cauſé du dommage
, en aucun endroit du Royaume,
DE CADIX , le 18 Mars.
Extrait d'une Lettre de la Corogne , du 12 Mars
1761 .
L'Achille , Vaiffeau du Roi Très- Chrétien ,
de foixante & deux canons , commandé par le
Chevalier de Raimon-Modene , rencontra , le 19
214 MERCURE DE FRANCE.
du mois dernier , à quarante lieues des côtes de ?
France , une Eſcadre Angloiſe , composée de quatre
Vaiffeaux & d'une Frégate. L'inégalité de fes
forces lui fit employer tous les moyens poffibles
pour éviter le combat ; mais quoiqu'il marchât
beaucoup mieux que trois des Vailleaux ennemis
& que la Frégate , il fut joint par le quatriéme
Vailleau qui étoit de foixante & dix canons au
moins. Le combat s'engagea à cinq heures du foir
continua jufqu'à fept & demie , & ayant repris à
neuf heures , dura jufqu'à deux heures du matin
avec beaucoup d'acharnement. Heureufement
l'ennemi ne s'attachoit qu'à couper les mâts & les
manoeuvres de l'Achille pour donner le tems aux
autres Vaiffeaux de le joindre ; ainfi le Chevalier
de Raimon- Modene a perdu peu de monde & a
eu peu de bleffés. Après le combat , la plupart de
fes mâts & de fes vergues tomberent , en forte
qu'il fut obligé de chercher promptement un port
pour le réparer. Si pour échapper à l'ennemi , il
n'eût fait fauffe route , pas il est évident qu'il auroit
été bientôt joint par le refte de l'Eſcadre ;
mais on ne vit au point du jour que la Frégate
feule qui fervoit de découverte aux Anglois. La
Frégate la Bouffone , partie des Côtes de Bretagne
avec l'Achille , en avoit été féparée , par un coup
vent, dans la nuit même qui a précédé le comde
bat,
DE ROME , le 21 Mars.
Sa Sainteté fait reconſtruire le Port de Civita-
Vecchia qui tomboit en ruine , & ce beau monument
de fon regne eft conduit par d'habiles Ingé
nieurs. 1
DE LONDRES , le 14 Avril.
Le Duc d'Yorck a été nommé Contre -Amiral
de la Marine du Roi.
MA 1. 1761 : 213
La nouvelle du Congrès que les Puiffances belligérantes
font convenues d'affembler pour traiter
des moyens de terminer la Guèrre , cauſe ici beaucoup
de joie. Elle a fait hauffer tout - à- coup les
fonds publics de quatre à cinq pour cent.
On mande de diverſes Provinces que le peuple
s'eſt ſoulevé à caufe de la Milice. A Baſingſtoke ,
dans le Hampshire , lès mutins ont chaffé les Con
-nétables. Les habitans de Wincheſter en auroient
fait autant fans un bataillon des Milices d'Eſſex
qui les a contenus dans la Ville d'Effex , la populace
s'étant ameutée& ayant voulu forcer l'Hôtel-
de-Ville , les Milices affemblées pour foutenir
les Magiftrats firent feu fur elle. Le tumulte fut
fi grand quecinquante perfonnes périrent , &plus
de trois cens furent bleffées.
I
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée
de Paris &c.
De VERSAILLES , le 23 Avril 1761.
Roi , à l'occafion de l'affaire du 21 du mois
dernier près de Grunberg , a accordé le grade de
Brigadier aux fieurs de Souvigny , Lieutenant Colonel
des Dragons de la Ferronays , de Vignolles,
Colonel du régiment de Volontaires d'Auftrafie.
& de Saint Victor , Capitaine dans la Légion
Royale, avec rang de Lieutenant- Colonel & Com
mandant des Volontaires de l'armée.
Sa Majesté a donné le Gouvernement de Giver
& de Charlemont au Marquis de Rougé , Lieutenant
Général, qui commandoit à Marburg, quand
Les ennemis ont attaqué cette place.
216 MERCURE DE FRANCE.
Le régiment des Huffards , vacant par la démiffion
du Comte de Turpin , au Marquis de
Chamborant , Colonel- Lieutenant du régiment
d'Infanterie du Comte de la Marche , Prince.
Le régiment de Cavalerie de Bourbon , vacant
par la promotion du Marquis de Cambis au
grade de Maréchal de Camp , au Comte de Coigny
, & le régiment des Dragons de Mgr le Dauphin
, vacant par la démiflion du Marquis d'Hervilly
de Canify , au Chevalier de Loftanges de
Saint Alvert , Capitaine dans le régiment Royal ,
Dragons.
Le Roi a nommé les Comtes de Chabot & de
Melfort Infpecteurs Généraux des troupes légères.
Sa Majesté a accordé un Brevet de Coloncl
au fieur Dumas , Commandant les troupes détachées
de la Marine en Canada , fous le titre de
Major- Général Infpecteur. C'eft le même Officier
qui commandoit en 1755 le Corps de troupes qui
défit l'armée du Général Bradock fur les bords
de l'Ohio .
Les Marquis de Cely & de Lambert ont été
préſentés au Roi & à la Famille Royale les' de
ce mois par le Duc de Choiſeul .
Sa Majefté , ainfi que la Famille Royale , affifta
le même jour au Te Deum chanté par la Mụ-
fique.
Le 6 , l'Evêque d'Auxerre prêta ferment entre
les mains du Roi.
Le 7 , la Comteffe de Stainville fut préſentée
au Roi & à la Famille Royale par la Ducheſſe de
Choiſeul.
Le 8 , Sa Majesté a tenu le Sceau.
Le 12 , la Comtelle
de Beaumont
, Niéce
de
l'Archevêque
de Paris
, fur préfentée
à Leurs
Majeftés
& à la Famille
Royale
, par la Marquise
de
Loftange
. La
MA I. 1761 . 217
Le Roi a accordé le grade de Maréchal de Camp
au Chevalier de Montazet , Brigadier , ci devant
Colonel Lieutenant du régiment d'Infanterie d'En
ghien ; le fieur Watelet de Valogny , Brigadier ,
Capitaine réformé au régiment de Cavalerie de
Berry , qui fert depuis bien des années & avec diftinction
dans l'Etat Major des Armées du Roi ,
a été fait Maréchal de Camp.
Le Marquis de Gamaches , Meftre-de Camp
Lieutenant du régiment Royal Fiémont , a été fait
Brigadier de Cavalerie.
Sa Majefté a aufli accordé une commiſſion de
Meftre-de-Camp réformé a la fuite du régiment
de Dragons Languedoc au Marquis de Cely , Capitaine
dans le régiment du Colonel - Général de
la Cavalerie ?
Au Marquis de Lambert , Enfeigne dans la
Compagnie des Gendarmes de la Reine , une pareille
commiffion à la fuite du régiment de Dragons
d'Autichamp ; au fieur de Ratzamhaufen ,
Lieutenant-Colonel du régiment de Cavalerie Alleinand
de Nallau Ulingue , le grade de Meftrede-
Camp Commandant du régiment de Cavalerie
Liégeoife de Raugrave.
Au lieur de Valbonne , Capitaine dans le régiment
de Cavalerie d'Archiac , un brevet de Meftre-
de- Camp ;
Et des guidons de Gendarmerie au Comte de
Gerbeviller , Capitaine dans le régiment du Meftre-
de-Camp Général de la Cavalerie , & au Chevalier
d'Harcourt , Capitaine dans le régiment
du Commiflaire Général de la Cavalerie.
Le 17 , le Roi a tenu le Sceau .
Le 2 , le Comte de Cz nicheff , que l'Impétatrice
de Ruſſie a nommé fon Amballadeur Extraordinaire
auprès du Roi , eut fa prem re audience
de Sa Majeſté , dans laquelle il lui préfenta
K
218 MERCURE DE FRANCE.
fes lettres de créance. Cet Ambaffadeur fut conduit
à cette audience , ainfi qu'à celles de la Reine,
de Mgr le Dauphin , de Madame la Dauphine ,
de Mgr le Duc de Berry , de Mgr le Comte de
Provence , de Mgr le Comte d'Artois , de Madame
, de Madame Adélaïde , & de Meſdames Victoire
, Sophie & Louife , par le fiéur Dufort , Introducteur
des Ambaffadeurs.
Le même jour , le Bailli de Froullay , Ambaffadeur
du Grand- Maître & de la Religion de
Malthe , eut une audience particuliêre du Roi , à
laquelle il fut conduit par le même Introducteur.
Sa Majeflé a accordé une Place de Commandeur
de l'Ordre Royal & Militaire de S. Louis
au fieur de Meyronnet , Maréchal de fes Camps
& Armées , & Lieutenant -Colonel du Régiment
du Roi , Infanterie.
Le 19 , Sa Majeſté , ainſi que toute la Famille
Royale , figna le contrat de mariage du fieur de
Tolignan & de la Demoiſelle de Vienne.
Le 20 , le Roi reçut le ferment du nouvel
Evêque de Troyes , Claude- Mathieu- Joſeph de
Barral.

La Ducheſſe de Chevreuſe a donné ſa démiſſion
de la Place de Dame d'Honneur de la Reine
dont elle avoit la furvivance , attendu que fa
mauvaiſe fanté ne lui permet pas d'en exercer
les fonctions .
De PARIS , le 25 Avril.
LeRoi ayant écrit à l'Archevêque de Paris , pour
faire rendre à Dieu de folemnelles actions de grâces
, à l'occafion des avantages remportés par les
troupes de Sa Majefté , commandées par le Maréchal
Duc de Broglie , près de Grunberg , on
chanta le Te Deum dans l'Eglife Métropolitaine.
L'Archevêque de Paris y officia. Le fieur de LaMA
I. 1761 . 219
moignon , Chancelier de France , accompagnéde
plufieurs Confeillers d'Etat & Maîtres des Requêtes
, y affiſta , ainfi que le Parlement , la Chambre
des Comptes , la Cour des Aides & le Corps de
Ville , qui y avoient été invités , de la part de Sa
Majefté , par le Marquis de Dreux , Grand - Maître
des Cérémonies .
Les drapeaux furent portés à Notre- Dame par
un détachement des Cent- Suiffes , pour y refter
jufqu'à la paix.
Voici la Lettre du Roi à l'Archevêque de Paris.
» Mon Coufin , l'Armée de mes ennemis , com-
» mandée par le Prince Ferdinand de Brunſwick ,
» & combinée avec des troupes Pruffiennes , avoit
» formé le projet de conquérir la Heſſe , occupée
» par mes troupes , dans la confiance que la fai-
> fon la plus rigoureuſe favoriferoit une opération
» aufli importante pour l'Angleterre & fes Alliés .
Déjà mes ennemis annonçoient à l'Europe les
» fuites qu'ils efpéroient ; mais les talens , l'acti-
>>
vité & la fermeté de mon Coufin le Maréchal Duc
» de Broglie , & la valeur victorieuſe de mes trou-
> pes , ont confondu les deffeins de l'Armée Al-
» liée contre ma Puiffance. Mon Coufin le Maréchal
Duc de Broglie a battu le 21 du mois
» dernier le Corps ennemi , commandé par le
» Prince Héréditaire de Brunſwick ; des bataillons
> entiers ont été faits prifonniers , & il leur a en-
» levé dix -neuf drapeaux & treize piéces de canon ,
trophées de fa victoire . Le 25 du même mois ,
les troupes que mon Coufin le Maréchal Duc
» de Broglie avoit portées à Ziegenhayn ont eu un
>> nouvel avantage ; les ennemis y ont perdu des
>> drapeaux , & les deux Généraux qui les comman-
» doient ont été pris . Dans le temps que mon Ar-
» mée acquéroit tant de gloire , le Comte de Bro-
» glie, commandant la garnifon de Caffel , fecon-
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
აა
د ر
doit les opérations de fon frère ; & les troupes
» qui défendoient cette Place , repoulloient avec
> courage les entreprifes de celles des ennemis,
A Gottingen, la garnifon remportoit journelle-
> ment des avantages : ces différens fuccès multipliés
ont forcé l'Armée ennemie à fe retirer dertiere
la riviere qui couvroit les anciens quartiers.
Le fiége de Callel a été levé , ainfi que
» ceux de Marbourg & de Ziegenhayn l'avoient
été . C'est au Dieu , des Armées qu'il faut rapsporter
tant d'avantages , en mettant aux pieds
des Autels les actions de graces des profpérités
» qu'il daigne nous difpenfer : joignons-y les priéres
les plus ferventes pour qu'il touche le coeur
de nos ennemis fur les malheurs que caufe le
fléau de la guerre , & les difpofe a écouter les
» propofitions de paix ,auxquelles je ferai toujours
prêt d'acquiefcer , pour le bonheur de l'humanité
& des Peuples que je gouverne : & je vous
fais
?? cette Lettre , pour vous dire que mon intention
eft que vous faffiez chanter le Te Deum
» dans l'Eglife Métropolitaine de má bonne Ville
de Paris , au jour & a l'heure que le Grand-
Maître ou le Maître des Cérémonies vous dira
de ma part.
०२.
??
Cette heureufe révolution, dont toutes les Eglifes
de ce Diocèle ont dû rendre de pareilles actions
de graces , eft peinte avec beaucoup d'énergie
& d'une maniere bien touchante dans le Mandement
de l'Archevêque . » Nos ennemis , dit ce
Prélat , fiers de quelques avantages , avoient
formé des projets immenfes .. Qu'ils étoient
terribles par la renon mée de leurs Chef , s par
» le nombre de leurs Légions , par la réunion de
» leurs forces & par la difperfion des nôtres !..
??
Mais celui qui tient en la main le coeur des
3 Princes , avoit inſpire au grand Roi qui nous
MA I. 1765 228
:
5 gouverne de choisir un Général , de l'une de
» ces races dont le Seigneur s'eft déja ſervi pour
opérer le falut en Ifraël.... Auffi quelle pruden-
>> ce , quelles vues dans la préparation & dans la
» fuite des événemens qui font aujourd'hui l'ob-
> jet de l'allégreffe publique ! Réunir des troupes
و د
"
difperfées , combiner des marches , repouffer
» différens corps des ennemis , les contraindre à
» repaffer précipitamment une riviére , dégager
>> des poftes inveftis ou attaqués , combattre un
>> Prince belliqueux , le mettre en déroute , lui en-
» lever l'élite de les braves , le dépouiller d'une
» partie de les canons & de fes drapeaux telles
ont été les opérations de notre Général .... Dans
» les mêmes jours on apprend la levée d'un fiége
» qui attiroit les regar is de toute l'Europe .... Ici
» c'eſt le frère même du Général qui feconde les
» opérations de fon frère. Ainfi les frères Machabées
, par leur valeur , par leur concert & leur
>> union , firent la confolation de Jerufalem , &
» humilièrent les ennemis du Peuple de Dieu.
לכ
Les Puiffances Belligérantes de l'Europe , touchées
des malheurs de la guèrre , font convenues
entre elles d'affembler un Congrès à Ausbourg ,
Ville libre & Impériale d'Allemagne , dans le
Cercle de la Spabe , pour travailler au rétabliſſement
d'une paix folide .
L'Ordre Royal & Militaire de S. Louis a reçu de
nouveaux bienfaits de Sa Majeſté . Par une Ordonnance
du 27 du même mois , confiftant en dix
Articles , le Roi a augmenté le nombre des dignités
de cet Ordre. 1 ° .De onze nouveaux grands
Croix à fix mille livres de penfion qui , avec les
treize anciens feront vingt- quatre Grands - Croix
effectifs. 2 ° . De dix nouveaux Commandeurs qui ,
joints aux quarante anciens , feront le nombre de
K iij
222 MERCURE DE FRANCE .
cinquante , dont toutes les penfions font fixées à
trois mille livres . Le furplus de l'Ordonnance contient
différentes difpofitions qui réglent le nombre
des dignités & des penfions de l'Ordre que le Roi
juge à propos d'affecter , tant au Corps de la Marine
qu'aux Officiers de ſa Maiſon.
Le 10, l'Oraifon Funébre du feu Maréchal de
Belle- Ifle fut prononcée par le P. de Neuville ,
Jéfuite , dans la Chapelle de l'Hôtel- Royal des
Invalides. Il y eut un très- grand concours de Militaires
& de tous les Ordres , attirés tant par
l'objet du difcours que par la célébrité de l'Orateur.
Le 14 , le Roi fit dans le Bois de Boulogne , au
Rond de Mortemart , la revue des deux Compagnies
des Moufquetaires de fa Garde. Sa Majesté
paffa dans les rangs , & après que les deux Compagnies
eurent fait l'exercice ordinaire , Elle les
vit défiler à cheval par quatre. Madame la Dauphine
, Madame Adélaïde , Mefdames Victoire ,
Sophie & Louife , affifterent à cette revue. Le
Roi a nommé dans la premiére Compagnie le
Comte de Merle Enfeigne ; le Vicomte de Rochechouart
Cornette ; les Srs de Mondolot , Malautié
& Vallier , Maréchaux- des - Logis ; les Srs de Guil-
Ihem , Champroger & Rouany , Brigadiers ; les
Srs d'Inguimbert , d'Alainville & Duquesne , Sous-
Brigadiers : Et dans la feconde , le Sieur d'Arias
de Préville , Aide- Major , le Vicomte de la Houffaye
, Maréchal - des- Logis ; les Srs de Calonne &
de Rocquemont , Brigadiers ; le Sr de Tremenec ,
Sous-aide-Major ; les Srs de la Graverie , de Lozeran
, d'Archambault , de Chemilly & de Beuville ,
Sous-Brigadiers.
Le Maréchal Prince de Soubife , après avoir pris
congé de Leurs Majeftés & de la Famille Royale ,
eft parti le 15 pour aller prendre le Commande
MA I. 176r. 213
ment de l'Armée du Bas- Rhin. Il va d'abord à
Francfort , où le Maréchal de Broglie a établi fon
Quartier Général , afin de concerter avec lui les
opérations de la Campagne. La Compagnie des
Gendarmes de la Garde du Roi partit le 14 de
cette Ville pour fe rendre à l'Armée du Bas-Rhin .
La Compagnie des Chevaux- Légers de la Garde
s'eft mife en marche le is pour la même deftination
. Les deux Compagnies des Moufquetaires du
Roi ont dû partir le 18 & le 19 .
On a appris de Belle- Ifle que la Flotte Angloife
, forte de quinze Voiles , mouilla le 7 dans
la Rade de Belle- Ifle ; le lendemain 8 , elle fit fes
difpofitions pour l'attaque, Le Chevalier de Sainte-
Croix , Brigadier des Armées du Roi , Commandant
à Belle-Ifle , jugeant que les bateaux plats fe
dirigeoient vers le Port Andras , y porta la plus
grande partie de fes Troupes. Les Ennemis effecti
vement ont débarqué dans cette partie ; mais ils
ont été fi vivement repouffés , qu'ils ont perdu
8co hommes , & prèfque tous Grenadiers ; on leur
a fait plus de 300 prifonniers , parmi lesquels fe
trouvent le Lieutenant - Colonel Thomas , & le
Major Meklein , qui commandoient l'attaque..
On doit le fuccès de cette affaire à deux Compagnies
du Régiment de Nice , commandées par le
Sr de Melet , & à une partie du Régiment de
Bigorre Le Sr Gros , Capitaine dans ce Régiment´
a chargé fi vigoureufement cent Grenadiers , qui
avoient escaladé par des roches prefque inacceffibles
, qu'il y a beaucoup contribué . Le Sr Michelet
, Lieutenant-Colonel de ce Régiment , s'eft
extrêmement diftingué ; il a été bleflé d'un coup
de feu au genou. Le Chevalier de Sainte Croix ,
dans la Lettre qu'il en a écrite au Roi , fait les
plus grands éloges du Sr Melet , du Sr de la
Garigue , Commandant dans l'Ifle fous les or-
Kiy
224 MERCURE DE FRANCE.
;
3
dres ; du Sr de Mondefer , Major du Régiment de
Nice; des Srs de Bertrandi , Capitaine , & Cabros ,
I ieutenant dans ce Régiment , qui commandoient
les Volontaires : Les Gardes- Côtes , comirandés
par le Sr Détail , Capitaine Général , fe font aufli
comportés avec beaucoup de bravoure.
Le Chevalier de Levis , Lieutenant-Général ,
qui par la Capitulation , du Canada , ne pouvoit
fervir de toute la Guerre , ayant obtenu du Roi
d' ngleterre la permiffion de fervir ſeulement en
Europe , Sa Majefté l'a employé dans l'Armée du
Maréchal de Soubife.
Le Tirage de la quatriéme Loterie de la Ville de
Paris fe fit le 6 dans l'Hôtel - de - Ville , avec les
formalités ordinaires. Le premier Lot qui étoit de
cinquante mille livres , eft échu au numéro 5042 ,
& celui de vingt ille au numéro 16245. Les deur
Lots de dix mille font échus aux numéros 9094 &
10880.
Le Tirage de la Loterie de l'Ecole - Royale-
Militaire s'eft fait en la maniére accoutumée ,
dans l'Hôtel- de- Ville de Paris , le 21. Les numéros
qui font fortis de la roue de fortune font ,
14 , 42 , 7 , 1 , 21. Le prochain Tirage fe fera
le 22 du mois de Mai.'
- Du Quartier Général de l'Armée aux ordres du
Maréchal de Broglie.
Τι
Le Maréchal de Broglie , après avoir été reçu
avec tous les témoignages de joie de la part des
Troupes à Caffel , & avoir vifité les différentes
places & les principaux poftes de la Hefle , ainfi
que la Ville de Gottingen , s'eft rendu à Francfort ,
où il a établi fon Quartier Général, Toutes les
Troupes font rentrées dans les leurs.
Après la levée du Siége de Caffel , le Marquis
de Caraman & le Chevalier de Saucourt , furent
MA I. 1761. 225
chargés de poursuivre les Ennemis , auxquels le
Sr de Viomenil fit 240 Soldats prifonniers &
5 Officiers , les ayant coupés dans un Bois , où ils
mirent bas les armes . Le Vicomte de Bellunce &
le Marquis de Durfort , avec un Détachement de
la Garnifon de Gottingen tuerent 60 hommes près
de Northeim , & firent 214 Soldats Pruffiens prifonniers
, & 8 Officiers ; ils prirent auffi deux piéces
de canon . Le Vicomte de Bellunce s'étant porté
jufqu'à Ofterode , prit foixante & dix Soldats , un
Lieutenant , & quatre-vingt chevaux. Il a enlevé
à Heretberg mille fufils , & en a détruit quinze
cent , ainsi que prefque tous les atteliers des Armuriers
.
Le Sr de Montfort , Lieutenant- Colonel d'Infanterie
, détaché à Efchwege , ayant eu avis , le
7 de ce mois , qu'il étoit arrivé de la Cavalerie
Prullienne à Langenfalza , partit le même jour
avec la Troupe. Il furprit dans ce pofte un Efcadron
des Gendarmes du Roi de Pruffe . Il fit prifonniers
le Major qui le commandoit , un Capitaine
, deux Lieutenans , & quatre-vingt-dix Maitres.
MORT ST
Louis Pierre- Maximilien de Béthune , Duc de'
Sully , Pair de France , Chevalier de l'Ordre de la
Toifon d'Or , ci-devant premier Gentilhomme de
la Chambre de Monfeigneur le Duc de Berry ,
Fils de France , aîné de la Maiſon de Béthune , eft
mort ici le 9 Avril , âgé de 7 ans . Maximilien-
Antoine Arnaud de Béthune , Prince Souverain'
d'Henricheniont & de Boisbelles , fuccédé à fon
titre , & devient l'aîné de cette Mailon.
Mellire François Feu , Docteur en Théologie de
la Faculté de Paris , Curé de l'Eglife Paroiffiale de
Saint-Gervais , & Doyen des Curés de cette Ville ,,
eft mort le 3 , âgé de 9 ans.
Kw
226 MERCURE DE FRANCE
Meffire Etienne du Bourg , Docteur de Sor
bonne , ancien Archidiacre de l'Eglife de Paris ,
Adminiftrateur honoraire de l'Hôpital des cent
Filles , Abbé de l'Abbaye Royale de Gimont ,
mourut en cette Ville , le 7 , dans fa 95e année .
Il étoit Doyen des Abbés de France.
Melfire Jean de Fuligny Damas , Comte &
Grand Cuftode de l'Eglife de Saint -Jean de Lyon ,
Abbé Commendataire de l'Abbaye de Savigny ,
mourut au Château d'Agey en Bourgogne , les de
ce mois , âgé de 85 ans.
Dame Marie -Françoife- Elifabeth Bazan de Flamanville
, Epoufe de Jean-Jofeph le Comte de
Nonant , Marquis de Raray , Enſeigne des Gehdarmes
de la Reine , mourut en cette Ville , le 12 ,
dans la trentiéme année de fon âge.
Dame Jeanne-Françoiſe de Biaudos de Caſteja ,
Veuve de Meffire Jacques de Salomon de la
Lande , ci-devant Sous- Gouvernante du Roi & des
Enfans de France , & enfuite Intendante des Garderobes
& Atours de Mefdames , elt morte à Verfailles
, le 13 , âgée de 90 ans.
EVENEMENS SINGULIERS.
ESPAGNE.
De MADRID , le 7 Avril.
A Pezuela de - las - Torris , Village à fept lieues
d'ici , la nommée Olaia Diaz , femme d'un Journalier
qui a déjà eu onze enfans mâles , eſt accou
chée de trois garçons .
ITALIE.
De ROME, le 13 Mars 1761.
En creufant dans une vigne , hors de la Porte
MA I. 1761 217
Majeure , on a trouvé un très- grand morceau de
Toile d'Amiante , qui peut avoir anciennement
fervi de drap de lit , avec une de ces Bulles d'or
que la jeune Nobleffe de Rome portoit au col du
tems de la République : ces deux piéces font trèsbien
confervées.
GRANDE - BRETAGNE..
De LONDRES , le 7 Avril 1.761 ..
Les Elections des Membres du Parlement ne
font pas auffi tranquilles dans toute l'Angleterre
que dans cette Ville. On écrit d'Exéter que toute
la Ville eft dans le trouble & le défordre à cette
occafion. Il y a deux partis violemment acharnés
l'un contre l'autre. L'un s'appelle l'intérêt bleu ,
Fautre l'ancien. Un homme a affaffiné fa femme
par le feul motif qu'elle foutenoit le parti auquell
il étoit oppofé ; il eft actuellement dans les prifons
, maudillant tous les partis. On n'a jamais vu
d'élection fe faire avec plus de tumulte & de fureur.
Une pauvre femme , dégoutée de la vie par
la mifére , tenta , il y a quelques jours , de ſe dêlivrer
de l'une & de l'autre,en fe coupant la gor
ge ; mais fa main ne la fervit pas bien , elle ne
coupa qu'à moitié la trachée-artére on la fecourut
, & on fit venir un Chirurgien qui referma
la plaie par le moyen de la future. Après l'opération
, le Chirurgien alla voir une jeune Dame attaquée
de la confomption , & lui conta. l'hiſtoire
de la malheureuſe femme qu'il venoit de panfer.
Elle étoit bien maladroite , répondit la malade..
Dans la nuit , cette Dame fe déroba à la vigilance
des perfonnes qui la gardoient ; elle fe faific d'un
couteau , & fe coupa la gorge fi parfaitement, que
la tête étoit prèfqu'entiérement
féparée du cous
K vi
228 MERCURE DE FRANCE.
On écrit de Trègoney , dans le Comté de Car
nouailles que le 16 Mars , des ouvriers travaillant
à fouiller une nouvelle mine , découvrirent dans
la terre une pierre qu'ils prirent d'abord pour
un rocher ; mais lorfqu'ils écartérent la terre qui
la couvroit , ils s'apperçurent que c'étoit le couvercle
d'un cercueil . Ils levérent cette pierre , &
trouvérent un Squelette d'une grandeur démelurée
, lequel fe réduifit en poudre au contact de
l'air. Il ne refta d'entier qu'une feule dent , qui
a deux pouces & demi de long , & qui eſt épaiſe
à proportion . Le cercueil a fept pieds trois pouces
de long & trois pieds neuf pouces de profondeur.
On a trouvé fur la tombe une Infcription
allez bien confervée , qu'il feroit intéreflant
de communiquer au Public..
Le 24 Mars , on a enterré à Londres la veuve
Ifabelle Gillam , âgée de cent treize ans..
FRANC E.
De Paris , le 25 Avril 1761..
Le nommé Pierre de Champagne mourut le 3 ,
dans la Paroille de Mayac , Village du Périgord ,
-âgé de cent ans un mois & un jour ; il n'avoit jamais
eu d'infirmités ; il avoit été marié deux
fois , & il étoit âgé de foixante & dix ans lorfqu'il
prit la feconde femme , dont il a laiffé
plufieurs enfans . On mande que fans une chûtequi
a terminé la vie , il auroit probablement
pouflé fa carriére plus loin.
1
La Soeur Sabot , de la Congrégation de S. Jofeph
, eft morte dans un Bourg du Vélai , Diocèle
du Puy , le 6 , âgé de cent huit ans & deux mois.
Elle n'avoit jamais eu d'infirmités ; elle alliſtoit à
tous les exercices de la Congrégation , & elle a
confervé fon bon fens jufqu'au dernier moment:
de la vie.,
MA I. 1761.
SUPPLÉMENT à l'Art, de la Mufique.
Le Prétendu , Intermede , en trois Actes , repréfenté
fur le Théâtre Italien , mis en Mufique.
par M. Gaviniés , Partition , in folio , gravé ,prix
15 liv. fe vend chez l'Auteur ,rue S. Thomas du
Louvre .
Cet ouvrage où M. Gaviniés a développé des
talens fupérieurs , & auquel le public a fait le plus
grand accueil , a de plus le mérite de pouvoir
être exécuté facilement , par Parties féparées ,
dans les concerts particuliers.
GRAVURE.
On trouve chez BULDEL , Marchand d'Eftampes
, rue de Gêvres , & chez la veuve CHEREAU ,
rue S. Jacques , aux deux Piliers d'or , une Perfpective
du nouveau Bâtiment de la Bourfe de
Dunkerque , préfentée au Prince de Soubize , &
déffinée par M. Hardy , Capitaine au Régiment
de Médoc . Cette vue qui mérite des éloges à
fon Auteur pour la correction du deflein , l'intelligence
des effets , & l'agréable difpofition des
figures , a été très-heureufement rendue en gravure
par P. P Chofard , Artifte connu en ce genre.
On y trouvera aufli plufieurs Portraits du Maréchal
de Broglie , dont un précieufement gravé
par Salvador , Penfionnaire du ROI D'ESPAGNE.
AVIS DIVERS.
Eau dite admirable ou de Cologne , dont on fe
fert intérieurement ou extérieurement ; excellent
reméde contre l'apoplérie , la paralyfie , les obftructions
, la colique , les tumeurs , les brûlures ,
+
230 MERCURE
DE FRANCE.
"6
lcs maux de dents , la pierre , les douleurs de
goutte , les maladies de la peau & c. C'eſt auffi
un bon antidote contre toutes fortes de venins ,
& contre le mauvais air. Elle appaiſe les tintemens
d'oreilles , fortifie la vue , foulage la migraine
, guérit les palpitations de coeur & c. Cette
eau que le féjour des Troupes de France fur les
bords du Rhin a fait connoître , fe trouve à Paris
chez le fieur Brouet , Epicier Droguifte, rue Dauphine
, au Magazin de Montpellier.
Le feur REYNARD , Méchanicien , demeurant
rue S. Honoré, Cul-de-fac de l'Opéra , fait des
cannes à parafols , comme il n'en a jamais paru ;
lefquels Parafols s'ouvrent d'eux- mêmes , s'inclinent
& fe mettent à différentes hauteurs , & ont
une pointe en bas pour fervir de défenſe , on pour
fixer le Parafol en terre , quand on veut s'affeoir.
Il les garantit de la rouille. Il eſt le feul poflefleur
de ce fecret.
AVIS AU PUBLIC.
SUR le bruit public des guérifons regardées
comme furprenantes , qu'opére journellement la
poudre du Sr CHARTREY, privilégié du Roi fuivant
la Cour ; on ne peut fe difpenfer d'en donner
connoiffance à la Province , puiſque la ſanté eſt
le plus précieux de tous les biens . Il n'en diftribue
que pour les genres de maladies auxquelles l'expérience
lui a prouvé qu'elle étoit propre , & dont
il a donné le détail dans les précédens Mercures .
Il continue auffi avec fuccès la diftribution de fon
Baume , unique pour la prompte & radicale guérifon
des bleflures , des brûlures , boutons &
bubons ; de ſa Tifane philofophique pour la gue
riſon des vieux ulcères , des loups , tumeurs fro
MA I. 1761. 231
des , des écrouelles , & autres maladies de ce
genre ; & de fon Elixir qui joint avec la poudre ,
guérit radicalement l'hydropifie. Sa demeure eft
toujours au coin de la rue du Chantre Saint-
Honoré , à Paris , où eft expofé fon Tableau .
LE Sr ROYER , Marchand Epicier , Droguifte ,
demeurant grande rue du Fauxbourg Saint-
Martin , à l'enſeigne du Jardin des Plantes , a
l'honneur d'avertir le Public qu'il ouvrira fon
Cours de Botanique le 20 de Mai prochain. Il
l'indiqua plutôt l'an dernier ; mais des raifons qui
lui font perfonnelles l'obligent de commencer
cette année un peu plus tard, Cela n'empêchera
pas les Etudians qui voudront fuivre ce Cours de
venir le faireinfcrire de bonne heure. Ils pourront
même s'exercer d'avance , les Jardins étant en état
de les recevoir , à cauſe d'une infinité de Plantes
qui font déjà forties de Terre. Le Sr Royer s'eft
appliqué à remplir les Jardins d'un grand nombre
de Plantes qui n'y étoient pas l'an pallé , & il
s'occupe continuellement du foin de les meubler
de tout ce qui peut exciter & piquer la curiofité
des Eléves & des Amateurs . D'ailleurs , lefdits Jardins
font delfinés depuis peu d'une façon fi commode
, qu'il n'y aura ni trouble ni confuſion à
craindre pour les Etudians dans l'examen qu'ils
feront des Plantes , foit dans les quarrés , foit
dans les plates- bandes . Il fe rencontreront fans
jamais fe heurter. On leur diftribuera auffi un Catalogue
raifonné de ces Plantes comme l'année
derniére , dont on a refondu l'Avertiſſement .
Au refte , les explications du Sr Royer feront
toujours auffi fimples que méthodiques. Il n'a
point la manie de bâtir des fyftêmes inutiles. Le
prix du Cours eft le même ; c'eſt -à- dire,fix francs
la première année , trois livres la feconde , & le
232 MERCURE DE FRANCE.
rete de la vie gratis , pour ceux qui auront payé
ces deux années - la. Le Sr Royer démontrera les
Plantes à toute heure dujour ; enfin fon deffein eft
de mériter de plus en plus l'eftime du Public , par
fes foins , fon affiduité & fes travaux .
La demeure & le laboratoire du Sr Jauffin,
Maître Apoticaire à Paris , & ancien Apoticaire-
Major des Camps & Armées du Roi , font toujours
comme l'an dernier dans la maifon de M.Royer,
dont il eft parlé ci - deffus . Il continue d'y dittribuer
les remédes de feu M. Dalibour , ancien
Chirurgien - Major de la Gendarmerie , & c . fon
Grand- Pere maternel , & qu'il fit annoncer l'année
pallée dans le fecond Volume du Mercure d'Avril .
Voici en quoi ils confiftent, afin d'en rappeller le
foavenir au Public.
1º. Une Liqueur très - éprouvée pour la guérifon
entiére des fleurs- blanches. 2º. Une autre Liqueur
contre les gonorrhées les plus invétérées ,
& qui les guérit radicalement. 39. La fameufe
Eau Dalibour , qui porte le nom de fon Auteur , il
y a plus de foixante ans , & qui eft excellente
pour toutes fortes de plaies , bleffures , &c . 4°. n
Baume fouverain pour la guérifon parfaite des
fiftules au fon lement. . Une Liqueur trèséprouvée
& très efficace contre la rétension d'urine.
6 ° . Une Poudre purgative pour les Pauvres ,
qui coûte cinq fols la prife , & dont on voit d'heareux
effets .
Il ne tiendroit qu'au Sr Jaufin , qui exerce une
profeflion honnête , & qui a un état décidé , de fe
parer de toutes les Lettres de remercimens qu'il a
reçues d'une infinité de Perfonnes , même de la
plus haute diftinction , au fujet de la gran le effica
cité defdits remédes ; mais il craindroit qu'un
pareil étalage ne parût au Public éclairé , trop
ridicule & trop rempli de vanité; il aime mieur
MAI. 1761. 233
avouer , & la vérité l'éxige de lui , que beaucoup
de gens , tant de Paris , que des Provinces du
Royaume & des Pays Etrangers , l'ont informé ,
que la Liqueur contre les fleurs-blanches & celle
Contre les gonorrhées , n'ont pas toujours produit
une guérifon complette à leur dofe ordinaire , qui eft
de trois bouteilles de pinte prifes defuite , quoique
d'ailleurs elles fe trouvaffent bien mieux , qu'elles
n'étoient avant que d'enfaire ufage.
Ce dernier aveu a d'autant plus raffuré le
Sr Jauffin , que quelques bouteilles de plus ont en
effet opéré une guérifon radicale .
Perfonne n'ignore la différence des compléxions
& des tempéramens , &c. C'eft en conféquence de
cela que l'ufage defdites Liqueurs guérit les uns
plutôt , & les autres plâtard , mais enfin dans les
deux cas , on eft fûr d'une entiére guérifon , &
voilà le point éllentiel . On voit même fouvent
des Perfonnes qui font guéries avant d'avoir pris
tout-à- fait la troifiéme bouteille,
On trouve dans le Laboratoire du Sr Jauffin
un affortiment complet de toutes fortes de remédes
Galéniques & Chymiques , ainfi que de
drogues fimples , &c. que l'on vend à un prix
très raifonnable.
BAINS établis fur la Seine qui ont été ouverts le
28 du mois d'Avril 1761 , en face du Jardin
des Thuilleries.
Le féjour que le fieur PorTEVIN a fait chez le
Baigneur du Roi , lui a fait obferver que lorfqu'il
plaît à Sa Majefté de fe baigner , M ffieurs
les Médecins ordonnojent d'aller puifer l'eau dans
le courant de la Seine , par préférence à celle qui
eft conduite à Verfailles par des tuyaux .
L'attention qu'il y a donnée lui a fait concevoir
232 MERCURE DE FRANCE.
refe de la vie gratis , pour ceux qui auront payé
ces deux années - la . Le Sr Royer démontrera les
Plantes à toute heure dujour ; enfin fon deffein eft
de mériter de plus en plus l'eftime du Public , par
fes foins , fon alliduité & les travaux.
La demeure & le laboratoire du Sr Jauffin ,
Maître Apoticaire à Paris , & ancien Apoticaire-
Major des Camps & Armées du Roi , font toujours
comune l'an dernier dans la maifon de M Royer,
dont il eft parlé ci - deffus . Il continue d'y diitribuer
les remédes de feu M. Dalibour , ancien
Chirurgien- Major de la Gendarmerie , & c . fon
Grand - Pere maternel , & qu'il fit annoncer l'année
pallée dans le fecond Volume du Mercure d' Avril .
Voici en quoi ils confiftent, afin d'en rappeller le
foavenir au Public.
1. Une Liqueur très -éprouvée pour la guérifon
entiére des fleurs- blanches. 2 °. Une autre Liqueur
contre les gonorrhées les plus invétérées ,
& qui les guérit radicalement. 39. La fameufe
Eau Dalibour, qui porte le nom de fon Auteur , il
y a plus de foixante ans , & qui eft excellente
pour toutes fortes de plaies , bleffures , &c . 4° . Un
Baume fouverain pour la guérifon parfaite dest
fiftules au fon fement.. Une Liqueur trèséprouvée
& très efficace contre la rétention d'urine.
6 ° . Une Poudre purgative pour les Pauvres ,
qui coûte cinq fols la prife , & dont on voit d'heureux
effets .
Il ne tiendroit qu'au Sr Jauffin , qui exerce une
profeffion honnête , & qui a un état décidé , de fe
parer de toutes les Lettres de remercîmens qu'il a
reçues d'une infinité de Perfonnes , meme de la
plus haute diftinction , au ſujet de la gran té éfficacité
defdits remédes ; mais il cráindroit qu'un
pareil étalage ne parût au Public éclairé , trop
ridicule & trop rempli de vanité; il aime mieur
MAI. 1761. 233
avouer , & la vérité l'éxige de lui , que beaucoup
de gens , tant de Paris , que des Provinces du
Royaume & des Pays Etrangers , l'ont informé ,
que la Liqueur contre les fleurs- blanches & celle
contre les gonorrhées , n'ont pas toujours produit
une guérifon complette à leur defe ordinaire , qui eft
de trois bouteilles de pinte prifes defuite , quoique
d'ailleurs elles fe trouvaffent bien mieux , qu'elles
n'étoient avant que d'enfaire usage.
Ce dernier aveu a d'autant plus raſſuré le
Sr Jauffin , que quelques bouteilles de plus ont en
effet opéré une guérifon radicale.
Perfonne n'ignore la différence des compléxions
& des tempéramens , & c. C'eft en conféquence de
cela que l'ufage defdires Liqueurs guérit les uns
plutôt , & les autres plâtard , mais enfin dans les
deux cas , on eft für d'une entiére guériſon , &
voilà le point éffentiel. On voit même fcuvent
des Perfonnes qui font guéries avant d'avoir pris
tout- à- fait la troifiéme bouteille,
On trouve dans le Laboratoire du Sr Jauffin
un alfortiment complet de routes fortes de remédes
Galéniques & Chymiques , ainfi que de
drogues fimples , &c . que l'on vend à un prix
très raifonnable.
BAINS établis fur la Seine qui ont été ouverts le
28 du mois d' Avril 1761 , en face du Jardin
des Thuilleries.
Le féjour que le fieur PorTEVIN a fait chez le
Baigneur du Roi , lui a fait obferver que lorsqu'il
plaît à Sa Majefté de fe baigner , M fleurs
les Médecins ordonnoient d'aller puifer l'eau dans
le courant de la Seine , par préférence à celle qui
eft conduite à Versailles par des tuyaux .
L'attention qu'il y a donnée lui a fait concevoir
1234 MERCURE DE FRANCE.
.:

le projet d'établir des Bains chauds , fur la Riviere
de Seine , où l'on puiſſe avoir les mêmes commodités
que chez les Baigneurs.
Après en avoir conçu la poffibilité , il en a tiré
fon plan , il l'a fait pafler fous les yeux des Minif
tres ; le Roi n'a pas dédaigné de s'occuper d'un
établiffement qui intéreffe la fanté de fes Sujets ;
& après le plus mûr examen , Sa Majeſté a bien
voulu lui en accorder le Privilege exclufif.
Il ne fera pas indifférent au Public de connoî
tre le jugement que la Faculté de Médecine , &
Meffieurs les premiers Médecins & Chirugiens de
la Cour ont porté fur ce projet.
DECRET DE LA FACULTÉ DE MEDECINE
DE PARIS.
Nous fouffignés Commiffaires nommés par la
Faculté pour l'examen d'un projet préfenté par le
fieur Poitevin , qui , fe propofant d'établir des
Bains de fanté fur la Seine , defire de favoir fi
la Faculté trouvera cet établiſſement vraîment
utile au Public , avons obfervé ce qui fuit :
1º. On trouvera dans les nouveaux Bains autant
de fureté , de propreté & de commodité
qu'on puiffe en eſpérer.
20. Nulle crainte que la même eau ne ferve
plus d'une fois , ou qu'elle ne foit alterée avec de
l'eau de puits ou de fontaine.
3 ° . Les uftenciles qui ferviront au Bain font
tellement difpofés que l'eau la plus bourbeafe peut
s'éclaircir en très - peu de tems. De plus les tuyaur
font placés au réservoir de maniére qu'ils ne porteront
dans les chaudieres que l'eau bien épurée.
Les matières étrangeres à l'eau refteront au fond
des réfervoirs , qu'on nétoyera aifément tous les
jours .
4°. Nous penfons qu'il n'eft pas indifférent
MA I. 1761. 239
"
*
pour la falubrité du Bain que l'eau foit puifée prèlque
fur le champ : moins elle aura celé de couler
, plus elle doit être réputée falutaire .
5°. Une fortune trop bornée empêche beaucoup
de Malades de fe procurer ce reméde qui ne
peut que très - difficilement être fuppléé ; la modicité
du prix qu'exige le fieur Poitevin mettra
les Médecins à portée de l'ordonner plus fouvent.
Cette confidération feule nous fuffiroit pour encourager
le fieur Poitevin à mettre promptement
à exécution un projet auſſi intéreſſant pour
le Public . Signé , VIEILLARD HERISSANT, BELLOT.
BARBEU DU BOURG .
Meffieurs Vieillard , Heriffant , Bellor , & Barbeu
du Bourg , Docteurs- Régens & anciens Profeffeurs
de la Faculté de Medecine en l'Univerfité
de Paris , qui avoient été nommés par la Faculté
pour examiner le plan général & le projet du
fieur Poitevin , pour l'établiffement de Bains fur
la riviere de Seine au-deffus & au- deffous de Paris
, en ayant fait leur rapport à la Faculté affemblée
le Samedi vingt- trois du préfent mois , elle
n'a pû qu'approuver ce qu'ils ont prononcé fur
l'utilité d'un pareil établillement à tous égards.
Pour raifon de quoi je lui ai délivré le préfent Extrait
de nos Commentaires.
A Paris ce 25 Août 1760. BOYER , Chevalier
de l'Ordre de S. Michel , Doyen de la Faculté de
Medecine de Paris .
Le projet donné par le fieur Poitevin ne peut
être qu'extrêmement utile , il préfente des avantages
& des commodités , qu'on ne trouve point
dans les autres Bains.
Fait à Versailles le 17 Septembre 1760. SENAC .
LASONE. BOUILHAC .
Si le projet du fieur Poitevin eft exécuté , tel
qu'il eft annoncé dans fon Mémoire , comme on
1234 MERCURE DE FRANCE.
.
le projet d'établir des Bains chauds , fur la Riviere
de Seine , où l'on puiſſe avoir les mêmes commodités
que chez les Baigneurs.
Après en avoir conçu la poffibilité , il en a tiré
fon plan , il l'a fait pafler fous les yeux des Miniftres
; le Roi n'a pas dédaigné de s'occuper d'un
établiffement qui intéreſſe la fanté de fes Sujets ;
& après le plus mûr examen , Sa Majesté a bien
voulu lui en accorder le Privilege exclufif.
Il ne fera pas indifférent au Public de connoître
le jugement que la Faculté de Médecine , &
Meffieurs les premiers Médecins & Chirugiens de
la Cour ont porté ſur ce projet .
DECRET DE LA FACULTÉ DE MEDECINE
DE PARIS.
Nous fouffignés Commiffaires nommés par la
Faculté pour l'examen d'un projet préfenté par le
fieur Poitevin , qui , fe propofant d'établir des
Bains de fanté fur la Seine , defire de favoir fi
la Faculté trouvera cet établiſſement vraiment
utile au Public , avons obfervé ce qui fuit :
1º. On trouvera dans les nouveaux Bains autant
de fureté , de propreté & de commodité
qu'on puiffe en eſpérer.
20. Nulle crainte que la même eau ne ferve
plus d'une fois , ou qu'elle ne foit alterée avec de
l'eau de puits ou de fontaine.
3º . Les uftenciles qui ferviront au Bain font
tellement difpofés que l'eau la plus bourbeafe peut
s'éclaircir en très- p
-peu de tems. De plus les tuyaux
font placés au réservoir de maniére qu'ils ne porteront
dans les chaudieres que l'eau bien épurée.
Les matières étrangeres à l'eau refteront au fond
des réfervoirs , qu'on nétoyera aisément tous les
jours .
L
4°. Nous penfons qu'il n'eft pas indifférent
MA I. 1761. 239
pour la falubrité du Bain que l'eau foit puilée prèlque
fur le champ : moins elle aura ceflé de couler
, plus elle doit être réputée falutaire .
5º. Une fortune trop bornée empêche beaucoup
de Malades de fe procurer ce reméde qui ne
peut que très - difficilement être fuppléé ; la modicité
du prix qu'exige le fieur Poitevin mettra
les Médecins à portée de l'ordonner plus fouvent.
Cette confidération feule nous fuffiroit pour encourager
le fieur Poitevin à mettre promptement
à exécution un projet auffi intéreſſant pour
le Public. Signé , VIEILLARD. HERISSANT , BELLOT.
BARBEU DU BOURG .
Meffieurs Vieillard , Heriffant , Bellot , & Barbeu
du Bourg , Docteurs- Régens & anciens Profeffeurs
de la Faculté de Medecine en l'Univerfité
de Paris , qui avoient été nommés par la Faculté
pour examiner le plan général & le projet du
fieur Poitevin , pour l'établiffement de Bains fur
la riviere de Seine au-deffus & au - deſſous de Paris
, en ayant fait leur rapport à la Faculté affemblée
le Samedi vingt- trois du préfent mois , elle
n'a pû qu'approuver ce qu'ils ont prononcé fur
l'utilité d'un pareil établillement à tous égards.
Pour raifon de quoi je lui ai délivré le préfent Extrait
de nos Commentaires.
A Paris ce 25 Août 1760. BOYER , Chevalier
de l'Ordre de S. Michel , Doyen de la Faculté de
Medecine de Paris.
Le projet donné par le fieur Poitevin ne peut
être qu'extrêmement utile , il préfente des avantages
& des commodités , qu'on ne trouve point
dans les autres Bains.
Fait à Versailles le 17 Septembre 1760. SENAC .
LASONE . BOUILHAC .
Si le projet du fieur Poitevin eſt exécuté , tel
qu'il eft annoncé dans ſon Mémoire , comme on
236 MERCURE DE FRANCE.
a lieu de s'en flatter , rien ne peut être plus útile au
Public que l'établiffement de pareils Bains a Paris
, furtout eu égard à la modicité du prix qu'il
fixe pour chaque Bain en particulier.
A Choify, le 3 Octobre 1760. LA MARTINIERE.
Après de femblables atteftations , il n'eft pas
poffible d'avoir le moindre doute fur l'utilité de f
cet établiffement. Le fieur Poitevin a imaginé des
foupapes d'une nouvelle nature , qui par leurs
pofitions dans les réfervoirs , & celle de la pompe
qui n'afpirera l'eau qu'à un pied & demi de la
furface , & la dégageront de toute impureté.
Rien ne fera épargné de ce qui peut contribuer
à la falubrité ; les baignoires font doublées de
plomb ; & quoiqu'il foit beaucoup moins difpen- t
dieux & plus commode de chauffer l'eau avec
des cilindres , l'on eft trop convaincu des mauvais
effets qui en résultent , pour ſe ſervir d'un
moyen qui rendroit le bain plus malfaiſant que
falutaire .
La décence y fera obfervée dans la plus exacte
régularité.
L'on pourra fe difpenfer de prévenir d'avance
pour prendre le bain , tout y fera difpofé pour
que le fervice fe faffe promptement . Cependant
les perfonnes qui voudront prendre des bains de
fuite & à la même heure , ne feront pas mal de
prévenir le feur Poitevin rue S. Honoré , à côté
de l'Opéra.
L'on fera bientôt à portée de fe convaincre de
toutes les commodités de cet établiſſement , que
l'on le propose de multiplier autant qu'il fera néceffaire
pour le fervice da Public .
Les voitures pourront approcher jufqu'aux
bains en paffant par la rue de Belle- Chaffe.
Le prix de chaque bain eft fixé à 3 live
I
G
0
C
C
I
M A I. 1761. 237
PROPRIÉTÉS & vertus drine Pommade d'Ours ,
- compofée par le fieur LAVAULT , demeurant à
l'entrée de la rue des Cordeliers , du côté de la rue
des Boucheries , au Bureau de l'Ecole Royale
Militaire , au troifiéme.
que
· L'étude le fieur LAVAULT a faire de la parfaite
connoillance de la nature des cheveux , eſt unpréjugé
favorable de la bonté de cette Pommade,
& doit lui mériter la confiance des perfonnes qui
voudront en faire usage. Il n'en eft point qui ne
puiflent participer au bien qu'elle produit .
Eile eft compofée de véritable graifle d'ours ,
non des parties ordinaires du corps de l'animal ,
mais feulement de la creigniere , qui eft la partie
de fon corps , dont la grade a le plus de vertus.
Cette graille mêlée avec quelques fimples choifis ,
lui donne la propriété d'empêcher les Cheveux .
de tomber , de les faire repouller, épaiffir ; &
enfin les conferve à quelque âge & de quelques
fexe que l'on foit ; quand même ils tomberoient
ou feroient tombés par maladie , petite vérole & c.
Elle a aut la vertu de guérir les douleurs de
tête , & eft très - bonne pour les douleurs extérieures
du corps, commerhumatifme, &c. en s'en frot
tant.
La maniére de s'en fervir eft très - fimple ; ilfaut
peigner foigneufement les cheveux , & frotter la
racine avec cette pommade ; & enfuite mettreun
peu de poudre par dellus ; il fuffira de s'en
frotter deux ou trois fois par Semaine , pour entretenir
les cheveux ; ce qui n'empêche point de fefervir
d'autres pommades , & d'être accommodé,
Quant aux perfonnes qui font peu garnies en
cheveux , il faut qu'elles fe fervent de ceste pommade
, pendant quelque tems pour pouvoir être
238 MERCURE DE FRANCE.
fûres du fuccès. Il y a peu de gens qui ne foient curieux
de conferver leur chevelure & de l'embellir.
Le prix de cette Pommade n'eft point aſſez confidérable
, pour croire qu'ils ne fallent plutôt cette
dépenfe , que de facrifier l'ornement naturel de
leur tête .
Il y a des pots de cete Pommade à 3 liv. & à
6 liv . Ceux qui s'en feront fervis , la regarderont
comme fouveraine.
Le fieur Lavault fera obferver qu'il ne fait
tous les mois qu'une petite quantité de cette
graiffe , afin d'être fûr de ſa fraîcheur en l'employant.
J'AI
APPROBATION.
' ai lu , par ordre de Monſeigneur le Chancelier,
le Mercure de Mai 1761 , & je n'y ai rien trouvé
qui puille en empêcher l'impreffion . A Paris ,
ce 29 Avril 1761. GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN Prose,
ARTICLE PREMIER.
ASSISES d'Apollon , Songe . A Mde..... Page 5
VERS à Madame la Marquiſe de V ** & c.
EPITRE à M. Rayolle d'Apt , en Provence.
Par M. l'Abbé Clement & c.
LETTRE de M. C ** à **.
PORTRAIT d'Homere.
A M . *** ,fur le mariage de Mlle de Renel
avec M. le Comte de Stainville.
19
21
24
26
29
MA I. 1761: 239
33
37
40
LETTRE à l'Auteur du Mercure. A R. en B... 30
ERITRE à Madame P. R. Exfermiere de la
Tèrre de.... en Bourgogne.
ÉPITRE à Mile ... qui avoit approuvé des
Vers , fur une matiére philoſophique.
REVERIES d'un Fumeur.
TRADUCTION d'une Lettre du Perfan Molack
à ſon ami Kurzim , au ſujet de l'hiftoire
de Sadi , envoyée à M. de Voltaire.
VERS , pour mettre au bas du Portrait de la
jeune Religieufe qui a traduit en Vers
François l'Öde d'Horace , inférée dans le
volume du Mercure de Mars , de l'année
derniére.
42
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
48
49 & 50
so
SI
ART. II. NOUVELLES
LITTÉRAIRES.
HISTOIRE de Philippe & d'Alexandre-le-
Grand , dédiée au Roi de Dannemarc.
Par le fieur de Bury.
LETTRE de l'Auteur du Mercure à Madame
la C.... D....
ANNONCES des Livres nouveaux.
53-
74
78 &fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIES.
EXTRAIT d'une Lettre de *** à MM les
Membres de l'Académie Royale & Littéraire
de la Ville de Caen &c.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS
UTILE S.
CHIRURGIE .
84
MEMOIRE fur une Queſtion Chirurgicale
240 MERCURE DE FRANCE
relative à la Jurifprudence. Par M. Louis
& c.
SCULPTURE.
ANALYSE des Réflexions de M. Falconet fur
la Sculpture & c .
ARTS AGRÉABLES .
GRAVURE. Belle Edition de Bocace.
ASTRONOMIE , OPTIQUE ,
HORLOGERIE.
DESCRIPTION & ufage de divers Ouvrages &
inventions de M. Paffemant, Ingénieur du
Roi.
MUSIQUE.
ARCHITECTURE .
LETTRE fur les Salles de Spectacle.
LETTRE de M. Lepaute , Horloger du Roi ,
à M. DE LA PLACE .
MECHANIQUE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure , fur le moyen
64
114
127
128
138
139
145
de refpirer fous l'eau .
ART. V. SPECTACLES.
OPERA .
COMÉDIE Françoiſe .
COMÉDIE Italienne.
148
167
172
173
EXTRAIT de Soliman II , oa les Sultanes , 184
REMARQUES fur la Comédie de Soliman.
ART, VI. Nouvelles Politiques.
203
205
MORTS. 225
EVENEMENS finguliers..
226
SUPPLEMENT a l'Article de la Mufique.
229
229 &juv.
Avis divers.
C
De Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis - a - vis la Comedie Françoiſe .
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROI.
JUIN. 1761 .
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine .
Papilion Sculp
Cochin
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à-vis la Comédie Françoife.
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais,
Avec Approbation & Privilége du Roi.

AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure, rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch, à côté du Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remet
tre , quant à la partie littéraire , à M.
DE LA PLACE , Auteur du Mercure .
Le prix de chaque volume eft de 36 fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols piéce .
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant & elles les recevront francs
de port.
>
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir,ou qui prendront les frais duport
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume,
c'est-à-dire 24 livres d'avance, en s'abonnant
pour 16 volumes.
-Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci-deſſus.
A ij
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en fɔit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pièces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
De la Place , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
JUI N. 1761 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE .
LUCINDE , CANTATE.
L
J
UCINDE , au printemps de fon âge ,
Méritoit de charmer les Mortels & les Dieux ;
Élève d'une Fée en un Palais fauvage ,
Elle ignoroit le pouvoir de fes yeux :
Le nom même d'amour étoit inconnu d'elle ;,
Ce Dieu voulut éclairer cette Belle.
Alcindor , écoute l'Amour :
Viens : fais luire un nouveau jour
A iij
2 MERCURE DE FRANCE;
Dans cette âme fimple & pure....
Tu parois ; ton air charmant
Fait germer le ſentiment
Qu'elle doit à la Nature.
Quelle eft , en le voyant , fa tendre émotion !
Tout le feu de l'amour a paffé dans ſon âme ;
Ses yeux font plus brillants ; un céleste rayon
L'embellit , l'éclaire & l'enflâme.
Les plaifirs des oifeaux lui femblent raviffans ;
Elle fe trouble , elle foupire ;
Et partout de l'amour reconnoiffant l'empire
Au Dieu qui pénétre les fens ,
Elle adreffe ces fons touchans.
Toi , dont je tiens un nouvel être ,
Tendre amour , régne fur mon coeur !
L'inftant qui te rend notre maître ,
Eft le moment du vrai bonheur.
Charmant objet de ma tendreffe ,
Oui , Charmant , je t'ai bien nommé !
Puilles-tu me chérir fans ceffe ,
Autant que tu feras aimé !
Toi , dont je tiens un nouvel être ,
Tendre amour , régne fur mon coeur ;
L'inftant qui te rend notre maître
Eft le moment du vrai bonheur.
Par M. LECLERC , de Nangis.
JUIN. 1761. ラ
VERS , fur la mort de Madame *** .
L'ORNEMENT de l'humanité,
L'efprit , la grâce , la beauté ,
L'âme fenfible , autant que bienfaifante ,
L'amie & le foutien des talens , des vertus ,
Qui d'un voile couverts , dans la poudre abbattus
Elévent en pleurant une voix gémiffante ,
Des Dieux enfin l'image fi touchante ,
N ***, quel nom j'ai prononcé !
N **
Il
meurt ,
...
& s'éteint dans mes larmes !
quoi... c'en eſt fait ?... tes beaux jours ont
paffé ! ...
Nos yeux ont vû flétrir la rofe de tes charmes ;
Ils les ont vû s'évanouir
Tels qu'un fonge léger , que le matin éfface ,
Dont à peine le fouvenir
Conferve quelque foible trace.....
Et ton dernier Soleil , de nuages chargé ,
Dans la nuit de la mort pour jamais s'eft plongé !
Que dis-je ? tu n'es plus ! ... hier , hier encore ,
En ta faveur les Arts bruloient un pur encens ,
Et comme à leur Déeffe ils t'offroient leurs préfens
.
Empreffés fous tes pas d'éclore ,
Tu recevois les doux tributs de Flore ;
Les Ris & les Jeux careſſans ,
A iw
ૐ MERCURE DE FRANCE:
Sembloient devoir , à tes voeux complaiſans , }
Eternifer le cours de ta brillante aurore ;
Les Amours couronnoient de myrthes immortels
Ton portrait qu' Amathonte adore ;
Leurs mains te dreffoient des Autels ....
Et la tombe aujourd'hui,t'enferme & te dévore !...
Quel Spectacle , grands Dieux ! ... tu n'entens point
nos cris
Egarés & perdus dans un vafte filence !....
Tu ne vois point ce deuil immenſe
Où la douleur retient nos fens anéantis !
Habitante , à jamais , d'une retraite horrible ,
Tu n'es qu'une cendre inſenſible ,
Sur qui la mort & le temps font affis !
Dans les détours affreux de ces demeures fombres
Où d'an flambeau lugubre , expire la clarté,
Où je crois voir de tout côté ,
Errer de lamentables ombres ,
Lieux où l'on cherche envain , l'Amour & la
beauté ,
Je t'appelle....un écho funébre & folitaire
Me répond du fond des tombeaux :
>> Ses deftins font remplis , le Ciel comble tes
>> maux.
» Elle ne verra plus ce Soleil qui t'éclaire....
Vous revivrez encor N *** : oui du trépas
Vous dompterez la fureur homicide ;
A la faulx meurtrière , & de crimes avide ,
Vous faurez arracher vos vertus , vos appass
JUIN. 1761 .
Oui , les Arts éplorés , & la Reconnoiffance
Porteront notre hommage aux fiécles à venir..
Tous les coeurs parleront de votre bienfaiſance ,
De ces traits enchanteurs qu'idolâtra la France ,
Ils aimeront à fe remplir.
Sous un morne chagrin fuccombante , accablée ,
La douleur fe cachant au jour ,
Embraffant votre Mauſolée ,
Préſentera votre image à l'Amour ;
A l'Amour , qui n'a pu de la Mort vous défendre
A fes pieds fon flambeau , fon carquois renversés ,
Tous les traits épars & brilés ,
De fon aîle ce Dieu couvrira votre cendre.
Les Grâces s'écriront : » la premiere de nous ,
» Celle qui raffembloit plus d'Amours fur fes
>> traces ,
» De la mort facrilége a reffenti les coups ,
» Dans N ***, la barbare a frappé les trois Grâces ?
Le front ceint de pâles foucis ,
Les neuf Sceurs gémiront fur leur plaintive lyre ,
Aux grottes du Parnaffe elles feront redire
Le nom cher des ****
>
Cette Amante des morts , aux tombeaux attachée
L'Elégie empruntant de plus fombres couleurs ,
N *** , fur votre urne panchée ,
L'arrofera d'intariffables pleurs.
Les ans refpecteront votre cyprès célèbre ;
Nos neveux touchés , attendris ,
En foupirant liront fur le marbre funèbre
AY
10 MERCURE DE FRANCE
Nos regrets , & nos vers , par nos larmes écrits...
Mais où m'égare un coeur que la trifteffe accable?
Ce lugubre appareil offenſe tes attraits ;
N**** je vois ton ombre aimable ,
Du riant Elysée habiter les boſquets ,
De fon bonheur fi pur s'enivrer à longs traits;
De fleurs immortelles parée ,
Des Mufes , des Amours , des Grâces entourée,
Elle préfide dans ces champs :
Tel un beau lys dont l'éclat nous enchante ;
Parmi les Filles du Printemps ,
Éléve fa tige brillante ;
Tu t'embellis de nouveaux agrémens .
Les Beautés à Paphos , au Pinde célébrées,
Qui jadis de la Gréce & de Rome adorées ,
Reçurent les refpects , & l'encens des humains
Celles que leurs talents divins .
Sur le Parnaffe ont illuftrées ,
Heloife , fenfible au-delà du trépas ,
Les féduifantes la Fayette ,
Sévigné , que le goût fuivit dans ces retraites
Toutes s'empreffent fur tes pas ,
Admirent leur Rivale , & l'aiment davantages.
Toutes rendent un double hommage.
A ton eſprit, ainſi qu'à tes appas .
Par M. ARNAUD , Confeiller d'Ambaſſade
du ROI DE POLOGNE , Electeur de Saxe.
JUI N. 1761.
II
COUPLET , à mettre en Chant..
Da mes plaifirs je ferai la geolière ,
Difoit Philis , fans confulter fon coeur ::
Faire un bouquet , le foin de ma volière ,
Chanter , danfer , fuffit à mon bonheur.
Amour vole , l'inftruit ; & la jeune Écolière ,
Dans le fein des plaifirs, fourit de fon erreur..
Par M. D. L. G
1
LETTRE de l'Auteur du MERCURE
à M. D. B.....
LAA Scène du Comte de Malicorne , &
du démon Mélanax , tirée de la Tragédie
Angloife du Duc de Guife , que j'ai donnée
dans le fecond volume d'Octobre
dernier , fait defirer , me dites - vous , Monfieur
, à plus d'un Amateur du Théâtre ,,
de mieux connoître cette Piéce , dont le
ftyle mâle a fçu plaire à fes Critiques;
mêmes. Cela peut être affez piquant , je
le conçois , furtout pour ceux qui regardent
le Théâtre d'un oeil un peu philofophique
, par conféquent curieux de voir
comment des objets auffi intéreffans pout
A vj
12 MERCURE DE FRANCE:
nous que le font ceux qui ont quelque
rapport à l'Hiftoire de la Ligue , ont été
envifagés par une Nation auffi rivale que
voifine , & dont les moeurs & la façon de
penfer femblent à tant d'égards fi peu
quadrer avec les nôtres.
Cette confidération feule , jointe à ce
que je crois devoir à la fagacité de vos
vues , va fans doute m'expofer encore à
la critique de nos Caillettes des deux féxes
( car il en eft du premier genre peutêtre
plus encore que de l'autre ! ) qui
foit par ignorance , foir par air , ou par
des motifs plus méprifables encore , ont
légérement frondé cette même Scène
de Malicorne , que vous - même & tant
d'autres avez cru devoir accueillir , ne
fût- ce qu'à titre de fingularité dramatique
, & dès- là digne d'être connue.
Mais , c'eſt à quoi tout Auteur doit
s'attendre , dans un fiécle où la fureur du
Bel- Efprit eft fi généralement répandue ;
où le ton décifif, l'efprit de Parti , les
cabales , & la frivolité , prononcent defpotiquement
fur le mérite & des Auteurs
& des Ouvrages. Trop heureux encore , fi
trouvant des Lecteurs affez juftes , allez
éclairés pour ne point tour rapporter à
notre goût, ainfi qu'à nos nos uſages , j'ai
du moins le bonheur de plaire à ce petit
JUIN. 1761 . 17
nombre de Juges refpectables, dont tout
Auteur honnête doit fe borner , dans ce
moment , à mériter l'eftime.
ANALYSE de la Tragédie du DUC DE
GUISE , traduite de l'Anglois de MM.
DRYDEN & LÉE.
N fait que les Poëtes Anglois dars
leurs Piéces de Théâtre , & furtout dans
les Piéces hiftoriques , ne font rien moins
que fcrupuleux obfervateurs de l'Unité
de lieu . Celle- ci commence par un Confeil
nocturne , où l'on voit les Seize
raffemblés, & difpofés à déférer la puiffance
fouveraine au Duc de Guife Ce Prince
arrive,accompagné du Cardinal de Guife ,
du Duc d'Aumale, & précédé par des flambeaux.
Il eft reçu avec acclamations , ne
confent qu'avec peine à remplir le fau
teuil qui lui étoit réfervé , & ne fe prêteà
leur deffein de faire la guèrre au Roi ,
que dans la crainte que fon Succeffeur
défigné ** ne mette l'héréfie fur le Tróne.
On fe détermine en conféquence à profi
ter de la premiere Proceffion de Pénitens
* Les Chefs des 16 Quartiers de Paris , dévoués,
aux Guifes.
** Henri IV..
14
MERCURE
DE
FRANCE
.
que
doit faire Henri III. dans Paris, pour
fe faifir de ce Monarque , & le confiner
dans un Cloître. Les détails de ces Scènes
, où la licence Angloife ne s'eft point
épargnée , met le Spectateur affez adroitement
au fait de tout ce qu'il doit favoir
pour l'intelligence de la Piéce , peignent
avec énergie le Fanatifme de ces
temps malheureux , & dont les deux Auteurs
Anglois femblent s'attacher uniquement
à faire tomber tout le blâme
fur le Cardinal de Guife , & fur le Curé de
S.Euftache. Le Duc de Guife congédie les
Ligueurs, en difant qu'il va dans fon Gour
vernement raffembler fes troupes ; &
charge Buffy- le- Clerc, l'un des Seize, &des
plus fameux rebelles , de les faire introduire
dans Paris , par la Porte S. Honoré,
dont il difpofe.
Le Théâtre change. Le Comte de Malicorne
, qui s'eft donné au diable * il y
a douze ans , & qui dit en avoir encore
neuf à vivre , eft inquiet de la deſtinée
du Duc de Guife fon héros. Il entend du
bruit , & frémit .... C'eft le démon Mélanax.
* Cette Tradition populaire fe trouve dans les
Mémoires de la Ligue , & dans les Hiftoires tragiques
de du Roffet , en la vie de Canope.
JUIN. 1761: IS
MALICORNE.
?
Eh bien que viens -tu m'annoncer 2
Que dirai - je à Guife ? Quel avis dois - je
lui donner ?
MÉLANA X.
Qu'il fonge qu'un Sujet révolté ne doit
jamais temporifer avec fon Roi , qu'au
moment qu'il tire l'épée , il doit en brifer
le fourreau ; que le tombeau termine
, & couvre tout ; que le fang , en un
mot , peut feul l'élever jufqu'au Trône ;
qu'il ait l'air de s'humilier devant fon
Maître , pour lui porter des coups d'autant
plus fûrs ; que l'Ufurpateur heureux
fubjugue enfin les âmes les plus fermes
force le Sort même à le fervir , & à confacrer
fes forfaits.
Le Fantôme difparoît à ces mots. Ma
licorne fe hâte d'aller chercher le Duc
de Guife , qui arrive d'un autre côté avec
le Duc de Mayenne.
SCENE V I.
LE DUC DE MAYENNE.
Le
3
E Roi ne diffimule plus, Seigneur. Les
dignités & les plus grands emplois fe
donnent à nos plus mortels ennemis.
Mais duffions- nous pouvoir encore trom
G MERCURE DE FRANCE.
per ce Prince , & le forcer de revenir à
nous fongeons furtout que Catherine *
nous obſerve , & ne fçut jamais pardonner
!
LE DUC DE GUISE.
Déteftable femme ! ... Elle ne connoîtra
la Paix , qu'après avoir vu tomber à
Les pieds toutes nos têtes.
MAYENNE.
J'admire vos tranſports , au feul nom
de cette Furie ! Vous les infpirez même
à vos amis tandis que , chez le Roi , votre
maintien , vos yeux , votre voix même
, tout annonce en vous la modération
la plus ftoïque , & le détachement le plus.
parfait... Seigneur , je ne faurois m'y faire
je vois toujours en vous deux perfonnages
différens.
-
GUISE.
Soyez en moins furpris. Libre avec.
ceux qui me font attachés , je dis fans
fard ce que je penfe ; & le dis d'autant
mieux , que je vois fouvent mieux qu'ua
autre. Avantage pourtant , que je ne dois
qu'à l'heureuſe conformation de mes organes
, & dont je ne me prévaus pas plus
que de ces rares facultés du corps que
* Catherine de Médicis.
**
** Le Duc de Guife le précipitoit quelquefois
tout armé dans la Seine ou dans la Loire , & le
plaifoit à nager contre le courant du fleuve.
JUIN. 1761 .
17
vous-même avez fi fouvent admirées. C'eft
ła Nature que j'en loue. Elle feule me
fait fentir que chez le Roi , parmi mes
ennemis , je dois m'obferver plus qu'un
autre , fi je ne veux reffembler à Crillon :
c'est- à-dire , au plus ardent , au plus honnéte
, au plus vaillant des fous de ce
Royaume.
MAYENNE.
Je vous connois pourtant une foibleffe.
Vous aimez Marmoutier * .... Et fi la
Politique a tout à redouter des paffions ;
l'Amour , Seigneur , ne vous paroît- il pas
à craindre ?
GUISE.
Il peut l'être , fans doute . Mais , Seigneur,
connoiffez mieux Guife.... Si je
croyois ne pas aimer en Marmoutier tout
ce que la Nature a jamais produit de plus
eftimable , elle ne pourroit rien fur moi.
Mais fon âme , ainfi que la mienne , eft
au- deffus de toutes les foibleffes de fon
féxe ; & fa figure eft digne de fon âme.
MAYENNE.
Ainfi , tous nos fecrets lui font connus.
GUISE.
J'ai tout tenté , pour les lui dérober.
Elle a fuivi , fans fe laffer , toutes mes tra-
* Niéce de Crillon , Colonel des Gardes..
8 MERCURE DE FRANCE:
ces , combiné mes démarches les plus obf
cures , connu mes mouvemens les plus ſecrets;
elle a fçu rapprocher les circonftances
les plus indifférentes aux yeux vulgaires;
elle les a pefées , mon cher Mayenne
, avec une fagacité, qui m'a déconcerté
cent fois !... Que vous dirai -je enfin ?
malgré tous mes déguiſemens , tous mes
détours les plus adroits , fon oeil perçant
n'a jamais pris le change ; il a lû dans
mon âme , il en a pénétré tous les replis...
Je me fuis vû vaincu , fans pouvoir
hair mon vainqueur !
MAYENNE.
Nous fommes donc perdus.
GUISE.
Vous vous trompez encore. Quoique
plus pure que les Anges mêmes, je ferois
moins furpris de la voir céder à mes feux,
que de me voir trahi par elle... Je vous
l'ai dit c'eft un caractére célefte ; & fa
bonté , fa magnanimité l'emporte encore
fur toutes les vertus... Mais , elle vient?...
Tandis que Malicorne achève les dépêches
qui doivent précéder mon audience
de congé , envoyez-moi le Cardinal de
Guife.
JUIN. 1761 .
19
SCENE VII.
LE DUC DE GUISE. Mlle MARMOU
TIER.
Mlle M AR MOUTIER.
C'EN eft fait, Guife... vous êtes perdu.
GUISE.
Moi , Madame ?
MARMOUTIER .
Vous- même ... Mais , vous l'avez voulu ...
Mourez.
GUISE.
Cette menace vient de vous , Madame....
d'une autre bouche que la vôtre , Guife en
feroit très- peu touché .
MARMOUTIER .
Qui vous force à quitter la Cour ?
GUISE .
L'exemple ... Elle me quitte.
MARMOUTIER .
Scipion quitta Rome , en l'accufant
d'ingratitude , mais fans fonger à l'en
punir un procédé fi digne d'un grand
homme auroit dequoi vous illuftrer , Seigneur...
Mais cette efpéce de courage eft
au-delà de vos idées : Guife tient trop du
to MERCURE DE FRANCE.
caractère vain & féditieux de fon fiécle
Il ne me refte qu'à gémir fur les malheurs
qu'il va devoir à fon aveugle ambition .
GUISE.
Quoi ! le Roi me rejette , affecte d'ou
blier mon nom & mes fervices ; & je n'oferois
le quitter lui- même ? ... ou plutôt
lorfque fes Mignons paroiffent affecter
infolemment d'avoir juré ma perte ; lorfque
je puis les en punir, en me jettant aux
pieds de ce Monarque , en lui montrant
toute l'indignité de leurs complots : vous
prétendez que je n'en fafle rien ? ...il
faut donc , lâchement , céder à toutes
leurs fureurs ?
MARMOUTIER.
Soyez plus fincère , Seigneur , ou permettez
que je le fois.Vous pourrez tomber
à fes pieds ; mais vous en voulez à fa tête.
Vous vous déguiferiez en vain , Guife ; je
vous connois! C'eft en frappant cette tête
facrée
que vous croyez uniquement pouvoir
trouver l'impunité de tous vos attencats.
GUISE.
C'est m'offenſer , Madame ; & quels
que foient mes déplaifirs fecrets, je fais ce
que je dois à fa perfonne.
MARMOUTIER.
Que ne puis-je le croire !.... Mais puisJUIN.
1781.
"
je encore douter de vos deffeins , quand
chaque jour , quand chaque inſtant me
montre Guife environné d'une populace
rebelle , conférer chaque jour avec des
traîtres , leur faire baffement fa cour .
mandier la faveur & l'encens des Seize ?
Puis-je ignorer leurs comités fecrets , leurs
vers infâmes , leurs libelles clandeftins , leurs
complots ténébreux , dont le feul but eft de
vous élever en foulevant Paris contre fon
Roi ? me nierez - vous que ces ardens Conf
pirateurs portent ſans ceſſe juſqu'aux cieux
le nom de Guife; & que lui-même,fans rougir
, jouit du culte auffi bas qu'infenfé
que rend Paris à fon Idole ?
GUISE.
Soyez jufte, dumoins, Madame.... ai -je
pû m'y fouftraire ?
MARMOUTIER
.
Oui , Seigneur en fuyant ; en vous cachant,
plutôt que d'avoir l'air de vous prêter
à de fi viles flatteries .... Mais Guife en
eft avide ; mais Guife les recherche & les
excite , & fes partifans les font naître ;
fon orgueil s'en nourrit ; elles fervent à
fes projets. Que dis je ? un méprifable éffain
d'apologiftes mercénaires , de fatyriques
foudoyés , n'a d'autre emploi que
d'éxagérer fes vertus , ainfi que les victoires
, de ne voir en lui qu'un nouveau Das
11 MERCURE DE FRANCE:
vid,que le dernier foutien de la Religion,
que le feul protecteur enfin & le Libérateur
du Peuple. Lâches François , indignes
de leur nom ! qui peu contens d'avoir ing
difpofé , d'avoir aigri le Roi contre fa Capitale,
portent leurs perfides clameurs aux
extrémités même du Royaume, y font circuler
leurs allarmes , y peignent la Reli
gion détruite & l'État renversé, fi tout ne
fe foumet , fi tout ne fe dévoue à Guiſer
Déjà le Roi , fi l'on veut les en croire , eft
dans le coeur plus Proteftant que Bèze même
; & veut , malgré les loix , lailler le
fcèptre au Prince de Navarre. Je vois,j'entends
partout le Fanatifme furieux crier
aux armes , exciter le peuple crédule à
blafphémer contre fon Roi , à l'arracher
du Trône , à menacer même fa vie ! ... Er
c'eſt Guife qui les excite ! c'eſt Guife qui
les encourage , qui les protége , & fe
noircit de tant d'horreurs ! ... Ah, Prince !
Ah , juſte Ciel ! .... ( Elle tombe à ses
pieds. )
GUISE.
Madame ! .. Quel tranfport ? ... Eh ;
pourquoi donc cette pofture ?
MARMOUTIER.
Seigneur , il faut m'entendre ! il faut ,
s'il eft encore poffible , que je parvienne
à vous toucher , àvous faire fentir l'énor
JUIN. 1761. 28
-1
le Roi
-mité de vos forfaits. Peut- être en eft- il
temps encore : ouvrez les yeux ;
peut encore pardonner : ne rifquez pas
de laffer fa clémence ; implorez - la ; j'oſe
vous en répondre ; & mes larmes vous
en conjurent ! .. Au nom de mes foupirs ;
de cet ambitieux amour que vous avez
pour moi , au nom des maux qui font
gémir votre malheureuſe Patrie ; domptez,
Seigneur ; faites du moins plier cet aveugle
orgueil qui vous perd ! tombez aux
pieds du plus généreux des Monarques :
qu'il voye enfin l'obstiné Guife repentant ;
votre pardon eft prêt , & la France eft
fauvée.
GUISE , en la relevant.
Divine Marmoutier !... Tu m'as vaincu!
Quel coeur pourroit réfifter à tes larmes ?
mon ambition même y céde ; & tu me
rends à mes devoirs .... Sèche tes pleurs :
je te promets de voir le Roi ; j'en obtiendrai
ma grâce , avant que de partir pour la
Champagne ; & tu peux y compter.
MARMOUTIER.
Non , Seigneur ! non ! vous voulez end
core me tromper : je vois le but de ce
voyage. Vous ne voulez que raffembler
vos forces ; & revenir , plus redoutable
encore , vous joindre aux ſeize Conjurés...
Seigneur , vous ne partirez point.
MERCURE DE FRANCE
vid,que le dernier foutien de la Religion,
que le feul protecteur enfin & le Libéra
teur du Peuple. Lâches François , indignes
de leur nom ! qui peu contens d'avoir ing
difpofé , d'avoir aigri le Roi contre fa Capitale,
portent leurs perfides clameurs aux
extrémités même du Royaume, y font circuler
leurs allarmes , y peignent la Reli
gion détruite & l'Etat renversé, fi tout ne
fe foumet , fi tout ne fe dévoue à Guife
Déjà le Roi , fi l'on veut les en croire , eft
dans le coeur plus Proteftant que Bèze même
; & veut , malgré les loix , laiffer le
fcèptre au Prince de Navarre. Je vois,j'entends
partout le Fanatifme furieux crier
aux armes , exciter le peuple crédule à
blafphémer contre fon Roi , à l'arracher
du Trône , à menacer même fa vie ! ... Et
c'eſt Guife qui les excite ! c'eft Guife qui
les encourage , qui les protége , & fe
noircit de tant d'horreurs ! ... Ah, Prince !
Ah , juſte Ciel ! .... ( Elle tombe à fes
pieds. )
GUISE.
Madame ! .. Quel tranfport ? ...Eh ;
pourquoi donc cette pofture ?
MARMOUTIER.
Seigneur , il faut m'entendre ! il faut ;
s'il eft encore poffible , que je parvienne
à vous toucher , à vous faire fentir l'énor
JUIN. 1761. 25
mité de vos forfaits. Peut- être en eft- il
temps encore : ouvrez les yeux ; le Roi
peut encore pardonner : ne rifquez pas
de laffer fa clémence ; implorez - la ; j'ofe
vous en répondre ; & mes larmes vous
en conjurent ! .. Au nom de mes foupirs ;
de cet ambitieux amour que vous avez
pour moi , au nom des maux qui font
gémir votre malheureuſe Patrie ; domptez,
Seigneur ; faites du moins plier cet aveugle
orgueil qui vous perd ! tombez aux
pieds du plus généreux des Monarques :
qu'il voye enfin l'obstiné Guife repentant ;
votre pardon eft prêt , & la France eft
fauvée.
GUISE , en la relevant.
Divine Marmoutier ! ... Tu m'as vaincu!.
Quel coeur pourroit réfifter à tes larmes ?
mon ambition même y céde ; & tu me
rends à mes devoirs.... Sèche tes pleurs :
je te promets de voir le Roi; j'en obtiendrai
ma grâce , avant que de partir pour la
Champagne ; & tu peux y compter.
MARMOUTIER .
Non , Seigneur ! non ! vous voulez end
core me tromper : je vois le but de ce
voyage . Vous ne voulez que raffembler
vos forces ; & revenir , plus redoutable
encore , vous ioindre aux feize Conjurés ...
Seigneur , vous ne partirez point.
MERCURE DE FRANCE
vid,que le dernier foutien de la Religion,
que le feul protecteur enfin & le Libérateur
du Peuple. Lâches François , indignes
de leur nom ! qui peu contens d'avoir ing
difpofé , d'avoir aigri le Roi contre ſa Capitale
, portent leurs perfides clameurs aux
extrémités même du Royaume, y font circuler
leurs allarmes , y peignent la Reli
gion détruite & l'Etat renversé, fi tout ne
fe foumet , fi tout ne fe dévoue à Guiſer
Déjà le Roi , fi l'on veut les en croire , eft
dans le coeur plus Proteftant que Bèze même
; & veut , malgré les loix , lailler le
ſcèptre au Prince de Navarre. Je vois, j'entends
partout le Fanatifme furieux crier
aux armes , exciter le peuple crédule à
blafphémer contre fon Roi , à l'arracher
du Trône , à menacer même fa vie ! ... Et
c'eft Guife qui les excite ! c'eft Guiſe qui
les encourage , qui les protége , & fe
noircit de tant d'horreurs ! ... Ah, Prince !
Ah , jufte Ciel ! .... ( Elle tombe à fes
pieds. )
GUISE.
Madame ! .. Quel tranfport ? ... Eh ,
pourquoi donc cette pofture ?
MARMOUTIER.
Seigneur , il faut m'entendre ! il faut ;
s'il eft encore poffible , que je parvienne
à vous toucher , à vous faire fentir l'énor
JUIN. 1761. 25
mité de vos forfaits. Peut- être en eft-il
temps encore : ouvrez les yeux ; le Roi
peut encore pardonner : ne rifquez pas
de laffer fa clémence ; implorez - la ; j'ofe
vous en répondre ; & mes larmes vous
en conjurent ! .. Au nom de mes foupirs ;
de cet ambitieux amour que vous avez
pour moi , au nom des maux qui font
gémir votre malheureuſe Patrie ; domptez,
Seigneur ; faites du moins plier cet aveugle
orgueil qui vous perd ! tombez aux
pieds du plus généreux des Monarques :
qu'il voye enfin l'obstiné Guife repentant ;
votre pardon eft prêt , & la France eft
fauvée.
GUISE , en la relevant.
Divine Marmoutier ! ... Tu m'as vaincu !
Quel coeur pourroit réfifter à tes larmes ?
mon ambition même y céde ; & tu me
rends à mes devoirs.... Sèche tes pleurs :
je te promets de voir le Roi ; j'en obtiendrai
ma grâce , avant que de partir pour la
Champagne ; & tu peux y compter.
MARMOUTIER .
que
Non , Seigneur ! non ! vous voulez encore
me tromper : je vois le but de ce
voyage. Vous ne voulez raffembler
vos forces ; & revenir , plus redoutable
encore , vous joindre aux feize Conjurés...
Seigneur , vous ne partirez point.
MERCURE DE FRANCE
vid,que le dernier foutien de la Religion,
que le feul protecteur enfin & le Libéra
teur du Peuple. Lâches François , indignes
de leur nom ! qui peu contens d'avoir in
difpofé , d'avoir aigri le Roi contre ſa Capitale,
portent leurs perfides clameurs aux
extrémités même du Royaume, y font circuler
leurs allarmes , y peignent la Reli
gion détruite & l'État renverfé, fi tout ne
fe foumet , fi tout ne fe dévoue à Guiſea
Déjà le Roi , fi l'on veut les en croire , eft
dans le coeur plus Proteftant que Bèze même
; & veut , malgré les loix , laiffer le
ſcèptre au Prince de Navarre. Je vois, j'entends
partout le Fanatifme furieux crier
aux armes , exciter le peuple crédule à
blafphémer contre fon Roi , à l'arracher
du Trône , à menacer même fa vie ! ... Et
c'eſt Guife qui les excite ! c'eſt Guise qui
les encourage , qui les protége , & ſe
noircit de tant d'horreurs ! ... Ah, Prince !
Ah , jufte Ciel ! .... ( Elle tombe à fes
pieds . )
GUISE .
Madame ! .. Quel transport ? ...Eh ;
pourquoi donc cette poſture ?
MARMOUTIER.
Seigneur , il faut m'entendre ! il faut ,
s'il eft encore poffible , que je parvienne
à vous toucher , à vous faire fentir l'énor
JUIN. 1761. 25
mité de vos forfaits. Peut- être en eft- il
temps encore : ouvrez les yeux ; le Roi
peut encore pardonner : ne rifquez pas
de laffer fa clémence ; implorez- la ; j'ofe
vous en répondre ; & mes larmes vous
en conjurent ! .. Au nom de mes foupirs ;
de cet ambitieux amour que vous avez
pour moi , au nom des maux qui font
gémir votre malheureuſe Patrie ; domptez,
Seigneur ; faites du moins plier cet aveugle
orgueil qui vous perd ! tombez aux
pieds du plus généreux des Monarques :
qu'il voye enfin l'obstiné Guife repentant ;
votre pardon eft prêt , & la France eft
fauvée.
GUISE , en la relevant.
Divine Marmoutier ! ... Tu m'as vaincu !..
Quel coeur pourroit réſiſter à tes larmes ?
mon ambition même y céde ; & tu me
rends à mes devoirs .... Sèche tes pleurs :
je te promets de voir le Roi; j'en obtiendrai
ma grâce , avant que de partir pour la
Champagne ; & tu peux y compter.
MARMOUTIER .
Non , Seigneur ! non ! vous voulez end
core me tromper : je vois le but de ce
voyage. Vous ne voulez que raffembler
vos forces ; & revenir , plus redoutable
encore , vous oindre aux feize Conjurés...
Seigneur , vous ne partirez point.
MERCURE DE FRANCE
vid,que le dernier foutien de la Religion,
que le feul protecteur enfin & le Libérat
teur du Peuple. Lâches François , indignes
de leur nom ! qui peu contens d'avoir in
difpofé , d'avoir aigri le Roi contre fa Capitale,
portent leurs perfides clameurs aux
extrémités même du Royaume, y font circuler
leurs allarmes , y peignent la Reli
gion détruite & l'Etat renversé, fi tout ne
fe foumet , fi tout ne fe dévoue à Guiſe
Déjà le Roi , fi l'on veut les en croire , eft
dans le coeur plus Proteftant que Bèze même
; & veut , malgré les loix , laiйer le
fcèptre au Prince de Navarre. Je vois,j'entends
partout le Fanatifme furieux crier
aux armes , exciter le peuple crédule à
blafphémer contre fon Roi , à l'arracher
du Trône , à menacer même fa vie ! ... Et
c'eſt Guiſe qui les excite ! c'eft Guise qui
les encourage , qui les protége , & fe
noircit de tant d'horreurs ! ... Ah, Prince !
Ah , jufte Ciel ! ....( Elle tombe à fes
pieds . )
GUISE.
Madame ! .. Quel tranfport : ...Eh ;
pourquoi donc cette pofture ?
MARMOUTIER.
Seigneur , il faut m'entendre ! il faut ,
s'il eft encore poffible , que je parvienne
à vous toucher , à vous faire fentir l'énors
JUIN. 1761. 28'
mité de vos forfaits . Peut- être en eft-il
temps encore : ouvrez les yeux ; le Roi
peut encore pardonner : ne rifquez pas
de laffer fa clémence ; implorez -la ; j'ofe
vous en répondre ; & mes larmes vous
en conjurent ! .. Au nom de mes foupirs ;
de cet ambitieux amour que vous avez
pour moi , au nom des maux qui font
gémir votre malheureuſe Patrie ; domptez,
Seigneur ; faites du moins plier cet aveugle
orgueil qui vous perd ! tombez aux
pieds du plus généreux des Monarques :
qu'il voye enfin l'obstiné Guife repentant ;
votre pardon eft prêt , & la France eft
fauvée.
GUISE , en la relevant.
Divine Marmoutier !... Tu m'as vaincu! ..
Quel coeur pourroit réfifter à tes larmes ?
mon ambition même y céde ; & tu me
rends à mes devoirs .... Sèche tes pleurs :
je te promets de voir le Roi; j'en obtiendrai
ma grâce , avant que de partir pour la
Champagne ; & tu peux y compter .
MARMOUTIER .
Non , Seigneur ! non ! vous voulez end
core me tromper : je vois le but de ce
voyage. Vous ne voulez que raffembler
vos forces ; & revenir , plus redoutable
encore , vous joindre aux feize Conjurés ..
Seigneur , vous ne partirez point.
MERCURE DE FRANCE
vid, que
le dernier foutien de la Religion,
que le feul protecteur enfin & le Libérateur
du Peuple. Lâches François , indignes
de leur nom ! qui peu contens d'avoir in
difpofé , d'avoir aigri le Roi contre fa Capitale,
portent leurs perfides clameurs aux
extrémités même du Royaume,y font circuler
leurs allarmes , y peignent la Reli
gion détruite & l'État renversé, fi tout ne
fe foumet , fi tout ne fe dévoue à Guiſe
Déjà le Roi , fi l'on veut les en croire , eft
dans le coeur plus Proteftant que Bèze même
; & veut , malgré les loix , laiйfer le
fcèptre au Prince de Navarre. Je vois,j'entends
partout le Fanatifme furieux crier
aux armes , exciter le peuple crédule à
blafphémer contre fon Roi , à l'arracher
du Trône , à menacer même fa vie ! ... Et
c'eſt Guife qui les excite ! c'eſt Guise qui
les encourage , qui les protége , & fe
noircit de tant d'horreurs ! ... Ah, Prince !
Ah , jufte Ciel ! .... ( Elle tombe à fes
pieds . )
GUISE.
Madame ! .. Quel transport ? ... Eh
pourquoi donc cette pofture ?
MARMOUTIER.
Seigneur , il faut m'entendre ! il faut ;
s'il eft encore poffible , que je parvienne
à vous toucher , à vous faire fentir l'énor
;
JUIN. 1761. 25'
mité de vos.forfaits. Peut- être en eft- il
temps encore : ouvrez les yeux ; le Roi
peut encore pardonner : ne rifquez pas
de laffer fa clémence ; implorez -la ; j'ofe
vous en répondre ; & mes larmes vous
en conjurent !.. Au nom de mes foupirs ;
de cet ambitieux amour que vous avez
pour moi , au nom des maux qui font
gémir votre malheureuſe Patrie ; domptez,
Seigneur ; faites du moins plier cet aveugle
orgueil qui vous perd ! tombez aux
pieds du plus généreux des Monarques :
qu'il voye enfin l'obſtiné Guiſe repentant ;
votre pardon eft prêt , & la France eft
fauvée .
GUISE , en la relevant.
Divine Marmoutier !... Tu m'as vaincu!.
Quel coeur pourroit réfifter à tes larmes ?
mon ambition même y céde ; & tu me
rends à mes devoirs .... Sèche tes pleurs :
je te promets de voir le Roi; j'en obtiendrai
ma grâce , avant que de partir pour la
Champagne ; & tu peux y compter.
MARMOUTIER .
Non , Seigneur ! non ! vous voulez end
core me tromper : je vois le but de ce
voyage. Vous ne voulez que raffembler
vos forces ; & revenir , plus redoutable
encore , vous joindre aux feize Conjurés...
Seigneur , vous ne partirez point.
54 MERCURE DE FRANCE 24
GUISE.
Ma parole eft donnée .... Les principa
les Têtes de la Ligue exigent ce voyage ;
& je ne puis m'en difpenfer.
MARMOUTIER.
Les principales Têtes de la Ligue ? . ::
Que ne puis - je les voir tomber ! Leur
chûte fauveroit la vôtre ... Encore
un coup , Seigneur , écoutez- moi ! ....
C'est Marmoutier ; ce font fes larmes
qui vous défendent de partir.
GUISE.
Faut- il que Guife foit forcé de vous répondre,
qu'à cet égard... il ne fauroit vous
obéir.
MARMOUTIER.
Partez donc.... Mais commencez par
lire cette lettre ... Vous y verrez que le
Roi m'aime , & les biens qui me font offerts
.... Si vous partez , je me rends à la
Cour.
GUISE.
Vous , Madame ? ... Vous à la Cour !...
Oubliez- vous l'affreux tableau que vous
m'en avez fait cent fois ?
MARMOUTIER.
2 Sei- J'ai pû changer de fentiment
gneur.... Un Koi , fouvent, fait de plus
grands miracles ; furtout quand fa grandeur
, quand la bonté font mieux connues
JUIN. 1761 . 25
hues quand mille autres vertus enfin
femblent le réunir pour flatter un coeur
qui les aime , & juftifier notre choix.
je
GUISE , après un moment defilence.
Vous me trompez , à votre tour ....
vous connois , Madame ; & ne puis craindre
ce voyage.
MARMOUTIER.
Eh bien , Seigneur, partez ,& vous l'oſez,
GUISE.
Je partirai , Madame.
MARMOUTIER .
Et je me rends auprès du Roi.
GUISE.
Vous n'oferez .... Non ! yous ne le
pourrez , Madame.
MARMOUTIER.
Je l'oferai , je le defire même... Vous
feul , Seigneur , en reftant à Paris , pouvez
encore m'en détourner... Mais l'inf
tant de votre départ , fera celui du mien ...
Si vous allez prendre congé, vous me ver
rez au pied du Trône.
26 MERCURE DE FRANCE:
SCENE VIII.
LE DUC DE GUISE , feul.
Qu
UEL Coup de foudre * ! ... Mais , c'eft
pour m'éprouver fans doute. C'est une intrigue
de la Régente , pour faire avorter
mes projets . L'Amour a toujours bien ſervi
fa noire Politique.... Lâches ** ! vous
fentirez bientôt le poids affreux de ma
vengeance.
Fin du premier Acte.
* Il relit la lettre.
** Il la déchire .
VERS fur le mariage de M. le Comte
de STAINVILLE .
Qu
Un mes yeux , Couple heureux , n'ont-ils p
voir vos fêtes !
La gloire avec l'hymen debout devant l'autel ,
Pour voile nuptial a tenu fur vos têtes ,
Les lauriers cueillis vers Caffel.
Par la MUSE LIMONADIERE.
JUIN. 1761. 27
VERS à Leurs Alteſſes Séréniffimes ELECTORALES
PALATINES , par M.
HARDUIN , Secrétaire perpétuel de la
Société Littéraire d'Arras , fur la groffeffe
de Madame l'Electrice , déclarée à
la fin de Mars 1761 , après dix- neuf
ans de mariage.
Toous les jours l'arbitre du Monde ,
Des plus obfcurs époux rend la couche féconde.
Cent tyrans de la Tèrre , & la honte & l'horreur ,
Eux qui jamais n'auroient dû naître ,
De voir renouveller leur être
Ont goûté le charme flatteur.
Vivrez-vous donc , fans le connoître ,
O vous , généreux Souverains ,
Qu'occupe à chaque inſtant le bonheur des Humains
?
Non , non ; un fortuné préſage
Annonce enfin le jour fi longtemps attendu ;
Déjà de rivage en rivage ,
La Renommée a répandu
Que par un don de l'Hymenée ,
Votre union bientôt doit être couronnée.
Déjà dans l'avenir vos Peuples fatisfaits ,
Bij
S MERCURE DE FRANCE.
De ce don précieux contemplent les effets :
Pour nos fils , difent- ils , quel favorable augure !
Comme nous ils feront heureux .
Que le temps employé par l'avare Nature
A produire ce fruit des plus illuftres noeuds ,
De fa perfection puiffe être la mefure !
Que fur lui tous les Dieux épuifent leurs bienfaits ;
Que les Grâces forment fes traits :
Par Minerve animé d'une célefte flâme ,
Que toutes les vertus enrichiffent fon âme :
Qu'Apollon.... Mais que fais-je ? & pourquoi dans
mes Vers ,
Offrir de mille voeux divers
Le pompeux & vain étalage?
Pour fa gloire , auguftes Epoux ,
Je ne fais qu'un feul vou , qui les renferme tous :
Que cet Enfant foit votre image.
4 Madame CHAMP .....
Au fond d'un bois , l'autre jour
Je me livrois à la rime ;
Quand je vis avec l'Amour ,
Le Dieu de la double cime,
Dabord l'enfant de Paphos ,
Pour prendre quelque repos ,
Se mit à plier fes ailes,
JUÍN. 1761
Et pour entrer en propos ,
Au Souverain de Délos ,
Il demanda des nouvelles.
Depuis peu , dit Apollon ,
Une Mufe jeune & belle
Örne le facré vallon , '
Et s'élève à tire d'aîle ,
Au fommet de l'hélicon
Eh ! dis- moi ... quel eft fon nom ?
Son nom Oh ! c'eſt un myſtère:
J'ai mes raifons pour le taire.
Soit , reprit le traître enfant ,
Qu'en fecret ce refus bleſſe.
Mais cet objet t'intéreffe ,
A le rendre triomphant :
Permers donc que je m'empreffe
Et par un accord charmant ,
Infpirons- lui , je te prie ,
Moi , les vers de fentiment ,
Et toi , les vers de génie.
Or, ça fais-moi fon portrait.
Ah ! volontiers : trait pour trait ,
En deux mots , je vais le faire,
Elle unit à la beauté
La douceur du caractére ;
Et pofféde l'art de plaire ,
Sans en tirer vanité.
C'eſt la Reine de Cythère ,
B iij
go MERCURE DE FRANCE
Par la taille & le fouris ;
Et foit dit fans te déplaire ,
Ies Grâces , les Jeux , les Ris ,
S'y feroient fouvent mépris ,
Sans certain air de fageſſe ,
Que n'eut jamais la Déeffe.
Ça , devine , mon mignon.
Parbleu , dit le Compagnon,
Diffimulant fa colére ,
Votre Enigme eft affez claire :
Qui ne fçait pas que Champ....
Peut feule éffacer ma mère.
ENVO 1.
Pour vous rendre en vers brillans ;
Ce que vous venez de lire
Sur vous & fur vos talens ,
Il m'eût fallu votre lyre .
ParM. BRUNET, de l'Extraordinaire des Guerres.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
E vous offris , Monfieur , fur la fin de
l'année derniére quelques morceaux d'Hiftoire
ou de Belles- Lettres , pour votre
Journal. Mon unique objet étoit de vous
foulager du fardeau néceffaire que vous
impofe l'Edition de feize Volumes . Ma
JUIN. 1761 . 37
il
mauvaife fanté m'a empêché d'agir plutôt
, en conféquence de mes offres .
D'ailleurs chaque état ayant fa vétérance
, ce droit ne doit- il pas être commun
à ceux qui fuivent celui des Lettres ?
Vous favez que dans les circonftances où
l'on craint que la Marine Ottomane ne
menace Malthe , le Grand- Maître ne cite
d'obligation que les Chevaliers au-deffous
de foixante ans. Parvenus à cet âge ,
leur laiffe la liberté de confulter , non
pas leur courage , leur amour pour leur
Patrie adoptive , cette foif infatiable de
diftinction qui caractériſe la Nobleſſe ,
mais leur fanté & leurs forces. Je touche
à peu d'années près , à ce terme fatal
d'une malheureuſe difpenfe . Si l'on eft
maître alors de ne pas faire ce que Pon
doit , c'eft qu'on ne l'eft plus de faire
ce qu'on voudroit , ce qu'on defireroit
avec ardeur. On a perdu la plus belle ,
la meilleure partie de fon être ; on fe
confole triftement de cette perte par la
confervation attentive , pénible & couteufe
de ce qui en reſte.
Voilà les hommes. Si quelqu'un le
nioit , je ferois bien en état de le prouver.
Une difpute fur quelques caufes de la
grandeur des premiers Romains , occafionna
, Monfieur , la differtation , que je
B. iv
32 MERCURE DE FRANCE.
vous envoie . Je dis conftamment que les
avantages que je leur attribuois avoient
décidé de leur puiffance. On en conteſta
la réalité , & cela uniquement fur l'au
torité de M. de S. Evremont. Je la récu
fai , en difant , que l'on n'avoit jamais
prononcé du mérite d'un tableau fur fa
copie , furtout lorsque l'on avoit l'original
entre les mains . Je dis les plus
que
grands Peintres des moeurs & de l'efprit
des Romains , étoient Plutarque, Cicéron,
Tite- Live , & Polybe. On cita des fragments
de M. de S. Evremont ; j'offris de
leur oppofer l'autorité contradictoire des
anciens, beaucoup plus décifive . On exigea
ces paffages à la lettre. Plein de la lecture
des Hiftoriens de la République ,
l'acceptation du défi me couta peu. Cet
air d'érudition fi facile à prendre me dégoûta
dès- lors de la vanité littéraire des
citations ; à moins qu'elles ne foient indifpenfables
.
Une étude réfléchie m'ayant démontré
depuis, qu'il n'eft point de fottife & d'imbécillité,
que l'on ne puiffe appuyer fur
quelque exemple de l'Antiquité,m'a confirmé
dans cette modeftie. Lorfque je
traite nos Péres avec cette rigueur , je
ne prétends nullement faire l'apologie
de leurs neveux. crois au contraire
JUIN. 176 1. 33
que l'Europe Artifte , Savante & Philofophe
de nos jours fera à beaucoup d'égards
pour la poftérité ce que font pour
nous les Anciens . Si plufieurs Perfonna
ges,célébres aujourd'hui, renaiffoient alors,
quel étonnement leur cauferoit la place
fixe qui leur fera affignée par des Juges
éclairés & fans partialité !
Je finis , Monfieur , en fouhaitant que
cette petite Piéce de Littérature foit reçue
de vous & du Public avec autant de
plaifir que j'en ai à vous l'offrir. Mais je
ne réponds que du mien .
J'ai l'honneur d'être & c .
L. S. D. L.
DISSERTATION en faveur des avantages
que donnérent aux premiers Romains
la fupériorité de leurforce naturelle , de
leur courage & de leur tactique , contre
lefentiment de M. DE S. EVREMONT.
ON n'oppofa , Monfieur , à la propofition
fur les avantages que donnérent aux
Romains des premiers fiécles leur vigueur
naturelle & leur courage , qu'une négati
"
By
34 MERCURE DE FRANCE.
ve abfolue ; je n'y répondis que par une
preuve fans citation . La voici.
Quels furent les premiers compagnons
de Romulus des brigands, des raviffeurs ,
des meurtriers , dont les crimes firent autant
de vagabonds expatriés.
Romulus teint du fang de fon frère ,
ofa leur offrir un afyle , dont il auroit eu
lui-même befoin , s'il eût été particulier.
Cette audace conçue par le defir de peupler
une Ville naiffante , fut foutenue
avec la plus grande fermeté. Le fcélérat ,
forcé jufqu'alors à fe dérober aux pourfuites
de la Juftice , en fe cachant dans les
antres des rochers & dans les forts impénétrables
des bois , devint un Citoyen
paifible de Rome. L'impunité & la liberté
le fixérent dans cette nouvelle Patrie.
Un affemblage fingulier de gens auffi déterminés
que lui , le contint dans les borncs
du gouvernement qu'il s'étoit donné.
Voilà les Ancêtres de cette nation qui
foumit l'Univers . Ce fut de leur fang que
fe formérent les plus fages, les plus juftes,
les plus courageux , les plus magnanimes
des hommes . Etrange bizarrerie de la nature
! fi l'on établiffoit aujourd'hui une
colonie femblable dans quelque partie inhabitée
du nouveau Monde ; la nature fe
plainoit - elle une feconde fois à faire ce
miracle?
JUIN 1761. 35
L'état des fondateurs de Rome eft lui
feul la preuve des avantages qu'on leur
attribue. La force eft généralement pour
l'indigence , le premier confeiller du crime.
On ne le commet point fans férocité
, qui n'eft qu'un abus du courage. On
n'eft point criminel fans chercher à évirer
les fupplices que l'on mérite. On ne
les évite qu'en fe condamnant à des farigues
incroyables pour fe fouftraire à la
Jufice. On s'abandonne à la folitude , à
les horreurs , à la nudité , au froid , au
chaud , à la foif , à la faim , à la privation
en un mot de tous les fecours qu'entraîne
la faite du genre humain , de fa patrie ,
de fa famille même.
Quelle conftitution ne forme pas unt
pareil genre de vie ! quelle force d'âme
ne funpofe- t- elle pas ! fi l'on eft né d'un
tempérament robufte , combien cette
vigueur naturelle n'augmente t- elle pas !!
fi l'on en a reçu un foible ; il arrive néceffairement
de deux chofes , l'une ; ou
que cette foibleffe fe fortifie , ou qu'elle
fuccombe.. Ainfi Rome naiffante ne fut
compofée d'abord que d'un peuple néceffairement
fort & courageux.
La fimple expofition de l'état violent
des premiers Komains fait celle de lear
vigueur &des avantages qu'elle leur don
B vj
38 MERCURE DE FRANCE.
na fur leurs voisins. La fupériorité de leur
courage n'eft pas moins fenfible. A quelle
degré ne dut-il pas être porté , lorfqu'it
fur guidé par l'amour du bien public &
particulier, dans des hommes féroces accoutumés
à ofer les chofes les plus hardies
& les plus périlleufes ? Le fait eft fi
clair qu'il n'a pas befoin de preuve.
Ces avantages furent l'effet du hazard.
Examinons par quels moyens Rome eut
l'habileté de les conferver .
Deux Etats partagérent d'abord la vie
des Romains , celui de l'agriculture , cefui
de la guèrre ; tous deux également
pénibles & laborieux .
Dans la premiére de ces conditions , la
température , la fobriété , l'ordre pour les
heures du travail , des repas , du fommeil,
Ja fimplicité de la nourriture , l'épargne ,
la pauvreté dont on fe faifoit honneur ,
tout ajoutoit aux forces naturelles d'une
bonne conftitution . L'amour du repos , celui
du plaifir qui naît avec tous les hommes
, tout étoit étouffé par le defir de la
gloire. Elle confiftoit dans ces beaux fiécles
à être plus laborieux , plus habile ,
meilleur cultivateur que les autres. Le
peu de temps que l'émulation accordoit à
la table , n'en laiffoit pas un inftant à
perdre dans les fouhairs qui excédent le
aécellaine
JUIN. 1761 . By
C'est à ce fujet que M. de S. Evremont
* » Pour cette frugalité tant vantée ,
ce n'étoit point un retranchement des
chofes fuperflues , ou une abftinence
» volontaire des chofes délicieuſes ; mais
un ufage groffier de ce que l'on avoit
entre les mains . On ne defiroit point
» les richeffes qu'on ne connoiffoit pas ;
» on fe contentoit de peu , pour ne rien
imaginer de plus ; on fe paffoit de plai-
»firs dont on n'avoit pas l'idée.
"
Ce qui m'étonna , Monfieur , dans cette
citation , ce fur de voir que l'on étoit
perfuadé que la vérité même avoit prist
plaifir à tracer cette image , & je ne connois
pas d'erreur plus grande.
Quel cultivateur ne s'enrichir pas de
fon fuperflu ne s'abftient- il pas de chofes
délicieuſes ? les légumes , les laitages.
fimples & apprêtés , les fruits d'un goût
exquis, tout ce que nous comprenons foas
le nom de viande de boucherie , de volailles
, de gibier ; où les Villes prendroient-
elles ces fecours utiles & agréables
, fi les habitans de la Campagne ne
Jes fourniffoient pas à leur ignorance , à
leur pareffe , & à leurs befoins ? Ces habitans
ont donc un fuperflu , & ils s'en
Du Génie des premiers Romains , chap . z
38 MERCURE DE FRANCE.
abftiennent. L'apprêt fimple d'une nou
riture que donnent à un particulier , fon
champ, fon jardin, fa métairie, entran e
t-il la groffiereté ? Quel homme vivant
dans un Etat policé ignore le prix des richeffes
Les Romains y vivoient , ils le
connoiffoient donc , & bien plus profondément
que ceux qui les recherchent.
Ils les regardoient avec juftice, comme lest
corruptrices des moeurs ; & la corruption
des moeurs comme la caufe de la ruine
d'un gouvernement , dont le principe:
étoit la vertu.
"
Quels font ces plaifirs dont on fe paffe,
parce que l'on n'en a pas l'idée ? La feule
nature ne nous fait elle pas connoître
fans art & fans étude les plus doux ? ceux
de l'amour conjugal , de la tendreffe des
enfans pour leurs pères , de celles des
pères pour leurs enfans , le concours , le
concert de ces fentimens délicieux , leur
principe & leur terme réciproque , trésorsfirares
pour l'opulence , ont ils befoin
des plaifirs faftices , du luxe & de la moleffe?
Si la corruption n'avoit pas dépravé
les moeurs , on n'en auroit jamais connu
d'autres , & il s'en faut bien que ceux
qu'on leur a fubftitué ne foient un dédommagement
de ce bonheur pur , fimple
& honnête. Qu'on lui compare celui
JUI N. 1761 : 39
de la cupidité & du libertinage par une
analyſe exacte , il ne reftera là- deffus aucun
doute .
Le Sénat de Rome étoit d'un avis bien:
différent de celui de M. de S. Evremont.
Il ne s'occupoit que du foin de jetter de
la nobleffe & de la dignité , fur un genre
de vie que le Critique françois femble
vouloir avilir. Ses yeux étoient fans ceffe
ouverts fur tous les Membres de l'Etat:
pour y conferver l'efprit de fimplicité ,
de travail & d'économie. Ofer s'en écarter
, c'eût été s'expofer à l'animadverfion
des Magiftrats. Sans cette attention tout
l'ordre politique qui conduifit les Romains
à l'Empire de l'Univers , eût bientôt
été renversé.
*
L'Etat Militaire occupoit également
le Gouvernement , toujours attentif à
entretenir & à augmenter la force naturelle
des Citoyens . " Chaque Sujet qui
» y étoit deftiné étoit obligé d'en étudier
» la connoiffance dans les camps , & cela
» dès la premiére jeuneffe . Des courſes
incroyables faites entre deux foleils , des
fardeaux fi lourds à porter qu'ils femblent
* Jam primùm juventus , fimul ac belli patiens
erat , in caftris ufù militiam difcebat ...
Saluft . de Bell, Catil.
40 MERCURE DE FRANCE.
excéder la force des Chevaux mêmes ;
faifoient les épreuves indifpenfables des
Légionnaires. Les combats de la lutte &
de la courfe leur étoient communs avec
la jeuneſſe cultivatrice & citoyenne . D'un
côté l'austérité & la difcipline ne pardonnoient
rien; de l'autre le defpotifme abfolu
des pères fur les enfans qui les autorifoit
à les vendre , à leur donner la mott
même , contenoit dans la pratique des
devoirs de chaque Etat. Leur exemple
perfuadoit ; mais s'il ne fuffifoit pas , les
infracteurs des inftitutions, ainſi que ceux
qui s'y conformoient , trouvoient dans
l'enceinte de la Ville , hors de fes murs ,
partout , en un mot , des récompenfes &
des punitions.
Ce fut par les foins de cette vigilance ,
que Rome conferva cette fuperiorité de
force & de courage, qu'elle avoit reçue de
fes ancêtres. Des citations accumulées
confirmeroient & ne prouveroient rien
de plus . On n'en dira donc pas davantage
fur cette premiére queftion : on fe con
Tentera de répondre à l'accufation de férocité
, que M. de S. Evremont impute à
une des plus grandes actions des Ro
mains. » Ce fut , dit-il , par unejuftice
2.
*
Du Génie des Romains , chap . 2 .
JUIN 1961. 40
farouche que Manlius fit mourir font
fils , pour avoir remporté une victoire
qu'il n'avoit pas ordonnée . » Analyfons
cet événement.
»
Un amour déréglé de la gloire , toléré
fans doute par les Confuls précédents ,
avoit déterminé dans les derniéres campagnes
, plufieurs Officiers à quitter leur
troupe , pour appeller les Généraux ennemis
en combat fingulier. Par - là les Légions
privées de ceux qui devoient les
commander , firent fi mal qu'elles expofèrent
le falut & la liberté de Rome .
Manlius & fon Collégue dans le Confulat
, voulurent réformer un abus du
plus grand danger . Dans cette vue , ils firent
publier dans leur camp , la défenſe d'engager
aucune action générale ou particulière,
fans l'ordre exprès desCommandans
La peine de mort étoit celle de l'infraction
.
Le fils de Manlius ardent , brave &
présomptueux , crut pouvoir fe difpenfer
d'obéir. Il quitte fon rang , défie un Général
ennemi , le terraffe , lui ôte la vie ,
en triomphe en un mot. Voilà le fait . Or
défendre une efpéce d'action , & cela
fous les peines les plus rigoureuſes , & ne
la pas ordonner , eft- ce la même choſe ?
peut- on être excuſable en confondant des
42 MERCURE DE FRANCE.
idées non pas fi différentes , mais fi oppo~
fées? Décius, Collégue de Manlius , devoit
il laiffer fans punition une violation fi autentique
de la difcipline ? Manlius luimême,
père , il eft vrai, mais Conful , Général
& Romain , devoit- il , pouvoit - il
avoir une indulgence qui auroit peut-être
entraîné la ruine de la République ? Ne
fait on pas , que la plus grande paffion
des premiers Citoyens de Rome fut celle
de fon falut & de fa liberté , & que dans
beaucoup d'occafions les fentimens les
plus tendres lui furent facrifiés ?
Cicéron , Juge plus éclairé & certainement
plus croyable fur l'efprit de fa nation
qu'un François , prononce bien différemment
fur cette févérité. * » Man-
» lius , dit- il , punit fon fils de mort ; afin
» que fa douleur devint le fondement in-
» ébranlable de la fubordination . La Ré-
"
publique étant engagée dans une guèr-
» re de la dernière importance , il crut
» de fon devoir d'épouvanter l'armée par
» cet exemple de févérité. Ainfi fa rigueur
»pourvut au falut de Rome.
*Filium morte multavit ut dolore fuo fancirer
militaris imperii difciplinam , exercitumque in
graviffimo bello animadverfionis metu contine
ret. Sic faluti divium profpexit.
Cic. Lib. 3. definib. bon. & mal
JUIN. 1761 . 43
Venons à la fupériorité de la tactique
des Romains fur leurs adverfaires les plus
redoutables. C'eft ainfi que M. de S.
Evremont s'explique fur ce point. *» Lorf-
» que Annibal vint en Italie , les Romains
» n'étoient que des Novices dans la guèrre.
Si l'on veut les fuivre dans la guèrre
"
qu'ils eurent avec lui , on verra que les
» grands avantages qu'eut Annibal fur eux
→ venoient de la capacité de l'un , & du
» peu de fuffifance des autres. Quelque
→ vanité qu'aient les Romains , ils ont
"
appris la guèrre de lui , par l'expérien-
» ce de leurs défaites , par de fages ré-
» flexions fur leurs fautes , & par Pobfer
vation de la conduite de l'ennemi.
Voici la réponſe que fait à ces objec
tions Polybe lui - même , Hiftorien & Militaire
beaucoup plus profond que M. de:
S. Evremont. Tout ce qui fuit n'eft que·
la fubftance de fon texte. ** » Iln'eſt pas
* M. de S. Evremont , chap. s . du Génie dés :
Romains dans la 2º. Guèrre Punique.
** Neque armaturæ neque conftructionis vitio,
fed propter Annibalis dexteritatem & induſtriam ,
Romani detrimenta paffi funt. Confirmat autem
noftram fententiam ipfe belli exitus. Etenim ubiducem
nacti funt Annibali parem , confequenter
etiam mox evafere victores. Deinde & illud quod ·
ipfe Annibal priorem fuam armaturam , repro
bando, mox atque Romanos primo viciffet , co
44 MERCURE DE FRANCE.
néceffaire , dit- il , que je m'étende fur
la guèrre des Romains avec Annibal, ni
fur les défavantages qu'ils y eurent d'asbord.
Il ne faut les attribuer au refte, ni
si au défaut de bonnes armes , ni à celui
» d'un bon ordre de combats , fuivant les
» différens genres d'action . Les deux qua➡
lités qui faifoient le fonds du caractère
» du Général Carthaginois , une habile
té & une célérité infinie à profiter de
tout ce qui pouvoit fervir à fes deffeins,
» une fécondité de génie inépuifable en
» reffources & en expédients , furent les
feules caufes de fes fuccès.
ور
» L'événement de cette guèrre fuffit
» pour le prouver. Il ne manquoit aux
» Romains pour battre Annibal , qu'un
» Général auffi habile que lui. Ils le trou
» vèrent dans Scipion ; ils l'oppofèrent à
» cet ennemi roujours triomphant jufqu'alors
; ils le battirent partout fous fon
commandement.
" Une preuve inconteftable de l'eftime
qu'avoit Annibal pour les armes des
» Romains,c'eft qu'à la premiére victoire,
» où le champ de bataille lui en donna lá
pias fuas Romanis armis inftructiores reddidit ,
illifque ab initio occupatis , etiam in pofterum
afus eft. Polyb. hift. Lib. 17,
JUIN. 1961: 45
"3
connoiffance, il les adopta ; & crut rendre
fes troupes fi fupérieures par-là ,
qu'il ne les quitta plus dans la fuite .
Ce jugement paroît fi pofitif qu'il eft
inutile d'y rien ajouter. Terminons cette
differtation par celui de M. de S. Evremont
fur ces mêmesRomains au temps de
leur guèrre de Pyrrhus. Ce fera toujours
Polybe qui le réfutera , & il pourroit fe
paffer du fuffrage de Plutarque , le premier
eſtimateur du talent des hommes.
* Le François dit expreffément que
lorfque Pyrrhus paffa en Italie au fecours
des Tarentins , la fcience de la
guèrre étoit alors très - médiocre chez
les Romains.
**
»
Voici ce que dit à ce fujet Plutarque :
jas les Romains s'avançant pour combattre
, Pyrrhus , avant qu'il eût été
joint par des renforts qui étoient en
marche , arrivèrent fur une des rives
du fleuve Syrus . Pyrrhus qui étoit campé
fur l'autre , monta à cheval pour re-
» connoître l'armée ennemie . L'ordonnance
des troupes , la difpofition des
» gardes avancées , l'ordre qui regnoit
partout , la difpofition du camp , tout
* M. de S. Evremont , chap. s . du Génie des
Romains au temps de leur guèrre avec Pyrrhus.
**
Plutarq in Pyrr.
3 MERCURE DE FRANCE.
» l'étonna jufqu'à l'admiration. Cette ora
» donnance des barbares ( fans doute les
Grecs penfoient des Romains comme
» M. de S. Evremont ) dit- il à un de fes
» favoris qui l'accompagnoit , n'eft rien
» moins que barbare.
"
*
Polybe s'explique ainfi fur cette queftion.
» Non-feulement Pyrrhus avoit
» donné à Annibal l'exemple de pren-
» dre les armes des Romains , mais il
» avoit formé fes troupes dans tous leurs
» exercices militaires. Malgré cela il ne
» put jamais remporter fur eux aucune
» victoire décidée. Le fort des batailles
qu'il leur préfenta fut toujours en quelque
façon balancé par des avantages
» égaux .
. و د
»
·
Que le Lecteur fe donne la peine de
comparer ces jugemens , & de prononcer.
Son jugement défintéreffé fera celui
de la vérité. Je crois avoir prouvé celle
de mon fentiment. Si je n'y avois pas
été forcé par un engagement que je fus
contraint de prendre , je n'aurois jamais
employé des autorités décifives, contre un
*
Pyrrhus non modo armis , fed & copiis Italico
more inftructis ufus eft. Verumne fic quidem
victoriam obtinere potuit , fed femper aliquo pa
to dubius utrifque prælii fuit exitus. Polyb . hift.
Lib. 17.
JUIN. 1761. 47
Compatriote auffi célébre que celui que
j'attaque , avec autant d'égards que de regret.
Homme rare pour tous les fiécles ,
qui fçut concilier la Philofophie , l'enjoûment
, les graces , les plaifirs , l'exil
& l'infortune.
Au refte, l'élégance de fon ftyle, la tournure
de fa critique , la fubtilité de ſes raifonnemens
font bien capables de féduire
, d'égarer la jeuneffe , les gens du monde
, les femmes mêmes , qui fe plaiſent à
prouver que la folidité d'efprit n'eft pas
moins le partage de leur réxe , que les
grâces & la beauté. Ces différentes claffes
de Lecteurs ne fe donnent pas la peine
de confronter le moderne avec l'ancien.
Cela demande de l'étude , & un
amuſement utile & honnête leur fuffit.
Cette differtation leur fera voir l'incertitude
des connoiffances que l'on ne prend
que dans les fources éloignées.
STANCES ,
SUR la Solitude , par M. L. A. L. B.
Loin du fracas de la Ville,
Heureux qui paffe fon tems !
Tout me plaît dans cet aſyle ;
MERCURE DE FRANCE
Tous mes veux y font contens :
Le repos qui m'accompagne ,
Y fait ma félicité.
On ne peut qu'à la campagne ,
Jouir de fa liberté.
J'aime à côtoyer la rive
D'un riant & clair ruiffeau ;
De fon onde fugitive ,
Je contemple le tableau.
C'eft l'image de la vie ;
Ainfi s'écoulent nosjours :
Mais qu'ils font dignes d'envie ,
Quand rien n'en trouble le cours
Ces ondes , cette verdure ,
L'azur éclatant des Cieux ,
Tout ici dans la Nature
Charme mon coeur & mes yeux,
Eft-ce au fein de la moleffe
Qu'on goûte les vrais plaifirs ?
Non elle irrite fans ceffe , :
Sans contenter nos defirs .
Tel qu'échappé de la cage ,
L'Oifeau foudain fend les airs ,
Et libre , au premier bocage ,
Forme les plus doux concerts ;
Ainfi , Maître de moi- même ,
Je fens tour , avec tranfport ,
Et
JUI N. 1761. 49
Et fais mon bonheur fuprême
D'être arbitre de mon fort,
l'Aurore
Le matin , dès que
Annonce le Dieu du Jour,
Ainfi que Zéphire à Flore,
Je fais conftamment la cour ;
Sitôt qu'au fein d'Amphitrite ,
S'eft couché le blond Phébus
Je me renferme , au plus vite
Dans le temple de Bacchus.
Travaillés de la manie
De rendre -leurs noms fameux ;
Que d'hommes paffent leur vie ,
Sans jamais vivre pour eux !
D'une vaine renommée ,
Le Sage n'eft point épris ;
Il fçait qu'un peu de fumée
S'achete trop à ce prix.
La Jaloufe & la Haine ,
Par des attentats nouveaux ,
Des fources de l'hipocrène.
Ont empoisonné les eaux.
Quelle fureur au Parnaffe ,
Trouble les fils d'Apollon !
Ils ont au Dieu de la Thrace ;
Livré le facré vallon .
yo MERCURE DE FRANCE.
Ceux qui , d'un pareil délire ,
Font éclater les tranſports ,
En voulant toucher la lyre ,
En détruiſent les accords.
Rien n'avilit davantage
L'efprit ainfi que le coeur ,
Qu'un lâche & coupable uſage
Du talent le plus flatteur.
Je me fouftrais fans me plaindre
Aux cabales , aux noirceurs ,
Qui de tout tems ont fait craindre
Le commerce des neuf Soeurs .
Oui , de la fimple Fauvette ,
Les chants me femblent plus doux ;
Et lorsque je les répéte ,
Je ne fais point de jaloux.
Rien ne trouble ici les charmes
Du bonheur que je reſſens ;
On fe livre fans allarmes ,
A des plaifirs innocens.
C'est trop peu qu'on les varie
Pour amufer fon loifir :
Il faut qu'enſemble on marie
La Sageffe & le Plaiſir.
1 Mai 17618
JUIN. 1761 . st
LETTRE à l'Auteur du MERCURE.
SIIVvous connaiſſez , Monfieur , quelle
douceur , c'eft pour un coeur touché par
le plus grand bienfait d'en témoigner fa
reconnaiffance , vous m'accorderez le
moyen ( le feul que je connaiffe ! ) d'expofer
au grand jour , & furtout à l'Auteur
cheri que je chante fi mal & que j'aime
fi bien , les fentimens de refpect & d'admiration
dont je fuis penétrée . Inférez au
plutôt , Monfieur , ces vers dans votre
Livre , dans le premier s'il eſt poſſible. Je
le defire ardemment , moins en Auteur
vain de fon ouvrage , qu'en jeune fille qui
met tout fon bonheur, dans le public aveu
d'un amour tendre, défintéreffé , & qui n'a
point d'exemple . J'ai l'honneur d'être &c.
STANCES,
A M. DE VOLTAIRE.
QUANDje lis d'Arouet les pompeufes merveilles ,
De fes chants immortels, noble fruit de ſes veilles ,
*
Je fouhaite que cette Lettre falle à M. de
Voltaire & au Public autant de plaifir qu'elle
m'en a fait à moi - même.
C ij
52 MERCURE DE FRANCE,
La touchante douceur , la fublime beauté ,
Mon coeur eft attendri , mon efprit enchanté.
Qu'une amère critique , une vaine ignorance ,
Réprouvent dans fes vers quelque heureufe licence:
D'Edipe enfanglanté , les accens douloureux ;
De la tendre Zaïre , & le doute & les feux ;*
La Henriade en main , à chaque vers j'oublie
Les affreux filemens des ferpens de l'Envie.
Dans un jardin fleuri , fous un myrthe amoureur ,
Je découvre un grand Prince , un Héros généreux,
Qui cédant à l'amour une indigne victoire ,
Oublie en ce moment fon Dieu , fon nom , La
gloire,
Gabrielie à fes pieds , enchaîne ce Héros.
Etendu dans fes bras , dans un lâche repos ,
Il ne fe fouvient plus de fon ami fidéle ,
Des ligueurs furieux ... il aime Gabrielle.
Spr fon fein , dans les yeux , il trouve des plaiſirs
Sans ceffe renaiffans , ainfi que fes defirs .
La voix de l'amitié fera-t- elle entendue ?
Mornay , fidéle ami , fe préfente à fa vue ,
Fait parler la Sageffe , écarte les Amours.
>>Dans de honteux plaifirs languirez-vous toujours!
Non , je pars , dit le Prince, interrompant le Sage.
Hé bien ! qu'attendez-vous ? ... montrez votre
>> courage ....
JUIN. 1781. 53
1
1
Ah! Mornay n'aimait pas ! pouvait - il concevoir
Le malheur des amans , qui ceffent de ſe voir ?
Je le fens mieux que lui.Dans mon âme attendrie,
Je parrage les pleurs d'une amante fans vie ;
Dans les bras de l'amour tremblante,fans couleur.
Afes déchiremens , je reconnais mon coeur.
Dieux ! quel touchant tableau ſe préſente à ma vue!
Auprès d'un noir cercueil , l'oeil en pleurs , l'âme
émue',
Mérope , aux Dieux vengeurs , fait entendre ces
cris ;
Puniffez Poliphonte , & rendez- moi mon fils !
Que tu fais bien , Voltaire , avec une main fûre,
Toucher , frapper le coeur , & peindre la Nature !
Et pourrai - je nombrer les chefs d'oeuvres divers
Dont ta plume immortelle enrichit l'Univers ?
Brutus , Cefar, Titus , revivent pour nous plaire :
Tout renaît , tout s'anime à la voix de Voltaire.
C'eſt un talent divin , dont les heureux éfforts ,
Enchantent les vivans , & font parler les morts.
Quand aux bords fortunés de l'Amérique plage ,
Dans le coeur innocent d'une jeune Sauvage ,
Il me peint des vertus les naïves beautés ;
De l'Eſpagnol hautain , les cruels préjugés ;
Sur fes Dieux abbattus , le Méxiquain en larmes ,
Pour la femme & fes fils exprimant fes allarmes ;
C iij
34 MERCURE DE FRANCE.
Je pleure , avec Alzire un funefte revers ,
Son trône renversé , fon amant dans les fers.
Victime , qu'attendait la Nature offenſée ,
Par la main de fon fils , Sémiramis bleſſée ,
Vient offrir , en mourant , cette utile leçon ,
Que pour les grands forfaits , il n'eſt point de pardon.
Plus grand que fes héros , il reléve leur gloire :
De Charles , de Louis , enfans de la victoire ,
Il m'apprend les vertus , les revers , les projets,
Leur triomphe arrofé du fang de leurs Sujets.
Hiftorien brillant , Philofophe , Poëte,
De la Nature , en tout , agréable interpréte ,
Il a tous les talens , il fait plaire ', attendrir.
On diroit qu'à fes voeux , toujours prompte à s'offrir,
Vénus en fouriant , l'orne de fa ceinture ;
Que l'Amour à fes vers afligne la meſure 3
Que les grâces fans ceffe en infpirent l'Auteur ;
Et qu'Apollon en lui , reconnaît un vainqueur.
EN VOI.
Je confacre ces vers àu feul Mortel que j'aime ,
Au Père des Talens , à Voltaire , à lui-même .
Mais de fi faibles vers par lui feront- ils lus ?
Je le crains , je l'eſpérè , & n'oſe rien de plus.
Quelle gloire pour eux , s'il pardonne à mon zéle
Un portrait réservé pour le pinceau d'Apelle ! *
*
Boileau , Difcours au Roi.
JUI N. 1761 . 551
Eh ! qu'importe à ces Dieux qui régiffent le Ciel ,
De quel lieu vient l'encens qui fume à leur autel ?
On peut les adorer fans être téméraire ;
Notre hommage eft reçu,dès- lors qu'il eft fincère :
Ils ne font point par nous plus grands , ni plus
heureux ;
Ils font tout par eux feuls: que pouvons - nous
pour eux ?
Par Mlle ****** de la Rochelle.
LBE mot de la première Enigme du
Mercure de Mai , eft , Tonfure. Čelui de
la feconde , eft , les Elémens . Celui de la
troifiéme , eft , Vinaigre. Le mot du premier
Logogryphe , eft , Eté. Celui du fecond
, eft , Portail , dans lequel on trouve
Pô , port , ail , Lia , trop.
J.
ENIGM E.
(
■ fers également le Bourgeois & le Prince :
Plus ou moins richement je fuis alors vêtu :
Je fuis moins bien dans la Province :
Au Village , malgré le froid , je ſuis tout nû.
Pour mon Maître j'ai tant de zéle ,
Que fouvent je me trouve à fes derniers foupirs ;
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
Souvent auffi , de fa femme infidelle ,
Je fers également les voeux & les defirs.
Voilà , me dira- t-on , d'abominables trames !
Pourquoi dans moi fouvent renfermé-je deux âmes
Dont les rapports , les voeux , les goûts , font différens
?
Oui , deur âmes , Lecteur ; huit pieds , deux corps ,
trois têtes :
Je ne fuis pourtant pas un Monftre aſſurément ;:
Mais de cette union viennent fouvent des Bêtes ,
Qui peut-être fans moi feroient dans le néant.
Souvent tout difparoît ; je reſte un corps fans âme.
Quelquefois j'ai dans moi l'âme d'un Conquérant,
D'uMo ine quelquefois , d'un Gueux ,, d'un fainéant;.
Je n'ai fouvent que celle d'une femme.
Tu vois bien que je fuis fojer au changement:
AUTRE.
Nous fommes cinq , que
Exerce du matin au foir ;
Et l'infatigable caprice
le fervice
Nous employe aur blanc comme au noir.
Celle qui parmi nous tient la premiére place ,
Fit connoître en coustemps les Arts dans l'Univers
La cadette , au bas du Parnaſſe ,
Se fatigue à faire des Vers,,
UI N. 1761. 5.7
Auxquels elle a donné naiffance.
La troifiéme , en formant les lys ,
Donna des armes à la France.
Fufques-là c'étoit bien ; pourquoi fit- elle pis ?
L'office de la quatriéme
Eft de créer force bons mots.
Enfin , celui de la cinquiéme
Eft de mener au but les Sages & les Sots.
Par M. GOUDEMETZ.
LOGOGRYPHE,
LECTEUR , fi tu veux me connoître ,
Huit pieds compofent tout mon étre.
Si tu les prends comme ils frappent les yeux ,
Je fuis un Sujet merveilleux ;
Souvent je ne fais rien , c'eft même l'ordinaire şi
Je n'en fuis pas moins néceſſaire ,
On me recherche , & tous les jours ,
Les plus favans invoquent mon fecours ,
Soit en public , foit dans la folitude ;
Je régle en tout temps leur étude.
Préfentement, fi tu veux t'amufer
A me couper , à me décompofers;
Que d'objets différens vont s'offrir à ta vuë ! '
On ne voit point fans moi de brillante avenue ;
J'étois jadis l'ornement d'Apollon ; ›
58 MERCURE DE FRANCE.
Mes cris font à Montmartre en réputation ;
Je fus de la douleur en tout temps le contraire ;
Je prête au voyageur une ombre falutaire ;
L'homme a befoin de moi ; mais fi je fuis trop fort,
Souvent je lui cauſe la mort.
Lecteur , en est- ce affez ? Quoi , ton eſprit balance ?
Vole au Palais. C'eſt là qu'au milieu des clameurs
De la Chicane & des Plaideurs ,
J'étale ma magnificence.
BELLE
AUTR E.
ELLE Eglé , fi des lieux
La jaloufe diſtance
A fait chanceler ta conftance ,
Elle n'a point éteint mes feux :
Un fentiment tendre & fincère
Va te le découvrir.
Six lettres font tout le mystère;
Daignes les parcou : ir.
Je t'offre d'abord ce préfage
De bonne humeur & de gaîté ,
Qui s'annonce fur tout viſage ,
Et qu'on admire davantage ,
En ce qu'il n'eft pas emprunté.
Plus , un animal redoutable
Qui détrouffe au mieux les paffans.
Un mot de ta bouche adorable
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS .
Chanson morale .
W
Ami, tel est notre destin : Toutpasse dans la vi
W
Quand je quittai le Dieu du vinje brulai pour Silvi
e. Les Muse's meme , trop souvent Ont reçu
hommage,je les redoute
nant; Mais, en suis - je plus sage ?
par M Charpentie
umé par Tournelle .
mainte
JUIN. 1761-1 5.9
Quetu m'as promis , que j'attends ....
Je t'offre encor de la muſique ;
Et pour finir , une liqueur ;
Et l'épithète de mon coeur.
Il eft fans tache , je m'en pique.
DALETTRE.
CHANSON MORALE.
AIR, & Paroles de M. D. L. P.
A
MI,
tel eft notre deſtin ;
Tout paffe , dans la vie !
"Quand je quittai le Dieu du vin ,
Je brûlai pour Sylvie.
Les Mufes mêmes , trop fouvent ,
Ont reçu mon hommage.
Je les redoute maintenant :
Mais en fuis-je plus fage !
**
Tu te trompes , fi tu le crois ;
Et la Sageffe auſtère ,
Vainement , fait parler des droits.
Que le Defir fait taire.
Le coeur eft fait pour le plaifir s
Il est jeune , à tout âge.
Interdifez - lui le Defir :
Quel fera fon ufage ?
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Espoir de fuccès & d'honneurs ,
Séduifante manie ,
Phofphores brillants , mais trompeurs ,
Laiſſez en paix ma vie ! \
Contre vous , je combats en vain ,
Quand la gloire vous guide.....
Mais plus l'efprit fe trouxe plein
Et plus le coeur eft vuide..
*
Froid & redoutable poifon
D'un coeur tendre & fenfible;
Tyran , qu'on appelle Raifon ,,
Que ton joug eft pénible !
Lorfque fous la loi des deſirs .
Jé béniffois mes chaînes ;
Je ne comptois que mes plaifirst :
Tu calcules mes peines..
*
Grands Dieux ! que n'ai-je point tentés
Pour terminer la guèrre.
Qui toujours à la Volupté
Rend le Devoir contraire ? .. :
Trifte épreuve pour toi , Raifon !
Pour moi chûte fatale !
J'oubliois tout , jufqu'à con nom
Aux pieds de ta rivales.
JUIN. 1761.
61
ARTICLE II
NOUVELLES LITTERAIRES.
HISTOIRE générale des Conjurations',"
Confpirations , & révolutions célébres·
⚫tant anciennes que modernes : Tomes
IX. & X. Par M. DESORMEAUX.
O
EXTRAIT.
N a rendu compte dans le temps',.
des premiers volumes de cet Ouvrage
intéreffant. Son Auteur étoit M. Duport
du Tertre, qu'une mort prématurée nous
enleva au mois d'Avril 1759. M. Defor
meaux, fon continuateur , fait ici fes preuves
de beaucoup de goût & de talens. Les
deux volumes dont je vais rendre com--
pre , contiennent les révolutions des Indes
; il nous en promet deux autres qui:
traiteront des révolutions & confpirations
échappées à M. duTertre. Avant que d'entrer
dans l'hiftoire des Indes , M. Deformeaux
fait la defcription de ce vafte Pays..
DeuxFleuves l'arrofent , l'Indús & le Gan
62 MERCURE DE FRANCE.
ge ; le dernier l'un des plus confidérables
de l'Univers eft pour les Indiens un objet
de vénération & de culte : ils croyent en
s'y baignant fe purifier non-feulement des
fouillures du corps , mais auffi de celles
de l'âme. Il y a lieu de préfumer que l'Indoftan
fut d'abord habité par des Colonies
Egyptiennes. La religion , les moeurs
& les coutumes des premiers Indiens
étoient à- peu- près les mêmes que ceux des
anciens habitants de l'Egypte. LaMétempfycole
, que Pythagore puifa en Egypté ,
fait encore un des principaux articles de
leur croyance. Les fruits de la tèrre &
l'eau furent longtems les feuls alimens
des Indiens ; de longues robes blanches ,
leurs vêtemens ; & les plus grandes vertus
, leur appanage : le crime le plus grave
aux Indes , contre le droit des gens
étoit de troubler les laboureurs dans leurs
travaux : même au milieu des horreurs de
la guèrre , ils étoient refpectés, & » il n'é-
»toit pas rare de voir , dans une même
plaine ,d'un côté deux armées combattre
» avec acharnement à leur deſtruction mu-
» tuelle , & de l'autre des hommes pai-
» fibles , occupés fans crainte à pourvoir
aux premiers befoins de leurs femblables.
Ce qu'on appelle proprement l'IndofJUI
N. 176 r. 6.4
tan étoit divifé en cent dix- huit Royaumes,
dont quelques- uns ont fubfifté longtems.
Les Indiens vivoient dans la religion
des Egyptiens leurs Ayeux ; un Légiflateur
nommé Brama voulut la réformer,
& fans la profcrire entiérement, publia
la fienne avec un fuccès merveilleux .
Il adoptoit la Métemplycofe , & prétendoit
que l'âme ne cefloit de voltiger de
corps en corps, jufqu'à ce qu'elle eût paffé
dans celui d'un bramine , où elle acquéroit
un degré de pureté qui la rendoit digne
d'aller jouir dans le fein de la Divinité ,
d'une félicité éternelle . Il formoit quatre
claffes de perfonnes à qui il préfcrivoit
des devoirs de religion, qui s'accordoient
avec ceux de leur état ; la premiére Claſſe
étoit celle des Bramines ou Miniftres de
fon culte , la feconde des guerriers , la
troifiéme des Banianes , ou marchands ,
& la quatrième des artifans : Brama ayoit
modéré l'austérité de fes loix envers ceuxci,
felon leur genre de travail . Ces derniers
à qui il avoit tout permis, étoient les plus
méprisés.
LesIndiens dégénérérent bientôt de leur
premiére fimplicité;les étrangers que leurs
richeffes attiroient, y apportérent de toutes
parts le luxe , les Arts, & les vices.
» Ces mêmes richeffestentérent l'avarice
64 MERCURE DE FRANCE.
و ز
99
">
de ces fortunés brigands, que le Peuple
ftupide honore du nom de héros & de
grands hommes. Bacchus , Sémiramis ,
Séfoftris , Darius fils d'Hiftafpe entréas
rent en différens endroits dans les Indes
" & y' portérent le fer & le feu ; ils par-
❞ coururent en vainqueurs & en conquérans
ces vaftes régions ; mais leurs con-
" quêtes ne furent point durables ; & à
peine fe fouvient - on de l'expédition
» de ces oppreffeurs de l'humanité . » Alexandre
leGrand vint enfuite; tout le monde
fait comme il agit avec Porus , l'un des
plus puiflans Princes des Indes ; & comment
, par fa générofité , la fuite héréditaire
de leurs Rois n'a point été interrompue.
Depuis Alexandre jufqu'à Gengis-
Kan les Indiens jouïtent d'une paix
profonde , ou au moins leur tranquillité
ne fut point troublée par des invafions
étrangères. Gengis- Kan , né dans la grande
Tartarie, à force d'audace & de génie ,
fçut fe former un puiffant parti d'avanturiers
, avec lequel il conquit peu -á- peu
prèfque toute la grande Tartarie , & s'en
fit proclamer Kan on Empereur . Se voyant
à la tête de buit cent mille hommes, dont
l'avoit fçu faire de bons foldats, il forma
laudacieux projet d'affervir l'Univers il
marcha vers la prefqu'ifle en deça du Gan
JUIN. 1761 .
65
ge , en fir une vafte folitude; de là il entra
dans la Chine, dont il défola & conquit la
meilleure partie : à fon retour , il fit fubir
le même fort aux Indes & enfuite à la
Perfe ; enfin il fournit à fon Empire l'A- !
fie prèfqu'entière. La mort furprit Gengis,&
il n'avoit pas rempli la moitié de fes
projets . Les derniéres paroles, qu'il proféra
en expirant , furent un ordre à fes enfans
d'achever la conquête de l'Univers .
ils étoient au nombre de trois , & fe mi- .
rent en devoir d'accomplir les derniéres
volontés de leur père : ils reduifirent en- ›
tiérement l'Afie qu'ils diviferent en trois
Royaumes. Its ne confervérent pas longtemps
leurs conquêtes , & amollis par les
délices ils n'eurent pas la force de les dé
fendre. Les Indiens ne furent pas les derniers
à fecouer le joug ; mais à peine
étoient ils délivrés de la domination de
de ces barbares , que des Marchands Arabes,
ayant formé une petite armée, fe rendirent
en peu de temps maîtres de la plus
grande partie de l'Indoftan . Ces étrangers,
à qui les vaincus donnérent le nom de
Patanes , y apportérent le Mahométiſme
& y fonderent un Empire puiffant dont
la Capitale fur Dehly fur la riviere de
Gemna.
Les Indes ne tardérent point à éprou
66 MERCURE DE FRANCE.
ver une nouvelle révolution ; un rejetton
de la famille de Gengis-Kan en fut l'Auteur.
Le fameux Timur , plus connu fous.
le nom de Tamerlan , né en Tranfoxane ,
l'an de l'Ere Chrétienne 1335 , paffa les
premières années de fa vie à conduire des
troupeaux. Son génie lui acquit bientôt
une grande fupériorité fur les bergers des
environs, qui s'accoutumérent à l'appeller
leur Roi: à leur tête il ravageoit les *Hordes
voisines ; fes fuccès attirérent fous fa
conduite un grand nombre de brigands .
qui accrurent infenfiblement fa petite armée
: en moins de fix mois, il fe vit paifible
poffeffeur de toute la grande Tartarie,
& peu après de la Perfe. Après s'être bien
affuré de fes conquêtes , il marcha vers les
Indes, fe flattant de les réduire facilement.
Il trouva plus de réſiſtance qu'il ne s'y attendoit.
Une armée de cent mille hommes
s'oppofoit à fon paffage. De tel's obftacles
ne rebutoient pas Tamerlan ; il ne
lui en couta qu'une victoire. Par là , il fe
vit maître de la plus grande partie de
l'Indoftan & foumit le refté à un tribut
confidérable. Il porta enfuite fes pas vers
F'Afie mineure. A la fin couvert de gloire
& de dépouilles , if marchoit à la conquête
* C'eſt ainſi qu'on appelle les habitations des
Tartares.
JUI N. 1761. 67
de la Chine, lorfqu'il mourut à Otrar l'an
1405. Ses enfans partagérent fes Etats
mais bientôt ils périrent tous miférablement
, excepté Miracha, qui avoit eu en
partage les Provinces Orientales de la
Perfe & les conquêtes faites dans l'Indoftan.
Le régne de Miracha fut troublé par
des guérres continuelles ; il fut lui - même
fait priſonnier, dans une guèrre avec le Roi
de Cafcar celui - ci lui rendit la liberté, à
condition feulement de l'affranchir du
tribut,auquel le fort des armes l'avoit autrefois
condamnée. Miracha , auſſi - tốt
qu'il eut la liberté , oublia qu'il ne la deyoit
qu'à la générofité de fon ennemi : il
entra comme un furieux , dans les Etats du
Roi de Cafcar , & le fit prifonnier à fon
tour ; mais encore plus cruel que ce Rof
n'avoit été humain , il lui fit créver les
yeux & l'expofa , couvert de haillons, à la
rifée de toute fon armée . Ce Roi malheureux,
qui fembloit deſtiné à finir les jours
dans un fombre cachot où Miracha l'avoit
fait renfermer , fut l'inftrument dont la
vengeance divine fe fervit pour punir ce
Prince barbare . » Ayant appris que fon
prifonnier tout privé qu'il étoit de la lumiére
, avoit une telle adreffe à lancer
» des fléches , qu'il ne manquoit jamais
"
» d'atteindre le but qu'on lui propofoit
68 MERCURE DE FRANCE.
pourvu qu'on fît du bruit autour ; Miracha
voulut fe convaincre par fa propre
» expérience d'un fait, qu'il regardoit com
» me impoffible .Un jour il ordonne qu'on
lui amène le Prince Indien dans fon
» Serrail , lui fait ôter fes fers , lui remet
» un arc & des fléches , & lui ordonne de
» vifer à un certain but dès qu'il l'enten-
» droit parler. Le Roi de Cafcar , au prẻ-
" mier fon qui frappe fes oreilles, décoche
une fléche & perce le coeur de Miracha.
»
Les gardes en fureur mettent en piéces
»le Meurtrier , dont les derniéres paroles
» furent un remerciment au Ciel de lui
» avoir fourni les moyens de fe vanger de
fon tyran. Abuchaïde , fils & Succeffeur
de Miracha , dépofé & enfuite remis
fur le Trône par fes propres Sujets, fut fait
prifonnier en voulant conquérir la Perfe ,
& périt fur un échafaut , par ordre de fon
vainqueur. Seick Omar profitant de l'exemple
de fon père , craignit trop les
malheurs de la guèrre , & amollir fes Su
jets par les délices d'une longue paix.
Babar,fon fuccefleur, acheva la conquête
de l'Indoftan , & laiffa un vafte Royaume
à fon fils Amayum.
Babar avoit entierement extirpé la domination
des Patanes . Un Prince du fang
de leurs Rois, qui s'étoit fouftrait à la fuJUIN.
1761: 69
teur de ce Conquérant , forma un parti ,
detrôna Amayum , & le força de fe réfugier
en Perfe. Après la mort de l'ufurpateur
, Amayum remonta fur le Trône.
Il fe voyoit enfin paisible poffeffeur de fon
vafte Royaume, quand un événement imprévû
trancha le fil de les jours. » Il avoit
donné ordre qu'on lui conftruisît un
Tombeau d'une magnificence extraor
» dinaire,hors des Portes de Dehly ; lui-
» même en avoit tracé le plan , & l'avoit
» fait orner des marbres les plus rares .
» Un jour qu'il vifitoit l'édifice , il monta
» fur une large corniche , fans autre ap-
"
puique celui d'une toife. La toife fe caf-
» fe entre fes mains ; le Prince tombe ,
» roule & fe brife les os , & trouve ainfi
» la mort dans le Tombeau qu'il s'écoic
» lui- même preparé, » Akebac lui fuccéda
; il eut plufieurs guèrres à foutenir con
tre les voilins. Le Sultan Muftapha éprouva
la fureur de fes armes. Il s'étoit retiré
dans la Ville d'Acer, place importante &
qu'Akebac affiégea en perfonne. Muftar
pha défefpérant de tenir plus longtems ,
fortit une nuit feul , espérant de fe fauver
à la faveur d'un déguiſement. Il fut reconnu
, arrêté , & conduit devant l'Empereur.
Qui es-tu , lui dit Akebac ? Jefuis
LeRoi, répondit Muftapha avec une préfen
70 MERCURE DE FRANCE.
ce d'efprit admirable , jefors exprès de ma
Capitale ,pour te demander un confeil. L'eau
manque dans mafortereffe .Que dois-jefaire
pour échapper aux fers que tu me prépares ?
Akebac frappé de tant de grandeur d'âme
& comptant fur l'extrémité à laquelle il
avoit réduit la place , le renvoya en lui
difant de fe fier à la Providence . Ce confeil
fe trouva bon ; la pluye tomba fi
abondamment la nuit fuivante que les citernes
de la Ville en furent remplies.
Akebac,victime de fa générofité, fe repentit
d'avoir laiffé échapper une fi belle oc
cafion. Il fut obligé de convertir le fiége
en Blocus ; & fa patience le rendit maître
d'une place qui avoit refifté à fes attaques
réitérées . Ayant affermi & étendu ſa domination
, cet Empereur ambitieux s'abandonna
entiérement à fes idées de vanité
& de magnificence . Il ne trouva pas la
Ville de Dehly digne de fa grandeur , &
fe bâtit fucceffivement trois Capitales plus
fomptueufes les unes que les autres. Il
voulut enfuite faire une religion qui portât
fon nom ; & enviant le fort de Mahomet,
il exigeoit un culte pareil . Quelquefois
affis fur un Trône fuperbe , il fe faifoit
adorer lui même comme une Divinité ; il
s'affocioit le Soleil qu'il regardoit comme
Collégue. Un événement, qui troubla une
JUIN. 1761. 71
وو
Fête magnifique qu'il célébroit en fon
honneur , quoique peut -être fort naturel ,
allarma beaucoup la fuperftition de ces
temps là. L'harmonie des inftrumens ,
les cris d'allégreffe de la multitude eni-
» vrée de joie & de plaifir , la beauté du
»jour , tout concouroit à rendre la Fête
également augufte & brillante ; lorfque
» tout-à- coup la foudre gronde dans les
airs , frappe l'Autel & le réduit en poudre
; le feu s'élance jufqu'à la tente de
» l'Empereur & à toutes celles du camp ,
» les confume, & de là gagne la Ville ,
83
و د
و د
&
fe communique au Palais , qui fut devoré
avec les tréfors d'Akebac , fruit des
brigandages & de la tyrannie. L'or
l'argent , & l'airain fondus , couloient
» dans les rues , & l'Élément vengeur ne
ceffa d'exercer fon activité, que lorsqu'il
» ne trouva plus de matiére.
Akébac eut le fort de la plupart des Rois
des Indes ; il périt d'une mort violente
& funefte. Se repofant un jour au coin
d'un bois, il apperçoit une longue chenille
de feu , il fe leve & l'écrafe avec une de
fes fléches ; dans le même moment une
gazelle vole devant lui : la même fléche
lui fert pour la tirer ; il la bleffe : mais
quoique fa bleffure ne fût pas dangereufe
elle tomba morte à fes pieds ; fa chair ſe
72 MERCURE DE FRANCE .
corrompit bientôt & tous les chiens qui
en mangérent , expirérent empoisonnés :
l'Empereur jugea par là de la fubtilité du
venin de la chenille , il en fit faire des
pilules qu'il préfentoit & faifoit prendre
de force à ceux dontil vouloit le défaire.
Il créa une Charge d'Empoifonneur & pertoit
toujours fur lui de ces pilules . La
boëte qui les renfermoit étoit divifée en
plufieurs compartimens & contenoit auffi
des pilules cordiales. Il fe méprit un jour ;
& fa méprife lui donna la mort , qu'il deſtinoit
à ceux qui l'avoient offenfé.
Jéhan- Guire eut , après la mort de fon
père , la Couronne qu'il avoit voulu lui
arracher de fon vivant. Cette révolte
avoit engagé Akébac à laiffer l'Empire à
fon petit- fils Cofrou : mais le caractère
doux & pacifique de celui- ci ne mit aucun
obftacle aux prétentions de fon père. Je
han- Guire paffa les premières années de
fon régne dans la moleffe & dans l'indolence.
Il avoit beaucoup d'inclination
pour le Chriftianifme , & fe plaifoit à
faire difputer devant lui les Miffionnaires
- avec les Miniftres de l'Alcoran . Un jour
le Chef des Docteurs Muſulmans foutenoit
à un Jéfuite Portugais nommé Acofia
, que les Livres de la Bible étoient
fallifiés Seigneur , s'écrie le Jéfuite , or-
34
6

donne
JUI N. 1761 . 73
donne qu'on allume un grand feu , que le
Moullah * y entre d'un côté avec l'Alcoran
, tandis que l'Evangile à la main , je
m'y jetterai de l'autre , & tu verras en
faveur de quelle religion le Cielfe déclarera .
Ce défi terrible & imprévû glaça le Mufulman
de terreur & d'effroi . Jehan- Guire
interpofa fon autorité pour terminer la
querelle , & témoigna depuis la plus grande
confidération au Miffionnaire , auquel il
-donna le nom de Père Ataxe, c'est - à- dire ,
le Père du feu .Les hauteurs & la mauvaise
conduite d'une Sultane , qui gouvernoit
entièrement l'efprit de l'Empereur , arma
-contre lui les Principaux de fon Royaume.
Chorrom , fon troifiéme fils , foutint à leur
tête de longues & fanglantes guèrres contre
lui. Après la mort de fon père , il ne
lui refta plus à réduire qu'un de fes neveux,
qui lui difputoit la Couronne ; il s'en vit
bientôt paifible poffeffeur & changea fon
nom en celui de Cha- Jeham , qui fignifie
le Roi du Monde . Dans le fein de la paix
il fuivit les traces de fon grand- père il
fe bâtit une nouvelle Capitale encore
plus magnifique ; il détourna de trente
lieues le cours d'une riviere, pour la faire
* Les Moullabs ainfi que les Faqairs,dout nous
aurons occafion de parler bientôt , font des Molnes
Mufulmans.
D
74 MERCURE DE FRANCE.
,
paffer dans les jardins ; & s'amoliſſant
dans les délices , il oublia bientôt l'art
de la guèrre , auquel il devoit fon royau
me. De tous fes fils , felon la coutume de
fes ancêtres il n'en avoit élevé que
quatre , Dara , Sujah , Oramgzeb , &
Moradbax. Oramgzeb , dont la fortune
prévalut fur celle de fes frères , tient un
rang affez confidérable dans l'Hiftoire
Mogole , pour mériter que l'on en
trace ici le portrait d'après M. Defor
meaux. Ce Prince cachoir , fous les de-
» hors les plus fimples , la plus vaſte ambition.
Actif, prévoyant , impénétra-
» ble , fouple , artificieux , plein de l'é-
» loquence la plus infinuante , il alloit à
» fes fins par les routes les plus détournées.
Ses moeurs étoient auftères , &
quelquefois farouches ; d'une fobriété
» extrême , il ne connut jamais l'ufage
» du vin ; il bannit de la Cour le luxe &
» les délices ; il ne paroiffoit jamais en
» public que l'Alcoran fous le bras ; fans
» ceffe il levoit les yeux au Ciel , & on
l'entendoit fouvent gémir fur les cri-
» mes qui déshonorent l'humanité. Une
taille haute , un vilage maigre & pâle ,
un teint livide , des yeux enfoncés ,
mais pleins de feu ; un air toujours
» recueilli , un genre de vie févère , des
JUIN. 1781. 75
prières publiques & fréquentes ; des
habits unis & blancs , qui n'étoient jamais
relevés par l'éclat des pierreries ,
» le faifoient plutôt reffembler à un Faquir
qu'à un Prince : pour tromper
plus furement la Cour , l'Empereur &
fes frères , il pouffa l'hypocrifie jufqu'à
» fe faire infcrire au nombre des Moines
Mufulmans. Sans ceffe il répétoit ,
en foupirant , qu'il ne refpiroit que le
moment où délivré des grandeurs , il
pourroit confacrer fes jours à la pénitence,
au pied du tombeau de Mahomet.
Dara , fils aîné de Cha-Jeham , refta
felon la coutume auprès de fon père ,
dont il réuniffoit toute la tendreffe . Ses
trois frères fe retirèrent dans leurs gou.
vernemens. Oramgzeb, dans celui du De
kan qui lui avoit été confié , fe préparoit
à porter les plus grands coups à la fortune
de Dara. Il fit un jour affembler
tous les Faquirs du Dekan dans une vaſte
campagne , fous prétexte de leur faire
des aumônes abondantes. Après un frugal
repas qu'il leur fit faire , il fit apporter
une grande quantité d'habits neufs
qu'il les força de fubftituer aux miférables
haillons qui les couvroient : l'artificieux
Mogol favoit que ces Moines cachoient
dans leurs habits des pièces d'or
Dij
76 MERGURE DE FRANCE.
fruit de leurs intrigues & de leur mende
cité. Il fit brûler les haillons , & goûta
bientôt le fruit de fon ftratagême , en tirant
de leurs cendres une grande quantité
de pouffiére d'or qu'il convertit en lin
gots. Oramgzeb montra bientôt dans une
autre occafion fon ambition & fa témérité
; il forma le hardi projet d'arrêter le
Roi de Golconde, & de s'en rendre maître
au milieu de toute fa Cour. On l'intro
duifoit déjà à l'audience dé ce Prince en
qualité de fimple Ambaffadeur d'Oramg
zeb. Eſcorté d'une nombreuſe fuite , il
alloit mettre la main fur fa perfonne &
s'en emparer ; quand un Courtifan qui
étoit de la conjuration , attendri & éffrayé
du danger que couroit fon Roi , l'en aver+
rit , & le fit échapper par une porte de
derrière. Le Sultan Mogol contraint de
s'en tenir au pillage , enleva toutes les
richelles qu'il put ; & le Roi de Golconde
fe trouva trop heureux de pouvoir mettre
, au prix d'un traité honteux , fes jours
& fa liberté à couvert. '% 2: 5
Une maladie dangereufe dont Cha- Je
ham fur attaqué , fuivie de la fauffe nouvelle
de fa mort , mit tous fes fils en
mouvement. Les trois jeunes accufèrent
Dara de l'avoir empoifouné. Ils lévèrent
hacun de leur côté des armées contidé.
JUI N. 1961. erst
rables . Oramgzeb, déjà puiffant, ne fut pas
le dernier à s'ébranler ; il fe joignit à fon
frère Moradbax, dont il ne flattoit l'amitié
que pour le perdre plus fûrement. Quand
de concert , lui difoit ce perfide , nous au
rons vengé la mort de notre Père; & quand
par mes fervices , je t'aurai affûré la Cou
ronne due à ton attachement à la religion
de nos Ancêtres ; la feule grâce , que j'exigerai
de toi , fera de me laiffer aller mourir,
en paix , aux pieds du Tombeau de Maho ,
met. Oramgzeb mit en fuite Dara & Su
jah fes freres aînés , & marcha droit à Dehly
où il détrôna fon père , & chargea
Moradbax de chaînes. Les Indiens, peuple
changeant & facile à tromper , le procla
mèrent auffitôt Empereur. Ce fut à
Dehly qu'il établit le lieu de fa réfidence.
y fit battre monnoye à fon coin , & y fir
mettre cette faftueufe infcription : Mo
l'Empereur Oramgzeb , Conquérant de
l'Univers , j'ai fait frapper cette monnoie
auffi brillante que le Soleil. Malgré tous
ces actes de Souverainété , il n'étoit pas
encore bien affermi fur fon Trône . Des
victoires réitérées qu'il remporta fur Sjah,
qui cherchoit à relever fa fortune, mi- .
rent ce Prince hors d'état de lui nuire ; la
trahifon du Roi d'Arracan acheva fa perte.
Le perfide avoit offert à Sujah une re-
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
traite dans les Etats. Il ne le vit pas plu
tôt entre fes mains , qu'il le maffacra inhumainement
, pour le rendre maître de
fes femmes & de fes tréfors . Dara eut àpeu
près le même fort : Kion- Kan chez le
quel il s'étoit refugié , le livra à Oramg
zeb , qui le fit promener couvert de haillons,
dans la Ville de Dehly ; peu après il·
lui fit trancher la tête , & l'envoya à Cha-
Jeham dans fa priſon , qui penfa mourir
de douleur à cette vue.La perfidie deKion-
Kan ne refta pas impunie; ce malheureux
périt par les ordres d'Oramgzeb lui - même.
On fe fent foulagé , ajoute M. Deformeaux
, en voyant le fupplice de ce mifé
rable.

Il ne reftoit plus qu'un fils de Dara qui
pût porter quelque obftacle à la tranquillité
de l'Empereur ; Oramgzeb trouva le
moyen de le faire tomber entre les mains.
Mais touché de la fermeté de ce jeune
homme , il fe contenta de le faire enfer
mer dans une fortereffe,où il fut enseveli
dans un éternel oubli. Il crut devoir enfuite
facrifier à fa fûreté fon père , fon fils
& fon frère Moradbax qu'il tenoit toujours
dans une étroite prifon . Tous ces Parricides
arrêtèrent les Lettrés,à qui il ordonna
d'écrire fon hiftoire . Quelle couleur, lui dit
leur Chef, donner au maffacre de la Fa
JUIN. 1961 . 79
mille Impériale ? Apprends ,répondit l'Eripereur
, que ma conduite eft devenue légitime
par l'appui qu'il falloit donner à la
Religion & à l'Empire ébranlés. Les diffo-
Lutions d'un père imbécille , l'impiété de
mon frère aîné, l'héréfie du fecond, & enfin
L'intempérance & la ftupidité du dernier ,
juftifient ma politique, & effacent la honie
de mes forfaits. C'eft ainfi que l'habile
Oramgzeb coloroit du prétexte de la religion
les crimes que fon ambition lui faifoir
commettre . On le vit bientôt gagner
l'affection d'un peuple fuperftitieux par
fon zéle apparent pour le culte divin.
» Il ordonna qu'il en couteroit un pied
» ou une main à un Muſulman convaincu
de vendre ou de boire du vin ...... Ap-
» préhendant que la longueur des mouftaches
des Mogols ne les empêchaffent
de prononcer avec refpect le mot Allah
( Dieu ) il les fixa à une certaine
mefure ... Les rues de la Capitale furent
bientôt pleines d'Officiers & de
» Soldats, qui , le cizeau à la main, mefu-
"
roient les barbes ,& les réformoient for
» le pied de l'édit . » Il rendit beaucoup
d'autres édits dictés par fa politique &
fon hypocrifie. Des affaires plus importantes
le troublèrent dans ces occupations.
Trois Villes du Dekan qu'il ôta à un cé-
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
lébre Avanturier nommé le Cevagi, à qui
il les avoit données , lui fufcitèrent la révolte
de ce brigand. Ik s'étoit rendu redoutable;
& l'Empereur avoit tourné toutes
les forces contre lui , quand une confpiration
plus capable de faire rire que d'épouvanter
, penfa perdre Oramgzeb. Une
vieille femme ,qui paffoit pour la plus habile
Magicienne des Indes , avoir ameuté
contre lui les Mondias , eſpèce de Moines
mendians fort communs dans le Mogol.
Ces malheureux , au nombre de près de
vingt-cinq mille , n'ayant pour toutes armes
que des bâtons , s'avancèrent vers le
camp de l'Empereur qui n'avoit auprès
de lui que dix mille hommes pour fa garde
. Ces troupes, croyant avoir affaire à des
démons fous la conduite de la vieilleSorcière
, étoient tout éffrayées , & plus difpofées
à fuir qu'à combattre. Oramgzeb
ne trouva pas d'autre moyen de les raffuter
que de fe faire paffer pour Magicien
lui- même. Il fit attacher de prérendus
forts au col de fes Eléphants ; & fes Soldats
remis de leur crainte, eurent bientôt taillé
en piéces la canaille , qui avoit ofé les
attaquer.
Toutes ces confpirations ne furent pas
fi terribles pour Oramgzeb , que le fur
celle dont nous allons parler. Nous avons
JUIN. 61.
8r
vu plus haut , que Sujah , fon frère aîné,
avoit été la victime de l'avarice du Roi
d'Arracan , & avoit été mallacré avec
toute fon armée. Un feulSoldat éroit échap
pé de ce défaftre . Une reffemblance parfaite
de figure, & de caractère avec Sujah
, lui firent concevoir les plus hautes
efpérances. Quelque tems après il publia
qu'il étoit Sujah lui - même ; il racontoit
fon évafion ; & attira fous fon comman
dement un grand nombre de Mogols de
bonne foi. Ilfe rendit maître de plufieurs
Provinces du Nord , qui laffées de la domination
d'Oramgzeb & charmées de retrouver
leur légitime Souverain, fe foumirent
à lui fans réfiftance . Le faux Sujah , à
la tête d'un armée confidérable , s'empa
roit fans peine de toutes les Villes qui
fe trouvoient fur fon paffage ; & l'Empereur
étoit occupé , à l'autre extrémité du
Royaume , contre un ennemi qui avoit réfifté
à fes rufes & à fes armes : c'étoit le
Cevagi. Il fe hâta de faire une paix honteufe
avec lui, & vola contre l'impofteur.
Il n'en eut pas plutôt triomphé, que le fils
du Cevagi le fit revenir fur fes pas ; fes
propres enfans confpirèrent contre lui
Son grand âge ne l'empêcha pas de faire
face à tout ; & s'il ne vainquit pas tou
jours , il arrêta du moins les progrès de
DY
82 MERCURE DE FRANCE.
tous les ennemis. Depuis longtems il lut
toit contre la mort , quoiqu'il donnât luimême
l'ordre tous les jours , à fon armée ,
avec une préfence d'efprit admirable.
Son corps ufé de farigues fe foutenoit à
peine ; une humeur froide s'étoit répandue
fur fes paupières & en empêchoit le
mouvement ; deux Officiers n'avoient auprès
de lui d'autre fonction que de les ouvrir
ou de les fermer, felon fes ordres. Enfin
ce célébre Monarque , âgé de cent- un
an,mourut après avoir partagé fon royaûme
à fes trois fils par fonTeftament. Dans
le dixième volume dont nous rendrons
compte dans le Mercure prochain , on
verra la fuite des difpofitions de ce grand
Empereur contemporain de Louis XIV,
& du Czar Pierre I , & auffi célébre en
Afie, que le Monarque François & l'Empe
reur Ruffe l'étoient en Europe . En atten
dant , nous ne pouvons que donner des
éloges mérités à M. Deformeaux. Son ftyle
eft pur , élegant fans ambition , il ré
pand partout la vie & l'intérêt . Ses réflexions
naiffent , fi l'on peut le dire , du
fentiment. C'eft un des morceaux d'hiftoire
qui réuniffe le plus toutes les qualités
néceffaires à ce genre d'écrire.
JUIN. 1761 . $3
EXTRAIT d'un Difcours prononcé en
Italien , par BARTHOLOME'E RAMELLA
, le 25 Janvier 1761 , jour de
l'Inftallation du Séreniffime Doge de
Gènes , AUGUSTIN LOMELLINI ,
& imprimé à Gènes , chez Bernard Tarigo.
L'ORATEU ORATEUR commence ainfi : Quelle
qu'ait été l'origine des premières Loix
Civiles , il eft certain que les hommes ne
fe font dépouillés de leur indépendance
naturelle & ne fe font déterminés à fe
foumettre , que pour acquérir les avantages
de la Société : c'est- à- dire , pour jouir
de la fûreté & de la tranquillité communes.
Examinant enfuite les différens fyftêmes
politiques , il fait voir : qu'ils participent
tous de la malheureuſe influence des paſfions
, inféparables de l'humanité ; & que
toute l'excellence & la perfection imaginables
des Légiflateurs , ne fuffiroient pas
pour nous rendre fages & heureux . Il cite
la Théocratie des Hébreux comme une
preuve de cette humiliante vérité.... Quoique
les hommes ne puiffent vivre indé-
D vi
84 MERCURE DE FRANCE
Fendans, ni vivre en fociété, il eft pourtant
encore vrai que les Peuples retirent tant
d'avantages des bons Souverains , que les
Nations les ont toujours regardés com-
'me un des dons les plus précieux de la
Providence. Ainfi, dit - il, en s'adreffant au
Doge bien qu'avec les attributs de la
Majefté , vous ne foyez fur le Trône que
le premier Citoyen de notre République ,
notre joie n'en eft pas moins grande de
voir la confervation des loix & la profpérité
publique qui y eft attachée , fpécialement
confiées aux lumières de votre
efprit & aux nobles fentimens de votre
coeur. Je fuis l'interpréte des acclamations
publiques, & de l'éfpoir que nous fondons
fur vous Mais je fai que vous êtes ami du :
vrai , & le Juge le plus éclairé de l'éloquence
; c'est pourquoi je n'avancerais
rien que chacun n'ait déjà heureuſement:
éprouvé , en difant que la Nation Génoife
doit retirer de votre gouvernement
,.
tant pour fa gloire que pour fon intérêt,
tous les avantages que les circonftances
des temps & le conrt efpace d'un régne
de deux années , peuvent lui permettre
d'attendre d'un Philofophe & d'un Sage .
élevé au Trône de la Patrie....
Dès les temps les plus reculés , les différentes
branches de la Maifon de Lomel
JUIN. 1761.
8
lini fe font rendues recommandables
dans toutes les fortes de voies , qui conduifent
à la véritable gloire. Les monu
mens publics nous en confervent la mémoire;
& la fuite des grands Perfonnages
de cette illuftre Maifon , qui ont été chargés
du commandement des Armées , qui
ont été honorés de la Pourpre & qui font
montés fur le Trône de Gènes , paffera à
l'immortalité. Mais le Prince , que la République
vient d'y élever , n'a pas
n'a pas befoin
de cet héritage de la gloire & du fruit des
travaux de fes Ancêtres: Il s'eft rendu grand
par lui- même. Son nom est devenu fi recommandable
, qu'à l'avenir ceux qui fe
diftingueront le plus dans les Sciences &
dans l'amour de la Patrie , ne pourront
pas obtenir un plus grand éloge que de
lui être comparés . C'eft pourquoi, fans ré
péter ici des chofes connues par notre His
toire & celle des Etrangers , je m'étendrai
plutôt fur les autres avantages, qui ne dé
pendent pas de la naiffance , & qui ne font
pas l'ouvrage de la fortune....
L'Orateurfait ici un éloge des Sciences,
qui fuffiroit pour réfuter les Paradoxes ridicules
qu'on a avancés de nos jours. Il
fait remarquer àfes Auditeurs quel eſpace
immenfe a franchi l'efprit humain , pour
tirer le commun des hommes de l'enfan
36 MERCURE DE FRANCE.
ce & de la barbarie , & pour les faire ar
river au degré de perfection dont leur
infuffifance eft fufceptible. Les décou
verres fur les avantages de la vie civile ,&
les heureux progrès de l'humanité , ne font
autre chofe que le fruit & les productions
de ces Génies élevés & créateurs ,
de ces Savants , qui , tels que des Précep
teurs du grand nombre , enfeignèrent à
penfer , & jettèrent les premières fémences
des Arts , de la vertu & des vérités naturelles
, que l'on peut appeller , pour
ainfi dire , des révélations de Dieu faites
par la voix de la Raiſon. Ainfi comme l'éffence
du Gouvernement &l'excellence de
notre espéce réfident en eux , c'eſt à juſte
titre que leur réputation donne un nouveau
luftre aux regnes fous lefquels ils font
nés, & qu'ils feront à jamais regardés comme
le foutien & l'ornement des Nations.
Paffons les Alpes & la Mer de Gènes ;
tranſportons - nous chez des Peuples fameux
: nous trouverons que la Nation s'y
eft acquis un nouveau luftre par la répu
tation que s'y eft faite ce digne Miniſtre
de la République , qui dès -lors annonçoit
qu'il en devoit être un jour le Chef. Aux
Cours de France, de Naples & de Parme,
on fe fouvient encore des Négociations
que la haute capacité y a traitées : & nous
JUIN. 1761 .
87
ne pourrons jamais oublier les avantages
qui en ont réfulté pour nos intérêts ,
& l'honneur que les talens du Négocia--
teur ont fait à notre Patrie ?
.3
Les fentimens des Princes de la race
immortelle des BOURBONS, font auffi écla→→
tants & auffi fublimes que leur augufte
Trône. A l'éclat de cette vive lumière qui
en réfléchiffoit fur notre illuftre Citoyen ,!
il s'eft montré fi digne de la faveur des
Souverains , qu'il pouvoit en quelque façon
être regardé comme l'Ami des Rois.
Tel il a paru à la Cour de ce puiſſant Monarque
à qui fes vertus & le nom de BIENAIMÉ
qu'il a reçu de fes Peuples , & qui
eft le titre le plus flatteur pour un Roi ,
fuffifent pour affûrer l'immortalité . De
quelles marques de confidération n'a- t- il
pas été honoré par le grand & très heu
reux Charles III. que les monumens de
fa gloire , & fes defcendants auxquels il a
tranfmis la Couronne des deux Siciles ,
confervent immortel fur ce Trône ? Ce
grand Roi , dis - je , qui maintenant tel
qu'un Soleil renaiffant fur l'horifon de fa
Monarchie , répand fur l'une & l'autre
Hémisphère les rayons de la Majefté Catholique.
Nous avons regret que les bornes d'un
4
extrait ne nous permettent pas de traduire
88 MERCURE DE FRANCE.
tout ce que dit M.Ramella des qualités per
fonnelles du nouveau Doge, &fpécialement
de l'excellence de fon efprit , de la variété.
& de l'étendue de fes connoiffances . Qu'il
nous foit permis feulement d'ajouter que
c'eft avec grande raifon qu'il termine le
Portrait de cet illuftre Perfonnage, que nous
avons eu fi longtems le bonheur de poffeder
parmi nous, par la réflexion fuivante.
.... On pourroit attribuer cet éloge à
l'amour que j'ai pour mon Prince ; mais
pour n'être point fufpect dans le jugement
que je porte de fes talents & de fa fcience
, je cherche chez les Philofophes Etrangers
les plus célébres , & qui ont le moins
de partialité , ce qui conftitue le vrai mé--
rite littéraire; & je trouve que partout on
l'a reconnu en lui , & que ces mêmes
Jouanges lui ont été données au - delà: des :
Monts , dans les Académies Royales les
plus éclairées , & dans les Ouvrages les
plus connus,où il eft cité comme un exem-:
ple de la Science d'Italie.
.
*
Mais pour bien juger du mérite des
hommes , on doit moins confidérer leurs
Voyez parmi les Lettres de M. l'Abbé LE
BLANC , celles qui font adreffées à M. le Marquis
DE LOMELLINI , Envoyé de Gènes , & fpécialement
la 85º . du II . Volume de' la dernière
Edition: A Lyon , chez Aimé de la Roche , 17.58.
·JUIN. 1761.
&
grandes qualités que l'ufage qu'ils en font.
Les Sages de l'Antiquité, ou durent en mê
me tems être des hommes utiles , ou ne
parurem fages qu'à des gens plus infenfés
qu'eux . Et en effet de quel mérite font les
ftériles & folitaires fpéculations fur le vrai,
fans le concours d'un talent actif, dans les
facultés intellectuelles , fans cette noble
inclination qui nous porte fans ceffe à devenir
utiles à la Société , enfin fans cette
fenfibilité d'imagination , qui eft fi puiffamment
excitée par l'amour de la vraie gloire
? Lorfque l'utilité publique n'eft pas le
but que l'on fe propofe dans les Sciences ,
la Géométrie ne fait que mefurer la maifon,
& néglige la connoiffance de ceux qui
l'habitent ; la Philofophie fe borne ou à
faire rire un Démocrite, qui confidére les
chofes les plus férieufes comme des folies
réduites en fyftêmes , & ne voit dans
la Raifon de l'homme que fon plus beau
délire, ou elle ne fert qu'à faire un Milantrope
, qui concentré dans une indifférence
orgueilleufe pour tous les évenemens, hair
Les hommes , ne vit que pour lui-même ,
& ne voit qu'en lui feul fon Ami , ſa Patrie
& l'Univers .
Cette , penfée qui renouvelle nos an
ciens défaftres,me rappelle auffi le courage
inébranlable avec lequel le Prince qui
90 MERCURE DE FRANCE .
m'écoute,les a foutenus, & tout ce qu'il a
entrepris pour y remédier ...... Dans
le cours des chofes humaines , ainfi que
dans celui des maladies, il arrive de tems
en tems de certains accès , c'eft - à- dire, des
augmentations de mal qui affligent plus
qu'à l'ordinaire. Le malheur de nous voir
opprimés nous a forcés de recourir à notre
ancienne valeur , & de prendre les armes
pour la plus belle caufe de l'Héroïf
me , c'est-à-dire , pour notre propre défenfe.
Je dis que la propre défenfe eft la
plus belle caufe de l'Heroifme guerrier
parce que les maux inféparables de la guèr
re font en fi grand nombre & fi terribles ,
que la plus jufte & la plus indifpenfable
peut s'appeller un malheur légitime. Mais
la guèrre manifeftement injufte , je ne
craindrois pas de l'appeller un crime de
lèze-humanité. Lorfqu'Alexandre & At
tila , poffédés d'un efprit de conquête ;
fe font rendus coupables de ce crime , en
troublant le repos du genre humain &
en multipliant les moyens de le détruiils
ne doivent en cela nous infpirer
que de l'horreur ; & quiconque eft capable
de les admirer , mérite de n'avoir que des
barbares pour Maîtres ......
M. Ramella venant à des temps plus
#ranquilles, remarque que ce qui eft le plus
JUI N. 1761 . 9.7%
digne d'admiration dans le Prince Philofophe
dont il fait l'éloge , c'eft d'avoir
fçu arrêter l'éffor de fon imagination , d'a
voir mis lui- même des bornes à fon efprit
fi élevé au- deffus de celui du vulgaire ,
d'avoir renoncé à la fublime volupté de
l'étude , pour le donner tout entier aux
foins importants qui dans l'atmoſphère du
Trône font l'occupation du Sénat. Que
c'est ainsi qu'il s'eft acquis un nouveau
mérite , au milieu de la paix même , &
qu'il a fait connoître que l'efprit de Patriotifme
, fupérieur en lui à tout autre
penchant , occupoit conftamment la première
place dans fon coeur......
On ne peut rien de plus judicieux que les
réflexions de l'Orateur fur le principe fecret
de la plupart des actions des hommes . Sont
ils défoeuvrés ? Ils fentent leur propre mifere
le malheur de ne pouvoir fe fuffire
à eux- mêmes fait naître en eux le befoin
de fe diffiper,pour écarter & fufpendre ce
fentiment désagréable. C'eft ce qui fait
que nous entreprenons tant de chofes
fans raifon & fans autre deffein que d'occuper
notre tems.... Soit que les occupations.
foient frivoles ou férieufes , c'eſt
toujours la diftraction & l'oubli de foimême
que l'on cherche, comme un remé-
*
de contre l'ennui. La plûpart des hommes
MERCURE DE FRANCE.
font affez malheureux pour être embara
fés du tréfor de leur tems...... Ce n'eft que'
par le dégoût de l'inaction que lesRomains
fe battoient fur l'Arène ; & que ceux à
qui ce dégoût étoit le plus à charge , lui
préféroient la mort. Mais le Sage,dont je
parle ici , eft bien au deffus de ces épreuves.
Il trouve mille objets , mille motifs
preffants pour occuper fon efprit accou
tumé à la réflexion, & le diftraire d'une
manière agréable , de l'égarement des fens.
Du lieu éminent où il eft placé , il décou
vre un vafte horizon , i*l a l'Univers pour
livre , & il retrouve la Compagnie & le
fpectacle , dans la Scène interieuré de fes
continuelles obfervations . I cultivé le
commerce de Gens de Lettres & fon gour
pour les beaux Arts . Tantor la folurion
d'un Problème, lui ouvre le tréfor des vérités
Géométriques .... Tantôt examinant
dans l'hiftoire l'efprit des Nations & des
Siécles , il en compare les differences &
les
es rapports & c... S'il eft donc vrai que let
Philofophe que chacun de nous doit reconnoître
à ces traits fur le Trône de Gènes,
ne pouvoit rechercher les dignités, ni
par un principe d'orgueil , ni par un be
foin d'occupation ; quel autre motif pouvoit
le tirer d'une fituation qui lui étoit fr
agréable , fi ce n'eft l'attrait puiffant de
JUIN. 1761. 93 ་, ༠༣
i
fa vertu fi ce n'est qu'il fait confifter le
principal intérêt de fon ſavoir & de fa
gloire à fe fignaler , en fe rendant utile à
fa Patrie Il n'a pû afpirer à la dignité
-fuprême , que parce qu'elle lui a paru le
-plus haut degré, où puiffe s'élever la vertu
d'un Citoyen .... Hé ! qui peut mieux remplir
les obligations de la Couronne &
celles de dépofitaire du bonheur de la République
, qu'un Savant que fes lumières
& l'amour de l'ordre ont rendu propre à
regner , qui eft accoutumé à penfer en
grand , à diftinguer la convenance des
moyens & des vues politiques , à foutenir
le poids du Gouvernement , à connoître
l'homme , à en efpérer peu & à l'aimer ;
& qui enfin par tant de degrés de connoiffances
& d'expérience,eft parvenu à comprendre
tous les grands principes du droit
de la Nature & des Gens ? ...... La force a
fondé les Empires & la Sageffe les a foutenus
, jufqu'où peuvent aller les chofes
humaines , qui ont fi peu de ftabilité que
c'eft pour elles durer beaucoup que de
changer peu ..... La Religion, dans le gouvernement
des Gentils, étoit une partie de
leur politique ; la politique , dans le gouvernement
des Chrétiens , doit être une
partie de notre Religion ...... L'Art divin
de regner tire fon origine du Ciel : ce n'eft,
94 MERCURE DE FRANCE
aproprement parler , que l'exercice plus
étendu de l'autorité paternelle : il confifte
à rendre douce & heureuſe l'obéiffance
des Peuples , à protéger la nature humaine,
& à repréfenter la Divinité par des actes
continuels de juftice & de bienfaiſance......
L'Orateur termine fon difcours en
s'adreffant au Doge...... Convaincus de
ces vérités & animés de ces principes ,
les Sénateurs de cette République ont
établi la gloire & affureront les fruits de
votre Gouvernement. Nous les reconnoiſſons
& nous les honorons à juste titre,
comme les Auteurs de l'allégreffe publique
& du bonheur de la Nation ; par
ce que nous fçavons que les Souverains
defpotiques fe foutiennent par la fierté ;
que les honneurs , dont l'orgueil humain
eft fi avide , fervent de bafe aux Monarchies
; & que les Nations libres ne font
heureufes qu'autant que la bonté & les
vertus des Particuliers forment les moeurs
& deviennent la loi du Public.
JUIN. 1761. 95
DISSERTATION fur les défauts qui fe
trouvent dans les Ouvrages de Littérature.
UELQUE foin qu'un Auteur puiffe apporter
a rendre fes ouvrages parfaits , il
lui eft bien difficile de ne pas s'écarter
quelquefois des régles de l'Art ou de la
Nature ; car l'efprit éprouvant néceſſairement
les diverfes fituations du corps
auquel il eft intimemement lié , c'eſt - àdire
, paffant fucceffivement comme lui
de l'activité à l'indolence , de la foibleffe
à la force , & du fentiment à une eſpéce
d'infenfibilité , fes productions doivent
porter l'empreinte de toutes ces inégalités.
Si cependant un Ecrivain ne choififloit
pour travailler que les momens où
if a le goût plus fûr & le fentiment plus
marqué , il feroit , à n'en point douter ,
moins inégal & plus parfait . Mais la plupart
de ceux qui écrivent , courant plu
tôt après un gain néceffaire pour leur
fubfiftance , qu'après cette belle gloire
à laquelle ceux que la Fortune a maltraités
ne peuvent guères afpirer , parce
que la gloire eft un fuperflu , & que le

néceffaire doit marcher avant elle ; ils fe
96 MERCURE DE FRANCE.
préfcrivent chaque jour de longues tâches,
pour obtenir plus promptement les fecours
dont ils ont befoin .Mais comme un travail
long & affidu les appéfantit , & éteint en
eux cette chaleur créatrice qui communique,
pour ainfi dire, de l'âme aux penfées;
& que d'ailleurs, il eft des jours de stérilité
ou l'efprit ne peut donner que de froides
productions,il arrive que les fruits de leurs
veilles meurent prèfque en naiffant, ou que
venant à tomber malheureufement entre
les mains de gens dont le goût n'eſt pas
entièrement formé , ils le corrompent ,
ou en retardent la perfection . Pour ceux
qui , placés dans une honnête fituation ,
n'envifagent que la gloire pour récompenfe
de leurs travaux , & qui s'appliquent
à loifir , à limer & à polir leurs
écrits ; s'ils ne viennent pas toujours à
bout de les mettre à l'abri , je ne dis pas
de cette envieufe critique, dont le honteux
& coupable plaifir eft de nuire au mérite
& de détruire la réputation la plus légiti
mement acquife , mais de celle qui judicieufe
& éclairée n'a d'autres vues que de
hâter le progrès des talens & des Arts ,
c'eft fans doute parce qu'ils ne confultent
pas leurs forces & leur génie lorfqu'ils
fe mettent à l'ouvrage , faute d'avoir fait
les réfléxions précédentes que l'expérience
JUI N. 1761 . 197
ience eût cependant dû leur dicter , ou
parce que l'habitude d'écrire les entraîne
fouvent dans des inftans où la fource, dans
laquelle ils puifent leurs idées , eft moins
abondante & moins riche .
Pour atteindre à cette perfection , qui
doit être l'objet de l'ambition de tout Fcrivain
, il faudroit donc attendre & faifir
avec empreffement ces momens favorables
, que prèfque tout le monde éprouve ,
les uns, à la vérité , plus rarement que les
autres ; je veux dire , ces momens où l'imagination
échauffée par la chaleur du
fentiment , prodigue les images & les
fleurs , & où les objets qu'elle embellit
prennent une figure féduifante qui charme
& qui ravit . Il faudroit alors prendre fans
choix les richelles précieufes qu'elle offre
fi libéralement , & ne point s'arrêter à
vouloir encore les embellir par les grâces
du ftyle. C'eft ne pas connoître le prix de
fes faveurs, & par- là même ne les pas mériter
, que de s'occuper alors d'un autre
foin que de recueillir fes dons : car , toute
autre attention ne fert qu'à la refroidir.
Ce n'est que lorfque feslargeffes font épuifées,
qu'on devroit , à l'imitation des Peintres
, qui , lorfque leur imagination failic
quelque bel objet, en tracent précipitam -
ment une efquiffe,dans la crainte qu'il ne
E
98 MERCURE DE FRANCE.
leur échappe, & qui n'y ajoutent la correc
tion du deffein qu'après que le feu qui les
échauffoit eft éteint : ce n'eft qu'alors ,
dis-je , qu'on devroit ajouter , élaguer.
refondre , mettre chaque penfée en fa
place , chercher d'heureux tours, & choi-.
fir les expreffions les plus conformes au
fujet. Mais ceux qui font animés de ce
beau feu, qui caractériſe le génie, n'aiment
pas ordinairement à affervir l'imagination
au jugement. Le travail , l'application &
la patience qu'exige la parfaite correction
d'un ouvrage, ne peuvent guères s'allier
avec cette fécondité facile , qui fans -
éffort met au jour les plus grandes beautés.
Auffiapperçoit- on communément, dans
les productions du génie, des défauts bien
plus fenfibles que dans celles du bel - efprit;
c'eft que celui- là eft plus propre à inventer,&
celui - ci plus capable de perfectionner.
Le premier , peu fait pour la fervile
dépendance à laquelle réduifent les régles
& les préceptes , dès qu'on veut s'y foumettre
, aime à prendre fans guide fon
éffor à travers des régions inconnues , où
lui feul peut pénétrer ; le danger de s'égarer,
ou de tomber en s'élevant trop haut,
ne l'intimide point ; & avec une hardieffe
qu'on prendroit pour témérité , fi elle
n'étoit pas juftifiée par le fuccès , il conJUIN.
171: 99
tinue fon vol auffi loin qu'il peut s'étendre.
Le fecond , timide & né plutôt pour l'efclavage
que pour la liberté , fe charge
volontairement de chaînes , dont le poids
rend fa marche & plus méthodique &
plus contrainte ; incapable de fe frayer
de nouvelles routes , il ne parcourt que
celles qui font déjà battues ; toujours fur
fes gardes , il s'écarte rarement de fon
chemin , & l'impuiffance où il eft de s'élever
affez haut pour le faire admirer, dérobe
entièrement aux regards les plus attentifs
, les chûtes qu'il fait . * On admire
jufqu'aux défauts de l'un , & à peine efton
frappé des beautés de l'autre . Je ne
fais pas même , indépendamment de ce
que j'ai dit plus haut , fi dans les ouvra
ges de génie , les défauts qui s'y trouvent
n'ont point leur mérite : de même que
dans un tableau , il faut des ombres pour
en rendre les figures plus faillantes , ilfaut
peut-être auffi des défauts dans ceux - là
pour donner plus d'éclat aux beautés qui
yfont répandues. Dans un ouvrage de longue
haleine , fi tout étoit de la même forfi
tout étoit également frappé au coin
du génie ; je ne fais s'il n'en résulteroit
ce ,
* Témoin le récit de la mort d'Hippolite par
Théramène dans la Tragédie de Phédre & Hippolite
de Racine,
E i
130 MERCURE DE FRANCE
pas , pour bien des Lecteurs , une certaine
monotonie qui le rendroit moins piquant.
LaSymétrie ne nous plaît , que parce que
Lous avons tous les jours fous les yeux le
défordre apparent de la Nature. Si cette
Symétrie , que nous defirons & que nous
cherchons avec tant d'avidité , décoroit
chaque partie duGlobe que nous habitons ,
elle n'auroit plus pour nous ces attraits qui
nous la font aimer. La Nature , au lever
de l'aurore , ne paroît fi belle & fi riante
que parce que les ténébres qui la voiloient
à nos regards , viennent de difparoître . Si
la beauté étoit la même chez toutes les
femmes , ce ne feroit plus la beauté qui
nous les feroit aimer. Pour aider notre
penchant naturel , elles feroient obligées
d'avoir recours à d'autres charmes ; l'efprit
dans ce cas - là pourroit fuppléer à la
beauté , & la fociété y gagneroit infiniment ,
Enfin c'eft la variété des objets beaux &
laids ,qui nous fait adorer la beauté.SiCor
neille, au jugement de bien des gens, l'emporte
fur Racine, ce n'eft , peut-être , que
parce qu'il eft moins égal & moins foutenu
que ce dernier. Les traits grands &
fublimes de celui - là fe laiffent plus faci
lement remarquer , à caufe du contrafte
fréquent des défauts qui régnent dans fes
Ouvrages . Les beautés tendres & touchanJUIN.
1761 .
tes de celui- ci font fi multipliées qu'elles
s'égarent &fe confondent, pour ainfi dire,
dans la foule . D'ailleurs la plupart des
Lecteurs ne cherchent pas feulement à
s'inftruire , ils aiment encore à exercer cè
talent naturel que tous les hommes ont
reçu pour la critique ; & dès qu'ils trouvent
dans un ouvrage des défauts à repren
dre , leur vanité fatisfaite , les met auffitôt
de niveau avec celui qui en eſt l'Auteur
, fi même , elle ne les place fort audeffus.
Quoiqu'on ne puiffe s'empêcher
d'admirer un excellent ouvrage; dès qu'on
fent qu'on eft incapable de produire rien
d'auffi parfait, on ne le lit ,fi j'ofe dire,qu'avec
défefpoir ; & peut- être , en le lifant ,
ne fentiroit-on aucun plaifir , fi celui d'en
critiquer les défauts ne venoit pas confo .
ler le Lecteur du reproche tacite qu'un
tel ouvrage lui fait effuyer de fon incapacité.
Une fupériorité toujours conftante
& toujours foutenue l'humilieroit trop ;
mais lorfque Foccafion de critiquer vient
flatter fon amour-propre , il permet plus
volontiers à l'Auteur d'être élégant , fleuri
, brillant : il va même plus loin , il exige
que les défauts que fa pénétration lui
a fait appercevoir foient compenfes par
de vraies & de folides beautés , afin que
la bonne opinion qu'il a conçue de lui-
E iij
02 MERCURE DE FRANCE
même lui paroiffe mieux fondée . Il ne
croiroit pas qu'il fût glorieux pour lui dedécouvrir
des défauts dans un ouvrage
médiocre; parce qu'ainfi que tout le monde
, il fe croit au- deffus de la médiocrité.
Il veut pouvoir donner de juftes louanges,
après avoir critiqué , pour qu'une partie
de fes éloges tournent à fon profit.
Il femble , après cela , qu'un Auteur ne
devroit pas tant s'allarmer des critiques
qu'on fait de fes Ouvrages ; elles font vifiblement
la preuve de leur mérite : car ,
qui voudroit prendre la peine de critiquer
ce qu'on appelle un mauvais ouvrage ? Si
l'on en excepte quelques Auteurs faméliques
, chacun , dans l'Empire des Lettres ,
travaille à fa propre gloire ; & un Criti
que n'ignore pas que la fienne doit être
proportionnée à la bonté de l'Ouvrage
qu'il veut critiquer. La Satyre même ne
fert qu'à conftater les talens d'un Auteur ,
parce qu'on fait que c'eft toujours l'envie
qui lui donne le jour ; & que la réputation
brillante qu'un Auteur commence à fe
faire, fi elle n'eft pas déjà établie, lui ſuſcite
ordinairement mille envieux qui emploient
toutes les honteuſes reffources de
la malignité, pour détruire fon nom & fes
Ouvrages. Enfin de pareils écrits ont toujours
déshonoré leurs Auteurs , auprès des
JUIN. 1761 . 10%
honnêtes gens , fans que la gloire de ceux
qu'ils attaquoient
en ait fouffert. Les libelles
contre M. de Voltaire reftent dans
la pouffière, tandis que fes ouvrages triomphent.

De Coème en Anjou . Par un Abonné au Mercure.
DESCRIPTION du Maufolée érigé dans
l'Abbaye Royale de S. Denis , pour les
Obféques de Mgr LOUIS -JOSEPH-XAVIER
DE FRANCE , DUC DE BOURGOGNE , fur les
deffeins du Geur Mic. Ang. Slodtz , Déſſinateur
ordinaire de la Chambre & du
Cabinet du Roi. In - 4° . Paris. 1761 , de
l'Imprimerie de Chriftophe- Jean- François
Ballard.
CETTE deſcription , qui eft de M. Fréron
, ſe trouvera dans les Nouvelles Politiques.
En voici le préambule , qui nous
paroît écrit avec cette fimplicité noble
qu'infpire la vérité du fentiment , que
lui feul peut bien rendre , & à laquelle
tout bon François ne pourra fans doute
qu'applaudir.
CE N'EST pas feulement l'efpérance de
ce qu'auroit pû devenir le jeune Prince *,
* M.le Duc DE BOURGOGNE naquit au Châu
teau de Verſailles le 13 Septembre 1751 ; il eſt
mort dans le même Château le 22 Mars de cette
anuće , âgé de neuf ans , fix mois & neuf jours .
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
ifte objet de cette Pompe funébre , c'eft
furtout l'admitation de ce qu'il étoit déjà,
qui rend fa perte fi douloureufe. Les grâ
ces de fon âge jointes à la fupériorité de
la Raifon , la vivacité de l'efprit , l'élé
vation des fentimens , l'amour de la vérité
, l'horreur pour le menfonge , & par
conféquent pour la flatterie , la douceur
du caractère , l'affabilité , la bienfaifance
: Ce portrait de Mgr le Duc DE BOURGOGNE
, n'eft encore qu'une foible ébauche.
Il lui étoit réfervé d'atteindre à l'héroïfme,
prèfqu'au fortir du berceau , & de
mettre le comble à nos regrets par fa fermeté
, fon courage , fa conftance au milieu
de fes maux , par le calme inaltérable
de fon âme , fa religion & fa piété.
, י
Les longues maladies affoibliffent prèl
que toujours l'intérêt qu'on prend aux
perfonnes les plus chères . M. le DUC DE
BOURGOGNE , pendant près de deux ans
de fouffrances , loin de refroidir autour
de lui l'attachement & le zèle , leur donnoit
un nouveau degré de chaleur chaque
jour on découvroit de nouveaux mo
tifs de l'admirer , de l'aimer & de It
plaindre. Plus il approchoir du terme ,
plus il fe montroit digne d'une longue
carrière , & le defir de le conferver croiffoit
avec la terreur de le perdre. Il e
JUI N. 1761 . 105
peut - être le premier dont la Mort lente
ait excité des regrets auffi vifs que fi elle
avoit été foudaine.
Les voeux du Grand Prince qui lui donna
le jour , les pleurs de la plus tendre
des Mères , n'ont pû détourner ce coup
funefte. Il fuffit de connoître toute la fenfibilité
de M. le DAUPHIN & de Madame
la DAUPHINE , de favoir à quel ' excès ils
aimoient ce premier gage d'une union
d'ailleurs fi fortunée , & combien cet
excès étoit jufte , pour fe peindre la douleur
dont ils font pénétrés.
A des larmes fi touchantes , fe font mêlées
celles d'un Roi qui voyoit revivre
dans fon Petit- fils , pour le bonheur de '
nos derniers Neveux , les qualités qui le
rendent lui- même fi cher à fon Peuple ;
d'une Reine , l'honneur du Trône , l'appui
de la Religion , l'ornement de l'humanité
; de toute une Famille augufte qui
fe feroit facrifiée pour ce Prince aimable;"
d'une illuftre Gouvernante qui la première
avoit cultivé ce fond heureux , &
jetté dans cette âme noble & pure les
femences des vertus dont elle est le mo
déle ; d'un fage Gouverneur ** qui recueilloit
déjà les doux fruits de fes foins ,
*
* Madame la Comteffe de Marfan.
** M .le Duc de la Vauguyon.
,
Evv
106 MERCURE DE FRANCE:
& qui fe voit fi bien loué par la défolation
générale que caufe la mort de fon
Elève ; d'un Prélat refpectable , qui préfidoit
à fes études avec tant d'intelligence
& de fuccès ; enfin , de tous ceux :
qui par leurs charges & leurs emplois
avoient l'honneur de l'approcher . Ce
n'eft point une affliction commandée par
l'intérêt & la politique ; c'eft l'attendriffement
de l'âme ; c'eft le fentiment même ;
& des pleurs véritables ont été répandus
àla Cour.
Les hommes de Lettres , qui ne font
jamais plus flattés que lorfqu'ils peuvent
rendre à nos Princes des hommages
Exempts d'adulation , fe plaifoient à célébrer
les vertus & les talens de M. le
DUC DE BOURGOGNE , fon goût pour les
Sciences & les Beaux- Arts , fes progrès
dans la Phyfique , dans les Mathématiques
& dans l'Hiftoire . Chaque année ,
chaque jour , en dévelopant les brillantes
difpofitions de ce Prince chéri , leur
eût impofé de nouveaux tributs d'éloges.
J'aurois ofé faire entendre ma foible
voix , parmi celles des Maîtres de l'Élo:
quence & de la Poëfie. Hélas , à la place
des lauriers , dont nous nous fattions
* M. Du Coëtlofquet , ancien Evêqué de Li
moges.
IUIN. 1761. 107
d'orner fa tête , un cyprès la couronne !
Au lieu de chants d'allégreffe , nos Académies
retentiffent de gémiffemens ! Des
flambeaux funéraires , l'afyle où repoſent
les cendres de nos Rois ouvert à nos regards
, un cercueil prêt à y defcendre !.....
Qui peut foutenir ce trifte fpectacle ! ... A
peine ma main tremblante a - t- elle la force
d'en tracer la defcription.
COLLECTION Académique, compofée des
Mémoires , Actes ou Journaux des plus
célébrés Académies & Sociétés Littérai
res Étrangères , des Extraits des meilleurs
Ouvrages Périodiques , des Traités particuliers
& des Piéces fugitives les plus rares
: contenant l'Hiftoire Naturelle & la
Botanique , la Phyfique expérimentale &
la Chymie , la Médecine & l'Anatomie ;;
traduits en François & mis en ordre parune
Société de Gens de Lettres : Dédiée :
à S. A. S. Mgr le PRINCE DE CONDE
Tome VI de la Partie Étrangère , & le:
premier de la Phyfique Expérimentale féparée.
Neuf volumes in-4°. & fuivants ,.
avec figures ; propofés par foufcription.
A Dijon , chez F. Desventes , Libraire ,,
de Mgr le Prince de Condé ; & à Paris ,
chez Defaint & Saillant Libraires ,
sue S. Jean de Beauvais , Louis - Etienne:
و
E vj
108 MERCURE DE FRANCE...
Ganeau , rue S. Severin , P. Guillyn ,.
Quai des Grands - Auguftins, Michel Lambert,
rue de la Comédie Françoife. 1761 .
AVIS DU LIBRAIRE.
Le volume que nous annonçons aujourd'hui
, contient l'Extrait des Tranfactions
Philofophiques de Londres ; celui du Jour
nal des Savans , des Ephémérides d'Allemagne
, des Actes de Coppenhague , de ceux
de Léipfic, des Euvres de Redi , de Paſcal,
& c. le tout dépuis 1665 , jufqu'à l'annéè ·
1702 , & finit par une Lifté Chronologique
des éruptions de volcans , des trembléments
de terre , dés faits météorologiques
& autres ; arrivés depuis les premiers
temps , jufqu'en 1760 inclufivement.
Ce huitiéme Tome auroit dû paroître ,.
& auroit en effet paru beaucoup plutôt ,
fl'Editeur de ce pénible Ouvrage n'eût été
retardé dans fá marche , par des obftacles
dont il rend compte dans fon Avertiffement:
& aufquels le font encore joints des diffi--
cultés typographiques , & les travaux confidérables
d'un nouvel établiffement , duquel
je ne parle ici qu'à cauſe du
qu'il a avec notre Ouvrage : Il s'agit d'une :
Papeterie , dans un nouveau goût , que je
viens d'établir en Bourgogne fous la Pro- ..
tection.immédiate dés Etats- Généraux dee
rapport :
JUIN. 1761 . 10h
là Province ; non-feulement dans la vue
de concourir à la perfection de cette bran
che de commerce , mais encore dans celle
d'avoir toujours commodément une provifion
fuffifante de beau & bon papier , pour
continuer également nos Volumes ; enforte
que cette Papeterie, qui doit fa naiffance
à lá Collection Académique , facilitera déformais
l'exécution de cet Ouvrage , ayant
la fatisfaction de la voir réuffir au gré des
Connoiffeurs même , foit par l'effet des
machines , qui la plupart font toutes nouvelles
, foit par la qualité des eaux , dont
la beauté nous procure actuellement des
papiers que l'on pourra comparer , fans
crainte , à ceux de l'Auvergne & de l'Angoumois.
Quoiqu'il en foit , fi l'on n'a pas
été exact à donner ce volume dans fon tems,
on a tâché de l'être pour tout le refte , &
Pon ofe efpérer que le Public , trouvant
dans l'exécution de ce huitiéme Tome la
preuve de cette exactitude , daignera nous
continuer fon indulgence , fi néceffaire à
l'encouragement de tous ceux qui travaillent
pour lui : mais comme on a pour but
de mériter cette indulgence , & non d'en
abufer , on s'eft propofé de fatisfaire dé
formais à l'impatience flateufe de ceux qui
ont déjà pris cet ouvrage, & à celle de ceux
qui veulent bien le defirer . Pour cela, on 'n'a ·
point voulu mettre ce nouveau Tome en
10 MERCURE DE FRANCE.
vente, que le neuviéme Volume ( qui fera
compofé de Médecine & d'Anatomie ) n'ait
été fous preffe , & duquel on pourra voir
les premieres feuilles imprimées chez les
Libraires chargés du débit de cette Collec
tion , dont les noms font au bas de la pre--
miere page de cet Avis . Les Volumes fuivans
fe fuccéderont de même & fans interruption
; venant de prendre à cet effet de
nouveaux engagemens avec tous ceux qui
veulent bien travailler , conjointement
avec nous , à la continuation & perfection
de cette entreprife , dont le plus difficile
eft fait.
te,
Enfin , pour compenfer , en quelque forle
retard involontaire de ce préfent Volume,
& en faveur des Perfonnes de Lettres
que la Guèrre tient éloignés , ou qu'elle
occupe trop , pour les laiffer jouir du repos
que demande l'étude des Sciences , nous
prolongeons encore , & pour cette fois feulement
, la Soufcription de eet Ouvrage
pendant trois mois confécutifs , à commencer
du premier jour du mois d'Avril prochain
, jufqu'au dernier du mois de Juin
fuivant ; le tout aux mêmes prix , claufes
& conditions, que celles qui font détaillées
aux précédens Profpectus des années 1757
& 1758. Et en cas qu'on ne les ait pas fous
les yeux , ou préfentes à la mémoire ( ces
JUIN. 1761.
1
conditions ) on les trouvera imprimées
de nouveau , & avec exactitude , dans la
page fuivante : » très certain d'ailleurs
» qu'on appercevra aifément l'avantage
qu'il y a de foufcrire en cet inftant , où,
» pour l'avance de 11 liv. que l'on fait en
» payant le neuvième Tome , on a 20 liv ..
de bénéfice , fur les huit Volumes que
> l'on reçoit.
Conditions ci - devant propofées aux Souf
cripteurs , & continuées jufqu'à la fin
du mois de Juin 1761 définitivement.
1º. Ceux qui voudront foufcrire pour
la Collection entiere , de laquelle nous
avons huit Volumes d'imprimés , payeront :
pour papier ordinaire , pris en feuilles chez
le Libraire , la valeur du neuviéme Volume
entendue , la fomme de ci .. 99
liv.
2º. En
recevant
le fufdit
Tome
neuf
,.
ils
donneront
11 livres
pour
le Tome
fui--
vant
, qui
fera
le dixième
, & ainfi
de
Volume
en Volume
jufqu'au
Tome
indiqué
par
les
Soufcriptions
précédentes
, lequel
fera
délivré
gratis
à MM
. les
Souf
cripteurs
.
3º. Ceux qui ne voudront foufcrire que
pour la Partie Etrangere , qui a fix Volu
mes de faits , & lefeptiéme compris , paye
* MM. les Soufcripteurs actuels , font priés de
faire fetirer leur Volume , le plutôt poffible , au lieu
où ils ont foufcrit,
T12 MERCURE DE FRANCE.
ront net , • · 77 liv.
4°. Les Perfonnes
qui fouhaiteront
l'Ouvrage
en grand
papier
, duquel
il y a enco
re quelques
exemplaires
, payeront
pour
la
totalité
des neuf
Volumes
en feuilles
,
ci ..
• 154
liv.
5º. Celles
qui ne voudront
que la Partie
étrangere
feulement
, payeront
pour
les fix
Volumes
qu'on
leur
remettra
, & le feptiéme
qui eft fous
preffe
, la fomme
de ..
120 -liv.
Pour les Volumes fuivans , toujours en
grand papier , on payera la fomme de 17
liv. & de la même maniere qu'il eft expli
qué pour chacun de ceux en petit papier ..
Paflé le tems ci- deffus indiqué , on ne
recevra plus aucune Soufcription ; & les
Volumes , qui font au prix de 11 liv , fe
payeront exactement 13 liv. 10 fols en
feuilles , quand on prendra une des trois
parties féparées , & 15 liv. chaque Volume
pour ceux qui ne voudront avoir que
des Tomes détachés feulement.
Onfouferira chez les Libraires indiqués à
la premiere page de cet Avis , & autres des
principales Villes du Royaume .
Avec Approbation & Privilege du Roi.
ON TROUVE chez le même Libraire , un
Supplément à la nouvelle Edition du
Traité des criées , ventes des immeubles &
JUIN. 1761.
des- offices par decret, avec des obfervations
fur les decrets volontaires , les directions ',
la vente judicielle , la vente des lettres de
Barbiers & Perruquiers , celles des rentes
foncieres & conftituées , un recueil d'Edits,
Déclarations du Roi & c. Seconde Edition.
augmentée & corrigée , le tout fuivant la
Jurifprudence des divers Parlemens du
Royaume. Ouvrage en 2 vol . in- 4º . d'environ
600 pag. chacun , de très- petits ca
ractères , de différentes fortes ; lequel fa
vend 18 liv . relié & 15 liv . en feuilles. Il
fe trouve à Paris chez le fieur Guillyn ,
Libraire , quai des Auguftins , & Saugrain,
Libraire au Palais . Le Supplément feul qui
eft de plus de 200 pages , fe vend féparé ,
liv. 12 f. broché & liv. 16 f.
ment, 3.
relié.
4
Le Traité de la vente des Immeubles
de M. d'Hericourt a encore paru en 1752 s
fous le titre d'une nouvelle Edition revue
corrigée & augmentée. On ne fauroit , il
faut l'avouer , trop multiplier les Exem
plaires d'un fi bon Livre ; mais quelque digue
d'élogesque foit cetOuvrage, il ne peut
nuire à la réputation & à l'utilité duTraité
des Criées de M. Thibault , dont la feconde
Edition parut en 1746 ** , également
**
Analyfe du Livre, mife à la tête des 2 vol.in-4°.
A Dijon, chez le même Libraire Defyentes
rue de Condé,
TT4 MERCURE DE FRANCE
néceffaires dans les diverfes Provinces du
Royaume. On en fera aifément convaincu
fi l'on prend la peine de jetter les yeux fur
les queftions en grand nombre qui y font
traitées avec étendue.
C'est dans la même vue que l'Auteur
fait paroître aujourd'hui un Supplément
affez confidérable que l'on auroit
pu fondre
dans les 2 vol . de l'Edit . de 1746 ;
mais le plan n'eût peut-être pas été approuvé
, furtout de ceux qui ont la pénultiéme
Edition ; c'eſt ce qui nous a déterminés
à l'imprimer féparément dans les
mêmes formats , caractères & papiers ,
pour que l'on ait la facilité de le vendre
détaché , à ceux qui ont acheté l'Edition
in-4° . L'Auteur le croira bien dédommagé
de fes veilles , fi fes nouvelles productions
fe trouvent utiles , & font reçues favorablement
du Public.
On a divifé cet Ouvrage en deux parties
, dont la première qui forme le premier
volume , comprend
Le Traité des criées , ventes & adjudications
des immeubles par decrets.
Les obfervations fur les decrets volontaires
, les formules qui y ont rapport , la
Table du Traité des obfervations fur les
ventes judicielles , fur les formalités par
lefquelles le Roi purge les hypothèques ,
des biens qu'il acquiert.
JUIN. 1781. TI
Sur la vente des Offices par decret , fur
la vente des lettres de Barbiers & Perruquiers
, fur celles des rentes foncieres &
conftituées , fur les directions , avec des
formules pour l'inftruction des ventes judicielles
, pour les decrets d'offices & pour
les directions.
Le fecond volume contient :
1 °. Le nouveau Supplément au Traité
des criées , avec un Avertiffement & la
Tabledes titres.
2°. La Table générale des matières contenues
au Supplément.
3°. Une Table des titres de la ſuite du
fecond volume.
4°. Un Recueil d'Ordonnances , Edits ;
Déclarations du Roi , & Certificats d'ufage
fur cette matière .
5º. Enfin une Table Chronologique des
Ordonnances , Edits , Déclarations du Roi,.
Coutumes , Arrêts de Réglemens , Délibérations
, & Certificats d'ufage &c . &c .
DISCOURS de M. du Coëtlofquet , ancien
Evêque de Limoges , Précepteur de
M. le DUC DE BERRY , ci- devant de M. le
DUC DE BOURGOGNE ; de M. l'Abbé Bat--
teux ; de M. l'Abbé Trublet ;; & de M.Saurin
; Prononcés dans l'Académie Françoife
, le jour de leur réception . In -4° . Paris,
116 MERCURE DE FRANCE.
*
au Palais , chez la veuve Branet .
HISTOIRE des Philofophes modernes ,
avec leur Portrait dans le goût du Crayon.
Par M. Saverien . Publiée par M.François ,
Graveur des Deffeins du Cabinet du Roi.
Tome II , contenant l'hiftoire des Moraliftes
& des Légiflateurs , in-4° . & in - 12 .
Prix-neuf liv. in 4°. * & 2 liv. 10 f. in- 12 .
brochés , 1761. A Paris, rue S. Jacques , à
la vieille Pofte, vis - à - vis la rue du Plâtre.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
Rien ne fauroit rallentir le zéle qu'on a
pour la continuation de cette Hiftoire , fi
le Public daigne toujours l'accueillir fav
vorablement. Mais on ne préfumera jamais
affez de fon travail , pour hafarder la fuite
d'un Ouvrage , dont le fuccès feroit incertain
. C'eft cette jufte défiance qui a fufpendu
la publication de ce Volume . On a voulu
être affuré,s'il étoit véritablement defiré
; & ce n'eft qu'après des invitations &
des demandes réitérées , qu'on s'eft déterminé
à le mettre au jour. Il ne dépendra
que des Savans & des Gens de Lettres ,
qu'on foit plus diligent pour le troifiéme
Volume. Leur fuffrage eft abfolument la
régle de cet Ouvrage , & il ne s'agit que

* Le vol. in-4°. paroîtra au commencement
de Juin.
JUIN 1761 : 114
d'en être affuré. En attendant , telle eft l'idée
générale de celui qu'on annonce.
Montagne , Charron , la Rochefoucault,
la Bruiere , Wollafton & Shaftesbury , ſont
les Moraliftes modernes , & Grotius , Pufendorff
, Cumberland & Duguet , les Légillateurs
qu'on a choifis par préférence.
On juftifie ce choix dans un Avertiffement
, en donnant une notice des autres
Traités de Morale & de Légiflation , dont
on ne parle point, Suit un Difcours fur ces
deux Sciences, lequel contient leur Hiftoire,
leur objet & leurs avantages . La vie ,
le caractère , les moeurs , les controverfes
&c. des Moraliftes & des Légiflateurs modernes
, accompagnés de leur doctrine fur
la Morale & la Légiflation , compofent le
corps du Volume. Ces différentes doctrines
forment un cours de l'une & de l'autre
Science. Celui de la Morale eft fondé fur
le dévelopement de ces principes. 1º . Savoir
ce que nous devons à Dieu , à nousmêmes,
& aux autres . 2 °.Avoir des notions
exactes du mérite & de la vertu , du bien
& du mal moral . 3 °. Connoître les déréglemens
de l'efprit & les vices du coeur ,
les moyens de fe délivrer des uns & des au •›
tres. 4. Er être inftruit de la conduite qu'on
doit tenir pour bien vivre avec foi & avec
&
1

fes concitoyens .
18 MERCURE DE FRANCE.
Quant aux principes de la Légiflation ;
voici en quoi ils confiftent. 1. A preſcrire
des régles fûres pour conferver la paix audedans
& au - dehors . 2° . A établir les devoirs
de l'homme & du citoyen, 3 ° . A fixer
des propofitions immuables , qui puiffent
fervir à diriger les actes volontaires de notre
âme , indépendamment de toute loi civile.
4° . Enfin,à expofer les obligations du
chef d'une fociété.
On n'a rien négligé pour rendre la graª
vure agréable . Les Portraits font réduits , à
une forme mieux proportionnée qu'elle ne
l'étoit dans le premier Volume , tant dans
l'in-quarto que dans l'in-douze ; & on leur
a mis un fond , qui en faifant fortir les têtes
, donne à l'eftampe le piquant du tableau
.
LE PATRIOTE ARTÉSIEN , dédié à Mgr
le COMTE D'ARTOIS. Par M. De ***
cien Officier de Cavalerie.
, an-
Longum iter perpræcepta , brevè & efficax per
exempla.
in- 8°. Paris , chez Deſpilly , Libraire , rue
S. Jacques , à la vieille Pofte , & chez Le
clerc , Libraire , Salle du Palais.
NOUVELLES
OBSERVATIONS fur la Gout
te , & fur les qualités de la Poudre , on
JUIN. 1761.
Ptifane balfamique qui en eft le fpécifique
calmant, connue & approuvée par lesChefs
de la Médecine , & confacrée à la Société,
dédiées aux Seigneurs affligés de cette maladie.
Par M. Chavy de Montgerbet , Doc-,
teur en Médecine. in- 12 . Paris 17612
Chez Michel Lambert , rue & à côté de la
omédie Françoife , au Parnaffe .
L'ESPRIT DES LANGUES , ou vraie & uni→
que méthode pour apprendre fans dégoût &
fans peine les langues mortes , de maniére
à en faifir le génie & le caractére; appliquée
à la langue latine ; exécutée fur le texte des
meilleurs Auteurs ; dédiée à Son Alteffe Séréniffime
Mgr le DUC DE BOURBON , par
M. Frère de Montizon , Maître de Penfion .
Employer tant d'années à l'étude de la
langue Latine ; & fouvent la favoir fi mal !
Cela n'eft- il pas cruel, s'écrie- t- on journellement
? On a raifon fans doute. Mais fuffit-
il de connoître un abus ; ne faut- il pas
chercher à y remedier ? c'eft ce qu'a voulu
faire l'Auteur de cet ouvrage . Sans flatter
le Public de diminuer de moitié le temps
que
l'on employe à ce qu'on appelle les
études , il nous promet indirectement cet
avantage , puifque tout fon fyftême roule
fur les moyens de lever les obftacles , &
d'écarter les difficultés , feules cauſes de la
12c MERCURE DE FRANCE .
lenteur des progrès de la jeuneffe ; à la
facilité, il joint la fûreté, point encore plus
eftimable , & fans gêner aucunement les
Ecoliers , il fixe leur goût fur la Latinité
d'une manière d'autant plus certaine que fa
marche eft prèfque imperceptible avec lui ,
il fuffit prèfque de kire pour faifir le génie
des Auteurs.
Après avoir établi la vérité de ſon ſyſtême
, dans le ftyle le plus concis , en moins
d'une vingtaine de pages , qui , s'il eût
voulu s'étendre , auroient pu fournir la
matiére d'un gros volume , il paſſe aux
connoiffances élémentaires de la langue Latine
.Toujours curieux de ménager le tems,
il ne donne que des définitions claires , des
tables aifées pour les déclinaifons & les
conjugaifons, avec 80 régles, formant une
fyntaxe de trois pages ; & fait difparoître
cette multitude innombrable de préceptes ,
dont on furcharge inutilement les enfans.
Muni de ces notions préliminaires , l'Ecolier
entre dans l'efprit de l'Auteur Latin ,
qu'il trouve accompagné d'une triple explication
, & avec lequel il fait , par la
feule lecture , trois verfions & trois thêmes
für chaque phrafe. Dans cette partie , les
yeux parlent continuellement à l'eſprit ,
fans jamais le fatiguer : des lettres & des
chiffres mis fur les mots Latins , font les
inftrumens
JUIN 1761. 121
inftrumens de ce léger travail , dont le fuccès
ne peut qu'être avantageux .
Ces explications font fuivies d'un petit
dictionnaire de mots irréguliers ou fufceptibles
de remarques . La variété des notes
hiftoriques, géographiques, aftronomiques,
mythologiques & autres , le rendent auffi
amufant qu'inftructif , agrément qui n'eſt
point à négliger , & qui peut faire eſpérer
que des Ecoliers ainfi conduits , prendront
bientôt du goût pour des connoiffances
de plus d'un genre.
Ce livre fe vend chez M. Lambert, attenant
la Comédie Françoife , au Parnaſſe ;
Gueffier fils, rue du Hurepoix, à la Liberté;
Veuve Bordelet, rue S. Jacques,à S. Ignace,
& chez l'Auteur , rue de la Comédie Françoife
; qui, outre fa claffe, donne des leçons
en 'Ville.
L'ART nouvellement inventé pour enfeigner
à lire : accompagné de réflexions
conféquentes & critiques, fur les méthodes
qui ont paru & qui peuvent paroître dans
ce genre. L'Art d'apprendre l'orthographe
Françoife , & de donner la clef du Latin &
des autres langues ; extrait des ouvrages de
deux Savans , pour fubftituer ces deux Arts
aux méthodes vulgaires. Brochure in - 4°, àરે
Pont- à-Mouffon , chez Martin Thiery ,
F
122 MERCURE DE FRANCE..
Imprimeur du Roi ; & à Paris, chez Méri
got Pere , Quai des Auguftins.
I
A B C Royal , ou l'Art d'apprendre à
lire par les fons , fans épéler les voyelles ni
les confonnes , Dédié aux Enfans de France.
Troisième édition plus abrégée . Brochure
in- 12 . A Nancy, chez Hener , Imprimeur,
au nom de Jefus ; & à Paris , chez
Mérigot , Pere , Quai des Auguftins.
OBSERVATIONS MILITAIRES . Par M. de
Bouffanelle , Chevalier de l'Ordre Royal
& Militaire de S. Louis , Capitaine au régiment
de Cavalerie de Beauvillier , ci - devant
S. Aignan , Membre de l'Académie
des Sciences & Beaux- Arts de la Ville de
Beziers .
Terram ungula fodit , exultat audacter :
In occurfum pergit armatis.
Job. Cap. XXXIX , Verf. 21. Bibl.Sac . vulg. Edit.
Volume in- 8 °. Paris . 1761.Chez Charles
Antoine Jombert , rue Dauphine , à l'Image
Notre- Dame ; & chez Louis Cellot,
Imprimeur, au Palais , à l'Ecu de France.
DISCOURS fur la Pucelle d'Orléans , &
fur la délivrance d'Orléans , prononcés
dans l'Eglife Cathédrale de la même Ville,
Pun le 8 Mai 1759, l'autre 8 Mai 1760 .
JUIN. 1761. 723
Par le P. de Maroles , J. in- 12 , à Orléans
1760. & ſe trouve à Paris , chez Defpilly
, rue S. Jacques , à la vieille Pofte.
L'AMI DE LA PAIX , in - 12. Amfterdam .
1761. On en trouve des Exemplaires à
Paris au Palais , chez Cellot , Libraire.
ZAMIR , Tragédie Bourgeoife , en trois
Actes , en Vers diffyllabiques , & en rimes
croifées & redoublées. Par M. R * ****
Vinus expertà florefcit.
In- 8 ° . 1761 , fans nom de Ville ni de Libraire
; & que l'on trouvera aisément à
Paris . Le Prix eft de 30 fols.
LA VEUVE RUSÉE ; Comédie en Profes
en trois Actes ; par Charles Goldoni
Avocat Vénitien ; Repréfentée à Modene ,
en 1748. traduite de l'Italien , par D. B.
D. V. In- 8 ° . Paris. 1761 , chez la Veuve
Quillau , rue Galande , à l'Annonciation.
TRAGÉDIES OPERA de l'Abbé Metaftafio,
traduites en François par M.... Tome 12 .
Ego , cur acquirere pauca
Sipoffum , invideor ?
Hor. de Art Poët. V. 55.
In-12 . Vienne 1761 .
Le mérite généralement reconnu de l'ori
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
ginal, ainsi que des onze premiers volumes
de la traduction , affure le fuccès de celui- ci,
DIFFERENCE entre la Grammaire & la
Grammaire générale raifonnée. Cette derniére
ne peut fervir d'introduction à la
premiére pour aucune Langue. L'Art de
connoître ce que les Langues ont de commun
& de particulier , unique introduction
pour fervir à l'étude des Langues , &
à celle de la Latine , avec diverfes réflexions
for cette derniére . Differtation Philofophi
que & Grammaticale fur le participe déclinable
employé avec le verbe auxiliaire
Avoir. In- 12. 1761 , à Pont- à-Mouffon ,
chez François Thouvenin , & Martin Thiety
, Libraires ; & à Paris , chez Merigot
Pere , Quai des Auguftins.
LETTRE , à l'Auteur du MERC U R E.
O
A Paris , ce 14 Mai 1761 .
Na imprimé depuis peu , Monfieur ,
une Comédie intitulée Ofaureus , qu'on dit
traduite de M. Rabener. Cette Comédie
eft une partie des Lettres de Julie ou de la
nouvelle Heloife mife en action . Ainfi en
la donnant pour la traduction d'un Quvra
ge Allemand , on accufe M. Rouffeau d'un
plagiat honteux. Je peux vous attefter que
JUIN. 1761
la prétendueComédie Allemande n'a jamais
exifté; & que l'Auteur de la Piéce Francoife
en eft convenu, & a dit pour excuſe, qué
c'étoit une plaifanterie. Cette plaifanterie,
d'un goût très-fingulier , eft une véritable
calomnie , qu'il eft important de détruire.
On a tâché d'arrêter le débit d'Ofaureus s
& il faut convenir que l'Auteur lui-même
a paru s'y prêter de bonne foi ; mais conme
il y avoit déjà desExemplaires diftribués
dans le Public , la réparation ne peut être
complette qu'en la rendant publique, dans
un Ouvrage auffi accrédité que le Mercure
de France .
J'ai l'honneur d'être &c.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADEMIES.
OPERATIONS ARITHMÉTIQUES
ET ALGÉBRIQUES.
LETTRE , à l'Auteur du MERCURE ,
ONSIEUR,
Un de mes amis , amateur des Sciences
F iij
126 MERCURE DE FRANCE
abftraites, me propofa, il y a quelque temps,
de réfoudre, par des opérations numérales,
un problême , qui,au premier coup d'oeil , ne
me parut être que du reffort du calcul algébrique.
Cependant , pour faire plaifir à
mon ami , & fatisfaire en même temps le
goût particulier que j'ai pour ces fortes de
recherches , j'ai examiné avec foin la nature
du Problême, je l'ai enviſagé dans tous
les fens , & j'ai enfin trouvé une méthode
affez peu compliquée pour emavoir la folu
tion par de fimples régles d'Arithmétique.
Je la donnerai bien volontiers au Public
pour peu qu'il me paroiffe la defirer ; &
comme cette difpofition du Public ne peut
guères m'être connue que par la voie des
ouvrages périodiques , je vous prie d'inférer
cette Lettre dans le vôtre . On a fouvent
fait certaines queftions à des Arithméticiens
, qui, quoiqu'habiles d'ailleurs , n'ont
pû les réfoudre, parce que , qui dit un Arithméticien,
ne dit pas toujours unAlgébrifte.
Cette impuiffance les a d'autant plus
mortifiés , que les perfonnes qui fe font
adreffées à eux , ne croyoient pas leur pouvoir
faire de queftion, en genre de nombres,
qui pût paffer leur connoiffance , ce qui
leur a fait naturellement fouhaiter que le
cercle du calcul numérique fût moins refferré,
La regle de fauffe pofition , qui eft la
JUIN. 1761 127
clef des plus grandes difficultés de cette
Science , n'embraffe cependant que certains
objets . Pourquoi ne pas imaginer des clefs
d'une plus grande étendue? Il n'eft point de
Problême qui décourage un Algébrifte ;
pourquoi y en a- t- il tant , qu'un Arithméticien
ne fauroit entreprendre ? C'est que'
jufqu'ici on n'a penfé qu'à réfoudre ces Problêmes
par le calcul littéral , & qu'il n'eft
peut- être pas encore venu dans l'idée d'aucun
Savant que les Problêmes les plus embrouillés
de l'Algébre , s'ils ne confiftent
qu'en nombres à chercher , peuvent fe réfoudre
par la feule Arithmérique . La folution
de celui qui m'a été propofé , fervira
de preuve à ce que j'avance . J'ai l'honneur
d'être & c.
L'ABBÉ B ....
Paris , 7 Mars 1761 .
PROBLEME.
Trouver 4 nombres dont le premier &
le des trois autres faffent une fomme.
égale au 2 ° , & au des trois autres , égale
au 3 & au
4 & au
}
с
4 des trois autres , égale au
des trois autres.
Par le moyen des réductions , fouftractions
, multiplications , additions , divifions
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
ordinaires , on peut trouver en quelques
minutes les nombres 101 , 92 , 77 › 47 ›
qui fatisfont aux conditions énoncées.
PHYSIQU E.
SUR la force inégale quife trouve dans les yeux.
ONa Na connu jufqu'à préfent l'inégalité
de force qui fe trouve dans les yeux ; mais
perfonne n'a donné une raifon claire de cette
différence. MM. Borelli & Denis ont
donné chacun un mémoire à l'Académie
fur cette matiére. Le premier, pour prouver
cette variété, a fait plufieurs expériences,
qu'il a rapportées à la mêmeAcadémie,
& dont quelques - uns de fes amis ont été
témoins . Cependant il s'eft contenté de fes
épreuves, fans nous donner une raifon qui
éclarcît cette matière. L'autre a rapporté
la proximité du ventricute gauche du coeur
pour fondement de fa raifon , & pour établir
la force certaine,qui fe trouve plutôt
dans l'oeil gauche que dans le droit ; mais
il n'a point fait attention que fon fentiment
étoit contraire à l'expérience, & qu'il
faudroit que cette inégalité de vue fe trouvât
générale dans tous les hommes . Ainfi
cette erreur doit nous faire oublier fa raifon
qui n'eft point relative à ce que nous
faifons , puifque nous trouverons dans l'exNE
JUIN 129 . 1761 .
périence la fource de cette inégalité . Quelque
tems avant d'examiner les obfervations
Philofophiques , je m'étois apperçu avec
ces MM . de cette différence ; mes réfléxions
fur ce fujet étant devenues inutiles ,
j'oubliai pour un temps d'en découvrir la
caufe. Comme j'étois à lire deux ou trois
mois après , je fentis dans l'oeil droit un fi
grand affoibliffement , que j'en fus moimême
étonné , ce qui m'engagea à faire la
découverte de ce Phénomène , qui me paroiffoit
d'autant plus furprenant que je ne
fentois ce défaut que les jours où je reftois
longtems occupé. En effet je crois y avoir
réuffi : je me fuis apperçu que dans nos
travaux nous faifons de l'oeil droit , ce que
nous faiſons de la main droite ; c'eſt - à- dire ,
que l'oeil droit participe à toute la peine de
la vue , comme la main droite à celle du
corps par l'exercice manuel . L'un & l'autre
fervent cependant à des ufages différens ,
& varient dans leurs éffets. La main droite.
eft plus propre , plus agile , plus ferme
plus vigoureufe , & plus forte , par le continuel
mouvement des parties foit folides ,
foit liquides qui la compofent ; au lieu que
l'oeil droit, érant compofé des parties différentes
en fineſſe & en volume , eft fulceptible
d'une impreffion dont nos mains ne
font pas. Cette différence fait que Poil
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
droit perd une partie de fa force, tandis que
la main en augmente . J'ai examiné auffi
que de tous les ouvrages auxquels nous
nous occupons , comme de lire , d'écrire ,
ou de faire des travaux de main , nous mettons
les piéces directement vis à vis l'oeil
droit ; ce qui fait que le gauche n'en eft
prèfque point affecté , & qu'il n'y a que le
droit qui en fouffre . Ainfi dans la longueur
du temps cette application totale de l'oeil
droit cauſe une trop grande diffipation d'efprits
vitaux dans le nerf optique, & produit
un affoibliffement confidérable dansla vue.
Cette différence doit être extrêmement
fenfible aux perfonnes qui par état font
obligées néceffairement de contribuer de
l'oeil droit à toute la peine de la vue , comme
les Artiftes , les Ecrivains , & les Gens
des Lettres qui placent leur ouvrage à leur
côté droit . Cette perte ne doit point être
commune à tout le monde ; il n'y a que
la diverfité de talent , & la longueur du
travail qui faffent éprouver cette funefte
fenfation . Je dis la longueur du travail : car
une perfonne qui travaille peu , & rarement,
n'en doit fentir aucun mauvais éffet.
Il eft aifé de connoître la maniére théra
peutique de cette maladie : la tranquillité ,
le repos, une bonne nourriture ; enfin tout
ce qui peut réparer la perte des efprits ,
JUI N. 1761 . 131
pourvu que la vue ne foit point entiérement
détruite .
MERCIER , Etudiant en Médecine.
LETTRE , à l'Auteur du MERCURE .
Mondefir ardent, Monfieur , pour la confervation
de la Société , me procure l'honneur
de vous faire part d'une de mes remarques
fur une chofe dont perfonne juſqu'ici
n'a craint fes funeftes éffets. C'eft fur la lardoire
de cuivre , dont on fait tous les jours
uſage. Obſervez , Monfieur , que quoique
nettoyée en apparence , elle eſt néanmoins
remplie, plus oumoins ,de verd- de- gris , dans
l'endroit où l'on met le lardon , J'ai fait
cette remarque tant chez moi , que chez
plufieurs de mes amis ; j'y ai toujours trouvé
le funefte poifon qui devoit être diſtribué.
Vous vous doutez encore , Monfieur,
que des Cuifiniers ou Domeftiques peu vigilants
, s'embaraffent
fort peu d'une conféquence,
à laquelle ils ne penfent pas euxmêmes
, pourvu que leurs viandes foient
artiftement piquées . C'eft un petit meuble
que toutes perfonnes peuvent avoir en argent
, pour peu qu'on foit jaloux de la confervation
de fes jours. J'ai l'honneur d'e
FERON NEEL. rre & c.
A Rouen , les Mai , 1761 .
F vi
132 MERCURE DE FRANCE:
ARTICLE IV.
BEAUX-ARTS.
ARTS UTILE S.
SUITE du Mémoire fur une Question
Chirurgicale relative à la Jurifpruden
ce. * Par M. LOUIS.
L'APPEL APPEL de cette Sentence au Parlement
de Bourgogne,donna lieu à de nouveaux
Mémoires. Nous laifferons les objets
qui nous font étrangers , pour ne par-
Jer
que des points relatifs à notre Art.
Le défenfeur du père foutient la validité
du rapport , & ne croit pas qu'il foit impugné
par des confultations de différens
Médecins , inftruits , dit - il , par un Mémoire
infidéle , & qui n'ont pas eu la plus
légére notion de l'état du cadavre . Mais
cette objection n'eft pas valable , puifqu'on
leur avoit communiqué le rapport ,
qui auroit dû être la fource des connoiffances
les plus exactes fur cet état . Pour
réfoudre la difficulté , il fallut fe pro-
*
Voyez le Mercure précédent, page 94.
JUIN. 1761 . 133
curer de nouveaux avis , & l'on s'adreffa
à des Médecins & à des Chirurgiens connus
parmi les plus célébres de Paris.
MM. Falconet , Vernage , Royer , Chomel
, Ferrein , Poiffonnier & Lavirotte
fignèrent une confultation raifonnée dans
laquelle ils décident que la mort a été
caufée par la petite vérole , reconnue &
conftatée de la maniére la plus authentique,
par deux Médecins & un Chirurgien ,
qui furent appellés auprès du malade , &
qui le vifitérent enſemble plufieurs fois
dans le même jour. Le rapport ne parut
pas mériter beaucoup d'attention , par les
changemens que la putréfaction avoit faits
fur les parties. On blâme les Médecins
& les Chirurgiens d'Autun de leur négligence
à fpécifier l'état des tégumens en
général , & d'avoir dit affirmativement
que les contufions qu'ils ont apperçues
avoient été caufées par des inftrumens
contondans. On tire un très fort argument
contre les contufions , des exercices
ordinaires auxquels le prétendu
Bleffé n'a ceffé de vaquer : tous ces faits
ne pouvant fe concilier , le Confeil eft
d'avis que les prétendues contufions on
dividités font l'effet de la diffolution putride
des humeurs ; & que dans la fuppofition
où ces contufions auroient été cau
734 MERCURE DE FRANCE.
fées par des coups reçus avant la mort ,
elles ne paroîtroient point la caufe de
cet événement ; parce que celles de la
tête , qui , dans la fuppofition , auroient
été les plus dangereufes , n'ont laiffé aucune
apparence de leur effet dans le crâne.
On oppofe à M. de Loify que les
malades attaqués de la petite vérole peuvent
mourir dans l'éruption même , lorfque
les puftules viennent à rentrer fubitement
: il avoit avancé que d'attribuer
la mort à une petite vérole rentrée auffitôt
après l'éruption , c'étoit établir une
caufe tout-à- fait imaginaire , & qu'il ne
fe trouve dans les Auteurs aucuns veſtiges
de pareilles obfervations : on donne
la preuve du contraire par l'autorité de
Riviere , dont on prend le texte à l'endroit
même où M. de Loify avoit puifé
fon argument.
M. Aftruc a domné fon avis à part :: il
établit 1 ° . l'existence de la petite vérole
comme un fait dont on ne peut pas douter.
2 ° . Qu'il n'y a rien d'extraordinaire
de voir mourir les malades dans l'éruption
même , quand elle fe fait imparfaitement
. 3 ° . Que c'eſt par une prévention
très-blâmable , ou par une ignorance inexcufable
, qu'on a pû avancer le contraire.
4°. Qu'il eft difficile d'excufer la conJUIN.
1761. 135
-
> duite des Médecins & des Chirurgiens
qui ont ofé décider & prononcer fur l'état
d'un cadavre après 37 jours d'inhumation.
5°. Que pendant les 16 jours que
le défunt a furvêcu , le fang qu'on a
trouvé dans la prétendue contufion de la
partie poftérieure de la tête , auroit dû
être repompé , ou avoir fuppuré , ou du
moins avoir perdu fa liquidité , & avoir
changé de couleur , par la chaleur des
parties , le battement des artéres & l'influx
naturel des efprits. 6 ° . Enfin qu'il
eft très apparent & prèfque démontré
que les contufions ou échymofes font le
fymptôme de la petite vérole mal fortie.
Dans l'atteftation qu'ont fignée MM .
Morand , Foubert , Guerin & Moreau
on affure , d'après l'expérience , la poffibilité
de la mort la plus prompte par la
tite vérole qui rentre , pour ainſi dire ,
mefure qu'elle fort ; & que dans ces cas ,
l'habitude extérieure du corps fe couvre
de taches purpurines & de plaques livides
plus ou moins larges. 2 ° . Qu'un homme
mort 15 jours après avoir reçu des contufions
mortelles , en auroit éprouvé les
fuites néceffaires par des accidens différens
, fuivant la nature & les ufages des
parties contufes , & qui auroient exigé les
pea
foins qu'on donne à toute perfonne blef
136 MERCURE DE FRANCE;
fée dangereufement. 3 ° . Que des taches
violettes ou échymofes à la furface du
corps , font des marques très -incertaines
de contufions, fur- tout à l'infpection d'un
cadavre exhumé au bout de 37 jours , &
d'un homme qui eft mort de la petite vérole
, maladie qui l'a rendu plus promptement
fufceptible des effets de la putréfaction
commune à tous les corps morts.
Ces trois derniers écrits font des mois de
Novembre & Décembre 1756 .
La Faculté de Montpellier a raifonné
fur les mêmes principes dans une Differtation
fignée les Janvier 1757 , où l'on
s'eft éffentiellement propofé de réfuter la
critique que le Médecin de Châlons avoit
faite des premieres confultations des Médecins
de Paris , de Nifmes & de Montpellier
: il avoit voulu prouver qu'un homme
peut mourir d'un coup à la tête , porté
par un inftrument contondant,fans aucun
accident primitif, & fans fracture ni épanchement
. Il avoit cité plufieurs obfervations
que l'on fait voir tout - à - fait contraires
à fon fyftême , puifqu'il n'y a aucun
de ces faits où il n'y ait eu fracture
& épanchement . L'obfervation rapportée
par M. Littre dans les Mémoires de l'Académie
Royale des Sciences , & qui eft
unique dans fon espéce , pouvoit former
JUIN. 1761.1371
quelque difficulté , car on ne trouva à
l'ouverture du crâne de l'homme , qui eft
le fujet de cette obfervation , aucun dé- >
fordre bien caractériſé . M. de Fontenelle
dit que le cerveau étoit vifiblement affaif
fé. Mais il étoit bien fimple de démontrer
que cette obfervation n'eft pas applicable .
au cas préfent. Car cet homme mourut
fur le champ , en ſe frappant violemment
la tête contre le mur de la prifon , où il
étoit détenu ; & le fujet dont il eft queſtion
a vécu 16 jours depuis celui où l'on fuppofe
qu'il a été bleffé mortellement.
Les Médecins de Dijon atteftérent que :
la petite vérole maligne avoit été la cauſe
de la mort , & que les lividicés qu'on a
remarquées fur le cadavre , après l'exhumation
, étoient une fuite de cette maladie
: ils combattent toutes les inductions
qu'on pourroit tirer des raifonnemens contraires
aux preuves qui motivent leur
avis . Sa datte eft du 27 Janvier 1757.
Les Maîtres en Chirurgie de Dijon donnérent
auffi leur fentiment dans la conteftation
préſente , les Février fuivant. Ils
ont traité dans un plus grand détail la
queftion chirurgicale concernant les plaies
de tête ; comme les Médecins s'étoient
plus étendus fur les fymptômes de la pezite
vérole. On voit de part & d'autre ,
138 MERCURE DE FRANCE:
beaucoup de connoiffances & d'érudition ;
& des Principes très -folides , dont l'application
au cas particulier , éprouva néanmoins
quelques contradictions , de la part
de M. Fournier , Médecin à Dijon , dans
une Confultation imprimée , & dattée du
1 Février 1757 : il me paroît d'autant plus
néceffaire d'en expofer les principales
réflexions , qu'elles établiffent quelques
vérités inconteftables , entierement oppofées
aux motifs des décifions contraires.
On a fait , felon M. Fournier , d'inutiles
efforts pour oppofer le phantôme de la petite
vérole, & l'appareil imaginaire de fes
fymptômes , à la réalité des caufes de
mort, établies par le rapport. L'Auteur fait
l'énumération des fymptômes de cette
maladie , d'après ce qu'en ont écrit les
Praticiens les plus célèbres, tels que Rivie
re, Sydenham, Hoffman ; il conclut que la
perfonne n'a point eu la petite vérole. Il
eft certain que toutes les confultations &
avis contraires au rapport, fuppofent que
cette maladie s'eft déclarée le jour mêmede
la mort les Médecins & Chirurgienordinaires
appellés pour donner du fecours
au malade , ont été mandés à l'ex-.
humation du corps faite par ordonnance.
du Juge, que fon miniftére oblige expreffément
d'enjoindre qu'on fpécifie de quel
JUIN 1761 . 339
genre de mort on eftime que la perfonne eft
décédée. Le rapport ne fait aucune men→
tion de la petite vérole.On fuppofe encore
dans toutes les confultations, que la pourriture
n'a pas dû permettre la diftinction
des échymoses & des contufions : mais le
rapport eft pofitif fur l'état d'intégritédes
membres, hors des endroits contus ; il n'y
a que fur les parties intérieures qu'on n'a
point porté de jugement , parce qu'on les
a trouvées corrompues par le laps du
temps . M. Fournier eft frappé de la précifion
, de la fidélité & de l'évidence du
rapport ,
fait d'ailleurs par trois Médecins
& trois Chirurgiens , qui exercent depuis
longtemps leur profeffion avec autant de
fuccès que de probité. Ces confidérations
doivent avoir quelque poids. Dans les taches
livides , noirâtres , qui paroiffent fur
la furface du corps , après les fiévres malignes
& les petites véroles de mauvais
caractère , les vaiffeaux & la peau confervent
leur continuité ; ils font gonflés &
portés en dehors par l'action de la caufe
interne. La confultation de la Faculté de
Paris regarde le cadavre d'un homme
mort dans l'éruption de la petite vérole ,
comme celui d'un homme fuffoqué , &
dont les vaiffeaux de toute la périphérie
du
corps ,
font engorgés
de fang. M. Four
140 MERCURE DE FRANCE.
nierne laiffe point échapper cette affertion
& il demande pourquoi, au lieu du gonflement
& de l'engorgement des vailleaux ,
comme caufe des taches livides , l'on a
remarqué toutes les parties extérieures
faines , excepté celles qui avoient été offenfées
par les coups , dont les vaiffeaux
étoient contus , mâchés , & brifés ; parce
que dans toutes les contufions , de quel
que nature qu'elles foient , on trouve tou
jours les vaiffeaux dans cet état : la meurtriffure
eft l'effet inféparable de la percuf
fion ; & il eft certain que les taches &
les éruptions exanthémateufes des fiévres
malignes n'ont & ne peuvent avoir
le caractére de contufions . M. Fournier
dit à cette occafion que les Facultés de
Médecine de Paris & de Montpellier feront
en vain coigner les cadavres dans
les bières , ou féjourner dans les amphithéâtres
d'anatomie ; qu'elles ne parviendront
jamais à produire des contufions &
des échymoses femblables à celles qu'on
a trouvées fur le corps exhumé. L'état des
vaiſſeaux , des fibres & des liqueurs étant
totalement différent dans un vivant , de
ce qu'il eft dans un cadavre , il eft phyfiquement
impoffible que la percuffion
n'y produife pas des effets différens. Les
contufions avec échymofe faites ſur le
JUIN. 176 17 14 f
corps vivant ne reffemblent ni ne peuvent
reffembler à l'effet des coups dont
on auroit frappé un mort. L'immobilité
générale des vaiffeaux , l'inertie abfolue
de toutes les fibres , la ceffation totale de
la circulation , & la congelation plus ou
moins grande du fang & des humeurs ,
établiffent néceffairement des différences
entre les effets de la percuffion faite
fur un corps vivant ou fur un mort.
Les taches livides , pourprées, qui font
Les fuites de la petite vérole , avancent
fi fort la putréfaction des cadavres , qu'on
eft fouvent obligé de les enterrer , avant
le court efpace preferit par les réglemens
de Police , parce que la caufe de ces maladies
a déjà porté la gangrene & l'infection
dans les parties folides & fluides
du corps. La confultation des Chirur→
giens de Paris marque bien expreffément
cette prompte difpofition à la pourriture
générale : M. Fournier admet ce principe,
& il lui fert de fondement à diverfes
questions. Par quel événement , deman ,
de-t-il , le corps d'un homme qu'on fup,
pofe enlevé par une petite vérole des
plus malignes , a t- il été préfervé de
cette corruption conftamment obfervée ,
& fe trouve- t-il fain après 37 jours d'inhumation
; puifqu'il ne préfente , après
742 MERCURE DE FRANCE:
ce terme , d'autres lividités au dehors ,
que dans certaines parties léfées ? Cette
intégrité générale des régumens , cette
confervation des parties extérieures du
cadavre , atteſtée par le rapport , met ,
fuivant l'Auteur du Mémoire , le comble
à l'évidence , & fuffit toute feule pour la
conviction la plus complette & la plus
affurée ; il eft en effet démontré par l'expérience
& par l'aveu de tous ceux qui
ont écrit fur cette matiére , que la corruption
s'empare d'abord de ceux qui
font morts par le venin de la petite vérole
ou des fiévres malignes , & que la
putréfaction y eft d'autant plus rapide &
univerfelle , que la maladie a été plus
violente , & fon effet plus prompt .
Dans plufieurs avis , l'on affure avec
confiance qu'il n'y a point eu de contufion
à la tête , parce qu'en 15 jours cette
contufion fe feroit terminée par fuppuration.
M. Fournier combat victorieuſement
cette propofition , & il s'étaie de l'autorité
de M. Vanfwieten , qui dans fes Commentaires
fur l'Aphorifme 172 de Boer
rhaave , dit expreflément » que le fang
épanché dans les cavités du corps fe pu
tréfie affez promptement , mais qu'il
» peut féjourner longtemps fans fe corrompre
, s'il n'eft point expofé à l'accès
ور
JUIN. 1781. *143
de l'air ; c'eft ce que l'on voit après de
» fortes contufions , dans lefquelles le
fang , forti des vaiffeaux rompus , & ré-
» pandu fous la peau qui n'a point été en-
» tamée , y demeure fouvent un mois &
plus ; & difparoît enfuite peu- à- peu ,
» fans qu'il en arrive aucun mal.
"
Tout ceci prouveroit affez que le corps
exhumé auroit reçu des contufions dans
la rixe qui a précédé la mort de quinze
jours ; & il eft affez probable qu'un homme
fort qui en défarme un autre d'une
complexion affez foible , comme tous les
Mémoires & inftructions le difent pofitivement
, ne fe foit pas abftenu , après l'avoir
terraffé , de lui donner quelques marques
de la fupériorité de fes forces : il eft
encore probable que la vanité , fort naturelle
à un jeune homme dans un cas pareil,
l'ait porté à ne pas fe plaindre des coups
qu'il avoit reçus . Il faut convenir que
les
avis de tous les confultans fe font réunis
à dire que dans cette fuppofition même ,
il n'étoit pas poffible que les contufions
fuffent mortelles ; & ceci eft le point précis
de la difficulté. Or , de toutes les contufions
mentionnées au rapport , c'eft celle
de la partie poſtérieure de la tête qui auroit
dû produire les effets les plus funeftes :
& l'on voit par le rapport même , qu'elle
144 MERGURE DE FRANCE.
n'a eu aucune des fuites qui peuvent caufer
la mort. Nul accident primitif; le crâne
fain & entier; aucune altération dans l'in
térieur après jours ; tout le réunit à faire
rejetter les inductions qu'on tirerait de
cette bleffure , pour l'établir comme la
caufe mortelle. Les efforts de M. Fournier,
pour prouver le contraire , m'ont paru , je
ne dirai pas trop foibles , mais abfolument
nuls. Toujours attaché à la lettre
du rapport , il s'en écarte fans aucune raifon
, en fuppofant un abfcès formé dans
le crâne , d'autant plus certain , dit- il ,
qu'on affure que le Bleffé a rendu , au moment
de fa mort , du fang par la bouche ,
& une matiére fanieufe & purulente
par le nez ; que d'ailleurs fa tête fentoit
mauvais aux approches de la mort ,
deux fignes indubitables & évidens d'un
amas de pus dans l'intérieur de la tête ,
qui avoit été déterminé par les fortes
contufions , reçues à l'occipital & au pariétal
. On aura de la peine à concevoir
comment la fortie du fang par la bouche ,
& d'une matiére puriforme par les narines
, jointe à la mauvaiſe odeur , feroient
des fignes indubitables & évidens d'un
amas de pus dans l'intérieur de la tête.
Tout le monde eft en état d'apprécier le
mérite de cette propofition . L'Auteur n'a
pas
JUIN 1761 . 145
pas voulu citer une infinité d'obfervations
répandues dans tous les Livres de Méde
cine & de Chirurgie , fur les fuires funeftes
des coups & des contufions à la tête ,
avec toutes les apparences de fanté. Il en
rapporte qui lui font particulières , & dɔnt
il n'a pas apperçu l'inconféquence . Ces
faits nous apprennent qu'on a trouvé, après
la mort,une collection de pus dans le crâne
; & il eft conftant , par le rapport ,
qu'il n'y avoit aucune altération au cerveau
ni à fes membranes dans le Sujet
exhumé.
On ne perdit point de temps pour
obtenir la réfutation du Mémoire de M.
Fournier. Au bout de huit jours , les Mé
decins de Paris qui avoient figné la derniere
confultation , en donnérent une en
réponſe , dans laquelle on rapporte des
autorités fur les prompts & funeftes effets
de la petite vérole. On reproche aux
Médecins qui ont figné le rapport , d'avoir
décidé que les contufions avoient
été faites par des inftrumens contondans ,
comme bâtons , pierres & autres : c'eft ,
dit- on,fans aucun fondement que M.Fournier
prétend qu'il eft très- aifé de diftinguer
des échymofes produites par des contufions
, de celles qui font caufées par une
diffolution putride du fang , à la fuite des
G
146 MERCURE DE FRANCE.
fiévres malignes ; on ajoute que cela eft
impoffible ,fur- tout fur un cadavre expofé
depuis 37 jours au mouvement de putré
faction . Mais cette putréfaction générale
n'eft point un fait avéré. L'Auteur , fort
mal traité d'ailleurs , effuye quelques chicanes
de Grammaire fur un tour de phra
fe par lequel il a complimenté les Facul
tés de Médecine , dont il a pris la liberté
de cenfurer l'avis ; c'eft un petit avantage
qu'on auroit pu facrifier à l'objet important
qui devoit fixer toute l'attention. If
fuffifoit de dire , comme on l'a fait , què
n'y ayant eu aucun des fymptômes ofdinaires
aux plaies de tête , & ne s'étant
trouvé à l'ouverture du crâne, aucune mară
que de rupture de vaiffeaux , aucun épanchement
de fang ni d'autres humeurs ; il
étoit abfurde de foutenir que les conta
fions aient été mortellés .
Une confultation de trois Médecins de
la Faculté de Befançon & de trois Chirurgiens
de la même Ville , foutient les mêmes
principes en d'autres termes : on y
cite des faits fur la petite vérole, dont les
effets font quelquefois auffi funeftes que
prompts, au point de ne pas laiffer le tems
de faire le moindre reméde . Ces Meffieurs
font cependant perfuadés que dans
le cas particulier dont il s'agit , deux ou
JUIN. 1761 . 147
trois faignées du pied faites coup fur coup,
auroient pû opérer une révulfion falutaire,
& dégager le cerveau où la matiére variolique
s'étoit précipitée. Ce confeil donné
pour le falut du malade , 17 mois après fa
mort , aura paru fans doute déplacé , à
ceux furtout qui pouvoient prendre l'avis
pour un reproche.
Enfin , les Mats 1757 , on répandir
une longue differtation compofée par M.
Chardenon, Médecin de Dijon, fous le titre
d'examen & réfutation de la confultation
de M. Fournier, fon Confrère. Mais cette
nouvelle Piéce fort chargée de Paffages
Latins , tirés des Auteurs de Médecine ,
& dans laquelle on impute à l'adverfaire
des principes faux , des conféquences abfardes
, des contradictions choquantes ,
des fauffes citations , des paffages défigurés
, tronqués ou mal entendus , cette
Piéce , dis-je , ne put faire de nouvelles
impreffions fur l'efprit des Magiſtrats ,
puifqu'elle ne parut que le jour même
qu'ils prononcérent l'Arrêt qui a jugé la
caufe, en renvoyant les deux jeunes Avocats
de l'accufation contr'eux formée du
prétendu affaffinat.
J'ai cru
que l'hiftoire abrégée
de cette
conteftation
pourroit être utile. Les ap
Gij
148 MERCURE DE FRANCE
taques & les défenfes qui fe font multiplices
pendant le cours de la procédure ,"
ont toutes été faites fous la direction des
Médecins & des Chirurgiens. On voit par
cet exemple combien il feroit à fouhaiter
qu'on prît de précautions , lorſqu'on fait
des rapports , pour que les circonstances
éffentielles y fuffent décrites d'une maniére
auffi exacte que folide ; afin qu'ils
ne puffent jamais fervir qu'au triomphe
de la Vérité & de la Juftice , fans la
moindre contradiction .
CHIRURGIE.
HOPITAL
DE M. LE MARECHAL DUC DE BIRON .
Vingt-cing & vingt-fixième Traitements
confécutif depuis fon Etabliffement.
J
Les nommés
Compagnies
HARDY, Baudouin.
Diot ,
Nolivos
Vautribourg ,
Nolivos
Cadet S. Antoine Colonelle.
Gabriel ,
Nolivos.
Belair,
Lannoy.
JUIN. 1761 .
149
Dulaurier , Baudouin
Landau , C
Potdevin ,
Lemaire ,
Auguftin ,
Godart ,
Lannoy
Marfay.
Nolivos
Baudouin,
Dufauzay.
Railon.
Nolivos.
Lavictoire , Lannoy.
Vivarais , Colonelle.
Acoulon , Mathan .
Dambreville , Nolivos.
Dorlé ,
Colonelle .
Barrois , Lannoy.
Lamet , Lannoy.
Voiſenon.
Perrin ,
Morel ,
Gauvilliers ,
S. Louis ,
Marmoulin ,>
Lannoy.
Lautrec.
Mathan.
Nolivos.
Ces vingt- cinq Soldats ont été radicalement
guéris en 30 , 35 , & 40 jours ,
quoiqu'attaqués des maladies les plus gra
ves , & dont la plupart avoient paffé par
les frictions.
- MM. Bourbelain & Dieuzayde , Maîtres
G iij
fjo MERCURE DE FRANCE.
en Chirurgie, font chargés de l'infpection
& de l'adminiftration de l'hôpital en l'ab
fence de M. Guerin , Chirurgien-Major ,
parti pour l'armée.
LETTRE écrite du Cap François à M.
Keyfer par M. Laborie , habile Chirur
gien de Touloufe , qui , ayant adminiftré
pendant 3 ans, en Languedoc, ce reméde
avec le plus grand fuccès a voulu paffer
aux Ifles avec une grande quantité de
reméde , pour faire des épreuves fur la
maladie des Négres vulgairement appel
pellée le Pian.

MONSI ONSIEUR , IFUR ,
Si les Lettres , que j'ai eu l'honneur de
vous écrire le 16 juillet & 20 Octobre ,
ont eu le bonheur de vous parvenir , vous
aurez appris mon heureuſe arrivée auCap,
ainfi que de la pâte antivénérienne que
vous avez bien voulu me confier. Je puis
donc, Monfieur, par celle- ci vous appren
dre , avec le plus grand plaifir , que votre
reméde opére ici encore mieux qu'enFrance
, foit par la chaleur du climat , foit que
la conftitution particuliére des Négres
favorife fon action . Ils guériffent du Pian
avec une facilité incroyable , puifque les
éllais que j'en viens de faire fur quantité
JUIN. 1761. Isr
de Négres , qui portoient cette maladie
depuis huit à dix ans, après autant de trai
temens inutiles par la méthode bannale
des frictions , j'ai eu la fatisfaction de les
voir radicalement guéris en trente jours
fans la moindre incommodité. J'ai même
obfervé que ceux , qui font en état de travailler
pendant fon ufage , guériffent encore
plutôt que les autres ; apparemment
parce que l'exercice , atténuant le Virus ,
le fait diffiper plus promptement par la
voie des fueurs , dont les malades font ,
pour ainfi , dire baignés jour & nuit. Je
vous avoué , Monfieur , que quoique j'en
euffe été prèfque affûré , je n'ai pas été
moins étonné , & que je fuis , ou ne peur
pas plus content de ce précieux reméde
que je vous prie de m'envoyer en abondance
, & avec lequel je vais rendre la vie
à bien des malheureux. Je compte en
étendre auffi l'ufage dans toute l'Ifle par
des correfpondans habiles , attentifs & fidéles
; c'eft fur quoi vous devez vous repofer,
comme fur mon exactitude à vous
faire paffer les produits en denrées dy
Pays , n'étant pas poffible d'en charger
fur des Vaiffeaux neutres. Je vous prie d'y
joindre auffi quelques méthodes imprimées
, & j'ai l'honneur d'être , bien fincerement
, Monfieur &c . Signé Laborie.
Giv
151 MERCURE DE FRANCE:
Au Cap François Ifle à côté S. Domingul
le vingt Octobre 1760.
ARTS AGRÉABLE S.
ORIGINE des Modes & du Tempéramenta
Par M. RAMEAU.
ON fera peut-être furpris de me voir Ν
fonder d'abord ( dans mes Nouvelles Réflé
xions &c. ) le Mode fur deux quintes , d'où
nait une proportion triple , & dont les produits
harmoniques donnent les moindres
degrés naturels à la voix ( a ) & de m'en
voir diftraire la diffonance : lorfque portant
mes vues plus loin , je ne fonde ce Mode
que fur une feule quinte ( b ) & que j'y atmets
la diffonance ( c ) ; mais l'ouvrage
étoit déjà imprimé jufqu'à la p. 215 , quand
j'en ai entrepris la fuite , fans que j'aie ea
le temps de confronter le tout enfemble.
Qu'on a de peine à fe défifter des ufages !
je n'ai pas eu plutôt découvert là balfe fondamentale
, que je n'ai fongé qu'à lui fou
(a ) Dans les Nouvelles Réfléxions fur le Principe
fonore. P. 201 .
( b ) Ibidem. P. 223. & 224.
( c ) Ibidem. Dans la Lettre à M d'Alembert ,
P. 9 & 10.
JUIN. 1761 . 153
mettre cet ordre diatonique, fur lequel tous
les fyftêmes de Mufique étoient déjà fondés
: telle eft l'erreur qui m'a toujours perfécuté
jufqu'à ce moment , comme s'il n'y
avoit que cet ordre qui nous fût naturel
comme fi les confonnances ne devoient
pas l'emporter fur les diffonances , dont
cet ordre eft entiérement compofé ; mais
il est toujours temps de fe corriger . Il feroitt
à fouhaiter que chacun en fit antant , plu
tôt que de perfifter dans les erreurs , fous
prétexte que la matière n'eſt pas à portée
de tout le monde , furtout du plus grand
nombre , qui ne lit que pour s'amufer.
Il falloit qu'on fût frappé de la parfaite
harmonie , pour qu'on fçût à quoi s'en tenir ;
mais en même temps , pour faire naître l'idée
de fa progreffion , ou fucceffion , il
falloit auffi que le moyen en fût communiqué
: cette harmonie offrant , d'ailleurs ,
une proportion continue , il falloit encore
que ce qui nous étoit communiqué , pût
offrir , à fon tour , la poffibilité d'y ajouter
un quatrième terme , puifque le Géomètre
n'a pû fe refufer à cette addition dans toutes
fes recherches , où il paroît même donner,
aux proportions à quatre termes , la préférence
fur les continues , qui n'en ont que
trois . Me difputeroit- on cette autorité ,
refufer à la diffonance le droit d'en pour
G v
154 MERCURE DE FRANCE.
trer dans le corps harmonique , lorfqu'elle
nous a été infpirée prèfque de prime abord
dans le diatonique , & lorfqu'elle produit
un effet tellement agréable dans tous les
repos d'un chant , dit cadences en Mufique,
que non feulement le Compofiteur ne l'y
néglige jamais , mais le Chanteur , lui-même
, l'y admet de fon propre mouvement ,
dès qu'il peut arriver diatoniquement à la
tierce du fon fondamental qui termine ces
repos ? Pour peu qu'on ait de goût en Mufique
, on fentira que je n'en impofe point ;
mais , où cela doit-il conduire ? C'eſt ce
qu'on va voir.
f
Deux corps fonores à la quinte l'un de
l'autre , & cenfés fe fuccéder , font les arbitres
, les fondamentaux de toutes les cadences
naturelles : ( d) le premier des deux
les annonce , l'autre qui les termine , eſt
d'ailleurs l'unique dont la plus parfaite
harmonie ne puiffe jamais être altérée : (e)
il n'y a donc que le premier , en ce cas , qui
puiffe fupporter la diffonance , que dis-je ,
avec lequel nous la deficions , que dis - je
( d ) Chap.VII. du Code de Mufique &c. Artieles
VI , VII , VIII , IX , X , & XV.
( e ) Tout Son fondamental qui termine un
repos , ou qui n'en annonce aucun , foit effectivement,
foit par imitation . ( Voyez la précédente
Note ( d) eft r'Ordonnateur , dit Tonique, ou
cenfè tel.
JUIN. 1761 . 155
encore , avec lequel nous la fous- entendons,
pour peu que nous foyons fenfibles à l'harmonie
. Voilà juſtement cette quatriéme
proportionnelle donnée par la diffonance
à laquelle le Géomètre eft fouvent forcé
d'avoir recours : (f) & fi dans l'accordfenfible
fa régle n'eft point obfervée , peut- être
que celle qui regarde cet accord ne lui feroit
pas inutile. (g) Des deux fons qui pour
lors defcendent de quinte fe forme la cadence
appellée parfaite , en ce qu'on ne de
fire plus rien après elle ; & ceft- là que le
premier des deux , celui qui l'annonce , reen-
(f)C'eft ici l'union de la proportion harmo
nique avec l'Arithmétique , qu'elle produit par
Le changement d'ordre entre les tierces , qu'elle
produit également pour compofer la quintes
c'eft , dis je , cette union qui produit , de fon côté
, une diffonance , bien légitime pour lors ,
tre les deux extrêmes des deux proportions ain
réunies d'où fuit la régle que le Géomètre s'eft
impofée pour reconnoître toute quatrième proportionnelle
ajoutée géométriquement : ce qu'il
faut bien peſer avant que de décider entre la cau-
-fe & la régle. Voyez Origine des diffonances , p.
-206 .& les fuivantes.
lors ( g ) Ibidem , p. 208. juſqu'à 211 : où pour
les extrêmes de la proportiou triple , d'où naiffent
les moindres degrés du Mode , fe fubſtituent aux
extrêmes cités dans la Note ( f) : correspondance
digne de réflexions , entre des proportions de
différe nte nature.
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
çoit l'addition de la feptiéme dans fon har
monie des deux fons qui , au contraire ,
montent de quinte , le forme une cadence
dite irréguliére, où celui qui l'annoncereçoit
la fixte majeure de plus dans fon harmonie.
( k )
Ces deux cadences , dont émanent toutes
les fucceffions de l'harmonie & de la
mélodie , conftituent entiérement le Mode
dans toutes fes marches poffibles, en y profitant
de l'identité des octaves , par les
reuverfemeus auxquels cette identité nous
invite fi bien , que c'eft d'elle feule que
nous tenons l'ordre diatonique, c'est- à- dire,
les moindres degrés naturels à la voix . (i )
Il faut bien auffi que la diffonance y foit
comprife , puifque fans ce fecours il manqueroit
deux fons diatoniques , qui peuvent
, à la vérité , s'emprunter dans un autre
Mode , commun au premier , par le
moyen d'une nouvelle quinte , dont le formé
pour lors une proportion triple : ce qui
va s'éclaircir .
Appellons les deux corps fonores en quef
tion , fol & ré , ajoutons la feptiéme à l'harmonie
de ré , lorfqu'il annoncera la cadence
(b)Voyez les Tétracordes conjoints , p. 201 , &
ce qui regarde les cadences dans le Code &c . p.
38 , avec leurs exemples en Mufique .
(i) Ibidem. P. 197. De la proportion double.
JUIN. 1761, 157
parfaite , terminée par fol , nous aurons
ré , fadiéze , la , ut : ajoutons , d'un autre
côté , la fixte majeure à l'harmonie de
fol , lorfqu'il annoncera la cadence irréguliére
terminée par ré , nous aurons fol , fi ,
ré , mi : ( k ) & par ces additions nous aurons
les huit fons diatoniques contenus
dans l'étendue de l'Octave de fol , avec
toutes leurs marches poffibles dans un même
Mode.
De même qu'il falloit diftinguer l'harmonie
parfaite de ce qui peut l'altérer, auffi
bien que les fons fondamentaux ou corps
fonores , forcés de fe foumettre à l'un des
deux cas de même auffi falloit- il qu'il y
eût au moins deux Modes annoncés , non
feulement pour ne pas être reftraints dans
les bornes étroites d'un feul , mais encore
pour nous apprendre qu'on peut en pratiquer
d'autres , & quels doivent être leurs
rapports , leurs liaifons . Or c'eft en ceci
principalement que le corps fonore développe
bien les mystères de la Nature .
Si l'on ne peut conftater la perfection du
Mode
que fur la pe
le conftituer, auffi
Tétracorde en par
que nous le fentoi
entr'eux que les
pi
(k) Voyez la No
158 MERCURE DE FRANCE.
damentaux à la quinte l'un de l'autre. Re
connoiffons , par- là , l'erreur d'avoir voulu
faire confifter le même Mode dans les huit
fons diatoniques d'une Octave, puiſqu'il ſe
trouve l'altération d'un comma entre le fon
la du premier Tétracorde, & les fons ut &
mi du deuxième , qui font la tierce mineure
& la quinte de ce même la.
Quoique de pareilles altérations ayent
été reconnues dans tous les fyftêmes diatoniques
donnés pour un feul Mode , on n'en
afçû tirer d'autres idées que pour un tempérament.
Mais , le croiroit- on ? l'aveuglement
s'eft porté bien plus loin ; puiſque
non-feulement les Muficiens , qui cependant
fe font enfin défabufés , mais encore
tous les Mathématiciens , ceux-là même ,
à qui l'on accorde le titre de Philofophes ,
ont donné , fur ce ſujet , dans une contradiction
inconcevable . S'ils propoſent leurs
fyftêmes pour ce qu'il y a de plus naturel ,
ils conviennent , malgré cela , que les trois
tons de fuite , qui s'y rencontrent partout ,
ne font pas naturels , comme chacun peut
l'éprouver en partant d'un premier ſon donné.
Se peut-il que ce qui n'eft pas naturel
foit compris dans ce qui eft reconnu de droit
pour devoir être naturel Ecoutons - les ,
cependant , ces Philofophes , s'il en exifte
encore , du moins en Mufique : enivrés de
JUIN. 1761 . 159
feur réputation, quoique fourds & aveugles
dans cette partie , ils veulent qu'on prenne
leurs décifions pour des oracles.
Ma condefcendance pour le fentiment de
tant de grands hommes qui ont écrit fur la
Mufique depuisPythagore , & que je croyois
devoir regarder comme mes Maîtres , m'a
fait donner pendant longtems dans le piége
qu'un aveuglement , que je ne pouvois
foupçonner d'abord , m'avoit tendu. Que
ne m'en a-t-il pas coûté , pour entretenir
un même mode dans les huit fons diatoniques?
malgré l'heureuſe découverte du double
emploi ( 1 ) pour pouvoir conſerver
du moins , le fentiment d'un même Mode
en pareil cas , je n'ai que trop fenti que ce
Mode s'y changeoit en un autre , comme
on peut en juger par l'exemple qu'on voit
à la fin de ma démonftration du principe de
Pharmonie à la Lettre C , où la proportion
triple fe conferve partout , en détruifant
le défaut des trois tons de fuite par un repos
fenfible, à la faveur de deux fons fondamentaux
fucceffifs fous la même quinte en
montant diatoniquement , & où j'avertis
que le Mode change. Mais reconnoiffant
de plus en plus les droits du Tétracorde dans
les feules cadences qui conſtituent le Mo-
(7)Dans les nouvelles réfléxions &c, P. 211
160 MERCURE DE FRANCE.
de ( m) , mes yeux fe font enfin ouverts.
Lorfqu'on s'eft apperçu des trois tons de
fuite dans le fyftême diatonique , comment
eft-ce qu'on n'a pas fongé à retourner ſur
fes pas , en examinant de nouveau les deux
Tétracordes conjoints , qu'on avoit abandonnés
en faveur de ce fyftême ? Si le ton
en montant après un premier fon donné ,
ton qui nous eft feul naturel en ce cas , peut
avoir été caufe de çet abandon , pourquoi
n'avoir pas abandonné plutôt le demi-ton
du premier Tétracorde ? On l'auroit retrou
vé dans fa place on auroit monté d'abord
d'un ton , & pour lors les trois tons de fuite
auroient difparu : on auroit vu que le
troifiéme ton ne pouvoit être occafionné
que par le paffage immédiat & réciproque
des deux extrêmes , qui font précifément
les produits des deux extrêmes d'une proportion
triple ( n ) , dont la fource le feroit
peut-être faite reconnoître dans les trois fons
à la quinte l'un de l'autre , qui conftituent
(m) lbidem. P. 223 & 224.
(n ) Voyez fur ce fujet la p. 41 , juſqu'à 54 , de
ma Démonſtration du principe de l'harmonie.
JUI N. 1761.
161
les deux Tétracordes avec leur harmonie..
En voici l'Exemple.
Tétracordes.
Baffe fondamentale.
Proportion triple.
Tetracordes.
Baffe fond .
Prop triple.
{
ré , ut
fol , la , fi , ut , ré , mi ,
fol , ré , fol , ut , ſol , ut,
3,9 , 3 ,
13 I
fol y
fol.
>
> 3.
, fi , la , fol , fadiéze ,
fol , at ou ré , fel , ré,fol , ré
9 , 3 , 9 3 , 1. ou 9 , 3 ,
Tout eft donné dans ces deux Tétracordes
, pour le Mode mineur , comme pour
le majeur , tant en montant qu'en defcendant
; & ce n'eft que dans la fucceffion des
deux extrêmes entr'eux , qu'on auroit vu la
néceffité d'ajouter un quatrième fon fondamental
, toujours à la quinte , dont le forme
une quatrième proportionnelle
; mais ,
qui force de changer de Mode , fi l'on n'a
pas recours au double emploi . Remarquons
d'ailleurs que les diffonances
d'un fon à
l'autre , dans les Tétracordes
, ne font
des degrés pour paffer aux confonnances
de
l'ordonnateur
fol, dit tonique , & que pour
lors ces mêmes confonnances
fe puifent co
partie dans le Tétracorde , auquel celui de
fol fe lie , de manière , même , qu'elles
leur font communes .
que
On voit affez ici que fol eft l'unique ordonnateur
, la feule tonique , puifqu'on ne
trouve dans les deux Tétracordes que les
fons contenus dans l'étendue de fonOctave,
62 MERCURE DE FRANCE.
où loin que ut puiffe être foupçonné pour
tel , fadieze lui refufe fa quarte , outre que
fa fixte la y eft altérée ; mais ce qu'il y a
de plus éffentiel , c'eſt que lui même , quoique
générateur de fol , lui fert de quarte &
Jui donne fa tierce mi pour fixte. (o ) Orì
ce que fait ut en faveur de fa quinte fol ,
pouquoi celui- ci n'en fera-t- il pas autant
en faveur de fa quinte ré , qu'on voit exifter
, d'ailleurs , dans une bonne partie de la
baffe fondamentale de fon Mode , pour annoncer
toutes les cadences parfaites qu'il
peut y terminer ? Le rapport de leurs Modes
doit être plus parfait que celui des deux
Modes entre ut & fol , puifque ut , loin
d'être confidéré comme générateur , ne s'y
préſente plus que comme une fimple confonnance
dépendante de l'ordonnateur ,
qui repréfente pour lors fon générateur (p) :
auffi , tout femble- t-il fait à deffein dans
les Tétracordes conjoints.Pourquoi le Mode
ne peut- il rouler fur le générateur, fi ce n'eft
que celui- ci , content d'avoir tout engendré,
fe repofe fur fes premiers produits , 13 ,
pour en conduire l'ordre & la marche , en
leur donnant un caractère qu'il fe refufe à
lui-même ; favoir , de pouvoir étendre de
I
I I
(9 ) Dans les Nouvelles Réfléxions , & c . p . 200,
jufqu'à 203.
(p) Ibidem,
JUIN. 1771.
763
tous côtés leurs progreffions , après les avoir
établis comme ordonnateurs : c'est- à-dire ,
en Géométrie , comme termes moyens des
proportions qu'il force de reconnoître com .
me continues dans la réfonnance , ſenſible
d'un côté , & infenfible de l'autre , de fes
aliquotes : droit qu'il le refuſe , comme je
viens de le dire , puifqu'il force toutes fes
aliquantes à fe divifer en fes uniffons , pour
prouver qu'il eft l'unique principe , le premier
, le plus grand , & qu'il contient tout,
fans pouvoir être contenu. ( q ) La choſe
étant ainfi dans tout Tétracorde joint à un
autre , le fon , qui doit y être regardé com
me principe , ne s'y préfentant plus que
comme fubordonné,refte donc à l'ordonnateur
, qu'il établit comme tel , d'ufer en fa
veur de fa quinte des mêmes droits qu'il
reçoit de fon générateur , en liant fon Mode
au fien , bien plus étroitement encore qu'à
celui de fon génératenr qui s'y rend dépendant.
S'il trouve dans celui- ci la plus grande
partie de fes confonnances, il rend lapareille
à fa quinte , qui, comme fon produit, lui devient
la plus intime:non feulement l'oreille
en a toujours jugé de même , mais les inftrumens
artificiels , Trompettes & Cors de
chaffe , l'annoncent pofitivement . On ne
peut , en effet , y traiter aucun autre Mode
(4 ) Ibidem. Du Principe , p . 112.
164 MERCURE DE FRANCE :
que celui de la quinte du fon de leur totali?
té , quoique celui- ci n'y reçoive que fon
harmonie dans fa perfection , lorfque fa
quinte y reçoit , de plus , fa quarte & fa
fixte de fon générateur même .
Remarquons à préfent que dans la proportion
triple , établie par les trois fons
fondamentaux du Mode , fe trouvent juf
tement la quinte au- deffus & celle d'au- def
fous de l'ordonnateur ; ne s'agiffant que
d'ajouter un quattiéme terme à cette proportion
, favoir , la quinte de la nouvelle
quinte , appellée ré , pour avoir fon Mode
complet , dont une partie des intervalles fe
puife dans le Mode du premier ordonateur,
de même que celui- ci a puifé les fiens dans
le deuxième Tétracorde : ce qui conftitue
pour lors trois Modes , quoique d'un genre
pareil , où celui du milieu prend un tel empire
(ur les deux extrêmes , qu'ils font toujours
prêts à fe lier au fien , non feulement
par les intervalles qu'ils ont de communs
avec lui , mais encore par une cadence irrégulière
, qui leur eft commune , & qu'il
eft libre d'attribuer à celui des deux Modes
qu'elle lie . Si l'on voit , par exemple , dans
les précédens Tétracordes , ut de l'un, monter
de quinte à fol de l'autre , on verra de
même cefol monter de quinte à ré du troi-
Géme Tétracorde , le Mode de fol ſe liant ,
JUIN. 1761. -165
par le moyen de cette cadence , auffi étroitement
qu'il eft poffible , à ceux de ces deux,
quintes. Ces Modes , appellés Majeurs , en
vertu de la tierce majeure directe à leurs
ordonnateurs , en produifent , chacun , un
Mineur , par le changement d'ordre entre
les tierces qui compofent la quinte , unique
conftitutrice de l'harmonie , où pour
lors la tierce mineure eft directe à fon tour:,
les trois Modes mineurs , qui en réſultent ,
fe lient au premier donné dans le même
ordre de fubordination que celui des majeurs
dont ils émanent : ce que l'oreille fait
préffentir dans les entrelacemens feuls naturels
des Modes , dont tous les bons Muficiens
conviennent.
ble
Si la perfection ne peut naître) que de..
deux corps fonoresà la quinte l'un de l'autre,
puifqu'un troifiéme , toujours à la quinte ,
y féme néceffairement de l'altération ; le ,
Mode , c'eft- à-dire , la manière dont les
fons doivent être ordonnés , tant enfemque
fucceffivement , ne pouvoit donc
paffer les bornes de ces deux premiers corps
fonores.Nous n'avions befoin que d'en connoître
un , puifqu'effectivement il n'y en a
qu'un direct , appellé majeur , le mineur
' exiftant que par lui ; mais il falloit nonfculement
trouver un fond d'harmonie ,
qui fit arriver aux bornes defirées , favoir ,
166 MERCURE DE FRANCE.
l'Octave dans l'ordre des moindres degrés
qui nous font naturels ; il falloit encore
que les moyens de varier ce Mode au-delà
de fa fphère fuffent indiqués. Admirons en
cela les loix de la Nature ! un feul corps
fonore , ajouté à la quinte de l'un des deux
premiers , fuffit pour cet effet : dès-lors on
y découvre trois fons qui s'engendrent fucceffivement
de quinte en quinte , d'où naît
le nombre 3 , qui fe triple à fon tour ; on
les voit ordonner de ce qui feul peut fatisfaire
la raifon & l'oreille ; on les voit fuivre
entr'eux une proportion pareille à la
double , donnée par les Octaves 1 , d'ou
le titre de proportion triple leur eft affigné
de droit. ( r) Qu'y a - t- il d'auffi fuffiſamment
démontrée? Où voit- on une feule pro
portion dans un objet unique , je dis une
feule , lorfqu'elles font toutes englobées
dans la réfonnance du corps fonore ? Où le
nombre des termes qui les compofent fe
(r) Pythagore auroit eu raifon d'attribuer au
nombre 3. la toute-puiffance fur la Mufique , &
plus encore fur la Géométrie , comme on le lui
fait dire p. 228 , s'il ne l'eût propofé que comme
un figne engendré par la réfonance du corps fo
nore , pour en tirer toutes les lumières néceffaires
en Géométrie. La démonftration des faits eſt
ici puifée dans la Nature même , comme M. d'Alémbert
en eſt déjà convenu , avant qu'il fût aulli
bien inftruit qu'il peut l'être à préfent,
>
JUIN 1761. 76%
trouve-t -il décidé avant qu'on y ait jamais
penſé , lorſque l'harmonie y fait penfer au
moment qu'on l'entend ? Où la différence
d'un enfemble avec ce qui doit indiquer
une progreffion fe diftingue- t - elle comme
dans la Mufique , lorfqu'elle s'y fait remarquer
par la réfonnance fenfible de cet
enſemble , & par le filence apparent de ce
qui ne peut guères fe concevoir que comme
fucceffif , dès qu'on ne l'entend pas ;
fans parler de ces diffonances fuggérées
dans les moindres degrés naturels , que
nous fommes forcés de faire fuccéder les
uns aux autres , ne pouvant les faire entendre
enſemble fans que l'oreille n'en foit
bleffée ? Où reconnoît-on de combien certains
rapports doivent être altérés ? Si la
néceffité de cette altération fe reconnoît
dans la quadrature du cercle , ce n'eſt encore
qu'avec des doutes qui ne font pas
bien éclaircis. Quelles font les erreurs dont
on taxe dans l'Encyclopédie ( s ) l'analyſe
démontrée par le P. Reynaud , quoique ce
foit jufqu'à préfent , dit-on , l'ouvrage le
plus complet fur cet article ? Les reléve
t-on ces erreurs ? Les cite- t-on feulement ?
On fe donne pour favoir tout pendant
qu'on convient ici du contraire. Dans là

(s) Dans les nouvelles Réflèxions &c. p. 234
28 MERCURE DE FRANCE.
Mulique , du moins , on voit de combien
certaines confonnances font altérées , on
voit qu'elles le font néceffairement , pour
faire connoître & fentir le Mode dans la
plus parfaite juftcffe des produits d'une
feule quinte, & que les produits d'une
autre quinte , quoiqu'également parfaits ,
quoique pareils , mais à une certaine dif
tance qui les lie néanmoins , doivent préfenter
un autre Mode ; & l'on le voit for-'
cé , par-là , d'avoir recours à un moyen
quelconque , appellé Tempérament en Mufique
,pour en fauver fuffilamment la
grande
difcordance.

Après avoir reçu de la quinte tout ce
qu'il y a de plus naturel , & par conféquent
de plus parfait , ne feroit-on pas
tenté de voir , d'éprouver , ce qui réfulteroit
d'une proportion quintuple : le peut
bien jouir , en ce cas , des mêmes droits
que le & le , puifqu'ils font tous également
produits par la réfonnance du corps
fonore. On y trouve , en effet , jufqu'à fon
quatrième terme , 1 , 5 , 25 , 125 , un demi
ton mineur néceffaire pour achever le
ton avec le majeur donné par la quinte ,
& de plus un quart de ton qui fait la différence
de ces deux demi- tons .. ( t ) Pour
( 1 ) Ibidem , de la proportion quintuple , p.
104 .
favoir
'JUIN. 1761
169
favoir à préfent l'ufage qu'on peut faire
de ces nouveaux intervalles , ne ſommesnous
pas les maîtres d'ajouter Tétracorde
fur Tétracorde, par la progreffion d'autant
de quintes qu'il nous plaira ? Sans doute
qu'il doit cependant s'y trouver des bornes
, mais quelles peuvent- elles être ? L'octave
, au-delà de laquelle on ne fait que
répéter ce qu'elle renferme dans fon étendue.
Mais encore , fi le même fon ne fait
que fe multiplier par une progreffion d'OCaves
, dite double , il faut donc en chercher
une autre pour cet effet : & pour lors
on ne trouve que celle des quintes , dite
triple , portée jufqu'à fon treiziéme terme
, qui puiffe en approcher le plus , par
un petit intervalle inapprétiable. Dès - lors
on imagine un moyen d'altérer ces quintes
de manière qu'elles puiffent rendre
fuffisamment agréable l'entrelacement
des douze Modes majeurs & des douze
mineurs qui s'en fuivent. ( u )
Ici , non feulement l'altération eft connue,
mais encore l'unique moyen de la rendre
fupportable dans un grand nombre de
( u ) Chap . VII . de la Génération harmonique,
où le tout et démontré , quoique l'ufage l'empor
te encore , malgré la grande difcordance qu'il
produit dans certains accords d'une bonne partie
des 24 Modes .
H
170 MERCURE DE FRANCE.
Modes qui peuvent fe varier , en s'entrelaçant
par les produits d'une proportion!
quintuple , auffi bien que par ceux de la triple.
Si d'ailleurs, on pouvoit arriver à l'Oc-1
tave par une autre progreffion que la dou».
ble , n'y préfenteroit - elle pas Bidée d'un
cercle , puifqu'elle ne peut fe réunir autrement
à fon générateur , avec lequel elle eft
identique ? Je n'en fais pas affez, pour ofer
porter mes vues plus loin : il me femble ,
du moins , que ce qui n'eft qu'un dans le
fond , comme tout le confirme en Mufique ,
ne peut fe concevoir que de la forte ,
relativement au fens qui le juge unique ›
dans fes différentes parties. Si cette idée
prenoit faveur , elle pourroit bien conduire :
à d'autres,
MUSIQUE.
L'écho, ou Journal de Muſique Françoife
, Italienne , contenant des airs , chanfons
,brunettes, duo, tendres ou bacchiques,
rondes, Vaudevilles, Contredanfes & Meh
nuets, continue de paroître tous les mois.
La foufcription eft de 18 liv.port compris,
de 12 recueils; chaque recueil détaché eft ?
de 35 f. pour les perfonnes qui ne foufJUIN.
17615 171
crivent point ; le Sr B. Andrez derrière
S. Thomas à Liége , eft l'Editeur de ce
Journal , qui fe trouve auffi à Paris , au
Bureau du Mercure , chez M. Lutton , rue
Ste Anne, butte S. Roch. A Breft , chez
M. Malaffier ; à Lyon , chez M. J. Deville,
& de la Roche à Tours , chez M. Billault
ainfi que dans les Villes principales du
Royaume .
Će Journal a commencé avec 1758.
C'est par erreur que l'année dernière, on
a annoncé qu'il n'avoit commencé qu'én
1759.
VI. Quatuor pour un Violon, un Haut-
Bois , un Violoncelle obligé , & une Baffe
continue ; dédiés à Madame la Marquife
de Chazeron , par M. Talon , In Folio ,
prix , 9 liv. à Paris , chez M. Venier , rue
S. Thomas du Louvre , vis - à- vis le Château
d'eau , & aux adreffes ordinaires de
Mufique..
9
XX . Sonnate par Cambalo , Compofte
da vari autori : Alberti , Jozzi , Galuppi ,
le Grand, Bach, Haffe , Lovenzini , Agrel,
Martini, Schaffrath. Opera feconda. Prix,
2 liv. Racolte da G. B. Venier. Aux mêmes
adreffes.
Hij
17 MERCURE DE FRANCE.
Le même Editeur de plufieurs Ouvrages
de Mufique inftrumentale , avertit les Amateurs,
qu'il donnera, fur la fin du mois
d'Août prochain , le XIIe oeuvre de fymphonies
di vari autori , c'eſt -à- dire , des
plus fameux Maîtres de l'Europe ; que
pour n'être point confondu avec les autres
Editeurs , fon nom fera fur le frontifpice
; & que lefdits Ouvrages ſe vendront
à Paris,
L
GRAVURE.
E Sieur Floding , vient de mettre au
jour une Eftampe,dédiée & préfentée à Sa
Majefté le Roi de Suéde , dont il eft Sujet
& Penfionnaire . Ce morceau , deſſing
par Monfieur Cochin , & exécuté fous fa
direction , eft une Allégorie de la protection
que ce Prince accorde aux Beaux-
Arts. Il eft repréfenté affis fur un fiége à
l'Antique , avec une Couronne de laurier
fur la tête , recevant favorablement les
Génies des Arts , qu'une Minerve lui préfente
, & leur tendant les bras avec bonté.
Ce Prince eft entouré des quatre Etats
du Royaume , la Nobleffe, les Eccléfiaftiques
, les Négocians , & les Payfans , perfonnifiés
par quatre figures avec les attri
JUIN. 1961 . 173
buts qui leur font propres. Un Militaire
vêtu à la romaine, caractériſe laNobleffe ;
tine femme voilée, tenant d'une main une
Croix & de l'autre un Livre ouvert , re
préfente le Clergé ; le commerce eft défigné
par une femme qui tient dans fa
main gauche , un caducée & un miroir
antique , s'appuyant avec l'autre fur un
gouvernail , ayant fur la tête une Couronne
de perle & de corail ; la quatrie
me figure, qui caractériſe l'Agriculture, eft
une femme vêtue fimplement, ayant dans
les mains une faulx & un marteau , inftrumens
de ceux qui cultivent la terre & les
mines , & porte fur fa tête une Couronne
d'épics de bled. La Scène eft auprès d'un
piédeftal , fur lequel eft le bufte de Guf
tave I. & qui porte cette infcription.
t GENUS ET
NEPOTES
RESPICIS
AUCTOR.
Dont le fens eft, que Guſtave I. regarde
avec plaifir fon arriere- petit-fils monté fur
le Trône de la Suéde , dont il fait le bonheur.
Entre les quatre Génies des Arts ,
la Peinture , la Sculpture , l'Architecture,
& la Gravure,qui font caractérisés , chacun
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
par leurs attributs ; celui de la Gravure eft
remarquable par une planche qu'il tient
fous fon bras , fur laquelle eft gravée , en
médaillon, le portrait d'un des principaux
Protecteurs des Arts en Suéde , avec ces
mors :
Mecanati Suecorum.
Toute la Scène fe paffe fous un grand
rideau tendu , parfemé avec des petites
Couronnes , derrière lequel & dans le
lointain , paroît une partie d'un Palais de
POrdre Ionique. Au bas de la table , qui
forme un ovale tout autour , eft un écuffon
avec trois Couronnes , les Armes
du Royaume de Suéde , entouré avec la
chaîne de l'Ordre des Seraphins & deux
Lions qui font fupports , avec cette inf
cription Latine :
ADOLPHO FREDERICO OPTIMO
PRINCIPI. Avitis GUSTAVI I. virtutibus
Suecanum orbem regenti, quod & ipfefummofavore
liberales Artes amplexus eft , &
fideli Ordinum Regni cura alendas commendavit.
D. N. M. Q. E. Petrus Floding
Devotus Numini Majeftatique ejus,
TABLEAU du pair des Monnoies & des
Changes des principales Villes de l'Euro
JUIN 1761.1 ༡༩
pe, dédié à M. Paris de Montmartel , Confeiller
d'Etat .
Ce Tableau gravé fur papier , grand
aigle , repréſente les empreintes , noms ,
taille, poids , titres , valeur & fubdivifions
des monnoies réelles & monnoie de chan
ges des douze principales places & commerce
de l'Europe ; la manière dont elles
changent les unes fur les autres ; le rape
port que toutes ces monnoies ont entre
elles , & leurs parités réciproques , cal
culé d'après les édits qui en fixent les valeurs
, & des éffais qui en ont été faits à
Paris , de leurs poids & titres.
A Paris , chez Lattré Graveur , rue S.
Jacques, au coin de celle de la Parcheminerie
à la Ville de Bordeaux.
LE 30 Avril 1761 , nous avons perdu
un homme d'un rare mérite , le célébre
M.du Vivier,Graveur du Roi en médailles ,
venu de Liége fa Patrie , & celle du fameux
Warin , en 1711 , à l'âge de 24 ans.
Il fut gratifié d'une furvivance du logement
aux Galleries du Louvre, en 1717;&
reçu à l'Académie de Peinture & de Sculp
ture en 1718. La réputation de ce grand
homme s'eft répandue dans tous les Pays
où le goût des Arts , & furtout des Médailles
a pu pénétrer. On a admiré , dans
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
fes Ouvrages , la fermeté du deffein , & la
netteté du travail . L'Acier fembloit ployer
fous fon outil , comme la cire fous l'ébauchoir.
Parmi les productions fans nombre
& toutes précieufes , on admire furtout
la grande Médaille du Sacre du Roi ; un
S. Michel foudroyant les Démons ; la Place
de Bordeaux ; la Tête de Czar , & plufieurs
Têtes du Roi, à différens âges, dont
une de 1735 , lui a mérité une penfion.
Ses derniers Ovvrages ne fe fentent pas
de la décadence de l'âge. H eft mort âgé
de 74 ans. Il laiffe une fille , époufe de M.
Tardieu , Graveur de l'Académie , & deux
fils , dont l'aîné s'occupe avec fuccès au
même talent que fon illuftre père .
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
LE Théâtre ordinaire de la Cour , à
Verfailles , n'étant pas difpofé pour les
grands effets de vérité , avec lesquels on
rend actuellement les actions dramatiques
fur notre Scène ; & la Salle , préparée depuis
plufieurs années à Choify , fe trouvant
beaucoup plus propre à ces nouJUIN.
1761.
177
véaux Spectacles ; les Comédiens François
y repréfentèrent devant le Roi , le
26 Mai , Tancréde , Tragédie de M. de
Voltaire , fuivie des Bourgeoifes de qualité
, Comédie ; & le lendemain 27 , Hypermnestre
, Tragédie de M. le Miere , fuivie
des Maurs du Temps , Comédie de
M. Saurin.
La préſence du Souverain , & l'attention
dont il a honoré ces Repréfentations,
avoient tellement animé le zéle de tous
les Acteurs , que jamais ces Piéces n'avoient
été jouées avec autant de feu , de
concert , & de précifion ; la perfection de
Mlle Clairon dans le Tragique , & celle
de Mlle Dangeville dans le Comique ,
fembloient avoir acquis un nouveau degré
de fupériorité. Sa Majefté a daigné
témoigner avoir été fenfible au mérite des
Ouvrages , & aux talens des Acteurs .
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Mufique a remis
au Théâtre le Mardi 19 Mai , Zais
Ballet héroïque , en 4 Actes. Paroles de
feu M. Cahufac , Mufique de M. Rameau.
Cet Opéra avoit été repréfenté pour la
première fois en Février 1748. Il étoit
H v
178 MERCURE DE FRANCE.
précédé d'un Prologue ,que l'on a fupprimé
à cette repriſe , la faifon ne permettant
pas d'excéder une certaine durée de
temps pour les Spectacles.
Comme l'Extrait du Poëme fe trouve
dans un des Mercures de l'année , où il
a été donné la première fois , nous nous
bornerons à une légére notice du Sujet.
Zaïs eft un Génie aërien fuppofé pofféder
un pouvoir fort étendu & régner
fur une Cour très brillante d'autres Génies
. Ce Génie eft amoureux d'une Bergère
, il faut donc le traveftir en Berger
pour s'en faire aimer ; & par une autre
conféquence d'ufage poëtique , il faut
éprouver la conftance de la Bergère , en
oppofant le Génie au Berger, & devenant
le rival de foi- même. On fent par là quả
Iffé , Zélindor & d'autres Ouvrages de
même genre ont guidé pour l'invention
de la Fable de cet Opéra ; mais on reconnoît
que ces ouvrages n'ont pas fervi
de modéles pour la conduite ni pour les
détails .
Zaïs a pour confidens Cindor , qui eft
auffi un Génie , mais d'un ordre inférieur;
car celui- ci ne peut prèfque rien fans fon
Maître. Zais , toujours Berger , affiſte à
une Fête de l'Amour avec la Bergère Zé-
Lidie. Après les chants & les danfes , l'AJU
IN. 1761) 179
mour , du haut d'un char , ordonne aux .
Amans d'éprouver leurs maîtreffes pour
rendre leur triomphe plus glorieux .
Zais revient enfuite dans fon Palaiscéleste
où il paroît encore en Berger.
Malgré les remontrances prudentes de
fon confident , il le charge de féduire fa
maîtreffe ; & toute la crainte eft qu'il ne
paroiffe pas auffi tendre que lui . Il a la
politeffe de ne pas dire auffi aimable. ,
Pour y fuppléer , il lui remet tour ſon
pouvoir , & ce pouvoir eft attaché à des
fleurs brillantes que Cindor porte à la
main. Dès que Zais a difparu , des vapeurs
fe diffipent & laiffent voir des
grouppes de figures deftinées à s'animer.
L'Oracle , Zénéide , & le Sylphe font les,
Sujets de ces grouppes. Les Zéphics apportent
la Bergère dans le Palais . Cindor
qui eft fuppofé , un immortel très- confi- ,
dérable , lui déclare qu'il eſt épris de ſes
charmes . Pour commencer à donner une ,
idée de fa puiffance, il anime les grouppes
qui danfent des pas de deux , & forment un
Baller avec les Sylphes & Sylphides de
la Cour du Génie. La Bergère perfiſte à
ne vouloir aimer qu'un Berger.
*
Cindor voyant qu'elle eft infenfible au ,
charme d'un Ballet très- agréable & trèse ,
brillant , déchaîne les Vents , excite um
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
orage formidable. Les éclairs percent lesnues
; la foudre éclare dans le fond , &
le tonnèrre gronde deffous le Palais. La
Bergère bien moins attendrie encore par
Forage qu'elle ne l'avoit été par le Ballet,
Tharque une frayeur extrême. Cindor la
raffure , en lui apprenant qu'il n'y a rien
à craindre où ils font , & que cet orage
ne peut détruire tout au plus que quel .
ques Mortels fur la Tèrre. A quoi Zélidie
répond que fon amant eft fur la Tèrre;
& le danger qu'il y court l'effraye
encore davantage. Le Génie calme tout ;
& pour l'engager à reftet dans ce Palais
, if remer à la Bergère le bouquet
magique par le moyen duquel tous fes
defirs feront remplis auffitôt que formés.
Le premier de fes fouhaits eft de voir
fon amant. Auffitôt Zars paroît tek
qu'elle l'a toujours vu , c'eft- à- dire , en
Berger , elle croit lui apprendre ce qu'il
doit craindre d'un Génie rival , & luf
donne le bouquet pour le préferver des
perils où elle penfe qu'il eft expofe.
Zais n'étant pas encore fatisfait de
cette épreuve , revient avec un bandeau
merveilleux pour paroître Cinder aux yeux
de la Bergère , & faire par lui-même le
rôle dont il l'avoir chargé. On voit qu'il
compte peu fur la galanterie de ce CinJUIN.
1761 . 181
-dor. On retourne fur la Tèrre . Zaïs a fait
dire à Zélidie qu'il eft inconftant , & il a
difparu. Ses Peuples , Sylphes & Sylphides,
viennent confirmer à la trifte Bergère,
par un Ballet qui peint l'inconftance , que
fon Berger l'a abandonnée pour une Beauté
immortelle. Zaïs paroît alors fous les
traits de Cindor. Zélidie s'y méprend &
croît reconnoître le Génie qui avoit fair
tonner dans le Palais célefte . Sous ce déguifement
, il lui offre fon pouvoir contre
le Berger volage , elle veut que ce Berger
vive , elle rejette une vengeance odieufe.
Il l'exhorte à changer ; elle réfifte & il a
lieu d'être content des fentimens généreux
& paffionnés de la Bergère ; il en eft fi
émû , qu'il fe reproche les tourmens qu'il
lui caufe. C'eft précisément dans ce mo
ment que la fympathie perce à travers
toute la magie . La fenfible Zélidie avoue
qu'elle a pour ce faux Cindor quelqu'inclination
fecrette. Elle eft prête à fuccom
ber , & Zaïs à détefter fon mafque. Mais
tout-à- coup elle pénétre qu'il y a de l'enchantement
, & le rafermit par le ferment
d'une ardeur éternelle pour fon Berger.
Zais faifit cet inftant pour ne pas prolonger
une épreuve, devenue déjà un peu dangereufe.
Il laiffe fuir Zélidie an moment,
3
mais pour fe faire voir à elle dans toute da
182 MERCURE DE FRANCE.
gloire. On remonte au Palais célefte
Zélidie eft plus étonnée que fatisfaite , de
retrouver fon Berger dans la perfonne
éclatante du Génie Zais. La Bergère ne
diffimule point qu'elle ne s'accoutumera
jamais à tant de grandeur. Zaïs prend un
parti violent inspiré par l'amour. Il ôte de
fon doigt l'anneau mystérieux , dans lequel
réfide toute fa puiffance, il le rompt;
auffitôt le tonnèrre gronde , le Palais
s'abîme , les deux amans fe trouvent
dans un défert. C'est alors que felon
l'ufage de ce Sexe incertain dans fes
voeux , dans fes goûts , Zélidie fe repent
de la faute qu'elle a fait commettre à
fon amant. Un bruit éffrayant les allarme
l'un & l'autre , un nuage noir s'avance ,
il s'entr'ouvre , le Roi des Génies paroît
pour rendre à Zaïs fon rang & fon pouvoir
, & en même temps faire de Zélidia
une Immortelle . Tout fe raccommode ,
& l'on danfe.
L'invention de cette Fable , la complication
de fa conduite , & le peu d'intérêt
qu'elle produit , font du Poëme de
Zais un exemple remarquable de ce qui
s'éloigne le plus des faines maximes
de jugement & de goût . Dans le détail
des vers , le vuide des penfées , les tours
forcés, un rempliffage de mots affectés ,
JUIN. 1761 . 183
Pobfcurité qui en réſulte , tout juftifie la
jufteffe de la cenfure prononcée , & univerfellement
confirmée par le Public contre
les paroles de cet Opéra.
MUSIQUE.
La condamnation du Poëte fait en cette
occafion le triomphe du Muficien.
Malgré les vices du Poëme , cet Opéra
vient d'être très bien reçu à cette reprife.
Son fuccès qui fe foutient , eſt entierement
dû à la Mufique & à l'agrément
des Ballets . L'ouverture eft d'un genre
neuf , pleine d'une harmonie mâle &
pittorefque. C'eft un mélange & un mouvement
des Élémens que l'ingénieux Muficien
a voulu peindre ; l'effet difpofe
très- bien l'imagination à un Spectacle
d'enchantement. C'est ce rapport & cette
forte de préparation au genre d'un Opéra
, qui devroient faire la régle de toutes
les cuvertures , & ce que les Muficiens
devroient fe préfcrire rigoureuſement.
Ils feroient payés de ce travail ,
quelquefois difficile , par ce qui en réfulteroit
pour le refte de leur Ouvrage . Il y
a dans tous les Actes de celui -ci de trèsbeaux
airs de fymphonie : comme ils ont
chacun un mérite particulier & relatif
aux places où ils fe trouvent , il feroit dif
184 MERCURE DE FRANCE.
ficile de leur affigner des rangs de préfé
rence . La vocale eft en général très - habilement
& très - agréablement traitée. Le
Récitatif eft d'un genre particulier qui
tient un peu quelquefois par le tour du
chant à celui des airs ; ce qui prouve
l'art avec lequel M. Rameau a coloré la
marche irrégulière des Vers , de laquelle
par ce moyen il a fauvé la dureté en plufieurs
endroits. On a fait entrer dans le
dernier Divertiffement deux morceaux du
Prologue , qui font un très- bon effet.
BALLET S.
En général , le deffein des Ballets &
les tableaux qu'ils repréfentent , répondent
à l'agrément & au génie des airs
fur lefquels ils font compofés. Celui du
fecond acte , entr'autres , joint au fpectacle
brillant du Palais & de la Cour
d'un Sylphe l'avantage des grouppes dont
on a parlé dans l'analyfe du Poëme.
L'Oracle eft le plus diftingué de ces
grouppes. Indépendamment du plaifir que
le Public trouve dans tout ce qui peut lui
retracer une idée auffi agréable & auffi
ingénieuſe , le fujer prête plus que les
autres aux grâces & en même tems à la
clarté de l'action Pantomime. M. Veftris
danfe dans ce Divertiffement , & en perJUIN
1761. 185
fectionne l'éclat. Au quatriéme Acte
le Ballet , qui termine l'Opéra , eft perpétuellement
agréable , Mlle Lany en
remplit une grande partie ; elle y danfe
différens genres , ce qui procuré au Spectateur
différens genres d'admiration &
de plaifirs. Ses entrées font coupées par
celles de Mlle Lyonnois & de M. Lany
en Paftres. On connoît les talens de ces
deux Sujets pour cette forte de caractère.
Mlle Lyonnois y déploye cette gaîté
naturelle qui anime tout ce qui l'environne.
Le Ballet finit par une Contredanſe
charmante , dans laquelle fe joint
Mlle Lany ; & le fentiment de plaifir
qu'éprouve alors le Spectateur, n'eft contrarié
que par la crainte d'en voir la fin .
PARTIES D'EXÉCUTION.
Mlle le Mière , des talens de laquelle
le Public a été privé depuis longtems , a
chanté dans cet Opéra le rôle de Zélidie
( Bergere aimée de Zaïs . ) La voix de cette
Actrice, dans les premieres repréſentations,
fe reffentoit un peu de la foibleffe qu'entraîne
néceffairement la convalefcence.
Mais chaque jour l'exercice de l'organe &
le rétabliffement des forces lui rendent la
faculté de faire briller l'art &le goût qu'elle
a toujours mis dans fon chant, & que lePu
186 MERCURE DE FRANCE:
blic applaudit avec plaifir dans cet Opéra.
M. Gellin a très - bien rendu le rôle de
Cindor. Il y a reçu les applaudiffemens
qu'il méritoit à double titre. 1 ° . Par fes
talens. 2 °. par un procédé de zéle trop remarquable
pour n'en pas faire part au
Public. M.Larrivée qui en étoit chargé , fubitement
attaqué d'une indifpofition , M.
Gellin ne balança pas à prendre le Rôle ,
malgré le befoin indifpenfable d'un repos
néceffaire à fa fanté. Il l'étudia , l'apprit ,
& fut en état en 4 ou 5 jours de l'exécuter
comme il l'a fait , difpofé à remettre ce
Rôle à M. Larrivée , dès que fa fanté lui
permettroit d'y mériter les fuffrages qu'il
a lieu d'y attendre ; le genre en étant
ticuliérement propre à celui de fes tas
lens . Quoique de pareils exemples . duffent
être moins rares , ceux qui les donnent
n'en méritent pas moins d'éloges ,
& le Public a intérêt qu'ils n'en foient
pas privés.
par
M. Pillot dans le rôle de Zais force
pour
ainfi dire le Public à lui donner des
applaudiffemens de fatisfaction , que le
diſcernement & l'équité ne permettroient
pas
de lui refufer. Il rend avec art & intelligence
ce rôle qui eft composé de
tours de chant & de parties qui exigent
du débit ; ce qui juftifie l'utilité des en
couragemens du Public . Il en avoit reçu
JUIN. 1761 . 187
čet hyver ; nous avions cru convenable
de le faire remarquer avec quelques détails
à cet égard. Les fuccès de M. Pillot
confondent l'indifcrette critique de quelques
Cenfeurs , froids fans jufteffe , &
difficiles fans goût , qui pourroient improuver
l'attention que nous donnons
quelquefois à des Sujets qui n'ont pas
encore obtenu une faveur univerfelle ,
mais qui font avec fruit des éfforts pour
la mériter.
3
Quant au Spectacle , cet Ouvrage eft
remis avec autant de foins que l'on en
peut donner , dans une faifon où l'abfence
d'une partie du Public ne permet pas
autant de dépenfes que pour les Repréfentations
de l'hyver . Nous terminerons
cet Article par le Madrigal fuivant , que
l'on nous a priés d'y inférer.
SUR le Pas de Deux , danfe par Mile Dumon
CEAU & M. GARDEL , dans lefecond Alte de
Zaïs .
MADRIGAL.
Heureux GARDEL , fous l'image des Grâces ,
Eft- ce Vénus qui vient voltiger fur tes traces ?
Tu ferres , tu chéris ce ruban précieux * ,
* Ce Pas de Deux eft imité de la Scène de
CHARMANT dans l'ORACLE.
488 MERCURE DE FRANCE.
Dont fa main te pare à nos yeux !
C'eſt une chaîne, hélas ! Ton coeur voit le myſtère.
Mais quoi ! fon foible poids ne fauroit t'arrêter !-
Ah , ne fois point furpris qu'elle foit fi légère ;
Tous les coeurs , à l'envi , t'aident à la porter.
Par M. BRUNET.
COMEDIE FRANÇOISE.
L È 4 du mois dernier , les Comédiens
François ont remis au Théâtre Athalie ,
Tragédie de M. Racine . Les foins qu'ils
prennent & les dépenfes où ils s'engagent
pour rendre avec toute la pompe du
Spectacle les Piéces qui en font fufceptibles
, ont paru avec éclat dans cette occafion
. Une décoration nouvelle , dans
laquelle les Connoiffeurs ont trouvé des
beautés ; des habits de Soldats & de Lévites
, en un mot , une attention particulière
à repréfenter avec exactitude toutes
les cérémonies du couronnement de
Joas dans le Temple , ajoutoient , s'il
eft poffible , un nouveau luftre à cette
célébre Tragédie. Les Acteurs ont femblé
fe furpaffer. Mlle Dumesnil , entr'autres ,
a joué avec une perfection digne d'elle
JUIN. 1761,
133
& qui lui eft ordinaire , particuliérement
dans ce Rôle. Rien n'auroit manqué
à l'honneur de ces Repréfentations ,
Ale Public eût été à ce Théâtre , avec
la même affluence & le même empreffement
qu'il marque quelquefois à d'autres
Spectacles , pour des Ouvrages moins
illuftres & moins dignes de fon attention
.
Le Samedi 16 , on a remis le Dépit
'Amoureux , qui n'avoit pas été repréfenté
depuis l'année 1751. On a vu avec
plaifir cet Ouvrage , qui eft une des premières
Comédies de Moliére. Les applau
diffemens ont prouvé qu'il refte encore
des Amateurs du vrai genre de la Comédie.
Le quatrième Acte a produit un
effet prodigieux , & la Scène de dépir
jouée avec une perfection inimitable par
M. Grandval & Mlle Gauffin, M. Armand
& Mlle Dangeville a faifi tous les Spectateurs
d'admiration & de plaifir.
Le Samedi 25 , on a donné la premiè
re Repréſentation de Térée , Tragédie de
M. Lemiére. Les deux premiers Actes &
une partie du troifiéme furent écoutés
avec la plus grande attention , & applaudis
fréquemment , fans foupçon de fuffrages
concertés. Les Critiques les moins
favorables à cette Piéce , conviennent
190 MERCURE DE FRANCE:
qu'en effet il y a de la force tragique , de
la grandeur & des beautés diftinguées
dans tous ces premiers Actes, quoique les
vers , felon eux , n'en foient pas tous à
L'abri de la cenfure. Les deux derniers
Actes ne furent pas entendus auſſi tranquillement.
La feconde Repréſentation
a été indiquée par les affiches pour le Sa
medi 30 du même mois. Il ne nous ap→
partient pas de prononcer fur le fort des
ouvrages pour lefquels il femble qu'on
appelle à un fecond- jugement du Public.
Nous attendrons l'arrêt de ce fouverain
Juge des Théâtres , & nous en rendrons
compte dans le Mercure prochain. Nous
croyons , pour fatisfaire la curiofité empreffée
de quelques - uns de nos Lecteurs ,
pouvoir rapporter quelques obfervations
du plus grand nombre des Spectateurs à
la fin de la première Repréfentation.
Il a paru qu'en général on s'étoit réu
ni à penfer que lorſque la paffion de Térée
pour Philoméle eft connue de Progné ,
qu'elle a dévoilé l'impofture par laquelle
Térée vouloit faire croire la mort de fa
foeur , & que Progné , qui diffimule d'abord
, a enfin déclaré à fon perfide époux
que tous les projets criminels font découverts
; alors l'action & l'intérêt du
Drame font finis. Térée confondu , ne
JUIN 1761. Tort
joue plus dans le refte de la Piéce qu'un
Perfonnage embarraffé qui ne doit plus:
rien produire d'intéreffant fur la Scène
ni fur l'âme des Spectateurs. D'après ces
mêmes Obfervateurs , Progné tue fon fils
aflez gratuitement. On demandoit quel
rapport ce fils que l'on fuppofe déjà d'un
certain âge , pouvoit avoir avec la nou- >
velle paffion de fon père. L'exemple de
Médée n'a point de parité , felon ces Critiques
; & cependant,obfervoient- ils , avec
quel art cette catastrophe eft préparée :
De quels combats eft- elle précédée dans
le coeur de Médée , quoique déja accou
tumée aux parricides les plus atroces ?
Dans la Tragédie de Térée , cet horrible.
facrifice eft l'effet fubit d'un délire momentané
de Progné qui eft auffitôt fuivi
d'un fuicide forcé , par la crainte du fupplice
dont Térée la menace. Quelquesuns
ont traité de fimple jeu de Théâtre
l'action du dénoûment , par laquelle le
Prince , Amant de Philoméle , faifit des
mains de cette Princeffe le poignard dont
il perce Térée , dans l'inftant où celui-ci
vient pour l'en frapper. On s'eft rappellé
à cette occafion la catastrophe d'Hypermneftre
, Tragédie du même Auteur , &
de là les Critiques fans paffion , mais attachés
aux grands principes de Poetique
192 MERCURE DE FRANCE.
annoncent que les jeunes Auteurs vont s
abufer avec excès de la nouvelle difpofition
de la Scène Françoife pour les actions
théâtrales . Ils craignent que l'on
ne fubftitue les tableaux fuperficiels au
fond des chofes ; le fpectacle des yeux à
la fatisfaction de l'efprit & aux affections
de l'âme . On reproche encore à cette Tragédie
une fuperfluité de poignards & demeurtres
qui produit une horreur froide,
c'eft- à- dire, point affez préparée & trop peu
néceffaire dans le Sujet , pour difpoſer à
la terreur ou à la pitié que doivent exciter
les actions tragiques . On dit à ce
fajet que la force de Melpomene ne confifte
pas à répandre le fang , mais qu'elle
dépend de la façon dont il eft répandu .
Ces mêmes Critiques , ennemis des machines
artificielles dans le grand Tragique
, fe plaignent à l'occafion du ronnèrre
qui gronde à la fin de cette Piéce ,
de l'ufurpation que , depuis quelque
temps plufieurs Tragiques modernes
font fur l'Opéra . Ils prétendent que dans
un Drame régulier le Ciel doit entrer
pour beaucoup moins dans les affaires
des Mortels, que fur le Théâtre des Dieux
& des Enchantemens.
10
Quoiqu'il en foit de tous ces jugemens,
nous ne prétendons ici ni les adopter nit
les
JUIN. 1761. 193
les adopter ni les combattre. Nous fommes
obligés de les tranfmettre , tels que
nous les avons entendus. On ne doit
point en faire d'application défavantageufe
à l'Auteur de la nouvelle Tragé
die. Il refte conftant qu'elle eft remplie
de chofes faites pour confirmer la gloire
qu'il s'eft déjà acquife par fes Ouvrages
précédens , bien loin d'altérer la réputation
de fes talens , ni ce que le Public a
lieu d'en attendre . Le grand Drame tragique
eft une carrière , dans laquelle on
n'eft pas tombé , toutes les fois qu'en y
courant on n'aura pas atteint précisément
de but propofé.
COMEDIE ITALIENNE.
LE ES Comédiens Italiens ont continué
jufqu'à préfent les Repréfentatious de
Soliman, avec le même fuccès,& prèfque
la même affluence de Spectateurs.
Le Mercredi 6 Mai , ils donnèrent
pour la première fois la Cantatrice Ita
lienne , Comédie en deux Actes dans
laquelle débuta Mlle Piccinelli.
>
Cette nouvelle Cantatrice eft d'une
figure très-agréable, & de la taille la plus
avantageufe pour le Théâtre. Sa voix
I
194
MERCURE DE FRANCE,
eft fléxible , d'un fon gracieux & argentin
; l'étendue en eft fuffifante aux plus
grands airs. Elle chante dans le meilleur
goût national la Mufique Italienne . Elle
en fait connoître & aimer le genre aux
gens les plus prévenus en faveur du nôtre,
en ce qu'elle ne met rien de forcé ni de
ridiculement contourné dans fon exécu
tion ; ce qui devroit décourager les Francoifes
des burlesques fingeries qu'elles
prennent & qu'elles veulent faire pren-.
dre pour le chant Italien . Dans la voix
de cette Cantatrice , cette Mufique a un
mérite , des grâces & un agrément qui
lui font propres. Ni grimaces , ni manières
, ni tours de force , n'altérent en elle
l'agrément naturel de l'organe.
Mlle Piccinelli , deftinée auffi à rem
plir l'emploi des Amoureuſes fur ce Théâ
tre , paroît devoir s'en acquitter avec
fuccès. Elle joint aux grâces de la figure
un maintien plus difpofé à la rondeur &
à la jufteffe des geftes , que la plupart
de fes Compatriotes .
JUIN. 1761. 199
CONCERT SPIRITUEL.
ILyae L y a eu Concert , au Château des
Thuilleries le Jour de l'Afcenfion & le
Jour de la Pentecôte. On y a exécuté des
Symphonies de M. Haffe & de M. S ....
Les Motets , Laudate Dominum , quoniam
bonus ; In exitu ; Venite , exultemus ; les
Titans , Poeme François le tout de la
Mufique de M. Mondonville. Mlles Fel ,
Lemiere & Villette, & M. Joly ont chanté
feuls de petits Motets dont un de M.
Naudé , & Regina Cali de M...
M. Balbaftre a joué un Concerto , l'ouverture
de Pigmalion & les Sauvages .
M. Piffet a joué un Concerto de fa compofition.
Le jeune M. Duport a joué une
Sonate de Violoncelle .
196 MERCURE DE FRANCE
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES:
De WARSOVIE , le 1. Mai 1761 ,
Les du mois dernier , la Cour prit le deuil
ES
pour trois semaines , à l'occafion de la mort de
Mgr le Duc de Bourgogne.
Suivant les avis reçus de Dantzick , il eft arrivé
à l'Armée Ruffe un renfort de fix mille Cofaques,
& le Général Tottleben léve un nouveau régiment
de troupes légères.
On mande de Cronstadt & de Revel , qu'on y
équipe avec diligence la flotte deftinée, par l'Im
peratrice de Ruffie , à croifer dans la mer Balti
que. Les Lettres de Petersbourg marquent que
cette Princeffe a nommé , pour affifter de fa pare
u Congrès d'Aubourg , le Comte de Keyferling
fon Ambaffadeur à la Cour de Vienne.
De DANTZICK , le 9 Avril.
Les Ruffes font divers mouvemens, qui annon
cent l'ouverture de la Campagne. Nous appre
nons qu'ils forment en Pomeranie , & fur les
frontières de la Silefie , des magafins beaucoup
plus confidérables que ceux qu'ils avoient l'année
derniere.
De COPPENHAGUE , le 27 Avril.
Le Roi , vivement touché du déplorable étag
des habitans de la Ville de Drefde , a ordonné de
faire des Collectes , deftinées au foulagement de
JUIN. 11. 197
fes pauvres Citoyens , dans toutes les Eglifes du
Royaume. Le zéle des Paſteurs , qui ont excité la
commifération du Peuple , les ont rendues fort
abondantes .
De VIENNE , le 9 Mai.
Le Comte de Colloredo eft chargé du coma
mandement des troupes , dans la haute & baſſe
Autriche , en l'abfence du Maréchal Comte de
Daun .
Le Prince Clément de Saxe partit le 29 du
mois dernier pour Warſovie , & le Prince Albert,
fon frere , prit en même temps la route de la
Saxe. Le Baron de Stroganow , employé par
Impératrice de Ruffie pour complintenter leurs
Majeftés Impériales fur le Mariage de l'Archiduc
Jofeph , s'eft acquitté de cette commiffion. Il a
remis , de la part de la Souveraine , à l'Archidu →
cheffe Ifabelle un préfent des plus magnifiques,
On apprend de Siléfie que , les Pruffiens ayant
abandonné la ville de Landshut , le Général Baron
de Laudon y a fait entrer un Corps de troupes.
Selon les mêmes nouvelles , les Ennemis
font actuellement campés fur les hauteurs de
Cuntzendorff & de Zeiskenberg . Leur centre eſt
fur cette derniere hauteur ; leur gauche s'appuye
au Village de Kuntzendorff,& leur droite s'étend
jufqu'à Freybourg, Le magafin qu'ils avoient à
Lemberg , a été tranfporté à Schweidnitz. Il y
a eu le de ce mois une vive efcarmouche entre
un détachement de leurs troupes & un de
l'armée de l'Impératrice- Reine.
De ROSTOCK , le 28 Avril.
Les Pruffiens continuent d'enlever tous les bef
tiaux de ce Pays , & les font paffer dans le Brandebourg.
Des Payfans armés , dont on fait mon-
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
ter le nombre à plufieurs milliers , ſe ſont réfu
giés avec leurs boeufs & leurs moutons , dans la
vafte forêt de Lewitz , bien réfolus de s'y défendre
ju qu'à la dernière extrémité , & les habitans
des Villes voilines vont les joindre en foule.
De GLATZ , le 19 Avril
L'armée du Général Laudon eft en mouvement
depuis le 1 ; de ce mois ; il a formé un cordon de
troupes qui s'étend jufqu'à Strigau. Son quartier
général elt actuellement à Coritag , fur la gauche
de cette Place.
Suivant les avis que nous recevons de Breſlau,
on y attend le Roi de Pruffe , & l'on croit qu'il va
fe mettre à la tête de l'armée quele Général de´
Goltz allemble en Silefie.
Il s'eft répandu une forte de maladie épidémique
parmi nos prifonniers qui font à Breslau , &
il en eft mort un grand nombre.
De DRESDE , le 10 Mai.
On affure que le Général de Ried , pofté à
Wilsdruff avec un détachement de Croates , as
taqua , le 13 du mois dernier , un Corps de Pruffens
qui étoit en avant de Miltitz , d'où il les a
délogés , après leur avoir tué ou bleffé environ
cent hommes, & fait près de cinquante prifonmiers.
Le quartier du Maréchal de Daun eſt tou
jours à Nettnitz, Les troupes Autrichiennes for
tent de leurs cantonnemens pour le rendre au
camp que l'on leur a tracé .
Le Roi de Pruffe , après avoir fait paffer l'Elbe
à une partie de fon armée , a établi fon Camp
vis- à- vis de Strehla. Les troupes ennemies qui
étoient cantonnées dans la Thuringe & dans le
Voigtland , fe raffemblent aux environs de Meif ,
JUI N. 1761. 199
fen. Elles y occuperont , felon les apparences ,
le même camp qu'elles ont occupé l'année der
nière . Le régiment des Gardes Pruffiennes , celui
de Rezow & celui de Sadern , font partis de Léipfick.
Il n'y refte plus que deux Bataillons & quelques
Compagnies de Huffards .
De NUREMBERG , le 2 Mai.
Le Feld- Maréchal Comte de Serbelloni , Commandant
en Chef de l'Armée de l'Empire , eſt
arrivé le 28 du mois dernier à Cronach, où étoit le
quartier général ,qu'il a dû transférer à Staffelſtein.
Le Général Haddick , qui commandoit cette Armée
en fon abſence , l'a quittée le 30 pour joindre
celle du Feld-Maréchal Comte de Daun , dans la
quelle il va reprendre fon rang.
Les Lettres d'Aufbourg marquent qu'on y arrête
déjà des logemens pour les Plénipotentiaires qui
doivent s'aflembler dans cette Ville. Toutes les
Puiffances Belligérantes , qui font au nombre de
fept , favoir ; le Roi de France , l'Impératrice
Reine de Hongrie & de Bohême , l'Impératrice
de Ruffie , & les Rois d'Angleterre , de Suéde , de
Pruffe & de Pologne y enverront leurs Miniftres.
Ainfi la Ville d'Aufbourg , où en 1686 s'étoit
formée entre fept Potentats la fameuse Ligue
contre la France , fera le point de réunion où
les arbitres de la paix vont ſe raſſembler.
DE HAMBOURG , le 2 Mai.
Nous apprenons que l'armée Ruffe eft en mar
che , & qu'elle a jetté fes ponts fur la Viftule.
Les Pruffiens ont renoncé à leur entrepriſe far
Domitz , & le Corps qui bloquoit cette place
campe maintenant près de Lentzen .
Deux mille cinq cens Anglois , la plûpart
Cavalerie , arrivèrent le 2 de ce mois à l'embou
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
chure du Wefer , & débarquèrent le lendemain
à Bremervoerde. Ils ont dû fe mettre bientôt après
en marche , pour joindre l'armée des Alliés .
On arme, dans les Ports de Suéde,huit Vaiffeaux
de ligne & quelques Frégates qui ſe joindront à
La Flotte Ruffe , en exécution du Traité conclu
entre les Cours de Petersbourg , de Stockolm ✰
de Coppenhague. Six mille hommes de recrues
n'attendent qu'un vent favorable , pour paffer à
l'armée Suédoiſe en Poméranie .
De RATISBONNE , le 18 Mai.
Le Baron de Plotho , Miniftre du Roi de Pruffe
à la Diéte , a été nommé , par ce Prince , fon
premier Plénipotentiaire au Congrès d'Auſbourg,
On croit qu'il fera accompagné par le fieur de
Hafeler , Confeiller Privé de Sa Majesté Pruffienne
, & par le Comte de Pode wils , Confeilter
de Légation.
Le 4 ,
On mande de Mergentheim que le Prince
Charles de Lorraine y arriva lei de ce mois,
les Commandeurs & les Chevaliers de
l'Ordre Teutonique s'étant aflemblés pour procéder
à l'élection d'un Grand Maître , tous les
fuffrages fe réunirent en faveur de ce Prince . Il
a fait aux Principaux Chevaliers divers préfens ,
dont on évalue la totalité à deux cens vingtcing
mille florins.
·
L'armée de l'Empire commence à fe mettre
en mouvement. Elle a pouflé fes poftes avancés
jufqu'à Saalfeldt & à Ilmenau. Lê Quartier Général
eft toujours à Staffelftein. Les Pruffiens ont
fur les bords de l'Unftrut un Corps d'environ
fix mille hommes , qui s'étend jufqu'à Jena.
De COLOGNE , le 27 Mai.
Des avis certains de Wefel , en nous inftruje
JUI N. 1761 :
201
Tant de l'incendie arrivé le 21 dans cette Ville ,
en diminuent beaucoup l'objet que l'on avoit
d'abord trop exagéré. On a eu le tems d'éloi
gner deux bateaux remplis de poudre à canon ,
qui , en s'enflammant , auroient caufé beaucoup
de défordre.
De MUNSTER , le 21 Avril.
"
L'armée des Alliés , dont le Quartier général
eft toujours à Neuhaus eft diftribuée de cette
maniere. Seize bataillons & vingt- trois efcadrons ,
aux ordres du Prince Héréditaire de Brunſwick ,
font campés en- deçà de Lipftadt. Il y a près de
Hamelen ving-trois efcadrons Anglois. Le Corps
du Général Hodenberg & celui du Colonel de
Walthaufen occupent les environs de Polle . Le
refte de l'armée occupe Eberfchute , Mutenhagen ,
Trendelnbourg , Biehnde , Groffeneder , Eilen ,
Lavenforde , Wirgenfen , Helmeshaufen , Jacobsberg
, Dalhaufen , Gottsbuhren , Sappenbourg ,
Kleineder , Sielen , Deinel , Herſtelle , Carlshaven
, Harbrugge , Langetthal , Sielem , Bodendika
& Haude.
De LISBONNE , le 11 Avril.
La terreur dont le tremblement de terre du
31 du mois dernier , avoit frappé tous les efprits ,
le diffipe de jour en jour. On prétend que des
gens de mer ,
en côtoyant les rochers qui nous
environnent , fur certaines obfervations , avoient
conjecturé le retour de quelques fecouffes prochaines
. Indépendamment du pronoftic , il eft
certain que ce dernier tremblement de tèrre , a
été plus violent que celui de 1755 , fans avoir
fait beaucoup de dommage ; ce que l'on attribue
à l'égalité des ondulations. L'air , avant & pendant
la fecouffe , étoit affez tranquille , mais le
1 y
202 MERCURE DE FRANCE:
"
"
eaux du Tage étoient fort agitées , & la mer
été plufieurs jours fans reprendre fon calme. Cette
dermiere fecouffe a été fentie dans tout le Royaume
, avec la même durée que dans cette Capitale
; mais comme la direction étoit du Nord au
Sud , elle a été plus forte à Oporto , & vers le
Nord de cet Etat , que celle de 1745. On compe
environ vingt-cinq perfonnes écrasées ,fous les ruines
des bâtimens qui fe font écroulés . Il y a eu à
Setubal beaucoup de maifons renversées , & Villa-
Franca n'eft plus qu'un monceau de ruines. La
terre s'y eft entr'ouverte en plufieurs endroits ,
& il en eft forti quantité de coquillages. Parmi le
trouble & la confufion qui régnoient dans cette
Capitale , environ trois cens prifonniers s'étoient
échappés des prifons . Mais bientôt tous les fugitifs
furent repris à l'exception de quatorze. Depuis ,
on a publié un Edit du Roi qui défend de fortir de
la ville & de traverfer la riviere , pour quelque
caufe que ce foit , fous peine de mort & de confifcation
de biens. Les bâtimens qui ont le plus
fouffert , font l'Arfenal & les maifons nouvellement
bâties. On eft entierement raffuré fur l'étag
de la Princeffe du Brefil , qui n'a eu , à cette occafion
, aucun accident malgré fa groffeffe:
Le Roi vient d'établir un College , pour l'édu
cation de cent Gentilshommes. Ce nouvel établife
fement fera fous la protection immédiate du Roi ,
& fous l'infpection du Directeur Général des Etudes.
De NAPLES , le 17 Avril.
La Cour , qui eft actuellement à Caferte ,
pris le deuil pour fix femaines , à l'occafion de la
mortde Monfeigneur le Duc de Bourgogne.
Sa Majesté Catholique , en réfignant au Ro
fon fils la couronne des Deux-Siciles , s'eft réfervé
JUIN. 1761.
203
le droit de créer des Chevaliers de l'Ordre de St.
Janvier. En conféquence , elle vient de conférer
cet Ordre au Prince Doria .
Notre Cour ayant fait offrir au Saint Père fa
médiation , pour accommoder les différends furvenus
entre le Saint Siége & la République de
Gènes ; le Cardinal Orfini , Protecteur de ce
Royaume, a été chargé de propofer , de la part du
Roi , à Sa Sainteté , ces quatre articles préliminaires.
» 1 °. Que la République révoquera & annul-
» lera fon édit du 14 Avril 1760 , contre le Vifi-
» teur Apoftolique de l'Ifle de Corfe , & que le
Pape rappellera ce Vifiteur . 2 °. Que la date de
la révocation de l'édit fera antérieure à celle du
rappel. 3 °. Que cependant la révocation & le
rappel feront publiés en même - tems ; & que ,
" pour cet effet , les actes qui contiendront l'un
>> & l'autre feront remis entre les mains de fa Majefté
Sicilienne . 4 ° . Que , comme le Pape a dé-
>> claré que les befoins fpirituels des habitans de
Corfe exigeoient la continuation de fa follicitu
de Paftorale à leur égard , il plaira au Sa ino
» Père de communiquer à Sa Majesté les moyens
qu'il a deffein d'employer dans l'exercice de cette
follicitude, afin que fa Majefté puiffe concourin
> au fuccès de fes bonnes intentions. » Ces propo
fitions n'ont point encore été agréées.
De ROME , le 6 Mai.
Les derniers avis reçus de Conftantinople por
tent , que l'armement ordonné par le Grand- Seigneur
fera prêt à mettre en mer avant la fin de
ce mois. Il fera commandé par Hadgi- Hallan ,
ci-devant Gouverneur de Belgrade, à qui Sa Hau
teffe a conféré la dignité de Capitan-Pacha .
Notre Cour , ainfi que celle de Naples ,
les Républiques de Venife & de Gènes , fe prépa
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
>
rent à fecourir l'Ile de Malthe contre l'invafiom
des Turcs. En conféquence , on léve des foldats
dans toutes les différentes Provinces de l'Italie. Les
Chevaliers , Sujets du Roi des Deux-Siciles ont
obtenu la permiffion de fe rendre dans cette Ifle ,
à l'exception de ceux qui font employés dans les
troupes ; le départ de ces derniers étant fufpendu
jufqu'à ce qu'on foit mieux inftruit des deffeins du
Grand-Seigneur.
On publie que le Sénat de Gènes , las de la
guerre infructueufe qu'il fait depuis plufieurs années
aux rébelles de Corſe , a réfolu de tenter
les voies de la douceur , pour les ramener à leur
devoir. Il a nommé , dit-on , fix Sénateurs , qui
fe rendront dans cette Ifle , chargés de propofitions
de paix.
DE LONDRES , le to Mai.
On a reçu de Belle-Ifle la nouvelle que nos
troupes avoient effectué leur débarquement le 23
du mois dernier. Les François , après avoir dif
puté le terrein pied à pied , fe font renfermés
au nombre de trois mille cinq cens hommes dans
la Citadelle . On compte que la tranchée aura
été ouverte devant le Fort du Palais le 7. de ce
mois.
Nos Lettres de l'Inde portent que les François
fe font emparés du Fort de Marlbourough , qui
défendoit notre Comptoir de Bencouli. Une partie
de la Cargailon du Denham eft tombée entre leurs
mains , ainfi que beaucoup d'effets qu'on avoit retirés
dans ce fort. La nouvelle de la prife de Pondichéri
ne s'eft pas foutenue. On fait au contraire
que cette place a été approvifionnée par deux
Vaiffeaux qui ont échappé à la vigilance de notre
Flote.
Le 24 de ce mois on prendra le deuil pour fept
JUIN. 1761 : 205
jours , à l'occafion de la mort de Monfeigneur le
Duc de Bourgogne.
Le Prince Guillaume Henri , fecond Frère du
Roi , fera créé inceffamment Duc de Glocefter.
Le Roi a nommé le 24 du mois dernier , pour
fes Miniftres Plénipotentiaires au Congrès d'Aufbourg
, le Comte d'Egremont , le Vicomte de Stormont
, fon Envoyé extraordinaire auprès du Roi
de Pologne , Electeur de Saxe , & le Général
Yorck.
La Flote armée à Portsmouth pour une
expédition , ne tardera point à appareiller.
FRANCE.
feconde
Nouvelles de la Cour , de l'Armée
LE

de Paris &c.
De VERSAILLES , le 21 Mai 1761.
E 25 du mois dernier , Monfeigneur le Duc
de Berry , Grand - Maître des Ordres Royaux ,
Militaires & Hofpitaliers de Notre - Dame du
Mont Carmel & de Saint Lazare de Jérufalem
reçut dans fon Appartement l'Abbé de Brilhad
en qualité de Commandeur Eccléfiaftique defdits
Ordres. Le nouveau Chevalier prononça Les
voeux en préfence du Prince Grand-Maître , entre
les mains du Comte de Saint Florentin , Mi
niftre & Secrétaire d'Etat , Gérent & Adminiſ
trateur des mêmes Ordres ; il eut enfuite l'hon➡ *
neur de baifer la main du Prince en figne d'obédience
& de fidélite. Après cette cérémonie
le Comte de Saint Florentin reçut en qualité
de Chevaliers Novices deldits Ordres , trente
trois Gentilshommes Eléves de l'Ecole Royale
206 MERCURE DE FRANCE.
,
"
Milicaire , favoir ; les Sieurs de Marant de la
Baftide d'Ivory , de Laurencin de Chanzé , de la
Villeon de la Villalie , le Moine de Boilgautier ,
de Gallifet le Marchand de Charmont de
Bombelles , Mangin de Sallabert , Gaultier de
Brulon , Dufou de Kerdaines , de Violaine , de Sas
riec , le Noble de Bailleul , l'Huilier du Tronchet
Rollant de Berville, l'Ecuyer de la Papotiere, Daffal
de Peiregrofle , Parent de Saint- Ouen , de Moyra ,
de Cingal , Bourdon de Grammont , du Regnier ,
de la Mothe , de Frefnaye , Deis d'Epinoy , Dattes
de Lutange , de Bofredam , le Roy de Bury ,
de Loft de Serignen , Fouquet de Clofneuf , de
Chambault de Jonchere , l'Ile de Balade & de
Loffe : ils eurent l'honneur auffi de baifer la main
du Prince Grand- Maître. Les grands Officiers
ainsi que plufieurs Chevaliers & Commandeurs
defdits Ordres affiftèrent à cette cérémonie ;
les Laics en habits & manteaux de deuil , avec
la Croix brodée fur les habits & manteaux , &
le bouquet de plumes noires en panache fur
leurs chapeaux ; & les Abbés de Sainte Hermine
& de Bouville , Commandeurs Eccléfiaftiques
en foutanne , rocher & camail de deuil , avec
la croix brodée fur le camail . Les Chevaliers
Novices furent préfentés le même jour à Sa Majefté
par le Duc de Choifeul , Miniftre & Secré
taire d'Etat.
>
Louis-Jofeph de Montmorenci - Laval , ci -de
vant Evêque de Condom , prêta ferment le 25
entre les mains du Roi pour l'Evêché de Metz.
"
Le 26 , Sa Majesté & la Famille Royale fignè
rent le Contrat de mariage du Marquis du Hal-
Jai & de Dlle de Berville.
Le même jour, le Roi reçut Chevalier de l'Or
dre Militaire de S. Louis le Comte de Stainville .
Ce jour encore , les Députés des États de Bour
JUIN. 176 . 207
gogne furent admis à l'Audience de Leurs Ma
jeftés , ainfi qu'à celles de Mgr le Dauphin , de
Madame la Dauphine , de Mgr le Duc de Berry ,
de Mgr le Comte de Provence , de Mgr le Comte
d'Artois , de Madame Adélaïde , & de Meldames
Victoire , Sophie & Louife . Ils furent préfentés
par le Prince de Condé , le Comte de Saint
Florentin & le Marquis de Dreux , Grand- Maître
des Cérémonies. La députation étoit compofée ,
pour le Clergé , de l'Evêque de Dijon , qui
portoit la parole , du Comte de Vienne , pour
la Nobleffe , & du fieur Goujet Duval , pour le
Tiers- Etat.
> Le 28 , le fieur Faber , Syndic & le fieur
Clamer , Sénateur , Députés de la Ville de Hambourg
, eurent leur premiere Audience publique
du Roi. Ils y furent conduits , ainfi qu'à celles
de la Reine & de la Famille Royale , par le
fieur Dufort , Introducteur des Ambaffadeurs .
Le Roi a accordé le corps de chaffeurs commandé
par le fieur de Fischer , fous le titre de
regiment , au Comte de Conflans , Meftre de
Camp Lieutenant du regiment de cavalerie d'Orléans
, qui en fera Colonel ; & Sa Majesté en a
nommé Lieutenant- Colonel le fieur de Fifcher ;
le régiment de Cavalerie d'Orléans , au Marquis
de Noé , Meſtre de Camp d'un regiment de Cavalerie
; & celui de Noé , au Vicomte de ce nom ,
Meftre de camp réformé à la fuite du régiment
de Cavalerie d'Orléans . Le Roi a difpofé du gouvernement
de l'Ifle d'Oleron , vacant par la mort
'du Marquis de Cruffol de Salles , en faveur du
Vicomte de Vaux , Lieutenant Général de fes armées.
Sa Majefté a approuvé le plan de la nouvelle
Eglife de la Madeleine de la Ville - l'Evêque , fair
par le fieur Contant , de l'Académie Royale d'Ar
208 MERCURE DE FRANCE:
chitecture ; & préfenté au Roi par le Marquis de
Marigny. Cet édifice terminera la rue Royale ,
qu'on doit former en face de la nouvelle place ,
que la Ville fait conftruire pour y mettre la ſtatue
du Roi.
Le 30 , le Maréchal de Sennectere prêta ferment
entre les mains du Roi , pour le gouvernement
du pays d'Aunis.
Le premier de ce mois , fa Majefté a tenu le
fceau.
Le 3 , la Comteffe d'Argouges fut préſentée à
leurs Majeftés , ainfi qu'à la famille Royale , par
la Ducheffe de Beauvilliers , Dame d'honneur de
Madame Adélaïde. Le même jour , les Députés
des Etats d'Artois eurent audience du Roi ; ils furent
préfentés à ſa Majefté par le Duc de Chaulnes
, Gouverneur de la Province , & par le Duc
de Choifeul , Miniftre & Sécrétaire d'Etat de la
guerre , ayant le département de cette Province ;
& conduits par le Marquis de Dreux , Grand-
Maître , & le fieur des Delgranges , Maître des
Cérémonies. La députation étoit compofée de l'Evêque
d'Arras , pour le Clergé ; du Comte de
Beaufort , pour la Nobleffe ; & du fieur Anfart
premier Confeiller Penfionnaire de la Ville &
Cité d'Arras , pour le tiers Etat.
Le 1o , fête de la Pentecôte , les Chevaliers ,
Commandeurs & Officiers de l'Ordre du Saint
Efprit , s'étant affemblés vers les onze heures du
matin dans le cabinet du Roi , fa Majefté tint un
chapitre , dans lequel l'information des vie &
mours & la profeffion de foi de l'Evêque Duc de
Laon , Ambaffadeur à Rome , & celle de l'Evêque
d'Orléans , qui avoient été propofés le 2 Février
dernier pour être Commandeur du même
Ordre , furent admifes. Le Roi fortit enfuite de
fon appartement , pour aller à la Chapelle. Sa
JUI N. 1761. 104
Majefté , devant qui deux Huilliers de la chambre
portoient leurs naffes , étoient en manteau de
cérémonie, le collier de l'Ordre & de la toifon
d'or par - dellus . Elle étoit précédée de Monfeigneur
le Dauphin , du Duc d'Orléans , du Comte
de Clermont , du Prince de Conty , du Comte de
la Marche , du Comte d'Eu , du Duc de Pentievre,
& des Chevaliers, Commandeurs & Officiers
de l'Ordre. L'Evêque d'Orléans en rochet & en
camail , marchoit entre les Chevaliers & les Officiers
. Le Roi étant monté fur fon thrône , le revêtit
des marques de l'Ordre , & entendit la meffe
, qui fut célébrée par le nouveau Commandeur
, après laquelle fa Majefté fut reconduite à
fon appartement en la maniere accoutumée.
Le même jour , la Ducheffe de Sully prit le ta
bouret chez la Reine .
Le 11 , l'Evêque de Vence préfenta à leurs Majeftés
l'oraifon funêbre de Monfeigneur le Duc de
Bourgogne, prononcée à S.Denis.
Le même jour , la Marquife de Foffeufe , fut
préfentée à Leurs Majeſtés & à la Famille Royale ,
par la Baronne de Montmorency
Le 12 , le Comte Starhemberg , Ambaſſadeur
de l'Empereur & de l'Impératrice Reine de Hongrie
& de Bohême , eut une audience particuliere
du Roi , dans laquelle il notifia en même tems à
Sa Majefté , l'élection du Prince Charles de Lorraine
, à la grande Maîtriſe de l'Ordre Théutoni
que. Il fut conduit à cette audience par le fieur
Dufort , Introducteur des Ambaffadeurs.
Le même jour , les Officiers de la Compagnie
des Sécrétaires du Roi , eurent l'honneur de préfenter
à Sa Majefté dans fon cabinet , une bourſe,
Le fieur Carpot , fous- Doyen , porta la parole
Après la Meffe , le Roi tint le fceau .
Le Roi partit auffi le 12 pour Marly , ainfi que
270 MERCURE DE FRANCE:
la Reine , Monfeigneur le Dauphin , Madame la
Dauphine , Monfeigneur le Duc de Berry , Madame
Adélaïde , & Mefdames Victoire Sophie &
Louife . Le voyage eft fixé à fix femaines . Mon,
feigneur le Comte de Provence , Monfeigneur le
Comte d'Artois & Madame , pafferont tout ce
tems à Trianon .
Le même jour , le Comte de Stainville prit
congé de leurs Majeftés , & de la famille Royale,
Le Roi a nommé le fieur de la Corée , ci- devant
Jutendant de Montauban, à l'Intendance de Franche-
Comté , vacante par la démiffion du fieur de
Boynes ; & le fieur de Gourgues Maître des Reques
, à l'Intendance de Montauban.
Sa Majefté a donné l'Abbaye de Gimont , Or
dre de Citeaux , Diocèfe d'Auſch , à l'Abbé de
Scey-Montbeliard , Aumônier du Roi.
Celle de Savigny , Ordre de faint Benoît , Diocèle
de Lyon , à l'Abbé Clugny , Aumônier du
Roi , Vicaire Général du Diocèle d'Autun, Comte
& Prévôt de l'Eglife primatiale de Lyon .
Celle de Septfontaines , Ordre de Prémontré ,
Diocèle de Rheims , à l'Abbé de l'Eyffin , Crand
Vicaire de Troyes.
Celle de Sandras , Ordre de S. Benoît , Diocèle
d'Alais , à l'Abbé de la Goutte , Grand - Vicaire de
Lyon.
Et celle de Maurs , Ordre de S. Benoît , Dio
cèle de S. Flour , à l'Abbé de Sennezergues.
Le fieur Bignon a eu l'honneur de préſenter à
Sa Majesté la nouvelle Edition de l'Hiftoire de
S. Louis , par le Sire de Joinville , de l'Imprime
rie Royale.
Le 21 , Fête du S. Sacrement , le Roi accom
pagné de Mgr le Dauphin , de Madame la Dau
phine , de Madame Adélaïde , & de Mefdames
Victoire , Sophie & Louiſe , affiſta à la Proceffion
JUIN. 1761. 217
qui fe fit dans l'Eglife de Notre- Dame. Enfuite
ls retournèrent à Marly.
Voici la déclaration que le Roi de concert avec
fes Alliés , a fait parvenir , le 26 Mars dernier , aux
Cours de Londres & de Berlin , par la voie du
Prince de Gallitzin , Miniftre Plénipotentiaire de
Impératrice de Ruffie.
» LES difpofitions à la paix , très- conformes aux
fentimens de toutes les Parties Belligérantes que
les Rois d'Angleterre & de Pruffe , ont marquées
» l'année dernière , ayant éprouvé les difficultés
» qui en ont éloigné le fuccès , les Cours de Fran-
» ce , de Vienne , de Pétersbourg , de Stockholm
» & de Warſovie ſont convenues unaniment d'inviter
celles de Londres & de Berlin à renouer
»une Négociation fi falutaire au bonheur du Mon-
» de , & qui doit intéreffer l'humanité de toutes les
>> Puiflances qui fe trouvent en guèrre. Dans cet
» te vue, & afin que l'on puiffe procéder au réta
» bliffement de la paix , elles propofent l'affemblée
» d'un Congrès , auquel elles croyent qu'il con-
»viendroit de n'admettre , avec les Plénipotentiai-
22
res des Parties principales Belligérantes , que
» ceux de leurs Alliés . Si les Rois d'Angleterre &
»de Pruffe adoptent ce moyen , le Roi Très- Chrétien
, l'Impératrice Reine , l'Impératrice de Ruf-
» fie , le Roi de Suéde , & le Roi de Pologne
Electeur de Saxe , propofent la Ville d'Ausbourg
>> pour le lieu du Congrès , en obfervant que Leurs
Majeftés n'indiquent Ausbourg que comme une
» Ville à portée de toutes les Parties intéreffées
» qui paroît , par fon emplacement , convenir à
> tous les Etats , & qu'elles ne fe refuſeront pas at
> choix d'un autre ville de l'Allemagne , fi Leurs
» Majeftés Britanniques & Pruffiennes la jugent
plus convenable.
Le Roi Très-Chrétien , l'Impératrice Reine
242 MERCURE DE FRANCE.
> l'Impératrice de Ruffie , & les Rois de Suéde &
» de Pologne déclarent en outre qu'ils ont choifi
les Plénipotentiaires qui feront chargés de leurs
> intérêts au Congrès , dans l'efpérance que le
Roi d'Angleterre , le Roi de Pruffe & leurs Al-
» liés feront promptement de leur côté le choix
» de leurs Miniftres , pour accélérer la négocia
> tion.
La fimplicité de cette déclaration que , pour
» le bien général, les Gours de France, de Vienne,
» de Pétersbourg , de Stockolm & de Warfovie
» fe font déterminés à faire aux Cours de Londres
» & de Berlin , leur fait efpérer que Leurs Majeftés
» Britanique & Pruffienne voudront bien notifier,
» par une prompte réponſe , leurs fentimens fur
» un objet fi effentiel au repos & au bonheur de
20l'Europe.
A Verfailles , le 26 Mars 1761 .
Par ordre & au nom de Sa Majefté Très-Chrétienne.
Signé , le Duc DE CHOISE UL.
La réponſe que les Rois d'Angleterre & de Pruffe
ont faite, le 3 du mois dernier, à cette déclaration,
eft conçue en ces termes.
>>
» Les difpofitions de Leurs Majeftés Britanique
» & Pruffienne , pour le rétabliſſement de la tranquilité
générale de l'Europe , ayant été fermes
» & finceres , Elles n'ont pû éprouver aucun chan-
» gement par le cours du tems qui s'est écoulé
depuis leur déclaration du 25 Novembre 1759 .
>> Leurs Majeftés acceptent donc avec fatisfaction
>> l'offre de l'affemblée d'un Congrès dans la Ville
» d'Ausbourg , renfermée dans les cinq déclara-
>> tions faites à Paris le 26 Mars dernier , & re-
» miſes à Londres le 30 du même mois , au nom
» & de la part de Leurs Majeftés le Roi Très- Chré
» tien , l'Impératrice Reine, l'Impératrice de Ruſſie
>>& les Rois de Suéde & de Pologne.
JUI N. 1761 . 271
5 Les Cours de Londres & de Berlin acquiefcent
» également à la claufe de cette déclaration , qui
» concerne la regle qu'on propoſe d'établir par
rapport à l'admiffion des Plénipotentiaires quf
>> auront droit d'être reçus à ce Congrès ,
Comme leur zèle pour l'avancement de l'ou-
» vrage falutaire d'une pacification générale corefpond
infiniment à celui qui paroît animer les
>> Cours de Verfailles , de Vienne , de Pétersbourg ,
» de Stockolm & deWarfovie, Leurs Majeftés Bri-
» tannique & Pruſſienne ne tarderont pas à nom-
>> mer inceffamment leurs Plénipotentiaires,étant
» diſpoſées à concourir d'un pas commun & égal
» à tout ce qui pourra accélérer l'ouverture du
»Congrés qui vient de leur être offert.
A Londres , le 3 Avril 1761 . 3
Par ordre & au nom du Roi. Signé BUTEL
De GOTTINGEN , le 25 Avril 1761 .
Le Vicomte de Bellunce ayant fait reconnoître
les environs d'Uflard, fur des avis certains qu'il
n'y avoit dans cette ville qu'an bataillon de la
Légion Britannique , il refolut de l'enlever . Il
1. partit ,, pour cet effet , le 23 à huit heures du foir
avec cinq cens chevaux & feize Compagnies de
Grenadiers. Les Ennemis informés de fon deffein ,
ou for de fimples foupçons , avoient fait marcher
le même jour , quatre bataillons de Grenadiers
avec la Cavalerie du Corps de Luckner; ils avoient
jetté trois de ces bataillons dans Uflar, en avoient
retiré l'Infanterie Angloife , & l'avoient poftée
dans Vinhufen avec un bataillon de Grenadiers
& trois cens chevaux , pendant que le Vicomte
de Bellunce faifoit fes difpofitions pour attaquer
la ville & couper la retraite aux troupes ennenies
, les Grenadiers de Schoningen & le bataillen
de la Légien Britannique gagnèrent les bois,
214 MERCURE DE FRANCE
Les trois bataillons qui étoient dans Uſtar , në
voulurent point attendre l'attaque , & le poſtèrent
près des mêmes bois , mettant devant eux un ras
vin . Mais les Grenadiers de Schoningen , le ba
taillon Anglois & le détachement de Lukner fu
rent poursuivis & bientôt atteints par nos Dragons
& nos troupes légères à cheval. On ne peut
évaluer au juſte la perte des Ennemis dans cette
action , qui a été vive ; on leur a tué beaucoup de
monde , fait deux cens prifonniers de différens
Corps , & pris une pièce de canon appartenant à
la Légion Britannique , avec cinquante chevaux.
Le fieur de Mandreville , Lieutenant de Dragons
dans le régiment des Volontaires de Flandre , a
eu le bras caffé d'un coup de feu ; nous avons
eu treize hommes tués , fept bleffés , cinq faits
prifonniers , vingt-un chevaux tués & vingt-trois
bleffés.
De PARIS , le 23 Mai.
Il paroît une Ordonnance du Roi , en date du
31 Mars dernier , pour la levée d'une Compa
gnie franche. Cette Compagnie , dont Sa Majefié
a donné le commandement au fieur Monet,
fera compofée de cent cinquante hommes , dont
foixante Chaffeurs à cheval , quarante à pied , &
cinquante Huffards.
Le 20 du mois dernier , à une heure huit minutes
après midi , on fentit à Collioure en Rouf
fillon deux fecouffes de tremblement de terre qui
durèrent environ deux minutes. Ce Phénomène
avoit été précédé la veille d'un grand vent ; il a
été fuivi d'un orage très fort accompagné d'éclairs
& de tonnèrre.
L'Oraiſon funébre de Mgr le Duc de Bourgo
gne , prononcée le 7 de ce mois dans l'Abbaye
Royale de S. Denys , par l'Evêque de Vence ,
JUIN. 1761. 275
»
pour Texte ces paroles du Prophéte Zacharie ch.
12. v. 10. Plangent eum planetu quafi fuper uni
genitum , & dolebunt fuper eum , ut doleri folet
sin morte primogeniti . On le pleurera comme on
pleureroit un fils unique;on le pleurera comme on
a coutume de pleurer un fils aîné. Après un exorde
touchant , qui amène la divifion , le Prélat partage
ainfi fon difcours. » Il a mérité nos regrets ,
puifqu'il fembloit égalemeut formé pour la Res
ligion & pour le Trône. Dans un âge fi peu
>> avancé , il nous fit eſpérer toutes les qualités
»
d'un grand Prince ; dans une vie auffi courte, il
>> nous montra toutes les qualités d'un Chrétien.
Le tableau des qualités naturelles de Mgr le Duc
de Bourgogne , développées par une éducation
excellente , remplit la première partie , deftinée
à repréfenter les regrèts de la Nation . La fe
conde nous peint les vertus chrétiennes du Prin
ce ; & le Prélat , en les traçant , en tire les motifs
de confolation les plus puiffans & les plus
inftructifs .
Le 8 , le Maréchal de Luxembourg , Chevalier
des Ordres du Roi , revêtu du manteau & du collier
de ces Ordres , fe rendit au Couvent des Religieux
de l'Obfervance , pour y préfider au nom
de S. M. au Chapitre des Chevaliers de l'Ordre
de S. Michel. Il reçut , avec les cérémonies accoutumées
, au rang des Chevaliers de cet Ordre ,
les fieurs Jourdain , Lieutenant- Général au fiége
de l'Amirauté de Breft ; Daudet , Vicomte d'Atzon
, Lieutenant- Général de Police , Juge & Mai
re de la Ville & Viguerie de Vigan , Subdélégué
de l'Intendant de Languedoc ; & le fieur Boque
mer , ancien Echevin & Maire de Sar Louis.
Le 23 , le fieur de Buffy , nommé Miniſtre du
Roi , près le Roide la grande Bretagne , a pris con
gé de Sa Majefté. Il doit fe rendre inceffament à
la Cour de Londres.
216 MERCURE DE FRANCE:
Le Grand- Maître de l'Ordre de Malthe a per
mis au Marquis de Liré , Guidon de Gendarmerie ,
& premier Gentilhomme du Roi de Pologne ,
Duc de Lorraine & de Bar , de porter la Croix de
cet Ordre; diſtinction d'autant plus flatteuſe qu'elle
s'accorde rarement aux perfonnes engagées dans
le mariage.
MARIAGES.
Le Marquis de Girardin , Chef de Brigade des
Gardes- du- Corps du Roi de Pologne , Duc de
Lorraine & de Bar , épousa le 20 du mois d'Avril
à Luneville , Demoifelle Cecile Brigide de Baye ,
fille de François Bertheloz de Baye , Maréchal de
Camp , Commandeur de l'Ordre de S. Louis ,
& commandant les deux Bataillons des Caders
Gentilshommes de S. M. le Roi de Pologne. La
célébration du mariage fe fit dans la Chapelle du
Château , en préſence du Roi.
Le 14 Mai , le Marquis de Buffy , Brigadier des
'Armées du Roi , a époufé N. de Choifeul , fille de
feu Antoine , Marquis de Choifeul , Capitaine de
Vaiffeau de Sa Majeſté. La Bénédiction Nuptiale
leur a été donné dans la Chapelle particulière du
Comte de Choifeul , Menin de Mgr le Dauphin ,
par l'Abbé de Clugny , Comte de Lyon , Aumenier
du Roi. Leur Contrat de mariage avoit été
gné le 12 , par Leurs Majeftés & par la Famille
Royale.
MORTS.
Dame Victoire -Chrétienne de Maupeon , Abbeffe
de l'Abbaye Royale de Notre - Dame de Villancourt
, Ordre de Citeaux , Diocèle d'Amiens ,
eft morte à Abbeville , dans fa foixante- neuvième
année.
Meffire
JUIN. 1761. 217
Meffire Marc-Antoine de Redon de Fontenil
les , Abbé de l'Abbaye Royale de Maurs , eft mort
à Agen , le 3 du mois de Mars dernier , âgé de
quatre-vingt-trois ans.
N. Baron d'Elz , Doyen de l'Églife Collégiale
de Spire , & Abbé Commendataire de l'Abbaye
Royale de S. Vincent , Ordre de S. Benoît , Diocèle
de Metz , eft mort à Spire au mois d'Avril ,
dans la quatre-vingt-onzième année de fon âge.
4
Meffire Denis- Louis de Rabiot de Meflé , Chevalier
, Seigneur de Meflé , ancien Moufquetaire
de la feconde Compagnie de la Garde du Roi ,
mourut en cette Ville le premier de Mai , âgé
de foixante- trois ans. Il avoit le Privilége exciulif
de la Gazette de France.
Meffire Antoine , Comte de Courtomer , Lieu
tenant- Général des Armées du Roi , Commac
deur de l'Ordre Royal & Militaire de S. Louis
Gouverneur de Thionville , y eft mort le 13 *
âgé de foixante-neuf ans.
Meffire Jean- François de Creil de Bournezeau
Confeiller d'Etat ordinaire , mourut à Paris le 18
dans la foixante-dix - huitième année de fon âge.
2
Meffire François - Jerôme d'Abbadie , ancien
Colonel d'Infanterie , Capitaine & Gouverneur
du Château de la Baftille , eft mort le même jour,
âge de cinquante huit ans.
Le Comte de Lameth , Maréchal des Camps &
'Armées de Sa Majefté , eft mort à Francfort , le
12 du mois de Mai , univerfellement regretté
des troupes & des habitans,
*

218 MERGURE DE FRANCE.
OBSEQUES de Mgr le Duc DE BOURGOGNE.
Le Catafalque , élevé pour la cérémonie des Obféques
de Mgr le Duc DE BOURGOGNE , dans l'Eglife
de l'Abbaye Royale de S. Denis , étoit placé
a l'entrée du choeur fur une eftrade qui formoit
un quarré long d'ordonnance Dorique. Cette eltrade
avoit fur chacune de fes faces quatre mar
ches de marbre Africain , dont les angles aboutiffoient
à des focles de même marbre , portant
chacun deux colonnes canelées , engagées à un
corps folide de marbre brocarelle d'Efpagne.
L'entablement étoit du même marbre.
Le tombeau du Prince , placé dans l'intérieur du
Catafalque , étoit d'albâtre Oriental , arborifé fur
un focle de granit Oriental . Il étoit éclairé par
quatre lampes fepulcrales attachées aux angles
du plafond. Le Poêle Royal , le Manteau Ducal, &
la Couronne du Prince couverte d'un voile blanc,
étoient placés fur cette tombe.
Unecolonne,qui s'élevoit fur l'amortiffement du
Catafalque feint de marbre verd antique , repréfentoit
fymboliquement le Prince , fils aîné de
France , confidéré & comparé à une des colonnes
de l'État,L'Espérance perfonnifiée avec les attributs
ordinaires,caractérifoit celle que donnoient les Vertus
naiſſantes du Prince enlevé à la Nation . Cette
figure étoit de marbre blanc ; celle de la Mort ,
qui paroiffoit ébranler & pouffer la colonne ,
étoit en , bronze , ainfi que fa faulx & les autres
accompagnemens. Les marches de l'eftrade portoient
un grand nombre de chandeliers avec des
cierges chargés des armoiries du Prince . Le cé
notaphe étoit couronné par un très-riche pavillon
furmonté de huit aigrettes , dont les rideaux
JUIN. 161: 216
toient femés de fleurs-de- lis & de larmes , &
doublés d'hermines .
Le portail de l'Eglife & le tour de la nef,éclai
rés par un grand nombre de lumières , étoient
entièrement tendus de blanc. La porte du choeur
étoit d'ordonnance Dorique, & compofée de quatre
colonnes ifolées de verd campan , ſupportées
par un grand focle de marbré blanc veiné. Sur un
cartel d'or appliqué au timpan du fronton on li
foit , Utflos , ante diem cecidit .
Toute l'Architecture du choeur confiftoit en 16
arcades & en vingt- deux pilaftres couronnés d'un
Attique . On n'avoit ajouté d'autres ornemens à
P'Autel , fi magnifique par lui -même , qu'un dais
richement décoré & placé dans le fronton de l'ar
cade du milieu .
Le 6 de ce mois , veille du jour fixé pour la
cérémonie des obféques , les Vêpres & les Vigiles
des Morts furent chantés par les Religieux de
l'Abbaye , & l'Archevêque de Narbonne , Grand
Aumônier , y officia . Le Duc d'Orléans fe rendit
le 7 à Saint Denis , ainfi que le Comte de Clermont
& le Prince de Conti. Lorfque les féances
furent prifes , l'Archevêque de Narbonne ,
affifté des Evêques de Troyes & d'Autun , célé-
Bra la Meffe. A l'Offertoire , après les faluts ordinaires
faits par le Marquis de Dreux , Grand-
Maître des Cérémonies , le Duc d'Orléans , le
Comte de Clermont & le Prince de Conti , allérent
à l'Offrande. La queue de la robe du Duc
d'Orléans étoit portée par deux de fes principaux
Officiers , comme l'étoient auffi les robes du Com
te de Clermont & du Prince de Conti .
1
Après la cérémonie , l'Evêque de Vence , prononça
l'Oraiſon funébre , dont nous ne pouvons
rendre aucun compte , attendu qu'elle n'eſt point
encore publiée.
Kij
210 MERCURE DE FRANCE
La Meffeétant finie , l'Archevêque de Narbonne
& les Evêques de Chartres,de Troyes, de Rodès &
d'Autun , firent les abfoutes & les encenfemens autour
du Corps , qui fut enfuite levé par les Gardes
du Corps du Roi , & porté au caveau de la fépultu
re de la Maiſon Royale . Les quatre coins du poêle
étoient tenus par le Marquis d'Aubeterre , Chevalier
des Ordres du Roi , le Comte de Montmoren
ci , le Comte de Stainville , & le Vicomte de
Talleyran . La Couronne étoit portée par le Duc
de la Vauguyon , Gouverneur de Mgr le DUC DE
BOURGOGNE , & le Manteau Royal par le Duc
de Gontault , que le Roi avoit nommé pour faire
cette fonction . Le corps ayant été deſcendu dans
le caveau , & le Roi d'Armes ayant fait les pro
clamations ordinaires , le Duc de la Vauguyon
& le Duc de Gontault dépoferent à l'entrée du
caveau , l'un la Couronne , & l'autre le Manteau
Royal. Le Clergé , le Parlement , la Chambre des
Comptes , la Cour des Aides , la Cour des Mon
noies , l'Univerfité , le Châtelet , le Corps de Ville
& l'Election , qui avoient été invités de la part du
Roi à ce Service par le Marquis de Dreux
Grand- Maître des Cérémonies , y affifterent.
EVENEMENS SINGULI ER S.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 19 Mai 1761 .
Le Maréchal de Biberſtein, Chevalier de l'Ordre
de S. André de Ruffie , & Grand- Maître des Poftes
de Pologne, devoit donner , le 4 de ce mois , un
grand diner , auquel étoient invités le Nonce du
Pape , l'Ambaffadeur & l'Ambaffadrice de France,
1'Ambaffadeur d'Espagne , l'Envoyé de Leurs Ma
JUIN. 1761 .
221
feftes Impériales & fon Fils , celui de Ruffie &
fon époufe, & plufieurs autres perſonnes quali
fiées. Ce Maréchal étoit auprès d'un poîle de fer
qui avoit été chauffé le matin , mais où il ne reftoit
plus que des cendres & un peu de braife,lorfqu'il
entendit partir un coup femblable au bruit
d'un canon. Le poîle fut fracaffé , la chambre fe
remplit de fumée ; les éclats des plaques de fer
briferent les meubles , les portes & les fenêtres ,
& firent deux légéres contufions au Maréchal . On
a trouvé des morceaux d'une boëte de fer- blanc
par lefquels on juge qu'elle a pu contenir trois
livres de poudre.
Le Duc de Curlande étant dernierement à la
chaffe près de Janki , le feu prit dans l'hôtellerie
où étoient les équipages ; elle fut bientôt confu
mée avec les effets de ce Prince .
ECOSS E.
Extrait d'une Lettre du Fort-Augufte, le 30 Marse
Nous fumes témoins hier d'un Phénomène extraordinaire,
vers les deux heures après midi. Le
lac de Neff s'eft élevé tout- à-coup de deux pieds
en hauteur perpendiculaire , & a continué pendant
trois quarts d'heure à s'élever & à s'âbaiſſer
alternativement. L'agitation violente des eaux a
détaché une galére du rivage , & l'a portée au
milieu du lac , tandis que par le même mouve
ment, plufieurs barques ont été jettées fort loin
dans les fables. On a vu au milieu du lac des flors
s'amonceler & former une efpéce de montagne 3
& pendant tout ce temps- là, l'eau paroiffoit bourbeufe
& extrêmement trouble. Ce qui rend ce
phénomène encore plus furprenant , c'eft que l'air
roit calme & le Ciel ferein,deux heures aupara
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE :
vant & après. Ce mouvement du lac a été ac
compagné d'un bruit fouterrain éffrayant & trèse
extraordinaire
.
ANGLETERRE
.
La femme d'un Horloger de Londres accou
cha heureuſement , le 7 Avril , de trois garçons
vigoureux & bien portans.
Beaucoup de perfonnes ont fait la partie d'aller
, par curiofité , chez un Négociant de Brentford
, dans le Comté de Middleſex , pour y voir
neuf petits enfans , tous nés dans l'efpace de vingt- huit mois , & jouiffans de la meilleure fanté.
Un Voleur de grand chemin , nommé Jean
Johnfon , fut condamné à la mort aux Atfifes de
Kingſton , le 11 Avril . On follicita fa grâce auprès
du Roi , qui l'accorda , à condition que Johnfon
ferviroit dans fes Armées. Le Géolier alla annoncer
à ce malheureux la grâce que le Roi ve
noit de lui accorder ; mais Johnſon répondit qu'il
ne l'acceptoit pas , & qu'il aimoit mieux être
pendu que d'être Soldat.
Une femme veuve , nommée Walker , & réfią
dant à Middleton , près de Coventry , retenue
dans fon lit par fes infirmités depuis dix - huit
mois , s'eſt trouvée tour-à-coup avoir les os des
bras , des jambes & des cuiffes rompus , ſans être
fortie de fon lit, & fans avoir éprouvé d'accident,
Extrait d'une Lettre de JEAN BELL , Capitaine
du Navire l'ELIZABETH , datée d'Oporto .
Il y a quelques jours qu'un Hollandois tomba
dans la riviere , & ne fut retiré qu'au bout de
trois quarts d'heure. On le porta à bord de fon Taiffeau , & l'on fe mit en devoir de l'enfevelir,
JUIN. 1761. 223
M. Gabriel Hervey , Vice-Conful Anglois , ayant
entendu parler de cet accident , prit un bateau ,
vint au Bâtiment Hollandois , étendit le Noyé à
côté d'un bon feu , & le fit frotter avec du fel
commun , jufqu'à ce qu'il eût repris connoiffance.
I'homme eft aujourd'hui en très- bonne fanté.
M. Hervey m'a dit depuis avoir vu un chien qui
étoit refté deux heures fous l'eau , & qu'on avoit
fait revenir en le couvrant de fel. Mde Hervey
m'a affuré qu'elle avoit auffi reffufcité un chat
noyé , par le même moyen .
FRANCE.
Le fieur Jacquemont , Curé de la Paroiffe de
Barrois en Bourbonnois , près de Paliffe, mourut
le 7 du mois d'Avril , âgé de cent fept ans. Il
déffervoit cette Paroiffe depuis foixante & quinze
ans , & n'avoit jamais eu de maladie. Sa boiffon
ordinaire étoit du vin de geniévre.
La nommée Jeanne Ducluzeau , veuve de Jean-
Louis Delage , eft morte à Angoulême , le mê
me mois , âgée de cent ans ; elle avoit conferve
toutes fes dents.
AVIS DIVERS.
La Public eft averti que la veuve Bimon demeure
maintenant avec fon fils , rue S. Honoré , à côté
du Château couronné , vis-à- vis le Paffage de la
Boucherie de Beauvais , au fecond étage.
Le fieur Rechefort , Maître Perruquier , dont
a été fait mention dans le Mercure du mois de Dé
cembre 1760 , continue de monter les perruquer
nouées , les bonnets & les perruques à bourſe , par
le moyen des têtes artificielles qu'il a inventées
enforte qu'elles prennens naturellement d'elles
224 MERCURE DE FRANCE.
mêmes le tour du vifage, fans avoir befoin de bout
cles , de cordons , de reffort , ni même de l'accommodage
pour être affujetties à coller fi parfaite
ment , & les cheveux femblent y avoir pris racine ,
on ne répétera point l'éloge de l'approbation que
lui ont fait les Officiers defa Communauté , dans
le Certificat , en bonne forme , qu'ils lui ont accor
dé; mais on donne avis aux perſonnes qui demeurent
en Province , & même hors du Royaume ,
qui voudront avoir des perruquesde fa façon , de
lui écrire , il leur enverra un modéle de meſure
très- facile à prendre , & tel qu'il le faut pour pouvoir
y rapporter exactement les proportions , &
avec la facilité du modéle , où tout est bien expliqué.
Les perfonnes pourront fe faire prendre la
mefure de leur tête aifément par qui bon leur
femblera, elles font priées d'affranchir leursLettres
Le fieur Rochefort demeure à Paris , rue de la Ver
rerie , près celle des Billettes.
La Dame veuve du fieur DESBOrs, Ecuyer, Doce
reur-Régent de la Faculté de Médecine de Paris
& Docteur de celle de Montpellier , poffède un
reméde pour les Glandes & Cancers , qui a été adminiftré
avec tout le fuccès poffible , tant par le
Pere de ladite Dame veuve DESBOIS , qui étoit auffi
Médecin , que par fon Mari. Elle demeure fue
Michel -le- Comte , à Paris .
ANATOMIE ARTIFICIELLE .
I
Le Public eft averti que l'on fera voir une Anasomie
artificielle fur un Cores tronqué aux extrémités
, avec le développement des vilcères , contes
nus dans les trois ventres . Voici les différences ef
fentielles de cette piéce , d'avec celles de feu M
Defnoues , qu'on a vu autrefois a Paris,
1º. Ce qui avoit été fait juſqu'ici en ce genre-là ,
JUIN. 1781. 225
he prefentoit que des blocs de cire , qui expriment
mal les parties minces , & dont les reliefs & les
couleurs faifoient le feal mérite. Le Corps même
étoit fait de cire , dont la furface extérieure ſe jaunit
à la longue , & ne repréfente point du tout la
peau:les vifcères faits de cire, font fujets à fe caffer
au plus petit accident , ou par l'effet de la grande
féchereffe . Le Corps que l'on fera voir eft recouwert
d'une vraie peau , qui imite l'enveloppe extérieure
& générale , & qui permet le tranſport
de la piéce entiere facilement & fans danger.
2º. On a copié les membranes naturelles d'une
manière à tromper les yeux des Spectateurs ; ce
qui eft finguliérement remarquable dans le Péritoine
, l'Epiploon , la Plevre & c.
3º. Les vifcères creux & membraneux , tels que
Feftomach & les inteftins , font rendus artificiellement
avec la confiftence , la foupleffe & la légereté
des vifcères naturels. L'on fouffle l'eftomach , &
même les Poulmons.
4º. Les proportions naturelles de toutes les parties
, leur rapport entr'elles , leurs couleurs , leurs
pofitions exactes , tout y eft obfervé au point , que
la Nature eft copiée dans la plus grande préciſion ,
& avec une vérité qui étonne. On eſpére que l'Ouvrage
qui la repréfente fi bien , méritera les fuffrages
du Public. Il a déjà obtenu ceux de l'Acadé
mie Royale des Sciences , & de l'Académie Royale
de Chirurgie.
L'on verra cette Anatomie tous les jours , hors
les Fêtes & Dimanches , depuis onze heures du
matin jufqu'à une heure après midi ; & depuis
quatre heures du foir jufqu'à fix , chez la Dlle
BIHERON, qui l'a exécutée , & qui demeurefur
La Vieille Eftrapade , au coin de la rue des Poules.
Ceux qui feront curieux de voir un développement
plus détaillé des Viſcères contenus dans chacun des
22 MERCURE DE FRANCE
trois Ventres , & féparément , prendront des ar
rangemens particuliers .
Cette Anatomie fera expofée le Mercredi 1-3
Mai 1761 .
Le fieur GEOFFROY de Marfeille fait favoir au
Public qu'il a le fecret de guérir plufieurs fortes
de maladies qu'on a regardées jufqu'aujourd'hui
comme incurables , telles que la Paralyfie , la
Goute , & le Rhumathifme , de quelque nature
que foient ces maladies , & en peu de temps.
Ledit Sieur compofe l'Elixir immortel , qui eft
un merveilleux Spécifique pour tous les accidens ,
& furtout pour celui d'Apopléxie. Cet Elixir empêche
les dépôts ; & de plus il fortifie les femmes
en travail , & facilite les accouchemens , diffipe
les vapeurs , quelque invétérées qu'elles foient, &
guérir le mal caduc. Le fieur Geoffroy compofe
encore une Eau qui guérit par le feul moyen
des injections & en peu de temps , toutes fortes
de Fiftules tant fimples que compofées . Les divers
remédes qu'il emploie ont eu , dans les différen
tes épreuves qu'on en a faites,tout le fuccès qu'on
pouvoit defirer ; & l'on en voit tous les jours des
effers furprenans. Ceux qui fouhaitent d'en faire
ufage , s'adrefferont au fieur Geoffroy demeurant
dans les Arfénaux du Roi à Marſeille. Le
dit fieur Geoffroy eft petit - fils du feu fieur Geof
froy , Chirurgien Réal des Galères du Roi au
Département de Marſeille,
APPROBATION.-
J'ai lu , par ordre de Monſeigneur le Chancelier ΑΙ
le Mercure de Juin 1761 , & je n'y ai rien trou
vé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris
ce 30 Mai 1761. GÜIROY.
JUIN 1761 : 227
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
LUCINDE ,
UCINDE , Canțate.
VERS , fur la mort de Madame ***.
COUPLET , à mettre en chant.
Pages
LETTRE de l'Auteur du Mercure , à M. D.
B .....
ANALYSE de la Tragédie du Duc de Guife ,
traduite de l'Anglois de MM . Dryden &
Lée.
YERS fur le mariage de M. le Comte de
Stainville.
VERS à Leurs Alteffes Séréniffimes Electo
rales Palatines.
A Madame Champ .....
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
DISSERTATION fur les premiers Romains
& c.
7
II
ibida
STANCES , fur la Solitude , par M. L. A. L. B.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
STANCES , à M. de Voltaire.
26
27
30
33
47,
SI
ibid.
ENIGMES.
LOGOGRYPHIS.
CHANSON.
35856
37& 58
59
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES :
HISTOIRE générale des Conjurations, Confpirations
&c. Par M. Deformeaux . Extrait. 6x
EXTRAIT d'un Difcours prononcé en Italien
zar Bartholomée Ramella &c.
Band go of i
228 MERCURE DE FRANCE.
DISSERTATION fur les défauts qui le trouvent
dans les Ouvrages de Littérature .
ANNONCES des Livres nouveaux. 103 &fuiv.
LITTRE , à l'Auteur du Mercure .
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIES.
OPERATIONS Arithmétiques & Algébriques .
95
124
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
LITTRE, à l'Auteur du Mercure.
125
138
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UTIL E S.
CHIRURGIE.
SUITE du Mémoire fur une Queſtion Chirurgicale
relative à la Jurifprudence. Par
M. Louis.
132
HÔPITAL de M. le Maréchal Duc de Biron. 148
ARTS AGRÉABLES.
ORIGINE des Modes & du Tempérament.
Par M. Rameau. 152
MUSIQUE. 170
GRAVURE . 174
ART. V. SPECTACLES.
OPÉRA. 177
COMÉDIE Françoiſe, 188
COMÉDIE Italienne. 193
CONCERT Spirituel.
195
ART. VI. Nouvelles Politiques.
196
MARIAGES. 216
MORTS. ibid.
EVENEMENS finguliers .
220
AVIS divers. 223 &fuiv.
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY
xue & vis-à -vis la Comédie Françoife.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le