Fichier
Nom du fichier
1761, 01, vol. 1-2, 02-03
Taille
33.70 Mo
Format
Nombre de pages
995
Source
Lien vers la source
Année de téléchargement
Texte
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JANVIER. 1761 .
PREMIER VOLUME.
Diverfité , c'eft ma devife. La Fontaine.
Cochin
Silius inve
MayenSculp 1218
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à- vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT, grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilège du Roi.
* IM
THE NEW YO
PUBLIC LIBRARY
335310
ASTOR, DEROX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis atè
Greffe Civil du Parlement , Commis au.
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , à côté duSellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
port , les paquets & lettres , pour te
mettre quant à la partie littéraire , &
de
,
M. DE LA PLACE
Mercure..
་ ་ ་ ་
Auteur du
Le prix de chaque volume eft de 36 fols,
mais l'on ne payera dd''aavvaannccee ,, ens'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes
à raison de 30 Jobs pièce.
1
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir, ou qui prendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
c'est - à-dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci -deſſus.
A ij
Onfupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit,
le prix de leur abonnement , ou de donner.
Leurs ordres , afin que le payement enfoit
fait d'avance au Bureau .
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pièces tirées dès
Mercures & autres Journaux , par M,
DE LA PLACE , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
10 )
2010
A VIS.
On trouvera le Mercure dans les Villes
nommées ci-après.
A Bbeville , chez L. Voyez.
Amiens , chez François , & Godard.
Angers , chez Jahier.
Arras , chez Nicolas , & Laureau.
Auxerre , chez Fournier.
Bâle en Suiffe , à la Pofte.
Beauvais , chez Deffaint.
Berlin , chez Jean Neaulme , Libraire François ,
Besançon , chez Briffault.
Blois , chez Maſſon.
Bordeaux , chez Chappuis l'aîné , à la nouvelle
Bourſe , Place royale ; les freres Labottiere >
Place du Palais ; L. G. Labottiere , rue Saint
Pierre , vis- à-vis le puits de la Samaritaine , &
J. P. Labottiere , rue S. James , & à la Pofte .
Breft , chez Malaffis.
Bruxelles , chez Pierre Vaffe , F. Serftevens , &
J. Vendenberghen.
Caen , chez Manouri .
Calais , chez Gilles Née , fur la grande Place.
Châlons en Champagne , chez Bricquet.
Charleville , chez Thezin.
Chartres , chez Feftil & Goblin.
Coppenhague , chez Chevalier , Libraire François .
Dijon , à la Pofte , chez Mailly, & Coignard de la
Pinelle.
Falaife , chez Piftel - Préfontaine.
Fribourg en Suiffe , chez Charles de Boffe.
La Rochelle , chez Salvin & Chaboiceau-grandmailon.
A iij
Liege , chez Bourguignon.
Lille , chez M Pankonke.
Lyon , à la Pofte , chez J. Deville.
Marfeille , chez Sibić , Molly , Boyer , Jayne fils.
Meaux , chez Charles.
Moulins , chez la veuve Faure.
Nancy , chez Nicolas.
Nantes , chez la veuve Vatard.
Nifmes , chez Gaude .
Noyon , chez Bonvalet.
Orléans , chez Roſeau de Monteau.
Poitiers , chez Faulcon l'aîné , & Félix Faulcon.
Rennes , chez Vatar ; à la Science , Vatar , Julien
- Charles Vatar , & Garnier & Compagnie ,
Joanet Vatard , & Jacques Vatard.
Rheims , chez Godard & Cazin .
Rouen , chez Hérault , & Fouques :
Saint - Malo , chez Hovtis .
Senlis , chez Desroques.
Soiffons , chez Courtois.
Strafbourg , chez Dullecker.
Touloufe , chez Robert ; & à la Pofte .
Tours , chez Lambert , & Billaut.
Troyes , chez Bouilleror.
Versailles , chez Fournier.
Vitry-le- François , chez Seneuze.
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER. 1761 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EP ITR E.
A Madame *** Intendante à ***
le 1. Janvier 1761.
pour
L'AN renaît donc il luit ce premier jour ,
Fêté par-tout , à la Ville , à la Cour ,
Où faluts , voeux , étrènnes , accolades ,
Lettres , fermens & cent complimens fades
De toutes parts vont pleuvoir à grands flots :
Jour équivoque , honoré par les Sots ,
Haï du Sage , à quoi l'on te confacre !
L'amitié court , & fon vain fimulacre
I. Vol. A iv
8 MERCURE DE FRANCE
Vole avec elle & devance fes pas.
Le zéle , ici , tend d'affectueux bras ;
Là, l'impofture en ouvre d'homicides.
Tendres baifers , embraffemens perfides ,
A droite , à gauche , & donnés & rendus ,
Sont pêle-mêle aujourd'hui confondus ,
Calios affreux ! Eh , par quel aſſemblage
Voit-on , Janus , fur ton double vifage ,
Ici l'eftime unie à la candeur ,
Là l'intérêt fuivi de la noirceur ?
De tant de voeux le déluge m'éffraye.
Qui du bon grain ſéparera l'ivraie ,
L'or du clinquant , le baume du venin ?
Qui ? Ce fera l'oeil perçant , l'efprit fin ,
Inacceffible à la flatteufe amorce ,
D'un beau diſcours prompt à lever l'écorce
Allant au coeur fonder le fentiment.
Qui ? Ce fera ton fûr difcernement
Belle Mélite , O toi qui nous retraces
Et la colombe en tes modeftes graces,
Et le fin lynx en tes coups d'oeil fubtils .
Qu'ils font à craindre ! & pour qui le font- ils ?
Pour ce Robin , à la démarche grave ,
De l'étiquette impatient efclave ,
Allant chercher fur l'Autel de Thémis
Le grain d'encens qu'il apporte à Cypris .
Pour ce Marquis , femillant Petit- Maître ,
Que , fans laquais , t'annonceront peut- être
Les flots ambrés qu'il proméne en tous lieux
JANVIER. 1761 .
*
Mais qu'à fes airs tu connoîtras bien mieux.
Nouveau Narciffe , épris de fa figure ,
.Il entrera , la main dans la ceinture ,
L'autre au jabot ; & léger dans fes pas ,
Comme Marcel faluera tes appas ;
Puis affectant un pur Néologiſme ,
Te graffaîra le galant Catéchiſme ;
Et s'il enfante une heureuſe fadeur ,
Croira d'emblée avoir gagné ton coeur.
Qui doit encor , malgré l'art de fes mines ;
Craindre , trembler que tu ne le devines ?
C'eft de Plutus cet épais favori ,
Lourd automate , inclinant à demi
Sa tête haute , & connu , dès qu'il entre s
Par fon falut de la main & du ventre.
C'est ce for ruftre, importun près des Grands;
Bouffi de gloire & jaloux des hauts rangs ,
Que la fortune a tiré de la boue ,
Pour l'élever au faîte de la roue.
C'eſt ce Seigneur , ennobli de deux jours ,
Cocq de Paroille & ver rampant des Cours ,
Qui reçoit là l'encens & l'eau benite ,
Comme honneurs dûs à ſon nouveau mérite ;
Et porte ici , Politique , à tes piés ,
Un faux encens , des voeux étudiés.
C'eft , le dirai- je ? Et pourras-tu le croire?
Ee Parafite , ami du réfectoire ,
* Fameux Maître de Danfe.
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Apre à manger , habile à boire fec.
Il s'introduit , te fait falamalec ,
Puis maints fouhaits : mais quel espoir le guide
N'en doute pas , fon eftomac avide ,
Et curieux des mêts de F *****
Cherche en tes yeux un heureux pronoſtic.
( Combien chez toi rôdent de ces Apôtres ! )
Ce premier flor eft repoufflé par d'autres :
Renouvellé , le cercle s'aggrandit.
Deux Déités , fi l'on en croit l'habit ,
Viennent ici , dans un attirail vaſte ,
Etaler moins leur zéle que leur faſte.
Regarde-les : fur ces amples cerceaux ,
Le fotorgueil a planté les faiſceaux .
Le féducteur ! par quel levain magique
Sçait-il enfler leur morgue hyperbolique
Celle- ci voit , au dépôt de d'Ozier **
Briller fon nom , les titres , fon cimier :
De fa fortune , au fol fécond des fermes
Celle- là fait fructifier les germes.
Le coffre fort ouvert à fes defirs ,
Nourrit fon luxe & paye les plaifirs :
Un fang illuftre , une extrême opulence ,
Sont les pivôts de leur impertinence.
Peut-être encor voudroient- elles l'affeoir
Sur leurs appas. Mais qu'en dit le miroir ?
Cruel cenfeur , fes reproches atroces
* Cuifinier de Madame.
Juge d'armes.
JANVIER. 1761. II
Matin & foir attérent ces Coloffes.
Après ce couple altier , vain , arrogant ,"
S'en gliffe un autre, humble , fouple & rampant
Admire un peu l'abord de ces caillettes.
Eft-il foumis , quel art dans leurs courbettes !
Ecoute- les d'abord , d'un trait gentil ,
La médifance aiguiſe leur babil.
Il faut , au gré de leurs loix infernales ,
Pour plaire feule , écrafer des rivales .
La flatterie enfuite eft miſe en jeu :
Abfynthe ou miel , au befoin, coûte peu :
Dans un inftant , ces mordantes harpies
Se changeront en careffantes pies.
Pour des coeurs bas tous rôles font égaux.
Près de la toile où naiffent ces pavots
Adroitement créés par ton aiguille ,
L'une admirant quel art , quel goût y brille ,
Dira , pâmée : » O le beau cannevas !
>> Moins finement eût travaillé Pallas.
L'autre , aux concerts où tes doigts font mer
veilles ,
Sera bientôt toute yeux & toute oreilles ;
Et comme un terme auprès du claveſſin
De l'Opéra n'attendra que la fin ,
Pour s'écrier » O la douce harmonie !
» Avec moins d'art , eût touché Poly nnie.
Peindrai - je ici l'ennui fempiternel ,
Que fur les pas traîne dans ton hôtel
Cette mégére , infâme en fes manoeuvres?
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Peu de foupers , & beaucoup de couleuvres
A dévorer tout bas fous l'éventail ,
Sont pour fon âme un foible épouvantail :
Tant l'amour-propre , habile à la féduire ,
Sçait lui cacher le mépris qu'elle infpire. !
Tel nous voyons ce ténébreux oiſeau ,
Reptile aîlé , trop importun fléau ,
Qui fur le foir , d'un vol opiniâtre ,
De nos plafonds vient obombrer l'albâtre :
Il cherche & fuit , forti de fon caveau ,
L'éclat brillant du nocturne flambeau ,
Là par la porte , ici par la fenêtre ,
Chaffé , rentrant , toujours prompt à paroître .
Que de travers , combien d'originaux ,
Pourroient encor prêter à mes pinceaux !
Je tracerois ....mais quittons la palette :
Il fiéroit mal à ma main indifcrette
D'ôter le mafque à chacun des portraits
Que le faux zéle affemble en ton palais.
Ah! fi le ciel , par un arrêt funefte ,
N'eût chez les Grands attaché cette peſte ,
Je le prierois , d'éloigner fans retour
Ces papillons , ces guêpes de ta cour.
Pourquoi des lieux où la candeur habite
Sont-ils ouverts au menfonge hypocrite ?
C'eft prophaner l'aſyle des vertus ,
Que d'y donner, par un indigne abus ,
Accès au vice , entrée aux ridicules.
Tu les connois , mais tu les diffimules,
JANVIER. 1761 . 13
Les Dieux n'ont pas toujours la verge en main s
Leur gloire même à leurs coups met un frein.
Si leur courroux , prompt à faire un exemple ,
Chaſſoit Tartuffe & fes pareils du Temple,
Que deviendroit leur culte folemnel ?
Seule bientôt , l'idole fur l'Autel
fans facrifice. Se morfondroit fans voeux ,
Oh ! qu'il eft rare en ces jours d'artifice ,
L'hommage pur des vrais Adorateurs !
Plus ingénu que ces Aman * flatteurs ,
Loin de la foule à tes pas attachée ,
Nouvelle Efther, il eft un Mardochée,
Mortel obfcur , Philofophe inconnu ,
Qui hait le faſte & chérit la vertu.
De courtisans une tourbe importune
A fon gré peut encenfer ta fortune;
Et tous jouets de leur brillante erreur ,
D'un oeil ftupide adorer ta grandeur.
Du préjugé le féduifant délire
Sur fon efprit n'a pas le même empire:
Il cherche & veut de plus nobles trésors.
Tu les unis : l'objet de les tranſports ,
C'eſt ton talent , tes grâces , ton mérite :
Ces titres feuls , eftimable Mélite,
Réglent mon culte , & décident mes voeux.
Coule longtemps, coule des jours heureu
Puiffe ton luth , de plus en plus fonore ,
Plufieurs hyvers , nous enchanter encore !
* Favori d'Affuerus.
14 MERCURE DE FRANCE.
Chaque printems , fur tes traits rajeunis ,
Puiffions-nous voir briller rofes & lys !
Puiffe , en tout tems , la beauté de ton âme ,
Que l'honneur guide & la ſagefſe enflâme ,
Te conferver les glorieux tributs
Que fur nos coeurs ont acquis tes vertus !
Parun Hermite de M***** Abonné au Mercure.
ODE tirée du Pfeaume 51.
Toi qui n'es puiffant que par l'impiété ,
Pourquoi t'enorgueillir dans ta propre malice ?
Image vivante du vice ?
Ta loi , ta feule loi , c'eſt ton iniquité.
De tes forfaits affreux l'image fait horreur.
Tel qu'un glaive tranchant , ta langue forcenée ,
Du fiel d'une âme empoisonnée
Porte bientôt au loin la funefte noirceur.
A tes yeux, la vertu n'eft qu'un monftre odieurs
Pour toi le crime feul a d'invincibles charmes ;
Des attentats , qui font tes armes ,
Frémit à tes côtés , l'efcadron furieux.
A perdre l'innocent tu bornes tous tes voeux ;
Le menfonge en ta bouche eſt comme dans for
trhône +
JANVIER. 1761 . 15
Et ta fureur qui l'empoisonne ,
Frappe , écrafe , engloutit un tas de malheureux.
Tu verras tes projets renverfés , confondus ,
Rentrer dans le néant : fous le poids de ton crime,
Tu retomberas dans l'abîme ;
Et tes neveux maudits bientôt ne feront plus.
Le jufte , à cet afpect , fera laik d'éffroí.
Eft-ce là , dira-t- il , cette fuperbe tête ,
Qui , bravant & foudre & tempête ,
Du Roi des Souverains méconnoifſoit la Loi ?
Dans les bras du Plaifir mollement endormi '9
Il buvoir, à longs traits , des douceurs meurtrieres;
Dans des richelles paffageres ;
Et dans fon propre orgueil il trouvoit fon appui,
L'Eternel eft ma force , & fon puiffant fecours,
Contre les noirs complots , eft mon unique aſyle &
Je fuis cet olivier fertile ,
Que fa main bienfaifante arrofe tous les jours.
Goûtant du vrai bonheur le vertueux repos ,
J'éléverai na voix vers la voûte azurée ;
Et les concerts de l'Empirée
Deviendront , de mes chants , les fidéles échos.
Par M. POYART & Awas,
26. d
16 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de M. de SAINTFOIX , en
envoyant fa Comédie des HOMMES à
Mlle de B***
NE foyez point fâchée , Mademoiſelle,
contre les Mythologiftes ; ils n'ont dit que
Prométhée avoit formé l'homme avant la
femme,que parce qu'il eft naturel de penfer
qu'on fe perfectionne en travaillant.
Si l'on vous montroit deux ftatues du même
Artiſte , ne croiriez - vous pas que celle
qui vous paroîtroit la plus parfaite auroit
été faite la derniere ? Hier les yeux attachés
fur vous , & dans cet enchantement
que vous feule pouvez m'infpirer ,je fentis
tout-à- coup un trait de lumière qui pénétroit
mon âme & l'éclairoit fur ces premiers
tems du monde. En voici la véritable
hiftoire : je ne la fçavois pas , quand je
fis ma Comédie des Hommes. Les Dieux ,
après avoir débrouillé le cahos , regardérent
la Tèrre ; elle étoit bien belle alors :
le déluge l'a bien changée ! Ils penférent
à lui donner des habitans dignes d'elle ; ils
créérent des femmes. Chacune , ſelon ſon
goût , fe choisit une habitation, & bientôt
on les diftingua par les noms de Nymphes,
JANVIER. 1961 . 17
de Naïades & de Driades. Les Nymphes
aimoient les fleurs , les prairies & les jardins
; les Naïades fe plaifoient aux bords
des rivières & des fontaines ; les Driades
préféroient l'ombre & le filence des forêts.
Les Dieux quittoient fouvent l'Olympe: il
eft plus doux d'être aimé que d'être adoré,
& la Terre n'auroit été peuplée que de demi-
Dieux. Malheureufement Prométhée ;
un des Titans , devint amoureux d'une
Nymphe ; il ne put s'en faire aimer ; il
étoit fier ; fon amour fe changea en haine
contre toutes les femmes ; & fa jaloufie
naturelle contre les Dieux fe réveilla.
Pour fe vanger, il forma l'homme, dont le
caractére impérieux & tyrannique annonce
affez fon origine Titanne. Jupiter prévit
tous les maux que ce nouvel être alloit
caufer fur la Terre; il punit Prométhée, &
l'enchaîna fur le mont Caucafe. Voilà ,
Mademoiſelle , l'hiftoire de ces premiers
temps , & telle que nous l'aurions fi
les femmes n'avoient pas négligé de l'écrire.
Vous rêverez peut-être cette nuit
que vous êtes une Nymphe , une Driade,
ou une Naïade : mais vous ne rêverez
jamais , quand vous croirez qu'il n'y en
avoit aucune plus digne des Dieux que
vous.
18 MERCURE DE FRANCE.
GALANTERIÉ.
L'AUTRE
'AUTRE jour mon Iris , fur un lit de verdure ,
Goûtoit les douceurs du repos :
L'onde qui de ces lieux entretient la parure ,
Rouloit plus lentement les flots ;
Les Zéphirs attentifs , retenant leur haleine ,
Négligeoient la beauté des fleurs de cette plaines
Les oifeaux fufpendoient leurs chants mélodieux.
3
Pour cueillir les pleurs que l'Aurore
Répand tous les matins fur les préfens de Flore ,
Un moucheron voltigeoit dans ces lieux.
Trompé par la couleur , croyant voir une roſe,
Sur les lévres d'Iris , il vole avec ardeur.
Hélas ! que j'enviois une métamorphoſe
Qui m'eût pû procurer un femblable bonheur !
Sur cette belle bouche , il erre , il fe proméne ;
Comme le fuc des fleurs il en cueille l'haleine
Bientôt , en s'envolant , il pique mon Iris.
Toute éffrayée elle s'éveille ;
Elleporte fa main à fa bouche vermeille
En rempliffant l'air de fes cris.
On dit, quand tu le veux, que tu foumets nos âmes!
Vois cependant , Dieu de Paphos ,
Un moucheron trouble un repos
30 JANVIER . 1961 . 19
Que n'ont jamais troublé ni tes traits ni tes flames!
Iris , brave tes feux : je l'aime , venge- toi ;
Et pour miniftre , choifis- moi .
VERS préfentés à M. le Maréchal de
RICHELIEU , dans un Bal , à Bordeaux
, par une femme.
C
QUOIQUE fous ce déguiſement ,
Tupeux me connoître ailément,
Au feyl fentiment de mon âme.
- ., Sirje re crains , je fuis Anglois ;
7. Si je t'aime , je fuis François ;
Si je t'adore , je fuis femme.
Par M. A. de Montpellier.
LETTRE de l'Auteur du Mercure
à M. D. B....
I₂ l'avois prévu , Monfieur , les hardieffes
& la fingularité des fituations que
les Auteurs Anglois fe permettent , malgré
le piquant de la nouveauté , toujours
en droit de plaire à bien des Lecteurs ,
peuvent déplaire à beaucoup d'autres . La
Scène , du Comte de Malicorne , tirée de la
18 MERCURE DE FRANCE.
GALANTERIE.
L'AUTRE jour mon Iris , fur un lit de verdure ,
Goûtoit les douceurs du repos :
L'onde qui de ces lieux entretient la parure ,
Rouloit plus lentement les flots ;
Les Zéphirs attentifs , retenant leur haleine ,
Négligeoient la beauté des fleurs de cette plaines
Les oifeaux fufpendoient leurs chants mélodieux.
C
Pour cueillir les pleurs que l'Aurore
Répand tous les matins fur les préſens de Flore ,
Un moucheron voltigeoit dans ces lieux.
Trompé par la couleur , croyant voir une rofe ,
Sur les lévres d'Iris , il vole avec ardeur .
Hélas ! que j'enviois une métamorphofe
Qui m'eût pû procurer un femblable bonheur !
Sur cette belle bouche , il erre , il fe proméne ;
Comme le fuc des fleurs il en cueillé l'haleine
Bientôt , en s'envolant , il pique mon Iris.
Toute éffrayée elle s'éveille ;
Elle porte fa main à fa bouche vermeille ,
En rempliffant l'air de fes cris.
Ondit, quand tu le veux , que tu foumets nos âmes:
Vois cependant , Dieu de Paphos ,
Un moucheron trouble un repos
JANVIER. 1761 . 19
Que n'ont jamais troublé ni tes traits ni tes flames!
Iris , brave tes feux : je l'aime , venge- toi ;
Et pour miniftre , choifis- moi .
VERS préfentés à M. le Maréchal de
RICHELIEU , dans un Bal , à Bordeaux
, par une femme.
QUOIQUE fous ce déguiſement ,
Tu peux me connoître aifément ,
Au feyl fentiment de mon âine.
- Si je re crains , je fuis Anglois ;
a . Sije t'aime , je fuis François ,
-Sije t'adore , je fuis femme.
Par M. A. de Montpellier.
LETTRE de l'Auteur du Mercure
$
à M. D. B....
J₂ l'avois prévu , Monfieur , les hardieffes
& la fingularité des fituations que
les Auteurs Anglois fe permettent , malgré
le piquant de la nouveauté , toujours
en droit de plaire à bien des Lecteurs ,
peuvent déplaire à beaucoup d'autres. La
Scène , du Comte de Malicorne , tirée de la
20 MERCURE DE FRANCE:
Tragédie du Duc de Guife , quoiqu'elle
ait plu à la généralité des Amateurs du
Théâtre , a été critiquée par des perfonnes
dont elle a révolté la délicateffe. Il
faut être familiarifé avec le Théâtre Anglois
, & fur- tout avoir lû le Difcours qui
y fert , pour ainfi dire , d'introduction ,
pour n'être pas choqué du ridicule apparent
des fituations de cette eſpèce. C'eſt
fur quoi je compte m'entretenir avec vous
plus au long , dès que ma fanté pourra
me le permettre. Voici , en attendant ,
le premier Acte d'une Tragédie intéreffante
, & dont l'Auteur eft ce même Tomfon
, Auteur de cet agréable Poëme des
Saifons, fi bien traduit par Madame Bontems
, & dont j'ai rendu compte dans le
Mercure du mois de Février dernier. Si
ce premier Acte , comme j'ai lieu de l'efpérer
, par l'effet conftant que cette Piéce
produit au Théâtre , fait defirer ici le refte
; je me propoſe , en refferrant les quatre
autres , de les donner dans les Mercures
du 15 Janvier & du mois de Février
prochain. J'ai l'honneur , & c.
JANVIER 1761 20
TANCREDE
E T
SIGISMONDE ,
Tragédie traduite de l'Anglois de JAMES
TOMSON.
PERSONNAGES.
TANCREDE.
SIFFREDI , Chancelier de la Sicile,
LE COMTE OSMOND , Connétable:
RODOLPHE , Capitaine des Gardes.
SIGISMONDE
, Fille de Siffrédi
LAURE , Soeur de Rodolphe .
BARONS , OFFICIERS , GARDES .
La Scène eft à Palerme,
ACTE PREMIER.
SCENE PREMIERE.
" SIGISMONDE. LAURE
O
SIGISMONDE. T
JOUR fatal , pour la Sicile ! ... Le Roi
touche à fon dernier moment ?
22 MERCURE DE FRANCE.
LAURE.-
Oui , Madame on le craint.
SIGISMONDE.
La mort des gens diftingués par leur
rang , & plus encore par leurs vertus , réveille,
ébranle l'âme , la frappe d'une ter
reur lugubre : non que nous gémiffions
fur eux , mais fur nous- mêmes , & fur l'avenir
qui nous menace. Les plus regrettables
pourtant ; font bientôt oubliés !
Nos coeurs , dit- on , ma chére Laure , fe
trouvent quelquefois accablés d'une doue
leur , qu'on pourroit croire prophétique
Telle eft celle que je reffens ! Et la mort
qui menace le Roi , la remplit de mille
terréurs . Les troubles que cet événement
peut renouveller dans l'Etat ; les chan
gemens inattendus qu'il peut produire
dans la maifon de mon Père ; l'idée feule
enfin que cette mort peut occafionner
une rupture entre mon cher Tancréde &
fon amante,fuffit pour me glacer d'effroi !
LAURE.
Craintes d'un coeur trop bleffe par
l'Amour , & toujours trop ingénieux à fe
forger des peines ! Soyez fûre que la conftante
amitié de votre Pere , jointe à cette
noble fermeté d'âme qui commande, fans
JANVIER 1761 17
baffeffe , à la fortune , n'en protégera pas
moins avec chaleur ee... Mais comment;
l'appeller ? ... cet enfant adoptif , ce jeune
& noble Tancréde , déjà formé fur.
toutes les vertus.
SIGISMONDE.
Et furtout pour charmer fa fille !
Cette belle matinée l'a , dit- on , conduit
à la chaffe?... En eft-il de retour ?
३
LAURE.
Non... Lorsque le Monarque mourant
a fait précipitament appeller votre Père ,
des couriers ont été dépêchés pour pref
fer ici fon retour... j'ai même remarqué
dans les yeux du Seigneur Siffrédi , cerraine
ardeur , certains fignes d'impa
rience , qui fembloient indiquer que le
danger qui menace le Roi , eft pour le
Comte Tancrede beaucoup plus important
que
ne penfe.
l'on
SIGISMONDE.
Sa naiffance , ma chère Laure , eft en
veloppée d'un nuage , dont je ne puis
percer l'obscurité... Jamais Prince ne fut
élevé comme lui ; jamais avec plus de
refpect. Souvent , dans les bois de Beber
mont , j'ai vu , j'ai déinêlé ce fentimenti
dans les yeux même de mon Père. Bois
24 MERCURE DE FRANCE.
chéris ! où mon coeur fincère & fans art ,
apprit pour la premiere fois à foupirer
pour un amant ... Si j'en dois croire à ce
que dit mon Père , Tancréde eft fils d'un de
fes vieux amis , d'un Seigneur autrefois
puiffant dans la Pouille , & qui mourut ,
dit- on , glorieufement dans la derniere
Croifade.... Mais n'eft- il pas étrange qu'il
ne fubfifte rien de la famille de ce brave
Chevalier qu'il ne lui foit refté d'autre
ami que mon Père ? ..... S'il avoit une
mère , une foeur , un frère , un parent
quel qu'il fût ; avec quels fentimens de
vanité , ne fe hâteroient- ils point de rechercher
, de reclamer ce digne rejetton
d'un fang illuftre ; ce modéle accompli de
tout ce que la jeuneffe offre d'intéreffant
& d'aimable ? cet amant enfin , qui charme.....
peut être trop ( hélas ! ) le coeur
de Sigifmonde... Mais , chère Laure ,
écoute... Ton frère, eſt ſon ami ? Le coeur
de mon Tancréde, eft ouvert à fes yeux?...
Parle que dit Rodolphe Croit - il au
Roman trop mal conçu de ſa naiſſance ?
LAURE.
Souvent il en paroît douter , ainfi que
vous. Tancréde , cependant , n'en conçur
jamais le moindre doute.... Il fe plaint
feulement de la Fortune ; & gémit de
n'être
JANVIER. 1761 . 25
n'être pas né d'un fang au moins égal
au vôtre.
SIGISMONDE .
Un mérite tel que le fien , eft au - def
fus de la Fortune... Ainfi , ma chère Lau
re, il s'entretient de moi avec ton frère ?
LAURE.
Il ne lui parle que de vous. Quel que
foit le commencement de la converfation
, Sigifmonde en est toujours la fin .
Toutes leurs promenades , toutes les allées
de Belmont ne retentiffent que du
nom de Sigifmonde.
SIGISMONDE.
Tu me flattes , ma chère amie.... Cependant
mon erreur m'enchante !
LAURE.
Je ne dis que la vérité : je ne l'exprime
même qu'a demi... Que dis- je ? mon frère
eft tellement animé des fentimens de fon
ami, qu'il femble les reffentir lui même...
Le Ciel , dit - il , prodigue en fes bontés
a formé nos coeurs pour l'amour : c'eft
dans l'amour feul qu'il a renfermé le
me de l'honneur , de la vertu , de l'amitié
, de tout ce que la Tèrre a de plus pur
& de plus faint.
I. Vol.
В
ger26
MERCURE DE FRANCE .
SIGISMONDE.
O vertueux Rodolphe !
LAURE.
Son difcours finit toujours par l'éloge
de votre amant.
SIGISMONDE.
Ah , mon amie ! ... Et qu'en dit - il
enfin?
LAURE.
Que dût Tancréde n'être point d'une
naiffance illuftre , la nature l'a créé noble
, généreux , brave , & méprifant avec
hauteur tout ce qui tient de la baffeffe ;
qu'il ne doit rien à l'éducation ; que fes
vertus font de fon être & tiennent à fon
âme... Ce qu'il admire enfin le plus , c'est
que les paffions de fon ami, quoique touchant
prèfque à la violence , font tellement
fubordonnées à la bonté de fon
coeur , que la Raifon a toujours le pou
voir d'en tempérer les mouvemens.
SIGISMONDE.
Ton frère le connoît ! Ton frère te dit
vrai , ma chère Laure ! Il eft le digne
ami de mon Tancréde ; & je forme des
voeux pour lui ....Oui ! je le crois , fi la
Vertu prenoit la forme d'un Mortel , elle
emprunteroit l'air , le foûrire & les gra
JANVIER. 1761 . 27
ées de mon Tancréde ! ... Achéve , mon
amie ; ne crains pas d'épuifer fon éloge ,
le fujet eft intariffable , & ne me laffera
jamais... Non , chère Laure , non la femme
ne fçauroit goûter de joie plus pure ,
ne peut être plus délicieufement flattée....
( car c'eft un fentiment bien au- deffus de
l'amour - propre même ! ) qu'en voyant
louer dignement l'objet de fa tendreſſe.
LAURE.
J'entends du bruit ... C'eft votre Père.
SCENE I I.
SIFFREDI . SIGISMONDE. LAURE .
SIFFREDI , à un Domestique.
VOUS ous avez donc enfin trouvé Tani
créde ?
LE DOMESTIQUE.
Seigneur , il va paroître. J'ai fait la
plus grande diligence , pour vous apprendre
avec quel empreffement il fe rend à
vos ordres.
SIFFREDI , en le congédiant.
Allez ... Et vous auffi , ma fille , laiffezmoi.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE
SIGISMONDE.
Je pars , Seigneur.... Mais que dit-on
du Roi ?
SIFFREDI
Ce Monarque n'eft plus... Il eft parti
pour ce redoutable féjour où les Rois
n'ont d'autre Couronne , que celle de
leurs vertus.
SIGISMONDE .
Que la fienne eft brillante ! .... Ce
coup étoit inattendu , Seigneur. Lorſque
Tancrede eft parti pour la chaffe ; ce
matin même on ne craignoit pas
pour le Roi.
,
SIFFREDI.
Il eft vrai , ma fille ! ... Mais la mort ,
à fon âge , n'accorde pas de longs délais :
la Nature affoiblie , s'affaiffe , & tombe à
la moindre fecouffe. La mort pour lui
ma fille , n'étoit que comme l'heureux
période auquel peu de Morrels atteignent
: tous fes devoirs étoient remplis ;
il jouiffoit des voeux de fes fujets : il eſt
mort , fans douleur ... Ah ! puiffé -je finir
ainfi ... Le dernier de fes voeux , le feul
qu'il n'a pas vû remplir , étoit de voir ,
& d'embraffer Tancréde.
4
JANVIER. 19618 ) 29
SIGISMONDE.
Tancréde ! ... Ah , pardonnez , Seigneur...
fi jofe ....
SIFFREDI.
Vous pardonner ! Eh quoi , ma fille X ..
Quel trouble vous faifit , au feul nom de
Tancréde ... De quoi donc s'agit- il a :
SIGISMONDE.
De rien , Seigneur ..... Je prétendois
uniquement fçavoir , fi notre Monarque
expirant n'avoit pas dédaigné de pourvoir
à la fortune de l'illuftre Orphelin .... Dont
il fçavoit , fans doute , dès longtemps ....
que vous étiez chargé .
SIFFREDI.
Il s'en eft fouvenu , ma fille .... Laif
fez - moi maintenant . Il faut que je
parle à Tancréde.
.....
SCENE III.
SIFFREDI , feul.
AH mes foupçons ne font que trop
fondés .... Et fi mes yeux , quoique affoiblis
par l'âge , fçavent encore diftinguer
les vrais fymptômes de l'amour ,
B iij
go MERCURE DE FRANCE.
ane tendreffe mutuelle anime également
& ma fille & le Prince , qui devient aujourd'hui
mon Roi .... Ciel ! s'il en eft
ainfi , quefle tempête fe prépare ! Que
d'obftacles à des projets depuis fi longtemps
concertés pour affermir la paix
dans ce Royaume .... Envain le teftament
du Roi fut- il dicté pour en être la
bafe l'amour détruira tout ..... Mais
quelle idée flatteufe me faifit ? .... Fuyez,
indigne efpoir ! vous ne me tenterez jamais.
L'ambition , ni l'intérêt ne font pas
faits pour ébranler mes réfolutions ...
Périffe l'âme vile qui préfére fon bien-être
à celui d'un million d'hommes ! .... Il
vient .... mon Roi .... fans fe douter de
ce qu'il doit à la fortune.
SCENE I V.
SIFFREDI. TANCREDE
TANCREDE.
SEIGNEUR , je lis dans vos regards la
certitude d'un événement , dont la douleur
publique ne m'a déjà que trop inf
truit... Nous l'avons donc enfin perdu ce
refpectable Monarque ?
JANVIER . 1761 . zr
SIFFREDI.
Oui.... nous perdons un Pere.... nous
perdons ce que le Ciel accorde fi rarement
aux humains.... un bon , un digne
Roi'... écoutez-moi maintenant ,Tancréde :
apprenez , en peu de mots , comment ce
Prince a mérité ce titre , moins glorieux
que refpectable , & cher à la Patrie . Il ai
moit fes fajets ; il élevoit les bons , abaiffoit
, puniffoit les méchans. Ennemi juré
des flateurs , il rejettoit avec mépris tous
ces avis fecrets, tous ces confeils qui ne font
bons que pour ceux qui les donnent ; tous
ces projets formés pour avilir le Souverain
, fous prétexte d'ajoûter à fa grandeur.
Il déteftoit le délateur adroit , & ces
rapports obfcurs dont la calomnieufe envie
cherche toujours à flétrir la vertu, & ne fe
croyoit maître que pour faire le bien . Il
étoit convaincu qu'un Peuple , dont les
droits font refpectés , & l'induftrie encou-
Lagée ; qui vit en fûreté fous le bouclier
facré des Loix ; dont le génie , les arts , &
les travaux font accueillis & récompenfés
par le Prince ; il étoit convaincu , dísje
, que des Sujets , heureux comme il l'étoit
lui- même, ne peuvent devenir ingrats;
que leur main libérale fuffifoit à tous fes
befoins ; que leur amour ( en ce cas, filial )
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
& leur confiance dans la Probité du Monarque
, étoient pour lui le plus fûr des
tréfors ; & que dans chaque Citoyen , il
ávoit une garde fidelle.
TANCREDE.
J'ai traversé la Ville , & n'ai rencontré
fur mes pas que l'image de la trifteffe . J'ai
vû le Peuple , en divers endroits taffemblé
, frappé d'une douleur muette , expri
mer par fes larmes ( Ciel ! quel panégyrique
pour un Roi ! ) la perte immenfe qu'il
a faite. Ceux chez qui le fouvenir de leurs
malheurs & de nos difcordes civiles eft
encore préfent , qui par l'expérience inftruits
, laiffent à la jeuneffe à fe repaître
des vaines illufions de l'efpérance ; ces
Sages Citoyens enfin ,portant leurs regards
vers les Cieux , femblent en foupirant:
mal augurer de l'avenir. D'autres , à travers
ce fentiment réel , ou affecté, laiffent
entrevoir un rayon d'efpoir fur ce que le
hafard, ou le changement de Maître, pourra
produire en leur faveur. Un murmure
confus fe fait entendre dans les places publiques
; l'avide courtifan enfin déferte le
Palais d'un bienfaiteur qui lui devient inutile
, & vole avec empreffement vers la
Princeffe Conftance.
JANVIER. 1761 . 33
SIFFREDI.
Jeune & noble Tancréde ! j'entends avec
tranfports la jufteffe de tes réflexions ,
dignes d'un âge plus avancé. Mais file
Courtiſan ſe rend en foule au Palais de
Conftance... il pourroit bien fe voir trompé
dans fon attente.
TANCREDE.
Comment , Seigneur ! .... N'eft- elle pas
la foeur de notre dernier Roi ? l'Héritière
du Trône de Sicile le dernier rejetton
de l'illuftre race Normande? en un mot ,
notre Souveraine ?
SIFFREDI..
Elle eft la foeur de notre dernier Roi ,
fans doute , refte de la poftérité du fier
Guillaume le Mauvais ; de ce Tyran , qui
mérita trop ce furnom ; qui fit couler fi
lâchement le fang le plus illuftre ; qui fi
longtems opprima la Sicile , & finit par
la dévafter funefte Auteur enfin de mille
factions fanglantes qui la déchireroient
encore, fi le Souverain que nous pleurons
aujourd'hui , fi Guillaume le Bon , en
fuccédant au Trône de fon Père , n'eût
pas mis fin aux maux de fa patrie. Quant
à Conftance , mon enfant , elle eft en effet
foeur de notre dernier Roi.... Mais
non pas fa plus prochaine héritière.
By
34 MERCURE DE FRANCE
TANCREDE.
Vous m'étonnez , Seigneur ! .... Puisje
, en ce cas , vous demander à qui le
Trône eft dû?
SIFFREDI
Approchez-vous , jeune & noble Tan
créde ! .... Venez , fils de mes foins ! ...
Je dois , dans ce moment , fonder la générofité
de votre coeur .... Sachez que
'Palerme tient dans fon fein le dernier rejetton
de ce Héros jadis fi fameux dans
l'Europe , l'héritier légitime de Roger
premier !
TANCRED E.
Ciel ! ... De Roger premier ?
SIFFREDI.
Oui , mon enfant , fon petit- fils , né de
l'aîné des fils de ce grand homme , & qui
mourut avant fon Père .
TANCREDE.
Quoi ! du Prince Manfred ? de ce Heros
, plus généreux encore qu'infortuné :
celui que le Tyran Guillaume , après l'avoir
privé de fa couronne , a lâchement
affaffiné ?
SIFFREDI
Lui-même.
JANVIER. 1761 . 35
!
TANCREDE.
J'en rends graces au Ciel ! .... Je fuis
charmé de retrouver la race de nos héros
Normans ! Puiffé- je encore les voir briller
dans l'Univers , à travers l'obfcure barbarie
de ce fiécle méprifable ! .... Mais , ou
ce Prince a- t- il été caché jufqu'à ce jour ?
SIFFREDI.
Le Roi que nous venons de perdre ,
touché d'une noble pitié , a entrepris de
le fauver des fureurs du Tyran . Il l'a fait
élever en fecret , conformément à ce qu'exigeoit
fa naiffance , & les efpérances
qu'il avoit conçues de lui. Mais ce Monarque
eft mort trop tôt pour qu'il ait
été permis de lui apprendre & fon nom
& fon fort. C'eft à moi feul , c'eft à ma
qualité de Chancelier de ce Royaume
que Guillaume le Bon vient de confier
fon teftament , par où le jeune Prince eft
déclaré fon fucceffeur.
TANCREDE
Heureux jeune homme ! Tu vas donc
enfin triompher des ennemis de ton Père,
de l'orgueilleux Ofmond , & de la fille
du Tyran ?:
SIFFREDI.
C'estjustement ce que je crains...Celt
B.vj
36 MERCURE DE FRANCE.
ce courage impétueux ; c'eft certe ardeur
de la jeuneffe , qui me fait trembler pour
l'Etat... Si le Tyran n'eft plus , fa faction
fubfifte encore : elle eft redoutable &
nombreuſe elle protégera fa fille . Le
Comte Ofmond , le Connétable de Sici
le , y fut toujours fermement attaché . Et
cet Ofmond joint à la nobleffe du fang ,
l'expérience , la valeur , & le plus grand
crédit... Ne vaudroit- il pas mieux qu'un
heureux hyménée entre le Prince &
Confiance , réunît à la fois & leurs amis
& les différens intérêts qui les divifent?....
C'eft fans doute le feul moyen de rame
ner la paix dans ces climats , & de l'af
feoir fur des fondemens durables.
TANCRED E.
Seigneur....fi l'on peut juger d'un autre
par foi-même , j'ai peine à croire que
ce projet puiffe être adopté par le Prince...
votre âge , votre prudence , le lui confeilleront
envain , fi fon coeur y répugne.....
Car enfin , qu'a -t- il donc à craindre ? fon
droit peut- il être plus clair ? n'eft- il pas für
de votre appui ? de l'affiftance de tous les
gens de bien ? .... le fils du trop infortuné ,
du
trop aimé Manfred , n'est - il pas fûr de
voir tous les Siciliens fe foulever en fa faveur
, & le ranger en un inftant fous fes
JANVIER. 1761. 37
drapeaux ?... Pour moi, Seigneur,je me dévoue
à fon fervice; toutmon fang eft à lui;
& c'est avec tranfport que je m'expofe à le
répandre pour maintenir fes droits , & le
vanger... Pardonnez à ma vivacité ! ... Mais
hâtez-vous de trouver ce Prince : le tems
eft précieux .... hâtez -vous de réveiller dans
fon ame Royale le fentiment de ce qu'il
eft, de tout ce qu'il doit être.... Peut- être ,
hélas ! que retiré dans quelque endroit
obfcur , il gémit fur fon fort , il eſt forcé
d'étouffer dans fon coeur les fentimens &
les vertus qu'il tient du noble Auteur de
fa naiſſance.
SIFFREDI.
Hélas ! Peut -être que penfant ( comme
on penſe communément à fon âge ) l'amour
& la frivolité l'occupent tout entier...
Mais fi le germe des vertus eft dans
fon coeur , j'efpére y faire éclore un autre
amour ; un amour fait pour rendre
heureux celui qui le reffent , & faire le
bonheur d'un peuple entier.
TANCREDE.
Ah Seigneur , quel foupçon ? ... Si ce
Prince aime , c'eft avec nobleffe , fans
doute ce fentiment fuffit pour élever
fon âme , & faire éclater fes vertus. .. ..
38 MERCURE DE FRANCE.
la
Permettez- moi de parler en faveur de la
jeuneffe... Ce qu'elle a d'eftimable , eſt
fouvent obfcurci par le tourbillon des
plaifirs qui la féduifent ; & c'est alors ,
qu'elle femble s'oublier elle-même.... ,
Mais dès qu'un événement , fait pour
réveiller , l'arrache à cette yvreffe : cette
ardeur même change bientôt d'objet ,
ajoûte la vigueur de quiconque en eſt
enflâmé , & par un changement heureux
, furprend , étonne , ramène à lui
les fuffrages de l'Univers ... Oui , je le
crois ainfi , Seigneur ! & je ne fçais par
quelle fympathie je jouis déjà de la gloire
dont va jouir ce Prince , lorfque revêtu
du pouvoir , feul objet d'un grand
coeur celui d'être bienfaiſant ( le feul
attrait digne de faire envier aux humains
les attributs de la Divinité ! ) quand je
erois le voir , dis-je , 's'applaudir du bonheur
d'être né pour ajoûter à la félicité
de fes femblables !
SIFFREDI.
Ah , cher Tancréde ! ah , que dans le
lointain , que dans la fpéculation , le
chemin de la gloire eft féduifant ! L'imagination
de la jeuneffe , le voit toujours
femé de fleurs ..... Mais , lorfqu'il faut
le parcourir ; lorfque nos paffions les plus
JANVIER. 1761. 39
>
chéries , la volupté , l'ambition & l'amour-
propre , fément , répandent fur nos
pas leur magique pouffière : hélas , que
cette perfpective s'obfcurcit ! que l'oeil
trompé la voit alors dans un jour différent
! .... Que de paffages difficiles fe
préfentent ! Que de montagnes efcarpées
s'élevent ! Que de torrents , dont il
faut détourner le cours ! .... De là , tous
nos travaux ; de là , cette férmeté néceſfaire
, ces combats toujours renaiffans
contre nous - mêmes contre nos fens
groffiers : combats , fouvent perdus , &
tous les jours renouvellés. De là , cette
généreufe pitié que l'on fent pour autrui
; de là , cette épreuve plus difficile
& plus pénible encore : notre félicité facrifiée
à l'intérêt des autres ; tous les facrifices
enfin faits pour éffrayer l'âme la
plus ferme , pour la diftraire , pour la
rebuter par degrés , lui faire enfin manquer
le but où tendoient fes defirs ....
Peu , mon enfant , fortent vainqueurs de
cette lutte ! Très peu franchiffent ces
obftacles , s'élèvent affez haut pour ref
pirer cet air plus pur , cet air céleste , qui
fans être jamais troublé , permet à l'oeil
tranquille d'apprécier les paffions , les
vices , & les foibleffes de l'humanité,
40 MERCURE DE FRANCE.
TANCREDE.
Je ne le fens que trop ! ... Mais d'ou
naît votre crainte ! Vous défieriez- vous
de ce Prince .... Je ne le connois point....
Mon coeur , pourtant , feroit garant du
fien la circonftance eft fi brillante ; le
vent céleste qui le pouffe à la gloire , eft
fi puiffant , & fi favorable pour lui , que
Pâme la plus infenfible fe fentiroit échauffée
du fentiment divin de la vertu,
SIFFREDI , avec transport.
Ombres de fes Ayeux ! Manes des Héros
de fa race , écoutez ce généreux
Prince ! .... Ah ! Seigneur , daignez me
pardonner cette épreuve de votre coeur...
Ceft vous ! c'eſt vous .... qui l'êtes !
TANCREDE.
Quoi , Siffrédi!
SIFFRED I.
Tancréde..... Oui , vous - même ! vous
que le Ciel a confervé pour faire le bonheur
d'un peuple entier ..... Vous , qui
ferez fon digne maître !
TANCREDE.
Qui moi , fils de Manfred ? moi le der
nier de ce fang glorieux qu'a fi longtems
admiré l'univers ?... moi ! qui ce matin
JANVIER. 1767.. 41
encore, n'étois qu'un orphelin abandonné
de fes parens, recueilli par vous feul .... par
vous , mon cher & fecond Pere ! ... C'eft
moi , que votre voix appelle à la gloire ?
au dernier grade où l'humanité puiffe
atteindre .... Accordez - moi , Divinité
qui m'entendez , accordez- moi les vertus
néceffaires pour foutenir le poids d'un
nom que tant de Héros ont porté ! ....
Je dois beaucoup au Roi , fans doute :
mais , Siffredi ! que ne vous dois - je
point .... Non ; oh , non ! je ne vous
exprimerai jamais, felon mes voeux , l'excès
de ma reconnoiffance ... , . Oui ! * vous le
fûres ; qui , vous l'êtes ; oui , vous ferez
toujours mon Pere ! Vous feul, éclairerez ;
vous feul, dirigerez ma jeuneffe : vous ſeul,
ferez la tête d'un Etat , dont je ferai le bras.
SIFFREDI
Ah ! c'eft affez pour moi , de voir mon
Souverain régner avec honneur.
TANCREDE.
Vous m'avez dit , je crois , que le feu
Roi vous a remis fon teftament ? j'ofe efpérer
qu'il ne renferme aucune de ces
conditions baffes , de ces claufes tyranni-
* Yes , thou haft been, thou art, and shal be my
father !
42 MERCURE DE FRANCE:
*
ques capables de faire violence à mon
coeur en faveur de Conftance? ... Il vous eſt
tantôt échappé , fur ce fujet , certain mot
qui m'allarme ? .... Ce coeur , qu'on prétendoit
gêner , eft poffédé tout entier par
un autre ....C'eft fur ce point uniquement
, cher Siffrédi , que je veux être
maître vous - même envain prétendriez
m'opppofer quelque obftacle .... Hâtonsnous
donc , Seigneur que le Confeil
s'affemble , dans l'inftant ; que le teſtament
y foit ouvert ; & que les ordres
foient donnés pour la convocation des
Etats , avant midi ..... Que les Barons ,
qui font actuellement à Palerme , y viennent
rendre hommage à leur nouveau
Souverain , qui reclame , & fçaura faire
refpecter fes droits : droits légitimes ,
droits facrés qu'il tient de fa naiſſance ,
indépendans enfin de tous les teftamens ,
& des vaines formalités dont on voudroit
en limiter l'ufage.
SIFFRED I.
J'y cours , Seigneur .... Mais qu'il me
foit permis de vous repréfenter encore....
que cet inftant , que ce premier & précieux
inftant , va décider de ce qu'on doit
attendre de votre regne ! ..... Veillez
Seigneur veillez fur votre coeur ! fongez
JANVIER. 1761.
que le devoir des Rois , eft d'immoler au
bien de leurs Sujets les paffions vulgaires
..... & même les vertus de l'homme
privé.
TANCREDE.
: Ne craignez rien , Seigneur , ... Je
fens que ces vertus , loin d'être étrangères
au Trône , ajoûtent encore à celles
du Souverain , & les font chérir davantage
.... La fageffe unie à la bonté , n'a
jamais produit de mauvais Rois.
C
SCENE V.
TANCREDE , ſeul .
'EST à moi , maintenant , charmante &
généreufe Sigifmonde ! C'est à Tancréde à
te prouver toute la vérité de fon amour ...
J'ofois à peine lever les yeux jufqu'à toi...
Quel plaifir d'avoir à t'apprendre , que
ton amant n'eft plus indigne de ta main !...
Mais , que peut ajoûter la fortune , aux
defirs d'un coeur fincérement épris ? Son
amour feul fuffit pour le remplir ; & les
tréfors des plus grands Rois font indifférens
à fes yeux... Hâtons- nous de la chercher
; hâtons - nous de goûter le plus fųż
44 MERCURE DE FRANCE.
blime des plaifirs que notre coeur puiffe
connoître le fentiment de la reconnoiffance
, joint à ceux qu'inſpire l'Amour...
J'entends du bruit ? .... Ah Ciel ! C'eft
elle- même....
SCENE V I.
TANCREDE. SIGISMONDE.
M
TANCREDE.
ON âme , avec tranfport , voloit vers
toi , ma chère Sigifmonde ! ...
SIGISMONDE.
Ah , cher Tancréde ! ... hâte- toi de
m'apprendre d'où naiffent ces dehors myftérieux
& concertés que j'apperçois dans
tout ce qui m'entoure ? ... Mon Père , à
l'inftant même , l'oeil fombre , l'air rêveur,
femble avoir évité ma rencontre ... Mais ,
vous même femblez ému ! ... Eh quoi ,
la mort du Roi vous touche- t- elle affez
pour altérer cette félicité fi pure , dont
nous avons jufqu'à préfent joui dans la
retraite de Belmont ? ... Parlez , parlez
de grace... Que dois-je craindre ou
que dois-je efpérer ?
JANVIER 1761; 45
TANCREDE.
Le bonheur le plus grand..... le plus
digne de Sigifmonde.
SIGISMONDE.
Hâtez- vous donc de me l'apprendre !
TANCREDE.
G
Digne objet de mes voeux ! ... Tout ce
myſtére annonce qu'un Trône vous attend
; & que je fuis le plus fortuné des
hommes plus que Monarque enfin ; puifque
c'est avec vous que je vais partager ce
rang fuprême..... Ce Manfred, fi renommé
; cette victime d'un Tyran ; ce brave
defcendant du fameux Roger.... Manfred,
étoit mon Pere..... ( après un moment de
filence ) Vous pâliffez , ma chère Sigif
monde ? Eh quoi , je vois couler vos larmes
? ... Ah! fouffrez que ma bouche les
effuye....
peut
SIGISMONDE.
O Tancréde! ... qui plus que moi ,
fe féliciter de votre fortune ?... je fuis
pourtant la feule ..., oui , la feule en ces
lieux , qu'elle peut rendre malheureuſe !
TANCREDE,
Ah dans ce cas , je la détefterois ; je la
tejetterois avec mépris..... Non ! mon
plus cher efpoir eft de la partager avec
Y
26 MERCURE DE FRANCE.
vous ..... C'est par là feulement , qu'elle eft
précieuſe à mes yeux.
SIGISMONDE.
Vous êtes , maintenant , mon Souvetain
!....
TANCREDE
Et vous la Souveraine de mon âme !...
Je vois plus que jamais en vous cette adorable
& tendre Sigifmonde ! Cette âme
noble & généreufe qui , dans l'état humiliant
où m'avoit réduit la fortune , n'a pas,
dédaigné ma tendreffe .... Eh quoi, croyezvous
feule avoir des droits fur la bonté
du coeur fur les fentimens magnanimes
?... Croirois- tu ton amant formé d'un ,
limon affez vil , pour que dans l'inftant
même , dans ce moment fuprême , fi propre
à féconder le germe de toutes les
vertus ; Ciel , me croirois- tu , dis- je ,
aſſez lâche , aſſez traître , affez dépourvu
'd'équité ,, pour préférer le vain encens
des Cours , la pompe & le clinquant de
la grandeur , à la naïve vérité , à l'amitié
tendre & fincère , à l'amour le plus
pur , feule ame de la vie ? ... Non ! Sigifmonde
, eft tout pour moi.... Et tu me
verrois plaindre , tu me verrois t'accufer
d'injuftice , fi l'outrage que tu me fais ne
naiffoit pas de l'amour même,
JANVIER. 1761 . 47
SIGISMONDE.
...
Ne croyez pas , Seigneur , que je m'abaiffe
à ces foupçons vulgaires : votre
coeur m'eſt connu . Je le croirai
toujours le même. Mais les Rois font-ils
maîtres de leur main? L'impérieux devoir,
qui les affujettit au bien de leurs Etats ,
qui leur fait époufer les intérêts de leurs
Sujets , femble leur inter dire les vertus
vulgaires Une Princeffe utile à l'affermiffement
de votre Trône .... Conftance
elle-même , peut- être ....
TANCREDE..
Ah ! gardez- vous de la nommer ..::
Dût mon coeur être libre ; dût il ne pas
brûler pour vous ; je n'entendrois fon nom
qu'avec horreur. Son lâche Père a maf
facré le mien ..... Que dis - je ? hélas !
héritiere de fon orgueil , elle ofe encore
prétendre au Trône ! ... Et vous pourriez
me foupçonner ? .... Infultante penſée ! ...
L'ufage , je le fçai , refpectable tyran des
hommes , eut toujours droit de dominer
fur les âmes ferviles. L'orgueil des Rois
s'en affranchit... Quoi ! parce qu'ils font
Rois , parce que le Ciel les a choifis pour
défendre les droits , pour protéger la liberté
des autres ; ils renonceroient à la
leur : Ils fe rendroient plus malheureux
8 MERCURE DE FRANCE.
que leurs Sujets? Non ; mon coeur eft né
libre il n'entendra que la voix de l'honneur
; il ne reconnoîtra , ne portera de
chaînes , que celles de l'Amour & de fa
chère Sigifmonde.
SIGISMONDE.
Prince n'élevez pas mes eſpérances
au- delà de mon devoir.... Seigneur , épar-
• gnez- moi ! ... Bois fortunés , où notre
flâme mutuelle fuffifoit à notre bonheur !...
L'ambition nous étoit inconnue ! .... Vous
voudrez l'étouffer en vain , mon cher
Tancréde la Cour & votre rang , fçauront
vous en faire un devoir.... J'en
crois à mes préffentimens fecrets ....Rien
ne fçauroit diffiper cette crainte.
TANCREDE.
Entends- moi donc , feule âme de ma
vie ! ... Soyez témoins , ô Cieux , fources
primitives & de l'Amour , & du bonheur
des hommes , foyez garants de mes
fermens ! ... Oui , je jure à tes pieds , que
l'Univers conjuré contre moi , que l'intérêt
, l'ambition , l'orgueil du Trône
Siffrédi même enfin , n'ébranleront jamais
ma foi! ... ne me détacheront jamais de
Sigifmonde!
On
JANVIER. 1761 . 49
On entend le fon des Trompettes , &
les acclamations du Peuple .
Mais , écoutez ? ... Ceci m'appelle à
mes devoirs ; & je vais les remplir....
Vous en ferez la récompenfe ! ... Avant
de nous quitter , je dois pourtant mieux
prévenir vos craintes ....
Il écrit fon nom , fur une feuille de papier.
Recevez ce papier .... Donnez - le à
votre Père. Ordonnez-lui , de la part de
fon Roi , qu'il foit dès aujourd'hui rempli
du contrât le plus autentique , entre
fa fille & moi.... Enfin je goûte.mon
bonheur ! ... Rien déformais ne peut me féparer
de ma fidelle & tendre Sigifmonde .
Fin du premier Acte.
BOUQUET
Préfenté à Madame DE LA POUPLINIERE
, par Mile CATINON.
DANS ces bofquets , où des Zéphirs
Regne toujours la douce haleine ,
Où l'Amour , pour prix d'une peine ,
Nous difpenfe mille plaiſirs ;
I. Vol. C
So MERCURE DE FRANCE.
Dans ces jar dins chéris de Flore ,
Où le chant des tendres oifeaux
Sans celle prévenant l'Aurore ,
Annonce les jours les plus beaux ,
Où les jafmins , avec les roles ,
Unis aux myrthes toujours verds ,
Forment de leurs beautés éclofes
Ces noeuds qui chaṛṇent l'Univers ;
J'allois , conduite par mon zéle
Moiffonner les naiffantes fleurs ;
Et pour votre fête nouvelle ,
Affortir leurs vives couleurs.
Déjà de ce riant afyle ,
Craignant le piége des Amours ,
Le coeur plus ardent que tranquille ,
Je parcourois tous les détours;
Ces heureux enfans du myſtère,
Sans carquois & fans javelors ,
Goûtoient alors un doux repos ,
Et du nom de la Poupliniere ,
Faifoient retentir les échos.
Le Roi de cet aimable Empire,
Lui-même animoit les tranfports ;
Mais du Dien des brillans accords
Il avoit dérobé la lyre.
A fes chants ils fe taiſent tous
Et m'approchant fans défiance :
J'écoute & j'admire , en filence ,
Ges vers qu'il leur dictoit pour vous
JANVIER. 1761 . St
Pourquoi vous empreſſer à naître ?,
Quel est votre orgueilleux deffein ?
» Pour régner für un fi beau ſein,
»Tendres fleurs , cherchez- vous à craitre
» Auprès d'un objet fi charmant ,
» Comment oferiez - vous paraître?
» Quandje vous l'aurai fait connaître,
» Vous aurez moins d'empreſſement.
» Devotre plus riche parure
» L'animai l'éclat de fon tein ,
n
·
Et fa beauté tient de ma main
Tous les tréſors de la Nature.
» De fon coeur tendre & généreur ,
» L'ornement eſt la modeſtie ;
>> Et de leurs dons les plus heureux ,
» Les arts formerent fon génie.
» On la reſpecte en l'adorant
» Ses vertus la rendent plus belle ;
» Avec un air plus conquérant ,
» Jamais on ne fut plus fidelle.
Ainfi l'Amour avoit chanté ,
Vos talens & votre beauté.
Tandis que la troupe ravie
Applaudit au chantre divin ;
De fes aîles m'étant ſaiſie ,
Je m'échappe & vole foudain
Pour vous apporter fon hommage.
Mais qu'ai- je fait en ce moment ?
Ce Dieu laiffe-t- il l'avantage
Oij
32 MERCURE DE FRANCE.
De le jouer
impunément ? Blond
Je pers le fruit de mon voyage.
な
Vainement , pour le prévenir
Mon adreffe ofa le trahir.
Si j'ai fui d'une aîle légére ,
mieux:
Je vois qu'il courut
encore
J'ai cru le laiffer à Cythère ;
Je le retrouve dans vos yeux
2013
BOUQUET
013 25. 7
**
A #
«
«
Préfenté à Mile CATINON, par une de
exfesaAmiessungene å se
medala l
NAISSEZ , AISSEZ , jaſmins , & de vos fleurs éclofes
Formez des noeuds entrelacés de rofes ;
Pour couronner l'objet le plus charmant ,
Accordez-vous à mon empreſſement.
C'est l'amitié qui vous invite à craître ;
Au tendre Amour vous obéiriez mieux :
Mais , quelqu'ardent qu'il paraiffé à nos yeux ,
A mes tranfports il céderoit peut- être .
Non que ce Dieu , par - tout victorieux ,
Chérille moins la Beauté que je fête ;
Pour elle épris d'un zéle ambitieux ,
Je vois déja les myrthes qu'il apprête.
Il vous doit trop , divine Carinon ,
Pour oublier un foin fi légitime.
Combien d'Amans fçauroient lui faire un crime
De négliger l'honneur d'an fi beau nom !
JANVIER. 176 . 53
De jour en jour vos talens , qu'on admire ,
Sur tous les coeurs augmentent fon empire.
D'un pas léger , rivale des Zéphirs ,
Quand on vous voit voltiger fur la Scène,
En excitant leur amoureufe haleine ,
Dans vos regards la flâme des plaifirs
Echauffe , anime , irrite les defirs ;
Et lorsqu'aux jeux de l'aimable Thalie,
Servant d'organe au tendre fentiment,
Au ton décent , à la noble faillie
Vous uniffez la grace & l'enjoûmenty AM
Ah ! la douceur de votre voix touchante ,
Trouveroit-elle une âme indifférente !
De votre coeur l'heureufe émotion
Des plus difcrers flatte la paffion ;
Et de vos traits l'amorce trop puiffante,
Triomphe encore après l'illufion .
Quels voeux pour vous me reftent-ils à faire,
Lorſqu'à l'envi tout s'empreſſe à vous plaire ?
Souffrez du moins que l'Amour aujourd'hui
Laille parler l'amitié comme lui.
OL
Ce fentiment , que la raifon préfére ,
Aux yeux du Sage eft le plus grand des biens.
Faffent les Dieux que chaque inftant refferre
Notre union par de nouveaux liens !
Peut -on douter qu'une fidelle samie
Ne foit d'un prix auſſi cher qu'an Amano ?
Libre avec vous de foin , dejaloufie ,
N'en fais-je pas l'épreuve en vous aimiante
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
A vous fêter , dans cet heureux moment ,
Mon coeur ravi goûte une joie extrême.
Parer de fleurs tant de charmes fi doux
Vaut de l'Amour le triomphe fuprême ;
Et le plaifir de les cueillir pour vous ,
Sçait en former un bouquet pour moi- même.
Ces deux Bouquetsfont de M. BRUNET.
ه ي ف
LA CORNÉ D'AMALTHEE ,
CONTE , traduit du Grec.
DEPUIS
1 .
EPUIS dix ans Eumene formoit des
voeux , & n'en étoit que plus à plaindre.
Il defiroit tout ce qu'il n'avoit pas , &
jouiffoit mal de ce qu'il avoit . Il fe croyoit
pauvre , & eût pu fe croire riche , s'il
n'eût pas voulu l'être encore davantage.
Fatigué de fes cris , Jupiter ordonne à
Mercure de lui porter la corne d'Amalthée
. Voici les conditions que TeMaître
des Dieux mit à cette faveur : Eumene
pourra tout obtenir mais il ne ferd exaucé
que dix fois. C'eft a lui à ne defirer
que ce qui peut le rendre heureux. Mercure
obéit : il defcend chez Eumene avec
toute l'arrogance d'un Valer qu'un Protecteur
dépêche vers fon Protégé. Mortel
1
JANVIER. 1761 . 55
indifcret , lui dit - il , quand cefferas- tu
d'importuner les Dieux ? Reçois ce gage
de leurs bienfaits , & fois content fi tu
peux l'être . Il lui détailla l'ufage qu'il
devoit & pouvoit faire de ce préfent. Eumene
voulut fe profterner , & déjà Mercure
avoit difparu.
3
né
› pour
ne
İl y avoit trop longtems qu'Eumene
s'ennuyoit de la médiocrité
pas vouloir tout - à- coup être grand. Il fit
plus , il voulut être Roi. Ses concitoyens
étoient occupés à s'en choifir un. Eumene,
qui dans cette affemblée n'avoit que fa
voix , les réunit toutes & fut élu . La nature
avoir beaucoup fait pour lui . Il étoit
d'une taille avantageufe , d'une figure
agréable & d'un efprit pénétrant . Il avoit
été fimple Particulier & s'étoit laffé de
P'être . Rien n'empêchoit qu'il ne pût devenir
un grand Roi. Les différens Ordres
de l'Etat vinrent le haranguer : c'étoit
dès-lors un des défagrémens attachés à
la Royauté. Il fupporta la prolixité des
uns , la pefanteur des autres ; il rougit
des éloges outrés qu'on lui prodiguoit
& fentit qu'ils devenoient pour lui autant
de leçons. La Faculté de Médecine
joignità fa harangue un confeil qui
n'avoit rien de rebutant pour le nouveau
Monarque ce fut d'époufer une ou plus
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
fieurs femmes jeunes & belles : ce qui·
feroit de plus un bien pour l'Etat.
On applaudit beaucoup à cette falubre
ordonnance , & Eumene prit le parti de
s'y conformer. C'étoit non à la plus noble
, mais à la plus belle de fes Sujettes.
qu'il vouloit donner la préférence . On
vit donc des Beautés de toute condition
groffir le concours , & la Grifette faire.
pâlir fa rivale titrée. Deux de ces concurrentes
partagérent les voeux d'Eumene ;
aucune ne put les fixer. Toutes deux
étoient égales en beauté ; mais l'une étoit
brune, l'autre blonde ; l'une vive , l'autre
douce , l'une gaie , l'autre trifte . On ſe
plaifoit avec la premiere , on s'attendriffoit
avec la feconde : on eût voulu ne
quitter ni l'une ni l'autre . Une pareille
incertitude eût peu gêné un Monarque
Oriental ; mais elle embaraffoit Eumene.
Quoique fur le Trône & fûr de triompher
, il prétendoit borner fes conquêtes
en amour ; il vouloit faire un choix & s'y
fixer. Dès- lors il fongea à ce qui ne fe
préfente jamais d'abord : à étudier l'âme
de celles dont il admiroit l'extérieur. La
brune Zirphé employoit tout pour lui
plaire , la blonde Nais fembloit craindre
d'y réuffir. L'une flattoit , l'autre piquoit
fon amour - propre. Voilà donc Eumene
JANVIER 1761.
1
plus incertain que jamais. Dans cet inf
tant même un jeune homme perce la
foule , & vient le corps chancelant &
les yeux égarés , fe précipiter aux genoux
du Monarque. Il les embraffe & le fupplie
de ne point lui ravir l'ingrate, la pers
hide Zirphe. Seigneur , pourfuivit le jeune
Inconnu , vous voyez en moi la victime
que s'immole fon inconftance & fon
ambition . Elle parut m'aimer tant que
j'eus quelque rivale à lui facrifier , elle,
me fit des rivaux, de tous mes amis ; elle
vouloit des captifs de tout rang, des
hommages de tout prix ; elle m'eût vu
avec plaifir livrer autant de combats
qu'elle s'attiroit d'adorateurs ou d'enne-,
mis. Cette bleffure qui me déguife , je la
reçus pour vouloir venger fa beauté qu'on
attaquoit ; & cette bleffure eft aujour
d'hui le prétexte de fa légéreté. Elle
tourne en ridicule cette marque de mon
zéle , de mon courage , & furtout d'un
amour que rien ne rebute. Zirphé refta
quelques momens interdite. Il eft vrai
Sire , dit- elle enfin , qu'une balafre a
pour moi quelque chofe d'infupportable :
un homme balafré me révolte, m'effraye,
me donne des vapeurs . Ah , Sire ! ordonnez
qu'il s'éloigne , ou les vapeurs vont
me fuffoquer ! Belle Zirphé , lui dit E
C v
8 MERCURE DE FRANCE..
છે .
mene , une balafre a plus d'une fois défiguré
le vifage d'un héros ; & les Rois
n'en font pas toujours exempts. Je puis
revenir d'une victoire , ou d'une défaite
,, encore plus balafré que ne l'eft
Votre amant ; & à coup fûr les vapeurs
vous fuffoqueroient. Je dois done choifir
une compagne plus aguerrie. Pour vous ,
dit-il au jeune homme , acceptez un rang
diftingué dans mes troupes , & combattez
pour l'Etat , comme vous fires pour
votre maîtreffe ; il en fera plus reconnoiffant.
Cette offre fut reçue avec joie ;)
& Zirphé s'éloigna avec confufion .
Eumene , qui n'avoit plus d'incertitude,
s'approcha de Naïs , & la vit à fes pieds.
Ah ! lui dit-il , quittez cette humble attirude
, elle n'eft point faite pour Naïs :
Jevez - vous , & régnez. Naïs ne lui répondit
que par des larmes. Que vois-je ?
dit Eumene ; eft- ce mon rang , ou ma
perfonne , qui vous répugnent ? Ah ! Sire,
s'écria-t elle , vous auriez tout mon coeur,
s'il étoit encore à donner. Il n'eft plus
temps : j'aime & je fuis aimée. Il a fallu
recourir à la violence pour me conduire
ici. Hélas ! peut - être mon Amant croit- il '
ma démarche volontaire ; & l'idée feulé
du chagrin qu'elle lui caufe m'accable.
Eh! quel eft- il cet Amant demanda le Roi,
JANVIER. 1761 . 59
fort chagrin lui - même. C'eft , reprit vivement
Naïs , un exemple d'honneur ,
d'infortune & de fidélité . Il m'a facrifié
tous les avantages ; il a réfifté aux offres
& aux menaces d'une rivale opulente ,
qui l'aimoit , & qui le perfécute . Rien
n'a pû l'arracher à moi : rien ne pourra me
féparer de lui.
:
Comme elle achevoit ces mots , fon
Amant fe fit voir parmi la foule. Il s'avança
d'un air noble & trifte vers le Roi.
Ce ne fut point pour reclamer fa générofité
: lui - même exhorta généreufement
Naïs à jouir du rang que lui méritoient
fes charmes. Je n'ai , difoit - il , que de
l'amour à vous offrir, & peut-être ne vous
paroîtra- t- il pas toujours digne de l'avoir
emporté fur un Trône ; peut-être regretterez
- vous la tendrelle d'un grand Roi.
Ce doute parut redoubler l'affliction de
Nais . Enfin , Eumene prit un parti , & ce
fut le plus généreux . Aimez - vous , leur
dit-il , je ne veux plus troubler votre
amour ; je veux même réparer les injuf
tices de la fortune. Je vous fais , dit il
au jeune homme , Gouverneur d'une Province
éloignée de ma Cour ; je vous permets
d'époufer Naïs dès aujourd'hui , &
qui plus eft , de l'emmener avec vous. A
cet excès de défintéreſſement , tout le peu-
C vj
o MERCURE DE FRANCE.
ple jetta des cris de joie & d'admiration .
Eumene en reffentit un plaifir fecret qui
le dédommagea en partie du facrifice qu'il
venoit de faire. Cependant , le courage
lui manqua pour tenter de nouvelles recherches
; & pour cette fois , l'ordonnance
de la Faculté refta fans exécution .
Eumene voulut juger s'il étoit plus riche
fur le Trône que dans fa retraite . Il vifita
fes tréfors , qu'il trouva épuifés ; il examina
les dettes de l'Etat , & elles lui paru
rent immenfes. Un Chymifte lui propofa
de métamorphofer la feuille Papirius en
or , ou du moins de la faire paroître telle.
L'offre fut acceptée & réuffit . Alors chacun
voulut profiter du prodige. La mode s'en
mêla ; il ne fut plus permis d'avoir d'au
tres richeffes ; ou plutôt , on avoit tout
avec la feuille Papirius .
L'opulence éclatoit de toutes parts.
Tel qui auparavant conduifoit le char
d'autrui , fe faifoit conduire à fon tour.
On ne manquoit de rien avec le fecours
de ces heureuſes feuilles ; honneurs , dignités
, emplois , maîtreffe , réputation ,
vertu même , elles procuroient tout ;
elles avoient en tout le même crédit , le
même pouvoir que l'or.
Eumene qui avoit confenti au preftige ,
regretta de le voir porter trop loin. Il
JANVIER. 1761 .
vouloit fauver fon État & non le renverfer.
Il rendit la feuille à fa premiere deftination..
Que faire ? difoit - il , mes intentions
étoient pures , je n'ai voulu que l'avantage
de ceux qui me blâment : j'ai crû, part
un léger abus , pouvoir éviter un plus,
grand mal. J'ai pris les meilleurs précau
tions pour qu'il en résultât un grand bien.
Suis- je donc refponfable des événemens
Ce fut- là le premier chagrin qu'éffuya le
nouveau Monarque.
Ce n'eft pas tout. Il avoit multiplié les
récompenfes en faveur des défenfeurs de
l'Etat ; mais le nombre des afpirans furpaffoit
celui des bienfaits , & les prétentions
d'un feul euffent abforbé le lot de
plufieurs. Eumene affligea ceux à qui il
donnoit , prefque autant que ceux à qui
il ne donnoit pas. La même chofe , & pis
encore , lui arriva de la part des auteurs.
Les plus mauvais furent les plus actifs ,
les mieux récompenfés , les plus ardens à
fe plaindre : les bons gardérent la retraite
& le filence. Ils n'avoient rien demandé
; ils ne fe plaignoient point de n'avoir
pas été prévenus. Il eft donc vrai , difoit
Eumene, qu'avec les meilleures intentions
un Roi peut paroître injufte?
Il donnoit aux affaires à - peu- près tout
62 MERCURE DE FRANCE.
fon temps ; il en confacra feulement la
douzième partie à fuir les hommes . C'étoit
un de fes plus grands plaifirs , depuis
qu'il avoit une cour. Un autre , qu'il
fe permit encore , fut de s'introduire fous
l'extérieur d'un fimple Particulier dans
quelques affemblées publiques. Il fréquentoit
furtout , ces lieux où l'on s'affemble
fans fe connoître , où l'on difpute pour
interrompre , plutôt que pour s'inftruire ,
où l'on parle fans pouvoir être entendu
ni fans vouloir entendre . Un homme d'un
âge plus que mûr , & d'un efprit plus que
chagrin , fut d'abord l'objet de fa curiofité.
Il n'eut pas de peine à lier converfation
avec lui. Cer homme parloit beaucoup,
& d'autant plus volontiers qu'il parloit
toujours mal d'autrui , & bien de luimême
. Je fuis , difoit-il au Monarque
déguifé , je fuis un ancien Militaire ; je
commandois , il y a trente ans , un bataillon
de Milices qui malheureufement
ne
vit pas l'Ennemi . Ce fut le plus grand
hazard du monde , & ma réputation n'y
doit rien perdre. J'avois parié que le Général
qui commandoit notre Armée
feroit battu. J'étois , moi , deftiné à figurer
dans une Ville frontiére qui , fans
doute , auroit dû être affiégée. Admirez
le malheur qui me pourfuit ! Notre Géné
T
JANVIER. 1762 . 63
rál demeura victorieux en dépit de toutes
les régles. Je remarquai , du fond de ma
Garniſon plus de cent foixante & dix fautes
qui euffent dû le faire battre mais
eft- ce la mienne , pourſuivit- il , fi la fortune
feconde quelquefois la témérité ?
Qu'arriva- t-il ? Ce Général imprudent ,
à tous égards , hâta la Paix , & je fus réformé.
Mais ce que la postérité ne croira
pas , & ce que je répété toutefois , chaque
jour, depuis trente ans , c'eft que je le fus
fans récompenſe !... Il ajouta à ce diſcours
quelques autres phrafes dont Eumene fut
peu fatisfait. Elles l'obligérent à quitter
ce frondeur chagrin , pour s'entretenir
avec un autre perfonnage.
Il tira Eumene à quartier. Il lui fir
voir un projet qui auroit pû abîmer l'Afie
& l'Europe. Croiriez -vous , lui dit- il , que
depuis dix ans j'ai préfenté trente Mémoires
encore plus forts que celui - ci ? Je
ne me fuis occupé que des moyens d'enrichir
le Monarque ; & cependant , ô injuſtice
je me trouve moi - même ruiné
fans reffource.
Eh quoi ! difoit intérieurement Eumene
, tous ces êtres inutiles ou dangereux ,
ont- ils, en effet , des prétentions ? S'il en
eft ainfi , que de plaintes je prévois , &
qu'il feroit injufte de les fatisfaire !
64 MERCURE DE FRANCE.
Alors parut un homme, qui , pour un
fervice affez médiocre , venoit d'obtenir
une récompenfe honnête. Il reçut d'un
air chagrin les complimens qu'on lui fit
& joignit même bientôt fes plaintes à
celles des autres.
Eumene fortit indigné de ce qu'il venoit
de voir & d'entendre. Il vifita d'au
tres affemblées particulieres & publiques ;
mais il y vit , il y entendit à- peu- près les
mêmes chofes. Prèfque par- tout ceux qui
n'avoient rien reçu de lui , murmuroient,
& ceux qu'il avoit comblés de bienfaits ,
gardoient un froid filence. Eumene fentit
enfin , qu'il arrivoit encore plus fouvent,
aux Rois de faire des ingrats , que de
l'être eux-mêmes.
Sa couronne lui parut chaque jour de-,
venir plus pefante. Il compara fon fort à
celui d'un efclave enchaîné au haut d'un
rocher , & qui verroit d'autres esclaves
enchaînés fous fes pieds.
Il prit enfin le parti d'abdiquer , & le
fit déclarer au peuple . Quelle furpriſe
pour Eumene de le voir tout-à- coup généralement
confterné ! Ceux qu'il avoit
prévenus par des bienfaits , daignoient
alors s'en fouvenir ; & ceux à qui il n'avoit
fait aucun bien , regrettoient celui
qu'il eût pû leur faire.
A
JANVIER. 1761 .
65
>
Tant de marques d'affection le féduifirent.
Il garda le feeptre ; mais il vit bientôt
renaître la froideur & les murmures .
C'en eft fait , dit - il , je renonce au triſte
avantage d'être envié fans être heureux .
Le fecond rang m'offre , & plus de tranquilité
, & des honneurs fuffifans pour fatisfaire
l'ambition. O Jupiter , voilà le fecond
de mes fouhaits !
CHAPITRE II.
E UMENE VOulut pour fucceffeur un Fan
tôme de Souverain. Il jetta les yeux fur le
Courtifan qu'il avoit le moins apperçu à
fon lever. Chacun crut qu'il faifoit choix
d'un Sage. Mais Eumene fçavoit que cette
Philofophie apparente n'étoit qu'une indolence
réelle.
Le nouveau Roi choifit volontiers pour
fon Miniftre celui qui l'avoit fait fon maître.
Il ne devint ni plus actif , ni plus appliqué.
Il dormoit tard , mangeoit beaucoup
, parloit peu & réfléchiffoit encore
moins. Il ſe laiffa donner , fans prèfque y
faire attention , des conſeils , des éloges
& une Maîtreffe.
Eumene , de fon côté , agiffoit encore
plus qu'il n'avoit fait fur le Trône . Il réformoit
d'anciens ufages , en créoit de
66 MERCURE DE FRANCE.
nouveaux , entroit dans les plus petits détails
, & avoit, toutefois , de grandes vues.
Il marqua une prudence extrême dans une
circonftance très- délicate .
La jeune Eglé vint folliciter une grace
en faveur de fon, époux. Il en étoit peu
digne , mais Eglé avoit tant d'attraits
qu'elle ne devoit rien demander envain.
Le Miniftre eut bientôt pris for parti. Ce
Poite , dit it, eft promis d'avance à Cine
thie . ( C'étoit la feule qui pût difputer des .
charmes avec Eglé ). A Cinthie ! s'écria
t-elle , je ne me confolerai jamais fi ellé
obtient ce qu'elle demande . Ah ! de grace,
refufez Cinthie , duffé -je moi- même ne
rich obtenir .
C'étoit où Eumene l'attendoit.Il n'héfita
qu'autant qu'il le falloit pour mieux faire
valoir fa complaifance. Il promit que Cin
thie feroit éconduite. Alors Eglé le quitta
plus fatisfaire , plus triomphante , que fr
F'emploi le plus brillant eût été accordé à
fon époux.
-Autre embarras pour Eumene : Cinthie
furvint à fon tour. Ses inftances furent
encore plus preffantes que celles d'Eglé.
Cinthie follicitoit pour fon amant. Vous
avez trop tardé , lui dit Eumene , d'un air
& d'un ton mortifiés , Eglé vient d'obteair
ce que vous euffiez emporté un peu
JANVIER. 17617 67
plutôt. Ce fut un coup de foudre pour
Cinthie. Les intérêts de l'amant difparurent
; elle ne vit plus que le triomphe
d'Eglé , & la honte de lui céder. Quoi
Eglé l'emporter fur moi ! & la Cour en
être témoin ! ... Ah , pourfuivit- elle, qu'Eglé
n'obtienne rien , & que tout me foit
refulé. Eumene n'eut pas de peine à lui
accorder cette grace . Il admiroit avec
quelle facilité il venoit de contenter
deux rivales , & il fe jugea dès- lors un
grand homme en fait de politique . Cependant
la place demandée reftoit vacante.
Le Miniftre la donna à certain Militaire
qui , n'ayant d'autre recommandation
que fon mérite , n'avoit pas même
cru devoir fe préfenter.
Une conduite auffi équitable , & furtout
des refforts à peu près auffi graves
& auffi heureux , maintinrent longtems la
paix parmi le Peuple & dans l'âme du
Miniftre.
Il arriva , cependant , ce qui arrivera
dans tous les tems & dans tous les lieux .
Eumene s'ennuya de fa place , & on fe
laffa de la lui voir occuper. Dès lors , il fe
hâta de formet fon troffiéme fouhait . Ce
fut de commander une armée nombreuſe,
68 MERCURE DE FRANCE.
CHAPITRE III.
C'ETOIT l'ufage parmi cette Nation
de tirer au fort la dignité de Général d'Armée
, comme un très- grand nombre d'autres.
On préfume bien que le fort fut favo
rable à Eumene. Il fentit une joie intérieure,
en voyant la plus redoutable partie de
la Nation obéir à fes moindres volontés.
Ce pofte lui parut mille fois plus flatteur
que celui d'un Souverain , obligé de fe
partager entre une infinité de foins oppo
fés. Un de ceux qui occupoient le plus
Eumene
, étoit que fes troupes ne fiffent
de mal qu'à l'ennemi , & ne défolaffent
point l'Allié qu'elles alloient défendre. II
ne fouffroit pas non plus , que ceux qui
avoient acquis le droit de nourrir fon
Armée , s'en ferviffent pour l'affamer.
Il étoit encore plus attentif à louer les
belles actions qu'à reprendre les fautes ;
il donnoit à ceux qui n'avoient été que
malheureux , l'occafion de réparer leurs
difgraces ; il fit , enfin , tout ce qu'il falloit
faire pour ne devoir lui - même les
fiennes qu'au hazard.
De grands fuccès furent le fruit de fes
bonnes difpofitions : il vainquit l'ennemi
JANVIER 1761."
69
a différentes reprifes , affiégea & prit fes
villes , & occupa la verve de tous les
Poctes fes compatriotes. Il vit fon nom
chanté dans dix Poëmes , vingt Odes &
foixante Sonnets . Il en fut d'abord flatté
à l'excès , s'y accoutuma & s'en ennuya
bientôt. Eumene éprouva ce qu'ont éprou
vé de très- grands hommes les fuccès ralentirent
fon activité. Il fut attaqué &
furpris durant la nuit par l'ennemi qu'il
avoit tant de fois vaincu. Il répara tout
par fa préſence d'efprit & de nouvelles
victoires : mais obligé dans cette occafion
de combattre en chemife , il ne put regar
gner quelques- uns de les vêtemens les plus
néceffaires , dont l'ennemi s'étoit emparé.
Eumene fit peu d'attention à cet accident ,
& revint dans la capitale pour y jouir de
fa gloire. Il fut furpris d'entendre une infinité
de bouches répéter des couplets relatifs
à cette burlefque avanture. Il efpéroit
, du moins , entendre réciter une partie
des Poëmes , des Odes & des Sonnets
compofés à fa louange. Il fe trompoit ;
perfonne ne les avoit lus , & toute la Nation
chantoit le Vaudeville .
Qu'est - ce donc que ma gloire , dit-il ,
fi un accident ridicule fait oublier des actions
que j'ai crues héroïques le Vaudeville
frappa tant de fois fes oreilles , qu'il
70 MERCURE DE FRANCE.
troubla toute la tranquillité de fon âme:
C'en eft fait , dit - il , je renonce à cette
carrière brillante , mais épineufe , mais
ingrate. Il eſt des routes plus paisibles
pour arriver au bonheur . Eumene ſouhaita
devenir Grand- Prêtre de Saturne.
CHAPITRE IV.
Ce quatriéme fouhait fut exaucé comme
les autres. Le Grand - Prêtre mourut
d'apoplexie , & Eumene obtint fa place.
On fit encore des couplets fur cette métamorphofe
, après quoi on oublia celui
qui en étoit l'objet . Il s'applaudit d'abord
des refpects que lui attiroit fa nouvelle
dignité . Le Monarque , lui - même , n'étoit
pas exempt d'y joindre les fiens , &
c'étoient ceux qu'Eumene recevoit le plus
volontiers. Du refte , il bornoir là fon
ambition , & trouvoit la thiare plus commode
& plus légére que le cafque & la
couronne ,
Il arriva qu'un Prêtre fubalterne lui
offrit le couteau facré de la main gauche.
On cria au Novateur. Le Prêtre refta
confus de fa méprife. On redoubla les
cris , & bientôt il ne rougit plus. Il fit
même un Livre pour défendre fon opiJANVIER.
1761, 71'
nion. Il y attaquoit fortement la prééminence
de la main droite fur la main
gauche ; de graves perfonnages la défendirent
, & on vit....
Nota. Il manque ici quelque chofe dans
le Manufcrit Grec.
Fatigué de toutes ces difcuffions , le
pacifique Eumene regretta d'y préfider.
Dès-lors , tout autre état lui parur préférable
au fien. Il n'étoit retenu que par
l'embarras du choix , & cet embarras ne
le retint pas même longtems. Il renonça
à ce qu'il étoit , fans bien fçavoir encore
ce qu'il vouloit être.
I
72 MERCURE DE FRANCE:
ON
CHAPITRE V.
N difoit qu'un homme qui s'étoit fi
bien jugé lui- même devoit préfider au Séhat
, & la voix publique détermina le cinquiéme
fouhait d'Eumene . Il fut élu avec
acclamation.LaNature l'avoit gratifié d'un
coeur droit , ami de l'ordre & de l'équité.
Il fe félicitoit d'être à portée de réprimer
une partie de ceux à qui ces qualités
manquoient ; de rendre à l'orphelin
opprimé ou pillé , le bien de fes pères ;
au mari trompé & fouvent battu , fa femme
; au pauvre , voilin du riche ou de
T'homme d'affaires , fa vigne & fon jardin
& c. Il avoit d'ailleurs tout le bon
fens néceffaire pour diftinguer le bon droit
àtravers une foule de loix qui l'enveloppent
; tout le courage fuffifant pour étudier
trois ou quatre mille Coutumes qui
fe contredifent , & environ dix mille
Commentateurs qui les embrouillent ;
enfin , il fe croyoit inacceffible aux recommandations
d'un Grand , & aux larmes
d'une belle Plaideufe . Il en faut fouvent
moins pour paroître grand Magiftrat.
Eumene fit cependant plus ; il cita à
fon
JANVIER. 1761 . 73
fon Tribunal tous les différens fuppôts de
Thémis . Il voulut être inftruit par euxmêmes
de leur conduite , fe réſervant le
droit de douter & de croire à propos.
L'Avocat parla le premier , & parla longtems.
Il arriva que fon difcours finit
fans qu'Eumene en eût rien retenu. Quels
font vos honoraires ? demanda - t-il au Jurifconfulte.
C'eft , répondit ce dernier
le nombre des fyllabes que je prononce
qui en décide ; & vous voyez que je ne
les prodigue pas. Je fuis le plus laconique
& le plus clair de nos Orateurs. On ne
peut rien perdre de ce que je dis , & je
dis le plus de chofes qu'il eft poffible en
matiére de procédures . Je le crois , reprit
Eumene , mais je vous avouerai que
j'ai perdu mon temps à vouloir les entendre
.
Il interrogea enfuite certain Procureur
à qui dix années avoient fuffi pour amaſſer
mille talens. Mon foin le plus ordinaire ,
répondit cet homme , eft de défendre la
veuve & l'orphelin , d'empêcher que leur
bien ne tombe dans de certaines mains....
On publie , interrompit le Juge , qu'il fort
très rarement des vôtres. Je n'en fuis ,
tout au plus , que l'économe , reprit le
Procureur ; j'en fais amplement part aux
Propriétaires ; je le fais valoir comme le
I. Vol.
D
74 .
MERCURE DE FRANCE
mien propre. Eumene apperçut alors derriere
celui qu'il interrogeoit un jeune
homme qui paroiffoit en dépendre. Il le
reconnut pour un des fils des plus riches
Citoyens de la capitale. Que vois - je , lui
dit-il , vous domeftique , & d'un tel maître
? Hélas ! répondit le jeune homme , je
fuis un des orphelins qu'il a défendus , &
dont il économiſe les biens ! Eumene apprit
que cet Econome bannal avoit une
fille affez belle pour faire oublier à celui
qu'elle épouferoit , tous les torts de fon
père. Il voulut que le Procureur acceptât
pour gendre celui qu'il ofoit traiter
en esclave . Il s'en défendit ; mais Eumene
le menaça de rayer les trois quarts du total
de tous fes mémoires de frais , & de le traiter
comme l'exigeroient les Parties qu'il
avoit le moins maltraitées . Cette menace
le rendit plus docile.
Eumene fit d'autres recherches ; il interrogea
des Huiffiers qui excelloient dans
l'art d'affigner une Partie fans qu'elle en
fçût rien , des Greffiers qui commentoient
les Oracles de Thémis , des Secrétaires qui
mettoient de faux poids dans fa balance ;
en un mot , toutes les troupes légéresde
la nombreuſe armée dont il étoit le chef.
Ces troupes , comme toutes celles de ce
genre , étoient encore plus pillardes que
JANVIER. 1761 . 75.
les troupes réglées . Eumene fe propofa
d'y jetter plus de difcipline. Il prit à ce
fujet les meilleures précautions , ne réuffit
point , & n'en eut que plus d'ennemis
. Grace au Ciel , difoit- il , je vais du
moins connoître tous ceux qui parmi
cette noire milice méritent ma confiance
& mon eftime . Il publia qu'il alloit quitter
fa place , & voulut juger du nombre
de fes fuppôts fidéles par celui des viſages
affligés. Il n'en vit que de fatisfaits.
On difoit hautement qu'Eumene feroit
un excellent Collégue de Minos & de
Rhadamante , mais que dans ce Monde ,
fon Tribunal étoit déplacé.
Il fut vivement follicité par deux Plaideufes
d'un âge , d'un extérieur & d'un
état fort oppofés. L'une étoit douairiére ,
avoit foixante ans , & avoit été laide
dès l'âge de quinze ; l'autre étoit pupile,
n'avoit que dix- huit ans , & promettoit
d'être encore belle à cinquante. Eumene
l'admira , l'aima , & fit des voeux pour
qu'elle eût raiſon. Malheureuſement elle
avoit tort. Eumene gémit , la condamna ,
la ruina , la plaignit. Je n'ai , lui dit-il ,
qu'un feul moyen de réparer ce malheur ,
& je vous l'offre. Daignez partager ma
tendreffe & ma fortune. L'une & l'autre
pourroient vous dédommager de la perte
Dij
76 MERCURE DE FRANCE
que vous venez de faire . La jeune Plai
deufe accepta l'offre , & ne pardonna
point à Eumene. Quoi , diſoit- elle à voix
baffe & à chaque inftant , une douairiere
antique l'emporter fur moi ? Quel Juge !
& que j'efpére bien l'en punir ! ... Elle eut
le plaifir de voir ce Juge fi rigide s'attendrir
de plus en plus , & preffer l'inſtant
de fon bonheur. Elle eut bientôt
une fatisfaction plus complette : ce fut
de voir un amant feptuagénaire & encore
plus contrefait qu'il n'étoit caduc ,
lui offrir fon hommage. Il eft charmant !
s'écria- t- elle , & tout fait pour me venger.
L'accueil fut favorable & les vifites
multipliées au point qu'Eumene s'en apperçut
& s'en plaignit. C'étoit ce qu'on
defiroit le plus. Ne vous en plaignez pas ,
lui dit fa jeune maîtreffe , je ne fais que
vous imiter. Vous fçavez que la jeuneſſe
ne l'emporte pas toujours fur la caducité.
Jouiffez du plaifir de condamner les
pupiles , & laiffez- moi celui de confoler
les vieillards . Eumene fe retira confus &
affligé. Il occupa encore quelque temps
fon Tribunal , jugea toujours avec équité
, déplut à beaucoup de Grands qu'il
condamnoit comme s'ils n'euffent été que
petits ; révolta encore quelques Belles ;
& fe laffa des fonctions de Juge comme
JANVIER. 1761 . .77
il avoit fait des autres. Heureux , difoiril
, qui dégagé du foin de gouverner , de
conduire , d'édifier , & de juger les hommes
, borne fes voeux à l'opulence & à
la tranquillité ! Je veux donc n'être rien ,
& être riche.
La fuite au Mercure prochain.
Le mot de la premiere Enigme du Mercure
de Décembre , eft , la Bourfe à che
veux. Celui de la feconde , eft la lettre
A. Celui du premier Logogryphe eft,
GRANGE . En fuivant la diffection telle
qu'elle eft indiquée , on y trouve Gange
, Ange, Ane, An , Gage . Celui du fecond
eft , FANATISME , dans lequel on
trouve Mine , Siam , Ane , Saint , Nain ,
Afa Roi de Juda , Sina ', Manès , Satan,
Mein , Aman , Afie , Main , Famine
Tanis , Matines , Sem , Satin , Fat.
E
ENIGM E.
2
Je n'ai qu'une voifine, en tout je lui reſſemble ,
Nous ferions fans valeur fi nous n'étions enſemble,
Son mérite eft le mien , notre fort eſt égal ,
Pour fe fervir de nous on nous met à cheval,
D iij
78 MERCURE DE FRANCE
Qui nous porte, a fouvent trois pieds fans être
alerte ,
Et recouvre dans nous la moitié d'une perte.
Quand ma pauvre voiſine & moi tombons à bas,
Son oeil , comme le mien , ſe reffent du faux pas.
AUTRE.
MARS, avant toi j'ai commandé l'Armée ;
Tu me dois tour , ta valeur , ton haut rang ;
Et fans ôter rien à ta renommée ,
Jamais fans moi tu ne verfas le fang.
Moi qui jamais ne parus dans la guerre ,
Je fais connoître aux Soldats les hazards.
Sans mon fecours , les Amours & les Arts
Ne feroient point en vogue fur la terre.
Il est bien des occafions ,
Où mon fecours eft inutile ;
Il eft bon dans les Baftions ,
Mais rejetté dans une Ville :
Exceptez -en pourtant Paris ;
Car fans moi Paris feroit pris.
LOGOGRYPHE.
A IRIS.
Iz fers à cultiver la terre ;
Six pieds forment mon tout. En me décompoſant,
ANVIER. 1761 . 79
J'offre celle qu'aima le Maître du tonnerre ,
Et dont Argus fut fait le furveillant .
J'offre encor , cher Lecteur , un feuve d'Italie ?
Une Nymphe au regret toujours affujettie ;
Un Pape ; un arbriſſeau ,
Dont le fruit quelquefois nous trouble le cerveau.
Je porte enfin le nom d'un objet dont les charmes
Les grâces , l'efprit , les talens
Sont à l'Amour de fûres armes ,
Pour fixer les coeurs inconftans .
AUTRE.
SUR ce Sphinx , cher Lecteur , fi guidé par la
gloire ,
Tu veux , nouvel Edipe , obtenir la victoire ;
Trouve un infinitif , dont la conſtruction
Offre le même mot que fon inverfion .
Par M. DE LANEVERE , ancien
Moufquetaire du Roi .
I.
AUTRE .
Left un oifeau de: renom ,
Dont fix lettres forment le nom.
Ce qu'on lit dans les trois premieres .
Se trouve dans les trois dernieres.
Par M. DESNOYERS , Marchand d'Estampes.
Div
8 MERCURE DE FRANCE.
PARODI E.
le
CHANSON fur l'Air de l'Ariette de la feconde
Sonate de M. de MONDONVILLE , pour
Clavecin & le Violon .
TENDRE Amour , fous ton Empire,
Si tu veux fixer nos coeurs ,
Prends les traits de ma Thémire
Et l'excès de mes ardeurs.
Je l'aime autant qu'elle eſt belle :
Elle eft plus belle qu'Hébé.
Pour voir & n'adorer qu'elle ,
Pirame eût quitté Thisbé :
Tendre Amour &c.
Mille attraits ornent fon âme ,
Je brûle de mille feux
A peine à toute ma flâme ,
Suffit mon coeur amoureux !
Dans les yeux ,
Sont les Cieux ,
Qui les peut voir eft heureux !
Tendre amouri &c.
Tendre amour sous
ton em-pire, Si tu
veuxfixernos coeurs,Prens les traits de ma The
Fin .
#w
-mireEt l'exces de mes ardeurs
Je
l'aime
+
autantqu'elle est belle:Elle estplus belle quHé
be:Pour voir et n'adorer qu'elle Pirame
+
พ
eut quitté Tisbé. Tendre amour.
Mille attraits ornent son ameje bru
= le de mille feux : Apeine à toute ma
a
flame Suffit mon coeur amoureux. Dans ses
yeux sont les Cieux,Qui lespeutvoir est heu
reux.Tendre amour sous ton empire,Si tu
veux ficer nos cans,Prens les traits de maThe
- mire,Et l'exces de mes ardeurs.
Gravé par Me Charpentie
Imprimé par Fournelle.
JANVIER. 1761 .
81
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
SUITE de l'Hiftoire de la Maifon de
STUART , fur le Trône d'Angleterre.
SECOND EXTRAIT.
ON a vû dans , le premier Extrait , le
commencement des brouilleries de Charles
I, avec le Parlement d'Angleterre . Ce
Prince eft obligé de quitter fa Capitale ;
la guerre civile eft allumée ; & les fuccès
du Monarque contre fes Sujets rebelles , ne
peuvent dompter la rebellion . Un nouvel
appui vient la fortifier ; c'eft le fameux
Cromwel , qui fut un des plus grands &
des plus finguliers perfonnages , que l'Hif
toire ait jamais célébrés .
Olivier Cromwel étoit né à Huntingdon,
d'une très -bonne & très - ancienne famille.
Comme fils d'un fecond frere , il n'hérita
que
d'un bien médiocre que fes déréglemens
eurent bientôt diffipé. L'efprit
de réforme le faifit tout d'un coup. Il fe
maria, & affecta une conduite grave &
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
compofée. La même ardeur de tempérament
qui l'avoit porté à l'excès du plaifir
, diftingua fes pratiques religieuſes ;
& les dépenfes de l'hofpitalité jointes à
fes libéralités pour le parti puritain qu'il
avoit embraffé , ne lui furent pas moins
onéreufes que fes anciennes débauches . Le
défordre de fes affaires le mit dans la
néceffité de prendre une ferme , & de
faire pendant quelques années fon occupation
de l'agriculture : mais les longues
prieres qu'il récitoit le matin à fa
famille , & qu'il recommençoit l'aprèsmidi
, employoient la plus grande partie
de fon temps & de celui de fes domeſtiques
, & lui en laiffoient peu pour les affaires
temporelles. Il lâchoit la bride à
fon imagination fur tout ce qu'on nomme
illuminations , vifions , révélations . Preffé
doublement & par fa dévotion & par
fes befoins , il s'étoit déterminé à paſſer
dans la nouvelle Angleterre , devenue
alors la retraite des plus zélés puritains ;
mais malheureufement quelques obftacles
s'oppoférent à ce deffein. Le hazard
& l'intrigue le firent choifir député pour
la ville de Cambridge. Les apparences
n'annonçoient dans fa perfonne aucun
talent propre à le diftinguer. Sa figure
étoit peu gracieuſe ; fon habillement mal
JANVIER. 1761 .
83
propre ; fa voix difcordante ; fon langage
plat , ennuyeux ,
obfcur , embarraffé.
L'ardeur de fon efprit le portoit à parler
fouvent dans les affemblées ; mais il s'attiroit
peu d'attention . Pendant plus de
deux ans , fon nom ne fe trouve que deux
fois dans les Comités . Jamais il ne fut
compté entre les Orateurs de la Chambre
baffe. Ambden , fon ami , paroît avoir
été le feul qui eût reconnu la profondeur
de fon génie il avoit prédit que s'il s'élevoit
une guerre civile , le député de
Cambridge poufferoit fort loin fa fortune
& fa réputation . Cromwel femble avoir
connu lui-même en quoi conſiſtoit fa
principale force ; & par ce motif, autant
que par l'indomptable furie de fon zéle ,
il fe joignit toujours au parti qui portoit
tout à l'extrémité contre le Roi . Il n'avoit
pas moins de quarante trois ans ,
lorfqu'il embraffa la profeffion militaire ;
par la feule force de fon génie , fans
expérience & fans maître il devint
bientôt un excellent Officier , quoique
peut-être il ne fe foit jamais élevé à la
réputation d'un Général confommé . Il
leva une troupe de Cavalerie ; il fixa fes
quartiers dans Cambridge , & traita forc
févérement cette Univerfité , qui marquoit
beaucoup d'attachement pour le
&
-}
Dvj
S MERCURE DE FRANCE.
parti royal. En un mot , il fe fit connoitre
pour un homme qui ne vouloit garder
aucun ménagement , pour faire valoir
la caufe qu'il avoit embraffée . Il dit
nettement à fes foldats , que s'il rencontroit
le Roi dans une bataille ,il feroit
auffi difpofé à lui brûler la tête d'un
coup de pistoler , qu'à tout autre. Sa
troupe fut bientôt affez nombreuſe pour
former un Régiment. Il y fit régner d'abord
cette difcipline & cet efprit , qui
rendirent enfin les armées du Parlement
victorieufes. Il s'attachoit à les remplir
de
gens libres , & furtout des plus zélés
Fanatiques. Leur enthoufiafme étoit vivement
excité par celui de leur Chef. Il
prêchoit , il prioit , il combattoit ; il !
fçavoit récompenfer & punir. La fureur
du Fanatifme augmentoit fans ceffe avec
la valeur & la difcipline ; & tout le monde
avoit les yeux attachés fur un Chef fi
pieux & fi fortuné. Du commandement
inférieur , il s'éleva rapidement au premier
, quoiqu'en apparence il ne tînt que
le fecond rang dans l'armée. Enfuite la
fraude & la violence le rendirent bientôt
la premiere perfonne de l'Etat. Ses talens
femblérent toujours fe développer
dans la même proportion que fon autorité.
Tous les jours il déployoit quelques
JANVIER. 1761 . * 5
nouvelles facultés qui avoient été comme
endormies , jufqu'au moment même
où le befoin les mettoit en action.
"
ور
Tel étoit le caractére de cet homme
fingulier ; dont les traits font auffi
» diftincts , auffi fortement marqués que
» fes vues & fes plans de conduite étoient
» obfcurs & impénétrables. Sa vafte capa-
» cité lui fit former des projets de la plus
grande étendue ; fon génie entreprenant
ne fut point effrayé des plus hardis & des
plus dangereux. Son naturel le portoit à
» la grandeur , & lui dictoit une impé-
» rieufe & maîtrifante politique ; mais il
» trouvoit dans le même fond , quand il
» étoit néceffaire , l'art d'employer la plus
profonde diffimulation, les rufes les plus
» obliques & les plus rafinées , fous l'appa-
» rence d'une parfaite fimplicité , & de la
99
"
ود
plus grande modération . Ami de la
» juftice ; quoique fa conduite en fût une
» violation continuelle ; dévoué à la Re-
» ligion , quoiqu'il la fit perpétuellement
» fervir d'inftrument à fon ambition ; fes
» crimes prirent leur fource dans la perf
» pective du pouvoir fuprême ; & le bon
ufage qu'il fit de cette autorité à laquelle
il parvint par la fraude & la violence
, a diminué l'horreur de fes atten-
» tats , ou l'a confondue avec l'admira-
و د
86 MERCURE DE FRANCE.
» tion pour fes fuccès & pour fon gé-
» nie. »
Charles entreprit d'abord de gagner
Cromwel , qui parut écouter les offres :
mais le Monarque ne tarda pas à s'appercevoir
, qu'il ne pouvoit trop fe défier de
ce Sujet révolté. Ce Prince s'étoit réfugié
dans l'Ile de Wight , dont le Gouverneur
étoit l'ami de Cromwel. Il y eft
fait prifonnier ; & dès cet inftant , Cromwel
léve le mafque , & demande au Parlement
la punition de fon Souverain ,
pour tout le fang répandu pendant la
guerre. Les deux Chambres s'opposent à
ces vues illégitimes & fanguinaires ; mais
les Chambres font elles - mêmes difperfées
par les ordres. Enfin rien n'arrête plus
ce furieux , & le procès du Roi eft réfolu .
Il fut ordonné qu'on ne lui préfenteroit
plus d'Adreffes , qu'on ne recevroit plus
ni lettres , ni meffage de lui ; & que ceux
qui entretiendroient avec lui quelque
communication , fans l'aveu des deux
Chambres du Parlement , fe rendroient
coupables de haute trahifon. De l'Ile de
Wight , Charles fut transféré au Château
de Hurft , où on le refferra plus étroitetement.
Il étoit perfuadé que le terme de
fa vie approchoit ; mais tous les préparatifs
qu'il voyoit faire , & les informations
JANVIER. 1761 . 87
qu'il recevoit , ne pouvoient lui perfuader
que l'intention de fes ennemis fût
réellement de finir cette fcène par un procès
folemnel , & par une exécution pu
blique. Il s'attendoit à l'affaffinat : c'étoit
par cette catastrophe , fi commune aux
Princes détrônés , qu'il comptoit être délivré
de la vie. On lui avoit ôté toutes
les marques extérieures de fouveraineté ;
& fes domeftiques avoient ordre de le
fervir fans cérémonie. Il parut choqué
d'abord de quelques traits durs & familiers
, auxquels il étoit fi peu accoutumé.
Rien de plus abject qu'un Roi méprisé : ce
fut la réflexion qui lui échappa.
Toutes les circonftances du procès
étoient arrangées , & la Haute Cour de
Juftice entiérement établie. Elle confiftoit
en 133 perfonnes , nommées par la Chambre
des Communes ; mais il ne s'en trouva
jamais plus de 70 aux affemblées : tant on
eut de peine à faire entrer des gens de
quelque nom , ou d'un certain caractére ,
dans cette criminelle entrepriſe. Le Solliciteur
, au nom des Communes , expofa
que Charles Stuart ayant été admis au
Trône d'Angleterre , & la Nation lui
ayant confié un pouvoir limité ; dans la
coupable vue néanmoins d'ériger un pouvoir
tyrannique , il avoit traîtreufement
88 MERCURE DE FRANCE.
& malignement fait la guerre contre le
Parlement & contre le peuple que l'affemblée
repréſentoit ; & que par cette
raifon , il étoit accufé , en qualité de tyran
, de traître , de meurtrier , d'ennemi
public & implacable de la Nation . Après
cette expofition , le Préfident s'adreffant
au Roi , lui demanda fa réponſe. Le Roi,
quoiqu'affoibli par une longue prifon , &
dans la fituation actuelle d'un coupable ,
foutint la majefté d'un Monarque. Il déclara
avec beaucoup de modération & de
dignité , que ne reconnoiffant point l'autorité
de la Cour , il ne pouvoit fe foumettre
à fa jurifdiction. La conduite de
ce Prince , dans ce dernier période de ſa
vie , fait beaucoup d'honneur à fa mé
moire ; & chaque fois qu'il parut devant
fes Juges , il n'oublia rien de ce qu'il devoit
à fa qualité d'homme & de Roi .
Ferme , intrépide , il fçut conferver dans
fes réponſes , autant de clarté que de jufteffe
. Son âme , fans affectation , fans effort
, fembla demeurer dans une fituation
qui lui étoit familiére , & méprifer,
comme au-deffous d'elle , tous les éfforts
de la malignité & de l'injuftice humaine.
Quelques Soldats eurent l'ordre ou la
permiffion
de fatisfaire toute leur brutále
infolence , & lui crachérent au viſage
JANVIER . 1761 :
89
dans le paffage qui conduifoit à la Cour.
Ce barbare outrage n'eut d'autre effet
fur lui , que de lui faire produire un
mouvement de pitié. Le Peuple ne put
s'empêcher de faire éclater , par les plus
ardentes priéres , des voeux pour fa délivrance
; & dans cet excès d'infortune ,
il le reconnut pour fon Monarque. Les
fentimens du Roi furent adoucis par une
Icène fi touchante. L'unique grace qu'il
obtint de fes ennemis , fut un intervalle
de trois jours , entre fa Sentence & fon
exécution . Il paffa ce temps dans une
grande tranquillité d'âme , occupé furtout
de lectures & d'exercices de piété.
Ce qui reftoit de fa famille en Angleter
re , eut un libre accès près de lui . Elle
confiftoit dans la Princeffe Elizabeth &
le Duc de Glocefter. La Princeffe , dans
un âge fort tendre , marquoit un jugement
très-avancé. Son malheureux Père
la chargea de dire à la Reine , que pendant
tout le cours de fa vie , il n'avoit
jamais manqué , même en idée , de fidélité
pour elle ; & que fa tendreffe conjugale
auroit la même durée que fa vie . Il
prit enfuite le jeune Prince à fes genoux:
Mon fils , lui dit- il , ils vont couper la
» tête à ton père . Cet enfant , frappé
d'une image fi nouvelle , le regarda fixe88
MERCURE DE FRANCE.
& malignement fait la guerre contre le
Parlement & contre le peuple que l'affemblée
repréfentoit ; & que par cette
raifon , il étoit accufé , en qualité de tyran
, de traître , de meurtrier , d'ennemi
public & implacable de la Nation . Après
cette expofition , le Préfident s'adreffant
au Roi , lui demanda fa réponſe. Le Roi,
quoiqu'affoibli par une longue prifon , &
dans la fituation actuelle d'un coupable ,
foutint la majefté d'un Monarque. Il déclara
avec beaucoup de modération & de
dignité , que ne reconnoiffant point l'au
torité de la Cour , il ne pouvoit fe foumettre
à fa jurifdiction. La conduite de
ce Prince , dans ce dernier période de fa
vie , fait beaucoup d'honneur à fa mémoire
; & chaque fois qu'il parut devant
fes Juges , il n'oublia rien de ce qu'il devoit
à fa qualité d'homme & de Roi.
Ferme , intrépide , il fçut conferver dans
fes réponſes , autant de clarté que de jufteffe.
Son âme , fans affectation , fans effort
, fembla demeurer dans une fituation
qui lui étoit familiéte , & mépriſer,
comme au- deffous d'elle , tous les efforts
de la malignité & de l'injuftice humaine.
Quelques Soldats eurent l'ordre ou la permiffion
de fatisfaire toute leur brutale
infolence , & lui crachérent au vifage
JANVIER. 1761 . 89
dans le paffage qui conduifoit à la Cour.
Ce barbare outrage n'eut d'autre effet
fur lui , que de lui faire produire un
mouvement de pitié. Le Peuple ne put
s'empêcher de faire éclater , par les plus
ardentes prières , des voeux pour fa délivrance
; & dans cet excès d'infortune ,
il le reconnut pour fon Monarque. Les
fentimens du Roi furent adoucis par une
Icène fi touchante. L'unique grace qu'il
obtint de fes ennemis , fut un intervalle
de trois jours , entre fa Sentence & fon
exécutión. El paffa ce temps dans une
grande tranquillité d'âme , occupé furtout
de lectures & d'exercices de piété.
Ce qui reftoit de fa famille en Angleter
re , eut un libre accès près de lui . Elle
confiftoit dans la Princeffe Elizabeth &
le Duc de Glocefter. La Princeffe , dans
un âge fort tendre , marquoit un jugement
très-avancé. Son malheureux Père
la chargea de dire à la Reine , que pendant
tout le cours de fa vie , il n'avoit
jamais manqué , même en idée , de fidélité
pour elle ; & que fa tendreffe conjugale
auroit la même durée que fa vie. Il
prit enfuite le jeune Prince à fes genoux :
la
Mon fils , lui dit-il , ils vont couper
» tête à ton père . Cet enfant , frappé
d'une image fi nouvelle , le regarda fixe
88 MERCURE DE FRANCE
& malignement fait la guerre contre le
Parlement & contre le peuple que l'affemblée
repréfentoit ; & que par cette
raifon , il étoit accufé , en qualité de tyran
, de traître , de meurtrier , d'ennemi
public & implacable de la Nation . Après
cette expofition , le Préfident s'adreſſant
au Roi , lui demanda ſa réponſe. Le Roi ,
quoiqu'affoibli par une longue prifon , &
dans la fituation actuelle d'un coupable ,
foutint la majeſté d'un Monarque . Il déclara
avec beaucoup de modération & de
dignité , que ne reconnoiffant point l'au- -
torité de la Cour , il ne pouvoit fe foumettre
à fa jurifdiction . La conduite de
ce Prince , dans ce dernier période de fa
vie , fait beaucoup d'honneur à fa mé
moire ; & chaque fois qu'il parut devant
fes Juges , il n'oublia rien de ce qu'il devoit
à fa qualité d'homme & de Roi .
Ferme , intrépide , il fçut conferver dans
fes réponſes , autant de clarté que de jufteffe.
Son âme , fans affectation , fans effort
, fembla demeurer dans une fituation
qui lui étoit familiére , & mépriſer,
comme au- deffous d'elle , tous les éfforts.
de la malignité & de l'injuftice humaine.
Quelques Soldats eurent l'ordre ou la permiffion
de fatisfaire toute leur brutále
infolence , & lui crachérent au visage
JANVIER. 1761 . 89
dans le paffage qui conduifoit à la Cour.
Ce barbare outrage n'eut d'autre effet
fur lui , que de lui faire produire un
mouvement de pitié. Le Peuple ne put
s'empêcher de faire éclater , par les plus
ardentes prières , des voeux pour fa délivrance
; & dans cet excès d'infortune ,
il le reconnut pour fon Monarque. Les
fentimens du Roi furent adoucis par une
fcène fi touchante. L'unique grace qu'il
obtint de fes ennemis , fut un intervalle
de trois jours , entre fa Sentence & fon
exécutión. Il paffa ce temps dans une
grande tranquillité d'âme , occupé furtout
de lectures & d'exercices de piété.
Ce qui reftoit de fa famille en Angleter
re , eut un libre accès près de lui . Elle
confiftoit dans la Princeffe Elizabeth &
le Duc de Glocefter. La Princeffe , dans
un âge fort tendre , marquoit un jugement
très avancé. Son malheureux Père
ja chargea de dire à la Reine , que pendant
tout le cours de fa vie , il n'avoit
jamais manqué , même en idée , de fidélité
pour elle ; & que fa tendreffe conjugale
auroit la même durée que fa vie. Il
prit enfuite le jeune Prince à fes genoux :
Mon fils , lui dit-il , ils vont couper la
» tête à ton père. Cet enfant , frappé
d'une image fi nouvelle , le regarda fixe90
MERCURE DE FRANCE.
"
ment , & le Roi continua : » Fais-y bien
» attention , mon fils ; ils vont me cou
» per la tête , & peut- être te feront - ils
» Roi ; mais prends garde à ce que j'a-
» joûte tu ne dois pas être Roi auffi
» longtemps que tes freres Charles &
» Jacques feront en vie. Ils couperont
la tête à tes freres , lorfqu'ils pour
» ront mettre la main fur eux ; & peut-
» être qu'à la fin ils te la couperont
auffi . Je te charge donc de ne pas fouf-
»frir qu'ils te faffent Roi. L'enfant
pouffa un foupir , & répondit : » Je me
laifferai plutôt déchirer en piéces. »
Une réponſe fi ferme àcet âge , pénétra
Charles , & remplit fes yeux de larmes de
joie & d'admiration.Toutes les nuits de cer
intervalle , fon fommeil fut auffi profond
qu'il l'étoit ordinairemenr , quoique le
bruit des ouvriers qui dreffoient l'échaf
faut , & qui faifoient d'autres préparatifs
pour fon exécution , retentît continuellement
à fes oreilles. Le matin du
jour fatal , il fe leva de bonne heure ;
& faifant appeller un des domeftiques
qu'on lui avoit laiffés , il lui recommanda
d'apporter plus de foin à fa parure ,
qu'il n'en fouffroit ordinairement. Je
veux me préparer , lui dit- il , pour une
fi grande & fi joyeufe folemnité.
JANVIER. 1761 . 91
La rue qui borde le Palais de Whitehall,
avoit été choisie pour l'exécution ; & le
motif de ce choix étoit de faire éclater
plus fortement , à la vue de fon propre
Palais , le triomphe de la juftice populaire
fur la Majefté Royale. Lorfque Charles fut
fur l'échaffaut , les Soldats qui l'environnoient
formerent une haie fi épaiffe , qu'il
ne put efpérer de fe faire entendre au
Peuple. Ainfi fes derniers difcours ne furent
adreffés qu'à peu de perfonnes qui
fe trouvoient près de lui. Quoique fans
reproches à l'égard de fon Peuple , il reconnut
la juftice de fon exécution aux
yeux de fon Créateur ; & fe rappellanr
une injufte Sentence à laquelle il ne s'étoit
pas oppofé , il obferva qu'elle étoit punie
fur lui-même , par une Sentence qui n'étoit
pas moins injufte. Il pardonna , fans
exception , à tous fes ennemis , & même
aux principaux inftrumens de fa mort ;
mais il les exhorta , eux & toute la Nation ,
à rentrer dans les voies de la Paix , en rendant
à fon fils & fon Succeffeur , l'obéiffance
qu'ils devoient à leur Souverain
légitime. D'un feul coup fa tête fut féparée
du corps. Un homme mafqué fit l'office
d'exécuteur. Un autre , fous le même déguiſement
, prit la tête ruiffelante de ſang,
la tint levée aux yeux des Spectateurs
32 MERCURE DE FRANCE .
& cria d'une voix forte : Cette tête eft celle
d'un traître.
Il eft impoffible de repréfenter la douleur
, l'étonnement & l'indignation de
la Nation entiere , auffitôt que la nouvelle
de cette fatale éxécution y fut répandue.
Jamais Monarque ne fut plus cher à fon
Peuple , que ce malheureux Prince l'étoit
devenu au fien , par fes infortunes. On
raconte que plufieurs femmes enceintes fe
délivrérent de leur fruit avant terme ;
d'autres furent faifies de convulfions ;
d'autres tombérent dans une mélancolie
qui les accompagna jufqu'au tombeau.
Le caractére de Charles , comme
celui de la plupart des hommes, fi l'on
»ne doit pas dire de tous les hommes
étoit un caractére mêlé ; mais fes vertus
l'emportoient extrêmement fur fes
» vices , ou plus proprement fur fſes im-
» perfections ; car parmi toutes les fau-
» tes , à peine en pourroit-on nommer
une qui méritât juftement le nom de
» vice. Pour l'envifager dans le point de
» vue le plus favorable , on peut affûrer
» que fa dignité étoit fans orgueil , fa
» douceur fans foibleffe , fa bravoure fans
» témérité , fa tempérance fans auſtérité,
"fon économie fans avarice . Pour lui
» rendre une juftice févére , on peut afJANVIER
1761 - 93
"
fürer auffi que plufieurs de fes bonnes
qualités étoient accompagnées de quel-
» que défaut , qui fans être fort grave
» en apparence , étoit néanmoins capa-
» ble , lorfqu'il fe trouvoit comme envepar
la malignité extrême de fa
» fortune , de leur faire perdre toute la
» force naturelle de leur influence. Son
» nimé
inclination bienfaifante étoit obfcur-
» cie , en quelque forte , par des maniè-
» res peu gracieuſes. Sa piété avoit une
» teinture de fuperftition. Son jugement
» naturel perdoit beaucoup , par la dé-
»férence qu'il avoit pour des perfonnes
» d'une capacité inférieure à la fenne ;
& fa modération ne le garantifoit pas
toujours des réfolutions brufques &
précipitées. Il mérite l'épithète de bon,
plutôt que celle de grand homme ; &
» fes qualités , telles qu'elles étoient , le
» rendoient plus propre à régner dans
» un Etat régulièrement établi , qu'à cé-
» der aux emportemens d'une affemblée
»
30
"
populaire , ou qu'à les réprimer . La
» foupleffe & l'habileté lui manquoient
» pour l'un , & la vigueur pour l'autre.
La diffolution de la Monarchie ſuivit de
près la mort du Monarque . La Chambre
des Communes déclara que celle des Pairs
étant inutile & dangereufe , elle devoit
94
MERCURE
DE
FRANCE.
être entiérement abolie .Toutes les formes
des affaires publiques furent changées , &
prirent au lieu du nom duRoi, celui deGardien
des libertés d'Angleterre. On déclara
coupables de haute trahifon , ceux qui reconnoîtroient
autrement pour leur Roi ,
Charles Stuart, connufous le nom de Prince
de Galles. L'intention des Communes
étoit de mettre la Princeffe Elifabeth en
apprentiſſage chez un marchand Boutonnier
; & le Duc de Glocefter devoit être
élevé auffi dans quelqu'autre profeſſion
méchanique : mais la Princeffe mourut
bientôt ; & Cromwel fit paffer la mer au
jeune Duc. La Statue du Roi, qu'on voyoit
au Change royal, fut renversée, & cette infcription
mife fur le pied- d'eftal : Le Tyran
a difparu : o'eft le dernier de nos Rois.
Cromwel n'avoit plus qu'un pas à faire
pour fe rendre abfolu ; c'étoit de caffer le
Parlement. Il convoqua une affemblée générale
des Officiers militaires; & dès le premier
moment, il les trouva difpofés à recevoir
toutes les impreffions. La plupart
étoient fes créatures ; ils lui avoient dû
leur avancement , & n'avoient de fond à
faire que fur lui , pour l'avancement de
leur fortune . Il fe fit
accompagner au Parlement
par trois cens foldats ; il en plaça
quelques- uns à la porte , d'autres fous le
JANVIER. 1761.
portique, & d'autres fur les degrés . Il entrá
dans l'affemblée , y demeura quelque tems
allis
pour entendre les débats ; puis fe levant
tout d'un coup , il chargea le Parlement
des plus fanglantes accufations. Il
lui reprocha fa tyrannie , fon ambition ,
fes oppreffions & fes vols publics . Enfuite
, frappant du pied , fignal auquel il
avoit ordonné aux Soldats d'entrer. » Fi ,
fi,, dit-il au Parlement ; par honte re-
» tirez-vous ; faites place à de plus hon-
" nêtes gens , qui feront plus fidéles à
» leur devoir. Vous n'êtes plus un Parle-
» ment ; m'entendez-vous ? Je vous dé-
» clare que vous n'êtes plus un Parle-
» ment. Le Seigneur vous a rejettés . Il
a choifi d'autres inftrumens pour ache-
» ver fon ouvrage. » Le Chevalier Vane
» fe récriant contre un procédé fi fingulier
, il l'interrompit d'une voix plus forte
: » O Chevalier Vane , Chevalier Va-
» ne ! Ciel délivrez- moi du Chevalier
» Vane. » Il prit un autre Membre par
l'habit . Tu es , lui dit- il , un Coureur
» de Filles . A un autre : Tu es un adulté-
» re. A un troifiéme . Tu es un ivrogne
» & un gourmand : toi un voleur , dit - il
à un quatrième. Il donne ordre au premier
Soldat de prendre la maffe. » Que
» faites- vous de ce colifichet ? Qu'on l'ôte
Α
6 MERCURE DE FRANCE
" d'ici. Et s'adreffant à la Chambre :
» C'est vous , reprit - il , qui m'y avez
» forcé. J'ai conjuré nuit & jour le Ciel
» de m'ôter la vie plutôt que de me char-
» ger de cette opération. » Il fit vuider
la chambre par fes Soldats ; & fortant
lui - même le dernier , il ordonna que la
porte fût fermée , & fe retira dans fon
logement de Whitehall.
Cromwel forma un nouveau Parlement,
compofé d'artifans du bas ordre , de perfonnages
de la lie du peuple , tous fanatiques
& illuminés . On propofa , dans un
Confeil militaire , d'adopter un autre fyf
tême de gouvernement , & de tempérer
la liberté d'une République, par l'autorité
d'une feule perfonne , à qui l'on accorderoit
le titre de PROTECTEUR. Cromwel
fut élevé à cette dignité , & folemnellement
inftallé dans ce grand office. On
dreffa le plan de cette nouvelle légiflature
; & elle reçut l'approbation du Confeil.
Il y avoit quatre ans que le Protecteur
occupoit cette place , lorfqu'on lui
offrit la couronne & le titre de Roi. Il
demanda du tems pour y réfléchir , & il
n'accepta ni l'un ni l'autre , dans la crainte
d'éprouver le même fort que Charles I:
tant il avoit infpiré aux troupes d'horreur
pour la royauté! L'Auteur nous repréfente
Cromwel
JANVIER. 1761) 97
Cromwel fur la fin de fa vie , fans ceffe
agité , non de remords , mais de foupçons
& de terreurs . La mort qu'il avoit bravée
tant de fois au milieu des combats , étoit
continuellement préfente à fon imagination
éffrayée , & l'obfédoit dans fes plus
laborieufes occupations , comme dans fes
momens de repos. Il obfervoit d'un oeil
inquiet & perçant , tous les vifages qui
ne lui étoient pas familiers. Jamais il ne
faifoit un pas , fans être efcorté d'une
bonne garde. Il portoit une cuiraffe fous
fes habits ; & il n'étoit jamais fans une
épée , un poignard & des piftolets. On ne
le voyoit revenir d'aucun lieu par le chemin
droit , ou par celui qu'il avoit pris
en fortant. Dans tous les voyages , il
marchoit avec la glus grande précipitation
; rarement il dormoit plus de trois
nuits dans la même chambre , & jamais
il ne faifoit connoître d'avance celle qu'il
avoit choifie . It fe défioit de celles qui
étoient fans dégagement & fans porte de
derriere ; & fon premier foin , étoit d'y
placer des fentinelles. La fociété l'épouvantoit
, lorfqu'il faifoit réflexion à la
multitude de fes ennemis ; la folitude l'étonnoit
, en lui ôtant cette protection
qu'il croyoit néceffaire à fa fûreté . La
contagion d'une âme inquiete affecta bien-
I. Voli E
98 MERCURE DE FRANCE!
tôt le corps ; & fa fanté parut fenfiblement
décliner . Il fut faifi d'une fiévre lente
qui lui fit appréhender pour fa vie. Il
appella un de les Prédicateurs , & lui demanda
fi la doctrine qui enfeignoit qu'un
élu ne pouvoit jamais tomber , ou deve
nir fujet à la réprobation finale , étoit
vraie. Rien de plus certain , répondit
» le Miniftre. Je fuis donc fans crainte ,
» dit Cromwel , car je fuis fûr d'avoir été
" autrefois en état de grace. » Les Médecins
déclarérent que le Protecteur ne
pouvoit furvivre au premier accès dont
il étoit menacé . Le Confeil s'en allarma
& lui fit une députation ,, pour favoir fes
volontés fur le choix de fon fucceffeur ;
mais fes fens étoient déjà fi affoiblis ,
qu'il ne put exprimer fes intentions. On
lui demanda s'il ne fouhaitoit pas que
ce fût Richard , l'aîné de fes fils , qui lui
fuccédât au Gouvernement. On n'en tira .
qu'une fimple affirmative , ou les apparences.
Peu de temps après il expira le
3 Septembre , dans la cinquante- neuviéme
année de fon âge,
t
>
P
Le Confeil reconnut la fucceffion de
Richard qui fentant fon , incapacité ,
donna peu de temps après , fa demiffion ,
Après le rétabliffement de la Famille
Royale , quoiqu'on ne penfat point à le
JANVIER. 1761 . 99
chagriner , il jugea que la prudence l'obligeoit
de s'abfenter pour quelques années
; & dans fon voyage à Pezenas en
Languedoc , il fut introduit , fous un
nom emprunté , chez le Prince de Conti ,
Gouverneur de cette Province. La converfation
tourna fur les révolutions d'Angleterre
; & le Prince témoigna de l'admiration
pour le courage & l'habileté de
Cromwel. A l'égard de l'imbécille Ri-
» chard , continua- t-il , qu'eft il devenu ?
» Comment peut- il avoir été affez bête ,
» pour ne pas tirer plus d'avantages des
» crimes & de la fortune de fon pere a
Une vie fimple & paifible fit parvenir
Richard à la derniere vieilleffe . Il ne
mourut que vers la fin du régne de la
Reine Anne.
Le rappel de Charles II au Trône d'Angleterre
, fon mariage , les événemens de
fon régne , la punition des régicides, plufieurs
confpirations découvertes , la mort
& le caractére de ce Monarque , le couronnement
de fon frere , Jacques II ,
fes brouilleries avec l'Eglife Anglicane ,
la conduite , les projets & l'invafion du
Prince d'Orange , la fuite du Roi , & c ,
font les événemens qui occupent le troifiéme
Tome de cette Hiftoire , dont nous
ne tarderons à rendre compte
. pas
E ij
536310
100 MERCURE DE FRANCE.
SUITE DE LA SCIENCE DU GOUVERNEMENT
, par M. DE REAL .
APREs avoir donné le Diſcours Préliminaire
de cet ouvrage , nous voudrions.
pouvoir fuivre M. de Réal dans la belle
idée qu'il donne de la Science du Gouvernement
, de la formation des Sociétés ,
de l'objet des Loix & de la Politique.
» De la connoiffance des Loix & de la
Politique , fe forme la Science du Gou-
» vernement : pour en perfectionner la
» connoiffance des matiéres , & pour les
» réduire en un feul Corps de Science ;
l'ordre le plus naturel ( dit M. de Real,
" P. 36. 37. 38. 39. & 40 du premier volume
imprimé ) m'a paru être de divifer
l'Ouvrage en fept Parties , dont
» chacune compofe un volume , & eft
» fubdiviféé en Chapitres & en Sections.
» Annoncer un Ouvrage dogmatique de
fept volumes , c'eft fans doute annon-
» cer un Ouvrage bien long ; mais ne
puis-je pas , avec plus de fondement
» encore , employer la raifon dont l'O-
" rateur Romain fe fervit en écrivant
"9
fur l'un des Sujets que j'ai traités ? Si
JANVIER. 1761. IOJ
l'on meſure , ( difoit - il ) mon difcours
à la grandeur de mon entrepriſe , peut- «
être le trouvera- t-on trop court. *
ss
48
63
"
Dans le premier Volume , qui doit «
fervir d'Introduction à tous les autres ,
j'explique , en remontant jufqu'à la «
naifance des fiécles , comme de ces "
premieres Sociétés humaines que l'a- «
mour conjugal & la paternité ont for- -
mées , font forties ces Sociétés plus
nombreufes qu'on appelle civiles ; quel
a été l'origine des Arts , & quels pro- «
grès ils ont fait. J'expofe les plans des «
anciens Légiflateurs , & les formes des «
anciens Gouvernemens, dont je marque «
& les avantages & les défauts. J'entre
dans un grand détail au fujet des nou- «
velles Conſtitutions d'Etat qui fe trou- «
vent dans les quatre Parties du Mon- «
de. Je rapporte furtout les moeurs , les «
Loix tant fondamentales que civiles , la «
force ou la foibleffe des Nations de «
norre Europe. Enfin , après avoir mon- «
tré quelle eft actuellement la fituation «
politique de cette partie de la Tèrre qui
femble être un Monde ſéparé & différent «
des trois autres , je traite la queftion de «
*
s
Qua fi longa fuerit Oratio cum magnitudine
comparetur , ita fortaffis etiam brevior videbitur.
Cic. Of
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
»la meilleure forme de Gouvernement :
queſtion toujours mal agitée & toujours
» mal entendue. Le premier Volume con-
» tient l'hiftoire , & eft comme le tableau
» de tout le Monde politique. Il renferme
» des connoiffances préliminaires impor-
» tantes en elles mêmes , & néceffaires à
l'intelligence des Volumes qui fuivent.
»
"
Le fecond traite du Droit naturel .J'en
montre l'ufage pour les Souverains com-
»me pour les Sujets. J'en explique les
»grandes maximes , ces maximes qui élé-
» vent l'homme à Dieu , qui fixent l'at-
» tention de l'homme fur lui - même, & qui
» du culte divin & de l'amour propre bien
réglé , fait paffer l'homme à l'exercice
» des devoirs de la Société . Ce Droit na-
» turel dont je traite ici , tige des autres
22.
droits , reparoît aflez fouvent dans les Vo-
-lumes qui fuivent , où des raiſonnemens
qui ont un rapport tout particulier à ces
" autres Volumes , le ramène néceffaire-
» ment.
»
Lé troifiéme , du Droit Public. Je dif-
» cute d'abord ce qui a rapport au Gou-
» vernement économique . Je confidére en-
» fuite la Souveraineté par rapport à fon
» origine , à fes objets , à ſes caractéres , à
» les modifications , à fes effets. J'établis
»les divers pouvoirs qui la conftituent, les
و ر
"
JANVIER. 1761. 103
diverfes manières de l'acquérir & de la
perdre , les différens ordres de fucceffion
, les droits des Charges , les fonc- "
tions des Compagnies , la Police Militaire
, les Loix fondamentales des Etats ,
les droits & les devoirs refpectifs des "
Souverains & des Sujets , tous les grands "
principes de Gouvernement.
св
Le quatrième , du Droit Eccléfiaftique. «
Il n'a point été queftion de faire ici un «
Traité général de ce Droit , pour expli «
quer la conduite qui doit être tenue , & "
les motifs de décision qui peuvent être «
fuivis dans les affaires particulières de fa «
dépendance. La partie que j'ai traitée & «
approfondie , c'eft celle qui a rapport "
aux Princes , aux Miniftres & aux Magiftrats
, pour l'ufage qu'ils doivent faire , «
à cet égard , du pouvoir fouverain ; les
uns , parce qu'ils en font revêtus ; les au- «
tres , parce qu'ils en font les dépofitaires. «
Je me borne à la police intérieure & «
générale de l'Eglife , police dont le foin «
entre dans le corps des matiéres de Gou- «
vernement , comme la partie dans fon «
tout. J'ai dit de la difcipline Eccléfiafti- »
que tout ce que j'ai cru néceffaire d'en «
connoître pour l'adminiſtration civile . «
Ce quatrième Volume difcute tous les rap- «
ports du droit Eccléfiaftique au Gouver- "
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
nement , fon autorité , fon étendue , &
fes bornes ; les droits de la puiffance
» temporelle fur l'exercice extérieur de l'autorité
Eccléfiaftique , la part que les Princes
doivent prendre au Gouvernement ,
la difcipline , à la police de l'Eglife , les
» libertés & les ufages de tous les Pays
» Catholiques.
"
و ر
à
Le cinquième , du Droit des gens. J'y
explique l'origine , les différens ufages ,
» & les régles des Ambaffades ; les priviléges
des Miniftres publics , des Nations ,
»le Droit & les Loix de la guerre , les
principes des Traités , les queſtions qui
ont rapport à ces différens objets , & les
Maximes qui doivent être obfervées de
» peuple à peuple , ou entre les particuliers
qui vivent dans les différens Pays ,
& qui font , les uns envers les autres ,
» dans un état d'égalité naturelle.
»
Le fixième , de la Politique , ainfi pro-
» prement nommé. Ici , je marque les fo-
»lides principes & les vraies maximes d'u-
» ne faine Politique. J'en montre le légiti-
»me ufage. Je préfente fes préceptes dans
» leur étendue , non feulement par rapport
» au dedans de l'État , mais par rapport au
» dehors. Je développe les intérêts refpec-
»tifs des diverfes Nations de l'Europe . Il
paroît difficile , mais il n'a pas été im
JANVIER. 1761. 105
poffible de donner une liaiſon , & une «
fuite à cette multitude d'axiômes , de rai- «
fonnemens, & de faits , qui doivent nécef- «
fairement entrer dans la compofition d'un «e
traité particulier de Politique , propre à «
conduire les Princes & les hommes d'E- «
tat dans les routes de ce labyrinthe.
Le dernier Volume contient l'examen »
des principaux ouvrages compofés fur les «
matieres de Gouvernement. On apper- «
çoit d'abord quel en pourra être le fruit. “
Il fera connoître les Livres politiques ,
fixera l'idée qu'on doit avoir de ces Livres ,
& aidera les hommes d'Etat , & ceux qui
afpirent à le devenir , à confulter quand
ils le fouhaiteront les divers ouvrages , à «
en faire un jufte difcernement , & à puifer
dans les meilleures fources . »
M. l'Abbé de Burle Réal de Curban ༡
qui a toujours eu la confiance de M. de
Réal fon oncle , dépofitaire de tous les
ouvrages ,& à qui nous fommes redevables
du premier , du fecond & du fixiéme Volume
, donnera toute la fuite.
C4
Ev
r06 MERCURE DE FRANCE
LETTRE de M. DE VOLTAIRE , à M.
DUVERGER DE S. ETIENNE , Gentilhomme
du ROI DE POLOGNE
Auteur de l'Epitre fur la. Comédie de
L'EcoSSOISE , inférée dans le fecond
volume du Mercure d'Octobre..
Tour malade que je fuis , Monfieur ,
je fuis très- honteux de ne répondre qu'en.
profe & fi tard à vos très-jolis vers . Je félicite
le Roi de Pologne d'avoir auprès
de lui un Gentilhomme qui penſe comme
vous. Il ferait bien difficile qu'on
penfât autrement à la Cour d'un Prince
qui penfe fi bien lui- même , & qui a fait
renaître dans la Partie du Monde qu'il
gouverne, les beaux jours du Siécle d'Au
gufte , l'amour des arts & des vertus .
Lorfque j'ai demandé , Monfieur , votre
adreffe à Madame la Marquife des
Ayvelles , à qui je dois fans doute vos
fentimens , je me flattais de vous faire
de plus longs remercîmens . Ma mauvaiſe
fanté ne me permet pas une plus longue
lettre ; mais elle ne dérobe rien aux fentimens
d'eftime & de reconnaiffance
Monfieur , de votre très-humble & trèsobéiffant
Serviteur , VOLTAIRE
JANVIER. 1761 . 107
ODE , & LETTRES à M. DE VOLTAIRE ,
en faveur de la Famille du GRAND CORNEILLE
, par M. le Brun , Secrétaire de
S. A. S. Mgr le Prince de Conti . in- 8 °.
1760. A Genève ; & fe trouvent à Paris ,
chez Duchefne , rue S. Jacques , au Temple
du Goût.
Les bornes qui nous font prefcrites , &
l'abondance des matières , ne nous permettant
pas de rendre compte auffi complettement
que nous le defirerions , d'un
Ouvrage qui fait également honneur au
coeur & à l'efprit de M. le Brun ; nous
réſervons l'Extrait de l'Ode pour le Mercure
prochain ; & le Public , en attendant
, applaudira fans doute aux Lettres
qu'elle a occafionnées.
LETTRE de M. LE BRUN à M.
DE VOLTAIRE.
JE faifis avec tranfport , Monfieur , l'oc- Ε
cafion de vous écrire & de joindre deux
noms qui me font bien chers , le vôtre &
celui de Corneille , en vous engageant à
rendre quelque fervice à la famille de ce
grand homme. Puiffé je vous rappeller en
E- vj
08 MERCURE DE FRANCE.
même tems le fouvenir d'une amitié dont
vous accueillîtes prèfque mon enfance !
Je me dis fouvent avec douleur , avec
tranfport , Virgilium vidi tantùm. Pourquoi
, Monfieur , me fûtes- vous enlevé
alors ? Dans quelle nuit profonde , dans
quel vafte défert avez- vous laiffé notre Littérature
! Car vous m'avouerez que c'est
une grande folitude que la foule des Sots .
Que de chenilles profanent le facré val-
Jon ! que de Bufes y font la guerre aux
cygnes harmonieux ! Que de ferpens y
viennent fiffler pour en défendre l'abord
au génie !
Le Neveu de Corneille , pour qui l'on s'intéreſſe
dans cet Ouvrage , eft l'unique & dernier héritier
de ce grand Nom . Il mérite de le porter , parce
qu'il en connoît tout le prix . Il a réparé par la
nobleffe de fes fentimens , l'éducation qu'il n'a pu
recevoir. On fçait qu'au temps de la fucceffion de
M. de Fontenelle , il lui fut offert une fomme d'argent
pour le défiſter de ſes droits & même de fon
nom. M. de Corneille, quoique pauvre & fans reffource
, la refufa fans balancer: refus fublime dans
les crifes de la mifère.Il répondit encore,quand on
le menaça de la perte de fon procès , qu'au moins
il gagneroit le nom de Corneille. L'éclat qui fuit
une indigence foutenue avec tant de dignité , &
l'intérêt que M. de Voltaire & tous les vrais Citoyens
prennent au defcendant d'un Grand-
Homme , vont faire bien rougir ceux qui ne
refpectant pas l'infortune d'un Corneille , en ont
triomphe honteufement , & ne lui préſentojent
qu'un vifage d'airain.
JANVIER. 1761.
TOO
Le dédain que j'ai pour cette populace
d'Auteurs mauvais ou médiocres , mon
goût inflexible pour les feuls grands modéles
, ma vénération pour tout ce qui
porte l'empreinte du génie , me rappro
chent naturellement de vous , Monfieur ;
& fans l'intervalle qui nous fépare , &
fans les liens qui m'attachent à la perfonne
d'un grand Prince , c'eft auprès de
vous que j'irois puifer cette critique généreufe
, que l'amour des arts éclaire, que
n'empoiſonne jamais l'envie , telle enfin
que Racine l'exigeoit de Boileau. J'irois
puifer à leur fource ces fentimens de bienfaiſance
qui m'engagent eux-mêmes à les
reclamer pour la famille de Corneille .
C'eſt au génie fans doute à protéger une
Race illuftrée par le génie. A ce titre , je
ne vois que Monfieur de Voltaire en Europe
de qui un homme du nom de Corneille
puiffe , fans s'avilir , attendre les
bienfaits. Ces éloges que vous avez tant
de fois prodigués à fa mémoire , & que la
Patrie entiere lui doit , me répondent de
ce que vous ferez pour un de ſes neveux.
L'idée que m'infpire ce nom divin eft fi
haute , que felon moi il n'y a point même
de Rois qui ne s'honoraffent beaucoup
de prodiguer des fecours en fa faveur.Vous
feul , Monfieur , agirez en égal avec ce
grand homme.
110 MERCURE DE FRANCE.
Eh ! quel autre que vous a toujours fair
éclater en faveur du génie une ivreſſe
plus noble , une admiration plus éclairée
La gloire eft votre élément. Qu'il
eft flatteur pour vous de joindre à cette
fublimité de l'efprit la tendre bienfaifance
d'un coeur qui s'épanche dans tous vos
ouvrages , & qui vous à rendu le Peintre
de l'Humanité.
Voilà , Monfieur , s'il étoit poffible
d'être au-deffus de Corneille même & de
Racine , voilà ce qui donneroit le premier
rang à vos ouvrages ; parce qu'ils
infpirent aux hommes un fentiment plus
utile à la Société que ceux d'une ftérile
admiration. Voilà ce qui m'a fait naître
le defir de rendre à Corneille un hommage
qui retombe fur vous-même.
Le Public va juger , en voyant cette
Ode imprimée, que vous feul étiez digne
en effet de fecourir le defcendant d'un
grand homme , dont vous êtes devenu le
rival. Combien votre coeur doit s'applau
dir de la certitude qu'on a de vos bienfaits
, & d'en avoir fait fentir le charme
à tous ceux qui vous ont lû ! Votre ſtyle
devient fi affectueux , fi enchanteur quand
cet objet l'anime , qu'il eft aifé de voir
combien votre âme refpire les fentimens
que vous tracez.
1
1
JANVIER. 1761 . ITE
>
Laiffez , laiffez à vos ennemis l'horrible
fatisfaction de calomnier votre coeur ,
& de croire que votre plume écriroit fans
fon aveu. Ceux qui vraiment éclairés fçavent
que jamais l'efprit n'enfante rien de
fublime s'il n'eft infpiré par le coeur, vous
rendent , comme moi , la justice la plus
entiere & la plus méritée . Les droits d'un
Corneille à vos bienfaits font inconteftables
; les voici : fes malheurs , fon nom
& le vôtre. Je fuis &c .
REPONSE de M. DE VOLTAIRE à M.
LE BRUN , Secrétaire des Commande
mens de S. A. S. M. LE PRINCE DE
CONTI.
Au Château de Ferney , pays de Gex , par Geneve.
E vous ferais , Monfieur , attendre ma
réponse quatre mois au moins , fi je prétendais
la faire en auffi beaux vers que les
vôtres. Il faut me borner à vous dire , en
profe, combien j'aime votre Ode & votre
propofition. Il convient affez qu'un vieux.
foldat du grand Corneille tâche d'être
utile à la petite fille de fon Général..
Quand on bâtit des Châteaux & des Eglifes.
,, & qu'on a des parens pauvres à foutenir
, il ne refte guères de quoi faire ce
-
112 MERCURE DE FRANCE.
qu'on voudrait pour une perfonne qui
ne doit être fecourue que par les plus
Grands du Royaume .
Je fuis vieux , j'ai une niéce qui aime
tous les arts & qui réuffit dans quelquesuns
; fi la perfonne dont vous me parlez,
& que vous connaiſſez fans doute , voulait
accepter auprès de ma niece l'éduca--
tion la plus honnête , elle en aurait foin
comme de fa fille : je chercherais à luifervir
de père . Le fien n'aurait abſolu->
ment rien à dépenfer pour elle . On lui
payerait fon voyage jufqu'à Lyon. Elle
feroit adreffée à Lyon à Monfieur Tronchin
, qui lui fournirait une voiture jufqu'à
mon Château , ou bien une femme
irait la prendre dans mon équipage. Si
cela convient , je fuis à fes ordres , & j'ef
pere avoir à vous remercier jufqu'au dernier
jour de ma vie de m'avoir procuré
l'honneur de faire ce que devait faire M.
de Fontenelle. Une partie de l'éducation
de cette Demoiſelle ferait de nous voir
jouer quelquefois les Piéces de fon grandpère
, & nous lui ferions broder les ſujets
de Cinna & du Cid.
J'ai l'honneur d'être , avec toute l'eftime
& tous les fentimens que je vous dois ,
Monfieur votre très - humble & trèsobéiffant
ferviteur , VOLTAIRE.
,
JANVIER. 1761. 178
SECONDE LETTRE de M. Le Brux.
Je n'accepte , Monfieur , les éloges flarteurs
que vous donnez à mes vers , que
pour les rendre à la nobleffe de votre procédé
; voilà ce qui mérite uniquement
d'être loué. Vous goûtez ce bonheur fi
méconnu , fi pur de faire des heureux. Je
m'attendois à votre réponſe : elle n'étonnera
que l'Envie . J'ai couru la lire à Mademoiſelle
Corneille ; elle en a verfé des
larmes de joie : elle vous appelle déjà fon
bienfaiteur & fon pere. Elle promet à vos
bontés , à celles de Madame votre niéce ,
une éternelle reconnoiffance , & je n'ai
point de termes pour vous exprimer celle
d'une Famille que vous foulagez.
Pour moi je m'eſtime trop heureux d'avoir
pu fervir à la fois & votre gloire &
le nom de Corneille. Vous l'appellez modeftement
vorre Général , mais il vous
eût dit :
De pareils Lieutenans , n'ont de Chefs qu'en idée,
Sertorius
Vous avez fait , Monfieur , ce que Fontenelle
n'a point fait , & ce que peut - être il
n'a point dû faire, parce que le Bel - Eſprit
114 MERCURE DE FRANCE.
écarte de la nature , & que le Génie en
rapproche ; vous avez fait plus que les
Grands & les Rois , ces illuftres Ingrats ;
parce que l'élévation du rang ne décide
point de la grandeur d'âme. Vous avez
fenti qu'il y aurait une espéce de honte à
des Français de laiffer dans l'oubli & dans
la mifère le nom d'un Grand Homme qui a
fi bien mérité de la Patrie. Vous donnez à
tous les hommes , à tous les fiécles , un
modéle & des leçons d'humanité. Vous
leur apprenez quels font les droits & les
devoirs du Génie.
Un procédé fi généreux a fait ici la fenfation
la plus vive ; chacun eſt jaloux de lire
votre Lettre. On la regarde comme un
monument public de bienfaifance . On répete
ces mots , je chercherois à lui fervir
de père. Tous ceux qui chériffent la més
moire du Grand Corneille , femblent partager
votre bienfait avec fa famille. On
le trouve digne de vous , digne du Peintre
d'Alvarès . On éléve votre coeur , votré
génie , votre gloire ; l'admiration reſte
fufpendue entre vos Ecrits & cette géné
rofité. Elle vous concilie tous les fuffrages ,
& j'ofe dire que vous jouiffez de la reconnoiffance
publique.
J'ai l'honneur d'être &c. LE BRUN.
JANVIER, 1761. 115
LETTRE de M. DE VOLTAIRE à Mile
CORNEILLE , inférée dans une de fes
Lettres à M. LE BRUN , Secrétaire des
Commandemens de Mgr LE PRINCE
DE CONTI.
VoOTRE nom , Mademoiſelle , votre
mérite & la Lettre dont vous m'honorez ,
augmentent dans Madame Denis & dans
moi le defir de vous recevoir , & de mériter
la préférence que vous voulez bien
nous donner. Je dois vous dire que nous
paffons plufieurs mois de l'année dans une
campagne auprès de Genève , mais vous
y aurez toutes les facilités & tous les fecours
poffibles pour tous les devoirs de la
Religion . D'ailleurs notre principale habitation
eft en France , à une lieue de là, dans
un château très agréable , que je viens de
faire bâtir , & où vous ferez beaucoup
plus commodément que dans la maiſon
d'où j'ai l'honneur de vous écrire . Vous
trouverez dans l'une & dans l'autre habitation
de quoi vous occuper tant aux petits
ouvrages de la main qui pourront vous
plaire , qu'à la Mufique & à la lecture.
Si votre goût eft de vous inftruire de la
-
116 MERCURE DE FRANCE
Géographie & de l'Hiftoire , nous ferons
venir un Maître qui fera , fans doute , trèshonoré
d'enſeigner quelque chofe à la petite-
fille du Grand Corneille. Mais je le ferai
beaucoup plus que lui de vous voir habiter
chez moi. J'ai l'honneus d'être avec
reſpect & c.
VOLTAIRE.
Je me joins à mon Oncle , Mademoifelle
, pour vous marquer le plaifir que
nous aurons de vous recevoir : je ferai de
mon mieux pour vous rendre votre féjour
agréable, & pour mériter votre confiance.
J'efpére que lorfque nous nous connoîtrons
, vous m'accorderez un peu d'amitié ;
je la mérite par le defir que j'ai de vous
fervir & de vous prouver les fentimens
que votre nom & tout le bien que l'on nous
dit de vous , m'infpire .
DENIS .
TRAITÉ , fur les principes de l'Art d'écrire
, & fur ceux de l'Ecriture ; par M.
d'Autrepe , Syndic des Experts - Jurés-
Ecrivains ; gravé par M. Oger , rue S.
Jacques , vis-à-vis le Collége du Pleffis.
in- folio. Paris , 1760 , chez Durand , Libraire
, rue du Foin , la premiere porte
JANVIER, 1761 . 117
cochére en entrant par la rue S. Jacques.
Cet Ouvrage , auffi utile que bien imprimé
& dont les gravûres font admirées des
connoiffeurs , a été préfenté par l'Auteur
à Mgr le Duc de Bourgogne ; avec un autre
Ouvrage intitulé , l'Arithmétique de la
Nobleffe Commerçante, ou Entretiens d'un
Négociant & d'un jeune Gentilhomme ,
fur les principales notions de l'Arithmétique
, & des quatre premières Règles :
Volume in-4°. du même Auteur , & qui
fe vend chez le même Libraire .
HISTOIRE DE PHILIPPE ET D'ALEXANDRE
LE GRAND, Rois de Macédoine , dédiée au
Roi de Dannemarck , par M. de Bury.
in-4° . Paris , 1760. Se vend chez l'Auteur
, rue Gît- le-Coeur , vis -à- vis celle de
l'Hirondelle ; chez d'Houry , rue vieille
Bouclerie , au S. Efprit & au Soleil d'Or ;
& chez Debure l'aîné , quai des Auguftins
, à l'Image S. Paul , avec Approbation
& Privilége du Roi . Nous donnerons
inceffamment l'Extrait de cet Ouvrage.
- TRAITÉ des dépôts dans le Sinus Maxillaire
, des fractures , & des caries de l'une
& de l'autre machoire , fuivi de réflexions
& d'obſervations fur toutes les opérations
18 MERCURE DE FRANCE.
de l'art du Dentifte. Par M. Jourdain ,
Dentiſte , reçu au Collège de Chirurgie.
in- 12 , Paris. 1760. Chez L. Ch . d'Houry
, rue de la vieille Bouclerie , au Saint-
Elprit. Cet Ouvrage paroît bien fait , &
fuivant de fages principes. Il eft plein
d'obfervations utiles fur tout ce qui a été
dit jufqu'à préfent fur cet Art , que l'Auteur
profeffe avec diftinction.
ORAISON FUNEBRE de très-haute , trèspuiffante
, & très- excellente Princeffe ,
Marie- Théreſe , Infante d'Eſpagne , Dauphine
. Prononcée dans l'Eglife de S. Denis ,
les Septembre 1746.Par Meffire Matthias
Poncet de la Riviére , Evêque de Troyes ,
in-12. A Troyes , 1760 , chez Jean - Baptifte-
François Bouillerot , Libraire de Mgr
l'Evêque , grande rue. Le prix eft de 2 liv.
broché.
GRAMMAIRE FRANÇOISE PHILOSOPHIQUE,
ou Traité complet fur la Phyfique , fur
la Métaphyfique , & fur la Rhétorique
du langage qui regne parmi nous dans la
Société. Par M. d'Açarq , de la Société
Littéraire d'Arras , ci - devant Profeffeur
de Langue & de Belles Lettres Françoifes
, à l'Ecole Royale- Militaire . in - 12 .
Genève , 1760 ; & le trouve à Paris , chez
JANVIER. 1761.
719
Moreau , rue Galande , & chez Lambert.
rue de la Comédie Françoife. Cet ouvrage
eft eftimé , & nous nous propofons
d'en rendre compte.
DISCOURS prononcé dans l'Académie
Royale des Sciences & Belles- Lettres de
Nanci , le Lundi 20 Octobre 1760. Par
M. Durival , cadet , Greffier en Chef des
Confeils du Roi ; pour fa réception à
l'Académie , in- 12 . Nanci , chez la veuve
& Claude le Seure , Imprimeurs ordinaires
du Roi.
ALMANACH POLISSON ou Etrènnes
Poiffardes & bouffonnes , précédées de
F'AMOUR MATOIs , Opéra- Comique Poiffard
.
ALMANACH POINTU , ou Tablettes néceffaires.
ETRENNES de ces Meffieurs , pour ces
Demoiſelles.
ETRENNES gentilles & de bon goût.
ALMANACH LYRIQUE
Tous ces Almanachs , & autres , fe
touvent chez Cailleau , Libraire ,' quai
des Auguftins.
ATLAS méthodique & élémentaire de
110 MERCURE DE FRANCE.
Eh ! quel autre que vous a toujours fair
éclater en faveur du génie une ivreſſe
plus noble , une admiration plus éclairée
La gloire eft votre élément . Qu'il
eft flatteur pour vous de joindre à cette
fublimité de l'efprit la tendre bienfaifance
d'un coeur qui s'épanche dans tous vos
ouvrages , & qui vous à rendu le Peintre
de l'Humanité.
Voilà , Monfieur , s'il étoit poffible
d'être au-deffus de Corneille même & de
Racine , voilà ce qui donneroit le premier
rang à vos ouvrages ; parce qu'ils
infpirent aux hommes un fentiment plus
utile à la Société que ceux d'une ftérile
admiration . Voilà ce qui m'a fait naître
le defir de rendre à Corneille un hommage
qui retombe fur vous -même.
Le Public va juger , en voyant cette
Ode imprimée, que vous feul étiez digne
en effet de fecourir le defcendant d'un
grand homme , dont vous êtes devenu le
rival. Combien votre coeur doit s'applau
dir de la certitude qu'on a de vos bienfaits
, & d'en avoir fait fentir le charme
à tous ceux qui vous ont lû ! Votre ſtyle
devient fi affectueux,fi enchanteur quand
cet objet l'anime , qu'il eft aifé de voir
combien votre âme refpire les fentimens
que vous tracez,
JANVIER. 1761 .
Laiffez , laiffez à vos ennemis l'horri
ble fatisfaction de calomnier votre coeur ,
& de croire que votre plume écriroit fans
fon aveu. Ceux qui vraiment éclairés fçavent
que jamais l'efprit n'enfante rien de
fublime s'il n'eft inspiré par le coeur,vous
rendent , comme moi , la justice la plus
entiere & la plus méritée. Les droits d'un
Corneille à vos bienfaits font inconteſtables
; les voici : fes malheurs , fon nom.
& le vôtre. Je fuis &c.
REPONSE de M. DE VOLTAIRE à M.
LE BRUN , Secrétaire des Commande
mens de S. A. S. M. LE PRINCE DE
CONTI.
Au Château de Ferney , pays de Gex , par Geneve..
JE E vous ferais , Monfieur , attendre ma
réponſe quatre mois au moins , fi je prétendais
la faire en auffi beaux vers que les
vôtres. Il faut me borner à vous dire , en
profe, combien j'aime votre Ode & votre
propofition. Il convient affez qu'un vieux.
foldat du grand Corneille tâche d'être
utile à la petite fille de fon Général.
Quand on bâtit des Châteaux & des Eglifes.
,, & qu'on a des parens pauvres à foutenir
, il ne refte guères, de quoi faire ce
-
112 MERCURE DE FRANCE.
qu'on voudrait pour une perfonne qui
ne doit être fecourue que par les plus
Grands du Royaume.
Je fuis vieux , j'ai une niéce qui aime
tous les arts & qui réuffit dans quelquesuns
; fi la perfonne dont vous me parlez ,
& que vous connaiffez fans doute , voulait
accepter auprès de ma niece l'éducation
la plus honnête , elle en aurait foin
comme de fa fille : je chercherais à lui
fervir de père . Le fien n'aurait abfolument
rien à dépenſer pour elle. On lui
payerait fon voyage jufqu'à Lyon . Elle
feroit adreffée à Lyon à Monfieur Tronchin
, qui lui fournirait une voiture jufqu'à
mon Château , ou bien une femme
irait la prendre dans mon équipage . Si
cela convient , je fuis à fes ordres , & j'ef
pere avoir à vous remercier jufqu'au dernier
jour de ma vie de m'avoir procuré
l'honneur de faire ce que devait faire M.
de Fontenelle. Une partie de l'éducation
de cette Demoiſelle ferait de nous voir
jouer quelquefois les Piéces de fon grandpère
, & nous lui ferions broder les fujets
de Cinna & du Cid.
J'ai l'honneur d'être, avec toute l'eftime
& tous les fentimens que je vous dois ,
Monfieur , votre très - humble & trèsobéiffant
ferviteur , VOLTAIRE.
JANVIER. 1761.
SECONDE LETTRE de M. LE BRUN
Je n'accepte , Monfieur , les éloges flarteurs
que vous donnez à mes vers , que
pour les rendre à la nobleſſe de votre procédé
; voilà ce qui mérite uniquement
d'être loué . Vous goûtez ce bonheur fi
méconnu, fi pur de faire des heureux. Je
m'attendois à votre réponſe : elle n'étonnera
que l'Envie. J'ai couru la lire à Mademoiſelle
Corneille ; elle en a verſé des
larmes de joie : elle vous appelle déjà fon
bienfaiteur & fon pere. Elle promet à vos
bontés , à celles de Madame votre niéce ,
une éternelle reconnoiffance , & je n'ai
point de termes pour vous exprimer celle
d'une Famille que vous foulagez.
Pour moi je m'eftime trop heureux d'avoir
pu fervir à la fois & votre gloire &
le nom de Corneille. Vous l'appellez modeftement
vorre Général , mais il vous
eût dit :
De pareils Lieutenans , n'ont de Chefs qu'en idée,
Sertorius
Vous avez fait , Monfieur , ce que Fontenelle
n'a point fait , & ce que peut- être il
n'a point dû faire, parce que le Bel - Efprit
120 MERCURE DE FRANCE:
Géographie & d'Hiftoire , dédié à M. le
Préfident Hénault . Par M. Buy de Mornas
, Profeffeur de Géographie & d'Hiftoire.
Il fera compofé des 180 Planches , &
fera divifé en trois volumes in- fol . Nous
en donnerons le Profpectus dans le Mercure
prochain. On peut , en attendant
s'adreffer chez l'Auteur , rue & vis -à- vis
le Prieuré du Cherche - Midi .
AVIS AUX SOUSCRIPTEURS DU COURS
DE L'HISTOIRE UNIVERSELLE. Une conteſtation
littéraire , élevée entre les Auteurs
du Cours d'Hiftoire , a fufpendu
la diftribution des feuilles jufqu'au retour
des vacances de M. de Lamoignon
de Malesherbes . On va reprendre cette
diftribution réguliérement deux fois par
femaine ; & en furchargeant quelques
femaines d'un plus grand nombre de feuilles
, on fera en forte que dans le courant
du fecond femeftre toutes les feuilles
foient fournies comme elles auroient dû
l'être fans cette interruption .
Meffieurs les Soufcripteurs, qui nont pas
envoyé payer le fecond femeftre , font
priés de le faire inceffamment.
ARTICLE
JANVIER. 1761 . 121
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIE S.
SEANCE publique de l'Académie Royale
des Sciences.
M. DEPARCIEUX termina cette Séance
par la lecture d'un Mémoire fur le tirage
des Chevaux , ou pour mieux dire , fur la
pofition des traits qui fatiguent le moins
les chevaux .
Plufieurs perfonnes ont écrit fur la
force des hommes & des chevaux. Le
premier qui pouvoit le mieux difcuter
tous les cas , dit M. D. eft M. de la Hire;
mais fon Mémoire de 1699 , ne roule
particulierement que fur la force dont un
homine eft capable , dans toutes les différentes
manieres fuivant lefquelles il peut
agir. M. de Camus , Gentilhomme Lorrain,
eft le premier qui ait parlé de la pofition
des traits ; il veut qu'ils foient parallèles
au chemin , ou le palonier à la hauteur
du poitrail des chevaux. Tous ceux qui
ont écrit depuis ont répété la même
I. Vol
F
122 MERCURE DE FRANCE
1
chofe ; peut- être fur la foi du Docteur
Defagulier , qui a copié tout au long ce
précepte du Traité des Forces Mouvantes
de M. de Camus : il eft vrai que ce Docteur
en donne auffi la réfutation qui lui
fut envoyée par M. Beighton fon ami.
Les obfervations de M. Beighton ,
quoique vraies , n'ont pas empêché que
ceux qui ont écrit depuis M. Defagulier
fur le même fujet , n'ayent encore recommandé
le tirage parallèle au chemin .
Comme ce précepte eft contraire à tout
principe démontré , & quoiqu'il n'ait pas
encore fait de grands progrès , M. D. a
cru devoir en montrer plus particulierement
le faux ; & pour y parvenir , il a
commencé par faire remarquer que les
muſcles des chevaux ; non plus que ceux
des hommes , ne tirent ( dans le cas dont
il s'agit ici ) qu'autant qu'ils font aidés du
poids de la malle de l'agent ; où pour le
dire plus exactement, la pefanteur fait
la traction , le jeu & la force des muſcles
mettent & tiennent continûment la maffe
en état de la faire par une infinité de
chûtes inftantanées . Ayant fait voir que
la traction fe fait par la pefanteur , le
refte fe démontre aifément , foit en menant
des perpendiculaires du point d'appui
aux directions , foit par le principe
• JANVIER * . 1761. 123
de la décompofition des forces , en prenant
une quantité quelconque, conftante,
dans la ligne menée du centre de gravité
du cheval à fes pieds de derriere , pour
l'effort que font les mufcles pour écarter
ces deux points : fuppofant le cheval tirer
par des traits parallèles au chemin ,
& achevant les parallelogrammes des
forces , d'après les traits parallèles & les
traits inclinés , on trouvera qu'une moindre
portion de la maffe de l'agent eft
capable de faire une plus grande traction
par les traits inclinés ; d'où il fuir
que le cheval n'a pas befoin de fe baiffer
autant pour faire l'effort néceffaire , &
qu'il a par conféquent bien moins de
peine à tirer par des traits inclinés que
par des traits parallèles , toutes chofes
d'ailleurs égales .
M. D. a voulu s'affûrer par le fait , de
ce que le raisonnement lui indiquoit, de
crainte qu'il n'y eût quelque cauſe cachée
contraire ; car en tout ce qui eft
d'application de principes , il faut, autant
qu'on le peut , voir s'ils font d'accord
avec l'expérience . Il a pris lui - même la
bretelle d'un Batelier , & il a remonté le
batelet & le Batelier pendant un affez
long chemin ; il a remarqué fenfiblement
qu'il avoit moins de peine lorfqu'il tiroit
"
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
1
en marchant fur une berge médiocrement
haute , que lorfqu'il marchoit auprès
de l'eau. Il a fait tirer un cheval à
un manége de pompe , où la, réfiftance
eft conftamment la même , faiſant placer
le palonier à différente hauteur ; il lui a
toujours paru,en comparant toutes chofes ,
favorables & contraires , que la poſition
du palonier à la moitié de la hauteur du
poitrail , ou environ , étoit la plus commode
; le cheval fe panchoit moins , & après
avoir tiré plus longtemps par cette pofition
de traits , que par la pofition parallèle
, le cheval en étoit toujours moins
fatigué. En effet , le peu que cette inclinailon
de traits le charge à dos , eft plus
favorable à fon action que nuifible. Il
n'eft pas obligé de fe pancher , & de ſe
baiffer autant , qu'en tirant par des traits.
parallèles ; par là moins expofé à gliffer ,
& à s'abattre ; raiſon affez importante
pour la confervation d'un animal auffi
utile.
Ce Mémoire contient encore plufieurs
bonnes raifons , toutes dépendantes de
l'inclinaifon des traits ; avantage dont on
ne peut pas profiter pour les voitures à
deux roues , qu'il faut laiffer comme elles
font. Mais en recommandant le tirage
bas , M. D. ne demande pas qu'on dimiJANVIER.
1761. 125
nue les roues de devant des Caroffes &
autres voitures , qui les ont déjà grandes ;
il voudroit , au contraire , que la commodité
de la voiture , & la folidité des brancarts,
permiffent de les faire plus grandes :
on mettroit alors la volée fous les armons
où elle feroit tout auffi bien que par deffus.
Mais un article affez important que M. D.
recommande , & que je ne dois pas o
mettre , c'eft de faire tirer par une volée ,
placée au bout du timon , les chevaux de
devant , quand on en met quatre ou da
vantage.
*
LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES & Belles-Lettres
d'Auxerre tint fa Séance Publique le
· Lundi 27 Octobre 1760 dans la falle de
M. l'Abbé Potel , Chanoine de la Cathédrale
, l'un de fes Membres.
M. l'Abbé Précy , Directeur , ouvrit la
Séance par un Difcours écrit avec autant
d'énergie que fortement penfé , où il réfute
ceux qui s'élevent contre les nouveaux
établiffemens d'Académies dans les
Villes de Provinces , & qui en rabaiſſent
l'utilité .
M. le Pere , Secrétaire perpétuel , lut
enfuite l'éloge de M. l'Abbé le Beuf, Penfionnaire
de l'Académie des Infcriptions
& Belles -Lettres , Honoraire de la Société
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
d'Auxerre , fi connu dans la République
des Lettrés .
Cet Eloge fut fuivi d'un Encomium
Funebre du même M. le Beuf en ftyle lapidaire
, par M. l'Abbé Potel.
M. le Pere reprit la parole , & lut l'éloge
de M. Martin , très - habile Apoticaire
, Membre réfident de la Société , décédé
depuis un mois , à l'âge de 31 ans ,
& qui emporte les regrets & l'eftime de
tous fes concitoyens .
M. Potel lut enfuite la premiere par
tie de fon Mémoire , fur l'origine & les
révolutions des différens Hôpitaux ou
Maifons de Charité qui ont fubfifté ou
qui fubfiftent encore à Auxerre.
Enfuite M. Mignot , Grand - Chantre
de la Cathédrale , lut fes obfervations
fur quelques méprifes où eft tombé M.
l'Abbé Velly dans fon Hiftoire de France,
au fujer de S. Germain , Evêque d'Auxer
re , & de Sainte Géneviève.
M. l'Abbé Précy ferma la Séance par
la lecture d'un Morceau de fon Hiftoire
d'Auxerre , où il recherche en particulier
l'origine des différentes Coutumes fuivies
en France , & furtout de celle d'Auxerre.
L'Affemblée étoit fort nombreufe , &
parut goûter les Ouvrages qui avoient oc-
'cupé la Séance,
JANVIER. 1762. 127
PRIX propofe par l'Académie Royale de
Chirurgie , pour l'Année 1762 .
L'ACADÉMIE Royale de Chirurgie propofe
pour le Prix de l'année 1762 , le
Sujet fuivant :
Déterminer la manière d'ouvrir les ab
Jeès , & leur traitement méthodique , fuivant
les différentes parties du Corps.
Ceux qui envoyeront des Mémoires ,
font priés de les écrire en François ou
en Latin,& d'avoir attention qu'ils foient
fort lifibles .
,
Les Auteurs mettront fimplement une
devife à leurs Ouvrages ; mais › pour fe
faire connoître , ils y joindront à part
dans un papier cacheté & écrit de leur
propre main , leurs nom , demeure &
qualité ; & ce papier ne fera ouvert qu'en
cas que la Piéce ait remporté le prix.
Ils adrefferont leurs ouvrages , francs
de port , à M. Morand , Secrétaire Perpétuel
de l'Académie Royale de Chirurgie ,
à Paris ; ou les lui feront remettre entre
les mains.
Toutes perfonnes de quelque qualité &
pays qu'elles foient , pourront afpirer au
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE
Prix ; on n'en excepte que les Membres
de l'Académie.
Le Prix eft une Médaille d'or de la
valeur de cinq cens livres , fondée par
M. de la Peyronie ; qui fera donnée à
celui qui , au jugement de l'Académie
aura fait le meilleur Mémoire fur le Sujet
propofé.
La Médaille fera délivrée à l'Auteur
même qui fe fera fait connoître , ou au
Porteur d'une procuration de fa part ;
l'un ou l'autre repréfentant la marque diftinctive
, & une copie nette du Mémoire.
Les Ouvrages feront reçus jufqu'au
dernier jour de Décembre 1761 incluftvement
; & l'Académie , à fon Aſſemblée
publique de 1762 , qui fe tiendra le Jeudi
d'après la quinzaine de Pâques , proclamera
la Piéce qui aura remporté le
Prix.
L'Académie ayant établi qu'elle donneroit
tous les ans fur les fonds qui lui
ont été légués par M. de la Peyronie , une
Médaille d'or de deux cens livres , à celui
des Chirurgiens Etrangers ou Régniroles
, non Membres de l'Académie , qui
l'aura mérité par un Ouvrage fur quelque
matière de Chirurgie que ce foit , au
choix de l'Auteur , elle l'adjugera à ceANVIER.
1761 .
و ن
lui qui aura envoyé le meilleur Ouvrage
dans le courant de l'année 1761. Ce Prix
d'Emulation fera proclamé le jour de la
Séance publique.
Le même jour , elle diftribuera cinq
Médailles d'or de cent francs chacune
à cinq Chirurgiens , foit Académiciens de
la Claffe des Libres , foit fimplement Régnicoles
, qui auront fourni dans le cours
de l'année précédente un Mémoire , ou
trois obfervations intéreffantes .
EXTRAIT d'une Lettre de M.ADANSON
DROGMAN , à Salonique , à M. fon
frere , de l'Académie Royale des Sciences
, Cenfeur Royal , en datte du 29
Août 1760 .
LAA Ville de Salonique eft devenue de
nouveau le Théâtre de ce que la nature
peut offrir de plus éffrayant. Nous fommes
encore affligés cette année d'une pefte
fi violente, qu'une grande partie des habitans
en a été la victime. Ce fleau , quoique
terrible , ne nous épouvante pas tant
que les tremblemens de terre , qui fe font
fait fentir de nouveau , le 14 de ce mois ,
à 11 heures & demie du foir.
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
Le 15 nous en avons effuyé 15 fecouffes,
la plûpart très - violentes. Trois minutes
après la premiere , qui arriva à 1 heure 5.6
minutes du matin , il fortit du fein de la
tèrre , du côté de l'Orient , une gerbe de
feu qui fe dirigea horisontalement vers
le couchant ; fa lumière reffembloit à celle
de la Lune, lorfqu'elle eft la plus brillante ;
elle s'étendit à une diſtance remarquable ,
pendant l'espace de 2 fecondes , & difparut
enfuite à nos yeux , en jetrant des
efpéces de flames . Ce Phénomène répandit
une allarme générale parmi les habitans
, que la violence des tremblemens
avoit obligé de fortir de chez eux.
Il régna pendant tout ce jour un calme
parfait , le Ciel étoit des plus ferein .
Le 16, nous n'eumes que trois fecouffes.
La feconde , qu'on reffentit à 9 heures
du matin , fut fuivie d'un petit vent da
Nord qui fe calma vers midi. Le vent
de Sud lui fuccéda , & fe calma pareillement
vers les 3 heures du foir ; & 5 minutes
après , on reffentit une petite fecouffe
de tremblement de terre.
Le 17 nous en fumes quittes pour une
feule fecouffe à fix heures 50 minutes.
du matin ;, mais à neuf heures du foir
il s'éleva un vent de Nord impétueux ,
accompagné d'une pluie abondante &
JANVIER. 1761 . 131
de tonnèrres affreux qui tombérent en
même temps fur plufieurs endroits de la
Ville.
Le 21 , nous avons éprouvé encore trois
tremblemens de tèrre peu violens , dont
le dernier s'eft fait fentir à 11 heures &
demie du matin.
Malgré la violence de la plupart de ces
tremblemens , furtout du 8 ° . que nous
effuyâmes le 15 à 5 heures 4 minutes du
matin,& qui jetta tous les habitans dans la
confternation , aucune maifon n'a été
renversée la raifon en eft affez fenfible ;
ces tremblemens agilent verticalement ,
les maifons fautent en l'air fans s'incliner
d'aucun côté .
Si ces tremblemens ont quelque fuite ,
je vous le ferai fçavoir. J'attends avec
impatience les ordres de Monfieur l'Ambaffadeur
pour aller au Caire , où je
pourrai travailler plus utilement , & avec
plus de fûrété pour l'Hiftoire naturelle .
Car Salonique paroît deftinée à être dans
peu la victime des feux fouterreins , & à
fubir le trifte fort de Sodome & de Gomorre.
Le feu du Ciel, qui s'eft réuni à ceux de la
terre , femble donner à cette conjecture une
vraisemblance qui n'eft malheureuſement
que trop bien fondée .
F vj
132 A MERCURE DE FRANCE:
SUITE de l'Extrait des Mémoires lus à
la Séance publique de l'ACADEMIE
ROYALE DE CHIRURGIE , le Jeudi
17 Avril 1760 .
III.
M. MORAND lut enfuite l'éloge de feu
M. de Garengeot , Maître ès- Arts & en
Chirurgie du Collège de Paris , Confeiller
de l'Académie Royale de Chirurgie , Profeffeur
& Démonftrateur Royal pour les
opérations , Chirurgien- Major du Régiment
du Roi , Infanterie ; ci- devant Confeiller
du Roi & fon Chirurgien ordinaire
au Châtelet de Paris. La notice des ouvrages
de ce célébre Chirurgien a fait la baſe
de fon éloge Académique : on eft redevable
à cet Auteur d'un Traité d'Opérations ;
d'un Traité d'Inftrumens ; d'une Splanchnologie
, ou Anatomie des vifcères ;
d'une Myotomie humaine & canine , ou
l'art de difféquer les muſcles des hommes
& des chiens ; & de plufieurs differtations
intéreffantes , imprimées dans les Volumes
de l'Académie Royale de Chirurgie,
JANVIER. 1761 . 133
I V.
MEMOIRE fur la ligature des vaiffeaux:
Les différens fecours que la Chirurgie
fçait employer contre les hémorrhagies ,
ont rendu l'ufage de la ligature des vaiffeaux
moins fréquent , mais il ne l'ont
point profcrit abfolument de la pratique :
il y a des circonftances où l'on ne pourra
fe difpenfer de recourir à ce moyen dont
l'éfficacité eft inconteftable. C'eft fur la
méthode la plus avantageufe de faire cette
opération que M. Sabatier, a differté , en
examinant s'il n'eft pas plus convenable
d'embraffer une certaine quantité de chairs
dans l'anfe du fil qui lie le vaiffeau , que
de paffer fimplement l'aiguille dans le
tiffu cellulaire qui entoure l'artère , afin
de ne comprendre que le moins de parties
environnantes qu'il eft poffible.
Cette queſtion a déjà été traitée dans
différens Ouvrages : M. Monro , Profeſfeur
d'Anatomie à Edimbourg eft de ce
dernier avis ; & M. Louis l'a adopté dans
les Mémoires de l'Académie Royale de
Chirurgie , en faisant l'Hiftoire des variations
de la manière de lier les vaiſſeaux ,
à la fin de fon Mémoire fur l'amputation
des grandes extrémités. M. Sabasier , qui
134 MERCURE DE FRANCE.
réprend de nouveau ce fujet , ne difcute
que les raifons rapportées par M. Monro.
La ligature qui embraffe une certaine
quantité de chairs , a été regardée comme
la caufe des mouvemens convulfifs ,
des inflammations & des abfcès qui furviennent
quelquefois , & qu'on attribue
à l'étranglement des fibres mufculeuſes ,
des tendons & des nerfs ; voilà les principaux
inconvéniens que tous les Prati
ciens regardent comme un effet de la ligature.
M. Sabatier propofe des doutes
fur ce principe. Il convient que la ligature
d'un nerf doit caufer de vives douleurs
il rapporte même à ce sujet un fait cité
par M. Molinelli , dans les Mémoires de
l'inftitut de Bologne , à l'occafion d'une
opération de l'anevrifme , dans laquelle
le malade à qui on lioit le nerf avec l'artère
, croyoit qu'on lui avoit arraché la
main , & reſta privé du mouvement & du
fentiment de cette partie. M. Sabatier
demande ici s'il eft bien vrai que ces douleurs
foient la caufe des convulfions qui
furviennent après une amputation ? Il ne
le penfe pas ; parce que cet accident arrive
troprarement pour croire qu'il dépende d'une
caufe auffi conftante. La preuve en eft tirée
de l'expérience des grands Maîtres : dans
fept amputations dont M. Ledran a don-
1
JANVIER. 1761 . 135
né l'Hiftoire , il n'y a qu'un feul malade
qui ait eu des convulfions ; encore ne fur
vinrent-elles que le quatrième jour ; &
M. Faure , qui a remporté en 1756 , le
Prix de l'Académie , fur la queſtion des
amputations à faire promptement ou à
différer , de dix bleffés qu'il a opérés après
la bataille de Fontenoi , n'a vu des convulfions
qu'à un. Ces exemples favorisent
l'ufage de la ligature ; mais ils ne feroient
concluans dans la queftion préfente, qu'autant
qu'il feroit prouvé que MM. Ledran
& Faure , ont pris dans l'anfe du fil , des
parties mufculeufes , tendineufes & nerveufes
, ce qui , vraisemblablement , n'a
pas eu lieu. D'ailleurs tous les fujets ne
font pas fufceptibles des accidens qu'entraîne
la préfence des caufes qui les font
naître fur d'autres ; les dix amputations
faites par M. Faure , en fournirroient la
preuve : elles ont été pratiquées long-.
temps après la bleffure , fur des fujets
qui avoient perdu la plus grande partie
de leurs forces , par les faignées , la fuppuration
& la diete ; de - là on peut conclure
qu'elles ne pouvoient pas être fuivies
des mêmes orages que des amputations
qu'on feroit forcé de faire fur le champ ;
c'est une vérité reçue dans la pratique ;
ainfi ces obfervations ne font pas des preu
136 MERCURE DE FRANCE.
ves que la ligature qui embrafferoit des
parties mufculeuſes & c . fût préférable à
celle qui ne lieroit que l'artère avec un peu
du tiffu cellulaire qui l'environne,fuivant le
précepte donné par M. Monro. Il est
vraisemblable , dit M. Sabatier , que l'idée
qu'on s'eft formée de la fenfibilité des
nerfs , a donné lieu au préjugé où l'on
eft , fur la caufe des convulfions qui furviennent
aux amputations ; & il fait contre
cette opinion , le récit de quelques expériences
où les nerfs ont été liés fur des
animaux , fans qu'ils aient été privés du
fentiment ni du mouvement : le réſultat
de ces expériences n'eſt pas d'accord avec
les principes reçus fur l'ufage des nerfs, &
avec l'obfervation citée plus haut d'après
M. Molinelli. Mais ce qui prouve le plus ,
felon l'Auteur , que les convulfions qui
arrivent après les amputations ne font
point l'effet de la ligature des nerfs ; c'eft
qu'il n'eft pas rare qu'elles arrivent , lorfqu'on
n'a pas fait la ligature des vaiffeaux,
& qu'on s'eft rendu maître du fang par
l'application des remédes aftringents , ou
par la compreffion.Si cet accident peut furvenir
fans ligature, il eft difficile de ne pas
croire que l'étranglement , caufé par un
fil ferréfur l'extrémité de l'artère coupée ,
& qui comprend prèfque néceffairement
JANVIER. 1761. 137
le nerf qui avoifine l'artère , ne puiffe exciter
des mouvemens convulfifs , furtout
fi l'on embrasfoit des parties irritables ,
telles que des portions muſculaires. M.
Sabatier examine tous les avantages que
le célébre M. Monro attribue à fa méthode
de faire la ligature ; il cherche à les
apprécier, en difant néanmoins qu'il ne regarde
les réflexions qu'il oppofe à la doctrine
d'un auffi habile homme , que comme
de fimples conjectures qu'il a cru devoir
foumettre au jugement des Maîtres
de l'Art.
ง . la M. Pibrac a terminé la Séance par
lecture d'un Mémoire fur plufieurs points
intéreffans de Chirurgie .
Il ne s'agit point ici d'obfervations particuliéres,
& d'analyſes de faits ifolés dont
on examine en détail les diverfes circonftances.
Une multitude d'objets différens
fe préfente fous un même point de vue ;
l'Auteur en faifit les réſultats généraux
& entire des conféquences lumineuſes de
la plus grande utilité. Hippocrate , dit - il ,
eft un excellent modéle en ce genre d'obfervations
générales . Dans fon traité de
l'air , des eaux , & des lieux , il diftingue la
différente nature des Afiatiques & des Européens
: il examine des peuples entiers
138 MERCURE DE FRANCE.
dans toutes les circonftances qui mettent
entre eux des relations & des différences
fenfibles ; il parcourt les diverfes régions
qui lui font connues ; & il découvre dans
la nature du terrein & fon expofition ,
dans la température des faifons & leurs
divers changemens , la caufe des variétés
qu'il y a entre les hommes & les animaux
par rapport aux pays où ils vivent . Il ne
s'eft pas contenté d'envifager en quelque
forte les habitans de l'Univers dans leur
état réel & dans tous les rapports phyfi
ques qu'ils peuvent avoir : Obfervateur
philofophe , il a porté les regards jufques
fur la forme des différens gouvernemens ,
& il y a apperçu ce qui rendoit des peu
ples
fi différens les uns des autres. Ainfi
l'influence mutuelle & réciproque du moral
fur le phyfique , & du phyſique fur le
moral , que M. le Préfident de Montefquieu
a confidérée par rapport aux régles politi
ques des nations , n'avoit point échappé
aux réflexions du Fondateur de l'art de
guérir , relativement aux loix fuivant lefquelles
l'oeconomie animale eft dirigée.
Après ce début,l'Auteur dit qu'on peut
mériter de l'art & du Public par des obfervations
recueillies dans un champ
moins vafte. Il cite les travaux de M.
Pringle , Médecin des Troupes Angloifes
JANVIER. 1761. 735
en Allemagne & en Flandres pendant la
guerre de 1742. Il a donné des relations
générales des maladies auxquelles les foldars
de l'Armée Britannique ont été fujets
dans les garnifons & dans les divers camps
qu'ils ont occupés . En campagne il obferva
qué la nature du terrein avoit principalement
occafionné des changemens fubits
fur la fanté des foldats : une étude
fuivie fur cette matiére donneroit lieu ,
fuivant la réflexion de M. Pibrac , à des
conféquences bien utiles pour éviter ,
lorfque le bien du fervice ne l'exigeroit
pas abfolument , des pofitions funeftes
aux troupes , & par une fuite néceffaire
très - oppofée aux fuccès des opérations
militaires. M. Pringle a remarqué
, en garnifon , que les compagnies
logées dans la partie baffe d'une Ville , &
qui occupoient des maifons ruinées où
l'écoulement des eaux n'étoit pas libre ,
étoient fujettes à des maladies que n'éprouvoient
point les foldats qui avoient
leur logement dans un quartier plus élevé
de la Ville , où l'air pénétroit & fe renouvelloit
aifément. Dans les logemens aux
quartiers bas d'une Ville , ceux qui demeuroient
au rez de- chauffée , tomboient
malades en plus grand nombre que ceux
qui étoient aux étages plus élevés des
140 MERCURE DE FRANCE:
·
mêmes maifons . Le feul changement d'habitation
faifoit ceffer entiérement le régne
de la maladie.
Ces obfervations confirment d'une maniére
très - convainquante les principes
connus fur les avantages & les inconvéniens
des lieux qu'on habite. M. Pibrac
prétend qu'elles doivent exciter la vigilance
fur cet objet important auquel on
ne fait pas affez d'attention dans le cours
ordinaire des chofes. Il croit qu'on pourroit
établir , par la combinaifon de faits
bien réfléchis & judicieuſement obfervés ,
les divers degrés de falubrité des différens
quartiers d'une Ville . Chacun a , pour ainfi
dire , un climat qui lui eft propre. Les
rues ont des expofitions différentes par
rapport à l'afpect du foleil & au fouffle
des vents ; chaque maiſon eſt ſous des
influences particulières qui rendent fon
habitation plus ou moins faine à différens
égards. L'occafion qu'il a eue en 1743 de
vifiter ceux qui furent appellés pour la
milice de Paris , lui fit concevoir la poſſibilité
d'un travail ſuivi fur cette matiére :
il en indique fimplement le projet & en
fait connoître l'utilité. Il n'a vu , pour
ainfi dire , cet objet que d'un coup d'oeil .
» Trente -fix mille hommes , dit l'Auteur
» m'ont paffé rapidement fous la vue ,
JANVIER . 1761. 141
dans l'efpace de 18 jours . Mes obſerva-
» tions font , à certains égards , de la mê-
» me espéce que celles d'Hippocrate & de
» M. Pringle ; puifque je ne puis , fur quel-
» ques cas , donner que ce qui m'a frappé
» en gros dans l'enſemble des chofes . Mais
» ajoute- t- il , la précaution que j'ai eue de
» tenir un regiſtre bien exact de tous ceux
que leurs incommodités avoient mis
» hors d'état de fervir le Roi , donne d'un
» autre côté à mes remarques la certitude
» qu'on trouve dans les obfervations les
plus fpécifiées.
"
Hippocrate avoit obfervé que dans la
partie de l'Afie où les faifons font bien
tempérées , & qui eft fituée au milieu du
lever du Soleil vers l'Orient , les hommes
y étoient d'une meilleure habitude , plus
grands & mieux faits que dans les autres
contrées du même pays . M. Pibrac a remarqué
, pour la Ville de Paris, que dans
les Fauxbourgs S. Martin & S. Denis , les
hommes étoient en général mieux taillés ,
plus forts & plus vigoureux que dans les
autres quartiers . Il n'y en a point où l'efpéce
lui ait paru auffi petite que dans la
Cité ; il y a vu beaucoup d'hommes mal
faits , & le nombre des rachitiques y étoit
en proportion plus confidérable qu'ailleurs.
Les maladies de la peau étoient plus
142 MERCURE DE FRANCE.
fiéquentes dans le quartier S. Benoît : dans
celui de S. Honoré les poitrinaires ont
paru plus nombreux . A la Grenouillere, au
Gros - Caillou,à Chaillot & dans tout le bas
du Fauxbourg S. Germain , il a vu plus de
cataractes . Mais ce qui paroîtra fingulier ,
c'eft que le Fauxbourg S. Antoine , qui eſt
dans une fituation tout -à - fait contraire , a
donné le même réfultat. M. Pibrac a appris
dans un examen bien circonftancié que
plufieurs perfonnes y avoient perdu un oeil,
fans accident préliminaire , par la formation
fubite d'une cataracte. Il lui a paru
de plus qu'on étoit plus fujet à la pierre
dans le Fauxbourg S. Antoine , qu'en aucun
autre de la Ville ; & que dans celui
de S. Jacques de la Boucherie , un plus
grand nombre de perfonnes avoient la vue
foible.
Après l'expofé de ces réſultats généraux ,
l'Auteur penfe qu'avec des foins & du zéle ,
l'on pourroit établir à quel degré l'habitation
dans chaque quartier feroit plus ou
moins faine : & comme tous les avantages
& tous les inconvéniens font relatifs , il
feroit poffible de parvenir à déterminer le
lieu où chaque perfoane feroit le plus
avantageufement placée fuivant la nature.
de fon tempérament & les prédifpofitions
qu'elle auroit à certaines maladies,
JANVIER. 1761.
143
Par là on pourroit fe mettre à l'abri de la
mauvaiſe impreffion des chofes extérieures
capables d'altérer la fanté,& de procurer
la formation de beaucoup de maládics
dont une autre habitation garantiroit . Nos
corps font à l'égard des influences extérieures,
de même que les plantes, qui viennent
parfaitement bien en certain climats ,
& qui dépériffent , même fous le même
Ciel , dans une expofition défavorable.
Tels font les principes généraux pofés
par M. Pibrac dans fon mémoire , véritablement
intéreffant : on eft obligé de
fupprimer ici le détail des preuves , & difpenfé
de rapporter les obfervations qu'il a
faites fur différentes maladies & opérations
Chirurgicales, telles que la taille, les
hernies & c. Il a profité avec grand fruit
d'une occafion finguliére qui pouvoit lui
mettre fous les yeux des faits de pratique
en même temps & en affez grand nombre
pour pouvoir établir des comparaifons ,
que des cas particuliers , vus, pour ainsi dire,
feul à feul, ne permettroient pas de faire,
144 MERCURE DE FRAN FRAN CE.
J
ARTICLE IV.
2
BEAUX - ARTS.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
I m'attendois , Monfieur , à voir dans
le Catalogue des beautés qui décorent
l'Eglife de S. Roch , que vous avez inſéré
dans le Mercure de Novembre 1760 ;
une defcription de la grille qui ferme
l'entrée du Choeur de cette Eglife. Apparemment
que ceux qui fe font fait un
plaifir de l'écrire pour le préfenter au Public
, n'étoient pas inftruits de la beauté
des deffeins tant petits que grands , que
l'Auteur avoit montrés à ce même Public ,
& à tous les meilleurs Artiſtes connus
qui fe font réunis pour applaudir univerfellement
à un pareil projet.
Cette grille vient d'être finie , & pofée.
Toutes les perfonnes de goût conviennent
qu'il n'y a rien de pareil en ce genre ,
nobleffe de compofition , élégance & pureté
de deffein , variété fans confufion ,
richeffe & fimplicité , ayant fçu joindre
artiſtement le fer & le cuivre de manière
que
JANVIER. 1761 .
145
que les yeux répandent dans l'âme une
harmonie qui enchante. Tout enfin concourt
à rendre cet ouvrage parfait. L'adreffe
avec laquelle tous les travaux du
fer font cachés fous un fini précieux , fatisfont
généralement les perfonnes les
plus fcrupuleufes . Si vous jugez , Monfieur,
ces réflexions dignes d'être miles au
jour dans le Mercure prochain , vous ne
fçauriez faire plus de plaifir , & obliger
plus inftamment un Amateur d'Arts & de
Talens .
V
J'ai l'honneur d'être , &c. B **.
ARTS UTILES.
HORLOGERI E.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
OULEZ-VOUS bien avertir , Monfieur
ceux qui ont lû la lettre que j'ai eu l'honneur
de vous écrire en vous envoyant l'Extrait
des Regiſtres de l'Académie Royale
des Sciences, que c'eft une faute d'impreffion
qui me fait dire : On a vu dans l'Effai
fur l'Horlogerie que je viens de publier &c.
au lieu que j'ai dit , on verra dans l'Effai
fur l'Horlogerie que je ne tarderai pas
publier &c. Cette faute a fait croire à
I. Vol. G
à
146 MERCURE DE FRANCE:
quelques perfonnes que cet ouvrage étoit
imprimé , ce qui n'eft point. J'attends
pour cela des circonftances plus favorables
, & profite du loifir que me laiſſent
mes affaires pour l'augmenter de plufieurs
parties intéreffantes qui font relatives
à l'Aftronomie & à la Navigation .
J'ai l'honneur d'être & c. FERDINAND
BERTHOU D.
GÉOGRAPHIE.
NOUVEAU OUVEAU Plan de la Ville & des
Fauxbourgs de Paris , par M. Robert de
Vaugondy , Géographe ordinaire du Roi,
de S. M. Polonoife , Duc de Lorraine &
de Bar , & de l'Académie Royale des
Sciences & Belles - Lettres de Nancy ,
1760.
le C'eft à ce Plan que fe ſe rapporte
Mémoire dont nous avons fait mention
dans notre Mercure du mois de Décembre
dernier , & dont nous ne donnerons
point ici d'extrait, aimant mieux y renvoyer
les Amateurs. Nous nous bornons
feulement à parler du Plan , lequel , fans
vouloir juger du travail de l'Auteur & de
l'exactitude qu'il a dû y apporter , nous
paroît très-bien exécuté pour ce qui conJANVIER.
1761 . 147
cerne la gravure , qui fait honneur à M.
Delahaye. Comme l'Ecole Militaire ne
pouvoit point fe placer fur ce Plan , l'Auteur
l'a inférée dans fon Mémoire , en
forme de Supplément , conftruit fur la
même échelle. Ce Plan s'imprime fur le
grand Colombier , & coute 2 liv . 8 f. en
feuilles , & liv. monté en toile & gorge
noire ; de même qu'en grand Aigle il coû
te 3 liv. & 6 liv. en toile & gorge . Le
Mémoire 1 liv. 4 f. & l'Ecole Militaire
12 f.
I
S
L'Auteur nous a fait favoir que l'an
trouvoit chez lui le même Plan divifé ,
foit par quartiers , foit par Paroiffes, par
des couleurs qui en diftinguent les étendues
; & que comme ces divifions demandent
beaucoup d'exactitude , il n'en
délivre pas qui n'ayent été tracées fous
fes yeux
.
Il vient de publier auffi cinq grandes
Cartes de quatre feuilles chacune , fçavoir
la Mappemonde felon la projection
des Cartes réduites , & les quatre Parties
du Monde , très-bien exécutées . Elles fe
vendent 4 liv. chacune affemblées en
feuilles , & 10 liv. montées en toile &
gorge noire.
Chez l'Auteur , Quai de l'Horloge du
Palais , près le Pont Neuf.
G
146 MERCUF
quelques perfonr
imprimé , ce qu'
pour cela des ci
bles , & profite
mes affaires po
fieurs parties in
tives à l'Aftro
J'ai l'honneur
BERTHOUD .
GÉ
NOUVE
Fauxbourge
Vaugondy
de S. M.
de Bar
Sciences
1760 .
3
C'ef
Méme
dans
bre
poin
VOT
fe
V.
T
JANVIER. 1761 1149
troifiéme Livre eft une méthode pour la
Flûte , qui explique l'attitude & la maniere
de gouverner le fouffle , avec des
préludes en conféquence , le tout du même
Auteur. Avec Privilége du Roi.
>
LES FAVEURS DU SOMMEIL , Canta
tille à voix feule avec fymphonie , dédiée
à M. le Marquis de Braffac , Lieutenant
Général des Armées du Roi , Commandeur
de l'Ordre Royal & Militaire de
S Louis ; compofée par M. Pizet l'aîné ,
Maître de Mufique du Concert de Caën .
Gravée par Labaffée . Prix 36 l. A Caen ,
chez l'Auteur , rue S. Pierre , vis - à - vis
celle des Teinturiers. A Paris , aux adreffes
ordinaires de Mufique, & chez M. Bâton
, rue Beaubourg , la porte cochere
vis à - vis le cul - de - fac des Anglois .
JEAN LOUVET , Luthier , rue Croix des
Petits- Champs , a fait depuis plufieurs
années nombre d'épreuves , pour empêcher
la roue de la vielle de fe déjetter fur
fa circonférence : il en a fait une qu'il garde
depuis un an , & qu'il a expofée à différentes
températures d'air ; la roue fe trouve
toujours ronde, elle conferve la colophanne
plus longtems , & la vibration dans les
G iij
48 MERCURE DE FRANCE.
SIX
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
IX SONATES en duo , travaillées pour
fix Inftrumens différens , Flûte , Hautbois ,
Pardeffus de Viole à cinq cordes fans aucun
démanchement , Violon , Baffon , &
Violoncelle , en obfervant la Clef de
Fa , qui eft pofée fur la quatriéme ligne ,
avec des Signes pour diminuer & augmenter
les fons par degrés , dans les endroits
néceffaires . Compofées par M.Atys,
Maître de Flute. Cuvre IV. Gravées par
Jofeph Renou . Prix 4 liv. 16 f. 4 Paris ,
chez l'Auteur , au paffage de la rue Traverfiere
à celle des Boucheries S. Honoré
; M. Bayard , rue S. Honoré , à la Régle
d'or ; Mlle Caftagnerie , rue des Prouvaires
, à la Mufique Royale ; M. le Menue ,
à la Clef d'or , rue du Roule.
Pour faciliter le Baffon & le Violoncelle
, il a tranfpofé la troifiéme Sonate
en ton demi , grand diéze , pour éviter le
grand nombre de Bémols qui rendroient
les modulations trop difficiles dans l'exécution.
On trouvera aux mêmes adreffes
un premier Livre de grands Duo . Le fecond
Livre eft en Trio , Solo & Duo. Le
JANVIER. 1761 149
troifiéme Livre eft une méthode pour la
Flûte , qui explique l'attitude & la maniere
de gouverner le fouffle , avec des
préludes en conféquence , le tout du même
Auteur. Avec Privilége du Roi .
LES FAVEURS DU SOMMEIL , Canta
tille à voix feule avec fymphonie, dédiée
à M. le Marquis de Braffac , Lieutenant
Général des Armées du Roi , Commandeur
de l'Ordre Royal & Militaire de
S Louis ; compofée par M. Pizet l'aîné ,
Maître de Mufique du Concert de Caën .
Gravée par Labaffée . Prix 36 l. A Caen ,
chez l'Auteur , rue S. Pierre , vis - à - vis
celle des Teinturiers . A Paris , aux adreffes
ordinaires de Mufique, & chez M. Bâton
, rue Beaubourg , la porte cochere
vis à - vis le cul -de - fac des Anglois .
JEAN LOUVET , Luthier , rue Croix des
Petits-Champs , a fait depuis plufieurs
années nombre d'épreuves , pour empêcher
la roue de la vielle de fe déjetter fur
fa circonférence: il en a fait une qu'il garde
depuis un an , & qu'il a expofée à différentes
températures d'air ; la roue fe trouve
toujours ronde, elle conferve la colophanne
plus longtems , & la vibration dans les
G iij
140 MERCURE DE FRANCE:
·
mêmes maifons. Le feul changement d'ha
bitation faifoit ceffer entiérement le régne
de la maladie.
Ces obfervations confirment d'une maniére
très - convainquante les principes
connus fur les avantages & les inconvéniens
des lieux qu'on habite. M. Pibrac
prétend qu'elles doivent exciter la vigilance
fur cet objet important auquel on
ne fait pas affez d'attention dans le cours
ordinaire des chofes. Il croit qu'on pour
roit établir , par la combinaiſon de faits
bien réfléchis & judicieuſement obfervés
les divers degrés de falubrité des différens
quartiers d'une Ville . Chacun a , pour ainfi
dire , un climat qui lui eft propre. Les
rues ont des expofitions différentes par
rapport à l'afpect du foleil & au fouffle
des vents ; chaque maiſon eft fous des
influences particulières qui rendent fon
habitation plus ou moins faine à différens
égards. L'occafion qu'il a eue en 1743 de
vifiter ceux qui furent appellés pour la
milice de Paris , lui fit concevoir la poſſibilité
d'un travail fuivi fur cette matiére :
il en indique fimplement le projet & en
fait connoître l'utilité. Il n'a vu , pour
ainfi dire , cet objet que d'un coup d'oeil.
» Trente - fix mille hommes , dit l'Auteur ,
» m'ont paffé rapidement fous la vue ,
"
JANVIER 1761. 141
»
» dans l'efpace de 18 jours . Mes obferva-
» tions font , à certains égards , de la mê-
» me espéce que celles d'Hippocrate & de
» M. Pringle ; puiſque je ne puis, fur quel-
» ques cas , donner que ce qui m'a frappé
en gros dans l'enfemble des chofes . Mais
» ajoute- t- il , la précaution que j'ai eue de
» tenir un regiſtre bien exact de tous ceux
que leurs incommodités avoient mis
» hors d'état de fervir le Roi , donne d'un
» autre côté à mes remarques la certitude
qu'on trouve dans les obfervations les
plus fpécifiées.
"
"
Hippocrate avoit obfervé que dans la
partie de l'Afie où les faifons font bien
tempérées , & qui eft fituée au milieu du
lever du Soleil vers l'Orient , les hommes
y étoient d'une meilleure habitude , plus
grands & mieux faits que dans les autres
contrées du même pays . M. Pibrac a remarqué
, pour la Ville de Paris, que dans
les Fauxbourgs S. Martin & S. Denis , les
hommes étoient en général mieux taillés ,
plus forts & plus vigoureux que dans les
autres quartiers. Il n'y en a point où l'efpéce
lui ait paru auffi petite que dans la
Cité ; il y a vu beaucoup d'hommes mal
faits , & le nombre des rachitiques y étoit
en proportion plus confidérable qu'ailleurs
. Les maladies de la peau étoient plus
142 MERCURE DE FRANCE.
fiéquentes dans le quartier S. Benoît : dans
celui de S. Honoré les poitrinaires ont
paru plus nombreux . A la Grenouillere, au
Gros - Caillou, à Chaillot & dans tout le bas
du Fauxbourg S. Germain , il a vu plus de
cataractes. Mais ce qui paroîtra fingulier ,
c'eft que le Fauxbourg S. Antoine , qui eſt
dans une fituation tout -à - fait contraire , a
donné le même réfultat. M. Pibrac a appris
dans un examen bien circonftancié que
plufieurs perfonnes y avoient perdu un oeil,
fans accident préliminaire , par la formation
fubite d'une cataracte. Il lui a păru
de plus qu'on étoit plus fujet à la pierre
dans le Fauxbourg S. Antoine , qu'en aucun
autre de la Ville ; & que dans celui
de S. Jacques de la Boucherie , un plus
grand nombre de perfonnes avoient la vue
foible.
Après l'expofé de ces réſultats généraux,
l'Auteur penfe qu'avec des foins & du zéle ,
l'on pourroit établir à quel degré l'habitation
dans chaque quartier feroit plus ou
moins faine : & comme tous les avantages
& tous les inconvéniens font relatifs , il
feroit poffible de parvenir à déterminer le
lieu où chaque perfoane feroit le plus
avantageufement placée fuivant la nature
de fon tempérament & les prédifpofitions
qu'elle auroit à certaines maladies,
1
JANVIER. 1761 .
143
Par là on pourroit fe mettre à l'abri de la
mauvaiſe impreffion des chofes extérieures
capables d'altérer la fanté, & de procurer
la formation de beaucoup de maládics
dont une autre habitation garantiroit . Nos
corps font à l'égard des influences extérieures,
de même que les plantes, qui viennent
parfaitement bien en certain climats ,
& qui dépériffent , même fous le même
Ciel , dans une expofition défavorable.
Tels font les principes généraux pofés
par M. Pibrac dans fon mémoire , véritablement
intéreffant : on eft obligé de
fupprimer ici le détail des preuves , & difpenfé
de rapporter les obfervations qu'il a
faites fur différentes maladies & opérations
Chirurgicales, telles que la taille , les
hernies &c. Il a profité avec grand fruit
d'une occafion fingulière qui pouvoit lui
mettre fous les yeux des faits de pratique
en même temps & en affez grand nombre
pour pouvoir établir des comparaifons ,
que des cas particuliers, vus , pour ainsi dire ,
feul à feul, ne permettroient pas de faire,
144 MERCURE DE FRAN CE
J
ARTICLE IV. '
BEAUX - ARTS.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
E m'attendois , Monfieur , à voir dans
le Catalogue des beautés qui décorent
l'Eglife de S. Roch , que vous avez inféré
dans le Mercure de Novembre 1760 ;
une deſcription de la grille qui ferme
l'entrée du Choeur de cette Eglife. Apparemment
que ceux qui fe font fait un
plaifir de l'écrire pour le préfenter au Public
, n'étoient pas inftruits de la beauté
des deffeins tant petits que grands , que
l'Auteur avoit montrés à ce même Public ,
& à tous les meilleurs Artiftes connus ,
qui fe font réunis pour applaudir univerfellement
à un pareil projet.
Cette grille vient d'être finie , & pofée.
Toutes les perfonnes de goût conviennent
qu'il n'y a rien de pareil en ce genre ,
nobleffe de compofition , élégance & pureté
de deffein , variété fans confufion ,
richeffe & fimplicité , ayant fçu joindre
artiftement le fer & le cuivre de manière
que
JANVIER. 1761.
145
que les yenx répandent dans l'âme une
harmonie qui enchante. Tout enfin concourt
à rendre cet ouvrage parfait. L'adreffe
avec laquelle tous les travaux du
fer font cachés fous un fini précieux , fatisfont
généralement les perfonnes les
plus fcrupuleufes . Si vous jugez , Monfieur,
ces réflexions dignes d'être miles au
jour dans le Mercure prochain , vous ne
fçauriez faire plus de plaifir , & obliger
plus inftamment un Amateur d'Arts & de
Talens . T.
V
J'ai l'honneur d'être , &c. B * * .
ARTS UTILE S.
HORLOGERI E.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
OULEZ-VOUS bien avertir , Monfieur ,
ceux qui ont lû la lettre que j'ai eu l'honneur
de vous écrire en vous envoyant l'Extrait
des Regiſtres de l'Académie Royale
des Sciences, que c'eft une faute d'impreffion
qui me fait dire : On a vu dans l'Effai
fur l'Horlogerie que je viens de publier &c.
au lieu que j'ai dit , on verra dans l'Effai
fur l'Horlogerie que je ne tarderai pas
publier &c. Cette faute a fait croire à
I. Vol. G
50 MERCURE DE FRANCE
cordes demeure égale par la perfection de
la roue .
Il fait auffi des harpes à pédales.
Le
GRAVURE.
E fieur MOYREAU , Graveur du Roi ,
en fon Académie Royale de Peinture &
Sculpture, demeurant rue des Mathurins à
Paris, vient de mettre au jour une nouvelle
Eftampe qu'il a gravée d'après le Tableau
Original de M. Grevenbrock , Peintre du
Roi , qui a pour titre : Vue d'une Cathédrale
dans le goût Gothique. Le Tableau
appartient à M. Denis , Tréforier
général des Bâtimens du Roi.
Le fieur ALIAMET , Graveur , vient de
donner au Public deux Eftampes d'après
deux Tableaux de M. Vernet, repréfentant
des vues du Levant. Elles font dédiées à
M. de Villette , & ne peuvent faire que
beaucoup d'honneur tant au Peintre qu'au
Graveur à qui nous les devons . Elles fe
vendent chez l'Auteur, rue des Mathurins,
vis-à- vis celle des Maçons.
Le fieur LATTRÉ , Graveur , rue S. Jacques
, au coin de celle de la Parcheminerie
, à la Ville de Bordeaux , publie plu
JANVIER. 1761 . 151
fieurs nouvelles Cartes de Géographie de
grandeur ordinaire d'Atlas , fçavoir : la
Mappemonde , les 4 Parties du monde &
les Royaumes de l'Europe .Ces Cartes ont
été deffinées avec foin & affujetties au
Ciel par le fieur Janvier , Géographe.
L'élégance de la Gravure & le bon goût
des ornemens qui accompagnent ces
Cartes , joignent l'agréable à l'utile. Le
prix eft de 20 f. la piéce . Avec Privilége
du Roi.
Le même vient de mettre au jour un
Plan de Bordeaux d'une feuille d'Atlas ,
réduit d'après celui publié en 1755 , dédié
& préfenté au Roi par le Corps de Ville.
On y voit le Chartrons en entier avec la
nouvelle Eglife de ce quartier. Le prix eft
de 3 liv. Ce plan ne céde en rien aux plans
de Bordeaux en deux feuilles , & de Nantes
en quatre feuilles , publiés par le même
& bien accueillis du Public.
Giv
T52
MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V.
+
SPECTACLES.
OPERA.
EXTRAIT DE CANENTE.
LES
repréfentations de CANENTE ont
୨
continué trois fois la femaine , jufqu'au
Maidi 9 Décembre : depuis ce jour - là on
donne les FRAGMENS le Mardi & le Jeudi ,
& le Vendredi & le Dimanche l'Opéra
nouveau , dont le fujet eft tiré des Métamorphofes
d'Ovide , Liv . XIV . Fab . VI .
& VII...
Au premier Acte , le Théâtre repréfente
le Temple de Saturne , dont Picus eft
fils ; & un Trône préparé pour le couronnement
de ce Prince. Après une Scène
très - courte , entre Circé & Nérine fa Confidente
, qui fert d'avant Scène à l'Ouvrage
, Picus entre avec les Peuples , que
Circé a engagés à le reconnoître pour leur
Roi , & qui le proclament. Picus implore
fon père pour eux , & ce Dieu defcend
dans un nuage ; il annonce à ce Prince
la grandeur future des Peuples fur lef
quels il va régner ; ordonne aux Ages
JANVIER. 1761. 153
d'exprimer les tranfports de la valeur &
les douceurs de la Paix , & remonte aux
Cieux. Des Guerriers , figurant l'âge de
fer & l'âge d'airain , forment un premier
divertiffement par des jeux analogues à
leur caractére ; & fortent , avec les Peuples
, comme pour voler aux combats .
Des Bergers & des Bergeres , figurant l'âge
d'or & l'âge d'argent , forment le fecond
divertiffement . I eft fuivi d'une
Scène entre Picus & Circé , qui tâche de
démêler les fentimens de ce Prince ; elle
nomme Canente : Picus avoue qu'il l'aime
, & en trace ainfi le porttait :
Elle forme , à fon gré, les fons les plus touchans ;
Et l'on voit , chaque jour , à fes aimables chants
Toute la Nature attentive :
Les arbres , les rochers font émus à la voix ;
Elle arrête le cours de l'onde fugitive ;
Philoméle , au milieu des bois ,
Pour l'écouter , fufpend fa voix plaintive :
Ses beaux yeux font encor plus puiflans mille fois.
Voilà les fers charmans où mon âme eft captive.."
Il fort , pour hater le moment de fon
hymen avec Canente . Circé , outrée de ce
qu'elle vient d'entendre , fe propoſe d'affacier
le Tibre , qui aime auffi Canence
à la vengeance qu'elle médite contre fa
GY
2
154 MERCURE DE FRANCE.
rivale , & à laquelle elle s'excite ainfi , en
quittant la Scène .
Venez , tranſports cruels , implacable fureur !
C'est l'amour en courroux qui vous livre mon
coeur .
Le Théâtre repréfente d'abord , au fecond
Acte , les rivages du Tibre . Canente
peint , dans un Monologue , la fituation
de fon âme : elle tremble que la grandeur
n'affeibliffe la tendreffe dans le coeur
de Picus. Il vient ; elle ne lui déguiſe
point fes craintes.
Dans un coeur que la gloire enflâme ,
Il refte peu de place à l'amoureuſe ardeur ;
Et je priois l'Amour de défendre votre âme
Contre la gloire & la grandeur.
Picus lui fait de nouvelles proteſtations
de fa tendreffe. Circé paroît ; if
laiffe Canente avec elle , pour aller préparer
leur hymen.
,
Circé tente en vain d'engager fa rivale
à préférer le Tibre à Picus ; le Théâtre
change , & repréſente le Palais du Tibre,
où les fleuves & les Naïades de la Cour
de ce Dieu font raffemblés . Cette décoration
, faite d'après le deffein d'un célébre
Artifte , fait toujours un nouveau
JANVIER. 1761 . 155
plaifir. La fuite du Tibre forme le diver
tiffement , à la fin duquel le Dieu paroît.
Il fait des reproches à Canente. Elle y
répond par un aveu ingénu de fon amour
pour Picus le Dieu lui fait valoir les
avantages qu'elle trouveroit , en accep
tant fa main.
La Nymphe , à qui l'hymen engagera ma foi ,
Doit par l'ordre du Sort , devenir immortelle :
Venez , montez au rang où l'Amour vous appelles
Il vous devoit un Dieu , c'étoit trop peu d'un Roi.
·
Plutôt que de fouffrir un hymen qui m'outrage
Je défolerai tous ces lieux :
Tout s'y reffentira de ma fureur extrême ;
En d'horribles torrens , j'y répandrai mes eaux :
Et fil'hymen , pour vous , allume fes flambeaux ,
J'irai les éteindre moi -même .
Pour porter jufqu'à vous, d'affreux débordemens ,
J'épuiferai mes cavernes profondes ;
Et j'engloutirai dans mes ondes ,
La Victime , l'Autel , le Prêtre & les Amans.
Ce Morceau eft parfaitement bien mis
en Mufique , & il y a dans l'accompagnement
des effets admirables. Canenie ,
effrayée , court à Circé , qui paroît , & la
G vj
r56 MERCURE DE FRANCE.
prie de s'oppofer aux tranſports du Tibre.
Circé lui répond :
Connois enfin mon coeur ; c'eft affez t'abuſer :
Ceffe d'implorer ta rivale..
Il faut répondre à mon envie.
LETIBRE.
Il faut combler mes voeux.
CIRCÉ.
Ou craindre ma furies-
LE TIBRE..
Devenir immortelle.
CIRCÉ.
Ou renoncer au jour.
CANENTE.
Vous pouvez m'arracher la vie ;
Mais rien ne peut. m'arracher mon amour.
Des Démons foumis à Circé enlévent ·
Canente , & traverfent le Théâtre , en
montant , grouppés dans des nuages .
Cet Acte eft terminé par ce Duo du
Tib re & de Circé.
Oppofons , oppofons la colère à l'outrage ;
Il faut que l'Amour foit vengé.
C'eſt au dépit , c'eſt à la rage c
Avenger l'Amour outrage.
-
a
JANVIER. 1761 157
On ne peut faire trop d'éloges de ce
Morceau de Mufique ; il eft de la plus
grande beauté , & l'exécution y répond
parfaitement.
La décoration du troifiéme Acte repréfente
le Palais de Circé. Elle entré , &
apprend de Nérine que Picus eft accablé
de douleur de ne plus voir Canente ;
elle lui ordonne d'aller inftruire ce Prince
que la Nymphe eft dans fon Palais , &
qu'elle doit s'unir au Tibre qui l'adore.
Canente paroît : Circé tente inutilement
de la faire renoncer à fon amour ; &
prend le parti d'appeller les Miniftres
de fon art . Ils accourent à fa voix : elle
leur ordonne d'employer les plus terribles
moyens pour l'amener à ce qu'elle
defire.
Des Démons , armés de poignards &
de ferpens , exécutent fur un air admirable
, les mouvemens les plus propres à
effrayer Canente : trois autres Démons
fortent de deffous le Théâtre au milieu
des flames, & grouppés pittorefquement :
ils achèvent de remplir l'étendue de ce
premier Air par des mouvemens encore
plus marqués . Sur un fecond Air vif ,
leur Chef paroît deux flambeaux ardens
à la main : tous les autres le faififfent aux
bras , fe gtouppent avec lui ; & dans l'in
158 MERCURE DE FRANCE.
ftant fe trouvent auffi armés chacun de
deux pareils flambeaux , ils entourent Canente
& la pourfuivent avec fureur en
même temps des feux s'élèvent de toutes
parts dans le Palais. Les Choeurs des Miniftres
de Circé ſe joignent aux Démons
pour tourmenter Canente , & concourent
avec eux & avec l'Actrice , à former le
tableau le plus frappant & le plus intéreffant.
A la fin du Choeur , les Démons
fe retirent . Canente , reftée feule avec les
Miniftres de Circé , tâche de les attendrir
par le charme de fa voix . D'abord ils y
font infenfibles ; mais ils cédent enfin à
fes tendres accens . Toute cette fituation
eft d'une grande beauté. M. Dauvergne
l'a bien fentie ; & on peut affûrer la
Mufique contribue beaucoup à en augmenter
l'effet . Circé & le Tibre reparoiffent.
Le calme qui regne alors , fait
penfer à Circé que Canente a été vaincue
par les tourmens qu'elle a éprouvés.
Canente la défabufe ; elle a touché les
Miniftres de Circé , & fon coeur n'eſt
point changé . La Magicienne , furieuſe,
change fes Miniftres en Monftres , à qui
elle ordonne de dévorer fa rivale. Le Tibre
s'y oppoſe , en la menaçant de faire
périr Picus , fi elle attente fur la vie de.
Canente. Circé , allarmée de cette meque
JANVIER. 1761 . 159
nace , fait retirer les Monftres , laiffe
aller Canente , que le Tibre fuit ; & fort
elle-même , après avoir ordonné à Nérine
de faire venir le Prince en fon Palais.
Au quatrième Acte , le Théâtre repréfente
les jardins de Circé , qui entre avec
Picus , à qui elle vient de dire que Canente
eft infidelle. Il fe plaint de la Nymphe
n'écoute rien de ce que lui dit Circé pour
l'engager à changer auffi ; & tombe ,
accablé de douleur , fur un gâzon . Circé
l'affoupit , en le touchant de fa baguette ;
&
pour donner plus de force aux charmes
qu'elle veut employer pour lui faire oublier
Canente , & le rendre fenfible à l'amour
qu'elle reffent pour lui , elle invoque
la Nuit , qui defcend à fa voix , dans un
grouppe de vapeurs , également Poëtique
& bien compofé . La fuite de la Nuit ,
& des Magiciens , de la fuite de Circé,
fous des formes agréables , compofent un
divertiffement
d'enchantement
, auffi ingénieux
qu'agréable , & répandent fur
Picus des fleurs enchantées . M. Dauvergne
a faili le caractére de ce divertiſſement,
en homme de génie : il y a , entre autres
beaux airs , deux Gavottes du premier
mérite , & une Paffacaille très -belle . M.
Veftris,a trouvé dans cette Paffacaille, l'occafion
de développer toute la perfection
160 MERCURE DE FRANCE.
de fon talent , & y a parfaitement rempli
l'idée qu'on en avoit déjà. La Paffacaille
eft fuivie d'une invocation à l'Amour , qui
a déjà été chanté en Duo au commencement
du divertiffement , & pour laquelle
les Choeurs s'uniffent alors à Circé & à la
Nuit. Ce morceau , qui eft auffi danfé en
même tems , eft d'un grand effet , & termine
le divertiffement de la maniére la
plus brillante. L'Amour defcend , en ce
moment, dans une machine fort agréable :
il déclare à Circé qu'il protége Picus & Canente
& qu'elle ne doit pas prétendre à
brifer le trait dont il a bleffé leurs âmes.
Il remonte aux Cieux. Circé, plus furieuſe
que jamais , s'exprime ainfi .
Ah ! fipour mon bonheur je manque de puiffance
Je n'en manquerai pas du moins pour ma vengeance.
( à la Nuit. )
Laillez-moi ; je me livre à mes emportemens.
La Nuit fort avec fa fuite . Circé, réſolue *
de feindre encore , tire Picus de fon affoupiffement
; lui dit que Canente eft fidelle ;
lui avoue l'amour qu'elle a pour lui ; &
l'affure qu'elle va s'immoler à fon bonheur
& à celui de Canente ; enfin qu'elle veur
JANVIER. 1761. 161
fes unir dès ce jour. Elle fort , en difa nt à
part :
Qu'ils favent peu l'hymen qu'apprête ma fureur !
Le cinquiéme Acte commence par un
monologue de Circé, dans les mêmes jardins.
Elle a pris foin d'écarter le Tibre ,
qui auroit pu s'oppofer encore aux effets
de fa fureur : elle attend fes victimes . Nérine
vient lui annoncer qu'elles vont bientôt
fe rendre auprès d'elle . Circé appelle les
Euménides : elles fortent des Enfers : elle
les inftruit de fes deffeins . Les Euménides
s'animent à les remplir.
CIRCE.
Que ces tranfports à mes yeux font charmans !
Mais à tout préparer employons les momens.
Pour les tromper , ( Picus & Canente . ) que ce
lieu s'embelliffe.
Vous,paroiffez ces Dieux qu'attendent leurs defirs;
Et fous la forme des plaifirs ,
Préparez-leur le plus affreux fupplice.
Le Théâtre change , & repréſente le
Temple de l'Hymen . Les Furies, fous la formede
l'Amour & de l'Hymen , font auprès
d'un Autel , chacune un flambeau à la
main ; les Euménides fe retirent dans la
partie la plus intérieure du Temple : dau
16 MERCURE DE FRANCE.
tres Furies , fous des formes agréables ,
font aux côtés du Théâtre . Picus & Ca
nente arrivent fuivis par les Peuples .
Elle les conduit à l'Autel . Pendant
qu'ils y chantent un duo , les Furies qui
l'entourent fecouent leurs flambeaux ; il
fort des Enfers des vapeurs enflammées ;
il tombe une pluie de feu ; des flammes
fe répandent partout. Les Euménides reparoiffent
, faififfent Picus & Canente , les
féparent ; & , fur l'ordre de Circé , levent
le poignard fur eux. Mais le tonnèrre ſe
fait entendre , l'amour paroît dans les
airs ; il précipite les Euménides & les Furies
dans les Enfers , & délivre les deux
Amans. Le Théâtre change en même
temps , & repréſente un Palais brillant.
Circé fort , la rage dans le coeur ; & une
fête agréable termine l'Opéra.
Il y a dans cet Ouvrage des détails heureux
, des tableaux vifs & faits pour le
Théâtre ; mais on y defireroit moins de
de magie , & plus de cette chaleur , de
cet intérêt fi néceffaire à tout Poëme Dramatique
, & peut - être plus encore à un
Ouvrage lyrique , dans lequel on ne peut
y fuppléer par des détails , comme on y
parvient quelquefois dans ceux d'un autre
genre . On y a fait des changemens confidérables,
& avantageux,furtout au cinquié
JANVIER. 1761. 163
me Acte, qui eft prèfque neuf. La catastrophe
de cette Tragédie , telle que M. Dela
Motte l'avoit laiffée , étoit la mort de Canente
, empoisonnée par les Furies , & la
métamorphofe de Picus en pivert. On a
applaudi au nouveau dénoûment , qui fatisfait
davantage le Spectateur , & donne
lieu à un dernier divertiffement , qui termine
le fpectacle de la façon la plus brillante.
Quant à la Mufique , les talens de
M. Dauvergne font cónnus , & cet Ouvrage
en fournit de nouvelles preuves .
L'ouverture est belle ; on y trouve des
fymphonies diftinguées , & des morceaux
faillans ; en un mot on eft généralement
fatisfait de la partie inftrumentale ; & cela
ne fert qu'à faire defirer plus vivement
que l'Auteur s'attache davantage à la vocale
: c'eft- à-dire , qu'il travaille fur des
fondsqui fourniffent à un dialogue mufical
ferré & intéreffant. Quelque fupériorité
qu'ait un Muficien, il faut qu'il foit fecondé
par des Poëmes heureuſement faits , pour
que fes Ouvrages aient un plein fuccès.
Les Maîtres de l'Art l'ont éprouvé , dans
tous les temps ; & M. Dauvergne eft certainement
convaincu de cette vérité. Le
Poëme de Canente n'a pas mis M. Dauvergne
à portée de développer fes talens
pour la vocale , parce qu'il eſt dénué de
164 MERCURE DE FRANCE.
ces Scènes dont une feule a fait fouvent
la fortune d'un Opéra.
Celui - ci a été préfenté au Public avec
tous les foins qu'on doit attendre des Directeurs
, qui n'ont rien épargné pour les
décorations , pour les autres parties du
Spectacle , ni pour les habillemèns.
Mlle Chevalier a été vue avec grand
plaifir dans le rôle de Circé , & a reçu
beaucoup de marques de la fatisfaction
du Public . M. Gélin a été accueilli de mêne
dans celui du Tibre , qu'il a rendu
avec beaucoup de feu . Mlle Lemiere , qui
' étoit déjà malade avant la premiere repréſentation
de cet Opéra , a été obligée
de quitter le rôle de Canente après l'avoir
joué deux fois feulement. Mlle Arnoudl'a
remplacée à la cinquiéme repréfentation .
Elle a joint au charme de l'organe , l'action '
la plus vraie & la plus attendriffante , furtout
dans le troifiéme Acte , où elle a reçu
les plus grands applaudiffemens. Les autres
rôles , moins confidérables , ont été
bien rendus.
On a vu reparoître dans cet Opéra M.
Lionnois , à qui le Public a donné des
marques très - flatteufes de fa bienveillance.
MM, Lany & Laval , Mlle Lionnois
& Mlle Veftris , ont partagé les juftes ap
plaudiffemens des Spectateurs.
JANVIER 1761 . 165
Les ballets , qui font très- bien compofés
, fourniffent de nouvelles preuves des
talens fupérieurs de M. Lany, & méritent
beaucoup d'éloges.
Mlle
Le Vendredi & le Dimanche 7 ,
Dubois a remplacé Mlle Chevalier , dans
le rôle de Circé , qu'elle a fort bien rendu ,
& dans lequel elle a été applaudie.
Mlle Rozet a chanté ces deux jours-là
le rôle de la Nuit , avec une belle voix.
Cette nouvelle Actrice eft bien au Théâtre
; elle a de la nobleffe ; & il eft fort à
defirer qu'elle travaille férieufement à
acquérir ce qui lui manque dans la partie
des agrémens du chant, qui font effentiels ,
& fans lefquels la plus belle voix ne produit
jamais ce qu'on avoit droit de s'en
promettre.
Le fieur Joli continue de faire le plus
grand plaifir dans le rôle de Pigmalion ,
où il vient de montrer , à la fatisfaction .
du Public , que fa voix a dans le haut plus
d'étendue qu'on ne lui en croyoit , fans
y rien perdre de fon agrément.
164 MERCURE DE FRANCE.
ces Scènes dont une feule a fait fouvent
la fortune d'un Opéra.
Celui - ci a été préfenté au Public avec
tous les foins qu'on doit attendre des Directeurs
, qui n'ont rien épargné pour
les
décorations , pour les autres parties du
Spectacle , ni pour les habillemens .
Mlle Chevalier a été vue avec grand
plaifir dans le rôle de Circe , & a reçu
beaucoup de marques de la fatisfaction
du Public. M. Gélin a été accueilli de même
dans celui du Tibre , qu'il a rendu
avec beaucoup de feu. Mlle Lemiere , qui
étoit déjà malade avant la premiere repréfentation
de cet Opéra , a été obligée
de quitter le rôle de Canente après l'avoir
joué deux fois feulement . Mlle Arnoudl'a
remplacée à la cinquiéme repréfentation .
Elle a joint au charme de l'organe , l'action '
la plus vraie & la plus attendriffante , furtout
dans le troifiéme Acte , où elle a reçu
les plus grands applaudiffemens . Les autres
rôles , moins confidérables , ont été
bien rendus .
On a vu reparoître dans cet Opéra M.
Lionnois , à qui le Public a donné des
marques très - flatteufes de fa bienveillance.
MM, Lany & Laval , Mlle Lionnois
& Mlle Veftris , ont partagé les juftes ap
plaudiffemens des Spectateurs.
JANVIER. 1761 . 165
Les ballets , qui font très - bien compofés
, fourniffent de nouvelles preuves des
talens fupérieurs de M. Lany, & méritent
beaucoup d'éloges .
Le Vendredi S & le Dimanche 7 , Mlle
Dubois a remplacé Mlle Chevalier , dans
le rôle de Circé , qu'elle a fort bien rendu ,
& dans lequel elle a été applaudie.
Mlle Rozet a chanté ces deux jours - là
le rôle de la Nuit , avec une belle voix.
Cette nouvelle Actrice eft bien au Théâtre
; elle a de la nobleffe ; & il eft fort à
defirer qu'elle travaille férieufement à
acquérir ce qui lui manque dans la partie
des agrémens du chant, qui font effentiels,
& fans lefquels la plus belle voix ne produit
jamais ce qu'on avoit droit de s'en
promettre.
Le fieur Joli continue de faire le plus
grand plaifir dans le rôle de Pigmalion ,
où il vient de montrer , à la fatisfaction
du Public , que fa voix a dans le haut plus
d'étendue qu'on ne lui en croyoit , fans
y rien perdre de fon agrément.
166 MERCURE DE FRANCE
COMEDIE FRANÇOISE.
EXTRAIT de CALISTE , Tragédie de
M. COLARDEAU .
PERSONNE ERSONNE n'ignore que cette Piéce eft
tirée du Théâtre Anglois. Les Critiques
qui l'ont foumife à leur cenfure , ont donc
moins fait tomber leurs reproches fur l'ingénieux
imitateur que fur l'original. Toutes
les fautes de M. Colardeau , ne font
que d'après M. Rowe , Auteur de la Califte
Angloife. Comparons la marche & la
contexture des deux Piéces. Examinons
d'abord celle qui a fervi de modéle .
Altamont & Horatio , fon ami & fon
beau-frere , ouvrent la Scène . Altamont
s'applaudit de ſon prochain mariage avec
Califte. Sciolto pere de Califte a recueilli
Altamont expirant de douleur fur le tombeau
de fon père , il l'a rétabli dans fes
emplois. Ce Vieillard généreux paroît , il
comble Altamont de marques de tendreffe
, il lui dit cependant que fa fille ( Califte
) fe plaint qu'il n'a pas l'empreffement
d'un nouvel époux. Altamont lui
répond que ce reproche l'étonne.»Quand,
JANVIER. 1761. 167
(dit-il) par vos commandemens, la nuit
» derniere , Califte fut obligée de confen-
» tir à mon bonheur , je voulus avant
» de la quitter prendre un baifer fur fes
» lévres pour gage de nos voeux : je les
» trouvai froides comme le marbre & c.
Sciolto lui dit que, c'eſt une diffimulation
attachée au Sexe .
Lothario & Roffano, ſon ami , viennent
fans être vus des autres Acteurs , qui fe
retirent. Dans cette Scène , Lothario déploie
fon caractére. Il s'applaudit d'avoir
deshonoré Califte. Il l'avoit trouvée endormie.
» L'Amour feul veilloit ( dit-il ; ) la
» vertu & la fierté , gardiens ordinaires
» de l'honneur , dormoient ainfi qu'elle
» &c.
ور
Il femble , par ce récit , que Califte ait
partagé fes tranfports ; & que fa vertu , de
concert avec la furpriſe de fes fens , ait
cédé à la violence de Lothario . Il avoue
à fon ami que fon amour s'éteignit avec
fon bonheur ; qu'il lui a offert le rang de
fa maîtreffe ; mais qu'à cette propofition ,
Califtes'eft livrée au plus affreux déſeſpoir.
Lucile,fa confidente, vient lui apporter une
lettre de fa part. Calife lui mande qu'elle
eft obligée d'épouſer Altamont ; & lui
donne un rendez- vous. Il dit à Lucile ,
qu'il le rendra à l'heure marquée. Lotha
G8 MERCURE DE FRANCE.
rio , en fortant , croit mettre la lettre
dans fa poche , & la laiffe tomber. Horatio
, qui arrive , ramaffe cet écrit , où le
déshonneur de Califte n'eft que trop
prouvé.
Horatio , pénétré du malheur de fon
ami , balance fur l'ufage qu'il doit en faire.
Il a une longue converfation avec fa femme
, qui le voit trifte , & voudroit en
pénétrer le fujet . Il fe répand feulement
en plaintes vagues fur la perfidie & l'infidélité
des femmes.
AU SECOND ACTE , Califte eft en proie
au plus grand défefpoir. Lucile voudroit
qu'elle ne revît pas Lothario . Elle lui répond
que fon deffein eft de traiter le perfide
avec toute l'indignation & le mépris.
qu'il mérite , quoiqu'elle l'aime toujours .
Altamont reçoit de la bouche même de
Califte l'arrêt de fon malheur ; elle lui
dit que leurs coeurs ne font pas faits l'un
pour l'autre , qu'ils peuvent être liés par
les loix , mais qu'ils ne le feront jamais
par l'amour. Sciolto, qui paroît , veut que
Ja joie la plus vive fignale la fête du mariage
de Califte & & Altamont . On chante
des couplets fur ce fujet. Les Acteurs fortent
, excepté Horatio , qui annonce au
Spectateur qu'il va chercher Lothario
pour s'éclaircir fur cette lettre qu'il eft
tenté
9
JANVIER. 1761. 169
>
eft tenté de croire contrefaite . Scène entre
Lothario & Horatio. Le premiér
confervant fon caractére d'infolence &
de perfidie , déclare à l'ami d'Altamont
ce qui s'eſt paffé entre Califte & lui . Horatio
ne peut le croire . Lothario lui promet
des preuves convaincantes. Ils fe
donnent enfin un rendez- vous pour fe
battre.
Au troifiéme Acte , Sciolto reproche à
La fille la trifteffe où il la voit plongée.
» J'ai déjà , répond-elle , rempli la moitié
de mon devoir , j'ai donné ma main
» à Altamont pour accomplir les ordres
» d'un pere que je refpecte . Sciolto foupçonne
que quelque fentiment indigne de
fa fille eft la caufe de ce chagrin , dont
elle s'obſtine à taire la caufe , il la menace
de la punition la plus cruelle fi elle venoit
jamais à manquer à fon honneur.
Califte, feule , fe plaint de la condition
'de fon fexe. Horatio vient l'interrompre.
Cette Scène eft extrêmement adroite &
bien développée ; l'ami d'Altamont emploie
tous les ménagemens poffibles. Califte
ne lui répond que par des hauteurs &
des injures. Hor. » C'eft ici, Madame , c'eft
» à la face des Dieux qu'il faut me jurer
» que vous ne verrez jamais le perfide
» qui vous a déshonorée... ou je vous pro-
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
» tefte que cette lettre .... ( Califle veut
» s'en aller. ) Oh ! vous ne m'échapperez
" pas : oui cette coupable lettre fera ren-
» due publique , & yous couvrira de hon-
" te. Califte Que prétends - tu dire avec
$9
cette lettre ? Je vois que tu l'as imagi-
» née pour tromper mon père & l'irriter
» contre fa malheureuſe fille, dans le def-
» fein de partager fes richeffes avec Al-
» tamont. Hor. Pouvez -vous méconnoî-
» tre cette lettre ? Voici votre figna-
» turé. Cal. (fe jettant deffus la lettre
» & la déchirant. ) Je voudrois pouvoir
» ainfi déchirer le Scélérat qui a été
capable d'une pareille invention. Califte
met le comble à la noirceur de fon
caractère , en accufant Horatio auprès
d'Altamont , qui eft étonné de la
trouver dans les larmes ; elle fort en
maudiffant le mariage . La Scène , entre
Altamont & fon ami, eft intéreffante . Horatio
lui dit enfin, que Califte eft fauſſe &
infidelle. Altamont ne peut la foupçonner
; ils mettent l'épée à la main. Lavinie
foeur d'Altamont & femme d'Horatio,
vient les féparer , & veut les réconcilier.
Altamont qui croit toujours que fon
ami a voulu mal- à - propos accufer Califte,
fe retire furieux. Horatio refte avec fa
femme , qui cxche à le confoler.
JANVIER. 1761. 171
La Scène , au quatriéme Acte , eft dans
le Jardin du Palais de Sciolto. Altamont
eft auffi inquiet qu'affligé. Califte , dès le
point du jour , s'eft dérobée de fes bras ,
fans que fon amour ait pût l'arrêter . » J'ai ,
» dit- il , perdu un ami ; & gagné , quoi ?...
»une femme. ( Cette plaifanterie eft affez
peu digne de la majefté du cothurne. ) II
cherche quelqu'ombrage folitaire & veut
s'y abandonner au fommeil. Lothario &
Califte paroiffent enfemble ; elle l'accable
de reproches. » Ne me parle pas , ditelle
, de mes égaremens : le fouvenir
»feul m'en fait frémir. Que cette nuit ,
» cette coupable nuit foit à jamais effacée
» de l'année , ou qu'elle foit long-temps
» ténébreuſe ; qu'on en attende même vainement
l'aurore , puifque c'eft cette
» nuit qui m'a déshonorée. ( Ce trait eft
emprunté de Job. ) Lothario lui propofe
de répondre encore à fon amour ; » Cal.
» ofes- tu bien penfer que je vouluffe en-
» core me livrer à tes lâches defirs ? ... »
Le caractère de Lothario , eft.ici auffi indécent
qu'odieux. Altamont vient , & les
écoute. Califte , qui ne le voit point , dit
à Lothario , que s'il lui avoit été fidéle ,
Altamont n'eût jamais été fon époux ...
Altamont à Califte. ) Regarde , le
voici. Calife. Ah ! ....Le mari & l'amant
ןכ
Hij
172 MERCURE DE FRANCE:
fe battent. Lothario ( en tombant bleſſe
dans la couliffe.) » Ah ! je meurs .... J'ai
» pourtant triomphé avant toi ; les fa-
» veurs de l'amour me confolent de ma
» défaite ; celle qui fit mon bonheur
» fait maintenant ton infortune . Sciolto
trouve Altamont & Califte dans l'accablement.
Altamont.! » Voyez ce corps , devi-
» nez ma honte , & mon défeſpoir ! oh !
» malheureuſe Califte ! Sciolto veut tuer
fa fille . Elle lui demande la mort comme
un bienfait . Son pere la bannit de fa
préfence. Altamont , frappé de la fureur
qui éclate dans les yeux de Sciolto , veut
l'attendrir vainement en faveur de Califte.
"
Il ordonne qu'on emporte le corps de
Lothario . Altamont refte feul. On entend
un bruit d'armes . Deux Valets paroiffent,
avec des épées nues. Lavinie. » Retour-
» nez promptement au fecours de mon
» cher Horatio .... Ramenez mon mari .
Elle apprend à Altamont qu'ils ont été
enveloppés par une multitude de furieux,
qui cherchoient Lothario, Un fecours arrivé
du Palais de Sciolto , a mis en fuite
ces fcélérats. Horatio arrive avec deux ou
trois Valers , l'épée à la main ; cette Scène
eft pleine de fentiment & de chaleur.
Horatio, furieux contre Altamont ,fe laiffe
attendrir par les pleurs de fa femme &
JANVIER. 1761 . 173
.
de fon ami , & lui rend fon amitié.
C'est dans ces morceaux que fe déploye
le génie Anglois , & qu'il ſe montre
, j'ofe le dire , fupérieur à ce que nous
avons de mieux fur notre Théâtre . Mais
des morceaux , & point d'enſemble. Nul
homme ordinairement n'eft plus différent
de lui - même qu'un Poëte Anglois : c'eſt
Caftor ou Pollux, tantôt habitant des cieux,
tantôt citoyen du Ténare.
Acte cinquième. C'eft ici que l'imagination
Angloiſe a déployé tout fon noir,
tout fon terrible. Le Théâtre repréſente
un appartement tendu de deuil ; d'un côté
eft le corps de Lothario étendu fur une
bière , de l'autre une table fur laquelle
eft une tête de mort avec quelques offe
mens & un livre une lampe funefte
éclaire la Scène. On apperçoit Califle, dans
le fond du Théâtre , couchée fur un lit
fes cheveux déliés & en défordre ; on en
tend une mufique lugubre & effrayante .
UNE VOIX.
PREMIER COUPLET
» Ecoutez- moi , vous phantômes de la
Nuit , qui paroiffez pâles & décharnés ,
» qui rempliffez de crainte les malheu-
Feux que le fommeil abandonne ! Vous
»
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
» qui errez & gémiſſez autour de vos an→
» ciennes demeures , qui vous reprochez
» fans ceffe vos crimes , & à qui la mort
» n'a pu donner le repos : fortez de ces
» tombeaux où vous vous cachez pour
» éviter la lumière. Hâtez - vous , paroiffez
Dici
"
II. COUPLET
» Reprochez à Califte , de différer trop
longtemps à fe joindre à vous; dites- lui,
que c'est elle que vous attendez ; com-
» mandez-lui de mourir, & difparoiffez....
» Vois le Miniftre des cérémonies funé-
» bres. Le tombeau s'ouvre ; écoute , Califte
! profterne toi ; cette mufique , eft
» la trifte cloche qui fonne ton trépas .
"
Il faut avouer que ces deux couplets
font de la plus grande beauté , & qu'ils
jettent dans l'âme un terrible qui eft biendu
reffort de la grande Tragédie. Califte,
feule, fe livre aux affreufes réflexions que.
peut infpirer un pareil féjour. Elle lit :
» Les remords , dit - elle , que je porte
» dans mon coeur, font bien plus puiffans
»que toutes les méthodes qu'on peut nous
enfeignet ..... Pourquoi ce crâne & ces
» offemens en parade ? tout cela peut-il
m'effrayer ?...
رو
Elle regarde le corps de Lothario, Sciol
JANVIER. 1761. 175
"
, fans voir Califte , inftruit le Spectateur
que le Sénat & le peuple font diviſés.
Il apperçoit Califte ; il la compare à Hélene
, fpectatrice des maux qu'elle avoit
caules. Cette Scène eft animée par un
grand pathétique. Sciolto tire fon poignard
; il lui échappe des mains. Il donne
le poignard à fa fille : Si tu m'entends ,
» dit - il , fais ton devoir. Elle veut fe
percer. Son pere lui retient le bras ; il la
prie d'épargner à fes yeux ce fpectacle inhumain
Je voudrois : » , continue- t il ,
pouvoir changer ta deſtinée : mais , hélas
! tu dois mourir ...... Il la quitte.
Altamont vient à fon tour , qui l'invite à
oublier leurs malheurs paffés ; il la trouve
toujours réfolue à mourir. Horatio leve
annonce, que Sciolto a été enveloppé par
la faction de Lothario , & qu'il eft prêt
d'expirer. Altamont veut le tuer . Sciolio
paroît enfanglanté , foutenu par fes domeftiques
; il embraffe fa fille , lui par
donne , & meurt . Califte meurt auffi , en
faifant une espece de réparation à Altamont
: Mes yeux , en fe fermant , pren
» nent quelque plaifir à te voir , & tu es le
» dernier objet qu'ils auront vû. Altamont .
tombe évanoui ; & la Piéce finit par cette
morale : » Apprenons , par de pareils
exemples , à éviter les malheurs & les
2
Hiy
76 MERCURE DE FRANCE.
chagrins qui fuivent néceffairement une
paffion illégitime : bientôt la mort , ou
» mille accidens fâcheux , diviſent ceux
» qu'un lien facré devoit unir. La vertu
» feule peut rendre l'hymen heureux &
>> tranquille.
Parcourons , préfentement , la Califte
Françoife.
Acte premier. Montalde , ami de Lothario
, veut adoucir fon efprit toujours irrité
contre Sciolio. Lothario a été deux ans
abſent de Gènes ; il y revient,rappellé par
ce même Sciolto qu'il détefte & qui doit
lui procurer un emploi glorieux . Il aime
toujours Califte. Il rappelle ces jours où
la jaloufie & la fureur lui ont fait exciter
une révolte & égorger le pere dAltamont
, qui étoit prêt d'époufer Califte.
Il peint ainsi , avec cette décence qu'exige
la délicateffe Françoiſe , le déshonneur
de Califte.
»Je courus vers Califte ... à l'aſpect du courrour
» Qui peignoit dans mes yeux mes fentimens ja
loux ,
» Voyant encor ma main de meurtre dégoutante;
›› La victime à mes pieds interdite , expirante ,
>>Tombe fans mouvement.... O tranſports crimi
» nels !
JANVIER. 1761 . 177 :
» Dieux ! il eſt donc des coeure que l'Amour rend
» cruels ?
On ne peut couvrir d'un voile plus
décent une aventure auffi indécente. Ce
trait fait honneur au jugement & au goût
de M. Colardeau.
Sciolto donne à Lothario le commandement
de l'armée contre les Corfes ; il
veut bien étouffer toutes les haines pour
employer la valeur d'un homme qu'il regarde
comme fon plus cruel ennemi. Il
lui dit ces deux beaux vers :
» Mais tout ingrat qu'il eſt , ton fang eft à l'Etat ş
» Et dans le Citoyen je pardonne à l'ingrat.
Lothario accepte l'emploi : mais il veut
que l'ordre foit fcellé au Palais de Frégofe
, qui eft le Doge , & à la fois un factieux
& un ennemi de l'Etat . Lucile
Confidente de Califte , vient annoncer à
Sciolto que fa fille eft plongée dans une
profonde douleur . Elle voit Lothario .
Quel Monftre , dit elle, épouvante mes
" yeux ! Lothario veut lui faire des quef,
tions, au fujet de Califte.
39
SCIOLTO.
Que t'importent , cruel , les maux de ma familles
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
LOTHARIO .
Que m'importe , grands Dieux !!
SCIOLT O.
>> Retournez vers ma fille , " ,
Lucile: dites-lui , pour calmer fes douleurs ,
>> Que mes embraffemens vont éffuyer fes pleurs .
( Lucilefort . )
>> Allez. ( à Lothario ) Toi , cours au Port...
وو
LOTHARIO.
>> Ah ! je dois fuir fans doute;
Califte me détefte & je pars... mais écoute :
> Si de tes derniers ans le cours t'eft précieux ,
» Ne précipite point un hymen odieux .
» Attends le jour augufte où mes mains fortunées,
Tourneront vers ces bords nos poupes couron
nées ;
›› Ou que ce même ami qui doit fuivre mes pas ,
> Ata fille vengée annonce mon trépas.
•
SCIOLT O.
• Quel jour affreux a paffé dans mon âme ??
Il brûle pour Califte , & j'ignorois ſa flâme !
Sciolto croit cependant que fa fille le
détefte. Il annonce à Altamont que les
jour de la délivrance de Gènes eft arrivé
; que Frégofe fait fortir des remparts
fon armée pour aller combattre les Cor
fes que Lothario , fon appui, eft éloigné ,
fous le même prétexte. Altamont , fans 5
JANVIER. 1761
179
les ordres de Seiolio , eût attaqué Lothario
, & cherché à lui arracher la vie ,
parce qu'il le foupçonne d'avoir fait péfir
fon père.
Sciolio lui fait part des motifs qui lui
fonr preffer fon mariage avec Califte.
Altamoni veut reculer l'inftant de fon
bonheur ; il lui avoue que Califte eft
dans les larmes. Sciolto répond , que fa
fille obéira à fes ordres.
Acte II. Altamont cherche à diffiper
le fombre chagrin dont Califte eft accablée.
Califte répond , qu'elle ne peut fe réfoudre
à former ces nouds . Elle l'engage
à ne plus la voir , & lui raconte un fonge
affreux.
»
Altamont, étonné , femble foupçonner
que Califte eft prévenue pour un autre
que lui. Ce n'eft pas à vous , dit-elle ,
» de percer le mystère de mes refus. Altamont
fort défeſpéré. Califte s'abandon - `
ne plus que jamais au défefpoir ; elle
craint qu'Altamont ne foit inftruit de fa
paffion pour Lothario .
CALIST E.
» Le Ciel m'en eft témoin ; l'ennemi de ma gloires
» Ne peut s'enorgueillir d'une injufte victoire :
» Le triomphe odieux furpris par la fureur ,
Fut celui d'un Tyran & non pas d'un vainqueus,"
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
Ce nouveau trait, où éclate l'adreffe de'
l'Auteur , fuffit au Spectateur pour l'inf
truire de l'outrage qu'a reçu Califte . Elle
pourſuit fon récit fa mere avoit approuvé
leur penchant mutuel ; & lui à ,
en mourant , laiffé une lettre propre à
la juftifier dans l'efprit de Sciolio .
» La Nature , crois- moi , dans le ffein d'une mere,
>>Jette un cri plus plaintif que dans celui d'un
pere.
Califte ne craint point de mourir
mais de caufer la mort de fon père , en
Jui apprenant le fujet de fes larmes . Elle
ne fçait pourquoi Lothario a revu Sciol-
10. Elle appréhende que le mystère de fa
honte n'ait été révélé. Son père vient
pour l'entraîner aux Autels. Califte embraffe
fes genoux , lui dit que ce n'eft
-point Altamont mais l'hymen qu'elle
abhorre.
SCIOLT O.
» Va , je t'aime toujours .... mais vois ſi ma bonté
» Doit , au gré de tes pleurs, changer ma volonté,
>>Un monftre,dans ces murs , opprime ma vieil
leffe.
>> Sa haine enveloppant l'Etat dans les forfaits ,
» A vendu la patrie aux Tyrans que je hais,
Ma fille , tu frémis ! Lothario.. ,
JANVIER. 1761. 181
Il ajoute que ce perfide dit , qu'il aime
Califte. » Lui? répond- elle...qu'il meure ! ...
Vengez l'Etat & vous.... Il va partir, con
tinue Sciolto.
CALISTE.
Tombe fur moi la foudre.
Il part !..vous l'ordonnez... Il a pû s'y réfou
dre?
Califte eft troublée ; & l'Amour eft caché
fous ce trouble , dont il eft lui feul
l'Auteur.
Acte III. Califte ne peut fe réfoudre à
voir partir Lothario ; elle exige qu'il demeure.
5 II fuit !
MONTALDE.
...Madame , que je crains.. ]
CALISTE.
MONTALDE.
Déjà la voile aux vents ab andonnée.
5. Mais de quel foin votre âme eſt- elle importunées
» Ah , que Lothario quitte à jamais ces bords :
›› Cruel dans ſes forfaits , il l'eſt dans fes remords.
CALISTE.
>> Quel diſcours ! ..
MONTALDE.
Pardonnez .... votre vertu , fon crime
CALISTE.
>> J'entends : il a comblé le malheur qui m'op
prime ;
182 MERCURE DE FRANCE.
>>'De fon lâche triomphe il a femé le bruit !
Elle continue: Qu'il parte .... ( à Montalde. )
» Vous m'avez fait rougir: ne me voyez jamais .
Califte , furieufe , eft réfolue de matcher
aux Autels .
Lothario paroît enfin devant Califte.
il lui avoue qu'il abhorre Sciolto ; qu'il
eft feul caufe des outrages qu'elle a reçus
, en voulant lui faire époufer Altamont.
» Le crime de l'Amour,fut commis par la haine.
Califte fe plaint de ce qu'il ne lui a
pas donné la mort , & de ce qu'il ne l'a
jamais aimée. Lothario lui répond , que
c'eſt une injure .
Amant audacieux , fans honneur & fans foi ,
> J'ai mérité ce titre & je l'attens de toi :
>> Mais nier mon amour ?
>> Sciolto! ... fon nom feul glace mes fens d'éffrot .
›› Que fait - il ? & d'où vient qu'il s'éloigne de toi ?
Califte lui laiffe entrevoir un amour ,
qui l'enflamme encore malgré elle.Enfin ,
elle engage Lothario à venir fe jetter
aux pieds de Sciolto, Il eft fur le point *
1
JANVIER 1761 183
d'y confentir... On annonce à Califte
qu'Altamont l'attend aux Autels .
CALISTE, ( à Lothario . )
» Eh bien , tout eft connu , tu vois ma deſtinée ! ...
Lothario , furieux , conçoit le deffein
d'interrompre la fête , & d'immoler fon
rival. Sciolto veut le renvoyer vers le
Port: Il déclare qu'il refte dans les murs
de Gènes. Sciolto demande à Califte interdite
, ce que fignifie cette fureur de Lothario
? Il commence à fe livrer à des >>
foupçons. Sa fille lui dit , qu'il peut difpofer
de fa main. Elle le quitte. Altamont
lui promet vengeance. Ils fortent ,
réfolus à combattre.
Acte IV. Lucile , feule , annonce que
Califte eft au Temple ; qu'elle a exigé
ces noeuds dédaignés tant de fois. Montalde
inftruit Lucile que Lothario eft entré
dans le Temple ; qu'il a faifi Califte
aux yeux
du Pontife en courroux ; que
Sciolto a fait tout-à- coup fortir des fobdats
qui s'étoient cachés dans les tombeaux;
que Califte enfin s'eft élancée entre
Lothario, fon pere , & fon époux. Lothario
paroît pourfuivant Califte ; il l'arrête :
lorfqu'elle eft vers le milieu de la Scè
ne. Montalde s'oppofe aux efforts de Lo
thario, Califte & lui s'accablent de re--
*
1847
MERCURE DE FRANCE.
proches. Il propoſe enfin à la fille de
Sciotto de l'époufer,fi elle veut retourner
au Temple. Il ajoûte , que c'eft à cette
feule condition qu'il laiffera la vie à ſon
père. Califte ne veut point entendre parler
d'un femblable hymen. Eh bien , dit
Lothario , je vais te fatisfaire ; j'éteindrai
ma flamme dans des flots de fang. Sciolto
entre; il apperçoit fa fille aux pieds de Lothario
, qu'elle prie de lui donner la mort.
Il la bannit de fes yeux, comme l'auteur
de tous les maux de la Patrie. Caliſte ſe
voit enfin forcée de révéler fon malheu
reux fecret. Elle tire de fon fein la lettre de
fa mere ; & la donne à lire à Sciolto , qui
s'écrie, en tirant fon épée & en s'élançant
vers Lothario , » Frappe ou donne- moi
» ta vie. Lothario tire auffi fon épée.
Califte le jette entrè fon père & fon
Amant. Elle tombe évanouie.
Lothario s'offre à réparer fon crime ,
& les malheurs de Califte & de Sciolto.Ce
dernier répond , qu'il ne demande que
mort du coupable.
LOTHARIO , en fortant.
» Tu demandes du fang , & le fang va couler....
» Hé bien, pour te punir, il faut t'humilier :
J'avois caché ta honte , il faut la publier.
» Je veux que mon rival de tes bienfaits rougiſſe
la
JANVIER. 1761.
189
Er qu'immolé pour toi , lui- même te maudiffe,
Califte eft longtemps évanouie. Altamont
arrive. Il a rencontré Lothario , &
lui a ôté la vie .
CALIST E.
Ciel , Lothario ? ...
ALTAMONT.
Je triomphe , il expired
Ah de qnels attentats fa voix vient de m'inf
» truire !
>Ma trop jufte fureur ,le cherchoitdans ces lieux.
Sciolto remarque que les yeux
Lifte font baignés de pleurs.
CALIST E.
de Ca
» Vous obſervez mes larmes ,
Barbares! ... laiſſez-moi me faifir de ces armes
Elle fe jette fur l'épée d'Altamont , qui
s'oppose à ſes efforts. Elle avoue enfin
qu'elle aimoit Lothario .
>> J'ai trahi vos deffeins ... Frappez votre victime,
>> Sçachez , s'il faut encor exciter vos fureurs ,
» Qu'à Lothario feul je donne ici des pleurs.
» Il n'eft plus ! Soit amour ,foit la honte de vivre
» Dans la nuit du tombeau Califte veut le fuivre.
( Elle fort. )
86 MERCURE DE FRANCE.
On vient annoncer à Sciolto , que Fre
gofe ( le Doge ) Te prépare lui - même à
forcer le Palais , & que l'on demande Lothario
à grands cris . Sciolto répond , qu'il
va le leur rendre tout fanglant , &
fille payera
fa
de fa vie tant de malheurs.Altamont
cherche à le calmer en faveur de
Califte. Sciolto réplique :
Les droits les plus facrés ,font les droits de l'honneur.
Acte V. Le Théâtre eft tendu de noir ,
& n'eft que foiblement éclairé. Une lampe
eft fufpendue au milieu ; à l'un des
deux côtés eft une efpéce de lit funebre ,
où eft le corps de Lothario ; de l'autre ,
on voit une table, fur laquelle eft une coupe
empoisonnée.
Califte confidere l'horreur du lieu où
elle fe trouve:
Qu'il eft dur cependant que la main paternelle
» Ait difpofé , pour moi , cette pompe cruelle !
*
Elle apperçoit le tombeau de Lotha
rio ; & levant le voile qui le couvre :
... Quel eft ce Maufolée ?
Hélas ! pour qui ce deuil , ces feftons odieux ,
>> Seroient-ils préparés... Lothario ! grands Dieux !
JANVIER 1761. 1877
Elle s'éloigne du tombeau & ſe trouve
près de la table fur laquelle eft la coupe :
Mais à qui cette coupe eft- elle deſtinée ? ....
>> Ah ! c'eft à moi fans doute ...
Comme elle porte la main à la coupe ,
fon pere arrive , qui lui dit froidement :
» Tu fus jadis ma fille.... Il ajoûte, qu'Altamont,
dans ce moment, périt , peut- être
affaffiné :
>> Dis-moi, de tous les biens , difpenfés par le fort s
Quel bien préféres-tu ?
CALIST E.
» L'honneur .
SCIOLTO.
Sans lui ? ....
GALIST E.
>> La mort.
SCIOLTO.
J'applaudis à ton choix . Ainfi donc ton courage,
» De cette affreuse coupe a préffenti l'uſage?}
CALIST E.
» Oui mon pére ; & fans vous , ce bras déterminé
>> Eût verſé dans mon fein le vaſe empoisonné.
· · ·
SCIOLT O.
>>Tout peut t'intimider.
188 MERCURE DE FRANCE
CALIST E.
» Hé bien ! frappez vous- même.
>> Percez ce trifte coeur qui vous craint , mais vous
ז ו
aime.
Sciolto ne fçauroit la punir : il eft pere.
porte Ja main à fon poignard , & lui
préfentant la coupe , en détournant les
yeux :
>> Hébien je vais.... mais non... tiens , prends , fai
ton devoir.
Il l'arrête ; il lui dit , que fa feule vertú
doit régler fa deftinée ; que le danger
preffe ; & qu'il eft temps qu'elle décide
de fon fort. Il l'embraffe , & fort en s'écriant
: » Adieu , je vais mourir . »
Califte, feule , regarde le tombeau de
Lothario ; prend la coupe ; boit le poiſon ;
& , en s'égarant , arrive au pied du tombeau
, où elle fe précipite. J'oubliois de
citer ces deux beaux Vers , que dit Califte,
en prenant la coupe :
» Que fçais-je , en préparant ces poiſons deſtructeurs
,
9
Peut - être que mon pere y mêla quelques
pleurs !
Lucile
accourt lui
annoncer , que fon
JANVIER, 1761. 189
pere a cherché la mort parmi les affićgeans
, & qu'il l'a trouvée .
CALISTE.
» Mon âme va le fuivre.
Honore ma mémoire , en plaignant mes malheurs
:
Victime de l'amour , de la vertu... je meurs.
Le Lecteur, maintenant , eft en état de
juger par lui - même des rapports & des
différences des deux Califtes. Nous fommes
forcés de remettre au Mercure prochain
les Morceaux de détails imités par
M. Colardeau , qui ne peuvent que lui
être avantageux , ainfi que le jugement du
Public fur fon très - eftimable Ouvrage .
Le 12 Décembre , les Comédiens François
ont donné la premiere Repréſentation
de Pigmalion , Comédie en un Acte
& en Profe , qui n'a pas réuffi. Le 22 , ils
ont joué les Maurs du Temps , Comédie
en un Acte & en Profe de M. Saurin ,
Auteur de Spartacus. Sa Piéce a eu un
plein fuccès , & le mérite par les détails
& les fituations qui fe trouvent dans cet
Ouvrage . Le dénoûment, fimple & vrai, a
produit le plus grand effet , & a été généralement
applaudi . Nous en donnerons
l'Extrait quand elle fera imprimée.
K 190 MERCURE
DE FRANCE
.
P
COMEDIE ITALIENNE.
LE Mardi , 25 Novembre , on donna la
premiere Repréſentation de l'Amantfuppofé
, Comédie nouvelle en un Acte en
Profe . On y avoit trouvé de l'efprit , du
ftyle , & une marche de Scènes vive. Elle
fut très- bien accueillie d'abord ; & le rôle
de Petit- maître , joué par le fieur Le Jeune
, d'une maniere auffi diftinguée qu'agréable
, fembloit devoir affurer le fuccès
de cette petite Piéce , contre laquelle le
Public fe révolta le Dimanche fuivant ,
fans qu'on ait trop pu en deviner la raiſon.
Il est vrai que l'intrigue en avoit paru un
peu ufée , & pas affez éclaircie ; mais le
genre du Dialogue pouvoit faire paffer ce
défaut . L'Auteur l'a retirée.
Mercredi 26 , la Dlle Durand débu
ta par le rôle de Sylvia , dans le Jeu
de l'Amour & du Hazard. On lui reprocha
trop de véhémence ; mais elle avoit
féduit : elle s'eft modérée , elle n'y a pas
gagné . Elle a débuté depuis, dans les rôles
de Soubrette ; pour le chant , dans celui
de Ninette à la Cour ; & pour la danſe ,
dans le Ballet de Pygmalion , où elle joue
le perfonnage de Céphife. On ne peut que
JANVIER. 1761 .
+
fui fçavoir bon gré de s'être effayée dans
prèfque tous les genres, pour s'attirer les
fuffrages du Public.
2 .
Lundi , 15 Décembre , on donna pour
la premiere fois Pygmalion , Ballet Héroï-
comique- Pantomime , de la compofition
du fieur Billoni . Il a été très - applau
di. C'eſt à- peu-près la même intrigue que
celle de l'Opéra. Nous dirons feulement ,
que les Grâces repréfentées par Mefdemoifelles
Lafont , Emilie & Louifon , y
font une illufion parfaite. Elles danfent
un pas de quatre avec Mlle Camille ,
qui ne pouvoit être mieux placée qu'au
milieu d'elles . Elle peint admirablement
bien & la furpriſe de voir le jour ,
& les divers mouvemens qu'excite dans
le coeur d'une jeune perfonne la vue de
celui qu'elle doit aimer. La décoration
de l'attelier de Pygmalion , a paru d'une
grande beauté. La brillante Mlle Catinon
danſe , à la tête des Suivans de Pygmalion
, qui viennent rendre hommage
à la ftatue animée ; & fa danſe ajoûte un
nouvel embelliffement au Ballet , qui
cependant , a paru un peu trop long.
Le Lundi 22 , on donna la derniere
Repréfentation du Prétendu , dans laquelle
tous les Acteurs fe font également
diftingués. Le fieur Rochard, eft le feul qui
** LEN KUNDEAN CLA
I mece. Home es urs
auber Koerie i uma camciéfe
ali trecere de over : Stres
maalvátument crrageen cet Adszer, fait
"wat: rennoht:7 JEANGIES Bituccɑefoot y
ANAPU 1'D 1 MANDER.
TIILSENS FUN
%
יד
Sewer “NAURKA ZA 1. Saccen
module , de eles ca avui: iɗe M.
Moore Mynachama , brass spawilätta y
à grand Chunr de ik. Domine, JELEN
Jonas , et otec ce
petit Motet de A e Chemalte He..
saz , ellotet d'Orque , de LaksättiDo-
TUZLA, gentum conus , ce ì 1. .londonvie.
Ce Concert a ste tres-ceau , panzer
choix des Morceaux & per essccczion
M. Gavinies , cui a true um Concertocie
fa comcontion , M. Satbaar , qan a coce
fur Orque une. Javerture Torvves des la
Calle de Zaicz , Miles: Fri., Lornare. 38:
Rovet , etieur Defintis & MILE. „. JT?
été temeat anglaydis.vez les itine
ions que chacun d'eux merites.
ARTICLE
JANVIER. 1761 ; 193
ARTICLE VI.
NOUVELLES
POLITIQUES.
De PETERSBOURG , le 6 Novembre 1760.
L'IMPERATRICE vient d'établir un Confeil de
Commerce , dont le Comte de Czeruichef a été
nommé Préfident.
On commence , depuis plufieurs jours , à reffentir
un froid rigoureux. Le Lac Ladoga eft couvert
de glaces, & la Neva charrie fi fortement qu'elle a
entraîné notre pont la Nuit du 27 au 28 du mois
dernier. On ne croit pas que la faifon permette à
notre Armée de former aucune entrepriſe nouvelle
jufqu'à l'ouverture de la Campagne prochai
ne ; mais on eft dans la réſolution de commencer
cette campagne le plutôt qu'il fera poffible , &
l'on a donné fur ce point , à la Cour de Vienne ,
de très-fortes affurances .
L'Amiral Mifchakow eft arrivé dans cette Ville ;
mais il ne doit point fe préfenter à la Cour , jufqu'à
ce qu'il fe foit juftifié fur le mauvais fuccès du Siége
de Colberg.
De VIENNE , le 3 Décembre.
Après la bataille donnée près de Torgau le 3
du mois dernier , on exécuta, le 4 au matin , la
réfolution que l'on avoit prife de repaffer l'Elbe .
L'Armée paffa ce fleuve dans le meilleur ordre , &
fans laiffer à l'ennemi un feul chariot. Elle étoit
déjà loin de Torgau , lorfque quelques Corps de
Cavalerie ennemie entrérent dans cette ville , οι
I.Vol. I
For MERCURE DE FRANCE
n'y ait pas été placé. Quoique les airs
fuffent dignes de fa voix , le caractére
qu'il y a repréſenté ne pouvoit être
qu'abfolument étranger à cet Acteur , fait
pour ennoblir fes rôles plutôt que pour y
donner du ridicule.
CONCERT SPIRITUEL.
LR Concert Spirituel , de la Concep
tion de la Vierge a exécuté une fymphonie
, des Piéces de Clavecin de M.
Mondonville , Venite exultemus , Motet
à grand Choeur de M. Davefne , Quàm
bonus , petit Motet de M. Lefebvre , un
petit Motet de M. le Chevalier d'Herbain
, le Motet d'Orgue , & Laudate Dominum,
Quoniam bonus , de M. Mondonville.
Ce Concert a été très- beau , par le
choix des Morceaux & par l'exécution .
M. Gaviniés, qui a joué un Concerto de
fa compofition , M. Balbatre qui a joué
fur l'Orgue une Ouverture fuivie de la
Chaffe de Zaïde, Miles Fel , Lemiere &
Rozet , le fieur Deffintis & Muguet , ont
été juftement applaudis , avec les diftinctions
que chacun d'eux mérite.
ARTICLE
JANVIER. 1761 ; 193
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
De PETERSBOURG , le 6 Novembre 1760 .
L'IMPERATRICE vient d'établir un Confeil de
Commerce , dont le Comte de Czeruichef a été
nommé Préfident.
On commence , depuis plufieurs jours , à reſſentir
un froid rigoureux . Le Lac Ladoga eft couvert
de glaces, & la Neva charrie fi fortement qu'elle a
entraîné notre pont la Nuit du 27 au 28 du mois
dernier. On ne croit pas que la faifon permetre à
notre Armée de former aucune entrepriſe nouvelle
jufqu'à l'ouverture de la Campagne prochai
ne ; mais on eft dans la réſolution de commencer
cette campagne le plutôt qu'il fera poffible , &
l'on a donné fur ce point , à la Cour de Vienne ,
de très-fortes affurances.
L'Amiral Mifchakow eſt arrivé dans cette Ville
mais il ne doit point fe préfenter à la Cour , juſqu'à
ce qu'il ſe foit juſtifié fur le mauvais fuccès du Siége
de Colberg.
De VIENNE , le 3 Décembre.
Après la bataille donnée près de Torgau le 3
la du mois dernier , on exécuta , le 4 au matin ,
réfolution que l'on avoit priſe de repaffer l'Elbe.
L'Armée paffa ce fleuve dans le meilleur ordre , &
fans laiffer à l'ennemi un feul chariot. Elle étoit
déjà loin de Torgau , lorfque quelques Corps de
Cavalerie ennemie entrérent dans cette ville ,
I.Vol.
I
ou
184 7
MERCURE DE FRANCE.
proches. Il propofe enfin à la fille de
Sciolto de l'époufer, fi elle veut retourner
au Temple. Il ajoûte , que c'eft à cette
feule condition qu'il laiffera la vie à fon
père. Califte ne veut point entendre parler
d'un femblable hymen . Eh bien , dit
Lothario , je vais te fatisfaire ; j'éteindrai
ma flamme dans des flots de fang. Sciolto
entre;il apperçoit fa fille aux pieds de Lothario
, qu'elle prie de lui donner la mort .
Il la bannit de fes yeux, comme l'auteur
de tous les maux de la Patrie . Califte le
voit enfin forcée de révéler fon malheureux
fecret . Elle tire de fon fein la lettre de
fa mere ; & la donne à lire à Sciolto , qui
s'écrie, en tirant fon épée & en s'élançant
vers Lothario , » Frappe ou donne- moi
» ta vie. Lothario tire auffi fon épée.
Califte le jette entrè fon père & fon
Amant . Elle tombe évanouie .
Lothario s'offre à réparer fon crime ,
& les malheurs de Califte & de Sciolto.Ce
dernier répond , qu'il ne demande que
mort du coupable.
LOTHARIO , en fortant.
» Tu demandes du fang , & le fang va couler....
» Hé bien, pour te punir, il faut t'humilier :
J'avois caché ta honte , il faut la publier.
»Je veux que mon rival de tes bienfaits rougiſſe
la
JANVIER. 1761. 189
Et qu'immolé pour toi , lui- même te maudiffe,
Califte eft longtemps évanouie . Altamont
arrive. Il a rencontré Lothario , &
lui a ôté la vie.
CALISTE.
Ciel , Lothario ? ...
ALTAMONT.
Je triomphe , il expired
» Ah de qnels attentats fa voix vient de m'inf
» truire !
>>Ma trop jufte fureur,le cherchoit dans ces lieux...
Sciolto remarque que les yeux de Ca
lifte font baignés de pleurs.
CALISTE.
» Vous obſervez mes larmes ,
»Barbares!... laiffez-moi me faifir de ces armes
Elle fe jette fur l'épée d'Altamont , qui
s'oppose à fes efforts . Elle avoue enfin
qu'elle aimoit Lothario.
>>J'ai trahi vos deffeins ... Frappez votre victimei
» Sçachez , s'il faut encor exciter vos fureurs ,
» Qu'à Lothario feul je donne ici des pleurs.
» Il n'eft plus ! Soit amour,foit la honte de vivre
» Dans la nuit du tombeau Caliste veut le fuivre.
( Ellefort, )
86 MERCURE DE FRANCE.
需
On vient annoncer à Sciolto , que Fro
gofe ( le Doge ) Te prépare lui - même à
forcer le Palais , & que l'on demande Lothario
à grands cris. Sciolto répond, qu'il
va le leur rendre tout fanglant , & que fa
fille payera de fa vie tant de malheurs.Altamont
cherche à le calmer en faveur de
Califte. Sciolto réplique :
» Les droits les plus facrés,font les droits de l'hon-
$
neur.
Acte V. Le Théâtre eft tendu de noir , "
& n'eft que foiblement éclairé . Une lampe
eft fufpendue au milieu ; à l'un des
deux côtés eft une efpèce de lit funebre , "
on eft le corps de Lothario ; de l'autre ,
on voit une table, fur laquelle eft une coupe
empoisonnée.
Califte confidere l'horreur du lieu où
elle fe trouve :
Qu'il eft dur cependant que la main paternelle
» Ait difpofé , pour moi , cette pompe cruelle !
Elle apperçoit le tombeau de Lotha
rio ; & levant le voile qui le couvre :
... " Quel eft ce Maufolée!
95 Hélas ! pour qui ce deuil , ces feftons odieux ,
>> Seroient-ils préparés ... Lothario ! grands Dieux!
JANVIER. 1761. 187
Elle s'éloigne du tombeau & fe trouve.
près de la table fur laquelle eft la coupe :
» Mais à qui cette coupe eft- elle deſtinée ? ....
>> Ah ! c'eſt à moi fans doute ...
porte
Comme elle la main à la coupe ,
fon pere arrive , qui lui dit froidement :
» Tu fus jadis ma fille.... Il ajoûte ,qu'Altamont,
dans ce moment, périt , peut- être
affaffiné :
>> Dis-moi ,de tous les biens , difpenfés par le fort s
Quel bien préféres-tu !
CALISTE.
» L'honneur .
SCIOLTO..
Sans lui ? ....
GALIST E.
>> La mort.
SCIOLTO .
J'applaudis à ton choix . Ainfi donc ton courage,
» De cetteaffreuſe coupe a préffenti l'uſage ?)
CALISTE.
Oui mon pére ; & fans vous , ce bras déterminé
>> Eût verfé dans mon fein le vale empoisonné.
SCIOLTO..
>>Tout peut t'intimider.
188 MERCURE DE FRANCE
CALIST E.
» Hé bien ! frappez vous-même.
Percez ce trifte coeur qui vous craint , mais vous
aime.
Sciolto ne fçauroit la punir : il eft pere .
11 porte la main à fon poignard , & lui
préfentant la coupe , en détournant les
yeux :
»Hé bien je vais..... mais non... tiens , prends , fai
ton devoir .
Il l'arrête ; il lui dit , que fa feule vertú
doit régler fa deftinée ; que le danger
preffe ; & qu'il eft temps qu'elle décide
de fon fort. Il l'embraffe , & fort en s'écriant
: Adieu , je vais mourir. »
Califte, feule , regarde le tombeau de
Lothario ; prend la coupe ; boit le poiſon ;
& , en s'égarant , arrive au pied du tombeau
, où elle fe précipite . J'oubliois de
citer ces deux beaux Vers, que dit Califte,
en prenant la coupe :
» Que fçais-je , en préparant ces poiſons deſtruc
teurs ,
» Peut - être que mon pere y mêla quelques
pleurs !
Lucile accourt lui annoncer , que fon
JANVIER, 1761. 189
pere a cherché la mort parmi les affićgeans
, & qu'il l'a trouvée .
CALIST E.
» Mon âme va le fuivre,
Honore ma mémoire , en plaignant mes malheurs
:
Victime de l'amour , de la vertu... je meurs.
Le Lecteur, maintenant, eft en état de
juger par lui - même des rapports & des
différences des deux Califtes . Nous fommes
forcés de remettre au Mercure prochain
les Morceaux de détails imités par
M. Colardeau , qui ne peuvent que lui
être avantageux
, ainfi que le jugement du
Public fur fon très- eftimable Ouvrage.
Le 12 Décembre , les Comédiens François
ont donné la premiere Repréſentation
de Pigmalion , Comédie en un Acte
& en Profe , qui n'a pas réuffi. Le 22 , ils
ont joué les Maurs du Temps , Comédie
en un Acte & en Profe de M. Saurin ,
Auteur de Spartacus . Sa Piéce a eu un
plein fuccès , & le mérite par les détails
& les fituations qui fe trouvent dans cet
Ouvrage. Le dénoûment, fimple & vrai, a
produit le plus grand effet , & a été généralement
applaudi . Nous en donnerons
l'Extrait quand elle fera imprimée..
190 MERCURE DE FRANCE.
*
COMEDIE ITALIENNE.
LEE Mardi , 25 Novembre , on donna la
premiere Repréſentation de l'Amantfuppofé
, Comédie nouvelle en un Acte en
Profe. On y avoit trouvé de l'efprit , du
ftyle , & une marche de Scènes vive . Elle
fut très-bien accueillie d'abord ; & le rôle
de Petit- maître , joué par le fieur Le Jeune,
d'une maniere auffi diftinguée qu'agréable
, fembloit devoir affurer le fuccès
de cette petite Piéce , contre laquelle le
Public fe révolta le Dimanche fuivant. ,
fans qu'on ait trop pu en deviner la raiſon.
Il est vrai que l'intrigue en avoit paru un
peu ufée , & pas affez éclaircie ; mais le
genre du Dialogue pouvoit faire paffer ce
défaut . L'Auteur l'a retirée.
Mercredi 26 , la Dlle Durand débu
ta par le rôle de Sylvia , dans le Jeu
de l'Amour & du Hazard. On lui reprocha
trop de véhémence ; mais elle avoit
féduit : elle s'eft modérée , elle n'y a pas
gagné . Elle a débuté depuis, dans les rôles
de Soubrette ; pour le chant , dans celui
de Ninette à la Cour ; & pour la danſe ,
dans le Ballet de Pygmalion , où elle joue
le perfonnage de Céphife . On ne peut que
JANVIER. 1761 197
lui fçavoir bon gré de s'être effayée dans
prèfque tous les genres, pour s'attirer les
fuffrages du Public .
Lundi , 15 Décembre , on donna pour
la premiere fois Pygmalion , Ballet Héroï-
comique-Pantomime , de la compofition
du fieur Billoni . Il a été très - applaudi.
C'est à- peu -près la même intrigue que
celle de l'Opéra . Nous dirons feulement ,
que les Grâces repréfentées par Mefdemoifelles
Lafont , Emilie & Louifon , y
font une illufion parfaite. Elles danfent
un pas de quatre avec Mlle Camille ,
qui ne pouvoit être mieux placée qu'au
milieu d'elles . Elle peint admirablement
bien & la furpriſe de voir le jour ,
& les divers mouvemens qu'excite dans
le coeur d'une jeune perfonne la vue de
celui qu'elle doit aimer. La décoration
de l'attelier de Pygmalion , a paru d'une
grande beauté . La brillante Mlle Catinon
danfe , à la tête des Suivans de Pygmalion
, qui viennent rendre hommage
à la ftatue animée ; & fa danfe ajoûte un
nouvel embelliffement au Ballet , qui ,
cependant , a paru un peu trop long.
Le Lundi 22 , on donna la derniere
Repréfentation du Prétendu , dans laquelle
tous les Acteurs fe font également
diftingués. Le fieur Rochard, eft le feul qui
Fo MERCURE DE FRANCE.
n'y ait pas été placé. Quoique les airs
fuffent dignes de fa voix , le caractére
qu'il y a repréfenté ne pouvoit être
qu'abfolument étranger à cet Acteur , fait
pour ennoblir fes rôles plutôt que pour y
donner du ridicule.
CONCERT SPIRITUEL.
LE Concert Spirituel , de la Concep
tion de la Vierge a exécuté une fymphonie
, des Piéces de Clavecin de M.
Mondonville , Venite exultemus , Moter
à grand Choeur de M. Davefne , Quàm
bonus , petit Motet de M. Lefebvre , un
petit Motet de M. le Chevalier d'Herbain
, le Motet d'Orgue , & Laudate Dominum,
Quoniam bonus , de M. Mondonville.
Ce Concert a été très-beau , par le
choix des Morceaux & par l'exécution .
M. Gaviniés , qui a joué un Concerto de
fa compofition , M. Balbatre qui a joué
fur l'Orgue une Ouverture fuivie de la
Chaffe de Zaïde, Miles Fel , Lemiere &
Rozet , le fieur Deffintis & Muguet , ont
été juftement applaudis, avec les diftinctions
que chacun d'eux mérite.
ARTICLE
JANVIER. 1761; 193
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
De PETERSBOURG , le 6 Novembre 1760.
L'IMPERATRICE vient d'établir un Confeil de
Commerce , dont le Comte de Czeruichef a été
nommé Préfident.
On commence , depuis plufieurs jours , à reffentir
un froid rigoureux . Le Lac Ladoga eft couvert .
de glaces, & la Neva charrie fi fortement qu'elle a
entraîné notre pont la Nuit du 27 au 28 du mois
dernier. On ne croit pas que la faifon permette à
notre Armée de former aucune entrepriſe nou
vellejufqu'à l'ouverture de la Campagne prochai
ne ; mais on eſt dans la réſolution de commencer
cette campagne le plutôt qu'il fera poſſible , &
l'on a donné fur ce point , à la Cour de Vienne ,
de très-fortes affurances.
L'Amiral Mifchakow eſt arrivé dans cette Ville ;
mais il ne doit point fe préfenter à la Cour , jufqu'à
ce qu'il fe foit juftifié fur le mauvais fuccès du Siége
de Colberg.
De VIENNE , le 3 Décembre.
&
le
Après la bataille donnée près de Torgau 3
du mois dernier , on exécuta, le 4 au matin , la
réfolution que l'on avoit prife de repaffer l'Elbe.
L'Armée paffa ce fleuve dans le meilleur ordre ,
fans laiffer à l'ennemi un feul chariot. Elle étoit
déjà loin de Torgau , lorfque quelques Corps de
Cavalerie ennemie entrérent dans cette ville ,
1. Vol
I
ou
194 MERCURE DE FRANCE.
il ne reftoit qu'un petit nombre de canons de fer
dont on avoit brifé les affuts.
Parmi les prifonniers que nous avons faits fug
les Pruffiens , font les Lieutenans Généraux de Finckenftein
& de Bulow , plufieurs Colonels & plus
de cent autres Officiers. Lenombre des bas Officiers
ou foldats prifonniers monte à plus de quatre
mille. A en juger par le nombre des foldats Pruffens
que nous avons vus fur le champ de bataille ,
la perte de Sa Majefté Pruffienne eft au moins de
vingt mille hommes. Nous avons pris trente - neuf
drapeaux & deux étendarts .
Nous avons perdu dans cette affaire deux Géneraux
Majors , le Comte d'Herberstein, & le Baron
Walther de Valdenau , Commandant de l'artillerie
, qui ont été tués . Le Lieutenant Général Baron
d'Angern , le Baron de Bibow , les Comtes Migazzi
, & de Saint-Ignon , Généraux Majors , ont été
faits prifonniers. Les Généraux bleffés , font le
Maréchal Comte de Daun , le Général de Cava
lerie , Baron de Buocow , les Généraux d'infanterie
Duc d'Ahremberg & Baron de Sincere. Notre
perte monte à dix mille huit cens neuf hommes
tant tués ou bleffés que prifonniers ou manquans.
Le Maréchal Comte de Butturlin , qui a pris le
commandement de l'Armée de Ruffie à Arenfwald,
doit marcher fur le Brandebourg pour opérer
une diverfion en notre faveur.
Le Feld-Maréchal Comte de Daun arriva le pre-
-mier de ce mois dans cette ville. Sa, bleffure eft
dans un bon état , & l'on compte que fa guérilon
eft prochaine.
De HAMBOURG , le 3 Décembre.
Les Pruffiens font rentrés . dans le Mecklembourg
; le Colonel de Belling , qui les comman
de , a fon quartier général a Guftrow. Le Duo
JANVIER. 1761. Tof
He Mecklembourg , qui étoit revenu dans fes
Etats , fe difpofe à les abandonner une feconde
fois & à fe retirer à Lubeck.
On écrit de Coppenhague , que le Roi de Dannemarck
a fait un faux pas le 18 du mois dernier
en rentrant dans fon Château de Jagerſbourg ,
& qu'il s'eſt caffé la jambe droite . Cet accident
a d'abordextrêmement allarmé; mais la réduction
s'eft faite heureuſement , & l'on compte que cette
chûte n'aura pas de fâcheufes fuites ,
La Cour de Kullie a fait publier un état général
de la perre que les Pruffiens ont faite tant en
déferteurs qu'en tués & prifonniers , à la prife
de Berlin & dans les petites actions qui l'ont
précédée. Elle monte à cinq mille huit cens
quatre- vingt fept hommes. Les Ruffes ont délivré
dans cette expédition , plus de douze cens prifonniers.
Les Lettres de Schwerin portent qu'on y a
effuyé le 24 , un ouragan des plus violens 11
a totalement ruiné le toit de l'Eglife principale ;
les tables de cuivre , qui couvroient la charpente,
ont été arrachées par le vent & portées à plus de
deux cens pas . On en a trouvé plufieurs mifes
en rouleau. Quelques jours auparavant , un ouragan
femblable s'étoit fait fentir dans le Brandebourg
, & avoit caufé beaucoup de dégâts à
Berlin & dans les campagnes voisines.
Notre Confeil de Régence a nommé une đéputation
compofée des fieurs Faber & Clamer
l'un Syndic , l'autre Sénateur de cette Ville , pour
aller à la Cour de France folliciter le rétabliſſement
des priviléges dont notre Commerce jouilfoit
avant l'Arrêt du Confeil d'Etat de Sa Majefté
Très Chrétienne , qui les annulle.
Lij
196 MERCURE DE FRANCE.
De RATISBONNE , le 30 Novembre.
L'Armée de l'Empire a pris fes quartiers de
Cantonnement. Leur droite eft appuyée à Hoff,
& la gauche à Saalfeld . La communication avec
l'armée Autrichienne est établie à travers les
montagnes de la Bohême . Le Corps du Duc de
Wirtemberg le maintient toujours dans la Thu
ringe , & il a établi fa communication entre les
quartiers des François & ceux de l'armée de
l'Empire. Le Comte de Stainville eft arrivé à
Eifenack avec quatre bataillons & un Corps de
Cavalerie. Le Corps de troupes envoyé par Sa
Majefté Pruffienne au Prince Ferdinand , n'eft que
de deux mille hommes,
De ROME , le 22 Novembre.
ne
Le projet propofé par le fieur Chief , pour
deffécher les Marais Pontiens , vient d'être agréé.
L Suivant les nouvelles du Levant
Te Pacha
Mehemet , qui montoit le Vaiffeau que les Efclaves
Chrétiens ont derniérement enlevé & conduir
à Malthe , a été deftitué de fa place d'Amiral
Le Grand Seigneur a élevé le Pacha Muftapha a
cette dignité & à celle de Pacha à trois Queues.
On ignore encore fi la difgrace de l'ancien Capitan-
Pacha fe bornera là.
On prétend que la paix entre notre Cour &
la République de Gènes n'eft pas éloignée de le
rétablir. On prétend auffi que nos démêlés avec
la Cour de Lifbonne font en train d'accommo
dement.
De LONDRES , le 6 Décembre.
}
Suivant les dernieres Lettres de la Caroline
Méridionale, les Chiroquois , enhardis par leurs
rniers fuccès contre le Fort Loudon , menacent
JANVIER. 1761 . 197
tous les établiſſemens de cette Colonie. Ils ont
engagé dans leur alliance quelques autres nations
fauvages qui leur ont fourni cinq cens guerriers.
Le 14 du mois dernier , on fit à Woolvich l'épreuve
de quelques piéces d'artillerie . Une de ces
piéces qui étoit trop chargée, creva & bleffa dangereufement
plufieurs perfonnes . Le Lord George
Sackville ear le gras de la jambe emporté. Le
Colonel Defaguliers ' eut le bras çallé. Le Lord
Howe reçut une contufion au côté , & le Chevalier
Bootby eut un doigt rompu. Par bonheur,
le Duc d'Yorck , qui affiftoir à cette épreuve ,
& qui étoit à côté du Colonel Defaguliers , ne
fut point blellé.
६
1
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée ,
de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 18 Décembre 1760.
LE23 da mois dernier , le Roi & Ta Famille
Royale fignérent le Contrat de mariage du Marquis
de Gimel , Exempt des Gardes du Corps de
Sa Majefté avec Dembifelle de Varente.
Monfeigneur le Duc de Bourgogne étant trèsinftruit
de la Religion & fort au deffus de ce que
l'on eft ordinairement à fon âge , a defiré avec ardeur
de faire fa premiere Communion ; & comme
il eft de régle qu'on fupplée auparavant les céré
inonies du Baptême à ceux aufquels elles ont été
différées , certe cérémonie le fit le Samedi 29 du
I ij
198 MERCURE DE FRANCE.
mois dernier , dans le cabinet du Prince , par les
mains de l'Abbé de Barral , Aumônier de Quartier
du Roi , en l'abfence du Grand Aumônier de
France , affitté du fieur Forget , Vicaire de la
Paroille de Notre-Dame de cette Ville.
Sa Majefté décida , à caufe de la maladie de
Monfeigneur le Duc de Bourgogne , que cette
Cérémonie fe feroit fans aucun appareil ni invita
tion . Leurs Majeſtés furent Parrain & Marraine,
LeRoinoa ma Monfeigneur le Duc de Bourgogne,
LOUIS, & la Reine, JOSEPH - XAVIER ,
Après que les Cérémonies du Baptême eurent
été fuppléées , Monfeigneur le Duc de Bourgo
gne reçut le Sacrement de Confirmation par
l'ancien Evêque de Limoges , fon Précepteur ,
auquel l'Archevêque de Paris avoit donné les
pouvoirs. Il n'affifta à cette Cérémonie que
la
Famille Royale , les Grands Officiers du Roi , de
la Reine , ceux de Monfeigneur le Dauphin , de
Madame la Dauphine & de Meldames , le Duc
de la Vanguyon , Gouverneur de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , la Comteffe de Marfan
Gouvernante des Enfans de France , le Comte
de Saint-Florentin , Miniftre & Secrétaire d'Etat ,
ayant le Département de la Cour , le Marquis de
Deux , Grand- Maître des Cérémonies , avec les
Sous Gouverneurs , Sous- Précepteurs & Gentilshommes
de la Manche de Monfeigneur le Duc
de Bourgogne. Ce Prince figna de la main l'acte
de fon Baptême fur les Regiftres de la Paroiffe.
Le lendemain , premier Dimanche de l'Avent ,
Monfeigneur le Duc de Bourgogne fit fa premiere
Con munien,à llaa MMcffe qui fut dire dans
fa Chambre par l', bbé du Châtel , Aumônier du
Roi. La Nappe fut tenue par le Duc de la Vauguyon
& par l'ancien Evêque de Limoges, Mon-
>
JANVIER. 1761 199
feigneur le Duc de Bourgogne s'acquitta de cette
grande action avec une piété , un reſpect & unrecueillement
qui ne fçauroient être trop loués.
Le Marquis de Dreux , Grand-Maître dés Cérémonies
, fut préfent à la Communion de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne.
Le même jour , la Comtelle de Cucé eut l'hon
neur d'être préfentée au Roi & à la Famille
Royale.
Lepremier de ce mois , Sa Majesté tint le Sceau.
Le 2 , le Bailli de Solar de Breille , Ambaſſadeur
du Roi de Sardaigne , eut une Audience particuliere
du Roi , dans laquelle il fit part à Sa
Majefté de l'heureux accouchement de la Ducheffe
de Savoye , & de la naiffance d'ane Prin
ceffe. Il fut con fait à cette Audience , ainsi qu'à
celles de la Reine , de Monfeigneur le Dauphin ,
de Madame la Dauphine , de Monseigneur le
Comte de Provence , de Monfeigneur le Comte
&2
d'Artois , de Madame , de Madame Adélaïdé ,
de Mefdames Victoire , Sophie & Louife , par le
fieur de la Live , Introducteur des Amballadeurs.
Le 14 , le Roi , la Reine & la Famille Royale
fignent le Contrat de mariage du Sieur de
Bridge , Ecuyer ordinaire du Roi, commandant
la grande Ecurie fous les ordres du Comte de
Brionne , & Capitaine du Haras de Sa Majefté ,
avec Dame Radix de Sainte Foi , veuve du Sieur
Boudrey , premier Commis des Finances .
Celui du Marquis le Veneur de Tillieres avec
Demoiſelle de Nicolaï.
Le 17 , le Roi tint le Sceaut. Le Sieur Baudouin,
Confeiller au Grand- Confeil y prêta ferment
entre les mains de Sa Majefté pour la Charge
de Grand-Rapporteur.
i Le Roi a bien voulu accorder , en confidération
du Maréchal Duc de Noailles & du Maréchal Duc
1 iv.
200 MERCURE DE FRANCE:
de Duras , un Brevet d'honneur au Marquis de
Duras , en conféquence duquel la Marquife de
Duras a pris Tabouret le 14 , jour de fa préfentation
à Leurs Majeftés & à la Famille Royale.
Le Roi a nommé la Ducheffe de Villequier ,
Dame pour accompagner Madame , fur la démiffion
de cette place par la Ducheffe de Mazarin.
Sa Majefté a donné l'Abbaye de Montmartre ,
Ordre de Saint Benoît , Diocèfe de Paris , à la
Dame de Laval-Montmorency , Religieufe Bénédictine
de l'Abbaye de Saint Julien du Pré au
Mans.
#
Et l'Abbaye Elective de Felixprès , Ordre de
Citeaux , près de Givet , à la Dame de Ratzky ,
Religieufe de la même Abbaye.
Le fieur Laurent , Chevalier de l'Ordre de S.
Michel , Ingénieur à Bouchain , connu par fes
talens & par plufieurs Ouvrages utiles de Méchanique
, vient d'inventer un bras artificiel qui
imite tous les mouvemens d'un bras naturel. On
voit ce chef- d'oeuvre à l'Hôtel Royal des Invalides.
Un Soldat , qui a eu le bras emporté &
auquel il ne reste plus que cinq pouces de moignon
du côté gauche , boit , mange , prend du
tabac & écrit avec ce bras artificiel . Sur le récit
qu'on a fait au Roi de cet ouvrage , fi propre à
confoler l'humanité des malheurs de la guerre
& du fort , Sa Majefté a defiré le voir avec
l'Auteur, qui a eu l'honneur de lui être préſenté
ainfi qu'à la Reine & à la Famille Royale.
Cette ingénieufe invention a été préſentée à
l'Académie des Sciences qui l'a fort approuvée,
De CASSEL , le 2 Décembre..
Le 26 du mois dernier , les Ennemis firent un
mouvement en avant fur la Verra.
Le 28 , ils attaquérent en même tems deux
JANVIER 1761. 201
•
de nos poftes principaux fur cette riviere , celui
d'Heydemunden & celui d'Arnftein ; mais ils furent
repoullés partout ; ils perdirent deux cens
cinquante hommes à l'attaque d'Heydemunden ,
où commandoit le fieur de Montfort , Lieutenant
Colonel , qui , dès le 26 , leur avoit fait cinquante
prifonniers , après avoir furpris un de leurs poftes
en avant du fien . Le fieur Velzer , Capitaine dans
les Volontaires d'Auftrafie , s'eft particuliérement
diftingué dans cette occafion . Dans le nombre
des prifonniers qu'on a faits aux Ennemis , fe
trouvent un Lieutenant Colonel , trois Capitaines
& plufieurs Officiers fubalternes.
teau ,
Le même jour , les Ennemis inveftirent le châ
teau d'Arenftein près de Vitzenhauſen ; le fieur de
Verteuil, Capitaine au Régiment de Champagne ,
y commandoit environ deux cens hommes . Le
fieur Luckner , chargé de l'attaque de ce châle
- fit fommer en arrivant ; mais fur le refus
du fieur de Verteuil , il commença à le canonner
& à jetter des obus. Après un feu très- vif,
qui dura jufqu'au lendemain , le fieur Luckner
fit de nouveau fommer le Commandant ; mais ,
fur un nouveau refus , il prit le parti d'attaquer
de vive force , & il déboucha fur trois colonnes
dont une s'avança jufqu'à la porte qui avoit été
brifée par le canon . Le fieur de Verteuil avoir
fait de fi bonnes difpofitions , & fes troupes foutinrent
les attaques avec une telle fermeté , que
les Ennemis furent forcés de fe retirer avec une
perte très- confidérable . Le feu de leur artillerie
Continua jufqu'à la nuit , à la faveur de laquelle
ils fe repliérent à quelques lieues de là..
Sur les nouvelles du mouvement des Ennemis,
le Maréchal de Broglie avoit fait fortir de leurs
quartiers quelques Brigades d'Infanterie pour
foutenir ces deux poftes attaqués ; mais la ferme
I v ነ
202 MER CURE DE FRANCE.
7
réfiftance des fieurs de Montfort & jde Verteuil a
rendu ces fecours inutiles .
Par la pofition que les Ennemis ont prife , ils
fe trouvent entre nous & Gottingen , & ils coupent
notre communication avec cette Place.
Le Chevalier du Muy , Lieutenant Général , eſt
parti , il y a quelques jours , d'ici pour aller pren--
dre le commandement des Troupes du Bas- Rhin,
& relever le Marquis de Caftries , qui doir inceffamment
fe rendre à la Cour,
De PARIS , le 20 Décembre.
Le 24 du mois dernier , le fieur le Pelletier de
Saint Fargeau , Avocat Général du Parlement ,
ouvrit les Audiences de la Grand'Chambre par
une harangue fur l'honneur attaché à la profeffion
d'Avocat , & fur tous les moyens d'y parvenir.
Cette harangue fut fuivie d'un difcours du
fieur Molé , Premier Préfident , fur le même
fujet.
Le 1 de ce mois , les Chevaliers de l'Ordre de
Saint Michel tinrent un Chapitre dans le grand
Couvent des Religieux de l'Obfervance. Le Marquis
de Chalmazel , Chevalier des Ordres du Roi,
y préfida en qualité de Commiffaire de Sa Majefté.
Il reçut Chevalier le fieur Rebel , Surintendant
de la Mufique de la Chambre du Roi.?
De pareilles graces , répandues fur des Talens
auffi fupérieurs , ne peuvent que produire ou ranimer
l'émulation la plus louable dans l'âme deceux
qui peuvent fe rendrecapables de les mériter. L
Le Cardinal de Luynes , Archevêque de Sens ,.
célébra la Melle , le 4 , dans l'Eglife de Saint
Roch , & fir la bénédiction des Chapelles du Calvaire
& de la Vierge de cette Eglife. Douze Prélats
& un grand nombre de perfonnes de diſtinction
affifférent à cette Cérémonie , fur laquelle le Pere
JANVIER. 1761 . 203
de Neuville , de la Compagnie de Jefus , prononça
un difcours.
On écrit de Salonique , en date du 29 Août
dernier , que la pefte continue fes ravages dans
cette Ville & dans les Pays voilins . Les tremblemens
de terre & les tonnèrres affreux y ont recommencé
le 14 du même mois. La derniere fecouffe
s'eft fait fentir le 21 à onze heures & demie
du matin . Aucune maifon n'a été détruite.
Le 4 de ce mois , on célébra folemnellement
dans l'Abbaye Royale de Saint Denis , l'Anniverfaire
de Madame Louife - Elifabeth de France , Infante
, Ducheffe de Parme , de Plaiſance & de
Guaftalie , fondé à perpétuité par le Roi. La Ducheffe
de Beauvillier & le Baron de Montmorency
y affiftérent , ainfi que les Dames & Officiers de
la Maiſon de Madame.
Le fieur Joly de Fleury , Intendant de Bourgo
gne , a été nonimé à la place de Conſeiller detar ,
vacante par la mort du ſieur de Tourny . L'Intens
dance de Bourgogne a été donnée au lieur de
Villeneuve , Maître des Requêtes.
Le Tirage de la Loterie de l'Ecole Royale Militaire
, s'eft fait dans l'Hôtel - de - Ville de Paris ,
en la maniere accoutumée, le s du mois de Décembre.
Les Numéros fortis de la roue de fortune
font , 80 , 68 , 77 , §7 11. Le prochain tirage
fe fera le 8 de Janvier.
MARIAGES.
Jofeph- Louis de Vincens de Mauléon , Cheva
lier de Caufans , ci - devant Colonel du Régiment
d'Infanterie de Conti , Lieutenant de Roi de la
Frincipauté d'Orange , fils de Louis de Vincens de
Mauléon , Marquis de Caufans , Lieutenant de
Roide Provence , & de Dame Marguerite de For
I vj
104 MERCURE DE FRANCE.
bin-Janfon , a époufé , dans la Ville d'Avignon
Marie- Madeleine - Pauline , fille de Jofeph Ignace,
Comte de Villeneuve & du Saint- Empire Romain ,
Grand-Croix de l'Ordre de S. Michel de Cologne
, & de Dame Henriette- Victoire de Sade-
Mazan.
Emmanuel- Célefte- Auguſtin , Marquis de Duras
, fils du Duc de ce nom , Pair de France, Lieutenant
Général des Armées du Roi , premier Gentilhomme
de la Chambre du Roi ; & de Louiſe-
Françoife-Maclovie - Célefte de Coërquen, époufa ,
le 16 , Louife - Henriette - Charlotte - Philippine
fille du Comte de Noailles , Lieutenant Général
des Armées du Roi , Grand d'Efpagne de la premiere
Claffe , Chevalier de la Toifon d'or ; &
d'Anne - Claude d'Harpajon , Grand - Croix dẹ
l'Ordre de Malthe . Leur contrat de mariage avoit
été figné le 7 par Leurs Majeſtés & par la Famille
Royale.
Le 8 de ce mois , dans l'Eglife des Dames Carmelites
, rue Saint Jacques , M. le Nonce dú
Pape donna la Confirmation à la Dame Thurot ,
veuve du fameux Capitaine Thurot ; à laquelle
cérémonie Dom Tilly , Abbé de l'Ordre de Premontré,
fit un difcours plein d'éloquence fur les
confolations de la Foi oppofées aux troubles de
l'incrédulité .
MORTS.
Le fieur Bonvouft , Abbé de l'Abbaye Royale
de Fondouce , Ordre de Saint Benoît , Diocèle de
Saintes , mourut dans fon Abbaye , le 4 Novembre
, âgé de 79 ans.
Le fieur Hocquart , Abbé de l'Abbaye de Sully,
même Ordre , Diocèfe de Tours , eft mort au
Mans , le 12 , âgé de près de 60 ans.
N.de Menou , Abbé de l'Abbaye Royale de
JANVIER. 1761.
209 .
Bon-Repos , Ordre de S. Benoît , Diocèle de
Quimper , eft mort en cette Ville , le 28 , âgé de
60 ans.
Charlotte-Marguerite de Romilley de la Chefnelaye
, époufe de Michel Charles- Dorothée de
Roncherolles , Marquis de Pons Saint - Pierre, premier
Baron de Normandie , Lieutenant Général
des Armées du Roi , eft morte en cette Ville , âgée
de 46 ans.
N. Roye de la Rochefoucauld , Abbeffe de
l'Abbaye Royale de Montmartre , mourut en
cette Abbaye , le 9 , dans la 83e année de fon
âge.
AVIS.
Le fieur Lior , fi connu par fon goût fupérieur
de peindre fur émail , donne avis au Public qu'il
demeure actuellement Cloître S. Merry , à côté
de la rue Briſemiche , vis - à-vis une porte de l'Eglife.
Il compofe & exécute tous les jours de nouveaux
fujets des meilleurs goûts qui fervent à l'embelliſſement
de toutes fortes de bijoux en or. Ceux
qui voudront voir de fes ouvrages le trouveront à
toute heure, parcequ'il fort rarement : c'est lui qui
orne les boutiques de nombre de Marchands , en
fait de ce genre.
Le fieur MAILLE, fameux Diftillateur, fi connu par
fes excellentes compofitions dans différentes Cours
de l'Europe, continue de vendre avec fuccès le nouveau
caffis blanc & le ratafia des Dames ou le pavor
desjaloux , ratafia auffi agréable au goût que peu à
craindre pour la fanté. Il vend avec le même fuccès
le vinaigre Romain , dont la propriété eft de conferver
les dents , les blanchir , arrêter le progrès de
la carie, les raffermir dans leurs alvéoles, & différens
206 MERCURE DE FRANCE.
1
áutres vinaigrés pour ôter les dartres , boutons ;
taches de rouffeur & mafque de couche , noircir
les cheveux & guérir le mal de dents . L'on trouve
chez le fieur Maille différentes fortes de vinaigres
à l'ufage de la table , liqueurs & eaux d'odeurs.
Les perfonnes qui defireront le procurer ces différentes
marchandifes , s'adrefferont , pour le caffis
blanc , liqueurs & eaux de fenteur , à fon Magafin
à Séve près Paris , route de la Cour ; & pour les
vinaigres , à Paris rue S. André des Arts , la troifiéme
porte cochére , én entrant par le bout du
côté de la rue de la Huchette à main droite. Les
bouteilles de pinté de caffis blanc font de 4 livres ;
celles de ratafia des -Dames , ou le pavot des jaloux,
de 3 liv. les moindres bouteilles de vinaigre de
propriété , foit pour les dents ou autres ufages
font de 3 liv . En écrivant une Lettre d'avis au fieur
Maillefoit à Paris ou en fon Magafin , & en remettant
l'argent par la Pofte , le tout franc de port ,
on fera fervi exactement.
DÉTAIL du fervice de la POSTE DE PARIS
J
ON fait maintenant neuf levées de Lettres par
jour & neuf diftributions , dans l'intérieur de Paris
& jufqu'aux barrieres. Dans la premiere tournée ,
on ne fait que lever les Lettres dans les Boëtes ,
parce que la plupart des Maifons ne font point
encore ouvertes . Dans la derniere , on ne leve
point de Lettres , parce qu'il eft trop tard pour
faire revenir les Facteurs au Bureau , & qu'ils font
cette derniere diſtribution en s'en allant chez eux.
Dans toutes les autres tournées , on diftribue les
Lettres & on les leve en même - temps . On fert
oujours la Banlieue.
JANVIER. 1761 . 207
HEURES où commencent les levées des Lettres ;
Elles durent chacune environ une heure & demie.
LEVÉES DES LETTRES.
La premiere, à 6 heures du matin ; les
Lettres levées dans cette tournée , font
timbrées ·
La feconde , à 7 heures & demie ; les
Lettres levées dans cette tournée , font
timbrées ..
´La troifiéme , à 9 heures ; les Lettres
levées dans cette tournée , font timbrées
1. levée.
2 : levée.
La quatriéme , à ro heures & demie ; les
Lettres levées dans certe tournée , font
timbrées ..
3. levée.
4. levée.
5. levée.
La cinquiémie , à midi; les Lettres levées
dans cette tournée , font timbrées .
La fixiême , à une heure & demie ; les
Lettres levées dans cette tournée , font
timbrées ·
La feptiême , à 3 heures ; les Lettres
levées dans cette tournée , font timbrées
6. levée .
•7.
La huitiême , à 4 heures & demie ; les
Lettres levées dans cette tournée , font
timbrées ·
Levée,
8. levée,
9. levée
.
La. neuvième , à fix heures ; les Lettres
levées dans cette tournée , font timbrées
Ji .
208 MERCURE DE FRANCE.
←
HEURES , où commencent les Diftributions.
Elles durent chacune environ une heure & demie»
DISTRIBUTIONS.-
Point de Diftribution àfix heures , parce qu'il
eft trop matin.
La premiere , à 7 fept heures & demie ;
diftribue les Lettres levées dans la tournée
qui a commencé à 6 heures la
veille au foir , timbrées ...
La feconde , à 9 heures , diftribue les Léttres
levées dans la tournée de 6 heures
du matin , timbrées
9. levée.
1. levée.
La troifiéme , à 10 heures & demie , diftribue
les Lettres levées dans la tournée
de 7 heures & demie , timbrées . . 2. levée.
La quatrième , à midi , diftribue les Léttres
levées dans la tournée de 9 heures,
timbrées - 3. levée:
La cinquième , à une heure & demie ,
diftribue les Lettres levées dans la tour.
née de 10 h. & demie , timbrées ... 4. Levée
La fixiéme à trois heures , diftribue les
Lettres tevées dans la tournée de midi ,
timbrées • •
La feptiéme , à 4 heures & demie , dif
tribue les Lettres levées dans la tournée
d'une heure & demie ..
5.
levée.
6. levée,
· 7. levée
· 8. levée.
La huitiéme , à 6 heures , diſtribue les
Lettres levées dans la tournée de ; heures
, timbrées
23
a neuvième , à 7. heures & demie , diftribue
les Lettres levées dans la tournée
de 4 heures & demie , timbrées
JANVIER. 1761. 209
Les Facteurs de chaque Bureau font partagés
en deux bandes , qui font alternativement leur
tournée , afin que le fervice foit perpétuel . Comme
les Facteurs levent les Lettres à mesure que
les Boëtes fe trouvent fur leur chemin , il eft important
avant que de mettre une Lettre à une
Boëte, de s'aflurer fi elle ne vient pas d'être levée ,
fans quoi elle feroit retardée pour l'ordinaire fuivant
, c'est-à-dire , au moins d'une heure & demie.
Auffitôt que les Facteurs arriveront de leur
tournée , les Chefs des Bureaux feront porter par
l'autre bande qui va partir , toutes les Lettres
qui feront pour les rues de leurs diftricts , enforte
qu'elles feront rendues une heure & demie après
qu'elles auront été miſes à la Pofte , au lieu que
celles qui feront pour d'autres quartiers ne le
peuvent être qu'en trois heures. On ne fçauroit
trop recommander de faire timbrer & mettre
dans les Boetes en fa préfence les Lettres que l'on
y porte. A l'égard de celles que l'on donne aux
Facteurs dans leurs tournées , elles doivent être
miles dans leurs coffrets , foit par ceux qui les
leur confient , foit par le Facteur lui - même qui
7eft obligé , fous peine de punition . Toute Lettte
porter trois timbres , celui du Facteur qui l'a
apportée , ou de la boete où elle a été mife;
celui de la levée , qui indique l'heure où elle a été
portée à la Pofte ; & enfin celui du jour du mois
où la Lettre a paffé par la Pofte. Avec cette explication
, il n'eft perfonne qui dans l'inftant ne
puifle voir d'où vient le retard dont il auroit à
Te plaindre On recevra toujours dans les Bureaux
de diftribution l'argent que l'on voudra
faire paller d'un quartier à l'autre , & on en répondra
en le faifant enregiſtrer & en payant
un denier par livre , & deux fols pour le droit
d'enregistrement.
doit
fo MERCURE DE FRANCE;
AVIS AU PUBLIC.
La Veuve du Sieur BUNON , Dentifie des Enfans
de France , donne Avis qu'elle débite journellement
chez elle rue de Saint Avoye , au coin de la
rue de Braque , chez M. Georget fon frere , Chirurgien
, les Remédes de feu fon Mari , dont elle
a feule la compofition , & qu'elle a toujours
préparés elle-meme.
SCAVOIR ;
1º. Un Elixir anti fcorbutique qui affermit les
dents , diffipe le gonflement & l'inflammation
des gencives , les fortifie , les fait recroître ,
diffipe & prévient toutes les afflictions ſcorbuti
ques & appaile la douleur de dents. 3
> en
2. Une Eau , appellée Souveraine , qui affer
mit auf les dents , rétablit les gencives
diffipe toutes tumeurs , chancres & boutons qui
viennent auffi à la langue , à l'intérieur des
lévrés & des joues , en le rinçant la bouche de
quelques gouttes dans de l'eau tous les jours,
Elle la rend fraîche & fans odeurs , & en éloigne
les corruptions ; elle calme la douleur des dents .
3. Un Opiat pour affermir & blanchir les
dents , diffiper le fang épais & groffier des gencives
, qui les rend tendres & molaffes , & caufe
de l'odeur de la bouche.
4. Une Poudre de Corail ,pour blanchir les dents
& les entretenir; elle empêche que le limonne
fe forme en taftre & qu'il ne corrompe les gencives
, & elle les conferve fermes & bonnes , de
forte qu'elle peut fuffire pour les perfonnes qui
ont foin de leurs dents , fans qu'il foit néceffaire
de les faire nettoyer. Les plus petites Bouteilles
d'Elixir font d'une livre dix fols.
JANVIER. 1761.
214
Les plus petites Bouteilles d'Eau Souveraine ,
font d'une livre quatre fols , mais plus grandes
que celles de l'Elixir .
Les pots d'Opiat , les petits , font d'une livre
dix fols.
Les Boëtes de Poudre de Corail , font d'une
livre quatre fols.
Manière de fe fervir des Remédés ci-deſſus , &
leurs ufages.
Avant de fe fervir de l'Elixir,fi les dents font chargées
de tartre ou autres malpropres , il les faut
faire nettoyer, & dégorger les gencives , enfuite fe
gargarifer trois ou quatre fois la bouche , plus
ou moins par jour , de quatre à cinq gouttes
d'Elixir dans un demi verre d'eau tiède ou froide ,
felon qu'il y a de fenfibilité , même d'unc demie
cuillerée d'Elixir pur , fi la corruption des gencives
eft plus forte , & frotter avec le doigt en
gargarifant & ballinant les endroits de la bouche
qui le trouveront plus irrités , avec cet Elixir pur
s'il est néceflaire. Pour la douleur de dents , on
en met dans la carrie avec du cotton imbibé , &
on le renouvelle Convent.
On tire un grand avantage de l'Eau Souveraine,
lorfqu'on a la bouche échauffée & de mauvaiſe
odeur , les gencives tendres & les dents foibles
& branlantes , de même que lorsqu'il y a quel
ques petits chancres ou boutons , foit à la langue ,
aux lévres & à l'intérieur des joues. Pour les premieres
circonstances , on fe rince la bouche cinq
à fix fois le jour d'une demi cuillerée de cette eau
dans le quart d'un verre d'eau comme pour l'E
lixir , jufqu'à ce que l'échauffement foit diffipé &
les dents raffermies , il fuffit après d'une ou deux
fois par jour , le matin & le foir. Pour les boutons
ou chancres, on en met une demi cuillerée dans
211 MERCURE DE FRANCE.
deux ou trois cuillerées d'eau qu'on roule dans la
bouche & qu'on renouvelle de momens à autres
pendant quelques demi heures , ce qui fuffit pour
diffiper cette incommodité.
L'opiat blanchit & raffermit les dents , rétablit
le mauvais état des gencives , il en diffipe le fang
groffier qui les rend tendres & molaffes , ce qui
caufe la mauvaife odeurs pour plus d'efficacité
, il faut faire ôter le tartre. On prend de cer
opiat au bout d'une racine , d'une éponge ou d'un
linge , & on frotte les dents & les gencives tant
qu'il eft befoin pour les rétablir ; ce qui fuffic
une ou deux fois par femaine.
Pour ceux à qui le goût fait préférer la poudre
de Corail , ils s'en fervent de même que de l'Opiat
avec une racine ou une éponge. Le cas où on la
doit préférer à l'Opiat eft, lorfque les gencives font
fermes & faines : elle empêche que l'une & l'autre
ne déchoient de cette perfection ; elle conferve la
bonne qualité de l'émail & fa blancheur , & le
blanchit quand la perfection lui manque.
On trouvera auffi chez elle des racines prépa
rées & des éponges fines.
La Veuve Bunon ofe affurer que le Public fera
auffi fatisfait de la bonté defdits remédes , dont les
Dames de France ont ufé , qu'il l'étoit du vivant
de fon mari.
Manière , à obferver pour entretenir la bouchepropre ,
& pour conferver les dents.
Il est très important d'empêcher que le limon
ne féjourne fur les dents & les gencives . Pour y
parvenir , il faut avoir l'attention de fe rincer la
bouche tous les matins avant que de manger. Pour
cela , il faut fe fervir d'un cure- dent de plume ,
d'une petite éponge ou une racine, de quelque bonne
poudre ou opiat , avec de l'eau un peu tiéde,
JANVIER 1761.
1213
>
un peu d'eau-de-vie de vulnéraire , d'eau fouveraine
ou de lavande diſtillée , à la commodité ou
volonté des perfonnes : on prend de l'eau dans la
bouche , gargarifant & frottant avec le doigt, en
comprimant les gencives du haut en bas à la fupérieure
, & du fens oppofé pour l'autre; on prend
le cure- dent enfuite pour dégager le limon d'entre
les dents , doucement fans effort , & en prendre
de plus minces , s'il eft néceffaire , après quoi on
paffe un peu d'eau dans fa bouche , & puis on
prend l'éponge ou la racine , & on frotte du fens
droit les dents , & non de travers , & on prend
garde qu'il ne refte point de limon far les rebords
des gencives, & cela pour éviter qu'il ne fe forme
un tartre ou chancre ; & lorfque le cure-dent ,
l'éponge ou la racine ne peuvent ôter le limon
déjà attaché fur les dents , alors il faut fe fervir
d'un peu de poudre ou d'opiat , en frottant avec
la même éponge ou racine , légérement , & n'en
point mettre trop fouvent, ne s'en fervant que lorfque
les dents ne peuvent être bien nettoyées fans cè
fecours ; & lorfque ce tartre eft trop attaché , &
qu'il mange les gencives , il faut faire nettoyer
fes dents plutôt que plûtard, pour éviter le danger.
H faut habituer de bonne heure les enfans à fe
laver la bouche , & avoir recours à l'oeil & à la
main du Dentiſte au befoin. Les jeunes femmes ,
après leurs groffeffes , doivent fe faire examiner
la bouche , pour prévenir la perte des dents &
les accidens qui s'enfuivent . Il faut auffi fe rincer
la bouche après le repas..
214 MERCURE DE FRANCE.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le Mercure du premier Volume de Janvier 176'1 ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion. A Paris , ce 31 Décembre 1760.
GUIROY.
1
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE,
ARTICLE PREMIER.
FPITRE à Madame *** , Intendante à ***
pour le 1 Janvier 1761,
I
ODE tirée du Pleaume f1.
Page 7
LETTRE de M, de Saintfoix , en envoyant
fa Comédie des Hommes à Mlle de B *** .
GALANTERIE,
VERS préfentés à M. le Maréchal de Riche
lieu , dans un Bal à Bordeaux , par une
femme.
LETTRE , de l'Auteur du Mercure , à M.
D. B ....
TANCREDE & Sigilimonde , Tragédie traduite
de l'Anglois de James Tom/on.
BOUQUET préfenté à Madame de la Poupli
niere , par Mlle Catinon .
BOUQUET préfenté à Mlle Catinon , par une
de fes Amies.
LA CORNE d'Amalthée , Conte , traduit du
Grec.
14
16
ibid.
21
49
54
JANVIER 1761.
• 2151
ENIGMES.
LOGGGRYPHES.
CHANSON.
77 & 78
78 &79
80
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
SUITE de l'Hiftoire de la Maifon de Stuart,
für le Trône d'Angleterre. Second Extrait . 81
SUITE de la Science du Gouvernement
par M. de Real.
>
LETTRE de M. de Voltaire à M. Duverger de -
S. Etienne , Gentilhomme du Roi de Pologne
& c.
LETTRE de M. le Brun , à M. de Voltaire.
RÉPONSE de M. de Voltaire , à M. le Brun.
SECONDE LETTRE de M. le Brun.
LETTRE de M. de Voltaire , à Mile Corneille,
inférée dans une de fes lettres à M. le
Brun.
ANNONCES des Livres nouveaux.
100
106
107
III
113
115
116 &fuiy
ART. III. SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADEMIES.
SEANCE publique de l'Académie Royale des
Sciences .
PRIX propofé par l'Académie Royale de
Chirurgie , pour l'Année 1762.
EXTRAIT d'une Lettre de M. Adanfon ,Drog
man , à Salonique , à M. fon frere.
SUITE de l'Extrait des Mémoires lus à la
Séance publique de l'Académie Royale
de Chirurgie.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
LITTA à l'Auteur du Mercure.
121
127
129
132
144
216 MERCURE DE FRANCE:
ARTS UTILES.
HORLOGERIE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure. 145
GEOGRAPHIE . 146
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE. 148
GRAVURE.
150
ART. V. SPECTACLES.
OPÉRA.
EXTRAIT de Canente.
152
COMÉDIE Françoiſe.
EXTRAIT de Califte , Tragédie de M. Colardeau.
166
COMÉDIE Italienne. 190
CONCERT Spirituel. 192
ART. VI . Nouvelles Politiques . 193
'Avis divers. 205
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY,
Iue & vis-à-vis la Comédie Françoiſe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JANVIER. 1761 .
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine.
Coshia
Silius ins
PavillonSaulp. 1215
Chez
A PARIS ,
CCHAUBERT , rue du Hurepoix .
JORRY , vis à-vis la Comédie Françoife
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure, rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre
, quant à la partie littéraire , à
M. DE LA PLACE , Auteur du
Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols pièce.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payerone
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port
.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir, ou qui prendront lesfrais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30fols par volume ,
c'eft- à-dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
Eirangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci- deffus.
A j
"
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en foit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pièces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
DE LA PLACE , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
Four une année,
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER. 1761 .
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
TRADUCTION DE LA IX ODE
du III Livre HORACE
Donec gratus eram tibi &c.
DIALOGUE.
HORACE.
TANDIS que fenfible à mes feux ,
s
Votre âme avec plaifir répondoit à mes voeux ;
Lbefque dans fon ardeur extrême ,
Un rival plus que moi prife , "
N'étoit pas plus favorisé ,
Mon fort eût fait envie au Roi de Perle même
II. Vol.
A iij
MERCURE DE FRANCE
1
LIDIE.
Pendant que pour d'autres appas
Une plus vive ardeur ne vous enflammoit pas
Et que plus charmé de Lydie ,
Chloé régnoit moins fur un coeur
1
Dont je faifois tout mon bonheur
Je me croyois cent fois plus célébre qu'Ilie.
HORACE.
Chloé maintenant fous fa loi ,
Affervit mes defirs , diſpoſe de ma foi :
Chloé dont la voix douce enchante ,
Chloé dont le luth fçait ravir,
Chloé qui me verroit mourir,
Si ma mort du trépas la pouvoit rendre exem
-pte.
LIDIE
Calais d'un tendre retour
Récompenfe l'ardeur du plus parfait amour g
Son coeur fait toute mon envie }
Le mien lui fait bénir fon fort..
Pour lui j'affronterois la mort ,
Siles Dieux à ce prix lui prolongeoient la vie
HORACE.
Cependant fi nos premiers noeuds
Plus fortement encor nous uniffoient tous deux
Si ma flâme enfin réfroidie ,
De Chloé dégageant mafoi ,
Se rallumoit toute pour toi ? ...
Si je quitois Chloé pour reprendre Lidic ?...
JANVIER. 1761 .
LIDIE.
Ah ! quoique par fon tein vermeil
Calais falle honte à l'éclat du Soleil ;
Que ton âme foit plus légère
Qu'un liége flotant fur les eaux ,
Et plus colére que les flors :
Je voudrois avec toi terminer ma carrière.
VERS à M. l'Abbé CLEMENT , Chanoine
de S. Louis du Louvre , au fujet d'une
Ode fur la mort de fon Pére , inférée
dans le fecond Mercure du meis d'Octobre.
DANS ANS mon ame , Clément , ta plainte renou
velle
L'impreffion vive & mortelle
Qu'un triſte événement fit jadis ſur mon coeur
Si le temps avoit pû m'en ôter la mémoire ,
Je la retrouverois dans la touchante hiftoire
Que tu me fais de ton malheur.
Sous des traits pris dans la Nature ,
Je vois la fidelle peinture
De maperte & de ma douleur.
Comme toi , né d'un Pére auffi tendre que Sage ?
Qui prifant les talens plus que l'or de Plutus ,
Pour me laiffer un jour ce folide héritage ,
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Sacrifia fes fonds après fes revenus ;
Comme toi , féparé de ce Pére adorable ,
Tandis que fur des bords lointains ,
Je m'occupe à chercher le tréfor eſtimable
Qui doit combler fes voeux & remplir mes deffeins
:
J'apprends que, de fa faulx , la Parque inexorable
L'a retranché du nombre des humains.
A cette accablante nouvelle ,
De ma douleur , toi feul , tendre Clément
Toi feul peux te former une image fidelle !
Au torrent de mes pleurs l'amitié vainement
S'empreffe d'oppofer le fecours de fon zéle ;
De la main du Tems (eul - me douleur immortelle
Reçoit quelque foulagement.
Comme toi pour calmer l'excès de ma triſteſſe ,
Jecherche dans mes vers à peindre mes malheurs
Mais entre nous ici le parallèle ceffe.
Mes Chants ne font que les vaines clameurs
D'un coeur trop accablé fous le poids des difgraces
Les tiens doux , élégans , harmonieur , nis ,
Sont les egrets même des Grâces 15
Qui pleurent la mort d'Adonis .
Par un Curé du Nivernois.
EPITRE A LA ROSE.
TOI qui brilles dans mon parterre ;
Rofe aimable , reine des fleurs !
JANVIER. 1761 .
•
Je viens dans ce lien folitaire ,
Pour re confier mes douleurs .
Iris a trompé ma tendreffe ;
Viens me confoler en ce jour ,
Des caprices de ma maîtreffe
- Et des trahifons de l'Amour.
>
Envain d'un coeur rempli d'allarmes ,
Je voudrois éffacer Iris ;
Tu me retraces , par tes charmes ,
Les charmes dont je fus épris .
Mais tu me défendras peut-être ,
Contre les traits de la beauté ,
Quand tu m'apprendras à connoître ,
L'excès de fa fragilité.
Mon Iris verra difparoître
Pour jamais tous les agrémens ;
Tu ne mourras que pour renaître
Et jouir d'un nouveau printems .
Ta jeunelle toujours nouvelle
T'ornera d'agrémens nouveaux:
Iris ceffera d'être belle ;'
Les graces n'ont pas deux berceaux ,
L'hyver vient d'êter, ta parure ;
Mais dans ce paifible : féjour ,› ,
Turenais avec la Nature ,
Aux premiers rayons d'un beau jour..
Ar
TO MERCURE DE FRANCE.
SUITE DE LA TRAGÉDIE DE
TANCREDE & SIGISMONDE
ACTE II.
SCENE PREMIERE .
T
SIFFREDI , feul.
OUT va bien , jufqu'ici ... Le Teftament
du feu Roi s'exécute , conformé
ment à mon plan : Tancréde partagera
le Trône avec Conftance.... Evénement
qui pour jamais peut feul déraciner jufqu'aux
moindres femences des guèrres inteftines
, qui n'ont que trop longtemps
défolé ce déplorable Royaume ! ... Puiffent
mes yeux , appefantis par l'âge , flétris
& fatigués par les travaux qu'exigeoient
nos malheurs & les accablantes
formalités de mon emploi , voir ce fortuné
période , & fe fermer en paix !... Mais
comment furmonter le redoutable obſtacle
que nous oppofe ici l'Amour ? Cette
fatale paffion qui renverfa toujours tous
les projets conçus par la Prudence ; toujours
auffi impétucufe qu'aveugle dans fes
JANVIER 1761. FN
defirs , & que la voix de la Raifon éprou
va toujours infenfible ? Sur quels fragiles
fondemens s'établit le bonheur des hom→
mes , fi nos paffions les moins condam
nables ne fuffifent que trop fouvent pour
le détruire ! ... Eroit- ce dans les bois
Etoit ce dans la folitude que je devois
élever leur jeuneffe ? Et ne devois-je pas
me défier des fentimens qu'y puiſeroient
deux coeurs fi dignes l'un de l'autre ? ....
Ah ! fi du moins mes occupations m'euffent
permis d'être attentif à la naiffance
de leur flamme : j'aurois éteint , ce few
qui va tout embiâfer... Ma fille avoue
fa paffion pour le Roi : & ce blanc- feing ,
que l'impétueufe tendreffe de fon amant
fui a confié , me prouve à quel excès
elle eft aimée... Je n'y vois nul reméde
... Et je perds l'efpoir d'en trouver ...
Comment guérir , comment même attaquer
cette manie dans un jeune Souve→
rain , qui l'enviſage comme une vertu
qui , dès-là , méprisant toute efpéce
d'obſtacles , va trouver dans la générofité
de fon coeur , des motifs affez fpécieux
pour oppofer la Raifon à la Raifon mê
me ?... Il faut pourtant qu'il céde....
L'expreffe condition du reftament exige
hautement fon mariage avec Conftance
Ses partifans , outrés du refus de Tancre
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
de , vont répandre partout l'horreur &
la confufion. Ainfi , le fort d'un Peuple
entier , va dépendre de ce moment ! ....
Ah !...j'entrevois un rayon d'efpérance! ....
Qui !... ce fatal papier pourroit fauver l'Erat.
Lorfque le but eft honorable , utile à
la Patrie ; les moyens pour y parvenir ne
peuvent être ignobles.. Voici le nom du
Roi... Ecrivons au- deffus un libre & plein
confentement aux volontés de fon prédéceffeur.
Cet Acte , lû dans l'Affemblée.
des Grands , à la face d'un Peuple entier ,
devant Conftance même , produira tout:
l'effet que j'en attends.... Le fort , en eft.
jetté... C'eft ma perte que je prépare ::
mais , c'est mon Pays , c'eft mon Roi que :
je fauve.... Je périrai volontiers noblement
, pourvu qu'ils foient heureux ! ....
Le Comte Ofmond , s'approche ? ... Sans .
lui , tous mes éfforts feroient peut – être:
vains.
SCENE. I I..
SIFFREDI. OSMON D..
OSMOND..
SEIGNEUR FIGNEUR , je fors de chez Conflances.
Elle adhére au Teftament ;, & viendra dé
JANVIER 1761 . 13
ckrer au Sénat qu'elle accepte la main
de votre illuftre pupile .... L'apparition
d'un Prince qui vient partager un Trône ,
qu'elle s'étoit flatée d'occuper feule, a paru
d'abord la choquer . Mais la juftice
des difpofitions du feu Roi , & les avantages
qu'en va retirer le bien public , ont
calmé ces premiers mouvemens ... Je
crois même avoir apperçû , que la Politique
n'eft pas llee ffeeuull mmoottiiff qui détermine
la Princeffe à fe foumettre au choix qu'on
lui propofe..
SIFFREDI
En ce cas , noble Ofmond , vous avez.
fervi la Patrie , elle vous doit toute fa
reconnoiffance .... Il faut vous l'avouer ,
Seigneur ; cette preuve de la pureté de
de votre zéle , dans un moment auffi critique
; dans une circonftance ou l'intérêt
& l'ambition ont tant de droits fur le coeur
des Grands ; j'avouerai , dis- je , avec fran--
chife
, qu'un procédé fi généreux me:
fait rougir d'avoir ofé moins attendre de
Vous..
"
OSMON D.
O, Siffredi .... C'eft à vous feul qu'eft
'dû l'honneur de tout ce grand ouvrage
& fi j'avois manqué l'occafion d'y corref
pondre , je me croirois deshonoré, Ceft
MERCURE DE FRANCE.
à vous , Siffredi , que les nombreux
habitans de cette Ifle fertile vont devoir
leur repos ; c'eft vous dont les
confeils ont fuggéré ce Teftament qui
rétablit notre félicité ; ah Ciel ! combien
ne dois-je pas rougir d'avoir fi longtemps
traverfé les deffeins du meilleur des hommes
... Oui , je me joins à vous
Seigneur ; & ne connois à l'avenir d'autre
parti que celui de ma Patrie .... Votre
amitié n'eſt pourtant pas le feul objet de
mon ambition . Il eft un nom plus cher
encore , & tous mes voeux feroient comblés
fi l'illuftre Siffrédi me permettoit
de l'appeller mon Père .... La main de
votre fille , joindroit au bien public toute
ma félicité particulière .
SIFFRED I.
Ah , Seigneur ! ... c'eft avec joie , que
mon coeur vous l'accorde : je me crois honoré
d'unir mon fang au vôtre ; & c'eft
avec tranſport que j'embraffe l'illuftre
Ofmond, comme mon fils , & comme
mon ami !
OSMOND.
Vous le rendez heureux ! ... Ce prompt
con fentement à des defirs que j'ai depuis
lon gtems formés , vous eft un fûr
de toute ma reconnoiffance,
garant
1
JANVIER. 1761.
Plufieurs Officiers paroiffent dans
le fond du Théâtre.
UN OFFICIER à Siffrédi.
Le Roi , Seigneur , eft impatient de
Vous voir.
SIFFREDI.
Je vais vous fuivre ... Adieu , Seigneur :
le Sénat va bientôt s'affembler ; je compte
promptement vous y rejoindre.
SCENE III
OSMOND , feul.
SIFFREDI m'accorde fa fille ? ...
mais elle
même y confent- elle ? ... jeune , légére ,
objet des voeux de mille amans ( peut- être
en fecret engagée ! ) oubliera- t elle fans
regret la différence de mon âge au fien ? ...
Ofmond fut-il jamais formé pour l'adulation
, pour les foupirs , les larmes , & les
trop frivoles moyens qu'employe l'amour
pour féduire une femme , & la tromper
enfin plus fûrement ? Puis-je , en ce cas , me
flatter de lui plaire ... Un Pere raiſonnable
, chargé par la Nature de guider , de
déterminer le choix de fa fille , doit la res
16 MERCURE DE FRANCE.
mettre au pouvoir d'un époux , qui par
la dignité des fentimens , & par un
amour fans foibleffe , puiffe à jamais affurer
fon bonheur : non pas à ces Efcla
ves fi foumis , que l'on yoit bientôt des
Tyrans.
SCENE IV.
OSMOND. Plufieurs Barons , Siciliens
OSMOND les félicite fur un événement qui va
rétablir la paix dans la Sicile , & les invite à venir
rendre hommage à leur nouveau Souverain..
SCENE V.
CETTE Scène , vraiment Angloife , fe paffe
entre deux Officiers du Palais, & la Populace qui
veut en forcer les portes , pour voir Tancréde . Ils
s'en débaraffent en les envoyant à une autre por
te du côté de la mer.
JANVIER. 1761 .
17
SCENE V I.
RODOODLOLPPHHEE , qui fort du Confeil , renvoie les
deux Officiers . Le Teftament du feu Roi vient
d'être lû. Il doute que Tancréde y adhére. Ce jeune
Prince a vû de mauvais ceil , Conftance partager
le Trône avec lui. Sigifmonde , les yeux baignés
de larmes , traverfe le Théâtre , ainfi que
plufieurs autres perfonnages. Laure , qui apperçoit
Rodolphe , quitte Sigifmonde , & vient à lui.
SCENE VII.
RODOLPHE. LAURE.
LAURE.
CET ami fi vancé ; ce Rai dont vous
auguriez tant , n'eft plus qu'un perfide !
PEfclave le plus vil eût montré plus de
fentimens ; ne fe fût point laiffé féduire ,
avec tant de baffeffe , aux pièges de l'ambition
... Lui le fils de Manfred ? C'eſt`
vouloir nous en impofer : le fils de ce
Héros n'eût pû trahir des droits ufurpés
fur fes ayeux , furtout , à l'inftant même
où la fortune... Et pourquoi , jufte Ciel ?
pour qu'il lui fût permis de partager fon
18 MERCURE DE FRANCE
propre Trône avec la Fille d'un Tyran !
Que dis-je ... d'un Tyran qui maffacra
fon Père !
RODOLPHE.
Dans quel étonnement vous me jettez
! ... Ma foeur , vous faites injuſtice au
Roi.
LAURE.
Non mon frère , ... Siffrédi vient de
lire , de proclamer en plein Sénat le confentement
de Tancréde aux volontés de
fon prédéceffeur. Il a pourtant rougi d'avoir
la trifte Sigifmonde pour témoin de
fon infamie ... Je l'ai vue prête à fuccomber
à fa douleur , moins qu'à la honte
que lui caufoit l'indignité de ſon amant...
Il a remis le Confeil à demain ; c'eſt à
demain qu'il a remis fon odieux couronnement
! ... Peignez-vous , Sigifmonde,
trifte témoin du triomphe de fa rivale &
des acclamations de tous les Sénateurs !....
Trop malheureuſe amante ! à peine a-t - elle
eu le courage de retourner chez elle ,
où tout ne peut qu'accroître fa douleur...
Mais Tancréde paroît ... Adieu... je ne
faurois fupporter la préfence,
? .
JANVIER. 1761.
SCENE VIII.
TANCREDE . SIFFRÉDI . RODOLPHE!
TANCREDE , à Siffrédi.
FUIS, UIS, vieux Traître ! fuis loin de moi....
Vous , Rodolphe , courez : que nul n'approche
de ces lieux ; que tous les paffages
en foient fermés ... Défendez- moi d'une
foule odieufe , qui confpire à la fois contre
mon repos , & contre mon honneur ...
J'attends ici votre retour... ( à Siffrédi . )
Quoi , je te vois encore ? Quoi ! tu m'ofes
encore braver ? ... Outrage fans exemple
! ... Ah , Ciel ! jamais un Roi , jamais
un homme , a- t-il été plus offenfé
SIFFREDI , en s'approchant du Roi
( & lui marquani laplace de fon coeur. )
Frappez , Seigneur , je ne mérite point
de grâce
.
TANCREDÉ.
eft
O mon âme ! ...O Raifon ! conferve
ton empire ... Cette infulte barbare
trop pénible à foutenir.
2. MERCURE DE FRANCE.
SIFFREDI.
Exterminez le Criminel... Il eſt votre
Sujet.
TANCREDE.
Toute autre offenſe auroit pû m'être
fupportable ! ...... Mais celle - ci ; mais
cette froide audace , me confond , me ,
perce le coeur !
SIFFREDI.
Vengez-vous donc ; éteignez, dans mon
fang , un reffentiment légitime.
TANCREDE.
Jamais Tytan fé montra - t - il plus
odieux que moi? L'efclave le plus vil ,
le plus rampant fur la furface de la terre,
le plus deftitué des fecours que le Ciel
difpenfe à fes enfans , a du moins les ver
tus à lui ; conferve le tréfor facré d'un
eoeur honnête.... Et tu m'en as privé ! Ta
criminelle main , ton infâme furperchetie
, n'a pas craint de m'expofer ...
SIFFRED.I.
Non , Seigneur , je ne l'ai pas craint...
Que dis - je? ô Ciel ! .... Je crois mon
erime glorieux , s'il peut fervir à fauver
votre gloire !
JANVIER. 1761 .
TANCREDE.
?
Quelle gloire , grand Dieu ! ... , Quoi ,
lâche ? abufer de mon nom , pour couvrir
un forfait horrible d'un nom , que je
donnois comme garant de la tendreffe la
plus pure.... Avoir ofé faire fervir ce nom ,
pour couvrir un menfonge atroce , un
manquement de foi qui déshonore pour
jamais ton Souverain ? .... Apprends
cruel , que de tels piéges ne font faits que
pour des âmes méprifables , ou ftupides...
Te flattois tu d'intimider Tancréde ? va
tu n'as fait que l'affermir de plus en plus
dans fes deffeins ..... Qui , moi ! j'épouferois
Conftance ? la fille d'un Tyran ,
teint du fang de mon père ? .... Avant
que les flambeaux d'hymen foient allumés
pour ces affreufes nôces ; tu verras la Sicile
en cendres; fon Souverain enseveli
fous les débris du Trône .... Laiffons , à
part l'amour ..... C'eft l'honneur feul
que je dois écouter. Malgré res vains efforts
, malgré tout l'Univers contre moi
conjuré , j'anéantis ton teftament ; je
maintiendrai mes droits , je défendrai la
liberté d'un coeur fidéle , je ferai mordre
la pouffiére à quiconque ofera traveifer
mes deffeins.... Je te perdrai toi- même ,
MERCURE DE FRANCE
SIFFREDI.
Soyez jufte , Seigneur : épuiſez fur moi
votre rage... Mais vos Sujets font innocens
: ne les menacez point.
TANCREDE.
Quoi ! je ferois réduit aux derniers termes
de l'opprobre , & je craindrois de me
venger? .... Qui donc arrêteroit le feu
de mon reffentiment ? .... Qui , Témé
raire ?
SIFFREDI
Vous vous - même. ! ....
TANCREDE.
Moi ! .... cet excès d'infolence fuffiroit
feule , pour me faire oublier ..... Crains
ma fureur , te dis - je .....
SIFFREDI.
Je fens qu'il faut qu'elle ait fon cours....
Qu'elle tombe, Seigneur,& puiffe-t - elle s'épuifer
fur cette tête , & fur ces cheveux
blancs confacrés de tout temps à votre fervice
. Mais enfuite il faudra m'entendre....
Que dis- je , il le faudra ? Je dis bien plus ;
vous le voudrez. Vous entendrez la redoutable
voix de la raiſon , faite pour
JANVIER. 1761. 23
Vous calmer . Vous fentirez que le falut
d'un peuple entier ( dût mon Tancréde
être feul juge entre ce peuple & lui ) doit
l'emporter fur la félicité particulière . Vous
fentirez , Seigneur , qu'il eft d'autres devoirs
, une gloire plus noble , une félicité
fupérieure , qui vous forceront d'approuver
tout ce que le bien de l'Etat exigeoit
de mon zèle , la juftice ordinaire , je le
fçai , pourroit me condamner : mais la
néceffité , ce tyran de la vertu même ,
vous trouvera fenfible comme un autre.
Ce tumulte des fens calmé ; je vous verrai
, Seigneur , regarder l'amour d'un autre
cil ; l'envifager comme une paffion
vulgaire ; comme une éffervefcence de votre
âge .... Je verrai , dans Tancréde , un
Monarque digne de l'être ; & l'ami de fon
peuple.
TANCREDE.
Grands mots , mal appliqués ! termes
dont l'éloquence abufe , pour pallier le
dernier des forfaits ..... Un Monarque ,
dis -tu ? .... Oui , Barbare , je prétends
F'être , & non pas un efclave ..... C'eft
en défendant mes propres droits , que je
prétends prouverà mes Sujets , combien
je défendrai les leurs .... Mais , toi-même,
cruel ; eft - ce en Roi que tu m'as
24 MERCURE DE FRANCE:
traité ? .... Si j'étois infenfible à de pa
reils outrages , ferois je digne de régner ?
Je fuis , dis- tu , fils de Manfred ? & je
démentirois mon fang ! Que dis- je , j'oublierois
les principes d'honneur que toimême
as pris foin de m'infpirer ....( d'un
ton plus adouci. ) O Siffrédi ! l'as tu pû
croire ?
SIFFREDI.
O , mon Roi ? daigne jetter les yeux
fur ton vieux Serviteur ! Jette les yeux fur
un ami , dont les foins les plus précieux
ont été ceux de former ton enfance, dont
l'eſpoir le plus cher fut de te rendre vertueux
, qui pour ta gloire feule a cru devoir
facrifier tout ce que l'intérêt de ſa
maiſon lui promettoit de plus flatteur ;
s'eft détaché de tout ce qu'un vrai père ,
même par amour-propre , ou par cupidité
, eût peut - être , acquis par le crime ,
ou par la trahison ! .... Voyez ce prétendu
coupable ; regardez - le , à vos pieds ,
affoibli par le poids de l'âge , vous fupplier
, vous conjurer d'oppofer une digue
à votre paffion ; de vous fauver vous -même,
& votre Peuple ! Voyez à vos genoux
cette foule innombrable de Sujets
confiés à vos foins ! Regardez - les , Seigneur
, pleurant aux pieds de leur Monarque
,
JANVIER. 1761. 25 .
que , implorant à grands cris votre fecours
contre la mifére & la guerre , contre le
crime & les ravages qu'elle traîne à fa
fuite ! .... Se pourroit-il , grand Dieu !
que l'intérêt particulier , que la félicité
perfonnelle , pût balancer de fi puiffans
objets ? .... qu'une paffion vulgaire ; que
l'amour , en un mot ? .... ( Ne fuyez
point , Seigneur ; il faut m'entendre ) .
Eh , quoi ? ne trouverai - je point dans votre
coeur l'endroit fenfible que j'y cherche
? N'y trouverai- je aucun accès aux
larmes des infortunés , à qui s'unit , dans
cet inftant , la voix même du Ciel ?
TANCREDE.
..... Arrête ! Tu ne l'as que trop bien
trouvé .... Lève- toi , Siffrédi .... Hélas !
tu m'as perdu ..... par - tout où je porte
les yeux , le déshonneur s'offre à ma
vue ..... Etoit- ce à ce deffein , que tu
pris tant de foin de ma jeuneffe ? Etoit- ce
à ce deffein que tu pris tant de peine à
m'inspirer ces fentimens fi délicats , fi recherchés
, que ne connut jamais le vulgaire
, mille fois plus heureux que moi ,
dans fa ftupide inſenſibilité ? .... A quoi
penfoit ta funefte prudence ? ..... Ah ,
Siffrédi ! c'eft la froide fageffe de ton âge ,
II. Vol. B
26 MERCURE
DE FRANCE
.
qui m'a plongé dans ce labyrinthe d'erreurs...(
à part. ) Mais fois ferme , mon
âme ! ne te relâche point de ton objet ...
Oui ; ton principe eft fûr : fans vertus particuliéres
, il n'eft , ni ne peut être de vertus
publiques ... ( haut. ) Ecoutez- moi ,
maintenant , Siffrédi .... fongez furtout à
faire exécuter mes ordres : c'eſt le feul expédient
qui puiſſe nous fauver .... demain ,
quand vous verrez le Sénat raffemblé ,
dévoilez - lui tout cet affreux myſtére ;
cherchez à réparer le mal ; employez- y
toute votre éloquence ; employez tout votre
crédit , pour me débaraffer des piéges
ténébreux que vous - même m'aviez tendus.....
Garde - toi de me repliquer ! ...
Plus d'amitié ; fi tu balances , j'en romps ,
j'en brife tous les noeuds , & ne vois plus
en toi , qu'un Traître !
SIFFREDI.
J'en pourrois mériter le nom , j'en
pourrois mériter le fort , fi je démentois
mes principes.
TANCREDE,
Prens garde , dis -je ?
SIFFRED I.
Seigneur ! non , mon Maître ! il ne faut
JANVIER. 1761. 27
pas vous en flatter. Quoique blanchi dans
les pratiques de la Cour , je ne fuis point
affez bon Courtifan , pour plier mon
obéiffance au gré de chaque paffion ....
Je refpecte mon Roi , je refpecte fes ordres
; mais , je refpecte encore plus mon
devoir.
TANCREDE.
Il le faut , cependant.
SIFFREDI
Je ne puis le vouloir.
TANCREDE.
Fuis donc évite ma préfence . Viens ,
cher Rodolphe? viens,fauve- moi de ce traître
!... fuis, dis - je ? ... fans ta fille , cruel, tu
fentirois déjà tout le poids de ma vengeance
.... ne me repliques pas .... vat-
en.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE:
SCENE I X.
TANCREDE , RODOLPHE.
TANCREDEachéve d'exhaler tout fon reffentiment
contre Siffrédi. Il lui peint toute l'horreur
de fa fituation & de fon embarras , lorfqu'il s'eft
apperçu que Siffrédi avoit écrit au - deffus du blancfeing
confié à la fille , un plein confentement aux
volontés du Roi défunt ; & furtout lorſque ce funefte
acquiefcement avoit été lû dans le Confeil à la
face d'un peuple entier.Qu'a dû penfer'de lui la malheureufe
Sigifmonde ? Un coup d'oeil de la partde
cette tendre amante a fuffi pour lui percer le coeur,
& le mettre hors d'état de parler pour démentir
Siffredi , & démafquer fon impofture. Il s'en fait
les plus grands reproches ; & s'affermit dans le deffein
de montrer bientôt Tancrede au Sénat plus
digne du rang où vient de l'appeller la fortune.
Il finit par prier Rodolphe d'engager Laure à remettre
à Sigifmonde un billet de la part , par lequel
il projette de lui demander une entrevue pour
le foir même.
Fin du fecond Acle,
ر
JANVIER. 1761 .
ACTE III.
SCENE PREMIERE.
SIGISMONDE , feule , affife
plongée dans la douleurs
AH, H , parjure ! ah , tyran ! ... barbare
même en trompant ton amante ! Hélas ,
lorfque ce matin , inftruite de ton fort ,
tu m'as vu plaindre celui qui m'attendoit
; tu m'as vue prête à m'immoler moimême
; à facrifier ma tendreffe au rang
fuprême où tu montois ; à t'affranchir
enfin de tes fermens .... ( Quel facrifice
je faifois ! & qu'il coûtoit cher à mon
coeur ! ) ... Pourquoi , cruel , pourquoi
ne m'avouois- tu pas combien mes crain
tes étoient juftes ? Que ne convenois- tu
de l'auftère devoir que t'impofoit le Trône
? ... Puifqu'il falloit nous féparer ,
t'en eût-il coûté d'adoucir nos adieux ?
J'aurois fenti tout mon malheur , fans
doute ! mais mon malheur ne feroit
pas
fi grand ! ... à travers mes regrets , j'aurois
du moins la confolation de rappeller
avec quelque plaifir , le fouvenir de ton
amour ; ta chère image occuperoit mon
que
Biij
30 MERCURE DE FRANCE
âme toute entière , & nos innocentes
douleurs auroient encore quelques charmes
pour nous ... Mais , de fang froid ,
trahir ainfi l'objet de tá tendreffe ! ....
comment ton coeur eft- il devenu fi
cruel ? ....
Quelle ivreffe de vanité t'a pu
rendre infenfible au point de me voir
fuccomber fous le poids de ma honté
& de n'en être pas touché ? Toi , que j'ai
toujours vu fi tendre ! Toi , dont mes plus
legers ennuis affectoient l'âme toute entière
, & qui femblois ne vivre que par
moi ! Mais , où m'emporte ma douleur ...
je t'offenſe , fans doute ... non ! Tu n'as
pu te dégrader au point de triompher de
mon opprobre Mais pourquoi chercher
à irriter ma peine ? ... L'amour chez
lui , fans doute , n'a pu tenir contre l'ambition
... Non ! jamais homme ne fut
conftant , puifque Tancréde eft infidelle....
( Elle fe leve. )
...
Fuyons loin de ces lieux rien n'y
peut frapper mes regards , qui ne me
rappelle un parjure ... Mais , j'apperçois
mon Père ... Ciel ! dans l'état où je fuis ,
que je redoute fa préſence !
JANVIER. 1761. 3 &
SCENE II.
SIFFREDI. SIGISMONDE
SIFFREDI.
O , Sigifmonde ! ô mon enfant , que
je gémis de ta douleur ! .. , j'en fçai la
caufe , & ne fçaurois la condamner ..
Allons , ma fille , rappellez tout votre
courage ; rappellez - vous ce que vous
êtes ; ne regardez l'amour que comme un
rêve , & montrez - vous fille de Siffrédi.
SIGISMONDE.
Suis-je encore digne de ce nom ?
SIFFREDI.
...
J'aurois à me plaindre de vous , ma
fille. Il falloit mon aveu , pour engager
à ce point votre coeur . je puis pourtant
vous pardonner : Tancréde a des vertus
; & peut-être ai-je eu tort moi- même
de vous avoir trop expofée à remar
quer des qualités fi dangereufes. Ne craignez
donc pas mes reproches ; ... Votre
père a pour vous plus de pitié , que de
colère ; & fi vous reprenez les fentimens
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
d'une louable vanité fi digne de mon
fang ; fi votre coeur peut le montrer fupérieur
à cette épreuve , je vous rends
tous les droits que vous aviez à mon eſtime
, & vous en aimerai , s'il fe peut , davantage
.
SIGISMONDE.
Ah vous êtes plus tendre , & plus
compatiffant que votre fille ne mérite !
C'eft , & ce fut toujours l'objet de mon
ambition , que d'obéir à vos fuprêmes
loix ; & quoique , par l'amour féduite ,
j'aie ofé tranfgreffer les bornes délicates
du devoir , je fens pourtant s'élever dans
mon coeur un fentiment fi vif , fi digne
d'être offert au plus tendre des Pères ;
que , duffent vos defirs être fuivis de mon
trépas , j'obéirai , Seigneur , & ma foumillion
vous prouvera du moins combien
vous m'êtes cher !
SIFFREDI.
Viens vole dans mes bras ! ... viens
feul efpoir , & feul foutien de ma vieillelle
! viens embraffer ton Père ... viens ,
mon Enfant , viens , puife dans mon fein.
les forces qui te manquent , pour perfifter
dans de fi nobles fentimens ! ... Ainfi , tu
promets donc de m'obéir? ... Tu vois.
JANVIER. 1761. 3:3
ton Père balancer , & craindre de te dévoiler
ce qu'il exige ! ... Ainfi , tu promets
donc de renoncer à de trop vaines
& trop préfompteufes efpérances ?,
SIGISMONDE.
Eh , quel espoir , pourrois - je encore
nourrir ? ... ce jour fatal m'en laiffe til
feulement l'ombre ? ... Mais , d'obtenir
fur mon fenfible coeur affez d'empire pour
n'y conferver que le fouvenir d'une tendreffe
qui faifoit toute ma félicité , c'eft
beaucoup plus que je ne puis promettre !
SIFFREDI
Va , l'abfence , le tems ( ce deftructeur
imperceptible des paffions ) te feront
triompher de ta foibleffe.... En attendant
je compte affez fur ta vertu , pour en
attendre un grand & généreux éffort ...
Ciel ! j'entends tes fanglots ... Voudroistu
voir rougir ton Père voudrois - tu lui
voir reprocher , que fa fille fut affez foible
pour perfifter dans la chimérique efpérance
qu'un Roi pût la préférer à ce
qu'il doit à fes Sujets , à fon Trône , à luimême
Que dis- je ! Voudrois - tu que ,
pour toi , la Sicile fût malheureufe ? que ,
pour être fidéle amant , ton Roi devint
indigne de régner ?... Léve la tête , mon¹
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
1
enfant fens ce que tu dois être ! ...
Rends - toi digne de la leçon que ton
amant , du haut du Trône même , vient
fi glorieuſement de te donner.
SIGISMONDE.
Ah , Seigneur ! ce n'eft pas la vertu
qui l'infpiroit ... S'il en étoit ainfi , vous
me verriez imiter fon exemple .... vous
me verriez obéir à mon Père , & me
réfigner à mon fort ... Mais quand ce
matin même , après avoir préffenti mon
malheur , j'avois foumis , j'avois facrifié
mon amour au devoir ; mais quand , ce
matin même , j'ai vu ce Prince , en blâmant
mes terreurs , ranimer , éléver plus
que jamais mes efpérances ... me voir ,
une heure après , auffi cruellement trahie !
C'est là , ce qui m'accable ! c'eft ce coup
de foudre imprévu , qui m'eſt , & me ſera
toujours préfent ... Ah , mon Père ! ah ,
Seigneur pourquoi m'avoir entraînée à
cet affreux fpectacle ?
SIFFREDI.
Pour faire naître dans ton coeur , pour
'échauffer l'émulation , que je defire d'y
trouver.
JANVIER. 1761. 35.
SIGISMONDE.
Ciel ! ... c'étoit donc un complot formé
? ... Eh bien , fans l'imiter , je ferai
plus que lui ... car , Tancréde eft perfide
! ... Et moi , quoique le coeur rempli
de la plus vive & la plus pure paffion que
jamais femme reffentit , je jure , à la face
du Ciel , je promets & jure à mon Père ,
( malgré mon coeur qui veut encore me
démentir ) de renoncer à l'eſpoir d'être à
lui.... Qu'exigez- vous de plus , Seigneur
?
SIFFREDI
Encore une promeffe .... & ton Père
mourra content . Quoique ton innocence
, & ta vertu te juftifient auprès de
moi , nous ne vivons point pour nous
feuls ; de rigoureux égards nous affujétiffent
au monde : les plus illuftres même
Y font foumis ... Ce monde attend de
toi , de mon honneur , & du tien même ,
une démarche néceffaire ; une démarche
qui lui prouve , ainfi qu'à ton amant , ques
ton coeur a brifé la chaîne dont lui même
s'eft dégagé... Que dis -je ? en reprenant
tout l'orgueil de ton féxe ; il faut montrer
à l'Univers que tu peux , comme lui , ( &
plus glorieufement encore ) facrifier au
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
bien public une frivole paffion , qui lui
feroit funefte. Il faut , fur- tout , déraciner
, & pour jamais , du coeur du Roi ,
jufqu'à l'ombre de l'efpérance ; ne rappeller
déformais le fouvenir de fon amour,
que comme celui d'une injure , & d'un
affront qu'il t'avoit préparé ... Tu me le
dois , tu te le dois , ma fille ! ... Et pour ·
y parvenir , il ne te refte qu'un moyen .....
Le feul afyle qui te reſte , n'eſt que dans :
·les bras d'un époux , dont la naiffance &:
Jes vertus.te mettent à l'abri de tout foupçon..
SIGISMONDE.
Ah , Cieux ! qu'exigez - vous , mor }
Rère ?:
SIFFREDI.
Un homme illuftre , d'un haut rang ,,
plus refpectable encore par fon mérite ,
peut , offre même de te protéger ..
(Point de fanglots ! écoute moi , mas
Elle ...) Le noble Ofmond , te dis - je »
afpire à fe voir ton époux ..
-
SIGISMONDE.
Ah , mon Père ! ah , Seigneur !...
JANVIER. 1761. 37
SIFFREDI.
Ma parole eft donnée.... Il faut aujourd'hui
la remplir.
SIGISMONDE , aux pieds de Siffredi.
Mes bras tremblans , embraffent vos
genoux ! ... Ah ! fi vous aimez votre fille ; ,
fi mon enfance eut pour vous quelques
charmes ; fi le fouvenir de ma Mère a
quelques droits encore fur votre coeur .....
ah ! ſauvez- moi du fort le plus affreux ;
n'outragez pas jufqu'à ce point un coeur
déja trop accablé La nature , l'humanité
, l'équité même , Seigneur , vous
parlent par ma voix .... Ne pas choir ,
fans vos fages confeils , eft peut- être un
devoir pour moi mais mon choix n'en.
eft pas moins libre ... c'eſt le droit du .
plus vil efclave ; & que rien ne peut lui ravir
... Pourrois - je , fans rougir , pourrois-
je , fans remords , livrer ma main à
mon époux , fans . lui livrer en même tems:
mon coeur ? Ne feroit - ce pas le tromper ?.
me rendre coupable envers lui de l'injure
la plus fanglante , & la moins pardonna
ble ? ... Non , Seigneur , ne m'en parlez
plus , ou j'expire à vos pieds ... Souf
frez que loin du Monde , & de la Cour ,
jaille remplir en paix ma trop malheug
38 MERCURE DE FRANCE.
reuſe carrière ! ... Ciel ! ma demande
vous irrite ? ..... Vous pouvez me la refufer
? .... Du moins , Seigneur , accordez
- moi du temps ..... Je ferai tout ;
tout ce qu'au monde je pourrai pour plaire
au plus digne des pères ! .... Ah ! ces
pleurs , que je vois couler , me rendent
toute fa tendreſſe .
SIFFREDI , en voulant la relever.
Ma fille ! .... Vous en abuſez .
SIGISMONDE.
Non, non ! Si je ne vous fléchis .....
SIFFREDI.
Levez-vous , Sigifmonde .... Quoique
vous ébranliez , que vous attendriffiez
mon coeur ; rien ne peut faire révoquer
une promeffe que le devoir , l'honneur ,
& la raifon même ont dictée ..... Si les
liens de l'amour filial , font encore facrés
pour vous ; préparez - vous , ma fille à recevoir
le Comte Ofmond , comme fon
rang , le choix de votre pere , & le titre
de votre époux , ont droit de l'exiger.....
Je vous l'amène dans l'inftant.
SIGISMONDE , en l'arrêtant.
Grâce ! Grâce , mon Père ! ..... Epar
gnez votre enfant ! ...
JANVIER. 176 39
SIFFREDI , à part.
Il faut que je m'en débaraffe... La Na-
Eure me trahiroit ... ( haut. ) Accordeznous
, grand Dieu ! cette fermeté d'âme
néceffaire pour n'écouter que la voix du
devoir , & non celle des paffions... Laiffez-
moi , mon enfant !
SIGISMONDE , en le retenant.
Non , Seigneur ! ...Non , mon Père ! ...
SIFFREDI.
Venez , Laure ? ... approchez... Je
vous laiffe avec votre amie... Montrezvous
digne de ce titre : combattez fa foibleffe
; partagez , & faites tarir fes pleurs;
tâchez enfin de la ramener au devoir... &
s'il fe peut , de le lui faire aimer.
SCENE III.
SIGISMONDE. LAURE.
L'INFORTUNEE Sigifmonde le livre à tour
fon défefpoir . Laure tente envain , en piquant fon
amour-propre , de l'irriter contre Tancréde . Sigifmonde
ne peut fe perfuader qu'il eft réellement
coupable. Il va pourtant époufer Conftance , lui
dit Laure; après fon acquiefcement public au Tef
40 MERCURE DE FRANCE.
rament , il n'eft plus en fon pouvoir de s'en dédire,
Quelle honte pour vous ! ... Quoi Tancréde vous
aura quittée indignement, & vous n'aurez pas le
courage de vous en vanger ? & votre père , ce
père que vous prétendez aimer , partagera votre
opprobre ... Sigifmonde , après un long combat
de fentimens oppofés , fe détermine à imiter Tancréde
, qu'elle croit punir cruellement , en époufant
Ofmond, qu'elle fçait lui être odieux.
SCENE I V.
SIGISMONDE . LAURE. SIFFRE DI
OSMOND.
SIFFREDI..
C'EST le noble Ofmond , ma fille ; c'eſt
mon ami , qui n'afpire qu'après- ta main ;.
que je me ferai gloire d'appeller mon fils....
& ma félicité fera complette, fi par cette :
alliance , ton bonheur devient auffi grand
que ton père le defire.
OSMOND.
Ne croyez point , Madame , que le '
confentement de votre Père fuffife pour
me rendre heureux . Mon coeur , préféreta
toujours votre bonheur au mien mê
me, & chercherà tous les moyens de vous
procurer... Puis -je me flatter que le
JANVIER. 1761 . fr
vôtre ne défapprouve pas le choix de votre
père ?
SIGISMONDE.
Seigneur , je fuis fa fille. ... Mon coeur
n'a point de volonté. Laure , foutenezmoi...
(Elle s'évanouit . )
SIFFREDI , éffrayé .
Laure , fecourez- la ! ...Qu'on l'empor
te d'ici ..... O ma fille ! ( A Ofmond, }
Pardon , Seigneur ! .... cer accident
m'allarme... Je vous rejoins , dans le moment.
Q
SCENE V.
OSMOND , feul.
UE penfer de ceci ? ... quel augure en
puis - je tirer ? .... Me hait- elle ? .... En
aime -t- elle un autre ? .... Je ne l'ai déja
que trop craint ! .... Peut - être , que le
Roi .... que le jeune Tancréde ? .... Ils
furent élevés enfemble .... Non , cela ne
peut être il a trop folemnellement offert
La main à la Princeffe ..... Sa couronne ne
42 MERCURE DE FRANCE.
dépend - elle pas du teftament ? .... S'ils
s'aimoient en effet ; ce vieux Miniftre feroit-
il homme à préférer un Sujet à fon
Roi ? ..... J'eftime fa vertu ..... je dis
plus ; je m'y fie ..... autant qu'on peut
compter fur les vertus du fiécle .... Mais ,
s'il eût pû placer fa fille fur un Trône ! ....
Quel appas glorieux pour un homme de
cette efpéce ! .... Qu'est- ce donc au fond
que tout ceci .... Peu m'importe : n'y
penfons plus : Mon honneur , & ma dignité
exigent feulement que mon alliance
acceptée & conclue , ne foit pas dédaignée.
J'aime d'ailleurs l'aimable Sigifmonde...
& je ne fentis jamais plus fortement
à quel point je l'aimois . Quelle femme
en effet a jamais été plus charmante ,
plus modefte , plus douce , & plus inté
reffante qu'elle Son efprit , fes grâces ,
fa perfonne , offrent aux yeux un modéle
parfait de tout ce que fon féxe a d'enchanteur
! ... Oui , je veux l'obtenir... &
puis la regarder comme obtenue ... Si fon
coeur fe refuſe à ma félicité ; fon devoir
& mes tendres foins , ne pourront manquer
de la vaincre... L'homme fenfé , par
de trop féduifans dehors , ne vife point à
dérober un coeur : il cherche à le former
lui-même.
Fin du troifiéme Alto,
JANVIER. 1761. 43
A M. BRISSARD , Comédien du Ro1
DIS- MO1 , noble Briffard, quand chaque ſpectateur
,
Par tes fons pleins de feu fe fent percer le coeur ,
Quand par toi la pitié remplit toute mon âme ,
Eft-ce un Dieu qui t'infpire ? eft - ce un Dieu qu
t'enflâme ?
Quelle force affervit tous mes fens à tes loix ?
L'éclair eft dans tes yeux , la foudre dans ta voix
Tu parles... & foudain mes cheveux le hériffent
Toutes tes paffions chez moi ſe réuniffent :
Père , je te chéris , & fouvent je te plains
Pontife , je t'admire ; & Tyran , je te crains.
Mais qu'alors cette crainte eft un plaifir extrême !
Il femble que Briffard defcende dans moi- même.
O Génie ? ô talens ! réponds- moi , grand Acteur,
Quel Dieu t'a donc appris la route de mon
coeur ...
Je le fens... quand ta voix m'enchaîne & me maî-
C'eſt
que
trife ,
la vérité fur ta lévre eft affife .
DUPLESSIER,
44 MERCURE DE FRANCE.
VERS àM.BOUVIER DE RUSSAN,
fur fon talent de faire la reflemblance
fur le Caillou Onyx.
ONN ne doit plus, Bouvier, te nommer Girardon,
Phidias ou Pigmalion ;
Leur Art n'étoit qu'une heureufe impofture,
Le tien eft fils de la Nature .
Tu peux , nouveau Deucalion ,
Animer & polir une maffe groffiere .
Tu peux commander à la pierre ;
Par la force de ton Burin ,
1.
Le caillou devient clair & fléchit fous ta main.
Par Madame GUIBERF
Au même , fur le même Sujet.
O UE mes fenfations font vives !
A l'afpect des portraits qu'éterniſe ta main;
Tu fais fixer les grâces fugitives ,
Mieux que fur le marbre & l'airain.
Par M. l'Abbé MANGENOT.
JANVIER. 1761.
FRAGMENT d'une Lettre de bonne année
écrite par un Curé du Nivernois à M.
N. E. S. de fon Alteffe Ser. M. le P.
de....
vous , mon Ange tutélaire ,
Et mon plus folide foutien ,
Vous , dont la perfonne m'eft chère ,
Mille fois plus que tout le bien
Que vous projectez de me faire ;
Puiffiez- vous toujours plein d'efprit , de feu , de
fens ;
Toujours chéri , fêté des Sages & des Grands ,
Au chemin de l'honneur , dans la paix , dans la
guerre ,
Victorieux du fort , de l'intrigue , & du temps ,
Suivre C ... le, fervir , & lui plaire ,
Encor pour le moins quarante ans !
Quarante ans , direz - vous ! c'est trop . Non ; je
préfage
Que, fans trop vous flatter , mon coeur pourroit
encor
Vous en promettre davantage ;
Le Ciel , dans fes faveurs , toujours égal & fage ,
Vous a donné les talens de Neftor ,
Il doit vous accorder fon âge .
Par un Abonné au Mercure.
46 MERCURE DE FRANCE.
VERS à Mademoiſelle BERNARD fur
fon Portrait.
VENUS vit, par hazard ,
Le portrait d'une belle.
Ah c'eſt le mien , dit-elle ,
Non , dit l'Amour , c'eft celui de Bernard.
A Monfieur le Duc de FRONS AC ,
DIGNE IGNE fils du Dieu de la Thrace ,
Sur le pont de la Touifte on t'a vu le premier.
Tel fur un autre pont , le Tibre vit Horace ,
Mais Horace étoit borgne , & ne fut que guerrier :
Tu joins jeune & charmant, le myrthe & le laurier.
Par Madame BOURETTE.
SUR le Mariage de Mlle de NoAILLES
avec M. le Duc de DURAS,
J'AI vu , couple charmant , tous les coeurs fur vos
traces .
Pour le bonheur des deux , il , n'eſt partout qu'un
voeu.
La main de l'Hyménée unit du même noeud
Les grandeurs , les vertus , le courage , & les
grâces.
Par la même MUSE.
JANVIER. 1761 47
SUITE DE LA CORNE D'AMALTHÉE
A
Conte traduit du Grec.
CHAPITRE VI.
PEINE ce fixiéme fouhait fut-il formé,
qu'Eumene reçut un bon de Publicain,
C'étoit le plus court moyen pour obtenir
tour - à - coup de grandes richeffes fans
étonner perfonne. Eumene crut devoir
prendre un train relatif à fa nouvelle
condition ; c'est-à- dire , qu'il eut une table
mieux fervie , un Palais mieux orné ,
des courfiers plus fougueux , un char plus
brillant que lorfqu'il étoit premier Minifrre
, & même Grand - Prêtre. Il lui manquoit
une maîtreffe , & bientôt il ne lui
manqua rien. J'ai déja dit qu'Eumene
étoit jeune & bienfait. Il parut plaire à
Thaïs ( c'étoit le nom de fa Maîtreffe ) &
Thais lui plut ; il n'épargna rien , d'ailleurs
, de ce qui pouvoit la fixer . Les fêtes
fuccédoient aux fêtes , les préfens
aux préfens. Eumene fe croyoit heureux ,
& il le fut jufqu'au moment où la fuite
de Thaïs le détrompa.
Eumene chercha des plaifirs d'une au48
MERCURE DE FRANCE :
tre forte. Il protégea des Artiftes , hébergea
des Auteurs , & donna à des indigens
inutiles. Mais il ne put rendre ni les premiers
dociles , ni les feconds modeſtes , ni
les troifiémes reconnoiflans. Il fut encore
moins fatisfait des gens de cour.
Tous regardoient fa maifon comme une
de ces fources publiques, où l'on và puifer
fans autre attention que celle de ne pas
prendre au- deffous de fon befoin. Du refte
, on ne fçait nul gré à la fource de ſes
libéralités elle reçoit gratuitement ce
qu'elle donne de même. Ah ! dit Eumene,
c'est trop obliger & fréquenter des
ingrats. Je vais borner ma fociété àcelle
d'un Sage , fi je fuis affez heureux pour le
rencontrer.
On rioit beaucoup aux dépens d'un
homme qui blâmoit les ufages de tous
fes femblables & ne les imitoit en rien.
Eumene le vit & ne rit pas. L'expérience
commençoit à lui apprendre , que tout ce
qui paroît le plus defirable rebute fouvent.
Pourquoi , par la même raiſon , ce
qui rebute d'abord ne pourroit - il pas
plaire enfuite ? Peut- être , ajoutoit - il , le
gland eft- il préférable au froment; peutêtre
un lit de mouffe eft il plutôt fait pour
nous qu'un lit de duvet, peut- être une femme
appartient- elle au plus.... peut être
un
JANVIER. 1761. 49
Eumene él-
Un peu d'antropophagie ...
faya toutefois de ramener le Sage à des
principes moins auftères. Il parvint à lui
faire quitter la cabane pour habiter fon
Palais. Il réuffit même à l'apprivoiser
quelque temps avec la bonne chére ;
mais les remords vinrent enfuite. Le Sage
retourna à fa cabane & à ſes racines.
Il avoit parlé avec tant d'éloquence
contre les Lettres , qu'il fit naître à Eumene
le defir d'être éloquent ; & comme
un defir marche rarement feul , Eumene
ambitionna d'être éloquent en vers & en
profe. Ce fut le fixiéme de fes fouhaits .
E
CHAPITRE VII
UMENE , qui pour réuffir n'avoit
qu'à defirer , eut le courage de vouloir
mériter fes fuccès. Il enfanta un Poëme
qui eût rendu Homére jaloux , & qui lui
fufcita des envieux bien inférieurs à Homére.
Il eut encore plus d'admirateurs ,
c'eſt- à- dire , que rien ne manquoit à ſa
gloire. Il la trouvoit bien préférable à
celle qu'on obtient par d'autres voies , &
qu'on n'acquiert jamais feul . Cette ivrefle
dura quelque temps , après quoi elle ſe
ralentir dans le Public & dans l'Auteur
II. Vol.
C
1
so MERCURE DE FRANCE.
même. Il n'y eut que la haine de fes ennemis
qui fe foutint. Les uns l'accuférent
de crimes fuppofés ; les autres s'appropriérent
les ouvrages ; d'autres lui imputérent
les leurs. Ce dernier trait fut le
plus fenfible pour Eumene ; mais bientôt
il éffuya d'autres dégoûts . Les lauriers tragiques
le tentérent. Il compofa d'après
les plus grands modéles , & furtout d'après
fon génie , un Drame admirable , où l'on
étoit plus attendri qu'étonné , où le coeur
fe trouvoit plus intéreffé que la vue ; où
l'art des Acteurs afpiroit à bien rendre
plutôt qu'à faire valoir. Toute l'affemblée
verfoit des larmes délicieuſes. Malheureufement
l'endroit le plus pathétique
fournit un bon mot à un mauvais Plaifant,
& tout-à- coup les larmes firent place à de
grands éclats de rire . On ne vit plus que
du ridicule dans ce qu'on venoit d'admirer;
la Piéce tomba dans l'oubli , & le bon
mot fut confacré dans les annales du goût
de la Nation.
Le Poëte s'en affligea quelque temps ,
& compofa enfuite , pour s'égayer , un
Roman fans vraisemblance & qu'il avoit
voulu rendre tel. Son unique but n'étoit
que d'y faire preuve d'efprit, & ces preuves
lui coutoient peu. Un grave Cenfeur fut
chargé d'examiner cette bagatelle. Il crut
JANVIER. 1761.
qu'un ouvrage qui ne fignifioit rien , devoit
être dangereux. Dès - lors il y vit tout
ce qui n'y étoit pas , & fupprima tout ce
qui y étoit. Eumene plus docile qu'un Auteur
ne peut l'être , s'en tint à la décifion
du Cenfeur , & compoſa une ſeconde brochure.
Il éffayoit d'y mettre d'accord deux :
partis , qui divifoient & déshonoroient
la république des Lettres . Le Cenfeur à
qui ce nouvel Ecrit fut foumis , étoit luimême
enrollé dans cette guèrre ; il fupprima
la moitié de l'ouvrage. Un de fes
confreres fut chargé de le remplacer dans
cet examen . Celui ci étoit du parti oppofé
& raya l'autre moitié de la brochure .
Voilà Eumene privé une feconde fois du
fruit de fon travail , & prèſque déterminé ,
à ne plus écrire.
Cependant on annonça une victoire ,
remportée par les Troupes de l'Etat. A
cette nouvelle , Eumene qui étoit bon
Citoyen , redevint Poëte ; il chanta cet
événement glorieux , & eut foin de nommer
tous ceux qui s'étoient le plus diſtingués.
Un Officier fubalterne , dont il n'avoit
ni parlé ni oui parler , piqué de cet
oubli , lui en demanda raiſon. Il fallut
que le Poëte quittât la plume pour l'épée.
Il oublia ou négligea de fouhaiter d'être
invulnérable , & reçut une bleffure à cette
Cij
32 MERCURE DE FRANCE.
main qui avoit diftribué tant d'éloges.
Eh quoi ? difoit Eumene , faudra - t - il me
battre contre tous ceux que je ne louerai
pas ? Il comptoit du moins fur l'amitié
d'un Grand qu'il avoit loué avec excès.
Happrit que ce dernier trouvoit au contraire
la louange trop mince & vilipendoit
fon Panégyrifte. C'en fut affez pour
le faire changer de ton. Il devint Cauſtique
& dit une foule de vérités , qu'il falloit
taire. Au bout de quelques jours on
l'éveilla au milieu de la nuit pour le conduire
dans une prifon encore plus ténébreufe.
Voilà donc , dit- il alors , la récompenſe
de tant de veilles , & l'afyle que
me préparoit la renommée? Il prit le parti
d'abandonner une carrière où l'on fait tant
de faux pas & de mauvaiſes rencontres.
Il n'étoit pas , toutefois , entiérement
dégoûté des Beaux - Arts. La Peinture &
la Sculpture qu'il regardoit comme les
foeurs cadettes de la Poëfie , lui parurent
mériter fon hommage & mettre leurs favoris
à des épreuves moins dangereufes
que ne fait leur foeur aînée. De-là un
huitiéme fouhait d'Eumene , qui fut fuivi,
de fa liberté .
JANVIER. 1761 . 53
CHAPITRE VIII.
CE fut à l'hiftoire qu'il confacra les premiers
éffais de fon pinceau , & il eft inutile
d'avertir que fes éffais furent des chefsd'oeuvres.
Il joignoit à la fierté du deffein
l'élégance des formes & la vigueur du coloris.
Il fçavoit imaginer & rendre tout
ce qu'il imaginoit . On raifonna beaucoup
& fort mal , fur chacune de ſes productions
; on lui prodigua les Satyres les
plus injuftes & les éloges les plus maladroits.
Il s'apperçut qu'on n'avoit faifi
ni les beautés ni les défauts de fon ouvrage
; je dis les défauts , car les Dieux lui
avoient donné la faculté de produire des
chofes admirables , & non des chofes parfaites.
C'eft un attribut qu'ils réfervent
pour eux feuls & dont ils ufent toujours
fobrement.
Eumene fatigué du genre fublime , prèfque
toujours mal apprécié , devint fimple
portraitifte. En cette qualité , il eut
d'autres obftacles à vaincre , d'autres dégoûts
à fupporter. Un Chef des Eunuques
voulut être repréſenté en Achille . Sa phyfionomie
ne cadroit pas plus avec ce déguiſement
, que fon état . Il fe trouva luimême
fi ridicule fous cette forme , qu'il
C iij
74 MERCURE DE FRANCE.
s'en prit au Peintre, & lui fit effuyer toutes
les injures qu'un homme de fon eſpéce
peut prodiguer lorſqu'il n'a rien à craindre .
Un autre perfonnage eut recours aux talens
d'Eumene. C'étoit un Militaire que la
Nature avoit gratifié d'une figure impofante
& martiale. Le Peintre imita exactement
la reffemblance ; mais il eut de
nouveaux reproches à éffuyer. Le Guerrier
ne trouva point fa phyfionomie affez adoucie.
Il vouloit être repréſenté avec des yeux
riants , une bouche pincée , un teint délicat
, en un mot , fous les traits d'un Adonis.
Une foule d'autres perfonnages
avoient des prétentions non moins ridicu
les.... Eumene prit le parti de dévouér uniquement
les talens aux femmes ,de qui les
agrémens rendent les caprices plus fuppor
tables , mais il les peignoit d'après nature ,
& il déplut même aux plus belles . Une des
plus laides & des plus puiffantes de la
Cour ne lui pardonna point de ne l'avoir
fait paroître que jolie . Il voulut juger enfin
fi l'art des Phidias lui feroit plus favora
bles . Nouveaux fuccès dans ce genre &
nouveaux défagrémens. Chargé de faire
une ftatue de Vénus , il eft autorisé à prendre
les plus belles femmes de la nation
pour les modéles. Prèfque toutes fe flattoient
de lui en fervir , & de lui en fervir
JANVIER. 1761,
م ا ر گ
feules. Il en choifit d'abord trente & en
offenfe mille. Parmi ces trente , il fait un
nouveau choix , n'en réſerve que dix & a le
furplus pour ennemies . De ces dix même ,
telle n'a que l'oeil de beau , qui préfente la
bouche , telle autre les yeux au lieu de
l'oreille , telle autre la main au lieu du
pied & c. Eumene emprunta de chacune
d'elles , ce qui lui convenoit , & déplut à
toutes. Il fut vivement épris de la plus
belle & en avoit prèfque tout imité . Senfible
à cette préférence, elle alloit s'attendrir
en faveur de l'Artifte , lorfqu'elle s'ap
perçut qu'un des ongles de la Déeſſe n'avoit
pas été copié d'après un des liens . Elle
prétendit garder la vertu toute entiere , fi
Eumenene mutiloft fur le champ fa ftatue.
Il refufe de gâter un chef-d'oeuvre , & eſt
refufé à fon tour . Ce ne fut pas tout . La
Beauté qu'il défobligeoit ainfi , mit dans
fés fers un homme tout- puiffant & qui la
laiffa jouir de tout fon pouvoir. Le premier
ufage qu'elle en fit , fut de condamner
le cifeau d'Eumene à ne s'exercer
déformais que fur des Magots . Il
n'eût pas manqué d'occupation . A peine
ce bruit fut il répandu , qu'il vit accourir
chez lui une foule d'Amateurs du bel
air. Tous brûloient de voir leurs cheminées
enrichies de quelques- uns de fes
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
chef d'oeuvres. Parmi ces afpirans , Eu
mene remarqua un jeune Médecin qui, par
le brillant de fon équipage , l'élégance de
fa perfonne & la vivacité de fes chevaux
annonçoit un Médecin accrédité ou prêt
à l'être. Il fe fit une idée affez agréable
de cette profeffion , pour demander à
Jupiter d'en être revêtu .
CHAPITRE IX .
OILA donc Eumene chargé de veiller
à la confervation de fes femblables . Il réfléchit
fur l'importance de cet emploi , &
tout bien éxaminé , il jugea que l'art du
Médecin devoit confifter à guérir ſes malades
. La Nature l'avoit doué d'un coeur
propre à faire le bien pour le feul plaifir de
bien faire. Il fecourut fes concitoyens fans
diftinction de rang , de fexe , d'âge & de.
richeffes. Il étudia le tempérament de
ceux qui avoient recours à lui , fit fa principale
occupation du foin de les foulager , y
réuffit & fut ignoré & négligé . Cet aban-.
don ne le furprit point , mais il l'ennuya
& le fit réfoudre à fuivre l'étiquette_des,
Médecins à la mode. Eumene fit dorer fon
char , troqua fes chevaux & parcourut la
Capitale deux fois le jour fans être attenJANVIER.
1761 . 57
ลง par un feul malade ; mais bientôt il fut
mandé même par une foule de gens qui fe
portoient bien. L'Art de les guérir devint
pour lui une nouvelle étude. Eumene lifoit
quelques- unes des brochures du jour , c'eſtà-
dire des moins mauvaiſes ; il fe faifoit
inftruire des anecdotes les plus fecrettes ,
en tiroit la quinteffence & diftribuoit cet.
Elixir à fes malades imaginaires. En peu de
tems il éclipfa tous fes collégues & en fupplanta
le plus grand nombre , fans le vouloir.
Il acquit fur- tout la confiance des
Femmes. Prèfque toutes parvinrent à fe
croire malades , pour le feul plaifir de le
confulter.....
Eumene ufa d'un autre ftratagême ; il
intéreffa des efclaves , & fut inftruit par
eux des plus fecrettes actions de leurs maî
treffes. Le Docteur qui paroiffoit les deviner
, paffa pour un homme extraordinaire.
On difoit qu'Apollon n'avoit rien de
caché pour lui & ne vouloit pas qu'on pût
rien lui cacher. Dès-lors on le refpecta ,
mais on le craignit encore plus. L'idée
qu'on avoit de fa pénétration arrêta même
fes progrès dans le coeur d'une jeune
veuve qui en avoit déja beaucoup fait dans
le fien . C'étoit une brune auffi vive dans
fes paffions que dans les maniéres. Un.
amant qu'elle ménageoit encore & que
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
peut -être elle eût bientôt congédié , étoit
un fecret obftacle au bonheur d'Eumene. Il
parut inftruit de ce mystére , entra dans
certains détails ,fe prefcrivit un régime plus
conforme à fon intérêt perfonnel qu'au
penchant de la Dame. Eumene paffa dans
fon efprit pour un homme infpiré ; mais
cette idée la fit trembler pour le préfent &
pour l'avenir. Elle ne voulut ni d'un Mé
deciñ ni d'un amant qu'on ne pouvoir
tromper.
L'amoureux Docteur , congédié par
la jeune veuve , fut accueilli par une
douairiere antique. Elle avoit foixante
ans & fe croyoit malade , parce que fon
teint avoit perdu fa fraîcheur . Eumene lui
avoua qu'il n'avoit point de recette pour
ces fortes d'accidens. Elle préfumoit du
moins qu'il en auroit pour les vapeurs dont
elle prétendoit être tourmentée. Autré
aveu de l'impuiffance du Docteur à cet
égard. Mais on ne lui pardonna point
d'être inhabile à tant de choſes. La Dame
étoit vindicative & puiffante. Elle tenoit
table & avoit à fes ordres beaucoup
de parafites , grands parleurs & qui aimoient
furtout à parler mal d'autrui. Le
Docteur ne fut point épargné. De mauvais
Peintres le traveftirent ; de mauvais
Poëtes le chargérent d'Epigrammes ... Il
JANVIER. 1761. 5.99
apprit même que la douairiere vaporeufe
ne s'amufoit à le rendre ridicule, qu'en attendant
qu'elle pût le faire paroître coupable.
Il ne craignoit pas de le devenir ;
mais il eſpéra encore moins être jamais
heureux fous la robe d'Efculape . Cepen- i
dant il ne lui reftoit qu'un fouhait à former
& fa deftinée en dépendoit. Il prit ,
le parti de queftionner des gens de tous)
les états , par lefquels il n'avoit pû paſſer
lui- même.
CHAPITRE X.
UN homme à morgue élevée , marchant
à côté de lui , le regarda avec une
forte de mépris. Voilà , fans doute , un
homme heureux , dit Eumene , car il paroît
s'eftimer beaucoup lui- même , & faire
peu de cas des autres. Il le fuivit jufques
dans un jardin public . Le bruit d'une victoire
y raffembloit quelques groupes de
Nouvelliftes. Eumene prit ce prétexte pour
lier converfation avec celui qu'il vouloir
mieux connoître. Eh que m'importent, luidit
ce dernier , ces fortes d'événemens ?
Aujourd'hui vainqueurs , demain battus
pour être encore bientôt l'un & l'autre ,
doit- on ni s'en réjouir ni s'en attriſter ?
Ce font de purs jeux du hazard , & il en
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
·
eft de même de tous les accidens de la
vie. Ils n'abattent ou n'affectent que les
âmes foibles. Je vois , reprit Eumene ,
que j'ai l'honneur de parler à un Diſciple
du grand Zénon ; votre âme eft inacceffible
aux chagrins , à la douleur. Jugezen
, répliqua le Stoïcien par le court récit
que je vais vous faire. J'occupai à la
Cour un pofte brillant & lucratif. Les
Grands attendoient dans mon antichambre
, & les petits m'appelloient Monfeigneur.
Il ne falloit , pour me maintenir,
que rendre une partie de ces refpects.au
( Chef des Eunuques . Je ne pus m'y réfoudre
, & je fus déplacé , exilé , calomnié
, chanfonné. Ce font là de vrais
malheurs , difoit Eumene. Point du tout ,
reprit le Philofophe , ce font & ce feront
toujours de vraies bagatelles . Je
partis pour mon exil ; j'avois un ami que
je chargeai du foin de mes affaires & d'uné
partie de mes richeffes . Il aimoit le
jeu , la table & les femmes : en peu de
temps il diffipa le dépôt & m'écrivit que
fi je ne lui envoyois dequoi acquitter une
dette de jeu , il étoit perdu d'honneur .
Je fatisfis à fa demande , & ne lui en fis
jamais aucune. Quelle générofité ! s'écria
Eumene ; avouez cependant que cette
perte vous affligea 2 ... Bagatelle , pour
JANVIER. 1761 : br
faivit le Stoicien. J'avois un fils qui dès
l'âge de dix - huit ans , fit tourner la tête
à vingt prudes & fixa prèfque autant de
coquettes. Il étoit en beauté le rival d'Adonis
, avoit la même ardeur pour la
chaffe , & n'y fut pas plus heureux . Une
fléche lancée au hazard , ou à deffein , lui
creva un oeil . Il perdit une partie de fes
graces , & toutes les conquêtes. Voilà ,
difoit Eumene , an fâcheux accident , &
qui , fans doute , vous apprit à connoître
la douleur... Bagatelle , reprit encore le
difciple de Zénon , mon fils gagna beaucoup
à cette perte , il devint infenfible
à toute autre , & inacceffible à l'ambition
. Enfin j'eus une femme jeune & belle
, à qui trop de gens le difoient , & qui
aimoit trop à fe l'entendre dire. L'exil ou
nous fumes relégués , s'accordoit peu
avec cette humeur . Elle reçut , elle approuva
l'hommage d'un ruftre qui n'étoit
pas même digne d'être le valet d'un
Philofophe. Je m'en apperçus : Ah , pour
le coup , s'écria Eumene ce dut être
l'écueil de la Philofophie.... Bagatelle ,
répéta une quatrième fois le Stoïcien.
Une femme qui s'égare ne fait que
fuivre
fon inftinct naturel. Eft-ce aux erreurs
d'un être , fi fragile qu'il appartient
d'ébranler notre fermeté Il alloit en62
MERCURE DE FRANCE.
taffer une foule d'argumens ftoïques ,lorf
qu'un Philofophe Epicurien de fa connoiffance
vint l'aborder en riant . Je veux,
lui dit- il , te faire rire , Zénon dût- il
s'en offenfer. J'arrive de chez toi , où ſelon
ma coutume , j'étois allé pour tra
vailler à ta perfection : j'entre fans être
vû & fans voir perfonne ; je pénétre
jufqu'au jardin , & là j'apperçois Zirphé,
ta jeune efclave , qui fuyoit tout doucement
celui qui a foin de ta mule. Elle eft
jolie ta jeune efclave ! Elle eft tombée
fur une planche de tulippes .... De tulippes
, s'écria le difciple de Zénon .... Aĥ ,
malheureux que je fuis ! Ah , fcélérats que
Vous êtes ! ne deviez-vous pas refpecter
mes tulippes ? Voilà le premier chagrin
que j'éprouve ; mais je me défefpére.
Ami ; je te quitte , je cours garantir la
feconde planche des faux pas de ces malheureux
.
CHAPITRE XI.
EUMEN UMENE refté feul avec l'Epicurien ,
trouva que le hafard l'avoit bien fervi. Il
- ne lui fut pas difficile d'entrer en conver
fation , un Epicurien eft , communicatif.
J'admire ces prétendus philofophes , di→
1
JANVIER. 1761 .
63
foit ce dernier , ils paffent leur vie dans
une contrainte perpétuelle ; ils gênent la
Nature dans tous fes penchans ; les plus
grands revers les trouvent infenfibles . Arrive
un moment où toute cette prétendue
fermeté difparoît; une bagatelle les atterre;
& le Stoïcien pleure fes tulipes. Pour moi,
continua-t-il , mon fyftême eft de ne me
contraindre en rien : j'accorde à la nature
tout ce qu'elle me demande, & je fuis affez
heureux pour qu'elle m'importune fouvent.
J'ai plus d'une maîtreffe , & une infinité
d'amis. Que les uns & les autres me trompent,
cela peut être ; mais je veux l'ignorer.
Je m'en confole , d'ailleurs , en prenant
ma revanche , autant que cela ne me
dérange point trop. A ce compte , lui dit
Eumene , vous êtes heureux : ce plan de
vie l'annonce. Heureux tant qu'il vous
plaira , reprit l'Epicurien ; je crois le bonheur
un peu chimérique ; je fuis heureux
tant que je ne m'ennuye pas, & j'avoue que
malgré toutes mes précautions , je m'ennuye
quelquefois. Comme il achevoit ces
mots , un de fes amis furvient , l'embraffe
& lui propofe un foupé chez des femmes
qui fans le connoître l'aiment à la folie.
L'Epicurien accepta la propofition ; mais
ajoûta-t- il , permettez-moi d'y conduire
un de mes bons amis qui fera bientôt des
64 MERCURE DE FRANCE.
vôtres. C'étoit Eumene dont il parloit , &
l'autre ami parut charmé de la propofition.
Eumene plus furpris que tenté , prétexta
quelques affaires. Il cherchoit le bon
heur qui fuit toujours la cohue , & ne fe
plaît guères qu'en pays de connoiffance.
CHAPITRE XII.
CERT
ERTAIN Hermite paffoit pour l'avoir
fixé au fond d'un défert , & c'en fut affez
pour y conduire Eumene. Il trouva le Cénobite
occupé à préparer quelques racines.
Sa demeure étoit une grotte , que peutêtre
quelque voluptueux avoit creusée &
habitée dans l'âge d'or. On y étoit à l'abri
des injures du tems & même de la vifite
des Lions & des Ours. Eumene , felon
fa méthode , queftionna l'Hermite . Vous
voyez, repondit le céle fte contemplateur ,
que je n'ai dans mon déſert ni flatteurs qui
me jouent,ni femme qui me haïffe , ni maîtrelle
qui me trompe , ni valets qui me
décrient , ni tréfors qui m'occupent , ni
mets délicieux qui m'empoifonnent , ni
habits fuperbes qui me déguiſent , ni vins
choifis qui m'enyvrent ... Je vois parfaitement
, interrompit Eumene , que toutes
ces chofes vous manquent ; mais daignez
JANVIER. 170 .
65
9
fatisfaire ma curiofité , êtes -vous heureux ?
Que je plains ceux qui habitent les cours ,
pourſuivit l'homme du défert ! fans ceffe
occupés de projets ambitieux , ou de baſſes
démarches, ils paffent leur vie à eſpérer
à craindre , à briguer un coup d'oeil , à
l'envier à ceux qui l'obtiennent , à ramper
fous un maître ... Eft- on plus fage à la
Ville : non , ce n'eft prèfque partout que
tromperie & fierté dans laNobleffe; morgue
& puérilité dans la Magiftrature ; fafte &
prétentions dans la Finance ; grimace &
ridicule dans la Bourgeoifie ; infolence &
friponnerie dans la populace ; entêtement
dans la vieilleffe , aftuce dans l'âge mûr ,
fatuité dans la jeuneffe , fotife enfin , dans
tous les âges & tous les Etats. En achevant
ces mots le pieux Anachorète fe tourna
vers une Statue de Jupiter comme pour lui
faire hommage de ce difcours charitable.
Eumene infifta de nouveau , & toujours
fur la même queftion . Etes - vous heureux ?
L'hermite ne répondit pas encore. Voyez ,
dit-il , à Eumene , voyez l'eau pure que
diftile cette roche ; elle eft délicieuse , &
ne peut troubler la raifon : ces racines , ces
fruits fauvages , furent la nourriture des
premiers hommes. Ces feuilles qui compofent
mon lit , font l'antidote de la moleffe
; le bruit de cette cafcade , le mur66
MERCURE DE FRANCE.
mure de ce ruiffeau, l'emportent fur la mufique
de certains Opéras . Eumene qu'impatientoient
ces réponſes obliques , alloit
s'éloigner , lorfqu'un Soldat vint demander
l'hofpitalité à l'Hermite. Il s'étoit
égaré de fa route , & témoignoit avoir
encore plus befoin de nourriture que de
repos. Soyez le bien- venu , lui dit le Solitaire
, en lui faifant généreufement part
de fes racines , de fes fruits , & de l'eau
de fa cafcade. Le Soldat , fans louer fes
mets , en fit un ample ufage. Eumene regretroit
de ne pouvoir rendre ce repas
meilleur. En attendant qu'il pût dédommager
le Convive , il n'oublia pas de le
queftionner. Avouez , lui dit - il , que la
gloire coûte cher à acquerir , & ne demeure
pas toujours à ceux à qui elle coûte
le plus ? Que de fatigues & de dégoûts
entraîne après foi le métier de foldat !
Comment reprit l'Eléve de Mars , de
par la Maffue d'Hercule , je ne connois
pas de plus beau métier. Il eft vrai qu'on
eft quelquefois battu par l'ennemi , quoiqu'on
foit brave ; gourmandé par un Sergent
, quoiqu'on foit fage ; affamé par
des Munitionnaires , quoiqu'ils foient bien
payés : mais dans une Ville prife d'affaut
lorfqu'il nous tombe fous la main , argent
, bijoux , fille où femme , nous ne
J
JANVIER. 1761 . 67
nous en faifons pas faute .Je n'ai rien de tout
cela , dit à part foi l'Anachorète ; & l'ardeur
martiale le gagnoit infenfiblement : déja
il brûloit du defir de fervir fa Patrie , &
de prendre quelque Ville d'affaut . D'autre
part , le Soldat examinoit cette folitude.
Il en comparoit la tranquillité avec le
fracas des armes. Cette grotte , difoit - il
en lui -même , vaut mieux qu'une tente ,
& fur tout , que le bivouac ; l'eau de cette
fontaine eft claire , & fouvent celle que
boit toute une Armée eft bourbeufe. Ce
lit n'eft que de feuilles , mais combien de
Généraux n'en ont que de paille ou couchent
fur la terre ? Eumene contemploit
attentivement ces deux perfonnages. Il
fourioit & devinoit ce qui fe paffoit en
eux. Ce fut l'Hermite qui s'expliqua le
premier. J'ai , dit - il , fervi long - temps
les Dieux fans rien faire pour l'Etat. Ne
pourrois je pas le fervir à fon tour , fans
les Dieux s'en offenfent ? Vous , ditil
au Soldat , qui les avez fans doute négligés
, quelques années de retraite pourroient
vous réconcilier avec eux. Il me
vient une idée. Prenez tout mon attirail ,
& me cédez le vôtre. Il fut pris au mot.
Je crains , lui dit le Soldat , que vous ne
reveniez bientôt me propofer un nouveau
troc. En attendant le premier fe fit , &
que
68 MERCURE DE FRANCE.
le nouveau guerrier s'éloigna de fa grotte
avec la même ardeur qu'il étoit venu l'habiter.
Le nouvel Hermite s'endormit fur
le lit de feuille , & Eumene , après lui
avoir laiffé de quoi égayer la frugalité de
fes repas , reprit le chemin de la Capitale.
Il y fit d'autres recherches & n'en fut
pas plus fatisfait. Ah ! dit- il , puifqu'on
s'ennuie fur le Trône & fur fes degrés ;
fous la thiare & fous le cafque ; dans le
Temple de Thémis , & dans le Palais de
Plutus ; puifqu'un grand Poete peut être
honni , un grand Artifte dégradé , un
jeune Médecin opprimé par des femmes :
puifqu'enfin chaque état eft fujet aux revers
, & qui pis eft au dégoût , redeve
nons ce que nous étions ; ce fera , fans
doute , ce que nous devons être .
F
CHAPITRE XIII.
UMENE reprit donc le chemin de fa
folitude. Il étoit toujours poffeffeur de la
Corne d'Amalihée , & l'abondance préve
noit fes defirs . Elle le fatigua , l'engourdit
, l'affaiffa . Il eut de nouveau recours
à Jupiter. Grand- Dieu ! s'écria- t- il , ôtezmoi
ces biens que je vous ai demandés
fans les connoître. Je fuis feul & défoeu
JANVIER. 1761.
ة و
vré , que deviendrai-je , fi les befoins ne
viennent à mon fecours ? Alors Mercure
lui apparut une feconde fois . Il mit plus
de cordialité dans les maniéres , parce
qu'Eumene étoit devenu un protégé en
titre . Suivez- moi , lui dit le Dieu . Eumene
obéit. Ils traverférent une épaiffe forêt &
parvinrent dans un Vallon délicieux. La
Nature y avoit raffemblé tout ce qui fait
la matiére de ces fortes de deſcriptions .
Mais aucune trace humaine ne s'offric
d'abord aux regards des deux Voyageurs .
Ils apperçurent enfin une jeune perfonne
qui fe miroit au bord d'une fontaine . Une
robe légére & flotante la couvroit ; des
guirlandes de fleurs ornoient fes cheveux
& fa taille. A cet extérieur on l'eût prife
pour une Nymphe , mais à fa beauté Eu
mene la prit pour Vénus, L'afpect de deux
hommes parut l'effrayer ; elle s'enfuit
avec une légèreté furprenante. Ce n'eſt
pas une Déeffe , dit alors Eumene , les
Déeffes font moins timides ; mais que
d'attraits dans une fimple Mortelle. Il la
fuivit jufqu'à l'entrée d'une caverne d'où
un petit épagneul accourut pour la défendre.
Il alloit mordre les jambes du prétendu
raviffeur ; la belle inconnue l'arrêta.
Elle trembloit & cependant regardoit Eumene
avec une forte d'intérêt . Lui- même
70 MERCURE DE FRANCE.
Penviſageoit avec un raviffement inexpri
mable . Mercure furvint ; il frappa le chien
avec fon Caducée & le rendit immobile.
Raffurez- vous , belle Eupolis , dit - il à l'inconnue
, les Dieux ne vous ont pas prodigué
tant de charmes pour vous laiffer vivre
feule & ignorée dans un défert. Voilà l'époux
qu'ils vous deftinent. Il faut approuver
fa tendreffe , il faut y répondre . Ces
mots font nouveaux pour vous ; mais il
eft réſervé à Eumene de vous les expliquer .
Ce petit chien ne ceffera d'être immobile
que quand vous cefferez d'être infenfible.
Á ces mots le Dieu difparut , & la frayeur
d'Eupolis augmenta. Elle vouloit fuir ;
mais comment s'éloigner du malheureux
Myrtil , ( c'étoit le nom de l'épagneul )
falloit- il l'abandonner à fa trifte deftinée ?
Il fautoit jadis avec tant de grâce ! il mettoit
tant d'agrément & de vivacité dans
fes careffes ; il l'avoit défendue avec tant
de zéle ! & la préfence & les regards d'Eumene
plaidoient la caufe de Myrtil avec
encore plus d'éloquence & de fuccès ! ..
Quel dommage , difoit- il , qu'un chefd'oeuvre
de la Nature eût été plus longtemps
dérobé à nos regards & à notre admisation
! Eupolis écoutoit ce langage &
commençoit de l'entendre . Elle y répondit
; car elle n'avoit pas été affez bien
JANVIER. 1761, 71
3
élevée pour fçavoir diffimuler. J'ignore ,
difoit- elle , ce que c'eft que la beauté ;
cependant je fuis charmée que vous me
trouviez belle. Dites adorable , ajoutoit
notre amant tranſporté , que n'avez - vous
un pareil contentement de l'amour que
vous m'infpirez ! Queft - ce que l'amour ?
demanda Eupolis , il me femble que ce
mot n'a rien que d'agréable. Eumene le
précipita à fes genoux ; elle fe troubla , &
Myrtilcommença à remuer la queue. L'amour
, reprit Eumene , eft un fentiment
délicieux , une ivreffe de l'âme , un enchantement
réel : on ne refpire que pour
l'objet aimé , on ne voit que lui , on voudroit
le voir fans ceffe. Hélas ! pourſuivit-
il , que cette peinture eft foible en
comparaison de ce que j'éprouve ! Que
votre coeur vous inftruiroit bien mieux ,
s'il vouloit s'expliquer en ma faveur! Mais,
repliqua ingénument Eupolis , j'éprouve
une partie de ce que vous dites : je vous
vois avec plus de plaifir que tous les animaux
de ce canton , & même que Myrtil.
Je n'ai plus deffein de vous fuir , je crains
de vous voir difparoître. Nouveaux tranfports
d'Eumene. Il baife la main d'Eupolis
& Myrtil fecoue les oreilles . Sa charmante
Maîtreffe eft enchantée de ces heureux
progrès. Ah daignez l'animer entierement
72 MERCURE DE FRANCE.
difoit Eumene ! Eh ! que faut-il faire de
plus pour cela , répondoit Eupolis ? M'aimer
fans réſerve & comme je vous aime.
C'en eft donc fait ajouta-t-elle , Myl
va fauter. En effet, Myrtil fauta, cabriola,
jetta quelques cris de joie , & ne fongea
plus à mordre perfonne.
>
>
Eumene qui aimoit à queftionner trouvoit
une occafion bien naturelle de fe fatisfaire.
Quel hazard , dit- il à Eupolis , vous
conduifit dans cette folitude ? y naquîtes-
vous l'habitez-vous feul ? Voyez
dit- elle , cette femme qui s'avance à pas
lents , c'eft elle qui m'a élevée , c'eſt mon
unique compagne , & j'ignore s'il en exiſte
d'autres . La vieille Efclave étoit déjà aſſez
proche pour diftinguer qu'Eupolis n'étoit
pas feule. Elle fit trois pas en arriere , &
jetta un cri en apperçevant Eumene.O Minerve
gardienne ! difoit - elle , tous mes foins
ont donc été fuperflus ! fans doute il n'eſt
plus tems. Eupolis courut à fa rencontre &
lui dit avec une forte de tranſport : Ma
Bonne , nous ne ferons plus feules , voilà
Eumene qui veut nous tenir compagnie.
Ce n'eft pas affez , dit- il , je veux vous
procurer une manière de vivre plus commode.
C'est trop enterrer un tréfor au
fond de ce défert , venez habiter un aſyle
plus digne d'Eupolis , fans toutefois
l'être
JANVIER. 1761 . 73
Pêtre encore affez. La Vieille , au lieu de
répondre , entra dans la grotte & en fortit
l'inftant d'après , tenant un rouleau de
parchemin. On ne peut , dit - elle , réfifter
à fa deftinée. Votre grand- père , qui
étoit un grand Aftrologue , l'a prédit même
en vers. Lifez ce Quatrain Aftrologique
rien n'eft plus clair.
Quand fille neuve , & partant ingénue ,
Ecoutera quelque Amant ſéducteur ;
Bientôt l'Amour , par l'ouie & la vue ,
Saura trouver le chemin de ſon coeur. ·
Ne voyez- vous pas là , pourfuivit la
Vieille , l'année , le mois , le jour , l'heure
& le moment de votre entrevue d'aujourd'hui
? Il ne faut pas faire mentir un
grand Aftrologue . Eumene étoit embaraffé
pour retrouver la route . Myrtil témoigna
, par fes geftes , qu'il alloit être leconducteur
de la troupe. On le fuivit &
l'on s'en trouva bien . Chemin faifant , la
Vieille inftruifit Eumene de tout ce qui
avoit rapport à la jeune Maîtreffe. Eupolis ,
lui dit- elle , eft née en Egypte , dans ce
beau Pays où prèfque tout le monde eft
Sage & Magicien. Son père fut un brave
Officier , qui pour faire preuve de courafe
fit tuer dans une bataille. Sa mere
II. Vol.
ge
D
74
MERCURE DE FRANCE.
en fçavoit autant que moi & tenoit de fon
père qui en fçavoit autant que fon grandpère.
Elle étoit belle & prévit que fa fille
le feroit un jour. Inftruite par l'expérience
des dangers que court une jeune & belle
perfonne foit à la Cour , foit à la Ville ,
foit même au Village , elle voulut habiter
quelque endroit ignoré. Ce fut à cette contrée
que nous donnâmes la préférence.
Nos livres, nos génies & nos expériences ,
nous promirent le voyage le plus heureux.
Nous nous embarquâmes , & au bout de
huit jours une tempête engloutit le Vaiffeau.
Tout le noya excepté Eupolis &c .
moi, qui la tenois entremes bras . Un reflux
nous jetta fur le rivage , & j'eus le
bonheur de fauver une fomme en or dont
j'étois gardienne , le parchemin que vous
avez vû, & qui plus eft , mes livres . Je n'avois
garde d'oublier le projet de ma fage
Maîtreffe & des Génies ; je me fixai dans
la folitude que nous quittons aujourd'hui.
Depuis dix ans , nous l'habitons ; & Eu
polis en avoit cinq lorfqu'elle y vint. Jé
l'élevai dans toute l'ignorance où doit
être une fille qui n'en veut pas trop favoir.
J'allois de tems en tems chercher à
la ville la plus proche certaines chofes
qui ne fe trouvent que là , & dont on ne
peut fe paffer nulle-part ; mais je n'infJANVIER
1781 .
་ ་
truifois perfonne de ma demeure, encore.
moins du tréfor que j'y tenois caché. Nul
homme , excepté vous , n'a pénétré dans
notre afyle. Je ne fçai quel hazard y conduifit
le petit chien que vous voyez. J'ens
quelque envie de m'en défaire ; mais fes.
carelles & les larmes d'Eupolis lui obtinrent
fa grace. Il s'attacha à ma jeune,
maîtreffe ; & fi j'en crois ma fcience , &
furtout les avertiffemens de mon génie ,
Myrtil eft celui d'Eupolis .
6
Myrtil remplit parfaitement fes devoirs
de conducteur. On arriva à la demeure
d'Eumene . Eupòlis fut enchantée de s'y
voir dans des glaces , & Eumene étoit
transporté d'y voir Eupolis. Il fçut trèsbon
gré à Mercure de n'avoir pas repris la
Corne d'Amalthée . Oui , difoit- il enfin ,
des richeſſes fans embarras , des befoins
& nulle ambition , de l'amour & peu de
jalousie , une belle femme qui daigne n'ètre
pas trop coquette ; voilà ce qui peut
rendre l'homme heureux . Eumene & Eupolis
le furent ; & , ce qui eft encore plus
are , ils ne fe lafferent point de l'être.
Dij
74 MERCURE DE FRANCE.
en fçavoit autant que moi & tenoit de fon
père qui en fçavoit autant que fon grandpère.
Elle étoit belle & prévit que fa fille
le feroit un jour . Inftruite par l'expérience
des dangers que court une jeune & belle
perfonne foit à la Cour , foit à la Ville
foit même au Village , elle voulut habiter
quelque endroit ignoré. Ce fut à cette contrée
que nous donnâmes la préférence .
Nos livres, nos génies & nos expériences,
nous promirent le voyage le plus heureux.
Nous nous embarquâmes , & au bout de
huit jours une tempête engloutit le Vaiffeau.
Tout le noya excepté Eupolis &
moi, qui la tenois entre mes bras. Un reflux
nous jetta fur le rivage , & j'eus le
bonheur de fauver une fomme en or dont
j'étois gardienne , le parchemin que vous
avez vû, & qui plus eft , mes livres. Je n'avois
garde d'oublier le projet de ma fage
Maîtreffe & des Génies ; je me fixai dans
la folitude que nous quittons aujourd'hui .
Depuis dix ans , nous l'habitons ; & Eu
polis en avoit cinq lorfqu'elle y vint . Jé
l'élevai dans toute l'ignorance où doit
être une fille qui n'en veut pas trop favoir.
J'allois de tems en tems chercher à
la ville la plus proche certaines chofes
qui ne fe trouvent que là , & dont on ne
peut fe paffer nulle- part ; mais je n'inſJANVIER
1461 .
75
truifois perfonne de ma demeure, encore.
moins du tréfor que j'y tenois caché . Nul
homme , excepté vous , n'a pénétré dans
notre afyle. Je ne fçai quel hazard y con
duifit le petit chien que vous voyez . J'ens
quelque envie de m'en défaire ; mais fes
careffes & les larmes d'Eupolis lui obtinrent
fa grace. Il s'attacha à ma jeune
maîtreffe ; & fi j'en crois ma fcience , &
furtout les avertiffemens de mon génie ,
Myrtil eft celui d'Eupolis .
Myrtil remplit parfaitement fes devoirs
de conducteur . On arriva à la demeure
d'Eumene . Eupolis fut enchantée de s'y
voir dans des glaces , & Eumene étoit
tranfporté d'y voir Eupolis . Il fçut trèsbon
gré à Mercure de n'avoir pas repris la
Corne d'Amalthée. Oui , difoit - il enfin ,
des richeſſes fans embarras , des befoins
& nulle ambition , de l'amour & peu de
jalousie , une belle femme qui daigne n'ètre
pas trop coquette ; voilà ce qui peut
rendre l'homme heureux. Eumene & Eupolis
le furent ; & , ce qui eft encore plus
are , ils ne fe lafferent point de l'être.
Dij
74 MERCURE DE FRANCE.
en fçavoit autant que moi & tenoit de fon
père qui en fçavoit autant que fon grandpère.
Elle étoit belle & prévit que fa fille
le feroit un jour . Inftruite par l'expérience
des dangers que court une jeune & belle
perfonne foit à la Cour , foit à la Ville
foit même au Village , elle voulut habiter
quelque endroit ignoré.Ce fut à cette contrée
que nous donnâmes la préférence.
Nos livres, nos génies & nos expériences,
nous promirent le voyage le plus heureux.
Nous nous embarquâmes , & au bout de
huit jours une tempête engloutit le Vaiffeau.
Tout fe noya excepté Eupolis &
moi, qui la tenois entremes bras. Un reflux
nous jetta fur le rivage , & j'eus le
bonheur de fauver une fomme en or dont
j'étois gardienne , le parchemin que vous
avez vû, & qui plus eft , mes livres. Je n'avois
garde d'oublier le projet de ma fage
Maîtreffe & des Génies ; je me fixai dans
la folitude que nous quittons aujourd'hui .
Depuis dix ans , nous l'habitons ; & Eu
polis en avoit cinq lorfqu'elle y vint. Jé
l'élevai dans toute l'ignorance où doit
être une fille qui n'en veut pas trop favoir
. J'allois de tems en tems chercher à
la ville la plus proche certaines chofes
qui ne fe trouvent que là , & dont on ne
peut fe paffer nulle-part ; mais je n'inf
JANVIER 1961 . ་ ་
truifois perfonne de ma demeure, encore.
moins du tréfor que j'y tenois caché . Nul
homme , excepté vous , n'a pénétré dans
notre afyle. Je ne fçai quel hazard y con
duifit le petit chien que vous voyez. J'eas
quelque envie de m'en défaire ; mais fes.
careffes & les larmes d'Eupolis lui obtinrent
fa grace. Il s'attacha à ma jeune
maîtreffe ; & fi j'en crois ma fcience , &
furtout les avertiffemens de mon génie ,
Myrtil eft celui d'Eupolis .
Myrtil remplit parfaitement fes devoirs
de conducteur. On arriva à la demeure
d'Eumene . Eupolis fut enchantée de s'y
voir dans des glaces , & Eumene étoit
tranfporté d'y voir Eupolis . Il fçut trèsbon
gré à Mercure de n'avoir pas repris la
Corne d'Amalthée . Oui , difoit - il enfin ,
des richeſſes fans embarras , des befoins.
& nulle ambition , de l'amour & peu de
jaloufie , une belle femme qui daigne n'ètre
pas trop coquette ; voilà ce qui peut
rendre l'homme heureux. Eumene & Eupolis
le furent ; & , ce qui eft encore plus
mare , ils ne fe lafferent point de l'être .
Dij
74 MERCURE DE FRANCE.
en fçavoit autant que moi & tenoit de fon
père qui en fçavoit autant que fon grandpère.
Elle étoit belle & prévit que fa fille
le feroit un jour. Inftruite par l'expérience
des dangers que court une jeune & belle
perfonne foit à la Cour , foit à la Ville ,
foit même au Village , elle voulut habiter
quelque endroit ignoré. Ce fut à cette contrée
que nous donnâmes la préférence .
Nos livres, nos génies & nos expériences,
nous promirent le voyage le plus heureux.
Nous nous embarquâmes , & au bout de
huit jours une tempête engloutit le Vaiffeau.
Tout le noya excepté Eupolis & .
moi, qui la tenois entremes bras . Un reflux
nous jetta fur le rivage , & j'eus le
bonheur de fauver une fomme en or dont
j'étois gardienne , le parchemin que vous
avez vû, & qui plus eft , mes livres. Je n'avois
garde d'oublier le projet de ma fage
Maîtreffe & des Génies ; je me fixai dans
la folitude que nous quittons aujourd'hui .
Depuis dix ans , nous l'habitons ; & Eu
polis en avoit cinq lorfqu'elle y vint . Je
l'élevai dans toute l'ignorance où doit
être une fille qui n'en veut pas trop favoir.
J'allois de tems en tems chercher à
la ville la plus proche certaines chofes
qui ne fe trouvent que là , & dont on ne
peut fe paffer nulle- part ; mais je n'inf
JANVIER 1961 .
་ ་
truifois perfonne de ma demeure, encore.
moins du tréfor que j'y tenois caché . Nul
homme , excepté vous , n'a pénétré dans
notre afyle . Je ne fçai quel hazard y con
duifit le petit chien que vous voyez. J'eus
quelque envie de m'en défaire ; mais fes.
careffes & les larmes d'Eupolis lui obtinrent
fa grace. Il s'attacha à ma jeune.
maîtreffe ; & fi j'en crois ma fcience , &
furtout les avertiffemens de mon génie ,
Myrtil eft celui d'Eupolis.
Myrtil remplit parfaitement fes devoirs
de conducteur. On arriva à la demeure
d'Eumene. Eupolis fut enchantée de s'y
voir dans des glaces , & Eumene étoit
transporté d'y voir Eupolis. Il fçut trèsbon
gré à Mercure de n'avoir pas repris la
Corne d'Amalthée. Oui , difoit il enfin ,
des richeſſes fans embarras , des befoins .
& nulle ambition , de l'amour & peu de
jalousie , une belle femme qui daigne n'ètre
pas trop coquette ; voilà ce qui peut
rendre l'homme heureux. Eumene & Eupolis
le furent ; & , ce qui eft encore plus
ware , ils ne fe lafferent point de l'être.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Le mot de la premiere Enigme du premier
Mercure de Janvier , eft , les Lunettes
pour le nez . Celui de la feconde, eft
la lettre A. Celui du premier Logogryphe
, eft une pioche , où l'on trouve
io , pô , écho , pie , cep : c'eſt enfin le
nom d'une Demoiſelle très - aimable . Celui
du fecond, eft , réver, qui lû à rebours,
fe trouve le même . Celui du troifiéme ,
eft, Coucou,
SOUVEN
EN IG ME.
OUVENT d'une prifon j'ai toute la noirceur
Et l'odeur fort défagréable ;
Je loge l'honnête homme , ainfi
que le voleur ,
Et mes affreux tourmens les font donner au Diable,
Malgré tous ces défauts , qu'un for ufage veut ,
On un droit à mon entrée ;
paye un
Et quoiqu'elle foitbien ferrée ,
De moi,chaque humain fait ufage comme il peut
Par M. M..... Abonné au Mercure
JANVIER. 1761 .
Dís
AUTRE
Es grâcesje doistenir l'être.
Entre leurs mains paime à paroîtres
Bijou commun, bijou de prix,.
Sur la toilette de Cypris
On me ravit ; & mon ufage
Fournit fouvent au badinage,
Enfin je mets en mouvement
Le plus inconftant élément.
Par. M. de B*** DU HUREPOIX.
LOGOGRYPHE.
Je fuis petit ; mais Alexandre
L'étoit , & n'en fut pas moins grand.
Lecteur , cet exemple t'apprend
Qu'à ma taille on pourroit , fur mon prix , ſe méprendre.
Fais jouer les refforts de mon individu ,
Combine , tu feras aifément convaincu
Quej'ai , pour faire agir , un moyenfans repliques
Que mon rang eſt un rang étique ,
Dont je ne tire pas le fou ;
Qu'il faut qu'on me coupe le cou ,
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
Avant que mon gain ſe déclare ;
Que par un fort affez bizarre ,
Sans avoir jamais rien , je fuis toujours garni ;
Que toujours gai , j'ai tours ri ;
Qu'enfin .. Mais à cetrait il faut que je m'arrête §
Rire , être gai ! c'eſt unifort trop heureux !
Puiffions-nous , dans trente ans , nous trouver tous
les deux ,
Cher Lecteur , à pareille fête !
ParM. DESMARAIS DU CHAMBON,
AUTRE.
J renferme , au dedans de moi , E
Ce qui m'a donné la naiffance ,
Et mon nom feul annonce ma ſubſtance.
Si tu veux me trouver , Lecteur , exerce- toi.
Peut-être tu pourras aisément me connoître :
Douze pieds compoſent mon être.
Décompofe , tu trouveras
Un grand jour de réjouiſſance ,
Dont fouvent on eft bientôt las
Un Port de mer , & deux Villes de France ;
L'afyle induftrieux qu'habite le moineau ;
Le fléau des méchans ; un poiffon ; un oiſeau ;
Les deux bouts du foutien de la machine ronde ;
Ce que dans ce temps-ci careffe bien du monde s
JANVIER. 1761 . 79
Ce qui , d'une grande Cité ,
Affure la tranquillité ;
Un monftre fort connu dans la Mythologie ;
Un terme de Géométrie ;
Ce que l'on eft en France & fur- tout à la Cour.
J'aurois encor de quoi t'occuper tout un jour.
Mais comme je pourrois laffer la patience ,
J'aime mieux garder le filence.
Par M. D.
POUR
COUPLETS ,
A mettre en Mufique.
OUR mon Amant , ma flâme eſt éternelles
Il eft bourru , bizarre , & quelquefois fougueux.
Mais il est toujours fidéle ,
Et fur-tout fort amoureux .
Souvent d'un rien il fait une querelle ,
Quelquefois indifcret , & fouvent ombrageuxi
Mais il eſt toujours fidéle ,
Et fur-tout fort amoureux.
Son maintien plaît , fa taille eft noble & belles
Il joint , à la figure , à des talens heureux ,
Un coeur tendre & fidéle ,
Et fur- tout fort amoureux.
D iv.
So MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II
NOUVELLES LITTERAIRES.
EXTRAIT de la Traduction en Vers ,
par M. de SAN- SEVERINO , du Poë
me de l'ART DE LA GUERRE de
S. M. LE ROI DE PRUSSE.
OxN connoît les difficultés attachées à
la Traduction des Poëtes. M. de San- Severino
femble les avoir furmontées toutes
dans un Ouvrage en Vers Italiens ,
dont le titre eft , l'Arte della Guerra , in
ottava rima Italiana , tratta dal Poëma
Francefe , del Filofopho di fans fouci.
Cette Traduction eftimable a été imprimée
avec beaucoup de goût chez Delormel
, rue du Foin ; il la vend auffi. On
lit , à la tête , une Epître dédicatoire à
M. le Duc de la Valiere , dont tout le
Monde connoît la noble paffion pour les
Arts & la belle Littérature . On trouve
enfuite une espéce de Differtation fur la
Poëfie , où M. de San- Severino parle en
homme éclairé de fon Art , & fi l'on peut
le dire , de la magie des vers. Il s'arrête
JANVIER. 1761 . 81
fur l'extrême attention qu'exige l'Octave
Italienne. Il faut qu'elle renferine toute
la pensée elle ne peut la tranfporterdans
l'Octave fuivante. Beaucoup de
Poëtes Italiens auffi s'en font affranchis ;
ils ont préféré la forte de vers qu'ils appellent
Verfi Sciolti . M. de San Severino ,
ne s'eft point laiffé vaincre par leur exemple.
Il a cru devoir ofer entrer dans une
carrière que l'Ariofte & le Taffe ont remplie
avec tant de gloire ; il s'eft donc fervi
de l'Octave. Je rapprocherai de l'Original
François quelques morceaux de la Traduction
, pour que le Lecteur juge du mérite
de M. de San- Severino .
L'Art de la Guerre , Chant Premier.
» Je ne vous offrirai que des objets terribles
>» Vulcain , qui fous l'Etna, par fes brulans travaux
»Forge à coups redoublés les foudres des héros ,
» Ces foudres redoutés entre des mains habiles ,
» Qui tantôt font tomber les fiers remparts des
» Villes ,
» Tantôt percent les rangs dans l'horreur des
combats ,
Et font , dans tous les temps , les detin's des
>> Etats.
Dans la Traduction du Chant. I. Octave XIII .
'Jo t'offre de' ciclopi il dio vetufto
DV
82 MERCURE DE FRANCE
>> Che fotto l'Etna accende il fuoco orrendo
Ferve al lavor inalza il braccio adufto ;
» Dei Guerrier' forma il fulmine tremendo ;
›› Quel fulmine del qual col braccio onufto
» Or l'Erve città ruina , ed or fcorrendo
» Fra'l fangue , e frall' orror di Marte irato
» De Monarchi , e de' regni affretta il fato.
Dans ce morceau vous voyez Vulcain
, les Cyclopes , la forge embrafée .'
Après Virgile , c'eft ce que nous avons
de plus beau fur ce fujet. Notre Traducteur
manie tous les pinceaux avec un
fuccès égal. Ici il eft Raphaël , Michel-
Ange , là Corrége , Albane.
Chant II.
» La faifon des plaifirs , où le Dieu de Cythère
» Fait refpirer l'Amour à la Nature entiere ,
Où les Mortels en paix fe livrent à ſes feux ,
» N'offre que des dangers , aux coeurs audacieux.
» Mais la gloire a caché ces périls à leur vue.
Chant II. Octave VI.
> Ecco al fine venir bella e ridente
» La ftagion del piacer cinta di fiori ;
>> Nella qual di Cythera il dio potente
Vampe infpira amorofe , e dofci ardori s
> Sen' innebria Natura , éd acconſente
JANVIER. 1761.
» Tutto il gener' uman' a nuovi amori :
>>
Queſto tempo à i Guerrieri offre periglio s
» Ma cauta il cela cor la gloria al ciglio .
On diroit , fi l'on ne craignoit de parler
trop poëtiquement , que l'Auteur a
réuni toutes les fleurs du printems dans
ce tableau ; c'eft un coloris frais & agréable
, & qui n'eft connu , ayons le courage
de l'avouer , qué de la feule Poëfie
Italienne cette Langue a des grâces ,
une heureuſe moleffe qui lui font propres.
Elle réuffit , fur- tout , dans ces morceaux
où doivent fe déployer les richeffes.
de la Nature.
Que d'agrémens dans la Traduction de
ces Vers - ci !
Chant V.
» De ces foibles enfans les naïves careſſes ,
» A ce pére chéri prodiguent leurs tendreffes.
>> Ils tiennent , en jouant, dans leurs débiles mains
» Ce fer trempé de fang , ce fer craint des Hu
<<< mains ,
» Son cafque menaçant , fa terrible cuiraffe ;
» Bientôt des pas du Pére ils vont ſuivre la traces
Chant V , Octave XXIII.
›› Scherzan ancor con femplicetta mono.
D vj
84, MERCURE DE FRANCE.
» Col fuo ferro di fangue atro e vermiglio
» Scherzan con quel non paventato invano -
» Elmo terror del minaccioſo ciglio :
» Mirofi là bamboleggior ful piano
» Colla corazza fiera un altro figlio
» Scherzan ma poi dovran lafcior la madre , »
» E gir la tracce ad emulor del padre.
}
Ne pourroit-on pas, dans cette octave :
charmante , reprendre l'épithète Vermiglio
qui vient après celle d'Atro ?:
l'horreur alors diminue ; & d'ailleurs .
cette couleur vermeille , bien loin de pro--
duire le terrible , fait naître une idée :
agréable. Beaucoup de Poëtes , & même
dés premiers , font remplis de cette fau-.
te , qui cependant n'eft pas pardonnable,
dès qu'on veut concilier le vrai & les
poëtique.
Notre Traducteur a réuni toutes les :
couleurs du fentiment dans le morceau
qui repréfente un enfant tué dans le fein
de fa mére , & défendu envain par fon
pére , qui fuccombe lui-même fous les
fureurs de la guèrre
Chant IV .
> Près de fa mère , en pleurs, l'enfant à la mana-
.melles ,
JANVIER. 1761..
» Egorgé fur fon fein , tombe & meurt avec elle
» En défendant fon fils , le père infortuné ,
»Expire fans venger cè fils affaffiné . -
Chant IV, Octave XLIV.
» Della fua madre in ſen diſciolta in pianto *
» Succhiando il bambinello e latte e amore ,
» Cade fvenato in grembo , e a quella' accanto ›
» Le dà l'ultimo fguardo e fuo muore.
»Lo fventurato genitore intanto
Si fcaglia incontro al barbaro uccifore
>>Ma ſenza vendicarlo il proprio fangue
>>Mefce col figlio , e sù lui cade efangue.
Il faut avouer que M. de Sân - Severino,"
dans cet endroit , a enchéri fur l'original.
Nous finiffons cet Extrait trop court ,
pour donner une idée de toutes les beautés
répandues dans cette Traduction ,
par cette Octave XII du fixiéme Chanty ·
Voici les Vers François :
» Quand vous reſſemblerez à ces fils de la Tèrre ;
>>A ces rivaux des Dieux qui leur firent la guèrre ';;
» Qui ; pour braver l'Olympe , en leur rebellion ,,
>> Soulevérent l'Offa , fur le mont Pélion.
» Quando fimil tu foffi a quiei giganti
» Rivali a' Dei , e figli della terra
>>>Ch'ebbri di loro forza e tracotansiti
86 MERCURE DE FRANCE .
» Moffero a cicli forſennata guerra :
» Che per bravore un di l'olympo e quanti
» Numi potenti nel fuo giro s'erra
>> Un cavernoſo menti uniti alzaro
>> E il pelio acreo all' arduo offa addoffaro.
Cette Traduction réunit du brillant , de
la richeffe , de la fécondité. On pourroit
lui reprocher des longueurs , de l'emphafe
; mais la Poëfie Italienne eft beaucoup
moins févére que la nôtre : c'eſt
une vafte campagne émaillée de fleurs ;
au lieu que nos ouvrages poëtiques reffemblent
à ces jardins foumis au cifeau
& à la méthode refferrée de l'Art.
*
M. de San- Severino eft déjà connu parle
génie de la Langue Italienne , ouvrage
périodique dont nous n'avons eu que deux .
volumes. Il a été cependant accueilli du
Public qui en defireroit la continuation.
Cet Auteur a compofé auffi une Traduction
du Poëme de M. d'Arnaud , fur la
mort du Maréchal de Saxe , qui n'a point
encore été publiée , & dont les connoiffeurs
difent beaucoup de bien . Il eſt à
fouhaiter que M. de San - Severino enrichiffe
notre Parnaffe François , & y tranfporte
des richeffes étrangères. Il y a tout
lieu de croire qu'Homère a beaucoup emprunté
des Egyptiens & des Perfans : le
JANVIER 1761 . 87.
commerce des Langues ne fert qu'à aggrandir
la fphère du génie que le belefprit
,, ppaarr malheur pour nous , s'obſtine
tous les jours à rétrécir. Nos forêts font
taillées en charmilles. Tâchons d'affocier
à notre goût , à notre délicateffe , à notre
Raifon fevére , la hardieffe , les grâces
abondantes , & la riche Nature de nos
voiuins.:
GRAMMAIRE FRANÇOISE PHILOSO
PHIQUE , ou Traité complet furla -
Phyfique , fur la Métaphyfique &fur la
Rhétorique du langage qui régne parmi
nous dans la Société ; par M. d'AÇARQ
de la Société Littéraire d'Arras , ci-devant
Profeſſeur de Langue & de Belles-
Lettres Françoifes , à l'Ecole- Royale
Militaire. A Genève ; & fe trouve à
Paris , chez Moreau , rue Gallande , &
Lambert , rue de la Comédie Françoife .
A
NE juger que par le grand nombre des
Rudimens vulgaires qu'on nous a donnés
fur toutes les Langues , le mot Philofophi
38 MERCURE DE FRANCE.
"
que n'eft pas l'adjectif qui convienne au
mot Grammaire: Comme c'eft le Peuple ci
toyen qui a établi les Langues, c'eft auffi les
Peuple auteur qui les a obfervées le plus
fouvent. Sanctius , Scioppius , Voffius ,
le célebre Arnaud, le profond & lumineux
M. Dumarfais , Perizonius dans fon docte!
commentaire fur la Minerve de Sanctius ,·
qu'il a toujours développée , & rectifiée
quelquefois , M. Duclos dans fes notes fur
la-Grammaire généralé & raifonnée , qui
font un appendice digne du texte qu'elles
étendent , reftraignent , corrigent , ap
précient ; felon les régles de la meilleure
critique , nous ont accoutumés à voir le
mot Philofophique comme le vrai adjec
tif du mot Grammaire. La Philofophie ,
eft à la Grammaire ce que la Géographie '
& la Chronologie font à l'Hiftoite ; une
Grammaire fans philofophie , eft un corps
privé de l'organe de la vue. Un Grammairien
non philofophe , n'eft qu'un annalifte
, un Grammairien philofophe en même
temps , eft un hiftorien qui trace le
corps & l'efprit des loix d'une Langue .
+
La prémiere Partie de la Grammaire
Françoife Philofophique' , que nous donne
feulement aujourd'hui M. d'Açarq ', eft
précédée d'une Epitre Dedicateire adref
+
JANVIER. 1761.
89
"3
2.
fée à M. le Marquis de Marigny , d'un
Avertiffement , & d'un Difcours Prélimi
maire , fait pour fervir de Préface .....
L'Epître Dédicatoire ne préfente , ni rien
de guindé dans la forme , ni rien d'ou
tré dans le fond . Le Monarque , les Artiftes
qui travaillent pour lui , le Mécène
fous la direction duquel ils travaillent ,
font loués ; les éloges font courts , fimė
ples , perfonnels & vrais. » La protec
» tion que vous accordez aux Lettres &
" à ceux qui s'y confacrent , dit l'Au-
» teur en parlant de M. le Marquis de
Marigny, ne fera pas le dernier trait
» de votre éloge. Quiconque , à votre
» exemple , n'ufe de fon crédit que pour
encourager les divers talens , eft le bienfaiteur
de la Société , où les connoiffances
qu'on a injuftement accufées de
» corrompre les moeurs , ne font que
» maintenir l'humanité , la douceur ,l'har-
» monie , l'amour du travail , père de
l'innocence & de la paix. » Combien
de gens , par reconnoiffance, prendroient
la parole pour publier ces encourage
mens , s'il ne leur étoit pas ordonné d'en
profiter dans le filence ! Dire que les connoiffances
nous rendent plus fenfibles ,
plus unis, plus pacifiques , plus vertueux,
90 MERCURE DE FRANCE .
c'est ce que nous éprouvons , & conféquemment
ce qui eft : avancer , à l'exemple
d'un Philofophe plein de l'éloquence
la plus énergique & la plus fpécieufe
, que nos moeurs ne font dépravées ,
que parce que nous avons des connoiffances
, c'eft foutenir que nous ne tombons
dans les précipices , que parce que
nous les avons vus. Nous haiffons néceffairement
le mal que nous connoiffons
pour tel ; le mal que nous faifons
ne peut donc pas avoir pour caufe la
connoiffance que nous en avons . » Il exi-
» fte , ajoûte l'Auteur dans la mêrne Epî-
» tre , il exifte une affinité marquée entre
» tous les Arts. Celui de la parole eft le .
»premier, le plus commun, le plus utile , le
plus furprenant , il eft en quelque façon
divin . Il eſt divin éffectivement , l'art de la
parole qui n'exifteroit pas encore,fi les feuls
hommes s'en fuffent mêlés . Les fons &
les termes ne fignifient , par leur nature ,
aucune penſée , puifqu'il n'exifte point
une Langue qui foit celle de tous les hommes.
Les fons & les termes ne fignifient
nos pensées , que par une inftitution pu
rement arbitraire , ce que démontrent les
fous & les termes différens qui défignent
des penfées identiques . Deux hommes
travaillant fans un fecours fupérieur à
JANVIIFGRR. 1761. 21
introduire l'art de la parole , auroient
peut être réuffi à s'entendre par rapport
aux objets phyfiques ou matériels ;
relativement aux objets intellectuels ou
métaphyfiques , ils ne fe feroient jamais
entendus , ou ils fe fuffent devinés mutuellement
, ce qu'il eft abfurde de fuppofer
la crainte , l'efpérance , le fouvenir
, le paffé , le futur & c. Ils feroient reftés
toujours muets fur ces objets , & fur
une infinité d'autres .
» Je me propofe, pour but principal, de
» détruire une de ces caufes générales de
» nos erreurs , qui confifte dans l'abus
que l'on fait de l'énonciation , en atta-
» chant à la même expreffion différentes
» idées ; d'où il fuit néceffairement qu'on
fe trompe , en croyant s'entendre lorf-
» qu'on s'entend le moins .... » L'abus
de l'énonciation eft la fource féconde des
fophifmes les plus ordinaires & les plus
dangereux . Il n'y auroit point de fophifmes
de cette efpéce , fi toute énonciation
reffembloit à celle de l'Auteur ....
" De quelque maniére que mon ouvra-
" ge foit reçu du Public , il me fera tou-
» jours honneur , il m'aura fourni une occafion
naturelle de rendre à vos lumiéres
» & à votre goût un hommage auffi fimple
que fincére. Cet hommage eft bien
92 MERCURE DE FRANCE.
rendu , il étoit bien mérité , & il ne pourra
qu'accroître de plufieurs degrés le bon
accueil que le Public auroit fait à l'ouvra
ge même , indépendemment de ce préjugé
favorable.
L'avertiffement indique la maniére
dont M. d'Acarq étoit entré dans l'Ecole
Militaire , la raifon pour laquelle il en eft
forti, les motifs qui l'engagent à nous donner
une nouvelle Grammaire Françoife , &
le double écueil qu'il évitera en l'exécu
"
Fant.
M. Paris de Meyzieu , reconnu dans
la Société pour un homme des plus fin-
-cérés & des plus aimables , dans la République
des Lettres pour l'homme dur
goût le plus décidé & le plus délicar ,
dans l'ordre des Sçavans pour avoir l'erudition
la plus vafte & la plus variée ,
s m'appella , il y a près de deux ans , à
» un examen que fubiffoient fur la Langue
Latine , MM. les Eléves de l'Ecole
» Royale Militaire. A la fuite de cet exer-
» cice dont je vis le triomphe , j'en caufai
35 même une partie en faifant les questions
les plus intéreffantes & les plus difficiles,
queftions auxquelles on répondit tou
jours avec la plus grande précifion ; M.
Paris de Meyzieu crut devoir m'attacher
» aux études qu'il dirigeoit avec tant de fu-
"
JANVIER 1761. 93
périorité; il créa une place effentielle qui
» manquoit,celle de Profeffeur de Langue
» & Belles-Letrres Françoifes. Tels autrefois
les Sages d'Athènes & de Rome ,
» établirent des Maîtres chargés d'enfei-
» gner principalement aux Nationaux ,
" Grec , le Latin .....
و ر
le
Une réforme de dix-huit Maîtres faite
à l'Ecole Royale Militaire , le 11 Juin
dernier , a déplacé M. d'Açarg. Ecoutonsde
lui-même fur les motifs qui le portent
à entreprendre une Grammaire.
»Pourquoi augmenter le nombre des
» Grammaires fur notre langue?n'en avons
» nous pas de bonnes n'en avons- nous
» pas plufieurs qui le fonte Celle de l'Abbé
Regnier n'eft- elle pas pleine d'éru
» dition celles de l'Abbé Girard & du
» P. Buffier ne contiennent - elles pas des
» vues ? Peut- on rien imaginer de plus
» méthodique que celle de M. Reftaur? & c . 1
Nous avons plufieurs Grammaires fur
» la Langue Françoife; la Grammaire de la
Langue Françoife , nous ne l'avons peut-
" être pas encore . Cette Grammaire
quand elle exiftera , fera exacte , com-
» plette , analogue au feul génie de notre '>
» idiôme, & renfermera la logique du lans
" gage national . C'est une Grammaire de
» cette forte que je voudrois ajoûter à
» toutes les Grammaires que nous avons
4 MERCURE DE FRANCE.
déjà , en profitant de ce qu'il y auroit à
prendre dans celles - ci & c.
N'ayant ni refpect idolatrique , ni mépris
fourcilleux pour nos Grammairiens ,
M. d'Agarq croira n'avoir pas donné dans
le double écueil contre lequel il a raifon
de vouloir fe tenir en garde ; le réfpect
doit avoir des bornes ; les Auteurs les
plus tranſcendans , fu mmi funt , homines
tamen , & par conféquent fujets à des
inégalités tout au moins. Pour ce qui eft
du mépris , il ne doit jamais avoir lieu
pas même à l'égard des Auteurs les plus
fubalternes : par- tout funt bona mixta
malis . M. d'Açarq n'a eu beſoin que de
nommer, à la fin de fon Avertiffement ,
M. l'Abbé d'Olivet , M. Duclos , & M.
Harduin , pour leur payer le tribut d'eftime
qui leur eft dû. ·
*
La Préface offre un parallèle de la
Langue Latine avec la Langue Françoife,
le fond de notre Langue nationale , les
qualités qui la diftinguent, les diverfes manieres
de fçavoir une Langue , l'enſemble
qu'il faut pofféder pour pouvoir ſe flatter
d'entendre une Langue quelconque ; les
différentes fortes de Langues qui fe trou "
vent dans une feule , & l'utilité qu'on
peut tirer de l'étude de l'Analogie.
» Quelle honte pour notre Nation ,
2
JANVIER. 1761 .
"
que les Etrangers foient plus verfés que
» nous-mêmes dans notre Langue , qu'ils
feroient en état de nous apprendre , &
qu'ils ne devroient avoir apprife que de
» nous ! qu'elle eft tendre & harmonieufe
» cette Langue , fous la plume de Qui-
» nault ! qu'elle eft riante & fléxible fous
» celle de Fénelon ! qu'elle eft noble &
» fublime fous celle de Boffuet ! qu'elle
» eft riche & pompeufe fous celle du Virgile
François ! qu'elle eft fimple & naï-
» ve fous celle de notre Phédre ! qu'elle
» eft rapide & véhémente fous celle des
» notre Pindare ! qu'elle eft nerveuſe &
laconique fous celle de notre Théo-
»phrafte ! Telle eft notre Langue dans la
defcription qu'en fait M. d'Açarq ,
dans la réalité , la Langue de la raiſon &
de l'imagination , & pour cela même la
Langue de prèfque toute l'Europe.
و ر
33
&
» Faire marcher parallèlement l'art de
penfer & l'art de parler , confidérer les
» fons & les mots ifolés comme fignes
-» des perceptions fimples , les fons & les
» mots affemblés comme fignes des ju-
» gemens ; tout ce qu'on entend dire ,
» tout ce qu'on dit foi- même , & tout
» ce qu'on lit , le réduire à la propofi-
» tion ; aller du fujet à l'attribut de la propofition
, revenir de l'attribut au fujet ;
96 MERCURE DE FRANCE.
20
"
les appercevoir l'un & l'autre , foit que
la conftruction pleine les ait exprim's
" tous les deux , foit que la conftruction
elliptique en ait fupprimé l'un entiérement
, & une partie de l'autre encore ;
diftinguer les caufes matérielles & les
, caufes formelles du difcours ; les caufes
matérielles qui ne font autre chofe
» que les préliminaires de la Syntaxe ou
les parties d'Oraifon ; les cauſes for-
» melles qui s'identifient avec la Syntaxe,
» ou avec les fignes de la corrélation qui
و د
"
33
fe trouve entre les mots ; connoître
" tous les fons de la Langue , & toutes
» les maniéres de peindre un même fon
(l'ortographe ) ; décider quel degré d'é-
» lévation ou d'abaiffement il faut don-
» ner à la voix en prononçant une fylla-
» be , & combien il faut être de temps
Ȉ la prononcer ( la profodie ) ; remarquer
fi un mot eft originairement national
» ou étranger , afin qu'en remontant à la
» fource on y puife une notion certaine
» de fa valeur propre ( l'étymologie ) ; dé-
» terminer enfin dans quel fens les mots
» font pris , pour qu'on ne ſoit point in-
» duit en erreur en confondant le fens figuré
( les tropes ) : ce n'eft qu'en poffédant
» tout cet enſemble qu'on peut fe fat-
» ter de pofféder une Langue. On voit
ود
d'après
JANVIER. 1761 . 91
d'après ce morceau philofophique que la
routine , le machinal , l'à-peu près dont
le Vulgaire fe contente, ne fuffifent point
pour M. d'Agara , qui eft allé & qui veut
conduire plus loin, à la choſe telle qu'elle
eft , à la vérité.
Le nom eft l'objet du premier traité que
'donne aujourd'hui M. d'Açarq. La nature
, la divifion , les accidents du nom. Le
nom défigne un objet foit phyfique , ſoit
métaphyfique de notre penfée Nom individuel
, nom fpécifique , nom générique ,
nom fubftantif, nom adjectif. Sens propre ,
fens figuré , nombre , genre du nom
fubftantif. Sens propre , fens figuré , nombre
, genre , degrés de comparaifon ou de
qualification , efpéce , figure du nom
adjectif foit Phyfique foit Métaphyſique .
Subftantif pris adjectivement,adjectif pris
fubftantivement : fubftantif & adjectif
pris adverbialement , fubftantifs & adjectifs
fynonymes , ou prétendus fynonymes.
" Qu'entend-on par les mots fynonymes?
Peut- il y en avoir dans une Lan-
» gue? Avons nous des fubftantifs & des
adjectifs fynonymes dans la nôtre ? Les
fynonymes marqueroient- ils la richeffe
» d'une Langue quelconque ? Il n'y a que
» ces quatre objets à confidérer dans cet
» article.
"
" .
II. Vol.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
ود
رو
» Par fynonymes on entend des mots qui
» font différens , eu égard au matériel , &
les mêmes , eu égard à la fignification ,
ou des fons différens différemment repréfentés
, & excitant la même idée.
Theos , mot grec ; Deus , mot latin ;
Iddio , mot italien ; Dieu , mot françois
, font penfer également à l'Etre
néceffaire , & cependant produifent dif-
» férens fons qu'on écrit différemment.
» Artos , expreffion grecque ; panis , expreffion
latine ; pane , expreffion italienne
; pain , expreffion françoiſe , tracent
auffi dans l'efprit l'image de la même
nourriture , quoique les fons & la
» manière de les peindre foient différens.
» Thuris , terme grec ; feneftra , terme la-
» tin ; fineftra , terme italien ; ventana ,
terme efpagnol ; janella , terme portugais
; fenêtre , terme françois , font des
» noms différens différemment écrits ,
qui font naître pareillement l'idée d'une
ouverture pratiquée pour éclairer un ap-
» partement. Il ne s'agit point des lan-
" gues différentes comparées enfemble ,
» parmi lesquelles il fe trouve une eſpèce
» de fynonymie , relativement au même
» objet qu'elles énoncent par différens
fignes.
"
•
"
» Dans une même langue peut - il Y
JANVIER. 1761 .
و د
avoir des fynonymes ? c'eft ce que nous
» avons à examiner d'abord .
99
"
"
» Le pere Thomaffin dit que les Arabes
» ont mille noms pour fignifier une épée ,
» & quatre-vingt noms pour fignifier un
» lion. Il peut donc y avoir des fynonymes
dans une langue : ce qui eft , eft
poffible , puifque l'impoffible n'eft point.
» Le pere Thomaffin , ne décide point ,
à la vérité , que les mille noms défignant
une épée , & les quatre- vingts
» noms défignant un lion , indiquent une
épée & un lion confidérés de la même
» manière dans les mille quatre - vingts
» circonftances ; ce qui feroit néceffaire
» pour établir l'exiftence des mille noms
fynonymes deſtinés à indiquer une épée,
» & des quatre-vingts noms deſtinés à
» indiquer un lion : car fi les neuf- cent-
» quatre -vingt- dix - neuf noms qui repré-
»fentent une épée , offrent neuf- cent-
» quatre- vingt- dix- neuf idées acceſſoires
» ou différentes , & que les foixante- dix-
» neuf noms qui repréfentent un lion ,
» offrent autant d'idées de la même forte ,
» ce n'eft plus le cas de la fynonymie . Des
neuf-cent-quatre - vingt- dix - neuf noms
» de l'épée , les dix premiers peuvent indiquer
dix matières différentes qui fer-
»vent à la fabriquer ; les dix noms fui-
">
•
»
ce
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
"
»vans , dix formes dont elle eft fufcepti
» ble ; les dix d'après , dix grandeurs qu'on
» lui donne à fon gré ; les dix autres , dix
ufages divers auxquels elle eft defti-
» née , & c. .... Les foixante - dix - neuf
» noms du lion diftingueront le lion dans
» le ventre de fa mère , le lion né , le lion
» qui tette , le lion févré , ou qui ne tette
plus , le lion premier né , le lion né
après un autre , le lion jeune , le lion
» vieilli , le ion en fanté , le lion infir
» me , & c. Ce fera toujours une épée ,
» ce fera toujours un lion ; mais une épée
» différente , & un lion différent . Ce fera
» toujours la même idée principale , c'eſt-
» à-dire , le même objet apperçu ; mais
» ce feront des idées acceffoires diffé
» rentes , c'est-à- dire , les mêmes objets
» apperçus fous différents rapports , foit
» à la matière , foit à la forme , &c. foir
» à l'état ,foir à l'âge , & c. Par l'idée
" principale ou première , notre efprit
voit l'objet ; par l'idée acceffoire ou
» fecondaire , notre efprit voit encore
» l'objet , mais revêtu de certaines cir-
" conftances qui ajoutent à la première
» fignification. Porter ... apporter , em
» porter , reporter , rapporter , transpar
» ter , fupporter , comporter , remporter ;
» ces huit derniers verbes marquent la
JANVIER. 1961.
101
» même action , ou le même objet que
» le premier. Porter , qui eft le premier ,
» dénote l'action fans aucune circonftan-
» ce , ou l'idée principale : les huit au-
» tres dénotent la même action , ou l'idée
principale, avec huit nuances qui la dif-
» férencient. Apporter , c'eft porter en
avant , porter vers quelqu'un , ou vers
» quelqu'endroit : emporter , c'eft porter
» dans quelque chofe , & avec une eſpèce
» de violence reporter , c'eft porter une
» feconde fois : rapporter , c'eft porter en
arrière : tranſporter , c'eft porter au- delà:
»fupporter , c'eft porter fur foi : compor-
» ter , c'eft porter avec : remporter , c'eſt
porter en arrière avec violence . Vous
» voyez que l'idée principale fait toujours
la bafe de toutes ces fignifications , &
» qu'il y a toujours quelques circonftan-
» ces qui y ajoutent ; ces circonstances on
les appelle idées acceffoires.
>>
» La poffibilité des fynonymes ne répugne
pas plus qu'il n'y a de contradiction
à ce que le Roi fe montre fucceffivement
fous différens habits ; le Roi
eft la figure de la penfée , les habits dif-
» férens font celle des mots fynonymes .
Quoiqu'il puiffe y en avoir dans une Langue
, avons- nous des fubftantifs & des
adjectifs fynonymes dans la nôtre ?
E iij
102 MERCURE DE FRANCE:
و و
ود
M. l'Abbé Girard dans fes Synonymes
françois que j'admire , & M. Dumarfais
» dans fes Tropes que je n'admire pas
» moins , foutiennent la négative : il fem-
» ble que l'affirmative foit le fentiment
» du P. Lami dans fon Art de parler , vrai
» chef- d'oeuvre. Comme ce dernier Au-
» teur n'appuie fon opinion que fur un
fimple raifonnement , & que les deux
» autres donnent à la leur pour appui ,
» non-feulement le raifonnement le plus
énergique , mais encore l'analyſe philofophique
des mots qui paffent pour
» être fynonymes ; j'aurois moins de peine
» à m'éloigner de la manière de penfer
» du P. Lami , qu'à me réfoudre à penfer ,
» fur ce fujet , autrement que M. l'Abbé
» Girard & M. Dumarfais ... Nous avons
» des noms fubftantifs & des noms adjec-
» tifs qui font à- peu- près fynonymes ; nous
» n'en avons peut- être pas qui le foient
» parfaitement.
"
» Lueur , clarté , fplendeur , trois noms
» fubftantifs qui paffent pour être fynony
» mes , les trois marquent la lumière.
» Lueur , une lumière foible : clarté , une
» lumière forte : Splendeur , la lumière la
plus forte . L'idée principale que ces
» noms excitent eft la même , c'eſt l'idée
» de la lumière : les idées acceffoires font
20
JANVIER. 1761 . 103
» différentes ; il y a de la différence en-
» tre foible , fort , & très-fort.
و د
» Malin , mauvais , méchant , mali-
» cieux , quatre noms adjectifs qu'on regarde
comme fynonymes , & qui ne lè
font pas. Le malin , l'eft de fang- froid ,
» il eft rufé : le mauvais , l'eft par empor
» tement , il eſt violent : le méchant , l'eft
» par tempérament , il eft dangereux :
» le malicieux , l'eft par caprice , il eft
» obftiné. Le finge eft malin , le coq eft
» mauvais , les hommes font méchants
» les femmes font malicieufes . Nuire , eſt
» l'idée principale que font naître les qua-
» tre adjectifs , defang-froid , par empor
» tement , par tempérament , par caprice
» font les idées acceffoires , qui ne fe ref
» femblent point. Les exemples de ces
prétendus fynonymes je les ai tirés des
Synonymes François , ouvrage qu'un
» homme mûr ne peut jamais lire qu'avec
» fruit , & qu'un jeune homme lira tou-
» jours avec une forte de danger ; je veux
» dire , que la lecture de cet ouvrage ex-
» cellent , quoique peut -être un peu trop
» métaphyfique , fera capable de rendre
» un jeune homme froid , timide , & fté-
» rile , foit lorfqu'il aura à parler , foit
lorfqu'il écrira. Je ne pense pas ainſi
» de l'art de parler & des Tropes ,
"
»
و د
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
que je crois faits pour tous les âges ,
» pour tous les états , & pour tous les
» fiécles.
» Les Synonymes marqueroient - ils la
richeffe d'une Langue quelconque ? II
eft certain que les Synonymes rendroient
d'abord une Langue quelcon-
» que plus agréable tout à la fois & plus:
» embarraffante
. Plus agréable , parce
» qu'on uferoit rarement de répétitions
» & qu'ayant à choiſir , on affortiroit les ex-
» preffions beaucoup plus heureufement :
33
x
plus embarraffante , parce que fi , à l'e-
» xemple des Arabes , on avoit mille fi-
" gres pour exprimer un feul objet , l'étu-
» de de tous les fignes d'un feul objer ,
» abforberoit laborieufement des années
» entières. Il eft vrai que les Synonymes
» introduiroient dans une Langue la plu
» ralité des mots ; eft - ce par la quantité
feule , la feule multitude des mots , ou
» bien par leur quantité & leur qualité
qu'on doit eftimer la richeffe d'une Lan-
" gue ?
Une Langue qui auroit autant de
» mots qu'une autre , & qui , avec la mê-
» me quantité de mots , exprimeroit une
" fois moins d'idées , feroit une fois moins
" riche. Suppofons deux Langues , cha-
» cune de deux mille mots , dont l'une exJANVIER.
1761. ros
"
prime deux mille idées , l'autre mille feu
» lement.Celle qui n'en exprime que mille,
>> eft une fois moins riche , que celle qui
en exprime deux mille. Les fons ne font
» pas une Langue : ce qui fait une Lan-
" gue , ce font les fons , fignes arbitraires
des pensées dix fons qui n'exprime
roient qu'une feule penfée , équivau-
» droient à un feul fon , qui exprimeroit
» la même chofe ; la communication , ou
» la tranfmiffion des pensées eft le but des
» Langues.
» Etre trop facile , fur les termes
» qu'on regarde comme fynonymes , a fes
» inconvéniens ; être trop difficile , fur ce
» même point , a auffi les fiens. Quand on
»
eft trop facile , on court rifque de man-
» quer de jufteffe , de n'être point concis ,
» & de n'énoncer que l'à- peu-près : quand
on eft trop difficile, on eftsûr d'ennuyer,
en ne variant pas affez fon expreffion ,
en employant des termes deftitués d'har
» monie, qui bleffent toujours la délicateſſe
de l'oreille , & en refufant à fon dif
» cours la chaleur qu'on devroit y répan→
dre . Heureux qui peut fe contenir entre
les deux extrémités Les partilans
» des fynonymes font gens qui ont toute
» leur âme dans les oreilles , & qui ra
chetent leur difette de penfées par une
(
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
» prodigalité d'expreffions vaines ; les an-
» tagoniſtes des mêmesSynonymes s'adref-
» fent trop directement à l'âme , & ne
» confidérent pas affez lesfens, feul milieu
» qui y conduife.
Je terminerai ici l'analyſe de la Grammaire
Françoiſe Philofophique de M. ďçarq
; il y en a affez de ce que j'ai expofé
, pour en faire fentir l'importance.
La Philofophie femée avec économie &
avec diſcernement dans cet ouvrage , n'eft
point une Philofophie purement fpéculative
, c'eft une Philofophie pratique qui ne
peut que tourner au plus grand avantage
de la Société, en empêchant toute énonciation
équivoque , & tout fophifme de
diction. Nous ne fçaurions nous communiquer
immédiatement nos pensées , nous
fommes convenus de les attacher à l'élocution
, & de les reconnoître à certains
fignes diſtinctifs : l'amphibologie confond
ces fignes . Rien ne me paroît plus propre
que la Grammaire Françoife Philofophique
de M.d'Açarq, pour diffiper tous les nuages
que l'amphibologie , ce principe fécond
de difputes fouvent ruineufes , s'efforce
de jetter fur la Langue parlée & fur la
Langue écrite.
JANVIER. 1761 . 107
LETTRE de M. d'ALEMBERT à l'Au
teur du Mercure.
Il IL eft très-faux , Monfieur , que dans mes
Réflexions fur la Poëfie , lues le 25 Août
dernier à l'Académie Françoife , & honorées
des fuffrages du Public ( en dépit des
mauvais Poëtes , & à la grande fatisfac->
tion des bons ) j'aie dit un feul mot contre
l'Eloquence des Pfeaumes , comme on
vient , dit -on , de m'en accufer dans un
chiffon de Lettre anonyme. J'ai feulement
dit que le Latin des Pfeaumes n'étoit pas
bon ; & j'en appelle fur cela à tous les Régens
de l'Univerfité , & même aux Ex- régens
de fixième du Collège de Louis- le-
Grand. Du refte , comme on peut être éloquent
, même en parlant une Langue barbare
, j'ai cité avec les plus grands éloges
différens traits fublimes des Pleaumes dans
mes Réflexions fur l'Elocution oratoire
Tome II de mes Mélanges de Littérature.
De toutes les fotifes que deux ou trois rimailleurs
m'ont imputées au fujet des
Réflexions fur la Poëfie , & de toutes celles
qu'ils ont dites à cette occafion , cellelà
feule méritoit d'être relevée , parce
qu'elle tient à un objet refpectable. Je,
fuis &c. D'ALEMBERT.
E vj
106 MERCURE DE FRANCE.
» prodigalité d'expreffions vaines ; les an-
>> tagoniſtes des mêmesSynonymes s'adreſ
» fent trop directement à l'âme , & ne
» confidérent pas affez lesfens, feul milieu
» qui y conduiſe.
Je terminerai ici l'analyſe de la Grammaire
Françoise Philofophique de M. ď♫-
garq ; il y en a affez de ce que j'ai expofé
, pour en faire fentir l'importance.
La Philofophie femée avec économie &
avec diſcernement dans cet ouvrage , n'eſt
point une Philofophie purement fpéculative
, c'eſt une Philofophie pratique qui ne
peut que tourner au plus grand avantage
de la Société, en empêchant toute énonciation
équivoque , & tout fophifme de
diction. Nous ne fçaurions nous communiquer
immédiatement nos penfées , nous
fommes convenus de les attacher à l'élocution
, & de les reconnoître à certains
fignes diftinctifs : l'amphibologie confond
ces fignes. Rien ne me paroît plus propre
que la Grammaire Françoife Philofophique
de M.d' Açarq, pour diffiper tous les nuages
que l'amphibologie , ce principe fécond
de difputes fouvent ruineufes , s'efforce
de jetter fur la Langue parlée & fur la
Langue écrite.
JANVIER, 1761. 107
LETTRE de M. d'ALEMBERT à l'Au
teur du Mercure.
dans mes
IL eft très- faux , Monfieur , que
Réflexions fur la Poëfie , lues le 25 Août
dernier à l'Académie
Françoife , & honorées
des fuffrages du Public ( en dépit des:
mauvais Poëtes , & à la grande fatisfac->
tion des bons ) j'aie dit un feul mot contre
l'Eloquence des Pfeaumes , comme on
vient , dit -on , de m'en accufer dans un
chiffon de Lettre anonyme. J'ai feulement
dit que le Latin des Pfeaumes n'étoit pas
bon ; & j'en appelle fur cela à tous les Régens
de l'Univerfité , & même aux Ex - régens
de fixième du Collège de Louis- le-.
Grand. Du refte , comme on peut être éloquent
, même en parlant une Langue barbare
, j'ai cité avec les plus grands éloges
différens traits fublimes des Pleaumes dans
mes Réflexions fur l'Elocution oratoire
Tome II de mes Mélanges de Littérature,
De toutes les fotifes que deux ou trois rimailleurs
m'ont imputées au fujet des
Réflexions fur la Poëfie , & de toutes celles
qu'ils ont dites à cette occafion , cellelà
feule méritoit d'être relevée , parce
qu'elle tient à un objet refpectable . Je,
fuis & c. D'ALEMBERT.
E vj
106 MERCURE DE FRANCE.
» prodigalité d'expreffions vaines ; les an-
» tagonistes des mêmesSynonymes s'adref
» fent trop directement à l'âme , & ne
» confidérent pas affez lesfens , feul milieu
» qui y conduife .
Je terminerai ici l'analyse de la Grammaire
Françoife Philofophique de M. ď ♫-
garg ; il y en a affez de ce que j'ai expofé
, pour en faire fentir l'importance.
La Philofophie femée avec économie &
avec difcernement dans cet ouvrage , n'eft
point une Philofophie purement fpéculative
, c'eft une Philofophie pratique qui ne
peut que tourner au plus grand avantage
de la Société, en empêchant toute énonciation
équivoque , & tout fophifme de
diction. Nous ne fautions nous communiquer
immédiatement nos pensées , nous
fommes convenus de les attacher à l'élocution
, & de les reconnoître à certains
fignes diftinctifs : l'amphibologie confond
ces figues. Rien ne me paroît plus propre
que la Grammaire Françoife Philofophique
de M.d' Açarq, pour diffiper tous les nuages
que l'amphibologie , ce principe fécond
de difputes fouvent ruineules , s'efforce
de jetter fur la Langue parlée & fur la
Langue écrite.
JANVIER. 1961 . 107
LETTRE de M. d'ALEMBERT PA
teur du Mercure.
It eft très - faux , Monfieur , que dans mes
Réflexions fur la Poefie , lues le 25 Aoûr
dernier à l'Académie Françoife , & honorées
des fuffrages du Public ( en dépit des
mauvais Poètes , & à la grande fatisfaction
des bons ) j'aie dit un feul mot contre
l'Eloquence des Pleaumes , comme on
vient , dit - on , de m'en accufer dans un
chiffon de Lettre anonyme. J'ai feulement
dit que le Latin des Picaumes n'étoit pas
bon ; & j'en appelle fur cela à tous les Régens
de l'Univerfité , & même aux Ex- régens
de fixième du Collège de Louis - le-
Grand. Du refte , comme on peut être éloquent
, même en parlant une Langue barbare
, j'ai cité avec les plus grands éloges
differens traits fublimes des Pleaumes dans
mes Réflexions fur l'Elocution oratoire ,
Tome II de mes Mélanges de Littérature,
De toutes les fotifes que deux ou trois rimailleurs
m'ont imputées au fujet des
Réflexionsfur la Poësie , & de toutes celles
qu'ils ont dites à cette occafion , cellelà
feule méritoit d'être relevée , parce
qu'elle tient à un objet refpectable. Je.
fuis &c. D'ALEMBERT.
E vj
106 MERCURE DE FRANCE.
» prodigalité d'expreffions vaines ; les an-
>> tagoniſtes des mêmesSynonymes s'adreſ-
» fent trop directement à l'âme , & ne
» confidérent pas affez lesfens, feul milieu
» qui y conduife.
Je terminerai ici l'analyſe de la Gram-^
maire Françoife Philofophique de M. d'Agarq
; il y en a affez de ce que j'ai expofé
, pour en faire fentir l'importance.
La Philofophie femée avec économie &
avec diſcernement dans cet ouvrage , n'eft
point une Philofophie purement fpéculative
, c'eft une Philofophie pratique qui ne
peut que tourner au plus grand avantage
de la Société, en empêchant toute énonciation
équivoque , & tout fophifme de
diction. Nous ne fçaurions nous communiquer
immédiatement nos pensées , nous
fommes convenus de les attacher à l'élocution
, & de les reconnoître à certains
fignes diftinctifs : l'amphibologie confond
ces fignes. Rien ne me paroît plus propre
que la Grammaire Françoife Philofophique
de M.d'Açarq, pour diffiper tous les nuages
que l'amphibologie , ce principe fécond
de difputes fouvent ruineufes , s'efforce
de jetter fur la Langue parlée & fur la
Langue écrite.
JANVIER. 1761 . 107
LETTRE de M. d'ALEMBERT à l'Au
teur du Mercure.
dans mes
I1 eft très-faux , Monfieur , que
Réflexions fur la Poëfie , lues le 25 Août
dernier à l'Académie
Françoife , & honorées
des fuffrages du Public ( en dépit des
mauvais Poëtes , & à la grande fatisfaction
des bons ) j'aie dit un feul mot contre
l'Eloquence des Pfeaumes , comme on
vient , dit -on , de m'en accufer dans un
chiffon de Lettre anonyme. J'ai feulement
dit que le Latin des Pfeaumes n'étoit pas
bon ; & j'en appelle fur cela à tous les Régens
de l'Univerfité , & même aux Ex- régens
de fixième du Collège de Louis- le-
Grand. Du refte , comme on peut être éloquent
, même en parlant une Langue barbare
, j'ai cité avec les plus grands éloges
différens traits fublimes des Pleaumes dans
mes Réflexions fur l'Elocution
oratoire ,
Tome II de mes Mélanges de Littérature.
De toutes les fotifes que deux ou trois rimailleurs
m'ont imputées au fujet des
Réflexions fur la Poësie , & de toutes celles
qu'ils ont dites à cette occafion , cellelà
feule méritoit d'être relevée , parce
qu'elle tient à un objet refpectable. Je,
fuis &c. D'ALEMBERT.
E vj
106 MERCURE DE FRANCE.
» prodigalité d'expreffions vaines ; les an-
>> tagoniſtes des mêmesSynonymes s'adreſ-
» fent trop directement à l'âme , & ne
» confidérent pas affez lesfens, feul milieu
» qui y conduife.
Je terminerai ici l'analyſe de la Gram-^
maire Françoife Philofophique de M. d'Açarq
; il y en a affez de ce que j'ai expofé
, pour en faire fentir l'importance.
La Philofophie femée avec économie &
avec diſcernement dans cet ouvrage , n'eft
point une Philofophie purement ſpéculative
, c'eft une Philofophie pratique qui ne
peut que tourner au plus grand avantage
de la Société , en empêchant toute énonciation
équivoque , & tout fophifme de
diction. Nous ne fçaurions nous communiquer
immédiatement nos penfées , nous
fommes convenus de les attacher à l'élocution
, & de les reconnoître à certains
fignes diſtinctifs : l'amphibologie confond
ces fignes. Rien ne me paroît plus propre
que la Grammaire Françoife Philofophique
de M.d' Açarq,pour diffiper tous les nuages
que l'amphibologie , ce principe fécond
de difputes fouvent ruineufes , s'efforce
de jetter fur la Langue parlée & fur la
Langue écrite.
JANVIER 1761 . 107
LETTRE de M. d'ALEMBERT à l'Au
teur du Mercure.
L
dans mes
It eft très- faux , Monfieur , que
Réflexions fur la Poëfie , lues le 25 Août
dernier à l'Académie Françoife , & honorées
des fuffrages du Public ( en dépit des:
mauvais Poëtes , & à la grande fatisfac-:
tion des bons ) j'aie dit un feul mot contre
l'Eloquence des Pfeaumes , comme on
vient , dit-on , de m'en accufer dans un
chiffon de Lettre anonyme. J'ai feulement
dit que le Latin des Pleaumes n'étoit pas
bon ; & j'en appelle fur cela à tous les Régens
de l'Univerfité , & même aux Ex- régens
de fixième du Collège de Louis- le-
Grand. Du refte , comme on peut être éloquent
, même en parlant une Langue barbare
, j'ai cité avec les plus grands éloges
différens traits fablimes des Pleaumes dans
mes Réflexions fur l'Elocution oratoire ,
Tome II de mes Mélanges de Littérature.
De toutes les fotifes que deux ou trois rimailleurs
m'ont imputées au fujet des
Réflexions fur la Poëfie , & de toutes celles
qu'ils ont dites à cette occafion , cellelà
feule méritoit d'être relevée , parce
qu'elle tient à un objet refpectable. Je,
fuis & c. D'ALEMBERT.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE:
NOUVELLES OBSERVATIONS fur le Pouls:
intermittent, qui indique l'ufage des purgatifs
, & qui , fuivant Solano & Nihell
annonce une diarrhée critique ; publiées
en Anglois , en 1758 , par M. Daniel
Cox , Médecin du Collège de Londres..
Ouvrage traduit , & augmenté de quelques
remarques , par M. *** , Médecin
de la Faculté de Toulouſe , & dans lequel
on trouve de nouvelles preuves , du Plan
propofé dans les Recherches fur le pouls,
par rapport aux crifes , publiées à Paris
en 1756 , par M. Théophile de Bordeu ,
Docteur en Médecine des Facultés de
Paris & Montpellier , in- 12 . Amfterdam,
1760 ; & fe vend à Paris , chez Vincent,
Imprimeur- Libraire de Mgr le Duc de
Bourgogne , rue S. Severin , à l'Ange.
ANNALES TYPOGRAPHIQUES , ou Notice
du progrès des connoiffances humaines ,
pour l'année 1759 ; dédiées à Mgr le Duc:
de Bourgogne , Par une Société de Gens:
de Lettres. Paris , 1760 , Janvier , Tome
I. chez le même Libraire . C'eft la continuation
d'un Ouvrage périodique , auffi
eftimable qu'utile pour les Gens de Let
11 217
JANVIER. 1761 . 109
tres , & que nous avons annoncé au commencement
de l'année dernière.
JOURNAL DE MÉDECINE , Chirurgie ,
Pharmacie &c. dédié à S. A. S. Mgr le
Comte de Clermont , Prince du Sang.
Par M. Vandermonde , Docteur en Médecine
de la Faculté de Paris , ancien
Profeffeur en Chirurgie Françoife , Cenfeur
Royal , & Membre de l'Inftitut de
Bologne.
Artem experientia fecit..
Exemplo monftrante viam....
Marc. Manil. Aftranom. Lib. I. Vers 63.64.:
Tome 14 in- 8 °. A Paris , chez le me
me Libraire .
7
ÉTAT MILITAIRE DE FRANCE , pour
Fannée 1761. Quatrième Edition , corrigée
& augmentée de l'Etat de la Marine
, qui n'avoit pas encore été donné.
Par les fieurs de Montandre. Longchamps ,
ci- devant Lieutenant au Régiment de
Poitou ; & Chevalier de Montandre , cidevant
Capitaine de Grenadiers au même
Régiment , & Chevalier de l'Ordre de S.
Louis , petit in - 12 . Paris , 1761. Chez
Guillyn , Libraire , quai des Auguftins ,
ITO MERCURE DE FRANCE.
du côté du Pont S. Michel , au Lys d'or.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
MÉMOIRES pour fervir à l'Hiftoire de
la Vie & des Ouvrages de M. l'Abbé
Lenglet du Frefnoi. Volume in- 12 . Londres
, 1761 ; & fe trouvent à Paris ,
chez Duchesne , Libraire , rue S. Jacques
, au- deffous de la Fontaine S. Benoît
, au Temple du Goût. Prix , 30 f
broché.
HISTOIRE GÉNÉRALE des Conjurations ,
Confpirations & Révolutions célébres ,
tant anciennes que modernes. Tomes 9 .
& 10. Par M. Deformeaux, in- 12 . Paris,
1760. Chez le même Libraire. Avec Approbation
& Privilége . Prix 4 liv . 4 f..
brochés , les deux volumes . Nous ne tarderons
pas de rendre compte de la continuation
de cet Ouvrage , véritablement
intéreffant.
LES FOLIES , ou Poëfies diverfes de M.
Fl.... divifées en 3 parties , contenant fes
Fables , fes OEuvres mêlées & fes Chanfons.
Volume in- 8 ° . Avignon , 1761 ; &
fe trouvent à Paris chez le même Libraire.
En attendant que nous puifions parler
plus au long de ce Recueil amufant ,
JANVIER. 1761 . III
voici ce qu'en augure M. D. S. D. dans
un couplet envoyé à l'Auteur .
(AIR :) Palſembleu M. le Curé.
Pour ton Livre , ah ! quel titre heureux !
Que d'argent pour ton Libraire ,
Si chaque Fou , grand , petit , jeune ou vieux ;
En achete un Exemplaire .
ESSAIS HISTORIQUES fur l'Angleterre .
Ifta ftudia ingenioforum , curioforum .
Cicero , de finibus.
in- 12 . Paris , 1761. Chez les Freres
Etienne , Libraires , rue S. Jacques , à la
Vertu. Avec Approbation , & Permiffion.
Cette brochure, de 180 pages , eft auffi
agréable qu'inftructive , & paroît devoir
être fuivie de plufieurs autres.
RECHERCHES fur les différens mouvemens
de la matière électrique , dédiées
à M. l'Abbé Nollet , de l'Académie Royale
des Sciences & c. Par M. du Tour, Correfpondant
de la même Académie.
Et rabit igne fuo , geminatque incendia folis .
Manilius , Lib. s .
in-12. Paris, Chez Vincent , Libraire,
12 MERCURE DE FRANCE.
rue S. Severin . Avec Approbation & Privilége
.
ESSAI fur la Déclamation Tragique ,
Poëme. Nouvelle Edition , revue , corrigée
& augmentéé .
Le fentiment ne va point au hazard.
Gref.
> Brochure in- 8 °. A Londres chez
Nourc , Libraire ; & fe trouve à Paris ,
chez .....
La nouvelle Edition de cet Ouvrage
qui a paru & réuffi , il y a trois ans , ne
peut que faire beaucoup d'honneur à fon
Auteur ; & nous en donnerons l'Extrait
avec plaifir.
ALMANACH Eccléfiaftique.
ALMANACH des Spectacles de Paris.
ALMANACH pour fervir de guide aux
Voyageurs , contenant un détail de tout
ce qui eft néceffaire pour voyager commodément
, utilement & agréablement.
ALMANACH neceffaire , contenant un
Agenda pour tous les jours de l'années
un de perte & gain.
EPHEMERIDES Troyennes.
NOUVEL ALMANACH chantant , ou Tabletres
d'un Philofophe.
JANVIER. 1761 .
AMUSEMENS des Sociétés , nouvel Almanach
chantant des Emblêmes ou fymboles.
ALMANACH ou Chanfonnier François ,
Etrennes aux Dames.
ALMANACH chantant des Plagiaires ,
ou Recueil des Piéces toutes faites , à
Pufage de ceux qui n'en favent
par un Plagiaire anonyme.
pas
faire ,
Tous ces Almanachs fe vendent chez
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques , au
Temple du Goût , à Paris.
ARTICLE III
SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADÉMIE S.
SEANCE PUBLIQUE de l'Académie des
Sciences , Belles- Lettres , & Arts de
Lyon , du Mardi 2 Décembre 1760.
9" M. l'Abbé de Valernod , Directeur
fit l'ouverture de la Séance par un Difcours
fur les motifs qui déterminent les
1
114 MERCURE DE FRANCE.
Académies à faire part au Public de leurs
travaux ; ce Difcours fut fuivi des Extraits
des Ouvrages Académiques , lûs dans les
Séances particulieres de l'Académie de
Lyon , pendant le cours du dernier fémeftre.
M. l'Abbé Millot , élu Académicien ordinaire
dans la Claffe des Belles - Lettres , vint
prendre féance à l'Académie , fit fon.compliment
de réception , & lut une Differtation
fur les caractères de la Philofophie
Angloife : fujet intéreffant pour notre Littérature
, puifque le génie Anglois y a
produit une révolution fenfible , & que
ceux dont nous avions été les maîtres
dans les matières de goût , font devenus
les nôtres dans l'Art de penfer. M. l'Abbé
Millot ne diffimule pas que leur Philofophie
renferme un mêlange de bien & de
mal , qui doit faire éviter dans les jugemens
qu'on en porte , deux excès également
injuftes , une cenfure outrée , & une
admiration fans bornes . Le premier caractère
de la Philofophie Angloife , eft la
profondeur. L'Anglois fe nourrit de réflexions
pénibles : il s'en fait une habitude ,
un plaifir , & prèfque un befoin. La penfée
, eft fon élément ; & il penfe avec une
force d'efprit extraordinaire , creuſant
jufqu'à la fubftance des chofes , créant de
nouvelles idées .
JANVIER. 1761 . 115
On peut en juger par les écrits de Bacon
, de Newton , de Loke : par les Ouvrages
de Pope & des Poëtes Philofophes
de l'Angleterre par les Romans même ,
devenus , chez cette Nation , une école
de politique & de morale. Mais il faut
convenir auffi que l'obfcurité , la féchereffe
, le défaut de grâces & de méthode
fe font fentir dans la plupart de ces productions
philofophiques. Le goût des recherches
, fur- tout des recherches utiles à
la Société , fait le fecond caractère de la
Philofophie Angloife . C'eft elle principalement
qui a diffipé les ténébres & les extravagances
du Péripatétifme , qui a confondu
la vanité de l'efprit de fyftême , qui
a établi la Phyfique expérimentale , qui a
perfectionné l'Agriculture , la Navigation
, le Commerce , & les Arts les plus
utiles, & qui a élevé, par ce moyen, l'Angleterre
à un point de grandeur & de
puiffance , où la Nature fembloit lui défendre
d'afpirer. En cela , les Anglois ne
méritent que des éloges . C'eft prendre le
véritable efprit des Sciences que de les
tourner au profit des hommes. Si les Anglois
nous en ont donné l'exemple , nous
avons la gloire d'égaler au moins nos modéles.
Enfin , le caractère le plus brillant de
16 MER CURE DE FRANCE.
leur Philofophie , eft la liberté. Ils en font
d'autant plus jaloux , qu'ils fortifient, par
les réflexions , le génie national . La liberté
de l'efprit & de la raifon commune à tour
ce qui penfe , paroît être le plus beau de
leurs priviléges. Quels bien ne produitelle
pas lorfqu'elle fe renferme dans de
juftes bornes ? Les grands fentimens , les
entrepriſes courageufes , les préjugés détruits
, les abus réformés , la vérité triomphante
voilà les monumens de fa gloire.
Le génie efclave , eft tout au plus un héros
chargé de fers : le génie libre aved
tant de force & de courage , que ne peut-
:
il pas entreprendre & exécuter ? Malheuteufement
cette liberté a dégénéré en licence
parmi les Anglois. Non contens de
s'affranchir de la Tyrannie de l'opinion ,
ils fe font élevé un tribunal particulier
pour juger fouverainement toute autorité.
Ni le fanctuaire des Loix , ni la majesté
du Trône , ni la puiffance du gouvernement
, ni les principes de la Nature , ni
les droits de la Société , ni la Religion
elle - même , n'ont été à couvert des attentats
de l'efprit. Il a ébranlé l'édifice le
plus folide , à force d'en fonder les fondemens
.
M. l'Abbé Millot , après avoir fait un
détail de ces abus , remarque que ce n'eſt
JANVIER. 1761. 117
point à la Philofophie qu'il faut les imputer,
mais à quelques Philofophes, indignes
de ce beau nom . La Philofophie a formé
en Angleterre , dans ces derniers tems ,
d'illuftres défenfeurs de la Religion , attaquée
par tant d'impies méprifables. Si l'on
pele ces autorités dans une jufte balance ,
les Tindal , les Toland , les Morgan & les
Collins ne difparoiffent- ils pas devant les
Adiffons , les Warburtons , les Tillotsons,
les Dittons , & leurs femblables ?
L'Auteur finit par l'examen des avanta
ges & des abus que la Philofophie Angloife
a produits en France , relativement
à ces trois caractères. Si le mal eft réel ,
le bien l'eft auffi . Les Sages profitentde
l'un , & rejettent l'autre. Ils réuniffent ce
qui rend la Philofophie fi précieufe au
genre humain , la profondeur & la clarté,
les recherches utiles , la liberté , & là fageffe.
M. l'Abbé Greppo lut enfuite un Mémoire
fur la Théorie de la terre , confidérée
relativement aux effets du Déluge . Le
point de vue de cet Académicien eſt d'éviter
dans fon hypothèſe les contradictions
qui fe trouvent entre le fyftême de quelques
Phyficiens Modernes , & le récit de
l'Hiftorien Sacré. M. l'Abbé Greppo laiffe
donc à l'écart ce qui a été imaginé fur
18 MERCURE
DE FRANCE.
cette matiére par Whifton , Burnet , Vodvard
, Bourguet , Scheufer & autres Philofophes
, dont les fyftêmes ont le double
défaut de ne pas rendre raifon de tous les
phénomènes
dépendans de ce point de
Phyfique , & d'être démentis évidemment
.
par l'Écriture.
que
com-
M. l'Abbé Greppo éffaye s'il fera plus
heureux. Il ne propofe fon idée
me une hypothèſe , & il commence par
expliquer la féparation des terres & des
mers felon les loix de la Statique . Il regarde
les effets du Déluge comme miraculeux
. Il pencheroit même à penfer que
Dieu a ajoûté aux effets des pluies de
quarante jours ', infuffifantes pour fubmerger
la terre , un changement du centre
de gravité dans le noyau folide du
globe terreftre. Idée affez conforme , ou
du moins nullement contraire au texte
facré ; idée qui n'exclud point les autres
accidens furvenus à ce globe , ni l'obliquité
arrivée à l'écliptique ; mais cette
hypothèſe confidérée avec attention , fe
trouve établie fur les principes les plus
inconteftables de la Phyfique , & elle peut
fervir à expliquer d'une manière affez fatisfaifante
le parallélifme de l'axe de la
terre .
M. Bordes a terminé la féance par la
-
JANVIER. 1761
119
lecture d'un Difcours en Vers François de
fa compofition , fur l'Empire de la Mode.
Cet Ouvrage étant actuellement fous
la preffe , nous avons cru qu'il étoit inutile
de le placer ici.
M. Delorme , Membre de l'Académie ;)
expofa à la curiofité la fuite des Plans des
Aqueducs des Romains , conftruits depuis
le Mont Pila en Lyonnois , jufqu'au fommet
de la Montagne de Fourvière de
Lyon,
PREMIERE SEANCE Publique de la Société
Royale des Sciences & des Arts de
la Ville de Metz.
LAA Société Royale des Sciences & des
Arts , établie à Merz , par Lettres Patentes
du Roi données à Verſailles au mois de
Juillet 1760 , & fondée par M. deFOUQUET,
Duc de BELLE - ISLE , Pair & Maréchal de
France , Miniftre & Secrétaire d'Etat de la
Guerre , Gouverneur général des Evêchés ,
de l'Académie Françoiſe & Protecteur de
celle de Soiffons , &c. tint fa première
Séance Publique le 19 Novembre fuivant.
Cette ouverture de fes Affemblées fe fit
avec toute la folemnité , la décoration &
120 MERCURE
DE FRANCE.
la décence que méritoit un établiſſement
auffi intéreffant pour la Ville & la Province,
& auffi utile au Public.
Les Académiciens s'étant rendus , vers
les neuf heures du matin , au Château du
Gouvernement , lieu défigné par le Protecteur
pour la tenue de leurs Affemblées :
Ils s'y formérent en Corps de Cérémonie
, fuivant l'ordre de leurs différentes
Claſſes , & en fortirent un moment après
précédés & fuivis par les Compagnies des
Gardes du Gouvernement
, au bruit des
inftrumens militaires , des boëtes & de la
groffe cloche de la Ville , pour fe rendre
al'Eglife de l'Abbaye Royale de S. Arnoul;
où la Meffe , précédée d'un Veni Creator
fut chantée en Mufique , & célébrée par
M. l'Abbé de Majainville , Princier de
l'Eglife de Metz , l'un des Académiciensnés.
MM . les Officiers du Corps -de-Ville ,
toujours attentifs à montrer leur attachement
& leur reconnoiffance envers le Bienfaicteur
de la Province , revêtus de la robe
particulière à la Magiftrature municipale
& accompagnés de leur cortège ,
affiftérent à toute la cérémonie . La Meffe
finie , toute l'Affemblée fe rendit dans
celle des Salles du Gouvernement deſtinée
à cette Séance publique , où étoit exposé
fous
JANVIER. 1781.
121
fous un dais Ducal , & au -deſſus d'un fauteuil
pofé fur une eftrade , le portrait du
Maréchal , Fondateur & Protecteur.
veur ,
ges
Tous les Membres de la Société préfens
à cette cérémonie ayant pris leur
place , & les Magiftrats municipaux celles
qui leur étoient deftinées , M. de Saint-
Ignon , Procureur général des Chanoines
Réguliers de la Congrégation de S. Sau-
Prieur de la Maifon & Collége
Royal de S. Louis en la Ville neuve , Directeur
de la Société , ouvrit la Séance
par un Difcours , par lequel , après avoir
rendu au Roi & à M. le Maréchal , Fondateur
& Protecteur , le jufte tribut d'élodictés
par l'amour &la reconnoiffance
, il remit fous les yeux des Membres
affemblés , les motifs de zéle qui doivent
ranimer leurs talens pour l'augmentation
des progrès de la Société , pour la confidération
de l'heureux & prompt changement
de la Société d'étude des Sciences
& des Arts , en Académie Royale de ces
mêmes objets , par fa conftitution fixe &
inaltérable & par fes reffources ; enfin par
les avantages que fon travail , fes expériences
& fes recherches peuvent procurer
, non- feulement à la Ville & à la Province
; mais à la Patrie entière.
-Ce Difcours fini , le Secrétaire perpé-
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE
tuel fit la lecture des Lettres- Patentes ,
des Réglemens de la Société , de la lifte
de fes Membres & de la donation du fond
que M. le Maréchal , Fondateur & Protecteur
, a bien voulu configner en faveur
de cet établiſſement.
La Séance a été terminée par l'annonce
du Sujet du Prix , fondé par mondit Sg '.
le Maréchal Protecteur ; lequel Prix , qui
fera délivré en la Séance Publique du 25
Août 1761 , confifte en une Médaille
d'or de la valeur de 400 liv .
Le Sujet eft énoncé en ces termes :
Quel eft le vrai principe de la fécondité
des Terres ?
La Société s'étant fait un plan & un
ordre de queftions , pour le concours des
Prix qu'elle propofera chaque année , a
cru devoir commencer par les principes
généraux de la partie oeconomique , dont
elle s'occupe le plus éffentiellement , pour
enfuite paller tout naturellement aux détails
, c'est- à- dire , à ce qui peut le plus
particulièrement intéreffer la Province.
Elle fouhaite que les Mémoires deſtinés
à concourir pour le Prix , foient adreffés
francs de ports , avant le premier Juil
let 1761 , à M. Dupré de Genefte , fon Secrétaire
perpétuel , place Ste Croix.
Qu'il foit d'une demie heure de lecJANVIER.
1761 . 123
fure au moins , & d'une heure au plus.
Que les Auteurs ne mettent pas leurs
noms à leurs Mémoires , mais feulement
une marque ou paraphe , avec telle fentence
, épigraphe ou devife qu'il leur plaira
; ils la répéteront dans un billet cacheté
, dans lequel ils écriront leurs noms ,
qualités & adreffes ; les pièces de ceux qui
fe feront connoître , foit par eux , foit par
leurs amis , ne feront point admifes au
concours .
La Société n'ouvrira que le billet attaché
à l'ouvrage couronné ; les autres feront
brûlés fans être décachetés.
Les Mémoires feront compofés en françois
ou en latin , au choix des Auteurs ;
il n'y a que les Membres de la Société qui'
ne peuvent pas concourir.
En imprimant l'ouvrage couronné , on
n'y mettra le nom de l'Auteur que de fon
agrément.
F ij
124 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure,
MONSIEUR ONSIEUR ,
Je vous prie d'inférer dans votre prochain
Mercure cette petite adreffe :
A Meffieurs les Antiquaires .
On invite Meffieurs les Antiquaires
'ceux furtout qui s'appliquent à l'étude des
antiquités de la Ville de Paris , de propofer
leurs doutes fur le morceau fuivant.
L'on voit au coin de la rue de la Calandre
& de la Juiverie , à la Maiſon occupée
par une Lingere , un bufte en pierre
avec une infcription au- deffous fur marbre
noir de 2 pieds de large environ fur un
pied de haut. Le bufte repréfente Louis
XIV, & l'inſcription porte ces mots :
Ann. M. D. CLXXXVIII.
Urbs me detruncavit ,
Rex amplificavit ,
Medicus reftituit.
Tout ce que l'on fçait , c'eft que cette
maiſon appartenoit à un Médecin de
Louis XIV.
JANVIER. 1761 . 125.
dre
par
On efpére que l'on voudra bien répon
la même voie du Mercure.
J'ai l'honneur d'être & c.
N. N.N.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR ,
J'ai vu dans le Mercure du mois de Novembre
dernier , la Lettre qu'on vous a
adreffée , pour vous prier d'apprendre au
Public les perfections que M.de Villeneuve
vient de donner à la Cloche à plonger.
Il me paroît que fon ami a été trop
ardent à vous écrire . Il auroit dû attendre
que M. de Villeneuve eût mis la derniere
main à fon ouvrage ; mais , l'amour du
bien public ne lui a pas permis de nous
laiffer ignorer plus longtems que M. de
Villeneuve s'occupoit de ce grand objet.
Comme il y a quelques années que je
travaille à perfectionner cette Cloche , je
fuis perfuadé qu'il ne trouvera pas mauvais
, que ne fçachant pas fa réfidence , je
me ferve de la voie de votre Mercure pour.
lui faire part de mes obfervations . Elles
tendent à la perfection de la machine , &
F iij
126 MERCURE DE FRANCE:
n'ont d'autre but que l'utilité publique: je
me flatte que fur cette feule confidération
vous voudrez bien les y inférer.
J'applaudis d'abord à l'idée d'un double
tuyau faifant l'effet d'un ventilateur pour
renouveller l'air que doit refpirer le plongeur.
Et je fuis perfuadé que cette machine
peut réuflir fur cette petite profondeur
d'eau , mais effayons -la fur une profondeur
de vingt pieds , & vous verrez combien
d'inconvéniens il en réfaltera . Servonsnons
pour cela d'un Cilindre ou par exemple
d'un puits affez large pour recevoir la
Cloche , & affez profond pour l'y plonger
jufqu'à vingt pieds .
N'eft il pas vrai , 1. ° Si nous defcendons
un Plongeur tout nud dans ce puits fans
aucune machine , comme cela arrive communément
, cet homme retenant fon haleine
pendant trois à quatre minutes qu'il
refte fous l'eau , nous n'appercevons ni
augmentation ni diminution de hauteur à
la colonne d'eau qui le couvre pendant
les trois à quatre minutes , & cela , fans
doute , parce que le Plongeur n'ayant aucune
refpiration , fon eftomac n'acquiert
ni gonflement , ni affaiffement par l'infpiration
& l'expiration , l'air qu'il renferme
en foi faifant équilibre avec l'eau qui le
preffe de toutes parts ?
JANVIER. 1761 . 127
2.° Adaptons préfentement à la bouche "
de ce même Plongeur vos deux tuyaux ou
ventilateur pour pouvoir refpirer à vingt
pieds de profondeur , & examinons la fur
face de l'eau. Ne vous paroît -il pas que
lors de l'expiration la furface de l'eau defcend
plus ou moins , felon que l'eftomac
du Plongeur s'affaiffe & diminue de volume
? quel inconvénient y a - t -il à cela
Le voici ; pendant l'infpiration il faut néceffairement
que l'eftomac en fe gonflant ,
déplace un volume d'eau plus ou moins
confidérable felon fa hauteur.
Pour fixer l'éffort que l'eftomac doit
faire pendant l'infpiration , fuppofons que
l'estomac du Plongeur ait demi pied de
furface. Le Plongeur étant à vingt pieds
de profondeur , la colonne d'eau que fon
eftomac aura à déplacer fera de dix pieds
cubes , & égalera un poids d'environ fept
cens livres ; or eft- il poffible que ce Plongeur
puiffe réfifter ?
On peut rendre cette démonftration
encore plus fenfible , en comparant l'eftomac
du Plongeur au pifton d'une pompe
fans frottement , telles que celles qu'on a
inventées depuis quelques années avec un
cnir fouple & lâche , qui traverfe le corps
de pompe , & au moyen d'une tige fixée
au milieu , on plonge ou on fouléve la
F iv
18 MERCURE DE FRANCE.
furface dudit cuir , qui prend la forme
d'un cône ; fi l'on tire la tige de bas en
haut , & que le cuir foit chargé d'une
colonne d'eau ; cette même colonne
montera dans le cilindre , &il faudra plus
ou moins de force pour l'élever, felon que
cette colonne fera haute ; ou fi la furface
du cuir a demi- pied , & la colonne
vingt pieds de hauteur , il faudra que le
moteur agiffe avec me force d'environ
fept cens livres d'où il fuit qu'il en
doit être de même de l'infpiration du
Plongeur , qui devient le moteur de fon
eftomac .
Mettons à préfent le Plongeur fous la
cloche , faifant ufage du ventilateur cideffus
: ce que nous avons dit du poids de
l'eau fubfifte encore ; car le même mouvement
de l'eftomac fait d'abord effet fur
l'air comprimé dans la cloche lors du
gonflement de l'eftomac , il faut néceſſairement
que l'air comprimé déplace un
volume d'eau comme dans le cas précédent
, d'où il réſultera un autre inconvénient
auffi funefte pour le Plongeur ; car
fi l'air cède à l'éffort du gonflement en
s'échappant par bulle de deffous la cloche,
à chaque affaiffement il entrera une quantité
d'eau fous la cloche , égale au volume
d'air échappé lors du gonflement , &
JANVIER. 1761 . 129
au bout d'un certain nombre d'infpirations
& d'expirations , la cloche ſe trouvera
remplie d'eau .
Voilà , Monfieur , ce que j'avois à faire
obferver à M. de Villeneuve ; il me reſte
pourtant encore quelque chofe à lui faire
remarquer dans la conftruction de fon
Ventilateur. Pour empêcher que fes
tuyaux de cuir ne s'aplatiffent par l'éffort
de l'eau, il a recours à un fil de fer ou de
léton en forme de ftor ; je ne fçais s'il a
fait attention que le fil de fer venant à ſe
rouiller coupera le cuir & donnera l'eau ,
& le léton étant humecté par la refpiration
, & même par l'humidité du cuir , fe
couvrira de verd de gris , de forte que le
Plongeur , lors de l'infpiration , pourra
s'empoifonner ; les tuyaux de cuivre dans
l'intérieur de la cloche , font fujets aux
mêmes inconvéniens. En outre , peut- on
espérer beaucoup d'agilité de la part d'un
Plongeur qui eft obligé de tenir d'une
main l'anche du Ventilateur , & qui d'ailleurs
n'eft pas peu gêné par la pince ou
vis qui lui ferre le nez ?
Je puis me tromper , mais il me femble
que dans la conftruction que je me
propofe d'en donner , j'éviterai ces défauts
; du moins tâcherai - je de donner au
Plongeur toute l'aifance poffible , fans
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
courir aucon rifque. Si j'avois été à portée
d'en faire l'éffai , je n'aurois pas tant tardé
, après m'être rendu raifon des moyens
que j'employe pour en affurer la réulfite ,
de la foumettre à l'examen de MM. dé
l'Académie des Sciences ; & fur leur rapport
, j'aurois eu l'honneur de vous en
adreffer la defcription . D'autres objets
m'ont fait perdre celui- là de vue pour :
quelque temps ; mais enfin me voilà
déterminé à y mettre le derniere main .
Si MM. de l'Académie y trouvent des défauts
, je tâcherai de les corriger , & me
ferai enfuite l'honneur de vous l'adrefler
pour la rendre publique . Peut - être pren
drai-je auffi la liberté d'y joindre quelques
fujets de méchanique qui ont été approuvés
par MM. les Commiffaires de la même
Académie. En attendant , j'ai l'honneur
d'être , & c . POMIER , Ingénieur , &
Abonné au Mercure.
A ALAIS , en Languedoc , le 7 Décembre 1760.
JANVIER 1761. 131
LETTRE à M. LE BLANC , Démonf
trateur Royal en Anatomie & Chirurgie
, Affocié de l'Académie des Sciences
de Rouen & de celle de Chirurgie de
Paris . Par M. LE CAT , Docteur en
Médecine , Chirurgien en Chef de l'Hô
tel Dieu de Rouen , des Académies de
Paris , Londres , Madrid , Berlin , S.
Petersbourg &c. & Secrétaire perpétuel
de celle de Rouen .
JEE vous félicite , Monfieur , de la juftice
que l'Académie de Chirurgie vous a enfin
rendue , en vous donnant une Place
d'Affocié ; vos travaux , & en particulier
votre mémoire fur l'opération du bubonocelle
par dilatation de l'anneau , vous
méritoient cette distinction dès 1752 .
L'accueil que l'Académie de Rouen a
fait à cet Ouvrage , vous avoit déja dédommagé
honorablement de ce délai ;
mais la fatisfaction ne pouvoit être complette
fans votre affociation à l'Acadé
mie , qui eft le premier Tribunal des matières
chirurgicales. Que je fçai bon gré à
F vi
132 MERCURE DE FRANCE.
M. Andouillé d'y avoir contribué ; ce
trait de fon équité eft d'un augure bien
flatteur , Monfieur , pour la Chirurgie des
Provinces ! On voit qu'il fuivra les exemples
de fes illuftres prédéceffeurs. Il a
fenti ce grand Chirurgien , que vous
aviez étendu le domaine de la dilatation
fi vantée , & à juste titre , par les célébres
Colots dans l'opération de la Taille ,
enfeignée par la Nature même dans la
groffeffe & l'accouchement ; il a vu qu'err
diminuant le nombre des cas où la Chi-
´rurgie , les armes à la main , tranche le
noeud des difficultés qu'elle rencontre ,
on diminuera en même proportion la
terreur qu'on a de fes opérations , &
qu'en réfolvant ces noeuds par des moyens
plus doux , plus naturels & plus fûrs, l'eftime
, la reconnoiffance & la confiance
prendront la place de la terreur ; celui
qu'on regardoit comme l'Attila de l'humanité
, en deviendra le Titus.
Tous les Anciens , Monfieur, ont fenti les
avantages de la dilatation des parties nerveufes
& tendineufes fur leur incifion;mais
l'expérience feule les leur avoit appris : ils
en ignoroient le pourquoi ; je vous ai raffemblé
ces autorités & j'y ai joint ce pourquoi
dans la Lettre que je vous écrivis à
ce fujer en 1748. Vous m'affurâtes alors
JANVIER. 1761. 133
qu'elle fut lue à l'Académie de Chirurgie.
Elle le fut à l'Académie de Rouen dans un
mémoire qui avoit ce titre ... propofition
capitale dans la théorie des opérations de la
taille. Cette differtation fut imprimée dans
la feconde partie de mon traité de la taille
au commencement de 1749. La plus
grande partie de cette doctrine a été rappellée
dans le mémoire intitulé , Parallèle
de la taille latérale de M. le Cat avec celle
du lithotome caché , que je lus à l'Académie
de Chirurgie en 1755 , Mémoire
dont il y a des copies répandues . Tant de
publicité me difpenfe de rappeller ici les
preuves , on plutôt les démonſtrations
favorables à la dilatation . Ce que j'en
veux feulement conclure ici , c'eſt qu'il
eft étonnant que vous ayez rencontré
fur ce point de pratique des difficultés
chez MM . nos confréres , dont les plus
prévenus n'ont pas eu la moindre objection
à me propoſer dans toutes les lectures
de mon Mémoire. Il y a plus , Monfieur
, tout le monde fçait que l'Académie
de Chirurgie a honoré ce Mémoire
d'une approbation dans laquelle elle affure
qu'il eft fondé fur les bons principes,
que les faits & les expériences qui y font
cités ou repréfentés en partie par des planches
ont été vérifiés par le Comité des Lig
134 MERCURE
DE FRANCE.
thotomiftes affemblés à ce sujet en 1755 ;
& qu'enfin l'Académie ne peut qu'applau
dir à la bonne caufe que M. le Cat défend
dans fon Ouvrage.
- L'Extrait des Regiftres de l'Académie ,
daté du 10 Mars 1757 , ajoûte que MM.
les Commiffaires en ayantfait un rapport
très-avantageux , l'Académie approuve de
tous points cet Ouvrage. C'est d'après un
jugement auffi décifif & auffi formel , Mr.
de la part du feul Tribunal compétent , que
fatisfait & tranquille , j'ai laiffé & laiſſe-
Fai toujours aboyer & croacer autour de
moi cette multitude de petits Adverfaires
qui ne mériteront jamais que le mépris
des vrais Lithotomiftes , & même de
tous ceux qui ne l'étant pas , auront au
moins la fagefle de s'en rapporter aux
vrais Juges en cette matière .
Defenfeur de la dilatation ménagée
dans la Lithotomie , il étoit naturel
Monfieur , que j'approuvaffe l'application
que vous aviez faite de cette manoeuvre
falutaire à l'opération du bubo
nocelle . Je ne pouvois pas avoir oublié
cette candeur admirable avec laquelle
vous vous étiez dépouillé de vos préjugés
à cet égard par rapport à l'opération
de la taille , lorfque je vous expolai mes
Principes fur les prérogatives de cette
JANVIER. 1761 135
dilatation ménagée : vous ne balançâtes
pas à les adopter généreufement , dès
que vous futes convaincu . C'eſt pourquoi,
Monfieur, j'ai faifi la premiere occafion
que j'ai trouvée , après la lecture de
votre Mémoire en 1757 , de pratiquer
votre opération , & elle m'a réuffi . Mais
je vous avouerai , avec la même candeur ,
que votre gorgeret me parut beaucoup
trop foible pour la dilatation. Au refte
il est bien aifé, d'ajoûter à une invention
bien faite . J'avois une efpéce de langue
de ferpent , d'acier , avec laquelle les
Grayeurs éffacent les traits défectueux de
leurs planches . Cet inftrument très - poli,
très - entrant , & très- fort , me parut tout
fait pour être gliffé fous l'anneau, en lui
donnant une figure courbe ; je le donnai
donc pour modéle à un Coutelier , quant
aux qualités précédentes , en l'aidant de
la figure ci - jointe , qui contenoit toutes.
les réformes convenables , & j'eus une
eſpèce d'élévatoire qui me parut remplir
toutes nos vues , & par conféquent mériter
encore le nom de dilatatoire de l'iffue
des hernies ; car je ne puis vous diffimuler
que le doigt, fi préférable d'ailleurs à tous
les inftrumens , ne me paroît pas admiffible
dans un anneau qui étrangle un intef
tin , puifqu'on a fouvent quelque diff
136 MERCURE DE FRANCE.
culté à y introduire une fonde canelée.
Un anneau qui admettroit le doigt , adnettroit
auffi facilement l'inteftin repouffé
par le doigt , & alors il n'y auroit point
d'étranglement , mais une fimple pareffe ,
une inaction dans l'inteftin , ce qui n'eſt
peut- être pas fi rare qu'on le penfe ; mais
s'il faut dilater l'anneau , & fi , pour obtenir
l'introduction du doigt , il faut le
faire agir entre l'anneau & l'inteftin, pour
peu qu'on y employe de force , ne couret-
on pas le rifque de contondre , de déchirer
même cet inteftin ? Je penſe donc,
Monfieur , que le doigt ne doit pas être
l'inftrument de choix dans cette circonftance
, au moins dans le plus grand nombre
des cas , & que celui dont je vous envoye
la figure , fera beaucoup plus avantageux
à tous égards . Cette feule figure
en fait la defcription , & l'on y devine
aifément que la petite extrémité A, ayant
été introduite fous l'iffue herniaire , &
l'ayant dilatée par des éfforts en deffus
dans toute fon étendue , on peut y paſſer
alors le manche B , plus vafte & plus fort,
en fuppofant que la feule extrémité A ne
fuffife pas à faire la dilatation defirée . J'ai
l'honneur d'être , &c. LE CAT.
A Rouen , le 12 Décembre 1760,
JANVIER. 1761. 137
LETTRE , de M. TENON , Profeffeur
Royal au Collège de Chirurgie , de l'Académie
Royale des Sciences , à M. DE
LA PLACE , Auteur du Mercure.
M. Vandermonde ; Monfieur , en annonçant
dans le Journal de Médecine ,
pour le mois de Janvier 1761 le troifiéme
volume des Mémoires de Phyfique & de
Mathématique , que l'Académie des Sciences
a publié il y a quelque temps , s'exprime
ainfi après avoir indiqué quelques
autres mémoires. » On trouve dans le mê-
» me volume neuf Mémoires d'Anatomie,
» fcavoir un de M. Tenon fur le fiége de
la Cataracte , dans lequel il développe
» les accidents auxquels la membrane
» qui fert d'enveloppe à la lentille crystal-
» line peut elle- même être fujette , lorf-
» que cette lentille eft affectée du vice qui
» la rend opaque & qui forme la catarac-
» te:( & il ajoute ) quoique ce Mémoire
fuppofe une fuite , il ne paroît pas qu'on
» doive eſpérer de la trouver dans les Vo-
» lumes qui fuivront celui que nous an
» nonçons.
Le Mémoire annoncé aujourd'hui avoit
138 MERCURE DE FRANCE.
été lû en 1755 , il fuppofe une fuite , il
eft vrai , Monfieur , je me fuis acquité de
mes engagemens ; j'ai donné cette fuite
en 1757 , dans une differtation imprimée
chez Laguette , fous le titre de Cataractá ;
de plus l'Académie m'ayant fait l'honneur
de m'admettre au nombre de fes Membres
dans le cas où je n'aurois pas encore
rempli mes engagemens, ce que je pourrois
donner déformais , ne paroîtroit plus
dans les Volumes des Savans Etrangers ;
mais dans ceux de l'Académie . M. Vandermonde
avoit ces deux raifons fous les
yeux dans l'ouvrage où il a puifé la notice
qu'il publie à mon fujer ; mais elles
lui ont échappé. Je fuis fi convaincu de la
pureté de fes intentions , que je ne doute
pas qu'il n'applaudiffe à l'intelligence qué
je donne du fens de fa derniere phrafe .J'af
Phonneur d'être , & c. TENON.
EXTRAIT DES REGISTRES de l'Académie
Royale des Sciences , des 3 &
10 Mai 1760 .
N.ous avons examiné , par ordre de
Académie , une Pendule , dont la fufJANVIER.
1761 . 139
penfion est destinée à corriger l'allonge
ment des métaux , par le fieur Quinette ,
Horloger dans l'Abbaye S, Martin.
Il y a deux objets dans le travail du fieur
Quinette : le premier a été de corriger
dans un échappement à ancre , l'inégalité
de vibration que produiroit l'allongement
de l'ancre & du rochet en augmentant la
levée ; le fecond objet a été d'appliquer
un pendule de correction , qui non - feulement
foit égal à celui qu'on veut corriger,
mais qui agiffe exactement de la même
manière . L'Auteur n'ayant donné aucune
defcription écrite , nous entrerons
dans quelque détail à ce fujet .
Pour remplir les deux objets , le fieur
Quinette a préfenté à l'Académie un mouvement
de Pendule à courte- ligne , qui
fuffifoit pour repréfenter fon idée. On y
voit trois ancres & trois rochets , defquels
deux font fixés fur les platines ; celui
du milieu fervant feul à l'échappement
; les deux rochets fixes font portés
fur des canons fixés aux platines , au travers
defquels paffe l'axe de l'échappement ,
en forte que les trois centres des rochets
foient fur la même ligne.
2
L'axe de l'échappement , au lieu d'être
porté par les deux platines , eft porté par
deux ancres faifant fonction de deux cocqs;
140 MERCURE DE FRANCE .
ces ancres font exactement de même dimenfion
que celle de l'échappement , &
font portés immédiatement par les deux
rochers fixes dont nous venons de parler.
Dès - lors le centre de l'ancre fe rapproche
du centre du rochet de toute la quantité
dont l'ancre & le rochet pourroient
fe raccourcir , & ils s'éloignent l'un de
l'autre de toute la quantité de leur dilatation
relative ; ainfi l'échappement de
la Pendule , qui eft formé de piéces égales
& femblables à celles qui en fuppor
tent les pivots , aura toujours la même levée
, quelque variation qu'on veuille fuppofer
dans les métaux qui le compofent ,
& quelque rapport qu'il y ait entre les
dilatations du cuivre & du fer.
Si par l'effet de la chaleur l'ancre venoit
à s'engager d'une ligne entre les dents
du rochet , les deux autres ancres qui por
tent fes pivots & les deux rochets fur lef
quels les ancres font fondées , ayant néceffairement
la même dilatation , l'ancre
fera dégagée du rochet de la même quantité
, & tout reftera au même point que
s'il n'y avoit pas eu de dilatation.
A cet égard nous conviendrons que fi
l'on étoit obligé de fe fervir , dans les Pendules
, d'un échappement à recal , la précaution
du fieur Quinette deviendroit trèsJANVIER.
1761. 141
utile ; car nous fçavons par les expériences
de M. Sauvin , rapportées dans les
Mémoires de l'Académie , que l'échappement
à ancre donne de grandes variations
, pour peu que la figure de l'ancre
ou la quantité d'engrenage qu'il forme
avec le rochet foit différente ; parce qu'alors
le levier , fur lequel fe fait la reftitution
du mouvement , qui en lui- même est
fort court , varie d'une portion qui lui eft
très-comparable ; mais heureufement l'ufage
des échappemens à repos , & celui
des groffes lentilles & des petits arcs ,
nous met à l'abri de ces fortes d'irrégularités
.
Le fecond objet du Gieur Quinette eft ;
comme nous l'avons annoncé , d'employer
un pendule de correction , qui foit nonfeulement
égal à l'autre , mais qui agifle
de la même manière. Car il a remarqué
avec raifon qu'un pendule , qui pour agir
eft forcé d'arcbouter & de lever un poids ,
ne fçauroit égaler parfaitement celui qui
non-feulement n'a aucun poids à lever
mais dont la dilatation eft encore favorifée
par le tiraillement & le poids de la
lentille . Cette remarque eft jufte encore ;
& nous fçavons par les expériences de
M. Rivaz , qu'un fil de fer tendu par un
grand poids , dans le goût de la machine
142 MERCURE DE FRANCE .
funiculaire , s'allonge plus par la chaleur ,
& fe retire moins que lorfqu'il eft tendu
par un poids plus léger ; en conféquence
M. Quinette a fufpendu la verge du pendule
à une croix qui eft toujours portée
vers le haut par un reffort , & qui ne defcend
que lorfque le pendule de correction
, en fe raccourcillant , a la force de
defcendre pour donner de la longueur au
pendule du mouvement , qui s'étoit raccourci
de la même quantité ; par- là le fieur
Quinette a fait enforte que le reffort fût
feul chargé de raccourcir le pendule ; &
l'autre de s'y prêter feulement en faifant
agir le reffort ; il a même eu l'attention
de faire enforte que le pont fur lequel eft
attachée cette croix , venant à fe dilater ,
la croix eût une dilatation contraire , afin
que tout refte en état .
A l'égard des Pendules dont les lentilles
feroient plus fortes , le même Artifte , conféquemment
à fes principes , obferve qu'il
ne fuffit pas d'établir un levier , comme
cela s'eft pratiqué , & une verge qui fort
de longueur égale à celle du pendule ,
pour agir fur un des bras du levier ор
pofé à celui qui porte la fufpenfion ; mais
qu'il faut charger ce levier du double du
poids de la lentille ; ainfi forfqu'on aura
une lentille de trente livres fufpendue à un
JANVIER. 1761. 143
des bras du levier , il en faut d'abord
trente livres fur l'autre bras pour lui faire
équilibre , & trente qui foient employées
à exercer fur la verge de fer une tenfion
égale à celle du pendule. Nous avons en
effet obfervé , que des pendules de correction
, dont la théorie étoit exacte &
l'éxécution parfaite, ne rempliffoient point
leur objet , fans doute par le défaut de
cette confidération .
Le fieur Quinette a prévu auffi le changement
qui peut arriver à la confole qui
porte le mouvement ; il y remédie par
l'attention qu'il a de fufpendre la cage à
l'extrémité inférieure de la confole , & de
placer la verge de correction fur une confole
femblable , qui éprouvera le même
changement , enforte que la fituation refpective
des parties refte la même.
Nous croyons que le fieur Quinette a
rempli les deux objets qu'il fe propofait ,
& que fa Piéce mérite l'approbation de
l'Académie. Signé , LE MONNIER &
DELALANDE.
Je certifie l'Extrait ci- deffus conforme
à fon original & au jugement de l'Académie.
A Paris , le 12 Mai 1760. GRANDJEAN
DE FOUCHY , Secrétaire perpétuel
de l'Académie Royale des Sciences.
144 MERCURE DE FRANCE
REPONSE à l'Anonyme qui a fait inférer
dans le Mercure d'Octobre la premiere
folution du Probléme propofe
dans celui d'Août.
Vous trouverez , Monfieur , dans la
folution de la queftion propofée dans le
Mercure d'Août ci - jointe , un échantillon
de la méthode que j'avois promife , fi
vous defirez de la connoître plus particulierement
, je fatisferai avec plaifir votre
curiofité. Il y a trois ou quatre ans que
je ne fçavois rien du tout de la doctrine
des combinaiſons , finon ce que le Père
Lami appelle changement d'ordre , que
3 fe combine de fix façons , 4
de 24
cinq de 120 &c. Malgré cette ignorance,
le jeu du Tri , qui étoit devenu le dominant
depuis quelques années , fembla
m'offrir des facilités à déterminer fes
coups , ce que n'avoient pas fait les autres
Jeux. Je m'engageai donc dans cette carrière
, fans en prévoir la conféquence , &
je trouvai bientôt la méthode que j'annonce
, mais par des rapports fi éloignés ,
qu'elle me parut plutôt un fyftême, qu'une
fuite d'opérations mathématiques , je parvins
JANVIER. 1761 . 145
vins en peu à la démontrer , & je trouvai
auffi d'autres méthodes dont les réſultats
femblables m'auroient affuré de fa certitude
, fi j'en euffe douté. Continuant
mes recherches , je trouvai une table
conforme à la table quarrée ou pyramidale
qu'on a formée fur le triangle arithmétique
de M. Pafchal , à une unité près
qui refte feule dans une colonne , & je
trouve par cette table toutes les combinaifons
qu'on trouve par fon triangle
arithmétique , propriété que je ne crois
pas qu'on lui ait découverte ; & au lieu
que les Auteurs qui ont traité des combinaifons
depuis M. Pafchal , ont pris pour
baze de leur ouvrage fon triangle arithmétique
; j'ai monté à des principes plus
hauts , dont eft dérivé naturellement une
table de laquelle on tire les mêmes avantages.
Des combinaiſons des cartes , je
paffai à celles des dés , & je me fis des
méthodes , par lefquelles il n'eft guère de
coups que je ne décide.
Mais venons à la folution que vous
avez voulu donner du problême que j'ai
propofé : fi vous avez lû le Mercure d'Octobre
; vous devez avoir vu que la folution
du fecond Anonyme étant juſte , le
réſultat de la vôtre n'étant point femblable
, elle ne peut qu'être défectueufe.
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
que
Vous n'avez fait , permettez moi de vous
le dire , quéffleurer la queftion , vous
avez cru que les combinaiſons des cinq
atouts fuffifoient ; mais il falloit encore
chercher les combinaiſons des cinq atouts
avec les 25 autres cartes , & c'étoit là la
difficulté. J'ai oublié de vous dire que ma
méthode ne pouvoit avoir lieu ,
quand les cartes fe partagent en lots
égaux , dans lequel cas elle eft fouvent
plus courte & plus facile qu'aucune autre
, décidant les queftions par deux ou
trois traits de plume ; dans le cas du partage
des cartes en lots inégaux , j'ai recours
à d'autres méthodes que j'ai trouvées
. Je fens , Monfieur , beaucoup de répugnance
à mettre mon nom à une queftion
de jeu , dans la crainte de donner
de moi l'opinion d'une perfonne qui fait
fon occupation principale du jeu & fon
étude favorite de fes principes , tandis
que quand je joue , c'eft plus par complaifance
que par goût, & que je n'érends
jamais cette complaifance aux jeux de
hazard que je détefte , & répute nuifibles
à la Société & pernicieux pour les
moeurs. Le Public ne fçait pas que fi le
jeu est une occupation frivole , fes principes
n'en ont pas été moins la recherche
des plus grands Géométres , & donnent
JANVIER. 1761. 147
des connoiffances qu'on peut appliquer à
des objets plus importans. Enfin je paſſe
au-deffus de cette délicateffe pour ne me
pas priver du plaifir & de l'avantage de
voir votre méthode & vos tables que
vous attachez à cette condition , & qui
ne peuvent qu'être juftes , les folutions
des coups de piquet que vous citez , étant
conformes à celles que j'ai trouvées par
plufieurs méthodes . J'ai l'honneur d'être
& c. MASSÉ DE LA RUDELIERE .
Aux Sables d'Olonne , le 20 Décembre 1760 .
HISTOIRE NATURELLE.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure .
DELAS & É de mes fatigues, & goûtant
un doux repos dans ma Patrie , je profite ,
Monfieur , de ce loifir pour vous entretenir
de mes voyages , ou plutôt des réflexions
qu'ils ont fait naitre .J'étois parti de Paris
l'efprit plein de l'Hiftoire Naturelle , que
j'y avois lue avec beaucoup de foin : ( a )
fans en admettre les principes, dont je ne
( a ) Hift. natur. gener. & particuliére . Je cite
rai l'édition in-12..de l'Imprim . Royale. 1750.
Gij
48 MERCURE DE FRANCE.
voycis pas la liaiſon néceſſaire avec les
faits fur lefquels on prétend les établir :
je cherchois à vérifier ces faits, & à découvrir
leur conformité avec ces mêmes principes
, ou avec quelques autres que je
foupçonnois déjà . J'ai vu la terre d'un oeil
philofophe , & j'ai beaucoup plus admiré
fa ftructure , que les plus fuperbes édifices
qui décorent la Capitale .
J'ai obfervé les vallées, les montagnes
le cours des fleuves & les côtes de la mer ,
les couches de la terre : je ne vous parle
que de l'édifice , j'ai négligé les ornemens
qui l'embelliffent , & les hôtes qui l'habitent.
Si nous en croyons M. de B. (b) les vallées
qui découpent la furface de la terre , ne
font que les traces des courans de la mer ,
lorfque , longtemps avant le déluge , elle
couvroit cette partie du globe , qui eſt à
préfent habité. J'ai parcouru bien des vallées
, je les ai remontées depuis le bord
de la mer , entre deux côtes, jufqu'au point
où le terrein , en s'élevant toujours entre
deux plaines qui le dominoient , alloit
quelquefois fe perdre infenfiblement dans
une belle & vafte campagne , plus élevée
(b)Second difcours , pages 126 , 181 , premier
Tome & preuves de la théorie de la Terre , Art.
9. pag. 25. & Art. 1 3. p . 222 .
JANVIER. 1761 . 149
que les côtes de la mer , qui en étoient
la continuation.
Depuis le rivage jufqu'à cette pointe ,
la vallée s'étend d'efpace en efpace, à droi
te & à gauche, en différentes branches qui
s'élévent comme elle , tantôt rapidement,
rantôt infenfiblement , fur la plaine
qu'elles coupent , & ces branches ont
encore des rameaux femblables qui s'éten →
dent en tous fens.Je pourrois comparer la
principale vallée à un grand fleuve , qui
reçoit de côté & d'autre des rivières groffies
elles -mêmes par divers ruiffeaux, qui
s'étendent fur la terre , comme autant de
branches ou de rameaux d'une tige principale.
Rarement la plaine élevée , qui doming
lés vallées , et égale & de niveau , comme
le terrein bas ; elle eft coupée par les
extrémités des vallons qui viennent s'y
perdre : quelquefois deux vallons , y réuniffant
des extrémités prèfque imperceptibles
, préfentent aux eaux une double
pente fi douce qu'elles coulent indifféremment
des deux côtés .
Je n'ai pas eu occafion d'examiner avec
le même foin ces montagnes efcarpées ,
qui reffemblent à des débris d'un monde
en ruine je ne parle point ici de ces montagnes
- là , qui doivent leur origine au
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
toifiéme jour de la Création. Vous avez
été , beaucoup plus que moi , dans le cas
d'en voir , foit en Auvergne , foit dans
les Alpes , & dans les autres Pays montagneux
, où vous avez voyagé ; vous me
feriez un très grand plaifir , Monfieur , de
me communiquer vos remarques & celles.
que vous ferez dans la fuite. Jufqu'à prélent
l'idée que je me fuis faite de ces montagnes
, ne me porte pas à recevoir les
principes de l'Hiftoire Naturelle , nià m'écarter
de ceux que je me fuis formés.
Les eaux ont creufé les vallées qui font
au pied de ces hautes montagnes , comme
les vallons qui féparent les collines :
une même caufe a produit des effets fem-,
blables: Mais pourra - t- on fe perfuader
que les courans de la mer aient creusé
des vallées féparées en tant de branches --
différentes ? Queile force a partagé &
varié ainfi l'action des eaux ? Quelle caufe
a rompu leur éffort aux extrémités.
éloignées , & l'a toujours augmenté vers
la mer où le fond des vallées eft conftamment
plus bas ( c ) ? La réponſe qui
fe préfente naturellement à cette derniere
queftion dans le fyftême de M. de B. c'eſt
que ces extrémités des vallées qui fe
perdent dans la plaine , ou qui s'élévent
(c ) M. de B. ne le dit point. Voyez les Art. 9.&.
I 3 .
JANVIER. 1761 . 151
entre les montagnes , font l'endroit ou
commençoit le mouvement , prèfqué infénfible
encore , des courans , ou bien le
point où ce même mouvement affoibli
venoit enfin expirer. Mais cette raifon
prouve contre le fyftême même ; car fi
les vallées étoient l'effet de ces courans ,
elles s'abaifferoient depuis une extrémité
jufques vers le milieu de leur étendue en
longueur , & de là elles s'éléveroient juf
qu'à l'autre extrémité ; ce qui eft démenti
par les obfervations : toutes les vallées
vont en deſcendant par plufieurs détours
depuis les points les plus élevés de la
Terre , ou d'une plaine jufqu'à la mer.
Pour moi , je ne vois là que l'effet de
l'écoulement des eaux , qui d'abord en
petite quantité n'ont produit qu'une action
foible , & qui fe réuniflant dans la
fuite de leur cours , ont caufé des effets
beaucoup plus grands . Mais je crois qu'il
faut remonter jufqu'au Déluge , pour en
trouver la véritable caufe: les eaux ayant
couvert le globe jufqu'à la hauteur des
15 coudées au - deffus des plus grandes
élévations , & détrempé jufqu'à une certaine
profondeur toutes les parties de fat
furface , qui n'avoient pas encore pris une
confiftance affez forte pour réfifter au
diffolvant , commencérent vers le 150
Giv
#52 MERCURE DE FRANCE.
jour à aller & venir , felon l'Écriture, c'eſtà-
dire , à fuivre un mouvement de reflux
en s'écoulant vers les cavités de l'océan &
de flux en remontant par la réaction
vers les hauteurs que les eaux n'avoient
pû diffoudre. Dans ce mouvement alternatif
les eaux rejettoient , vers les élévations
où elles alloient rompre leur éffort
, les terres détrempées dont elles
étoient chargées , avec les fables & les
coquilles qu'elles emportoient du fond &
des bords de la mer , & dépofoient ces
matières par couches plus ou moins épaiſſes
, felon qu'elles en étoient plus ou
moins chargées à chaque action du flux.
Ce flux & ce reflux n'étoient pas un fimple
mouvement périodique , femblable à
celui que la mer éprouve encore , mais
un mouvement violent d'action & de réaction
, caufé par un vent extraordinaire,
capable de changer la furface de la terre,
felon les deffeins de Dieu. Vous pouvez
voir , Monfieur , dans la 4 ° & la S lettre
à un Amériquain , une explication plus
ample de la diffolution des matières & de
la formation des lits de terre. Mon intention
n'eſt pas de répéter ici ce que
les autres ont écrit avant moi.
e e
Dans le mouvement du reflux , les eaux
couloient , tantôt régulierement , tantôt
JANVIER . 1766, ដ
irréguliérement fuivant la difpofition du
fond. Les eaux qui rencontroient des obftacles
à leur cours,devoient avoir un mouvement
fort irrégulier , & former des
hauteurs & creufer des vallées auffi irrégulières
les eaux qui couloient fur les
terres déposées par couches , fuivoient des
pentes infenfibles ; mais fi dans leur cours
elles trouvoient quelque partie du fond
qui s'étoit moins condenfée que les autres
, elles y faifoient des efpéces de courans
d'abord foibles , qui ne laiffoient que
des traces imperceptibles ; l'accélération
du mouvement , & la réunion des forces
combinées de plufieurs courans , rendoient
enfuite ces traces plus profondes , & creufoient
les vallées qui continuent jufques
fous les eaux de la mer.
LA
N'imaginez pas , Monfieur , des eaux
qui ne commencent à s'écouler que lorf
que les collines & les montagnes font
formées jufqu'à la hauteur qu'elles ont à
préfent. La trace que les eaux ont faite
fur les premieres couches , fe trouve
marquée fur les lits que le flux vient dépofer
pardeffus , parce que le dépôt fe
fait à - peu-près également partout ; les
mêmes courans doivent donc fe former à
chaque dépôt , ronger chaque lit , & le
rendre plus mince , à l'endroit où ils cou
G v
54 MERCURE DE FRANCE .
lent de forte que toutes les couches étant
moins épaiffes dans cet endroit , elles doivent
enfin y former un lit fenfiblement
plus bas , & cela à proportion que l'action
des eaux aura été plus grande . De là ,
il eft aifé de concevoir comment les lits
de terre qui compofent les montagnes &
les collines font en pente du côté des vallées.
Cependant le dernier écoulement:
des eaux a dû quelquefois caufer des ravages
; elles fe feront facilement ouvert des
détroits , à travers les dépôts qu'elles venoient
de former. Elles auront emporté
avec la même facilité les pentes des montagnes
entre lefquelles elles couloient ::
ainfi trouve- t-on les lits de pierre des riyages
& de quelques montagnes oppofées,.
horizontaux & correfpondans..
En général ces courans & ces écoule
mens des eaux , ont dû former les finuofités
des vallées & les angles correfpondans
des montagnes & des collines : il
n'a fallu pour cela que des obftacles pla
cés au hazard , qui ont rejetté les eaux
tantôt d'un côté , tantôt. de, l'autre , ou
des inégalités fur les couches . qui atti
roient le courant & le détournoient fré--
quemment dans fa courfe. J'ai cru en trou--
ver une autre caufe dans la combinaiſon:
du mouvement des eaux d'une vallée , avec
JANVIER. 1761 . 155
le mouvement des eaux d'un vallon qui y
aboutit ces mouvemens combinés changeoient
la direction du courant , & le portoient
d'un côté , jufqu'à ce que l'action du
courant d'un vallon inférieur rejettât l'éffort
des eaux fur l'autre côté. De-là l'inégalité
des pentes des côteaux & des montagnes
qui bordent les vallées : ces pentes
font toutes plus rapides & plus efcarpées.
du côté qui a éprouvé le plus grand éffort
des eaux.
C'eft ainfi que nous voyons fouvent
en ruine le pied des montagnes qui eft
baigné par un grand fleuve , pendant que
la pente qui eft à l'autre bord du fleuve ,
eft beaucoup plus douce . Les eaux portées
contre le pied de ces montagnes , le minent
peu- à - peu ; mais réfléchies par la réfiftance
qu'elles trouvent , elles vont rompre
de nouveaux éfforts quelquefois à une
diftance peu confidérable , contre les montagnes
du côté oppofé , qui les rejettent
auffi contre d'autres montagnes , qu'elles
fappent encore. Les fleuves tranquilles ,
n'ont fair que fuivre , dans le commencement
, le lit que leur avoient tracé les
eaux qui ont creufé les vallées : mais
peut- être auffi les fleuves rapides ont - ils
emporté dans leur courfe les obftacles que
la Nature fembloit leur oppofer , ainfi ils
Gvj,
156 MERCURE DE FRANCE.
font plus droits dans leur cours , parce
que leur courfe étoit plus rapide , ou bien
leur courſe eft plus rapide , parce que leur
cours étoit plus droit.
>
Ce font ces écoulemens des eaux qui
ont tant varié les rivages de la mer : toutes
les vallées aboutiffent là , ou plutôt
elles continuent fort loin fous les eaux
& y occafionnent ces courans de la mer
qui font l'effet plutôt que la caufe des
montagnes & des vallées. C'eft dans ces
vallées qu'on trouve les mouillages fûrs
& les bons havres , entre des côtes éle
vées ou des falaiſes coupées à plomb , au
pied defquelles il y a prefque toujours des
rochers , & des pierres dangereufes pour
les vaiffeaux . Au- deffus de ces pierres ou
de ces roches s'élevoient autrefois des
côtes qui n'étoient que la continuation
des falaifes ; mais l'agitation de la mer
détruit , ufe , ronge , diminue peu - à - peu
le terrein des côtes à la hauteur des eaux ;
ce qui eft au- deffus , n'étant plus foutenu,
tombe par grandes maffes , qui fe caffent
dans leur chûte , & dont la mer emporte
les débris çà & là . Le gallet ou ces cailloux
polis que l'on trouve en grande quantité
fur les bords de la mer font fortis de
ces débris : le roulement que les eaux leur
ont fait éprouver dans les marées & dans
JANVIER. 1761 . 157
les coups de vent , les a polis par le frortement
& arrondis comme nous les
voyons .
"
Il n'eft pas difficile d'expliquer la formation
de ces caillous dans les couches
de pierre & de terre où ils fe trouvent.
Les eaux ayant jetté ou dépofé , comme
je l'ai dit plus haut , une couche de matière,
ne pouvoient pas la difpofer fi parfaitement
, qu'il n'y reftât aucunes inégalités
; la couche qui étoit jettée par deffus,
ne rempliffoit pas toujours exactement
ces inégalités. D'ailleurs la compreffion
inégale des couches a dû former encore
entre elles bien des irrégularités , le defféchement
des matières y a laiffé bien des
fentes les parties de caillou , que
leur
pefanteur & les eaux contenues dans les
couches portoient en bas , ont dû le réunir
dans les endroits les moins exactement
remplis entre deux couches , & y
former des pierres auffi irrégulières dans
leur figure , que les efpaces dans lefquels
elles pouvoient s'étendre auffi en ai - je
obfervé de toutes les formes , les unes
rondes ou ovales , les autres inégales &
irrégulières , mais prèfque toujours arrondies
dans leurs contours ; d'autres plates
en deffus , mais pouffant en deffous des
parties qui s'allongent plus ou moins ,
18 MERCURE DE FRANCE.
felon qu'elles ont trouvé plus ou moins de
liberté pour s'étendre. Cette configuration:
dénote affez clairement l'action des eaux ;
c'eft ainfi que les ftéatites , formées par
les eaux goutières des caves , s'arrondiffent
dans le contour de toutes leurs .
parties.
Je n'ai pas remarqué dans ces couches:
les coquillages qu'elles contiennent , tous
dépofés régulierement dans le même fens ,
comme M. de B. femble vouloir l'infinuer;
(4) mais je les ai vus placés dans toutes
les fituations poffibles ; les uns font pofés
horizontalement fur le plat , les autres :
font renversés ; ceux- ci perpendiculairement
placés , la charniere indifféremment
en haut , en bas , ou de côté ; ceux-là fitués
obliquement de toutes les manières : ·
ici ils font entiers , & les bivalves ont les
deux coquilles tantôt féparées & tantôt
réunies , tantôt ouvertes & tantôt fermées
; là ils fe trouvent caffés & écrasés ,
mais les fragmens n'en font pas toujours!
féparés & écartés ; enfin toutes ces coquilles
m'ont paru plutôt jettées avec violence
par
des flots agités , que déposées dou
cement par des eaux tranquilles . J'ai fait
les mêmes obfervations dans les carrières
་་
( di) Second difcours , p. 134. & art. & p
395. & .451. du premier Tome..
JANVIER. 1761. 159
que j'ai vifitées , dans les pierres des édifices
que j'ai vus , dans les trous d'où l'on
tire le fable à bâtir , où j'ai deſcendu ;
dans une couche de coquillages placés fur
Le penchant d'une colline , que je revois.
tous les jours; enfin dans de la terre glaife ,
dans des cailloux & des grès , dans le marbre
, dans toute forte de pierre & de terre
où j'ai trouvé des coquilles.
Par toutes ces obfervations on pourroit
peut - être prou ver que les couches de
craie , de marne , de marbre , & de toutes
les pierres calcinable s ne font pas compo
fées uniqueme nt , comme le prétend M. de
B. (e ) de détrimens de coquille, & d'autres
productions marines mêlées avec des fragmens
de coquilles , ou avec des coquilles
entieres. (f) Et fi l'on trouve tant de con
formité entre les pierres calcinables & les
productions marines , c'eft peut-être parce
que les poiffons à coquilles vivans &
croiflans entre ces pierres , ils en tirent:
les fucs qui fervent à former leurs.coquil-
( e ) Art. 8. p. 399 : I t .
(f)Chofe d'ailleurs inconcevable; fi l'on fait
attention au peu de temps qui s'eft écoulé entre
la création de la Terre & la formation de ces
pierres dans quelque fyftême que ce foit , & à
Timmenfe quantité de ces pierres . Voyez Art. 17 .
P. 376. 2.5..
160 MERCURE DE FRANCE.
les , comme la teigne prend far l'étoffe
qu'elle ronge la matière de fon fourreau
d'une manière pourtant différente :
la teigne fait fa loge en réuniffant avec
une efpéce de colle , les poils du drap
qu'elle mange ; les poiffons à coquilles
s'incorporent des fucs & des parcelles
mêmes de la pierre fur laquelle ils vivent.
S'il y a une analogie néceffaire entre la
matiére de ces pierres , & celle des coquilles
, & que cette matiére faffe une
claffe à part , ainfi que notre Académicien .
paroît l'infinuer (g) , il a été néceffaire que
cette matière éxiftât avant les productions
marines , qui en ont été formées depuis ;
peut donc bien fe faire auffi , qu'il y ait
encore une très- grande quantité de certe
matiére , qui n'a jamais été coquille ou
production marine , & qui pourra le devenir
dans la fuite.
il
Mais je vois affez généralement , que
les coquillages prennent la qualité des
matières dans lesquelles ils fe trouvent
pétrifiés ; de la terre glaife dans les glaifes
, du grès dans les grès ou dans le fable
fin , de toute forte de pierre dans ces efpéces
de pierres . J'en ai vu une quantité
confidérable dansune terre glaife , où ils
(g ) Art. 7. p. 382. t. 1. & Art . 17. p. 384.1.2 .
JANVIER. 1761. 161
ne confervoient plus que leur forme , ils
reffembloient à des parcelles de cette ter
re qui avoient pris la figure de coquilles.
Dans des fables à bâtir , j'ai trouvé des
pierres d'un affez grand volume , compofées
de coquilles , de fable fin , & de gros
gravier , où l'on ne diftinguoit point d'au
tre matière que du grès ou du caillou . Les
jettées que j'ai vues à l'entrée du port de
Dieppe , font bâties d'une efpéce de pier
re , qui ne me fembloit différer du grès
ordinaire que par le grand nombre de
coquilles entaffées fans ordre , dont elle
eft compofée . Comme je réfléchiffois fur
F'origine & fur la compofition de cette
pierre , j'ai trouvé , fur les bords de la même
mer , des affemblages confus de fable
& de coquilles, que les eaux avoient jettés
pêle-mêle ; & je crus , après un mûr examen
, qu'il ne manquoit à ces fables que
la liaiſon & la folidité , pour en faire une
pierre femblable à celle de la jettée , en
fuppofant toujours que les coquilles priffent
la qualité du grès ou du fable , comme
elles l'ont prifes dans cette pierre . Sur
pente d'une colline , à Bolbec ( h ) , il y la
(h ) Petit Bourg du Pays de Caux , fur le ruiffeau
de même nom ; il eft remarquable par une
Imprimerie d'étoffes à fleurs de toutes couleurs.
162 MERCURE DE FRANCE.
a une couche de fable vert ( i ) mêlé de
gris , au- deffus de laquelle eft une autre
couche compofée d'une quantité prodigieufe
de coquillages , avec un peu de ce
même fable. J'ai remarqué que la partie
des coquilles qui n'eft point exposée à
l'air , eft beaucoup plus tendre que les autres
; & que le tas de coquillages & de fable
mêlés qui font exposés à la pluie , s'uniffent
fi étroitement par males & forment
une pierre fr bien liée , qu'il faut
des coups violens & redoublés , & des
outils bien trempés , pour la caffer. Cela
prouveroit, ce femble,contre M. de B. ( k )
que les pierres compofées de coquilles
marines , n'ont pas toutes été for
( i ). Ce fable a cela de fingulier , que tout ce
qui en approche, paroît prendre une légére teinte
de laque pardellus fa couleur propre ; j'ai obfervé
la même choſe fur deux autres collines où il y
a des couches de fable de la même couleur . J'a
vois d'abord imaginé , que ces effets n'avoient ,
d'autre principe que l'action des rayons verds fur
les yeux , laquelle pouvoit être fi forte , que de
tous les rayons
réfléchis par les autres objets , il
n'y avoit que les rayons rouges , comme les plus
forts , qui fillent impreffion fur l'organe mais
il pourroit bien le faire auffi qu'il fortiroit continuellement
de ces couches de fable des vapeurs
minérales ou métalliques a travers lefquelles tous
les objets paroîtroient rouges.
( k ) Art. 13. P. 208. t. 2.
JANVIER. 1761 . 163
mées au fond de la mer , & qu'il fuffic
pour faire des pierres , que les eaux charient
des fucs pierreux , & qu'elles les dépofent
dans les matières qu'elles pénétrent
ou qu'elles développent les parties de ces
matières , qui font propres à fe réunir &
à fe lier.
Ne pourroit-on pas auffi foupçonner
qu'un grand nombre de couches de pierre
, que l'on trouve vers la furface de la
terre , n'étoient d'abord que des lits de
différentes matières , plus ou moins déliées
, que les eaux ont pénétrées & réu
nies ? J'ai obfervé dans plufieurs carriè
res , des eaux qui filtroient à travers les
couches de terre. Les perfonnes qui ont
defcendu dans la cave de l'Obfervatoire
de Paris , fçavent qu'il y tombe de l'eau ;
que cette eau a paffé à travers plufieurs
lits de pierre , & qu'elle contient beaucoup
de fucs pierreux. Perfonne n'ignore
, dans la Capitale , que les eaux d'Arcueil
charient des parcelles de pierres
dont elles incruftent les canaux dans lefquels
elles coulent.
Mais je m'apperçois , Monfieur , que je
m'étends trop fur cet article ; je ne voulois
qu'éffleurer les fujets , pour vous don
ner une légére idée de ce que je médite :
je travaille à un ouvrage qui contiendra
164 MERCURE DE FRANCE.
des faits plus détaillés , & des preuves
plus complettes. Ma Lettre ne devoit pas
tenfermer une longue réfutation d'un fyl
ftême certainement faux , puifqu'il eft évidemment
contraire à l'Ecriture ( 1 ) . Falloit
- il fe donner tant de peines tant de
recherches , employer tant d'efprit , pour
s'efforcer d'établir des principes qu'on réfute
foi - même , en reconnoiffant fenlement,
comme a fait M. de B. l'autorité des
Livres faints Paffez- moi cette réflexion .
Cependant il paroît certain , par l'infpection
,, que les couches qui compofent
la furface du globe , ont ( m ) été formées
dans un temps, où les eaux couvroient toute
la terre : fuivant l'Ecriture , cela n'eft arrivé
que deux fois ; au temps de la création
& dans le déluge dans les premiers
jours de la création , il n'y avoit ni poiffons
ni plantes ; on n'en trouveroit point
dans les couches qui avoient été formées
alors ; il faut donc avoir recours au Déluge.
C'est en réfléchiffant fur fes effets ,
que j'avois foupçonné les principes que je
tâche d'établir aujourd'hui , & que depuis
( 2) L'Écriture nous repréſente la Terre formée
avant le Soleil, & M. de B. fuppofe le Soleil avant
la Terre . Art . 1. p . 194. & c . t. 1 .
( m ) Second difcours , p. 112. 117. & Art . 7.
P. 364. t . I. art. 9. p. 25. art. 1 3. p. 216. t. 2.
JANVIER. 1761 . 165
jai retrouvés peu différens dans les Lettres
à un Amériquain : j'ai cru ma découverte
heureufe , lorfque j'ai vu que j'avois penfé
à - peu- près , comme un homme d'efprit
qui a fi bien travaillé fur l'hiftoire naturelle.
Le peu de faits & de réfléxions que
contient ma Lettre , peut fervir à confirmer
le fyftême du changement de la furface
de la terre au temps du Déluge , ou
bien ces faits vous aideront , Monfieur ,
dans la recherche de quelque principe
meilleur que les miens . Vous ne pouvez
mieux employer vos momens de loifir ,
qu'en travaillant fur un fujet de fi grande
importance pour l'hiftoire naturelle , &
peut- être même pour la religion .
Je fuis , &c. NE VEU , Prêtre.
166 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
HORLOGERI E.
L'ART de conduire & de régler les Pendules
& les Montres , à l'ufage de ceux
匪
qui n'ont aucune connoiffance d'Horlogerie
; par M. FERDINAND BERTHOUD
, Horloger. A Paris , chez
l'Auteur, rue du Harlay , & Michel
Lambert , Libraire , à côté de la Comédie
Françoife.
DANS le premier volume du mois de
Juillet , nous nous contentâmes de donner
le titre de ce petit livre , que nous allons
aujourd'hui parcourir.
L'Auteur annonce, dans le Plan de l'ouvra
ge , le but qu'il s'eft propofé en le publiant,
c'eſt d'inftruire ceux qui n'ont aucune notion
des machines qui mefurent le temps ,
en leur en expliquant le Méchanifme
de donner une idée de la manière dont le
temps eft naturellement divifé;& comment
JANVIER. 1761. 16.7
on doit gouverner les Montres , &c. On
croit communément , dit - il ,
dit-il , que dès que
l'on a fait l'acquifition d'une Montre &
qu'on l'a une fois mife à l'heure , il ne s'agit
plus que de la remonter , devant dèslors
marcher avec une jufteffe conftante
fans qu'il foit befoin d'y toucher.
Il y a même des perfonnes qui prétendent
que ces Machines doivent aller comme
le Soleil ; d'autres enfin qui croyent
que leurs Montres s'étant rencontrées deux
fois avec le Méridien , elles vont en effet
comme le Soleil . Mais les uns & les autres
font bien éloignés de fentir l'impoffibilité
de ce qu'ils exigent , car pour peu qu'ils
connuffent cet objet , ils verroient 1 ° . que
les Montres ne peuvent aller conftament
juftes. 2 ° . Que le mouvement du Soleil eft
variable , puifque cet Aftre marche tantôt
d'un mouvement accéléré , & tantôt d'un
mouvement plus lent. 3 °. Qu'en fuppofant
qu'on parvint à faire aller les Montres
, auffi bien que la meilleure Pendule
à fecondes ( ce qui eft très impoffible ) elles
ne pourroient ni ne devroient fuivre les
écarts du Soleil .... J'ai donc cru qu'un ouvrage
où l'on expoferoit tout ce qu'il eft
néceffaire de fçavoir , pour conduire ces
Machines , feroit utile au Public. & c.
Ce petit livre eft divifé en 15 Articles .
168 MERCURE DE FRANCE.
Le premier traite de la divifion du tems ;
on y explique ce que c'eft que le tems vrai
& le tems moyen . Le tems vrai , eſt celui
qui eft mefuré par le Soleil : & le tems
moyen , par une bonne Pendule . La différence
que l'on remarque entre le midi
d'une bonne Pendule & celui du Soleil ,
eft ce que l'on appelle équation du tems.
Art. II. Contient l'explication du méchanifme
d'une Pendule , comment elle mefure
le tems. On a éffayé de mettre cette
matière à la portée des perfonnes les moins
inftruites dans les méchaniques , & nous
croyons , qu'à l'aide des figures , on pourra
fe former une idée de ces machines.
Art.III. Explication du méchaniſme d'une
Montre. Art. IV . Des caufes de la jufteffe
des Pendules , du tems qu'elles mefurent ,
du degré de jufteffe qu'on en peut efpérer.
Art. V. Des cauſes de variation des Montres
, du degré de jufteffe qu'on peut attendre
de ces machines. Art. VI. Différence
d'une Montre qui n'eft pas réglée ,
de celle qui varie ; en quoi l'une & l'autre
différent de celle qui eft réglée. Article
VII. Comment on peut vérifier la jufteffe
d'une Montre. Art. VIII . Il eft néceffaire
que chaque perfonne conduiſe fa
Montre , la régle & la remette à l'heure
tous les huit ou dix jours . Art. IX . Uſage
du
JANVIER. 1761. 169
du fpiral ; comment il faut toucher à l'aiguille
de rofette d'une Montre , pour la
régler. Art. X. De la manière de régler
les Pendules. Art . XI . Comment il faut
régler les Pendules & les Montres , par le
paffage du Soleil au Méridien ; ufage de
la Table d'équation placée à la fin du livre
. Art . XII . Manière de tracer des lignes
méridiennes, propres à régler les Pendoles
& les Montres. Art , XIII . Des précautions
à mettre en ufage pour acquérir
de bonnes Montres & Pendules . Article
XIV . Des moyens de conferver les
Montres . Art. XV. Contient le précis des
régles qu'il faut fuivre pour conduire &
régier les Pendules & les Montres ; les
obfervations qu'il eft à propos de faire ,
pour jouir avantageufement de ces machines
utiles . Cet Article eft deftiné aux
perfonnes qui voudront fe difpenfer de
lire le refte de l'ouvrage , qui eft de 80
pages , petit in - douze.
Ce petit livre , très - bien imprimé , eſt
enrichi de quatre Planches , qui repréfentent
toutes les parties d'une Pendule &
d'une Montre , & les inftrumens propres
à tracer une ligne méridienne.
Nous croyons que cet ouvrage fera utile
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
au Public , & par fon objet & par la manière
dont il eft traité.
Le Sieur STOLLE WERK , horloger ,
Place Dauphine , vis-à-vis le Cheval de
Bronze , vient de finir un ouvrage unique
dans fon Art : c'est une fphère célefte dans
laquelle toutes les Planettes font leurs
révolutions fuivant lefyftême de Copernic
par le méchanifme le plus fimple ; cette
Pièce eft furmontée d'une Pendule à équations
, & mérite toute l'attention des connoiffeurs,
dont le jugement ne peut qu'être
favorable à l'Artifte déja connu par fon:
talent pour les carillons dont plufieurs:
Horlogers ont vainement tenté l'exécu-,
tion . Il feroit à defirer , pour le bien des
Arts , que tous ceux qui les cultivent puffent
joindre , comme le fieur Stollewerk, la
théorie parfaite à une pratique qui ne laiſſe
rien à defirer , & que la main fût toujours
guidée par le raiſonnement ,
E
JANVIER. 1761. 171
MECHANIQUES ,
MACHINE qui fait avec facilité , promptitude
, & dans la plus grande perfection
, les lavures des cendres chargées
de matières d'or & d'argent , extrêmement
utile à tous ceux qui travaillent
ces matières , comme Orphévres , Bijoutiers
, Affineurs , Tireurs , & Batteurs
d'or, Doreurs , Monteurs de Boëtes
Graveurs , &c.
Les fieurs FAVRE & CASSIN , viennent
ES
de conftruire une Machine , au moyen
de laquelle ils font les lavures des cendres
ou terres chargées de matières d'or
& d'argent , beaucoup mieux , en moins
de temps , & à meilleur compte que par
les moulins à bras dont on s'eft fervi jufqu'à
préfent ; où un homme n'en pouvant
tourner que deux , a befoin de quelqu'un
pour le fervir , fans quoi les moulins
ceffent de tourner , & les cendres pendant
cet intervalle fe taffent & enterrent
les matières , ce qui devient trèsnuifible
au fuccès de l'opération .
Par cette nouvelle Machine un Cheval
fait tourner quarante- huit moulins , &
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
celui qui les fert n'a befoin d'arrêter que
le feul où il a affaire , fans que pour cela
les autres ceffent d'aller. Elle fait auffi
mouvoir une batterie de pilons pour pulvérifer
les creuſets .
Dans les moulins à bras il faut beaucoup
d'habitude pour les tourner lentement
& régulièrement , ce qui eft d'une
grande conféquence , parce que l'eau
etant agitée violemment & irréguliérement
, les particules métalliques furnagent
& ne peuvent fe précipiter au fond
des baffines , ni par conféquent s'amalga
mer avec le mercure ; cette méchanique
au contraire eft telle qu'on fait tourner
les moulins auffi lentement & auffi ré-
Tuliérement qu'on le puiffe defirer.
4
Dans les moulins à bras , les croisées
de fer qui triturent le mercure ne peuvent
pefer que vingt - cinq livres , fans
quoi un homme n'en pourroit tourner
deux ; au lliieeuu que celles de cette machine
en peſent foixante ; ce qui fait qu'en fix
heures on opére mieux qu'on ne peut le
faire en dix par les moulins à bras. Il y
a d'ailleurs un nouveau moyen pour
maintenir la cendre en mouvement , afin
qu'elle ne tafle point & ne faffe pas
corps , comme il arrive aux moulins ordinaires
; ce moyen confifte en un cône
JANVIER. 1961 . 173
de fer qui roule continuellement entre
les croifées , & qui remue le mercure &
les cendres , de forte qu'aucune parcelle
de matière , quelque petite qu'elle puiffe
étre , n'échappe , & que l'amalgame ſe
fait beaucoup plus exactement.
L'on peut faire avec cette machine en
une femaine ce que l'on auroit bien de
la peine à faire en deux mois avec les
moulins à bras , la plupart , des Particu
liers n'ayant pas de place pour plus de
deux ou de quatre moulins , par les fuites
que cela entraîne .
Les moulins de cette machine font tous
de fer & pofés très - folidement , ce qui les
met à l'abri de tous dangers du transport ,
ils ont auffi plus de diamètre & plus de
furface que les autres , & par conséquent
beaucoup plus d'effet dans la trituration.
Au- deffus des moulins font des réfervoirs
d'eau qui s'empliffent par le moyen
d'une pompe & qui fe diftribuent par des
robinets dans tous les moulins ; ils fourniffent
de l'eau abondamment pour nettoyer
, laver & dégraiffer les cendres , cet
qui eft abfolument néceffaire pour bien
faire les lavures.
Les quarante - huit moulins font divifés
en fix chambres , dont deux à douze &
quatre à fix , ce qui eft commode les
pour
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
Particuliers , qui , fuivant la quantité de
cendres qu'ils ont , peuvent prendre les
chambre à douze ou à fix , de forte qu'ils
font feuls ; toutes leurs cendres font renfermées
, ils en ont la clef, & perfonne
n'entre qu'eux & les gens néceffaires pour
les fervir; ils peuvent de plus apporter un
cadenat qui fe mettra à la porte pour leur
procurer plus de fûreté , ils n'ont befoin
d'entrer dans leur chambre que de quatre
en quatre heures , pour charger les moulins
qui ne vont pas moins bien en leur
abfence.
Le Gouvernement qui s'occupe de tout
ce qui peut concourir au bien public ,
& à la confervation des matières d'or &
d'argent , a reconnu l'utilité de cette
nouvelle méchanique ; en conféquence il
a accordé aux fieurs Favre & Coffin , un
Privilége & des Letttes Patentes qui les
autorifent ; & MM. les Orphévres , qui
en ont fenti l'avantage , fe plaiſent à
encourager cet établiffement, en y apportant
journellement leurs lavures.
Pour la commodité du Public , les fieurs
Favre & Coffin ont une voiture , & des
coffres fermans à clef , pour aller prendre
les lavures chez ceux qui veulent bien les
faire avertir.
On invite tous ceux qui font dans le
JANVIER . 1761 . 175
cas de faire uſage de cette machine à la
venir voir ; on fe fera un plaifir de répon
dre à toutes les queftions , & obfervations
qu'ils pourront faire.
Cette Machine eft fife à Paris , Quai
d'Orſai , au coin de la rue de Belle - chaffe,
vis-à- vis le Corps- de- Garde qui eft fur le
bord de la rivière ; il y a toujours du
monde , & pour plus grande commodité,
ceux qui voudront s'en fervir peuvent
s'adreffer au fieur Pafteur , Maître Horloger
Monteur de boëtes de montres , rue
S. Louis près le Palais , ou au fieur de
Monchanin , Graveur , rue S. Julien le
Pauvre , près la Fontaine S. Severin , la
premiere porte cochere à gauche , tous
les deux Directeurs de ladite Machine , &
Affociés des fieurs Favre & Caffin . On
prendra , par chaque Moulin , 30 fols par
jour.
NOTE.
Il ne manquoit qu'un mot à la lettre
inférée dans le premier Mercure de Janvier
de cette année , au fujet de la nouvelle
Grille de S. Roch.
Cette lettre contient un tribut d'éloges
qui eft bien dû à cet Ouvrage ; mais il
importe au Public de fçavoir à qui il le
doit ; c'eſt au fieur DORÉ , Me Serrurier ,
rue l'Evêque , Butte S. Roch.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE .
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
L'Art de la Flûte traverfiere ; par
M. DELUSSE. Prix , .7 liv . 4f
aux adreffes ordinaires de Mufique.
L'AUTE 'AUTEUR a eu pour but , dans cer
Quvrage , de tirer des ténébres les prin
eipes théorique & pratique de la Flûre
& de les expofer au grand jour avec toute
la précifion & la clarté dont ils font fuf
ceptibles. Par là , ce principe devient à
la portée même de ceux qui n'ont aucune
connoiffance de la Mufique. M. Deluffe
dans fon Difcours préliminaire , enfeigne
à bien placer les mains fur la Flûte , donne
la vraie façon de l'emboucher , & démontre
enfuite les divers tacs ou coups de
langue , leurs différentes propriétés , la
manière de les articuler , les pofitions des.
doigts , pour former tous les tons des gam
mes naturelle , diezée & bémolizée , leurs
tremblemens , dits cadences . Ces démonftrations
font faites plus nettement qu'el
les ne l'ont encore été . Il entre fçavamment
dans le détail inftructif des agrémens
, dans celui de leur genre & du caJANVIER.
1761. 177
ractère d'expreffion auquel ils font propres.
Il établit un principe très - important,
pour la confervation des poulmons , en
parlant de la fixation des phrafes muficales
, du lieu & des momens confacrés à
la refpiration.
Après une tablature des fons harmoniques
, fuivent plufieurs leçons en forme
de petites Sonates avec la Baffe , mais proportionnées
aux forces des commençans.
Cet ouvrage eft terminé par douze Caprices
ou Cadences finales , propres à l'exercice
de l'embouchure & des.doigts , &
qu'on peut inférer à la fin des Concerto.
On ne fçauroit qu'applaudir à cette
'nouvelle méthode : elle jette de la lu
mière fur un art agréable , & foulage les
Maîtres , en les difpenfant de la rebutante
obligation d'écrire eux - mêmes des principes
mais fon plus grand mérite eft de
conduire leurs Eléves a des fuccès auffi
certains que rapides.
:
Le même Auteur vient de faire une
nouvelle édition de fes Duo pour la Flûte
traverfiere , que l'on trouvera aux mêmes
adreffes. Cette entreprise prouve autant
la fatisfaction du Public , à cet égard ,
que l'éloge de l'ouvrage.
LE ROSSIGNOL & LA FAUVETTE,
feconde Cantatille pour le Jeffus , avec
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
Symphonie ; dédiée à Mlle Godefroid ,
par M. Lejay , Maître de Mufique. Se
vend , à Paris chez l'Auteur , rue Guénéguaud
& aux adreffes ordinaires ; & à
Rouen chez M. Laigle , rue des Carmes.
L'AMOUR JUSTIFIÉ , Concert . Premier
divertiffement à deux voix ; pour un
Deffus & une Haute- Contre , avec Symphonie
; par M. Lefebvre , Organiſte de
l'Eglife Royale de S. Louis en l'lfle , des
Blancs - Manteaux , &c . Prix 6 liv . A Paris
, chez l'Auteur , dans la maiſon de
M. Mufnier de Bouville , Auditeur des
Comptes , rue & Ifle S. Louis , & aux
adrefes ordinaires. Avec privilége du Roi ,
approbation & permiſſion.
SIX SYMPHONIES à quatre parties
obligées , avec Hautbois ou Flûtes , &
Cors de Chaffe , compofées de différens
Auteurs Les It . II . & III . par M. Stamitz
; la IV. par M. Beck ; la V. par
M. Waganfail ; la VI . par M. Richter ;
miſes au jour par M. Huberti . OEuvre V.
Prix livres ; on vend les Parties des
Cors de Chaffe féparément. A Paris ,
chez l'Editeur , rue S. Honoré au coin
de la rue du Chantre , & aux adreffes ordinaires
; avec privilége du Roi.
9
JANVIER. 1761 . 179
AVIS relatif à la Peinture & à la
O
Sculpture.
Na oublié de donner les noms des
Eléves qui ont gagné les Prix de Peinture
& Sculpture , de l'année paſſée.
Le fieur Julien, a gagné le premier Prix
de Peinture .
Le fieur Monot , le premier Prix de
Sculpture .
Le fieur la Grainée , le fecond Prix de
Peinture.
Et le fieur Paulet , le fecond Prix de
Sculpture.
GRAVURE.
LA BAIGNEUSE SURPRISE, gravée par
M. J. Daullé , d'après M. Boucher , &
dédiée à Madame la Marquife de POMPADOUR
, Dame du Palais de la Reine.
CETTE ESTAMPE eft digne de la réputation
que M. Daullé s'eft acquife par la
beauté de fon Burin. La fraîcheur des tons
de couleur du Peintre rempli de grâces
H vj
130 MERCURE DE FRANCE.
qu'il a imitée , fe trouve très- bien rendue
par la pureté du travail . On y remarque
dans quelques parties cette forte de beauté
, peut - être trop abandonnée dans notre
fiécle , qui diftinguoit les Sadeler & les
Blocmart ; je veux dire , cette franchiſe
de Burin & cette économie qui n'admet
point de feconde hâchure où une feule
peut fuffire , & qui n'employe de points
que ceux qui font abſolument néceſſaires
pour terminer la taille avec douceur . Il
eft vrai qu'alors il faut que cette taille ait
la netteté & la couleur brillante , fraîche
& variée qui doit rendre les diverſes tein
tes. C'est ce que l'on voit avec plaifir
dans cet agréable morceau.
Cette Eftampe fe vend chez l'Auteur ,
Graveur du Roi , Quai des Auguftins , ta
première Porte cochère à gauche , à côté
de la rue Gît- le Coeur.
METHODE pour déflécher les Fleurs , &
les conferver dans leur forme naturelle .
DANS le Journal Economique du mois
de Décembre 1755 , on rapporte une ex
périence faite à Bologne, en l'année 1745 ,
par M. Jofeph Monti. Cette expérience
JANVIER . 1761 .
181
confifte à déflécher parfaitement des fleurs
en confervant à toutes leurs parties le
même éclat & la même forme qu'elles
avoient avant d'être défféchées .
Au mois d'Août 1760 , le Frere Paul,
de l'Ordre des Mathurins , eft venu de
Marſeille à Paris il y a fait voir des
fleurs qu'il avoit défféchées ; mais il n'a
pas communiqué fon procédé. Quelques
perfonnes ont tenté de l'imiter ; elles y
ont réuffi , mais elles gardent le fecret fur
les moyens qu'elles employent. Comme
il eft honnête de communiquer à la fociété
les découvertes utiles , nous allons
expofer ici la méthode de déflécher les
fleurs naturelles en leur confervant leur
forme & leur couleur.
M. Monti fe fert d'un fable de tivière
blanc. It le paffe plufieurs fois au tamis
pour n'en avoir que le plus fin : enfuite it
le lave foigneufement pour en enlever
toutes les parties terreufes , après quoi il
le fait entierement déffécher avant de s'en
fervir.
Pour nous , nous employons le fablon
le plus blanc , & nous le lavons avec foin
jufqu'à ce que l'eau refte très- claire . Nous
le faifons fécher , & lorfqu'il eft bien fec ,
il est en état d'être employé . Le fable
blanc & fin des bords de la mer peut
182 MERCURE DE FRANCE.
être employé après avoir été bien lavé
pour le déffaler & lui enlever toutes les
parties terreufes qu'il pourroit contenir.
Lorfqu'on veut déflécher des fleurs , il
faut prendre du fablon bien lavé & bien
féché : on en emplira un bocal de verre ,
un pot de fayance ou une terrine , fuivant
que la quantité des fleurs à déffécher fera
plus ou moins grande : on enfoncera la
tige dans le fable , ayant foin d'arranger
les petites branches collatérales & les
feuilles dans leur pofition naturelle. En
fuite avec un poudrier ou un tamis on
recouvrira le plus doucement & le plus
également que faire fe pourra la fleur
avec du fablon jufqu'à ce qu'elle en foit
entierement couverte , ayant foin de faire
entrer du fablon entre les pétales de
la fleur. Il faut que la fleur ne foit recouverte
au plus que d'une ligne d'épaiffeur
de fable. Cette premiere opération
étant finie , on expofera le vaſe qui contient
la fleur au Soleil fi c'eft en été , ou
on le mettra dans une étuve ou dans un
poële fi l'on eft en hyver. Il eft furtout
néceffaire d'obſerver de n'employer qu'une
chaleur douce : fi elle étoit trop vive ,
le fable qui eft un corps denfe , s'échaufferoit
affez pour riffoler & altérer la fleur.
Cette obfervation devient importante.
JANVIER . 1761 : 183
pour les Pays très - chauds tels que l'Afrique
, plufieurs Cantons de l'Afie & de
l'Amérique. Dans ces climats il eft probable
qu'il ne fera pas néceffaire d'expofer
au Soleil les plantes qu'on voudra déffécher
, & que la chaleur de l'air fuffira
feule pour donner au fable le degré de
chaleur néceffaire à l'évaporation de l'humidité
naturelle aux plantes & pour
produire une défficcation parfaite. Ce fera
à l'expérience à déterminer quelles feront
les plantes qui auroient beſoin d'une
plus grande chaleur.
,
Le temps le plus favorable à la défficcation
, eft celui où l'air eft en même
temps chaud , fec & agité. Il y a longtemps
que M. Rouelle enfeigne dans fon
cours de Pharmacie , que pour bien déffécher
les plantes que l'on veut conferver
pour la faifon où l'on ne peut s'en
procurer de fraîches , il faut en hâter la
défficcation en les expofant au Soleil &
à un courant d'air rapide. Tout le monde
a pû obferver que le foin rapidement
défféché conferve une belle couleur verte
& qu'il a une faveur qui le fait préférer
par les animaux qui s'en nourriffent , à
celui dont la défficcation a été lente.
Lorſque les fleurs font bien féches , on
les nettoye du fable qu'elles contiennent
184 MERCURE DE FRANCE.
en les renverfant , les fecouant légére
ment , & en les broffant avec les barbes
d'une plume , ou avec un pinceau. Cette
opération eft d'autant plus facile , que le
fable ne peut contracter d'adhérence avec
les pétales de la fleur.
Il y a des fleurs dont la défficcation altére
l'éclat des couleurs , il eft des moyens
de la ranimer , nous allons les indiquer.
La couleur jaune eft celle qui fe conferve
mieux , quelques violets & quelques
rouges confervent affez bien leur vivacité,
La couleur des roſes eſt ſujette à s'altérer .
Pour lui rendre fon éclat , il faut expofer
les roſes à la vapeur du foufre enflammé ;
cependant en ufant de précautions , car
l'acide fulfureux volatil qui avive la cou
leur dans cette opération , la détruiroit
sil agiffoit en trop grande quantité &
trop longtemps : on employera le même
moyen pour tous les rouges tendres.
Les rouges vifs tels que le Ponceau , le
Cramoifi & c. fe ranimeront en les expofant
à la vapeur d'une diffolution d'étain
dans l'efprit de nitre femblable à celle
que les Teinturiers employent pour aviver
l'écarlate. Pour faire cette diffolution,
on mettra dans un verre une pincée de
limaille d'étain , on verfera deffus la valeur
d'une cuillerée d'efprit de nitre qu'on
JANVIER. 1761. 185
ap pelle communément eau forte : auffirôt
après l'acide attaquera l'étain , & if
s'élévera une vapeur à laquelle il fuffit
d'expofer les fleurs rouges pour leur rendre
toute leur vivacité.
Pour ranimer la couleur verre des tiges
& des feuilles , on fera une diffolution
de limaille de fer dans l'acide vitriolique
, communément appellé huile de
vitriol , & on expofera les tiges & les
feuilles à la vapeur qui s'élévera de ce
mêlange.
Loriqu'on voudra expofer des fleurs à
la vapeur du foufre , il faudra fe munit
d'une petite terrine , femblable à celle
qu'on emploie dans les Illuminations , &
qui n'en différera que parce qu'elle fera
remplie de foufre fondu au lieu de fuif.
Lorfqu'on voudra s'en fervir , on allumera
la méche , & on expofera avec précaution
à la vapeur, qui s'en élévera , les fleurs qui
ont befoin de l'acide fulfureux volatil pour
être avivées. Il faut faire cette opération:
en plein air , pour n'être point incommodé
de la vapeur du foufre, qui avive auffi trèsbien
plufieurs bleus & plufieurs violets.
Les fleurs qui nous ont réuffi le mieux
jufqu'à préfent , font les femi- doubles ,
pourvu qu'elles ne foient point trop ferrées.
Nous n'avons pû parvenir encore à déffé
186 MERCURE DE FRANCE.
cher les renoncules doubles couleur de
feu , telles que l'efpéce appellée pivoine .
La défficcation & la confervation de l'anémone
eft parfaite . Les pieds d'alouette ',
les géroflées , les violettes , les pensées ,
les fleurs de toutes les efpéces de mauve ,
les narciffes & les jonquilles réuffiffent
auffi très-bien .
On défféche l'oeillet un peu plus difficilement.
Ceux qui font en poffeffion de
ce fecret ont été obligés jufqu'ici de démonter
ces fleurs pétale a pétale. Mais
nous leur enfeignerons deux moyens de
s'exempter de cette peine.
Le premier fera de fendre le calice jufqu'au
petit collet qui l'environne à fon
fond en deux endroits oppofés . On écartera
les deux moitiés du calice , & par ce
moyen la partie inférieure des pétales
étant moins refferrée , elle fe défféchera
avec facilité. On rapprochera enfuite les
deux parties du calice , & on les affujettira
avec un peu de gomme ou de vernis.
L'autre moyen confifte à percer tranfverfalement
avec une épingle le calice en
plufieurs endroits , & furtout vers fon
fonds.
Comme la défficeation fait perdre aux
fleurs leur odeur agréable en tout ou en
partie , nous allons enfeigner le moyen
JANVIER. 1761 .
187
de la rendre à quelques efpéces : par
exemple , fi l'on veut parfumer un oeillet
après la défficcation , il faudra avant de
rejoindre les deux parties du calice , humecer
la partie inférieure des pétales
avec de l'effence de gérofle , & rapprocher
enfuite les deux parties du calice.
Si c'eft une rofe que l'on veuille parfumer,
on hume&tera le centre de cette fleur
avec une ou deux goutes d'huile effentielle
de bois de rofes . On pourra facilement
trouver des parfums analogues à l'odeur
de chaque fleur,
Ceux qui travailleront d'après cette
inftruction , font priés de communiquer
leurs obfervations au Public par la voie
du Mercure. Il faut eſpérer que la méthode
fe perfectionnera & procurera aux
Curieux des fleurs des pays étrangers &
furtout des climats chauds qu'on ne peut
pofféder qu'avec peine , même par le
moyen des ferres chaudes .
Les herbiers en feront plus parfaits ,
puifque l'on confervera aux fleurs leur
forme , qui eft très-altérée par la méthode
actuelle de déffécher les plantes entre des
feuilles de papier.
188 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V.
SPECTACLES.
MILE
+
OPERA.
LLE DUBOrs a chanté fucceffivement
les rôles de Canente & de Circé
en place des Dlles Arnoud & Chevalier
elle a réuffi , dans celui de Circé.
1
Mlle Saint - Hilaire a chanté Vendredi
& Dimanche dernier le rôle de Canente
dont elle s'eft affez bien tirée.
Depuis le départ du fieur Veftris , le
feur Gardel a danfé à fa place dans le 4 .
Acte de Canente , & a été fort applaudi ,
ainfi que la Dlle Carville , qui a remplacée
la Dlle Veftris , dans le même Acte.
On a donné Dimanche , la derniere repréfentation
de Canente ; on continue les
Fragmens , où le fieur Jolly a toujours
fait beaucoup de plaifir ; & Vendredi 16 ,
on remettra Dardanus › en attendant
Jephté.
JANVIER. 1961. 189
COMEDIE FRANÇOISE.
Les Comédiens François continuent
LES
les Repréſentations des Maurs du Tems
avec le plus grand fuccès . Les applaudiffemens
que reçoit cet ouvrage , font dûs à
tous égards.Cette Comédie qui eft du meilleur
ton , pleine d'efprit & de fituations.
agréables , prouve que l'Auteur connoît
la bonne compagnie , & qu'il a bien vu
les hommes de fon tems . Ils fe préparent
à donner le Pere de Famille , Comédie en
Profe , & imprimée , de M. Diderot .
SUITE de l'Extrait de CALISTE ,
Tragédie de M. COLARDEAU.
Ade I. Scène III. de la Piéce Angloife,
LOTHARIO.
7
TELLE Califte parut à mes yeux : la
rage , le défefpoir lui ôtérent d'abord
la faculté de s'exprimer ; mais quand
la fureur lui eut fait retrouver la voix ,
elle m'accabla des reproches les plus
vifs ; les titres de monftre , d'infâme ,
de traître exprimérent toute l'amertu190
MERCURE DE FRANCE.
me de fon âme , & avec des impréca
tions fur elle - même , elle m'ordonna
de ne jamais la revoir , & de fortir à
l'inftant , & c.
La Califte Françoife , au même Acte .
Après l'ordre éternel de fuir loin de ſes
Les imprécations chargérent fes adieux ;
yeux ,
Tout ce qu'un grand courroux peut répandre
d'injures ,
Tout ce que l'on peut dire à des Amans parjures
;
Les reproches , les cris , les larmes , les refus ;
Regrets d'avoir aimé , fermens de n'aimer plus ,
Califte employa tout ; & fes douleurs funeftes
Dévouérent ma tête aux vengeances céleſtes.
Acte 11. Califte Angloife.
Je voudrois être dans quelque antre
lugubre couvert de vieux arbres mouffus
, dont le creux fervit de retraite aux
corbeaux & aux oiſeaux de mauvais
augure , où l'on n'entendît autre bruit
que celui de quelque oifeau ferpentant
triftement autour des herbes fauvages ,
que jamais figure humaine n'eût marché
dans ce lieu , àmoins que ce ne fût le
fquelette de quelque malheureux perdu
d'amour ainfi que moi , qui par déſefpoir
eût choisi cet affreux féjour pour
y mourir.
JANVIER. 1761 . 191
Acte II. Califte Franç . 2e Scène II.
Où fuir , & dans quels lieux cacher mon infortune
?
Que' ne puis- je , Lucile , au bout de l'Univers ,
Habiter des rochers , des antres des déferts ;
Là , de mon lâche Amant , expier les outrages ,
N'entendre , autour de moi , que le bruit des
orages ,
Ne voir à la clarté d'un Ciel chargé de feux ,
Que des monftres fanglans , que des ſpectres
hideux ,
i
Des mânes ,des tombeaux , ou quelque infortunée ,
Aux larmes , comme moi , par l'Amour condamnée.
Acte III, Scène II. Califte Angloiſe , feule.
-
Sommes - nous nées être toupour
jours efclaves des hommes dès le printemps
de nos beaux jours un père enchaîne
notre volonté , il régle nos plaifirs
il
en
difpofe
même
en
formant
nos
liens
fans
nous
confulter
, &
nous
paffons
fous
les
loix
de
Tyrans
plus
impérieux
encore
; victimes
dévouées
à
tous
leurs
caprices
, jaloux
, ils
nous
enferment
; débauchés
, ils
nous
maltraitent
.
192 MERCURE DE FRANCE.
Acte III. Scène II. Califte Françoife ,feule.
D'un fexe Imperieux , Efclaves que nous fommes
,
Dépendrons - nous toujours du caprice des hommes
?
Dans eux les noms facrés, & de père , & d'époux ,
Nous cachent des Tyrans ou des Maîtres jaloux.
Heureufes cependant , lorſque notreimprudence
Des titres de l'amour n'accroît point leur puilfance
:
Ces fiers Adorateurs , ces fuperbes Mortels ,
Sous le faux nom d'Amant font encore plus
cruels.-
Acte V. Scène I.
CALISTE Angloife , feule.
Oh que ces fons lugubres , cette
pompe d'horreur font bien propres à
nourrir la trifteffe dans une âme ! que
ce lieu convient bien à mon état la
foible lueur de cette lampe me prépare
à bientôt perdre la lumière.....
Méme Alte , méme Scène.
CALISTE Françoife.
Ces terribles objets dont mes fens font frappés ,
Des voiles de la mort ces murs enveloppés ....
Ce lugubre flambeau , dont le jour pâle &
fombre ,
Luit
JANVIER 1761: 193
Luit à peine & s'éteint dans l'épaiffeur de l'ombre,
Ce finiftre appareil , le filence , la nuit ,
Tout convient aux forfaits dont l'horreur me
pourſuit.
Même Scène , dans l'Anglois.
Eft -ce - là cet aimable , ce fier & trop
perfide Lothario ? Hélas ! cher Amant ,
ces yeux où brillèrent tant de feux font
fermés pour jamais ; ce fang qui fervoit
à animer cette figure charmante , eft
glacé dans fes veines . Quelle pâleur affreufe
ô vous , Phantômes ! formes
phantaftiques de la nuit , prenez vos
figures les plus éffrayantes , & tentez ,
fi vous l'ofez , de vous comparer à cet
objet d'horreur .
'Même Scène , dans la Califte Françoise:
Phantômes de la nuit , redoutables ténèbres ,
O fpectres ! qui traînez vos dépouilles funèbres ;
Des enfers avec vous dût fortir la terreur ,
Jamais de cet objet vous n'atteindrez l'horreur.
Voyez-vous , fur ce front où fe peignoit l'audace ,
Cette pâleur livide , & ce froid qui le glace ?
Eft- ce là ce Mortel , dont le fatal Amour
Me coûte l'innocence , & la gloire , & le jour ?
II. Vol, I
194 MERCURE DE FRANCE.
·
Même Ade , Scène II. Califte Angloife .
CALISTE.
Qu'entens - je ? c'eft Sciolto ... allons ';
mon âme , fois digne du nom que tu
portes ; montre - lui qu'il refte encore
du courage dans le coeur de l'infortunée
Califte.
•
SCIOLTO.
Tu fus jadis ma fille ..... ( Il prend
Jon poignard. ) Vois- tu cette main tremblante
trois fois j'ai voulu me fairejuſtice
, & trois fois le bras de ton père
s'y eft refufé ; mais la vertu doit prévaloir
il faut .... Mais , non .... Tiens ,
prends ceci. ( Il lui donne le poignard . )
Si tu m'entends , fais ton devoir.
CALIST E.
1
ཚ
Je vous entends ; c'eft ainfi que nous
ferons tous deux fatisfaits. ( Elle veut
fe percer : fon père lui retient le bras. )
SCIOLT O.
core un moment
Arrête accorde moi , du moins , en-
Tu t'es founiife.
à la févérité de ton juge ; ton père &
la nature demandent leur tour. J'ai teJANVIER.
1761. 195
nu la balance avec un bras de fer ; j'ai
étouffé tout fentiment de tendreffe &
d'humanité , pour condamner ma fille :
mais épargne à mes yeux ce fpectacle
inhumain ; il en coûteroit trop à mon
ooeur....je ne pourrois le foutenir.
Même Acte , Scène II.
CALISTE , Françoife .
Relevons à , fes yeux , mon courage abattu.
Qu'il reconnoiffe en moi l'éclat de la Famille ;
Soyons digne de lui.
SCIOLTO .
Tu fus jadis ma Fille ! ...
Les traits du repentir . ta jeuneſſe , tes charmes ,
Hélas ! tout m'attendrit ! .....
Hé bien je vais .... Mais non : tiens ; prends.... fais
ton devoir.
CALIST E.
Ah ! j'y confens.
SCIOL TO.
Arrête; ô nature ! ô tendreffe !
Oma chère Califle ! épargne ma foibleffe.
Hélas ! je me croyois un coeur plus inhumain.
J'aitenu la balance , avec un bras d'airain .
Vengeur de mon Pays , vengeur de ma famille,
En Juge indifférent j'ai condamné ma fille.
Ma farouche vertu fe borne à cet éffort ;
Mes yeux ne feront point les témoins de ta mort.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Ce font- là les détails les plus frappans.
qu'ait imités M. Colardeau . On ne parle
pas des Scènes & des fituations : en rapprochant
les deux Pièces , on peut, faifir
les reffemblances de fond,
Il s'agit de rapporter le jugement du
Public fur les deux Califtes .
La Califte Angloife , a moins d'art que la
Françoife. Le caractère de Lothario , eft
plus odieux ; Califte eft criminelle ; la
Piéce à très -peu de conduite , défaut attaché
à tous les drames Anglois : mais on
y trouve de la chaleur , & un puiffant intérêt.
Les fcènes d'Horatio & Altamont
quoique déplacées , font de la plus grande
beauté. Le dernier Acte, eft du plus grand
pathétique ; en un mot, il régne dans la
Califte de Rowe un fombre qui diftingue
cette Tragédie , & la met au rang des
premieres du Théâtre de nos voifins,
M. Colardeau a mis plus d'art , plus d'adreffe
, plus de conduite ; il a adoucis le
caractère de Lothario ; il lui a ôté le revoltant
que nous offre l'original ; Califte
eft beaucoup moins coupable : mais fon
tableau plus refferré , plus fage , eft d'un
coloris moins fort.
D'ailleurs, le fujet a paru bien délicat à
traiter au Théâtre François. Quelque heu
JANVIER. 1761 . 197
reux artifice que M. Colardeau ait employé
, le Spectateur François voit toujours
l'image du viol avec une forte de
peine. Il a fallu , en un mot , tout le brillant
de la verfification de M. Colardeau ,
pour la faire paffer .
.... Il n'eft monftre odieur ,
Qui par l'art embelli , ne puiffe plaire aux year.
Cet ouvrage enfin , donne lieu de croire
qu'on doit beaucoup attendre de M. Colardeau
, & qu'il tiendra tout ce que nous
promettent fes talens. Qu'il ne perde
point la nature de vue ; & qu'il fe fouvienne
, furtout , que la paſſion rejette les
ornemens rejicit ampullas & fefquipedalia
verba. Cette Piéce fe vend chez Ducheſne
, Libraire , rue S. Jacques : elle eſt
dédiée à Mg'. le Prince de Turenne , digné
Protecteur des Arts . L'Epître dédicatoire ,
ne dépare point la Tragédie : c'eſt le
même pinceau , dans des genres de compofitions
différentes .
COMEDIE ITALIENNE.
LEE Lundi , 29 Décembre , on donna
la première repréfentation de l'Ile des
Fous , Comédie nouvelle en deux Actes ,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
mêlée d'Ariettes , dont la Mufique eft de
M. Duni. Un trait , qui a frappé tout le
monde , c'eft que dans une Ile où le Gouvernement
relégue les Fous , comme on
fait ici à Charenton & aux Petites- Maifons
, un des Acteurs , dont l'avarice eft
la folie dominante , s'y trouve encore Tuteur
d'une jeune perfonne qui n'eft point
folle. Le fieur Cailleau , qui fait le rôle
de cet Avare , le joue & le chante ſupérieurement.
Il a furtout deux Ariettes qui
font le plus bel effet , & qui , jointes à une
autre que le fieur Defbroffes rend très - plaifamment
, font ce qu'il y a de plus remarquable
dans la Mufique . Mlle Defglands y
chante très- bien un rôle fort trifte , & Madame
Favart tire de fon propre fonds toute
la gaîté du fien. On a beaucoup applaudi ,
dans cette Piéce , Mlle Lafont, qui y joue
le rôle de la Pupile , & que l'on voudroit
encourager mais le Public impartial , ne
peut encore que lui fouhaiter du talent.
Le Vendredi 9 du mois de Janvier , le
fieur Rubini débuta , dans le Pédant , Comédie
Italienne , par le rôle du Docteur..
On le dit propre à plufieurs rôles . Il faut
le laiffer jouer plus d'une fois , avant que
d'en juger.
JANVIER 1961. 199
CONCERT SPIRITUE L
L y a eu Concert la veille & le jour de
Noël. On y a exécuté deux Symphonies ,
dont une compofée en partie des airs de
la Bohémienne ; Deus venerunt gentes
Motet à grand Choeur de M. Fanton ; &
Cantate Domino , Motet à grand Choeur
de Delalande. MM. Gaviniés & Piffet
ont joué , le premier la veille & le fecond
le jour de Noël , des Concertos de leur
Compofition , qui ont beaucoup plû. Le
fieur Piffet mêla au fien deux Noëls , qui
ont eu la même réuffite . M. Joly a chanté,
les deux jours , Benedictus Dominus , petit
Motet de Mouret . Le Public fe plaît à
l'entendre. Sa voix , qui eft une hautecontre
, a de l'étendue , elle eft douce ,
fléxible , & n'a point les défauts communs
à ces fortes de voix ; M. Joly fent bien ce
qu'il chante ; il a déja beaucoup de théo
rie & de pratique du Chant : l'ufage des
Spectacles achevera de le perfectionner.
M. Balbâtre a joué des Noëls , dans lefquels
il a fait éclater le brillant de
fa main ; l'on a reconnu fon goût , au
choix de fes Noëls. Mlle Lemiere a
chanté , Omnes gentes , petit Motet. Mlle
I iv
200 MERCURE DE FRANCE:
Fel en a chanté un autre . Le Concert de
la veille a fini par Confitemini , Motet à
grand Choeur de Delalande , & celui du
jour de Noël par Venite exultemus , Motet
à grand Choeur de M. Mondonville;
Le Public, en foule , y eft venu ce dernier
jour ; & la fatisfaction a paru générale .
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES:
De VIENNE , le 27 Décembre 1760 .
LE 8 de ce mois , Sa Majefté Impériale entra
dans fa cirquante-troifiéme année.
Notre Armée conferve toujours fa pofition près
de Dreſde . On a envoyé pluſieurs régimens dans
le Cercle de Saatz pour couvrir cette partie de la
Bohême contre les entrepriſes des Pruffiens.
Le Prince Louis de Wirtemberg , le Duc de
Bragance & le Comte de Montazet , font arrivés
depuis peu de jours de l'Armée en cette Ville. Le
Prince de Deux- Ponts , revêtu du Gouvernement
de la Hongrie , doit partir bientôt pour ſe rendre
dans ce Royaume . Un Officier, dépêché de l'Armée
Ruffe , arriva le 3 de ce mois , & il apporta la nou
velle qu'une partie de cette Armée prendroit des
quartiers dans la Poméranie Pruffienne , afin d'être
à portée d'ouvrir de bonne heure la Campagne
prochaine.
JANVIER. 1761 . 200
Suivant les nouvelles de la Siléfie , le Général
de Laudon a tranſporté le 16 de ce mois fon quartier
à Graffenorth. On a fait des abattis d'arbres
du côté de Trautenau , de Braunau & de Wartha ,
pour mieux affurer la Bohême contre toute invafion
de l'ennemi. On compte que le Baron de
Laudon fe rendra bientôt dans cette Ville & qu'il
ne tardera pas d'être nommé Feld- Maréchal . Le
départ du Prince Charles de Lorraine , pour les
Pays-Bas, eft retardé jufqu'au mois de Janvier
prochain.
De RATISBONNE , le 25 Décembre.
Le Quartier Général de l'Armée de l'Empire a
été transféré le 17 de ce mois , à Cronach .
Un Corps de quatre à cinq mille Pruffiens occupe
Naumbourg. Les Poftes avancés de l'Armée
de l'Empire & ceux des Pruffiens efcarmouchent
fouvent du côté de l'Orla.
On écrit de Zeitz que le Roi de Prulle y affemble
un Corps qui eft déjà compofé de huit bataillons
, aux ordres du Général de Saldern . Un autre
Corps Pruffien s'eft avancé jufqu'à Gera . Sa Majeſté
Pruffienne a ordonné de relever les retranchemens
qu'il avoit fait conftruite l'hyver dernier
fur la Multa , entre Noffen & Waldheim. Mille
Payfans font continuellement occupés à ce travail.
Nous apprenons que le Margrave Charles eft
à Léipfick depuis les de ce mois, & que le Roi de
Pruffe, qui doit y être arrivé le 8 , eft parfaitement
rétabli de la contufion qu'il reçut à la derniere
Action . On y attend au premier jour les deux
. Princes de Pruffe & la Princeffe Amélie.
De FRANCFORT , le 28 Décembre.
Les François occupent toujours les quartiers de
cantonnement qu'ils ont pris dans les environs
I v
201 MERCURE DE FRANCE.
de Gothia & d'Eifnack . Ils y obfervent une diſcipline
fort exacte .
Le Duc de Wirtemberg , qui étoit allé à Stugard ,.
revint le 16 à Erlangen , d'où il alla le lendemain .
fé remettre à la tête de fon Corps de Troupes
qui doit fe rendre dans fon Duché.
De MADRID , le 16 Décembre.
Les tempêtes , prèfque continuelles , qui régnent
fur la Méditérannée , ont fait périr fur nos côtes
un grand nombre de Bâtimens.
Le Marquis d'Almodovar , nommé Miniftre du
Roi d'Efpagne en Ruffie , partira vers là fin du
mois pour fe rendre à la deftination ..
De. ROME , le 15 Décembre,
On aprend de Malthe , que le Vaiffeau dernierement
enlevé aux Turcs par les Efclaves Chré--
tiens , étoit très- richement chargé. On a été occupé
pendant plufieurs jours à en retirer l'or , l'ar--
gent & les autres effets précieux qu'il contenoit.
Ces effets ont été diftribués entre ces braves E.
claves . Les héritiers de ceux qui ont été tués dans
le Combat ont eu leur part au butin. Le Pilote
Turc , qui avoit maltraité les Efclaves Chrétiens , a
été mis à la chaîne . On écrit , de Conftantinople ,.
que le Capitaine de ce Vaiffeau a été étranglé par
ordre du Sultan .
Les Bâtimens derniérement arrivés d'Alexandrie
à Naples , ont rapporté que la pefte avoit
détruit une grande partie des habitans du Caire.
On fait obferver une rigoureufe quarantaine à tous
les Navires qui viennent de ces parages . La Répu
blique de Venile a auffi prolongé de quinze jours
la quarantaine o donnée aux Vailleaux qui vien
nent des Ifles de l'Archipel..
·
I
་
JANVIER. 1761 .
203
La Congrégation des Cardinaux chargés d'examiner
les régles du nouvel Ordre de la Paffion ,
n'en a point approuvé l'établillement.
De LONDRES , le 26 Décembre.
Le Débarquement des Troupes de la grande
Flotte fe fit le 15 , en partie à Southampton , en
partie à Portſmouth.
Sa Majefté tint , le 24 , un grand Confeil à
Saint-James . On fit partir , le même jour , un
Courier chargé de porter au Comte de Briſtol ,
notre Ambaffadeur à Madrid , des dépêches que
l'on affure être très -importantes .
De LA HAYE , le 6 Janvier 1761 .
La Princeffe de Naffau-Weilbourg accoucha
heureusement , le 18 du mois dernier , d'un Prince
qui doit être tenu', au mois de Mars prochain'
für les fonts de Baptême , au nom du Roi d'Angleterre
, par le Général Yorck , Ministre Plénipotentiaire
de Sa Majefté Britannique auprès des
Etats-Généraux.
જીવ
Ilvj
204 MERCURE DE FRANCE.
FRANCE .
Nouvelles de la Cour , de l'Armée
de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 8 Janvier 1761 .
LEL
E 21 du mois dernier , le Roi , la Reine , & la
Famille Royale fignerent le contrat de mariage
du Marquis de Cambis , Brigadier des Armées du
Roi , Mestre de Camp du Régiment de Bourbon ,
Cavalerie , avec Demoiselle Palatine de Dio de
Montperrous.
Le 23 , le Comte de Collorédo , Chambellan
de l'Empereur & de l'Impératrice Reine de Hongrie
& de Bohême , qui étoit venu pour annoncer
au Roi, de la part de leurs Majeftés Impériales , la
célébration du mariage de l'Infante Ifabelle , Princeffe
de Parme avec l'Archiduc Jofeph ; qui s'eft
acquitté de fa commiffion auprès de Sa Majeſté ,le
19 Octobre dernier , à Fontainebleau, a pris congé
du Roi , & enfuite de la Reine , de Monfeigneur
le Dauphin , de Madame la Dauphine , de Monfeigneur
le Duc de Berry,de Monfeigneur le Comte
de Provence , de Monfeigneur le Comte d'Artois
de Madame Adélaïde , & de Meldames Victoire
Sophie & Louife , étant préfenté par le Comte de
Starhemberg , Amballadeur de Leurs Majeftés
Impériales.
Le 31 le Roi tint le Sceau.
Le premier Janvier , les Princes & les Princeffes
ainfi que les Seigneurs & les Dames de la Cour ,
ont eu l'honneur de rendre leurs reſpects au Roi ,
à l'occafion de la nouvelle année. Le Corps de
ANVIER. 1761. 201
Ville s'eft acquité du même devoir , envers Leurs
Majeftés & la Famille Royale.
Les Chevaliers Commandeurs & Officiers de
l'Ordre du Saint Eſprit s'étant affemblés vers les
onze heures dans le Cabinet du Roi , Sa Majesté
fortit de fon appartement pour aller à la Chapelle
accompagnée de Mgr le Dauphin , du Duc d'Orléans,
du Prince de Condé,du Comte de Clermont,
du Prince de Conti , du Comte de la Marche ,
du Comte d'Eu, du Duc de Penthiévre , des Chevaliers
, des Commandeurs & des Officiers de l'Ordre.
Après qu'on eut chanté l'Hymne du Veni
Creator , la Grand'Meffe fut célébrée par l'Abbé
Defclufeau , Chapelain de la Mufique du Roi.
Enfuite Sa Majesté fut reconduite à ſon appartement
, en la manière accoutumée.
Sa Majesté a donné l'Abbaye de Sully , Ordre
de Saint Benoît , Diocèfe de Tours , à l'Abbé de
Molen , Grand- Vicaire de Saint Flour.
Celle de Saint Jacut , Ordre de Saint Benoît
Diocèle de Dol , à l'Abbé de Marbeuf , Comte de
Lyon , Grand Vicaire du Diocèle de Rouen.
Celle de Fondouce , Ordre de Saint Benoît
Diocèse de Saintes , à l'Abbé Dudon , Vicaire général
du même Diocèfe .
Celle de Saint Sauveur des Vertus , Ordre de
Saint Benoît , Diocèfe de Châlons- fur- Marne , à
l'Abbé de Pradine , Grand - Vicaire du Diocèſe
d'Alby.
Celle de Gondon , Ordre de Citeaux , Diocèle
d'Agen , à l'Abbé de Coquet , Grand- Vicaire du
même Diocèfe.
Celle du Gué de Launay , Ordre de S. Benoît ;
Diocèfe du Mans , à l'Abbé de Chabanne , Grand-
Vicaire du Diocèfe de Nevers.
Et celle des Ollieux , Ordre de Cîteaux , Dioa
cèfe & Ville de Narbonne , à la Dame de Beauffes
266 MERCURE DE FRANCE.
de Roquefort , Religieufe du Monaftère de Sainte
Elizabeth à Marſeille .
Le 2 de ce mois les Chevaliers, Commandeurs
& Officiers de l'Ordre , affiftérent au ſervice anni
verfaire pour les Chevaliers de l'Ordre , auquel
l'Abbé Defclufeau officia .
Sa Majefté a nommé l'Evêque d'Auxerre à
F'Evêché de Lifieux ; celui de Troyes à l'Evêché
d'Auxerre ; & l'Abbé de Barral , Aumônier du
Roi , à l'Evêché de Troyes.
Sa Majesté a donné l'Abbaye de Saint Volu
fien de Foix , Ordre de Saint Auguftin , Diocèle
de Pamiers , à l'Abbé d'Ofmond , Comte de
Lyon , & Vicaire Général de l'Evêché de Troyes ;
& celle de Bonrepos , Ordre de Saint Benoît ,
Diocèle de Quimper , à l'Abbé Allaire , Précep
teur du Dnc de Chartres.
Le fieur Boyer , Secrétaire de l'Ordre de Saint
Michel , a eu l'honneur de préfenter au Roi la
Médaille qui doit être offerte à Sa Majesté à
chaque tenue du Chapitre de fon Ordre de Saint
Michel , en exécution de la fondation du feur
Perrotin de Barmont.
Le Roi a accordé les entrées de la Chambre
au Marquis de Caftries , Lieutenant- Général des
Armées de Sa Majesté .
Le 3 , la Marquife de Durfort prêta ferment
entre les mains de Sa Majesté pour la furvivances
de Dame d'Atours , de Mefdames Victoire Sophie
& Louife : place dont la Marquife de Cler--
mont-Gallerande eft Titulaire.
Le Roi a nommé Chef d'Eſcadre , le Comte de'
Tournon- Pontèves , le fieur de Chaſteloger , &
le Comte de Roquefeuil , Capitaines des Vaiffeaux-
Sa Majesté a nommé en même - temps vingtquatre
Lieutenans de Vailleaux & vingt- fix Enfeignes
.
JANVIER. 1761. 207
Le 7 , l'Evêque de Leictoure prêta ferment en
tre les mains du Roi.
Les nouvelles de Dannemarck , annoncent la
guérifon prochaine de Sa Majefté Danoife:-
De CASSEL , le 30 Décembre 1760.
Le 11 & le 12 de ce mois , le Prince Ferdinand
a retiré les Poftes qu'il avoit à la droite & à la
gauche de la Leine , & qui formoient le blocus de:
Gottingen. Le 13 , toutes les Troupes ennemies qui¹
étoient entre cette Place & la Verra , fe font auffi
retirées , & notre communication a été entiérement
rétablie.
Pendant le tems que les ennemis ont été autour
de Gottingen , le Comte de Vaux a fait faire plu--
fieurs forties commandées par le Vicomte de Belfunce
, qui ont eu chaque fois tout le fuccès qu'on:
pouvoit en attendre . On a fait environ cent cinquante
prifonniers , dans ces différentes forties..
Le Comte de Luface eft toujours à Eifenach , & le
Comte de Stainville à Gotha .
Le Général Luckner occupoit Heiligenstadt
avec quatre à cinq mille hommes . Le Maréchal
Duc de Broglie , ayant formé le projet de le furprendre
, donna des ordres pour que , le 22 de ce
mois , un Corps d'environ scoo hommes tirés de
Gottingen & des différens poftes de la Verra , fe
rendît par différentes routes aux ordres du Comte
de Broglie , Lieutenant Général , à portée d'Heiligenftadt.
Toutes les difpofitions furent faites ,
non- feulement pour l'attaque de cette Ville , mais
auflipour couper la retraite au Corps des ennemis ;
mais une des Colonnes n'ayant pu arriver affez :
tôt au rendez - vous indiqué , cette entrepriſe n'a
pas eu tout le fuccès qu'on en devoit attendre..
Cependant le Général Luckner a été obligé de fe
208 MERCURE DE FRANCE.
retirer avec beaucoup de précipitation , & d'abandonner
quelques bagages dont on s'eft emparé.
On a fait aufli plufieurs prifonniers , & on eſtime
que les ennemis ont eu , dans cette occafion , environ
cent hommes tués ou bleffés. Le Comte du
Châtelet, Brigadier , eft refté à Heiligenstadt pendant
deux jours. Il a fait brifer les portes de la
Ville ; & après avoir mis ce pofte hors d'état d'être
occupé avec fureté , il s'eft retiré avec les troupes
de leurs différens quartiers.
On continue à faire entrer, dans Gottingen, des
fubfiftances de toute eſpéce.
De Paris , le 10 Janvier 1761 .
Le tirage de la premiere Loterie de la Ville de
Paris s'eft fait à l'Hôtel- de- Ville avec les formalités
accoutumées ; le 16 du mois dernier & jours
fuivans , le lot de 150000 livres eft échu au Numero
96419 ; celui de 100000 , au Num . 93092 ;
& celui de foeco , au Numero 83225 : les deux
lots de 30000 , font échus aux Numeros 74775 &
8671.
Le Grand- Maître de l'Ordre de Malthe a permis
au Marquis de Boyer de Bandol de porter la Croix
de l'Ordre , en confidération des fervices rendus
par les ancêtres à la Religion.
Les quatre bataillons des Gardes Françoiſes , qui
ont fait la Campagne en Allemagne , font arrivés
fucceffivement les 21 , 25 & 28 du mois dernier ,
& les deux bataillons des Gardes Suiffes les 1 & 3
de ce mois.
L'Evêque de Leictoure a été facré le 4 de ce
mois, dans l'Eglife des Nouvelles-Catholiques, par
l'Archevêque d'Arles , ayant pour Affiftans les
Evêques de Blois & de Troyes .
Le tirage de la Loterie de l'Ecole Royale Militaire
s'est fait en la maniere accoutumée , dans
JANVIER. 1761 259
l'Hôtel-de-Ville de Paris , le 8 de ce mois. Les
Numeros qui font fortis de la roue de fortune
font 3 , 16 , 44 , 46 , 69. Le prochain tirage f
fera le 13 du mois de Février.
MORT S..
Meffire Jean Moreau de Séchelles , Miniftre
d'Etat , ci- devant Contrôleur Général des Finances
, eft mort en cette Ville , le 31 du mois dernier
, dans la foixante- onzième année de fon âge.
François-Henri de Montbel de Champeron , Ma
réchal des Camps & Armées du Roi , Comman
deur de l'Ordre Royal & Militaire de S. Louis ,
mourut en fa Terre de Poirier en Touraine , dans
Ja foixante - quatorziéme année de fon âge.
N. Defmaretz , Abbeffe de l'Abbaye Royale
d'Hieres , Diocèſe de Paris , eft morte en fon Ab
baye le 5 , âgée de quatre - vingt-fix ans.
REPONSE du Sieur CHARTREY , Privilégié dic
Roi, demeurant rue du Chantre , à Paris ;fur la
prétendue Analyfe que MM. Piat & Cadet, Apo
thicaires , difent avoirfaite de fa Poudre purga
tive , & qu'ils annoncent dans le Mercure du mois
de Novembre dernier.
LE Sieur Chartrey foutient que l'acide vitrioli
que & quelqu'autre acide que ce foit , n'ont ja
mais pu faire changer de forme ni de couleur
à fa Poudre qui eft un corps incombuſtible , défini
& réduit alchymiquement au dernier degré de
pureté & par conféquent immuable ; auffi remarque-
t-il que ces deux Apothicaires font indécis
dans leur raifonnement fur les matières qui là
compofent , la croyant tirée ou du Nitre , oudu
210 MERCURE DE FRANCE.
Sel de Sedlitz , ou du Sel d'Ebfon , tandis que
fon infipidité manifefte qu'elle n'eft tirée d'aucun
fel ; s'il eft vrai , continue- t- il , » que ces deux
Apothicaires ayent fait un mêlange d'acide
>> vitriolique & d'efprit de vin avec cette poudre
il n'eft pas étonnant qu'y ayant mis le feu , il
ait paru des flammes bleues & vertes , elles font
naturelles à l'efprit- de-vin & au vitriol : ils en
» ont fort mal conclu qu'il entroit du cuivre
» dans cette poudre , ou qu'elle étoit compofée
dans des vafes de cuivre. Le fieur Chartrey a
→ employé au contraire plus de 4000 vafes de
grais , & le chemin de Picpus , où étoit fon
laboratoire , eft pavé de leurs débris . Il y a plus ;
» en 1756 , le fieur Chartrey a guéri avec cette
» même poudre plufieurs perfonnes de Versailles ,
Sempoifonnées par le fait d'un Marchand de Vin ,
» qui , pour donner plus de montant & de délicateffe
à fon vin , mettoit dans fes tonneaux de
» la limaille de cuivre : ce qui conftate que ladite
> poudre eft l'antidote de ce métail . La comparaifon
que ces deux Apothicaires font de cette
» Poudre à la Magnéfie n'eft pas plus jufte : cette
»poudre eft un purgatif doux & puiffant ; la
ל כ
Magnéfie n'eft point du tout cathartique. Enfin
la poudre du fieur Chartrey fait une infinité
» de cures , dont la Magnéfie ne fut jamais capa
» ble. Pour dernier argument , le fieur Chartrey
> demande files cenfeurs de fon reméde fe prétendent
plus clairvoyans que les Médecins , &
» les Pharmaciens, dont eft composée la Commiffion
Royale de Médecine , & qui ont approuvé
» ce reméde en 1756 , par délibération tenue en
»leur Bureau ? & c'eft fur ladite approbation ,
» qu'au mois d'Avril 1760 , le fieur Chartrey a
obtenu des Lettres de privilége du Roi , portant
JANVIER. 1761. 217
défenſes aux trois Corps de la Médecine , de
le troubler à peine de 500 liv . d'amende .
Le fieur Chartrey annonce qu'il poffede un
Baume unique qui confolide en 24 heures les
playes , bleffures , brûlures , & guérit les vieux
uleères en peu de jours ; un Elixir propre à la
guérifon de Fhydropifie & cela en peu de tems ;
& une ptifanne philofophique qui a beaucoup de
vertus & propriétés ; & qu'il entreprendra la radi
cale guérifon tant de l'hydropifie , vieux ulcéres ,
loups , tumeurs froides , écrouelles , & d'autres
femblables maladies , & n'exigera le payement
du prix convenu qu'après radicale guériſon .
A VIS.
LA premiere Loterie de la Ville fut tirée dans
Ta Grand'Salle de l'Hôtel - de - Ville , le 22 Décem→
bre & jours fuivans . Le premier lot de 150000 liv .
eft échu au Numéro 96419 , & le fecond Lot de
100000 livres , au Numéro 93092.
Seconde Loterie de l'Hôtel-de- Ville de Paris , en
confequence des Arrêts du Confeil des 30 Juillet
& 22 Décembre 1765.
De par le Prevêt des Marchands & Echevins.
LE Public eft averti que les Billets de la feconde
Loterie de la Ville , feront délivrés , à commencer
du premier Janvier 1761 , tant à l'Hôtel -de-Ville,
que dans les autres Bureaux établis à Paris & dans
Les Provinces pour la diftribution de ceux de la
premiere Loterie : Et qu'en exécution de l'Arrêt
du Confeil , du 22 Décembre 1760 , ladite feconde
Loterie fera tirée à la fin dudit mois de Janvier
, les jours qui feront indiqués par de nouvelles
Affiches.
212 MERCURE DE FRANCE.
Le Public eſt encore averti , qu'il fera diſtribuć
à Paris & dans les Provinces , des Reconnoiffances
de Sociétés à différens prix , dans un ou plusieurs
Billets de ladite Loterie : Que le Bureau général
defdites Sociétés établi par la Ville , eft fitué rue
de Bully , chez le fieur Regnault : Qu'elle a commis
le fieur Moriffet & ledit fieur Regnault pour la
fignature desdites reconnoiffances ; & que celles
fignées d'eux feront les feules dont la dite Ville
reftera garante & refponfable.
Le fieur MUTELÉ, du Chevalier, qui vend l'opiat
& les gouttes philofophiques , demeure à l'Abbaye
faint Germain des Prés , Cour des Religieufes ,
chez Madame Lybeffart , Marchande de modes, à
la Dauphine.
Mlle DESMOULINS, par brevet & privilége confirmé
par deux Arrêts du Parlement des 17 Mai &
4 Septembre 1747 , depuis plus de 50 ans compofe
& diftribue le véritable fuc de régliffe & pâte
de guimauve fans fucre , fecret qu'elle feule tient ,
par feue Madame fa mere , de Mademoiſelle Guy
décédée en 1714. Elle continue de le débiter avec
fuccès à Paris , à la Cour de France & dans toutes
les Cours de l'Europe , de l'aveu & approbation de
Meffieurs les premiers Médecins du Roi & de la
Faculté de Paris , lefquels s'en fervent eux- mêmes
& en ordonnent l'ufage à leurs malades .
Propriété , & ufage dudit fuc & pâte.
Il guérit le rhume , fortifie la poitrine , dégage
la parole enrouće , arrête le crachement de fang ,
les poulmoniques , & afthmatiques , les perfonnes
fujettes à la pituite s'en trouvent fort foulagées.
Il eft auffi d'une grande utilité aux perfonnes qui
ont la poitrine & la gorge féche & altérée ; on
JANVIER. 1761 . 213
peut encore en uſer en tout temps jour & nuit ,
devant & après les repas. Il faut les couper par
petits morceaux , les laiffer fondre & avaler fa
falive. L'on peut les tranſporter partout , & les
garder fi long-temps que l'on veut , fans jamais
Te gâter , ni rien perdre de leurs qualités . Comme
plufieurs perfonnes fe vantent d'avoir acheté fon
fecret ; ladite Demoiſelle avertit le Public qu'elle
ne l'a donné ni vendu à perfonne , & qu'elle ne
débite point ailleurs que chez elle. Le prix eft
de huit francs la livre. L'on mettra un pareil imprimé
dans les paquets pour la Province.
Mademoiſelle Deſmoulins demeure rue du Cimetière
Saint André des Arts , la première Porte
quarrée à droite en fortant du Cloître , chez Mademoiſelle
Charmeton , au deuxième.
ERRATA NECESSAIRE.
Pa8. 82 , Chant II , Oct. VI , ligne 4 , doſci ,
lifez dolci. Pag, 83 , ligne 3 , cor , lifex lor. Ibid.
Chant V , Oct. XXIII , ligne ire , mono , lifex
mano. Pag. 84 , ligne 4 , bamboleggior , lifez
bamboleggiar ; ligne 6 , lafcior , lifez lafciar ; lig.
7, la , lifez le ; ibid, emulor , lifez emular. Pag.
86, lig. 2 , bravore , lifez bravare.
APPROBATION.
J'AT lu , par ordre de Monfeigneur AI le Chancelier,
le Mercure du fecond Volume de Janvier 1761 ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion . A Paris ce 15 Janvier 1761 .
GUIROY.
214 MERCURE DE FRANCE.
TABLE DES ARTICLES.
PIÉCES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE .
ARTICLE PREMIER.
TRADUCT RADUCTION de la IXe Ode du IIIe Livre
d'Horace : Donec gratus eram tibi . Page S
VERS à M. l'Abbé Clément , Chanoine de
S. Louis du Louvre & c .
EPITRE , à la roſe.
SUITE de la Tragédie de TANCREDE
& Sigifmonde.
VERS à M. BRISSARD , Comédien du Roi.
VERS à M. BOUVIER DE RUSSAN , fur fon
talent de faire la reflemblance fur le Caillou
Onyx.
Au même , fur le même Sujet.
FRAGMENT d'une Lettre de bonne année, par
un Curé de Nivernois & c .
VERS à Mlle BERNARD , fur fon Portrait.
SUITE de la Corne d'Amalthée , Conte traduit
du Grec .
A M. le Duc de FRONSAC .
7
ΙΟ
43
44
ibid.
*
45
46
47
ibid.
ibid.
76 & 77
78 &79
79
SUR le Mariage de Mlle de NOAILLES avec
M. le Duc de DURFORT.
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
COUPLETS , à mettre en Mufique.
ART. 11. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
EXTRAIT de la Traduction en Vers , par M.
de San-Severino , du Poëme de l'Art de la
Guerre de S. M. LE ROI DE PRUSSE.
GRAMMAIRE Françoife Philofophique , ou
80
JANVIER. 1761. 218
Traité complet fur la Phyfique , fur la
Métaphyfique , & fur la Rhétorique &c,
LETTRE de M. d'Alembert , à l'Auteur du
Mercure.
ANNONCES des Livres nouveaux .
1.
87
197
108 & fuiv
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADEMIES.
.
SEANCE publique de l'Académie des Sciences
, Belles- Lettres , & Arts de Lyon .
PREMIERE Séance publique de la Société
Royale des Sciences & Arts de la Ville de
Metz .
LEFTRE , à l'Auteur du Mercure.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
LETTRE , à M. le Blanc , Démonftrateur
Royal d'Anatomie & Chirurgie , &c,
LETTRE de M. Tenon , Profeffeur Royal au
Collège de Chirurgie de l'Académie Royale
des Sciences , &c .
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie Royale
des Sciences .
RÉPONSE à l'Anony me qui a fait inférer,dans
le Mercure d'Octobre,la premiere ſolution
du Problême propofé dans celui d'Août.
HISTOIRE NATURELLE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure .
ART. IV. BEAUX - ARTS.
HORLOGERIE.
L'ART de conduire & de régler une Pendule ,
par M. Ferdinand Berthoud . & c .
MACHINE qui fait , dans la plus grande perfection
, des lavures des cendres chargées
de matiéres d'or & d'argent &c.
113
119
124
125
134
137
138
144
147
166
171
216 MERCURE DE FRANCE
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
Avis relatif à la Peinture & à la Sculpture .
GRAVURE .
MÉTHODE pour déffécher les Fleurs , & les
conferver dans leur forme naturelle.
OPERA.
ART. V. SPECTACLES.
178
179
ibid.
180
188
COMÉDIE Françoiſe,
189
COMÉDIE Italienne. 197
CONCERT Spirituel.
199
ART. VI. Nouvelles Politiques. 200
RÉPONSE du fieur Chartrey , à MM. Piat &
Cader Apothicaires . 209
Avis divers. 211
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY,
rue & vis-à- vis la Comédie Françoiſe .
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI
FEVRIER. 1761 .
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine.
Chez
Coshin
filius inve
Sculp
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis à - vis la Comédie Françoife.
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi,
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure, rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch, à côté du Sellier du Roi .
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer , francs
'de port , les paquets
& lettres , pour remettre
quant à la partie littéraire , à
M. DE LA PLACE
,
Mercure.
Auteur du
Leprix de chaque volume eft de 36fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes
à raifon de 30 fols pièce . ·
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir,ou qui prendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
c'est- à- dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
'étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffé ci- deſſus .
A ij
Onfupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en foit
fait d'avance au Bureau .
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pièces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
DE LA PLACE , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
FEVRIER. 1761 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE ,
Aun Ami , fur le Voyage de Hollande.
PARMI les mers & cent canaux ,
Entourés de quais & de rues ,
Où les mâts de mille Vaiffeaux ,
Où des forêts , de leurs rameaux ,
Vontfrapper & percer les nues ;
Du Pays , où s'engloutit l'or ,
Où les Humains triftes & chiches ,
Calculant , renflant leur tréfor ,
N'afpirent qu'à mourir bien riches ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.-
Et jouiffent , pour tout plaifir ,
De celui de ne pas jouir :
Recevez , en forme lyrique ,
Ma Profe, fans grace & fans fel ,
Enfantée , hélas ! fous un Ciel
Un peu trop anti- poëtique !
Mais fur les climats différens ,
La Nature féconde & ſage ,
D'une main égale , partage
Et fes bienfaits , & les talens.
Ces Peuples tranquilles , fans chaînes ,
Et libres du joug des grandeurs.
Dans l'égalité de leurs plaines ,
Offrent l'image de leurs moeurs.
Rival du Maître du tonnèrre ,
Ici l'homme a créé la tèrre ;
Plutusy fema des palais ;
Le travail en fit fa Patrie :
Flore même , pour ces marais ,
A fouvent quitté l'Heſpérie .
Fiers Citoyens de l'Univers ,
Là cent Vaiffeaux , tyrans des mers ,
Sillonnent les timides herbes ;
On voit leurs pavillons flottans ,
Se mêler aux chênes fuperbes,
Et régner , au loin , fur les champs.
Ces prés émaillés de verdure ,
Où bondiffent mille troupeaux,
Jadis la main de la Nature
FEVRIER. 17613
Les avoit plongés fous les flots :
Des barrières impénétrables ,
Et des rochers inébranlables ,
Par d'éternels & durs travaux ,
Repouffent les mers fugitives.
J'ai vu l'Océan s'étonner ,
Rugir , expirer fur les rives ,
Qu'il eft forcé d'abandonner.
Par-tout d'élégans édifices ,
Au bord de tranquilles canaux ,
Où je vogue en un plein repos ,
M'offrent leurs riches Frontifpices :
Ils font entourés de berceaux ,
Où , par d'induſtrieux ciſeaux ,
Chaque feuille eft miſe à ſa place ,
Et que réfléchit la furface
Du criſtal mobile des eaux .
L'âme errante , incertaine , avide ,
Suit à peine d'un oeil rapide
Les points de vue ingénieux ,
Tantôt nobles , tantôt ruftiques ,
Et les percés myſtérieux
Des pompeux & fombres portiques.
Chaque parterre eſt décoré
De fon pavillon exagône
Et d'un Mercure bien doré
Élevé comme fur un thrône ,
Un balcon fur l'onde eft porté :
A iv
& MERCURE DE FRANCE.
Là , féant avec gravité ,
Fume un bon Père de famille ;
Près de lui , fa femme & fa fille ,
En filence , boivent le thé.
Au fein de ces plaines heureuſes ,
De leurs clochers majeſtueux
Vingt Cités riches & fameufes , :
Lancent les féches dans les Cieur.
Non : de Tempé la bergerie ,
Et les beaux jours de l'Age d'or ,
Ne font point une rêverie :
Chloé , Life exiftent encor :
Mon oeil les fuit dans la prairie.
Dans un fceau de pourpre ou d'azur
Leur main fait couler le lait pur
De la Génifle bondiffante;
Que l'on prendroit , à fon air fier ,
A fa fourrure éblouiffante ,
Pour l'Amante de Jupiter.
Loin de ce charme folitaire ,
Qu'avec les riches Potentats ,.
Et fa banque que je révére ,
Amfterdam a bien peu d'appas !
Il fe fait admirer , fans plaire.
En vain , à combler fes deſirs ,
S'empreffent Mercure & Neptune :
J'ai vu le tombeau des plaifirs ,
Dans le Temple de la Fortune.
Du vil efclave condamné
FEVRIER . 1761 .
A dérober l'or à la tèrre ,
Ou du Créfus qui l'y reffèrre ,
Quel eft le plus infortuné ?
Celui que l'avarice ronge ,
N'a qu'un vice , un malheur de plus :
Parmi les trésors ſuperflus ,
Tout fon bonheur n'eft qu'un vain fonge :
Loin de tout aimable tranſport ,
Son âme n'eft qu'un coffre fort.
Seroit- ce donc une chimère ,
Que l'efprit , le goût , le plaifir ?
Leur charme feul peut adoucir
Notre court deftin fur la tèrre :
Il faut penfer , jouir , fentir ;
Il faut defirer , il faut plaire.
La raifon s'égare par fois :
L'erreur , la folie ont leurs droits :
11 en eft de plus ou moins fortes ;
Et le phlegme du Hollandois
Eft la plus trifte des marottes .
Parmi ces bourgeois alloupis
Dans leurs infipides uſages ,
Il eft pourtant quelques vrais Sages
Des beaux Arts vivement épris :
Vandervert , Téniers & Myris
Ont fouvent enchanté ma vue :
Des cabinets dignes des Rois
M'ont fait pafler plus d'une fois
La Création en revue.
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Le Peuple de chaque Elément ,
Y conferve à ja mais fon être :
Tout infecte a droit d'y paroître ;
Mais il leur manque heureuſement ,
Celui qu'on nomme Petit- Maître !
Sans tous nos dehors élégans ,
Sans nos chimériques délices ,
Leur efprit eft tout en bon fens :
Ils n'ont rien de nos agrémens ,
Mais du moins ils n'ont pas nos vices !
Point de nos bavards impofans ,
Point de Belles par artifice ,
Jouant l'efprit ou le caprice ,.
Et quelquefois le ſentiment
Ni de fats en titre d'office
Déshonorès fi plaiſamment ,
Et ruinés fi noblement.
>
Vous avez vû , dans le grand Monde ,
Nos femmes à prétention
Prêter l'oreille au doux jargon ,
Minauder , fourire à la ronde ,
Défefpérer d'un air charmant
Et leur époux & leur amant ;
Tandis qu'affis tout auprès d'elles ,
Ces automates redreſſés ,
Qu'on nomme à Paris Demoifelles ,
Muertes , & les yeux baiffés ,
Arrangent leur tour de dentelles
Mais fouvent fans le rajufter
FEVRIER. 1761 . I'I
Pour tout foin , pour toute penſée ,
Elan cent leur gorge preffée ,
Se font un art de palpiter ?
Ici , c'est toute une autre affaire :
Vous verriez dans fon froid maintien,
Une femme trifte & févère ,
Comp tant tout autre homme pour rien ,
Lorg ner fans ceffe & fans myftère ,
Son mari , qui le lui rend bien.
Mais fa fille vive & légére ,
De l'agrément a tous les traits ,
Sourit , agace , cherche à plaire ;
Et montre , fans art , fes attraits
Fraîchement venus de Cythère.
Dans cet honnête & bon Pays ,
L'enjoûment joint à la décence ,
Et même un peu d'expérience ,
Sert à conquérir des maris ,
Comme l'hypocrifie en France .
Qui voudra des Jeux & des Ris , '
Enchaîner la joyeule bande ,
Il faut être fille en Hollande ,
Il faut être femme à Paris .
Mais quoi ? de l'amitié touchante
Lavoix dans mon coeur a gémi :
Je revole en fon fein chéri
Calmer mon âme impatiente.
Pour jamais , ami , j'ai quitté
Ges plaines vaftes uniformes :-
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Je revois fous toutes fes formes
La Nature dans fa beauté.
Tandis que la pouffiére aride
Sous l'éffieu de mon char rapide ,
Eléve de vains tourbillons ;
Que de la route fablonneufe ,
Ma vue active & curieufe ,
Suit au loin les larges fillons ;
Tour-à -tour je vois difparoître ,
Et fe fuccéder & renaître ,
Les Scénes & les horifons.
Tantôt, des doux fruits de Pomone ,
Je vois un côteau couronné ;
Tantôt , un vallon fortuné
Où la Paix a placé fon throne .
Là , ce font de nombreux troupeaux
Qui paillent l'herbe renaillante ,
Au bruit paisible des ruiffeaux ;
Ici , dans fa rapide pente ,
Un fleuve , l'effroi des Nochers,
Roulant les ondes.écumantes ,
Arrofe des plaines riantes ,
Ou fe brife aux pieds des rochers.
Du fommet des fiéres montagnes ,
Sur les floriflantes campagnes ,
Mon oeil s'égare & s'éblouit ;
Ainfi qu'un torrent qui s'écoule ,
Dans mon âme qui s'agrandit ,
Mille objets s'élancent en foule.
FEVRIER. 1761 . 137
Bientôt , d'une antique forêt ,
Je traverſe les routes fombres ;
J'éprouve un fenfible intérêt
Dans l'horreur même de les ombres,
Un orage obfcurcit les airs ;
Les vents agitent le feuillage ;
Il femble que mon coeur partage
Tous les frémiſſemens dive : s.
Tout-à-coup perçant le nuage ,
Le Soleil de longs traits de feux
Embrafe les feuilles tremblantes ;
Et j'admire , en baitant les yeux ,
Leurs ténèbres étincelantes .
J'apperçois cent pompeux châteaux ,
Dont l'orgueil fe perd dans les nues :
Leurs terraffes , leurs avenues
Dominent les bumbles hameaux ,
Et les chaumiéres habitées.
Par les vertus & les travaux .
J'arrive aux portes redoutées
Des Cités langlantes de Mars ;
J'obferve ces tours , ces remparts ,
Couverts de bouches infernales ,
Tout remplis d'embuches fatales ,
Et ces angles , & ces glacis
Recélans fous eux le Ténare :
Honteux d'être homme , je maulis
Cet être follement barbare !
Plus heureux , lorfque je le vois
14 MERCURE DE FRANCE
Dans le fein d'un féjour tranquille ,
Loin des nobles Palais des Rois ,
Décorer le riant aſyle
De la paix , des arts & des loix. '
Nanci , Commerci , Lunéville ,
( Séjour brillant & révéré
De l'humanité couronnée ! ) :
Où j'ai vu ce Sage adoré ,
Dont les bontés ont honoré ,
Ont embelli ma deſtinée !
Parmi les faftes éternels
Et des vertus & de la gloirė ,
De fes fentiens immortels
г
Mon coeur a gravé la mémoire .
IMPROMPTU , pour Madame M. N. à
quelques-uns defes Amans .
L'AMOUR eft un Enfant : il ne veut à fa fuite ,
Que les jeux , les ris , les plaifirs.
L'ennui lui fait prendre la fuite ;
Il s'endort avec les foupirs .
vous , qui defirez attendrir une Belle ,
Amans ! amufez fon efprit.
L'ennui s'eſt - il emparé d'elle :
Bientôt la réfléxion fuit ;-
Et la beauté qui réfléchit ,
A l'Amour est toujours rebelleA
15 FEVRIER. 1761.
L
MADRIGA L.
A Mile *** en lui envoyant le Livre intitulé
, MES LOISIRS.
Ovous , dont l'efprit enchanteur ,
A bon droit fert d'exemple aux autres !'
Vous , faite pour le vrai bonheur ,
Recevez Mes Loisirs pour occuper les vôtres !
Voyez-y les préfens que vous ont fait les Dieux ;-
Voyez-y la douceur , la bonté , la fageffe .
Et fongez , belle Iris , qu'avec de la tendreſſe ,
Vous euffiez fait un chef-d'oeuvre des Cieux.
C. D. V. D'Orleans..
VERS à M. l'Abbé L'EVESQUE , au
fujet de fa Lettre fur les rimes croisées ,
dans les vers alexandrins , &c . inférée
dans le Mercure de Novembre 1760.
par M. VARE .
V OTRE avis , fur les vers , peut être falutaire.
Jeferois , comme vous le foutien de Voltaire ,
Si je ne craignois pas qu'en moi le monde unjour
N'apperçût qu'une borne appuyant une tour,-
16 MERCURE DE FRANCE.
Cet Apollon françois rend tous fes chants fublimes
,
Par l'efprit renaiffant dont pétillent ſes rimes.
Soit qu'il les croife ou non , leur naïve beauté
N'a jamais dépendu de la variété..
Sa Henriade , Abbé , la fleur de fon génie
N'offre point les pavôts de la monotonie ;
Et dans leur changement les fons toujours d'accord
,
Font que dans la mémoire ils le gravent plus fort.
Qui ne peut approcher de fa noble élégance ,
Prétendroit l'imiter , du moins dans fa licence :
Car jamais bon Auteur ne fut embaraffé ,
Dans aucune meſure , après avoir penſé.
C'est à penser qu'il faut que votre exemple oblige,
Sans vouloir que fur l'Art la Mufe fe néglige .
De Malherbe bientôt détruifant les travaux ,
Abjurant les Sonnets , les Odes , les Rondeaux ;
Si l'hémiſtiche encor vient à gêner la veine ,
On pourra donc auffi s'épargner cette peine ?
Imaginez , plutôt , quelque difficulté ....
Le Parnaffe, aujourd'hui, n'eft que trop fréquenté.
FEVRIER . 1761 . 17
SUITE DE LA TRAGÉDIE
DE
TANCREDE & SIGISMONDE.
ACTE IV.
SCENE PREMIERE .
Le Théâtre repréfente les jardins de la
maifon de SIFFREDI .
SIGISMONDE. LAURE.
SIGISMONDE , une lettre à la main,
' EN eft fait ... Je fuis efclave ! ... Le funefte
ferment , eft forti de ma bouche....
J'ai crû , dans cet affreux moment , voir
les tombeaux , & le Temple , & l'Autel
obfcurcis d'un nuage épais , frémir &
s'écrouler fur moi ! ..... Et tu m'offres
encore un nouveau genre de fupplice , ô
Tancréde !.... ah , cruel ! ceffe , du moins ,
de perfécuter ta victime : ceffe de m'envier
, dans mon malheur , une apparence
de tranquillité , dont je ne jouirai jamais
! ..... Mais , comment fe peut - il
que Laure confpire auffi contre le repos
que je cherche ? .... Qui vous forçoit de
18 MERCURE DE FRANCE.
Vous charger de cette Lettre ? .... Hâtezvous
de la lui rendre ..... ( En la lui
Temettant. ) Epargnez - moi de nouveaux
fupplices.
LAURE.
C'est mon frère , Madame ; c'eſt Rodolphe
, qui tout en larmes , m'a conjuré
de rendre ce dernier fervice au Roi ! ....
Ce Prince n'eft ( dit- il ) que malheureux ;
& fon état , eft digne de pitié ! ..... Que
rifquez-vous de voir comment il prétend
s'excufer ? .... Peut-être , vous donne- t-il
ici de nouvelles preuves de fa mauvaiſe
foi.
SIGISMONDE.
Non : l'épouse d'Ofmond ne doit rien
recevoir , & doit tout redouter de cette
main contagieufe.
LAURE.
Rodolphe , me le peint dans le plus
affreux défeſpoir ..... Il expire , s'il ne
Vous voit.
SIGISMONDE.
Gardez-vous de m'en parler ! ...
LAURE.
Je vous rends feulement , Madame
FEVRIER. 1761) 19.
ce que m'a dit mon frère ... On parle même
fourdement ( dit- il ) de quelque complot
obfcur , qui nous a tous trompés ..... Et
j'allois en apprendre davantage ; lorfque
votre père , & votre époux , tous les deux
mandés par Conflance , ont appellé mon
frère.
SIGISMONDE.
Un complot , dites- vous ? ..... Jamais
femme , je le préffens , ne fut plus deſtinée
à l'infortune ! ..... Il faut fubir fon
fort .... Donne - moi la Lettre .... C'eft
un malheur de moins , que de ne plus ,
douter .... Hélas ! étoit- ce avec de tels
frémiffemens , avec ces ferremens de
coeur , que je lifois , ces jours paffés , les
Lettres de Tancréde ?
( Après avoir vainement éffayé de lire
la Lettre ; elle la remet à Laure . )
Ce triſte ſouvenir , trouble juſqu'à ma
vue ... Tiens ... Lis toi- même.
LAURE , lit.
Délivrez-moi , ma chère Sigifmonde , de
toutes les horreurs que peut fouffrir un coeur
fidéle ! .... Eft- il de plus affreux fupplice
que celui d'être regardé comme coupable
par celle dont l'eftime ajoûte encore de
18 MERCURE DE FRANCE.
Vous charger de cette Lettre ? .... Hâtezvous
de la lui rendre ..... ( En la lui
Temettant. ) Epargnez - moi de nouveaux
fupplices.
LAURE.
C'eft mon frère , Madame ; c'eſt Rodolphe
, qui tout en larmes , m'a conjuré
de rendre ce dernier fervice au Roi ! ....
Ce Prince n'eft ( dit- il ) que malheureux ;
& fon état , eft digne de pitié ! ..... Que
rifquez- vous de voir comment il prétend
s'excufer ? .... Peut- être , vous donne - t-il
ici de nouvelles preuves de fa mauvaiſe
foi.
SIGISMONDE.
Non : l'épouse d'Oſmond ne doit rien
recevoir , & doit tout redouter de cette
main contagieuſe.
LAURE.
Rodolphe , me le peint dans le plus
affreux défefpoir ..... Il expire , s'il ne
Vous voit.
SIGISMONDE.
Gardez-vous de m'en parler !....
LAURE .
Je vous rends feulement , Madame
FEVRIER. 1761) 19 .
ce que m'a dit mon frère ... On parle même
fourdement ( dit- il ) de quelque complot
obfcur , qui nous a tous trompés ..... Et
j'allois en apprendre davantage ; lorfque
votre père , & votre époux , tous les deux
mandés par Conflance , ont appellé mon
frère.
SIGISMONDE.
Un complot , dites- vous ? ..... Jamais
femme , je le préffens , ne fut plus deftinée
à l'infortune ! ..... Il faut fubir fon
fort .... Donne - moi la Lettre .... C'eft
un malheur de moins , que de ne plus
douter .... Hélas ! étoit- ce avec de tels
frémiffemens , avec ces ferremens de
coeur , que je lifois , ces jours paffés , les.
Lettres de Tancréde ?
(Après avoir vainement éffayé de lire
la Lettre ; elle la remet à Laure . )
Ce trifte fouvenir , trouble jufqu'à ma
vue ! ... Tiens ... Lis toi - même .
LAURE , lit.
Délivrez-moi , ma chère Sigifmonde , de
toutes les horreurs que peut fouffrir un coeur
fidéle ! .... Eft- il deplus affreux fupplice
que celui d'être regardé comme coupable
par celle dont l'eftime ajoûte encore de
20 MERCURE DE FRANCE.
de nouveaux charmes à la vertu ? Ce qu'e
xigeoit ma fituation , ce que vous croyez
perfidie , n'eft en effet parti que d'un excès
d'amour : j'ai crû , pour un inftant , devoir
lui facrifier l'honneur même..... Tous
les momens qui retarderónt notre entrevue ,
font autant de traits qui vont percer un
coeur qui vous adore ; & bien plus à plaindre
cent fois, que s'il étoit en effet criminel.
Souffrez donc , que je vous conjure de
m'attendre dans le jardin , vers le déclin du
jour ! je vous y dévoilerai tout le mystère
de mon malheur . Avec quelle inhumanité
l'on nous a trompés tous les deux !..-
& par ce papier même qui vous étoit donné
comme le gage le plus facré de ma tendreſſe !
& qui vous affuroit du coeur , & de la main
de votre
....
TANCREDE.
SIGISMONDE.
I
Le voilà donc connu , cet horrible fe
cret ! ..... Et j'en pénétre , avec éffroi ,
toutes les fuites.... Ce funefte papier ...
J'ai cru devoir le remettre à mon père....
Et mon père peut- être ? .... Ah ! je n'ofe
y penfer ..... Trop généreux Tancréde !
épargne -moi cette cruelle vérité que je
redoute laiffe- moi , pour jamais ; oui !
pour jamais , dans l'ignorance ..... Que
FEVRIER. 1761 2
mon infortune , eft étrange ! Je fuis réduite
au point de fouhaiter que mon
Amant foit un perfide ..... Ciel ! pourquoi
m'être tant preffée ? .... N'ai - je
donc dû demander quelques heures ? ... le
devoir le défendoit - il ? .... O Tancréde !
Jufqu'à ce jour, ne t'avois - je pas crû fincère
? ton tendre amour , avoit- il pû mêtre
fufpect & tout , en toi , n'étoit- il pas
vertu ? ... Cieux ! & c'est moi qui te ravis
l'unique bien qui faifoit ton bonheur ?
l'unique bien qui te faifoit chérir la vie ? ...
Un inftant de dépit , renverfe ta félicité
! Et c'est à moi ; c'eſt à Sigifmonde
que tu pourras le reprocher ! ..... Froide
prudence du vieil âge , toujours moins
fufceptible de remords ! ..... Pourquoi
faut- il ( ô barbares Parens ! ) que le bonheur
de vos enfans vous rencontre tou
jours contraires ? ....De toutes parts , j'ai
donc été trahie ? .... Et Laure même ? ...
Ah , Cieux !
LAURE .
Eh , quel autre que lui ( quoiqu'il vous
dife ) a trahi Sigifmonde ? Il eft faux ,
ou pufillanime... Moins il rend fon amour
fufpect, plus il rend fufpect fon courage...
Un jeune Roi , qu'anime & l'amour &
l'honneur , fe fera vû tromper , infulter
22 MERCURE DE FRANCE.
fur le Trône même , fans ſe montrer fenfible
à cet outrage ? fans en punir le téméraire
Auteur ? ... Cette foibleffe , eft
égale à la perfidie.
SIGISMONDE.
Arrête ! ... Nous n'avons déjà que trop
aveuglément jugé. Ce qui s'offre à nos
yeux comme frivole , ou comme indifférent
, fouvent décide notre fort , & produit
les plus grands événemens.... Oui .
je commence à préffentir un avenir qui
m'épouvante la fource de mes maux , eſt
dans mon coeur ; & rien ne peut m'en -
affranchir... La plainte même , eft maintenant
un opprobre pour moi ... Je me
refufe donc ( oui je le dois , & ma fermeté
m'en répond ) je me refuſe donc à
toute efpéce d'entrevue , à toute eſpéce
d'éclairciffement fur cet horrible & ténébreux
mystère. Je fuis , loin de Palerme
& vais chercher l'obfcurité d'une profonde
folitude. Là , toute entière à mes ennuis
, je remplirai mon fort , fans même
que mes pleurs femblent le reprocher à
mon malheureux Père.... Adica, Laure ....
laiffe-moi fuir ? ...
LAURE.
Ah , Madame ! .... Voici le Roi....
FEVRIER. 1761 25
SIGISMONDE.
Dleu ! comment l'éviter ?... Mais non ...
reftons .... Je veux le voir , pour la dernière
fois .... Qu'on me laiffe.
( * à Laure. )
SCENE I I.
SIGISMONDE . TANCREDE
TANCREDE.
Mon long fupplice eft- il enfin fini? ... 8
Sigifmonde ! ô ma vie ! ... ( il fe jette à
fes pieds . )
SIGISMONDE.
Que faites-vous , Seigneur ? .... Mon
Souverain doit-il être à mes pieds ?
TANCREDE.
... Ah ! laiffe- moi baifer la terre où tes
pas font tracés... Souffre que mon âme
s'exhale dans les plus doux , les plus tendres
tranfports ; puifqu'enfin je revois ,
puifque je fèrre dans mes bras ma Sigifmonde
! ( il fe reléve . ) Ingrate ! as- tu pû
me croire infidéle ? As-tu pû jufqu'à ce
34 MERCURE DE FRANCE.
point , infulter àl'amour ?... Que j'aurois
de reproches à te faire .! ... Quoi ! j'étois
dégradé dans ton efprit? Après tout
ce que j'avois fait pour prévenir chez toi
jufqu'à l'ombre du foupçon même ?
...
SIGISMONDE.
Qu'entends je !... na'i -je pas vu ? n'aije
pas entendu tout ce qui s'eft paffé dans
le Sénat ? votre confentement aux intentions
du feu Roi le triomphe de ma
rivale ? ... je vous en applaudis , Seigneur :
celui que le Ciel a choisi pour gouverner
les autres , doit le premier apprendre à
foumettre fon coeur aux loix de la Raifon
... Ma vanité, que vous aviez flattée ,
~eſt juſtement punie ... Pouvois-je , fans
extravagance , me promettre de balancer
dans le coeur d'un grand Roi fa gloire, fon
repos , & le bonheur d'un Peuple entier ?
TANCRED E.
Continuez, ne diffimulez rien : vos reproches
, dans cet inftant , loin d'offenfer
, flattent fenfiblement mon âme .
Non, cher & digne objet de tous mes voeux !
Non , ton Amant ne t'aima jamais plus
que dans ce douloureux , dans ce cruel
moment , où tu l'imaginois perfide ! ..
C'eft ton Père , ma Sigifmonde ; c'est
ton
FEVRIER. 1761.
25
-
ton Père qui m'a trompé ! C'eſt lui , dont
la main téméraire n'a pas craint d'inférer
au - deffus de mon nom , fur le papier que
je t'avois remis , ce lâche & flétriffant
confentement que
Sigifmonde me reproche
.... Ah ! s'il n'eût pas été ton Père ....
Mais qu'apperçois - je ? Tu trembles ! Tu
pâlis ! ...
SIGISMONDE.
O Tancréde ! ... Laiffez-moi.
TANCREDE.
Que je te laiffe ? moi ! ..... Jamais
cruelle : à moins que tes lévres charmantes
ne me jurent , comme autrefois , d'aimer
toujours Tancréde ! ... Sans toi , je
renonce à moi-même , à mes amis , à la
Couronne , à l'Univers ... Ah ! rends moi
cette main.
SIGISMONDE.
Oubliez - la , Seigneur.... Cette main ,
déformais , ne peut être unie à la vôtre.
TANCREDE.
Sigifmonde ! .. Que dites- vous ? ... Ce
difcours , ces regards , & ces frémiffemens
, tout femble m'annoncer de nouveaux
malheurs que j'ignore.... Ah Cieux !
B
26 MERCURE DE FRANCE:
fe pourroit- il ? ... Mais non : je fuis in
jufte... Hâte- toi de parler , fi tu ne veux
que j'expire à tes yeux .
SIGISMONDE.
Craignez d'en fçavoir davantage . ::
N'efperez plus que je puiffe être à vous.
TANCRED E.
Et qui pourroit y mettre obftacle ? Quel
mortel oferoit affronter les fureurs d'un
Monarque outragé ?
SIGISMONDE.
L'erreur où vous m'avez plongée , & le
pouvoir d'un implacable Père , ont mis
pour jamais entre nous , une barrière infurmontable....
Ofmond eft mon Epoux.
TANCRED E.
Votre Epoux ! ....
( Après un long filence , ils fe regardent
fixement , & s'expriment tout ce que leur
fituation exige. Tancréde continue. )
T'ai -je bien entendue ? .... Ofmond eft
ton Epoux ? ... & Tancréde te perd , &
te perd pour jamais ! ... As- tu pu le vouloir
? ...Quoi ! même fans m'entendre? ...
Ah , Sigifmonde ... Ah , malheureuſe !
qu'as- tu fait ?... Non : je ne puis le croire !
FEVRIER. 1761 . 27
Non...! ta main eft à moi , tu ne pouvois
en difpofer !
SCENE III.
SIGISMONDE.TANCREDE.OSMONDOSMOND
, en retirant la main de fa
femme , de celle du Roi.
MADAME ADAME ,. cette main n'eft plus à
vous ... Et fi l'honneur
pouvoit me le permettre
maintenant
.... Tel eft le cas que
j'en ferois ... ( en la rejettant. )
TANCREDE .
Téméraire Mortel ! ... Qui donc es- tu ?
SIGISMONDE , en fortant .
Ah , Ciel ! ... cherchons mon Père.
SCENE I V.
TANCREDE. OSMOND.
OSMON D.
QUELQU'UN , qu'ici , tu devrois mieux
connoître .. Oui ! ... Regarde -moi bien....
Bij
28 MERCURE DE FRANCE:
Quelqu'un , qui veut défendre fon hon
neur & maintenir fes droits contre un
Prince perfide , contre un Roi trop peu
fait pour l'être ; & dont la premiere démarche
, eft celle qu'un Tyran rougiroit
qu'on lui reprochât,
TANCREDE.
· Trop infolent mortel ! ..... apprends
que ce Roi , fi peu fait pour l'être , fera
fentir le poids de fa vengeance à quiconque
ofera lui difputer des droits acquis
avant les tiens . Ceux dont tu veux te prévaloir
, n'ont d'autre fondement qu'une
fupercherie , qu'un infâme complot : les
miens font les droits de l'amour , d'un
amour réciproque , d'une foi donnée &
reçue , qui dès long - temps uniffoit nos
deux âmes ..... Ma Sigifmonde , enfin
doit être , & ne fçauroit être qu'à moi….....
J'annullerai , par le pouvoir que me donne
le fceptre , ces formalités criminelles
dont vous avez imaginé pouvoir lier celle
qui fera votre Reine , qui poffède mon
coeur , & qui partagera mon Thrône ...
Et fi tu l'ignorois , fuperbe Ofmond ! apprend
s - le de ton Maître .... Saches , de
plus qu'après t'en avoir informé ; appren
ds,que s'il t'arrive feulement de penfer
à traverfer mes deffeins ... ta tête
m'en fera raiſon,
>
FEVRIER . 1761 . 29
OSMON D.
Ma tête ? .... Cette menace , excite mon
mépris .... Depuis quand donc , les jours
d'un Chevalier Normand , font- ils devenus
afféz vils , pour dépendre du courroux
d'un Roi ? .... La loi , faite pour te
juger toi même , en pourra décider ....
à fon défaut ; c'eft à ceci que j'en appelle .
( Il porte la main fur la garde de fon
épée. )
TANCRED É.
Garde-toi de la toucher , Traître ! ....
ou crains que la colère ne m'emporte jfqu'à
ne plus me fouvenir de ce que je me
dois.
SCENE V.
TANCREDE. OSMOND. SIFFREDI .
A
SIFFREDI.
н , mon Maître ! .... ah , Seigneur !
Qu'apperçois - je ? un Souverain , ſe compromettre
ainfi ! ... Conteſter avec un
Sujet ! .... J'imaginois que ma maifont
pût mériter quelques égards , & ne dût
pas être choifie pour un fi fcandaleux
Biij
28 MERCURE DE FRANCE
Quelqu'un , qui veut défendre fon hon
neur & maintenir fes droits contre un
Prince perfide , contre un Roi trop peu
fait pour l'être ; & dont la premiere démarche
, eft celle qu'un Tyran rougiroit
qu'on lui reprochât,
TANCRED E.
.....
Trop infolent mortel ! ..... apprends
que ce Roi , fi peu fait pour l'être , fera
fentir le poids de fa vengeance à quiconque
ofera lui difputer des droits acquis
avant les tiens. Ceux dont tu veux te prévaloir
, n'ont d'autre fondement qu'une
fupercherie , qu'un infâme complot : les
miens font les droits de l'amour , d'un
amour réciproque , d'une foi donnée &
reçue , qui dès long - temps uniffoit nos
deux âmeş Ma Sigifmonde , enfin ,
doit être , & ne fçauroit être qu'à moi.....
J'annullerai , par le pouvoir que me donne
le fceptre , ces formalités criminelles
dont vous avez imaginé pouvoir lier celle
qui fera votre Reine , qui pofféde mon
coeur , & qui partagera mon Thrône ....
Et fi tu l'ignorois , fuperbe Ofmond ! apprend
s - le de ton Maître .... Saches , de
plus qu'après t'en avoir informé ; appren
ds, que s'il t'arrive feulement de penfer
à traverfer mes deffeins ..... ta tête
m'en fera raiſon,
>
FEVRIER. 1761 . 29
OSMON D.
Ma tête ... Cette menace, excite mon
mépris .... Depuis quand donc , les jours
d'un Chevalier Normand , font- ils devenus
afféz vils , pour dépendre du courroux
d'un Roi ? .... La loi , faite pour te
juger toi même , en pourra décider ....
à fon défaut ; c'eft à ceci que j'en appelle .
( Il porte la main fur la garde de fon
épée. )
TANCREDE
Garde-toi de la toucher , Traître ! .....
ou crains que la colère ne m'emporte j₁fqu'à
ne plus me fouvenir de ce que je me
dois.
SCENE V.
TANCREDE. OSMOND. SIFFREDI.
A H
SIFFRED I.
H , mon Maître ! ....ah , Seigneur !
Qu'apperçois - je ? un Souverain , fe compromettre
ainfi ! ... Contefter avec un
Sujet ! .... J'imaginois que ma maiſon
pût mériter quelques égards , & ne dûr
pas être choifie pour un fi fcandaleux
B iij
28 MERCURE DE FRANCE
Quelqu'un , qui veut défendre fon hon
neur & maintenir fes droits contre un
Prince perfide , contre un Roi trop peu
fait pour l'être ; & dont la premiere démarche
, eft celle qu'un Tyran rougiroit
qu'on lui reprochât ,
TANCREDE.
...
Trop infolent mortel ! ..... apprends
que ce Roi , fi peu fait pour l'être , fera
fentir le poids de fa vengeance à quiconque
ofera lui difputer des droits acquis
avant les tiens . Ceux dont tu veux te prévaloir
, n'ont d'autre fondement qu'une
fupercherie , qu'un infâme complot : les
miens font les droits de l'amour , d'un
amour réciproque , d'une foi donnée &
reçue , qui dès long - temps uniffoit nos
deux âmes . Ma Sigifmonde , enfin ,
doit être , & ne fçauroit être qu'à moi….……...
J'annullerai , par le pouvoir que me donne
le fceptre , ces formalités criminelles
dont vous avez imaginé pouvoir lier celle
qui fera votre Reine , qui pofféde mon
coeur , & qui partagera mon Thrône ....
Et fi tu l'ignorois , fuperbe Ofmond ! apprends
- le de ton Maître .... Saches , de
plus qu'après t'en avoir informé ; appren
ds, que s'il t'arrive feulement de penfer
à traverfer mes deffeins ..... ta tête
m'en fera raiſon ,
?
FEVRIER. 1761 . 29
OSMON D.
Ma tête ... Cette menace , excite mon
mépris .... Depuis quand donc , les jours
d'un Chevalier Normand , font- ils devenus
affez vils , pour dépendre du courroux
d'un Roi ? .... La loi , faite pour te
juger toi même , en pourra décider ....
à fon défaut ; c'eft à ceci que j'en appelle.
( Il porte la main fur la garde de fon
épée. )
TANCRED E.
Garde-toi de la toucher , Traître ! .....
ou crains que la colère ne m'emporte jfqu'à
ne plus me fouvenir de ce que je me
dois .
SCENE V.
TANCREDE. OSMOND. SIFFREDI .
Aμ
SIFFRED Í.
H , mon Maître ! ....ah , Seigneur !
Qu'apperçois - je ? un Souverain , fe compromettre
ainfi ! ... Conteſter avec un
Sujet ! .... J'imaginois que ma maifon
pût mériter quelques égards , & ne dût
pas être choifie pour un fi fcandaleux
B iij
28 MERCURE DE FRANCE
Quelqu'un , qui veut défendre fon hon
neur & maintenir fes droits contre un
Prince perfide , contre un Roi trop peu
fait pour l'être ; & dont la premiere démarche
, eft celle qu'un Tyran rougiroit
qu'on lui reprochât,
TANCREDE.
· ....
Trop infolent mortel ! ..... apprends
que ce Roi , fi peu fait pour l'être , fera
fentir le poids de fa vengeance à quiconque
ofera lui difputer des droits acquis
avant les tiens. Ceux dont tu veux te prévaloir
, n'ont d'autre fondement qu'une
fupercherie , qu'un infâme complot : les
miens font les droits de l'amour , d'un
amour réciproque , d'une foi donnée &
reçue , qui dès long - temps unifloit nos
deux âmeş Ma Sigifmonde , enfin ,
doit être , & ne fçauroit être qu'à moi…....
J'annullerai , par le pouvoir que me donne
le fceptre , ces formalités criminelles
dont vous avez imaginé pouvoir lier celle
qui fera votre Reine , qui poffède mon
coeur , & qui partagera mon Thrône ....
Et fi tu l'ignorois , fuperbe Ofmond ! apprends-
le de ton Maître .... Saches , de
plus qu'après t'en avoir informé ; appren
ds, que s'il t'arrive feulement de penfer
à traverfer mes deffeins ..... ta tête
m'en fera raiſon,
?
FEVRIER. 1761 . 29
OSMON D.
Ma tête ... Cette menace , excite mon
mépris .... Depuis quand donc , les jours
d'un Chevalier Normand , font- ils devenus
affez vils , pour dépendre du courroux
d'un Roi ? .... La loi , faite pour te
juger toi même , en pourra décider ....
à fon défaut ; c'eft à ceci que j'en appelle.
( Il porte la main fur la garde de fon
épée. )
TANCREDE.
Garde- toi de la toucher , Traître ! .....
ou crains que la colère ne m'emporte jfqu'à
ne plus me fouvenir de ce que je me
dois .
SCENE V.
TANCREDE. OSMOND. SIFFREDI.
A H
SIFFREDI.
н , mon Maître ! .... ah , Seigneur !
Qu'apperçois - je ? un Souverain , fe compromettre
ainfi ! ... Contefter avec un
Sujet ! .... J'imaginois que ma maiſon
pût mériter quelques égards , & ne dûr
pas être choifie pour un fi fcandaleux
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
éclat ....Un fi cruel événement , renverfe
, en un inftant , mes efpérances , &
me rend la vie odieuſe .... Qui défendra
nos droits , Seigneur , fi c'est vous qui les
attaquez ? qui maintiendra notre paix domeftique
, fi c'eft le Prince qui la trou- .
ble ? .... N'est- ce pas pour en jouir plus
fûrement , que tant de coeurs nés libres
fe plient aux loix d'un gouvernement
légitime ?
TANCREDE.
Epargnez-vous ces froides remontrances
les devoirs de mon rang , ne me font
pas tout- à-fait inconnus .... Mais vous
vieil organe des loix ; de quel front ofezvous
parler ici d'égards , & de droits violés
? Vous ! dont l'audace n'a pas craint
de fouler aux pieds tout ce qu'on doit à
la justice , à l'humanité même ? ... Tu
fçais , fi je t'accuſe à faux ? fi j'ai droit de
te rétorquer tes indignes reproches ? Mais
je daigne encore t'épargner , fur - tout
devant Ofmond ; devant celui pour qui
ton amitié mal affortie t'a fait fi baſſement
facrifier ta fille .... Adieu .... Vous , Con
nétable , vous dont l'audace ofoit lever.
les yeux jufque fur mon Amante ; je vous
ordonne encore un coup , fur votre tête....
(Dévore ta fureur , Comte : entends - moi !)
FEVRIER. 1761. 3ཉེ་
au péril de ta tête , dis - je , garde- toi
de pouffer plus loin tes arrogantes prétentions.
SCENE V I.
SIFFREDI. OSMOND.
ARRO
OSMOND.
RROGANTES , dit- il ! .... N'eft- ce donc
point ma femme qu'il m'enléve ! .... Où
fommes nous , grands Dieux ? ..... Setions-
nous devenus féroces ? n'avons nous
plus de Loix , plus de police , plus de
frein .... Je n'ai plus de droits fur ma
femme ! ....Monarque extravagant ! ton
courroux menace ma vie ? C'eſt du Ciel
même , & non de toi , que je la tiens ,
pour la défendre noblement contre tout
oppreffeur. O Race des Normans ! ô fils
du grand & redouté Rollon ! qui fortis
par éffain du fond du Nord , ( digne fource
, digne nourrice des coeurs libres &
généreux ) ainfi que la tempête , ont
renversé tout ce qui s'oppofoit à leur
paffage , n'ont dû leurs établiſſemens
qu'à leur épée n'en jouiffent encore
qu'au même titre , & ne font point accoutumés
aux menac esd'un Maître ! ..
›
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Vous , dis- je , qui faurez l'outrage que
j'éprouve ; mépriſez- moi , fi mon honneur
n'eft point vangé ! Ne voyez plus ,
en moi , qu'un lâche , qu'un traître à la
Patrie , trompé , trahi , tyrannifé..... Ma
caufe eft celle du Public... Conftance eft ,
déformais , ma Souveraine.
SIFFRE DI.
Maintenons nos droits ; maintenons - les
même , avec fermeté , Seigneur : mais ,
ajoutons y la Prudence. Ne rifquons
point à plonger l'Etat dans les horreurs
inféparables d'une guerre inteftine. Elevons-
nous , Seigneur , mettons- nous au
deffus de la Sphère vulgaire des paffions
perfonnelles ; & n'agiffons ici que noblement
! ... Songez , fur- tout , que ma
maiſon eſt un alyle fûr pour votre époufe...
Et qu'à la moindre violence, vous verrez
cette main, quoique foible à vos yeux,
renouveller ce qu'à- peu- près en pareil cas
on vit jadis àRome... * Ne craignez rien :
Tout peut encore fe réparer ; & je connois
le coeur du Roi. Ses premiers mouvemens
font tout de feux , plus prompts
que l'éclair même : Mais la juftice , mais
l'honneur , ont toujours des droits fur
*Virginius , à qui Clodius vouloit enlever fa
fille , la poignarda de fa propre main .
FEVRIER. 1761 . 33
fon âme ... Vous le verrez ( j'en fuis certain
! ) revenir bientôt à lui - même.
OSMON D.
Je dirai plus... Il faut qu'il y revienne ...
Oui, Seigneur, il y reviendra fans doute ! ...
vous le connoiffez , dites - vous ? Ah ! plût
au Ciel , que j'euffe appris de vous , tout
ce que vous favez de lui ! ... Siffrédi voudroit
donc que j'attendiffe en paix que ce
Tyran revînt à la raifon ? .... Puiffances
éternelles il faudra donc attendre que
ce Prince ait mieux forgé nos chaînes ?
Que fon orgueil, accru par notre abaiſſement
, ait renverfé toutes les Loix ? ...
Non , non , Seigneur , il eft un plus noble
moyen de ramener l'aveugle oppreffion
aux régles du devoir.
SCENE VII.
SIFFREDI. OSMOND. RODOLPHE.
Gardes.
RODOLPHE.
SEIGNEUR , EIGNEUR , grand Connérable de Sicile 3
c'est par un ordre exprès du Roi , que je
demande votre épée.
34 MERCURE DE FRANCE.
OSMON D.
Quel eft ce Roi , Rodolphe ? Je n'en
connois point en Sicile... fi ce n'eft l'époux
de Conftance .
SIFFREDI.
Laiffez un libre cours à fa fureur ....
Seigneur , obéiffez .... Nulle priſon ne
peut retenir nos injures ... Oui , Seigneur !
Ce dernier trait m'attache encore plus à
vous ; nos fortunes feront les mêmes.....
( à Rodolphe. ) Ami ! vous me voyez gémir
fur les prémices de ce régne.
OSMON D.
Dites , de cette ufurpation .... Ce météore
peut éffrayer , en brillant fur nos
têtes ; mais fe diffipera bientôt .... Rodolphe
, je vous fuis... Adieu , Seigneur ....
Souvenez -vous, que je laiffe en vos mains:
plus que ma fortune , & ma vie ! .... mon
honneur.
SIFFREDI.
Le mien s'y trouve à jamais attaché ...
Adieu , mon fils . ... Nous ne ferons pas
longtemps féparés... Point de fommeil
point de repos pour moi , jufqu'à ce que
je brife ou partage vos fers .
Fin du quatrième Acte,
FEV RIER. 1761 . 35
T
ACTE V.
SCENE PREMIERE.
SIFFREDI , feul .
OUT femble autour de moi fe couvrir
de nuages le Roi , quoique moias agité,
(comme tous les coeurs vifs , & généreux )
ne conferve pas moins toute l'ardeur de
fa tendreffe ; & perfifte toujours , quel
qu'en puiffe être le danger , à faire rompre
le lien qui joint Ofmond à Sigifmonde
.... Ciel ! à quelle orageufe mer , aije
rifqué de confier mon Tréfor le plus
précieux ? ... Ici les rapides éffors d'une
fougueufe paffion , que la jeuneffe , & le
pouvoir fuprême irritent , ne me font que
trop fentir toute la témérité de mon éntreprife
.... Là , le jaloux orgueil d'un
Grand , redoutable par fa naiffance , par
fes amis , par la juftice même de fa caufe ,
intére le vivement mon honneur à fervir
fon reflentiment. Tout me dit cependant
encore , je me fens toujours convaincu ,
que les mesures que j'ai prifes étoient devenues
néceffaires pour prévenir les maux
que je craignois pour ma Patrie.... Mais,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
comment agir maintenant ?...Je vais hâter
peut- être les malheurs que j'imaginois détourner
! ... Ciel, que j'ai lieu de craindre
que la fupercherie , quels qu'en puiſſent
être les motifs, ne foit peu propre àprocurer
le bien public , ou la félicité particuliere.....
Toi , qui lis dans les coeurs , ô Ciel ! fois:
le témoin de toute la pureté du mien . J'ai
crû devoir préférer mon devoir , & le falut
de mes Concitoyens, aux brillantes lueurs .
faites pour éblouir les âmes baffement intéreffées
, & les plonger dans tous les maux.
e je me flattois d'éviter ..
SCENE II.
SI FREDI. UN OFFICIER.
L'OFFICIER.
SEIGNEUR
EIGNEUR , un Etranger , d'un exté
rieur impofant , mais qui fe couvre le
vifage ; demande , avec empreffement , à
vous parler..
SIFFREDE
Qu'il entre ...Il fe couvre le vifage ...
Pourquoi donc ce déguifement ... & furtout
à cette heure ?
FEVRIER. 1761 . 37
SCENE III.
SIFFREDI. OSMOND , enveloppe
dans un manteau , qu'il relève en entrant.
SIFFRED I.
CIEL ! n'eft- ce point Ofmond ? ... Ah ,
Seigneur ! Que je fuis enchanté de vous
revoir ! .... Mais pourquoi ce déguifement
? .... Le Roi pourroit il avoir fait
plus qu'il ne m'a promis ? Vous ne deviez
fortir qu'au point du jour ..... Seroit- il
redevenu juſte ?
Ofmond lui apprend que le Gouverner du
Château , où il étoit prifonnier , lui a permis de fortir
jufqu'au point du jour , fur fa parole ; & que tous
les Partifans de Conftance font prêts à prendre les
armes pour le vanger , ainfi qu'elle , d'un Prince
qui ne leur annonce qu'un Tyran plus à craindre
encore que Guillaume le Mauvais . Siffrédi employe
vainement toute fon éloquence pour calmer fon
reffentiment ; il offre même d'enlever fecrettement
Sigifmonde ; de la conduire dans un Monaſtère &
de la forcer de fe confacrer à Dieu . Rien ne peut
détourner Ofmond de la vengeance qu'il croit fe
devoir , ni ébranler les fentimens patriotiques de:
Siffredi , qui le quitte après lui avoir promis d'al
ler le lendemain matin , avec tous les amis ,
mander la liberté au Roi,.
de
38 MERCURE DE FRANCE.
SCENE III.
O SMON
SMOND, feul , conçoit des foupçons fur la
probité de fon beau - père , dont la prédilection
pour Tancréde lui eft connue ; & fon ardente jaÎoufie
réalife bientôt dans fon efprit tous ces foupçons.
Il fe détermine à enlever , dès cette nuit , fa
femme , & à la conduire en lieu de fureté . Il fort,
dans le deflein d'aller engager le Gouverneur du
Château à faire agir , dès cet inftant , tous les
amis.
SCENE I V.
IF Théâtre repréſente l'appartement de Sigif
monde. La nuit eft avancée. Elle force Laure de
la laiffer feule à fes douleurs.
SCENE V.
SIGISMONDE , feule.
ENFIN
NFIN me voilà feule ! .... & la plus
malheureufe créature qui veille maintenant
dans l'Univers .... J'ai dit à Laure ,
que je ne craignois rien .... Mais je ne
FEVRIER. 1761. 39
fai quelle fecrette horreur s'empare de
mes fens...Ah , doit-on craindre encore ,
quand toute efpérance eft perdue ... & morte
pour jamais !... Et toi , fecourable afyle
de repos ! ( en regardant fon lit. ) toi , qui
fais oublier tous les tourmens des jours
les plus tumultueux ; où les peines de la
trifte humanité femblent s'enfevelir dans
un délicieux oubli : tu m'offrirois envain
ton utile fecours ! ... Que faite donc ?
Que devenir , en ces inftans d'horreur ?...
Mais , ô Ciel ! n'entends- je pas du bruit? ...
Non ... Je me trompois ... Le plus profond
filence régne feul dans cette affreufe
nuit . Encore !.... Ah Dieu ! que vois je ...
Eft- ce le Roi ? ...
SCENE V I.
TANCREDE . SIGISMONDE.
TANCREDE.
AH ! de grâce, ne vous allarmez point...
SIGISMONDE.
Eft- ce un Roi , qui me parle!.... Mais
par quel art ... Par quel enchantement ,
& furtout à cette heure , a- t-il pû s'intro
duire ici
40 MERCURE DE FRANCE.
TANCREDE.
Par la fecrette iffue que mon amour
avoit imaginée , lorfque , dans des temps
plus heureux , je confacrois fi vainement
ces mêmes heures aux tendres proteftations
d'une flâme éternelle.
SIGISMONDE.
Pourquoi donc perfifter dans l'odieux
projet d'ajouter aux tourmens d'une femme
, qui ne peut être à vous ? ... Ah , fuyez,
Prince ! ... Ignorez-vous encore ? ...
TANCREDE.
Non , je n'ignore point tous les reproches
que j'aurois à vous faire ....
Mais le temps eft trop précieux... Vous
favez par quel artifice votre Père m'a
forcé de paroître coupable aux yeux de
mon amante même. Funefte aveuglement
... Ciel , pouvez -vous n'avoir point
apperçu les mouvemens & d'amour & de
rage dont j'étois dévoré , lorfqu'aux yeux
de l'Etat entier je me fuis vû contraint ,
uniquement pour obtenir quelque délai ,
de déguifer mes fentimens ? ... Avez - vous
pû m'imputer d'autre but , que celui de
m'affurer d'autant mieux la poffeffion de
ma chère Sigifmonde ? ... & depuis cer
FEVRIER. 1761. 47
pour inftant fatal , que n'ai-je point tenté
me débarraſſer du piége où m'avoit fçu
plonger le trop barbare Siffrédi ! ... Mais
ton dépit , mais ta crédulité nous a per
dus... Quel nom donner à l'injuftice que
j'éprouve de ta part ? ... & quel éfpoir
peut déformais être fondé ?
SIGISMONDE.
Trop généreux Tancréde ! ... l'excès de
ta fincérité me confond , & me tue ! ...
Oui !... Oui , c'eft moi feule qui fuis perfide...
Un reffentiment trop précipité ,
joint à l'excès de ma foumiffion aux ordres
de mon Père , a mis le comble à nos
malheurs... Mais puis - je comparer les .
tiens à ceux où je me trouve en proie?
à ceux dont tu me vois frémir ? ... Haismoi
, Tancréde ; laiffe moi : abandonne
une ingrate à toutes les horreurs du fort
qu'elle mérite , & qu'elle doit fubir. Tâche
enfin d'oublier la déplorable & trop
indigne Sigifmonde !
TANCREDE.
Moi t'oublier ! ... Non ! ton âme eft
la mienne..... Je ne penfe qu'à toi , je
n'efpére qu'en toi , & ne puis defirer que
toi !... Ton repentir ajoute encore au défefpoir
que m'infpire la crainte de te per41
MERCURE DE FRANCE.
dre ! tu ne m'en deviens que plus chére !
... Moi , t'oublier ? ... ferois -je encore
Tancréde ? ne ferois-tu plus Sigifmon
de ?
SIGISMONDE.
C'eft pourtant un éffort ,
'doit vous préfcrire.
que le devoir
TANCREDE.
Et Sigifmonde , ofera - t - elle le tenter
? ...
SIGISMONDE.
J'ignore, hélas, quel fera mon fuccès ! ...
Mais quelque foible que je fois , je me
promets de remplir mes devoirs.
TANCRED E.
Ainfi , je fuis perdu ! ... Vous y réuffirez
, Madame ; & je fuis oublié.
SIGISMONDE.
Quoi , Tancréde ! ... mais refpectez ce
que je fuis ... Quels feroient vos deffeins
?
TANCREDE.
De réclamer des droits fondés fur les
fermens dont le Ciel même eft le garant ;
FEVRIER. 1761.
43
de m'élever contre la prophanation de la.
foi jurée , qui rend nulle de droit toute efpéce
d'alliance poftérieure... d'ufer enfin
des droits du Souverain contre l'abus des
Loix , dont lui feul eft l'inftituteur & fuprême
interprète.
SIGIS MONDE.
L'honneur , Seigneur , eft trop rigide ,
trop fcrupuleufement délicat pour re-.
courir aux fubtilités des interprétations ....
Ses promeffes , font fes feuls juges ... Je
n'étois probablement pas née pour être)
votre Reine .... Ni pour porter un nom
plus cher encore ; celui de votre épouse .
Je fuis celle d'un homme illuftre , d'un
homme né de votre fang ; & ferai du
moins dignement , ce que je fuis .....
Laiffez moi donc ; partez , Seigneur :
partez , mon Roi ! ... Nul reméde ne
peut guérir les maux que ce jour nous a
faits ... Nous ne nous verrons plus.
·
TANCREDE.
Impitoyable Sigifmonde ! où prends - tu
cette fermeté ... Peux-tu , fi froidement ,
percer mon coeur ?... Ah , que l'amour eſt
foible , lorfque la vanité peut balancer
fes droits ! lorfqu'il voit , fans douleur , le
défefpoir de fon objet ! ... Non, tu ne peux
44 MERCURE DE FRANCE.
me voir, fans pitié, dans l'état horrible ou
je fuis .... Non ! tu ne le peux , dis - je tu
ne le peux , ma chère Sigifmonde !... Il en
eft temps encore fauve- moi ; fauvenous
! ... Rodolphe , avec ma garde , eft
à la porte du Jardin ... Saififfons un moment
que nous ne retrouverons peut être
jamais . Je te reconnoîtrai hautement
pour mon époufe , & t'en affurerai publiquement
le titre augufte : tout l'Univers
approuvera mon choix : tous les coeurs
généreux applaudiront à notre bonheur
mutuel.
SIGISMONDE.
L'Univers , dires- vous ? Qu'eft- ce, pour
moi , que l'Univers , fi j'ai quelques reproches
à me faire ? .... Si pourtant tu
n'étois pas Roi , je ne répondrois pas frfi
certainement de moi - même. Ma conduite
en ce cas, juftifiée , fanctifiée par le fentiment
de l'amour le plus pur, n'eût pas été
fufpecte à l'oeil le plus auftère : l'ambition
, ou l'intérêt , n'euffent pû m'être reprochés.
Mais , aujourd'hui , mon coeur ,
quelque partial qu'il puiffe être , réclame
vainement contre le fentiment intérieur
qui tyranniſe ma Raiſon .
TANCREDE.
Eh bien , n'en parlons plus .... Il faur
FEVRIER. 1761.
45
que je céde à mon fort... Oui , je le dois ,
cruelle, puifque ton âme endurcie par un
orgueil mal entendu, fe forme également
à la Pitié comme à l'Amour .... regardemoi
! vois ton amant, dégradé de fon être,
vil & miférable poids de la Tèrre , renoncer
à fon rang , abjurer toute eſpéce
de devoirs ! ... C'eft là, que je veux expirer;
c'eft à tes pieds que je rendrai l'âme la
plus fidelle... La mort ; oui , la mort ſeule ,
déformais , pourra nous féparer !
SIGISMONDE , en voulant le relever.
Ah , Cieux ! vous avez donc juré ma
perte ? ... Eh , que puis je de plus pour
vous ? ... Eh bien , Tancréde ; eh bien ,
pour la dernière fois , j'oublie encore ce
que je fuis ! je veux bien t'avouer, que les
liens les plus facrés n'altéreront jamais
les fentimens que j'ai pour toi ... Mais ,
laiffe-moi ! ... Fuis , dis- je ? dût- ce n'être
que par pitié ! .... Dieu , quel fort eft le
nôtre ! .... relevez - vous , Seigneur ; & fi
vous m'aimez en effet , refpectez mon
honneur ; refpectez mon repos.... retirezvous
, dis-je ! ... Car , quoique ma vertu
n'ait rien à redouter de la foibleffe de
mon coeur ; les déchiremens qu'il éprouve
font trop affreux pour que je les fupporte
plus longtems ! ...
44 MERCURE DE FRANCE.
me voir, fans pitié , dans l'état horrible ou
je fuis.... Non ! tu ne le peux , dis- je : tu
ne le peux , ma chère Sigifmonde !... Il en
eft temps encore fauve- moi ; fauvenous
! ... Rodolphe , avec ma garde , eft
à la porte du Jardin ... Saififfons un moment
que nous ne retrouverons peut être
jamais. Je te reconnoîtrai hautement
Four mon époufe , & t'en affurerai publiquement
le titre augufte : tout l'Univers
approuvera mon choix : tous les coeurs
généreux applaudiront à notre bonheur
mutuel.
SIGISMONDE.
L'Univers , dires - vous ? Qu'est - ce, pour
moi , que l'Univers , fi j'ai quelques reproches
à me faire ? .... Si pourtant tu
n'étois pas Roi , je ne répondrois pas fr
certainement de moi - même . Ma conduite
en ce cas, juftifiée , fanctifiée par le fentiment
de l'amour le plus pur, n'eût pas été
fufpecte à l'oeil le plus auftère : l'ambition
, ou l'intérêt , n'euffent pû m'être reprochés.
Mais , aujourd'hui , mon coeur ,
quelque partial qu'il puiffe être , réclame
vainement contre le fentiment intérieur
qui tyrannife ma Raifon.
TANCREDE.
Eh bien , n'en parlons plus .... Il faur
FEVRIER. 1761.
45
que je céde à mon fort ... Oui , je le dois ,
cruelle, puifque ton âme endurcie par un
orgueil mal entendu,fe forme également
à la Pitié comme à l'Amour .... regardemoi
! vois ton amant, dégradé de fon être,
vil & miférable poids de la Tèrre , renoncer
à ſon rang , abjurer toute eſpéce
de devoirs ! ... C'eſt là , que je veux expirer;
c'eft à tes pieds que je rendrai l'âme la
plus fidelle... La mort ; oui, la mort ſeule,
déformais , pourra nous féparer !
SIGISMONDE , en voulant le relever.
Ah , Cieux ! vous avez donc juré ma
perte ? ... Eh , que puis je de plus pour
vous ? ... Eh bien , Tancréde ; eh bien ,
la dernière fois , j'oublie encore ce
pour
que je fuis je veux bien t'avouer, que les
liens les plus facrés n'altéreront jamais
les fentimens que j'ai pour toi ... Mais ,
laiffe-moi ! ... Fuis , dis- je ? dût- ce n'être
que par pitié ! .... Dieu , quel fort eſt le
nôtre ! .... relevez - vous , Seigneur ; & fi
vous m'aimez en effet , refpectez mon
honneur ; refpectez mon repos.... retirezvous
, dis - je ! ... Car , quoique ma vertu
n'ait rien à redouter de la foibleffe de
mon coeur ; les déchiremens qu'il éprouve
font trop affreux pour que je les fupporte
plus longtems ! ....
46 MERCURE DE FRANCE.
SCENE VII.
TANCREDE. SIGISMONDE,
OSMOND , l'épée à la main.
OSMON D.
RETOURNE- TOI , tyran ! je dédaigne de
te furprendre ..... viens fatisfaire à ma
gloire outragée.
TANCREDE.
Infolent ! .... Songe toi - même à te défendre.
Ils fe battent. Ofmond tombe.
SIGISMONDE.
Au fecours au fecours !.... Ah , cieux
cruels ! ...
Elle fe panche fur fon mari.
Hélas , Seigneur ! .... qu'aviez - vous donc
imaginé ? ... Ah ! cette foi que je vous
ai jurée , à la face de nos Autels , eſt encore
auffi pure que le jour... J'étois à vous,
Seigneur... Rien fur la Tèrre ne m'en eût
a mais féparée.
FEVRIER . 1761 . 47
.
OSMOND , en la frappant de fon épée.
Femme perfide ! ... meurs... va m'at
tendre au cercueil .
TANCREDE.
Ah , quelle horreur ! ... Exécrable af
faffin ! ...
OSMOND , expirant.
Tyran,tu ne triompheras pas, du moins,
fur mon tombeau... Je meurs vangé... Je
meurs, avec honneur... Je meurs content.
SCENE VIII.
TANCREDE. SIGISMONDE . RODOL
PHE. LAURE.
TANCREDE , à genoux , auprès de
Sigifmonde.
ALL
... 9
LLEZ , volez , amis .... qu'on vienne
à fon fecours.. que tout ce que Palerme
a de fameux dans l'art dont nous
avons befoin , fe rende à l'inftant dans
ces lieux .... ah , chère Sigifmonde ...
43 MERCURE DE FRANCE.
SIGISMONDE.
Tous les fecours font vains ..... La
main puiffante de la mort est étendue fur
moi .... Je goûre pourtant la douceur de
me revoir à mon Tancréde ! .... de pouvoir
, fans remords , perdre la vie entre
fes bras ! ....
TANCREDE.
Dieu ! fa voix , eft mourante ..... Tu
te revois à moi ? ... & la mort t'enlève à
mes voeux ! ..... fort barbare ! Tel eft
donc l'hymen que me préparoit ta fureur
! ... Et c'eſt Tancréde qui t'immole! ...
C'est moi qui fuis la caufe de ta mort :
Ofmond n'en fut que l'inftrument ....Je
te ferai juſtice ..... Ma mort ſuivra la
tienne.
SIGISMONDE.
Vis plutôt , cher Epoux ! ... vis , cher
Tancrede ! vis , pour régner en Héros ;
pour te rappeller quelquefois Sigifmonde;
pour prendre foin des malheureux amis
que je te laiffe ! ... & pour rendre ton Peuple
heureux.
SCENE
FEVRIER. 1761 . 49
SCENE IX . ET DERNIERE .
Les mêmes Acteurs. SIFFREDI.
SIGISMONDE , appercevantfon Père ,
immobile & les yeux levés vers le Ciel.
Mon Père ! ... En quel état vous
voit mon oeil mourant ?
SIFFREDI ,
Ciel redoutable ! ... tu m'as puni .
O mon enfant ! ...
SIGISMONDE.
Où fuis -je , hélas ! ... Je vois à peine ,
à travers les ténèbres ... Adieu , ma chère
Laure! prends foin de confoler mon Père ...
Vous , Rodolphe , veillez fur votre trop
malheureux Roi .... Veillez fur mon
Epoux ! ... Et vous Père trop cher , accablé
fous le poids de l'âge : ce coup , eft
trop pefant pour vous .... Victime de la
vertu même, recevez mon dernier adieu ! ...
Je ne vois plus Tancréde ? ... Approche
cher Epoux .... Je fens ta main foible &
tremblante .... J'expire.... toute à toi ! ...
C
so MERCURE DE FRANCE.
Tancréde veut mourir avec Sigifmonde. On lui arrache
fon épée. Siffrédi , après quelques inftans
d'un morne filence , dit:
O Ciel ! ne m'as- tu laiſſé vivre fi longtemps
, que pour montrer en moi le plus
terrible exemple de ta juftice ?... Rodol
phe , relevez le Roi... qu'on l'emporte
loin de ce Théâtre d'horreurs.
Contemple, infortuné vieillard, l'oeuvre
funefte de ta main ! Tu voulus.commander
aux paffions ; tu voulus employer la
force pour les régler : tu vois trop tard ,
hélas ! qu'elles peuvent fouffrir un guide ;
jamais , un oppreſſeur !
Et vous qui m'écoutez , vous auſtères Parens !
Craignez d'exiger trop du coeur de vos enfans.
Fin de la Tragédie.
VERS préfentés le 28 Octobre defnier ,
Mgr le Prince de MONTAU BAN .
ENORGUEILLI EILLIS de leur bonheur durable,
Enivrés de l'encens offert fur leurs autels ,
Je croyois que les Dieux , fur les foibles Mortels ,
Ne daignoient pas jetter un regard favorable.
Je parle de ces Dieux entourés de flatteurs ,
Qui , mortels comme nous , reçoivent notre
hommage ,
FEV RIER. 1761 . St
Et qui , des Dieux du Ciel jaloux imitateurs ,
Exigent cent fois davantage.
Aujourd'hui cependant , oubliant la grandeur ,
Un Prince respecté devient mon Protecteur.
Quel excès de bonté ! quel fentiment l'inſpire ?
Des traits de fa fplendeur je fuis environné.
GRAND PRINCE , mon bonheur n'eft- il point un
délire ?
U
Non : je n'enfuis plus étonné !
Vous êtes ROHAN : c'eft tout dire.
DE GROUBENTALL , fils.
LE ROSSIGNOL ,
FABLE.
N Roffignol chantoit , au lever de l'Aurore :
Les Oiseaux , en filence , écoutoient les accens.
Zéphire , agité par ſes chants ,
S'en croyoit plus digne de Flore.
Bientôt l'Oiseau mélodieux
Prèffe les fons , anime fon ramage ,
Et fait retentir le bocage
D'accens toujours plus vifs , plus doux , plus gracieux
.
Mais il ſe taît enfin. La légére Alouette
Lui dit , beau Roffignol , le prix du chant t'eſt dû.
Mais , cruel , pourquoi chantes tu
Pendant fi peu de temps ? Dans les airs on re-
Cij grette
S MERCURE DE FRANCE.
Que tes conc erts ne foient que des inftans.
Moi , je chante toujours tant que le Printemps
dure :
Onne m'attend jamais... Moi , j'attends la nature,
Reprit le Rollignol : ce n'eft qu'à fes élans
Que je dois mes foibles talens:
Hélas ! je ne fuis rien fans elle.
avoris des neuf Soeurs , imitez Philoméle.
ÉPIGRAM ME.
DAPHNEqui fut toujours intriguante , amou→
reuſe ,
Vouloit aller maſquée au bal de l'Opéra .
Un ami qu'elle avoit confulté fur cela ,
Lui dit : déguifez-vous en femme vertueufe,
IMPROMPTU de Mlle....
ACCUSEZ CCUSEz-moi d'être rebelle ;
Vous le pouvez , fans m'allarmer.
Mais , ne traitez point d'infidelle ,
Qui n'a jamais pu vous aimer,
FEVRIER. 1761 . 13
L'HOMME , LE CHIEN , LE CHAT,
Un
ET LA PIE.
FABLE.
N bon vieillard , dans la maiſon ,
Avoit pour toute compagnie
Un chien , un chat , & une pie ;
Les vieilles gens ont leur manie
C'étoit la fienne , ce dit- on .
*
Gripeminaud paffoit pour un maître larron
Et glouton.
Dame Margot ** étoit de même confrérie .
Le chat , avec la griffe , accrochoit un morceau ;
La pie , avec fon bec , efcroquoit une pomme.
On pilloit ainfi le bonhomme:
Entre eux nos compagnons partageoient le gâteau,
Laridon *** feul , reftoit fidelle .
Ne fachant voler , ni grimper ,
Il fecontentoit d'attrapper ,
Et de mettre en fon efcarcelle
Ce qu'on laiffoit quelquefois échapper.
Enfin , las de jeûner , il devint moraliſte ,
Et fit un fermon long & triſte
A fes deux compagnons Le chat dit , d'un air ...
doux :
*
Le Chat. ** La Pie.
***
Le Chien.
Ciij
MERCURE DE FRANCE.
Que tes conc erts ne foient que des inftans.
Moi , je chante toujours tant que le Printemps
dure:
1
On ne m'attend jamais... Moi , j'attends la nature,
Reprit le Roffignol : ce n'eſt qu'à fes élans
Que je dois mes foibles talens :
Hélas ! je ne fuis rien fans elle.
avoris des neuf Soeurs , imitez Philoméle.
É PIGRAM M E.
DAPHNE qui fut toujours intriguantę , amou➜
reuſe ,
Vouloit aller maſquée au bal de l'Opéra.
Un ami qu'elle avoit confulté ſur cela ,
Lui dit: déguifez-vous en femme vertueufe,
IMPROMPTU de Mlle....
ACCUSEZ CCUSEz-moi d'être rebelle ;
Vous le pouvez , fans m'allarmer.
Mais , ne traitez point d'infidelle
Qui n'a jamais pu vous aimer,
FEVRIER . 1761 . 13
L'HOMME , LE CHIEN , LE CHAT,
ET LA PIE.
FABLE.
Un bon vieillard , dans la maiſon , N
Avoit pour toute compagnie
Un chien , un chat , &une pie ;
Les vieilles gens ont leur manie s
C'étoit la fienne , ce dit- on .
*
Gripeminaud paffoit pour un maître larron
Dame Margot
Et glouton.
** étoit de même confrérie .
Le chat , avec la griffe , accrochoit un morceau
La pie , avec fon bec , efcroquoit une pomme.
On pilloit ainfi le bonhomme :
Entre eux nos compagnons partageoient le gâteau,
Laridon * ** feul , reftoit fidelle .
Ne fachant voler , ni grimper ,
Il fe contentoit d'attrapper ,
Et de mettre en fon eſcarcelle
Ce qu'on laiffoit quelquefois échapper.
Enfin , las de jeûner , il devint moraliſte ,
Et fit un fermon long & trifte
A fes deux
compagnons ... Le chat dit , d'un air
doux:
* Le Chat.
**
La Pie:
***
Le Chien.
C.iij
14 MERCURE DE FRANCE.
Patience ! compère :
Si tu pouvois voler , ou grimper comme nous,
Tu ne ferois pas fi jaloux ,
Et tu ferois meilleure chère .
L'impuiffance d'être méchant
Nous rend ſouvent meilleurs que nous ne voulons
l'être .
Que de prétendus innocens ,
Qui , s'ils ne font le mal , nous font affez connoître
,
Que c'eft en dépit d'eux qu'ils font honnêtes gens !
A
Par M. de M.... fils.
RONDE A U ,
A Madame L. N. D. S.
COMPOSER un Rondeau pour Lesbie ,
Me fuis aftreint. Hélas ! quelle folie ;
A moi , furtout , que Phébus conftamment
A jufqu'ici traité cruellement.
Auffi me tais & quitte la partie :
Mieux vaut paffer mon temps utilement,
A lui conter mon amoureux tourment ,
Que de le perdre à creuſer mon génie
A compofer.
Si , néanmoins , cette Nymphe jolie
Veut avec moi faire de compagnie ,
Quelque oeuvre en profe , en vers , même autrement
:
FEVRIER. 1761 . 55
Et partager un labeur fi charmant ;
Ah ! le promets : lors pafferai ma vie
A compofer.
Par M. D.
A LA MESME,
A u nouvel an , d'un compliment nouveau ,
Voudrois , Iris , te faire le cadeau :
Mais pour flatter ta délicate oreille ,
Si te faudroit Théocrite ou Corneille :
Onc n'ai , comme eux , grimpé le beau côteau :
De quelles fleurs te ferois- je un chapeau ?
Si tu voulois , j'imiterois l'abeille :
Les cueillerois fur ta bouche vermeille
Au nouvel an.
Ce donx nectar , échauffant mon cerveau ;
De l'Hélicon point n'aurois beſoin d'eau ,
Pour te chanter & rimer à merveille.
Si par mes vers amour en toi s'éveille ;
Qu'heureux ferois d'avoir fait un Rondeau ,
Au nouvel an !
Par M. L....
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
TRADUCTION libre de ces deux Vers
de JUVENAL :
Summum , crede , nefas animam præferrepudori ,
Et propter vitam, vivendi perdere caufas.
A
ux dépens de nosjours , conſervons notre honneur
;
Et qu'à leur foin jamais on ne le facrifie.
Hélas ! quelle coupable erreur ,
De perdre les moyens de vivre , pour la vie !
Par M. GUICHARD .
A M. TITON DU TILLET , pour le
remercier du don de la quatrième Edition
de fon PARNASSE FRANÇOIS.
PLAINS mon timide orgueil , Titon : je crains
ton zéle :
Ne me confonds jamais parmi nos bons Auteurs ;
Fais mieux pour m'affurer une gloire immortelle,
Daigne m'affocier à tes admirateurs.
Par l'Abbé MANGENOT.
FEVRIER. 1761 . 57
REPONSE à la Lettre de M. MORISEAU
, Avocat au Parlement , inférée
dans le 8 Volume de l'Année Littéraire
1760 , contre la Differtation
en forme de lettre fur les rimes croifées
dans les vers Alexandrins , inférée dans
le Mercure du mois de Novembre 1760.
JE fçais , Monfieur , que le fentiment
de M. de Voltaire , ni d'aucun homme de
Lettres , ne peut être regardé comme une
forte de loi , que quand il eft devenu , par
un aveu prèfqu'unanime , celui de la plus
faine partie du Public Lettré .
J'avouerai encore avec vous que M.
de Voltaire a gâté beaucoup de jeunes
gens ; & ils ne méritoient pas un meilleur
fort , puifque la Nature ne leur avoit accordé
d'autre talent que celui d'être finges.
Vous leur auriez donné quelqu'excellent
modéle , qu'il vous eût plû de choifir , ils
auroient été gâtés de même dès qu'ils l'aurofent
imité fervilement , parce qu'il n'y
en a pas qui ne foient défectueux . Le froid
imitateur joint alors à fes propres défauts
ceux de fon original qu'il charge encore.
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
D'ailleurs il n'y a pas deux efprits qui fe
reffemblent , de même qu'il n'y a pas deux
vifages où fe rencontrent les mêmes traits.
Pour cultiver les Arts , il faut être né
avec du génie & du goût , & confulter
enfuite les ouvrages des Artiftes qui ont
excellé. C'eft par l'examen des bonnes
parties de chacun en particulier , qu'on
fe forme une idée de la perfection de
l'Art . Aucun d'eux , il eft vrai , ne l'a
atteinte ; mais on doit cependant la prendre
pour but en s'étourdiffant fur l'impoffibilité
prouvée d'y parvenir. Si je
m'avifois , dans un délire , de faire une
Tragédie , je n'imiterois ni les Grecs , ni
Corneille , ni Racine : mais je les lirois
tous nuit & jour , & je réfléchirois.
Les nouvelles tentatives dans les Arts ,
font , à vous en croire , les préfages de
la chûte du goût . Me le prouveriez- vous
bien par des raifons ? Vous citez un exemple
que vous tirez de l'Architecture , fimple
& grande chez les Anciens , chargée
& mefquine chez nos ayeux .
Mais , Monfieur , eft- ce pour avoir
voulu perfectionner l'Architecture , que
les Goths font tombés dans le mauvais
goût ? Connoiffoient- ils affez l'Architecture
des Anciens , pour avoir voulu la
corriger ? Ou plutôt n'eft- ce pas comme
FEVRIER. 176 . 59
inventeurs , & non comme réformateur
qu'ils ont fi mal réuffi ?
Et quels fiécles plus féconds en réformes
& en inventions que les beaux fiécles
des Arts ? Tenons - nous- en à celui
de Louis XIV. Je vois en France la
Tragédie , la Comédie , fe mouler , s'il
eft permis de parler ainfi , fur un modéle
inconnu aux Anciens. Je vois une
nouvelle Langue fe former fous la plume
des Pafcals , des Boileaux , des Racines.
Je vois ce même Pafcal , la Rochefoucault
, Fénelon , la Bruyère le faire
un nom immortel par des genres dant
ils font les créateurs . L'Opéra , genre où
prèfque tous les Arts brillent à l'envi , &
qui ne connoît de régle que de plaire ,
tranfporté ici d'au - delà des Alpes , ne
conferve plus rien des climats d'où il a
été tranfplanté. Pour lui naiflent fur les
bords de la Seine une Mufique qui n'eft
ni celle des Anciens , ni celle de l'Italie
: une danfe qui n'eft ni la danſe militaire
& fauvage de Pyrrhus , ni la froide
farabande des. Efpagnols , ni la confufe
contredanfe de nos voisins une
poëfie qui n'eft point celle des Horaces ,
des Virgiles , des Ovides , mais dans laquelle
Anacréon eût exercé avec plaiſir
fon génie formé par les Grâces.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
La Poëfie , comme les autres Arts , ex
cepté peut-etre la Sculpture , fut elle cultivée
à la fois avec fuccès par mille Citoyens
& pendant mille années , on trou
veroit encore au bout de ce tems des
perfection's inconnues , & ces découvertes
n'annonceroient pas la chûte du goût. On
reſpecte fes Maîtres ; mais on n'eft pas
leur efclave. C'eſt en voulant nous élever
au- deffus d'eux , que nous deviendrons
fupérieurs à nous- mêmes. Raphaël ne ſeroit
point l'aigle de la Peinture , s'il s'en
étoit teuu aux leçons de Piétre Pèrugin
& fi Rubens s'en fût tenu à ce que favoit
Raphaël , le plus grand des Peintres, il en
auroit fçû bien moins que lui & n'auroit
pas colorié. Si vous voyez jamais , Monfieur
, l'antithèfe & les fentences , prendre
la place du fentiment , un ftyle alambiqué
, fe faire préférer à l'expreffion de la
Nature ; au Théâtre , un tumulte étourdiffant
, l'emporter fur une marche ſimple
& judicieufe , le bel- efprit fur le génie ;
fi ce défaut devenoit malheureufement
celui des Auteurs qui feroient à la tête de
Ja Littérature ; s'il étoit applaudi , admiré
par le Public : dites alors qu'on ne connoît
plus les loix du bon goût. Si , dans ce
même temps , des inventeurs , toujours
inférieurs dans lesarts libéraux à ceux qui
FEVRIER. 1761. 61
ont le talent d'exécuter , faifoient part an
Public de quelques nouvelles vues ; fi ces
vues étoient faines & telles que , dans des
tems plus heureux où des hommes de mérite
auroient pu en profiter , elles nous
euffent procuré de nouveaux plaifirs ; dires
encore que le bon goût eft anéanti
non parce qu'on invente , mais parce
qu'on n'a plus de génie pour exécuter .
J'ai affez répondu aux reproches que
vous faites en général à ce que vous appellez
innovations . Paffons au fujet de
notre dispute.
Vous me dites que M. de Voltaire a prérendu
, dans la préface de Brutus , que
les vers croifés fe rapprochent beaucoup
des vers blancs. Il a donc cru que Rouffeau
, l'un de nos Poëres qui a rimé le plus
richement , a fait dans fes Odes à- рец-
près des vers blancs ou non rimés ?:
Selon vous , Monfieur , il fera plus aifé
de faire des vers alexandrins à rimes croifées
, qu'à rimes plates . J'avoue que pour
un homme qui travaillera fans goût & fans
émulation , & qui , en compofant une
Tragédie , ne cherchera qu'à expédier &
qu'à entaffer vers fur vers , jufqu'à ce que
le total foit de quinze à feize cens , il y
aura autant de difficulté de moins , qu'il
yadans le mêlange des rimes croifées de
62 MERCURE DE FRANCE.
combinaiſons de plus que dans les rimes
plates. Mais , pour un homme qui cherchera
la perfection , il y en aura plus.
Dans les rimes plates il faut qu'il confulte
fon oreille pour fçavoir fi chacun de fes
vers eft fonore ; & fi leur affemblage eft
harmonieux. Dans les autres , il faudra
qu'il la confulte encore pour entrelaffer
fes rimes avec un heureux choix . Dans les
endroits vifs , il feroit , je crois , à propos
d'éloigner les rimes mafculines : dans les
morceaux d'une douleur fombre , dans
les paffions triftes , il faudroit multiplier
les rimes plates , &c .
Les rimes croifées , par le retour moins
fréquent des mêmes fons , offrent cette facilité
qui n'eft qu'apparente, & que les Anciens
ont recherchée dans l'invention de
l'lambe tragique.
Plaider pour les rimes croifées , ce n'eſt
pas faire le procès à nos Maîtres . Peut- on
les condamner , eux qui nous ont laiffé
tant de richeffes , d'avoir manqué d'un
agrément peut-être léger ? On voit fréquemment
dans Stace , des vers d'un tour
inconnu à Virgile , & qui feroient fort
bons à employer dans des peintures gigantefques.
Il y en a un de ce genre dans l'inf
cription de notre Arcenal : Tela giganteos
debellatura fuiores. Parce que j'apFEVRIER.
1751 . 63
prouve cette espéce de Vers , direz - vous
que je fais le procès à Virgile , & que je
lui préfére Stace ?
Je vois nombre de raifons en faveur des
rimes croifées je n'en vois qu'une contre
elles ; c'eft qu'elles vous ont déplu. Voilà
le plus fort argument de votre réponſe ;
car file plus grand nombre des gens de
goût font de votre fentiment , vous avez
gagné.
Cependant votre dégoûr a- t-il certainement
la caufe que vous foupçonnez ? Dans
la Tragédic de Tancréde , telle qu'elle a
été jouée , il reftoit des vers un peu lâches,
un peu vaides , des idées qui n'étoient pas
rendues avec toute la concifion qu'on pouvoit
defirer. Vous aurez peut - être attribué
au genre un défaut qui n'eft que celui
de l'Auteur , & qui fans doute ne fe
trouvera plus à l'impreffion : M. de Voltaire
ayant , dit on , envoyé beaucoup de
corrections au Libraire. Trouvez - vous
dans les vers fuivans quelque chofe qui
choque l'oreille ?
J'appris fous cette mère abandonnée , errante ,
Afupporter l'éxil & le fort des profcrits ,
L'accueil impérieux d'une Cour arrogante ,
Et la faulle pitié , pire que les mépris.
Mais ceux qui vous déplaifent, cefont
64 MERCURE DE FRANCE.
fur-tout les vers dont la rime du premier
ne revient qu'au quatrième ; parce que ,
dites -vous , ils ont une chûte épigrammatique.
Voyons-en de cette efpéce :
Tancréde , un rejetton de ce fang dangereux,
Des murs de Syracuſe éloigné dès l'enfance ,
Afervi , nous dit-on , les Céfars de Byfance.
H eft fier , outragé , fans doute valeureux ,
Il doit hair nos loix , il cherche la vangeance ;
Tout François eft àcraindre.
Vous voyez Monfieur , qu'il y a des
moyens d'empêcher cette chûte , en fufpendant
le temps au troifiéme vers , ou en
ne le terminant pas au quatrième , &c.
Vous voyez auffi ma bonne-foi de n'avoir
cité que des vers très -fimples & incapables
d'éblouir par leur pompe.
Je paffe fans tranfition , fuivant ma
coutume , aux vers mêlés vulgairement
appellés vers libres. Vous me faites dire
que ces vers conviendroient mieux que les
vers alexandrins , & j'ai dit feulement
que les vers mêlés conviendroient mieuxquelquefois
, comme dans certains monologues
, dans les endroits où les paffions
font fort vives. En effet l'agitation de
l'âme me fembleroit affez bien rendue par
une mefure inégale qui tiendroit quel
FEVRIER . 1761 .
ة ر ب
que chofe de ce trouble. Là - deffus vous
tombez dans la plaifanterie , vous appellez
ces vers mêlés des vers d'Opéra , vous
me propoſez de les faire chanter . Mais
quel eft l'homme qui connoît un peu l'art
de la verfification , qui ne fache que des
vers peuvent être mêlés & n'être ni ceux
de l'Ode , ni ceux de l'Opéra , ni ceux du
badinage? On a fait tant de chofes du vers
alexandrin toujours combiné de même ,
& l'on ne feroit rien des vers mêlés qui
ont tant de combinaiſons différentes !
Au refte , Monfieur , comme je l'ai dit ,
les Anciens qui en fçavoient tant , ne s'en
font pas toujours tenus à une même efpéce
de vers dans leurs ouvrages dramatiques,&
ils ont été approuvés par Corneille,
qui eft tout pour moi.
Vous me reprochez , en continuant la
plaifanterie , de n'avoir pas confeillé d'écrire
les Tragédies en profe ou en vers
blancs.
Les vers blancs font infoutenables , &
Racine en eût-il fait , on ne les pourroit
lire. La profe fe lit & s'entend réciter fans
dégoût. Si un homme étoit étoit né avec
tout le talent du Poëte tragique , & qu'il
ne lui manquât que celui de faire des
vers , ( car tout le monde convient avec
Ariftote que ce n'eft pas le vers qui fait
66 MERCURE DE FRANCE.
le Poëte. ) Si ce même homme faifoit
d'excellentes Tragédies , êtes - vous bien
convaincu qu'on ne les verroit pas repréfenter
, qu'on ne les liroit pas avec plaifir
? Mais on les mettroit toujours audeffous
des autres Tragédies qui , auffi
bonnes d'ailleurs , feroient verfifiées . Ne
lifons - nous pas avec intérêt des Poëmes
épiques ou dramatiques traduits en profe
Françoife , & qui ont perdu beaucoup ,
en paffant dans notre Langue ? Des Ou
vrages originaux n'auront - ils pas un
avantage de plus ?
Comme vous m'attaquez foiblement
fur ce que j'ai touché de l'unité de lieu ,
( que je n'ai point dit être inutile ) je ne
me répéterai pas. Je n'ai rien avancé de
moi-même & j'ai toujours marché appuyé
fur le grand Corneille. Si un homme dans
la république des Lettres pouvoit faire une
loi, ce feroit fur- tout celui qui, depuis plus
d'un fiécle , jouit d'un réputation qui ne
fait qu'augmenter
.
Je finis par l'examen de votre grand argument
, qui fait toujours votre principale
réponſe à tout ce que j'ai avancé : la
facilité qu'il y auroit à faire des Tragédies
fi les Poëtes daignoient m'écouter.
Je conviendrai donc avec vous , fans
vous l'accorder , que la carrière tragique
FEVRIER. 1761. 67
deviendroit alors moins épineufe. Et fi ,
parcourue par de grands hommes , leur
courſe ne nous caufe pas moins de plaifir
, de jeunes gens , qui ne peuvent qu'à
peine fe traîner avec éffort , voudront
auffi courir , dites- vous ? Eh ! que m'imparte
? ils tomberont. Mais il y aura toujours
des Sots prêts à les relever ... Eh , laif
fons faire les Sots !
J'ai l'honneur d'être & c. LEVESQUE .
REPONSE aux confeils d'un Ami , inférés
dans le Mercure d'Août , p. 35.
JEE ne fçais , Monfieur , fi je fuis votre
Damon , ou fije ne le fuis pas. Je fuis trèsjeune
, je fuis marié , je fuis père , Auteur ,
Académicien , & votre Damon eſt tout
cela ; mais tout cela ne m'oblige pas à
me reconnoître dans votre Damon . Quoi
qu'il en foit , je veux bien faire tréve un
moment à mes occupations , pour vous
expliquer mes véritables fentimens.
Un honnête homme peut ne pas aimer
fa femme , parce que nous nous trouvons
rarement dans le cas d'aimer à notre choix,
& que l'Amour dépend d'un je ne fçais
quoi , que jufqu'à préfent on a fort mal
68 MERCURE DE FRANCE.
défini. Ce je ne fçais quoi peut ne pas fe
rencontrer , ou ne pas fubfifter entre les
époux. Alors , ils ne font pas tenus de
s'aimer : mais ils n'en méritent pas moins
Feftime publique , s'ils fe comportent
comme des perfonnes qui font convenues
, pardevant Notaire , de fournir
enfemble leur pénible carrière & de
concourir mutuellement à leur commun
bonheur . Il eft utile , dans le fyftême politique
, que l'amour régne dans les ménages
, parce que les honnêtes gens nè font
guères des enfans que quand ils aiment
Dans la fociété , l'eftime & les égards réciproques
des époux équivalent à l'amour.
Je dirai plus ; l'amour eft peut- être un
des fléaux de la fociété. Un amant & une
maîtreffe ne vivent que pour eux , it's ne
voient qu'eux dans la Nature , l'inquiétu
de les accompagne , ils font plongés dans
une fombre mélancolie , tout ce qui ne
leur offre pas l'image de l'amour leur eft
infipide , les plaifirs des autres les ennuient
, les talens perdent de leur prix auprès
d'eux , les faillies de l'efprit ne font
pas pour eux des faillies , ils ne goûtent
que le langage du coeur & l'ivreffe du fentiment,
ils ne font heureux que lorsqu'ils
font feuls. Dans le vrai , ces perfonnagesla
font déplacés en compagnie . Il n'y a
FEVRIER. 1761 . 6.9
guères que de très - nouveaux mariés , parmi
les mariés , mes confrères , qui reffemblent
à ce portrait , & fi c'eft tant pis pour
la politeffe , c'eft tant mieux pour la fociété.
D'où vient , Monfieur , que les établiſ
femens de convenance , dans lefquels la
prudence des pères n'a pas confulté le
goût des conjoints , font- ils pour l'ordinaire
fujets à moins d'éclats fcandaleux ,
que ces mariages que contractent de jeunes
perfonnes , parce qu'ils fe trouvent
beaux & bienfaits , & qu'ils s'aiment paffionnément
? c'eſt que,ſi je ne me trompe,
pourvu qu'il n'y ait point d'antipathie ,
la convenance produit prèfque toujours
l'eftime & les égards , & que l'amour le
plus ardent , quand il vient à s'éteindre ,
découvre l'accablante difproportion fur
laquelle on avoit paffé fi légèrement , &
jetté la reinte du dégoût fur les chofes
dont on s'étoit laiffé charmer . On fe trompe
en jurant de bonne foi , d'aimer érernellement
, & c'eſt un mauvais moyen
pour éviter le parjure que d'enchaîner l'amour
& de le rendre néceffaire . L'Amour
qui étend fon empire fur toute la Nature ,
qui caufe tant de maux réels & fi peu de
vrais plaifirs , cet enfant divin qu'on nous
repréſente avec des aîles , fuit la gêne &
70 MERCURE DE FRANCE.
la contrainte. Voulez - vous des vers, pour
vous convaincre ? En voici .
Philis a dû vous plaire ; elle peut tout charmer ;
Mais quelque grand pouvoir qu'elle ait pris fur
votre âme ,
Si vous voulez toujours l'aimer ,
Ne la prenez jamais pour femme.
C'eft du Pavillon tout pur. Pavillon
eft le Poëte des Grâces , & quelquefois
de la Vérité.
Je reviens à ce qui me concerne, fuppofé
toutefois que je fois votre Damon.
Vous dites que je néglige une épouſe qui
m'idolâtre ,, qquuee jjee nneefuis époux que de
nom. En vérité , Monfieur , on n'a jamais
fait d'auffi graves imputations , &
furtout à un homme de 23 ans , qui ,
quoiqu'Auteur , a déja donné un citoyen
à l'Etat , & s'eft montré époux autant
qu'on peut l'être. Si vous n'agréez pas
cette preuve ; ma chère moitié , à qui
fon honneur eft cher , fe chargera de
vous répondre : je ne m'en mêlerai plus.
Non content de me ravir mon état
vous allez jufqu'à me reprocher d'avoir
trouvé quelques femmes aimables & de
l'avoir dit comme s'il falloit perdre
l'afage de fes fens , en s'engageant dans
FEVRIER. 1761 . 71
les liens de l'hyménée ; comme fi les
yeux d'un mari n'avoient plus la faculté
d'appercevoir , de diftinguer la beauté ;
& ce qui eft fort fingulier , vous avez
écrit toutes ces chofes férieuſement !
mais je fuis tenté de croire que c'eſt
pour rire que vous vous êtes montré fi
férieux.
J'ai envie de l'être à mon tour. Je vous
déclare que Madame de C *** eft fort
contente de moi. Quand je n'en ferois
pas amoureux comme vous le voudriez ,
foyez perfuadé qu'elle n'en feroit pas
moins contente , parce que j'eſtimerois
toujours fon caractére eſtimable , parce
que j'aurois également des attentions &
des égards , parce que tout honnête homme
doit en avoir pour fa femme , & que
je fuis honnête homme.
Ce qui concerne mon fils paffe le badinage.
Vous avancez,que je ne l'aime pas.
A coup fûr je ne fuis point votre Damon.
Vous m'avez trop connu, pour me rendre
fi peu de juftice . Malheur à ceux qui ferment
les oreilles à la voix de la Nature !
qui fe voyent revivre dans des images attrayantes
, fans être remués & attendris !
qui fe refuſent à ces careffes innocentes
qui affectent fi délicieufement un coeur
vraiment paternel ! ... périffent les barbares
72 MERCURE DE FRANCE.
qui regardent leurs enfans comme des victimes
livrées à leurs caprices , & qui
exercent en tyrans l'empire que les loix ne
leur accordent fur eux , que pour veiller
à leur bonheur ! Hélas , Monfieur , fi vous
m'aviez vu ferrer mon fils dans mes bras
& l'arrofer de mes larmes ... » Dieu puif
»fant , difois-je , daigne veiller fur les
» jours de cet enfant ! Fais germer la ver-
» tu dans fon âme ; ne permets pas que
» les vents orageux des paffions trou-
» blent fon aurore ; éloigne de lui le far-
» deau des mifères humaines , ou donne-
» lui la force de les fupporter ... Mon
fils, mon cher fils , puiffes-tu répondre un
jour à ma tendreffe & répandre dans
» mon fein tes plaifirs & tes peines ! ..
ود
"
Jene fais pas plus de cas de la vie , que
le Maréchal de Gaffion ; mais puifque j'ai
tant fait que de la donner , je m'occuperai
à rendre heureux celui à qui je l'ai
donnée. Tels font les fentimens que j'ai
voulu mettre dans quelques vers confignés
dans le Mercure. Janvier 1760 I.
Vol. p. 12.
Vous vous fondez peut- être fur deux
Epîtres , l'une inférée dans le fecond Mercure
de Janvier 1758. p. 49. L'aut re
dans mes Effais fur divers Sujets , p. 14.
Mais qu'on life ces deux Piéces , on n'y
trouvera
FEVRIER. 1761. 73
trouvera rien qui juftifie ce que vous avez
avancé. Enfin , Monfieur , j'aime ma femme
& mon fils. Si je fuis votre Damon ,
j'en fuis bien fâché pour vous . Adieu ;
croyez - moi fans rancune ; car il n'y a que
la vérité qui offenfe , difent les bonnes
gens. Je fuis , Monfieur , votre &c.
Th . D. E. C . ***
A Lyon , 8 Novembre 1760.
COMPLIMENT à deux Demoiselles ,
feurs , au jour de l'An 1761.
OUCES Beautés , Couple adorable ,
Ouvrage digne de l'amour !
Quel compliment faire en ce jour
Qui puiffe vous être agréable ?
Nul Mortel n'ofe le tenter :
Des Ixions , onconnoît les difgraces ,
Les Dieux fçurent former les grâces ,
Il n'appartient qu'aux Dieux de les chanter .
VERS pour mettre au bas du Portrait de
Madame D *****
J'AI reconnu l'Amour , fous ce déguiſement ,
Etfon caprice m'a fait rire.
N'êtes-vous pas , mon maître , affez ‹ harmant ,
D
74 MERCURE DE FRANCE.
Sans emprunter les beautés de Thémire? ....
Le petit parelleux vous dira , que ce choix
Lui fauve l'embarras de l'arc & du carquois .
Le mot de la premiere Enigme du
II. Vol. de Janvier , eft , le Soulier. Celui
de la feconde , eft , l'Eventail. Celui
du premier Logogryphe , eft Grain . On y
trouve agir , rang , gain , garni , gai , ri.
Celui du fecond , eft , Encyclopédie , où
l'on trouve Noce , Diepe , Die , Lyon y
Nid , Loi , Plie , Pie , Pole , Poële, Po-
Lice, Cyclope , Cone , Poli .
N
ENIGM E.
ous fommes vingt, qu'en quatre claffes
On a fagement partagés ;
Et tellement fommes rangés
Que jamais ne perdons nos places ,
Et n'avons aucun mouvement.
Mais , fi pourtant , par avanture
Nous éprouvons l'ébranlement ,
C'eft un affez mauvais augure .
Pour mieux expliquer notre fort ,
Il faut obferver , que d'ufage
Dix de nous renfermés , cinq à cinq dans un Fort ,
FEVRIER. 1761 : 75
Pour la moitié du jour fubiffent l'esclavage.
Les dix autres au demeurant ,
Qu'on réſerve pour la parade ,
Quoique toujours fans mouvement ,
Font mainte & mainte promenade.
Le fâcheux eft que bien fouvent ,
Notre Maître , inhumainement ,
Nous fait paffer par le tranchant
Du fer impitoyable :
Mais malheur pour quiconque,avant cet accident,
Eprouve de nos parts un affaut redoutable !
Par M. l'Abbé RIMBERT .
AUTRE .
J fuis un être affez bizarre ;
Aimant à garder la maison.
De qui par le monde ſe carre ;
Sur fon efprit , fur fa raiſon ,
Je n'imite point la conduite ;
J'ai trop à redouter la fuite
D'un commerce avec les humains ,
Lorfque je tombe entre leurs mains.
Auffi je n'entr'ouvre ma porte ,
Que pour mes befoins feulement.
Dès que quelqu'indifcret s'y porte ,
Je la referme exactement.
Dij
74 MERCURE DE FRANCE.
Sans emprunter les beautés de Thémire?
Le petit parelleux vous dira , que ce choix
Lui fauve l'embarras de l'arc & du carquois.
Le mot de la premiere Enigme du
II. Vol . de Janvier , eft , le Soulier. Celui
de la feconde , eft , l'Eventail. Celui
du premier Logogryphe , eft Grain . On y
trouve agir , rang , gain , garni , gai , ri .
Celui du fecond , eft , Encyclopédie , où
l'on trouve Noče , Diepe , Die , Lyon ,
Nid , Loi , Plie , Pie , Pole , Poële, Po-
Lice , Cyclope , Cone , Poli.
ENIGM E.
NOUS
ous fommes vingt, qu'en quatre claſſes
On a fagement partagés ;
Et tellement fommes rangés
Que jamais ne perdons nos places ,
Et n'avons aucun mouvement .
Mais , fi pourtant , par avanture
Nous éprouvons l'ébranlement ,
C'eft un affez mauvais augure.
Pour mieux expliquer notre fort ,
Il faut obferver , que d'ufage
Dix de nous renfermés , cinq à cinq dans un Fort,
FEVRIER. 1761 :
75
Pour la moitié du jour ſubiffent l'eſclavage.
Les dix autres au demeurant ,
Qu'on réſerve pour la parade ,
Quoique toujours fans mouvement ,
Font mainte & mainte promenade.
Le fâcheux eft que bien fouvent ,
Notre Maître , inhumainement ,
Nous fait paffer par le tranchant
Du fer impitoyable :
Mais malheur pour quiconque, avant cet accident,
Eprouve de nos parts un affaut redoutable !
Par M. l'Abbé RIMBERT .
AUTRE.
J fuis un être affez bizarre ;
Aimant à garder la maison.
De qui par le monde ſe carre ;
Sur fon efprit , fur ſa raiſon ,
Je n'imite point la conduite ;
J'ai trop à redouter la fuite
D'un commerce avec les humains ,
Lorfque je tombe entre leurs mains.
Auffi je n'entr'ouvre ma porte ,
Que pour mes befoins feulement.
Dès que quelqu'indifcret s'y porte ,
Je la referme exactement.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Ce n'eft pas qu'on ne me defire
Dans ces repas de volupté ,
Où même affez fouvent j'inſpire ,
De l'appétit , de la gaîté ,
Quoiqu'on ne m'ait jamais vû rire.
Lorfqu'à telle fête on m'attire ,
J'y vais contre ma volonté.
J'eftime la fobriété ,
A notre espéce falutaire ;
Car toujours le vice contraire ,
Par un très-finiftre deftin ,
De mes pareils , hâte la fin.
Ce vice affreux nous eft nuifible ,
Bien plus encor que les Filoux ,
Qui , par un attentat horrible ,
Pour voler nos riches bijoux ,
Viennent tout culbuter chez nous.
Encor fi de notre domaine ,
( Lorsqu'il le faut enfin quitter , )
Nos enfans pouvoient hériter !
Mais non , il eft , par droit d'aubaine
A qui fçut mieux nous dévaſter.
Et quand de pointes menaçantes
Notre afyle eft environné,
Alors l'intérêt acharné ,
Arme plus de mains raviffantes ;
Et l'habitant eft ruiné.
Nepeut satisfaire un coeur tendre.Sil'on m'of=
W
froit la liber - te, je ne voudrois pas
W
la reprendre ,je ne
vou -drois
pas
W
la reprendre . D'une dou - ce captivi
W
жо
w
-te,Malheureux qui peut se deffendre,
W
A
S'il est quelque fé -lici- té, C'est de la =
mour qu'on doit l'atten- dre. Si l'on m'offroit.
T
76 MERCURE DE FRANCE.
Ce n'eft pas qu'on ne me defire
Dans ces repas de volupté ,
Où même affez fouvent j'infpire ,
De l'appétit , de la gaîté ,
Quoiqu'on ne m'ait jamais vû rire.
Lorfqu'à telle fête on m'attire ,
J'y vais contre ma volonté.
J'eftime la fobriété ,
A notre espéce falutaire ;
Car toujours le vice contraire ,
Par un très- finiftre deftin ,
De mes pareils , hâte la fin .
Ce vice affreux nous eft nuifible ,
Bien plus encor que les Filoux ,
Qui , par un attentat horrible ,
Pour voler n。os riches bijoux,
Viennent tout culbuter chez nous.
Encor fi de notre domaine ,
( Lorsqu'il le faut enfin quitter , )
Nos enfans pouvoient hériter !
Mais non , il eft , par droit d'aubaine
A qui fçut mieux nous dévafter.
Et quand de pointes menaçantes
Notre afyle eft environné,
Alors l'intérêt acharné
Arme plus de mains raviffantes,
Et l'habitant eft ruiné.
Nepeut satisfaire un caur tendre.Si l'on m'of=
W
froit la liber - te, je ne voudrois pas
W
la
reprendre Je
ne vou --drois pas
XO
жо
la reprendre . D'une dou - ce captivi =
W
*O
w
te, Malheureux qui peut se def- fendre,
S'il est quelque fé-lici- té, C'est de la.
mour qu'on doit l'atten -dre. Si l'on moffroit.
Si l'on m'offroit la liberté,je ne vou
= drois pas la reprendre ,je ne
VOLL
- drows
pas
la reprendre
. Je suis é
+ W
-pris d'une beauté, Quiforce mon
mon coeur
W
W
à se rendre.Sil'on m'offroit. Ses attraits
a
causent sa fierté,A mille en_nuis je
dois m'attendre, Mais un bienqui n'a pas couté
FEVRIER. 1761 .
LOGO GRYPHE.
I trouble des forêts la retraite profonde , E
Et j'appelle aux combats un peuple courageux,
Sil'on tranche ma tête ; adoré dans le monde .
Je ſuis l'objet de tous les voeux.
AUTR E.
Aux champs de Mars , je fais un bruit terrible
,
De mille combattans j'anime les efforts .
Retranchez , belle Eglé , deux membres de mont
corps ; {
Et je ferai le Dieu , dont votre âme fenfible ,
Peut- être avec plaifir , éprouve les tranfports.
RONDEAU ,
Nouvellement remis en Mufique.
SiI l'on m'offroit la liberté,
Je ne voudrois pas la reprendre .
Je fuis épris d'une Beauté ,
Qui force mon coeur à fe rendre.
Si l'on m'offroit , &c.
3
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Ses attraits caufent fa fierté ;
A mille ennuis je dois m'attendre :
Mais un bien , qui n'a pas coûté,
Ne peut fatisfaire un coeur tendre.
Si l'on m'offroit &c.
D'une douce captivité ,
Malheureux qui peut fe défendre.
S'il eft quelque félicité ,
C'eft de l'amour qu'on doit l'attendre.
Si l'on m'offroit la liberté , & c.
FEVRIER. 1761 . 79
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
SUITE de l'Hiftoire de la Maifon de
STUART , fur le Trône d'Angleterre .
III ET DERNIER EXTRAIT.
و د
"
NouOuss avons indiqué , à la fin du précédent
Extrait , les événemens principaux
qui occupent le troifiéme Volume de cette
Hiftoire intéreffante. Le premier eft le
rappel de Charles II au Trône d'Angleterre.
Ce Prince étoit alors âgé de trente
ans. » Il avoit reçu de la Nature , une
vigoureuſe conftitution , une taille bien
priſe , une figure mâle , un air gracieux ;
» & quoiqu'il eût de la rudeffe dans les
» traits , toute fa contenance avoit quel-
» que chofe de fin & d'engageant. Il étoit
» dans cette partie de l'âge , où l'on con-
»ferve encore affez de jeuneffe , pour pa
» roître aimable ; fans aucune diminution
» de cette autorité & de ce droit au refpect
, qui accompagnent le temps de
l'expérience & de la maturité. Ses ad- ود
D iv
So MERCURE DE FRANCE.
33
>
» verfités récentes étoient capables d'ex-
» citer la tendreffe ; fa profpérité actuelle
» étoit un objet d'admiration plutôt que
» d'envie ; & cette foudaine & furpre-
» nante révolution qui le rétabliffoit
» dans fes droits , rendant auffi la paix ,
» la liberté , l'ordre & les loix à la Na-
» tion , jamais Prince n'avoit obtenu la
» couronne dans des circonftances plus
» favorables & joui plus réellement de la
» cordiale affection de fes Sujets .... A la
vivacité & la pénétration de l'efprit ,
Charles joignait un jugement folide , &
» l'avantage d'avoir obfervé génerale-
» ment le caractère des hommes , & la
» nature des choſes . Des manières aifées ,
une politeffe fans affectation , & la
gaîté la plus engageante rendoient fon
» accès charmant , & fa converfation fou-
» verainement aimable . L'habitude qu'il
و د
avoit formée pendant fon exil , de
» vivre avec fes Courtifans , en compa-
» gnon plutôt qu'en Monarque , lui fit
و د
و ر
conferver fur le Trône même , un
» air d'ouverture & d'affabilité , capable-
»de réconcilier les plus déterminés Répu-
» blicains avec la dignité royale. Sadouceur
naturelle , & fon humeur non-
» chalante le rendant incapable de reffen-
» timent , il affura le pardon aux plusFEVRIER.
1761.
coupables de fes ennemis , & laiffa des
efpérances de faveurs à ceux dont il
savoit effuyé les plus violentes oppof-
» tions . En un mot , dans toute la fuite
as de fes actions & de fes difcours il
» parut auffi difpofé à perdre le fouvenir
des anciennes animofités , qu'à réunir
tous les coeurs dans une vive affection
pour le Prince & pour la Patrie . »
L'objet le plus intéreffant pour la curiofité
du Public , dans les premiers jours
du regne de Charles II , fut le proces &
la condamnation de ceux qui avoient'
condamné Charles I. à la mort. L'indignation
générale que l'énormité de leur
crime avoit excitée , ne fit voir au Peu-´
ple qu'un fujet de joie dans leur châtiment.
Le Général Harrifon étoit un des
plus coupables. Lorfqu'il fut préfenté
pour la premiere fois devant fes Juges ,
il dit à la Cour : que le prétendu crime
dont il étoit accufé , n'étoit pas une action
commife en fecret ; que le pouvoir
du Ciel avoit éclaté dans la manière dont
elle avoit été conduite ; qu'il s'étoit fouvent
adreffé à la Majefté divine , pour
fui demander des lumières , & qu'il en¹
avoit reçu des affurances conftantes d'approbation.
Scot , plus Républicain que
Fanatique , dit qu'il ne vouloit pas d'au
Dy
So MERCURE DE FRANCE.
» verfités récentes étoient capables d'ex-
» citer la tendreffe ; fa profpérité actuelle
» étoit un objet d'admiration plutôt que
» d'envie ; & cette foudaine & furpre-
» nante révolution , qui le rétabliſſoit
» dans fes droits , rendant auffi la paix ,
la liberté , l'ordre & les loix à la Na-
» tion , jamais Prince n'avoit obtenu la
» couronne dans des circonftances plus
» favorables & joui plus réellement de la
» cordiale affection de fes Sujets ....A la
vivacité & la pénétration de l'efprit ,
Charles joignait un jugement folide , &
» l'avantage d'avoir obfervé génerale-
» ment le caractère des hommes , & la
» nature des chofes . Des manières aifées,
» une politeffe fans affectation , & la
gaîté la plus engageante rendoient fon
» accès charmant , & fa converfation fou-
» verainement aimable . L'habitude qu'il
» avoit formée pendant fon exil , de
» vivre avec fes Courtifans , en compa-
» gnon plutôt qu'en Monarque , lui fit
» conferver fur le Tróne même , un
air d'ouverture & d'affabilité , capable
»de réconcilier les plus déterminés Répu-
» blicains avec la dignité royale. Sa
و د
و د
douceur naturelle , & fon humeur non-
» chalante le rendant incapable de reffentiment
, il affura le pardon aux plusFEVRIER.
1761 . 81
coupables de fes ennemis , & laiſſa des
efpérances de faveurs à ceux dont il
» avoit effuyé les plus violentes oppofi-
» tions. En un mot , dans toute la fuite
» de fes actions & de fes difcours , il
» parut auffi difpofé à perdre le fouvenir
» des anciennes animofités , qu'à réunir
» tous les coeurs dans une vive affection
pour le Prince & pour la Patrie . »
و ز
»
L'objet le plus intéreffant pour la curiofité
du Public , dans les premiers jours
du regne de Charles II , fut le proces &
la condamnation de ceux qui avoient'
condamné Charles I. à la mort . L'indignation
générale que l'énormité de leur
crime avoit excitée , ne fit voir au Peuple
qu'un fujet de joie dans leur châtiment.
Le Général Harriſon étoit un des
plus coupables. Lorfqu'il fut préfenté
pour la premiere fois devant fes Juges ,
il dit à la Cour : que le prétendu crime:
dont il étoit accufé , n'étoit pas une action
commife en fecret ; que le pouvoir
du Ciel avoit éclaté dans la manière dont
elle avoit été conduite ; qu'il s'étoit fouvent
adreffé à la Majefté divinė , pour
fui demander des lumières , & qu'il en¹
avoit reçu des affurances conftantes d'approbation.
Scot , plus Républicain que
Fanatique , dit qu'il ne vouloit pas d'au
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
"
tre épitaphe que celle- ci : Ci git Thomas
Scot , qui condamna le Roi Charles à
mort. D'autres proteftérent contre le jugement
des hommes , & demandérent
d'être jugés par la parole de Dieu . De tous
ceux qui avoient prononcé contre Charles
l'arrêt de mort , il n'y en eut que fix d'exécutés.
» Il n'y a point de Saint ni de Con-
» feffeur de la foi , qui ait jamais marché
» au martyre avec plus de confiance &
d'intrépidité , que tous ces coupables ,
» dans le temps même que les terreurs
» d'une mort prochaine , jointes aux ou-
" trages du Peuple , furent préfentées
» devant leurs yeux. Charles II accorda
la grace du répit aux autres Juges de fon
Père , & les fit diftribuer dans plufieurs
prifons.
ود
و
La feptième année du régne de Charles
11, eft remarquable par le fameux incendie
qui réduifit en cendres environ fix
cens rues , & treize mille maifons de Londres
. Ce fléau terrible prit naiffance dans
la maison d'un boulanger , & fe répandit fi
rapidement, qu'il ne put être arrêté par tous
les éfforts humains , qu'après avoir confumé
une partie confidérable de la ville . Les
habitans pourfuivis de rues en rues par
les flammes , qui croiffoient avec une violence
inexprimable , furent réduits à
FEVRIER. 1761.
demeurer fpectateurs de leur ruine. Les
progrès du feu ne cefférent point pendant
trois jours & trois nuits ; & ce ne fut qu'à
force d'abattre des maifons , qu'on parvint
le quatrième jour à l'éteindre. Les
caufes de ce malheur étoient évidentes ;
la difpofition des rues de Londres , qui
étoient fort étroites , celle des maifons ,
la plupart de bois , féchereffe de la faifon
, & la violence d'un vent d'Eſt , enfin
le concours de toutes les circonstances fuffifoit
pour expliquer la deftruction qu'elles
produifirent. Mais le peuple ne fut pas
fatisfait
de cette explication ; une rage aveugle
fit attribuer l'infortune publique , par
les uns , aux Républicains , par d'autres ,
aux Catholiques ; mais les plus exactes recherches
du Parlement , ne trouverent ni
preuve ni vraisemblance qui fût capable
d'autorifer cette calomnie : ce qui n'empêcha
point , que pour flatter la prévention
du peuple , l'infcription qui fut gravée
fur le monument de l'incendie ne l'attribuât
aux Catholiques. Un ordre du Roi
Jacques II , lorfqu'il fe vit fur le Trône ,
fit éffacer l'endroit où ils étoient accufés ;
mais il fut remis par fon Succeffeur.
L'incendie de Londres , quoiqu'alors
un des plus grands maux qui pût arriver
à la Nation , devint dans la fuite fort
D vj
82 MERCURE DE FRANCE.
tre épitaphe que celle - ci : Ci git Thomas
Scot , qui condamna le Roi Charles à
mort. D'autres proteftérent contre le jugement
des hommes , & demandérent
d'être jugés par la parole de Dieu . De tous
ceux qui avoient prononcé contre Charles
l'arrêt de mort , il n'y en eut il n'y en eut que fix d'exécutés.
» Il n'y a point de Saint ni de Con-
» feſſeur de la foi , qui ait jamais marché
» au martyre avec plus de confiance &
› d'intrépidité , que tous ces coupables ,
» dans le temps même que les terreurs
» d'une mort prochaine , jointes aux ou-
" trages du Peuple , furent préſentées
» devant leurs yeux . Charles II accorda
la grace du répit aux autres Juges de fon
Père , & les fit diftribuer dans plufieurs
prifons .
و ر
>
La feptième année du régne de Charles
11, eft remarquable par le fameux incendie
qui réduifit en cendres environ ſix
cens rues , & treize mille maiſons de Londres
. Ce fléau terrible prit naiffance dans
la maifon d'un boulanger , & fe répandit fi
rapidement, qu'il ne put être arrêté par tous
les éfforts humains , qu'après avoir confumé
une partie confidérable de la ville. Les
habitans pourfuivis de rues en rues par
les flammes , qui croiffoient avec une violence,
inexprimable , furent réduits à
FEVRIER . 1761. $$
demeurer fpectateurs de leur ruine . Les
progrès du feu ne cefférent point pendant
trois jours & trois nuits ; & ce ne fut qu'à
force d'abattre des maiſons , qu'on parvint
le quatrième jour à l'éteindre. Les
caufes de ce malheur étoient évidentes ;
la difpofition des rues de Londres , qui
étoient fort étroites , celle des maifons ,
la plupart de bois , féchereffe de la faifon
, & la violence d'un vent d'Eft , enfin
le concours de toutes les circonstances fuffifoit
pour expliquer la deftruction qu'elles
produifirent. Mais le peuple ne fut pas fatisfait
de cette explication ; une rage aveugle
fit attribuer l'infortune publique , par
les uns , aux Républicains , par d'autres ,
aux Catholiques ; mais les plus exactes recherches
du Parlement , ne trouverent ni
preuve ni vraisemblance qui fût capable
d'autorifer cette calomnie : ce qui n'empêcha
point , que pour flatter la prévention
du peuple , l'infcription qui fut gravée
fur le monument de l'incendie ne l'attribuât
aux Catholiques. Un ordre du Roi
Jacques II , lorfqu'il fe vit fur le Trône ,
fit éffacer l'endroit où ils étoient accufés ;
mais il fut remis par fon Succeffeur.
L'incendie de Londres , quoiqu'alors
un des plus grands maux qui pût arriver
à la Nation , devint dans la fuite fort
D vj
82 MERCURE DE FRANCE.
tre épitaphe que celle- ci : Ci git Thomas
Scot , qui condamna le Roi Charles à
mort. D'autres proteftérent contre le jugement
des hommes , & demandérent
d'être jugés par la parole de Dieu . De tous
ceux qui avoient prononcé contre Charles
l'arrêt de mort , il n'y en eut que fix d'exécutés
. » Il n'y a point de Saint ni de Con-
» feſſeur de la foi , qui ait jamais marché
» au martyre avec plus de confiance &
d'intrépidité , que tous ces coupables ,
» dans le temps même que les terreurs
» d'une mort prochaine , jointes aux ou-
" trages du Peuple , furent préſentées
» devant leurs yeux. Charles II accorda
la grace du répit aux autres Juges de fon
Père , & les fit diftribuer dans plufieurs
prifons .
ور
La feptième année du régne de Charles
11, eft remarquable par le fameux incendie
qui réduifit en cendres environ fix
cens rues , & treize mille maifons de Londres.
Ce fléau terrible prit naiffance dans
la maifon d'un boulanger , & fe répandit fi
rapidement, qu'il ne put être arrêté par tous
les éfforts humains , qu'après avoir confumé
une partie confidérable de la ville. Les
habitans pourfuivis de rues en rues par
les flammes , qui croiffoient avec une violence
inexprimable , furent réduits à
FEVRIER. 1761 . 8
demeurer fpectateurs de leur ruine . Les
progrès du feu ne cefférent point pendant
trois jours & trois nuits ; & ce ne fut qu'à
force d'abattre des maifons , qu'on parvint
le quatrième jour à l'éteindre . Les
caufes de ce malheur étoient évidentes ;
la difpofition des rues de Londres , qui
étoient fort étroites , celle des maifons ,
la plupart de bois , féchereffe de la faifon
, & la violence d'un vent d'Eft , enfin
le concours de toutes les circonstances fuffifoit
pour expliquer la deftruction qu'elles
produifirent. Mais le peuple ne fut pas fatisfait
de cette explication ; une rage aveugle
fit attribuer l'infortune publique , par
les uns , aux Républicains , par d'autres ,
aux Catholiques ; mais les plus exactes recherches
du Parlement , ne trouverent ni
preuve ni vraisemblance qui fût capable
d'autorifer cette calomnie : ce qui n'empêcha
point , que pour flatter la prévention
du peuple , l'infcription qui fut gravée
fur le monument de l'incendie ne l'attribuât
aux Catholiques . Un ordre du Roi
Jacques II , lorfqu'il fe vit fur le Trône ,
fit éffacer l'endroit où ils étoient accufés ;
mais il fut remis par fon Succeffeur.
L'incendie de Londres , quoiqu'alors
un des plus grands maux qui pût arriver
à la Nation , devint dans la fuite fort
D vj
S MERCURE DE FRANCE.
le
avantageux pour cette Ville & pour
Royaume entier. La Ville fut promptement
rebâtie , & l'on eut foin de rendre
les rues plus larges & plus régulières.
Londres , depuis ce rétabliffement , eft
devenu un féjour plus fain ; la pefte qui
deux ou trois fois dans chaque fiécle , ne
manquoit pas d'y faire de grands ravages
, n'y a jamais reparu depuis .
On fera peut- être bien- aife de fçavoir
quelle idée les Anglois fe font formée de
Louis XIV, & de trouver ici le caractère
qu'en trace notre Hiftorien. » Ce Prince,
» dit M. Hume , diftingué par toutes les
» qualités qui font capables d'enchanter
" le peuple , en poffédoit un grand nombre
, qui méritent l'approbation du Sa--
» ge. La beauté mâle de fa figure , étoit
relevée encore par la nobleffe de l'air.
» La dignité de fes manières , étoit tem-
» pérée par les agrémens & l'affabilité de
ود
la politeffe. Elégant , fans moleſſe ; li-
» vié an plaifir , fans négliger les affaires ,
» décent jufques dans fes vices , & chérii
» au centre du pouvoir arbitraire , il fur--
» paffoit en réputation , en gloire comme
» en grandeur , tous les Rois fes contem--
" porains. Son ambition moins réglée
par la juftice que par la prudence ,
avoit pourvu , avec foin, à tout ce qui
»
FEVRIER. 1761 .
23
pouvoit faciliter fes conquêtes ; &
» lorfqu'il fe mettoit en mouvement , il
paroiffoit affuré du fuccès . Le meilleur
ordre étoit établi dans fes finances ; il
» avoit créé une puiffante marine ; fes
» armées étoient nombreufes & difcipli-
» nées ; fes magaſins & fes arcénaux bien
» pourvus ; & quoique la magnificence
» de fa Cour fût fans exemple , l'économie
y régnoit fi fidélement , & le peuple
enrichi par le commerce & les
» Arts , fe foumettoit de fi bonne grace
aux taxes multipliées , que fes forces
» militaires l'emportoient beaucoup ſur
» tout ce que les fiécles précédens avoient
offert dans les autres Monarchies der
l'Europe.
و د
L'année 1679 , la vingtième du régne
de Charles II , a été l'époque des célébres
épithètes de Whig & de Tory qui ont divifé
fi long- temps l'Angleterre , & quelquefois
fans fujet fort important. Le Parti de la
Gour reprochoit à fes Antagonistes , leur
reffemblance avec les Fanatiques d'Ecoffe,
connus fous le nom de Whigs. Le parti
des Patriotes prétendoit trouver du rapport
entre les Courtifans , & les Catholiques
d'Irlande , auxquels on avoit don
né le nom de Torys . Par degrés , l'ufage
de ces termes badins deviat général ; &
86- MERCURE DE FRANCE.
même à préfent ils ne paroiffent pas plus
proches de leur fin , que lorsqu'ils furent
inventés.
Nous fupprimons ici les confpirations
& les exécutions fréquentes qui troublérent
le régne de Charles II ; ce font prèfque
toujours les mêmes fcènes qui ſe renouvellent
, & ces objets ne font point
affez variés , pour faire un fpectacle intéreffant
aux yeux de nos Lecteurs. Nous
allons donc paffer au régne de fon fucceffeur
, Jacques II , qui monta fur le
Trône à la mort de fon frère. Il n'y
refta que l'espace de quatre années ;
mais , dit l'Auteur : » Si l'on confidère
» plutôt fon caractère perfonnel , que
» fa conduite publique , il fut , fans con-
» tredit , plus malheureux que coupable.
» Il avoit plufieurs des qualités qui for-
>> ment un excellent citoyen ; & quelques-
» unes de celles qui , lorfqu'elles ne font
» point éclipfées par les principes arbi-
» traires , & le zèle aveugle de religion ,
» fervent à former un bon Souverain.
» Dans la vie privée , fa conduite fut irré-
ود
prochable. Ardent , mais ouvert dans
» fes inimitiés , ferme dans les vues & fes
réfolutions , exact dans fes plans , brave
» dans fes entrepriſes , fincère , fidéle , &
plein d'honneur dans les affaires ; tel
"
»
FEVRIER . 1761 . 87
»
و ر
ود
"
1
» étoit le caractère avec lequel il monta
» fur le Trône Anglois. Dans ce haut
degré , fon oeconomie fut remarquable ,
» fon induſtrie exemplaire , fon applica-
» tion heureufe aux affaires maritimes >
»fes encouragemens judicieux pour le
» commerce , & fa jaloufie louable , pour
» l'honneur de la Nation . Que lui man-
» quoit-il donc , pour faire un excellent
" Roi d'Angleterre ? De l'affection & du
» refpect pour la religion de fon peuple.
» Avec cette indifpenfable qualité , la
» médiocrité même de fes talens , aidée
» par tant de vertus , auroit pu rendre
fon regne glorieux & paifible .
» Sa
fincérité , vertu dont dont il faifoit gloire ,
paroiffoit douteuſe dans les promeffes
tant de fois réitérées , de conferver la
liberté , & la religion du Royaume.
Jufqu'à fon dernier foupir , il ne ceffa
point de protefter , que jamais il n'avoit
eu l'intention de renver fer les loix , ni
de procurer à fes Sujets Catholiques
d'autres avantages que la tolérance , &
l'égalité des priviléges. Sa conduite , dit
l'Hiftorien , parut démentir ces proteftations
, & perfuada fortement aux Anglois,
qu'il étoit dangereux d'admettre un Prince
de la Religion Romaine , au Trône des
Royaumes Britanniques. Ce fut en peu
86 -MERCURE DE FRANCE.
même à préfent ils ne paroiffent pas plus
proches de leur fin , que lorfqu'ils furent
inventés .
Nous fupprimons ici les confpirations
& les exécutions fréquentes qui troublerent
le régne de Charles II ; ce font prèfque
toujours les mêmes fcènes qui fe renouvellent
, & ces objets ne font point
affez variés , pour faire un fpectacle intéreffant
aux yeux de nos Lecteurs . Nous
allons donc paffer au régne de fon fucceffeur
, Jacques II , qui monta fur le
Trône à la mort de fon frère. Il n'y
refta que l'efpace de quatre années ;
mais , dit l'Auteur : » Si l'on confidère
و د
plutôt fon caractère perfonnel , que
» fa conduite publique , il fut , fans con-
» tredit , plus malheureux que coupable.
» Il avoit plufieurs des qualités qui for-
>> ment un excellent citoyen ; & quelques-
» unes de celles qui , lorfqu'elles ne font
» point éclipfées par les principes arbi-
» traires , & le zèle aveugle de religion ,
» fervent à former un bon Souverain.
» Dans la vie privée , fa conduite fut irréprochable.
Ardent , mais ouvert dans
» fes inimitiés , ferme dans fes vues & fes
» réfolutions , exact dans fes plans , brave
» dans fes entrepriſes , fincère , fidéle , &
plein d'honneur dans les affaires ; tel
ود
FEVRIER . 1761. 87
"
"
» Sa
» étoit le caractère avec lequel il monta
» fur le Trône Anglois. Dans ce haut
degré , fon oeconomie fut remarquable ,
» fon induſtrie exemplaire , fon applica-
» tion heureufe aux affaires maritimes ,
»fes encouragemens judicieux pour le
» commerce , & fa jaloufie louable , pour
» l'honneur de la Nation. Que lui manquoit-
il donc , pour faire un excellent
» Roi d'Angleterre ? De l'affection & du
» refpect pour la religion de fon peuple.
» Avec cette indifpenfable qualité , la
» médiocrité même de fes talens , aidée
» par tant de vertus , auroit pu rendre
» fon regne glorieux & paifible .
fincérité , vertu dont dont il faifoit gloire ,
paroiffoit douteufe , dans les promeffes
tant de fois réitérées , de conferver la
liberté , & la religion du Royaume.
Jufqu'à fon dernier foupir , il ne ceffa
point de protefter , que jamais il n'avoit
eu l'intention de renverfer les loix , ni
de procurer à fes Sujets Catholiques
d'autres avantages que la tolérance , &
l'égalité des priviléges . Sa conduite , dit
l'Hiftorien , parut démentir ces proteſtations
, & perfuada fortement aux Anglois,
qu'il étoit dangereux d'admettre un Prince
de la Religion Romaine , au Trône des
Royaumes Britanniques. Ce fut en peu
>
88 MERCURE DE FRANCE.
de jours , que le courage & l'habileté du
Prince d'Orange , fecondé par une fortune
furprenante , opérérent cette grande révolution
, & que fans effufion de fang ,
un grand Roi , foutenu par une flotte
formidable , & par une armée nombreuſe ,
fe vit renversé du Trône . Mais il reftoit
la plus difficile partie de l'entreprife , &
celle peut- être que le Prince d'Orange
ne regardoit pas comme la moins importante
; c'étoit d'obtenir pour lui - même ,
cette couronne qui étoit tombée de la
tête de fon Beau - pere. Les Jurifconfultes
ne trouverent qu'un expédient , ce fut
qu'il la demandat par droit de conquête ;
qu'il prît immédiatement le titre de
Souverain. La trifte fituation de Jacques
l'expofoit au mépris de fes Sujets. Incapable
de réfifter au torrent , il ne faut pas
conferver affez de préfence d'efprit ; &
l'adverfité fembla l'abattre autant qu'il
avoit paru enflé de la fortune . Il conthença
même à prêter l'oreille au plus
imprudent de tous les confeils , celui de
quitter le Trône , & d'accorder à fes
ennemis , ce qu'ils n'auroient ofé fe
promettre dans leurs plus flatteufes efpé--
rances. La Reine obfervant la furie du
peuple , fut frappée d'une profonde
retreur , & commença férteufement at
FEVRIER. 1761. 89
craindre une accufation parlementaire ,
dont on l'avertit que les Reines d'Angleterre
n'étoient pas exemptes. Les Courrifans
Catholiques , & furtout les Prêtres
étoient perfuadés qu'ils feroient les premieres
victimes , & que le banniffement
perpétuel étoit la moindre vangeance
qu'ils duffent attendre du reffentiment
national. Cette idée leur fit fouhaiter
de pouvoir engager Jacques à quitter le
Royaume avec eux , dans l'efpoir que
fa préfence leur affureroit quelque reffource
dans les pays étrangers. D'un autre
côté , la défertion générale des Protef
tans , faifoit regarder les Catholiques
au Roi , comme le feul refte de fes
Sujets auquel il pût fe fier ; & la fatale
cataſtrophe de fon pere , ne lui donnoit
que trop fujer d'appréhender le même fort .
Agité de toutes ces craintes , Jacques II
embraffa précipitamment la réfolution
de paffer en France , & fe hâta de faire
partir d'avance la Reine & le jeune Prince
fon fils , fous la conduire du Comte de
Lauzun . Il prit lui - même le tems de la
nuit pour difparoître , accompagné du feul
Chevalier Hales ; & par des voies détournées
, il entreprit de fe rendre à bord d'un
Vaiffeau qui l'attendoit à l'embouchure
de la Tamife . Ses mefures avoient été pri
90 MERCURE DE FRANCE.
fes avec toutes fortes de foins pour dérober
fa fuite ; comme fi cette réfolution
n'eût pas été ce qu'il pouvoit faire de plus
agréable à fes ennemis . Rien ne peut égaler
la furprife qui faifit la Ville , la Cour
& tout le Royaume , au premier bruit de
cette étrange nouvelle .On voyoit les rênes
du Gouvernement abandonnés tout d'un
coup par la main qui les foutenoit , &
l'on ne voyoit perfonne qui eût le droit
de s'en mettre en poffeffion.
Tandis que le Roi abandonnoit ainfi
fa caufe , on reçut la nouvelle qu'il avoit
été faifi à Feversham par la populace, fous
un habit déguifé ; qu'il avoit reçu de fort
mauvais traitemens avant qu'il eût été
reconnu ; mais que les honnêtes gens du
canton l'avoient défendu & mis à couvert
, en refufant néanmoins de confentir
à fon évafion. Ce contre - tems jetta tous
les partis dans le plus grand trouble. Le
Prince d'Orange vouloit que le Roi n'avançat
pas plus loin que Rochefter ; mais
Jacques étoit déjà dans Londres , où la
populace touchée de compaffion pour fon
fort , & pouffée par fa propre légéreté ,
l'avoit reçu avec de grandes acclamations.
Mais voyant que l'Eglife , la Nobleffe
, la Capitale , les Provinces , que
tout concouroit à le négliger , il ſe ſouFEVRIER.
1761.
mit à fa trifte deftinée ; & preffé par les
Lettres de la Reine , il s'embarqua fecrettement
fur une Frégate qui l'attendoit ,
& qui le porta heureufement au port
d'Ambleteufe , d'où il fe rendit à St. Germain.
Louis XIV le reçut avec les plus
nobles fentimens de générofité , de reſpect
& d'amitié. Conduite qui fait plus d'honneur
à ce Monarque , dit M, Hume , que
fes plus nobles victoires . Ainfi finit le regne
de Jacques II & avec lui l'Hiftoire de
la Maifon de Stuart fur le Trône d'Angleterre.
QUESTION
DE GOÛT
.
LES paroles dun Opéra font - elles inatiles
à la progreffion du Génie mufical,
& conféquemment
indifférentes au fuccès
du Muficien ?
QUEL
UELQUE fingulière que paroiffe cette
question, ainfi nuement expofée ,elle eft cependant
aujourd'hui
l'analyſe de la façon
de penfer de bien des gens, qui prétendent
au titre d'Amateurs
, & même à la réputation
de Connoiffeurs
en Mufique.
Depuis les Chefs - d'oeuvres de Quinault
, depuis les Poëmes des La Mottes
소
92 MERCURE DE FRANCE.
des Fontenelles , & de quelques Modernes
, en petit nombre , des Scènes languiffantes,
mal attachées à un fond ftérile,
infipides dans les détails, ou ridiculement
brillantes dans un dialogue découfu , ont
fouvent rendu faftidieux le Spectacle de
l'Opéra. Quelquefois même , dans les
Poëmes confacrés par notre admiration ,
des Acteurs , en affoibliffant le fentiment
qui leur échappoit , ou minaudant celui
qu'ils ne faifoient qu'entrevoir, ont mis
obftacle à l'impreffion que devoient tou
jours faire certaines Scènes fur le Public .
Delà , imputant au genre même , les dé
fauts accidentels des Auteurs , dans les
mauvais Poëmes , ou des Acteurs dans
les bons , quelques perfonnes ont pû
croire & ont Kazardé de dire , que toute
efpéce de Scène , un peu remplie , étoit
une fource d'ennui à l'Opéra . Les Poëtes
les moins pourvus de talens ont favorisé
cette opinion , qui les difpenfoit du poins
difficile de l'Art. Quelques Muficiens
moins délicats que fçavans , l'ont adoptée
, parce qu'elle les auroit débaraffés de
ce fâcheux Récitatif ; plein - chant , à la
vérité dans le Muficien qui n'eft que Muficien
, mais le charme du coeur & de
Fefprit , dans celui qu'infpire le véritable
génie de fon art. Enfin quelques
FEVRIER. 176.1 . 93
fuccès éphémères ont manqué de faire
paffer en France ce paradoxe pour une
loi de goût général . Ce feroit , en quelque
forte ,l'autorifer , que d'entrer, pour
le détruire , dans des difcuffions trop approfondies.
Ce qui répugne à la raifon
par un fentiment d'évidence univerfellement
éprouvé , ne doit être qu'expofé
au grand jour , pour s'anéantir. Com .
ment peut- on en effet , fuppofer un drame,
( quelle que puiffe être fa deftination
) ou des agrémens acceffoires , &
fouvent étrangers , fuppléaroient fuffifament
à une certaine unité de fond , à
cet ordre d'idées , de chofes , d'action ,
de
fentimens , ou au moins de fituations,
fans lequel on ne peut intéreffer aucun
Lecteur ou Spectateur fenfé , ni même
foutenir fon attention ? Que fera- ce fi ce
drame eft fpécialement deftiné à une repréfentation
théâtrale , c'est - à - dire à
toute l'illufion poffible dans le Moral
autant au moins que dans le Phyfique ?
Tout le monde fçait combien l'éloquence
& la poefie influent fur la déclamation.
I feroit inutile de s'arrêter à faire
voir que , dans la Poefie lyrique , le Muficien
eft le déclamateur primitif, qu'ainfi
fes chants ne devant être que les organes
du Poëte , c'eft aux paroles à guider
94 MERCURE
DE FRANCE.
le & à enflaminer le génie inufical ; que
fon & le mérite de l'un , font néceffairement
dépendans de l'autre. Deux faits
viennent confirmer cette preuve de raifonnement
le premier , qu'il n'exiſte aucune
mufique d'Opéra , de la plus médiocre
réputation , où le Muficien n'ait été
fupérieur à fes talens ordinaires , lorfqu'il
a rencontré quelque Scène intéreſſante en
foi , & dont les détails étoient analogues
à cet intérêt . Le fecond , c'eft que malgré
la prévention qui paroît tout donner
à la Mufique , il eft conftamment vrai
que les Opéra qui n'ont été foutenus
que par ce feul mérite , ont eu des fucces
moins unanimes & moins conftans
que ceux où ce même mérite étoit appliqué
à de bons Poëmes. Sur le premier
de ces faits , nous en appellons à
la mémoire de tous les Amateurs du
Spectacle de l'Opéra. Le fecond n'a befoin
que de quelques exemples : en matière
de goût , les exemples font fouvent
des démonftrations . Mais il faut les
choifir dans les Ouvrages du Muficien de
nos jours , qui jouit des applaudiffemens
les plus univerfels , & dont la célébrité
eft la mieux établie. Comparons donc
avec lui- même , celui qui vient de nous
attacher & de nous émouvoir fi agréableFEVRIER
. 1761 . 95
ment dans Dardanus , que nous avions
plaint auparavant dans les Paladins ,
mais qui nous a toujours forcé d'admirer
fon génie , dans les tems mêmes où nous
en regrettions le plus l'emploi .
*
Pourquoi Hippolite & Aricie , Caftor &
Pollux, & ce même Dardanus , dont nous
venons de parler , ont- ils furvêcu fi glorieuſement
, au premier enthouſiaſme
qu'excite toujours à fi jufte eitre , la Mufique
de cet Auteur ? Cette faveur d'une
admiration foutenue , ne peut être & n'eft
due qu'aux paroles qui ont échauffé &
dirigé fon génie. Dans le premier de ces
Poëmes , la Fable eft conftruite dramatiquement
, les Scènes font affez préciſes ,
diftribuées avec ordre , & raisonnablerent
dialoguées ; ces avantages y font
prèfqu'oublier la nonchalance de la verfification.
L'Opéra de Caftor & Pollux
aura toujours pour le Public , un éclat fupérieur
à celui d'Hippolite ; éclat qu'il
doit , fans doute , à la nature du fujet , à
une pocfie plus brillante , & en général ,
à une imagination plus lumineufe , faite
par conféquent , pour infpirer plus d'élévation
à celle du Muficien . Dardanus ,
que l'on joue encore aujourd'hui , & qu'on
ne fe laffe point de revoir , rappelle à
* Hippolite & Aricie.
c6 MERCURE DE FRANCE .
l'efprit & au coeur l'influence des fonds
poëtiques fur le coloris mufical. A qui la
tendre Iphife n'a - t - elle pas fait avouer ,
que ce font les Scènes qui nous fixent &
qui nous ramènent fouvent au fpectacle
de l'Opéra , quand l'intérêt , tracé par les
paroles , a paffé dans le génie du Muſicien
, & qu'on y ajoûte , comme l'Actrice
chargée de ce rôle * , tous les charmes
de la plus fenfible expreffion .
Rappellons - nous au contraire ces bizarres
pocfies , fruits bigarrés d'une trop
fertile verve , dont la mort a arrêté le
cours. Que produit , en leur faveur , le
tréfor de ſcience & d'harmonie , que notre
immortel Muficien s'étoit obftiné à
leur prodiguer ? mais ne portons pas plus
loin nos remarques fur ces productions
infortunées. La politeffe de nos moeurs
ne permet pas d'inquiéter des cendres
trop récentes. Le temps ne nous a pas
encore donné , fur ces Poëmes , les droits
de la poftérité l'Auteur eft , à notre
égard , dans cet âge heureux des morts ,
où l'on doit paffer bien des chofes à ces
Meffieurs .
J'entends nos Amateurs réclamer ici
pour Zoroastre. Qu'ils daignent convenir
que ce divin Zoroaftre n'a jamais été
* Mlle Arnould.
admiré
FEVRIER. 1761. 97
admiré par eux- mêmes , que comme un
excellent concert.Les plus grands moyens
de la Mufique y étoient diftribués dans
des contraftes fi tranchans , les fens y
étoient fi violemment frappés , que l'elprit
étonné , oublioit ce qu'il exige ordinairement
au Théâtre , & le coeur ofoir
à peine y regretter l'intérêt qui lui eſt
toujours fi néceflaire. Le mérite de Zoroaftre
ne peut donc avoir aucune relation
au genre propre de l'Opéra : ce qui
a procuré un fuccès à ce Spectacle , ce
qui pourroit lui en procurer encore , couronnera
la gloire du Muficien , fans détruire
notre opinion.Quelque enivrés que
nous foyons aujourd'hui , des beautés purement
muſicales , il faudra toujours revenir
à croire , qu'un Opéra eft un tout
dramatique , compofé de plufieurs parties
d'agrément , mais dont le fond effentiel
doit être le Poëme. Quelques
fpectacles hazardés contre ce principe ,
cauferont peut- être une fenfation plus vive
dans le premier moment ; mais l'exactitude
bien entendue de l'Att théatral , a
des reffources fupérieures aux tyrannies
de la mode fur tous les Arts .
Zoroaftre ne conclud donc pas davantage
contre la néceffité des bons Poëmes ,
E
#
98 MERCURE DE FRANCE.
.
dans les Opéras tragiques , que les Indes
galantes ne doivent favorifer l'indifférence
des Muficiens pour les paroles, dans les
Opéra- Ballets. Quelque applaudi qu'air
été celui- ci dans fon origine , on fçait
combien fa fortune a été différente dans
les repriſes . En obfervant , d'après les événemens
, tous les ouvrages de ce genre
on trouvera qu'il n'en eft aucun, de ceux
dont la Mufique fait le feul mérite , qui
ait foutenu l'épreuve des retours fur le
Théâtre ; au lieu que l'on pourroit en citer
beaucoup d'autres , qui , à la faveur des
Poëmes , ont obtenu grâce & l'obtiennent
encore pour cette petite Mufique , ainfi
que la qualifient les prétendus connoiffeurs
, qui affectent toujours , par vanité
perfonelle , de déprifer le genre national.
# Si je voulois entrer dans la difcuffion
de quelques Actes ifolés , on verroit encore
les mêmes conféquences du principe
établi à l'égard de l'influence de la Pochie
fur la Mufique. L'Acte de Pigmalion ,
dont le fond eft de main de maître , *
mais un peu défiguré par celle qui a ofé
le retoucher , a été remis avec fuccès &
probablement le fera toujours avec plus
ou moins d'éclat ; cependant felon les ta-
* M. de la Motte.
FEVRIER. 1761 .
99
lens ou la réputation de la voix qui chantera
le principal rôle.
L'aimable Spectacle des Talens lyriques,
n'étant qu'un tiffu de grâces locales ,
une combinaifon de tableaux riants , où
à peine a-t- on prétendu à la verfification ,
ce Ballet eft abfolument fans conféquence
pour ou contre la part que doit
avoir la Poëfie au fuccès d'un Opéra. On
n'en fera pas moins en droit de regretter
en général , tous les avantages qu'à perdus
l'illuftre Muficien , dont on vient de
parcourir quelques Ouvrages , par un peu
trop de négligence à fe procurer des Poëmes
plus analogues à la féconde fublimité
de fon génie , & aux grâces dont il
eſt ſuſceptible.
Quoiqu'il paroiffe par la queftion même
que l'on vient d'examiner , qu'une
certaine portion du Public , chancèle ſur
les viais principes du goût , j'ai cru qu'il
étoit utile de faire remarquer , par les
comparaifons de fuccès que je viens d'expofer
, qu'il redevient tous les jours plus
fenfible au mérite des Scènes , & en général
à celui des Poëmes à l'Opéra. J'ai
choifi , pour autorifer cette vérité les
divers Ouvrages du plus célébre Muficien
exiftant , & le moment où tout retentit
,
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
encore de l'impreffion que fait Dardanus.
J'ai la certitude de n'être pas démenti fur
ce genre d'autorité.
Par un Penfionnaire du Mercure,
SUR la découverte des Urnes Cinéraires
de Cote-cote près Dieppe.
LEES Urnes de Cote- cote , felon la defcription
& d'après les particularités énoncées
dans le mémoire inféré dans le Mer
cure de ce mois , annoncent des Monumens
Romains. Il eft affez peu intéreſſant
de fçavoir fi ce font les cendres de deux,
corps ou d'un feul. Il paroît que ce font
celles de deux perfonnes & qu'on a voulu
les diftinguer par les deux médailles. Si
C'eût été les cendres d'un feul corps , on
ne les auroit pas mifes dans deux urnes
différentes , ou bien on ne les auroit pas.
féparées de quelques pieds.
Les piéces trouvées fous ces urnes , ne
font, fuivant toute apparence , rien moins .
que les oboles de Caron ; mais feulement ,
deux médailles dont la deftination eft
de fixer le temps de l'inhumation. L'Au
teur ne fe tromperoit - il pas , en difant
FEVRIER. 1-31. for
que les Antonins & les Philippes n'ont fait
mettre leur nom en infcription que fur la
monoie d'or & d'argent ? Il diftingue ap
paremment la monoie des médailles. Nous
avons de ces dernieres , ( grand bronze )
en grande quantité , & on ÿ'lit à merveille
Antoninus , &c.
On a peut-être mal lû la légende de
l'autre médaille , il paroîtroit tout fimple
de lire Diva Fauftina.
Ne feroit - ce point une idée neuve d'ayancer
que la ville d'Arques a été bâtie
4 à 500 ans avant J. C. par une Colonie
Phénicienne ?
Nous doutons qu'aucune ville des Gaules
ait été fondée par les Phéniciens , &
qu'ils ayent jamais fait aucun établiffement
fur nos côtes , quoiqu'ils les ayent
beaucoup fréquentées dans leurs voyages
aux Ifles Caffiterides.
Pour prouver que la ville d'Arques eft
de fondation Phénicienne , on ne peut
avoir que des preuves de fait. Si on vouloit
bien les produire , je penfe qu'on rendroit
un grand fervice à la République des
Lettres.
É iij
02 MERCURE DE FRANCE.
ESSAI fur L'INFANTERIE
CETE
FRANÇOISE.
EXTRA I T.
ET Effai contient des réflexions & des
raiſonnemens , qui juftifient les changemens
defirés dans l'Infanterie Françoiſe.
-
Sur ce fondement que : l'Infanterie fait
la force des Armées , qu'elle eft l'âme des
combats & qu'elle fournit à toutes les efpéces
de fervice . Corps principal qui doit tenir
le premier rang dans tout Etat Mili
taire , dont la Cavalerie ne doit être que
l'acceffoire .
Pour donner à notre Infanterie le degré
de perfection où elle peut être portée , il
lui faut rendre le premier degré de confi
dération que la Cavalerie a ufurpé.
En effet , c'eft dans le Corps de la Cavalerie
que les familles les plus recommandables
par les dignités , par les richeffes
ou par la faveur , s'empreffent de placer
les enfans qu'elles deftinent au métier
des Armes ; c'eft auffi ce Corps qui jouir
des meilleurs traitemens , & qui enléve à
l'envi , pour ſes recrues , les hommes les
plus diftingués, par la force , par la taille,
FEVRIER. 1761, 103
& par la figure. L'infanterie eft le partage
de la nobleffe pauvre , elle reçoit pêlemêle
, dans fes enrôlemens , tous fujets
fans diftinction , fur la compétence de
cinq pieds de hauteur.
L'Auteur defire que chaque Brigade
d'Infanterie , pour acquérir toute la force
dont elle eft fufceptible , foit formée d'un
feul & même Corps en plufieurs Bataillons.
Que chaque Bataillon, comme ceux pour
l'Infanterie Allemande au fervice du Roi,
foit compofé d'une Compagnie de Grenadiers
de 52 hommes & de huit Compagnies
de Fufiliers , chacune de 80 hommes
, toutes commandées par trois Officiers
: un Capitaine , un Lieutenant & un
Sous-Lieutenant.
En fuppofant l'utilité reconnue des
Troupes de Chaffeurs attachées aux Brigades
, qu'elles fuflent portées par augmentation
au complet actuel de chaque
Bataillon.
Pour donner plus de relief au grade de
Capitaine , que celui de Capitaine en fecond
( & pour le dire en paffant des titres
de Capitaine de charrois , des vivres & des
fermes ) fuffent fupprimés.
Les Places de fecond & troifiéme Officiers
des Grenadiers , même des Chaffeurs
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
1
*
accordées aux Enfeignes , & celles des Enfeignes
aux Sergens de bonne conduite ,
fans égard à l'ancienneté.
Les Sergens choifis par d'anciens Sergens
parmi tous les Caporaux, & de même
les Caporaux parmi les Soldats qui
auront montré le plus de bravoure & d'intelligence
, les places d'appointés don-.
nées aux plus anciens Soldats . L'antériorité
de fervice qui n'auroit pas fervi à
monter à un grade fupérieur récompenfé
par une augmentation de paye.
Que feize Fufiliers - Canoniers commandés
dans chaque Bataillon par un Sergent
& un Caporal- Canoniers recrutent à tour
de rôle le Corps Royal de l'Artillerie , qui
fe recruteroient eux- mêmes dans les Compagnies
de leurs Bataillons .
L'obligation, impofée aux Capitaines de
recruter leurs Troupes , eft une des caufes
de la foibleffe de notre Infanterie ; le
reméde eft dans le nouveau fyftême des
recrues nationales ; fur tout fi l'on applique
à la levée des Milices , les principes
de recrutation , par la voie des engage
mens volontaires . Le plan des enrôlemens
volontaires favorife la population, encou
rage le Commerce & conferve à l'Agriculture
des milliers de bras qui lui font né
ceffaires.
FEVRIER. 1761. IOS
Mais il faut choifir les ſujets ; l'âge militaire
fixé à 16 ans , le feroit peut - être
mieux à 18 , où les hommes doivent
être formés , endurcis au travail & capables
de foutenir les fatigues de laguèrre ; fi
la néceffité force à fe relâcher fur la taille
de cinq pieds 4 pouces , il faut du moins.
reconnoître les avantages Phyfiques qui
décélent dans les fujets des inclinations
guèrrières, tels que l'affurance du regard ,
la plénitude du fon de voix , la vigueur du
nerf & de la conftitution .
Il peint l'Officier François , & en particulier
le Capitaine . Il loue le Corps des
Grenadiers de France , mais il craint qu'il
n'affoibliffe la maffe de l'Infanterie Françoiſe.
Il defire qu'on établiffe une Caiffe gế-
nérale des enrôlemens pour les Recrues
volontaires , fur les appointemens des Capitaines.
Qu'on défende la vente des Congés abfolus.
Qu'on faffe des établiffemens de dépôts
de Recrues , qui fervent auffi d'écoles
où les Soldats feroient exercés en tous
temps ; enfin , qu'on les foulage en temps
de guèrre . Le Ministère a donné des preuves
de fon attention à ce dernier Article.
C'eft aux Militaires , inftruits & éclai-
E y
104 MERCURE DE FRANCE.
1
accordées aux Enfeignes , & celles des Enfeignes
aux Sergens de bonne conduite ,
fans égard à l'ancienneté.
Les Sergens choifis par d'anciens Sergens
parmi tous les Caporaux, & de même
les Caporaux parmi les Soldats qui
auront montré le plus de bravoure & d'inrelligence
, les places d'appointés don-.
nées aux plus anciens Soldats . L'antériorité
de fervice qui n'auroit pas fervi à
monter à un grade fupérieur récompenfé
par une augmentation de paye.
Que feize Fufiliers - Canoniers commandés
dans chaque Bataillon par un Sergent
& un Caporal- Canoniers recrutent à tour
de rôle le Corps Royal de l'Artillerie , qui
fe recruteroient eux - mêmes dans les Compagnies
de leurs Bataillons .
L'obligation, impoſée aux Capitaines de
recruter leurs Troupes , eft une des caules
de la foibleffe de notre Infanterie ; le
reméde eft dans le nouveau fyftême des
recrues nationales ; fur tout fi l'on applique
à la levée des Milices , les principes
de recrutation , par la voie des engage
mens volontaires . Le plan des enrôlemens
volontaires favorife la population, encou
rage le Commerce & conferve à l'Agriculture
des milliers de bras qui lui font né
ceffaires.
FEVRIER. 1761. 105
Mais il faut choifir les fujers ; l'âge militaire
fixé à 16 ans , le feroit peut - être
mieux à 18 , où les hommes doivent,
être formés , endurcis au travail & capables
de foutenir les fatigues de laguèrre ; fi
la néceffité force à fe relâcher fur la taille
de cinq pieds 4 pouces , il faut du moins
reconnoître les avantages Phyſiques qui
décélent dans les fujets des inclinations
guèrrières, tels que l'affurance du regard
la plénitude du fon de voix , la vigueur du
nerf & de la conftitution .
>
Il peint l'Officier François, & en particulier
le Capitaine . Il loue le Corps des
Grenadiers de France , mais il craint qu'il
n'affoibliffe la maffe de l'Infanterie Françoife.
Il defire qu'on établiffe une Caiffe générale
des enrôlemens pour les Recrues
volontaires , fur les appointemens des Capitaines.
Qu'on défende la vente des Congés abfolus.
Qu'on faffe des établiſſemens de dépôts
de Recrues , qui fervent auffi d'écoles
où les Soldats feroient exercés en tous
temps ; enfin , qu'on les foulage en temps
de guèrre. Le Ministère a donné des preuves
de fon attention à ce dernier Article.
C'eft aux Militaires , inftruits & éclai-
Ey
104 MERCURE DE FRANCE.
1
accordées aux Enfeignes , & celles des Enfeignes
aux Sergens de bonne conduite ,
fans égard à l'ancienneté.
Les Sergens choifis par d'anciens Sergens
parmi tous les Caporaux , & de même
les Caporaux parmi les Soldats qui
auront montré le plus de bravoure & d'inrelligence
, les places d'appointés don-.
nées aux plus anciens Soldats . L'antériorité
de fervice qui n'auroit pas fervi à
monter à un grade fupérieur récompenfé
par une augmentation de paye.
Que feize Fufiliers - Canoniers commandés
dans chaque Bataillon par un Sergent
& un Caporal- Canoniers recrutent à tour
de rôle le Corps Royal de l'Artillerie , qui
fe recruteroient eux - mêmes dans les Compagnies
de leurs Bataillons .
L'obligation, impoſée aux Capitaines de
recruter leurs Troupes , eft une des caufes
de la foibleffe de notre Infanterie , le
reméde eft dans le nouveau fyftême des
fecrues nationales ; fur- tout fi l'on applique
à la levée des Milices , les principes
de recrutation , par la voie des engagemens
volontaires . Le plan des enrôlemens
volontaires favorife la population, encou
rage le Commerce & conferve à l'Agriculture
des milliers de bras qui lui font né
ceffaires.
FEVRIER. 1761. 105
,
Mais il faut choifir les fujers ; l'âge militaire
fixé à 16 ans , le feroit peut - être
mieux à 18 où les hommes doivent
être formés , endurcis au travail & capables
de foutenir les fatigues de laguèrre ; fi
la néceffité force à fe relâcher fur la taille
de cinq pieds 4 pouces , il faut du moins
reconnoître les avantages Phyfiques qui
décélent dans les fujets des inclinations
guèrrières, tels que l'affurance du regard .
la plénitude du fon de voix , la vigueur du
nerf & de la conftitution .
Il peint l'Officier François , & en particulier
le Capitaine . Il loue le Corps des
Grenadiers de France , mais il craint qu'il
n'affoibliffe la maffe de l'Infanterie Françoife.
Il defire qu'on établiffe une Caiffe générale
des enrôlemens pour les Recrues
volontaires , fur les appointemens des Capitaines.
Qu'on défende la vente des Congés abfolus.
Qu'on faffe des établiffemens de dépôts
de Recrues , qui fervent auffi d'écoles
où les Soldats feroient exercés en tous
temps ; enfin , qu'on les foulage en temps
de guèrre. Le Ministère a donné des preuves
de fon attention à ce dernier Article.
C'est aux Militaires , inftruits & éclai-
Ev
104 MERCURE DE FRANCE.
1
accordées aux Enfeignes , & celles des Enfeignes
aux Sergens de bonne conduite ,
fans égard à l'ancienneté.
Les Sergens choifis par d'anciens Sergens
parmi tous les Caporaux , & de même
les Caporaux parmi les Soldats qui
auront montré le plus de bravoure & d'inrelligence
, les places d'appointés données
aux plus anciens Soldats . L'antériorité
de fervice qui n'auroit pas fervi à
monter à un grade fupérieur récompenfe
par une augmentation de paye.
Que feize Fufiliers - Canoniers commandés
dans chaque Bataillon par un Sergent
& un Caporal- Canoniers recrutent à tour
de rôle le Corps Royal de l'Artillerie , qui
fe recruteroient eux - mêmes dans les Compagnies
de leurs Bataillons .
L'obligation, impofée aux Capitaines de
recruter leurs Troupes , eft une des caufes
de la foibleffe de notre Infanterie ; le
reméde eft dans le nouveau fyftême des
recrues nationales ; fur tout fi l'on applique
à la levée des Milices , les principes
de recrutation , par la voie des engager
mens volontaires . Le plan des enrôlemens
volontaires favorife la population, encou
rage le Commerce & conferve à l'Agriculture
des milliers de bras qui lui font né
ceffaires .
FEVRIER. 1761. 105
Mais il faut choifir les fujers ; l'âge militaire
fixé à 16 ans , le feroit peut - être
mieux à 18 , où les hommes doivent
être formés , endurcis au travail & capables
de foutenir les fatigues de laguèrre ; fi
la néceffité force à fe relâcher fur la taille
de cinq pieds 4 pouces , il faut du moins
reconnoître les avantages Phyfiques qui
décélent dans les fujets des inclinations
guèrrières, tels que l'affurance du regard ,
la plénitude du fon de voix , la vigueur du
nerf & de la conftitution .
Il peint l'Officier François , & en particulier
le Capitaine. Il loue le Corps des
Grenadiers de France , mais il craint qu'il
n'affoibliffe la maffe de l'Infanterie Françoife.
Il defire qu'on établiffe une Caiffe générale
des enrôlemens pour les Recrues
volontaires , fur les appointemens des Capitaines.
Qu'on défende la vente des Congés abfolus
. Qu'on faffe des établiffemens de dépôts
de Recrues , qui fervent auffi d'écoles
ou les Soldats feroient exercés en tous
temps ; enfin , qu'on les foulage en temps
de guèrre. Le Ministère a donné des preuves
de fon attention à ce dernier Article.
C'eft aux Militaires , inftruits & éclai-
E y
104 MERCURE DE FRANCE.
accordées aux Enfeignes , & celles des Enfeignes
aux Sergens de bonne conduite ,
fans égard à l'ancienneté.
Les Sergens choifis par d'anciens Sergens
parmi tous les Caporaux, & de même
les Caporaux parmi les Soldats qui
auront montré le plus de bravoure & d'intelligence
, les places d'appointés don-.
nées aux plus anciens Soldats. L'antériorité
de fervice qui n'auroit pas fervi à
monter à un grade fupérieur récompenfé
par une augmentation de paye.
Que feize Fufiliers - Canoniers commandés
dans chaque Bataillon par un Sergent
& un Caporal- Canoniers recrutent à tour
de rôle le Corps Royal de l'Artillerie , qui
fe recruteroient eux - mêmes dans les Compagnies
de leurs Bataillons.
L'obligation, impofée aux Capitaines de
recruter leurs Troupes , eft une des caufes
de la foibleffe de notre Infanterie ; le
reméde eft dans le nouveau fyftême des
fecrues nationales ; fur tout fi l'on applique
à la levée des Milices , les principes
de recrutation , par la voie des engagemens
volontaires . Le plan des enrôlemens
volontaires favorife la population, encou
rage le Commerce & conferve à l'Agriculture
des milliers de bras qui lui font né
ceffaires.
FEVRIER . 1761 . 105
Mais il faut choifir les fujets ; l'âge militaire
fixé à 16 ans , le feroit peut - être
mieux à 18 , où les hommes doivent
être formés , endurcis au travail & capables
de foutenir les fatigues de laguèrre ; fi
la néceffité force à fe relâcher fur la taille
de cinq pieds 4 pouces , il faut du moins
reconnoître les avantages Phyfiques qui
décélent dans les fujets des inclinations
guèrrières, tels que l'affurance du regard ,
la plénitude du fon de voix , la vigueur du
nerf & de la conftitution .
Il peint l'Officier François , & en particulier
le Capitaine . Il loue le Corps des
Grenadiers de France , mais il craint qu'il
n'affoibliffe la maffe de l'Infanterie Françoiſe.
Il defire qu'on établiffe une Caiffe générale
des enrôlemens pour les Recrues
volontaires , fur les appointemens des Capitaines.
Qu'on défende la vente des Congés abfolus.
Qu'on falle des établiffemens de dépôts
de Recrues , qui fervent auffi d'écoles
où les Soldats feroient exercés en tous
temps ; enfin , qu'on les foulage en temps
de guèrre. Le Miniftère a donné des preuves
de fon attention à ce dernier Article.
C'eft aux Militaires , inftruits & éclai-
E v
106 MERCURE DE FRANCE .
rés , à juger cet Effai , qu'il faut lire tout
entier ; l'on ne peut refufer des éloges
aux vues fages de l'Auteur , & au zèle qui
l'anime.
L'Auteur de cet Effai , eft M. J. B. Durival
, Greffier en chef des Confeils de
S. M. le Koi de Pologne , Duc de Lorraine
& de Bar. M. D. a lu cet Effai ,
après avoir prononcé fon difcours , lors
de fa réception à l'Académie Royale des
Sciences & Belles- Lettres de Nanci , le
20 Octobre 1760 .
Le nom de famille de M. Durival , eſt
Luton, connu en Lorraine, feulement, fous
celui de Durival . Jacques Luton , Père ,
vient d'être anobli par le Roi Stanislas ;
fes trois fils , Nicolas , Jean - Baptifte &
Claude Luton- Durival , compris dans la
France Littéraire fous le nom feul de Durival,
font connus par des ouvrages utiles .
NOUVELLE & magnifique Edition de
BOCCACE , en Italien & en François
(Séparément. ) Avec figures .
II feroit inutile de faire de nouveaux
éloges de Boccace , on en fait depuis quatre
fiècles : il eft connu de tous ceux qui
FEVRIER. 1761. 107
cultivent les Lettres ; il eft traduit dans prèfque
toutes les Langues ; c'eft le plus agréable
Conteur qui ait jamais paru . Il a fixé
la perfection , l'élégance , la douceur de
la Langue Italienne ; fon ftyle eft noble ,
délicat , éloquent les bons mots , la fine
plaifanterie , ce fel , ces traits de fatyre
enjoués & fpirituels auxquels il eft difficile
d'atteindre , font répandus dans fes ouvra
ges . Cette urbanité que tous les Ecrivains
recherchent , que peu faififfent , y domine
principalement avec une forte de profufion
. Ce qui met le comble à fon Eloge ,
c'eft qu'il a eu la gloire de fervir de modéle
à la Fontaine , Auteur unique en ce
genre.
Il y a un grand nombre d'Editions des
Nouvelles de Boccace. Les bonnes font extrêmement
rares . Il n'y en a aucune qui
foit ornée de figures : cependant , quel eft
l'ouvrage qui fourniffe plus d'idées à la
Peinture ? Il est à préfumer qu'on a penfé
plufieurs fois à embellir le Décameron par
le deffein & par la gravure , & à enrichir
en même temps la gravure & le deffein
des images vives , riantes ou férieuſes , qui
tour-à-tour fe rencontrent dans le Décameron.
La dépenfe qu'auroit exigée une
pareille entrepriſe, en a peut- être fait toujours
tomber le projet . Des circonstances
E vj
10S MERCURE DE FRANCE.
heureuſes l'ont réveillé dans ce fiècle de
lumiere & de goût . Ce projet eft exécuté ,
& cette Edition complette du Décameron
, fi defirée , paroîtra dans le courant
de Janvier prochain 1761 .
Elle eft diftribuée en cinq Volumes in
octavo , & ornée de cent - feize grandes
planches , dont les deffeins font de MM.-
Boucher , Cochin & Gravelot : fçavoir :
Cent , pour les Cent Nouvelles.
Dix , pour les dix Prologues des dix
Journées .
Cinq , pour les Frontifpices de chacun
des cinq Volumes .
Une , pour le Portrait de l'Auteur.
Les cent- dix planches employées pour
les Nouvelles & les Prologues , font accompagnées
de cent - dix Titres gravés
dans des bordures pareilles à celles des
planches , & les Nouvelles & les Prologues
font terminés par cent Culs - de - lampes
en figure , de différente grandeur ; de
forte qu'on a employé environ 330 planpour
cette Edition , qui ont été deffinées
& gravées par les plus habiles Artiſtes.
On peut regarder les deffeins & les gravu
res comme autant de chefs- d'oeuvres de
modèle pour tout gente d'Astiftes.
ches
En faveur de ceux qui n'entendent pas
FEVRIER. 1761 . 100
l'Italien , on a imprimé le Décameron de
Boccace traduit en François par Magon.
Sa traduction eft la plus exacte de toutes
celles qui ont paru ; fon ftyle eft élégant ,
fi on veut avoir égard au tempsdans lequel
il a vécu . La Traduction Françoiſe
n'eft pas jointe au texte Italien ; elle forme
une Edition à part, diftribuée de même en
cinq Volumes, & enrichie des mêmes planches
, Titres & Culs- de- lampes qui font
dans l'Edition Italienne.
Le Décameron de Boccace étant divifé
en dix Journées , chaque Journée en dix
Nouvelles , chacun des cinq Volumes contiendra
deux Journées & vingt Nouvelles .
L'Edition Italienne eft toute en papier
d'Hollande Carré fin double ; l'Edition
Françoiſe eft partie en papier d'Hollande ,
de la même qualité , partie en beau papier
d'Auvergne grand Raifin , qui fait le grand
papier.
Les cinq Volumes du Décameron Ita
lien fe vendront cent livres argent de
France , brochés ou en feuilles. L'Edition
Françoife,tirée fur le même papier d'Hol
lande , fe vendra le même prix.
Quant à l'Edition Françoife , tirée fur
du beau papier d'Auvergne grand Raifin ,
le prix en fera de quatre- vingt- quatre liv.
110 MERCURE DE FRANCE.
argent de France , les cinq Vol. in - 8 ° .
On n'a tiré qu'un petit nombre d'Exemplaires
, & cela pour qu'ils fuffent tous
d'un oeil également net & neuf.
Si on veut réfléchir un inftant fur la
beauté des deffeins , des gravures , du
papier & des caractéres , on trouvera ce
prix affez modique .
On trouvera des Exemplaires de ces
deux Editions dans les principales Villes
de l'Europe , chez les Libraires fuivans ,
Sçavoir ;
A Londres , chez Vaillant & Noble ;
Davies ; Payne ; J. Nourfe.
A Paris , chez N. Tillard ; Durand ; ,
Prault fils.
A Amfterdam , chez Werftein ; Mortier
& Screuder.
A Lyon & à Genève , chez les Freres
de Tournes.
A Turin & à Milan , chez Reycends ,
Guibert & Silveftre.
A Venife , chez Antoine Zatta; Jean-
Baptifte Pafquali.
A Florence , chez Jacques Carlieri. "
L'ART DES ACCOUCHEMENS , démontré
par des Principes de Phyfique & de Méchanique
, pour fervir d'inftruction & de
FEVRIER. 1761 . III
baze à des leçons particulières. Par M.
André Levret , Accoucheur de Madame
la Dauphine , & c. Seconde Edition corrigée
& confidérablement augmentée ,
tant dans le corps de l'Ouvrage , que
dans le Supplément , avec addition dé
deux nouvelles Planches , & d'un abrégé
du fentiment de l'Auteur fur les Aphorifmes
de Moriceau . Grand in - 8°. Paris ,
1761. Chez P. Alexis le Prieur , Imprimeur-
Libraire ordinaire du Roi , du Collége
de l'Académie Royale de Chirurgie,
rue S. Jacques , à l'Olivier. Avec Approbation
& Privilége.
ESSAI fur une Traduction libre des
Comédies de Plaute , par M. Girauld ,
dédié à Son Alteffe Séréniffime Mgr le
Prince de CONTI. Volume in - 8 °. contenant
l'Auluraire , & l'Amphitrion . Amfterdam
, 1761 ; & fe trouve à Paris , chez
Duchefne , rue S. Jacques , au Temple
du Goût , & chez Cuiffard , quai de Gê
vres , à l'Ange Gardien . Prix 2 liv. broché.
Nous rendrons compte de cette
Traduction , qui nous paroît auffi agréable
qu'élégante.
GÉOGRAPHIE HISTORIQUE , où l'on trouve
réunie à la connoiffance des lieux &
de leur pofition , la Généalogie des Sei
112 MERCURE DE FRANCE .
gneurs qui ont poffédé des Tèrres , ou
qui en poffédent , une indication de la
patrie des Aureurs célébres , avec une notice
& un jugement de leurs Ouvrages.
Enfin une connoiffance exacte des batailles
, des fiéges , & autres faits mémorables
qui diftinguent un lieu dans l'Hiftoire
, le tout d'après les Monumens &
les Auteurs originaux. In- 8 ° . Paris , 1761.
Chez Ballard , Imprimeur - Libraire , rue
S. Jean de Beauvais , à fainte Cécile. En
voici le projet :
LES RECHERCHES GÉOGRAPHIQUES n'ont
roulé jufqu'à préfent que fur la pofition &
l'état des lieux du globe de la Tèrre. Il
n'y a guères d'Auteur qui ait joint la connoiffance
des faits hiftoriques à celle des
lieux. Cependant l'hiftoire & la géographie
ſe prêtent un fecours mutuel ; les lier
enſemble , c'eft leur donner à l'une & à
l'autre une vive lumière ; c'est rendre
cette partie de la littérature plus agréable
& plus instructive. L'ouvrage que je
publie aujourd'hui embraffe ces deux
points. Il a pour objet de déterminer les
lieux où il eft arrivé quelque événement ,
& de rapporter les faits dans la plus
grande précifion , après les avoir puifés
dans les monumens les plus connus , ainfi
que dans ceux qui le font moins ; on aura
FÉVRIER. 176г.
fij
par- là une Géographie hiftorique complette.
Donnons d'abord une idée des
fources & des matériaux qui en font la
bafe , & enfuite du plan de l'ouvrage.
Nous trouvons dans les différens Ecrivains
, qui de fiècle en fiécle ont embraffé
le genre hiftorique , une fource abondante
de traits & d'événemens . Mais il
faut les y développer & fe les rendre familiers
; fans quoi la lecture en devient
frivole & infructueufe. On ne sçauroit
donc parvenir à ce grand avantage , qu'en
retraçant ces faits & les rapportant aux
fieux où ils fe font paffés : c'eft à quoi je
me fuis attaché , & c'eft dans cette vue
que j'ai dépouillé mes fources. L'hiſtoire
facrée en eft d'abord une des principales.
Je fçais que les noms géographiques de
l'ancien & du nouveau Teftament , ont
déja été recherchés , même avec quelque
foin ; mais je donnerai là - deffus des notions
neuves , qui feront d'autant plus intéreffantes
qu'elles embrafferont nos deux
objets.
Entre les anciens Hiftoriens profanes ,
Polybe tient , avec juftice , un rang diftingué.
La fçavante traduction de Dom
Thuilier & l'excellent Commentaire qu'y
a joint fur la guerre le Chevalier Folard,
donnent de cet Auteur une grande idée ,
114 MERCURE DE FRANCE.
mais ne nous fourniffent point les éclairciffemens
de géographie & de chronologie
néceffaires pour en acquérir une parfaite
intelligence. J'ai tâché d'y fuppléer
par mes recherches.
Dans la claffe des Hiftoriens modernes
on peut regarder M. de Thou , comme
un des plus célébres que la France ait
produits. Auffi ai - je mis une application
particulière à le dépouiller. Cet Auteur
me fournira plus de dix mille noms géographiques
, & plus de vingt mille faits
hiftoriques. La véritable pofition des lieux
dont il a eu occafion de parler , ſera ici
fixée & conftatée avec exactitude ; les
faits qu'il a oubliés ou ignorés , fuppléés ' ;
& ceux fur lefquels il s'eft trompé , rectifiés
ce qui rendra ces articles extrêmement
importans , & ne contribuera pas
peu à perfectionner un ouvrage qui depuis
la naiffance eft en poffeffion des fuffrages
publics.
Je ne parle point ici de divers autres
Hiftoriens qui m'ont également fervi dè
guides & de fources . Tels font parmi les
plus anciens , Diodore de Sicile , Plutarque
, Dion Caffius , Tite- Live , Céfar, Cedrenus
, Procope , Guil. de Tyr, Nicetas ,
Anne Comnene , Pachymere , Ducas , Nicéphore
Gregoras , & Grégoire de Tours .
FEVRIER . 1761. 115
9
Tels font encore parmi les moins anciens
& les modernes , Guillaume de Nangis ,
Froiffart , Monftrelet , Comines , Montluc,
du Bellai , D. Vaiffete , Chorier , Videl ,
Bouche , Villani , Corio Guichardin ,
Ammirato , Zurita , Ferreras , Mathieu
Paris , Walfingham , Roger de Hoveden
Stow, Thomas Carte , Cromer & Ifthuanff.
Il me fuffit d'en avoir fait ici l'énumération
, en ajoutant que fi j'en fais un
grand ufage , c'eft cependant avec une
certaine circonfpection, rectifiant par une
critique réfléchie les endroits de géographie
& de chronologie , qui m'ont paru
fufceptibles de corrections ou d'éclairciffemens
.
Quelque indifférence qu'on paroiffe
avoir dans la Littérature , pour les gazettes
& les Mémoires du temps , j'avouerai
que j'en fais une de mes fources , les regardant
, malgré l'odieufe prévention que les
Ecrivains confervent contre ce genre de
monumens , comme la portion la plus
fidelle & la plus certaine des annales de
nos jours. J'y puiſe donc une infinité de
faits importans , & je les reproduis ici
avec le double avantage de les rendre intéreffans
par la Géographie auſſi bien que
par l'hiftoire du tems.
On voit , par cetre efquiffe , que j'ai fait
116 MERCURE DE FRANCE:
ufage des Hiftoriens anciens & modernes :
& l'on peut juger des lumières & de l'agrément
que répandront fur la Géographie
les recherches qui forment cet ouvrage.
Combien trouvera- t- on de lieux mentionnés
dans les hiftoriens de tous les fiécles
, ainfi que dans les chartes & les ti
tres , dont les noms nous font dévenus
prèfqu'inconnus. J'aurai une attention par
ticuliére à rechercher ceux- ci , & à faire¨¨
connoître leur pofition. Pour les diftinguet
des lieux connus & dont on peut donner
des notions plus fûres & plus détaillées
on les caractérifera par cette marque .
Entre les divers événemens que nous
préfente l'hiftoire,il n'en eft peut-être point
de plus intére fans & de plus curieux que
les batailles & les fièges . Par cet objet un
lieu devient recommandable & diftingué.
C'est encore une partie que j'ai exactement
travaillée , & qui fera un des grands
ornemens de cet ouvrage. C'en eft pour
ainfi dire , la partie militaire. En effet , on
fent de quelle utilité la connoiffance de
ces fortes d'événemens , peut être pour
tous les hommes , mais fur- tout pour ceux
qui fe confacrent à la profeffion des armes :
ceux- ci trouveront dans cette partie des
traits qui les éclaireront , qui les inftruiront
à la fois , qu'il ne leur eft même pa's
permis d'ignorer.
FEVRIER. 1761. 117
Ce n'eft pas pofféder la Géographie que
de n'en connoître que les parties généra
les . Toute la furface de la tèrre entre dans
fon objet ; & la topographie en particu
lier mérite toute notre attention . La connoiffance
des plus petits lieux devient intéreffante
, néceffaire même relativement
à l'hiftoire , fur laquelle elle répand les
plus grandes lumières. Dans cette vue les
châteaux , les hameaux , les fermes , les.
églifes de campagne , & autres lieux de
moindre conféquence , diftingués dans.
P'hiftoire par des événemens curieux , auront
tous ici des articles particuliers . Mais
comme ce ne font là que des portions de
paroiffes , & que les paroiffes feules forment
un corps effentiel , on aura foin
de diftinguer ces lieux par des marques ,
qui les indiqueront, J'y joindrai auffi
des liftes des paroiffes , avec le nom de
tous les lieux qui fe trouvent compris
dans leur diftrict . Ceux même qu'on trouve
fur les cartes , mais dont on ne connoît
pas la paroiffe , feront placés fous
la plus prochaine. Par une fingularité remarquable
que les anciens partages & les
fixations de limites ont originairement
produite , il fe trouve quelques villes &
autres lieux qui appartiennent par des
parties féparées à diverfes Provinces , à
118 MERCURE DE FRANCE.
divers Diocèfes & à divers diftricts ; cette
fingularité géographique mérite d'être
connue ; & j'aurai attention de la relever.
Sur les principes que je viens d'expofer,
les tèrres feigneuriales appartiennent
fans doute à ces recherches ; auffi y entreront-
elles ; & je m'attache avec foin
à cet objet particulier. Non feulement je
donnerai une notion exacte de ce qu'elles
font & de leur poſition ; mais je ferai connoître
encore ceux qui les ont poffédées ;
& ceux à qui elles appartiennent aujourd'hui
: nouveau moyen & nouvelles lumières
pour éclairer l'Hiftoire.
"
Des fragmens généalogiques qui accompagneront
ces notions , feront connoître
les poffeffeurs des tèrres . Les familles
éteintes y entrerant , avec d'autant
plus d'utilité qu'elles font prèfque généralement
livrées à l'oubli & à l'indifférence.
A l'égard des familles exiftantes.
qui feront auffi l'objet de ces fragmens
je ne dirai rien qui puiffe leur être défavantageux
: mais je ne dirai rien auffi
en leur faveur qui ne foit bien prouvé.
D'un autre côté , comme je ne veux point
donner des généalogies abſolument complettes
, & que ce que j'en donne n'eſt
que pour apprendre l'hiftoire des feigneurs
des tèrres , je me garderai bien de rien
FEVRIER. 1761. 119
dire fur l'origine des familles matière
trop délicate à traiter , & fur laquelle
on ne fçauroit prèfque contenter perfonne
: matière d'ailleurs qui appartient proprement
à ceux que le Roi charge de
dreffer les preuves de la nobleffe de fon
Royaume.
Au refte fur la connoiffance des Seigneurs
des terres , je n'imiterai point la
mauvaiſe méthode de certains ouvrages
modernes , tels que le Dictionnaire de la
France , les Almanachs de Lyon , de
Guienne , & autres , qui fe bornent à donner
la fimple dénomination de ces Seigneurs
, fans en marquer le nom de baptême
& de famille , non plus que celui de
leur pére & de leur mére , & la datte de
leur mort : ce qui feroit auffi aifé à donner
, & fans doute plus intéreffant que le
nom du curé & du juge de la terre , qu'on
y préfente avec la plus fcrupuleufe exactitude.
Les notions que je donnerai feront
bien moins imparfaites , & beaucoup plus
inftructives fur tous ces différens objets.
Pour ne laiffer rien à defirer dans cette
Géographie hiftorique , j'étends mes recherches
à l'hiftoire des Auteurs , relativement
aux lieux auxquels ils peuvent
appartenir. Leurs ouvrages feront exactement
mentionnés , & j'y joindrai un ju120
MERCURE DE FRANCE.
gement fur leurs écrits. Je les placerai
donc fous le nom des lieux de leur patrie
ou de leur habitation , fous celui même
des Villes où leurs ouvrages auront été imprimés
; ou de quelque autre manière
convenable , qui puiffe leur donner place
dans cet ouvrage , & les faire connoître.
Au furplus,je prie ceux qui ont des pié
ces ou des Mémoires dans lefquels peuvent
fe trouver des faits hiftoriques ignorés
ou peu connus , de m'en faire part. Ils
auront la fatisfaction de les voir d'abord
après , mis au grand jour & rendus publics
par ces feuilles.
Tel eft le plan de l'ouvrage que je préfente
au Public. La variété , que j'y fais
régner peut en rehauffer is prix . Du mêlange
& de l'emploi de toutes ces diverfes
couleurs , fe formera un tableau intéreffant
. Parlons fans figure : les divers mo-,
numens qui forment le fond & la bafe de
mes recherches; les matières variées qu'elles
embraffent ; les différens avantages
qu'elles peuvent produire pour l'éclairciffement
de l'Hiftoire , & la connoiffance
de la Géographie , donneront peut - être
de l'importance à cet ouvrage , & lui concilieront
les fuffrages du Public .
Il me reste à dire un mot de l'ordre &
de la forme qu'on a donnés à ces feuilles .
Elles
FEVRIER . 1761. 121
Elles feront périodiques ; & il en paroîtra
cinq tous les quinze jours , qui embraſſeront
les différens objets fous lefquels je
préfente toute la Géographie hiftorique.
De plus , afin que les particuliers folent
en état de faire de ces feuilles une collection
utile & relative à leurs études , à
leurs occupations , & à leurs amuſemens ,
j'en ai rendu les articles entiérement détachés
les uns des autres . De façon que
chacun pourra les arranger par matières
différentes , & leur donner tel ordre qui
lui plaira le plus , foit alphabétique , foir
chronologique , ou bien par diftrict , ou
par Province , fuivant fon goût ; en faire
même , s'il le veut , un commentaire
complet de chaque Hiftorien ; ou bien
un Dictionnaire hiftorique , d'un Royaume
, d'une Province , d'un Diocèfe , d'un
diſtrict ; ou enfin un Dictionnaire des tèrres
, & des Patries des Auteurs.
I Le prix de chaque ordinaire eft de 1 liv. 4 f.
Ceux qui voudront s'abonner , payeront pour
les vingt- quatre parties , 18 liv .
COURS DE GÉOGRAPHIE ELÉMENTAIRE ,
fervant d'explication à plufieurs Cartes
en forme de Mappemonde , Ouvrage périodique
infiniment utile par fa fimplicité
pour acquérir les notions les plus étendues
& les plus néceffaires de cette Scien-
F
122 MERCURE DE FRANCE.
´ce. Par M. *** . in- 12. 1761. Maeftricht;
& fe trouve à Paris , chez Ballard, Imprimeur
du Roi , rue S. Jean de Beauvais.
LETTRE de M. HALLÉ DE LA TOUCHÉ ,
Expert Dentiſte reçu à S. Côme , ci - de
vant Chirurgien dans l'Hôpital des Galandes
, à Bruxelles , Eléve & gendre de
M. Dugeron , Chirurgien & Dentiſte des
Cent-Suiffes de feu Monfieur &c. en réponſe
à M. D **** , Médecin. Brochure
in- 12 . Paris , 1760. De l'Imprimerie de
Valleyre.
LES NOUVELLES FEMMES , ou Suite du
Siécle corrigé. Par M. Gand. *
Virtus eft vitium fugere , & fapientia prima
Stultitiâ caruiffe.
Hor. Ep . I. Lib. I.
Petit in- 12 . Genève , 1761 , & le trouve
à Paris , chez Gueffier Père , Libraire.
Parvis Notre- Dame , & chez Gueffier Fils,
Libraire , rue du Hurepoix , à l'entrée du
Quai des Auguftins , à la Liberté . Prix ,
as f.
CODE DE MUSIQUE- PRATIQUE ,
ou Méthode , pour apprendre la Muſique ,
même aux aveugles , pour former la voix
& l'oreille , pour la pofition de la main ,
avec une Méchanique des doigts fur le
Clavecin & l'Orgue , pour l'accompagne.
FEVRIER. 1761 . 123
ment fur tous les Inftrumens qui en font
fufceptibles , & pour le Prélude : avec de
nouvelles réflexions fur le principe fonore,
Par M. Rameau . Volume in- 4° . de l'Imprimerie
Royale , 1760 ; & fe vend chez
Duchefne , rue S. Jacques , au Temple
du Goût . Nous nous promettons de rendre
compte inceffament de cet Ouvrage ,
auffi profond qu'utile.
DISCOURS prononcés dans l'Académie
Françoiſe , le Lundi 12 Janvier 1761 à
la réception de M. de la Condamine . in
4°. Paris , chez la veuve Brunet , Impri
meur de l'Académie Françoiſe.
LES CHARMES DE L'ÉTUDE , Epître aux
Poëtes. Ouvrage qui a remporté le Prix
de l'Académie Françoife , en 1760. Par
M. Marmontel. in- 8 ° . Paris ', 1961 , à la
même adreffe .
TANCREDE , Tragédie , en vers croifés ,
& en cinq Actes ; repréfentée par les Comédiens
François , le 3 Septembre 1760 ;
avec une Epître Dédicatoire à Madame la
Marquise de Pompadour , In - 8° , avec Fig .
Paris, 1761. chez Prault, Petit-fils , Quai
des Auguftins , au- deffus de la rue Gît -le-
Coeur.
Nous rendrons compte avec plaifir de
'cet Ouvrage , dans le Mercure prochain."
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
MÉDECIN E.
LES AVANTAGES de l'Ichthyophagie
fur la Sarcophagie : ou la falubrité du
Carême , traduit de l'Espagnol,
-
PARMI les Médecins que tant de perfonnes
font aujourd'hui dans l'ufage de conful
ter pour être diſpenſées de l'abftinence du
Carême, ily en a , fans contredit , qui fe
comportent avec toute la circonfpection
que demande une matière auffi grave .
D'autres moins fcrupuleux , ou d'une complaifance
qui paffe dans le monde pour
fçavoir vivre , traitent ce point à- peu - près
comme les malades qu'ils vifitent , c'est - àdire
très fuperficiellement. Il ne faut cependant
pas mettre toute la faute fur le
compre de ces Meffieurs. Il eft très- ordi
naire que les confultans eux-mêmes y coOperent
beaucoup , foit en exagérant leurs
infirmites , foir en s'imaginant que les alimens
du Carêmeleur font nuifibles. Que cer
abus , ou plutôt ce défordre honteux pour
des Chrétiens , vienne de l'une ou de l'autre
fource , nous allons tâcher d'y remédier
içi par des raifonnemens & des preuves ,
qu'il eft bon de prévenir d'avance n'étre
FEVRIER . 1761. 12
point tirées des faints Canons , fans quot
bien des lecteurs ne fe donneroient pas la
peine d'y jetter les yeux .
Nous convenons d'abord que les rem
péramens étant auffi différens que les vifages
, il faut néceffairement confulter fa
propre expérience pour fçavoir de quoi on
eft capable. Une nourriture peut être falutaire
dans un temps , & nuifible dans un
autre ; bonne ou indifférente pour les uns ,
contraire & pernicieufe pour les autres .
Les climats , les faifons , l'âge , les travaux
journaliers, leur genre, enfin les révolutions
furvenues à la machine , qui eft expofée à
en éprouver un nombre infini , doivent ,
comme le dit Hippocrate , nous guider
pour la confervation naturelle de notre
individu ; mais les tranfgreffeurs du précepte
de l'Eglife peuvent - ils de bonne for
en appeller à cette expérience judicieufe
& réfléchie ? L'ont ils jamais faite ? at
- elle été continuée pendant untemps fuffifant
, pour s'afflurer que c'eft malgré eux
qu'ils ne l'obfervent pas ? Prèfque tous , à
l'exception des Libertins déclarés , donnent
pour preuve affirmative leurs foibles
éffais , dont ils ont à peine confervé le
fouvenir , quoiqu'ils n'omettent aucune
des circonstances des prétendues fuites
défavantageufes à leur fanté. Ils cherchent
-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
même à perfuader que c'eft pour eux une
efpéce de mortification de manger de la
viande pendant le Carême , & de fe priver
de poiffon , dont le goût les flatteroit
beaucoup plus. Malheureufement ce mérite
idéal leur eft enlevé par Caramuel :
Non enim pracipit Ecclefia ut comedamus
pifces , fed ut abftineamus à carnibus
quod eft toto Calo diverfum ( Theolog, fun.
dament. No. 668. ) Vous devez toujours
, leur dit-il , vous abftenir de manger
de la viande , parce que l'Eglife vous
l'ordonne ; & ne point manger de poiffon
, puifqu'il vous incommode faites
ulage de tant d'autres alimens qui font
permis & abondans. Ecoutez Celfe , il
yous que pour le bien porter , il faut
s'accoutumer à tout ce que le peuple
mange communément : Nullum cibi genus
fugere , quo populus utatur. ( Lib. I.
Cap. I. ) C'eft languir toute fa vie que
de fuivre les ordonnances que la délicateffe
ou l'imagination nous dicte , ou que
nous follicitons fans ceffe des Médecins.
On feroit infiniment mieux de s'appliquer
le confeil de Jean Owen :
dira
Si tardè cupis effe fenex , utaris oportet
Vel modico medicè ; vel medico modicè
Sumpta,cibus tanquam , lædit medicina falutem :
At fumptus prodeft , ut medicina , cibus.
FEVRIER . 1761 . 1.27
Alors non feulement le régime de vie
feroit conforme à la raiſon , à l'expérien
ce , & à la Religion ; mais on fe convaincroit
encore aifément de la maxime
d'Hippocrate , qu'on ne peut dire abfolument
d'aucune nourriture qu'elle foit nui
fible. La diverfité en eft même falutaire
fuivant le grand Bacon : Tam medicamenti
quam alimenti mutatio conducit : neque
perfeverandum in frequentato utriufque ufu
( Hift . Natur . Cent . I. Num. 69. )
C'est donc très - fouvent un motif bien
oppofé à celui que l'Eglife exige , qui fair
tant de tranfgreffeurs de fon commandement.
Mais ne confidérons que la feule prévention
contre les mêts du Carême ; &
voyons ce qu'en ont penfé les plus grands
Docteurs en Médecine.
Hippocrate , Galien , & nombre d'autres
cités par Paul Zaquias dans fes queſt.
medic. legal. liv. 5. tit . 5. queft. 2. fe déclarent
hautement dans plufieurs endroits
en faveur des poiffons , & prétendent que
la nourriture qu'ils fourniffent eft d'un
auffi bon goût , & auffi bienfaifante que
celle des oifeaux des montagnes. Nonius
dans fon Traité De re cibaria , adopte ce
fentiment. Outre les mêmes autorités , il
cite encore cel les de Traillan , de Sethi ,
& de plufieurs Sçavans anciens & moder-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
nes . Il fe moque de ceux qui débitent que
les poiffons engendrent dans nos corps des
humeurs groffières & glutineufes , & font
la caufe d'une infinité d'autres maux : Nugantur
ergò qui pifces craffos & vifcidos humores
in noftris corporibus aiunt gignere , &
mille alias noxas illis affingunt , ut imperitos
ab illorum efu deterreant . ( Lib . 3. Cap.
10. ) M. Andry, Médecin François , dans
fes Aliments de Carême , prouve , dit Marville
, par nombre de raifons & d'expérien
ces l'opinion de Nonius. Le Docteur Martinez
, Médecin honoraire de la Famille
Royale ( de Philippe V. ) Profeffeur d'Anatomie
, Examinateur pour le premier
Médecin du Roi , Membre & ancien Préfident
de la Société Royale de Seville , dit
que les Médecins foutiennent comme l'o .
pinion la plus probable, que l'Ichthyophagie
, ou la nourriture de poiffon , eft plus
falutaire que La Sarcophagie , ou la nourriture
de viande . Voici comme il parle dans
un autre endroit de fon Traité.
» Les alimens les plus falutaires , font
ceux qui cuifent le mieux , & qui ſe convertiffent
en une fubftance nutritive ,
» douce , fuave , & gélatineufe. Etanr
» moins fujets à l'effervefcence , ils ne caufent
point dans les folides de ces fortes
» agitations , ni les tranchées , dont ceux
و د
FEVRIER . 1761 . 119
» d'une qualité différente font le principe .
» Si on fait attention à la nature fulfureu-
» fe , faline , & fibreufe des viandes , on
» fe convaincra que la coction & la digef
» tion doivent en être auffi difficiles dans-
» l'eftomac , que la trituration l'eft foust
» les dents , à caufe de leur dureté . Si elles
» fe convertiffent en fuc nourricier , elles
» tiennent toujours de leur qualité faline ,
» âpre & acrimonique. Car nous devons
» fuppofer que ce qui fe paffe dans la bou-
» che doit également arriver dans les autres
organes ; parce que la nature , qui'
» eft une , & femblable en tout , opére
» toujours de la manière la plus fimple
» fans varier les moyens qu'elle employe
» d'abord dans fes ouvrages .
و
" Les poiffons étant au contraire plus .
tendres & plus vifqueux , ils s'atténuent
» avec plus de facilité , & fe convertiffent
» en une lymphe légère , douce & gélati
" neufe , très- propre à la flexibilité des
fibres , & à la fluidité des humeurs . Elle
» arrête l'impétuofité des fels , tempére
» l'abondance des efprits fulfureux , calme
la bile , humecte le fang , & s'attache
»affectueufement aux parois de l'eftomac ,
»les nourrit & les répare. Les poiffons font
» en outre les animaux les plus féconds ,>>
» les plus légers , & les plus fains. Il n'y
I v
130 MERCURE DE FRANCE.
point d'hiftoire qui rapporte qu'ils ayent
» jamais été fujets à la peſte , ni à aucune
» autre maladie contagieufe : preuve concluante
qu'ils doivent faire une très-
> bonne nourriture , capable de conferver
» la fanté , & même d'augmenter les for-
» ces . La plus grande partie des crudités ,
» & des humeurs putrides proviennent au
» contraire des viandes , d'où s'enfuivent
» les diarrhées , les vertiges , les goutes ,
les fièvres , &c. A peine pourroit- on in-
" diquer de maladie qu'on ne pût leur at-
" tribuer ce qui fait dire , par proverbe ,
» que carnivoram animam non amat bona
» valetudo. »
ود
"J
Nota. L'Auteur de l'Efprit des Loix fait
entrevoir encore un avantage éffentiel
dans la nourriture de poiffons . On voit ,
dit- il , dans les ports de mer plus d'enfans
qu'ailleurs. Cela vient de la facilité de la
fubfiftance. Peut etre même que les parties
huileufes du poiffon contribuent à la
propagation . Ce feroit une des caufes de
ce nombre infini de peuple qui eft au Japon
& à la Chine , où l'on ne vit prèſque
que de poiffon ( tom. 2. p . 283. )
Ce qu'on vient de lire fur la mauvaiſe
qualité de la viande pour la fanté , Plutarque
l'avoit déjà dit dans fon Livre de
FEVRIER . 1761. 131
fanitate tuenda : maximè cruditates metuenda
funt ab ufu carnium , nam ha &
initio valde pragravant , & reliquias poft
Je malignas relinquunt ; en forte donc
qu'il vaudroit beaucoup mieux s'en priver
totalement. Pline fe range du même
parti dans nombre d'endroits ; & Sanctorius
a cru ne pouvoir mieux s'expliquer
contre l'ufage de cet aliment , qu'en fubftituant
au mot de pain celui de viande
ou de chair dans l'Aphorifme omnis faruratio
mala , panis ( carnis ) vero peffima.
Baillif dit avoir obfervé que nombre de
Malades empiroient après Pâques en mangeant
de la viande , & qu'ils fe portoient
bien mieux dans le Carême , lorfqu'ils ne
Le nourriffoient que de légumes & de poiffons
: Animadvertes in praxi aliquos agros
fluxionibus & diuturnis morbis obnoxios
tempore quadragefimali convalefcere ; Paf
chate iterum ob efum carnium languefcere.
Obfervabis etiam quofdam morbos ab obfoleto
efu caulium , leguminum , olerum pifcium
, aliorumque ciborum hujufmodi evanefcere
, cibis vero boni fucci exacerbari
& crefcere. ( Tract. 2. de fibra motrice. )
Comme la confervation de la fanté , dit
ailleurs le même Auteur , dépend d'une
jufte proportion dans la tenfion des folides
, & d'un doux mouvement dans les
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
9
fluides , les anciens Pères de la Médecine
ordonncient pour l'entretien ou le réta
bliffement des premiers les bains , les frictions
& tout genre d'exercice & pour
les feconds la nourriture de miel , de lait ,
de fruits & de légumes , défendant abfolument
l'ufage des viandes & du vin ::
Mellis , lactis , olerum fructuumque efu
& omnimoda vini , atque carnis abftinentia
in naturali quadam dulcedine ea perpetuo
confervabant . ( de anatome fibrarum
& de morbisfolidorum . ) Ethumeler , traitant
des fièvres en général , condamne la
viande comme très - nuifible à tout fiévreux
Carnes ficuti ipfis ingrata funt ,
ita etiam noxia ( de febrib. in communi. );
M. Lemeri , Profeffeur Royal de Médecine
à Paris paroît , dans fon Traité des
alimens , donner la préférence à ceux que
l'on tire des plantes , obfervant , d'après:
tes Anciens , que les hommes vivoient
plus longtemps , & étoient plus robuftes ,.
Torfqu'ils ne fe nourriffoient que de lé
gumes & de fruits. La digeftion en eft
d'ailleurs , ajoute- t- il , plus aifée , & ils
engendrent des humeurs plus tempérées.
Quelques- uns attribuent à cette espéce de
nourriture la longue vie des Anachorètes .
Bacon qui fuffiroit feul pour accréditer
une opinion qui a pour baze la connoi
FEVRIER . 1761 . 133
fance de la Nature , met au nombre des
alimens les plus falutaires , les poiffons
fecs & falés , & vante beaucoup le fromage
vieux ( hift . de la vie & de la mort. )
Boerhaave fait pareillement dépendre la
prolongation de la vie de l'ufage des viandes
maigres & falées , des poiffons falés
& vieux , & généralement de tous les alimens
fecs , durs & fermes . Il fe fonde fur
Je même principe que Bacon, c'est - à - dire ,
fur leur plus grande réfiftance à la diffipation
& à la putréfaction. ( de dieta ad
longevitatem . Num. 1057. ) Enfin Gaſſen
di , dans fa lettre à Helmoncius , foutient
& prouve que la viande n'eft pas l'aliment
naturel de l'homme , ou que du moins les
fruits de la Terre le font davantage .
La prévention en faveur des viandes
graffes vient fans doute du faux fyftême
que l'on s'eft fait fur une Philofophie encore
plus abfurde. On prétend que la
converfion de deux fubftances l'une dans:
F'autre , eft plus ou moins facile, à propor
tion des rapports qu'elles ont entr'elles.
Or la fubftance de la chair étant , dit- on,
plus analogue à notre propre fubftance ,
celle des poiffons & des fruits , il s'em
fuit que les viandes doivent nous donner
une meilleure nourriture , plus copieufe
que
134 MERCURE DE FRANCE.
& plus aifée à cette converfion , que les
mets de Carême.
Si ce principe étoit fondé , il faudroit.
auffi conclure i °. que la chair crue nous
conviendroit mieux que celle qui eft bouillie
ou rôtie , & qu'elle fe convertiroit
plus promptement que l'autre en notre
propre fubftance; l'analogie des deux fubftances
fe trouvant pour lors bien plus
parfaite. Qui oferoit cependant foutenir
une pareille abfurdité ? 2 °. Que le meilleur
pain du monde feroit le plus mauvais
aliment pour nous ,à caufe de la grande
différence qu'il y a de fa fubftance à la
nôtre tous les Médecins font pourtant de
l'avis contraire , & vantent beaucoup la
bonté de cette nourriture. 3 °. Que nous
né fçaurions mieux faire que de nous fubftanter
de chair humaine : ce qui outre la
faveur qu'on donneroit par-là à l'Antropophagie
, eft contre l'expérience . Les Antropophages
de l'Afie , de l'Afrique , & de
lAmérique ne vivent pas plus longtemps ,
ni en meilleure fanté , que les habitans
des autres pays , où l'on ne connoit point
cette barbarie atroce. 4°. Que le fang feroit
une meilleure nourriture que la chair
des animaux , puifque la converfion immédiate
du chyle fe fait en fang , & non en
chair : les Médecins difent cependant que
FEVRIER. 1761.
135
le fang eft une nourriture très- féculente
& mélancolique. 5 ° . Que les tortues , les
écreviffes , les coquillages n'auroient pas
la qualité nutritive qu'ont les quadrupédes
, car où trouveroit- on le rapport
de leur fubftance avec la nôtre ? L'expérience
prouve toutefois que cette premiere
eft très -falutaire. Il y auroit mille
autres conféquences à tirer d'un principe
auffi erroné. Ce qu'il y a de vrai , c'eſt que
la nature ne fe regle pas fur ces prétendues
analogies. Une fubftance très différente
de la nôtre peut produire un excellent
chyle , au moyen des modifications
dont elle eft fufceptible , & qu'elle reçoit
intérieurement ou extérieurement ,
qu'une fubftance fort femblable ne fera
pas , quoiqu'elle éprouve les mêmes altérations.
Gaffendi, dans la lettre à Delmoncius
, rapporte qu'un Capitaine de Navire
Malthois ayant voulu nourrir un jeune
agneau , qu'il prit dans une ifle déferte ,
de viande , de pain , de fromage , &c. la
chair en fut trouvée infipide , & d'un goût
bien inférieur à celui que ces animaux ont
toujours lorsqu'ils ne vivent que d'herbes.
Il est encore certain que les alimens de
Carême conviennent mieux que les viandes
pour
nombre de complexions ; car fur
quel fondement prétend-on généralement
ce
136 MERCURE DE FRANCE.
les répudier Sur ce qu'ils font moins
nourriffans ? C'eft précisément pour cela
que doivent en faire ufage les perfonnes
dont la vertu nutritive eft trop abondante.
Tous les extrêmes font dangereux . Le
trop , comme le trop peu de nourriture ,
peut caufer de grandes maladies. Eft- ce
parce que la fubftance qu'ils fourniffent ,
eſt bien moins folide & plus légère ? Voilà
encore une raifon pour que ceux qui ont
les pores fort ferrés leur donnent la préférence
fur les viandes ; il eft néceffaire
qu'ils s'habituent à des alimens , dont la
diftribution dans toutes les parties du
corps puiffe fe faire aifément , ainfi que la
tranfpiration du fuperflu . Seroit- ce enfin
parce qu'on les regarde comme trop
froids , ou trop humides ? Combien de
perfonnes n'y a- t il pas , dont le tempérament
péche par un excès de châleur ou
de féchereffe ?
8 C'eft,fans doute, d'après de bonnes connoiffances
anatomiques , & de mûres réflexions
fur les autorités , dont nous avons
cité une partie , que les modernes ont
renouvellé & adopté le fyftême de la tri--
turation des alimens dans l'eftomac ; &
qu'ils fe déclarent en faveur des poiffons
des légumes & des fruits , par préférence .
aux viandes. Erafifrate, a été le premier qui
FEVRIER . 1761. 137
ait établi que les alimens fe réduifent en
chyle dans l'eftomac , non par coction ,
comme les uns le prétendent , ni par fermentation
, comme le foutiennent les autres
, mais machinalement par l'action des
muſcles & des fibrės motrices, qui par leur
battement continuel & réciproque les
moulent , les brifent , les broyent , ou les
triturent , comme fi on les piloit avec force
dans un mortier, jufqu'à ce qu'ils foient
réduits en pâte , & qu'ils forment une
fubftance mince & légère . De là M. Hecquet
, Médecin de Paris , & d'autres Protecteurs
de ce fyftême , ont tiré la conféquence
que les viandes étant plus difficiles
à être broyées parfaitement , à cauſe
de la ferme tiffure de leurs fibres , que les
poiffons, les fruits & les légumes , la nourriture
qu'elles nous fourniffent devoit être
moins falutaire que celle de ces derniers
alimens . Cette conféquence ne me paroît
pas , à la vérité , tout - à - fait jufte . Il ne
fuffit pas , pour déterminer la bonté d'un
aliment , de ne confidérer que fa plus
grande facilité a être broyé dans l'eftomac
; il faut encore avoir égard à la
lité de nourriture qu'il nous donne. Il peut
y avoir des alimens , qui quoique plus difficiles
à fe convertir en notre fubftance ,
foient préférables à ceux pour lesquels on
qua-
י
138 MERCURE DE FRANCE.
fuppofe moins de travail dans la trituration
. Malgré cela , cette opinion n'en a pas,
moins le degré de probabilité que lui don-,
nent fes défenfeurs.
y au-
Je ne fatiguerai pas davantage les Lacteurs
par des citations doctorales . Il
roit de quoi faire des Volumes , fi on vouloit
feulement réfumer tout ce qui a été
écrit en faveur des alimens du Carême.
J'en dis toujours affez pour pouvoir tirer,
deux conclufions générales .
La première regarde un très grand
nombre de Médecins ( je fçais ne pas les
confondre tous dans la même catégorie )
à qui je prends la liberté de rappeller l'obligation
qu'ils ont contractée de fe comporter
de façon à conferver à la Médecine
, & à mériter eux - mêmes les éloges
que fait de l'un & de l'autre l'Eccléfiafte
au Chapitre 38. Il feroit inutile de les
tranfcrire ici. Ils les fçavent par coeur. Ce
n'eft pas affez que de pouvoir encore fe
vanter que Jefus - Chrift tâta le pouls , &
employa des remédes furnaturels ; que
Saint Luc & Saint Paul exercerent la mé
decine , l'un à Damas , l'autre à Antioche ;
que ce dernier fit une Ordonnance en recommandant
l'ufage du vin à Timothée ;
qu'un Ange a bien voulu compofer des
collyres ; que Salomon difputoit de tout ,
FEVRIER. 1761. 139
depuis le Cédre du Liban , jufqu'à l'hyfope
fauvage. Il ne fuffit pas non plus que
le Médecin foit ainfi caractériſe par Homere
dans le 4° Livre de l'Odyffée.
Eft medicus prudens multis præftantior unus
Ille viris
Et ailleurs Medicus aut quilibet fciens
fupra omnes homines ; qu ' Hippocate dife :
que le Médecin ex aliena miferia dolorem
fibi metit ; que le Docteur Walles , interprétant
ce paffage d'Ifaie : Non fum medi-
Gus ..... Nolite conftituere me Principem
populi , s'exprime ainfi : Ut ego exiftimo
in magna illa antiquitate Medici requirebantur
, ut reliquis hominibus imperarent ,
ac reges fierent : Toutes ces prérogatives ,
& une infinité d'autres que j'ai lues dans
propres ouvrages des Médecins , &
que je n'ai nulle envie de leur difputer ,
tourneroient à leur confufion , s'ils n'y
conformoient leur conduite. Je les fupplie
donc de fe rappeller , dans l'occafion ,
cette fentence du divin Médecin : Non
egent qui fani funt Medico , fed qui male
habent ; d'où ils tireront la conféquence
naturelle , que c'eſt participer aux tranſ
greffions des Confultans , que de les autorifer
par complaifance , & fans un motif
légitime de difpenfe. Je les prie encore de
les
140 MERCURE DE FRANCE.
fe fouvenir , que fi Saint Paul a fait une
ordonnance
pour Timothée , il en a laiffé
une générale à tous les Chrétiens , à qui
il recommande
de vivre avec tempérance ,
avec juftice & avec piété : Ut fobriè , juftè
& piè vivamus. En prenant ce faint Docteur
pour guide dans leurs confultations
,
les Médecins pourront fe dire , comme il
l'écrivoit de lui - même aux Corinthiens
:
Ce qui fait notre gloire , c'eft le témoignage
que nous rend notre eonfcience de nous
être conduits à votre égard , non felon la
fageffe de la chair , mais felon la grace de
Diet .
Mon état , l'abus trop général , qui va
prèfque de pair avec l'irréligion , & l'extrême
complaifance de certains Médecins ,
doivent me faire pardonner cette digref
fion chrétienne.
La feconde conclufion que j'avois à ti
rer de cette differtation , eft que les perfonnes
riches ou aifées font bien moins
excufables que les pauvres fur l'abftinence
du Carême. Par les pauvres , j'entends les
ouvriers , les laboureurs , dont les facultés
font communément auffi bornées , que leurs
charges font pefantes ; & non les pauvres
mendians de profeffion , vermine des villes
& de la campagne. Les riches peuvent
fe procurer , choilir , & varier leurs mets
FEVRIER . 1761 . 141
fuivant leur goût . Les pauvres au contraire
font néceffités à fe borner à de mauvais
légumes , dont l'affaifonnement eft bien
léger ; s'ils mangent quelquefois du poiffon
, ou il eft extrêmement falé , ou il eſt
à moitié pourri. La différence dans la boiffon
, eft encore plus confidérable. Les riches
trouvent un grand correctif dans les
meilleurs vins ; les pauvres n'ont , du
moins dans certaines Provinces , que de
l'eau à boire. Ceux- ci n'exagérent jamais
leurs infirmités ; ceux -là en ont bien fouvent
d'imaginaires. Le pauvre, confulte
très rarement le Médecin ; le riche lui
paye penfion pour s'entendre dire plufieurs
fois dans l'année , fans en faire fon
profit ,, que la bonne chère , les veilles ,
les parties de plaifir , & celles d'un jeu
exceffif altérent fa fanté , & lui brûlent la
maffe du fang.
Que les Médecins complaifans jugent
d'après ce tableau , qui affurément n'eft
pas trop chargé , fi la permiffion de faire
gras pendant le Carême doit être accordée
indiftinctement à tous ceux qui la leur
demandent . Suivant eux ( c'eſt le Docteur
Martinez qui parle ) les Cafuiftes qui n'ont
que l'opinion pour guide , font obligés de
Suivre la probable. Les Médecins font plus
142 MERCURE DE FRANCE.
reftraints : iis doivent adopter celle qui a le
plus de probabilité. Galien décide en Cafuifte
, que nombre de Médecins péchent
toutes les fois qu'ils font des vifites : Quoties
ad agrum accedunt toties peccant. (De
dieb. dec. Cap. 11. ) Ce feroit fuppofer des
lumières bien bornées au Lecteur, que de
le prévenir dans les réflexions que donnent
lieu de faire ces maximes.
Je ne puis m'empêcher de relever en
finiffant une erreur affez générale . On regarde
dans le monde les Religieux comme
des gens , qui du côté de la fubfiftance
, forment un état mitoyen entre les riches
& les pauvres : on fe trompe de beaucoup.
J'accorde volontiers que la dépenfe
de la table d'un Religieux peut égaler celle
d'un féculier , à qui le néceffaire ne
manque point : mais les fituations , & les
commodités font - elles pour cela les mêmes
? Il s'en faut bien. Le féculier peut ,
à proportion de fes facultés , fatisfaire fon
appétit , varier les mets , ou les changer
entierément , fuivant l'expérience qu'il a
faite de ceux qui lui font falutaires ou nuifibles.
Le Religieux ne jouit pas de cette
liberté. Il faut qu'il mange de ce que mangent
les autres , ou qu'il fe paffe de dîner.
Le féculier ordonne que les mets foient
FEVRIER. 1761. 143
accommodés à fon goût & à fon tempérament
, & il eft obéi . Le goût ni le tempérament
du Religieux ne font jamais confultés
. On porte également pour tous au
réfectoire les portions bouillies ou rôties ,
chaudes ou froides, frites ou grillées , falées
ou douces , toutes à la même fauce , &
ordinairement très- mal accommodées .
Par M. CHARY , le jeune.
ACADÉMIE S.
ACADÉMIE des Belles- Lettres de
MONTAUBAN. *
L'ACADÉMIE des Belles- Lettres de Montauban
, pour célébrer , felon fon ufage ,
la fête de S. Louis , a affifté le 25 du mois
d'Août , à une Meffe qui a été fuivie de
l'Exaudiat , pour le Roi , & du Panégyrique
du Saint , prononcé par le R. P. Hikchi
, Religieux de l'Ordre de S. Auguftin.
L'après - midi , elle a tenu un Affernblée
publique dans la Salle de l'Hôtel de
Ville. M. Gaujac de Saint Hubert , Direc-
* Cette Pièce & celle qui fuit , avoient été égarées.
144 MERCURE DE FRANCE.
teur de Quartier , a ouvert la féance , en
annonçant une réception de plufieurs Académiciens
, qui l'ont rendue très intéref
fante , & qui ont heureuſement réparé les
pertes de l'Académie.
-
M. l'Abbé Bellet a lu l'Eloge hiftorique
de M. de Cahufac , mort le 20 Juin 1759.
M. de Lacoré , Intendant de cette Généralité
, a prononcé enfuite fon Difcours
de réception . Il a noblement décrit l'établiffement
de l'Académie ; en Magiftrat
rempli d'amour pour le bien public , il a
expliqué les divers avantages que l'Etat
peut retirer de la culture des Lettres ; & il
a fait remarquer qu'en effet, elles ont fervi
de nos jours à éclairer l'Agriculture , les
Manufactures & le Commerce & c.
M. l'Abbé Bellet a repris la parole, pour
lire l'Eloge hiftorique de M. Foreftier ,
mort le 25 Septembre 1759.
M. Malartic de Montricoux , premier
Préſident de la Cour des Aydes , a renfermé
avec beaucoup d'élégance dans fon
Difcours de réception , tout ce qu'on peut
dire de plus honorable pour les Lettres
& de plus flatteur pour l'Académie .
M. de Saint- Hubert en répondant à M.
Lacoré & à M. de Montricoux , les a caractérisés
avec beaucoup de délicatefle &
de
JANVIER. 1761 . 145
de vérité; & il n'a pas manqué d'obferver,
dans cette occafion , combien aujourd'hui
les hommes en place fe font un honneur
de fe diftinguer par leur amour & par leur
zèle pour la gloire des Arts .
M. Bernoy a lû une Ode fur l'Emploi
du Tems.
M. l'Abbé Bellet a lû l'Eloge hiftorique
de M. l'Abbé Pradal , mort le 25 Mars
1760.
M. Teulieres , Avocat , qui a fuccédé à
M. l'Abbé Pradal , a fortement appuyé ,
dans fon difcours de réception , fur l'utilité
des Académies & fur la différence de
l'efprit & du génie.
M. l'Abbé Bellet a lû l'Eloge hiftorique
de M. le Comte de Miran , mort le 7
Avril 1760.
Dans ces quatre Eloges hiftoriques qui
ont été lus , le Public a reconnu que fi l'amitié
tenoit le pinceau pour peindre les
Académiciens morts , elle n'a pourtant
employé que les couleurs de la vérité.
M. Marquegret , Avocat , élu à la place
de M. de Miran , s'eft attaché , dans fon
Diſcours , à relever le prix des exercices
Académiques , & il l'a fait en prouvant
avec quelque étendue , que la faculté de
penfer feroit inutile aux hommes, fi la parole
ne leur fourniffoit pas le moyen de fe
G
146. MERCURE DE FRANCE.
communiquer mutuellement leurs idées , &
que les Académies lui rendent à cet égard
les plus grands fervices , parce qu'en travaillant
à perfectionner le langage , elles
nous apprennent à manifefter nos pensées
de la manière la plus exacte & la plus précife
.
M. de Saint-Hubert a répondu à ces
deux nouveaux Académiciens , en rappellant
à l'un fes premiers fuccès Littéraires ,
& en augurant bien des leçons que l'autre
a reçues d'un Père également eftimé
& chéri de fes concitoyens.
M. Lathala a lu une differtation fur les
Scordifques , Gaulois d'origine & tranſplantés
fur les bords du Danube. Il a rendu
vraisemblables les conjectures de quelques
Sçavans qui prétendent , non - feulement
que les Scordifques font fortis du
Querci , mais qu'ils étoient Ladurciens.
Enfin M. l'Abbé Bellet a lû une Ode fur
un fujet relatif au Difcours couronné
l'Académie .
par
Le Public a été inftruit dans la même
Séance que M. le Maréchal , Duc de Richelieu
, Pair de France , Gouverneur de
la haute & baffe Guyenne , Vainqueur de
Mahon, l'un des Quarante de l'Académie
Françoife &c.n'a pas dédaigné de joindre
aux Titres éminens dont il eft revêtu, ceFEVRIER.
1761 . 147
1
lui d'Académicien Affocié de l'Académie
des Belles - Lettres de Montauban.
M. le Secrétaire pérpétuel a lû le Programme
fuivant.
M. l'Evêque de MONTAUBAN ayant
deftiné la fomme de deux cens cinquante
livres , pour donner un prix de pareille valeur
à celui qui , au jugement de l'Académie
des Belles - Lettres de cette Ville , fe
trouvera avoir fait le meilleur Difcours fur
un fujet relatif à quelque point de morale
tiré des Livres faints ; l'Académie diſtribuera
ce prix le 25 Août prochain , fête de
Saint Louis Roi de France.
Le fujet de ce Difcours fera pour l'année
1761 , pourquoi les Arts utiles ne fontils
pas plus cultivés que les Arts agréables ?
conformément à ces paroles du Sage : Diligenter
exerce agrum tuum. Prov. XXIV.
27.
L'Académie avertit les Orateurs de s'attacher
à bien prendre le fens du fujet qui
leur eft propofé , d'éviter le ton de déclamateur
, de ne point s'écarter de leur plan.
& d'en remplir toutes les parties avec julteffe
& avec préciſion.
Les Difcours ne feront , tout au plus ,
que d'une demie heure , & finiront toujours
par une courte prière à J. C.
G ij
148 MERCURE DE FRANCE,
On n'en recevra aucun qui n'ait une ap
probation fignée de deux Docteurs en
Théologie,
Les Auteurs ne mettront point leurs
noms à leurs Ouvrages , mais feulement
une marque ou paraphe , avec un paffage
de l'Ecriture Sainte , ou d'un Père de l'Égli
fe , qu'on écrira auffi fur le regiftre du Secrétaire
de l'Académie.
Les Auteurs feront remettre leurs ouvrages
, par tout le mois de Mai prochain ,
entre les mains de M.de Bernoy , Secétaire
perpétuel de l'Académie , en fa maiſon
rue Montmurat , ou , en fon abfence , à
M. l'Abbé Bellet , en fa maifon , rue Courde-
Toulouſe .
>
Le prix ne fera délivré à aucun qu'il ne
fe nomme , & qu'il ne fe préfente en perfonne,
ou par procureur ; pour le recevoir,
& pour figner le difcours.
Les Auteurs font priés d'adreffer à M.
le Secrétaire trois copies bien lifibles de
leurs ouvrages , & d'affranchir les paquets
qui feront envoyés par la pofte. Sans ces
deux conditions , les ouvrages ne feront
point admis au concours.
Le Prix a été adjugé au Difcours qui a
pour fentence , Homini bono in confpectu
fuo dedit Deus fapientiam ... & latitiam ,
p.ccatori autem dedit afflutionem & curam.
FEVRIER. 17612 149
Ecclef. II , 26 ; & qui commence par ces
mots : Si un amour- propre indifcret & aveugle
nous écarte fouvent des fentiers que
nous trace la vertu , &c.
Le R. P. Cerutti , Jéfaite , s'en eft déclaré
l'Auteur.
M. de Saint - Hubert , a terminé la
Séance par des vers obligeans pour la plus
belle moitié de l'Affemblée .
LETTRE , à l'Auteur du Mercure
MONSIEU ONSIEUR ,
En examinant le moyen qu'on propofe
pour perfectionner la cloche dans une
Lettre qui vous eft adreffée . ( Elle eft datée
du mois de Novembre 1760 ) L'on
trouve , outre l'embarras qui eft indifpenfable
à de pareilles machines, plufieurs
défauts qui lui font perdre beaucoup de
fon utilité :
D'être obligé , par exemple , de fe boucher
les narines avec du cuir gras & un
reffort , d'avoir les lèvres fans ceffe adaptées
à une embouchure d'yvoire , & d'être
enfin dans un air échauffé & fali par la
transpiration. Ce ne font pas là de légères
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
incommodités pour l'état du Plongeur, qui
par lui-même eft affez fatiguant.
Si donc on pouvoit obvier à tous ces
défauts , fans augmenter l'embarras qui
eft déjà affez grand , ce ne feroit pas un
petit avantage pour la perfection de la
cloche.
Cette confidération , Monfieur , m'a
déterminé à vous prier de préfenter au
Public une machine , où il me femble que
la plupart de ces mouvemens ne fe trouve
pas. La defcription que je vous en donne
n'étant pas auffi claire que je le defirerois,
j'y ai ajoûté une figure qui pourra peutêtre
l'éclaircir *.
A , eft une cloche à laquelle aboutiffent
deux tuyaux B , C ; à l'ouverture L du
tuyau B , eft une foupape R , qui s'ouvre
un peu d'elle - même. Cette foupape eſt
fort au large dans une boëte M M , dont
les rebords font élevés ( je l'ai exprimée
par des lignes ponctuées , afin qu'elle
n'empêche pas de voir la foupape qui y eft
attachée. ) Le tuyau C , a auffi à l'ouverture
H une foupape S , qui s'ouvre lorfque
l'air extérieur veut entrer dans la cloche ;
mais qui fe ferme lorſque l'air intérieur
* Cette Figure , par un événement imprévû ,
n'a pû être gravée à tems. On la donnera dans
le Mercure prochain .
FEVRIER. 1761 .
151
veut en fortir ; à l'autre ouverture E du
même tuyau C , eft une pompe foulante
& afpirante F , F , F , avec toutes les manivelles
néceffaires pour la faire agir . Par
le moyen de cette pompe , on peut faire
entrer autant d'air qu'on le defire dans la
cloche. Lorsqu'on veut s'en fervir , on la
plonge perpendiculairement dans l'eau ,
qui y entrant un peu , & foulevant la boëte
M, M, la ferme auffi bien que la foupape,
& interdit par là toute communication
entre l'air extérieur & l'air intérieur.
Quand on veut renouveller l'air que la refpiration
du Plongeur a corrompue , on en
eft toujours le maître ; il n'y a qu'à faire
entrer du nouvel air par le moyen de la
pompe , ce qui fait baiffer l'eau ; & l'eau
baiffant laiffe tomber la bocte &la foupape
, & permet , par ce moyen , à une partie
du vieil air de s'échapper. J'ai mis la
foupape R fort au large dans une boëte à
rebords élevés M , M , afin d'empêcher
l'eau de monter au -deffus de la foupape ,
ce qui l'auroit immanquablement fait
tomber. J'ai préféré auffi la pompe au
foufflet , parce que par fon moyen on comprime
l'air plus exactement qu'avec le
foufflet. Je fuis , & c.
Par l'Abbé de ***
ABreft , ce 10 Janvier 1761 .
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
GÉOMÉTRIE.
LETTRE au R. P. GERDIL , Barnabite ,
Profeffeur de Théologie en la Royale
Univerfité de Turin , de l'Académie de
l'Inftitut de Bologne.
M ON R. P.
Vous avez démontré , ce me femble ;
d'une manière bien convaincante , qu'une
fuite actuellement infinie eft impoffible , ou
que l'hypothèse d'nne infinité actuélle ou
Cathégorématique d'unités , de fubftances,
de termes numériques, renferme des contradictions
manifeftes. J'ai tiré de cette
vérité , il y a plus de vingt ans , une induction
que je foumers à votre jugement :
c'eft que l'étendue que l'on conçoit , qui
eft l'objet de l'efprit pur , l'objet de la
Géométrie , n'a point de parties réelles.
Pour arriver à cette conféquence , voici
la marche que j'ai fuivie dans un ouvrage
auquel je travaillois alors , & dont je vous
préfente un Extrait par la voie du Mercure.
PROPOSITION I.
Si l'étendue , qui fait l'objet de la GéoFEVRIER
. 1761 . 153
métrie , a des parties réelles , ces parties
font diftinguées réellement.
DÉMON ST.
Si cette étendue a des parties réelles ,
ces parties font telles , qu'indépendemment
d'aucune précifion de l'efprit, l'une
n'eft pas l'autre , & qu'elles font nombre.
Car fi cela n'étoit pas ainfi , une partie feroit
réellement l'autre : de forte que ces
parties prétendues ne feroient qu'un , &
ne feroient pas parties. Donc fi l'étendue
a des parties réelles , les parties font diftinguées
réellement. C. Q. F. D.
PROPOS. I I.
Si l'étendue dont il s'agit , a des parties
réellement diftinguées, ces parties font
étendues.
DEMONS T.
1º . Les parties de cette étendue , fi elle
en a , doivent être de même efpéce que
l'étendue ; autrement elles ne feroient past
parties de l'étendue. Donc fi l'étendue a
des parties réellement diftinguées , ces
parties font étendues C. Q. F. D.
2 °. Un rien , un néant d'étendue , ajouté
à un néant d'étendue , ne peut donner
de l'étendue réelle & pofitive. Or fi l'érendue
géométrique a des parties réelle
GV
154 MERCURE DE FRANCE .
ment diftinguées , ces parties ajoûtées enfemble
, donnent une étendue réelle &
pofitive. Donc fi l'étendue eft composée
de parties réellement diftinguées , ces parties
ne font pas un rien d'étendue. Elles
font donc étendues . C. Q. F. D.
PROPOS. III.
Si cette étendue a des parties réelle
ment diftinguées & étendues , ces parties
font en nombre infini.
DEMONS T.
1º . Chaque partie eft de l'étendue.Donc
fi l'étendue a des parties réellement diftinguées
& étendues , chaque partie eft
compofée d'autres parties réelles & étendues
celles - ci en ont d'autres ; & ainfi
jufqu'à l'infini . Donc fi l'étendue a des
parties réellement diftinguées & étendues,
le nombre de ces parties eft infini . C. Q.
F. D.
2º. Si l'étendue a des parties réelles &
étendues , ces parties font ou de l'étendue
bornée & finie , ou de l'étendue fans
borne & infinie . On les dit être de l'étendue
finie , & on ne peut dire autrement
. Mais toute étendue finie & compofée
de parties , a deux extrémités au
moins , & un milieu. Donc fi l'étendue a
des parties réelles & étendues , chaque
FEVRIER . 178 155
partie a deux extrémités au moins , & un
milieu. Donc chaque partie a deux moitiés
: chaque moitié en a deux autres. Ainf
de fuite à l'infini . Donc fi l'étendue a des
parties réelles & étendues , le nombre de
ces parties eft infini. C. Q. F. D.
SCHOLI E.
Que je demande aux Philofophes ce
que c'eft que l'étendue , tous me répondent
que c'eft un affemblage de parties
placées les unes hors des autres , pofitio
partium extra partes : donc toute étendue
a des parties . Mais les parties de l'étendue
, fi elle en a , font ( Prop. 2. ) de l'étendue.
Donc ces parties font auffi un
compofé d'autres parties placées les unes
hors des autres ; & celles- ci étant auffi de
l'étendue , doivent encore avoir d'autres
parties étendues : ainfi de fuite à l'infini ;
& c'est ce qu'on avoit à démontrer .
COROLLAIRE.
Si l'étendue a des parties réelles , elle
n'eft pas compofée d'indivifibles . Car ces
indivifibles ne feroient pas compofés de
parties réelles , placées les unes hors des
autres ; ainfi fi l'étendue a des parties réelles
& indivifibles , ces indivifibles ne feront
pas de l'étendue ; ils ne feront donc
pas parties de l'étendue; puifque ( Prop. 2. )
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
les parties de l'étendue , fi elle en a , doivent
être étendues . Donc fi l'étendue a des
parties réelles , elle n'eft pas compofée
d'indivifibles.
LEMME.
Un nombre d'unités , ou de fubftances ,
de même au de différente espéce , actuéllement
infini , eft impoffible.
(C'eft la propofition que vous avez démontrée
avec beaucoup plus de force & de
précifion que je n'aurois pû faire. )
COROLLAIRE
.
S'il y avoit un nombre actuellement
infini
de fubftances d'un genre déterminé
ce nombre feroit tel , qu'on n'en pourroit
retrancher , ni lui ajouter aucune ſubſtance
du même ordre . On n'en pourroit retrancher
aucune , puifqu'après
la fouftraction
,
le nombre ne pourroit être fuppofé ni fini
ni infini , comme cela eft évident , & que
vous l'avez fait fentir vous même . On ne
pourroit non plus lui ajouter aucune fubfrance
du même ordre : car puifque le nombre
, avant l'addition , eft fuppofé infini , il
doit comprendre
toutes les fubftances poffibles
du même crdre:
PROPOSITION
IV.
Dans l'étendue , dont on parle , il n'y
FEVRIER . 1761 . 167
a pas un nombre infini de parties réellement
diftinguées.
DÉMONSTRATION.
1°. S'il y avoit dans l'étendue un nombre
infini de parties réellement diftiuguées,
il y auroit un nombre actuellement infini
d'unités & de fubftances de même espéce.
Ce qui eft évident ; car ces parties , qui
doivent être ( Prop. 2. ) étendues , feroient
réellement & actuellement diftinguées .
Ainfi , fi leur nombre étoit infini , il y auroit
dans l'étendue un nombre actuellement
infini d'unités & de fubftances de
même espéce. Ce qui ( par le Lemme ) eft
impoffible.
2º. Prenons un pied cubique d'étendue.
Si dans ce pied , il y a un nombre infini
de parties réellement diftinguées , il comprend
toutes les étendues poffibles du même
ordre ; c'est- à- dire toutes celles qui
peuvent entrer enfemble dans la compofition
du pied cube d'étendue : mais s'il eft
tel , je ne puis en retrancher, par l'efprit,
aucune partie réelle ( par le Corollaire du
Lemme) ce qui eft contre l'hypothèse de
ceux mêmes qui y reconnoiffent un nop
bre infini de parties réelles. Donc le
cubique d'étendue ne contient
nombre infini de parties réellement di
guées
158 MERCURE DE FRANCE .
3. S'il y avoit dans l'étendue un nombre
infini de parties réellement diſtinguées
, telles qu'on voudra les fuppofer ,
l'étendue feroit compofée d'indiviſibles ;
& cela par le raifonnement fuivant :
Si l'on pouvoit fuppofer l'étendue divifée
autant qu'elle eft divifible , elle feroit
divifée en indivifibles , puifque dans cette
fuppofition , il ne refteroit plus rien à divifer.
Mais , fi l'étendue a un nombre infini
de parties diftinguées, elle eſt actuellement
diftinguée en toutes ces parties en lefquelles
elle feroit divifée , s'il étoit poffible
de la fuppofer divifée autant qu'elle
eft divifible: puifque toutes les parties ,
en lefquelles on la fuppofe divifible , font
actuellement & réellement diftinguées.
Donc , fi l'étendue a un nombre infini
de parties diftinguées , elle eft actuellement
diftinguée en parties indiviſibles . Or
fi l'étendue a des parties réelles , elle n'eft
pas ( Corol . 1. Prop. 3. ) compofée d'indivifibles.
Donc , il n'y a pas dans l'étendue
un nombre infini de parties réellement
diftinguées . C. Q. F. D.
SCHOLI E.
Ce dernier raifonnement eft du Chevalier
Digby, & il eft fi preffant , qu'on doit
FEVRIER. 1761 .
159
être furpris que les Philofophes , qui ont
admis dans l'étendue bornée , un nombre
infini de parties étendues , réellement diftinguées
ne fe foient pas apperçus de la
contradiction dans laquelle ils font tombés
. Pour foutenir leur opinion fur la divifibilité
infinie de l'étendue , ils ont eu
recours à des parties proportionnelles, qui
ne peuvent les tirer d'embarras . Ils ont
bien vû que , fuppofer l'étendue actuéllement
divifée en toutes fes parties , telles
qu'elles foient , dont ils prétendent que le
nombre eft infini , ce feroit la fuppofer divifée
réellement en indivifibles . Comment
donc ne fe font ils pas apperçus , qu'en la
fuppofant actuéliement diftinguée en une
infinité de parties réelles , telles qu'elles
foient , ils la fuppofoient auffi diftinguée
en indiftinguibles , fije puis ainfi m'expri
mer , & par conféquent en parties indivifibles
, c'eft- à- dire , felon eux - mêmes , en
parties qui ne font pas étendues ? Si l'hypothèse
d'une divifion totale & actuelle
eft impoffible, celle d'une diftinction totale
& actuelle ne l'eft pas moins . On ne peut
pas plus réalifer l'une que l'autre.
Ces Philofophes ont crû , à l'aide des
parties proportionnelles, éviter la difficulté
qu'on leur oppofoit , que dans leur ſentiment,
on eft forcé d'admettre dans l'éten160
MERCURE DE FRANCE.
due bornée un nombre actuellement infini
de parties. Cela n'eft pas , ont-ils dir ; car
les parties proportionnelles , à proprement
parler, ne font pas nombre , puifqu'elles
font toutes les unes dans les autres . Je
prends un pie cubique de matière : je le
partage en deux moitiés , chaque moitié
en deux autres , & ainfi de fuite . Or le
tout d'un côté , & les deux moitiés de l'autre
ne font pas nombre , puifque le tout
n'eft autre chole que fes deux moitiés. Par
la même raiſon , une des moitiés du tout ,
& les parties de cette moitié ne font pas
nombre non plus. Mais ce n'eft certainement
là qu'un faux- fuyant , & il feroit aifé
de montrer qu'en ce cas- même ils admettent
une fuite actuellement infinie décroiffante
, i , 4 , , & c , fuite dont chaque
terme différe des autres. Je veux bien
leur accorder que le tout n'étant pas difingué
de fes parties , ne doit pas entrer en
ligne de compte : il n'en fera pas moins
vrai que dans ce tout , il doit y avoir un
nombre actuellement infini de parties diftinguées,
qui ne font pas les unes dans les
autres . Je fuppofe le Cube divifé en deux
moitiés A & B. Qu'on compte feulement
la partie A , & qu'on la mette à part. Qu'on
prenne enfuite une moitié de la partie B ,
& qu'on mette cette moitié à côté de A ,
FÉVRIER. 1761. 161
voilà deux parties diftinguées , qui ne font
pas renfermées l'une dans l'autre. Qu'on
prenne enfuite la moitié de l'autre partie
& encore la moitié du refte , & ainfi de
fuite , ne comptant toujours qu'une des
parties de chaque divifion ; je dis , & cela
eft évident , qu'on aura un nombre réel
de parties proportionnelles diftinguées
qui ne feront point comprifes les unes
dans les autres Or la matière étant divifible
à l'infini , s'il étoit poffible de fuppo
fer fa divifion épuisée & conſommée ,
n'eft - il pas certain premierement qu'on
auroit un nombre actuellement infini de
parties proportionnelles , qui ne feroient
pas les unes dans les autres ; fecondement
que les parties de la dernière divifion ſeroient
indiviſibles ?
Il eft donc vrai qu'on ne peut admettre
dans la matière divifible à l'infini des parties
diftinguées , fans reconnoître d'une
part , que le nombre de ces parties eft actuellement
infini , & fans être obligé d'avouer
de l'autre , que la matière eft actuellement
diftinguée , autant qu'elle feroit
divifée , fi on pouvoit la fuppofer divifée
autant qu'elle eft divifible ; c'eft- adire
, qu'elle eft réellement diftinguée en
indivifibles ? Or , quelle contradiction !
Malézieu ayant démontré par la Géo162
MERCURE DE FRANCE.
métrie , que la matière eft diviſible à l'infini
, s'eft propofé une difficulté , qu'il
avouoit ne pouvoir réfoudre . Ayant pris
un pied cubique de matière, il a demandé :
Cepied cubique de matière , eft- ce une feule
fubftance , enfont - ce plufieurs ? Vous ne
pouvez pas dire que ce foit une feule fubf-
Lance ; car vous ne pourriez pas feulement
le divifer en deux : fi vous dites que c'en
font plufieurs , puiſqu'il y en a plufieurs ,
ce nombre , tel qu'il foit , eft composé d'unités
s'il y a plufieurs fubftances exiftantes
, ilfaut qu'ily en ait une , & cette une
n'en en peut pas être deux. Donc la matière
eft compofée defubftances indivifibles . Voilà,
continue- t- il , notre raifon réduite à d'étranges
extrémités . La Géométrie nous démontre
la divifibilité de la matière à l'infini
; & nous trouvons en même temps qu'elle
eft compofée d'indivifibles . ( Elem. de Géom.
Liv. Refl. fur les Incommenf. 9.2
Si la matière eft compofée d'une infinité
de parties diftinguées , la difficulté eft
réelle car comme il l'avoit remarqué un
peu plus haut , on comprend très- clairement
, que l'existence appartient aux unités
,& non pas aux nombres , & que vingt.
hommes n'exiftent , que parce que chacun
d'eux existe. Si donc on conçoit dans l'étendue
une infinité de parties réelles ; on
FEVRIER. 1761. 163
y conçoit une infinité actuelle d'unités ou
de fubftance , dont chacune doit être une,
ou in divifible.
Il conclut , de- là , qu'il faut que notre
raifon s'humilie ; & Bayle juge que la
réflexion du Géomètre eft folide & pieufe .
Mais fans défavouer cette obfervation que
les Philofophes ont fouvent occafion de
faire , le Géomètre ne devoit- il pas conclure
de fon raifonnement , que la matière
n'eft pas compofée d'une infinité de parties
réellement diftinguées , & que la géométrie
ne démontre pas le contraire ?
Cette Science a pour objet primitif la
fubftance étendue que l'on conçoit par l'efprit
pur , & les parties de cette étendue
ne font pas diftinguées réellement; elles ne
font parties que par une précifion de l'efprit
car on ne parle pas ici de l'étendue
apperçue par les organes des fens . Or l'efprit
peut partager à l'infini cette étendue ,
quoiqu'elle foit en elle- même une fubftance
fimple & fans parties réelles .
( On peut dire de cette étendue ce que
vous dites vous- même de l'Eternité, après
tous les bons Philofophes . L'Eternité eft
par la nature une chofe fimple , une , fans
fucceffion d'inftans ; l'étendue eft pareil-
* Rép. aux Queft . d'un Prov. ch. 133. tom .
pag. 687. & le Recueil de fes Lettres , Let. 223 .
164 MERCURE DE FRANCË.
lement fimple en elle- même , une , fans
compofition de parties . )
Le Gendre dans fon Traité hiftorique &
critique de l'opinion , Tom. V. pag. 31. 32 .
juge que le raifonnement de Malézieu n'eft
qu'une pétition de principe. Un pied cubique
de matière , dit- il , eft indivifible , en
tant que pied cubique. Mais la matière eft
néceffairement une fubftance multiple &
divifible à l'infini . En ce cas , ajoute- t- il ,
l'existence appartient néceffairement à des
parcelles réunies. Elle n'appartient pas toujours
aux unités , & cette propofition nepeut
être donnée pour une preuve , puifque la
queftion eft de fçavoir fi , en divifant la
matière , on peut parvenir à une derniere
unité indivifible. Cette réponſe ne léve
pas la difficulté qui fuit de l'opinion que
toutes les parties dont ce pied cubique
eft compofe , font diftinguées réellement.
S'il étoit poffible d'épuifer la divifion de
ces parties , il eft certain qu'alors le pied
cubique feroit divifé en unités indivifibles .
Par la même raifon , puiſqu'on épuiſe la
diftinction des parties compofantes ; car
on la fait monter à l'infini , il faut reconnoître
qu'actuellement ce pied cubique
eft diftingué en parties indiftinguibles ,
& par conféquent en unités indivifibles.
-L'Auteur ajoute , qu'il ne peut y avoir de
FEVRIER. 1761 . 165
nombres qui ne foient com; ofés d'unités ;
& qu'auffi dans la diviſibilité à l'infini , il
n'y a aucun nombre ni fini ni infini . Mais
puifqu'il avoue que l'étendue n'existe que
par la multiplicité de fes parties, que c'eſt
une fubftance éffentiéllement multiple , il
faut lui demander jufqu'où s'étend cette
multiplicité Comme donc il admet la
divifibilité de la matière à l'infini , il doit
auffi faire monter à l'infini la multiplicité
de fes parties. Or qui dit multiplicité de
parties , dit diftinction réelle de ces parties
; & qui dit diftinction de parties , dit
nombre. Voilà donc , malgré qu'il en ait ,
dans l'étendue un nombre actuellement
infini de parties , je ne dis pas réellement
divifées , mais réellement diftinguées . En
un mot , la grandeur du nombre répond à
la multiplicité de parties diftinguées : cette
multiplicité eft actuellement infinie , le
nombre l'eft donc auffi,
PROPOSITION V.
La fubftance étendue , dont il eft queltion
, n'a pas des parties réelles .
DÉMONST.
Si la fubftance étendue étoit compofée
de parties réelles , ces parties feroient diftinguées
téellement ( Prop . 1. ) c'eſt - à - dire
, avant toute opération , toute précifion
de l'efprit ; & leur nombre ( Prop . 3. ) le166
MERCURE DE FRANCE.
roit infini. Or il n'y a pas dans l'étendue
( Prop. 4. ) un nombre actuellement infini
de parties réellement diftinguées . Donc
la fubftance étendue n'a pas de parties
réelles.
COROLLA IRE.
Donc l'étendue géométrique eft une
fa nature , eft réellement indivifible ,
quoique divifible par l'efprit , à l'infini .
par
Je termine ici le précis des réflexions
que j'avois couchées fur le papier , réflexions
qui , comme vous le voyez , roulent
fur la nature ou l'effence de la fubftance
étendue , & dont il réfulte que la
difference primitive qu'il y a entre la fubftence
étendue & la fubftance penſante ou
intelligente ne confifte pas en ce que l'un
de ces êtres eft multiple & l'autrefimple .
La fimplicité réelle eft un attribut qui convient
également à ces deux efpéces de fubf
tances , & il ne paroît pas poffible d'admettre
dans l'une multiplicité réelle , fans
être forcé de reconnoître l'existence du
nombre actuellement infini : fuppofition
qui me femble comme à vous , abfurde ,
& dont on peut tirer de fâcheufes conféquences.
La comparaifon que j'ai indiquée
précédemment,de l'étendue avec l'Eternité,
pourroit être plus développée , & pouffée
plus loin que je n'ai entrepris de le faire.
FEVRIER. 1761. 167
Ileft de l'effence de l'Eternité d'être une ,
fimple , fans parties fucceffives , ce qui
n'empêche pas l'efprit d'y diftinguer des
inftans paffés , préfens & futurs. L'étendue
fera de même éffentiellement fimple ,
fans collection de parties continues , ce
qui n'empêchera pas non plus que l'entendement
n'y diftingue multiplicité de parties
, placées les unes hors des autres. Cet
objet peut être envifagé fous d'autres faces
qui n'échapperont pas à votre fagacité.
Me demanderez- vous après cela , en
quoi donc peut confifter la différence primordiale
qu'il y a entre la fubftance éten
due & la fubſtance penfante on fenfible ?
Peut-être me feroit - il permis de répondre
que l'une a éffentiellement le fens intime
de fon exiſtence propre , & que ce fens
intime manque à l'autre . Mais avant tout ,
il faut fçavoir ce que vous penſerez de la
conféquence que j'ai tirée d'un principe
qui nous eft commun . Ainfi la queftion que
je prends la liberté de vous propoſer , ne
confifte qu'à difcuter fi , de l'impoffibilité
d'un nombre actuellement infini d'êtres ,
d'unités , de fubftances , il ne s'enfuit pas
que la fubftance étendue ne renferme
point , dans fon idée , multiplicité de parties
réelles, comme l'Eternité ne renferme
point , dans la fienne , multiplicité d'inf-
1
168 MERCURE DE FRANCE.
tans réels & diftingués. Si l'induction eft
jufte , peut-être en faudra- t- il conclure
qu'à plufieurs égards la matière apperçue
par les fens eft à la fubftance étendue ,
que l'efprit conçoit, comme le temps eft à
l'Eternité .
Quoiqu'il en foit, ceux qui donnant l'exclufion
à l'infini numérique actuel , ont appliqué
l'infini en puiſſance à la divifibilité
de l'étendue , ont manqué leur but , &
paroiffent être tombés en contradiction ,
comme on l'a infinué dans le fcholie de
la Prop. 4car à quoi revient leur prétention
? A dire que l'étendue peut être divifée
fans fin , ou qu'on n'y conçoit aucune
partie qui ne foit fufceptible d'une divifion
ultérieure. Mais toute divifion poffible fuppofe
la diftinction réelle & actuelle des
parties à divifer. Car avant qu'un tout
puiffe être partagé en deux moitiés , il faut
que chacune de ces moitiés exifte , qu'elles
foient diftinguées réellement entre elles ,
que l'une ne foit pas l'autre , en un mot,
qu'elles foient parties réelles. La divifion
en puiffance n'est donc fondée que fur la
diftinction actuelle . Par conféquent , fi la
divifion en puiffance eft fans fin , la diftinction
actuelle des parties eft auffi pouffée
à l'infini. Donc ces Philofophes attribuent
à la diftinction des parties réelles
de
FEVRIER. 1761 . 169
de l'étendue l'infini numérique actuel, dont
l'existence leur paroît impoffible.
Cette matiére toute abftraite qu'elle
eft , n'en eft pas moins importante , comme
les réflexions précédentes le font , ce
me femble , affez fentir . Elle mérite fans
doute d'être traitée par un efprit auffi jufte
, auffi pénétrant , & auffi profond que
celui qui fe fait remarquer dans votre Recueil
de Differtationsfur quelques principes
dePhilofophie & de Religion : ouvrage dont
la lecture m'a infpiré le defir de recourir à
vos lumiéres . Je fuis , & c. DUPUY.
A Paris , ce 29 Décembre 1760 .
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE.
A l'Auteur du Mercure de France.
V.OTRE zèle , Monfieur , pour le bien
public , eft connu ; le mien , conforme au
vôtre , m'a déterminé à ne pas laiffer ignorer
une cure auffi furprenante qu'admirable
, & dont je joins ici le détail.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
Mon épouse par une chûte , il y a vingt
ans , eut la rotule du genoux gauche caffée
en deux pièces ; les Chirurgiens qui
travaillérent à fa guérifon ne l'opérérent
pas radicalement ; le calus fut formé en
partie elle marchoit fans appui ; mais
avec difficulté . Au mois de Mars dernier ,
c'eft- à- dire , vingt ans après cette chûte ,
elle eut , par une deuxième , la même rotule
caffée en trois piéces : j'appellai deux
Chirurgiens Majors , dont je tais les noms
par difcrétion. Ces Meffieurs, après trentehuit
jours de foin , ne jugérent pas le calus
poffible , & m'annoncérent le mal incurable
; en conféquence levérent l'appareil
, & abandonnérent entiérement mon
époufe.
Le fieur Durand , réfident à Arras , bréveté
du Roi , ancien Chirurgien major du
Régiment de la Morliere , penfionné d'Arras
, Douay , Béthune , Aire , Juré & réſident
à Arras , pour lors abfent , arriva huit
jours après l'abandon de ces Chirurgiens
majors je le fis appeller ; il examina la
partie affligée , & m'affura une parfaite
guériſon au moyen d'un bandage de fon
invention. En effet , au bout de quarantecinq
jours de foins , mon époufe fut guérie
: elle marche mieux qu'avant fa dermicre
chûte , & auffi bien qu'avant la premicre.
W
FEVRIER. 1761 . 171
La nouvelle d'une cure auffi avantageufe
au Public , ne doit pas être ignorée, & la
réputation du fieur Durand mérite d'être
répandue au- delà des bornes de cette Province
, où elle eft fi bien établie par le
nombre prodigieux d'autres que je ne rapporterai
pas. Je fuis , & c. REYTIOR , Officier
Major d'Arras, & Chevalier de Saint
Louis.
Nota. Cette cure eft notifiée par tous les Officiers
de l'État- Major d'Arras.
HOPITAL
DE M. LE MARECHAL DUC DE BIRON..
Vingt- trois & vingt- quatrième Traitement
confécutif depuis fon Etabliffement .
Les nommés
BARON,
Desbeches ,
Roger ,
Diozet ,
Bien- aimé ,
Lécureur ,
Laréjouiffance ,
Varin ,
Compagnies
d'Hallor.
d'Hallot.
Dudreneuf.
de le Camus .
de Graffe.
de Guer.
de Pronleroy .
de la Tour.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
Lafaveur ,
Quenot ,
de Poudeux.
de Mathan.
Givetz ,
Montargis ,
-Prevot ,
de Chevalier.
de la Sône .
de Voifenon .
Taulin ,
de Guer.
Eftienne ,
de Vifé.
Labatterie de Vifé.
Buiffon ,
de Guer.
Raifon , de Nolivos.
Tonnerre ,
Buffy ,
Belamour ,
Ambel ,
Chaiffing,
Beaupré,
Perrault ,
de Marfay.
de Guer.
de la Colonelle .
de Marfay.
de Voifenon .
de Voiſenon.
de Nolivos.
Ces vingt- cinq Soldats font entrés fucceffivement
à l'Hôpital , attaqués des maladies
les plus graves , la plupart ayant
été manqués plufieurs fois , & ils font
tous fortis au bout de fix & fept ſemaines
chacun parfaitement guéri.
M, Kyfer prie le Public d'obferver que
weiland for cent Soldats qui ont été
a dans fon Hôpital,
FEVRIER. 1761 173
Qu'il eft affez heureux pour qu'il n'en foit
pas encore mort un feul ; que toutes les
Compagnies y envoyent fucceffivement
leurs Soldats , ce qui prouve bien incon
teftablement la fatisfaction générale que
le Corps & MM, les Capitaines ont de fes
fervices.
VERS envoyés de Marfeille à M. KEYSER.
Par M. B....
Laiffes fifler , Keyfer , les ferpens de l'envie
Et ne redoutes pas leur impuiffant éffort.
Ton reméde fuffit pour leur donner la mort ,`
Puifqu'il rend à l'amour & la force & la vie.
ARCHITECTURE.
COURS D'ARCHITECTURE élémentaire.
LES 15 & 16 de Janvier prochain 1761 ,
e
M. Blondel , Architecte du Roi , ouvrira
en fa demeure rue de la Harpe , près celle
des Cordeliers , fon 9. & 10 ° . Cours élémentaire
d'Architecture. Chacun de ces
Cours fera compofé de foixante leçons ;
celles du neuvième Cours , fe donneront
fégulierement tous les Lundi , Mercredi &
Vendredi , depuis trois heures & demie
4
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
après midi , juſqu'à cinq & demie ; celles
du dixiéme Cours tous les Mardi , Jeudi
& Samedi , depuis onze heures du matin
, jufqu'à une heure après midi. Les
Amateurs qui fe feront infcrire pour le
Cours de l'après- midi , feront les maîtres
d'affifter à celui du matin ; de même ceuxqui
fe feront fait infcrire pour le Cours
du matin , pourront affifter aux leçons de
celui de l'après midi , felon que leurs affaires
leur auroient fait manquer une ou
plufieurs leçons du Cours pour lequel ils
fe feroient fait infcrire . Ces Cours auront
pour objet les connoiffances des trois
branches de l'Architecture civile , fçavoir
la décoration , la diftribution & la conftruction
des Bâtimens facrés , publics &
particuliers appuyés fur l'autorité dès Anciens
, & confirmés par l'examen de nos
Edifices François , les plus célébres ; édifices
que les Amateurs iront vifiter avec
le Profeffeur comme dans les Cours précédens
. Ces cahiers mis en bon ordre ,
feront communiqués aux Amateurs dans
les leçons , & on leur offrira des modéles
bien exécutés , qui contribueront à rendre
les démonſtrations plus claires , plusfaciles
& plus convaincantes .
Les Soufcriptions feront de 96 1. pour
chaque Cours , par Amateur .
[
FEVRIER. 1761. 175
ARTS AGRÉABLES.
TROIS
MUSIQUE.
ROIS OUVRAGES pour le Clavecin,
par M. de Wagenfeil , qui font quatre Concerto
avec accompagnement , oeuvre 4
prix , 12 liv.
୨
Six Sonattes , avec accompagnement
d'un Violon , oeuvre 5. prix , 9 liv .
Six Sonattes de même, oeuvre 6º.
liv.
e
prix ,
Six Sonnattes à Violon feul & Baffe ,
par M. Domenico Ferrari , oeuvre 4° . prix
7 liv. 4 f. Mis au jour par M. Huberty ,
Ordinaire de l'Académie Royale de Mufique
, on les vend chez l'Editeur , rue du
Chantre à l'Hôtel du S. Efprit , & aux
adreffes ordinaires.
LA VIELLEU SE HABILE , Ou nouvelle
Méthode , courte , facile , & fûre , pour
apprendre à jouer de la Vielle. Par M.
Bouin , Me de Vielle , OEuvre 3. in - fol.
gravé , prix , en blanc 6 liv. chez l'Auteur
, rue & Ifle S. Louis , & aux adreffes
ordinaires .
Hiv
16 MERCURE DE FRANCE.
GRAVURE.
LEBALDE S. CLOU D. , Eſtampe dédiée
à Mgr le Ducde Chartres , Prince du
Sang , par M. Feffard , Graveur du Cabinet
du Roi , & c. fe vend chez l'Auteur
à la Bibliotéque du Roi , rue de Richelieu ,
chez Joullain fils , quai de la Mégifferie ,
& chez la Veuve de F. Chereau , rue S.
Jacques.
ARTICLE V.
SPECTACLES:
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Muſique , après
vingt- deux repréfentations de Canente , a
repris Dardanus le : 6 du mois de Janvier.
Cette repréfentation a été très forte en recette
, & très - applaudie.
Les mardi & jeudi 3 & 5 Février , elle
continuera les mêmes Fragmens que l'on
a reprefentés depuis la S. Martin , certains
jours de la femaine .
Le vendredi 6 du mois , elle remettra
FEVRIER. 1761 . 177
pa- au Théâtre , Jephté , Tragédie , dont les
roles font de feu M. Pellegrin & la Mu
fique de feu M. Monteclair. Cet Opéra a
été repreſenté , pour la premiere fois , le
4 Mars 1732. repris en dernier lieu le 24
Mars 1740 , lorfque Mlle le Maure rentra
à l'Opéra.
*
On rendra compte dans le prochain '
Mercure, de l'impreffion qu'aura faite cette
repriſe , fur un Public en partie renouvellé
, depuis les premiers fuccès de cer
ouvrage , dont la célébrité s'eft toujours
foutenue jufqu'à préfent.
Cette même Académie , vient de perdre.
en la perfonne de Denys François Tribouft,
up Penfionnaire que fon zéle & fer talens
lui rendoient encore très utile, dans fa vétérance,
par les confeils dont il éclairoit
fouvent les Sujets de ce Théâtre qui pouvoient
être fufceptibles de progrès.i
Fen M. Tribouft avoit débuté en 1720,
par le rôle du Soleil , dans Phaeton , & il
avoit obtenu fa tetraite en 1741. après une
reprife de Proferpine , où il avoit chanté le
rôle d'Alphée.
Pendant ces vingt années , il avoit rem
pli avec un fuccès univerfel , les premiersh
rôles de Haute- contré ; malgré la médio
crité d'une voix affez foible , mais dont le i
fon étoit agréable , parce qu'il étoit fenfi
ble . Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
1
Elevé à Paris , favorifé d'une éducation
commune avec la premiere Nobleffe du
Royaume , il avoit cultivé par goût & par
émulation , des talens naturels qui le faifoient
propoſer à très -juſte titre , comme
un modéle excellent , pour les grâces , &
la juſteſſe , tant dans l'action que
dans l'expreffion vocale , propres à la Scène
lyrique .
pour
2
La fociété des Grands & des gens Let- !
trés , feule école des talens fupérieurs en
ce genre , avoit contribué a perfectionner
les fiens. Il devoit ce précieux avantage ,
dont il avoit profité de bonne heure , à l'agrément
de fon caractère , & à l'honnêteté ›
de fes moeurs. Complaiſant fans baſſeſſe ,
facile & non pas indécemment familier , il
avoit toute la vie respecté comme Protecteurs
des perfonnes d'un rang élevé qui fe
plaifoient à le confidérer comme leur ami.
Ce dernier titre devoit honorer tous ceux
qui vivoient avec lui, parce qu'il faifoit préfumer
leur mérite & leur probité. Les jeunes
Eléves du Théâtre où il avoit brillé, ont
pleuré fa perte comme celle d'un Père ten- :
drement attaché à leurs fuccès . Enfin peu
de gens de fon état ont été auffi univerfellement
regrettés. Si la France en produit
beaucoup pourvus des mêmes qualités ,
FEVRIER. 1761. 179
des voifins , rivaux de notre gloire en
tout genre , n'auront plus à fe prévaloir
des marques de confidération qu'ils accordent
à quelques perfonnes de Théâtre,
& ne feront plus en droit de nous reprocher
les veftiges d'un ancien barbarifme
dans nos moeurs , à cet égard.
M. Tribouft eft mort le 14 Janvier de
cette année , âgé de 66 ans.
COMEDIE FRANÇOISE.
EXTRAIT de la Comédie , en un Acte
intitulée: LES MEURS DU TEMS.
N. B. COMME les Extraits des Piéces
de Théâtre font particulierement deſtinés
à ceux qui ont été privés des repréfentations
, on croit que la diftribution des rôles
avec les noms des Acteurs , qui en
étoient chargés , pourroit être agréable à
quelques Lecteurs , en les mettant en état
de fe mieux repréſenter l'effet du Jeu
théâtral, & ce qu'il peut ajouter au mérite
de la compofition.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Noms des Perfonnages:
GERONTE , riche Financier ,
Père de Julie
Noms des Acteurs .
M. Préville.
LA COMTESSE , Soeurde
Mlle Dangeville.
Mile Huffe.
Géronte ,
JULIE ,
CIDALISE ,
LE MARQUIS,
DORANTE ,
Mlle Préville.
M. Belcourt.
M. Molet.
DUMONT, Intendant du Marquis . M. Dubois .
FINETTE Suivante de la Comteffe , Mile Drouin.
La Scène eft à la Maifon de Campagne de.
M. Géronte..
Ejeane Dorante , nouvellement arrivé
de Province , & fort amoureux de Julie ,
fe plaint des réponses équivoques de Géronte
, Père de fa maîtreffe , fur l'hymen :
auquel il afpire. Ce Père qui l'avoit amené
à fa maifon dè campagne , lui avoit
donné des efpérances für ce mariage . En
confiant fes craintes à Cidalife , Dorante
la confulte fur ce changement. Il fe propofe
de parler à Julie , à la faveur d'un
Bal mafqué qui doit fe donner le foir même.
Cidalife , qui foupçonne quelqu'intrigue
contraire aux prétentions de DoFEVRIER.
1761. 181
rante , lui reproche fa négligence à plaireau
Père de Julie , & fur- tout à la Comteffe
fa tante. Cela lui donne occafion de
peindre le caractère de Géronte .... » Je ™
» vous avois dit, que le Père de Julie, riche
» Financier , faute d'efprit , fe piquoit de
» bon fens , qu'il fe miroir fans ceffe dans
» fon opulence , & croyoit qu'un millio-
» naire étoit le premier homme du mon-
» de , & c.... autre tort , ( dit enfuite Ci--
dalife à Dorante ) » M. Géronte, fans faire "
» cas des talens , a cependant un homme
» qui lit pour lui les nouveautés : c'eft fon "
» Barême , en fait d'efprit , qui lui four-
> nit des jugemens tout faits , & le met"
» en état de parler à tort & à travers de
tout ce qui paroît. Ce petit homme a
pris M. Géronte pour le héros de fes *
» vers. ( Cidalife ajoûte. ) On vous les
» montre ces vers , qui de M. Géronte ne "
» font pas moins qu'un grand homme , un
» homme d'Etat , & vous n'applaudiffez :
pas de toutes vos forces ? Dorante repli--
que : J'ai eu l'honnêteté de ne rien dire..
Cette excufe caractérife , d'un trait , toute
las candeuride Dorante. Le petit Barême
d'efprit ne paroît point dans la Piéce, &
nofert, ici que d'un dernier coup de pinceau
. Cidatife paffe au portrait de la Comufleke
vous avois dit que cette dis
•
+
<
182 MERCURE DE FRANCE.
gne
foeur de Géronte , demeurée veuve
» d'un homme de qualité , qui l'a laiffée
» fans bien , aimoit fort à médire ; & fur- :
» tout à médire de M. fon frère , qu'elle
» traite de petit bourgeois ; que fa fureur
» étoit de ne vouloir point être la foeur de
» ce frère , qui cependant a pour elle un
refpect imbécille , qui n'agit que par fes
> confeils , ne voit que par fes yeux un
>> autre que vous feroit parti de-là pour
» renchérir fur les médifances de la Com-
» effe , ou du moins il y auroit applaudi :
»
"
t
2
"
t
point du tout , vous ofez la contredire ,
» vous faites le bonhomme , vous défen-
» dez contre elle toute la terre, il n'y a pas
juſqu'à ſon frère, dont vous vous établiſ
» fez le protecteur ; & ce qu'il y a de rare,
» c'eſt qu'après avoir défendu , vis - à - vis
» du frère , les gens de mérite & à talens,
» vous défendez , vis - à - vis de la foeur
» les gens de finances. » A quoi Dorante
répond : » Mais , c'eft que j'en connois de
» très - eftimables , & que du ridicule de <
quelques - uns , il n'en faut pas faire le
» ridicule de tous : aujourd'hui l'on a la
» fureur de tout blâmer : une infinité de
» Sots par nature , fe font Méchans par >
» air &c. C'eût été une injuftice de la
part de l'Auteur de n'avoir adouci la
pas
peinture générale des financiers par cette
»
t
*
FEVRIER. 1761. 13 ;
obfervation , & une infidélité de ne la
pas rapporter. Cidalife confirme les craintes
de Dorante , en lui confiant qu'elle
foupçonne la Comteffe de vouloir faire
époufer fa niéce au Marquis pour le lui
enlever ; que le Marquis s'y prêtera
pour rétablir fes affaires , & pour payer
fes dettes. Dorante peu accoutumé aux
ufages du Monde & aux moeurs du tems ,
s'étonne qu'une femme comme Cidalife ,
puiffe aimer ce Marquis avec la connoiffance
qu'elle a de fon caractére ; mais
elle lui apprend que la Raifon & les principes
ne garantiffent pas toujours de la
féduction... » Perfuadée qu'il m'aimoit
»
féduite par l'élégance même de fes ri-
» dicules , fes défauts ne me paroiffoient
» que des grâces . Cidalife avoue ainfi ,
que malgré les réflexions , elle ne fent
que fon amour pour le Marquis ; elle
ajoute que le bal qu'on prépare , peut lui
fournir une occafion de s'éclaircir fur les
vrais fentimens du Marquis. La Comteffe :
& lui croyent qu'elle va partir pour Paris. ›
Dorante convient que fa timidité ne lui
a pas permis de s'affurer du coeur de
Julie.
Cette jeune perfonne paroît , un Livre
à la main , dans lequel elle ne lit pas , &
rêve profondément . Dorante s'écarte un
t
4
'
184 MERCURE DE FRANCE.
peu , par le confeil de Cidalife , mais de",
manière qu'il puiffe entendre ce qui ſe dira.
Cidalife profitant de l'ingénuité de Ju
lis , apprend d'elle que la Comteffe a deſfein
de lui faire époufer le Marquis ; que
c'eft précisément ce qui la faifoit rêver.
Elle n'eft pas longtems à lui faire avouer
fon inclination pour Dorante. Julie , en
rendant compte de la façon dont la Comteffe
lui parle du Marquis , dit qu'elle l'a
affuré , que c'étoit un homme qui n'époufera
point fa femme pour l'aimer
"
»
& qui lui laiffera toute la liberté qui '
» convient. Cidalife , feint d'inftruire Jus
lie de ce que c'eft que la mode. A l'égard
de l'amour , » le coeur , lui dit- elle ,
ne fait pas la mode ; mais la mode eft
» de fe paffer du coeur . Julie rejette fa
mode & veut s'en rapporter à fon coeur.
Dorance , quia entendu l'aveu de Julie en
fa faveur , paroît pour lui jurer une tendreffe
éternelle . Cidalife les quitte ; ils ne
retent qu'un inftant enfenible : le Marquis
furprend Dorante aux pieds de Julie;
elle fait un cri de furprife , & difparoît .
Dorante déclare au Marquis toute la
violence de fon amour pour Julie , & luidemande
compte en quelque forte des diſ- ·
pofitions du Père , il finit par dire que , Ju
lis eft à fes yeux un tréfor inestimable 3
FEVRIER. 1761 . 185
& que prétendre la lui ravir , c'est vouloir
lui arracher la vie.
Le Marquis répond : tréfor ineftima-
» ble ! t'arracher la vie ! voilà de grands
» mots .... & ce ton pathétique que tu y
» joins .... fçais-ru, qu'avec le titre furanné
» de Baron , tu as rapporté de ton vieux
» château , une façon de penfer tout - à- faitgothique
, & qu'il n'y a pas jufqu'aux
efpéces qui te trouveront très- ridicule ?
Je te le dis en ami , mon pauvre Baron ,
très-ridicule.
ور
و و
Eh !
DORANTE.
par quelle raifon , je vous prie ?
" Quoi donc , l'amour....
35
و ر
LE MARQUIS.
L'Amour! l'amour ! ce mot ne fignifie
plus rien. Apprends donc une fois pour
» toutes , mon petit parent de Province ,
apprends donc les ufages de ce pays - ci :"
» on époufe une femme , on vit avec une
» autre , & l'on n'aime que foi.
>>
La Scène continue fur le même ton ;
Dorante preffe enfin le Marquis de lui
dire s'il veut le fervir . Celui- ci répond :
Eh mais.... affurément.... fans doute.
Dorante piqué de ces réponfes équivoques
& dédaigneufes , fort en l'affurant
186 MERCURE DE FRANCE.
qu'on ne lui ôtera pas impunément ce
qu'il aime ; & qu'avant de pofléder Julie....
» Vous m'entendez , ( ajoute- t-il )
» M. le Marquis .... Sans adieu.
LE MARQUIS , feul..
» A la bonne heure , Baron ! mais je
» commencerai toujours par épouſer moi .
» Ils font excellens, ces Meffieurs de Pro- '
» vince ! Parbleu , mon petit coufin, ſi tu
» as de l'amour , moi j'ai des dettes . Si
» je l'avois oublié , voilà un homme qui
» m'en feroit fouvenir : Mons Dumont ,
» mon Intendant , un fripon qui me vend
» au poids de l'or mon propre argent &c.
La Scène du Marquis avec fon Inten-¨
dant eft à-peu- près comme toutes les
Scènes de ce genre . Plaifanteries dures de
la part du Maître , fur la probité de l'Intendant
; plaintes de l'Intendant contre
l'importunité des créanciers : ce qui fournit
à l'Auteur un coup de crayon fur le
caractére du Marquis , en lui faifant dire :
Ils ne fçavent donc pas que je me fa-
» crifie pour eux , que je me marie ?... Il
» me femble que c'eft affez bien s'exć-
» cuter.
La Comteffe , dans la chambre de laquelle
il fait une fumée odieufe , ordonne
d'apporter fa toilette dans le falon ,
FEVRIER. 1761. 187
où elle rencontre le Marquis. Ils plaifantent
l'un & l'autre du petit coufin ,
homme , dit la Comieffe , qui aimera fa
femme à la défefpérer. Elle s'applaudit
furtout du dépit que fera à Cidalife , le
mariage du Marquis avec Julie. Cidalife
alors vient prendre congé de la Comteffe.
Celle-ci l'appercevant , dans le temps même
qu'elle en médifoit le plus cruellement
, l'interrompt pour lui dire :
" Bonjour , Reine ! tenez , nous par-
» lions de vous , le Marquis & moi , &
» nous en difions beaucoup de mal.
Cidalife leur laiffe entendre qu'elle en
eft très-férieufement perfuadée , & qu'elle
n'eft pas la dupe de leur feinte ironie . Elle
fe retire , & ils reftent , perfuadés avec
plaifir qu'elle part à l'inftant pour Paris.
Pendant ces Scènes , la Toilette eft apportée
par des gens de livrée ; & deux
Actrices , habillées en vraies femmes de
chambre , font occupées à préparer tout
ce qui eft néceffaire pour l'ajustement de
la Comteffe , qui fe met à fa toilette , lorfque
Géronte entre. Il l'informe que tout
eft préparé pour le Bal , avec autant de
foin que de dépenfe ; mais il exhorte fa
foeur à prendre des plaifirs plus doux.
» Dites-moi donc ( ajoute- t- il ) quel char-
» me vous trouvez à veiller toute la nuit
188 MERCURE DE FRANCE.
»pour dormir tout le jour Eft- ce que
plaifir d'un beau Soleil ....
و و
LA COMTESSE.
le
» Eh fi Monfieur , c'eſt un plaifir
» ignoble : le Soleil n'eft fait que pour le
Peuple .
GERONTE.
" Ma foeur, j'ai lu quelque part qu'il n'y'
» á de vrais plaifirs que ceux du Peuple ,
» qu'ils font l'ouvrage de la Nature , que
» les autres font les enfans de la vanité ,
» & que fous leur mafque on ne trouve
» que l'ennui .
La Comteffe raille avec dédain cette façon
de penfer , & débite à cette occafion
les petites maximes de la coquetterie &
de la moleffe , autorifées par le faux goût.
Elle paffe de - là à l'affaire du mariage de
Julie avec le Marquis. Géronte répugne'.
à cette propofition ; la Comteffe s'efforce.
de faire exclure Dorante , par le dédain
avec lequel elle en parle , & les avantages
qu'elle veut faire valoir , en faveur du
Marquis. Géronte , toujours oppofé à ces
idées , lui dit :
»Votre Marquis n'a rien , & croit en-
» core nous honorer beaucoup.
33
LA COMTESSE.
Il a un beau nom & un Régiment ;
CC
FEVRIER. 1761. 189
» bien venu partout : appellez- vous cela
» rien ?
GERONTE.
» A - peu- près , tout cela bien additionné,
» ne fait fouvent en fomme que de la farui-
» té & des dettes. »
La Comteffe infifte fur le mérite de la
naiſſance & du rang ; Géronte , fur la valeur
& l'utilité réelle des richeffes . Ne
pouvant le perfuader , elle a recours aux
vapeurs. » Ah vous ſcavez ( lui reproche-
»t-elle ) que j'ai une délicateffe de nerfs
?
une fenfibilité ... Ce font des cheveux
» que nos nerfs, & vous avez la cruauté ! ....
Géronte demande pardon & fe rend. La
Comteffe , en le félicitant , pour lui donner
une idée de l'élévation , où ce mariage
peut conduire fa fille , lui dit que le Marquis
a dans fa maifon un Duché qui pourroit
lui tomber un jour. » Ne feroit- il pas
» bien flatteur , pour vous , que votre fille
» eût le tabouret ? A quoi Géronte répond :
» Le grand avantage d'avoir un tabouret
» ailleurs , quand on peut avoir un bon
fauteuil chez foi, La Comteffe rougit pour
fon frere des termes bas dont il fe fert
pour exprimer des vues qu'on regarde
comme ignobles ; mais le bon-homme ,
fubjugué , le prête par ordre de la Comteffe
à aller préfenter lui-même , à fa fille , ie
190 MERCURE DE FRANCE.
Marquis , que la Comteffe apperçoit à propos
pour lui apprendre que le Père con
fent à fon mariage & s'en trouve honoré.
Elle les congédie l'un & l'autre , & refte feule
, à fa toilette , avec les femmes de cham .
bre. Quoique cette fcéne foit écrite avec la
même élégance & la même fineffe , qui
régne dans toute la pièce ; quoiqu'elle
ferve à peindre très-bien la coquetterie , la
médifance , enfin tous les travers de l'efprit
& du coeur des femmes à la mode ,
elle eft cependant fi dépendante de l'action
& du Spectacle théâtral , qu'on n'en
rapportera point de traits , il fuffit de fe
figurer la Comteſſe enchantée d'elle- même
, flattée de l'impreffion qu'elle croit
faire fur tous les hommes , & en particulier
fur le Marquis ; fe plaifant à s'entretenir
avec Finette , du prétendu méritę
de cet homme , dont les ridicules même
flattent fa vanité ; de là paffer à l'idée
enchantereffe des prestiges de la coquetterie
; & finir par fronder avec dédain les
charmes ingénus de Julie . Contredite fur
tous ces points , par la maligne Soubrette
, avec un faux air de bonne foi ; la
Comteffe gronde Finette à chaque contradiction
, en mettant fur le compte de la
maladreſſe de ſes doigts , la feinte gaucherie
d'efprit qui lui donne de l'humeur.
FEVRIER. 1761, 191
Sur la fin de la toilette , Julie arrive en
habit de bal . La Comteffe lui donne des leçons
fur l'importance du rang auquel fon
mariage , avec le Marquis , va la faire
monter , & fur l'abandon qu'elle doit faire
de toutes les petites idées auxquelles fa
naiſſance & fon éducation l'avoient livrée .
»Vous ferez préfentée , vous irez à la Cour;
voilà l'éffentiel . Tel eft le réſultat de la
grave doctrine de cette Comteffe ; à quoi
Julie répond : » L'effentiel , c'eft de s'aimer
, ma tante. Julie , après que la Com-
Leffe l'a quittée , s'entretient feule dans ce
fentiment . Dorante , qui furvient , reçoit
d'elle l'affurance qu'elle ne fera jamais au
Marquis. Ils rentrent enfemble dans la
falle du bal. Géronte le dérobe au tumulte
de ce bal , pour venir dormir fur un ſopha .
Il entrevoit bien , dans les réflexions , que
le Marquis ne plaît pas à fa fille , & que
fa
four l'a engagé dans une fottife; il déplore
l'afcendant que les femmes prennent fur
les hommes , & prend toujours le parti le
plus commode , qui eft d'y céder . Il refte
fur fon fopha. On ne pourroit donner
qu'une idée imparfaite du dénouement , ſi
l'on ne rapportoit en entier les Scènes qui
y conduifent.
192 MERCURE DE FRANCE.
CIDALISE , entre fur la Scène en
domino , fon mafque à la main.
» Le Marquis me fuit : il me croit à
Paris j'a le même domino que la Com.
teffe il me prend pour elle ; fçachons
s'il me trahit . ( Elle met fon masque . )
CIDALISE , LE MARQUIS ,
GERONTE , fur un fopha dans un
coin , d'où il n'eft pas apperçu par les
autres Acteurs .
"
LE MARQUIS ,
Je vous cherchois , Comteffe ; je viens
de voir Julie avec un Mafque qui ref-
» femble fort à Dorante : j'ai peur que la
petite perfonne n'en foit entêtée.
CIDALISE , prife pour la Comteffe.
" Que vous importe ?
ور
LE MARQUIS.
J'avoue que je ne vile pas au coeur
∞ de Julie : c'eſt ici un mariage d'argent.
»En échange d'une groffe dot, je lui donne
» mon nom & ma livrée : car vous jugez
qu'il n'y aura que cela de commun en-
>> tre elle & moi. Quant au Beau - pèrè ,
» c'eft un Intendant que je prends , & un
» Intendant d'efpéce nouvelle.
GERONTE , à part , dans un coin .
» Un Intendant ! Oui- dà : écoutons.
LE MARQUIS.
» D'ordinaire, nos Intendans nous rui-
» nent ;
FEVRIER . 1761. 193
">
nent ; & je compte bien que ce fera moi
qui ruinerai celui - ci , mais....
CIDALISE , à part.
» Ne me voilà que trop bien éclaircie ....
» Le traître !
• LE MARQUIS
" Que dites-vous ?
CIDALIS E.
" Eh bien , mais...
LE MARQUIS.
»Le mariage n'eft pas fait : Geronte n'a
» confenti qu'avec peine ; & je crains que
" Dorante & Julie ne faffent naître des
→ obftacles .
CIDALIS E.
» N'eft- ce point que vous fentez vous-
» même quelque chofe qui vous arrête ,
» & que Cidalife vous tient encore au
caur ?
"
LE MARQUIS .
Cidalife ! Ah , vous plaifantez , Comsteffe.
CIDALISE..
» Non : toute la rivale que je ſuis , je
» l'eftime. Et....
LE MARQUIS.
» Oh ! parbleu , Comteffe , encore un
coup , vous voulez rire ; une petite mi-
» naudiere qui a la prétention du fenti-
I
194 MERCURE DE FRANCE.
و ر
» ment ; de l'affectation au lieu de grâ-
» ces ; du jargon , au lieu d'efprit : vous
» avez donc oublié ce que nous en avons
dit tantôt ; & combien vous & moi l'a-
» vous chamarrèe de ridicules .
CIDALISE , à demi haut.
" L'abominable homme ! ... Contrai-
» gnons- nous encore .
LE MARQUIS , la reconnoiffant.
" C'eft la voix de Cidalife , ô Ciel ... tâchons
de nous retourner .
CIDALIS E.
» Mais cependant elle s'attendoit à re-
» cevoir votre main ; & vous devez du
» moins vous faire quelque reproche de
» l'avoir trompée.
25
LE MARQUIS.
Je m'en ferois un de l'inquiéter plus
longtemps. Belle Cidalife , ceffez da
» feindre , je vous ai reconnu d'abord.
CIDALIS E.
» Quoi , M. le Marquis !
LE MARQUIS.
» Oui , Madame , pour vous punir de
" votre méfiance , j'ai feint de vous pren-
» dre pour la Comteffe ; mais quelle dif-
» férence ! Elle a bien quelque choſe de
» votre taille & de votre voix. Mais cette
grâce toute particuliere , mais cette fa-
» çon noble de ſe préſenter. ....
"
FEVRIER. 1761 . 195
( En ce moment la Comteffe arrive maf
quée , avec un domino pareil à celui de
Cidalife , & s'approche doucement d'elle
& du Marquis. )
CIDALISE , à part , l'appercevant.
» Bon ! voilà la Comteffe... Le hazard
eft heureux... ( Haut . ) On ne peut nier,
» M. le Marquis , que Madame la Comteffe
n'ait des charmes.
"
"}
39
LE MARQUIS.
Je crois qu'on peut tout au plus fe
fouvenir qu'elle en a eu.
LA
COMTESSE , à part.
» Eft- ce de moi qu'il parle ?
CIDALISE .
» N'ai-je pas entendu quelque bruit ?
( Le Marquis fe tourne du côté qué Cidalife
lui montre , qui eft opposé à celui
où eft la Comteffe : pendant ce temps - là
Cidalife fubftitue la Comteffe àfa place ,
en lui difant à l'oreille :)
» A vous le dez , Comteffe .
,
LE MARQUIS , fe retournant .
» Il n'y a perfonne. Que difiez - vous de
» la Comteffe ?
LA COMTESSE , qui a pris la place
de Gidalife .
» Mais je difois qu'elle n'a point encore
paffé l'âge de la jeuneffe.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE:
LE
MARQUIS.
» Dites qu'elle s'y croit toujours , parce
» qu'elle en a tous les travers.
LA COMTESSE.
» On vante fon efprit.
LE
MARQUIS .
» On vante donc ce qu'on ne connoit
» pas ? Pour moi je n'ai vû à la Comteffe
» que des airs & des prétentions: joignez-
» y le ridicule de traiter Geronte de petit
Bourgeois , comme fi elle n'étoit plus
» parente de fon frère , & fes vapeurs
» de commande , que ce benet de frère
prend pour bonnes .
ور
23
la
LA COMTESSE . fe démafquanti
» Je n'y puis plus tenir.
7
LE MARQUIS.
» Que vois-je !
LA COMTESSE.
» Celle dont vous faites un fi beau por
» trait , Monftre que vous êtes !
CIDALISE , qui a paffé de l'autre côté,
le tirant par la manche.
» Yous mériteriez bien auffi quelque
» épithète de ma part ; mais je m'en tiens
Þau mépris .
GERONTE , s'avançant.
Et moi qui étois dans ce coin , d'où
» j'ai tout entendu , trouvez bon , M. le
Marquis , que je me joigne à ces Dames ,
FEVRIER . 1761 . 197
;, & que je vous confeille de vous pour-
» voir d'un autre Intendant ; je ne me
» fens pas digne de l'honneur d'être ruiné
:
par vous.
Julie & Dorante furviennent. Geronte
leur promet qu'ils feront unis le lendemain.
Le Marquis fe retire , en difant
avec fatuité » Monfieur , je vous baife
» les mains .
Geronte , content d'être défait du Mar
quis , propofe lui- même de continuer le
bal , ce qui forme le divertiffement , &
termine la Comédie.
·
·
Cette Piéce a été très - fuivie & toujours
très applaudie. L'intrigue , comme on
vient de le voir par l'Extrait , en eft fort
fimple ; ce qui a donné lieu à quelques
critiques de la juger foible : peut être
qu'autrement , elle eût été moins favorable
au fuccès . Il paroît que l'objet éffentiel
, étoit de peindre des nuances de ridicules
, qui fe feroient perdues dans une ac
tion plus compliquée. Nous avons étendu
notre Extrait plus qu'il n'eft d'ufage , pour
faire mieux remarquer , qu'il n'eft aucune
partie de cette Comédie , qui ne préfente
vivement des nuances , qu'on ne peut bien
rendre qu'avec une grande connoiffance
de cette forte de monde qui donne le
ton dans la fociété. Les caractères géné-
' I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
raux , même certains ridicules éffentiellement
nationaux , peuvent reffortir dans
les Piéces où la fable eft fort intriguée; c'eſt
un reffort alors qui leur donne encore plus
de jeu mais les modifications de ces caractères
ou de ces ridicules, variant fans ceffe,
& dépendant du moment , exigent fouvent,
lorfqu'on fe propoſe de les bien faire
fentir,le facrifice de la grande contexture.
Les Piéces du premier genre font de grands
tableaux hiftoriques de l'humanité qui appartiennent
à tous les temps , & prèfque à
tous les lieux ; celles du genre de la Comédie
des Maurs , font des images locales
, des portraits , fi l'on veut , où fur des
fonds très - légers , doivent primer tous les
ajuftemens de mode , qui contribuent à
faciliter la reffemblance des originaux . S'il
eft dans la nature , de voir toujours avec
plaifir la parfaite imitation des objets
connus , ce genre de Piéces doit donc être
toujours agréable , lorfqu'il eft traité avec
autant de vérité & d'agrément que dans
celle- ci. Peut- être même , que les fcrupu
leux Sectateurs des grandes régles dramatiques
, fe reprocheroient moins le plaifir
que ces fortes de Piéces leur procurent
malgré eux , s'ils confidéroient que la Comédie
ne doit être qu'une imitation naïve
des moeurs & des actions privées de la foFEVRIER.
1761. 199
ciété , & que fon effence primitive eft ,
dans cette imitation , fupérieure à toutes
les autres parties qu'indiquent les Poëtiques.
Nous avons préfenté la Scène du dénoûment
en totalité , afin de mettre les Lecteurs
en état de décider fur l'accufation
de reffemblance entre ce dénoûment &
ceux de quelques Piéces connues .
Ce que nous avons rapporté des traits
faillans , qui font répandus dans la Piéce ,
fuffira pour faire juger du ftyle dans lequel
elle eft écrite. Il eft partout élégant fans
affectation , & la fineffe n'y nuit jamais à
la clarté.
Ce qui réfultera toujours de la lecture
ou de la Repréſentation de cette Comédie
, confirmera les éloges juftement donnés
à l'efprit de l'Auteur , dans lefquels il
trouvera en même - temps ceux de fon âme,
par l'ufage qu'il fait de fes talens .
Le Mercredi , 21 Janvier , Mlle Pinet
débuta par le rôle de Cénie , dans la Piéce
de ce nom.Elle a continué fon début, dans
l'Ecole des Maris , dans l'Enfant prodigue
& dans la Pupile , Comédies qui ont été
fucceffivement repréfentées fur le Théâtre
François.
Cette Actrice , qui n'avoit jamais joué
fur aucun Théâtre , eft jeune & d'une jo-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
lie figure. Elle annonce des talens qui méritent
d'être encouragés. Elle a fur- tout
des momens de vérité qui font beaucoup
efpérer d'elle , dès que moins de timidité
& plus d'expérience permettront à fon organe
de rendre librement tout le naturel
de fon intelligence & toute la fenfibilité
de fon âme. Elle plaît , intéreffe , & continue
fon début , avec fuccès .
Le Lundi 26 , on donna la premiere
Repréſentation de la repriſe de Tancréde ,
Tragédie de M. de Voltaire . Le concours
nombreux des Spectateurs , & les applaudiffemens
qui furent donnés à cette Repréfentation
, ont été autant de motifs de
egrets pour ceux qui fe flattoient d'en
jouir les jours fuivans . Le Mercredi 28 ,
on fut obligé , par l'indifpofition de Mlle
Clairon, de fubftituer à la Repréfentation
de Tancréde celle de Mahomet ; & l'on
annonça , pour le Samedi , celle de Mé-
Tope. Cette interruption a été d'autant plus
fenfible au Public , que la fanté de l'Actrice
qui l'a occafionnée lui devient de plus
en plus précieuſe. Admirable depuis longtemps
dans tous les rôles que repréfente
Mlle Clairon , elle avoit parue à tous les
Amateurs du Théâtre avoir acquis un degré
particulier d'excellence dans cetteTragédie
, au delà duquel on n'auroit pas
торе.
·
FEVRIER . 1761. 201
imaginé de fupériorité , fi celle qu'elle a
fait paroître dans cette repriſe , n'avoit
prouvé qu'il n'eft point de bornes à la perfection
de ce genre de talens .
L'annonce de Mérope a été un dédommagement
pour le Public , tant à cauſe du
mérite de l'ouvrage , que du pathétique
inimitable de Mlle Dumefnil , qui y joue
le principal rôle.
On rendra compte , le mois prochain ,
de la Tragédie de Tancréde , qui vient de
paroître imprimée , & des changemens
avec lefquels elle a reparue.
COMEDIE ITALIENNE.
O N continue toujours les repréfentations
de l'Ifle des foux ; & Mlle la Font
continue d'y recevoir de la part du Public
des encouragemens, qui doivent l'exciter à
perfectionner, par l'étude, les talens qu'elle
a reçus de la Nature.
Le Mercredi 21 Janvier Mlle Collet débuta
dans le Maître de Mufique , par le rôle
de Laurette & dans la fille mal gardée par
celui de Violette : Elle a été reçue favorablement
dans l'un & dans l'autre rôle . Celui
de la premiere Piéce , ne conclueroit rien
pour on contre les véritables talens d'une'
Comédienne , attendu que le genre des in-
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
termédes qui , bien examiné , n'en eft pas
un , eft la reſſource ordinaire de ceux qui
n'ont aucune des difpofitions néceffaires
à l'art dramatique . Les fuccès dans la feconde
Pièce , affurent davantage l'eſpoir
du Public fur cette jeune débutante. Les
agrémens de la voix , l'adreffe dans la manière
d'en faire ufage , font des talens ac
ceffoires , fort agréables à rencontrer à la
Comédie,mais qui ne pourront jamais conftituer
la réputation d'un Comédien ou d'u
ne Comédienne .
On donna fur ce même Théâtre , le lundi
26 Janvier , la premiere repréfentation
de Quand eft-ce qu'on me marie ? Facétie
nouvelle en trois actes & en profe . Le premier
acte de cette Pièce difpofoit les Spectateurs
au jugement le plus avantageux . A
l'exception de la burlefque analogie des
noms de tous les perfonnages , au lieu d'une
facétie , tout annonçoit une bonne Comédie
, écrite du meilleur ton ; & remplie
de ces traits heureux qui , fous le maſque
de la plaifanterie, produifent d'excellentes
maximes de morale, & peignent des vices,
& des ridicules bien vus. Mais dans les
deux autres Actes , il femble que l'efprit
de l'Auteur ( quel qu'il foit ) trop accoutumé
au bon genre , fe foit refufé à remplir
le titre de Facétie , quelques efforts
FEVRIER. 1761
203
qu'on ait fait pour l'y contraindre . Au
moyen de quoi , rien n'a paru moins facétieux
au Public que le refte de cette Piéce,
dont le mérite du premier Acte lui faifoit
regretter la chûte ; & que l'on feroit fondé
a croire de deux mains différentes.
OPERA- COMIQUE.
L'OPERA OPERA - COMIQUE a fait , par extraordinaire
, cette année , l'ouverture de
fon Spectacle Samedi 31 Janvier. Un
Prologue nouveau a tenu lieu du compliment
d'ufage.
ARTICLE V I.
NOUVELLES POLITIQUES.
De PETERSBOURG , le 15 Décembre 1760 :
L. 6 de ce mois , on célébra l'anniverfaire du
jour de l'avénement de Sa Majefté Impériale au
Trône des Ruffies.
1; De STOCKHOLM , le 1 Janvier 1761 .
On a réfolu d'avoir cette année , comme les
précédentes , une flotille déftinée à bloquer les
embouchures de l'Oder , & les Ports par lesquels
le Roi de Pruffe pourroit recevoir des fubfiftances
& des fecours.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
De VIENNE , le 7 Janvier 1761 .
Le Général d'Infanterie Baron de Laudon,a préfentement
fon centre dans le Comté de Glatz . Sa
droite eft cantonnée entre Neuftadt & Jagerndorff
dans la haute Silésie . La gauche occupe Trautenau
& les poftes voisins .
Le Général Pruflien de Goltz a fon quartier à
Ottmachau fur la Neiff, & fes troupes forment un
cordon qui s'étend de là par Munſterberg , Franckenftin
, Reichembach & Freyberg jufqu'à Landshut.
Ce Général a pouffé dernierement quelques
Corps vers le Bober.
Les Princes Clément & Albert de Saxe font arrivés
depuis peu de jours en cette Ville. Ils doivent
partir dans quelques femaines pour la Pologne , où
ils féjourneront juſqu'au commencement de la
Campagne prochaine."
Le Feld Maréchal Comte de Daun a commencé
de paroître à la Cour , & l'on compte que dans
peu de jours il fera parfaitement guéri. L'Impératrice
Reine , fenfible aux malheurs que les habitans
de Drefde ont elfuyés l'année derniére , a ofdonné
une Collecte en leur faveur , & l'on a déjà
raffemblé une fomme confiderable.
Le départ du Prince Charles de Lorraine eft
encore différé , & l'on pense que ce Prince paffera
l'hyver ici , pour affilter aux conférences qu'on
doit tenir fur les opérations de la Campagne prochaine
.
On apprend de Warfovie que le Prince de
Jablonowski vient d'y fonder quatre prix confiftans
en autant de Médailles d'or . La premiére de
la valeur de quarante ducats , fera adjugée à celui
qui aura le mieux traité un fujet d'Hiſtoire ; la
feconde , de trente ducats , fera pour une pièce
de Physique ; ' la troisiéme de vingt , pour une >
FEVRIER. 1761 . 209
piéce de Méchanique ; & la quatrième , de dix ,
pour un Mémoire de Mathématiques d'ufage fenfible.
Le fujet d'hiftoire qu'on propole à traiter
pour l'année prochaine , a pour objet d'éclaircir
T'hiftoire de la Pologne ; principalement depuis
Sigifmond I. Les autres fujets font au choix des
afpirans au Prix.
De DRESDE , le 6 Janvier.
Les Autrichiens ont dépofté les Pruffiens de
Reichenbach.
Voici la difpofition des Quartiers de l'armée
Pruffienne.
Le Général Hulfen occupe les poftes de Freyberg
& les environs.
Le Général Linden eft à Chemnitz , dont les environs
font occupés par divers Régimens . Lés autres
poftes font à Naumbourg , Altenbourg , Zeitz-
Zwickau , Meiffen , Torgau , Dobeln , Mitweyda-
Waldheim . Pluheurs Régimens font à Léipfick ,
dont les environs font bien gardés.
Le reste de l'armée eft reparti à Merfebourg ,
Weiffenfels & dans les environs à Rochlitz ,
Gethayn , Pégau , Borna , Lobftadt , Rotha ,
Glaucha , & près de Langenfaltza.
On apprend auffi les détails fuivans concernant
la diftribution des Soldats Pruffens bleffés à la
derniére action. Six mille cinq cens de ces bleſſes
furent transportés à Torgau , trois mille cinq cens
à Léipfick , deux mille huit cens à Eulenbourg ,
douze cens à Wittemberg , fept cens à Domitsch ,
& deux mille quatre cens en différens autres lieux
voifins. Le total eft de dix fept mille cent.
De LEIPSIC , le 3 Janvier.
Sa Majefté Pruffienne continue fon féjour dans
cette ville . Ce Prince monté tous les jours à cheval,
206 MERCURE DE FRANCE.
& va prendre l'air à la campagne , ou vifiter les
poftes voifins. Il donne de tems en tems quelques
heures à s'entretenir avec les Profeffeurs de Gellert
& Winckler.
Les Princes de Pruffe font arrivés ici le 17 du
mois dernier .
Les Contributions exceffives , impofées par les
Pruffiens , jettent la confternation dans tout l'Electorat.
Toutes les Villes dont ils font en poffeffion ,
font taxées à des fommes exorbitantes.
De HAMBOURG , le 8 Janvier.
On écrit de l'armée Hanovrienne que les fubfiftances
n'y arrivent qu'avec une grande difficulté.
Le débordement du Veler & fa rapidité ne
permettent pas de faire remonter aucun bateau.
Ce fleuve a derniérement entraîné un magazin
que les Hanovriens avoient formé près de Beverrungen
, & dans lequel ils avoient trois cens mille
rations de fourage & une grande quantité de
grains. Il régne parmi les Chevaux Anglois une
mortalité confidérable .
Les Lettres du Mecklembourg nous apprennent
que le Prince Eugene de Wirtemberg a toujours
fon Quartier Général à Rostock , d'où il envoye
des Détachemens pour exiger les contributions
impolées par la Pruffe fur certe Principauté .
On affure que le Général Werner fe joindra
bientôt au Prince Eugene de Wirtemberg , &
´qu'ils marcheront fur Damgarten , où les Suédois
fe font retranchés. Ces derniers font fort tranquilles
dans leurs cantonnemens. Le Baron de
Lantingshaufen a toujours fon quartier général à
Gripfwald.
Les Magiftrats & la Nobleffe du Cercle de
Stolpe ayant repréſenté au Feld- Maréchal Comte
de Butturlin la difette extrême à laquelle ce pays
FEVRIER. 176 1. 207
étoit réduit , ce Général a donné ordre au Comte
de Tottleben de l'abandonner & de prendre des
quartiers dans la Pologne.
Quelques Lettres de Petersbourg annonçoient
que le fieur Keith , Miniftre d'Angleterre auprès
de cette Cour , étoit parvenu à lui faire changer de
fyftême relativement à la guerre préfente. Mais
les lettres poftérieures apprennent que la Cour
de Ruffie continue fermement dans la réſolution
de ne le point départir de fon alliance avec celles
de Versailles & de Vienne . On ajoute que le, Ba
ron de Stroganof , qui doit inceffamment partig
pour Vienne , eft chargé de donner à l'Impéra
trice Reine de nouvelles affurances de cette réfolution
.
Suivant les derniéres nouvelles du Mecklembourg
, le Prince Eugene de Virtemberg s'eft mis
en marche fur Damgarten. Il y eut le 3 de ce
mois , près de Triblées , une vive Efcarmouche
entre un Corps Suédois & un Corps Pruffien ;
mais la perte fut à-peu - près égale de part &
d'autre.
De RATISBONNE le 8 Janvier.
ว
Suivant les nouvelles de la Saxe, le Corps aux
ordres du Général de Saldern a fait quelques,
mouvemens , & un de fes détachemens s'eft porté
de nouveau jufqu'à Géra. On apprend de Gotha
qu'un détachement François , aux ordres du Comte
d'Orbe , a furpris le 3 de ce mois , près de Langenfaltza
, un pofte avancé des Pruffiens , fur lef
quels il a fait une trentaine de Prifonniers.
De LONDRES le 13 Janvier.
,
On parle d'une promotion nombreuſe de Pairs
de la Grande - Bretagne . Suivant le bruit public ,
La Princeffe Augufte , Soeur aînée de Sa Majesté
208 MERCURE DE FRANCE.
fera élevée à cette dignité. Le fieur Onflow , Orateur
de la Chambre des Communes , fera , dit-on,
récompenſé de ſes fervices par la dignité de Pair ,
qui fera auffi accordée au fieur Spencer.
Le Comte de Fuentes , Ambaladeur- Extraordinaire
de Sa Majefté Catholique , eut hier fa premiére
Audience particuliere du Roi , auquel il préfenta
fes nouvelles Lettres de Créance.
Les Lettres venues d'Allemagne portent que
nos troupes font fort mécontentes de cette derniere
Campagne. Il régne une méfintelligence
entre les Anglois & les Allemands qui va juſqu'à
l'animofité. Les premiers fe plaignent de ce que
le Prince Ferdinand , par ménagement pour les
Allemands , a toujours fait choix des Troupes
Britanniques pour les expofer aux plus grands
dangers , ce qui les a confidérablement diminuées ;
ils fe plaignent anffi de la cherté exceffive des vi
vres & des fourages qu'ils ont payés le double de
leur valeur . On répond de la part du Prince Fer- .
dinand , que la méfintelligence entre les Allemands
& les Anglois , n'eft occafionnée que par
l'orgueil des premiers , qui enflés de leurs : ichelles,
méprifent toutes les autres nations ; que s'il a placé
les troupes Britanniques dans les endroits les plus
dangereux , c'eft une preuve de fon eftime pour
elles , & une diftinction que leurs Chefs ont recherchée
; enfin que fi les Anglois payent tout au
donble , cela vient de ce qu'ils mettent l'enchere.
dans tous les marchés. On dit que ces réponses
ayant été examinées dans un des derniers Confeils ,
le Roi & fes Miniftres en ont été fatisfaits.
FEVRIER. 1761 : 200
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée ,
de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 22 Janvier 1761 .
L.E.12 de ce mois , l'Evêque de Condom prêta
ferment entre les mains du Roi.
Le 13 , Sa Majesté tint le Sceau .
Le même jour , le Comte de Geloes , Chambellan
du Cardinal de Baviere , Evêque , Prince
de Liége , eut une Audience particuliere du Roi ,
dans laquelle il a préſenté à Sa Majefté fes Lettres
de Créance , par lesquelles le Prince fon Maître ,
l'acrédite auprès du Roi en qualité de Miniftre
Plénipotentiaire. Le Comte de Géloes fut conduit
à cette Audience , ainfi qu'à celles de la Reine ,
de Monfeigneur le Dauphin , de Madame la Dauphine
, de Monfeigneur le Duc de Berry , de Monfeigneur
le Comte de Provence , de Monfeigneur
le Comte d'Artois , de Madame , de Madame Adelaïde
& de Mesdames Victoire , Sophie & Louiſe ,
par le fieur Dufort , Introducteur des Ambaffadeurs.
Sa Majefté a donné le Brevet de Confeiller d'Etat
, au fieur de la Sône , premier Médecin de la
Reine.
Le Roi a donné le Brevet de Confeiller d'Etat ,
au fieur Poiffonnier , Médecin de la Faculté de Paris
, & l'un de fes Médecins Confultans , qui eft
arrivé ici depuis quelques femaines , après avoir
paffé dix- huit mois auprès de l'Impératrice de
Ruffie.
210 MERCURE DE FRANCE.
L'Evêque de Rennes s'étant démis de fon Evêché,
Sa Majefté y a nommê l'Abbé Defnos , Grand-
Vicaire de faint Brieux .
Le Roi a nommé l'Evêque d'Autun , à la place
de Confeiller d'Etat , vacante par la mort de l'Abbé
de Saint Cyr ; & l'Abbé Bertin , Préfi lent au Parlement
de Bordeaux , à la place vacante par la mort
de l'Abbé de Salaberry.
Le fieur Hocquart , Capitaine de Vaiffeau , ayant
demandé la permiffion de fe retirer du fervice , à
caufe du dérangement de fa fanté ; Sa Majesté la
lui a accordée avec le grade de Chef d'Eſcadre ,
& une Penfion de trois mille livres , dont mille
livres fur l'Ordre de Saint Louis.
De CASSEL le 15 Janvier.
9
Le Maréchal de Broglie ayant réfolu de faire
attaquer les quartiers de Duderftatt & de Statt-
Worbes , occupés par les ennemis dans le Pays
d'Eichfeld , chargea de cette opération le Comte
de Broglie , Lieutenant-Général , qui fe rendit le
31 Décembre à Allendorff fur la Verra . Les détachemens
employés à cette expédition , aux ordres
du Comte de Lameth , du Marquis de Loftanges ,
du Vicomte de Belfunce , & des Comtes du Châtelet
& de Durfort , devoient fe rendre par différens
chemins le 2 de ce mois au point du jour aux
lieux qui leur avoient été indiqués ; mais le mauvais
temps ayant empêché quelques - unes des Colonnes
d'arriver avant 9 & 10 heures du matin ,
les ennemis eurent la liberté de fe retirer de Duderſtatt
& d'aller joindre dans une très - bonne pofition
près de cette Ville , les troupes qui s'y étoient
raffemblées des quartiers voifins . On a trouvé dans
la Ville environ deux cens hommes qui en gardoient
les portes,& qui n'ont fait aucune réfiftance .
On prit poffeffion de la Ville , & lorſqu'on fit
FEVRIER. 1761. 2.1 I
déboucher la Cavalerie pour le porter fur le flanc
des ennemis , ils fe retirerent par le chemin de
Northaufen ; mais ils ne tarderent pas à revenir
& à reprendre leurs poftes, où ils furent fucceffivement
renforcés .
Il ne fe paffa rien durant la nuit. Le 3 au matin
, le Comte de Broglie voyant les ennemis dans
la même pofition , donna des ordres pour la retraite.
Avant dix heures les troupes fe mirent en
mouvement pour fortir de la Ville . On y laiffa fix
cens hommes d'Infanterie aux ordres du fieur de
la Borde , Lieutenant - Colone!, pour en garder les
poftes jufqu'à l'entiere évacuation. Le Vicomte de
Belfunce & le Marquis du Châtelet furent chargés
de faire prendre aux troupes la pofition que leComte
de Broglie leur avoit indiquée pour la retraite.
Les troupes n'avoient pas encore entierement débouché
de la Ville , lorſque les ennemis arriverent
aux portes & les attaquérent à coups de canon.
Auffi-tôt que
les dernieres divifions furent prêtes
à fortir , le fieur de la Borde replia les Gardes des
portes qui le rejoignirent dans le meilleur ordre, à
l'exception de trois Compagnies de Grenadiers de
France qui furent féparées de lui , l'Officier qui
leur portoit l'ordre pour fe retirer , ayant été pris
par les ennemis. Nous avons eu quelques hommes
tués ou bleffés pendant la retraite ; mais quoique
les ennemis nous ayent fuivis pendant une lieue &
demie , ils n'ont pû nous entamer d'aucune part .
Nous avons fait dans cette occafion neuf Officiers
& deux cens Soldats prifonniers , au nombre
defquels font ceux que le Comte de Lameth a pris
à Statt Worbes , dont les ennemis s'étoient retirés
avec précipitation à ſon approche. Les fieurs de
la Borde , Lieutenant Colonel, & Glocker , Major
des Volontaires d'Auftrafie , ont été bleffés ; le
Marquis de Nicolay a reçu une forte contufion ,
212 MERCURE DE FRANCE.
& le fieur de Saint - Marceau , Capitaine des Volontaires
du Hainaut , a été tué.
La nuit du 7 au 8 de ce mois , le Comte de Vaux,
Commandant à Gottingen , ayant fait fortir de la
ville un détachement aux ordres du Vicome de
Belzunce , on a enlevé les gardes que les ennemis
avoient aux Villages de Boenfen & de Wolbrunshaufen
. Nous avons pris cinq Officiers & cent cinquante
Soldats. Il n'y a pas eu de notre côté un
feul homme tué ni blené.
Nous venons d'apprendre que le grand convoi
que l'on avoit fait partir pour le ravitaillement
de Gottingen , y ek entré hier fans avoir été inquiété
, & que les troupes qui avoient été chargées
de le couvrir , font rentrées dans leurs quar
tiers.
De PARIS , le 24 Janvier.
On mande de Bayonne que plufieurs armateurs
du même port & de Saint - Jean de Luz ,
ayant rencontré une Flotte Angloiſe de vingtquatre
navires , la plupart chargés de tabac , ils
en ont pris environ les deux tiers..
On mande de Breit , que deux vaiffeaux de ligne
& trois frégates font fortis de la Vilaine , le 6 de
' ce mois.
La Frégate du Roi , l'Opale , de trente- deux
canons , commandéé par le Marquis d'Ars , Enfeigne
de vailleau , ayant rencontré , vers le commencement
de ce mois , une Erégate Angloife de
trente- fix canons , l'avoit attaquée , & elle étoit
fur le point de s'en emparer , lorfque deux frégates
ennemies , averties le bruit du canon ,
vinrent fondre fur elle , & l'obligerent de fe
battre en retraite . Le Marquis d'Ars a été tué
dans cette occafion , & il eft fort regrette . Le
fieur Pineau , Enfeigne , Commandant en fecond
par
FEVRIER . 1761 . 2.13
cette fregare , l'a conduite heureufement dans la
riviere de Morlaix . Nous avons eu dans ce combat
trente-cinq hommes tués & vingt- neuf bleffés.
Le Marquis d'Ars croifoit depuis près de quatremois
fur les côtes d'Angleterre avec la frégate
la Brune dont il avoit été léparé vers la fin de Dé-,
cembre , & il avoit fait fept prifes fur les Anglois.
Il avoit auffi pris , depuis qu'il croifoit feul ,
une Frégate Angloife de vingt canons.
MARIAGE de M. le Prince DE GUE MENĖ
avec Mlle DE SOUBIZE , & Relation des
Fêtes données à cette occafion.
-
LE 13 Janvier dernier , Leurs Majeftés & la
Famille Royale fignerent le Contrat de Mariage
de HENRY-LOUIS-MARIE DE ROHANGUÉMENÉ
avec VICTOIRE ARMANDE
- JOSEPHE DE ROHAN-SOU BIZE.
Les fiançailles fe firent enfuite dans le Cabinet
du Roi par l'Evêque d'Autun , premier Aumônier
de Sa Majefté , en préſence du Roi , de la Reine ,
de Mgr le Dauphin , de Madame la Dauphine ,
de Mesdames , des Princes & Princeffes du Sang ,
& avec le cérémonial qui eft d'ufage en pareille
circonftance. La Cour fut aufli nombreuſe que
magnifique.
La célébration du mariage s'eft faite le 15 du,
même mois , dans la Chapelle de l'Hôtel de Soubize
, par le Prince Louis de Rohan , Coadjuteur
de Strasbourg, le Curé de S. Jean en Grève préfent
& difant la Meffe. Les parens & les ami
particuliers avoient été invités à cette cérémonie.t
On fe raffembla le même jour à 6 heures du
foir dans les appartemens de M. le Maréchal-
Prince de Soubize Pere de la Mariée , pour y entendre
un grand concert. Les Dlles Fel , Arnould &
214 MERGURE DE FRANCE.
be Mierre y réciterent , ainfi que les fieurs Geli ote,
la Garde & l'Arivée . Chacun d'eux y mérita leş
applaudiffemens dont cette brillante Affemblée les
honora tous. On ouvrit le Concert par un Epithalame
de la compofition du fieur Delagarde qui fut
applaudi avec diftin&tion & redemandé à la fin du
concert. L'Auteur a joui du plaifir d'obéir à un
ordre auffi flatteur.
Les appartemens de l'Hôtel de Soubize , qui
font très-vaftes & richement décorés , étoient ornés
& éclairés avec autant de goût que de magnificence.
On paffa à 9 heures dans une Salle préparée
pour le feftin , où étoit dreflée une table de 60
couverts.
Le Repas fut fomptueux & délicat . Tous les fervices
en étoient ordonnés avec une élégance qui
donnoit de l'éclat à la profufion des mêts. Au milieu
d'un Dormant de 44 pieds de long fur 6 pieds
de large , étoit repréfenté le Temple de l'Hymen
avec deux Périftiles . D'un côté de ce Dormant on
voyoit la figure de Mars avectous fes attributs ; de
l'autre, celle de Mercure avec les arts. Le filet étoit
terminé à l'une des extrémités par une Fête Paltorale
, & à l'autre par la repréſentation d'un Bal
maſqué. Le Dormant fut ac compagné , au fruir ,
de tout ce qui peut rendre un déffert magnifique
& brillant.
La Cour de cet Hôtel , dont on connoît la belle
architecture , étoit illuminée en totalité , relativement
à l'ordre de fa décoration . Tous les entrecolonnes
étoient garnis dans les bafes de pots à
feu , & aux parties fupérieures , étoient fufpendus
des luftres de petites lanternes. Des guirlandes de
même forte accompagnoient ces luftres , & venant
ſe joindre aux colounes , lioient le tout enſemble.
La façade étoit illuminée dans le même ordre , &
FEVRIER. 1761. 215
toutes les balustrades portoient des guirlandes de
même efpéce que les luftres , ce qui couronnoit ,
avec nobleffe & légéreté en même temps , cette
lumineuse décoration . L'effet en a paru nouveau
& très- agréable au Public. A l'occafion de ce Mariage
, M. le Maréchal Prince de Soubize , donna ,
le 21 du même mois , dans cet Hôtel un grand
Bal paré , où furent invités tous les Seigneurs &
Dames de la Cour , ainfi que tous les Ambaſſadeurs
, Miniftres des Cours , & tous les Seigneurs
étrangers qui fe trouvérent alors à Paris.
Les appartemens furent ornés & éclairés convenablement
au genre de cette Fête . La cour & façade
de l'Hôtel , furent illuminés comme la nuit
du Mariage.
Le Bal commença à onze heures & demi. On
n'avoit pas vû en France , depuis long-tems , une
Affemblée auffi nombreuſe , être , en général , auffi
richement & auffi galament parée. Il n'y avoit
point de Dames dont l'ajustement n'eût fait l'objet
particulier du fpectacle le plus agréable & le plus
magnifique. Les Seigneurs avoient repris , dans
cette Fête , les écharpes & les noeuds d'épaules ;
circonftance remarquable , en ce qu'elle fera , peutêtre
, époque du renouvellement de cet ancien
ufage .
Malgré le concours prodigieux de ceux qui affiftérent
à cette Fête , un ordre fi exact & fi bien
entendu fut obfervé , qu'il n'y eut aucune confufion
, ni aucun tumulte.
MORTS.
Le fieur Abbé Sallier , Garde de la Bibliothéque
du Roi , l'un des Quarante de l'Académie Françoife
, Membre de celle des Infcriptions & Belles-
Lettres , Profeffeur en Langue Hébraïque au Col216
MERCURE DE FRANCE.
lége Royal , de la Société Royale de Londres &
de l'Académie de Berlin , mourut en cette Ville ,
le 9 de Janvier , dans la foixante & quinziéme année
de fon âge.
Meffire Claude- Odel Giry de Saint- Cyr , Confeiller
d'Etat,Abbé de l'Abbaye Royale de Troarn,
Ordre de S. Benoît , Diocèfe de Bayeux , l'un des
Quar ante de l'Académie Françoile , ci - devant
Sous - Précepteur de Mgr le Dauphin , & Aumônier
ordinaire de Madame la Dauphine, eft mort
à Versailles , le 13 , âgé de foixante -fept ans.
Meffire Alexandre- Henri de Muffet de Bonaventure
, Brigadier des Armées du Roi , ci- devant
Lieutenant pour Sa Majesté au Gouvernement de
la Rochelle , eft mort en fon Château de Bonaventure
, dans le Vendômhois , âgé de foixante - dix
feptans. Cet Officier avoit fervi pendant cinquante
& un an dans le Régiment de Chartres , Infanterie
, & avec diſtinction.
Meffire Louis- Charles- Vincent de Salaberry ;
Confeiller d'Etat & honoraire en la Grand-Chambre
du Parlement , Abbé Commendataire des Abbayes
Royales de Coulomb , Ordre de S. Benoît,
Diocèle de Chartres , & de Ste Croix , même Ordré
, Diocèle de Bordeaux , mourut en cette Ville
, le 20 de ce mois , dans la foixante -uniéme
année de fon âge.
Suivant les Regiftres publics des Eglifes Paroiffiales
de cette Ville , il y eft mort , pendant le cours
de l'année derniere , dix- huit mille cinq cens trente
& une perfonnes ; il s'y eft fait trois mille fept cens
quatre- vingt-fept mariages ; il y a eu dix- fept mille
neufcens quatre -vingt- onze Baptêmes ; & le nombre
des enfans- trouvés a monté à cinq mille tre. te
& un .
Evénemens
FEVRIER . 1761. 217
EVENEMENS SINGULIERS .
On écrit de Briſtol , du 29 Novembre , que la
femaine précédente , une jeune femme habillée
en homme , avoit éffayé de fe pendre à Norwood
; mais qu'elle en avoit été empêchée par
quelques perfonnes qui l'avoient apperçue . Elle
fut tranfportée à Bath , où on lui donna les fecours
dont elle avoit befoin ; & de là on l'a remife
entre les mains de fes amis. On a trouvé
un papier attaché à un arbre , près du lieu qu'elle
avoit choisi pour fon funefte deffein ; & fur ce papier
, étoient écrits des vers dont voici le fens :
» Jeunes Amans qui paffez par ce lieu , jettez
» un oeil de pitié fur une femme infortunée , dont
» l'amour avoit égaré la raifon . Quoique déguiféo
» fous les vêtemens d'un homme , elle chériffoit
>> l'honneur & la vertu.Quand vous m'aurez trou-
» vée , je ne vous demande qu'une biére & un
>> tombeau. Si l'on ouvre mon fein après ma mort ,
>> vous y verrez un coeur déchiré par ſes maux.
On a reconnu depuis, que cette prétendue femme
n'étoit qu'un jeune libertin & un impoftear
qui , quoique vêtu des habits de fon ſexe , avoit
réuffi à fe faire paffer pour femme , parce qu'il
joignoit à une voix grêle , un vifage efféminé. II
avoit fçu , par ce ftratagême , intéreſſer toutes les
femmes en fa faveur. Čet Avanturier a été mis
dans une maifon de correction .
La femme de Jofeph Reynolds , habitant de
Durham , a accouché heureufenient d'un enfant
qui a fix doigts aux mains & autant aux pieds ;
c'eft le quatrième enfant ainfi conformé qu'elle
a mis au monde .
Un Tanneur, nommé Norway, de Baruftaple .
dans le Devonshire , qui avoit épouſé l'été der-
K
218 MERCURE DE FRANCE.
me ,
nier une jeune & jolie femme , & que le dérangement
de les affaires avoit jetté dans le défefpoir
, prit la réfolution , de concert avec ſa femde
mettre fin à leurs maux par une mort
violente. Ils fortirent l'un & l'autre , à une heure
du matin , pour exécuter ce funefte deffein . Le
mari fe mit dans une barque de Pêcheur , & on
ne fçait pas ce qu'il eft devenu : fa femme a été
trouvée fur les bords de la Tamife , le vifage enterré
dans le fable , où elle a été étouffée.
On a reçu du Fort- George , le 4 Octobre , de
nouvelles particularités fur la prife du Fort Loudon.
Après la capitulation de ce Fort , la Garniſon
fe mit en marche avec les armes & fes munitions
de guerre ; elle arriva le même jour à feize mille
de là & campa pendant la nuit . Le lendemain
au matin , comme les Anglols le préparoient à
continuer leur marche , ils fe virent environnés de
700 Indiens qui les arrêterent par un feu très-vif
de Moufqueterie & une grêle de fléches qui les mit
en défordre. L'impoffibilité de le défendre les contraignit
à fe livrer à la merci de ces Sauvages .
Tous les Officiers , excepté le Capitaine Stuart
environ quarante Soldats & trois femmes furent
maffacrés ; quelques autres furent bleflés . Les Indiens
alors enleverent aux Anglois leur chevelure
& leur en battoient le vifage pendant la route. Ils
emmenerent leurs prifonniers dans leurs habitations
, & là ils les maltraitérent , & les outragérent
de la manière la plus inhumaine , & les forcérent
à danfer . On mande un trait particulier de
barbarie de la part de ces Sauvages qui afflige
l'humanité.. Ils firent fouffrir à un pauvre Soldat,
des tourmens inconcevables , qu'ils prolongérent
jufqu'à la mort de ce malheureux . Ils le coupérent
enfuite par morceaux , attachérent fa tête
& fa main droite à un poteau , pour fervir de
FEVRIER. 1761 . 219
fpectacle à fes Compagnons , & brulérent le reſte
de fon corps. Tandis qu'on faifoit cette cruelle
exécution , ils frappoient à grands coups de baguettes
, les prifonniers ſpectateurs de cette horrible
fcène.
On écrit de Corfe qu'un jeune homme , après
avoir débauché une fille d'une naiffance inférieure
à la fienne , confentit à réparer fon déshonneur en
l'époufant. Tandis que la Cérémonie fe faifoit à
l'Eglife ; quelques parens de la fille , qui préfé
roient apparemment la vengeance à la réparation,
percérent le jeune homme de plufieurs coups de
poignard ; ce qui caufa une émeute dans laquelle
trois autres perfonnes ont aulli perdu la vie."
要
AVIS DIVERS.
Dame Marie-Antoinette de Caulincour , ci-devant
veuve de Meffire Grimod du Fort , l'un des
quarante Fermiers Généraux de Sa Majeſté , & Intendant
Général des Poftes & Relais de France ,
époufe de Meffire Jean - Jacques Le Franc , Marquis
de Pompignan , Seigneur de Caix & du Thouron
, Chevalier , Confeiller du Roi en tous fes
Confeils , Ancien premier Préſident de la Cour des
Aides de Montauban , Confeiller d'honneur au
Parlement de Touloufe , & Membre de l'Académie
Françoife , accoucha , le 8 Décembre 1760 ,
d'un fils qui fut baptilé le 17 du même mois dans
l'Eglife de S. Sulpice fa Paroiffe , & a été nommé
Jean-George- Louis-Marie , au nom de l'Evêque du
Pay , frere de M. de Pompignan , & par Dame
Louiſe de Clairac Marquife de Gramont , veuve de
Meffire George de Caulet , Marquis de Gramont ,
Lieutenant des Gardes du Corps , Lieutenant- Général
des Armées du Roi, & Gouverneur des Villes
& Citadelles de Mézieres & de Charleville , oncle
maternel de M. de Pompignan. Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
On ne rapportera ici , de la nobleffe & de l'ancienneté
de la famille de le Franc, que ce qui en eft
attefté par des dépots publics & les regiftres des
Cours , & par des Auteurs que tout le monde eft
à portée de confulter.
Cette famille a rempli depuis cent vingt ans les
premieres Charges de la Cour des Aydes de Montauban.
Geraud le Franc fut fait Préfident de cette Compagnie
en 1642 , & de fon mariage avec Dante
Helene de Courtois de Caix , iffue d'une ancienne
famille noble de Quercy , & qui lui apporta en
dot la Tetre & Seigneurie de Caix , il eut Jacques
le Franc , Préfident de la Cour des Aydes de
Montauban , mort fans postérité ; Etienne le Franc,
Docteur en Théologie de la Faculté de Paris , Abbé
de S. Paul de Narbonne , auffi Préſident de la
Cour des Aides de Montauban , & Jean le Franc >
Seigneur de Caix & du Thouron , Préfident de la
même Compagnie comme l'avoient été ſes deux
freres ; lequel de fon mariage avec Dame- Marie
de la Cofte , eut Jacques , qui fuit , & Louis , dont
on parlera après, fon frere .
Jacques le Franc , Chevalier , premier Préfident
de la Cour des Aydes de Montauban , Seigneur
de Pompignan en Languedoc , Diocèle de Tou--
loufe , de Lile , de Caix , & du Thouron , en
Quercy , Diocèle de Caors , époufa Dame Marie
de Caulet , fille de Georges de Caulet , Préfident
du Parlement de Toulouſe , & d'Anne de Noël
de S. Simon , & eut de ce mariage :
1º. Jean - Jacques qui fuit. 20. Guillaume le
Franc de Lile , Meftre de Camp de Cavalerie , &
Lieutenant- Colonel au Régiment des Carabiniers.
3. Jean- Georges le Franc , nommé Evêque du
Puy, le 17 Décembre 1742 , facré le 11 Août de
l'année fuivante , Abbé de S. Chaffre. 4 ° . Louis le
FEVRIER 1761. 211-
Franc de S. Clair , Capitaine au Regiment d'Infanterie
de Mgr. le Dauphin. so . Jean- Baptifte le
Franc de Caix , Capitaine au Régiment d'Infanterie
de Lemps , ci- devant Brillac. 6 ° . Jeanne - Jofephe
mariée avec Meffire d'Afferat , Confeiller
au Parlement de Toulouſe. 79. Marie - Therefe
mariée avec Meffire Antoine de Ramondy , Con-.
feiller à la Cour des Aydes de Montauban.
Louis le Franc , Prêtre Docteur en Théologie
, de la Faculté de Paris , Président de la Cour
des Aides de Montauban , obtint à la mort de fon
frere la place de premier Préfident de cette Compagnie
, & eut pour fucceffeur fon neveu .
Jean-Jacques Le Franc , Chevalier , Marquis
de Pompignan Seigneur de Caix & du Thouron né
le 10 Août 1709 , & qui s'eft démis de cette place
après l'avoir remplie pendant onze ans. Le Roi lui
en a confervé le titre & les honneurs , & il eſt en
même temps Confeiller d'honneur au Parlement
de Toulouſe. Il époufa , le 19 Novembre 1787 ,
dans l'Eglife Paroiffialle de Pompignan , Dame
Marie-Antoinette de Caulincour , fiile de Louis Armand
, Marquis dé Caulincour & de Gabrielle- Pélagie
de Bouelles . Il a eu de ce mariage un fils né
le 11 Juillet 1758 , baptifé le même jour dans l'Eglife
de S. Sulpice, & mort le lendemain de fa naif-
Lance , & Jean-George- Louis -Marie , qui a don
né lieu au préfent article .
La famille de le Franc , diftinguée, comme on
le voit , par cette longue poffeffion de Charges
confidérables , eft d'ailleurs d'une Nobleffe ancienne
& militaire. Voici ce qu'en difoit, il y a déja
près d'un fiècle, un Généalogifte connu
Ecrits font dans toutes les Bibliothèques .
dont les
» Franc en Quercy , au Cavalier armé , d'ar-
» gent , tenant en main une épée nue . Simon le
Franc , Chambellan du Roi Charles VIII , Ca-
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
» pitaine de cent hommes d'armes ; François du
» Franc dont le Maréchal de Montluc parle avec
> tant d'éloge ; Meffires Geraud & Guillaume le
>> Franc , l'un Préfident & l'autre Avocat- Général
» en la Cour des Aides de Montauban , font for-
>> tis de cette famille. » Science héroïque de Wulfon
de la Colombiere . Paris , Cramoifi , Edition de
1669. Page 412.
On vient de voir que Geraud le Franc eft le
Trifayeul de Jean- George- Louis - Marie , né le 8 .
Décembre 1760.
M. de Pompignan appartient de fon Chef à des
Maifons illuftres. Son époufe eft , par ſa Grand-
Mère , arrière Petite-fille de Maximilien de Rolny,
Duc de Sully , Pair de France , Grand Maître de
l'Artillerie , & Sur - Intendant des Finances. La
Maifon de Caulincour , une des plus anciennes de
la Province de Picardie , & depuis long - temps alliée
aux Maiſons de Sully , de Mailly , de Crequi
, d'Ailly , &c. eft divifée en deux branches ,
dont la premiere confifte en deux frères & trois
fours ; fçavoir , Armand , Marquis de Caulincour,
Brigadier des Armées du Roi ; N
de Caulincour , Meftre de Cavalerie , Exempt des
Gardes - du - Corps ; la Marquiſe de Brantes ; la
Comteffe d'Aumale , & la Marquise de Pompignan
. La feconde branche eſt établie en Normandie.
DECLARATION de la Famille de Budé , au fujet
d'un avis que le fieur Broé , Marchand en Pharmacie
, à Genève , a fait inférer dans le Mercure
d'Octobre 1760 , premier Volume.
Le feur Broé , Marchand en Pharmacie , à Genève,
a abuſé le Public lorſqu'il a fait mettre dans
le Mercure de France qu'il poffédoit depuis peu
FEVRIER. 1761. 223
le fecret de la teinture de corail , qui eſt dans la
Maiſon de Budé , & qu'on en trouvera chez lui
pour deux écus de Genève l'once . La Maiſon de
Budé , dont te fieur Broé ofe s'attribuer le fecret
& à la place de laquelle l'Imprimeur du Mercure
a mis par mégarde la Maifon de Bade , fe croit
obligé d'avertir ici que ledit Marchand en Pharmacie
n'eſt connu d'aucun de la Famille , & qu'il
prend mal-à-propos fon nom pour s'autorifer à
tromper le Public , & à lui vendre un reméde fautif
à un prix exceffif. Cette entrepriſe eſt d'autant
plus déplacée, que la Famille de Budé s'est toujours
fait un plaifir de donner de ladite teinture de corail
à toutes les perfonnes qui ont été dans le cas
de s'en fervir , & qui ont jugé à propos de lui en
demander.
AVERTISSEMENT de la part de M. DE
,
VOLTAIRE.
Ayant vu dans plufieurs Journaux l'Ode & les
Lettres de M. le Brun , Secrétaire de S. A. S. Mgr
le Prince de Conti , avec mes réponſes, annoncées
fous le titre de Genêve ; je fuis obligé d'avertir que
Duchefne les a imprimées à Paris;que je ne publie
point mes lettres , encore moins celles des autres
& qu'aucun des petits ouvrages qu'on débite à
Paris fous le nom de Genêve , n'eſt connu dans
cette ville.
C'eſt d'ailleurs outrager la France , que de faire
accroire qu'on a été obligé d'imprimer en pays
étranger l'Ode de M. le Brun , laquelle fait honneur
à la patrie ,par les fentimens admirables dont
elle eft pleine , & par le fujet qu'elle traite. Les
lettres dont M. le Brun m'a honoré , font encore
un monument très- précieux ; c'eſt lui , & M. Titon
du Tillet , fi connu par fon zèle patriotique , qui
224 MERCURE DE FRANCE .
.
feuls ont pris foin dans Paris de l'héritiere du nom
du grand Corneille , & qui m'ont procuré l'honneur
inestimable , d'avoir chez moi la defcendante
du premier Français qui ait fait refpecter notre
patrie des Etrangers dans le premier des Arts,
C'est donc à Paris & non à Geneve , ni ailleurs ,
qu'on a du imprimer , & qu'on a imprimé en
effet ce qui regarde ce grand homme . Les petits
billets que j'ai pu écrire fur cette affaire , ne contiennent
que des détails obfcurs , qui affurément
ne méritent pas de voir le jour.
ni
Je dois avertir encore , que je ne demeure ,
n'ai jamais demeuré à Genêve , où plufieurs perfonnes
mal informées m'écrivent ; que fi j'ai une
maiſon de campagne dans le territoire de cette
ville > ce n'eft que pour être à portée des ſecours
dans une vieilleffe infirme ; que je vis dans des
Terres en France , honoré des bienfaits du Roi &
des priviléges finguliers qu'il a daigné accorder
à ces terres ; qu'en y méprifant du plus fouverain
mépris les infolens calomniateurs de la littérature,
& de la Philofophie , je n'y fuis occupé que de mon
zèle & de ma reconnoiffance pour mon Roi,de ce
qui intéreffe mes amis , & des foins de l'agricul
ture.
Je dois ajouter,qu'il m'eft revenu que plufieurs
perfonnes fe plaignaient de ne recevoir point de
réponſes de moi , j'avertis que je ne reçois aucune
lettre cachetée de cachets inconnus , & qu'elles
reftent toutes à la poſte. Fait au Château de Ferpay
, pays de Gex , Province de Bourgogne , le
12 Janvier 1761. Signé , VOLTAIRE,
FEVRIER. 1761. 225
,
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , du 23 Août 1760,
qui maintient le Sr Fels , premier Médecin & Bourgmestre
de la ville de Scheleftat en Alface , dans la poffeffion de
compofer & d'adminiftrer par lui - même ou par fes Prépo
fés fon SPECIFIQUE ou REMEDE ANTI - VENERIEN tant
à Paris que dans les Provinces , & fait défenſes à tous autres
d'adminiftrer , fous quelque prétexte ou dénomination
que ce puiffe être , ledit Reméde à aucun Malade , à peine
de trois mille livres d'amende. Ce Reméde eft un apozème
où il n'entre aucun mêlange de Mercure , & qui
guérit radicalement en vingt - quatre jours , fans douleur ,
fanseffort , & fans autres fymptômes que ceux d'un réta
tabliffement graduel & fenfible , les maladies vénériennes
les plus invétérées . Il eft auffi fûr & auffi efficace que l'étoit
parmi les Egyptiens le Spécifique avec lequel ils parvinrent
à guérir les Lépreux . Ses effets ont été conftatés
par des cures merveilleufes auxquelles M. le premier Médecin
du Roi & les autres Chefs de l'art ont reçu ordre de
préfider , & qui ont excité leur admiration. On verra par
la Lettre fuivante , dans laquelle M. Pineau de Lucée ,
Intendant en Alface , notifie les ordres du Roi à M. Fels ,
( que fes affaires domeftiques avoient rappellé dans fa patrie
) combien le Ministère toujours attentif à l'utilité publique
, a fenti l'importance de fa découverte , combien il
a jugé fon retour neceffaire en cette capitale . ,, A Straf
bourg, le 16 Octobre 1760. Suivant ce que me mande
,, M. le Maréchal de Belle - ifle , Monfieur , les fuccès qu'a
,, eu votre Reméde contre les maladies vénériénnes, font
defirer que vous foyez inceffamment à portée de conti-
,, nuer les opérations que vous avez déjà commencées ; &
,, l'intention du Roi eft que vous retourniez au plutôt à Paris
. Je vous en préviens , afin que vous puiffiez fatisfaire
promptement aux ordres de S M. Vous ne devez d'ailleurs
,, avoir aucune inquiétude , que ce qui vous doit revenirle
gitimement de votre place de Bourgmestre ne vous ſoit
,, confervé , d'après les ordres que j'ai donnés au Magif-
,, trat de Scbeleftat dans le commencement de votre premiere
abfence . S'il en étoit autrement , fur l'avis que
vous m'en donnerez , j'y pourvoirai . Je fuis &c. Lucé.
En exécution de ces ordres , M. Fels s'eft rendu à Paris ,
pour y continuer l'ufage & Fapplication de fon Spécifi
que. Il demeure rue Quincampoix , dans la maifon de M.
""
"
""
Arnault.
226 MERCURE DE FRANCE.
SUPPLEMENT aux Annonces de Livres.
Le Recueil des Contes que l'on a lûs , avec plai
fir , dans les Mercures de M. Marmontel , va paroltre
inceffamment , augmenté de plufieurs Contes
nouveaux ; & dont l'édition eft faite avec foin.
Les perfonnes de Province , qui fouhaiteront les
avoir , pourront s'adreffer à M. Lutton , Commis
au recouvrement du Mercure.
APPROBATION.
ȚAT lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier , ΑΙ
le Mercure de Février 1761 , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Pa
ris , ce 31 janvier 1761.GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
EPÎTRE à uu Ami , fur le voyage de Hollande .
Page f
IMPROMPTU de Madame M. N. à quelquesuns
de fes Amans .
MADRIGAL , à Mlle *** en lui envoyant le
Livre intitulé , Mes Loifus.
VERS à M. l'Abbé l'Evêque , au fujet de ſa
Lettre fur les rimes croifées &c .
SUITE de la Tragédie de Tancréde & Sigifmonde.
VERS préſentés le 28 Octobre dernier , à
Mgr le Prince de Montauban .
LE ROSSIGNOL , Fable.
EPIGRAMME .
14
Is
ibid.
17
St
52
FEVRIER. 1761. 227
IMPROMPTU de Mlle....
L'HOMM le Chien , le Chat , & la Pie , Fa-
"
ble nouvelle , par M. de Miny , fils.
RONDEAU , à Madame L. N. D. S.
A la même .
ibid.
53
54
TRADUCTION libre de deux Vers de Juvénal . 66
A M. TITON DU TILLET , pour le remercier
du don de la quatriéme Edition de
fon Parnaffe François.
REPONSE à la Lettre de M. Moniſeau ,
Avocat au Parlement & c.
REPONSE aux confeils d'un Ami.
COMPLIMENT à deux Demoiſelles foeurs, au
jour de l'an 1761 .
ibid.
57
67
73
ibid.
74 & 78
77
VERS pour mettre au bas du Portrait de
Madame D *****
ENIGMES.
LOGOGRYPHES .
COUPLETS,nouvellement remis en Mufique. ibid.
ART. II. NOUVELLEES LITTÉRAIRES .
SUITE de l'Hiftoire de la Maiſon de STUART
fur le Trône d'Angleterre. 79
Queſtion de Goût. 91
SUR la découverte des Urnes Cinéraires de
100
100
Côte-côte près Dieppe .
ESSAI fur l'Infanterie Françoiſe .
NOUVELLE & magnifique Edition de Boccace
, en Italien & en François , féparément,
avec figures.
ANNONCES des Livres nouveaux .
106
110 & fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
MEDECINE.
LES avantages de l'Ichthyophagie ſur la
Sarcophagie &c.
124
228 MERCURE DE FRANCE
ACADÉMIE S.
ACADÉMIE des Belles- Lettres de Montauban . 143
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
GEOMETRIE.
LETTRE au K. P. Gerdil , Barnabite &c.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE.
A l'Auteur du Mercure de France.
149
152
4 169
HÔPITAL de M. le Maréchal Duc de Biron. 171
VERS envoyés de Marſeille à M. Keyler.
ARCHITECTURE.
173
COURS d'Architecture élémentaire . ibid.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
175
GRAVURE. 176
ART . V. SPECTACLES.
OPÉRA .
COMÉDIE Françoife .
COMÉDIE Italienne.
OPERA- COMIQUE.
ART. VI . Nouvelles Politiques.
MARIAGE de M. le Prince de Guémené avec
Mlle de Soubize.
Avis divers .
ibid.
179
201
203
ibid.
213
219
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY
rue & vis- à-vis la Comédie Françoiſe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU
MARS. 1761 .
ROI.
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine.
Cachin
Filius inv
Pupic Sculp
Chez
A PARIS ,
CCHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis à -vis la Comédie Françoife.
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
L
4.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure,rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre
, quant à la partie liuéraire , à
M. DE LA PLACE Auteur du
Mercure.
>
Le prix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols pièce .
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir,ou qui prendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30fols par volume .
c'est-à- dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
•
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci- deſſus .
A ij
Onfupplie les perfonnes des provinces
d'envoyerpar la pofte , en payant le droit,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en foit
fait d'avance au Bureau .
Les paquets qui neferont pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pièces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
DE LA PLACE , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE..
MAR S. 1761..
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE , A M. L. L. B.
Par M. Du L.-
PLUS fatisfait qu'un Courtiſan ,
Qui voit fon maître lui fourire ,
Ou qu'un apprentif partifan ,
Þ
Qu'au livre des Elus , Corinne a fait infcrire ;
Cher Abbé , je me préparois
A t'aller rendre mon hommage :
Toute ma joie , hélas! s'eft changée en regrets :
Le zéle le plus pur , ne rend pas toujours fage !
Avantageux comme un Gafcon ;
A iij
MERCURE DE FRANCE
Que rien n'étonne & ne rebute ,
Sur le courfier de l'Hélicon ,
Je grimpe ; & fans prévoir ma chûre
Je crois déjà voir fourire Apollon.
Mais en partant, au premier bond ,
L'indocile animal , m'ébranle & me culbutë.
Si de s'élever jufqu'à toi ,
L'entrepriſe eft fi difficile ;
Deſcends toi- même juſqu'à moi ;
Pégafe alors te devient inutile.
En t'arrachant au double mont
Par les plus riantes images,
Comme Chapelle & Bachaumont ,
Viens nous décrire tes voyages.
Ton pinceau nous peindra d'abord
Cet heureux pays où l'on dort ,
Qui renferme tant de merveilles ,
Tant de rares antiquités ,
Où nos Luliftes font traités
D'Amphions à longues oreilles....
Ont-ils raiſon , ou tort ?... je ne décide pas.
De chez l'Italien , ce peuple politique ,
Cher Abbé , tu nous conduiras
Chez le Germain plus phlégmatique :
Sans fard , fans fiel , tu nous diras
Si fa bonté , fi fa franchiſe
Ne valent pas , quoiqu'on en dife
La politeffe qu'un François
Le plus fouvent pouffe à l'excès,
MAR S. 1761 .
Tu nous peindras le caractère ,
La façon de dire & de faire
Des différentes Nations.
Tu nous apprendras fi la nôtre
Eft , fans nulles exceptions ,
Si fupérieure à toute autre.
Si l'Etranger croit comme nous ,
Qu'on ne peut être heureux qu'autant qu'on a
nos goûts.
S'il eft frappé de l'impoſant mérite
De ce même François , galoppant aujourd'hui
Dans un cabriolet , auflì léger que lui ;
Qui fçâchant tout , fans rien apprendre ,
Apprenant tout , fans rien ſçavoir ,
Gagneroit à fe faire entendre
Tout autant qu'à le faire voir ;
D'une caillette enfin , ayant tout le manége ;
A médire , à jouer , paffant les jours entiers ;
Qui feroit croire , volontiers ,
Que le Couvent fut fon Collége.
Mais que dit l'Etranger , de l'air présomptueux
De nos fiers héros de ruelle ?
Elt-il perfuadé comme eux ,
Qu'auprès de la beauté , même la plus cruelle ,
On eft toujours fûr du fuccès ,
Dès qu'on offre à fès yeux les grâces d'un François ?
Que penfe- t-il dé cet éffain frivole
De fubalternes Ecrivains ,
Dont la fertile plume aujourd'hui nous défole ,
A iv
8. MERCURE DE FRANCE
Tout auffi fots que plats , moins plats encor qué
vains?
S'ils fçavoient , comme toi , nous plaire & nous
inftruire,
On leur pardonneroit d'écrire....
Mais je m'apperçois , cher Abbé ,
Que moi- même je fuis tombé
Dans le défaut que je cenfure ,
En t'ennuyant d'une lecture
Que t'impofera l'amitié ,
Et trop longue au moins de moitié.
Dans le portrait du Petit- Maître ,
Fait d'après tant d'originaux ,
Des étrangers pourtant pourroient fe reconnoître
:
Ils ont , ainfi que nous , leurs vertus, leurs défauts.
Sans doute, ainfi que la fageffe ,
La folie eft de tout pays :
Il eft des Sots de toute efpéce ,
Peut être ailleurs plus qu'à Paris.
J'ai parcouru notre hémisphère ,
Bien des Peuples me font connus ;
Et parmi tous ceux que j'ai vus ,
Il n'en eft point que je préfère
A ce peuple charmant , qui malgré fa bonté ,
Eft partout haï , déteſté ;
A qui les autres font un crime
Qu'ils ne fauroient lui pardonner
De leur arracher une eſtime ,
MAR S. 1761 .
Qu'ils rougiroient de lui donner.
Oui , ce peuple fait pour la guèrre ,
Dont les foldats font des Céfars ,
Le premier peuple de la tèrre
Pour les Sciences & les Arts ,~
A qui Louis ouvre fon temple ,
Où chacun admire & contemple
Ces célebres imitateurs -
Des Titiens , & des Appelles ,
Des Phidias , des Praxitelles ,
Dont les fuccès font fi flatteurs
Pour Marigny qui les dirige:
Ce peuple heureux , ce peuple, dis-je ,
Qui vit fous les plus douces loix ;
Et qui pour le meilleur des Rois ,
Donneroit lesbiens & fa vie :
Ce peuple fi digne d'envie ,
Ce peuple fi chérides Dieux ,
De qui la tèrre fut choifie
Pour produire leur ambroisie ,
Et leur nectar délicieux :
4
Oui , ce peuple qui gagne à fe faire connoître
( J'en excepte le Petit- Maître ) ´´
Ce peuple enfin fouvent un peu falot ,
3
Mais plus aimable encor , un François, en un mot,
J'en reviens à mon dire un François eft un home -
me.
Aux Françoifes , furtout , je donnerois la pommes-
Je le penfe , & le dis fans partialité :
A v
10 MERCURE DE FRANCE,
Non , il n'eft rien de comparable
A la Parifienne aimable !
Ses graces , qui pourroient tenir lieu de beauté ,
En relévent le prix lorſqu'elle en eft douée ;
Elle a tout les talens ; elle eft vive , enjouće:
Mais lorsqu'à tant d'attraits , fe joint beaucoup d'ef
prit ,
Que fon air eft divin , que fa taille eft à peindre ;
Que l'on croit voir Hébé , quand fa bouche fourit;
Que fon coeur généreux ignore l'art de feindre :
Que pour tout dire enfin , telle que P .....
En elle il n'eft rien qui ne plaiſe :
Oai !je foutiens qu'une Françoife
Et le chef-d'oeuvre de l'Amour.
Pour cet aimable Dieu mon encens brûle encore ,
Et c'eft l'unique hommage, hélas , que je lui rends !
C'eſt vainement que je l'implore ;
Il ne bat que d'une aîle , après les cinquante ans ;
Et je les ai , par parenthèſe.'
Ainfi je prends congé de ce féxe charmant ,
Auffi bien que de toi , dont , vraisemblablement ,
Cher Abbé , te voilà très-aife !
MARS 1761
LETTRE de M. D. à Madame de B **.
MADAME ,
Vous me demandez ce que c'eft que
P'Amour. S'il m'étoit permis d'employer
les expreffions d'un Poëte charmant, dont
ce titre n'eft aujourd'hui que le moindre
mérite ; je vous dirois :
Il eſt fait comme vous , il penfe comme moi.
Ce feroit auffi la réponse de tous ceux
qui vous connoiffent ; croyez cependant ,
Madame , que réunis fur un feul article les
fentimens feroient , d'ailleurs , tout - à- fait
divers. L'Amour eft une de ces phyfionomies
que rien ne fçauroit fixer , & qu'il eft
impoffible de peindre, c'eſt un Prothée qui
nous échappe toujours. L'indifférence n'en
fçauroit parler dignement ; l'homme galant
donne ce nom aux attentions délicates,
aux préférences flatteufes qu'il marque
pour tout ce qui eft beau , tandis qu'il accorde
des politeffes générales à tout ce qui
eft femme. Le voluptueux appelle Amour
cette yvreffe de fentiment où l'ame tranf
portée de fon bonheur , en jouit fans le
goûter, où fuccombant fous l'excès du plai-
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
fir , elle n'a pas la force de penfer , & ne
conferve que des fenfations : c'eft ainſi
qu'il confond l'amour avec ce qui en eft
l'effet & le prix. L'homme tendre pourroit
feul vous en donner une idée , mais elle
feroit reftrainte à fa façon particuliere de
penfer,à fon caractère. Quand on eft véritablement
touché, comme on ne voit que
fa maîtreffe , on ne connoît que fon amour.
Je ne dis rien des Libertins ni des Petits-
Maîtres , parce que je n'ai pas deffein de
rendre notre espéce ridicule ou méprifable
à vos yeux. Pour ce qui regarde les
femmes, je n'aurois qu'un fouhait à faire ,
ce feroit de pouvoir juger d'après vous ce
que l'on en doit penfer. Mais puifque c'eft
mon fentiment que vous demandez , vous
ne voulez pas fans doute me communiquer
le vôtre. Ce procédé n'a- t- il rien de
trop injufte ? n'importe, il faut vous obéir;
& c'eft déjà un des caractères de l'amour.
Pour tout le reſte auffi varié dans les effets
que dans fa caufe, c'eft prèfqu'un être different
dans chaque circonftance particuliè
re : je l'ai vû naître d'une fympathie réciproque
, d'une contrariété piquante, quelquefois
de la haine , prèſque jamais de
l'indifférence ; tantôt le peu de mérite de
l'objet le doit faire appeller caprice , tantôt
fils de l'eftime & du goût, c'eft un mé
MARS. 1761 .
13
rite de plus. Séduifant , dangereux , fous
quelque forme qu'il prenne , il emploie
avec autant de fuccès les traits du dédain ,
que les égards & la complaifance.Produit
fouvent par la coquetterie , il la corrige.
Souvent prèfque toujours enfant des
Grâces & de la Beauté , on l'a vû cependant
fourire à des traits peu faits pour
plaire, & badiner avec la laideur ; fa chaîne
alors n'en eft que plus durable. On
diroit que l'enchantement qui préfida à ſa
naiffance doit décider de fa durée. Il
frappe avec rapidité ; ou plus tranquille
& plus doux fous l'appas du plaifir , il
coule , il s'infinue dans notre âme , qui
s'ouvre & s'épanouit pour ainfi dire à fon
approche. C'est l'éclair qui nous éblouit ,
& nous brûle au même inſtant ; ou bien
ce vent délicieux qu'on voit à la naiffance
du printemps fondre infenfiblement les
glaces que l'hyver avoit raffemblées. Jamais
femblable à lui- même , il opére diverfement
encore fur les caractères qu'il
foumet. Il a changé l'indolence de Clerval
dans la plus aimable vivacité . L'auftère
Philofophie de Sainville, polie par fes foins,
fait dire aujourd'hui que Minerve n'eft aimable
qu'avec la ceinture, de Vénus . Le
caractère impétueux de Dorante , eft devenu
le modéle de la complaifance. Damis
14 MERCURE DE FRANCE.
1
ne médit plus , il ne prête plus à cè ſexe
enchanteur des défauts qu'il n'eut jamais :
Lucinde l'a réconcilié avec lui au point
de lui faire adorer des imperfections réelles.
Remarquez , s'il vous plaît , Madame,
que dans ces différens changemens , ceux
qui les ont éprouvés n'y ont prèfque jamais
perdu. Je ne connois qu'un caractè
re où l'amour opére dangereufement,c'eft
cette triftefle ténébreufe que l'on trouve
quelquefois réunie avec une vivacité de
fentiment dont on ne la croiroit jamais
fufceptible. Une âme de cette trempe, eft
la victime de la jaloufie. J'appelle ainfi
cette fureur , cette agitation frénétique
qui n'imagine que des monftres , qui ne
voit tous les objets qu'à la lueur d'un pâle
& fombre flambeau qui les lui déguiſe ,
& non pas cette délicateffe permiſe qui
n'emploie que les foupirs & jamais les reproches,
qui ne fait éclater quelques tranfports
, que pour déployer après toutes les
reffources de l'amour dans les tendres
éclairciffemens qu'elle améne. C'eft ainfi
qu'un nuage doré ne s'oppofe aux rayons
du jour , que pour le faire reparoître après
avec plus d'éclat. Les plaifirs que l'amour
nous procure , portent encore la même
empreinte de variété. Une douce mélancolie
affecte-t-elle notre âme plus déliMARS.
1761 15
cieuſement que cette joie vive & pure
qui coule dans nos fens à la vue d'un ob
jet adoré ? Cet amant que je vois languir
aux pieds de fa maîtreſſe trouve - t-il moins
de plaifir à répandre des larmes , que cet
autre au milieu des tranfports les plus
animés ? L'amour ne fait- il pas pour deux
coeurs qu'il unit tout le charme de cette
folitude , où féparés du refte du monde ,
ils en enviſagent de loin les plaifirs fans
en être jaloux , & tout l'attrait de ces
fêtes bruyantes dont le tumulte ne les.
empêche pas de fe trouver feuls & de s'aimer
fans diftraction . Si le féjour des villes
donne à Clerval les moyens de prouver
fon amour à Lucile par les amuſemens
qu'il lui procure , celui de la campagne
laiffe à Tircis le loifir d'expliquer le fien
à Thémire par les fentimens . Les malheurs
qui détruiſent l'amour achévent de lui affurer
ce caractère indéfiniffable. Je pourrois
le prouver par mille exemples ; mais,
Madame , êtes- vous faite pour entendre
parler d'inconftance : Si je n'ai pu vous.
peindre l'amour en un feul mot , j'ai tâché
du moins de le décrire par fes différens
effets . Defirez - vous maintenant que
je décide lequel de ces différens caractè
res mérite la préférence : je ferai dans
l'impoffibilité de le dire. Mais fi vous
16 MERCURE DE FRANCE.
demandiez quel eft le plus tendre & le
plus fincére , je crois que je pourrois vous
en offrir un modéle. J'ai l'honneur d'être
&c. D. B: C. R. D. L. M.
LE CONCILIATEUR,
EPITRE AUX GENS DE LETTRES.
7
Ο νους , Ovous , avec qui je partage ,
( Dirai- je l'heureux avantage
"
D'être au nombre des courtiſans
Du Dieu des Vers , qui , dans cet âge ,` ·
Perd , chaque jour , des partifans ! ... ).
Au nom de la fage Minerve ,
Au nom des filles d'Apollon ,
Voulez-vous , au docte Vallon ,
Que le feu facré le conſerve ?
N'aiguilez plus , dans votre verve ,`
Contre vous-mêmes vos bons mots ;
Et n'abandonnez pas la gloire
De vivre au Temple de Mémoire , ‹
Pour être la fable des Sots.
Ce Peuple nombreux , qui confpire
Contre votre paix & vos vers ,
Attend , de vos propres travers
La ruine de votre em pire.
Victimes de les traits moqueurs ,
MARS. 1761 .
N'éteindrez-vous pas une guèrre ,
Qui dégrade aux yeux de la tèrre,
Et les vaincus & les vainqueurs ?
Aux regards de la multitude,
Si , d'une heureuſe folitude ,
L'obscurité vous déroboit ;
Si moins connus , & moins célébres ;
Dans les abîmes des ténébres ,
Votre ſcandale s'abſorboit ; . ..
Je vous dirois : ( quoique le Sage
Doive l'être à fes propres yeux ,:,)
Pour vous feuls détournez l'uſage
Des plus rares bienfaits des Dieux !
Je vous dirois : fous intrépides ,
Cédez au cours des flots rapides
De ce torrent impétueux ;
De vos noms , de peu de durée ,
La honte , bientôt ignorée ,
Eft fure de mourir comme eux!
Mais , de l'agile Renominée ,
Les cent bouches s'ouvrent pour vous §
Et de cette noble fumée ,
Vous-mêmes vous êtes jaloux :
Mais de l'Europe toute entiére ,
Sans celle votre Mufe altiére ,
Recherche l'amour & l'encens;"
Et , par un bizarre mêlange ,
18 MERCURE DE FRANCE,
Vous follicitez la louange ,
Par mille tranſportes indécens ...
Et les fils d'Apollon ignorent ,
Que les moindres cris déshonorent
Les plus agréables accens ! ...
Quand d'un Art, que l'on idolâtre ,
Delirant les accroiffemens ,
En la faveur , en plein Théâtre ,
On brave les événemens :
Quand , pour lui , de tonte la tèrre ,
On veut les applaudiſſemens ,
Doit on , de l'ignorant Pattèrre ,
Encourager les fifflemens ?
Quand on eft fait par fa naiſſance ,.
Par fes talens , par fes emplois ,
Pour être par goût & par choix ,
Er même par reconnoiffance ,
Admis dans les palaisdes Rois ;
Doit-on fe donner en spectacle ,
Comme on voit au fein de Paris ,
Dans un marché , vil réceptacle
Du bas peuple , qui , fans obſtacle ,
Se livreaux larmes , comme aux ris ,
Deux femmes combattant enfemble ,.
Sans pudeur , commefans égard ,
De la foule qui fe raffemblé
Fixer l'imbécille regard ?
MAR S. 17612 19
D'une fcandaleufe querelle ,
Si les effets pernicieux
S'enfeveliffòient avec elle
Dans un filence officieux ;
Si , par un deftin favorable ,
Votre courroux trop mémorable ,
Entre vous feuls pouvoit mourir ;
Letrouverois-je redoutable ,
Pour un empire délectable ,
Et que je vois prêt à périr ? ....
Pour un objet fi reſpectable ,
Sivous me voyez accourir
Ne croyez pas quej'imagine
Etre né pour le fecourir .
Développez mieux l'origine
Du motifqui me fait agir:
Sitôt qu'une émeute publique
Met en danger la République ,
Tout le monde a droit d'y courir.
2
Eh ! que nous auroit dit l'hiſtoire
De ces fameux Républicains ,
Décorés du nom de Romains ,
Si perdant l'immortelle gloire
De fubjuguer tous les humains ,
Ils euffent borné leur victoire
A s'entregorger de leurs mains ?
Si dans une guèrre imprévue
Chacun pour foi , perdant de vue
20 MERCURE DE FRANCE
L'intérêt du commun bonheur ,
Le fuccès de quelques cabales ,
De cent actions générales
Leur eût enlevé tout l'honneur ? ...
Mais , leurs âmes fortes & grandes ,
Dédaignant de fauffes couleurs ,
Sçavoient préférer , dans les fleurs ,
Une couronne à des guirlandes
Qu'arrofent fouvent trop de pleurs,
De cette couronne flétrie
Dépendoient pour eux les lauriers
Plus d'intérêts particuliers ,
Quand l'intérêt de la Patrie
Réuniffoit tous les guerriers.
Vous qui de l'état littéraire ,
Tenez les rênes dans vos mains !
Donnez aux vulgaires humains
L'exemple d'un Dieu tutélaire ,
Qui plein de l'objet qui l'éclaire ,
Sans renoncer à l'art de plaire ,
Sçait prendre les tons fouverains.
Mais grâce à la folle manie
D'un intérêt mal entendu 3™
L'ignorance , fur le génie ,
Prend l'empire qu'il a perdu."
Par vos mutuels anathêmes ,
Aux Sots vous épargnez des frais ;
Y
MA RS.17611
* Et vous croyez de vos fyftêmes
Leur faire goûter les attraits ? . . .
Fatale erreur ! ... contre vous-mêmes
Ils tourneront vos propres traits.
Mais laillant de vagues portraits ,
Sous l'ingénieufe enveloppe
Dont fe fervoit fi bien Efope ,
Souffrez que la fincérité
1
&
Chez nous fans peine s'infinue ;
Et de la vérité trop nue
Corrige la févérité.
ON prétend que prenant les armes
Pour regner fur le peuple aîlé ,
Dans un célébre démêlé ,
Plufieurs oifeaux. vantoient leurs charmes
Chacuncroyoit , par les bémols ,
Primer de beaucoup fur les autres
On connoît ceux des roffignols :
Mais , on écoute auffi les nôtres ,
Difoient , Serins , Chardonnerets >
Et d'autres Lullys des forêts.
En étouffant leur jalousie ,
Avec un peu de courtoisie ,
Tout cela pouvoit s'arranger :
Mais , dans la moindre bagatelle
La vanité raifonne- t-elle?
Il falloit bien mieux s'égorger.
Dans cette funefte avanture ,
22 MERCURE DE FRANCE
La Colombe , que la Nature
Fit fymbole de la douceur ,
Dit à la Fauvette; ah , ma foeur !
Dans quelle affreufe conjoncture ,
Se trouvent les pauvres oiſeaux ?
Pour les battre à plate couture,
Mieux vaudroient filets & réfeaux.
Eh ! tant mieux , tant mieux , répondirent ;
Tout d'une voix , Oifons , Dindons ;
Et d'autres Sots qui s'y joignirent :
Que tous ces Meffieurs le déchirent ,
Voilà ce que nous demandons .
La guèrre que tu crois fatale ,
Ne fçauroit l'être que pour eux ;
Vraiment , nous fommes trop heureux
Que chaque oifeau qui nous étale
Un mérite trop dangereux,
Ofe en tout ceci compromettre
Ce qui le fait régner fur nous :
Dans peu , j'ofe vous le promettre ,
Nous les verrons à nos genoux.
Laiffons-les donc , laiffons- les faire ;
Plus entre eux ils fe décriront ,
Et plus ils nous obligeront ,
Puifqu'en fongeant à leur affaire ,
l'autre ils fe détruiront. L'un
par
Je ne crois pas trop aux oracles ;
MARS 1781 . 23
&
Mais , s'il faut ne rien déguiſer,
Ma fable , fans de grands miracles
Pourroit bien fe réaliſer.
Eloignez de nous cet orage ,
O vous , dont le noble courage
Eft fait pour nous tranquilifer
D'une fauffe Philofophie ,
Que votre raifon fe défie.
Hélas ! à de fâcheux hazards ,
Imprudemment , elle confie
Le culte du Dieu des Beaux Arts
Loin de nous , loin de votre tête
Chaffez , conjurez la tempêre
Dont le Parnaffe eft menacé.
Ah ! fi j'en crois plus d'un préfage ;
Sur tous les maux que j'enviſage,
Mon éfftoi n'eft pas déplacé.
Eh ! de quoi ne font pas capables
Les talens devenus coupables ?...
Appaifons le Ciel courroucé :
L'hipocrène est déjà glacé.
Déjà le mauvais goût nous brave
Déjà le bon fe rend l'esclave
D'un ton froidement cadencé.
L'ennemi le plus redoutable ,
Eft celui que vous négligez.
Voilà , voilà le véritable
MERCURE DE FRANCE.
Par qui vous êtes outragés ;
Voilà celui qu'il faut abattre.
Uniffez-vous pour le combattre ,
Et vous ferez bientôt vangés.
Contre les fléches de l'Envie ,
Autre fléau de votre vie ,
Soyez déformais de moitié.
Quand elle attaque votre gloire ,
Vous ne trouverez la victoire ,
Que dans les bras de l'Amitié.
Qu'une fierté bien raiſonnée ,
Succéde à la verve éffrénée
D'une frivole vanité.
Méditons fur les vrais ufages
Des Arts que , pour nous rendre fages,
Nous donna la Divinité ;
Et pour feconder la promeffe ;
Sur une agréable unité ,
Fondons la gloire du Permeſſe ,
Et le bien de l'Humanité.
Par M. P..
Differtation
MARS. 1761. 25
DISSERTATION fur le Goût.
Left furprenant que l'homme , qui eft
compofé d'un efprit & d'un corps , apporte
en naiffant un goût prèfque formé
pour les objets fenfibles , & qu'il foit
longtemps fans s'appercevoir & fans faire
ufage de celui qu'il a reçu pour les chofes
de l'efprit. Cependant nous naiffons avec
le goût . L'art ne donne pas plus l'un que
l'autre , avec cette différence que quelque
ufage fuffit pour perfectionner le goût
fenfible ; au lieu que le goût de l'efprit demande
un uſage beaucoup plus long &
d'une étude affez confidérable.
Une perfonne fçavante , bien au -deffus
de fon fexe , définit le goût , une harmonie
, un accord de l'efprit & de la raiſon.
Un autre Auteur l'appelle un fentiment
naturel qui tient à l'âme , & qui eſt indépendant
de toutes les fciences qu'on peut
acquérir. Ne pourroit- on pas dire que le
goût n'eft autre chofe qu'un certain rapport
entre l'efprit & les objets qu'on lui
préfente ?
Il fe forme de l'affemblage des plus
belles qualités de l'efprit & du coeur : il
demande une prompte pénétration , qui
B
26 MERCURE DE FRANCE.
fcache faifir fans rêver , le défaut ou la
beauté d'une penſée . Il faut dans le coeur
un fentiment délicat fur lequel nous puiffions
juger, fans délibérer fur l'impreffion
qu'a fait fur nous l'objet qu'on nous préfente.
Cela ne fuffit pas encore. Il faut
dans le cerveau un heureux arrangement
des organes , pour faciliter les traces que
les objets doivent faire fur notre imagination
. Toutes ces qualités ne fe trouvent
pas aifément réunies dans le même ſujet.
Auffi l'homme de goût n'eft pas une choſe
fort commune.
On pourroit même par-là, rendre raifon
de la diverfité des goûts . Dans les uns, la délicateffe
du fentiment l'emporte fur la pénétration
de l'efprit: ceux- là naturellement
doivent préférer l'agréable , le délicat , au
grand & au fublime. Les autres dont les
coeurs ne font pas fi fenfibles , ont une jufteffe
de jugement qui les empêche de donner
leur approbation à tout ce qui fera
trop tefferré ou trop étendu. Ils aiment les
penfées qui ont de la fymétrie. Quelquesuns,
dont les fibres du cerveau feront heureuſement
arrangées , font flattés par le
tour harmonieux des phrafes , le nombre
& la cadence des vers ; il faut à ceux - là
des beautés, pour ainfi dire , mécaniques.
Voilà la fource de la diverfité des jugemens
T 2
MAR S. 1761.
que
Fon porte fur le mérite des ouvragesd'efprit
; chacun les apprécie felon fon
goût , c'eft- à- dire , felon la partie de l'art
dont il a le plus de connoiffances , & pour
lequel il a reçu un talent plus particulier .
A voir des jugemens f oppofés fur les
mêmes chofes , on eft tenté quelquefois
de croire que les arts n'ont que des beautés
arbitraires : gardons nous cependant d'en
porter un jugement fi faux . Il y a dans des
ouvrages d'efprit des défauts véritables &
des perfections réelles .
Quoique le goût,qui nous fait difcerner
ces beautés & ces défauts , naille avec
nous , & qu'il ne foit point le fruit de
notre travail , cependant nous le recevons
très- imparfait des mains de la nature , toujours
avare même dans fes libéralités :
elle laiffe à notre induſtrie le foin de faire
valoir les talens dont elle nous favorife.
La reconnoiffance qu'elle exige de nous ,
eft de rendre fes bienfaits plus eftimables
par nos travaux & par nos veilles.
L'homme donc , qui veut avoir un goût
exquis & affuré , ne fe contente pas des
heureufes difpofitions qu'il qu'il aura reçues ; &
il ne fe fie pas entiérement aux belles qua
lités de fon naturel . Il a foin de polir , de
former fon génie , par l'ufage , par la lecture
, & même par les réflexions . Ce n'eft
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
que par un fréquent exercice que notre efprit
apprend l'art de former ce jugement
rapide , mais affuré , qui ne connoît point
de raifonnement ; nous devons nous affurer
nous-mêmes par l'étude & par les réflexions
, de la jufteffe & de la folidité de
nos décifions , fans examen & fans critique.
Enfin l'étude en fuppofant ce talent
en nous , le perfectionne cependant & lui
donne fon dernier prix.
En effet , nous voyons tous les jours des
gens qui , pour avoir négligé ce précepte,
ne portent fur ce qu'on leur préfente ,
qu'un jugement mal affuré. Leur efprit
peu accoutumé à pénétrer ce qui eft caché
, ne découvre jamais qu'une partie du
mérite d'un ouvrage. Les véritables beautés
font toujours fupérieures à leurs connoiffances
: Ils ne les voient qu'à demi.
Leur fentiment par une longue oifiveté
s'émoufle infenfiblement : rien de délicat
, rien de délié ne fait impreffion fur
eux : ils ne font touchés que par des paſfions
vives ou par des fentimens extraordinaires.
Mais celui qui a pris foin de cultiver
fon talent , fçait appercevoir du premier
coup d'ail toutes les beautés de l'ouvrage
qu'on lui préfente. Les agrémens les
plus fins , les plus légers , font leur imMARS.
1761. 29
preffion fur lui ; & comme il ne fçauroit
fouffrir rien d'oifif dans un ouvrage , auffi
n'eft- il aucune perfection qui échappe à
fon jugement.
Il y a un Auteur moderne qui enfeigne
une méthode bien différente . Il juge géométriquement
de chaque beauté ; il prefcrit,
felon fon caprice , les bornes du vrai
& du faux ; il régle , à fa fantaifie , l'uſage
de la métaphore , de l'allégorie , de l'hyperbole
; & maître abfolu de toutes ces
chofes , il pofe fes principes & en tire des
conféquences , fur lefquelles il forme fes
décifions en dernier reffort.
Cependant , malgré ce pompeux appareil
de raifonnement , on le voit fe tromper
fçavament dans plufieurs endroits . Il
faut , felon lui , pour affeoir un jugement
folide , dépouiller la penfée qu'on examine
de tous les ornemens qui pourroient
nous éblouir , pour ne la confidérer qu'en
elle-même il faut en faire l'évaluation
fur le prix de la vérité , fans avoir égard à
tous ces agrémens , qui par un faux éclat
pourroient féduire notre jugement. Il eſt
vrai qu'un ouvrage à l'épreuve d'une critique
fi rigoureuſe , fans ceffer de nous
plaire , feroit d'un grand prix . Mais il me
femble qu'il peut y en avoir qui ont une
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
-véritable beauté, & qui cependant ne pour
roient fouffrir un examen auffi févère.
F
On fçait que le vrai a feul droit de nous
plaire ; que nous n'aimons le faux , qu'autant
qu'il nous trompe par les apparences.
du vrai ; qu'il faut du naturel dans les
penfées les plus fublimes. Mais ce vrai ,
ce naturel , font fufceptibles de plufieurs
embéliffemens, qui deviennent même néceffaires
dans les ouvrages d'efprit. La
vérité qui ſe montre ailleurs toute nue ,
demande ici des parures : une penſée
vraie , naturelle , mais fans grandeur ou
fans délicateffe , nous plairoit - elle beaucoup
: Cependant , c'eft dans ce point de
vue que nous devons la confidérer ,fi nous
voulons porter un jugement folide , ſelon
cet Auteur. C'est donc porter un jugement
folide & fort équitable fur la valeur des
chofes , que de ne les apprécier que fur
une partie de leur mérite.
Ne cherchons donc point d'autres Juges
que le goût dans les ouvrages d'eſpric:
ils reffortiffent à ce Tribunal , & on n'appelle
point de les déciſions , au railonnement
& aux démonſtrations géométriques.
:. L'homme de goût n'a pas befoin , pour
porter un jugement ſolide , d'examiner
la vérité de chaque pensée, la conſtruction
MAR S. 1761. Pr
de chaque phrafe : fans confulter la régle
ni le compas , il ſçait évaluer au juſte le
prix des choſes .
Par M. d'HUET DE LA MARONIÉRE ,
de Nantes.
RECHERCHES fur le Blafon , par un
Scavant de Province,
Vous me demandez , Madame , s'il eſt
à propos de faire apprendre le Blafon à
M. votre fils ; & tout de fuite vous me
propofez une foule de queftions fur l'utilité
de cette Science , fur fon origine , &
fur cette multitude de chofes qui la conf
tituent. Vous me permettrez bien de ne
pas répondre en détail à toutes vos queftions
: ma réponſe feroit un gros volume,
& je n'ai pas l'honneur d'être un Sçavant
de Prague ou de Gottingen. * Je vous dirai
ce que je penfe , & je vous le dirai
tout fimplement. C'eft aux Sçavans de la
Capitale à répandre des fleurs fur les ma
tières les plus arides .
* Univerfités d'Allemagne , aujourd'hui très-célèbres
: mais où l'on n'apprit pendant long-temps
qu'à parler & à n'avoir jamais tort.
Biv
31 MERCURE DE FRANCE.
Jamais les graces ingénues
N'ont pénétré dans mon manoir maudit;
Elles me feroient inconnues ,
Sivous ne m'euffiez pas écrit.
Après ce petit préambule que je vous de
vois, puifque c'eft à la fincérité à payer l'a
confiance , j'entre en matière, & je commence
par vous citer des vers de notre célébre
Boileau. Il faut , s'il vous plaît , me paffer
toutes ces citations. Un Sçavant qui ne
voudroit dire que ce qu'il a penfé , feroit
bientôt réduit à fe taire.
Auffitôt maint efprit , fécond en rêveries ,
Inventa le blafon avec les armoiries ;
De fes termes obfcurs fit un langage à part ,
Compofa tous ces noms de cimier & d'écart ,
De pal , de contrepal , de lambel & de face &c.
Boil. Sat. s..
A tous ces termes déjà fi bizarres, ajoûtez-
en deux ou trois mille plus bizarres
encore , & vous aurez une parfaite idée
du Blafon. Le Dictionnaire de la Science
eft plus difficile que la Science même:
Après l'avoir étudiée trente ou quarante
ans , dit un Sçavant, dont je ne me remets
pas le nom , quoiqu'il foit terminé en us
on trouve qu'il refte encore beaucoup à
MARS. 1761 33
fçavoir. Je vous confeille de le croire plutôt
que d'en faire l'épreuve ; mais M. votre
fils , Madame , fe reprocheroit peutêtre
un jour de n'en pas connoître au
moins les principes généraux. Jufques
dans les Arts les plus inutiles , il eft des
chofes qu'on ne fçauroit ignorer fans
honte.
On entend par le mot de Blafon, ou l'arc
de déchiffrer les armoiries , ou l'aſſemblage
des métaux , des couleurs , des figures,,
des ornemens qui compofent ces marques
d'honneur deftinées à diftinguer les familles.
De quelque côté qu'on l'envifage, c'eſt
toujours quelque chofe d'affez inutile . Ens
effet , quel avantage y a-t-il à appeller
face ou bande , pal ou barre des lignes
tirées d'une certaine façon , & que font
ces chofes elles- mêmes, lorſqu'elles ne dé--
fignent plus rien ? Aujourd'hui , tout eft
confondu ; il n'eft perfonne qui n'ait fes
armoiries ; & l'étude du Blafon ne fert
plus guères qu'à diftinguer encore quelques
grandes maifons , de celles qui veulent
en emprunter les marques. Elle apprend
à connoître les marques. Je me
rappelle à ce sujet un conte cité dans le
Menagiana.
Décraffé depuis peu dejours ,.
By
34 MERCURE DE FRANCE.
Un bourgeois vantoit fa nobleffe.
Deux Rimeurs affamés , Rimeurs le font toujours ,
D'un furnom de Marquis l'apoftrophoient ſans cef--
fe ,
Et mon Fat d'un fourire honoroit leurs difcours..
Un Gafcon plus hardi lui demande fes titres.
Très-volontiers , répondit le Manant
Afa paroiffe il le mene à l'inftant ;
Et montrant fon blafon barbouillé fur les vitres ,
Telle portoit , dit- il , monayeul Enguerrand ...
Laillez - là votre ayeul & fon furnom gothique ,
Reprit brufquement le Gaſcon :
Ces armes font à vous , rien de plus autèntiques
Lionfçait que votre père avoit cet écufſon
Pour enfeigne fur la boutique .
Voilà fans doute une anecdote bien
longue , bien mal racontée , & bien peu
à fa place ;mais nous autres Savans , nous
avons droit aux digreffions , & il nous feroit
auffi difficile de n'en point faire & de
ne pas ennuyer , qu'il vous feroit malaifé :
de ne pas plaire & de ne pas
charmer tous
les coeurs.
On s'accorde prèfque généralement à
fixer l'origine du Blafon au onzième ou
dixiéme fiécle , c'eft- à - dire , au temps des
Tournois. Le nom même femble indiquer
là choſe. Blaſen en Allemand fignifie fonner
de la trompe ; & ceux qui alloient fe
préfenter à ces fortes de combats, en por
MAR S. 1761. 35
toient une pour appeller les gardes du pas ,
à qui its préfentoient leurs armoiries.
Une autre raifon en faveur de ce fenti..
ment, c'eſt que ceux qui ne s'étoient jamais
trouvés , à des Tournois , n'avoient point
d'armoiries , encore qu'ils fuflent Gentilshommes.
C'eſt en Allemagne que ces exercices
militaires ont commencé : cependant
on les regarde affez volontiers com
me des jeux propres aux François.
Nos ayeux loyaux & courtois ,
La lance au poing , nouveaux Achilles , `
Couroient les champs , couroient les Villes ,
Pourchaffant valeureux exploits .
Couverts de gloire & de pouffière ,
En tout temps ils étoient foldats :
Chez eux la paix étoit guerrière ,
Et les jeux étoient des combats.
Les Chevaliers avant que d'entrer dans
la lice , plaçoient leurs armes dans un endroit
préparé à ce deffein & ou chacun alloit
les voir . Là elles étoient foutenues par
quelques- uns de leurs gens , habillés felon
le caprice du Maître; & voilà l'origine des
tenants & des fupports. Les Souverains
expofoient les leurs , ous up pavillon , &
l'on en voit encore dans les ornemens de
leurs armoiries. Ceux qui n'étoient pas de 3
Bovj
34 MERCURE DE FRANCE.
Un bourgeois vantoit fa nobleffe.
Deux Rimeurs affamés , Rimeurs le font toujours ,
D'un furnom de Marquis l'apoftrophoientdans cef
fe ,
1
Et mon Fat d'un fourire honoroit leurs difcours.
Un Gafcon plus hardi lui demande les titres.
Très-volontiers , répondit le Manant
A fa paroifle il le mene à l'inftant ;
Et montrant fon blafon barbouillé ſur les vitres , ›
Telle portoit , dit- il , mon ayeul Enguerrand ...
Laillez - la vorre ayeul & fon furnom gothique ,
Repritbrufquement le Gafcon :
Ces armes font à vous , rien de plus auténtique ;
Lionfçait que votre père avoit cet écullon
Pour enfeigne fur la boutique .
Voilà fans doute une anecdote bien
longue , bien mal racontée , & bien peu
à fa place ; mais nous autres Savans, nous
avons droit aux digreffions , & il nous feroit
auffi difficile de n'en point faire & de
ne pas ennuyer , qu'il vous feroit malaiſé :
de ne pas plaire & de ne pas charmer tous
les coeurs .
On s'accorde prèfque généralement à
fixer l'origine du Blafon au onzième ou ›
dixiéme fiècle , c'eft- à- dire , au temps des
Tournois. Le nom meme femble indiquer :
la choſe. Blafen en Allemand fignifie fonner
de la trompe ; & ceux qui alloient fe
préfenter à ces fortes de combats,en por
MAR S. •
35 1761 .
toient une pour appeller les gardes du pas,
à qui its préfentoient leurs armoiries .
Une autre raifon en faveur de ce fenti
ment, c'est que ceux qui ne s'étoient jamais
trouvés , à des Tournois , n'avoient point
d'armoiries , encore qu'ils fuffent Gentilshommes.
C'eſt en Allemagne que ces exercices
militaires ont commencé : cependant
on les regarde affez volontiers com
me des jeux propres aux François.
Nos ayeur loyaux & courtois ,
La lance au poing , nouveaux Achilles ,
Couroient les champs , couroient les Villes , ›
Pourchaffant valeureux exploits.
Couverts de gloire & de pouffière ,
En tout temps ils étoient foldats :
Chez eux la paix étoit guerrière ,
Et les jeux étoient des combats . "
Les Chevaliers avant que d'entrer dans
la lice , plaçoient leurs armes dans un endroit
préparé à ce deffein & ou chacun alloit
les voir . Là elles étoient foutenues par
quelques- uns de leurs gens , habillés felon
Je caprice du Maître; & voilà l'origine des
tenants & des fupports . Les Souverains
expofoient les leurs , pus un pavillon , &
l'on en voit encore dans les ornemens de
leurs armoiries. Ceux qui n'étoient pas de
3
Bovj
36 MERCURE DE FRANCE.
grande diftinction , fe contentoient d'enrourer
leur écu de hachemens & de mantelets
.
La maifon de Couci a pour fupports
deux lions depuis qu'Enguerrand de Couci
furnommé le grand , combattit un lion
corps pour corps . En mémoire de fa victoire
, il fonda une Abaye dans l'endroit
même où il avoit terraffé le lion ; & illui
donna le nom de Prémontré , par allufion
à ce mot qu'il dit à celui qui le conduifoit ::
tu me l'as de près montré.Cette Abbaye eſt
le célébre Chef- d'Ordre des Chanoines
connus fous ce nom .
Il eft peu de grandes maifons dans les
armoiries defquelles les fupports ne faffent:
allufion à des avantures fingulières , qu'on
prétend être arrivées à quelqu'un des an
êtres de la famille..
Au temple de la Vanité ,
Le Menfonge a gravé ces exploits mémorablès
D'Ayeux qui n'ont pas exiſté..
Les archives des Grands font le pays des fables..
Ah! fi la Vérité , cer Etre bienfaisant ,
Qu'on déteſte tout bas , que tout haut l'on defire ,
-Attend que de fon puits la grandeur la retire ,
·Elle peut dès ce jour faire fon teftament.
Toujours des digreffions , Madame t
MAR S. 176г . 37
mais au lieu de vous en plaindre , j e compte
que vous devez me fçavoir gré de n'en
pas faire davantage. Par exemple ,j'aurois
pû vous dire dans quel Auteur, j'ai lû cette
anecdote fur la maifon de Couci , &
j'aurois mis tout le catalogue des Seigneurs
de cette famille ; j'aurois pû m'étendre
fur l'Ordre de Prémontré ; & j'au
rois fait là - deffus les plus belles remarques
géographiques , hiftoriques , chronologiques
& critiques ; j'aurois pû nommer
le Philofophe qui a dit le premier ,
que la vérité étoit au fond d'un puits , &
à cette occafion de quelle érudition n'aurois-
je pas pû me parer? Les Sçavans, mes
Confreres, m'auroient furement admiré ;.
mais je vous aurois déplu , & je fais plus
de cas de votre fuffrage , que de l'approbation
de tous les Docteurs. Je reviens à
mon ſujet.
Les écus des Chevaliers , c'est - à- dire ,
leur cuiraffe & leur bouclier, ainfi exposés,
étoient furmontés de leur cafque , duquel
fembloit fortir un ornement qui étoit tantôt
la figure d'un dragon, tantôt celle d'um
aigle, ou d'autres animaux ; tout cela étoit
accompagné de panaches & de rubans, &
voilà l'origine du timbre , du cimier &
des lambrequins.Quelquefois on ajoûtoit,
au cafque une couronne, ou fermée ,filon
38 MERCURE DE FRANCE.
étoit Prince Souverain , ou bien ouverte
de telle ou telle manière , fuivant le titre
du Gentilhomme ; car il falloit être Gentilhomme
* titré pour porter une couronne.
Voilà ce qui étoit , voilà ce qui n'eft
plus. Auffi les couronnes, qui autrefois ſignifioient
quelque chofe, ne fignifient plus
rien aujourd'hui .
Si l'on réformoit les abus ,
Ces gentilshommes de Plutus ,
Ou de l'intrigue , ou du caprice ,
D'un grand cercle a fleurons, ne fe pareroient plus .
Il faudroit , en bonne Police ,
Timbrer leur Ecullon de quelque bonnet gras,
Ou pour mieux leur rendre juſtice ,
D'une couronne de Midas.
Les Eccléfiaftiques voulurent auffi avoir
des timbres fur leurs armoiries . O vanité !
qu ne te foures- tu pas ? mais comme il ne
leur convenoit guères d'arborer le calque
& le cimier , ils fe font contentés de mettre
fur leur écuffon , un chapeau d'où pend
une certaine quantité de houpes ou de
glands rangés en forme de piramide. Ce
chapeau eft rouge pour les Cardinaux ,de-
* Pour être Marquis , il falloit pofféder trois
Baronnies ; pour être Comte & pour être Baron , il
falloit avoir trois Châtellenies
MARS. 1761 .
39
puifqu'ils en furent décorés par Innocent
IV au Concile de Lyon en 1246 ; les Evêques
le portent verd ou de finoples : je
n'en fçai pas la raifon ; les Abbés l'ont tout
noir.
Si vous avez la nos Anciens livres de
Chevalerie , vous y aurez remarqué que :
chaque Chevalier avoit fa devife, qui faifoit
allufion à fon nom , à fon armure , au
cimier qui ombrageoit fon cafque , à fes
exploits ou à fon amour pour fa Dame.
De là les devifes qui fubfiftent encore
dans les armoiries . Morlaix en Breta--
gne , a pour fa dévife : s'ils te mordent ,
mords-les. Duguétrouin , cet homme célé
bre, qui a prèfque égalé , fur mer , l'immortel
Turenne le plus grand de nos généraux
de terré, Duguétrouin reçut de Louis XIV
des armes , autour defquelles on lit ces mots
qu'il feroit bien à fouhaiter qu'on pût
mettre fur tous les écuffons : Dedit hac in
fignia virtus,
Ces anciens Chevaliers, avant que d'en
trer dans la lice alloient recevoir de la :
main de leur Dame un ruban , qu'ils ajuftoient
fur leur cuiraffe ou fur leur bouclier.
De là les couleurs , les métaux , & les
fourrures qui compofent encore le Blafon.
Ces rubans , arrangés de différentes manières
, furent appellés face, bande , batre,
"
40 MERCURE DE FRANCE.
orle , &c. Telles furent les premières armoiries.
Les croiſades , ces guèrres dont
on ne peut louer que le motif qui les fit
entreprendre , amenérent dans le Blafon
ces fautoirs , ces croix qui varient fi fort ,
& ces merlettes , efpéce d'oifeaux qu'on
peint fans bec & fans pieds , parce qu'on
ne revenoit guères de ces voyages d'outremer
, qu'avec des bleffures. Les gens de
guèrre hérifférent leurs écuffons d'épées ,
de lances & de cafques d'autres y mirent.
des figures relatives à des exploits parti
culiers , ou même au nom qu'ils portoient.
Ainfi Mailli porte trois maillets , & Virieu
trois vires ou cercles l'un dans l'autre
; ce qui prouve que les armes parlantes
ne font pas toujours les moins anciennes
, comme on le croit communé-
*
Les armes d'Autriche font aujourd'hui de
gueules à la face d'argent ; autrefois elles étoient:
d'azur à cinq alouettes d'or en fautoir. L'an 1193,
Léopold II , Duc d'Autriche , ayant perdu toutes
ſes bannieres , dans une bataille contre les Infidéles
, prit fon écharpe qui étoit blanche , & la ferrant
par le milieu , il la trempe dans le fang des
morts , d'où il la retire toute rouge , à l'exception
de l'endroit qu'il tenoit dans fa main. Auflirt il
en fait une banniere & crie : Autriche , Serviteur
de J. C. Ce fignal , ce cri rallient fes foldats , & il
Bevient victorieux . Depuis ce temps , les Seigneurs
de cette Maiſon n'ont point eu d'autres armés..
MAR S. 1761 .
ment.On raconte qu'un Poëte, peu favorifé
de la fortune, avoit pris pour armoiries
un écu tout blanc , avec ces mots :
Melior fortuna notabit. Il n'eft pas le feul
Faiſeur de vers , à qui ces armoiries puiffent
convenir.
Un Sçavant n'a pas les mêmes rifques
à courir. Il eft fûr de fe faire admirer de
la multitude , pourvû qu'il fçache placer
avec art quelque paffage de Didys de
Crête , & citer fouvent Lambin & Cafaubon.
L'on fe fauve à la faveur de ces noms
refpectables. Il n'en eft pas tout-à-fait de
même avec vous , Madame , vous voulez
qu'on fçache embellir le fçavoir, & qu'on
s'exprime avec grace ; mais il n'eft pas
donné à tout le monde d'écrire comme
vous parlez.
Après vous avoir dit mon- idée fur l'o
rigine du Blafon , il feroit temps peut-être
de vous parler des régles de cet art; mais
en vérité, elles n'en valent guères la peine
, elles fe réduisent toutes à deux la
premiere fouffre mille exceptions , & la
feconde eft mal obfervée. Celle - là eft de
ne jamais mettre métal fur métal , ni
couleur fur couleur ; celle - ci veut que les
cadets brifent ou altérent les armes de
42 MERCURE DE FRANCE.
leur maison , que les aînés feuls ont le
'droit de porter pures & fans diſtinction .
En voilà bien affez , Madame , fur une
Science la plus frivole de toutes , & qui
pourroit être la plus utile, fi les armoiries
fervoient à défigner la nobleffe , fi elles
étoient l'expreffion des fervices rendus à
l'Etat , le prix des talens & de la vertu :
elles ne font plus qu'un ornement puéril
qui frappe les yeux fans rien dire à l'eſprit.
Qu'on en faffe donc apprendre les
premiers principes aux jeunes gens , à la
bonne heure : il faut connoître les chofes
pour avoir droit de s'en mocquer.
Mais je plaindrois un homme qui en voudroit
faire une étude férieufe. Le tempsnous
eft donné pour penfer & pour agir,
& non pour apprendre des mots.
A Lyon 1761. L. P.
Je n'ai pas parlé des Livres écrits fur
le Blafon , parce que cela m'auroit jetté
trop loin je dirai feulement que le
meilleur que je connoiffe , eft celui qui a
pour titre , Science des armoiries de Paillot
: c'eft un in folio qui commence à devenir
très rare. Si quelque Libraire veut
faire la dépenfe de le réimprimer , je lui
fournirai des corrections , des remarques,
MARS. 1761. 43
quelques additions , & beaucoup d'obfervations
fur les articles à retrancher dans
ce bon ouvrage. Aprés celui-là , j'aimerois
beaucoup la méthode du Blafon , du
P. Meneftrier Jefuite , & encore mieux
celle qui porte le nom du Graveur, Trudon.
Les planches en font très - nettes &
l'ouvrage est tout à la fois inftructif &
amufant.
EPITRE à M. le Marquis de V ***, dont
le fils aîné venoit d'être fait Chevalier
de S. Louis , & le cadet déjà Chanoine
à B *** venoit d'être nommé à quel
ques Chapelles.
Τουτ Tourvous rit & tout vous profpére ;
Je vous en fais mon compliment,
De vos fils le couple charmant ,
D'une aîle rapide & légére
Aux grandeurs vole également.
Auffi fage que Père & Mere ,
Tous deux fervent avec ardeur ,
L'un le Roi , l'autre le Saint- Pere ,
L'un fous la tente , & l'autre au Choeur.
Celui-ci fous d'heureux aufpices.
44 MERCURE DE FRANCE.
Jouitd'un bonheur affuré ,
Et fur fon crâne tonfuré
Il voit pleuvoir les bénéfices.
Par l'aumuffe il a débuté ;
C'eft une admirable fourure :
Quand on en eft empaqueré
L'on ne craint ni vent ni froidure ,
Tous les jours font des jours d'été.
Chere aumuffe ! de la Nature ,
Un Chanoine eft l'enfant gâté.
Celui-là montrefon courage
Dans cet art déteſté du Sage ,
Qu'inventa jadis la fureur ,
Et qu'enfeigne aujourd'hui l'honneur ,
Dans des champsfumants de carnage.
2. En ce métier cher à fon coeur,
S'il eft novice par fon âge ,
Il eft profés par la valeur.
Déja brilleà fa boutonniere
Ce ruban de couleur defeu
Pour qui notre Nobleſſe altiere ,
Le fabre au poing & l'oeil en feu ,,
Regarde la mort comme un jeu ,
Et bravefa faux meurtriere.
Si quelque érourdi de canon
Ne frappe ce fils de Bellone
Et fi quelq ueindigeftion
MAR S. 1761
Après fon diner ne moiffonne
Ce Chanoine à triple menton ;
L'un verra fa main décorée
Du fceptre brillant des guerriers,
L'autre aura la tête parée
De cette mître deſirée
Qui tient plus chaud que les lauriers.
Je fuis Prophète ; & les obftacles
A coup für feront fuperflus ;
J'ai pour garant de mes oracles
Et leurs talens & vos vertus.
Lyon , L. P.
VERS de M. l'Abbé de l'ATTAIGNAN,
fur le mariage de M. le Prince de GUI
MENE'E avec Mlle de SOUBIZE .
D EUX tourtereaux , dès l'âge le plus tendre,
Sans le connoître , avoient fenti l'amour .
Leurs doux accens faifoient allez entendre ,
Qu'ils étoient faits pour être unis un jour.
Or la voici , cette heureuſe journée ;
Déjà l'Amour embraſſe l'hyménée ;
L'air fatisfait je les vois tous les deux ,'
Mêler leurs traits , entrelacer leurs noeuds
Quelle union plus folide & plus belle !
46 MERCURE DE FRANCE.
1
Vit-on jamais rien de mieux afforti !
Qu'il eft charmant & qu'il eft digne d'elle !
Qu'elle eft aimable & bien digne de lui !
De leur accordquede plaisirs vont naîttre !
Qu'ils font contens ! ils ont fujet de l'être :
A leur bonheur tour Cythère applaudit ,
Et mille Amours vont préparer leur nið.
Couple parfait , aimables tourterelles ,
Que l'Amour fit exprès pour tout charmer ,
Vivez contens , foyez toujoursfidéles ,
Votre bonheur dépend de vous aimer.
Faites toujours l'ornement de Cythère ,
Oiſeaux nourris dans la même voliere ,
Er fous les yeux de la tendre Cypris ;
Songez combien vous en êtes chéris .
Tout ce qu'en vous l'on voit briller de grâces ,
Souvenez-vous que vous le lui devez ;
C'eſt en fuivant fes leçons & les traces ,
Que vos talens ont été cultivés.
Jupiter même en fon giron dépofe
De fes Aiglons la race à peine écloſe ;
Il fent le prix de fes foins généreux :
Vous les avez partagés avec eux.
MARS. 1961.
EPITHALAME , fur le Mariage de Mlle
DE MONTPEROUX avec M. le Marquis
DE CAMBIS. Par un Chanoine de
Crépy.
PAR l'ordre du charmant Amour ,
Un Soleil pur luit ſur ma tête ,
Et Montperoux , de ſa retraite ,
Voit éclorre le plus beau jour.
L'Amour , dont elle eft le modéle ,
A fon afpect , s'enorgueillit ;
Il la careffe , il n'aime qu'elle ,
C'eſt une fleur toujours nouvelle
Qu'à chaque inftant il embellit.
Le Héros qui lui rend hommage ,
Trois fois fous les drapeaux de Mars
Signala fon bouillant courage ;
Aujourd'hui fous les étendards ,
Un Dieu moins terrible l'engage :
Il charme , ilfixe fes regards;
Mais fon choix eft celui d'un Sage.
Déja les plus douces odeurs
Ont parfumé l'augufte temple ,
Où l'Amour couronné de fleurs ,
Veut que l'hymen , à fon exemple ,
48 MERCURE DE FRANCE.
A jamais enchaîne leurs coeurs.
Partout des plus brillantes fêres ,
Jevois les appareils divers ;
Déja des myrthes les plus verds
Ces amans ont paré leurs têtes.
Quelle foule au Temple les fuit !
Tout court , tout vole , tout s'empreſſe
C'eſt partout la même allégreſſe ;
Et partout l'Amour la produit.
Héros charmant que je révère ,
Et vous dont l'heureux caractère
Affortit les attraits brillants ,
Jeune Beauté , vous êtes chère
Aux Muſes , au Dieu des Talens !
De l'union la plus parfaite
J'ofe chanter les agrémens ,
Et refter de vos fentimens
L'admirateur , & l'interprête.
En portant vos noms juſqu'aux Cieux ;
Je crois prendre une route fûre
Pour dire à nos derniers neveux ,
Qu'on goûte une allégreffe pure ,
Quand nos Protecteurs font heureux.
LETTRE
MAR S. 1761 . 49
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
J'AI lû , avec un plaifir infini , les obſer- ΑΙ
vations fur la Langue Françoife , inférées
dans le Mercure de Septembre. Elles font
écrites avec beaucoup de délicateffe 8:
d'énergie ( quoiqu'avec des articles ) L'Auteur
a fans doute raifon de déclamer avec
force contre les Ecrivains frivoles , qui
croyent compenfer par des phrafes b. illantes
, ingénieufement cadencées , la profondeur
, la netteté , la précifion des pensées.
Mais raifonne- t-il également bien , lorfqu'il
veut que l'on retranche les articles ,
afin de donner plus de vivacité , plus d'aifance
à notre Langue ; c'eft ce que l'Auteur
me permettra d'examiner : m'inftruire
, & non pas l'envie de critiquer , eft
mon feul objet. Ainfi j'efpére qu'il ne me
fçaura pas mauvais gré des réflexions fuivantes.
1º. Les Etrangers fe font un plaifir , un
honneur même , de venir apprendre la
Langue Françoife dans nos Provinces ,
dans la Capitale. Comment connoîtrontils
les genres , les nombres , les cas , fi l'on
retranche les articles. La , Le , quoique
yo MERCURE DE FRANCE
tout-à- fait femblables , devant le nomina
tif& l'accufatif, font cependant une marque
prèfque infaillible de ce dernier cas ,
lorfqu'on ne peut les retrancher , fans donner
un fens louche à la phrafe : un exemple
fera fentir ma penſée : fi quelqu'un difoit
à fes domeftiques : fermez porte : approchez
table: ouvrezfenêtres : ils ne sçauroient
fi c'eft une porte , ou plufieurs qu'il
faudroit fermer : ils feroient embarraſſes
fur le choix. Mais que l'on mette un article
défini devant porte , l'incertitude du valet
fe diffipe à l'inftant. Il comprend ce qu'on
lui veut dire. Le Lecteur fait aifément l'application
des deux autres exemples , &
d'autres plus ridicules encore que fon ima
gination lui fournit.
Je fçais que plufieurs Grammairiens ont
prétendu que nous n'avionspoint de cas :
mais on leur a prouvé le contraire , parce
que les noms fe déclinent avec les articles
en y ajoutant les prépofitions De & A :
d'autres ont dit qu'ils n'étoient pas néceffaires
pour marquer les nombres , & que
la lettre S , ajoutée au plurier , fuffiſoir
pour le diftinguer du fingulier . Cela peut
être vrai pour un Lecteur qui juge facilement
des mots qu'il a fous les yeux : mais
en est- il de même de ceux qui entendent
réciter une Harangue , un Sermon , ou une
MAR S. 1761.
Piéce de Vers, ( je me fers du terme réci
ter , car on ne déclame plus aujourd'hui )
les noms ayant prèfque tous la même dénomination
au plurier , l'Auditeur n'en
connoît l'étendue que par les articles , ou
autres adjectifs qui la fixent.
Prétendroit- on avec M. l'Abbé Fromant
, Auteur des réflexions qui font à la
fuite de la nouvelle Edition de la Grammaire
raifonnée , que les Articles ne déterminent
pas l'étendue de la fignification
? mais ne feroit-ce pas fe contredire
avec lui ,en les comparant, en les regardant
même comme des adjectifs, que de leur refufer
le même privilége , qui eft celui de
généralifer ou de particularifer la fignification
des noms ?
Les articles fervent non -feulement à
marquer les nombres , mais ils font encore
néceffaires pour former les fuperla
tifs . Ceci n'a pas befoin de preuve.
2. J'avoue que chaque Langue , dit
l'Auteur, a fon caractère particulier analo-
" gue aux idées & aux habitudes domi-
» nantes de la nation qui la parle il ne
» faut pas le bleffer fans néceffité. En
quoi les articles feroient-ils donc oppofes
au caractère de notre Langue Seroit-ce ,
parce qu'ils lui donnent plus de clarté ,
plus d'aifance , plus de nobleffe , plus de
"
Cij
52 MERCURE DE FRANCE:
majefté combien de fois nos oreilles
bleffées par de fréquens hiatus , tranfmet
troient- elles à nos âmes des impreffions
défagréables dans le court exemple que
l'Auteur donne de fon nouveau ftyle , il
n'a pas évité ce défaut. » Il faudra bien
» qu'ils le foumettent à opinion publique ,
»feule chofe fur laquelle autorité fupréme
ne peut rien .
Qu'on retranche les articles des Vers
fuivans.
Déjà je ne vois plus qu'à travers un nuage
Et le ciel & l'époux , que ma préfence outrage
Et la mort à mes yeux , dérobant la clarté ,
Rend au jour , qu'ils fouilloient , toute sa pureté .
Rac. Ph. Scène dern.:
L
L'harmonie y gagnera - t- elle ? Qu'on
faffe la même contraction dans les vers
fuivans , du même Auteur.
On égorge à la fois les enfans , les vieillards
Et la foeur & le frere ,
Et la fille & la mere ,
Le fils dans les bras de fon pere.
Efther, Act. I. Sc. Si
Les articles & les conjonctions font
image. Il femble qu'on voit donner le
coup à chacun des fujets du maffacre : le
difcours peint l'action : la petite paufe
MAR S. 17617
qu'obligent de faire la conjonction & les
articles , donne le temps au Soldat de
tirer fon épée du fein de la foeur , pour la
plonger dans celui du frère ... Ce tableau
chef-d'oeuvre d'un grand Maître , perd de
fa perfection , dès qu'on y retranche quelque
chofe.
La lettre L, qui refte fouvent feule devant
la plupart des mots , ne rend - elle
pas la prononciation plus douce , plus
nette ? Otons les articles , alors nos phrafes
femblent découfues ; notre ftyle trop
coupé, ne conferve plus fon analogie avee
les habitudes dominantes de la Nation
à moins qu'on ne prenne pour elle un éf
fain de Petits Maîtres , dont la frivolité
eft le moindre défaut. Retranchez les arti
cles , notre Langue exprimera mieux les
actions de ces petites machines qui ne font
que fautiller. Mais ces êtres mufqués faits
pour amufer , ou pour ennuyer les honnêtes
gens par leurs grimaces ou leurs
impertinences, n'en compofent pas du tour
le corps. Ce font ces hommes graves qui
méditent leurs penfées , & dont les difcours
ne font que le réfultat de leurs réfléxions
, dont il faut faifir & repréſenter
le caractère , par un langage qui ne refpire
que la raifon , la fageffe , la gravité ce
langage philofophique , qui le pofféde
C iij
52 MERCURE DE FRANCE:
majefté combien de fois nos oreilles
bleffées par de fréquens hiatus , tranfmet
troient- elles à nos âmes des impreffions
défagréables ? dans le court exemple que
l'Auteur donne de fon nouveau ftyle , il
n'a pas évité ce défaut. » Il faudra bien
» qu'ils le foumettent à opinion publique
» feule chofe fur laquelle autorité fuprê
me ne peut rien.
Qu'on retranche les articles des Vers
fuivans.
Déjà je ne vois plus qu'à travers un nuage ,
Et le ciel &l'époux , que ma préfence outrage
Et la mort à mes yeux , dérobant la clarté ,
Rend au jour , qu'ils fouilloient , toute sa pureté.
酱
Rac. Ph. Scène dern.
L'harmonie y gagnera- t- elle ? Qu'on
faffe la même contraction dans les vers
fuivans , du même Auteur.
On égorge à la fois les enfans , les vieillards
Et la foeur & le frere ,
Et la fille & la mere ,
Le fils dans les bras de fon pere.
Efther, Act. I. Sc . s.
Les articles & les conjonctions font
image. I femble qu'on voit donner le
coup à chacun des fujets du maffacre : le
difcours peint l'action : la petite paufe
MARS. 17617
qu'obligent de faire la conjonction & les
articles , donne le temps au Soldat de
tirer fon épée du fein de la foeur, pour la
plonger dans celui du frère... Ce tableau
chef-d'oeuvre d'un grand Maître , perd de
fa perfection , dès qu'on y retranche quelque
chofe.
La lettre L, qui refte fouvent feule de
vant la plupart des mots , ne rend - elle
pas la prononciation plus douce , plus
nette ? Otons les articles , alors nos phrafes
femblent découfues ; notre ftyle trop
coupé, ne conſerve plus fon analogie avee
les habitudes dominantes de la Nation ,
à moins qu'on ne prenne pour elle un éf
fain de Petits Maîtres , dont la frivolité
eft le moindre défaut . Retranchez les articles
, notre Langue exprimera mieux les
actions de ces petites machines qui ne font
que fautiller. Mais ces êtres mufqués faits
pour amufer , ou pour ennuyer les honnêtes
gens par leurs grimaces ou leurs
impertinences,n'en compofent pas du tour
le corps . Ce font ces hommes graves qui
méditent leurs penfées , & dont les difcours
ne font que le réfultat de leurs réfléxions
, dont il faut faifir & repréſenter
le caractère ,par un langage qui ne reſpire
que la raifon , la fageffe , la gravité ce
langage philofophique , qui le poffède
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
mieux que notre Nation ? Nos articles
n'ont donc rien d'oppoſé à nos inclinations
dominantes.
Mais où feroit actuellement la néceffité
de détruire ce que nos Pères ont établi pour
de bonnes raifons ? Ils ont bien vû que les
noms communs feroient pris dans un fens
trop général, fi l'on n'en déterminoit l'éten
due. Ils ont inventé les articles pour fixer
celle des mots qu'ils précédent , comme
quand on dit le Palais , ce mot ne fignific
pas Palais en général , mais tel Palais en
particulier.
Pourquoi nous priver de ce que prèſque
toutes les autres nations ont admis , confervé
la Langue Grecque , qui de l'aveu
de tous les Sçavans eft la plus harmonieufe
, n'a - t- elle pas fes articles , dont elle
fait un plus fréquent ufage que nous ? Car
je fuis étonné du grand nombre de mots
que nous ne faifons pas précéder par des
articles ; comme dans certaine figure de
Rhétorique , où l'Orateur donne tout à la
vivacité de la paffion , ou lorfque le fens
de la phrafe eft affez clair , ou l'étendue
des mots fuffifament déterminée. Chez
nous l'article ne fe met pas devant les noms:
propres , ni devant ceux des Villes , Villages
; ni devant les pronoms perfonnels ,,
poffeffifs , abfolus , démonftratifs ; ni dez
ལ
MAR S. 1761% SS
vant les noms des nombres abfolus & les
noms communs , dont on ne confidére que
la fignification
, abſtraction faite de l'éten
due. Chez les Grecs & beaucoup d'autres
Peuples , comme les Italiens , on trouve
des articles jufques devant les noms pro
pres . Prétendra- t- on que la Langue de
ces Peuples en a moins d'énergie & de
beauté ? Pourquoi la nôtre ne jouiroit- elle
pas du même avantage ?
Remarquons
, en paffant, que plus fages
que la plupart des autres Peuples , les
François ont évité un défaut que l'ufage,
& non la raifon,peut faire approuver chez
ceux-là. Les Grecs & les Italiens, entre autres,
mettent l'es articles devant les noms
propres ; mais exprimant une choſe fingulière
, les articles font inutiles pour en
fixer l'étendue.
Remarquons
encore que c'eft peut- être
gratuitement
qu'on prive d'articles la
Langue Latine & la Langue Angloife . Le
pronom ille , illa , illud ne correfpondpas
à notre article le , dont celui - ci
tire fon origine ? * Ceci n'eft qu'une
il
* Il n'y a, dit M. Duclos , qu'un feule espéce
article , qui eft le pour le mafculin , dont on fait
la pour le féminin . J'ai une Piéce fous les yeux qui
eft un concordat entre les Abbés & Religieux de S
Vaaft d'Arras & les Mayeurs , Echevins & Com
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
conjecture que les Grammairiens ont mife
dans tout fon jour. Quelques- uns prétendent
que the fert d'article à tous les
mots Anglois . Ne connoiffant pas cette
Langue , je foumets , Monfieur , les idées
des autres & les miennes à votre jugement.
L'étude que vous en avez faite , &
les beautés fublimes de Shakeſpeare que
vous nous avez fait goûter en notre Langue
, vous ont acquis dès longtemps le
droit de juger fouverainement en ce genre
, de même qu'en bien d'autres.
munautés de la même Ville du 1 Juillet 1363. On
n'y fait aucun ufage de l'article la... par le per
miffion de Dieu...le communite de leditte ville d'Arras
... en le maniere qui s'enfuit... Ainfi il faut
croire que l'invention de l'article féminin n'eft pas
bien ancienne , & non pas , avec M. l'Abbé Fromant,
que les François , les Italiens, les Espagnols
ont formé l'article la de la derniere fyllabe de illa.
Tout ce qui eft analogue n'eft pas toujours
vrai.
Mais la fuite de la Piéce ne confirme pas un
autre fentiment de M. Duclos . Notre premier article
ly dans fon origine étoit démonftratif. ( p .
Ico de la Gramm , rail . Ed . de 1756. ) ly & enfite
le devint infenfiblement le prénom inséparable
de tous lesfubftantifs . Ne femble- t- il pas que nos
' pères ne fe fervoient que de l'article ly ; que de
celui- ci eft dérivé l'article le qui feul fubfifte aujourd'hui
mais dans la Piéce citée ci- deffus , on
fait ufage des deux articles, de le comme prénom
, & de ly comme demonftratif,
MAR S. 1762 111 $ 7
3. Puifque l'Auteur ne veut retrancher
les articles , que pour donner plus de concifion
, de vivacité , de briéveté à la Langue'
, que ne retranche- t-il auffi les conjonctions
qui , probablement , ne feront,
felon lui, que rendre les phrafes plus languiffantes.
Mais fi la négligence à fe fervir
à propos des conjonctions, rend le ftyle
foible , fi elle contribue beaucoup à l'élégance
du difcours , pourquoi les articles
n'auroient- ils pas la même utilité ?
Tantum feriés juncturaque pollent.
Je ne fais qu'appliquer aux articles ce
que M. de Voltaire dit des conjonctions ,
dans fa lettre à MM. les Nouvelliftes du
Parnaffe. D'un côté , l'ufage a donc établi
les articles , il fait la loi ; l'enfreindre ,
c'eft un crime : de l'autre, la clarté , l'ordre
en ont fait une néceffité. Il faut donc
les admettre, & nous confoler de la petite
perte que nous faifons du côté de la brié
yeté. Je fuis , Monſieur , &c.
DENIS , d'Arras
Gr
58 MERCURE DE FRANCE,
A M. DE VOLTAIRE ,
REMERCIMENT , für le préfent d'une
Taffe de porcelaine incruftée en or , faite
pour un déjeuner..
.
LIGISLATEUR du Goût, Dieu de la Poëſieg
Jetiens de vous une coupe choifie ,
Digne de recevoir le breuvage des Gieux.
Je voudrois , pour vous louer mieux ,.
Y puifer les eaux d'hipocrène :
Mais vous feul les buvez, comme moi l'eau dé Seine
Par la MUSE LIMONADIERE :
ÉPITRE A MON AMI.
Verum decus in virtute pofitum eft.
Cic. Ep. 12. Lib . 10. ad L. Plancum . 】
ESCLAVE
SCLAVE du devoir , dont le coeur libre & pur
Dévoile la grandeur dans un état obfcur
Patriote zélé , fidéle époux , bon père ,
Amateur des humains , ami tendre & finceres
Toi , dont l'âme , fentantfon immortalité ,
Rapporte fa fageffe à la Divinité ;
Cenſeur de mes défauts , ton portrait reſpectable
MAR S. 1761 . 590
M'invite à peindre ici la vertu véritable.
Dans les états divers chacun la définit ;
D'après les préjugés , chacun la déſunit.
La vertu d'un Monarque eft , dit- on , la clémence } ,
Et celle desfujets n'eft que l'obéiffance ;
C'est l'amour du Pays pour le républicain ;
La crainte pour l'efclave : uniffons- les enfin..
La vertu , don du Ciel , eft le plein exercice
Des différens devoirs que prefcrit la juſtice..
De toutes les vertus le concours précieux:
Peut feul nous mériter le nom de vertueux..
Tel , que du nom de grand le vulgaire décore
Par lui-mêmejugé , le mépriſe & s'abhorre.-
Tel ', que fur l'échafaut le cri public maudit,,
Mou rant pour la juftice , en fecret s'applaudit
Les acclamations d'une foule trompée ,
Ni la faveur des Rois par le crime ufurpée ,
Rien ne peut adoucir l'amertune & l'horreur
Que le fiel des remords aigrit au fond du coeur..
Eft- ce à l'opinion , eft- ce à la confcience
A fonder notre honneur & notre récompenfe
Que penfer de Cyrus , de qui l'activité
Terraffe l'ennemi , par- tout déconcerté ?? .
Qui conçoit , fait éclore , & conduit par lui -même
Ces projets , que relève encore un art fuprême??
Qui forme , qui dirige , & tient fubordonnés
Satrapes , Généraux , de fa gloire étonnés ?
Mânes plaintifs , ô vous , victimes deſes armes
60 MERCURE DE FRANCE:
Peuples,qui gemiffiez dans le fang, dans les larmes,
Avec quels fentimens vit- il votre malheur ?
L'humanité toujoursregna-t- elle en fon coeur ?
Yvre d'ambition , n'eft- il , aux yeux du Sage ,
Que le fléau du Dieu , dont on le crut l'image ?
Du vain éclat des faits , ne foyons point furpris
C'eft far leur motiffeul qu'il faut fixer leur prix..
L'éxil d'Alcibiade eft fameux par le crime ;
Ariftide banni , fut toujours magnanime.
Socrate , en bute aux traits d'un comique impu
dent,
Se montre ; & la vertu reprend fon aſcendant.
Ainsi , lorsqu'un vain peuple applaudit aux Zoiles à
Au sein de la vertu , les Sages font tranquilles .
Chaque âge a fes Héros ; nul terroir n'eft ingrat ;
Les fruits de la vertu croiffent en tout elimat.
L'aimable Fénelon , dont la plume immortelle
D'un bon Gouvernement traça l'heureux modéle ,
Simple en fes moeurs,conftant,fincére & généreux ,
Sçut, en dépit du fort , par lui-même être heureux.
Que de fages François , par leur moeurs ,leur génie
Auroient charmé Platon , furpris l'Académie !
Des Grecs & des Romains l'honneur bien entendu
Cédoit au bien public , aux loix , à la vertu .
Les rivaux , de leur haîne étouffant le murmure ,,
A d'ingrats Citoyens immolant leur injure ,
Par la brigue exilés , de Chefs faits Lieutenans ,
Welbient , aveccandeur , fervir leurs concurrens,
.
MAR S. 1761.
Gr
Mille traits , auffi beaux , rempliffent nos Hiftoires
Le fage Catinat , pour prix de deux victoires ,
Jouet de la faveur , content du fecond rang ,
Offre à fon fier rival fes confeils & fon fang
Se voyant dédaigné , fans plainte il ſe retire ;
Et c'est pour fon Roi feul que fon grand coeur fou
pire.
Admirant dans Villars l'homme fupérieur ,
Boufflers , du premier rang , lui défére l'honneurs
Il le fert , le remplace , & fauve la Patrie.
Eh , n'avons-nous pas vu , plein du même génie ,
Noailles , s'oubliant pour la France & ſon Rof ,
'Aider le grand Maurice à vaincre à Fontenoi ?
Triomphe vraiment noble ! éffort d'une belle âme.
Renaiſſez , vrais Héros , qne la vertu proclâme !'
Montrez , en rejettant un phantôme d'honneur ,! "
Qu'il n'eft point , fans vertu , de folide grandeur.
O vertu ! qu'égaler à ta beauté céleſte »
Eft-ce , des vains plaifirs , l'enchantement funeſte
Eft-ce l'attrait de l'or , l'éclat des dignités ?
Non: feule tu fuffis à nos coeurs agités.
Les délices des Rois , la mort la plus cruelle ,
Tout l'Univers enfin n'eft qu'un néant près d'elle
Ah ! s'il falloit choifir du crime , ou du trépas 3
Ami , je te connois , tu n'héûterois pas.
Auffi rien n'eft égal aux douceurs raviſſantes
De la paix , accordée aux âmes innocentes.
Ce céleste avant- goût d'un bonheur éternel,
62 MERCURE DE FRANCE
Déjà fe fait fentir , par un plaifir réel.
Arbître des humains , grand Dieu ! quand ta juf
tice',
Aura des fcélérats refolu le fupplice s
Sans lancer tes carreaux fur leur front orgueilleur
Borne tes châtimens à déffiller leurs yeux !
Diffipe le preftige , & découvre à leur vue
Le vice démaſqué , la vertu toute nue.
D'horreur & de regrets , que leur coeur défléché
Soit comme un vil chardon , que la faulx a tran➡
ché !
Nous les verrons alors forcés de reconnoître ,
Qu'où la vertu n'eft point , l'honneur ne sçaurois
être.
'Ami , dont le coeur vrai , fans fard , fans vanité ,
Des folides vertus pares l'humanité ,
Daigne , cher *** , d'ane Muſe chérie ,
Agréer un hommage , exempt de flatterie .
Par M. LECLERO, à Nangiss
Le mot de la premiere Enigme du E
Mercure de Février , eft , les ongles , Celui
de la feconde eft , l'Huitre. L'huitre que
l'on mange doit craindre les hommes &
leur gloutonnerie. L'huitre qui renferme
les perles , eft moins expofée , & il en péait
moins que de la premiere forte. Les
MARS. 1761 6'3
Huitres , que less Curieux appellent épineufes
, courent de grands rifques , parce
que leurs écailles fe vendent fort cher
pour les cabinets. Le mot du premier Logogryphe
, eft, Cor , Or. Celui du fecond!
eft , Tambour , Amour.
ENIGM E.
D moi , tantque je jeûne , on ne fait pas grand
cas.
Suis-je raffafiée , on me ferme la bouche
Et des reftes de mon repas ,
On fait le lit où l'on me couche.
Des Satellites noirs , au coeur dur & farouche
Mejettent en prifon : mais je n'y vieillis pas :
Jen fors , de fplendeur rayonannte.
Chez un Peuple étranger , Peuple fier & hautain
Je vais en Ambaſſade , au nom d'un Souverain.
Mon entrée, en ces lieux, eft toujours triomphantes-
L'oeil étonné me voit ; & faifi de refpect ,
On le profterne à mon afpect..
Quoique d'abord je fçache , habile Politique ,
Pour aller à mon but , prendre une route obliques
Je parle avec éclat. Orateur véhément ,
Ma foudroyante Rhétorique ,
Par mille traies de flâme embrafe en un momeng
Des applaudiffemens ,je ne fuis point avide
64 MERCURE DE FRANCE.
L'auditoire , tout occupé
De mon éloquence rapide ,
N'applaudit point ; mais eft frappé.
Par M. DELISLE . P. A. C. D. Ba
AUTR E.
J'AI quantité de foeurs , dont le nombre précis ,
Entre bien des Sçavans , refte encore indécis;
A la parure eft consacré notre Etre.
Tous les ans , avec peine , on me voit difparoître.
Plus d'un mortel , tenu dans la captivité ,
Par mon fecours, s'eft mis en liberté.
A l'oeil auffi je fuis fouvent utile.
Je fais naître l'espoir d'une moiffon fertile .
L'Ottoman , devant moi , dépouillant fa fierté ,
Me rend pareils honneurs , qu'à la Divinité.
Je régne fur les mers , & par toute la tèrre.
Avec mes foeurs , je ſuis ſouvent en guèrre.
D'une furtout , il me faut féparer ,
Car autrement , Lecteur , tu me verrois jurer
Par M. NIGLAIS
MAR S. 1761 . 65
LOGOGRYPHE .
QUOIQU'AMI des humains , Ce n'eft que dans
leurs maux
Que je puis efpérer d'accroître ma fortune :
Mais tel eft mon deſtin , ma préſence importune
Car fitôt qu'on me voit , on me tourne le dos.
A ces traits , cher Lecteur , peux- tu me reconnoître
S'ils ne fuffifent pas , mes onze pieds diffous
Offriront à tes yeux , ce que je fuis peut- être.
Cherche donc avec foin , décompofe mon être.
Tu verras ce métal qui fait tant de jaloux;
Un élément fubtil ; une Nymphe indifcrette;
Qui fecha de douleur , victime de l'amour ;
Le premier des Mortels , que l'on voit à la Cour
Ce qui gagne fouvent l'implacable foubrette ;
Ce qu'un fage Pilote évite prudemment ;
Un endroit élevé , féjour de l'éloquence ;
Uné cité fameufe ; un ancien inftrument
Que l'on voit aujourd'hui très à la mode en France
L'ornement d'un Pontife ; une tendre beauté
Qui foumit à fes loix le maître du tonnèrre ;
Un fleuve d'Italie ; un féjour fortuné ;
Un attribut du Dieu que l'on chante à Cythère ,
Des eaux un habitant ; l'inſtrument d'un chaffeurs
Un péché capital qui tient de la fureur.
Mais c'eft affez , Lecteur , tu dois me reconnoître ;
Prends foin que près de toi, je ne vienne à paroître
6 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
E fers à la magnificence ;
F'embellis un féjour où régne l'opulence ;
A la Cour , à la Ville , on me trouve ailément
A la Campage rarement ;
Et jufque dans la rue
Deux fois , par chacun an , on m'expofe à la vucă
Je puis me partager en dix pieds feulement ;
En ma diffection on trouve un élément ;
Le nom de l'artifan , qui me met en uſage ;
Celui d'un autre & fon friand ouvrages
Un nom qu'on ne donne qu'au Roi ;
Un Dieu qui fut jadis une affez groffe bête
Un oifeau fort criard & qui nous rompt la tête $
Un crime puni par la loi ;
Une ancienne Ville en Provence';
Une autre qui n'a pas d'égale dans la France
Ce qu'il faut faire quand on doit ;
Aux avaresfurtout ce qui fait de la peine
Le nom du raviffeur d'Hélene ;
Un vafe dans lequel on boit ;
Ce qu'on donne au foldat à certains jours de mar
che;
Le lieu duquel fort le lait de la vaches
Un des fept péchés capitaux ;
Un fléau redoutable ; un état monarchiques
gloire et mesplaisirs aimable Dieu de
la tendresse , A- mour, cherti -
ran de mon coeur, laisse moi someiller
sans ceße , ou réalise mon bonheur.
Air, avec Accompag ? deGuitarre.
12
04
L'autre jour un songe agréable
02
04
SI- ris
me peignoit mon
Sen.
Tircis
sible à mes soupirs ; mais un réveil
impitoiable, finit en un instant ma
MAR S. 1761 .
Un écumeur de mer ; deux notes de Mufique ;
Une Ville où l'on prend de minérales eaux ;
Celai duquel on tient la vie ,
En Latin ainſi qu'en François
Le comparatifde mauvais ;
Le figne de la moquerie 3
Je t'offre encor le nom de cet adroit archer ,
Par qui le père d'Alexandre
Perdit un oeil, le nom d'une Ville de Flandre :
Mais c'en eft trop , Lecteur , c'eſt à toi de cherchera
AIR NOUVEAU.
L'AUTRE jour, un fonge agréable
Mepeignoit mon { Iris fenfible àmes foupirs
{Tircis
Mais , un réveil impitoyable ,
init, en ua inſtant , ma gloire & mes plaifirs
Aimable Dieu de la tendreffe ,
Amour , cher tyran
de mon coeur !
Laiffe-moi fommeiller fans ceffe ;
Ou , réalife mon bonheur.
Par unejeune Demoiſellai
MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
DANS ie Mercure dernier , on s'adreſſe
à Meffieurs les Antiquaires , pour avoir
l'intelligence d'une Infcription qui fe voir
au- deflous d'un Bufte de Louis XIV, au
coin de la rue de la Juiverie. Permettezmoi
de me fervir de la même voie , pour
leur demander l'explication d'une autre
Infcription qui ne me paroît pas moins
obfcure , ni moins intéreflante pour ceux
qui font flattés de faire quelques décou→
vettes dans l'étude des Antiquités de la
Ville de Paris .
Au- deffus de la porte d'une maifon
qu'on vient de démolir, rue Saint Martin ,
vis - à - vis Saint Julien des Méneftriers , on
lifoit fur un marbre noir ces deux vers :
Summum crede nefas animam præferre pudori ,
Et propter vitam vivendi perdere caufas .
Cette maifon , d'une ftructure antique ,
avoit pour ornemens quelques inftrumens
MAR S. 1761. 69
de chaffe . Quelqu'un m'a dit qu'elle avoit
appartenu à un Grand -Veneur , dont il n'a
pû me dire le nom. Une autre perfonne
m'a apris que cette maiſon avoit été occupée
par la belle Gabrielle . Voilà tout ce
que j'ai pu apprendre de particulier , au
fajet de l'édifice. Pour l'Infcription , perfonne
n'a pû me l'expliquer . Si vous voulez
bien , Monfieur , propofer cette quef,
tion , je vous ferai très - obligé .
J'ai l'honneur d'être &c.B. G.N. de S. lle
SECONDI LETTRE , au même .
COM OM ME je ne fuis point Antiquaire , ni
au fait du local de la maifen fituée au coin
de la rue Calandre & de la rue de la Juives
rie,occupée par une Lingere , je ne me hazarderai
pas de donner une conjecture fur
l'Infcription problématique propofée dans
votre fecond Journal de Janvier : la mai-
Lon mieux inftruite que tout autre , des
vérités qu'elle renferme , s'expliquant par.
elle- même lévera la difficulté & la réfon
dra d'une manière plus fatisfaifante ,
Je fuis une maifon ; ceux qui m'ont donné
naiffance ou bâtie ,avides de terrein &.
voulant fe procurer leurs commodités
n'ont pas craint , pour augmenter mon
70 MERCURE DE FRANCE
"corps, d'anticiper fur la rue, au préjudice
»de l'alignement. Les Magiftrats de police,
»uniquement occupés du bien public , charngés
par Sa Majefté de procurer à la Ville
tous les embelliffemens dont elle eſt ſufceptible,
ont été frappés de la difformité
»que cette ufurpation occafionnoit ; c'eft
pourquoi ils ont jugé fagement, qu'il étoit
»néceffaire , pour rendre la rue plus droite,
»de me tronquer , c'eſt - à-dire , d'enlever
une partie de moi- même.Urbs me detrun
cavit.
» Le Propriétaire étoit un Médecin de
réputation,recommandable par fon mérite
, que le grand Monarque pour lors
régnant honoroit de fa confiance ; il ne
»lui fut pas , en conféquence, difficile , au-
»près d'un Prince fi bienfaifant, d'obtenir
en ma faveur un aggrandiffement qui le
"dédommageât de la perte que je venois
de faire. Rex amplificavit.
»Auſſi mon Maître , touché & pénétré
»de la grâce qui venoit de lui être accordée
, ne fongea plus qu'à donner au Public
& à la Poftérité un témoignage au-
»tentiquede fa reconnoiffance &de fon at-
»tachement envers le Roi; c'eft pourquoi
»il me fit reconſtruire. Medicus reftituit :
»& plaça à mes côtés & à la vue de tour
le monde, un bufte qui repréſente ſon il
MAR S. 1761. ラ
1
luftre Bienfaiteur, au bas duquel eft cetate
Infcription.
"Tous ces changemens arrivérent l'am
mil fix cens quatre-vingt- huit.
ANNO MDCLXXXVIIL
" L'on voit par là que mon deffein n'a pas
»été uniquement de faire connoître mon
reftaurateur qui étoit un Médecin , mais
bien plutôt de faire l'éloge du Souverain
dans le choix de fesMagiftrats, dont la vi-
"gilance & le zéle ne peuvent fouffrir les
"ufurpations,comme auffi dans les récom
"penfes que Louis XIV & notre glorieux
"Monarque à fon exemple, ne ceffent d'ac
corder aux Talens .
J'ai l'honneur d'être & c. HOUSSET ;
Médecin des Hôpitaux correfpond. de la
Soc . R. des Sciences.
HISTOIRE DE JEAN SOBIESKI
Roi de Pologne , par M. l'AbbéCoXER
3 vol. in- 12 .
L'HISTOIRE d'un Roi électif , que fes
vertus ou la force ont porté fur le Trône ,
eft un fpectacle qui attire les regards. On
voit dans celle-ci , un noble Polonois
2 MERCURE DE FRANCE.
monter à l'autorité fuprême , & s'y foutenir
au milieu des orages . On le voit dans
les Armées , dans le Sénat , dans les Diétes
; & l'Auteur l'y montre avec cette vérité
, qu'on chercheroit envain dans l'hiftoire
d'un Monarque héréditaire & abfolu.
Avant que de commencer le récit des
événemens , arrivés fous le régne de fon
Héros ; M. l'Abbé Coyer nous préfente le
tableau général de la Pologne , depuis le
fixiéme fiécle , jufqu'au temps où Sobieski
prit les rênes de cet Empire. Les Polonois ,
avant la première de ces deux époques ,
n'étoient encore que Sarmates . Ils n'avoient
point de Rois ; ils vivoient libres dans les
montagnes & les forêts . Vers l'an 550 ,
Leck s'avifa de les civilifer. Il coupa des
'arbres , & s'en fit une maifon ; d'autres cabanes
s'élevérent autour de la fienne ; &
Gnefne , la première Ville de Pologne ,
prit la place d'une forêt. Leck prit le titre
de Duc , nom que portérent longtems fes
fucceffeurs, qui prirent enfin celui de Rois .
Dans cette longue fuite de fiécles , la Pologne
compte quatre claffes de Souverain .
Leck , Piaft , Jagellon , voilà les chefs des
trois premieres races. La quatrième , qui
commence à Henri de Valois , forme une
claffe à part , parce que la couronne y a
paffé d'une Maifon à une autre , fans fe
fixer
MARS. 1761 . 73
fixer dans aucune. Le pouvoir fouverain
paffa quelquefois entre les mains des femmes
; mais les Polonois ont enfin adopté
la Loi Salique de la France . Plufieurs femmes
avoient régné glorieufement.On parle
furtout de la célébre Venda , qu'un Prince
Allemand , nommé Ritiger , touché de fes
charmes , demanda en mariage à la tête
d'une armée . Elle fe préfenta au combat ;
des troupes Allemandes refuférent de fe
battre, pour un intérêt d'amour. Ritiger le
tua , & Venda le précipita dans la Viftule,
pour ne plus troubler le repos de fes
ples.
peu-
Après que la Loi Salique fut reçue en
Pologne , les femmes ne montérent plus
fur le Trône , qu'en acceptant les époux
qu'on leur défignoit , pour les foutenir
dans un pofte fi élevé. » Anne Jagellon
avoit foixante ans lorfqu'elle fut élue.
Etienne Batori qui l'époufa pour ré-
» gner, penfa qu'une Reine étoit toujours
» jeune .
"
L'Auteur parcourt ainfi tous les fiécles,
& les principaux événemens qui ont précédé
le régne de Sobieski ; & fans être
trop long , il n'omet rien de tout ce qui
a rapport à la conftitution du Gouvernement
Polonois. Il expofe enfuite dans un
grand tableau , le génie , le caractère , les
D
74 MERCURE DE FRANCE.
fe
coutumes , les moeurs , les ufages , les loix
de ce Royaume . Toutes les guèrres entreprifes
& foutenues par Sobieski
font faites principalement contre les
Turcs & lesTartares. L'Auteur a cru qu'un
coup d'oeil rapide fur ces deux Nations ,
ne les confidérer que comme guerrières ,
n'étoit pas moins néceffaire ; & enfin il
arrive au regne qu'il a à décrire .
à
Ce fut fous celui de Sigifmond III , en
1629 , que naquit dans le château d'Olef
ko petite ville du Palatinat de Ruffie ,
Jean Sobieski . » Il fortoit de deux ancien-
» nes Maifons , dont les Généalogiftes
» Polonois , auffi entreprenans que ceux
» de France , one pofé la premiere pierre
» dans la nuit des fiécles . Une vérité plus
» conſtante , c'eft qu'on remarquoit dans
l'une & dans l'autre , une fucceffion de
» vertus , qui étoit bien au - deffus de la
و د
plus haute généalogie. Les voyages entrérent
dans le plan de l'éducation du jeune
Sobieski. Le pays où il s'arrêta le plus
fut la France. On le vit parmi nos Moufquetaires
, lui que la fortune avoit marqué
pour être Roi . Paris avoit été le
premier objet de fes voyages ; Conftantinople
en fut le terme. Son féjour s'y prolongea
, parce qu'il vouloit connoître à
fond une puiffance qui étoit fi fouvent en
guèrre avec la Pologne. De retour dans
MAR S. 1761 . 75
fa patrie , il eut bientôt occafion de fe fignaler.
La guerre étoit déclarée entre les
Polonois & les Cofaques. Il faut lire dans
l'ouvrage , le détail des premiers exploits
militaires de ce jeune héros , jufqu'à fon
mariage avec Marie de la Grange , fille
du Marquis d'Arquien , Capitaine des
Gardes de Monfieur , Frère de Louis XIV.
Marie étoit une des Filles d'honneur de
la Reine de Pologne. Elle avoit épousé
en premieres nôces le Palatin de Sendomir.
Sobieski fçachant combien la Reine
protégeoit la jeune veuve , demanda fa
main , fans lui donner le temps d'effuyer
fes larmes. La Reine les maria fecrettement
, pour garder la décence du deuil ;
après quoi elle écrivit au Marquis d'Arquien
, pour avoir fon confentement. Il
fallut bien le donner ; mais ce fut contre
fon gré ; & fa réponſe à la Reine marquoit
affez fon mécontentement. Sur quoi
M. l'Abbé Coyer fait cette réflexion : » Les
» hommes devroient apprendre à fe li-
» vrer de meilleure grâce à la deftinée. Le
"
Marquis n'eût certainement pas écrit de
» ce ton , s'eût prévu que ce mariage
» devoit mettre fa fille fur le Trône , en
sie comblant de biens & d'honneurs . Le
Pape Innocent XII. n'oublia jamais
qu'il avoit béni cette union, étant Non-
"
ور
Dij
6 MERCURE DE FRANCE.
ce Apoftololique en Espagne.
Ce mariage porta Sobieski , aux premicres
charges de la République. Il eut part
aux faveurs du Roi, comme aux bontés de
la Reine ; mais cette Princeffe étant morte
peu de temps après , & le Roi Cafimir
ayant abdiqué, il eut des difgraces à effuyer
fous Michel fon fucceffeur. Les dernieres
années du régne de Cafimir , forment un
morceau curieux & intéreffant de cette
hiſtoire ; mais nous ne nous arrêterons qu'à
ce qui regarde Sobieski . Il défendit plufieurs
fois fon pays contre les Cofaques ,
les Tartares & les Turcs ; & les victoires
multipliées lui donnérent cette haute con--
fidération , qui le conduifit enfin à la fuprême
puiflance. Ceft dans ce rang élevé
que nous allons le confidérer .
Il eft d'ufage en Pologne , dans la cérémonie
de l'Election du Monarqne , de
faire un Difcours qui place toujours le nouveau
Roi au - deffus de fes prédéceffeurs.
L'Orateur mêle le facré & le profane , felon
la coutume du Pays. En voici un extrait
pour donner une idée du ton de cette
éloquence. C'étoit dans l'Eglife de S. Jean
que fe fit le difcours en l'honneur de Sobieski.
» Comme autrefois Saint Jean préparoit
les voies au Meffie , ainfi la République
, en donnant le diplôme de
33
»
MAR S. 1761 . 77
»
» la Royauté à Jean Sobieski , prépare
les voies à fon Seigneur , dont le nom
» eft Jean. La Vierge Marie fanctifia Jean
» dans le fein de la mere ; la Reine Marie,
époufe de Cafimir , avoit rempli de bénédictions
le Roi Jean , en le mariant
» avec Marie d'Arquien , cet Océan de
» qualités angéliques . La République s'étoit
trompée en choififfant Michel ; elle
» corrige fon erreur en prenant Jean.
» Jean eft un nom de grâce... Les Molda-
» ves & les Valaques ont adoré Jean , &
nous ont appris à l'adorer nous - mêmes
» comme le Sauveur de toute laChrétienté...
Nous avons attendu le Saint- Efprit
» aux Fêtes de la Pentecôte ; nous l'avons
reçu dans la perfonne de Jean ... C'eſt
» un Samedi , veille de la Trinité , que
» nous nous fommes tous réunis , pour
» élire Jean. Il eft lui- même une Trinité :
» notre enfant, notre père & notre Roi ....
La fête de la Trinité annonce que la
» maiſon de Jean regnera au moins trois
» cens ans , & plût à Dieu , trois mille & c..
L'Auteur remarque que ce n'étoit pas un
Moine qui parloit ainfi , mais un Palatin..
Sobieski monta fur le Trône , dans un
âge où l'homme eft tout ce qu'il doit être..
Il avoit 45 ans ; & fi le Trône le donnoit:
à l'avantage de la figure , continue l'Hif
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
torien , il l'eût encore mérité par cet endroit.
Une taille haute , un vifage plein ,
des traits réguliers , un nez ' aquilain , des
yeux pleins de feu , une phyfionomie noble
& ouverte , c'eft fon portrait . » Il n'a
» voit pas encore, alors, cette réplétion qui
avec le temps , diminua fa bonne grâce.
» On ne lui voyoit que cet embonpoint ,
» qui , en marquant une fanté floriffante ,
cadre fi bien à l'habit Polonois . L'air
majeftueux que les courtifans prêtent à
» tous les Souverains , la Nature l'en avoit
» doué. Au-deffus de la foule des Rois
» dans les Confeils & fur les champs de
» bataille , il étoit au niveau du Citoyen ,
» par fon amour pour la paix domestique ;
» un nuage qui auroit pû la troubler , l'inquiétoit
plus que l'ennemi.
و د
"
Les premieres années du regne de Sobieski
furent marquées par des triomphes.
Ses guerres contre les Turcs font
décrites fort au long dans cette hiftoire ;
mais le récit n'en eft ni fec ni ennuyeux.
M. l'Abbé Coyer a tellement l'art d'intéreffer
les lecteurs pour fon héros , qu'on
ne peut s'empêcher de prendre part aux
plus petites circonftances de fa vie , à
plus forte raifon aux événemens les plus
glorieux de fon regne . Mais le Roi de Pologne
parut obfcurcir cette gloire aux
MAR S. 761 79
yeux de la fierté républicaine. Elle avoit
reproché au foible Roi Michel , d'avoir
accepté l'Ordre de la Toifon d'or . On reportoit
à Jean , celui du Saint- Efprit . 11
le reçut des mains du Marquis de Bethu
ne,
-
beau-frère de la Reine. C'étoit , difoit-
on , s'humilier , qué d'en prendre les
livrées. La République en marqua fon
reffentiment , en s'oppofant en plufieurs
occafions aux volontés du Monarque. Peu
de temps après , il eut une autre mortification
du côté de la France, pour un intérêt
de famille. Le Marquis d'Arquien ,fon
beau père vivoit en France. La Reine ,
fille du Marquis , fouhaitoit paffionnément
qu'il fût décoré du titre de Duc.
Le Roi qui avoit le même defir , demanda
cette grâce à Louis XIV. Dans tout
le cours de fa fortune il avoit toujours
entretenu de grandes liaiſons avec cet
Monarque ; & en cas qu'il fût obligé de
quitter la patrie , par la haine qu'il pour
roit s'attirer , Louis XIV lui avoit offert
de grands établiffemens dans fes Etats , le
Bâton de Maréchal de France, fi la gloire
des armes le tentoit encore , ou le titre
de Duc , s'il ne goûtoit plus qu'un repos
tranquille & honorable . Cette dignité
, dont il n'avoit plus befoin , il fe flattoit
bien d'en décorer fon beau- père. Louis
Div
30 MERCURE DE FRANCE.
lui répondit qu'il étoit tout prêt à l'obliger
, pourvu que le Marquis fe mît en
état de recevoir cette faveur, par l'acquifition
d'une Tèrre, qui pût foutenir le titre
de Duché. Au milieu de ces propofitions ,
le Marquis de Bethune , qui afpiroit au
même honneur , fans fçavoir qu'il devenoit
le rival de fon beau père , intéreffoit
pour lui - même M. de Seignelai fon ami ,
& M. Colbert , leur faifant entendre qu'il
auroit la protection du Roi de Pologne.
Les deux Miniftres en parlérent effectivement
à Louis XIV. » Je ne ferai pas ,
» dit ce Prince , deux Ducs à la fois dans
» une même famille ; je préférerai celui
» que le Roi de Pologne voudra . Perfonne
ne s'attendoit à un troifiéme Concurrent,
qui entroit dans la lice. C'étoit le nommé
Brifacier, Secrétaire des Commandemens .
de la Reine de France , Marie - Thérefe.
Un Religieux François étoit arrivé à Varfovie
, chargé de lettres pour le Roi de-
Pologne. La premiere portoit » que celui
» qui avoit l'honneur de l'écrire , fe trou-
» voit obligé , aux dépens de la réputation
de fa mere , de faire fouvenir le-
» Roi , qu'étant en France au fortir de
» l'Académie , il avoit aimé une belle fem-
» me , qui avoit mis fur le compte de
» fon, mari , un fils qui avoit l'honneur
MARS
815 1761 .
و د
» que
>>
d'appartenir à Sa Majeſté ; & que ce fils
» avec les biens . de fon prétendu père ,
» avoit à peine eu le moyen d'acheter la
» charge de Secrétaire des Commande--
» mens de la, Reine de France ; que puif-.
la fortune & le mérite avoient :
» mis le vrai père fur le Trône , le fils
avoit lieu d'efpérer quelque élévation ; .
» & qu'enfin la Reine de France le protégeoit
vivement . A ces mots , le Moine:
préſenta au Roi une lettre de cette Reine,,
qui le preffoit dans les termes les plus
forts , de reconnoître Brifacier , & de fol
liciter pour lui le titre deDuc.Jean étonné?
ne fe fouvenoit de rien , mais une troifiéme
Lettre , une Lettre de change de cent mil-.
le écus , payable à Danzic , au profit dus
. Roi , débrouilla le cahos de fes idées. Un
nouveau trait de lumiére acheva de Pé--
blouir , c'étoit le portrait de la Reine enchi
de diamans. Il prit le parti de de-
-mander à Versailles , le titre de Duc , pour
ce fils qu'il avoit oublié en France , & qu'ill
vouloit reconnoître. Louis XIV trouva:
fort fingulier, que de la même part , om
lui demandât trois grâces de la même nature.
I ordonna à fon Ambaffadeur , de
découvrir fi éffectivement le Roi de Polo--
gne étoit perfuadé que Brifacier fût fon fils..
Le Marquis de Béthune prit un de ces mo
•
D Y
82 MERCURE DE FRANCE.
39°
mens où l'âme s'ouvre d'elle - même ; une
partie de chaffe. » Par S. Stanislas , lui dit
le Roi, je ne fçais ce que c'eft que M. &
» Madame Brifacier ; j'érois bien jeune ,
quand je vivois en France ; j'ai eu plu-
» fieurs bonnes ou mauvaiſes fortunes dans
» un Pays , où les femmes font fi douces ;
» Madame Brifacier a pu être du nombre .
» Mais comment voulez - vous que je dou-
» te ? cette lettre de change, ce portrait, &
» plus que tout cela la Lettre de la Reine
» qui m'affure que fon Sécretaire eft mon
» fils. Le Marquis de Béthune eut l'adreſſe
de fe faire confier cette Lettre, qu'il fit paf
fer à fon maître . La Reine reconnut fa fignature
; mais en la lifant , elle s'écria
qu'elle n'avoit jamais penfé à une telle
impertinence. Elle avoit figné fans voir .
Brifacier fut mis à la Baftille , où il avona
fon impofture. Cette avanture rallentit la
follicitation de Jean pour fon beau- père ;
& d'ailleurs la Tèrre qui devoit être érigée
en Duché , ne s'achetoit point encore.
Quant au Marquis de Béthune , il réfolut
de mériter les honneurs qu'il demandoit
, par de nouveaux fervices , qu'il
rendroit à la France , pendant fon ambaſfade:
L'événement le plus confidérable du regne
de Sobieski , eft la levée du fiége de
MAR S. 1761 . 83
Vienne. Cette Ville & tout l'empire durent
à ce Monarque leur délivrance. Ce
fait eft connu , nous ne nous arrêterons
qu'à quelques circonftances . On vit , dit
l'Auteur , un de ces fpectacles qui font faits
pour inftruire les Souverains & attendrir
les peuples , lors même que les Souverains
n'ont pas mérité leur tendreffe ; Léopold ,
le plus puillant Empereur depuis Charles-
Quint , fuyant de fa Capitale , avec l'Impératrice
la belle-mère , l'Impératrice fa
femme , les Archiducs , les Archiducheffes ,
une moitié des habitans fuivant la Cour en
défordre.On coucha la premiere nuit dans
un bois , où l'Impératrice , dans une groß
feffe avancée , apprit qu'on pouvoit repofer
fur de la paille , à côté de la terreur. Alors
' Empereur Leopold écrivit au Roi de Pologne
une Lettre , qui , comparée avec la
conduite qu'il tint à fon égard après la victoire
, montre le pouvoir du malheur fur
les âmes hautaines , & le retour de la hau
teur , lorfque le danger eft paffe. » Nous
» fçavons , difoit Léopold à Sobieski , que'
» par l'extrême éloignement de votre ar-
» mée , il eft abfolument impoffible qu'elle
» puiffe fe trouver à temps , pour contribuer
» au falut d'une place , qui eft dans un pé-
» ril des plus éminens. Ce ne font donc
pas vos troupes , Sire, que nous attendons
و د
Divj
34 MERCURE DE FRANCE.
:
» mais la préſence de Votre Majefté : bien
» perfuadés que nous fommes , que fifa
» Royale Perfonne veut bien paroître à la
» tête de nos troupes , quoiqu'elles foient
» moins nombreufes que celles des Turcs ,
» fon nom redoutable à nos ennemis com-
» muns rendra feul leur défaite cer-
» taine. » Qui croiroit que ce même Em →
pereur pourn'être pas fpectateur du triomphe
du Roi de Pologne après la défaite
des Turcs , & la levée du fiége , fufpendic
la marche ? Une difficulté de cérémonial
l'arrêtoit encore : il s'agiffoit de fçavoir fi
jamais un Roi électif s'étoit trouvé avec
un Empereur , & comment il avoit été reçu.
Charles V, Duc de Lorraine, qui n'en--
tendoit dans le moment , que le cri de la
reconnoiffance , repondit : à bras ouverts !!
s'il afauvé l'Empire. L'Empereur n'écou
toit que la dignité impériale , & fit fçavoir
à Jean , qu'il ne lui donneroit pas la main
qu'il prétendoit en qualité de Souverain ..
Après bien des chicanes , il fut réglé qu'on³
fe verroit en pleine campagne . Le moment
de l'entrevue arriva. Le Roi de Pologne
aborda l'Empereur avec le port héroique,.
dont laNature lui avoit fait préfent; & avec
cet air que donne la victoire. L'Empereur
vêtu , comme il l'étoit dans fa cour affez
fimplement , ne l'entretint que des fervices
MARS. 176′1 8%
reçus entout temps par les Polonois , de
l'amitié & de la protection des Empereurs.
Il lâcha pourtant le mot de reconnoiffance
pour la délivrance de Vienne: A ce mot , let
Roi lui dit : mon frere , je fuis bien aife de
vous avoir rendu ce petit fervice . Il alloit finir
l'entretien qui devenoit gênant ; mais ;
il apperçut le PrinceJacques , fon fils , qui !
mettoit pied à terre , pour faluer l'Empe-
રે
reur. C'eft un Prince , lui dit - il , quej'éléve:
pour le fervice de la Chrétienté : l'Empe--
reur, fans dire mot , fit un figne de tête . Un
Palatin s'avanca , pour baifer la botte de
Sa Majefté Impériale : Palatin , lui dit le
Roi , Point de baſſeffe ..
Jean mécontent de l'Empereur , après
avoir fauvé l'Empire , ne retourna dans fes
Etats, qu'après avoir remporté d'autres victoires
fur les Turcs ; mais de retour en Po-"
logne , il y trouva des fujets de difgraces :
qu'il n'avoit pas éprouvés avec les ennemis..
Mille obftacles s'oppofoient toujours à fes
deffeins ; & une mauvaiſe ſanté caufée
les fatigues de la guèrre ', l'avertiffoit de :
fa mort prochaine . Les Médecins lui confeilloient
de s'abftenir du commandement
des armées , & d'une application trop fuivie
au Gouvernement . Pourquoi fuis -jeRoi,
leur difoit- il,fi vous me guériffez, ce nefera
pas dans le repos
par
86 MERCURE DE FRANCE.
La Reine fon époufe le débaraffoit d'u
ne partie des foins du Gouvernement . Elle
étoit aidée par l'Abbé de Polignac , depuis
Cardinal , qui étoit alors Ambaſſadeur
extraordinaire de France. » Il fut bientôt
» pour la Pologne un objet d'admiration
» & de frayeur . Orné des grâces du corps
& de l'efprit , aimable courtifan , gé-
» nie lumineux , beau parleur , politique
» délié plus que profond , il n'étoit venu
» que pour l'ambaſſade , & on l'eût pris
» pour le premier Miniftre de Pologne.
» Avant fon arrivée , les Allemands pri-
» moient à la Cour ; les François prirent le
deffus. Il étoit de tous les confeils fecrets ;
& pendant que le Roi étoit obligé de
penfer à fa fanté , il s'enfermoit fouvent
avee la Reine . Les femmes & les cour-
» tifans oififs en plaifantoient , fans penfer
que la Reine avoit renoncé aux foibleffes
» des femmes , pour les paffions des hom-
93
» mes.
La Nation Polonoife fe voyant à la
veiile de perdre fon Chef , ne s'occupoit
plus que de celui qui devoit lui fuccéder ;
& l'on fe difputoit les dépouilles d'un Roi
encore vivant en attendant que l'argent,
P'intrigue ou la force décidaffent . Il
avoit certainement bien des malheureux
dans la République , depuis que la ma
y
MAR S. 1761 .
4
ladie lui avoit arraché les rênes du gouvernement
; mais il étoit peut- être luimême
le plus malheureux . » Il abandonna
tout à la fortune ; & s'il cherchoir
» encore quelque confolation , c'étoit ,
après la Religion , dans les Lettres &
» la Philofophie qu'il la trouvoit . Deux
» hommes qui ne le quittoient pas , &
» qui connoiffoient fon goût , Polignac
» & le Pere Vota Jésuite , étoient tout
" propres à le fervir. Mais l'Abbé l'em-
"
portoit autant fur le Jéfuite , que l'ef-
" prit du monde l'emporte en aménité ,
»fur l'éducation de l'Ecole & du Cloître.
» Le Roiparloit fouvent de la France , ou
il avoit voyagé ; il louoit l'urbanité ,
» la gaîté & la valeur des Seigneurs François
; mais il blâmoit cette moleffe de
» moeurs , qui fe plie au mal comme au
» bien , qui fête le vice , pourvu qu'il ne
"foit pas ridicule ; cette belle humeur ,
" trop belle , qui leur permet de rire , tan-
" dis que leur patrie pleure. Il ne leur
❞ pardonnoit pas de quitter des noms illuftrés
par leurs ancêtres , pour pren
» dre des noms de Tèrre , fource de con-
» fufion , où l'on ne diftingue plus l'hom
» me nouveau qui achete , & l'ancien
noble qui a vendu. Polignac jugeoit à
» fon tour les Seigneurs Polonois , mais
»
$8 MERCURE DE FRANCE.
وز
avec la réferve convenable à un Etran
" ger , qui doit fe concilier la Nation avec
laquelle il traite. La Reine livrée plus
» que jamais aux affaires, étoit ravie que
» le Roi eût trouvé deux hommes à fon
gré , pour tromper fes douleurs & fes
وو
» ennuis.
Le 17 Juin , jour de la Trinité, ce Prince
s'étoit promené dans fes jardins . Il dina
même avec une lueur de fanté , pendant
que la mort travailloit dans fon fein.
Peu d'heures après , au milieu de la Famille
Royale , une attaque d'apopléxie le
renverfa fur le parquet. Au bout d'une
demie heure il reprit fes fens ; & regrettant
, pour ainfi dire , le fommeil de
mort où il ne fentoit plus les peines de
la vie , il dit dans une Langue qui lui .
étoit familière , ftava bene , j'étois bien ..
La frayeur glaçoit tous les vifages , excepté
le fien . Une fermeté guerriere, philofophique
& chrétienne le foutint dans.
fon agonie. Il employa fes derniers mö--
mens à faire fentir à fes enfans la néceffité
de l'union la plus étroite. Il conjura:
la Reine de n'avoir d'autres intérêts que
les leurs, fi elle vouloit conferver la couronne
dans fa famille , leur recommandant:
à tous de fuivre les confeils de Polignac:
qui avoit mérité, difoit - il , leur confiance
MAR S. 1761 .
89
"
& la fienne. Il mourut comme Augufte ,
à pareil jour de fon élection au Trône ,
dans la foixante- fixième année de fon
âge , & la vingt- troifiéme de fon regne.
» Ses ennemis , ou fes envieux , lui donnérent
avant fa mort même , le nom de
» Vefpafien . S'il en eut un défaut , l'amour
» de l'argent , il en eut auffi les vertus.
» Comme lui , il fut porté fur le Trône par
» fes fervices militaires . Les grâces de l'ef-
» prit , les langues qu'il parloit , les lettres:
» dont il fenourriffoit , l'enjouement de fa
» converfation , la douceur de fes moeurs ,
» la fidélité dans l'amitié , la tendreffe
» conjugale , l'amour paternel , toutes
» ces qualités qui en auroient fait un ai-
» mable particulier , n'auroient pas fuffi à
» fa haute deſtinée . Doué de la force du
» corps , & du feu du génie , fçavant dans.
» les loix , dans les intérêts des Peuples
, & dans la guèrre ; auffi éloquent
» dans les Diétes , qu'entreprenant dans
" les Armées , il avoit montré à fa Nation ,
avant que de régner fur elle , qu'il fçau-
" roit la gouverner & la défendre. Il eut
» éminemment la plupart des vertus du
» Trône ; il rendit juftice àſes ennemis
» comme à fes amis ; & il traita ceux - ci
» comme au temps où il avoit befoin d'eux :
» pour y monter. Vif , il s'emportoit aifé--
"3
»
90 MERCURE DE FRANCE .
33
و د
» ment ; mais fon coeur étoit fans fiel . S'il
» fut cruel envers les Turcs vaincus, c'étoit
» l'efprit de croifade , qui , dans ces occa-
»fions feulement , altéroit la bonté de
» fón naturel , que la Philofophie n'avoit
" pas affez perfectionné. Il fut offenfé
plus d'une fois , dans un Etat , où la liber-
» té eſt toujours en garde contre la main
"qui gouverne ; & cette main ne vouloit
frapper que ceux qui offenfoient la patrie
. Sa religion ne connut point l'into-
» lérance , les Grecs Schifmatiques, les Pro-
» teftans , les Juifs & quelques reftes de
» Sociniens , vécurent en paix fous lui....
» Citoyen fous la Couronne, il affembla la
» nation plus fouvent qu'aucun de fes
» prédéceffeurs. Son régne s'écouloit dans
» le fein du Sénat , au milieu des diétes &
» dans les exploits de guèrre. Il ne crut
" jamais que le Palais d'un Roi ne dût être
» que le Temple de la magnificence &
» des plaifirs. Il connut les affaires & les
» hommes. Dans tous fes projets de cam-
" pagne , écoutant tout le monde , il fut
» lui feul fon confeil ; & fachant com-
» bien la préſence d'un Roi eft néceffaire
» pour la difcipline , la célérité & la vic-
" toire , il ne ceffa de marcher que dans le
» temps où la maladie l'arrêta. Sa patrie
» l'admira ; elle l'eût aimé, peut- être, fi un
"
"
MARS. 17617 21
3 peuple libre ne craignoit pas fans ceffe
2 pour fa liberté ; peut- être encore, s'il eût
» moins aimé la Reine. Il eut une gloire
"
"
fingulière ; celle d'humilier la puiffance
» Ottomane , qui depuis fi longtems hu-
» milioit les Couronnes Chrétiennes.Tou-
» te l'Europe rechercha fon alliance ; &
» la Pologne eut fous lui une importance
qu'elle a mal confervée. L'Alexandre du
» Nord , Charles XII , en pleurant fur fes
» cendres , s'écria : unfi grand Roi ne de-
»voit pas mourir.
"
genre
On peut juger par ce portrait , & par
d'autres traits que nous avons rapportés ,
du talent de M.l'Abbé Coyer pour le
historique. Déja connu par plufieurs Ecrits
plein de fel , d'agrément , & de fineſſe ,
l'Hiftorien de Sobieski nemontre pas moins
de talent pour l'Hiftoire. Il penfe & écrit
en Philofophie qui approfondit les caufes
des événemens , en même temps qu'il en
détaille les circonftances . Son ftyle eft vif
& concis ; fes réflexions courtes, piquantes;
fa narration nette & rapide . Le feul défaut
que nous y remarquons , eft peut- être un
peu trop de prétention au bel- efprit ; trop
d'amour pour l'épigramme. Cette Hiſtoire
fe vend chez Duchefne , rue S. Jacques ,
6 liv. les trois volumes.
92 MERCURE DE FRANCE.
CODE DE MUSIQUE PRATIQUE , Ou
Méthode pour apprendre la Mufique ,
même aux Aveugles ; pour former la voix
& l'oreille ; pour la pofition de la main ,
avec une méchanique des doigts , fur le
Clavecin & l'Orgue ; pour l'Accompa
gnement fur tous les inftrumens qui en
font fufceptibles , & pour le Prélude
Avec de nouvelles réflexions fur le Prin
cipe Sonore. Par M. RAMEAU . Volume
in 4.° De l'Imprimerie Royale, 1760 ;
&fe vend chez Duchefne , rue S. Jacques,
au Temple du goût.
·
Nous croyons ne pouvoir mieux convaincre
le Public de l'extrême utilité don
peut être ce bel ouvrage , qu'en tranfcrivant
en partie , le plan qu'en a donné
l'Auteur lui même.
Il fuffit d'expofer celui des fept Méthodes,
dont ce Code de Mufique eft compofé
, en y ajoutant quelques légères réflexions
, pour fatisfaire les Curieux fur les
différens objets , auxquels ils voudrone
s'appliquer.
MARS. 1761. 23
La premiere de ces méthodes eft pour
enfeigner la Mufique , même à des Aveugles
; il ne s'y agit que de la gamme ordinaire,
divifée en trois, l'une felon l'uſage,
l'autre par tierces , & la derniére par
quintes ce n'eft qu'une affaire de mémoire,
dont on peut même amufer les enfans
, jufqu'à ce que ces trois gammes leur
foient bien préfentes à l'efprit , dans tous
les ordres fpécifiés , avant que de les occuper
d'autre chofe , finon de les accoutumer
petit à petit à reconnoître dans l'objet
, qui leur tiendra lieu des cinq lignes
où fe placent les notes , les lignes & les
milieux où doivent fe trouver celles qu'on
leur nommera. On y recommande furtout
d'Accompagner , avec une harmonie
complette , tout ce qu'on fait chanter aux
Commençans , & de leur enfeigner l'Accompagnement
du Clavecin ou de l'Orgue
, dès qu'ils pourront aisément reconnoître
fur les cinq lignes où doit fe placer
une telle note , foit à la tierce , à
la quarte , &c. de celle d'où l'on partira :
leur oreille s'accoutumera infenfiblement
à fentir la différence des intervalles ; &
c'eft l'unique moyen de les rendre promp
tement Muficiens .
La deuxième méthode donne la pofition
de la main fur le Clavecin & fur
94 MERCURE DE FRANCE.
l'Orgue , avec toutes fes dépendances ;
de forte qu'elle y fert également pour les
piéces & pour l'Accompagnement , même
pour tous les arts d'exercice. Cette méthode
fe trouve ici placée pour fervir à
celles qui fuivent.
La troifiéme contient l'art de former la
Voix : c'eft- à-dire , qu'elle enfeigne à tirer
de la Voix les plus beaux fons dont elle
eft capable dans toute fon étendue , d'où
fuivent les moyens d'augmenter cette
étendue au- delà des bornes qui paroiffent
d'abord naturelles , & d'arriver à toute la
flexibilité néceffaire pour exécuter les plus
grandes difficultés ; méthode non ufitée
en France , où l'on fe contente d'enſeigner
le goût du Chant , lorfque ce goût ne
peut naître que du fentiment qui ne fe
communique point.
L'extrême étendue & la grande flexibilité
des voix chez les Italiens , doivent
certainement prévenir en faveur d'une
méthode qu'on tient en partie d'eux ; on
y ajoûte feulement un moyen , par lequel
route perfonne d'une oreille fenfible pourra
juger de la plus grande beauté du fon
puis un Accompagnement très - néceſſaire
pour entretenir les fons fur le même
degré quand on les file ; car il eſt aſſez
commun aux Commençans de les hauffer
MARS. 1761 .
93
en les enflant , & de les baiffer en les diminuant.
Cet Accompagnement pour le
Clavecin ou l'Orgue fe conçoit & s'apprend
à la premiere lecture.
La quatrième méthode regarde l'Accompagnement
du Clavecin ou de l'Orgue
; elle eft totalement établie fur le plan
qui en a été donné en 1732 , excepté que
qu'on l'a foumife aux chiffres en ufage , où
les doigts d'un côté , & l'oreille de l'autre
, préviennent toujours à temps & à
propos le jugement. Cette méthode femble
être imaginée pour les Aveugles ,
comme il femble auffi que la Nature ait
prévû que la marche la plus naturelle aux
doigts fur le Clavier fuivroit exactement
l'ordre le plus régulier de l'harmonie.
Cette marche eft une pure méchanique ,
dont l'acquifition peut le faire en moins
de deux mois d'exercice , avec une main
fouple & toujours obéiffante au mouvement
des doigts ; ce qui demande toute l'attention
poffible : auffi n'eft-ce pas fans raifon
qu'on a cru devoir s'étendre fur la pofftion
de la main , dont dépend le prompt
fuccès. Par cette méchanique , bientôt les
doigts prennent , pour ainfi dire , connoiffance
du Clavier : connoiffance d'autant
plus néceffaire , que l'air doit toujours
être porté fur la Mufique qu'on Accom96
MERCURE DE FRANCE.
pagne ; connoiffance qui d'ailleurs nourrit
T'oreille de toutes les routes harmoniques,
pendant qu'elle préfente à l'efprit un
exemple fidéle de toutes les regles dont
il doit etre inftruit ; de forte que le jugement
, l'oreille & les doigts d'intelligence
concourent enſemble à
procurer en peu
de temps les perfections qu'on peut dearer
en ce genre : telles font du moins les
vues de l'Auteur. Par exemple , fans regarder
le Clavier ni les doigts , après les
avoir arrangés pour un premier accord ,
on reconnoît fur le champ au feul tact &
la Bafe fondamentale , & la diffonance
quand il y en a. Sans s'occuper des regles,
toutes les marches poffibles s'exécutent
dans leur précifion & dans toute la promptitude
néceffaire . Ces doigts préparent &
fauvent toutes les diffonances comme
d'eux-mêmes : connoît - on l'une des deux
notes à la feconde , toujours indiquées
par ces chiffres ,,, 7 ou 2 , l'autre fe
trouve fur le champ & tout l'accord enfemble
, ne s'agiffant pour cela que d'arranger
par tierces les doigts qui restent ,
de quelque côté que ce foit , l'octave de
la Baffe repréfentant partout la feconde
de 7 & de 2 , l'une au - deffus , l'autre audeffous
le plus bas des deux doigts à la
Leconde
MAR S. 1761 . 97
feconde l'une de l'autre , defcend toujours
d'un demi-ton fur la note fenfible , indiquée
par un dièſe , un béquare , ou par un
chiffre barré ; & ce doigt le plus bas eft
toujours la tonique du Ton déclaré par
cette note fenfible. Enfin l'habitude une
fois acquife de toutes les routes fondamentales
données dans les exemples, où
fe reconnoît tout ce qui vient d'être annoncé
, les doigts prennent , comme on
vient de le dire , une telle connoiffance
du Clavier , dans les plus grandes difpofitions
même , qu'ils font prèfque toujours
dans le cas de prévenir le jugement & la
mémoire : bien entendu qu'on n'emploie
le pouce dans les accords , que lorsqu'on
en pofféde parfaitement la pratique. Quel
avantage pour former l'oreille , & pour
procurer aux Aveugles les moyens d'arriver
à la Compofition ! Quel avantage encore
pour les perfonnes déjà capables
d'exécuter une Baffe à livre ouvert ! Il ne
s'agit d'abord que de la main droite dans
tous les premiers exercices , pendant lefquels
on s'inftruit des regles , dont l'exemple
fe trouve toujours fous les doigts .
La cinquième méthode achève la compofition
, dont la quatrième a déjà fait l'ébauche
& les préparatifs : elle s'y trouve
en effet de la plus grande importance ,
E
98 MERCURE DE FRANCE.
puifque fans le fecours de l'oreille , nul ne
doit fe flatter de réuffir dans la Compofition
. Nous ne fommes tous devenus Muficiens
qu'à la faveur de ce guide fidéle , qui
nous a fuggéré , par une fuite de temps
affez confidérable , les différentes routes
harmoniques dont nous fommes en poffeffion,
jufqu'à ce qu'enfin l'Auteur en a décou
vert le principe ; principe qui n'a fervi qu'à
tirer de la confufion les régles de l'harmonie
, en lui donnant , dans la pratique , le
titre de Baffe fondamentale , fur laquelle
eft établie la méchanique des doigts dont
on vient de parler .
On fuppofe donc , à quiconque voudra
fe livrer à la Compofition , une connoiffance
& un fentiment peu commun de
l'Harmonie , ne pouvant guères fe fatiffaire
fur ces deux points que par le moyen
de l'Accompagnement. On ne fera plus
déformais la dupe de fon trop de prévention
pour de médiocres talens , fur
lefquels on a peine à fe rendre juftice :
tout est donné dans cet Accompagnement
, le fimple & le plus compofé , l'oreille
y eft prévenue , & fe met à portée
de pouvoir préffentir : c'eft le grand point
pour que l'imagination ne foit jamais fufpendue
. Quand même les regles connues
feroient fans reproche , qu'est- ce que des
MAR S. 1761 :
99
regles qui afferviffent le génie ? c'eſt à
l'imagination d'en ordonner ; auffi n'at-
on entrepris la méthode dont il s'agit ,
qu'après avoir découvert le moyen de la
laiffer agir , cette imagination , en toute
liberté elle n'a pas plutôt produit un
Chant , que la régle en fait trouver la
Baffe fondamentale , & par conféquent
toute l'harmonie , dont on difpofe à fon
gré. Eft- on arrêté dans fa courfe ; l'imagination
fe refufe-t- elle à nos defirs ; la
fucceffion obligée de cette Baffe fondamentale
nous remet fur la voie , jufqu'à
nous écarter des routes trop communes ,
fuppofé que nous ayons le goût affez délicat
pour ne pas nous contenter de celles
qui pourroient y tendre. N'euffions- nous
produit que deux mefures de Chant , cette
Baffe peut nous le faire continuer auffi
long-temps que nous le voudrons, même
avec les variétés de modulations les plus.
agréables. On s'explique d'ailleurs , dans
la méthode , fur les talens qui ne ſe donnent
point , mais qui fe développent à
mefure que l'oreille fe forme ; & pour cet
effet , il faut écouter fouvent de la Mufique
de tous les goûts. Embraffer un goût
nationnal plutôt qu'un autre , c'eft prou
ver qu'on est encore bien novice dans
l'Art.
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Les deux dernières méthodes, l'une pour
Accompagner fans chiffres , l'autre pour
le Prélude , tiennent tout des deux précédentes
, dont il ne s'agit que d'expliquer
les principes , relativement à leur objet.
Trouver la Baffe fondamentale de tout
Chant donné , doit certainement fuppléer
au chiffre , puifque la Bafle fur laquelle on
diftribue l'Harmonie eft un Chant. Avoir
toutes les routes fondamentales fous les
doigts , par l'exercice qu'on doit en avoir
fait fur les exemples qu'on en donne , il y
a là dequoi fournir au Prélude , dont la variété
eft même affignée par les renverfemens
poffibles & connus ; on fuppofe d'ailleurs
une habitude acquife fur le Clavier
par un exercice de différens Airs , d'où
l'on tire mille petits ricochets , plus agréables
les uns que les autres , pour l'ornement
du Chant.
Par ces méthodes , on faura comment
il faut l'enfeigner , & comment on doit
être enfeigné .
Il faudra féparer les exemples gravés du
livre des Méthodes , du moins lorsqu'il
s'agira de l'Accompagnement , pour les
placer fur le pupitre d'un Clavecin pendant
que les méthodes feront à côté , de
façon qu'on puiffe aiſément jetter la vue
de côté & d'autre.
MARS. 178.1 .. 101
Nous donnerons dans le prochain Mercüre
, l'Extrait des nouvelles Réflexions
de M. Rameau , fur le Principe fonoré,
LETTRES DE DEUX AMANS , habitans
d'une petite Ville aux pieds des
Alpes , recueillies & publiées par J. J.
Rouffeau. Six volumes in-12 ; à Amfchez
Marc- Michel Rey. Le
terdam ,
prix
eft de 15 liv.
Nous n'entrerons aujourd'hui dans
aucun détail fur cet Ouvrage , dont nous
nous préparons à donner un long Extrait.
Nous dirons feulement, que les deux éditions
qui en ont été faites prèfque en
même temps , l'une à Paris & l'autre en
Hollande , ont à peine fuffi pour fatiffaire
l'empreffement du Public , qui le
lit avec autant de plaifir que d'avidité .
C'eft du moins là ce qui nous revient
de toutes parts ; & nous avons d'autant
moins de peine à le croire , que c'eft ce
que nous avons nous - mêmes éprouvé en
le lifant.
E iij 3
102 MERCURE DE FRANCE
PREFACE DE LA NOUVELLE HELOISE
, ou Entretiens fur les Romans,
entre l'Editeur & un homme de Lettres
par J. J. ROUSSEAU " Citoyen de
Genève. A Paris , chez Duchefne , Li
braire , rue S. Jacques , au Temple du
Goût. Avec Approbation & Privilége du
Roi. Le prix eft de 24 fols.
CEE dialogue étoit d'abord deſtiné à
fervir de Préface aux Lettres de deux
Amans , que nous venons d'annoncer ; -
mais fa forme & fa longueur n'ayant per
mis à M. Rouffeau , que de le mettre par
Extrait , à la tête du Recueil , il le donne
ici tout entier. On y trouve un jugement
très-rigoureux du Roman de la nouvelle
Héloïfe , que M. Rouffeau met dans la
bouche d'un des Interlocuteurs. Il eft vrai
qu'il juftifie enfuite lui- même prèfque tous
les points , fur lefquels tombe fa propre
critique. Nous n'en tirerons que ce qui;
peut donner une idée générale de l'Ouvrage,
en attendant une analyfe plus détaillée.
» Une jeune fille (Julie) offenfant la
» vertu qu'elle aime , & ramenée au deMAR
S. 1761 . 103
» voir par l'horreur d'un plus grand crime
; une amie (Claire) trop facile , pu-
> nie enfin par fon propre coeur , de l'ex-
» cès de fon indulgence ; un jeune hom-
» me , ( S. Preux , ) honnête & fenfible ,
» plein de foibleffe & de beaux difcours ;
» un vieux gentilhomme ( le Baron d'E-
» tange , ) entêté de fa nobleffe , facri-
» fiant tout à l'opinion ; un Anglois ( Milord
Edouard , ) généreux & brave , toujours
paffionné par fageffe , toujours rai-
» fonnant fans raifon ; un mari débonnai-
» re & hofpitalier ( M. Wolmar, ) empreffé
» d'établir dans fa maifon l'ancien amant
» de fa femme. » Voilà les principaux per-
» fonnages qui agiffent dans ce Roman .
REPONSE de J. J. ROUSSEAU , Citoyen
de Genève , à un Anonyme.
J'ai reçu le 12 de ce mois , par la pofte ,une
Lettre anonyme fans date, timbrée de Lille
, & franche de port. Faute d'y pouvoir
répondre par une autre voye , je déclare
publiquement à l'Auteur de cette Lettre
que je l'ai lue & relue avec émotion , avec
attendriffement ; qu'elle m'infpire pour
lui la plus grande eftime , le plus grand dé-
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
fir de le connoître & de l'aimer ; qu'en me
parlant de fes larmes , il m'en a fait répandre
; qu'enfin ,jufqu'aux éloges outrés dont
il me comble ,tout me plaît dans cette Lettrę
, excepté la modefte raiſon qui le porte
à fe cacher.
A Montmorenci , le 15 Février 1761 .
LES ANTIQUITÉS DE METZ , ou Recherches
fur l'origine des Médiomatriciens
leur premier établiſſement dans les Gaules
, leurs moeurs , leur Religion.
Etiam non affequutis voluiſſe pulchrum.
Plin. Lib. I..
In- 8°. 1760. A Metz , chez Jofeph Collignon
, Imprimeur ordinaire du Roi , à la
Bible d'Or. Cet Ouvrage de Dom Jofeph
Cajot , Bénédictin de l'Abbaye de S. Arnould
, nous paroît rempli de recherches
auffi fçavantes qu'inftructives ; & nous
comptons en parler plus amplement.
ÉLÉVATIONS du Chrétien malade &
mourant , conforme à J. C. dans les différentes
circonftances de fa Paffion & de
fa Mort ; avec 1. la Paffion de N. S. J. C.
diftribuée par lectures , & une prière à
MARS 1761. 105
la fin de chacune. 2 °. Une Paraphraſe
morale du Pfeaume 21 , jointe au Texte
& à la Traduction . 3 °. Les Prières pour
l'agonie, en Latin & en François. Seconde
Edition revue & corrigée. in- 12 . Paris ,
1761. Par M. Perronet , Chanoine Régulier
, Prieur- Curé de S. Ambroise de Melun.
Se vend chez Auguftin- Martin Lottin
l'ainé , rue S. Jacques, près S. Yves . Avec
Approbation & Privilège du Roi.
LE CLAVECIN ELECTRIQUE , avec une
nouvelle Théorie du méchaniſme & des
phénomènes de l'Electricité . Par le R. P.
de la Borde , de la Compagnie de Jeſus.
In- 12. Paris 1761. Chez H. L. Guérin
& L. F. Delatour , rue S. Jacques à S.
Thomas d'Aquin. Avec Approbation &
Privilége du Roi. Prix 1 liv . 16 f. broché.
MÉMOIRE fur la vie de M. de Pibrac ;
avec les piéces juftificatives , fes Lettres
amoureuſes , & fes Quatrains. In- 12. Amfterdam
, 1761. Chez Michel Rey. Ce volume
, contient des Piéces auffi curieufes
qu'intéreffantes pour les Amateurs de
l'Hiftoire de France.
ALMANACH de la Ville de Lyon & des
Provinces de Lyonnois , Forez & Beaujolois
; pour l'année 1761. in- 8 ° . Lyon,
E v
206 MERCURE DE FRANCE.
De l'Imprimerie d'Aimé de la Roche , aux
halles de la Grenette . Prix , 3 liv . broché
& 3 liv. 8 f. relié en bazanne. On le trouve
à Paris , chez Defaint & Saillant, rue
S. Jean de Beauvais. Cet Ouvrage contient
un détail fort exact de la Ville de
Lyon , de fon Gouvernement &c.
LE MISSEL, in-folio & in- 4° . imprimé
chez le même avec tout le foin & toute
la correction poffible.
Le grand PSEAUTIER , & le grand Graduel
, s'impriment actuellement chez lui ,
ainfi que le grand Antiphonaire , dont
nous avons le Profpectus , & qui feront de
la plus grande beauté. Cette Imprimerie ,
l'une des plus vaftes de France, puifqu'elle
a 73 pieds de longueur fur 25 de largeur,
où font & Preffes de front , avec 8 rangs:
de Caffes pour les Compofiteurs qui y
travaillent , eft fpécialement deſtinée à
l'impreffion des Livres d'Eglife àl'ufage
Romain. Ce fond qui fubfifte à Lyon ,
depuis 200 ans , appartint d'abord à Gré
goire, des mains duquel il paffa aux ayeux
père & fils Volfray , & fur la fin de 1749
à Aimé de la Roche. Elle eft renommée
pour les Éditions élégantes & correctes.
On trouve auffi chez lui un Breviaire in-
12 , & un autre de même format en deux
MARS. 1761 . 1070
Volumes , qui peuvent être regardés comme
des chefs-d'oeuvres d'Imprimerie. On
en trouve à Paris , chez Guerin & Delatour
, & chez Le Mercier.
DAIRA , HISTOIRE ORIENTALE, deux volumes
in- 12. Amfterdam , 1761.Et fe trouve
à Paris chez Bauche , Libraire , quai
des Auguftins , à l'image Ste Geneviève.
Ce font , dit- on , les amufemens d'une
perfonne dont le nom & le mérite font:
également connus.
RECUEIL DE POESIES FUGITIVES , par M..
Feutry.
...... Amant otia Mufæ ;.
Otia vix habui.
势
Brochure 8. ° à Rennes , 1760. Chez:
Nicolas- Paul Vatar, Imprimeur-Libraire,
rue Royale . Nous rendrons compte de ce
Recueil , qui ne peut qu'ajouter à la répu--
tation de M. Feutry.
ESSAIS fur l'Euvre hermétique ; par
un Amateur de cet Art . Brochure in- 8 ..
Londres , 1761. Il y a de la Poëfie dans
ce fingulier Ouvrage , écrit en ftyle d'Ode.
Il eft fuivi d'un Effai du même genre
fur la Création du Monde. On en trouve
des Exemplaires à Paris , chez Ballard ,
rue S. Jean de Beauvais...
E vi
108 MERCURE DE FRANCE.
PROGNÉ, Tragédie de M. de la Volierre;
jouée fur les Théâtres Bourgeois en 1760 .
A Luneville , & le trouve à Paris , chez
Duchefne , rue S. Jacques , au Temple du
goût. Prix 1 liv. 10 ſ.
le
MÉMOIRE fur la pratique du femoir ;
'dont les avantages font démontrés par
réfultat des produits de plufieurs champs
enfemencés avec cet inftrument d'agriculture
, fuivant l'ufage ordinaire . Récolte
, année 1760. Brochure in - 12.Lyon ,
1760. Chez Aimé de la Roche , aux halles
de la Grenette . Et fe trouve à Paris ,
chez Defaint & Saillant , rue S. Jean de
Beauvais .
DISCOURS prononcés dans l'Académie
Françoife , le Lundi 19 Janvier 1761 , à
la réception de M. Watelet. in-4° . Paris,
au Palais , chez la veuve Brunet , Imprimeur
de l'Académie Françoiſe.
ESSAI fur les moyens de conferver la
fanté des gens de mer , Ouvrage traduit
de l'Anglois du Docteur Lind , par M.
l'Abbé Mareas. Londres , 1760 ; & fe
trouve à Paris , chez Etienne Boudet , rue
S. Jacques. Le fieur Lind , affure avoir
trouvé un reméde certain contre le Scorbut
& autres maladies qui affligent les
gens
de mer. C'eft furtout en leur pref
MARS. 1761 109
crivant l'ufage des Tablettes de bouillon
compofés de fubftance de boeuf , veau ,
Touton & volaille , & qui ne comportent
d'autres fels que ceux de ces viandes
mêmes. On trouve ces Tablettes chez le
fieur Meufnier , Traiteur , rue S. Denys ,
vis-à - vis la rue du Petit-Lion , au Pavillon
Royal.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES
ACADEMIES.
LES CHARMES DE L'ÉTUDE , Epître
aux Poëtes , qui a remporté le Prix de
Poëfie de l'Académie Françoife en 1760,
Par M. MARMONTEL.
СЕТET Ouvrage , s'il en faut juger par le
titre ,fait partie d'un cours général de Belles-
Lettres : le début même femble l'annoncer.
L'Auteur y rend grace àfes livres ,
des plaifirs purs qu'ils lui procurent loin
du tumulte du monde. Il commence par
la Poëfie pour paffer fans doute à l'éloquence,
à la Philofophie , à l'Hiftoire , fans
Tro MERCURE DE FRANCE.
quoi le plan ne feroit pas rempli . Mais
cette premiere Epître ne s'adreffe qu'aux
Poëtes. On voit quelle eft l'expreffion naïve
de la manière , dont il a été affecté en
les lifant. Ses éloges font quelquefois mê
lés de critiques , liberté d'autant plus permife
qu'il ne parle que des morts,auxquels
on ne doit que la vérité.
Il caractériſe Homère & Milton par ce
vers :
Torrens mêlés de fumée & de flâme.
Mais il préfére ce mêlange à la pureté
d'un goût timide.
Peindre , émouvoir , imiter dans vos Vers
L'heureux larcin du hardi Prométhée ,
Donner la vie à mille être divers ,
Elever l'homme , embellir l'Univers ,
Telle eft la loi que vous avez dictée.
Il loue Lucain , d'avoir ofé tenter de fe
paffer du merveilleux de la fable , & d'avoir
tiré de fon fujet & de fon génie dequoi
foutenir la majefté du Poëme Epique.
Qu'a-t- il befoin de Mars & de Minerve?
11 a Céfar, & Pompée & Caton.
Les paffions de Céfar & de Rome ,
Lui tiennent lieu d'Hecate & d'Alecton ,
Le ciel, l'enfer , font dans le coeur de l'homme
MARS 1761 .
Mais ce Poëme plein de génie , la Phar
fale , feroit à beaucoup d'égards un mauvais
modéle à imiter ; M. M. en convient
lui-même ; & l'on peut voir comme il en
a jugé dans l'article EPOPEE de l'Encyclopédie.
En reconnoiffant la fupériorité de Virgile
, du côté de l'harmonie, du fentiment
& du coloris , en admirant en lui le Peintre
touchant , le Poëte ingénieux & fage ;
M. M. regrette qu'il n'ait pas eu le courage
d'abandonner les traits d'Homère , &
de fuivre un plan qui fût à lui.
Si ton rival tient le fceptre au Parnaffe ,,
Il ne le doit qu'à ta timidité.
C'eft dire , ce me femble , que Virgile
avoit dequoi s'élever au- deffus d'Homère ,
s'il eût ofé s'abandonner à fon génie ; &
c'eſt le louer autant qu'il eft poffible. Il
eft vrai qu'il lui reproche de n'avoir pas
égalé Homère dans l'art de deffiner fes caractères
, dans le talent de les grouper ; &
quiconque aura bien préfente la partie:
Dramatique de l'Iliade & de l'Enéïde , en
conviendra , s'il eft de bonne foi. Il ajoute
que le Taffe a fur Virgile un grand avantage
dans cette partie ; & il le prouve en
rapellant l'idée des Héros du Poëte Italien..
Mais que le Taffe a bien mieux exprimé
112 MERCURE DE FRANCE.
Cet héroïfme ébauché par Homère !
Que d'un pinceau plus fier , plus animé ,
Il nous a peint la piété fincère ,
La grandeur fimple & la ſageſſe auſtère,
Et la valeur qui connoît le danger ,
Et la fureur qui s'aveugle elle-même ,
Et la jeuneſſe , ardente à fe plonger
Dans les plaifirs qu'elle craint & qu'elle aime ,
Et la vertu qui la vient dégager.
Avec la même franchiſe que M. Mar
montel regarde le caractére de Didon comme
fublime, il regarde celui d'Enée comme
trop foible , & trop peu animé.
Ce n'eft pas tout que d'aller fonder Rome :
Ce grand deffein demandoit un grand homme.
Ce n'eft pas la premiere fois qu'on a
fait ce reproche àVirgile;& ce qui laifferoit
croire qu'il eft fondé, c'eftque pour y répondre
il a fallu fuppofer que Virgile avoit
voulu flatter Augufte , en donnant fon caractére
au héros Troyen.
L'Amour domine dans le Poëme du Taffe
, & à ce propos M. M. réfute le fentiment
de ceux qui ont voulu le bannir du
Poëme héroïque.
Des paffions élémens de nos âmes ,
La plus active , eſt celle de l'amour.
MAR S. 1761 . 113
Millé couleurs en annoncent les flâmes ;
L'Amour fe change en colombe , en vautour
Contre lui-même il s'emporte , il s'anime ,
Conçoit , embraffe , étouffe fon deffein ;
Et de les traits fe déchirant le fein ,
Il eft le Dieu , le Prêtre & la victime
Quels charmes l'amour n'a- t - il pas repandu
fur les écrits d'Anacréon , de Proper
de Tibulle , & d'Ovide.
ce ,
Enfant gâté des Mules & des graces ,
De leurs tréfors brillant diffipateur ,
Et des plaifirs fçavant législateur.
Mais Racine les a tous furpaffés dans
l'art de peindre cette paffion fi variée & fi
féconde.
L'amour l'inſpire , il en fait un Apelle ;
A Chammelé, fon actrice immortelle ,
Pour l'éclaircir,il remit fon flambeau :
Cen'eft fouvent que le même modèle ;
Mais l'attitude à chaque inftant nouvelle ,
Le reproduit à chaque inftant plus beau.
Aux tableaux touchants de Racine , il
oppoſe les peintures terribles & majestueufes
de Corneille ; & en rendant une forte
de culte a ce grand homme , il lui attribue
la gloire d'avoir donné à la Tragédie
PT4 MERCURE DE FRANCE.
un caractère plus moral : c'eft-à- dire , d'avoir
tiré l'action théâtrale du fond même
des caractères.
L'action naît de l'âme des Acte urs ;
Les paffions font les Dieux du Théâtre .
✪ Rodogune ! éternel monument ,
Qu'avec éffroi j'admire & j'idolâtre ,
Où font puifés ce noud , ce dénoûment ,
Cet intérêt? au fein de Cléopâtre !
Tiffu hardi d'invisibles rapports ,
Héraclius , fimple & vafte machine ,
Quel Dieu caché préfide à tes refforts ,
Les fait mouvoir ? L'âme de Léontine.
Le merveilleux banni de la Tragédie
eut un Théâtre confacré à lui feul.
Lully monta fon Inth harmonieux ;
A fes açcens s'éleva ce beau Temple ,
Brillant Théâtre , où préfide l'Amour ,
Où tous les Arts triomphent tour- à- tour }
Et dont Quinaut fut la gloire & l'exemple..
Chantre immortel d'Atis & de Renard ,
O toi galant & fenfible Quinaut !
L'illufion , aimable enchantereffe ,
Mêla fon filtre à tes vives couleurs ;
Le Dieu des vers , le Dieu de la tendreffe ,
T'ont couronné de lauriers & de fleurs.
1
MARS. 1761. TIS
Dans tes tableaux quelle noble magie ,
Dans tes beaux vers quelle douce énergie !
Si le François , par Racine embelli ,
Lui doit la grâce unie à la nobleffe ,
11 tient de toi , par ton ftyle amoli ,
Un tour liant & nombreux fans foibleffe.
Quinaut qu'on adore aujourd'hui , fut
pendant fa vie l'objet & la victime de la
haine de Defpreaux, & l'on voit que M. M..
fe paffionne un peu contre ce Satyrique.
Que n'avoit- il , ton injufte Cenfeur ,
C'est à Quinaut qu'il s'adreffe.
Que n'avoit-il , un rayon de ta flâme ?
Son fiel amer valoit-il la douceur ,
D'un fentiment émané de ton âme ?
Il rend juftice au goût , à l'efprit , à
Part prodigieux de Boileau , mais il lui refufe
les dons d'une âme vive & fenfible ,
le feu , la verve , la fécondité. Les amis de
Boileau n'en jugeoient pas plus favorablement
: tu es un boeuf, lui difoit Chapelle ,
qui traces bien tonfillon . Boileau lui - même
difoit de lui qu'il étoit invulnérable comme
Achille , excepté dans un feul'endroit
que fes ennemis n'avoient pas découvert .
Cet endroit foible étoit le fentiment, fans.
116 MERCURE DE FRANCE
lequel il n'y a point de génie ; cependant
M. M. adû s'attendre à des contradictions
fur cet article , & il en éffuye.Quoi,
dit-on , n'y a- t- il ni feu , ni verve , ni fécondité
dans l'art poëtique & dans le lutrin
? Le goût , l'efprit , l'étude & le travail
ont - ils feuls produit ces chefs - d'oeuvres
? Quoiqu'il en foit , voici un morceaur
que M. Marmontel dit n'avoir hazardé
qu'avec l'approbation pleine & entiere du
plus grand Poëte de notre fiécle, de l'homme
du monde qui a le plus de goût.
Mais ce Boileau , Jugepaffionné ,
N'en eft pas moins légiflateur habiles
Aux lents éfforts d'un travail obſtiné ,
Il fait céder la Nature indocile´ ;
Dans un terrein fauvage abandonné
A pas tardifs trace un fillon fertile ;
Et fon vers froid , mais poli , bien tourné ,
Aforce d'art , rendu fimple & facile ,
Reffemble au trait d'un or pur & ductile ,
Par la filière en gliffant façonné.
Que ne peut point une étude conftante ?
Sans feu , fans verve , & fans fécondité ,
Boileau copie, on diroit qu'il invente :
Comme un miroir , il a tout répété ;
Maisl'art jamais n'a fçu peindre la flâme.
Le fentiment eft le feul don de l'âme ,
Que le travail n'a jamais imité.
MARS. 1761, 117
J'entends Boileau monter fa voix flexible
A tous les tons , ingénieux flateur ,
Peintre correct , bon plaiſant , fin moqueur ,
Même Leger , dans fa gaîté pénible ;
Mais je ne vois jamais Boileau ſenſible ,
Jamais un vers n'eſt parti de fon coeur,
A ce portrait fuccéde celui du divin
La Fontaine .
Que la Nature au génie indulgente ,
Traita bien mieux ce Poëte in génu ,
Ce La Fontaine à lui- même inconnu ,
Ce Peintre né , dont l'inſtinct nous enchante &c;
La fageffe & la vérité qui regnent dans
les écrits de ce Fabulifte inimitable , engagent
M. M. à examiner fi la Poëfie eft
foumife aux loix févères de la Raifon. Il
expoſe ſon ſentiment dans une allégorie
qu'on a trouvée heureuſe .
.
La Poefie eut le fort de Pandore ;
Quand le Génie au Ciel la fit éclore ,
Chacun des Arts l'enrichit d'un préfent.
La Raifon même , à la jeune Immortelle ,
Voulut fervir de compagne fidelle ;
Mais quelquefois invifible témoin ,
Elle la fuit & l'obſerve de loin. I
*
118 MERCURE DE FRANCE .
Ainfi dans l'ivreffe de l'Ode ( & Rouffeau
en eft ici l'exemple ) le génie peut
paroître s'égarer ; mais fes écarts même
doivent être dirigés par la Raifon.
Eft-il d'éffor qu'elle nerégle ?
Pour s'élever & planer dans les Cieux,
L'enthouſiaſme a les aîles de l'aigle ;
Pourquoi veut-on qu'il n'en ait pas les yeux ?
Voyez Horace ; & fi dans fon délire
Sa main voltige au hazard ſur la lyre &c.
On voit que dans cette Epître les exemples
font naître les réflexions , & les réflexions
amènent les exemples. Après
avoir admiré Horace dans fes Poëfies lyriques
, M. M. l'étudie dans fes Poëfies
morales , & l'analogie le conduit à Moliè
re , le plus Philofophe de tous les Poëtes.
On a répété fouvent , qu'aux Piéces de
Molière, chacun rioit à fes propres dépens ;
mais la manière dont M. M. l'a dit de l'Avare,
a caufé le plaifir de la furpriſe , & a
eu le fuccès de la nouveauté.
4 L'Avare pleure & ſourit tout enſemble ,
D'avoir payé pour entendre Harpagon.
Il ajoute :
Le feul Tartuffe a peu ri , ce me femble,
MARS. 1761. 119
Il finit , en demandant à fes Livres de
l'occuper toujours auffi agréablement .
Fruits du génie , heureux préfens des Cieux ,
Embelliffez la retraite que j'aime !
Et rendez-moi mon loifir précieux &c.
On a remarqué que M. M. a tâché de
peindre chacun de ces Poëtes dans leur
ftyle , qu'il a changé de ton en changeant
de fujet ; & cette variété répandue dans
fon Ouvrage , a obtenu des applaudiffemens
. Du refte le fuffrage de l'Académie
en fait un éloge auquel je n'ai rien à
ajouter .
N. B. Les bornes qui nous font préfcrites
, ne nous permettent pas de rendre
compte du beau Poëme de M. Thomas
, qui a concouru pour le Prix de l'Académie
Françoife, avec celui de M. Marmoniel
; & nous fommes fâchés d'être
obligés de le remettre au Mercure prochain.
120 MERCURE DE FRANCE.
MATHÉMATIQUES.
COURS DE MATHEMATIQUES , dédié
au Roi de Pologne , Duc de Lorraine &
de Bar &c. A l'ufage de MM. les Cades
Gentilshommes de Sa Majefté. Par
M.PLAID, Chanoine Régulier de la Congrégation
de Notre Sauveur , de l'Académie
Royale des Sciences & Belles- Lettres
de Nanci , Profeſſeur de Mathématiques
de l'Ecole Royale & Militaire de
Luneville & des Pages. A Paris , chez
Jombert , Imprimeur- Libraire , rue Dau
phine , à l'Image Notre- Dame,
LORSQUE j'ai annoncé ce Cours dans le
·
Mercure du mois d'Août dernier , je me
fuis contenté d'en faire connoître la méthode
; j'en ai loué les définitions qui m'ont
paru toutes très exactes ; les démonftrations
qui font toutes auffi rigoureufes que
bien amenées ; en un mot , l'ordre & la
gradation foutenue de toutes les parties de
l'ouvrage entier, qui m'a paru la production
d'un efprit vraiment Géométre , qui
poffede
MARS. 1751. 12 [
poffède bien fon objet , & qui a l'art de
le préfenter de la manière la plus lumineufe
& la plus intéreffante.
Je me fuis réfervé à faire l'analyse des
différens volumes de ce Cours , à meſure .
qu'ils fortiroient de la preffe. Il y a tant
d'ouvrages de ce genre , que c'eft rendre
un vrai fervice au Public , de faire connoître
ceux qui , comme celui de M. l'Abbé
Plaid , méritent la préférence.
Analyfe du premier Volume.
Le premier volume contient le Calcul
'Algébrique & Numérique , & il eft divifé
en onze chapitres.
Dans le premier , l'Auteur fait connoître
l'objet du calcul ; on y trouve une expofition
claire de la formation des nombres
, de leurs différentes efpéces & de la
numération ; viennent enfuite les caractères
& les fignes que l'on emploie dans
l'Algébre ; les différentes fortes de grandeurs
algébriques , la manière de les exprimer
, & d'en fimplifier l'expreffion par
le moyen des expofans & des coefficiens.
Ce premier Chapitre eft , pour ainfi dire ,
le tableau général d'un pays dont les Chapitres
fuivant font les carres particulieres.
Dans le fecond Chapitre , on trouve
l'addition , la fouftraction , la multiplica
F
122 MERCURE DE FRANCE.
tion & la divifion des nombres fimples ;
les ufages de ces opérations ; des méthodes
abrégées pour certaines fuppofitions ; &
les principes qui lient ces premiéres opérations
avec de plus compofées. Tout y
eft clairement déduit de la Nature des
nombres & du principe de la numération .
›
Dans le troifiéme Chapitre , l'on enfeigne
à ajouter , fouftraire , multiplier & divifer
les grandeurs algébriques ; l'Auteur
met dans le plus grand jour la régle des
fignes de la multiplication , en regardant
cette opération comme une addition
ou une fouctraction , du multiplicande
felon que le multiplicateur eft pofitif , ou
négatif. Il a auffi rendu très- intelligibles
les procédés de la divifion algébrique , en
la confidérant comme une opération par
laquelle un produit étant donné avec l'un
de fes produifans , on trouve l'autre produifant.
Le Chapitre quatrième a pour objet les
fractions numériques & algébriques ; on
y traite de leur réduction , & de la manière
de les ajouter , fouftraire , multiplier &
divifer ; un feul principe , à fçavoir : que
la fraction n'eft autre chofe qu'une divifion
qui a le numérateur pour dividende ,
& le dénominateur pour divifeur , eft le
fondement de toutes les méthodes que
renferme ce Chapitre.
MAR S. 1761 . 12 ;
Le Chapitre cinquième contient les opérations
de l'Arithmétique furles nombres
compofés.
Le Chapitrefixième a pour objet l'extration
des racines quarrées & cubiques des
quantités algébriques & numériques , avec
l'approximation de ces racines , lorſque les
nombres proposés ne font pas des quarrés
ou des cubes parfaits . On démontre auffi
dans ce chapitre quelques propofitions fur
les produits des grandeurs multipliées par
elles-mêmes , & les unes par les autres.
Le Chapitre feptième contient le calcul
des puiffances par les expofans ; celui des
radicaux ; enfin l'élévation des grandeurs à
une puiffance quelconque d'un expofant
entier ou fractionnaire ; cette derniere
opération qui eft d'un fi grand uſage dans
le calcul intégral , & même dans l'analyſe
ordinaire pour l'extraction approchée des
racines , eft traitée avec beaucoup d'élégance
& de netteté.
Le Chapitre huitième eſt une théorie trèsbien
développée des équations : on y trouve
d'abord les régles générales des équations;
celles qui font propres aux équations
du premier & du fecond degrés , avec l'ap
plication de ces régles .
Viennent enfuite les propriétés des équa
tions des degrés fupérieurs , avec la ré
Fij
124 MERCURE
DE FRANCE
.
duction & les différentes transformations
de ces équations , & les méthodes pour
trouver leurs racines commenfurables ,
lorfqu'elles en renferment.
De là l'Auteur paffe aux équations d'un
degré quelconque , qui n'ont que deux termes
, ou qui ayant trois termes font réductibles
à celles qui n'en ont que deux par la
méthode des équations du fecond degré ;
& il termine par la réſolution générale des
équations du troifiéme degré ; il montre le
cas auquel les racines de ces équations font
toutes trois réelles, celui auquel il y a deux
racines imaginaires & une racine réelle ,
& enfin comment au défaut de racines
exactes , on peut en trouver par approximation.
Le Chapitre neuvième traite des raifons ,
proportions , & progreffions géométriques
; des regles de trois directes & inverfes
, fimples & compofées ; de la regle de
fociété ; & de la manière de fommer les
progreffions géométriques .
Le dixième Chapitre a pour objet les proportions
& progreffions géométriques , &
les logarithmes .
Le Chapitre onzième eſt une application
de l'algébre à la réfolution de quelques
problêmes d'arithmétique.
Après divers problêmes fur les progref
fions arithmétiques , & géométriques ; &
MARS. 1781. 129
fur l'extraction des racines des quantités
compofées d'une partie rationnelle & d'un
radical du fecond degré ; l'Auteur réfout
ce problême auffi général qu'on puiffe l'imaginer
Sommerles puiffancés d'un même degré quelconque
des termes d'une progreffion arithmétique
quelconque finie.
La folution de ce problême lui donne
une formule de laquelle il déduit aisément
la valeur indéterminée d'un nombre poligone
d'une efpéce quelconque , & celle
d'un nombre piramidal d'un ordre auſſi
quelconque ; ce qui eft appliqué à la manière
de compter les boulets des piramides
triangulaires & quarrés.
Enfin reprenant la formule générale
la fomme des puiffances d'un même degré
quelconque d'une progreffion arithmétique
finie quelconque , & la corrigeant
pour la fuppofition de la progreffion des
nombres naturels , pouffée à l'infini ; il en
réfulte la formule touchant la fomme des
puiffances d'un même degré quelconque
des termes de la progreffion des nombres
naturels qui commence par l'unité, & qui
eft pouffée à l'infini . Ce qui eft d'une application
très - étendue dans la Géométrie .
Analyfe dufecond Volume.
Le fecond volume renferme la Géomé-
Fiij.
26 MERCURE DE FRANCE.
trie élémentaire , & il eft divifé en treize
Chapitres.
Dans le premier , M. l'Abbé Plaid raffemble
tout ce que l'on peut fçavoir de
Géométrie, avant qu'on s'applique à cette
fcience , & les propriétés qui tenant de
plus près aux vérités les plus fimples &
les plus généralement répandues, s'offrent,
pour ainfi dire , d'elles-mêmes à tout
efprit réfléchi .
Pour faire connoître l'objet de la Géométrie
, il commence par donner des
idées exactes des trois fortes d'étendue ,
des différentes fortes de lignes , d'angles
, de triangles , de quadrilatères , de
poligones , &c. reprenant enfuite chacun
de ces objets , il en expofe les propriétés
les plus générales , & les plus aifées
à faifir.
Par le moyen de ces premieres connoiffances
élémentaires, détachées du corps de
l'Ouvrage , pour fervir de bafe à l'édifice
entier , les fuppofitions géométriques font
venues d'elles -mêmes fe ranger, felon leur
degré de compofition dans un ordre trèsméthodique
; comme l'analyse des chapitres
fuivans le fera connoître.
Le Chapitre fecond a pour objet les
lignes droites & les angles ; on y trouve:
d'abord les propriétés qu'offrent les li
MAR S. 1761. 127
gnes droites , foit qu'on les confidère
dans les différentes pofitions qu'elles
peuvent avoir entre elles , foit qu'on les
confidère dans le cercle ; on y donne
enfuite la meſure des angles , confidérés
dans le cercle , & la valeur de la fomme
des angles de différentes figures rectilignes
.
Le Chapitre troifiéme eft l'application
du fecond.
On y réfoud fucceffivement les problêmes
relatifs aux lignes confidérées dans
leurs différentes pofitions entre elles &
dans le cercle ; on y applique enfuite les
propriétés des angles , confidérés dans le
cercle & dans les figures rectilignes ; on
termine par
la conftruction des figures
rectilignes , & l'infcription de quelquesunes
dans le cercle.
Le Chapitre quatrième a pour objer
les furfaces.
On enfeigne d'abord à repréfenter
géométriquement le produit de deux
lignes , multipliées l'une par l'autre , &
le produit d'une ligne multipliée par
elle-même ; d'où l'on tire la valeur da
quarré de la fomme , ou de la différence
de deux lignes relativement à ces lignes ;
& encore la valeur du rectangle de deux
lignes inégales , relativement à la fomme
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
& à la différence de ces lignes ; on détermine
enfuite les produifans , des furfaces
des figures rectilignes & du cercle.
Le Chapitre cinquième eft l'application
du quatrième.
On y voit la manière de former par
la multiplication , la furface d'une figure
quelconque , dont on connoît les produifans
, en toifes , & en partie de la
toife ; on décompofe enfuite les furfapar
l'extraction de la racine
quarrée , foit par la divifion.
ces , foit
Le Chapitre fixiéme eft un traité des
lignes proportionnelles .
Après avoir rappellé les propriétés des
raifons & proportions algébriques dont
on fera le plus d'application dans ce chapitre
& dans les fuivans ; l'Auteur examine
le rapport des droites également inclinées
dans différens efpaces parallèles ;
d'où il déduit la théorie des lignes coupées
proportionnellement , & les conditions
qui rendent les triangles fembla
bles ; il confidère les figures femblables
dans leur divifion en parties femblables ;
les points femblablement pofés à l'égard
des lignes droites & des figures femblables
; & le rapport des contours des
figures femblables.
Il parcourt enfuite les rapports qui
MAR S. 1761.
129
naiffent dans les différentes fortes de
triangles , lorſqu'on les coupe par des
droites tirées dans certaines circonftances
, & auffi les lignes proportionnelles
qu'offrent quelques poligones réguliers
, & le cercle.
Et pour ne point interrompre la théorie
des lignes proportionnelles , M. L.
P. termine ce Chapitre par les propriétés
relatives à la trigonométrie , tant
celles qui fervent à la conftruction des
tables des finus , tangentes & fécantes ,
que celles qui fervent au calcul des
triangles.
Le Chapitre feptiéme eft l'application
du fixiême .
On y trouve des méthodes pour de
terminer des lignes proportionnelles ,
& pour divifer les lignes proportionellement.
Pour faire un triangle femblable à
un triangle donné , ce qui eft appliqué
à la meſure des diſtances inaceffibles.
Pour lever le plan d'un terrein , &
faire la carte d'un Pays.
Pour déterminer la hauteur & la furface
d'un triangle quelconque par le moyen
de les trois côtés.
Pour couper une ligne en moyenne
& extrême raifon , & infcrire dans le
30 MERCURE DE FRANCE.
cercle , le décagone , le pentagone & le
quindécagone réguliers.
Viennent enfuite les regles & la pratique
du nivellement.
L'on applique enfin les propriétés relatives
à la Trigonométrie , & au calcul
des finus , tangentes & fécantes , & à la
réfolution des triangles.
Le Chapitre huitième a pour objet le
rapport des furfaces des figures.
On examine d'abord le rapport des
triangles & celui des parallelogrammes
confidérés en général , & lorfqu'ils ont
un angle égal.
Enfuite le rapport des figures femblables
confidérées en général , & dans des
fuppofitions particuliéres : par exemple ,
lorfque deux figures femblables ont pour
côtés homologues les deux premieres de
trois droites en proportion géométrique
continue ; & lorfque trois figures fembla.
bles ont pour côtés homologues trois côtés
d'un triangle rectangle ; ce qui donne occafion
de parler des portions de cercledont
la Géométrie élémentaire donne lå
quadrature.
Vient enfin le rapport des furfaces des
figures qui ont des contours égaux ; ce qui
eft traité d'une manière noble & très- élégante,
MAR S. 1761. * ་
Le Chapitre neuviéme eft l'application
du huitième.
D'abord du rapport des furfaces des
triangles & des parallelogrammes , on déduit
la manière de changer , d'ajouter, de
fouftraire , de multiplier & divifer les fi
gures rectilignes .
On trouve enfuite l'addition , la fouf
traction , la multiplication & la divifion
des figures femblables , déduites du rap
port de ces figures.
Dans le dixiéme Chapitre on confidére
Les lignes droites dans leur pofition à l'égard
des plans , & les plans dans leur po
fition les uns à l'égard des autres ; ce qui
eft une introduction au traité des folides..
Dans le Chapitre onzième on détermine
d'adord les produifans de la folidité & de
la furface des corps prifmatiques & piramidaux
& de la ſphère ; on démontre en
fuite le rapport de ces corps confidérés
quant à leur furface , & quant à leur fo
lidité.
Le douzième Chapitre , eft l'application
de l'onzième. On y enfeigne à compofer
Les folides par la multiplication , & à les
décompofer par la divifion & par l'extration
de la racine cubique ; ce qui eft fuivi
du changement , de l'addition , & de
la fouftraction des folides ; on termine
F vjj
132 MERCURE DE FRANCE.
par multiplier & divifer les corps femblables.
•
Le Chapitre ireizième a pour titre l'application
de l'Algébre , à la réfolution de
quelques problêmes de la Géométrie élémentaire
du premier & du fecond degré.
L'Auteur, en donnant la réfolution anafytique
& la conftruction géométrique
des problêmes du ſecond degré , s'applique
furtout à montrer le parfait accord
de l'analyse avec la Géométrie , en faifant
voir que lorfque l'analyfe donne par
une équation du fecond degré deux valeurs
de l'inconnue , qui font ou l'une pofitive
& l'autre négative , ou toutes deux
politives , ou toutes deux négatives , ou
toutes deux égales , ou toutes deux imaginaires
, la Géométrie donne les mêmes
valeurs.
Ce Chapitre , déja très- utile par luimême
, eſt une excellente introduction à
la méthode que l'Auteur emploie dans la
Géométrie compofée.
Le Public pourra, par cette analyfe, apprécier
au jufte les deux premiers volumes
du cours de M. l'Abbé Plaid ; le premier
eft un traité complet de calcul qui mérite
d'être confeillé à tous ceux qui veulent faire
de profonds progrès dans les Mathéma
tiques.
MARS. 1761. f3**
Les ignorans , pour qui tout eft obfcur ,
ont attaché l'idée d'obfcurité au nom d'Algébre
; M. l'Abbé Plaid a vengé cette
fcience de ce reproche, en la traitant avec
la clarté qui lui eft propre. L'Algébre eft
d'autant plus lumineux , que fon objet eft
plus abftrait & plus fimple ; il paroît que
Pon feroit plus fondé à reprocher à la plûpart
des Livres deftinés à former des Géomètres
de ne point faire affez connoître
les méthodes algébriques ; ces méthodes
d'autant plus aifées , & d'autant plus propres
à étendre nos connoiffances , quelles
nefont, pour ainfi dire, que l'art du raifonnement
réduit à un certain méchanifme:
Le fecond volume préfente , outre le
le choix des matières les plus utiles , le fyftême
le moins arbitraire , & la chaîne la
plus foutenue ; les chapitres qui fuivent le
premier font autant de différens genres de
fuppofitions; ces genres font difpofés felon
feur degré de compofition ; & fous chacun
de ces genres, on voit fe ranger les fuppofitions
de même efpéce felon une gradation
continue .
Tour ce qui eft relatif à un genre de
grandeur, eft épuisé avant que l'on ne paffe
à un autre ; chaque propofition a faliaifon
marquée avec la précédente ; il y a plus
d'art que l'on ne pourra d'abord fe lima134
MERCURE DE FRANCE.
giner à fuivre , comme l'a fait M. l'Abbé
Plaid , un fyftême fymétrique de fuppofirions
, fans fe relâcher fur la folidité des
démonftrations.
Le troifiéme volume de ce cours eft actuellement
fous preffe .On enfera l'analyse
Torfqu'il paroîtra.
MÉDECIN E.
MONSIEUR,
L'attachement que j'ai pour ma patrie
m'engage à donner au Public un Remede
préfervatif contre la rage , quand on a été
mordu par des Bêtes , comme chiens ou
loups malades ; je le crois néceffaire dans
Les conjonctures préfentes , où les loups
régnent, depuis quelques femaines , dans la
forêt de Montfort & de Rambouillet , &
où ils ont fait un ravage trop confidérable
pour n'en n'être pas affligé. Je donne
ce remède pour fouverain & éfficace :
autant de fois qu'il a été pris , il a eu tout
le fuccès qu'on en attendoit . Il m'a été
donné par un Curé voifin , il y a plus de
trente ans ; & depuis ce tems , j'en ai fair
faire ufage plufieurs fois . Le voici
Une poignée de rhue.
Une poignée de paquerelles de prés
racines & feuilles.
MARS. 1761. 139
Une poignée de bouts de ronces; il faut
en ôter la premiere écorce ..
Une poignée d'abſynte.
Deux blancs de poireau.
Deux gouffes d'ail.
vin ;
Il faut piler le tout enfemble , le mer
tre dans un pot , y jerter une cueillerée
de gros fel , & un verre de vinaigre de
faire le tout infufer deux heures fur
la cendre chaude , enfuite preffer le tour
dans un linge pour en exprimer l'e jus , que
Pon partagera en trois portions égales ,
dont on fera prendre une le matin à jeun
à la perfonne mordue , que l'on fera enfuite
courir jufqu'à ce qu'il air bien chaud;
après quoi on la couchera bien chaudement.
Il faut continuer pendant trois
jours de fuite pour confumer les trois portions
ci-deffus. Il faut auffi mettre le marc
des herbes fur la playe.
. Vous inférerez, vous le jugez à propos,
dans votre Journal ce reméde. Je defire de
tout mon coeur que les perfonnes qui au-
Font le malheur d'être mordues par quel
que bête enragée , en faffent ufage & em
reffentent la force & l'efficacité.
J'ai l'honneur d'être & c.
MARIE , C, DE GROSROUVRE
36 MERCURE DE FRANCE .
ASTRONOMI E.
A L'AUTEUR DU MERCUre.
L'AAUUTTEEUUR d'une Lettre , à Mgr le Prince
de Salm , inférée dans votre Mercure
de Novembre 1760 , page 143 , ne s'étant
pas nommé ; j'ai recours à vous , Monfieur
, pour lui faire part , par la voie du
Mercure , que j'ai obfervé à Paris , Place
de Louis- le- Grand , le 24 Juillet 1760 ,
le même arc- en - ciel de Lune qu'il a obfervé
à deux lieues de Fécamp , en Normandie.
Je rentrai chez moi , entre onze heures
& minuit. Mes fenêtres font exposées au
couchant d'Eté : comme je les fermois
j'apperçus un arc- en- ciel des mieux formés
, mais du même blanc que la Lune ,
& fans variété de couleurs ; un des bouts
de l'arc étoit au Midi & l'autre au Nord ;
le couchant étoit obfcurci par un rideau
de nuages épais fur lequel vraisemblablement
la réflection des rayons de la Lune
formoit cet arc. Je reftai plus d'un quart
d'heure à ma fenêtre à obferver cet arc
blanc , qui étoit pour moi un phénomène .
Mais comme je fuis très-inepte en Phy
MARS. 1761. 137
que,je préférai machinalement le fommeil
au plaifir de voir la dégradation & la difparution
de l'arc - en- ciel de Lune.
EXTRAIT de la Séance publique de l'Académie
des Belles- Lettres de CAEN , du
4 Décembre 1760 .
L'ou
faiteo
'OUVERTURE de l'Académie, où préfidoit
M. de Fontette , Vice- Protecteur , s'eft
an Difcours de M. Maffieu de
Clerval , Secrétaire de l'Académie , fur
certe queſtion : la louange eft- elle plus nuifible
qu'avantageufe ?
M. d'Ifs , lut enfuite une paraphrafe
en vers du Pleaume 103 .
M. Bofquet continua par un Difcours
fur une remarque de M. Pope , célébre
Poëte Anglois: qu'il femble que le bel - efprit
ne s'attribue ce titre , que pour être en droit
de faire des extravagances. Par une définition
du bel- efprit , il fit appercevoir que
la remarque de M. Pope n'étoit qu'une
critique fine & plaifante du faux belefprit
.
M. d'Ifs lut encore une Ode brillante
de plufieurs traits, à la gloire de la Nation .
Cette Odea pour titre, la Francefavanie
& militaire.
38 MERCURE DE FRANCE.
>
On lut enfuite la piéce qui avoit rem
porté le Prix fur le fujet propofé le fix
Décembre 1759. Sçavoir quelle eft la
meilleure maniere deplanter & cultiver les
pommiers à cidre , & qu'elle eft la meilleure
méthode de profiter de leur récolte . Cetre
pièce avoit pour devife les 38 , 39 & 40 °
vers du deuxième Livre des Géorgiques
qui commence par Huc ades inceptum &c.
L'Auteus eft M. Defliéz , Docteur en Médecine
& Aggrégé à l'Univerfité de Caën.
M. de Fontette réfuma ce difcours , ainfi
que ceux de M. de Clerval & Bofquet ; il
annonça enfuite le Sujet du Prix pour
T'année prochaine, qui a pour titre : Quel-
Les font les branches d'agriculture quifont
ou qui feroient les plus avantageufes en
baffe Normandie.
Les Differtations fur cette queftion , feront
faites en profe & d'une demie heure
de lecture , ou de trois quarts d'heure au
plus. On demande qu'elles foient écrites
en caractères bien lifibles . Au bas de chaque
differtation , il y aura une Sentence ,
& l'Auteur mettra dans un billet féparé &
cacheté,la même Sentence avec fon nom,
fes qualités & fon adreffe.
Les paquets feront affranchis de port ,
& adreffés à M. Maffieu de Clerval , Secrétaire
de l'Académie , rue Saint Jean à
MAR S. 1761 130
Caen ils ne feront reçus que jufqu'au
dernier jour de Septembre. Ce Prix , qui
eft de 300 liv. eft donné par M. de Fontette,
Intendant de la Généralité de Caën,.
& vice- protecteur de l'Académie , dont
les Membres font expreffément exclus du
concours.
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE.
A l'Auteur du Mercure.
COMME
OMME les Mémoires que l'on préfente
, Monfieur , à l'Académie Royale de
Chirurgie , ne peuvent être donnés au Public
qu'après un long temps; j'ai pensé, pour
qu'il ne foit point fruftré des avantages
qu'il pourroit retirer d'un tire tête que j'ai
corrigé , qu'il ne pouvoit mieux en être
averti que par vous , & que vous auriez
la complaifance d'y joindre un abrégé de
mon Mémoire , que j'ai préfenté à cette
célébre Académie.
Le grand obftacle que préfentent tous
les inftrumens qui ont été inventésjufqu'à
140 MERCURE DE FRANCE.
préfent pour tirer la tête de la matrice,lorf
que l'enfant eft mort , m'a procuré l'idée
d'en corriger un de ceux que M. Levret a
inventé , qui n'a été mis en ufage qu'une
feule fois , & ou tous les moyens connus
n'avoient pû fuffire. Celui dont je parle
dont la figure eft en T , eft compofé de
trois pieces : fçavoir d'une pièce immobile
enchâffée dans un manche , & d'une
mobile fituée à l'extrémité de celle - ci. Il
s'agiffoit de faire entret ee tire- tête dans
la tête de l'enfant ; mais la piéce mobile
préfentoit de grands obftacles , puifque la
moindre réfiftance lui faifoit faire la culbate
.Pour pouvoir prévenir ce facile mouvement
, l'Auteur fit faire à la piéce de
réſiſtance une fente non proportionnée à
la piéce mobile , pour ajouter dans la difrance
, de la cire malle , mettre enfuite
Finftrument dans de l'eau de puits pour
faire prendre de la confiftance à la cire ,
& pour empêcher le mouvement trop
précipité de la piéce mouvante ; il l'infinua
enfuite dans la têre de l'enfant , atrendit
pour la faire tourner tranfverfalement
, que la chaleur du lieu eût ramolli
la cire , & parvint au fuccès qu'il s'étoit
promis.
Les inconvéniens de cet inftrument
font allez évidens : on ne peut maintenir
MAR S. 1761.
141
y
& faire agir la pièce mouvante felon la
volonté ; & fi on veut l'introduire dans
la tête , on fera dans la crainte qu'elle fe
meuve trop promptement ; ou fi elle
entre , comme le hazard eft arrivé une
fois , ofe-t- on toujours prétendre de lui
faire faire la culbute ? quand bien même
on parviendroit à ce point ; fi avec tous
les efforts qu'on auroit employés , on ne
pouvoit parvenir à tirer la tête , comment
pourroit-on retirer l'inftrument ?
Aucune caufe n'eft capable de faire changer
la piéce tranfverfale ; il faudroit done
que l'inftrument reftât dans la tête de
l'enfant , dont l'objet feroit difgracieux
non feulement au Chirurgien , mais encore
aux affiftans .
Les corrections que j'y ai faites s'opposent
à ces inconvéniens. Il eft compofé de cinq
piéces ; fçavoir , du manche où fe trouve
enchâffée la piéce immobile qui foutient
les autres ; la partie fupérieure de celle- ci
eft fendue pour recevoir une partie de la
piéce de traverfe. Il répond à la partie,
moyenne de cette derniere,une pièce mince
qui excite fon mouvement, qui fe gliffe
le long de la pièce immobile & qui la foutient
dans fon milieu , & à l'extrémité de
cette piéce qui répond au manche, il y a un
bouton ceintré. On peut voir par cettelé742
MERCURE DE FRANCE.
gére deſcription , les avantages que l'on en
peut retirer , foit en l'infinuant dans la tête
de l'enfant, foit en faifant faire la culbute
à la pièce de traverfe felon la volonté , foir
par ces parties obtufesoù on ne craint point
de dilatérer les parties de la matrice , foit
enfin par la forme qui n'augmente point
le volume des parties , ce qui eft un grand
point ; & c'eft ce qu'on a peine à trouver
dans les inftrumens qui ont été inventés
pour cette partie .
J'ai fait voir dans la méthode que j'ai
préfcrite, qu'il pouvoit nonfeulement être
mis en ufage,lorfque la tête étoit féparée, &
que le trou de l'occipital fe préfentoit le
premier même avec quelques vertebres
cervicales ; mais qu'on pouvoit encore
s'en fervir en forçantles autres parties tel
que le Bregma , la Frontanelle &c.
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie
Royale de Chirurgie , du 15 Janvier
1761.
M. Didier , qui avoit été nommé par
l'Académie Royale de Chirurgie , pour:
examiner un tire- tête préſenté par M.
Geme , Eléve en Chirurgie , en ayant fait
fon rapport ; l'Académie a reconnu au
fond le tire tête de M. Levret , mais elle
a vú avec plaifir les additions avantageu
-
MARS. 1761 . 1.43'
fes que M. Geme y a faite , & qui font
konneur à la fagacité. En foi de quoi .
j'ai donné le préfent Extrait de nos Regiftres
. A Paris ce 15 Janvier 1761 .
MORAN D.
ARTS AGRÉABLES .
MUSIQUE.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure
DEPEUPUIISS mon retour de la campagne ,
Monfieur , j'ai lu, dans votre premier volume
d'Octobre , une Lettre de M. Berard ,
au fujet d'un avis au Public inféré dans le
Mercure d'Août p. 209. Votre impartialité
& votre amour pour la vérité ne me
permettent pas de douter que vous ne
vous prêtiez à éclairer le Public , afin qu'il
prononce entre mon Antagoniſte & moi.
Je crois pouvoir réduire la Lettre de M.
Berard à 3 articles. Il prétend 1º . que M.
Perrot,Avocat au Confeil, n'a point donné
le certificat qui parut fous fon nom. 2
que leConfeil prononça fur les droits d'Auteur
de l'Art du Chant; 3 ° .que ma 2º Edition
corrigée , & augmentée , & où j'expofe
les raifons que j'ai de revendiquer cer
Ouvrage, eft un tiffu de menfonges & d'ins
jures.
144 MERCURE DE FRANCE.
L'atteftation fuivante va montrer fi
mon adverfaire a eu droit de s'autorifer
d'une faute d'Impreffion pour refuſer le
certificat dont il s'agit à ſon véritable Auteur
.
»
ود »Jefouffigné,AvocatauParlement&
» aux Confeils , déclare avoir donné le
» certificat qui eft dans le Mercure , pag.
» 209 , qui a paru au mois d'Août der-
» nier. Je certifie que tous les faits font
" vrais. Le fieur Berard , & tous ceux qui
» voudront s'en affurer fur le vû des pié-
» ces , des requêtes & copies fignifiées du
Jugement , peuvent venir trouver le
Souffigné qui demeure rue de Condé.
» Il offre de les convaincre des faits fur
lefquels ledit Berard s'explique en termes
fi impropres , mais méprifables à
tous égards. Car pour ce qui eft de l'a-
» mende de cent livres , il n'en doit plus
» être mention , ledit fieur Berard a fait
» fa rétractation de lui -même dans le pre-
» mier volume du mois d'Octobre dernier
» en rapportant les difpofitions du jugesment
qui ne portent que des dommages
;, & intérêts. Ce qui fait la preuve que
» malicieuſement il avoit fait inférer dans
» les imprimés dudit jugement , qui ont été
5 affichés , le terme d'amende. A Paris le
» 12 Décembre 1760. PERROT.
و ر
Il
MARS. 1761 145
Il eft à préfumer qu'un Avocat , avantageufement
connu par fa droiture & par
la fupériorité de fes lumieres , titres qui
lui ont mérité une place au Confeil de
leurs Alteffes MM . le Prince de Condé &
le Comte de Clermont , n'a pas attefté des
faits faux. Et pouvoit - il ignorer quelle
eft la fevérité des loix , contre un homme
de fa profeffion , capable de prévariquer ?
pouvoit - il ne point fentir qu'une pareille
atteftation étoit infiniment délicate , vû
qu'elle peut fervir de piéce de Procès Cri
minel , fuppofé qu'on veuille remonter à
l'Auteur de la falfification de l'intitulé de
l'Arrêt que mon Antagoniſte fit publier &
afficher ?
Mon adverfaire s'efforce de prouver
que le Confeil prononça fur les droits
d'Auteur. Je vais rapporter le moyen vittorieux
, dont il fair uſage.
Le Confeil , dit- il , déclare nul le privi
lége , furpris par le fieur Blanchet , pour
l'Art du Chant ; lui fait défenfe de s'enfervir
àpeine d'amende ; déclare les exemplaires
, faifis par lefieur Bérard , confifqués à
fon profit , & condamne ledit Blanchet en
100 liv. de dommages & intérêts , envers le
feur Berard , & ordonne que l'Arrêt fera
publié & affiché partout où befoin fera.
Les Libraires obtiennent tous les jours
G
146 MERCURE DE FRANCE.
de pareils jugemens contre les Gens de
Lettres qui leur vendent leurs productions.
Si M. Berard avoit lû avec attention
cet Arrêt , il auroit remarqué que le mot
d'Auteur ne s'y trouve pas. Supposé que
le Confeil eût voulu prononcer fur ce
point , il auroit nommé des Membres de
' Académie des Sciences , comme je le
demandois dans mon Mémoire ; attendu
qu'une differtation phyfique , fur la théorie
& le méchanique des fons , doit être
étrangère à des Magiftrats plongés dans
l'étude importante des Loix. Les Académiciens
auroient été chargés d'examiner
nos manufcrits , les nouveaux développemens
que j'ai donnés à mes principes ,
l'unité de méthode & de ftyle qui y régne
, & d'interroger les deux Prétendans.
Après on auroit dit , qu'oui le rapport
de Meffieurs de l'Académie , on déclare
le fieur Berard, Auteur de l'Art du Chant.
Je demande à ce Maître à chanter , s'il y
a rien de tout cela dans l'Arrêt dont il
ofe fe prévaloir. J'en appelle à l'intégrité
des Commiffaires de la Librairie , mes
Juges , & à M. Roux , Avocat de ma partie
adverfe.Qu'ils affirment s'il a été queftion
du moindre examen en ce genre. Qui
auroit imaginé qu'un Chanteur eût plaidé
MAR S. 1761 . 147
le privilége d'un Ouvrage Philofophique
à titre d'achat , & qu'il eût ofé triompher
d'une victoire humiliante ?
Il me reste à prouver que l'avertiffement
, qui eſt à la tête de ma feconde édition
, n'eſt point un tiffa de menfonges &
d'injures , comme M. Berard a intérêt de
le perfuader.
Cette façon de me répondre eft bien
laconique. Les gens fenfés la trouverontils
également honnête & folide ? Les argumens,
dont je m'étaye dans cet avertif
fement , pour revendiquer mon ouvrage ,
font principalement les manufcrits de mon
Antagoniste , que j'ai fait imprimer avec
la plus fcrupuleufe fidélité , & les nouvelles
applications que j'ai faites de mes
principes . Comme les manufcrits , dont je
viens de parler , font de la main de M.
Berard, il ne fçauroit les nier , & je puis
convaincre les Incrédules . Pour ce qui
regarde les corrections & les additions
fans nombre qu'on trouve dans mes principes
philofophiques du Chant , c'eft au
Public de comparer les deux éditions , &
de décider.
F
Mon Adverfaire ne voit dans mes raifons
, qu'un tiffu d'injures . Ces injures font
vraisemblablement d'avoir ofé avancer
qu'il n'eft pas Grammairien , Latiniſte ,
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
Phyficien & Métaphyficien . Je foutiens
que ces vérités , à les bien prendre , n'ont
rien d'offenfant pour un Maître à chanter,
Qu'il ne foit point initié à ces Sciences ,
il a cela de commun avec prèfque tous fes
confreres , même les plus célèbres , qui
n'en jouiffent pas moins d'une jufte confidération
dans le monde . La vraie gloire
pour un galant homme , c'eft d'exceller
dans fa profeffion, & de ne pas fortir de
fa fphère. O la belle morale renfermée
dans ces vers d'Ovide ! Phaëton prie fon
Père de lui laiffer gouverner les rênes de
fon Char : celui- ci lui répond :
Magna petis , Phaeton , & quæ nec viribus iftis
Munera conveniunt
Il feroit à fouhaiter que les perſonnes
emportées par une aveugle ambition , s'en
fiffent expliquer le fens , & le méditaffent
affidûment .
N'aurois - je pas droit de parler ainfi à
mon adverfaire ? »Pouvez- vons vous plain-
» dre , Monfieur , que je vous aye contef-
» té votre talent pour le goût du Chant &
» pour la Guitarre ? quand vous ferez ten-
» té de m'accufer de malignité , entre plu
fieurs traits de modération de ma part ,
rappellez- vous celui- ci . Depuis la
» de mon procès, les loix s'offroient à me
perte
MARS. 1761 . 149
venger par des peines afflictives du falfificateur
de l'intitulé de l'arrêt que vous
fites afficher. Il ne dépendoit que de moi
» d'abandonner le coupable à toute la févérité
de la Juftice ; & je me bornai à
» porter ma plainte chez un Commiffaire
, & à tirer en préfence de témoins ;
une copie de l'intitulé des Arrêts imprimés.
Je voulus par là conftater l'attentat
, & empêcher la calomnie d'en
» abuſer contre moi ; & puis j'oppofai le
» filence aux noirceurs de la haine.
ور
Comment la plupart des obfervations
que j'ai faites, ont - elles pû, échapper à l'Auteur
de la lettre que je viens de réfuter? Je
trois actuellement pouvoir dire, que c'eſt au
Public éclairé & impartial d'apprécier les
raifons fur lesquelles je me fonde pour
conclure 1 ° . que le certificat de M. Perrot
n'eft point fuppofe ; 2 ° . que le Confeil ne
prononça point fur les droits d'Auteur ;
3 °. que l'avertiffement , qui eft à la tête de
mes Principes Philofophiques du Chant
n'eft point un tiffu de mensonges & d'injures.
J'ai l'honneur &c. BLANCHET.
>
II . NOUVEAU CHOIX DE PIECES FRAN- >
ÇOISES ET ITALIENNES , Petits Airs , Menuets
&c. Avec des doubles & variations , accommodées
pour deux Violoncelles , Baffons ,
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
Baffe de Viole & c . Par M. Taillard l'aîné;
le tout recueilli & mis en ordre, par M*** .
Prix 6 liv. à Paris , chez l'Auteur , rue de
la Limace, chez M. Cuveillier , Marchand
d'Etoffes , & aux adreffes ordinaires de
Mufique . Avec Privilége du Roi.
GRAVURE.
M. FESSARD , Graveur du Cabinet du
Roi , vient de publier quatre Eftampes ;
fçavoir le Chant , la Tourterelle , une
Etude deffinée par M. Boucher , & une
autre par M. Natoire. Elles fe vendent
chez le fieur Joullain , quai de la Mégifferie
, & chez la veuve Chereau ,rue Saint
Jacques .
MAR S. 1761 . IfI
FIGURE annoncée à la page 150 , du
Mercure de Février.
E
K
K
C
B
A
M
14
F
K
152 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Muſique donna
le 6 Février , la premiere repréfentation
de Jephté , Tragédie tirée de l'Ecriture-
Sainte. C'est par une erreur de l'Imprimeur
, & contre l'intention des Editeurs ,
que dans les livres de paroles de cet Opéra
on a indiqué la derniere repriſe le 4 Mars
3738. Il avoit été répris le 24 Mars 1740 ,
la rentrée de Mile le Maure, ainsi que
pour
nous l'avons marqué dans le vol. précédent .
Le Poëme eft trop connu pour en rendre
un compte détaillé : l'Extrait s'en
trouve dans des Mercures antérieurs . Nous
remarquerons feulement que l'Auteur * ,
dont les talens étoient plus éftimables ,
qu'ils n'étoient eftimés , fçavoit très bien
concilier la fageffe des loix dramatiques ,
avec les licences qu'admet , & que même
exige le genre de nos Opéra . Ses fables
font conftruites théâtralement , fes fcènes
font enchaînées, & s'encadrent toutes dans
un tiffu régulier . Sa verfification un peu
négligée & vuide de poëfie, dans quelques-
* Feu M. l'Abbé Pellegrin .
MAR S. 1761. 153
uns de fes ouvrages , a été foutenue dans
celui ci , par la force fublime de la fource
où il a puifé fon ſujet.
La Mufique de cet Opéra , il y a 25 ans,
paroiffoit nouvelle & d'un ton auquel on
n'étoit pas accoutumé . Une circonstance ,
que le Public apprendra , peut- être, avec
plaifir , doit rendre cette Mufique précieufe
aux vrais connoiffeurs . C'eft elle
qui , de l'aveu du célébre M. Rameau , a
été la caufe occafionnelle des chef- d'oeuvres
dont il a enrichi notre Théâtre lyrique.
Ce grand homme entendit Jephté ;
le caractère noble & diftingué de cet ouvrage
le frappa , par des points analogues
apparemment à la mâle fécondité de fon
génie . Il conçut dès ce moment,que notre
Mufique dramatique étoit fufceptible d'une
nouvelle force & de nouvelles beautés .
Il forma le projet d'en compofer; il ofa être
créateur. Il n'en convient pas moins que
Jephié procura Hipolite & Aricie.
Les Sectateurs d'un genre de Muſique
pomponée , qu'improprement on nomme
Mufique Italienne , qualifient de foibleffe
l'élégante fimplicité des Chants dans
Jephté ils comparent la majefté de la
Mufique vocale du premier Acte , à la monotonie
d'un plein- chant. Les connoiffeurs
modérés , dont le goût n'exclut rien, mais
D &Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
dont le jugement décide d'après les con
venances , oppofent à cela , que la dignité
& l'élévation du Poëme ne permettoient
pas au Muficien de s'abandonner aux écarts
du caprice; & que les chants de Jephté
ont dautant plus de mérite, qu'ils ont un
caractére uniquement propre au genre du
Poëme. Ils ajoutent que des accompagnemens
plus chargés auroient étouffé les
fujets de chant , & que par un papillotage
peu convenable, on auroit détruit l'impreffion
grave & pathétique qu'ils doivent
produire. Ils avancent que les Sectateurs
du goût moderne font entraînés eux mêl
mes dans le concours des Spectareurs
qu'attire Jephté , par l'afcendant du fenti
ment ; mais qu'ils fe croyent juftifiés du
plaifir qu'ils y prennent, par le mal qu'ils
en difent : petit dédommagement qu'ils
penfent devoir à leur efprit , de la fenfi
bilité de leur coeur. Nous avions prévû ,
en annonçant cette remife , qu'elle réveil
keroit la divifion de goûr fur la Mufique
qui régne actuellement dans le Public
nous n'avions pas prévû qu'elle iroir jufqu'à
faire publier par quelques uns de
ceux-mêmes qui n'avoient pû trouver pla
ce à ce Spectacle , qu'il étoit abandonné.
Nous ne nous permettrons jamais de pro
noncer fur des opinions contradictoires
mais nous ne nous difpenferons pas de
-
MARS. 1761 . LSS
conftater des faits , lorfque nous aurons la
facilité de faire des perquifitions certaines:
& non fufpectes. Nous avons trouvé qu'à
la huitiéme repréfentation de cet Opéra ,
le produit des recettes excédoit vingtdeux
mille livres.
,
Les rôles , dans cette reprife , font en
général bien rendus . Dans celui d'Almafie
, la ftature noble & avantageufe de
Mlle Chevalier , donne la repréfentation
du Perfonnage indiqué par le Poëme ; &
Pineftimable intelligence du débit , dans
le chant , ſecondée de l'ufage du Théâtre ,,
fait fentir tous les détails intéreffans des:
vers & la jufteffe de la déclamation muficale.
Mlle Arnould , cette Actrice , in ር
pirée par la Nature , & guidée par les grâ→
ces avec des talens différens de ceux de
Mlle le Maure , a trouvé le moyen d'er
rendre la perte moins fenfible dans le rôle
d'Iphife , ou particulierement l'on croyoiɛ
cette perte irréparable . Cer effet eft du
au charme d'une expreffion agréable &
fenfible , à la vérité & à l'énergie d'ac
tion que l'on connoît à cette jeune Actice.
Sa pofition, dans le cinquième Acte,
panchée fur l'Autel & fléchiffant fous le
poids de la crainte & de la douleur , contribue
à faire de cette Scène , un modéle
que Timante n'eût pas négligé pour fon
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
tableau du facrifice d'Iphigénie .
peu
fuc La partie du Spectaclé étoit
ceptible de décorations remarquables .
Celle qui repréfente le camp des Ifraëlites
& celui des Ammonites , au premier
Acte , eft bien difpofée ; & la perspective
produit affez d'illufion. On réproche , en
général , à ce Théâtre, un peutrop d'uniformité
dans les habillemens des Acteurs ,
& furtout dans ceux des femmes , quel
que foit le coftume nationnal des Perfonnages
qu'on y repréfente . Mais comment
exiger toujours du fexe , que l'on facrifie
à la loi des vraisemblances, des préjugés
d'habitude , fur ce qui peut être plus,
ou moins avantageux à la taille & à la figure
?
Les Ballets ne dérogent point à la réputation
juftement acquife du Compofiteur.
Des Ifraëlites , qui ne danfent que
comme d'autres Peuples , des Guerriers
& des Bergers étant les feuls Sujets que
pouvoit fournir le Poëme , on ne devoit
pas s'attendre à voir des entrées bien neuves
& bien piquantes cependant elles
font agréables & variées. Mlle Lany
dont la fanté avoit allarmé , a reparu
dans le quatriéme Acte de cet Opéra.
Capable elle feule d'embellir tout un
Ballet , elle a été reçue du Public, comme
le font ordinairement tous les talens
MAR S. 1761. 157
fupérieurs , que la crainte de les perdre rend
encore plus chers. On a ajouté une chaconne
au troifiéme Acte , qui en remplie
très-bien le divertiffement, & fur laquelle
M. Gardel , en l'abfence de M. Veftris
danfe de manière à donner les plus grandes
espérances.
On a retiré le Prologue , après la pre->
miere repréſentation , la durée du Spectacle
excédant trop celle à laquelle le Pul
blic eft babitué depuis quelques années .
Le Dimanche 22 , Mlle Dubois chanta
le rôle d'Iphife en l'abfence de Mlle Ar->
nould qui fe trouva indifpofée. Sa voix
fit beaucoup d'effet dans le monologue.
En général , elle fut applaudie ; & elle
mérita les fuffrages du Public , toujours .
équitable fur le zéle que font paroître les
Sujets , qui empêchent l'interruption de
fes amuſemens.
On a donné fur ce même Théâtre , le
Mercredi 25 Février , pour le bénéfice
des Acteurs , une repréſentation de Pirame
& Thisbé. On en donnera deux autres
du même Opéra & pour le même objet ,
les Mercredi & Samedi fuivans:
On fe difpofe à mettre un Opéra nouveau
, après Pâques , intitulé , Hercule
mourant,Tragédie de M. Marmontel , dont
M. d'Auvergne a compofé la Mufique.
58 MERCURE DE FRANCE.
En terminant l'Article de l'Académie
Royale de Mufique , nous croyons qu'on
nous fçaura gré de rendre public le rétabliffement
de l'un de fes Penfionnaires
M. Geliote , qui a été dans la plus dangereufe
extrémité , par une fluxion de poitrine.
L'intérêt univerfel que l'on a pris à
cet événement , fait autant d'honneur aux
qualités perfonnelles de M. Geliote , qu'à
la célébrité de fes talens. Cela prouve
combien la fociété fçait payer , parmi
nous , ces fortes de qualités , lors même
qu'elle n'a plus d'espoir au plaifir que lui
procuroit le talent .
COMEDIE FRANÇOISE.
EXTRAIT de TANCREDE , Tragédie en
vers croifes & en 5 Actes ; repréſentée
par les Comédiens François ordinaires
du Roi , le 3 Septembre 1760. Repriſe
le 26 Janvier 1761.
Noms des Perfonnages. Noms des Acteurs.
ARGIRE ,
TANCREDE ,
ORBASSAN ,
M. Briffard.
M. Le Kain.
Chevaliers. M. Grandval.
M. Bellecour.
M. d'Auberval.
LOREDAN ,
CATANE ,
ALDAMON , Soldat,
AMENAIDE ,
FANIE , Suivante ,
M. Dubois.
Mlle Clairon.
Mde Préville.
Plufieurs Chevaliers affiftans au Confeil ; Ecuyers,
Soldats , Peuples
MARS. 1761 159
La Scène eft à Syracufe , d'abord dans le Pa
Lais d'Argire & dans une Salle du Confeil ; enfuite
dans la Place publique . L'époque de l'action eft de
l'année 1005. Les Sarrafins d'Afrique avoient conquis
toute la Sicile au neuviéme fiécle ; Syracule
avoit fecoué leur joug. Des Gentilshommes Nor
mands commençoient à s'établir vers Salerne dans
La Pouille ; les Empereurs Grecs pofſédoient Meffne
; les Arabes tenoient Palerme & Agrigente.
A L'OUVERTURE du Théâtre , tous
les Chevaliers , affis , vêtus & équipés dans
Pancien coftume de la Chevalerie , forment
un fpectacle impofant , & nouveau
fur notre Scène.
Argire , père d'Aménaïde , refpectable
par fon âge & par fes actions , préfide à ce
Sénat Militaire.Il expofe les malheurs qu'a
éprouvés la Sicile ; le danger qu'elle a cou
ru , par l'ambition de deux ennemis puiffans,
les Empereurs Grecs & les SarrafinsS
fes uns & les autres menacent encore de
lui faire fubir le joug de la tyrannie. Solamir,
un des Chefs des Sarrafins , occupe
Agrigente & tient la Campagne d'Enna ;
les Grecs font maîtres de Meffine : mais
cés communs tyrans , armés les uns contres
les autres , fe détruifans mutuellement,
laiffent une occafion favorable pour affurer
la liberté de Syracufe. La grandeur
Muſulmane, attaquée en même temps , par
Martel du côté de la France , par Pelage,
160 MERCURE DE FRANCE.
du côté de l'Espagne, & par le Pape Léon
IV, en Italie, paroît toucher à fon déclin.
Le moment eft propice; c'eft donc de ce fier
ennemi , que l'on peut dompter , & qui
environne les murs de Syracufe , qu'il faut
d'abord fe défaire. Des factions cruelles
ont déchiré le ſein de la République ; les
germes n'en font pas étouffés ; il faut cependant
éteindre toutes les divifions pour
combattre l'ennemi commun ; il faut pour
cela unir au fang d'Argire le fang des Orbaffan:
ainfi, l'hymen d'Aménaïde avec Orbaffan
eft propofé par Argire , & accepté
par le Chef du Parti contraire, qui lui dit :
Aujourd'hui l'an par l'autre il faut nous protéger
;
En Citoyen zélé j'accepte votre fille :
Je fervirai l'Etat , vous & votre famille ;
Et du pied des Autels , où je vais m'engager ,
Je marche à Solamir , & je cours vous venger.
Mais il eft aux yeux d'Orbaffan d'autres
ennemis non moins pernicieux . Tancréde ,
rejetton d'un Couci , Seigneur François
établi en Sicile , du temps de Charles le
Chauve , excite fur-tout la jalouſe inquié-,
tude. Tancréde,éloigné de Syracufe dès l'enfance
, a fervi fous les Empereurs Grecs;
ileft outrage, il doit vouloir fe venger..
Orbaffan fait envifager tout François comme
dangereux; il infpire la défiance à cette
MAR S. 1762 . 161
affemblée ; & pour fûreté il opine par
ces vers , qui occafionnent le noeud & la
catastrophe de la Tragédie .
Maintenons notre loi , que rien ne peut changer :
Elle condamne à perdre & l'honneur & la vie .
Quiconque entretiendroit avec nos ennemis ,
Un commerce ſecret , fatal à ſon Pays.
A l'infidélité l'indulgence encourage.
On ne doit épargner ni le fèxe ni l'âge .
Un autre Chevalier ( Loredan ) en confirmant
le fentiment d'Orbaffan , ajoute
que Solamir peut avoir encore des partifans
fecrets dans Syracufe. L'Auteur fair
ingénieufement infinuer par ce Chevalier,
que le Sexe particulièrement , féduit par
la nouveauté & par l'éclat des Héros , à
prodigué fes fuffrages à ce Maure impofant.
On verra quelle relation cette remarque
aura avec le fort de la malheureufe
Aménaïle. Il conclut enfuite par propofer
ainfi la défaite de Solamir , & la profcription
de Tancréde.
Mettons un frein terrible à l'infidélité ;
Au falut de l'Etat que toute pitié céde ;
Combattons Solamir , & pourſuivons Tancrede.
On foufcrit à toutes ces décifions , qui
162 MERCURE DE FRANCE .
deviennent des loix ; on infifte particuliè
rement fur l'entière profcription de Tancréde
; & pour qu'elle foit fans retour , on
donne tous fes biens à Orbaffan. Argire
vertueux , mais foible , par le zéle fanatique
qui l'égare , confent , quoiqu'à regrer ,
à cette injuftice, parce qu'elle lui eft préfentée
comme néceffaire au bien de l'Etat.
Croyant que le falut de la République dépend
de l'hymen projetté entre Orbaſſan
& fa fille , il veut que la cérémonie s'en
faffe dès le lendemain: Le Confeil fini ,
Orbaffan s'explique ouvertement avec Argire
, qui follicite fon amitié. Ce qu'il dit
alors,fervant a établir ſon caractère & fpécialement
fa façon de fentir par rapport à
Aménaïde , nous en copions quelques vers.
ORBASSAN , ( à Argire. }
... Je vous l'ai dit aſſez ,
J'aime l'Etat , Argire ; il nous reconcilie.
Cet hymen nous rapproche, & la raiſon nous lie ;
Mais le noeud qui nous joint n'eût point été formé
Si dans notre querelle , à jamais affoupie ,
Mon coeur qui vous haït , ne vous eût eſtimé .
L'amour peut avoir part à ma nouvelle chaîne ;
Mais un fi noble hymen ne fera point le fruit
D'un feu né d'un inftant , qu'un autre inſtant détruit
,
Quefuit l'indifférence & trop fouvent la haine &c.
MARS. 1761. 163
Il déclare ainfi que l'amour a peu de
part à cet Hymen ; qu'il pourra en refferrer
les liens ; mais que fa voix doit fe
taire au bruit des armes. Argire courageux
, fans en être moins fenfible , invite
ce féroce courage à tempérer fon auftérité
, en faveur d'une fille , qui élévée par
fa mere à la Cour de Byfance , pourroit
s'éffaroucher de ce févère accueil.
C'eſt
peu ( dit Argire ,
modefte douceur
d'être un guerrier ; la
Donne un prix aux vertus & fied à la valeur.
Aménaïde n'entend qu'avec éffroi &
indignation de la bouche d'Argire , ce
qu'on a déterminé fur fon fort ; elle répond
à Orbaffan qui lui eft préfenté pour
époux , que fon coeur étonné a befoin
de fe recueillir avec fon pere. Orbaffan
les laiffe feuls ; il va rejoindre les guerriers
de Syracufe , pour mériter par de
nouveaux lauriers , l'Hymen qui lui eft
offert. Aménaïde rappelle à fon Père , que
le parti d'Orbaffan l'avoit banni de Syracufe
; qu'il avoit obligé fa mere de fuir
avec elle à la Cour de Byfance ; qu'elle
ne devoit pas s'attendre à paffer dans les
bras de ce furieux ennemi de fa famille ;
& qu'enfin après avoir été la victime des
ennemis de fon père , elle alloit être là
164 MERCURE DE FRANCE.
fienne , s'il la contraignoit à accomplir
cet hymen qu'elle détefte . Elle impute à
Orbaffan, comme une tache indigne d'un
héros , d'avoir dépouillé Tancréde de fes
biens ; Argire lui annonce que Tancréde ,
ayant fervi fous les Céfars , ne doit jamais
efpérer de revoir fa patrie , d'où le bannic
un decret irrévocable. Aménaïde apprend
à Argire , qu'au contraire fa mere lui
avoit fait envifager Tancréde , qu'elles
avoient connu à la Cour des Empereurs ,
comme celui qui devoit vaincre le Maure
, fauver Syracufe , & qui auroit donné
fa vie pour venger leur famille des cruautés
d'Orbaffan. C'est par là que l'Auteur
prépare & juftifie la paffion d'Aménaïde
pour Tancréde , & la réfolution qu'elle
prend , lorfqu'elle eft reftée feule avec fa
confidente , de n'être jamais qu'à ce héros
. Cette Confidente , qui connoît l'âme
d'Aménaïde , fe reffouvient que Solamir
& Tancréde avoient foupiré tous deux
pour cette Princeffe , mais qu'elle avoit
toujours préféré ce dernier ; que fon coeur
une fois donné , rien ne pourra la faire
changer... Ah! tu n'en peux douter , lui
dit Aménaïde :
On dépouille Tancrede , on l'exile , on l'outrage ;
C'eftle fort d'un Héros d'être perfécuté ;
Je fens que c'eft le mien de l'aimer davantage.
MAR S. 1761 . * .6 $
On fent que c'eft celui de l'Auteur, de
frapper , avec tant de nobleffe en auffi
peu de vers , au coin du véritable héroïfme,
le caractére du perfonnage, fur lequel
do it porter le principal intérêt de la Piéce.
Tancréde eft dans Meffine. Ce fecret eft
révélé par Aménaïde à fa confidente, pour
l'engager à la fervir dans le projet qu'elle
forme, d'appeller ce Héros dans Syracufe ;
à fa vue tout doit trembler .
Le feul nom de Tancréde enhardit ma foibleffe ;
Le trahir eft un crime , obéir eft baffeffe.
Elle ne fe diffimule pas les dangers de
cette entreprife ; mais elle s'y affermit
ainfi .
...L'amour à mon fere infpire le courage.
C'eſt à moi de hâter ce fortuné retour ;
Et s'il eft des dangers que ma crainte enviſage ,
Ces dangers me font chers ; ils naiffent de l'amour
.
Aménaïde , au fecond Acte , tremblante
fur le fuccès de fon entreprife , eft informée
par Fanie, que la lettre , dont elle
s'étoit chargée, eft entre les mains d'un Efclave
fidéle qui doit la porter à Tancréde .
Cet Efclave , né dans Syracufe , mais originairement
Muſulman , connoiffant les
ufages & les langues des deux Peuples ,
166 MERCURE DE FRANCE:
peut facilement traverfer le camp des
Maures. Le billet n'a point d'adreſſe , afin
que , tombant entre des mains inconnues,
on ne fçût pas à qui la lettre étoit envoyée.
Fanie ne peut cacher à la Princeffe
, que toutes ces précautions dictées
par la prudence , ne peuvent calmer fes
allarmes fur l'événement. Mais Aménaïde
, en qui le courage eft l'ouvrage de
l'amour , & en qui ces deux fentimens
s'enflamment de plus en plus par les dangers
, déclare qu'elle ne craint plus.Quelques
fragmens feront mieux connoître
toute la grandeur de cette âme héroïque.
FANIE, à Amenaïde.
... On dit qu'un arrêt redouté ,
Contre Tancréde même eft aujourd'hui porté,
Il y va de la vie à qui le veut enfreindre.
AMENAIDE.
Je le fcais ; mon efprit en fut épouvanté ;
Mais l'amour est bien foible alors qu'il eft timide.
J'adore , tu le fçais , un héros intrépide ;
Comme lui je dois l'être.
FANIE!
Une loi de rigueur
Contre vous , après tout , feroit-elle écoutée ?
Pour éffrayer le Peuple , elle paroît dictée.
A MENAID E.
Elle attaque Tancréde ; elle me fait horreur.
MAR S. 1761 . 167
Que cette loi jaloufe eft digne de nos maîtres !
Ce n'étoit point ainfi que les braves ancêtres ,
Ces généreux François , ces Illuftres vainqueurs ,
Subjuguoient l'Italie ,& conquéroient des coeurs;
On aimoit leur franchife ; on redoutoit leurs armes
;
Les foupçons n'entroient pas dans leurs efprits
altiers.
L'honneur avoit uni tous ces grands Chevaliers ;
Chez les feuls ennemis ils portoient les allarmes ;
Er le peuple amoureux de leur autorité ,
Combattoit pour leur gloire , & pour fa liberté.
Tout ce qui n'eft pas Tancréde , eft
odieux à Aménaïde ; le nom feul de ce
Héros diffipe fon éffroi. C'eft dans cette
confiance d'un fentiment violent de tendreffe
, que viennent la furprendre les
reproches de fon Pere . Elle apprend parlà
le funefte événement de fes deffeins.
L'Esclave a été furpris par un parti
Syracufain , près du camp des Maures . Il
eft mort avec le fecret d'Aménaïde ; mais
le billet eft refté : comme il eft fans adreffe
, & que l'on fçait que Solamir a ſoupiré
pour elle , tout concourt à la faire foupçonner
d'une intelligence fecrette avec ce
Chef des Sarrazins. Argire abandonne
fa fille à la rigueur de la Loi ; Il s'en remet
aux Chevaliers ; il invoque feulement
168 MERCURE DE FRANCE.
les droits de la nature , pour ne pas mêler
fa voix à celles qui vont la condamner ;
la mort d'Aménaïde eft décidée. Aménaïde
ne cherche point à fe juftifier ; elle ſe défend
avec nobleffe de l'imputation d'infidélité
& de trahifon : mais en avouant
fans détour l'envoi du billet , elle n'éclaircit
point le mystère de l'adreffe , dans la
crainte d'expofer Tancrede. Orbaffan
dont la préfence aigrit encore la fituation
d'Aménaïde, fans fortir de fon caractère ,
lui offre de combattre pour elle , fuivant
l'ufage de ce fiécle , & les Loix de la Chevalerie.
Il voudroit pouvoir la faire déclarer
innocente , non par un mouvement
aveugle de tendreffe , mais parce que lui
ayant été deftinée pour femme , il croit
que fa gloire eft intéreffée à détruire cetre
accufation. Aménaïde , furpriſe de cette
générofité , lui accorde à regret l'eftime
& la reconnoiffance qu'elle ne peut lui
refufer ; mais ne pouvant l'aimer , elle
lui déclare qu'elle ne peut accepter l'offre
de ce combat. Ses fentimens la rendent
d'autant plus intéreffante , qu'ils ne font
point contraires aux mouvemens de la nature
, fur la crainte de la mort.
Je ne me vante point du faftueux éffort
De voir fans m'allarmer les apprêts de ma mort.
Elle •
MAR S. 1761 169
Elle convient que la vie dut lui être
chère ; elle plaint fon Père , elle regrette
fon Amant ; cependant rien ne peut l'engager
à tromper , ni à fe foumettre . Orbaffan
refufé la quitte avec dédain. Amé
naïde termine l'acte , par de triftes réflexions
fur l'infamie dans laquelle elle va
mourir ; par l'idée , plus accablante encore
, de l'opinion qu'elle laiffera d'elle à
Tancréde. Tant de honte l'étonne ; elle
fe raffure par le témoignage de fon coeur.
Non , il n'eft point de honte en mourant pour
Tancréde .
On peut m'ôter le jour & non pas me punir .
Elle eft confolée un moment par la préfence
de Fanie qui couvre les mains de
fa maîtreffe de baifers & de larmes , en
voyant rapprocher les Gardes qui l'avoient
faifie , & qu'avoit écartés l'autorité d'Orbaffan.
Elle recommande à cette tendre
confidente de porter au Héros , pour
le
quel elle meurt , fes derniers adieux &
fes derniers fentimens.
,
Tancréde, fuivi de deux Ecuyers , chargés
de fes armes , entre fur la Scène
qui eft alors une Place publique de Syracufe
, où font fufpendus les Ecus des
Chevaliers , défenfeurs de la Patrie, avec
H
170 MERCURE DE FRANCE..
des devifes qui défignent chacun d'eux . Il
énonce le fentiment qu'éprouvent toutes
les âmes bien conftituées , après une longue
abſence de leur patrie . Le vieux foldar
Aldamon procure à Tancréde les moyens
d'entrer inconnu dans Syracuse. Confus
des remercimens de ce héros , il lui dit :
Seigneur , c'eft trop vanter mes fervices vulgaires
,
Et c'est trop relever un fort tel que
le mien s
Je ne fuis qu'un foldar , un fimplecitoyen . ...
Tancréde répond par ce vers , qui devroit
être toujours fous les yeux des
Grands.
Je le fuis comme vous : les Citoyens font freres.
Et fur ce que le Soldat infifte qu'il a
fervi fous lui ; que né dans fa maiſon il lui'
eft affervi , Tancréde termine par ces mots :
» Vous ne devez être que mon ami » Aldamon
, en faifant remarquer les devifes
de tous les Chevaliers qui fe font diftin-'
gués , remarque qué le nom de Tancréde
devroit être joint à tous ces noms fameux.
Tancréde veut que fon nom foit caché. Il
ordonne à fes Ecuyers de fufpendre en ce
lieu fes armes d'où les chiffres font effacés
, c'eft-à-dire , un fimple Bouclier & un
MAR'S. 1761 . 171
Cafque fans couleurs. Il veut que l'on
conferve fa devife, parce que les mots en
font facrés, pour lui: c'eſt l'amour & l'honneur.
Il charge fes Ecuyers de l'annoncer
aux autres Chevaliers comme un Guerrier
inconnu qui eft venu pour combattre avec
eux les ennemis de la patrie. Il apprend
d'Aldamon,que le Père d'Aménaïde ( Argire
) après avoir longtems fuccombé à la
fureur des factions , avoit repris fes droits
& fon autorité dans la République mais
que l'âge l'affoibliffant , Orbaffan va lui
fuccéder. Tancréde frémiffant au feul nom
de l'ennemi de l'oppreffeur du père d'A
ménaïde, craint encore,fur quelques bruits
confus , qu'il n'afpire à en devenir le gendre.
Aldamon , que fon fervice retient
hors de la Ville , n'étant pas en état de
l'éclaircir , eft envoyé pour vérifier cette
fanefte nouvelle , vers Aménaïde ellemême.
Quelle horreur ! quel déſeſpoir
pour Tancréde, lorfque ce Soldat revient ,
baigné de larmes , l'exhorter à fuir la
honte & le crime qui vont lui déchirer
le coeur. Informé fucceffivement qu'Argire
a figné le matin l'hymen d'Orbaffan
avec Aménaïde , que la pompe en étoit
ordonnée pour le lendemain , que ce rival
avoit été mis en poffeffion de tous fes
biens : Tancréde , après avoir fubi toute
Hij
172 MERCURE DE FRANCE:
cette progreffion de torture , apprend en
fin que toutes ces circonftances étoient
le plus léger des coups que lui réſervoit
le fort , & qu'Aménaide , accufée d'avoir
voulu livrer fon coeur & fa patrie à Solamir
, va être conduite au fupplice . Argire
paroît ; on imagine combien la préſence
de ce vénérable vieillard , accablé d'années
& de défefpoir , doit ajouter d'intérêt
à la fituation de l'amant de fa fille.
Ils font inconnus l'un à l'autre. Aldamon
informe Tancréde que c'eft le père d'Aménaide
. Ce malheureux Chevalier qui ,
fondé fur les noirs complots de la calomnie
, pouvoit encore douter de l'infidélité
de fa maîtreffe , apprend fon crime par
l'aveu même d'un Père défefpéré ; il mêle
fes larmes aux fiennes , fous le nom feulement
d'un Chevalier que le zéle a armé
contre les Mufulmans. Sur la foi de la
Renommée , il auroit penfé , dit- il ,
Que fi la vertu même habitoit ſur la tèrre
Le coeur d'Aménaïde , étoit fon fanctuaire.
Mais le père attendri avoue , que pour
comble de honte & d'infortune , fa fille
chérit fon crime, & paroît fans remords ;
ce qui fait qu'aucun Chevalier ne fe préſente
pour défendre fon innocence , à quoi
Tancréde replique vivement,
MAR S. 1761 . 173
Il s'en préfentera : gardez- vous d'en douter .
ARGIRE.
De quel efpóir,Seigneur , daignez -vous me flater
TANCREDE.
Il s'en préfentera , non pas pour votre fille ,
( Elle eſt loin d'y prétendre & de la mériter ; )
Mais pour l'honneur facré de fa noble famille ,
Pour vous, pour votre gloire , & pour votre vertă.
ARGIRE.
Vous rendez quelque vie à ce coeur abbattu.
Eh ! qui pour nous défendre entrera dans la lice ?
Nous fommes en horreur : on eft glacé d'éffroi.
Qui daignera me tendre une main protectrice ?
Je n'ofe m'en flatter : qui combattra ?
TANCREDE.
Qui?moi.
Moi , dis -je : & file Ciel feconde ma vaillance ,
Je demande de vous , Seigneur , pour récompenfe
De partir à l'inftant fans être retenu ,
Sans voir Aménaïde , & fans être connu.
Argire exprime fa reconnoiffance avec
la plus grande fenfibilité . Il n'eft pas difficile
de croire combien ce moment intéreffant
occupe l'âme des Spectateurs ; un plus
touchant encore va lui ſuccéder . Orbaſſan
& les autres Chevaliers viennent apprendre
à Argire , que prévenus par les Sarra-
H iij
374 MERCURE DE FRANCE.
fins , ils vont être attaqués. On le preffe de
fuir le fpectacle horrible du fupplice de fa
fille ; il déclare que fecondé du Chevalier
inconnu qu'il montre,il ira dans le fang des
ennemis , laver fa honte & noyer fes douleurs
. On voit approcher Aménaïde avec
tout l'appareil des criminels , environnée
de Gardes & d'une foule de Peuple avide
des fpectacles les plus finiftres. Orbalan
redouble fes inftances pour faire écarter
Tancréde Argire , en l'arrêtant. .
Non , demeurez , mon père
ORBASSAN. ( à Tancréde:)
Eh ! qui donc êtes-vous ?
TANCREDE.
Votre ennemi , Seigneur
L'ami de ce vieillard peut être fon vengeur ;
Peut-être autant que vous à l'Etat néceſſaire.
La Scène s'ouvre : on voit Aménaïde ,
au milieu des Gardes : les Chevaliers &
le peuple rempliffent la place. Tancréde ,
n'eft pas apperçu d'abord par Amenaïde,
qui protefte publiquement non de fon innocence
relativement à la Loi qui la condamne
mais contre l'iniquité de cette
Loi , qui donne lieu à l'arrêt de fa mort.
Elle invoque le ciel , Juge & témoin des
vrais fentimens, de fon âme ; elle apoftrophe
enfuite r ce qui l'écoute , pour
éclaircir apparenent la faulle imputation
de l'objet a lettre.
.
1
MARS. 1961 . 173
• Sçâchez tout mon malheur.
Qui va répondre à Dieu parle aux hommes fans
peur.
Et vous , mon pere ; & vous témoins de mon fuppli
ce ,
Qui ne deviez pas l'être , & de qui lajuftice
( appercevantTancréde. )
Auroit pû....Ciel ! ô Ciel ! Qui vois- je à ſes côtés ?
Eft-ce lui ?... Je me meurs.
Elle tombe évanouie. Ainfi fe continue
la fatale obfcurité du billet ; & cet accident
que Tancréde regarde comme un effet
du reproche que lui fait fa préfence , contribue
à confirmer l'illufion qui doit la lui
faire paroître infidelle. Cependant il fufpend
l'exécution du fupplice , en fe préfentant
pour défendre l'accufée ; & c'eft Or
baffan qu'il défie , en jettant fon gantelet.
L'orgueilleux Orbaffan fait ramaffer le gan
telet , figne d'acceptation ; quoiqu'il feigne
de dédaigner un adverfaire qu'il juge
indigne de lui , parce qu'il cache fon nom,
il donne les ordres néceffaires pour le combat.
Aménaïde , à qui l'on a ôté les fers ,
reſte fur la ſcène avec Argire. Elle revient
à elle , pour reprocher à fon père l'arrêt
qu'on a prononcé. Elle fe croit encore fous
le couteau; elle ne fça quel fera fon fort;
mais elle jure encore que fa gloire eft inal-
·
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE:
térable. Elle tremble pour la vie de Tancréde
, fi l'on vient à fçavoir fa naiffance.
Elle demande pour toute grâce à fon père ,
de la délivrer de tout cet appareil de honte
, & de l'arracher aux regards de cette
foule infultante qui obferve les affronts ,
& contemple des larmes dont la caufe eft
fi belle , & qu'on ne connoît
pas. Argire
enméne fa fille , & termine ainfi le troifiéme
Acte.
Une marche guerrière annonce & accompagne
Tancréde , qui a tué Orbaffan
dans le combat. Il perfifte toujours à demeurer
inconnu ; cependant , il confent
à défendre Syracuſe & à fe mettre à la tête
des Chevaliers , qui le prient de réparer la
perte que fa valeur vient de leur faire
éprouver. Il eft naturel que Tancréde s'engage
avec ardeur à pourfuivre Solamir. I
ne cache pas qu'une haine perfonnelle le
détermine. Aménaïde vient fe précipiter à
Les genoux. Il détourne d'elle fes regards
troublés , & d'une voix
entrecoupée il la
renvoye à fon père , en lui difant :
Retournez , confolez ce vieillard que j'honore ;
D'autres foins plus preffans me rappellent encore
Envers vous , envers lui , j'ai rempli mon devoir ;
J'en ai reçu le prix , je n'ai point d'autre eſpoir.
Trop de reconnoiſſance eſt un fardeau peut-être
MAR S. 1761 . 177
Mon coeur vous en dégage , & le vôtre eft le
maître
De pouvoir , à ſon gré , difpofer de fon fort.
Vivez ... heureufe ... & moi je vais chercher la
mort.
Il fort brufquement pour fuivre les
Chevaliers qui vont combattre les Sar
rafins. Cette fituation a toujours eu fur
Les Spectateurs une force fi pathétique ,
que toutes les autres précédentes qui
fembloient avoir épuifé leurs larmes loin
d'affoiblir celle- ci , fembloient n'avoir
fait
que la préparer. Le Lecteur connoît
affez à préfent le coeur d'Aménaïdé , pour
préfumer combien elle doit foutenir l'intérêt
en dévelloppant l'impreffion d'un
accueil fi accablant. Elle doute fi elle
veille; elle interroge Fanie ; elle contem
ple , avec horreur , la colére dédaigneufe
defon amant. Elle fe demande ce qui peut
avoir occafionné ce changement , dans le
moment même où cet amant vient d'ex-" -
pofer fa vie pour défendre fon innocence.
Fanie repréfente, l'effet des bruits publics,
l'erreur du fatal biller , les feux dont Solamir
avoit ofé brûler pour elle , le filence
ď'Aménaïde , fi noble & fi conftant fur læ
véritable adreffe du billet : ce mystère m
pénétrable , qui a pû fonder une apparen
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
ce trompeufe,& qui doit rendre Tancréde
excufable. A quoi tépond Aménaide , reprenant
la mâle fierté de fon âme.
· Rien ne peut l'excufer.
Quand l'Univers entier m'accuferoit d'un crime »
Surfon jugement feul un grand homme appuyé,
A l'Univers féduit oppofe fon eftime.
Elle fe trouve outragée des foupçons
de Tancréde, & qu'il paroiffe n'avoir combattu
pour elle que par pitié. Fanie veut
repréfenter qu'il ne connoît pas... Amér
naïde reprend fortement.
Il devoit me connoître ;
11devoit reſpecter un coeur tel que le mien y
Il devoit préfumer qu'il étoit impoſſible
Que jamais je trahiffe un fi noble lien.
Ce coeur eft auffi fier que fon bras invincible
Ce coeur étoit en tout auffi grand que le fien ,
Moins foupçonneux fans doute , & fur- tout pluss
fenfible .
Je renonce à Tancréde , au refte des mortels ,
Ils font faux ou méchans ; ils font foibles , cruels ,
Ou trompeurs , ou trompés ; & ma douleur profonde
,
En oubliant Tancréde , oublîra tout le monde.
La douleur dans laquelle Aménaïde eft
plongée, lui arrache le fecret fatal qu'elle
MARS. 176г. ! 179
avoit jufques-là renfermé avec tant de
dangers pour elle. Argire apprend enfin
de fa fille , que c'eft Tancréde qui l'a fauvée
, que c'est lui qui a tant fait pour fa
famille & pour une patrie qui l'avoit profcrit.
Les vers fuivans qu'infpirent à ce
noble vieillard de juftes remords , contiennent
une leçon que les Juges ne doivent
pas négliger.
O juges malheureux ! qui dans nos foibles mains
Tenons aveuglément le glaive & la balance ,
Combien nos jugemens font injuftes & vains !
Et combien nous égare une fauffe prudence !
Aménaïde déclare à fon Père les motifs
de fa douleur , fes reproches contre Tancréde
, & l'étrange réfolution de le fuivre
au combat. Argire oppofe à ce projet &
les moeurs & les loix du pays qui ne le
permettent pas.
A MENAIDE , ( å Argire . )
སྐྱ་
Quelles loix ! quelles moeurs indignes & cruelles !!
Sçachez qu'en ce moment ,je fuis au-deffus d'elles ,
Sçachez que dans ce jour , d'injuſtice & d'horreur
Je n'écoute plus rien , que la loi de mon coeur.
Quoi ces affreuſes loix , dont le poids vous op
prime ,
Auront pris dans vos bras , votre fang pour victi
me !
H vj
180 MERCURE DE FRANCE
Elles auront perinis qu'aux yeux des Citoyens ,
Votre fille ait paru dans d'infâmes liens ,
Et ne permettront pas qu'aux champs de la victoire:
J'accompagne mon Père , & défende ma gloire !
Et le fère en ces lieux conduits aux échafauts ,
Ne pourra femontrer qu'aux milieu des bourreaux
L'injuftice à la fin produit l'indépendance & c.
Nous avons rapporté ces vers , pour fai
re voir l'éclat du vernis , dont l'Auteurfçait
couvrir des refforts' que n'admettroit
peut-être pas facilement l'uſage ordinaire
des convenances. Le père d'Aménaïde ,
trop accablé de fes remords envers Tan
crède , pour ufer de toute fon autorité fur
fa fille , la quitte pour aller rejoindre Tancréde
dans les combats contre les Maures.
Il fe contente d'ordonner à fa fuite de veil
ler fur les démarches de fa fille . Celle - cf
finit le quatriéme Acte , en proteftant que
rien ne pourra l'arrêter ; qu'elle veut com
battre aux yeux de Tancréde , recevoir les
coups lancés contre lui , & mourir entre
fes bras pour le punir de fon injuftice.
Le Peuple & les Chevaliers viennent
annoncer la victoire remportée fur les
Sarrafins. On apprend fucceffivement.que
le Chevalier inconnu , auquel on doit cet
avantage , eft ce même Tancréde banni.
dépouillé de fes biens par une loi barbas
MARS. 176 . 181
re ; qu'au lieu de fuivre les autres Chevaliers
, pour recueillir les fruits de fes
travaux , il a difparu par une courſe précipitée
; qu'Aménaïde éplorée a paru au
milieu des combats appellant Tancréde ,
& que fon Père la ramene à Syracufe.
Argire paroît en effet avec Aménaïde . Il
fçait que Tancrede eft en péril, il exhorte ,
il preffe les guerriers d'aller le fecourir ,
on y vole. Argire flatte fa fille de revoir
bientôt Tancrede triomphant & dégagé
de l'erreur qui a caufé tant de peines.
Pour éclairer les yeux , pour calmer fon efprit
Il ne faudra qu'un mot.
AMENAIDE.
Et ce mot n'eft pas dit :
Que m'importe ce peuple & fon indigne outrage
Et fa fureur crédule , & fa pitié volage ,
Et la publique voix que je n'entendrai pas ?
D'un feul mortel , d'un feul dépend ma renome
mée..
Sçachez que votre fille aime mieux le trépas ,
Que de vivre un moment fans en être eftimée .
Sçachez ( il faut enfin m'en vanter devant vous , ),
Que dans mon bienfaiteur j'adorois mon époux.
Ma mere au lit de mort ? a reçu nos promeſſes
Sa derniere priere a reçu nos tendreſſes :
Elle joignit nos mains qui fermérent les yeux.
182 MERCURE DE FRANCE.
Nous jurâmes par elle , à la face des cieux ,
Par fes mânes , par vous , vous trop malheureux
Père,
De nous aimer en vous, d'être unis pour vous
plaire ,
De former nos liens dans vos bras paternel's.
Seigneur , les échaffauts ont été nos autels ,
Mon amant, mon époux cherche un trépas funeſte
Et l'horreur de ma honte eſt tout ce qui me reſte.
Voilà mon fort !
Par ces vers, on voit que l'Auteur a con
firmé encore le caractère fier , mais fenfible,
d'Aménaïde ,qu'il a pallié par cette ef
péce d'hymen préparatoire entre elle &
Tancréde, fous les aufpices d'une mère, ce
que la violence des fentimens & même
celle des démarches d'une fille bien née
pouvoit offrir d'oppofé à la décence , que
Pon ne viole jamais impunément au
Théâtre. D'ailleurs cette récapitulation des
infortunes d'Aménaïde , & cette expofition
vive de fon fort actuel , préparent
& fondent en quelque forte les nouvelles
impreffions que le Spectateur doit
éprouver aux fituations de la catastrophe.
Ces fortes de réexpofitions , ( fi l'on peut
hazarder ce mot ) vers la fin d'un Drame
, lorfqu'elles font adroitement ménagées
& animées par le feu des paffions,
MAR S. 1761. 183
deviennent quelquefois des moyens trèspropres,
à réveiller l'attention & la fenfi→
bilité, fouvent fatiguées par trop d'émo
tions précédentes. C'est un point de l'art
théâtral , délicar dans la pratique , mais
qu'il n'eft pas inutile de faire remarquer
pour l'utilité de ceux qui fe deftinent à
entrer dans cette brillante & dangereufe
carrière .
Tout femble après cela concourir au
bonheur des deux amans . Fanie vient faire
le récit à Aménaïde de la gloire de
fon amant. Les Maures ont été pourfuivis
par lui , leur défaite eft entiere. Solamir
eft tombé fous fes coups. Tous les
Chevaliers , tout le peuple de Syracufe
éléve Tancréde au- deffus des Roland ,
des Lifois fes Ancêtres . Aménaïde jouir
un moment de fa joie , elle n'en cache
pasles tranfports à fon père.
•
Mon bonheur eſt au comble,héla ! il m'eſt bien du
Je veux tout oublier; pardonnez - moi mes plaintes
Mes reproches amers , & mes frivoles craintes ;
Oppreffeurs de Trancréde , ennemis citoyens ,
Soyez tous à fes pieds ; il va tomber aux miens
La préfence d'Aldamon qui avoit au
compagné toujours Tancréde , vient char
6
184 MERCURE DE FRANCÉ.
ger en des cris de douleur , toutes les
expreffions de la commune allégreffe. H
apporte à Aménaïde une lettre de Tancréde
mourant & écrite de fon fang. En
fe repréfentantce tre premiere fituation ,
que l'on juge de celles qui la fuivent.
AMENAIDE , revenant àelle..
1
Donnez- moi mon arrêt , il me défend de vivre ;
Il m'eft cher.... O Tancrédé ! ô maître de mon fort!
Ton ordre , quel qu'il foit , eft l'ordre de te fuivre,
J'obéirai обо Donnez , votre Lettre eft la mort.
( Enprenant la Lettre. Y
O' mes yeux ! lirez - vous ce fanglant caractére ?
Le pourrai-je il le faut....c'eft mon dernier effort
Elle lit.
> Je ne pouvois furvivre à votre perfidie ;
Je meurs dans le combat, mais je meurs par vos
> coups :
»J'aurois voulu , cruelle, en m'expofant pour vous , >
>>Vous avoir confervé la gloire avec la vie ..
(enfè tournant vers Argirė . )
Eh bien', mon Pére ?
Ellefe rejette dans les bras de Fanie . )
On ne peut rendre la pathétique expreffion
qu'ajoute à cet hemiftiche le talent
admirable de l'Actrice. ( a ) Ceux qui
** Mlle Clairon
3
MAR S. 1761 . 18 ,
n'ont point vu les répréfentations , ne
pourront fentir la vive émotion qu'ont
toujours éprouvée les fpectateurs en cet
endroit . Eh bien , mon Père ? dans cette
circonstance , a toujours produit l'effer
de ces traits fublimes qu'infpire le génie ,
& qui faiffiffent l'âme , toutes les fois
qu'on les lui préfente .
Argire tente envain de confoler fa fille ,
par les honneurs qu'il veut faire rendre
à la mémoire de Tancréde. Cette fille
toute à fa douleur , s'écrie :
Eh que fait l'univers à ma douleur profonde !
Que me fait ma patrie , & le reste du monde ?
Trancréde meurt.
Pendant qu'un Chevalier annonce à
'Aménaide que l'on améne auprès d'elle
Tancréde expirant , on l'approche lentement
; Aménäide , évanouie entre les bras
de fes femmes , revient à elle , & court
fe précipiter aux pieds de Tancréde. La
douleur & les plaintes de cette amante
éplorée , ont toujours fait verfer des larmes
aux âmes les plus fermes. Elle demande
un regard de Tancréde. En fe foulevant,
il lui dit , » aḥ , vous me trahiffiez
>»> A quoi Aménaïde ne répond que ces
mots? » Qui ? Moi? Tancréde ! Enfin Ar185
MERCURE DE FRANCE.
gire développe à ce héros mourant , la
cruelle équivoque qui fait tant de malheureux
; & fon témoignage le perfuade
de l'innocence & de la fidélité d'Aménaïde.
Tancréde alors fe foulevant encore
, dit :
'Aménaïde , ô Ciel ! eft- il vrai ? vous m'aimez ›
AMENA IDE.
Va , j'aurois en effet mérité mon fupplice ,
Ce fupplice honteux , dont tu m'as fçû tirer ,
Si j'avois un moment cellé de t'adorer ;
Si mon coeur eût commis cette horrible injuſtice,
Le refte de la Scène , entre ces deux
malheureux amans , eſt toujours en progreffion
d'attendriffement . Tancréde entre
autres vers de cette Scène , dit celui- ci ,
qui eft remarquable :
J'ai mérité la mort , j'ai cru la calomnie.
Aménaïde , par une réflexion de fentiment
, juſtifie le noeud capital de la Tragédie.
Ce n'est donc , jufte Dieu ! que dans cette heure
affreuſe ,
Ce n'eft qu'en le perdant que j'ai pu luiparler ? ...
Ah ! Tancréde.
Il demande à être uni avant fa mort
MAR S. 1761 ) 187
avec Aménaïde ; Argire joint leurs mains.
Tancréde exige de fon époufe défefpérée
qu'elle ne le fuivra pas au tombeau ; ce
font les dernieres paroles qu'il prononce
: il expire dans fes bras . Aménaïde fe
jette fur le corps de Tancréde ; elle fe reléve
dans un enthoufiafme de douleur , qui
lui dicte les imprécations les plus fortes
contre fa barbare patrie. Son emportement
l'entraîne même un moment aux reproches
les plus durs envers fon père ; elle
en demande pardon , & tombe à côté de
lui. Ainfi finit certe Tragédie . On ignore
fi Aménaïde meurt , ou fi les foins , qu'Argire
ordonne de prendre , la rappelleront
à la vie. Cette incertitude peut ajoûter
encore à l'impreffion douloureufe & intéreflante
que laiffe cette Piéce dans l'âme
des Spectateurs.
Na . L'Edition de cette Tragédie in-8° , eft dédiée &
Madame la Marquife DE POMPADOUR. l'Epitre
Dédicatoire contient 19. un tribut de reconnoiſſance
que
doivent à cette Protectrice éclairée , les Lettres
& les Arts en France. 2 ° . Une efpéce de Préface à la
Tragédie de Tancréde.Les figures , dont on a cru or
nercetteEdition, donnent lieu deregretter que cesfortes
d'ornemens typographiques , ne rempliffent pas tou
jours les vues des Libraires pour la fatisfaction du
Public.
188 MERCURE DE FRANCE.
REMARQUES fur la Tragédie de TANCREDE.
Il eft fâcheux pour le plaifir d'une partie des
Lecteurs de ce Journal, que nous ne puiflions tranf
mettre dans un extrait , tout le charme de la verfification
de M. de Voltaire . Nous avons fait nos
éfforts pour y fuppléer , en fuivant exactement le
fil des Scènes & l'efprit du Dialogue , afin de
donner au moins une notion exacte de la contexture
de la fable & des caractéres différens qui font
jouer les refforts de la Tragédie. Ceux qui pour
roient cenfurer la longueur des extraits des Piéces
de Théâtre,font priés de confidérer quels font nos
devoirs envers un grand nombre de Lecteurs éloi
gnés de la Capitale , privés des repréſentations
Théâtrales , & même allez fouvent , de la lecture
des Piéces imprimées.
L'expofition de la Tragédie de Tancréde exigeoit
beaucoup de narration , devant établir tous
les fondemens d'une fable prèfque d'invention.
Elle occupe plus d'efpace peut - être dans cette
Pièce que dans beaucoup d'autres . Commé ce qui
exige de l'application n'eft pas fufceptible d'une
grande chaleur , les deux premiers Actes de cette
Tragédie ont pu paroître d'abord un peu languiffans.
Mais dès la fin du fecond Acte , dès qu'Aménaïde
eft en péril , l'intérêt s'établit ; il croît
au troisiéme Acte ; il paroît au dernier degré de
fenfibilité dans le quatriéme ; au cinquième , la
mort de Tancréde , la fituation de la cataſtrophe
le relève de façon à donner , pour ainsi dire , રે
l'âme de nouvelles forces pour s'émouvoir , par
les nouveaux moyens employés pour l'attendrir.
Les caractères en général font fuffisamment établis
& bien foutenus . Deux entre autres , ont quelque
MAR S. 1761 . 189
chofe de fingulier qui les diftingue , fans fortir d'un
certain naturel , au moins celui que tolére la Poëfie
dramatique ou Epique.Orbaffan eft une âme ferme
& dévouée à la gloire des armes, en qui l'excès de
cette vertu produit fon effet ordinaire , un peu de
férocité. Cependant , quoiqu'il foit dans la Piéce
le perfonnage qui fait obftacle au bonheur des héros
intéreffans , il n'eft point coupé fur le patron
commun des tyrans de la Tragédie. Il ne peut attirer
ni l'amour ni la haine ; au moyen de quoi
tous les voeux reftent fans partage pour Tancréde
& Aménaide. Celle- ci , toute à la nature & aux
mouvemens de fon coeur , remplit l'idée qu'on fe
formeroft d'un être humain , honnête par la propre
exiftence , affranchi de tous préjugés & ignorant
même le pouvoir des loix , dont fa fierté lui
fait méprifer le joug. C'eft une Alzire Européenne ,
Mais plus héroïque encore , parce qu'elle participe
du fanatifme de l'ancienne Chevalerie . La gloire
de fon amant enflâme fon coeur & lui donne une
certaine élévation , qu'on auroit peine à admettre
dans d'autres héroïnes. C'est une Amazone en
amour & en vertus . On lui auroit peut- être paffé
volontiers de ne vouloir pas l'être en courage mi
litaire , & de fe difpenfer d'aller chercher fon
amant , au milieu des combats . Mais peut - être
auffi , que ce dernier trait , qui fingularife Aménaïde,
réfulte du caractère affigné; au moins eft-il certain
qu'il paroîtroit plus fimple & plus vraifembla
ble , fi l'on n'étoit rempli de la lecture des anciens
Romans ; & qu'il eft un coflume de moeurs & de
caractères, auquel on doit avoir autant d'égard , en
jugeant les peintures poètiques , qu'à celui des
vêtemens & des attributs que les Peintres obfervent
dans leurs tableaux . Les injuftices qu'a éprou
vées Tancrede la générofité de fon amour ,
fuffiroient pour en faire un Perfonnage intére
१
190 MERCURE DE FRANCE.
Cant. Argite eft malheureux , il eft accablé d'années
, il eft père , voilà bien des titres pour juftifier
la foibleffe.
Il ne nous appartient pas de difcuter le rang
que doit tenir Tancréde entre les autres Tragédies
deM. de Voltaire , encore moins celui qu'occupent
les Tragédies entre celles des Auteurs contemporains
; mais il eft permis d'affurer' , d'après tous
ceux qui ont vû les repréſentations de celle- ci
qu'elle a toujours excité les plus vives émotions.
Si la célèbre Actrice qui jouoit le rôle d'Aménaïde
, a eu part à cet effet , l'Auteur n'en peut
être jaloux. S'il jouifloit du charme de ce talent
fupérieur , il feroit entraîné par la force invinci
ble des impreffions ; il verroit fon Aménaïde telle
qu'il la voyoit fans doute en compoſant , & telle
qu'il defiroit la faire voir aux autres.
On avoit publié , qu'on ajouteroit au fpectacle
de cette Piéce , l'appareil d'un échafaut , dans le
temps qu' Aménaïde eft amenée au fupplice en préfence
du Peuple , des Chevaliers & de Tancréde. Cela
n'a pas eu lieu ; apparemment que l'on a craint
de trop indifpofer ceux , qui avoient été déja bleffés
de la chambre funébre dans Callifle . Onle défend
d'introduire fur notre Théâtre ces forces acceffoires
du pathétique , pour éviter de tomber dans la barbare
licence de nos voifins . Ne peut- on pas conjecturer
cependant , que l'urbanité de nos moeurs
qu'une certaine molleffe dans nos goûts , de laquelle
nous ne pouvons nous relever entiérement , garantiratoujours
notre nation des excès en ce genre?
& quefi par la marche naturelle de l'efprit humain
on alloit un peu au- delà de ce qui feroit convenablefur
ce point , on reviendroit plus promptement
encore , en deçà de ce qui eft néceffaire?
Nous obmettions de parler des vers croisés . Ils
n'ont bleffé, à ce qu'il femble , aucune oreilles
MAR S. 1761 , 191
beaucoup de fpectateurs même ne s'appercevoient
pas de cette innovation , preuve que cette pratique
qui fe rapproche un peu du langage naturel , n'eſt
pas recufable dans le tragique . C'eft peut - être un
pas avancé vers le projet des Tragédies en profe
tant defois tentéinutilement, Le Public en général
n'a pas paru plus offenfé du changement de fcène .
Toutes les licences qu'entreprennent les grands talens
, font prefque toujours juftifiées par le fuccès,
Mais il arrive trop fouvent , que l'on devance l'ac
quifition des titres qui difpenfent des regles . Il eft
utile pour le progrés des artsde les affranchir quelquefois
du frein que leurs légiflateurs ont impoſé à
l'imagination : mais il n'eft pas moins dangereux ,
que l'on ne le méprenne entre le feu de l'imagination
, & la ftérile chaleur du déréglement . S'il y
avoit des Cenfeurs conftitués pour faire obferver
ces fortes de loix , ne feroient- ils pas prudemment
de n'en accorder difpenfe , qu'à ceux qui auroient
longtemps travaillé & fouvent réuffi , ſous le joug
1 plus dur ?
Le Lundi 16 Février , M. Burfay dé
buta fur le Théâtre de la Comédie Françoiſe
, par le rôle de Zamore dans Alzire.
Ce nouveau Débutant eft d'une figure
agréable , & d'une taille avantageufe . L'organe
de fa voix eft naturellement beau.
Il le deviendra , ou plûtôt le paroîtra davantage
encore , lorfqu'il l'altérera moins
par une prononciation trop outrée : ufage
très difficile , & prèfque impoffible aux
commençans. Il montre beaucoup de feu ;
il feroit injufte de le juger actuellement .
192 MERCURE DE FRANCE:
On doit lui donner le tems de mettre
en oeuvre les difpofitions qu'il annonce.
L'encourager , c'eft lui en procurer les
moyens. Il continue fon début.
MlleDepinay,dont nous avons parlé , eft
reçue à l'effai ; elle continue de plaire
au Public ; & il paroît qu'elle s'applique
utilement à meriter de lui , comme juſtice,
les applaudiffemens qu'il avance fouvent ,
comme grâce , aux Débutans .
Le Mercredi 18 , on a donné la première
Repréſentation du Père de Famille ,
Comédie en profe , & en s actes , par
M. Diderot. Elle n'eft pas repréfentée
exactement comme elle a été imprimée ,
non quant au fond , ni quant aux Scènes
principales , qui font toujours les
mêmes ; mais quant à quelques combinaifons
du Dialogue , & à toute l'étendue
qu'avoit cette Piéce , lorfque l'Aureut
ne l'avoit deftinée qu'à la lecture.
La première Répréfentation a été applaudie
; celles qui l'ont fuivie , ont déterminé
le fuccès, Nous ne fommes pas encore
en état de rendre un compte exact
de cette Piéce , & l'efpace deftiné à l'article
des Spectacles , ne nous le permet
pas dans ce volume. Nous apprendrons
feulement , pour fatisfaire la première
MAR S. 1761. 193
mière impatience de quelques Lecteurs ,
que l'on céde avec plaifir à l'attendrif
fement , que produifent plufieurs fituations
& plufieurs détails touchans , principalement
dans les deux premiers Actes
qui font beaucoup d'effet. La Scène
offre des tableaux d'un intérieur domef
tique , que l'on n'avoit pas encore vus
au Théâtre. L'action locale eft familiere
& naturelle , mais peut-être un peu trop
mouvante. Cependant fi l'on confidère les
émotions violentes & rapides , dans lef
quelles font très-fouvent les Perfonnages ,
on conviendra qu'il eft impoffible que
cette action locale n'en prenne pas un
peu de mobilité . Cette Piéce eft généralement
bien jouée . Le rôle du Père de
Famille & celui de fon fils S. Albin , l'un
par M. Brifard , & l'autre par M. Bellecour
, leur mérite les applaudiffemens les
plus juftes & les plus vrais. Nous inftruirons
le mois prochain , ceux qui ne connoiffent
cette Piéce que par l'impreſſion ,
des Acteurs qui rempliffoient tous les rôles.
Mlle Clairon , fur la fanté de laquelle
nous avons annoncé les allarmes du Public
, fut apperçue dans une loge du fond,
à la première repréſentation du Père de
Famille. Elle y reçut les témoignages les
1
194 MERCURE DE FRANCE.
plus flatteurs , de la confidération publique
, par des applaudiffemens univerfels
& réitérés.
COMEDIE ITALIENNE.
LB
Mercredi E Mercredi 4 Février , on donna fur
ce Théâtre , la première repréſentation
d'une Comédie en 3 actes & en profe ,
intitulée les Caquets . C'eft , pour ainfi
dire , l'Extrait d'une Piéce de Goldoni ,
adapté aux moeurs & aux caractères d'une
Claffe du Peuple François , entre la
haute Bourgeoifie & le dernier Etat populaire.
M. & Madame Riccoboni font les
Auteurs de cet Ouvrage. Ils ont le mérite
de l'invention , par la manière dont ils
ont rendu propre à notre Scène le fujet
qui leur a fervi de modéle.
Les Caquets ont eu du fuccès dès la
première repréfentation ; ce fuccès a augmenté
dans les repréfentations fuivantes;
il doit être conftant , parce que la Piéce
n'eft pas l'image momentanée de quelqu'un
des caprices de la mode ; c'eft une
Comédie de caractère & d'intrigue , dans
un genre peu élevé à la vérité , mais plus
régulière , peut-être , mieux dialoguée , &
mieux tiffue , que beaucoup de nos PićMAR
S. 1761 . 195
ces modernes. Le Sujet y dirige toute
Taction . C'est par le caquet qu'elle s'expofe
; ce font des caquets qui forment le
noeud ; l'intrigue paroît finir , des caquets
la renouent. Ceux d'entre les perfonnages
, que les caquets perfécutent, en font
eux-mêmes fans le vouloir ; enfin le dénoûment
s'opére par des caquets . Le ton
du ftyle eft très -gai , faillant en beaucoup
d'endroits , jamais languiffant; mais, comme
on doit le penfer , conforme à l'état
des perfonnages, par conféquent mitoyen
entre cette derniere baffeffe qu'avoit fait
applaudir plus d'une fois feu M. Vadé , &
la politeffe de la bonne fociété bourgeoife.
C'eft en fe prêtant à ce ton , que l'on
peut apprécier cette Comédie. Si elle ne
femble pas deftinée au progrès des moeurs
ni à l'ornement de l'efprit , elle ne préfente
rien d'indécent & qui puiffe infpirer
du dégoût . On ne craint pas d'avancer
qu'elle est très propre à procurer du
délaffement & de la gaîté : on doit plaindre
plutôt qu'imiter ceux qui rougiroient
de s'y amufer. Elle est très - bien jouée ;
chaque rôle paroiffant convenir particuliérement
au talent de chaque Acteur.
La première repréſentation des Caquets
fut fuivie d'un nouveau Ballet Pantomime
, intitulé les Fêtes Bafques Villageois
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
fes , de la compofition de M. Billioni
il fut applaudi , & a été continué avec
fuccès . Nous en donnerons le Programme
dans un des volumes du mois prochain .
Mlle Collet dont nous avons déja
parlé , a chanté plufieurs rôles dans différens
intermédes ; elle a continué fon
début pour la Comédie , par le rôle de
Marianne dans l'Epreuve , & par celui
d'Angélique , dans l'Ecole des Meres. Les
difpofitions naturelles de cette jeune debutante
, femblent fe fortifier par la prarique
du Théâtre , & le Public lui donne
toujours des marques flatteufes , de l'efpoir
qu'il conçoit de fes talens .
Le 22 , on a remis Samfon , Tragi-
Comédie. Ce fpectacle mixte & fingulier ,
qui coûte aux Comédiens de nouveaux
foins & de nouvelles dépenfes , eft fait
pour intéreffer la curiofité du Public &
pour la fatisfaire à bien des égards.
L
OPERA - COMIQUE.
E Prologue , que l'on a donné à l'ous
verture de ce Théâtre , étoit deſtiné à complimenter
le Public,Le zéle fut approuvé ;
mais le compliment ne fut pas bien reçu.
Le Cadi dupé a été répréfenté pour la
premiere fois , le Mercredi 4 Février. Ce
fujer eft tiré des mille & un jour ; & fer
M`A R S. 1761 . 197
foit la matiére d'une jolie Comédie. If
a paru affez bien coupé , pour le genre
moderne de Drame en ariettés ; & quoique
ce genre exige bien plus une combi
naifon particuliere de mots , qu'un choix
délicat de pensées , celui- ci eft agréablement
écrit. Les dernieres fcènés font comiques
& théâtrales . La mufique en a été
applaudie ; elle doit être d'un goût plus
général que dans quelques autres ouvrages
, en ce qu'il eft facile de rapporter de
mémoire, prèfque tous les principaux airs .
Mlle Neffel qui faifoit un principal rôle
dans cette Piéce , étant tombée malade
après la quatrième répréſentation , on
fut obligé de l'interrompre. Mlle Rozaline
, autrefois l'ornement de ce Théâtre ,
& dont la voix & la figure femblent annoncer
la gaîté qui y convient , répárut
après une abfence de deux ans , le
10 Février , dans Berthoide & le Diable
à quatre. Son retour fur ce Théâtre , a
donné lieu à celui de quelques pièces de
l'ancien genre , que le Public a revu avec
fatisfaction , & qu'il y verroit , peut - être ,
remettre avec plaifir ; ce genre paroiffoit
le plus naturellement propre à ce Spectacle.
Le 18 , on a donné encore une nouyeauté
, intitulée le Jardinier & fon Sei- ›
I jij
198 MERCURE DE FRANCE :
gneur , fujet que M. Sedaine a pris dans
les fables de la Fontaine . Il a trouvé dans
celle- ci , une Piéce amufante & vive ; le
jeu de Théâtre eft d'un très- grand mou-,
vement , & produit plufieurs fituations.
comiques. Les deux Dlles de Spectacles
qui veulent prendre foin de l'éducation
d'une petite Payfanne , forment une de ce
images pour lesquelles on a befoin des
prérogatives de ce théâtre , dont l'Auteur
a ufé avec adreffe & avec affez de
modération. La muſique , qui eſt devenue
la partie intéreffante d'un Opéra - comique
, eft de M. Philidor. En poffeffion des
fuffrages des amateurs de ce genre , &
de ceux qui fuivent cette forte de ſpectacle
: il en obtient tous les jours de
nouveaux applaudiffemens ; & ces mêmes.
amateurs trouvent qu'il a rendu dans cette
Piéce , des images que l'on n'avoit
pas encore ofé rifquer en mufique.
Le 20 , on a repris le Cadi dupé , que
l'on a toujours continué depuis. Mlle
Neffel y a separu , & fait admirer l'agré
ment de fa voix , ainfi que l'art d'en
ménager le fon , avec un goût propre au
genre des morceaux qu'elle y exécute.
On préparoit vers la fin du mois , unę
Piéce nouvelle , intitulée les Bons Amis.
Les foins & l'intelligence , conftam
MAR S. 1761 . 199
ment foutenus de la part des Directeurs
de ce Théâtre , foutiennent l'empreffement
du Public ; & le concours y a été
pendant cette Foire , très - nombreux , &
fans interruption .
CONCERT SPIRITUEL.
LE
E 2 Février , Fête de la Purification ;
on exécuta dans ce Concert , deux Motets
de M. Mondonville , Jubilate Deo , Moter
à grand choeur , & les Fureurs de Saul ,
Motet François , en forme d'Oratorio.
M. Duport , jeune Symphoniste , joua
nne fonate fur le Violoncelle, dans laquelle
il exécuta les plus grandes difficultés de
cet inftrument , avec toute l'habileté &
toute la jufteffe poffible; il mérita tous les
applaudiffe mens qu'il a reçus . Mlles Fel &
Rozé, chanterent chacune un petit Motet.
M. Balbâtre exécuta fur l'orgue un Concerto
de fa compofition.
ARTICLE
VI.
NOUVELLES POLITIQUES
De PETERSBOURG , le 3 Janvier 1761 .
Le 29 du mois dernier , on célébra le jour at
niverſaire de la naiffance de l'Impératrice , qui en
troit dans la cinquante & uniéme année.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Le Chevalier Bafile Ivanowitz Souwarow a éré
nommé Gouverneur du Royaume de Pruffe & de
la Ville de Konigsberg. Le Comte de Czernicheff ,
Kommé Ambaffadeur extraordinaire auprès de Sa
Majefté Très- Chrétienne , eft actuellement en route
, pour le rendre en France. Le Marquis de l'Hôpital
, Ambaffadeur de cette Courone à notre Cour,
fe difpofe à retourner à Paris.
De STOCKHOLM , le 14 Janvier.
Nos Troupes jouiffent dans leurs quartiers d'une
grande tranquillité. Les Pruffiens n'ont formé au
cune entreprise contre le Corps pofté à Damgarten.
Ils fe font bornés à conftruire quelques redou
tes près de Riebnitz .
De COPPENHAGUE , le 1e Janvier.
Les dernieres nouvelles reçues de Jagersbourg
nous apprennent que la guérifon du Roi eft fort
avancée , & qu'il doit arriver , vers la fin du mois.
dans cette Capitale, où il eft attendu avec une gra
de impatience.
De VIENNE , les Février.
Le Général Baron de Laudon arriva , le 14 du
nois dernier , dans cette Ville . Il a reçu l'accueil le
plus gracieux de l'Impératrice Reine , qui , voulant
Lui témoigner combien elle eft fatisfaite de fes fervices
, lui a fait préfent d'une très belle tèrre , en
Bohême , & lui a accordé le droit de naturalité dans
tous les Pays héréditaires. Pendant fen abfence , le
Comte de Draskowitz eft chargé du Commandement
de nos Troupes , en Siléfie . Son quartier général
eft actuellement à Jagerndorff.
On a fait , le 23 du mois dernier , les obféques
de l'Archiduc Charles , mort le 18 , âgé de quinze
ans , onze mois & dix- huit jours . La Cour a pris
le deuil pour trois mois.
MAR 3. 1761. 201
Les nouvelles de Warfovie portent que la Princeffe
Jofephine , Douairière du Prince Conftantin
Sobieski , fils du Roi Jean Sobieski , eft morte le
4 dans un âge avancé . Suivant les mêmes avis , la
pefte , qui s'étoit déclaré dans l'Ukraine & dans
quelques Provinces voilines , continue d'y faire des
ravages. On a pris de fi juftes mefures pour empêcher
cette contagion de s'étendre dans la Hongrie
& dans la Valachie , que ces Pays en font entièrerement
exempts.
Nos Troupes continuent d'être fort tranquilles
en Saxe & en Siléfie . Le Prince Clément de Saxe ,
qui étoit tombé dangereufement malade d'une fiévre
pourprée , commence à faire eſpérer qu'il ne
tardera pas à être hors de danger.
Le Comte de Kaunitz Rittberg , fils aîné da
Comte de ce nom , Chancelier de Leurs Majeftés
Impériales , vient d'épouler l'aînée des Princelles
d'Oettingen .
De LEIPSICK , le 18 Janvier.
Les Princes Guillaume & Henri de Pruffe font
partis d'ici le 12 pour Magdebourg. On affure que
Sa Majefté Pruffienne ne tardera pas à ouvrir la
Campagne . On tranfporte de Magdebourg à Tor.
gau une grande quantité d'artillerie & de munitions
de guèrre. Les contributions exorbitantes , exigées
par le Roide Pruffe dans tout l'Electorat de Saxe ,
s'y lévent avec la derniere rigueur . La Ville de
Naumbourg a effuyé l'exécution Militaire . Le Duc
de Mecklembourg , qui eft retourné à Schwerin
d'où il s'étoit retire , paye lui- même un tiers de la
femme impolée fur fon Duché , pour foulager fes
fujets , entiérement ruinés,
De BERLIN , le 30 Janvier.
LeRoi entra , le 24 de ce mois , dans la cinquan
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
tiéme année de fon âge. On affure que le Prince
Henri commandera , pendant la campagne prochaine
, une Armée en Silélie , & que le Prince
Royal de Pruffe fera cette campagne fous les or
dres du Roi.
Nous apprenons de la Pomeranie que le Géné→
ral Comte de Totteleben , s'eſt avancé avec un
corps confidérable de troupes légéres jufqu'à Cof-
Jin , où il a établi fon quartier général . On ajoute
qu'un Corps d'Infanterie de l'Armée Ruſſe , marche
fur Stolpe. L'approche de ces troupes a obligé
le Lieutenant- Colonel de Courbieres à fe replier
fur Colberg. Le Général de Werner s'eft mis en
marche d'Anclam pour aller défendre cette Province.
De HAMBOURG , le 6 Février.
Trois bataillons & fept efcadrons de troupes
Pruffiennes ont paffé Recknitz pour déloger les
Suédois des Poftes qu'ils occupent au-delà de cette
riviére. On attend à l'embouchure du Vefer un
corps confidérable de troupes Angloifes.
Les mouvemens des Rufles paroillent avoit pour
objet de rentrer bientôt dans la Pomeranie. Quelques-
uns de leurs corps avancés ont paru dans le
territoire de Stolpe , & ont pouffé jufques dans les
environs de Stargard. On allure que l'intention
de l'impératrice de Ruffie eft de mettre fon Armée
fur un pied beaucoup plus formidable que les an
néesprécédentes.
De RATISBONNE , le 26 Janvier,
Le Lieutenant - Général Comte de Guafco , qut
commande le corps détaché de l'Armée Autrichienne
pour appuyer celle de l'Empire, eft encore
à Egra.
L'Evêché d'Hildesheim eft traité par les HanoMARS.
1761 203
par
vriens avec auffi peu de ménagement que la Saxeles
Pruffiens . On y enléve , ainfi que dans les
Evêchés de Munſter , d'Ofnabruck & de Paderborn
, toute la jeuneſſe qui eſt en état de fervir . ON
mande de Léipfick que le nombre des jeunes gens:
enrôlés de force par ordre du Roi de Pruffe , monte
à plus de trente mille.
De COLOGNE , le ro Fevrier.
Clément-Augufte- Marie- Hyacinte de Baviere ,
Archevêque de Cologne , Electeur du Saint Empire
Romain , & Archi- Chancelier en Italie , Evêque
& Prince de Hildesheim , de Paderborn , de
Munſter & d'Ofnabruck , Grand- Maître de l'Or
dre Teutonique , mourut le 6 de ce mois à Ehrenreiſten
près de Coblentz . Ce Prince étoit né le 16
Août 1700 , de Maximilien - Emmanuel - Marie ,
Electeur de Baviere , & de Thérefe- Cunégonde
Sobieski , fille de Jean III , Roi de Pologne. H
avoit fuccédé à fon Oncle Jofeph- Clément , em
qualité d'Electeur de Cologne , le 12 Novembre
1722. Son corps fat porté le 8 à Bonn , d'où il fera
transféré , dans quelques femaines , en cette Ville
pour y être inhumé avec les cérémonies accouru
mées,
De MADRID , le 3 Février.
Le 20 du mois dernier , on célébra le jour annivérfaire
de la naiffance de Sa Majesté.
Le Marquis de Villadarias , Grand d'Eſpagne
de la premiere Claffe , prit , le 4 du même mois ,
poffeffion de ce titre , en fe couvrant devant le Roi,
4
Sa Majefté , voulant récompenſer les fervices
du Marquis de Villagarcia & ceux de fa maiſon ,
lui a conféré le titre de Grand d'Eſpagne de la premere
claffe , pour lui & pour ſes héritiers.
On équipe dans nos Ports un grand nombrede
1 vj
204 MERCURE DE FRANCE
Vailleaux de Guerre. Les ordres font donnés pour
que cet armement foit prêt au commencement
d'Avril.
On apprend de Lisbonne que la groffeffe de la
Princelle du Bréfil y a été déclarée le 17 du mois
de Décembre dernier. On travaille avec vivacité
au rétabliſſement de cette Capitale . La plupart des
baraques qu'on y avoit bâties font abbatues . Les
fondations du nouveau Palais Royal font achevées .
& on a tracé deux nouvelles rues.
DeROME, le L Février.
Il s'eft tenu depuis peu dans le Palais quirinal une
congrégation de Cardinaux à l'occafion de nos démélés
avec la République de Gênes . On affure que
cette affaire doit être traitée à Naples entre le Nonce
de Sa Sainteté & un Envoyé de la République.
On écrit de Baffano , que le Sénat de Veniſe vient
d'accorder à ce Bourg le titre de Ville avec les priviléges
attachés à ce titre .
La République de Vénife vient d'obtenir le droit
de nommer fon Auditeur de Rote. Elle n'avoit auparavant
que celui de préfenter trois fujets , entre
lefquels Sa Sainteté choififfoit celui qu'elle jugeoit
à propos.
On apprend de Naples des détails affligeans du:
dommage caufé par la derniere éruption du Véluve.
Toutes les terres , depuis le pied de la montagne
où la nouvelle ouverture s'eft faite jufqu'au grand
chemin , ont été couvertes de la lave. Le dommage
eft évalué à plus de quatre cens mille ducats.
Cette ouverture a ceffé de jetter des matiéres en--
flammées depuis le 2 du mois dernier ; mais celle
du fommet jette des flammes avec une grande violence
& avec un bruit qui reffemble à celui d'une
nombreuſe artillerie . On reffentit , la nuit du
§ , à Portici , à Pleſſina , & dans les lieux voiſins une
4 au
MAR S. 1761 . 205
fecouffe de tremblement de terre fi violente , que
leurs habitans , quoiqu'accoutumés à ce phénomè
ne , fe font fauvés de leurs maifon s. Cette fecoufle
a auffi ébranlé quelques maifons dans Naples ,
fur-tout le long du Port. La nuit du 11 au 12 une
nouvelle fecoulle fe fit fentir dans cette Capitale .
L'éruption du Véfuve recommença & elle fut accompagnée
d'un très-grand bruit . Le 12 au matin ,
on s'apperçut que le fommet de ce Volcan s'étoit
écroulé dans l'intérieur du gouffre . Depuis ce móment
, le Véfuve eft abfolument tranquille . On travaille
actuellement à rétablir le chemin de Salerne.
De LONDRES , le 31 Janvier.
On écrit de Boſton qu'on y reffentit le 9 de No
vembre dernier, vers les huit heures du matin , une
fecouffe de tremblement de terre. Elle fut peu fenfible
Bofton ; mais elle fut confiderable dans la
campagne à trente milles à la ron le de cette Ville ,
& l'on entendit un bruit fouterrein.
Les Chiroquois fe préparent à faire le fiége du
Fort le Prince George . Ils forment un Corps de
fix à fept mille hommes . Le Colonel de Montgommery
n'a qu'environ cinq cens hommes de
troupes réglées, & celle de la Colonie ne montent
qu'à quinze cens . Ces Sauvages paroiffent fi animés
contre nous , que nous n'eſpérons plus finir
cette guerre que par leur entiere deftruction .
De LA HAYE , le 18 Janvier..
Le Prince , dont la Princeffe de Naffau-Wieilbourg
accoucha , le 18 du mois dernier ,
fut nom
mé le 13 de ce mois fur les fonts de Baptême . Les
Parrains furent le Roi d'Angleterre , repréfentê
par le Général Yorck , Miniftre Plénipotentiaire
de Sa Majefté Britannique; le Prince Stathouder,
& les Etats- généraux qui furent repréſentés par
206 MERCURE DE FRANCE.
quatre de feurs Députés . La Princefle Douairiere
de Naflau - Dietz fut la Marraine , & elle fut repréfentée
par le Comte de Benftinck . Le nom donné
au jeune Prince eft George-Guillaume- Belge
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée ,
de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 19 Février 1761 .
LE 27 du mois dernier , le Comte de Starhen
berg , Ambaffa leur de l'Empereur & de l'Impératrice
, Reine de Hongrie & de Bohême , eut
une audience particuliére du Roi , dans laquelle il
notifia à Sa Majesté la mort de l'Archiduc Charles.
Il fut conduit à cette audience , ainfi qu'à celle
de la Reine & de la Famille Royale , par le fieur
Dufort , Introducteur des Ambaffadeurs . Sa Majeſté
a ordonné au Duc de Choiſeul de ſe charger
du Département de la guerre, conjointement avec
celui des Affaires Etrangeres, jufqu'à la conclufion
de la paix qui doit terminer la préfente guèrre.
Le premier de ce mois, la Marquise de Tilly fut
préfentée au Roi , à la Reine & à la Famille Royale
par la Maréchale de Duras.
Le 2 , fête de la Purification , les Chevaliers ,
Commandeurs & Officiers de l'Ordre du Saint Efprit
, s'étant affemblés dans le cabinet du Roi , Sa
Majefté tint Chapitre . Elle nomma Chevaliers de
fes Ordres l'Infant d'Eſpagne Dom Gabriel, & elle
donna à l'Evêque de Laon , Ambaffadeur extraordinaire
à Rome , & à l'Evêque d'Orléans , les
deux places de Commandeur de l'Ordre du Saint
Efprit, vacantes parla mort du Cardinal de Tavannes,
& par celle de l'Abbé de Canillac Auditeur de
Rote. Le Roi fortit enfuite de fon appartement
MARS. 1761. 207
pour le rendre à la Chapelle. Sa Majefté étoit en
manteau avec le collier de l'Ordre par deflus . Les
deux huiffiers de la Chambre marchoient devant
Elle avec leur malle ; & Elle étoit précédée de Monfeigneur
le Dauphin , du Duc d'Orléans , du Prince
de Condé, du Comte de Clermont, du Prince de
Conty , du Comte de la Marche , du Duc de Penthievre
, des Chevaliers , Commandeurs & Officiers
de l'Ordre. Le Roi affifta à la bénédiction des cier
ges & à la proceffion qui fe fit dans la Chapelle.
Après la Grand-Meffe qui fut célébrée par l'Abbé
Defclufeau , Chapelain de la Chapelle Mufique , Sa
Majefté fut reconduite à fon appartement en la
maniere accoutumée.
Le 12 , Dom Jaime Maffones de Lima , Ambaſſafadeur
extraordinaire du Roi d'Efpagne, ayant demandé
& reçu fes Lettres de rappel de Sa Majefte
Catholique , eut une audience particuliere du Roi ,
dans laquelle il prit congé de Sa Majeſté . Il fur
conduit à cette audience , ainfi qu'à celles de la
Reine , de Mgr le Dauphin , de Madame la Dauphine
, de Mgr le Duc de Berry , de Mgr le Comre
de Provence , de Mgr le Comte d'Artois , de
Madame Adélaïde , & de Meldames Victoire , Sophie
& Louife , par le fieur Dufort , Introducteur
des Ambaffadeurs .
Le même jour , le Marquis de Grimaldi , que
le Roi d'E pagne a nommé fon Ambaffadeur Extraordinaire
auprès du Roi , ent fa premiere Audience
de Sa Majefté . Il fut conduit à cette Audien
ce , ainfi qu'à celles de la Reine & de la Famille
Royale , par le même Introducteur.
Le 15 , jour anniverſaire de la naiffance du
Roi , on chanta le Te Deum dans l'Eglife de Notre-
Dame , Paroiffe du Château , & dans celle de
S. Louis & des Récollets . Après la cérémonie ,
alluma le bucher qui avoit été préparé vis - à-vis
le portail de l'Eglife. Les Invalides chargés de la
on
108 MERCURE DE FRANCE.
garde de cette ville , firent une triple falve de
moufquetterie.
Le mêmejour , le Comte de Luface arriva dans
cette Ville .
Le 17 , Sa Majesté tint le Sceau.
Le 11 , la Cour prit le deuil , pour douze jours,
à l'occafion de la mort de la Ducheffe de Modène.
Le Roi a donné l'Abbaye de S. Eloi , Ordre de
S. Benoît , Diocèfe & Ville de Noyon , à l'Abbé
de Breteuil , Chancelier du Duc d'Orléans , qui
s'eft démis de l'Abbaye de S. Volufien de Foix.
Celle d'Hieres , même Ordre , Diocèle de Paris
, à la Dame de Clermont- d'Amboife , Religieufe
du Monaftère de Montargis.
Celle de Notre- Dame de Meaux , Ordre de S.
Auguftin , Diocéte & Ville de Meaux , à la Dame
de Bouillé , Religieufe de l'Abbaye de S. Menoux ,
& Prieure de Champchenoux en Bourbonnois.
Et celle de la protection de Valogne , Ordre de
Saint Benoît , Diocèle de Coutances , à la Dame
de Jucoville , Religieufe de l'Abbaye de Cordillon
, Diocèfe de Bayeux.
L
Sa Majefié a nommé l'Abbé de Véri , à la place
d'Auditeur de Rote , vacante par la mort de l'Abbé
de Canillac .
Le Roia difpofé , en faveur du Maréchal Comte
d'Eftrées, du gouvernement général des Evêchés
de Metz , & de Verdun , & du gouvernement particulier
des Villes & Citadelle de Metz , qui vaquoient
par la mort du Maréchal Duc de Belle-
Ifle. Sa Majefté a nommé en même temps le Marquis
d'Armentieres , Lieutenant-général des Arnées
du Roi & Chevalier de fes Ordres ,pour cominander
dans les trois Evêchés de Metz , Toul &
Verdun, & fur la frontiere de la Meufe & de la
Champagne. Il commandera auffi les troupes qui
font en Lorraine.
MAR S. 1761. 20g
Sa Majefté a nommé Lieutenant - Général de fest
Armées le Chevalier de Lévis , Maréchal de Camp ,
qui commandoit les troupes du Roi en Canada.
Elle a accordé le Cordon rouge au fieur de Bourlamaque
, Brigadier , Colonel d'Infanterie ; le grade
de Brigadier au Chevalier de Montreuil , Lieutenant
- Colonel d'Infanterie & Major- Général ;
la commiflion de Colonel d'Infanterie au fieur de
la Pauze , Capitaine Aide - Major au Régiment de
Guyenne , & Aide- Maréchal des Logis des troupes
qui fervoient dans cette Colonie & les honneurs de
Grand Croix de l'Ordre de S. Louis au Marquis
de Montmort , Lieutenant- Général , Major des
Gardes du Corps , & au keurde Cornillon , Maréchal
de Camp , Major du Régiment des Gardes
Françoifes. Le Marquis de Laftic , Maréchal de
Camp , premier Lieutenant des Gardes du Corps
dans la Compagnie de Noailles , a autli obtenu le
Cordon rouge.
Le fieur de Guer, Lieutenant Colonel des Gardes
Françoiles , ayant demandé la pernaillion de fe retirer
, Sa Majefté la lui a accordée , avec le Gouvernement
de Landreci , dont le Maréchal de Biron
s'eft démis . Le fieur de la Sône a été fait
Lieutenant-Colonel , & la Compagnie vacante par
la retraite du fieur de Guer , a été donnée au fieur
de Dampierre. Celle qui vaquoit par la retraite
du Chevalier d'Aubonne , a été accordée au fieur
Baudouin.
Dom Jean-Baptifte & Dom Charles Haudiquer
, Religieux de l'Abbaye S. Germain des Prés
ont eu l'honneur de préfenter au Roi le dixiénre
Volume de la Collection des Hiftoriens de France.
De CASSEL, le 13 Février.'
Nous apprenons dans le moment que le Général
Sporcken s'approcha hier d'Eyreden avec un
210 MERCURE DE FRANCE.
Corps fort fupérieur à celui que le Marquis de
Saint Pern avoit raffemblé dans un pofte avantageux
en avant de ce Village. Il commença
fon attaque a dix heures du matin ; mais ayant
trouvé nos Troupes dans une bonne diſpoſition ,
cette attaque le réduifit à une cannonade qui far
fort vive jufqu'à trois heures après - midi. I
prit alors le parti de la retraite. Le Marquis de
S. Pern n'ayant point de Cavalerie , & n'ayant été
joint que quelque temps après par les Corps que
commandoient les Comtes de Stainville & de
Salms , ne put fuivre les ennemis , ils ont emporté
leurs bleffés fur des chariots , & ils ont laiffé
fur la place une centaine d'hommes. Nous n'en
avons eu que cinquante tués ou blefiés . Pendant
cette attaque , le Prince Ferdinand & le Prince
Héréditaire , dont les troupes s'étoient emparées
du Weiffenſtein & de la Cafcade près de Caffel ,
avoient porté un Corps du côté de Fritzlar . Nous
venons d'apprendre que ce pofte fut attaqué bier .
Le Comte de Narbonne , Brigadier, Colonel d'un
Régiment de Grenadiers Royaux , s'y défendit
avec tant de valeur , que les Ennemis furent contraints
de fe retirer avec perte de deux cens hommes
qu'ils ont laiffés fur le champ de bataille. Ils
ont auffi abandonné deux pièces de canon de fept
livres de balle.
Les détachemens que le Comte de Vaux a fait
fortir , la nuit du 6 au 7 , de Gottingen , & qui
étoient commandés par le Vicomte de Belfunce ,
par le heur de Grandmaiſon & par le Comte d'Efterhafi
, ont eu chacun tout le fuccès qu'on en
' pouvoit attendre. Ils ont fait beaucoup de prifonniers
, & les ennemis ont eu un grand nombre
d'hommes tués ou bleffés .
On a perdu de notre côté , Le fieur Gelb , Major
du Régiment de Picardie. Il est généralement
MARS. 1761 . 211
regretté. Le fieur de Guintran , Capitaine dans le
Régiment de Bauffremont , & le fieur de Nouaillé
, Cornette dans celui de la Ferronaye , ont été
bleflés.
De PARIS , le 21 Février.
Le premier de ce mois , le fiear Gigot , Recteur
de l'Univerfité , accompagné des Doyens des quatre
Facultés & des Procureurs des Nations , fe rendit
a Verſailles , & , fuivant l'ancien uſage , il préfenta
un cierge au Roi , à la Reine , à Mgr le Dauphin
& à Madame la Dauphine.
Le même jour , le Commandeur du Couvent
de la Merci , accompagné de trois Religieux de la
même mailon , préfenta un cierge à la Reine, pour
fatisfaire à une des conditions de leur établiflemen .
à Paris,fait en 1619, par la Reine Marie de Médicist
Le tirage de la feconde Loterie de l'Hôtel de
Ville fe fit le 7. Le premier lot , qui étoit de 60c00
livres , eft échu au No.13854 ; celui de 20000 1 .
au Nº. 18962 ; & les deux de 10000 livres aux
Numéros 17296 & 16774.
Le tirage de la Loterie de l'Ecole Royale Mili
taire s'eft fait le 13. Les numéros fortis de la roue
de fortune font , 50 , 42 , 71 , 33 , 66. Le prochain
tirage fe fera le 18 du mois de Mars .
MARIAGES.
Anne- Léon de Montmorenci , Marquis de Foffeufe
, Capitaine-Lieutenant des Gendarmes de la
Reine , Menin de Mgr le Dauphin , époufa le 27
de Janvier , Marie-Judith , fille du Comte de
Champagne , & de feue Bonne- Judith de Donges.
La bénédiction nuptiale leur a été donnée à
S. Sulpice , dans la Chapelle particuliere du Curé,
par l'Evêque de Metz . Le Marquis de Foffeufe eft
212 MERCURE DE FRANCE.
fils d'Anne Léon , Baron de Montmorenci de Fo
feufe , premier Baron Chrétien , Chef du nom &
armes de fa Maiſon , Chevalier des Ordres du
Roi , Leutenant - Général des Armées du Roi , &
de feue Anne- Marie- Barbe Arnold . Leur Contrat
de mariage a été figné le 25 , par Leurs Majeftés
& par la Famille Royale .
Armand- Charles-Emmanuel , Comte de Hautefort
, époufa , le 3 Février , Marie Amélie- Crealine-
Jofephe- Françoife Xaviere d'Hochenfelds de
Baviere, Grandé d'Efpagne de la premiere Clalle ,
fille de feu Emmanuel-François Jofeph , Comte
de Baviere , Grand d'Espagne , Chevalier de l'Ordre
de S. George de Bayiere , Lieutenant - Général
des Armées du Roi ; & de fon Ambaffadeur extraordinaire
auprès de l'Empereur Charles VII , & de
Marie-Jofephe , Comteile d'Hochenfelds de Baviere
, Le Comte de Hautefort eft fils d'Emmanuel
, Marquis de Hautefort , Chevalier des Or
dres du Roi , Maréchal de les Camps & Armées
ci- devant fon Ambasadeur Extraordinaire auprès
de l'Empereur & de l'Impératrice , Reine de
Hongrie & de Bohême ; & de Françoife - Claire de
Harcourt , la feconde femme. Leur Contrat de
mariage avoit été figné le 25 du mois de Janvier,
par Leurs Majeftés & par la Famille Royale.
MORTS.
CHARLOTTE - AGLAÉ d'ORLÉANS , Princeffe du
Sang , Ducheffe de Modène , mourut ici le 19 de
ce mois , âgée de foixante ans deux mois 27
jours , après une très -longue maladie , dans le cours
de laquelle cette Princelle a donné les plus grandes
marques de Religion & de piété , elle étoit
fille de Philippe , Petit - fils de France , Duc d'Orléans
, qui a été Régent du Royaume , pendant
MAR S. 1761 213
la minorité du Roi ; & de Marie-Françoife de
Bourbon , Princeffe légitimée de France ; & avoit
époufé le 21 Juin 1720 , François III , Duc de
Modène.
OBSEQUES DE FEUE S. A. S. MADAME
LA DUCHESSE DE MODENE .
Ledit jour , 19 Janvier , jour de la mort de cette
Princeffe fon Corps fut expoſé à vila ge découvert ;
le 21 , après avoir été embaumé , il fut mis fur un
lit de parade , dans une des piéces de fon Hôtel ,
qui a été ouvert au Public , foir & matin. Ce jour
& le fuivant , tant qu'il y a été exposé , fix Eccléfiaftiques
de la Paroifle Saint Sulpice, & fix Réligieux
Feuillans ont récité l'Office des Morts auprès
du cercueil ; & tous les matins depuis huit
heures jufqu'à midi , ils ont célébré conjointement
avec les Aumôniers , des Meffes à deux Autels
, qui étoient des deux côtés du lit de parade.
Les Jacobins Petits - Auguftins , Carmes & Capucins
font venus jetter de l'eau bénite fur le Corps.
La Ducheffe de Modène , ayant demandé par
fon Teftament , d'être inhumée fans pompe ; on
ne lui a point rendu ces autres honneurs funébres
, qu'on a coutume de rendre aux Princeffes
de fon rang. Le 23 , fon corps fut porté à l'Eglife
du Val- de- Grâce , que la Ducheffe de Modène
avoit choifi pour le lieu de fa fépulture :
voici l'ordre de la marche du convoi .
Un Piqueur à Cheval , avec crêpe & houffe
noire.
Deux Palfreniers auffi à cheval , avec des crêpes
& des houfles , portant des flambeaux .
Cent Pauvres , couverts de draps , portant
chacun un flambeau.
214 MERCURE DE FRANCE.
*
Deux Suiffes , à cheval , avec crêpe & houffe
noire. 2
Les Officiers de la Maifon de la Princeffe , de
même .
Un Caroffe , à fix chevaux, avec des harnois drapés
, dans lequel étoient les Femmesde Chambre
de la Princeffe .
Un autre Caroffſe , à fix chevaux , de même ;
où étoient les Gentilshommes de Madame la
Comtelle de la Marche.
Un autre Carolle à fix Chevaux caparaçonnés ,
dans lequel étoient les quatre Gentilshommes de
la Princelle défunte , qui portoient le poêle .
Un autre Caroffe à fix Chevaux caparaçonnés de
moire d'argent , dans lequel étoient M. l'Evêque
de Valence , le Curé de S. Sulpice , le Confeffeur
de la Princeffe , fes deux Aumôniers & un de M.
l'Evêque de Valence.
Un Caroffe du Corps à huit chevaux caparaçonnés
de moire d'argent , dans lequel étoit le
Corps de S. A. S. précédé de fix Pages à Cheval en
manteau long & crêpe , portant des flambeaux ,
à la tête defquels , étoit leur Gouverneur , & aux
deux portiéres quatre Suiffes & nombre de Valers
de pieds , tous avec des crêpes & des flambeaux..
Un autre Caroffe à huit Chevaux caparaçonnés
auffi de moire d'argent , dans lequel étoient ,
Madame la Comtelle de la Marche , Madame la
Princeffe de Chimay, Madame la Comteffe d'Oizy,
Madame la Comteffe de Poly , Madame la Comtelle
de Lamberty & Madame de Mory.
Le Carolle de S. A. S. Madame la Comteffe de
la Marche.
Celui de Madame la Princeffe de Chimay , &
enfuite celui de M. l'Evêque de Valence qui fermoit
la marche.
Tout le Convoi étoit éclairé par un très - grand
MARS. 1761. 215
nombre de flambeaux portés par des Valets de
pieds. La marche étoit précédée & fermée par le
Guer à pied & à cheval.
Lorfque le Convoi eft arrivé au Val- de- Grâce ,
' Evêque de Valence , après les prieres ordinaires
& le Difcours ufité en pareille occafion , auquel
' Abbeffe répondit , préfenta le Corps ; qui , après
avoir été expolé au milieu du Choeur , a été defcendu
dans le caveau où l'on enterre les Princes
& Princelles de la maifon d'Orléans.
La nef de l'Eglife , ainfi que le Choeur étoient
tendus de dix lés , fur lequels il y avoit deux lés
de Velours.
M. le Duc d'Orléans , M. le Duc de Chartres ,
M. le Comte de la Marche , M. le Duc de Penthievre
& M. le Prince de Lamballe ont affiftés à
Ja Cérémonie fans qu'ils fuffent cenfés y être , &
cela dans le Choeur des Religieufes du Val- de-
Grace où ils s'êtoient rendus avant le Convoi .
CharlesLouis - Augufte Fouquet, Duc de Belle -Ifle,
Pair & Maréchal de France , Prince de l'Empire ,
Chevalier des Ordres du Roi , & de la Toifon d'or,
Gouverneur de Metz , & du Pays Meffin , Lieutenant-
Général au Gouvernement de Lorraine & du
Barrois , Miniftre & Sécrétaire d'Etat au Département
de la Guerre , & l'un des Quarante de l'Académie
Françoife , eft mort à Versailles , le 26 de
Janvier, agé de foixante - feize ans 4 mois & 4 jours.
Le Maréchal de Belle Ifle s'étoit diftingué au fiège
de Lille , où il reçut un coup de feu dans la poitrine.
Il annonça dès- lors les talens fupérieurs qui ont
illuftré fa vie. Il fut nommé en 1741 ,Amballadeur
Plénipotentiaire de France à la Diéte d'Election
de l'Empire , & Général de l'Armée du Roi en
Allemagne. Il commanda , à la fin de 1746 , les
Troupes que Sa Majeſté envoya en Provence. Il
216 MERCURE DE FRANCE.
fervit le Roi , dans tous les grands emplois done
Sa Majefté l'a honoré , avec beaucoup de zéle
& avec une application affidue au travail dont il eſt
peu d'exemples parmi les Miniftres de fon âge.
Il avoit été marié deux fois ; la premiere , en
1711 ,à Henriete-Françoife de Durfort de Civérac;
la feconde , en 1729 , à Marie - Cafimire - Thérefe-
Geneviève- Emmanuelle de Béthune. Il ne laiffe
point d'enfans de ces deux mariages ."
Claude François de Montboiffier de Beaufort-
Canillac , Commandeur de l'Ordre du Saint Efprit
, Doyen des Auditeurs de Rote, Abbé Commendataire
des Abbayes Royales de Montmajour
de Cercamp , & de Fécamp, mourut en ctte Ville,
le 27 de Janvier , dans la foixante & deuxième
année de fon âge.
Meffire Louis - Philippe Dauger, Lieutenant - Général
des Armées du Roi , Grand- Croix de l'Ordre
Royal & Militaire de Saint Louis , mourut en
cette Ville le 8 Février dans fa quatre-vingt-troifićme
année..
Dame Marie-Anne de Buffy , veuve de Meffire
Henri Cocquebert , Vicomte de Perthenai , Capitaine
de Dragons , eft morte au village de
Coulomne , près Rheims en Champagne , âgée
de cent fept ans.
Le Père Pierre- François Xavier de Charlevoix ,
de la Compagnie de Jefus , né à S. Quentin, Auteur
de plufieurs hiftoires des différentes parties du
Nouveau Monde , & qui font eftimées , eft mort
à la Fléche , le 1 Février , âgé de foixante & dixhuit
ans.
I
Evénemens
MARS. 1761. 217
EVENEMENS SINGULIERS,
D'ASIE.
On apprend du Grand-Caire , que la pefte y a
déja enlevé la moitié des habitans . Ce fléau , fi
commun & fi redoutable dans ces climats , a fait
aufli de grands ravages parmi les Arabes du Déſert.
ITALIE.
De TURIN.
Le Pays a été, l'année dernière, infeſté de loups
enragés , qui ont fait autant de mal que les chiens
en ont fait en Angleterre. On n'a point encore
trouvé de reméde pour guérir ceux qui ont été
mordus par ces dangereux animaux . Ils font tous
morts dans des tourmens & dans des convulfions
épouvantables.
.
ANGLETERRE.
On apprend par une Lettre d'Ofweftry , dans le
Shropshire, que le 23 Décembre, à huit heures du
foir , on a vu dans cette Ville un Arc - en - Ciel lunaire
, d'une forme parfaite & très- visible ; mais
les couleurs étoient beaucoup plus foibles que celles
de l'Arc-en- Ciel folaire.
Depuis le commencement de cette année , on
a compté cinq femmes , à Londres , qui fe font
jettées dans la Tamife. L'une de ces femmes ayant
été retirée de l'eau , & fauvée à tems , a été trouvée
pendue, quelques jours après dans fa chambre.
Il y eut dans la nuit du premier Janvier , un
Ouragan furieux , qui fit beaucoup de ravage
dans les Campagnes des environs de Londres.
Il renverfa même des maifons de Payfans. Un
pauvre homme dans la Paroiffe de Léeds , voyant
la chaumiere fortement ébranlée par les fecouf-
K
218 MERCURE DE FRANCE.
fes , & prête à tomber , s'élança de fon lic , &c
appuyant avec les épaules la folive fur laquelle
poloit le toit , il foutint ainfi le bâtiment , pendant
que fa femme & les enfans le glifoient entre
fes jambes , n'ayant pas d'autre route pour
fortir de la chambre; il n'eut que le tems de
s'échapper lui-même , & toute la chaumiere s'égula
fur le champ.
Le premier Février , la femme d'un Porteur
de Chaile , accoucha à deux heures du matin
d'un garçon ; à midi , elle en mit au monde un
fecond ; & lelendemain au matin , elle accoucha
d'une fille. La Mere & les trois enfans font en
bonne fanté.
Le 21 Novembre dernier , on enterra à Philadelphie
, M. Charles Cottrel , mort âgé de cent
vingt ans; & trois jours après , fa femme , qui
en avoit cent quinze. Ce couple rare étoit marié
depuis quatre-vingt- leize ans , & avoit toujours
vêcu dans la plus parfaite union .
On mande de Glafcow en Ecolle , que Pierre
Campbell eft mort dans cette Ville , âgé de cent
huit ans. Il avoit confervé la coutume de marcher
tous les jours , l'efpace d'un mille ou deux , &
iln'avoit aucune des incommodités de la vieillefle .
On écrit de Konigsberg , que le Capitaine :
Pierre Bromfish étoit mort dans cette Ville , dans
la cent douzième année de fon âge . Il y avoit
quatre-vingt - treize ans qu'il étoit au fervice de
Prulle. Il avoit été vingt ans fimple Soldat . Il a
laifié fix fils & fept petits fils , tous Officiers dans
les Armées Pruffiennes .
On vient de faire une épreuve finguliere , d'un
reméde fort fimple contre les attaques d'apopléxie.
Un homme étant tombé fans connoillance
dans une rue de Londres , on le porta dans une
boutique ; on lui mit feulement une ou deux pinMARS.
1761.
219
cées de fel dans la bouche ; & dans cinq minutes ,
il reprit les fens & fes forces , & fe trouva en
état de retourner chez lui à pied .
FRANCE.
De BOULOGNE fur mer.
La Dame de Clifton , veuve du Chevalier Ba
fonet de ce nom , mourut à Boulogne fur mer ,
dans le courant du mois de Décembre dernier ,
âgée de cent trois ans . Elle avoit été Dame d'hon→→
neur de Catherine de Portugal , Reine d'Angleterre
, femme de Charles II. Elle eut enfuite cette
mêne place auprès de Marie Béatrix - Eléonore
d'Eft , Reine d'Angleterre, femme de Jacques II.
Elle a confervé fon bon lens jufqu'à la mort , &
elle ne s'étoit jamais fervie de lunettes .
La veuve du feur Thomas Meignot Daller ,
Avocat , eft morte auffi dans la même Ville , le
24 de Janvier , âgée de cent trois ans , & n'ayant
jamais eu d'autre maladie que celle dont elle eft
morte.
Nous apprenons , par la Lettre que nous avons
reçue de Boulogne à cette occafion , qu'il y a actuellement
dans cette Ville plufieurs perfonnes de
F'âge de cent ans , & un plus grand nombre qui en
approche.
ΑΙ
DECLARATION de M. LE FRANC DE POMPIGNAN
, de l'Académie Françoife , &c .
J'ar va avec un étonnement mêlé d'indignation
que dans le Catalogue de la Bibliothèque de feu M
de Selle , on mettoit fur mon compte un Livre intitulé,
Charges du Procès de ...
C'est une imprudence d'autant plus grande de la
part des Redacteurs de ce Catalogue, que l'Ouvrage
qu'on m'attribue fi fauffement , n'a jamais été im
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
primé fous mon nom. Si l'on m'eût fait l'injuſtice,
quand il parut pour la premiere fois , de me l'imputer
par la voie de l'impreffion, ou de quelqu'autre
maniere que ce pût être , je n'aurois certainement
pas gardé le filence dans une occafion auffi
grave. Je n'ignore pas que quiconque laiffe imprimer
fon nom à la tête ou au bas d'un libelle généralement
répandu , & qui ſouffre fans en reclamer,
que des feuilles publiques le lui attribuent , en
eft justementréputé l'Auteur, & s'expoſe au moins
à des recherches févères.
A Dieu ne plaife qu'il y ait rien de femblable
dans le cas préfent. Il ne s'agit ici que de l'énoncé
vague d'un titre qui fe perd dans des milliers d'autres
titres. Mais je penſe qu'on ne sçauroit porter
trop loin la délicateffe à cet égard , foit pour les
autres , foit pour foi- même.
Quand les devoirs . des différentes charges que
j'ai remplies, m'ont obligé de prêter ma plume au
voeu de mes Confreres & à la néceffité des circonftances
, ç'a toujours été avec la iiberté & l'authen
ticité ellentiellement attachées aux importantes:
fonctions de la Magiftrature. Des écrits clandeſtiņs
font indignes d'elle.
Je n'ajouterai qu'un mot pour détromper les Perfonnes
mal inftruites, qui fur la foi d'un article de
catalogue me foupçonneroient d'avoir compofé un
Ouvrage dont la forme &le fond font très- éloignés
de ma maniere de penfer & d'agir ; c'eft que ce
même Ecrit contient des plaintes ameres contre
moi au fujet d'un certain arrangement qui fit da
bruit dans le temps : arrangement que je n'avois
imaginé ni recherché,& dont l'expofé qu'on en voit
dans le préambule des charges, défigure entierement
l'objet & les motifs.
J'ai cru devoir cette déclaration à la vérité , au
Public , aux Loix , à la bienséance , & à moi- même.
LE FRANC DE POMPIGNAN.
MAR S. 1761 . 220
SUPPLÉMENT à la réponse que le fieur CHARTREY
, Privilégié du Roi , fuivant la Cour,
& demeurant à Paris , rue du Chantre , a faite
dans le Mercure du 15 Janvier dernier , à la
prétendue Analyfe que les fieurs PLAT & CADET,
ont fuppofé avoir faite de fa Poudre fpirituenfe
& purgative .
IL n'eft pas étonnant que ces deux Apothicaires,
par un efprit de jaloufie , aient répandu des propos
defavantageux dans Paris & dans les Provinces
contre les vertus & l'éfficacité de la poudre , dans
Fa fuppofition qu'il y entroit du cuivre ,ou qu'il la
fabriquoit dans des vafes de cuivre , attendu qu'il
elt en procès avec la Communauté des Apothicaires
, & parce que la poudre du fieur Chartrey
opére journellement des cures merveilleufes , &
regardées comme furnaturelles fous les yeux de
ce Corps de Communauté , & où les remédes de
Fa Pharmacie n'ont jamais pû atteindre.
Que depuis ces fuppofitions, la Poudre du fieur
Chartrey a opéré un grand nombre de guérifons ,
qui ont furpris non feulement les perfonnes qui em
ont connoiffance , même les Malades , & entr'autres
M. Tarrade Muficien de l'Opéra , demeurant
rue Fromenteau, chez M. Merlin Procureur , qui
étoit extrêmement fourd , & qui a recouvré l'ouie
en cinq jours, par la vertu de cette Poudre; & la Demoiſelle
fille de M. Godot Officier au Grenier àfell
rue S. Martin , au coin de celle des Petits- champs,
qui avoit perdu la lumière de l'oeil droit par une excroiffance
de chair qui lui couvroit toute la prunelle,
& que la Poudre a fondue fans opération en fix
jours. Toutes ces perfonnes nouvellement guéries
, avoient cependantconnoiffance de la calomnie
de ces deux Apothicaires. Quelle erreur de
la part de ces Meffieurs,que celle de donner le nom
Kiij
122 MERCURE DE FRANCE.
à la poudre du fieur Chartrey , de Magnefie
cuivreufe , en fuppofant la fabrique dans des vailfeaux
de cuivre, tandis que la Magneſie n'eft point
purgative , & n'a jamais opéré guérifon. La poudre
du fieur Chartrey en a opéré une immenſité
connue , à Paris , de tous genres de maladies, fans
que l'on puiffe citer perfonne qui en ait reçu la
moindre incommodité. Le fieur Chartrey , pour
avoir raison de cette calomnie , s'eft pourvu en la
Prévôté de l'Hôtel,contre le fieurs Piat & Cadet, &
a conclu à ce qu'ils foient condamnés à une répara
tion , en soo livres d'amende , en roooo livres de
dommages & intérêts, & aux dépens ; & que la
Sentence qui interviendra , foit affichée à leurs
frais & dépens.
En effet , la poudre du fieur Chartrey , étant tra
vaillée alchimiquement ( opération inconnue des
Apoticaires forme un corps incombuftible & im
muable étant reduite au dernier degré de pureté
& de perfection , de façon que les acides les plus
mordans , & le feu le plus violent ne font point
capables de faire la moindre impreffion , de la diminuer
de fon poids , ni lui retirer fon humidité
radicale. Les Chymiftes les plus experts ont tenté
plufieurs fois d'en faire l'analyfe , & tous y ont
échoué le fieur Chartrey voulant montrer publiquement
le contraire de ce que fuppofent ces deux
Apoticaires , fit nommer il y a un mois , quatre
des plus habiles Artiſtes de l'Académie des Sciences
, pour faire l'analyſe de ſa Poudre , fi elle étoir:
poffible ; mais ces MM. qui en ont connu l'impofibilité
, s'en font excufés . D'ailleurs les fieurs Piac
& Cadet ne perfuaderont jamais le Public , qu'ils
foient plus clair- voyans , que MM. les Médecins
& les Artiftes qui compofent la Commiſſion Royale
de Médecine , qui ont reçu & approuvé , par
deux brevets confécutifs , la Poudre du fieur Chare
MAR S. 1961. 223
trey. Cette Poudre guérit , & n'occafionne jamais
la moindre incommodité , étant un purgatif ano→
din. En faut-il davantage pour perfuader le Pu
blic , que c'eſt un bon & vertueux (pécifique ; d'autant
plus que les maladies vénériennes n'y peuvent
réfifter , & qu'elle les guarit en peu de jours , fans
être affujetti à garder la chambre ?
Le fieur Chartrey, voulant donner au Public des
marques de fon zèle , & confondre la témérité de
fes ennemis , lui annonce qu'il pofféde un Beaume
unique , un elixir fouverain , & une ptilanne philofophique
, qui a de puiffantes vertus , & des propriétés
, qui jointes à l'efficacité de fa Poudre , lui
font entreprendre de guérir en peu de tems les
bleffures , les brûlures , les vieux ulcéres , les loups,
l'hydropifie , les humeurs froides , les écrouelles ,
les hémorroïdes , tant internes qu'externes, & autres
femblables maladies , fans exiger le payement
du prix convenu , qu'après guérifon radi
cale. Signé CHARTREY.
EAU DES SULTANES DE MAROLLES.
"
Le fieur Garrot , rue des Deux - ponts , ifle
Saint- Louis , entre un Papetier & un Chaircui
rier, au premier , continue toujours de debiter
la véritable Eau des Sultanes de feu M. Richardi.
de Marolles , dont les vertus font reconnues pour
fortifier & cimbellir la peau ; elle éclaircit le tein ,
même celui des hommes , brûlé du foleil ; il ne
faut qu'imbiber un petit linge fin ou une éponge,
& s'en étuver , pour ſe trouver rafraîchi & en lentir
l'effet. On l'emploie avec fuccès dans les bains
de fanté & de propreté ; elle efface les taches de
roufleurs & les rougeurs de la petite vérole.
·
Le même débite une Eau , qui eft très bonne
pour les yeux ; il en a des rouleaux, de 15
224 MER CURE DE FRANCE.
bouteille , & de 6 liv. Le ftacon d'Eau des Sultanes
eft de 6 liv. le demi- flacon de 3 liv.
Il prie les perfonnes qui lui écriront, d'affranchir
leurs lettres.
T
APPROBATION.
AT lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le Mercure de Mars 1761 , & je n'y ai rien trouvé
qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris , ce
28 Février 1761.GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
EpîTRE , à M. L. L. B. par M. DuL.
LETTRE de M. D. à Madame de B ** .
Page
II
LE CONCILIATEUR , Epître aux gens de Lettres. 16
DISSERTATION fur le Goût.
RECHERCHES fur le Blafon , & c.
EPITRE à M. le Marquis de V ***. &c.
VERS de M. l'Abbé de l'Attaignan , fur le
mariage de M. le Prince de Guimenée avec
Mlle de Soubife.
ÉPITHALAME , fur le mariage de Mlle de
Montperoux avec M. le Marquis de Cambis
&c.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
REMERCIMENT à M. de Voltaire &c.
EPITRE à mon Ami
ENIGMES
25
31
43
45
47
49
ST
ibid.
63 & 64
MARS. 1761 . 225
LOGOGRYPHES.
AIR nouveau.
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
A l'Auteur du Mercure.
SECONDE Lettre au même.
HISTOIRE de Jean Sobieski &c.
65 & 66
67.
68
71
92
CODE de Mufique Pratique , Par M. Rameau
&c.
T
LETTRES de deux Amans , par 1. J. Rouffeau. 10
PREFACE de la nouvelle Héloïſe , par le
même. 102
REPONSE de J. J. Rouffeau à un Anonyme. 103
ANNONCES des Livres nouveaux.
104 &fuiv
ART. IIL SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADEMIES.
LES CHARMES de l'Etude , Epître aux Poëtes,
qui a remporté le Prix de Poëfie de
l'Académie Françoile en 1760 , par M.
Marmontel.
COURS de Mathématiques dédié au Roi de
Pologne , par M. Plaid &c.
MEDECINE.
109
120
134
ASTRONOMIE.
A l'Auteur du Mercure.
mie des Belles- Lettres de Caen.
EXTRALT de la Séance publique de l'Acadé-
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGLE..
A l'Auteur du Mercure.
136
136
*39
226 MERCURE DE FRANCE.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
GRAVURE.
FIGURE annoncée à la page iso du Mercure
de Février .
OPERA .
ART. V. SPECTACLES.
COMÉDIE Françoife . Extrait de la Tragédie
143
180
15x
152
de Tancrède .
158
COMEDIE Italienne . 194
OPERA-COMIQUE. 196
CONCERT Spirituel . 199
ART. VI . Nouvelles Politiques. ibida
EVENEMENS finguliers. 217
DECLARATION de M. le Franc de Pompignan.
219
Avis divers 223
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis- à- vis la Comédie Françoiſe.
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JANVIER. 1761 .
PREMIER VOLUME.
Diverfité , c'eft ma devife. La Fontaine.
Cochin
Silius inve
MayenSculp 1218
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à- vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT, grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilège du Roi.
* IM
THE NEW YO
PUBLIC LIBRARY
335310
ASTOR, DEROX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis atè
Greffe Civil du Parlement , Commis au.
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , à côté duSellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
port , les paquets & lettres , pour te
mettre quant à la partie littéraire , &
de
,
M. DE LA PLACE
Mercure..
་ ་ ་ ་
Auteur du
Le prix de chaque volume eft de 36 fols,
mais l'on ne payera dd''aavvaannccee ,, ens'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes
à raison de 30 Jobs pièce.
1
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir, ou qui prendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
c'est - à-dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci -deſſus.
A ij
Onfupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit,
le prix de leur abonnement , ou de donner.
Leurs ordres , afin que le payement enfoit
fait d'avance au Bureau .
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pièces tirées dès
Mercures & autres Journaux , par M,
DE LA PLACE , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
10 )
2010
A VIS.
On trouvera le Mercure dans les Villes
nommées ci-après.
A Bbeville , chez L. Voyez.
Amiens , chez François , & Godard.
Angers , chez Jahier.
Arras , chez Nicolas , & Laureau.
Auxerre , chez Fournier.
Bâle en Suiffe , à la Pofte.
Beauvais , chez Deffaint.
Berlin , chez Jean Neaulme , Libraire François ,
Besançon , chez Briffault.
Blois , chez Maſſon.
Bordeaux , chez Chappuis l'aîné , à la nouvelle
Bourſe , Place royale ; les freres Labottiere >
Place du Palais ; L. G. Labottiere , rue Saint
Pierre , vis- à-vis le puits de la Samaritaine , &
J. P. Labottiere , rue S. James , & à la Pofte .
Breft , chez Malaffis.
Bruxelles , chez Pierre Vaffe , F. Serftevens , &
J. Vendenberghen.
Caen , chez Manouri .
Calais , chez Gilles Née , fur la grande Place.
Châlons en Champagne , chez Bricquet.
Charleville , chez Thezin.
Chartres , chez Feftil & Goblin.
Coppenhague , chez Chevalier , Libraire François .
Dijon , à la Pofte , chez Mailly, & Coignard de la
Pinelle.
Falaife , chez Piftel - Préfontaine.
Fribourg en Suiffe , chez Charles de Boffe.
La Rochelle , chez Salvin & Chaboiceau-grandmailon.
A iij
Liege , chez Bourguignon.
Lille , chez M Pankonke.
Lyon , à la Pofte , chez J. Deville.
Marfeille , chez Sibić , Molly , Boyer , Jayne fils.
Meaux , chez Charles.
Moulins , chez la veuve Faure.
Nancy , chez Nicolas.
Nantes , chez la veuve Vatard.
Nifmes , chez Gaude .
Noyon , chez Bonvalet.
Orléans , chez Roſeau de Monteau.
Poitiers , chez Faulcon l'aîné , & Félix Faulcon.
Rennes , chez Vatar ; à la Science , Vatar , Julien
- Charles Vatar , & Garnier & Compagnie ,
Joanet Vatard , & Jacques Vatard.
Rheims , chez Godard & Cazin .
Rouen , chez Hérault , & Fouques :
Saint - Malo , chez Hovtis .
Senlis , chez Desroques.
Soiffons , chez Courtois.
Strafbourg , chez Dullecker.
Touloufe , chez Robert ; & à la Pofte .
Tours , chez Lambert , & Billaut.
Troyes , chez Bouilleror.
Versailles , chez Fournier.
Vitry-le- François , chez Seneuze.
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER. 1761 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EP ITR E.
A Madame *** Intendante à ***
le 1. Janvier 1761.
pour
L'AN renaît donc il luit ce premier jour ,
Fêté par-tout , à la Ville , à la Cour ,
Où faluts , voeux , étrènnes , accolades ,
Lettres , fermens & cent complimens fades
De toutes parts vont pleuvoir à grands flots :
Jour équivoque , honoré par les Sots ,
Haï du Sage , à quoi l'on te confacre !
L'amitié court , & fon vain fimulacre
I. Vol. A iv
8 MERCURE DE FRANCE
Vole avec elle & devance fes pas.
Le zéle , ici , tend d'affectueux bras ;
Là, l'impofture en ouvre d'homicides.
Tendres baifers , embraffemens perfides ,
A droite , à gauche , & donnés & rendus ,
Sont pêle-mêle aujourd'hui confondus ,
Calios affreux ! Eh , par quel aſſemblage
Voit-on , Janus , fur ton double vifage ,
Ici l'eftime unie à la candeur ,
Là l'intérêt fuivi de la noirceur ?
De tant de voeux le déluge m'éffraye.
Qui du bon grain ſéparera l'ivraie ,
L'or du clinquant , le baume du venin ?
Qui ? Ce fera l'oeil perçant , l'efprit fin ,
Inacceffible à la flatteufe amorce ,
D'un beau diſcours prompt à lever l'écorce
Allant au coeur fonder le fentiment.
Qui ? Ce fera ton fûr difcernement
Belle Mélite , O toi qui nous retraces
Et la colombe en tes modeftes graces,
Et le fin lynx en tes coups d'oeil fubtils .
Qu'ils font à craindre ! & pour qui le font- ils ?
Pour ce Robin , à la démarche grave ,
De l'étiquette impatient efclave ,
Allant chercher fur l'Autel de Thémis
Le grain d'encens qu'il apporte à Cypris .
Pour ce Marquis , femillant Petit- Maître ,
Que , fans laquais , t'annonceront peut- être
Les flots ambrés qu'il proméne en tous lieux
JANVIER. 1761 .
*
Mais qu'à fes airs tu connoîtras bien mieux.
Nouveau Narciffe , épris de fa figure ,
.Il entrera , la main dans la ceinture ,
L'autre au jabot ; & léger dans fes pas ,
Comme Marcel faluera tes appas ;
Puis affectant un pur Néologiſme ,
Te graffaîra le galant Catéchiſme ;
Et s'il enfante une heureuſe fadeur ,
Croira d'emblée avoir gagné ton coeur.
Qui doit encor , malgré l'art de fes mines ;
Craindre , trembler que tu ne le devines ?
C'eft de Plutus cet épais favori ,
Lourd automate , inclinant à demi
Sa tête haute , & connu , dès qu'il entre s
Par fon falut de la main & du ventre.
C'est ce for ruftre, importun près des Grands;
Bouffi de gloire & jaloux des hauts rangs ,
Que la fortune a tiré de la boue ,
Pour l'élever au faîte de la roue.
C'eſt ce Seigneur , ennobli de deux jours ,
Cocq de Paroille & ver rampant des Cours ,
Qui reçoit là l'encens & l'eau benite ,
Comme honneurs dûs à ſon nouveau mérite ;
Et porte ici , Politique , à tes piés ,
Un faux encens , des voeux étudiés.
C'eft , le dirai- je ? Et pourras-tu le croire?
Ee Parafite , ami du réfectoire ,
* Fameux Maître de Danfe.
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Apre à manger , habile à boire fec.
Il s'introduit , te fait falamalec ,
Puis maints fouhaits : mais quel espoir le guide
N'en doute pas , fon eftomac avide ,
Et curieux des mêts de F *****
Cherche en tes yeux un heureux pronoſtic.
( Combien chez toi rôdent de ces Apôtres ! )
Ce premier flor eft repoufflé par d'autres :
Renouvellé , le cercle s'aggrandit.
Deux Déités , fi l'on en croit l'habit ,
Viennent ici , dans un attirail vaſte ,
Etaler moins leur zéle que leur faſte.
Regarde-les : fur ces amples cerceaux ,
Le fotorgueil a planté les faiſceaux .
Le féducteur ! par quel levain magique
Sçait-il enfler leur morgue hyperbolique
Celle- ci voit , au dépôt de d'Ozier **
Briller fon nom , les titres , fon cimier :
De fa fortune , au fol fécond des fermes
Celle- là fait fructifier les germes.
Le coffre fort ouvert à fes defirs ,
Nourrit fon luxe & paye les plaifirs :
Un fang illuftre , une extrême opulence ,
Sont les pivôts de leur impertinence.
Peut-être encor voudroient- elles l'affeoir
Sur leurs appas. Mais qu'en dit le miroir ?
Cruel cenfeur , fes reproches atroces
* Cuifinier de Madame.
Juge d'armes.
JANVIER. 1761. II
Matin & foir attérent ces Coloffes.
Après ce couple altier , vain , arrogant ,"
S'en gliffe un autre, humble , fouple & rampant
Admire un peu l'abord de ces caillettes.
Eft-il foumis , quel art dans leurs courbettes !
Ecoute- les d'abord , d'un trait gentil ,
La médifance aiguiſe leur babil.
Il faut , au gré de leurs loix infernales ,
Pour plaire feule , écrafer des rivales .
La flatterie enfuite eft miſe en jeu :
Abfynthe ou miel , au befoin, coûte peu :
Dans un inftant , ces mordantes harpies
Se changeront en careffantes pies.
Pour des coeurs bas tous rôles font égaux.
Près de la toile où naiffent ces pavots
Adroitement créés par ton aiguille ,
L'une admirant quel art , quel goût y brille ,
Dira , pâmée : » O le beau cannevas !
>> Moins finement eût travaillé Pallas.
L'autre , aux concerts où tes doigts font mer
veilles ,
Sera bientôt toute yeux & toute oreilles ;
Et comme un terme auprès du claveſſin
De l'Opéra n'attendra que la fin ,
Pour s'écrier » O la douce harmonie !
» Avec moins d'art , eût touché Poly nnie.
Peindrai - je ici l'ennui fempiternel ,
Que fur les pas traîne dans ton hôtel
Cette mégére , infâme en fes manoeuvres?
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Peu de foupers , & beaucoup de couleuvres
A dévorer tout bas fous l'éventail ,
Sont pour fon âme un foible épouvantail :
Tant l'amour-propre , habile à la féduire ,
Sçait lui cacher le mépris qu'elle infpire. !
Tel nous voyons ce ténébreux oiſeau ,
Reptile aîlé , trop importun fléau ,
Qui fur le foir , d'un vol opiniâtre ,
De nos plafonds vient obombrer l'albâtre :
Il cherche & fuit , forti de fon caveau ,
L'éclat brillant du nocturne flambeau ,
Là par la porte , ici par la fenêtre ,
Chaffé , rentrant , toujours prompt à paroître .
Que de travers , combien d'originaux ,
Pourroient encor prêter à mes pinceaux !
Je tracerois ....mais quittons la palette :
Il fiéroit mal à ma main indifcrette
D'ôter le mafque à chacun des portraits
Que le faux zéle affemble en ton palais.
Ah! fi le ciel , par un arrêt funefte ,
N'eût chez les Grands attaché cette peſte ,
Je le prierois , d'éloigner fans retour
Ces papillons , ces guêpes de ta cour.
Pourquoi des lieux où la candeur habite
Sont-ils ouverts au menfonge hypocrite ?
C'eft prophaner l'aſyle des vertus ,
Que d'y donner, par un indigne abus ,
Accès au vice , entrée aux ridicules.
Tu les connois , mais tu les diffimules,
JANVIER. 1761 . 13
Les Dieux n'ont pas toujours la verge en main s
Leur gloire même à leurs coups met un frein.
Si leur courroux , prompt à faire un exemple ,
Chaſſoit Tartuffe & fes pareils du Temple,
Que deviendroit leur culte folemnel ?
Seule bientôt , l'idole fur l'Autel
fans facrifice. Se morfondroit fans voeux ,
Oh ! qu'il eft rare en ces jours d'artifice ,
L'hommage pur des vrais Adorateurs !
Plus ingénu que ces Aman * flatteurs ,
Loin de la foule à tes pas attachée ,
Nouvelle Efther, il eft un Mardochée,
Mortel obfcur , Philofophe inconnu ,
Qui hait le faſte & chérit la vertu.
De courtisans une tourbe importune
A fon gré peut encenfer ta fortune;
Et tous jouets de leur brillante erreur ,
D'un oeil ftupide adorer ta grandeur.
Du préjugé le féduifant délire
Sur fon efprit n'a pas le même empire:
Il cherche & veut de plus nobles trésors.
Tu les unis : l'objet de les tranſports ,
C'eſt ton talent , tes grâces , ton mérite :
Ces titres feuls , eftimable Mélite,
Réglent mon culte , & décident mes voeux.
Coule longtemps, coule des jours heureu
Puiffe ton luth , de plus en plus fonore ,
Plufieurs hyvers , nous enchanter encore !
* Favori d'Affuerus.
14 MERCURE DE FRANCE.
Chaque printems , fur tes traits rajeunis ,
Puiffions-nous voir briller rofes & lys !
Puiffe , en tout tems , la beauté de ton âme ,
Que l'honneur guide & la ſagefſe enflâme ,
Te conferver les glorieux tributs
Que fur nos coeurs ont acquis tes vertus !
Parun Hermite de M***** Abonné au Mercure.
ODE tirée du Pfeaume 51.
Toi qui n'es puiffant que par l'impiété ,
Pourquoi t'enorgueillir dans ta propre malice ?
Image vivante du vice ?
Ta loi , ta feule loi , c'eſt ton iniquité.
De tes forfaits affreux l'image fait horreur.
Tel qu'un glaive tranchant , ta langue forcenée ,
Du fiel d'une âme empoisonnée
Porte bientôt au loin la funefte noirceur.
A tes yeux, la vertu n'eft qu'un monftre odieurs
Pour toi le crime feul a d'invincibles charmes ;
Des attentats , qui font tes armes ,
Frémit à tes côtés , l'efcadron furieux.
A perdre l'innocent tu bornes tous tes voeux ;
Le menfonge en ta bouche eſt comme dans for
trhône +
JANVIER. 1761 . 15
Et ta fureur qui l'empoisonne ,
Frappe , écrafe , engloutit un tas de malheureux.
Tu verras tes projets renverfés , confondus ,
Rentrer dans le néant : fous le poids de ton crime,
Tu retomberas dans l'abîme ;
Et tes neveux maudits bientôt ne feront plus.
Le jufte , à cet afpect , fera laik d'éffroí.
Eft-ce là , dira-t- il , cette fuperbe tête ,
Qui , bravant & foudre & tempête ,
Du Roi des Souverains méconnoifſoit la Loi ?
Dans les bras du Plaifir mollement endormi '9
Il buvoir, à longs traits , des douceurs meurtrieres;
Dans des richelles paffageres ;
Et dans fon propre orgueil il trouvoit fon appui,
L'Eternel eft ma force , & fon puiffant fecours,
Contre les noirs complots , eft mon unique aſyle &
Je fuis cet olivier fertile ,
Que fa main bienfaifante arrofe tous les jours.
Goûtant du vrai bonheur le vertueux repos ,
J'éléverai na voix vers la voûte azurée ;
Et les concerts de l'Empirée
Deviendront , de mes chants , les fidéles échos.
Par M. POYART & Awas,
26. d
16 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de M. de SAINTFOIX , en
envoyant fa Comédie des HOMMES à
Mlle de B***
NE foyez point fâchée , Mademoiſelle,
contre les Mythologiftes ; ils n'ont dit que
Prométhée avoit formé l'homme avant la
femme,que parce qu'il eft naturel de penfer
qu'on fe perfectionne en travaillant.
Si l'on vous montroit deux ftatues du même
Artiſte , ne croiriez - vous pas que celle
qui vous paroîtroit la plus parfaite auroit
été faite la derniere ? Hier les yeux attachés
fur vous , & dans cet enchantement
que vous feule pouvez m'infpirer ,je fentis
tout-à- coup un trait de lumière qui pénétroit
mon âme & l'éclairoit fur ces premiers
tems du monde. En voici la véritable
hiftoire : je ne la fçavois pas , quand je
fis ma Comédie des Hommes. Les Dieux ,
après avoir débrouillé le cahos , regardérent
la Tèrre ; elle étoit bien belle alors :
le déluge l'a bien changée ! Ils penférent
à lui donner des habitans dignes d'elle ; ils
créérent des femmes. Chacune , ſelon ſon
goût , fe choisit une habitation, & bientôt
on les diftingua par les noms de Nymphes,
JANVIER. 1961 . 17
de Naïades & de Driades. Les Nymphes
aimoient les fleurs , les prairies & les jardins
; les Naïades fe plaifoient aux bords
des rivières & des fontaines ; les Driades
préféroient l'ombre & le filence des forêts.
Les Dieux quittoient fouvent l'Olympe: il
eft plus doux d'être aimé que d'être adoré,
& la Terre n'auroit été peuplée que de demi-
Dieux. Malheureufement Prométhée ;
un des Titans , devint amoureux d'une
Nymphe ; il ne put s'en faire aimer ; il
étoit fier ; fon amour fe changea en haine
contre toutes les femmes ; & fa jaloufie
naturelle contre les Dieux fe réveilla.
Pour fe vanger, il forma l'homme, dont le
caractére impérieux & tyrannique annonce
affez fon origine Titanne. Jupiter prévit
tous les maux que ce nouvel être alloit
caufer fur la Terre; il punit Prométhée, &
l'enchaîna fur le mont Caucafe. Voilà ,
Mademoiſelle , l'hiftoire de ces premiers
temps , & telle que nous l'aurions fi
les femmes n'avoient pas négligé de l'écrire.
Vous rêverez peut-être cette nuit
que vous êtes une Nymphe , une Driade,
ou une Naïade : mais vous ne rêverez
jamais , quand vous croirez qu'il n'y en
avoit aucune plus digne des Dieux que
vous.
18 MERCURE DE FRANCE.
GALANTERIÉ.
L'AUTRE
'AUTRE jour mon Iris , fur un lit de verdure ,
Goûtoit les douceurs du repos :
L'onde qui de ces lieux entretient la parure ,
Rouloit plus lentement les flots ;
Les Zéphirs attentifs , retenant leur haleine ,
Négligeoient la beauté des fleurs de cette plaines
Les oifeaux fufpendoient leurs chants mélodieux.
3
Pour cueillir les pleurs que l'Aurore
Répand tous les matins fur les préfens de Flore ,
Un moucheron voltigeoit dans ces lieux.
Trompé par la couleur , croyant voir une roſe,
Sur les lévres d'Iris , il vole avec ardeur.
Hélas ! que j'enviois une métamorphoſe
Qui m'eût pû procurer un femblable bonheur !
Sur cette belle bouche , il erre , il fe proméne ;
Comme le fuc des fleurs il en cueille l'haleine
Bientôt , en s'envolant , il pique mon Iris.
Toute éffrayée elle s'éveille ;
Elleporte fa main à fa bouche vermeille
En rempliffant l'air de fes cris.
On dit, quand tu le veux, que tu foumets nos âmes!
Vois cependant , Dieu de Paphos ,
Un moucheron trouble un repos
30 JANVIER . 1961 . 19
Que n'ont jamais troublé ni tes traits ni tes flames!
Iris , brave tes feux : je l'aime , venge- toi ;
Et pour miniftre , choifis- moi .
VERS préfentés à M. le Maréchal de
RICHELIEU , dans un Bal , à Bordeaux
, par une femme.
C
QUOIQUE fous ce déguiſement ,
Tupeux me connoître ailément,
Au feyl fentiment de mon âme.
- ., Sirje re crains , je fuis Anglois ;
7. Si je t'aime , je fuis François ;
Si je t'adore , je fuis femme.
Par M. A. de Montpellier.
LETTRE de l'Auteur du Mercure
à M. D. B....
I₂ l'avois prévu , Monfieur , les hardieffes
& la fingularité des fituations que
les Auteurs Anglois fe permettent , malgré
le piquant de la nouveauté , toujours
en droit de plaire à bien des Lecteurs ,
peuvent déplaire à beaucoup d'autres . La
Scène , du Comte de Malicorne , tirée de la
18 MERCURE DE FRANCE.
GALANTERIE.
L'AUTRE jour mon Iris , fur un lit de verdure ,
Goûtoit les douceurs du repos :
L'onde qui de ces lieux entretient la parure ,
Rouloit plus lentement les flots ;
Les Zéphirs attentifs , retenant leur haleine ,
Négligeoient la beauté des fleurs de cette plaines
Les oifeaux fufpendoient leurs chants mélodieux.
C
Pour cueillir les pleurs que l'Aurore
Répand tous les matins fur les préſens de Flore ,
Un moucheron voltigeoit dans ces lieux.
Trompé par la couleur , croyant voir une rofe ,
Sur les lévres d'Iris , il vole avec ardeur .
Hélas ! que j'enviois une métamorphofe
Qui m'eût pû procurer un femblable bonheur !
Sur cette belle bouche , il erre , il fe proméne ;
Comme le fuc des fleurs il en cueillé l'haleine
Bientôt , en s'envolant , il pique mon Iris.
Toute éffrayée elle s'éveille ;
Elle porte fa main à fa bouche vermeille ,
En rempliffant l'air de fes cris.
Ondit, quand tu le veux , que tu foumets nos âmes:
Vois cependant , Dieu de Paphos ,
Un moucheron trouble un repos
JANVIER. 1761 . 19
Que n'ont jamais troublé ni tes traits ni tes flames!
Iris , brave tes feux : je l'aime , venge- toi ;
Et pour miniftre , choifis- moi .
VERS préfentés à M. le Maréchal de
RICHELIEU , dans un Bal , à Bordeaux
, par une femme.
QUOIQUE fous ce déguiſement ,
Tu peux me connoître aifément ,
Au feyl fentiment de mon âine.
- Si je re crains , je fuis Anglois ;
a . Sije t'aime , je fuis François ,
-Sije t'adore , je fuis femme.
Par M. A. de Montpellier.
LETTRE de l'Auteur du Mercure
$
à M. D. B....
J₂ l'avois prévu , Monfieur , les hardieffes
& la fingularité des fituations que
les Auteurs Anglois fe permettent , malgré
le piquant de la nouveauté , toujours
en droit de plaire à bien des Lecteurs ,
peuvent déplaire à beaucoup d'autres. La
Scène , du Comte de Malicorne , tirée de la
20 MERCURE DE FRANCE:
Tragédie du Duc de Guife , quoiqu'elle
ait plu à la généralité des Amateurs du
Théâtre , a été critiquée par des perfonnes
dont elle a révolté la délicateffe. Il
faut être familiarifé avec le Théâtre Anglois
, & fur- tout avoir lû le Difcours qui
y fert , pour ainfi dire , d'introduction ,
pour n'être pas choqué du ridicule apparent
des fituations de cette eſpèce. C'eſt
fur quoi je compte m'entretenir avec vous
plus au long , dès que ma fanté pourra
me le permettre. Voici , en attendant ,
le premier Acte d'une Tragédie intéreffante
, & dont l'Auteur eft ce même Tomfon
, Auteur de cet agréable Poëme des
Saifons, fi bien traduit par Madame Bontems
, & dont j'ai rendu compte dans le
Mercure du mois de Février dernier. Si
ce premier Acte , comme j'ai lieu de l'efpérer
, par l'effet conftant que cette Piéce
produit au Théâtre , fait defirer ici le refte
; je me propoſe , en refferrant les quatre
autres , de les donner dans les Mercures
du 15 Janvier & du mois de Février
prochain. J'ai l'honneur , & c.
JANVIER 1761 20
TANCREDE
E T
SIGISMONDE ,
Tragédie traduite de l'Anglois de JAMES
TOMSON.
PERSONNAGES.
TANCREDE.
SIFFREDI , Chancelier de la Sicile,
LE COMTE OSMOND , Connétable:
RODOLPHE , Capitaine des Gardes.
SIGISMONDE
, Fille de Siffrédi
LAURE , Soeur de Rodolphe .
BARONS , OFFICIERS , GARDES .
La Scène eft à Palerme,
ACTE PREMIER.
SCENE PREMIERE.
" SIGISMONDE. LAURE
O
SIGISMONDE. T
JOUR fatal , pour la Sicile ! ... Le Roi
touche à fon dernier moment ?
22 MERCURE DE FRANCE.
LAURE.-
Oui , Madame on le craint.
SIGISMONDE.
La mort des gens diftingués par leur
rang , & plus encore par leurs vertus , réveille,
ébranle l'âme , la frappe d'une ter
reur lugubre : non que nous gémiffions
fur eux , mais fur nous- mêmes , & fur l'avenir
qui nous menace. Les plus regrettables
pourtant ; font bientôt oubliés !
Nos coeurs , dit- on , ma chére Laure , fe
trouvent quelquefois accablés d'une doue
leur , qu'on pourroit croire prophétique
Telle eft celle que je reffens ! Et la mort
qui menace le Roi , la remplit de mille
terréurs . Les troubles que cet événement
peut renouveller dans l'Etat ; les chan
gemens inattendus qu'il peut produire
dans la maifon de mon Père ; l'idée feule
enfin que cette mort peut occafionner
une rupture entre mon cher Tancréde &
fon amante,fuffit pour me glacer d'effroi !
LAURE.
Craintes d'un coeur trop bleffe par
l'Amour , & toujours trop ingénieux à fe
forger des peines ! Soyez fûre que la conftante
amitié de votre Pere , jointe à cette
noble fermeté d'âme qui commande, fans
JANVIER 1761 17
baffeffe , à la fortune , n'en protégera pas
moins avec chaleur ee... Mais comment;
l'appeller ? ... cet enfant adoptif , ce jeune
& noble Tancréde , déjà formé fur.
toutes les vertus.
SIGISMONDE.
Et furtout pour charmer fa fille !
Cette belle matinée l'a , dit- on , conduit
à la chaffe?... En eft-il de retour ?
३
LAURE.
Non... Lorsque le Monarque mourant
a fait précipitament appeller votre Père ,
des couriers ont été dépêchés pour pref
fer ici fon retour... j'ai même remarqué
dans les yeux du Seigneur Siffrédi , cerraine
ardeur , certains fignes d'impa
rience , qui fembloient indiquer que le
danger qui menace le Roi , eft pour le
Comte Tancrede beaucoup plus important
que
ne penfe.
l'on
SIGISMONDE.
Sa naiffance , ma chère Laure , eft en
veloppée d'un nuage , dont je ne puis
percer l'obscurité... Jamais Prince ne fut
élevé comme lui ; jamais avec plus de
refpect. Souvent , dans les bois de Beber
mont , j'ai vu , j'ai déinêlé ce fentimenti
dans les yeux même de mon Père. Bois
24 MERCURE DE FRANCE.
chéris ! où mon coeur fincère & fans art ,
apprit pour la premiere fois à foupirer
pour un amant ... Si j'en dois croire à ce
que dit mon Père , Tancréde eft fils d'un de
fes vieux amis , d'un Seigneur autrefois
puiffant dans la Pouille , & qui mourut ,
dit- on , glorieufement dans la derniere
Croifade.... Mais n'eft- il pas étrange qu'il
ne fubfifte rien de la famille de ce brave
Chevalier qu'il ne lui foit refté d'autre
ami que mon Père ? ..... S'il avoit une
mère , une foeur , un frère , un parent
quel qu'il fût ; avec quels fentimens de
vanité , ne fe hâteroient- ils point de rechercher
, de reclamer ce digne rejetton
d'un fang illuftre ; ce modéle accompli de
tout ce que la jeuneffe offre d'intéreffant
& d'aimable ? cet amant enfin , qui charme.....
peut être trop ( hélas ! ) le coeur
de Sigifmonde... Mais , chère Laure ,
écoute... Ton frère, eſt ſon ami ? Le coeur
de mon Tancréde, eft ouvert à fes yeux?...
Parle que dit Rodolphe Croit - il au
Roman trop mal conçu de ſa naiſſance ?
LAURE.
Souvent il en paroît douter , ainfi que
vous. Tancréde , cependant , n'en conçur
jamais le moindre doute.... Il fe plaint
feulement de la Fortune ; & gémit de
n'être
JANVIER. 1761 . 25
n'être pas né d'un fang au moins égal
au vôtre.
SIGISMONDE .
Un mérite tel que le fien , eft au - def
fus de la Fortune... Ainfi , ma chère Lau
re, il s'entretient de moi avec ton frère ?
LAURE.
Il ne lui parle que de vous. Quel que
foit le commencement de la converfation
, Sigifmonde en est toujours la fin .
Toutes leurs promenades , toutes les allées
de Belmont ne retentiffent que du
nom de Sigifmonde.
SIGISMONDE.
Tu me flattes , ma chère amie.... Cependant
mon erreur m'enchante !
LAURE.
Je ne dis que la vérité : je ne l'exprime
même qu'a demi... Que dis- je ? mon frère
eft tellement animé des fentimens de fon
ami, qu'il femble les reffentir lui même...
Le Ciel , dit - il , prodigue en fes bontés
a formé nos coeurs pour l'amour : c'eft
dans l'amour feul qu'il a renfermé le
me de l'honneur , de la vertu , de l'amitié
, de tout ce que la Tèrre a de plus pur
& de plus faint.
I. Vol.
В
ger26
MERCURE DE FRANCE .
SIGISMONDE.
O vertueux Rodolphe !
LAURE.
Son difcours finit toujours par l'éloge
de votre amant.
SIGISMONDE.
Ah , mon amie ! ... Et qu'en dit - il
enfin?
LAURE.
Que dût Tancréde n'être point d'une
naiffance illuftre , la nature l'a créé noble
, généreux , brave , & méprifant avec
hauteur tout ce qui tient de la baffeffe ;
qu'il ne doit rien à l'éducation ; que fes
vertus font de fon être & tiennent à fon
âme... Ce qu'il admire enfin le plus , c'est
que les paffions de fon ami, quoique touchant
prèfque à la violence , font tellement
fubordonnées à la bonté de fon
coeur , que la Raifon a toujours le pou
voir d'en tempérer les mouvemens.
SIGISMONDE.
Ton frère le connoît ! Ton frère te dit
vrai , ma chère Laure ! Il eft le digne
ami de mon Tancréde ; & je forme des
voeux pour lui ....Oui ! je le crois , fi la
Vertu prenoit la forme d'un Mortel , elle
emprunteroit l'air , le foûrire & les gra
JANVIER. 1761 . 27
ées de mon Tancréde ! ... Achéve , mon
amie ; ne crains pas d'épuifer fon éloge ,
le fujet eft intariffable , & ne me laffera
jamais... Non , chère Laure , non la femme
ne fçauroit goûter de joie plus pure ,
ne peut être plus délicieufement flattée....
( car c'eft un fentiment bien au- deffus de
l'amour - propre même ! ) qu'en voyant
louer dignement l'objet de fa tendreſſe.
LAURE.
J'entends du bruit ... C'eft votre Père.
SCENE I I.
SIFFREDI . SIGISMONDE. LAURE .
SIFFREDI , à un Domestique.
VOUS ous avez donc enfin trouvé Tani
créde ?
LE DOMESTIQUE.
Seigneur , il va paroître. J'ai fait la
plus grande diligence , pour vous apprendre
avec quel empreffement il fe rend à
vos ordres.
SIFFREDI , en le congédiant.
Allez ... Et vous auffi , ma fille , laiffezmoi.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE
SIGISMONDE.
Je pars , Seigneur.... Mais que dit-on
du Roi ?
SIFFREDI
Ce Monarque n'eft plus... Il eft parti
pour ce redoutable féjour où les Rois
n'ont d'autre Couronne , que celle de
leurs vertus.
SIGISMONDE .
Que la fienne eft brillante ! .... Ce
coup étoit inattendu , Seigneur. Lorſque
Tancrede eft parti pour la chaffe ; ce
matin même on ne craignoit pas
pour le Roi.
,
SIFFREDI.
Il eft vrai , ma fille ! ... Mais la mort ,
à fon âge , n'accorde pas de longs délais :
la Nature affoiblie , s'affaiffe , & tombe à
la moindre fecouffe. La mort pour lui
ma fille , n'étoit que comme l'heureux
période auquel peu de Morrels atteignent
: tous fes devoirs étoient remplis ;
il jouiffoit des voeux de fes fujets : il eſt
mort , fans douleur ... Ah ! puiffé -je finir
ainfi ... Le dernier de fes voeux , le feul
qu'il n'a pas vû remplir , étoit de voir ,
& d'embraffer Tancréde.
4
JANVIER. 19618 ) 29
SIGISMONDE.
Tancréde ! ... Ah , pardonnez , Seigneur...
fi jofe ....
SIFFREDI.
Vous pardonner ! Eh quoi , ma fille X ..
Quel trouble vous faifit , au feul nom de
Tancréde ... De quoi donc s'agit- il a :
SIGISMONDE.
De rien , Seigneur ..... Je prétendois
uniquement fçavoir , fi notre Monarque
expirant n'avoit pas dédaigné de pourvoir
à la fortune de l'illuftre Orphelin .... Dont
il fçavoit , fans doute , dès longtemps ....
que vous étiez chargé .
SIFFREDI.
Il s'en eft fouvenu , ma fille .... Laif
fez - moi maintenant . Il faut que je
parle à Tancréde.
.....
SCENE III.
SIFFREDI , feul.
AH mes foupçons ne font que trop
fondés .... Et fi mes yeux , quoique affoiblis
par l'âge , fçavent encore diftinguer
les vrais fymptômes de l'amour ,
B iij
go MERCURE DE FRANCE.
ane tendreffe mutuelle anime également
& ma fille & le Prince , qui devient aujourd'hui
mon Roi .... Ciel ! s'il en eft
ainfi , quefle tempête fe prépare ! Que
d'obftacles à des projets depuis fi longtemps
concertés pour affermir la paix
dans ce Royaume .... Envain le teftament
du Roi fut- il dicté pour en être la
bafe l'amour détruira tout ..... Mais
quelle idée flatteufe me faifit ? .... Fuyez,
indigne efpoir ! vous ne me tenterez jamais.
L'ambition , ni l'intérêt ne font pas
faits pour ébranler mes réfolutions ...
Périffe l'âme vile qui préfére fon bien-être
à celui d'un million d'hommes ! .... Il
vient .... mon Roi .... fans fe douter de
ce qu'il doit à la fortune.
SCENE I V.
SIFFREDI. TANCREDE
TANCREDE.
SEIGNEUR , je lis dans vos regards la
certitude d'un événement , dont la douleur
publique ne m'a déjà que trop inf
truit... Nous l'avons donc enfin perdu ce
refpectable Monarque ?
JANVIER . 1761 . zr
SIFFREDI.
Oui.... nous perdons un Pere.... nous
perdons ce que le Ciel accorde fi rarement
aux humains.... un bon , un digne
Roi'... écoutez-moi maintenant ,Tancréde :
apprenez , en peu de mots , comment ce
Prince a mérité ce titre , moins glorieux
que refpectable , & cher à la Patrie . Il ai
moit fes fajets ; il élevoit les bons , abaiffoit
, puniffoit les méchans. Ennemi juré
des flateurs , il rejettoit avec mépris tous
ces avis fecrets, tous ces confeils qui ne font
bons que pour ceux qui les donnent ; tous
ces projets formés pour avilir le Souverain
, fous prétexte d'ajoûter à fa grandeur.
Il déteftoit le délateur adroit , & ces
rapports obfcurs dont la calomnieufe envie
cherche toujours à flétrir la vertu, & ne fe
croyoit maître que pour faire le bien . Il
étoit convaincu qu'un Peuple , dont les
droits font refpectés , & l'induftrie encou-
Lagée ; qui vit en fûreté fous le bouclier
facré des Loix ; dont le génie , les arts , &
les travaux font accueillis & récompenfés
par le Prince ; il étoit convaincu , dísje
, que des Sujets , heureux comme il l'étoit
lui- même, ne peuvent devenir ingrats;
que leur main libérale fuffifoit à tous fes
befoins ; que leur amour ( en ce cas, filial )
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
& leur confiance dans la Probité du Monarque
, étoient pour lui le plus fûr des
tréfors ; & que dans chaque Citoyen , il
ávoit une garde fidelle.
TANCREDE.
J'ai traversé la Ville , & n'ai rencontré
fur mes pas que l'image de la trifteffe . J'ai
vû le Peuple , en divers endroits taffemblé
, frappé d'une douleur muette , expri
mer par fes larmes ( Ciel ! quel panégyrique
pour un Roi ! ) la perte immenfe qu'il
a faite. Ceux chez qui le fouvenir de leurs
malheurs & de nos difcordes civiles eft
encore préfent , qui par l'expérience inftruits
, laiffent à la jeuneffe à fe repaître
des vaines illufions de l'efpérance ; ces
Sages Citoyens enfin ,portant leurs regards
vers les Cieux , femblent en foupirant:
mal augurer de l'avenir. D'autres , à travers
ce fentiment réel , ou affecté, laiffent
entrevoir un rayon d'efpoir fur ce que le
hafard, ou le changement de Maître, pourra
produire en leur faveur. Un murmure
confus fe fait entendre dans les places publiques
; l'avide courtifan enfin déferte le
Palais d'un bienfaiteur qui lui devient inutile
, & vole avec empreffement vers la
Princeffe Conftance.
JANVIER. 1761 . 33
SIFFREDI.
Jeune & noble Tancréde ! j'entends avec
tranfports la jufteffe de tes réflexions ,
dignes d'un âge plus avancé. Mais file
Courtiſan ſe rend en foule au Palais de
Conftance... il pourroit bien fe voir trompé
dans fon attente.
TANCREDE.
Comment , Seigneur ! .... N'eft- elle pas
la foeur de notre dernier Roi ? l'Héritière
du Trône de Sicile le dernier rejetton
de l'illuftre race Normande? en un mot ,
notre Souveraine ?
SIFFREDI..
Elle eft la foeur de notre dernier Roi ,
fans doute , refte de la poftérité du fier
Guillaume le Mauvais ; de ce Tyran , qui
mérita trop ce furnom ; qui fit couler fi
lâchement le fang le plus illuftre ; qui fi
longtems opprima la Sicile , & finit par
la dévafter funefte Auteur enfin de mille
factions fanglantes qui la déchireroient
encore, fi le Souverain que nous pleurons
aujourd'hui , fi Guillaume le Bon , en
fuccédant au Trône de fon Père , n'eût
pas mis fin aux maux de fa patrie. Quant
à Conftance , mon enfant , elle eft en effet
foeur de notre dernier Roi.... Mais
non pas fa plus prochaine héritière.
By
34 MERCURE DE FRANCE
TANCREDE.
Vous m'étonnez , Seigneur ! .... Puisje
, en ce cas , vous demander à qui le
Trône eft dû?
SIFFREDI
Approchez-vous , jeune & noble Tan
créde ! .... Venez , fils de mes foins ! ...
Je dois , dans ce moment , fonder la générofité
de votre coeur .... Sachez que
'Palerme tient dans fon fein le dernier rejetton
de ce Héros jadis fi fameux dans
l'Europe , l'héritier légitime de Roger
premier !
TANCRED E.
Ciel ! ... De Roger premier ?
SIFFREDI.
Oui , mon enfant , fon petit- fils , né de
l'aîné des fils de ce grand homme , & qui
mourut avant fon Père .
TANCREDE.
Quoi ! du Prince Manfred ? de ce Heros
, plus généreux encore qu'infortuné :
celui que le Tyran Guillaume , après l'avoir
privé de fa couronne , a lâchement
affaffiné ?
SIFFREDI
Lui-même.
JANVIER. 1761 . 35
!
TANCREDE.
J'en rends graces au Ciel ! .... Je fuis
charmé de retrouver la race de nos héros
Normans ! Puiffé- je encore les voir briller
dans l'Univers , à travers l'obfcure barbarie
de ce fiécle méprifable ! .... Mais , ou
ce Prince a- t- il été caché jufqu'à ce jour ?
SIFFREDI.
Le Roi que nous venons de perdre ,
touché d'une noble pitié , a entrepris de
le fauver des fureurs du Tyran . Il l'a fait
élever en fecret , conformément à ce qu'exigeoit
fa naiffance , & les efpérances
qu'il avoit conçues de lui. Mais ce Monarque
eft mort trop tôt pour qu'il ait
été permis de lui apprendre & fon nom
& fon fort. C'eft à moi feul , c'eft à ma
qualité de Chancelier de ce Royaume
que Guillaume le Bon vient de confier
fon teftament , par où le jeune Prince eft
déclaré fon fucceffeur.
TANCREDE
Heureux jeune homme ! Tu vas donc
enfin triompher des ennemis de ton Père,
de l'orgueilleux Ofmond , & de la fille
du Tyran ?:
SIFFREDI.
C'estjustement ce que je crains...Celt
B.vj
36 MERCURE DE FRANCE.
ce courage impétueux ; c'eft certe ardeur
de la jeuneffe , qui me fait trembler pour
l'Etat... Si le Tyran n'eft plus , fa faction
fubfifte encore : elle eft redoutable &
nombreuſe elle protégera fa fille . Le
Comte Ofmond , le Connétable de Sici
le , y fut toujours fermement attaché . Et
cet Ofmond joint à la nobleffe du fang ,
l'expérience , la valeur , & le plus grand
crédit... Ne vaudroit- il pas mieux qu'un
heureux hyménée entre le Prince &
Confiance , réunît à la fois & leurs amis
& les différens intérêts qui les divifent?....
C'eft fans doute le feul moyen de rame
ner la paix dans ces climats , & de l'af
feoir fur des fondemens durables.
TANCRED E.
Seigneur....fi l'on peut juger d'un autre
par foi-même , j'ai peine à croire que
ce projet puiffe être adopté par le Prince...
votre âge , votre prudence , le lui confeilleront
envain , fi fon coeur y répugne.....
Car enfin , qu'a -t- il donc à craindre ? fon
droit peut- il être plus clair ? n'eft- il pas für
de votre appui ? de l'affiftance de tous les
gens de bien ? .... le fils du trop infortuné ,
du
trop aimé Manfred , n'est - il pas fûr de
voir tous les Siciliens fe foulever en fa faveur
, & le ranger en un inftant fous fes
JANVIER. 1761. 37
drapeaux ?... Pour moi, Seigneur,je me dévoue
à fon fervice; toutmon fang eft à lui;
& c'est avec tranfport que je m'expofe à le
répandre pour maintenir fes droits , & le
vanger... Pardonnez à ma vivacité ! ... Mais
hâtez-vous de trouver ce Prince : le tems
eft précieux .... hâtez -vous de réveiller dans
fon ame Royale le fentiment de ce qu'il
eft, de tout ce qu'il doit être.... Peut- être ,
hélas ! que retiré dans quelque endroit
obfcur , il gémit fur fon fort , il eſt forcé
d'étouffer dans fon coeur les fentimens &
les vertus qu'il tient du noble Auteur de
fa naiſſance.
SIFFREDI.
Hélas ! Peut -être que penfant ( comme
on penſe communément à fon âge ) l'amour
& la frivolité l'occupent tout entier...
Mais fi le germe des vertus eft dans
fon coeur , j'efpére y faire éclore un autre
amour ; un amour fait pour rendre
heureux celui qui le reffent , & faire le
bonheur d'un peuple entier.
TANCREDE.
Ah Seigneur , quel foupçon ? ... Si ce
Prince aime , c'eft avec nobleffe , fans
doute ce fentiment fuffit pour élever
fon âme , & faire éclater fes vertus. .. ..
38 MERCURE DE FRANCE.
la
Permettez- moi de parler en faveur de la
jeuneffe... Ce qu'elle a d'eftimable , eſt
fouvent obfcurci par le tourbillon des
plaifirs qui la féduifent ; & c'est alors ,
qu'elle femble s'oublier elle-même.... ,
Mais dès qu'un événement , fait pour
réveiller , l'arrache à cette yvreffe : cette
ardeur même change bientôt d'objet ,
ajoûte la vigueur de quiconque en eſt
enflâmé , & par un changement heureux
, furprend , étonne , ramène à lui
les fuffrages de l'Univers ... Oui , je le
crois ainfi , Seigneur ! & je ne fçais par
quelle fympathie je jouis déjà de la gloire
dont va jouir ce Prince , lorfque revêtu
du pouvoir , feul objet d'un grand
coeur celui d'être bienfaiſant ( le feul
attrait digne de faire envier aux humains
les attributs de la Divinité ! ) quand je
erois le voir , dis-je , 's'applaudir du bonheur
d'être né pour ajoûter à la félicité
de fes femblables !
SIFFREDI.
Ah , cher Tancréde ! ah , que dans le
lointain , que dans la fpéculation , le
chemin de la gloire eft féduifant ! L'imagination
de la jeuneffe , le voit toujours
femé de fleurs ..... Mais , lorfqu'il faut
le parcourir ; lorfque nos paffions les plus
JANVIER. 1761. 39
>
chéries , la volupté , l'ambition & l'amour-
propre , fément , répandent fur nos
pas leur magique pouffière : hélas , que
cette perfpective s'obfcurcit ! que l'oeil
trompé la voit alors dans un jour différent
! .... Que de paffages difficiles fe
préfentent ! Que de montagnes efcarpées
s'élevent ! Que de torrents , dont il
faut détourner le cours ! .... De là , tous
nos travaux ; de là , cette férmeté néceſfaire
, ces combats toujours renaiffans
contre nous - mêmes contre nos fens
groffiers : combats , fouvent perdus , &
tous les jours renouvellés. De là , cette
généreufe pitié que l'on fent pour autrui
; de là , cette épreuve plus difficile
& plus pénible encore : notre félicité facrifiée
à l'intérêt des autres ; tous les facrifices
enfin faits pour éffrayer l'âme la
plus ferme , pour la diftraire , pour la
rebuter par degrés , lui faire enfin manquer
le but où tendoient fes defirs ....
Peu , mon enfant , fortent vainqueurs de
cette lutte ! Très peu franchiffent ces
obftacles , s'élèvent affez haut pour ref
pirer cet air plus pur , cet air céleste , qui
fans être jamais troublé , permet à l'oeil
tranquille d'apprécier les paffions , les
vices , & les foibleffes de l'humanité,
40 MERCURE DE FRANCE.
TANCREDE.
Je ne le fens que trop ! ... Mais d'ou
naît votre crainte ! Vous défieriez- vous
de ce Prince .... Je ne le connois point....
Mon coeur , pourtant , feroit garant du
fien la circonftance eft fi brillante ; le
vent céleste qui le pouffe à la gloire , eft
fi puiffant , & fi favorable pour lui , que
Pâme la plus infenfible fe fentiroit échauffée
du fentiment divin de la vertu,
SIFFREDI , avec transport.
Ombres de fes Ayeux ! Manes des Héros
de fa race , écoutez ce généreux
Prince ! .... Ah ! Seigneur , daignez me
pardonner cette épreuve de votre coeur...
Ceft vous ! c'eſt vous .... qui l'êtes !
TANCREDE.
Quoi , Siffrédi!
SIFFRED I.
Tancréde..... Oui , vous - même ! vous
que le Ciel a confervé pour faire le bonheur
d'un peuple entier ..... Vous , qui
ferez fon digne maître !
TANCREDE.
Qui moi , fils de Manfred ? moi le der
nier de ce fang glorieux qu'a fi longtems
admiré l'univers ?... moi ! qui ce matin
JANVIER. 1767.. 41
encore, n'étois qu'un orphelin abandonné
de fes parens, recueilli par vous feul .... par
vous , mon cher & fecond Pere ! ... C'eft
moi , que votre voix appelle à la gloire ?
au dernier grade où l'humanité puiffe
atteindre .... Accordez - moi , Divinité
qui m'entendez , accordez- moi les vertus
néceffaires pour foutenir le poids d'un
nom que tant de Héros ont porté ! ....
Je dois beaucoup au Roi , fans doute :
mais , Siffredi ! que ne vous dois - je
point .... Non ; oh , non ! je ne vous
exprimerai jamais, felon mes voeux , l'excès
de ma reconnoiffance ... , . Oui ! * vous le
fûres ; qui , vous l'êtes ; oui , vous ferez
toujours mon Pere ! Vous feul, éclairerez ;
vous feul, dirigerez ma jeuneffe : vous ſeul,
ferez la tête d'un Etat , dont je ferai le bras.
SIFFREDI
Ah ! c'eft affez pour moi , de voir mon
Souverain régner avec honneur.
TANCREDE.
Vous m'avez dit , je crois , que le feu
Roi vous a remis fon teftament ? j'ofe efpérer
qu'il ne renferme aucune de ces
conditions baffes , de ces claufes tyranni-
* Yes , thou haft been, thou art, and shal be my
father !
42 MERCURE DE FRANCE:
*
ques capables de faire violence à mon
coeur en faveur de Conftance? ... Il vous eſt
tantôt échappé , fur ce fujet , certain mot
qui m'allarme ? .... Ce coeur , qu'on prétendoit
gêner , eft poffédé tout entier par
un autre ....C'eft fur ce point uniquement
, cher Siffrédi , que je veux être
maître vous - même envain prétendriez
m'opppofer quelque obftacle .... Hâtonsnous
donc , Seigneur que le Confeil
s'affemble , dans l'inftant ; que le teſtament
y foit ouvert ; & que les ordres
foient donnés pour la convocation des
Etats , avant midi ..... Que les Barons ,
qui font actuellement à Palerme , y viennent
rendre hommage à leur nouveau
Souverain , qui reclame , & fçaura faire
refpecter fes droits : droits légitimes ,
droits facrés qu'il tient de fa naiſſance ,
indépendans enfin de tous les teftamens ,
& des vaines formalités dont on voudroit
en limiter l'ufage.
SIFFRED I.
J'y cours , Seigneur .... Mais qu'il me
foit permis de vous repréfenter encore....
que cet inftant , que ce premier & précieux
inftant , va décider de ce qu'on doit
attendre de votre regne ! ..... Veillez
Seigneur veillez fur votre coeur ! fongez
JANVIER. 1761.
que le devoir des Rois , eft d'immoler au
bien de leurs Sujets les paffions vulgaires
..... & même les vertus de l'homme
privé.
TANCREDE.
: Ne craignez rien , Seigneur , ... Je
fens que ces vertus , loin d'être étrangères
au Trône , ajoûtent encore à celles
du Souverain , & les font chérir davantage
.... La fageffe unie à la bonté , n'a
jamais produit de mauvais Rois.
C
SCENE V.
TANCREDE , ſeul .
'EST à moi , maintenant , charmante &
généreufe Sigifmonde ! C'est à Tancréde à
te prouver toute la vérité de fon amour ...
J'ofois à peine lever les yeux jufqu'à toi...
Quel plaifir d'avoir à t'apprendre , que
ton amant n'eft plus indigne de ta main !...
Mais , que peut ajoûter la fortune , aux
defirs d'un coeur fincérement épris ? Son
amour feul fuffit pour le remplir ; & les
tréfors des plus grands Rois font indifférens
à fes yeux... Hâtons- nous de la chercher
; hâtons - nous de goûter le plus fųż
44 MERCURE DE FRANCE.
blime des plaifirs que notre coeur puiffe
connoître le fentiment de la reconnoiffance
, joint à ceux qu'inſpire l'Amour...
J'entends du bruit ? .... Ah Ciel ! C'eft
elle- même....
SCENE V I.
TANCREDE. SIGISMONDE.
M
TANCREDE.
ON âme , avec tranfport , voloit vers
toi , ma chère Sigifmonde ! ...
SIGISMONDE.
Ah , cher Tancréde ! ... hâte- toi de
m'apprendre d'où naiffent ces dehors myftérieux
& concertés que j'apperçois dans
tout ce qui m'entoure ? ... Mon Père , à
l'inftant même , l'oeil fombre , l'air rêveur,
femble avoir évité ma rencontre ... Mais ,
vous même femblez ému ! ... Eh quoi ,
la mort du Roi vous touche- t- elle affez
pour altérer cette félicité fi pure , dont
nous avons jufqu'à préfent joui dans la
retraite de Belmont ? ... Parlez , parlez
de grace... Que dois-je craindre ou
que dois-je efpérer ?
JANVIER 1761; 45
TANCREDE.
Le bonheur le plus grand..... le plus
digne de Sigifmonde.
SIGISMONDE.
Hâtez- vous donc de me l'apprendre !
TANCREDE.
G
Digne objet de mes voeux ! ... Tout ce
myſtére annonce qu'un Trône vous attend
; & que je fuis le plus fortuné des
hommes plus que Monarque enfin ; puifque
c'est avec vous que je vais partager ce
rang fuprême..... Ce Manfred, fi renommé
; cette victime d'un Tyran ; ce brave
defcendant du fameux Roger.... Manfred,
étoit mon Pere..... ( après un moment de
filence ) Vous pâliffez , ma chère Sigif
monde ? Eh quoi , je vois couler vos larmes
? ... Ah! fouffrez que ma bouche les
effuye....
peut
SIGISMONDE.
O Tancréde! ... qui plus que moi ,
fe féliciter de votre fortune ?... je fuis
pourtant la feule ..., oui , la feule en ces
lieux , qu'elle peut rendre malheureuſe !
TANCREDE,
Ah dans ce cas , je la détefterois ; je la
tejetterois avec mépris..... Non ! mon
plus cher efpoir eft de la partager avec
Y
26 MERCURE DE FRANCE.
vous ..... C'est par là feulement , qu'elle eft
précieuſe à mes yeux.
SIGISMONDE.
Vous êtes , maintenant , mon Souvetain
!....
TANCREDE
Et vous la Souveraine de mon âme !...
Je vois plus que jamais en vous cette adorable
& tendre Sigifmonde ! Cette âme
noble & généreufe qui , dans l'état humiliant
où m'avoit réduit la fortune , n'a pas,
dédaigné ma tendreffe .... Eh quoi, croyezvous
feule avoir des droits fur la bonté
du coeur fur les fentimens magnanimes
?... Croirois- tu ton amant formé d'un ,
limon affez vil , pour que dans l'inftant
même , dans ce moment fuprême , fi propre
à féconder le germe de toutes les
vertus ; Ciel , me croirois- tu , dis- je ,
aſſez lâche , aſſez traître , affez dépourvu
'd'équité ,, pour préférer le vain encens
des Cours , la pompe & le clinquant de
la grandeur , à la naïve vérité , à l'amitié
tendre & fincère , à l'amour le plus
pur , feule ame de la vie ? ... Non ! Sigifmonde
, eft tout pour moi.... Et tu me
verrois plaindre , tu me verrois t'accufer
d'injuftice , fi l'outrage que tu me fais ne
naiffoit pas de l'amour même,
JANVIER. 1761 . 47
SIGISMONDE.
...
Ne croyez pas , Seigneur , que je m'abaiffe
à ces foupçons vulgaires : votre
coeur m'eſt connu . Je le croirai
toujours le même. Mais les Rois font-ils
maîtres de leur main? L'impérieux devoir,
qui les affujettit au bien de leurs Etats ,
qui leur fait époufer les intérêts de leurs
Sujets , femble leur inter dire les vertus
vulgaires Une Princeffe utile à l'affermiffement
de votre Trône .... Conftance
elle-même , peut- être ....
TANCREDE..
Ah ! gardez- vous de la nommer ..::
Dût mon coeur être libre ; dût il ne pas
brûler pour vous ; je n'entendrois fon nom
qu'avec horreur. Son lâche Père a maf
facré le mien ..... Que dis - je ? hélas !
héritiere de fon orgueil , elle ofe encore
prétendre au Trône ! ... Et vous pourriez
me foupçonner ? .... Infultante penſée ! ...
L'ufage , je le fçai , refpectable tyran des
hommes , eut toujours droit de dominer
fur les âmes ferviles. L'orgueil des Rois
s'en affranchit... Quoi ! parce qu'ils font
Rois , parce que le Ciel les a choifis pour
défendre les droits , pour protéger la liberté
des autres ; ils renonceroient à la
leur : Ils fe rendroient plus malheureux
8 MERCURE DE FRANCE.
que leurs Sujets? Non ; mon coeur eft né
libre il n'entendra que la voix de l'honneur
; il ne reconnoîtra , ne portera de
chaînes , que celles de l'Amour & de fa
chère Sigifmonde.
SIGISMONDE.
Prince n'élevez pas mes eſpérances
au- delà de mon devoir.... Seigneur , épar-
• gnez- moi ! ... Bois fortunés , où notre
flâme mutuelle fuffifoit à notre bonheur !...
L'ambition nous étoit inconnue ! .... Vous
voudrez l'étouffer en vain , mon cher
Tancréde la Cour & votre rang , fçauront
vous en faire un devoir.... J'en
crois à mes préffentimens fecrets ....Rien
ne fçauroit diffiper cette crainte.
TANCREDE.
Entends- moi donc , feule âme de ma
vie ! ... Soyez témoins , ô Cieux , fources
primitives & de l'Amour , & du bonheur
des hommes , foyez garants de mes
fermens ! ... Oui , je jure à tes pieds , que
l'Univers conjuré contre moi , que l'intérêt
, l'ambition , l'orgueil du Trône
Siffrédi même enfin , n'ébranleront jamais
ma foi! ... ne me détacheront jamais de
Sigifmonde!
On
JANVIER. 1761 . 49
On entend le fon des Trompettes , &
les acclamations du Peuple .
Mais , écoutez ? ... Ceci m'appelle à
mes devoirs ; & je vais les remplir....
Vous en ferez la récompenfe ! ... Avant
de nous quitter , je dois pourtant mieux
prévenir vos craintes ....
Il écrit fon nom , fur une feuille de papier.
Recevez ce papier .... Donnez - le à
votre Père. Ordonnez-lui , de la part de
fon Roi , qu'il foit dès aujourd'hui rempli
du contrât le plus autentique , entre
fa fille & moi.... Enfin je goûte.mon
bonheur ! ... Rien déformais ne peut me féparer
de ma fidelle & tendre Sigifmonde .
Fin du premier Acte.
BOUQUET
Préfenté à Madame DE LA POUPLINIERE
, par Mile CATINON.
DANS ces bofquets , où des Zéphirs
Regne toujours la douce haleine ,
Où l'Amour , pour prix d'une peine ,
Nous difpenfe mille plaiſirs ;
I. Vol. C
So MERCURE DE FRANCE.
Dans ces jar dins chéris de Flore ,
Où le chant des tendres oifeaux
Sans celle prévenant l'Aurore ,
Annonce les jours les plus beaux ,
Où les jafmins , avec les roles ,
Unis aux myrthes toujours verds ,
Forment de leurs beautés éclofes
Ces noeuds qui chaṛṇent l'Univers ;
J'allois , conduite par mon zéle
Moiffonner les naiffantes fleurs ;
Et pour votre fête nouvelle ,
Affortir leurs vives couleurs.
Déjà de ce riant afyle ,
Craignant le piége des Amours ,
Le coeur plus ardent que tranquille ,
Je parcourois tous les détours;
Ces heureux enfans du myſtère,
Sans carquois & fans javelors ,
Goûtoient alors un doux repos ,
Et du nom de la Poupliniere ,
Faifoient retentir les échos.
Le Roi de cet aimable Empire,
Lui-même animoit les tranfports ;
Mais du Dien des brillans accords
Il avoit dérobé la lyre.
A fes chants ils fe taiſent tous
Et m'approchant fans défiance :
J'écoute & j'admire , en filence ,
Ges vers qu'il leur dictoit pour vous
JANVIER. 1761 . St
Pourquoi vous empreſſer à naître ?,
Quel est votre orgueilleux deffein ?
» Pour régner für un fi beau ſein,
»Tendres fleurs , cherchez- vous à craitre
» Auprès d'un objet fi charmant ,
» Comment oferiez - vous paraître?
» Quandje vous l'aurai fait connaître,
» Vous aurez moins d'empreſſement.
» Devotre plus riche parure
» L'animai l'éclat de fon tein ,
n
·
Et fa beauté tient de ma main
Tous les tréſors de la Nature.
» De fon coeur tendre & généreur ,
» L'ornement eſt la modeſtie ;
>> Et de leurs dons les plus heureux ,
» Les arts formerent fon génie.
» On la reſpecte en l'adorant
» Ses vertus la rendent plus belle ;
» Avec un air plus conquérant ,
» Jamais on ne fut plus fidelle.
Ainfi l'Amour avoit chanté ,
Vos talens & votre beauté.
Tandis que la troupe ravie
Applaudit au chantre divin ;
De fes aîles m'étant ſaiſie ,
Je m'échappe & vole foudain
Pour vous apporter fon hommage.
Mais qu'ai- je fait en ce moment ?
Ce Dieu laiffe-t- il l'avantage
Oij
32 MERCURE DE FRANCE.
De le jouer
impunément ? Blond
Je pers le fruit de mon voyage.
な
Vainement , pour le prévenir
Mon adreffe ofa le trahir.
Si j'ai fui d'une aîle légére ,
mieux:
Je vois qu'il courut
encore
J'ai cru le laiffer à Cythère ;
Je le retrouve dans vos yeux
2013
BOUQUET
013 25. 7
**
A #
«
«
Préfenté à Mile CATINON, par une de
exfesaAmiessungene å se
medala l
NAISSEZ , AISSEZ , jaſmins , & de vos fleurs éclofes
Formez des noeuds entrelacés de rofes ;
Pour couronner l'objet le plus charmant ,
Accordez-vous à mon empreſſement.
C'est l'amitié qui vous invite à craître ;
Au tendre Amour vous obéiriez mieux :
Mais , quelqu'ardent qu'il paraiffé à nos yeux ,
A mes tranfports il céderoit peut- être .
Non que ce Dieu , par - tout victorieux ,
Chérille moins la Beauté que je fête ;
Pour elle épris d'un zéle ambitieux ,
Je vois déja les myrthes qu'il apprête.
Il vous doit trop , divine Carinon ,
Pour oublier un foin fi légitime.
Combien d'Amans fçauroient lui faire un crime
De négliger l'honneur d'an fi beau nom !
JANVIER. 176 . 53
De jour en jour vos talens , qu'on admire ,
Sur tous les coeurs augmentent fon empire.
D'un pas léger , rivale des Zéphirs ,
Quand on vous voit voltiger fur la Scène,
En excitant leur amoureufe haleine ,
Dans vos regards la flâme des plaifirs
Echauffe , anime , irrite les defirs ;
Et lorsqu'aux jeux de l'aimable Thalie,
Servant d'organe au tendre fentiment,
Au ton décent , à la noble faillie
Vous uniffez la grace & l'enjoûmenty AM
Ah ! la douceur de votre voix touchante ,
Trouveroit-elle une âme indifférente !
De votre coeur l'heureufe émotion
Des plus difcrers flatte la paffion ;
Et de vos traits l'amorce trop puiffante,
Triomphe encore après l'illufion .
Quels voeux pour vous me reftent-ils à faire,
Lorſqu'à l'envi tout s'empreſſe à vous plaire ?
Souffrez du moins que l'Amour aujourd'hui
Laille parler l'amitié comme lui.
OL
Ce fentiment , que la raifon préfére ,
Aux yeux du Sage eft le plus grand des biens.
Faffent les Dieux que chaque inftant refferre
Notre union par de nouveaux liens !
Peut -on douter qu'une fidelle samie
Ne foit d'un prix auſſi cher qu'an Amano ?
Libre avec vous de foin , dejaloufie ,
N'en fais-je pas l'épreuve en vous aimiante
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
A vous fêter , dans cet heureux moment ,
Mon coeur ravi goûte une joie extrême.
Parer de fleurs tant de charmes fi doux
Vaut de l'Amour le triomphe fuprême ;
Et le plaifir de les cueillir pour vous ,
Sçait en former un bouquet pour moi- même.
Ces deux Bouquetsfont de M. BRUNET.
ه ي ف
LA CORNÉ D'AMALTHEE ,
CONTE , traduit du Grec.
DEPUIS
1 .
EPUIS dix ans Eumene formoit des
voeux , & n'en étoit que plus à plaindre.
Il defiroit tout ce qu'il n'avoit pas , &
jouiffoit mal de ce qu'il avoit . Il fe croyoit
pauvre , & eût pu fe croire riche , s'il
n'eût pas voulu l'être encore davantage.
Fatigué de fes cris , Jupiter ordonne à
Mercure de lui porter la corne d'Amalthée
. Voici les conditions que TeMaître
des Dieux mit à cette faveur : Eumene
pourra tout obtenir mais il ne ferd exaucé
que dix fois. C'eft a lui à ne defirer
que ce qui peut le rendre heureux. Mercure
obéit : il defcend chez Eumene avec
toute l'arrogance d'un Valer qu'un Protecteur
dépêche vers fon Protégé. Mortel
1
JANVIER. 1761 . 55
indifcret , lui dit - il , quand cefferas- tu
d'importuner les Dieux ? Reçois ce gage
de leurs bienfaits , & fois content fi tu
peux l'être . Il lui détailla l'ufage qu'il
devoit & pouvoit faire de ce préfent. Eumene
voulut fe profterner , & déjà Mercure
avoit difparu.
3
né
› pour
ne
İl y avoit trop longtems qu'Eumene
s'ennuyoit de la médiocrité
pas vouloir tout - à- coup être grand. Il fit
plus , il voulut être Roi. Ses concitoyens
étoient occupés à s'en choifir un. Eumene,
qui dans cette affemblée n'avoit que fa
voix , les réunit toutes & fut élu . La nature
avoir beaucoup fait pour lui . Il étoit
d'une taille avantageufe , d'une figure
agréable & d'un efprit pénétrant . Il avoit
été fimple Particulier & s'étoit laffé de
P'être . Rien n'empêchoit qu'il ne pût devenir
un grand Roi. Les différens Ordres
de l'Etat vinrent le haranguer : c'étoit
dès-lors un des défagrémens attachés à
la Royauté. Il fupporta la prolixité des
uns , la pefanteur des autres ; il rougit
des éloges outrés qu'on lui prodiguoit
& fentit qu'ils devenoient pour lui autant
de leçons. La Faculté de Médecine
joignità fa harangue un confeil qui
n'avoit rien de rebutant pour le nouveau
Monarque ce fut d'époufer une ou plus
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
fieurs femmes jeunes & belles : ce qui·
feroit de plus un bien pour l'Etat.
On applaudit beaucoup à cette falubre
ordonnance , & Eumene prit le parti de
s'y conformer. C'étoit non à la plus noble
, mais à la plus belle de fes Sujettes.
qu'il vouloit donner la préférence . On
vit donc des Beautés de toute condition
groffir le concours , & la Grifette faire.
pâlir fa rivale titrée. Deux de ces concurrentes
partagérent les voeux d'Eumene ;
aucune ne put les fixer. Toutes deux
étoient égales en beauté ; mais l'une étoit
brune, l'autre blonde ; l'une vive , l'autre
douce , l'une gaie , l'autre trifte . On ſe
plaifoit avec la premiere , on s'attendriffoit
avec la feconde : on eût voulu ne
quitter ni l'une ni l'autre . Une pareille
incertitude eût peu gêné un Monarque
Oriental ; mais elle embaraffoit Eumene.
Quoique fur le Trône & fûr de triompher
, il prétendoit borner fes conquêtes
en amour ; il vouloit faire un choix & s'y
fixer. Dès- lors il fongea à ce qui ne fe
préfente jamais d'abord : à étudier l'âme
de celles dont il admiroit l'extérieur. La
brune Zirphé employoit tout pour lui
plaire , la blonde Nais fembloit craindre
d'y réuffir. L'une flattoit , l'autre piquoit
fon amour - propre. Voilà donc Eumene
JANVIER 1761.
1
plus incertain que jamais. Dans cet inf
tant même un jeune homme perce la
foule , & vient le corps chancelant &
les yeux égarés , fe précipiter aux genoux
du Monarque. Il les embraffe & le fupplie
de ne point lui ravir l'ingrate, la pers
hide Zirphe. Seigneur , pourfuivit le jeune
Inconnu , vous voyez en moi la victime
que s'immole fon inconftance & fon
ambition . Elle parut m'aimer tant que
j'eus quelque rivale à lui facrifier , elle,
me fit des rivaux, de tous mes amis ; elle
vouloit des captifs de tout rang, des
hommages de tout prix ; elle m'eût vu
avec plaifir livrer autant de combats
qu'elle s'attiroit d'adorateurs ou d'enne-,
mis. Cette bleffure qui me déguife , je la
reçus pour vouloir venger fa beauté qu'on
attaquoit ; & cette bleffure eft aujour
d'hui le prétexte de fa légéreté. Elle
tourne en ridicule cette marque de mon
zéle , de mon courage , & furtout d'un
amour que rien ne rebute. Zirphé refta
quelques momens interdite. Il eft vrai
Sire , dit- elle enfin , qu'une balafre a
pour moi quelque chofe d'infupportable :
un homme balafré me révolte, m'effraye,
me donne des vapeurs . Ah , Sire ! ordonnez
qu'il s'éloigne , ou les vapeurs vont
me fuffoquer ! Belle Zirphé , lui dit E
C v
8 MERCURE DE FRANCE..
છે .
mene , une balafre a plus d'une fois défiguré
le vifage d'un héros ; & les Rois
n'en font pas toujours exempts. Je puis
revenir d'une victoire , ou d'une défaite
,, encore plus balafré que ne l'eft
Votre amant ; & à coup fûr les vapeurs
vous fuffoqueroient. Je dois done choifir
une compagne plus aguerrie. Pour vous ,
dit-il au jeune homme , acceptez un rang
diftingué dans mes troupes , & combattez
pour l'Etat , comme vous fires pour
votre maîtreffe ; il en fera plus reconnoiffant.
Cette offre fut reçue avec joie ;)
& Zirphé s'éloigna avec confufion .
Eumene , qui n'avoit plus d'incertitude,
s'approcha de Naïs , & la vit à fes pieds.
Ah ! lui dit-il , quittez cette humble attirude
, elle n'eft point faite pour Naïs :
Jevez - vous , & régnez. Naïs ne lui répondit
que par des larmes. Que vois-je ?
dit Eumene ; eft- ce mon rang , ou ma
perfonne , qui vous répugnent ? Ah ! Sire,
s'écria-t elle , vous auriez tout mon coeur,
s'il étoit encore à donner. Il n'eft plus
temps : j'aime & je fuis aimée. Il a fallu
recourir à la violence pour me conduire
ici. Hélas ! peut - être mon Amant croit- il '
ma démarche volontaire ; & l'idée feulé
du chagrin qu'elle lui caufe m'accable.
Eh! quel eft- il cet Amant demanda le Roi,
JANVIER. 1761 . 59
fort chagrin lui - même. C'eft , reprit vivement
Naïs , un exemple d'honneur ,
d'infortune & de fidélité . Il m'a facrifié
tous les avantages ; il a réfifté aux offres
& aux menaces d'une rivale opulente ,
qui l'aimoit , & qui le perfécute . Rien
n'a pû l'arracher à moi : rien ne pourra me
féparer de lui.
:
Comme elle achevoit ces mots , fon
Amant fe fit voir parmi la foule. Il s'avança
d'un air noble & trifte vers le Roi.
Ce ne fut point pour reclamer fa générofité
: lui - même exhorta généreufement
Naïs à jouir du rang que lui méritoient
fes charmes. Je n'ai , difoit - il , que de
l'amour à vous offrir, & peut-être ne vous
paroîtra- t- il pas toujours digne de l'avoir
emporté fur un Trône ; peut-être regretterez
- vous la tendrelle d'un grand Roi.
Ce doute parut redoubler l'affliction de
Nais . Enfin , Eumene prit un parti , & ce
fut le plus généreux . Aimez - vous , leur
dit-il , je ne veux plus troubler votre
amour ; je veux même réparer les injuf
tices de la fortune. Je vous fais , dit il
au jeune homme , Gouverneur d'une Province
éloignée de ma Cour ; je vous permets
d'époufer Naïs dès aujourd'hui , &
qui plus eft , de l'emmener avec vous. A
cet excès de défintéreſſement , tout le peu-
C vj
o MERCURE DE FRANCE.
ple jetta des cris de joie & d'admiration .
Eumene en reffentit un plaifir fecret qui
le dédommagea en partie du facrifice qu'il
venoit de faire. Cependant , le courage
lui manqua pour tenter de nouvelles recherches
; & pour cette fois , l'ordonnance
de la Faculté refta fans exécution .
Eumene voulut juger s'il étoit plus riche
fur le Trône que dans fa retraite . Il vifita
fes tréfors , qu'il trouva épuifés ; il examina
les dettes de l'Etat , & elles lui paru
rent immenfes. Un Chymifte lui propofa
de métamorphofer la feuille Papirius en
or , ou du moins de la faire paroître telle.
L'offre fut acceptée & réuffit . Alors chacun
voulut profiter du prodige. La mode s'en
mêla ; il ne fut plus permis d'avoir d'au
tres richeffes ; ou plutôt , on avoit tout
avec la feuille Papirius .
L'opulence éclatoit de toutes parts.
Tel qui auparavant conduifoit le char
d'autrui , fe faifoit conduire à fon tour.
On ne manquoit de rien avec le fecours
de ces heureuſes feuilles ; honneurs , dignités
, emplois , maîtreffe , réputation ,
vertu même , elles procuroient tout ;
elles avoient en tout le même crédit , le
même pouvoir que l'or.
Eumene qui avoit confenti au preftige ,
regretta de le voir porter trop loin. Il
JANVIER. 1761 .
vouloit fauver fon État & non le renverfer.
Il rendit la feuille à fa premiere deftination..
Que faire ? difoit - il , mes intentions
étoient pures , je n'ai voulu que l'avantage
de ceux qui me blâment : j'ai crû, part
un léger abus , pouvoir éviter un plus,
grand mal. J'ai pris les meilleurs précau
tions pour qu'il en résultât un grand bien.
Suis- je donc refponfable des événemens
Ce fut- là le premier chagrin qu'éffuya le
nouveau Monarque.
Ce n'eft pas tout. Il avoit multiplié les
récompenfes en faveur des défenfeurs de
l'Etat ; mais le nombre des afpirans furpaffoit
celui des bienfaits , & les prétentions
d'un feul euffent abforbé le lot de
plufieurs. Eumene affligea ceux à qui il
donnoit , prefque autant que ceux à qui
il ne donnoit pas. La même chofe , & pis
encore , lui arriva de la part des auteurs.
Les plus mauvais furent les plus actifs ,
les mieux récompenfés , les plus ardens à
fe plaindre : les bons gardérent la retraite
& le filence. Ils n'avoient rien demandé
; ils ne fe plaignoient point de n'avoir
pas été prévenus. Il eft donc vrai , difoit
Eumene, qu'avec les meilleures intentions
un Roi peut paroître injufte?
Il donnoit aux affaires à - peu- près tout
62 MERCURE DE FRANCE.
fon temps ; il en confacra feulement la
douzième partie à fuir les hommes . C'étoit
un de fes plus grands plaifirs , depuis
qu'il avoit une cour. Un autre , qu'il
fe permit encore , fut de s'introduire fous
l'extérieur d'un fimple Particulier dans
quelques affemblées publiques. Il fréquentoit
furtout , ces lieux où l'on s'affemble
fans fe connoître , où l'on difpute pour
interrompre , plutôt que pour s'inftruire ,
où l'on parle fans pouvoir être entendu
ni fans vouloir entendre . Un homme d'un
âge plus que mûr , & d'un efprit plus que
chagrin , fut d'abord l'objet de fa curiofité.
Il n'eut pas de peine à lier converfation
avec lui. Cer homme parloit beaucoup,
& d'autant plus volontiers qu'il parloit
toujours mal d'autrui , & bien de luimême
. Je fuis , difoit-il au Monarque
déguifé , je fuis un ancien Militaire ; je
commandois , il y a trente ans , un bataillon
de Milices qui malheureufement
ne
vit pas l'Ennemi . Ce fut le plus grand
hazard du monde , & ma réputation n'y
doit rien perdre. J'avois parié que le Général
qui commandoit notre Armée
feroit battu. J'étois , moi , deftiné à figurer
dans une Ville frontiére qui , fans
doute , auroit dû être affiégée. Admirez
le malheur qui me pourfuit ! Notre Géné
T
JANVIER. 1762 . 63
rál demeura victorieux en dépit de toutes
les régles. Je remarquai , du fond de ma
Garniſon plus de cent foixante & dix fautes
qui euffent dû le faire battre mais
eft- ce la mienne , pourſuivit- il , fi la fortune
feconde quelquefois la témérité ?
Qu'arriva- t-il ? Ce Général imprudent ,
à tous égards , hâta la Paix , & je fus réformé.
Mais ce que la postérité ne croira
pas , & ce que je répété toutefois , chaque
jour, depuis trente ans , c'eft que je le fus
fans récompenſe !... Il ajouta à ce diſcours
quelques autres phrafes dont Eumene fut
peu fatisfait. Elles l'obligérent à quitter
ce frondeur chagrin , pour s'entretenir
avec un autre perfonnage.
Il tira Eumene à quartier. Il lui fir
voir un projet qui auroit pû abîmer l'Afie
& l'Europe. Croiriez -vous , lui dit- il , que
depuis dix ans j'ai préfenté trente Mémoires
encore plus forts que celui - ci ? Je
ne me fuis occupé que des moyens d'enrichir
le Monarque ; & cependant , ô injuſtice
je me trouve moi - même ruiné
fans reffource.
Eh quoi ! difoit intérieurement Eumene
, tous ces êtres inutiles ou dangereux ,
ont- ils, en effet , des prétentions ? S'il en
eft ainfi , que de plaintes je prévois , &
qu'il feroit injufte de les fatisfaire !
64 MERCURE DE FRANCE.
Alors parut un homme, qui , pour un
fervice affez médiocre , venoit d'obtenir
une récompenfe honnête. Il reçut d'un
air chagrin les complimens qu'on lui fit
& joignit même bientôt fes plaintes à
celles des autres.
Eumene fortit indigné de ce qu'il venoit
de voir & d'entendre. Il vifita d'au
tres affemblées particulieres & publiques ;
mais il y vit , il y entendit à- peu- près les
mêmes chofes. Prèfque par- tout ceux qui
n'avoient rien reçu de lui , murmuroient,
& ceux qu'il avoit comblés de bienfaits ,
gardoient un froid filence. Eumene fentit
enfin , qu'il arrivoit encore plus fouvent,
aux Rois de faire des ingrats , que de
l'être eux-mêmes.
Sa couronne lui parut chaque jour de-,
venir plus pefante. Il compara fon fort à
celui d'un efclave enchaîné au haut d'un
rocher , & qui verroit d'autres esclaves
enchaînés fous fes pieds.
Il prit enfin le parti d'abdiquer , & le
fit déclarer au peuple . Quelle furpriſe
pour Eumene de le voir tout-à- coup généralement
confterné ! Ceux qu'il avoit
prévenus par des bienfaits , daignoient
alors s'en fouvenir ; & ceux à qui il n'avoit
fait aucun bien , regrettoient celui
qu'il eût pû leur faire.
A
JANVIER. 1761 .
65
>
Tant de marques d'affection le féduifirent.
Il garda le feeptre ; mais il vit bientôt
renaître la froideur & les murmures .
C'en eft fait , dit - il , je renonce au triſte
avantage d'être envié fans être heureux .
Le fecond rang m'offre , & plus de tranquilité
, & des honneurs fuffifans pour fatisfaire
l'ambition. O Jupiter , voilà le fecond
de mes fouhaits !
CHAPITRE II.
E UMENE VOulut pour fucceffeur un Fan
tôme de Souverain. Il jetta les yeux fur le
Courtifan qu'il avoit le moins apperçu à
fon lever. Chacun crut qu'il faifoit choix
d'un Sage. Mais Eumene fçavoit que cette
Philofophie apparente n'étoit qu'une indolence
réelle.
Le nouveau Roi choifit volontiers pour
fon Miniftre celui qui l'avoit fait fon maître.
Il ne devint ni plus actif , ni plus appliqué.
Il dormoit tard , mangeoit beaucoup
, parloit peu & réfléchiffoit encore
moins. Il ſe laiffa donner , fans prèfque y
faire attention , des conſeils , des éloges
& une Maîtreffe.
Eumene , de fon côté , agiffoit encore
plus qu'il n'avoit fait fur le Trône . Il réformoit
d'anciens ufages , en créoit de
66 MERCURE DE FRANCE.
nouveaux , entroit dans les plus petits détails
, & avoit, toutefois , de grandes vues.
Il marqua une prudence extrême dans une
circonftance très- délicate .
La jeune Eglé vint folliciter une grace
en faveur de fon, époux. Il en étoit peu
digne , mais Eglé avoit tant d'attraits
qu'elle ne devoit rien demander envain.
Le Miniftre eut bientôt pris for parti. Ce
Poite , dit it, eft promis d'avance à Cine
thie . ( C'étoit la feule qui pût difputer des .
charmes avec Eglé ). A Cinthie ! s'écria
t-elle , je ne me confolerai jamais fi ellé
obtient ce qu'elle demande . Ah ! de grace,
refufez Cinthie , duffé -je moi- même ne
rich obtenir .
C'étoit où Eumene l'attendoit.Il n'héfita
qu'autant qu'il le falloit pour mieux faire
valoir fa complaifance. Il promit que Cin
thie feroit éconduite. Alors Eglé le quitta
plus fatisfaire , plus triomphante , que fr
F'emploi le plus brillant eût été accordé à
fon époux.
-Autre embarras pour Eumene : Cinthie
furvint à fon tour. Ses inftances furent
encore plus preffantes que celles d'Eglé.
Cinthie follicitoit pour fon amant. Vous
avez trop tardé , lui dit Eumene , d'un air
& d'un ton mortifiés , Eglé vient d'obteair
ce que vous euffiez emporté un peu
JANVIER. 17617 67
plutôt. Ce fut un coup de foudre pour
Cinthie. Les intérêts de l'amant difparurent
; elle ne vit plus que le triomphe
d'Eglé , & la honte de lui céder. Quoi
Eglé l'emporter fur moi ! & la Cour en
être témoin ! ... Ah , pourfuivit- elle, qu'Eglé
n'obtienne rien , & que tout me foit
refulé. Eumene n'eut pas de peine à lui
accorder cette grace . Il admiroit avec
quelle facilité il venoit de contenter
deux rivales , & il fe jugea dès- lors un
grand homme en fait de politique . Cependant
la place demandée reftoit vacante.
Le Miniftre la donna à certain Militaire
qui , n'ayant d'autre recommandation
que fon mérite , n'avoit pas même
cru devoir fe préfenter.
Une conduite auffi équitable , & furtout
des refforts à peu près auffi graves
& auffi heureux , maintinrent longtems la
paix parmi le Peuple & dans l'âme du
Miniftre.
Il arriva , cependant , ce qui arrivera
dans tous les tems & dans tous les lieux .
Eumene s'ennuya de fa place , & on fe
laffa de la lui voir occuper. Dès lors , il fe
hâta de formet fon troffiéme fouhait . Ce
fut de commander une armée nombreuſe,
68 MERCURE DE FRANCE.
CHAPITRE III.
C'ETOIT l'ufage parmi cette Nation
de tirer au fort la dignité de Général d'Armée
, comme un très- grand nombre d'autres.
On préfume bien que le fort fut favo
rable à Eumene. Il fentit une joie intérieure,
en voyant la plus redoutable partie de
la Nation obéir à fes moindres volontés.
Ce pofte lui parut mille fois plus flatteur
que celui d'un Souverain , obligé de fe
partager entre une infinité de foins oppo
fés. Un de ceux qui occupoient le plus
Eumene
, étoit que fes troupes ne fiffent
de mal qu'à l'ennemi , & ne défolaffent
point l'Allié qu'elles alloient défendre. II
ne fouffroit pas non plus , que ceux qui
avoient acquis le droit de nourrir fon
Armée , s'en ferviffent pour l'affamer.
Il étoit encore plus attentif à louer les
belles actions qu'à reprendre les fautes ;
il donnoit à ceux qui n'avoient été que
malheureux , l'occafion de réparer leurs
difgraces ; il fit , enfin , tout ce qu'il falloit
faire pour ne devoir lui - même les
fiennes qu'au hazard.
De grands fuccès furent le fruit de fes
bonnes difpofitions : il vainquit l'ennemi
JANVIER 1761."
69
a différentes reprifes , affiégea & prit fes
villes , & occupa la verve de tous les
Poctes fes compatriotes. Il vit fon nom
chanté dans dix Poëmes , vingt Odes &
foixante Sonnets . Il en fut d'abord flatté
à l'excès , s'y accoutuma & s'en ennuya
bientôt. Eumene éprouva ce qu'ont éprou
vé de très- grands hommes les fuccès ralentirent
fon activité. Il fut attaqué &
furpris durant la nuit par l'ennemi qu'il
avoit tant de fois vaincu. Il répara tout
par fa préſence d'efprit & de nouvelles
victoires : mais obligé dans cette occafion
de combattre en chemife , il ne put regar
gner quelques- uns de les vêtemens les plus
néceffaires , dont l'ennemi s'étoit emparé.
Eumene fit peu d'attention à cet accident ,
& revint dans la capitale pour y jouir de
fa gloire. Il fut furpris d'entendre une infinité
de bouches répéter des couplets relatifs
à cette burlefque avanture. Il efpéroit
, du moins , entendre réciter une partie
des Poëmes , des Odes & des Sonnets
compofés à fa louange. Il fe trompoit ;
perfonne ne les avoit lus , & toute la Nation
chantoit le Vaudeville .
Qu'est - ce donc que ma gloire , dit-il ,
fi un accident ridicule fait oublier des actions
que j'ai crues héroïques le Vaudeville
frappa tant de fois fes oreilles , qu'il
70 MERCURE DE FRANCE.
troubla toute la tranquillité de fon âme:
C'en eft fait , dit - il , je renonce à cette
carrière brillante , mais épineufe , mais
ingrate. Il eſt des routes plus paisibles
pour arriver au bonheur . Eumene ſouhaita
devenir Grand- Prêtre de Saturne.
CHAPITRE IV.
Ce quatriéme fouhait fut exaucé comme
les autres. Le Grand - Prêtre mourut
d'apoplexie , & Eumene obtint fa place.
On fit encore des couplets fur cette métamorphofe
, après quoi on oublia celui
qui en étoit l'objet . Il s'applaudit d'abord
des refpects que lui attiroit fa nouvelle
dignité . Le Monarque , lui - même , n'étoit
pas exempt d'y joindre les fiens , &
c'étoient ceux qu'Eumene recevoit le plus
volontiers. Du refte , il bornoir là fon
ambition , & trouvoit la thiare plus commode
& plus légére que le cafque & la
couronne ,
Il arriva qu'un Prêtre fubalterne lui
offrit le couteau facré de la main gauche.
On cria au Novateur. Le Prêtre refta
confus de fa méprife. On redoubla les
cris , & bientôt il ne rougit plus. Il fit
même un Livre pour défendre fon opiJANVIER.
1761, 71'
nion. Il y attaquoit fortement la prééminence
de la main droite fur la main
gauche ; de graves perfonnages la défendirent
, & on vit....
Nota. Il manque ici quelque chofe dans
le Manufcrit Grec.
Fatigué de toutes ces difcuffions , le
pacifique Eumene regretta d'y préfider.
Dès-lors , tout autre état lui parur préférable
au fien. Il n'étoit retenu que par
l'embarras du choix , & cet embarras ne
le retint pas même longtems. Il renonça
à ce qu'il étoit , fans bien fçavoir encore
ce qu'il vouloit être.
I
72 MERCURE DE FRANCE:
ON
CHAPITRE V.
N difoit qu'un homme qui s'étoit fi
bien jugé lui- même devoit préfider au Séhat
, & la voix publique détermina le cinquiéme
fouhait d'Eumene . Il fut élu avec
acclamation.LaNature l'avoit gratifié d'un
coeur droit , ami de l'ordre & de l'équité.
Il fe félicitoit d'être à portée de réprimer
une partie de ceux à qui ces qualités
manquoient ; de rendre à l'orphelin
opprimé ou pillé , le bien de fes pères ;
au mari trompé & fouvent battu , fa femme
; au pauvre , voilin du riche ou de
T'homme d'affaires , fa vigne & fon jardin
& c. Il avoit d'ailleurs tout le bon
fens néceffaire pour diftinguer le bon droit
àtravers une foule de loix qui l'enveloppent
; tout le courage fuffifant pour étudier
trois ou quatre mille Coutumes qui
fe contredifent , & environ dix mille
Commentateurs qui les embrouillent ;
enfin , il fe croyoit inacceffible aux recommandations
d'un Grand , & aux larmes
d'une belle Plaideufe . Il en faut fouvent
moins pour paroître grand Magiftrat.
Eumene fit cependant plus ; il cita à
fon
JANVIER. 1761 . 73
fon Tribunal tous les différens fuppôts de
Thémis . Il voulut être inftruit par euxmêmes
de leur conduite , fe réſervant le
droit de douter & de croire à propos.
L'Avocat parla le premier , & parla longtems.
Il arriva que fon difcours finit
fans qu'Eumene en eût rien retenu. Quels
font vos honoraires ? demanda - t-il au Jurifconfulte.
C'eft , répondit ce dernier
le nombre des fyllabes que je prononce
qui en décide ; & vous voyez que je ne
les prodigue pas. Je fuis le plus laconique
& le plus clair de nos Orateurs. On ne
peut rien perdre de ce que je dis , & je
dis le plus de chofes qu'il eft poffible en
matiére de procédures . Je le crois , reprit
Eumene , mais je vous avouerai que
j'ai perdu mon temps à vouloir les entendre
.
Il interrogea enfuite certain Procureur
à qui dix années avoient fuffi pour amaſſer
mille talens. Mon foin le plus ordinaire ,
répondit cet homme , eft de défendre la
veuve & l'orphelin , d'empêcher que leur
bien ne tombe dans de certaines mains....
On publie , interrompit le Juge , qu'il fort
très rarement des vôtres. Je n'en fuis ,
tout au plus , que l'économe , reprit le
Procureur ; j'en fais amplement part aux
Propriétaires ; je le fais valoir comme le
I. Vol.
D
74 .
MERCURE DE FRANCE
mien propre. Eumene apperçut alors derriere
celui qu'il interrogeoit un jeune
homme qui paroiffoit en dépendre. Il le
reconnut pour un des fils des plus riches
Citoyens de la capitale. Que vois - je , lui
dit-il , vous domeftique , & d'un tel maître
? Hélas ! répondit le jeune homme , je
fuis un des orphelins qu'il a défendus , &
dont il économiſe les biens ! Eumene apprit
que cet Econome bannal avoit une
fille affez belle pour faire oublier à celui
qu'elle épouferoit , tous les torts de fon
père. Il voulut que le Procureur acceptât
pour gendre celui qu'il ofoit traiter
en esclave . Il s'en défendit ; mais Eumene
le menaça de rayer les trois quarts du total
de tous fes mémoires de frais , & de le traiter
comme l'exigeroient les Parties qu'il
avoit le moins maltraitées . Cette menace
le rendit plus docile.
Eumene fit d'autres recherches ; il interrogea
des Huiffiers qui excelloient dans
l'art d'affigner une Partie fans qu'elle en
fçût rien , des Greffiers qui commentoient
les Oracles de Thémis , des Secrétaires qui
mettoient de faux poids dans fa balance ;
en un mot , toutes les troupes légéresde
la nombreuſe armée dont il étoit le chef.
Ces troupes , comme toutes celles de ce
genre , étoient encore plus pillardes que
JANVIER. 1761 . 75.
les troupes réglées . Eumene fe propofa
d'y jetter plus de difcipline. Il prit à ce
fujet les meilleures précautions , ne réuffit
point , & n'en eut que plus d'ennemis
. Grace au Ciel , difoit- il , je vais du
moins connoître tous ceux qui parmi
cette noire milice méritent ma confiance
& mon eftime . Il publia qu'il alloit quitter
fa place , & voulut juger du nombre
de fes fuppôts fidéles par celui des viſages
affligés. Il n'en vit que de fatisfaits.
On difoit hautement qu'Eumene feroit
un excellent Collégue de Minos & de
Rhadamante , mais que dans ce Monde ,
fon Tribunal étoit déplacé.
Il fut vivement follicité par deux Plaideufes
d'un âge , d'un extérieur & d'un
état fort oppofés. L'une étoit douairiére ,
avoit foixante ans , & avoit été laide
dès l'âge de quinze ; l'autre étoit pupile,
n'avoit que dix- huit ans , & promettoit
d'être encore belle à cinquante. Eumene
l'admira , l'aima , & fit des voeux pour
qu'elle eût raiſon. Malheureuſement elle
avoit tort. Eumene gémit , la condamna ,
la ruina , la plaignit. Je n'ai , lui dit-il ,
qu'un feul moyen de réparer ce malheur ,
& je vous l'offre. Daignez partager ma
tendreffe & ma fortune. L'une & l'autre
pourroient vous dédommager de la perte
Dij
76 MERCURE DE FRANCE
que vous venez de faire . La jeune Plai
deufe accepta l'offre , & ne pardonna
point à Eumene. Quoi , diſoit- elle à voix
baffe & à chaque inftant , une douairiere
antique l'emporter fur moi ? Quel Juge !
& que j'efpére bien l'en punir ! ... Elle eut
le plaifir de voir ce Juge fi rigide s'attendrir
de plus en plus , & preffer l'inſtant
de fon bonheur. Elle eut bientôt
une fatisfaction plus complette : ce fut
de voir un amant feptuagénaire & encore
plus contrefait qu'il n'étoit caduc ,
lui offrir fon hommage. Il eft charmant !
s'écria- t- elle , & tout fait pour me venger.
L'accueil fut favorable & les vifites
multipliées au point qu'Eumene s'en apperçut
& s'en plaignit. C'étoit ce qu'on
defiroit le plus. Ne vous en plaignez pas ,
lui dit fa jeune maîtreffe , je ne fais que
vous imiter. Vous fçavez que la jeuneſſe
ne l'emporte pas toujours fur la caducité.
Jouiffez du plaifir de condamner les
pupiles , & laiffez- moi celui de confoler
les vieillards . Eumene fe retira confus &
affligé. Il occupa encore quelque temps
fon Tribunal , jugea toujours avec équité
, déplut à beaucoup de Grands qu'il
condamnoit comme s'ils n'euffent été que
petits ; révolta encore quelques Belles ;
& fe laffa des fonctions de Juge comme
JANVIER. 1761 . .77
il avoit fait des autres. Heureux , difoiril
, qui dégagé du foin de gouverner , de
conduire , d'édifier , & de juger les hommes
, borne fes voeux à l'opulence & à
la tranquillité ! Je veux donc n'être rien ,
& être riche.
La fuite au Mercure prochain.
Le mot de la premiere Enigme du Mercure
de Décembre , eft , la Bourfe à che
veux. Celui de la feconde , eft la lettre
A. Celui du premier Logogryphe eft,
GRANGE . En fuivant la diffection telle
qu'elle eft indiquée , on y trouve Gange
, Ange, Ane, An , Gage . Celui du fecond
eft , FANATISME , dans lequel on
trouve Mine , Siam , Ane , Saint , Nain ,
Afa Roi de Juda , Sina ', Manès , Satan,
Mein , Aman , Afie , Main , Famine
Tanis , Matines , Sem , Satin , Fat.
E
ENIGM E.
2
Je n'ai qu'une voifine, en tout je lui reſſemble ,
Nous ferions fans valeur fi nous n'étions enſemble,
Son mérite eft le mien , notre fort eſt égal ,
Pour fe fervir de nous on nous met à cheval,
D iij
78 MERCURE DE FRANCE
Qui nous porte, a fouvent trois pieds fans être
alerte ,
Et recouvre dans nous la moitié d'une perte.
Quand ma pauvre voiſine & moi tombons à bas,
Son oeil , comme le mien , ſe reffent du faux pas.
AUTRE.
MARS, avant toi j'ai commandé l'Armée ;
Tu me dois tour , ta valeur , ton haut rang ;
Et fans ôter rien à ta renommée ,
Jamais fans moi tu ne verfas le fang.
Moi qui jamais ne parus dans la guerre ,
Je fais connoître aux Soldats les hazards.
Sans mon fecours , les Amours & les Arts
Ne feroient point en vogue fur la terre.
Il est bien des occafions ,
Où mon fecours eft inutile ;
Il eft bon dans les Baftions ,
Mais rejetté dans une Ville :
Exceptez -en pourtant Paris ;
Car fans moi Paris feroit pris.
LOGOGRYPHE.
A IRIS.
Iz fers à cultiver la terre ;
Six pieds forment mon tout. En me décompoſant,
ANVIER. 1761 . 79
J'offre celle qu'aima le Maître du tonnerre ,
Et dont Argus fut fait le furveillant .
J'offre encor , cher Lecteur , un feuve d'Italie ?
Une Nymphe au regret toujours affujettie ;
Un Pape ; un arbriſſeau ,
Dont le fruit quelquefois nous trouble le cerveau.
Je porte enfin le nom d'un objet dont les charmes
Les grâces , l'efprit , les talens
Sont à l'Amour de fûres armes ,
Pour fixer les coeurs inconftans .
AUTRE.
SUR ce Sphinx , cher Lecteur , fi guidé par la
gloire ,
Tu veux , nouvel Edipe , obtenir la victoire ;
Trouve un infinitif , dont la conſtruction
Offre le même mot que fon inverfion .
Par M. DE LANEVERE , ancien
Moufquetaire du Roi .
I.
AUTRE .
Left un oifeau de: renom ,
Dont fix lettres forment le nom.
Ce qu'on lit dans les trois premieres .
Se trouve dans les trois dernieres.
Par M. DESNOYERS , Marchand d'Estampes.
Div
8 MERCURE DE FRANCE.
PARODI E.
le
CHANSON fur l'Air de l'Ariette de la feconde
Sonate de M. de MONDONVILLE , pour
Clavecin & le Violon .
TENDRE Amour , fous ton Empire,
Si tu veux fixer nos coeurs ,
Prends les traits de ma Thémire
Et l'excès de mes ardeurs.
Je l'aime autant qu'elle eſt belle :
Elle eft plus belle qu'Hébé.
Pour voir & n'adorer qu'elle ,
Pirame eût quitté Thisbé :
Tendre Amour &c.
Mille attraits ornent fon âme ,
Je brûle de mille feux
A peine à toute ma flâme ,
Suffit mon coeur amoureux !
Dans les yeux ,
Sont les Cieux ,
Qui les peut voir eft heureux !
Tendre amouri &c.
Tendre amour sous
ton em-pire, Si tu
veuxfixernos coeurs,Prens les traits de ma The
Fin .
#w
-mireEt l'exces de mes ardeurs
Je
l'aime
+
autantqu'elle est belle:Elle estplus belle quHé
be:Pour voir et n'adorer qu'elle Pirame
+
พ
eut quitté Tisbé. Tendre amour.
Mille attraits ornent son ameje bru
= le de mille feux : Apeine à toute ma
a
flame Suffit mon coeur amoureux. Dans ses
yeux sont les Cieux,Qui lespeutvoir est heu
reux.Tendre amour sous ton empire,Si tu
veux ficer nos cans,Prens les traits de maThe
- mire,Et l'exces de mes ardeurs.
Gravé par Me Charpentie
Imprimé par Fournelle.
JANVIER. 1761 .
81
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
SUITE de l'Hiftoire de la Maifon de
STUART , fur le Trône d'Angleterre.
SECOND EXTRAIT.
ON a vû dans , le premier Extrait , le
commencement des brouilleries de Charles
I, avec le Parlement d'Angleterre . Ce
Prince eft obligé de quitter fa Capitale ;
la guerre civile eft allumée ; & les fuccès
du Monarque contre fes Sujets rebelles , ne
peuvent dompter la rebellion . Un nouvel
appui vient la fortifier ; c'eft le fameux
Cromwel , qui fut un des plus grands &
des plus finguliers perfonnages , que l'Hif
toire ait jamais célébrés .
Olivier Cromwel étoit né à Huntingdon,
d'une très -bonne & très - ancienne famille.
Comme fils d'un fecond frere , il n'hérita
que
d'un bien médiocre que fes déréglemens
eurent bientôt diffipé. L'efprit
de réforme le faifit tout d'un coup. Il fe
maria, & affecta une conduite grave &
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
compofée. La même ardeur de tempérament
qui l'avoit porté à l'excès du plaifir
, diftingua fes pratiques religieuſes ;
& les dépenfes de l'hofpitalité jointes à
fes libéralités pour le parti puritain qu'il
avoit embraffé , ne lui furent pas moins
onéreufes que fes anciennes débauches . Le
défordre de fes affaires le mit dans la
néceffité de prendre une ferme , & de
faire pendant quelques années fon occupation
de l'agriculture : mais les longues
prieres qu'il récitoit le matin à fa
famille , & qu'il recommençoit l'aprèsmidi
, employoient la plus grande partie
de fon temps & de celui de fes domeſtiques
, & lui en laiffoient peu pour les affaires
temporelles. Il lâchoit la bride à
fon imagination fur tout ce qu'on nomme
illuminations , vifions , révélations . Preffé
doublement & par fa dévotion & par
fes befoins , il s'étoit déterminé à paſſer
dans la nouvelle Angleterre , devenue
alors la retraite des plus zélés puritains ;
mais malheureufement quelques obftacles
s'oppoférent à ce deffein. Le hazard
& l'intrigue le firent choifir député pour
la ville de Cambridge. Les apparences
n'annonçoient dans fa perfonne aucun
talent propre à le diftinguer. Sa figure
étoit peu gracieuſe ; fon habillement mal
JANVIER. 1761 .
83
propre ; fa voix difcordante ; fon langage
plat , ennuyeux ,
obfcur , embarraffé.
L'ardeur de fon efprit le portoit à parler
fouvent dans les affemblées ; mais il s'attiroit
peu d'attention . Pendant plus de
deux ans , fon nom ne fe trouve que deux
fois dans les Comités . Jamais il ne fut
compté entre les Orateurs de la Chambre
baffe. Ambden , fon ami , paroît avoir
été le feul qui eût reconnu la profondeur
de fon génie il avoit prédit que s'il s'élevoit
une guerre civile , le député de
Cambridge poufferoit fort loin fa fortune
& fa réputation . Cromwel femble avoir
connu lui-même en quoi conſiſtoit fa
principale force ; & par ce motif, autant
que par l'indomptable furie de fon zéle ,
il fe joignit toujours au parti qui portoit
tout à l'extrémité contre le Roi . Il n'avoit
pas moins de quarante trois ans ,
lorfqu'il embraffa la profeffion militaire ;
par la feule force de fon génie , fans
expérience & fans maître il devint
bientôt un excellent Officier , quoique
peut-être il ne fe foit jamais élevé à la
réputation d'un Général confommé . Il
leva une troupe de Cavalerie ; il fixa fes
quartiers dans Cambridge , & traita forc
févérement cette Univerfité , qui marquoit
beaucoup d'attachement pour le
&
-}
Dvj
S MERCURE DE FRANCE.
parti royal. En un mot , il fe fit connoitre
pour un homme qui ne vouloit garder
aucun ménagement , pour faire valoir
la caufe qu'il avoit embraffée . Il dit
nettement à fes foldats , que s'il rencontroit
le Roi dans une bataille ,il feroit
auffi difpofé à lui brûler la tête d'un
coup de pistoler , qu'à tout autre. Sa
troupe fut bientôt affez nombreuſe pour
former un Régiment. Il y fit régner d'abord
cette difcipline & cet efprit , qui
rendirent enfin les armées du Parlement
victorieufes. Il s'attachoit à les remplir
de
gens libres , & furtout des plus zélés
Fanatiques. Leur enthoufiafme étoit vivement
excité par celui de leur Chef. Il
prêchoit , il prioit , il combattoit ; il !
fçavoit récompenfer & punir. La fureur
du Fanatifme augmentoit fans ceffe avec
la valeur & la difcipline ; & tout le monde
avoit les yeux attachés fur un Chef fi
pieux & fi fortuné. Du commandement
inférieur , il s'éleva rapidement au premier
, quoiqu'en apparence il ne tînt que
le fecond rang dans l'armée. Enfuite la
fraude & la violence le rendirent bientôt
la premiere perfonne de l'Etat. Ses talens
femblérent toujours fe développer
dans la même proportion que fon autorité.
Tous les jours il déployoit quelques
JANVIER. 1761 . * 5
nouvelles facultés qui avoient été comme
endormies , jufqu'au moment même
où le befoin les mettoit en action.
"
ور
Tel étoit le caractére de cet homme
fingulier ; dont les traits font auffi
» diftincts , auffi fortement marqués que
» fes vues & fes plans de conduite étoient
» obfcurs & impénétrables. Sa vafte capa-
» cité lui fit former des projets de la plus
grande étendue ; fon génie entreprenant
ne fut point effrayé des plus hardis & des
plus dangereux. Son naturel le portoit à
» la grandeur , & lui dictoit une impé-
» rieufe & maîtrifante politique ; mais il
» trouvoit dans le même fond , quand il
» étoit néceffaire , l'art d'employer la plus
profonde diffimulation, les rufes les plus
» obliques & les plus rafinées , fous l'appa-
» rence d'une parfaite fimplicité , & de la
99
"
ود
plus grande modération . Ami de la
» juftice ; quoique fa conduite en fût une
» violation continuelle ; dévoué à la Re-
» ligion , quoiqu'il la fit perpétuellement
» fervir d'inftrument à fon ambition ; fes
» crimes prirent leur fource dans la perf
» pective du pouvoir fuprême ; & le bon
ufage qu'il fit de cette autorité à laquelle
il parvint par la fraude & la violence
, a diminué l'horreur de fes atten-
» tats , ou l'a confondue avec l'admira-
و د
86 MERCURE DE FRANCE.
» tion pour fes fuccès & pour fon gé-
» nie. »
Charles entreprit d'abord de gagner
Cromwel , qui parut écouter les offres :
mais le Monarque ne tarda pas à s'appercevoir
, qu'il ne pouvoit trop fe défier de
ce Sujet révolté. Ce Prince s'étoit réfugié
dans l'Ile de Wight , dont le Gouverneur
étoit l'ami de Cromwel. Il y eft
fait prifonnier ; & dès cet inftant , Cromwel
léve le mafque , & demande au Parlement
la punition de fon Souverain ,
pour tout le fang répandu pendant la
guerre. Les deux Chambres s'opposent à
ces vues illégitimes & fanguinaires ; mais
les Chambres font elles - mêmes difperfées
par les ordres. Enfin rien n'arrête plus
ce furieux , & le procès du Roi eft réfolu .
Il fut ordonné qu'on ne lui préfenteroit
plus d'Adreffes , qu'on ne recevroit plus
ni lettres , ni meffage de lui ; & que ceux
qui entretiendroient avec lui quelque
communication , fans l'aveu des deux
Chambres du Parlement , fe rendroient
coupables de haute trahifon. De l'Ile de
Wight , Charles fut transféré au Château
de Hurft , où on le refferra plus étroitetement.
Il étoit perfuadé que le terme de
fa vie approchoit ; mais tous les préparatifs
qu'il voyoit faire , & les informations
JANVIER. 1761 . 87
qu'il recevoit , ne pouvoient lui perfuader
que l'intention de fes ennemis fût
réellement de finir cette fcène par un procès
folemnel , & par une exécution pu
blique. Il s'attendoit à l'affaffinat : c'étoit
par cette catastrophe , fi commune aux
Princes détrônés , qu'il comptoit être délivré
de la vie. On lui avoit ôté toutes
les marques extérieures de fouveraineté ;
& fes domeftiques avoient ordre de le
fervir fans cérémonie. Il parut choqué
d'abord de quelques traits durs & familiers
, auxquels il étoit fi peu accoutumé.
Rien de plus abject qu'un Roi méprisé : ce
fut la réflexion qui lui échappa.
Toutes les circonftances du procès
étoient arrangées , & la Haute Cour de
Juftice entiérement établie. Elle confiftoit
en 133 perfonnes , nommées par la Chambre
des Communes ; mais il ne s'en trouva
jamais plus de 70 aux affemblées : tant on
eut de peine à faire entrer des gens de
quelque nom , ou d'un certain caractére ,
dans cette criminelle entrepriſe. Le Solliciteur
, au nom des Communes , expofa
que Charles Stuart ayant été admis au
Trône d'Angleterre , & la Nation lui
ayant confié un pouvoir limité ; dans la
coupable vue néanmoins d'ériger un pouvoir
tyrannique , il avoit traîtreufement
88 MERCURE DE FRANCE.
& malignement fait la guerre contre le
Parlement & contre le peuple que l'affemblée
repréſentoit ; & que par cette
raifon , il étoit accufé , en qualité de tyran
, de traître , de meurtrier , d'ennemi
public & implacable de la Nation . Après
cette expofition , le Préfident s'adreffant
au Roi , lui demanda fa réponſe. Le Roi,
quoiqu'affoibli par une longue prifon , &
dans la fituation actuelle d'un coupable ,
foutint la majefté d'un Monarque. Il déclara
avec beaucoup de modération & de
dignité , que ne reconnoiffant point l'autorité
de la Cour , il ne pouvoit fe foumettre
à fa jurifdiction. La conduite de
ce Prince , dans ce dernier période de ſa
vie , fait beaucoup d'honneur à fa mé
moire ; & chaque fois qu'il parut devant
fes Juges , il n'oublia rien de ce qu'il devoit
à fa qualité d'homme & de Roi .
Ferme , intrépide , il fçut conferver dans
fes réponſes , autant de clarté que de jufteffe
. Son âme , fans affectation , fans effort
, fembla demeurer dans une fituation
qui lui étoit familiére , & méprifer,
comme au-deffous d'elle , tous les éfforts
de la malignité & de l'injuftice humaine.
Quelques Soldats eurent l'ordre ou la
permiffion
de fatisfaire toute leur brutále
infolence , & lui crachérent au viſage
JANVIER . 1761 :
89
dans le paffage qui conduifoit à la Cour.
Ce barbare outrage n'eut d'autre effet
fur lui , que de lui faire produire un
mouvement de pitié. Le Peuple ne put
s'empêcher de faire éclater , par les plus
ardentes priéres , des voeux pour fa délivrance
; & dans cet excès d'infortune ,
il le reconnut pour fon Monarque. Les
fentimens du Roi furent adoucis par une
Icène fi touchante. L'unique grace qu'il
obtint de fes ennemis , fut un intervalle
de trois jours , entre fa Sentence & fon
exécution . Il paffa ce temps dans une
grande tranquillité d'âme , occupé furtout
de lectures & d'exercices de piété.
Ce qui reftoit de fa famille en Angleter
re , eut un libre accès près de lui . Elle
confiftoit dans la Princeffe Elizabeth &
le Duc de Glocefter. La Princeffe , dans
un âge fort tendre , marquoit un jugement
très-avancé. Son malheureux Père
la chargea de dire à la Reine , que pendant
tout le cours de fa vie , il n'avoit
jamais manqué , même en idée , de fidélité
pour elle ; & que fa tendreffe conjugale
auroit la même durée que fa vie . Il
prit enfuite le jeune Prince à fes genoux:
Mon fils , lui dit- il , ils vont couper la
» tête à ton père . Cet enfant , frappé
d'une image fi nouvelle , le regarda fixe88
MERCURE DE FRANCE.
& malignement fait la guerre contre le
Parlement & contre le peuple que l'affemblée
repréfentoit ; & que par cette
raifon , il étoit accufé , en qualité de tyran
, de traître , de meurtrier , d'ennemi
public & implacable de la Nation . Après
cette expofition , le Préfident s'adreffant
au Roi , lui demanda fa réponſe. Le Roi,
quoiqu'affoibli par une longue prifon , &
dans la fituation actuelle d'un coupable ,
foutint la majefté d'un Monarque. Il déclara
avec beaucoup de modération & de
dignité , que ne reconnoiffant point l'au
torité de la Cour , il ne pouvoit fe foumettre
à fa jurifdiction. La conduite de
ce Prince , dans ce dernier période de fa
vie , fait beaucoup d'honneur à fa mémoire
; & chaque fois qu'il parut devant
fes Juges , il n'oublia rien de ce qu'il devoit
à fa qualité d'homme & de Roi.
Ferme , intrépide , il fçut conferver dans
fes réponſes , autant de clarté que de jufteffe.
Son âme , fans affectation , fans effort
, fembla demeurer dans une fituation
qui lui étoit familiéte , & mépriſer,
comme au- deffous d'elle , tous les efforts
de la malignité & de l'injuftice humaine.
Quelques Soldats eurent l'ordre ou la permiffion
de fatisfaire toute leur brutale
infolence , & lui crachérent au vifage
JANVIER. 1761 . 89
dans le paffage qui conduifoit à la Cour.
Ce barbare outrage n'eut d'autre effet
fur lui , que de lui faire produire un
mouvement de pitié. Le Peuple ne put
s'empêcher de faire éclater , par les plus
ardentes prières , des voeux pour fa délivrance
; & dans cet excès d'infortune ,
il le reconnut pour fon Monarque. Les
fentimens du Roi furent adoucis par une
Icène fi touchante. L'unique grace qu'il
obtint de fes ennemis , fut un intervalle
de trois jours , entre fa Sentence & fon
exécutión. El paffa ce temps dans une
grande tranquillité d'âme , occupé furtout
de lectures & d'exercices de piété.
Ce qui reftoit de fa famille en Angleter
re , eut un libre accès près de lui . Elle
confiftoit dans la Princeffe Elizabeth &
le Duc de Glocefter. La Princeffe , dans
un âge fort tendre , marquoit un jugement
très-avancé. Son malheureux Père
la chargea de dire à la Reine , que pendant
tout le cours de fa vie , il n'avoit
jamais manqué , même en idée , de fidélité
pour elle ; & que fa tendreffe conjugale
auroit la même durée que fa vie. Il
prit enfuite le jeune Prince à fes genoux :
la
Mon fils , lui dit-il , ils vont couper
» tête à ton père . Cet enfant , frappé
d'une image fi nouvelle , le regarda fixe
88 MERCURE DE FRANCE
& malignement fait la guerre contre le
Parlement & contre le peuple que l'affemblée
repréfentoit ; & que par cette
raifon , il étoit accufé , en qualité de tyran
, de traître , de meurtrier , d'ennemi
public & implacable de la Nation . Après
cette expofition , le Préfident s'adreſſant
au Roi , lui demanda ſa réponſe. Le Roi ,
quoiqu'affoibli par une longue prifon , &
dans la fituation actuelle d'un coupable ,
foutint la majeſté d'un Monarque . Il déclara
avec beaucoup de modération & de
dignité , que ne reconnoiffant point l'au- -
torité de la Cour , il ne pouvoit fe foumettre
à fa jurifdiction . La conduite de
ce Prince , dans ce dernier période de fa
vie , fait beaucoup d'honneur à fa mé
moire ; & chaque fois qu'il parut devant
fes Juges , il n'oublia rien de ce qu'il devoit
à fa qualité d'homme & de Roi .
Ferme , intrépide , il fçut conferver dans
fes réponſes , autant de clarté que de jufteffe.
Son âme , fans affectation , fans effort
, fembla demeurer dans une fituation
qui lui étoit familiére , & mépriſer,
comme au- deffous d'elle , tous les éfforts.
de la malignité & de l'injuftice humaine.
Quelques Soldats eurent l'ordre ou la permiffion
de fatisfaire toute leur brutále
infolence , & lui crachérent au visage
JANVIER. 1761 . 89
dans le paffage qui conduifoit à la Cour.
Ce barbare outrage n'eut d'autre effet
fur lui , que de lui faire produire un
mouvement de pitié. Le Peuple ne put
s'empêcher de faire éclater , par les plus
ardentes prières , des voeux pour fa délivrance
; & dans cet excès d'infortune ,
il le reconnut pour fon Monarque. Les
fentimens du Roi furent adoucis par une
fcène fi touchante. L'unique grace qu'il
obtint de fes ennemis , fut un intervalle
de trois jours , entre fa Sentence & fon
exécutión. Il paffa ce temps dans une
grande tranquillité d'âme , occupé furtout
de lectures & d'exercices de piété.
Ce qui reftoit de fa famille en Angleter
re , eut un libre accès près de lui . Elle
confiftoit dans la Princeffe Elizabeth &
le Duc de Glocefter. La Princeffe , dans
un âge fort tendre , marquoit un jugement
très avancé. Son malheureux Père
ja chargea de dire à la Reine , que pendant
tout le cours de fa vie , il n'avoit
jamais manqué , même en idée , de fidélité
pour elle ; & que fa tendreffe conjugale
auroit la même durée que fa vie. Il
prit enfuite le jeune Prince à fes genoux :
Mon fils , lui dit-il , ils vont couper la
» tête à ton père. Cet enfant , frappé
d'une image fi nouvelle , le regarda fixe90
MERCURE DE FRANCE.
"
ment , & le Roi continua : » Fais-y bien
» attention , mon fils ; ils vont me cou
» per la tête , & peut- être te feront - ils
» Roi ; mais prends garde à ce que j'a-
» joûte tu ne dois pas être Roi auffi
» longtemps que tes freres Charles &
» Jacques feront en vie. Ils couperont
la tête à tes freres , lorfqu'ils pour
» ront mettre la main fur eux ; & peut-
» être qu'à la fin ils te la couperont
auffi . Je te charge donc de ne pas fouf-
»frir qu'ils te faffent Roi. L'enfant
pouffa un foupir , & répondit : » Je me
laifferai plutôt déchirer en piéces. »
Une réponſe fi ferme àcet âge , pénétra
Charles , & remplit fes yeux de larmes de
joie & d'admiration.Toutes les nuits de cer
intervalle , fon fommeil fut auffi profond
qu'il l'étoit ordinairemenr , quoique le
bruit des ouvriers qui dreffoient l'échaf
faut , & qui faifoient d'autres préparatifs
pour fon exécution , retentît continuellement
à fes oreilles. Le matin du
jour fatal , il fe leva de bonne heure ;
& faifant appeller un des domeftiques
qu'on lui avoit laiffés , il lui recommanda
d'apporter plus de foin à fa parure ,
qu'il n'en fouffroit ordinairement. Je
veux me préparer , lui dit- il , pour une
fi grande & fi joyeufe folemnité.
JANVIER. 1761 . 91
La rue qui borde le Palais de Whitehall,
avoit été choisie pour l'exécution ; & le
motif de ce choix étoit de faire éclater
plus fortement , à la vue de fon propre
Palais , le triomphe de la juftice populaire
fur la Majefté Royale. Lorfque Charles fut
fur l'échaffaut , les Soldats qui l'environnoient
formerent une haie fi épaiffe , qu'il
ne put efpérer de fe faire entendre au
Peuple. Ainfi fes derniers difcours ne furent
adreffés qu'à peu de perfonnes qui
fe trouvoient près de lui. Quoique fans
reproches à l'égard de fon Peuple , il reconnut
la juftice de fon exécution aux
yeux de fon Créateur ; & fe rappellanr
une injufte Sentence à laquelle il ne s'étoit
pas oppofé , il obferva qu'elle étoit punie
fur lui-même , par une Sentence qui n'étoit
pas moins injufte. Il pardonna , fans
exception , à tous fes ennemis , & même
aux principaux inftrumens de fa mort ;
mais il les exhorta , eux & toute la Nation ,
à rentrer dans les voies de la Paix , en rendant
à fon fils & fon Succeffeur , l'obéiffance
qu'ils devoient à leur Souverain
légitime. D'un feul coup fa tête fut féparée
du corps. Un homme mafqué fit l'office
d'exécuteur. Un autre , fous le même déguiſement
, prit la tête ruiffelante de ſang,
la tint levée aux yeux des Spectateurs
32 MERCURE DE FRANCE .
& cria d'une voix forte : Cette tête eft celle
d'un traître.
Il eft impoffible de repréfenter la douleur
, l'étonnement & l'indignation de
la Nation entiere , auffitôt que la nouvelle
de cette fatale éxécution y fut répandue.
Jamais Monarque ne fut plus cher à fon
Peuple , que ce malheureux Prince l'étoit
devenu au fien , par fes infortunes. On
raconte que plufieurs femmes enceintes fe
délivrérent de leur fruit avant terme ;
d'autres furent faifies de convulfions ;
d'autres tombérent dans une mélancolie
qui les accompagna jufqu'au tombeau.
Le caractére de Charles , comme
celui de la plupart des hommes, fi l'on
»ne doit pas dire de tous les hommes
étoit un caractére mêlé ; mais fes vertus
l'emportoient extrêmement fur fes
» vices , ou plus proprement fur fſes im-
» perfections ; car parmi toutes les fau-
» tes , à peine en pourroit-on nommer
une qui méritât juftement le nom de
» vice. Pour l'envifager dans le point de
» vue le plus favorable , on peut affûrer
» que fa dignité étoit fans orgueil , fa
» douceur fans foibleffe , fa bravoure fans
» témérité , fa tempérance fans auſtérité,
"fon économie fans avarice . Pour lui
» rendre une juftice févére , on peut afJANVIER
1761 - 93
"
fürer auffi que plufieurs de fes bonnes
qualités étoient accompagnées de quel-
» que défaut , qui fans être fort grave
» en apparence , étoit néanmoins capa-
» ble , lorfqu'il fe trouvoit comme envepar
la malignité extrême de fa
» fortune , de leur faire perdre toute la
» force naturelle de leur influence. Son
» nimé
inclination bienfaifante étoit obfcur-
» cie , en quelque forte , par des maniè-
» res peu gracieuſes. Sa piété avoit une
» teinture de fuperftition. Son jugement
» naturel perdoit beaucoup , par la dé-
»férence qu'il avoit pour des perfonnes
» d'une capacité inférieure à la fenne ;
& fa modération ne le garantifoit pas
toujours des réfolutions brufques &
précipitées. Il mérite l'épithète de bon,
plutôt que celle de grand homme ; &
» fes qualités , telles qu'elles étoient , le
» rendoient plus propre à régner dans
» un Etat régulièrement établi , qu'à cé-
» der aux emportemens d'une affemblée
»
30
"
populaire , ou qu'à les réprimer . La
» foupleffe & l'habileté lui manquoient
» pour l'un , & la vigueur pour l'autre.
La diffolution de la Monarchie ſuivit de
près la mort du Monarque . La Chambre
des Communes déclara que celle des Pairs
étant inutile & dangereufe , elle devoit
94
MERCURE
DE
FRANCE.
être entiérement abolie .Toutes les formes
des affaires publiques furent changées , &
prirent au lieu du nom duRoi, celui deGardien
des libertés d'Angleterre. On déclara
coupables de haute trahifon , ceux qui reconnoîtroient
autrement pour leur Roi ,
Charles Stuart, connufous le nom de Prince
de Galles. L'intention des Communes
étoit de mettre la Princeffe Elifabeth en
apprentiſſage chez un marchand Boutonnier
; & le Duc de Glocefter devoit être
élevé auffi dans quelqu'autre profeſſion
méchanique : mais la Princeffe mourut
bientôt ; & Cromwel fit paffer la mer au
jeune Duc. La Statue du Roi, qu'on voyoit
au Change royal, fut renversée, & cette infcription
mife fur le pied- d'eftal : Le Tyran
a difparu : o'eft le dernier de nos Rois.
Cromwel n'avoit plus qu'un pas à faire
pour fe rendre abfolu ; c'étoit de caffer le
Parlement. Il convoqua une affemblée générale
des Officiers militaires; & dès le premier
moment, il les trouva difpofés à recevoir
toutes les impreffions. La plupart
étoient fes créatures ; ils lui avoient dû
leur avancement , & n'avoient de fond à
faire que fur lui , pour l'avancement de
leur fortune . Il fe fit
accompagner au Parlement
par trois cens foldats ; il en plaça
quelques- uns à la porte , d'autres fous le
JANVIER. 1761.
portique, & d'autres fur les degrés . Il entrá
dans l'affemblée , y demeura quelque tems
allis
pour entendre les débats ; puis fe levant
tout d'un coup , il chargea le Parlement
des plus fanglantes accufations. Il
lui reprocha fa tyrannie , fon ambition ,
fes oppreffions & fes vols publics . Enfuite
, frappant du pied , fignal auquel il
avoit ordonné aux Soldats d'entrer. » Fi ,
fi,, dit-il au Parlement ; par honte re-
» tirez-vous ; faites place à de plus hon-
" nêtes gens , qui feront plus fidéles à
» leur devoir. Vous n'êtes plus un Parle-
» ment ; m'entendez-vous ? Je vous dé-
» clare que vous n'êtes plus un Parle-
» ment. Le Seigneur vous a rejettés . Il
a choifi d'autres inftrumens pour ache-
» ver fon ouvrage. » Le Chevalier Vane
» fe récriant contre un procédé fi fingulier
, il l'interrompit d'une voix plus forte
: » O Chevalier Vane , Chevalier Va-
» ne ! Ciel délivrez- moi du Chevalier
» Vane. » Il prit un autre Membre par
l'habit . Tu es , lui dit- il , un Coureur
» de Filles . A un autre : Tu es un adulté-
» re. A un troifiéme . Tu es un ivrogne
» & un gourmand : toi un voleur , dit - il
à un quatrième. Il donne ordre au premier
Soldat de prendre la maffe. » Que
» faites- vous de ce colifichet ? Qu'on l'ôte
Α
6 MERCURE DE FRANCE
" d'ici. Et s'adreffant à la Chambre :
» C'est vous , reprit - il , qui m'y avez
» forcé. J'ai conjuré nuit & jour le Ciel
» de m'ôter la vie plutôt que de me char-
» ger de cette opération. » Il fit vuider
la chambre par fes Soldats ; & fortant
lui - même le dernier , il ordonna que la
porte fût fermée , & fe retira dans fon
logement de Whitehall.
Cromwel forma un nouveau Parlement,
compofé d'artifans du bas ordre , de perfonnages
de la lie du peuple , tous fanatiques
& illuminés . On propofa , dans un
Confeil militaire , d'adopter un autre fyf
tême de gouvernement , & de tempérer
la liberté d'une République, par l'autorité
d'une feule perfonne , à qui l'on accorderoit
le titre de PROTECTEUR. Cromwel
fut élevé à cette dignité , & folemnellement
inftallé dans ce grand office. On
dreffa le plan de cette nouvelle légiflature
; & elle reçut l'approbation du Confeil.
Il y avoit quatre ans que le Protecteur
occupoit cette place , lorfqu'on lui
offrit la couronne & le titre de Roi. Il
demanda du tems pour y réfléchir , & il
n'accepta ni l'un ni l'autre , dans la crainte
d'éprouver le même fort que Charles I:
tant il avoit infpiré aux troupes d'horreur
pour la royauté! L'Auteur nous repréfente
Cromwel
JANVIER. 1761) 97
Cromwel fur la fin de fa vie , fans ceffe
agité , non de remords , mais de foupçons
& de terreurs . La mort qu'il avoit bravée
tant de fois au milieu des combats , étoit
continuellement préfente à fon imagination
éffrayée , & l'obfédoit dans fes plus
laborieufes occupations , comme dans fes
momens de repos. Il obfervoit d'un oeil
inquiet & perçant , tous les vifages qui
ne lui étoient pas familiers. Jamais il ne
faifoit un pas , fans être efcorté d'une
bonne garde. Il portoit une cuiraffe fous
fes habits ; & il n'étoit jamais fans une
épée , un poignard & des piftolets. On ne
le voyoit revenir d'aucun lieu par le chemin
droit , ou par celui qu'il avoit pris
en fortant. Dans tous les voyages , il
marchoit avec la glus grande précipitation
; rarement il dormoit plus de trois
nuits dans la même chambre , & jamais
il ne faifoit connoître d'avance celle qu'il
avoit choifie . It fe défioit de celles qui
étoient fans dégagement & fans porte de
derriere ; & fon premier foin , étoit d'y
placer des fentinelles. La fociété l'épouvantoit
, lorfqu'il faifoit réflexion à la
multitude de fes ennemis ; la folitude l'étonnoit
, en lui ôtant cette protection
qu'il croyoit néceffaire à fa fûreté . La
contagion d'une âme inquiete affecta bien-
I. Voli E
98 MERCURE DE FRANCE!
tôt le corps ; & fa fanté parut fenfiblement
décliner . Il fut faifi d'une fiévre lente
qui lui fit appréhender pour fa vie. Il
appella un de les Prédicateurs , & lui demanda
fi la doctrine qui enfeignoit qu'un
élu ne pouvoit jamais tomber , ou deve
nir fujet à la réprobation finale , étoit
vraie. Rien de plus certain , répondit
» le Miniftre. Je fuis donc fans crainte ,
» dit Cromwel , car je fuis fûr d'avoir été
" autrefois en état de grace. » Les Médecins
déclarérent que le Protecteur ne
pouvoit furvivre au premier accès dont
il étoit menacé . Le Confeil s'en allarma
& lui fit une députation ,, pour favoir fes
volontés fur le choix de fon fucceffeur ;
mais fes fens étoient déjà fi affoiblis ,
qu'il ne put exprimer fes intentions. On
lui demanda s'il ne fouhaitoit pas que
ce fût Richard , l'aîné de fes fils , qui lui
fuccédât au Gouvernement. On n'en tira .
qu'une fimple affirmative , ou les apparences.
Peu de temps après il expira le
3 Septembre , dans la cinquante- neuviéme
année de fon âge,
t
>
P
Le Confeil reconnut la fucceffion de
Richard qui fentant fon , incapacité ,
donna peu de temps après , fa demiffion ,
Après le rétabliffement de la Famille
Royale , quoiqu'on ne penfat point à le
JANVIER. 1761 . 99
chagriner , il jugea que la prudence l'obligeoit
de s'abfenter pour quelques années
; & dans fon voyage à Pezenas en
Languedoc , il fut introduit , fous un
nom emprunté , chez le Prince de Conti ,
Gouverneur de cette Province. La converfation
tourna fur les révolutions d'Angleterre
; & le Prince témoigna de l'admiration
pour le courage & l'habileté de
Cromwel. A l'égard de l'imbécille Ri-
» chard , continua- t-il , qu'eft il devenu ?
» Comment peut- il avoir été affez bête ,
» pour ne pas tirer plus d'avantages des
» crimes & de la fortune de fon pere a
Une vie fimple & paifible fit parvenir
Richard à la derniere vieilleffe . Il ne
mourut que vers la fin du régne de la
Reine Anne.
Le rappel de Charles II au Trône d'Angleterre
, fon mariage , les événemens de
fon régne , la punition des régicides, plufieurs
confpirations découvertes , la mort
& le caractére de ce Monarque , le couronnement
de fon frere , Jacques II ,
fes brouilleries avec l'Eglife Anglicane ,
la conduite , les projets & l'invafion du
Prince d'Orange , la fuite du Roi , & c ,
font les événemens qui occupent le troifiéme
Tome de cette Hiftoire , dont nous
ne tarderons à rendre compte
. pas
E ij
536310
100 MERCURE DE FRANCE.
SUITE DE LA SCIENCE DU GOUVERNEMENT
, par M. DE REAL .
APREs avoir donné le Diſcours Préliminaire
de cet ouvrage , nous voudrions.
pouvoir fuivre M. de Réal dans la belle
idée qu'il donne de la Science du Gouvernement
, de la formation des Sociétés ,
de l'objet des Loix & de la Politique.
» De la connoiffance des Loix & de la
Politique , fe forme la Science du Gou-
» vernement : pour en perfectionner la
» connoiffance des matiéres , & pour les
» réduire en un feul Corps de Science ;
l'ordre le plus naturel ( dit M. de Real,
" P. 36. 37. 38. 39. & 40 du premier volume
imprimé ) m'a paru être de divifer
l'Ouvrage en fept Parties , dont
» chacune compofe un volume , & eft
» fubdiviféé en Chapitres & en Sections.
» Annoncer un Ouvrage dogmatique de
fept volumes , c'eft fans doute annon-
» cer un Ouvrage bien long ; mais ne
puis-je pas , avec plus de fondement
» encore , employer la raifon dont l'O-
" rateur Romain fe fervit en écrivant
"9
fur l'un des Sujets que j'ai traités ? Si
JANVIER. 1761. IOJ
l'on meſure , ( difoit - il ) mon difcours
à la grandeur de mon entrepriſe , peut- «
être le trouvera- t-on trop court. *
ss
48
63
"
Dans le premier Volume , qui doit «
fervir d'Introduction à tous les autres ,
j'explique , en remontant jufqu'à la «
naifance des fiécles , comme de ces "
premieres Sociétés humaines que l'a- «
mour conjugal & la paternité ont for- -
mées , font forties ces Sociétés plus
nombreufes qu'on appelle civiles ; quel
a été l'origine des Arts , & quels pro- «
grès ils ont fait. J'expofe les plans des «
anciens Légiflateurs , & les formes des «
anciens Gouvernemens, dont je marque «
& les avantages & les défauts. J'entre
dans un grand détail au fujet des nou- «
velles Conſtitutions d'Etat qui fe trou- «
vent dans les quatre Parties du Mon- «
de. Je rapporte furtout les moeurs , les «
Loix tant fondamentales que civiles , la «
force ou la foibleffe des Nations de «
norre Europe. Enfin , après avoir mon- «
tré quelle eft actuellement la fituation «
politique de cette partie de la Tèrre qui
femble être un Monde ſéparé & différent «
des trois autres , je traite la queftion de «
*
s
Qua fi longa fuerit Oratio cum magnitudine
comparetur , ita fortaffis etiam brevior videbitur.
Cic. Of
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
»la meilleure forme de Gouvernement :
queſtion toujours mal agitée & toujours
» mal entendue. Le premier Volume con-
» tient l'hiftoire , & eft comme le tableau
» de tout le Monde politique. Il renferme
» des connoiffances préliminaires impor-
» tantes en elles mêmes , & néceffaires à
l'intelligence des Volumes qui fuivent.
»
"
Le fecond traite du Droit naturel .J'en
montre l'ufage pour les Souverains com-
»me pour les Sujets. J'en explique les
»grandes maximes , ces maximes qui élé-
» vent l'homme à Dieu , qui fixent l'at-
» tention de l'homme fur lui - même, & qui
» du culte divin & de l'amour propre bien
réglé , fait paffer l'homme à l'exercice
» des devoirs de la Société . Ce Droit na-
» turel dont je traite ici , tige des autres
22.
droits , reparoît aflez fouvent dans les Vo-
-lumes qui fuivent , où des raiſonnemens
qui ont un rapport tout particulier à ces
" autres Volumes , le ramène néceffaire-
» ment.
»
Lé troifiéme , du Droit Public. Je dif-
» cute d'abord ce qui a rapport au Gou-
» vernement économique . Je confidére en-
» fuite la Souveraineté par rapport à fon
» origine , à fes objets , à ſes caractéres , à
» les modifications , à fes effets. J'établis
»les divers pouvoirs qui la conftituent, les
و ر
"
JANVIER. 1761. 103
diverfes manières de l'acquérir & de la
perdre , les différens ordres de fucceffion
, les droits des Charges , les fonc- "
tions des Compagnies , la Police Militaire
, les Loix fondamentales des Etats ,
les droits & les devoirs refpectifs des "
Souverains & des Sujets , tous les grands "
principes de Gouvernement.
св
Le quatrième , du Droit Eccléfiaftique. «
Il n'a point été queftion de faire ici un «
Traité général de ce Droit , pour expli «
quer la conduite qui doit être tenue , & "
les motifs de décision qui peuvent être «
fuivis dans les affaires particulières de fa «
dépendance. La partie que j'ai traitée & «
approfondie , c'eft celle qui a rapport "
aux Princes , aux Miniftres & aux Magiftrats
, pour l'ufage qu'ils doivent faire , «
à cet égard , du pouvoir fouverain ; les
uns , parce qu'ils en font revêtus ; les au- «
tres , parce qu'ils en font les dépofitaires. «
Je me borne à la police intérieure & «
générale de l'Eglife , police dont le foin «
entre dans le corps des matiéres de Gou- «
vernement , comme la partie dans fon «
tout. J'ai dit de la difcipline Eccléfiafti- »
que tout ce que j'ai cru néceffaire d'en «
connoître pour l'adminiſtration civile . «
Ce quatrième Volume difcute tous les rap- «
ports du droit Eccléfiaftique au Gouver- "
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
nement , fon autorité , fon étendue , &
fes bornes ; les droits de la puiffance
» temporelle fur l'exercice extérieur de l'autorité
Eccléfiaftique , la part que les Princes
doivent prendre au Gouvernement ,
la difcipline , à la police de l'Eglife , les
» libertés & les ufages de tous les Pays
» Catholiques.
"
و ر
à
Le cinquième , du Droit des gens. J'y
explique l'origine , les différens ufages ,
» & les régles des Ambaffades ; les priviléges
des Miniftres publics , des Nations ,
»le Droit & les Loix de la guerre , les
principes des Traités , les queſtions qui
ont rapport à ces différens objets , & les
Maximes qui doivent être obfervées de
» peuple à peuple , ou entre les particuliers
qui vivent dans les différens Pays ,
& qui font , les uns envers les autres ,
» dans un état d'égalité naturelle.
»
Le fixième , de la Politique , ainfi pro-
» prement nommé. Ici , je marque les fo-
»lides principes & les vraies maximes d'u-
» ne faine Politique. J'en montre le légiti-
»me ufage. Je préfente fes préceptes dans
» leur étendue , non feulement par rapport
» au dedans de l'État , mais par rapport au
» dehors. Je développe les intérêts refpec-
»tifs des diverfes Nations de l'Europe . Il
paroît difficile , mais il n'a pas été im
JANVIER. 1761. 105
poffible de donner une liaiſon , & une «
fuite à cette multitude d'axiômes , de rai- «
fonnemens, & de faits , qui doivent nécef- «
fairement entrer dans la compofition d'un «e
traité particulier de Politique , propre à «
conduire les Princes & les hommes d'E- «
tat dans les routes de ce labyrinthe.
Le dernier Volume contient l'examen »
des principaux ouvrages compofés fur les «
matieres de Gouvernement. On apper- «
çoit d'abord quel en pourra être le fruit. “
Il fera connoître les Livres politiques ,
fixera l'idée qu'on doit avoir de ces Livres ,
& aidera les hommes d'Etat , & ceux qui
afpirent à le devenir , à confulter quand
ils le fouhaiteront les divers ouvrages , à «
en faire un jufte difcernement , & à puifer
dans les meilleures fources . »
M. l'Abbé de Burle Réal de Curban ༡
qui a toujours eu la confiance de M. de
Réal fon oncle , dépofitaire de tous les
ouvrages ,& à qui nous fommes redevables
du premier , du fecond & du fixiéme Volume
, donnera toute la fuite.
C4
Ev
r06 MERCURE DE FRANCE
LETTRE de M. DE VOLTAIRE , à M.
DUVERGER DE S. ETIENNE , Gentilhomme
du ROI DE POLOGNE
Auteur de l'Epitre fur la. Comédie de
L'EcoSSOISE , inférée dans le fecond
volume du Mercure d'Octobre..
Tour malade que je fuis , Monfieur ,
je fuis très- honteux de ne répondre qu'en.
profe & fi tard à vos très-jolis vers . Je félicite
le Roi de Pologne d'avoir auprès
de lui un Gentilhomme qui penſe comme
vous. Il ferait bien difficile qu'on
penfât autrement à la Cour d'un Prince
qui penfe fi bien lui- même , & qui a fait
renaître dans la Partie du Monde qu'il
gouverne, les beaux jours du Siécle d'Au
gufte , l'amour des arts & des vertus .
Lorfque j'ai demandé , Monfieur , votre
adreffe à Madame la Marquife des
Ayvelles , à qui je dois fans doute vos
fentimens , je me flattais de vous faire
de plus longs remercîmens . Ma mauvaiſe
fanté ne me permet pas une plus longue
lettre ; mais elle ne dérobe rien aux fentimens
d'eftime & de reconnaiffance
Monfieur , de votre très-humble & trèsobéiffant
Serviteur , VOLTAIRE
JANVIER. 1761 . 107
ODE , & LETTRES à M. DE VOLTAIRE ,
en faveur de la Famille du GRAND CORNEILLE
, par M. le Brun , Secrétaire de
S. A. S. Mgr le Prince de Conti . in- 8 °.
1760. A Genève ; & fe trouvent à Paris ,
chez Duchefne , rue S. Jacques , au Temple
du Goût.
Les bornes qui nous font prefcrites , &
l'abondance des matières , ne nous permettant
pas de rendre compte auffi complettement
que nous le defirerions , d'un
Ouvrage qui fait également honneur au
coeur & à l'efprit de M. le Brun ; nous
réſervons l'Extrait de l'Ode pour le Mercure
prochain ; & le Public , en attendant
, applaudira fans doute aux Lettres
qu'elle a occafionnées.
LETTRE de M. LE BRUN à M.
DE VOLTAIRE.
JE faifis avec tranfport , Monfieur , l'oc- Ε
cafion de vous écrire & de joindre deux
noms qui me font bien chers , le vôtre &
celui de Corneille , en vous engageant à
rendre quelque fervice à la famille de ce
grand homme. Puiffé je vous rappeller en
E- vj
08 MERCURE DE FRANCE.
même tems le fouvenir d'une amitié dont
vous accueillîtes prèfque mon enfance !
Je me dis fouvent avec douleur , avec
tranfport , Virgilium vidi tantùm. Pourquoi
, Monfieur , me fûtes- vous enlevé
alors ? Dans quelle nuit profonde , dans
quel vafte défert avez- vous laiffé notre Littérature
! Car vous m'avouerez que c'est
une grande folitude que la foule des Sots .
Que de chenilles profanent le facré val-
Jon ! que de Bufes y font la guerre aux
cygnes harmonieux ! Que de ferpens y
viennent fiffler pour en défendre l'abord
au génie !
Le Neveu de Corneille , pour qui l'on s'intéreſſe
dans cet Ouvrage , eft l'unique & dernier héritier
de ce grand Nom . Il mérite de le porter , parce
qu'il en connoît tout le prix . Il a réparé par la
nobleffe de fes fentimens , l'éducation qu'il n'a pu
recevoir. On fçait qu'au temps de la fucceffion de
M. de Fontenelle , il lui fut offert une fomme d'argent
pour le défiſter de ſes droits & même de fon
nom. M. de Corneille, quoique pauvre & fans reffource
, la refufa fans balancer: refus fublime dans
les crifes de la mifère.Il répondit encore,quand on
le menaça de la perte de fon procès , qu'au moins
il gagneroit le nom de Corneille. L'éclat qui fuit
une indigence foutenue avec tant de dignité , &
l'intérêt que M. de Voltaire & tous les vrais Citoyens
prennent au defcendant d'un Grand-
Homme , vont faire bien rougir ceux qui ne
refpectant pas l'infortune d'un Corneille , en ont
triomphe honteufement , & ne lui préſentojent
qu'un vifage d'airain.
JANVIER. 1761.
TOO
Le dédain que j'ai pour cette populace
d'Auteurs mauvais ou médiocres , mon
goût inflexible pour les feuls grands modéles
, ma vénération pour tout ce qui
porte l'empreinte du génie , me rappro
chent naturellement de vous , Monfieur ;
& fans l'intervalle qui nous fépare , &
fans les liens qui m'attachent à la perfonne
d'un grand Prince , c'eft auprès de
vous que j'irois puifer cette critique généreufe
, que l'amour des arts éclaire, que
n'empoiſonne jamais l'envie , telle enfin
que Racine l'exigeoit de Boileau. J'irois
puifer à leur fource ces fentimens de bienfaiſance
qui m'engagent eux-mêmes à les
reclamer pour la famille de Corneille .
C'eſt au génie fans doute à protéger une
Race illuftrée par le génie. A ce titre , je
ne vois que Monfieur de Voltaire en Europe
de qui un homme du nom de Corneille
puiffe , fans s'avilir , attendre les
bienfaits. Ces éloges que vous avez tant
de fois prodigués à fa mémoire , & que la
Patrie entiere lui doit , me répondent de
ce que vous ferez pour un de ſes neveux.
L'idée que m'infpire ce nom divin eft fi
haute , que felon moi il n'y a point même
de Rois qui ne s'honoraffent beaucoup
de prodiguer des fecours en fa faveur.Vous
feul , Monfieur , agirez en égal avec ce
grand homme.
110 MERCURE DE FRANCE.
Eh ! quel autre que vous a toujours fair
éclater en faveur du génie une ivreſſe
plus noble , une admiration plus éclairée
La gloire eft votre élément. Qu'il
eft flatteur pour vous de joindre à cette
fublimité de l'efprit la tendre bienfaifance
d'un coeur qui s'épanche dans tous vos
ouvrages , & qui vous à rendu le Peintre
de l'Humanité.
Voilà , Monfieur , s'il étoit poffible
d'être au-deffus de Corneille même & de
Racine , voilà ce qui donneroit le premier
rang à vos ouvrages ; parce qu'ils
infpirent aux hommes un fentiment plus
utile à la Société que ceux d'une ftérile
admiration. Voilà ce qui m'a fait naître
le defir de rendre à Corneille un hommage
qui retombe fur vous-même.
Le Public va juger , en voyant cette
Ode imprimée, que vous feul étiez digne
en effet de fecourir le defcendant d'un
grand homme , dont vous êtes devenu le
rival. Combien votre coeur doit s'applau
dir de la certitude qu'on a de vos bienfaits
, & d'en avoir fait fentir le charme
à tous ceux qui vous ont lû ! Votre ſtyle
devient fi affectueux , fi enchanteur quand
cet objet l'anime , qu'il eft aifé de voir
combien votre âme refpire les fentimens
que vous tracez.
1
1
JANVIER. 1761 . ITE
>
Laiffez , laiffez à vos ennemis l'horrible
fatisfaction de calomnier votre coeur ,
& de croire que votre plume écriroit fans
fon aveu. Ceux qui vraiment éclairés fçavent
que jamais l'efprit n'enfante rien de
fublime s'il n'eft infpiré par le coeur, vous
rendent , comme moi , la justice la plus
entiere & la plus méritée . Les droits d'un
Corneille à vos bienfaits font inconteftables
; les voici : fes malheurs , fon nom
& le vôtre. Je fuis &c .
REPONSE de M. DE VOLTAIRE à M.
LE BRUN , Secrétaire des Commande
mens de S. A. S. M. LE PRINCE DE
CONTI.
Au Château de Ferney , pays de Gex , par Geneve.
E vous ferais , Monfieur , attendre ma
réponse quatre mois au moins , fi je prétendais
la faire en auffi beaux vers que les
vôtres. Il faut me borner à vous dire , en
profe, combien j'aime votre Ode & votre
propofition. Il convient affez qu'un vieux.
foldat du grand Corneille tâche d'être
utile à la petite fille de fon Général..
Quand on bâtit des Châteaux & des Eglifes.
,, & qu'on a des parens pauvres à foutenir
, il ne refte guères de quoi faire ce
-
112 MERCURE DE FRANCE.
qu'on voudrait pour une perfonne qui
ne doit être fecourue que par les plus
Grands du Royaume .
Je fuis vieux , j'ai une niéce qui aime
tous les arts & qui réuffit dans quelquesuns
; fi la perfonne dont vous me parlez,
& que vous connaiſſez fans doute , voulait
accepter auprès de ma niece l'éduca--
tion la plus honnête , elle en aurait foin
comme de fa fille : je chercherais à luifervir
de père . Le fien n'aurait abſolu->
ment rien à dépenfer pour elle . On lui
payerait fon voyage jufqu'à Lyon. Elle
feroit adreffée à Lyon à Monfieur Tronchin
, qui lui fournirait une voiture jufqu'à
mon Château , ou bien une femme
irait la prendre dans mon équipage. Si
cela convient , je fuis à fes ordres , & j'ef
pere avoir à vous remercier jufqu'au dernier
jour de ma vie de m'avoir procuré
l'honneur de faire ce que devait faire M.
de Fontenelle. Une partie de l'éducation
de cette Demoiſelle ferait de nous voir
jouer quelquefois les Piéces de fon grandpère
, & nous lui ferions broder les ſujets
de Cinna & du Cid.
J'ai l'honneur d'être , avec toute l'eftime
& tous les fentimens que je vous dois ,
Monfieur votre très - humble & trèsobéiffant
ferviteur , VOLTAIRE.
,
JANVIER. 1761. 178
SECONDE LETTRE de M. Le Brux.
Je n'accepte , Monfieur , les éloges flarteurs
que vous donnez à mes vers , que
pour les rendre à la nobleffe de votre procédé
; voilà ce qui mérite uniquement
d'être loué. Vous goûtez ce bonheur fi
méconnu , fi pur de faire des heureux. Je
m'attendois à votre réponſe : elle n'étonnera
que l'Envie . J'ai couru la lire à Mademoiſelle
Corneille ; elle en a verfé des
larmes de joie : elle vous appelle déjà fon
bienfaiteur & fon pere. Elle promet à vos
bontés , à celles de Madame votre niéce ,
une éternelle reconnoiffance , & je n'ai
point de termes pour vous exprimer celle
d'une Famille que vous foulagez.
Pour moi je m'eſtime trop heureux d'avoir
pu fervir à la fois & votre gloire &
le nom de Corneille. Vous l'appellez modeftement
vorre Général , mais il vous
eût dit :
De pareils Lieutenans , n'ont de Chefs qu'en idée,
Sertorius
Vous avez fait , Monfieur , ce que Fontenelle
n'a point fait , & ce que peut - être il
n'a point dû faire, parce que le Bel - Eſprit
114 MERCURE DE FRANCE.
écarte de la nature , & que le Génie en
rapproche ; vous avez fait plus que les
Grands & les Rois , ces illuftres Ingrats ;
parce que l'élévation du rang ne décide
point de la grandeur d'âme. Vous avez
fenti qu'il y aurait une espéce de honte à
des Français de laiffer dans l'oubli & dans
la mifère le nom d'un Grand Homme qui a
fi bien mérité de la Patrie. Vous donnez à
tous les hommes , à tous les fiécles , un
modéle & des leçons d'humanité. Vous
leur apprenez quels font les droits & les
devoirs du Génie.
Un procédé fi généreux a fait ici la fenfation
la plus vive ; chacun eſt jaloux de lire
votre Lettre. On la regarde comme un
monument public de bienfaifance . On répete
ces mots , je chercherois à lui fervir
de père. Tous ceux qui chériffent la més
moire du Grand Corneille , femblent partager
votre bienfait avec fa famille. On
le trouve digne de vous , digne du Peintre
d'Alvarès . On éléve votre coeur , votré
génie , votre gloire ; l'admiration reſte
fufpendue entre vos Ecrits & cette géné
rofité. Elle vous concilie tous les fuffrages ,
& j'ofe dire que vous jouiffez de la reconnoiffance
publique.
J'ai l'honneur d'être &c. LE BRUN.
JANVIER, 1761. 115
LETTRE de M. DE VOLTAIRE à Mile
CORNEILLE , inférée dans une de fes
Lettres à M. LE BRUN , Secrétaire des
Commandemens de Mgr LE PRINCE
DE CONTI.
VoOTRE nom , Mademoiſelle , votre
mérite & la Lettre dont vous m'honorez ,
augmentent dans Madame Denis & dans
moi le defir de vous recevoir , & de mériter
la préférence que vous voulez bien
nous donner. Je dois vous dire que nous
paffons plufieurs mois de l'année dans une
campagne auprès de Genève , mais vous
y aurez toutes les facilités & tous les fecours
poffibles pour tous les devoirs de la
Religion . D'ailleurs notre principale habitation
eft en France , à une lieue de là, dans
un château très agréable , que je viens de
faire bâtir , & où vous ferez beaucoup
plus commodément que dans la maiſon
d'où j'ai l'honneur de vous écrire . Vous
trouverez dans l'une & dans l'autre habitation
de quoi vous occuper tant aux petits
ouvrages de la main qui pourront vous
plaire , qu'à la Mufique & à la lecture.
Si votre goût eft de vous inftruire de la
-
116 MERCURE DE FRANCE
Géographie & de l'Hiftoire , nous ferons
venir un Maître qui fera , fans doute , trèshonoré
d'enſeigner quelque chofe à la petite-
fille du Grand Corneille. Mais je le ferai
beaucoup plus que lui de vous voir habiter
chez moi. J'ai l'honneus d'être avec
reſpect & c.
VOLTAIRE.
Je me joins à mon Oncle , Mademoifelle
, pour vous marquer le plaifir que
nous aurons de vous recevoir : je ferai de
mon mieux pour vous rendre votre féjour
agréable, & pour mériter votre confiance.
J'efpére que lorfque nous nous connoîtrons
, vous m'accorderez un peu d'amitié ;
je la mérite par le defir que j'ai de vous
fervir & de vous prouver les fentimens
que votre nom & tout le bien que l'on nous
dit de vous , m'infpire .
DENIS .
TRAITÉ , fur les principes de l'Art d'écrire
, & fur ceux de l'Ecriture ; par M.
d'Autrepe , Syndic des Experts - Jurés-
Ecrivains ; gravé par M. Oger , rue S.
Jacques , vis-à-vis le Collége du Pleffis.
in- folio. Paris , 1760 , chez Durand , Libraire
, rue du Foin , la premiere porte
JANVIER, 1761 . 117
cochére en entrant par la rue S. Jacques.
Cet Ouvrage , auffi utile que bien imprimé
& dont les gravûres font admirées des
connoiffeurs , a été préfenté par l'Auteur
à Mgr le Duc de Bourgogne ; avec un autre
Ouvrage intitulé , l'Arithmétique de la
Nobleffe Commerçante, ou Entretiens d'un
Négociant & d'un jeune Gentilhomme ,
fur les principales notions de l'Arithmétique
, & des quatre premières Règles :
Volume in-4°. du même Auteur , & qui
fe vend chez le même Libraire .
HISTOIRE DE PHILIPPE ET D'ALEXANDRE
LE GRAND, Rois de Macédoine , dédiée au
Roi de Dannemarck , par M. de Bury.
in-4° . Paris , 1760. Se vend chez l'Auteur
, rue Gît- le-Coeur , vis -à- vis celle de
l'Hirondelle ; chez d'Houry , rue vieille
Bouclerie , au S. Efprit & au Soleil d'Or ;
& chez Debure l'aîné , quai des Auguftins
, à l'Image S. Paul , avec Approbation
& Privilége du Roi . Nous donnerons
inceffamment l'Extrait de cet Ouvrage.
- TRAITÉ des dépôts dans le Sinus Maxillaire
, des fractures , & des caries de l'une
& de l'autre machoire , fuivi de réflexions
& d'obſervations fur toutes les opérations
18 MERCURE DE FRANCE.
de l'art du Dentifte. Par M. Jourdain ,
Dentiſte , reçu au Collège de Chirurgie.
in- 12 , Paris. 1760. Chez L. Ch . d'Houry
, rue de la vieille Bouclerie , au Saint-
Elprit. Cet Ouvrage paroît bien fait , &
fuivant de fages principes. Il eft plein
d'obfervations utiles fur tout ce qui a été
dit jufqu'à préfent fur cet Art , que l'Auteur
profeffe avec diftinction.
ORAISON FUNEBRE de très-haute , trèspuiffante
, & très- excellente Princeffe ,
Marie- Théreſe , Infante d'Eſpagne , Dauphine
. Prononcée dans l'Eglife de S. Denis ,
les Septembre 1746.Par Meffire Matthias
Poncet de la Riviére , Evêque de Troyes ,
in-12. A Troyes , 1760 , chez Jean - Baptifte-
François Bouillerot , Libraire de Mgr
l'Evêque , grande rue. Le prix eft de 2 liv.
broché.
GRAMMAIRE FRANÇOISE PHILOSOPHIQUE,
ou Traité complet fur la Phyfique , fur
la Métaphyfique , & fur la Rhétorique
du langage qui regne parmi nous dans la
Société. Par M. d'Açarq , de la Société
Littéraire d'Arras , ci - devant Profeffeur
de Langue & de Belles Lettres Françoifes
, à l'Ecole Royale- Militaire . in - 12 .
Genève , 1760 ; & le trouve à Paris , chez
JANVIER. 1761.
719
Moreau , rue Galande , & chez Lambert.
rue de la Comédie Françoife. Cet ouvrage
eft eftimé , & nous nous propofons
d'en rendre compte.
DISCOURS prononcé dans l'Académie
Royale des Sciences & Belles- Lettres de
Nanci , le Lundi 20 Octobre 1760. Par
M. Durival , cadet , Greffier en Chef des
Confeils du Roi ; pour fa réception à
l'Académie , in- 12 . Nanci , chez la veuve
& Claude le Seure , Imprimeurs ordinaires
du Roi.
ALMANACH POLISSON ou Etrènnes
Poiffardes & bouffonnes , précédées de
F'AMOUR MATOIs , Opéra- Comique Poiffard
.
ALMANACH POINTU , ou Tablettes néceffaires.
ETRENNES de ces Meffieurs , pour ces
Demoiſelles.
ETRENNES gentilles & de bon goût.
ALMANACH LYRIQUE
Tous ces Almanachs , & autres , fe
touvent chez Cailleau , Libraire ,' quai
des Auguftins.
ATLAS méthodique & élémentaire de
110 MERCURE DE FRANCE.
Eh ! quel autre que vous a toujours fair
éclater en faveur du génie une ivreſſe
plus noble , une admiration plus éclairée
La gloire eft votre élément . Qu'il
eft flatteur pour vous de joindre à cette
fublimité de l'efprit la tendre bienfaifance
d'un coeur qui s'épanche dans tous vos
ouvrages , & qui vous à rendu le Peintre
de l'Humanité.
Voilà , Monfieur , s'il étoit poffible
d'être au-deffus de Corneille même & de
Racine , voilà ce qui donneroit le premier
rang à vos ouvrages ; parce qu'ils
infpirent aux hommes un fentiment plus
utile à la Société que ceux d'une ftérile
admiration . Voilà ce qui m'a fait naître
le defir de rendre à Corneille un hommage
qui retombe fur vous -même.
Le Public va juger , en voyant cette
Ode imprimée, que vous feul étiez digne
en effet de fecourir le defcendant d'un
grand homme , dont vous êtes devenu le
rival. Combien votre coeur doit s'applau
dir de la certitude qu'on a de vos bienfaits
, & d'en avoir fait fentir le charme
à tous ceux qui vous ont lû ! Votre ſtyle
devient fi affectueux,fi enchanteur quand
cet objet l'anime , qu'il eft aifé de voir
combien votre âme refpire les fentimens
que vous tracez,
JANVIER. 1761 .
Laiffez , laiffez à vos ennemis l'horri
ble fatisfaction de calomnier votre coeur ,
& de croire que votre plume écriroit fans
fon aveu. Ceux qui vraiment éclairés fçavent
que jamais l'efprit n'enfante rien de
fublime s'il n'eft inspiré par le coeur,vous
rendent , comme moi , la justice la plus
entiere & la plus méritée. Les droits d'un
Corneille à vos bienfaits font inconteſtables
; les voici : fes malheurs , fon nom.
& le vôtre. Je fuis &c.
REPONSE de M. DE VOLTAIRE à M.
LE BRUN , Secrétaire des Commande
mens de S. A. S. M. LE PRINCE DE
CONTI.
Au Château de Ferney , pays de Gex , par Geneve..
JE E vous ferais , Monfieur , attendre ma
réponſe quatre mois au moins , fi je prétendais
la faire en auffi beaux vers que les
vôtres. Il faut me borner à vous dire , en
profe, combien j'aime votre Ode & votre
propofition. Il convient affez qu'un vieux.
foldat du grand Corneille tâche d'être
utile à la petite fille de fon Général.
Quand on bâtit des Châteaux & des Eglifes.
,, & qu'on a des parens pauvres à foutenir
, il ne refte guères, de quoi faire ce
-
112 MERCURE DE FRANCE.
qu'on voudrait pour une perfonne qui
ne doit être fecourue que par les plus
Grands du Royaume.
Je fuis vieux , j'ai une niéce qui aime
tous les arts & qui réuffit dans quelquesuns
; fi la perfonne dont vous me parlez ,
& que vous connaiffez fans doute , voulait
accepter auprès de ma niece l'éducation
la plus honnête , elle en aurait foin
comme de fa fille : je chercherais à lui
fervir de père . Le fien n'aurait abfolument
rien à dépenſer pour elle. On lui
payerait fon voyage jufqu'à Lyon . Elle
feroit adreffée à Lyon à Monfieur Tronchin
, qui lui fournirait une voiture jufqu'à
mon Château , ou bien une femme
irait la prendre dans mon équipage . Si
cela convient , je fuis à fes ordres , & j'ef
pere avoir à vous remercier jufqu'au dernier
jour de ma vie de m'avoir procuré
l'honneur de faire ce que devait faire M.
de Fontenelle. Une partie de l'éducation
de cette Demoiſelle ferait de nous voir
jouer quelquefois les Piéces de fon grandpère
, & nous lui ferions broder les fujets
de Cinna & du Cid.
J'ai l'honneur d'être, avec toute l'eftime
& tous les fentimens que je vous dois ,
Monfieur , votre très - humble & trèsobéiffant
ferviteur , VOLTAIRE.
JANVIER. 1761.
SECONDE LETTRE de M. LE BRUN
Je n'accepte , Monfieur , les éloges flarteurs
que vous donnez à mes vers , que
pour les rendre à la nobleſſe de votre procédé
; voilà ce qui mérite uniquement
d'être loué . Vous goûtez ce bonheur fi
méconnu, fi pur de faire des heureux. Je
m'attendois à votre réponſe : elle n'étonnera
que l'Envie. J'ai couru la lire à Mademoiſelle
Corneille ; elle en a verſé des
larmes de joie : elle vous appelle déjà fon
bienfaiteur & fon pere. Elle promet à vos
bontés , à celles de Madame votre niéce ,
une éternelle reconnoiffance , & je n'ai
point de termes pour vous exprimer celle
d'une Famille que vous foulagez.
Pour moi je m'eftime trop heureux d'avoir
pu fervir à la fois & votre gloire &
le nom de Corneille. Vous l'appellez modeftement
vorre Général , mais il vous
eût dit :
De pareils Lieutenans , n'ont de Chefs qu'en idée,
Sertorius
Vous avez fait , Monfieur , ce que Fontenelle
n'a point fait , & ce que peut- être il
n'a point dû faire, parce que le Bel - Efprit
120 MERCURE DE FRANCE:
Géographie & d'Hiftoire , dédié à M. le
Préfident Hénault . Par M. Buy de Mornas
, Profeffeur de Géographie & d'Hiftoire.
Il fera compofé des 180 Planches , &
fera divifé en trois volumes in- fol . Nous
en donnerons le Profpectus dans le Mercure
prochain. On peut , en attendant
s'adreffer chez l'Auteur , rue & vis -à- vis
le Prieuré du Cherche - Midi .
AVIS AUX SOUSCRIPTEURS DU COURS
DE L'HISTOIRE UNIVERSELLE. Une conteſtation
littéraire , élevée entre les Auteurs
du Cours d'Hiftoire , a fufpendu
la diftribution des feuilles jufqu'au retour
des vacances de M. de Lamoignon
de Malesherbes . On va reprendre cette
diftribution réguliérement deux fois par
femaine ; & en furchargeant quelques
femaines d'un plus grand nombre de feuilles
, on fera en forte que dans le courant
du fecond femeftre toutes les feuilles
foient fournies comme elles auroient dû
l'être fans cette interruption .
Meffieurs les Soufcripteurs, qui nont pas
envoyé payer le fecond femeftre , font
priés de le faire inceffamment.
ARTICLE
JANVIER. 1761 . 121
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIE S.
SEANCE publique de l'Académie Royale
des Sciences.
M. DEPARCIEUX termina cette Séance
par la lecture d'un Mémoire fur le tirage
des Chevaux , ou pour mieux dire , fur la
pofition des traits qui fatiguent le moins
les chevaux .
Plufieurs perfonnes ont écrit fur la
force des hommes & des chevaux. Le
premier qui pouvoit le mieux difcuter
tous les cas , dit M. D. eft M. de la Hire;
mais fon Mémoire de 1699 , ne roule
particulierement que fur la force dont un
homine eft capable , dans toutes les différentes
manieres fuivant lefquelles il peut
agir. M. de Camus , Gentilhomme Lorrain,
eft le premier qui ait parlé de la pofition
des traits ; il veut qu'ils foient parallèles
au chemin , ou le palonier à la hauteur
du poitrail des chevaux. Tous ceux qui
ont écrit depuis ont répété la même
I. Vol
F
122 MERCURE DE FRANCE
1
chofe ; peut- être fur la foi du Docteur
Defagulier , qui a copié tout au long ce
précepte du Traité des Forces Mouvantes
de M. de Camus : il eft vrai que ce Docteur
en donne auffi la réfutation qui lui
fut envoyée par M. Beighton fon ami.
Les obfervations de M. Beighton ,
quoique vraies , n'ont pas empêché que
ceux qui ont écrit depuis M. Defagulier
fur le même fujet , n'ayent encore recommandé
le tirage parallèle au chemin .
Comme ce précepte eft contraire à tout
principe démontré , & quoiqu'il n'ait pas
encore fait de grands progrès , M. D. a
cru devoir en montrer plus particulierement
le faux ; & pour y parvenir , il a
commencé par faire remarquer que les
muſcles des chevaux ; non plus que ceux
des hommes , ne tirent ( dans le cas dont
il s'agit ici ) qu'autant qu'ils font aidés du
poids de la malle de l'agent ; où pour le
dire plus exactement, la pefanteur fait
la traction , le jeu & la force des muſcles
mettent & tiennent continûment la maffe
en état de la faire par une infinité de
chûtes inftantanées . Ayant fait voir que
la traction fe fait par la pefanteur , le
refte fe démontre aifément , foit en menant
des perpendiculaires du point d'appui
aux directions , foit par le principe
• JANVIER * . 1761. 123
de la décompofition des forces , en prenant
une quantité quelconque, conftante,
dans la ligne menée du centre de gravité
du cheval à fes pieds de derriere , pour
l'effort que font les mufcles pour écarter
ces deux points : fuppofant le cheval tirer
par des traits parallèles au chemin ,
& achevant les parallelogrammes des
forces , d'après les traits parallèles & les
traits inclinés , on trouvera qu'une moindre
portion de la maffe de l'agent eft
capable de faire une plus grande traction
par les traits inclinés ; d'où il fuir
que le cheval n'a pas befoin de fe baiffer
autant pour faire l'effort néceffaire , &
qu'il a par conféquent bien moins de
peine à tirer par des traits inclinés que
par des traits parallèles , toutes chofes
d'ailleurs égales .
M. D. a voulu s'affûrer par le fait , de
ce que le raisonnement lui indiquoit, de
crainte qu'il n'y eût quelque cauſe cachée
contraire ; car en tout ce qui eft
d'application de principes , il faut, autant
qu'on le peut , voir s'ils font d'accord
avec l'expérience . Il a pris lui - même la
bretelle d'un Batelier , & il a remonté le
batelet & le Batelier pendant un affez
long chemin ; il a remarqué fenfiblement
qu'il avoit moins de peine lorfqu'il tiroit
"
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
1
en marchant fur une berge médiocrement
haute , que lorfqu'il marchoit auprès
de l'eau. Il a fait tirer un cheval à
un manége de pompe , où la, réfiftance
eft conftamment la même , faiſant placer
le palonier à différente hauteur ; il lui a
toujours paru,en comparant toutes chofes ,
favorables & contraires , que la poſition
du palonier à la moitié de la hauteur du
poitrail , ou environ , étoit la plus commode
; le cheval fe panchoit moins , & après
avoir tiré plus longtemps par cette pofition
de traits , que par la pofition parallèle
, le cheval en étoit toujours moins
fatigué. En effet , le peu que cette inclinailon
de traits le charge à dos , eft plus
favorable à fon action que nuifible. Il
n'eft pas obligé de fe pancher , & de ſe
baiffer autant , qu'en tirant par des traits.
parallèles ; par là moins expofé à gliffer ,
& à s'abattre ; raiſon affez importante
pour la confervation d'un animal auffi
utile.
Ce Mémoire contient encore plufieurs
bonnes raifons , toutes dépendantes de
l'inclinaifon des traits ; avantage dont on
ne peut pas profiter pour les voitures à
deux roues , qu'il faut laiffer comme elles
font. Mais en recommandant le tirage
bas , M. D. ne demande pas qu'on dimiJANVIER.
1761. 125
nue les roues de devant des Caroffes &
autres voitures , qui les ont déjà grandes ;
il voudroit , au contraire , que la commodité
de la voiture , & la folidité des brancarts,
permiffent de les faire plus grandes :
on mettroit alors la volée fous les armons
où elle feroit tout auffi bien que par deffus.
Mais un article affez important que M. D.
recommande , & que je ne dois pas o
mettre , c'eft de faire tirer par une volée ,
placée au bout du timon , les chevaux de
devant , quand on en met quatre ou da
vantage.
*
LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES & Belles-Lettres
d'Auxerre tint fa Séance Publique le
· Lundi 27 Octobre 1760 dans la falle de
M. l'Abbé Potel , Chanoine de la Cathédrale
, l'un de fes Membres.
M. l'Abbé Précy , Directeur , ouvrit la
Séance par un Difcours écrit avec autant
d'énergie que fortement penfé , où il réfute
ceux qui s'élevent contre les nouveaux
établiffemens d'Académies dans les
Villes de Provinces , & qui en rabaiſſent
l'utilité .
M. le Pere , Secrétaire perpétuel , lut
enfuite l'éloge de M. l'Abbé le Beuf, Penfionnaire
de l'Académie des Infcriptions
& Belles -Lettres , Honoraire de la Société
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
d'Auxerre , fi connu dans la République
des Lettrés .
Cet Eloge fut fuivi d'un Encomium
Funebre du même M. le Beuf en ftyle lapidaire
, par M. l'Abbé Potel.
M. le Pere reprit la parole , & lut l'éloge
de M. Martin , très - habile Apoticaire
, Membre réfident de la Société , décédé
depuis un mois , à l'âge de 31 ans ,
& qui emporte les regrets & l'eftime de
tous fes concitoyens .
M. Potel lut enfuite la premiere par
tie de fon Mémoire , fur l'origine & les
révolutions des différens Hôpitaux ou
Maifons de Charité qui ont fubfifté ou
qui fubfiftent encore à Auxerre.
Enfuite M. Mignot , Grand - Chantre
de la Cathédrale , lut fes obfervations
fur quelques méprifes où eft tombé M.
l'Abbé Velly dans fon Hiftoire de France,
au fujer de S. Germain , Evêque d'Auxer
re , & de Sainte Géneviève.
M. l'Abbé Précy ferma la Séance par
la lecture d'un Morceau de fon Hiftoire
d'Auxerre , où il recherche en particulier
l'origine des différentes Coutumes fuivies
en France , & furtout de celle d'Auxerre.
L'Affemblée étoit fort nombreufe , &
parut goûter les Ouvrages qui avoient oc-
'cupé la Séance,
JANVIER. 1762. 127
PRIX propofe par l'Académie Royale de
Chirurgie , pour l'Année 1762 .
L'ACADÉMIE Royale de Chirurgie propofe
pour le Prix de l'année 1762 , le
Sujet fuivant :
Déterminer la manière d'ouvrir les ab
Jeès , & leur traitement méthodique , fuivant
les différentes parties du Corps.
Ceux qui envoyeront des Mémoires ,
font priés de les écrire en François ou
en Latin,& d'avoir attention qu'ils foient
fort lifibles .
,
Les Auteurs mettront fimplement une
devife à leurs Ouvrages ; mais › pour fe
faire connoître , ils y joindront à part
dans un papier cacheté & écrit de leur
propre main , leurs nom , demeure &
qualité ; & ce papier ne fera ouvert qu'en
cas que la Piéce ait remporté le prix.
Ils adrefferont leurs ouvrages , francs
de port , à M. Morand , Secrétaire Perpétuel
de l'Académie Royale de Chirurgie ,
à Paris ; ou les lui feront remettre entre
les mains.
Toutes perfonnes de quelque qualité &
pays qu'elles foient , pourront afpirer au
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE
Prix ; on n'en excepte que les Membres
de l'Académie.
Le Prix eft une Médaille d'or de la
valeur de cinq cens livres , fondée par
M. de la Peyronie ; qui fera donnée à
celui qui , au jugement de l'Académie
aura fait le meilleur Mémoire fur le Sujet
propofé.
La Médaille fera délivrée à l'Auteur
même qui fe fera fait connoître , ou au
Porteur d'une procuration de fa part ;
l'un ou l'autre repréfentant la marque diftinctive
, & une copie nette du Mémoire.
Les Ouvrages feront reçus jufqu'au
dernier jour de Décembre 1761 incluftvement
; & l'Académie , à fon Aſſemblée
publique de 1762 , qui fe tiendra le Jeudi
d'après la quinzaine de Pâques , proclamera
la Piéce qui aura remporté le
Prix.
L'Académie ayant établi qu'elle donneroit
tous les ans fur les fonds qui lui
ont été légués par M. de la Peyronie , une
Médaille d'or de deux cens livres , à celui
des Chirurgiens Etrangers ou Régniroles
, non Membres de l'Académie , qui
l'aura mérité par un Ouvrage fur quelque
matière de Chirurgie que ce foit , au
choix de l'Auteur , elle l'adjugera à ceANVIER.
1761 .
و ن
lui qui aura envoyé le meilleur Ouvrage
dans le courant de l'année 1761. Ce Prix
d'Emulation fera proclamé le jour de la
Séance publique.
Le même jour , elle diftribuera cinq
Médailles d'or de cent francs chacune
à cinq Chirurgiens , foit Académiciens de
la Claffe des Libres , foit fimplement Régnicoles
, qui auront fourni dans le cours
de l'année précédente un Mémoire , ou
trois obfervations intéreffantes .
EXTRAIT d'une Lettre de M.ADANSON
DROGMAN , à Salonique , à M. fon
frere , de l'Académie Royale des Sciences
, Cenfeur Royal , en datte du 29
Août 1760 .
LAA Ville de Salonique eft devenue de
nouveau le Théâtre de ce que la nature
peut offrir de plus éffrayant. Nous fommes
encore affligés cette année d'une pefte
fi violente, qu'une grande partie des habitans
en a été la victime. Ce fleau , quoique
terrible , ne nous épouvante pas tant
que les tremblemens de terre , qui fe font
fait fentir de nouveau , le 14 de ce mois ,
à 11 heures & demie du foir.
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
Le 15 nous en avons effuyé 15 fecouffes,
la plûpart très - violentes. Trois minutes
après la premiere , qui arriva à 1 heure 5.6
minutes du matin , il fortit du fein de la
tèrre , du côté de l'Orient , une gerbe de
feu qui fe dirigea horisontalement vers
le couchant ; fa lumière reffembloit à celle
de la Lune, lorfqu'elle eft la plus brillante ;
elle s'étendit à une diſtance remarquable ,
pendant l'espace de 2 fecondes , & difparut
enfuite à nos yeux , en jetrant des
efpéces de flames . Ce Phénomène répandit
une allarme générale parmi les habitans
, que la violence des tremblemens
avoit obligé de fortir de chez eux.
Il régna pendant tout ce jour un calme
parfait , le Ciel étoit des plus ferein .
Le 16, nous n'eumes que trois fecouffes.
La feconde , qu'on reffentit à 9 heures
du matin , fut fuivie d'un petit vent da
Nord qui fe calma vers midi. Le vent
de Sud lui fuccéda , & fe calma pareillement
vers les 3 heures du foir ; & 5 minutes
après , on reffentit une petite fecouffe
de tremblement de terre.
Le 17 nous en fumes quittes pour une
feule fecouffe à fix heures 50 minutes.
du matin ;, mais à neuf heures du foir
il s'éleva un vent de Nord impétueux ,
accompagné d'une pluie abondante &
JANVIER. 1761 . 131
de tonnèrres affreux qui tombérent en
même temps fur plufieurs endroits de la
Ville.
Le 21 , nous avons éprouvé encore trois
tremblemens de tèrre peu violens , dont
le dernier s'eft fait fentir à 11 heures &
demie du matin.
Malgré la violence de la plupart de ces
tremblemens , furtout du 8 ° . que nous
effuyâmes le 15 à 5 heures 4 minutes du
matin,& qui jetta tous les habitans dans la
confternation , aucune maifon n'a été
renversée la raifon en eft affez fenfible ;
ces tremblemens agilent verticalement ,
les maifons fautent en l'air fans s'incliner
d'aucun côté .
Si ces tremblemens ont quelque fuite ,
je vous le ferai fçavoir. J'attends avec
impatience les ordres de Monfieur l'Ambaffadeur
pour aller au Caire , où je
pourrai travailler plus utilement , & avec
plus de fûrété pour l'Hiftoire naturelle .
Car Salonique paroît deftinée à être dans
peu la victime des feux fouterreins , & à
fubir le trifte fort de Sodome & de Gomorre.
Le feu du Ciel, qui s'eft réuni à ceux de la
terre , femble donner à cette conjecture une
vraisemblance qui n'eft malheureuſement
que trop bien fondée .
F vj
132 A MERCURE DE FRANCE:
SUITE de l'Extrait des Mémoires lus à
la Séance publique de l'ACADEMIE
ROYALE DE CHIRURGIE , le Jeudi
17 Avril 1760 .
III.
M. MORAND lut enfuite l'éloge de feu
M. de Garengeot , Maître ès- Arts & en
Chirurgie du Collège de Paris , Confeiller
de l'Académie Royale de Chirurgie , Profeffeur
& Démonftrateur Royal pour les
opérations , Chirurgien- Major du Régiment
du Roi , Infanterie ; ci- devant Confeiller
du Roi & fon Chirurgien ordinaire
au Châtelet de Paris. La notice des ouvrages
de ce célébre Chirurgien a fait la baſe
de fon éloge Académique : on eft redevable
à cet Auteur d'un Traité d'Opérations ;
d'un Traité d'Inftrumens ; d'une Splanchnologie
, ou Anatomie des vifcères ;
d'une Myotomie humaine & canine , ou
l'art de difféquer les muſcles des hommes
& des chiens ; & de plufieurs differtations
intéreffantes , imprimées dans les Volumes
de l'Académie Royale de Chirurgie,
JANVIER. 1761 . 133
I V.
MEMOIRE fur la ligature des vaiffeaux:
Les différens fecours que la Chirurgie
fçait employer contre les hémorrhagies ,
ont rendu l'ufage de la ligature des vaiffeaux
moins fréquent , mais il ne l'ont
point profcrit abfolument de la pratique :
il y a des circonftances où l'on ne pourra
fe difpenfer de recourir à ce moyen dont
l'éfficacité eft inconteftable. C'eft fur la
méthode la plus avantageufe de faire cette
opération que M. Sabatier, a differté , en
examinant s'il n'eft pas plus convenable
d'embraffer une certaine quantité de chairs
dans l'anfe du fil qui lie le vaiffeau , que
de paffer fimplement l'aiguille dans le
tiffu cellulaire qui entoure l'artère , afin
de ne comprendre que le moins de parties
environnantes qu'il eft poffible.
Cette queſtion a déjà été traitée dans
différens Ouvrages : M. Monro , Profeſfeur
d'Anatomie à Edimbourg eft de ce
dernier avis ; & M. Louis l'a adopté dans
les Mémoires de l'Académie Royale de
Chirurgie , en faisant l'Hiftoire des variations
de la manière de lier les vaiſſeaux ,
à la fin de fon Mémoire fur l'amputation
des grandes extrémités. M. Sabasier , qui
134 MERCURE DE FRANCE.
réprend de nouveau ce fujet , ne difcute
que les raifons rapportées par M. Monro.
La ligature qui embraffe une certaine
quantité de chairs , a été regardée comme
la caufe des mouvemens convulfifs ,
des inflammations & des abfcès qui furviennent
quelquefois , & qu'on attribue
à l'étranglement des fibres mufculeuſes ,
des tendons & des nerfs ; voilà les principaux
inconvéniens que tous les Prati
ciens regardent comme un effet de la ligature.
M. Sabatier propofe des doutes
fur ce principe. Il convient que la ligature
d'un nerf doit caufer de vives douleurs
il rapporte même à ce sujet un fait cité
par M. Molinelli , dans les Mémoires de
l'inftitut de Bologne , à l'occafion d'une
opération de l'anevrifme , dans laquelle
le malade à qui on lioit le nerf avec l'artère
, croyoit qu'on lui avoit arraché la
main , & reſta privé du mouvement & du
fentiment de cette partie. M. Sabatier
demande ici s'il eft bien vrai que ces douleurs
foient la caufe des convulfions qui
furviennent après une amputation ? Il ne
le penfe pas ; parce que cet accident arrive
troprarement pour croire qu'il dépende d'une
caufe auffi conftante. La preuve en eft tirée
de l'expérience des grands Maîtres : dans
fept amputations dont M. Ledran a don-
1
JANVIER. 1761 . 135
né l'Hiftoire , il n'y a qu'un feul malade
qui ait eu des convulfions ; encore ne fur
vinrent-elles que le quatrième jour ; &
M. Faure , qui a remporté en 1756 , le
Prix de l'Académie , fur la queſtion des
amputations à faire promptement ou à
différer , de dix bleffés qu'il a opérés après
la bataille de Fontenoi , n'a vu des convulfions
qu'à un. Ces exemples favorisent
l'ufage de la ligature ; mais ils ne feroient
concluans dans la queftion préfente, qu'autant
qu'il feroit prouvé que MM. Ledran
& Faure , ont pris dans l'anfe du fil , des
parties mufculeufes , tendineufes & nerveufes
, ce qui , vraisemblablement , n'a
pas eu lieu. D'ailleurs tous les fujets ne
font pas fufceptibles des accidens qu'entraîne
la préfence des caufes qui les font
naître fur d'autres ; les dix amputations
faites par M. Faure , en fournirroient la
preuve : elles ont été pratiquées long-.
temps après la bleffure , fur des fujets
qui avoient perdu la plus grande partie
de leurs forces , par les faignées , la fuppuration
& la diete ; de - là on peut conclure
qu'elles ne pouvoient pas être fuivies
des mêmes orages que des amputations
qu'on feroit forcé de faire fur le champ ;
c'est une vérité reçue dans la pratique ;
ainfi ces obfervations ne font pas des preu
136 MERCURE DE FRANCE.
ves que la ligature qui embrafferoit des
parties mufculeuſes & c . fût préférable à
celle qui ne lieroit que l'artère avec un peu
du tiffu cellulaire qui l'environne,fuivant le
précepte donné par M. Monro. Il est
vraisemblable , dit M. Sabatier , que l'idée
qu'on s'eft formée de la fenfibilité des
nerfs , a donné lieu au préjugé où l'on
eft , fur la caufe des convulfions qui furviennent
aux amputations ; & il fait contre
cette opinion , le récit de quelques expériences
où les nerfs ont été liés fur des
animaux , fans qu'ils aient été privés du
fentiment ni du mouvement : le réſultat
de ces expériences n'eſt pas d'accord avec
les principes reçus fur l'ufage des nerfs, &
avec l'obfervation citée plus haut d'après
M. Molinelli. Mais ce qui prouve le plus ,
felon l'Auteur , que les convulfions qui
arrivent après les amputations ne font
point l'effet de la ligature des nerfs ; c'eft
qu'il n'eft pas rare qu'elles arrivent , lorfqu'on
n'a pas fait la ligature des vaiffeaux,
& qu'on s'eft rendu maître du fang par
l'application des remédes aftringents , ou
par la compreffion.Si cet accident peut furvenir
fans ligature, il eft difficile de ne pas
croire que l'étranglement , caufé par un
fil ferréfur l'extrémité de l'artère coupée ,
& qui comprend prèfque néceffairement
JANVIER. 1761. 137
le nerf qui avoifine l'artère , ne puiffe exciter
des mouvemens convulfifs , furtout
fi l'on embrasfoit des parties irritables ,
telles que des portions muſculaires. M.
Sabatier examine tous les avantages que
le célébre M. Monro attribue à fa méthode
de faire la ligature ; il cherche à les
apprécier, en difant néanmoins qu'il ne regarde
les réflexions qu'il oppofe à la doctrine
d'un auffi habile homme , que comme
de fimples conjectures qu'il a cru devoir
foumettre au jugement des Maîtres
de l'Art.
ง . la M. Pibrac a terminé la Séance par
lecture d'un Mémoire fur plufieurs points
intéreffans de Chirurgie .
Il ne s'agit point ici d'obfervations particuliéres,
& d'analyſes de faits ifolés dont
on examine en détail les diverfes circonftances.
Une multitude d'objets différens
fe préfente fous un même point de vue ;
l'Auteur en faifit les réſultats généraux
& entire des conféquences lumineuſes de
la plus grande utilité. Hippocrate , dit - il ,
eft un excellent modéle en ce genre d'obfervations
générales . Dans fon traité de
l'air , des eaux , & des lieux , il diftingue la
différente nature des Afiatiques & des Européens
: il examine des peuples entiers
138 MERCURE DE FRANCE.
dans toutes les circonftances qui mettent
entre eux des relations & des différences
fenfibles ; il parcourt les diverfes régions
qui lui font connues ; & il découvre dans
la nature du terrein & fon expofition ,
dans la température des faifons & leurs
divers changemens , la caufe des variétés
qu'il y a entre les hommes & les animaux
par rapport aux pays où ils vivent . Il ne
s'eft pas contenté d'envifager en quelque
forte les habitans de l'Univers dans leur
état réel & dans tous les rapports phyfi
ques qu'ils peuvent avoir : Obfervateur
philofophe , il a porté les regards jufques
fur la forme des différens gouvernemens ,
& il y a apperçu ce qui rendoit des peu
ples
fi différens les uns des autres. Ainfi
l'influence mutuelle & réciproque du moral
fur le phyfique , & du phyſique fur le
moral , que M. le Préfident de Montefquieu
a confidérée par rapport aux régles politi
ques des nations , n'avoit point échappé
aux réflexions du Fondateur de l'art de
guérir , relativement aux loix fuivant lefquelles
l'oeconomie animale eft dirigée.
Après ce début,l'Auteur dit qu'on peut
mériter de l'art & du Public par des obfervations
recueillies dans un champ
moins vafte. Il cite les travaux de M.
Pringle , Médecin des Troupes Angloifes
JANVIER. 1761. 735
en Allemagne & en Flandres pendant la
guerre de 1742. Il a donné des relations
générales des maladies auxquelles les foldars
de l'Armée Britannique ont été fujets
dans les garnifons & dans les divers camps
qu'ils ont occupés . En campagne il obferva
qué la nature du terrein avoit principalement
occafionné des changemens fubits
fur la fanté des foldats : une étude
fuivie fur cette matiére donneroit lieu ,
fuivant la réflexion de M. Pibrac , à des
conféquences bien utiles pour éviter ,
lorfque le bien du fervice ne l'exigeroit
pas abfolument , des pofitions funeftes
aux troupes , & par une fuite néceffaire
très - oppofée aux fuccès des opérations
militaires. M. Pringle a remarqué
, en garnifon , que les compagnies
logées dans la partie baffe d'une Ville , &
qui occupoient des maifons ruinées où
l'écoulement des eaux n'étoit pas libre ,
étoient fujettes à des maladies que n'éprouvoient
point les foldats qui avoient
leur logement dans un quartier plus élevé
de la Ville , où l'air pénétroit & fe renouvelloit
aifément. Dans les logemens aux
quartiers bas d'une Ville , ceux qui demeuroient
au rez de- chauffée , tomboient
malades en plus grand nombre que ceux
qui étoient aux étages plus élevés des
140 MERCURE DE FRANCE:
·
mêmes maifons . Le feul changement d'habitation
faifoit ceffer entiérement le régne
de la maladie.
Ces obfervations confirment d'une maniére
très - convainquante les principes
connus fur les avantages & les inconvéniens
des lieux qu'on habite. M. Pibrac
prétend qu'elles doivent exciter la vigilance
fur cet objet important auquel on
ne fait pas affez d'attention dans le cours
ordinaire des chofes. Il croit qu'on pourroit
établir , par la combinaifon de faits
bien réfléchis & judicieuſement obfervés ,
les divers degrés de falubrité des différens
quartiers d'une Ville . Chacun a , pour ainfi
dire , un climat qui lui eft propre. Les
rues ont des expofitions différentes par
rapport à l'afpect du foleil & au fouffle
des vents ; chaque maiſon eſt ſous des
influences particulières qui rendent fon
habitation plus ou moins faine à différens
égards. L'occafion qu'il a eue en 1743 de
vifiter ceux qui furent appellés pour la
milice de Paris , lui fit concevoir la poſſibilité
d'un travail ſuivi fur cette matiére :
il en indique fimplement le projet & en
fait connoître l'utilité. Il n'a vu , pour
ainfi dire , cet objet que d'un coup d'oeil .
» Trente -fix mille hommes , dit l'Auteur
» m'ont paffé rapidement fous la vue ,
JANVIER . 1761. 141
dans l'efpace de 18 jours . Mes obſerva-
» tions font , à certains égards , de la mê-
» me espéce que celles d'Hippocrate & de
» M. Pringle ; puifque je ne puis , fur quel-
» ques cas , donner que ce qui m'a frappé
» en gros dans l'enſemble des chofes . Mais
» ajoute- t- il , la précaution que j'ai eue de
» tenir un regiſtre bien exact de tous ceux
que leurs incommodités avoient mis
» hors d'état de fervir le Roi , donne d'un
» autre côté à mes remarques la certitude
» qu'on trouve dans les obfervations les
plus fpécifiées.
"
Hippocrate avoit obfervé que dans la
partie de l'Afie où les faifons font bien
tempérées , & qui eft fituée au milieu du
lever du Soleil vers l'Orient , les hommes
y étoient d'une meilleure habitude , plus
grands & mieux faits que dans les autres
contrées du même pays . M. Pibrac a remarqué
, pour la Ville de Paris, que dans
les Fauxbourgs S. Martin & S. Denis , les
hommes étoient en général mieux taillés ,
plus forts & plus vigoureux que dans les
autres quartiers . Il n'y en a point où l'efpéce
lui ait paru auffi petite que dans la
Cité ; il y a vu beaucoup d'hommes mal
faits , & le nombre des rachitiques y étoit
en proportion plus confidérable qu'ailleurs.
Les maladies de la peau étoient plus
142 MERCURE DE FRANCE.
fiéquentes dans le quartier S. Benoît : dans
celui de S. Honoré les poitrinaires ont
paru plus nombreux . A la Grenouillere, au
Gros - Caillou,à Chaillot & dans tout le bas
du Fauxbourg S. Germain , il a vu plus de
cataractes . Mais ce qui paroîtra fingulier ,
c'eft que le Fauxbourg S. Antoine , qui eſt
dans une fituation tout -à - fait contraire , a
donné le même réfultat. M. Pibrac a appris
dans un examen bien circonftancié que
plufieurs perfonnes y avoient perdu un oeil,
fans accident préliminaire , par la formation
fubite d'une cataracte. Il lui a paru
de plus qu'on étoit plus fujet à la pierre
dans le Fauxbourg S. Antoine , qu'en aucun
autre de la Ville ; & que dans celui
de S. Jacques de la Boucherie , un plus
grand nombre de perfonnes avoient la vue
foible.
Après l'expofé de ces réſultats généraux ,
l'Auteur penfe qu'avec des foins & du zéle ,
l'on pourroit établir à quel degré l'habitation
dans chaque quartier feroit plus ou
moins faine : & comme tous les avantages
& tous les inconvéniens font relatifs , il
feroit poffible de parvenir à déterminer le
lieu où chaque perfoane feroit le plus
avantageufement placée fuivant la nature.
de fon tempérament & les prédifpofitions
qu'elle auroit à certaines maladies,
JANVIER. 1761.
143
Par là on pourroit fe mettre à l'abri de la
mauvaiſe impreffion des chofes extérieures
capables d'altérer la fanté,& de procurer
la formation de beaucoup de maládics
dont une autre habitation garantiroit . Nos
corps font à l'égard des influences extérieures,
de même que les plantes, qui viennent
parfaitement bien en certain climats ,
& qui dépériffent , même fous le même
Ciel , dans une expofition défavorable.
Tels font les principes généraux pofés
par M. Pibrac dans fon mémoire , véritablement
intéreffant : on eft obligé de
fupprimer ici le détail des preuves , & difpenfé
de rapporter les obfervations qu'il a
faites fur différentes maladies & opérations
Chirurgicales, telles que la taille, les
hernies & c. Il a profité avec grand fruit
d'une occafion finguliére qui pouvoit lui
mettre fous les yeux des faits de pratique
en même temps & en affez grand nombre
pour pouvoir établir des comparaifons ,
que des cas particuliers , vus, pour ainsi dire,
feul à feul, ne permettroient pas de faire,
144 MERCURE DE FRAN FRAN CE.
J
ARTICLE IV.
2
BEAUX - ARTS.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
I m'attendois , Monfieur , à voir dans
le Catalogue des beautés qui décorent
l'Eglife de S. Roch , que vous avez inſéré
dans le Mercure de Novembre 1760 ;
une defcription de la grille qui ferme
l'entrée du Choeur de cette Eglife. Apparemment
que ceux qui fe font fait un
plaifir de l'écrire pour le préfenter au Public
, n'étoient pas inftruits de la beauté
des deffeins tant petits que grands , que
l'Auteur avoit montrés à ce même Public ,
& à tous les meilleurs Artiſtes connus
qui fe font réunis pour applaudir univerfellement
à un pareil projet.
Cette grille vient d'être finie , & pofée.
Toutes les perfonnes de goût conviennent
qu'il n'y a rien de pareil en ce genre ,
nobleffe de compofition , élégance & pureté
de deffein , variété fans confufion ,
richeffe & fimplicité , ayant fçu joindre
artiſtement le fer & le cuivre de manière
que
JANVIER. 1761 .
145
que les yeux répandent dans l'âme une
harmonie qui enchante. Tout enfin concourt
à rendre cet ouvrage parfait. L'adreffe
avec laquelle tous les travaux du
fer font cachés fous un fini précieux , fatisfont
généralement les perfonnes les
plus fcrupuleufes . Si vous jugez , Monfieur,
ces réflexions dignes d'être miles au
jour dans le Mercure prochain , vous ne
fçauriez faire plus de plaifir , & obliger
plus inftamment un Amateur d'Arts & de
Talens .
V
J'ai l'honneur d'être , &c. B **.
ARTS UTILES.
HORLOGERI E.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
OULEZ-VOUS bien avertir , Monfieur
ceux qui ont lû la lettre que j'ai eu l'honneur
de vous écrire en vous envoyant l'Extrait
des Regiſtres de l'Académie Royale
des Sciences, que c'eft une faute d'impreffion
qui me fait dire : On a vu dans l'Effai
fur l'Horlogerie que je viens de publier &c.
au lieu que j'ai dit , on verra dans l'Effai
fur l'Horlogerie que je ne tarderai pas
publier &c. Cette faute a fait croire à
I. Vol. G
à
146 MERCURE DE FRANCE:
quelques perfonnes que cet ouvrage étoit
imprimé , ce qui n'eft point. J'attends
pour cela des circonftances plus favorables
, & profite du loifir que me laiſſent
mes affaires pour l'augmenter de plufieurs
parties intéreffantes qui font relatives
à l'Aftronomie & à la Navigation .
J'ai l'honneur d'être & c. FERDINAND
BERTHOU D.
GÉOGRAPHIE.
NOUVEAU OUVEAU Plan de la Ville & des
Fauxbourgs de Paris , par M. Robert de
Vaugondy , Géographe ordinaire du Roi,
de S. M. Polonoife , Duc de Lorraine &
de Bar , & de l'Académie Royale des
Sciences & Belles - Lettres de Nancy ,
1760.
le C'eft à ce Plan que fe ſe rapporte
Mémoire dont nous avons fait mention
dans notre Mercure du mois de Décembre
dernier , & dont nous ne donnerons
point ici d'extrait, aimant mieux y renvoyer
les Amateurs. Nous nous bornons
feulement à parler du Plan , lequel , fans
vouloir juger du travail de l'Auteur & de
l'exactitude qu'il a dû y apporter , nous
paroît très-bien exécuté pour ce qui conJANVIER.
1761 . 147
cerne la gravure , qui fait honneur à M.
Delahaye. Comme l'Ecole Militaire ne
pouvoit point fe placer fur ce Plan , l'Auteur
l'a inférée dans fon Mémoire , en
forme de Supplément , conftruit fur la
même échelle. Ce Plan s'imprime fur le
grand Colombier , & coute 2 liv . 8 f. en
feuilles , & liv. monté en toile & gorge
noire ; de même qu'en grand Aigle il coû
te 3 liv. & 6 liv. en toile & gorge . Le
Mémoire 1 liv. 4 f. & l'Ecole Militaire
12 f.
I
S
L'Auteur nous a fait favoir que l'an
trouvoit chez lui le même Plan divifé ,
foit par quartiers , foit par Paroiffes, par
des couleurs qui en diftinguent les étendues
; & que comme ces divifions demandent
beaucoup d'exactitude , il n'en
délivre pas qui n'ayent été tracées fous
fes yeux
.
Il vient de publier auffi cinq grandes
Cartes de quatre feuilles chacune , fçavoir
la Mappemonde felon la projection
des Cartes réduites , & les quatre Parties
du Monde , très-bien exécutées . Elles fe
vendent 4 liv. chacune affemblées en
feuilles , & 10 liv. montées en toile &
gorge noire.
Chez l'Auteur , Quai de l'Horloge du
Palais , près le Pont Neuf.
G
146 MERCUF
quelques perfonr
imprimé , ce qu'
pour cela des ci
bles , & profite
mes affaires po
fieurs parties in
tives à l'Aftro
J'ai l'honneur
BERTHOUD .
GÉ
NOUVE
Fauxbourge
Vaugondy
de S. M.
de Bar
Sciences
1760 .
3
C'ef
Méme
dans
bre
poin
VOT
fe
V.
T
JANVIER. 1761 1149
troifiéme Livre eft une méthode pour la
Flûte , qui explique l'attitude & la maniere
de gouverner le fouffle , avec des
préludes en conféquence , le tout du même
Auteur. Avec Privilége du Roi.
>
LES FAVEURS DU SOMMEIL , Canta
tille à voix feule avec fymphonie , dédiée
à M. le Marquis de Braffac , Lieutenant
Général des Armées du Roi , Commandeur
de l'Ordre Royal & Militaire de
S Louis ; compofée par M. Pizet l'aîné ,
Maître de Mufique du Concert de Caën .
Gravée par Labaffée . Prix 36 l. A Caen ,
chez l'Auteur , rue S. Pierre , vis - à - vis
celle des Teinturiers. A Paris , aux adreffes
ordinaires de Mufique, & chez M. Bâton
, rue Beaubourg , la porte cochere
vis à - vis le cul - de - fac des Anglois .
JEAN LOUVET , Luthier , rue Croix des
Petits- Champs , a fait depuis plufieurs
années nombre d'épreuves , pour empêcher
la roue de la vielle de fe déjetter fur
fa circonférence : il en a fait une qu'il garde
depuis un an , & qu'il a expofée à différentes
températures d'air ; la roue fe trouve
toujours ronde, elle conferve la colophanne
plus longtems , & la vibration dans les
G iij
48 MERCURE DE FRANCE.
SIX
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
IX SONATES en duo , travaillées pour
fix Inftrumens différens , Flûte , Hautbois ,
Pardeffus de Viole à cinq cordes fans aucun
démanchement , Violon , Baffon , &
Violoncelle , en obfervant la Clef de
Fa , qui eft pofée fur la quatriéme ligne ,
avec des Signes pour diminuer & augmenter
les fons par degrés , dans les endroits
néceffaires . Compofées par M.Atys,
Maître de Flute. Cuvre IV. Gravées par
Jofeph Renou . Prix 4 liv. 16 f. 4 Paris ,
chez l'Auteur , au paffage de la rue Traverfiere
à celle des Boucheries S. Honoré
; M. Bayard , rue S. Honoré , à la Régle
d'or ; Mlle Caftagnerie , rue des Prouvaires
, à la Mufique Royale ; M. le Menue ,
à la Clef d'or , rue du Roule.
Pour faciliter le Baffon & le Violoncelle
, il a tranfpofé la troifiéme Sonate
en ton demi , grand diéze , pour éviter le
grand nombre de Bémols qui rendroient
les modulations trop difficiles dans l'exécution.
On trouvera aux mêmes adreffes
un premier Livre de grands Duo . Le fecond
Livre eft en Trio , Solo & Duo. Le
JANVIER. 1761 149
troifiéme Livre eft une méthode pour la
Flûte , qui explique l'attitude & la maniere
de gouverner le fouffle , avec des
préludes en conféquence , le tout du même
Auteur. Avec Privilége du Roi .
LES FAVEURS DU SOMMEIL , Canta
tille à voix feule avec fymphonie, dédiée
à M. le Marquis de Braffac , Lieutenant
Général des Armées du Roi , Commandeur
de l'Ordre Royal & Militaire de
S Louis ; compofée par M. Pizet l'aîné ,
Maître de Mufique du Concert de Caën .
Gravée par Labaffée . Prix 36 l. A Caen ,
chez l'Auteur , rue S. Pierre , vis - à - vis
celle des Teinturiers . A Paris , aux adreffes
ordinaires de Mufique, & chez M. Bâton
, rue Beaubourg , la porte cochere
vis à - vis le cul -de - fac des Anglois .
JEAN LOUVET , Luthier , rue Croix des
Petits-Champs , a fait depuis plufieurs
années nombre d'épreuves , pour empêcher
la roue de la vielle de fe déjetter fur
fa circonférence: il en a fait une qu'il garde
depuis un an , & qu'il a expofée à différentes
températures d'air ; la roue fe trouve
toujours ronde, elle conferve la colophanne
plus longtems , & la vibration dans les
G iij
140 MERCURE DE FRANCE:
·
mêmes maifons. Le feul changement d'ha
bitation faifoit ceffer entiérement le régne
de la maladie.
Ces obfervations confirment d'une maniére
très - convainquante les principes
connus fur les avantages & les inconvéniens
des lieux qu'on habite. M. Pibrac
prétend qu'elles doivent exciter la vigilance
fur cet objet important auquel on
ne fait pas affez d'attention dans le cours
ordinaire des chofes. Il croit qu'on pour
roit établir , par la combinaiſon de faits
bien réfléchis & judicieuſement obfervés
les divers degrés de falubrité des différens
quartiers d'une Ville . Chacun a , pour ainfi
dire , un climat qui lui eft propre. Les
rues ont des expofitions différentes par
rapport à l'afpect du foleil & au fouffle
des vents ; chaque maiſon eft fous des
influences particulières qui rendent fon
habitation plus ou moins faine à différens
égards. L'occafion qu'il a eue en 1743 de
vifiter ceux qui furent appellés pour la
milice de Paris , lui fit concevoir la poſſibilité
d'un travail fuivi fur cette matiére :
il en indique fimplement le projet & en
fait connoître l'utilité. Il n'a vu , pour
ainfi dire , cet objet que d'un coup d'oeil.
» Trente - fix mille hommes , dit l'Auteur ,
» m'ont paffé rapidement fous la vue ,
"
JANVIER 1761. 141
»
» dans l'efpace de 18 jours . Mes obferva-
» tions font , à certains égards , de la mê-
» me espéce que celles d'Hippocrate & de
» M. Pringle ; puiſque je ne puis, fur quel-
» ques cas , donner que ce qui m'a frappé
en gros dans l'enfemble des chofes . Mais
» ajoute- t- il , la précaution que j'ai eue de
» tenir un regiſtre bien exact de tous ceux
que leurs incommodités avoient mis
» hors d'état de fervir le Roi , donne d'un
» autre côté à mes remarques la certitude
qu'on trouve dans les obfervations les
plus fpécifiées.
"
"
Hippocrate avoit obfervé que dans la
partie de l'Afie où les faifons font bien
tempérées , & qui eft fituée au milieu du
lever du Soleil vers l'Orient , les hommes
y étoient d'une meilleure habitude , plus
grands & mieux faits que dans les autres
contrées du même pays . M. Pibrac a remarqué
, pour la Ville de Paris, que dans
les Fauxbourgs S. Martin & S. Denis , les
hommes étoient en général mieux taillés ,
plus forts & plus vigoureux que dans les
autres quartiers. Il n'y en a point où l'efpéce
lui ait paru auffi petite que dans la
Cité ; il y a vu beaucoup d'hommes mal
faits , & le nombre des rachitiques y étoit
en proportion plus confidérable qu'ailleurs
. Les maladies de la peau étoient plus
142 MERCURE DE FRANCE.
fiéquentes dans le quartier S. Benoît : dans
celui de S. Honoré les poitrinaires ont
paru plus nombreux . A la Grenouillere, au
Gros - Caillou, à Chaillot & dans tout le bas
du Fauxbourg S. Germain , il a vu plus de
cataractes. Mais ce qui paroîtra fingulier ,
c'eft que le Fauxbourg S. Antoine , qui eſt
dans une fituation tout -à - fait contraire , a
donné le même réfultat. M. Pibrac a appris
dans un examen bien circonftancié que
plufieurs perfonnes y avoient perdu un oeil,
fans accident préliminaire , par la formation
fubite d'une cataracte. Il lui a păru
de plus qu'on étoit plus fujet à la pierre
dans le Fauxbourg S. Antoine , qu'en aucun
autre de la Ville ; & que dans celui
de S. Jacques de la Boucherie , un plus
grand nombre de perfonnes avoient la vue
foible.
Après l'expofé de ces réſultats généraux,
l'Auteur penfe qu'avec des foins & du zéle ,
l'on pourroit établir à quel degré l'habitation
dans chaque quartier feroit plus ou
moins faine : & comme tous les avantages
& tous les inconvéniens font relatifs , il
feroit poffible de parvenir à déterminer le
lieu où chaque perfoane feroit le plus
avantageufement placée fuivant la nature
de fon tempérament & les prédifpofitions
qu'elle auroit à certaines maladies,
1
JANVIER. 1761 .
143
Par là on pourroit fe mettre à l'abri de la
mauvaiſe impreffion des chofes extérieures
capables d'altérer la fanté, & de procurer
la formation de beaucoup de maládics
dont une autre habitation garantiroit . Nos
corps font à l'égard des influences extérieures,
de même que les plantes, qui viennent
parfaitement bien en certain climats ,
& qui dépériffent , même fous le même
Ciel , dans une expofition défavorable.
Tels font les principes généraux pofés
par M. Pibrac dans fon mémoire , véritablement
intéreffant : on eft obligé de
fupprimer ici le détail des preuves , & difpenfé
de rapporter les obfervations qu'il a
faites fur différentes maladies & opérations
Chirurgicales, telles que la taille , les
hernies &c. Il a profité avec grand fruit
d'une occafion fingulière qui pouvoit lui
mettre fous les yeux des faits de pratique
en même temps & en affez grand nombre
pour pouvoir établir des comparaifons ,
que des cas particuliers, vus , pour ainsi dire ,
feul à feul, ne permettroient pas de faire,
144 MERCURE DE FRAN CE
J
ARTICLE IV. '
BEAUX - ARTS.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
E m'attendois , Monfieur , à voir dans
le Catalogue des beautés qui décorent
l'Eglife de S. Roch , que vous avez inféré
dans le Mercure de Novembre 1760 ;
une deſcription de la grille qui ferme
l'entrée du Choeur de cette Eglife. Apparemment
que ceux qui fe font fait un
plaifir de l'écrire pour le préfenter au Public
, n'étoient pas inftruits de la beauté
des deffeins tant petits que grands , que
l'Auteur avoit montrés à ce même Public ,
& à tous les meilleurs Artiftes connus ,
qui fe font réunis pour applaudir univerfellement
à un pareil projet.
Cette grille vient d'être finie , & pofée.
Toutes les perfonnes de goût conviennent
qu'il n'y a rien de pareil en ce genre ,
nobleffe de compofition , élégance & pureté
de deffein , variété fans confufion ,
richeffe & fimplicité , ayant fçu joindre
artiftement le fer & le cuivre de manière
que
JANVIER. 1761.
145
que les yenx répandent dans l'âme une
harmonie qui enchante. Tout enfin concourt
à rendre cet ouvrage parfait. L'adreffe
avec laquelle tous les travaux du
fer font cachés fous un fini précieux , fatisfont
généralement les perfonnes les
plus fcrupuleufes . Si vous jugez , Monfieur,
ces réflexions dignes d'être miles au
jour dans le Mercure prochain , vous ne
fçauriez faire plus de plaifir , & obliger
plus inftamment un Amateur d'Arts & de
Talens . T.
V
J'ai l'honneur d'être , &c. B * * .
ARTS UTILE S.
HORLOGERI E.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
OULEZ-VOUS bien avertir , Monfieur ,
ceux qui ont lû la lettre que j'ai eu l'honneur
de vous écrire en vous envoyant l'Extrait
des Regiſtres de l'Académie Royale
des Sciences, que c'eft une faute d'impreffion
qui me fait dire : On a vu dans l'Effai
fur l'Horlogerie que je viens de publier &c.
au lieu que j'ai dit , on verra dans l'Effai
fur l'Horlogerie que je ne tarderai pas
publier &c. Cette faute a fait croire à
I. Vol. G
50 MERCURE DE FRANCE
cordes demeure égale par la perfection de
la roue .
Il fait auffi des harpes à pédales.
Le
GRAVURE.
E fieur MOYREAU , Graveur du Roi ,
en fon Académie Royale de Peinture &
Sculpture, demeurant rue des Mathurins à
Paris, vient de mettre au jour une nouvelle
Eftampe qu'il a gravée d'après le Tableau
Original de M. Grevenbrock , Peintre du
Roi , qui a pour titre : Vue d'une Cathédrale
dans le goût Gothique. Le Tableau
appartient à M. Denis , Tréforier
général des Bâtimens du Roi.
Le fieur ALIAMET , Graveur , vient de
donner au Public deux Eftampes d'après
deux Tableaux de M. Vernet, repréfentant
des vues du Levant. Elles font dédiées à
M. de Villette , & ne peuvent faire que
beaucoup d'honneur tant au Peintre qu'au
Graveur à qui nous les devons . Elles fe
vendent chez l'Auteur, rue des Mathurins,
vis-à- vis celle des Maçons.
Le fieur LATTRÉ , Graveur , rue S. Jacques
, au coin de celle de la Parcheminerie
, à la Ville de Bordeaux , publie plu
JANVIER. 1761 . 151
fieurs nouvelles Cartes de Géographie de
grandeur ordinaire d'Atlas , fçavoir : la
Mappemonde , les 4 Parties du monde &
les Royaumes de l'Europe .Ces Cartes ont
été deffinées avec foin & affujetties au
Ciel par le fieur Janvier , Géographe.
L'élégance de la Gravure & le bon goût
des ornemens qui accompagnent ces
Cartes , joignent l'agréable à l'utile. Le
prix eft de 20 f. la piéce . Avec Privilége
du Roi.
Le même vient de mettre au jour un
Plan de Bordeaux d'une feuille d'Atlas ,
réduit d'après celui publié en 1755 , dédié
& préfenté au Roi par le Corps de Ville.
On y voit le Chartrons en entier avec la
nouvelle Eglife de ce quartier. Le prix eft
de 3 liv. Ce plan ne céde en rien aux plans
de Bordeaux en deux feuilles , & de Nantes
en quatre feuilles , publiés par le même
& bien accueillis du Public.
Giv
T52
MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V.
+
SPECTACLES.
OPERA.
EXTRAIT DE CANENTE.
LES
repréfentations de CANENTE ont
୨
continué trois fois la femaine , jufqu'au
Maidi 9 Décembre : depuis ce jour - là on
donne les FRAGMENS le Mardi & le Jeudi ,
& le Vendredi & le Dimanche l'Opéra
nouveau , dont le fujet eft tiré des Métamorphofes
d'Ovide , Liv . XIV . Fab . VI .
& VII...
Au premier Acte , le Théâtre repréfente
le Temple de Saturne , dont Picus eft
fils ; & un Trône préparé pour le couronnement
de ce Prince. Après une Scène
très - courte , entre Circé & Nérine fa Confidente
, qui fert d'avant Scène à l'Ouvrage
, Picus entre avec les Peuples , que
Circé a engagés à le reconnoître pour leur
Roi , & qui le proclament. Picus implore
fon père pour eux , & ce Dieu defcend
dans un nuage ; il annonce à ce Prince
la grandeur future des Peuples fur lef
quels il va régner ; ordonne aux Ages
JANVIER. 1761. 153
d'exprimer les tranfports de la valeur &
les douceurs de la Paix , & remonte aux
Cieux. Des Guerriers , figurant l'âge de
fer & l'âge d'airain , forment un premier
divertiffement par des jeux analogues à
leur caractére ; & fortent , avec les Peuples
, comme pour voler aux combats .
Des Bergers & des Bergeres , figurant l'âge
d'or & l'âge d'argent , forment le fecond
divertiffement . I eft fuivi d'une
Scène entre Picus & Circé , qui tâche de
démêler les fentimens de ce Prince ; elle
nomme Canente : Picus avoue qu'il l'aime
, & en trace ainfi le porttait :
Elle forme , à fon gré, les fons les plus touchans ;
Et l'on voit , chaque jour , à fes aimables chants
Toute la Nature attentive :
Les arbres , les rochers font émus à la voix ;
Elle arrête le cours de l'onde fugitive ;
Philoméle , au milieu des bois ,
Pour l'écouter , fufpend fa voix plaintive :
Ses beaux yeux font encor plus puiflans mille fois.
Voilà les fers charmans où mon âme eft captive.."
Il fort , pour hater le moment de fon
hymen avec Canente . Circé , outrée de ce
qu'elle vient d'entendre , fe propoſe d'affacier
le Tibre , qui aime auffi Canence
à la vengeance qu'elle médite contre fa
GY
2
154 MERCURE DE FRANCE.
rivale , & à laquelle elle s'excite ainfi , en
quittant la Scène .
Venez , tranſports cruels , implacable fureur !
C'est l'amour en courroux qui vous livre mon
coeur .
Le Théâtre repréfente d'abord , au fecond
Acte , les rivages du Tibre . Canente
peint , dans un Monologue , la fituation
de fon âme : elle tremble que la grandeur
n'affeibliffe la tendreffe dans le coeur
de Picus. Il vient ; elle ne lui déguiſe
point fes craintes.
Dans un coeur que la gloire enflâme ,
Il refte peu de place à l'amoureuſe ardeur ;
Et je priois l'Amour de défendre votre âme
Contre la gloire & la grandeur.
Picus lui fait de nouvelles proteſtations
de fa tendreffe. Circé paroît ; if
laiffe Canente avec elle , pour aller préparer
leur hymen.
,
Circé tente en vain d'engager fa rivale
à préférer le Tibre à Picus ; le Théâtre
change , & repréſente le Palais du Tibre,
où les fleuves & les Naïades de la Cour
de ce Dieu font raffemblés . Cette décoration
, faite d'après le deffein d'un célébre
Artifte , fait toujours un nouveau
JANVIER. 1761 . 155
plaifir. La fuite du Tibre forme le diver
tiffement , à la fin duquel le Dieu paroît.
Il fait des reproches à Canente. Elle y
répond par un aveu ingénu de fon amour
pour Picus le Dieu lui fait valoir les
avantages qu'elle trouveroit , en accep
tant fa main.
La Nymphe , à qui l'hymen engagera ma foi ,
Doit par l'ordre du Sort , devenir immortelle :
Venez , montez au rang où l'Amour vous appelles
Il vous devoit un Dieu , c'étoit trop peu d'un Roi.
·
Plutôt que de fouffrir un hymen qui m'outrage
Je défolerai tous ces lieux :
Tout s'y reffentira de ma fureur extrême ;
En d'horribles torrens , j'y répandrai mes eaux :
Et fil'hymen , pour vous , allume fes flambeaux ,
J'irai les éteindre moi -même .
Pour porter jufqu'à vous, d'affreux débordemens ,
J'épuiferai mes cavernes profondes ;
Et j'engloutirai dans mes ondes ,
La Victime , l'Autel , le Prêtre & les Amans.
Ce Morceau eft parfaitement bien mis
en Mufique , & il y a dans l'accompagnement
des effets admirables. Canenie ,
effrayée , court à Circé , qui paroît , & la
G vj
r56 MERCURE DE FRANCE.
prie de s'oppofer aux tranſports du Tibre.
Circé lui répond :
Connois enfin mon coeur ; c'eft affez t'abuſer :
Ceffe d'implorer ta rivale..
Il faut répondre à mon envie.
LETIBRE.
Il faut combler mes voeux.
CIRCÉ.
Ou craindre ma furies-
LE TIBRE..
Devenir immortelle.
CIRCÉ.
Ou renoncer au jour.
CANENTE.
Vous pouvez m'arracher la vie ;
Mais rien ne peut. m'arracher mon amour.
Des Démons foumis à Circé enlévent ·
Canente , & traverfent le Théâtre , en
montant , grouppés dans des nuages .
Cet Acte eft terminé par ce Duo du
Tib re & de Circé.
Oppofons , oppofons la colère à l'outrage ;
Il faut que l'Amour foit vengé.
C'eſt au dépit , c'eſt à la rage c
Avenger l'Amour outrage.
-
a
JANVIER. 1761 157
On ne peut faire trop d'éloges de ce
Morceau de Mufique ; il eft de la plus
grande beauté , & l'exécution y répond
parfaitement.
La décoration du troifiéme Acte repréfente
le Palais de Circé. Elle entré , &
apprend de Nérine que Picus eft accablé
de douleur de ne plus voir Canente ;
elle lui ordonne d'aller inftruire ce Prince
que la Nymphe eft dans fon Palais , &
qu'elle doit s'unir au Tibre qui l'adore.
Canente paroît : Circé tente inutilement
de la faire renoncer à fon amour ; &
prend le parti d'appeller les Miniftres
de fon art . Ils accourent à fa voix : elle
leur ordonne d'employer les plus terribles
moyens pour l'amener à ce qu'elle
defire.
Des Démons , armés de poignards &
de ferpens , exécutent fur un air admirable
, les mouvemens les plus propres à
effrayer Canente : trois autres Démons
fortent de deffous le Théâtre au milieu
des flames, & grouppés pittorefquement :
ils achèvent de remplir l'étendue de ce
premier Air par des mouvemens encore
plus marqués . Sur un fecond Air vif ,
leur Chef paroît deux flambeaux ardens
à la main : tous les autres le faififfent aux
bras , fe gtouppent avec lui ; & dans l'in
158 MERCURE DE FRANCE.
ftant fe trouvent auffi armés chacun de
deux pareils flambeaux , ils entourent Canente
& la pourfuivent avec fureur en
même temps des feux s'élèvent de toutes
parts dans le Palais. Les Choeurs des Miniftres
de Circé ſe joignent aux Démons
pour tourmenter Canente , & concourent
avec eux & avec l'Actrice , à former le
tableau le plus frappant & le plus intéreffant.
A la fin du Choeur , les Démons
fe retirent . Canente , reftée feule avec les
Miniftres de Circé , tâche de les attendrir
par le charme de fa voix . D'abord ils y
font infenfibles ; mais ils cédent enfin à
fes tendres accens . Toute cette fituation
eft d'une grande beauté. M. Dauvergne
l'a bien fentie ; & on peut affûrer la
Mufique contribue beaucoup à en augmenter
l'effet . Circé & le Tibre reparoiffent.
Le calme qui regne alors , fait
penfer à Circé que Canente a été vaincue
par les tourmens qu'elle a éprouvés.
Canente la défabufe ; elle a touché les
Miniftres de Circé , & fon coeur n'eſt
point changé . La Magicienne , furieuſe,
change fes Miniftres en Monftres , à qui
elle ordonne de dévorer fa rivale. Le Tibre
s'y oppoſe , en la menaçant de faire
périr Picus , fi elle attente fur la vie de.
Canente. Circé , allarmée de cette meque
JANVIER. 1761 . 159
nace , fait retirer les Monftres , laiffe
aller Canente , que le Tibre fuit ; & fort
elle-même , après avoir ordonné à Nérine
de faire venir le Prince en fon Palais.
Au quatrième Acte , le Théâtre repréfente
les jardins de Circé , qui entre avec
Picus , à qui elle vient de dire que Canente
eft infidelle. Il fe plaint de la Nymphe
n'écoute rien de ce que lui dit Circé pour
l'engager à changer auffi ; & tombe ,
accablé de douleur , fur un gâzon . Circé
l'affoupit , en le touchant de fa baguette ;
&
pour donner plus de force aux charmes
qu'elle veut employer pour lui faire oublier
Canente , & le rendre fenfible à l'amour
qu'elle reffent pour lui , elle invoque
la Nuit , qui defcend à fa voix , dans un
grouppe de vapeurs , également Poëtique
& bien compofé . La fuite de la Nuit ,
& des Magiciens , de la fuite de Circé,
fous des formes agréables , compofent un
divertiffement
d'enchantement
, auffi ingénieux
qu'agréable , & répandent fur
Picus des fleurs enchantées . M. Dauvergne
a faili le caractére de ce divertiſſement,
en homme de génie : il y a , entre autres
beaux airs , deux Gavottes du premier
mérite , & une Paffacaille très -belle . M.
Veftris,a trouvé dans cette Paffacaille, l'occafion
de développer toute la perfection
160 MERCURE DE FRANCE.
de fon talent , & y a parfaitement rempli
l'idée qu'on en avoit déjà. La Paffacaille
eft fuivie d'une invocation à l'Amour , qui
a déjà été chanté en Duo au commencement
du divertiffement , & pour laquelle
les Choeurs s'uniffent alors à Circé & à la
Nuit. Ce morceau , qui eft auffi danfé en
même tems , eft d'un grand effet , & termine
le divertiffement de la maniére la
plus brillante. L'Amour defcend , en ce
moment, dans une machine fort agréable :
il déclare à Circé qu'il protége Picus & Canente
& qu'elle ne doit pas prétendre à
brifer le trait dont il a bleffé leurs âmes.
Il remonte aux Cieux. Circé, plus furieuſe
que jamais , s'exprime ainfi .
Ah ! fipour mon bonheur je manque de puiffance
Je n'en manquerai pas du moins pour ma vengeance.
( à la Nuit. )
Laillez-moi ; je me livre à mes emportemens.
La Nuit fort avec fa fuite . Circé, réſolue *
de feindre encore , tire Picus de fon affoupiffement
; lui dit que Canente eft fidelle ;
lui avoue l'amour qu'elle a pour lui ; &
l'affure qu'elle va s'immoler à fon bonheur
& à celui de Canente ; enfin qu'elle veur
JANVIER. 1761. 161
fes unir dès ce jour. Elle fort , en difa nt à
part :
Qu'ils favent peu l'hymen qu'apprête ma fureur !
Le cinquiéme Acte commence par un
monologue de Circé, dans les mêmes jardins.
Elle a pris foin d'écarter le Tibre ,
qui auroit pu s'oppofer encore aux effets
de fa fureur : elle attend fes victimes . Nérine
vient lui annoncer qu'elles vont bientôt
fe rendre auprès d'elle . Circé appelle les
Euménides : elles fortent des Enfers : elle
les inftruit de fes deffeins . Les Euménides
s'animent à les remplir.
CIRCE.
Que ces tranfports à mes yeux font charmans !
Mais à tout préparer employons les momens.
Pour les tromper , ( Picus & Canente . ) que ce
lieu s'embelliffe.
Vous,paroiffez ces Dieux qu'attendent leurs defirs;
Et fous la forme des plaifirs ,
Préparez-leur le plus affreux fupplice.
Le Théâtre change , & repréſente le
Temple de l'Hymen . Les Furies, fous la formede
l'Amour & de l'Hymen , font auprès
d'un Autel , chacune un flambeau à la
main ; les Euménides fe retirent dans la
partie la plus intérieure du Temple : dau
16 MERCURE DE FRANCE.
tres Furies , fous des formes agréables ,
font aux côtés du Théâtre . Picus & Ca
nente arrivent fuivis par les Peuples .
Elle les conduit à l'Autel . Pendant
qu'ils y chantent un duo , les Furies qui
l'entourent fecouent leurs flambeaux ; il
fort des Enfers des vapeurs enflammées ;
il tombe une pluie de feu ; des flammes
fe répandent partout. Les Euménides reparoiffent
, faififfent Picus & Canente , les
féparent ; & , fur l'ordre de Circé , levent
le poignard fur eux. Mais le tonnèrre ſe
fait entendre , l'amour paroît dans les
airs ; il précipite les Euménides & les Furies
dans les Enfers , & délivre les deux
Amans. Le Théâtre change en même
temps , & repréſente un Palais brillant.
Circé fort , la rage dans le coeur ; & une
fête agréable termine l'Opéra.
Il y a dans cet Ouvrage des détails heureux
, des tableaux vifs & faits pour le
Théâtre ; mais on y defireroit moins de
de magie , & plus de cette chaleur , de
cet intérêt fi néceffaire à tout Poëme Dramatique
, & peut - être plus encore à un
Ouvrage lyrique , dans lequel on ne peut
y fuppléer par des détails , comme on y
parvient quelquefois dans ceux d'un autre
genre . On y a fait des changemens confidérables,
& avantageux,furtout au cinquié
JANVIER. 1761. 163
me Acte, qui eft prèfque neuf. La catastrophe
de cette Tragédie , telle que M. Dela
Motte l'avoit laiffée , étoit la mort de Canente
, empoisonnée par les Furies , & la
métamorphofe de Picus en pivert. On a
applaudi au nouveau dénoûment , qui fatisfait
davantage le Spectateur , & donne
lieu à un dernier divertiffement , qui termine
le fpectacle de la façon la plus brillante.
Quant à la Mufique , les talens de
M. Dauvergne font cónnus , & cet Ouvrage
en fournit de nouvelles preuves .
L'ouverture est belle ; on y trouve des
fymphonies diftinguées , & des morceaux
faillans ; en un mot on eft généralement
fatisfait de la partie inftrumentale ; & cela
ne fert qu'à faire defirer plus vivement
que l'Auteur s'attache davantage à la vocale
: c'eft- à-dire , qu'il travaille fur des
fondsqui fourniffent à un dialogue mufical
ferré & intéreffant. Quelque fupériorité
qu'ait un Muficien, il faut qu'il foit fecondé
par des Poëmes heureuſement faits , pour
que fes Ouvrages aient un plein fuccès.
Les Maîtres de l'Art l'ont éprouvé , dans
tous les temps ; & M. Dauvergne eft certainement
convaincu de cette vérité. Le
Poëme de Canente n'a pas mis M. Dauvergne
à portée de développer fes talens
pour la vocale , parce qu'il eſt dénué de
164 MERCURE DE FRANCE.
ces Scènes dont une feule a fait fouvent
la fortune d'un Opéra.
Celui - ci a été préfenté au Public avec
tous les foins qu'on doit attendre des Directeurs
, qui n'ont rien épargné pour les
décorations , pour les autres parties du
Spectacle , ni pour les habillemèns.
Mlle Chevalier a été vue avec grand
plaifir dans le rôle de Circé , & a reçu
beaucoup de marques de la fatisfaction
du Public . M. Gélin a été accueilli de mêne
dans celui du Tibre , qu'il a rendu
avec beaucoup de feu . Mlle Lemiere , qui
' étoit déjà malade avant la premiere repréſentation
de cet Opéra , a été obligée
de quitter le rôle de Canente après l'avoir
joué deux fois feulement. Mlle Arnoudl'a
remplacée à la cinquiéme repréfentation .
Elle a joint au charme de l'organe , l'action '
la plus vraie & la plus attendriffante , furtout
dans le troifiéme Acte , où elle a reçu
les plus grands applaudiffemens. Les autres
rôles , moins confidérables , ont été
bien rendus.
On a vu reparoître dans cet Opéra M.
Lionnois , à qui le Public a donné des
marques très - flatteufes de fa bienveillance.
MM, Lany & Laval , Mlle Lionnois
& Mlle Veftris , ont partagé les juftes ap
plaudiffemens des Spectateurs.
JANVIER 1761 . 165
Les ballets , qui font très- bien compofés
, fourniffent de nouvelles preuves des
talens fupérieurs de M. Lany, & méritent
beaucoup d'éloges.
Mlle
Le Vendredi & le Dimanche 7 ,
Dubois a remplacé Mlle Chevalier , dans
le rôle de Circé , qu'elle a fort bien rendu ,
& dans lequel elle a été applaudie.
Mlle Rozet a chanté ces deux jours-là
le rôle de la Nuit , avec une belle voix.
Cette nouvelle Actrice eft bien au Théâtre
; elle a de la nobleffe ; & il eft fort à
defirer qu'elle travaille férieufement à
acquérir ce qui lui manque dans la partie
des agrémens du chant, qui font effentiels ,
& fans lefquels la plus belle voix ne produit
jamais ce qu'on avoit droit de s'en
promettre.
Le fieur Joli continue de faire le plus
grand plaifir dans le rôle de Pigmalion ,
où il vient de montrer , à la fatisfaction .
du Public , que fa voix a dans le haut plus
d'étendue qu'on ne lui en croyoit , fans
y rien perdre de fon agrément.
164 MERCURE DE FRANCE.
ces Scènes dont une feule a fait fouvent
la fortune d'un Opéra.
Celui - ci a été préfenté au Public avec
tous les foins qu'on doit attendre des Directeurs
, qui n'ont rien épargné pour
les
décorations , pour les autres parties du
Spectacle , ni pour les habillemens .
Mlle Chevalier a été vue avec grand
plaifir dans le rôle de Circe , & a reçu
beaucoup de marques de la fatisfaction
du Public. M. Gélin a été accueilli de même
dans celui du Tibre , qu'il a rendu
avec beaucoup de feu. Mlle Lemiere , qui
étoit déjà malade avant la premiere repréfentation
de cet Opéra , a été obligée
de quitter le rôle de Canente après l'avoir
joué deux fois feulement . Mlle Arnoudl'a
remplacée à la cinquiéme repréfentation .
Elle a joint au charme de l'organe , l'action '
la plus vraie & la plus attendriffante , furtout
dans le troifiéme Acte , où elle a reçu
les plus grands applaudiffemens . Les autres
rôles , moins confidérables , ont été
bien rendus .
On a vu reparoître dans cet Opéra M.
Lionnois , à qui le Public a donné des
marques très - flatteufes de fa bienveillance.
MM, Lany & Laval , Mlle Lionnois
& Mlle Veftris , ont partagé les juftes ap
plaudiffemens des Spectateurs.
JANVIER. 1761 . 165
Les ballets , qui font très - bien compofés
, fourniffent de nouvelles preuves des
talens fupérieurs de M. Lany, & méritent
beaucoup d'éloges .
Le Vendredi S & le Dimanche 7 , Mlle
Dubois a remplacé Mlle Chevalier , dans
le rôle de Circé , qu'elle a fort bien rendu ,
& dans lequel elle a été applaudie.
Mlle Rozet a chanté ces deux jours - là
le rôle de la Nuit , avec une belle voix.
Cette nouvelle Actrice eft bien au Théâtre
; elle a de la nobleffe ; & il eft fort à
defirer qu'elle travaille férieufement à
acquérir ce qui lui manque dans la partie
des agrémens du chant, qui font effentiels,
& fans lefquels la plus belle voix ne produit
jamais ce qu'on avoit droit de s'en
promettre.
Le fieur Joli continue de faire le plus
grand plaifir dans le rôle de Pigmalion ,
où il vient de montrer , à la fatisfaction
du Public , que fa voix a dans le haut plus
d'étendue qu'on ne lui en croyoit , fans
y rien perdre de fon agrément.
166 MERCURE DE FRANCE
COMEDIE FRANÇOISE.
EXTRAIT de CALISTE , Tragédie de
M. COLARDEAU .
PERSONNE ERSONNE n'ignore que cette Piéce eft
tirée du Théâtre Anglois. Les Critiques
qui l'ont foumife à leur cenfure , ont donc
moins fait tomber leurs reproches fur l'ingénieux
imitateur que fur l'original. Toutes
les fautes de M. Colardeau , ne font
que d'après M. Rowe , Auteur de la Califte
Angloife. Comparons la marche & la
contexture des deux Piéces. Examinons
d'abord celle qui a fervi de modéle .
Altamont & Horatio , fon ami & fon
beau-frere , ouvrent la Scène . Altamont
s'applaudit de ſon prochain mariage avec
Califte. Sciolto pere de Califte a recueilli
Altamont expirant de douleur fur le tombeau
de fon père , il l'a rétabli dans fes
emplois. Ce Vieillard généreux paroît , il
comble Altamont de marques de tendreffe
, il lui dit cependant que fa fille ( Califte
) fe plaint qu'il n'a pas l'empreffement
d'un nouvel époux. Altamont lui
répond que ce reproche l'étonne.»Quand,
JANVIER. 1761. 167
(dit-il) par vos commandemens, la nuit
» derniere , Califte fut obligée de confen-
» tir à mon bonheur , je voulus avant
» de la quitter prendre un baifer fur fes
» lévres pour gage de nos voeux : je les
» trouvai froides comme le marbre & c.
Sciolto lui dit que, c'eſt une diffimulation
attachée au Sexe .
Lothario & Roffano, ſon ami , viennent
fans être vus des autres Acteurs , qui fe
retirent. Dans cette Scène , Lothario déploie
fon caractére. Il s'applaudit d'avoir
deshonoré Califte. Il l'avoit trouvée endormie.
» L'Amour feul veilloit ( dit-il ; ) la
» vertu & la fierté , gardiens ordinaires
» de l'honneur , dormoient ainfi qu'elle
» &c.
ور
Il femble , par ce récit , que Califte ait
partagé fes tranfports ; & que fa vertu , de
concert avec la furpriſe de fes fens , ait
cédé à la violence de Lothario . Il avoue
à fon ami que fon amour s'éteignit avec
fon bonheur ; qu'il lui a offert le rang de
fa maîtreffe ; mais qu'à cette propofition ,
Califtes'eft livrée au plus affreux déſeſpoir.
Lucile,fa confidente, vient lui apporter une
lettre de fa part. Calife lui mande qu'elle
eft obligée d'épouſer Altamont ; & lui
donne un rendez- vous. Il dit à Lucile ,
qu'il le rendra à l'heure marquée. Lotha
G8 MERCURE DE FRANCE.
rio , en fortant , croit mettre la lettre
dans fa poche , & la laiffe tomber. Horatio
, qui arrive , ramaffe cet écrit , où le
déshonneur de Califte n'eft que trop
prouvé.
Horatio , pénétré du malheur de fon
ami , balance fur l'ufage qu'il doit en faire.
Il a une longue converfation avec fa femme
, qui le voit trifte , & voudroit en
pénétrer le fujet . Il fe répand feulement
en plaintes vagues fur la perfidie & l'infidélité
des femmes.
AU SECOND ACTE , Califte eft en proie
au plus grand défefpoir. Lucile voudroit
qu'elle ne revît pas Lothario . Elle lui répond
que fon deffein eft de traiter le perfide
avec toute l'indignation & le mépris.
qu'il mérite , quoiqu'elle l'aime toujours .
Altamont reçoit de la bouche même de
Califte l'arrêt de fon malheur ; elle lui
dit que leurs coeurs ne font pas faits l'un
pour l'autre , qu'ils peuvent être liés par
les loix , mais qu'ils ne le feront jamais
par l'amour. Sciolto, qui paroît , veut que
Ja joie la plus vive fignale la fête du mariage
de Califte & & Altamont . On chante
des couplets fur ce fujet. Les Acteurs fortent
, excepté Horatio , qui annonce au
Spectateur qu'il va chercher Lothario
pour s'éclaircir fur cette lettre qu'il eft
tenté
9
JANVIER. 1761. 169
>
eft tenté de croire contrefaite . Scène entre
Lothario & Horatio. Le premiér
confervant fon caractére d'infolence &
de perfidie , déclare à l'ami d'Altamont
ce qui s'eſt paffé entre Califte & lui . Horatio
ne peut le croire . Lothario lui promet
des preuves convaincantes. Ils fe
donnent enfin un rendez- vous pour fe
battre.
Au troifiéme Acte , Sciolto reproche à
La fille la trifteffe où il la voit plongée.
» J'ai déjà , répond-elle , rempli la moitié
de mon devoir , j'ai donné ma main
» à Altamont pour accomplir les ordres
» d'un pere que je refpecte . Sciolto foupçonne
que quelque fentiment indigne de
fa fille eft la caufe de ce chagrin , dont
elle s'obſtine à taire la caufe , il la menace
de la punition la plus cruelle fi elle venoit
jamais à manquer à fon honneur.
Califte, feule , fe plaint de la condition
'de fon fexe. Horatio vient l'interrompre.
Cette Scène eft extrêmement adroite &
bien développée ; l'ami d'Altamont emploie
tous les ménagemens poffibles. Califte
ne lui répond que par des hauteurs &
des injures. Hor. » C'eft ici, Madame , c'eft
» à la face des Dieux qu'il faut me jurer
» que vous ne verrez jamais le perfide
» qui vous a déshonorée... ou je vous pro-
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
» tefte que cette lettre .... ( Califle veut
» s'en aller. ) Oh ! vous ne m'échapperez
" pas : oui cette coupable lettre fera ren-
» due publique , & yous couvrira de hon-
" te. Califte Que prétends - tu dire avec
$9
cette lettre ? Je vois que tu l'as imagi-
» née pour tromper mon père & l'irriter
» contre fa malheureuſe fille, dans le def-
» fein de partager fes richeffes avec Al-
» tamont. Hor. Pouvez -vous méconnoî-
» tre cette lettre ? Voici votre figna-
» turé. Cal. (fe jettant deffus la lettre
» & la déchirant. ) Je voudrois pouvoir
» ainfi déchirer le Scélérat qui a été
capable d'une pareille invention. Califte
met le comble à la noirceur de fon
caractère , en accufant Horatio auprès
d'Altamont , qui eft étonné de la
trouver dans les larmes ; elle fort en
maudiffant le mariage . La Scène , entre
Altamont & fon ami, eft intéreffante . Horatio
lui dit enfin, que Califte eft fauſſe &
infidelle. Altamont ne peut la foupçonner
; ils mettent l'épée à la main. Lavinie
foeur d'Altamont & femme d'Horatio,
vient les féparer , & veut les réconcilier.
Altamont qui croit toujours que fon
ami a voulu mal- à - propos accufer Califte,
fe retire furieux. Horatio refte avec fa
femme , qui cxche à le confoler.
JANVIER. 1761. 171
La Scène , au quatriéme Acte , eft dans
le Jardin du Palais de Sciolto. Altamont
eft auffi inquiet qu'affligé. Califte , dès le
point du jour , s'eft dérobée de fes bras ,
fans que fon amour ait pût l'arrêter . » J'ai ,
» dit- il , perdu un ami ; & gagné , quoi ?...
»une femme. ( Cette plaifanterie eft affez
peu digne de la majefté du cothurne. ) II
cherche quelqu'ombrage folitaire & veut
s'y abandonner au fommeil. Lothario &
Califte paroiffent enfemble ; elle l'accable
de reproches. » Ne me parle pas , ditelle
, de mes égaremens : le fouvenir
»feul m'en fait frémir. Que cette nuit ,
» cette coupable nuit foit à jamais effacée
» de l'année , ou qu'elle foit long-temps
» ténébreuſe ; qu'on en attende même vainement
l'aurore , puifque c'eft cette
» nuit qui m'a déshonorée. ( Ce trait eft
emprunté de Job. ) Lothario lui propofe
de répondre encore à fon amour ; » Cal.
» ofes- tu bien penfer que je vouluffe en-
» core me livrer à tes lâches defirs ? ... »
Le caractère de Lothario , eft.ici auffi indécent
qu'odieux. Altamont vient , & les
écoute. Califte , qui ne le voit point , dit
à Lothario , que s'il lui avoit été fidéle ,
Altamont n'eût jamais été fon époux ...
Altamont à Califte. ) Regarde , le
voici. Calife. Ah ! ....Le mari & l'amant
ןכ
Hij
172 MERCURE DE FRANCE:
fe battent. Lothario ( en tombant bleſſe
dans la couliffe.) » Ah ! je meurs .... J'ai
» pourtant triomphé avant toi ; les fa-
» veurs de l'amour me confolent de ma
» défaite ; celle qui fit mon bonheur
» fait maintenant ton infortune . Sciolto
trouve Altamont & Califte dans l'accablement.
Altamont.! » Voyez ce corps , devi-
» nez ma honte , & mon défeſpoir ! oh !
» malheureuſe Califte ! Sciolto veut tuer
fa fille . Elle lui demande la mort comme
un bienfait . Son pere la bannit de fa
préfence. Altamont , frappé de la fureur
qui éclate dans les yeux de Sciolto , veut
l'attendrir vainement en faveur de Califte.
"
Il ordonne qu'on emporte le corps de
Lothario . Altamont refte feul. On entend
un bruit d'armes . Deux Valets paroiffent,
avec des épées nues. Lavinie. » Retour-
» nez promptement au fecours de mon
» cher Horatio .... Ramenez mon mari .
Elle apprend à Altamont qu'ils ont été
enveloppés par une multitude de furieux,
qui cherchoient Lothario, Un fecours arrivé
du Palais de Sciolto , a mis en fuite
ces fcélérats. Horatio arrive avec deux ou
trois Valers , l'épée à la main ; cette Scène
eft pleine de fentiment & de chaleur.
Horatio, furieux contre Altamont ,fe laiffe
attendrir par les pleurs de fa femme &
JANVIER. 1761 . 173
.
de fon ami , & lui rend fon amitié.
C'est dans ces morceaux que fe déploye
le génie Anglois , & qu'il ſe montre
, j'ofe le dire , fupérieur à ce que nous
avons de mieux fur notre Théâtre . Mais
des morceaux , & point d'enſemble. Nul
homme ordinairement n'eft plus différent
de lui - même qu'un Poëte Anglois : c'eſt
Caftor ou Pollux, tantôt habitant des cieux,
tantôt citoyen du Ténare.
Acte cinquième. C'eft ici que l'imagination
Angloiſe a déployé tout fon noir,
tout fon terrible. Le Théâtre repréſente
un appartement tendu de deuil ; d'un côté
eft le corps de Lothario étendu fur une
bière , de l'autre une table fur laquelle
eft une tête de mort avec quelques offe
mens & un livre une lampe funefte
éclaire la Scène. On apperçoit Califle, dans
le fond du Théâtre , couchée fur un lit
fes cheveux déliés & en défordre ; on en
tend une mufique lugubre & effrayante .
UNE VOIX.
PREMIER COUPLET
» Ecoutez- moi , vous phantômes de la
Nuit , qui paroiffez pâles & décharnés ,
» qui rempliffez de crainte les malheu-
Feux que le fommeil abandonne ! Vous
»
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
» qui errez & gémiſſez autour de vos an→
» ciennes demeures , qui vous reprochez
» fans ceffe vos crimes , & à qui la mort
» n'a pu donner le repos : fortez de ces
» tombeaux où vous vous cachez pour
» éviter la lumière. Hâtez - vous , paroiffez
Dici
"
II. COUPLET
» Reprochez à Califte , de différer trop
longtemps à fe joindre à vous; dites- lui,
que c'est elle que vous attendez ; com-
» mandez-lui de mourir, & difparoiffez....
» Vois le Miniftre des cérémonies funé-
» bres. Le tombeau s'ouvre ; écoute , Califte
! profterne toi ; cette mufique , eft
» la trifte cloche qui fonne ton trépas .
"
Il faut avouer que ces deux couplets
font de la plus grande beauté , & qu'ils
jettent dans l'âme un terrible qui eft biendu
reffort de la grande Tragédie. Califte,
feule, fe livre aux affreufes réflexions que.
peut infpirer un pareil féjour. Elle lit :
» Les remords , dit - elle , que je porte
» dans mon coeur, font bien plus puiffans
»que toutes les méthodes qu'on peut nous
enfeignet ..... Pourquoi ce crâne & ces
» offemens en parade ? tout cela peut-il
m'effrayer ?...
رو
Elle regarde le corps de Lothario, Sciol
JANVIER. 1761. 175
"
, fans voir Califte , inftruit le Spectateur
que le Sénat & le peuple font diviſés.
Il apperçoit Califte ; il la compare à Hélene
, fpectatrice des maux qu'elle avoit
caules. Cette Scène eft animée par un
grand pathétique. Sciolto tire fon poignard
; il lui échappe des mains. Il donne
le poignard à fa fille : Si tu m'entends ,
» dit - il , fais ton devoir. Elle veut fe
percer. Son pere lui retient le bras ; il la
prie d'épargner à fes yeux ce fpectacle inhumain
Je voudrois : » , continue- t il ,
pouvoir changer ta deſtinée : mais , hélas
! tu dois mourir ...... Il la quitte.
Altamont vient à fon tour , qui l'invite à
oublier leurs malheurs paffés ; il la trouve
toujours réfolue à mourir. Horatio leve
annonce, que Sciolto a été enveloppé par
la faction de Lothario , & qu'il eft prêt
d'expirer. Altamont veut le tuer . Sciolio
paroît enfanglanté , foutenu par fes domeftiques
; il embraffe fa fille , lui par
donne , & meurt . Califte meurt auffi , en
faifant une espece de réparation à Altamont
: Mes yeux , en fe fermant , pren
» nent quelque plaifir à te voir , & tu es le
» dernier objet qu'ils auront vû. Altamont .
tombe évanoui ; & la Piéce finit par cette
morale : » Apprenons , par de pareils
exemples , à éviter les malheurs & les
2
Hiy
76 MERCURE DE FRANCE.
chagrins qui fuivent néceffairement une
paffion illégitime : bientôt la mort , ou
» mille accidens fâcheux , diviſent ceux
» qu'un lien facré devoit unir. La vertu
» feule peut rendre l'hymen heureux &
>> tranquille.
Parcourons , préfentement , la Califte
Françoife.
Acte premier. Montalde , ami de Lothario
, veut adoucir fon efprit toujours irrité
contre Sciolio. Lothario a été deux ans
abſent de Gènes ; il y revient,rappellé par
ce même Sciolto qu'il détefte & qui doit
lui procurer un emploi glorieux . Il aime
toujours Califte. Il rappelle ces jours où
la jaloufie & la fureur lui ont fait exciter
une révolte & égorger le pere dAltamont
, qui étoit prêt d'époufer Califte.
Il peint ainsi , avec cette décence qu'exige
la délicateffe Françoiſe , le déshonneur
de Califte.
»Je courus vers Califte ... à l'aſpect du courrour
» Qui peignoit dans mes yeux mes fentimens ja
loux ,
» Voyant encor ma main de meurtre dégoutante;
›› La victime à mes pieds interdite , expirante ,
>>Tombe fans mouvement.... O tranſports crimi
» nels !
JANVIER. 1761 . 177 :
» Dieux ! il eſt donc des coeure que l'Amour rend
» cruels ?
On ne peut couvrir d'un voile plus
décent une aventure auffi indécente. Ce
trait fait honneur au jugement & au goût
de M. Colardeau.
Sciolto donne à Lothario le commandement
de l'armée contre les Corfes ; il
veut bien étouffer toutes les haines pour
employer la valeur d'un homme qu'il regarde
comme fon plus cruel ennemi. Il
lui dit ces deux beaux vers :
» Mais tout ingrat qu'il eſt , ton fang eft à l'Etat ş
» Et dans le Citoyen je pardonne à l'ingrat.
Lothario accepte l'emploi : mais il veut
que l'ordre foit fcellé au Palais de Frégofe
, qui eft le Doge , & à la fois un factieux
& un ennemi de l'Etat . Lucile
Confidente de Califte , vient annoncer à
Sciolto que fa fille eft plongée dans une
profonde douleur . Elle voit Lothario .
Quel Monftre , dit elle, épouvante mes
" yeux ! Lothario veut lui faire des quef,
tions, au fujet de Califte.
39
SCIOLTO.
Que t'importent , cruel , les maux de ma familles
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
LOTHARIO .
Que m'importe , grands Dieux !!
SCIOLT O.
>> Retournez vers ma fille , " ,
Lucile: dites-lui , pour calmer fes douleurs ,
>> Que mes embraffemens vont éffuyer fes pleurs .
( Lucilefort . )
>> Allez. ( à Lothario ) Toi , cours au Port...
وو
LOTHARIO.
>> Ah ! je dois fuir fans doute;
Califte me détefte & je pars... mais écoute :
> Si de tes derniers ans le cours t'eft précieux ,
» Ne précipite point un hymen odieux .
» Attends le jour augufte où mes mains fortunées,
Tourneront vers ces bords nos poupes couron
nées ;
›› Ou que ce même ami qui doit fuivre mes pas ,
> Ata fille vengée annonce mon trépas.
•
SCIOLT O.
• Quel jour affreux a paffé dans mon âme ??
Il brûle pour Califte , & j'ignorois ſa flâme !
Sciolto croit cependant que fa fille le
détefte. Il annonce à Altamont que les
jour de la délivrance de Gènes eft arrivé
; que Frégofe fait fortir des remparts
fon armée pour aller combattre les Cor
fes que Lothario , fon appui, eft éloigné ,
fous le même prétexte. Altamont , fans 5
JANVIER. 1761
179
les ordres de Seiolio , eût attaqué Lothario
, & cherché à lui arracher la vie ,
parce qu'il le foupçonne d'avoir fait péfir
fon père.
Sciolio lui fait part des motifs qui lui
fonr preffer fon mariage avec Califte.
Altamoni veut reculer l'inftant de fon
bonheur ; il lui avoue que Califte eft
dans les larmes. Sciolto répond , que fa
fille obéira à fes ordres.
Acte II. Altamont cherche à diffiper
le fombre chagrin dont Califte eft accablée.
Califte répond , qu'elle ne peut fe réfoudre
à former ces nouds . Elle l'engage
à ne plus la voir , & lui raconte un fonge
affreux.
»
Altamont, étonné , femble foupçonner
que Califte eft prévenue pour un autre
que lui. Ce n'eft pas à vous , dit-elle ,
» de percer le mystère de mes refus. Altamont
fort défeſpéré. Califte s'abandon - `
ne plus que jamais au défefpoir ; elle
craint qu'Altamont ne foit inftruit de fa
paffion pour Lothario .
CALIST E.
» Le Ciel m'en eft témoin ; l'ennemi de ma gloires
» Ne peut s'enorgueillir d'une injufte victoire :
» Le triomphe odieux furpris par la fureur ,
Fut celui d'un Tyran & non pas d'un vainqueus,"
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
Ce nouveau trait, où éclate l'adreffe de'
l'Auteur , fuffit au Spectateur pour l'inf
truire de l'outrage qu'a reçu Califte . Elle
pourſuit fon récit fa mere avoit approuvé
leur penchant mutuel ; & lui à ,
en mourant , laiffé une lettre propre à
la juftifier dans l'efprit de Sciolio .
» La Nature , crois- moi , dans le ffein d'une mere,
>>Jette un cri plus plaintif que dans celui d'un
pere.
Califte ne craint point de mourir
mais de caufer la mort de fon père , en
Jui apprenant le fujet de fes larmes . Elle
ne fçait pourquoi Lothario a revu Sciol-
10. Elle appréhende que le mystère de fa
honte n'ait été révélé. Son père vient
pour l'entraîner aux Autels. Califte embraffe
fes genoux , lui dit que ce n'eft
-point Altamont mais l'hymen qu'elle
abhorre.
SCIOLT O.
» Va , je t'aime toujours .... mais vois ſi ma bonté
» Doit , au gré de tes pleurs, changer ma volonté,
>>Un monftre,dans ces murs , opprime ma vieil
leffe.
>> Sa haine enveloppant l'Etat dans les forfaits ,
» A vendu la patrie aux Tyrans que je hais,
Ma fille , tu frémis ! Lothario.. ,
JANVIER. 1761. 181
Il ajoute que ce perfide dit , qu'il aime
Califte. » Lui? répond- elle...qu'il meure ! ...
Vengez l'Etat & vous.... Il va partir, con
tinue Sciolto.
CALISTE.
Tombe fur moi la foudre.
Il part !..vous l'ordonnez... Il a pû s'y réfou
dre?
Califte eft troublée ; & l'Amour eft caché
fous ce trouble , dont il eft lui feul
l'Auteur.
Acte III. Califte ne peut fe réfoudre à
voir partir Lothario ; elle exige qu'il demeure.
5 II fuit !
MONTALDE.
...Madame , que je crains.. ]
CALISTE.
MONTALDE.
Déjà la voile aux vents ab andonnée.
5. Mais de quel foin votre âme eſt- elle importunées
» Ah , que Lothario quitte à jamais ces bords :
›› Cruel dans ſes forfaits , il l'eſt dans fes remords.
CALISTE.
>> Quel diſcours ! ..
MONTALDE.
Pardonnez .... votre vertu , fon crime
CALISTE.
>> J'entends : il a comblé le malheur qui m'op
prime ;
182 MERCURE DE FRANCE.
>>'De fon lâche triomphe il a femé le bruit !
Elle continue: Qu'il parte .... ( à Montalde. )
» Vous m'avez fait rougir: ne me voyez jamais .
Califte , furieufe , eft réfolue de matcher
aux Autels .
Lothario paroît enfin devant Califte.
il lui avoue qu'il abhorre Sciolto ; qu'il
eft feul caufe des outrages qu'elle a reçus
, en voulant lui faire époufer Altamont.
» Le crime de l'Amour,fut commis par la haine.
Califte fe plaint de ce qu'il ne lui a
pas donné la mort , & de ce qu'il ne l'a
jamais aimée. Lothario lui répond , que
c'eſt une injure .
Amant audacieux , fans honneur & fans foi ,
> J'ai mérité ce titre & je l'attens de toi :
>> Mais nier mon amour ?
>> Sciolto! ... fon nom feul glace mes fens d'éffrot .
›› Que fait - il ? & d'où vient qu'il s'éloigne de toi ?
Califte lui laiffe entrevoir un amour ,
qui l'enflamme encore malgré elle.Enfin ,
elle engage Lothario à venir fe jetter
aux pieds de Sciolto, Il eft fur le point *
1
JANVIER 1761 183
d'y confentir... On annonce à Califte
qu'Altamont l'attend aux Autels .
CALISTE, ( à Lothario . )
» Eh bien , tout eft connu , tu vois ma deſtinée ! ...
Lothario , furieux , conçoit le deffein
d'interrompre la fête , & d'immoler fon
rival. Sciolto veut le renvoyer vers le
Port: Il déclare qu'il refte dans les murs
de Gènes. Sciolto demande à Califte interdite
, ce que fignifie cette fureur de Lothario
? Il commence à fe livrer à des >>
foupçons. Sa fille lui dit , qu'il peut difpofer
de fa main. Elle le quitte. Altamont
lui promet vengeance. Ils fortent ,
réfolus à combattre.
Acte IV. Lucile , feule , annonce que
Califte eft au Temple ; qu'elle a exigé
ces noeuds dédaignés tant de fois. Montalde
inftruit Lucile que Lothario eft entré
dans le Temple ; qu'il a faifi Califte
aux yeux
du Pontife en courroux ; que
Sciolto a fait tout-à- coup fortir des fobdats
qui s'étoient cachés dans les tombeaux;
que Califte enfin s'eft élancée entre
Lothario, fon pere , & fon époux. Lothario
paroît pourfuivant Califte ; il l'arrête :
lorfqu'elle eft vers le milieu de la Scè
ne. Montalde s'oppofe aux efforts de Lo
thario, Califte & lui s'accablent de re--
*
1847
MERCURE DE FRANCE.
proches. Il propoſe enfin à la fille de
Sciotto de l'époufer,fi elle veut retourner
au Temple. Il ajoûte , que c'eft à cette
feule condition qu'il laiffera la vie à ſon
père. Califte ne veut point entendre parler
d'un femblable hymen. Eh bien , dit
Lothario , je vais te fatisfaire ; j'éteindrai
ma flamme dans des flots de fang. Sciolto
entre; il apperçoit fa fille aux pieds de Lothario
, qu'elle prie de lui donner la mort.
Il la bannit de fes yeux, comme l'auteur
de tous les maux de la Patrie. Caliſte ſe
voit enfin forcée de révéler fon malheu
reux fecret. Elle tire de fon fein la lettre de
fa mere ; & la donne à lire à Sciolto , qui
s'écrie, en tirant fon épée & en s'élançant
vers Lothario , » Frappe ou donne- moi
» ta vie. Lothario tire auffi fon épée.
Califte le jette entrè fon père & fon
Amant. Elle tombe évanouie.
Lothario s'offre à réparer fon crime ,
& les malheurs de Califte & de Sciolto.Ce
dernier répond , qu'il ne demande que
mort du coupable.
LOTHARIO , en fortant.
» Tu demandes du fang , & le fang va couler....
» Hé bien, pour te punir, il faut t'humilier :
J'avois caché ta honte , il faut la publier.
» Je veux que mon rival de tes bienfaits rougiſſe
la
JANVIER. 1761.
189
Er qu'immolé pour toi , lui- même te maudiffe,
Califte eft longtemps évanouie. Altamont
arrive. Il a rencontré Lothario , &
lui a ôté la vie .
CALIST E.
Ciel , Lothario ? ...
ALTAMONT.
Je triomphe , il expired
Ah de qnels attentats fa voix vient de m'inf
» truire !
>Ma trop jufte fureur ,le cherchoitdans ces lieux.
Sciolto remarque que les yeux
Lifte font baignés de pleurs.
CALIST E.
de Ca
» Vous obſervez mes larmes ,
Barbares! ... laiſſez-moi me faifir de ces armes
Elle fe jette fur l'épée d'Altamont , qui
s'oppose à ſes efforts. Elle avoue enfin
qu'elle aimoit Lothario .
>> J'ai trahi vos deffeins ... Frappez votre victime,
>> Sçachez , s'il faut encor exciter vos fureurs ,
» Qu'à Lothario feul je donne ici des pleurs.
» Il n'eft plus ! Soit amour ,foit la honte de vivre
» Dans la nuit du tombeau Califte veut le fuivre.
( Elle fort. )
86 MERCURE DE FRANCE.
On vient annoncer à Sciolto , que Fre
gofe ( le Doge ) Te prépare lui - même à
forcer le Palais , & que l'on demande Lothario
à grands cris . Sciolto répond , qu'il
va le leur rendre tout fanglant , &
fille payera
fa
de fa vie tant de malheurs.Altamont
cherche à le calmer en faveur de
Califte. Sciolto réplique :
Les droits les plus facrés ,font les droits de l'honneur.
Acte V. Le Théâtre eft tendu de noir ,
& n'eft que foiblement éclairé. Une lampe
eft fufpendue au milieu ; à l'un des
deux côtés eft une efpéce de lit funebre ,
où eft le corps de Lothario ; de l'autre ,
on voit une table, fur laquelle eft une coupe
empoisonnée.
Califte confidere l'horreur du lieu où
elle fe trouve:
Qu'il eft dur cependant que la main paternelle
» Ait difpofé , pour moi , cette pompe cruelle !
*
Elle apperçoit le tombeau de Lotha
rio ; & levant le voile qui le couvre :
... Quel eft ce Maufolée ?
Hélas ! pour qui ce deuil , ces feftons odieux ,
>> Seroient-ils préparés... Lothario ! grands Dieux !
JANVIER 1761. 1877
Elle s'éloigne du tombeau & ſe trouve
près de la table fur laquelle eft la coupe :
Mais à qui cette coupe eft- elle deſtinée ? ....
>> Ah ! c'eft à moi fans doute ...
Comme elle porte la main à la coupe ,
fon pere arrive , qui lui dit froidement :
» Tu fus jadis ma fille.... Il ajoûte, qu'Altamont,
dans ce moment, périt , peut- être
affaffiné :
>> Dis-moi, de tous les biens , difpenfés par le fort s
Quel bien préféres-tu ?
CALIST E.
» L'honneur .
SCIOLTO.
Sans lui ? ....
GALIST E.
>> La mort.
SCIOLTO.
J'applaudis à ton choix . Ainfi donc ton courage,
» De cette affreuse coupe a préffenti l'uſage?}
CALIST E.
» Oui mon pére ; & fans vous , ce bras déterminé
>> Eût verſé dans mon fein le vaſe empoisonné.
· · ·
SCIOLT O.
>>Tout peut t'intimider.
188 MERCURE DE FRANCE
CALIST E.
» Hé bien ! frappez vous- même.
>> Percez ce trifte coeur qui vous craint , mais vous
ז ו
aime.
Sciolto ne fçauroit la punir : il eft pere.
porte Ja main à fon poignard , & lui
préfentant la coupe , en détournant les
yeux :
>> Hébien je vais.... mais non... tiens , prends , fai
ton devoir.
Il l'arrête ; il lui dit , que fa feule vertú
doit régler fa deftinée ; que le danger
preffe ; & qu'il eft temps qu'elle décide
de fon fort. Il l'embraffe , & fort en s'écriant
: » Adieu , je vais mourir . »
Califte, feule , regarde le tombeau de
Lothario ; prend la coupe ; boit le poiſon ;
& , en s'égarant , arrive au pied du tombeau
, où elle fe précipite. J'oubliois de
citer ces deux beaux Vers , que dit Califte,
en prenant la coupe :
» Que fçais-je , en préparant ces poiſons deſtructeurs
,
9
Peut - être que mon pere y mêla quelques
pleurs !
Lucile
accourt lui
annoncer , que fon
JANVIER, 1761. 189
pere a cherché la mort parmi les affićgeans
, & qu'il l'a trouvée .
CALISTE.
» Mon âme va le fuivre.
Honore ma mémoire , en plaignant mes malheurs
:
Victime de l'amour , de la vertu... je meurs.
Le Lecteur, maintenant , eft en état de
juger par lui - même des rapports & des
différences des deux Califtes. Nous fommes
forcés de remettre au Mercure prochain
les Morceaux de détails imités par
M. Colardeau , qui ne peuvent que lui
être avantageux , ainfi que le jugement du
Public fur fon très - eftimable Ouvrage .
Le 12 Décembre , les Comédiens François
ont donné la premiere Repréſentation
de Pigmalion , Comédie en un Acte
& en Profe , qui n'a pas réuffi. Le 22 , ils
ont joué les Maurs du Temps , Comédie
en un Acte & en Profe de M. Saurin ,
Auteur de Spartacus. Sa Piéce a eu un
plein fuccès , & le mérite par les détails
& les fituations qui fe trouvent dans cet
Ouvrage . Le dénoûment, fimple & vrai, a
produit le plus grand effet , & a été généralement
applaudi . Nous en donnerons
l'Extrait quand elle fera imprimée.
K 190 MERCURE
DE FRANCE
.
P
COMEDIE ITALIENNE.
LE Mardi , 25 Novembre , on donna la
premiere Repréſentation de l'Amantfuppofé
, Comédie nouvelle en un Acte en
Profe . On y avoit trouvé de l'efprit , du
ftyle , & une marche de Scènes vive. Elle
fut très- bien accueillie d'abord ; & le rôle
de Petit- maître , joué par le fieur Le Jeune
, d'une maniere auffi diftinguée qu'agréable
, fembloit devoir affurer le fuccès
de cette petite Piéce , contre laquelle le
Public fe révolta le Dimanche fuivant ,
fans qu'on ait trop pu en deviner la raiſon.
Il est vrai que l'intrigue en avoit paru un
peu ufée , & pas affez éclaircie ; mais le
genre du Dialogue pouvoit faire paffer ce
défaut . L'Auteur l'a retirée.
Mercredi 26 , la Dlle Durand débu
ta par le rôle de Sylvia , dans le Jeu
de l'Amour & du Hazard. On lui reprocha
trop de véhémence ; mais elle avoit
féduit : elle s'eft modérée , elle n'y a pas
gagné . Elle a débuté depuis, dans les rôles
de Soubrette ; pour le chant , dans celui
de Ninette à la Cour ; & pour la danſe ,
dans le Ballet de Pygmalion , où elle joue
le perfonnage de Céphife. On ne peut que
JANVIER. 1761 .
+
fui fçavoir bon gré de s'être effayée dans
prèfque tous les genres, pour s'attirer les
fuffrages du Public.
2 .
Lundi , 15 Décembre , on donna pour
la premiere fois Pygmalion , Ballet Héroï-
comique- Pantomime , de la compofition
du fieur Billoni . Il a été très - applau
di. C'eſt à- peu-près la même intrigue que
celle de l'Opéra. Nous dirons feulement ,
que les Grâces repréfentées par Mefdemoifelles
Lafont , Emilie & Louifon , y
font une illufion parfaite. Elles danfent
un pas de quatre avec Mlle Camille ,
qui ne pouvoit être mieux placée qu'au
milieu d'elles . Elle peint admirablement
bien & la furpriſe de voir le jour ,
& les divers mouvemens qu'excite dans
le coeur d'une jeune perfonne la vue de
celui qu'elle doit aimer. La décoration
de l'attelier de Pygmalion , a paru d'une
grande beauté. La brillante Mlle Catinon
danſe , à la tête des Suivans de Pygmalion
, qui viennent rendre hommage
à la ftatue animée ; & fa danſe ajoûte un
nouvel embelliffement au Ballet , qui
cependant , a paru un peu trop long.
Le Lundi 22 , on donna la derniere
Repréfentation du Prétendu , dans laquelle
tous les Acteurs fe font également
diftingués. Le fieur Rochard, eft le feul qui
** LEN KUNDEAN CLA
I mece. Home es urs
auber Koerie i uma camciéfe
ali trecere de over : Stres
maalvátument crrageen cet Adszer, fait
"wat: rennoht:7 JEANGIES Bituccɑefoot y
ANAPU 1'D 1 MANDER.
TIILSENS FUN
%
יד
Sewer “NAURKA ZA 1. Saccen
module , de eles ca avui: iɗe M.
Moore Mynachama , brass spawilätta y
à grand Chunr de ik. Domine, JELEN
Jonas , et otec ce
petit Motet de A e Chemalte He..
saz , ellotet d'Orque , de LaksättiDo-
TUZLA, gentum conus , ce ì 1. .londonvie.
Ce Concert a ste tres-ceau , panzer
choix des Morceaux & per essccczion
M. Gavinies , cui a true um Concertocie
fa comcontion , M. Satbaar , qan a coce
fur Orque une. Javerture Torvves des la
Calle de Zaicz , Miles: Fri., Lornare. 38:
Rovet , etieur Defintis & MILE. „. JT?
été temeat anglaydis.vez les itine
ions que chacun d'eux merites.
ARTICLE
JANVIER. 1761 ; 193
ARTICLE VI.
NOUVELLES
POLITIQUES.
De PETERSBOURG , le 6 Novembre 1760.
L'IMPERATRICE vient d'établir un Confeil de
Commerce , dont le Comte de Czeruichef a été
nommé Préfident.
On commence , depuis plufieurs jours , à reffentir
un froid rigoureux. Le Lac Ladoga eft couvert
de glaces, & la Neva charrie fi fortement qu'elle a
entraîné notre pont la Nuit du 27 au 28 du mois
dernier. On ne croit pas que la faifon permette à
notre Armée de former aucune entrepriſe nouvelle
jufqu'à l'ouverture de la Campagne prochai
ne ; mais on eft dans la réſolution de commencer
cette campagne le plutôt qu'il fera poffible , &
l'on a donné fur ce point , à la Cour de Vienne ,
de très-fortes affurances .
L'Amiral Mifchakow eft arrivé dans cette Ville ;
mais il ne doit point fe préfenter à la Cour , jufqu'à
ce qu'il fe foit juftifié fur le mauvais fuccès du Siége
de Colberg.
De VIENNE , le 3 Décembre.
Après la bataille donnée près de Torgau le 3
du mois dernier , on exécuta, le 4 au matin , la
réfolution que l'on avoit prife de repaffer l'Elbe .
L'Armée paffa ce fleuve dans le meilleur ordre , &
fans laiffer à l'ennemi un feul chariot. Elle étoit
déjà loin de Torgau , lorfque quelques Corps de
Cavalerie ennemie entrérent dans cette ville , οι
I.Vol. I
For MERCURE DE FRANCE
n'y ait pas été placé. Quoique les airs
fuffent dignes de fa voix , le caractére
qu'il y a repréſenté ne pouvoit être
qu'abfolument étranger à cet Acteur , fait
pour ennoblir fes rôles plutôt que pour y
donner du ridicule.
CONCERT SPIRITUEL.
LR Concert Spirituel , de la Concep
tion de la Vierge a exécuté une fymphonie
, des Piéces de Clavecin de M.
Mondonville , Venite exultemus , Motet
à grand Choeur de M. Davefne , Quàm
bonus , petit Motet de M. Lefebvre , un
petit Motet de M. le Chevalier d'Herbain
, le Motet d'Orgue , & Laudate Dominum,
Quoniam bonus , de M. Mondonville.
Ce Concert a été très- beau , par le
choix des Morceaux & par l'exécution .
M. Gaviniés, qui a joué un Concerto de
fa compofition , M. Balbatre qui a joué
fur l'Orgue une Ouverture fuivie de la
Chaffe de Zaïde, Miles Fel , Lemiere &
Rozet , le fieur Deffintis & Muguet , ont
été juftement applaudis , avec les diftinctions
que chacun d'eux mérite.
ARTICLE
JANVIER. 1761 ; 193
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
De PETERSBOURG , le 6 Novembre 1760 .
L'IMPERATRICE vient d'établir un Confeil de
Commerce , dont le Comte de Czeruichef a été
nommé Préfident.
On commence , depuis plufieurs jours , à reſſentir
un froid rigoureux . Le Lac Ladoga eft couvert
de glaces, & la Neva charrie fi fortement qu'elle a
entraîné notre pont la Nuit du 27 au 28 du mois
dernier. On ne croit pas que la faifon permetre à
notre Armée de former aucune entrepriſe nouvelle
jufqu'à l'ouverture de la Campagne prochai
ne ; mais on eft dans la réſolution de commencer
cette campagne le plutôt qu'il fera poffible , &
l'on a donné fur ce point , à la Cour de Vienne ,
de très-fortes affurances.
L'Amiral Mifchakow eſt arrivé dans cette Ville
mais il ne doit point fe préfenter à la Cour , juſqu'à
ce qu'il ſe foit juſtifié fur le mauvais fuccès du Siége
de Colberg.
De VIENNE , le 3 Décembre.
Après la bataille donnée près de Torgau le 3
la du mois dernier , on exécuta , le 4 au matin ,
réfolution que l'on avoit priſe de repaffer l'Elbe.
L'Armée paffa ce fleuve dans le meilleur ordre , &
fans laiffer à l'ennemi un feul chariot. Elle étoit
déjà loin de Torgau , lorfque quelques Corps de
Cavalerie ennemie entrérent dans cette ville ,
I.Vol.
I
ou
184 7
MERCURE DE FRANCE.
proches. Il propofe enfin à la fille de
Sciolto de l'époufer, fi elle veut retourner
au Temple. Il ajoûte , que c'eft à cette
feule condition qu'il laiffera la vie à fon
père. Califte ne veut point entendre parler
d'un femblable hymen . Eh bien , dit
Lothario , je vais te fatisfaire ; j'éteindrai
ma flamme dans des flots de fang. Sciolto
entre;il apperçoit fa fille aux pieds de Lothario
, qu'elle prie de lui donner la mort .
Il la bannit de fes yeux, comme l'auteur
de tous les maux de la Patrie . Califte le
voit enfin forcée de révéler fon malheureux
fecret . Elle tire de fon fein la lettre de
fa mere ; & la donne à lire à Sciolto , qui
s'écrie, en tirant fon épée & en s'élançant
vers Lothario , » Frappe ou donne- moi
» ta vie. Lothario tire auffi fon épée.
Califte le jette entrè fon père & fon
Amant . Elle tombe évanouie .
Lothario s'offre à réparer fon crime ,
& les malheurs de Califte & de Sciolto.Ce
dernier répond , qu'il ne demande que
mort du coupable.
LOTHARIO , en fortant.
» Tu demandes du fang , & le fang va couler....
» Hé bien, pour te punir, il faut t'humilier :
J'avois caché ta honte , il faut la publier.
»Je veux que mon rival de tes bienfaits rougiſſe
la
JANVIER. 1761. 189
Et qu'immolé pour toi , lui- même te maudiffe,
Califte eft longtemps évanouie . Altamont
arrive. Il a rencontré Lothario , &
lui a ôté la vie.
CALISTE.
Ciel , Lothario ? ...
ALTAMONT.
Je triomphe , il expired
» Ah de qnels attentats fa voix vient de m'inf
» truire !
>>Ma trop jufte fureur,le cherchoit dans ces lieux...
Sciolto remarque que les yeux de Ca
lifte font baignés de pleurs.
CALISTE.
» Vous obſervez mes larmes ,
»Barbares!... laiffez-moi me faifir de ces armes
Elle fe jette fur l'épée d'Altamont , qui
s'oppose à fes efforts . Elle avoue enfin
qu'elle aimoit Lothario.
>>J'ai trahi vos deffeins ... Frappez votre victimei
» Sçachez , s'il faut encor exciter vos fureurs ,
» Qu'à Lothario feul je donne ici des pleurs.
» Il n'eft plus ! Soit amour,foit la honte de vivre
» Dans la nuit du tombeau Caliste veut le fuivre.
( Ellefort, )
86 MERCURE DE FRANCE.
需
On vient annoncer à Sciolto , que Fro
gofe ( le Doge ) Te prépare lui - même à
forcer le Palais , & que l'on demande Lothario
à grands cris. Sciolto répond, qu'il
va le leur rendre tout fanglant , & que fa
fille payera de fa vie tant de malheurs.Altamont
cherche à le calmer en faveur de
Califte. Sciolto réplique :
» Les droits les plus facrés,font les droits de l'hon-
$
neur.
Acte V. Le Théâtre eft tendu de noir , "
& n'eft que foiblement éclairé . Une lampe
eft fufpendue au milieu ; à l'un des
deux côtés eft une efpèce de lit funebre , "
on eft le corps de Lothario ; de l'autre ,
on voit une table, fur laquelle eft une coupe
empoisonnée.
Califte confidere l'horreur du lieu où
elle fe trouve :
Qu'il eft dur cependant que la main paternelle
» Ait difpofé , pour moi , cette pompe cruelle !
Elle apperçoit le tombeau de Lotha
rio ; & levant le voile qui le couvre :
... " Quel eft ce Maufolée!
95 Hélas ! pour qui ce deuil , ces feftons odieux ,
>> Seroient-ils préparés ... Lothario ! grands Dieux!
JANVIER. 1761. 187
Elle s'éloigne du tombeau & fe trouve.
près de la table fur laquelle eft la coupe :
» Mais à qui cette coupe eft- elle deſtinée ? ....
>> Ah ! c'eſt à moi fans doute ...
porte
Comme elle la main à la coupe ,
fon pere arrive , qui lui dit froidement :
» Tu fus jadis ma fille.... Il ajoûte ,qu'Altamont,
dans ce moment, périt , peut- être
affaffiné :
>> Dis-moi ,de tous les biens , difpenfés par le fort s
Quel bien préféres-tu !
CALISTE.
» L'honneur .
SCIOLTO..
Sans lui ? ....
GALIST E.
>> La mort.
SCIOLTO .
J'applaudis à ton choix . Ainfi donc ton courage,
» De cetteaffreuſe coupe a préffenti l'uſage ?)
CALISTE.
Oui mon pére ; & fans vous , ce bras déterminé
>> Eût verfé dans mon fein le vale empoisonné.
SCIOLTO..
>>Tout peut t'intimider.
188 MERCURE DE FRANCE
CALIST E.
» Hé bien ! frappez vous-même.
Percez ce trifte coeur qui vous craint , mais vous
aime.
Sciolto ne fçauroit la punir : il eft pere .
11 porte la main à fon poignard , & lui
préfentant la coupe , en détournant les
yeux :
»Hé bien je vais..... mais non... tiens , prends , fai
ton devoir .
Il l'arrête ; il lui dit , que fa feule vertú
doit régler fa deftinée ; que le danger
preffe ; & qu'il eft temps qu'elle décide
de fon fort. Il l'embraffe , & fort en s'écriant
: Adieu , je vais mourir. »
Califte, feule , regarde le tombeau de
Lothario ; prend la coupe ; boit le poiſon ;
& , en s'égarant , arrive au pied du tombeau
, où elle fe précipite . J'oubliois de
citer ces deux beaux Vers, que dit Califte,
en prenant la coupe :
» Que fçais-je , en préparant ces poiſons deſtruc
teurs ,
» Peut - être que mon pere y mêla quelques
pleurs !
Lucile accourt lui annoncer , que fon
JANVIER, 1761. 189
pere a cherché la mort parmi les affićgeans
, & qu'il l'a trouvée .
CALIST E.
» Mon âme va le fuivre,
Honore ma mémoire , en plaignant mes malheurs
:
Victime de l'amour , de la vertu... je meurs.
Le Lecteur, maintenant, eft en état de
juger par lui - même des rapports & des
différences des deux Califtes . Nous fommes
forcés de remettre au Mercure prochain
les Morceaux de détails imités par
M. Colardeau , qui ne peuvent que lui
être avantageux
, ainfi que le jugement du
Public fur fon très- eftimable Ouvrage.
Le 12 Décembre , les Comédiens François
ont donné la premiere Repréſentation
de Pigmalion , Comédie en un Acte
& en Profe , qui n'a pas réuffi. Le 22 , ils
ont joué les Maurs du Temps , Comédie
en un Acte & en Profe de M. Saurin ,
Auteur de Spartacus . Sa Piéce a eu un
plein fuccès , & le mérite par les détails
& les fituations qui fe trouvent dans cet
Ouvrage. Le dénoûment, fimple & vrai, a
produit le plus grand effet , & a été généralement
applaudi . Nous en donnerons
l'Extrait quand elle fera imprimée..
190 MERCURE DE FRANCE.
*
COMEDIE ITALIENNE.
LEE Mardi , 25 Novembre , on donna la
premiere Repréſentation de l'Amantfuppofé
, Comédie nouvelle en un Acte en
Profe. On y avoit trouvé de l'efprit , du
ftyle , & une marche de Scènes vive . Elle
fut très-bien accueillie d'abord ; & le rôle
de Petit- maître , joué par le fieur Le Jeune,
d'une maniere auffi diftinguée qu'agréable
, fembloit devoir affurer le fuccès
de cette petite Piéce , contre laquelle le
Public fe révolta le Dimanche fuivant. ,
fans qu'on ait trop pu en deviner la raiſon.
Il est vrai que l'intrigue en avoit paru un
peu ufée , & pas affez éclaircie ; mais le
genre du Dialogue pouvoit faire paffer ce
défaut . L'Auteur l'a retirée.
Mercredi 26 , la Dlle Durand débu
ta par le rôle de Sylvia , dans le Jeu
de l'Amour & du Hazard. On lui reprocha
trop de véhémence ; mais elle avoit
féduit : elle s'eft modérée , elle n'y a pas
gagné . Elle a débuté depuis, dans les rôles
de Soubrette ; pour le chant , dans celui
de Ninette à la Cour ; & pour la danſe ,
dans le Ballet de Pygmalion , où elle joue
le perfonnage de Céphife . On ne peut que
JANVIER. 1761 197
lui fçavoir bon gré de s'être effayée dans
prèfque tous les genres, pour s'attirer les
fuffrages du Public .
Lundi , 15 Décembre , on donna pour
la premiere fois Pygmalion , Ballet Héroï-
comique-Pantomime , de la compofition
du fieur Billoni . Il a été très - applaudi.
C'est à- peu -près la même intrigue que
celle de l'Opéra . Nous dirons feulement ,
que les Grâces repréfentées par Mefdemoifelles
Lafont , Emilie & Louifon , y
font une illufion parfaite. Elles danfent
un pas de quatre avec Mlle Camille ,
qui ne pouvoit être mieux placée qu'au
milieu d'elles . Elle peint admirablement
bien & la furpriſe de voir le jour ,
& les divers mouvemens qu'excite dans
le coeur d'une jeune perfonne la vue de
celui qu'elle doit aimer. La décoration
de l'attelier de Pygmalion , a paru d'une
grande beauté . La brillante Mlle Catinon
danfe , à la tête des Suivans de Pygmalion
, qui viennent rendre hommage
à la ftatue animée ; & fa danfe ajoûte un
nouvel embelliffement au Ballet , qui ,
cependant , a paru un peu trop long.
Le Lundi 22 , on donna la derniere
Repréfentation du Prétendu , dans laquelle
tous les Acteurs fe font également
diftingués. Le fieur Rochard, eft le feul qui
Fo MERCURE DE FRANCE.
n'y ait pas été placé. Quoique les airs
fuffent dignes de fa voix , le caractére
qu'il y a repréfenté ne pouvoit être
qu'abfolument étranger à cet Acteur , fait
pour ennoblir fes rôles plutôt que pour y
donner du ridicule.
CONCERT SPIRITUEL.
LE Concert Spirituel , de la Concep
tion de la Vierge a exécuté une fymphonie
, des Piéces de Clavecin de M.
Mondonville , Venite exultemus , Moter
à grand Choeur de M. Davefne , Quàm
bonus , petit Motet de M. Lefebvre , un
petit Motet de M. le Chevalier d'Herbain
, le Motet d'Orgue , & Laudate Dominum,
Quoniam bonus , de M. Mondonville.
Ce Concert a été très-beau , par le
choix des Morceaux & par l'exécution .
M. Gaviniés , qui a joué un Concerto de
fa compofition , M. Balbatre qui a joué
fur l'Orgue une Ouverture fuivie de la
Chaffe de Zaïde, Miles Fel , Lemiere &
Rozet , le fieur Deffintis & Muguet , ont
été juftement applaudis, avec les diftinctions
que chacun d'eux mérite.
ARTICLE
JANVIER. 1761; 193
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
De PETERSBOURG , le 6 Novembre 1760.
L'IMPERATRICE vient d'établir un Confeil de
Commerce , dont le Comte de Czeruichef a été
nommé Préfident.
On commence , depuis plufieurs jours , à reffentir
un froid rigoureux . Le Lac Ladoga eft couvert .
de glaces, & la Neva charrie fi fortement qu'elle a
entraîné notre pont la Nuit du 27 au 28 du mois
dernier. On ne croit pas que la faifon permette à
notre Armée de former aucune entrepriſe nou
vellejufqu'à l'ouverture de la Campagne prochai
ne ; mais on eſt dans la réſolution de commencer
cette campagne le plutôt qu'il fera poſſible , &
l'on a donné fur ce point , à la Cour de Vienne ,
de très-fortes affurances.
L'Amiral Mifchakow eſt arrivé dans cette Ville ;
mais il ne doit point fe préfenter à la Cour , jufqu'à
ce qu'il fe foit juftifié fur le mauvais fuccès du Siége
de Colberg.
De VIENNE , le 3 Décembre.
&
le
Après la bataille donnée près de Torgau 3
du mois dernier , on exécuta, le 4 au matin , la
réfolution que l'on avoit prife de repaffer l'Elbe.
L'Armée paffa ce fleuve dans le meilleur ordre ,
fans laiffer à l'ennemi un feul chariot. Elle étoit
déjà loin de Torgau , lorfque quelques Corps de
Cavalerie ennemie entrérent dans cette ville ,
1. Vol
I
ou
194 MERCURE DE FRANCE.
il ne reftoit qu'un petit nombre de canons de fer
dont on avoit brifé les affuts.
Parmi les prifonniers que nous avons faits fug
les Pruffiens , font les Lieutenans Généraux de Finckenftein
& de Bulow , plufieurs Colonels & plus
de cent autres Officiers. Lenombre des bas Officiers
ou foldats prifonniers monte à plus de quatre
mille. A en juger par le nombre des foldats Pruffens
que nous avons vus fur le champ de bataille ,
la perte de Sa Majefté Pruffienne eft au moins de
vingt mille hommes. Nous avons pris trente - neuf
drapeaux & deux étendarts .
Nous avons perdu dans cette affaire deux Géneraux
Majors , le Comte d'Herberstein, & le Baron
Walther de Valdenau , Commandant de l'artillerie
, qui ont été tués . Le Lieutenant Général Baron
d'Angern , le Baron de Bibow , les Comtes Migazzi
, & de Saint-Ignon , Généraux Majors , ont été
faits prifonniers. Les Généraux bleffés , font le
Maréchal Comte de Daun , le Général de Cava
lerie , Baron de Buocow , les Généraux d'infanterie
Duc d'Ahremberg & Baron de Sincere. Notre
perte monte à dix mille huit cens neuf hommes
tant tués ou bleffés que prifonniers ou manquans.
Le Maréchal Comte de Butturlin , qui a pris le
commandement de l'Armée de Ruffie à Arenfwald,
doit marcher fur le Brandebourg pour opérer
une diverfion en notre faveur.
Le Feld-Maréchal Comte de Daun arriva le pre-
-mier de ce mois dans cette ville. Sa, bleffure eft
dans un bon état , & l'on compte que fa guérilon
eft prochaine.
De HAMBOURG , le 3 Décembre.
Les Pruffiens font rentrés . dans le Mecklembourg
; le Colonel de Belling , qui les comman
de , a fon quartier général a Guftrow. Le Duo
JANVIER. 1761. Tof
He Mecklembourg , qui étoit revenu dans fes
Etats , fe difpofe à les abandonner une feconde
fois & à fe retirer à Lubeck.
On écrit de Coppenhague , que le Roi de Dannemarck
a fait un faux pas le 18 du mois dernier
en rentrant dans fon Château de Jagerſbourg ,
& qu'il s'eſt caffé la jambe droite . Cet accident
a d'abordextrêmement allarmé; mais la réduction
s'eft faite heureuſement , & l'on compte que cette
chûte n'aura pas de fâcheufes fuites ,
La Cour de Kullie a fait publier un état général
de la perre que les Pruffiens ont faite tant en
déferteurs qu'en tués & prifonniers , à la prife
de Berlin & dans les petites actions qui l'ont
précédée. Elle monte à cinq mille huit cens
quatre- vingt fept hommes. Les Ruffes ont délivré
dans cette expédition , plus de douze cens prifonniers.
Les Lettres de Schwerin portent qu'on y a
effuyé le 24 , un ouragan des plus violens 11
a totalement ruiné le toit de l'Eglife principale ;
les tables de cuivre , qui couvroient la charpente,
ont été arrachées par le vent & portées à plus de
deux cens pas . On en a trouvé plufieurs mifes
en rouleau. Quelques jours auparavant , un ouragan
femblable s'étoit fait fentir dans le Brandebourg
, & avoit caufé beaucoup de dégâts à
Berlin & dans les campagnes voisines.
Notre Confeil de Régence a nommé une đéputation
compofée des fieurs Faber & Clamer
l'un Syndic , l'autre Sénateur de cette Ville , pour
aller à la Cour de France folliciter le rétabliſſement
des priviléges dont notre Commerce jouilfoit
avant l'Arrêt du Confeil d'Etat de Sa Majefté
Très Chrétienne , qui les annulle.
Lij
196 MERCURE DE FRANCE.
De RATISBONNE , le 30 Novembre.
L'Armée de l'Empire a pris fes quartiers de
Cantonnement. Leur droite eft appuyée à Hoff,
& la gauche à Saalfeld . La communication avec
l'armée Autrichienne est établie à travers les
montagnes de la Bohême . Le Corps du Duc de
Wirtemberg le maintient toujours dans la Thu
ringe , & il a établi fa communication entre les
quartiers des François & ceux de l'armée de
l'Empire. Le Comte de Stainville eft arrivé à
Eifenack avec quatre bataillons & un Corps de
Cavalerie. Le Corps de troupes envoyé par Sa
Majefté Pruffienne au Prince Ferdinand , n'eft que
de deux mille hommes,
De ROME , le 22 Novembre.
ne
Le projet propofé par le fieur Chief , pour
deffécher les Marais Pontiens , vient d'être agréé.
L Suivant les nouvelles du Levant
Te Pacha
Mehemet , qui montoit le Vaiffeau que les Efclaves
Chrétiens ont derniérement enlevé & conduir
à Malthe , a été deftitué de fa place d'Amiral
Le Grand Seigneur a élevé le Pacha Muftapha a
cette dignité & à celle de Pacha à trois Queues.
On ignore encore fi la difgrace de l'ancien Capitan-
Pacha fe bornera là.
On prétend que la paix entre notre Cour &
la République de Gènes n'eft pas éloignée de le
rétablir. On prétend auffi que nos démêlés avec
la Cour de Lifbonne font en train d'accommo
dement.
De LONDRES , le 6 Décembre.
}
Suivant les dernieres Lettres de la Caroline
Méridionale, les Chiroquois , enhardis par leurs
rniers fuccès contre le Fort Loudon , menacent
JANVIER. 1761 . 197
tous les établiſſemens de cette Colonie. Ils ont
engagé dans leur alliance quelques autres nations
fauvages qui leur ont fourni cinq cens guerriers.
Le 14 du mois dernier , on fit à Woolvich l'épreuve
de quelques piéces d'artillerie . Une de ces
piéces qui étoit trop chargée, creva & bleffa dangereufement
plufieurs perfonnes . Le Lord George
Sackville ear le gras de la jambe emporté. Le
Colonel Defaguliers ' eut le bras çallé. Le Lord
Howe reçut une contufion au côté , & le Chevalier
Bootby eut un doigt rompu. Par bonheur,
le Duc d'Yorck , qui affiftoir à cette épreuve ,
& qui étoit à côté du Colonel Defaguliers , ne
fut point blellé.
६
1
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée ,
de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 18 Décembre 1760.
LE23 da mois dernier , le Roi & Ta Famille
Royale fignérent le Contrat de mariage du Marquis
de Gimel , Exempt des Gardes du Corps de
Sa Majefté avec Dembifelle de Varente.
Monfeigneur le Duc de Bourgogne étant trèsinftruit
de la Religion & fort au deffus de ce que
l'on eft ordinairement à fon âge , a defiré avec ardeur
de faire fa premiere Communion ; & comme
il eft de régle qu'on fupplée auparavant les céré
inonies du Baptême à ceux aufquels elles ont été
différées , certe cérémonie le fit le Samedi 29 du
I ij
198 MERCURE DE FRANCE.
mois dernier , dans le cabinet du Prince , par les
mains de l'Abbé de Barral , Aumônier de Quartier
du Roi , en l'abfence du Grand Aumônier de
France , affitté du fieur Forget , Vicaire de la
Paroille de Notre-Dame de cette Ville.
Sa Majefté décida , à caufe de la maladie de
Monfeigneur le Duc de Bourgogne , que cette
Cérémonie fe feroit fans aucun appareil ni invita
tion . Leurs Majeſtés furent Parrain & Marraine,
LeRoinoa ma Monfeigneur le Duc de Bourgogne,
LOUIS, & la Reine, JOSEPH - XAVIER ,
Après que les Cérémonies du Baptême eurent
été fuppléées , Monfeigneur le Duc de Bourgo
gne reçut le Sacrement de Confirmation par
l'ancien Evêque de Limoges , fon Précepteur ,
auquel l'Archevêque de Paris avoit donné les
pouvoirs. Il n'affifta à cette Cérémonie que
la
Famille Royale , les Grands Officiers du Roi , de
la Reine , ceux de Monfeigneur le Dauphin , de
Madame la Dauphine & de Meldames , le Duc
de la Vanguyon , Gouverneur de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , la Comteffe de Marfan
Gouvernante des Enfans de France , le Comte
de Saint-Florentin , Miniftre & Secrétaire d'Etat ,
ayant le Département de la Cour , le Marquis de
Deux , Grand- Maître des Cérémonies , avec les
Sous Gouverneurs , Sous- Précepteurs & Gentilshommes
de la Manche de Monfeigneur le Duc
de Bourgogne. Ce Prince figna de la main l'acte
de fon Baptême fur les Regiftres de la Paroiffe.
Le lendemain , premier Dimanche de l'Avent ,
Monfeigneur le Duc de Bourgogne fit fa premiere
Con munien,à llaa MMcffe qui fut dire dans
fa Chambre par l', bbé du Châtel , Aumônier du
Roi. La Nappe fut tenue par le Duc de la Vauguyon
& par l'ancien Evêque de Limoges, Mon-
>
JANVIER. 1761 199
feigneur le Duc de Bourgogne s'acquitta de cette
grande action avec une piété , un reſpect & unrecueillement
qui ne fçauroient être trop loués.
Le Marquis de Dreux , Grand-Maître dés Cérémonies
, fut préfent à la Communion de Monfeigneur
le Duc de Bourgogne.
Le même jour , la Comtelle de Cucé eut l'hon
neur d'être préfentée au Roi & à la Famille
Royale.
Lepremier de ce mois , Sa Majesté tint le Sceau.
Le 2 , le Bailli de Solar de Breille , Ambaſſadeur
du Roi de Sardaigne , eut une Audience particuliere
du Roi , dans laquelle il fit part à Sa
Majefté de l'heureux accouchement de la Ducheffe
de Savoye , & de la naiffance d'ane Prin
ceffe. Il fut con fait à cette Audience , ainsi qu'à
celles de la Reine , de Monfeigneur le Dauphin ,
de Madame la Dauphine , de Monseigneur le
Comte de Provence , de Monfeigneur le Comte
&2
d'Artois , de Madame , de Madame Adélaïdé ,
de Mefdames Victoire , Sophie & Louife , par le
fieur de la Live , Introducteur des Amballadeurs.
Le 14 , le Roi , la Reine & la Famille Royale
fignent le Contrat de mariage du Sieur de
Bridge , Ecuyer ordinaire du Roi, commandant
la grande Ecurie fous les ordres du Comte de
Brionne , & Capitaine du Haras de Sa Majefté ,
avec Dame Radix de Sainte Foi , veuve du Sieur
Boudrey , premier Commis des Finances .
Celui du Marquis le Veneur de Tillieres avec
Demoiſelle de Nicolaï.
Le 17 , le Roi tint le Sceaut. Le Sieur Baudouin,
Confeiller au Grand- Confeil y prêta ferment
entre les mains de Sa Majefté pour la Charge
de Grand-Rapporteur.
i Le Roi a bien voulu accorder , en confidération
du Maréchal Duc de Noailles & du Maréchal Duc
1 iv.
200 MERCURE DE FRANCE:
de Duras , un Brevet d'honneur au Marquis de
Duras , en conféquence duquel la Marquife de
Duras a pris Tabouret le 14 , jour de fa préfentation
à Leurs Majeftés & à la Famille Royale.
Le Roi a nommé la Ducheffe de Villequier ,
Dame pour accompagner Madame , fur la démiffion
de cette place par la Ducheffe de Mazarin.
Sa Majefté a donné l'Abbaye de Montmartre ,
Ordre de Saint Benoît , Diocèfe de Paris , à la
Dame de Laval-Montmorency , Religieufe Bénédictine
de l'Abbaye de Saint Julien du Pré au
Mans.
#
Et l'Abbaye Elective de Felixprès , Ordre de
Citeaux , près de Givet , à la Dame de Ratzky ,
Religieufe de la même Abbaye.
Le fieur Laurent , Chevalier de l'Ordre de S.
Michel , Ingénieur à Bouchain , connu par fes
talens & par plufieurs Ouvrages utiles de Méchanique
, vient d'inventer un bras artificiel qui
imite tous les mouvemens d'un bras naturel. On
voit ce chef- d'oeuvre à l'Hôtel Royal des Invalides.
Un Soldat , qui a eu le bras emporté &
auquel il ne reste plus que cinq pouces de moignon
du côté gauche , boit , mange , prend du
tabac & écrit avec ce bras artificiel . Sur le récit
qu'on a fait au Roi de cet ouvrage , fi propre à
confoler l'humanité des malheurs de la guerre
& du fort , Sa Majefté a defiré le voir avec
l'Auteur, qui a eu l'honneur de lui être préſenté
ainfi qu'à la Reine & à la Famille Royale.
Cette ingénieufe invention a été préſentée à
l'Académie des Sciences qui l'a fort approuvée,
De CASSEL , le 2 Décembre..
Le 26 du mois dernier , les Ennemis firent un
mouvement en avant fur la Verra.
Le 28 , ils attaquérent en même tems deux
JANVIER 1761. 201
•
de nos poftes principaux fur cette riviere , celui
d'Heydemunden & celui d'Arnftein ; mais ils furent
repoullés partout ; ils perdirent deux cens
cinquante hommes à l'attaque d'Heydemunden ,
où commandoit le fieur de Montfort , Lieutenant
Colonel , qui , dès le 26 , leur avoit fait cinquante
prifonniers , après avoir furpris un de leurs poftes
en avant du fien . Le fieur Velzer , Capitaine dans
les Volontaires d'Auftrafie , s'eft particuliérement
diftingué dans cette occafion . Dans le nombre
des prifonniers qu'on a faits aux Ennemis , fe
trouvent un Lieutenant Colonel , trois Capitaines
& plufieurs Officiers fubalternes.
teau ,
Le même jour , les Ennemis inveftirent le châ
teau d'Arenftein près de Vitzenhauſen ; le fieur de
Verteuil, Capitaine au Régiment de Champagne ,
y commandoit environ deux cens hommes . Le
fieur Luckner , chargé de l'attaque de ce châle
- fit fommer en arrivant ; mais fur le refus
du fieur de Verteuil , il commença à le canonner
& à jetter des obus. Après un feu très- vif,
qui dura jufqu'au lendemain , le fieur Luckner
fit de nouveau fommer le Commandant ; mais ,
fur un nouveau refus , il prit le parti d'attaquer
de vive force , & il déboucha fur trois colonnes
dont une s'avança jufqu'à la porte qui avoit été
brifée par le canon . Le fieur de Verteuil avoir
fait de fi bonnes difpofitions , & fes troupes foutinrent
les attaques avec une telle fermeté , que
les Ennemis furent forcés de fe retirer avec une
perte très- confidérable . Le feu de leur artillerie
Continua jufqu'à la nuit , à la faveur de laquelle
ils fe repliérent à quelques lieues de là..
Sur les nouvelles du mouvement des Ennemis,
le Maréchal de Broglie avoit fait fortir de leurs
quartiers quelques Brigades d'Infanterie pour
foutenir ces deux poftes attaqués ; mais la ferme
I v ነ
202 MER CURE DE FRANCE.
7
réfiftance des fieurs de Montfort & jde Verteuil a
rendu ces fecours inutiles .
Par la pofition que les Ennemis ont prife , ils
fe trouvent entre nous & Gottingen , & ils coupent
notre communication avec cette Place.
Le Chevalier du Muy , Lieutenant Général , eſt
parti , il y a quelques jours , d'ici pour aller pren--
dre le commandement des Troupes du Bas- Rhin,
& relever le Marquis de Caftries , qui doir inceffamment
fe rendre à la Cour,
De PARIS , le 20 Décembre.
Le 24 du mois dernier , le fieur le Pelletier de
Saint Fargeau , Avocat Général du Parlement ,
ouvrit les Audiences de la Grand'Chambre par
une harangue fur l'honneur attaché à la profeffion
d'Avocat , & fur tous les moyens d'y parvenir.
Cette harangue fut fuivie d'un difcours du
fieur Molé , Premier Préfident , fur le même
fujet.
Le 1 de ce mois , les Chevaliers de l'Ordre de
Saint Michel tinrent un Chapitre dans le grand
Couvent des Religieux de l'Obfervance. Le Marquis
de Chalmazel , Chevalier des Ordres du Roi,
y préfida en qualité de Commiffaire de Sa Majefté.
Il reçut Chevalier le fieur Rebel , Surintendant
de la Mufique de la Chambre du Roi.?
De pareilles graces , répandues fur des Talens
auffi fupérieurs , ne peuvent que produire ou ranimer
l'émulation la plus louable dans l'âme deceux
qui peuvent fe rendrecapables de les mériter. L
Le Cardinal de Luynes , Archevêque de Sens ,.
célébra la Melle , le 4 , dans l'Eglife de Saint
Roch , & fir la bénédiction des Chapelles du Calvaire
& de la Vierge de cette Eglife. Douze Prélats
& un grand nombre de perfonnes de diſtinction
affifférent à cette Cérémonie , fur laquelle le Pere
JANVIER. 1761 . 203
de Neuville , de la Compagnie de Jefus , prononça
un difcours.
On écrit de Salonique , en date du 29 Août
dernier , que la pefte continue fes ravages dans
cette Ville & dans les Pays voilins . Les tremblemens
de terre & les tonnèrres affreux y ont recommencé
le 14 du même mois. La derniere fecouffe
s'eft fait fentir le 21 à onze heures & demie
du matin . Aucune maifon n'a été détruite.
Le 4 de ce mois , on célébra folemnellement
dans l'Abbaye Royale de Saint Denis , l'Anniverfaire
de Madame Louife - Elifabeth de France , Infante
, Ducheffe de Parme , de Plaiſance & de
Guaftalie , fondé à perpétuité par le Roi. La Ducheffe
de Beauvillier & le Baron de Montmorency
y affiftérent , ainfi que les Dames & Officiers de
la Maiſon de Madame.
Le fieur Joly de Fleury , Intendant de Bourgo
gne , a été nonimé à la place de Conſeiller detar ,
vacante par la mort du ſieur de Tourny . L'Intens
dance de Bourgogne a été donnée au lieur de
Villeneuve , Maître des Requêtes.
Le Tirage de la Loterie de l'Ecole Royale Militaire
, s'eft fait dans l'Hôtel - de - Ville de Paris ,
en la maniere accoutumée, le s du mois de Décembre.
Les Numéros fortis de la roue de fortune
font , 80 , 68 , 77 , §7 11. Le prochain tirage
fe fera le 8 de Janvier.
MARIAGES.
Jofeph- Louis de Vincens de Mauléon , Cheva
lier de Caufans , ci - devant Colonel du Régiment
d'Infanterie de Conti , Lieutenant de Roi de la
Frincipauté d'Orange , fils de Louis de Vincens de
Mauléon , Marquis de Caufans , Lieutenant de
Roide Provence , & de Dame Marguerite de For
I vj
104 MERCURE DE FRANCE.
bin-Janfon , a époufé , dans la Ville d'Avignon
Marie- Madeleine - Pauline , fille de Jofeph Ignace,
Comte de Villeneuve & du Saint- Empire Romain ,
Grand-Croix de l'Ordre de S. Michel de Cologne
, & de Dame Henriette- Victoire de Sade-
Mazan.
Emmanuel- Célefte- Auguſtin , Marquis de Duras
, fils du Duc de ce nom , Pair de France, Lieutenant
Général des Armées du Roi , premier Gentilhomme
de la Chambre du Roi ; & de Louiſe-
Françoife-Maclovie - Célefte de Coërquen, époufa ,
le 16 , Louife - Henriette - Charlotte - Philippine
fille du Comte de Noailles , Lieutenant Général
des Armées du Roi , Grand d'Efpagne de la premiere
Claffe , Chevalier de la Toifon d'or ; &
d'Anne - Claude d'Harpajon , Grand - Croix dẹ
l'Ordre de Malthe . Leur contrat de mariage avoit
été figné le 7 par Leurs Majeſtés & par la Famille
Royale.
Le 8 de ce mois , dans l'Eglife des Dames Carmelites
, rue Saint Jacques , M. le Nonce dú
Pape donna la Confirmation à la Dame Thurot ,
veuve du fameux Capitaine Thurot ; à laquelle
cérémonie Dom Tilly , Abbé de l'Ordre de Premontré,
fit un difcours plein d'éloquence fur les
confolations de la Foi oppofées aux troubles de
l'incrédulité .
MORTS.
Le fieur Bonvouft , Abbé de l'Abbaye Royale
de Fondouce , Ordre de Saint Benoît , Diocèle de
Saintes , mourut dans fon Abbaye , le 4 Novembre
, âgé de 79 ans.
Le fieur Hocquart , Abbé de l'Abbaye de Sully,
même Ordre , Diocèfe de Tours , eft mort au
Mans , le 12 , âgé de près de 60 ans.
N.de Menou , Abbé de l'Abbaye Royale de
JANVIER. 1761.
209 .
Bon-Repos , Ordre de S. Benoît , Diocèle de
Quimper , eft mort en cette Ville , le 28 , âgé de
60 ans.
Charlotte-Marguerite de Romilley de la Chefnelaye
, époufe de Michel Charles- Dorothée de
Roncherolles , Marquis de Pons Saint - Pierre, premier
Baron de Normandie , Lieutenant Général
des Armées du Roi , eft morte en cette Ville , âgée
de 46 ans.
N. Roye de la Rochefoucauld , Abbeffe de
l'Abbaye Royale de Montmartre , mourut en
cette Abbaye , le 9 , dans la 83e année de fon
âge.
AVIS.
Le fieur Lior , fi connu par fon goût fupérieur
de peindre fur émail , donne avis au Public qu'il
demeure actuellement Cloître S. Merry , à côté
de la rue Briſemiche , vis - à-vis une porte de l'Eglife.
Il compofe & exécute tous les jours de nouveaux
fujets des meilleurs goûts qui fervent à l'embelliſſement
de toutes fortes de bijoux en or. Ceux
qui voudront voir de fes ouvrages le trouveront à
toute heure, parcequ'il fort rarement : c'est lui qui
orne les boutiques de nombre de Marchands , en
fait de ce genre.
Le fieur MAILLE, fameux Diftillateur, fi connu par
fes excellentes compofitions dans différentes Cours
de l'Europe, continue de vendre avec fuccès le nouveau
caffis blanc & le ratafia des Dames ou le pavor
desjaloux , ratafia auffi agréable au goût que peu à
craindre pour la fanté. Il vend avec le même fuccès
le vinaigre Romain , dont la propriété eft de conferver
les dents , les blanchir , arrêter le progrès de
la carie, les raffermir dans leurs alvéoles, & différens
206 MERCURE DE FRANCE.
1
áutres vinaigrés pour ôter les dartres , boutons ;
taches de rouffeur & mafque de couche , noircir
les cheveux & guérir le mal de dents . L'on trouve
chez le fieur Maille différentes fortes de vinaigres
à l'ufage de la table , liqueurs & eaux d'odeurs.
Les perfonnes qui defireront le procurer ces différentes
marchandifes , s'adrefferont , pour le caffis
blanc , liqueurs & eaux de fenteur , à fon Magafin
à Séve près Paris , route de la Cour ; & pour les
vinaigres , à Paris rue S. André des Arts , la troifiéme
porte cochére , én entrant par le bout du
côté de la rue de la Huchette à main droite. Les
bouteilles de pinté de caffis blanc font de 4 livres ;
celles de ratafia des -Dames , ou le pavot des jaloux,
de 3 liv. les moindres bouteilles de vinaigre de
propriété , foit pour les dents ou autres ufages
font de 3 liv . En écrivant une Lettre d'avis au fieur
Maillefoit à Paris ou en fon Magafin , & en remettant
l'argent par la Pofte , le tout franc de port ,
on fera fervi exactement.
DÉTAIL du fervice de la POSTE DE PARIS
J
ON fait maintenant neuf levées de Lettres par
jour & neuf diftributions , dans l'intérieur de Paris
& jufqu'aux barrieres. Dans la premiere tournée ,
on ne fait que lever les Lettres dans les Boëtes ,
parce que la plupart des Maifons ne font point
encore ouvertes . Dans la derniere , on ne leve
point de Lettres , parce qu'il eft trop tard pour
faire revenir les Facteurs au Bureau , & qu'ils font
cette derniere diſtribution en s'en allant chez eux.
Dans toutes les autres tournées , on diftribue les
Lettres & on les leve en même - temps . On fert
oujours la Banlieue.
JANVIER. 1761 . 207
HEURES où commencent les levées des Lettres ;
Elles durent chacune environ une heure & demie.
LEVÉES DES LETTRES.
La premiere, à 6 heures du matin ; les
Lettres levées dans cette tournée , font
timbrées ·
La feconde , à 7 heures & demie ; les
Lettres levées dans cette tournée , font
timbrées ..
´La troifiéme , à 9 heures ; les Lettres
levées dans cette tournée , font timbrées
1. levée.
2 : levée.
La quatriéme , à ro heures & demie ; les
Lettres levées dans certe tournée , font
timbrées ..
3. levée.
4. levée.
5. levée.
La cinquiémie , à midi; les Lettres levées
dans cette tournée , font timbrées .
La fixiême , à une heure & demie ; les
Lettres levées dans cette tournée , font
timbrées ·
La feptiême , à 3 heures ; les Lettres
levées dans cette tournée , font timbrées
6. levée .
•7.
La huitiême , à 4 heures & demie ; les
Lettres levées dans cette tournée , font
timbrées ·
Levée,
8. levée,
9. levée
.
La. neuvième , à fix heures ; les Lettres
levées dans cette tournée , font timbrées
Ji .
208 MERCURE DE FRANCE.
←
HEURES , où commencent les Diftributions.
Elles durent chacune environ une heure & demie»
DISTRIBUTIONS.-
Point de Diftribution àfix heures , parce qu'il
eft trop matin.
La premiere , à 7 fept heures & demie ;
diftribue les Lettres levées dans la tournée
qui a commencé à 6 heures la
veille au foir , timbrées ...
La feconde , à 9 heures , diftribue les Léttres
levées dans la tournée de 6 heures
du matin , timbrées
9. levée.
1. levée.
La troifiéme , à 10 heures & demie , diftribue
les Lettres levées dans la tournée
de 7 heures & demie , timbrées . . 2. levée.
La quatrième , à midi , diftribue les Léttres
levées dans la tournée de 9 heures,
timbrées - 3. levée:
La cinquième , à une heure & demie ,
diftribue les Lettres levées dans la tour.
née de 10 h. & demie , timbrées ... 4. Levée
La fixiéme à trois heures , diftribue les
Lettres tevées dans la tournée de midi ,
timbrées • •
La feptiéme , à 4 heures & demie , dif
tribue les Lettres levées dans la tournée
d'une heure & demie ..
5.
levée.
6. levée,
· 7. levée
· 8. levée.
La huitiéme , à 6 heures , diſtribue les
Lettres levées dans la tournée de ; heures
, timbrées
23
a neuvième , à 7. heures & demie , diftribue
les Lettres levées dans la tournée
de 4 heures & demie , timbrées
JANVIER. 1761. 209
Les Facteurs de chaque Bureau font partagés
en deux bandes , qui font alternativement leur
tournée , afin que le fervice foit perpétuel . Comme
les Facteurs levent les Lettres à mesure que
les Boëtes fe trouvent fur leur chemin , il eft important
avant que de mettre une Lettre à une
Boëte, de s'aflurer fi elle ne vient pas d'être levée ,
fans quoi elle feroit retardée pour l'ordinaire fuivant
, c'est-à-dire , au moins d'une heure & demie.
Auffitôt que les Facteurs arriveront de leur
tournée , les Chefs des Bureaux feront porter par
l'autre bande qui va partir , toutes les Lettres
qui feront pour les rues de leurs diftricts , enforte
qu'elles feront rendues une heure & demie après
qu'elles auront été miſes à la Pofte , au lieu que
celles qui feront pour d'autres quartiers ne le
peuvent être qu'en trois heures. On ne fçauroit
trop recommander de faire timbrer & mettre
dans les Boetes en fa préfence les Lettres que l'on
y porte. A l'égard de celles que l'on donne aux
Facteurs dans leurs tournées , elles doivent être
miles dans leurs coffrets , foit par ceux qui les
leur confient , foit par le Facteur lui - même qui
7eft obligé , fous peine de punition . Toute Lettte
porter trois timbres , celui du Facteur qui l'a
apportée , ou de la boete où elle a été mife;
celui de la levée , qui indique l'heure où elle a été
portée à la Pofte ; & enfin celui du jour du mois
où la Lettre a paffé par la Pofte. Avec cette explication
, il n'eft perfonne qui dans l'inftant ne
puifle voir d'où vient le retard dont il auroit à
Te plaindre On recevra toujours dans les Bureaux
de diftribution l'argent que l'on voudra
faire paller d'un quartier à l'autre , & on en répondra
en le faifant enregiſtrer & en payant
un denier par livre , & deux fols pour le droit
d'enregistrement.
doit
fo MERCURE DE FRANCE;
AVIS AU PUBLIC.
La Veuve du Sieur BUNON , Dentifie des Enfans
de France , donne Avis qu'elle débite journellement
chez elle rue de Saint Avoye , au coin de la
rue de Braque , chez M. Georget fon frere , Chirurgien
, les Remédes de feu fon Mari , dont elle
a feule la compofition , & qu'elle a toujours
préparés elle-meme.
SCAVOIR ;
1º. Un Elixir anti fcorbutique qui affermit les
dents , diffipe le gonflement & l'inflammation
des gencives , les fortifie , les fait recroître ,
diffipe & prévient toutes les afflictions ſcorbuti
ques & appaile la douleur de dents. 3
> en
2. Une Eau , appellée Souveraine , qui affer
mit auf les dents , rétablit les gencives
diffipe toutes tumeurs , chancres & boutons qui
viennent auffi à la langue , à l'intérieur des
lévrés & des joues , en le rinçant la bouche de
quelques gouttes dans de l'eau tous les jours,
Elle la rend fraîche & fans odeurs , & en éloigne
les corruptions ; elle calme la douleur des dents .
3. Un Opiat pour affermir & blanchir les
dents , diffiper le fang épais & groffier des gencives
, qui les rend tendres & molaffes , & caufe
de l'odeur de la bouche.
4. Une Poudre de Corail ,pour blanchir les dents
& les entretenir; elle empêche que le limonne
fe forme en taftre & qu'il ne corrompe les gencives
, & elle les conferve fermes & bonnes , de
forte qu'elle peut fuffire pour les perfonnes qui
ont foin de leurs dents , fans qu'il foit néceffaire
de les faire nettoyer. Les plus petites Bouteilles
d'Elixir font d'une livre dix fols.
JANVIER. 1761.
214
Les plus petites Bouteilles d'Eau Souveraine ,
font d'une livre quatre fols , mais plus grandes
que celles de l'Elixir .
Les pots d'Opiat , les petits , font d'une livre
dix fols.
Les Boëtes de Poudre de Corail , font d'une
livre quatre fols.
Manière de fe fervir des Remédés ci-deſſus , &
leurs ufages.
Avant de fe fervir de l'Elixir,fi les dents font chargées
de tartre ou autres malpropres , il les faut
faire nettoyer, & dégorger les gencives , enfuite fe
gargarifer trois ou quatre fois la bouche , plus
ou moins par jour , de quatre à cinq gouttes
d'Elixir dans un demi verre d'eau tiède ou froide ,
felon qu'il y a de fenfibilité , même d'unc demie
cuillerée d'Elixir pur , fi la corruption des gencives
eft plus forte , & frotter avec le doigt en
gargarifant & ballinant les endroits de la bouche
qui le trouveront plus irrités , avec cet Elixir pur
s'il est néceflaire. Pour la douleur de dents , on
en met dans la carrie avec du cotton imbibé , &
on le renouvelle Convent.
On tire un grand avantage de l'Eau Souveraine,
lorfqu'on a la bouche échauffée & de mauvaiſe
odeur , les gencives tendres & les dents foibles
& branlantes , de même que lorsqu'il y a quel
ques petits chancres ou boutons , foit à la langue ,
aux lévres & à l'intérieur des joues. Pour les premieres
circonstances , on fe rince la bouche cinq
à fix fois le jour d'une demi cuillerée de cette eau
dans le quart d'un verre d'eau comme pour l'E
lixir , jufqu'à ce que l'échauffement foit diffipé &
les dents raffermies , il fuffit après d'une ou deux
fois par jour , le matin & le foir. Pour les boutons
ou chancres, on en met une demi cuillerée dans
211 MERCURE DE FRANCE.
deux ou trois cuillerées d'eau qu'on roule dans la
bouche & qu'on renouvelle de momens à autres
pendant quelques demi heures , ce qui fuffit pour
diffiper cette incommodité.
L'opiat blanchit & raffermit les dents , rétablit
le mauvais état des gencives , il en diffipe le fang
groffier qui les rend tendres & molaffes , ce qui
caufe la mauvaife odeurs pour plus d'efficacité
, il faut faire ôter le tartre. On prend de cer
opiat au bout d'une racine , d'une éponge ou d'un
linge , & on frotte les dents & les gencives tant
qu'il eft befoin pour les rétablir ; ce qui fuffic
une ou deux fois par femaine.
Pour ceux à qui le goût fait préférer la poudre
de Corail , ils s'en fervent de même que de l'Opiat
avec une racine ou une éponge. Le cas où on la
doit préférer à l'Opiat eft, lorfque les gencives font
fermes & faines : elle empêche que l'une & l'autre
ne déchoient de cette perfection ; elle conferve la
bonne qualité de l'émail & fa blancheur , & le
blanchit quand la perfection lui manque.
On trouvera auffi chez elle des racines prépa
rées & des éponges fines.
La Veuve Bunon ofe affurer que le Public fera
auffi fatisfait de la bonté defdits remédes , dont les
Dames de France ont ufé , qu'il l'étoit du vivant
de fon mari.
Manière , à obferver pour entretenir la bouchepropre ,
& pour conferver les dents.
Il est très important d'empêcher que le limon
ne féjourne fur les dents & les gencives . Pour y
parvenir , il faut avoir l'attention de fe rincer la
bouche tous les matins avant que de manger. Pour
cela , il faut fe fervir d'un cure- dent de plume ,
d'une petite éponge ou une racine, de quelque bonne
poudre ou opiat , avec de l'eau un peu tiéde,
JANVIER 1761.
1213
>
un peu d'eau-de-vie de vulnéraire , d'eau fouveraine
ou de lavande diſtillée , à la commodité ou
volonté des perfonnes : on prend de l'eau dans la
bouche , gargarifant & frottant avec le doigt, en
comprimant les gencives du haut en bas à la fupérieure
, & du fens oppofé pour l'autre; on prend
le cure- dent enfuite pour dégager le limon d'entre
les dents , doucement fans effort , & en prendre
de plus minces , s'il eft néceffaire , après quoi on
paffe un peu d'eau dans fa bouche , & puis on
prend l'éponge ou la racine , & on frotte du fens
droit les dents , & non de travers , & on prend
garde qu'il ne refte point de limon far les rebords
des gencives, & cela pour éviter qu'il ne fe forme
un tartre ou chancre ; & lorfque le cure-dent ,
l'éponge ou la racine ne peuvent ôter le limon
déjà attaché fur les dents , alors il faut fe fervir
d'un peu de poudre ou d'opiat , en frottant avec
la même éponge ou racine , légérement , & n'en
point mettre trop fouvent, ne s'en fervant que lorfque
les dents ne peuvent être bien nettoyées fans cè
fecours ; & lorfque ce tartre eft trop attaché , &
qu'il mange les gencives , il faut faire nettoyer
fes dents plutôt que plûtard, pour éviter le danger.
H faut habituer de bonne heure les enfans à fe
laver la bouche , & avoir recours à l'oeil & à la
main du Dentiſte au befoin. Les jeunes femmes ,
après leurs groffeffes , doivent fe faire examiner
la bouche , pour prévenir la perte des dents &
les accidens qui s'enfuivent . Il faut auffi fe rincer
la bouche après le repas..
214 MERCURE DE FRANCE.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le Mercure du premier Volume de Janvier 176'1 ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion. A Paris , ce 31 Décembre 1760.
GUIROY.
1
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE,
ARTICLE PREMIER.
FPITRE à Madame *** , Intendante à ***
pour le 1 Janvier 1761,
I
ODE tirée du Pleaume f1.
Page 7
LETTRE de M, de Saintfoix , en envoyant
fa Comédie des Hommes à Mlle de B *** .
GALANTERIE,
VERS préfentés à M. le Maréchal de Riche
lieu , dans un Bal à Bordeaux , par une
femme.
LETTRE , de l'Auteur du Mercure , à M.
D. B ....
TANCREDE & Sigilimonde , Tragédie traduite
de l'Anglois de James Tom/on.
BOUQUET préfenté à Madame de la Poupli
niere , par Mlle Catinon .
BOUQUET préfenté à Mlle Catinon , par une
de fes Amies.
LA CORNE d'Amalthée , Conte , traduit du
Grec.
14
16
ibid.
21
49
54
JANVIER 1761.
• 2151
ENIGMES.
LOGGGRYPHES.
CHANSON.
77 & 78
78 &79
80
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
SUITE de l'Hiftoire de la Maifon de Stuart,
für le Trône d'Angleterre. Second Extrait . 81
SUITE de la Science du Gouvernement
par M. de Real.
>
LETTRE de M. de Voltaire à M. Duverger de -
S. Etienne , Gentilhomme du Roi de Pologne
& c.
LETTRE de M. le Brun , à M. de Voltaire.
RÉPONSE de M. de Voltaire , à M. le Brun.
SECONDE LETTRE de M. le Brun.
LETTRE de M. de Voltaire , à Mile Corneille,
inférée dans une de fes lettres à M. le
Brun.
ANNONCES des Livres nouveaux.
100
106
107
III
113
115
116 &fuiy
ART. III. SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADEMIES.
SEANCE publique de l'Académie Royale des
Sciences .
PRIX propofé par l'Académie Royale de
Chirurgie , pour l'Année 1762.
EXTRAIT d'une Lettre de M. Adanfon ,Drog
man , à Salonique , à M. fon frere.
SUITE de l'Extrait des Mémoires lus à la
Séance publique de l'Académie Royale
de Chirurgie.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
LITTA à l'Auteur du Mercure.
121
127
129
132
144
216 MERCURE DE FRANCE:
ARTS UTILES.
HORLOGERIE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure. 145
GEOGRAPHIE . 146
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE. 148
GRAVURE.
150
ART. V. SPECTACLES.
OPÉRA.
EXTRAIT de Canente.
152
COMÉDIE Françoiſe.
EXTRAIT de Califte , Tragédie de M. Colardeau.
166
COMÉDIE Italienne. 190
CONCERT Spirituel. 192
ART. VI . Nouvelles Politiques . 193
'Avis divers. 205
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY,
Iue & vis-à-vis la Comédie Françoiſe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JANVIER. 1761 .
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine.
Coshia
Silius ins
PavillonSaulp. 1215
Chez
A PARIS ,
CCHAUBERT , rue du Hurepoix .
JORRY , vis à-vis la Comédie Françoife
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure, rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre
, quant à la partie littéraire , à
M. DE LA PLACE , Auteur du
Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols pièce.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payerone
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port
.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir, ou qui prendront lesfrais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30fols par volume ,
c'eft- à-dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
Eirangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci- deffus.
A j
"
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en foit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pièces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
DE LA PLACE , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
Four une année,
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER. 1761 .
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
TRADUCTION DE LA IX ODE
du III Livre HORACE
Donec gratus eram tibi &c.
DIALOGUE.
HORACE.
TANDIS que fenfible à mes feux ,
s
Votre âme avec plaifir répondoit à mes voeux ;
Lbefque dans fon ardeur extrême ,
Un rival plus que moi prife , "
N'étoit pas plus favorisé ,
Mon fort eût fait envie au Roi de Perle même
II. Vol.
A iij
MERCURE DE FRANCE
1
LIDIE.
Pendant que pour d'autres appas
Une plus vive ardeur ne vous enflammoit pas
Et que plus charmé de Lydie ,
Chloé régnoit moins fur un coeur
1
Dont je faifois tout mon bonheur
Je me croyois cent fois plus célébre qu'Ilie.
HORACE.
Chloé maintenant fous fa loi ,
Affervit mes defirs , diſpoſe de ma foi :
Chloé dont la voix douce enchante ,
Chloé dont le luth fçait ravir,
Chloé qui me verroit mourir,
Si ma mort du trépas la pouvoit rendre exem
-pte.
LIDIE
Calais d'un tendre retour
Récompenfe l'ardeur du plus parfait amour g
Son coeur fait toute mon envie }
Le mien lui fait bénir fon fort..
Pour lui j'affronterois la mort ,
Siles Dieux à ce prix lui prolongeoient la vie
HORACE.
Cependant fi nos premiers noeuds
Plus fortement encor nous uniffoient tous deux
Si ma flâme enfin réfroidie ,
De Chloé dégageant mafoi ,
Se rallumoit toute pour toi ? ...
Si je quitois Chloé pour reprendre Lidic ?...
JANVIER. 1761 .
LIDIE.
Ah ! quoique par fon tein vermeil
Calais falle honte à l'éclat du Soleil ;
Que ton âme foit plus légère
Qu'un liége flotant fur les eaux ,
Et plus colére que les flors :
Je voudrois avec toi terminer ma carrière.
VERS à M. l'Abbé CLEMENT , Chanoine
de S. Louis du Louvre , au fujet d'une
Ode fur la mort de fon Pére , inférée
dans le fecond Mercure du meis d'Octobre.
DANS ANS mon ame , Clément , ta plainte renou
velle
L'impreffion vive & mortelle
Qu'un triſte événement fit jadis ſur mon coeur
Si le temps avoit pû m'en ôter la mémoire ,
Je la retrouverois dans la touchante hiftoire
Que tu me fais de ton malheur.
Sous des traits pris dans la Nature ,
Je vois la fidelle peinture
De maperte & de ma douleur.
Comme toi , né d'un Pére auffi tendre que Sage ?
Qui prifant les talens plus que l'or de Plutus ,
Pour me laiffer un jour ce folide héritage ,
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Sacrifia fes fonds après fes revenus ;
Comme toi , féparé de ce Pére adorable ,
Tandis que fur des bords lointains ,
Je m'occupe à chercher le tréfor eſtimable
Qui doit combler fes voeux & remplir mes deffeins
:
J'apprends que, de fa faulx , la Parque inexorable
L'a retranché du nombre des humains.
A cette accablante nouvelle ,
De ma douleur , toi feul , tendre Clément
Toi feul peux te former une image fidelle !
Au torrent de mes pleurs l'amitié vainement
S'empreffe d'oppofer le fecours de fon zéle ;
De la main du Tems (eul - me douleur immortelle
Reçoit quelque foulagement.
Comme toi pour calmer l'excès de ma triſteſſe ,
Jecherche dans mes vers à peindre mes malheurs
Mais entre nous ici le parallèle ceffe.
Mes Chants ne font que les vaines clameurs
D'un coeur trop accablé fous le poids des difgraces
Les tiens doux , élégans , harmonieur , nis ,
Sont les egrets même des Grâces 15
Qui pleurent la mort d'Adonis .
Par un Curé du Nivernois.
EPITRE A LA ROSE.
TOI qui brilles dans mon parterre ;
Rofe aimable , reine des fleurs !
JANVIER. 1761 .
•
Je viens dans ce lien folitaire ,
Pour re confier mes douleurs .
Iris a trompé ma tendreffe ;
Viens me confoler en ce jour ,
Des caprices de ma maîtreffe
- Et des trahifons de l'Amour.
>
Envain d'un coeur rempli d'allarmes ,
Je voudrois éffacer Iris ;
Tu me retraces , par tes charmes ,
Les charmes dont je fus épris .
Mais tu me défendras peut-être ,
Contre les traits de la beauté ,
Quand tu m'apprendras à connoître ,
L'excès de fa fragilité.
Mon Iris verra difparoître
Pour jamais tous les agrémens ;
Tu ne mourras que pour renaître
Et jouir d'un nouveau printems .
Ta jeunelle toujours nouvelle
T'ornera d'agrémens nouveaux:
Iris ceffera d'être belle ;'
Les graces n'ont pas deux berceaux ,
L'hyver vient d'êter, ta parure ;
Mais dans ce paifible : féjour ,› ,
Turenais avec la Nature ,
Aux premiers rayons d'un beau jour..
Ar
TO MERCURE DE FRANCE.
SUITE DE LA TRAGÉDIE DE
TANCREDE & SIGISMONDE
ACTE II.
SCENE PREMIERE .
T
SIFFREDI , feul.
OUT va bien , jufqu'ici ... Le Teftament
du feu Roi s'exécute , conformé
ment à mon plan : Tancréde partagera
le Trône avec Conftance.... Evénement
qui pour jamais peut feul déraciner jufqu'aux
moindres femences des guèrres inteftines
, qui n'ont que trop longtemps
défolé ce déplorable Royaume ! ... Puiffent
mes yeux , appefantis par l'âge , flétris
& fatigués par les travaux qu'exigeoient
nos malheurs & les accablantes
formalités de mon emploi , voir ce fortuné
période , & fe fermer en paix !... Mais
comment furmonter le redoutable obſtacle
que nous oppofe ici l'Amour ? Cette
fatale paffion qui renverfa toujours tous
les projets conçus par la Prudence ; toujours
auffi impétucufe qu'aveugle dans fes
JANVIER 1761. FN
defirs , & que la voix de la Raifon éprou
va toujours infenfible ? Sur quels fragiles
fondemens s'établit le bonheur des hom→
mes , fi nos paffions les moins condam
nables ne fuffifent que trop fouvent pour
le détruire ! ... Eroit- ce dans les bois
Etoit ce dans la folitude que je devois
élever leur jeuneffe ? Et ne devois-je pas
me défier des fentimens qu'y puiſeroient
deux coeurs fi dignes l'un de l'autre ? ....
Ah ! fi du moins mes occupations m'euffent
permis d'être attentif à la naiffance
de leur flamme : j'aurois éteint , ce few
qui va tout embiâfer... Ma fille avoue
fa paffion pour le Roi : & ce blanc- feing ,
que l'impétueufe tendreffe de fon amant
fui a confié , me prouve à quel excès
elle eft aimée... Je n'y vois nul reméde
... Et je perds l'efpoir d'en trouver ...
Comment guérir , comment même attaquer
cette manie dans un jeune Souve→
rain , qui l'enviſage comme une vertu
qui , dès-là , méprisant toute efpéce
d'obſtacles , va trouver dans la générofité
de fon coeur , des motifs affez fpécieux
pour oppofer la Raifon à la Raifon mê
me ?... Il faut pourtant qu'il céde....
L'expreffe condition du reftament exige
hautement fon mariage avec Conftance
Ses partifans , outrés du refus de Tancre
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
de , vont répandre partout l'horreur &
la confufion. Ainfi , le fort d'un Peuple
entier , va dépendre de ce moment ! ....
Ah !...j'entrevois un rayon d'efpérance! ....
Qui !... ce fatal papier pourroit fauver l'Erat.
Lorfque le but eft honorable , utile à
la Patrie ; les moyens pour y parvenir ne
peuvent être ignobles.. Voici le nom du
Roi... Ecrivons au- deffus un libre & plein
confentement aux volontés de fon prédéceffeur.
Cet Acte , lû dans l'Affemblée.
des Grands , à la face d'un Peuple entier ,
devant Conftance même , produira tout:
l'effet que j'en attends.... Le fort , en eft.
jetté... C'eft ma perte que je prépare ::
mais , c'est mon Pays , c'eft mon Roi que :
je fauve.... Je périrai volontiers noblement
, pourvu qu'ils foient heureux ! ....
Le Comte Ofmond , s'approche ? ... Sans .
lui , tous mes éfforts feroient peut – être:
vains.
SCENE. I I..
SIFFREDI. OSMON D..
OSMOND..
SEIGNEUR FIGNEUR , je fors de chez Conflances.
Elle adhére au Teftament ;, & viendra dé
JANVIER 1761 . 13
ckrer au Sénat qu'elle accepte la main
de votre illuftre pupile .... L'apparition
d'un Prince qui vient partager un Trône ,
qu'elle s'étoit flatée d'occuper feule, a paru
d'abord la choquer . Mais la juftice
des difpofitions du feu Roi , & les avantages
qu'en va retirer le bien public , ont
calmé ces premiers mouvemens ... Je
crois même avoir apperçû , que la Politique
n'eft pas llee ffeeuull mmoottiiff qui détermine
la Princeffe à fe foumettre au choix qu'on
lui propofe..
SIFFREDI
En ce cas , noble Ofmond , vous avez.
fervi la Patrie , elle vous doit toute fa
reconnoiffance .... Il faut vous l'avouer ,
Seigneur ; cette preuve de la pureté de
de votre zéle , dans un moment auffi critique
; dans une circonftance ou l'intérêt
& l'ambition ont tant de droits fur le coeur
des Grands ; j'avouerai , dis- je , avec fran--
chife
, qu'un procédé fi généreux me:
fait rougir d'avoir ofé moins attendre de
Vous..
"
OSMON D.
O, Siffredi .... C'eft à vous feul qu'eft
'dû l'honneur de tout ce grand ouvrage
& fi j'avois manqué l'occafion d'y corref
pondre , je me croirois deshonoré, Ceft
MERCURE DE FRANCE.
à vous , Siffredi , que les nombreux
habitans de cette Ifle fertile vont devoir
leur repos ; c'eft vous dont les
confeils ont fuggéré ce Teftament qui
rétablit notre félicité ; ah Ciel ! combien
ne dois-je pas rougir d'avoir fi longtemps
traverfé les deffeins du meilleur des hommes
... Oui , je me joins à vous
Seigneur ; & ne connois à l'avenir d'autre
parti que celui de ma Patrie .... Votre
amitié n'eſt pourtant pas le feul objet de
mon ambition . Il eft un nom plus cher
encore , & tous mes voeux feroient comblés
fi l'illuftre Siffrédi me permettoit
de l'appeller mon Père .... La main de
votre fille , joindroit au bien public toute
ma félicité particulière .
SIFFRED I.
Ah , Seigneur ! ... c'eft avec joie , que
mon coeur vous l'accorde : je me crois honoré
d'unir mon fang au vôtre ; & c'eft
avec tranſport que j'embraffe l'illuftre
Ofmond, comme mon fils , & comme
mon ami !
OSMOND.
Vous le rendez heureux ! ... Ce prompt
con fentement à des defirs que j'ai depuis
lon gtems formés , vous eft un fûr
de toute ma reconnoiffance,
garant
1
JANVIER. 1761.
Plufieurs Officiers paroiffent dans
le fond du Théâtre.
UN OFFICIER à Siffrédi.
Le Roi , Seigneur , eft impatient de
Vous voir.
SIFFREDI.
Je vais vous fuivre ... Adieu , Seigneur :
le Sénat va bientôt s'affembler ; je compte
promptement vous y rejoindre.
SCENE III
OSMOND , feul.
SIFFREDI m'accorde fa fille ? ...
mais elle
même y confent- elle ? ... jeune , légére ,
objet des voeux de mille amans ( peut- être
en fecret engagée ! ) oubliera- t elle fans
regret la différence de mon âge au fien ? ...
Ofmond fut-il jamais formé pour l'adulation
, pour les foupirs , les larmes , & les
trop frivoles moyens qu'employe l'amour
pour féduire une femme , & la tromper
enfin plus fûrement ? Puis-je , en ce cas , me
flatter de lui plaire ... Un Pere raiſonnable
, chargé par la Nature de guider , de
déterminer le choix de fa fille , doit la res
16 MERCURE DE FRANCE.
mettre au pouvoir d'un époux , qui par
la dignité des fentimens , & par un
amour fans foibleffe , puiffe à jamais affurer
fon bonheur : non pas à ces Efcla
ves fi foumis , que l'on yoit bientôt des
Tyrans.
SCENE IV.
OSMOND. Plufieurs Barons , Siciliens
OSMOND les félicite fur un événement qui va
rétablir la paix dans la Sicile , & les invite à venir
rendre hommage à leur nouveau Souverain..
SCENE V.
CETTE Scène , vraiment Angloife , fe paffe
entre deux Officiers du Palais, & la Populace qui
veut en forcer les portes , pour voir Tancréde . Ils
s'en débaraffent en les envoyant à une autre por
te du côté de la mer.
JANVIER. 1761 .
17
SCENE V I.
RODOODLOLPPHHEE , qui fort du Confeil , renvoie les
deux Officiers . Le Teftament du feu Roi vient
d'être lû. Il doute que Tancréde y adhére. Ce jeune
Prince a vû de mauvais ceil , Conftance partager
le Trône avec lui. Sigifmonde , les yeux baignés
de larmes , traverfe le Théâtre , ainfi que
plufieurs autres perfonnages. Laure , qui apperçoit
Rodolphe , quitte Sigifmonde , & vient à lui.
SCENE VII.
RODOLPHE. LAURE.
LAURE.
CET ami fi vancé ; ce Rai dont vous
auguriez tant , n'eft plus qu'un perfide !
PEfclave le plus vil eût montré plus de
fentimens ; ne fe fût point laiffé féduire ,
avec tant de baffeffe , aux pièges de l'ambition
... Lui le fils de Manfred ? C'eſt`
vouloir nous en impofer : le fils de ce
Héros n'eût pû trahir des droits ufurpés
fur fes ayeux , furtout , à l'inftant même
où la fortune... Et pourquoi , jufte Ciel ?
pour qu'il lui fût permis de partager fon
18 MERCURE DE FRANCE
propre Trône avec la Fille d'un Tyran !
Que dis-je ... d'un Tyran qui maffacra
fon Père !
RODOLPHE.
Dans quel étonnement vous me jettez
! ... Ma foeur , vous faites injuſtice au
Roi.
LAURE.
Non mon frère , ... Siffrédi vient de
lire , de proclamer en plein Sénat le confentement
de Tancréde aux volontés de
fon prédéceffeur. Il a pourtant rougi d'avoir
la trifte Sigifmonde pour témoin de
fon infamie ... Je l'ai vue prête à fuccomber
à fa douleur , moins qu'à la honte
que lui caufoit l'indignité de ſon amant...
Il a remis le Confeil à demain ; c'eſt à
demain qu'il a remis fon odieux couronnement
! ... Peignez-vous , Sigifmonde,
trifte témoin du triomphe de fa rivale &
des acclamations de tous les Sénateurs !....
Trop malheureuſe amante ! à peine a-t - elle
eu le courage de retourner chez elle ,
où tout ne peut qu'accroître fa douleur...
Mais Tancréde paroît ... Adieu... je ne
faurois fupporter la préfence,
? .
JANVIER. 1761.
SCENE VIII.
TANCREDE . SIFFRÉDI . RODOLPHE!
TANCREDE , à Siffrédi.
FUIS, UIS, vieux Traître ! fuis loin de moi....
Vous , Rodolphe , courez : que nul n'approche
de ces lieux ; que tous les paffages
en foient fermés ... Défendez- moi d'une
foule odieufe , qui confpire à la fois contre
mon repos , & contre mon honneur ...
J'attends ici votre retour... ( à Siffrédi . )
Quoi , je te vois encore ? Quoi ! tu m'ofes
encore braver ? ... Outrage fans exemple
! ... Ah , Ciel ! jamais un Roi , jamais
un homme , a- t-il été plus offenfé
SIFFREDI , en s'approchant du Roi
( & lui marquani laplace de fon coeur. )
Frappez , Seigneur , je ne mérite point
de grâce
.
TANCREDÉ.
eft
O mon âme ! ...O Raifon ! conferve
ton empire ... Cette infulte barbare
trop pénible à foutenir.
2. MERCURE DE FRANCE.
SIFFREDI.
Exterminez le Criminel... Il eſt votre
Sujet.
TANCREDE.
Toute autre offenſe auroit pû m'être
fupportable ! ...... Mais celle - ci ; mais
cette froide audace , me confond , me ,
perce le coeur !
SIFFREDI.
Vengez-vous donc ; éteignez, dans mon
fang , un reffentiment légitime.
TANCREDE.
Jamais Tytan fé montra - t - il plus
odieux que moi? L'efclave le plus vil ,
le plus rampant fur la furface de la terre,
le plus deftitué des fecours que le Ciel
difpenfe à fes enfans , a du moins les ver
tus à lui ; conferve le tréfor facré d'un
eoeur honnête.... Et tu m'en as privé ! Ta
criminelle main , ton infâme furperchetie
, n'a pas craint de m'expofer ...
SIFFRED.I.
Non , Seigneur , je ne l'ai pas craint...
Que dis - je? ô Ciel ! .... Je crois mon
erime glorieux , s'il peut fervir à fauver
votre gloire !
JANVIER. 1761 .
TANCREDE.
?
Quelle gloire , grand Dieu ! ... , Quoi ,
lâche ? abufer de mon nom , pour couvrir
un forfait horrible d'un nom , que je
donnois comme garant de la tendreffe la
plus pure.... Avoir ofé faire fervir ce nom ,
pour couvrir un menfonge atroce , un
manquement de foi qui déshonore pour
jamais ton Souverain ? .... Apprends
cruel , que de tels piéges ne font faits que
pour des âmes méprifables , ou ftupides...
Te flattois tu d'intimider Tancréde ? va
tu n'as fait que l'affermir de plus en plus
dans fes deffeins ..... Qui , moi ! j'épouferois
Conftance ? la fille d'un Tyran ,
teint du fang de mon père ? .... Avant
que les flambeaux d'hymen foient allumés
pour ces affreufes nôces ; tu verras la Sicile
en cendres; fon Souverain enseveli
fous les débris du Trône .... Laiffons , à
part l'amour ..... C'eft l'honneur feul
que je dois écouter. Malgré res vains efforts
, malgré tout l'Univers contre moi
conjuré , j'anéantis ton teftament ; je
maintiendrai mes droits , je défendrai la
liberté d'un coeur fidéle , je ferai mordre
la pouffiére à quiconque ofera traveifer
mes deffeins.... Je te perdrai toi- même ,
MERCURE DE FRANCE
SIFFREDI.
Soyez jufte , Seigneur : épuiſez fur moi
votre rage... Mais vos Sujets font innocens
: ne les menacez point.
TANCREDE.
Quoi ! je ferois réduit aux derniers termes
de l'opprobre , & je craindrois de me
venger? .... Qui donc arrêteroit le feu
de mon reffentiment ? .... Qui , Témé
raire ?
SIFFREDI
Vous vous - même. ! ....
TANCREDE.
Moi ! .... cet excès d'infolence fuffiroit
feule , pour me faire oublier ..... Crains
ma fureur , te dis - je .....
SIFFREDI.
Je fens qu'il faut qu'elle ait fon cours....
Qu'elle tombe, Seigneur,& puiffe-t - elle s'épuifer
fur cette tête , & fur ces cheveux
blancs confacrés de tout temps à votre fervice
. Mais enfuite il faudra m'entendre....
Que dis- je , il le faudra ? Je dis bien plus ;
vous le voudrez. Vous entendrez la redoutable
voix de la raiſon , faite pour
JANVIER. 1761. 23
Vous calmer . Vous fentirez que le falut
d'un peuple entier ( dût mon Tancréde
être feul juge entre ce peuple & lui ) doit
l'emporter fur la félicité particulière . Vous
fentirez , Seigneur , qu'il eft d'autres devoirs
, une gloire plus noble , une félicité
fupérieure , qui vous forceront d'approuver
tout ce que le bien de l'Etat exigeoit
de mon zèle , la juftice ordinaire , je le
fçai , pourroit me condamner : mais la
néceffité , ce tyran de la vertu même ,
vous trouvera fenfible comme un autre.
Ce tumulte des fens calmé ; je vous verrai
, Seigneur , regarder l'amour d'un autre
cil ; l'envifager comme une paffion
vulgaire ; comme une éffervefcence de votre
âge .... Je verrai , dans Tancréde , un
Monarque digne de l'être ; & l'ami de fon
peuple.
TANCREDE.
Grands mots , mal appliqués ! termes
dont l'éloquence abufe , pour pallier le
dernier des forfaits ..... Un Monarque ,
dis -tu ? .... Oui , Barbare , je prétends
F'être , & non pas un efclave ..... C'eft
en défendant mes propres droits , que je
prétends prouverà mes Sujets , combien
je défendrai les leurs .... Mais , toi-même,
cruel ; eft - ce en Roi que tu m'as
24 MERCURE DE FRANCE:
traité ? .... Si j'étois infenfible à de pa
reils outrages , ferois je digne de régner ?
Je fuis , dis- tu , fils de Manfred ? & je
démentirois mon fang ! Que dis- je , j'oublierois
les principes d'honneur que toimême
as pris foin de m'infpirer ....( d'un
ton plus adouci. ) O Siffrédi ! l'as tu pû
croire ?
SIFFREDI.
O , mon Roi ? daigne jetter les yeux
fur ton vieux Serviteur ! Jette les yeux fur
un ami , dont les foins les plus précieux
ont été ceux de former ton enfance, dont
l'eſpoir le plus cher fut de te rendre vertueux
, qui pour ta gloire feule a cru devoir
facrifier tout ce que l'intérêt de ſa
maiſon lui promettoit de plus flatteur ;
s'eft détaché de tout ce qu'un vrai père ,
même par amour-propre , ou par cupidité
, eût peut - être , acquis par le crime ,
ou par la trahison ! .... Voyez ce prétendu
coupable ; regardez - le , à vos pieds ,
affoibli par le poids de l'âge , vous fupplier
, vous conjurer d'oppofer une digue
à votre paffion ; de vous fauver vous -même,
& votre Peuple ! Voyez à vos genoux
cette foule innombrable de Sujets
confiés à vos foins ! Regardez - les , Seigneur
, pleurant aux pieds de leur Monarque
,
JANVIER. 1761. 25 .
que , implorant à grands cris votre fecours
contre la mifére & la guerre , contre le
crime & les ravages qu'elle traîne à fa
fuite ! .... Se pourroit-il , grand Dieu !
que l'intérêt particulier , que la félicité
perfonnelle , pût balancer de fi puiffans
objets ? .... qu'une paffion vulgaire ; que
l'amour , en un mot ? .... ( Ne fuyez
point , Seigneur ; il faut m'entendre ) .
Eh , quoi ? ne trouverai - je point dans votre
coeur l'endroit fenfible que j'y cherche
? N'y trouverai- je aucun accès aux
larmes des infortunés , à qui s'unit , dans
cet inftant , la voix même du Ciel ?
TANCREDE.
..... Arrête ! Tu ne l'as que trop bien
trouvé .... Lève- toi , Siffrédi .... Hélas !
tu m'as perdu ..... par - tout où je porte
les yeux , le déshonneur s'offre à ma
vue ..... Etoit- ce à ce deffein , que tu
pris tant de foin de ma jeuneffe ? Etoit- ce
à ce deffein que tu pris tant de peine à
m'inspirer ces fentimens fi délicats , fi recherchés
, que ne connut jamais le vulgaire
, mille fois plus heureux que moi ,
dans fa ftupide inſenſibilité ? .... A quoi
penfoit ta funefte prudence ? ..... Ah ,
Siffrédi ! c'eft la froide fageffe de ton âge ,
II. Vol. B
26 MERCURE
DE FRANCE
.
qui m'a plongé dans ce labyrinthe d'erreurs...(
à part. ) Mais fois ferme , mon
âme ! ne te relâche point de ton objet ...
Oui ; ton principe eft fûr : fans vertus particuliéres
, il n'eft , ni ne peut être de vertus
publiques ... ( haut. ) Ecoutez- moi ,
maintenant , Siffrédi .... fongez furtout à
faire exécuter mes ordres : c'eſt le feul expédient
qui puiſſe nous fauver .... demain ,
quand vous verrez le Sénat raffemblé ,
dévoilez - lui tout cet affreux myſtére ;
cherchez à réparer le mal ; employez- y
toute votre éloquence ; employez tout votre
crédit , pour me débaraffer des piéges
ténébreux que vous - même m'aviez tendus.....
Garde - toi de me repliquer ! ...
Plus d'amitié ; fi tu balances , j'en romps ,
j'en brife tous les noeuds , & ne vois plus
en toi , qu'un Traître !
SIFFREDI.
J'en pourrois mériter le nom , j'en
pourrois mériter le fort , fi je démentois
mes principes.
TANCREDE,
Prens garde , dis -je ?
SIFFRED I.
Seigneur ! non , mon Maître ! il ne faut
JANVIER. 1761. 27
pas vous en flatter. Quoique blanchi dans
les pratiques de la Cour , je ne fuis point
affez bon Courtifan , pour plier mon
obéiffance au gré de chaque paffion ....
Je refpecte mon Roi , je refpecte fes ordres
; mais , je refpecte encore plus mon
devoir.
TANCREDE.
Il le faut , cependant.
SIFFREDI
Je ne puis le vouloir.
TANCREDE.
Fuis donc évite ma préfence . Viens ,
cher Rodolphe? viens,fauve- moi de ce traître
!... fuis, dis - je ? ... fans ta fille , cruel, tu
fentirois déjà tout le poids de ma vengeance
.... ne me repliques pas .... vat-
en.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE:
SCENE I X.
TANCREDE , RODOLPHE.
TANCREDEachéve d'exhaler tout fon reffentiment
contre Siffrédi. Il lui peint toute l'horreur
de fa fituation & de fon embarras , lorfqu'il s'eft
apperçu que Siffrédi avoit écrit au - deffus du blancfeing
confié à la fille , un plein confentement aux
volontés du Roi défunt ; & furtout lorſque ce funefte
acquiefcement avoit été lû dans le Confeil à la
face d'un peuple entier.Qu'a dû penfer'de lui la malheureufe
Sigifmonde ? Un coup d'oeil de la partde
cette tendre amante a fuffi pour lui percer le coeur,
& le mettre hors d'état de parler pour démentir
Siffredi , & démafquer fon impofture. Il s'en fait
les plus grands reproches ; & s'affermit dans le deffein
de montrer bientôt Tancrede au Sénat plus
digne du rang où vient de l'appeller la fortune.
Il finit par prier Rodolphe d'engager Laure à remettre
à Sigifmonde un billet de la part , par lequel
il projette de lui demander une entrevue pour
le foir même.
Fin du fecond Acle,
ر
JANVIER. 1761 .
ACTE III.
SCENE PREMIERE.
SIGISMONDE , feule , affife
plongée dans la douleurs
AH, H , parjure ! ah , tyran ! ... barbare
même en trompant ton amante ! Hélas ,
lorfque ce matin , inftruite de ton fort ,
tu m'as vu plaindre celui qui m'attendoit
; tu m'as vue prête à m'immoler moimême
; à facrifier ma tendreffe au rang
fuprême où tu montois ; à t'affranchir
enfin de tes fermens .... ( Quel facrifice
je faifois ! & qu'il coûtoit cher à mon
coeur ! ) ... Pourquoi , cruel , pourquoi
ne m'avouois- tu pas combien mes crain
tes étoient juftes ? Que ne convenois- tu
de l'auftère devoir que t'impofoit le Trône
? ... Puifqu'il falloit nous féparer ,
t'en eût-il coûté d'adoucir nos adieux ?
J'aurois fenti tout mon malheur , fans
doute ! mais mon malheur ne feroit
pas
fi grand ! ... à travers mes regrets , j'aurois
du moins la confolation de rappeller
avec quelque plaifir , le fouvenir de ton
amour ; ta chère image occuperoit mon
que
Biij
30 MERCURE DE FRANCE
âme toute entière , & nos innocentes
douleurs auroient encore quelques charmes
pour nous ... Mais , de fang froid ,
trahir ainfi l'objet de tá tendreffe ! ....
comment ton coeur eft- il devenu fi
cruel ? ....
Quelle ivreffe de vanité t'a pu
rendre infenfible au point de me voir
fuccomber fous le poids de ma honté
& de n'en être pas touché ? Toi , que j'ai
toujours vu fi tendre ! Toi , dont mes plus
legers ennuis affectoient l'âme toute entière
, & qui femblois ne vivre que par
moi ! Mais , où m'emporte ma douleur ...
je t'offenſe , fans doute ... non ! Tu n'as
pu te dégrader au point de triompher de
mon opprobre Mais pourquoi chercher
à irriter ma peine ? ... L'amour chez
lui , fans doute , n'a pu tenir contre l'ambition
... Non ! jamais homme ne fut
conftant , puifque Tancréde eft infidelle....
( Elle fe leve. )
...
Fuyons loin de ces lieux rien n'y
peut frapper mes regards , qui ne me
rappelle un parjure ... Mais , j'apperçois
mon Père ... Ciel ! dans l'état où je fuis ,
que je redoute fa préſence !
JANVIER. 1761. 3 &
SCENE II.
SIFFREDI. SIGISMONDE
SIFFREDI.
O , Sigifmonde ! ô mon enfant , que
je gémis de ta douleur ! .. , j'en fçai la
caufe , & ne fçaurois la condamner ..
Allons , ma fille , rappellez tout votre
courage ; rappellez - vous ce que vous
êtes ; ne regardez l'amour que comme un
rêve , & montrez - vous fille de Siffrédi.
SIGISMONDE.
Suis-je encore digne de ce nom ?
SIFFREDI.
...
J'aurois à me plaindre de vous , ma
fille. Il falloit mon aveu , pour engager
à ce point votre coeur . je puis pourtant
vous pardonner : Tancréde a des vertus
; & peut-être ai-je eu tort moi- même
de vous avoir trop expofée à remar
quer des qualités fi dangereufes. Ne craignez
donc pas mes reproches ; ... Votre
père a pour vous plus de pitié , que de
colère ; & fi vous reprenez les fentimens
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
d'une louable vanité fi digne de mon
fang ; fi votre coeur peut le montrer fupérieur
à cette épreuve , je vous rends
tous les droits que vous aviez à mon eſtime
, & vous en aimerai , s'il fe peut , davantage
.
SIGISMONDE.
Ah vous êtes plus tendre , & plus
compatiffant que votre fille ne mérite !
C'eft , & ce fut toujours l'objet de mon
ambition , que d'obéir à vos fuprêmes
loix ; & quoique , par l'amour féduite ,
j'aie ofé tranfgreffer les bornes délicates
du devoir , je fens pourtant s'élever dans
mon coeur un fentiment fi vif , fi digne
d'être offert au plus tendre des Pères ;
que , duffent vos defirs être fuivis de mon
trépas , j'obéirai , Seigneur , & ma foumillion
vous prouvera du moins combien
vous m'êtes cher !
SIFFREDI.
Viens vole dans mes bras ! ... viens
feul efpoir , & feul foutien de ma vieillelle
! viens embraffer ton Père ... viens ,
mon Enfant , viens , puife dans mon fein.
les forces qui te manquent , pour perfifter
dans de fi nobles fentimens ! ... Ainfi , tu
promets donc de m'obéir? ... Tu vois.
JANVIER. 1761. 3:3
ton Père balancer , & craindre de te dévoiler
ce qu'il exige ! ... Ainfi , tu promets
donc de renoncer à de trop vaines
& trop préfompteufes efpérances ?,
SIGISMONDE.
Eh , quel espoir , pourrois - je encore
nourrir ? ... ce jour fatal m'en laiffe til
feulement l'ombre ? ... Mais , d'obtenir
fur mon fenfible coeur affez d'empire pour
n'y conferver que le fouvenir d'une tendreffe
qui faifoit toute ma félicité , c'eft
beaucoup plus que je ne puis promettre !
SIFFREDI
Va , l'abfence , le tems ( ce deftructeur
imperceptible des paffions ) te feront
triompher de ta foibleffe.... En attendant
je compte affez fur ta vertu , pour en
attendre un grand & généreux éffort ...
Ciel ! j'entends tes fanglots ... Voudroistu
voir rougir ton Père voudrois - tu lui
voir reprocher , que fa fille fut affez foible
pour perfifter dans la chimérique efpérance
qu'un Roi pût la préférer à ce
qu'il doit à fes Sujets , à fon Trône , à luimême
Que dis- je ! Voudrois - tu que ,
pour toi , la Sicile fût malheureufe ? que ,
pour être fidéle amant , ton Roi devint
indigne de régner ?... Léve la tête , mon¹
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
1
enfant fens ce que tu dois être ! ...
Rends - toi digne de la leçon que ton
amant , du haut du Trône même , vient
fi glorieuſement de te donner.
SIGISMONDE.
Ah , Seigneur ! ce n'eft pas la vertu
qui l'infpiroit ... S'il en étoit ainfi , vous
me verriez imiter fon exemple .... vous
me verriez obéir à mon Père , & me
réfigner à mon fort ... Mais quand ce
matin même , après avoir préffenti mon
malheur , j'avois foumis , j'avois facrifié
mon amour au devoir ; mais quand , ce
matin même , j'ai vu ce Prince , en blâmant
mes terreurs , ranimer , éléver plus
que jamais mes efpérances ... me voir ,
une heure après , auffi cruellement trahie !
C'est là , ce qui m'accable ! c'eft ce coup
de foudre imprévu , qui m'eſt , & me ſera
toujours préfent ... Ah , mon Père ! ah ,
Seigneur pourquoi m'avoir entraînée à
cet affreux fpectacle ?
SIFFREDI.
Pour faire naître dans ton coeur , pour
'échauffer l'émulation , que je defire d'y
trouver.
JANVIER. 1761. 35.
SIGISMONDE.
Ciel ! ... c'étoit donc un complot formé
? ... Eh bien , fans l'imiter , je ferai
plus que lui ... car , Tancréde eft perfide
! ... Et moi , quoique le coeur rempli
de la plus vive & la plus pure paffion que
jamais femme reffentit , je jure , à la face
du Ciel , je promets & jure à mon Père ,
( malgré mon coeur qui veut encore me
démentir ) de renoncer à l'eſpoir d'être à
lui.... Qu'exigez- vous de plus , Seigneur
?
SIFFREDI
Encore une promeffe .... & ton Père
mourra content . Quoique ton innocence
, & ta vertu te juftifient auprès de
moi , nous ne vivons point pour nous
feuls ; de rigoureux égards nous affujétiffent
au monde : les plus illuftres même
Y font foumis ... Ce monde attend de
toi , de mon honneur , & du tien même ,
une démarche néceffaire ; une démarche
qui lui prouve , ainfi qu'à ton amant , ques
ton coeur a brifé la chaîne dont lui même
s'eft dégagé... Que dis -je ? en reprenant
tout l'orgueil de ton féxe ; il faut montrer
à l'Univers que tu peux , comme lui , ( &
plus glorieufement encore ) facrifier au
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
bien public une frivole paffion , qui lui
feroit funefte. Il faut , fur- tout , déraciner
, & pour jamais , du coeur du Roi ,
jufqu'à l'ombre de l'efpérance ; ne rappeller
déformais le fouvenir de fon amour,
que comme celui d'une injure , & d'un
affront qu'il t'avoit préparé ... Tu me le
dois , tu te le dois , ma fille ! ... Et pour ·
y parvenir , il ne te refte qu'un moyen .....
Le feul afyle qui te reſte , n'eſt que dans :
·les bras d'un époux , dont la naiffance &:
Jes vertus.te mettent à l'abri de tout foupçon..
SIGISMONDE.
Ah , Cieux ! qu'exigez - vous , mor }
Rère ?:
SIFFREDI.
Un homme illuftre , d'un haut rang ,,
plus refpectable encore par fon mérite ,
peut , offre même de te protéger ..
(Point de fanglots ! écoute moi , mas
Elle ...) Le noble Ofmond , te dis - je »
afpire à fe voir ton époux ..
-
SIGISMONDE.
Ah , mon Père ! ah , Seigneur !...
JANVIER. 1761. 37
SIFFREDI.
Ma parole eft donnée.... Il faut aujourd'hui
la remplir.
SIGISMONDE , aux pieds de Siffredi.
Mes bras tremblans , embraffent vos
genoux ! ... Ah ! fi vous aimez votre fille ; ,
fi mon enfance eut pour vous quelques
charmes ; fi le fouvenir de ma Mère a
quelques droits encore fur votre coeur .....
ah ! ſauvez- moi du fort le plus affreux ;
n'outragez pas jufqu'à ce point un coeur
déja trop accablé La nature , l'humanité
, l'équité même , Seigneur , vous
parlent par ma voix .... Ne pas choir ,
fans vos fages confeils , eft peut- être un
devoir pour moi mais mon choix n'en.
eft pas moins libre ... c'eſt le droit du .
plus vil efclave ; & que rien ne peut lui ravir
... Pourrois - je , fans rougir , pourrois-
je , fans remords , livrer ma main à
mon époux , fans . lui livrer en même tems:
mon coeur ? Ne feroit - ce pas le tromper ?.
me rendre coupable envers lui de l'injure
la plus fanglante , & la moins pardonna
ble ? ... Non , Seigneur , ne m'en parlez
plus , ou j'expire à vos pieds ... Souf
frez que loin du Monde , & de la Cour ,
jaille remplir en paix ma trop malheug
38 MERCURE DE FRANCE.
reuſe carrière ! ... Ciel ! ma demande
vous irrite ? ..... Vous pouvez me la refufer
? .... Du moins , Seigneur , accordez
- moi du temps ..... Je ferai tout ;
tout ce qu'au monde je pourrai pour plaire
au plus digne des pères ! .... Ah ! ces
pleurs , que je vois couler , me rendent
toute fa tendreſſe .
SIFFREDI , en voulant la relever.
Ma fille ! .... Vous en abuſez .
SIGISMONDE.
Non, non ! Si je ne vous fléchis .....
SIFFREDI.
Levez-vous , Sigifmonde .... Quoique
vous ébranliez , que vous attendriffiez
mon coeur ; rien ne peut faire révoquer
une promeffe que le devoir , l'honneur ,
& la raifon même ont dictée ..... Si les
liens de l'amour filial , font encore facrés
pour vous ; préparez - vous , ma fille à recevoir
le Comte Ofmond , comme fon
rang , le choix de votre pere , & le titre
de votre époux , ont droit de l'exiger.....
Je vous l'amène dans l'inftant.
SIGISMONDE , en l'arrêtant.
Grâce ! Grâce , mon Père ! ..... Epar
gnez votre enfant ! ...
JANVIER. 176 39
SIFFREDI , à part.
Il faut que je m'en débaraffe... La Na-
Eure me trahiroit ... ( haut. ) Accordeznous
, grand Dieu ! cette fermeté d'âme
néceffaire pour n'écouter que la voix du
devoir , & non celle des paffions... Laiffez-
moi , mon enfant !
SIGISMONDE , en le retenant.
Non , Seigneur ! ...Non , mon Père ! ...
SIFFREDI.
Venez , Laure ? ... approchez... Je
vous laiffe avec votre amie... Montrezvous
digne de ce titre : combattez fa foibleffe
; partagez , & faites tarir fes pleurs;
tâchez enfin de la ramener au devoir... &
s'il fe peut , de le lui faire aimer.
SCENE III.
SIGISMONDE. LAURE.
L'INFORTUNEE Sigifmonde le livre à tour
fon défefpoir . Laure tente envain , en piquant fon
amour-propre , de l'irriter contre Tancréde . Sigifmonde
ne peut fe perfuader qu'il eft réellement
coupable. Il va pourtant époufer Conftance , lui
dit Laure; après fon acquiefcement public au Tef
40 MERCURE DE FRANCE.
rament , il n'eft plus en fon pouvoir de s'en dédire,
Quelle honte pour vous ! ... Quoi Tancréde vous
aura quittée indignement, & vous n'aurez pas le
courage de vous en vanger ? & votre père , ce
père que vous prétendez aimer , partagera votre
opprobre ... Sigifmonde , après un long combat
de fentimens oppofés , fe détermine à imiter Tancréde
, qu'elle croit punir cruellement , en époufant
Ofmond, qu'elle fçait lui être odieux.
SCENE I V.
SIGISMONDE . LAURE. SIFFRE DI
OSMOND.
SIFFREDI..
C'EST le noble Ofmond , ma fille ; c'eſt
mon ami , qui n'afpire qu'après- ta main ;.
que je me ferai gloire d'appeller mon fils....
& ma félicité fera complette, fi par cette :
alliance , ton bonheur devient auffi grand
que ton père le defire.
OSMOND.
Ne croyez point , Madame , que le '
confentement de votre Père fuffife pour
me rendre heureux . Mon coeur , préféreta
toujours votre bonheur au mien mê
me, & chercherà tous les moyens de vous
procurer... Puis -je me flatter que le
JANVIER. 1761 . fr
vôtre ne défapprouve pas le choix de votre
père ?
SIGISMONDE.
Seigneur , je fuis fa fille. ... Mon coeur
n'a point de volonté. Laure , foutenezmoi...
(Elle s'évanouit . )
SIFFREDI , éffrayé .
Laure , fecourez- la ! ...Qu'on l'empor
te d'ici ..... O ma fille ! ( A Ofmond, }
Pardon , Seigneur ! .... cer accident
m'allarme... Je vous rejoins , dans le moment.
Q
SCENE V.
OSMOND , feul.
UE penfer de ceci ? ... quel augure en
puis - je tirer ? .... Me hait- elle ? .... En
aime -t- elle un autre ? .... Je ne l'ai déja
que trop craint ! .... Peut - être , que le
Roi .... que le jeune Tancréde ? .... Ils
furent élevés enfemble .... Non , cela ne
peut être il a trop folemnellement offert
La main à la Princeffe ..... Sa couronne ne
42 MERCURE DE FRANCE.
dépend - elle pas du teftament ? .... S'ils
s'aimoient en effet ; ce vieux Miniftre feroit-
il homme à préférer un Sujet à fon
Roi ? ..... J'eftime fa vertu ..... je dis
plus ; je m'y fie ..... autant qu'on peut
compter fur les vertus du fiécle .... Mais ,
s'il eût pû placer fa fille fur un Trône ! ....
Quel appas glorieux pour un homme de
cette efpéce ! .... Qu'est- ce donc au fond
que tout ceci .... Peu m'importe : n'y
penfons plus : Mon honneur , & ma dignité
exigent feulement que mon alliance
acceptée & conclue , ne foit pas dédaignée.
J'aime d'ailleurs l'aimable Sigifmonde...
& je ne fentis jamais plus fortement
à quel point je l'aimois . Quelle femme
en effet a jamais été plus charmante ,
plus modefte , plus douce , & plus inté
reffante qu'elle Son efprit , fes grâces ,
fa perfonne , offrent aux yeux un modéle
parfait de tout ce que fon féxe a d'enchanteur
! ... Oui , je veux l'obtenir... &
puis la regarder comme obtenue ... Si fon
coeur fe refuſe à ma félicité ; fon devoir
& mes tendres foins , ne pourront manquer
de la vaincre... L'homme fenfé , par
de trop féduifans dehors , ne vife point à
dérober un coeur : il cherche à le former
lui-même.
Fin du troifiéme Alto,
JANVIER. 1761. 43
A M. BRISSARD , Comédien du Ro1
DIS- MO1 , noble Briffard, quand chaque ſpectateur
,
Par tes fons pleins de feu fe fent percer le coeur ,
Quand par toi la pitié remplit toute mon âme ,
Eft-ce un Dieu qui t'infpire ? eft - ce un Dieu qu
t'enflâme ?
Quelle force affervit tous mes fens à tes loix ?
L'éclair eft dans tes yeux , la foudre dans ta voix
Tu parles... & foudain mes cheveux le hériffent
Toutes tes paffions chez moi ſe réuniffent :
Père , je te chéris , & fouvent je te plains
Pontife , je t'admire ; & Tyran , je te crains.
Mais qu'alors cette crainte eft un plaifir extrême !
Il femble que Briffard defcende dans moi- même.
O Génie ? ô talens ! réponds- moi , grand Acteur,
Quel Dieu t'a donc appris la route de mon
coeur ...
Je le fens... quand ta voix m'enchaîne & me maî-
C'eſt
que
trife ,
la vérité fur ta lévre eft affife .
DUPLESSIER,
44 MERCURE DE FRANCE.
VERS àM.BOUVIER DE RUSSAN,
fur fon talent de faire la reflemblance
fur le Caillou Onyx.
ONN ne doit plus, Bouvier, te nommer Girardon,
Phidias ou Pigmalion ;
Leur Art n'étoit qu'une heureufe impofture,
Le tien eft fils de la Nature .
Tu peux , nouveau Deucalion ,
Animer & polir une maffe groffiere .
Tu peux commander à la pierre ;
Par la force de ton Burin ,
1.
Le caillou devient clair & fléchit fous ta main.
Par Madame GUIBERF
Au même , fur le même Sujet.
O UE mes fenfations font vives !
A l'afpect des portraits qu'éterniſe ta main;
Tu fais fixer les grâces fugitives ,
Mieux que fur le marbre & l'airain.
Par M. l'Abbé MANGENOT.
JANVIER. 1761.
FRAGMENT d'une Lettre de bonne année
écrite par un Curé du Nivernois à M.
N. E. S. de fon Alteffe Ser. M. le P.
de....
vous , mon Ange tutélaire ,
Et mon plus folide foutien ,
Vous , dont la perfonne m'eft chère ,
Mille fois plus que tout le bien
Que vous projectez de me faire ;
Puiffiez- vous toujours plein d'efprit , de feu , de
fens ;
Toujours chéri , fêté des Sages & des Grands ,
Au chemin de l'honneur , dans la paix , dans la
guerre ,
Victorieux du fort , de l'intrigue , & du temps ,
Suivre C ... le, fervir , & lui plaire ,
Encor pour le moins quarante ans !
Quarante ans , direz - vous ! c'est trop . Non ; je
préfage
Que, fans trop vous flatter , mon coeur pourroit
encor
Vous en promettre davantage ;
Le Ciel , dans fes faveurs , toujours égal & fage ,
Vous a donné les talens de Neftor ,
Il doit vous accorder fon âge .
Par un Abonné au Mercure.
46 MERCURE DE FRANCE.
VERS à Mademoiſelle BERNARD fur
fon Portrait.
VENUS vit, par hazard ,
Le portrait d'une belle.
Ah c'eſt le mien , dit-elle ,
Non , dit l'Amour , c'eft celui de Bernard.
A Monfieur le Duc de FRONS AC ,
DIGNE IGNE fils du Dieu de la Thrace ,
Sur le pont de la Touifte on t'a vu le premier.
Tel fur un autre pont , le Tibre vit Horace ,
Mais Horace étoit borgne , & ne fut que guerrier :
Tu joins jeune & charmant, le myrthe & le laurier.
Par Madame BOURETTE.
SUR le Mariage de Mlle de NoAILLES
avec M. le Duc de DURAS,
J'AI vu , couple charmant , tous les coeurs fur vos
traces .
Pour le bonheur des deux , il , n'eſt partout qu'un
voeu.
La main de l'Hyménée unit du même noeud
Les grandeurs , les vertus , le courage , & les
grâces.
Par la même MUSE.
JANVIER. 1761 47
SUITE DE LA CORNE D'AMALTHÉE
A
Conte traduit du Grec.
CHAPITRE VI.
PEINE ce fixiéme fouhait fut-il formé,
qu'Eumene reçut un bon de Publicain,
C'étoit le plus court moyen pour obtenir
tour - à - coup de grandes richeffes fans
étonner perfonne. Eumene crut devoir
prendre un train relatif à fa nouvelle
condition ; c'est-à- dire , qu'il eut une table
mieux fervie , un Palais mieux orné ,
des courfiers plus fougueux , un char plus
brillant que lorfqu'il étoit premier Minifrre
, & même Grand - Prêtre. Il lui manquoit
une maîtreffe , & bientôt il ne lui
manqua rien. J'ai déja dit qu'Eumene
étoit jeune & bienfait. Il parut plaire à
Thaïs ( c'étoit le nom de fa Maîtreffe ) &
Thais lui plut ; il n'épargna rien , d'ailleurs
, de ce qui pouvoit la fixer . Les fêtes
fuccédoient aux fêtes , les préfens
aux préfens. Eumene fe croyoit heureux ,
& il le fut jufqu'au moment où la fuite
de Thaïs le détrompa.
Eumene chercha des plaifirs d'une au48
MERCURE DE FRANCE :
tre forte. Il protégea des Artiftes , hébergea
des Auteurs , & donna à des indigens
inutiles. Mais il ne put rendre ni les premiers
dociles , ni les feconds modeſtes , ni
les troifiémes reconnoiflans. Il fut encore
moins fatisfait des gens de cour.
Tous regardoient fa maifon comme une
de ces fources publiques, où l'on và puifer
fans autre attention que celle de ne pas
prendre au- deffous de fon befoin. Du refte
, on ne fçait nul gré à la fource de ſes
libéralités elle reçoit gratuitement ce
qu'elle donne de même. Ah ! dit Eumene,
c'est trop obliger & fréquenter des
ingrats. Je vais borner ma fociété àcelle
d'un Sage , fi je fuis affez heureux pour le
rencontrer.
On rioit beaucoup aux dépens d'un
homme qui blâmoit les ufages de tous
fes femblables & ne les imitoit en rien.
Eumene le vit & ne rit pas. L'expérience
commençoit à lui apprendre , que tout ce
qui paroît le plus defirable rebute fouvent.
Pourquoi , par la même raiſon , ce
qui rebute d'abord ne pourroit - il pas
plaire enfuite ? Peut- être , ajoutoit - il , le
gland eft- il préférable au froment; peutêtre
un lit de mouffe eft il plutôt fait pour
nous qu'un lit de duvet, peut- être une femme
appartient- elle au plus.... peut être
un
JANVIER. 1761. 49
Eumene él-
Un peu d'antropophagie ...
faya toutefois de ramener le Sage à des
principes moins auftères. Il parvint à lui
faire quitter la cabane pour habiter fon
Palais. Il réuffit même à l'apprivoiser
quelque temps avec la bonne chére ;
mais les remords vinrent enfuite. Le Sage
retourna à fa cabane & à ſes racines.
Il avoit parlé avec tant d'éloquence
contre les Lettres , qu'il fit naître à Eumene
le defir d'être éloquent ; & comme
un defir marche rarement feul , Eumene
ambitionna d'être éloquent en vers & en
profe. Ce fut le fixiéme de fes fouhaits .
E
CHAPITRE VII
UMENE , qui pour réuffir n'avoit
qu'à defirer , eut le courage de vouloir
mériter fes fuccès. Il enfanta un Poëme
qui eût rendu Homére jaloux , & qui lui
fufcita des envieux bien inférieurs à Homére.
Il eut encore plus d'admirateurs ,
c'eſt- à- dire , que rien ne manquoit à ſa
gloire. Il la trouvoit bien préférable à
celle qu'on obtient par d'autres voies , &
qu'on n'acquiert jamais feul . Cette ivrefle
dura quelque temps , après quoi elle ſe
ralentir dans le Public & dans l'Auteur
II. Vol.
C
1
so MERCURE DE FRANCE.
même. Il n'y eut que la haine de fes ennemis
qui fe foutint. Les uns l'accuférent
de crimes fuppofés ; les autres s'appropriérent
les ouvrages ; d'autres lui imputérent
les leurs. Ce dernier trait fut le
plus fenfible pour Eumene ; mais bientôt
il éffuya d'autres dégoûts . Les lauriers tragiques
le tentérent. Il compofa d'après
les plus grands modéles , & furtout d'après
fon génie , un Drame admirable , où l'on
étoit plus attendri qu'étonné , où le coeur
fe trouvoit plus intéreffé que la vue ; où
l'art des Acteurs afpiroit à bien rendre
plutôt qu'à faire valoir. Toute l'affemblée
verfoit des larmes délicieuſes. Malheureufement
l'endroit le plus pathétique
fournit un bon mot à un mauvais Plaifant,
& tout-à- coup les larmes firent place à de
grands éclats de rire . On ne vit plus que
du ridicule dans ce qu'on venoit d'admirer;
la Piéce tomba dans l'oubli , & le bon
mot fut confacré dans les annales du goût
de la Nation.
Le Poëte s'en affligea quelque temps ,
& compofa enfuite , pour s'égayer , un
Roman fans vraisemblance & qu'il avoit
voulu rendre tel. Son unique but n'étoit
que d'y faire preuve d'efprit, & ces preuves
lui coutoient peu. Un grave Cenfeur fut
chargé d'examiner cette bagatelle. Il crut
JANVIER. 1761.
qu'un ouvrage qui ne fignifioit rien , devoit
être dangereux. Dès - lors il y vit tout
ce qui n'y étoit pas , & fupprima tout ce
qui y étoit. Eumene plus docile qu'un Auteur
ne peut l'être , s'en tint à la décifion
du Cenfeur , & compoſa une ſeconde brochure.
Il éffayoit d'y mettre d'accord deux :
partis , qui divifoient & déshonoroient
la république des Lettres . Le Cenfeur à
qui ce nouvel Ecrit fut foumis , étoit luimême
enrollé dans cette guèrre ; il fupprima
la moitié de l'ouvrage. Un de fes
confreres fut chargé de le remplacer dans
cet examen . Celui ci étoit du parti oppofé
& raya l'autre moitié de la brochure .
Voilà Eumene privé une feconde fois du
fruit de fon travail , & prèſque déterminé ,
à ne plus écrire.
Cependant on annonça une victoire ,
remportée par les Troupes de l'Etat. A
cette nouvelle , Eumene qui étoit bon
Citoyen , redevint Poëte ; il chanta cet
événement glorieux , & eut foin de nommer
tous ceux qui s'étoient le plus diſtingués.
Un Officier fubalterne , dont il n'avoit
ni parlé ni oui parler , piqué de cet
oubli , lui en demanda raiſon. Il fallut
que le Poëte quittât la plume pour l'épée.
Il oublia ou négligea de fouhaiter d'être
invulnérable , & reçut une bleffure à cette
Cij
32 MERCURE DE FRANCE.
main qui avoit diftribué tant d'éloges.
Eh quoi ? difoit Eumene , faudra - t - il me
battre contre tous ceux que je ne louerai
pas ? Il comptoit du moins fur l'amitié
d'un Grand qu'il avoit loué avec excès.
Happrit que ce dernier trouvoit au contraire
la louange trop mince & vilipendoit
fon Panégyrifte. C'en fut affez pour
le faire changer de ton. Il devint Cauſtique
& dit une foule de vérités , qu'il falloit
taire. Au bout de quelques jours on
l'éveilla au milieu de la nuit pour le conduire
dans une prifon encore plus ténébreufe.
Voilà donc , dit- il alors , la récompenſe
de tant de veilles , & l'afyle que
me préparoit la renommée? Il prit le parti
d'abandonner une carrière où l'on fait tant
de faux pas & de mauvaiſes rencontres.
Il n'étoit pas , toutefois , entiérement
dégoûté des Beaux - Arts. La Peinture &
la Sculpture qu'il regardoit comme les
foeurs cadettes de la Poëfie , lui parurent
mériter fon hommage & mettre leurs favoris
à des épreuves moins dangereufes
que ne fait leur foeur aînée. De-là un
huitiéme fouhait d'Eumene , qui fut fuivi,
de fa liberté .
JANVIER. 1761 . 53
CHAPITRE VIII.
CE fut à l'hiftoire qu'il confacra les premiers
éffais de fon pinceau , & il eft inutile
d'avertir que fes éffais furent des chefsd'oeuvres.
Il joignoit à la fierté du deffein
l'élégance des formes & la vigueur du coloris.
Il fçavoit imaginer & rendre tout
ce qu'il imaginoit . On raifonna beaucoup
& fort mal , fur chacune de ſes productions
; on lui prodigua les Satyres les
plus injuftes & les éloges les plus maladroits.
Il s'apperçut qu'on n'avoit faifi
ni les beautés ni les défauts de fon ouvrage
; je dis les défauts , car les Dieux lui
avoient donné la faculté de produire des
chofes admirables , & non des chofes parfaites.
C'eft un attribut qu'ils réfervent
pour eux feuls & dont ils ufent toujours
fobrement.
Eumene fatigué du genre fublime , prèfque
toujours mal apprécié , devint fimple
portraitifte. En cette qualité , il eut
d'autres obftacles à vaincre , d'autres dégoûts
à fupporter. Un Chef des Eunuques
voulut être repréſenté en Achille . Sa phyfionomie
ne cadroit pas plus avec ce déguiſement
, que fon état . Il fe trouva luimême
fi ridicule fous cette forme , qu'il
C iij
74 MERCURE DE FRANCE.
s'en prit au Peintre, & lui fit effuyer toutes
les injures qu'un homme de fon eſpéce
peut prodiguer lorſqu'il n'a rien à craindre .
Un autre perfonnage eut recours aux talens
d'Eumene. C'étoit un Militaire que la
Nature avoit gratifié d'une figure impofante
& martiale. Le Peintre imita exactement
la reffemblance ; mais il eut de
nouveaux reproches à éffuyer. Le Guerrier
ne trouva point fa phyfionomie affez adoucie.
Il vouloit être repréſenté avec des yeux
riants , une bouche pincée , un teint délicat
, en un mot , fous les traits d'un Adonis.
Une foule d'autres perfonnages
avoient des prétentions non moins ridicu
les.... Eumene prit le parti de dévouér uniquement
les talens aux femmes ,de qui les
agrémens rendent les caprices plus fuppor
tables , mais il les peignoit d'après nature ,
& il déplut même aux plus belles . Une des
plus laides & des plus puiffantes de la
Cour ne lui pardonna point de ne l'avoir
fait paroître que jolie . Il voulut juger enfin
fi l'art des Phidias lui feroit plus favora
bles . Nouveaux fuccès dans ce genre &
nouveaux défagrémens. Chargé de faire
une ftatue de Vénus , il eft autorisé à prendre
les plus belles femmes de la nation
pour les modéles. Prèfque toutes fe flattoient
de lui en fervir , & de lui en fervir
JANVIER. 1761,
م ا ر گ
feules. Il en choifit d'abord trente & en
offenfe mille. Parmi ces trente , il fait un
nouveau choix , n'en réſerve que dix & a le
furplus pour ennemies . De ces dix même ,
telle n'a que l'oeil de beau , qui préfente la
bouche , telle autre les yeux au lieu de
l'oreille , telle autre la main au lieu du
pied & c. Eumene emprunta de chacune
d'elles , ce qui lui convenoit , & déplut à
toutes. Il fut vivement épris de la plus
belle & en avoit prèfque tout imité . Senfible
à cette préférence, elle alloit s'attendrir
en faveur de l'Artifte , lorfqu'elle s'ap
perçut qu'un des ongles de la Déeſſe n'avoit
pas été copié d'après un des liens . Elle
prétendit garder la vertu toute entiere , fi
Eumenene mutiloft fur le champ fa ftatue.
Il refufe de gâter un chef-d'oeuvre , & eſt
refufé à fon tour . Ce ne fut pas tout . La
Beauté qu'il défobligeoit ainfi , mit dans
fés fers un homme tout- puiffant & qui la
laiffa jouir de tout fon pouvoir. Le premier
ufage qu'elle en fit , fut de condamner
le cifeau d'Eumene à ne s'exercer
déformais que fur des Magots . Il
n'eût pas manqué d'occupation . A peine
ce bruit fut il répandu , qu'il vit accourir
chez lui une foule d'Amateurs du bel
air. Tous brûloient de voir leurs cheminées
enrichies de quelques- uns de fes
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
chef d'oeuvres. Parmi ces afpirans , Eu
mene remarqua un jeune Médecin qui, par
le brillant de fon équipage , l'élégance de
fa perfonne & la vivacité de fes chevaux
annonçoit un Médecin accrédité ou prêt
à l'être. Il fe fit une idée affez agréable
de cette profeffion , pour demander à
Jupiter d'en être revêtu .
CHAPITRE IX .
OILA donc Eumene chargé de veiller
à la confervation de fes femblables . Il réfléchit
fur l'importance de cet emploi , &
tout bien éxaminé , il jugea que l'art du
Médecin devoit confifter à guérir ſes malades
. La Nature l'avoit doué d'un coeur
propre à faire le bien pour le feul plaifir de
bien faire. Il fecourut fes concitoyens fans
diftinction de rang , de fexe , d'âge & de.
richeffes. Il étudia le tempérament de
ceux qui avoient recours à lui , fit fa principale
occupation du foin de les foulager , y
réuffit & fut ignoré & négligé . Cet aban-.
don ne le furprit point , mais il l'ennuya
& le fit réfoudre à fuivre l'étiquette_des,
Médecins à la mode. Eumene fit dorer fon
char , troqua fes chevaux & parcourut la
Capitale deux fois le jour fans être attenJANVIER.
1761 . 57
ลง par un feul malade ; mais bientôt il fut
mandé même par une foule de gens qui fe
portoient bien. L'Art de les guérir devint
pour lui une nouvelle étude. Eumene lifoit
quelques- unes des brochures du jour , c'eſtà-
dire des moins mauvaiſes ; il fe faifoit
inftruire des anecdotes les plus fecrettes ,
en tiroit la quinteffence & diftribuoit cet.
Elixir à fes malades imaginaires. En peu de
tems il éclipfa tous fes collégues & en fupplanta
le plus grand nombre , fans le vouloir.
Il acquit fur- tout la confiance des
Femmes. Prèfque toutes parvinrent à fe
croire malades , pour le feul plaifir de le
confulter.....
Eumene ufa d'un autre ftratagême ; il
intéreffa des efclaves , & fut inftruit par
eux des plus fecrettes actions de leurs maî
treffes. Le Docteur qui paroiffoit les deviner
, paffa pour un homme extraordinaire.
On difoit qu'Apollon n'avoit rien de
caché pour lui & ne vouloit pas qu'on pût
rien lui cacher. Dès-lors on le refpecta ,
mais on le craignit encore plus. L'idée
qu'on avoit de fa pénétration arrêta même
fes progrès dans le coeur d'une jeune
veuve qui en avoit déja beaucoup fait dans
le fien . C'étoit une brune auffi vive dans
fes paffions que dans les maniéres. Un.
amant qu'elle ménageoit encore & que
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
peut -être elle eût bientôt congédié , étoit
un fecret obftacle au bonheur d'Eumene. Il
parut inftruit de ce mystére , entra dans
certains détails ,fe prefcrivit un régime plus
conforme à fon intérêt perfonnel qu'au
penchant de la Dame. Eumene paffa dans
fon efprit pour un homme infpiré ; mais
cette idée la fit trembler pour le préfent &
pour l'avenir. Elle ne voulut ni d'un Mé
deciñ ni d'un amant qu'on ne pouvoir
tromper.
L'amoureux Docteur , congédié par
la jeune veuve , fut accueilli par une
douairiere antique. Elle avoit foixante
ans & fe croyoit malade , parce que fon
teint avoit perdu fa fraîcheur . Eumene lui
avoua qu'il n'avoit point de recette pour
ces fortes d'accidens. Elle préfumoit du
moins qu'il en auroit pour les vapeurs dont
elle prétendoit être tourmentée. Autré
aveu de l'impuiffance du Docteur à cet
égard. Mais on ne lui pardonna point
d'être inhabile à tant de choſes. La Dame
étoit vindicative & puiffante. Elle tenoit
table & avoit à fes ordres beaucoup
de parafites , grands parleurs & qui aimoient
furtout à parler mal d'autrui. Le
Docteur ne fut point épargné. De mauvais
Peintres le traveftirent ; de mauvais
Poëtes le chargérent d'Epigrammes ... Il
JANVIER. 1761. 5.99
apprit même que la douairiere vaporeufe
ne s'amufoit à le rendre ridicule, qu'en attendant
qu'elle pût le faire paroître coupable.
Il ne craignoit pas de le devenir ;
mais il eſpéra encore moins être jamais
heureux fous la robe d'Efculape . Cepen- i
dant il ne lui reftoit qu'un fouhait à former
& fa deftinée en dépendoit. Il prit ,
le parti de queftionner des gens de tous)
les états , par lefquels il n'avoit pû paſſer
lui- même.
CHAPITRE X.
UN homme à morgue élevée , marchant
à côté de lui , le regarda avec une
forte de mépris. Voilà , fans doute , un
homme heureux , dit Eumene , car il paroît
s'eftimer beaucoup lui- même , & faire
peu de cas des autres. Il le fuivit jufques
dans un jardin public . Le bruit d'une victoire
y raffembloit quelques groupes de
Nouvelliftes. Eumene prit ce prétexte pour
lier converfation avec celui qu'il vouloir
mieux connoître. Eh que m'importent, luidit
ce dernier , ces fortes d'événemens ?
Aujourd'hui vainqueurs , demain battus
pour être encore bientôt l'un & l'autre ,
doit- on ni s'en réjouir ni s'en attriſter ?
Ce font de purs jeux du hazard , & il en
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
·
eft de même de tous les accidens de la
vie. Ils n'abattent ou n'affectent que les
âmes foibles. Je vois , reprit Eumene ,
que j'ai l'honneur de parler à un Diſciple
du grand Zénon ; votre âme eft inacceffible
aux chagrins , à la douleur. Jugezen
, répliqua le Stoïcien par le court récit
que je vais vous faire. J'occupai à la
Cour un pofte brillant & lucratif. Les
Grands attendoient dans mon antichambre
, & les petits m'appelloient Monfeigneur.
Il ne falloit , pour me maintenir,
que rendre une partie de ces refpects.au
( Chef des Eunuques . Je ne pus m'y réfoudre
, & je fus déplacé , exilé , calomnié
, chanfonné. Ce font là de vrais
malheurs , difoit Eumene. Point du tout ,
reprit le Philofophe , ce font & ce feront
toujours de vraies bagatelles . Je
partis pour mon exil ; j'avois un ami que
je chargeai du foin de mes affaires & d'uné
partie de mes richeffes . Il aimoit le
jeu , la table & les femmes : en peu de
temps il diffipa le dépôt & m'écrivit que
fi je ne lui envoyois dequoi acquitter une
dette de jeu , il étoit perdu d'honneur .
Je fatisfis à fa demande , & ne lui en fis
jamais aucune. Quelle générofité ! s'écria
Eumene ; avouez cependant que cette
perte vous affligea 2 ... Bagatelle , pour
JANVIER. 1761 : br
faivit le Stoicien. J'avois un fils qui dès
l'âge de dix - huit ans , fit tourner la tête
à vingt prudes & fixa prèfque autant de
coquettes. Il étoit en beauté le rival d'Adonis
, avoit la même ardeur pour la
chaffe , & n'y fut pas plus heureux . Une
fléche lancée au hazard , ou à deffein , lui
creva un oeil . Il perdit une partie de fes
graces , & toutes les conquêtes. Voilà ,
difoit Eumene , an fâcheux accident , &
qui , fans doute , vous apprit à connoître
la douleur... Bagatelle , reprit encore le
difciple de Zénon , mon fils gagna beaucoup
à cette perte , il devint infenfible
à toute autre , & inacceffible à l'ambition
. Enfin j'eus une femme jeune & belle
, à qui trop de gens le difoient , & qui
aimoit trop à fe l'entendre dire. L'exil ou
nous fumes relégués , s'accordoit peu
avec cette humeur . Elle reçut , elle approuva
l'hommage d'un ruftre qui n'étoit
pas même digne d'être le valet d'un
Philofophe. Je m'en apperçus : Ah , pour
le coup , s'écria Eumene ce dut être
l'écueil de la Philofophie.... Bagatelle ,
répéta une quatrième fois le Stoïcien.
Une femme qui s'égare ne fait que
fuivre
fon inftinct naturel. Eft-ce aux erreurs
d'un être , fi fragile qu'il appartient
d'ébranler notre fermeté Il alloit en62
MERCURE DE FRANCE.
taffer une foule d'argumens ftoïques ,lorf
qu'un Philofophe Epicurien de fa connoiffance
vint l'aborder en riant . Je veux,
lui dit- il , te faire rire , Zénon dût- il
s'en offenfer. J'arrive de chez toi , où ſelon
ma coutume , j'étois allé pour tra
vailler à ta perfection : j'entre fans être
vû & fans voir perfonne ; je pénétre
jufqu'au jardin , & là j'apperçois Zirphé,
ta jeune efclave , qui fuyoit tout doucement
celui qui a foin de ta mule. Elle eft
jolie ta jeune efclave ! Elle eft tombée
fur une planche de tulippes .... De tulippes
, s'écria le difciple de Zénon .... Aĥ ,
malheureux que je fuis ! Ah , fcélérats que
Vous êtes ! ne deviez-vous pas refpecter
mes tulippes ? Voilà le premier chagrin
que j'éprouve ; mais je me défefpére.
Ami ; je te quitte , je cours garantir la
feconde planche des faux pas de ces malheureux
.
CHAPITRE XI.
EUMEN UMENE refté feul avec l'Epicurien ,
trouva que le hafard l'avoit bien fervi. Il
- ne lui fut pas difficile d'entrer en conver
fation , un Epicurien eft , communicatif.
J'admire ces prétendus philofophes , di→
1
JANVIER. 1761 .
63
foit ce dernier , ils paffent leur vie dans
une contrainte perpétuelle ; ils gênent la
Nature dans tous fes penchans ; les plus
grands revers les trouvent infenfibles . Arrive
un moment où toute cette prétendue
fermeté difparoît; une bagatelle les atterre;
& le Stoïcien pleure fes tulipes. Pour moi,
continua-t-il , mon fyftême eft de ne me
contraindre en rien : j'accorde à la nature
tout ce qu'elle me demande, & je fuis affez
heureux pour qu'elle m'importune fouvent.
J'ai plus d'une maîtreffe , & une infinité
d'amis. Que les uns & les autres me trompent,
cela peut être ; mais je veux l'ignorer.
Je m'en confole , d'ailleurs , en prenant
ma revanche , autant que cela ne me
dérange point trop. A ce compte , lui dit
Eumene , vous êtes heureux : ce plan de
vie l'annonce. Heureux tant qu'il vous
plaira , reprit l'Epicurien ; je crois le bonheur
un peu chimérique ; je fuis heureux
tant que je ne m'ennuye pas, & j'avoue que
malgré toutes mes précautions , je m'ennuye
quelquefois. Comme il achevoit ces
mots , un de fes amis furvient , l'embraffe
& lui propofe un foupé chez des femmes
qui fans le connoître l'aiment à la folie.
L'Epicurien accepta la propofition ; mais
ajoûta-t- il , permettez-moi d'y conduire
un de mes bons amis qui fera bientôt des
64 MERCURE DE FRANCE.
vôtres. C'étoit Eumene dont il parloit , &
l'autre ami parut charmé de la propofition.
Eumene plus furpris que tenté , prétexta
quelques affaires. Il cherchoit le bon
heur qui fuit toujours la cohue , & ne fe
plaît guères qu'en pays de connoiffance.
CHAPITRE XII.
CERT
ERTAIN Hermite paffoit pour l'avoir
fixé au fond d'un défert , & c'en fut affez
pour y conduire Eumene. Il trouva le Cénobite
occupé à préparer quelques racines.
Sa demeure étoit une grotte , que peutêtre
quelque voluptueux avoit creusée &
habitée dans l'âge d'or. On y étoit à l'abri
des injures du tems & même de la vifite
des Lions & des Ours. Eumene , felon
fa méthode , queftionna l'Hermite . Vous
voyez, repondit le céle fte contemplateur ,
que je n'ai dans mon déſert ni flatteurs qui
me jouent,ni femme qui me haïffe , ni maîtrelle
qui me trompe , ni valets qui me
décrient , ni tréfors qui m'occupent , ni
mets délicieux qui m'empoifonnent , ni
habits fuperbes qui me déguiſent , ni vins
choifis qui m'enyvrent ... Je vois parfaitement
, interrompit Eumene , que toutes
ces chofes vous manquent ; mais daignez
JANVIER. 170 .
65
9
fatisfaire ma curiofité , êtes -vous heureux ?
Que je plains ceux qui habitent les cours ,
pourſuivit l'homme du défert ! fans ceffe
occupés de projets ambitieux , ou de baſſes
démarches, ils paffent leur vie à eſpérer
à craindre , à briguer un coup d'oeil , à
l'envier à ceux qui l'obtiennent , à ramper
fous un maître ... Eft- on plus fage à la
Ville : non , ce n'eft prèfque partout que
tromperie & fierté dans laNobleffe; morgue
& puérilité dans la Magiftrature ; fafte &
prétentions dans la Finance ; grimace &
ridicule dans la Bourgeoifie ; infolence &
friponnerie dans la populace ; entêtement
dans la vieilleffe , aftuce dans l'âge mûr ,
fatuité dans la jeuneffe , fotife enfin , dans
tous les âges & tous les Etats. En achevant
ces mots le pieux Anachorète fe tourna
vers une Statue de Jupiter comme pour lui
faire hommage de ce difcours charitable.
Eumene infifta de nouveau , & toujours
fur la même queftion . Etes - vous heureux ?
L'hermite ne répondit pas encore. Voyez ,
dit-il , à Eumene , voyez l'eau pure que
diftile cette roche ; elle eft délicieuse , &
ne peut troubler la raifon : ces racines , ces
fruits fauvages , furent la nourriture des
premiers hommes. Ces feuilles qui compofent
mon lit , font l'antidote de la moleffe
; le bruit de cette cafcade , le mur66
MERCURE DE FRANCE.
mure de ce ruiffeau, l'emportent fur la mufique
de certains Opéras . Eumene qu'impatientoient
ces réponſes obliques , alloit
s'éloigner , lorfqu'un Soldat vint demander
l'hofpitalité à l'Hermite. Il s'étoit
égaré de fa route , & témoignoit avoir
encore plus befoin de nourriture que de
repos. Soyez le bien- venu , lui dit le Solitaire
, en lui faifant généreufement part
de fes racines , de fes fruits , & de l'eau
de fa cafcade. Le Soldat , fans louer fes
mets , en fit un ample ufage. Eumene regretroit
de ne pouvoir rendre ce repas
meilleur. En attendant qu'il pût dédommager
le Convive , il n'oublia pas de le
queftionner. Avouez , lui dit - il , que la
gloire coûte cher à acquerir , & ne demeure
pas toujours à ceux à qui elle coûte
le plus ? Que de fatigues & de dégoûts
entraîne après foi le métier de foldat !
Comment reprit l'Eléve de Mars , de
par la Maffue d'Hercule , je ne connois
pas de plus beau métier. Il eft vrai qu'on
eft quelquefois battu par l'ennemi , quoiqu'on
foit brave ; gourmandé par un Sergent
, quoiqu'on foit fage ; affamé par
des Munitionnaires , quoiqu'ils foient bien
payés : mais dans une Ville prife d'affaut
lorfqu'il nous tombe fous la main , argent
, bijoux , fille où femme , nous ne
J
JANVIER. 1761 . 67
nous en faifons pas faute .Je n'ai rien de tout
cela , dit à part foi l'Anachorète ; & l'ardeur
martiale le gagnoit infenfiblement : déja
il brûloit du defir de fervir fa Patrie , &
de prendre quelque Ville d'affaut . D'autre
part , le Soldat examinoit cette folitude.
Il en comparoit la tranquillité avec le
fracas des armes. Cette grotte , difoit - il
en lui -même , vaut mieux qu'une tente ,
& fur tout , que le bivouac ; l'eau de cette
fontaine eft claire , & fouvent celle que
boit toute une Armée eft bourbeufe. Ce
lit n'eft que de feuilles , mais combien de
Généraux n'en ont que de paille ou couchent
fur la terre ? Eumene contemploit
attentivement ces deux perfonnages. Il
fourioit & devinoit ce qui fe paffoit en
eux. Ce fut l'Hermite qui s'expliqua le
premier. J'ai , dit - il , fervi long - temps
les Dieux fans rien faire pour l'Etat. Ne
pourrois je pas le fervir à fon tour , fans
les Dieux s'en offenfent ? Vous , ditil
au Soldat , qui les avez fans doute négligés
, quelques années de retraite pourroient
vous réconcilier avec eux. Il me
vient une idée. Prenez tout mon attirail ,
& me cédez le vôtre. Il fut pris au mot.
Je crains , lui dit le Soldat , que vous ne
reveniez bientôt me propofer un nouveau
troc. En attendant le premier fe fit , &
que
68 MERCURE DE FRANCE.
le nouveau guerrier s'éloigna de fa grotte
avec la même ardeur qu'il étoit venu l'habiter.
Le nouvel Hermite s'endormit fur
le lit de feuille , & Eumene , après lui
avoir laiffé de quoi égayer la frugalité de
fes repas , reprit le chemin de la Capitale.
Il y fit d'autres recherches & n'en fut
pas plus fatisfait. Ah ! dit- il , puifqu'on
s'ennuie fur le Trône & fur fes degrés ;
fous la thiare & fous le cafque ; dans le
Temple de Thémis , & dans le Palais de
Plutus ; puifqu'un grand Poete peut être
honni , un grand Artifte dégradé , un
jeune Médecin opprimé par des femmes :
puifqu'enfin chaque état eft fujet aux revers
, & qui pis eft au dégoût , redeve
nons ce que nous étions ; ce fera , fans
doute , ce que nous devons être .
F
CHAPITRE XIII.
UMENE reprit donc le chemin de fa
folitude. Il étoit toujours poffeffeur de la
Corne d'Amalihée , & l'abondance préve
noit fes defirs . Elle le fatigua , l'engourdit
, l'affaiffa . Il eut de nouveau recours
à Jupiter. Grand- Dieu ! s'écria- t- il , ôtezmoi
ces biens que je vous ai demandés
fans les connoître. Je fuis feul & défoeu
JANVIER. 1761.
ة و
vré , que deviendrai-je , fi les befoins ne
viennent à mon fecours ? Alors Mercure
lui apparut une feconde fois . Il mit plus
de cordialité dans les maniéres , parce
qu'Eumene étoit devenu un protégé en
titre . Suivez- moi , lui dit le Dieu . Eumene
obéit. Ils traverférent une épaiffe forêt &
parvinrent dans un Vallon délicieux. La
Nature y avoit raffemblé tout ce qui fait
la matiére de ces fortes de deſcriptions .
Mais aucune trace humaine ne s'offric
d'abord aux regards des deux Voyageurs .
Ils apperçurent enfin une jeune perfonne
qui fe miroit au bord d'une fontaine . Une
robe légére & flotante la couvroit ; des
guirlandes de fleurs ornoient fes cheveux
& fa taille. A cet extérieur on l'eût prife
pour une Nymphe , mais à fa beauté Eu
mene la prit pour Vénus, L'afpect de deux
hommes parut l'effrayer ; elle s'enfuit
avec une légèreté furprenante. Ce n'eſt
pas une Déeffe , dit alors Eumene , les
Déeffes font moins timides ; mais que
d'attraits dans une fimple Mortelle. Il la
fuivit jufqu'à l'entrée d'une caverne d'où
un petit épagneul accourut pour la défendre.
Il alloit mordre les jambes du prétendu
raviffeur ; la belle inconnue l'arrêta.
Elle trembloit & cependant regardoit Eumene
avec une forte d'intérêt . Lui- même
70 MERCURE DE FRANCE.
Penviſageoit avec un raviffement inexpri
mable . Mercure furvint ; il frappa le chien
avec fon Caducée & le rendit immobile.
Raffurez- vous , belle Eupolis , dit - il à l'inconnue
, les Dieux ne vous ont pas prodigué
tant de charmes pour vous laiffer vivre
feule & ignorée dans un défert. Voilà l'époux
qu'ils vous deftinent. Il faut approuver
fa tendreffe , il faut y répondre . Ces
mots font nouveaux pour vous ; mais il
eft réſervé à Eumene de vous les expliquer .
Ce petit chien ne ceffera d'être immobile
que quand vous cefferez d'être infenfible.
Á ces mots le Dieu difparut , & la frayeur
d'Eupolis augmenta. Elle vouloit fuir ;
mais comment s'éloigner du malheureux
Myrtil , ( c'étoit le nom de l'épagneul )
falloit- il l'abandonner à fa trifte deftinée ?
Il fautoit jadis avec tant de grâce ! il mettoit
tant d'agrément & de vivacité dans
fes careffes ; il l'avoit défendue avec tant
de zéle ! & la préfence & les regards d'Eumene
plaidoient la caufe de Myrtil avec
encore plus d'éloquence & de fuccès ! ..
Quel dommage , difoit- il , qu'un chefd'oeuvre
de la Nature eût été plus longtemps
dérobé à nos regards & à notre admisation
! Eupolis écoutoit ce langage &
commençoit de l'entendre . Elle y répondit
; car elle n'avoit pas été affez bien
JANVIER. 1761, 71
3
élevée pour fçavoir diffimuler. J'ignore ,
difoit- elle , ce que c'eft que la beauté ;
cependant je fuis charmée que vous me
trouviez belle. Dites adorable , ajoutoit
notre amant tranſporté , que n'avez - vous
un pareil contentement de l'amour que
vous m'infpirez ! Queft - ce que l'amour ?
demanda Eupolis , il me femble que ce
mot n'a rien que d'agréable. Eumene le
précipita à fes genoux ; elle fe troubla , &
Myrtilcommença à remuer la queue. L'amour
, reprit Eumene , eft un fentiment
délicieux , une ivreffe de l'âme , un enchantement
réel : on ne refpire que pour
l'objet aimé , on ne voit que lui , on voudroit
le voir fans ceffe. Hélas ! pourſuivit-
il , que cette peinture eft foible en
comparaison de ce que j'éprouve ! Que
votre coeur vous inftruiroit bien mieux ,
s'il vouloit s'expliquer en ma faveur! Mais,
repliqua ingénument Eupolis , j'éprouve
une partie de ce que vous dites : je vous
vois avec plus de plaifir que tous les animaux
de ce canton , & même que Myrtil.
Je n'ai plus deffein de vous fuir , je crains
de vous voir difparoître. Nouveaux tranfports
d'Eumene. Il baife la main d'Eupolis
& Myrtil fecoue les oreilles . Sa charmante
Maîtreffe eft enchantée de ces heureux
progrès. Ah daignez l'animer entierement
72 MERCURE DE FRANCE.
difoit Eumene ! Eh ! que faut-il faire de
plus pour cela , répondoit Eupolis ? M'aimer
fans réſerve & comme je vous aime.
C'en eft donc fait ajouta-t-elle , Myl
va fauter. En effet, Myrtil fauta, cabriola,
jetta quelques cris de joie , & ne fongea
plus à mordre perfonne.
>
>
Eumene qui aimoit à queftionner trouvoit
une occafion bien naturelle de fe fatisfaire.
Quel hazard , dit- il à Eupolis , vous
conduifit dans cette folitude ? y naquîtes-
vous l'habitez-vous feul ? Voyez
dit- elle , cette femme qui s'avance à pas
lents , c'eft elle qui m'a élevée , c'eſt mon
unique compagne , & j'ignore s'il en exiſte
d'autres . La vieille Efclave étoit déjà aſſez
proche pour diftinguer qu'Eupolis n'étoit
pas feule. Elle fit trois pas en arriere , &
jetta un cri en apperçevant Eumene.O Minerve
gardienne ! difoit - elle , tous mes foins
ont donc été fuperflus ! fans doute il n'eſt
plus tems. Eupolis courut à fa rencontre &
lui dit avec une forte de tranſport : Ma
Bonne , nous ne ferons plus feules , voilà
Eumene qui veut nous tenir compagnie.
Ce n'eft pas affez , dit- il , je veux vous
procurer une manière de vivre plus commode.
C'est trop enterrer un tréfor au
fond de ce défert , venez habiter un aſyle
plus digne d'Eupolis , fans toutefois
l'être
JANVIER. 1761 . 73
Pêtre encore affez. La Vieille , au lieu de
répondre , entra dans la grotte & en fortit
l'inftant d'après , tenant un rouleau de
parchemin. On ne peut , dit - elle , réfifter
à fa deftinée. Votre grand- père , qui
étoit un grand Aftrologue , l'a prédit même
en vers. Lifez ce Quatrain Aftrologique
rien n'eft plus clair.
Quand fille neuve , & partant ingénue ,
Ecoutera quelque Amant ſéducteur ;
Bientôt l'Amour , par l'ouie & la vue ,
Saura trouver le chemin de ſon coeur. ·
Ne voyez- vous pas là , pourfuivit la
Vieille , l'année , le mois , le jour , l'heure
& le moment de votre entrevue d'aujourd'hui
? Il ne faut pas faire mentir un
grand Aftrologue . Eumene étoit embaraffé
pour retrouver la route . Myrtil témoigna
, par fes geftes , qu'il alloit être leconducteur
de la troupe. On le fuivit &
l'on s'en trouva bien . Chemin faifant , la
Vieille inftruifit Eumene de tout ce qui
avoit rapport à la jeune Maîtreffe. Eupolis ,
lui dit- elle , eft née en Egypte , dans ce
beau Pays où prèfque tout le monde eft
Sage & Magicien. Son père fut un brave
Officier , qui pour faire preuve de courafe
fit tuer dans une bataille. Sa mere
II. Vol.
ge
D
74
MERCURE DE FRANCE.
en fçavoit autant que moi & tenoit de fon
père qui en fçavoit autant que fon grandpère.
Elle étoit belle & prévit que fa fille
le feroit un jour. Inftruite par l'expérience
des dangers que court une jeune & belle
perfonne foit à la Cour , foit à la Ville ,
foit même au Village , elle voulut habiter
quelque endroit ignoré. Ce fut à cette contrée
que nous donnâmes la préférence.
Nos livres, nos génies & nos expériences ,
nous promirent le voyage le plus heureux.
Nous nous embarquâmes , & au bout de
huit jours une tempête engloutit le Vaiffeau.
Tout le noya excepté Eupolis &c .
moi, qui la tenois entremes bras . Un reflux
nous jetta fur le rivage , & j'eus le
bonheur de fauver une fomme en or dont
j'étois gardienne , le parchemin que vous
avez vû, & qui plus eft , mes livres . Je n'avois
garde d'oublier le projet de ma fage
Maîtreffe & des Génies ; je me fixai dans
la folitude que nous quittons aujourd'hui.
Depuis dix ans , nous l'habitons ; & Eu
polis en avoit cinq lorfqu'elle y vint. Jé
l'élevai dans toute l'ignorance où doit
être une fille qui n'en veut pas trop favoir.
J'allois de tems en tems chercher à
la ville la plus proche certaines chofes
qui ne fe trouvent que là , & dont on ne
peut fe paffer nulle-part ; mais je n'infJANVIER
1781 .
་ ་
truifois perfonne de ma demeure, encore.
moins du tréfor que j'y tenois caché. Nul
homme , excepté vous , n'a pénétré dans
notre afyle. Je ne fçai quel hazard y conduifit
le petit chien que vous voyez. J'ens
quelque envie de m'en défaire ; mais fes.
carelles & les larmes d'Eupolis lui obtinrent
fa grace. Il s'attacha à ma jeune,
maîtreffe ; & fi j'en crois ma fcience , &
furtout les avertiffemens de mon génie ,
Myrtil eft celui d'Eupolis .
6
Myrtil remplit parfaitement fes devoirs
de conducteur. On arriva à la demeure
d'Eumene . Eupòlis fut enchantée de s'y
voir dans des glaces , & Eumene étoit
transporté d'y voir Eupolis. Il fçut trèsbon
gré à Mercure de n'avoir pas repris la
Corne d'Amalthée . Oui , difoit- il enfin ,
des richeſſes fans embarras , des befoins
& nulle ambition , de l'amour & peu de
jalousie , une belle femme qui daigne n'ètre
pas trop coquette ; voilà ce qui peut
rendre l'homme heureux . Eumene & Eupolis
le furent ; & , ce qui eft encore plus
are , ils ne fe lafferent point de l'être.
Dij
74 MERCURE DE FRANCE.
en fçavoit autant que moi & tenoit de fon
père qui en fçavoit autant que fon grandpère.
Elle étoit belle & prévit que fa fille
le feroit un jour . Inftruite par l'expérience
des dangers que court une jeune & belle
perfonne foit à la Cour , foit à la Ville
foit même au Village , elle voulut habiter
quelque endroit ignoré. Ce fut à cette contrée
que nous donnâmes la préférence .
Nos livres, nos génies & nos expériences,
nous promirent le voyage le plus heureux.
Nous nous embarquâmes , & au bout de
huit jours une tempête engloutit le Vaiffeau.
Tout le noya excepté Eupolis &
moi, qui la tenois entre mes bras. Un reflux
nous jetta fur le rivage , & j'eus le
bonheur de fauver une fomme en or dont
j'étois gardienne , le parchemin que vous
avez vû, & qui plus eft , mes livres. Je n'avois
garde d'oublier le projet de ma fage
Maîtreffe & des Génies ; je me fixai dans
la folitude que nous quittons aujourd'hui .
Depuis dix ans , nous l'habitons ; & Eu
polis en avoit cinq lorfqu'elle y vint . Jé
l'élevai dans toute l'ignorance où doit
être une fille qui n'en veut pas trop favoir.
J'allois de tems en tems chercher à
la ville la plus proche certaines chofes
qui ne fe trouvent que là , & dont on ne
peut fe paffer nulle- part ; mais je n'inſJANVIER
1461 .
75
truifois perfonne de ma demeure, encore.
moins du tréfor que j'y tenois caché . Nul
homme , excepté vous , n'a pénétré dans
notre afyle. Je ne fçai quel hazard y con
duifit le petit chien que vous voyez . J'ens
quelque envie de m'en défaire ; mais fes
careffes & les larmes d'Eupolis lui obtinrent
fa grace. Il s'attacha à ma jeune
maîtreffe ; & fi j'en crois ma fcience , &
furtout les avertiffemens de mon génie ,
Myrtil eft celui d'Eupolis .
Myrtil remplit parfaitement fes devoirs
de conducteur . On arriva à la demeure
d'Eumene . Eupolis fut enchantée de s'y
voir dans des glaces , & Eumene étoit
tranfporté d'y voir Eupolis . Il fçut trèsbon
gré à Mercure de n'avoir pas repris la
Corne d'Amalthée. Oui , difoit - il enfin ,
des richeſſes fans embarras , des befoins
& nulle ambition , de l'amour & peu de
jalousie , une belle femme qui daigne n'ètre
pas trop coquette ; voilà ce qui peut
rendre l'homme heureux. Eumene & Eupolis
le furent ; & , ce qui eft encore plus
are , ils ne fe lafferent point de l'être.
Dij
74 MERCURE DE FRANCE.
en fçavoit autant que moi & tenoit de fon
père qui en fçavoit autant que fon grandpère.
Elle étoit belle & prévit que fa fille
le feroit un jour . Inftruite par l'expérience
des dangers que court une jeune & belle
perfonne foit à la Cour , foit à la Ville
foit même au Village , elle voulut habiter
quelque endroit ignoré.Ce fut à cette contrée
que nous donnâmes la préférence.
Nos livres, nos génies & nos expériences,
nous promirent le voyage le plus heureux.
Nous nous embarquâmes , & au bout de
huit jours une tempête engloutit le Vaiffeau.
Tout fe noya excepté Eupolis &
moi, qui la tenois entremes bras. Un reflux
nous jetta fur le rivage , & j'eus le
bonheur de fauver une fomme en or dont
j'étois gardienne , le parchemin que vous
avez vû, & qui plus eft , mes livres. Je n'avois
garde d'oublier le projet de ma fage
Maîtreffe & des Génies ; je me fixai dans
la folitude que nous quittons aujourd'hui .
Depuis dix ans , nous l'habitons ; & Eu
polis en avoit cinq lorfqu'elle y vint. Jé
l'élevai dans toute l'ignorance où doit
être une fille qui n'en veut pas trop favoir
. J'allois de tems en tems chercher à
la ville la plus proche certaines chofes
qui ne fe trouvent que là , & dont on ne
peut fe paffer nulle-part ; mais je n'inf
JANVIER 1961 . ་ ་
truifois perfonne de ma demeure, encore.
moins du tréfor que j'y tenois caché . Nul
homme , excepté vous , n'a pénétré dans
notre afyle. Je ne fçai quel hazard y con
duifit le petit chien que vous voyez. J'eas
quelque envie de m'en défaire ; mais fes.
careffes & les larmes d'Eupolis lui obtinrent
fa grace. Il s'attacha à ma jeune
maîtreffe ; & fi j'en crois ma fcience , &
furtout les avertiffemens de mon génie ,
Myrtil eft celui d'Eupolis .
Myrtil remplit parfaitement fes devoirs
de conducteur. On arriva à la demeure
d'Eumene . Eupolis fut enchantée de s'y
voir dans des glaces , & Eumene étoit
tranfporté d'y voir Eupolis . Il fçut trèsbon
gré à Mercure de n'avoir pas repris la
Corne d'Amalthée . Oui , difoit - il enfin ,
des richeſſes fans embarras , des befoins.
& nulle ambition , de l'amour & peu de
jaloufie , une belle femme qui daigne n'ètre
pas trop coquette ; voilà ce qui peut
rendre l'homme heureux. Eumene & Eupolis
le furent ; & , ce qui eft encore plus
mare , ils ne fe lafferent point de l'être .
Dij
74 MERCURE DE FRANCE.
en fçavoit autant que moi & tenoit de fon
père qui en fçavoit autant que fon grandpère.
Elle étoit belle & prévit que fa fille
le feroit un jour. Inftruite par l'expérience
des dangers que court une jeune & belle
perfonne foit à la Cour , foit à la Ville ,
foit même au Village , elle voulut habiter
quelque endroit ignoré. Ce fut à cette contrée
que nous donnâmes la préférence .
Nos livres, nos génies & nos expériences,
nous promirent le voyage le plus heureux.
Nous nous embarquâmes , & au bout de
huit jours une tempête engloutit le Vaiffeau.
Tout le noya excepté Eupolis & .
moi, qui la tenois entremes bras . Un reflux
nous jetta fur le rivage , & j'eus le
bonheur de fauver une fomme en or dont
j'étois gardienne , le parchemin que vous
avez vû, & qui plus eft , mes livres. Je n'avois
garde d'oublier le projet de ma fage
Maîtreffe & des Génies ; je me fixai dans
la folitude que nous quittons aujourd'hui .
Depuis dix ans , nous l'habitons ; & Eu
polis en avoit cinq lorfqu'elle y vint . Je
l'élevai dans toute l'ignorance où doit
être une fille qui n'en veut pas trop favoir.
J'allois de tems en tems chercher à
la ville la plus proche certaines chofes
qui ne fe trouvent que là , & dont on ne
peut fe paffer nulle- part ; mais je n'inf
JANVIER 1961 .
་ ་
truifois perfonne de ma demeure, encore.
moins du tréfor que j'y tenois caché . Nul
homme , excepté vous , n'a pénétré dans
notre afyle . Je ne fçai quel hazard y con
duifit le petit chien que vous voyez. J'eus
quelque envie de m'en défaire ; mais fes.
careffes & les larmes d'Eupolis lui obtinrent
fa grace. Il s'attacha à ma jeune.
maîtreffe ; & fi j'en crois ma fcience , &
furtout les avertiffemens de mon génie ,
Myrtil eft celui d'Eupolis.
Myrtil remplit parfaitement fes devoirs
de conducteur. On arriva à la demeure
d'Eumene. Eupolis fut enchantée de s'y
voir dans des glaces , & Eumene étoit
transporté d'y voir Eupolis. Il fçut trèsbon
gré à Mercure de n'avoir pas repris la
Corne d'Amalthée. Oui , difoit il enfin ,
des richeſſes fans embarras , des befoins .
& nulle ambition , de l'amour & peu de
jalousie , une belle femme qui daigne n'ètre
pas trop coquette ; voilà ce qui peut
rendre l'homme heureux. Eumene & Eupolis
le furent ; & , ce qui eft encore plus
ware , ils ne fe lafferent point de l'être.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Le mot de la premiere Enigme du premier
Mercure de Janvier , eft , les Lunettes
pour le nez . Celui de la feconde, eft
la lettre A. Celui du premier Logogryphe
, eft une pioche , où l'on trouve
io , pô , écho , pie , cep : c'eſt enfin le
nom d'une Demoiſelle très - aimable . Celui
du fecond, eft , réver, qui lû à rebours,
fe trouve le même . Celui du troifiéme ,
eft, Coucou,
SOUVEN
EN IG ME.
OUVENT d'une prifon j'ai toute la noirceur
Et l'odeur fort défagréable ;
Je loge l'honnête homme , ainfi
que le voleur ,
Et mes affreux tourmens les font donner au Diable,
Malgré tous ces défauts , qu'un for ufage veut ,
On un droit à mon entrée ;
paye un
Et quoiqu'elle foitbien ferrée ,
De moi,chaque humain fait ufage comme il peut
Par M. M..... Abonné au Mercure
JANVIER. 1761 .
Dís
AUTRE
Es grâcesje doistenir l'être.
Entre leurs mains paime à paroîtres
Bijou commun, bijou de prix,.
Sur la toilette de Cypris
On me ravit ; & mon ufage
Fournit fouvent au badinage,
Enfin je mets en mouvement
Le plus inconftant élément.
Par. M. de B*** DU HUREPOIX.
LOGOGRYPHE.
Je fuis petit ; mais Alexandre
L'étoit , & n'en fut pas moins grand.
Lecteur , cet exemple t'apprend
Qu'à ma taille on pourroit , fur mon prix , ſe méprendre.
Fais jouer les refforts de mon individu ,
Combine , tu feras aifément convaincu
Quej'ai , pour faire agir , un moyenfans repliques
Que mon rang eſt un rang étique ,
Dont je ne tire pas le fou ;
Qu'il faut qu'on me coupe le cou ,
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
Avant que mon gain ſe déclare ;
Que par un fort affez bizarre ,
Sans avoir jamais rien , je fuis toujours garni ;
Que toujours gai , j'ai tours ri ;
Qu'enfin .. Mais à cetrait il faut que je m'arrête §
Rire , être gai ! c'eſt unifort trop heureux !
Puiffions-nous , dans trente ans , nous trouver tous
les deux ,
Cher Lecteur , à pareille fête !
ParM. DESMARAIS DU CHAMBON,
AUTRE.
J renferme , au dedans de moi , E
Ce qui m'a donné la naiffance ,
Et mon nom feul annonce ma ſubſtance.
Si tu veux me trouver , Lecteur , exerce- toi.
Peut-être tu pourras aisément me connoître :
Douze pieds compoſent mon être.
Décompofe , tu trouveras
Un grand jour de réjouiſſance ,
Dont fouvent on eft bientôt las
Un Port de mer , & deux Villes de France ;
L'afyle induftrieux qu'habite le moineau ;
Le fléau des méchans ; un poiffon ; un oiſeau ;
Les deux bouts du foutien de la machine ronde ;
Ce que dans ce temps-ci careffe bien du monde s
JANVIER. 1761 . 79
Ce qui , d'une grande Cité ,
Affure la tranquillité ;
Un monftre fort connu dans la Mythologie ;
Un terme de Géométrie ;
Ce que l'on eft en France & fur- tout à la Cour.
J'aurois encor de quoi t'occuper tout un jour.
Mais comme je pourrois laffer la patience ,
J'aime mieux garder le filence.
Par M. D.
POUR
COUPLETS ,
A mettre en Mufique.
OUR mon Amant , ma flâme eſt éternelles
Il eft bourru , bizarre , & quelquefois fougueux.
Mais il est toujours fidéle ,
Et fur-tout fort amoureux .
Souvent d'un rien il fait une querelle ,
Quelquefois indifcret , & fouvent ombrageuxi
Mais il eſt toujours fidéle ,
Et fur-tout fort amoureux.
Son maintien plaît , fa taille eft noble & belles
Il joint , à la figure , à des talens heureux ,
Un coeur tendre & fidéle ,
Et fur- tout fort amoureux.
D iv.
So MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II
NOUVELLES LITTERAIRES.
EXTRAIT de la Traduction en Vers ,
par M. de SAN- SEVERINO , du Poë
me de l'ART DE LA GUERRE de
S. M. LE ROI DE PRUSSE.
OxN connoît les difficultés attachées à
la Traduction des Poëtes. M. de San- Severino
femble les avoir furmontées toutes
dans un Ouvrage en Vers Italiens ,
dont le titre eft , l'Arte della Guerra , in
ottava rima Italiana , tratta dal Poëma
Francefe , del Filofopho di fans fouci.
Cette Traduction eftimable a été imprimée
avec beaucoup de goût chez Delormel
, rue du Foin ; il la vend auffi. On
lit , à la tête , une Epître dédicatoire à
M. le Duc de la Valiere , dont tout le
Monde connoît la noble paffion pour les
Arts & la belle Littérature . On trouve
enfuite une espéce de Differtation fur la
Poëfie , où M. de San- Severino parle en
homme éclairé de fon Art , & fi l'on peut
le dire , de la magie des vers. Il s'arrête
JANVIER. 1761 . 81
fur l'extrême attention qu'exige l'Octave
Italienne. Il faut qu'elle renferine toute
la pensée elle ne peut la tranfporterdans
l'Octave fuivante. Beaucoup de
Poëtes Italiens auffi s'en font affranchis ;
ils ont préféré la forte de vers qu'ils appellent
Verfi Sciolti . M. de San Severino ,
ne s'eft point laiffé vaincre par leur exemple.
Il a cru devoir ofer entrer dans une
carrière que l'Ariofte & le Taffe ont remplie
avec tant de gloire ; il s'eft donc fervi
de l'Octave. Je rapprocherai de l'Original
François quelques morceaux de la Traduction
, pour que le Lecteur juge du mérite
de M. de San- Severino .
L'Art de la Guerre , Chant Premier.
» Je ne vous offrirai que des objets terribles
>» Vulcain , qui fous l'Etna, par fes brulans travaux
»Forge à coups redoublés les foudres des héros ,
» Ces foudres redoutés entre des mains habiles ,
» Qui tantôt font tomber les fiers remparts des
» Villes ,
» Tantôt percent les rangs dans l'horreur des
combats ,
Et font , dans tous les temps , les detin's des
>> Etats.
Dans la Traduction du Chant. I. Octave XIII .
'Jo t'offre de' ciclopi il dio vetufto
DV
82 MERCURE DE FRANCE
>> Che fotto l'Etna accende il fuoco orrendo
Ferve al lavor inalza il braccio adufto ;
» Dei Guerrier' forma il fulmine tremendo ;
›› Quel fulmine del qual col braccio onufto
» Or l'Erve città ruina , ed or fcorrendo
» Fra'l fangue , e frall' orror di Marte irato
» De Monarchi , e de' regni affretta il fato.
Dans ce morceau vous voyez Vulcain
, les Cyclopes , la forge embrafée .'
Après Virgile , c'eft ce que nous avons
de plus beau fur ce fujet. Notre Traducteur
manie tous les pinceaux avec un
fuccès égal. Ici il eft Raphaël , Michel-
Ange , là Corrége , Albane.
Chant II.
» La faifon des plaifirs , où le Dieu de Cythère
» Fait refpirer l'Amour à la Nature entiere ,
Où les Mortels en paix fe livrent à ſes feux ,
» N'offre que des dangers , aux coeurs audacieux.
» Mais la gloire a caché ces périls à leur vue.
Chant II. Octave VI.
> Ecco al fine venir bella e ridente
» La ftagion del piacer cinta di fiori ;
>> Nella qual di Cythera il dio potente
Vampe infpira amorofe , e dofci ardori s
> Sen' innebria Natura , éd acconſente
JANVIER. 1761.
» Tutto il gener' uman' a nuovi amori :
>>
Queſto tempo à i Guerrieri offre periglio s
» Ma cauta il cela cor la gloria al ciglio .
On diroit , fi l'on ne craignoit de parler
trop poëtiquement , que l'Auteur a
réuni toutes les fleurs du printems dans
ce tableau ; c'eft un coloris frais & agréable
, & qui n'eft connu , ayons le courage
de l'avouer , qué de la feule Poëfie
Italienne cette Langue a des grâces ,
une heureuſe moleffe qui lui font propres.
Elle réuffit , fur- tout , dans ces morceaux
où doivent fe déployer les richeffes.
de la Nature.
Que d'agrémens dans la Traduction de
ces Vers - ci !
Chant V.
» De ces foibles enfans les naïves careſſes ,
» A ce pére chéri prodiguent leurs tendreffes.
>> Ils tiennent , en jouant, dans leurs débiles mains
» Ce fer trempé de fang , ce fer craint des Hu
<<< mains ,
» Son cafque menaçant , fa terrible cuiraffe ;
» Bientôt des pas du Pére ils vont ſuivre la traces
Chant V , Octave XXIII.
›› Scherzan ancor con femplicetta mono.
D vj
84, MERCURE DE FRANCE.
» Col fuo ferro di fangue atro e vermiglio
» Scherzan con quel non paventato invano -
» Elmo terror del minaccioſo ciglio :
» Mirofi là bamboleggior ful piano
» Colla corazza fiera un altro figlio
» Scherzan ma poi dovran lafcior la madre , »
» E gir la tracce ad emulor del padre.
}
Ne pourroit-on pas, dans cette octave :
charmante , reprendre l'épithète Vermiglio
qui vient après celle d'Atro ?:
l'horreur alors diminue ; & d'ailleurs .
cette couleur vermeille , bien loin de pro--
duire le terrible , fait naître une idée :
agréable. Beaucoup de Poëtes , & même
dés premiers , font remplis de cette fau-.
te , qui cependant n'eft pas pardonnable,
dès qu'on veut concilier le vrai & les
poëtique.
Notre Traducteur a réuni toutes les :
couleurs du fentiment dans le morceau
qui repréfente un enfant tué dans le fein
de fa mére , & défendu envain par fon
pére , qui fuccombe lui-même fous les
fureurs de la guèrre
Chant IV .
> Près de fa mère , en pleurs, l'enfant à la mana-
.melles ,
JANVIER. 1761..
» Egorgé fur fon fein , tombe & meurt avec elle
» En défendant fon fils , le père infortuné ,
»Expire fans venger cè fils affaffiné . -
Chant IV, Octave XLIV.
» Della fua madre in ſen diſciolta in pianto *
» Succhiando il bambinello e latte e amore ,
» Cade fvenato in grembo , e a quella' accanto ›
» Le dà l'ultimo fguardo e fuo muore.
»Lo fventurato genitore intanto
Si fcaglia incontro al barbaro uccifore
>>Ma ſenza vendicarlo il proprio fangue
>>Mefce col figlio , e sù lui cade efangue.
Il faut avouer que M. de Sân - Severino,"
dans cet endroit , a enchéri fur l'original.
Nous finiffons cet Extrait trop court ,
pour donner une idée de toutes les beautés
répandues dans cette Traduction ,
par cette Octave XII du fixiéme Chanty ·
Voici les Vers François :
» Quand vous reſſemblerez à ces fils de la Tèrre ;
>>A ces rivaux des Dieux qui leur firent la guèrre ';;
» Qui ; pour braver l'Olympe , en leur rebellion ,,
>> Soulevérent l'Offa , fur le mont Pélion.
» Quando fimil tu foffi a quiei giganti
» Rivali a' Dei , e figli della terra
>>>Ch'ebbri di loro forza e tracotansiti
86 MERCURE DE FRANCE .
» Moffero a cicli forſennata guerra :
» Che per bravore un di l'olympo e quanti
» Numi potenti nel fuo giro s'erra
>> Un cavernoſo menti uniti alzaro
>> E il pelio acreo all' arduo offa addoffaro.
Cette Traduction réunit du brillant , de
la richeffe , de la fécondité. On pourroit
lui reprocher des longueurs , de l'emphafe
; mais la Poëfie Italienne eft beaucoup
moins févére que la nôtre : c'eſt
une vafte campagne émaillée de fleurs ;
au lieu que nos ouvrages poëtiques reffemblent
à ces jardins foumis au cifeau
& à la méthode refferrée de l'Art.
*
M. de San- Severino eft déjà connu parle
génie de la Langue Italienne , ouvrage
périodique dont nous n'avons eu que deux .
volumes. Il a été cependant accueilli du
Public qui en defireroit la continuation.
Cet Auteur a compofé auffi une Traduction
du Poëme de M. d'Arnaud , fur la
mort du Maréchal de Saxe , qui n'a point
encore été publiée , & dont les connoiffeurs
difent beaucoup de bien . Il eſt à
fouhaiter que M. de San - Severino enrichiffe
notre Parnaffe François , & y tranfporte
des richeffes étrangères. Il y a tout
lieu de croire qu'Homère a beaucoup emprunté
des Egyptiens & des Perfans : le
JANVIER 1761 . 87.
commerce des Langues ne fert qu'à aggrandir
la fphère du génie que le belefprit
,, ppaarr malheur pour nous , s'obſtine
tous les jours à rétrécir. Nos forêts font
taillées en charmilles. Tâchons d'affocier
à notre goût , à notre délicateffe , à notre
Raifon fevére , la hardieffe , les grâces
abondantes , & la riche Nature de nos
voiuins.:
GRAMMAIRE FRANÇOISE PHILOSO
PHIQUE , ou Traité complet furla -
Phyfique , fur la Métaphyfique &fur la
Rhétorique du langage qui régne parmi
nous dans la Société ; par M. d'AÇARQ
de la Société Littéraire d'Arras , ci-devant
Profeſſeur de Langue & de Belles-
Lettres Françoifes , à l'Ecole- Royale
Militaire. A Genève ; & fe trouve à
Paris , chez Moreau , rue Gallande , &
Lambert , rue de la Comédie Françoife .
A
NE juger que par le grand nombre des
Rudimens vulgaires qu'on nous a donnés
fur toutes les Langues , le mot Philofophi
38 MERCURE DE FRANCE.
"
que n'eft pas l'adjectif qui convienne au
mot Grammaire: Comme c'eft le Peuple ci
toyen qui a établi les Langues, c'eft auffi les
Peuple auteur qui les a obfervées le plus
fouvent. Sanctius , Scioppius , Voffius ,
le célebre Arnaud, le profond & lumineux
M. Dumarfais , Perizonius dans fon docte!
commentaire fur la Minerve de Sanctius ,·
qu'il a toujours développée , & rectifiée
quelquefois , M. Duclos dans fes notes fur
la-Grammaire généralé & raifonnée , qui
font un appendice digne du texte qu'elles
étendent , reftraignent , corrigent , ap
précient ; felon les régles de la meilleure
critique , nous ont accoutumés à voir le
mot Philofophique comme le vrai adjec
tif du mot Grammaire. La Philofophie ,
eft à la Grammaire ce que la Géographie '
& la Chronologie font à l'Hiftoite ; une
Grammaire fans philofophie , eft un corps
privé de l'organe de la vue. Un Grammairien
non philofophe , n'eft qu'un annalifte
, un Grammairien philofophe en même
temps , eft un hiftorien qui trace le
corps & l'efprit des loix d'une Langue .
+
La prémiere Partie de la Grammaire
Françoife Philofophique' , que nous donne
feulement aujourd'hui M. d'Açarq ', eft
précédée d'une Epitre Dedicateire adref
+
JANVIER. 1761.
89
"3
2.
fée à M. le Marquis de Marigny , d'un
Avertiffement , & d'un Difcours Prélimi
maire , fait pour fervir de Préface .....
L'Epître Dédicatoire ne préfente , ni rien
de guindé dans la forme , ni rien d'ou
tré dans le fond . Le Monarque , les Artiftes
qui travaillent pour lui , le Mécène
fous la direction duquel ils travaillent ,
font loués ; les éloges font courts , fimė
ples , perfonnels & vrais. » La protec
» tion que vous accordez aux Lettres &
" à ceux qui s'y confacrent , dit l'Au-
» teur en parlant de M. le Marquis de
Marigny, ne fera pas le dernier trait
» de votre éloge. Quiconque , à votre
» exemple , n'ufe de fon crédit que pour
encourager les divers talens , eft le bienfaiteur
de la Société , où les connoiffances
qu'on a injuftement accufées de
» corrompre les moeurs , ne font que
» maintenir l'humanité , la douceur ,l'har-
» monie , l'amour du travail , père de
l'innocence & de la paix. » Combien
de gens , par reconnoiffance, prendroient
la parole pour publier ces encourage
mens , s'il ne leur étoit pas ordonné d'en
profiter dans le filence ! Dire que les connoiffances
nous rendent plus fenfibles ,
plus unis, plus pacifiques , plus vertueux,
90 MERCURE DE FRANCE .
c'est ce que nous éprouvons , & conféquemment
ce qui eft : avancer , à l'exemple
d'un Philofophe plein de l'éloquence
la plus énergique & la plus fpécieufe
, que nos moeurs ne font dépravées ,
que parce que nous avons des connoiffances
, c'eft foutenir que nous ne tombons
dans les précipices , que parce que
nous les avons vus. Nous haiffons néceffairement
le mal que nous connoiffons
pour tel ; le mal que nous faifons
ne peut donc pas avoir pour caufe la
connoiffance que nous en avons . » Il exi-
» fte , ajoûte l'Auteur dans la mêrne Epî-
» tre , il exifte une affinité marquée entre
» tous les Arts. Celui de la parole eft le .
»premier, le plus commun, le plus utile , le
plus furprenant , il eft en quelque façon
divin . Il eſt divin éffectivement , l'art de la
parole qui n'exifteroit pas encore,fi les feuls
hommes s'en fuffent mêlés . Les fons &
les termes ne fignifient , par leur nature ,
aucune penſée , puifqu'il n'exifte point
une Langue qui foit celle de tous les hommes.
Les fons & les termes ne fignifient
nos pensées , que par une inftitution pu
rement arbitraire , ce que démontrent les
fous & les termes différens qui défignent
des penfées identiques . Deux hommes
travaillant fans un fecours fupérieur à
JANVIIFGRR. 1761. 21
introduire l'art de la parole , auroient
peut être réuffi à s'entendre par rapport
aux objets phyfiques ou matériels ;
relativement aux objets intellectuels ou
métaphyfiques , ils ne fe feroient jamais
entendus , ou ils fe fuffent devinés mutuellement
, ce qu'il eft abfurde de fuppofer
la crainte , l'efpérance , le fouvenir
, le paffé , le futur & c. Ils feroient reftés
toujours muets fur ces objets , & fur
une infinité d'autres .
» Je me propofe, pour but principal, de
» détruire une de ces caufes générales de
» nos erreurs , qui confifte dans l'abus
que l'on fait de l'énonciation , en atta-
» chant à la même expreffion différentes
» idées ; d'où il fuit néceffairement qu'on
fe trompe , en croyant s'entendre lorf-
» qu'on s'entend le moins .... » L'abus
de l'énonciation eft la fource féconde des
fophifmes les plus ordinaires & les plus
dangereux . Il n'y auroit point de fophifmes
de cette efpéce , fi toute énonciation
reffembloit à celle de l'Auteur ....
" De quelque maniére que mon ouvra-
" ge foit reçu du Public , il me fera tou-
» jours honneur , il m'aura fourni une occafion
naturelle de rendre à vos lumiéres
» & à votre goût un hommage auffi fimple
que fincére. Cet hommage eft bien
92 MERCURE DE FRANCE.
rendu , il étoit bien mérité , & il ne pourra
qu'accroître de plufieurs degrés le bon
accueil que le Public auroit fait à l'ouvra
ge même , indépendemment de ce préjugé
favorable.
L'avertiffement indique la maniére
dont M. d'Acarq étoit entré dans l'Ecole
Militaire , la raifon pour laquelle il en eft
forti, les motifs qui l'engagent à nous donner
une nouvelle Grammaire Françoife , &
le double écueil qu'il évitera en l'exécu
"
Fant.
M. Paris de Meyzieu , reconnu dans
la Société pour un homme des plus fin-
-cérés & des plus aimables , dans la République
des Lettres pour l'homme dur
goût le plus décidé & le plus délicar ,
dans l'ordre des Sçavans pour avoir l'erudition
la plus vafte & la plus variée ,
s m'appella , il y a près de deux ans , à
» un examen que fubiffoient fur la Langue
Latine , MM. les Eléves de l'Ecole
» Royale Militaire. A la fuite de cet exer-
» cice dont je vis le triomphe , j'en caufai
35 même une partie en faifant les questions
les plus intéreffantes & les plus difficiles,
queftions auxquelles on répondit tou
jours avec la plus grande précifion ; M.
Paris de Meyzieu crut devoir m'attacher
» aux études qu'il dirigeoit avec tant de fu-
"
JANVIER 1761. 93
périorité; il créa une place effentielle qui
» manquoit,celle de Profeffeur de Langue
» & Belles-Letrres Françoifes. Tels autrefois
les Sages d'Athènes & de Rome ,
» établirent des Maîtres chargés d'enfei-
» gner principalement aux Nationaux ,
" Grec , le Latin .....
و ر
le
Une réforme de dix-huit Maîtres faite
à l'Ecole Royale Militaire , le 11 Juin
dernier , a déplacé M. d'Açarg. Ecoutonsde
lui-même fur les motifs qui le portent
à entreprendre une Grammaire.
»Pourquoi augmenter le nombre des
» Grammaires fur notre langue?n'en avons
» nous pas de bonnes n'en avons- nous
» pas plufieurs qui le fonte Celle de l'Abbé
Regnier n'eft- elle pas pleine d'éru
» dition celles de l'Abbé Girard & du
» P. Buffier ne contiennent - elles pas des
» vues ? Peut- on rien imaginer de plus
» méthodique que celle de M. Reftaur? & c . 1
Nous avons plufieurs Grammaires fur
» la Langue Françoife; la Grammaire de la
Langue Françoife , nous ne l'avons peut-
" être pas encore . Cette Grammaire
quand elle exiftera , fera exacte , com-
» plette , analogue au feul génie de notre '>
» idiôme, & renfermera la logique du lans
" gage national . C'est une Grammaire de
» cette forte que je voudrois ajoûter à
» toutes les Grammaires que nous avons
4 MERCURE DE FRANCE.
déjà , en profitant de ce qu'il y auroit à
prendre dans celles - ci & c.
N'ayant ni refpect idolatrique , ni mépris
fourcilleux pour nos Grammairiens ,
M. d'Agarq croira n'avoir pas donné dans
le double écueil contre lequel il a raifon
de vouloir fe tenir en garde ; le réfpect
doit avoir des bornes ; les Auteurs les
plus tranſcendans , fu mmi funt , homines
tamen , & par conféquent fujets à des
inégalités tout au moins. Pour ce qui eft
du mépris , il ne doit jamais avoir lieu
pas même à l'égard des Auteurs les plus
fubalternes : par- tout funt bona mixta
malis . M. d'Açarq n'a eu beſoin que de
nommer, à la fin de fon Avertiffement ,
M. l'Abbé d'Olivet , M. Duclos , & M.
Harduin , pour leur payer le tribut d'eftime
qui leur eft dû. ·
*
La Préface offre un parallèle de la
Langue Latine avec la Langue Françoife,
le fond de notre Langue nationale , les
qualités qui la diftinguent, les diverfes manieres
de fçavoir une Langue , l'enſemble
qu'il faut pofféder pour pouvoir ſe flatter
d'entendre une Langue quelconque ; les
différentes fortes de Langues qui fe trou "
vent dans une feule , & l'utilité qu'on
peut tirer de l'étude de l'Analogie.
» Quelle honte pour notre Nation ,
2
JANVIER. 1761 .
"
que les Etrangers foient plus verfés que
» nous-mêmes dans notre Langue , qu'ils
feroient en état de nous apprendre , &
qu'ils ne devroient avoir apprife que de
» nous ! qu'elle eft tendre & harmonieufe
» cette Langue , fous la plume de Qui-
» nault ! qu'elle eft riante & fléxible fous
» celle de Fénelon ! qu'elle eft noble &
» fublime fous celle de Boffuet ! qu'elle
» eft riche & pompeufe fous celle du Virgile
François ! qu'elle eft fimple & naï-
» ve fous celle de notre Phédre ! qu'elle
» eft rapide & véhémente fous celle des
» notre Pindare ! qu'elle eft nerveuſe &
laconique fous celle de notre Théo-
»phrafte ! Telle eft notre Langue dans la
defcription qu'en fait M. d'Açarq ,
dans la réalité , la Langue de la raiſon &
de l'imagination , & pour cela même la
Langue de prèfque toute l'Europe.
و ر
33
&
» Faire marcher parallèlement l'art de
penfer & l'art de parler , confidérer les
» fons & les mots ifolés comme fignes
-» des perceptions fimples , les fons & les
» mots affemblés comme fignes des ju-
» gemens ; tout ce qu'on entend dire ,
» tout ce qu'on dit foi- même , & tout
» ce qu'on lit , le réduire à la propofi-
» tion ; aller du fujet à l'attribut de la propofition
, revenir de l'attribut au fujet ;
96 MERCURE DE FRANCE.
20
"
les appercevoir l'un & l'autre , foit que
la conftruction pleine les ait exprim's
" tous les deux , foit que la conftruction
elliptique en ait fupprimé l'un entiérement
, & une partie de l'autre encore ;
diftinguer les caufes matérielles & les
, caufes formelles du difcours ; les caufes
matérielles qui ne font autre chofe
» que les préliminaires de la Syntaxe ou
les parties d'Oraifon ; les cauſes for-
» melles qui s'identifient avec la Syntaxe,
» ou avec les fignes de la corrélation qui
و د
"
33
fe trouve entre les mots ; connoître
" tous les fons de la Langue , & toutes
» les maniéres de peindre un même fon
(l'ortographe ) ; décider quel degré d'é-
» lévation ou d'abaiffement il faut don-
» ner à la voix en prononçant une fylla-
» be , & combien il faut être de temps
Ȉ la prononcer ( la profodie ) ; remarquer
fi un mot eft originairement national
» ou étranger , afin qu'en remontant à la
» fource on y puife une notion certaine
» de fa valeur propre ( l'étymologie ) ; dé-
» terminer enfin dans quel fens les mots
» font pris , pour qu'on ne ſoit point in-
» duit en erreur en confondant le fens figuré
( les tropes ) : ce n'eft qu'en poffédant
» tout cet enſemble qu'on peut fe fat-
» ter de pofféder une Langue. On voit
ود
d'après
JANVIER. 1761 . 91
d'après ce morceau philofophique que la
routine , le machinal , l'à-peu près dont
le Vulgaire fe contente, ne fuffifent point
pour M. d'Agara , qui eft allé & qui veut
conduire plus loin, à la choſe telle qu'elle
eft , à la vérité.
Le nom eft l'objet du premier traité que
'donne aujourd'hui M. d'Açarq. La nature
, la divifion , les accidents du nom. Le
nom défigne un objet foit phyfique , ſoit
métaphyfique de notre penfée Nom individuel
, nom fpécifique , nom générique ,
nom fubftantif, nom adjectif. Sens propre ,
fens figuré , nombre , genre du nom
fubftantif. Sens propre , fens figuré , nombre
, genre , degrés de comparaifon ou de
qualification , efpéce , figure du nom
adjectif foit Phyfique foit Métaphyſique .
Subftantif pris adjectivement,adjectif pris
fubftantivement : fubftantif & adjectif
pris adverbialement , fubftantifs & adjectifs
fynonymes , ou prétendus fynonymes.
" Qu'entend-on par les mots fynonymes?
Peut- il y en avoir dans une Lan-
» gue? Avons nous des fubftantifs & des
adjectifs fynonymes dans la nôtre ? Les
fynonymes marqueroient- ils la richeffe
» d'une Langue quelconque ? Il n'y a que
» ces quatre objets à confidérer dans cet
» article.
"
" .
II. Vol.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
ود
رو
» Par fynonymes on entend des mots qui
» font différens , eu égard au matériel , &
les mêmes , eu égard à la fignification ,
ou des fons différens différemment repréfentés
, & excitant la même idée.
Theos , mot grec ; Deus , mot latin ;
Iddio , mot italien ; Dieu , mot françois
, font penfer également à l'Etre
néceffaire , & cependant produifent dif-
» férens fons qu'on écrit différemment.
» Artos , expreffion grecque ; panis , expreffion
latine ; pane , expreffion italienne
; pain , expreffion françoiſe , tracent
auffi dans l'efprit l'image de la même
nourriture , quoique les fons & la
» manière de les peindre foient différens.
» Thuris , terme grec ; feneftra , terme la-
» tin ; fineftra , terme italien ; ventana ,
terme efpagnol ; janella , terme portugais
; fenêtre , terme françois , font des
» noms différens différemment écrits ,
qui font naître pareillement l'idée d'une
ouverture pratiquée pour éclairer un ap-
» partement. Il ne s'agit point des lan-
" gues différentes comparées enfemble ,
» parmi lesquelles il fe trouve une eſpèce
» de fynonymie , relativement au même
» objet qu'elles énoncent par différens
fignes.
"
•
"
» Dans une même langue peut - il Y
JANVIER. 1761 .
و د
avoir des fynonymes ? c'eft ce que nous
» avons à examiner d'abord .
99
"
"
» Le pere Thomaffin dit que les Arabes
» ont mille noms pour fignifier une épée ,
» & quatre-vingt noms pour fignifier un
» lion. Il peut donc y avoir des fynonymes
dans une langue : ce qui eft , eft
poffible , puifque l'impoffible n'eft point.
» Le pere Thomaffin , ne décide point ,
à la vérité , que les mille noms défignant
une épée , & les quatre- vingts
» noms défignant un lion , indiquent une
épée & un lion confidérés de la même
» manière dans les mille quatre - vingts
» circonftances ; ce qui feroit néceffaire
» pour établir l'exiftence des mille noms
fynonymes deſtinés à indiquer une épée,
» & des quatre-vingts noms deſtinés à
» indiquer un lion : car fi les neuf- cent-
» quatre -vingt- dix - neuf noms qui repré-
»fentent une épée , offrent neuf- cent-
» quatre- vingt- dix- neuf idées acceſſoires
» ou différentes , & que les foixante- dix-
» neuf noms qui repréfentent un lion ,
» offrent autant d'idées de la même forte ,
» ce n'eft plus le cas de la fynonymie . Des
neuf-cent-quatre - vingt- dix - neuf noms
» de l'épée , les dix premiers peuvent indiquer
dix matières différentes qui fer-
»vent à la fabriquer ; les dix noms fui-
">
•
»
ce
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
"
»vans , dix formes dont elle eft fufcepti
» ble ; les dix d'après , dix grandeurs qu'on
» lui donne à fon gré ; les dix autres , dix
ufages divers auxquels elle eft defti-
» née , & c. .... Les foixante - dix - neuf
» noms du lion diftingueront le lion dans
» le ventre de fa mère , le lion né , le lion
» qui tette , le lion févré , ou qui ne tette
plus , le lion premier né , le lion né
après un autre , le lion jeune , le lion
» vieilli , le ion en fanté , le lion infir
» me , & c. Ce fera toujours une épée ,
» ce fera toujours un lion ; mais une épée
» différente , & un lion différent . Ce fera
» toujours la même idée principale , c'eſt-
» à-dire , le même objet apperçu ; mais
» ce feront des idées acceffoires diffé
» rentes , c'est-à- dire , les mêmes objets
» apperçus fous différents rapports , foit
» à la matière , foit à la forme , &c. foir
» à l'état ,foir à l'âge , & c. Par l'idée
" principale ou première , notre efprit
voit l'objet ; par l'idée acceffoire ou
» fecondaire , notre efprit voit encore
» l'objet , mais revêtu de certaines cir-
" conftances qui ajoutent à la première
» fignification. Porter ... apporter , em
» porter , reporter , rapporter , transpar
» ter , fupporter , comporter , remporter ;
» ces huit derniers verbes marquent la
JANVIER. 1961.
101
» même action , ou le même objet que
» le premier. Porter , qui eft le premier ,
» dénote l'action fans aucune circonftan-
» ce , ou l'idée principale : les huit au-
» tres dénotent la même action , ou l'idée
principale, avec huit nuances qui la dif-
» férencient. Apporter , c'eft porter en
avant , porter vers quelqu'un , ou vers
» quelqu'endroit : emporter , c'eft porter
» dans quelque chofe , & avec une eſpèce
» de violence reporter , c'eft porter une
» feconde fois : rapporter , c'eft porter en
arrière : tranſporter , c'eft porter au- delà:
»fupporter , c'eft porter fur foi : compor-
» ter , c'eft porter avec : remporter , c'eſt
porter en arrière avec violence . Vous
» voyez que l'idée principale fait toujours
la bafe de toutes ces fignifications , &
» qu'il y a toujours quelques circonftan-
» ces qui y ajoutent ; ces circonstances on
les appelle idées acceffoires.
>>
» La poffibilité des fynonymes ne répugne
pas plus qu'il n'y a de contradiction
à ce que le Roi fe montre fucceffivement
fous différens habits ; le Roi
eft la figure de la penfée , les habits dif-
» férens font celle des mots fynonymes .
Quoiqu'il puiffe y en avoir dans une Langue
, avons- nous des fubftantifs & des
adjectifs fynonymes dans la nôtre ?
E iij
102 MERCURE DE FRANCE:
و و
ود
M. l'Abbé Girard dans fes Synonymes
françois que j'admire , & M. Dumarfais
» dans fes Tropes que je n'admire pas
» moins , foutiennent la négative : il fem-
» ble que l'affirmative foit le fentiment
» du P. Lami dans fon Art de parler , vrai
» chef- d'oeuvre. Comme ce dernier Au-
» teur n'appuie fon opinion que fur un
fimple raifonnement , & que les deux
» autres donnent à la leur pour appui ,
» non-feulement le raifonnement le plus
énergique , mais encore l'analyſe philofophique
des mots qui paffent pour
» être fynonymes ; j'aurois moins de peine
» à m'éloigner de la manière de penfer
» du P. Lami , qu'à me réfoudre à penfer ,
» fur ce fujet , autrement que M. l'Abbé
» Girard & M. Dumarfais ... Nous avons
» des noms fubftantifs & des noms adjec-
» tifs qui font à- peu- près fynonymes ; nous
» n'en avons peut- être pas qui le foient
» parfaitement.
"
» Lueur , clarté , fplendeur , trois noms
» fubftantifs qui paffent pour être fynony
» mes , les trois marquent la lumière.
» Lueur , une lumière foible : clarté , une
» lumière forte : Splendeur , la lumière la
plus forte . L'idée principale que ces
» noms excitent eft la même , c'eſt l'idée
» de la lumière : les idées acceffoires font
20
JANVIER. 1761 . 103
» différentes ; il y a de la différence en-
» tre foible , fort , & très-fort.
و د
» Malin , mauvais , méchant , mali-
» cieux , quatre noms adjectifs qu'on regarde
comme fynonymes , & qui ne lè
font pas. Le malin , l'eft de fang- froid ,
» il eft rufé : le mauvais , l'eft par empor
» tement , il eſt violent : le méchant , l'eft
» par tempérament , il eft dangereux :
» le malicieux , l'eft par caprice , il eft
» obftiné. Le finge eft malin , le coq eft
» mauvais , les hommes font méchants
» les femmes font malicieufes . Nuire , eſt
» l'idée principale que font naître les qua-
» tre adjectifs , defang-froid , par empor
» tement , par tempérament , par caprice
» font les idées acceffoires , qui ne fe ref
» femblent point. Les exemples de ces
prétendus fynonymes je les ai tirés des
Synonymes François , ouvrage qu'un
» homme mûr ne peut jamais lire qu'avec
» fruit , & qu'un jeune homme lira tou-
» jours avec une forte de danger ; je veux
» dire , que la lecture de cet ouvrage ex-
» cellent , quoique peut -être un peu trop
» métaphyfique , fera capable de rendre
» un jeune homme froid , timide , & fté-
» rile , foit lorfqu'il aura à parler , foit
lorfqu'il écrira. Je ne pense pas ainſi
» de l'art de parler & des Tropes ,
"
»
و د
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
que je crois faits pour tous les âges ,
» pour tous les états , & pour tous les
» fiécles.
» Les Synonymes marqueroient - ils la
richeffe d'une Langue quelconque ? II
eft certain que les Synonymes rendroient
d'abord une Langue quelcon-
» que plus agréable tout à la fois & plus:
» embarraffante
. Plus agréable , parce
» qu'on uferoit rarement de répétitions
» & qu'ayant à choiſir , on affortiroit les ex-
» preffions beaucoup plus heureufement :
33
x
plus embarraffante , parce que fi , à l'e-
» xemple des Arabes , on avoit mille fi-
" gres pour exprimer un feul objet , l'étu-
» de de tous les fignes d'un feul objer ,
» abforberoit laborieufement des années
» entières. Il eft vrai que les Synonymes
» introduiroient dans une Langue la plu
» ralité des mots ; eft - ce par la quantité
feule , la feule multitude des mots , ou
» bien par leur quantité & leur qualité
qu'on doit eftimer la richeffe d'une Lan-
" gue ?
Une Langue qui auroit autant de
» mots qu'une autre , & qui , avec la mê-
» me quantité de mots , exprimeroit une
" fois moins d'idées , feroit une fois moins
" riche. Suppofons deux Langues , cha-
» cune de deux mille mots , dont l'une exJANVIER.
1761. ros
"
prime deux mille idées , l'autre mille feu
» lement.Celle qui n'en exprime que mille,
>> eft une fois moins riche , que celle qui
en exprime deux mille. Les fons ne font
» pas une Langue : ce qui fait une Lan-
" gue , ce font les fons , fignes arbitraires
des pensées dix fons qui n'exprime
roient qu'une feule penfée , équivau-
» droient à un feul fon , qui exprimeroit
» la même chofe ; la communication , ou
» la tranfmiffion des pensées eft le but des
» Langues.
» Etre trop facile , fur les termes
» qu'on regarde comme fynonymes , a fes
» inconvéniens ; être trop difficile , fur ce
» même point , a auffi les fiens. Quand on
»
eft trop facile , on court rifque de man-
» quer de jufteffe , de n'être point concis ,
» & de n'énoncer que l'à- peu-près : quand
on eft trop difficile, on eftsûr d'ennuyer,
en ne variant pas affez fon expreffion ,
en employant des termes deftitués d'har
» monie, qui bleffent toujours la délicateſſe
de l'oreille , & en refufant à fon dif
» cours la chaleur qu'on devroit y répan→
dre . Heureux qui peut fe contenir entre
les deux extrémités Les partilans
» des fynonymes font gens qui ont toute
» leur âme dans les oreilles , & qui ra
chetent leur difette de penfées par une
(
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
» prodigalité d'expreffions vaines ; les an-
» tagoniſtes des mêmesSynonymes s'adref-
» fent trop directement à l'âme , & ne
» confidérent pas affez lesfens, feul milieu
» qui y conduife.
Je terminerai ici l'analyſe de la Grammaire
Françoiſe Philofophique de M. ďçarq
; il y en a affez de ce que j'ai expofé
, pour en faire fentir l'importance.
La Philofophie femée avec économie &
avec diſcernement dans cet ouvrage , n'eft
point une Philofophie purement fpéculative
, c'eft une Philofophie pratique qui ne
peut que tourner au plus grand avantage
de la Société, en empêchant toute énonciation
équivoque , & tout fophifme de
diction. Nous ne fçaurions nous communiquer
immédiatement nos pensées , nous
fommes convenus de les attacher à l'élocution
, & de les reconnoître à certains
fignes diſtinctifs : l'amphibologie confond
ces fignes . Rien ne me paroît plus propre
que la Grammaire Françoife Philofophique
de M.d'Açarq, pour diffiper tous les nuages
que l'amphibologie , ce principe fécond
de difputes fouvent ruineufes , s'efforce
de jetter fur la Langue parlée & fur la
Langue écrite.
JANVIER. 1761 . 107
LETTRE de M. d'ALEMBERT à l'Au
teur du Mercure.
Il IL eft très-faux , Monfieur , que dans mes
Réflexions fur la Poëfie , lues le 25 Août
dernier à l'Académie Françoife , & honorées
des fuffrages du Public ( en dépit des
mauvais Poëtes , & à la grande fatisfac->
tion des bons ) j'aie dit un feul mot contre
l'Eloquence des Pfeaumes , comme on
vient , dit -on , de m'en accufer dans un
chiffon de Lettre anonyme. J'ai feulement
dit que le Latin des Pfeaumes n'étoit pas
bon ; & j'en appelle fur cela à tous les Régens
de l'Univerfité , & même aux Ex- régens
de fixième du Collège de Louis- le-
Grand. Du refte , comme on peut être éloquent
, même en parlant une Langue barbare
, j'ai cité avec les plus grands éloges
différens traits fublimes des Pleaumes dans
mes Réflexions fur l'Elocution oratoire
Tome II de mes Mélanges de Littérature.
De toutes les fotifes que deux ou trois rimailleurs
m'ont imputées au fujet des
Réflexions fur la Poëfie , & de toutes celles
qu'ils ont dites à cette occafion , cellelà
feule méritoit d'être relevée , parce
qu'elle tient à un objet refpectable. Je,
fuis &c. D'ALEMBERT.
E vj
106 MERCURE DE FRANCE.
» prodigalité d'expreffions vaines ; les an-
>> tagoniſtes des mêmesSynonymes s'adreſ
» fent trop directement à l'âme , & ne
» confidérent pas affez lesfens, feul milieu
» qui y conduiſe.
Je terminerai ici l'analyſe de la Grammaire
Françoise Philofophique de M. ď♫-
garq ; il y en a affez de ce que j'ai expofé
, pour en faire fentir l'importance.
La Philofophie femée avec économie &
avec diſcernement dans cet ouvrage , n'eſt
point une Philofophie purement fpéculative
, c'eſt une Philofophie pratique qui ne
peut que tourner au plus grand avantage
de la Société, en empêchant toute énonciation
équivoque , & tout fophifme de
diction. Nous ne fçaurions nous communiquer
immédiatement nos penfées , nous
fommes convenus de les attacher à l'élocution
, & de les reconnoître à certains
fignes diftinctifs : l'amphibologie confond
ces fignes. Rien ne me paroît plus propre
que la Grammaire Françoife Philofophique
de M.d' Açarq, pour diffiper tous les nuages
que l'amphibologie , ce principe fécond
de difputes fouvent ruineufes , s'efforce
de jetter fur la Langue parlée & fur la
Langue écrite.
JANVIER, 1761. 107
LETTRE de M. d'ALEMBERT à l'Au
teur du Mercure.
dans mes
IL eft très- faux , Monfieur , que
Réflexions fur la Poëfie , lues le 25 Août
dernier à l'Académie
Françoife , & honorées
des fuffrages du Public ( en dépit des:
mauvais Poëtes , & à la grande fatisfac->
tion des bons ) j'aie dit un feul mot contre
l'Eloquence des Pfeaumes , comme on
vient , dit -on , de m'en accufer dans un
chiffon de Lettre anonyme. J'ai feulement
dit que le Latin des Pfeaumes n'étoit pas
bon ; & j'en appelle fur cela à tous les Régens
de l'Univerfité , & même aux Ex - régens
de fixième du Collège de Louis- le-.
Grand. Du refte , comme on peut être éloquent
, même en parlant une Langue barbare
, j'ai cité avec les plus grands éloges
différens traits fublimes des Pleaumes dans
mes Réflexions fur l'Elocution oratoire
Tome II de mes Mélanges de Littérature,
De toutes les fotifes que deux ou trois rimailleurs
m'ont imputées au fujet des
Réflexions fur la Poëfie , & de toutes celles
qu'ils ont dites à cette occafion , cellelà
feule méritoit d'être relevée , parce
qu'elle tient à un objet refpectable . Je,
fuis & c. D'ALEMBERT.
E vj
106 MERCURE DE FRANCE.
» prodigalité d'expreffions vaines ; les an-
» tagonistes des mêmesSynonymes s'adref
» fent trop directement à l'âme , & ne
» confidérent pas affez lesfens , feul milieu
» qui y conduife .
Je terminerai ici l'analyse de la Grammaire
Françoife Philofophique de M. ď ♫-
garg ; il y en a affez de ce que j'ai expofé
, pour en faire fentir l'importance.
La Philofophie femée avec économie &
avec difcernement dans cet ouvrage , n'eft
point une Philofophie purement fpéculative
, c'eft une Philofophie pratique qui ne
peut que tourner au plus grand avantage
de la Société, en empêchant toute énonciation
équivoque , & tout fophifme de
diction. Nous ne fautions nous communiquer
immédiatement nos pensées , nous
fommes convenus de les attacher à l'élocution
, & de les reconnoître à certains
fignes diftinctifs : l'amphibologie confond
ces figues. Rien ne me paroît plus propre
que la Grammaire Françoife Philofophique
de M.d' Açarq, pour diffiper tous les nuages
que l'amphibologie , ce principe fécond
de difputes fouvent ruineules , s'efforce
de jetter fur la Langue parlée & fur la
Langue écrite.
JANVIER. 1961 . 107
LETTRE de M. d'ALEMBERT PA
teur du Mercure.
It eft très - faux , Monfieur , que dans mes
Réflexions fur la Poefie , lues le 25 Aoûr
dernier à l'Académie Françoife , & honorées
des fuffrages du Public ( en dépit des
mauvais Poètes , & à la grande fatisfaction
des bons ) j'aie dit un feul mot contre
l'Eloquence des Pleaumes , comme on
vient , dit - on , de m'en accufer dans un
chiffon de Lettre anonyme. J'ai feulement
dit que le Latin des Picaumes n'étoit pas
bon ; & j'en appelle fur cela à tous les Régens
de l'Univerfité , & même aux Ex- régens
de fixième du Collège de Louis - le-
Grand. Du refte , comme on peut être éloquent
, même en parlant une Langue barbare
, j'ai cité avec les plus grands éloges
differens traits fublimes des Pleaumes dans
mes Réflexions fur l'Elocution oratoire ,
Tome II de mes Mélanges de Littérature,
De toutes les fotifes que deux ou trois rimailleurs
m'ont imputées au fujet des
Réflexionsfur la Poësie , & de toutes celles
qu'ils ont dites à cette occafion , cellelà
feule méritoit d'être relevée , parce
qu'elle tient à un objet refpectable. Je.
fuis &c. D'ALEMBERT.
E vj
106 MERCURE DE FRANCE.
» prodigalité d'expreffions vaines ; les an-
>> tagoniſtes des mêmesSynonymes s'adreſ-
» fent trop directement à l'âme , & ne
» confidérent pas affez lesfens, feul milieu
» qui y conduife.
Je terminerai ici l'analyſe de la Gram-^
maire Françoife Philofophique de M. d'Agarq
; il y en a affez de ce que j'ai expofé
, pour en faire fentir l'importance.
La Philofophie femée avec économie &
avec diſcernement dans cet ouvrage , n'eft
point une Philofophie purement fpéculative
, c'eft une Philofophie pratique qui ne
peut que tourner au plus grand avantage
de la Société, en empêchant toute énonciation
équivoque , & tout fophifme de
diction. Nous ne fçaurions nous communiquer
immédiatement nos pensées , nous
fommes convenus de les attacher à l'élocution
, & de les reconnoître à certains
fignes diftinctifs : l'amphibologie confond
ces fignes. Rien ne me paroît plus propre
que la Grammaire Françoife Philofophique
de M.d'Açarq, pour diffiper tous les nuages
que l'amphibologie , ce principe fécond
de difputes fouvent ruineufes , s'efforce
de jetter fur la Langue parlée & fur la
Langue écrite.
JANVIER. 1761 . 107
LETTRE de M. d'ALEMBERT à l'Au
teur du Mercure.
dans mes
I1 eft très-faux , Monfieur , que
Réflexions fur la Poëfie , lues le 25 Août
dernier à l'Académie
Françoife , & honorées
des fuffrages du Public ( en dépit des
mauvais Poëtes , & à la grande fatisfaction
des bons ) j'aie dit un feul mot contre
l'Eloquence des Pfeaumes , comme on
vient , dit -on , de m'en accufer dans un
chiffon de Lettre anonyme. J'ai feulement
dit que le Latin des Pfeaumes n'étoit pas
bon ; & j'en appelle fur cela à tous les Régens
de l'Univerfité , & même aux Ex- régens
de fixième du Collège de Louis- le-
Grand. Du refte , comme on peut être éloquent
, même en parlant une Langue barbare
, j'ai cité avec les plus grands éloges
différens traits fublimes des Pleaumes dans
mes Réflexions fur l'Elocution
oratoire ,
Tome II de mes Mélanges de Littérature.
De toutes les fotifes que deux ou trois rimailleurs
m'ont imputées au fujet des
Réflexions fur la Poësie , & de toutes celles
qu'ils ont dites à cette occafion , cellelà
feule méritoit d'être relevée , parce
qu'elle tient à un objet refpectable. Je,
fuis &c. D'ALEMBERT.
E vj
106 MERCURE DE FRANCE.
» prodigalité d'expreffions vaines ; les an-
>> tagoniſtes des mêmesSynonymes s'adreſ-
» fent trop directement à l'âme , & ne
» confidérent pas affez lesfens, feul milieu
» qui y conduife.
Je terminerai ici l'analyſe de la Gram-^
maire Françoife Philofophique de M. d'Açarq
; il y en a affez de ce que j'ai expofé
, pour en faire fentir l'importance.
La Philofophie femée avec économie &
avec diſcernement dans cet ouvrage , n'eft
point une Philofophie purement ſpéculative
, c'eft une Philofophie pratique qui ne
peut que tourner au plus grand avantage
de la Société , en empêchant toute énonciation
équivoque , & tout fophifme de
diction. Nous ne fçaurions nous communiquer
immédiatement nos penfées , nous
fommes convenus de les attacher à l'élocution
, & de les reconnoître à certains
fignes diſtinctifs : l'amphibologie confond
ces fignes. Rien ne me paroît plus propre
que la Grammaire Françoife Philofophique
de M.d' Açarq,pour diffiper tous les nuages
que l'amphibologie , ce principe fécond
de difputes fouvent ruineufes , s'efforce
de jetter fur la Langue parlée & fur la
Langue écrite.
JANVIER 1761 . 107
LETTRE de M. d'ALEMBERT à l'Au
teur du Mercure.
L
dans mes
It eft très- faux , Monfieur , que
Réflexions fur la Poëfie , lues le 25 Août
dernier à l'Académie Françoife , & honorées
des fuffrages du Public ( en dépit des:
mauvais Poëtes , & à la grande fatisfac-:
tion des bons ) j'aie dit un feul mot contre
l'Eloquence des Pfeaumes , comme on
vient , dit-on , de m'en accufer dans un
chiffon de Lettre anonyme. J'ai feulement
dit que le Latin des Pleaumes n'étoit pas
bon ; & j'en appelle fur cela à tous les Régens
de l'Univerfité , & même aux Ex- régens
de fixième du Collège de Louis- le-
Grand. Du refte , comme on peut être éloquent
, même en parlant une Langue barbare
, j'ai cité avec les plus grands éloges
différens traits fablimes des Pleaumes dans
mes Réflexions fur l'Elocution oratoire ,
Tome II de mes Mélanges de Littérature.
De toutes les fotifes que deux ou trois rimailleurs
m'ont imputées au fujet des
Réflexions fur la Poëfie , & de toutes celles
qu'ils ont dites à cette occafion , cellelà
feule méritoit d'être relevée , parce
qu'elle tient à un objet refpectable. Je,
fuis & c. D'ALEMBERT.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE:
NOUVELLES OBSERVATIONS fur le Pouls:
intermittent, qui indique l'ufage des purgatifs
, & qui , fuivant Solano & Nihell
annonce une diarrhée critique ; publiées
en Anglois , en 1758 , par M. Daniel
Cox , Médecin du Collège de Londres..
Ouvrage traduit , & augmenté de quelques
remarques , par M. *** , Médecin
de la Faculté de Toulouſe , & dans lequel
on trouve de nouvelles preuves , du Plan
propofé dans les Recherches fur le pouls,
par rapport aux crifes , publiées à Paris
en 1756 , par M. Théophile de Bordeu ,
Docteur en Médecine des Facultés de
Paris & Montpellier , in- 12 . Amfterdam,
1760 ; & fe vend à Paris , chez Vincent,
Imprimeur- Libraire de Mgr le Duc de
Bourgogne , rue S. Severin , à l'Ange.
ANNALES TYPOGRAPHIQUES , ou Notice
du progrès des connoiffances humaines ,
pour l'année 1759 ; dédiées à Mgr le Duc:
de Bourgogne , Par une Société de Gens:
de Lettres. Paris , 1760 , Janvier , Tome
I. chez le même Libraire . C'eft la continuation
d'un Ouvrage périodique , auffi
eftimable qu'utile pour les Gens de Let
11 217
JANVIER. 1761 . 109
tres , & que nous avons annoncé au commencement
de l'année dernière.
JOURNAL DE MÉDECINE , Chirurgie ,
Pharmacie &c. dédié à S. A. S. Mgr le
Comte de Clermont , Prince du Sang.
Par M. Vandermonde , Docteur en Médecine
de la Faculté de Paris , ancien
Profeffeur en Chirurgie Françoife , Cenfeur
Royal , & Membre de l'Inftitut de
Bologne.
Artem experientia fecit..
Exemplo monftrante viam....
Marc. Manil. Aftranom. Lib. I. Vers 63.64.:
Tome 14 in- 8 °. A Paris , chez le me
me Libraire .
7
ÉTAT MILITAIRE DE FRANCE , pour
Fannée 1761. Quatrième Edition , corrigée
& augmentée de l'Etat de la Marine
, qui n'avoit pas encore été donné.
Par les fieurs de Montandre. Longchamps ,
ci- devant Lieutenant au Régiment de
Poitou ; & Chevalier de Montandre , cidevant
Capitaine de Grenadiers au même
Régiment , & Chevalier de l'Ordre de S.
Louis , petit in - 12 . Paris , 1761. Chez
Guillyn , Libraire , quai des Auguftins ,
ITO MERCURE DE FRANCE.
du côté du Pont S. Michel , au Lys d'or.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
MÉMOIRES pour fervir à l'Hiftoire de
la Vie & des Ouvrages de M. l'Abbé
Lenglet du Frefnoi. Volume in- 12 . Londres
, 1761 ; & fe trouvent à Paris ,
chez Duchesne , Libraire , rue S. Jacques
, au- deffous de la Fontaine S. Benoît
, au Temple du Goût. Prix , 30 f
broché.
HISTOIRE GÉNÉRALE des Conjurations ,
Confpirations & Révolutions célébres ,
tant anciennes que modernes. Tomes 9 .
& 10. Par M. Deformeaux, in- 12 . Paris,
1760. Chez le même Libraire. Avec Approbation
& Privilége . Prix 4 liv . 4 f..
brochés , les deux volumes . Nous ne tarderons
pas de rendre compte de la continuation
de cet Ouvrage , véritablement
intéreffant.
LES FOLIES , ou Poëfies diverfes de M.
Fl.... divifées en 3 parties , contenant fes
Fables , fes OEuvres mêlées & fes Chanfons.
Volume in- 8 ° . Avignon , 1761 ; &
fe trouvent à Paris chez le même Libraire.
En attendant que nous puifions parler
plus au long de ce Recueil amufant ,
JANVIER. 1761 . III
voici ce qu'en augure M. D. S. D. dans
un couplet envoyé à l'Auteur .
(AIR :) Palſembleu M. le Curé.
Pour ton Livre , ah ! quel titre heureux !
Que d'argent pour ton Libraire ,
Si chaque Fou , grand , petit , jeune ou vieux ;
En achete un Exemplaire .
ESSAIS HISTORIQUES fur l'Angleterre .
Ifta ftudia ingenioforum , curioforum .
Cicero , de finibus.
in- 12 . Paris , 1761. Chez les Freres
Etienne , Libraires , rue S. Jacques , à la
Vertu. Avec Approbation , & Permiffion.
Cette brochure, de 180 pages , eft auffi
agréable qu'inftructive , & paroît devoir
être fuivie de plufieurs autres.
RECHERCHES fur les différens mouvemens
de la matière électrique , dédiées
à M. l'Abbé Nollet , de l'Académie Royale
des Sciences & c. Par M. du Tour, Correfpondant
de la même Académie.
Et rabit igne fuo , geminatque incendia folis .
Manilius , Lib. s .
in-12. Paris, Chez Vincent , Libraire,
12 MERCURE DE FRANCE.
rue S. Severin . Avec Approbation & Privilége
.
ESSAI fur la Déclamation Tragique ,
Poëme. Nouvelle Edition , revue , corrigée
& augmentéé .
Le fentiment ne va point au hazard.
Gref.
> Brochure in- 8 °. A Londres chez
Nourc , Libraire ; & fe trouve à Paris ,
chez .....
La nouvelle Edition de cet Ouvrage
qui a paru & réuffi , il y a trois ans , ne
peut que faire beaucoup d'honneur à fon
Auteur ; & nous en donnerons l'Extrait
avec plaifir.
ALMANACH Eccléfiaftique.
ALMANACH des Spectacles de Paris.
ALMANACH pour fervir de guide aux
Voyageurs , contenant un détail de tout
ce qui eft néceffaire pour voyager commodément
, utilement & agréablement.
ALMANACH neceffaire , contenant un
Agenda pour tous les jours de l'années
un de perte & gain.
EPHEMERIDES Troyennes.
NOUVEL ALMANACH chantant , ou Tabletres
d'un Philofophe.
JANVIER. 1761 .
AMUSEMENS des Sociétés , nouvel Almanach
chantant des Emblêmes ou fymboles.
ALMANACH ou Chanfonnier François ,
Etrennes aux Dames.
ALMANACH chantant des Plagiaires ,
ou Recueil des Piéces toutes faites , à
Pufage de ceux qui n'en favent
par un Plagiaire anonyme.
pas
faire ,
Tous ces Almanachs fe vendent chez
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques , au
Temple du Goût , à Paris.
ARTICLE III
SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADÉMIE S.
SEANCE PUBLIQUE de l'Académie des
Sciences , Belles- Lettres , & Arts de
Lyon , du Mardi 2 Décembre 1760.
9" M. l'Abbé de Valernod , Directeur
fit l'ouverture de la Séance par un Difcours
fur les motifs qui déterminent les
1
114 MERCURE DE FRANCE.
Académies à faire part au Public de leurs
travaux ; ce Difcours fut fuivi des Extraits
des Ouvrages Académiques , lûs dans les
Séances particulieres de l'Académie de
Lyon , pendant le cours du dernier fémeftre.
M. l'Abbé Millot , élu Académicien ordinaire
dans la Claffe des Belles - Lettres , vint
prendre féance à l'Académie , fit fon.compliment
de réception , & lut une Differtation
fur les caractères de la Philofophie
Angloife : fujet intéreffant pour notre Littérature
, puifque le génie Anglois y a
produit une révolution fenfible , & que
ceux dont nous avions été les maîtres
dans les matières de goût , font devenus
les nôtres dans l'Art de penfer. M. l'Abbé
Millot ne diffimule pas que leur Philofophie
renferme un mêlange de bien & de
mal , qui doit faire éviter dans les jugemens
qu'on en porte , deux excès également
injuftes , une cenfure outrée , & une
admiration fans bornes . Le premier caractère
de la Philofophie Angloife , eft la
profondeur. L'Anglois fe nourrit de réflexions
pénibles : il s'en fait une habitude ,
un plaifir , & prèfque un befoin. La penfée
, eft fon élément ; & il penfe avec une
force d'efprit extraordinaire , creuſant
jufqu'à la fubftance des chofes , créant de
nouvelles idées .
JANVIER. 1761 . 115
On peut en juger par les écrits de Bacon
, de Newton , de Loke : par les Ouvrages
de Pope & des Poëtes Philofophes
de l'Angleterre par les Romans même ,
devenus , chez cette Nation , une école
de politique & de morale. Mais il faut
convenir auffi que l'obfcurité , la féchereffe
, le défaut de grâces & de méthode
fe font fentir dans la plupart de ces productions
philofophiques. Le goût des recherches
, fur- tout des recherches utiles à
la Société , fait le fecond caractère de la
Philofophie Angloife . C'eft elle principalement
qui a diffipé les ténébres & les extravagances
du Péripatétifme , qui a confondu
la vanité de l'efprit de fyftême , qui
a établi la Phyfique expérimentale , qui a
perfectionné l'Agriculture , la Navigation
, le Commerce , & les Arts les plus
utiles, & qui a élevé, par ce moyen, l'Angleterre
à un point de grandeur & de
puiffance , où la Nature fembloit lui défendre
d'afpirer. En cela , les Anglois ne
méritent que des éloges . C'eft prendre le
véritable efprit des Sciences que de les
tourner au profit des hommes. Si les Anglois
nous en ont donné l'exemple , nous
avons la gloire d'égaler au moins nos modéles.
Enfin , le caractère le plus brillant de
16 MER CURE DE FRANCE.
leur Philofophie , eft la liberté. Ils en font
d'autant plus jaloux , qu'ils fortifient, par
les réflexions , le génie national . La liberté
de l'efprit & de la raifon commune à tour
ce qui penfe , paroît être le plus beau de
leurs priviléges. Quels bien ne produitelle
pas lorfqu'elle fe renferme dans de
juftes bornes ? Les grands fentimens , les
entrepriſes courageufes , les préjugés détruits
, les abus réformés , la vérité triomphante
voilà les monumens de fa gloire.
Le génie efclave , eft tout au plus un héros
chargé de fers : le génie libre aved
tant de force & de courage , que ne peut-
:
il pas entreprendre & exécuter ? Malheuteufement
cette liberté a dégénéré en licence
parmi les Anglois. Non contens de
s'affranchir de la Tyrannie de l'opinion ,
ils fe font élevé un tribunal particulier
pour juger fouverainement toute autorité.
Ni le fanctuaire des Loix , ni la majesté
du Trône , ni la puiffance du gouvernement
, ni les principes de la Nature , ni
les droits de la Société , ni la Religion
elle - même , n'ont été à couvert des attentats
de l'efprit. Il a ébranlé l'édifice le
plus folide , à force d'en fonder les fondemens
.
M. l'Abbé Millot , après avoir fait un
détail de ces abus , remarque que ce n'eſt
JANVIER. 1761. 117
point à la Philofophie qu'il faut les imputer,
mais à quelques Philofophes, indignes
de ce beau nom . La Philofophie a formé
en Angleterre , dans ces derniers tems ,
d'illuftres défenfeurs de la Religion , attaquée
par tant d'impies méprifables. Si l'on
pele ces autorités dans une jufte balance ,
les Tindal , les Toland , les Morgan & les
Collins ne difparoiffent- ils pas devant les
Adiffons , les Warburtons , les Tillotsons,
les Dittons , & leurs femblables ?
L'Auteur finit par l'examen des avanta
ges & des abus que la Philofophie Angloife
a produits en France , relativement
à ces trois caractères. Si le mal eft réel ,
le bien l'eft auffi . Les Sages profitentde
l'un , & rejettent l'autre. Ils réuniffent ce
qui rend la Philofophie fi précieufe au
genre humain , la profondeur & la clarté,
les recherches utiles , la liberté , & là fageffe.
M. l'Abbé Greppo lut enfuite un Mémoire
fur la Théorie de la terre , confidérée
relativement aux effets du Déluge . Le
point de vue de cet Académicien eſt d'éviter
dans fon hypothèſe les contradictions
qui fe trouvent entre le fyftême de quelques
Phyficiens Modernes , & le récit de
l'Hiftorien Sacré. M. l'Abbé Greppo laiffe
donc à l'écart ce qui a été imaginé fur
18 MERCURE
DE FRANCE.
cette matiére par Whifton , Burnet , Vodvard
, Bourguet , Scheufer & autres Philofophes
, dont les fyftêmes ont le double
défaut de ne pas rendre raifon de tous les
phénomènes
dépendans de ce point de
Phyfique , & d'être démentis évidemment
.
par l'Écriture.
que
com-
M. l'Abbé Greppo éffaye s'il fera plus
heureux. Il ne propofe fon idée
me une hypothèſe , & il commence par
expliquer la féparation des terres & des
mers felon les loix de la Statique . Il regarde
les effets du Déluge comme miraculeux
. Il pencheroit même à penfer que
Dieu a ajoûté aux effets des pluies de
quarante jours ', infuffifantes pour fubmerger
la terre , un changement du centre
de gravité dans le noyau folide du
globe terreftre. Idée affez conforme , ou
du moins nullement contraire au texte
facré ; idée qui n'exclud point les autres
accidens furvenus à ce globe , ni l'obliquité
arrivée à l'écliptique ; mais cette
hypothèſe confidérée avec attention , fe
trouve établie fur les principes les plus
inconteftables de la Phyfique , & elle peut
fervir à expliquer d'une manière affez fatisfaifante
le parallélifme de l'axe de la
terre .
M. Bordes a terminé la féance par la
-
JANVIER. 1761
119
lecture d'un Difcours en Vers François de
fa compofition , fur l'Empire de la Mode.
Cet Ouvrage étant actuellement fous
la preffe , nous avons cru qu'il étoit inutile
de le placer ici.
M. Delorme , Membre de l'Académie ;)
expofa à la curiofité la fuite des Plans des
Aqueducs des Romains , conftruits depuis
le Mont Pila en Lyonnois , jufqu'au fommet
de la Montagne de Fourvière de
Lyon,
PREMIERE SEANCE Publique de la Société
Royale des Sciences & des Arts de
la Ville de Metz.
LAA Société Royale des Sciences & des
Arts , établie à Merz , par Lettres Patentes
du Roi données à Verſailles au mois de
Juillet 1760 , & fondée par M. deFOUQUET,
Duc de BELLE - ISLE , Pair & Maréchal de
France , Miniftre & Secrétaire d'Etat de la
Guerre , Gouverneur général des Evêchés ,
de l'Académie Françoiſe & Protecteur de
celle de Soiffons , &c. tint fa première
Séance Publique le 19 Novembre fuivant.
Cette ouverture de fes Affemblées fe fit
avec toute la folemnité , la décoration &
120 MERCURE
DE FRANCE.
la décence que méritoit un établiſſement
auffi intéreffant pour la Ville & la Province,
& auffi utile au Public.
Les Académiciens s'étant rendus , vers
les neuf heures du matin , au Château du
Gouvernement , lieu défigné par le Protecteur
pour la tenue de leurs Affemblées :
Ils s'y formérent en Corps de Cérémonie
, fuivant l'ordre de leurs différentes
Claſſes , & en fortirent un moment après
précédés & fuivis par les Compagnies des
Gardes du Gouvernement
, au bruit des
inftrumens militaires , des boëtes & de la
groffe cloche de la Ville , pour fe rendre
al'Eglife de l'Abbaye Royale de S. Arnoul;
où la Meffe , précédée d'un Veni Creator
fut chantée en Mufique , & célébrée par
M. l'Abbé de Majainville , Princier de
l'Eglife de Metz , l'un des Académiciensnés.
MM . les Officiers du Corps -de-Ville ,
toujours attentifs à montrer leur attachement
& leur reconnoiffance envers le Bienfaicteur
de la Province , revêtus de la robe
particulière à la Magiftrature municipale
& accompagnés de leur cortège ,
affiftérent à toute la cérémonie . La Meffe
finie , toute l'Affemblée fe rendit dans
celle des Salles du Gouvernement deſtinée
à cette Séance publique , où étoit exposé
fous
JANVIER. 1781.
121
fous un dais Ducal , & au -deſſus d'un fauteuil
pofé fur une eftrade , le portrait du
Maréchal , Fondateur & Protecteur.
veur ,
ges
Tous les Membres de la Société préfens
à cette cérémonie ayant pris leur
place , & les Magiftrats municipaux celles
qui leur étoient deftinées , M. de Saint-
Ignon , Procureur général des Chanoines
Réguliers de la Congrégation de S. Sau-
Prieur de la Maifon & Collége
Royal de S. Louis en la Ville neuve , Directeur
de la Société , ouvrit la Séance
par un Difcours , par lequel , après avoir
rendu au Roi & à M. le Maréchal , Fondateur
& Protecteur , le jufte tribut d'élodictés
par l'amour &la reconnoiffance
, il remit fous les yeux des Membres
affemblés , les motifs de zéle qui doivent
ranimer leurs talens pour l'augmentation
des progrès de la Société , pour la confidération
de l'heureux & prompt changement
de la Société d'étude des Sciences
& des Arts , en Académie Royale de ces
mêmes objets , par fa conftitution fixe &
inaltérable & par fes reffources ; enfin par
les avantages que fon travail , fes expériences
& fes recherches peuvent procurer
, non- feulement à la Ville & à la Province
; mais à la Patrie entière.
-Ce Difcours fini , le Secrétaire perpé-
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE
tuel fit la lecture des Lettres- Patentes ,
des Réglemens de la Société , de la lifte
de fes Membres & de la donation du fond
que M. le Maréchal , Fondateur & Protecteur
, a bien voulu configner en faveur
de cet établiſſement.
La Séance a été terminée par l'annonce
du Sujet du Prix , fondé par mondit Sg '.
le Maréchal Protecteur ; lequel Prix , qui
fera délivré en la Séance Publique du 25
Août 1761 , confifte en une Médaille
d'or de la valeur de 400 liv .
Le Sujet eft énoncé en ces termes :
Quel eft le vrai principe de la fécondité
des Terres ?
La Société s'étant fait un plan & un
ordre de queftions , pour le concours des
Prix qu'elle propofera chaque année , a
cru devoir commencer par les principes
généraux de la partie oeconomique , dont
elle s'occupe le plus éffentiellement , pour
enfuite paller tout naturellement aux détails
, c'est- à- dire , à ce qui peut le plus
particulièrement intéreffer la Province.
Elle fouhaite que les Mémoires deſtinés
à concourir pour le Prix , foient adreffés
francs de ports , avant le premier Juil
let 1761 , à M. Dupré de Genefte , fon Secrétaire
perpétuel , place Ste Croix.
Qu'il foit d'une demie heure de lecJANVIER.
1761 . 123
fure au moins , & d'une heure au plus.
Que les Auteurs ne mettent pas leurs
noms à leurs Mémoires , mais feulement
une marque ou paraphe , avec telle fentence
, épigraphe ou devife qu'il leur plaira
; ils la répéteront dans un billet cacheté
, dans lequel ils écriront leurs noms ,
qualités & adreffes ; les pièces de ceux qui
fe feront connoître , foit par eux , foit par
leurs amis , ne feront point admifes au
concours .
La Société n'ouvrira que le billet attaché
à l'ouvrage couronné ; les autres feront
brûlés fans être décachetés.
Les Mémoires feront compofés en françois
ou en latin , au choix des Auteurs ;
il n'y a que les Membres de la Société qui'
ne peuvent pas concourir.
En imprimant l'ouvrage couronné , on
n'y mettra le nom de l'Auteur que de fon
agrément.
F ij
124 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure,
MONSIEUR ONSIEUR ,
Je vous prie d'inférer dans votre prochain
Mercure cette petite adreffe :
A Meffieurs les Antiquaires .
On invite Meffieurs les Antiquaires
'ceux furtout qui s'appliquent à l'étude des
antiquités de la Ville de Paris , de propofer
leurs doutes fur le morceau fuivant.
L'on voit au coin de la rue de la Calandre
& de la Juiverie , à la Maiſon occupée
par une Lingere , un bufte en pierre
avec une infcription au- deffous fur marbre
noir de 2 pieds de large environ fur un
pied de haut. Le bufte repréfente Louis
XIV, & l'inſcription porte ces mots :
Ann. M. D. CLXXXVIII.
Urbs me detruncavit ,
Rex amplificavit ,
Medicus reftituit.
Tout ce que l'on fçait , c'eft que cette
maiſon appartenoit à un Médecin de
Louis XIV.
JANVIER. 1761 . 125.
dre
par
On efpére que l'on voudra bien répon
la même voie du Mercure.
J'ai l'honneur d'être & c.
N. N.N.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR ,
J'ai vu dans le Mercure du mois de Novembre
dernier , la Lettre qu'on vous a
adreffée , pour vous prier d'apprendre au
Public les perfections que M.de Villeneuve
vient de donner à la Cloche à plonger.
Il me paroît que fon ami a été trop
ardent à vous écrire . Il auroit dû attendre
que M. de Villeneuve eût mis la derniere
main à fon ouvrage ; mais , l'amour du
bien public ne lui a pas permis de nous
laiffer ignorer plus longtems que M. de
Villeneuve s'occupoit de ce grand objet.
Comme il y a quelques années que je
travaille à perfectionner cette Cloche , je
fuis perfuadé qu'il ne trouvera pas mauvais
, que ne fçachant pas fa réfidence , je
me ferve de la voie de votre Mercure pour.
lui faire part de mes obfervations . Elles
tendent à la perfection de la machine , &
F iij
126 MERCURE DE FRANCE:
n'ont d'autre but que l'utilité publique: je
me flatte que fur cette feule confidération
vous voudrez bien les y inférer.
J'applaudis d'abord à l'idée d'un double
tuyau faifant l'effet d'un ventilateur pour
renouveller l'air que doit refpirer le plongeur.
Et je fuis perfuadé que cette machine
peut réuflir fur cette petite profondeur
d'eau , mais effayons -la fur une profondeur
de vingt pieds , & vous verrez combien
d'inconvéniens il en réfaltera . Servonsnons
pour cela d'un Cilindre ou par exemple
d'un puits affez large pour recevoir la
Cloche , & affez profond pour l'y plonger
jufqu'à vingt pieds .
N'eft il pas vrai , 1. ° Si nous defcendons
un Plongeur tout nud dans ce puits fans
aucune machine , comme cela arrive communément
, cet homme retenant fon haleine
pendant trois à quatre minutes qu'il
refte fous l'eau , nous n'appercevons ni
augmentation ni diminution de hauteur à
la colonne d'eau qui le couvre pendant
les trois à quatre minutes , & cela , fans
doute , parce que le Plongeur n'ayant aucune
refpiration , fon eftomac n'acquiert
ni gonflement , ni affaiffement par l'infpiration
& l'expiration , l'air qu'il renferme
en foi faifant équilibre avec l'eau qui le
preffe de toutes parts ?
JANVIER. 1761 . 127
2.° Adaptons préfentement à la bouche "
de ce même Plongeur vos deux tuyaux ou
ventilateur pour pouvoir refpirer à vingt
pieds de profondeur , & examinons la fur
face de l'eau. Ne vous paroît -il pas que
lors de l'expiration la furface de l'eau defcend
plus ou moins , felon que l'eftomac
du Plongeur s'affaiffe & diminue de volume
? quel inconvénient y a - t -il à cela
Le voici ; pendant l'infpiration il faut néceffairement
que l'eftomac en fe gonflant ,
déplace un volume d'eau plus ou moins
confidérable felon fa hauteur.
Pour fixer l'éffort que l'eftomac doit
faire pendant l'infpiration , fuppofons que
l'estomac du Plongeur ait demi pied de
furface. Le Plongeur étant à vingt pieds
de profondeur , la colonne d'eau que fon
eftomac aura à déplacer fera de dix pieds
cubes , & égalera un poids d'environ fept
cens livres ; or eft- il poffible que ce Plongeur
puiffe réfifter ?
On peut rendre cette démonftration
encore plus fenfible , en comparant l'eftomac
du Plongeur au pifton d'une pompe
fans frottement , telles que celles qu'on a
inventées depuis quelques années avec un
cnir fouple & lâche , qui traverfe le corps
de pompe , & au moyen d'une tige fixée
au milieu , on plonge ou on fouléve la
F iv
18 MERCURE DE FRANCE.
furface dudit cuir , qui prend la forme
d'un cône ; fi l'on tire la tige de bas en
haut , & que le cuir foit chargé d'une
colonne d'eau ; cette même colonne
montera dans le cilindre , &il faudra plus
ou moins de force pour l'élever, felon que
cette colonne fera haute ; ou fi la furface
du cuir a demi- pied , & la colonne
vingt pieds de hauteur , il faudra que le
moteur agiffe avec me force d'environ
fept cens livres d'où il fuit qu'il en
doit être de même de l'infpiration du
Plongeur , qui devient le moteur de fon
eftomac .
Mettons à préfent le Plongeur fous la
cloche , faifant ufage du ventilateur cideffus
: ce que nous avons dit du poids de
l'eau fubfifte encore ; car le même mouvement
de l'eftomac fait d'abord effet fur
l'air comprimé dans la cloche lors du
gonflement de l'eftomac , il faut néceſſairement
que l'air comprimé déplace un
volume d'eau comme dans le cas précédent
, d'où il réſultera un autre inconvénient
auffi funefte pour le Plongeur ; car
fi l'air cède à l'éffort du gonflement en
s'échappant par bulle de deffous la cloche,
à chaque affaiffement il entrera une quantité
d'eau fous la cloche , égale au volume
d'air échappé lors du gonflement , &
JANVIER. 1761 . 129
au bout d'un certain nombre d'infpirations
& d'expirations , la cloche ſe trouvera
remplie d'eau .
Voilà , Monfieur , ce que j'avois à faire
obferver à M. de Villeneuve ; il me reſte
pourtant encore quelque chofe à lui faire
remarquer dans la conftruction de fon
Ventilateur. Pour empêcher que fes
tuyaux de cuir ne s'aplatiffent par l'éffort
de l'eau, il a recours à un fil de fer ou de
léton en forme de ftor ; je ne fçais s'il a
fait attention que le fil de fer venant à ſe
rouiller coupera le cuir & donnera l'eau ,
& le léton étant humecté par la refpiration
, & même par l'humidité du cuir , fe
couvrira de verd de gris , de forte que le
Plongeur , lors de l'infpiration , pourra
s'empoifonner ; les tuyaux de cuivre dans
l'intérieur de la cloche , font fujets aux
mêmes inconvéniens. En outre , peut- on
espérer beaucoup d'agilité de la part d'un
Plongeur qui eft obligé de tenir d'une
main l'anche du Ventilateur , & qui d'ailleurs
n'eft pas peu gêné par la pince ou
vis qui lui ferre le nez ?
Je puis me tromper , mais il me femble
que dans la conftruction que je me
propofe d'en donner , j'éviterai ces défauts
; du moins tâcherai - je de donner au
Plongeur toute l'aifance poffible , fans
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
courir aucon rifque. Si j'avois été à portée
d'en faire l'éffai , je n'aurois pas tant tardé
, après m'être rendu raifon des moyens
que j'employe pour en affurer la réulfite ,
de la foumettre à l'examen de MM. dé
l'Académie des Sciences ; & fur leur rapport
, j'aurois eu l'honneur de vous en
adreffer la defcription . D'autres objets
m'ont fait perdre celui- là de vue pour :
quelque temps ; mais enfin me voilà
déterminé à y mettre le derniere main .
Si MM. de l'Académie y trouvent des défauts
, je tâcherai de les corriger , & me
ferai enfuite l'honneur de vous l'adrefler
pour la rendre publique . Peut - être pren
drai-je auffi la liberté d'y joindre quelques
fujets de méchanique qui ont été approuvés
par MM. les Commiffaires de la même
Académie. En attendant , j'ai l'honneur
d'être , & c . POMIER , Ingénieur , &
Abonné au Mercure.
A ALAIS , en Languedoc , le 7 Décembre 1760.
JANVIER 1761. 131
LETTRE à M. LE BLANC , Démonf
trateur Royal en Anatomie & Chirurgie
, Affocié de l'Académie des Sciences
de Rouen & de celle de Chirurgie de
Paris . Par M. LE CAT , Docteur en
Médecine , Chirurgien en Chef de l'Hô
tel Dieu de Rouen , des Académies de
Paris , Londres , Madrid , Berlin , S.
Petersbourg &c. & Secrétaire perpétuel
de celle de Rouen .
JEE vous félicite , Monfieur , de la juftice
que l'Académie de Chirurgie vous a enfin
rendue , en vous donnant une Place
d'Affocié ; vos travaux , & en particulier
votre mémoire fur l'opération du bubonocelle
par dilatation de l'anneau , vous
méritoient cette distinction dès 1752 .
L'accueil que l'Académie de Rouen a
fait à cet Ouvrage , vous avoit déja dédommagé
honorablement de ce délai ;
mais la fatisfaction ne pouvoit être complette
fans votre affociation à l'Acadé
mie , qui eft le premier Tribunal des matières
chirurgicales. Que je fçai bon gré à
F vi
132 MERCURE DE FRANCE.
M. Andouillé d'y avoir contribué ; ce
trait de fon équité eft d'un augure bien
flatteur , Monfieur , pour la Chirurgie des
Provinces ! On voit qu'il fuivra les exemples
de fes illuftres prédéceffeurs. Il a
fenti ce grand Chirurgien , que vous
aviez étendu le domaine de la dilatation
fi vantée , & à juste titre , par les célébres
Colots dans l'opération de la Taille ,
enfeignée par la Nature même dans la
groffeffe & l'accouchement ; il a vu qu'err
diminuant le nombre des cas où la Chi-
´rurgie , les armes à la main , tranche le
noeud des difficultés qu'elle rencontre ,
on diminuera en même proportion la
terreur qu'on a de fes opérations , &
qu'en réfolvant ces noeuds par des moyens
plus doux , plus naturels & plus fûrs, l'eftime
, la reconnoiffance & la confiance
prendront la place de la terreur ; celui
qu'on regardoit comme l'Attila de l'humanité
, en deviendra le Titus.
Tous les Anciens , Monfieur, ont fenti les
avantages de la dilatation des parties nerveufes
& tendineufes fur leur incifion;mais
l'expérience feule les leur avoit appris : ils
en ignoroient le pourquoi ; je vous ai raffemblé
ces autorités & j'y ai joint ce pourquoi
dans la Lettre que je vous écrivis à
ce fujer en 1748. Vous m'affurâtes alors
JANVIER. 1761. 133
qu'elle fut lue à l'Académie de Chirurgie.
Elle le fut à l'Académie de Rouen dans un
mémoire qui avoit ce titre ... propofition
capitale dans la théorie des opérations de la
taille. Cette differtation fut imprimée dans
la feconde partie de mon traité de la taille
au commencement de 1749. La plus
grande partie de cette doctrine a été rappellée
dans le mémoire intitulé , Parallèle
de la taille latérale de M. le Cat avec celle
du lithotome caché , que je lus à l'Académie
de Chirurgie en 1755 , Mémoire
dont il y a des copies répandues . Tant de
publicité me difpenfe de rappeller ici les
preuves , on plutôt les démonſtrations
favorables à la dilatation . Ce que j'en
veux feulement conclure ici , c'eſt qu'il
eft étonnant que vous ayez rencontré
fur ce point de pratique des difficultés
chez MM . nos confréres , dont les plus
prévenus n'ont pas eu la moindre objection
à me propoſer dans toutes les lectures
de mon Mémoire. Il y a plus , Monfieur
, tout le monde fçait que l'Académie
de Chirurgie a honoré ce Mémoire
d'une approbation dans laquelle elle affure
qu'il eft fondé fur les bons principes,
que les faits & les expériences qui y font
cités ou repréfentés en partie par des planches
ont été vérifiés par le Comité des Lig
134 MERCURE
DE FRANCE.
thotomiftes affemblés à ce sujet en 1755 ;
& qu'enfin l'Académie ne peut qu'applau
dir à la bonne caufe que M. le Cat défend
dans fon Ouvrage.
- L'Extrait des Regiftres de l'Académie ,
daté du 10 Mars 1757 , ajoûte que MM.
les Commiffaires en ayantfait un rapport
très-avantageux , l'Académie approuve de
tous points cet Ouvrage. C'est d'après un
jugement auffi décifif & auffi formel , Mr.
de la part du feul Tribunal compétent , que
fatisfait & tranquille , j'ai laiffé & laiſſe-
Fai toujours aboyer & croacer autour de
moi cette multitude de petits Adverfaires
qui ne mériteront jamais que le mépris
des vrais Lithotomiftes , & même de
tous ceux qui ne l'étant pas , auront au
moins la fagefle de s'en rapporter aux
vrais Juges en cette matière .
Defenfeur de la dilatation ménagée
dans la Lithotomie , il étoit naturel
Monfieur , que j'approuvaffe l'application
que vous aviez faite de cette manoeuvre
falutaire à l'opération du bubo
nocelle . Je ne pouvois pas avoir oublié
cette candeur admirable avec laquelle
vous vous étiez dépouillé de vos préjugés
à cet égard par rapport à l'opération
de la taille , lorfque je vous expolai mes
Principes fur les prérogatives de cette
JANVIER. 1761 135
dilatation ménagée : vous ne balançâtes
pas à les adopter généreufement , dès
que vous futes convaincu . C'eſt pourquoi,
Monfieur, j'ai faifi la premiere occafion
que j'ai trouvée , après la lecture de
votre Mémoire en 1757 , de pratiquer
votre opération , & elle m'a réuffi . Mais
je vous avouerai , avec la même candeur ,
que votre gorgeret me parut beaucoup
trop foible pour la dilatation. Au refte
il est bien aifé, d'ajoûter à une invention
bien faite . J'avois une efpéce de langue
de ferpent , d'acier , avec laquelle les
Grayeurs éffacent les traits défectueux de
leurs planches . Cet inftrument très - poli,
très - entrant , & très- fort , me parut tout
fait pour être gliffé fous l'anneau, en lui
donnant une figure courbe ; je le donnai
donc pour modéle à un Coutelier , quant
aux qualités précédentes , en l'aidant de
la figure ci - jointe , qui contenoit toutes.
les réformes convenables , & j'eus une
eſpèce d'élévatoire qui me parut remplir
toutes nos vues , & par conféquent mériter
encore le nom de dilatatoire de l'iffue
des hernies ; car je ne puis vous diffimuler
que le doigt, fi préférable d'ailleurs à tous
les inftrumens , ne me paroît pas admiffible
dans un anneau qui étrangle un intef
tin , puifqu'on a fouvent quelque diff
136 MERCURE DE FRANCE.
culté à y introduire une fonde canelée.
Un anneau qui admettroit le doigt , adnettroit
auffi facilement l'inteftin repouffé
par le doigt , & alors il n'y auroit point
d'étranglement , mais une fimple pareffe ,
une inaction dans l'inteftin , ce qui n'eſt
peut- être pas fi rare qu'on le penfe ; mais
s'il faut dilater l'anneau , & fi , pour obtenir
l'introduction du doigt , il faut le
faire agir entre l'anneau & l'inteftin, pour
peu qu'on y employe de force , ne couret-
on pas le rifque de contondre , de déchirer
même cet inteftin ? Je penſe donc,
Monfieur , que le doigt ne doit pas être
l'inftrument de choix dans cette circonftance
, au moins dans le plus grand nombre
des cas , & que celui dont je vous envoye
la figure , fera beaucoup plus avantageux
à tous égards . Cette feule figure
en fait la defcription , & l'on y devine
aifément que la petite extrémité A, ayant
été introduite fous l'iffue herniaire , &
l'ayant dilatée par des éfforts en deffus
dans toute fon étendue , on peut y paſſer
alors le manche B , plus vafte & plus fort,
en fuppofant que la feule extrémité A ne
fuffife pas à faire la dilatation defirée . J'ai
l'honneur d'être , &c. LE CAT.
A Rouen , le 12 Décembre 1760,
JANVIER. 1761. 137
LETTRE , de M. TENON , Profeffeur
Royal au Collège de Chirurgie , de l'Académie
Royale des Sciences , à M. DE
LA PLACE , Auteur du Mercure.
M. Vandermonde ; Monfieur , en annonçant
dans le Journal de Médecine ,
pour le mois de Janvier 1761 le troifiéme
volume des Mémoires de Phyfique & de
Mathématique , que l'Académie des Sciences
a publié il y a quelque temps , s'exprime
ainfi après avoir indiqué quelques
autres mémoires. » On trouve dans le mê-
» me volume neuf Mémoires d'Anatomie,
» fcavoir un de M. Tenon fur le fiége de
la Cataracte , dans lequel il développe
» les accidents auxquels la membrane
» qui fert d'enveloppe à la lentille crystal-
» line peut elle- même être fujette , lorf-
» que cette lentille eft affectée du vice qui
» la rend opaque & qui forme la catarac-
» te:( & il ajoute ) quoique ce Mémoire
fuppofe une fuite , il ne paroît pas qu'on
» doive eſpérer de la trouver dans les Vo-
» lumes qui fuivront celui que nous an
» nonçons.
Le Mémoire annoncé aujourd'hui avoit
138 MERCURE DE FRANCE.
été lû en 1755 , il fuppofe une fuite , il
eft vrai , Monfieur , je me fuis acquité de
mes engagemens ; j'ai donné cette fuite
en 1757 , dans une differtation imprimée
chez Laguette , fous le titre de Cataractá ;
de plus l'Académie m'ayant fait l'honneur
de m'admettre au nombre de fes Membres
dans le cas où je n'aurois pas encore
rempli mes engagemens, ce que je pourrois
donner déformais , ne paroîtroit plus
dans les Volumes des Savans Etrangers ;
mais dans ceux de l'Académie . M. Vandermonde
avoit ces deux raifons fous les
yeux dans l'ouvrage où il a puifé la notice
qu'il publie à mon fujer ; mais elles
lui ont échappé. Je fuis fi convaincu de la
pureté de fes intentions , que je ne doute
pas qu'il n'applaudiffe à l'intelligence qué
je donne du fens de fa derniere phrafe .J'af
Phonneur d'être , & c. TENON.
EXTRAIT DES REGISTRES de l'Académie
Royale des Sciences , des 3 &
10 Mai 1760 .
N.ous avons examiné , par ordre de
Académie , une Pendule , dont la fufJANVIER.
1761 . 139
penfion est destinée à corriger l'allonge
ment des métaux , par le fieur Quinette ,
Horloger dans l'Abbaye S, Martin.
Il y a deux objets dans le travail du fieur
Quinette : le premier a été de corriger
dans un échappement à ancre , l'inégalité
de vibration que produiroit l'allongement
de l'ancre & du rochet en augmentant la
levée ; le fecond objet a été d'appliquer
un pendule de correction , qui non - feulement
foit égal à celui qu'on veut corriger,
mais qui agiffe exactement de la même
manière . L'Auteur n'ayant donné aucune
defcription écrite , nous entrerons
dans quelque détail à ce fujet .
Pour remplir les deux objets , le fieur
Quinette a préfenté à l'Académie un mouvement
de Pendule à courte- ligne , qui
fuffifoit pour repréfenter fon idée. On y
voit trois ancres & trois rochets , defquels
deux font fixés fur les platines ; celui
du milieu fervant feul à l'échappement
; les deux rochets fixes font portés
fur des canons fixés aux platines , au travers
defquels paffe l'axe de l'échappement ,
en forte que les trois centres des rochets
foient fur la même ligne.
2
L'axe de l'échappement , au lieu d'être
porté par les deux platines , eft porté par
deux ancres faifant fonction de deux cocqs;
140 MERCURE DE FRANCE .
ces ancres font exactement de même dimenfion
que celle de l'échappement , &
font portés immédiatement par les deux
rochers fixes dont nous venons de parler.
Dès - lors le centre de l'ancre fe rapproche
du centre du rochet de toute la quantité
dont l'ancre & le rochet pourroient
fe raccourcir , & ils s'éloignent l'un de
l'autre de toute la quantité de leur dilatation
relative ; ainfi l'échappement de
la Pendule , qui eft formé de piéces égales
& femblables à celles qui en fuppor
tent les pivots , aura toujours la même levée
, quelque variation qu'on veuille fuppofer
dans les métaux qui le compofent ,
& quelque rapport qu'il y ait entre les
dilatations du cuivre & du fer.
Si par l'effet de la chaleur l'ancre venoit
à s'engager d'une ligne entre les dents
du rochet , les deux autres ancres qui por
tent fes pivots & les deux rochets fur lef
quels les ancres font fondées , ayant néceffairement
la même dilatation , l'ancre
fera dégagée du rochet de la même quantité
, & tout reftera au même point que
s'il n'y avoit pas eu de dilatation.
A cet égard nous conviendrons que fi
l'on étoit obligé de fe fervir , dans les Pendules
, d'un échappement à recal , la précaution
du fieur Quinette deviendroit trèsJANVIER.
1761. 141
utile ; car nous fçavons par les expériences
de M. Sauvin , rapportées dans les
Mémoires de l'Académie , que l'échappement
à ancre donne de grandes variations
, pour peu que la figure de l'ancre
ou la quantité d'engrenage qu'il forme
avec le rochet foit différente ; parce qu'alors
le levier , fur lequel fe fait la reftitution
du mouvement , qui en lui- même est
fort court , varie d'une portion qui lui eft
très-comparable ; mais heureufement l'ufage
des échappemens à repos , & celui
des groffes lentilles & des petits arcs ,
nous met à l'abri de ces fortes d'irrégularités
.
Le fecond objet du Gieur Quinette eft ;
comme nous l'avons annoncé , d'employer
un pendule de correction , qui foit nonfeulement
égal à l'autre , mais qui agifle
de la même manière. Car il a remarqué
avec raifon qu'un pendule , qui pour agir
eft forcé d'arcbouter & de lever un poids ,
ne fçauroit égaler parfaitement celui qui
non-feulement n'a aucun poids à lever
mais dont la dilatation eft encore favorifée
par le tiraillement & le poids de la
lentille . Cette remarque eft jufte encore ;
& nous fçavons par les expériences de
M. Rivaz , qu'un fil de fer tendu par un
grand poids , dans le goût de la machine
142 MERCURE DE FRANCE .
funiculaire , s'allonge plus par la chaleur ,
& fe retire moins que lorfqu'il eft tendu
par un poids plus léger ; en conféquence
M. Quinette a fufpendu la verge du pendule
à une croix qui eft toujours portée
vers le haut par un reffort , & qui ne defcend
que lorfque le pendule de correction
, en fe raccourcillant , a la force de
defcendre pour donner de la longueur au
pendule du mouvement , qui s'étoit raccourci
de la même quantité ; par- là le fieur
Quinette a fait enforte que le reffort fût
feul chargé de raccourcir le pendule ; &
l'autre de s'y prêter feulement en faifant
agir le reffort ; il a même eu l'attention
de faire enforte que le pont fur lequel eft
attachée cette croix , venant à fe dilater ,
la croix eût une dilatation contraire , afin
que tout refte en état .
A l'égard des Pendules dont les lentilles
feroient plus fortes , le même Artifte , conféquemment
à fes principes , obferve qu'il
ne fuffit pas d'établir un levier , comme
cela s'eft pratiqué , & une verge qui fort
de longueur égale à celle du pendule ,
pour agir fur un des bras du levier ор
pofé à celui qui porte la fufpenfion ; mais
qu'il faut charger ce levier du double du
poids de la lentille ; ainfi forfqu'on aura
une lentille de trente livres fufpendue à un
JANVIER. 1761. 143
des bras du levier , il en faut d'abord
trente livres fur l'autre bras pour lui faire
équilibre , & trente qui foient employées
à exercer fur la verge de fer une tenfion
égale à celle du pendule. Nous avons en
effet obfervé , que des pendules de correction
, dont la théorie étoit exacte &
l'éxécution parfaite, ne rempliffoient point
leur objet , fans doute par le défaut de
cette confidération .
Le fieur Quinette a prévu auffi le changement
qui peut arriver à la confole qui
porte le mouvement ; il y remédie par
l'attention qu'il a de fufpendre la cage à
l'extrémité inférieure de la confole , & de
placer la verge de correction fur une confole
femblable , qui éprouvera le même
changement , enforte que la fituation refpective
des parties refte la même.
Nous croyons que le fieur Quinette a
rempli les deux objets qu'il fe propofait ,
& que fa Piéce mérite l'approbation de
l'Académie. Signé , LE MONNIER &
DELALANDE.
Je certifie l'Extrait ci- deffus conforme
à fon original & au jugement de l'Académie.
A Paris , le 12 Mai 1760. GRANDJEAN
DE FOUCHY , Secrétaire perpétuel
de l'Académie Royale des Sciences.
144 MERCURE DE FRANCE
REPONSE à l'Anonyme qui a fait inférer
dans le Mercure d'Octobre la premiere
folution du Probléme propofe
dans celui d'Août.
Vous trouverez , Monfieur , dans la
folution de la queftion propofée dans le
Mercure d'Août ci - jointe , un échantillon
de la méthode que j'avois promife , fi
vous defirez de la connoître plus particulierement
, je fatisferai avec plaifir votre
curiofité. Il y a trois ou quatre ans que
je ne fçavois rien du tout de la doctrine
des combinaiſons , finon ce que le Père
Lami appelle changement d'ordre , que
3 fe combine de fix façons , 4
de 24
cinq de 120 &c. Malgré cette ignorance,
le jeu du Tri , qui étoit devenu le dominant
depuis quelques années , fembla
m'offrir des facilités à déterminer fes
coups , ce que n'avoient pas fait les autres
Jeux. Je m'engageai donc dans cette carrière
, fans en prévoir la conféquence , &
je trouvai bientôt la méthode que j'annonce
, mais par des rapports fi éloignés ,
qu'elle me parut plutôt un fyftême, qu'une
fuite d'opérations mathématiques , je parvins
JANVIER. 1761 . 145
vins en peu à la démontrer , & je trouvai
auffi d'autres méthodes dont les réſultats
femblables m'auroient affuré de fa certitude
, fi j'en euffe douté. Continuant
mes recherches , je trouvai une table
conforme à la table quarrée ou pyramidale
qu'on a formée fur le triangle arithmétique
de M. Pafchal , à une unité près
qui refte feule dans une colonne , & je
trouve par cette table toutes les combinaifons
qu'on trouve par fon triangle
arithmétique , propriété que je ne crois
pas qu'on lui ait découverte ; & au lieu
que les Auteurs qui ont traité des combinaifons
depuis M. Pafchal , ont pris pour
baze de leur ouvrage fon triangle arithmétique
; j'ai monté à des principes plus
hauts , dont eft dérivé naturellement une
table de laquelle on tire les mêmes avantages.
Des combinaiſons des cartes , je
paffai à celles des dés , & je me fis des
méthodes , par lefquelles il n'eft guère de
coups que je ne décide.
Mais venons à la folution que vous
avez voulu donner du problême que j'ai
propofé : fi vous avez lû le Mercure d'Octobre
; vous devez avoir vu que la folution
du fecond Anonyme étant juſte , le
réſultat de la vôtre n'étant point femblable
, elle ne peut qu'être défectueufe.
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
que
Vous n'avez fait , permettez moi de vous
le dire , quéffleurer la queftion , vous
avez cru que les combinaiſons des cinq
atouts fuffifoient ; mais il falloit encore
chercher les combinaiſons des cinq atouts
avec les 25 autres cartes , & c'étoit là la
difficulté. J'ai oublié de vous dire que ma
méthode ne pouvoit avoir lieu ,
quand les cartes fe partagent en lots
égaux , dans lequel cas elle eft fouvent
plus courte & plus facile qu'aucune autre
, décidant les queftions par deux ou
trois traits de plume ; dans le cas du partage
des cartes en lots inégaux , j'ai recours
à d'autres méthodes que j'ai trouvées
. Je fens , Monfieur , beaucoup de répugnance
à mettre mon nom à une queftion
de jeu , dans la crainte de donner
de moi l'opinion d'une perfonne qui fait
fon occupation principale du jeu & fon
étude favorite de fes principes , tandis
que quand je joue , c'eft plus par complaifance
que par goût, & que je n'érends
jamais cette complaifance aux jeux de
hazard que je détefte , & répute nuifibles
à la Société & pernicieux pour les
moeurs. Le Public ne fçait pas que fi le
jeu est une occupation frivole , fes principes
n'en ont pas été moins la recherche
des plus grands Géométres , & donnent
JANVIER. 1761. 147
des connoiffances qu'on peut appliquer à
des objets plus importans. Enfin je paſſe
au-deffus de cette délicateffe pour ne me
pas priver du plaifir & de l'avantage de
voir votre méthode & vos tables que
vous attachez à cette condition , & qui
ne peuvent qu'être juftes , les folutions
des coups de piquet que vous citez , étant
conformes à celles que j'ai trouvées par
plufieurs méthodes . J'ai l'honneur d'être
& c. MASSÉ DE LA RUDELIERE .
Aux Sables d'Olonne , le 20 Décembre 1760 .
HISTOIRE NATURELLE.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure .
DELAS & É de mes fatigues, & goûtant
un doux repos dans ma Patrie , je profite ,
Monfieur , de ce loifir pour vous entretenir
de mes voyages , ou plutôt des réflexions
qu'ils ont fait naitre .J'étois parti de Paris
l'efprit plein de l'Hiftoire Naturelle , que
j'y avois lue avec beaucoup de foin : ( a )
fans en admettre les principes, dont je ne
( a ) Hift. natur. gener. & particuliére . Je cite
rai l'édition in-12..de l'Imprim . Royale. 1750.
Gij
48 MERCURE DE FRANCE.
voycis pas la liaiſon néceſſaire avec les
faits fur lefquels on prétend les établir :
je cherchois à vérifier ces faits, & à découvrir
leur conformité avec ces mêmes principes
, ou avec quelques autres que je
foupçonnois déjà . J'ai vu la terre d'un oeil
philofophe , & j'ai beaucoup plus admiré
fa ftructure , que les plus fuperbes édifices
qui décorent la Capitale .
J'ai obfervé les vallées, les montagnes
le cours des fleuves & les côtes de la mer ,
les couches de la terre : je ne vous parle
que de l'édifice , j'ai négligé les ornemens
qui l'embelliffent , & les hôtes qui l'habitent.
Si nous en croyons M. de B. (b) les vallées
qui découpent la furface de la terre , ne
font que les traces des courans de la mer ,
lorfque , longtemps avant le déluge , elle
couvroit cette partie du globe , qui eſt à
préfent habité. J'ai parcouru bien des vallées
, je les ai remontées depuis le bord
de la mer , entre deux côtes, jufqu'au point
où le terrein , en s'élevant toujours entre
deux plaines qui le dominoient , alloit
quelquefois fe perdre infenfiblement dans
une belle & vafte campagne , plus élevée
(b)Second difcours , pages 126 , 181 , premier
Tome & preuves de la théorie de la Terre , Art.
9. pag. 25. & Art. 1 3. p . 222 .
JANVIER. 1761 . 149
que les côtes de la mer , qui en étoient
la continuation.
Depuis le rivage jufqu'à cette pointe ,
la vallée s'étend d'efpace en efpace, à droi
te & à gauche, en différentes branches qui
s'élévent comme elle , tantôt rapidement,
rantôt infenfiblement , fur la plaine
qu'elles coupent , & ces branches ont
encore des rameaux femblables qui s'éten →
dent en tous fens.Je pourrois comparer la
principale vallée à un grand fleuve , qui
reçoit de côté & d'autre des rivières groffies
elles -mêmes par divers ruiffeaux, qui
s'étendent fur la terre , comme autant de
branches ou de rameaux d'une tige principale.
Rarement la plaine élevée , qui doming
lés vallées , et égale & de niveau , comme
le terrein bas ; elle eft coupée par les
extrémités des vallons qui viennent s'y
perdre : quelquefois deux vallons , y réuniffant
des extrémités prèfque imperceptibles
, préfentent aux eaux une double
pente fi douce qu'elles coulent indifféremment
des deux côtés .
Je n'ai pas eu occafion d'examiner avec
le même foin ces montagnes efcarpées ,
qui reffemblent à des débris d'un monde
en ruine je ne parle point ici de ces montagnes
- là , qui doivent leur origine au
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
toifiéme jour de la Création. Vous avez
été , beaucoup plus que moi , dans le cas
d'en voir , foit en Auvergne , foit dans
les Alpes , & dans les autres Pays montagneux
, où vous avez voyagé ; vous me
feriez un très grand plaifir , Monfieur , de
me communiquer vos remarques & celles.
que vous ferez dans la fuite. Jufqu'à prélent
l'idée que je me fuis faite de ces montagnes
, ne me porte pas à recevoir les
principes de l'Hiftoire Naturelle , nià m'écarter
de ceux que je me fuis formés.
Les eaux ont creufé les vallées qui font
au pied de ces hautes montagnes , comme
les vallons qui féparent les collines :
une même caufe a produit des effets fem-,
blables: Mais pourra - t- on fe perfuader
que les courans de la mer aient creusé
des vallées féparées en tant de branches --
différentes ? Queile force a partagé &
varié ainfi l'action des eaux ? Quelle caufe
a rompu leur éffort aux extrémités.
éloignées , & l'a toujours augmenté vers
la mer où le fond des vallées eft conftamment
plus bas ( c ) ? La réponſe qui
fe préfente naturellement à cette derniere
queftion dans le fyftême de M. de B. c'eſt
que ces extrémités des vallées qui fe
perdent dans la plaine , ou qui s'élévent
(c ) M. de B. ne le dit point. Voyez les Art. 9.&.
I 3 .
JANVIER. 1761 . 151
entre les montagnes , font l'endroit ou
commençoit le mouvement , prèfqué infénfible
encore , des courans , ou bien le
point où ce même mouvement affoibli
venoit enfin expirer. Mais cette raifon
prouve contre le fyftême même ; car fi
les vallées étoient l'effet de ces courans ,
elles s'abaifferoient depuis une extrémité
jufques vers le milieu de leur étendue en
longueur , & de là elles s'éléveroient juf
qu'à l'autre extrémité ; ce qui eft démenti
par les obfervations : toutes les vallées
vont en deſcendant par plufieurs détours
depuis les points les plus élevés de la
Terre , ou d'une plaine jufqu'à la mer.
Pour moi , je ne vois là que l'effet de
l'écoulement des eaux , qui d'abord en
petite quantité n'ont produit qu'une action
foible , & qui fe réuniflant dans la
fuite de leur cours , ont caufé des effets
beaucoup plus grands . Mais je crois qu'il
faut remonter jufqu'au Déluge , pour en
trouver la véritable caufe: les eaux ayant
couvert le globe jufqu'à la hauteur des
15 coudées au - deffus des plus grandes
élévations , & détrempé jufqu'à une certaine
profondeur toutes les parties de fat
furface , qui n'avoient pas encore pris une
confiftance affez forte pour réfifter au
diffolvant , commencérent vers le 150
Giv
#52 MERCURE DE FRANCE.
jour à aller & venir , felon l'Écriture, c'eſtà-
dire , à fuivre un mouvement de reflux
en s'écoulant vers les cavités de l'océan &
de flux en remontant par la réaction
vers les hauteurs que les eaux n'avoient
pû diffoudre. Dans ce mouvement alternatif
les eaux rejettoient , vers les élévations
où elles alloient rompre leur éffort
, les terres détrempées dont elles
étoient chargées , avec les fables & les
coquilles qu'elles emportoient du fond &
des bords de la mer , & dépofoient ces
matières par couches plus ou moins épaiſſes
, felon qu'elles en étoient plus ou
moins chargées à chaque action du flux.
Ce flux & ce reflux n'étoient pas un fimple
mouvement périodique , femblable à
celui que la mer éprouve encore , mais
un mouvement violent d'action & de réaction
, caufé par un vent extraordinaire,
capable de changer la furface de la terre,
felon les deffeins de Dieu. Vous pouvez
voir , Monfieur , dans la 4 ° & la S lettre
à un Amériquain , une explication plus
ample de la diffolution des matières & de
la formation des lits de terre. Mon intention
n'eſt pas de répéter ici ce que
les autres ont écrit avant moi.
e e
Dans le mouvement du reflux , les eaux
couloient , tantôt régulierement , tantôt
JANVIER . 1766, ដ
irréguliérement fuivant la difpofition du
fond. Les eaux qui rencontroient des obftacles
à leur cours,devoient avoir un mouvement
fort irrégulier , & former des
hauteurs & creufer des vallées auffi irrégulières
les eaux qui couloient fur les
terres déposées par couches , fuivoient des
pentes infenfibles ; mais fi dans leur cours
elles trouvoient quelque partie du fond
qui s'étoit moins condenfée que les autres
, elles y faifoient des efpéces de courans
d'abord foibles , qui ne laiffoient que
des traces imperceptibles ; l'accélération
du mouvement , & la réunion des forces
combinées de plufieurs courans , rendoient
enfuite ces traces plus profondes , & creufoient
les vallées qui continuent jufques
fous les eaux de la mer.
LA
N'imaginez pas , Monfieur , des eaux
qui ne commencent à s'écouler que lorf
que les collines & les montagnes font
formées jufqu'à la hauteur qu'elles ont à
préfent. La trace que les eaux ont faite
fur les premieres couches , fe trouve
marquée fur les lits que le flux vient dépofer
pardeffus , parce que le dépôt fe
fait à - peu-près également partout ; les
mêmes courans doivent donc fe former à
chaque dépôt , ronger chaque lit , & le
rendre plus mince , à l'endroit où ils cou
G v
54 MERCURE DE FRANCE .
lent de forte que toutes les couches étant
moins épaiffes dans cet endroit , elles doivent
enfin y former un lit fenfiblement
plus bas , & cela à proportion que l'action
des eaux aura été plus grande . De là ,
il eft aifé de concevoir comment les lits
de terre qui compofent les montagnes &
les collines font en pente du côté des vallées.
Cependant le dernier écoulement:
des eaux a dû quelquefois caufer des ravages
; elles fe feront facilement ouvert des
détroits , à travers les dépôts qu'elles venoient
de former. Elles auront emporté
avec la même facilité les pentes des montagnes
entre lefquelles elles couloient ::
ainfi trouve- t-on les lits de pierre des riyages
& de quelques montagnes oppofées,.
horizontaux & correfpondans..
En général ces courans & ces écoule
mens des eaux , ont dû former les finuofités
des vallées & les angles correfpondans
des montagnes & des collines : il
n'a fallu pour cela que des obftacles pla
cés au hazard , qui ont rejetté les eaux
tantôt d'un côté , tantôt. de, l'autre , ou
des inégalités fur les couches . qui atti
roient le courant & le détournoient fré--
quemment dans fa courfe. J'ai cru en trou--
ver une autre caufe dans la combinaiſon:
du mouvement des eaux d'une vallée , avec
JANVIER. 1761 . 155
le mouvement des eaux d'un vallon qui y
aboutit ces mouvemens combinés changeoient
la direction du courant , & le portoient
d'un côté , jufqu'à ce que l'action du
courant d'un vallon inférieur rejettât l'éffort
des eaux fur l'autre côté. De-là l'inégalité
des pentes des côteaux & des montagnes
qui bordent les vallées : ces pentes
font toutes plus rapides & plus efcarpées.
du côté qui a éprouvé le plus grand éffort
des eaux.
C'eft ainfi que nous voyons fouvent
en ruine le pied des montagnes qui eft
baigné par un grand fleuve , pendant que
la pente qui eft à l'autre bord du fleuve ,
eft beaucoup plus douce . Les eaux portées
contre le pied de ces montagnes , le minent
peu- à - peu ; mais réfléchies par la réfiftance
qu'elles trouvent , elles vont rompre
de nouveaux éfforts quelquefois à une
diftance peu confidérable , contre les montagnes
du côté oppofé , qui les rejettent
auffi contre d'autres montagnes , qu'elles
fappent encore. Les fleuves tranquilles ,
n'ont fair que fuivre , dans le commencement
, le lit que leur avoient tracé les
eaux qui ont creufé les vallées : mais
peut- être auffi les fleuves rapides ont - ils
emporté dans leur courfe les obftacles que
la Nature fembloit leur oppofer , ainfi ils
Gvj,
156 MERCURE DE FRANCE.
font plus droits dans leur cours , parce
que leur courfe étoit plus rapide , ou bien
leur courſe eft plus rapide , parce que leur
cours étoit plus droit.
>
Ce font ces écoulemens des eaux qui
ont tant varié les rivages de la mer : toutes
les vallées aboutiffent là , ou plutôt
elles continuent fort loin fous les eaux
& y occafionnent ces courans de la mer
qui font l'effet plutôt que la caufe des
montagnes & des vallées. C'eft dans ces
vallées qu'on trouve les mouillages fûrs
& les bons havres , entre des côtes éle
vées ou des falaiſes coupées à plomb , au
pied defquelles il y a prefque toujours des
rochers , & des pierres dangereufes pour
les vaiffeaux . Au- deffus de ces pierres ou
de ces roches s'élevoient autrefois des
côtes qui n'étoient que la continuation
des falaifes ; mais l'agitation de la mer
détruit , ufe , ronge , diminue peu - à - peu
le terrein des côtes à la hauteur des eaux ;
ce qui eft au- deffus , n'étant plus foutenu,
tombe par grandes maffes , qui fe caffent
dans leur chûte , & dont la mer emporte
les débris çà & là . Le gallet ou ces cailloux
polis que l'on trouve en grande quantité
fur les bords de la mer font fortis de
ces débris : le roulement que les eaux leur
ont fait éprouver dans les marées & dans
JANVIER. 1761 . 157
les coups de vent , les a polis par le frortement
& arrondis comme nous les
voyons .
"
Il n'eft pas difficile d'expliquer la formation
de ces caillous dans les couches
de pierre & de terre où ils fe trouvent.
Les eaux ayant jetté ou dépofé , comme
je l'ai dit plus haut , une couche de matière,
ne pouvoient pas la difpofer fi parfaitement
, qu'il n'y reftât aucunes inégalités
; la couche qui étoit jettée par deffus,
ne rempliffoit pas toujours exactement
ces inégalités. D'ailleurs la compreffion
inégale des couches a dû former encore
entre elles bien des irrégularités , le defféchement
des matières y a laiffé bien des
fentes les parties de caillou , que
leur
pefanteur & les eaux contenues dans les
couches portoient en bas , ont dû le réunir
dans les endroits les moins exactement
remplis entre deux couches , & y
former des pierres auffi irrégulières dans
leur figure , que les efpaces dans lefquels
elles pouvoient s'étendre auffi en ai - je
obfervé de toutes les formes , les unes
rondes ou ovales , les autres inégales &
irrégulières , mais prèfque toujours arrondies
dans leurs contours ; d'autres plates
en deffus , mais pouffant en deffous des
parties qui s'allongent plus ou moins ,
18 MERCURE DE FRANCE.
felon qu'elles ont trouvé plus ou moins de
liberté pour s'étendre. Cette configuration:
dénote affez clairement l'action des eaux ;
c'eft ainfi que les ftéatites , formées par
les eaux goutières des caves , s'arrondiffent
dans le contour de toutes leurs .
parties.
Je n'ai pas remarqué dans ces couches:
les coquillages qu'elles contiennent , tous
dépofés régulierement dans le même fens ,
comme M. de B. femble vouloir l'infinuer;
(4) mais je les ai vus placés dans toutes
les fituations poffibles ; les uns font pofés
horizontalement fur le plat , les autres :
font renversés ; ceux- ci perpendiculairement
placés , la charniere indifféremment
en haut , en bas , ou de côté ; ceux-là fitués
obliquement de toutes les manières : ·
ici ils font entiers , & les bivalves ont les
deux coquilles tantôt féparées & tantôt
réunies , tantôt ouvertes & tantôt fermées
; là ils fe trouvent caffés & écrasés ,
mais les fragmens n'en font pas toujours!
féparés & écartés ; enfin toutes ces coquilles
m'ont paru plutôt jettées avec violence
par
des flots agités , que déposées dou
cement par des eaux tranquilles . J'ai fait
les mêmes obfervations dans les carrières
་་
( di) Second difcours , p. 134. & art. & p
395. & .451. du premier Tome..
JANVIER. 1761. 159
que j'ai vifitées , dans les pierres des édifices
que j'ai vus , dans les trous d'où l'on
tire le fable à bâtir , où j'ai deſcendu ;
dans une couche de coquillages placés fur
Le penchant d'une colline , que je revois.
tous les jours; enfin dans de la terre glaife ,
dans des cailloux & des grès , dans le marbre
, dans toute forte de pierre & de terre
où j'ai trouvé des coquilles.
Par toutes ces obfervations on pourroit
peut - être prou ver que les couches de
craie , de marne , de marbre , & de toutes
les pierres calcinable s ne font pas compo
fées uniqueme nt , comme le prétend M. de
B. (e ) de détrimens de coquille, & d'autres
productions marines mêlées avec des fragmens
de coquilles , ou avec des coquilles
entieres. (f) Et fi l'on trouve tant de con
formité entre les pierres calcinables & les
productions marines , c'eft peut-être parce
que les poiffons à coquilles vivans &
croiflans entre ces pierres , ils en tirent:
les fucs qui fervent à former leurs.coquil-
( e ) Art. 8. p. 399 : I t .
(f)Chofe d'ailleurs inconcevable; fi l'on fait
attention au peu de temps qui s'eft écoulé entre
la création de la Terre & la formation de ces
pierres dans quelque fyftême que ce foit , & à
Timmenfe quantité de ces pierres . Voyez Art. 17 .
P. 376. 2.5..
160 MERCURE DE FRANCE.
les , comme la teigne prend far l'étoffe
qu'elle ronge la matière de fon fourreau
d'une manière pourtant différente :
la teigne fait fa loge en réuniffant avec
une efpéce de colle , les poils du drap
qu'elle mange ; les poiffons à coquilles
s'incorporent des fucs & des parcelles
mêmes de la pierre fur laquelle ils vivent.
S'il y a une analogie néceffaire entre la
matiére de ces pierres , & celle des coquilles
, & que cette matiére faffe une
claffe à part , ainfi que notre Académicien .
paroît l'infinuer (g) , il a été néceffaire que
cette matière éxiftât avant les productions
marines , qui en ont été formées depuis ;
peut donc bien fe faire auffi , qu'il y ait
encore une très- grande quantité de certe
matiére , qui n'a jamais été coquille ou
production marine , & qui pourra le devenir
dans la fuite.
il
Mais je vois affez généralement , que
les coquillages prennent la qualité des
matières dans lesquelles ils fe trouvent
pétrifiés ; de la terre glaife dans les glaifes
, du grès dans les grès ou dans le fable
fin , de toute forte de pierre dans ces efpéces
de pierres . J'en ai vu une quantité
confidérable dansune terre glaife , où ils
(g ) Art. 7. p. 382. t. 1. & Art . 17. p. 384.1.2 .
JANVIER. 1761. 161
ne confervoient plus que leur forme , ils
reffembloient à des parcelles de cette ter
re qui avoient pris la figure de coquilles.
Dans des fables à bâtir , j'ai trouvé des
pierres d'un affez grand volume , compofées
de coquilles , de fable fin , & de gros
gravier , où l'on ne diftinguoit point d'au
tre matière que du grès ou du caillou . Les
jettées que j'ai vues à l'entrée du port de
Dieppe , font bâties d'une efpéce de pier
re , qui ne me fembloit différer du grès
ordinaire que par le grand nombre de
coquilles entaffées fans ordre , dont elle
eft compofée . Comme je réfléchiffois fur
F'origine & fur la compofition de cette
pierre , j'ai trouvé , fur les bords de la même
mer , des affemblages confus de fable
& de coquilles, que les eaux avoient jettés
pêle-mêle ; & je crus , après un mûr examen
, qu'il ne manquoit à ces fables que
la liaiſon & la folidité , pour en faire une
pierre femblable à celle de la jettée , en
fuppofant toujours que les coquilles priffent
la qualité du grès ou du fable , comme
elles l'ont prifes dans cette pierre . Sur
pente d'une colline , à Bolbec ( h ) , il y la
(h ) Petit Bourg du Pays de Caux , fur le ruiffeau
de même nom ; il eft remarquable par une
Imprimerie d'étoffes à fleurs de toutes couleurs.
162 MERCURE DE FRANCE.
a une couche de fable vert ( i ) mêlé de
gris , au- deffus de laquelle eft une autre
couche compofée d'une quantité prodigieufe
de coquillages , avec un peu de ce
même fable. J'ai remarqué que la partie
des coquilles qui n'eft point exposée à
l'air , eft beaucoup plus tendre que les autres
; & que le tas de coquillages & de fable
mêlés qui font exposés à la pluie , s'uniffent
fi étroitement par males & forment
une pierre fr bien liée , qu'il faut
des coups violens & redoublés , & des
outils bien trempés , pour la caffer. Cela
prouveroit, ce femble,contre M. de B. ( k )
que les pierres compofées de coquilles
marines , n'ont pas toutes été for
( i ). Ce fable a cela de fingulier , que tout ce
qui en approche, paroît prendre une légére teinte
de laque pardellus fa couleur propre ; j'ai obfervé
la même choſe fur deux autres collines où il y
a des couches de fable de la même couleur . J'a
vois d'abord imaginé , que ces effets n'avoient ,
d'autre principe que l'action des rayons verds fur
les yeux , laquelle pouvoit être fi forte , que de
tous les rayons
réfléchis par les autres objets , il
n'y avoit que les rayons rouges , comme les plus
forts , qui fillent impreffion fur l'organe mais
il pourroit bien le faire auffi qu'il fortiroit continuellement
de ces couches de fable des vapeurs
minérales ou métalliques a travers lefquelles tous
les objets paroîtroient rouges.
( k ) Art. 13. P. 208. t. 2.
JANVIER. 1761 . 163
mées au fond de la mer , & qu'il fuffic
pour faire des pierres , que les eaux charient
des fucs pierreux , & qu'elles les dépofent
dans les matières qu'elles pénétrent
ou qu'elles développent les parties de ces
matières , qui font propres à fe réunir &
à fe lier.
Ne pourroit-on pas auffi foupçonner
qu'un grand nombre de couches de pierre
, que l'on trouve vers la furface de la
terre , n'étoient d'abord que des lits de
différentes matières , plus ou moins déliées
, que les eaux ont pénétrées & réu
nies ? J'ai obfervé dans plufieurs carriè
res , des eaux qui filtroient à travers les
couches de terre. Les perfonnes qui ont
defcendu dans la cave de l'Obfervatoire
de Paris , fçavent qu'il y tombe de l'eau ;
que cette eau a paffé à travers plufieurs
lits de pierre , & qu'elle contient beaucoup
de fucs pierreux. Perfonne n'ignore
, dans la Capitale , que les eaux d'Arcueil
charient des parcelles de pierres
dont elles incruftent les canaux dans lefquels
elles coulent.
Mais je m'apperçois , Monfieur , que je
m'étends trop fur cet article ; je ne voulois
qu'éffleurer les fujets , pour vous don
ner une légére idée de ce que je médite :
je travaille à un ouvrage qui contiendra
164 MERCURE DE FRANCE.
des faits plus détaillés , & des preuves
plus complettes. Ma Lettre ne devoit pas
tenfermer une longue réfutation d'un fyl
ftême certainement faux , puifqu'il eft évidemment
contraire à l'Ecriture ( 1 ) . Falloit
- il fe donner tant de peines tant de
recherches , employer tant d'efprit , pour
s'efforcer d'établir des principes qu'on réfute
foi - même , en reconnoiffant fenlement,
comme a fait M. de B. l'autorité des
Livres faints Paffez- moi cette réflexion .
Cependant il paroît certain , par l'infpection
,, que les couches qui compofent
la furface du globe , ont ( m ) été formées
dans un temps, où les eaux couvroient toute
la terre : fuivant l'Ecriture , cela n'eft arrivé
que deux fois ; au temps de la création
& dans le déluge dans les premiers
jours de la création , il n'y avoit ni poiffons
ni plantes ; on n'en trouveroit point
dans les couches qui avoient été formées
alors ; il faut donc avoir recours au Déluge.
C'est en réfléchiffant fur fes effets ,
que j'avois foupçonné les principes que je
tâche d'établir aujourd'hui , & que depuis
( 2) L'Écriture nous repréſente la Terre formée
avant le Soleil, & M. de B. fuppofe le Soleil avant
la Terre . Art . 1. p . 194. & c . t. 1 .
( m ) Second difcours , p. 112. 117. & Art . 7.
P. 364. t . I. art. 9. p. 25. art. 1 3. p. 216. t. 2.
JANVIER. 1761 . 165
jai retrouvés peu différens dans les Lettres
à un Amériquain : j'ai cru ma découverte
heureufe , lorfque j'ai vu que j'avois penfé
à - peu- près , comme un homme d'efprit
qui a fi bien travaillé fur l'hiftoire naturelle.
Le peu de faits & de réfléxions que
contient ma Lettre , peut fervir à confirmer
le fyftême du changement de la furface
de la terre au temps du Déluge , ou
bien ces faits vous aideront , Monfieur ,
dans la recherche de quelque principe
meilleur que les miens . Vous ne pouvez
mieux employer vos momens de loifir ,
qu'en travaillant fur un fujet de fi grande
importance pour l'hiftoire naturelle , &
peut- être même pour la religion .
Je fuis , &c. NE VEU , Prêtre.
166 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
HORLOGERI E.
L'ART de conduire & de régler les Pendules
& les Montres , à l'ufage de ceux
匪
qui n'ont aucune connoiffance d'Horlogerie
; par M. FERDINAND BERTHOUD
, Horloger. A Paris , chez
l'Auteur, rue du Harlay , & Michel
Lambert , Libraire , à côté de la Comédie
Françoife.
DANS le premier volume du mois de
Juillet , nous nous contentâmes de donner
le titre de ce petit livre , que nous allons
aujourd'hui parcourir.
L'Auteur annonce, dans le Plan de l'ouvra
ge , le but qu'il s'eft propofé en le publiant,
c'eſt d'inftruire ceux qui n'ont aucune notion
des machines qui mefurent le temps ,
en leur en expliquant le Méchanifme
de donner une idée de la manière dont le
temps eft naturellement divifé;& comment
JANVIER. 1761. 16.7
on doit gouverner les Montres , &c. On
croit communément , dit - il ,
dit-il , que dès que
l'on a fait l'acquifition d'une Montre &
qu'on l'a une fois mife à l'heure , il ne s'agit
plus que de la remonter , devant dèslors
marcher avec une jufteffe conftante
fans qu'il foit befoin d'y toucher.
Il y a même des perfonnes qui prétendent
que ces Machines doivent aller comme
le Soleil ; d'autres enfin qui croyent
que leurs Montres s'étant rencontrées deux
fois avec le Méridien , elles vont en effet
comme le Soleil . Mais les uns & les autres
font bien éloignés de fentir l'impoffibilité
de ce qu'ils exigent , car pour peu qu'ils
connuffent cet objet , ils verroient 1 ° . que
les Montres ne peuvent aller conftament
juftes. 2 ° . Que le mouvement du Soleil eft
variable , puifque cet Aftre marche tantôt
d'un mouvement accéléré , & tantôt d'un
mouvement plus lent. 3 °. Qu'en fuppofant
qu'on parvint à faire aller les Montres
, auffi bien que la meilleure Pendule
à fecondes ( ce qui eft très impoffible ) elles
ne pourroient ni ne devroient fuivre les
écarts du Soleil .... J'ai donc cru qu'un ouvrage
où l'on expoferoit tout ce qu'il eft
néceffaire de fçavoir , pour conduire ces
Machines , feroit utile au Public. & c.
Ce petit livre eft divifé en 15 Articles .
168 MERCURE DE FRANCE.
Le premier traite de la divifion du tems ;
on y explique ce que c'eft que le tems vrai
& le tems moyen . Le tems vrai , eſt celui
qui eft mefuré par le Soleil : & le tems
moyen , par une bonne Pendule . La différence
que l'on remarque entre le midi
d'une bonne Pendule & celui du Soleil ,
eft ce que l'on appelle équation du tems.
Art. II. Contient l'explication du méchanifme
d'une Pendule , comment elle mefure
le tems. On a éffayé de mettre cette
matière à la portée des perfonnes les moins
inftruites dans les méchaniques , & nous
croyons , qu'à l'aide des figures , on pourra
fe former une idée de ces machines.
Art.III. Explication du méchaniſme d'une
Montre. Art. IV . Des caufes de la jufteffe
des Pendules , du tems qu'elles mefurent ,
du degré de jufteffe qu'on en peut efpérer.
Art. V. Des cauſes de variation des Montres
, du degré de jufteffe qu'on peut attendre
de ces machines. Art. VI. Différence
d'une Montre qui n'eft pas réglée ,
de celle qui varie ; en quoi l'une & l'autre
différent de celle qui eft réglée. Article
VII. Comment on peut vérifier la jufteffe
d'une Montre. Art. VIII . Il eft néceffaire
que chaque perfonne conduiſe fa
Montre , la régle & la remette à l'heure
tous les huit ou dix jours . Art. IX . Uſage
du
JANVIER. 1761. 169
du fpiral ; comment il faut toucher à l'aiguille
de rofette d'une Montre , pour la
régler. Art. X. De la manière de régler
les Pendules. Art . XI . Comment il faut
régler les Pendules & les Montres , par le
paffage du Soleil au Méridien ; ufage de
la Table d'équation placée à la fin du livre
. Art . XII . Manière de tracer des lignes
méridiennes, propres à régler les Pendoles
& les Montres. Art , XIII . Des précautions
à mettre en ufage pour acquérir
de bonnes Montres & Pendules . Article
XIV . Des moyens de conferver les
Montres . Art. XV. Contient le précis des
régles qu'il faut fuivre pour conduire &
régier les Pendules & les Montres ; les
obfervations qu'il eft à propos de faire ,
pour jouir avantageufement de ces machines
utiles . Cet Article eft deftiné aux
perfonnes qui voudront fe difpenfer de
lire le refte de l'ouvrage , qui eft de 80
pages , petit in - douze.
Ce petit livre , très - bien imprimé , eſt
enrichi de quatre Planches , qui repréfentent
toutes les parties d'une Pendule &
d'une Montre , & les inftrumens propres
à tracer une ligne méridienne.
Nous croyons que cet ouvrage fera utile
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
au Public , & par fon objet & par la manière
dont il eft traité.
Le Sieur STOLLE WERK , horloger ,
Place Dauphine , vis-à-vis le Cheval de
Bronze , vient de finir un ouvrage unique
dans fon Art : c'est une fphère célefte dans
laquelle toutes les Planettes font leurs
révolutions fuivant lefyftême de Copernic
par le méchanifme le plus fimple ; cette
Pièce eft furmontée d'une Pendule à équations
, & mérite toute l'attention des connoiffeurs,
dont le jugement ne peut qu'être
favorable à l'Artifte déja connu par fon:
talent pour les carillons dont plufieurs:
Horlogers ont vainement tenté l'exécu-,
tion . Il feroit à defirer , pour le bien des
Arts , que tous ceux qui les cultivent puffent
joindre , comme le fieur Stollewerk, la
théorie parfaite à une pratique qui ne laiſſe
rien à defirer , & que la main fût toujours
guidée par le raiſonnement ,
E
JANVIER. 1761. 171
MECHANIQUES ,
MACHINE qui fait avec facilité , promptitude
, & dans la plus grande perfection
, les lavures des cendres chargées
de matières d'or & d'argent , extrêmement
utile à tous ceux qui travaillent
ces matières , comme Orphévres , Bijoutiers
, Affineurs , Tireurs , & Batteurs
d'or, Doreurs , Monteurs de Boëtes
Graveurs , &c.
Les fieurs FAVRE & CASSIN , viennent
ES
de conftruire une Machine , au moyen
de laquelle ils font les lavures des cendres
ou terres chargées de matières d'or
& d'argent , beaucoup mieux , en moins
de temps , & à meilleur compte que par
les moulins à bras dont on s'eft fervi jufqu'à
préfent ; où un homme n'en pouvant
tourner que deux , a befoin de quelqu'un
pour le fervir , fans quoi les moulins
ceffent de tourner , & les cendres pendant
cet intervalle fe taffent & enterrent
les matières , ce qui devient trèsnuifible
au fuccès de l'opération .
Par cette nouvelle Machine un Cheval
fait tourner quarante- huit moulins , &
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
celui qui les fert n'a befoin d'arrêter que
le feul où il a affaire , fans que pour cela
les autres ceffent d'aller. Elle fait auffi
mouvoir une batterie de pilons pour pulvérifer
les creuſets .
Dans les moulins à bras il faut beaucoup
d'habitude pour les tourner lentement
& régulièrement , ce qui eft d'une
grande conféquence , parce que l'eau
etant agitée violemment & irréguliérement
, les particules métalliques furnagent
& ne peuvent fe précipiter au fond
des baffines , ni par conféquent s'amalga
mer avec le mercure ; cette méchanique
au contraire eft telle qu'on fait tourner
les moulins auffi lentement & auffi ré-
Tuliérement qu'on le puiffe defirer.
4
Dans les moulins à bras , les croisées
de fer qui triturent le mercure ne peuvent
pefer que vingt - cinq livres , fans
quoi un homme n'en pourroit tourner
deux ; au lliieeuu que celles de cette machine
en peſent foixante ; ce qui fait qu'en fix
heures on opére mieux qu'on ne peut le
faire en dix par les moulins à bras. Il y
a d'ailleurs un nouveau moyen pour
maintenir la cendre en mouvement , afin
qu'elle ne tafle point & ne faffe pas
corps , comme il arrive aux moulins ordinaires
; ce moyen confifte en un cône
JANVIER. 1961 . 173
de fer qui roule continuellement entre
les croifées , & qui remue le mercure &
les cendres , de forte qu'aucune parcelle
de matière , quelque petite qu'elle puiffe
étre , n'échappe , & que l'amalgame ſe
fait beaucoup plus exactement.
L'on peut faire avec cette machine en
une femaine ce que l'on auroit bien de
la peine à faire en deux mois avec les
moulins à bras , la plupart , des Particu
liers n'ayant pas de place pour plus de
deux ou de quatre moulins , par les fuites
que cela entraîne .
Les moulins de cette machine font tous
de fer & pofés très - folidement , ce qui les
met à l'abri de tous dangers du transport ,
ils ont auffi plus de diamètre & plus de
furface que les autres , & par conséquent
beaucoup plus d'effet dans la trituration.
Au- deffus des moulins font des réfervoirs
d'eau qui s'empliffent par le moyen
d'une pompe & qui fe diftribuent par des
robinets dans tous les moulins ; ils fourniffent
de l'eau abondamment pour nettoyer
, laver & dégraiffer les cendres , cet
qui eft abfolument néceffaire pour bien
faire les lavures.
Les quarante - huit moulins font divifés
en fix chambres , dont deux à douze &
quatre à fix , ce qui eft commode les
pour
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
Particuliers , qui , fuivant la quantité de
cendres qu'ils ont , peuvent prendre les
chambre à douze ou à fix , de forte qu'ils
font feuls ; toutes leurs cendres font renfermées
, ils en ont la clef, & perfonne
n'entre qu'eux & les gens néceffaires pour
les fervir; ils peuvent de plus apporter un
cadenat qui fe mettra à la porte pour leur
procurer plus de fûreté , ils n'ont befoin
d'entrer dans leur chambre que de quatre
en quatre heures , pour charger les moulins
qui ne vont pas moins bien en leur
abfence.
Le Gouvernement qui s'occupe de tout
ce qui peut concourir au bien public ,
& à la confervation des matières d'or &
d'argent , a reconnu l'utilité de cette
nouvelle méchanique ; en conféquence il
a accordé aux fieurs Favre & Coffin , un
Privilége & des Letttes Patentes qui les
autorifent ; & MM. les Orphévres , qui
en ont fenti l'avantage , fe plaiſent à
encourager cet établiffement, en y apportant
journellement leurs lavures.
Pour la commodité du Public , les fieurs
Favre & Coffin ont une voiture , & des
coffres fermans à clef , pour aller prendre
les lavures chez ceux qui veulent bien les
faire avertir.
On invite tous ceux qui font dans le
JANVIER . 1761 . 175
cas de faire uſage de cette machine à la
venir voir ; on fe fera un plaifir de répon
dre à toutes les queftions , & obfervations
qu'ils pourront faire.
Cette Machine eft fife à Paris , Quai
d'Orſai , au coin de la rue de Belle - chaffe,
vis-à- vis le Corps- de- Garde qui eft fur le
bord de la rivière ; il y a toujours du
monde , & pour plus grande commodité,
ceux qui voudront s'en fervir peuvent
s'adreffer au fieur Pafteur , Maître Horloger
Monteur de boëtes de montres , rue
S. Louis près le Palais , ou au fieur de
Monchanin , Graveur , rue S. Julien le
Pauvre , près la Fontaine S. Severin , la
premiere porte cochere à gauche , tous
les deux Directeurs de ladite Machine , &
Affociés des fieurs Favre & Caffin . On
prendra , par chaque Moulin , 30 fols par
jour.
NOTE.
Il ne manquoit qu'un mot à la lettre
inférée dans le premier Mercure de Janvier
de cette année , au fujet de la nouvelle
Grille de S. Roch.
Cette lettre contient un tribut d'éloges
qui eft bien dû à cet Ouvrage ; mais il
importe au Public de fçavoir à qui il le
doit ; c'eſt au fieur DORÉ , Me Serrurier ,
rue l'Evêque , Butte S. Roch.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE .
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
L'Art de la Flûte traverfiere ; par
M. DELUSSE. Prix , .7 liv . 4f
aux adreffes ordinaires de Mufique.
L'AUTE 'AUTEUR a eu pour but , dans cer
Quvrage , de tirer des ténébres les prin
eipes théorique & pratique de la Flûre
& de les expofer au grand jour avec toute
la précifion & la clarté dont ils font fuf
ceptibles. Par là , ce principe devient à
la portée même de ceux qui n'ont aucune
connoiffance de la Mufique. M. Deluffe
dans fon Difcours préliminaire , enfeigne
à bien placer les mains fur la Flûte , donne
la vraie façon de l'emboucher , & démontre
enfuite les divers tacs ou coups de
langue , leurs différentes propriétés , la
manière de les articuler , les pofitions des.
doigts , pour former tous les tons des gam
mes naturelle , diezée & bémolizée , leurs
tremblemens , dits cadences . Ces démonftrations
font faites plus nettement qu'el
les ne l'ont encore été . Il entre fçavamment
dans le détail inftructif des agrémens
, dans celui de leur genre & du caJANVIER.
1761. 177
ractère d'expreffion auquel ils font propres.
Il établit un principe très - important,
pour la confervation des poulmons , en
parlant de la fixation des phrafes muficales
, du lieu & des momens confacrés à
la refpiration.
Après une tablature des fons harmoniques
, fuivent plufieurs leçons en forme
de petites Sonates avec la Baffe , mais proportionnées
aux forces des commençans.
Cet ouvrage eft terminé par douze Caprices
ou Cadences finales , propres à l'exercice
de l'embouchure & des.doigts , &
qu'on peut inférer à la fin des Concerto.
On ne fçauroit qu'applaudir à cette
'nouvelle méthode : elle jette de la lu
mière fur un art agréable , & foulage les
Maîtres , en les difpenfant de la rebutante
obligation d'écrire eux - mêmes des principes
mais fon plus grand mérite eft de
conduire leurs Eléves a des fuccès auffi
certains que rapides.
:
Le même Auteur vient de faire une
nouvelle édition de fes Duo pour la Flûte
traverfiere , que l'on trouvera aux mêmes
adreffes. Cette entreprise prouve autant
la fatisfaction du Public , à cet égard ,
que l'éloge de l'ouvrage.
LE ROSSIGNOL & LA FAUVETTE,
feconde Cantatille pour le Jeffus , avec
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
Symphonie ; dédiée à Mlle Godefroid ,
par M. Lejay , Maître de Mufique. Se
vend , à Paris chez l'Auteur , rue Guénéguaud
& aux adreffes ordinaires ; & à
Rouen chez M. Laigle , rue des Carmes.
L'AMOUR JUSTIFIÉ , Concert . Premier
divertiffement à deux voix ; pour un
Deffus & une Haute- Contre , avec Symphonie
; par M. Lefebvre , Organiſte de
l'Eglife Royale de S. Louis en l'lfle , des
Blancs - Manteaux , &c . Prix 6 liv . A Paris
, chez l'Auteur , dans la maiſon de
M. Mufnier de Bouville , Auditeur des
Comptes , rue & Ifle S. Louis , & aux
adrefes ordinaires. Avec privilége du Roi ,
approbation & permiſſion.
SIX SYMPHONIES à quatre parties
obligées , avec Hautbois ou Flûtes , &
Cors de Chaffe , compofées de différens
Auteurs Les It . II . & III . par M. Stamitz
; la IV. par M. Beck ; la V. par
M. Waganfail ; la VI . par M. Richter ;
miſes au jour par M. Huberti . OEuvre V.
Prix livres ; on vend les Parties des
Cors de Chaffe féparément. A Paris ,
chez l'Editeur , rue S. Honoré au coin
de la rue du Chantre , & aux adreffes ordinaires
; avec privilége du Roi.
9
JANVIER. 1761 . 179
AVIS relatif à la Peinture & à la
O
Sculpture.
Na oublié de donner les noms des
Eléves qui ont gagné les Prix de Peinture
& Sculpture , de l'année paſſée.
Le fieur Julien, a gagné le premier Prix
de Peinture .
Le fieur Monot , le premier Prix de
Sculpture .
Le fieur la Grainée , le fecond Prix de
Peinture.
Et le fieur Paulet , le fecond Prix de
Sculpture.
GRAVURE.
LA BAIGNEUSE SURPRISE, gravée par
M. J. Daullé , d'après M. Boucher , &
dédiée à Madame la Marquife de POMPADOUR
, Dame du Palais de la Reine.
CETTE ESTAMPE eft digne de la réputation
que M. Daullé s'eft acquife par la
beauté de fon Burin. La fraîcheur des tons
de couleur du Peintre rempli de grâces
H vj
130 MERCURE DE FRANCE.
qu'il a imitée , fe trouve très- bien rendue
par la pureté du travail . On y remarque
dans quelques parties cette forte de beauté
, peut - être trop abandonnée dans notre
fiécle , qui diftinguoit les Sadeler & les
Blocmart ; je veux dire , cette franchiſe
de Burin & cette économie qui n'admet
point de feconde hâchure où une feule
peut fuffire , & qui n'employe de points
que ceux qui font abſolument néceſſaires
pour terminer la taille avec douceur . Il
eft vrai qu'alors il faut que cette taille ait
la netteté & la couleur brillante , fraîche
& variée qui doit rendre les diverſes tein
tes. C'est ce que l'on voit avec plaifir
dans cet agréable morceau.
Cette Eftampe fe vend chez l'Auteur ,
Graveur du Roi , Quai des Auguftins , ta
première Porte cochère à gauche , à côté
de la rue Gît- le Coeur.
METHODE pour déflécher les Fleurs , &
les conferver dans leur forme naturelle .
DANS le Journal Economique du mois
de Décembre 1755 , on rapporte une ex
périence faite à Bologne, en l'année 1745 ,
par M. Jofeph Monti. Cette expérience
JANVIER . 1761 .
181
confifte à déflécher parfaitement des fleurs
en confervant à toutes leurs parties le
même éclat & la même forme qu'elles
avoient avant d'être défféchées .
Au mois d'Août 1760 , le Frere Paul,
de l'Ordre des Mathurins , eft venu de
Marſeille à Paris il y a fait voir des
fleurs qu'il avoit défféchées ; mais il n'a
pas communiqué fon procédé. Quelques
perfonnes ont tenté de l'imiter ; elles y
ont réuffi , mais elles gardent le fecret fur
les moyens qu'elles employent. Comme
il eft honnête de communiquer à la fociété
les découvertes utiles , nous allons
expofer ici la méthode de déflécher les
fleurs naturelles en leur confervant leur
forme & leur couleur.
M. Monti fe fert d'un fable de tivière
blanc. It le paffe plufieurs fois au tamis
pour n'en avoir que le plus fin : enfuite it
le lave foigneufement pour en enlever
toutes les parties terreufes , après quoi il
le fait entierement déffécher avant de s'en
fervir.
Pour nous , nous employons le fablon
le plus blanc , & nous le lavons avec foin
jufqu'à ce que l'eau refte très- claire . Nous
le faifons fécher , & lorfqu'il eft bien fec ,
il est en état d'être employé . Le fable
blanc & fin des bords de la mer peut
182 MERCURE DE FRANCE.
être employé après avoir été bien lavé
pour le déffaler & lui enlever toutes les
parties terreufes qu'il pourroit contenir.
Lorfqu'on veut déflécher des fleurs , il
faut prendre du fablon bien lavé & bien
féché : on en emplira un bocal de verre ,
un pot de fayance ou une terrine , fuivant
que la quantité des fleurs à déffécher fera
plus ou moins grande : on enfoncera la
tige dans le fable , ayant foin d'arranger
les petites branches collatérales & les
feuilles dans leur pofition naturelle. En
fuite avec un poudrier ou un tamis on
recouvrira le plus doucement & le plus
également que faire fe pourra la fleur
avec du fablon jufqu'à ce qu'elle en foit
entierement couverte , ayant foin de faire
entrer du fablon entre les pétales de
la fleur. Il faut que la fleur ne foit recouverte
au plus que d'une ligne d'épaiffeur
de fable. Cette premiere opération
étant finie , on expofera le vaſe qui contient
la fleur au Soleil fi c'eft en été , ou
on le mettra dans une étuve ou dans un
poële fi l'on eft en hyver. Il eft furtout
néceffaire d'obſerver de n'employer qu'une
chaleur douce : fi elle étoit trop vive ,
le fable qui eft un corps denfe , s'échaufferoit
affez pour riffoler & altérer la fleur.
Cette obfervation devient importante.
JANVIER . 1761 : 183
pour les Pays très - chauds tels que l'Afrique
, plufieurs Cantons de l'Afie & de
l'Amérique. Dans ces climats il eft probable
qu'il ne fera pas néceffaire d'expofer
au Soleil les plantes qu'on voudra déffécher
, & que la chaleur de l'air fuffira
feule pour donner au fable le degré de
chaleur néceffaire à l'évaporation de l'humidité
naturelle aux plantes & pour
produire une défficcation parfaite. Ce fera
à l'expérience à déterminer quelles feront
les plantes qui auroient beſoin d'une
plus grande chaleur.
,
Le temps le plus favorable à la défficcation
, eft celui où l'air eft en même
temps chaud , fec & agité. Il y a longtemps
que M. Rouelle enfeigne dans fon
cours de Pharmacie , que pour bien déffécher
les plantes que l'on veut conferver
pour la faifon où l'on ne peut s'en
procurer de fraîches , il faut en hâter la
défficcation en les expofant au Soleil &
à un courant d'air rapide. Tout le monde
a pû obferver que le foin rapidement
défféché conferve une belle couleur verte
& qu'il a une faveur qui le fait préférer
par les animaux qui s'en nourriffent , à
celui dont la défficcation a été lente.
Lorſque les fleurs font bien féches , on
les nettoye du fable qu'elles contiennent
184 MERCURE DE FRANCE.
en les renverfant , les fecouant légére
ment , & en les broffant avec les barbes
d'une plume , ou avec un pinceau. Cette
opération eft d'autant plus facile , que le
fable ne peut contracter d'adhérence avec
les pétales de la fleur.
Il y a des fleurs dont la défficcation altére
l'éclat des couleurs , il eft des moyens
de la ranimer , nous allons les indiquer.
La couleur jaune eft celle qui fe conferve
mieux , quelques violets & quelques
rouges confervent affez bien leur vivacité,
La couleur des roſes eſt ſujette à s'altérer .
Pour lui rendre fon éclat , il faut expofer
les roſes à la vapeur du foufre enflammé ;
cependant en ufant de précautions , car
l'acide fulfureux volatil qui avive la cou
leur dans cette opération , la détruiroit
sil agiffoit en trop grande quantité &
trop longtemps : on employera le même
moyen pour tous les rouges tendres.
Les rouges vifs tels que le Ponceau , le
Cramoifi & c. fe ranimeront en les expofant
à la vapeur d'une diffolution d'étain
dans l'efprit de nitre femblable à celle
que les Teinturiers employent pour aviver
l'écarlate. Pour faire cette diffolution,
on mettra dans un verre une pincée de
limaille d'étain , on verfera deffus la valeur
d'une cuillerée d'efprit de nitre qu'on
JANVIER. 1761. 185
ap pelle communément eau forte : auffirôt
après l'acide attaquera l'étain , & if
s'élévera une vapeur à laquelle il fuffit
d'expofer les fleurs rouges pour leur rendre
toute leur vivacité.
Pour ranimer la couleur verre des tiges
& des feuilles , on fera une diffolution
de limaille de fer dans l'acide vitriolique
, communément appellé huile de
vitriol , & on expofera les tiges & les
feuilles à la vapeur qui s'élévera de ce
mêlange.
Loriqu'on voudra expofer des fleurs à
la vapeur du foufre , il faudra fe munit
d'une petite terrine , femblable à celle
qu'on emploie dans les Illuminations , &
qui n'en différera que parce qu'elle fera
remplie de foufre fondu au lieu de fuif.
Lorfqu'on voudra s'en fervir , on allumera
la méche , & on expofera avec précaution
à la vapeur, qui s'en élévera , les fleurs qui
ont befoin de l'acide fulfureux volatil pour
être avivées. Il faut faire cette opération:
en plein air , pour n'être point incommodé
de la vapeur du foufre, qui avive auffi trèsbien
plufieurs bleus & plufieurs violets.
Les fleurs qui nous ont réuffi le mieux
jufqu'à préfent , font les femi- doubles ,
pourvu qu'elles ne foient point trop ferrées.
Nous n'avons pû parvenir encore à déffé
186 MERCURE DE FRANCE.
cher les renoncules doubles couleur de
feu , telles que l'efpéce appellée pivoine .
La défficcation & la confervation de l'anémone
eft parfaite . Les pieds d'alouette ',
les géroflées , les violettes , les pensées ,
les fleurs de toutes les efpéces de mauve ,
les narciffes & les jonquilles réuffiffent
auffi très-bien .
On défféche l'oeillet un peu plus difficilement.
Ceux qui font en poffeffion de
ce fecret ont été obligés jufqu'ici de démonter
ces fleurs pétale a pétale. Mais
nous leur enfeignerons deux moyens de
s'exempter de cette peine.
Le premier fera de fendre le calice jufqu'au
petit collet qui l'environne à fon
fond en deux endroits oppofés . On écartera
les deux moitiés du calice , & par ce
moyen la partie inférieure des pétales
étant moins refferrée , elle fe défféchera
avec facilité. On rapprochera enfuite les
deux parties du calice , & on les affujettira
avec un peu de gomme ou de vernis.
L'autre moyen confifte à percer tranfverfalement
avec une épingle le calice en
plufieurs endroits , & furtout vers fon
fonds.
Comme la défficeation fait perdre aux
fleurs leur odeur agréable en tout ou en
partie , nous allons enfeigner le moyen
JANVIER. 1761 .
187
de la rendre à quelques efpéces : par
exemple , fi l'on veut parfumer un oeillet
après la défficcation , il faudra avant de
rejoindre les deux parties du calice , humecer
la partie inférieure des pétales
avec de l'effence de gérofle , & rapprocher
enfuite les deux parties du calice.
Si c'eft une rofe que l'on veuille parfumer,
on hume&tera le centre de cette fleur
avec une ou deux goutes d'huile effentielle
de bois de rofes . On pourra facilement
trouver des parfums analogues à l'odeur
de chaque fleur,
Ceux qui travailleront d'après cette
inftruction , font priés de communiquer
leurs obfervations au Public par la voie
du Mercure. Il faut eſpérer que la méthode
fe perfectionnera & procurera aux
Curieux des fleurs des pays étrangers &
furtout des climats chauds qu'on ne peut
pofféder qu'avec peine , même par le
moyen des ferres chaudes .
Les herbiers en feront plus parfaits ,
puifque l'on confervera aux fleurs leur
forme , qui eft très-altérée par la méthode
actuelle de déffécher les plantes entre des
feuilles de papier.
188 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V.
SPECTACLES.
MILE
+
OPERA.
LLE DUBOrs a chanté fucceffivement
les rôles de Canente & de Circé
en place des Dlles Arnoud & Chevalier
elle a réuffi , dans celui de Circé.
1
Mlle Saint - Hilaire a chanté Vendredi
& Dimanche dernier le rôle de Canente
dont elle s'eft affez bien tirée.
Depuis le départ du fieur Veftris , le
feur Gardel a danfé à fa place dans le 4 .
Acte de Canente , & a été fort applaudi ,
ainfi que la Dlle Carville , qui a remplacée
la Dlle Veftris , dans le même Acte.
On a donné Dimanche , la derniere repréfentation
de Canente ; on continue les
Fragmens , où le fieur Jolly a toujours
fait beaucoup de plaifir ; & Vendredi 16 ,
on remettra Dardanus › en attendant
Jephté.
JANVIER. 1961. 189
COMEDIE FRANÇOISE.
Les Comédiens François continuent
LES
les Repréſentations des Maurs du Tems
avec le plus grand fuccès . Les applaudiffemens
que reçoit cet ouvrage , font dûs à
tous égards.Cette Comédie qui eft du meilleur
ton , pleine d'efprit & de fituations.
agréables , prouve que l'Auteur connoît
la bonne compagnie , & qu'il a bien vu
les hommes de fon tems . Ils fe préparent
à donner le Pere de Famille , Comédie en
Profe , & imprimée , de M. Diderot .
SUITE de l'Extrait de CALISTE ,
Tragédie de M. COLARDEAU.
Ade I. Scène III. de la Piéce Angloife,
LOTHARIO.
7
TELLE Califte parut à mes yeux : la
rage , le défefpoir lui ôtérent d'abord
la faculté de s'exprimer ; mais quand
la fureur lui eut fait retrouver la voix ,
elle m'accabla des reproches les plus
vifs ; les titres de monftre , d'infâme ,
de traître exprimérent toute l'amertu190
MERCURE DE FRANCE.
me de fon âme , & avec des impréca
tions fur elle - même , elle m'ordonna
de ne jamais la revoir , & de fortir à
l'inftant , & c.
La Califte Françoife , au même Acte .
Après l'ordre éternel de fuir loin de ſes
Les imprécations chargérent fes adieux ;
yeux ,
Tout ce qu'un grand courroux peut répandre
d'injures ,
Tout ce que l'on peut dire à des Amans parjures
;
Les reproches , les cris , les larmes , les refus ;
Regrets d'avoir aimé , fermens de n'aimer plus ,
Califte employa tout ; & fes douleurs funeftes
Dévouérent ma tête aux vengeances céleſtes.
Acte 11. Califte Angloife.
Je voudrois être dans quelque antre
lugubre couvert de vieux arbres mouffus
, dont le creux fervit de retraite aux
corbeaux & aux oiſeaux de mauvais
augure , où l'on n'entendît autre bruit
que celui de quelque oifeau ferpentant
triftement autour des herbes fauvages ,
que jamais figure humaine n'eût marché
dans ce lieu , àmoins que ce ne fût le
fquelette de quelque malheureux perdu
d'amour ainfi que moi , qui par déſefpoir
eût choisi cet affreux féjour pour
y mourir.
JANVIER. 1761 . 191
Acte II. Califte Franç . 2e Scène II.
Où fuir , & dans quels lieux cacher mon infortune
?
Que' ne puis- je , Lucile , au bout de l'Univers ,
Habiter des rochers , des antres des déferts ;
Là , de mon lâche Amant , expier les outrages ,
N'entendre , autour de moi , que le bruit des
orages ,
Ne voir à la clarté d'un Ciel chargé de feux ,
Que des monftres fanglans , que des ſpectres
hideux ,
i
Des mânes ,des tombeaux , ou quelque infortunée ,
Aux larmes , comme moi , par l'Amour condamnée.
Acte III, Scène II. Califte Angloiſe , feule.
-
Sommes - nous nées être toupour
jours efclaves des hommes dès le printemps
de nos beaux jours un père enchaîne
notre volonté , il régle nos plaifirs
il
en
difpofe
même
en
formant
nos
liens
fans
nous
confulter
, &
nous
paffons
fous
les
loix
de
Tyrans
plus
impérieux
encore
; victimes
dévouées
à
tous
leurs
caprices
, jaloux
, ils
nous
enferment
; débauchés
, ils
nous
maltraitent
.
192 MERCURE DE FRANCE.
Acte III. Scène II. Califte Françoife ,feule.
D'un fexe Imperieux , Efclaves que nous fommes
,
Dépendrons - nous toujours du caprice des hommes
?
Dans eux les noms facrés, & de père , & d'époux ,
Nous cachent des Tyrans ou des Maîtres jaloux.
Heureufes cependant , lorſque notreimprudence
Des titres de l'amour n'accroît point leur puilfance
:
Ces fiers Adorateurs , ces fuperbes Mortels ,
Sous le faux nom d'Amant font encore plus
cruels.-
Acte V. Scène I.
CALISTE Angloife , feule.
Oh que ces fons lugubres , cette
pompe d'horreur font bien propres à
nourrir la trifteffe dans une âme ! que
ce lieu convient bien à mon état la
foible lueur de cette lampe me prépare
à bientôt perdre la lumière.....
Méme Alte , méme Scène.
CALISTE Françoife.
Ces terribles objets dont mes fens font frappés ,
Des voiles de la mort ces murs enveloppés ....
Ce lugubre flambeau , dont le jour pâle &
fombre ,
Luit
JANVIER 1761: 193
Luit à peine & s'éteint dans l'épaiffeur de l'ombre,
Ce finiftre appareil , le filence , la nuit ,
Tout convient aux forfaits dont l'horreur me
pourſuit.
Même Scène , dans l'Anglois.
Eft -ce - là cet aimable , ce fier & trop
perfide Lothario ? Hélas ! cher Amant ,
ces yeux où brillèrent tant de feux font
fermés pour jamais ; ce fang qui fervoit
à animer cette figure charmante , eft
glacé dans fes veines . Quelle pâleur affreufe
ô vous , Phantômes ! formes
phantaftiques de la nuit , prenez vos
figures les plus éffrayantes , & tentez ,
fi vous l'ofez , de vous comparer à cet
objet d'horreur .
'Même Scène , dans la Califte Françoise:
Phantômes de la nuit , redoutables ténèbres ,
O fpectres ! qui traînez vos dépouilles funèbres ;
Des enfers avec vous dût fortir la terreur ,
Jamais de cet objet vous n'atteindrez l'horreur.
Voyez-vous , fur ce front où fe peignoit l'audace ,
Cette pâleur livide , & ce froid qui le glace ?
Eft- ce là ce Mortel , dont le fatal Amour
Me coûte l'innocence , & la gloire , & le jour ?
II. Vol, I
194 MERCURE DE FRANCE.
·
Même Ade , Scène II. Califte Angloife .
CALISTE.
Qu'entens - je ? c'eft Sciolto ... allons ';
mon âme , fois digne du nom que tu
portes ; montre - lui qu'il refte encore
du courage dans le coeur de l'infortunée
Califte.
•
SCIOLTO.
Tu fus jadis ma fille ..... ( Il prend
Jon poignard. ) Vois- tu cette main tremblante
trois fois j'ai voulu me fairejuſtice
, & trois fois le bras de ton père
s'y eft refufé ; mais la vertu doit prévaloir
il faut .... Mais , non .... Tiens ,
prends ceci. ( Il lui donne le poignard . )
Si tu m'entends , fais ton devoir.
CALIST E.
1
ཚ
Je vous entends ; c'eft ainfi que nous
ferons tous deux fatisfaits. ( Elle veut
fe percer : fon père lui retient le bras. )
SCIOLT O.
core un moment
Arrête accorde moi , du moins , en-
Tu t'es founiife.
à la févérité de ton juge ; ton père &
la nature demandent leur tour. J'ai teJANVIER.
1761. 195
nu la balance avec un bras de fer ; j'ai
étouffé tout fentiment de tendreffe &
d'humanité , pour condamner ma fille :
mais épargne à mes yeux ce fpectacle
inhumain ; il en coûteroit trop à mon
ooeur....je ne pourrois le foutenir.
Même Acte , Scène II.
CALISTE , Françoife .
Relevons à , fes yeux , mon courage abattu.
Qu'il reconnoiffe en moi l'éclat de la Famille ;
Soyons digne de lui.
SCIOLTO .
Tu fus jadis ma Fille ! ...
Les traits du repentir . ta jeuneſſe , tes charmes ,
Hélas ! tout m'attendrit ! .....
Hé bien je vais .... Mais non : tiens ; prends.... fais
ton devoir.
CALIST E.
Ah ! j'y confens.
SCIOL TO.
Arrête; ô nature ! ô tendreffe !
Oma chère Califle ! épargne ma foibleffe.
Hélas ! je me croyois un coeur plus inhumain.
J'aitenu la balance , avec un bras d'airain .
Vengeur de mon Pays , vengeur de ma famille,
En Juge indifférent j'ai condamné ma fille.
Ma farouche vertu fe borne à cet éffort ;
Mes yeux ne feront point les témoins de ta mort.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Ce font- là les détails les plus frappans.
qu'ait imités M. Colardeau . On ne parle
pas des Scènes & des fituations : en rapprochant
les deux Pièces , on peut, faifir
les reffemblances de fond,
Il s'agit de rapporter le jugement du
Public fur les deux Califtes .
La Califte Angloife , a moins d'art que la
Françoife. Le caractère de Lothario , eft
plus odieux ; Califte eft criminelle ; la
Piéce à très -peu de conduite , défaut attaché
à tous les drames Anglois : mais on
y trouve de la chaleur , & un puiffant intérêt.
Les fcènes d'Horatio & Altamont
quoique déplacées , font de la plus grande
beauté. Le dernier Acte, eft du plus grand
pathétique ; en un mot, il régne dans la
Califte de Rowe un fombre qui diftingue
cette Tragédie , & la met au rang des
premieres du Théâtre de nos voifins,
M. Colardeau a mis plus d'art , plus d'adreffe
, plus de conduite ; il a adoucis le
caractère de Lothario ; il lui a ôté le revoltant
que nous offre l'original ; Califte
eft beaucoup moins coupable : mais fon
tableau plus refferré , plus fage , eft d'un
coloris moins fort.
D'ailleurs, le fujet a paru bien délicat à
traiter au Théâtre François. Quelque heu
JANVIER. 1761 . 197
reux artifice que M. Colardeau ait employé
, le Spectateur François voit toujours
l'image du viol avec une forte de
peine. Il a fallu , en un mot , tout le brillant
de la verfification de M. Colardeau ,
pour la faire paffer .
.... Il n'eft monftre odieur ,
Qui par l'art embelli , ne puiffe plaire aux year.
Cet ouvrage enfin , donne lieu de croire
qu'on doit beaucoup attendre de M. Colardeau
, & qu'il tiendra tout ce que nous
promettent fes talens. Qu'il ne perde
point la nature de vue ; & qu'il fe fouvienne
, furtout , que la paſſion rejette les
ornemens rejicit ampullas & fefquipedalia
verba. Cette Piéce fe vend chez Ducheſne
, Libraire , rue S. Jacques : elle eſt
dédiée à Mg'. le Prince de Turenne , digné
Protecteur des Arts . L'Epître dédicatoire ,
ne dépare point la Tragédie : c'eſt le
même pinceau , dans des genres de compofitions
différentes .
COMEDIE ITALIENNE.
LEE Lundi , 29 Décembre , on donna
la première repréfentation de l'Ile des
Fous , Comédie nouvelle en deux Actes ,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
mêlée d'Ariettes , dont la Mufique eft de
M. Duni. Un trait , qui a frappé tout le
monde , c'eft que dans une Ile où le Gouvernement
relégue les Fous , comme on
fait ici à Charenton & aux Petites- Maifons
, un des Acteurs , dont l'avarice eft
la folie dominante , s'y trouve encore Tuteur
d'une jeune perfonne qui n'eft point
folle. Le fieur Cailleau , qui fait le rôle
de cet Avare , le joue & le chante ſupérieurement.
Il a furtout deux Ariettes qui
font le plus bel effet , & qui , jointes à une
autre que le fieur Defbroffes rend très - plaifamment
, font ce qu'il y a de plus remarquable
dans la Mufique . Mlle Defglands y
chante très- bien un rôle fort trifte , & Madame
Favart tire de fon propre fonds toute
la gaîté du fien. On a beaucoup applaudi ,
dans cette Piéce , Mlle Lafont, qui y joue
le rôle de la Pupile , & que l'on voudroit
encourager mais le Public impartial , ne
peut encore que lui fouhaiter du talent.
Le Vendredi 9 du mois de Janvier , le
fieur Rubini débuta , dans le Pédant , Comédie
Italienne , par le rôle du Docteur..
On le dit propre à plufieurs rôles . Il faut
le laiffer jouer plus d'une fois , avant que
d'en juger.
JANVIER 1961. 199
CONCERT SPIRITUE L
L y a eu Concert la veille & le jour de
Noël. On y a exécuté deux Symphonies ,
dont une compofée en partie des airs de
la Bohémienne ; Deus venerunt gentes
Motet à grand Choeur de M. Fanton ; &
Cantate Domino , Motet à grand Choeur
de Delalande. MM. Gaviniés & Piffet
ont joué , le premier la veille & le fecond
le jour de Noël , des Concertos de leur
Compofition , qui ont beaucoup plû. Le
fieur Piffet mêla au fien deux Noëls , qui
ont eu la même réuffite . M. Joly a chanté,
les deux jours , Benedictus Dominus , petit
Motet de Mouret . Le Public fe plaît à
l'entendre. Sa voix , qui eft une hautecontre
, a de l'étendue , elle eft douce ,
fléxible , & n'a point les défauts communs
à ces fortes de voix ; M. Joly fent bien ce
qu'il chante ; il a déja beaucoup de théo
rie & de pratique du Chant : l'ufage des
Spectacles achevera de le perfectionner.
M. Balbâtre a joué des Noëls , dans lefquels
il a fait éclater le brillant de
fa main ; l'on a reconnu fon goût , au
choix de fes Noëls. Mlle Lemiere a
chanté , Omnes gentes , petit Motet. Mlle
I iv
200 MERCURE DE FRANCE:
Fel en a chanté un autre . Le Concert de
la veille a fini par Confitemini , Motet à
grand Choeur de Delalande , & celui du
jour de Noël par Venite exultemus , Motet
à grand Choeur de M. Mondonville;
Le Public, en foule , y eft venu ce dernier
jour ; & la fatisfaction a paru générale .
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES:
De VIENNE , le 27 Décembre 1760 .
LE 8 de ce mois , Sa Majefté Impériale entra
dans fa cirquante-troifiéme année.
Notre Armée conferve toujours fa pofition près
de Dreſde . On a envoyé pluſieurs régimens dans
le Cercle de Saatz pour couvrir cette partie de la
Bohême contre les entrepriſes des Pruffiens.
Le Prince Louis de Wirtemberg , le Duc de
Bragance & le Comte de Montazet , font arrivés
depuis peu de jours de l'Armée en cette Ville. Le
Prince de Deux- Ponts , revêtu du Gouvernement
de la Hongrie , doit partir bientôt pour ſe rendre
dans ce Royaume . Un Officier, dépêché de l'Armée
Ruffe , arriva le 3 de ce mois , & il apporta la nou
velle qu'une partie de cette Armée prendroit des
quartiers dans la Poméranie Pruffienne , afin d'être
à portée d'ouvrir de bonne heure la Campagne
prochaine.
JANVIER. 1761 . 200
Suivant les nouvelles de la Siléfie , le Général
de Laudon a tranſporté le 16 de ce mois fon quartier
à Graffenorth. On a fait des abattis d'arbres
du côté de Trautenau , de Braunau & de Wartha ,
pour mieux affurer la Bohême contre toute invafion
de l'ennemi. On compte que le Baron de
Laudon fe rendra bientôt dans cette Ville & qu'il
ne tardera pas d'être nommé Feld- Maréchal . Le
départ du Prince Charles de Lorraine , pour les
Pays-Bas, eft retardé jufqu'au mois de Janvier
prochain.
De RATISBONNE , le 25 Décembre.
Le Quartier Général de l'Armée de l'Empire a
été transféré le 17 de ce mois , à Cronach .
Un Corps de quatre à cinq mille Pruffiens occupe
Naumbourg. Les Poftes avancés de l'Armée
de l'Empire & ceux des Pruffiens efcarmouchent
fouvent du côté de l'Orla.
On écrit de Zeitz que le Roi de Prulle y affemble
un Corps qui eft déjà compofé de huit bataillons
, aux ordres du Général de Saldern . Un autre
Corps Pruffien s'eft avancé jufqu'à Gera . Sa Majeſté
Pruffienne a ordonné de relever les retranchemens
qu'il avoit fait conftruite l'hyver dernier
fur la Multa , entre Noffen & Waldheim. Mille
Payfans font continuellement occupés à ce travail.
Nous apprenons que le Margrave Charles eft
à Léipfick depuis les de ce mois, & que le Roi de
Pruffe, qui doit y être arrivé le 8 , eft parfaitement
rétabli de la contufion qu'il reçut à la derniere
Action . On y attend au premier jour les deux
. Princes de Pruffe & la Princeffe Amélie.
De FRANCFORT , le 28 Décembre.
Les François occupent toujours les quartiers de
cantonnement qu'ils ont pris dans les environs
I v
201 MERCURE DE FRANCE.
de Gothia & d'Eifnack . Ils y obfervent une diſcipline
fort exacte .
Le Duc de Wirtemberg , qui étoit allé à Stugard ,.
revint le 16 à Erlangen , d'où il alla le lendemain .
fé remettre à la tête de fon Corps de Troupes
qui doit fe rendre dans fon Duché.
De MADRID , le 16 Décembre.
Les tempêtes , prèfque continuelles , qui régnent
fur la Méditérannée , ont fait périr fur nos côtes
un grand nombre de Bâtimens.
Le Marquis d'Almodovar , nommé Miniftre du
Roi d'Efpagne en Ruffie , partira vers là fin du
mois pour fe rendre à la deftination ..
De. ROME , le 15 Décembre,
On aprend de Malthe , que le Vaiffeau dernierement
enlevé aux Turcs par les Efclaves Chré--
tiens , étoit très- richement chargé. On a été occupé
pendant plufieurs jours à en retirer l'or , l'ar--
gent & les autres effets précieux qu'il contenoit.
Ces effets ont été diftribués entre ces braves E.
claves . Les héritiers de ceux qui ont été tués dans
le Combat ont eu leur part au butin. Le Pilote
Turc , qui avoit maltraité les Efclaves Chrétiens , a
été mis à la chaîne . On écrit , de Conftantinople ,.
que le Capitaine de ce Vaiffeau a été étranglé par
ordre du Sultan .
Les Bâtimens derniérement arrivés d'Alexandrie
à Naples , ont rapporté que la pefte avoit
détruit une grande partie des habitans du Caire.
On fait obferver une rigoureufe quarantaine à tous
les Navires qui viennent de ces parages . La Répu
blique de Venile a auffi prolongé de quinze jours
la quarantaine o donnée aux Vailleaux qui vien
nent des Ifles de l'Archipel..
·
I
་
JANVIER. 1761 .
203
La Congrégation des Cardinaux chargés d'examiner
les régles du nouvel Ordre de la Paffion ,
n'en a point approuvé l'établillement.
De LONDRES , le 26 Décembre.
Le Débarquement des Troupes de la grande
Flotte fe fit le 15 , en partie à Southampton , en
partie à Portſmouth.
Sa Majefté tint , le 24 , un grand Confeil à
Saint-James . On fit partir , le même jour , un
Courier chargé de porter au Comte de Briſtol ,
notre Ambaffadeur à Madrid , des dépêches que
l'on affure être très -importantes .
De LA HAYE , le 6 Janvier 1761 .
La Princeffe de Naffau-Weilbourg accoucha
heureusement , le 18 du mois dernier , d'un Prince
qui doit être tenu', au mois de Mars prochain'
für les fonts de Baptême , au nom du Roi d'Angleterre
, par le Général Yorck , Ministre Plénipotentiaire
de Sa Majefté Britannique auprès des
Etats-Généraux.
જીવ
Ilvj
204 MERCURE DE FRANCE.
FRANCE .
Nouvelles de la Cour , de l'Armée
de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 8 Janvier 1761 .
LEL
E 21 du mois dernier , le Roi , la Reine , & la
Famille Royale fignerent le contrat de mariage
du Marquis de Cambis , Brigadier des Armées du
Roi , Mestre de Camp du Régiment de Bourbon ,
Cavalerie , avec Demoiselle Palatine de Dio de
Montperrous.
Le 23 , le Comte de Collorédo , Chambellan
de l'Empereur & de l'Impératrice Reine de Hongrie
& de Bohême , qui étoit venu pour annoncer
au Roi, de la part de leurs Majeftés Impériales , la
célébration du mariage de l'Infante Ifabelle , Princeffe
de Parme avec l'Archiduc Jofeph ; qui s'eft
acquitté de fa commiffion auprès de Sa Majeſté ,le
19 Octobre dernier , à Fontainebleau, a pris congé
du Roi , & enfuite de la Reine , de Monfeigneur
le Dauphin , de Madame la Dauphine , de Monfeigneur
le Duc de Berry,de Monfeigneur le Comte
de Provence , de Monfeigneur le Comte d'Artois
de Madame Adélaïde , & de Meldames Victoire
Sophie & Louife , étant préfenté par le Comte de
Starhemberg , Amballadeur de Leurs Majeftés
Impériales.
Le 31 le Roi tint le Sceau.
Le premier Janvier , les Princes & les Princeffes
ainfi que les Seigneurs & les Dames de la Cour ,
ont eu l'honneur de rendre leurs reſpects au Roi ,
à l'occafion de la nouvelle année. Le Corps de
ANVIER. 1761. 201
Ville s'eft acquité du même devoir , envers Leurs
Majeftés & la Famille Royale.
Les Chevaliers Commandeurs & Officiers de
l'Ordre du Saint Eſprit s'étant affemblés vers les
onze heures dans le Cabinet du Roi , Sa Majesté
fortit de fon appartement pour aller à la Chapelle
accompagnée de Mgr le Dauphin , du Duc d'Orléans,
du Prince de Condé,du Comte de Clermont,
du Prince de Conti , du Comte de la Marche ,
du Comte d'Eu, du Duc de Penthiévre , des Chevaliers
, des Commandeurs & des Officiers de l'Ordre.
Après qu'on eut chanté l'Hymne du Veni
Creator , la Grand'Meffe fut célébrée par l'Abbé
Defclufeau , Chapelain de la Mufique du Roi.
Enfuite Sa Majesté fut reconduite à ſon appartement
, en la manière accoutumée.
Sa Majesté a donné l'Abbaye de Sully , Ordre
de Saint Benoît , Diocèfe de Tours , à l'Abbé de
Molen , Grand- Vicaire de Saint Flour.
Celle de Saint Jacut , Ordre de Saint Benoît
Diocèle de Dol , à l'Abbé de Marbeuf , Comte de
Lyon , Grand Vicaire du Diocèle de Rouen.
Celle de Fondouce , Ordre de Saint Benoît
Diocèse de Saintes , à l'Abbé Dudon , Vicaire général
du même Diocèfe .
Celle de Saint Sauveur des Vertus , Ordre de
Saint Benoît , Diocèfe de Châlons- fur- Marne , à
l'Abbé de Pradine , Grand - Vicaire du Diocèſe
d'Alby.
Celle de Gondon , Ordre de Citeaux , Diocèle
d'Agen , à l'Abbé de Coquet , Grand- Vicaire du
même Diocèfe.
Celle du Gué de Launay , Ordre de S. Benoît ;
Diocèfe du Mans , à l'Abbé de Chabanne , Grand-
Vicaire du Diocèfe de Nevers.
Et celle des Ollieux , Ordre de Cîteaux , Dioa
cèfe & Ville de Narbonne , à la Dame de Beauffes
266 MERCURE DE FRANCE.
de Roquefort , Religieufe du Monaftère de Sainte
Elizabeth à Marſeille .
Le 2 de ce mois les Chevaliers, Commandeurs
& Officiers de l'Ordre , affiftérent au ſervice anni
verfaire pour les Chevaliers de l'Ordre , auquel
l'Abbé Defclufeau officia .
Sa Majefté a nommé l'Evêque d'Auxerre à
F'Evêché de Lifieux ; celui de Troyes à l'Evêché
d'Auxerre ; & l'Abbé de Barral , Aumônier du
Roi , à l'Evêché de Troyes.
Sa Majesté a donné l'Abbaye de Saint Volu
fien de Foix , Ordre de Saint Auguftin , Diocèle
de Pamiers , à l'Abbé d'Ofmond , Comte de
Lyon , & Vicaire Général de l'Evêché de Troyes ;
& celle de Bonrepos , Ordre de Saint Benoît ,
Diocèle de Quimper , à l'Abbé Allaire , Précep
teur du Dnc de Chartres.
Le fieur Boyer , Secrétaire de l'Ordre de Saint
Michel , a eu l'honneur de préfenter au Roi la
Médaille qui doit être offerte à Sa Majesté à
chaque tenue du Chapitre de fon Ordre de Saint
Michel , en exécution de la fondation du feur
Perrotin de Barmont.
Le Roi a accordé les entrées de la Chambre
au Marquis de Caftries , Lieutenant- Général des
Armées de Sa Majesté .
Le 3 , la Marquife de Durfort prêta ferment
entre les mains de Sa Majesté pour la furvivances
de Dame d'Atours , de Mefdames Victoire Sophie
& Louife : place dont la Marquife de Cler--
mont-Gallerande eft Titulaire.
Le Roi a nommé Chef d'Eſcadre , le Comte de'
Tournon- Pontèves , le fieur de Chaſteloger , &
le Comte de Roquefeuil , Capitaines des Vaiffeaux-
Sa Majesté a nommé en même - temps vingtquatre
Lieutenans de Vailleaux & vingt- fix Enfeignes
.
JANVIER. 1761. 207
Le 7 , l'Evêque de Leictoure prêta ferment en
tre les mains du Roi.
Les nouvelles de Dannemarck , annoncent la
guérifon prochaine de Sa Majefté Danoife:-
De CASSEL , le 30 Décembre 1760.
Le 11 & le 12 de ce mois , le Prince Ferdinand
a retiré les Poftes qu'il avoit à la droite & à la
gauche de la Leine , & qui formoient le blocus de:
Gottingen. Le 13 , toutes les Troupes ennemies qui¹
étoient entre cette Place & la Verra , fe font auffi
retirées , & notre communication a été entiérement
rétablie.
Pendant le tems que les ennemis ont été autour
de Gottingen , le Comte de Vaux a fait faire plu--
fieurs forties commandées par le Vicomte de Belfunce
, qui ont eu chaque fois tout le fuccès qu'on:
pouvoit en attendre . On a fait environ cent cinquante
prifonniers , dans ces différentes forties..
Le Comte de Luface eft toujours à Eifenach , & le
Comte de Stainville à Gotha .
Le Général Luckner occupoit Heiligenstadt
avec quatre à cinq mille hommes . Le Maréchal
Duc de Broglie , ayant formé le projet de le furprendre
, donna des ordres pour que , le 22 de ce
mois , un Corps d'environ scoo hommes tirés de
Gottingen & des différens poftes de la Verra , fe
rendît par différentes routes aux ordres du Comte
de Broglie , Lieutenant Général , à portée d'Heiligenftadt.
Toutes les difpofitions furent faites ,
non- feulement pour l'attaque de cette Ville , mais
auflipour couper la retraite au Corps des ennemis ;
mais une des Colonnes n'ayant pu arriver affez :
tôt au rendez - vous indiqué , cette entrepriſe n'a
pas eu tout le fuccès qu'on en devoit attendre..
Cependant le Général Luckner a été obligé de fe
208 MERCURE DE FRANCE.
retirer avec beaucoup de précipitation , & d'abandonner
quelques bagages dont on s'eft emparé.
On a fait aufli plufieurs prifonniers , & on eſtime
que les ennemis ont eu , dans cette occafion , environ
cent hommes tués ou bleffés. Le Comte du
Châtelet, Brigadier , eft refté à Heiligenstadt pendant
deux jours. Il a fait brifer les portes de la
Ville ; & après avoir mis ce pofte hors d'état d'être
occupé avec fureté , il s'eft retiré avec les troupes
de leurs différens quartiers.
On continue à faire entrer, dans Gottingen, des
fubfiftances de toute eſpéce.
De Paris , le 10 Janvier 1761 .
Le tirage de la premiere Loterie de la Ville de
Paris s'eft fait à l'Hôtel- de- Ville avec les formalités
accoutumées ; le 16 du mois dernier & jours
fuivans , le lot de 150000 livres eft échu au Numero
96419 ; celui de 100000 , au Num . 93092 ;
& celui de foeco , au Numero 83225 : les deux
lots de 30000 , font échus aux Numeros 74775 &
8671.
Le Grand- Maître de l'Ordre de Malthe a permis
au Marquis de Boyer de Bandol de porter la Croix
de l'Ordre , en confidération des fervices rendus
par les ancêtres à la Religion.
Les quatre bataillons des Gardes Françoiſes , qui
ont fait la Campagne en Allemagne , font arrivés
fucceffivement les 21 , 25 & 28 du mois dernier ,
& les deux bataillons des Gardes Suiffes les 1 & 3
de ce mois.
L'Evêque de Leictoure a été facré le 4 de ce
mois, dans l'Eglife des Nouvelles-Catholiques, par
l'Archevêque d'Arles , ayant pour Affiftans les
Evêques de Blois & de Troyes .
Le tirage de la Loterie de l'Ecole Royale Militaire
s'est fait en la maniere accoutumée , dans
JANVIER. 1761 259
l'Hôtel-de-Ville de Paris , le 8 de ce mois. Les
Numeros qui font fortis de la roue de fortune
font 3 , 16 , 44 , 46 , 69. Le prochain tirage f
fera le 13 du mois de Février.
MORT S..
Meffire Jean Moreau de Séchelles , Miniftre
d'Etat , ci- devant Contrôleur Général des Finances
, eft mort en cette Ville , le 31 du mois dernier
, dans la foixante- onzième année de fon âge.
François-Henri de Montbel de Champeron , Ma
réchal des Camps & Armées du Roi , Comman
deur de l'Ordre Royal & Militaire de S. Louis ,
mourut en fa Terre de Poirier en Touraine , dans
Ja foixante - quatorziéme année de fon âge.
N. Defmaretz , Abbeffe de l'Abbaye Royale
d'Hieres , Diocèſe de Paris , eft morte en fon Ab
baye le 5 , âgée de quatre - vingt-fix ans.
REPONSE du Sieur CHARTREY , Privilégié dic
Roi, demeurant rue du Chantre , à Paris ;fur la
prétendue Analyfe que MM. Piat & Cadet, Apo
thicaires , difent avoirfaite de fa Poudre purga
tive , & qu'ils annoncent dans le Mercure du mois
de Novembre dernier.
LE Sieur Chartrey foutient que l'acide vitrioli
que & quelqu'autre acide que ce foit , n'ont ja
mais pu faire changer de forme ni de couleur
à fa Poudre qui eft un corps incombuſtible , défini
& réduit alchymiquement au dernier degré de
pureté & par conféquent immuable ; auffi remarque-
t-il que ces deux Apothicaires font indécis
dans leur raifonnement fur les matières qui là
compofent , la croyant tirée ou du Nitre , oudu
210 MERCURE DE FRANCE.
Sel de Sedlitz , ou du Sel d'Ebfon , tandis que
fon infipidité manifefte qu'elle n'eft tirée d'aucun
fel ; s'il eft vrai , continue- t- il , » que ces deux
Apothicaires ayent fait un mêlange d'acide
>> vitriolique & d'efprit de vin avec cette poudre
il n'eft pas étonnant qu'y ayant mis le feu , il
ait paru des flammes bleues & vertes , elles font
naturelles à l'efprit- de-vin & au vitriol : ils en
» ont fort mal conclu qu'il entroit du cuivre
» dans cette poudre , ou qu'elle étoit compofée
dans des vafes de cuivre. Le fieur Chartrey a
→ employé au contraire plus de 4000 vafes de
grais , & le chemin de Picpus , où étoit fon
laboratoire , eft pavé de leurs débris . Il y a plus ;
» en 1756 , le fieur Chartrey a guéri avec cette
» même poudre plufieurs perfonnes de Versailles ,
Sempoifonnées par le fait d'un Marchand de Vin ,
» qui , pour donner plus de montant & de délicateffe
à fon vin , mettoit dans fes tonneaux de
» la limaille de cuivre : ce qui conftate que ladite
> poudre eft l'antidote de ce métail . La comparaifon
que ces deux Apothicaires font de cette
» Poudre à la Magnéfie n'eft pas plus jufte : cette
»poudre eft un purgatif doux & puiffant ; la
ל כ
Magnéfie n'eft point du tout cathartique. Enfin
la poudre du fieur Chartrey fait une infinité
» de cures , dont la Magnéfie ne fut jamais capa
» ble. Pour dernier argument , le fieur Chartrey
> demande files cenfeurs de fon reméde fe prétendent
plus clairvoyans que les Médecins , &
» les Pharmaciens, dont eft composée la Commiffion
Royale de Médecine , & qui ont approuvé
» ce reméde en 1756 , par délibération tenue en
»leur Bureau ? & c'eft fur ladite approbation ,
» qu'au mois d'Avril 1760 , le fieur Chartrey a
obtenu des Lettres de privilége du Roi , portant
JANVIER. 1761. 217
défenſes aux trois Corps de la Médecine , de
le troubler à peine de 500 liv . d'amende .
Le fieur Chartrey annonce qu'il poffede un
Baume unique qui confolide en 24 heures les
playes , bleffures , brûlures , & guérit les vieux
uleères en peu de jours ; un Elixir propre à la
guérifon de Fhydropifie & cela en peu de tems ;
& une ptifanne philofophique qui a beaucoup de
vertus & propriétés ; & qu'il entreprendra la radi
cale guérifon tant de l'hydropifie , vieux ulcéres ,
loups , tumeurs froides , écrouelles , & d'autres
femblables maladies , & n'exigera le payement
du prix convenu qu'après radicale guériſon .
A VIS.
LA premiere Loterie de la Ville fut tirée dans
Ta Grand'Salle de l'Hôtel - de - Ville , le 22 Décem→
bre & jours fuivans . Le premier lot de 150000 liv .
eft échu au Numéro 96419 , & le fecond Lot de
100000 livres , au Numéro 93092.
Seconde Loterie de l'Hôtel-de- Ville de Paris , en
confequence des Arrêts du Confeil des 30 Juillet
& 22 Décembre 1765.
De par le Prevêt des Marchands & Echevins.
LE Public eft averti que les Billets de la feconde
Loterie de la Ville , feront délivrés , à commencer
du premier Janvier 1761 , tant à l'Hôtel -de-Ville,
que dans les autres Bureaux établis à Paris & dans
Les Provinces pour la diftribution de ceux de la
premiere Loterie : Et qu'en exécution de l'Arrêt
du Confeil , du 22 Décembre 1760 , ladite feconde
Loterie fera tirée à la fin dudit mois de Janvier
, les jours qui feront indiqués par de nouvelles
Affiches.
212 MERCURE DE FRANCE.
Le Public eſt encore averti , qu'il fera diſtribuć
à Paris & dans les Provinces , des Reconnoiffances
de Sociétés à différens prix , dans un ou plusieurs
Billets de ladite Loterie : Que le Bureau général
defdites Sociétés établi par la Ville , eft fitué rue
de Bully , chez le fieur Regnault : Qu'elle a commis
le fieur Moriffet & ledit fieur Regnault pour la
fignature desdites reconnoiffances ; & que celles
fignées d'eux feront les feules dont la dite Ville
reftera garante & refponfable.
Le fieur MUTELÉ, du Chevalier, qui vend l'opiat
& les gouttes philofophiques , demeure à l'Abbaye
faint Germain des Prés , Cour des Religieufes ,
chez Madame Lybeffart , Marchande de modes, à
la Dauphine.
Mlle DESMOULINS, par brevet & privilége confirmé
par deux Arrêts du Parlement des 17 Mai &
4 Septembre 1747 , depuis plus de 50 ans compofe
& diftribue le véritable fuc de régliffe & pâte
de guimauve fans fucre , fecret qu'elle feule tient ,
par feue Madame fa mere , de Mademoiſelle Guy
décédée en 1714. Elle continue de le débiter avec
fuccès à Paris , à la Cour de France & dans toutes
les Cours de l'Europe , de l'aveu & approbation de
Meffieurs les premiers Médecins du Roi & de la
Faculté de Paris , lefquels s'en fervent eux- mêmes
& en ordonnent l'ufage à leurs malades .
Propriété , & ufage dudit fuc & pâte.
Il guérit le rhume , fortifie la poitrine , dégage
la parole enrouće , arrête le crachement de fang ,
les poulmoniques , & afthmatiques , les perfonnes
fujettes à la pituite s'en trouvent fort foulagées.
Il eft auffi d'une grande utilité aux perfonnes qui
ont la poitrine & la gorge féche & altérée ; on
JANVIER. 1761 . 213
peut encore en uſer en tout temps jour & nuit ,
devant & après les repas. Il faut les couper par
petits morceaux , les laiffer fondre & avaler fa
falive. L'on peut les tranſporter partout , & les
garder fi long-temps que l'on veut , fans jamais
Te gâter , ni rien perdre de leurs qualités . Comme
plufieurs perfonnes fe vantent d'avoir acheté fon
fecret ; ladite Demoiſelle avertit le Public qu'elle
ne l'a donné ni vendu à perfonne , & qu'elle ne
débite point ailleurs que chez elle. Le prix eft
de huit francs la livre. L'on mettra un pareil imprimé
dans les paquets pour la Province.
Mademoiſelle Deſmoulins demeure rue du Cimetière
Saint André des Arts , la première Porte
quarrée à droite en fortant du Cloître , chez Mademoiſelle
Charmeton , au deuxième.
ERRATA NECESSAIRE.
Pa8. 82 , Chant II , Oct. VI , ligne 4 , doſci ,
lifez dolci. Pag, 83 , ligne 3 , cor , lifex lor. Ibid.
Chant V , Oct. XXIII , ligne ire , mono , lifex
mano. Pag. 84 , ligne 4 , bamboleggior , lifez
bamboleggiar ; ligne 6 , lafcior , lifez lafciar ; lig.
7, la , lifez le ; ibid, emulor , lifez emular. Pag.
86, lig. 2 , bravore , lifez bravare.
APPROBATION.
J'AT lu , par ordre de Monfeigneur AI le Chancelier,
le Mercure du fecond Volume de Janvier 1761 ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion . A Paris ce 15 Janvier 1761 .
GUIROY.
214 MERCURE DE FRANCE.
TABLE DES ARTICLES.
PIÉCES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE .
ARTICLE PREMIER.
TRADUCT RADUCTION de la IXe Ode du IIIe Livre
d'Horace : Donec gratus eram tibi . Page S
VERS à M. l'Abbé Clément , Chanoine de
S. Louis du Louvre & c .
EPITRE , à la roſe.
SUITE de la Tragédie de TANCREDE
& Sigifmonde.
VERS à M. BRISSARD , Comédien du Roi.
VERS à M. BOUVIER DE RUSSAN , fur fon
talent de faire la reflemblance fur le Caillou
Onyx.
Au même , fur le même Sujet.
FRAGMENT d'une Lettre de bonne année, par
un Curé de Nivernois & c .
VERS à Mlle BERNARD , fur fon Portrait.
SUITE de la Corne d'Amalthée , Conte traduit
du Grec .
A M. le Duc de FRONSAC .
7
ΙΟ
43
44
ibid.
*
45
46
47
ibid.
ibid.
76 & 77
78 &79
79
SUR le Mariage de Mlle de NOAILLES avec
M. le Duc de DURFORT.
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
COUPLETS , à mettre en Mufique.
ART. 11. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
EXTRAIT de la Traduction en Vers , par M.
de San-Severino , du Poëme de l'Art de la
Guerre de S. M. LE ROI DE PRUSSE.
GRAMMAIRE Françoife Philofophique , ou
80
JANVIER. 1761. 218
Traité complet fur la Phyfique , fur la
Métaphyfique , & fur la Rhétorique &c,
LETTRE de M. d'Alembert , à l'Auteur du
Mercure.
ANNONCES des Livres nouveaux .
1.
87
197
108 & fuiv
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADEMIES.
.
SEANCE publique de l'Académie des Sciences
, Belles- Lettres , & Arts de Lyon .
PREMIERE Séance publique de la Société
Royale des Sciences & Arts de la Ville de
Metz .
LEFTRE , à l'Auteur du Mercure.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
LETTRE , à M. le Blanc , Démonftrateur
Royal d'Anatomie & Chirurgie , &c,
LETTRE de M. Tenon , Profeffeur Royal au
Collège de Chirurgie de l'Académie Royale
des Sciences , &c .
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie Royale
des Sciences .
RÉPONSE à l'Anony me qui a fait inférer,dans
le Mercure d'Octobre,la premiere ſolution
du Problême propofé dans celui d'Août.
HISTOIRE NATURELLE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure .
ART. IV. BEAUX - ARTS.
HORLOGERIE.
L'ART de conduire & de régler une Pendule ,
par M. Ferdinand Berthoud . & c .
MACHINE qui fait , dans la plus grande perfection
, des lavures des cendres chargées
de matiéres d'or & d'argent &c.
113
119
124
125
134
137
138
144
147
166
171
216 MERCURE DE FRANCE
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
Avis relatif à la Peinture & à la Sculpture .
GRAVURE .
MÉTHODE pour déffécher les Fleurs , & les
conferver dans leur forme naturelle.
OPERA.
ART. V. SPECTACLES.
178
179
ibid.
180
188
COMÉDIE Françoiſe,
189
COMÉDIE Italienne. 197
CONCERT Spirituel.
199
ART. VI. Nouvelles Politiques. 200
RÉPONSE du fieur Chartrey , à MM. Piat &
Cader Apothicaires . 209
Avis divers. 211
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY,
rue & vis-à- vis la Comédie Françoiſe .
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI
FEVRIER. 1761 .
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine.
Chez
Coshin
filius inve
Sculp
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis à - vis la Comédie Françoife.
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi,
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure, rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch, à côté du Sellier du Roi .
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer , francs
'de port , les paquets
& lettres , pour remettre
quant à la partie littéraire , à
M. DE LA PLACE
,
Mercure.
Auteur du
Leprix de chaque volume eft de 36fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes
à raifon de 30 fols pièce . ·
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir,ou qui prendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
c'est- à- dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
'étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffé ci- deſſus .
A ij
Onfupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en foit
fait d'avance au Bureau .
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pièces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
DE LA PLACE , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
FEVRIER. 1761 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE ,
Aun Ami , fur le Voyage de Hollande.
PARMI les mers & cent canaux ,
Entourés de quais & de rues ,
Où les mâts de mille Vaiffeaux ,
Où des forêts , de leurs rameaux ,
Vontfrapper & percer les nues ;
Du Pays , où s'engloutit l'or ,
Où les Humains triftes & chiches ,
Calculant , renflant leur tréfor ,
N'afpirent qu'à mourir bien riches ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.-
Et jouiffent , pour tout plaifir ,
De celui de ne pas jouir :
Recevez , en forme lyrique ,
Ma Profe, fans grace & fans fel ,
Enfantée , hélas ! fous un Ciel
Un peu trop anti- poëtique !
Mais fur les climats différens ,
La Nature féconde & ſage ,
D'une main égale , partage
Et fes bienfaits , & les talens.
Ces Peuples tranquilles , fans chaînes ,
Et libres du joug des grandeurs.
Dans l'égalité de leurs plaines ,
Offrent l'image de leurs moeurs.
Rival du Maître du tonnèrre ,
Ici l'homme a créé la tèrre ;
Plutusy fema des palais ;
Le travail en fit fa Patrie :
Flore même , pour ces marais ,
A fouvent quitté l'Heſpérie .
Fiers Citoyens de l'Univers ,
Là cent Vaiffeaux , tyrans des mers ,
Sillonnent les timides herbes ;
On voit leurs pavillons flottans ,
Se mêler aux chênes fuperbes,
Et régner , au loin , fur les champs.
Ces prés émaillés de verdure ,
Où bondiffent mille troupeaux,
Jadis la main de la Nature
FEVRIER. 17613
Les avoit plongés fous les flots :
Des barrières impénétrables ,
Et des rochers inébranlables ,
Par d'éternels & durs travaux ,
Repouffent les mers fugitives.
J'ai vu l'Océan s'étonner ,
Rugir , expirer fur les rives ,
Qu'il eft forcé d'abandonner.
Par-tout d'élégans édifices ,
Au bord de tranquilles canaux ,
Où je vogue en un plein repos ,
M'offrent leurs riches Frontifpices :
Ils font entourés de berceaux ,
Où , par d'induſtrieux ciſeaux ,
Chaque feuille eft miſe à ſa place ,
Et que réfléchit la furface
Du criſtal mobile des eaux .
L'âme errante , incertaine , avide ,
Suit à peine d'un oeil rapide
Les points de vue ingénieux ,
Tantôt nobles , tantôt ruftiques ,
Et les percés myſtérieux
Des pompeux & fombres portiques.
Chaque parterre eſt décoré
De fon pavillon exagône
Et d'un Mercure bien doré
Élevé comme fur un thrône ,
Un balcon fur l'onde eft porté :
A iv
& MERCURE DE FRANCE.
Là , féant avec gravité ,
Fume un bon Père de famille ;
Près de lui , fa femme & fa fille ,
En filence , boivent le thé.
Au fein de ces plaines heureuſes ,
De leurs clochers majeſtueux
Vingt Cités riches & fameufes , :
Lancent les féches dans les Cieur.
Non : de Tempé la bergerie ,
Et les beaux jours de l'Age d'or ,
Ne font point une rêverie :
Chloé , Life exiftent encor :
Mon oeil les fuit dans la prairie.
Dans un fceau de pourpre ou d'azur
Leur main fait couler le lait pur
De la Génifle bondiffante;
Que l'on prendroit , à fon air fier ,
A fa fourrure éblouiffante ,
Pour l'Amante de Jupiter.
Loin de ce charme folitaire ,
Qu'avec les riches Potentats ,.
Et fa banque que je révére ,
Amfterdam a bien peu d'appas !
Il fe fait admirer , fans plaire.
En vain , à combler fes deſirs ,
S'empreffent Mercure & Neptune :
J'ai vu le tombeau des plaifirs ,
Dans le Temple de la Fortune.
Du vil efclave condamné
FEVRIER . 1761 .
A dérober l'or à la tèrre ,
Ou du Créfus qui l'y reffèrre ,
Quel eft le plus infortuné ?
Celui que l'avarice ronge ,
N'a qu'un vice , un malheur de plus :
Parmi les trésors ſuperflus ,
Tout fon bonheur n'eft qu'un vain fonge :
Loin de tout aimable tranſport ,
Son âme n'eft qu'un coffre fort.
Seroit- ce donc une chimère ,
Que l'efprit , le goût , le plaifir ?
Leur charme feul peut adoucir
Notre court deftin fur la tèrre :
Il faut penfer , jouir , fentir ;
Il faut defirer , il faut plaire.
La raifon s'égare par fois :
L'erreur , la folie ont leurs droits :
11 en eft de plus ou moins fortes ;
Et le phlegme du Hollandois
Eft la plus trifte des marottes .
Parmi ces bourgeois alloupis
Dans leurs infipides uſages ,
Il eft pourtant quelques vrais Sages
Des beaux Arts vivement épris :
Vandervert , Téniers & Myris
Ont fouvent enchanté ma vue :
Des cabinets dignes des Rois
M'ont fait pafler plus d'une fois
La Création en revue.
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Le Peuple de chaque Elément ,
Y conferve à ja mais fon être :
Tout infecte a droit d'y paroître ;
Mais il leur manque heureuſement ,
Celui qu'on nomme Petit- Maître !
Sans tous nos dehors élégans ,
Sans nos chimériques délices ,
Leur efprit eft tout en bon fens :
Ils n'ont rien de nos agrémens ,
Mais du moins ils n'ont pas nos vices !
Point de nos bavards impofans ,
Point de Belles par artifice ,
Jouant l'efprit ou le caprice ,.
Et quelquefois le ſentiment
Ni de fats en titre d'office
Déshonorès fi plaiſamment ,
Et ruinés fi noblement.
>
Vous avez vû , dans le grand Monde ,
Nos femmes à prétention
Prêter l'oreille au doux jargon ,
Minauder , fourire à la ronde ,
Défefpérer d'un air charmant
Et leur époux & leur amant ;
Tandis qu'affis tout auprès d'elles ,
Ces automates redreſſés ,
Qu'on nomme à Paris Demoifelles ,
Muertes , & les yeux baiffés ,
Arrangent leur tour de dentelles
Mais fouvent fans le rajufter
FEVRIER. 1761 . I'I
Pour tout foin , pour toute penſée ,
Elan cent leur gorge preffée ,
Se font un art de palpiter ?
Ici , c'est toute une autre affaire :
Vous verriez dans fon froid maintien,
Une femme trifte & févère ,
Comp tant tout autre homme pour rien ,
Lorg ner fans ceffe & fans myftère ,
Son mari , qui le lui rend bien.
Mais fa fille vive & légére ,
De l'agrément a tous les traits ,
Sourit , agace , cherche à plaire ;
Et montre , fans art , fes attraits
Fraîchement venus de Cythère.
Dans cet honnête & bon Pays ,
L'enjoûment joint à la décence ,
Et même un peu d'expérience ,
Sert à conquérir des maris ,
Comme l'hypocrifie en France .
Qui voudra des Jeux & des Ris , '
Enchaîner la joyeule bande ,
Il faut être fille en Hollande ,
Il faut être femme à Paris .
Mais quoi ? de l'amitié touchante
Lavoix dans mon coeur a gémi :
Je revole en fon fein chéri
Calmer mon âme impatiente.
Pour jamais , ami , j'ai quitté
Ges plaines vaftes uniformes :-
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Je revois fous toutes fes formes
La Nature dans fa beauté.
Tandis que la pouffiére aride
Sous l'éffieu de mon char rapide ,
Eléve de vains tourbillons ;
Que de la route fablonneufe ,
Ma vue active & curieufe ,
Suit au loin les larges fillons ;
Tour-à -tour je vois difparoître ,
Et fe fuccéder & renaître ,
Les Scénes & les horifons.
Tantôt, des doux fruits de Pomone ,
Je vois un côteau couronné ;
Tantôt , un vallon fortuné
Où la Paix a placé fon throne .
Là , ce font de nombreux troupeaux
Qui paillent l'herbe renaillante ,
Au bruit paisible des ruiffeaux ;
Ici , dans fa rapide pente ,
Un fleuve , l'effroi des Nochers,
Roulant les ondes.écumantes ,
Arrofe des plaines riantes ,
Ou fe brife aux pieds des rochers.
Du fommet des fiéres montagnes ,
Sur les floriflantes campagnes ,
Mon oeil s'égare & s'éblouit ;
Ainfi qu'un torrent qui s'écoule ,
Dans mon âme qui s'agrandit ,
Mille objets s'élancent en foule.
FEVRIER. 1761 . 137
Bientôt , d'une antique forêt ,
Je traverſe les routes fombres ;
J'éprouve un fenfible intérêt
Dans l'horreur même de les ombres,
Un orage obfcurcit les airs ;
Les vents agitent le feuillage ;
Il femble que mon coeur partage
Tous les frémiſſemens dive : s.
Tout-à-coup perçant le nuage ,
Le Soleil de longs traits de feux
Embrafe les feuilles tremblantes ;
Et j'admire , en baitant les yeux ,
Leurs ténèbres étincelantes .
J'apperçois cent pompeux châteaux ,
Dont l'orgueil fe perd dans les nues :
Leurs terraffes , leurs avenues
Dominent les bumbles hameaux ,
Et les chaumiéres habitées.
Par les vertus & les travaux .
J'arrive aux portes redoutées
Des Cités langlantes de Mars ;
J'obferve ces tours , ces remparts ,
Couverts de bouches infernales ,
Tout remplis d'embuches fatales ,
Et ces angles , & ces glacis
Recélans fous eux le Ténare :
Honteux d'être homme , je maulis
Cet être follement barbare !
Plus heureux , lorfque je le vois
14 MERCURE DE FRANCE
Dans le fein d'un féjour tranquille ,
Loin des nobles Palais des Rois ,
Décorer le riant aſyle
De la paix , des arts & des loix. '
Nanci , Commerci , Lunéville ,
( Séjour brillant & révéré
De l'humanité couronnée ! ) :
Où j'ai vu ce Sage adoré ,
Dont les bontés ont honoré ,
Ont embelli ma deſtinée !
Parmi les faftes éternels
Et des vertus & de la gloirė ,
De fes fentiens immortels
г
Mon coeur a gravé la mémoire .
IMPROMPTU , pour Madame M. N. à
quelques-uns defes Amans .
L'AMOUR eft un Enfant : il ne veut à fa fuite ,
Que les jeux , les ris , les plaifirs.
L'ennui lui fait prendre la fuite ;
Il s'endort avec les foupirs .
vous , qui defirez attendrir une Belle ,
Amans ! amufez fon efprit.
L'ennui s'eſt - il emparé d'elle :
Bientôt la réfléxion fuit ;-
Et la beauté qui réfléchit ,
A l'Amour est toujours rebelleA
15 FEVRIER. 1761.
L
MADRIGA L.
A Mile *** en lui envoyant le Livre intitulé
, MES LOISIRS.
Ovous , dont l'efprit enchanteur ,
A bon droit fert d'exemple aux autres !'
Vous , faite pour le vrai bonheur ,
Recevez Mes Loisirs pour occuper les vôtres !
Voyez-y les préfens que vous ont fait les Dieux ;-
Voyez-y la douceur , la bonté , la fageffe .
Et fongez , belle Iris , qu'avec de la tendreſſe ,
Vous euffiez fait un chef-d'oeuvre des Cieux.
C. D. V. D'Orleans..
VERS à M. l'Abbé L'EVESQUE , au
fujet de fa Lettre fur les rimes croisées ,
dans les vers alexandrins , &c . inférée
dans le Mercure de Novembre 1760.
par M. VARE .
V OTRE avis , fur les vers , peut être falutaire.
Jeferois , comme vous le foutien de Voltaire ,
Si je ne craignois pas qu'en moi le monde unjour
N'apperçût qu'une borne appuyant une tour,-
16 MERCURE DE FRANCE.
Cet Apollon françois rend tous fes chants fublimes
,
Par l'efprit renaiffant dont pétillent ſes rimes.
Soit qu'il les croife ou non , leur naïve beauté
N'a jamais dépendu de la variété..
Sa Henriade , Abbé , la fleur de fon génie
N'offre point les pavôts de la monotonie ;
Et dans leur changement les fons toujours d'accord
,
Font que dans la mémoire ils le gravent plus fort.
Qui ne peut approcher de fa noble élégance ,
Prétendroit l'imiter , du moins dans fa licence :
Car jamais bon Auteur ne fut embaraffé ,
Dans aucune meſure , après avoir penſé.
C'est à penser qu'il faut que votre exemple oblige,
Sans vouloir que fur l'Art la Mufe fe néglige .
De Malherbe bientôt détruifant les travaux ,
Abjurant les Sonnets , les Odes , les Rondeaux ;
Si l'hémiſtiche encor vient à gêner la veine ,
On pourra donc auffi s'épargner cette peine ?
Imaginez , plutôt , quelque difficulté ....
Le Parnaffe, aujourd'hui, n'eft que trop fréquenté.
FEVRIER . 1761 . 17
SUITE DE LA TRAGÉDIE
DE
TANCREDE & SIGISMONDE.
ACTE IV.
SCENE PREMIERE .
Le Théâtre repréfente les jardins de la
maifon de SIFFREDI .
SIGISMONDE. LAURE.
SIGISMONDE , une lettre à la main,
' EN eft fait ... Je fuis efclave ! ... Le funefte
ferment , eft forti de ma bouche....
J'ai crû , dans cet affreux moment , voir
les tombeaux , & le Temple , & l'Autel
obfcurcis d'un nuage épais , frémir &
s'écrouler fur moi ! ..... Et tu m'offres
encore un nouveau genre de fupplice , ô
Tancréde !.... ah , cruel ! ceffe , du moins ,
de perfécuter ta victime : ceffe de m'envier
, dans mon malheur , une apparence
de tranquillité , dont je ne jouirai jamais
! ..... Mais , comment fe peut - il
que Laure confpire auffi contre le repos
que je cherche ? .... Qui vous forçoit de
18 MERCURE DE FRANCE.
Vous charger de cette Lettre ? .... Hâtezvous
de la lui rendre ..... ( En la lui
Temettant. ) Epargnez - moi de nouveaux
fupplices.
LAURE.
C'est mon frère , Madame ; c'eſt Rodolphe
, qui tout en larmes , m'a conjuré
de rendre ce dernier fervice au Roi ! ....
Ce Prince n'eft ( dit- il ) que malheureux ;
& fon état , eft digne de pitié ! ..... Que
rifquez-vous de voir comment il prétend
s'excufer ? .... Peut-être , vous donne- t-il
ici de nouvelles preuves de fa mauvaiſe
foi.
SIGISMONDE.
Non : l'épouse d'Ofmond ne doit rien
recevoir , & doit tout redouter de cette
main contagieufe.
LAURE.
Rodolphe , me le peint dans le plus
affreux défeſpoir ..... Il expire , s'il ne
Vous voit.
SIGISMONDE.
Gardez-vous de m'en parler ! ...
LAURE.
Je vous rends feulement , Madame
FEVRIER. 1761) 19.
ce que m'a dit mon frère ... On parle même
fourdement ( dit- il ) de quelque complot
obfcur , qui nous a tous trompés ..... Et
j'allois en apprendre davantage ; lorfque
votre père , & votre époux , tous les deux
mandés par Conflance , ont appellé mon
frère.
SIGISMONDE.
Un complot , dites- vous ? ..... Jamais
femme , je le préffens , ne fut plus deſtinée
à l'infortune ! ..... Il faut fubir fon
fort .... Donne - moi la Lettre .... C'eft
un malheur de moins , que de ne plus ,
douter .... Hélas ! étoit- ce avec de tels
frémiffemens , avec ces ferremens de
coeur , que je lifois , ces jours paffés , les
Lettres de Tancréde ?
( Après avoir vainement éffayé de lire
la Lettre ; elle la remet à Laure . )
Ce triſte ſouvenir , trouble juſqu'à ma
vue ... Tiens ... Lis toi- même.
LAURE , lit.
Délivrez-moi , ma chère Sigifmonde , de
toutes les horreurs que peut fouffrir un coeur
fidéle ! .... Eft- il de plus affreux fupplice
que celui d'être regardé comme coupable
par celle dont l'eftime ajoûte encore de
18 MERCURE DE FRANCE.
Vous charger de cette Lettre ? .... Hâtezvous
de la lui rendre ..... ( En la lui
Temettant. ) Epargnez - moi de nouveaux
fupplices.
LAURE.
C'eft mon frère , Madame ; c'eſt Rodolphe
, qui tout en larmes , m'a conjuré
de rendre ce dernier fervice au Roi ! ....
Ce Prince n'eft ( dit- il ) que malheureux ;
& fon état , eft digne de pitié ! ..... Que
rifquez- vous de voir comment il prétend
s'excufer ? .... Peut- être , vous donne - t-il
ici de nouvelles preuves de fa mauvaiſe
foi.
SIGISMONDE.
Non : l'épouse d'Oſmond ne doit rien
recevoir , & doit tout redouter de cette
main contagieuſe.
LAURE.
Rodolphe , me le peint dans le plus
affreux défefpoir ..... Il expire , s'il ne
Vous voit.
SIGISMONDE.
Gardez-vous de m'en parler !....
LAURE .
Je vous rends feulement , Madame
FEVRIER. 1761) 19 .
ce que m'a dit mon frère ... On parle même
fourdement ( dit- il ) de quelque complot
obfcur , qui nous a tous trompés ..... Et
j'allois en apprendre davantage ; lorfque
votre père , & votre époux , tous les deux
mandés par Conflance , ont appellé mon
frère.
SIGISMONDE.
Un complot , dites- vous ? ..... Jamais
femme , je le préffens , ne fut plus deftinée
à l'infortune ! ..... Il faut fubir fon
fort .... Donne - moi la Lettre .... C'eft
un malheur de moins , que de ne plus
douter .... Hélas ! étoit- ce avec de tels
frémiffemens , avec ces ferremens de
coeur , que je lifois , ces jours paffés , les.
Lettres de Tancréde ?
(Après avoir vainement éffayé de lire
la Lettre ; elle la remet à Laure . )
Ce trifte fouvenir , trouble jufqu'à ma
vue ! ... Tiens ... Lis toi - même .
LAURE , lit.
Délivrez-moi , ma chère Sigifmonde , de
toutes les horreurs que peut fouffrir un coeur
fidéle ! .... Eft- il deplus affreux fupplice
que celui d'être regardé comme coupable
par celle dont l'eftime ajoûte encore de
20 MERCURE DE FRANCE.
de nouveaux charmes à la vertu ? Ce qu'e
xigeoit ma fituation , ce que vous croyez
perfidie , n'eft en effet parti que d'un excès
d'amour : j'ai crû , pour un inftant , devoir
lui facrifier l'honneur même..... Tous
les momens qui retarderónt notre entrevue ,
font autant de traits qui vont percer un
coeur qui vous adore ; & bien plus à plaindre
cent fois, que s'il étoit en effet criminel.
Souffrez donc , que je vous conjure de
m'attendre dans le jardin , vers le déclin du
jour ! je vous y dévoilerai tout le mystère
de mon malheur . Avec quelle inhumanité
l'on nous a trompés tous les deux !..-
& par ce papier même qui vous étoit donné
comme le gage le plus facré de ma tendreſſe !
& qui vous affuroit du coeur , & de la main
de votre
....
TANCREDE.
SIGISMONDE.
I
Le voilà donc connu , cet horrible fe
cret ! ..... Et j'en pénétre , avec éffroi ,
toutes les fuites.... Ce funefte papier ...
J'ai cru devoir le remettre à mon père....
Et mon père peut- être ? .... Ah ! je n'ofe
y penfer ..... Trop généreux Tancréde !
épargne -moi cette cruelle vérité que je
redoute laiffe- moi , pour jamais ; oui !
pour jamais , dans l'ignorance ..... Que
FEVRIER. 1761 2
mon infortune , eft étrange ! Je fuis réduite
au point de fouhaiter que mon
Amant foit un perfide ..... Ciel ! pourquoi
m'être tant preffée ? .... N'ai - je
donc dû demander quelques heures ? ... le
devoir le défendoit - il ? .... O Tancréde !
Jufqu'à ce jour, ne t'avois - je pas crû fincère
? ton tendre amour , avoit- il pû mêtre
fufpect & tout , en toi , n'étoit- il pas
vertu ? ... Cieux ! & c'est moi qui te ravis
l'unique bien qui faifoit ton bonheur ?
l'unique bien qui te faifoit chérir la vie ? ...
Un inftant de dépit , renverfe ta félicité
! Et c'est à moi ; c'eſt à Sigifmonde
que tu pourras le reprocher ! ..... Froide
prudence du vieil âge , toujours moins
fufceptible de remords ! ..... Pourquoi
faut- il ( ô barbares Parens ! ) que le bonheur
de vos enfans vous rencontre tou
jours contraires ? ....De toutes parts , j'ai
donc été trahie ? .... Et Laure même ? ...
Ah , Cieux !
LAURE .
Eh , quel autre que lui ( quoiqu'il vous
dife ) a trahi Sigifmonde ? Il eft faux ,
ou pufillanime... Moins il rend fon amour
fufpect, plus il rend fufpect fon courage...
Un jeune Roi , qu'anime & l'amour &
l'honneur , fe fera vû tromper , infulter
22 MERCURE DE FRANCE.
fur le Trône même , fans ſe montrer fenfible
à cet outrage ? fans en punir le téméraire
Auteur ? ... Cette foibleffe , eft
égale à la perfidie.
SIGISMONDE.
Arrête ! ... Nous n'avons déjà que trop
aveuglément jugé. Ce qui s'offre à nos
yeux comme frivole , ou comme indifférent
, fouvent décide notre fort , & produit
les plus grands événemens.... Oui .
je commence à préffentir un avenir qui
m'épouvante la fource de mes maux , eſt
dans mon coeur ; & rien ne peut m'en -
affranchir... La plainte même , eft maintenant
un opprobre pour moi ... Je me
refufe donc ( oui je le dois , & ma fermeté
m'en répond ) je me refuſe donc à
toute efpéce d'entrevue , à toute eſpéce
d'éclairciffement fur cet horrible & ténébreux
mystère. Je fuis , loin de Palerme
& vais chercher l'obfcurité d'une profonde
folitude. Là , toute entière à mes ennuis
, je remplirai mon fort , fans même
que mes pleurs femblent le reprocher à
mon malheureux Père.... Adica, Laure ....
laiffe-moi fuir ? ...
LAURE.
Ah , Madame ! .... Voici le Roi....
FEVRIER. 1761 25
SIGISMONDE.
Dleu ! comment l'éviter ?... Mais non ...
reftons .... Je veux le voir , pour la dernière
fois .... Qu'on me laiffe.
( * à Laure. )
SCENE I I.
SIGISMONDE . TANCREDE
TANCREDE.
Mon long fupplice eft- il enfin fini? ... 8
Sigifmonde ! ô ma vie ! ... ( il fe jette à
fes pieds . )
SIGISMONDE.
Que faites-vous , Seigneur ? .... Mon
Souverain doit-il être à mes pieds ?
TANCREDE.
... Ah ! laiffe- moi baifer la terre où tes
pas font tracés... Souffre que mon âme
s'exhale dans les plus doux , les plus tendres
tranfports ; puifqu'enfin je revois ,
puifque je fèrre dans mes bras ma Sigifmonde
! ( il fe reléve . ) Ingrate ! as- tu pû
me croire infidéle ? As-tu pû jufqu'à ce
34 MERCURE DE FRANCE.
point , infulter àl'amour ?... Que j'aurois
de reproches à te faire .! ... Quoi ! j'étois
dégradé dans ton efprit? Après tout
ce que j'avois fait pour prévenir chez toi
jufqu'à l'ombre du foupçon même ?
...
SIGISMONDE.
Qu'entends je !... na'i -je pas vu ? n'aije
pas entendu tout ce qui s'eft paffé dans
le Sénat ? votre confentement aux intentions
du feu Roi le triomphe de ma
rivale ? ... je vous en applaudis , Seigneur :
celui que le Ciel a choisi pour gouverner
les autres , doit le premier apprendre à
foumettre fon coeur aux loix de la Raifon
... Ma vanité, que vous aviez flattée ,
~eſt juſtement punie ... Pouvois-je , fans
extravagance , me promettre de balancer
dans le coeur d'un grand Roi fa gloire, fon
repos , & le bonheur d'un Peuple entier ?
TANCRED E.
Continuez, ne diffimulez rien : vos reproches
, dans cet inftant , loin d'offenfer
, flattent fenfiblement mon âme .
Non, cher & digne objet de tous mes voeux !
Non , ton Amant ne t'aima jamais plus
que dans ce douloureux , dans ce cruel
moment , où tu l'imaginois perfide ! ..
C'eft ton Père , ma Sigifmonde ; c'est
ton
FEVRIER. 1761.
25
-
ton Père qui m'a trompé ! C'eſt lui , dont
la main téméraire n'a pas craint d'inférer
au - deffus de mon nom , fur le papier que
je t'avois remis , ce lâche & flétriffant
confentement que
Sigifmonde me reproche
.... Ah ! s'il n'eût pas été ton Père ....
Mais qu'apperçois - je ? Tu trembles ! Tu
pâlis ! ...
SIGISMONDE.
O Tancréde ! ... Laiffez-moi.
TANCREDE.
Que je te laiffe ? moi ! ..... Jamais
cruelle : à moins que tes lévres charmantes
ne me jurent , comme autrefois , d'aimer
toujours Tancréde ! ... Sans toi , je
renonce à moi-même , à mes amis , à la
Couronne , à l'Univers ... Ah ! rends moi
cette main.
SIGISMONDE.
Oubliez - la , Seigneur.... Cette main ,
déformais , ne peut être unie à la vôtre.
TANCREDE.
Sigifmonde ! .. Que dites- vous ? ... Ce
difcours , ces regards , & ces frémiffemens
, tout femble m'annoncer de nouveaux
malheurs que j'ignore.... Ah Cieux !
B
26 MERCURE DE FRANCE:
fe pourroit- il ? ... Mais non : je fuis in
jufte... Hâte- toi de parler , fi tu ne veux
que j'expire à tes yeux .
SIGISMONDE.
Craignez d'en fçavoir davantage . ::
N'efperez plus que je puiffe être à vous.
TANCRED E.
Et qui pourroit y mettre obftacle ? Quel
mortel oferoit affronter les fureurs d'un
Monarque outragé ?
SIGISMONDE.
L'erreur où vous m'avez plongée , & le
pouvoir d'un implacable Père , ont mis
pour jamais entre nous , une barrière infurmontable....
Ofmond eft mon Epoux.
TANCRED E.
Votre Epoux ! ....
( Après un long filence , ils fe regardent
fixement , & s'expriment tout ce que leur
fituation exige. Tancréde continue. )
T'ai -je bien entendue ? .... Ofmond eft
ton Epoux ? ... & Tancréde te perd , &
te perd pour jamais ! ... As- tu pu le vouloir
? ...Quoi ! même fans m'entendre? ...
Ah , Sigifmonde ... Ah , malheureuſe !
qu'as- tu fait ?... Non : je ne puis le croire !
FEVRIER. 1761 . 27
Non...! ta main eft à moi , tu ne pouvois
en difpofer !
SCENE III.
SIGISMONDE.TANCREDE.OSMONDOSMOND
, en retirant la main de fa
femme , de celle du Roi.
MADAME ADAME ,. cette main n'eft plus à
vous ... Et fi l'honneur
pouvoit me le permettre
maintenant
.... Tel eft le cas que
j'en ferois ... ( en la rejettant. )
TANCREDE .
Téméraire Mortel ! ... Qui donc es- tu ?
SIGISMONDE , en fortant .
Ah , Ciel ! ... cherchons mon Père.
SCENE I V.
TANCREDE. OSMOND.
OSMON D.
QUELQU'UN , qu'ici , tu devrois mieux
connoître .. Oui ! ... Regarde -moi bien....
Bij
28 MERCURE DE FRANCE:
Quelqu'un , qui veut défendre fon hon
neur & maintenir fes droits contre un
Prince perfide , contre un Roi trop peu
fait pour l'être ; & dont la premiere démarche
, eft celle qu'un Tyran rougiroit
qu'on lui reprochât,
TANCREDE.
· Trop infolent mortel ! ..... apprends
que ce Roi , fi peu fait pour l'être , fera
fentir le poids de fa vengeance à quiconque
ofera lui difputer des droits acquis
avant les tiens . Ceux dont tu veux te prévaloir
, n'ont d'autre fondement qu'une
fupercherie , qu'un infâme complot : les
miens font les droits de l'amour , d'un
amour réciproque , d'une foi donnée &
reçue , qui dès long - temps uniffoit nos
deux âmes ..... Ma Sigifmonde , enfin
doit être , & ne fçauroit être qu'à moi….....
J'annullerai , par le pouvoir que me donne
le fceptre , ces formalités criminelles
dont vous avez imaginé pouvoir lier celle
qui fera votre Reine , qui poffède mon
coeur , & qui partagera mon Thrône ...
Et fi tu l'ignorois , fuperbe Ofmond ! apprend
s - le de ton Maître .... Saches , de
plus qu'après t'en avoir informé ; appren
ds,que s'il t'arrive feulement de penfer
à traverfer mes deffeins ... ta tête
m'en fera raiſon,
>
FEVRIER . 1761 . 29
OSMON D.
Ma tête ? .... Cette menace , excite mon
mépris .... Depuis quand donc , les jours
d'un Chevalier Normand , font- ils devenus
afféz vils , pour dépendre du courroux
d'un Roi ? .... La loi , faite pour te
juger toi même , en pourra décider ....
à fon défaut ; c'eft à ceci que j'en appelle .
( Il porte la main fur la garde de fon
épée. )
TANCRED É.
Garde-toi de la toucher , Traître ! ....
ou crains que la colère ne m'emporte jfqu'à
ne plus me fouvenir de ce que je me
dois.
SCENE V.
TANCREDE. OSMOND. SIFFREDI .
A
SIFFREDI.
н , mon Maître ! .... ah , Seigneur !
Qu'apperçois - je ? un Souverain , ſe compromettre
ainfi ! ... Conteſter avec un
Sujet ! .... J'imaginois que ma maifont
pût mériter quelques égards , & ne dût
pas être choifie pour un fi fcandaleux
Biij
28 MERCURE DE FRANCE
Quelqu'un , qui veut défendre fon hon
neur & maintenir fes droits contre un
Prince perfide , contre un Roi trop peu
fait pour l'être ; & dont la premiere démarche
, eft celle qu'un Tyran rougiroit
qu'on lui reprochât,
TANCRED E.
.....
Trop infolent mortel ! ..... apprends
que ce Roi , fi peu fait pour l'être , fera
fentir le poids de fa vengeance à quiconque
ofera lui difputer des droits acquis
avant les tiens. Ceux dont tu veux te prévaloir
, n'ont d'autre fondement qu'une
fupercherie , qu'un infâme complot : les
miens font les droits de l'amour , d'un
amour réciproque , d'une foi donnée &
reçue , qui dès long - temps uniffoit nos
deux âmeş Ma Sigifmonde , enfin ,
doit être , & ne fçauroit être qu'à moi.....
J'annullerai , par le pouvoir que me donne
le fceptre , ces formalités criminelles
dont vous avez imaginé pouvoir lier celle
qui fera votre Reine , qui pofféde mon
coeur , & qui partagera mon Thrône ....
Et fi tu l'ignorois , fuperbe Ofmond ! apprend
s - le de ton Maître .... Saches , de
plus qu'après t'en avoir informé ; appren
ds, que s'il t'arrive feulement de penfer
à traverfer mes deffeins ..... ta tête
m'en fera raiſon,
>
FEVRIER. 1761 . 29
OSMON D.
Ma tête ... Cette menace, excite mon
mépris .... Depuis quand donc , les jours
d'un Chevalier Normand , font- ils devenus
afféz vils , pour dépendre du courroux
d'un Roi ? .... La loi , faite pour te
juger toi même , en pourra décider ....
à fon défaut ; c'eft à ceci que j'en appelle .
( Il porte la main fur la garde de fon
épée. )
TANCREDE
Garde-toi de la toucher , Traître ! .....
ou crains que la colère ne m'emporte j₁fqu'à
ne plus me fouvenir de ce que je me
dois.
SCENE V.
TANCREDE. OSMOND. SIFFREDI.
A H
SIFFRED I.
H , mon Maître ! ....ah , Seigneur !
Qu'apperçois - je ? un Souverain , fe compromettre
ainfi ! ... Contefter avec un
Sujet ! .... J'imaginois que ma maiſon
pût mériter quelques égards , & ne dûr
pas être choifie pour un fi fcandaleux
B iij
28 MERCURE DE FRANCE
Quelqu'un , qui veut défendre fon hon
neur & maintenir fes droits contre un
Prince perfide , contre un Roi trop peu
fait pour l'être ; & dont la premiere démarche
, eft celle qu'un Tyran rougiroit
qu'on lui reprochât ,
TANCREDE.
...
Trop infolent mortel ! ..... apprends
que ce Roi , fi peu fait pour l'être , fera
fentir le poids de fa vengeance à quiconque
ofera lui difputer des droits acquis
avant les tiens . Ceux dont tu veux te prévaloir
, n'ont d'autre fondement qu'une
fupercherie , qu'un infâme complot : les
miens font les droits de l'amour , d'un
amour réciproque , d'une foi donnée &
reçue , qui dès long - temps uniffoit nos
deux âmes . Ma Sigifmonde , enfin ,
doit être , & ne fçauroit être qu'à moi….……...
J'annullerai , par le pouvoir que me donne
le fceptre , ces formalités criminelles
dont vous avez imaginé pouvoir lier celle
qui fera votre Reine , qui pofféde mon
coeur , & qui partagera mon Thrône ....
Et fi tu l'ignorois , fuperbe Ofmond ! apprends
- le de ton Maître .... Saches , de
plus qu'après t'en avoir informé ; appren
ds, que s'il t'arrive feulement de penfer
à traverfer mes deffeins ..... ta tête
m'en fera raiſon ,
?
FEVRIER. 1761 . 29
OSMON D.
Ma tête ... Cette menace , excite mon
mépris .... Depuis quand donc , les jours
d'un Chevalier Normand , font- ils devenus
affez vils , pour dépendre du courroux
d'un Roi ? .... La loi , faite pour te
juger toi même , en pourra décider ....
à fon défaut ; c'eft à ceci que j'en appelle.
( Il porte la main fur la garde de fon
épée. )
TANCRED E.
Garde-toi de la toucher , Traître ! .....
ou crains que la colère ne m'emporte jfqu'à
ne plus me fouvenir de ce que je me
dois .
SCENE V.
TANCREDE. OSMOND. SIFFREDI .
Aμ
SIFFRED Í.
H , mon Maître ! ....ah , Seigneur !
Qu'apperçois - je ? un Souverain , fe compromettre
ainfi ! ... Conteſter avec un
Sujet ! .... J'imaginois que ma maifon
pût mériter quelques égards , & ne dût
pas être choifie pour un fi fcandaleux
B iij
28 MERCURE DE FRANCE
Quelqu'un , qui veut défendre fon hon
neur & maintenir fes droits contre un
Prince perfide , contre un Roi trop peu
fait pour l'être ; & dont la premiere démarche
, eft celle qu'un Tyran rougiroit
qu'on lui reprochât,
TANCREDE.
· ....
Trop infolent mortel ! ..... apprends
que ce Roi , fi peu fait pour l'être , fera
fentir le poids de fa vengeance à quiconque
ofera lui difputer des droits acquis
avant les tiens. Ceux dont tu veux te prévaloir
, n'ont d'autre fondement qu'une
fupercherie , qu'un infâme complot : les
miens font les droits de l'amour , d'un
amour réciproque , d'une foi donnée &
reçue , qui dès long - temps unifloit nos
deux âmeş Ma Sigifmonde , enfin ,
doit être , & ne fçauroit être qu'à moi…....
J'annullerai , par le pouvoir que me donne
le fceptre , ces formalités criminelles
dont vous avez imaginé pouvoir lier celle
qui fera votre Reine , qui poffède mon
coeur , & qui partagera mon Thrône ....
Et fi tu l'ignorois , fuperbe Ofmond ! apprends-
le de ton Maître .... Saches , de
plus qu'après t'en avoir informé ; appren
ds, que s'il t'arrive feulement de penfer
à traverfer mes deffeins ..... ta tête
m'en fera raiſon,
?
FEVRIER. 1761 . 29
OSMON D.
Ma tête ... Cette menace , excite mon
mépris .... Depuis quand donc , les jours
d'un Chevalier Normand , font- ils devenus
affez vils , pour dépendre du courroux
d'un Roi ? .... La loi , faite pour te
juger toi même , en pourra décider ....
à fon défaut ; c'eft à ceci que j'en appelle.
( Il porte la main fur la garde de fon
épée. )
TANCREDE.
Garde- toi de la toucher , Traître ! .....
ou crains que la colère ne m'emporte jfqu'à
ne plus me fouvenir de ce que je me
dois .
SCENE V.
TANCREDE. OSMOND. SIFFREDI.
A H
SIFFREDI.
н , mon Maître ! .... ah , Seigneur !
Qu'apperçois - je ? un Souverain , fe compromettre
ainfi ! ... Contefter avec un
Sujet ! .... J'imaginois que ma maiſon
pût mériter quelques égards , & ne dûr
pas être choifie pour un fi fcandaleux
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
éclat ....Un fi cruel événement , renverfe
, en un inftant , mes efpérances , &
me rend la vie odieuſe .... Qui défendra
nos droits , Seigneur , fi c'est vous qui les
attaquez ? qui maintiendra notre paix domeftique
, fi c'eft le Prince qui la trou- .
ble ? .... N'est- ce pas pour en jouir plus
fûrement , que tant de coeurs nés libres
fe plient aux loix d'un gouvernement
légitime ?
TANCREDE.
Epargnez-vous ces froides remontrances
les devoirs de mon rang , ne me font
pas tout- à-fait inconnus .... Mais vous
vieil organe des loix ; de quel front ofezvous
parler ici d'égards , & de droits violés
? Vous ! dont l'audace n'a pas craint
de fouler aux pieds tout ce qu'on doit à
la justice , à l'humanité même ? ... Tu
fçais , fi je t'accuſe à faux ? fi j'ai droit de
te rétorquer tes indignes reproches ? Mais
je daigne encore t'épargner , fur - tout
devant Ofmond ; devant celui pour qui
ton amitié mal affortie t'a fait fi baſſement
facrifier ta fille .... Adieu .... Vous , Con
nétable , vous dont l'audace ofoit lever.
les yeux jufque fur mon Amante ; je vous
ordonne encore un coup , fur votre tête....
(Dévore ta fureur , Comte : entends - moi !)
FEVRIER. 1761. 3ཉེ་
au péril de ta tête , dis - je , garde- toi
de pouffer plus loin tes arrogantes prétentions.
SCENE V I.
SIFFREDI. OSMOND.
ARRO
OSMOND.
RROGANTES , dit- il ! .... N'eft- ce donc
point ma femme qu'il m'enléve ! .... Où
fommes nous , grands Dieux ? ..... Setions-
nous devenus féroces ? n'avons nous
plus de Loix , plus de police , plus de
frein .... Je n'ai plus de droits fur ma
femme ! ....Monarque extravagant ! ton
courroux menace ma vie ? C'eſt du Ciel
même , & non de toi , que je la tiens ,
pour la défendre noblement contre tout
oppreffeur. O Race des Normans ! ô fils
du grand & redouté Rollon ! qui fortis
par éffain du fond du Nord , ( digne fource
, digne nourrice des coeurs libres &
généreux ) ainfi que la tempête , ont
renversé tout ce qui s'oppofoit à leur
paffage , n'ont dû leurs établiſſemens
qu'à leur épée n'en jouiffent encore
qu'au même titre , & ne font point accoutumés
aux menac esd'un Maître ! ..
›
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Vous , dis- je , qui faurez l'outrage que
j'éprouve ; mépriſez- moi , fi mon honneur
n'eft point vangé ! Ne voyez plus ,
en moi , qu'un lâche , qu'un traître à la
Patrie , trompé , trahi , tyrannifé..... Ma
caufe eft celle du Public... Conftance eft ,
déformais , ma Souveraine.
SIFFRE DI.
Maintenons nos droits ; maintenons - les
même , avec fermeté , Seigneur : mais ,
ajoutons y la Prudence. Ne rifquons
point à plonger l'Etat dans les horreurs
inféparables d'une guerre inteftine. Elevons-
nous , Seigneur , mettons- nous au
deffus de la Sphère vulgaire des paffions
perfonnelles ; & n'agiffons ici que noblement
! ... Songez , fur- tout , que ma
maiſon eſt un alyle fûr pour votre époufe...
Et qu'à la moindre violence, vous verrez
cette main, quoique foible à vos yeux,
renouveller ce qu'à- peu- près en pareil cas
on vit jadis àRome... * Ne craignez rien :
Tout peut encore fe réparer ; & je connois
le coeur du Roi. Ses premiers mouvemens
font tout de feux , plus prompts
que l'éclair même : Mais la juftice , mais
l'honneur , ont toujours des droits fur
*Virginius , à qui Clodius vouloit enlever fa
fille , la poignarda de fa propre main .
FEVRIER. 1761 . 33
fon âme ... Vous le verrez ( j'en fuis certain
! ) revenir bientôt à lui - même.
OSMON D.
Je dirai plus... Il faut qu'il y revienne ...
Oui, Seigneur, il y reviendra fans doute ! ...
vous le connoiffez , dites - vous ? Ah ! plût
au Ciel , que j'euffe appris de vous , tout
ce que vous favez de lui ! ... Siffrédi voudroit
donc que j'attendiffe en paix que ce
Tyran revînt à la raifon ? .... Puiffances
éternelles il faudra donc attendre que
ce Prince ait mieux forgé nos chaînes ?
Que fon orgueil, accru par notre abaiſſement
, ait renverfé toutes les Loix ? ...
Non , non , Seigneur , il eft un plus noble
moyen de ramener l'aveugle oppreffion
aux régles du devoir.
SCENE VII.
SIFFREDI. OSMOND. RODOLPHE.
Gardes.
RODOLPHE.
SEIGNEUR , EIGNEUR , grand Connérable de Sicile 3
c'est par un ordre exprès du Roi , que je
demande votre épée.
34 MERCURE DE FRANCE.
OSMON D.
Quel eft ce Roi , Rodolphe ? Je n'en
connois point en Sicile... fi ce n'eft l'époux
de Conftance .
SIFFREDI.
Laiffez un libre cours à fa fureur ....
Seigneur , obéiffez .... Nulle priſon ne
peut retenir nos injures ... Oui , Seigneur !
Ce dernier trait m'attache encore plus à
vous ; nos fortunes feront les mêmes.....
( à Rodolphe. ) Ami ! vous me voyez gémir
fur les prémices de ce régne.
OSMON D.
Dites , de cette ufurpation .... Ce météore
peut éffrayer , en brillant fur nos
têtes ; mais fe diffipera bientôt .... Rodolphe
, je vous fuis... Adieu , Seigneur ....
Souvenez -vous, que je laiffe en vos mains:
plus que ma fortune , & ma vie ! .... mon
honneur.
SIFFREDI.
Le mien s'y trouve à jamais attaché ...
Adieu , mon fils . ... Nous ne ferons pas
longtemps féparés... Point de fommeil
point de repos pour moi , jufqu'à ce que
je brife ou partage vos fers .
Fin du quatrième Acte,
FEV RIER. 1761 . 35
T
ACTE V.
SCENE PREMIERE.
SIFFREDI , feul .
OUT femble autour de moi fe couvrir
de nuages le Roi , quoique moias agité,
(comme tous les coeurs vifs , & généreux )
ne conferve pas moins toute l'ardeur de
fa tendreffe ; & perfifte toujours , quel
qu'en puiffe être le danger , à faire rompre
le lien qui joint Ofmond à Sigifmonde
.... Ciel ! à quelle orageufe mer , aije
rifqué de confier mon Tréfor le plus
précieux ? ... Ici les rapides éffors d'une
fougueufe paffion , que la jeuneffe , & le
pouvoir fuprême irritent , ne me font que
trop fentir toute la témérité de mon éntreprife
.... Là , le jaloux orgueil d'un
Grand , redoutable par fa naiffance , par
fes amis , par la juftice même de fa caufe ,
intére le vivement mon honneur à fervir
fon reflentiment. Tout me dit cependant
encore , je me fens toujours convaincu ,
que les mesures que j'ai prifes étoient devenues
néceffaires pour prévenir les maux
que je craignois pour ma Patrie.... Mais,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
comment agir maintenant ?...Je vais hâter
peut- être les malheurs que j'imaginois détourner
! ... Ciel, que j'ai lieu de craindre
que la fupercherie , quels qu'en puiſſent
être les motifs, ne foit peu propre àprocurer
le bien public , ou la félicité particuliere.....
Toi , qui lis dans les coeurs , ô Ciel ! fois:
le témoin de toute la pureté du mien . J'ai
crû devoir préférer mon devoir , & le falut
de mes Concitoyens, aux brillantes lueurs .
faites pour éblouir les âmes baffement intéreffées
, & les plonger dans tous les maux.
e je me flattois d'éviter ..
SCENE II.
SI FREDI. UN OFFICIER.
L'OFFICIER.
SEIGNEUR
EIGNEUR , un Etranger , d'un exté
rieur impofant , mais qui fe couvre le
vifage ; demande , avec empreffement , à
vous parler..
SIFFREDE
Qu'il entre ...Il fe couvre le vifage ...
Pourquoi donc ce déguifement ... & furtout
à cette heure ?
FEVRIER. 1761 . 37
SCENE III.
SIFFREDI. OSMOND , enveloppe
dans un manteau , qu'il relève en entrant.
SIFFRED I.
CIEL ! n'eft- ce point Ofmond ? ... Ah ,
Seigneur ! Que je fuis enchanté de vous
revoir ! .... Mais pourquoi ce déguifement
? .... Le Roi pourroit il avoir fait
plus qu'il ne m'a promis ? Vous ne deviez
fortir qu'au point du jour ..... Seroit- il
redevenu juſte ?
Ofmond lui apprend que le Gouverner du
Château , où il étoit prifonnier , lui a permis de fortir
jufqu'au point du jour , fur fa parole ; & que tous
les Partifans de Conftance font prêts à prendre les
armes pour le vanger , ainfi qu'elle , d'un Prince
qui ne leur annonce qu'un Tyran plus à craindre
encore que Guillaume le Mauvais . Siffrédi employe
vainement toute fon éloquence pour calmer fon
reffentiment ; il offre même d'enlever fecrettement
Sigifmonde ; de la conduire dans un Monaſtère &
de la forcer de fe confacrer à Dieu . Rien ne peut
détourner Ofmond de la vengeance qu'il croit fe
devoir , ni ébranler les fentimens patriotiques de:
Siffredi , qui le quitte après lui avoir promis d'al
ler le lendemain matin , avec tous les amis ,
mander la liberté au Roi,.
de
38 MERCURE DE FRANCE.
SCENE III.
O SMON
SMOND, feul , conçoit des foupçons fur la
probité de fon beau - père , dont la prédilection
pour Tancréde lui eft connue ; & fon ardente jaÎoufie
réalife bientôt dans fon efprit tous ces foupçons.
Il fe détermine à enlever , dès cette nuit , fa
femme , & à la conduire en lieu de fureté . Il fort,
dans le deflein d'aller engager le Gouverneur du
Château à faire agir , dès cet inftant , tous les
amis.
SCENE I V.
IF Théâtre repréſente l'appartement de Sigif
monde. La nuit eft avancée. Elle force Laure de
la laiffer feule à fes douleurs.
SCENE V.
SIGISMONDE , feule.
ENFIN
NFIN me voilà feule ! .... & la plus
malheureufe créature qui veille maintenant
dans l'Univers .... J'ai dit à Laure ,
que je ne craignois rien .... Mais je ne
FEVRIER. 1761. 39
fai quelle fecrette horreur s'empare de
mes fens...Ah , doit-on craindre encore ,
quand toute efpérance eft perdue ... & morte
pour jamais !... Et toi , fecourable afyle
de repos ! ( en regardant fon lit. ) toi , qui
fais oublier tous les tourmens des jours
les plus tumultueux ; où les peines de la
trifte humanité femblent s'enfevelir dans
un délicieux oubli : tu m'offrirois envain
ton utile fecours ! ... Que faite donc ?
Que devenir , en ces inftans d'horreur ?...
Mais , ô Ciel ! n'entends- je pas du bruit? ...
Non ... Je me trompois ... Le plus profond
filence régne feul dans cette affreufe
nuit . Encore !.... Ah Dieu ! que vois je ...
Eft- ce le Roi ? ...
SCENE V I.
TANCREDE . SIGISMONDE.
TANCREDE.
AH ! de grâce, ne vous allarmez point...
SIGISMONDE.
Eft- ce un Roi , qui me parle!.... Mais
par quel art ... Par quel enchantement ,
& furtout à cette heure , a- t-il pû s'intro
duire ici
40 MERCURE DE FRANCE.
TANCREDE.
Par la fecrette iffue que mon amour
avoit imaginée , lorfque , dans des temps
plus heureux , je confacrois fi vainement
ces mêmes heures aux tendres proteftations
d'une flâme éternelle.
SIGISMONDE.
Pourquoi donc perfifter dans l'odieux
projet d'ajouter aux tourmens d'une femme
, qui ne peut être à vous ? ... Ah , fuyez,
Prince ! ... Ignorez-vous encore ? ...
TANCREDE.
Non , je n'ignore point tous les reproches
que j'aurois à vous faire ....
Mais le temps eft trop précieux... Vous
favez par quel artifice votre Père m'a
forcé de paroître coupable aux yeux de
mon amante même. Funefte aveuglement
... Ciel , pouvez -vous n'avoir point
apperçu les mouvemens & d'amour & de
rage dont j'étois dévoré , lorfqu'aux yeux
de l'Etat entier je me fuis vû contraint ,
uniquement pour obtenir quelque délai ,
de déguifer mes fentimens ? ... Avez - vous
pû m'imputer d'autre but , que celui de
m'affurer d'autant mieux la poffeffion de
ma chère Sigifmonde ? ... & depuis cer
FEVRIER. 1761. 47
pour inftant fatal , que n'ai-je point tenté
me débarraſſer du piége où m'avoit fçu
plonger le trop barbare Siffrédi ! ... Mais
ton dépit , mais ta crédulité nous a per
dus... Quel nom donner à l'injuftice que
j'éprouve de ta part ? ... & quel éfpoir
peut déformais être fondé ?
SIGISMONDE.
Trop généreux Tancréde ! ... l'excès de
ta fincérité me confond , & me tue ! ...
Oui !... Oui , c'eft moi feule qui fuis perfide...
Un reffentiment trop précipité ,
joint à l'excès de ma foumiffion aux ordres
de mon Père , a mis le comble à nos
malheurs... Mais puis - je comparer les .
tiens à ceux où je me trouve en proie?
à ceux dont tu me vois frémir ? ... Haismoi
, Tancréde ; laiffe moi : abandonne
une ingrate à toutes les horreurs du fort
qu'elle mérite , & qu'elle doit fubir. Tâche
enfin d'oublier la déplorable & trop
indigne Sigifmonde !
TANCREDE.
Moi t'oublier ! ... Non ! ton âme eft
la mienne..... Je ne penfe qu'à toi , je
n'efpére qu'en toi , & ne puis defirer que
toi !... Ton repentir ajoute encore au défefpoir
que m'infpire la crainte de te per41
MERCURE DE FRANCE.
dre ! tu ne m'en deviens que plus chére !
... Moi , t'oublier ? ... ferois -je encore
Tancréde ? ne ferois-tu plus Sigifmon
de ?
SIGISMONDE.
C'eft pourtant un éffort ,
'doit vous préfcrire.
que le devoir
TANCREDE.
Et Sigifmonde , ofera - t - elle le tenter
? ...
SIGISMONDE.
J'ignore, hélas, quel fera mon fuccès ! ...
Mais quelque foible que je fois , je me
promets de remplir mes devoirs.
TANCRED E.
Ainfi , je fuis perdu ! ... Vous y réuffirez
, Madame ; & je fuis oublié.
SIGISMONDE.
Quoi , Tancréde ! ... mais refpectez ce
que je fuis ... Quels feroient vos deffeins
?
TANCREDE.
De réclamer des droits fondés fur les
fermens dont le Ciel même eft le garant ;
FEVRIER. 1761.
43
de m'élever contre la prophanation de la.
foi jurée , qui rend nulle de droit toute efpéce
d'alliance poftérieure... d'ufer enfin
des droits du Souverain contre l'abus des
Loix , dont lui feul eft l'inftituteur & fuprême
interprète.
SIGIS MONDE.
L'honneur , Seigneur , eft trop rigide ,
trop fcrupuleufement délicat pour re-.
courir aux fubtilités des interprétations ....
Ses promeffes , font fes feuls juges ... Je
n'étois probablement pas née pour être)
votre Reine .... Ni pour porter un nom
plus cher encore ; celui de votre épouse .
Je fuis celle d'un homme illuftre , d'un
homme né de votre fang ; & ferai du
moins dignement , ce que je fuis .....
Laiffez moi donc ; partez , Seigneur :
partez , mon Roi ! ... Nul reméde ne
peut guérir les maux que ce jour nous a
faits ... Nous ne nous verrons plus.
·
TANCREDE.
Impitoyable Sigifmonde ! où prends - tu
cette fermeté ... Peux-tu , fi froidement ,
percer mon coeur ?... Ah , que l'amour eſt
foible , lorfque la vanité peut balancer
fes droits ! lorfqu'il voit , fans douleur , le
défefpoir de fon objet ! ... Non, tu ne peux
44 MERCURE DE FRANCE.
me voir, fans pitié, dans l'état horrible ou
je fuis .... Non ! tu ne le peux , dis - je tu
ne le peux , ma chère Sigifmonde !... Il en
eft temps encore fauve- moi ; fauvenous
! ... Rodolphe , avec ma garde , eft
à la porte du Jardin ... Saififfons un moment
que nous ne retrouverons peut être
jamais . Je te reconnoîtrai hautement
pour mon époufe , & t'en affurerai publiquement
le titre augufte : tout l'Univers
approuvera mon choix : tous les coeurs
généreux applaudiront à notre bonheur
mutuel.
SIGISMONDE.
L'Univers , dires- vous ? Qu'eft- ce, pour
moi , que l'Univers , fi j'ai quelques reproches
à me faire ? .... Si pourtant tu
n'étois pas Roi , je ne répondrois pas frfi
certainement de moi - même. Ma conduite
en ce cas, juftifiée , fanctifiée par le fentiment
de l'amour le plus pur, n'eût pas été
fufpecte à l'oeil le plus auftère : l'ambition
, ou l'intérêt , n'euffent pû m'être reprochés.
Mais , aujourd'hui , mon coeur ,
quelque partial qu'il puiffe être , réclame
vainement contre le fentiment intérieur
qui tyranniſe ma Raiſon .
TANCREDE.
Eh bien , n'en parlons plus .... Il faur
FEVRIER. 1761.
45
que je céde à mon fort... Oui , je le dois ,
cruelle, puifque ton âme endurcie par un
orgueil mal entendu, fe forme également
à la Pitié comme à l'Amour .... regardemoi
! vois ton amant, dégradé de fon être,
vil & miférable poids de la Tèrre , renoncer
à fon rang , abjurer toute eſpéce
de devoirs ! ... C'eft là, que je veux expirer;
c'eft à tes pieds que je rendrai l'âme la
plus fidelle... La mort ; oui , la mort ſeule ,
déformais , pourra nous féparer !
SIGISMONDE , en voulant le relever.
Ah , Cieux ! vous avez donc juré ma
perte ? ... Eh , que puis je de plus pour
vous ? ... Eh bien , Tancréde ; eh bien ,
pour la dernière fois , j'oublie encore ce
que je fuis ! je veux bien t'avouer, que les
liens les plus facrés n'altéreront jamais
les fentimens que j'ai pour toi ... Mais ,
laiffe-moi ! ... Fuis , dis- je ? dût- ce n'être
que par pitié ! .... Dieu , quel fort eft le
nôtre ! .... relevez - vous , Seigneur ; & fi
vous m'aimez en effet , refpectez mon
honneur ; refpectez mon repos.... retirezvous
, dis-je ! ... Car , quoique ma vertu
n'ait rien à redouter de la foibleffe de
mon coeur ; les déchiremens qu'il éprouve
font trop affreux pour que je les fupporte
plus longtems ! ...
44 MERCURE DE FRANCE.
me voir, fans pitié , dans l'état horrible ou
je fuis.... Non ! tu ne le peux , dis- je : tu
ne le peux , ma chère Sigifmonde !... Il en
eft temps encore fauve- moi ; fauvenous
! ... Rodolphe , avec ma garde , eft
à la porte du Jardin ... Saififfons un moment
que nous ne retrouverons peut être
jamais. Je te reconnoîtrai hautement
Four mon époufe , & t'en affurerai publiquement
le titre augufte : tout l'Univers
approuvera mon choix : tous les coeurs
généreux applaudiront à notre bonheur
mutuel.
SIGISMONDE.
L'Univers , dires - vous ? Qu'est - ce, pour
moi , que l'Univers , fi j'ai quelques reproches
à me faire ? .... Si pourtant tu
n'étois pas Roi , je ne répondrois pas fr
certainement de moi - même . Ma conduite
en ce cas, juftifiée , fanctifiée par le fentiment
de l'amour le plus pur, n'eût pas été
fufpecte à l'oeil le plus auftère : l'ambition
, ou l'intérêt , n'euffent pû m'être reprochés.
Mais , aujourd'hui , mon coeur ,
quelque partial qu'il puiffe être , réclame
vainement contre le fentiment intérieur
qui tyrannife ma Raifon.
TANCREDE.
Eh bien , n'en parlons plus .... Il faur
FEVRIER. 1761.
45
que je céde à mon fort ... Oui , je le dois ,
cruelle, puifque ton âme endurcie par un
orgueil mal entendu,fe forme également
à la Pitié comme à l'Amour .... regardemoi
! vois ton amant, dégradé de fon être,
vil & miférable poids de la Tèrre , renoncer
à ſon rang , abjurer toute eſpéce
de devoirs ! ... C'eſt là , que je veux expirer;
c'eft à tes pieds que je rendrai l'âme la
plus fidelle... La mort ; oui, la mort ſeule,
déformais , pourra nous féparer !
SIGISMONDE , en voulant le relever.
Ah , Cieux ! vous avez donc juré ma
perte ? ... Eh , que puis je de plus pour
vous ? ... Eh bien , Tancréde ; eh bien ,
la dernière fois , j'oublie encore ce
pour
que je fuis je veux bien t'avouer, que les
liens les plus facrés n'altéreront jamais
les fentimens que j'ai pour toi ... Mais ,
laiffe-moi ! ... Fuis , dis- je ? dût- ce n'être
que par pitié ! .... Dieu , quel fort eſt le
nôtre ! .... relevez - vous , Seigneur ; & fi
vous m'aimez en effet , refpectez mon
honneur ; refpectez mon repos.... retirezvous
, dis - je ! ... Car , quoique ma vertu
n'ait rien à redouter de la foibleffe de
mon coeur ; les déchiremens qu'il éprouve
font trop affreux pour que je les fupporte
plus longtems ! ....
46 MERCURE DE FRANCE.
SCENE VII.
TANCREDE. SIGISMONDE,
OSMOND , l'épée à la main.
OSMON D.
RETOURNE- TOI , tyran ! je dédaigne de
te furprendre ..... viens fatisfaire à ma
gloire outragée.
TANCREDE.
Infolent ! .... Songe toi - même à te défendre.
Ils fe battent. Ofmond tombe.
SIGISMONDE.
Au fecours au fecours !.... Ah , cieux
cruels ! ...
Elle fe panche fur fon mari.
Hélas , Seigneur ! .... qu'aviez - vous donc
imaginé ? ... Ah ! cette foi que je vous
ai jurée , à la face de nos Autels , eſt encore
auffi pure que le jour... J'étois à vous,
Seigneur... Rien fur la Tèrre ne m'en eût
a mais féparée.
FEVRIER . 1761 . 47
.
OSMOND , en la frappant de fon épée.
Femme perfide ! ... meurs... va m'at
tendre au cercueil .
TANCREDE.
Ah , quelle horreur ! ... Exécrable af
faffin ! ...
OSMOND , expirant.
Tyran,tu ne triompheras pas, du moins,
fur mon tombeau... Je meurs vangé... Je
meurs, avec honneur... Je meurs content.
SCENE VIII.
TANCREDE. SIGISMONDE . RODOL
PHE. LAURE.
TANCREDE , à genoux , auprès de
Sigifmonde.
ALL
... 9
LLEZ , volez , amis .... qu'on vienne
à fon fecours.. que tout ce que Palerme
a de fameux dans l'art dont nous
avons befoin , fe rende à l'inftant dans
ces lieux .... ah , chère Sigifmonde ...
43 MERCURE DE FRANCE.
SIGISMONDE.
Tous les fecours font vains ..... La
main puiffante de la mort est étendue fur
moi .... Je goûre pourtant la douceur de
me revoir à mon Tancréde ! .... de pouvoir
, fans remords , perdre la vie entre
fes bras ! ....
TANCREDE.
Dieu ! fa voix , eft mourante ..... Tu
te revois à moi ? ... & la mort t'enlève à
mes voeux ! ..... fort barbare ! Tel eft
donc l'hymen que me préparoit ta fureur
! ... Et c'eſt Tancréde qui t'immole! ...
C'est moi qui fuis la caufe de ta mort :
Ofmond n'en fut que l'inftrument ....Je
te ferai juſtice ..... Ma mort ſuivra la
tienne.
SIGISMONDE.
Vis plutôt , cher Epoux ! ... vis , cher
Tancrede ! vis , pour régner en Héros ;
pour te rappeller quelquefois Sigifmonde;
pour prendre foin des malheureux amis
que je te laiffe ! ... & pour rendre ton Peuple
heureux.
SCENE
FEVRIER. 1761 . 49
SCENE IX . ET DERNIERE .
Les mêmes Acteurs. SIFFREDI.
SIGISMONDE , appercevantfon Père ,
immobile & les yeux levés vers le Ciel.
Mon Père ! ... En quel état vous
voit mon oeil mourant ?
SIFFREDI ,
Ciel redoutable ! ... tu m'as puni .
O mon enfant ! ...
SIGISMONDE.
Où fuis -je , hélas ! ... Je vois à peine ,
à travers les ténèbres ... Adieu , ma chère
Laure! prends foin de confoler mon Père ...
Vous , Rodolphe , veillez fur votre trop
malheureux Roi .... Veillez fur mon
Epoux ! ... Et vous Père trop cher , accablé
fous le poids de l'âge : ce coup , eft
trop pefant pour vous .... Victime de la
vertu même, recevez mon dernier adieu ! ...
Je ne vois plus Tancréde ? ... Approche
cher Epoux .... Je fens ta main foible &
tremblante .... J'expire.... toute à toi ! ...
C
so MERCURE DE FRANCE.
Tancréde veut mourir avec Sigifmonde. On lui arrache
fon épée. Siffrédi , après quelques inftans
d'un morne filence , dit:
O Ciel ! ne m'as- tu laiſſé vivre fi longtemps
, que pour montrer en moi le plus
terrible exemple de ta juftice ?... Rodol
phe , relevez le Roi... qu'on l'emporte
loin de ce Théâtre d'horreurs.
Contemple, infortuné vieillard, l'oeuvre
funefte de ta main ! Tu voulus.commander
aux paffions ; tu voulus employer la
force pour les régler : tu vois trop tard ,
hélas ! qu'elles peuvent fouffrir un guide ;
jamais , un oppreſſeur !
Et vous qui m'écoutez , vous auſtères Parens !
Craignez d'exiger trop du coeur de vos enfans.
Fin de la Tragédie.
VERS préfentés le 28 Octobre defnier ,
Mgr le Prince de MONTAU BAN .
ENORGUEILLI EILLIS de leur bonheur durable,
Enivrés de l'encens offert fur leurs autels ,
Je croyois que les Dieux , fur les foibles Mortels ,
Ne daignoient pas jetter un regard favorable.
Je parle de ces Dieux entourés de flatteurs ,
Qui , mortels comme nous , reçoivent notre
hommage ,
FEV RIER. 1761 . St
Et qui , des Dieux du Ciel jaloux imitateurs ,
Exigent cent fois davantage.
Aujourd'hui cependant , oubliant la grandeur ,
Un Prince respecté devient mon Protecteur.
Quel excès de bonté ! quel fentiment l'inſpire ?
Des traits de fa fplendeur je fuis environné.
GRAND PRINCE , mon bonheur n'eft- il point un
délire ?
U
Non : je n'enfuis plus étonné !
Vous êtes ROHAN : c'eft tout dire.
DE GROUBENTALL , fils.
LE ROSSIGNOL ,
FABLE.
N Roffignol chantoit , au lever de l'Aurore :
Les Oiseaux , en filence , écoutoient les accens.
Zéphire , agité par ſes chants ,
S'en croyoit plus digne de Flore.
Bientôt l'Oiseau mélodieux
Prèffe les fons , anime fon ramage ,
Et fait retentir le bocage
D'accens toujours plus vifs , plus doux , plus gracieux
.
Mais il ſe taît enfin. La légére Alouette
Lui dit , beau Roffignol , le prix du chant t'eſt dû.
Mais , cruel , pourquoi chantes tu
Pendant fi peu de temps ? Dans les airs on re-
Cij grette
S MERCURE DE FRANCE.
Que tes conc erts ne foient que des inftans.
Moi , je chante toujours tant que le Printemps
dure :
Onne m'attend jamais... Moi , j'attends la nature,
Reprit le Rollignol : ce n'eft qu'à fes élans
Que je dois mes foibles talens:
Hélas ! je ne fuis rien fans elle.
avoris des neuf Soeurs , imitez Philoméle.
ÉPIGRAM ME.
DAPHNEqui fut toujours intriguante , amou→
reuſe ,
Vouloit aller maſquée au bal de l'Opéra .
Un ami qu'elle avoit confulté fur cela ,
Lui dit : déguifez-vous en femme vertueufe,
IMPROMPTU de Mlle....
ACCUSEZ CCUSEz-moi d'être rebelle ;
Vous le pouvez , fans m'allarmer.
Mais , ne traitez point d'infidelle ,
Qui n'a jamais pu vous aimer,
FEVRIER. 1761 . 13
L'HOMME , LE CHIEN , LE CHAT,
Un
ET LA PIE.
FABLE.
N bon vieillard , dans la maiſon ,
Avoit pour toute compagnie
Un chien , un chat , & une pie ;
Les vieilles gens ont leur manie
C'étoit la fienne , ce dit- on .
*
Gripeminaud paffoit pour un maître larron
Et glouton.
Dame Margot ** étoit de même confrérie .
Le chat , avec la griffe , accrochoit un morceau ;
La pie , avec fon bec , efcroquoit une pomme.
On pilloit ainfi le bonhomme:
Entre eux nos compagnons partageoient le gâteau,
Laridon *** feul , reftoit fidelle .
Ne fachant voler , ni grimper ,
Il fecontentoit d'attrapper ,
Et de mettre en fon efcarcelle
Ce qu'on laiffoit quelquefois échapper.
Enfin , las de jeûner , il devint moraliſte ,
Et fit un fermon long & triſte
A fes deux compagnons Le chat dit , d'un air ...
doux :
*
Le Chat. ** La Pie.
***
Le Chien.
Ciij
MERCURE DE FRANCE.
Que tes conc erts ne foient que des inftans.
Moi , je chante toujours tant que le Printemps
dure:
1
On ne m'attend jamais... Moi , j'attends la nature,
Reprit le Roffignol : ce n'eſt qu'à fes élans
Que je dois mes foibles talens :
Hélas ! je ne fuis rien fans elle.
avoris des neuf Soeurs , imitez Philoméle.
É PIGRAM M E.
DAPHNE qui fut toujours intriguantę , amou➜
reuſe ,
Vouloit aller maſquée au bal de l'Opéra.
Un ami qu'elle avoit confulté ſur cela ,
Lui dit: déguifez-vous en femme vertueufe,
IMPROMPTU de Mlle....
ACCUSEZ CCUSEz-moi d'être rebelle ;
Vous le pouvez , fans m'allarmer.
Mais , ne traitez point d'infidelle
Qui n'a jamais pu vous aimer,
FEVRIER . 1761 . 13
L'HOMME , LE CHIEN , LE CHAT,
ET LA PIE.
FABLE.
Un bon vieillard , dans la maiſon , N
Avoit pour toute compagnie
Un chien , un chat , &une pie ;
Les vieilles gens ont leur manie s
C'étoit la fienne , ce dit- on .
*
Gripeminaud paffoit pour un maître larron
Dame Margot
Et glouton.
** étoit de même confrérie .
Le chat , avec la griffe , accrochoit un morceau
La pie , avec fon bec , efcroquoit une pomme.
On pilloit ainfi le bonhomme :
Entre eux nos compagnons partageoient le gâteau,
Laridon * ** feul , reftoit fidelle .
Ne fachant voler , ni grimper ,
Il fe contentoit d'attrapper ,
Et de mettre en fon eſcarcelle
Ce qu'on laiffoit quelquefois échapper.
Enfin , las de jeûner , il devint moraliſte ,
Et fit un fermon long & trifte
A fes deux
compagnons ... Le chat dit , d'un air
doux:
* Le Chat.
**
La Pie:
***
Le Chien.
C.iij
14 MERCURE DE FRANCE.
Patience ! compère :
Si tu pouvois voler , ou grimper comme nous,
Tu ne ferois pas fi jaloux ,
Et tu ferois meilleure chère .
L'impuiffance d'être méchant
Nous rend ſouvent meilleurs que nous ne voulons
l'être .
Que de prétendus innocens ,
Qui , s'ils ne font le mal , nous font affez connoître
,
Que c'eft en dépit d'eux qu'ils font honnêtes gens !
A
Par M. de M.... fils.
RONDE A U ,
A Madame L. N. D. S.
COMPOSER un Rondeau pour Lesbie ,
Me fuis aftreint. Hélas ! quelle folie ;
A moi , furtout , que Phébus conftamment
A jufqu'ici traité cruellement.
Auffi me tais & quitte la partie :
Mieux vaut paffer mon temps utilement,
A lui conter mon amoureux tourment ,
Que de le perdre à creuſer mon génie
A compofer.
Si , néanmoins , cette Nymphe jolie
Veut avec moi faire de compagnie ,
Quelque oeuvre en profe , en vers , même autrement
:
FEVRIER. 1761 . 55
Et partager un labeur fi charmant ;
Ah ! le promets : lors pafferai ma vie
A compofer.
Par M. D.
A LA MESME,
A u nouvel an , d'un compliment nouveau ,
Voudrois , Iris , te faire le cadeau :
Mais pour flatter ta délicate oreille ,
Si te faudroit Théocrite ou Corneille :
Onc n'ai , comme eux , grimpé le beau côteau :
De quelles fleurs te ferois- je un chapeau ?
Si tu voulois , j'imiterois l'abeille :
Les cueillerois fur ta bouche vermeille
Au nouvel an.
Ce donx nectar , échauffant mon cerveau ;
De l'Hélicon point n'aurois beſoin d'eau ,
Pour te chanter & rimer à merveille.
Si par mes vers amour en toi s'éveille ;
Qu'heureux ferois d'avoir fait un Rondeau ,
Au nouvel an !
Par M. L....
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
TRADUCTION libre de ces deux Vers
de JUVENAL :
Summum , crede , nefas animam præferrepudori ,
Et propter vitam, vivendi perdere caufas.
A
ux dépens de nosjours , conſervons notre honneur
;
Et qu'à leur foin jamais on ne le facrifie.
Hélas ! quelle coupable erreur ,
De perdre les moyens de vivre , pour la vie !
Par M. GUICHARD .
A M. TITON DU TILLET , pour le
remercier du don de la quatrième Edition
de fon PARNASSE FRANÇOIS.
PLAINS mon timide orgueil , Titon : je crains
ton zéle :
Ne me confonds jamais parmi nos bons Auteurs ;
Fais mieux pour m'affurer une gloire immortelle,
Daigne m'affocier à tes admirateurs.
Par l'Abbé MANGENOT.
FEVRIER. 1761 . 57
REPONSE à la Lettre de M. MORISEAU
, Avocat au Parlement , inférée
dans le 8 Volume de l'Année Littéraire
1760 , contre la Differtation
en forme de lettre fur les rimes croifées
dans les vers Alexandrins , inférée dans
le Mercure du mois de Novembre 1760.
JE fçais , Monfieur , que le fentiment
de M. de Voltaire , ni d'aucun homme de
Lettres , ne peut être regardé comme une
forte de loi , que quand il eft devenu , par
un aveu prèfqu'unanime , celui de la plus
faine partie du Public Lettré .
J'avouerai encore avec vous que M.
de Voltaire a gâté beaucoup de jeunes
gens ; & ils ne méritoient pas un meilleur
fort , puifque la Nature ne leur avoit accordé
d'autre talent que celui d'être finges.
Vous leur auriez donné quelqu'excellent
modéle , qu'il vous eût plû de choifir , ils
auroient été gâtés de même dès qu'ils l'aurofent
imité fervilement , parce qu'il n'y
en a pas qui ne foient défectueux . Le froid
imitateur joint alors à fes propres défauts
ceux de fon original qu'il charge encore.
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
D'ailleurs il n'y a pas deux efprits qui fe
reffemblent , de même qu'il n'y a pas deux
vifages où fe rencontrent les mêmes traits.
Pour cultiver les Arts , il faut être né
avec du génie & du goût , & confulter
enfuite les ouvrages des Artiftes qui ont
excellé. C'eft par l'examen des bonnes
parties de chacun en particulier , qu'on
fe forme une idée de la perfection de
l'Art . Aucun d'eux , il eft vrai , ne l'a
atteinte ; mais on doit cependant la prendre
pour but en s'étourdiffant fur l'impoffibilité
prouvée d'y parvenir. Si je
m'avifois , dans un délire , de faire une
Tragédie , je n'imiterois ni les Grecs , ni
Corneille , ni Racine : mais je les lirois
tous nuit & jour , & je réfléchirois.
Les nouvelles tentatives dans les Arts ,
font , à vous en croire , les préfages de
la chûte du goût . Me le prouveriez- vous
bien par des raifons ? Vous citez un exemple
que vous tirez de l'Architecture , fimple
& grande chez les Anciens , chargée
& mefquine chez nos ayeux .
Mais , Monfieur , eft- ce pour avoir
voulu perfectionner l'Architecture , que
les Goths font tombés dans le mauvais
goût ? Connoiffoient- ils affez l'Architecture
des Anciens , pour avoir voulu la
corriger ? Ou plutôt n'eft- ce pas comme
FEVRIER. 176 . 59
inventeurs , & non comme réformateur
qu'ils ont fi mal réuffi ?
Et quels fiécles plus féconds en réformes
& en inventions que les beaux fiécles
des Arts ? Tenons - nous- en à celui
de Louis XIV. Je vois en France la
Tragédie , la Comédie , fe mouler , s'il
eft permis de parler ainfi , fur un modéle
inconnu aux Anciens. Je vois une
nouvelle Langue fe former fous la plume
des Pafcals , des Boileaux , des Racines.
Je vois ce même Pafcal , la Rochefoucault
, Fénelon , la Bruyère le faire
un nom immortel par des genres dant
ils font les créateurs . L'Opéra , genre où
prèfque tous les Arts brillent à l'envi , &
qui ne connoît de régle que de plaire ,
tranfporté ici d'au - delà des Alpes , ne
conferve plus rien des climats d'où il a
été tranfplanté. Pour lui naiflent fur les
bords de la Seine une Mufique qui n'eft
ni celle des Anciens , ni celle de l'Italie
: une danfe qui n'eft ni la danſe militaire
& fauvage de Pyrrhus , ni la froide
farabande des. Efpagnols , ni la confufe
contredanfe de nos voisins une
poëfie qui n'eft point celle des Horaces ,
des Virgiles , des Ovides , mais dans laquelle
Anacréon eût exercé avec plaiſir
fon génie formé par les Grâces.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
La Poëfie , comme les autres Arts , ex
cepté peut-etre la Sculpture , fut elle cultivée
à la fois avec fuccès par mille Citoyens
& pendant mille années , on trou
veroit encore au bout de ce tems des
perfection's inconnues , & ces découvertes
n'annonceroient pas la chûte du goût. On
reſpecte fes Maîtres ; mais on n'eft pas
leur efclave. C'eſt en voulant nous élever
au- deffus d'eux , que nous deviendrons
fupérieurs à nous- mêmes. Raphaël ne ſeroit
point l'aigle de la Peinture , s'il s'en
étoit teuu aux leçons de Piétre Pèrugin
& fi Rubens s'en fût tenu à ce que favoit
Raphaël , le plus grand des Peintres, il en
auroit fçû bien moins que lui & n'auroit
pas colorié. Si vous voyez jamais , Monfieur
, l'antithèfe & les fentences , prendre
la place du fentiment , un ftyle alambiqué
, fe faire préférer à l'expreffion de la
Nature ; au Théâtre , un tumulte étourdiffant
, l'emporter fur une marche ſimple
& judicieufe , le bel- efprit fur le génie ;
fi ce défaut devenoit malheureufement
celui des Auteurs qui feroient à la tête de
Ja Littérature ; s'il étoit applaudi , admiré
par le Public : dites alors qu'on ne connoît
plus les loix du bon goût. Si , dans ce
même temps , des inventeurs , toujours
inférieurs dans lesarts libéraux à ceux qui
FEVRIER. 1761. 61
ont le talent d'exécuter , faifoient part an
Public de quelques nouvelles vues ; fi ces
vues étoient faines & telles que , dans des
tems plus heureux où des hommes de mérite
auroient pu en profiter , elles nous
euffent procuré de nouveaux plaifirs ; dires
encore que le bon goût eft anéanti
non parce qu'on invente , mais parce
qu'on n'a plus de génie pour exécuter .
J'ai affez répondu aux reproches que
vous faites en général à ce que vous appellez
innovations . Paffons au fujet de
notre dispute.
Vous me dites que M. de Voltaire a prérendu
, dans la préface de Brutus , que
les vers croifés fe rapprochent beaucoup
des vers blancs. Il a donc cru que Rouffeau
, l'un de nos Poëres qui a rimé le plus
richement , a fait dans fes Odes à- рец-
près des vers blancs ou non rimés ?:
Selon vous , Monfieur , il fera plus aifé
de faire des vers alexandrins à rimes croifées
, qu'à rimes plates . J'avoue que pour
un homme qui travaillera fans goût & fans
émulation , & qui , en compofant une
Tragédie , ne cherchera qu'à expédier &
qu'à entaffer vers fur vers , jufqu'à ce que
le total foit de quinze à feize cens , il y
aura autant de difficulté de moins , qu'il
yadans le mêlange des rimes croifées de
62 MERCURE DE FRANCE.
combinaiſons de plus que dans les rimes
plates. Mais , pour un homme qui cherchera
la perfection , il y en aura plus.
Dans les rimes plates il faut qu'il confulte
fon oreille pour fçavoir fi chacun de fes
vers eft fonore ; & fi leur affemblage eft
harmonieux. Dans les autres , il faudra
qu'il la confulte encore pour entrelaffer
fes rimes avec un heureux choix . Dans les
endroits vifs , il feroit , je crois , à propos
d'éloigner les rimes mafculines : dans les
morceaux d'une douleur fombre , dans
les paffions triftes , il faudroit multiplier
les rimes plates , &c .
Les rimes croifées , par le retour moins
fréquent des mêmes fons , offrent cette facilité
qui n'eft qu'apparente, & que les Anciens
ont recherchée dans l'invention de
l'lambe tragique.
Plaider pour les rimes croifées , ce n'eſt
pas faire le procès à nos Maîtres . Peut- on
les condamner , eux qui nous ont laiffé
tant de richeffes , d'avoir manqué d'un
agrément peut-être léger ? On voit fréquemment
dans Stace , des vers d'un tour
inconnu à Virgile , & qui feroient fort
bons à employer dans des peintures gigantefques.
Il y en a un de ce genre dans l'inf
cription de notre Arcenal : Tela giganteos
debellatura fuiores. Parce que j'apFEVRIER.
1751 . 63
prouve cette espéce de Vers , direz - vous
que je fais le procès à Virgile , & que je
lui préfére Stace ?
Je vois nombre de raifons en faveur des
rimes croifées je n'en vois qu'une contre
elles ; c'eft qu'elles vous ont déplu. Voilà
le plus fort argument de votre réponſe ;
car file plus grand nombre des gens de
goût font de votre fentiment , vous avez
gagné.
Cependant votre dégoûr a- t-il certainement
la caufe que vous foupçonnez ? Dans
la Tragédic de Tancréde , telle qu'elle a
été jouée , il reftoit des vers un peu lâches,
un peu vaides , des idées qui n'étoient pas
rendues avec toute la concifion qu'on pouvoit
defirer. Vous aurez peut - être attribué
au genre un défaut qui n'eft que celui
de l'Auteur , & qui fans doute ne fe
trouvera plus à l'impreffion : M. de Voltaire
ayant , dit on , envoyé beaucoup de
corrections au Libraire. Trouvez - vous
dans les vers fuivans quelque chofe qui
choque l'oreille ?
J'appris fous cette mère abandonnée , errante ,
Afupporter l'éxil & le fort des profcrits ,
L'accueil impérieux d'une Cour arrogante ,
Et la faulle pitié , pire que les mépris.
Mais ceux qui vous déplaifent, cefont
64 MERCURE DE FRANCE.
fur-tout les vers dont la rime du premier
ne revient qu'au quatrième ; parce que ,
dites -vous , ils ont une chûte épigrammatique.
Voyons-en de cette efpéce :
Tancréde , un rejetton de ce fang dangereux,
Des murs de Syracuſe éloigné dès l'enfance ,
Afervi , nous dit-on , les Céfars de Byfance.
H eft fier , outragé , fans doute valeureux ,
Il doit hair nos loix , il cherche la vangeance ;
Tout François eft àcraindre.
Vous voyez Monfieur , qu'il y a des
moyens d'empêcher cette chûte , en fufpendant
le temps au troifiéme vers , ou en
ne le terminant pas au quatrième , &c.
Vous voyez auffi ma bonne-foi de n'avoir
cité que des vers très -fimples & incapables
d'éblouir par leur pompe.
Je paffe fans tranfition , fuivant ma
coutume , aux vers mêlés vulgairement
appellés vers libres. Vous me faites dire
que ces vers conviendroient mieux que les
vers alexandrins , & j'ai dit feulement
que les vers mêlés conviendroient mieuxquelquefois
, comme dans certains monologues
, dans les endroits où les paffions
font fort vives. En effet l'agitation de
l'âme me fembleroit affez bien rendue par
une mefure inégale qui tiendroit quel
FEVRIER . 1761 .
ة ر ب
que chofe de ce trouble. Là - deffus vous
tombez dans la plaifanterie , vous appellez
ces vers mêlés des vers d'Opéra , vous
me propoſez de les faire chanter . Mais
quel eft l'homme qui connoît un peu l'art
de la verfification , qui ne fache que des
vers peuvent être mêlés & n'être ni ceux
de l'Ode , ni ceux de l'Opéra , ni ceux du
badinage? On a fait tant de chofes du vers
alexandrin toujours combiné de même ,
& l'on ne feroit rien des vers mêlés qui
ont tant de combinaiſons différentes !
Au refte , Monfieur , comme je l'ai dit ,
les Anciens qui en fçavoient tant , ne s'en
font pas toujours tenus à une même efpéce
de vers dans leurs ouvrages dramatiques,&
ils ont été approuvés par Corneille,
qui eft tout pour moi.
Vous me reprochez , en continuant la
plaifanterie , de n'avoir pas confeillé d'écrire
les Tragédies en profe ou en vers
blancs.
Les vers blancs font infoutenables , &
Racine en eût-il fait , on ne les pourroit
lire. La profe fe lit & s'entend réciter fans
dégoût. Si un homme étoit étoit né avec
tout le talent du Poëte tragique , & qu'il
ne lui manquât que celui de faire des
vers , ( car tout le monde convient avec
Ariftote que ce n'eft pas le vers qui fait
66 MERCURE DE FRANCE.
le Poëte. ) Si ce même homme faifoit
d'excellentes Tragédies , êtes - vous bien
convaincu qu'on ne les verroit pas repréfenter
, qu'on ne les liroit pas avec plaifir
? Mais on les mettroit toujours audeffous
des autres Tragédies qui , auffi
bonnes d'ailleurs , feroient verfifiées . Ne
lifons - nous pas avec intérêt des Poëmes
épiques ou dramatiques traduits en profe
Françoife , & qui ont perdu beaucoup ,
en paffant dans notre Langue ? Des Ou
vrages originaux n'auront - ils pas un
avantage de plus ?
Comme vous m'attaquez foiblement
fur ce que j'ai touché de l'unité de lieu ,
( que je n'ai point dit être inutile ) je ne
me répéterai pas. Je n'ai rien avancé de
moi-même & j'ai toujours marché appuyé
fur le grand Corneille. Si un homme dans
la république des Lettres pouvoit faire une
loi, ce feroit fur- tout celui qui, depuis plus
d'un fiécle , jouit d'un réputation qui ne
fait qu'augmenter
.
Je finis par l'examen de votre grand argument
, qui fait toujours votre principale
réponſe à tout ce que j'ai avancé : la
facilité qu'il y auroit à faire des Tragédies
fi les Poëtes daignoient m'écouter.
Je conviendrai donc avec vous , fans
vous l'accorder , que la carrière tragique
FEVRIER. 1761. 67
deviendroit alors moins épineufe. Et fi ,
parcourue par de grands hommes , leur
courſe ne nous caufe pas moins de plaifir
, de jeunes gens , qui ne peuvent qu'à
peine fe traîner avec éffort , voudront
auffi courir , dites- vous ? Eh ! que m'imparte
? ils tomberont. Mais il y aura toujours
des Sots prêts à les relever ... Eh , laif
fons faire les Sots !
J'ai l'honneur d'être & c. LEVESQUE .
REPONSE aux confeils d'un Ami , inférés
dans le Mercure d'Août , p. 35.
JEE ne fçais , Monfieur , fi je fuis votre
Damon , ou fije ne le fuis pas. Je fuis trèsjeune
, je fuis marié , je fuis père , Auteur ,
Académicien , & votre Damon eſt tout
cela ; mais tout cela ne m'oblige pas à
me reconnoître dans votre Damon . Quoi
qu'il en foit , je veux bien faire tréve un
moment à mes occupations , pour vous
expliquer mes véritables fentimens.
Un honnête homme peut ne pas aimer
fa femme , parce que nous nous trouvons
rarement dans le cas d'aimer à notre choix,
& que l'Amour dépend d'un je ne fçais
quoi , que jufqu'à préfent on a fort mal
68 MERCURE DE FRANCE.
défini. Ce je ne fçais quoi peut ne pas fe
rencontrer , ou ne pas fubfifter entre les
époux. Alors , ils ne font pas tenus de
s'aimer : mais ils n'en méritent pas moins
Feftime publique , s'ils fe comportent
comme des perfonnes qui font convenues
, pardevant Notaire , de fournir
enfemble leur pénible carrière & de
concourir mutuellement à leur commun
bonheur . Il eft utile , dans le fyftême politique
, que l'amour régne dans les ménages
, parce que les honnêtes gens nè font
guères des enfans que quand ils aiment
Dans la fociété , l'eftime & les égards réciproques
des époux équivalent à l'amour.
Je dirai plus ; l'amour eft peut- être un
des fléaux de la fociété. Un amant & une
maîtreffe ne vivent que pour eux , it's ne
voient qu'eux dans la Nature , l'inquiétu
de les accompagne , ils font plongés dans
une fombre mélancolie , tout ce qui ne
leur offre pas l'image de l'amour leur eft
infipide , les plaifirs des autres les ennuient
, les talens perdent de leur prix auprès
d'eux , les faillies de l'efprit ne font
pas pour eux des faillies , ils ne goûtent
que le langage du coeur & l'ivreffe du fentiment,
ils ne font heureux que lorsqu'ils
font feuls. Dans le vrai , ces perfonnagesla
font déplacés en compagnie . Il n'y a
FEVRIER. 1761 . 6.9
guères que de très - nouveaux mariés , parmi
les mariés , mes confrères , qui reffemblent
à ce portrait , & fi c'eft tant pis pour
la politeffe , c'eft tant mieux pour la fociété.
D'où vient , Monfieur , que les établiſ
femens de convenance , dans lefquels la
prudence des pères n'a pas confulté le
goût des conjoints , font- ils pour l'ordinaire
fujets à moins d'éclats fcandaleux ,
que ces mariages que contractent de jeunes
perfonnes , parce qu'ils fe trouvent
beaux & bienfaits , & qu'ils s'aiment paffionnément
? c'eſt que,ſi je ne me trompe,
pourvu qu'il n'y ait point d'antipathie ,
la convenance produit prèfque toujours
l'eftime & les égards , & que l'amour le
plus ardent , quand il vient à s'éteindre ,
découvre l'accablante difproportion fur
laquelle on avoit paffé fi légèrement , &
jetté la reinte du dégoût fur les chofes
dont on s'étoit laiffé charmer . On fe trompe
en jurant de bonne foi , d'aimer érernellement
, & c'eſt un mauvais moyen
pour éviter le parjure que d'enchaîner l'amour
& de le rendre néceffaire . L'Amour
qui étend fon empire fur toute la Nature ,
qui caufe tant de maux réels & fi peu de
vrais plaifirs , cet enfant divin qu'on nous
repréſente avec des aîles , fuit la gêne &
70 MERCURE DE FRANCE.
la contrainte. Voulez - vous des vers, pour
vous convaincre ? En voici .
Philis a dû vous plaire ; elle peut tout charmer ;
Mais quelque grand pouvoir qu'elle ait pris fur
votre âme ,
Si vous voulez toujours l'aimer ,
Ne la prenez jamais pour femme.
C'eft du Pavillon tout pur. Pavillon
eft le Poëte des Grâces , & quelquefois
de la Vérité.
Je reviens à ce qui me concerne, fuppofé
toutefois que je fois votre Damon.
Vous dites que je néglige une épouſe qui
m'idolâtre ,, qquuee jjee nneefuis époux que de
nom. En vérité , Monfieur , on n'a jamais
fait d'auffi graves imputations , &
furtout à un homme de 23 ans , qui ,
quoiqu'Auteur , a déja donné un citoyen
à l'Etat , & s'eft montré époux autant
qu'on peut l'être. Si vous n'agréez pas
cette preuve ; ma chère moitié , à qui
fon honneur eft cher , fe chargera de
vous répondre : je ne m'en mêlerai plus.
Non content de me ravir mon état
vous allez jufqu'à me reprocher d'avoir
trouvé quelques femmes aimables & de
l'avoir dit comme s'il falloit perdre
l'afage de fes fens , en s'engageant dans
FEVRIER. 1761 . 71
les liens de l'hyménée ; comme fi les
yeux d'un mari n'avoient plus la faculté
d'appercevoir , de diftinguer la beauté ;
& ce qui eft fort fingulier , vous avez
écrit toutes ces chofes férieuſement !
mais je fuis tenté de croire que c'eſt
pour rire que vous vous êtes montré fi
férieux.
J'ai envie de l'être à mon tour. Je vous
déclare que Madame de C *** eft fort
contente de moi. Quand je n'en ferois
pas amoureux comme vous le voudriez ,
foyez perfuadé qu'elle n'en feroit pas
moins contente , parce que j'eſtimerois
toujours fon caractére eſtimable , parce
que j'aurois également des attentions &
des égards , parce que tout honnête homme
doit en avoir pour fa femme , & que
je fuis honnête homme.
Ce qui concerne mon fils paffe le badinage.
Vous avancez,que je ne l'aime pas.
A coup fûr je ne fuis point votre Damon.
Vous m'avez trop connu, pour me rendre
fi peu de juftice . Malheur à ceux qui ferment
les oreilles à la voix de la Nature !
qui fe voyent revivre dans des images attrayantes
, fans être remués & attendris !
qui fe refuſent à ces careffes innocentes
qui affectent fi délicieufement un coeur
vraiment paternel ! ... périffent les barbares
72 MERCURE DE FRANCE.
qui regardent leurs enfans comme des victimes
livrées à leurs caprices , & qui
exercent en tyrans l'empire que les loix ne
leur accordent fur eux , que pour veiller
à leur bonheur ! Hélas , Monfieur , fi vous
m'aviez vu ferrer mon fils dans mes bras
& l'arrofer de mes larmes ... » Dieu puif
»fant , difois-je , daigne veiller fur les
» jours de cet enfant ! Fais germer la ver-
» tu dans fon âme ; ne permets pas que
» les vents orageux des paffions trou-
» blent fon aurore ; éloigne de lui le far-
» deau des mifères humaines , ou donne-
» lui la force de les fupporter ... Mon
fils, mon cher fils , puiffes-tu répondre un
jour à ma tendreffe & répandre dans
» mon fein tes plaifirs & tes peines ! ..
ود
"
Jene fais pas plus de cas de la vie , que
le Maréchal de Gaffion ; mais puifque j'ai
tant fait que de la donner , je m'occuperai
à rendre heureux celui à qui je l'ai
donnée. Tels font les fentimens que j'ai
voulu mettre dans quelques vers confignés
dans le Mercure. Janvier 1760 I.
Vol. p. 12.
Vous vous fondez peut- être fur deux
Epîtres , l'une inférée dans le fecond Mercure
de Janvier 1758. p. 49. L'aut re
dans mes Effais fur divers Sujets , p. 14.
Mais qu'on life ces deux Piéces , on n'y
trouvera
FEVRIER. 1761. 73
trouvera rien qui juftifie ce que vous avez
avancé. Enfin , Monfieur , j'aime ma femme
& mon fils. Si je fuis votre Damon ,
j'en fuis bien fâché pour vous . Adieu ;
croyez - moi fans rancune ; car il n'y a que
la vérité qui offenfe , difent les bonnes
gens. Je fuis , Monfieur , votre &c.
Th . D. E. C . ***
A Lyon , 8 Novembre 1760.
COMPLIMENT à deux Demoiselles ,
feurs , au jour de l'An 1761.
OUCES Beautés , Couple adorable ,
Ouvrage digne de l'amour !
Quel compliment faire en ce jour
Qui puiffe vous être agréable ?
Nul Mortel n'ofe le tenter :
Des Ixions , onconnoît les difgraces ,
Les Dieux fçurent former les grâces ,
Il n'appartient qu'aux Dieux de les chanter .
VERS pour mettre au bas du Portrait de
Madame D *****
J'AI reconnu l'Amour , fous ce déguiſement ,
Etfon caprice m'a fait rire.
N'êtes-vous pas , mon maître , affez ‹ harmant ,
D
74 MERCURE DE FRANCE.
Sans emprunter les beautés de Thémire? ....
Le petit parelleux vous dira , que ce choix
Lui fauve l'embarras de l'arc & du carquois .
Le mot de la premiere Enigme du
II. Vol. de Janvier , eft , le Soulier. Celui
de la feconde , eft , l'Eventail. Celui
du premier Logogryphe , eft Grain . On y
trouve agir , rang , gain , garni , gai , ri.
Celui du fecond , eft , Encyclopédie , où
l'on trouve Noce , Diepe , Die , Lyon y
Nid , Loi , Plie , Pie , Pole , Poële, Po-
Lice, Cyclope , Cone , Poli .
N
ENIGM E.
ous fommes vingt, qu'en quatre claffes
On a fagement partagés ;
Et tellement fommes rangés
Que jamais ne perdons nos places ,
Et n'avons aucun mouvement.
Mais , fi pourtant , par avanture
Nous éprouvons l'ébranlement ,
C'eft un affez mauvais augure .
Pour mieux expliquer notre fort ,
Il faut obferver , que d'ufage
Dix de nous renfermés , cinq à cinq dans un Fort ,
FEVRIER. 1761 : 75
Pour la moitié du jour fubiffent l'esclavage.
Les dix autres au demeurant ,
Qu'on réſerve pour la parade ,
Quoique toujours fans mouvement ,
Font mainte & mainte promenade.
Le fâcheux eft que bien fouvent ,
Notre Maître , inhumainement ,
Nous fait paffer par le tranchant
Du fer impitoyable :
Mais malheur pour quiconque,avant cet accident,
Eprouve de nos parts un affaut redoutable !
Par M. l'Abbé RIMBERT .
AUTRE .
J fuis un être affez bizarre ;
Aimant à garder la maison.
De qui par le monde ſe carre ;
Sur fon efprit , fur fa raiſon ,
Je n'imite point la conduite ;
J'ai trop à redouter la fuite
D'un commerce avec les humains ,
Lorfque je tombe entre leurs mains.
Auffi je n'entr'ouvre ma porte ,
Que pour mes befoins feulement.
Dès que quelqu'indifcret s'y porte ,
Je la referme exactement.
Dij
74 MERCURE DE FRANCE.
Sans emprunter les beautés de Thémire?
Le petit parelleux vous dira , que ce choix
Lui fauve l'embarras de l'arc & du carquois.
Le mot de la premiere Enigme du
II. Vol . de Janvier , eft , le Soulier. Celui
de la feconde , eft , l'Eventail. Celui
du premier Logogryphe , eft Grain . On y
trouve agir , rang , gain , garni , gai , ri .
Celui du fecond , eft , Encyclopédie , où
l'on trouve Noče , Diepe , Die , Lyon ,
Nid , Loi , Plie , Pie , Pole , Poële, Po-
Lice , Cyclope , Cone , Poli.
ENIGM E.
NOUS
ous fommes vingt, qu'en quatre claſſes
On a fagement partagés ;
Et tellement fommes rangés
Que jamais ne perdons nos places ,
Et n'avons aucun mouvement .
Mais , fi pourtant , par avanture
Nous éprouvons l'ébranlement ,
C'eft un affez mauvais augure.
Pour mieux expliquer notre fort ,
Il faut obferver , que d'ufage
Dix de nous renfermés , cinq à cinq dans un Fort,
FEVRIER. 1761 :
75
Pour la moitié du jour ſubiffent l'eſclavage.
Les dix autres au demeurant ,
Qu'on réſerve pour la parade ,
Quoique toujours fans mouvement ,
Font mainte & mainte promenade.
Le fâcheux eft que bien fouvent ,
Notre Maître , inhumainement ,
Nous fait paffer par le tranchant
Du fer impitoyable :
Mais malheur pour quiconque, avant cet accident,
Eprouve de nos parts un affaut redoutable !
Par M. l'Abbé RIMBERT .
AUTRE.
J fuis un être affez bizarre ;
Aimant à garder la maison.
De qui par le monde ſe carre ;
Sur fon efprit , fur ſa raiſon ,
Je n'imite point la conduite ;
J'ai trop à redouter la fuite
D'un commerce avec les humains ,
Lorfque je tombe entre leurs mains.
Auffi je n'entr'ouvre ma porte ,
Que pour mes befoins feulement.
Dès que quelqu'indifcret s'y porte ,
Je la referme exactement.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Ce n'eft pas qu'on ne me defire
Dans ces repas de volupté ,
Où même affez fouvent j'inſpire ,
De l'appétit , de la gaîté ,
Quoiqu'on ne m'ait jamais vû rire.
Lorfqu'à telle fête on m'attire ,
J'y vais contre ma volonté.
J'eftime la fobriété ,
A notre espéce falutaire ;
Car toujours le vice contraire ,
Par un très-finiftre deftin ,
De mes pareils , hâte la fin.
Ce vice affreux nous eft nuifible ,
Bien plus encor que les Filoux ,
Qui , par un attentat horrible ,
Pour voler nos riches bijoux ,
Viennent tout culbuter chez nous.
Encor fi de notre domaine ,
( Lorsqu'il le faut enfin quitter , )
Nos enfans pouvoient hériter !
Mais non , il eft , par droit d'aubaine
A qui fçut mieux nous dévaſter.
Et quand de pointes menaçantes
Notre afyle eft environné,
Alors l'intérêt acharné ,
Arme plus de mains raviffantes ;
Et l'habitant eft ruiné.
Nepeut satisfaire un coeur tendre.Sil'on m'of=
W
froit la liber - te, je ne voudrois pas
W
la reprendre ,je ne
vou -drois
pas
W
la reprendre . D'une dou - ce captivi
W
жо
w
-te,Malheureux qui peut se deffendre,
W
A
S'il est quelque fé -lici- té, C'est de la =
mour qu'on doit l'atten- dre. Si l'on m'offroit.
T
76 MERCURE DE FRANCE.
Ce n'eft pas qu'on ne me defire
Dans ces repas de volupté ,
Où même affez fouvent j'infpire ,
De l'appétit , de la gaîté ,
Quoiqu'on ne m'ait jamais vû rire.
Lorfqu'à telle fête on m'attire ,
J'y vais contre ma volonté.
J'eftime la fobriété ,
A notre espéce falutaire ;
Car toujours le vice contraire ,
Par un très- finiftre deftin ,
De mes pareils , hâte la fin .
Ce vice affreux nous eft nuifible ,
Bien plus encor que les Filoux ,
Qui , par un attentat horrible ,
Pour voler n。os riches bijoux,
Viennent tout culbuter chez nous.
Encor fi de notre domaine ,
( Lorsqu'il le faut enfin quitter , )
Nos enfans pouvoient hériter !
Mais non , il eft , par droit d'aubaine
A qui fçut mieux nous dévafter.
Et quand de pointes menaçantes
Notre afyle eft environné,
Alors l'intérêt acharné
Arme plus de mains raviffantes,
Et l'habitant eft ruiné.
Nepeut satisfaire un caur tendre.Si l'on m'of=
W
froit la liber - te, je ne voudrois pas
W
la
reprendre Je
ne vou --drois pas
XO
жо
la reprendre . D'une dou - ce captivi =
W
*O
w
te, Malheureux qui peut se def- fendre,
S'il est quelque fé-lici- té, C'est de la.
mour qu'on doit l'atten -dre. Si l'on moffroit.
Si l'on m'offroit la liberté,je ne vou
= drois pas la reprendre ,je ne
VOLL
- drows
pas
la reprendre
. Je suis é
+ W
-pris d'une beauté, Quiforce mon
mon coeur
W
W
à se rendre.Sil'on m'offroit. Ses attraits
a
causent sa fierté,A mille en_nuis je
dois m'attendre, Mais un bienqui n'a pas couté
FEVRIER. 1761 .
LOGO GRYPHE.
I trouble des forêts la retraite profonde , E
Et j'appelle aux combats un peuple courageux,
Sil'on tranche ma tête ; adoré dans le monde .
Je ſuis l'objet de tous les voeux.
AUTR E.
Aux champs de Mars , je fais un bruit terrible
,
De mille combattans j'anime les efforts .
Retranchez , belle Eglé , deux membres de mont
corps ; {
Et je ferai le Dieu , dont votre âme fenfible ,
Peut- être avec plaifir , éprouve les tranfports.
RONDEAU ,
Nouvellement remis en Mufique.
SiI l'on m'offroit la liberté,
Je ne voudrois pas la reprendre .
Je fuis épris d'une Beauté ,
Qui force mon coeur à fe rendre.
Si l'on m'offroit , &c.
3
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Ses attraits caufent fa fierté ;
A mille ennuis je dois m'attendre :
Mais un bien , qui n'a pas coûté,
Ne peut fatisfaire un coeur tendre.
Si l'on m'offroit &c.
D'une douce captivité ,
Malheureux qui peut fe défendre.
S'il eft quelque félicité ,
C'eft de l'amour qu'on doit l'attendre.
Si l'on m'offroit la liberté , & c.
FEVRIER. 1761 . 79
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
SUITE de l'Hiftoire de la Maifon de
STUART , fur le Trône d'Angleterre .
III ET DERNIER EXTRAIT.
و د
"
NouOuss avons indiqué , à la fin du précédent
Extrait , les événemens principaux
qui occupent le troifiéme Volume de cette
Hiftoire intéreffante. Le premier eft le
rappel de Charles II au Trône d'Angleterre.
Ce Prince étoit alors âgé de trente
ans. » Il avoit reçu de la Nature , une
vigoureuſe conftitution , une taille bien
priſe , une figure mâle , un air gracieux ;
» & quoiqu'il eût de la rudeffe dans les
» traits , toute fa contenance avoit quel-
» que chofe de fin & d'engageant. Il étoit
» dans cette partie de l'âge , où l'on con-
»ferve encore affez de jeuneffe , pour pa
» roître aimable ; fans aucune diminution
» de cette autorité & de ce droit au refpect
, qui accompagnent le temps de
l'expérience & de la maturité. Ses ad- ود
D iv
So MERCURE DE FRANCE.
33
>
» verfités récentes étoient capables d'ex-
» citer la tendreffe ; fa profpérité actuelle
» étoit un objet d'admiration plutôt que
» d'envie ; & cette foudaine & furpre-
» nante révolution qui le rétabliffoit
» dans fes droits , rendant auffi la paix ,
» la liberté , l'ordre & les loix à la Na-
» tion , jamais Prince n'avoit obtenu la
» couronne dans des circonftances plus
» favorables & joui plus réellement de la
» cordiale affection de fes Sujets .... A la
vivacité & la pénétration de l'efprit ,
Charles joignait un jugement folide , &
» l'avantage d'avoir obfervé génerale-
» ment le caractère des hommes , & la
» nature des choſes . Des manières aifées ,
une politeffe fans affectation , & la
gaîté la plus engageante rendoient fon
» accès charmant , & fa converfation fou-
» verainement aimable . L'habitude qu'il
و د
avoit formée pendant fon exil , de
» vivre avec fes Courtifans , en compa-
» gnon plutôt qu'en Monarque , lui fit
و د
و ر
conferver fur le Trône même , un
» air d'ouverture & d'affabilité , capable-
»de réconcilier les plus déterminés Répu-
» blicains avec la dignité royale. Sadouceur
naturelle , & fon humeur non-
» chalante le rendant incapable de reffen-
» timent , il affura le pardon aux plusFEVRIER.
1761.
coupables de fes ennemis , & laiffa des
efpérances de faveurs à ceux dont il
savoit effuyé les plus violentes oppof-
» tions . En un mot , dans toute la fuite
as de fes actions & de fes difcours il
» parut auffi difpofé à perdre le fouvenir
des anciennes animofités , qu'à réunir
tous les coeurs dans une vive affection
pour le Prince & pour la Patrie . »
L'objet le plus intéreffant pour la curiofité
du Public , dans les premiers jours
du regne de Charles II , fut le proces &
la condamnation de ceux qui avoient'
condamné Charles I. à la mort. L'indignation
générale que l'énormité de leur
crime avoit excitée , ne fit voir au Peu-´
ple qu'un fujet de joie dans leur châtiment.
Le Général Harrifon étoit un des
plus coupables. Lorfqu'il fut préfenté
pour la premiere fois devant fes Juges ,
il dit à la Cour : que le prétendu crime
dont il étoit accufé , n'étoit pas une action
commife en fecret ; que le pouvoir
du Ciel avoit éclaté dans la manière dont
elle avoit été conduite ; qu'il s'étoit fouvent
adreffé à la Majefté divine , pour
fui demander des lumières , & qu'il en¹
avoit reçu des affurances conftantes d'approbation.
Scot , plus Républicain que
Fanatique , dit qu'il ne vouloit pas d'au
Dy
So MERCURE DE FRANCE.
» verfités récentes étoient capables d'ex-
» citer la tendreffe ; fa profpérité actuelle
» étoit un objet d'admiration plutôt que
» d'envie ; & cette foudaine & furpre-
» nante révolution , qui le rétabliſſoit
» dans fes droits , rendant auffi la paix ,
la liberté , l'ordre & les loix à la Na-
» tion , jamais Prince n'avoit obtenu la
» couronne dans des circonftances plus
» favorables & joui plus réellement de la
» cordiale affection de fes Sujets ....A la
vivacité & la pénétration de l'efprit ,
Charles joignait un jugement folide , &
» l'avantage d'avoir obfervé génerale-
» ment le caractère des hommes , & la
» nature des chofes . Des manières aifées,
» une politeffe fans affectation , & la
gaîté la plus engageante rendoient fon
» accès charmant , & fa converfation fou-
» verainement aimable . L'habitude qu'il
» avoit formée pendant fon exil , de
» vivre avec fes Courtifans , en compa-
» gnon plutôt qu'en Monarque , lui fit
» conferver fur le Tróne même , un
air d'ouverture & d'affabilité , capable
»de réconcilier les plus déterminés Répu-
» blicains avec la dignité royale. Sa
و د
و د
douceur naturelle , & fon humeur non-
» chalante le rendant incapable de reffentiment
, il affura le pardon aux plusFEVRIER.
1761 . 81
coupables de fes ennemis , & laiſſa des
efpérances de faveurs à ceux dont il
» avoit effuyé les plus violentes oppofi-
» tions. En un mot , dans toute la fuite
» de fes actions & de fes difcours , il
» parut auffi difpofé à perdre le fouvenir
» des anciennes animofités , qu'à réunir
» tous les coeurs dans une vive affection
pour le Prince & pour la Patrie . »
و ز
»
L'objet le plus intéreffant pour la curiofité
du Public , dans les premiers jours
du regne de Charles II , fut le proces &
la condamnation de ceux qui avoient'
condamné Charles I. à la mort . L'indignation
générale que l'énormité de leur
crime avoit excitée , ne fit voir au Peuple
qu'un fujet de joie dans leur châtiment.
Le Général Harriſon étoit un des
plus coupables. Lorfqu'il fut préfenté
pour la premiere fois devant fes Juges ,
il dit à la Cour : que le prétendu crime:
dont il étoit accufé , n'étoit pas une action
commife en fecret ; que le pouvoir
du Ciel avoit éclaté dans la manière dont
elle avoit été conduite ; qu'il s'étoit fouvent
adreffé à la Majefté divinė , pour
fui demander des lumières , & qu'il en¹
avoit reçu des affurances conftantes d'approbation.
Scot , plus Républicain que
Fanatique , dit qu'il ne vouloit pas d'au
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
"
tre épitaphe que celle- ci : Ci git Thomas
Scot , qui condamna le Roi Charles à
mort. D'autres proteftérent contre le jugement
des hommes , & demandérent
d'être jugés par la parole de Dieu . De tous
ceux qui avoient prononcé contre Charles
l'arrêt de mort , il n'y en eut que fix d'exécutés.
» Il n'y a point de Saint ni de Con-
» feffeur de la foi , qui ait jamais marché
» au martyre avec plus de confiance &
d'intrépidité , que tous ces coupables ,
» dans le temps même que les terreurs
» d'une mort prochaine , jointes aux ou-
" trages du Peuple , furent préfentées
» devant leurs yeux. Charles II accorda
la grace du répit aux autres Juges de fon
Père , & les fit diftribuer dans plufieurs
prifons.
ود
و
La feptième année du régne de Charles
11, eft remarquable par le fameux incendie
qui réduifit en cendres environ fix
cens rues , & treize mille maifons de Londres
. Ce fléau terrible prit naiffance dans
la maison d'un boulanger , & fe répandit fi
rapidement, qu'il ne put être arrêté par tous
les éfforts humains , qu'après avoir confumé
une partie confidérable de la ville . Les
habitans pourfuivis de rues en rues par
les flammes , qui croiffoient avec une violence
inexprimable , furent réduits à
FEVRIER. 1761.
demeurer fpectateurs de leur ruine. Les
progrès du feu ne cefférent point pendant
trois jours & trois nuits ; & ce ne fut qu'à
force d'abattre des maifons , qu'on parvint
le quatrième jour à l'éteindre. Les
caufes de ce malheur étoient évidentes ;
la difpofition des rues de Londres , qui
étoient fort étroites , celle des maifons ,
la plupart de bois , féchereffe de la faifon
, & la violence d'un vent d'Eſt , enfin
le concours de toutes les circonstances fuffifoit
pour expliquer la deftruction qu'elles
produifirent. Mais le peuple ne fut pas
fatisfait
de cette explication ; une rage aveugle
fit attribuer l'infortune publique , par
les uns , aux Républicains , par d'autres ,
aux Catholiques ; mais les plus exactes recherches
du Parlement , ne trouverent ni
preuve ni vraisemblance qui fût capable
d'autorifer cette calomnie : ce qui n'empêcha
point , que pour flatter la prévention
du peuple , l'infcription qui fut gravée
fur le monument de l'incendie ne l'attribuât
aux Catholiques. Un ordre du Roi
Jacques II , lorfqu'il fe vit fur le Trône ,
fit éffacer l'endroit où ils étoient accufés ;
mais il fut remis par fon Succeffeur.
L'incendie de Londres , quoiqu'alors
un des plus grands maux qui pût arriver
à la Nation , devint dans la fuite fort
D vj
82 MERCURE DE FRANCE.
tre épitaphe que celle - ci : Ci git Thomas
Scot , qui condamna le Roi Charles à
mort. D'autres proteftérent contre le jugement
des hommes , & demandérent
d'être jugés par la parole de Dieu . De tous
ceux qui avoient prononcé contre Charles
l'arrêt de mort , il n'y en eut il n'y en eut que fix d'exécutés.
» Il n'y a point de Saint ni de Con-
» feſſeur de la foi , qui ait jamais marché
» au martyre avec plus de confiance &
› d'intrépidité , que tous ces coupables ,
» dans le temps même que les terreurs
» d'une mort prochaine , jointes aux ou-
" trages du Peuple , furent préſentées
» devant leurs yeux . Charles II accorda
la grace du répit aux autres Juges de fon
Père , & les fit diftribuer dans plufieurs
prifons .
و ر
>
La feptième année du régne de Charles
11, eft remarquable par le fameux incendie
qui réduifit en cendres environ ſix
cens rues , & treize mille maiſons de Londres
. Ce fléau terrible prit naiffance dans
la maifon d'un boulanger , & fe répandit fi
rapidement, qu'il ne put être arrêté par tous
les éfforts humains , qu'après avoir confumé
une partie confidérable de la ville. Les
habitans pourfuivis de rues en rues par
les flammes , qui croiffoient avec une violence,
inexprimable , furent réduits à
FEVRIER . 1761. $$
demeurer fpectateurs de leur ruine . Les
progrès du feu ne cefférent point pendant
trois jours & trois nuits ; & ce ne fut qu'à
force d'abattre des maiſons , qu'on parvint
le quatrième jour à l'éteindre. Les
caufes de ce malheur étoient évidentes ;
la difpofition des rues de Londres , qui
étoient fort étroites , celle des maifons ,
la plupart de bois , féchereffe de la faifon
, & la violence d'un vent d'Eft , enfin
le concours de toutes les circonstances fuffifoit
pour expliquer la deftruction qu'elles
produifirent. Mais le peuple ne fut pas fatisfait
de cette explication ; une rage aveugle
fit attribuer l'infortune publique , par
les uns , aux Républicains , par d'autres ,
aux Catholiques ; mais les plus exactes recherches
du Parlement , ne trouverent ni
preuve ni vraisemblance qui fût capable
d'autorifer cette calomnie : ce qui n'empêcha
point , que pour flatter la prévention
du peuple , l'infcription qui fut gravée
fur le monument de l'incendie ne l'attribuât
aux Catholiques. Un ordre du Roi
Jacques II , lorfqu'il fe vit fur le Trône ,
fit éffacer l'endroit où ils étoient accufés ;
mais il fut remis par fon Succeffeur.
L'incendie de Londres , quoiqu'alors
un des plus grands maux qui pût arriver
à la Nation , devint dans la fuite fort
D vj
82 MERCURE DE FRANCE.
tre épitaphe que celle- ci : Ci git Thomas
Scot , qui condamna le Roi Charles à
mort. D'autres proteftérent contre le jugement
des hommes , & demandérent
d'être jugés par la parole de Dieu . De tous
ceux qui avoient prononcé contre Charles
l'arrêt de mort , il n'y en eut que fix d'exécutés
. » Il n'y a point de Saint ni de Con-
» feſſeur de la foi , qui ait jamais marché
» au martyre avec plus de confiance &
d'intrépidité , que tous ces coupables ,
» dans le temps même que les terreurs
» d'une mort prochaine , jointes aux ou-
" trages du Peuple , furent préſentées
» devant leurs yeux. Charles II accorda
la grace du répit aux autres Juges de fon
Père , & les fit diftribuer dans plufieurs
prifons .
ور
La feptième année du régne de Charles
11, eft remarquable par le fameux incendie
qui réduifit en cendres environ fix
cens rues , & treize mille maifons de Londres.
Ce fléau terrible prit naiffance dans
la maifon d'un boulanger , & fe répandit fi
rapidement, qu'il ne put être arrêté par tous
les éfforts humains , qu'après avoir confumé
une partie confidérable de la ville. Les
habitans pourfuivis de rues en rues par
les flammes , qui croiffoient avec une violence
inexprimable , furent réduits à
FEVRIER. 1761 . 8
demeurer fpectateurs de leur ruine . Les
progrès du feu ne cefférent point pendant
trois jours & trois nuits ; & ce ne fut qu'à
force d'abattre des maifons , qu'on parvint
le quatrième jour à l'éteindre . Les
caufes de ce malheur étoient évidentes ;
la difpofition des rues de Londres , qui
étoient fort étroites , celle des maifons ,
la plupart de bois , féchereffe de la faifon
, & la violence d'un vent d'Eft , enfin
le concours de toutes les circonstances fuffifoit
pour expliquer la deftruction qu'elles
produifirent. Mais le peuple ne fut pas fatisfait
de cette explication ; une rage aveugle
fit attribuer l'infortune publique , par
les uns , aux Républicains , par d'autres ,
aux Catholiques ; mais les plus exactes recherches
du Parlement , ne trouverent ni
preuve ni vraisemblance qui fût capable
d'autorifer cette calomnie : ce qui n'empêcha
point , que pour flatter la prévention
du peuple , l'infcription qui fut gravée
fur le monument de l'incendie ne l'attribuât
aux Catholiques . Un ordre du Roi
Jacques II , lorfqu'il fe vit fur le Trône ,
fit éffacer l'endroit où ils étoient accufés ;
mais il fut remis par fon Succeffeur.
L'incendie de Londres , quoiqu'alors
un des plus grands maux qui pût arriver
à la Nation , devint dans la fuite fort
D vj
S MERCURE DE FRANCE.
le
avantageux pour cette Ville & pour
Royaume entier. La Ville fut promptement
rebâtie , & l'on eut foin de rendre
les rues plus larges & plus régulières.
Londres , depuis ce rétabliffement , eft
devenu un féjour plus fain ; la pefte qui
deux ou trois fois dans chaque fiécle , ne
manquoit pas d'y faire de grands ravages
, n'y a jamais reparu depuis .
On fera peut- être bien- aife de fçavoir
quelle idée les Anglois fe font formée de
Louis XIV, & de trouver ici le caractère
qu'en trace notre Hiftorien. » Ce Prince,
» dit M. Hume , diftingué par toutes les
» qualités qui font capables d'enchanter
" le peuple , en poffédoit un grand nombre
, qui méritent l'approbation du Sa--
» ge. La beauté mâle de fa figure , étoit
relevée encore par la nobleffe de l'air.
» La dignité de fes manières , étoit tem-
» pérée par les agrémens & l'affabilité de
ود
la politeffe. Elégant , fans moleſſe ; li-
» vié an plaifir , fans négliger les affaires ,
» décent jufques dans fes vices , & chérii
» au centre du pouvoir arbitraire , il fur--
» paffoit en réputation , en gloire comme
» en grandeur , tous les Rois fes contem--
" porains. Son ambition moins réglée
par la juftice que par la prudence ,
avoit pourvu , avec foin, à tout ce qui
»
FEVRIER. 1761 .
23
pouvoit faciliter fes conquêtes ; &
» lorfqu'il fe mettoit en mouvement , il
paroiffoit affuré du fuccès . Le meilleur
ordre étoit établi dans fes finances ; il
» avoit créé une puiffante marine ; fes
» armées étoient nombreufes & difcipli-
» nées ; fes magaſins & fes arcénaux bien
» pourvus ; & quoique la magnificence
» de fa Cour fût fans exemple , l'économie
y régnoit fi fidélement , & le peuple
enrichi par le commerce & les
» Arts , fe foumettoit de fi bonne grace
aux taxes multipliées , que fes forces
» militaires l'emportoient beaucoup ſur
» tout ce que les fiécles précédens avoient
offert dans les autres Monarchies der
l'Europe.
و د
L'année 1679 , la vingtième du régne
de Charles II , a été l'époque des célébres
épithètes de Whig & de Tory qui ont divifé
fi long- temps l'Angleterre , & quelquefois
fans fujet fort important. Le Parti de la
Gour reprochoit à fes Antagonistes , leur
reffemblance avec les Fanatiques d'Ecoffe,
connus fous le nom de Whigs. Le parti
des Patriotes prétendoit trouver du rapport
entre les Courtifans , & les Catholiques
d'Irlande , auxquels on avoit don
né le nom de Torys . Par degrés , l'ufage
de ces termes badins deviat général ; &
86- MERCURE DE FRANCE.
même à préfent ils ne paroiffent pas plus
proches de leur fin , que lorsqu'ils furent
inventés.
Nous fupprimons ici les confpirations
& les exécutions fréquentes qui troublérent
le régne de Charles II ; ce font prèfque
toujours les mêmes fcènes qui ſe renouvellent
, & ces objets ne font point
affez variés , pour faire un fpectacle intéreffant
aux yeux de nos Lecteurs. Nous
allons donc paffer au régne de fon fucceffeur
, Jacques II , qui monta fur le
Trône à la mort de fon frère. Il n'y
refta que l'espace de quatre années ;
mais , dit l'Auteur : » Si l'on confidère
» plutôt fon caractère perfonnel , que
» fa conduite publique , il fut , fans con-
» tredit , plus malheureux que coupable.
» Il avoit plufieurs des qualités qui for-
>> ment un excellent citoyen ; & quelques-
» unes de celles qui , lorfqu'elles ne font
» point éclipfées par les principes arbi-
» traires , & le zèle aveugle de religion ,
» fervent à former un bon Souverain.
» Dans la vie privée , fa conduite fut irré-
ود
prochable. Ardent , mais ouvert dans
» fes inimitiés , ferme dans les vues & fes
réfolutions , exact dans fes plans , brave
» dans fes entrepriſes , fincère , fidéle , &
plein d'honneur dans les affaires ; tel
"
»
FEVRIER . 1761 . 87
»
و ر
ود
"
1
» étoit le caractère avec lequel il monta
» fur le Trône Anglois. Dans ce haut
degré , fon oeconomie fut remarquable ,
» fon induſtrie exemplaire , fon applica-
» tion heureufe aux affaires maritimes >
»fes encouragemens judicieux pour le
» commerce , & fa jaloufie louable , pour
» l'honneur de la Nation . Que lui man-
» quoit-il donc , pour faire un excellent
" Roi d'Angleterre ? De l'affection & du
» refpect pour la religion de fon peuple.
» Avec cette indifpenfable qualité , la
» médiocrité même de fes talens , aidée
» par tant de vertus , auroit pu rendre
fon regne glorieux & paifible .
» Sa
fincérité , vertu dont dont il faifoit gloire ,
paroiffoit douteuſe dans les promeffes
tant de fois réitérées , de conferver la
liberté , & la religion du Royaume.
Jufqu'à fon dernier foupir , il ne ceffa
point de protefter , que jamais il n'avoit
eu l'intention de renver fer les loix , ni
de procurer à fes Sujets Catholiques
d'autres avantages que la tolérance , &
l'égalité des priviléges. Sa conduite , dit
l'Hiftorien , parut démentir ces proteftations
, & perfuada fortement aux Anglois,
qu'il étoit dangereux d'admettre un Prince
de la Religion Romaine , au Trône des
Royaumes Britanniques. Ce fut en peu
86 -MERCURE DE FRANCE.
même à préfent ils ne paroiffent pas plus
proches de leur fin , que lorfqu'ils furent
inventés .
Nous fupprimons ici les confpirations
& les exécutions fréquentes qui troublerent
le régne de Charles II ; ce font prèfque
toujours les mêmes fcènes qui fe renouvellent
, & ces objets ne font point
affez variés , pour faire un fpectacle intéreffant
aux yeux de nos Lecteurs . Nous
allons donc paffer au régne de fon fucceffeur
, Jacques II , qui monta fur le
Trône à la mort de fon frère. Il n'y
refta que l'efpace de quatre années ;
mais , dit l'Auteur : » Si l'on confidère
و د
plutôt fon caractère perfonnel , que
» fa conduite publique , il fut , fans con-
» tredit , plus malheureux que coupable.
» Il avoit plufieurs des qualités qui for-
>> ment un excellent citoyen ; & quelques-
» unes de celles qui , lorfqu'elles ne font
» point éclipfées par les principes arbi-
» traires , & le zèle aveugle de religion ,
» fervent à former un bon Souverain.
» Dans la vie privée , fa conduite fut irréprochable.
Ardent , mais ouvert dans
» fes inimitiés , ferme dans fes vues & fes
» réfolutions , exact dans fes plans , brave
» dans fes entrepriſes , fincère , fidéle , &
plein d'honneur dans les affaires ; tel
ود
FEVRIER . 1761. 87
"
"
» Sa
» étoit le caractère avec lequel il monta
» fur le Trône Anglois. Dans ce haut
degré , fon oeconomie fut remarquable ,
» fon induſtrie exemplaire , fon applica-
» tion heureufe aux affaires maritimes ,
»fes encouragemens judicieux pour le
» commerce , & fa jaloufie louable , pour
» l'honneur de la Nation. Que lui manquoit-
il donc , pour faire un excellent
» Roi d'Angleterre ? De l'affection & du
» refpect pour la religion de fon peuple.
» Avec cette indifpenfable qualité , la
» médiocrité même de fes talens , aidée
» par tant de vertus , auroit pu rendre
» fon regne glorieux & paifible .
fincérité , vertu dont dont il faifoit gloire ,
paroiffoit douteufe , dans les promeffes
tant de fois réitérées , de conferver la
liberté , & la religion du Royaume.
Jufqu'à fon dernier foupir , il ne ceffa
point de protefter , que jamais il n'avoit
eu l'intention de renverfer les loix , ni
de procurer à fes Sujets Catholiques
d'autres avantages que la tolérance , &
l'égalité des priviléges . Sa conduite , dit
l'Hiftorien , parut démentir ces proteſtations
, & perfuada fortement aux Anglois,
qu'il étoit dangereux d'admettre un Prince
de la Religion Romaine , au Trône des
Royaumes Britanniques. Ce fut en peu
>
88 MERCURE DE FRANCE.
de jours , que le courage & l'habileté du
Prince d'Orange , fecondé par une fortune
furprenante , opérérent cette grande révolution
, & que fans effufion de fang ,
un grand Roi , foutenu par une flotte
formidable , & par une armée nombreuſe ,
fe vit renversé du Trône . Mais il reftoit
la plus difficile partie de l'entreprife , &
celle peut- être que le Prince d'Orange
ne regardoit pas comme la moins importante
; c'étoit d'obtenir pour lui - même ,
cette couronne qui étoit tombée de la
tête de fon Beau - pere. Les Jurifconfultes
ne trouverent qu'un expédient , ce fut
qu'il la demandat par droit de conquête ;
qu'il prît immédiatement le titre de
Souverain. La trifte fituation de Jacques
l'expofoit au mépris de fes Sujets. Incapable
de réfifter au torrent , il ne faut pas
conferver affez de préfence d'efprit ; &
l'adverfité fembla l'abattre autant qu'il
avoit paru enflé de la fortune . Il conthença
même à prêter l'oreille au plus
imprudent de tous les confeils , celui de
quitter le Trône , & d'accorder à fes
ennemis , ce qu'ils n'auroient ofé fe
promettre dans leurs plus flatteufes efpé--
rances. La Reine obfervant la furie du
peuple , fut frappée d'une profonde
retreur , & commença férteufement at
FEVRIER. 1761. 89
craindre une accufation parlementaire ,
dont on l'avertit que les Reines d'Angleterre
n'étoient pas exemptes. Les Courrifans
Catholiques , & furtout les Prêtres
étoient perfuadés qu'ils feroient les premieres
victimes , & que le banniffement
perpétuel étoit la moindre vangeance
qu'ils duffent attendre du reffentiment
national. Cette idée leur fit fouhaiter
de pouvoir engager Jacques à quitter le
Royaume avec eux , dans l'efpoir que
fa préfence leur affureroit quelque reffource
dans les pays étrangers. D'un autre
côté , la défertion générale des Protef
tans , faifoit regarder les Catholiques
au Roi , comme le feul refte de fes
Sujets auquel il pût fe fier ; & la fatale
cataſtrophe de fon pere , ne lui donnoit
que trop fujer d'appréhender le même fort .
Agité de toutes ces craintes , Jacques II
embraffa précipitamment la réfolution
de paffer en France , & fe hâta de faire
partir d'avance la Reine & le jeune Prince
fon fils , fous la conduire du Comte de
Lauzun . Il prit lui - même le tems de la
nuit pour difparoître , accompagné du feul
Chevalier Hales ; & par des voies détournées
, il entreprit de fe rendre à bord d'un
Vaiffeau qui l'attendoit à l'embouchure
de la Tamife . Ses mefures avoient été pri
90 MERCURE DE FRANCE.
fes avec toutes fortes de foins pour dérober
fa fuite ; comme fi cette réfolution
n'eût pas été ce qu'il pouvoit faire de plus
agréable à fes ennemis . Rien ne peut égaler
la furprife qui faifit la Ville , la Cour
& tout le Royaume , au premier bruit de
cette étrange nouvelle .On voyoit les rênes
du Gouvernement abandonnés tout d'un
coup par la main qui les foutenoit , &
l'on ne voyoit perfonne qui eût le droit
de s'en mettre en poffeffion.
Tandis que le Roi abandonnoit ainfi
fa caufe , on reçut la nouvelle qu'il avoit
été faifi à Feversham par la populace, fous
un habit déguifé ; qu'il avoit reçu de fort
mauvais traitemens avant qu'il eût été
reconnu ; mais que les honnêtes gens du
canton l'avoient défendu & mis à couvert
, en refufant néanmoins de confentir
à fon évafion. Ce contre - tems jetta tous
les partis dans le plus grand trouble. Le
Prince d'Orange vouloit que le Roi n'avançat
pas plus loin que Rochefter ; mais
Jacques étoit déjà dans Londres , où la
populace touchée de compaffion pour fon
fort , & pouffée par fa propre légéreté ,
l'avoit reçu avec de grandes acclamations.
Mais voyant que l'Eglife , la Nobleffe
, la Capitale , les Provinces , que
tout concouroit à le négliger , il ſe ſouFEVRIER.
1761.
mit à fa trifte deftinée ; & preffé par les
Lettres de la Reine , il s'embarqua fecrettement
fur une Frégate qui l'attendoit ,
& qui le porta heureufement au port
d'Ambleteufe , d'où il fe rendit à St. Germain.
Louis XIV le reçut avec les plus
nobles fentimens de générofité , de reſpect
& d'amitié. Conduite qui fait plus d'honneur
à ce Monarque , dit M, Hume , que
fes plus nobles victoires . Ainfi finit le regne
de Jacques II & avec lui l'Hiftoire de
la Maifon de Stuart fur le Trône d'Angleterre.
QUESTION
DE GOÛT
.
LES paroles dun Opéra font - elles inatiles
à la progreffion du Génie mufical,
& conféquemment
indifférentes au fuccès
du Muficien ?
QUEL
UELQUE fingulière que paroiffe cette
question, ainfi nuement expofée ,elle eft cependant
aujourd'hui
l'analyſe de la façon
de penfer de bien des gens, qui prétendent
au titre d'Amateurs
, & même à la réputation
de Connoiffeurs
en Mufique.
Depuis les Chefs - d'oeuvres de Quinault
, depuis les Poëmes des La Mottes
소
92 MERCURE DE FRANCE.
des Fontenelles , & de quelques Modernes
, en petit nombre , des Scènes languiffantes,
mal attachées à un fond ftérile,
infipides dans les détails, ou ridiculement
brillantes dans un dialogue découfu , ont
fouvent rendu faftidieux le Spectacle de
l'Opéra. Quelquefois même , dans les
Poëmes confacrés par notre admiration ,
des Acteurs , en affoibliffant le fentiment
qui leur échappoit , ou minaudant celui
qu'ils ne faifoient qu'entrevoir, ont mis
obftacle à l'impreffion que devoient tou
jours faire certaines Scènes fur le Public .
Delà , imputant au genre même , les dé
fauts accidentels des Auteurs , dans les
mauvais Poëmes , ou des Acteurs dans
les bons , quelques perfonnes ont pû
croire & ont Kazardé de dire , que toute
efpéce de Scène , un peu remplie , étoit
une fource d'ennui à l'Opéra . Les Poëtes
les moins pourvus de talens ont favorisé
cette opinion , qui les difpenfoit du poins
difficile de l'Art. Quelques Muficiens
moins délicats que fçavans , l'ont adoptée
, parce qu'elle les auroit débaraffés de
ce fâcheux Récitatif ; plein - chant , à la
vérité dans le Muficien qui n'eft que Muficien
, mais le charme du coeur & de
Fefprit , dans celui qu'infpire le véritable
génie de fon art. Enfin quelques
FEVRIER. 176.1 . 93
fuccès éphémères ont manqué de faire
paffer en France ce paradoxe pour une
loi de goût général . Ce feroit , en quelque
forte ,l'autorifer , que d'entrer, pour
le détruire , dans des difcuffions trop approfondies.
Ce qui répugne à la raifon
par un fentiment d'évidence univerfellement
éprouvé , ne doit être qu'expofé
au grand jour , pour s'anéantir. Com .
ment peut- on en effet , fuppofer un drame,
( quelle que puiffe être fa deftination
) ou des agrémens acceffoires , &
fouvent étrangers , fuppléaroient fuffifament
à une certaine unité de fond , à
cet ordre d'idées , de chofes , d'action ,
de
fentimens , ou au moins de fituations,
fans lequel on ne peut intéreffer aucun
Lecteur ou Spectateur fenfé , ni même
foutenir fon attention ? Que fera- ce fi ce
drame eft fpécialement deftiné à une repréfentation
théâtrale , c'est - à - dire à
toute l'illufion poffible dans le Moral
autant au moins que dans le Phyfique ?
Tout le monde fçait combien l'éloquence
& la poefie influent fur la déclamation.
I feroit inutile de s'arrêter à faire
voir que , dans la Poefie lyrique , le Muficien
eft le déclamateur primitif, qu'ainfi
fes chants ne devant être que les organes
du Poëte , c'eft aux paroles à guider
94 MERCURE
DE FRANCE.
le & à enflaminer le génie inufical ; que
fon & le mérite de l'un , font néceffairement
dépendans de l'autre. Deux faits
viennent confirmer cette preuve de raifonnement
le premier , qu'il n'exiſte aucune
mufique d'Opéra , de la plus médiocre
réputation , où le Muficien n'ait été
fupérieur à fes talens ordinaires , lorfqu'il
a rencontré quelque Scène intéreſſante en
foi , & dont les détails étoient analogues
à cet intérêt . Le fecond , c'eft que malgré
la prévention qui paroît tout donner
à la Mufique , il eft conftamment vrai
que les Opéra qui n'ont été foutenus
que par ce feul mérite , ont eu des fucces
moins unanimes & moins conftans
que ceux où ce même mérite étoit appliqué
à de bons Poëmes. Sur le premier
de ces faits , nous en appellons à
la mémoire de tous les Amateurs du
Spectacle de l'Opéra. Le fecond n'a befoin
que de quelques exemples : en matière
de goût , les exemples font fouvent
des démonftrations . Mais il faut les
choifir dans les Ouvrages du Muficien de
nos jours , qui jouit des applaudiffemens
les plus univerfels , & dont la célébrité
eft la mieux établie. Comparons donc
avec lui- même , celui qui vient de nous
attacher & de nous émouvoir fi agréableFEVRIER
. 1761 . 95
ment dans Dardanus , que nous avions
plaint auparavant dans les Paladins ,
mais qui nous a toujours forcé d'admirer
fon génie , dans les tems mêmes où nous
en regrettions le plus l'emploi .
*
Pourquoi Hippolite & Aricie , Caftor &
Pollux, & ce même Dardanus , dont nous
venons de parler , ont- ils furvêcu fi glorieuſement
, au premier enthouſiaſme
qu'excite toujours à fi jufte eitre , la Mufique
de cet Auteur ? Cette faveur d'une
admiration foutenue , ne peut être & n'eft
due qu'aux paroles qui ont échauffé &
dirigé fon génie. Dans le premier de ces
Poëmes , la Fable eft conftruite dramatiquement
, les Scènes font affez préciſes ,
diftribuées avec ordre , & raisonnablerent
dialoguées ; ces avantages y font
prèfqu'oublier la nonchalance de la verfification.
L'Opéra de Caftor & Pollux
aura toujours pour le Public , un éclat fupérieur
à celui d'Hippolite ; éclat qu'il
doit , fans doute , à la nature du fujet , à
une pocfie plus brillante , & en général ,
à une imagination plus lumineufe , faite
par conféquent , pour infpirer plus d'élévation
à celle du Muficien . Dardanus ,
que l'on joue encore aujourd'hui , & qu'on
ne fe laffe point de revoir , rappelle à
* Hippolite & Aricie.
c6 MERCURE DE FRANCE .
l'efprit & au coeur l'influence des fonds
poëtiques fur le coloris mufical. A qui la
tendre Iphife n'a - t - elle pas fait avouer ,
que ce font les Scènes qui nous fixent &
qui nous ramènent fouvent au fpectacle
de l'Opéra , quand l'intérêt , tracé par les
paroles , a paffé dans le génie du Muſicien
, & qu'on y ajoûte , comme l'Actrice
chargée de ce rôle * , tous les charmes
de la plus fenfible expreffion .
Rappellons - nous au contraire ces bizarres
pocfies , fruits bigarrés d'une trop
fertile verve , dont la mort a arrêté le
cours. Que produit , en leur faveur , le
tréfor de ſcience & d'harmonie , que notre
immortel Muficien s'étoit obftiné à
leur prodiguer ? mais ne portons pas plus
loin nos remarques fur ces productions
infortunées. La politeffe de nos moeurs
ne permet pas d'inquiéter des cendres
trop récentes. Le temps ne nous a pas
encore donné , fur ces Poëmes , les droits
de la poftérité l'Auteur eft , à notre
égard , dans cet âge heureux des morts ,
où l'on doit paffer bien des chofes à ces
Meffieurs .
J'entends nos Amateurs réclamer ici
pour Zoroastre. Qu'ils daignent convenir
que ce divin Zoroaftre n'a jamais été
* Mlle Arnould.
admiré
FEVRIER. 1761. 97
admiré par eux- mêmes , que comme un
excellent concert.Les plus grands moyens
de la Mufique y étoient diftribués dans
des contraftes fi tranchans , les fens y
étoient fi violemment frappés , que l'elprit
étonné , oublioit ce qu'il exige ordinairement
au Théâtre , & le coeur ofoir
à peine y regretter l'intérêt qui lui eſt
toujours fi néceflaire. Le mérite de Zoroaftre
ne peut donc avoir aucune relation
au genre propre de l'Opéra : ce qui
a procuré un fuccès à ce Spectacle , ce
qui pourroit lui en procurer encore , couronnera
la gloire du Muficien , fans détruire
notre opinion.Quelque enivrés que
nous foyons aujourd'hui , des beautés purement
muſicales , il faudra toujours revenir
à croire , qu'un Opéra eft un tout
dramatique , compofé de plufieurs parties
d'agrément , mais dont le fond effentiel
doit être le Poëme. Quelques
fpectacles hazardés contre ce principe ,
cauferont peut- être une fenfation plus vive
dans le premier moment ; mais l'exactitude
bien entendue de l'Att théatral , a
des reffources fupérieures aux tyrannies
de la mode fur tous les Arts .
Zoroaftre ne conclud donc pas davantage
contre la néceffité des bons Poëmes ,
E
#
98 MERCURE DE FRANCE.
.
dans les Opéras tragiques , que les Indes
galantes ne doivent favorifer l'indifférence
des Muficiens pour les paroles, dans les
Opéra- Ballets. Quelque applaudi qu'air
été celui- ci dans fon origine , on fçait
combien fa fortune a été différente dans
les repriſes . En obfervant , d'après les événemens
, tous les ouvrages de ce genre
on trouvera qu'il n'en eft aucun, de ceux
dont la Mufique fait le feul mérite , qui
ait foutenu l'épreuve des retours fur le
Théâtre ; au lieu que l'on pourroit en citer
beaucoup d'autres , qui , à la faveur des
Poëmes , ont obtenu grâce & l'obtiennent
encore pour cette petite Mufique , ainfi
que la qualifient les prétendus connoiffeurs
, qui affectent toujours , par vanité
perfonelle , de déprifer le genre national.
# Si je voulois entrer dans la difcuffion
de quelques Actes ifolés , on verroit encore
les mêmes conféquences du principe
établi à l'égard de l'influence de la Pochie
fur la Mufique. L'Acte de Pigmalion ,
dont le fond eft de main de maître , *
mais un peu défiguré par celle qui a ofé
le retoucher , a été remis avec fuccès &
probablement le fera toujours avec plus
ou moins d'éclat ; cependant felon les ta-
* M. de la Motte.
FEVRIER. 1761 .
99
lens ou la réputation de la voix qui chantera
le principal rôle.
L'aimable Spectacle des Talens lyriques,
n'étant qu'un tiffu de grâces locales ,
une combinaifon de tableaux riants , où
à peine a-t- on prétendu à la verfification ,
ce Ballet eft abfolument fans conféquence
pour ou contre la part que doit
avoir la Poëfie au fuccès d'un Opéra. On
n'en fera pas moins en droit de regretter
en général , tous les avantages qu'à perdus
l'illuftre Muficien , dont on vient de
parcourir quelques Ouvrages , par un peu
trop de négligence à fe procurer des Poëmes
plus analogues à la féconde fublimité
de fon génie , & aux grâces dont il
eſt ſuſceptible.
Quoiqu'il paroiffe par la queftion même
que l'on vient d'examiner , qu'une
certaine portion du Public , chancèle ſur
les viais principes du goût , j'ai cru qu'il
étoit utile de faire remarquer , par les
comparaifons de fuccès que je viens d'expofer
, qu'il redevient tous les jours plus
fenfible au mérite des Scènes , & en général
à celui des Poëmes à l'Opéra. J'ai
choifi , pour autorifer cette vérité les
divers Ouvrages du plus célébre Muficien
exiftant , & le moment où tout retentit
,
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
encore de l'impreffion que fait Dardanus.
J'ai la certitude de n'être pas démenti fur
ce genre d'autorité.
Par un Penfionnaire du Mercure,
SUR la découverte des Urnes Cinéraires
de Cote-cote près Dieppe.
LEES Urnes de Cote- cote , felon la defcription
& d'après les particularités énoncées
dans le mémoire inféré dans le Mer
cure de ce mois , annoncent des Monumens
Romains. Il eft affez peu intéreſſant
de fçavoir fi ce font les cendres de deux,
corps ou d'un feul. Il paroît que ce font
celles de deux perfonnes & qu'on a voulu
les diftinguer par les deux médailles. Si
C'eût été les cendres d'un feul corps , on
ne les auroit pas mifes dans deux urnes
différentes , ou bien on ne les auroit pas.
féparées de quelques pieds.
Les piéces trouvées fous ces urnes , ne
font, fuivant toute apparence , rien moins .
que les oboles de Caron ; mais feulement ,
deux médailles dont la deftination eft
de fixer le temps de l'inhumation. L'Au
teur ne fe tromperoit - il pas , en difant
FEVRIER. 1-31. for
que les Antonins & les Philippes n'ont fait
mettre leur nom en infcription que fur la
monoie d'or & d'argent ? Il diftingue ap
paremment la monoie des médailles. Nous
avons de ces dernieres , ( grand bronze )
en grande quantité , & on ÿ'lit à merveille
Antoninus , &c.
On a peut-être mal lû la légende de
l'autre médaille , il paroîtroit tout fimple
de lire Diva Fauftina.
Ne feroit - ce point une idée neuve d'ayancer
que la ville d'Arques a été bâtie
4 à 500 ans avant J. C. par une Colonie
Phénicienne ?
Nous doutons qu'aucune ville des Gaules
ait été fondée par les Phéniciens , &
qu'ils ayent jamais fait aucun établiffement
fur nos côtes , quoiqu'ils les ayent
beaucoup fréquentées dans leurs voyages
aux Ifles Caffiterides.
Pour prouver que la ville d'Arques eft
de fondation Phénicienne , on ne peut
avoir que des preuves de fait. Si on vouloit
bien les produire , je penfe qu'on rendroit
un grand fervice à la République des
Lettres.
É iij
02 MERCURE DE FRANCE.
ESSAI fur L'INFANTERIE
CETE
FRANÇOISE.
EXTRA I T.
ET Effai contient des réflexions & des
raiſonnemens , qui juftifient les changemens
defirés dans l'Infanterie Françoiſe.
-
Sur ce fondement que : l'Infanterie fait
la force des Armées , qu'elle eft l'âme des
combats & qu'elle fournit à toutes les efpéces
de fervice . Corps principal qui doit tenir
le premier rang dans tout Etat Mili
taire , dont la Cavalerie ne doit être que
l'acceffoire .
Pour donner à notre Infanterie le degré
de perfection où elle peut être portée , il
lui faut rendre le premier degré de confi
dération que la Cavalerie a ufurpé.
En effet , c'eft dans le Corps de la Cavalerie
que les familles les plus recommandables
par les dignités , par les richeffes
ou par la faveur , s'empreffent de placer
les enfans qu'elles deftinent au métier
des Armes ; c'eft auffi ce Corps qui jouir
des meilleurs traitemens , & qui enléve à
l'envi , pour ſes recrues , les hommes les
plus diftingués, par la force , par la taille,
FEVRIER. 1761, 103
& par la figure. L'infanterie eft le partage
de la nobleffe pauvre , elle reçoit pêlemêle
, dans fes enrôlemens , tous fujets
fans diftinction , fur la compétence de
cinq pieds de hauteur.
L'Auteur defire que chaque Brigade
d'Infanterie , pour acquérir toute la force
dont elle eft fufceptible , foit formée d'un
feul & même Corps en plufieurs Bataillons.
Que chaque Bataillon, comme ceux pour
l'Infanterie Allemande au fervice du Roi,
foit compofé d'une Compagnie de Grenadiers
de 52 hommes & de huit Compagnies
de Fufiliers , chacune de 80 hommes
, toutes commandées par trois Officiers
: un Capitaine , un Lieutenant & un
Sous-Lieutenant.
En fuppofant l'utilité reconnue des
Troupes de Chaffeurs attachées aux Brigades
, qu'elles fuflent portées par augmentation
au complet actuel de chaque
Bataillon.
Pour donner plus de relief au grade de
Capitaine , que celui de Capitaine en fecond
( & pour le dire en paffant des titres
de Capitaine de charrois , des vivres & des
fermes ) fuffent fupprimés.
Les Places de fecond & troifiéme Officiers
des Grenadiers , même des Chaffeurs
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
1
*
accordées aux Enfeignes , & celles des Enfeignes
aux Sergens de bonne conduite ,
fans égard à l'ancienneté.
Les Sergens choifis par d'anciens Sergens
parmi tous les Caporaux, & de même
les Caporaux parmi les Soldats qui
auront montré le plus de bravoure & d'intelligence
, les places d'appointés don-.
nées aux plus anciens Soldats . L'antériorité
de fervice qui n'auroit pas fervi à
monter à un grade fupérieur récompenfé
par une augmentation de paye.
Que feize Fufiliers - Canoniers commandés
dans chaque Bataillon par un Sergent
& un Caporal- Canoniers recrutent à tour
de rôle le Corps Royal de l'Artillerie , qui
fe recruteroient eux- mêmes dans les Compagnies
de leurs Bataillons .
L'obligation, impofée aux Capitaines de
recruter leurs Troupes , eft une des caufes
de la foibleffe de notre Infanterie ; le
reméde eft dans le nouveau fyftême des
recrues nationales ; fur tout fi l'on applique
à la levée des Milices , les principes
de recrutation , par la voie des engage
mens volontaires . Le plan des enrôlemens
volontaires favorife la population, encou
rage le Commerce & conferve à l'Agriculture
des milliers de bras qui lui font né
ceffaires.
FEVRIER. 1761. IOS
Mais il faut choifir les ſujets ; l'âge militaire
fixé à 16 ans , le feroit peut - être
mieux à 18 , où les hommes doivent
être formés , endurcis au travail & capables
de foutenir les fatigues de laguèrre ; fi
la néceffité force à fe relâcher fur la taille
de cinq pieds 4 pouces , il faut du moins.
reconnoître les avantages Phyfiques qui
décélent dans les fujets des inclinations
guèrrières, tels que l'affurance du regard ,
la plénitude du fon de voix , la vigueur du
nerf & de la conftitution .
Il peint l'Officier François , & en particulier
le Capitaine . Il loue le Corps des
Grenadiers de France , mais il craint qu'il
n'affoibliffe la maffe de l'Infanterie Françoiſe.
Il defire qu'on établiffe une Caiffe gế-
nérale des enrôlemens pour les Recrues
volontaires , fur les appointemens des Capitaines.
Qu'on défende la vente des Congés abfolus.
Qu'on faffe des établiffemens de dépôts
de Recrues , qui fervent auffi d'écoles
où les Soldats feroient exercés en tous
temps ; enfin , qu'on les foulage en temps
de guèrre . Le Ministère a donné des preuves
de fon attention à ce dernier Article.
C'eft aux Militaires , inftruits & éclai-
E y
104 MERCURE DE FRANCE.
1
accordées aux Enfeignes , & celles des Enfeignes
aux Sergens de bonne conduite ,
fans égard à l'ancienneté.
Les Sergens choifis par d'anciens Sergens
parmi tous les Caporaux, & de même
les Caporaux parmi les Soldats qui
auront montré le plus de bravoure & d'inrelligence
, les places d'appointés don-.
nées aux plus anciens Soldats . L'antériorité
de fervice qui n'auroit pas fervi à
monter à un grade fupérieur récompenfé
par une augmentation de paye.
Que feize Fufiliers - Canoniers commandés
dans chaque Bataillon par un Sergent
& un Caporal- Canoniers recrutent à tour
de rôle le Corps Royal de l'Artillerie , qui
fe recruteroient eux - mêmes dans les Compagnies
de leurs Bataillons .
L'obligation, impoſée aux Capitaines de
recruter leurs Troupes , eft une des caules
de la foibleffe de notre Infanterie ; le
reméde eft dans le nouveau fyftême des
recrues nationales ; fur tout fi l'on applique
à la levée des Milices , les principes
de recrutation , par la voie des engage
mens volontaires . Le plan des enrôlemens
volontaires favorife la population, encou
rage le Commerce & conferve à l'Agriculture
des milliers de bras qui lui font né
ceffaires.
FEVRIER. 1761. 105
Mais il faut choifir les fujers ; l'âge militaire
fixé à 16 ans , le feroit peut - être
mieux à 18 , où les hommes doivent,
être formés , endurcis au travail & capables
de foutenir les fatigues de laguèrre ; fi
la néceffité force à fe relâcher fur la taille
de cinq pieds 4 pouces , il faut du moins
reconnoître les avantages Phyſiques qui
décélent dans les fujets des inclinations
guèrrières, tels que l'affurance du regard
la plénitude du fon de voix , la vigueur du
nerf & de la conftitution .
>
Il peint l'Officier François, & en particulier
le Capitaine . Il loue le Corps des
Grenadiers de France , mais il craint qu'il
n'affoibliffe la maffe de l'Infanterie Françoife.
Il defire qu'on établiffe une Caiffe générale
des enrôlemens pour les Recrues
volontaires , fur les appointemens des Capitaines.
Qu'on défende la vente des Congés abfolus.
Qu'on faffe des établiſſemens de dépôts
de Recrues , qui fervent auffi d'écoles
où les Soldats feroient exercés en tous
temps ; enfin , qu'on les foulage en temps
de guèrre. Le Ministère a donné des preuves
de fon attention à ce dernier Article.
C'eft aux Militaires , inftruits & éclai-
Ey
104 MERCURE DE FRANCE.
1
accordées aux Enfeignes , & celles des Enfeignes
aux Sergens de bonne conduite ,
fans égard à l'ancienneté.
Les Sergens choifis par d'anciens Sergens
parmi tous les Caporaux , & de même
les Caporaux parmi les Soldats qui
auront montré le plus de bravoure & d'inrelligence
, les places d'appointés don-.
nées aux plus anciens Soldats . L'antériorité
de fervice qui n'auroit pas fervi à
monter à un grade fupérieur récompenfé
par une augmentation de paye.
Que feize Fufiliers - Canoniers commandés
dans chaque Bataillon par un Sergent
& un Caporal- Canoniers recrutent à tour
de rôle le Corps Royal de l'Artillerie , qui
fe recruteroient eux - mêmes dans les Compagnies
de leurs Bataillons .
L'obligation, impoſée aux Capitaines de
recruter leurs Troupes , eft une des caufes
de la foibleffe de notre Infanterie , le
reméde eft dans le nouveau fyftême des
fecrues nationales ; fur- tout fi l'on applique
à la levée des Milices , les principes
de recrutation , par la voie des engagemens
volontaires . Le plan des enrôlemens
volontaires favorife la population, encou
rage le Commerce & conferve à l'Agriculture
des milliers de bras qui lui font né
ceffaires.
FEVRIER. 1761. 105
,
Mais il faut choifir les fujers ; l'âge militaire
fixé à 16 ans , le feroit peut - être
mieux à 18 où les hommes doivent
être formés , endurcis au travail & capables
de foutenir les fatigues de laguèrre ; fi
la néceffité force à fe relâcher fur la taille
de cinq pieds 4 pouces , il faut du moins
reconnoître les avantages Phyfiques qui
décélent dans les fujets des inclinations
guèrrières, tels que l'affurance du regard .
la plénitude du fon de voix , la vigueur du
nerf & de la conftitution .
Il peint l'Officier François , & en particulier
le Capitaine . Il loue le Corps des
Grenadiers de France , mais il craint qu'il
n'affoibliffe la maffe de l'Infanterie Françoife.
Il defire qu'on établiffe une Caiffe générale
des enrôlemens pour les Recrues
volontaires , fur les appointemens des Capitaines.
Qu'on défende la vente des Congés abfolus.
Qu'on faffe des établiffemens de dépôts
de Recrues , qui fervent auffi d'écoles
où les Soldats feroient exercés en tous
temps ; enfin , qu'on les foulage en temps
de guèrre. Le Ministère a donné des preuves
de fon attention à ce dernier Article.
C'est aux Militaires , inftruits & éclai-
Ev
104 MERCURE DE FRANCE.
1
accordées aux Enfeignes , & celles des Enfeignes
aux Sergens de bonne conduite ,
fans égard à l'ancienneté.
Les Sergens choifis par d'anciens Sergens
parmi tous les Caporaux , & de même
les Caporaux parmi les Soldats qui
auront montré le plus de bravoure & d'inrelligence
, les places d'appointés données
aux plus anciens Soldats . L'antériorité
de fervice qui n'auroit pas fervi à
monter à un grade fupérieur récompenfe
par une augmentation de paye.
Que feize Fufiliers - Canoniers commandés
dans chaque Bataillon par un Sergent
& un Caporal- Canoniers recrutent à tour
de rôle le Corps Royal de l'Artillerie , qui
fe recruteroient eux - mêmes dans les Compagnies
de leurs Bataillons .
L'obligation, impofée aux Capitaines de
recruter leurs Troupes , eft une des caufes
de la foibleffe de notre Infanterie ; le
reméde eft dans le nouveau fyftême des
recrues nationales ; fur tout fi l'on applique
à la levée des Milices , les principes
de recrutation , par la voie des engager
mens volontaires . Le plan des enrôlemens
volontaires favorife la population, encou
rage le Commerce & conferve à l'Agriculture
des milliers de bras qui lui font né
ceffaires .
FEVRIER. 1761. 105
Mais il faut choifir les fujers ; l'âge militaire
fixé à 16 ans , le feroit peut - être
mieux à 18 , où les hommes doivent
être formés , endurcis au travail & capables
de foutenir les fatigues de laguèrre ; fi
la néceffité force à fe relâcher fur la taille
de cinq pieds 4 pouces , il faut du moins
reconnoître les avantages Phyfiques qui
décélent dans les fujets des inclinations
guèrrières, tels que l'affurance du regard ,
la plénitude du fon de voix , la vigueur du
nerf & de la conftitution .
Il peint l'Officier François , & en particulier
le Capitaine. Il loue le Corps des
Grenadiers de France , mais il craint qu'il
n'affoibliffe la maffe de l'Infanterie Françoife.
Il defire qu'on établiffe une Caiffe générale
des enrôlemens pour les Recrues
volontaires , fur les appointemens des Capitaines.
Qu'on défende la vente des Congés abfolus
. Qu'on faffe des établiffemens de dépôts
de Recrues , qui fervent auffi d'écoles
ou les Soldats feroient exercés en tous
temps ; enfin , qu'on les foulage en temps
de guèrre. Le Ministère a donné des preuves
de fon attention à ce dernier Article.
C'eft aux Militaires , inftruits & éclai-
E y
104 MERCURE DE FRANCE.
accordées aux Enfeignes , & celles des Enfeignes
aux Sergens de bonne conduite ,
fans égard à l'ancienneté.
Les Sergens choifis par d'anciens Sergens
parmi tous les Caporaux, & de même
les Caporaux parmi les Soldats qui
auront montré le plus de bravoure & d'intelligence
, les places d'appointés don-.
nées aux plus anciens Soldats. L'antériorité
de fervice qui n'auroit pas fervi à
monter à un grade fupérieur récompenfé
par une augmentation de paye.
Que feize Fufiliers - Canoniers commandés
dans chaque Bataillon par un Sergent
& un Caporal- Canoniers recrutent à tour
de rôle le Corps Royal de l'Artillerie , qui
fe recruteroient eux - mêmes dans les Compagnies
de leurs Bataillons.
L'obligation, impofée aux Capitaines de
recruter leurs Troupes , eft une des caufes
de la foibleffe de notre Infanterie ; le
reméde eft dans le nouveau fyftême des
fecrues nationales ; fur tout fi l'on applique
à la levée des Milices , les principes
de recrutation , par la voie des engagemens
volontaires . Le plan des enrôlemens
volontaires favorife la population, encou
rage le Commerce & conferve à l'Agriculture
des milliers de bras qui lui font né
ceffaires.
FEVRIER . 1761 . 105
Mais il faut choifir les fujets ; l'âge militaire
fixé à 16 ans , le feroit peut - être
mieux à 18 , où les hommes doivent
être formés , endurcis au travail & capables
de foutenir les fatigues de laguèrre ; fi
la néceffité force à fe relâcher fur la taille
de cinq pieds 4 pouces , il faut du moins
reconnoître les avantages Phyfiques qui
décélent dans les fujets des inclinations
guèrrières, tels que l'affurance du regard ,
la plénitude du fon de voix , la vigueur du
nerf & de la conftitution .
Il peint l'Officier François , & en particulier
le Capitaine . Il loue le Corps des
Grenadiers de France , mais il craint qu'il
n'affoibliffe la maffe de l'Infanterie Françoiſe.
Il defire qu'on établiffe une Caiffe générale
des enrôlemens pour les Recrues
volontaires , fur les appointemens des Capitaines.
Qu'on défende la vente des Congés abfolus.
Qu'on falle des établiffemens de dépôts
de Recrues , qui fervent auffi d'écoles
où les Soldats feroient exercés en tous
temps ; enfin , qu'on les foulage en temps
de guèrre. Le Miniftère a donné des preuves
de fon attention à ce dernier Article.
C'eft aux Militaires , inftruits & éclai-
E v
106 MERCURE DE FRANCE .
rés , à juger cet Effai , qu'il faut lire tout
entier ; l'on ne peut refufer des éloges
aux vues fages de l'Auteur , & au zèle qui
l'anime.
L'Auteur de cet Effai , eft M. J. B. Durival
, Greffier en chef des Confeils de
S. M. le Koi de Pologne , Duc de Lorraine
& de Bar. M. D. a lu cet Effai ,
après avoir prononcé fon difcours , lors
de fa réception à l'Académie Royale des
Sciences & Belles- Lettres de Nanci , le
20 Octobre 1760 .
Le nom de famille de M. Durival , eſt
Luton, connu en Lorraine, feulement, fous
celui de Durival . Jacques Luton , Père ,
vient d'être anobli par le Roi Stanislas ;
fes trois fils , Nicolas , Jean - Baptifte &
Claude Luton- Durival , compris dans la
France Littéraire fous le nom feul de Durival,
font connus par des ouvrages utiles .
NOUVELLE & magnifique Edition de
BOCCACE , en Italien & en François
(Séparément. ) Avec figures .
II feroit inutile de faire de nouveaux
éloges de Boccace , on en fait depuis quatre
fiècles : il eft connu de tous ceux qui
FEVRIER. 1761. 107
cultivent les Lettres ; il eft traduit dans prèfque
toutes les Langues ; c'eft le plus agréable
Conteur qui ait jamais paru . Il a fixé
la perfection , l'élégance , la douceur de
la Langue Italienne ; fon ftyle eft noble ,
délicat , éloquent les bons mots , la fine
plaifanterie , ce fel , ces traits de fatyre
enjoués & fpirituels auxquels il eft difficile
d'atteindre , font répandus dans fes ouvra
ges . Cette urbanité que tous les Ecrivains
recherchent , que peu faififfent , y domine
principalement avec une forte de profufion
. Ce qui met le comble à fon Eloge ,
c'eft qu'il a eu la gloire de fervir de modéle
à la Fontaine , Auteur unique en ce
genre.
Il y a un grand nombre d'Editions des
Nouvelles de Boccace. Les bonnes font extrêmement
rares . Il n'y en a aucune qui
foit ornée de figures : cependant , quel eft
l'ouvrage qui fourniffe plus d'idées à la
Peinture ? Il est à préfumer qu'on a penfé
plufieurs fois à embellir le Décameron par
le deffein & par la gravure , & à enrichir
en même temps la gravure & le deffein
des images vives , riantes ou férieuſes , qui
tour-à-tour fe rencontrent dans le Décameron.
La dépenfe qu'auroit exigée une
pareille entrepriſe, en a peut- être fait toujours
tomber le projet . Des circonstances
E vj
10S MERCURE DE FRANCE.
heureuſes l'ont réveillé dans ce fiècle de
lumiere & de goût . Ce projet eft exécuté ,
& cette Edition complette du Décameron
, fi defirée , paroîtra dans le courant
de Janvier prochain 1761 .
Elle eft diftribuée en cinq Volumes in
octavo , & ornée de cent - feize grandes
planches , dont les deffeins font de MM.-
Boucher , Cochin & Gravelot : fçavoir :
Cent , pour les Cent Nouvelles.
Dix , pour les dix Prologues des dix
Journées .
Cinq , pour les Frontifpices de chacun
des cinq Volumes .
Une , pour le Portrait de l'Auteur.
Les cent- dix planches employées pour
les Nouvelles & les Prologues , font accompagnées
de cent - dix Titres gravés
dans des bordures pareilles à celles des
planches , & les Nouvelles & les Prologues
font terminés par cent Culs - de - lampes
en figure , de différente grandeur ; de
forte qu'on a employé environ 330 planpour
cette Edition , qui ont été deffinées
& gravées par les plus habiles Artiſtes.
On peut regarder les deffeins & les gravu
res comme autant de chefs- d'oeuvres de
modèle pour tout gente d'Astiftes.
ches
En faveur de ceux qui n'entendent pas
FEVRIER. 1761 . 100
l'Italien , on a imprimé le Décameron de
Boccace traduit en François par Magon.
Sa traduction eft la plus exacte de toutes
celles qui ont paru ; fon ftyle eft élégant ,
fi on veut avoir égard au tempsdans lequel
il a vécu . La Traduction Françoiſe
n'eft pas jointe au texte Italien ; elle forme
une Edition à part, diftribuée de même en
cinq Volumes, & enrichie des mêmes planches
, Titres & Culs- de- lampes qui font
dans l'Edition Italienne.
Le Décameron de Boccace étant divifé
en dix Journées , chaque Journée en dix
Nouvelles , chacun des cinq Volumes contiendra
deux Journées & vingt Nouvelles .
L'Edition Italienne eft toute en papier
d'Hollande Carré fin double ; l'Edition
Françoiſe eft partie en papier d'Hollande ,
de la même qualité , partie en beau papier
d'Auvergne grand Raifin , qui fait le grand
papier.
Les cinq Volumes du Décameron Ita
lien fe vendront cent livres argent de
France , brochés ou en feuilles. L'Edition
Françoife,tirée fur le même papier d'Hol
lande , fe vendra le même prix.
Quant à l'Edition Françoife , tirée fur
du beau papier d'Auvergne grand Raifin ,
le prix en fera de quatre- vingt- quatre liv.
110 MERCURE DE FRANCE.
argent de France , les cinq Vol. in - 8 ° .
On n'a tiré qu'un petit nombre d'Exemplaires
, & cela pour qu'ils fuffent tous
d'un oeil également net & neuf.
Si on veut réfléchir un inftant fur la
beauté des deffeins , des gravures , du
papier & des caractéres , on trouvera ce
prix affez modique .
On trouvera des Exemplaires de ces
deux Editions dans les principales Villes
de l'Europe , chez les Libraires fuivans ,
Sçavoir ;
A Londres , chez Vaillant & Noble ;
Davies ; Payne ; J. Nourfe.
A Paris , chez N. Tillard ; Durand ; ,
Prault fils.
A Amfterdam , chez Werftein ; Mortier
& Screuder.
A Lyon & à Genève , chez les Freres
de Tournes.
A Turin & à Milan , chez Reycends ,
Guibert & Silveftre.
A Venife , chez Antoine Zatta; Jean-
Baptifte Pafquali.
A Florence , chez Jacques Carlieri. "
L'ART DES ACCOUCHEMENS , démontré
par des Principes de Phyfique & de Méchanique
, pour fervir d'inftruction & de
FEVRIER. 1761 . III
baze à des leçons particulières. Par M.
André Levret , Accoucheur de Madame
la Dauphine , & c. Seconde Edition corrigée
& confidérablement augmentée ,
tant dans le corps de l'Ouvrage , que
dans le Supplément , avec addition dé
deux nouvelles Planches , & d'un abrégé
du fentiment de l'Auteur fur les Aphorifmes
de Moriceau . Grand in - 8°. Paris ,
1761. Chez P. Alexis le Prieur , Imprimeur-
Libraire ordinaire du Roi , du Collége
de l'Académie Royale de Chirurgie,
rue S. Jacques , à l'Olivier. Avec Approbation
& Privilége.
ESSAI fur une Traduction libre des
Comédies de Plaute , par M. Girauld ,
dédié à Son Alteffe Séréniffime Mgr le
Prince de CONTI. Volume in - 8 °. contenant
l'Auluraire , & l'Amphitrion . Amfterdam
, 1761 ; & fe trouve à Paris , chez
Duchefne , rue S. Jacques , au Temple
du Goût , & chez Cuiffard , quai de Gê
vres , à l'Ange Gardien . Prix 2 liv. broché.
Nous rendrons compte de cette
Traduction , qui nous paroît auffi agréable
qu'élégante.
GÉOGRAPHIE HISTORIQUE , où l'on trouve
réunie à la connoiffance des lieux &
de leur pofition , la Généalogie des Sei
112 MERCURE DE FRANCE .
gneurs qui ont poffédé des Tèrres , ou
qui en poffédent , une indication de la
patrie des Aureurs célébres , avec une notice
& un jugement de leurs Ouvrages.
Enfin une connoiffance exacte des batailles
, des fiéges , & autres faits mémorables
qui diftinguent un lieu dans l'Hiftoire
, le tout d'après les Monumens &
les Auteurs originaux. In- 8 ° . Paris , 1761.
Chez Ballard , Imprimeur - Libraire , rue
S. Jean de Beauvais , à fainte Cécile. En
voici le projet :
LES RECHERCHES GÉOGRAPHIQUES n'ont
roulé jufqu'à préfent que fur la pofition &
l'état des lieux du globe de la Tèrre. Il
n'y a guères d'Auteur qui ait joint la connoiffance
des faits hiftoriques à celle des
lieux. Cependant l'hiftoire & la géographie
ſe prêtent un fecours mutuel ; les lier
enſemble , c'eft leur donner à l'une & à
l'autre une vive lumière ; c'est rendre
cette partie de la littérature plus agréable
& plus instructive. L'ouvrage que je
publie aujourd'hui embraffe ces deux
points. Il a pour objet de déterminer les
lieux où il eft arrivé quelque événement ,
& de rapporter les faits dans la plus
grande précifion , après les avoir puifés
dans les monumens les plus connus , ainfi
que dans ceux qui le font moins ; on aura
FÉVRIER. 176г.
fij
par- là une Géographie hiftorique complette.
Donnons d'abord une idée des
fources & des matériaux qui en font la
bafe , & enfuite du plan de l'ouvrage.
Nous trouvons dans les différens Ecrivains
, qui de fiècle en fiécle ont embraffé
le genre hiftorique , une fource abondante
de traits & d'événemens . Mais il
faut les y développer & fe les rendre familiers
; fans quoi la lecture en devient
frivole & infructueufe. On ne sçauroit
donc parvenir à ce grand avantage , qu'en
retraçant ces faits & les rapportant aux
fieux où ils fe font paffés : c'eft à quoi je
me fuis attaché , & c'eft dans cette vue
que j'ai dépouillé mes fources. L'hiſtoire
facrée en eft d'abord une des principales.
Je fçais que les noms géographiques de
l'ancien & du nouveau Teftament , ont
déja été recherchés , même avec quelque
foin ; mais je donnerai là - deffus des notions
neuves , qui feront d'autant plus intéreffantes
qu'elles embrafferont nos deux
objets.
Entre les anciens Hiftoriens profanes ,
Polybe tient , avec juftice , un rang diftingué.
La fçavante traduction de Dom
Thuilier & l'excellent Commentaire qu'y
a joint fur la guerre le Chevalier Folard,
donnent de cet Auteur une grande idée ,
114 MERCURE DE FRANCE.
mais ne nous fourniffent point les éclairciffemens
de géographie & de chronologie
néceffaires pour en acquérir une parfaite
intelligence. J'ai tâché d'y fuppléer
par mes recherches.
Dans la claffe des Hiftoriens modernes
on peut regarder M. de Thou , comme
un des plus célébres que la France ait
produits. Auffi ai - je mis une application
particulière à le dépouiller. Cet Auteur
me fournira plus de dix mille noms géographiques
, & plus de vingt mille faits
hiftoriques. La véritable pofition des lieux
dont il a eu occafion de parler , ſera ici
fixée & conftatée avec exactitude ; les
faits qu'il a oubliés ou ignorés , fuppléés ' ;
& ceux fur lefquels il s'eft trompé , rectifiés
ce qui rendra ces articles extrêmement
importans , & ne contribuera pas
peu à perfectionner un ouvrage qui depuis
la naiffance eft en poffeffion des fuffrages
publics.
Je ne parle point ici de divers autres
Hiftoriens qui m'ont également fervi dè
guides & de fources . Tels font parmi les
plus anciens , Diodore de Sicile , Plutarque
, Dion Caffius , Tite- Live , Céfar, Cedrenus
, Procope , Guil. de Tyr, Nicetas ,
Anne Comnene , Pachymere , Ducas , Nicéphore
Gregoras , & Grégoire de Tours .
FEVRIER . 1761. 115
9
Tels font encore parmi les moins anciens
& les modernes , Guillaume de Nangis ,
Froiffart , Monftrelet , Comines , Montluc,
du Bellai , D. Vaiffete , Chorier , Videl ,
Bouche , Villani , Corio Guichardin ,
Ammirato , Zurita , Ferreras , Mathieu
Paris , Walfingham , Roger de Hoveden
Stow, Thomas Carte , Cromer & Ifthuanff.
Il me fuffit d'en avoir fait ici l'énumération
, en ajoutant que fi j'en fais un
grand ufage , c'eft cependant avec une
certaine circonfpection, rectifiant par une
critique réfléchie les endroits de géographie
& de chronologie , qui m'ont paru
fufceptibles de corrections ou d'éclairciffemens
.
Quelque indifférence qu'on paroiffe
avoir dans la Littérature , pour les gazettes
& les Mémoires du temps , j'avouerai
que j'en fais une de mes fources , les regardant
, malgré l'odieufe prévention que les
Ecrivains confervent contre ce genre de
monumens , comme la portion la plus
fidelle & la plus certaine des annales de
nos jours. J'y puiſe donc une infinité de
faits importans , & je les reproduis ici
avec le double avantage de les rendre intéreffans
par la Géographie auſſi bien que
par l'hiftoire du tems.
On voit , par cetre efquiffe , que j'ai fait
116 MERCURE DE FRANCE:
ufage des Hiftoriens anciens & modernes :
& l'on peut juger des lumières & de l'agrément
que répandront fur la Géographie
les recherches qui forment cet ouvrage.
Combien trouvera- t- on de lieux mentionnés
dans les hiftoriens de tous les fiécles
, ainfi que dans les chartes & les ti
tres , dont les noms nous font dévenus
prèfqu'inconnus. J'aurai une attention par
ticuliére à rechercher ceux- ci , & à faire¨¨
connoître leur pofition. Pour les diftinguet
des lieux connus & dont on peut donner
des notions plus fûres & plus détaillées
on les caractérifera par cette marque .
Entre les divers événemens que nous
préfente l'hiftoire,il n'en eft peut-être point
de plus intére fans & de plus curieux que
les batailles & les fièges . Par cet objet un
lieu devient recommandable & diftingué.
C'est encore une partie que j'ai exactement
travaillée , & qui fera un des grands
ornemens de cet ouvrage. C'en eft pour
ainfi dire , la partie militaire. En effet , on
fent de quelle utilité la connoiffance de
ces fortes d'événemens , peut être pour
tous les hommes , mais fur- tout pour ceux
qui fe confacrent à la profeffion des armes :
ceux- ci trouveront dans cette partie des
traits qui les éclaireront , qui les inftruiront
à la fois , qu'il ne leur eft même pa's
permis d'ignorer.
FEVRIER. 1761. 117
Ce n'eft pas pofféder la Géographie que
de n'en connoître que les parties généra
les . Toute la furface de la tèrre entre dans
fon objet ; & la topographie en particu
lier mérite toute notre attention . La connoiffance
des plus petits lieux devient intéreffante
, néceffaire même relativement
à l'hiftoire , fur laquelle elle répand les
plus grandes lumières. Dans cette vue les
châteaux , les hameaux , les fermes , les.
églifes de campagne , & autres lieux de
moindre conféquence , diftingués dans.
P'hiftoire par des événemens curieux , auront
tous ici des articles particuliers . Mais
comme ce ne font là que des portions de
paroiffes , & que les paroiffes feules forment
un corps effentiel , on aura foin
de diftinguer ces lieux par des marques ,
qui les indiqueront, J'y joindrai auffi
des liftes des paroiffes , avec le nom de
tous les lieux qui fe trouvent compris
dans leur diftrict . Ceux même qu'on trouve
fur les cartes , mais dont on ne connoît
pas la paroiffe , feront placés fous
la plus prochaine. Par une fingularité remarquable
que les anciens partages & les
fixations de limites ont originairement
produite , il fe trouve quelques villes &
autres lieux qui appartiennent par des
parties féparées à diverfes Provinces , à
118 MERCURE DE FRANCE.
divers Diocèfes & à divers diftricts ; cette
fingularité géographique mérite d'être
connue ; & j'aurai attention de la relever.
Sur les principes que je viens d'expofer,
les tèrres feigneuriales appartiennent
fans doute à ces recherches ; auffi y entreront-
elles ; & je m'attache avec foin
à cet objet particulier. Non feulement je
donnerai une notion exacte de ce qu'elles
font & de leur poſition ; mais je ferai connoître
encore ceux qui les ont poffédées ;
& ceux à qui elles appartiennent aujourd'hui
: nouveau moyen & nouvelles lumières
pour éclairer l'Hiftoire.
"
Des fragmens généalogiques qui accompagneront
ces notions , feront connoître
les poffeffeurs des tèrres . Les familles
éteintes y entrerant , avec d'autant
plus d'utilité qu'elles font prèfque généralement
livrées à l'oubli & à l'indifférence.
A l'égard des familles exiftantes.
qui feront auffi l'objet de ces fragmens
je ne dirai rien qui puiffe leur être défavantageux
: mais je ne dirai rien auffi
en leur faveur qui ne foit bien prouvé.
D'un autre côté , comme je ne veux point
donner des généalogies abſolument complettes
, & que ce que j'en donne n'eſt
que pour apprendre l'hiftoire des feigneurs
des tèrres , je me garderai bien de rien
FEVRIER. 1761. 119
dire fur l'origine des familles matière
trop délicate à traiter , & fur laquelle
on ne fçauroit prèfque contenter perfonne
: matière d'ailleurs qui appartient proprement
à ceux que le Roi charge de
dreffer les preuves de la nobleffe de fon
Royaume.
Au refte fur la connoiffance des Seigneurs
des terres , je n'imiterai point la
mauvaiſe méthode de certains ouvrages
modernes , tels que le Dictionnaire de la
France , les Almanachs de Lyon , de
Guienne , & autres , qui fe bornent à donner
la fimple dénomination de ces Seigneurs
, fans en marquer le nom de baptême
& de famille , non plus que celui de
leur pére & de leur mére , & la datte de
leur mort : ce qui feroit auffi aifé à donner
, & fans doute plus intéreffant que le
nom du curé & du juge de la terre , qu'on
y préfente avec la plus fcrupuleufe exactitude.
Les notions que je donnerai feront
bien moins imparfaites , & beaucoup plus
inftructives fur tous ces différens objets.
Pour ne laiffer rien à defirer dans cette
Géographie hiftorique , j'étends mes recherches
à l'hiftoire des Auteurs , relativement
aux lieux auxquels ils peuvent
appartenir. Leurs ouvrages feront exactement
mentionnés , & j'y joindrai un ju120
MERCURE DE FRANCE.
gement fur leurs écrits. Je les placerai
donc fous le nom des lieux de leur patrie
ou de leur habitation , fous celui même
des Villes où leurs ouvrages auront été imprimés
; ou de quelque autre manière
convenable , qui puiffe leur donner place
dans cet ouvrage , & les faire connoître.
Au furplus,je prie ceux qui ont des pié
ces ou des Mémoires dans lefquels peuvent
fe trouver des faits hiftoriques ignorés
ou peu connus , de m'en faire part. Ils
auront la fatisfaction de les voir d'abord
après , mis au grand jour & rendus publics
par ces feuilles.
Tel eft le plan de l'ouvrage que je préfente
au Public. La variété , que j'y fais
régner peut en rehauffer is prix . Du mêlange
& de l'emploi de toutes ces diverfes
couleurs , fe formera un tableau intéreffant
. Parlons fans figure : les divers mo-,
numens qui forment le fond & la bafe de
mes recherches; les matières variées qu'elles
embraffent ; les différens avantages
qu'elles peuvent produire pour l'éclairciffement
de l'Hiftoire , & la connoiffance
de la Géographie , donneront peut - être
de l'importance à cet ouvrage , & lui concilieront
les fuffrages du Public .
Il me reste à dire un mot de l'ordre &
de la forme qu'on a donnés à ces feuilles .
Elles
FEVRIER . 1761. 121
Elles feront périodiques ; & il en paroîtra
cinq tous les quinze jours , qui embraſſeront
les différens objets fous lefquels je
préfente toute la Géographie hiftorique.
De plus , afin que les particuliers folent
en état de faire de ces feuilles une collection
utile & relative à leurs études , à
leurs occupations , & à leurs amuſemens ,
j'en ai rendu les articles entiérement détachés
les uns des autres . De façon que
chacun pourra les arranger par matières
différentes , & leur donner tel ordre qui
lui plaira le plus , foit alphabétique , foir
chronologique , ou bien par diftrict , ou
par Province , fuivant fon goût ; en faire
même , s'il le veut , un commentaire
complet de chaque Hiftorien ; ou bien
un Dictionnaire hiftorique , d'un Royaume
, d'une Province , d'un Diocèfe , d'un
diſtrict ; ou enfin un Dictionnaire des tèrres
, & des Patries des Auteurs.
I Le prix de chaque ordinaire eft de 1 liv. 4 f.
Ceux qui voudront s'abonner , payeront pour
les vingt- quatre parties , 18 liv .
COURS DE GÉOGRAPHIE ELÉMENTAIRE ,
fervant d'explication à plufieurs Cartes
en forme de Mappemonde , Ouvrage périodique
infiniment utile par fa fimplicité
pour acquérir les notions les plus étendues
& les plus néceffaires de cette Scien-
F
122 MERCURE DE FRANCE.
´ce. Par M. *** . in- 12. 1761. Maeftricht;
& fe trouve à Paris , chez Ballard, Imprimeur
du Roi , rue S. Jean de Beauvais.
LETTRE de M. HALLÉ DE LA TOUCHÉ ,
Expert Dentiſte reçu à S. Côme , ci - de
vant Chirurgien dans l'Hôpital des Galandes
, à Bruxelles , Eléve & gendre de
M. Dugeron , Chirurgien & Dentiſte des
Cent-Suiffes de feu Monfieur &c. en réponſe
à M. D **** , Médecin. Brochure
in- 12 . Paris , 1760. De l'Imprimerie de
Valleyre.
LES NOUVELLES FEMMES , ou Suite du
Siécle corrigé. Par M. Gand. *
Virtus eft vitium fugere , & fapientia prima
Stultitiâ caruiffe.
Hor. Ep . I. Lib. I.
Petit in- 12 . Genève , 1761 , & le trouve
à Paris , chez Gueffier Père , Libraire.
Parvis Notre- Dame , & chez Gueffier Fils,
Libraire , rue du Hurepoix , à l'entrée du
Quai des Auguftins , à la Liberté . Prix ,
as f.
CODE DE MUSIQUE- PRATIQUE ,
ou Méthode , pour apprendre la Muſique ,
même aux aveugles , pour former la voix
& l'oreille , pour la pofition de la main ,
avec une Méchanique des doigts fur le
Clavecin & l'Orgue , pour l'accompagne.
FEVRIER. 1761 . 123
ment fur tous les Inftrumens qui en font
fufceptibles , & pour le Prélude : avec de
nouvelles réflexions fur le principe fonore,
Par M. Rameau . Volume in- 4° . de l'Imprimerie
Royale , 1760 ; & fe vend chez
Duchefne , rue S. Jacques , au Temple
du Goût . Nous nous promettons de rendre
compte inceffament de cet Ouvrage ,
auffi profond qu'utile.
DISCOURS prononcés dans l'Académie
Françoiſe , le Lundi 12 Janvier 1761 à
la réception de M. de la Condamine . in
4°. Paris , chez la veuve Brunet , Impri
meur de l'Académie Françoiſe.
LES CHARMES DE L'ÉTUDE , Epître aux
Poëtes. Ouvrage qui a remporté le Prix
de l'Académie Françoife , en 1760. Par
M. Marmontel. in- 8 ° . Paris ', 1961 , à la
même adreffe .
TANCREDE , Tragédie , en vers croifés ,
& en cinq Actes ; repréfentée par les Comédiens
François , le 3 Septembre 1760 ;
avec une Epître Dédicatoire à Madame la
Marquise de Pompadour , In - 8° , avec Fig .
Paris, 1761. chez Prault, Petit-fils , Quai
des Auguftins , au- deffus de la rue Gît -le-
Coeur.
Nous rendrons compte avec plaifir de
'cet Ouvrage , dans le Mercure prochain."
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
MÉDECIN E.
LES AVANTAGES de l'Ichthyophagie
fur la Sarcophagie : ou la falubrité du
Carême , traduit de l'Espagnol,
-
PARMI les Médecins que tant de perfonnes
font aujourd'hui dans l'ufage de conful
ter pour être diſpenſées de l'abftinence du
Carême, ily en a , fans contredit , qui fe
comportent avec toute la circonfpection
que demande une matière auffi grave .
D'autres moins fcrupuleux , ou d'une complaifance
qui paffe dans le monde pour
fçavoir vivre , traitent ce point à- peu - près
comme les malades qu'ils vifitent , c'est - àdire
très fuperficiellement. Il ne faut cependant
pas mettre toute la faute fur le
compre de ces Meffieurs. Il eft très- ordi
naire que les confultans eux-mêmes y coOperent
beaucoup , foit en exagérant leurs
infirmites , foir en s'imaginant que les alimens
du Carêmeleur font nuifibles. Que cer
abus , ou plutôt ce défordre honteux pour
des Chrétiens , vienne de l'une ou de l'autre
fource , nous allons tâcher d'y remédier
içi par des raifonnemens & des preuves ,
qu'il eft bon de prévenir d'avance n'étre
FEVRIER . 1761. 12
point tirées des faints Canons , fans quot
bien des lecteurs ne fe donneroient pas la
peine d'y jetter les yeux .
Nous convenons d'abord que les rem
péramens étant auffi différens que les vifages
, il faut néceffairement confulter fa
propre expérience pour fçavoir de quoi on
eft capable. Une nourriture peut être falutaire
dans un temps , & nuifible dans un
autre ; bonne ou indifférente pour les uns ,
contraire & pernicieufe pour les autres .
Les climats , les faifons , l'âge , les travaux
journaliers, leur genre, enfin les révolutions
furvenues à la machine , qui eft expofée à
en éprouver un nombre infini , doivent ,
comme le dit Hippocrate , nous guider
pour la confervation naturelle de notre
individu ; mais les tranfgreffeurs du précepte
de l'Eglife peuvent - ils de bonne for
en appeller à cette expérience judicieufe
& réfléchie ? L'ont ils jamais faite ? at
- elle été continuée pendant untemps fuffifant
, pour s'afflurer que c'eft malgré eux
qu'ils ne l'obfervent pas ? Prèfque tous , à
l'exception des Libertins déclarés , donnent
pour preuve affirmative leurs foibles
éffais , dont ils ont à peine confervé le
fouvenir , quoiqu'ils n'omettent aucune
des circonstances des prétendues fuites
défavantageufes à leur fanté. Ils cherchent
-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
même à perfuader que c'eft pour eux une
efpéce de mortification de manger de la
viande pendant le Carême , & de fe priver
de poiffon , dont le goût les flatteroit
beaucoup plus. Malheureufement ce mérite
idéal leur eft enlevé par Caramuel :
Non enim pracipit Ecclefia ut comedamus
pifces , fed ut abftineamus à carnibus
quod eft toto Calo diverfum ( Theolog, fun.
dament. No. 668. ) Vous devez toujours
, leur dit-il , vous abftenir de manger
de la viande , parce que l'Eglife vous
l'ordonne ; & ne point manger de poiffon
, puifqu'il vous incommode faites
ulage de tant d'autres alimens qui font
permis & abondans. Ecoutez Celfe , il
yous que pour le bien porter , il faut
s'accoutumer à tout ce que le peuple
mange communément : Nullum cibi genus
fugere , quo populus utatur. ( Lib. I.
Cap. I. ) C'eft languir toute fa vie que
de fuivre les ordonnances que la délicateffe
ou l'imagination nous dicte , ou que
nous follicitons fans ceffe des Médecins.
On feroit infiniment mieux de s'appliquer
le confeil de Jean Owen :
dira
Si tardè cupis effe fenex , utaris oportet
Vel modico medicè ; vel medico modicè
Sumpta,cibus tanquam , lædit medicina falutem :
At fumptus prodeft , ut medicina , cibus.
FEVRIER . 1761 . 1.27
Alors non feulement le régime de vie
feroit conforme à la raiſon , à l'expérien
ce , & à la Religion ; mais on fe convaincroit
encore aifément de la maxime
d'Hippocrate , qu'on ne peut dire abfolument
d'aucune nourriture qu'elle foit nui
fible. La diverfité en eft même falutaire
fuivant le grand Bacon : Tam medicamenti
quam alimenti mutatio conducit : neque
perfeverandum in frequentato utriufque ufu
( Hift . Natur . Cent . I. Num. 69. )
C'est donc très - fouvent un motif bien
oppofé à celui que l'Eglife exige , qui fair
tant de tranfgreffeurs de fon commandement.
Mais ne confidérons que la feule prévention
contre les mêts du Carême ; &
voyons ce qu'en ont penfé les plus grands
Docteurs en Médecine.
Hippocrate , Galien , & nombre d'autres
cités par Paul Zaquias dans fes queſt.
medic. legal. liv. 5. tit . 5. queft. 2. fe déclarent
hautement dans plufieurs endroits
en faveur des poiffons , & prétendent que
la nourriture qu'ils fourniffent eft d'un
auffi bon goût , & auffi bienfaifante que
celle des oifeaux des montagnes. Nonius
dans fon Traité De re cibaria , adopte ce
fentiment. Outre les mêmes autorités , il
cite encore cel les de Traillan , de Sethi ,
& de plufieurs Sçavans anciens & moder-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
nes . Il fe moque de ceux qui débitent que
les poiffons engendrent dans nos corps des
humeurs groffières & glutineufes , & font
la caufe d'une infinité d'autres maux : Nugantur
ergò qui pifces craffos & vifcidos humores
in noftris corporibus aiunt gignere , &
mille alias noxas illis affingunt , ut imperitos
ab illorum efu deterreant . ( Lib . 3. Cap.
10. ) M. Andry, Médecin François , dans
fes Aliments de Carême , prouve , dit Marville
, par nombre de raifons & d'expérien
ces l'opinion de Nonius. Le Docteur Martinez
, Médecin honoraire de la Famille
Royale ( de Philippe V. ) Profeffeur d'Anatomie
, Examinateur pour le premier
Médecin du Roi , Membre & ancien Préfident
de la Société Royale de Seville , dit
que les Médecins foutiennent comme l'o .
pinion la plus probable, que l'Ichthyophagie
, ou la nourriture de poiffon , eft plus
falutaire que La Sarcophagie , ou la nourriture
de viande . Voici comme il parle dans
un autre endroit de fon Traité.
» Les alimens les plus falutaires , font
ceux qui cuifent le mieux , & qui ſe convertiffent
en une fubftance nutritive ,
» douce , fuave , & gélatineufe. Etanr
» moins fujets à l'effervefcence , ils ne caufent
point dans les folides de ces fortes
» agitations , ni les tranchées , dont ceux
و د
FEVRIER . 1761 . 119
» d'une qualité différente font le principe .
» Si on fait attention à la nature fulfureu-
» fe , faline , & fibreufe des viandes , on
» fe convaincra que la coction & la digef
» tion doivent en être auffi difficiles dans-
» l'eftomac , que la trituration l'eft foust
» les dents , à caufe de leur dureté . Si elles
» fe convertiffent en fuc nourricier , elles
» tiennent toujours de leur qualité faline ,
» âpre & acrimonique. Car nous devons
» fuppofer que ce qui fe paffe dans la bou-
» che doit également arriver dans les autres
organes ; parce que la nature , qui'
» eft une , & femblable en tout , opére
» toujours de la manière la plus fimple
» fans varier les moyens qu'elle employe
» d'abord dans fes ouvrages .
و
" Les poiffons étant au contraire plus .
tendres & plus vifqueux , ils s'atténuent
» avec plus de facilité , & fe convertiffent
» en une lymphe légère , douce & gélati
" neufe , très- propre à la flexibilité des
fibres , & à la fluidité des humeurs . Elle
» arrête l'impétuofité des fels , tempére
» l'abondance des efprits fulfureux , calme
la bile , humecte le fang , & s'attache
»affectueufement aux parois de l'eftomac ,
»les nourrit & les répare. Les poiffons font
» en outre les animaux les plus féconds ,>>
» les plus légers , & les plus fains. Il n'y
I v
130 MERCURE DE FRANCE.
point d'hiftoire qui rapporte qu'ils ayent
» jamais été fujets à la peſte , ni à aucune
» autre maladie contagieufe : preuve concluante
qu'ils doivent faire une très-
> bonne nourriture , capable de conferver
» la fanté , & même d'augmenter les for-
» ces . La plus grande partie des crudités ,
» & des humeurs putrides proviennent au
» contraire des viandes , d'où s'enfuivent
» les diarrhées , les vertiges , les goutes ,
les fièvres , &c. A peine pourroit- on in-
" diquer de maladie qu'on ne pût leur at-
" tribuer ce qui fait dire , par proverbe ,
» que carnivoram animam non amat bona
» valetudo. »
ود
"J
Nota. L'Auteur de l'Efprit des Loix fait
entrevoir encore un avantage éffentiel
dans la nourriture de poiffons . On voit ,
dit- il , dans les ports de mer plus d'enfans
qu'ailleurs. Cela vient de la facilité de la
fubfiftance. Peut etre même que les parties
huileufes du poiffon contribuent à la
propagation . Ce feroit une des caufes de
ce nombre infini de peuple qui eft au Japon
& à la Chine , où l'on ne vit prèſque
que de poiffon ( tom. 2. p . 283. )
Ce qu'on vient de lire fur la mauvaiſe
qualité de la viande pour la fanté , Plutarque
l'avoit déjà dit dans fon Livre de
FEVRIER . 1761. 131
fanitate tuenda : maximè cruditates metuenda
funt ab ufu carnium , nam ha &
initio valde pragravant , & reliquias poft
Je malignas relinquunt ; en forte donc
qu'il vaudroit beaucoup mieux s'en priver
totalement. Pline fe range du même
parti dans nombre d'endroits ; & Sanctorius
a cru ne pouvoir mieux s'expliquer
contre l'ufage de cet aliment , qu'en fubftituant
au mot de pain celui de viande
ou de chair dans l'Aphorifme omnis faruratio
mala , panis ( carnis ) vero peffima.
Baillif dit avoir obfervé que nombre de
Malades empiroient après Pâques en mangeant
de la viande , & qu'ils fe portoient
bien mieux dans le Carême , lorfqu'ils ne
Le nourriffoient que de légumes & de poiffons
: Animadvertes in praxi aliquos agros
fluxionibus & diuturnis morbis obnoxios
tempore quadragefimali convalefcere ; Paf
chate iterum ob efum carnium languefcere.
Obfervabis etiam quofdam morbos ab obfoleto
efu caulium , leguminum , olerum pifcium
, aliorumque ciborum hujufmodi evanefcere
, cibis vero boni fucci exacerbari
& crefcere. ( Tract. 2. de fibra motrice. )
Comme la confervation de la fanté , dit
ailleurs le même Auteur , dépend d'une
jufte proportion dans la tenfion des folides
, & d'un doux mouvement dans les
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
9
fluides , les anciens Pères de la Médecine
ordonncient pour l'entretien ou le réta
bliffement des premiers les bains , les frictions
& tout genre d'exercice & pour
les feconds la nourriture de miel , de lait ,
de fruits & de légumes , défendant abfolument
l'ufage des viandes & du vin ::
Mellis , lactis , olerum fructuumque efu
& omnimoda vini , atque carnis abftinentia
in naturali quadam dulcedine ea perpetuo
confervabant . ( de anatome fibrarum
& de morbisfolidorum . ) Ethumeler , traitant
des fièvres en général , condamne la
viande comme très - nuifible à tout fiévreux
Carnes ficuti ipfis ingrata funt ,
ita etiam noxia ( de febrib. in communi. );
M. Lemeri , Profeffeur Royal de Médecine
à Paris paroît , dans fon Traité des
alimens , donner la préférence à ceux que
l'on tire des plantes , obfervant , d'après:
tes Anciens , que les hommes vivoient
plus longtemps , & étoient plus robuftes ,.
Torfqu'ils ne fe nourriffoient que de lé
gumes & de fruits. La digeftion en eft
d'ailleurs , ajoute- t- il , plus aifée , & ils
engendrent des humeurs plus tempérées.
Quelques- uns attribuent à cette espéce de
nourriture la longue vie des Anachorètes .
Bacon qui fuffiroit feul pour accréditer
une opinion qui a pour baze la connoi
FEVRIER . 1761 . 133
fance de la Nature , met au nombre des
alimens les plus falutaires , les poiffons
fecs & falés , & vante beaucoup le fromage
vieux ( hift . de la vie & de la mort. )
Boerhaave fait pareillement dépendre la
prolongation de la vie de l'ufage des viandes
maigres & falées , des poiffons falés
& vieux , & généralement de tous les alimens
fecs , durs & fermes . Il fe fonde fur
Je même principe que Bacon, c'est - à - dire ,
fur leur plus grande réfiftance à la diffipation
& à la putréfaction. ( de dieta ad
longevitatem . Num. 1057. ) Enfin Gaſſen
di , dans fa lettre à Helmoncius , foutient
& prouve que la viande n'eft pas l'aliment
naturel de l'homme , ou que du moins les
fruits de la Terre le font davantage .
La prévention en faveur des viandes
graffes vient fans doute du faux fyftême
que l'on s'eft fait fur une Philofophie encore
plus abfurde. On prétend que la
converfion de deux fubftances l'une dans:
F'autre , eft plus ou moins facile, à propor
tion des rapports qu'elles ont entr'elles.
Or la fubftance de la chair étant , dit- on,
plus analogue à notre propre fubftance ,
celle des poiffons & des fruits , il s'em
fuit que les viandes doivent nous donner
une meilleure nourriture , plus copieufe
que
134 MERCURE DE FRANCE.
& plus aifée à cette converfion , que les
mets de Carême.
Si ce principe étoit fondé , il faudroit.
auffi conclure i °. que la chair crue nous
conviendroit mieux que celle qui eft bouillie
ou rôtie , & qu'elle fe convertiroit
plus promptement que l'autre en notre
propre fubftance; l'analogie des deux fubftances
fe trouvant pour lors bien plus
parfaite. Qui oferoit cependant foutenir
une pareille abfurdité ? 2 °. Que le meilleur
pain du monde feroit le plus mauvais
aliment pour nous ,à caufe de la grande
différence qu'il y a de fa fubftance à la
nôtre tous les Médecins font pourtant de
l'avis contraire , & vantent beaucoup la
bonté de cette nourriture. 3 °. Que nous
né fçaurions mieux faire que de nous fubftanter
de chair humaine : ce qui outre la
faveur qu'on donneroit par-là à l'Antropophagie
, eft contre l'expérience . Les Antropophages
de l'Afie , de l'Afrique , & de
lAmérique ne vivent pas plus longtemps ,
ni en meilleure fanté , que les habitans
des autres pays , où l'on ne connoit point
cette barbarie atroce. 4°. Que le fang feroit
une meilleure nourriture que la chair
des animaux , puifque la converfion immédiate
du chyle fe fait en fang , & non en
chair : les Médecins difent cependant que
FEVRIER. 1761.
135
le fang eft une nourriture très- féculente
& mélancolique. 5 ° . Que les tortues , les
écreviffes , les coquillages n'auroient pas
la qualité nutritive qu'ont les quadrupédes
, car où trouveroit- on le rapport
de leur fubftance avec la nôtre ? L'expérience
prouve toutefois que cette premiere
eft très -falutaire. Il y auroit mille
autres conféquences à tirer d'un principe
auffi erroné. Ce qu'il y a de vrai , c'eſt que
la nature ne fe regle pas fur ces prétendues
analogies. Une fubftance très différente
de la nôtre peut produire un excellent
chyle , au moyen des modifications
dont elle eft fufceptible , & qu'elle reçoit
intérieurement ou extérieurement ,
qu'une fubftance fort femblable ne fera
pas , quoiqu'elle éprouve les mêmes altérations.
Gaffendi, dans la lettre à Delmoncius
, rapporte qu'un Capitaine de Navire
Malthois ayant voulu nourrir un jeune
agneau , qu'il prit dans une ifle déferte ,
de viande , de pain , de fromage , &c. la
chair en fut trouvée infipide , & d'un goût
bien inférieur à celui que ces animaux ont
toujours lorsqu'ils ne vivent que d'herbes.
Il est encore certain que les alimens de
Carême conviennent mieux que les viandes
pour
nombre de complexions ; car fur
quel fondement prétend-on généralement
ce
136 MERCURE DE FRANCE.
les répudier Sur ce qu'ils font moins
nourriffans ? C'eft précisément pour cela
que doivent en faire ufage les perfonnes
dont la vertu nutritive eft trop abondante.
Tous les extrêmes font dangereux . Le
trop , comme le trop peu de nourriture ,
peut caufer de grandes maladies. Eft- ce
parce que la fubftance qu'ils fourniffent ,
eſt bien moins folide & plus légère ? Voilà
encore une raifon pour que ceux qui ont
les pores fort ferrés leur donnent la préférence
fur les viandes ; il eft néceffaire
qu'ils s'habituent à des alimens , dont la
diftribution dans toutes les parties du
corps puiffe fe faire aifément , ainfi que la
tranfpiration du fuperflu . Seroit- ce enfin
parce qu'on les regarde comme trop
froids , ou trop humides ? Combien de
perfonnes n'y a- t il pas , dont le tempérament
péche par un excès de châleur ou
de féchereffe ?
8 C'eft,fans doute, d'après de bonnes connoiffances
anatomiques , & de mûres réflexions
fur les autorités , dont nous avons
cité une partie , que les modernes ont
renouvellé & adopté le fyftême de la tri--
turation des alimens dans l'eftomac ; &
qu'ils fe déclarent en faveur des poiffons
des légumes & des fruits , par préférence .
aux viandes. Erafifrate, a été le premier qui
FEVRIER . 1761. 137
ait établi que les alimens fe réduifent en
chyle dans l'eftomac , non par coction ,
comme les uns le prétendent , ni par fermentation
, comme le foutiennent les autres
, mais machinalement par l'action des
muſcles & des fibrės motrices, qui par leur
battement continuel & réciproque les
moulent , les brifent , les broyent , ou les
triturent , comme fi on les piloit avec force
dans un mortier, jufqu'à ce qu'ils foient
réduits en pâte , & qu'ils forment une
fubftance mince & légère . De là M. Hecquet
, Médecin de Paris , & d'autres Protecteurs
de ce fyftême , ont tiré la conféquence
que les viandes étant plus difficiles
à être broyées parfaitement , à cauſe
de la ferme tiffure de leurs fibres , que les
poiffons, les fruits & les légumes , la nourriture
qu'elles nous fourniffent devoit être
moins falutaire que celle de ces derniers
alimens . Cette conféquence ne me paroît
pas , à la vérité , tout - à - fait jufte . Il ne
fuffit pas , pour déterminer la bonté d'un
aliment , de ne confidérer que fa plus
grande facilité a être broyé dans l'eftomac
; il faut encore avoir égard à la
lité de nourriture qu'il nous donne. Il peut
y avoir des alimens , qui quoique plus difficiles
à fe convertir en notre fubftance ,
foient préférables à ceux pour lesquels on
qua-
י
138 MERCURE DE FRANCE.
fuppofe moins de travail dans la trituration
. Malgré cela , cette opinion n'en a pas,
moins le degré de probabilité que lui don-,
nent fes défenfeurs.
y au-
Je ne fatiguerai pas davantage les Lacteurs
par des citations doctorales . Il
roit de quoi faire des Volumes , fi on vouloit
feulement réfumer tout ce qui a été
écrit en faveur des alimens du Carême.
J'en dis toujours affez pour pouvoir tirer,
deux conclufions générales .
La première regarde un très grand
nombre de Médecins ( je fçais ne pas les
confondre tous dans la même catégorie )
à qui je prends la liberté de rappeller l'obligation
qu'ils ont contractée de fe comporter
de façon à conferver à la Médecine
, & à mériter eux - mêmes les éloges
que fait de l'un & de l'autre l'Eccléfiafte
au Chapitre 38. Il feroit inutile de les
tranfcrire ici. Ils les fçavent par coeur. Ce
n'eft pas affez que de pouvoir encore fe
vanter que Jefus - Chrift tâta le pouls , &
employa des remédes furnaturels ; que
Saint Luc & Saint Paul exercerent la mé
decine , l'un à Damas , l'autre à Antioche ;
que ce dernier fit une Ordonnance en recommandant
l'ufage du vin à Timothée ;
qu'un Ange a bien voulu compofer des
collyres ; que Salomon difputoit de tout ,
FEVRIER. 1761. 139
depuis le Cédre du Liban , jufqu'à l'hyfope
fauvage. Il ne fuffit pas non plus que
le Médecin foit ainfi caractériſe par Homere
dans le 4° Livre de l'Odyffée.
Eft medicus prudens multis præftantior unus
Ille viris
Et ailleurs Medicus aut quilibet fciens
fupra omnes homines ; qu ' Hippocate dife :
que le Médecin ex aliena miferia dolorem
fibi metit ; que le Docteur Walles , interprétant
ce paffage d'Ifaie : Non fum medi-
Gus ..... Nolite conftituere me Principem
populi , s'exprime ainfi : Ut ego exiftimo
in magna illa antiquitate Medici requirebantur
, ut reliquis hominibus imperarent ,
ac reges fierent : Toutes ces prérogatives ,
& une infinité d'autres que j'ai lues dans
propres ouvrages des Médecins , &
que je n'ai nulle envie de leur difputer ,
tourneroient à leur confufion , s'ils n'y
conformoient leur conduite. Je les fupplie
donc de fe rappeller , dans l'occafion ,
cette fentence du divin Médecin : Non
egent qui fani funt Medico , fed qui male
habent ; d'où ils tireront la conféquence
naturelle , que c'eſt participer aux tranſ
greffions des Confultans , que de les autorifer
par complaifance , & fans un motif
légitime de difpenfe. Je les prie encore de
les
140 MERCURE DE FRANCE.
fe fouvenir , que fi Saint Paul a fait une
ordonnance
pour Timothée , il en a laiffé
une générale à tous les Chrétiens , à qui
il recommande
de vivre avec tempérance ,
avec juftice & avec piété : Ut fobriè , juftè
& piè vivamus. En prenant ce faint Docteur
pour guide dans leurs confultations
,
les Médecins pourront fe dire , comme il
l'écrivoit de lui - même aux Corinthiens
:
Ce qui fait notre gloire , c'eft le témoignage
que nous rend notre eonfcience de nous
être conduits à votre égard , non felon la
fageffe de la chair , mais felon la grace de
Diet .
Mon état , l'abus trop général , qui va
prèfque de pair avec l'irréligion , & l'extrême
complaifance de certains Médecins ,
doivent me faire pardonner cette digref
fion chrétienne.
La feconde conclufion que j'avois à ti
rer de cette differtation , eft que les perfonnes
riches ou aifées font bien moins
excufables que les pauvres fur l'abftinence
du Carême. Par les pauvres , j'entends les
ouvriers , les laboureurs , dont les facultés
font communément auffi bornées , que leurs
charges font pefantes ; & non les pauvres
mendians de profeffion , vermine des villes
& de la campagne. Les riches peuvent
fe procurer , choilir , & varier leurs mets
FEVRIER . 1761 . 141
fuivant leur goût . Les pauvres au contraire
font néceffités à fe borner à de mauvais
légumes , dont l'affaifonnement eft bien
léger ; s'ils mangent quelquefois du poiffon
, ou il eft extrêmement falé , ou il eſt
à moitié pourri. La différence dans la boiffon
, eft encore plus confidérable. Les riches
trouvent un grand correctif dans les
meilleurs vins ; les pauvres n'ont , du
moins dans certaines Provinces , que de
l'eau à boire. Ceux- ci n'exagérent jamais
leurs infirmités ; ceux -là en ont bien fouvent
d'imaginaires. Le pauvre, confulte
très rarement le Médecin ; le riche lui
paye penfion pour s'entendre dire plufieurs
fois dans l'année , fans en faire fon
profit ,, que la bonne chère , les veilles ,
les parties de plaifir , & celles d'un jeu
exceffif altérent fa fanté , & lui brûlent la
maffe du fang.
Que les Médecins complaifans jugent
d'après ce tableau , qui affurément n'eft
pas trop chargé , fi la permiffion de faire
gras pendant le Carême doit être accordée
indiftinctement à tous ceux qui la leur
demandent . Suivant eux ( c'eſt le Docteur
Martinez qui parle ) les Cafuiftes qui n'ont
que l'opinion pour guide , font obligés de
Suivre la probable. Les Médecins font plus
142 MERCURE DE FRANCE.
reftraints : iis doivent adopter celle qui a le
plus de probabilité. Galien décide en Cafuifte
, que nombre de Médecins péchent
toutes les fois qu'ils font des vifites : Quoties
ad agrum accedunt toties peccant. (De
dieb. dec. Cap. 11. ) Ce feroit fuppofer des
lumières bien bornées au Lecteur, que de
le prévenir dans les réflexions que donnent
lieu de faire ces maximes.
Je ne puis m'empêcher de relever en
finiffant une erreur affez générale . On regarde
dans le monde les Religieux comme
des gens , qui du côté de la fubfiftance
, forment un état mitoyen entre les riches
& les pauvres : on fe trompe de beaucoup.
J'accorde volontiers que la dépenfe
de la table d'un Religieux peut égaler celle
d'un féculier , à qui le néceffaire ne
manque point : mais les fituations , & les
commodités font - elles pour cela les mêmes
? Il s'en faut bien. Le féculier peut ,
à proportion de fes facultés , fatisfaire fon
appétit , varier les mets , ou les changer
entierément , fuivant l'expérience qu'il a
faite de ceux qui lui font falutaires ou nuifibles.
Le Religieux ne jouit pas de cette
liberté. Il faut qu'il mange de ce que mangent
les autres , ou qu'il fe paffe de dîner.
Le féculier ordonne que les mets foient
FEVRIER. 1761. 143
accommodés à fon goût & à fon tempérament
, & il eft obéi . Le goût ni le tempérament
du Religieux ne font jamais confultés
. On porte également pour tous au
réfectoire les portions bouillies ou rôties ,
chaudes ou froides, frites ou grillées , falées
ou douces , toutes à la même fauce , &
ordinairement très- mal accommodées .
Par M. CHARY , le jeune.
ACADÉMIE S.
ACADÉMIE des Belles- Lettres de
MONTAUBAN. *
L'ACADÉMIE des Belles- Lettres de Montauban
, pour célébrer , felon fon ufage ,
la fête de S. Louis , a affifté le 25 du mois
d'Août , à une Meffe qui a été fuivie de
l'Exaudiat , pour le Roi , & du Panégyrique
du Saint , prononcé par le R. P. Hikchi
, Religieux de l'Ordre de S. Auguftin.
L'après - midi , elle a tenu un Affernblée
publique dans la Salle de l'Hôtel de
Ville. M. Gaujac de Saint Hubert , Direc-
* Cette Pièce & celle qui fuit , avoient été égarées.
144 MERCURE DE FRANCE.
teur de Quartier , a ouvert la féance , en
annonçant une réception de plufieurs Académiciens
, qui l'ont rendue très intéref
fante , & qui ont heureuſement réparé les
pertes de l'Académie.
-
M. l'Abbé Bellet a lu l'Eloge hiftorique
de M. de Cahufac , mort le 20 Juin 1759.
M. de Lacoré , Intendant de cette Généralité
, a prononcé enfuite fon Difcours
de réception . Il a noblement décrit l'établiffement
de l'Académie ; en Magiftrat
rempli d'amour pour le bien public , il a
expliqué les divers avantages que l'Etat
peut retirer de la culture des Lettres ; & il
a fait remarquer qu'en effet, elles ont fervi
de nos jours à éclairer l'Agriculture , les
Manufactures & le Commerce & c.
M. l'Abbé Bellet a repris la parole, pour
lire l'Eloge hiftorique de M. Foreftier ,
mort le 25 Septembre 1759.
M. Malartic de Montricoux , premier
Préſident de la Cour des Aydes , a renfermé
avec beaucoup d'élégance dans fon
Difcours de réception , tout ce qu'on peut
dire de plus honorable pour les Lettres
& de plus flatteur pour l'Académie .
M. de Saint- Hubert en répondant à M.
Lacoré & à M. de Montricoux , les a caractérisés
avec beaucoup de délicatefle &
de
JANVIER. 1761 . 145
de vérité; & il n'a pas manqué d'obferver,
dans cette occafion , combien aujourd'hui
les hommes en place fe font un honneur
de fe diftinguer par leur amour & par leur
zèle pour la gloire des Arts .
M. Bernoy a lû une Ode fur l'Emploi
du Tems.
M. l'Abbé Bellet a lû l'Eloge hiftorique
de M. l'Abbé Pradal , mort le 25 Mars
1760.
M. Teulieres , Avocat , qui a fuccédé à
M. l'Abbé Pradal , a fortement appuyé ,
dans fon difcours de réception , fur l'utilité
des Académies & fur la différence de
l'efprit & du génie.
M. l'Abbé Bellet a lû l'Eloge hiftorique
de M. le Comte de Miran , mort le 7
Avril 1760.
Dans ces quatre Eloges hiftoriques qui
ont été lus , le Public a reconnu que fi l'amitié
tenoit le pinceau pour peindre les
Académiciens morts , elle n'a pourtant
employé que les couleurs de la vérité.
M. Marquegret , Avocat , élu à la place
de M. de Miran , s'eft attaché , dans fon
Diſcours , à relever le prix des exercices
Académiques , & il l'a fait en prouvant
avec quelque étendue , que la faculté de
penfer feroit inutile aux hommes, fi la parole
ne leur fourniffoit pas le moyen de fe
G
146. MERCURE DE FRANCE.
communiquer mutuellement leurs idées , &
que les Académies lui rendent à cet égard
les plus grands fervices , parce qu'en travaillant
à perfectionner le langage , elles
nous apprennent à manifefter nos pensées
de la manière la plus exacte & la plus précife
.
M. de Saint-Hubert a répondu à ces
deux nouveaux Académiciens , en rappellant
à l'un fes premiers fuccès Littéraires ,
& en augurant bien des leçons que l'autre
a reçues d'un Père également eftimé
& chéri de fes concitoyens.
M. Lathala a lu une differtation fur les
Scordifques , Gaulois d'origine & tranſplantés
fur les bords du Danube. Il a rendu
vraisemblables les conjectures de quelques
Sçavans qui prétendent , non - feulement
que les Scordifques font fortis du
Querci , mais qu'ils étoient Ladurciens.
Enfin M. l'Abbé Bellet a lû une Ode fur
un fujet relatif au Difcours couronné
l'Académie .
par
Le Public a été inftruit dans la même
Séance que M. le Maréchal , Duc de Richelieu
, Pair de France , Gouverneur de
la haute & baffe Guyenne , Vainqueur de
Mahon, l'un des Quarante de l'Académie
Françoife &c.n'a pas dédaigné de joindre
aux Titres éminens dont il eft revêtu, ceFEVRIER.
1761 . 147
1
lui d'Académicien Affocié de l'Académie
des Belles - Lettres de Montauban.
M. le Secrétaire pérpétuel a lû le Programme
fuivant.
M. l'Evêque de MONTAUBAN ayant
deftiné la fomme de deux cens cinquante
livres , pour donner un prix de pareille valeur
à celui qui , au jugement de l'Académie
des Belles - Lettres de cette Ville , fe
trouvera avoir fait le meilleur Difcours fur
un fujet relatif à quelque point de morale
tiré des Livres faints ; l'Académie diſtribuera
ce prix le 25 Août prochain , fête de
Saint Louis Roi de France.
Le fujet de ce Difcours fera pour l'année
1761 , pourquoi les Arts utiles ne fontils
pas plus cultivés que les Arts agréables ?
conformément à ces paroles du Sage : Diligenter
exerce agrum tuum. Prov. XXIV.
27.
L'Académie avertit les Orateurs de s'attacher
à bien prendre le fens du fujet qui
leur eft propofé , d'éviter le ton de déclamateur
, de ne point s'écarter de leur plan.
& d'en remplir toutes les parties avec julteffe
& avec préciſion.
Les Difcours ne feront , tout au plus ,
que d'une demie heure , & finiront toujours
par une courte prière à J. C.
G ij
148 MERCURE DE FRANCE,
On n'en recevra aucun qui n'ait une ap
probation fignée de deux Docteurs en
Théologie,
Les Auteurs ne mettront point leurs
noms à leurs Ouvrages , mais feulement
une marque ou paraphe , avec un paffage
de l'Ecriture Sainte , ou d'un Père de l'Égli
fe , qu'on écrira auffi fur le regiftre du Secrétaire
de l'Académie.
Les Auteurs feront remettre leurs ouvrages
, par tout le mois de Mai prochain ,
entre les mains de M.de Bernoy , Secétaire
perpétuel de l'Académie , en fa maiſon
rue Montmurat , ou , en fon abfence , à
M. l'Abbé Bellet , en fa maifon , rue Courde-
Toulouſe .
>
Le prix ne fera délivré à aucun qu'il ne
fe nomme , & qu'il ne fe préfente en perfonne,
ou par procureur ; pour le recevoir,
& pour figner le difcours.
Les Auteurs font priés d'adreffer à M.
le Secrétaire trois copies bien lifibles de
leurs ouvrages , & d'affranchir les paquets
qui feront envoyés par la pofte. Sans ces
deux conditions , les ouvrages ne feront
point admis au concours.
Le Prix a été adjugé au Difcours qui a
pour fentence , Homini bono in confpectu
fuo dedit Deus fapientiam ... & latitiam ,
p.ccatori autem dedit afflutionem & curam.
FEVRIER. 17612 149
Ecclef. II , 26 ; & qui commence par ces
mots : Si un amour- propre indifcret & aveugle
nous écarte fouvent des fentiers que
nous trace la vertu , &c.
Le R. P. Cerutti , Jéfaite , s'en eft déclaré
l'Auteur.
M. de Saint - Hubert , a terminé la
Séance par des vers obligeans pour la plus
belle moitié de l'Affemblée .
LETTRE , à l'Auteur du Mercure
MONSIEU ONSIEUR ,
En examinant le moyen qu'on propofe
pour perfectionner la cloche dans une
Lettre qui vous eft adreffée . ( Elle eft datée
du mois de Novembre 1760 ) L'on
trouve , outre l'embarras qui eft indifpenfable
à de pareilles machines, plufieurs
défauts qui lui font perdre beaucoup de
fon utilité :
D'être obligé , par exemple , de fe boucher
les narines avec du cuir gras & un
reffort , d'avoir les lèvres fans ceffe adaptées
à une embouchure d'yvoire , & d'être
enfin dans un air échauffé & fali par la
transpiration. Ce ne font pas là de légères
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
incommodités pour l'état du Plongeur, qui
par lui-même eft affez fatiguant.
Si donc on pouvoit obvier à tous ces
défauts , fans augmenter l'embarras qui
eft déjà affez grand , ce ne feroit pas un
petit avantage pour la perfection de la
cloche.
Cette confidération , Monfieur , m'a
déterminé à vous prier de préfenter au
Public une machine , où il me femble que
la plupart de ces mouvemens ne fe trouve
pas. La defcription que je vous en donne
n'étant pas auffi claire que je le defirerois,
j'y ai ajoûté une figure qui pourra peutêtre
l'éclaircir *.
A , eft une cloche à laquelle aboutiffent
deux tuyaux B , C ; à l'ouverture L du
tuyau B , eft une foupape R , qui s'ouvre
un peu d'elle - même. Cette foupape eſt
fort au large dans une boëte M M , dont
les rebords font élevés ( je l'ai exprimée
par des lignes ponctuées , afin qu'elle
n'empêche pas de voir la foupape qui y eft
attachée. ) Le tuyau C , a auffi à l'ouverture
H une foupape S , qui s'ouvre lorfque
l'air extérieur veut entrer dans la cloche ;
mais qui fe ferme lorſque l'air intérieur
* Cette Figure , par un événement imprévû ,
n'a pû être gravée à tems. On la donnera dans
le Mercure prochain .
FEVRIER. 1761 .
151
veut en fortir ; à l'autre ouverture E du
même tuyau C , eft une pompe foulante
& afpirante F , F , F , avec toutes les manivelles
néceffaires pour la faire agir . Par
le moyen de cette pompe , on peut faire
entrer autant d'air qu'on le defire dans la
cloche. Lorsqu'on veut s'en fervir , on la
plonge perpendiculairement dans l'eau ,
qui y entrant un peu , & foulevant la boëte
M, M, la ferme auffi bien que la foupape,
& interdit par là toute communication
entre l'air extérieur & l'air intérieur.
Quand on veut renouveller l'air que la refpiration
du Plongeur a corrompue , on en
eft toujours le maître ; il n'y a qu'à faire
entrer du nouvel air par le moyen de la
pompe , ce qui fait baiffer l'eau ; & l'eau
baiffant laiffe tomber la bocte &la foupape
, & permet , par ce moyen , à une partie
du vieil air de s'échapper. J'ai mis la
foupape R fort au large dans une boëte à
rebords élevés M , M , afin d'empêcher
l'eau de monter au -deffus de la foupape ,
ce qui l'auroit immanquablement fait
tomber. J'ai préféré auffi la pompe au
foufflet , parce que par fon moyen on comprime
l'air plus exactement qu'avec le
foufflet. Je fuis , & c.
Par l'Abbé de ***
ABreft , ce 10 Janvier 1761 .
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
GÉOMÉTRIE.
LETTRE au R. P. GERDIL , Barnabite ,
Profeffeur de Théologie en la Royale
Univerfité de Turin , de l'Académie de
l'Inftitut de Bologne.
M ON R. P.
Vous avez démontré , ce me femble ;
d'une manière bien convaincante , qu'une
fuite actuellement infinie eft impoffible , ou
que l'hypothèse d'nne infinité actuélle ou
Cathégorématique d'unités , de fubftances,
de termes numériques, renferme des contradictions
manifeftes. J'ai tiré de cette
vérité , il y a plus de vingt ans , une induction
que je foumers à votre jugement :
c'eft que l'étendue que l'on conçoit , qui
eft l'objet de l'efprit pur , l'objet de la
Géométrie , n'a point de parties réelles.
Pour arriver à cette conféquence , voici
la marche que j'ai fuivie dans un ouvrage
auquel je travaillois alors , & dont je vous
préfente un Extrait par la voie du Mercure.
PROPOSITION I.
Si l'étendue , qui fait l'objet de la GéoFEVRIER
. 1761 . 153
métrie , a des parties réelles , ces parties
font diftinguées réellement.
DÉMON ST.
Si cette étendue a des parties réelles ,
ces parties font telles , qu'indépendemment
d'aucune précifion de l'efprit, l'une
n'eft pas l'autre , & qu'elles font nombre.
Car fi cela n'étoit pas ainfi , une partie feroit
réellement l'autre : de forte que ces
parties prétendues ne feroient qu'un , &
ne feroient pas parties. Donc fi l'étendue
a des parties réelles , les parties font diftinguées
réellement. C. Q. F. D.
PROPOS. I I.
Si l'étendue dont il s'agit , a des parties
réellement diftinguées, ces parties font
étendues.
DEMONS T.
1º . Les parties de cette étendue , fi elle
en a , doivent être de même efpéce que
l'étendue ; autrement elles ne feroient past
parties de l'étendue. Donc fi l'étendue a
des parties réellement diftinguées , ces
parties font étendues C. Q. F. D.
2 °. Un rien , un néant d'étendue , ajouté
à un néant d'étendue , ne peut donner
de l'étendue réelle & pofitive. Or fi l'érendue
géométrique a des parties réelle
GV
154 MERCURE DE FRANCE .
ment diftinguées , ces parties ajoûtées enfemble
, donnent une étendue réelle &
pofitive. Donc fi l'étendue eft composée
de parties réellement diftinguées , ces parties
ne font pas un rien d'étendue. Elles
font donc étendues . C. Q. F. D.
PROPOS. III.
Si cette étendue a des parties réelle
ment diftinguées & étendues , ces parties
font en nombre infini.
DEMONS T.
1º . Chaque partie eft de l'étendue.Donc
fi l'étendue a des parties réellement diftinguées
& étendues , chaque partie eft
compofée d'autres parties réelles & étendues
celles - ci en ont d'autres ; & ainfi
jufqu'à l'infini . Donc fi l'étendue a des
parties réellement diftinguées & étendues,
le nombre de ces parties eft infini . C. Q.
F. D.
2º. Si l'étendue a des parties réelles &
étendues , ces parties font ou de l'étendue
bornée & finie , ou de l'étendue fans
borne & infinie . On les dit être de l'étendue
finie , & on ne peut dire autrement
. Mais toute étendue finie & compofée
de parties , a deux extrémités au
moins , & un milieu. Donc fi l'étendue a
des parties réelles & étendues , chaque
FEVRIER . 178 155
partie a deux extrémités au moins , & un
milieu. Donc chaque partie a deux moitiés
: chaque moitié en a deux autres. Ainf
de fuite à l'infini . Donc fi l'étendue a des
parties réelles & étendues , le nombre de
ces parties eft infini. C. Q. F. D.
SCHOLI E.
Que je demande aux Philofophes ce
que c'eft que l'étendue , tous me répondent
que c'eft un affemblage de parties
placées les unes hors des autres , pofitio
partium extra partes : donc toute étendue
a des parties . Mais les parties de l'étendue
, fi elle en a , font ( Prop. 2. ) de l'étendue.
Donc ces parties font auffi un
compofé d'autres parties placées les unes
hors des autres ; & celles- ci étant auffi de
l'étendue , doivent encore avoir d'autres
parties étendues : ainfi de fuite à l'infini ;
& c'est ce qu'on avoit à démontrer .
COROLLAIRE.
Si l'étendue a des parties réelles , elle
n'eft pas compofée d'indivifibles . Car ces
indivifibles ne feroient pas compofés de
parties réelles , placées les unes hors des
autres ; ainfi fi l'étendue a des parties réelles
& indivifibles , ces indivifibles ne feront
pas de l'étendue ; ils ne feront donc
pas parties de l'étendue; puifque ( Prop. 2. )
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
les parties de l'étendue , fi elle en a , doivent
être étendues . Donc fi l'étendue a des
parties réelles , elle n'eft pas compofée
d'indivifibles.
LEMME.
Un nombre d'unités , ou de fubftances ,
de même au de différente espéce , actuéllement
infini , eft impoffible.
(C'eft la propofition que vous avez démontrée
avec beaucoup plus de force & de
précifion que je n'aurois pû faire. )
COROLLAIRE
.
S'il y avoit un nombre actuellement
infini
de fubftances d'un genre déterminé
ce nombre feroit tel , qu'on n'en pourroit
retrancher , ni lui ajouter aucune ſubſtance
du même ordre . On n'en pourroit retrancher
aucune , puifqu'après
la fouftraction
,
le nombre ne pourroit être fuppofé ni fini
ni infini , comme cela eft évident , & que
vous l'avez fait fentir vous même . On ne
pourroit non plus lui ajouter aucune fubfrance
du même ordre : car puifque le nombre
, avant l'addition , eft fuppofé infini , il
doit comprendre
toutes les fubftances poffibles
du même crdre:
PROPOSITION
IV.
Dans l'étendue , dont on parle , il n'y
FEVRIER . 1761 . 167
a pas un nombre infini de parties réellement
diftinguées.
DÉMONSTRATION.
1°. S'il y avoit dans l'étendue un nombre
infini de parties réellement diftiuguées,
il y auroit un nombre actuellement infini
d'unités & de fubftances de même espéce.
Ce qui eft évident ; car ces parties , qui
doivent être ( Prop. 2. ) étendues , feroient
réellement & actuellement diftinguées .
Ainfi , fi leur nombre étoit infini , il y auroit
dans l'étendue un nombre actuellement
infini d'unités & de fubftances de
même espéce. Ce qui ( par le Lemme ) eft
impoffible.
2º. Prenons un pied cubique d'étendue.
Si dans ce pied , il y a un nombre infini
de parties réellement diftinguées , il comprend
toutes les étendues poffibles du même
ordre ; c'est- à- dire toutes celles qui
peuvent entrer enfemble dans la compofition
du pied cube d'étendue : mais s'il eft
tel , je ne puis en retrancher, par l'efprit,
aucune partie réelle ( par le Corollaire du
Lemme) ce qui eft contre l'hypothèse de
ceux mêmes qui y reconnoiffent un nop
bre infini de parties réelles. Donc le
cubique d'étendue ne contient
nombre infini de parties réellement di
guées
158 MERCURE DE FRANCE .
3. S'il y avoit dans l'étendue un nombre
infini de parties réellement diſtinguées
, telles qu'on voudra les fuppofer ,
l'étendue feroit compofée d'indiviſibles ;
& cela par le raifonnement fuivant :
Si l'on pouvoit fuppofer l'étendue divifée
autant qu'elle eft divifible , elle feroit
divifée en indivifibles , puifque dans cette
fuppofition , il ne refteroit plus rien à divifer.
Mais , fi l'étendue a un nombre infini
de parties diftinguées, elle eſt actuellement
diftinguée en toutes ces parties en lefquelles
elle feroit divifée , s'il étoit poffible
de la fuppofer divifée autant qu'elle
eft divifible: puifque toutes les parties ,
en lefquelles on la fuppofe divifible , font
actuellement & réellement diftinguées.
Donc , fi l'étendue a un nombre infini
de parties diftinguées , elle eft actuellement
diftinguée en parties indiviſibles . Or
fi l'étendue a des parties réelles , elle n'eft
pas ( Corol . 1. Prop. 3. ) compofée d'indivifibles.
Donc , il n'y a pas dans l'étendue
un nombre infini de parties réellement
diftinguées . C. Q. F. D.
SCHOLI E.
Ce dernier raifonnement eft du Chevalier
Digby, & il eft fi preffant , qu'on doit
FEVRIER. 1761 .
159
être furpris que les Philofophes , qui ont
admis dans l'étendue bornée , un nombre
infini de parties étendues , réellement diftinguées
ne fe foient pas apperçus de la
contradiction dans laquelle ils font tombés
. Pour foutenir leur opinion fur la divifibilité
infinie de l'étendue , ils ont eu
recours à des parties proportionnelles, qui
ne peuvent les tirer d'embarras . Ils ont
bien vû que , fuppofer l'étendue actuéllement
divifée en toutes fes parties , telles
qu'elles foient , dont ils prétendent que le
nombre eft infini , ce feroit la fuppofer divifée
réellement en indivifibles . Comment
donc ne fe font ils pas apperçus , qu'en la
fuppofant actuéliement diftinguée en une
infinité de parties réelles , telles qu'elles
foient , ils la fuppofoient auffi diftinguée
en indiftinguibles , fije puis ainfi m'expri
mer , & par conféquent en parties indivifibles
, c'eft- à- dire , felon eux - mêmes , en
parties qui ne font pas étendues ? Si l'hypothèse
d'une divifion totale & actuelle
eft impoffible, celle d'une diftinction totale
& actuelle ne l'eft pas moins . On ne peut
pas plus réalifer l'une que l'autre.
Ces Philofophes ont crû , à l'aide des
parties proportionnelles, éviter la difficulté
qu'on leur oppofoit , que dans leur ſentiment,
on eft forcé d'admettre dans l'éten160
MERCURE DE FRANCE.
due bornée un nombre actuellement infini
de parties. Cela n'eft pas , ont-ils dir ; car
les parties proportionnelles , à proprement
parler, ne font pas nombre , puifqu'elles
font toutes les unes dans les autres . Je
prends un pie cubique de matière : je le
partage en deux moitiés , chaque moitié
en deux autres , & ainfi de fuite . Or le
tout d'un côté , & les deux moitiés de l'autre
ne font pas nombre , puifque le tout
n'eft autre chole que fes deux moitiés. Par
la même raiſon , une des moitiés du tout ,
& les parties de cette moitié ne font pas
nombre non plus. Mais ce n'eft certainement
là qu'un faux- fuyant , & il feroit aifé
de montrer qu'en ce cas- même ils admettent
une fuite actuellement infinie décroiffante
, i , 4 , , & c , fuite dont chaque
terme différe des autres. Je veux bien
leur accorder que le tout n'étant pas difingué
de fes parties , ne doit pas entrer en
ligne de compte : il n'en fera pas moins
vrai que dans ce tout , il doit y avoir un
nombre actuellement infini de parties diftinguées,
qui ne font pas les unes dans les
autres . Je fuppofe le Cube divifé en deux
moitiés A & B. Qu'on compte feulement
la partie A , & qu'on la mette à part. Qu'on
prenne enfuite une moitié de la partie B ,
& qu'on mette cette moitié à côté de A ,
FÉVRIER. 1761. 161
voilà deux parties diftinguées , qui ne font
pas renfermées l'une dans l'autre. Qu'on
prenne enfuite la moitié de l'autre partie
& encore la moitié du refte , & ainfi de
fuite , ne comptant toujours qu'une des
parties de chaque divifion ; je dis , & cela
eft évident , qu'on aura un nombre réel
de parties proportionnelles diftinguées
qui ne feront point comprifes les unes
dans les autres Or la matière étant divifible
à l'infini , s'il étoit poffible de fuppo
fer fa divifion épuisée & conſommée ,
n'eft - il pas certain premierement qu'on
auroit un nombre actuellement infini de
parties proportionnelles , qui ne feroient
pas les unes dans les autres ; fecondement
que les parties de la dernière divifion ſeroient
indiviſibles ?
Il eft donc vrai qu'on ne peut admettre
dans la matière divifible à l'infini des parties
diftinguées , fans reconnoître d'une
part , que le nombre de ces parties eft actuellement
infini , & fans être obligé d'avouer
de l'autre , que la matière eft actuellement
diftinguée , autant qu'elle feroit
divifée , fi on pouvoit la fuppofer divifée
autant qu'elle eft divifible ; c'eft- adire
, qu'elle eft réellement diftinguée en
indivifibles ? Or , quelle contradiction !
Malézieu ayant démontré par la Géo162
MERCURE DE FRANCE.
métrie , que la matière eft diviſible à l'infini
, s'eft propofé une difficulté , qu'il
avouoit ne pouvoir réfoudre . Ayant pris
un pied cubique de matière, il a demandé :
Cepied cubique de matière , eft- ce une feule
fubftance , enfont - ce plufieurs ? Vous ne
pouvez pas dire que ce foit une feule fubf-
Lance ; car vous ne pourriez pas feulement
le divifer en deux : fi vous dites que c'en
font plufieurs , puiſqu'il y en a plufieurs ,
ce nombre , tel qu'il foit , eft composé d'unités
s'il y a plufieurs fubftances exiftantes
, ilfaut qu'ily en ait une , & cette une
n'en en peut pas être deux. Donc la matière
eft compofée defubftances indivifibles . Voilà,
continue- t- il , notre raifon réduite à d'étranges
extrémités . La Géométrie nous démontre
la divifibilité de la matière à l'infini
; & nous trouvons en même temps qu'elle
eft compofée d'indivifibles . ( Elem. de Géom.
Liv. Refl. fur les Incommenf. 9.2
Si la matière eft compofée d'une infinité
de parties diftinguées , la difficulté eft
réelle car comme il l'avoit remarqué un
peu plus haut , on comprend très- clairement
, que l'existence appartient aux unités
,& non pas aux nombres , & que vingt.
hommes n'exiftent , que parce que chacun
d'eux existe. Si donc on conçoit dans l'étendue
une infinité de parties réelles ; on
FEVRIER. 1761. 163
y conçoit une infinité actuelle d'unités ou
de fubftance , dont chacune doit être une,
ou in divifible.
Il conclut , de- là , qu'il faut que notre
raifon s'humilie ; & Bayle juge que la
réflexion du Géomètre eft folide & pieufe .
Mais fans défavouer cette obfervation que
les Philofophes ont fouvent occafion de
faire , le Géomètre ne devoit- il pas conclure
de fon raifonnement , que la matière
n'eft pas compofée d'une infinité de parties
réellement diftinguées , & que la géométrie
ne démontre pas le contraire ?
Cette Science a pour objet primitif la
fubftance étendue que l'on conçoit par l'efprit
pur , & les parties de cette étendue
ne font pas diftinguées réellement; elles ne
font parties que par une précifion de l'efprit
car on ne parle pas ici de l'étendue
apperçue par les organes des fens . Or l'efprit
peut partager à l'infini cette étendue ,
quoiqu'elle foit en elle- même une fubftance
fimple & fans parties réelles .
( On peut dire de cette étendue ce que
vous dites vous- même de l'Eternité, après
tous les bons Philofophes . L'Eternité eft
par la nature une chofe fimple , une , fans
fucceffion d'inftans ; l'étendue eft pareil-
* Rép. aux Queft . d'un Prov. ch. 133. tom .
pag. 687. & le Recueil de fes Lettres , Let. 223 .
164 MERCURE DE FRANCË.
lement fimple en elle- même , une , fans
compofition de parties . )
Le Gendre dans fon Traité hiftorique &
critique de l'opinion , Tom. V. pag. 31. 32 .
juge que le raifonnement de Malézieu n'eft
qu'une pétition de principe. Un pied cubique
de matière , dit- il , eft indivifible , en
tant que pied cubique. Mais la matière eft
néceffairement une fubftance multiple &
divifible à l'infini . En ce cas , ajoute- t- il ,
l'existence appartient néceffairement à des
parcelles réunies. Elle n'appartient pas toujours
aux unités , & cette propofition nepeut
être donnée pour une preuve , puifque la
queftion eft de fçavoir fi , en divifant la
matière , on peut parvenir à une derniere
unité indivifible. Cette réponſe ne léve
pas la difficulté qui fuit de l'opinion que
toutes les parties dont ce pied cubique
eft compofe , font diftinguées réellement.
S'il étoit poffible d'épuifer la divifion de
ces parties , il eft certain qu'alors le pied
cubique feroit divifé en unités indivifibles .
Par la même raifon , puiſqu'on épuiſe la
diftinction des parties compofantes ; car
on la fait monter à l'infini , il faut reconnoître
qu'actuellement ce pied cubique
eft diftingué en parties indiftinguibles ,
& par conféquent en unités indivifibles.
-L'Auteur ajoute , qu'il ne peut y avoir de
FEVRIER. 1761 . 165
nombres qui ne foient com; ofés d'unités ;
& qu'auffi dans la diviſibilité à l'infini , il
n'y a aucun nombre ni fini ni infini . Mais
puifqu'il avoue que l'étendue n'existe que
par la multiplicité de fes parties, que c'eſt
une fubftance éffentiéllement multiple , il
faut lui demander jufqu'où s'étend cette
multiplicité Comme donc il admet la
divifibilité de la matière à l'infini , il doit
auffi faire monter à l'infini la multiplicité
de fes parties. Or qui dit multiplicité de
parties , dit diftinction réelle de ces parties
; & qui dit diftinction de parties , dit
nombre. Voilà donc , malgré qu'il en ait ,
dans l'étendue un nombre actuellement
infini de parties , je ne dis pas réellement
divifées , mais réellement diftinguées . En
un mot , la grandeur du nombre répond à
la multiplicité de parties diftinguées : cette
multiplicité eft actuellement infinie , le
nombre l'eft donc auffi,
PROPOSITION V.
La fubftance étendue , dont il eft queltion
, n'a pas des parties réelles .
DÉMONST.
Si la fubftance étendue étoit compofée
de parties réelles , ces parties feroient diftinguées
téellement ( Prop . 1. ) c'eſt - à - dire
, avant toute opération , toute précifion
de l'efprit ; & leur nombre ( Prop . 3. ) le166
MERCURE DE FRANCE.
roit infini. Or il n'y a pas dans l'étendue
( Prop. 4. ) un nombre actuellement infini
de parties réellement diftinguées . Donc
la fubftance étendue n'a pas de parties
réelles.
COROLLA IRE.
Donc l'étendue géométrique eft une
fa nature , eft réellement indivifible ,
quoique divifible par l'efprit , à l'infini .
par
Je termine ici le précis des réflexions
que j'avois couchées fur le papier , réflexions
qui , comme vous le voyez , roulent
fur la nature ou l'effence de la fubftance
étendue , & dont il réfulte que la
difference primitive qu'il y a entre la fubftence
étendue & la fubftance penſante ou
intelligente ne confifte pas en ce que l'un
de ces êtres eft multiple & l'autrefimple .
La fimplicité réelle eft un attribut qui convient
également à ces deux efpéces de fubf
tances , & il ne paroît pas poffible d'admettre
dans l'une multiplicité réelle , fans
être forcé de reconnoître l'existence du
nombre actuellement infini : fuppofition
qui me femble comme à vous , abfurde ,
& dont on peut tirer de fâcheufes conféquences.
La comparaifon que j'ai indiquée
précédemment,de l'étendue avec l'Eternité,
pourroit être plus développée , & pouffée
plus loin que je n'ai entrepris de le faire.
FEVRIER. 1761. 167
Ileft de l'effence de l'Eternité d'être une ,
fimple , fans parties fucceffives , ce qui
n'empêche pas l'efprit d'y diftinguer des
inftans paffés , préfens & futurs. L'étendue
fera de même éffentiellement fimple ,
fans collection de parties continues , ce
qui n'empêchera pas non plus que l'entendement
n'y diftingue multiplicité de parties
, placées les unes hors des autres. Cet
objet peut être envifagé fous d'autres faces
qui n'échapperont pas à votre fagacité.
Me demanderez- vous après cela , en
quoi donc peut confifter la différence primordiale
qu'il y a entre la fubftance éten
due & la fubſtance penfante on fenfible ?
Peut-être me feroit - il permis de répondre
que l'une a éffentiellement le fens intime
de fon exiſtence propre , & que ce fens
intime manque à l'autre . Mais avant tout ,
il faut fçavoir ce que vous penſerez de la
conféquence que j'ai tirée d'un principe
qui nous eft commun . Ainfi la queftion que
je prends la liberté de vous propoſer , ne
confifte qu'à difcuter fi , de l'impoffibilité
d'un nombre actuellement infini d'êtres ,
d'unités , de fubftances , il ne s'enfuit pas
que la fubftance étendue ne renferme
point , dans fon idée , multiplicité de parties
réelles, comme l'Eternité ne renferme
point , dans la fienne , multiplicité d'inf-
1
168 MERCURE DE FRANCE.
tans réels & diftingués. Si l'induction eft
jufte , peut-être en faudra- t- il conclure
qu'à plufieurs égards la matière apperçue
par les fens eft à la fubftance étendue ,
que l'efprit conçoit, comme le temps eft à
l'Eternité .
Quoiqu'il en foit, ceux qui donnant l'exclufion
à l'infini numérique actuel , ont appliqué
l'infini en puiſſance à la divifibilité
de l'étendue , ont manqué leur but , &
paroiffent être tombés en contradiction ,
comme on l'a infinué dans le fcholie de
la Prop. 4car à quoi revient leur prétention
? A dire que l'étendue peut être divifée
fans fin , ou qu'on n'y conçoit aucune
partie qui ne foit fufceptible d'une divifion
ultérieure. Mais toute divifion poffible fuppofe
la diftinction réelle & actuelle des
parties à divifer. Car avant qu'un tout
puiffe être partagé en deux moitiés , il faut
que chacune de ces moitiés exifte , qu'elles
foient diftinguées réellement entre elles ,
que l'une ne foit pas l'autre , en un mot,
qu'elles foient parties réelles. La divifion
en puiffance n'est donc fondée que fur la
diftinction actuelle . Par conféquent , fi la
divifion en puiffance eft fans fin , la diftinction
actuelle des parties eft auffi pouffée
à l'infini. Donc ces Philofophes attribuent
à la diftinction des parties réelles
de
FEVRIER. 1761 . 169
de l'étendue l'infini numérique actuel, dont
l'existence leur paroît impoffible.
Cette matiére toute abftraite qu'elle
eft , n'en eft pas moins importante , comme
les réflexions précédentes le font , ce
me femble , affez fentir . Elle mérite fans
doute d'être traitée par un efprit auffi jufte
, auffi pénétrant , & auffi profond que
celui qui fe fait remarquer dans votre Recueil
de Differtationsfur quelques principes
dePhilofophie & de Religion : ouvrage dont
la lecture m'a infpiré le defir de recourir à
vos lumiéres . Je fuis , & c. DUPUY.
A Paris , ce 29 Décembre 1760 .
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE.
A l'Auteur du Mercure de France.
V.OTRE zèle , Monfieur , pour le bien
public , eft connu ; le mien , conforme au
vôtre , m'a déterminé à ne pas laiffer ignorer
une cure auffi furprenante qu'admirable
, & dont je joins ici le détail.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
Mon épouse par une chûte , il y a vingt
ans , eut la rotule du genoux gauche caffée
en deux pièces ; les Chirurgiens qui
travaillérent à fa guérifon ne l'opérérent
pas radicalement ; le calus fut formé en
partie elle marchoit fans appui ; mais
avec difficulté . Au mois de Mars dernier ,
c'eft- à- dire , vingt ans après cette chûte ,
elle eut , par une deuxième , la même rotule
caffée en trois piéces : j'appellai deux
Chirurgiens Majors , dont je tais les noms
par difcrétion. Ces Meffieurs, après trentehuit
jours de foin , ne jugérent pas le calus
poffible , & m'annoncérent le mal incurable
; en conféquence levérent l'appareil
, & abandonnérent entiérement mon
époufe.
Le fieur Durand , réfident à Arras , bréveté
du Roi , ancien Chirurgien major du
Régiment de la Morliere , penfionné d'Arras
, Douay , Béthune , Aire , Juré & réſident
à Arras , pour lors abfent , arriva huit
jours après l'abandon de ces Chirurgiens
majors je le fis appeller ; il examina la
partie affligée , & m'affura une parfaite
guériſon au moyen d'un bandage de fon
invention. En effet , au bout de quarantecinq
jours de foins , mon époufe fut guérie
: elle marche mieux qu'avant fa dermicre
chûte , & auffi bien qu'avant la premicre.
W
FEVRIER. 1761 . 171
La nouvelle d'une cure auffi avantageufe
au Public , ne doit pas être ignorée, & la
réputation du fieur Durand mérite d'être
répandue au- delà des bornes de cette Province
, où elle eft fi bien établie par le
nombre prodigieux d'autres que je ne rapporterai
pas. Je fuis , & c. REYTIOR , Officier
Major d'Arras, & Chevalier de Saint
Louis.
Nota. Cette cure eft notifiée par tous les Officiers
de l'État- Major d'Arras.
HOPITAL
DE M. LE MARECHAL DUC DE BIRON..
Vingt- trois & vingt- quatrième Traitement
confécutif depuis fon Etabliffement .
Les nommés
BARON,
Desbeches ,
Roger ,
Diozet ,
Bien- aimé ,
Lécureur ,
Laréjouiffance ,
Varin ,
Compagnies
d'Hallor.
d'Hallot.
Dudreneuf.
de le Camus .
de Graffe.
de Guer.
de Pronleroy .
de la Tour.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
Lafaveur ,
Quenot ,
de Poudeux.
de Mathan.
Givetz ,
Montargis ,
-Prevot ,
de Chevalier.
de la Sône .
de Voifenon .
Taulin ,
de Guer.
Eftienne ,
de Vifé.
Labatterie de Vifé.
Buiffon ,
de Guer.
Raifon , de Nolivos.
Tonnerre ,
Buffy ,
Belamour ,
Ambel ,
Chaiffing,
Beaupré,
Perrault ,
de Marfay.
de Guer.
de la Colonelle .
de Marfay.
de Voifenon .
de Voiſenon.
de Nolivos.
Ces vingt- cinq Soldats font entrés fucceffivement
à l'Hôpital , attaqués des maladies
les plus graves , la plupart ayant
été manqués plufieurs fois , & ils font
tous fortis au bout de fix & fept ſemaines
chacun parfaitement guéri.
M, Kyfer prie le Public d'obferver que
weiland for cent Soldats qui ont été
a dans fon Hôpital,
FEVRIER. 1761 173
Qu'il eft affez heureux pour qu'il n'en foit
pas encore mort un feul ; que toutes les
Compagnies y envoyent fucceffivement
leurs Soldats , ce qui prouve bien incon
teftablement la fatisfaction générale que
le Corps & MM, les Capitaines ont de fes
fervices.
VERS envoyés de Marfeille à M. KEYSER.
Par M. B....
Laiffes fifler , Keyfer , les ferpens de l'envie
Et ne redoutes pas leur impuiffant éffort.
Ton reméde fuffit pour leur donner la mort ,`
Puifqu'il rend à l'amour & la force & la vie.
ARCHITECTURE.
COURS D'ARCHITECTURE élémentaire.
LES 15 & 16 de Janvier prochain 1761 ,
e
M. Blondel , Architecte du Roi , ouvrira
en fa demeure rue de la Harpe , près celle
des Cordeliers , fon 9. & 10 ° . Cours élémentaire
d'Architecture. Chacun de ces
Cours fera compofé de foixante leçons ;
celles du neuvième Cours , fe donneront
fégulierement tous les Lundi , Mercredi &
Vendredi , depuis trois heures & demie
4
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
après midi , juſqu'à cinq & demie ; celles
du dixiéme Cours tous les Mardi , Jeudi
& Samedi , depuis onze heures du matin
, jufqu'à une heure après midi. Les
Amateurs qui fe feront infcrire pour le
Cours de l'après- midi , feront les maîtres
d'affifter à celui du matin ; de même ceuxqui
fe feront fait infcrire pour le Cours
du matin , pourront affifter aux leçons de
celui de l'après midi , felon que leurs affaires
leur auroient fait manquer une ou
plufieurs leçons du Cours pour lequel ils
fe feroient fait infcrire . Ces Cours auront
pour objet les connoiffances des trois
branches de l'Architecture civile , fçavoir
la décoration , la diftribution & la conftruction
des Bâtimens facrés , publics &
particuliers appuyés fur l'autorité dès Anciens
, & confirmés par l'examen de nos
Edifices François , les plus célébres ; édifices
que les Amateurs iront vifiter avec
le Profeffeur comme dans les Cours précédens
. Ces cahiers mis en bon ordre ,
feront communiqués aux Amateurs dans
les leçons , & on leur offrira des modéles
bien exécutés , qui contribueront à rendre
les démonſtrations plus claires , plusfaciles
& plus convaincantes .
Les Soufcriptions feront de 96 1. pour
chaque Cours , par Amateur .
[
FEVRIER. 1761. 175
ARTS AGRÉABLES.
TROIS
MUSIQUE.
ROIS OUVRAGES pour le Clavecin,
par M. de Wagenfeil , qui font quatre Concerto
avec accompagnement , oeuvre 4
prix , 12 liv.
୨
Six Sonattes , avec accompagnement
d'un Violon , oeuvre 5. prix , 9 liv .
Six Sonattes de même, oeuvre 6º.
liv.
e
prix ,
Six Sonnattes à Violon feul & Baffe ,
par M. Domenico Ferrari , oeuvre 4° . prix
7 liv. 4 f. Mis au jour par M. Huberty ,
Ordinaire de l'Académie Royale de Mufique
, on les vend chez l'Editeur , rue du
Chantre à l'Hôtel du S. Efprit , & aux
adreffes ordinaires.
LA VIELLEU SE HABILE , Ou nouvelle
Méthode , courte , facile , & fûre , pour
apprendre à jouer de la Vielle. Par M.
Bouin , Me de Vielle , OEuvre 3. in - fol.
gravé , prix , en blanc 6 liv. chez l'Auteur
, rue & Ifle S. Louis , & aux adreffes
ordinaires .
Hiv
16 MERCURE DE FRANCE.
GRAVURE.
LEBALDE S. CLOU D. , Eſtampe dédiée
à Mgr le Ducde Chartres , Prince du
Sang , par M. Feffard , Graveur du Cabinet
du Roi , & c. fe vend chez l'Auteur
à la Bibliotéque du Roi , rue de Richelieu ,
chez Joullain fils , quai de la Mégifferie ,
& chez la Veuve de F. Chereau , rue S.
Jacques.
ARTICLE V.
SPECTACLES:
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Muſique , après
vingt- deux repréfentations de Canente , a
repris Dardanus le : 6 du mois de Janvier.
Cette repréfentation a été très forte en recette
, & très - applaudie.
Les mardi & jeudi 3 & 5 Février , elle
continuera les mêmes Fragmens que l'on
a reprefentés depuis la S. Martin , certains
jours de la femaine .
Le vendredi 6 du mois , elle remettra
FEVRIER. 1761 . 177
pa- au Théâtre , Jephté , Tragédie , dont les
roles font de feu M. Pellegrin & la Mu
fique de feu M. Monteclair. Cet Opéra a
été repreſenté , pour la premiere fois , le
4 Mars 1732. repris en dernier lieu le 24
Mars 1740 , lorfque Mlle le Maure rentra
à l'Opéra.
*
On rendra compte dans le prochain '
Mercure, de l'impreffion qu'aura faite cette
repriſe , fur un Public en partie renouvellé
, depuis les premiers fuccès de cer
ouvrage , dont la célébrité s'eft toujours
foutenue jufqu'à préfent.
Cette même Académie , vient de perdre.
en la perfonne de Denys François Tribouft,
up Penfionnaire que fon zéle & fer talens
lui rendoient encore très utile, dans fa vétérance,
par les confeils dont il éclairoit
fouvent les Sujets de ce Théâtre qui pouvoient
être fufceptibles de progrès.i
Fen M. Tribouft avoit débuté en 1720,
par le rôle du Soleil , dans Phaeton , & il
avoit obtenu fa tetraite en 1741. après une
reprife de Proferpine , où il avoit chanté le
rôle d'Alphée.
Pendant ces vingt années , il avoit rem
pli avec un fuccès univerfel , les premiersh
rôles de Haute- contré ; malgré la médio
crité d'une voix affez foible , mais dont le i
fon étoit agréable , parce qu'il étoit fenfi
ble . Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
1
Elevé à Paris , favorifé d'une éducation
commune avec la premiere Nobleffe du
Royaume , il avoit cultivé par goût & par
émulation , des talens naturels qui le faifoient
propoſer à très -juſte titre , comme
un modéle excellent , pour les grâces , &
la juſteſſe , tant dans l'action que
dans l'expreffion vocale , propres à la Scène
lyrique .
pour
2
La fociété des Grands & des gens Let- !
trés , feule école des talens fupérieurs en
ce genre , avoit contribué a perfectionner
les fiens. Il devoit ce précieux avantage ,
dont il avoit profité de bonne heure , à l'agrément
de fon caractère , & à l'honnêteté ›
de fes moeurs. Complaiſant fans baſſeſſe ,
facile & non pas indécemment familier , il
avoit toute la vie respecté comme Protecteurs
des perfonnes d'un rang élevé qui fe
plaifoient à le confidérer comme leur ami.
Ce dernier titre devoit honorer tous ceux
qui vivoient avec lui, parce qu'il faifoit préfumer
leur mérite & leur probité. Les jeunes
Eléves du Théâtre où il avoit brillé, ont
pleuré fa perte comme celle d'un Père ten- :
drement attaché à leurs fuccès . Enfin peu
de gens de fon état ont été auffi univerfellement
regrettés. Si la France en produit
beaucoup pourvus des mêmes qualités ,
FEVRIER. 1761. 179
des voifins , rivaux de notre gloire en
tout genre , n'auront plus à fe prévaloir
des marques de confidération qu'ils accordent
à quelques perfonnes de Théâtre,
& ne feront plus en droit de nous reprocher
les veftiges d'un ancien barbarifme
dans nos moeurs , à cet égard.
M. Tribouft eft mort le 14 Janvier de
cette année , âgé de 66 ans.
COMEDIE FRANÇOISE.
EXTRAIT de la Comédie , en un Acte
intitulée: LES MEURS DU TEMS.
N. B. COMME les Extraits des Piéces
de Théâtre font particulierement deſtinés
à ceux qui ont été privés des repréfentations
, on croit que la diftribution des rôles
avec les noms des Acteurs , qui en
étoient chargés , pourroit être agréable à
quelques Lecteurs , en les mettant en état
de fe mieux repréſenter l'effet du Jeu
théâtral, & ce qu'il peut ajouter au mérite
de la compofition.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Noms des Perfonnages:
GERONTE , riche Financier ,
Père de Julie
Noms des Acteurs .
M. Préville.
LA COMTESSE , Soeurde
Mlle Dangeville.
Mile Huffe.
Géronte ,
JULIE ,
CIDALISE ,
LE MARQUIS,
DORANTE ,
Mlle Préville.
M. Belcourt.
M. Molet.
DUMONT, Intendant du Marquis . M. Dubois .
FINETTE Suivante de la Comteffe , Mile Drouin.
La Scène eft à la Maifon de Campagne de.
M. Géronte..
Ejeane Dorante , nouvellement arrivé
de Province , & fort amoureux de Julie ,
fe plaint des réponses équivoques de Géronte
, Père de fa maîtreffe , fur l'hymen :
auquel il afpire. Ce Père qui l'avoit amené
à fa maifon dè campagne , lui avoit
donné des efpérances für ce mariage . En
confiant fes craintes à Cidalife , Dorante
la confulte fur ce changement. Il fe propofe
de parler à Julie , à la faveur d'un
Bal mafqué qui doit fe donner le foir même.
Cidalife , qui foupçonne quelqu'intrigue
contraire aux prétentions de DoFEVRIER.
1761. 181
rante , lui reproche fa négligence à plaireau
Père de Julie , & fur- tout à la Comteffe
fa tante. Cela lui donne occafion de
peindre le caractère de Géronte .... » Je ™
» vous avois dit, que le Père de Julie, riche
» Financier , faute d'efprit , fe piquoit de
» bon fens , qu'il fe miroir fans ceffe dans
» fon opulence , & croyoit qu'un millio-
» naire étoit le premier homme du mon-
» de , & c.... autre tort , ( dit enfuite Ci--
dalife à Dorante ) » M. Géronte, fans faire "
» cas des talens , a cependant un homme
» qui lit pour lui les nouveautés : c'eft fon "
» Barême , en fait d'efprit , qui lui four-
> nit des jugemens tout faits , & le met"
» en état de parler à tort & à travers de
tout ce qui paroît. Ce petit homme a
pris M. Géronte pour le héros de fes *
» vers. ( Cidalife ajoûte. ) On vous les
» montre ces vers , qui de M. Géronte ne "
» font pas moins qu'un grand homme , un
» homme d'Etat , & vous n'applaudiffez :
pas de toutes vos forces ? Dorante repli--
que : J'ai eu l'honnêteté de ne rien dire..
Cette excufe caractérife , d'un trait , toute
las candeuride Dorante. Le petit Barême
d'efprit ne paroît point dans la Piéce, &
nofert, ici que d'un dernier coup de pinceau
. Cidatife paffe au portrait de la Comufleke
vous avois dit que cette dis
•
+
<
182 MERCURE DE FRANCE.
gne
foeur de Géronte , demeurée veuve
» d'un homme de qualité , qui l'a laiffée
» fans bien , aimoit fort à médire ; & fur- :
» tout à médire de M. fon frère , qu'elle
» traite de petit bourgeois ; que fa fureur
» étoit de ne vouloir point être la foeur de
» ce frère , qui cependant a pour elle un
refpect imbécille , qui n'agit que par fes
> confeils , ne voit que par fes yeux un
>> autre que vous feroit parti de-là pour
» renchérir fur les médifances de la Com-
» effe , ou du moins il y auroit applaudi :
»
"
t
2
"
t
point du tout , vous ofez la contredire ,
» vous faites le bonhomme , vous défen-
» dez contre elle toute la terre, il n'y a pas
juſqu'à ſon frère, dont vous vous établiſ
» fez le protecteur ; & ce qu'il y a de rare,
» c'eſt qu'après avoir défendu , vis - à - vis
» du frère , les gens de mérite & à talens,
» vous défendez , vis - à - vis de la foeur
» les gens de finances. » A quoi Dorante
répond : » Mais , c'eft que j'en connois de
» très - eftimables , & que du ridicule de <
quelques - uns , il n'en faut pas faire le
» ridicule de tous : aujourd'hui l'on a la
» fureur de tout blâmer : une infinité de
» Sots par nature , fe font Méchans par >
» air &c. C'eût été une injuftice de la
part de l'Auteur de n'avoir adouci la
pas
peinture générale des financiers par cette
»
t
*
FEVRIER. 1761. 13 ;
obfervation , & une infidélité de ne la
pas rapporter. Cidalife confirme les craintes
de Dorante , en lui confiant qu'elle
foupçonne la Comteffe de vouloir faire
époufer fa niéce au Marquis pour le lui
enlever ; que le Marquis s'y prêtera
pour rétablir fes affaires , & pour payer
fes dettes. Dorante peu accoutumé aux
ufages du Monde & aux moeurs du tems ,
s'étonne qu'une femme comme Cidalife ,
puiffe aimer ce Marquis avec la connoiffance
qu'elle a de fon caractére ; mais
elle lui apprend que la Raifon & les principes
ne garantiffent pas toujours de la
féduction... » Perfuadée qu'il m'aimoit
»
féduite par l'élégance même de fes ri-
» dicules , fes défauts ne me paroiffoient
» que des grâces . Cidalife avoue ainfi ,
que malgré les réflexions , elle ne fent
que fon amour pour le Marquis ; elle
ajoute que le bal qu'on prépare , peut lui
fournir une occafion de s'éclaircir fur les
vrais fentimens du Marquis. La Comteffe :
& lui croyent qu'elle va partir pour Paris. ›
Dorante convient que fa timidité ne lui
a pas permis de s'affurer du coeur de
Julie.
Cette jeune perfonne paroît , un Livre
à la main , dans lequel elle ne lit pas , &
rêve profondément . Dorante s'écarte un
t
4
'
184 MERCURE DE FRANCE.
peu , par le confeil de Cidalife , mais de",
manière qu'il puiffe entendre ce qui ſe dira.
Cidalife profitant de l'ingénuité de Ju
lis , apprend d'elle que la Comteffe a deſfein
de lui faire époufer le Marquis ; que
c'eft précisément ce qui la faifoit rêver.
Elle n'eft pas longtems à lui faire avouer
fon inclination pour Dorante. Julie , en
rendant compte de la façon dont la Comteffe
lui parle du Marquis , dit qu'elle l'a
affuré , que c'étoit un homme qui n'époufera
point fa femme pour l'aimer
"
»
& qui lui laiffera toute la liberté qui '
» convient. Cidalife , feint d'inftruire Jus
lie de ce que c'eft que la mode. A l'égard
de l'amour , » le coeur , lui dit- elle ,
ne fait pas la mode ; mais la mode eft
» de fe paffer du coeur . Julie rejette fa
mode & veut s'en rapporter à fon coeur.
Dorance , quia entendu l'aveu de Julie en
fa faveur , paroît pour lui jurer une tendreffe
éternelle . Cidalife les quitte ; ils ne
retent qu'un inftant enfenible : le Marquis
furprend Dorante aux pieds de Julie;
elle fait un cri de furprife , & difparoît .
Dorante déclare au Marquis toute la
violence de fon amour pour Julie , & luidemande
compte en quelque forte des diſ- ·
pofitions du Père , il finit par dire que , Ju
lis eft à fes yeux un tréfor inestimable 3
FEVRIER. 1761 . 185
& que prétendre la lui ravir , c'est vouloir
lui arracher la vie.
Le Marquis répond : tréfor ineftima-
» ble ! t'arracher la vie ! voilà de grands
» mots .... & ce ton pathétique que tu y
» joins .... fçais-ru, qu'avec le titre furanné
» de Baron , tu as rapporté de ton vieux
» château , une façon de penfer tout - à- faitgothique
, & qu'il n'y a pas jufqu'aux
efpéces qui te trouveront très- ridicule ?
Je te le dis en ami , mon pauvre Baron ,
très-ridicule.
ور
و و
Eh !
DORANTE.
par quelle raifon , je vous prie ?
" Quoi donc , l'amour....
35
و ر
LE MARQUIS.
L'Amour! l'amour ! ce mot ne fignifie
plus rien. Apprends donc une fois pour
» toutes , mon petit parent de Province ,
apprends donc les ufages de ce pays - ci :"
» on époufe une femme , on vit avec une
» autre , & l'on n'aime que foi.
>>
La Scène continue fur le même ton ;
Dorante preffe enfin le Marquis de lui
dire s'il veut le fervir . Celui- ci répond :
Eh mais.... affurément.... fans doute.
Dorante piqué de ces réponfes équivoques
& dédaigneufes , fort en l'affurant
186 MERCURE DE FRANCE.
qu'on ne lui ôtera pas impunément ce
qu'il aime ; & qu'avant de pofléder Julie....
» Vous m'entendez , ( ajoute- t-il )
» M. le Marquis .... Sans adieu.
LE MARQUIS , feul..
» A la bonne heure , Baron ! mais je
» commencerai toujours par épouſer moi .
» Ils font excellens, ces Meffieurs de Pro- '
» vince ! Parbleu , mon petit coufin, ſi tu
» as de l'amour , moi j'ai des dettes . Si
» je l'avois oublié , voilà un homme qui
» m'en feroit fouvenir : Mons Dumont ,
» mon Intendant , un fripon qui me vend
» au poids de l'or mon propre argent &c.
La Scène du Marquis avec fon Inten-¨
dant eft à-peu- près comme toutes les
Scènes de ce genre . Plaifanteries dures de
la part du Maître , fur la probité de l'Intendant
; plaintes de l'Intendant contre
l'importunité des créanciers : ce qui fournit
à l'Auteur un coup de crayon fur le
caractére du Marquis , en lui faifant dire :
Ils ne fçavent donc pas que je me fa-
» crifie pour eux , que je me marie ?... Il
» me femble que c'eft affez bien s'exć-
» cuter.
La Comteffe , dans la chambre de laquelle
il fait une fumée odieufe , ordonne
d'apporter fa toilette dans le falon ,
FEVRIER. 1761. 187
où elle rencontre le Marquis. Ils plaifantent
l'un & l'autre du petit coufin ,
homme , dit la Comieffe , qui aimera fa
femme à la défefpérer. Elle s'applaudit
furtout du dépit que fera à Cidalife , le
mariage du Marquis avec Julie. Cidalife
alors vient prendre congé de la Comteffe.
Celle-ci l'appercevant , dans le temps même
qu'elle en médifoit le plus cruellement
, l'interrompt pour lui dire :
" Bonjour , Reine ! tenez , nous par-
» lions de vous , le Marquis & moi , &
» nous en difions beaucoup de mal.
Cidalife leur laiffe entendre qu'elle en
eft très-férieufement perfuadée , & qu'elle
n'eft pas la dupe de leur feinte ironie . Elle
fe retire , & ils reftent , perfuadés avec
plaifir qu'elle part à l'inftant pour Paris.
Pendant ces Scènes , la Toilette eft apportée
par des gens de livrée ; & deux
Actrices , habillées en vraies femmes de
chambre , font occupées à préparer tout
ce qui eft néceffaire pour l'ajustement de
la Comteffe , qui fe met à fa toilette , lorfque
Géronte entre. Il l'informe que tout
eft préparé pour le Bal , avec autant de
foin que de dépenfe ; mais il exhorte fa
foeur à prendre des plaifirs plus doux.
» Dites-moi donc ( ajoute- t- il ) quel char-
» me vous trouvez à veiller toute la nuit
188 MERCURE DE FRANCE.
»pour dormir tout le jour Eft- ce que
plaifir d'un beau Soleil ....
و و
LA COMTESSE.
le
» Eh fi Monfieur , c'eſt un plaifir
» ignoble : le Soleil n'eft fait que pour le
Peuple .
GERONTE.
" Ma foeur, j'ai lu quelque part qu'il n'y'
» á de vrais plaifirs que ceux du Peuple ,
» qu'ils font l'ouvrage de la Nature , que
» les autres font les enfans de la vanité ,
» & que fous leur mafque on ne trouve
» que l'ennui .
La Comteffe raille avec dédain cette façon
de penfer , & débite à cette occafion
les petites maximes de la coquetterie &
de la moleffe , autorifées par le faux goût.
Elle paffe de - là à l'affaire du mariage de
Julie avec le Marquis. Géronte répugne'.
à cette propofition ; la Comteffe s'efforce.
de faire exclure Dorante , par le dédain
avec lequel elle en parle , & les avantages
qu'elle veut faire valoir , en faveur du
Marquis. Géronte , toujours oppofé à ces
idées , lui dit :
»Votre Marquis n'a rien , & croit en-
» core nous honorer beaucoup.
33
LA COMTESSE.
Il a un beau nom & un Régiment ;
CC
FEVRIER. 1761. 189
» bien venu partout : appellez- vous cela
» rien ?
GERONTE.
» A - peu- près , tout cela bien additionné,
» ne fait fouvent en fomme que de la farui-
» té & des dettes. »
La Comteffe infifte fur le mérite de la
naiſſance & du rang ; Géronte , fur la valeur
& l'utilité réelle des richeffes . Ne
pouvant le perfuader , elle a recours aux
vapeurs. » Ah vous ſcavez ( lui reproche-
»t-elle ) que j'ai une délicateffe de nerfs
?
une fenfibilité ... Ce font des cheveux
» que nos nerfs, & vous avez la cruauté ! ....
Géronte demande pardon & fe rend. La
Comteffe , en le félicitant , pour lui donner
une idée de l'élévation , où ce mariage
peut conduire fa fille , lui dit que le Marquis
a dans fa maifon un Duché qui pourroit
lui tomber un jour. » Ne feroit- il pas
» bien flatteur , pour vous , que votre fille
» eût le tabouret ? A quoi Géronte répond :
» Le grand avantage d'avoir un tabouret
» ailleurs , quand on peut avoir un bon
fauteuil chez foi, La Comteffe rougit pour
fon frere des termes bas dont il fe fert
pour exprimer des vues qu'on regarde
comme ignobles ; mais le bon-homme ,
fubjugué , le prête par ordre de la Comteffe
à aller préfenter lui-même , à fa fille , ie
190 MERCURE DE FRANCE.
Marquis , que la Comteffe apperçoit à propos
pour lui apprendre que le Père con
fent à fon mariage & s'en trouve honoré.
Elle les congédie l'un & l'autre , & refte feule
, à fa toilette , avec les femmes de cham .
bre. Quoique cette fcéne foit écrite avec la
même élégance & la même fineffe , qui
régne dans toute la pièce ; quoiqu'elle
ferve à peindre très-bien la coquetterie , la
médifance , enfin tous les travers de l'efprit
& du coeur des femmes à la mode ,
elle eft cependant fi dépendante de l'action
& du Spectacle théâtral , qu'on n'en
rapportera point de traits , il fuffit de fe
figurer la Comteſſe enchantée d'elle- même
, flattée de l'impreffion qu'elle croit
faire fur tous les hommes , & en particulier
fur le Marquis ; fe plaifant à s'entretenir
avec Finette , du prétendu méritę
de cet homme , dont les ridicules même
flattent fa vanité ; de là paffer à l'idée
enchantereffe des prestiges de la coquetterie
; & finir par fronder avec dédain les
charmes ingénus de Julie . Contredite fur
tous ces points , par la maligne Soubrette
, avec un faux air de bonne foi ; la
Comteffe gronde Finette à chaque contradiction
, en mettant fur le compte de la
maladreſſe de ſes doigts , la feinte gaucherie
d'efprit qui lui donne de l'humeur.
FEVRIER. 1761, 191
Sur la fin de la toilette , Julie arrive en
habit de bal . La Comteffe lui donne des leçons
fur l'importance du rang auquel fon
mariage , avec le Marquis , va la faire
monter , & fur l'abandon qu'elle doit faire
de toutes les petites idées auxquelles fa
naiſſance & fon éducation l'avoient livrée .
»Vous ferez préfentée , vous irez à la Cour;
voilà l'éffentiel . Tel eft le réſultat de la
grave doctrine de cette Comteffe ; à quoi
Julie répond : » L'effentiel , c'eft de s'aimer
, ma tante. Julie , après que la Com-
Leffe l'a quittée , s'entretient feule dans ce
fentiment . Dorante , qui furvient , reçoit
d'elle l'affurance qu'elle ne fera jamais au
Marquis. Ils rentrent enfemble dans la
falle du bal. Géronte le dérobe au tumulte
de ce bal , pour venir dormir fur un ſopha .
Il entrevoit bien , dans les réflexions , que
le Marquis ne plaît pas à fa fille , & que
fa
four l'a engagé dans une fottife; il déplore
l'afcendant que les femmes prennent fur
les hommes , & prend toujours le parti le
plus commode , qui eft d'y céder . Il refte
fur fon fopha. On ne pourroit donner
qu'une idée imparfaite du dénouement , ſi
l'on ne rapportoit en entier les Scènes qui
y conduifent.
192 MERCURE DE FRANCE.
CIDALISE , entre fur la Scène en
domino , fon mafque à la main.
» Le Marquis me fuit : il me croit à
Paris j'a le même domino que la Com.
teffe il me prend pour elle ; fçachons
s'il me trahit . ( Elle met fon masque . )
CIDALISE , LE MARQUIS ,
GERONTE , fur un fopha dans un
coin , d'où il n'eft pas apperçu par les
autres Acteurs .
"
LE MARQUIS ,
Je vous cherchois , Comteffe ; je viens
de voir Julie avec un Mafque qui ref-
» femble fort à Dorante : j'ai peur que la
petite perfonne n'en foit entêtée.
CIDALISE , prife pour la Comteffe.
" Que vous importe ?
ور
LE MARQUIS.
J'avoue que je ne vile pas au coeur
∞ de Julie : c'eſt ici un mariage d'argent.
»En échange d'une groffe dot, je lui donne
» mon nom & ma livrée : car vous jugez
qu'il n'y aura que cela de commun en-
>> tre elle & moi. Quant au Beau - pèrè ,
» c'eft un Intendant que je prends , & un
» Intendant d'efpéce nouvelle.
GERONTE , à part , dans un coin .
» Un Intendant ! Oui- dà : écoutons.
LE MARQUIS.
» D'ordinaire, nos Intendans nous rui-
» nent ;
FEVRIER . 1761. 193
">
nent ; & je compte bien que ce fera moi
qui ruinerai celui - ci , mais....
CIDALISE , à part.
» Ne me voilà que trop bien éclaircie ....
» Le traître !
• LE MARQUIS
" Que dites-vous ?
CIDALIS E.
" Eh bien , mais...
LE MARQUIS.
»Le mariage n'eft pas fait : Geronte n'a
» confenti qu'avec peine ; & je crains que
" Dorante & Julie ne faffent naître des
→ obftacles .
CIDALIS E.
» N'eft- ce point que vous fentez vous-
» même quelque chofe qui vous arrête ,
» & que Cidalife vous tient encore au
caur ?
"
LE MARQUIS .
Cidalife ! Ah , vous plaifantez , Comsteffe.
CIDALISE..
» Non : toute la rivale que je ſuis , je
» l'eftime. Et....
LE MARQUIS.
» Oh ! parbleu , Comteffe , encore un
coup , vous voulez rire ; une petite mi-
» naudiere qui a la prétention du fenti-
I
194 MERCURE DE FRANCE.
و ر
» ment ; de l'affectation au lieu de grâ-
» ces ; du jargon , au lieu d'efprit : vous
» avez donc oublié ce que nous en avons
dit tantôt ; & combien vous & moi l'a-
» vous chamarrèe de ridicules .
CIDALISE , à demi haut.
" L'abominable homme ! ... Contrai-
» gnons- nous encore .
LE MARQUIS , la reconnoiffant.
" C'eft la voix de Cidalife , ô Ciel ... tâchons
de nous retourner .
CIDALIS E.
» Mais cependant elle s'attendoit à re-
» cevoir votre main ; & vous devez du
» moins vous faire quelque reproche de
» l'avoir trompée.
25
LE MARQUIS.
Je m'en ferois un de l'inquiéter plus
longtemps. Belle Cidalife , ceffez da
» feindre , je vous ai reconnu d'abord.
CIDALIS E.
» Quoi , M. le Marquis !
LE MARQUIS.
» Oui , Madame , pour vous punir de
" votre méfiance , j'ai feint de vous pren-
» dre pour la Comteffe ; mais quelle dif-
» férence ! Elle a bien quelque choſe de
» votre taille & de votre voix. Mais cette
grâce toute particuliere , mais cette fa-
» çon noble de ſe préſenter. ....
"
FEVRIER. 1761 . 195
( En ce moment la Comteffe arrive maf
quée , avec un domino pareil à celui de
Cidalife , & s'approche doucement d'elle
& du Marquis. )
CIDALISE , à part , l'appercevant.
» Bon ! voilà la Comteffe... Le hazard
eft heureux... ( Haut . ) On ne peut nier,
» M. le Marquis , que Madame la Comteffe
n'ait des charmes.
"
"}
39
LE MARQUIS.
Je crois qu'on peut tout au plus fe
fouvenir qu'elle en a eu.
LA
COMTESSE , à part.
» Eft- ce de moi qu'il parle ?
CIDALISE .
» N'ai-je pas entendu quelque bruit ?
( Le Marquis fe tourne du côté qué Cidalife
lui montre , qui eft opposé à celui
où eft la Comteffe : pendant ce temps - là
Cidalife fubftitue la Comteffe àfa place ,
en lui difant à l'oreille :)
» A vous le dez , Comteffe .
,
LE MARQUIS , fe retournant .
» Il n'y a perfonne. Que difiez - vous de
» la Comteffe ?
LA COMTESSE , qui a pris la place
de Gidalife .
» Mais je difois qu'elle n'a point encore
paffé l'âge de la jeuneffe.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE:
LE
MARQUIS.
» Dites qu'elle s'y croit toujours , parce
» qu'elle en a tous les travers.
LA COMTESSE.
» On vante fon efprit.
LE
MARQUIS .
» On vante donc ce qu'on ne connoit
» pas ? Pour moi je n'ai vû à la Comteffe
» que des airs & des prétentions: joignez-
» y le ridicule de traiter Geronte de petit
Bourgeois , comme fi elle n'étoit plus
» parente de fon frère , & fes vapeurs
» de commande , que ce benet de frère
prend pour bonnes .
ور
23
la
LA COMTESSE . fe démafquanti
» Je n'y puis plus tenir.
7
LE MARQUIS.
» Que vois-je !
LA COMTESSE.
» Celle dont vous faites un fi beau por
» trait , Monftre que vous êtes !
CIDALISE , qui a paffé de l'autre côté,
le tirant par la manche.
» Yous mériteriez bien auffi quelque
» épithète de ma part ; mais je m'en tiens
Þau mépris .
GERONTE , s'avançant.
Et moi qui étois dans ce coin , d'où
» j'ai tout entendu , trouvez bon , M. le
Marquis , que je me joigne à ces Dames ,
FEVRIER . 1761 . 197
;, & que je vous confeille de vous pour-
» voir d'un autre Intendant ; je ne me
» fens pas digne de l'honneur d'être ruiné
:
par vous.
Julie & Dorante furviennent. Geronte
leur promet qu'ils feront unis le lendemain.
Le Marquis fe retire , en difant
avec fatuité » Monfieur , je vous baife
» les mains .
Geronte , content d'être défait du Mar
quis , propofe lui- même de continuer le
bal , ce qui forme le divertiffement , &
termine la Comédie.
·
·
Cette Piéce a été très - fuivie & toujours
très applaudie. L'intrigue , comme on
vient de le voir par l'Extrait , en eft fort
fimple ; ce qui a donné lieu à quelques
critiques de la juger foible : peut être
qu'autrement , elle eût été moins favorable
au fuccès . Il paroît que l'objet éffentiel
, étoit de peindre des nuances de ridicules
, qui fe feroient perdues dans une ac
tion plus compliquée. Nous avons étendu
notre Extrait plus qu'il n'eft d'ufage , pour
faire mieux remarquer , qu'il n'eft aucune
partie de cette Comédie , qui ne préfente
vivement des nuances , qu'on ne peut bien
rendre qu'avec une grande connoiffance
de cette forte de monde qui donne le
ton dans la fociété. Les caractères géné-
' I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
raux , même certains ridicules éffentiellement
nationaux , peuvent reffortir dans
les Piéces où la fable eft fort intriguée; c'eſt
un reffort alors qui leur donne encore plus
de jeu mais les modifications de ces caractères
ou de ces ridicules, variant fans ceffe,
& dépendant du moment , exigent fouvent,
lorfqu'on fe propoſe de les bien faire
fentir,le facrifice de la grande contexture.
Les Piéces du premier genre font de grands
tableaux hiftoriques de l'humanité qui appartiennent
à tous les temps , & prèfque à
tous les lieux ; celles du genre de la Comédie
des Maurs , font des images locales
, des portraits , fi l'on veut , où fur des
fonds très - légers , doivent primer tous les
ajuftemens de mode , qui contribuent à
faciliter la reffemblance des originaux . S'il
eft dans la nature , de voir toujours avec
plaifir la parfaite imitation des objets
connus , ce genre de Piéces doit donc être
toujours agréable , lorfqu'il eft traité avec
autant de vérité & d'agrément que dans
celle- ci. Peut- être même , que les fcrupu
leux Sectateurs des grandes régles dramatiques
, fe reprocheroient moins le plaifir
que ces fortes de Piéces leur procurent
malgré eux , s'ils confidéroient que la Comédie
ne doit être qu'une imitation naïve
des moeurs & des actions privées de la foFEVRIER.
1761. 199
ciété , & que fon effence primitive eft ,
dans cette imitation , fupérieure à toutes
les autres parties qu'indiquent les Poëtiques.
Nous avons préfenté la Scène du dénoûment
en totalité , afin de mettre les Lecteurs
en état de décider fur l'accufation
de reffemblance entre ce dénoûment &
ceux de quelques Piéces connues .
Ce que nous avons rapporté des traits
faillans , qui font répandus dans la Piéce ,
fuffira pour faire juger du ftyle dans lequel
elle eft écrite. Il eft partout élégant fans
affectation , & la fineffe n'y nuit jamais à
la clarté.
Ce qui réfultera toujours de la lecture
ou de la Repréſentation de cette Comédie
, confirmera les éloges juftement donnés
à l'efprit de l'Auteur , dans lefquels il
trouvera en même - temps ceux de fon âme,
par l'ufage qu'il fait de fes talens .
Le Mercredi , 21 Janvier , Mlle Pinet
débuta par le rôle de Cénie , dans la Piéce
de ce nom.Elle a continué fon début, dans
l'Ecole des Maris , dans l'Enfant prodigue
& dans la Pupile , Comédies qui ont été
fucceffivement repréfentées fur le Théâtre
François.
Cette Actrice , qui n'avoit jamais joué
fur aucun Théâtre , eft jeune & d'une jo-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
lie figure. Elle annonce des talens qui méritent
d'être encouragés. Elle a fur- tout
des momens de vérité qui font beaucoup
efpérer d'elle , dès que moins de timidité
& plus d'expérience permettront à fon organe
de rendre librement tout le naturel
de fon intelligence & toute la fenfibilité
de fon âme. Elle plaît , intéreffe , & continue
fon début , avec fuccès .
Le Lundi 26 , on donna la premiere
Repréſentation de la repriſe de Tancréde ,
Tragédie de M. de Voltaire . Le concours
nombreux des Spectateurs , & les applaudiffemens
qui furent donnés à cette Repréfentation
, ont été autant de motifs de
egrets pour ceux qui fe flattoient d'en
jouir les jours fuivans . Le Mercredi 28 ,
on fut obligé , par l'indifpofition de Mlle
Clairon, de fubftituer à la Repréfentation
de Tancréde celle de Mahomet ; & l'on
annonça , pour le Samedi , celle de Mé-
Tope. Cette interruption a été d'autant plus
fenfible au Public , que la fanté de l'Actrice
qui l'a occafionnée lui devient de plus
en plus précieuſe. Admirable depuis longtemps
dans tous les rôles que repréfente
Mlle Clairon , elle avoit parue à tous les
Amateurs du Théâtre avoir acquis un degré
particulier d'excellence dans cetteTragédie
, au delà duquel on n'auroit pas
торе.
·
FEVRIER . 1761. 201
imaginé de fupériorité , fi celle qu'elle a
fait paroître dans cette repriſe , n'avoit
prouvé qu'il n'eft point de bornes à la perfection
de ce genre de talens .
L'annonce de Mérope a été un dédommagement
pour le Public , tant à cauſe du
mérite de l'ouvrage , que du pathétique
inimitable de Mlle Dumefnil , qui y joue
le principal rôle.
On rendra compte , le mois prochain ,
de la Tragédie de Tancréde , qui vient de
paroître imprimée , & des changemens
avec lefquels elle a reparue.
COMEDIE ITALIENNE.
O N continue toujours les repréfentations
de l'Ifle des foux ; & Mlle la Font
continue d'y recevoir de la part du Public
des encouragemens, qui doivent l'exciter à
perfectionner, par l'étude, les talens qu'elle
a reçus de la Nature.
Le Mercredi 21 Janvier Mlle Collet débuta
dans le Maître de Mufique , par le rôle
de Laurette & dans la fille mal gardée par
celui de Violette : Elle a été reçue favorablement
dans l'un & dans l'autre rôle . Celui
de la premiere Piéce , ne conclueroit rien
pour on contre les véritables talens d'une'
Comédienne , attendu que le genre des in-
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
termédes qui , bien examiné , n'en eft pas
un , eft la reſſource ordinaire de ceux qui
n'ont aucune des difpofitions néceffaires
à l'art dramatique . Les fuccès dans la feconde
Pièce , affurent davantage l'eſpoir
du Public fur cette jeune débutante. Les
agrémens de la voix , l'adreffe dans la manière
d'en faire ufage , font des talens ac
ceffoires , fort agréables à rencontrer à la
Comédie,mais qui ne pourront jamais conftituer
la réputation d'un Comédien ou d'u
ne Comédienne .
On donna fur ce même Théâtre , le lundi
26 Janvier , la premiere repréfentation
de Quand eft-ce qu'on me marie ? Facétie
nouvelle en trois actes & en profe . Le premier
acte de cette Pièce difpofoit les Spectateurs
au jugement le plus avantageux . A
l'exception de la burlefque analogie des
noms de tous les perfonnages , au lieu d'une
facétie , tout annonçoit une bonne Comédie
, écrite du meilleur ton ; & remplie
de ces traits heureux qui , fous le maſque
de la plaifanterie, produifent d'excellentes
maximes de morale, & peignent des vices,
& des ridicules bien vus. Mais dans les
deux autres Actes , il femble que l'efprit
de l'Auteur ( quel qu'il foit ) trop accoutumé
au bon genre , fe foit refufé à remplir
le titre de Facétie , quelques efforts
FEVRIER. 1761
203
qu'on ait fait pour l'y contraindre . Au
moyen de quoi , rien n'a paru moins facétieux
au Public que le refte de cette Piéce,
dont le mérite du premier Acte lui faifoit
regretter la chûte ; & que l'on feroit fondé
a croire de deux mains différentes.
OPERA- COMIQUE.
L'OPERA OPERA - COMIQUE a fait , par extraordinaire
, cette année , l'ouverture de
fon Spectacle Samedi 31 Janvier. Un
Prologue nouveau a tenu lieu du compliment
d'ufage.
ARTICLE V I.
NOUVELLES POLITIQUES.
De PETERSBOURG , le 15 Décembre 1760 :
L. 6 de ce mois , on célébra l'anniverfaire du
jour de l'avénement de Sa Majefté Impériale au
Trône des Ruffies.
1; De STOCKHOLM , le 1 Janvier 1761 .
On a réfolu d'avoir cette année , comme les
précédentes , une flotille déftinée à bloquer les
embouchures de l'Oder , & les Ports par lesquels
le Roi de Pruffe pourroit recevoir des fubfiftances
& des fecours.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
De VIENNE , le 7 Janvier 1761 .
Le Général d'Infanterie Baron de Laudon,a préfentement
fon centre dans le Comté de Glatz . Sa
droite eft cantonnée entre Neuftadt & Jagerndorff
dans la haute Silésie . La gauche occupe Trautenau
& les poftes voisins .
Le Général Pruflien de Goltz a fon quartier à
Ottmachau fur la Neiff, & fes troupes forment un
cordon qui s'étend de là par Munſterberg , Franckenftin
, Reichembach & Freyberg jufqu'à Landshut.
Ce Général a pouffé dernierement quelques
Corps vers le Bober.
Les Princes Clément & Albert de Saxe font arrivés
depuis peu de jours en cette Ville. Ils doivent
partir dans quelques femaines pour la Pologne , où
ils féjourneront juſqu'au commencement de la
Campagne prochaine."
Le Feld Maréchal Comte de Daun a commencé
de paroître à la Cour , & l'on compte que dans
peu de jours il fera parfaitement guéri. L'Impératrice
Reine , fenfible aux malheurs que les habitans
de Drefde ont elfuyés l'année derniére , a ofdonné
une Collecte en leur faveur , & l'on a déjà
raffemblé une fomme confiderable.
Le départ du Prince Charles de Lorraine eft
encore différé , & l'on pense que ce Prince paffera
l'hyver ici , pour affilter aux conférences qu'on
doit tenir fur les opérations de la Campagne prochaine
.
On apprend de Warfovie que le Prince de
Jablonowski vient d'y fonder quatre prix confiftans
en autant de Médailles d'or . La premiére de
la valeur de quarante ducats , fera adjugée à celui
qui aura le mieux traité un fujet d'Hiſtoire ; la
feconde , de trente ducats , fera pour une pièce
de Physique ; ' la troisiéme de vingt , pour une >
FEVRIER. 1761 . 209
piéce de Méchanique ; & la quatrième , de dix ,
pour un Mémoire de Mathématiques d'ufage fenfible.
Le fujet d'hiftoire qu'on propole à traiter
pour l'année prochaine , a pour objet d'éclaircir
T'hiftoire de la Pologne ; principalement depuis
Sigifmond I. Les autres fujets font au choix des
afpirans au Prix.
De DRESDE , le 6 Janvier.
Les Autrichiens ont dépofté les Pruffiens de
Reichenbach.
Voici la difpofition des Quartiers de l'armée
Pruffienne.
Le Général Hulfen occupe les poftes de Freyberg
& les environs.
Le Général Linden eft à Chemnitz , dont les environs
font occupés par divers Régimens . Lés autres
poftes font à Naumbourg , Altenbourg , Zeitz-
Zwickau , Meiffen , Torgau , Dobeln , Mitweyda-
Waldheim . Pluheurs Régimens font à Léipfick ,
dont les environs font bien gardés.
Le reste de l'armée eft reparti à Merfebourg ,
Weiffenfels & dans les environs à Rochlitz ,
Gethayn , Pégau , Borna , Lobftadt , Rotha ,
Glaucha , & près de Langenfaltza.
On apprend auffi les détails fuivans concernant
la diftribution des Soldats Pruffens bleffés à la
derniére action. Six mille cinq cens de ces bleſſes
furent transportés à Torgau , trois mille cinq cens
à Léipfick , deux mille huit cens à Eulenbourg ,
douze cens à Wittemberg , fept cens à Domitsch ,
& deux mille quatre cens en différens autres lieux
voifins. Le total eft de dix fept mille cent.
De LEIPSIC , le 3 Janvier.
Sa Majefté Pruffienne continue fon féjour dans
cette ville . Ce Prince monté tous les jours à cheval,
206 MERCURE DE FRANCE.
& va prendre l'air à la campagne , ou vifiter les
poftes voifins. Il donne de tems en tems quelques
heures à s'entretenir avec les Profeffeurs de Gellert
& Winckler.
Les Princes de Pruffe font arrivés ici le 17 du
mois dernier .
Les Contributions exceffives , impofées par les
Pruffiens , jettent la confternation dans tout l'Electorat.
Toutes les Villes dont ils font en poffeffion ,
font taxées à des fommes exorbitantes.
De HAMBOURG , le 8 Janvier.
On écrit de l'armée Hanovrienne que les fubfiftances
n'y arrivent qu'avec une grande difficulté.
Le débordement du Veler & fa rapidité ne
permettent pas de faire remonter aucun bateau.
Ce fleuve a derniérement entraîné un magazin
que les Hanovriens avoient formé près de Beverrungen
, & dans lequel ils avoient trois cens mille
rations de fourage & une grande quantité de
grains. Il régne parmi les Chevaux Anglois une
mortalité confidérable .
Les Lettres du Mecklembourg nous apprennent
que le Prince Eugene de Wirtemberg a toujours
fon Quartier Général à Rostock , d'où il envoye
des Détachemens pour exiger les contributions
impolées par la Pruffe fur certe Principauté .
On affure que le Général Werner fe joindra
bientôt au Prince Eugene de Wirtemberg , &
´qu'ils marcheront fur Damgarten , où les Suédois
fe font retranchés. Ces derniers font fort tranquilles
dans leurs cantonnemens. Le Baron de
Lantingshaufen a toujours fon quartier général à
Gripfwald.
Les Magiftrats & la Nobleffe du Cercle de
Stolpe ayant repréſenté au Feld- Maréchal Comte
de Butturlin la difette extrême à laquelle ce pays
FEVRIER. 176 1. 207
étoit réduit , ce Général a donné ordre au Comte
de Tottleben de l'abandonner & de prendre des
quartiers dans la Pologne.
Quelques Lettres de Petersbourg annonçoient
que le fieur Keith , Miniftre d'Angleterre auprès
de cette Cour , étoit parvenu à lui faire changer de
fyftême relativement à la guerre préfente. Mais
les lettres poftérieures apprennent que la Cour
de Ruffie continue fermement dans la réſolution
de ne le point départir de fon alliance avec celles
de Versailles & de Vienne . On ajoute que le, Ba
ron de Stroganof , qui doit inceffamment partig
pour Vienne , eft chargé de donner à l'Impéra
trice Reine de nouvelles affurances de cette réfolution
.
Suivant les derniéres nouvelles du Mecklembourg
, le Prince Eugene de Virtemberg s'eft mis
en marche fur Damgarten. Il y eut le 3 de ce
mois , près de Triblées , une vive Efcarmouche
entre un Corps Suédois & un Corps Pruffien ;
mais la perte fut à-peu - près égale de part &
d'autre.
De RATISBONNE le 8 Janvier.
ว
Suivant les nouvelles de la Saxe, le Corps aux
ordres du Général de Saldern a fait quelques,
mouvemens , & un de fes détachemens s'eft porté
de nouveau jufqu'à Géra. On apprend de Gotha
qu'un détachement François , aux ordres du Comte
d'Orbe , a furpris le 3 de ce mois , près de Langenfaltza
, un pofte avancé des Pruffiens , fur lef
quels il a fait une trentaine de Prifonniers.
De LONDRES le 13 Janvier.
,
On parle d'une promotion nombreuſe de Pairs
de la Grande - Bretagne . Suivant le bruit public ,
La Princeffe Augufte , Soeur aînée de Sa Majesté
208 MERCURE DE FRANCE.
fera élevée à cette dignité. Le fieur Onflow , Orateur
de la Chambre des Communes , fera , dit-on,
récompenſé de ſes fervices par la dignité de Pair ,
qui fera auffi accordée au fieur Spencer.
Le Comte de Fuentes , Ambaladeur- Extraordinaire
de Sa Majefté Catholique , eut hier fa premiére
Audience particuliere du Roi , auquel il préfenta
fes nouvelles Lettres de Créance.
Les Lettres venues d'Allemagne portent que
nos troupes font fort mécontentes de cette derniere
Campagne. Il régne une méfintelligence
entre les Anglois & les Allemands qui va juſqu'à
l'animofité. Les premiers fe plaignent de ce que
le Prince Ferdinand , par ménagement pour les
Allemands , a toujours fait choix des Troupes
Britanniques pour les expofer aux plus grands
dangers , ce qui les a confidérablement diminuées ;
ils fe plaignent anffi de la cherté exceffive des vi
vres & des fourages qu'ils ont payés le double de
leur valeur . On répond de la part du Prince Fer- .
dinand , que la méfintelligence entre les Allemands
& les Anglois , n'eft occafionnée que par
l'orgueil des premiers , qui enflés de leurs : ichelles,
méprifent toutes les autres nations ; que s'il a placé
les troupes Britanniques dans les endroits les plus
dangereux , c'eft une preuve de fon eftime pour
elles , & une diftinction que leurs Chefs ont recherchée
; enfin que fi les Anglois payent tout au
donble , cela vient de ce qu'ils mettent l'enchere.
dans tous les marchés. On dit que ces réponses
ayant été examinées dans un des derniers Confeils ,
le Roi & fes Miniftres en ont été fatisfaits.
FEVRIER. 1761 : 200
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée ,
de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 22 Janvier 1761 .
L.E.12 de ce mois , l'Evêque de Condom prêta
ferment entre les mains du Roi.
Le 13 , Sa Majesté tint le Sceau .
Le même jour , le Comte de Geloes , Chambellan
du Cardinal de Baviere , Evêque , Prince
de Liége , eut une Audience particuliere du Roi ,
dans laquelle il a préſenté à Sa Majefté fes Lettres
de Créance , par lesquelles le Prince fon Maître ,
l'acrédite auprès du Roi en qualité de Miniftre
Plénipotentiaire. Le Comte de Géloes fut conduit
à cette Audience , ainfi qu'à celles de la Reine ,
de Monfeigneur le Dauphin , de Madame la Dauphine
, de Monfeigneur le Duc de Berry , de Monfeigneur
le Comte de Provence , de Monfeigneur
le Comte d'Artois , de Madame , de Madame Adelaïde
& de Mesdames Victoire , Sophie & Louiſe ,
par le fieur Dufort , Introducteur des Ambaffadeurs.
Sa Majefté a donné le Brevet de Confeiller d'Etat
, au fieur de la Sône , premier Médecin de la
Reine.
Le Roi a donné le Brevet de Confeiller d'Etat ,
au fieur Poiffonnier , Médecin de la Faculté de Paris
, & l'un de fes Médecins Confultans , qui eft
arrivé ici depuis quelques femaines , après avoir
paffé dix- huit mois auprès de l'Impératrice de
Ruffie.
210 MERCURE DE FRANCE.
L'Evêque de Rennes s'étant démis de fon Evêché,
Sa Majefté y a nommê l'Abbé Defnos , Grand-
Vicaire de faint Brieux .
Le Roi a nommé l'Evêque d'Autun , à la place
de Confeiller d'Etat , vacante par la mort de l'Abbé
de Saint Cyr ; & l'Abbé Bertin , Préfi lent au Parlement
de Bordeaux , à la place vacante par la mort
de l'Abbé de Salaberry.
Le fieur Hocquart , Capitaine de Vaiffeau , ayant
demandé la permiffion de fe retirer du fervice , à
caufe du dérangement de fa fanté ; Sa Majesté la
lui a accordée avec le grade de Chef d'Eſcadre ,
& une Penfion de trois mille livres , dont mille
livres fur l'Ordre de Saint Louis.
De CASSEL le 15 Janvier.
9
Le Maréchal de Broglie ayant réfolu de faire
attaquer les quartiers de Duderftatt & de Statt-
Worbes , occupés par les ennemis dans le Pays
d'Eichfeld , chargea de cette opération le Comte
de Broglie , Lieutenant-Général , qui fe rendit le
31 Décembre à Allendorff fur la Verra . Les détachemens
employés à cette expédition , aux ordres
du Comte de Lameth , du Marquis de Loftanges ,
du Vicomte de Belfunce , & des Comtes du Châtelet
& de Durfort , devoient fe rendre par différens
chemins le 2 de ce mois au point du jour aux
lieux qui leur avoient été indiqués ; mais le mauvais
temps ayant empêché quelques - unes des Colonnes
d'arriver avant 9 & 10 heures du matin ,
les ennemis eurent la liberté de fe retirer de Duderſtatt
& d'aller joindre dans une très - bonne pofition
près de cette Ville , les troupes qui s'y étoient
raffemblées des quartiers voifins . On a trouvé dans
la Ville environ deux cens hommes qui en gardoient
les portes,& qui n'ont fait aucune réfiftance .
On prit poffeffion de la Ville , & lorſqu'on fit
FEVRIER. 1761. 2.1 I
déboucher la Cavalerie pour le porter fur le flanc
des ennemis , ils fe retirerent par le chemin de
Northaufen ; mais ils ne tarderent pas à revenir
& à reprendre leurs poftes, où ils furent fucceffivement
renforcés .
Il ne fe paffa rien durant la nuit. Le 3 au matin
, le Comte de Broglie voyant les ennemis dans
la même pofition , donna des ordres pour la retraite.
Avant dix heures les troupes fe mirent en
mouvement pour fortir de la Ville . On y laiffa fix
cens hommes d'Infanterie aux ordres du fieur de
la Borde , Lieutenant - Colone!, pour en garder les
poftes jufqu'à l'entiere évacuation. Le Vicomte de
Belfunce & le Marquis du Châtelet furent chargés
de faire prendre aux troupes la pofition que leComte
de Broglie leur avoit indiquée pour la retraite.
Les troupes n'avoient pas encore entierement débouché
de la Ville , lorſque les ennemis arriverent
aux portes & les attaquérent à coups de canon.
Auffi-tôt que
les dernieres divifions furent prêtes
à fortir , le fieur de la Borde replia les Gardes des
portes qui le rejoignirent dans le meilleur ordre, à
l'exception de trois Compagnies de Grenadiers de
France qui furent féparées de lui , l'Officier qui
leur portoit l'ordre pour fe retirer , ayant été pris
par les ennemis. Nous avons eu quelques hommes
tués ou bleffés pendant la retraite ; mais quoique
les ennemis nous ayent fuivis pendant une lieue &
demie , ils n'ont pû nous entamer d'aucune part .
Nous avons fait dans cette occafion neuf Officiers
& deux cens Soldats prifonniers , au nombre
defquels font ceux que le Comte de Lameth a pris
à Statt Worbes , dont les ennemis s'étoient retirés
avec précipitation à ſon approche. Les fieurs de
la Borde , Lieutenant Colonel, & Glocker , Major
des Volontaires d'Auftrafie , ont été bleffés ; le
Marquis de Nicolay a reçu une forte contufion ,
212 MERCURE DE FRANCE.
& le fieur de Saint - Marceau , Capitaine des Volontaires
du Hainaut , a été tué.
La nuit du 7 au 8 de ce mois , le Comte de Vaux,
Commandant à Gottingen , ayant fait fortir de la
ville un détachement aux ordres du Vicome de
Belzunce , on a enlevé les gardes que les ennemis
avoient aux Villages de Boenfen & de Wolbrunshaufen
. Nous avons pris cinq Officiers & cent cinquante
Soldats. Il n'y a pas eu de notre côté un
feul homme tué ni blené.
Nous venons d'apprendre que le grand convoi
que l'on avoit fait partir pour le ravitaillement
de Gottingen , y ek entré hier fans avoir été inquiété
, & que les troupes qui avoient été chargées
de le couvrir , font rentrées dans leurs quar
tiers.
De PARIS , le 24 Janvier.
On mande de Bayonne que plufieurs armateurs
du même port & de Saint - Jean de Luz ,
ayant rencontré une Flotte Angloiſe de vingtquatre
navires , la plupart chargés de tabac , ils
en ont pris environ les deux tiers..
On mande de Breit , que deux vaiffeaux de ligne
& trois frégates font fortis de la Vilaine , le 6 de
' ce mois.
La Frégate du Roi , l'Opale , de trente- deux
canons , commandéé par le Marquis d'Ars , Enfeigne
de vailleau , ayant rencontré , vers le commencement
de ce mois , une Erégate Angloife de
trente- fix canons , l'avoit attaquée , & elle étoit
fur le point de s'en emparer , lorfque deux frégates
ennemies , averties le bruit du canon ,
vinrent fondre fur elle , & l'obligerent de fe
battre en retraite . Le Marquis d'Ars a été tué
dans cette occafion , & il eft fort regrette . Le
fieur Pineau , Enfeigne , Commandant en fecond
par
FEVRIER . 1761 . 2.13
cette fregare , l'a conduite heureufement dans la
riviere de Morlaix . Nous avons eu dans ce combat
trente-cinq hommes tués & vingt- neuf bleffés.
Le Marquis d'Ars croifoit depuis près de quatremois
fur les côtes d'Angleterre avec la frégate
la Brune dont il avoit été léparé vers la fin de Dé-,
cembre , & il avoit fait fept prifes fur les Anglois.
Il avoit auffi pris , depuis qu'il croifoit feul ,
une Frégate Angloife de vingt canons.
MARIAGE de M. le Prince DE GUE MENĖ
avec Mlle DE SOUBIZE , & Relation des
Fêtes données à cette occafion.
-
LE 13 Janvier dernier , Leurs Majeftés & la
Famille Royale fignerent le Contrat de Mariage
de HENRY-LOUIS-MARIE DE ROHANGUÉMENÉ
avec VICTOIRE ARMANDE
- JOSEPHE DE ROHAN-SOU BIZE.
Les fiançailles fe firent enfuite dans le Cabinet
du Roi par l'Evêque d'Autun , premier Aumônier
de Sa Majefté , en préſence du Roi , de la Reine ,
de Mgr le Dauphin , de Madame la Dauphine ,
de Mesdames , des Princes & Princeffes du Sang ,
& avec le cérémonial qui eft d'ufage en pareille
circonftance. La Cour fut aufli nombreuſe que
magnifique.
La célébration du mariage s'eft faite le 15 du,
même mois , dans la Chapelle de l'Hôtel de Soubize
, par le Prince Louis de Rohan , Coadjuteur
de Strasbourg, le Curé de S. Jean en Grève préfent
& difant la Meffe. Les parens & les ami
particuliers avoient été invités à cette cérémonie.t
On fe raffembla le même jour à 6 heures du
foir dans les appartemens de M. le Maréchal-
Prince de Soubize Pere de la Mariée , pour y entendre
un grand concert. Les Dlles Fel , Arnould &
214 MERGURE DE FRANCE.
be Mierre y réciterent , ainfi que les fieurs Geli ote,
la Garde & l'Arivée . Chacun d'eux y mérita leş
applaudiffemens dont cette brillante Affemblée les
honora tous. On ouvrit le Concert par un Epithalame
de la compofition du fieur Delagarde qui fut
applaudi avec diftin&tion & redemandé à la fin du
concert. L'Auteur a joui du plaifir d'obéir à un
ordre auffi flatteur.
Les appartemens de l'Hôtel de Soubize , qui
font très-vaftes & richement décorés , étoient ornés
& éclairés avec autant de goût que de magnificence.
On paffa à 9 heures dans une Salle préparée
pour le feftin , où étoit dreflée une table de 60
couverts.
Le Repas fut fomptueux & délicat . Tous les fervices
en étoient ordonnés avec une élégance qui
donnoit de l'éclat à la profufion des mêts. Au milieu
d'un Dormant de 44 pieds de long fur 6 pieds
de large , étoit repréfenté le Temple de l'Hymen
avec deux Périftiles . D'un côté de ce Dormant on
voyoit la figure de Mars avectous fes attributs ; de
l'autre, celle de Mercure avec les arts. Le filet étoit
terminé à l'une des extrémités par une Fête Paltorale
, & à l'autre par la repréſentation d'un Bal
maſqué. Le Dormant fut ac compagné , au fruir ,
de tout ce qui peut rendre un déffert magnifique
& brillant.
La Cour de cet Hôtel , dont on connoît la belle
architecture , étoit illuminée en totalité , relativement
à l'ordre de fa décoration . Tous les entrecolonnes
étoient garnis dans les bafes de pots à
feu , & aux parties fupérieures , étoient fufpendus
des luftres de petites lanternes. Des guirlandes de
même forte accompagnoient ces luftres , & venant
ſe joindre aux colounes , lioient le tout enſemble.
La façade étoit illuminée dans le même ordre , &
FEVRIER. 1761. 215
toutes les balustrades portoient des guirlandes de
même efpéce que les luftres , ce qui couronnoit ,
avec nobleffe & légéreté en même temps , cette
lumineuse décoration . L'effet en a paru nouveau
& très- agréable au Public. A l'occafion de ce Mariage
, M. le Maréchal Prince de Soubize , donna ,
le 21 du même mois , dans cet Hôtel un grand
Bal paré , où furent invités tous les Seigneurs &
Dames de la Cour , ainfi que tous les Ambaſſadeurs
, Miniftres des Cours , & tous les Seigneurs
étrangers qui fe trouvérent alors à Paris.
Les appartemens furent ornés & éclairés convenablement
au genre de cette Fête . La cour & façade
de l'Hôtel , furent illuminés comme la nuit
du Mariage.
Le Bal commença à onze heures & demi. On
n'avoit pas vû en France , depuis long-tems , une
Affemblée auffi nombreuſe , être , en général , auffi
richement & auffi galament parée. Il n'y avoit
point de Dames dont l'ajustement n'eût fait l'objet
particulier du fpectacle le plus agréable & le plus
magnifique. Les Seigneurs avoient repris , dans
cette Fête , les écharpes & les noeuds d'épaules ;
circonftance remarquable , en ce qu'elle fera , peutêtre
, époque du renouvellement de cet ancien
ufage .
Malgré le concours prodigieux de ceux qui affiftérent
à cette Fête , un ordre fi exact & fi bien
entendu fut obfervé , qu'il n'y eut aucune confufion
, ni aucun tumulte.
MORTS.
Le fieur Abbé Sallier , Garde de la Bibliothéque
du Roi , l'un des Quarante de l'Académie Françoife
, Membre de celle des Infcriptions & Belles-
Lettres , Profeffeur en Langue Hébraïque au Col216
MERCURE DE FRANCE.
lége Royal , de la Société Royale de Londres &
de l'Académie de Berlin , mourut en cette Ville ,
le 9 de Janvier , dans la foixante & quinziéme année
de fon âge.
Meffire Claude- Odel Giry de Saint- Cyr , Confeiller
d'Etat,Abbé de l'Abbaye Royale de Troarn,
Ordre de S. Benoît , Diocèfe de Bayeux , l'un des
Quar ante de l'Académie Françoile , ci - devant
Sous - Précepteur de Mgr le Dauphin , & Aumônier
ordinaire de Madame la Dauphine, eft mort
à Versailles , le 13 , âgé de foixante -fept ans.
Meffire Alexandre- Henri de Muffet de Bonaventure
, Brigadier des Armées du Roi , ci- devant
Lieutenant pour Sa Majesté au Gouvernement de
la Rochelle , eft mort en fon Château de Bonaventure
, dans le Vendômhois , âgé de foixante - dix
feptans. Cet Officier avoit fervi pendant cinquante
& un an dans le Régiment de Chartres , Infanterie
, & avec diſtinction.
Meffire Louis- Charles- Vincent de Salaberry ;
Confeiller d'Etat & honoraire en la Grand-Chambre
du Parlement , Abbé Commendataire des Abbayes
Royales de Coulomb , Ordre de S. Benoît,
Diocèle de Chartres , & de Ste Croix , même Ordré
, Diocèle de Bordeaux , mourut en cette Ville
, le 20 de ce mois , dans la foixante -uniéme
année de fon âge.
Suivant les Regiftres publics des Eglifes Paroiffiales
de cette Ville , il y eft mort , pendant le cours
de l'année derniere , dix- huit mille cinq cens trente
& une perfonnes ; il s'y eft fait trois mille fept cens
quatre- vingt-fept mariages ; il y a eu dix- fept mille
neufcens quatre -vingt- onze Baptêmes ; & le nombre
des enfans- trouvés a monté à cinq mille tre. te
& un .
Evénemens
FEVRIER . 1761. 217
EVENEMENS SINGULIERS .
On écrit de Briſtol , du 29 Novembre , que la
femaine précédente , une jeune femme habillée
en homme , avoit éffayé de fe pendre à Norwood
; mais qu'elle en avoit été empêchée par
quelques perfonnes qui l'avoient apperçue . Elle
fut tranfportée à Bath , où on lui donna les fecours
dont elle avoit befoin ; & de là on l'a remife
entre les mains de fes amis. On a trouvé
un papier attaché à un arbre , près du lieu qu'elle
avoit choisi pour fon funefte deffein ; & fur ce papier
, étoient écrits des vers dont voici le fens :
» Jeunes Amans qui paffez par ce lieu , jettez
» un oeil de pitié fur une femme infortunée , dont
» l'amour avoit égaré la raifon . Quoique déguiféo
» fous les vêtemens d'un homme , elle chériffoit
>> l'honneur & la vertu.Quand vous m'aurez trou-
» vée , je ne vous demande qu'une biére & un
>> tombeau. Si l'on ouvre mon fein après ma mort ,
>> vous y verrez un coeur déchiré par ſes maux.
On a reconnu depuis, que cette prétendue femme
n'étoit qu'un jeune libertin & un impoftear
qui , quoique vêtu des habits de fon ſexe , avoit
réuffi à fe faire paffer pour femme , parce qu'il
joignoit à une voix grêle , un vifage efféminé. II
avoit fçu , par ce ftratagême , intéreſſer toutes les
femmes en fa faveur. Čet Avanturier a été mis
dans une maifon de correction .
La femme de Jofeph Reynolds , habitant de
Durham , a accouché heureufenient d'un enfant
qui a fix doigts aux mains & autant aux pieds ;
c'eft le quatrième enfant ainfi conformé qu'elle
a mis au monde .
Un Tanneur, nommé Norway, de Baruftaple .
dans le Devonshire , qui avoit épouſé l'été der-
K
218 MERCURE DE FRANCE.
me ,
nier une jeune & jolie femme , & que le dérangement
de les affaires avoit jetté dans le défefpoir
, prit la réfolution , de concert avec ſa femde
mettre fin à leurs maux par une mort
violente. Ils fortirent l'un & l'autre , à une heure
du matin , pour exécuter ce funefte deffein . Le
mari fe mit dans une barque de Pêcheur , & on
ne fçait pas ce qu'il eft devenu : fa femme a été
trouvée fur les bords de la Tamife , le vifage enterré
dans le fable , où elle a été étouffée.
On a reçu du Fort- George , le 4 Octobre , de
nouvelles particularités fur la prife du Fort Loudon.
Après la capitulation de ce Fort , la Garniſon
fe mit en marche avec les armes & fes munitions
de guerre ; elle arriva le même jour à feize mille
de là & campa pendant la nuit . Le lendemain
au matin , comme les Anglols le préparoient à
continuer leur marche , ils fe virent environnés de
700 Indiens qui les arrêterent par un feu très-vif
de Moufqueterie & une grêle de fléches qui les mit
en défordre. L'impoffibilité de le défendre les contraignit
à fe livrer à la merci de ces Sauvages .
Tous les Officiers , excepté le Capitaine Stuart
environ quarante Soldats & trois femmes furent
maffacrés ; quelques autres furent bleflés . Les Indiens
alors enleverent aux Anglois leur chevelure
& leur en battoient le vifage pendant la route. Ils
emmenerent leurs prifonniers dans leurs habitations
, & là ils les maltraitérent , & les outragérent
de la manière la plus inhumaine , & les forcérent
à danfer . On mande un trait particulier de
barbarie de la part de ces Sauvages qui afflige
l'humanité.. Ils firent fouffrir à un pauvre Soldat,
des tourmens inconcevables , qu'ils prolongérent
jufqu'à la mort de ce malheureux . Ils le coupérent
enfuite par morceaux , attachérent fa tête
& fa main droite à un poteau , pour fervir de
FEVRIER. 1761 . 219
fpectacle à fes Compagnons , & brulérent le reſte
de fon corps. Tandis qu'on faifoit cette cruelle
exécution , ils frappoient à grands coups de baguettes
, les prifonniers ſpectateurs de cette horrible
fcène.
On écrit de Corfe qu'un jeune homme , après
avoir débauché une fille d'une naiffance inférieure
à la fienne , confentit à réparer fon déshonneur en
l'époufant. Tandis que la Cérémonie fe faifoit à
l'Eglife ; quelques parens de la fille , qui préfé
roient apparemment la vengeance à la réparation,
percérent le jeune homme de plufieurs coups de
poignard ; ce qui caufa une émeute dans laquelle
trois autres perfonnes ont aulli perdu la vie."
要
AVIS DIVERS.
Dame Marie-Antoinette de Caulincour , ci-devant
veuve de Meffire Grimod du Fort , l'un des
quarante Fermiers Généraux de Sa Majeſté , & Intendant
Général des Poftes & Relais de France ,
époufe de Meffire Jean - Jacques Le Franc , Marquis
de Pompignan , Seigneur de Caix & du Thouron
, Chevalier , Confeiller du Roi en tous fes
Confeils , Ancien premier Préſident de la Cour des
Aides de Montauban , Confeiller d'honneur au
Parlement de Touloufe , & Membre de l'Académie
Françoife , accoucha , le 8 Décembre 1760 ,
d'un fils qui fut baptilé le 17 du même mois dans
l'Eglife de S. Sulpice fa Paroiffe , & a été nommé
Jean-George- Louis-Marie , au nom de l'Evêque du
Pay , frere de M. de Pompignan , & par Dame
Louiſe de Clairac Marquife de Gramont , veuve de
Meffire George de Caulet , Marquis de Gramont ,
Lieutenant des Gardes du Corps , Lieutenant- Général
des Armées du Roi, & Gouverneur des Villes
& Citadelles de Mézieres & de Charleville , oncle
maternel de M. de Pompignan. Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
On ne rapportera ici , de la nobleffe & de l'ancienneté
de la famille de le Franc, que ce qui en eft
attefté par des dépots publics & les regiftres des
Cours , & par des Auteurs que tout le monde eft
à portée de confulter.
Cette famille a rempli depuis cent vingt ans les
premieres Charges de la Cour des Aydes de Montauban.
Geraud le Franc fut fait Préfident de cette Compagnie
en 1642 , & de fon mariage avec Dante
Helene de Courtois de Caix , iffue d'une ancienne
famille noble de Quercy , & qui lui apporta en
dot la Tetre & Seigneurie de Caix , il eut Jacques
le Franc , Préfident de la Cour des Aydes de
Montauban , mort fans postérité ; Etienne le Franc,
Docteur en Théologie de la Faculté de Paris , Abbé
de S. Paul de Narbonne , auffi Préſident de la
Cour des Aides de Montauban , & Jean le Franc >
Seigneur de Caix & du Thouron , Préfident de la
même Compagnie comme l'avoient été ſes deux
freres ; lequel de fon mariage avec Dame- Marie
de la Cofte , eut Jacques , qui fuit , & Louis , dont
on parlera après, fon frere .
Jacques le Franc , Chevalier , premier Préfident
de la Cour des Aydes de Montauban , Seigneur
de Pompignan en Languedoc , Diocèle de Tou--
loufe , de Lile , de Caix , & du Thouron , en
Quercy , Diocèle de Caors , époufa Dame Marie
de Caulet , fille de Georges de Caulet , Préfident
du Parlement de Toulouſe , & d'Anne de Noël
de S. Simon , & eut de ce mariage :
1º. Jean - Jacques qui fuit. 20. Guillaume le
Franc de Lile , Meftre de Camp de Cavalerie , &
Lieutenant- Colonel au Régiment des Carabiniers.
3. Jean- Georges le Franc , nommé Evêque du
Puy, le 17 Décembre 1742 , facré le 11 Août de
l'année fuivante , Abbé de S. Chaffre. 4 ° . Louis le
FEVRIER 1761. 211-
Franc de S. Clair , Capitaine au Regiment d'Infanterie
de Mgr. le Dauphin. so . Jean- Baptifte le
Franc de Caix , Capitaine au Régiment d'Infanterie
de Lemps , ci- devant Brillac. 6 ° . Jeanne - Jofephe
mariée avec Meffire d'Afferat , Confeiller
au Parlement de Toulouſe. 79. Marie - Therefe
mariée avec Meffire Antoine de Ramondy , Con-.
feiller à la Cour des Aydes de Montauban.
Louis le Franc , Prêtre Docteur en Théologie
, de la Faculté de Paris , Président de la Cour
des Aides de Montauban , obtint à la mort de fon
frere la place de premier Préfident de cette Compagnie
, & eut pour fucceffeur fon neveu .
Jean-Jacques Le Franc , Chevalier , Marquis
de Pompignan Seigneur de Caix & du Thouron né
le 10 Août 1709 , & qui s'eft démis de cette place
après l'avoir remplie pendant onze ans. Le Roi lui
en a confervé le titre & les honneurs , & il eſt en
même temps Confeiller d'honneur au Parlement
de Toulouſe. Il époufa , le 19 Novembre 1787 ,
dans l'Eglife Paroiffialle de Pompignan , Dame
Marie-Antoinette de Caulincour , fiile de Louis Armand
, Marquis dé Caulincour & de Gabrielle- Pélagie
de Bouelles . Il a eu de ce mariage un fils né
le 11 Juillet 1758 , baptifé le même jour dans l'Eglife
de S. Sulpice, & mort le lendemain de fa naif-
Lance , & Jean-George- Louis -Marie , qui a don
né lieu au préfent article .
La famille de le Franc , diftinguée, comme on
le voit , par cette longue poffeffion de Charges
confidérables , eft d'ailleurs d'une Nobleffe ancienne
& militaire. Voici ce qu'en difoit, il y a déja
près d'un fiècle, un Généalogifte connu
Ecrits font dans toutes les Bibliothèques .
dont les
» Franc en Quercy , au Cavalier armé , d'ar-
» gent , tenant en main une épée nue . Simon le
Franc , Chambellan du Roi Charles VIII , Ca-
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
» pitaine de cent hommes d'armes ; François du
» Franc dont le Maréchal de Montluc parle avec
> tant d'éloge ; Meffires Geraud & Guillaume le
>> Franc , l'un Préfident & l'autre Avocat- Général
» en la Cour des Aides de Montauban , font for-
>> tis de cette famille. » Science héroïque de Wulfon
de la Colombiere . Paris , Cramoifi , Edition de
1669. Page 412.
On vient de voir que Geraud le Franc eft le
Trifayeul de Jean- George- Louis - Marie , né le 8 .
Décembre 1760.
M. de Pompignan appartient de fon Chef à des
Maifons illuftres. Son époufe eft , par ſa Grand-
Mère , arrière Petite-fille de Maximilien de Rolny,
Duc de Sully , Pair de France , Grand Maître de
l'Artillerie , & Sur - Intendant des Finances. La
Maifon de Caulincour , une des plus anciennes de
la Province de Picardie , & depuis long - temps alliée
aux Maiſons de Sully , de Mailly , de Crequi
, d'Ailly , &c. eft divifée en deux branches ,
dont la premiere confifte en deux frères & trois
fours ; fçavoir , Armand , Marquis de Caulincour,
Brigadier des Armées du Roi ; N
de Caulincour , Meftre de Cavalerie , Exempt des
Gardes - du - Corps ; la Marquiſe de Brantes ; la
Comteffe d'Aumale , & la Marquise de Pompignan
. La feconde branche eſt établie en Normandie.
DECLARATION de la Famille de Budé , au fujet
d'un avis que le fieur Broé , Marchand en Pharmacie
, à Genève , a fait inférer dans le Mercure
d'Octobre 1760 , premier Volume.
Le feur Broé , Marchand en Pharmacie , à Genève,
a abuſé le Public lorſqu'il a fait mettre dans
le Mercure de France qu'il poffédoit depuis peu
FEVRIER. 1761. 223
le fecret de la teinture de corail , qui eſt dans la
Maiſon de Budé , & qu'on en trouvera chez lui
pour deux écus de Genève l'once . La Maiſon de
Budé , dont te fieur Broé ofe s'attribuer le fecret
& à la place de laquelle l'Imprimeur du Mercure
a mis par mégarde la Maifon de Bade , fe croit
obligé d'avertir ici que ledit Marchand en Pharmacie
n'eſt connu d'aucun de la Famille , & qu'il
prend mal-à-propos fon nom pour s'autorifer à
tromper le Public , & à lui vendre un reméde fautif
à un prix exceffif. Cette entrepriſe eſt d'autant
plus déplacée, que la Famille de Budé s'est toujours
fait un plaifir de donner de ladite teinture de corail
à toutes les perfonnes qui ont été dans le cas
de s'en fervir , & qui ont jugé à propos de lui en
demander.
AVERTISSEMENT de la part de M. DE
,
VOLTAIRE.
Ayant vu dans plufieurs Journaux l'Ode & les
Lettres de M. le Brun , Secrétaire de S. A. S. Mgr
le Prince de Conti , avec mes réponſes, annoncées
fous le titre de Genêve ; je fuis obligé d'avertir que
Duchefne les a imprimées à Paris;que je ne publie
point mes lettres , encore moins celles des autres
& qu'aucun des petits ouvrages qu'on débite à
Paris fous le nom de Genêve , n'eſt connu dans
cette ville.
C'eſt d'ailleurs outrager la France , que de faire
accroire qu'on a été obligé d'imprimer en pays
étranger l'Ode de M. le Brun , laquelle fait honneur
à la patrie ,par les fentimens admirables dont
elle eft pleine , & par le fujet qu'elle traite. Les
lettres dont M. le Brun m'a honoré , font encore
un monument très- précieux ; c'eſt lui , & M. Titon
du Tillet , fi connu par fon zèle patriotique , qui
224 MERCURE DE FRANCE .
.
feuls ont pris foin dans Paris de l'héritiere du nom
du grand Corneille , & qui m'ont procuré l'honneur
inestimable , d'avoir chez moi la defcendante
du premier Français qui ait fait refpecter notre
patrie des Etrangers dans le premier des Arts,
C'est donc à Paris & non à Geneve , ni ailleurs ,
qu'on a du imprimer , & qu'on a imprimé en
effet ce qui regarde ce grand homme . Les petits
billets que j'ai pu écrire fur cette affaire , ne contiennent
que des détails obfcurs , qui affurément
ne méritent pas de voir le jour.
ni
Je dois avertir encore , que je ne demeure ,
n'ai jamais demeuré à Genêve , où plufieurs perfonnes
mal informées m'écrivent ; que fi j'ai une
maiſon de campagne dans le territoire de cette
ville > ce n'eft que pour être à portée des ſecours
dans une vieilleffe infirme ; que je vis dans des
Terres en France , honoré des bienfaits du Roi &
des priviléges finguliers qu'il a daigné accorder
à ces terres ; qu'en y méprifant du plus fouverain
mépris les infolens calomniateurs de la littérature,
& de la Philofophie , je n'y fuis occupé que de mon
zèle & de ma reconnoiffance pour mon Roi,de ce
qui intéreffe mes amis , & des foins de l'agricul
ture.
Je dois ajouter,qu'il m'eft revenu que plufieurs
perfonnes fe plaignaient de ne recevoir point de
réponſes de moi , j'avertis que je ne reçois aucune
lettre cachetée de cachets inconnus , & qu'elles
reftent toutes à la poſte. Fait au Château de Ferpay
, pays de Gex , Province de Bourgogne , le
12 Janvier 1761. Signé , VOLTAIRE,
FEVRIER. 1761. 225
,
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , du 23 Août 1760,
qui maintient le Sr Fels , premier Médecin & Bourgmestre
de la ville de Scheleftat en Alface , dans la poffeffion de
compofer & d'adminiftrer par lui - même ou par fes Prépo
fés fon SPECIFIQUE ou REMEDE ANTI - VENERIEN tant
à Paris que dans les Provinces , & fait défenſes à tous autres
d'adminiftrer , fous quelque prétexte ou dénomination
que ce puiffe être , ledit Reméde à aucun Malade , à peine
de trois mille livres d'amende. Ce Reméde eft un apozème
où il n'entre aucun mêlange de Mercure , & qui
guérit radicalement en vingt - quatre jours , fans douleur ,
fanseffort , & fans autres fymptômes que ceux d'un réta
tabliffement graduel & fenfible , les maladies vénériennes
les plus invétérées . Il eft auffi fûr & auffi efficace que l'étoit
parmi les Egyptiens le Spécifique avec lequel ils parvinrent
à guérir les Lépreux . Ses effets ont été conftatés
par des cures merveilleufes auxquelles M. le premier Médecin
du Roi & les autres Chefs de l'art ont reçu ordre de
préfider , & qui ont excité leur admiration. On verra par
la Lettre fuivante , dans laquelle M. Pineau de Lucée ,
Intendant en Alface , notifie les ordres du Roi à M. Fels ,
( que fes affaires domeftiques avoient rappellé dans fa patrie
) combien le Ministère toujours attentif à l'utilité publique
, a fenti l'importance de fa découverte , combien il
a jugé fon retour neceffaire en cette capitale . ,, A Straf
bourg, le 16 Octobre 1760. Suivant ce que me mande
,, M. le Maréchal de Belle - ifle , Monfieur , les fuccès qu'a
,, eu votre Reméde contre les maladies vénériénnes, font
defirer que vous foyez inceffamment à portée de conti-
,, nuer les opérations que vous avez déjà commencées ; &
,, l'intention du Roi eft que vous retourniez au plutôt à Paris
. Je vous en préviens , afin que vous puiffiez fatisfaire
promptement aux ordres de S M. Vous ne devez d'ailleurs
,, avoir aucune inquiétude , que ce qui vous doit revenirle
gitimement de votre place de Bourgmestre ne vous ſoit
,, confervé , d'après les ordres que j'ai donnés au Magif-
,, trat de Scbeleftat dans le commencement de votre premiere
abfence . S'il en étoit autrement , fur l'avis que
vous m'en donnerez , j'y pourvoirai . Je fuis &c. Lucé.
En exécution de ces ordres , M. Fels s'eft rendu à Paris ,
pour y continuer l'ufage & Fapplication de fon Spécifi
que. Il demeure rue Quincampoix , dans la maifon de M.
""
"
""
Arnault.
226 MERCURE DE FRANCE.
SUPPLEMENT aux Annonces de Livres.
Le Recueil des Contes que l'on a lûs , avec plai
fir , dans les Mercures de M. Marmontel , va paroltre
inceffamment , augmenté de plufieurs Contes
nouveaux ; & dont l'édition eft faite avec foin.
Les perfonnes de Province , qui fouhaiteront les
avoir , pourront s'adreffer à M. Lutton , Commis
au recouvrement du Mercure.
APPROBATION.
ȚAT lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier , ΑΙ
le Mercure de Février 1761 , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Pa
ris , ce 31 janvier 1761.GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
EPÎTRE à uu Ami , fur le voyage de Hollande .
Page f
IMPROMPTU de Madame M. N. à quelquesuns
de fes Amans .
MADRIGAL , à Mlle *** en lui envoyant le
Livre intitulé , Mes Loifus.
VERS à M. l'Abbé l'Evêque , au fujet de ſa
Lettre fur les rimes croifées &c .
SUITE de la Tragédie de Tancréde & Sigifmonde.
VERS préſentés le 28 Octobre dernier , à
Mgr le Prince de Montauban .
LE ROSSIGNOL , Fable.
EPIGRAMME .
14
Is
ibid.
17
St
52
FEVRIER. 1761. 227
IMPROMPTU de Mlle....
L'HOMM le Chien , le Chat , & la Pie , Fa-
"
ble nouvelle , par M. de Miny , fils.
RONDEAU , à Madame L. N. D. S.
A la même .
ibid.
53
54
TRADUCTION libre de deux Vers de Juvénal . 66
A M. TITON DU TILLET , pour le remercier
du don de la quatriéme Edition de
fon Parnaffe François.
REPONSE à la Lettre de M. Moniſeau ,
Avocat au Parlement & c.
REPONSE aux confeils d'un Ami.
COMPLIMENT à deux Demoiſelles foeurs, au
jour de l'an 1761 .
ibid.
57
67
73
ibid.
74 & 78
77
VERS pour mettre au bas du Portrait de
Madame D *****
ENIGMES.
LOGOGRYPHES .
COUPLETS,nouvellement remis en Mufique. ibid.
ART. II. NOUVELLEES LITTÉRAIRES .
SUITE de l'Hiftoire de la Maiſon de STUART
fur le Trône d'Angleterre. 79
Queſtion de Goût. 91
SUR la découverte des Urnes Cinéraires de
100
100
Côte-côte près Dieppe .
ESSAI fur l'Infanterie Françoiſe .
NOUVELLE & magnifique Edition de Boccace
, en Italien & en François , féparément,
avec figures.
ANNONCES des Livres nouveaux .
106
110 & fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
MEDECINE.
LES avantages de l'Ichthyophagie ſur la
Sarcophagie &c.
124
228 MERCURE DE FRANCE
ACADÉMIE S.
ACADÉMIE des Belles- Lettres de Montauban . 143
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
GEOMETRIE.
LETTRE au K. P. Gerdil , Barnabite &c.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE.
A l'Auteur du Mercure de France.
149
152
4 169
HÔPITAL de M. le Maréchal Duc de Biron. 171
VERS envoyés de Marſeille à M. Keyler.
ARCHITECTURE.
173
COURS d'Architecture élémentaire . ibid.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
175
GRAVURE. 176
ART . V. SPECTACLES.
OPÉRA .
COMÉDIE Françoife .
COMÉDIE Italienne.
OPERA- COMIQUE.
ART. VI . Nouvelles Politiques.
MARIAGE de M. le Prince de Guémené avec
Mlle de Soubize.
Avis divers .
ibid.
179
201
203
ibid.
213
219
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY
rue & vis- à-vis la Comédie Françoiſe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU
MARS. 1761 .
ROI.
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine.
Cachin
Filius inv
Pupic Sculp
Chez
A PARIS ,
CCHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis à -vis la Comédie Françoife.
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
L
4.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure,rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre
, quant à la partie liuéraire , à
M. DE LA PLACE Auteur du
Mercure.
>
Le prix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols pièce .
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir,ou qui prendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30fols par volume .
c'est-à- dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
•
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci- deſſus .
A ij
Onfupplie les perfonnes des provinces
d'envoyerpar la pofte , en payant le droit,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en foit
fait d'avance au Bureau .
Les paquets qui neferont pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pièces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
DE LA PLACE , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE..
MAR S. 1761..
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE , A M. L. L. B.
Par M. Du L.-
PLUS fatisfait qu'un Courtiſan ,
Qui voit fon maître lui fourire ,
Ou qu'un apprentif partifan ,
Þ
Qu'au livre des Elus , Corinne a fait infcrire ;
Cher Abbé , je me préparois
A t'aller rendre mon hommage :
Toute ma joie , hélas! s'eft changée en regrets :
Le zéle le plus pur , ne rend pas toujours fage !
Avantageux comme un Gafcon ;
A iij
MERCURE DE FRANCE
Que rien n'étonne & ne rebute ,
Sur le courfier de l'Hélicon ,
Je grimpe ; & fans prévoir ma chûre
Je crois déjà voir fourire Apollon.
Mais en partant, au premier bond ,
L'indocile animal , m'ébranle & me culbutë.
Si de s'élever jufqu'à toi ,
L'entrepriſe eft fi difficile ;
Deſcends toi- même juſqu'à moi ;
Pégafe alors te devient inutile.
En t'arrachant au double mont
Par les plus riantes images,
Comme Chapelle & Bachaumont ,
Viens nous décrire tes voyages.
Ton pinceau nous peindra d'abord
Cet heureux pays où l'on dort ,
Qui renferme tant de merveilles ,
Tant de rares antiquités ,
Où nos Luliftes font traités
D'Amphions à longues oreilles....
Ont-ils raiſon , ou tort ?... je ne décide pas.
De chez l'Italien , ce peuple politique ,
Cher Abbé , tu nous conduiras
Chez le Germain plus phlégmatique :
Sans fard , fans fiel , tu nous diras
Si fa bonté , fi fa franchiſe
Ne valent pas , quoiqu'on en dife
La politeffe qu'un François
Le plus fouvent pouffe à l'excès,
MAR S. 1761 .
Tu nous peindras le caractère ,
La façon de dire & de faire
Des différentes Nations.
Tu nous apprendras fi la nôtre
Eft , fans nulles exceptions ,
Si fupérieure à toute autre.
Si l'Etranger croit comme nous ,
Qu'on ne peut être heureux qu'autant qu'on a
nos goûts.
S'il eft frappé de l'impoſant mérite
De ce même François , galoppant aujourd'hui
Dans un cabriolet , auflì léger que lui ;
Qui fçâchant tout , fans rien apprendre ,
Apprenant tout , fans rien ſçavoir ,
Gagneroit à fe faire entendre
Tout autant qu'à le faire voir ;
D'une caillette enfin , ayant tout le manége ;
A médire , à jouer , paffant les jours entiers ;
Qui feroit croire , volontiers ,
Que le Couvent fut fon Collége.
Mais que dit l'Etranger , de l'air présomptueux
De nos fiers héros de ruelle ?
Elt-il perfuadé comme eux ,
Qu'auprès de la beauté , même la plus cruelle ,
On eft toujours fûr du fuccès ,
Dès qu'on offre à fès yeux les grâces d'un François ?
Que penfe- t-il dé cet éffain frivole
De fubalternes Ecrivains ,
Dont la fertile plume aujourd'hui nous défole ,
A iv
8. MERCURE DE FRANCE
Tout auffi fots que plats , moins plats encor qué
vains?
S'ils fçavoient , comme toi , nous plaire & nous
inftruire,
On leur pardonneroit d'écrire....
Mais je m'apperçois , cher Abbé ,
Que moi- même je fuis tombé
Dans le défaut que je cenfure ,
En t'ennuyant d'une lecture
Que t'impofera l'amitié ,
Et trop longue au moins de moitié.
Dans le portrait du Petit- Maître ,
Fait d'après tant d'originaux ,
Des étrangers pourtant pourroient fe reconnoître
:
Ils ont , ainfi que nous , leurs vertus, leurs défauts.
Sans doute, ainfi que la fageffe ,
La folie eft de tout pays :
Il eft des Sots de toute efpéce ,
Peut être ailleurs plus qu'à Paris.
J'ai parcouru notre hémisphère ,
Bien des Peuples me font connus ;
Et parmi tous ceux que j'ai vus ,
Il n'en eft point que je préfère
A ce peuple charmant , qui malgré fa bonté ,
Eft partout haï , déteſté ;
A qui les autres font un crime
Qu'ils ne fauroient lui pardonner
De leur arracher une eſtime ,
MAR S. 1761 .
Qu'ils rougiroient de lui donner.
Oui , ce peuple fait pour la guèrre ,
Dont les foldats font des Céfars ,
Le premier peuple de la tèrre
Pour les Sciences & les Arts ,~
A qui Louis ouvre fon temple ,
Où chacun admire & contemple
Ces célebres imitateurs -
Des Titiens , & des Appelles ,
Des Phidias , des Praxitelles ,
Dont les fuccès font fi flatteurs
Pour Marigny qui les dirige:
Ce peuple heureux , ce peuple, dis-je ,
Qui vit fous les plus douces loix ;
Et qui pour le meilleur des Rois ,
Donneroit lesbiens & fa vie :
Ce peuple fi digne d'envie ,
Ce peuple fi chérides Dieux ,
De qui la tèrre fut choifie
Pour produire leur ambroisie ,
Et leur nectar délicieux :
4
Oui , ce peuple qui gagne à fe faire connoître
( J'en excepte le Petit- Maître ) ´´
Ce peuple enfin fouvent un peu falot ,
3
Mais plus aimable encor , un François, en un mot,
J'en reviens à mon dire un François eft un home -
me.
Aux Françoifes , furtout , je donnerois la pommes-
Je le penfe , & le dis fans partialité :
A v
10 MERCURE DE FRANCE,
Non , il n'eft rien de comparable
A la Parifienne aimable !
Ses graces , qui pourroient tenir lieu de beauté ,
En relévent le prix lorſqu'elle en eft douée ;
Elle a tout les talens ; elle eft vive , enjouće:
Mais lorsqu'à tant d'attraits , fe joint beaucoup d'ef
prit ,
Que fon air eft divin , que fa taille eft à peindre ;
Que l'on croit voir Hébé , quand fa bouche fourit;
Que fon coeur généreux ignore l'art de feindre :
Que pour tout dire enfin , telle que P .....
En elle il n'eft rien qui ne plaiſe :
Oai !je foutiens qu'une Françoife
Et le chef-d'oeuvre de l'Amour.
Pour cet aimable Dieu mon encens brûle encore ,
Et c'eft l'unique hommage, hélas , que je lui rends !
C'eſt vainement que je l'implore ;
Il ne bat que d'une aîle , après les cinquante ans ;
Et je les ai , par parenthèſe.'
Ainfi je prends congé de ce féxe charmant ,
Auffi bien que de toi , dont , vraisemblablement ,
Cher Abbé , te voilà très-aife !
MARS 1761
LETTRE de M. D. à Madame de B **.
MADAME ,
Vous me demandez ce que c'eft que
P'Amour. S'il m'étoit permis d'employer
les expreffions d'un Poëte charmant, dont
ce titre n'eft aujourd'hui que le moindre
mérite ; je vous dirois :
Il eſt fait comme vous , il penfe comme moi.
Ce feroit auffi la réponse de tous ceux
qui vous connoiffent ; croyez cependant ,
Madame , que réunis fur un feul article les
fentimens feroient , d'ailleurs , tout - à- fait
divers. L'Amour eft une de ces phyfionomies
que rien ne fçauroit fixer , & qu'il eft
impoffible de peindre, c'eſt un Prothée qui
nous échappe toujours. L'indifférence n'en
fçauroit parler dignement ; l'homme galant
donne ce nom aux attentions délicates,
aux préférences flatteufes qu'il marque
pour tout ce qui eft beau , tandis qu'il accorde
des politeffes générales à tout ce qui
eft femme. Le voluptueux appelle Amour
cette yvreffe de fentiment où l'ame tranf
portée de fon bonheur , en jouit fans le
goûter, où fuccombant fous l'excès du plai-
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
fir , elle n'a pas la force de penfer , & ne
conferve que des fenfations : c'eft ainſi
qu'il confond l'amour avec ce qui en eft
l'effet & le prix. L'homme tendre pourroit
feul vous en donner une idée , mais elle
feroit reftrainte à fa façon particuliere de
penfer,à fon caractère. Quand on eft véritablement
touché, comme on ne voit que
fa maîtreffe , on ne connoît que fon amour.
Je ne dis rien des Libertins ni des Petits-
Maîtres , parce que je n'ai pas deffein de
rendre notre espéce ridicule ou méprifable
à vos yeux. Pour ce qui regarde les
femmes, je n'aurois qu'un fouhait à faire ,
ce feroit de pouvoir juger d'après vous ce
que l'on en doit penfer. Mais puifque c'eft
mon fentiment que vous demandez , vous
ne voulez pas fans doute me communiquer
le vôtre. Ce procédé n'a- t- il rien de
trop injufte ? n'importe, il faut vous obéir;
& c'eft déjà un des caractères de l'amour.
Pour tout le reſte auffi varié dans les effets
que dans fa caufe, c'eft prèfqu'un être different
dans chaque circonftance particuliè
re : je l'ai vû naître d'une fympathie réciproque
, d'une contrariété piquante, quelquefois
de la haine , prèſque jamais de
l'indifférence ; tantôt le peu de mérite de
l'objet le doit faire appeller caprice , tantôt
fils de l'eftime & du goût, c'eft un mé
MARS. 1761 .
13
rite de plus. Séduifant , dangereux , fous
quelque forme qu'il prenne , il emploie
avec autant de fuccès les traits du dédain ,
que les égards & la complaifance.Produit
fouvent par la coquetterie , il la corrige.
Souvent prèfque toujours enfant des
Grâces & de la Beauté , on l'a vû cependant
fourire à des traits peu faits pour
plaire, & badiner avec la laideur ; fa chaîne
alors n'en eft que plus durable. On
diroit que l'enchantement qui préfida à ſa
naiffance doit décider de fa durée. Il
frappe avec rapidité ; ou plus tranquille
& plus doux fous l'appas du plaifir , il
coule , il s'infinue dans notre âme , qui
s'ouvre & s'épanouit pour ainfi dire à fon
approche. C'est l'éclair qui nous éblouit ,
& nous brûle au même inſtant ; ou bien
ce vent délicieux qu'on voit à la naiffance
du printemps fondre infenfiblement les
glaces que l'hyver avoit raffemblées. Jamais
femblable à lui- même , il opére diverfement
encore fur les caractères qu'il
foumet. Il a changé l'indolence de Clerval
dans la plus aimable vivacité . L'auftère
Philofophie de Sainville, polie par fes foins,
fait dire aujourd'hui que Minerve n'eft aimable
qu'avec la ceinture, de Vénus . Le
caractère impétueux de Dorante , eft devenu
le modéle de la complaifance. Damis
14 MERCURE DE FRANCE.
1
ne médit plus , il ne prête plus à cè ſexe
enchanteur des défauts qu'il n'eut jamais :
Lucinde l'a réconcilié avec lui au point
de lui faire adorer des imperfections réelles.
Remarquez , s'il vous plaît , Madame,
que dans ces différens changemens , ceux
qui les ont éprouvés n'y ont prèfque jamais
perdu. Je ne connois qu'un caractè
re où l'amour opére dangereufement,c'eft
cette triftefle ténébreufe que l'on trouve
quelquefois réunie avec une vivacité de
fentiment dont on ne la croiroit jamais
fufceptible. Une âme de cette trempe, eft
la victime de la jaloufie. J'appelle ainfi
cette fureur , cette agitation frénétique
qui n'imagine que des monftres , qui ne
voit tous les objets qu'à la lueur d'un pâle
& fombre flambeau qui les lui déguiſe ,
& non pas cette délicateffe permiſe qui
n'emploie que les foupirs & jamais les reproches,
qui ne fait éclater quelques tranfports
, que pour déployer après toutes les
reffources de l'amour dans les tendres
éclairciffemens qu'elle améne. C'eft ainfi
qu'un nuage doré ne s'oppofe aux rayons
du jour , que pour le faire reparoître après
avec plus d'éclat. Les plaifirs que l'amour
nous procure , portent encore la même
empreinte de variété. Une douce mélancolie
affecte-t-elle notre âme plus déliMARS.
1761 15
cieuſement que cette joie vive & pure
qui coule dans nos fens à la vue d'un ob
jet adoré ? Cet amant que je vois languir
aux pieds de fa maîtreſſe trouve - t-il moins
de plaifir à répandre des larmes , que cet
autre au milieu des tranfports les plus
animés ? L'amour ne fait- il pas pour deux
coeurs qu'il unit tout le charme de cette
folitude , où féparés du refte du monde ,
ils en enviſagent de loin les plaifirs fans
en être jaloux , & tout l'attrait de ces
fêtes bruyantes dont le tumulte ne les.
empêche pas de fe trouver feuls & de s'aimer
fans diftraction . Si le féjour des villes
donne à Clerval les moyens de prouver
fon amour à Lucile par les amuſemens
qu'il lui procure , celui de la campagne
laiffe à Tircis le loifir d'expliquer le fien
à Thémire par les fentimens . Les malheurs
qui détruiſent l'amour achévent de lui affurer
ce caractère indéfiniffable. Je pourrois
le prouver par mille exemples ; mais,
Madame , êtes- vous faite pour entendre
parler d'inconftance : Si je n'ai pu vous.
peindre l'amour en un feul mot , j'ai tâché
du moins de le décrire par fes différens
effets . Defirez - vous maintenant que
je décide lequel de ces différens caractè
res mérite la préférence : je ferai dans
l'impoffibilité de le dire. Mais fi vous
16 MERCURE DE FRANCE.
demandiez quel eft le plus tendre & le
plus fincére , je crois que je pourrois vous
en offrir un modéle. J'ai l'honneur d'être
&c. D. B: C. R. D. L. M.
LE CONCILIATEUR,
EPITRE AUX GENS DE LETTRES.
7
Ο νους , Ovous , avec qui je partage ,
( Dirai- je l'heureux avantage
"
D'être au nombre des courtiſans
Du Dieu des Vers , qui , dans cet âge ,` ·
Perd , chaque jour , des partifans ! ... ).
Au nom de la fage Minerve ,
Au nom des filles d'Apollon ,
Voulez-vous , au docte Vallon ,
Que le feu facré le conſerve ?
N'aiguilez plus , dans votre verve ,`
Contre vous-mêmes vos bons mots ;
Et n'abandonnez pas la gloire
De vivre au Temple de Mémoire , ‹
Pour être la fable des Sots.
Ce Peuple nombreux , qui confpire
Contre votre paix & vos vers ,
Attend , de vos propres travers
La ruine de votre em pire.
Victimes de les traits moqueurs ,
MARS. 1761 .
N'éteindrez-vous pas une guèrre ,
Qui dégrade aux yeux de la tèrre,
Et les vaincus & les vainqueurs ?
Aux regards de la multitude,
Si , d'une heureuſe folitude ,
L'obscurité vous déroboit ;
Si moins connus , & moins célébres ;
Dans les abîmes des ténébres ,
Votre ſcandale s'abſorboit ; . ..
Je vous dirois : ( quoique le Sage
Doive l'être à fes propres yeux ,:,)
Pour vous feuls détournez l'uſage
Des plus rares bienfaits des Dieux !
Je vous dirois : fous intrépides ,
Cédez au cours des flots rapides
De ce torrent impétueux ;
De vos noms , de peu de durée ,
La honte , bientôt ignorée ,
Eft fure de mourir comme eux!
Mais , de l'agile Renominée ,
Les cent bouches s'ouvrent pour vous §
Et de cette noble fumée ,
Vous-mêmes vous êtes jaloux :
Mais de l'Europe toute entiére ,
Sans celle votre Mufe altiére ,
Recherche l'amour & l'encens;"
Et , par un bizarre mêlange ,
18 MERCURE DE FRANCE,
Vous follicitez la louange ,
Par mille tranſportes indécens ...
Et les fils d'Apollon ignorent ,
Que les moindres cris déshonorent
Les plus agréables accens ! ...
Quand d'un Art, que l'on idolâtre ,
Delirant les accroiffemens ,
En la faveur , en plein Théâtre ,
On brave les événemens :
Quand , pour lui , de tonte la tèrre ,
On veut les applaudiſſemens ,
Doit on , de l'ignorant Pattèrre ,
Encourager les fifflemens ?
Quand on eft fait par fa naiſſance ,.
Par fes talens , par fes emplois ,
Pour être par goût & par choix ,
Er même par reconnoiffance ,
Admis dans les palaisdes Rois ;
Doit-on fe donner en spectacle ,
Comme on voit au fein de Paris ,
Dans un marché , vil réceptacle
Du bas peuple , qui , fans obſtacle ,
Se livreaux larmes , comme aux ris ,
Deux femmes combattant enfemble ,.
Sans pudeur , commefans égard ,
De la foule qui fe raffemblé
Fixer l'imbécille regard ?
MAR S. 17612 19
D'une fcandaleufe querelle ,
Si les effets pernicieux
S'enfeveliffòient avec elle
Dans un filence officieux ;
Si , par un deftin favorable ,
Votre courroux trop mémorable ,
Entre vous feuls pouvoit mourir ;
Letrouverois-je redoutable ,
Pour un empire délectable ,
Et que je vois prêt à périr ? ....
Pour un objet fi reſpectable ,
Sivous me voyez accourir
Ne croyez pas quej'imagine
Etre né pour le fecourir .
Développez mieux l'origine
Du motifqui me fait agir:
Sitôt qu'une émeute publique
Met en danger la République ,
Tout le monde a droit d'y courir.
2
Eh ! que nous auroit dit l'hiſtoire
De ces fameux Républicains ,
Décorés du nom de Romains ,
Si perdant l'immortelle gloire
De fubjuguer tous les humains ,
Ils euffent borné leur victoire
A s'entregorger de leurs mains ?
Si dans une guèrre imprévue
Chacun pour foi , perdant de vue
20 MERCURE DE FRANCE
L'intérêt du commun bonheur ,
Le fuccès de quelques cabales ,
De cent actions générales
Leur eût enlevé tout l'honneur ? ...
Mais , leurs âmes fortes & grandes ,
Dédaignant de fauffes couleurs ,
Sçavoient préférer , dans les fleurs ,
Une couronne à des guirlandes
Qu'arrofent fouvent trop de pleurs,
De cette couronne flétrie
Dépendoient pour eux les lauriers
Plus d'intérêts particuliers ,
Quand l'intérêt de la Patrie
Réuniffoit tous les guerriers.
Vous qui de l'état littéraire ,
Tenez les rênes dans vos mains !
Donnez aux vulgaires humains
L'exemple d'un Dieu tutélaire ,
Qui plein de l'objet qui l'éclaire ,
Sans renoncer à l'art de plaire ,
Sçait prendre les tons fouverains.
Mais grâce à la folle manie
D'un intérêt mal entendu 3™
L'ignorance , fur le génie ,
Prend l'empire qu'il a perdu."
Par vos mutuels anathêmes ,
Aux Sots vous épargnez des frais ;
Y
MA RS.17611
* Et vous croyez de vos fyftêmes
Leur faire goûter les attraits ? . . .
Fatale erreur ! ... contre vous-mêmes
Ils tourneront vos propres traits.
Mais laillant de vagues portraits ,
Sous l'ingénieufe enveloppe
Dont fe fervoit fi bien Efope ,
Souffrez que la fincérité
1
&
Chez nous fans peine s'infinue ;
Et de la vérité trop nue
Corrige la févérité.
ON prétend que prenant les armes
Pour regner fur le peuple aîlé ,
Dans un célébre démêlé ,
Plufieurs oifeaux. vantoient leurs charmes
Chacuncroyoit , par les bémols ,
Primer de beaucoup fur les autres
On connoît ceux des roffignols :
Mais , on écoute auffi les nôtres ,
Difoient , Serins , Chardonnerets >
Et d'autres Lullys des forêts.
En étouffant leur jalousie ,
Avec un peu de courtoisie ,
Tout cela pouvoit s'arranger :
Mais , dans la moindre bagatelle
La vanité raifonne- t-elle?
Il falloit bien mieux s'égorger.
Dans cette funefte avanture ,
22 MERCURE DE FRANCE
La Colombe , que la Nature
Fit fymbole de la douceur ,
Dit à la Fauvette; ah , ma foeur !
Dans quelle affreufe conjoncture ,
Se trouvent les pauvres oiſeaux ?
Pour les battre à plate couture,
Mieux vaudroient filets & réfeaux.
Eh ! tant mieux , tant mieux , répondirent ;
Tout d'une voix , Oifons , Dindons ;
Et d'autres Sots qui s'y joignirent :
Que tous ces Meffieurs le déchirent ,
Voilà ce que nous demandons .
La guèrre que tu crois fatale ,
Ne fçauroit l'être que pour eux ;
Vraiment , nous fommes trop heureux
Que chaque oifeau qui nous étale
Un mérite trop dangereux,
Ofe en tout ceci compromettre
Ce qui le fait régner fur nous :
Dans peu , j'ofe vous le promettre ,
Nous les verrons à nos genoux.
Laiffons-les donc , laiffons- les faire ;
Plus entre eux ils fe décriront ,
Et plus ils nous obligeront ,
Puifqu'en fongeant à leur affaire ,
l'autre ils fe détruiront. L'un
par
Je ne crois pas trop aux oracles ;
MARS 1781 . 23
&
Mais , s'il faut ne rien déguiſer,
Ma fable , fans de grands miracles
Pourroit bien fe réaliſer.
Eloignez de nous cet orage ,
O vous , dont le noble courage
Eft fait pour nous tranquilifer
D'une fauffe Philofophie ,
Que votre raifon fe défie.
Hélas ! à de fâcheux hazards ,
Imprudemment , elle confie
Le culte du Dieu des Beaux Arts
Loin de nous , loin de votre tête
Chaffez , conjurez la tempêre
Dont le Parnaffe eft menacé.
Ah ! fi j'en crois plus d'un préfage ;
Sur tous les maux que j'enviſage,
Mon éfftoi n'eft pas déplacé.
Eh ! de quoi ne font pas capables
Les talens devenus coupables ?...
Appaifons le Ciel courroucé :
L'hipocrène est déjà glacé.
Déjà le mauvais goût nous brave
Déjà le bon fe rend l'esclave
D'un ton froidement cadencé.
L'ennemi le plus redoutable ,
Eft celui que vous négligez.
Voilà , voilà le véritable
MERCURE DE FRANCE.
Par qui vous êtes outragés ;
Voilà celui qu'il faut abattre.
Uniffez-vous pour le combattre ,
Et vous ferez bientôt vangés.
Contre les fléches de l'Envie ,
Autre fléau de votre vie ,
Soyez déformais de moitié.
Quand elle attaque votre gloire ,
Vous ne trouverez la victoire ,
Que dans les bras de l'Amitié.
Qu'une fierté bien raiſonnée ,
Succéde à la verve éffrénée
D'une frivole vanité.
Méditons fur les vrais ufages
Des Arts que , pour nous rendre fages,
Nous donna la Divinité ;
Et pour feconder la promeffe ;
Sur une agréable unité ,
Fondons la gloire du Permeſſe ,
Et le bien de l'Humanité.
Par M. P..
Differtation
MARS. 1761. 25
DISSERTATION fur le Goût.
Left furprenant que l'homme , qui eft
compofé d'un efprit & d'un corps , apporte
en naiffant un goût prèfque formé
pour les objets fenfibles , & qu'il foit
longtemps fans s'appercevoir & fans faire
ufage de celui qu'il a reçu pour les chofes
de l'efprit. Cependant nous naiffons avec
le goût . L'art ne donne pas plus l'un que
l'autre , avec cette différence que quelque
ufage fuffit pour perfectionner le goût
fenfible ; au lieu que le goût de l'efprit demande
un uſage beaucoup plus long &
d'une étude affez confidérable.
Une perfonne fçavante , bien au -deffus
de fon fexe , définit le goût , une harmonie
, un accord de l'efprit & de la raiſon.
Un autre Auteur l'appelle un fentiment
naturel qui tient à l'âme , & qui eſt indépendant
de toutes les fciences qu'on peut
acquérir. Ne pourroit- on pas dire que le
goût n'eft autre chofe qu'un certain rapport
entre l'efprit & les objets qu'on lui
préfente ?
Il fe forme de l'affemblage des plus
belles qualités de l'efprit & du coeur : il
demande une prompte pénétration , qui
B
26 MERCURE DE FRANCE.
fcache faifir fans rêver , le défaut ou la
beauté d'une penſée . Il faut dans le coeur
un fentiment délicat fur lequel nous puiffions
juger, fans délibérer fur l'impreffion
qu'a fait fur nous l'objet qu'on nous préfente.
Cela ne fuffit pas encore. Il faut
dans le cerveau un heureux arrangement
des organes , pour faciliter les traces que
les objets doivent faire fur notre imagination
. Toutes ces qualités ne fe trouvent
pas aifément réunies dans le même ſujet.
Auffi l'homme de goût n'eft pas une choſe
fort commune.
On pourroit même par-là, rendre raifon
de la diverfité des goûts . Dans les uns, la délicateffe
du fentiment l'emporte fur la pénétration
de l'efprit: ceux- là naturellement
doivent préférer l'agréable , le délicat , au
grand & au fublime. Les autres dont les
coeurs ne font pas fi fenfibles , ont une jufteffe
de jugement qui les empêche de donner
leur approbation à tout ce qui fera
trop tefferré ou trop étendu. Ils aiment les
penfées qui ont de la fymétrie. Quelquesuns,
dont les fibres du cerveau feront heureuſement
arrangées , font flattés par le
tour harmonieux des phrafes , le nombre
& la cadence des vers ; il faut à ceux - là
des beautés, pour ainfi dire , mécaniques.
Voilà la fource de la diverfité des jugemens
T 2
MAR S. 1761.
que
Fon porte fur le mérite des ouvragesd'efprit
; chacun les apprécie felon fon
goût , c'eft- à- dire , felon la partie de l'art
dont il a le plus de connoiffances , & pour
lequel il a reçu un talent plus particulier .
A voir des jugemens f oppofés fur les
mêmes chofes , on eft tenté quelquefois
de croire que les arts n'ont que des beautés
arbitraires : gardons nous cependant d'en
porter un jugement fi faux . Il y a dans des
ouvrages d'efprit des défauts véritables &
des perfections réelles .
Quoique le goût,qui nous fait difcerner
ces beautés & ces défauts , naille avec
nous , & qu'il ne foit point le fruit de
notre travail , cependant nous le recevons
très- imparfait des mains de la nature , toujours
avare même dans fes libéralités :
elle laiffe à notre induſtrie le foin de faire
valoir les talens dont elle nous favorife.
La reconnoiffance qu'elle exige de nous ,
eft de rendre fes bienfaits plus eftimables
par nos travaux & par nos veilles.
L'homme donc , qui veut avoir un goût
exquis & affuré , ne fe contente pas des
heureufes difpofitions qu'il qu'il aura reçues ; &
il ne fe fie pas entiérement aux belles qua
lités de fon naturel . Il a foin de polir , de
former fon génie , par l'ufage , par la lecture
, & même par les réflexions . Ce n'eft
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
que par un fréquent exercice que notre efprit
apprend l'art de former ce jugement
rapide , mais affuré , qui ne connoît point
de raifonnement ; nous devons nous affurer
nous-mêmes par l'étude & par les réflexions
, de la jufteffe & de la folidité de
nos décifions , fans examen & fans critique.
Enfin l'étude en fuppofant ce talent
en nous , le perfectionne cependant & lui
donne fon dernier prix.
En effet , nous voyons tous les jours des
gens qui , pour avoir négligé ce précepte,
ne portent fur ce qu'on leur préfente ,
qu'un jugement mal affuré. Leur efprit
peu accoutumé à pénétrer ce qui eft caché
, ne découvre jamais qu'une partie du
mérite d'un ouvrage. Les véritables beautés
font toujours fupérieures à leurs connoiffances
: Ils ne les voient qu'à demi.
Leur fentiment par une longue oifiveté
s'émoufle infenfiblement : rien de délicat
, rien de délié ne fait impreffion fur
eux : ils ne font touchés que par des paſfions
vives ou par des fentimens extraordinaires.
Mais celui qui a pris foin de cultiver
fon talent , fçait appercevoir du premier
coup d'ail toutes les beautés de l'ouvrage
qu'on lui préfente. Les agrémens les
plus fins , les plus légers , font leur imMARS.
1761. 29
preffion fur lui ; & comme il ne fçauroit
fouffrir rien d'oifif dans un ouvrage , auffi
n'eft- il aucune perfection qui échappe à
fon jugement.
Il y a un Auteur moderne qui enfeigne
une méthode bien différente . Il juge géométriquement
de chaque beauté ; il prefcrit,
felon fon caprice , les bornes du vrai
& du faux ; il régle , à fa fantaifie , l'uſage
de la métaphore , de l'allégorie , de l'hyperbole
; & maître abfolu de toutes ces
chofes , il pofe fes principes & en tire des
conféquences , fur lefquelles il forme fes
décifions en dernier reffort.
Cependant , malgré ce pompeux appareil
de raifonnement , on le voit fe tromper
fçavament dans plufieurs endroits . Il
faut , felon lui , pour affeoir un jugement
folide , dépouiller la penfée qu'on examine
de tous les ornemens qui pourroient
nous éblouir , pour ne la confidérer qu'en
elle-même il faut en faire l'évaluation
fur le prix de la vérité , fans avoir égard à
tous ces agrémens , qui par un faux éclat
pourroient féduire notre jugement. Il eſt
vrai qu'un ouvrage à l'épreuve d'une critique
fi rigoureuſe , fans ceffer de nous
plaire , feroit d'un grand prix . Mais il me
femble qu'il peut y en avoir qui ont une
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
-véritable beauté, & qui cependant ne pour
roient fouffrir un examen auffi févère.
F
On fçait que le vrai a feul droit de nous
plaire ; que nous n'aimons le faux , qu'autant
qu'il nous trompe par les apparences.
du vrai ; qu'il faut du naturel dans les
penfées les plus fublimes. Mais ce vrai ,
ce naturel , font fufceptibles de plufieurs
embéliffemens, qui deviennent même néceffaires
dans les ouvrages d'efprit. La
vérité qui ſe montre ailleurs toute nue ,
demande ici des parures : une penſée
vraie , naturelle , mais fans grandeur ou
fans délicateffe , nous plairoit - elle beaucoup
: Cependant , c'eft dans ce point de
vue que nous devons la confidérer ,fi nous
voulons porter un jugement folide , ſelon
cet Auteur. C'est donc porter un jugement
folide & fort équitable fur la valeur des
chofes , que de ne les apprécier que fur
une partie de leur mérite.
Ne cherchons donc point d'autres Juges
que le goût dans les ouvrages d'eſpric:
ils reffortiffent à ce Tribunal , & on n'appelle
point de les déciſions , au railonnement
& aux démonſtrations géométriques.
:. L'homme de goût n'a pas befoin , pour
porter un jugement ſolide , d'examiner
la vérité de chaque pensée, la conſtruction
MAR S. 1761. Pr
de chaque phrafe : fans confulter la régle
ni le compas , il ſçait évaluer au juſte le
prix des choſes .
Par M. d'HUET DE LA MARONIÉRE ,
de Nantes.
RECHERCHES fur le Blafon , par un
Scavant de Province,
Vous me demandez , Madame , s'il eſt
à propos de faire apprendre le Blafon à
M. votre fils ; & tout de fuite vous me
propofez une foule de queftions fur l'utilité
de cette Science , fur fon origine , &
fur cette multitude de chofes qui la conf
tituent. Vous me permettrez bien de ne
pas répondre en détail à toutes vos queftions
: ma réponſe feroit un gros volume,
& je n'ai pas l'honneur d'être un Sçavant
de Prague ou de Gottingen. * Je vous dirai
ce que je penfe , & je vous le dirai
tout fimplement. C'eft aux Sçavans de la
Capitale à répandre des fleurs fur les ma
tières les plus arides .
* Univerfités d'Allemagne , aujourd'hui très-célèbres
: mais où l'on n'apprit pendant long-temps
qu'à parler & à n'avoir jamais tort.
Biv
31 MERCURE DE FRANCE.
Jamais les graces ingénues
N'ont pénétré dans mon manoir maudit;
Elles me feroient inconnues ,
Sivous ne m'euffiez pas écrit.
Après ce petit préambule que je vous de
vois, puifque c'eft à la fincérité à payer l'a
confiance , j'entre en matière, & je commence
par vous citer des vers de notre célébre
Boileau. Il faut , s'il vous plaît , me paffer
toutes ces citations. Un Sçavant qui ne
voudroit dire que ce qu'il a penfé , feroit
bientôt réduit à fe taire.
Auffitôt maint efprit , fécond en rêveries ,
Inventa le blafon avec les armoiries ;
De fes termes obfcurs fit un langage à part ,
Compofa tous ces noms de cimier & d'écart ,
De pal , de contrepal , de lambel & de face &c.
Boil. Sat. s..
A tous ces termes déjà fi bizarres, ajoûtez-
en deux ou trois mille plus bizarres
encore , & vous aurez une parfaite idée
du Blafon. Le Dictionnaire de la Science
eft plus difficile que la Science même:
Après l'avoir étudiée trente ou quarante
ans , dit un Sçavant, dont je ne me remets
pas le nom , quoiqu'il foit terminé en us
on trouve qu'il refte encore beaucoup à
MARS. 1761 33
fçavoir. Je vous confeille de le croire plutôt
que d'en faire l'épreuve ; mais M. votre
fils , Madame , fe reprocheroit peutêtre
un jour de n'en pas connoître au
moins les principes généraux. Jufques
dans les Arts les plus inutiles , il eft des
chofes qu'on ne fçauroit ignorer fans
honte.
On entend par le mot de Blafon, ou l'arc
de déchiffrer les armoiries , ou l'aſſemblage
des métaux , des couleurs , des figures,,
des ornemens qui compofent ces marques
d'honneur deftinées à diftinguer les familles.
De quelque côté qu'on l'envifage, c'eſt
toujours quelque chofe d'affez inutile . Ens
effet , quel avantage y a-t-il à appeller
face ou bande , pal ou barre des lignes
tirées d'une certaine façon , & que font
ces chofes elles- mêmes, lorſqu'elles ne dé--
fignent plus rien ? Aujourd'hui , tout eft
confondu ; il n'eft perfonne qui n'ait fes
armoiries ; & l'étude du Blafon ne fert
plus guères qu'à diftinguer encore quelques
grandes maifons , de celles qui veulent
en emprunter les marques. Elle apprend
à connoître les marques. Je me
rappelle à ce sujet un conte cité dans le
Menagiana.
Décraffé depuis peu dejours ,.
By
34 MERCURE DE FRANCE.
Un bourgeois vantoit fa nobleffe.
Deux Rimeurs affamés , Rimeurs le font toujours ,
D'un furnom de Marquis l'apoftrophoient ſans cef--
fe ,
Et mon Fat d'un fourire honoroit leurs difcours..
Un Gafcon plus hardi lui demande fes titres.
Très-volontiers , répondit le Manant
Afa paroiffe il le mene à l'inftant ;
Et montrant fon blafon barbouillé fur les vitres ,
Telle portoit , dit- il , monayeul Enguerrand ...
Laillez - là votre ayeul & fon furnom gothique ,
Reprit brufquement le Gaſcon :
Ces armes font à vous , rien de plus autèntiques
Lionfçait que votre père avoit cet écufſon
Pour enfeigne fur la boutique .
Voilà fans doute une anecdote bien
longue , bien mal racontée , & bien peu
à fa place ;mais nous autres Savans , nous
avons droit aux digreffions , & il nous feroit
auffi difficile de n'en point faire & de
ne pas ennuyer , qu'il vous feroit malaifé :
de ne pas plaire & de ne pas
charmer tous
les coeurs.
On s'accorde prèfque généralement à
fixer l'origine du Blafon au onzième ou
dixiéme fiécle , c'eft- à - dire , au temps des
Tournois. Le nom même femble indiquer
là choſe. Blaſen en Allemand fignifie fonner
de la trompe ; & ceux qui alloient fe
préfenter à ces fortes de combats, en por
MAR S. 1761. 35
toient une pour appeller les gardes du pas ,
à qui its préfentoient leurs armoiries.
Une autre raifon en faveur de ce fenti..
ment, c'eſt que ceux qui ne s'étoient jamais
trouvés , à des Tournois , n'avoient point
d'armoiries , encore qu'ils fuflent Gentilshommes.
C'eſt en Allemagne que ces exercices
militaires ont commencé : cependant
on les regarde affez volontiers com
me des jeux propres aux François.
Nos ayeux loyaux & courtois ,
La lance au poing , nouveaux Achilles , `
Couroient les champs , couroient les Villes ,
Pourchaffant valeureux exploits .
Couverts de gloire & de pouffière ,
En tout temps ils étoient foldats :
Chez eux la paix étoit guerrière ,
Et les jeux étoient des combats.
Les Chevaliers avant que d'entrer dans
la lice , plaçoient leurs armes dans un endroit
préparé à ce deffein & ou chacun alloit
les voir . Là elles étoient foutenues par
quelques- uns de leurs gens , habillés felon
le caprice du Maître; & voilà l'origine des
tenants & des fupports. Les Souverains
expofoient les leurs , ous up pavillon , &
l'on en voit encore dans les ornemens de
leurs armoiries. Ceux qui n'étoient pas de 3
Bovj
34 MERCURE DE FRANCE.
Un bourgeois vantoit fa nobleffe.
Deux Rimeurs affamés , Rimeurs le font toujours ,
D'un furnom de Marquis l'apoftrophoientdans cef
fe ,
1
Et mon Fat d'un fourire honoroit leurs difcours.
Un Gafcon plus hardi lui demande les titres.
Très-volontiers , répondit le Manant
A fa paroifle il le mene à l'inftant ;
Et montrant fon blafon barbouillé ſur les vitres , ›
Telle portoit , dit- il , mon ayeul Enguerrand ...
Laillez - la vorre ayeul & fon furnom gothique ,
Repritbrufquement le Gafcon :
Ces armes font à vous , rien de plus auténtique ;
Lionfçait que votre père avoit cet écullon
Pour enfeigne fur la boutique .
Voilà fans doute une anecdote bien
longue , bien mal racontée , & bien peu
à fa place ; mais nous autres Savans, nous
avons droit aux digreffions , & il nous feroit
auffi difficile de n'en point faire & de
ne pas ennuyer , qu'il vous feroit malaiſé :
de ne pas plaire & de ne pas charmer tous
les coeurs .
On s'accorde prèfque généralement à
fixer l'origine du Blafon au onzième ou ›
dixiéme fiècle , c'eft- à- dire , au temps des
Tournois. Le nom meme femble indiquer :
la choſe. Blafen en Allemand fignifie fonner
de la trompe ; & ceux qui alloient fe
préfenter à ces fortes de combats,en por
MAR S. •
35 1761 .
toient une pour appeller les gardes du pas,
à qui its préfentoient leurs armoiries .
Une autre raifon en faveur de ce fenti
ment, c'est que ceux qui ne s'étoient jamais
trouvés , à des Tournois , n'avoient point
d'armoiries , encore qu'ils fuffent Gentilshommes.
C'eſt en Allemagne que ces exercices
militaires ont commencé : cependant
on les regarde affez volontiers com
me des jeux propres aux François.
Nos ayeur loyaux & courtois ,
La lance au poing , nouveaux Achilles ,
Couroient les champs , couroient les Villes , ›
Pourchaffant valeureux exploits.
Couverts de gloire & de pouffière ,
En tout temps ils étoient foldats :
Chez eux la paix étoit guerrière ,
Et les jeux étoient des combats . "
Les Chevaliers avant que d'entrer dans
la lice , plaçoient leurs armes dans un endroit
préparé à ce deffein & ou chacun alloit
les voir . Là elles étoient foutenues par
quelques- uns de leurs gens , habillés felon
Je caprice du Maître; & voilà l'origine des
tenants & des fupports . Les Souverains
expofoient les leurs , pus un pavillon , &
l'on en voit encore dans les ornemens de
leurs armoiries. Ceux qui n'étoient pas de
3
Bovj
36 MERCURE DE FRANCE.
grande diftinction , fe contentoient d'enrourer
leur écu de hachemens & de mantelets
.
La maifon de Couci a pour fupports
deux lions depuis qu'Enguerrand de Couci
furnommé le grand , combattit un lion
corps pour corps . En mémoire de fa victoire
, il fonda une Abaye dans l'endroit
même où il avoit terraffé le lion ; & illui
donna le nom de Prémontré , par allufion
à ce mot qu'il dit à celui qui le conduifoit ::
tu me l'as de près montré.Cette Abbaye eſt
le célébre Chef- d'Ordre des Chanoines
connus fous ce nom .
Il eft peu de grandes maifons dans les
armoiries defquelles les fupports ne faffent:
allufion à des avantures fingulières , qu'on
prétend être arrivées à quelqu'un des an
êtres de la famille..
Au temple de la Vanité ,
Le Menfonge a gravé ces exploits mémorablès
D'Ayeux qui n'ont pas exiſté..
Les archives des Grands font le pays des fables..
Ah! fi la Vérité , cer Etre bienfaisant ,
Qu'on déteſte tout bas , que tout haut l'on defire ,
-Attend que de fon puits la grandeur la retire ,
·Elle peut dès ce jour faire fon teftament.
Toujours des digreffions , Madame t
MAR S. 176г . 37
mais au lieu de vous en plaindre , j e compte
que vous devez me fçavoir gré de n'en
pas faire davantage. Par exemple ,j'aurois
pû vous dire dans quel Auteur, j'ai lû cette
anecdote fur la maifon de Couci , &
j'aurois mis tout le catalogue des Seigneurs
de cette famille ; j'aurois pû m'étendre
fur l'Ordre de Prémontré ; & j'au
rois fait là - deffus les plus belles remarques
géographiques , hiftoriques , chronologiques
& critiques ; j'aurois pû nommer
le Philofophe qui a dit le premier ,
que la vérité étoit au fond d'un puits , &
à cette occafion de quelle érudition n'aurois-
je pas pû me parer? Les Sçavans, mes
Confreres, m'auroient furement admiré ;.
mais je vous aurois déplu , & je fais plus
de cas de votre fuffrage , que de l'approbation
de tous les Docteurs. Je reviens à
mon ſujet.
Les écus des Chevaliers , c'est - à- dire ,
leur cuiraffe & leur bouclier, ainfi exposés,
étoient furmontés de leur cafque , duquel
fembloit fortir un ornement qui étoit tantôt
la figure d'un dragon, tantôt celle d'um
aigle, ou d'autres animaux ; tout cela étoit
accompagné de panaches & de rubans, &
voilà l'origine du timbre , du cimier &
des lambrequins.Quelquefois on ajoûtoit,
au cafque une couronne, ou fermée ,filon
38 MERCURE DE FRANCE.
étoit Prince Souverain , ou bien ouverte
de telle ou telle manière , fuivant le titre
du Gentilhomme ; car il falloit être Gentilhomme
* titré pour porter une couronne.
Voilà ce qui étoit , voilà ce qui n'eft
plus. Auffi les couronnes, qui autrefois ſignifioient
quelque chofe, ne fignifient plus
rien aujourd'hui .
Si l'on réformoit les abus ,
Ces gentilshommes de Plutus ,
Ou de l'intrigue , ou du caprice ,
D'un grand cercle a fleurons, ne fe pareroient plus .
Il faudroit , en bonne Police ,
Timbrer leur Ecullon de quelque bonnet gras,
Ou pour mieux leur rendre juſtice ,
D'une couronne de Midas.
Les Eccléfiaftiques voulurent auffi avoir
des timbres fur leurs armoiries . O vanité !
qu ne te foures- tu pas ? mais comme il ne
leur convenoit guères d'arborer le calque
& le cimier , ils fe font contentés de mettre
fur leur écuffon , un chapeau d'où pend
une certaine quantité de houpes ou de
glands rangés en forme de piramide. Ce
chapeau eft rouge pour les Cardinaux ,de-
* Pour être Marquis , il falloit pofféder trois
Baronnies ; pour être Comte & pour être Baron , il
falloit avoir trois Châtellenies
MARS. 1761 .
39
puifqu'ils en furent décorés par Innocent
IV au Concile de Lyon en 1246 ; les Evêques
le portent verd ou de finoples : je
n'en fçai pas la raifon ; les Abbés l'ont tout
noir.
Si vous avez la nos Anciens livres de
Chevalerie , vous y aurez remarqué que :
chaque Chevalier avoit fa devife, qui faifoit
allufion à fon nom , à fon armure , au
cimier qui ombrageoit fon cafque , à fes
exploits ou à fon amour pour fa Dame.
De là les devifes qui fubfiftent encore
dans les armoiries . Morlaix en Breta--
gne , a pour fa dévife : s'ils te mordent ,
mords-les. Duguétrouin , cet homme célé
bre, qui a prèfque égalé , fur mer , l'immortel
Turenne le plus grand de nos généraux
de terré, Duguétrouin reçut de Louis XIV
des armes , autour defquelles on lit ces mots
qu'il feroit bien à fouhaiter qu'on pût
mettre fur tous les écuffons : Dedit hac in
fignia virtus,
Ces anciens Chevaliers, avant que d'en
trer dans la lice alloient recevoir de la :
main de leur Dame un ruban , qu'ils ajuftoient
fur leur cuiraffe ou fur leur bouclier.
De là les couleurs , les métaux , & les
fourrures qui compofent encore le Blafon.
Ces rubans , arrangés de différentes manières
, furent appellés face, bande , batre,
"
40 MERCURE DE FRANCE.
orle , &c. Telles furent les premières armoiries.
Les croiſades , ces guèrres dont
on ne peut louer que le motif qui les fit
entreprendre , amenérent dans le Blafon
ces fautoirs , ces croix qui varient fi fort ,
& ces merlettes , efpéce d'oifeaux qu'on
peint fans bec & fans pieds , parce qu'on
ne revenoit guères de ces voyages d'outremer
, qu'avec des bleffures. Les gens de
guèrre hérifférent leurs écuffons d'épées ,
de lances & de cafques d'autres y mirent.
des figures relatives à des exploits parti
culiers , ou même au nom qu'ils portoient.
Ainfi Mailli porte trois maillets , & Virieu
trois vires ou cercles l'un dans l'autre
; ce qui prouve que les armes parlantes
ne font pas toujours les moins anciennes
, comme on le croit communé-
*
Les armes d'Autriche font aujourd'hui de
gueules à la face d'argent ; autrefois elles étoient:
d'azur à cinq alouettes d'or en fautoir. L'an 1193,
Léopold II , Duc d'Autriche , ayant perdu toutes
ſes bannieres , dans une bataille contre les Infidéles
, prit fon écharpe qui étoit blanche , & la ferrant
par le milieu , il la trempe dans le fang des
morts , d'où il la retire toute rouge , à l'exception
de l'endroit qu'il tenoit dans fa main. Auflirt il
en fait une banniere & crie : Autriche , Serviteur
de J. C. Ce fignal , ce cri rallient fes foldats , & il
Bevient victorieux . Depuis ce temps , les Seigneurs
de cette Maiſon n'ont point eu d'autres armés..
MAR S. 1761 .
ment.On raconte qu'un Poëte, peu favorifé
de la fortune, avoit pris pour armoiries
un écu tout blanc , avec ces mots :
Melior fortuna notabit. Il n'eft pas le feul
Faiſeur de vers , à qui ces armoiries puiffent
convenir.
Un Sçavant n'a pas les mêmes rifques
à courir. Il eft fûr de fe faire admirer de
la multitude , pourvû qu'il fçache placer
avec art quelque paffage de Didys de
Crête , & citer fouvent Lambin & Cafaubon.
L'on fe fauve à la faveur de ces noms
refpectables. Il n'en eft pas tout-à-fait de
même avec vous , Madame , vous voulez
qu'on fçache embellir le fçavoir, & qu'on
s'exprime avec grace ; mais il n'eft pas
donné à tout le monde d'écrire comme
vous parlez.
Après vous avoir dit mon- idée fur l'o
rigine du Blafon , il feroit temps peut-être
de vous parler des régles de cet art; mais
en vérité, elles n'en valent guères la peine
, elles fe réduisent toutes à deux la
premiere fouffre mille exceptions , & la
feconde eft mal obfervée. Celle - là eft de
ne jamais mettre métal fur métal , ni
couleur fur couleur ; celle - ci veut que les
cadets brifent ou altérent les armes de
42 MERCURE DE FRANCE.
leur maison , que les aînés feuls ont le
'droit de porter pures & fans diſtinction .
En voilà bien affez , Madame , fur une
Science la plus frivole de toutes , & qui
pourroit être la plus utile, fi les armoiries
fervoient à défigner la nobleffe , fi elles
étoient l'expreffion des fervices rendus à
l'Etat , le prix des talens & de la vertu :
elles ne font plus qu'un ornement puéril
qui frappe les yeux fans rien dire à l'eſprit.
Qu'on en faffe donc apprendre les
premiers principes aux jeunes gens , à la
bonne heure : il faut connoître les chofes
pour avoir droit de s'en mocquer.
Mais je plaindrois un homme qui en voudroit
faire une étude férieufe. Le tempsnous
eft donné pour penfer & pour agir,
& non pour apprendre des mots.
A Lyon 1761. L. P.
Je n'ai pas parlé des Livres écrits fur
le Blafon , parce que cela m'auroit jetté
trop loin je dirai feulement que le
meilleur que je connoiffe , eft celui qui a
pour titre , Science des armoiries de Paillot
: c'eft un in folio qui commence à devenir
très rare. Si quelque Libraire veut
faire la dépenfe de le réimprimer , je lui
fournirai des corrections , des remarques,
MARS. 1761. 43
quelques additions , & beaucoup d'obfervations
fur les articles à retrancher dans
ce bon ouvrage. Aprés celui-là , j'aimerois
beaucoup la méthode du Blafon , du
P. Meneftrier Jefuite , & encore mieux
celle qui porte le nom du Graveur, Trudon.
Les planches en font très - nettes &
l'ouvrage est tout à la fois inftructif &
amufant.
EPITRE à M. le Marquis de V ***, dont
le fils aîné venoit d'être fait Chevalier
de S. Louis , & le cadet déjà Chanoine
à B *** venoit d'être nommé à quel
ques Chapelles.
Τουτ Tourvous rit & tout vous profpére ;
Je vous en fais mon compliment,
De vos fils le couple charmant ,
D'une aîle rapide & légére
Aux grandeurs vole également.
Auffi fage que Père & Mere ,
Tous deux fervent avec ardeur ,
L'un le Roi , l'autre le Saint- Pere ,
L'un fous la tente , & l'autre au Choeur.
Celui-ci fous d'heureux aufpices.
44 MERCURE DE FRANCE.
Jouitd'un bonheur affuré ,
Et fur fon crâne tonfuré
Il voit pleuvoir les bénéfices.
Par l'aumuffe il a débuté ;
C'eft une admirable fourure :
Quand on en eft empaqueré
L'on ne craint ni vent ni froidure ,
Tous les jours font des jours d'été.
Chere aumuffe ! de la Nature ,
Un Chanoine eft l'enfant gâté.
Celui-là montrefon courage
Dans cet art déteſté du Sage ,
Qu'inventa jadis la fureur ,
Et qu'enfeigne aujourd'hui l'honneur ,
Dans des champsfumants de carnage.
2. En ce métier cher à fon coeur,
S'il eft novice par fon âge ,
Il eft profés par la valeur.
Déja brilleà fa boutonniere
Ce ruban de couleur defeu
Pour qui notre Nobleſſe altiere ,
Le fabre au poing & l'oeil en feu ,,
Regarde la mort comme un jeu ,
Et bravefa faux meurtriere.
Si quelque érourdi de canon
Ne frappe ce fils de Bellone
Et fi quelq ueindigeftion
MAR S. 1761
Après fon diner ne moiffonne
Ce Chanoine à triple menton ;
L'un verra fa main décorée
Du fceptre brillant des guerriers,
L'autre aura la tête parée
De cette mître deſirée
Qui tient plus chaud que les lauriers.
Je fuis Prophète ; & les obftacles
A coup für feront fuperflus ;
J'ai pour garant de mes oracles
Et leurs talens & vos vertus.
Lyon , L. P.
VERS de M. l'Abbé de l'ATTAIGNAN,
fur le mariage de M. le Prince de GUI
MENE'E avec Mlle de SOUBIZE .
D EUX tourtereaux , dès l'âge le plus tendre,
Sans le connoître , avoient fenti l'amour .
Leurs doux accens faifoient allez entendre ,
Qu'ils étoient faits pour être unis un jour.
Or la voici , cette heureuſe journée ;
Déjà l'Amour embraſſe l'hyménée ;
L'air fatisfait je les vois tous les deux ,'
Mêler leurs traits , entrelacer leurs noeuds
Quelle union plus folide & plus belle !
46 MERCURE DE FRANCE.
1
Vit-on jamais rien de mieux afforti !
Qu'il eft charmant & qu'il eft digne d'elle !
Qu'elle eft aimable & bien digne de lui !
De leur accordquede plaisirs vont naîttre !
Qu'ils font contens ! ils ont fujet de l'être :
A leur bonheur tour Cythère applaudit ,
Et mille Amours vont préparer leur nið.
Couple parfait , aimables tourterelles ,
Que l'Amour fit exprès pour tout charmer ,
Vivez contens , foyez toujoursfidéles ,
Votre bonheur dépend de vous aimer.
Faites toujours l'ornement de Cythère ,
Oiſeaux nourris dans la même voliere ,
Er fous les yeux de la tendre Cypris ;
Songez combien vous en êtes chéris .
Tout ce qu'en vous l'on voit briller de grâces ,
Souvenez-vous que vous le lui devez ;
C'eſt en fuivant fes leçons & les traces ,
Que vos talens ont été cultivés.
Jupiter même en fon giron dépofe
De fes Aiglons la race à peine écloſe ;
Il fent le prix de fes foins généreux :
Vous les avez partagés avec eux.
MARS. 1961.
EPITHALAME , fur le Mariage de Mlle
DE MONTPEROUX avec M. le Marquis
DE CAMBIS. Par un Chanoine de
Crépy.
PAR l'ordre du charmant Amour ,
Un Soleil pur luit ſur ma tête ,
Et Montperoux , de ſa retraite ,
Voit éclorre le plus beau jour.
L'Amour , dont elle eft le modéle ,
A fon afpect , s'enorgueillit ;
Il la careffe , il n'aime qu'elle ,
C'eſt une fleur toujours nouvelle
Qu'à chaque inftant il embellit.
Le Héros qui lui rend hommage ,
Trois fois fous les drapeaux de Mars
Signala fon bouillant courage ;
Aujourd'hui fous les étendards ,
Un Dieu moins terrible l'engage :
Il charme , ilfixe fes regards;
Mais fon choix eft celui d'un Sage.
Déja les plus douces odeurs
Ont parfumé l'augufte temple ,
Où l'Amour couronné de fleurs ,
Veut que l'hymen , à fon exemple ,
48 MERCURE DE FRANCE.
A jamais enchaîne leurs coeurs.
Partout des plus brillantes fêres ,
Jevois les appareils divers ;
Déja des myrthes les plus verds
Ces amans ont paré leurs têtes.
Quelle foule au Temple les fuit !
Tout court , tout vole , tout s'empreſſe
C'eſt partout la même allégreſſe ;
Et partout l'Amour la produit.
Héros charmant que je révère ,
Et vous dont l'heureux caractère
Affortit les attraits brillants ,
Jeune Beauté , vous êtes chère
Aux Muſes , au Dieu des Talens !
De l'union la plus parfaite
J'ofe chanter les agrémens ,
Et refter de vos fentimens
L'admirateur , & l'interprête.
En portant vos noms juſqu'aux Cieux ;
Je crois prendre une route fûre
Pour dire à nos derniers neveux ,
Qu'on goûte une allégreffe pure ,
Quand nos Protecteurs font heureux.
LETTRE
MAR S. 1761 . 49
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
J'AI lû , avec un plaifir infini , les obſer- ΑΙ
vations fur la Langue Françoife , inférées
dans le Mercure de Septembre. Elles font
écrites avec beaucoup de délicateffe 8:
d'énergie ( quoiqu'avec des articles ) L'Auteur
a fans doute raifon de déclamer avec
force contre les Ecrivains frivoles , qui
croyent compenfer par des phrafes b. illantes
, ingénieufement cadencées , la profondeur
, la netteté , la précifion des pensées.
Mais raifonne- t-il également bien , lorfqu'il
veut que l'on retranche les articles ,
afin de donner plus de vivacité , plus d'aifance
à notre Langue ; c'eft ce que l'Auteur
me permettra d'examiner : m'inftruire
, & non pas l'envie de critiquer , eft
mon feul objet. Ainfi j'efpére qu'il ne me
fçaura pas mauvais gré des réflexions fuivantes.
1º. Les Etrangers fe font un plaifir , un
honneur même , de venir apprendre la
Langue Françoife dans nos Provinces ,
dans la Capitale. Comment connoîtrontils
les genres , les nombres , les cas , fi l'on
retranche les articles. La , Le , quoique
yo MERCURE DE FRANCE
tout-à- fait femblables , devant le nomina
tif& l'accufatif, font cependant une marque
prèfque infaillible de ce dernier cas ,
lorfqu'on ne peut les retrancher , fans donner
un fens louche à la phrafe : un exemple
fera fentir ma penſée : fi quelqu'un difoit
à fes domeftiques : fermez porte : approchez
table: ouvrezfenêtres : ils ne sçauroient
fi c'eft une porte , ou plufieurs qu'il
faudroit fermer : ils feroient embarraſſes
fur le choix. Mais que l'on mette un article
défini devant porte , l'incertitude du valet
fe diffipe à l'inftant. Il comprend ce qu'on
lui veut dire. Le Lecteur fait aifément l'application
des deux autres exemples , &
d'autres plus ridicules encore que fon ima
gination lui fournit.
Je fçais que plufieurs Grammairiens ont
prétendu que nous n'avionspoint de cas :
mais on leur a prouvé le contraire , parce
que les noms fe déclinent avec les articles
en y ajoutant les prépofitions De & A :
d'autres ont dit qu'ils n'étoient pas néceffaires
pour marquer les nombres , & que
la lettre S , ajoutée au plurier , fuffiſoir
pour le diftinguer du fingulier . Cela peut
être vrai pour un Lecteur qui juge facilement
des mots qu'il a fous les yeux : mais
en est- il de même de ceux qui entendent
réciter une Harangue , un Sermon , ou une
MAR S. 1761.
Piéce de Vers, ( je me fers du terme réci
ter , car on ne déclame plus aujourd'hui )
les noms ayant prèfque tous la même dénomination
au plurier , l'Auditeur n'en
connoît l'étendue que par les articles , ou
autres adjectifs qui la fixent.
Prétendroit- on avec M. l'Abbé Fromant
, Auteur des réflexions qui font à la
fuite de la nouvelle Edition de la Grammaire
raifonnée , que les Articles ne déterminent
pas l'étendue de la fignification
? mais ne feroit-ce pas fe contredire
avec lui ,en les comparant, en les regardant
même comme des adjectifs, que de leur refufer
le même privilége , qui eft celui de
généralifer ou de particularifer la fignification
des noms ?
Les articles fervent non -feulement à
marquer les nombres , mais ils font encore
néceffaires pour former les fuperla
tifs . Ceci n'a pas befoin de preuve.
2. J'avoue que chaque Langue , dit
l'Auteur, a fon caractère particulier analo-
" gue aux idées & aux habitudes domi-
» nantes de la nation qui la parle il ne
» faut pas le bleffer fans néceffité. En
quoi les articles feroient-ils donc oppofes
au caractère de notre Langue Seroit-ce ,
parce qu'ils lui donnent plus de clarté ,
plus d'aifance , plus de nobleffe , plus de
"
Cij
52 MERCURE DE FRANCE:
majefté combien de fois nos oreilles
bleffées par de fréquens hiatus , tranfmet
troient- elles à nos âmes des impreffions
défagréables dans le court exemple que
l'Auteur donne de fon nouveau ftyle , il
n'a pas évité ce défaut. » Il faudra bien
» qu'ils le foumettent à opinion publique ,
»feule chofe fur laquelle autorité fupréme
ne peut rien .
Qu'on retranche les articles des Vers
fuivans.
Déjà je ne vois plus qu'à travers un nuage
Et le ciel & l'époux , que ma préfence outrage
Et la mort à mes yeux , dérobant la clarté ,
Rend au jour , qu'ils fouilloient , toute sa pureté .
Rac. Ph. Scène dern.:
L
L'harmonie y gagnera - t- elle ? Qu'on
faffe la même contraction dans les vers
fuivans , du même Auteur.
On égorge à la fois les enfans , les vieillards
Et la foeur & le frere ,
Et la fille & la mere ,
Le fils dans les bras de fon pere.
Efther, Act. I. Sc. Si
Les articles & les conjonctions font
image. Il femble qu'on voit donner le
coup à chacun des fujets du maffacre : le
difcours peint l'action : la petite paufe
MAR S. 17617
qu'obligent de faire la conjonction & les
articles , donne le temps au Soldat de
tirer fon épée du fein de la foeur , pour la
plonger dans celui du frère ... Ce tableau
chef-d'oeuvre d'un grand Maître , perd de
fa perfection , dès qu'on y retranche quelque
chofe.
La lettre L, qui refte fouvent feule devant
la plupart des mots , ne rend - elle
pas la prononciation plus douce , plus
nette ? Otons les articles , alors nos phrafes
femblent découfues ; notre ftyle trop
coupé, ne conferve plus fon analogie avee
les habitudes dominantes de la Nation
à moins qu'on ne prenne pour elle un éf
fain de Petits Maîtres , dont la frivolité
eft le moindre défaut. Retranchez les arti
cles , notre Langue exprimera mieux les
actions de ces petites machines qui ne font
que fautiller. Mais ces êtres mufqués faits
pour amufer , ou pour ennuyer les honnêtes
gens par leurs grimaces ou leurs
impertinences, n'en compofent pas du tour
le corps. Ce font ces hommes graves qui
méditent leurs penfées , & dont les difcours
ne font que le réfultat de leurs réfléxions
, dont il faut faifir & repréſenter
le caractère , par un langage qui ne refpire
que la raifon , la fageffe , la gravité ce
langage philofophique , qui le pofféde
C iij
52 MERCURE DE FRANCE:
majefté combien de fois nos oreilles
bleffées par de fréquens hiatus , tranfmet
troient- elles à nos âmes des impreffions
défagréables ? dans le court exemple que
l'Auteur donne de fon nouveau ftyle , il
n'a pas évité ce défaut. » Il faudra bien
» qu'ils le foumettent à opinion publique
» feule chofe fur laquelle autorité fuprê
me ne peut rien.
Qu'on retranche les articles des Vers
fuivans.
Déjà je ne vois plus qu'à travers un nuage ,
Et le ciel &l'époux , que ma préfence outrage
Et la mort à mes yeux , dérobant la clarté ,
Rend au jour , qu'ils fouilloient , toute sa pureté.
酱
Rac. Ph. Scène dern.
L'harmonie y gagnera- t- elle ? Qu'on
faffe la même contraction dans les vers
fuivans , du même Auteur.
On égorge à la fois les enfans , les vieillards
Et la foeur & le frere ,
Et la fille & la mere ,
Le fils dans les bras de fon pere.
Efther, Act. I. Sc . s.
Les articles & les conjonctions font
image. I femble qu'on voit donner le
coup à chacun des fujets du maffacre : le
difcours peint l'action : la petite paufe
MARS. 17617
qu'obligent de faire la conjonction & les
articles , donne le temps au Soldat de
tirer fon épée du fein de la foeur, pour la
plonger dans celui du frère... Ce tableau
chef-d'oeuvre d'un grand Maître , perd de
fa perfection , dès qu'on y retranche quelque
chofe.
La lettre L, qui refte fouvent feule de
vant la plupart des mots , ne rend - elle
pas la prononciation plus douce , plus
nette ? Otons les articles , alors nos phrafes
femblent découfues ; notre ftyle trop
coupé, ne conſerve plus fon analogie avee
les habitudes dominantes de la Nation ,
à moins qu'on ne prenne pour elle un éf
fain de Petits Maîtres , dont la frivolité
eft le moindre défaut . Retranchez les articles
, notre Langue exprimera mieux les
actions de ces petites machines qui ne font
que fautiller. Mais ces êtres mufqués faits
pour amufer , ou pour ennuyer les honnêtes
gens par leurs grimaces ou leurs
impertinences,n'en compofent pas du tour
le corps . Ce font ces hommes graves qui
méditent leurs penfées , & dont les difcours
ne font que le réfultat de leurs réfléxions
, dont il faut faifir & repréſenter
le caractère ,par un langage qui ne reſpire
que la raifon , la fageffe , la gravité ce
langage philofophique , qui le poffède
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
mieux que notre Nation ? Nos articles
n'ont donc rien d'oppoſé à nos inclinations
dominantes.
Mais où feroit actuellement la néceffité
de détruire ce que nos Pères ont établi pour
de bonnes raifons ? Ils ont bien vû que les
noms communs feroient pris dans un fens
trop général, fi l'on n'en déterminoit l'éten
due. Ils ont inventé les articles pour fixer
celle des mots qu'ils précédent , comme
quand on dit le Palais , ce mot ne fignific
pas Palais en général , mais tel Palais en
particulier.
Pourquoi nous priver de ce que prèſque
toutes les autres nations ont admis , confervé
la Langue Grecque , qui de l'aveu
de tous les Sçavans eft la plus harmonieufe
, n'a - t- elle pas fes articles , dont elle
fait un plus fréquent ufage que nous ? Car
je fuis étonné du grand nombre de mots
que nous ne faifons pas précéder par des
articles ; comme dans certaine figure de
Rhétorique , où l'Orateur donne tout à la
vivacité de la paffion , ou lorfque le fens
de la phrafe eft affez clair , ou l'étendue
des mots fuffifament déterminée. Chez
nous l'article ne fe met pas devant les noms:
propres , ni devant ceux des Villes , Villages
; ni devant les pronoms perfonnels ,,
poffeffifs , abfolus , démonftratifs ; ni dez
ལ
MAR S. 1761% SS
vant les noms des nombres abfolus & les
noms communs , dont on ne confidére que
la fignification
, abſtraction faite de l'éten
due. Chez les Grecs & beaucoup d'autres
Peuples , comme les Italiens , on trouve
des articles jufques devant les noms pro
pres . Prétendra- t- on que la Langue de
ces Peuples en a moins d'énergie & de
beauté ? Pourquoi la nôtre ne jouiroit- elle
pas du même avantage ?
Remarquons
, en paffant, que plus fages
que la plupart des autres Peuples , les
François ont évité un défaut que l'ufage,
& non la raifon,peut faire approuver chez
ceux-là. Les Grecs & les Italiens, entre autres,
mettent l'es articles devant les noms
propres ; mais exprimant une choſe fingulière
, les articles font inutiles pour en
fixer l'étendue.
Remarquons
encore que c'eft peut- être
gratuitement
qu'on prive d'articles la
Langue Latine & la Langue Angloife . Le
pronom ille , illa , illud ne correfpondpas
à notre article le , dont celui - ci
tire fon origine ? * Ceci n'eft qu'une
il
* Il n'y a, dit M. Duclos , qu'un feule espéce
article , qui eft le pour le mafculin , dont on fait
la pour le féminin . J'ai une Piéce fous les yeux qui
eft un concordat entre les Abbés & Religieux de S
Vaaft d'Arras & les Mayeurs , Echevins & Com
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
conjecture que les Grammairiens ont mife
dans tout fon jour. Quelques- uns prétendent
que the fert d'article à tous les
mots Anglois . Ne connoiffant pas cette
Langue , je foumets , Monfieur , les idées
des autres & les miennes à votre jugement.
L'étude que vous en avez faite , &
les beautés fublimes de Shakeſpeare que
vous nous avez fait goûter en notre Langue
, vous ont acquis dès longtemps le
droit de juger fouverainement en ce genre
, de même qu'en bien d'autres.
munautés de la même Ville du 1 Juillet 1363. On
n'y fait aucun ufage de l'article la... par le per
miffion de Dieu...le communite de leditte ville d'Arras
... en le maniere qui s'enfuit... Ainfi il faut
croire que l'invention de l'article féminin n'eft pas
bien ancienne , & non pas , avec M. l'Abbé Fromant,
que les François , les Italiens, les Espagnols
ont formé l'article la de la derniere fyllabe de illa.
Tout ce qui eft analogue n'eft pas toujours
vrai.
Mais la fuite de la Piéce ne confirme pas un
autre fentiment de M. Duclos . Notre premier article
ly dans fon origine étoit démonftratif. ( p .
Ico de la Gramm , rail . Ed . de 1756. ) ly & enfite
le devint infenfiblement le prénom inséparable
de tous lesfubftantifs . Ne femble- t- il pas que nos
' pères ne fe fervoient que de l'article ly ; que de
celui- ci eft dérivé l'article le qui feul fubfifte aujourd'hui
mais dans la Piéce citée ci- deffus , on
fait ufage des deux articles, de le comme prénom
, & de ly comme demonftratif,
MAR S. 1762 111 $ 7
3. Puifque l'Auteur ne veut retrancher
les articles , que pour donner plus de concifion
, de vivacité , de briéveté à la Langue'
, que ne retranche- t-il auffi les conjonctions
qui , probablement , ne feront,
felon lui, que rendre les phrafes plus languiffantes.
Mais fi la négligence à fe fervir
à propos des conjonctions, rend le ftyle
foible , fi elle contribue beaucoup à l'élégance
du difcours , pourquoi les articles
n'auroient- ils pas la même utilité ?
Tantum feriés juncturaque pollent.
Je ne fais qu'appliquer aux articles ce
que M. de Voltaire dit des conjonctions ,
dans fa lettre à MM. les Nouvelliftes du
Parnaffe. D'un côté , l'ufage a donc établi
les articles , il fait la loi ; l'enfreindre ,
c'eft un crime : de l'autre, la clarté , l'ordre
en ont fait une néceffité. Il faut donc
les admettre, & nous confoler de la petite
perte que nous faifons du côté de la brié
yeté. Je fuis , Monſieur , &c.
DENIS , d'Arras
Gr
58 MERCURE DE FRANCE,
A M. DE VOLTAIRE ,
REMERCIMENT , für le préfent d'une
Taffe de porcelaine incruftée en or , faite
pour un déjeuner..
.
LIGISLATEUR du Goût, Dieu de la Poëſieg
Jetiens de vous une coupe choifie ,
Digne de recevoir le breuvage des Gieux.
Je voudrois , pour vous louer mieux ,.
Y puifer les eaux d'hipocrène :
Mais vous feul les buvez, comme moi l'eau dé Seine
Par la MUSE LIMONADIERE :
ÉPITRE A MON AMI.
Verum decus in virtute pofitum eft.
Cic. Ep. 12. Lib . 10. ad L. Plancum . 】
ESCLAVE
SCLAVE du devoir , dont le coeur libre & pur
Dévoile la grandeur dans un état obfcur
Patriote zélé , fidéle époux , bon père ,
Amateur des humains , ami tendre & finceres
Toi , dont l'âme , fentantfon immortalité ,
Rapporte fa fageffe à la Divinité ;
Cenſeur de mes défauts , ton portrait reſpectable
MAR S. 1761 . 590
M'invite à peindre ici la vertu véritable.
Dans les états divers chacun la définit ;
D'après les préjugés , chacun la déſunit.
La vertu d'un Monarque eft , dit- on , la clémence } ,
Et celle desfujets n'eft que l'obéiffance ;
C'est l'amour du Pays pour le républicain ;
La crainte pour l'efclave : uniffons- les enfin..
La vertu , don du Ciel , eft le plein exercice
Des différens devoirs que prefcrit la juſtice..
De toutes les vertus le concours précieux:
Peut feul nous mériter le nom de vertueux..
Tel , que du nom de grand le vulgaire décore
Par lui-mêmejugé , le mépriſe & s'abhorre.-
Tel ', que fur l'échafaut le cri public maudit,,
Mou rant pour la juftice , en fecret s'applaudit
Les acclamations d'une foule trompée ,
Ni la faveur des Rois par le crime ufurpée ,
Rien ne peut adoucir l'amertune & l'horreur
Que le fiel des remords aigrit au fond du coeur..
Eft- ce à l'opinion , eft- ce à la confcience
A fonder notre honneur & notre récompenfe
Que penfer de Cyrus , de qui l'activité
Terraffe l'ennemi , par- tout déconcerté ?? .
Qui conçoit , fait éclore , & conduit par lui -même
Ces projets , que relève encore un art fuprême??
Qui forme , qui dirige , & tient fubordonnés
Satrapes , Généraux , de fa gloire étonnés ?
Mânes plaintifs , ô vous , victimes deſes armes
60 MERCURE DE FRANCE:
Peuples,qui gemiffiez dans le fang, dans les larmes,
Avec quels fentimens vit- il votre malheur ?
L'humanité toujoursregna-t- elle en fon coeur ?
Yvre d'ambition , n'eft- il , aux yeux du Sage ,
Que le fléau du Dieu , dont on le crut l'image ?
Du vain éclat des faits , ne foyons point furpris
C'eft far leur motiffeul qu'il faut fixer leur prix..
L'éxil d'Alcibiade eft fameux par le crime ;
Ariftide banni , fut toujours magnanime.
Socrate , en bute aux traits d'un comique impu
dent,
Se montre ; & la vertu reprend fon aſcendant.
Ainsi , lorsqu'un vain peuple applaudit aux Zoiles à
Au sein de la vertu , les Sages font tranquilles .
Chaque âge a fes Héros ; nul terroir n'eft ingrat ;
Les fruits de la vertu croiffent en tout elimat.
L'aimable Fénelon , dont la plume immortelle
D'un bon Gouvernement traça l'heureux modéle ,
Simple en fes moeurs,conftant,fincére & généreux ,
Sçut, en dépit du fort , par lui-même être heureux.
Que de fages François , par leur moeurs ,leur génie
Auroient charmé Platon , furpris l'Académie !
Des Grecs & des Romains l'honneur bien entendu
Cédoit au bien public , aux loix , à la vertu .
Les rivaux , de leur haîne étouffant le murmure ,,
A d'ingrats Citoyens immolant leur injure ,
Par la brigue exilés , de Chefs faits Lieutenans ,
Welbient , aveccandeur , fervir leurs concurrens,
.
MAR S. 1761.
Gr
Mille traits , auffi beaux , rempliffent nos Hiftoires
Le fage Catinat , pour prix de deux victoires ,
Jouet de la faveur , content du fecond rang ,
Offre à fon fier rival fes confeils & fon fang
Se voyant dédaigné , fans plainte il ſe retire ;
Et c'est pour fon Roi feul que fon grand coeur fou
pire.
Admirant dans Villars l'homme fupérieur ,
Boufflers , du premier rang , lui défére l'honneurs
Il le fert , le remplace , & fauve la Patrie.
Eh , n'avons-nous pas vu , plein du même génie ,
Noailles , s'oubliant pour la France & ſon Rof ,
'Aider le grand Maurice à vaincre à Fontenoi ?
Triomphe vraiment noble ! éffort d'une belle âme.
Renaiſſez , vrais Héros , qne la vertu proclâme !'
Montrez , en rejettant un phantôme d'honneur ,! "
Qu'il n'eft point , fans vertu , de folide grandeur.
O vertu ! qu'égaler à ta beauté céleſte »
Eft-ce , des vains plaifirs , l'enchantement funeſte
Eft-ce l'attrait de l'or , l'éclat des dignités ?
Non: feule tu fuffis à nos coeurs agités.
Les délices des Rois , la mort la plus cruelle ,
Tout l'Univers enfin n'eft qu'un néant près d'elle
Ah ! s'il falloit choifir du crime , ou du trépas 3
Ami , je te connois , tu n'héûterois pas.
Auffi rien n'eft égal aux douceurs raviſſantes
De la paix , accordée aux âmes innocentes.
Ce céleste avant- goût d'un bonheur éternel,
62 MERCURE DE FRANCE
Déjà fe fait fentir , par un plaifir réel.
Arbître des humains , grand Dieu ! quand ta juf
tice',
Aura des fcélérats refolu le fupplice s
Sans lancer tes carreaux fur leur front orgueilleur
Borne tes châtimens à déffiller leurs yeux !
Diffipe le preftige , & découvre à leur vue
Le vice démaſqué , la vertu toute nue.
D'horreur & de regrets , que leur coeur défléché
Soit comme un vil chardon , que la faulx a tran➡
ché !
Nous les verrons alors forcés de reconnoître ,
Qu'où la vertu n'eft point , l'honneur ne sçaurois
être.
'Ami , dont le coeur vrai , fans fard , fans vanité ,
Des folides vertus pares l'humanité ,
Daigne , cher *** , d'ane Muſe chérie ,
Agréer un hommage , exempt de flatterie .
Par M. LECLERO, à Nangiss
Le mot de la premiere Enigme du E
Mercure de Février , eft , les ongles , Celui
de la feconde eft , l'Huitre. L'huitre que
l'on mange doit craindre les hommes &
leur gloutonnerie. L'huitre qui renferme
les perles , eft moins expofée , & il en péait
moins que de la premiere forte. Les
MARS. 1761 6'3
Huitres , que less Curieux appellent épineufes
, courent de grands rifques , parce
que leurs écailles fe vendent fort cher
pour les cabinets. Le mot du premier Logogryphe
, eft, Cor , Or. Celui du fecond!
eft , Tambour , Amour.
ENIGM E.
D moi , tantque je jeûne , on ne fait pas grand
cas.
Suis-je raffafiée , on me ferme la bouche
Et des reftes de mon repas ,
On fait le lit où l'on me couche.
Des Satellites noirs , au coeur dur & farouche
Mejettent en prifon : mais je n'y vieillis pas :
Jen fors , de fplendeur rayonannte.
Chez un Peuple étranger , Peuple fier & hautain
Je vais en Ambaſſade , au nom d'un Souverain.
Mon entrée, en ces lieux, eft toujours triomphantes-
L'oeil étonné me voit ; & faifi de refpect ,
On le profterne à mon afpect..
Quoique d'abord je fçache , habile Politique ,
Pour aller à mon but , prendre une route obliques
Je parle avec éclat. Orateur véhément ,
Ma foudroyante Rhétorique ,
Par mille traies de flâme embrafe en un momeng
Des applaudiffemens ,je ne fuis point avide
64 MERCURE DE FRANCE.
L'auditoire , tout occupé
De mon éloquence rapide ,
N'applaudit point ; mais eft frappé.
Par M. DELISLE . P. A. C. D. Ba
AUTR E.
J'AI quantité de foeurs , dont le nombre précis ,
Entre bien des Sçavans , refte encore indécis;
A la parure eft consacré notre Etre.
Tous les ans , avec peine , on me voit difparoître.
Plus d'un mortel , tenu dans la captivité ,
Par mon fecours, s'eft mis en liberté.
A l'oeil auffi je fuis fouvent utile.
Je fais naître l'espoir d'une moiffon fertile .
L'Ottoman , devant moi , dépouillant fa fierté ,
Me rend pareils honneurs , qu'à la Divinité.
Je régne fur les mers , & par toute la tèrre.
Avec mes foeurs , je ſuis ſouvent en guèrre.
D'une furtout , il me faut féparer ,
Car autrement , Lecteur , tu me verrois jurer
Par M. NIGLAIS
MAR S. 1761 . 65
LOGOGRYPHE .
QUOIQU'AMI des humains , Ce n'eft que dans
leurs maux
Que je puis efpérer d'accroître ma fortune :
Mais tel eft mon deſtin , ma préſence importune
Car fitôt qu'on me voit , on me tourne le dos.
A ces traits , cher Lecteur , peux- tu me reconnoître
S'ils ne fuffifent pas , mes onze pieds diffous
Offriront à tes yeux , ce que je fuis peut- être.
Cherche donc avec foin , décompofe mon être.
Tu verras ce métal qui fait tant de jaloux;
Un élément fubtil ; une Nymphe indifcrette;
Qui fecha de douleur , victime de l'amour ;
Le premier des Mortels , que l'on voit à la Cour
Ce qui gagne fouvent l'implacable foubrette ;
Ce qu'un fage Pilote évite prudemment ;
Un endroit élevé , féjour de l'éloquence ;
Uné cité fameufe ; un ancien inftrument
Que l'on voit aujourd'hui très à la mode en France
L'ornement d'un Pontife ; une tendre beauté
Qui foumit à fes loix le maître du tonnèrre ;
Un fleuve d'Italie ; un féjour fortuné ;
Un attribut du Dieu que l'on chante à Cythère ,
Des eaux un habitant ; l'inſtrument d'un chaffeurs
Un péché capital qui tient de la fureur.
Mais c'eft affez , Lecteur , tu dois me reconnoître ;
Prends foin que près de toi, je ne vienne à paroître
6 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
E fers à la magnificence ;
F'embellis un féjour où régne l'opulence ;
A la Cour , à la Ville , on me trouve ailément
A la Campage rarement ;
Et jufque dans la rue
Deux fois , par chacun an , on m'expofe à la vucă
Je puis me partager en dix pieds feulement ;
En ma diffection on trouve un élément ;
Le nom de l'artifan , qui me met en uſage ;
Celui d'un autre & fon friand ouvrages
Un nom qu'on ne donne qu'au Roi ;
Un Dieu qui fut jadis une affez groffe bête
Un oifeau fort criard & qui nous rompt la tête $
Un crime puni par la loi ;
Une ancienne Ville en Provence';
Une autre qui n'a pas d'égale dans la France
Ce qu'il faut faire quand on doit ;
Aux avaresfurtout ce qui fait de la peine
Le nom du raviffeur d'Hélene ;
Un vafe dans lequel on boit ;
Ce qu'on donne au foldat à certains jours de mar
che;
Le lieu duquel fort le lait de la vaches
Un des fept péchés capitaux ;
Un fléau redoutable ; un état monarchiques
gloire et mesplaisirs aimable Dieu de
la tendresse , A- mour, cherti -
ran de mon coeur, laisse moi someiller
sans ceße , ou réalise mon bonheur.
Air, avec Accompag ? deGuitarre.
12
04
L'autre jour un songe agréable
02
04
SI- ris
me peignoit mon
Sen.
Tircis
sible à mes soupirs ; mais un réveil
impitoiable, finit en un instant ma
MAR S. 1761 .
Un écumeur de mer ; deux notes de Mufique ;
Une Ville où l'on prend de minérales eaux ;
Celai duquel on tient la vie ,
En Latin ainſi qu'en François
Le comparatifde mauvais ;
Le figne de la moquerie 3
Je t'offre encor le nom de cet adroit archer ,
Par qui le père d'Alexandre
Perdit un oeil, le nom d'une Ville de Flandre :
Mais c'en eft trop , Lecteur , c'eſt à toi de cherchera
AIR NOUVEAU.
L'AUTRE jour, un fonge agréable
Mepeignoit mon { Iris fenfible àmes foupirs
{Tircis
Mais , un réveil impitoyable ,
init, en ua inſtant , ma gloire & mes plaifirs
Aimable Dieu de la tendreffe ,
Amour , cher tyran
de mon coeur !
Laiffe-moi fommeiller fans ceffe ;
Ou , réalife mon bonheur.
Par unejeune Demoiſellai
MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
A L'AUTEUR DU MERCURE.
DANS ie Mercure dernier , on s'adreſſe
à Meffieurs les Antiquaires , pour avoir
l'intelligence d'une Infcription qui fe voir
au- deflous d'un Bufte de Louis XIV, au
coin de la rue de la Juiverie. Permettezmoi
de me fervir de la même voie , pour
leur demander l'explication d'une autre
Infcription qui ne me paroît pas moins
obfcure , ni moins intéreflante pour ceux
qui font flattés de faire quelques décou→
vettes dans l'étude des Antiquités de la
Ville de Paris .
Au- deffus de la porte d'une maifon
qu'on vient de démolir, rue Saint Martin ,
vis - à - vis Saint Julien des Méneftriers , on
lifoit fur un marbre noir ces deux vers :
Summum crede nefas animam præferre pudori ,
Et propter vitam vivendi perdere caufas .
Cette maifon , d'une ftructure antique ,
avoit pour ornemens quelques inftrumens
MAR S. 1761. 69
de chaffe . Quelqu'un m'a dit qu'elle avoit
appartenu à un Grand -Veneur , dont il n'a
pû me dire le nom. Une autre perfonne
m'a apris que cette maiſon avoit été occupée
par la belle Gabrielle . Voilà tout ce
que j'ai pu apprendre de particulier , au
fajet de l'édifice. Pour l'Infcription , perfonne
n'a pû me l'expliquer . Si vous voulez
bien , Monfieur , propofer cette quef,
tion , je vous ferai très - obligé .
J'ai l'honneur d'être &c.B. G.N. de S. lle
SECONDI LETTRE , au même .
COM OM ME je ne fuis point Antiquaire , ni
au fait du local de la maifen fituée au coin
de la rue Calandre & de la rue de la Juives
rie,occupée par une Lingere , je ne me hazarderai
pas de donner une conjecture fur
l'Infcription problématique propofée dans
votre fecond Journal de Janvier : la mai-
Lon mieux inftruite que tout autre , des
vérités qu'elle renferme , s'expliquant par.
elle- même lévera la difficulté & la réfon
dra d'une manière plus fatisfaifante ,
Je fuis une maifon ; ceux qui m'ont donné
naiffance ou bâtie ,avides de terrein &.
voulant fe procurer leurs commodités
n'ont pas craint , pour augmenter mon
70 MERCURE DE FRANCE
"corps, d'anticiper fur la rue, au préjudice
»de l'alignement. Les Magiftrats de police,
»uniquement occupés du bien public , charngés
par Sa Majefté de procurer à la Ville
tous les embelliffemens dont elle eſt ſufceptible,
ont été frappés de la difformité
»que cette ufurpation occafionnoit ; c'eft
pourquoi ils ont jugé fagement, qu'il étoit
»néceffaire , pour rendre la rue plus droite,
»de me tronquer , c'eſt - à-dire , d'enlever
une partie de moi- même.Urbs me detrun
cavit.
» Le Propriétaire étoit un Médecin de
réputation,recommandable par fon mérite
, que le grand Monarque pour lors
régnant honoroit de fa confiance ; il ne
»lui fut pas , en conféquence, difficile , au-
»près d'un Prince fi bienfaifant, d'obtenir
en ma faveur un aggrandiffement qui le
"dédommageât de la perte que je venois
de faire. Rex amplificavit.
»Auſſi mon Maître , touché & pénétré
»de la grâce qui venoit de lui être accordée
, ne fongea plus qu'à donner au Public
& à la Poftérité un témoignage au-
»tentiquede fa reconnoiffance &de fon at-
»tachement envers le Roi; c'eft pourquoi
»il me fit reconſtruire. Medicus reftituit :
»& plaça à mes côtés & à la vue de tour
le monde, un bufte qui repréſente ſon il
MAR S. 1761. ラ
1
luftre Bienfaiteur, au bas duquel eft cetate
Infcription.
"Tous ces changemens arrivérent l'am
mil fix cens quatre-vingt- huit.
ANNO MDCLXXXVIIL
" L'on voit par là que mon deffein n'a pas
»été uniquement de faire connoître mon
reftaurateur qui étoit un Médecin , mais
bien plutôt de faire l'éloge du Souverain
dans le choix de fesMagiftrats, dont la vi-
"gilance & le zéle ne peuvent fouffrir les
"ufurpations,comme auffi dans les récom
"penfes que Louis XIV & notre glorieux
"Monarque à fon exemple, ne ceffent d'ac
corder aux Talens .
J'ai l'honneur d'être & c. HOUSSET ;
Médecin des Hôpitaux correfpond. de la
Soc . R. des Sciences.
HISTOIRE DE JEAN SOBIESKI
Roi de Pologne , par M. l'AbbéCoXER
3 vol. in- 12 .
L'HISTOIRE d'un Roi électif , que fes
vertus ou la force ont porté fur le Trône ,
eft un fpectacle qui attire les regards. On
voit dans celle-ci , un noble Polonois
2 MERCURE DE FRANCE.
monter à l'autorité fuprême , & s'y foutenir
au milieu des orages . On le voit dans
les Armées , dans le Sénat , dans les Diétes
; & l'Auteur l'y montre avec cette vérité
, qu'on chercheroit envain dans l'hiftoire
d'un Monarque héréditaire & abfolu.
Avant que de commencer le récit des
événemens , arrivés fous le régne de fon
Héros ; M. l'Abbé Coyer nous préfente le
tableau général de la Pologne , depuis le
fixiéme fiécle , jufqu'au temps où Sobieski
prit les rênes de cet Empire. Les Polonois ,
avant la première de ces deux époques ,
n'étoient encore que Sarmates . Ils n'avoient
point de Rois ; ils vivoient libres dans les
montagnes & les forêts . Vers l'an 550 ,
Leck s'avifa de les civilifer. Il coupa des
'arbres , & s'en fit une maifon ; d'autres cabanes
s'élevérent autour de la fienne ; &
Gnefne , la première Ville de Pologne ,
prit la place d'une forêt. Leck prit le titre
de Duc , nom que portérent longtems fes
fucceffeurs, qui prirent enfin celui de Rois .
Dans cette longue fuite de fiécles , la Pologne
compte quatre claffes de Souverain .
Leck , Piaft , Jagellon , voilà les chefs des
trois premieres races. La quatrième , qui
commence à Henri de Valois , forme une
claffe à part , parce que la couronne y a
paffé d'une Maifon à une autre , fans fe
fixer
MARS. 1761 . 73
fixer dans aucune. Le pouvoir fouverain
paffa quelquefois entre les mains des femmes
; mais les Polonois ont enfin adopté
la Loi Salique de la France . Plufieurs femmes
avoient régné glorieufement.On parle
furtout de la célébre Venda , qu'un Prince
Allemand , nommé Ritiger , touché de fes
charmes , demanda en mariage à la tête
d'une armée . Elle fe préfenta au combat ;
des troupes Allemandes refuférent de fe
battre, pour un intérêt d'amour. Ritiger le
tua , & Venda le précipita dans la Viftule,
pour ne plus troubler le repos de fes
ples.
peu-
Après que la Loi Salique fut reçue en
Pologne , les femmes ne montérent plus
fur le Trône , qu'en acceptant les époux
qu'on leur défignoit , pour les foutenir
dans un pofte fi élevé. » Anne Jagellon
avoit foixante ans lorfqu'elle fut élue.
Etienne Batori qui l'époufa pour ré-
» gner, penfa qu'une Reine étoit toujours
» jeune .
"
L'Auteur parcourt ainfi tous les fiécles,
& les principaux événemens qui ont précédé
le régne de Sobieski ; & fans être
trop long , il n'omet rien de tout ce qui
a rapport à la conftitution du Gouvernement
Polonois. Il expofe enfuite dans un
grand tableau , le génie , le caractère , les
D
74 MERCURE DE FRANCE.
fe
coutumes , les moeurs , les ufages , les loix
de ce Royaume . Toutes les guèrres entreprifes
& foutenues par Sobieski
font faites principalement contre les
Turcs & lesTartares. L'Auteur a cru qu'un
coup d'oeil rapide fur ces deux Nations ,
ne les confidérer que comme guerrières ,
n'étoit pas moins néceffaire ; & enfin il
arrive au regne qu'il a à décrire .
à
Ce fut fous celui de Sigifmond III , en
1629 , que naquit dans le château d'Olef
ko petite ville du Palatinat de Ruffie ,
Jean Sobieski . » Il fortoit de deux ancien-
» nes Maifons , dont les Généalogiftes
» Polonois , auffi entreprenans que ceux
» de France , one pofé la premiere pierre
» dans la nuit des fiécles . Une vérité plus
» conſtante , c'eft qu'on remarquoit dans
l'une & dans l'autre , une fucceffion de
» vertus , qui étoit bien au - deffus de la
و د
plus haute généalogie. Les voyages entrérent
dans le plan de l'éducation du jeune
Sobieski. Le pays où il s'arrêta le plus
fut la France. On le vit parmi nos Moufquetaires
, lui que la fortune avoit marqué
pour être Roi . Paris avoit été le
premier objet de fes voyages ; Conftantinople
en fut le terme. Son féjour s'y prolongea
, parce qu'il vouloit connoître à
fond une puiffance qui étoit fi fouvent en
guèrre avec la Pologne. De retour dans
MAR S. 1761 . 75
fa patrie , il eut bientôt occafion de fe fignaler.
La guerre étoit déclarée entre les
Polonois & les Cofaques. Il faut lire dans
l'ouvrage , le détail des premiers exploits
militaires de ce jeune héros , jufqu'à fon
mariage avec Marie de la Grange , fille
du Marquis d'Arquien , Capitaine des
Gardes de Monfieur , Frère de Louis XIV.
Marie étoit une des Filles d'honneur de
la Reine de Pologne. Elle avoit épousé
en premieres nôces le Palatin de Sendomir.
Sobieski fçachant combien la Reine
protégeoit la jeune veuve , demanda fa
main , fans lui donner le temps d'effuyer
fes larmes. La Reine les maria fecrettement
, pour garder la décence du deuil ;
après quoi elle écrivit au Marquis d'Arquien
, pour avoir fon confentement. Il
fallut bien le donner ; mais ce fut contre
fon gré ; & fa réponſe à la Reine marquoit
affez fon mécontentement. Sur quoi
M. l'Abbé Coyer fait cette réflexion : » Les
» hommes devroient apprendre à fe li-
» vrer de meilleure grâce à la deftinée. Le
"
Marquis n'eût certainement pas écrit de
» ce ton , s'eût prévu que ce mariage
» devoit mettre fa fille fur le Trône , en
sie comblant de biens & d'honneurs . Le
Pape Innocent XII. n'oublia jamais
qu'il avoit béni cette union, étant Non-
"
ور
Dij
6 MERCURE DE FRANCE.
ce Apoftololique en Espagne.
Ce mariage porta Sobieski , aux premicres
charges de la République. Il eut part
aux faveurs du Roi, comme aux bontés de
la Reine ; mais cette Princeffe étant morte
peu de temps après , & le Roi Cafimir
ayant abdiqué, il eut des difgraces à effuyer
fous Michel fon fucceffeur. Les dernieres
années du régne de Cafimir , forment un
morceau curieux & intéreffant de cette
hiſtoire ; mais nous ne nous arrêterons qu'à
ce qui regarde Sobieski . Il défendit plufieurs
fois fon pays contre les Cofaques ,
les Tartares & les Turcs ; & les victoires
multipliées lui donnérent cette haute con--
fidération , qui le conduifit enfin à la fuprême
puiflance. Ceft dans ce rang élevé
que nous allons le confidérer .
Il eft d'ufage en Pologne , dans la cérémonie
de l'Election du Monarqne , de
faire un Difcours qui place toujours le nouveau
Roi au - deffus de fes prédéceffeurs.
L'Orateur mêle le facré & le profane , felon
la coutume du Pays. En voici un extrait
pour donner une idée du ton de cette
éloquence. C'étoit dans l'Eglife de S. Jean
que fe fit le difcours en l'honneur de Sobieski.
» Comme autrefois Saint Jean préparoit
les voies au Meffie , ainfi la République
, en donnant le diplôme de
33
»
MAR S. 1761 . 77
»
» la Royauté à Jean Sobieski , prépare
les voies à fon Seigneur , dont le nom
» eft Jean. La Vierge Marie fanctifia Jean
» dans le fein de la mere ; la Reine Marie,
époufe de Cafimir , avoit rempli de bénédictions
le Roi Jean , en le mariant
» avec Marie d'Arquien , cet Océan de
» qualités angéliques . La République s'étoit
trompée en choififfant Michel ; elle
» corrige fon erreur en prenant Jean.
» Jean eft un nom de grâce... Les Molda-
» ves & les Valaques ont adoré Jean , &
nous ont appris à l'adorer nous - mêmes
» comme le Sauveur de toute laChrétienté...
Nous avons attendu le Saint- Efprit
» aux Fêtes de la Pentecôte ; nous l'avons
reçu dans la perfonne de Jean ... C'eſt
» un Samedi , veille de la Trinité , que
» nous nous fommes tous réunis , pour
» élire Jean. Il eft lui- même une Trinité :
» notre enfant, notre père & notre Roi ....
La fête de la Trinité annonce que la
» maiſon de Jean regnera au moins trois
» cens ans , & plût à Dieu , trois mille & c..
L'Auteur remarque que ce n'étoit pas un
Moine qui parloit ainfi , mais un Palatin..
Sobieski monta fur le Trône , dans un
âge où l'homme eft tout ce qu'il doit être..
Il avoit 45 ans ; & fi le Trône le donnoit:
à l'avantage de la figure , continue l'Hif
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
torien , il l'eût encore mérité par cet endroit.
Une taille haute , un vifage plein ,
des traits réguliers , un nez ' aquilain , des
yeux pleins de feu , une phyfionomie noble
& ouverte , c'eft fon portrait . » Il n'a
» voit pas encore, alors, cette réplétion qui
avec le temps , diminua fa bonne grâce.
» On ne lui voyoit que cet embonpoint ,
» qui , en marquant une fanté floriffante ,
cadre fi bien à l'habit Polonois . L'air
majeftueux que les courtifans prêtent à
» tous les Souverains , la Nature l'en avoit
» doué. Au-deffus de la foule des Rois
» dans les Confeils & fur les champs de
» bataille , il étoit au niveau du Citoyen ,
» par fon amour pour la paix domestique ;
» un nuage qui auroit pû la troubler , l'inquiétoit
plus que l'ennemi.
و د
"
Les premieres années du regne de Sobieski
furent marquées par des triomphes.
Ses guerres contre les Turcs font
décrites fort au long dans cette hiftoire ;
mais le récit n'en eft ni fec ni ennuyeux.
M. l'Abbé Coyer a tellement l'art d'intéreffer
les lecteurs pour fon héros , qu'on
ne peut s'empêcher de prendre part aux
plus petites circonftances de fa vie , à
plus forte raifon aux événemens les plus
glorieux de fon regne . Mais le Roi de Pologne
parut obfcurcir cette gloire aux
MAR S. 761 79
yeux de la fierté républicaine. Elle avoit
reproché au foible Roi Michel , d'avoir
accepté l'Ordre de la Toifon d'or . On reportoit
à Jean , celui du Saint- Efprit . 11
le reçut des mains du Marquis de Bethu
ne,
-
beau-frère de la Reine. C'étoit , difoit-
on , s'humilier , qué d'en prendre les
livrées. La République en marqua fon
reffentiment , en s'oppofant en plufieurs
occafions aux volontés du Monarque. Peu
de temps après , il eut une autre mortification
du côté de la France, pour un intérêt
de famille. Le Marquis d'Arquien ,fon
beau père vivoit en France. La Reine ,
fille du Marquis , fouhaitoit paffionnément
qu'il fût décoré du titre de Duc.
Le Roi qui avoit le même defir , demanda
cette grâce à Louis XIV. Dans tout
le cours de fa fortune il avoit toujours
entretenu de grandes liaiſons avec cet
Monarque ; & en cas qu'il fût obligé de
quitter la patrie , par la haine qu'il pour
roit s'attirer , Louis XIV lui avoit offert
de grands établiffemens dans fes Etats , le
Bâton de Maréchal de France, fi la gloire
des armes le tentoit encore , ou le titre
de Duc , s'il ne goûtoit plus qu'un repos
tranquille & honorable . Cette dignité
, dont il n'avoit plus befoin , il fe flattoit
bien d'en décorer fon beau- père. Louis
Div
30 MERCURE DE FRANCE.
lui répondit qu'il étoit tout prêt à l'obliger
, pourvu que le Marquis fe mît en
état de recevoir cette faveur, par l'acquifition
d'une Tèrre, qui pût foutenir le titre
de Duché. Au milieu de ces propofitions ,
le Marquis de Bethune , qui afpiroit au
même honneur , fans fçavoir qu'il devenoit
le rival de fon beau père , intéreffoit
pour lui - même M. de Seignelai fon ami ,
& M. Colbert , leur faifant entendre qu'il
auroit la protection du Roi de Pologne.
Les deux Miniftres en parlérent effectivement
à Louis XIV. » Je ne ferai pas ,
» dit ce Prince , deux Ducs à la fois dans
» une même famille ; je préférerai celui
» que le Roi de Pologne voudra . Perfonne
ne s'attendoit à un troifiéme Concurrent,
qui entroit dans la lice. C'étoit le nommé
Brifacier, Secrétaire des Commandemens .
de la Reine de France , Marie - Thérefe.
Un Religieux François étoit arrivé à Varfovie
, chargé de lettres pour le Roi de-
Pologne. La premiere portoit » que celui
» qui avoit l'honneur de l'écrire , fe trou-
» voit obligé , aux dépens de la réputation
de fa mere , de faire fouvenir le-
» Roi , qu'étant en France au fortir de
» l'Académie , il avoit aimé une belle fem-
» me , qui avoit mis fur le compte de
» fon, mari , un fils qui avoit l'honneur
MARS
815 1761 .
و د
» que
>>
d'appartenir à Sa Majeſté ; & que ce fils
» avec les biens . de fon prétendu père ,
» avoit à peine eu le moyen d'acheter la
» charge de Secrétaire des Commande--
» mens de la, Reine de France ; que puif-.
la fortune & le mérite avoient :
» mis le vrai père fur le Trône , le fils
avoit lieu d'efpérer quelque élévation ; .
» & qu'enfin la Reine de France le protégeoit
vivement . A ces mots , le Moine:
préſenta au Roi une lettre de cette Reine,,
qui le preffoit dans les termes les plus
forts , de reconnoître Brifacier , & de fol
liciter pour lui le titre deDuc.Jean étonné?
ne fe fouvenoit de rien , mais une troifiéme
Lettre , une Lettre de change de cent mil-.
le écus , payable à Danzic , au profit dus
. Roi , débrouilla le cahos de fes idées. Un
nouveau trait de lumiére acheva de Pé--
blouir , c'étoit le portrait de la Reine enchi
de diamans. Il prit le parti de de-
-mander à Versailles , le titre de Duc , pour
ce fils qu'il avoit oublié en France , & qu'ill
vouloit reconnoître. Louis XIV trouva:
fort fingulier, que de la même part , om
lui demandât trois grâces de la même nature.
I ordonna à fon Ambaffadeur , de
découvrir fi éffectivement le Roi de Polo--
gne étoit perfuadé que Brifacier fût fon fils..
Le Marquis de Béthune prit un de ces mo
•
D Y
82 MERCURE DE FRANCE.
39°
mens où l'âme s'ouvre d'elle - même ; une
partie de chaffe. » Par S. Stanislas , lui dit
le Roi, je ne fçais ce que c'eft que M. &
» Madame Brifacier ; j'érois bien jeune ,
quand je vivois en France ; j'ai eu plu-
» fieurs bonnes ou mauvaiſes fortunes dans
» un Pays , où les femmes font fi douces ;
» Madame Brifacier a pu être du nombre .
» Mais comment voulez - vous que je dou-
» te ? cette lettre de change, ce portrait, &
» plus que tout cela la Lettre de la Reine
» qui m'affure que fon Sécretaire eft mon
» fils. Le Marquis de Béthune eut l'adreſſe
de fe faire confier cette Lettre, qu'il fit paf
fer à fon maître . La Reine reconnut fa fignature
; mais en la lifant , elle s'écria
qu'elle n'avoit jamais penfé à une telle
impertinence. Elle avoit figné fans voir .
Brifacier fut mis à la Baftille , où il avona
fon impofture. Cette avanture rallentit la
follicitation de Jean pour fon beau- père ;
& d'ailleurs la Tèrre qui devoit être érigée
en Duché , ne s'achetoit point encore.
Quant au Marquis de Béthune , il réfolut
de mériter les honneurs qu'il demandoit
, par de nouveaux fervices , qu'il
rendroit à la France , pendant fon ambaſfade:
L'événement le plus confidérable du regne
de Sobieski , eft la levée du fiége de
MAR S. 1761 . 83
Vienne. Cette Ville & tout l'empire durent
à ce Monarque leur délivrance. Ce
fait eft connu , nous ne nous arrêterons
qu'à quelques circonftances . On vit , dit
l'Auteur , un de ces fpectacles qui font faits
pour inftruire les Souverains & attendrir
les peuples , lors même que les Souverains
n'ont pas mérité leur tendreffe ; Léopold ,
le plus puillant Empereur depuis Charles-
Quint , fuyant de fa Capitale , avec l'Impératrice
la belle-mère , l'Impératrice fa
femme , les Archiducs , les Archiducheffes ,
une moitié des habitans fuivant la Cour en
défordre.On coucha la premiere nuit dans
un bois , où l'Impératrice , dans une groß
feffe avancée , apprit qu'on pouvoit repofer
fur de la paille , à côté de la terreur. Alors
' Empereur Leopold écrivit au Roi de Pologne
une Lettre , qui , comparée avec la
conduite qu'il tint à fon égard après la victoire
, montre le pouvoir du malheur fur
les âmes hautaines , & le retour de la hau
teur , lorfque le danger eft paffe. » Nous
» fçavons , difoit Léopold à Sobieski , que'
» par l'extrême éloignement de votre ar-
» mée , il eft abfolument impoffible qu'elle
» puiffe fe trouver à temps , pour contribuer
» au falut d'une place , qui eft dans un pé-
» ril des plus éminens. Ce ne font donc
pas vos troupes , Sire, que nous attendons
و د
Divj
34 MERCURE DE FRANCE.
:
» mais la préſence de Votre Majefté : bien
» perfuadés que nous fommes , que fifa
» Royale Perfonne veut bien paroître à la
» tête de nos troupes , quoiqu'elles foient
» moins nombreufes que celles des Turcs ,
» fon nom redoutable à nos ennemis com-
» muns rendra feul leur défaite cer-
» taine. » Qui croiroit que ce même Em →
pereur pourn'être pas fpectateur du triomphe
du Roi de Pologne après la défaite
des Turcs , & la levée du fiége , fufpendic
la marche ? Une difficulté de cérémonial
l'arrêtoit encore : il s'agiffoit de fçavoir fi
jamais un Roi électif s'étoit trouvé avec
un Empereur , & comment il avoit été reçu.
Charles V, Duc de Lorraine, qui n'en--
tendoit dans le moment , que le cri de la
reconnoiffance , repondit : à bras ouverts !!
s'il afauvé l'Empire. L'Empereur n'écou
toit que la dignité impériale , & fit fçavoir
à Jean , qu'il ne lui donneroit pas la main
qu'il prétendoit en qualité de Souverain ..
Après bien des chicanes , il fut réglé qu'on³
fe verroit en pleine campagne . Le moment
de l'entrevue arriva. Le Roi de Pologne
aborda l'Empereur avec le port héroique,.
dont laNature lui avoit fait préfent; & avec
cet air que donne la victoire. L'Empereur
vêtu , comme il l'étoit dans fa cour affez
fimplement , ne l'entretint que des fervices
MARS. 176′1 8%
reçus entout temps par les Polonois , de
l'amitié & de la protection des Empereurs.
Il lâcha pourtant le mot de reconnoiffance
pour la délivrance de Vienne: A ce mot , let
Roi lui dit : mon frere , je fuis bien aife de
vous avoir rendu ce petit fervice . Il alloit finir
l'entretien qui devenoit gênant ; mais ;
il apperçut le PrinceJacques , fon fils , qui !
mettoit pied à terre , pour faluer l'Empe-
રે
reur. C'eft un Prince , lui dit - il , quej'éléve:
pour le fervice de la Chrétienté : l'Empe--
reur, fans dire mot , fit un figne de tête . Un
Palatin s'avanca , pour baifer la botte de
Sa Majefté Impériale : Palatin , lui dit le
Roi , Point de baſſeffe ..
Jean mécontent de l'Empereur , après
avoir fauvé l'Empire , ne retourna dans fes
Etats, qu'après avoir remporté d'autres victoires
fur les Turcs ; mais de retour en Po-"
logne , il y trouva des fujets de difgraces :
qu'il n'avoit pas éprouvés avec les ennemis..
Mille obftacles s'oppofoient toujours à fes
deffeins ; & une mauvaiſe ſanté caufée
les fatigues de la guèrre ', l'avertiffoit de :
fa mort prochaine . Les Médecins lui confeilloient
de s'abftenir du commandement
des armées , & d'une application trop fuivie
au Gouvernement . Pourquoi fuis -jeRoi,
leur difoit- il,fi vous me guériffez, ce nefera
pas dans le repos
par
86 MERCURE DE FRANCE.
La Reine fon époufe le débaraffoit d'u
ne partie des foins du Gouvernement . Elle
étoit aidée par l'Abbé de Polignac , depuis
Cardinal , qui étoit alors Ambaſſadeur
extraordinaire de France. » Il fut bientôt
» pour la Pologne un objet d'admiration
» & de frayeur . Orné des grâces du corps
& de l'efprit , aimable courtifan , gé-
» nie lumineux , beau parleur , politique
» délié plus que profond , il n'étoit venu
» que pour l'ambaſſade , & on l'eût pris
» pour le premier Miniftre de Pologne.
» Avant fon arrivée , les Allemands pri-
» moient à la Cour ; les François prirent le
deffus. Il étoit de tous les confeils fecrets ;
& pendant que le Roi étoit obligé de
penfer à fa fanté , il s'enfermoit fouvent
avee la Reine . Les femmes & les cour-
» tifans oififs en plaifantoient , fans penfer
que la Reine avoit renoncé aux foibleffes
» des femmes , pour les paffions des hom-
93
» mes.
La Nation Polonoife fe voyant à la
veiile de perdre fon Chef , ne s'occupoit
plus que de celui qui devoit lui fuccéder ;
& l'on fe difputoit les dépouilles d'un Roi
encore vivant en attendant que l'argent,
P'intrigue ou la force décidaffent . Il
avoit certainement bien des malheureux
dans la République , depuis que la ma
y
MAR S. 1761 .
4
ladie lui avoit arraché les rênes du gouvernement
; mais il étoit peut- être luimême
le plus malheureux . » Il abandonna
tout à la fortune ; & s'il cherchoir
» encore quelque confolation , c'étoit ,
après la Religion , dans les Lettres &
» la Philofophie qu'il la trouvoit . Deux
» hommes qui ne le quittoient pas , &
» qui connoiffoient fon goût , Polignac
» & le Pere Vota Jésuite , étoient tout
" propres à le fervir. Mais l'Abbé l'em-
"
portoit autant fur le Jéfuite , que l'ef-
" prit du monde l'emporte en aménité ,
»fur l'éducation de l'Ecole & du Cloître.
» Le Roiparloit fouvent de la France , ou
il avoit voyagé ; il louoit l'urbanité ,
» la gaîté & la valeur des Seigneurs François
; mais il blâmoit cette moleffe de
» moeurs , qui fe plie au mal comme au
» bien , qui fête le vice , pourvu qu'il ne
"foit pas ridicule ; cette belle humeur ,
" trop belle , qui leur permet de rire , tan-
" dis que leur patrie pleure. Il ne leur
❞ pardonnoit pas de quitter des noms illuftrés
par leurs ancêtres , pour pren
» dre des noms de Tèrre , fource de con-
» fufion , où l'on ne diftingue plus l'hom
» me nouveau qui achete , & l'ancien
noble qui a vendu. Polignac jugeoit à
» fon tour les Seigneurs Polonois , mais
»
$8 MERCURE DE FRANCE.
وز
avec la réferve convenable à un Etran
" ger , qui doit fe concilier la Nation avec
laquelle il traite. La Reine livrée plus
» que jamais aux affaires, étoit ravie que
» le Roi eût trouvé deux hommes à fon
gré , pour tromper fes douleurs & fes
وو
» ennuis.
Le 17 Juin , jour de la Trinité, ce Prince
s'étoit promené dans fes jardins . Il dina
même avec une lueur de fanté , pendant
que la mort travailloit dans fon fein.
Peu d'heures après , au milieu de la Famille
Royale , une attaque d'apopléxie le
renverfa fur le parquet. Au bout d'une
demie heure il reprit fes fens ; & regrettant
, pour ainfi dire , le fommeil de
mort où il ne fentoit plus les peines de
la vie , il dit dans une Langue qui lui .
étoit familière , ftava bene , j'étois bien ..
La frayeur glaçoit tous les vifages , excepté
le fien . Une fermeté guerriere, philofophique
& chrétienne le foutint dans.
fon agonie. Il employa fes derniers mö--
mens à faire fentir à fes enfans la néceffité
de l'union la plus étroite. Il conjura:
la Reine de n'avoir d'autres intérêts que
les leurs, fi elle vouloit conferver la couronne
dans fa famille , leur recommandant:
à tous de fuivre les confeils de Polignac:
qui avoit mérité, difoit - il , leur confiance
MAR S. 1761 .
89
"
& la fienne. Il mourut comme Augufte ,
à pareil jour de fon élection au Trône ,
dans la foixante- fixième année de fon
âge , & la vingt- troifiéme de fon regne.
» Ses ennemis , ou fes envieux , lui donnérent
avant fa mort même , le nom de
» Vefpafien . S'il en eut un défaut , l'amour
» de l'argent , il en eut auffi les vertus.
» Comme lui , il fut porté fur le Trône par
» fes fervices militaires . Les grâces de l'ef-
» prit , les langues qu'il parloit , les lettres:
» dont il fenourriffoit , l'enjouement de fa
» converfation , la douceur de fes moeurs ,
» la fidélité dans l'amitié , la tendreffe
» conjugale , l'amour paternel , toutes
» ces qualités qui en auroient fait un ai-
» mable particulier , n'auroient pas fuffi à
» fa haute deſtinée . Doué de la force du
» corps , & du feu du génie , fçavant dans.
» les loix , dans les intérêts des Peuples
, & dans la guèrre ; auffi éloquent
» dans les Diétes , qu'entreprenant dans
" les Armées , il avoit montré à fa Nation ,
avant que de régner fur elle , qu'il fçau-
" roit la gouverner & la défendre. Il eut
» éminemment la plupart des vertus du
» Trône ; il rendit juftice àſes ennemis
» comme à fes amis ; & il traita ceux - ci
» comme au temps où il avoit befoin d'eux :
» pour y monter. Vif , il s'emportoit aifé--
"3
»
90 MERCURE DE FRANCE .
33
و د
» ment ; mais fon coeur étoit fans fiel . S'il
» fut cruel envers les Turcs vaincus, c'étoit
» l'efprit de croifade , qui , dans ces occa-
»fions feulement , altéroit la bonté de
» fón naturel , que la Philofophie n'avoit
" pas affez perfectionné. Il fut offenfé
plus d'une fois , dans un Etat , où la liber-
» té eſt toujours en garde contre la main
"qui gouverne ; & cette main ne vouloit
frapper que ceux qui offenfoient la patrie
. Sa religion ne connut point l'into-
» lérance , les Grecs Schifmatiques, les Pro-
» teftans , les Juifs & quelques reftes de
» Sociniens , vécurent en paix fous lui....
» Citoyen fous la Couronne, il affembla la
» nation plus fouvent qu'aucun de fes
» prédéceffeurs. Son régne s'écouloit dans
» le fein du Sénat , au milieu des diétes &
» dans les exploits de guèrre. Il ne crut
" jamais que le Palais d'un Roi ne dût être
» que le Temple de la magnificence &
» des plaifirs. Il connut les affaires & les
» hommes. Dans tous fes projets de cam-
" pagne , écoutant tout le monde , il fut
» lui feul fon confeil ; & fachant com-
» bien la préſence d'un Roi eft néceffaire
» pour la difcipline , la célérité & la vic-
" toire , il ne ceffa de marcher que dans le
» temps où la maladie l'arrêta. Sa patrie
» l'admira ; elle l'eût aimé, peut- être, fi un
"
"
MARS. 17617 21
3 peuple libre ne craignoit pas fans ceffe
2 pour fa liberté ; peut- être encore, s'il eût
» moins aimé la Reine. Il eut une gloire
"
"
fingulière ; celle d'humilier la puiffance
» Ottomane , qui depuis fi longtems hu-
» milioit les Couronnes Chrétiennes.Tou-
» te l'Europe rechercha fon alliance ; &
» la Pologne eut fous lui une importance
qu'elle a mal confervée. L'Alexandre du
» Nord , Charles XII , en pleurant fur fes
» cendres , s'écria : unfi grand Roi ne de-
»voit pas mourir.
"
genre
On peut juger par ce portrait , & par
d'autres traits que nous avons rapportés ,
du talent de M.l'Abbé Coyer pour le
historique. Déja connu par plufieurs Ecrits
plein de fel , d'agrément , & de fineſſe ,
l'Hiftorien de Sobieski nemontre pas moins
de talent pour l'Hiftoire. Il penfe & écrit
en Philofophie qui approfondit les caufes
des événemens , en même temps qu'il en
détaille les circonftances . Son ftyle eft vif
& concis ; fes réflexions courtes, piquantes;
fa narration nette & rapide . Le feul défaut
que nous y remarquons , eft peut- être un
peu trop de prétention au bel- efprit ; trop
d'amour pour l'épigramme. Cette Hiſtoire
fe vend chez Duchefne , rue S. Jacques ,
6 liv. les trois volumes.
92 MERCURE DE FRANCE.
CODE DE MUSIQUE PRATIQUE , Ou
Méthode pour apprendre la Mufique ,
même aux Aveugles ; pour former la voix
& l'oreille ; pour la pofition de la main ,
avec une méchanique des doigts , fur le
Clavecin & l'Orgue ; pour l'Accompa
gnement fur tous les inftrumens qui en
font fufceptibles , & pour le Prélude
Avec de nouvelles réflexions fur le Prin
cipe Sonore. Par M. RAMEAU . Volume
in 4.° De l'Imprimerie Royale, 1760 ;
&fe vend chez Duchefne , rue S. Jacques,
au Temple du goût.
·
Nous croyons ne pouvoir mieux convaincre
le Public de l'extrême utilité don
peut être ce bel ouvrage , qu'en tranfcrivant
en partie , le plan qu'en a donné
l'Auteur lui même.
Il fuffit d'expofer celui des fept Méthodes,
dont ce Code de Mufique eft compofé
, en y ajoutant quelques légères réflexions
, pour fatisfaire les Curieux fur les
différens objets , auxquels ils voudrone
s'appliquer.
MARS. 1761. 23
La premiere de ces méthodes eft pour
enfeigner la Mufique , même à des Aveugles
; il ne s'y agit que de la gamme ordinaire,
divifée en trois, l'une felon l'uſage,
l'autre par tierces , & la derniére par
quintes ce n'eft qu'une affaire de mémoire,
dont on peut même amufer les enfans
, jufqu'à ce que ces trois gammes leur
foient bien préfentes à l'efprit , dans tous
les ordres fpécifiés , avant que de les occuper
d'autre chofe , finon de les accoutumer
petit à petit à reconnoître dans l'objet
, qui leur tiendra lieu des cinq lignes
où fe placent les notes , les lignes & les
milieux où doivent fe trouver celles qu'on
leur nommera. On y recommande furtout
d'Accompagner , avec une harmonie
complette , tout ce qu'on fait chanter aux
Commençans , & de leur enfeigner l'Accompagnement
du Clavecin ou de l'Orgue
, dès qu'ils pourront aisément reconnoître
fur les cinq lignes où doit fe placer
une telle note , foit à la tierce , à
la quarte , &c. de celle d'où l'on partira :
leur oreille s'accoutumera infenfiblement
à fentir la différence des intervalles ; &
c'eft l'unique moyen de les rendre promp
tement Muficiens .
La deuxième méthode donne la pofition
de la main fur le Clavecin & fur
94 MERCURE DE FRANCE.
l'Orgue , avec toutes fes dépendances ;
de forte qu'elle y fert également pour les
piéces & pour l'Accompagnement , même
pour tous les arts d'exercice. Cette méthode
fe trouve ici placée pour fervir à
celles qui fuivent.
La troifiéme contient l'art de former la
Voix : c'eft- à-dire , qu'elle enfeigne à tirer
de la Voix les plus beaux fons dont elle
eft capable dans toute fon étendue , d'où
fuivent les moyens d'augmenter cette
étendue au- delà des bornes qui paroiffent
d'abord naturelles , & d'arriver à toute la
flexibilité néceffaire pour exécuter les plus
grandes difficultés ; méthode non ufitée
en France , où l'on fe contente d'enſeigner
le goût du Chant , lorfque ce goût ne
peut naître que du fentiment qui ne fe
communique point.
L'extrême étendue & la grande flexibilité
des voix chez les Italiens , doivent
certainement prévenir en faveur d'une
méthode qu'on tient en partie d'eux ; on
y ajoûte feulement un moyen , par lequel
route perfonne d'une oreille fenfible pourra
juger de la plus grande beauté du fon
puis un Accompagnement très - néceſſaire
pour entretenir les fons fur le même
degré quand on les file ; car il eſt aſſez
commun aux Commençans de les hauffer
MARS. 1761 .
93
en les enflant , & de les baiffer en les diminuant.
Cet Accompagnement pour le
Clavecin ou l'Orgue fe conçoit & s'apprend
à la premiere lecture.
La quatrième méthode regarde l'Accompagnement
du Clavecin ou de l'Orgue
; elle eft totalement établie fur le plan
qui en a été donné en 1732 , excepté que
qu'on l'a foumife aux chiffres en ufage , où
les doigts d'un côté , & l'oreille de l'autre
, préviennent toujours à temps & à
propos le jugement. Cette méthode femble
être imaginée pour les Aveugles ,
comme il femble auffi que la Nature ait
prévû que la marche la plus naturelle aux
doigts fur le Clavier fuivroit exactement
l'ordre le plus régulier de l'harmonie.
Cette marche eft une pure méchanique ,
dont l'acquifition peut le faire en moins
de deux mois d'exercice , avec une main
fouple & toujours obéiffante au mouvement
des doigts ; ce qui demande toute l'attention
poffible : auffi n'eft-ce pas fans raifon
qu'on a cru devoir s'étendre fur la pofftion
de la main , dont dépend le prompt
fuccès. Par cette méchanique , bientôt les
doigts prennent , pour ainfi dire , connoiffance
du Clavier : connoiffance d'autant
plus néceffaire , que l'air doit toujours
être porté fur la Mufique qu'on Accom96
MERCURE DE FRANCE.
pagne ; connoiffance qui d'ailleurs nourrit
T'oreille de toutes les routes harmoniques,
pendant qu'elle préfente à l'efprit un
exemple fidéle de toutes les regles dont
il doit etre inftruit ; de forte que le jugement
, l'oreille & les doigts d'intelligence
concourent enſemble à
procurer en peu
de temps les perfections qu'on peut dearer
en ce genre : telles font du moins les
vues de l'Auteur. Par exemple , fans regarder
le Clavier ni les doigts , après les
avoir arrangés pour un premier accord ,
on reconnoît fur le champ au feul tact &
la Bafe fondamentale , & la diffonance
quand il y en a. Sans s'occuper des regles,
toutes les marches poffibles s'exécutent
dans leur précifion & dans toute la promptitude
néceffaire . Ces doigts préparent &
fauvent toutes les diffonances comme
d'eux-mêmes : connoît - on l'une des deux
notes à la feconde , toujours indiquées
par ces chiffres ,,, 7 ou 2 , l'autre fe
trouve fur le champ & tout l'accord enfemble
, ne s'agiffant pour cela que d'arranger
par tierces les doigts qui restent ,
de quelque côté que ce foit , l'octave de
la Baffe repréfentant partout la feconde
de 7 & de 2 , l'une au - deffus , l'autre audeffous
le plus bas des deux doigts à la
Leconde
MAR S. 1761 . 97
feconde l'une de l'autre , defcend toujours
d'un demi-ton fur la note fenfible , indiquée
par un dièſe , un béquare , ou par un
chiffre barré ; & ce doigt le plus bas eft
toujours la tonique du Ton déclaré par
cette note fenfible. Enfin l'habitude une
fois acquife de toutes les routes fondamentales
données dans les exemples, où
fe reconnoît tout ce qui vient d'être annoncé
, les doigts prennent , comme on
vient de le dire , une telle connoiffance
du Clavier , dans les plus grandes difpofitions
même , qu'ils font prèfque toujours
dans le cas de prévenir le jugement & la
mémoire : bien entendu qu'on n'emploie
le pouce dans les accords , que lorsqu'on
en pofféde parfaitement la pratique. Quel
avantage pour former l'oreille , & pour
procurer aux Aveugles les moyens d'arriver
à la Compofition ! Quel avantage encore
pour les perfonnes déjà capables
d'exécuter une Baffe à livre ouvert ! Il ne
s'agit d'abord que de la main droite dans
tous les premiers exercices , pendant lefquels
on s'inftruit des regles , dont l'exemple
fe trouve toujours fous les doigts .
La cinquième méthode achève la compofition
, dont la quatrième a déjà fait l'ébauche
& les préparatifs : elle s'y trouve
en effet de la plus grande importance ,
E
98 MERCURE DE FRANCE.
puifque fans le fecours de l'oreille , nul ne
doit fe flatter de réuffir dans la Compofition
. Nous ne fommes tous devenus Muficiens
qu'à la faveur de ce guide fidéle , qui
nous a fuggéré , par une fuite de temps
affez confidérable , les différentes routes
harmoniques dont nous fommes en poffeffion,
jufqu'à ce qu'enfin l'Auteur en a décou
vert le principe ; principe qui n'a fervi qu'à
tirer de la confufion les régles de l'harmonie
, en lui donnant , dans la pratique , le
titre de Baffe fondamentale , fur laquelle
eft établie la méchanique des doigts dont
on vient de parler .
On fuppofe donc , à quiconque voudra
fe livrer à la Compofition , une connoiffance
& un fentiment peu commun de
l'Harmonie , ne pouvant guères fe fatiffaire
fur ces deux points que par le moyen
de l'Accompagnement. On ne fera plus
déformais la dupe de fon trop de prévention
pour de médiocres talens , fur
lefquels on a peine à fe rendre juftice :
tout est donné dans cet Accompagnement
, le fimple & le plus compofé , l'oreille
y eft prévenue , & fe met à portée
de pouvoir préffentir : c'eft le grand point
pour que l'imagination ne foit jamais fufpendue
. Quand même les regles connues
feroient fans reproche , qu'est- ce que des
MAR S. 1761 :
99
regles qui afferviffent le génie ? c'eſt à
l'imagination d'en ordonner ; auffi n'at-
on entrepris la méthode dont il s'agit ,
qu'après avoir découvert le moyen de la
laiffer agir , cette imagination , en toute
liberté elle n'a pas plutôt produit un
Chant , que la régle en fait trouver la
Baffe fondamentale , & par conféquent
toute l'harmonie , dont on difpofe à fon
gré. Eft- on arrêté dans fa courfe ; l'imagination
fe refufe-t- elle à nos defirs ; la
fucceffion obligée de cette Baffe fondamentale
nous remet fur la voie , jufqu'à
nous écarter des routes trop communes ,
fuppofé que nous ayons le goût affez délicat
pour ne pas nous contenter de celles
qui pourroient y tendre. N'euffions- nous
produit que deux mefures de Chant , cette
Baffe peut nous le faire continuer auffi
long-temps que nous le voudrons, même
avec les variétés de modulations les plus.
agréables. On s'explique d'ailleurs , dans
la méthode , fur les talens qui ne ſe donnent
point , mais qui fe développent à
mefure que l'oreille fe forme ; & pour cet
effet , il faut écouter fouvent de la Mufique
de tous les goûts. Embraffer un goût
nationnal plutôt qu'un autre , c'eft prou
ver qu'on est encore bien novice dans
l'Art.
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Les deux dernières méthodes, l'une pour
Accompagner fans chiffres , l'autre pour
le Prélude , tiennent tout des deux précédentes
, dont il ne s'agit que d'expliquer
les principes , relativement à leur objet.
Trouver la Baffe fondamentale de tout
Chant donné , doit certainement fuppléer
au chiffre , puifque la Bafle fur laquelle on
diftribue l'Harmonie eft un Chant. Avoir
toutes les routes fondamentales fous les
doigts , par l'exercice qu'on doit en avoir
fait fur les exemples qu'on en donne , il y
a là dequoi fournir au Prélude , dont la variété
eft même affignée par les renverfemens
poffibles & connus ; on fuppofe d'ailleurs
une habitude acquife fur le Clavier
par un exercice de différens Airs , d'où
l'on tire mille petits ricochets , plus agréables
les uns que les autres , pour l'ornement
du Chant.
Par ces méthodes , on faura comment
il faut l'enfeigner , & comment on doit
être enfeigné .
Il faudra féparer les exemples gravés du
livre des Méthodes , du moins lorsqu'il
s'agira de l'Accompagnement , pour les
placer fur le pupitre d'un Clavecin pendant
que les méthodes feront à côté , de
façon qu'on puiffe aiſément jetter la vue
de côté & d'autre.
MARS. 178.1 .. 101
Nous donnerons dans le prochain Mercüre
, l'Extrait des nouvelles Réflexions
de M. Rameau , fur le Principe fonoré,
LETTRES DE DEUX AMANS , habitans
d'une petite Ville aux pieds des
Alpes , recueillies & publiées par J. J.
Rouffeau. Six volumes in-12 ; à Amfchez
Marc- Michel Rey. Le
terdam ,
prix
eft de 15 liv.
Nous n'entrerons aujourd'hui dans
aucun détail fur cet Ouvrage , dont nous
nous préparons à donner un long Extrait.
Nous dirons feulement, que les deux éditions
qui en ont été faites prèfque en
même temps , l'une à Paris & l'autre en
Hollande , ont à peine fuffi pour fatiffaire
l'empreffement du Public , qui le
lit avec autant de plaifir que d'avidité .
C'eft du moins là ce qui nous revient
de toutes parts ; & nous avons d'autant
moins de peine à le croire , que c'eft ce
que nous avons nous - mêmes éprouvé en
le lifant.
E iij 3
102 MERCURE DE FRANCE
PREFACE DE LA NOUVELLE HELOISE
, ou Entretiens fur les Romans,
entre l'Editeur & un homme de Lettres
par J. J. ROUSSEAU " Citoyen de
Genève. A Paris , chez Duchefne , Li
braire , rue S. Jacques , au Temple du
Goût. Avec Approbation & Privilége du
Roi. Le prix eft de 24 fols.
CEE dialogue étoit d'abord deſtiné à
fervir de Préface aux Lettres de deux
Amans , que nous venons d'annoncer ; -
mais fa forme & fa longueur n'ayant per
mis à M. Rouffeau , que de le mettre par
Extrait , à la tête du Recueil , il le donne
ici tout entier. On y trouve un jugement
très-rigoureux du Roman de la nouvelle
Héloïfe , que M. Rouffeau met dans la
bouche d'un des Interlocuteurs. Il eft vrai
qu'il juftifie enfuite lui- même prèfque tous
les points , fur lefquels tombe fa propre
critique. Nous n'en tirerons que ce qui;
peut donner une idée générale de l'Ouvrage,
en attendant une analyfe plus détaillée.
» Une jeune fille (Julie) offenfant la
» vertu qu'elle aime , & ramenée au deMAR
S. 1761 . 103
» voir par l'horreur d'un plus grand crime
; une amie (Claire) trop facile , pu-
> nie enfin par fon propre coeur , de l'ex-
» cès de fon indulgence ; un jeune hom-
» me , ( S. Preux , ) honnête & fenfible ,
» plein de foibleffe & de beaux difcours ;
» un vieux gentilhomme ( le Baron d'E-
» tange , ) entêté de fa nobleffe , facri-
» fiant tout à l'opinion ; un Anglois ( Milord
Edouard , ) généreux & brave , toujours
paffionné par fageffe , toujours rai-
» fonnant fans raifon ; un mari débonnai-
» re & hofpitalier ( M. Wolmar, ) empreffé
» d'établir dans fa maifon l'ancien amant
» de fa femme. » Voilà les principaux per-
» fonnages qui agiffent dans ce Roman .
REPONSE de J. J. ROUSSEAU , Citoyen
de Genève , à un Anonyme.
J'ai reçu le 12 de ce mois , par la pofte ,une
Lettre anonyme fans date, timbrée de Lille
, & franche de port. Faute d'y pouvoir
répondre par une autre voye , je déclare
publiquement à l'Auteur de cette Lettre
que je l'ai lue & relue avec émotion , avec
attendriffement ; qu'elle m'infpire pour
lui la plus grande eftime , le plus grand dé-
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
fir de le connoître & de l'aimer ; qu'en me
parlant de fes larmes , il m'en a fait répandre
; qu'enfin ,jufqu'aux éloges outrés dont
il me comble ,tout me plaît dans cette Lettrę
, excepté la modefte raiſon qui le porte
à fe cacher.
A Montmorenci , le 15 Février 1761 .
LES ANTIQUITÉS DE METZ , ou Recherches
fur l'origine des Médiomatriciens
leur premier établiſſement dans les Gaules
, leurs moeurs , leur Religion.
Etiam non affequutis voluiſſe pulchrum.
Plin. Lib. I..
In- 8°. 1760. A Metz , chez Jofeph Collignon
, Imprimeur ordinaire du Roi , à la
Bible d'Or. Cet Ouvrage de Dom Jofeph
Cajot , Bénédictin de l'Abbaye de S. Arnould
, nous paroît rempli de recherches
auffi fçavantes qu'inftructives ; & nous
comptons en parler plus amplement.
ÉLÉVATIONS du Chrétien malade &
mourant , conforme à J. C. dans les différentes
circonftances de fa Paffion & de
fa Mort ; avec 1. la Paffion de N. S. J. C.
diftribuée par lectures , & une prière à
MARS 1761. 105
la fin de chacune. 2 °. Une Paraphraſe
morale du Pfeaume 21 , jointe au Texte
& à la Traduction . 3 °. Les Prières pour
l'agonie, en Latin & en François. Seconde
Edition revue & corrigée. in- 12 . Paris ,
1761. Par M. Perronet , Chanoine Régulier
, Prieur- Curé de S. Ambroise de Melun.
Se vend chez Auguftin- Martin Lottin
l'ainé , rue S. Jacques, près S. Yves . Avec
Approbation & Privilège du Roi.
LE CLAVECIN ELECTRIQUE , avec une
nouvelle Théorie du méchaniſme & des
phénomènes de l'Electricité . Par le R. P.
de la Borde , de la Compagnie de Jeſus.
In- 12. Paris 1761. Chez H. L. Guérin
& L. F. Delatour , rue S. Jacques à S.
Thomas d'Aquin. Avec Approbation &
Privilége du Roi. Prix 1 liv . 16 f. broché.
MÉMOIRE fur la vie de M. de Pibrac ;
avec les piéces juftificatives , fes Lettres
amoureuſes , & fes Quatrains. In- 12. Amfterdam
, 1761. Chez Michel Rey. Ce volume
, contient des Piéces auffi curieufes
qu'intéreffantes pour les Amateurs de
l'Hiftoire de France.
ALMANACH de la Ville de Lyon & des
Provinces de Lyonnois , Forez & Beaujolois
; pour l'année 1761. in- 8 ° . Lyon,
E v
206 MERCURE DE FRANCE.
De l'Imprimerie d'Aimé de la Roche , aux
halles de la Grenette . Prix , 3 liv . broché
& 3 liv. 8 f. relié en bazanne. On le trouve
à Paris , chez Defaint & Saillant, rue
S. Jean de Beauvais. Cet Ouvrage contient
un détail fort exact de la Ville de
Lyon , de fon Gouvernement &c.
LE MISSEL, in-folio & in- 4° . imprimé
chez le même avec tout le foin & toute
la correction poffible.
Le grand PSEAUTIER , & le grand Graduel
, s'impriment actuellement chez lui ,
ainfi que le grand Antiphonaire , dont
nous avons le Profpectus , & qui feront de
la plus grande beauté. Cette Imprimerie ,
l'une des plus vaftes de France, puifqu'elle
a 73 pieds de longueur fur 25 de largeur,
où font & Preffes de front , avec 8 rangs:
de Caffes pour les Compofiteurs qui y
travaillent , eft fpécialement deſtinée à
l'impreffion des Livres d'Eglife àl'ufage
Romain. Ce fond qui fubfifte à Lyon ,
depuis 200 ans , appartint d'abord à Gré
goire, des mains duquel il paffa aux ayeux
père & fils Volfray , & fur la fin de 1749
à Aimé de la Roche. Elle eft renommée
pour les Éditions élégantes & correctes.
On trouve auffi chez lui un Breviaire in-
12 , & un autre de même format en deux
MARS. 1761 . 1070
Volumes , qui peuvent être regardés comme
des chefs-d'oeuvres d'Imprimerie. On
en trouve à Paris , chez Guerin & Delatour
, & chez Le Mercier.
DAIRA , HISTOIRE ORIENTALE, deux volumes
in- 12. Amfterdam , 1761.Et fe trouve
à Paris chez Bauche , Libraire , quai
des Auguftins , à l'image Ste Geneviève.
Ce font , dit- on , les amufemens d'une
perfonne dont le nom & le mérite font:
également connus.
RECUEIL DE POESIES FUGITIVES , par M..
Feutry.
...... Amant otia Mufæ ;.
Otia vix habui.
势
Brochure 8. ° à Rennes , 1760. Chez:
Nicolas- Paul Vatar, Imprimeur-Libraire,
rue Royale . Nous rendrons compte de ce
Recueil , qui ne peut qu'ajouter à la répu--
tation de M. Feutry.
ESSAIS fur l'Euvre hermétique ; par
un Amateur de cet Art . Brochure in- 8 ..
Londres , 1761. Il y a de la Poëfie dans
ce fingulier Ouvrage , écrit en ftyle d'Ode.
Il eft fuivi d'un Effai du même genre
fur la Création du Monde. On en trouve
des Exemplaires à Paris , chez Ballard ,
rue S. Jean de Beauvais...
E vi
108 MERCURE DE FRANCE.
PROGNÉ, Tragédie de M. de la Volierre;
jouée fur les Théâtres Bourgeois en 1760 .
A Luneville , & le trouve à Paris , chez
Duchefne , rue S. Jacques , au Temple du
goût. Prix 1 liv. 10 ſ.
le
MÉMOIRE fur la pratique du femoir ;
'dont les avantages font démontrés par
réfultat des produits de plufieurs champs
enfemencés avec cet inftrument d'agriculture
, fuivant l'ufage ordinaire . Récolte
, année 1760. Brochure in - 12.Lyon ,
1760. Chez Aimé de la Roche , aux halles
de la Grenette . Et fe trouve à Paris ,
chez Defaint & Saillant , rue S. Jean de
Beauvais .
DISCOURS prononcés dans l'Académie
Françoife , le Lundi 19 Janvier 1761 , à
la réception de M. Watelet. in-4° . Paris,
au Palais , chez la veuve Brunet , Imprimeur
de l'Académie Françoiſe.
ESSAI fur les moyens de conferver la
fanté des gens de mer , Ouvrage traduit
de l'Anglois du Docteur Lind , par M.
l'Abbé Mareas. Londres , 1760 ; & fe
trouve à Paris , chez Etienne Boudet , rue
S. Jacques. Le fieur Lind , affure avoir
trouvé un reméde certain contre le Scorbut
& autres maladies qui affligent les
gens
de mer. C'eft furtout en leur pref
MARS. 1761 109
crivant l'ufage des Tablettes de bouillon
compofés de fubftance de boeuf , veau ,
Touton & volaille , & qui ne comportent
d'autres fels que ceux de ces viandes
mêmes. On trouve ces Tablettes chez le
fieur Meufnier , Traiteur , rue S. Denys ,
vis-à - vis la rue du Petit-Lion , au Pavillon
Royal.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES
ACADEMIES.
LES CHARMES DE L'ÉTUDE , Epître
aux Poëtes , qui a remporté le Prix de
Poëfie de l'Académie Françoife en 1760,
Par M. MARMONTEL.
СЕТET Ouvrage , s'il en faut juger par le
titre ,fait partie d'un cours général de Belles-
Lettres : le début même femble l'annoncer.
L'Auteur y rend grace àfes livres ,
des plaifirs purs qu'ils lui procurent loin
du tumulte du monde. Il commence par
la Poëfie pour paffer fans doute à l'éloquence,
à la Philofophie , à l'Hiftoire , fans
Tro MERCURE DE FRANCE.
quoi le plan ne feroit pas rempli . Mais
cette premiere Epître ne s'adreffe qu'aux
Poëtes. On voit quelle eft l'expreffion naïve
de la manière , dont il a été affecté en
les lifant. Ses éloges font quelquefois mê
lés de critiques , liberté d'autant plus permife
qu'il ne parle que des morts,auxquels
on ne doit que la vérité.
Il caractériſe Homère & Milton par ce
vers :
Torrens mêlés de fumée & de flâme.
Mais il préfére ce mêlange à la pureté
d'un goût timide.
Peindre , émouvoir , imiter dans vos Vers
L'heureux larcin du hardi Prométhée ,
Donner la vie à mille être divers ,
Elever l'homme , embellir l'Univers ,
Telle eft la loi que vous avez dictée.
Il loue Lucain , d'avoir ofé tenter de fe
paffer du merveilleux de la fable , & d'avoir
tiré de fon fujet & de fon génie dequoi
foutenir la majefté du Poëme Epique.
Qu'a-t- il befoin de Mars & de Minerve?
11 a Céfar, & Pompée & Caton.
Les paffions de Céfar & de Rome ,
Lui tiennent lieu d'Hecate & d'Alecton ,
Le ciel, l'enfer , font dans le coeur de l'homme
MARS 1761 .
Mais ce Poëme plein de génie , la Phar
fale , feroit à beaucoup d'égards un mauvais
modéle à imiter ; M. M. en convient
lui-même ; & l'on peut voir comme il en
a jugé dans l'article EPOPEE de l'Encyclopédie.
En reconnoiffant la fupériorité de Virgile
, du côté de l'harmonie, du fentiment
& du coloris , en admirant en lui le Peintre
touchant , le Poëte ingénieux & fage ;
M. M. regrette qu'il n'ait pas eu le courage
d'abandonner les traits d'Homère , &
de fuivre un plan qui fût à lui.
Si ton rival tient le fceptre au Parnaffe ,,
Il ne le doit qu'à ta timidité.
C'eft dire , ce me femble , que Virgile
avoit dequoi s'élever au- deffus d'Homère ,
s'il eût ofé s'abandonner à fon génie ; &
c'eſt le louer autant qu'il eft poffible. Il
eft vrai qu'il lui reproche de n'avoir pas
égalé Homère dans l'art de deffiner fes caractères
, dans le talent de les grouper ; &
quiconque aura bien préfente la partie:
Dramatique de l'Iliade & de l'Enéïde , en
conviendra , s'il eft de bonne foi. Il ajoute
que le Taffe a fur Virgile un grand avantage
dans cette partie ; & il le prouve en
rapellant l'idée des Héros du Poëte Italien..
Mais que le Taffe a bien mieux exprimé
112 MERCURE DE FRANCE.
Cet héroïfme ébauché par Homère !
Que d'un pinceau plus fier , plus animé ,
Il nous a peint la piété fincère ,
La grandeur fimple & la ſageſſe auſtère,
Et la valeur qui connoît le danger ,
Et la fureur qui s'aveugle elle-même ,
Et la jeuneſſe , ardente à fe plonger
Dans les plaifirs qu'elle craint & qu'elle aime ,
Et la vertu qui la vient dégager.
Avec la même franchiſe que M. Mar
montel regarde le caractére de Didon comme
fublime, il regarde celui d'Enée comme
trop foible , & trop peu animé.
Ce n'eft pas tout que d'aller fonder Rome :
Ce grand deffein demandoit un grand homme.
Ce n'eft pas la premiere fois qu'on a
fait ce reproche àVirgile;& ce qui laifferoit
croire qu'il eft fondé, c'eftque pour y répondre
il a fallu fuppofer que Virgile avoit
voulu flatter Augufte , en donnant fon caractére
au héros Troyen.
L'Amour domine dans le Poëme du Taffe
, & à ce propos M. M. réfute le fentiment
de ceux qui ont voulu le bannir du
Poëme héroïque.
Des paffions élémens de nos âmes ,
La plus active , eſt celle de l'amour.
MAR S. 1761 . 113
Millé couleurs en annoncent les flâmes ;
L'Amour fe change en colombe , en vautour
Contre lui-même il s'emporte , il s'anime ,
Conçoit , embraffe , étouffe fon deffein ;
Et de les traits fe déchirant le fein ,
Il eft le Dieu , le Prêtre & la victime
Quels charmes l'amour n'a- t - il pas repandu
fur les écrits d'Anacréon , de Proper
de Tibulle , & d'Ovide.
ce ,
Enfant gâté des Mules & des graces ,
De leurs tréfors brillant diffipateur ,
Et des plaifirs fçavant législateur.
Mais Racine les a tous furpaffés dans
l'art de peindre cette paffion fi variée & fi
féconde.
L'amour l'inſpire , il en fait un Apelle ;
A Chammelé, fon actrice immortelle ,
Pour l'éclaircir,il remit fon flambeau :
Cen'eft fouvent que le même modèle ;
Mais l'attitude à chaque inftant nouvelle ,
Le reproduit à chaque inftant plus beau.
Aux tableaux touchants de Racine , il
oppoſe les peintures terribles & majestueufes
de Corneille ; & en rendant une forte
de culte a ce grand homme , il lui attribue
la gloire d'avoir donné à la Tragédie
PT4 MERCURE DE FRANCE.
un caractère plus moral : c'eft-à- dire , d'avoir
tiré l'action théâtrale du fond même
des caractères.
L'action naît de l'âme des Acte urs ;
Les paffions font les Dieux du Théâtre .
✪ Rodogune ! éternel monument ,
Qu'avec éffroi j'admire & j'idolâtre ,
Où font puifés ce noud , ce dénoûment ,
Cet intérêt? au fein de Cléopâtre !
Tiffu hardi d'invisibles rapports ,
Héraclius , fimple & vafte machine ,
Quel Dieu caché préfide à tes refforts ,
Les fait mouvoir ? L'âme de Léontine.
Le merveilleux banni de la Tragédie
eut un Théâtre confacré à lui feul.
Lully monta fon Inth harmonieux ;
A fes açcens s'éleva ce beau Temple ,
Brillant Théâtre , où préfide l'Amour ,
Où tous les Arts triomphent tour- à- tour }
Et dont Quinaut fut la gloire & l'exemple..
Chantre immortel d'Atis & de Renard ,
O toi galant & fenfible Quinaut !
L'illufion , aimable enchantereffe ,
Mêla fon filtre à tes vives couleurs ;
Le Dieu des vers , le Dieu de la tendreffe ,
T'ont couronné de lauriers & de fleurs.
1
MARS. 1761. TIS
Dans tes tableaux quelle noble magie ,
Dans tes beaux vers quelle douce énergie !
Si le François , par Racine embelli ,
Lui doit la grâce unie à la nobleffe ,
11 tient de toi , par ton ftyle amoli ,
Un tour liant & nombreux fans foibleffe.
Quinaut qu'on adore aujourd'hui , fut
pendant fa vie l'objet & la victime de la
haine de Defpreaux, & l'on voit que M. M..
fe paffionne un peu contre ce Satyrique.
Que n'avoit- il , ton injufte Cenfeur ,
C'est à Quinaut qu'il s'adreffe.
Que n'avoit-il , un rayon de ta flâme ?
Son fiel amer valoit-il la douceur ,
D'un fentiment émané de ton âme ?
Il rend juftice au goût , à l'efprit , à
Part prodigieux de Boileau , mais il lui refufe
les dons d'une âme vive & fenfible ,
le feu , la verve , la fécondité. Les amis de
Boileau n'en jugeoient pas plus favorablement
: tu es un boeuf, lui difoit Chapelle ,
qui traces bien tonfillon . Boileau lui - même
difoit de lui qu'il étoit invulnérable comme
Achille , excepté dans un feul'endroit
que fes ennemis n'avoient pas découvert .
Cet endroit foible étoit le fentiment, fans.
116 MERCURE DE FRANCE
lequel il n'y a point de génie ; cependant
M. M. adû s'attendre à des contradictions
fur cet article , & il en éffuye.Quoi,
dit-on , n'y a- t- il ni feu , ni verve , ni fécondité
dans l'art poëtique & dans le lutrin
? Le goût , l'efprit , l'étude & le travail
ont - ils feuls produit ces chefs - d'oeuvres
? Quoiqu'il en foit , voici un morceaur
que M. Marmontel dit n'avoir hazardé
qu'avec l'approbation pleine & entiere du
plus grand Poëte de notre fiécle, de l'homme
du monde qui a le plus de goût.
Mais ce Boileau , Jugepaffionné ,
N'en eft pas moins légiflateur habiles
Aux lents éfforts d'un travail obſtiné ,
Il fait céder la Nature indocile´ ;
Dans un terrein fauvage abandonné
A pas tardifs trace un fillon fertile ;
Et fon vers froid , mais poli , bien tourné ,
Aforce d'art , rendu fimple & facile ,
Reffemble au trait d'un or pur & ductile ,
Par la filière en gliffant façonné.
Que ne peut point une étude conftante ?
Sans feu , fans verve , & fans fécondité ,
Boileau copie, on diroit qu'il invente :
Comme un miroir , il a tout répété ;
Maisl'art jamais n'a fçu peindre la flâme.
Le fentiment eft le feul don de l'âme ,
Que le travail n'a jamais imité.
MARS. 1761, 117
J'entends Boileau monter fa voix flexible
A tous les tons , ingénieux flateur ,
Peintre correct , bon plaiſant , fin moqueur ,
Même Leger , dans fa gaîté pénible ;
Mais je ne vois jamais Boileau ſenſible ,
Jamais un vers n'eſt parti de fon coeur,
A ce portrait fuccéde celui du divin
La Fontaine .
Que la Nature au génie indulgente ,
Traita bien mieux ce Poëte in génu ,
Ce La Fontaine à lui- même inconnu ,
Ce Peintre né , dont l'inſtinct nous enchante &c;
La fageffe & la vérité qui regnent dans
les écrits de ce Fabulifte inimitable , engagent
M. M. à examiner fi la Poëfie eft
foumife aux loix févères de la Raifon. Il
expoſe ſon ſentiment dans une allégorie
qu'on a trouvée heureuſe .
.
La Poefie eut le fort de Pandore ;
Quand le Génie au Ciel la fit éclore ,
Chacun des Arts l'enrichit d'un préfent.
La Raifon même , à la jeune Immortelle ,
Voulut fervir de compagne fidelle ;
Mais quelquefois invifible témoin ,
Elle la fuit & l'obſerve de loin. I
*
118 MERCURE DE FRANCE .
Ainfi dans l'ivreffe de l'Ode ( & Rouffeau
en eft ici l'exemple ) le génie peut
paroître s'égarer ; mais fes écarts même
doivent être dirigés par la Raifon.
Eft-il d'éffor qu'elle nerégle ?
Pour s'élever & planer dans les Cieux,
L'enthouſiaſme a les aîles de l'aigle ;
Pourquoi veut-on qu'il n'en ait pas les yeux ?
Voyez Horace ; & fi dans fon délire
Sa main voltige au hazard ſur la lyre &c.
On voit que dans cette Epître les exemples
font naître les réflexions , & les réflexions
amènent les exemples. Après
avoir admiré Horace dans fes Poëfies lyriques
, M. M. l'étudie dans fes Poëfies
morales , & l'analogie le conduit à Moliè
re , le plus Philofophe de tous les Poëtes.
On a répété fouvent , qu'aux Piéces de
Molière, chacun rioit à fes propres dépens ;
mais la manière dont M. M. l'a dit de l'Avare,
a caufé le plaifir de la furpriſe , & a
eu le fuccès de la nouveauté.
4 L'Avare pleure & ſourit tout enſemble ,
D'avoir payé pour entendre Harpagon.
Il ajoute :
Le feul Tartuffe a peu ri , ce me femble,
MARS. 1761. 119
Il finit , en demandant à fes Livres de
l'occuper toujours auffi agréablement .
Fruits du génie , heureux préfens des Cieux ,
Embelliffez la retraite que j'aime !
Et rendez-moi mon loifir précieux &c.
On a remarqué que M. M. a tâché de
peindre chacun de ces Poëtes dans leur
ftyle , qu'il a changé de ton en changeant
de fujet ; & cette variété répandue dans
fon Ouvrage , a obtenu des applaudiffemens
. Du refte le fuffrage de l'Académie
en fait un éloge auquel je n'ai rien à
ajouter .
N. B. Les bornes qui nous font préfcrites
, ne nous permettent pas de rendre
compte du beau Poëme de M. Thomas
, qui a concouru pour le Prix de l'Académie
Françoife, avec celui de M. Marmoniel
; & nous fommes fâchés d'être
obligés de le remettre au Mercure prochain.
120 MERCURE DE FRANCE.
MATHÉMATIQUES.
COURS DE MATHEMATIQUES , dédié
au Roi de Pologne , Duc de Lorraine &
de Bar &c. A l'ufage de MM. les Cades
Gentilshommes de Sa Majefté. Par
M.PLAID, Chanoine Régulier de la Congrégation
de Notre Sauveur , de l'Académie
Royale des Sciences & Belles- Lettres
de Nanci , Profeſſeur de Mathématiques
de l'Ecole Royale & Militaire de
Luneville & des Pages. A Paris , chez
Jombert , Imprimeur- Libraire , rue Dau
phine , à l'Image Notre- Dame,
LORSQUE j'ai annoncé ce Cours dans le
·
Mercure du mois d'Août dernier , je me
fuis contenté d'en faire connoître la méthode
; j'en ai loué les définitions qui m'ont
paru toutes très exactes ; les démonftrations
qui font toutes auffi rigoureufes que
bien amenées ; en un mot , l'ordre & la
gradation foutenue de toutes les parties de
l'ouvrage entier, qui m'a paru la production
d'un efprit vraiment Géométre , qui
poffede
MARS. 1751. 12 [
poffède bien fon objet , & qui a l'art de
le préfenter de la manière la plus lumineufe
& la plus intéreffante.
Je me fuis réfervé à faire l'analyse des
différens volumes de ce Cours , à meſure .
qu'ils fortiroient de la preffe. Il y a tant
d'ouvrages de ce genre , que c'eft rendre
un vrai fervice au Public , de faire connoître
ceux qui , comme celui de M. l'Abbé
Plaid , méritent la préférence.
Analyfe du premier Volume.
Le premier volume contient le Calcul
'Algébrique & Numérique , & il eft divifé
en onze chapitres.
Dans le premier , l'Auteur fait connoître
l'objet du calcul ; on y trouve une expofition
claire de la formation des nombres
, de leurs différentes efpéces & de la
numération ; viennent enfuite les caractères
& les fignes que l'on emploie dans
l'Algébre ; les différentes fortes de grandeurs
algébriques , la manière de les exprimer
, & d'en fimplifier l'expreffion par
le moyen des expofans & des coefficiens.
Ce premier Chapitre eft , pour ainfi dire ,
le tableau général d'un pays dont les Chapitres
fuivant font les carres particulieres.
Dans le fecond Chapitre , on trouve
l'addition , la fouftraction , la multiplica
F
122 MERCURE DE FRANCE.
tion & la divifion des nombres fimples ;
les ufages de ces opérations ; des méthodes
abrégées pour certaines fuppofitions ; &
les principes qui lient ces premiéres opérations
avec de plus compofées. Tout y
eft clairement déduit de la Nature des
nombres & du principe de la numération .
›
Dans le troifiéme Chapitre , l'on enfeigne
à ajouter , fouftraire , multiplier & divifer
les grandeurs algébriques ; l'Auteur
met dans le plus grand jour la régle des
fignes de la multiplication , en regardant
cette opération comme une addition
ou une fouctraction , du multiplicande
felon que le multiplicateur eft pofitif , ou
négatif. Il a auffi rendu très- intelligibles
les procédés de la divifion algébrique , en
la confidérant comme une opération par
laquelle un produit étant donné avec l'un
de fes produifans , on trouve l'autre produifant.
Le Chapitre quatrième a pour objet les
fractions numériques & algébriques ; on
y traite de leur réduction , & de la manière
de les ajouter , fouftraire , multiplier &
divifer ; un feul principe , à fçavoir : que
la fraction n'eft autre chofe qu'une divifion
qui a le numérateur pour dividende ,
& le dénominateur pour divifeur , eft le
fondement de toutes les méthodes que
renferme ce Chapitre.
MAR S. 1761 . 12 ;
Le Chapitre cinquième contient les opérations
de l'Arithmétique furles nombres
compofés.
Le Chapitrefixième a pour objet l'extration
des racines quarrées & cubiques des
quantités algébriques & numériques , avec
l'approximation de ces racines , lorſque les
nombres proposés ne font pas des quarrés
ou des cubes parfaits . On démontre auffi
dans ce chapitre quelques propofitions fur
les produits des grandeurs multipliées par
elles-mêmes , & les unes par les autres.
Le Chapitre feptième contient le calcul
des puiffances par les expofans ; celui des
radicaux ; enfin l'élévation des grandeurs à
une puiffance quelconque d'un expofant
entier ou fractionnaire ; cette derniere
opération qui eft d'un fi grand uſage dans
le calcul intégral , & même dans l'analyſe
ordinaire pour l'extraction approchée des
racines , eft traitée avec beaucoup d'élégance
& de netteté.
Le Chapitre huitième eſt une théorie trèsbien
développée des équations : on y trouve
d'abord les régles générales des équations;
celles qui font propres aux équations
du premier & du fecond degrés , avec l'ap
plication de ces régles .
Viennent enfuite les propriétés des équa
tions des degrés fupérieurs , avec la ré
Fij
124 MERCURE
DE FRANCE
.
duction & les différentes transformations
de ces équations , & les méthodes pour
trouver leurs racines commenfurables ,
lorfqu'elles en renferment.
De là l'Auteur paffe aux équations d'un
degré quelconque , qui n'ont que deux termes
, ou qui ayant trois termes font réductibles
à celles qui n'en ont que deux par la
méthode des équations du fecond degré ;
& il termine par la réſolution générale des
équations du troifiéme degré ; il montre le
cas auquel les racines de ces équations font
toutes trois réelles, celui auquel il y a deux
racines imaginaires & une racine réelle ,
& enfin comment au défaut de racines
exactes , on peut en trouver par approximation.
Le Chapitre neuvième traite des raifons ,
proportions , & progreffions géométriques
; des regles de trois directes & inverfes
, fimples & compofées ; de la regle de
fociété ; & de la manière de fommer les
progreffions géométriques .
Le dixième Chapitre a pour objet les proportions
& progreffions géométriques , &
les logarithmes .
Le Chapitre onzième eſt une application
de l'algébre à la réfolution de quelques
problêmes d'arithmétique.
Après divers problêmes fur les progref
fions arithmétiques , & géométriques ; &
MARS. 1781. 129
fur l'extraction des racines des quantités
compofées d'une partie rationnelle & d'un
radical du fecond degré ; l'Auteur réfout
ce problême auffi général qu'on puiffe l'imaginer
Sommerles puiffancés d'un même degré quelconque
des termes d'une progreffion arithmétique
quelconque finie.
La folution de ce problême lui donne
une formule de laquelle il déduit aisément
la valeur indéterminée d'un nombre poligone
d'une efpéce quelconque , & celle
d'un nombre piramidal d'un ordre auſſi
quelconque ; ce qui eft appliqué à la manière
de compter les boulets des piramides
triangulaires & quarrés.
Enfin reprenant la formule générale
la fomme des puiffances d'un même degré
quelconque d'une progreffion arithmétique
finie quelconque , & la corrigeant
pour la fuppofition de la progreffion des
nombres naturels , pouffée à l'infini ; il en
réfulte la formule touchant la fomme des
puiffances d'un même degré quelconque
des termes de la progreffion des nombres
naturels qui commence par l'unité, & qui
eft pouffée à l'infini . Ce qui eft d'une application
très - étendue dans la Géométrie .
Analyfe dufecond Volume.
Le fecond volume renferme la Géomé-
Fiij.
26 MERCURE DE FRANCE.
trie élémentaire , & il eft divifé en treize
Chapitres.
Dans le premier , M. l'Abbé Plaid raffemble
tout ce que l'on peut fçavoir de
Géométrie, avant qu'on s'applique à cette
fcience , & les propriétés qui tenant de
plus près aux vérités les plus fimples &
les plus généralement répandues, s'offrent,
pour ainfi dire , d'elles-mêmes à tout
efprit réfléchi .
Pour faire connoître l'objet de la Géométrie
, il commence par donner des
idées exactes des trois fortes d'étendue ,
des différentes fortes de lignes , d'angles
, de triangles , de quadrilatères , de
poligones , &c. reprenant enfuite chacun
de ces objets , il en expofe les propriétés
les plus générales , & les plus aifées
à faifir.
Par le moyen de ces premieres connoiffances
élémentaires, détachées du corps de
l'Ouvrage , pour fervir de bafe à l'édifice
entier , les fuppofitions géométriques font
venues d'elles -mêmes fe ranger, felon leur
degré de compofition dans un ordre trèsméthodique
; comme l'analyse des chapitres
fuivans le fera connoître.
Le Chapitre fecond a pour objet les
lignes droites & les angles ; on y trouve:
d'abord les propriétés qu'offrent les li
MAR S. 1761. 127
gnes droites , foit qu'on les confidère
dans les différentes pofitions qu'elles
peuvent avoir entre elles , foit qu'on les
confidère dans le cercle ; on y donne
enfuite la meſure des angles , confidérés
dans le cercle , & la valeur de la fomme
des angles de différentes figures rectilignes
.
Le Chapitre troifiéme eft l'application
du fecond.
On y réfoud fucceffivement les problêmes
relatifs aux lignes confidérées dans
leurs différentes pofitions entre elles &
dans le cercle ; on y applique enfuite les
propriétés des angles , confidérés dans le
cercle & dans les figures rectilignes ; on
termine par
la conftruction des figures
rectilignes , & l'infcription de quelquesunes
dans le cercle.
Le Chapitre quatrième a pour objer
les furfaces.
On enfeigne d'abord à repréfenter
géométriquement le produit de deux
lignes , multipliées l'une par l'autre , &
le produit d'une ligne multipliée par
elle-même ; d'où l'on tire la valeur da
quarré de la fomme , ou de la différence
de deux lignes relativement à ces lignes ;
& encore la valeur du rectangle de deux
lignes inégales , relativement à la fomme
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
& à la différence de ces lignes ; on détermine
enfuite les produifans , des furfaces
des figures rectilignes & du cercle.
Le Chapitre cinquième eft l'application
du quatrième.
On y voit la manière de former par
la multiplication , la furface d'une figure
quelconque , dont on connoît les produifans
, en toifes , & en partie de la
toife ; on décompofe enfuite les furfapar
l'extraction de la racine
quarrée , foit par la divifion.
ces , foit
Le Chapitre fixiéme eft un traité des
lignes proportionnelles .
Après avoir rappellé les propriétés des
raifons & proportions algébriques dont
on fera le plus d'application dans ce chapitre
& dans les fuivans ; l'Auteur examine
le rapport des droites également inclinées
dans différens efpaces parallèles ;
d'où il déduit la théorie des lignes coupées
proportionnellement , & les conditions
qui rendent les triangles fembla
bles ; il confidère les figures femblables
dans leur divifion en parties femblables ;
les points femblablement pofés à l'égard
des lignes droites & des figures femblables
; & le rapport des contours des
figures femblables.
Il parcourt enfuite les rapports qui
MAR S. 1761.
129
naiffent dans les différentes fortes de
triangles , lorſqu'on les coupe par des
droites tirées dans certaines circonftances
, & auffi les lignes proportionnelles
qu'offrent quelques poligones réguliers
, & le cercle.
Et pour ne point interrompre la théorie
des lignes proportionnelles , M. L.
P. termine ce Chapitre par les propriétés
relatives à la trigonométrie , tant
celles qui fervent à la conftruction des
tables des finus , tangentes & fécantes ,
que celles qui fervent au calcul des
triangles.
Le Chapitre feptiéme eft l'application
du fixiême .
On y trouve des méthodes pour de
terminer des lignes proportionnelles ,
& pour divifer les lignes proportionellement.
Pour faire un triangle femblable à
un triangle donné , ce qui eft appliqué
à la meſure des diſtances inaceffibles.
Pour lever le plan d'un terrein , &
faire la carte d'un Pays.
Pour déterminer la hauteur & la furface
d'un triangle quelconque par le moyen
de les trois côtés.
Pour couper une ligne en moyenne
& extrême raifon , & infcrire dans le
30 MERCURE DE FRANCE.
cercle , le décagone , le pentagone & le
quindécagone réguliers.
Viennent enfuite les regles & la pratique
du nivellement.
L'on applique enfin les propriétés relatives
à la Trigonométrie , & au calcul
des finus , tangentes & fécantes , & à la
réfolution des triangles.
Le Chapitre huitième a pour objet le
rapport des furfaces des figures.
On examine d'abord le rapport des
triangles & celui des parallelogrammes
confidérés en général , & lorfqu'ils ont
un angle égal.
Enfuite le rapport des figures femblables
confidérées en général , & dans des
fuppofitions particuliéres : par exemple ,
lorfque deux figures femblables ont pour
côtés homologues les deux premieres de
trois droites en proportion géométrique
continue ; & lorfque trois figures fembla.
bles ont pour côtés homologues trois côtés
d'un triangle rectangle ; ce qui donne occafion
de parler des portions de cercledont
la Géométrie élémentaire donne lå
quadrature.
Vient enfin le rapport des furfaces des
figures qui ont des contours égaux ; ce qui
eft traité d'une manière noble & très- élégante,
MAR S. 1761. * ་
Le Chapitre neuviéme eft l'application
du huitième.
D'abord du rapport des furfaces des
triangles & des parallelogrammes , on déduit
la manière de changer , d'ajouter, de
fouftraire , de multiplier & divifer les fi
gures rectilignes .
On trouve enfuite l'addition , la fouf
traction , la multiplication & la divifion
des figures femblables , déduites du rap
port de ces figures.
Dans le dixiéme Chapitre on confidére
Les lignes droites dans leur pofition à l'égard
des plans , & les plans dans leur po
fition les uns à l'égard des autres ; ce qui
eft une introduction au traité des folides..
Dans le Chapitre onzième on détermine
d'adord les produifans de la folidité & de
la furface des corps prifmatiques & piramidaux
& de la ſphère ; on démontre en
fuite le rapport de ces corps confidérés
quant à leur furface , & quant à leur fo
lidité.
Le douzième Chapitre , eft l'application
de l'onzième. On y enfeigne à compofer
Les folides par la multiplication , & à les
décompofer par la divifion & par l'extration
de la racine cubique ; ce qui eft fuivi
du changement , de l'addition , & de
la fouftraction des folides ; on termine
F vjj
132 MERCURE DE FRANCE.
par multiplier & divifer les corps femblables.
•
Le Chapitre ireizième a pour titre l'application
de l'Algébre , à la réfolution de
quelques problêmes de la Géométrie élémentaire
du premier & du fecond degré.
L'Auteur, en donnant la réfolution anafytique
& la conftruction géométrique
des problêmes du ſecond degré , s'applique
furtout à montrer le parfait accord
de l'analyse avec la Géométrie , en faifant
voir que lorfque l'analyfe donne par
une équation du fecond degré deux valeurs
de l'inconnue , qui font ou l'une pofitive
& l'autre négative , ou toutes deux
politives , ou toutes deux négatives , ou
toutes deux égales , ou toutes deux imaginaires
, la Géométrie donne les mêmes
valeurs.
Ce Chapitre , déja très- utile par luimême
, eſt une excellente introduction à
la méthode que l'Auteur emploie dans la
Géométrie compofée.
Le Public pourra, par cette analyfe, apprécier
au jufte les deux premiers volumes
du cours de M. l'Abbé Plaid ; le premier
eft un traité complet de calcul qui mérite
d'être confeillé à tous ceux qui veulent faire
de profonds progrès dans les Mathéma
tiques.
MARS. 1761. f3**
Les ignorans , pour qui tout eft obfcur ,
ont attaché l'idée d'obfcurité au nom d'Algébre
; M. l'Abbé Plaid a vengé cette
fcience de ce reproche, en la traitant avec
la clarté qui lui eft propre. L'Algébre eft
d'autant plus lumineux , que fon objet eft
plus abftrait & plus fimple ; il paroît que
Pon feroit plus fondé à reprocher à la plûpart
des Livres deftinés à former des Géomètres
de ne point faire affez connoître
les méthodes algébriques ; ces méthodes
d'autant plus aifées , & d'autant plus propres
à étendre nos connoiffances , quelles
nefont, pour ainfi dire, que l'art du raifonnement
réduit à un certain méchanifme:
Le fecond volume préfente , outre le
le choix des matières les plus utiles , le fyftême
le moins arbitraire , & la chaîne la
plus foutenue ; les chapitres qui fuivent le
premier font autant de différens genres de
fuppofitions; ces genres font difpofés felon
feur degré de compofition ; & fous chacun
de ces genres, on voit fe ranger les fuppofitions
de même efpéce felon une gradation
continue .
Tour ce qui eft relatif à un genre de
grandeur, eft épuisé avant que l'on ne paffe
à un autre ; chaque propofition a faliaifon
marquée avec la précédente ; il y a plus
d'art que l'on ne pourra d'abord fe lima134
MERCURE DE FRANCE.
giner à fuivre , comme l'a fait M. l'Abbé
Plaid , un fyftême fymétrique de fuppofirions
, fans fe relâcher fur la folidité des
démonftrations.
Le troifiéme volume de ce cours eft actuellement
fous preffe .On enfera l'analyse
Torfqu'il paroîtra.
MÉDECIN E.
MONSIEUR,
L'attachement que j'ai pour ma patrie
m'engage à donner au Public un Remede
préfervatif contre la rage , quand on a été
mordu par des Bêtes , comme chiens ou
loups malades ; je le crois néceffaire dans
Les conjonctures préfentes , où les loups
régnent, depuis quelques femaines , dans la
forêt de Montfort & de Rambouillet , &
où ils ont fait un ravage trop confidérable
pour n'en n'être pas affligé. Je donne
ce remède pour fouverain & éfficace :
autant de fois qu'il a été pris , il a eu tout
le fuccès qu'on en attendoit . Il m'a été
donné par un Curé voifin , il y a plus de
trente ans ; & depuis ce tems , j'en ai fair
faire ufage plufieurs fois . Le voici
Une poignée de rhue.
Une poignée de paquerelles de prés
racines & feuilles.
MARS. 1761. 139
Une poignée de bouts de ronces; il faut
en ôter la premiere écorce ..
Une poignée d'abſynte.
Deux blancs de poireau.
Deux gouffes d'ail.
vin ;
Il faut piler le tout enfemble , le mer
tre dans un pot , y jerter une cueillerée
de gros fel , & un verre de vinaigre de
faire le tout infufer deux heures fur
la cendre chaude , enfuite preffer le tour
dans un linge pour en exprimer l'e jus , que
Pon partagera en trois portions égales ,
dont on fera prendre une le matin à jeun
à la perfonne mordue , que l'on fera enfuite
courir jufqu'à ce qu'il air bien chaud;
après quoi on la couchera bien chaudement.
Il faut continuer pendant trois
jours de fuite pour confumer les trois portions
ci-deffus. Il faut auffi mettre le marc
des herbes fur la playe.
. Vous inférerez, vous le jugez à propos,
dans votre Journal ce reméde. Je defire de
tout mon coeur que les perfonnes qui au-
Font le malheur d'être mordues par quel
que bête enragée , en faffent ufage & em
reffentent la force & l'efficacité.
J'ai l'honneur d'être & c.
MARIE , C, DE GROSROUVRE
36 MERCURE DE FRANCE .
ASTRONOMI E.
A L'AUTEUR DU MERCUre.
L'AAUUTTEEUUR d'une Lettre , à Mgr le Prince
de Salm , inférée dans votre Mercure
de Novembre 1760 , page 143 , ne s'étant
pas nommé ; j'ai recours à vous , Monfieur
, pour lui faire part , par la voie du
Mercure , que j'ai obfervé à Paris , Place
de Louis- le- Grand , le 24 Juillet 1760 ,
le même arc- en - ciel de Lune qu'il a obfervé
à deux lieues de Fécamp , en Normandie.
Je rentrai chez moi , entre onze heures
& minuit. Mes fenêtres font exposées au
couchant d'Eté : comme je les fermois
j'apperçus un arc- en- ciel des mieux formés
, mais du même blanc que la Lune ,
& fans variété de couleurs ; un des bouts
de l'arc étoit au Midi & l'autre au Nord ;
le couchant étoit obfcurci par un rideau
de nuages épais fur lequel vraisemblablement
la réflection des rayons de la Lune
formoit cet arc. Je reftai plus d'un quart
d'heure à ma fenêtre à obferver cet arc
blanc , qui étoit pour moi un phénomène .
Mais comme je fuis très-inepte en Phy
MARS. 1761. 137
que,je préférai machinalement le fommeil
au plaifir de voir la dégradation & la difparution
de l'arc - en- ciel de Lune.
EXTRAIT de la Séance publique de l'Académie
des Belles- Lettres de CAEN , du
4 Décembre 1760 .
L'ou
faiteo
'OUVERTURE de l'Académie, où préfidoit
M. de Fontette , Vice- Protecteur , s'eft
an Difcours de M. Maffieu de
Clerval , Secrétaire de l'Académie , fur
certe queſtion : la louange eft- elle plus nuifible
qu'avantageufe ?
M. d'Ifs , lut enfuite une paraphrafe
en vers du Pleaume 103 .
M. Bofquet continua par un Difcours
fur une remarque de M. Pope , célébre
Poëte Anglois: qu'il femble que le bel - efprit
ne s'attribue ce titre , que pour être en droit
de faire des extravagances. Par une définition
du bel- efprit , il fit appercevoir que
la remarque de M. Pope n'étoit qu'une
critique fine & plaifante du faux belefprit
.
M. d'Ifs lut encore une Ode brillante
de plufieurs traits, à la gloire de la Nation .
Cette Odea pour titre, la Francefavanie
& militaire.
38 MERCURE DE FRANCE.
>
On lut enfuite la piéce qui avoit rem
porté le Prix fur le fujet propofé le fix
Décembre 1759. Sçavoir quelle eft la
meilleure maniere deplanter & cultiver les
pommiers à cidre , & qu'elle eft la meilleure
méthode de profiter de leur récolte . Cetre
pièce avoit pour devife les 38 , 39 & 40 °
vers du deuxième Livre des Géorgiques
qui commence par Huc ades inceptum &c.
L'Auteus eft M. Defliéz , Docteur en Médecine
& Aggrégé à l'Univerfité de Caën.
M. de Fontette réfuma ce difcours , ainfi
que ceux de M. de Clerval & Bofquet ; il
annonça enfuite le Sujet du Prix pour
T'année prochaine, qui a pour titre : Quel-
Les font les branches d'agriculture quifont
ou qui feroient les plus avantageufes en
baffe Normandie.
Les Differtations fur cette queftion , feront
faites en profe & d'une demie heure
de lecture , ou de trois quarts d'heure au
plus. On demande qu'elles foient écrites
en caractères bien lifibles . Au bas de chaque
differtation , il y aura une Sentence ,
& l'Auteur mettra dans un billet féparé &
cacheté,la même Sentence avec fon nom,
fes qualités & fon adreffe.
Les paquets feront affranchis de port ,
& adreffés à M. Maffieu de Clerval , Secrétaire
de l'Académie , rue Saint Jean à
MAR S. 1761 130
Caen ils ne feront reçus que jufqu'au
dernier jour de Septembre. Ce Prix , qui
eft de 300 liv. eft donné par M. de Fontette,
Intendant de la Généralité de Caën,.
& vice- protecteur de l'Académie , dont
les Membres font expreffément exclus du
concours.
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE.
A l'Auteur du Mercure.
COMME
OMME les Mémoires que l'on préfente
, Monfieur , à l'Académie Royale de
Chirurgie , ne peuvent être donnés au Public
qu'après un long temps; j'ai pensé, pour
qu'il ne foit point fruftré des avantages
qu'il pourroit retirer d'un tire tête que j'ai
corrigé , qu'il ne pouvoit mieux en être
averti que par vous , & que vous auriez
la complaifance d'y joindre un abrégé de
mon Mémoire , que j'ai préfenté à cette
célébre Académie.
Le grand obftacle que préfentent tous
les inftrumens qui ont été inventésjufqu'à
140 MERCURE DE FRANCE.
préfent pour tirer la tête de la matrice,lorf
que l'enfant eft mort , m'a procuré l'idée
d'en corriger un de ceux que M. Levret a
inventé , qui n'a été mis en ufage qu'une
feule fois , & ou tous les moyens connus
n'avoient pû fuffire. Celui dont je parle
dont la figure eft en T , eft compofé de
trois pieces : fçavoir d'une pièce immobile
enchâffée dans un manche , & d'une
mobile fituée à l'extrémité de celle - ci. Il
s'agiffoit de faire entret ee tire- tête dans
la tête de l'enfant ; mais la piéce mobile
préfentoit de grands obftacles , puifque la
moindre réfiftance lui faifoit faire la culbate
.Pour pouvoir prévenir ce facile mouvement
, l'Auteur fit faire à la piéce de
réſiſtance une fente non proportionnée à
la piéce mobile , pour ajouter dans la difrance
, de la cire malle , mettre enfuite
Finftrument dans de l'eau de puits pour
faire prendre de la confiftance à la cire ,
& pour empêcher le mouvement trop
précipité de la piéce mouvante ; il l'infinua
enfuite dans la têre de l'enfant , atrendit
pour la faire tourner tranfverfalement
, que la chaleur du lieu eût ramolli
la cire , & parvint au fuccès qu'il s'étoit
promis.
Les inconvéniens de cet inftrument
font allez évidens : on ne peut maintenir
MAR S. 1761.
141
y
& faire agir la pièce mouvante felon la
volonté ; & fi on veut l'introduire dans
la tête , on fera dans la crainte qu'elle fe
meuve trop promptement ; ou fi elle
entre , comme le hazard eft arrivé une
fois , ofe-t- on toujours prétendre de lui
faire faire la culbute ? quand bien même
on parviendroit à ce point ; fi avec tous
les efforts qu'on auroit employés , on ne
pouvoit parvenir à tirer la tête , comment
pourroit-on retirer l'inftrument ?
Aucune caufe n'eft capable de faire changer
la piéce tranfverfale ; il faudroit done
que l'inftrument reftât dans la tête de
l'enfant , dont l'objet feroit difgracieux
non feulement au Chirurgien , mais encore
aux affiftans .
Les corrections que j'y ai faites s'opposent
à ces inconvéniens. Il eft compofé de cinq
piéces ; fçavoir , du manche où fe trouve
enchâffée la piéce immobile qui foutient
les autres ; la partie fupérieure de celle- ci
eft fendue pour recevoir une partie de la
piéce de traverfe. Il répond à la partie,
moyenne de cette derniere,une pièce mince
qui excite fon mouvement, qui fe gliffe
le long de la pièce immobile & qui la foutient
dans fon milieu , & à l'extrémité de
cette piéce qui répond au manche, il y a un
bouton ceintré. On peut voir par cettelé742
MERCURE DE FRANCE.
gére deſcription , les avantages que l'on en
peut retirer , foit en l'infinuant dans la tête
de l'enfant, foit en faifant faire la culbute
à la pièce de traverfe felon la volonté , foir
par ces parties obtufesoù on ne craint point
de dilatérer les parties de la matrice , foit
enfin par la forme qui n'augmente point
le volume des parties , ce qui eft un grand
point ; & c'eft ce qu'on a peine à trouver
dans les inftrumens qui ont été inventés
pour cette partie .
J'ai fait voir dans la méthode que j'ai
préfcrite, qu'il pouvoit nonfeulement être
mis en ufage,lorfque la tête étoit féparée, &
que le trou de l'occipital fe préfentoit le
premier même avec quelques vertebres
cervicales ; mais qu'on pouvoit encore
s'en fervir en forçantles autres parties tel
que le Bregma , la Frontanelle &c.
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie
Royale de Chirurgie , du 15 Janvier
1761.
M. Didier , qui avoit été nommé par
l'Académie Royale de Chirurgie , pour:
examiner un tire- tête préſenté par M.
Geme , Eléve en Chirurgie , en ayant fait
fon rapport ; l'Académie a reconnu au
fond le tire tête de M. Levret , mais elle
a vú avec plaifir les additions avantageu
-
MARS. 1761 . 1.43'
fes que M. Geme y a faite , & qui font
konneur à la fagacité. En foi de quoi .
j'ai donné le préfent Extrait de nos Regiftres
. A Paris ce 15 Janvier 1761 .
MORAN D.
ARTS AGRÉABLES .
MUSIQUE.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure
DEPEUPUIISS mon retour de la campagne ,
Monfieur , j'ai lu, dans votre premier volume
d'Octobre , une Lettre de M. Berard ,
au fujet d'un avis au Public inféré dans le
Mercure d'Août p. 209. Votre impartialité
& votre amour pour la vérité ne me
permettent pas de douter que vous ne
vous prêtiez à éclairer le Public , afin qu'il
prononce entre mon Antagoniſte & moi.
Je crois pouvoir réduire la Lettre de M.
Berard à 3 articles. Il prétend 1º . que M.
Perrot,Avocat au Confeil, n'a point donné
le certificat qui parut fous fon nom. 2
que leConfeil prononça fur les droits d'Auteur
de l'Art du Chant; 3 ° .que ma 2º Edition
corrigée , & augmentée , & où j'expofe
les raifons que j'ai de revendiquer cer
Ouvrage, eft un tiffu de menfonges & d'ins
jures.
144 MERCURE DE FRANCE.
L'atteftation fuivante va montrer fi
mon adverfaire a eu droit de s'autorifer
d'une faute d'Impreffion pour refuſer le
certificat dont il s'agit à ſon véritable Auteur
.
»
ود »Jefouffigné,AvocatauParlement&
» aux Confeils , déclare avoir donné le
» certificat qui eft dans le Mercure , pag.
» 209 , qui a paru au mois d'Août der-
» nier. Je certifie que tous les faits font
" vrais. Le fieur Berard , & tous ceux qui
» voudront s'en affurer fur le vû des pié-
» ces , des requêtes & copies fignifiées du
Jugement , peuvent venir trouver le
Souffigné qui demeure rue de Condé.
» Il offre de les convaincre des faits fur
lefquels ledit Berard s'explique en termes
fi impropres , mais méprifables à
tous égards. Car pour ce qui eft de l'a-
» mende de cent livres , il n'en doit plus
» être mention , ledit fieur Berard a fait
» fa rétractation de lui -même dans le pre-
» mier volume du mois d'Octobre dernier
» en rapportant les difpofitions du jugesment
qui ne portent que des dommages
;, & intérêts. Ce qui fait la preuve que
» malicieuſement il avoit fait inférer dans
» les imprimés dudit jugement , qui ont été
5 affichés , le terme d'amende. A Paris le
» 12 Décembre 1760. PERROT.
و ر
Il
MARS. 1761 145
Il eft à préfumer qu'un Avocat , avantageufement
connu par fa droiture & par
la fupériorité de fes lumieres , titres qui
lui ont mérité une place au Confeil de
leurs Alteffes MM . le Prince de Condé &
le Comte de Clermont , n'a pas attefté des
faits faux. Et pouvoit - il ignorer quelle
eft la fevérité des loix , contre un homme
de fa profeffion , capable de prévariquer ?
pouvoit - il ne point fentir qu'une pareille
atteftation étoit infiniment délicate , vû
qu'elle peut fervir de piéce de Procès Cri
minel , fuppofé qu'on veuille remonter à
l'Auteur de la falfification de l'intitulé de
l'Arrêt que mon Antagoniſte fit publier &
afficher ?
Mon adverfaire s'efforce de prouver
que le Confeil prononça fur les droits
d'Auteur. Je vais rapporter le moyen vittorieux
, dont il fair uſage.
Le Confeil , dit- il , déclare nul le privi
lége , furpris par le fieur Blanchet , pour
l'Art du Chant ; lui fait défenfe de s'enfervir
àpeine d'amende ; déclare les exemplaires
, faifis par lefieur Bérard , confifqués à
fon profit , & condamne ledit Blanchet en
100 liv. de dommages & intérêts , envers le
feur Berard , & ordonne que l'Arrêt fera
publié & affiché partout où befoin fera.
Les Libraires obtiennent tous les jours
G
146 MERCURE DE FRANCE.
de pareils jugemens contre les Gens de
Lettres qui leur vendent leurs productions.
Si M. Berard avoit lû avec attention
cet Arrêt , il auroit remarqué que le mot
d'Auteur ne s'y trouve pas. Supposé que
le Confeil eût voulu prononcer fur ce
point , il auroit nommé des Membres de
' Académie des Sciences , comme je le
demandois dans mon Mémoire ; attendu
qu'une differtation phyfique , fur la théorie
& le méchanique des fons , doit être
étrangère à des Magiftrats plongés dans
l'étude importante des Loix. Les Académiciens
auroient été chargés d'examiner
nos manufcrits , les nouveaux développemens
que j'ai donnés à mes principes ,
l'unité de méthode & de ftyle qui y régne
, & d'interroger les deux Prétendans.
Après on auroit dit , qu'oui le rapport
de Meffieurs de l'Académie , on déclare
le fieur Berard, Auteur de l'Art du Chant.
Je demande à ce Maître à chanter , s'il y
a rien de tout cela dans l'Arrêt dont il
ofe fe prévaloir. J'en appelle à l'intégrité
des Commiffaires de la Librairie , mes
Juges , & à M. Roux , Avocat de ma partie
adverfe.Qu'ils affirment s'il a été queftion
du moindre examen en ce genre. Qui
auroit imaginé qu'un Chanteur eût plaidé
MAR S. 1761 . 147
le privilége d'un Ouvrage Philofophique
à titre d'achat , & qu'il eût ofé triompher
d'une victoire humiliante ?
Il me reste à prouver que l'avertiffement
, qui eſt à la tête de ma feconde édition
, n'eſt point un tiffa de menfonges &
d'injures , comme M. Berard a intérêt de
le perfuader.
Cette façon de me répondre eft bien
laconique. Les gens fenfés la trouverontils
également honnête & folide ? Les argumens,
dont je m'étaye dans cet avertif
fement , pour revendiquer mon ouvrage ,
font principalement les manufcrits de mon
Antagoniste , que j'ai fait imprimer avec
la plus fcrupuleufe fidélité , & les nouvelles
applications que j'ai faites de mes
principes . Comme les manufcrits , dont je
viens de parler , font de la main de M.
Berard, il ne fçauroit les nier , & je puis
convaincre les Incrédules . Pour ce qui
regarde les corrections & les additions
fans nombre qu'on trouve dans mes principes
philofophiques du Chant , c'eft au
Public de comparer les deux éditions , &
de décider.
F
Mon Adverfaire ne voit dans mes raifons
, qu'un tiffu d'injures . Ces injures font
vraisemblablement d'avoir ofé avancer
qu'il n'eft pas Grammairien , Latiniſte ,
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
Phyficien & Métaphyficien . Je foutiens
que ces vérités , à les bien prendre , n'ont
rien d'offenfant pour un Maître à chanter,
Qu'il ne foit point initié à ces Sciences ,
il a cela de commun avec prèfque tous fes
confreres , même les plus célèbres , qui
n'en jouiffent pas moins d'une jufte confidération
dans le monde . La vraie gloire
pour un galant homme , c'eft d'exceller
dans fa profeffion, & de ne pas fortir de
fa fphère. O la belle morale renfermée
dans ces vers d'Ovide ! Phaëton prie fon
Père de lui laiffer gouverner les rênes de
fon Char : celui- ci lui répond :
Magna petis , Phaeton , & quæ nec viribus iftis
Munera conveniunt
Il feroit à fouhaiter que les perſonnes
emportées par une aveugle ambition , s'en
fiffent expliquer le fens , & le méditaffent
affidûment .
N'aurois - je pas droit de parler ainfi à
mon adverfaire ? »Pouvez- vons vous plain-
» dre , Monfieur , que je vous aye contef-
» té votre talent pour le goût du Chant &
» pour la Guitarre ? quand vous ferez ten-
» té de m'accufer de malignité , entre plu
fieurs traits de modération de ma part ,
rappellez- vous celui- ci . Depuis la
» de mon procès, les loix s'offroient à me
perte
MARS. 1761 . 149
venger par des peines afflictives du falfificateur
de l'intitulé de l'arrêt que vous
fites afficher. Il ne dépendoit que de moi
» d'abandonner le coupable à toute la févérité
de la Juftice ; & je me bornai à
» porter ma plainte chez un Commiffaire
, & à tirer en préfence de témoins ;
une copie de l'intitulé des Arrêts imprimés.
Je voulus par là conftater l'attentat
, & empêcher la calomnie d'en
» abuſer contre moi ; & puis j'oppofai le
» filence aux noirceurs de la haine.
ور
Comment la plupart des obfervations
que j'ai faites, ont - elles pû, échapper à l'Auteur
de la lettre que je viens de réfuter? Je
trois actuellement pouvoir dire, que c'eſt au
Public éclairé & impartial d'apprécier les
raifons fur lesquelles je me fonde pour
conclure 1 ° . que le certificat de M. Perrot
n'eft point fuppofe ; 2 ° . que le Confeil ne
prononça point fur les droits d'Auteur ;
3 °. que l'avertiffement , qui eft à la tête de
mes Principes Philofophiques du Chant
n'eft point un tiffu de mensonges & d'injures.
J'ai l'honneur &c. BLANCHET.
>
II . NOUVEAU CHOIX DE PIECES FRAN- >
ÇOISES ET ITALIENNES , Petits Airs , Menuets
&c. Avec des doubles & variations , accommodées
pour deux Violoncelles , Baffons ,
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
Baffe de Viole & c . Par M. Taillard l'aîné;
le tout recueilli & mis en ordre, par M*** .
Prix 6 liv. à Paris , chez l'Auteur , rue de
la Limace, chez M. Cuveillier , Marchand
d'Etoffes , & aux adreffes ordinaires de
Mufique . Avec Privilége du Roi.
GRAVURE.
M. FESSARD , Graveur du Cabinet du
Roi , vient de publier quatre Eftampes ;
fçavoir le Chant , la Tourterelle , une
Etude deffinée par M. Boucher , & une
autre par M. Natoire. Elles fe vendent
chez le fieur Joullain , quai de la Mégifferie
, & chez la veuve Chereau ,rue Saint
Jacques .
MAR S. 1761 . IfI
FIGURE annoncée à la page 150 , du
Mercure de Février.
E
K
K
C
B
A
M
14
F
K
152 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Muſique donna
le 6 Février , la premiere repréfentation
de Jephté , Tragédie tirée de l'Ecriture-
Sainte. C'est par une erreur de l'Imprimeur
, & contre l'intention des Editeurs ,
que dans les livres de paroles de cet Opéra
on a indiqué la derniere repriſe le 4 Mars
3738. Il avoit été répris le 24 Mars 1740 ,
la rentrée de Mile le Maure, ainsi que
pour
nous l'avons marqué dans le vol. précédent .
Le Poëme eft trop connu pour en rendre
un compte détaillé : l'Extrait s'en
trouve dans des Mercures antérieurs . Nous
remarquerons feulement que l'Auteur * ,
dont les talens étoient plus éftimables ,
qu'ils n'étoient eftimés , fçavoit très bien
concilier la fageffe des loix dramatiques ,
avec les licences qu'admet , & que même
exige le genre de nos Opéra . Ses fables
font conftruites théâtralement , fes fcènes
font enchaînées, & s'encadrent toutes dans
un tiffu régulier . Sa verfification un peu
négligée & vuide de poëfie, dans quelques-
* Feu M. l'Abbé Pellegrin .
MAR S. 1761. 153
uns de fes ouvrages , a été foutenue dans
celui ci , par la force fublime de la fource
où il a puifé fon ſujet.
La Mufique de cet Opéra , il y a 25 ans,
paroiffoit nouvelle & d'un ton auquel on
n'étoit pas accoutumé . Une circonstance ,
que le Public apprendra , peut- être, avec
plaifir , doit rendre cette Mufique précieufe
aux vrais connoiffeurs . C'eft elle
qui , de l'aveu du célébre M. Rameau , a
été la caufe occafionnelle des chef- d'oeuvres
dont il a enrichi notre Théâtre lyrique.
Ce grand homme entendit Jephté ;
le caractère noble & diftingué de cet ouvrage
le frappa , par des points analogues
apparemment à la mâle fécondité de fon
génie . Il conçut dès ce moment,que notre
Mufique dramatique étoit fufceptible d'une
nouvelle force & de nouvelles beautés .
Il forma le projet d'en compofer; il ofa être
créateur. Il n'en convient pas moins que
Jephié procura Hipolite & Aricie.
Les Sectateurs d'un genre de Muſique
pomponée , qu'improprement on nomme
Mufique Italienne , qualifient de foibleffe
l'élégante fimplicité des Chants dans
Jephté ils comparent la majefté de la
Mufique vocale du premier Acte , à la monotonie
d'un plein- chant. Les connoiffeurs
modérés , dont le goût n'exclut rien, mais
D &Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
dont le jugement décide d'après les con
venances , oppofent à cela , que la dignité
& l'élévation du Poëme ne permettoient
pas au Muficien de s'abandonner aux écarts
du caprice; & que les chants de Jephté
ont dautant plus de mérite, qu'ils ont un
caractére uniquement propre au genre du
Poëme. Ils ajoutent que des accompagnemens
plus chargés auroient étouffé les
fujets de chant , & que par un papillotage
peu convenable, on auroit détruit l'impreffion
grave & pathétique qu'ils doivent
produire. Ils avancent que les Sectateurs
du goût moderne font entraînés eux mêl
mes dans le concours des Spectareurs
qu'attire Jephté , par l'afcendant du fenti
ment ; mais qu'ils fe croyent juftifiés du
plaifir qu'ils y prennent, par le mal qu'ils
en difent : petit dédommagement qu'ils
penfent devoir à leur efprit , de la fenfi
bilité de leur coeur. Nous avions prévû ,
en annonçant cette remife , qu'elle réveil
keroit la divifion de goûr fur la Mufique
qui régne actuellement dans le Public
nous n'avions pas prévû qu'elle iroir jufqu'à
faire publier par quelques uns de
ceux-mêmes qui n'avoient pû trouver pla
ce à ce Spectacle , qu'il étoit abandonné.
Nous ne nous permettrons jamais de pro
noncer fur des opinions contradictoires
mais nous ne nous difpenferons pas de
-
MARS. 1761 . LSS
conftater des faits , lorfque nous aurons la
facilité de faire des perquifitions certaines:
& non fufpectes. Nous avons trouvé qu'à
la huitiéme repréfentation de cet Opéra ,
le produit des recettes excédoit vingtdeux
mille livres.
,
Les rôles , dans cette reprife , font en
général bien rendus . Dans celui d'Almafie
, la ftature noble & avantageufe de
Mlle Chevalier , donne la repréfentation
du Perfonnage indiqué par le Poëme ; &
Pineftimable intelligence du débit , dans
le chant , ſecondée de l'ufage du Théâtre ,,
fait fentir tous les détails intéreffans des:
vers & la jufteffe de la déclamation muficale.
Mlle Arnould , cette Actrice , in ር
pirée par la Nature , & guidée par les grâ→
ces avec des talens différens de ceux de
Mlle le Maure , a trouvé le moyen d'er
rendre la perte moins fenfible dans le rôle
d'Iphife , ou particulierement l'on croyoiɛ
cette perte irréparable . Cer effet eft du
au charme d'une expreffion agréable &
fenfible , à la vérité & à l'énergie d'ac
tion que l'on connoît à cette jeune Actice.
Sa pofition, dans le cinquième Acte,
panchée fur l'Autel & fléchiffant fous le
poids de la crainte & de la douleur , contribue
à faire de cette Scène , un modéle
que Timante n'eût pas négligé pour fon
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
tableau du facrifice d'Iphigénie .
peu
fuc La partie du Spectaclé étoit
ceptible de décorations remarquables .
Celle qui repréfente le camp des Ifraëlites
& celui des Ammonites , au premier
Acte , eft bien difpofée ; & la perspective
produit affez d'illufion. On réproche , en
général , à ce Théâtre, un peutrop d'uniformité
dans les habillemens des Acteurs ,
& furtout dans ceux des femmes , quel
que foit le coftume nationnal des Perfonnages
qu'on y repréfente . Mais comment
exiger toujours du fexe , que l'on facrifie
à la loi des vraisemblances, des préjugés
d'habitude , fur ce qui peut être plus,
ou moins avantageux à la taille & à la figure
?
Les Ballets ne dérogent point à la réputation
juftement acquife du Compofiteur.
Des Ifraëlites , qui ne danfent que
comme d'autres Peuples , des Guerriers
& des Bergers étant les feuls Sujets que
pouvoit fournir le Poëme , on ne devoit
pas s'attendre à voir des entrées bien neuves
& bien piquantes cependant elles
font agréables & variées. Mlle Lany
dont la fanté avoit allarmé , a reparu
dans le quatriéme Acte de cet Opéra.
Capable elle feule d'embellir tout un
Ballet , elle a été reçue du Public, comme
le font ordinairement tous les talens
MAR S. 1761. 157
fupérieurs , que la crainte de les perdre rend
encore plus chers. On a ajouté une chaconne
au troifiéme Acte , qui en remplie
très-bien le divertiffement, & fur laquelle
M. Gardel , en l'abfence de M. Veftris
danfe de manière à donner les plus grandes
espérances.
On a retiré le Prologue , après la pre->
miere repréſentation , la durée du Spectacle
excédant trop celle à laquelle le Pul
blic eft babitué depuis quelques années .
Le Dimanche 22 , Mlle Dubois chanta
le rôle d'Iphife en l'abfence de Mlle Ar->
nould qui fe trouva indifpofée. Sa voix
fit beaucoup d'effet dans le monologue.
En général , elle fut applaudie ; & elle
mérita les fuffrages du Public , toujours .
équitable fur le zéle que font paroître les
Sujets , qui empêchent l'interruption de
fes amuſemens.
On a donné fur ce même Théâtre , le
Mercredi 25 Février , pour le bénéfice
des Acteurs , une repréſentation de Pirame
& Thisbé. On en donnera deux autres
du même Opéra & pour le même objet ,
les Mercredi & Samedi fuivans:
On fe difpofe à mettre un Opéra nouveau
, après Pâques , intitulé , Hercule
mourant,Tragédie de M. Marmontel , dont
M. d'Auvergne a compofé la Mufique.
58 MERCURE DE FRANCE.
En terminant l'Article de l'Académie
Royale de Mufique , nous croyons qu'on
nous fçaura gré de rendre public le rétabliffement
de l'un de fes Penfionnaires
M. Geliote , qui a été dans la plus dangereufe
extrémité , par une fluxion de poitrine.
L'intérêt univerfel que l'on a pris à
cet événement , fait autant d'honneur aux
qualités perfonnelles de M. Geliote , qu'à
la célébrité de fes talens. Cela prouve
combien la fociété fçait payer , parmi
nous , ces fortes de qualités , lors même
qu'elle n'a plus d'espoir au plaifir que lui
procuroit le talent .
COMEDIE FRANÇOISE.
EXTRAIT de TANCREDE , Tragédie en
vers croifes & en 5 Actes ; repréſentée
par les Comédiens François ordinaires
du Roi , le 3 Septembre 1760. Repriſe
le 26 Janvier 1761.
Noms des Perfonnages. Noms des Acteurs.
ARGIRE ,
TANCREDE ,
ORBASSAN ,
M. Briffard.
M. Le Kain.
Chevaliers. M. Grandval.
M. Bellecour.
M. d'Auberval.
LOREDAN ,
CATANE ,
ALDAMON , Soldat,
AMENAIDE ,
FANIE , Suivante ,
M. Dubois.
Mlle Clairon.
Mde Préville.
Plufieurs Chevaliers affiftans au Confeil ; Ecuyers,
Soldats , Peuples
MARS. 1761 159
La Scène eft à Syracufe , d'abord dans le Pa
Lais d'Argire & dans une Salle du Confeil ; enfuite
dans la Place publique . L'époque de l'action eft de
l'année 1005. Les Sarrafins d'Afrique avoient conquis
toute la Sicile au neuviéme fiécle ; Syracule
avoit fecoué leur joug. Des Gentilshommes Nor
mands commençoient à s'établir vers Salerne dans
La Pouille ; les Empereurs Grecs pofſédoient Meffne
; les Arabes tenoient Palerme & Agrigente.
A L'OUVERTURE du Théâtre , tous
les Chevaliers , affis , vêtus & équipés dans
Pancien coftume de la Chevalerie , forment
un fpectacle impofant , & nouveau
fur notre Scène.
Argire , père d'Aménaïde , refpectable
par fon âge & par fes actions , préfide à ce
Sénat Militaire.Il expofe les malheurs qu'a
éprouvés la Sicile ; le danger qu'elle a cou
ru , par l'ambition de deux ennemis puiffans,
les Empereurs Grecs & les SarrafinsS
fes uns & les autres menacent encore de
lui faire fubir le joug de la tyrannie. Solamir,
un des Chefs des Sarrafins , occupe
Agrigente & tient la Campagne d'Enna ;
les Grecs font maîtres de Meffine : mais
cés communs tyrans , armés les uns contres
les autres , fe détruifans mutuellement,
laiffent une occafion favorable pour affurer
la liberté de Syracufe. La grandeur
Muſulmane, attaquée en même temps , par
Martel du côté de la France , par Pelage,
160 MERCURE DE FRANCE.
du côté de l'Espagne, & par le Pape Léon
IV, en Italie, paroît toucher à fon déclin.
Le moment eft propice; c'eft donc de ce fier
ennemi , que l'on peut dompter , & qui
environne les murs de Syracufe , qu'il faut
d'abord fe défaire. Des factions cruelles
ont déchiré le ſein de la République ; les
germes n'en font pas étouffés ; il faut cependant
éteindre toutes les divifions pour
combattre l'ennemi commun ; il faut pour
cela unir au fang d'Argire le fang des Orbaffan:
ainfi, l'hymen d'Aménaïde avec Orbaffan
eft propofé par Argire , & accepté
par le Chef du Parti contraire, qui lui dit :
Aujourd'hui l'an par l'autre il faut nous protéger
;
En Citoyen zélé j'accepte votre fille :
Je fervirai l'Etat , vous & votre famille ;
Et du pied des Autels , où je vais m'engager ,
Je marche à Solamir , & je cours vous venger.
Mais il eft aux yeux d'Orbaffan d'autres
ennemis non moins pernicieux . Tancréde ,
rejetton d'un Couci , Seigneur François
établi en Sicile , du temps de Charles le
Chauve , excite fur-tout la jalouſe inquié-,
tude. Tancréde,éloigné de Syracufe dès l'enfance
, a fervi fous les Empereurs Grecs;
ileft outrage, il doit vouloir fe venger..
Orbaffan fait envifager tout François comme
dangereux; il infpire la défiance à cette
MAR S. 1762 . 161
affemblée ; & pour fûreté il opine par
ces vers , qui occafionnent le noeud & la
catastrophe de la Tragédie .
Maintenons notre loi , que rien ne peut changer :
Elle condamne à perdre & l'honneur & la vie .
Quiconque entretiendroit avec nos ennemis ,
Un commerce ſecret , fatal à ſon Pays.
A l'infidélité l'indulgence encourage.
On ne doit épargner ni le fèxe ni l'âge .
Un autre Chevalier ( Loredan ) en confirmant
le fentiment d'Orbaffan , ajoute
que Solamir peut avoir encore des partifans
fecrets dans Syracufe. L'Auteur fair
ingénieufement infinuer par ce Chevalier,
que le Sexe particulièrement , féduit par
la nouveauté & par l'éclat des Héros , à
prodigué fes fuffrages à ce Maure impofant.
On verra quelle relation cette remarque
aura avec le fort de la malheureufe
Aménaïle. Il conclut enfuite par propofer
ainfi la défaite de Solamir , & la profcription
de Tancréde.
Mettons un frein terrible à l'infidélité ;
Au falut de l'Etat que toute pitié céde ;
Combattons Solamir , & pourſuivons Tancrede.
On foufcrit à toutes ces décifions , qui
162 MERCURE DE FRANCE .
deviennent des loix ; on infifte particuliè
rement fur l'entière profcription de Tancréde
; & pour qu'elle foit fans retour , on
donne tous fes biens à Orbaffan. Argire
vertueux , mais foible , par le zéle fanatique
qui l'égare , confent , quoiqu'à regrer ,
à cette injuftice, parce qu'elle lui eft préfentée
comme néceffaire au bien de l'Etat.
Croyant que le falut de la République dépend
de l'hymen projetté entre Orbaſſan
& fa fille , il veut que la cérémonie s'en
faffe dès le lendemain: Le Confeil fini ,
Orbaffan s'explique ouvertement avec Argire
, qui follicite fon amitié. Ce qu'il dit
alors,fervant a établir ſon caractère & fpécialement
fa façon de fentir par rapport à
Aménaïde , nous en copions quelques vers.
ORBASSAN , ( à Argire. }
... Je vous l'ai dit aſſez ,
J'aime l'Etat , Argire ; il nous reconcilie.
Cet hymen nous rapproche, & la raiſon nous lie ;
Mais le noeud qui nous joint n'eût point été formé
Si dans notre querelle , à jamais affoupie ,
Mon coeur qui vous haït , ne vous eût eſtimé .
L'amour peut avoir part à ma nouvelle chaîne ;
Mais un fi noble hymen ne fera point le fruit
D'un feu né d'un inftant , qu'un autre inſtant détruit
,
Quefuit l'indifférence & trop fouvent la haine &c.
MARS. 1761. 163
Il déclare ainfi que l'amour a peu de
part à cet Hymen ; qu'il pourra en refferrer
les liens ; mais que fa voix doit fe
taire au bruit des armes. Argire courageux
, fans en être moins fenfible , invite
ce féroce courage à tempérer fon auftérité
, en faveur d'une fille , qui élévée par
fa mere à la Cour de Byfance , pourroit
s'éffaroucher de ce févère accueil.
C'eſt
peu ( dit Argire ,
modefte douceur
d'être un guerrier ; la
Donne un prix aux vertus & fied à la valeur.
Aménaïde n'entend qu'avec éffroi &
indignation de la bouche d'Argire , ce
qu'on a déterminé fur fon fort ; elle répond
à Orbaffan qui lui eft préfenté pour
époux , que fon coeur étonné a befoin
de fe recueillir avec fon pere. Orbaffan
les laiffe feuls ; il va rejoindre les guerriers
de Syracufe , pour mériter par de
nouveaux lauriers , l'Hymen qui lui eft
offert. Aménaïde rappelle à fon Père , que
le parti d'Orbaffan l'avoit banni de Syracufe
; qu'il avoit obligé fa mere de fuir
avec elle à la Cour de Byfance ; qu'elle
ne devoit pas s'attendre à paffer dans les
bras de ce furieux ennemi de fa famille ;
& qu'enfin après avoir été la victime des
ennemis de fon père , elle alloit être là
164 MERCURE DE FRANCE.
fienne , s'il la contraignoit à accomplir
cet hymen qu'elle détefte . Elle impute à
Orbaffan, comme une tache indigne d'un
héros , d'avoir dépouillé Tancréde de fes
biens ; Argire lui annonce que Tancréde ,
ayant fervi fous les Céfars , ne doit jamais
efpérer de revoir fa patrie , d'où le bannic
un decret irrévocable. Aménaïde apprend
à Argire , qu'au contraire fa mere lui
avoit fait envifager Tancréde , qu'elles
avoient connu à la Cour des Empereurs ,
comme celui qui devoit vaincre le Maure
, fauver Syracufe , & qui auroit donné
fa vie pour venger leur famille des cruautés
d'Orbaffan. C'est par là que l'Auteur
prépare & juftifie la paffion d'Aménaïde
pour Tancréde , & la réfolution qu'elle
prend , lorfqu'elle eft reftée feule avec fa
confidente , de n'être jamais qu'à ce héros
. Cette Confidente , qui connoît l'âme
d'Aménaïde , fe reffouvient que Solamir
& Tancréde avoient foupiré tous deux
pour cette Princeffe , mais qu'elle avoit
toujours préféré ce dernier ; que fon coeur
une fois donné , rien ne pourra la faire
changer... Ah! tu n'en peux douter , lui
dit Aménaïde :
On dépouille Tancrede , on l'exile , on l'outrage ;
C'eftle fort d'un Héros d'être perfécuté ;
Je fens que c'eft le mien de l'aimer davantage.
MAR S. 1761 . * .6 $
On fent que c'eft celui de l'Auteur, de
frapper , avec tant de nobleffe en auffi
peu de vers , au coin du véritable héroïfme,
le caractére du perfonnage, fur lequel
do it porter le principal intérêt de la Piéce.
Tancréde eft dans Meffine. Ce fecret eft
révélé par Aménaïde à fa confidente, pour
l'engager à la fervir dans le projet qu'elle
forme, d'appeller ce Héros dans Syracufe ;
à fa vue tout doit trembler .
Le feul nom de Tancréde enhardit ma foibleffe ;
Le trahir eft un crime , obéir eft baffeffe.
Elle ne fe diffimule pas les dangers de
cette entreprife ; mais elle s'y affermit
ainfi .
...L'amour à mon fere infpire le courage.
C'eſt à moi de hâter ce fortuné retour ;
Et s'il eft des dangers que ma crainte enviſage ,
Ces dangers me font chers ; ils naiffent de l'amour
.
Aménaïde , au fecond Acte , tremblante
fur le fuccès de fon entreprife , eft informée
par Fanie, que la lettre , dont elle
s'étoit chargée, eft entre les mains d'un Efclave
fidéle qui doit la porter à Tancréde .
Cet Efclave , né dans Syracufe , mais originairement
Muſulman , connoiffant les
ufages & les langues des deux Peuples ,
166 MERCURE DE FRANCE:
peut facilement traverfer le camp des
Maures. Le billet n'a point d'adreſſe , afin
que , tombant entre des mains inconnues,
on ne fçût pas à qui la lettre étoit envoyée.
Fanie ne peut cacher à la Princeffe
, que toutes ces précautions dictées
par la prudence , ne peuvent calmer fes
allarmes fur l'événement. Mais Aménaïde
, en qui le courage eft l'ouvrage de
l'amour , & en qui ces deux fentimens
s'enflamment de plus en plus par les dangers
, déclare qu'elle ne craint plus.Quelques
fragmens feront mieux connoître
toute la grandeur de cette âme héroïque.
FANIE, à Amenaïde.
... On dit qu'un arrêt redouté ,
Contre Tancréde même eft aujourd'hui porté,
Il y va de la vie à qui le veut enfreindre.
AMENAIDE.
Je le fcais ; mon efprit en fut épouvanté ;
Mais l'amour est bien foible alors qu'il eft timide.
J'adore , tu le fçais , un héros intrépide ;
Comme lui je dois l'être.
FANIE!
Une loi de rigueur
Contre vous , après tout , feroit-elle écoutée ?
Pour éffrayer le Peuple , elle paroît dictée.
A MENAID E.
Elle attaque Tancréde ; elle me fait horreur.
MAR S. 1761 . 167
Que cette loi jaloufe eft digne de nos maîtres !
Ce n'étoit point ainfi que les braves ancêtres ,
Ces généreux François , ces Illuftres vainqueurs ,
Subjuguoient l'Italie ,& conquéroient des coeurs;
On aimoit leur franchife ; on redoutoit leurs armes
;
Les foupçons n'entroient pas dans leurs efprits
altiers.
L'honneur avoit uni tous ces grands Chevaliers ;
Chez les feuls ennemis ils portoient les allarmes ;
Er le peuple amoureux de leur autorité ,
Combattoit pour leur gloire , & pour fa liberté.
Tout ce qui n'eft pas Tancréde , eft
odieux à Aménaïde ; le nom feul de ce
Héros diffipe fon éffroi. C'eft dans cette
confiance d'un fentiment violent de tendreffe
, que viennent la furprendre les
reproches de fon Pere . Elle apprend parlà
le funefte événement de fes deffeins.
L'Esclave a été furpris par un parti
Syracufain , près du camp des Maures . Il
eft mort avec le fecret d'Aménaïde ; mais
le billet eft refté : comme il eft fans adreffe
, & que l'on fçait que Solamir a ſoupiré
pour elle , tout concourt à la faire foupçonner
d'une intelligence fecrette avec ce
Chef des Sarrazins. Argire abandonne
fa fille à la rigueur de la Loi ; Il s'en remet
aux Chevaliers ; il invoque feulement
168 MERCURE DE FRANCE.
les droits de la nature , pour ne pas mêler
fa voix à celles qui vont la condamner ;
la mort d'Aménaïde eft décidée. Aménaïde
ne cherche point à fe juftifier ; elle ſe défend
avec nobleffe de l'imputation d'infidélité
& de trahifon : mais en avouant
fans détour l'envoi du billet , elle n'éclaircit
point le mystère de l'adreffe , dans la
crainte d'expofer Tancrede. Orbaffan
dont la préfence aigrit encore la fituation
d'Aménaïde, fans fortir de fon caractère ,
lui offre de combattre pour elle , fuivant
l'ufage de ce fiécle , & les Loix de la Chevalerie.
Il voudroit pouvoir la faire déclarer
innocente , non par un mouvement
aveugle de tendreffe , mais parce que lui
ayant été deftinée pour femme , il croit
que fa gloire eft intéreffée à détruire cetre
accufation. Aménaïde , furpriſe de cette
générofité , lui accorde à regret l'eftime
& la reconnoiffance qu'elle ne peut lui
refufer ; mais ne pouvant l'aimer , elle
lui déclare qu'elle ne peut accepter l'offre
de ce combat. Ses fentimens la rendent
d'autant plus intéreffante , qu'ils ne font
point contraires aux mouvemens de la nature
, fur la crainte de la mort.
Je ne me vante point du faftueux éffort
De voir fans m'allarmer les apprêts de ma mort.
Elle •
MAR S. 1761 169
Elle convient que la vie dut lui être
chère ; elle plaint fon Père , elle regrette
fon Amant ; cependant rien ne peut l'engager
à tromper , ni à fe foumettre . Orbaffan
refufé la quitte avec dédain. Amé
naïde termine l'acte , par de triftes réflexions
fur l'infamie dans laquelle elle va
mourir ; par l'idée , plus accablante encore
, de l'opinion qu'elle laiffera d'elle à
Tancréde. Tant de honte l'étonne ; elle
fe raffure par le témoignage de fon coeur.
Non , il n'eft point de honte en mourant pour
Tancréde .
On peut m'ôter le jour & non pas me punir .
Elle eft confolée un moment par la préfence
de Fanie qui couvre les mains de
fa maîtreffe de baifers & de larmes , en
voyant rapprocher les Gardes qui l'avoient
faifie , & qu'avoit écartés l'autorité d'Orbaffan.
Elle recommande à cette tendre
confidente de porter au Héros , pour
le
quel elle meurt , fes derniers adieux &
fes derniers fentimens.
,
Tancréde, fuivi de deux Ecuyers , chargés
de fes armes , entre fur la Scène
qui eft alors une Place publique de Syracufe
, où font fufpendus les Ecus des
Chevaliers , défenfeurs de la Patrie, avec
H
170 MERCURE DE FRANCE..
des devifes qui défignent chacun d'eux . Il
énonce le fentiment qu'éprouvent toutes
les âmes bien conftituées , après une longue
abſence de leur patrie . Le vieux foldar
Aldamon procure à Tancréde les moyens
d'entrer inconnu dans Syracuse. Confus
des remercimens de ce héros , il lui dit :
Seigneur , c'eft trop vanter mes fervices vulgaires
,
Et c'est trop relever un fort tel que
le mien s
Je ne fuis qu'un foldar , un fimplecitoyen . ...
Tancréde répond par ce vers , qui devroit
être toujours fous les yeux des
Grands.
Je le fuis comme vous : les Citoyens font freres.
Et fur ce que le Soldat infifte qu'il a
fervi fous lui ; que né dans fa maiſon il lui'
eft affervi , Tancréde termine par ces mots :
» Vous ne devez être que mon ami » Aldamon
, en faifant remarquer les devifes
de tous les Chevaliers qui fe font diftin-'
gués , remarque qué le nom de Tancréde
devroit être joint à tous ces noms fameux.
Tancréde veut que fon nom foit caché. Il
ordonne à fes Ecuyers de fufpendre en ce
lieu fes armes d'où les chiffres font effacés
, c'eft-à-dire , un fimple Bouclier & un
MAR'S. 1761 . 171
Cafque fans couleurs. Il veut que l'on
conferve fa devife, parce que les mots en
font facrés, pour lui: c'eſt l'amour & l'honneur.
Il charge fes Ecuyers de l'annoncer
aux autres Chevaliers comme un Guerrier
inconnu qui eft venu pour combattre avec
eux les ennemis de la patrie. Il apprend
d'Aldamon,que le Père d'Aménaïde ( Argire
) après avoir longtems fuccombé à la
fureur des factions , avoit repris fes droits
& fon autorité dans la République mais
que l'âge l'affoibliffant , Orbaffan va lui
fuccéder. Tancréde frémiffant au feul nom
de l'ennemi de l'oppreffeur du père d'A
ménaïde, craint encore,fur quelques bruits
confus , qu'il n'afpire à en devenir le gendre.
Aldamon , que fon fervice retient
hors de la Ville , n'étant pas en état de
l'éclaircir , eft envoyé pour vérifier cette
fanefte nouvelle , vers Aménaïde ellemême.
Quelle horreur ! quel déſeſpoir
pour Tancréde, lorfque ce Soldat revient ,
baigné de larmes , l'exhorter à fuir la
honte & le crime qui vont lui déchirer
le coeur. Informé fucceffivement qu'Argire
a figné le matin l'hymen d'Orbaffan
avec Aménaïde , que la pompe en étoit
ordonnée pour le lendemain , que ce rival
avoit été mis en poffeffion de tous fes
biens : Tancréde , après avoir fubi toute
Hij
172 MERCURE DE FRANCE:
cette progreffion de torture , apprend en
fin que toutes ces circonftances étoient
le plus léger des coups que lui réſervoit
le fort , & qu'Aménaide , accufée d'avoir
voulu livrer fon coeur & fa patrie à Solamir
, va être conduite au fupplice . Argire
paroît ; on imagine combien la préſence
de ce vénérable vieillard , accablé d'années
& de défefpoir , doit ajouter d'intérêt
à la fituation de l'amant de fa fille.
Ils font inconnus l'un à l'autre. Aldamon
informe Tancréde que c'eft le père d'Aménaide
. Ce malheureux Chevalier qui ,
fondé fur les noirs complots de la calomnie
, pouvoit encore douter de l'infidélité
de fa maîtreffe , apprend fon crime par
l'aveu même d'un Père défefpéré ; il mêle
fes larmes aux fiennes , fous le nom feulement
d'un Chevalier que le zéle a armé
contre les Mufulmans. Sur la foi de la
Renommée , il auroit penfé , dit- il ,
Que fi la vertu même habitoit ſur la tèrre
Le coeur d'Aménaïde , étoit fon fanctuaire.
Mais le père attendri avoue , que pour
comble de honte & d'infortune , fa fille
chérit fon crime, & paroît fans remords ;
ce qui fait qu'aucun Chevalier ne fe préſente
pour défendre fon innocence , à quoi
Tancréde replique vivement,
MAR S. 1761 . 173
Il s'en préfentera : gardez- vous d'en douter .
ARGIRE.
De quel efpóir,Seigneur , daignez -vous me flater
TANCREDE.
Il s'en préfentera , non pas pour votre fille ,
( Elle eſt loin d'y prétendre & de la mériter ; )
Mais pour l'honneur facré de fa noble famille ,
Pour vous, pour votre gloire , & pour votre vertă.
ARGIRE.
Vous rendez quelque vie à ce coeur abbattu.
Eh ! qui pour nous défendre entrera dans la lice ?
Nous fommes en horreur : on eft glacé d'éffroi.
Qui daignera me tendre une main protectrice ?
Je n'ofe m'en flatter : qui combattra ?
TANCREDE.
Qui?moi.
Moi , dis -je : & file Ciel feconde ma vaillance ,
Je demande de vous , Seigneur , pour récompenfe
De partir à l'inftant fans être retenu ,
Sans voir Aménaïde , & fans être connu.
Argire exprime fa reconnoiffance avec
la plus grande fenfibilité . Il n'eft pas difficile
de croire combien ce moment intéreffant
occupe l'âme des Spectateurs ; un plus
touchant encore va lui ſuccéder . Orbaſſan
& les autres Chevaliers viennent apprendre
à Argire , que prévenus par les Sarra-
H iij
374 MERCURE DE FRANCE.
fins , ils vont être attaqués. On le preffe de
fuir le fpectacle horrible du fupplice de fa
fille ; il déclare que fecondé du Chevalier
inconnu qu'il montre,il ira dans le fang des
ennemis , laver fa honte & noyer fes douleurs
. On voit approcher Aménaïde avec
tout l'appareil des criminels , environnée
de Gardes & d'une foule de Peuple avide
des fpectacles les plus finiftres. Orbalan
redouble fes inftances pour faire écarter
Tancréde Argire , en l'arrêtant. .
Non , demeurez , mon père
ORBASSAN. ( à Tancréde:)
Eh ! qui donc êtes-vous ?
TANCREDE.
Votre ennemi , Seigneur
L'ami de ce vieillard peut être fon vengeur ;
Peut-être autant que vous à l'Etat néceſſaire.
La Scène s'ouvre : on voit Aménaïde ,
au milieu des Gardes : les Chevaliers &
le peuple rempliffent la place. Tancréde ,
n'eft pas apperçu d'abord par Amenaïde,
qui protefte publiquement non de fon innocence
relativement à la Loi qui la condamne
mais contre l'iniquité de cette
Loi , qui donne lieu à l'arrêt de fa mort.
Elle invoque le ciel , Juge & témoin des
vrais fentimens, de fon âme ; elle apoftrophe
enfuite r ce qui l'écoute , pour
éclaircir apparenent la faulle imputation
de l'objet a lettre.
.
1
MARS. 1961 . 173
• Sçâchez tout mon malheur.
Qui va répondre à Dieu parle aux hommes fans
peur.
Et vous , mon pere ; & vous témoins de mon fuppli
ce ,
Qui ne deviez pas l'être , & de qui lajuftice
( appercevantTancréde. )
Auroit pû....Ciel ! ô Ciel ! Qui vois- je à ſes côtés ?
Eft-ce lui ?... Je me meurs.
Elle tombe évanouie. Ainfi fe continue
la fatale obfcurité du billet ; & cet accident
que Tancréde regarde comme un effet
du reproche que lui fait fa préfence , contribue
à confirmer l'illufion qui doit la lui
faire paroître infidelle. Cependant il fufpend
l'exécution du fupplice , en fe préfentant
pour défendre l'accufée ; & c'eft Or
baffan qu'il défie , en jettant fon gantelet.
L'orgueilleux Orbaffan fait ramaffer le gan
telet , figne d'acceptation ; quoiqu'il feigne
de dédaigner un adverfaire qu'il juge
indigne de lui , parce qu'il cache fon nom,
il donne les ordres néceffaires pour le combat.
Aménaïde , à qui l'on a ôté les fers ,
reſte fur la ſcène avec Argire. Elle revient
à elle , pour reprocher à fon père l'arrêt
qu'on a prononcé. Elle fe croit encore fous
le couteau; elle ne fça quel fera fon fort;
mais elle jure encore que fa gloire eft inal-
·
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE:
térable. Elle tremble pour la vie de Tancréde
, fi l'on vient à fçavoir fa naiffance.
Elle demande pour toute grâce à fon père ,
de la délivrer de tout cet appareil de honte
, & de l'arracher aux regards de cette
foule infultante qui obferve les affronts ,
& contemple des larmes dont la caufe eft
fi belle , & qu'on ne connoît
pas. Argire
enméne fa fille , & termine ainfi le troifiéme
Acte.
Une marche guerrière annonce & accompagne
Tancréde , qui a tué Orbaffan
dans le combat. Il perfifte toujours à demeurer
inconnu ; cependant , il confent
à défendre Syracuſe & à fe mettre à la tête
des Chevaliers , qui le prient de réparer la
perte que fa valeur vient de leur faire
éprouver. Il eft naturel que Tancréde s'engage
avec ardeur à pourfuivre Solamir. I
ne cache pas qu'une haine perfonnelle le
détermine. Aménaïde vient fe précipiter à
Les genoux. Il détourne d'elle fes regards
troublés , & d'une voix
entrecoupée il la
renvoye à fon père , en lui difant :
Retournez , confolez ce vieillard que j'honore ;
D'autres foins plus preffans me rappellent encore
Envers vous , envers lui , j'ai rempli mon devoir ;
J'en ai reçu le prix , je n'ai point d'autre eſpoir.
Trop de reconnoiſſance eſt un fardeau peut-être
MAR S. 1761 . 177
Mon coeur vous en dégage , & le vôtre eft le
maître
De pouvoir , à ſon gré , difpofer de fon fort.
Vivez ... heureufe ... & moi je vais chercher la
mort.
Il fort brufquement pour fuivre les
Chevaliers qui vont combattre les Sar
rafins. Cette fituation a toujours eu fur
Les Spectateurs une force fi pathétique ,
que toutes les autres précédentes qui
fembloient avoir épuifé leurs larmes loin
d'affoiblir celle- ci , fembloient n'avoir
fait
que la préparer. Le Lecteur connoît
affez à préfent le coeur d'Aménaïdé , pour
préfumer combien elle doit foutenir l'intérêt
en dévelloppant l'impreffion d'un
accueil fi accablant. Elle doute fi elle
veille; elle interroge Fanie ; elle contem
ple , avec horreur , la colére dédaigneufe
defon amant. Elle fe demande ce qui peut
avoir occafionné ce changement , dans le
moment même où cet amant vient d'ex-" -
pofer fa vie pour défendre fon innocence.
Fanie repréfente, l'effet des bruits publics,
l'erreur du fatal biller , les feux dont Solamir
avoit ofé brûler pour elle , le filence
ď'Aménaïde , fi noble & fi conftant fur læ
véritable adreffe du billet : ce mystère m
pénétrable , qui a pû fonder une apparen
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
ce trompeufe,& qui doit rendre Tancréde
excufable. A quoi tépond Aménaide , reprenant
la mâle fierté de fon âme.
· Rien ne peut l'excufer.
Quand l'Univers entier m'accuferoit d'un crime »
Surfon jugement feul un grand homme appuyé,
A l'Univers féduit oppofe fon eftime.
Elle fe trouve outragée des foupçons
de Tancréde, & qu'il paroiffe n'avoir combattu
pour elle que par pitié. Fanie veut
repréfenter qu'il ne connoît pas... Amér
naïde reprend fortement.
Il devoit me connoître ;
11devoit reſpecter un coeur tel que le mien y
Il devoit préfumer qu'il étoit impoſſible
Que jamais je trahiffe un fi noble lien.
Ce coeur eft auffi fier que fon bras invincible
Ce coeur étoit en tout auffi grand que le fien ,
Moins foupçonneux fans doute , & fur- tout pluss
fenfible .
Je renonce à Tancréde , au refte des mortels ,
Ils font faux ou méchans ; ils font foibles , cruels ,
Ou trompeurs , ou trompés ; & ma douleur profonde
,
En oubliant Tancréde , oublîra tout le monde.
La douleur dans laquelle Aménaïde eft
plongée, lui arrache le fecret fatal qu'elle
MARS. 176г. ! 179
avoit jufques-là renfermé avec tant de
dangers pour elle. Argire apprend enfin
de fa fille , que c'eft Tancréde qui l'a fauvée
, que c'est lui qui a tant fait pour fa
famille & pour une patrie qui l'avoit profcrit.
Les vers fuivans qu'infpirent à ce
noble vieillard de juftes remords , contiennent
une leçon que les Juges ne doivent
pas négliger.
O juges malheureux ! qui dans nos foibles mains
Tenons aveuglément le glaive & la balance ,
Combien nos jugemens font injuftes & vains !
Et combien nous égare une fauffe prudence !
Aménaïde déclare à fon Père les motifs
de fa douleur , fes reproches contre Tancréde
, & l'étrange réfolution de le fuivre
au combat. Argire oppofe à ce projet &
les moeurs & les loix du pays qui ne le
permettent pas.
A MENAIDE , ( å Argire . )
སྐྱ་
Quelles loix ! quelles moeurs indignes & cruelles !!
Sçachez qu'en ce moment ,je fuis au-deffus d'elles ,
Sçachez que dans ce jour , d'injuſtice & d'horreur
Je n'écoute plus rien , que la loi de mon coeur.
Quoi ces affreuſes loix , dont le poids vous op
prime ,
Auront pris dans vos bras , votre fang pour victi
me !
H vj
180 MERCURE DE FRANCE
Elles auront perinis qu'aux yeux des Citoyens ,
Votre fille ait paru dans d'infâmes liens ,
Et ne permettront pas qu'aux champs de la victoire:
J'accompagne mon Père , & défende ma gloire !
Et le fère en ces lieux conduits aux échafauts ,
Ne pourra femontrer qu'aux milieu des bourreaux
L'injuftice à la fin produit l'indépendance & c.
Nous avons rapporté ces vers , pour fai
re voir l'éclat du vernis , dont l'Auteurfçait
couvrir des refforts' que n'admettroit
peut-être pas facilement l'uſage ordinaire
des convenances. Le père d'Aménaïde ,
trop accablé de fes remords envers Tan
crède , pour ufer de toute fon autorité fur
fa fille , la quitte pour aller rejoindre Tancréde
dans les combats contre les Maures.
Il fe contente d'ordonner à fa fuite de veil
ler fur les démarches de fa fille . Celle - cf
finit le quatriéme Acte , en proteftant que
rien ne pourra l'arrêter ; qu'elle veut com
battre aux yeux de Tancréde , recevoir les
coups lancés contre lui , & mourir entre
fes bras pour le punir de fon injuftice.
Le Peuple & les Chevaliers viennent
annoncer la victoire remportée fur les
Sarrafins. On apprend fucceffivement.que
le Chevalier inconnu , auquel on doit cet
avantage , eft ce même Tancréde banni.
dépouillé de fes biens par une loi barbas
MARS. 176 . 181
re ; qu'au lieu de fuivre les autres Chevaliers
, pour recueillir les fruits de fes
travaux , il a difparu par une courſe précipitée
; qu'Aménaïde éplorée a paru au
milieu des combats appellant Tancréde ,
& que fon Père la ramene à Syracufe.
Argire paroît en effet avec Aménaïde . Il
fçait que Tancrede eft en péril, il exhorte ,
il preffe les guerriers d'aller le fecourir ,
on y vole. Argire flatte fa fille de revoir
bientôt Tancrede triomphant & dégagé
de l'erreur qui a caufé tant de peines.
Pour éclairer les yeux , pour calmer fon efprit
Il ne faudra qu'un mot.
AMENAIDE.
Et ce mot n'eft pas dit :
Que m'importe ce peuple & fon indigne outrage
Et fa fureur crédule , & fa pitié volage ,
Et la publique voix que je n'entendrai pas ?
D'un feul mortel , d'un feul dépend ma renome
mée..
Sçachez que votre fille aime mieux le trépas ,
Que de vivre un moment fans en être eftimée .
Sçachez ( il faut enfin m'en vanter devant vous , ),
Que dans mon bienfaiteur j'adorois mon époux.
Ma mere au lit de mort ? a reçu nos promeſſes
Sa derniere priere a reçu nos tendreſſes :
Elle joignit nos mains qui fermérent les yeux.
182 MERCURE DE FRANCE.
Nous jurâmes par elle , à la face des cieux ,
Par fes mânes , par vous , vous trop malheureux
Père,
De nous aimer en vous, d'être unis pour vous
plaire ,
De former nos liens dans vos bras paternel's.
Seigneur , les échaffauts ont été nos autels ,
Mon amant, mon époux cherche un trépas funeſte
Et l'horreur de ma honte eſt tout ce qui me reſte.
Voilà mon fort !
Par ces vers, on voit que l'Auteur a con
firmé encore le caractère fier , mais fenfible,
d'Aménaïde ,qu'il a pallié par cette ef
péce d'hymen préparatoire entre elle &
Tancréde, fous les aufpices d'une mère, ce
que la violence des fentimens & même
celle des démarches d'une fille bien née
pouvoit offrir d'oppofé à la décence , que
Pon ne viole jamais impunément au
Théâtre. D'ailleurs cette récapitulation des
infortunes d'Aménaïde , & cette expofition
vive de fon fort actuel , préparent
& fondent en quelque forte les nouvelles
impreffions que le Spectateur doit
éprouver aux fituations de la catastrophe.
Ces fortes de réexpofitions , ( fi l'on peut
hazarder ce mot ) vers la fin d'un Drame
, lorfqu'elles font adroitement ménagées
& animées par le feu des paffions,
MAR S. 1761. 183
deviennent quelquefois des moyens trèspropres,
à réveiller l'attention & la fenfi→
bilité, fouvent fatiguées par trop d'émo
tions précédentes. C'est un point de l'art
théâtral , délicar dans la pratique , mais
qu'il n'eft pas inutile de faire remarquer
pour l'utilité de ceux qui fe deftinent à
entrer dans cette brillante & dangereufe
carrière .
Tout femble après cela concourir au
bonheur des deux amans . Fanie vient faire
le récit à Aménaïde de la gloire de
fon amant. Les Maures ont été pourfuivis
par lui , leur défaite eft entiere. Solamir
eft tombé fous fes coups. Tous les
Chevaliers , tout le peuple de Syracufe
éléve Tancréde au- deffus des Roland ,
des Lifois fes Ancêtres . Aménaïde jouir
un moment de fa joie , elle n'en cache
pasles tranfports à fon père.
•
Mon bonheur eſt au comble,héla ! il m'eſt bien du
Je veux tout oublier; pardonnez - moi mes plaintes
Mes reproches amers , & mes frivoles craintes ;
Oppreffeurs de Trancréde , ennemis citoyens ,
Soyez tous à fes pieds ; il va tomber aux miens
La préfence d'Aldamon qui avoit au
compagné toujours Tancréde , vient char
6
184 MERCURE DE FRANCÉ.
ger en des cris de douleur , toutes les
expreffions de la commune allégreffe. H
apporte à Aménaïde une lettre de Tancréde
mourant & écrite de fon fang. En
fe repréfentantce tre premiere fituation ,
que l'on juge de celles qui la fuivent.
AMENAIDE , revenant àelle..
1
Donnez- moi mon arrêt , il me défend de vivre ;
Il m'eft cher.... O Tancrédé ! ô maître de mon fort!
Ton ordre , quel qu'il foit , eft l'ordre de te fuivre,
J'obéirai обо Donnez , votre Lettre eft la mort.
( Enprenant la Lettre. Y
O' mes yeux ! lirez - vous ce fanglant caractére ?
Le pourrai-je il le faut....c'eft mon dernier effort
Elle lit.
> Je ne pouvois furvivre à votre perfidie ;
Je meurs dans le combat, mais je meurs par vos
> coups :
»J'aurois voulu , cruelle, en m'expofant pour vous , >
>>Vous avoir confervé la gloire avec la vie ..
(enfè tournant vers Argirė . )
Eh bien', mon Pére ?
Ellefe rejette dans les bras de Fanie . )
On ne peut rendre la pathétique expreffion
qu'ajoute à cet hemiftiche le talent
admirable de l'Actrice. ( a ) Ceux qui
** Mlle Clairon
3
MAR S. 1761 . 18 ,
n'ont point vu les répréfentations , ne
pourront fentir la vive émotion qu'ont
toujours éprouvée les fpectateurs en cet
endroit . Eh bien , mon Père ? dans cette
circonstance , a toujours produit l'effer
de ces traits fublimes qu'infpire le génie ,
& qui faiffiffent l'âme , toutes les fois
qu'on les lui préfente .
Argire tente envain de confoler fa fille ,
par les honneurs qu'il veut faire rendre
à la mémoire de Tancréde. Cette fille
toute à fa douleur , s'écrie :
Eh que fait l'univers à ma douleur profonde !
Que me fait ma patrie , & le reste du monde ?
Trancréde meurt.
Pendant qu'un Chevalier annonce à
'Aménaide que l'on améne auprès d'elle
Tancréde expirant , on l'approche lentement
; Aménäide , évanouie entre les bras
de fes femmes , revient à elle , & court
fe précipiter aux pieds de Tancréde. La
douleur & les plaintes de cette amante
éplorée , ont toujours fait verfer des larmes
aux âmes les plus fermes. Elle demande
un regard de Tancréde. En fe foulevant,
il lui dit , » aḥ , vous me trahiffiez
>»> A quoi Aménaïde ne répond que ces
mots? » Qui ? Moi? Tancréde ! Enfin Ar185
MERCURE DE FRANCE.
gire développe à ce héros mourant , la
cruelle équivoque qui fait tant de malheureux
; & fon témoignage le perfuade
de l'innocence & de la fidélité d'Aménaïde.
Tancréde alors fe foulevant encore
, dit :
'Aménaïde , ô Ciel ! eft- il vrai ? vous m'aimez ›
AMENA IDE.
Va , j'aurois en effet mérité mon fupplice ,
Ce fupplice honteux , dont tu m'as fçû tirer ,
Si j'avois un moment cellé de t'adorer ;
Si mon coeur eût commis cette horrible injuſtice,
Le refte de la Scène , entre ces deux
malheureux amans , eſt toujours en progreffion
d'attendriffement . Tancréde entre
autres vers de cette Scène , dit celui- ci ,
qui eft remarquable :
J'ai mérité la mort , j'ai cru la calomnie.
Aménaïde , par une réflexion de fentiment
, juſtifie le noeud capital de la Tragédie.
Ce n'est donc , jufte Dieu ! que dans cette heure
affreuſe ,
Ce n'eft qu'en le perdant que j'ai pu luiparler ? ...
Ah ! Tancréde.
Il demande à être uni avant fa mort
MAR S. 1761 ) 187
avec Aménaïde ; Argire joint leurs mains.
Tancréde exige de fon époufe défefpérée
qu'elle ne le fuivra pas au tombeau ; ce
font les dernieres paroles qu'il prononce
: il expire dans fes bras . Aménaïde fe
jette fur le corps de Tancréde ; elle fe reléve
dans un enthoufiafme de douleur , qui
lui dicte les imprécations les plus fortes
contre fa barbare patrie. Son emportement
l'entraîne même un moment aux reproches
les plus durs envers fon père ; elle
en demande pardon , & tombe à côté de
lui. Ainfi finit certe Tragédie . On ignore
fi Aménaïde meurt , ou fi les foins , qu'Argire
ordonne de prendre , la rappelleront
à la vie. Cette incertitude peut ajoûter
encore à l'impreffion douloureufe & intéreflante
que laiffe cette Piéce dans l'âme
des Spectateurs.
Na . L'Edition de cette Tragédie in-8° , eft dédiée &
Madame la Marquife DE POMPADOUR. l'Epitre
Dédicatoire contient 19. un tribut de reconnoiſſance
que
doivent à cette Protectrice éclairée , les Lettres
& les Arts en France. 2 ° . Une efpéce de Préface à la
Tragédie de Tancréde.Les figures , dont on a cru or
nercetteEdition, donnent lieu deregretter que cesfortes
d'ornemens typographiques , ne rempliffent pas tou
jours les vues des Libraires pour la fatisfaction du
Public.
188 MERCURE DE FRANCE.
REMARQUES fur la Tragédie de TANCREDE.
Il eft fâcheux pour le plaifir d'une partie des
Lecteurs de ce Journal, que nous ne puiflions tranf
mettre dans un extrait , tout le charme de la verfification
de M. de Voltaire . Nous avons fait nos
éfforts pour y fuppléer , en fuivant exactement le
fil des Scènes & l'efprit du Dialogue , afin de
donner au moins une notion exacte de la contexture
de la fable & des caractéres différens qui font
jouer les refforts de la Tragédie. Ceux qui pour
roient cenfurer la longueur des extraits des Piéces
de Théâtre,font priés de confidérer quels font nos
devoirs envers un grand nombre de Lecteurs éloi
gnés de la Capitale , privés des repréſentations
Théâtrales , & même allez fouvent , de la lecture
des Piéces imprimées.
L'expofition de la Tragédie de Tancréde exigeoit
beaucoup de narration , devant établir tous
les fondemens d'une fable prèfque d'invention.
Elle occupe plus d'efpace peut - être dans cette
Pièce que dans beaucoup d'autres . Commé ce qui
exige de l'application n'eft pas fufceptible d'une
grande chaleur , les deux premiers Actes de cette
Tragédie ont pu paroître d'abord un peu languiffans.
Mais dès la fin du fecond Acte , dès qu'Aménaïde
eft en péril , l'intérêt s'établit ; il croît
au troisiéme Acte ; il paroît au dernier degré de
fenfibilité dans le quatriéme ; au cinquième , la
mort de Tancréde , la fituation de la cataſtrophe
le relève de façon à donner , pour ainsi dire , રે
l'âme de nouvelles forces pour s'émouvoir , par
les nouveaux moyens employés pour l'attendrir.
Les caractères en général font fuffisamment établis
& bien foutenus . Deux entre autres , ont quelque
MAR S. 1761 . 189
chofe de fingulier qui les diftingue , fans fortir d'un
certain naturel , au moins celui que tolére la Poëfie
dramatique ou Epique.Orbaffan eft une âme ferme
& dévouée à la gloire des armes, en qui l'excès de
cette vertu produit fon effet ordinaire , un peu de
férocité. Cependant , quoiqu'il foit dans la Piéce
le perfonnage qui fait obftacle au bonheur des héros
intéreffans , il n'eft point coupé fur le patron
commun des tyrans de la Tragédie. Il ne peut attirer
ni l'amour ni la haine ; au moyen de quoi
tous les voeux reftent fans partage pour Tancréde
& Aménaide. Celle- ci , toute à la nature & aux
mouvemens de fon coeur , remplit l'idée qu'on fe
formeroft d'un être humain , honnête par la propre
exiftence , affranchi de tous préjugés & ignorant
même le pouvoir des loix , dont fa fierté lui
fait méprifer le joug. C'eft une Alzire Européenne ,
Mais plus héroïque encore , parce qu'elle participe
du fanatifme de l'ancienne Chevalerie . La gloire
de fon amant enflâme fon coeur & lui donne une
certaine élévation , qu'on auroit peine à admettre
dans d'autres héroïnes. C'est une Amazone en
amour & en vertus . On lui auroit peut- être paffé
volontiers de ne vouloir pas l'être en courage mi
litaire , & de fe difpenfer d'aller chercher fon
amant , au milieu des combats . Mais peut - être
auffi , que ce dernier trait , qui fingularife Aménaïde,
réfulte du caractère affigné; au moins eft-il certain
qu'il paroîtroit plus fimple & plus vraifembla
ble , fi l'on n'étoit rempli de la lecture des anciens
Romans ; & qu'il eft un coflume de moeurs & de
caractères, auquel on doit avoir autant d'égard , en
jugeant les peintures poètiques , qu'à celui des
vêtemens & des attributs que les Peintres obfervent
dans leurs tableaux . Les injuftices qu'a éprou
vées Tancrede la générofité de fon amour ,
fuffiroient pour en faire un Perfonnage intére
१
190 MERCURE DE FRANCE.
Cant. Argite eft malheureux , il eft accablé d'années
, il eft père , voilà bien des titres pour juftifier
la foibleffe.
Il ne nous appartient pas de difcuter le rang
que doit tenir Tancréde entre les autres Tragédies
deM. de Voltaire , encore moins celui qu'occupent
les Tragédies entre celles des Auteurs contemporains
; mais il eft permis d'affurer' , d'après tous
ceux qui ont vû les repréſentations de celle- ci
qu'elle a toujours excité les plus vives émotions.
Si la célèbre Actrice qui jouoit le rôle d'Aménaïde
, a eu part à cet effet , l'Auteur n'en peut
être jaloux. S'il jouifloit du charme de ce talent
fupérieur , il feroit entraîné par la force invinci
ble des impreffions ; il verroit fon Aménaïde telle
qu'il la voyoit fans doute en compoſant , & telle
qu'il defiroit la faire voir aux autres.
On avoit publié , qu'on ajouteroit au fpectacle
de cette Piéce , l'appareil d'un échafaut , dans le
temps qu' Aménaïde eft amenée au fupplice en préfence
du Peuple , des Chevaliers & de Tancréde. Cela
n'a pas eu lieu ; apparemment que l'on a craint
de trop indifpofer ceux , qui avoient été déja bleffés
de la chambre funébre dans Callifle . Onle défend
d'introduire fur notre Théâtre ces forces acceffoires
du pathétique , pour éviter de tomber dans la barbare
licence de nos voifins . Ne peut- on pas conjecturer
cependant , que l'urbanité de nos moeurs
qu'une certaine molleffe dans nos goûts , de laquelle
nous ne pouvons nous relever entiérement , garantiratoujours
notre nation des excès en ce genre?
& quefi par la marche naturelle de l'efprit humain
on alloit un peu au- delà de ce qui feroit convenablefur
ce point , on reviendroit plus promptement
encore , en deçà de ce qui eft néceffaire?
Nous obmettions de parler des vers croisés . Ils
n'ont bleffé, à ce qu'il femble , aucune oreilles
MAR S. 1761 , 191
beaucoup de fpectateurs même ne s'appercevoient
pas de cette innovation , preuve que cette pratique
qui fe rapproche un peu du langage naturel , n'eſt
pas recufable dans le tragique . C'eft peut - être un
pas avancé vers le projet des Tragédies en profe
tant defois tentéinutilement, Le Public en général
n'a pas paru plus offenfé du changement de fcène .
Toutes les licences qu'entreprennent les grands talens
, font prefque toujours juftifiées par le fuccès,
Mais il arrive trop fouvent , que l'on devance l'ac
quifition des titres qui difpenfent des regles . Il eft
utile pour le progrés des artsde les affranchir quelquefois
du frein que leurs légiflateurs ont impoſé à
l'imagination : mais il n'eft pas moins dangereux ,
que l'on ne le méprenne entre le feu de l'imagination
, & la ftérile chaleur du déréglement . S'il y
avoit des Cenfeurs conftitués pour faire obferver
ces fortes de loix , ne feroient- ils pas prudemment
de n'en accorder difpenfe , qu'à ceux qui auroient
longtemps travaillé & fouvent réuffi , ſous le joug
1 plus dur ?
Le Lundi 16 Février , M. Burfay dé
buta fur le Théâtre de la Comédie Françoiſe
, par le rôle de Zamore dans Alzire.
Ce nouveau Débutant eft d'une figure
agréable , & d'une taille avantageufe . L'organe
de fa voix eft naturellement beau.
Il le deviendra , ou plûtôt le paroîtra davantage
encore , lorfqu'il l'altérera moins
par une prononciation trop outrée : ufage
très difficile , & prèfque impoffible aux
commençans. Il montre beaucoup de feu ;
il feroit injufte de le juger actuellement .
192 MERCURE DE FRANCE:
On doit lui donner le tems de mettre
en oeuvre les difpofitions qu'il annonce.
L'encourager , c'eft lui en procurer les
moyens. Il continue fon début.
MlleDepinay,dont nous avons parlé , eft
reçue à l'effai ; elle continue de plaire
au Public ; & il paroît qu'elle s'applique
utilement à meriter de lui , comme juſtice,
les applaudiffemens qu'il avance fouvent ,
comme grâce , aux Débutans .
Le Mercredi 18 , on a donné la première
Repréſentation du Père de Famille ,
Comédie en profe , & en s actes , par
M. Diderot. Elle n'eft pas repréfentée
exactement comme elle a été imprimée ,
non quant au fond , ni quant aux Scènes
principales , qui font toujours les
mêmes ; mais quant à quelques combinaifons
du Dialogue , & à toute l'étendue
qu'avoit cette Piéce , lorfque l'Aureut
ne l'avoit deftinée qu'à la lecture.
La première Répréfentation a été applaudie
; celles qui l'ont fuivie , ont déterminé
le fuccès, Nous ne fommes pas encore
en état de rendre un compte exact
de cette Piéce , & l'efpace deftiné à l'article
des Spectacles , ne nous le permet
pas dans ce volume. Nous apprendrons
feulement , pour fatisfaire la première
MAR S. 1761. 193
mière impatience de quelques Lecteurs ,
que l'on céde avec plaifir à l'attendrif
fement , que produifent plufieurs fituations
& plufieurs détails touchans , principalement
dans les deux premiers Actes
qui font beaucoup d'effet. La Scène
offre des tableaux d'un intérieur domef
tique , que l'on n'avoit pas encore vus
au Théâtre. L'action locale eft familiere
& naturelle , mais peut-être un peu trop
mouvante. Cependant fi l'on confidère les
émotions violentes & rapides , dans lef
quelles font très-fouvent les Perfonnages ,
on conviendra qu'il eft impoffible que
cette action locale n'en prenne pas un
peu de mobilité . Cette Piéce eft généralement
bien jouée . Le rôle du Père de
Famille & celui de fon fils S. Albin , l'un
par M. Brifard , & l'autre par M. Bellecour
, leur mérite les applaudiffemens les
plus juftes & les plus vrais. Nous inftruirons
le mois prochain , ceux qui ne connoiffent
cette Piéce que par l'impreſſion ,
des Acteurs qui rempliffoient tous les rôles.
Mlle Clairon , fur la fanté de laquelle
nous avons annoncé les allarmes du Public
, fut apperçue dans une loge du fond,
à la première repréſentation du Père de
Famille. Elle y reçut les témoignages les
1
194 MERCURE DE FRANCE.
plus flatteurs , de la confidération publique
, par des applaudiffemens univerfels
& réitérés.
COMEDIE ITALIENNE.
LB
Mercredi E Mercredi 4 Février , on donna fur
ce Théâtre , la première repréſentation
d'une Comédie en 3 actes & en profe ,
intitulée les Caquets . C'eft , pour ainfi
dire , l'Extrait d'une Piéce de Goldoni ,
adapté aux moeurs & aux caractères d'une
Claffe du Peuple François , entre la
haute Bourgeoifie & le dernier Etat populaire.
M. & Madame Riccoboni font les
Auteurs de cet Ouvrage. Ils ont le mérite
de l'invention , par la manière dont ils
ont rendu propre à notre Scène le fujet
qui leur a fervi de modéle.
Les Caquets ont eu du fuccès dès la
première repréfentation ; ce fuccès a augmenté
dans les repréfentations fuivantes;
il doit être conftant , parce que la Piéce
n'eft pas l'image momentanée de quelqu'un
des caprices de la mode ; c'eft une
Comédie de caractère & d'intrigue , dans
un genre peu élevé à la vérité , mais plus
régulière , peut-être , mieux dialoguée , &
mieux tiffue , que beaucoup de nos PićMAR
S. 1761 . 195
ces modernes. Le Sujet y dirige toute
Taction . C'est par le caquet qu'elle s'expofe
; ce font des caquets qui forment le
noeud ; l'intrigue paroît finir , des caquets
la renouent. Ceux d'entre les perfonnages
, que les caquets perfécutent, en font
eux-mêmes fans le vouloir ; enfin le dénoûment
s'opére par des caquets . Le ton
du ftyle eft très -gai , faillant en beaucoup
d'endroits , jamais languiffant; mais, comme
on doit le penfer , conforme à l'état
des perfonnages, par conféquent mitoyen
entre cette derniere baffeffe qu'avoit fait
applaudir plus d'une fois feu M. Vadé , &
la politeffe de la bonne fociété bourgeoife.
C'eft en fe prêtant à ce ton , que l'on
peut apprécier cette Comédie. Si elle ne
femble pas deftinée au progrès des moeurs
ni à l'ornement de l'efprit , elle ne préfente
rien d'indécent & qui puiffe infpirer
du dégoût . On ne craint pas d'avancer
qu'elle est très propre à procurer du
délaffement & de la gaîté : on doit plaindre
plutôt qu'imiter ceux qui rougiroient
de s'y amufer. Elle est très - bien jouée ;
chaque rôle paroiffant convenir particuliérement
au talent de chaque Acteur.
La première repréſentation des Caquets
fut fuivie d'un nouveau Ballet Pantomime
, intitulé les Fêtes Bafques Villageois
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
fes , de la compofition de M. Billioni
il fut applaudi , & a été continué avec
fuccès . Nous en donnerons le Programme
dans un des volumes du mois prochain .
Mlle Collet dont nous avons déja
parlé , a chanté plufieurs rôles dans différens
intermédes ; elle a continué fon
début pour la Comédie , par le rôle de
Marianne dans l'Epreuve , & par celui
d'Angélique , dans l'Ecole des Meres. Les
difpofitions naturelles de cette jeune debutante
, femblent fe fortifier par la prarique
du Théâtre , & le Public lui donne
toujours des marques flatteufes , de l'efpoir
qu'il conçoit de fes talens .
Le 22 , on a remis Samfon , Tragi-
Comédie. Ce fpectacle mixte & fingulier ,
qui coûte aux Comédiens de nouveaux
foins & de nouvelles dépenfes , eft fait
pour intéreffer la curiofité du Public &
pour la fatisfaire à bien des égards.
L
OPERA - COMIQUE.
E Prologue , que l'on a donné à l'ous
verture de ce Théâtre , étoit deſtiné à complimenter
le Public,Le zéle fut approuvé ;
mais le compliment ne fut pas bien reçu.
Le Cadi dupé a été répréfenté pour la
premiere fois , le Mercredi 4 Février. Ce
fujer eft tiré des mille & un jour ; & fer
M`A R S. 1761 . 197
foit la matiére d'une jolie Comédie. If
a paru affez bien coupé , pour le genre
moderne de Drame en ariettés ; & quoique
ce genre exige bien plus une combi
naifon particuliere de mots , qu'un choix
délicat de pensées , celui- ci eft agréablement
écrit. Les dernieres fcènés font comiques
& théâtrales . La mufique en a été
applaudie ; elle doit être d'un goût plus
général que dans quelques autres ouvrages
, en ce qu'il eft facile de rapporter de
mémoire, prèfque tous les principaux airs .
Mlle Neffel qui faifoit un principal rôle
dans cette Piéce , étant tombée malade
après la quatrième répréſentation , on
fut obligé de l'interrompre. Mlle Rozaline
, autrefois l'ornement de ce Théâtre ,
& dont la voix & la figure femblent annoncer
la gaîté qui y convient , répárut
après une abfence de deux ans , le
10 Février , dans Berthoide & le Diable
à quatre. Son retour fur ce Théâtre , a
donné lieu à celui de quelques pièces de
l'ancien genre , que le Public a revu avec
fatisfaction , & qu'il y verroit , peut - être ,
remettre avec plaifir ; ce genre paroiffoit
le plus naturellement propre à ce Spectacle.
Le 18 , on a donné encore une nouyeauté
, intitulée le Jardinier & fon Sei- ›
I jij
198 MERCURE DE FRANCE :
gneur , fujet que M. Sedaine a pris dans
les fables de la Fontaine . Il a trouvé dans
celle- ci , une Piéce amufante & vive ; le
jeu de Théâtre eft d'un très- grand mou-,
vement , & produit plufieurs fituations.
comiques. Les deux Dlles de Spectacles
qui veulent prendre foin de l'éducation
d'une petite Payfanne , forment une de ce
images pour lesquelles on a befoin des
prérogatives de ce théâtre , dont l'Auteur
a ufé avec adreffe & avec affez de
modération. La muſique , qui eſt devenue
la partie intéreffante d'un Opéra - comique
, eft de M. Philidor. En poffeffion des
fuffrages des amateurs de ce genre , &
de ceux qui fuivent cette forte de ſpectacle
: il en obtient tous les jours de
nouveaux applaudiffemens ; & ces mêmes.
amateurs trouvent qu'il a rendu dans cette
Piéce , des images que l'on n'avoit
pas encore ofé rifquer en mufique.
Le 20 , on a repris le Cadi dupé , que
l'on a toujours continué depuis. Mlle
Neffel y a separu , & fait admirer l'agré
ment de fa voix , ainfi que l'art d'en
ménager le fon , avec un goût propre au
genre des morceaux qu'elle y exécute.
On préparoit vers la fin du mois , unę
Piéce nouvelle , intitulée les Bons Amis.
Les foins & l'intelligence , conftam
MAR S. 1761 . 199
ment foutenus de la part des Directeurs
de ce Théâtre , foutiennent l'empreffement
du Public ; & le concours y a été
pendant cette Foire , très - nombreux , &
fans interruption .
CONCERT SPIRITUEL.
LE
E 2 Février , Fête de la Purification ;
on exécuta dans ce Concert , deux Motets
de M. Mondonville , Jubilate Deo , Moter
à grand choeur , & les Fureurs de Saul ,
Motet François , en forme d'Oratorio.
M. Duport , jeune Symphoniste , joua
nne fonate fur le Violoncelle, dans laquelle
il exécuta les plus grandes difficultés de
cet inftrument , avec toute l'habileté &
toute la jufteffe poffible; il mérita tous les
applaudiffe mens qu'il a reçus . Mlles Fel &
Rozé, chanterent chacune un petit Motet.
M. Balbâtre exécuta fur l'orgue un Concerto
de fa compofition.
ARTICLE
VI.
NOUVELLES POLITIQUES
De PETERSBOURG , le 3 Janvier 1761 .
Le 29 du mois dernier , on célébra le jour at
niverſaire de la naiffance de l'Impératrice , qui en
troit dans la cinquante & uniéme année.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Le Chevalier Bafile Ivanowitz Souwarow a éré
nommé Gouverneur du Royaume de Pruffe & de
la Ville de Konigsberg. Le Comte de Czernicheff ,
Kommé Ambaffadeur extraordinaire auprès de Sa
Majefté Très- Chrétienne , eft actuellement en route
, pour le rendre en France. Le Marquis de l'Hôpital
, Ambaffadeur de cette Courone à notre Cour,
fe difpofe à retourner à Paris.
De STOCKHOLM , le 14 Janvier.
Nos Troupes jouiffent dans leurs quartiers d'une
grande tranquillité. Les Pruffiens n'ont formé au
cune entreprise contre le Corps pofté à Damgarten.
Ils fe font bornés à conftruire quelques redou
tes près de Riebnitz .
De COPPENHAGUE , le 1e Janvier.
Les dernieres nouvelles reçues de Jagersbourg
nous apprennent que la guérifon du Roi eft fort
avancée , & qu'il doit arriver , vers la fin du mois.
dans cette Capitale, où il eft attendu avec une gra
de impatience.
De VIENNE , les Février.
Le Général Baron de Laudon arriva , le 14 du
nois dernier , dans cette Ville . Il a reçu l'accueil le
plus gracieux de l'Impératrice Reine , qui , voulant
Lui témoigner combien elle eft fatisfaite de fes fervices
, lui a fait préfent d'une très belle tèrre , en
Bohême , & lui a accordé le droit de naturalité dans
tous les Pays héréditaires. Pendant fen abfence , le
Comte de Draskowitz eft chargé du Commandement
de nos Troupes , en Siléfie . Son quartier général
eft actuellement à Jagerndorff.
On a fait , le 23 du mois dernier , les obféques
de l'Archiduc Charles , mort le 18 , âgé de quinze
ans , onze mois & dix- huit jours . La Cour a pris
le deuil pour trois mois.
MAR 3. 1761. 201
Les nouvelles de Warfovie portent que la Princeffe
Jofephine , Douairière du Prince Conftantin
Sobieski , fils du Roi Jean Sobieski , eft morte le
4 dans un âge avancé . Suivant les mêmes avis , la
pefte , qui s'étoit déclaré dans l'Ukraine & dans
quelques Provinces voilines , continue d'y faire des
ravages. On a pris de fi juftes mefures pour empêcher
cette contagion de s'étendre dans la Hongrie
& dans la Valachie , que ces Pays en font entièrerement
exempts.
Nos Troupes continuent d'être fort tranquilles
en Saxe & en Siléfie . Le Prince Clément de Saxe ,
qui étoit tombé dangereufement malade d'une fiévre
pourprée , commence à faire eſpérer qu'il ne
tardera pas à être hors de danger.
Le Comte de Kaunitz Rittberg , fils aîné da
Comte de ce nom , Chancelier de Leurs Majeftés
Impériales , vient d'épouler l'aînée des Princelles
d'Oettingen .
De LEIPSICK , le 18 Janvier.
Les Princes Guillaume & Henri de Pruffe font
partis d'ici le 12 pour Magdebourg. On affure que
Sa Majefté Pruffienne ne tardera pas à ouvrir la
Campagne . On tranfporte de Magdebourg à Tor.
gau une grande quantité d'artillerie & de munitions
de guèrre. Les contributions exorbitantes , exigées
par le Roide Pruffe dans tout l'Electorat de Saxe ,
s'y lévent avec la derniere rigueur . La Ville de
Naumbourg a effuyé l'exécution Militaire . Le Duc
de Mecklembourg , qui eft retourné à Schwerin
d'où il s'étoit retire , paye lui- même un tiers de la
femme impolée fur fon Duché , pour foulager fes
fujets , entiérement ruinés,
De BERLIN , le 30 Janvier.
LeRoi entra , le 24 de ce mois , dans la cinquan
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
tiéme année de fon âge. On affure que le Prince
Henri commandera , pendant la campagne prochaine
, une Armée en Silélie , & que le Prince
Royal de Pruffe fera cette campagne fous les or
dres du Roi.
Nous apprenons de la Pomeranie que le Géné→
ral Comte de Totteleben , s'eſt avancé avec un
corps confidérable de troupes légéres jufqu'à Cof-
Jin , où il a établi fon quartier général . On ajoute
qu'un Corps d'Infanterie de l'Armée Ruſſe , marche
fur Stolpe. L'approche de ces troupes a obligé
le Lieutenant- Colonel de Courbieres à fe replier
fur Colberg. Le Général de Werner s'eft mis en
marche d'Anclam pour aller défendre cette Province.
De HAMBOURG , le 6 Février.
Trois bataillons & fept efcadrons de troupes
Pruffiennes ont paffé Recknitz pour déloger les
Suédois des Poftes qu'ils occupent au-delà de cette
riviére. On attend à l'embouchure du Vefer un
corps confidérable de troupes Angloifes.
Les mouvemens des Rufles paroillent avoit pour
objet de rentrer bientôt dans la Pomeranie. Quelques-
uns de leurs corps avancés ont paru dans le
territoire de Stolpe , & ont pouffé jufques dans les
environs de Stargard. On allure que l'intention
de l'impératrice de Ruffie eft de mettre fon Armée
fur un pied beaucoup plus formidable que les an
néesprécédentes.
De RATISBONNE , le 26 Janvier,
Le Lieutenant - Général Comte de Guafco , qut
commande le corps détaché de l'Armée Autrichienne
pour appuyer celle de l'Empire, eft encore
à Egra.
L'Evêché d'Hildesheim eft traité par les HanoMARS.
1761 203
par
vriens avec auffi peu de ménagement que la Saxeles
Pruffiens . On y enléve , ainfi que dans les
Evêchés de Munſter , d'Ofnabruck & de Paderborn
, toute la jeuneſſe qui eſt en état de fervir . ON
mande de Léipfick que le nombre des jeunes gens:
enrôlés de force par ordre du Roi de Pruffe , monte
à plus de trente mille.
De COLOGNE , le ro Fevrier.
Clément-Augufte- Marie- Hyacinte de Baviere ,
Archevêque de Cologne , Electeur du Saint Empire
Romain , & Archi- Chancelier en Italie , Evêque
& Prince de Hildesheim , de Paderborn , de
Munſter & d'Ofnabruck , Grand- Maître de l'Or
dre Teutonique , mourut le 6 de ce mois à Ehrenreiſten
près de Coblentz . Ce Prince étoit né le 16
Août 1700 , de Maximilien - Emmanuel - Marie ,
Electeur de Baviere , & de Thérefe- Cunégonde
Sobieski , fille de Jean III , Roi de Pologne. H
avoit fuccédé à fon Oncle Jofeph- Clément , em
qualité d'Electeur de Cologne , le 12 Novembre
1722. Son corps fat porté le 8 à Bonn , d'où il fera
transféré , dans quelques femaines , en cette Ville
pour y être inhumé avec les cérémonies accouru
mées,
De MADRID , le 3 Février.
Le 20 du mois dernier , on célébra le jour annivérfaire
de la naiffance de Sa Majesté.
Le Marquis de Villadarias , Grand d'Eſpagne
de la premiere Claffe , prit , le 4 du même mois ,
poffeffion de ce titre , en fe couvrant devant le Roi,
4
Sa Majefté , voulant récompenſer les fervices
du Marquis de Villagarcia & ceux de fa maiſon ,
lui a conféré le titre de Grand d'Eſpagne de la premere
claffe , pour lui & pour ſes héritiers.
On équipe dans nos Ports un grand nombrede
1 vj
204 MERCURE DE FRANCE
Vailleaux de Guerre. Les ordres font donnés pour
que cet armement foit prêt au commencement
d'Avril.
On apprend de Lisbonne que la groffeffe de la
Princelle du Bréfil y a été déclarée le 17 du mois
de Décembre dernier. On travaille avec vivacité
au rétabliſſement de cette Capitale . La plupart des
baraques qu'on y avoit bâties font abbatues . Les
fondations du nouveau Palais Royal font achevées .
& on a tracé deux nouvelles rues.
DeROME, le L Février.
Il s'eft tenu depuis peu dans le Palais quirinal une
congrégation de Cardinaux à l'occafion de nos démélés
avec la République de Gênes . On affure que
cette affaire doit être traitée à Naples entre le Nonce
de Sa Sainteté & un Envoyé de la République.
On écrit de Baffano , que le Sénat de Veniſe vient
d'accorder à ce Bourg le titre de Ville avec les priviléges
attachés à ce titre .
La République de Vénife vient d'obtenir le droit
de nommer fon Auditeur de Rote. Elle n'avoit auparavant
que celui de préfenter trois fujets , entre
lefquels Sa Sainteté choififfoit celui qu'elle jugeoit
à propos.
On apprend de Naples des détails affligeans du:
dommage caufé par la derniere éruption du Véluve.
Toutes les terres , depuis le pied de la montagne
où la nouvelle ouverture s'eft faite jufqu'au grand
chemin , ont été couvertes de la lave. Le dommage
eft évalué à plus de quatre cens mille ducats.
Cette ouverture a ceffé de jetter des matiéres en--
flammées depuis le 2 du mois dernier ; mais celle
du fommet jette des flammes avec une grande violence
& avec un bruit qui reffemble à celui d'une
nombreuſe artillerie . On reffentit , la nuit du
§ , à Portici , à Pleſſina , & dans les lieux voiſins une
4 au
MAR S. 1761 . 205
fecouffe de tremblement de terre fi violente , que
leurs habitans , quoiqu'accoutumés à ce phénomè
ne , fe font fauvés de leurs maifon s. Cette fecoufle
a auffi ébranlé quelques maifons dans Naples ,
fur-tout le long du Port. La nuit du 11 au 12 une
nouvelle fecoulle fe fit fentir dans cette Capitale .
L'éruption du Véfuve recommença & elle fut accompagnée
d'un très-grand bruit . Le 12 au matin ,
on s'apperçut que le fommet de ce Volcan s'étoit
écroulé dans l'intérieur du gouffre . Depuis ce móment
, le Véfuve eft abfolument tranquille . On travaille
actuellement à rétablir le chemin de Salerne.
De LONDRES , le 31 Janvier.
On écrit de Boſton qu'on y reffentit le 9 de No
vembre dernier, vers les huit heures du matin , une
fecouffe de tremblement de terre. Elle fut peu fenfible
Bofton ; mais elle fut confiderable dans la
campagne à trente milles à la ron le de cette Ville ,
& l'on entendit un bruit fouterrein.
Les Chiroquois fe préparent à faire le fiége du
Fort le Prince George . Ils forment un Corps de
fix à fept mille hommes . Le Colonel de Montgommery
n'a qu'environ cinq cens hommes de
troupes réglées, & celle de la Colonie ne montent
qu'à quinze cens . Ces Sauvages paroiffent fi animés
contre nous , que nous n'eſpérons plus finir
cette guerre que par leur entiere deftruction .
De LA HAYE , le 18 Janvier..
Le Prince , dont la Princeffe de Naffau-Wieilbourg
accoucha , le 18 du mois dernier ,
fut nom
mé le 13 de ce mois fur les fonts de Baptême . Les
Parrains furent le Roi d'Angleterre , repréfentê
par le Général Yorck , Miniftre Plénipotentiaire
de Sa Majefté Britannique; le Prince Stathouder,
& les Etats- généraux qui furent repréſentés par
206 MERCURE DE FRANCE.
quatre de feurs Députés . La Princefle Douairiere
de Naflau - Dietz fut la Marraine , & elle fut repréfentée
par le Comte de Benftinck . Le nom donné
au jeune Prince eft George-Guillaume- Belge
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée ,
de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 19 Février 1761 .
LE 27 du mois dernier , le Comte de Starhen
berg , Ambaffa leur de l'Empereur & de l'Impératrice
, Reine de Hongrie & de Bohême , eut
une audience particuliére du Roi , dans laquelle il
notifia à Sa Majesté la mort de l'Archiduc Charles.
Il fut conduit à cette audience , ainfi qu'à celle
de la Reine & de la Famille Royale , par le fieur
Dufort , Introducteur des Ambaffadeurs . Sa Majeſté
a ordonné au Duc de Choiſeul de ſe charger
du Département de la guerre, conjointement avec
celui des Affaires Etrangeres, jufqu'à la conclufion
de la paix qui doit terminer la préfente guèrre.
Le premier de ce mois, la Marquise de Tilly fut
préfentée au Roi , à la Reine & à la Famille Royale
par la Maréchale de Duras.
Le 2 , fête de la Purification , les Chevaliers ,
Commandeurs & Officiers de l'Ordre du Saint Efprit
, s'étant affemblés dans le cabinet du Roi , Sa
Majefté tint Chapitre . Elle nomma Chevaliers de
fes Ordres l'Infant d'Eſpagne Dom Gabriel, & elle
donna à l'Evêque de Laon , Ambaffadeur extraordinaire
à Rome , & à l'Evêque d'Orléans , les
deux places de Commandeur de l'Ordre du Saint
Efprit, vacantes parla mort du Cardinal de Tavannes,
& par celle de l'Abbé de Canillac Auditeur de
Rote. Le Roi fortit enfuite de fon appartement
MARS. 1761. 207
pour le rendre à la Chapelle. Sa Majefté étoit en
manteau avec le collier de l'Ordre par deflus . Les
deux huiffiers de la Chambre marchoient devant
Elle avec leur malle ; & Elle étoit précédée de Monfeigneur
le Dauphin , du Duc d'Orléans , du Prince
de Condé, du Comte de Clermont, du Prince de
Conty , du Comte de la Marche , du Duc de Penthievre
, des Chevaliers , Commandeurs & Officiers
de l'Ordre. Le Roi affifta à la bénédiction des cier
ges & à la proceffion qui fe fit dans la Chapelle.
Après la Grand-Meffe qui fut célébrée par l'Abbé
Defclufeau , Chapelain de la Chapelle Mufique , Sa
Majefté fut reconduite à fon appartement en la
maniere accoutumée.
Le 12 , Dom Jaime Maffones de Lima , Ambaſſafadeur
extraordinaire du Roi d'Efpagne, ayant demandé
& reçu fes Lettres de rappel de Sa Majefte
Catholique , eut une audience particuliere du Roi ,
dans laquelle il prit congé de Sa Majeſté . Il fur
conduit à cette audience , ainfi qu'à celles de la
Reine , de Mgr le Dauphin , de Madame la Dauphine
, de Mgr le Duc de Berry , de Mgr le Comre
de Provence , de Mgr le Comte d'Artois , de
Madame Adélaïde , & de Meldames Victoire , Sophie
& Louife , par le fieur Dufort , Introducteur
des Ambaffadeurs .
Le même jour , le Marquis de Grimaldi , que
le Roi d'E pagne a nommé fon Ambaffadeur Extraordinaire
auprès du Roi , ent fa premiere Audience
de Sa Majefté . Il fut conduit à cette Audien
ce , ainfi qu'à celles de la Reine & de la Famille
Royale , par le même Introducteur.
Le 15 , jour anniverſaire de la naiffance du
Roi , on chanta le Te Deum dans l'Eglife de Notre-
Dame , Paroiffe du Château , & dans celle de
S. Louis & des Récollets . Après la cérémonie ,
alluma le bucher qui avoit été préparé vis - à-vis
le portail de l'Eglife. Les Invalides chargés de la
on
108 MERCURE DE FRANCE.
garde de cette ville , firent une triple falve de
moufquetterie.
Le mêmejour , le Comte de Luface arriva dans
cette Ville .
Le 17 , Sa Majesté tint le Sceau.
Le 11 , la Cour prit le deuil , pour douze jours,
à l'occafion de la mort de la Ducheffe de Modène.
Le Roi a donné l'Abbaye de S. Eloi , Ordre de
S. Benoît , Diocèfe & Ville de Noyon , à l'Abbé
de Breteuil , Chancelier du Duc d'Orléans , qui
s'eft démis de l'Abbaye de S. Volufien de Foix.
Celle d'Hieres , même Ordre , Diocèle de Paris
, à la Dame de Clermont- d'Amboife , Religieufe
du Monaftère de Montargis.
Celle de Notre- Dame de Meaux , Ordre de S.
Auguftin , Diocéte & Ville de Meaux , à la Dame
de Bouillé , Religieufe de l'Abbaye de S. Menoux ,
& Prieure de Champchenoux en Bourbonnois.
Et celle de la protection de Valogne , Ordre de
Saint Benoît , Diocèle de Coutances , à la Dame
de Jucoville , Religieufe de l'Abbaye de Cordillon
, Diocèfe de Bayeux.
L
Sa Majefié a nommé l'Abbé de Véri , à la place
d'Auditeur de Rote , vacante par la mort de l'Abbé
de Canillac .
Le Roia difpofé , en faveur du Maréchal Comte
d'Eftrées, du gouvernement général des Evêchés
de Metz , & de Verdun , & du gouvernement particulier
des Villes & Citadelle de Metz , qui vaquoient
par la mort du Maréchal Duc de Belle-
Ifle. Sa Majefté a nommé en même temps le Marquis
d'Armentieres , Lieutenant-général des Arnées
du Roi & Chevalier de fes Ordres ,pour cominander
dans les trois Evêchés de Metz , Toul &
Verdun, & fur la frontiere de la Meufe & de la
Champagne. Il commandera auffi les troupes qui
font en Lorraine.
MAR S. 1761. 20g
Sa Majefté a nommé Lieutenant - Général de fest
Armées le Chevalier de Lévis , Maréchal de Camp ,
qui commandoit les troupes du Roi en Canada.
Elle a accordé le Cordon rouge au fieur de Bourlamaque
, Brigadier , Colonel d'Infanterie ; le grade
de Brigadier au Chevalier de Montreuil , Lieutenant
- Colonel d'Infanterie & Major- Général ;
la commiflion de Colonel d'Infanterie au fieur de
la Pauze , Capitaine Aide - Major au Régiment de
Guyenne , & Aide- Maréchal des Logis des troupes
qui fervoient dans cette Colonie & les honneurs de
Grand Croix de l'Ordre de S. Louis au Marquis
de Montmort , Lieutenant- Général , Major des
Gardes du Corps , & au keurde Cornillon , Maréchal
de Camp , Major du Régiment des Gardes
Françoifes. Le Marquis de Laftic , Maréchal de
Camp , premier Lieutenant des Gardes du Corps
dans la Compagnie de Noailles , a autli obtenu le
Cordon rouge.
Le fieur de Guer, Lieutenant Colonel des Gardes
Françoiles , ayant demandé la pernaillion de fe retirer
, Sa Majefté la lui a accordée , avec le Gouvernement
de Landreci , dont le Maréchal de Biron
s'eft démis . Le fieur de la Sône a été fait
Lieutenant-Colonel , & la Compagnie vacante par
la retraite du fieur de Guer , a été donnée au fieur
de Dampierre. Celle qui vaquoit par la retraite
du Chevalier d'Aubonne , a été accordée au fieur
Baudouin.
Dom Jean-Baptifte & Dom Charles Haudiquer
, Religieux de l'Abbaye S. Germain des Prés
ont eu l'honneur de préfenter au Roi le dixiénre
Volume de la Collection des Hiftoriens de France.
De CASSEL, le 13 Février.'
Nous apprenons dans le moment que le Général
Sporcken s'approcha hier d'Eyreden avec un
210 MERCURE DE FRANCE.
Corps fort fupérieur à celui que le Marquis de
Saint Pern avoit raffemblé dans un pofte avantageux
en avant de ce Village. Il commença
fon attaque a dix heures du matin ; mais ayant
trouvé nos Troupes dans une bonne diſpoſition ,
cette attaque le réduifit à une cannonade qui far
fort vive jufqu'à trois heures après - midi. I
prit alors le parti de la retraite. Le Marquis de
S. Pern n'ayant point de Cavalerie , & n'ayant été
joint que quelque temps après par les Corps que
commandoient les Comtes de Stainville & de
Salms , ne put fuivre les ennemis , ils ont emporté
leurs bleffés fur des chariots , & ils ont laiffé
fur la place une centaine d'hommes. Nous n'en
avons eu que cinquante tués ou blefiés . Pendant
cette attaque , le Prince Ferdinand & le Prince
Héréditaire , dont les troupes s'étoient emparées
du Weiffenſtein & de la Cafcade près de Caffel ,
avoient porté un Corps du côté de Fritzlar . Nous
venons d'apprendre que ce pofte fut attaqué bier .
Le Comte de Narbonne , Brigadier, Colonel d'un
Régiment de Grenadiers Royaux , s'y défendit
avec tant de valeur , que les Ennemis furent contraints
de fe retirer avec perte de deux cens hommes
qu'ils ont laiffés fur le champ de bataille. Ils
ont auffi abandonné deux pièces de canon de fept
livres de balle.
Les détachemens que le Comte de Vaux a fait
fortir , la nuit du 6 au 7 , de Gottingen , & qui
étoient commandés par le Vicomte de Belfunce ,
par le heur de Grandmaiſon & par le Comte d'Efterhafi
, ont eu chacun tout le fuccès qu'on en
' pouvoit attendre. Ils ont fait beaucoup de prifonniers
, & les ennemis ont eu un grand nombre
d'hommes tués ou bleffés .
On a perdu de notre côté , Le fieur Gelb , Major
du Régiment de Picardie. Il est généralement
MARS. 1761 . 211
regretté. Le fieur de Guintran , Capitaine dans le
Régiment de Bauffremont , & le fieur de Nouaillé
, Cornette dans celui de la Ferronaye , ont été
bleflés.
De PARIS , le 21 Février.
Le premier de ce mois , le fiear Gigot , Recteur
de l'Univerfité , accompagné des Doyens des quatre
Facultés & des Procureurs des Nations , fe rendit
a Verſailles , & , fuivant l'ancien uſage , il préfenta
un cierge au Roi , à la Reine , à Mgr le Dauphin
& à Madame la Dauphine.
Le même jour , le Commandeur du Couvent
de la Merci , accompagné de trois Religieux de la
même mailon , préfenta un cierge à la Reine, pour
fatisfaire à une des conditions de leur établiflemen .
à Paris,fait en 1619, par la Reine Marie de Médicist
Le tirage de la feconde Loterie de l'Hôtel de
Ville fe fit le 7. Le premier lot , qui étoit de 60c00
livres , eft échu au No.13854 ; celui de 20000 1 .
au Nº. 18962 ; & les deux de 10000 livres aux
Numéros 17296 & 16774.
Le tirage de la Loterie de l'Ecole Royale Mili
taire s'eft fait le 13. Les numéros fortis de la roue
de fortune font , 50 , 42 , 71 , 33 , 66. Le prochain
tirage fe fera le 18 du mois de Mars .
MARIAGES.
Anne- Léon de Montmorenci , Marquis de Foffeufe
, Capitaine-Lieutenant des Gendarmes de la
Reine , Menin de Mgr le Dauphin , époufa le 27
de Janvier , Marie-Judith , fille du Comte de
Champagne , & de feue Bonne- Judith de Donges.
La bénédiction nuptiale leur a été donnée à
S. Sulpice , dans la Chapelle particuliere du Curé,
par l'Evêque de Metz . Le Marquis de Foffeufe eft
212 MERCURE DE FRANCE.
fils d'Anne Léon , Baron de Montmorenci de Fo
feufe , premier Baron Chrétien , Chef du nom &
armes de fa Maiſon , Chevalier des Ordres du
Roi , Leutenant - Général des Armées du Roi , &
de feue Anne- Marie- Barbe Arnold . Leur Contrat
de mariage a été figné le 25 , par Leurs Majeftés
& par la Famille Royale .
Armand- Charles-Emmanuel , Comte de Hautefort
, époufa , le 3 Février , Marie Amélie- Crealine-
Jofephe- Françoife Xaviere d'Hochenfelds de
Baviere, Grandé d'Efpagne de la premiere Clalle ,
fille de feu Emmanuel-François Jofeph , Comte
de Baviere , Grand d'Espagne , Chevalier de l'Ordre
de S. George de Bayiere , Lieutenant - Général
des Armées du Roi ; & de fon Ambaffadeur extraordinaire
auprès de l'Empereur Charles VII , & de
Marie-Jofephe , Comteile d'Hochenfelds de Baviere
, Le Comte de Hautefort eft fils d'Emmanuel
, Marquis de Hautefort , Chevalier des Or
dres du Roi , Maréchal de les Camps & Armées
ci- devant fon Ambasadeur Extraordinaire auprès
de l'Empereur & de l'Impératrice , Reine de
Hongrie & de Bohême ; & de Françoife - Claire de
Harcourt , la feconde femme. Leur Contrat de
mariage avoit été figné le 25 du mois de Janvier,
par Leurs Majeftés & par la Famille Royale.
MORTS.
CHARLOTTE - AGLAÉ d'ORLÉANS , Princeffe du
Sang , Ducheffe de Modène , mourut ici le 19 de
ce mois , âgée de foixante ans deux mois 27
jours , après une très -longue maladie , dans le cours
de laquelle cette Princelle a donné les plus grandes
marques de Religion & de piété , elle étoit
fille de Philippe , Petit - fils de France , Duc d'Orléans
, qui a été Régent du Royaume , pendant
MAR S. 1761 213
la minorité du Roi ; & de Marie-Françoife de
Bourbon , Princeffe légitimée de France ; & avoit
époufé le 21 Juin 1720 , François III , Duc de
Modène.
OBSEQUES DE FEUE S. A. S. MADAME
LA DUCHESSE DE MODENE .
Ledit jour , 19 Janvier , jour de la mort de cette
Princeffe fon Corps fut expoſé à vila ge découvert ;
le 21 , après avoir été embaumé , il fut mis fur un
lit de parade , dans une des piéces de fon Hôtel ,
qui a été ouvert au Public , foir & matin. Ce jour
& le fuivant , tant qu'il y a été exposé , fix Eccléfiaftiques
de la Paroifle Saint Sulpice, & fix Réligieux
Feuillans ont récité l'Office des Morts auprès
du cercueil ; & tous les matins depuis huit
heures jufqu'à midi , ils ont célébré conjointement
avec les Aumôniers , des Meffes à deux Autels
, qui étoient des deux côtés du lit de parade.
Les Jacobins Petits - Auguftins , Carmes & Capucins
font venus jetter de l'eau bénite fur le Corps.
La Ducheffe de Modène , ayant demandé par
fon Teftament , d'être inhumée fans pompe ; on
ne lui a point rendu ces autres honneurs funébres
, qu'on a coutume de rendre aux Princeffes
de fon rang. Le 23 , fon corps fut porté à l'Eglife
du Val- de- Grâce , que la Ducheffe de Modène
avoit choifi pour le lieu de fa fépulture :
voici l'ordre de la marche du convoi .
Un Piqueur à Cheval , avec crêpe & houffe
noire.
Deux Palfreniers auffi à cheval , avec des crêpes
& des houfles , portant des flambeaux .
Cent Pauvres , couverts de draps , portant
chacun un flambeau.
214 MERCURE DE FRANCE.
*
Deux Suiffes , à cheval , avec crêpe & houffe
noire. 2
Les Officiers de la Maifon de la Princeffe , de
même .
Un Caroffe , à fix chevaux, avec des harnois drapés
, dans lequel étoient les Femmesde Chambre
de la Princeffe .
Un autre Caroffſe , à fix chevaux , de même ;
où étoient les Gentilshommes de Madame la
Comtelle de la Marche.
Un autre Carolle à fix Chevaux caparaçonnés ,
dans lequel étoient les quatre Gentilshommes de
la Princelle défunte , qui portoient le poêle .
Un autre Caroffe à fix Chevaux caparaçonnés de
moire d'argent , dans lequel étoient M. l'Evêque
de Valence , le Curé de S. Sulpice , le Confeffeur
de la Princeffe , fes deux Aumôniers & un de M.
l'Evêque de Valence.
Un Caroffe du Corps à huit chevaux caparaçonnés
de moire d'argent , dans lequel étoit le
Corps de S. A. S. précédé de fix Pages à Cheval en
manteau long & crêpe , portant des flambeaux ,
à la tête defquels , étoit leur Gouverneur , & aux
deux portiéres quatre Suiffes & nombre de Valers
de pieds , tous avec des crêpes & des flambeaux..
Un autre Caroffe à huit Chevaux caparaçonnés
auffi de moire d'argent , dans lequel étoient ,
Madame la Comtelle de la Marche , Madame la
Princeffe de Chimay, Madame la Comteffe d'Oizy,
Madame la Comteffe de Poly , Madame la Comtelle
de Lamberty & Madame de Mory.
Le Carolle de S. A. S. Madame la Comteffe de
la Marche.
Celui de Madame la Princeffe de Chimay , &
enfuite celui de M. l'Evêque de Valence qui fermoit
la marche.
Tout le Convoi étoit éclairé par un très - grand
MARS. 1761. 215
nombre de flambeaux portés par des Valets de
pieds. La marche étoit précédée & fermée par le
Guer à pied & à cheval.
Lorfque le Convoi eft arrivé au Val- de- Grâce ,
' Evêque de Valence , après les prieres ordinaires
& le Difcours ufité en pareille occafion , auquel
' Abbeffe répondit , préfenta le Corps ; qui , après
avoir été expolé au milieu du Choeur , a été defcendu
dans le caveau où l'on enterre les Princes
& Princelles de la maifon d'Orléans.
La nef de l'Eglife , ainfi que le Choeur étoient
tendus de dix lés , fur lequels il y avoit deux lés
de Velours.
M. le Duc d'Orléans , M. le Duc de Chartres ,
M. le Comte de la Marche , M. le Duc de Penthievre
& M. le Prince de Lamballe ont affiftés à
Ja Cérémonie fans qu'ils fuffent cenfés y être , &
cela dans le Choeur des Religieufes du Val- de-
Grace où ils s'êtoient rendus avant le Convoi .
CharlesLouis - Augufte Fouquet, Duc de Belle -Ifle,
Pair & Maréchal de France , Prince de l'Empire ,
Chevalier des Ordres du Roi , & de la Toifon d'or,
Gouverneur de Metz , & du Pays Meffin , Lieutenant-
Général au Gouvernement de Lorraine & du
Barrois , Miniftre & Sécrétaire d'Etat au Département
de la Guerre , & l'un des Quarante de l'Académie
Françoife , eft mort à Versailles , le 26 de
Janvier, agé de foixante - feize ans 4 mois & 4 jours.
Le Maréchal de Belle Ifle s'étoit diftingué au fiège
de Lille , où il reçut un coup de feu dans la poitrine.
Il annonça dès- lors les talens fupérieurs qui ont
illuftré fa vie. Il fut nommé en 1741 ,Amballadeur
Plénipotentiaire de France à la Diéte d'Election
de l'Empire , & Général de l'Armée du Roi en
Allemagne. Il commanda , à la fin de 1746 , les
Troupes que Sa Majeſté envoya en Provence. Il
216 MERCURE DE FRANCE.
fervit le Roi , dans tous les grands emplois done
Sa Majefté l'a honoré , avec beaucoup de zéle
& avec une application affidue au travail dont il eſt
peu d'exemples parmi les Miniftres de fon âge.
Il avoit été marié deux fois ; la premiere , en
1711 ,à Henriete-Françoife de Durfort de Civérac;
la feconde , en 1729 , à Marie - Cafimire - Thérefe-
Geneviève- Emmanuelle de Béthune. Il ne laiffe
point d'enfans de ces deux mariages ."
Claude François de Montboiffier de Beaufort-
Canillac , Commandeur de l'Ordre du Saint Efprit
, Doyen des Auditeurs de Rote, Abbé Commendataire
des Abbayes Royales de Montmajour
de Cercamp , & de Fécamp, mourut en ctte Ville,
le 27 de Janvier , dans la foixante & deuxième
année de fon âge.
Meffire Louis - Philippe Dauger, Lieutenant - Général
des Armées du Roi , Grand- Croix de l'Ordre
Royal & Militaire de Saint Louis , mourut en
cette Ville le 8 Février dans fa quatre-vingt-troifićme
année..
Dame Marie-Anne de Buffy , veuve de Meffire
Henri Cocquebert , Vicomte de Perthenai , Capitaine
de Dragons , eft morte au village de
Coulomne , près Rheims en Champagne , âgée
de cent fept ans.
Le Père Pierre- François Xavier de Charlevoix ,
de la Compagnie de Jefus , né à S. Quentin, Auteur
de plufieurs hiftoires des différentes parties du
Nouveau Monde , & qui font eftimées , eft mort
à la Fléche , le 1 Février , âgé de foixante & dixhuit
ans.
I
Evénemens
MARS. 1761. 217
EVENEMENS SINGULIERS,
D'ASIE.
On apprend du Grand-Caire , que la pefte y a
déja enlevé la moitié des habitans . Ce fléau , fi
commun & fi redoutable dans ces climats , a fait
aufli de grands ravages parmi les Arabes du Déſert.
ITALIE.
De TURIN.
Le Pays a été, l'année dernière, infeſté de loups
enragés , qui ont fait autant de mal que les chiens
en ont fait en Angleterre. On n'a point encore
trouvé de reméde pour guérir ceux qui ont été
mordus par ces dangereux animaux . Ils font tous
morts dans des tourmens & dans des convulfions
épouvantables.
.
ANGLETERRE.
On apprend par une Lettre d'Ofweftry , dans le
Shropshire, que le 23 Décembre, à huit heures du
foir , on a vu dans cette Ville un Arc - en - Ciel lunaire
, d'une forme parfaite & très- visible ; mais
les couleurs étoient beaucoup plus foibles que celles
de l'Arc-en- Ciel folaire.
Depuis le commencement de cette année , on
a compté cinq femmes , à Londres , qui fe font
jettées dans la Tamife. L'une de ces femmes ayant
été retirée de l'eau , & fauvée à tems , a été trouvée
pendue, quelques jours après dans fa chambre.
Il y eut dans la nuit du premier Janvier , un
Ouragan furieux , qui fit beaucoup de ravage
dans les Campagnes des environs de Londres.
Il renverfa même des maifons de Payfans. Un
pauvre homme dans la Paroiffe de Léeds , voyant
la chaumiere fortement ébranlée par les fecouf-
K
218 MERCURE DE FRANCE.
fes , & prête à tomber , s'élança de fon lic , &c
appuyant avec les épaules la folive fur laquelle
poloit le toit , il foutint ainfi le bâtiment , pendant
que fa femme & les enfans le glifoient entre
fes jambes , n'ayant pas d'autre route pour
fortir de la chambre; il n'eut que le tems de
s'échapper lui-même , & toute la chaumiere s'égula
fur le champ.
Le premier Février , la femme d'un Porteur
de Chaile , accoucha à deux heures du matin
d'un garçon ; à midi , elle en mit au monde un
fecond ; & lelendemain au matin , elle accoucha
d'une fille. La Mere & les trois enfans font en
bonne fanté.
Le 21 Novembre dernier , on enterra à Philadelphie
, M. Charles Cottrel , mort âgé de cent
vingt ans; & trois jours après , fa femme , qui
en avoit cent quinze. Ce couple rare étoit marié
depuis quatre-vingt- leize ans , & avoit toujours
vêcu dans la plus parfaite union .
On mande de Glafcow en Ecolle , que Pierre
Campbell eft mort dans cette Ville , âgé de cent
huit ans. Il avoit confervé la coutume de marcher
tous les jours , l'efpace d'un mille ou deux , &
iln'avoit aucune des incommodités de la vieillefle .
On écrit de Konigsberg , que le Capitaine :
Pierre Bromfish étoit mort dans cette Ville , dans
la cent douzième année de fon âge . Il y avoit
quatre-vingt - treize ans qu'il étoit au fervice de
Prulle. Il avoit été vingt ans fimple Soldat . Il a
laifié fix fils & fept petits fils , tous Officiers dans
les Armées Pruffiennes .
On vient de faire une épreuve finguliere , d'un
reméde fort fimple contre les attaques d'apopléxie.
Un homme étant tombé fans connoillance
dans une rue de Londres , on le porta dans une
boutique ; on lui mit feulement une ou deux pinMARS.
1761.
219
cées de fel dans la bouche ; & dans cinq minutes ,
il reprit les fens & fes forces , & fe trouva en
état de retourner chez lui à pied .
FRANCE.
De BOULOGNE fur mer.
La Dame de Clifton , veuve du Chevalier Ba
fonet de ce nom , mourut à Boulogne fur mer ,
dans le courant du mois de Décembre dernier ,
âgée de cent trois ans . Elle avoit été Dame d'hon→→
neur de Catherine de Portugal , Reine d'Angleterre
, femme de Charles II. Elle eut enfuite cette
mêne place auprès de Marie Béatrix - Eléonore
d'Eft , Reine d'Angleterre, femme de Jacques II.
Elle a confervé fon bon lens jufqu'à la mort , &
elle ne s'étoit jamais fervie de lunettes .
La veuve du feur Thomas Meignot Daller ,
Avocat , eft morte auffi dans la même Ville , le
24 de Janvier , âgée de cent trois ans , & n'ayant
jamais eu d'autre maladie que celle dont elle eft
morte.
Nous apprenons , par la Lettre que nous avons
reçue de Boulogne à cette occafion , qu'il y a actuellement
dans cette Ville plufieurs perfonnes de
F'âge de cent ans , & un plus grand nombre qui en
approche.
ΑΙ
DECLARATION de M. LE FRANC DE POMPIGNAN
, de l'Académie Françoife , &c .
J'ar va avec un étonnement mêlé d'indignation
que dans le Catalogue de la Bibliothèque de feu M
de Selle , on mettoit fur mon compte un Livre intitulé,
Charges du Procès de ...
C'est une imprudence d'autant plus grande de la
part des Redacteurs de ce Catalogue, que l'Ouvrage
qu'on m'attribue fi fauffement , n'a jamais été im
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
primé fous mon nom. Si l'on m'eût fait l'injuſtice,
quand il parut pour la premiere fois , de me l'imputer
par la voie de l'impreffion, ou de quelqu'autre
maniere que ce pût être , je n'aurois certainement
pas gardé le filence dans une occafion auffi
grave. Je n'ignore pas que quiconque laiffe imprimer
fon nom à la tête ou au bas d'un libelle généralement
répandu , & qui ſouffre fans en reclamer,
que des feuilles publiques le lui attribuent , en
eft justementréputé l'Auteur, & s'expoſe au moins
à des recherches févères.
A Dieu ne plaife qu'il y ait rien de femblable
dans le cas préfent. Il ne s'agit ici que de l'énoncé
vague d'un titre qui fe perd dans des milliers d'autres
titres. Mais je penſe qu'on ne sçauroit porter
trop loin la délicateffe à cet égard , foit pour les
autres , foit pour foi- même.
Quand les devoirs . des différentes charges que
j'ai remplies, m'ont obligé de prêter ma plume au
voeu de mes Confreres & à la néceffité des circonftances
, ç'a toujours été avec la iiberté & l'authen
ticité ellentiellement attachées aux importantes:
fonctions de la Magiftrature. Des écrits clandeſtiņs
font indignes d'elle.
Je n'ajouterai qu'un mot pour détromper les Perfonnes
mal inftruites, qui fur la foi d'un article de
catalogue me foupçonneroient d'avoir compofé un
Ouvrage dont la forme &le fond font très- éloignés
de ma maniere de penfer & d'agir ; c'eft que ce
même Ecrit contient des plaintes ameres contre
moi au fujet d'un certain arrangement qui fit da
bruit dans le temps : arrangement que je n'avois
imaginé ni recherché,& dont l'expofé qu'on en voit
dans le préambule des charges, défigure entierement
l'objet & les motifs.
J'ai cru devoir cette déclaration à la vérité , au
Public , aux Loix , à la bienséance , & à moi- même.
LE FRANC DE POMPIGNAN.
MAR S. 1761 . 220
SUPPLÉMENT à la réponse que le fieur CHARTREY
, Privilégié du Roi , fuivant la Cour,
& demeurant à Paris , rue du Chantre , a faite
dans le Mercure du 15 Janvier dernier , à la
prétendue Analyfe que les fieurs PLAT & CADET,
ont fuppofé avoir faite de fa Poudre fpirituenfe
& purgative .
IL n'eft pas étonnant que ces deux Apothicaires,
par un efprit de jaloufie , aient répandu des propos
defavantageux dans Paris & dans les Provinces
contre les vertus & l'éfficacité de la poudre , dans
Fa fuppofition qu'il y entroit du cuivre ,ou qu'il la
fabriquoit dans des vafes de cuivre , attendu qu'il
elt en procès avec la Communauté des Apothicaires
, & parce que la poudre du fieur Chartrey
opére journellement des cures merveilleufes , &
regardées comme furnaturelles fous les yeux de
ce Corps de Communauté , & où les remédes de
Fa Pharmacie n'ont jamais pû atteindre.
Que depuis ces fuppofitions, la Poudre du fieur
Chartrey a opéré un grand nombre de guérifons ,
qui ont furpris non feulement les perfonnes qui em
ont connoiffance , même les Malades , & entr'autres
M. Tarrade Muficien de l'Opéra , demeurant
rue Fromenteau, chez M. Merlin Procureur , qui
étoit extrêmement fourd , & qui a recouvré l'ouie
en cinq jours, par la vertu de cette Poudre; & la Demoiſelle
fille de M. Godot Officier au Grenier àfell
rue S. Martin , au coin de celle des Petits- champs,
qui avoit perdu la lumière de l'oeil droit par une excroiffance
de chair qui lui couvroit toute la prunelle,
& que la Poudre a fondue fans opération en fix
jours. Toutes ces perfonnes nouvellement guéries
, avoient cependantconnoiffance de la calomnie
de ces deux Apothicaires. Quelle erreur de
la part de ces Meffieurs,que celle de donner le nom
Kiij
122 MERCURE DE FRANCE.
à la poudre du fieur Chartrey , de Magnefie
cuivreufe , en fuppofant la fabrique dans des vailfeaux
de cuivre, tandis que la Magneſie n'eft point
purgative , & n'a jamais opéré guérifon. La poudre
du fieur Chartrey en a opéré une immenſité
connue , à Paris , de tous genres de maladies, fans
que l'on puiffe citer perfonne qui en ait reçu la
moindre incommodité. Le fieur Chartrey , pour
avoir raison de cette calomnie , s'eft pourvu en la
Prévôté de l'Hôtel,contre le fieurs Piat & Cadet, &
a conclu à ce qu'ils foient condamnés à une répara
tion , en soo livres d'amende , en roooo livres de
dommages & intérêts, & aux dépens ; & que la
Sentence qui interviendra , foit affichée à leurs
frais & dépens.
En effet , la poudre du fieur Chartrey , étant tra
vaillée alchimiquement ( opération inconnue des
Apoticaires forme un corps incombuftible & im
muable étant reduite au dernier degré de pureté
& de perfection , de façon que les acides les plus
mordans , & le feu le plus violent ne font point
capables de faire la moindre impreffion , de la diminuer
de fon poids , ni lui retirer fon humidité
radicale. Les Chymiftes les plus experts ont tenté
plufieurs fois d'en faire l'analyfe , & tous y ont
échoué le fieur Chartrey voulant montrer publiquement
le contraire de ce que fuppofent ces deux
Apoticaires , fit nommer il y a un mois , quatre
des plus habiles Artiſtes de l'Académie des Sciences
, pour faire l'analyſe de ſa Poudre , fi elle étoir:
poffible ; mais ces MM. qui en ont connu l'impofibilité
, s'en font excufés . D'ailleurs les fieurs Piac
& Cadet ne perfuaderont jamais le Public , qu'ils
foient plus clair- voyans , que MM. les Médecins
& les Artiftes qui compofent la Commiſſion Royale
de Médecine , qui ont reçu & approuvé , par
deux brevets confécutifs , la Poudre du fieur Chare
MAR S. 1961. 223
trey. Cette Poudre guérit , & n'occafionne jamais
la moindre incommodité , étant un purgatif ano→
din. En faut-il davantage pour perfuader le Pu
blic , que c'eſt un bon & vertueux (pécifique ; d'autant
plus que les maladies vénériennes n'y peuvent
réfifter , & qu'elle les guarit en peu de jours , fans
être affujetti à garder la chambre ?
Le fieur Chartrey, voulant donner au Public des
marques de fon zèle , & confondre la témérité de
fes ennemis , lui annonce qu'il pofféde un Beaume
unique , un elixir fouverain , & une ptilanne philofophique
, qui a de puiffantes vertus , & des propriétés
, qui jointes à l'efficacité de fa Poudre , lui
font entreprendre de guérir en peu de tems les
bleffures , les brûlures , les vieux ulcéres , les loups,
l'hydropifie , les humeurs froides , les écrouelles ,
les hémorroïdes , tant internes qu'externes, & autres
femblables maladies , fans exiger le payement
du prix convenu , qu'après guérifon radi
cale. Signé CHARTREY.
EAU DES SULTANES DE MAROLLES.
"
Le fieur Garrot , rue des Deux - ponts , ifle
Saint- Louis , entre un Papetier & un Chaircui
rier, au premier , continue toujours de debiter
la véritable Eau des Sultanes de feu M. Richardi.
de Marolles , dont les vertus font reconnues pour
fortifier & cimbellir la peau ; elle éclaircit le tein ,
même celui des hommes , brûlé du foleil ; il ne
faut qu'imbiber un petit linge fin ou une éponge,
& s'en étuver , pour ſe trouver rafraîchi & en lentir
l'effet. On l'emploie avec fuccès dans les bains
de fanté & de propreté ; elle efface les taches de
roufleurs & les rougeurs de la petite vérole.
·
Le même débite une Eau , qui eft très bonne
pour les yeux ; il en a des rouleaux, de 15
224 MER CURE DE FRANCE.
bouteille , & de 6 liv. Le ftacon d'Eau des Sultanes
eft de 6 liv. le demi- flacon de 3 liv.
Il prie les perfonnes qui lui écriront, d'affranchir
leurs lettres.
T
APPROBATION.
AT lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le Mercure de Mars 1761 , & je n'y ai rien trouvé
qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris , ce
28 Février 1761.GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
EpîTRE , à M. L. L. B. par M. DuL.
LETTRE de M. D. à Madame de B ** .
Page
II
LE CONCILIATEUR , Epître aux gens de Lettres. 16
DISSERTATION fur le Goût.
RECHERCHES fur le Blafon , & c.
EPITRE à M. le Marquis de V ***. &c.
VERS de M. l'Abbé de l'Attaignan , fur le
mariage de M. le Prince de Guimenée avec
Mlle de Soubife.
ÉPITHALAME , fur le mariage de Mlle de
Montperoux avec M. le Marquis de Cambis
&c.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
REMERCIMENT à M. de Voltaire &c.
EPITRE à mon Ami
ENIGMES
25
31
43
45
47
49
ST
ibid.
63 & 64
MARS. 1761 . 225
LOGOGRYPHES.
AIR nouveau.
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
A l'Auteur du Mercure.
SECONDE Lettre au même.
HISTOIRE de Jean Sobieski &c.
65 & 66
67.
68
71
92
CODE de Mufique Pratique , Par M. Rameau
&c.
T
LETTRES de deux Amans , par 1. J. Rouffeau. 10
PREFACE de la nouvelle Héloïſe , par le
même. 102
REPONSE de J. J. Rouffeau à un Anonyme. 103
ANNONCES des Livres nouveaux.
104 &fuiv
ART. IIL SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADEMIES.
LES CHARMES de l'Etude , Epître aux Poëtes,
qui a remporté le Prix de Poëfie de
l'Académie Françoile en 1760 , par M.
Marmontel.
COURS de Mathématiques dédié au Roi de
Pologne , par M. Plaid &c.
MEDECINE.
109
120
134
ASTRONOMIE.
A l'Auteur du Mercure.
mie des Belles- Lettres de Caen.
EXTRALT de la Séance publique de l'Acadé-
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGLE..
A l'Auteur du Mercure.
136
136
*39
226 MERCURE DE FRANCE.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
GRAVURE.
FIGURE annoncée à la page iso du Mercure
de Février .
OPERA .
ART. V. SPECTACLES.
COMÉDIE Françoife . Extrait de la Tragédie
143
180
15x
152
de Tancrède .
158
COMEDIE Italienne . 194
OPERA-COMIQUE. 196
CONCERT Spirituel . 199
ART. VI . Nouvelles Politiques. ibida
EVENEMENS finguliers. 217
DECLARATION de M. le Franc de Pompignan.
219
Avis divers 223
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis- à- vis la Comédie Françoiſe.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères